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/
MORCEAUX CHOISIS
DES
POÈTES DU XVr SIÈCLE
l
f
MORCEAUX CHOISIS
POÈTES DU XVr SIÈCLE
MAROT, RONSARD
DU BELLAY, D'AUBIGNÉ, RÉGNIER
PARIS
LIBRAIRIE CH. DELAGRAVE
16, nUB SOUFFLOT, il
1897
■^
*
s.
NOTICE
L'histoire de notre poésie au seizième siècle semble se par-
tager en deux périodes également étendues, dont la première
ne fait guère que continuer le moyen âge, tandis que la se-
conde se signale tout d'abord par une rupture éclatante avec
les traditions domestiques. Mais, en regardant de plus près,
nous voyons que, d'une génération à l'autre, il y a suite natu-
relle et progrès incessant. Si l'avènement de la Pléiade fait
date, c'est néanmoins par une série de transitions et comme
d'étapes que nous passons de cette barbarie érudite, de cette
enfantine sénilité qui marquent les débuts du siècle, à ce
beau développemeijt d'une poésie riche, imagée, vivante, dont
Ronsard et du Bellay donnèrent le signal.
Vers 1500, l'influence de l'antiquité gréco-latine est déjà
bien sensible; mais elle ne porte que sur le vocabulaire et
sur la syntaxe, tout hérissés d'un fatras pédantesque. Quant
au fond même des inspirations et aux genres techniques dont
elles prennent la forme, aucun symptôme n'apparait encore de
la renaissance qui, cinquante ans plus tard, doit aboutir à la
constitution de l'école classique.
Les principaux poètes qui joignent la fin du quinzième siècle
au commencement du seizième sont Meschinot, Molinet et
Crétin. Justement oubliés de la postérité, ils n'en eurent pas
moins à leur époque une très grande réputation. Ce qui
domine chez eux, c'est l'esprit du Roman de la Rose, seul
monument du moyen âge qui soit resté debout : l'allégorie
morale leur fournit presque toujours le cadre de leurs poèmes,
que peuplent de froides abstractions. Quand ils abandonnent
6 POÈTES DU XVI*^ SIECLE
leur mythologie scolastique, c'est pour s'appliquer tout sim-
plement à mettre des chroniques en vers ; faute d'idées, ils
demandent leur matière aux « voyages » et aux a conquêtes »
du temps, aux « choses merveilleuses » qui se sont passées
sous leurs yeux. Rien ne marque mieux l'épuisement complet
de toute vertu inventive, de toute veine poétique.
Ils essaient de cacher l'insignifiance du fond sous les pres-
tiges de la forme. Leur versification s'ingénie à découvrir des
difficultés nouvelles pour avoir le mérite de les vaincre. De
là ces rimes bizarres (enchaînée, fratrisée, brisée, etc.) que
cultivent à l'envi les beaux esprits d'alors. Ils croient faire
merveille en donnant à leurs pièces, par l'emploi de mètres
divers, la forme d'une croix, d'un triangle, d'une fourche. Le
chef-d'œuvre de l'époque est un liuilain — /eciV Meschinot —
qui « se peut lire et retourner en trente-six manières». Notre
poésie a laissé périr dans l'oubli les monuments de son ancienne
gloire, et rien ne dénote en elle le moindre pressentiment de
sa rénovation prochaine. Elle s'embarrasse à plaisir dans une
métrique épineuse et vaine dont les complications gratuites
étouffent la pensée et le sentiment.
Le premier poète du seizième siècle qui puisse être regardé
comme un lointain précurseur de la Renaissance, est Jean le
Maire, surnommé de Belges, parce qu'il était originaire de
Bavai, petite ville du Hainaut, qui passait pour avoir été la
capitale de l'ancienne Belgique. Le Maire se donne comme
élève de Molinet, son parent, et rend à Crétin un éclatant
hommage ; mais nous trouvons en lui, soit chez le prosateur,
soit même chez le poète, quelque tribut qu'il paie aux vices
du temps, une harmonie, une élégance, une précision qui le
mettent bien au-dessus de ses contemporains, parfois une
sincérité d'accent si rare alors qu'elle suffirait pour lui valoir
une place à part. Son principal titre, d'ailleurs, est moins
dans son œuvre même que dans l'infiuence qu'il exerça. Ron-
sard le considéra toujours comme un de ses maîtres ; du
Bellay dit de lui qu'il illustra le premier les Gaules* et la
langue française; Etienne Pasquier lui attribue l'honneur
d'avoir « donné vogue à notre poésie».
Avec Jean le Maire, quelques autres poètes forment la
transition. Ce sont Jean Bouchet, écrivain verbeux et pédan-
1. Allusion à l'ouvrage de Jean le Maire intitulé les Illustrations des
Gaules, etc.
NOTICE 7
tesque, mais dont la gravité, si elle ressemble beaucoup à de
la lourdeur, annonce peut-être une conception plus élevée de
la poésie ; le Lyonnais Maurice Scève, chez lequel l'influence
italienne, qui avait déjà provoqué à Lyon comme une pre-
mière renaissance, ne se marque pas seulement par des subti-
lités et des mièvreries, mais encore par une noblesse d'inspi-
ration que gâtent malheureusement l'obscurité de la pensée
et les bizarreries de la langue ; Antoine Héroët, qui mérite au
moins un souvenir pour la hauteur de son esprit, pour la dé-
licatesse morale que ce disciple de Platon et de Pétrarque a
portée dans Tanalyse de la passion: Jacques Pelletier, rallié
plus tard à l'école de la Pléiade, dont il avait lui-même pré-
paré le si rapide triomphe; Pontus de Tyard, auteur des
Erreurs amoureuses (1548), qui dénotent une réelle élévation
de sentiments et de langage.
Presque tous ces poètes ont vécu depuis les premières
années du siècle jusqu'à l'avènement de Ronsard, plusieurs
même fort au delà. S'ils se rattachent à l'ancienne école, s'ils
ne répudient pas les traditions des Molinet et des Crétin, qu'on
retrouve dans leurs rimes « équivoques », dans leurs allé-
gories, dans tout ce que leur poésie offre encore de gothique,
nous pouvons néanmoins les considérer comme les premiers
initiateurs de la renaissance, a Scève et Pelletier, dit Etienne
Pasquier, ont été avant-coureurs des poètes nouveaux, u
« Jacques Pelletier, écrit-il plus loin, a essayé de revêtir notre
poésie de nouvelles couleurs, et il y a fort réussi. » Et encore :
a Le premier qui ouvrit la nouvelle carrière fut Maurice Scève ;
car, quoiqu'il ait, dans sa jeunesse, suivi les traces des anciens
poètes, il les abandonna avec l'âge pour tenter une autre voie, u
Pontus de Tyard nous déclare dans la préface de son recueil
qu'il cherche à « embellir et hausser le style de ses vers plus
que n'était celui des rimeurs qui l'avaient précédé » ; il a
mérité d'être rangé dans la Pléiade. Ronsard et ses amis, si
dédaigneux de leurs devanciers, font toujours exception pour
ces poètes, qu'ils reconnaissent hautement comme des pré-
curseurs.
Clément Marot, qui est de la même époque, ne se range
pas dans le même groupe. Il a son caractère particulier et sa
physionomie propre. Il est le chef d'une autre école. Pendant
8 PORTES DU XVI* SIÈCLE
que le» Pelletier et les Héroët essaient de fonder nne poésie
nuvunUi, il reste fidèle aux traditions gauloises, et, bien
qu'instruit dans le métier poétique par Jean Le Maire et
Maurice Scéve, ne répudie ni Villon ni Jean de Meung.
A vrai dire, nous sentons chez Marot une élégance, une dé-
licatesse, qui lui viennent de la culture latine, a Encore qu'il
ne fût accompagné de bonnes lettres ainsi que ceux qui le
suivirent, dit Etienne Pasquier, si n'en était-il si dégarni qu'il
ne les mit souvent en œuvre fort à propos. » Sans parler de
Valbri! ot d'Orose^, il connaît, il a familièrement pratiqué la
plupurt des poètes romains. Dans sa Défense et illustration
do la langue française, J. du Bellay recommandera d'imiter
Martial; c'est ce que Marot a déjà fait. Marot applique VEpi-
thalamo de Téthis et de Pelée au mariage d'Hercule de Fer-
ra rt! av<*c Uonëe de France. Il met en vers français deux livres
clos Métamorphoses d'Ovide. Il traduit, de Virgile, la pre-
mière bucolique, il le prend pour modèle dans cette Eglogue
sur la naissance du fils de Monseigneur le Dauphin que du
Hrllay a lui-même louée. Plusieurs genres renouvelés des.
MuciouH N'introduisent, grâce à lui, dans notre poésie, non
ntMilomout l'épître et l'épigramme, mais encore l'élégie et
l'i^gloguo. A l'Italie moderne, il emprunte le sonnet, qui devait
Mrt) mU par la Pléiade en si grand honneur.
U y a donc, chez Marot, un m renaissant ». Pourquoi ne le
rangoouH-nous pas, au même titre qu'Héroët ou Scève, parmi
IcH prôouraours do Ronsard ? C'est qu'il ne s'éprit jamais de
ft dooirinc », c'est que son art demeura pour lui un badi-
uagt\ c'est que, s'il a laissé maint chef-d'œuvre de grâce et
de (iuosse, l'élévation lui manque, la gravité, l'ampleur, l'éclat
poétique, Hion do commun entre ce spirituel rimeur et un
poèto comme Ronsard, môme si Ronsard n'était que le com-
monoomont d'un grand poète.
i^utiH^ le Temple de Cupidon, son premier ouvrage, qui est
dans lo goût du Roman delà Rose, et \ Enfer, sorte de satire
coutrt^ leOhÂtelet» où Ton trouve quelque traits assez vigou-
ivux. MaiH>t a laissé des ballades, des rondeaux, une traduc-
tion des Psaumes» quelques églogues, des élégies, des épi-
grammes « des épîtres,
Boileau dit de lui qu'il lit fleurir la ballade et qu'il asservît
t, et. *^\VtV*\ 1, ta. p<^ T3,
f\
NOTICE 9
les rondeaux à des refrains réglés. La ballade, qui fleurissait
bien avant Marot, avait depuis longtemps atteint, avec Villon,
par exemple, toute la perfection dont elle est capable, et les
poèmes de maître Clément en ce genre n'ont rien de particu-
lièrement original. On peut d'ailleurs en citer de comparables
à ce que ses devanciers avaient fait de plus ingénieux et de
plus piquant. Quant aux rondeaux, il ne changea rien à leur
forme, mais il y déploya avec aisance, comme en un cadre
parfaitement approprié, les meilleures qualités de son gracieux
et délicat esprit.
Malgré de beaux passages, les Psaumes de Marot sont
faibles. Ses contemporains eux-mêmes en signalaient déjà la
sécheresse et la platitude ; c'est cette platitude et cette séche-
resse de notre poésie, dès qu'elle veut prendre un plus haut
essor, qui justifiera dans quelques années la tentative de
Ronsard.
Avant Marot, plusieurs poètes avaient déjà composé des
églogues, Jean le Maire, Crétin, et le père même de Clément.
Comme ceux de ses prédécesseurs, les bergers de Marot
expriment des sentiments étrangers à leur condition en un
langage qui n'a riea de rustique. Les sujets mêmes qu'il en-
cadre dans ses églogues n'ont aucun rapport avec la vie des
champs. Ce sont les thèmes officiels d'un poète courtisan
qu'il fait développer par le berger Colin ou la bergère
Marion. Ajoutons que, si le genre en lui-même est factice, on
trouve çà et là dans les églogues de Marot maints détails d'un
aimable naturel et d'une grâce ingénue, qui s'accordent par-
faitement avec le caractère de la poésie pastorale.
Il va sans dire que Marot n'avait pas le tempérament élé-
giaque. Ce Gaulois moqueur et léger ne pouvait guère réussir
dans un genre tout de sentiment. Les élégies qu'il adresse à
ses maîtresses sont fort galantes, mais en général assez
froides. Non pas qu'il soit complètement dépourvu de ten-
dresse : on rencontre même chez lui, jusque dans la chanson
et dans l'épigramme, des vers d'une mélancolie voluptueuse.
Mais sa sensibilité n'a qu'un éclair, et le badinage reprend
aussitôt. Les poésies amoureuses de Marot se recomman-
dent par leur élégance soutenue, par la justesse et la brève
netteté du style : il est rare que nous y trouvions une émotion
sincère.
C'est l'épigramme et l'épître que Marot a cultivées avec le
1.
/
10 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
plus de succès. Dans l'épigramme, il sait allier toutes les
qualités gauloises avec une délicatesse que le génie gaulois
n'avait pas connue avant lui. Il traduit souvent Martial, mais
ses meilleures pièces sont celles qui lui appartiennent en
propre; son esprit y a le tour original, la grâce piquante, la
malice naïve du terroir. Dans les épitres, Marot se donne plus
de jeu. Quelques-unes sont des chefs-d'œuvre, que ni La
Fontaine ni Voltaire n'ont fait oublier, des modèles encore
classiques dans l'art de causer avec esprit et de conter
avec agrément.
Marot a porté ces deux genres à leur perfection. Il a été
un poète supérieur en des genres de second ordre. Il a pour
ainsi dire achevé le moyen âge populaire, sans rien y ajouter
de nouveau qu'un art plus patient et plus réfléchi, un goût
plus pur et plus fin.
Sa renommée sera bientôt éclipsée par celle de Ronsard ;
mais Ronsard ne tardera pas à tomber dans l'oubli, et Marot
gagnera tout ce qu'aura perdu le chef de la Pléiade. Au milieu
même du dix-septième siècle, Boileau, la Bruyère, Fénelqn,
s'accordent à le louer, et plus tard Voltaire, dans le Temple
du Goût, ne le réduit à quelques feuillets que pour avoir un
choix tout à fait exquis. La prédilection de nos classiques
pour ce charmant poète s'explique fort aisément. En un cer-
tain sens, Marot est plus classique que Ronsard ; il l'est par
sa netteté, par sa correction, par le tour éminemment « rai-
sonnable » de son esprit. Chez lui, rien de forcé, de heurté,
de rocailleux, comme chez Ronsard, rien d'extravagant et
d'effervescent. On goûte sou élégant badinage, on le tient
quitte de tout ce que ne demandent point les genres dont il se
contente.
Est-ce à dire que nous devions considérer la réforme de la
Pléiade comme une sorte de déviation après laquelle notre
poésie reprendra sa marche naturelle ? Non certes. Marot est,
après tout, un Villon qui a vécu à la cour de François I«',
a sa maîtresse d'école », et qui a pratiqué Ovide et Martial.
Si, dans son domaine propre, il n'a pas de rival, si nous pou-
vons l'appeler, avec Henri Estienne, le plus gentil des poètes
français, ce n'est pas de lui, c'est de Ronsard que procède le
classicisme. Entre Marot et la poésie classique, il y a Ronsard,
et sans Ronsard il n'y aurait pas eu de Malherbe. Pour fonder
l'école classique, d'autres qualités étaient nécessaires, plus
NOTICE 11
hautes et plus fortes, quelques défauts qui pussent les gâter,
ou même d'autres ambitions, que Ronsard, à vrai dire, ne
réalisa pas toujours, mais que son audacieuse tentative, même
sur les points où elle échoua, permit après lui de réaliser.
Renonçant au service des princes, Ronsard se retira, tout
jeune, au collège de Coqueret, pour étudier, sous la direction
du savant Daurat, l'antiquité grecque et latine. Il trouvait là
Baïf, qui lutta avec lui de zèle et d'ardeur. Un peu plus tard
y vinrent Belleau et Jodelle. Quant à du Bellay, c'est tout par
hasard qu'il se rencontra, dans une hôtellerie de Poitiers, avec
le futur chef de la Pléiade, encore inconnu et méditant ses
idées de rénovation poétique. Les deux jeunes gens, qui, sans
doute, avaient déjà bien des vues communes, s'entendirent tout
d'abord et tirèrent l'un et l'autre grand profit de leur com-
merce. A Ronsard, Baïf, Belleau, Jodelle et du Bellay, joignons
Daurat, leur maître commun, et Pontus de Tyard, qui, comme
nous l'avons vu, les avait précédés dans la carrière : tels sont
les sept poètes qui formèrent l'association connue sous le
nom de Pléiade.
Ronsard fut le grand initiateur de la réforme, comme il
devait être « le maître du chœur ». Mais à du Bellay revient
la gloire d'avoir exposé le premier les idées des novateurs et
dressé, pour ainsi dire, leur programme. Son livre, intitulé
Défense et illustration de la langue française, ouvre à notre
poésie une voie toute nouvelle et consomme la rupture défi-
nitive avec le moyen âge, dont Marot procédait encore presque
tout entier.
Il faut sans doute faire bien des réserves sur certaines vues
de du Bellay. Le jeune et ardent réformateur traitait ses
devanciers, et Marot lui-même, avec trop de dédain. Au lieu
de répudier d'un coup toutes les traditions domestiques, mieux
eût valu peut-être les concilier avec l'imitation des anciens.
Mais, reconnaissons-le, notre poésie, après Marot, avait
besoin d'un vigoureux élan, et si du Bellay, comme tous les
révolutionnaires, fit trop aisément table rase du passé, son
hardi manifeste contenait du moins le programme d'un avenir
fécond et glorieux.
La Pléiade ne veut illustrer la langue que pour illustrer la
poésie elle-même, pour lui donner de l'éclat, de la force et de
12 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
l'ampleur. C'est à la plus haute dignité de leur art que visent
tout d'abord les novateurs, et voilà pourquoi, ne trouvant chez
nos poètes, les Marot et les Saint-Gelais, que des qualités,
aimables sans doute, mais légères, qu'une conception de l'art
frivole et mesquine, ils demandent leurs modèles à la Grèce
ou à Rome. Et même ils dédaignent l'antiquité familière que
Marot avait parfois imitée avec bonheur. Tout au début c'est
Pindare et Homère qu'ils veulent restaurer. Horace lui-même
ne trouve pas grâce à leurs yeux; Ronsard méprise ce a fils
d'un libertin », ce « naquet » qui a a l'audace basse et lente ».
Les premiers essais du chef de la Pléiade sont des odes pin-
daresques, et, dès ce moment, il a conçu le dessein d'une nou-
velle Iliade, d'une nouvelle Enéide, qui unira l'art patient de
Virgile à la grandeur ingénue d'Homère.
On peut sans doute reprocher à Ronsard et à ses amis ce
que leur respect des anciens a parfois de superstitieux. Re-
marquons pourtant qu'ils substituent le français au latin. Un
siècle après eux, ou guère moins, de bons esprits soutiendront
encore qu'il y a plus de sûreté à écrire en latin pour faire un
ouvrage durable. Au temps de la Pléiade, on croit générale-
ment que le meilleur moyen d'égaler Homère ou Virgile, c'est
de les répéter dans leur langue. Les novateurs montrèrent les
premiers que notre « vulgaire » était capable d'élévation, de
fermeté, de noblesse, qu'il pouvait soutenir une pensée grave
et un sentiment profond. Ils osèrent, comme dit le chef de la
Pléiade, abandonner la langue des anciens pour honorer celle
de leur mère patrie, et, par là, ils furent véritablement « bons
enfants ».
Jusqu'alors on n'avait guère fait que traduire les Grecs et
les Latins. A la traduction Ronsard et ses amis substituèrent
l'imitation, c'est-à-dire une rivalité plus ou moins libre. Dès
sa Défense, J. du Bellay proteste contre la prétendue supé-
riorité des anciens. Les Français, dit-il en propres termes,
« ne sont moindres que Romains ou Grecs ». Dans cet imita-
teur de l'antiquité gréco-latine, il y a vraiment un « moderne »,
non moins indépendant que ne le seront plus tard Perrault et
Fontenelle, et qui fait valoir par avance les mêmes arguments.
Il est bien vrai que l'imitation, chez les poètes de la Pléiade, a,
trop souvent, quelque chose de servile. La mesure leur manque,
la discrétion et le choix. Quand Ronsard veut chanter, il
demande d'abord à son page de lui donner en mains Pindare
NOTICE 13
OU Catulle. Si, plus d'une fois, nous le voyons prescrire,
comme Boileau lui-même, l'imitation de la nature, c'est bien
souvent à travers les anciens qu'il l'imite, trop inexpérimenté
encore et trop déûant de soi pour se passer de modèles. Mais
cette imitation des maîtres n'est pour leurs disciples qu'un
apprentissage. Ils ont bien l'arrière-pensée de s'émanciper,
dès qu'ils seront drus et forts ; ils ne désespèrent pas d'égaler
un jour, en dégageant leur originalité, ceux à l'école desquels
ils ont commencé par se mettre. Dans la préface de son
premier recueil, l'Olive, du Bellay atteste qu'il y a chez lui
a beaucoup plus de naturelle invention que d'artificielle et su-
perstitieuse imitation ». Cette préface même, telle page de la
Défense, plusieurs passages de VArt poétique de Ronsard,
contiennent déjà toute une théorie de l'assimilation, telle que
l'entendirent nos classiques, telle que l'ont expliquée La Fon-
taine dans son Epttre àHuet et André Chénier dans son poème
de V Invention. Et, sinon à leurs débuts, du moins lorsqu'ils
eurent pris conscience de leur génie propre, les poètes de la
Pléiade, surtout Ronsard et du Bellay, composèrent maintes
pièces d'une veine aisée, libre, bien personnelle, où l'imitation
des anciens n'est plus que comme une seconde nature.
C'est bien de la Pléiade que date notre classicisme. Et sans
doute, les novateurs du seizième siècle sont sur beaucoup de
points inférieurs aux classiques du siècle suivant. Ils leur sont
inférieurs par leur défaut d'expérience et de maturité, par les
erreurs de leur goût qui ne les protège pas toujours contre le
pédantisme, qui les laisse fourvoyer tantôt dans l'emphase et
tantôt dans la platitude, tantôt dans la vulgarité et tantôt dans
le raffinement. Leur art n'est pas assez patient; ils manquent
de méthode, de discipline; ils se fient trop à la verve et ne se
châtient pas assez, croyant que l'inspiration peut se passer du
travail. Par là leurs œuvres ont rarement ce caractère de per-
fection définitive que Malherbe imprime « le premier » à
quelques-unes des siennes. Mais si Malherbe organisa notre
poésie, s'il la rectifia et la disciplina, ce ne fut qu'en la rétré-
cissant ou même en l'étriquant. Il y a chez les poètes de la
Pléiade une richesse, une variété, une efflorescence de l'ima-
gination et du sentiment que nous ne trouvons plus dans le
classicisme. Malherbe réduisit la Muse aux règles du devoir,
et, plus tard, Boileau ne vit dans la poésie qu'une sorte de
prose réglée et stricte. Nos grands poètes du dix-septième siècle
14 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
sont moins des poètes, au vrai sens du mot, au sens lyrique, si je
puis dire, que des orateurs ou des moralistes. La conception
que Ronsard et ses disciples se font de leur art a, si nous la
comparons à celle que fera prévaloir Malherbe, quelque chose
de plus généreux et de plus libéral. Ils sont assurément plus
près de nous ; ils entendent la poésie à notre façon. Tout fon-
dateurs qu'ils aient été du classicisme, on trouve chez eux bien
des traits qui les rapprochent de nos romantiques. Nous
savons par Sainte-Beuve que, son choix de Ronsard une fois
terminé, le bel exemplaire in-folio dans lequel il avait fait ce
choix resta déposé aux mains de Victor Hugo et devint, pour
ainsi dire, la Bible poétique de la nouvelle Pléiade. En se ré-
clamant de Ronsard et de ses disciples, les romantiques ne
tombaient point, comme il a été dit, dans la plus étrange des
contradictions. Par la langue, par le style et par le rythme,
par la promptitude d'une verve plus libre et plus vive, par le
caractère élégiaque et lyrique de leurs inspirations, par leur
sentiment de la nature, par je ne sais quelle veine de mélan-
colie intime et pénétrante, par l'idée qu'ils se font de la poésie
et du poète, les novateurs du seizième siècle pouvaient à juste
titre se présenter à ceux du dix-neuvième, qui les remirent en
honneur, comme leurs devanciers et leurs ancêtres.
Ronsard naquit le 11 septembre 1524 au château de la Pois-
sonnière, en Vendômois. Il fit au collège de Navarre ses pre-
mières études, mais fut attaché, tout jeune encore, au duc
d'Orléans en qualité de page, puis à Jacques d'Ecosse, auprès
duquel il resta trois années. Il accompagna ensuite Lazare de
Baïf et le capitaine Langey du Bellay dans leurs ambassades
en Allemagne et en Piémont. Rien ne pouvait alors faire pré-
voir chez lui le rénovateur futur de la poésie française. Sa
mine élégante, sa haute taille, son adresse aux exercices du
corps, son goût des chevaux et des armes, tout semblait le
vouer au service des princes, aux aventures de guerre et
d'amour. Cependant on le surprenait déjà, paraît-il, tenant à
la main un Marot ou un Jean le Maire. Atteint à dix-huit ans
d'une grave surdité, il se dégoûta de la cour et du monde, et
c'est alors que, saisi par cette fièvre de Renaissance dont
brûlaient en ce temps toutes les âmes généreuses, il entra
au collège de Coqueret pour s'y livrer avec une infatigable
NOTICE 15
ardeur à l'étude des langues et des littératures antiques.
Ce n'était plus le Maire et Marot qu'il lisait, mais les poètes
latins et grecs, surtout Homère, Pindare, Virgile. Il mûrit
dans leur familiarité tout son plan de réforme littéraire. Com-
parant notre poésie domestique, encore si pauvre et si mince,
avec les chefs-d'œuvre classiques, il répudia les traditions du
moyen âge et mit tout son orgueil à faire passer dans notre
langue les richesses de l'antiquité.
Il s'attaque tout d'abord à ce que la poésie grecque a de
plus ardu, et publie, pour son coup d'essai, quatre livres
d'Odes, dont le premier est presque entièrement pindaresque.
Dans sa préface, lui-même revendique la gloire d'inaugurer
chez nous la poésie lyrique, et, comme il dit, de guider les
autres au chemin de si honnête labeur. Ce qu'on n'avait pas
vu, du moins, jusqu'à Ronsard, c'est l'ode élevée, « pourtraite
suivant le moule des plus vieux », qui s'adresse, non pas aux
amateurs des sonnets a pétrarquisés » et des mignardises
amoureuses, mais aux « gentils esprits, ardents de la vertu ».
Et d'abord l'ode pindaresque, ainsi appelée parce qu'il y re-
produit non seulement l'inspiration, mais encore les formes
techniques de Pindare. La plupart des poèmes de ce genre
sont d'une lecture pénible et rebutante. L'érudition fasti-
dieuse dont ils se hérissent nous les rend même inintelligibles
en bien des endroits. Mais ils n'en furent pas moins accueillis
avec enthousiasme par les lettrés, pleins d'admiration pour le
poète qui leur rendait en français la noblesse, l'élévation, la
majesté du lyrisme pindarique. Aussi bien, jusque dans les
plus abstruses et les plus amphigouriques des odes pinda-
resques, il est tels passages où Ronsard allie l'aisance à la
grandeur; et si beaucoup sont presque toujours gâtées par
l'emphase, la raideur, la contrainte, par un pédantisme aussi
saugrenu que fastueux, la poésie française y atteint néan-
moins une hauteur, une dignité, une amplitude dont Marot
ne pouvait même pas donner l'idée.
Le second recueil de Ronsard, publié en même temps que le
cinquième livre des Odes, en 1552, est intitulé : les Amours
de Cassandre. Ce volume contient des sonnets, mêlés de
stances et d'élégies. Le poète n'imite plus Pindare, mais
Pétrarque, et Cassandre devient pour lui une nouvelle Laure.
« Lisez la Cassandre^ dit Etienne Pasquier, vous y trouverez
cent sonnets qui prennent leur vol jusqu'au ciel. » C'est en
16 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
effet vers les plus hauts sommets de la poésie que s'élève Ron-
sard. L'abus de l'érudition et des souvenirs mythologiques
dépare encore la plupart de ces pièces; souvent aussi la
subtilité et l'afféterie italiennes s'y mêlent au fatras de col-
lège. Mais on peut en citer plusieurs d'un sentiment sincère et
profond, d'un style riche, imagé, poétique, tout nouveau dans
notre langue.
A la première manière de Ronsard doivent encore se ratta-
cher la plupart des Hymnes. Quelquefois lyriques, les hymnes
sont le plus souvent descriptives ou épiques. Nous y retrou-
vons les mêmes défauts que dans les odes. Mais quand le
poète s'affranchit d'une imitation trop servile, se dégage des
froides allégories et du docte appareil qui gênent son inspira-
tion, il atteint maintes fois le ton de la haute poésie.
Cependant, lui qui, ne prenant conseil que de son généreux
enthousiasme, avait voulu du premier coup égaler la Muse
française aux plus sublimes accents de la a Muse grégeoise »,
il abordait maintenant des genres moins ardus et moins péril-
leux. Henri Estienne venait de publier le recueil du prétendu
Anacréon. Rien n'était plus propre à tempérer l'emphase
pindarique que la grâce aimable et l'élégante douceur de ces
odelettes. Ronsard sentit ce que le pindarisme avait chez nous
de factice, même si son génie poétique en faisait passer dans
notre langue la magnificence et la sublimité. Horace, déjà,
cet Horace qu'il dédaignait au début, l'avait détourné de
Pindare; Anacréon acheva de le convertir à une poésie moins
ambitieuse. Les odes qu'il publie maintenant sont, la plupart,
d'une inspiration aisée, naturelle; elles se recommandent par
leur aménité familière, leur aimable douceur, par une déli-
catesse qui rappelle les meilleures pièces de Marot, mais
avec un coloris plus vif, avec je ne sais quoi de plus frais et de
plus brillant.
De cette veine procède un nouveau livre de sonnets, les
Amours de Marie, publié en 1557, dont le biographe de Ron-
sard, Claude Binet, dit que a le peu d'artifice et la simplicité
à la catulienne le recommandent beaucoup \>. Ce n'est plus
ici la pompe souvent contrainte et tendue des sonnets à Cas-
sandre. Le génie du poète s'est assoupli, et, pour ainsi dire,
humanisé. Dépris de Pindare, il se déprend aussi, non de
Pétrarque, mais de ce pétrarquisme à la fois précieux et fade
qui gâtait si souvent sa grâce et son élégance naturelles.
NOTICE 17
Dans les Amours de Marie, dans les Elégies qu'il fera paraître
un peu plus tard, maintes pièces expriment avec ferveur les
transports et les ravissements de la passion, d'autres sont
des chefs-d'œuvre de mélancolie songeuse ou de langueur
attendrie.
Dès l'avènement de Charles IX commence dans la carrière
de Ronsard une période nouvelle. Favori du jeune roi, le
poète mit sa Muse au service de la cour. Contentons-nous de
mentionner les poèmes de commande qu'il écrivit pour les
fêtes, les tournois, les anniversaires, et dans lesquels il a
rempli son office de poète courtisan, comme avaient fait avant
lui Marot et Saint-Gelais. Les Bergeries de Ronsard elles-
mêmes sont en général des pièces de circonstance, panégy-
riques ou oraisons funèbres, qu'il entoure d'un cadre rustique.
A l'exemple de ses prédécesseurs, qui avaient pris Virgile
pour modèle, il conçoit l'églogue comme une allégorie et met
en scène des personnages qui n'ont de pastoral que leur nom,
à peine déguisé. Ajoutons que, dans ses bergeries les plus
artificielles respire un vif sentiment de la nature. Il la peint
tantôt avec magnificence, tantôt avec une grâce délicate et
tendre ; il lui doit, non seulement dans les Bergeries, mais
dans la plupart des autres recueils, dans les Hymnes, par
exemple, et dans les Elégies encore et jusque dans la Fran-
ciade, beaucoup de ses meilleures inspirations.
Le rôle officiel de Ronsard ne se borna pas à chanter les
rois, leurs favoris et leurs maîtresses. Il y eut en lui comme
un orateur public exerçant par son éloquence je ne sais quelle
magistrature supérieure. En 1560, il faisait déjà paraître Vins-
titution pour l'adolescence de Charles IX, dans laquelle sont
exposés en beaux vers les devoirs de la royauté. On lui a
reproché, non sans raison, d'avoir trop souvent, par ses préoc-
cupations érudites, dérobé la poésie aux passions et aux
intérêts contemporains : ici, nous le voyons au contraire se
dégager de la froide mythologie, des allusions pédantesques
et de tout l'attirail classique, pour être de son siècle et de son
pays. Joignons à VInstitution pour l'adolescence quelques
autres pièces du même genre, comme les Discours sur les mi-
sères et la Remontrance au peuple de France. Voilà des mor-
ceaux qui nous frappent tout d'abord par la franchise de l'ac-
cent, par l'originalité libre et forte d'une inspiration que ne
commande ou ne gêne aucun a modèle », que ne refroidit
18 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
aucune arrière-pensée livresque. Nous y trouvons un poète
satirique dont la vigueur et l'éclat ne le cèdent pas à d'Au-
bigné lui-même, un poète didactique, ou, pour mieux dire, un
a discoureur », auquel sa conviction prête une éloquence grave,
ferme, à la fois sobre et chaleureuse.
Dès ses débuts, Ronsard s'était promis d'être l'Homère de
la France aussi bien que son Pindare; plusieurs de ses pre-
mières odes nous annoncent une épopée, nous en indiquent
déjà le sujet, ou même le plan. Cette épopée parut en 1572,
sous le titre de Franciade^ . Elle a pour héros Francus ou Fran-
cion, fils d'Hector, ancêtre de Pharamond et de Mérovée, qui,
après la prise de Troie, va chercher en Occident une nouvelle
patrie, et, conduit par les dieux, aborde sur les côtes de la
Gaule, où il fonde la monarchie française.
La Franciade est sans conteste une des plus faibles œuvres
de Ronsard. Cela tient, non pas au sujet, qui, sinon dans les
détails, au moins pour le fond même, était depuis longtemps
populaire en France, tout aussi populaire sans doute qu'avait
pu l'être à Rome celui de VEnéide, mais d'abord à l'impuis-
sance même du poète, lequel n'atteignit jamais que par mo-
ments le ton épique, ensuite et surtout à l'idée toute con-
ventionnelle qu'il se faisait de l'épopée.
Si l'on examine les deux préfaces que Ronsard mit à la
Franciade, on voit que l'épopée est pour lui une œuvre artifi-
cielle, l'industrieuse application de procédés plus ou moins
compliqués, mais qu'il suffit, pour réussir, de pratiquer avec
art. Nous sentons à chaque pas dans son poème le zèle pa-
tient d'un imitateur qui emprunte à ses modèles des a mor-
ceaux choisis ». Par delà les formes et les recettes, Ronsard
n'a pas saisi la nature intime du genre; il le réduit à une élabo-
ration factice et de pur mécanisme, et voilà pourquoi son
poème n'est qu'un froid pastiche.
L'action de la Franciade a, d'ailleurs, fort peu d'intérêt; la
composition, toute fragmentaire, sent je ne sais quel art d'in-
génieuse marqueterie; le style est lâche, prolixe, incapable de
relever ce que la fable même a de languissant; quant au vers,
Ronsard, restaurateur de l'alexandrin, n'ose pas prendre sur
lui de rompre avec le décasyllabe, considéré jusque-là comme
le mètre héroïque, et l'emploi de ce rythme étriqué et monotone
1. Los quatre premiers chants. Ronsard ne devait pas en faire davantage.
NOTICE 19
contribue encore à la platitude du poème. A peine s'il se
trouve quelques pages où nous puissions louer, non pas même,
sauf de très rares exceptions, le poète épique, mais le des-
criptif ou l'élégiaque.
A la mort de Charles IX, Ronsard quitte la cour et se re-
tire dans ses prieurés vendômois, d'abord celui de Croix-Val,
puis celui de Saint-Cosme, où il meurt en 1585, depuis long-
temps malade'et affaibli. Cette troisième période de sa vie est
peu féconde. Les dernières Amours^ les dernières pièces du
Bocage royal ont parfois beaucoup de douceur. Quelques-uns
des Sonnets à Hélène, trois ou quatre, pas davantage, sont
tout à fait exquis de suavité péuctraute et de mélancolique
tendresse. Mais la plupart des pièces que Ronsard compose
sur le déclin de son âge trahissent la lassitude. Il se survit
longtemps à lui-même, il a une fin languissante et découragée.
On sait quelle fut sa gloire. On sait aussi comment, vingt
ans plus tard, Malherbe le traita. Après avoir été méconnu
pendant deux siècles, il retrouva dans le nôtre une juste admi-
ration. Nous ne passerons pas la mesure en disant que, si
Ronsard est un charmant poète dans les genres secondaires,
ses défauts les plus rebutants, l'obscurité, l'emphase, le
pédantisme, ne l'empêchent pas d'avoir porté, dans les genres
supérieurs, à travers bien des incertitudes, des bigarrures et
des défaillances, un enthousiasme sincère, un génie hardi et
puissant, un sentiment généreux de la haute poésie.
Quoique Joachim du Bellay ait été, pour ainsi dire, le
héraut de la nouvelle école, son rôle fut beaucoup moins
ambitieux que celui de Ronsard. On l'a appelé le Mélanchthon
de la réforme littéraire. Guillaume Colletet le compare à
Janus, dont un visage regarde le passé et l'autre l'avenir.
Né en 1525 au bourg de Lire, près d'Angers, il sortait d'une
famille ancienne et dont la gloire venait d'être rajeunie par
M. de Langey et le cardinal du Bellay, tous deux ses parents.
Orphelin de père et de mère, il passa sa première jeunesse
sous la tutelle d'un frère aîné, dont il eut fort à se plaindre.
Ce frère étant mort, Joachim, devenu tuteur de son neveu, se
trouva de la sorte mêlé à des affaires épineuses et « chargé
de soins domestiques » qui ne tardèrent pas à altérer sa santé.
Il dut garder la chambre pendant deux ans. C'est alors qu'il
20 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
lut les poètes anciens et conçut le projet de les imiter, non
pas dans leur langue, maïs en français. Nous avons déjà dit
comment il rencontra le futur chef de la Pléiade et se lia avec
lui. Ronsard n'avait encore rien publié que du Bellay donnait,
après s^ Défense t un recueil intitulé V Olive et quelques autres
œuvres poétiques,
U Olive renferme cinquante sonnets^ dans le style précieux
et alambiqué qui semblait s'approprier de lui-même à ce genre,
tout récemment importé d'Italie. Du Bellay se félicitera plus
tard d'avoir oublié l'art de « pétrarquiser » . Ce qu'il emprunte
à Pétrarque, ce sont les entortillements d'une galanterie subtile
et raffinée. Mais, de plus, ses sonnets ont presquç toujours
quelque chose de pénible et de dur ; on voit trop que le poète
s'évertue, qu'il force son naturel. D'ailleurs nous trouvons
dans ce recueil quelques pièces qui témoignent d'une réelle
élévation.
Dans les Vers lyriques on Odes, qui suivirent les sonnets, du
Bellay semble déjà prêt à changer de manière. La plupart
de ces pièces, loin d'être affectées et contraintes, ont au
contraire un grand charme de facilité coulante et toute
familière.
En 1551, le poète part pour l'Italie. Son cousin, le cardinal,
ambassadeur de France auprès du pape, se l'était attaché
comme intendant. Arrivé à Rome, du Bellay paye d'abord son
tribut d'admiration. Il célèbre la Ville éternelle;, palais bran-
lants, temples à moitié détruits, « théâtres en rond ouverts de
tous côtés », lui rappellent la gloire, maintenant déchue, de
cette fameuse cité qui a fut tout le monde ». Il se plaît à re-
muer les décombres, tantôt en évoquant la grandeur de Rome,
tantôt en déplorant l'inanité de toute grandeur humaine. Dans
le recueil de sonnets qu'il publie en 1558 sous le titre à.' An-
tiquités, ces deux sentiments l'inspirent tour à tour, et il leur
doit des pièces qui ne sont pas sans doute exemptes de défail-
lances, mais dont plusieurs se recommandent par une simplicité
forte et grave. Inaugurant parmi nous, comme le dit Sainte-
Beuve « la série des méditations historiques et poétiques sur
les ruines de l'antique Rome », il trouve du premier coup le
ton. Son émotion sincère le défend contre tout artifice et
1. Le titre de ce recueil est l'ana- pour maîtresse platonique. — Une
gramme du nom de VioUy celui d'une nouvelle édition porta le nombre des
jeune fille que le poète avait prise sonnets à cent quinze.
^
NOTICE 21
prête à ses vers un accent tout nouveau d'intimité fervente et
recueillie.
L'enthousiasme de du Bellay ne tînt pas longtemps contre
les ennuis de son séjour. Homme d'affaires du cardinal,
chargé de besognes qui répugnent à ses goûts, il prend bien-
tôt en aversion l'existence ingrate qui lui est faite. Sa santé
s'use de plus en plus. D'ailleurs il a le mal du pays, il soupire
après son a Loyre » et son « petit Lyre », il regrette les amis
qu'il laissa à Paris, sa vie d'études, les promesses d'une gloire
que son départ a peut-être interceptée pour toujours. « Cloué
comme un Prométhée sur l'Aventin », il ne prévoit pas de terme
à son exil. Que faire ? Il note au jour le jour ses diverses im-
pressions, il « se plaint à ses vers ». De là le titre de Regrets
donné à un nouveau recueil. En se contentant d'écrire simple-
ment ce que « la passion lui fait dire », du Bellay a composé
un livre encore vivant après plus de trois siècles par la sincé-
rité même des sentiments qu'il y exprime. Ce que nous con-
naissions de lui jusque-là, c'est l'artiste, un artiste difQcultueux
et contourné dans V Olive y moins guindé dans les Antiquités ^
et qui, par moments, y atteint à la vraie grandeur. Dans les
Regrets, l'homme lui-même se livre à nous, et ces pièces toutes
familières, où il n'y a trace d'aucun effort, ont mieux servi sa
gloire que n'eussent pu faire des œuvres plus fastueuses, où
il se serait péniblement haussé au sublime.
Mais les Regrets n'ont pas seulement la note mélancolique et
plaintive : aux élégies se mêlent souvent des satires. Les
cyniques intrigues et la corruption dont Rome lui donna le
spectacle inspirèrent au poète des sonnets dans lesquels nous
trouvons une peinture expressive de la cour pontificale;
maints tableaux y ont un relief, une vivacité de couleur qui
l'égalent parfois à Régnier. Ce sont les sonnets de ce genre
qu'admiraient surtout les contemporains. Vauquelin de la
Fresnaye remarque que du Bellay, le premier, a fit le sonnet
sentir son épigramme », Richelet vante a la force avec la-
quelle il taxe les mœurs de son temps», et Ronsard l'appelle
le grand Alcée angevin.
Les Jeux rustiques sont le dernier ouvrage du poète. Il les
emprunta en grande partie à la littérature latine qui fleurissait
encore chez les Italiens. La chanson du Vanneur de blé, par
exemple, une des plus jolies pièces de ce recueil, a été imitée
de Naugerio.
'
22 POÈTES DU XVÏ® SIÈCLE
Rentré en France vers 1555, du Bellay fut contraint par la
fatigue et la maladie à quitter le service du cardinal ; il passa
dans la pauvreté les trois dernières années de sa vie, et mou-
rut en 1560 à l'âge de trente-cinq ans.
Parmi les poètes de la Pléiade, l'auteur des Regrets n'est
pas le plus grand, mais le plus délicat. Moins haute que celle
de Ronsard, sa gloire a été, par là même, mieux protégée
contre les chutes et les retours. Il ne tendit pas trop sa lyre,
il se tint aux régions moyennes de la poésie, il proportionna
de bonne heure ses visées à ce que lui-même appelle la peti-
tesse de sa Muse. Aussi son nom resta-t-il honoré lorsque celui
de Ronsard était déjà tombé dans le mépris. Ni la vigueur ni
l'élévation ne lui manquent ; mais ce qui fait son originalité par-
ticulière, c'est un naturel aisé, une sensibilité fine, un charme
doux et pénétrant. Entre tous les poètes contemporains il est
le plus aimable, le plus voisin de nous, le seul peut-être que
nous goûtions sans effort, parce que lui-même ne se força pas.
Après des débuts pour lesquels nulle ambition ne semblait
trop haute, la poésie du seizième siècle en vint bientôt à
s'alanguir, à s'efFéminer, avec les Magny, les Désportes, et
tant d'autres qui la font consister tout entière en sonnets
mignards et chansons amoureuses. La sève de la Renaissance
est déjà tarie. Cependant, nous trouvons encore dans le der-
nier quart du siècle un groupe de poètes, qui, disciples eux-
mêmes de Ronsard, mais surtout pour l'art et la forme exté-
rieure, n'ont plus, dans leurs inspirations, rien de commun
avec les derniers représentants du ronsardisme, maintenant
dégénéré et perverti. C'est le groupe des poètes huguenots,
dont le plus connu, avec du Bartas, est Agrippa d'Aubigné.
D'Aubigné naquit en Saintonge l'an 1552. Son père, gen-
tilhomme calviniste, passant par Amboise au lendemain de
l'exécution des conjurés, fit promettre au futur poète des
Tragiques, encore tout jeune, devant les têtes de ses compa-
gnons, fichées sur des poteaux, de venger « ces chefs pleins
d'honneur». D'Aubigné tint son serment. Il passa la plus
grande partie de sa vie dans les guerres civiles. Attaché au
jeune roi de Navarre pendant son séjour à la cour, il « s'affola »
quelque temps de plaisirs. Mais le libertinage et la dépra-
vation des mœurs pourtisanesques ne firent cependant que
NOTICE 23
l'effleurer ; il conserva toujours, jusque dans ses plus fou-
gueux excès, un fond de moralité vigoureuse et d'incorrup-
tible puritanisme. C'est avec d'Aubigné, et sur ses instances,
que le futur Henri IV se sauva de Paris : dès lors commence
pour son maître et pour lui une existence d'aventures et de
périls dans le détail desquels nous n'avons pas à entrer. Il est
le plus fidèle des amis, mais en même temps le plus grondeur.
Il ne peut pardonner au roi de Navarre ses ménagements et
ses concessions. Quand celui-ci abjure, il se retire. Après
l'assassinat d'Henri IV, avec lequel il venait de se réconcilier,
nous le trouvons qui prend part à tous les mouvements de
ses coreligionnaires sous la Régence. Condamné à mort par
contumace, il va chercher un asile dans la capitale du calvi-
nisme, Genève, où ses incartades lui créent encore bien des
difficultés. Il meurt en 1630, presque octogénaire.
Quoique d'Aubigné n'ait publié ses ouvrages qu'au dix-
septième siècle, il n'en doit pas moins être considéré comme
un poète du seizième. Tout, en lui, nous montre un homme
de la Renaissance, de la Réforme et des guerres civiles. Son
poème des Tragiques ne fut entièrement publié qu'en 1616;
mais il l'avait commencé dès 1577, et quelques chants en
parurent dèsr 1594. Contemporain de Malherbe et mort deux
ans après lui, il n'a rien de commun avec ce modérateur, ce
correcteur de la Pléiade. Son rude génie s'abandonne aux
élans d'une inspiration puissante et forcenée, que ne réfrène
aucune règle.
Dans ses poésies de jeunesse, d'Aubigné nous apparaît
comme une manière d'académicien à la mode de l'époque.
Tout en se piquant de n'être pas coulant de style et d'être
plutôt fort de choses, il ne s'interdit pas les recherches et les
aflféteries des poètes contemporains. Nature très diverse et
complexe, il y a même chez lui, dans le prosateur surtout,
une veine de gaîté, de gaillardise drue et vivace ; et, dans le
poète, on pourrait citer telle ou telle pièce de son jeune temps
qui nous révélerait un d'Aubigné rêveur et tendre. Mais la
seule de ses œuvres poétiques qui compte, ce sont les Tra-
giques, et ce poème est écrit d'un bout à l'autre sur le mode
de l'indignation.
Les Tragiques se divisent en sept livres. Dans le premier
(Misères), le poète fait le tableau de toutes les calamités qui
désolent le royaume. Dans le second (Princes), il s'élève
24 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
contre les vices et les crimes des derniers Valois. Dans le
troisième (Chambre dorée)y il flagelle une justice corrompue.
Les quatrième, cinquième et sixième s'intitulent Feux, Fers^
Vengeances : on y voit les huguenots périssant sur les bû-
chers, luttant les armes à la main, invoquant Dieu pour le
ôhâtîment de leurs persécuteurs. Le septième [Jugement) nous
montre enfin les bourreaux condamnés par le tribunal céleste
à des supplices éternels.
Les Tragiques y quelque titre qu'ils portent, sont une satire,
mais une satire continûment lyrique. On sent que ce poème,
conçu et commencé dans le délire de la fièvre, a été poursuivi
et achevé dans un état d'exaltation frémissante. La « haine
partisanne » l'anime d'un bout à l'autre. Tandis que du Bar-
tas s'élevait avec sérénité au-dessus des ardeurs sectaires,
d'Aubigné, en ses vers « échauffés », prodigue les outrages,
lance l'anathème contre ses adversaires, et semble attiser sa
verve au feu des bûchers qui dévorent les martyrs. C'est cette
passion même qui fait son génie. Il est, dit Sainte-Beuve, le
« Juvénal du seizième siècle » , un Juvénal chez lequel la rhé-
torique elle-même vibre de passion. On peut regretter que
d'Aubigné manque de mesure, d'art et de goût. S'il fut dans
sa vie politique et militante quelque chose comme un aven-
turier, peut-être mérite-t-il le même nom dans sa carrière
littéraire et poétique ; mais ce fut un aventurier de génie.
Tel qu'il est, prenons-le avec ses défauts comme avec ses
qualités. Défauts et qualités sont si étroitement unis chez lui,
qu'il n'y a pas moyen d'en faire le départ. Souhaiter un d'Au-
bigné impartial, correct, discipliné, ce serait un contresens.
Tout ce qu'on trouve dans les Tragiques de négligences,
d'obscurités, de rudesses, tout ce qu'ils ont de tendu ou de
languissant, de plat ou de rocailleux, d'amphigourique et de
pédantesque, n'empêche pas que nous y sentions un grand
poète ; et même il s'y rencontre çà et là quelques pages où
nous pouvons admirer sans heurt sa fécondité d'invectives,
le sombre éclat de son imagination, le relief saisissant de
ses peintures, son originalité débridée et fruste, mais d'un
si vigoureux accent.
Ainsi que d'Aubigné, Régnier appartient au seizième siècle,
On n'a pourtant pas tort de l'associer, comme on le fait gêné-
^
NOTICE 25
ralement, à Malherbe. Si différent de Malherbe par le carac-
tère, le tour d'esprit, le tempérament poétique, Régnier a
exercé avec lui sur la poésie française une influence réforma-
trice dans le sens où le génie national allait s'engager. Ils ont
beau être ennemis : si l'un, indépendant et capricieux, se
révolte contre toute discipline, il n'en travaille pas moins^
suivant sa libre humeur, à l'œuvre que l'autre poursuit avec
une rectitude inflexible et systématique. Mais d'ailleurs Ré-
gnier n'a subi à aucun degré l'ascendant du « tyran des mots
et des syllabes » ; il se rattache d'une part à Ronsard et à
Desportes, dont il est tout pénétré et nourri, au point de re-
produire, sans y penser, leurs tours, leurs images, leurs
rythmes, de l'autre à Marot et à Villon, dont il retrouve
inconsciemment les meilleures qualités, à Rabelais, dont
il n'a fait souvent que « mettre en bouteille le vin panta-
gruélique », à Montaigne, avec lequel il offre tant de traits
de ressemblance qu'on a pu l'appeler le Montaigne de notre
poésie.
Mathurin Régnier naquit à Chartres en 1573. Sa mère était
la sœur de Desportes. De très bonne heure, il se sentit poète,
et sa vocation résista à toutes les remontrances paternelles.
Pendant dix années il resta attaché au cardinal de Joyeuse,
qu'il accompagna à Rome, mais sans avancer ses affaires. De
retour en France, il vécut quelque temps dans l'intimité de
son oncle, qui l'introduisit parmi le monde des écrivains et
des poètes. En 1606, après la mort de Desportes, il hérita
d'une pension de deux mille livres sur l'abbaye de Vaux-de-
Cernay. Trois ans après, il obtint un canonicat dans l'église
de Notre-Dame de Chartres. Mais il ne profita de sa nou-
velle fortune que pour se livrer plus commodément au plaisir.
Sa santé s'altéra, il tomba gravement malade, et c'est alors
que, pris d'un accès de repentir, il composa ses poésies reli-
gieuses. Il mourut bientôt après, en 1613.
Les principales pièces de Régnier sont, outre les poésies
spirituelles, dix-sept satires, trois épîtres, cinq élégies. C'est
comme satirique qu'il est vraiment original. Non pas qu'on
puisse lui attribuer à juste titre l'introduction de ce genre;
mais, dans un genre déjà cultivé par maint autre poète, en
particulier par Yauquelin, il montra des qualités qui lui
J appartiennent en propre et par lesquelles il s'est fait une
place à part, soit comme moraliste, soit comme écrivain.
26 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Si ce nom de moraliste avait rapport avec la morale, il ne
s'appliquerait guère à Régnier, qui n'a jamais eu scrupule
d'alarmer par ses propos ce que Boileau appelle les oreilles
pudiques. Ajoutons que les mœurs du temps laissaient à la
poésie une grande licence. Régnier ne passa point en son
siècle pour un poète impudique ; lui-même parle fort candi-
dement de sa « chaste muse », en protestant contre le déver-
gondage d'autres muses contemporaines. Homme aussi bien
que poète, sa seule règle consiste à suivre la nature. On
l'appelle le bon Régnier ; et la bonté d'à me, qui fait le fond
de son caractère, nous la retrouvons jusque dans la débauche
si peu raffinée de ce Gaulois sensuel, mais exempt de toute
perversion.
Moraliste, Régnier l'est par son expérience des mœurs et
de la vie. La satire, telle qu'il l'entend, n'est guère autre chose
que le tableau de la société contemporaine, avec ses ridicules et
ses travers. Il ne s'y pose même pas en censeur, il ne s'indigne
pas, il ne prétend pas faire la leçon aux hommes et leur donner
des préceptes de conduite. Point de dissertations abstraites,
point de tirades ; rien qui sente l'école et ses cris. Régnier
écrit de verve, à bâtons rompus, sans se piquer d'aucune
rhétorique. Il ne prêche pas, mais cause librement, avec un
aimable abandon, en se laissant aller aux saillies d'une humeur
enjouée et gaillarde. Il n'a d'autre affairé que de peindre ce
qu'il observe autour de lui. Mais c'est, avec sa bonhomie native,
un observateur des plus pénétrants. Sur ce point, Régnier
se sépare de ses maîtres, les poètes de la Pléiade, presque
toujours lyriques, et annonce, par delà Malherbe, ou plutôt
inaugure cette poésie éminemment psychologique et sociale
qui sera, dans tous les genres, la poésie de nos grands clas-
siques.
a Le célèbre Régnier, dit Boileau, est le poète français qui,
du consentement de tout le monde, a le mieux connu avant
Molière les mœurs et les caractères des hommes. » Que de
peintures admirables dans ses satires ! Ces peintures n'ont
d'ailleurs rien de proprement personnel. Régnier ne nomme
presque jamais ceux auxquels il se prend ; ce ne sont pas des
individus qu'il met en scène^ ce sont des types. Comme Mo-
lière devait le dire de lui-même, il peint les mœurs sans tou-
cher aux personnes. Mais, pour être généraux, les portraits
qu'il trace n'en ont pas moins une physionomie des plus
NOTICE 27
caractéristiques. Ce sont des originaux pris sur le vif dans
tout le mouvement de leur action.
Si mérité que soit l'éclatant témoignage rendu par Boileau
à son devancier, peut-être Régnier est-il plus admirable en-
core comme écrivain que comme moraliste. Les qualités
propres de son style sont l'imagination, la verve inventive, la
franchise drue et savoureuse. Ainsi que Malherbe, mais avec
plus de liberté, plus d'aisance, plus de génie naturel, il ré-
pudie ce que la poésie, chez Ronsard et ses disciples, avait
eu de savant, d'aristocratique, souvent même d'artificiel. Son
style est tout populaire, non par système, comme celui de
Malherbe, mais par instinct. La trivialité même ne lui déplaît
pas, à condition qu'elle soit expressive. Il reste Gaulois. Seu-
lement ce Gaulois, en demeurant fidèle aux traditions du génie
domestique, a mis à profit tout le travail de la Renaissance,
et s'est assimilé la culture classique sans rien perdre de son
originalité. La langue de Régnier est une création de chaque
instant, mais une création qui ne lui coûte aucun effort, parce
que sa façon spontanée d'écrire ne fait qu'un avec sa façon
de voir. Mots pittoresques, locutions vivantes, images colo-
rées, c'est là l'habitude naturelle de son style, et les gestes de
ce style tout actif expriment directement la vie.
La veine toute primesautière de Régnier n'admettait au-
cune discipline, et c'est par là qu'il s'oppose à Malherbe. Il a
de la poésie une tout autre idée. Malherbe en fait un exercice
d'application laborieuse, tandis que Régnier la conçoit comme
une inspiration. Si les deux poètes vécurent d'abord en bons
termes, une rupture entre eux était inévitable. Régnier ne
pouvait pardonner à Malherbe sa façon étroite de comprendre
l'art, et Malherbe ne pouvait pardonner à Régnier ses négli-
gences, ses hardiesses, son indocilité. Pour Régnier, ce
« nouveau docteur » n'est, avec toute sa morgue, qu'un ré-
gent de grammaire, un cuistre à qui le pédantisme tient lieu
de talent. Il prend contre Malherbe la défense de l'imagination
qui ne veut pas s'asservir à la raison froide et sèche, qui
proteste contre la tyrannie des règles, qui revendique la li-
berté de l'art et l'indépendance du génie. Malherbe représente
la tradition strictement classique, qu'il fit triompher pour
deux cents ans et d'où procédera toute notre littérature jusqu'à
ce siècle. Il est sans doute le premier qui ait donné des
modèles absolument parfaits, mais sa perfection a quelque
28 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
chose de raîde et de froid. Quant à Régnier, malgré ses
licences, ses obscurités, ses incorrections, il reste un grand
poète par toutes les qualités de verve et de libre essor qui
manquaient à Malherbe, par la connaissance de la vie, par
la naïve expression des mœurs et des caractères, par un style
dont le relief, l'éclat, la vigueur pittoresque, peuvent nous
rendre indulgents pour les vices de syntaxe ou même pour les
défauts de goût.
Georges PELLISSIER.
MAROT
EPITRES
A SON AMY LYON*
(1525)
Je ne t'escry de l'amour vaine et folle :
Tu voys assez s'elle sert ou affolle;
Je ne fescry ne d'armes ne de guerre :
Tu voys qui peult bien ou mal y acquerre;
Je ne t'escry de fortune puissante : 5
Tu voys assez s'elle est ferme ou glissante;
Je ne t'escry d'abus trop abusant :
Tu en sçays prou et si n'en vas usant;
Je ne t'escry de Dieu ne sa puissance :
C'est à luy seul t'en donner congnoissance ; 10
* Lyon (ou Léon) Jamet. — Cette 2. Marot, si nous l'en croyons,
épître fut écrite au ChAtelet, où le avait été dénoncé à la Sorbonne par
poète venait d'être enfermé comme une maîtresse infidèle. — S'elle : si
suspect d'hérésie. Jamet, partisan, lui elle.
aussi, des idées nouvelles, intéressa à 4. Allusion probable à la défaite de
la cause de son ami l'évoque de Char- Pavie. — Acquerre. Ancienne forme
très, qui fit sortir Marot du Ghâtelet d'acquérir,
et lui procura tout près de lui une 8. Prou : beaucoup. — Et si : et
prison beaucoup moins dure. cependant. — Vas usant : uses.
r
30 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Je ne t'escry des dames de Paris :
Tu en scays plus que leurs propres maris;
Je ne t'escry qui est rude ou affable,
Mais je te veulx dire une belle fable,
C'est assavoir, du Lion et du Rat. 15
Gestuy Lion, plus fort qu'un vieil verrat,
Veit une foys que le rat ne sçavoit
Sortir d'un lieu, pour aultant qu'il avoit
Mangé le lard et la chair toute crue;
Mais ce Lion (qui jamais ne fut grue) 20
Trouva moyen et manière et matière.
D'ongles et dents, de rompre la ratière.
Dont maistre Rat eschappe vistement.
Puis meit à terre un genouil gentement.
Et, en ostant son bonnet de la teste, 25
A mercié mille foys la grand beste,
'Jurant le Dieu des souris et des ratz
IQu'il luy rendroit. Maintenant tu voirras
/Le bon du compte. Il advint d'aventure
' Que le Lion pour chercher sa pasture 30
Saillit dehors sa caverne et son siège,
Dont (par malheur) se trouva pris au piège,
Et fut lié contre un ferme posteau.
Adoncq le Rat, sans serpe ne cousteau,
Y arriva joyeux et esbaudy, 35
Et du Lion (pour vray) ne s'est gaudy.
Mais despita chatz, chates et chatons,
Et prisa fort ratz, rates et ratons,
15. C'est le nom de son ami Lyon Marot, c'est qu'il avait mangé du. lard
qui suggéra sans doute à Marot l'idée en carême. Cf. le refrain d'une de ses
de le comparer au lion de la fable. On ballades :
trouve un jeu de mot analogue dans Prenez le, il a mangé le lard.
l'Épître pour le poète Papillon: 26. Mercié : remercié.
Je rencontray, sur un pré abbatu, 31. Saillit : sauta. — Siège : séjour.
Ton Papillon, sans force ne vertu. 32. Dont : par suite de quoi.
17. Une foys: un jour. — Sçavoit : 34. Adoncq: alors,
pouvait. 35. Esbaudy: gai.
18. D*un lieu. Cf. v. 22 : la ratière. 36. S'est gaudy : s'est moqué.
— Pour aultant que : parce que. 37. Despita : méprisa. — Un chat
10. Un grief de la Sorbonne contre n'aurait pas rongé la corde.
^
MAROT 31
Dont il avoit trouvé temps favorable
Pour secourir le Lion secourable, 40
Auquel a dict : « Tais toy, Lion lyé,
Par moy seras maintenant deslyé :
Tu le vaulx bien, car le cueur joly as;
Bien y parut quand tu me deslyas.
Secouru m'as fort lionneusement; 45
Or secouru seras rateusement. »
Lors le Lion ses deux grans yeulx vestit,
Et vers le Rat les tourna un petit
En luy disant : « povre verminiere,
Tu n'as sur toy instrument ne manière, 50
Tu n'as cousteau, serpe ne serpillon,
Qui sceust coupper corde ne cordillon,
Pour me jecter de ceste etroicte voye ;
Va te cacher, que le chat ne te voye.
— Sire Lion (dit le fîlz de souris), 55
De ton propos (certes) je me soubzris :
J'ay des cousteaulx assez, ne te soulcie.
De bel os blanc, plus trenchans qu'une scie;
Leur gaine, c'est ma gencive et ma bouche;
Bien coupperont la corde qui te touche 60
De si trespres, car j'y mettray bon ordre. »
Lors sire Rat va commencer à mordre
Ce gros lien : vray est qu'il y songea
Assez long temps; mais il le vous rongea
39. Dont : de ce que, parce que. 48. Un petit : an peu.
41. Xj/o/i/j^e. Jeu de mots assez vain, 49. Verminiere, Diminutif de (fer-
mais comme il y en a beaucoup d'au- mine.
très chez Marot. 53. Jecter : tirer. — De ceste etroicte
46. Rateusement opposé à lionneu- voye : de ce pas.
sèment n'est pas exempt de fierté. Si 54. Il y a quelque dédain dans ce
petit qu'il soit, un rat peut avoir le vers, mais il y a aussi de la bonté,
cœur « joli » tout aussi bien qu'un 56. Je me soubzris est à je me ris
lion. comme sourire à rire.
47. Vestit. De sa paupière. Le lion, 60, 61. Qui te touche De si trespres.
dédaigneusement, ferme à moitié les Raillerie affectueuse.
yeux. — D'autres éditions donnent 63. Il y songea: il s'en occupa, s'y
vertitj c'est-à-dire tourna ; mais il y appliqua.
aurait alors double emploi avec le 63, 64. « La Fontaine, avec tout son
vers suivant. génie, aurait-il fait, je le demande^
/
32 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Souvent, et tant, qu'à la parfin tout rompt, 65
Et le Lion de s'en aller fut prompt,
Disant en soy : « Nul plaisir (en effect)
Ne se perd poinct quelcque part où soit faict. »
Voyla le compte en termes rithmassez :
Il est bien long, mais il est vieil assez, 70
Tesmoing Esope, et plus. d'un million.
Or viens me veoir pour faire le Lion,
Et je mettray peine, sens et estude
D'estre le Rat, exempt d'ingratitude,
J'entends, si Dieu te donne aultant d'affaire 75
Qu'au grand Lion, ce qu'il ne veuille faire.
un rat plus sensé que celui duquel et quand il fut prins, il commença a
Marot a pu dire : Vrai est qu'il y songea crier et a se lamenter. Adonc le rat
assez longtemps? » (Sainte-Beuve.) louyt et saproca de luy et luy de-
67. Plaisir : action de plaire à quel- manda pourquoy il crioyt, et le lyon
qu'un; par suite, bienfait. luy dist : Ne voys tu pas bien que je
68. Quelque part, etc. Si humble suis icy prins. Et le rat luy respondit:
que soit votre obligé. Mon seigneur, je ne seray pas ingrat
69. Rithmassez : rimes. du bien que vous m'avez fait. Et adonc
70. Vieil. Et, par suite, bon. le rat commença a ronger les cordes
71. Esope. Cf. fables 98, 221. Voici et les rompit, et le lyon eschappa.
la traduction du fabuliste grec (disons Cette fable nous enseigne que celuy
plutôt une paraphrase), qu'on trouve qui a grant puissance ne doit point
dans les subtiles Fables d'Esope, par despriser le petit : car celuy qui ne
P. Mareschal, Lyon, 1499 : « Le puis- peut nuyre peut aucunes fois aider
sant doit pardonner au foible, comme au grant besoing. »
il appert par ceste table du lyon qui Et plus d'un million. Cette fable
dormoit et les ras s'csbatoyent auprès avait été reprise par une foule de cou-
de luy. Or advint qu'un rat monta teurs.
sur le lyon et lesveilla, et le lyon de 73. Je mettray.... ^ens et estude: j'ap-
ses ongles print le rat, et quand le rat pliquerai mon esprit et je m'étudierai,
vit qu'il estoit aggrippé, il dist au 75. Araire : embarras, souci, dan-
lyon: Mon seigneur, pardonez moy, ger.
car vous ne gaigneres rien à me tuer, 76. Cf. La Fontaine, II, xi. — « Cette
car je ne vous cuidoye point faire de fable, que La Fontaine a depuis res-
desplaisir. Le lyon pensa en luy serrée en douze vers, est développée
mesmes qu'il ne seroit point donneur par Marot avec une supériorité contre
à luy de le tuer, et le laissa aler. Et laquelle notre grand fabuliste, en dis-
ung peu de temps après, le lyon fut ciple respectueux, s'est évidemment
prins en une forest en ung grant fillet, abstenu de lutter. » (Sainte-Beuve.)
MAROT
33
II
AU ROY, POUR LE DELIVRER DE PRISON
(1527)
Roy des Françoys, plein de toutes bontez,
Quinze jours a (je les ay bien comptez)
Et des demain seront justement seize,
Que je fu faict confrère au diocèse
De Sainct-Marry, en l'église Sainct-Pris :
Si vous diray comment je fu surpris.
Et me desplaist qu'il fault que je le die.
Trois grantz pendars vindrent à l'estourdie
En ce palais, me dire en desarroy :
« Nous vous faisons prisonnier par le Roy. »
Incontinent qui fut bien estonné ?
Ce fut Marot, plus que s'il eust tonné.
Puis m'ont monstre un parchemin escript,
Où n'y avoit seul mot de Jésus-Christ :
Il ne parloit tout que de plaiderie,
De conseillers et d'emprisonnerie.
€ Vous souvient il (ce me dirent ilz lors)
Que vous estiez l'aultre jour là dehors,
Qu'on recourut un certain prisonnier
Entre noz mains? » Et moy de le nier :
Car soyez seur, si j'eusse dict ouy.
Que le plus sourd d'entre eulx m*eust bien ouy;
10
15
20
* Marot, cette fois, avait enlevé an
prisonnier aux mains des archers qui
l'emmenaient ; mis lui-même en pri-
son, il y resta an peu plus de deux
semaines.
2. Quinze Jours a : il y a quinze
jours.
5. ScUnct-Marry : Saint-Merry. Jeu
de mot ; marri, qui n'est pas complè-
tement tombé en désuétude, signifie
triste f affligé. — Sainct-Pris, Jeu de
mot sur prisy qui doit s'entendre ici
par emprisonné. Être de Saint-Pris se
disait vulgairement des paralytiques,
pris par les membres.
6. Si : or.
10. Par le Roy : au nom du roi.
19. Qu'on, Le que se rattache à
Vautre jour du vers précédent. — On
recourut. Avec le sens de chercher à
reprendre. Cf. le v. 25.
21. Ouy, Deux syllabes.
^
34 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
■
Et d'aullre part j'eusse publiquement
Esté menteur ; car pourquoy et comment
Eussé-je peu un autre recourir, 25
Quand je n'ay seu moymesmes secourir?
Pour faire court, je ne sceu tant prescher
Que ces paillards me voulsissent lascher;
Sur mes deux bras ilz ont la main posée.
Et m'ont mené ainsi qu'une espousée, 30
Non pas ainsi, mais plus roide un petit.
Et toutesfoys j'ay plus grand appétit
De pardonner à leur folle fureur
Qu'à celle là de mon beau procureur ;
Que maie mort les deux jambes luy casse ! 35
Il a bien prins de moy une bécasse,
Une perdrix, et un levrault aussi :
Et toutesfoys je suys encor icy.
Encor je croy, si j'en envoyois plus.
Qu'il le prendroit, car ilz ont tant de glus 40
Dedans leurs mains, ces faiseurs de pipée,
Que toute chose où touchent est grippée.
Mais pour venir au poinct de ma sortie :
Tant doulcement j'ay chanté ma partie,
Que nous avons bien accordé ensemble, 45
Si que n'ay plus affaire, ce me semble.
Sinon à vous. La partie est bien forte;
25. Recourir. Cf. note du v. 20. 32. Appétit : envie.
27, 28. Tant... que : assez... pour 35. Maie. Adioctiî. Cf. maie chance.
que. 36 sqq. Une ordonnance de 1535
28. Voulsissent : voulussent. défendit aux membres du Parlement
31. Un petit : un peu. de rien accepter des prisonniers.
29-31. n Voltaire, quand il nous 41. Faiseurs de pipée. Au propre,
raconte son départ pour la Bastille, ceux qui préparent tout ce qui est
a bien dit : nécessaire pour la chasse à la pipée,
. , ,, , où l'on attire les oiseaux sur des bran-
Tous ces messieurs, d un air doux et bénin ^^^^ ^,^^j^^^ enduites de glu.
Obligeamment me prirent par la main : , ^ . . . .
Allons, mon flls, marchons... ^2. Grippée : saisie.
45. Nous. Les gens de justice et
Cela est insinuant, plein de ten* moi.
dresse et d'onction sans doute ; mais 46. Si : de sorte que.
franchement, l'épousée ne vaut-elle 47. La /rareté. Le roi, à qui seul il a
pas encore mieux ? » (Sainte-Beuve.) désormais affaire.
MAROT 35
Mais le droict poinct, où je me reconforte,
Vous n'entendez procès non plus que moy;
Ne plaidons poinct : ce n'est que tout esmoy. 50
Je vous en croy, si je vous ay mesfaict.
Encor posé le cas que l'eusse faict
Au pis aller n'y cherroit qu'une amende.
Prenez le cas que je la vous demande ;
Je prends le cas que vous me la donnez; 55
Et si plaideurs furent oncq estonnez
Mieulx que ceulx cy, je veulx qu'on me délivre,
Et que soubdain en ma place on les livre.
Si vous supply (Syre) mander par lettre
Qu'en liberté voz gens me vueillent mettre; 60
Et si j'en sors, j'espère qu'à grand'peine
M'y reverront si on ne m'y rameine,
Treshumblement requérant vostre grâce
De pardonner à ma trop grande audace
D'avoir emprins ce sot escript vous faire, 65
Et m'excuser si pour le mien affaire
Je ne suy poinct vers vous allé parler :
Je n'ay pas eu le loysir d'y aller.
48, 49. Le point qui me rassure, emprisonnement, qui est pour raison
c'est que, etc. de la rescousse de certains prison»
50. Ce n'est que tout esmoy. L'aflaire niers. Et pour ce qu'il a satisfait à sa
est trop embrouillée. partie, et qu'il n'est détenu que pour
bl. Si J e vous ayfftes faict. Si vous pré- nostre droit, à ceste fin nous vou-
tendez que j'ai des torts envers vous. Ions, nous mandons et tresexpresse-
53. Cherroit. Du verbe choir. Le cas ment enjoignons que, toutes excusa-
ne comporterait qu'une amende. tions cess<intes, ayés à le délivrer et
56. Plaideurs : gens de justice. ■— mettre hors desdictes prisons. Si n'y
Oncq : jamais. faites faute, car tel est nostre plaisir
59. Si vous supply. Ainsi, je vous « Donné à Paria, ce l" jour de norcmbro.
supplie. — C'est ce que fit le roi. Voici 61. A grand'peine. Equivaut aune
les termes mêmes de sa lettre : sorte de négation.
« Nos amés et féaux, nous avons 65. Emprins : entrepris,
été averti de l'emprisonnement de 66. Le mien affaire. Affaire était
nostre cher et bien amé valet de souvent masculin,
chambre ordinaire Clément Marot, et 68. Loysir : possibilité. Cf. il es t
duement informé do la cause dudit loisible.
S
36 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
III
AU ROY, POUR SUCCEDER EN l'eSTAT DE SON PERE*
(1528)
Non que par moy soit arroganse prinse,
Non que ce soit par curieuse emprinse
D'escripre au Roy : pour tout cela ma plume
D'ardent désir de voiler ne s'allume.
Mon juste dueil seulement Ta contraincte 5
De faire à vous, et non de vous, complaincte.
Il vous a plu, Syre, de pleine grâce,
Bien commander qu'on me mist en la place
Du père mien, vostre serf humble, mort;
Mais la Fortune où luy plaist rit et mord. 10
Mors elle m'a, et ne m'a voulu rire.
Ne mon nom faire en vos papiers escripre;
L'Estat est faict, les personnes rengées,
Le parc est clos, et les brebis logées
Toutes, fors moy, le moindre du trouppeau, 15
Qui n'a toyson ne laine sur la peau.
* La lettre de François I*** que nous mort de son père. C'est le déplaisir
citons plus haut donne officiellement qu'il éprouve des difficultés qu'on lui
au poète la qualité de son valet de fait pour le paiement de ses gages. —
chambre, en laquelle il succédait à Seulement : mon juste deuil seul, et
Jean Marot. Cependant ses gages rien d'autre,
(nous ne savons pas au juste pour- 9. Mort. L'année précédente,
quoi) lui furent refusés par le tréso- 11. Mors i mordu,
rier de l'épargne. C'est alors qu'il 12. Vos papiers. Le rôle des ofûciera
écrivit cette épître. et domestiques du roi.
1, 2. Non que. C'est-à-dire : il n'est 13. L'Estat : les états de la maison
pas vrai que. royale.
2. Ce : ce que j'en fais. — Curieuse : 14. Parc. Lieu où l'on parque un
indiscrètement zélée. — Emprinse : troupeau.
entreprise. 15. Fors : hors. — Le moindre du
4. Voiler. Cf. plume du vers précé- troupeau. Cf. J. du Bellay :
dent. Il y a là une sorte de jeu de „. . , . ,
. Si]o ne suis-je pourtant le pire du trouppoau.
5. Dueil. Ne se rapporte pas à la [Regrets^ Sonnet IX.)
MAROT 37
Si ne peult pas grand los Fortune acquerre
Quand elle meine aux plus foybles la guerre;
Las! pourquoy donc à mon bon heur s'oppose?
Certes, mon cas pendoit à peu de chose, 20
Et ne falloit (Syre) tant seulement
Qu'effacer Jehan, et escripre Clément.
Or en est Jehan par son trespas hors mis,
Et puis Clément par son malheur obmis.
C'est bien malheur, ou trop grand oubliance : 25
Car, quand à moy, j*ay ferme confiance
Que vostre dire est un divin oracle
Où nul vivant n'oseroit mettre obstacle.
Telle tousjours a été la paroUe
Des roys de qui le bruyt aux astres vole. 30
Je quiers, sans plus, Roy de los éternel,
Estre héritier du seul bien paternel :
Seul bien je dy, d'autre n'en eut mon père,
Ains s'en tenoit si content et prospère,
Qu'autre oraison ne faisoit iceluy, 35
Fors que peussiez vivre par dessus luy :
Car, vous vivant, tousjours se sentoit riche,
Et, vous mourant, sa terre estoit en friche.
Si est il mort ainsi qu'il demandoit;
Et me soubvient, quand sa mort attendoit, 40
Qu'il me disoit en me tenant la dextre :
« Filz, puisque Dieu t'a faict la grâce d'estre
Vray héritier de mon peu de sçavoir,
Quiers en le bien qu'on m'en a faict avoir;
Tu cognois comme user en est décent : 45
17. Si : pourtant. — Los : honneur, 36. Fors que : hors quo, sinon que.
gloire. — Acquerre : acquérir. — Vivre par-dessus : survivre.
19. S'oppose. EUipse du sujet. Pour 39. Si : or.
s* oppose- t-elle, 40. Me soubvient. 3« personne : il
20. Pendoit à : dépendait de. me souvient.
27. Dire: parole. 41. X>ex/re. L'a; ne se prononçait pas.
30, Des roys de qui: de ceux, entre les 43. Cf. Eglogue au Uoy, v. 49, sqq.
rois dont. — Le bruyct : la renommée. 44. Quiers : recherche, obtiens.
31. Quierf : demande. — jLo^: gloire. 45. User : de ce savoir. — Décent:
34. Ains : mais. beau, glorieux.
G. P. — Poètes du xvie siècle. 3
38 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
C'est un sçavoir tant pur et innocent
Qu'on n'en sçauroit à créature nuyre.
Par preschements le peuple on peult seduyre ;
Par marchander, tromper on le peult bien ;
Par plaiderie on peult manger son bien; 50
Par médecine on peult l'homme tuer;
Mais ton bel art ne peult telz coups ruer,
Ains en sçauras meilleur ouvrage tistre.
Tu en pourras dicter lay ou epistre,
Et puis la faire à tes amys tenir, 55
Pour en Tamour d'iceulx t'entretenir.
Tu en pourras traduyre les volumes
Jadis escriptz par les divines plumes
Des vieulx Latins, dont tant est mention.
Après, tu peulx de ton invention 60
Faire quelque œuvre à jecter en lumière,
Dedans lequel en la feuille première
Doibs invoquer le nom du Toutpuissant,
Puis descriras le bruyt resplendissant
De quelque roy ou prince dont le nom 65
Rendra ton œuvre immortel de renom ;
Qui te fera, peult estre, si bon heur.
Que le prouffit sera joinct à l'honneur.
Donc, pour ce faire, il fauldroit que tu prinses
Le droict chemin du service des princes, 70
Mesmes du Roy, qui chérit et practique
49. Par marchander : en mar- porains. Il traduisit ou imita Virgile,
chandant, en faisant métier de mar- Ovide, Catulle, Martial, etc.
chand. 59. Il n'est pas question des Grecs,
52. Ruer : lancer. encore fort peu connus et dont Marot
53. Ains : mais. — Tistre : tisser. ne sut jamais la langue.
54. Lay. Petite pièce de vers. 61. Il s'agit d'une épopée, comme
D'abord, récit d'un tour générale- l'indiquent les vers suivants.
ment tendre ou mélancolique, par 67. Qui te réussira si bien,
exemple les lais de Marie de France; 71. Mesmes : surtout. — Practique.
puis, sorte de chanson, soumise, dès Cf. VEglogue au roi, v. 83, sqq. —
le quatorzième siècle, à des règles François I«r a laissé des pièces de
fixes. vers dont quelques-unes ne sont pas
57. C'est ce qne fit Clément Marot, inférieures à celles de Marot lui-même
comme la plupart des poètes contem- pour le vif et gracieux naturel.
MAROT 39
Par son hault sens ce noble art poétique.
Va doncq à luy, car ma fin est présente,
Et de ton faict quelque œuvre lui présente,
Le suppliant que par sa grand doulceur 75
De mon estât te face successeur.
Que pleures tu? Puis que Taage me presse.
Gesse ton pleur, et va où je t'adresse. »
Ainsi disoit le bon vieillard mourant,
Et aussi tost que vers vous fu courant, 80
Plus fut en vous libéralité grande
Qu'en moy désir d*impetrer ma demande.
Je rimpetray, mais des fruictz je n'hérite.
Vray est aussi que pas ne les mérite,
Mais bien est vray que j'ay d'iceulx besoing. 85
Or, si le cueur que j'ay de prendre soing
A vous servir, si ceste charte escripte
Ou du defunct quelcque faveur petite
Ne vous esmeult (ô Syre) à me pourveoir,
A tout le moins vous y vueille esmouvoir 90
Royal promesse, en qui toute asseurance
Doibt consister. Là gist mon espérance.
Laquelle plus au defunct ne peult estre.
Combien qu'il eust double bien comme un prebstre ,
C'est assavoir, spiritualité, 95
Semblablement la temporalité ;
Son art estoit son bien spirituel.
Et vos bienfaictz estoyent son temporel.
Or m'a laissé son spirituel bien;
Du temporel jamais n'en auray rien loo
S'il ne vous plaist de commander en sorte
Qu'obéissance à mon prouffîct en sorte.
73. Présente : imminente. 88. Quelque bienveillance pour le
77. Que : pourquoi. défunt.
83. Des fruictz. C'est-à-dire des 9\, Royal promesse. ^xnleldeveuille.
gages, que Marot ne recevait pas. 93. Que je ne puis plus mettre dans
Cf. la note du titre. le défunt.
87. Ceste charte : cette lettre, cette 94. Combien que : quoique,
épitre.
^
40
POÈTES DU XVI® SIÈCLE
ê
AU ROY, POUR AVOIR ESTE DEROBE
(1532)
On dit bien vray, la maulvaise fortune
Ne vient jamais qu'elle n'en apporte une
Ou deux OU troys avecques elle (Syre).
Vostre cueur noble en sçauroit bien que dire ;
Et moy, chetif, qui ne suy Roy ne rien,
L'ay esprouvé. Et vous compteray bien.
Si vous voulez, comme vint la besongne.
J'avoys un jour un vallet de Gascongne,
Gourmand, yvrogne, et asseuré menteur.
Pipeur, larron, jureur, blasphémateur,
Sentant la hart de cent pas à la ronde,
Au demeurant, le meilleur filz du monde...
Ce vénérable billot fut adverty
De quelque argent que m'aviez departy.
Et que ma bourse avoit grosse apostume;
Si se leva plus tost que de coustume,
10
15
1 sqq. Une mauvaise fortune (Cf.
y. 46 sqq) ne vient jamais sans en ap-
porter avec elle une autre, ou deux,
ou trois. C'est notre proverbe : un
malheur ne vient jamais seul.
4. Allusion à la défaite de Pavie et
à ses conséquences.
7. Besongne : affaire.
8. De Gascongne. Dans une épître
suivante, Marot se défendit d'avoir
ici « blasmé » les Gascons en général.
Mais de ce qu'il dut s'en défendre, on
peut conclure que ceux-ci n'avaient
pas très bonne réputation. Cf. la
pièce de Ch. de Sainte-Marthe :
A Marot d'un êien valet qui Favoit de*robé :
Ton serritear le mien arolt apprli,
Ou toot deux ont esté a une eaoholle.
J'j ay esté comme toj si bien pris
Qu'il ne m'est pas demeuni une obolle.
Le tien estoit de falot et de parolle.
Un vray grascon ; si le mien ne l'estoit,
A tout le moins bonne mine portoit,
D'estre de mœurs au tien fort allié :
Gascon ne fut, mais son gascon sentoit,
Jouant un tour d'un mojne renié.
9. Asseuré : effronté.
10. Pipeur : trompeur.
11. Hart : corde.
13. HiUot. Mot gascon équivalant
à fillot : garçon. Cf. l'espagnol hijo de
filium,
14. Departy : donné en partage. —
Le roi, à l'occasion de son mariage
avec Eléonorc, avait gratifié Marot de
cent écus.
15. Apostume : apostème, enflure.
16. Si : ainsi, aussi. — Plus tost^ etc.
Outre les défauts signalés plus haut,
il avait celui d'être paresseux .
MAROT 41
Et me va prendre en tapinoys îcelle,
Puis vous la meit tresbien soubz son esselle
Argent et tout (cela se doibt entendre),
Et ne croy poinct que ce fust pour la rendre, 20
Car oncques puis n'en ay ouy parler.
Brief, le vilain ne s'en voulut aller
Pour si petit; mais encor il me happe
Saye et bonnet, chausses, pourpoinct et cappe;
De mes habitz (en effect) il pilla 25
Touts les plus beaulx, et puis s'en habilla
Si justement, qu'à le veoir ainsi estre,
Vous l'eussiez prins (en plein jour) pour son maistre.
Finablement, de ma chambre il s'en va
Droict à l'estable, où deux chevaulx trouva; 30
Laisse le pire, et sur le meilleur monte.
Pique et s'en va. Pour abréger le compte.
Soyez certain qu'au partir dudict lieu
N'oublia rien fors qu'à me dire adieu.
Ainsi s'en va, chatouilleux de la gorge, 35
Ledict valet, monté comme un sainct George,
Et vous laissa Monsieur dormir son saoul,
Qui au resveil n'eust sceu fîner d'un soûl.
Ce Monsieur là (Syre) c'estoit moy mesme,
Qui, sans mentir, fuz au matin bien blesme, 40
Quand je me vey sans honneste vesture,
Et fort fasché de perdre ma monture;
Mais de l'argent que vous m'aviez donné,
Je ne fu point de le perdre estonné;
21. Oncques : jamais. — Puis : de- 36. Monté comme un sainct George.
puis. Expression proverbiale. S* Georges
23. Petit : peu. combattit à cheval un dragon qui
24. Saye : casaque. allait dévorer une princesse.
27. Si justement. Se les ajustant si 38. Sceu: pu. — Finer: finir, ter-
bien, miner une affaire, et, par suite, payer.
33. Au partir. Comme au sortir. Nous disons financer. — Soûl : sou.
34. Fors: hors. 41. //ortMM/c : décente, convenable.
35. Chatouilleux de la gorge. Cf. 42. Et fort fâché. Se coordonne à
y. 11 : sentant la hart. Le cas est pen- blesme du y. 40.
dable. 43. De : touchant, quant à.
42 POÈTES ou XVI® SIÈCLE
Car vostre argent (tresdebonnaire Prince) 45
Sans poinct de faulte est subject à la pince.
Bien tost après ceste fortune là,
Une autre pire encore encores se mesla
De m'assaillir, et chascun jour m'assault,
Me menaçant de me donner le sault, ôo
Et de ce sault m'envoyer à l'envers
Rithmer soubs terre et y faire des vers.
C'est une lourde et longue maladie
De troys bons moys, qui m'a toute eslourdie
La paovre teste, et ne veult terminer. 55
Ains me contrainct d'apprendre à cheminer,
Tant affoibly m'a d'estrange manière ;
Et si m'a faict la cuysse heronniere
Que diray plus ? Au misérable corps
Dont je vous parle il n'est demeuré fors 60
Le paovre esprit, qui lamente et souspire,
Et en pleurant tasche à vous faire rire.
Et pour autant (Syre) que suyz à vous.
De troys jours l'un viennent taster mon poulx
Messieurs Braillon, Le Cop, Akaquia, 65
Pour me garder d'aller jusqu'à quia.
Tout consulté, ont remis au printemps
Ma guerison : mais, à ce que j'entends,
Si je ne puis au printemps arriver,
^, Sans poinct de faulte '.SBXiSBncnxi 63. Pour autant,., que : aussi vrai
doute. — A la pince, A ôtre pincé : que.
pris. Allusion aux détournements des 65. Médecins illustres du temps,
officiers de finance. Akaquia est la traduction grecque du
50. De me faire sauter le pas. nom français Sans-Malice. On sait que
52. Faire des vers, ien àQ vcLOX, beaucoup d'écrivains, de sa vants,etc.,
53. La peste, qui ravageait alors la latinisaient ou grécisaient leur nom.
France. Nous avons de Marot des épigrammes
54. Eslourdie: alourdi. AMonsieur Akaq nia, médecin, qui luy
56. Ains : mais. — D'apprendre à avoit envoyé des vers latins; à Mon^
cheminer. Il est devenu aussi faible sieur Braillon; A Monsieur Le Coq,
sur ses jambes qu'un petit enfant qui qui luy promettoit guerison, etc.
ne peut encore marcher. 66. A quia. Être à quia, c'est être
58. Heronniere. Aussi maigre que réduit à la dernière extrémité, comme
la patte d'un héron. celui qui n'a d'autre raison à fournir
60. Il n'est rien demeuré, hors, etc. que quia : parce que.
MAROT 43
Je suis taillé de mourir en yver, 70
Et en danger, si en yver je meurs,
De ne veoir pas les premiers raisins meurs.
Voilà comment, depuis neuf moys en ça.
Je suis traicté. Or, ce que me laissa
Mon larronneau, long temps a l'ay vendu, 75
Et en sirops et julepz despendu;
Ce neantmoins, ce que je vous en mande
N'est pour vous faire ou requeste ou demande :
Je ne veulx poinct tant de gens ressembler,
Qui n'ont soulcy autre que d'assembler; 80
Tant qu'ilz vivront ilz demanderont, eulx;
Mais je commence à devenir honteux.
Et ne veulx plus à voz dons m'arrester.
Je ne dy pas, si voulez rien prester,
Que ne le prenne. Il n'est poinct de presteur 85
(S'il veult prester) qui ne face un debteur.
Et sçavez-vous (Syre) comment je paye ?
Nul ne le sçait, si premier ne l'essaye ;
Vous me debvrez (si je puy) de retour,
Et vous feray encores un bon tour. 90
A celle fin qu'il n'y ait faulte nulle,
Je vous feray une belle cedulle,
A vous payer (sans usure, il s'entend)
Quand on voirra tout le monde content;
Ou, si voulez, à payer ce sera 95
Quand vostre los et renom cessera.
70. Taillé de : capable de. Nous 88. Premier : d'abord,
disons, mais avec un sens différent, 89. De retour. Vous me devrez
être de taille à. (quelque chose) de retour.
73. En ça : jusqu'ici, jusqu'à ce 90. Un 6o/i tour. Opposé ici à mau-
jour. vais tour: un tour qui vous sera
75. Longtemps a : il y a longtemps, avantageux.
76. Despendu: dépensé. 92. Cedulle. Engagement par écrit.
79. Ressembler, Pris transitive- 95. A payer. Même construction
ment. que dans le vers 93.
80. Assembler : amasser. 96. Los : gloire. — « Que dire de
83. Me reposer sur vos dons, y cette demande d'argent, presque libé-
compter. raie à force d'être ingénieuse, et de
84. Rien : quelque chose. cette promesse, digne à la fois d'un
é
44 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Et si sentez que soys foible de reins
Pour vous payer, les deux princes Lorrains
Me piégeront. Je les pense si fermes
Qu*ilz ne fauldront pour moy à l'un des termes. loo
Je sçayz assez que vous n'avez pas peur
Que je m'enfuye ou que je soys trompeur;
Mais il fait bon asseurer ce qu'on preste ;
Bref, vostre paye, ainsi que je l'arreste,
Est aussi seure, advenant mon trespas, 105
Gomme advenant que je ne meure pas.
Avisez doncq si vous avez désir
De rien prester : vous me ferez plaisir,
Car puis un peu j'ay basty à Clément,
Là où j'ay faict un grand desboursefhents; 110
Et à Marot, qui est un peu plus loing.
Tout tombera, qui n'en aura le soing.
Voylà le poinct principal de ma lettre;
Vous sçavez tout, il n'y faut plus rien mettre.
Rien mettre? Las! Certes, et si feray; 115
Et ce faisant, mon style j'enfleray.
Disant : t Roy amoureux des neuf Muses,
Roy en qui sont leurs sciences infuses,
Roy plus que Mars d'honneur environné,
Roy le plus roy qui fut oncq couronné, 120
Dieu tout puissant te doint pour t'estrener
poète, d'un courtisan et d'un 6-ascon 105. Adifenant mon trespas : si mon
(Marot était tout cela)? Boileau, parmi trépas advient; proposition absolue,
les traits si variés de louanges qu'il 108. Rien : quelque chose. — Le
a tournés pour Louis XIV, n'en a pas roi fit compter à Marot cent écus d'or
inventé de plus pénétrant, de plus au soleil.
soudain, et en apparence de plus 109. Puis un peu : depuis peu. —
négligemment jeté.» (Sainte-Beuve.) A Clément, Domaine imaginaire,
98. Les deux princes Lorrains, comme si le nom de Clément venait
Claude de 6-uise et son frère, le car- à Marot d'un fief.
dinal de Lorraine. 111. Marot. Comme Clément du
99. Piégeront : cautionneront. — v. 109.
Fermes. Cf. foible de reins du v. 97. 112. Qui : si l'on.
100. Fauldront : failliront, feront 115. Et si feray : et pourtant je le
faute. ferai.
104. Ainsi que Je Varreste. Dans les 120. Oncq : jamais,
conditions ainsi fixées. 121. Doint : donne, an subjonctif
MAROT 45
Les quatre coings du monde gouverner,
Tant pour le bien de la ronde machine,
Que pour autant que sur touts en es digne, i
AU ROY, DU TEMPS DE SON EXIL A FBRRARE*
(1535)
Je pense bien que ta magnificence.
Souverain Roy, croyra que mon absence
Vient par sentir la coulpe qui me poind
D'aulcun mesfaict, mais ce n'est pas le puinct.
Je ne me sens du numbre des coulpables; 5
Mais je sçay tant de juges corrumpables
Dedans Paris, que, par pecune prinse,
Ou par amys, ou par leur entreprinse,
Ou en faveur et charité piteuse
De quelque belle humble solliciteuse, 10
Hz saulveront la vie orde et immunde
Du plus meschant et criminel du monde;
Et au rebours, par faulte de pecune.
Ou de support, ou par quelcque rancune,
Aux innocents ilz sont tant inhumains, 15
Que Dieu te donne. — Pour t'estrener. L'épître qu'il adresse au roi est une
Cette épître fut remise au roi le sorte d'apologie, qui doit lui ménager
!•» janvier 1532. son retour.
124. Pour autant que : parce que. 3. Par sentir : de sentir, de ce que
— Sur touts : par-dessus tous, plus je sens. — Coulpe : culpabilité. —
que tous. — Digne. Ce prononçait Poind : pique (de remords).
dine. 4. Aulcun : quelque.
* Toujours suspect d'hérésie, Ma- 7. Pecune : somme d'argent,
rot, après avoir erré quelque temps 8. Par leur entreprinse. De leur
en France, s'était réfugié prés de propre initiative et pour leur propre
Renée de Ferrare, fille de Louis XII, compte.
où il retrouva plusieurs de ses amis, 9. Piteuse : miséricordieuse,
entre autres Lyon Jamet, devenu 11. Orde : sale. Cf. ordure.
secrétaire de la princesse. Mais il ne 14. Support : appui. — Rancune.
se plut g^ère da\is cette cour, qui Personnelle. Opposé à f»ar /e^r^ntre-
devait lui paraître pédante et triste, prinse du v. 8.
3.
46 POETES DU XVI® SIÈCLE
Que content suy ne tomber en leurs mains.
Non pas que touts je les mette en un compte;
Mais la grand part la meilleure surmonte,
Et tel mérite y est authorisé
Dont le conseil n*est ouy ne prisé. 20
Suyvant propos, trop me sont ennemys,
Pour leur Enfer, que par escript j'ai mis,
Où quelcque peu de leurs tours je descœuvre.
Là me veult on grand mal pour petit œuvre.
Mais je leur suyz encor plus odieux 25
Dont je Tosay lire devant les yeulx
Tant clervoyants de ta Majesté haulte,
Qui a pouvoir de reformer leur faulte.
Bref, par effect, voyre par foys diverses,
Ont declairé leurs voluntez perverses 30
Encontre moy : mesmes un jour ilz vindrent
A moy malade, et prisonnier me tindrent,
Faisant arrest sus un homme arresté
Au lict de mort, et m'eussent pis traicté,
Si ce ne fust ta grand bonté, qui à ce 35
Donna bon ordre avant que t'en priasse,
Leur commandant de laisser choses telles,
Dont je te rends grâces tresimmortelles.
17. En M/t compte. Sur la même ligne, parue en France est de 1543. Le roi
18. Part : partie. — Los mauvais, avait formellement ordonné à Marot
plus nombreux, l'emportent sur les de lui lire son poème.
bons. 29. Par effect. Le fait est là. — Par
19. Authorisé, On rend hommage foys diverses. En plusieurs occasions,
à ce mérite, mais, etc. 30. Declairé : manifesté.
21. 5u2/fa/t</iro/io^: en poursuivant 32. Au commencement de Tannée
mon propos; simple transition. 1532, Marot, qui entrait à peine en
Cf. même épitre, v. 123. — Trop : convalescence, faillit être arrêté pour
beaucoup. avoir fait gras pendant le carême.
22. Enfer. Cf. la pièce qui porte ce 33. Faisant arrest sus : à peu près
titre, page 88. comme arrêtant. — Arrest... arresté.
24. Petit. Le mot œuvre s'employait Sorte de jeu de mot.
au masculin. 35. A ce : k cela.
26. Dont : de ce que, c'est-à-dire 36. Averti par la reine de Navarre
parce que. — lire, etc. C'est seule- du danger que courait Marot, Fran-
ment en 1539 que V Enfer fut publié, çois !•', alors en Bretagne, écrivit
etl'étranger. La première édition à qu'on ne donnât pas suite à l'affaire.
XABOT 47
Aoltaot comme eolx, sans <:aiise qui soit bonne.
Me reolt de mal Tignorante SoiHbonne : 40
Bien ignorante elle est d'estre ennemje
De la trilingae et noble académie
Qo'as érigée. 11 est toot manifeste,
Qne là dedans contre ton meil céleste
Est deffendo qn'on ne TOjse allegant 4S
Hebrien nj Grec, nj Latin élégant.
Disant qne c'est langage d^heretiqnes.
O paovres gens, de savoir toats etiqaes.
Bien faictes yraj ce proverbe courant :
c Science n*a hainenx que l'ignorant, t 50
Certes, à Roy, si le profond des cneors
On venlt sonder de ces Sorboniqneurs,
Trouvé sera qne de tov ilz se dénient.
Comment, douioir? Mais que grand mal te veulent
Dont tu as faict les lettres et les arts 55
Plus reluysans que du temps des Césars;
Car leurs abus veoit on en façon telle.
C*est toy qui as allumé la chandelle
Par qui maint œil voit mainte vérité
Qui soubz espesse et noire obscurité 60
A faict tant d*ans icy bas demeurance;
99, 40. De nuU. Dépend de autant. 47. Langage d^heretiques. Lliébrea
40. L'ignorante Sorbonne. CL l'épi- et le grec étaient en effet eondamnés
g;ramine Sur l'ordonnance que le roy par la Sorbonne, comme laTOiîsant
fit de bastir a Paris avec proportion : l'hérésie par rinterprétation des
Le iof,«fflMat 1* êbeantàaa. livres saints.
D» m F«te «Blj'aiitr» bîea ordonne 4, ^^^J^ fautes mray : Toos jostifiez.
yoo j ^m^Mm «T«c ptoHirtien, M. Haineux : ennemi, employé
Et pour ee fcure mrgtut H. eooaeil donne ; ^ m. ^r » r j
XaiMo de TfOe j eonAnnt belle ci bonne, comme sabstentli:
Lca lieux pablks deriae tons noareuz, 53. Se deulent : se plaignent. Ct do-
EaUe Ua^ntkt an milien de Sorbonne léances-
I>oit, «e dit-on, iaite 1» Fl»ee anz reuix. 54. Comment, douioir? : qne dis-je,
43. Trilingue... académie. Le Col- se plaindre? — Mais. Dans le sens
lége des trois langues, aujoardliai étymologique, bien plus. — Que.
Collège de France, que François l*' Coordonné an que do Ters précédent.
fonda malgré l'opposition de la Sor- 55. Dont : de ce que, parce que.
bonne. Ces trois langues étaient 57. En façon telle : de cette ma-
lliébrea, le grec et le latin. niére, on Yoit leurs abus.
45. Voyte. Subjonctif dn verbe je 58. ChandMe. Comme nous dirions
vais. — Voyse allegant : allègue. fiambeau.
48 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Et qu'est il rien plus obscur qu'ignorance ?
Eulx et leur court, en absence et en face,
Par plusieurs foys m'ont usé de menace.
Dont la plus douce estoit en criminel 65
M'executer. Que pleust à l'Eternel,
Pour le grand bien du peuple désolé,
Que leur désir de mon sang fust saoulé,
Et tant d'abus dont ilz se sont munis
Fussent à cler descouverts et punis! 70
quatre foys et cinq fois bien heureuse
La mort, tant soit cruelle et rigoureuse,
Qui feroit seule un million de vies
Soubz telz abus n'estre plus asservies !
Or à ce coup il est bien évident 75
Que dessus moy ont une vieille dent,
Quand, ne pouvant crime sur moy prouver.
Ont tresbien quis, et tresbien sceu trouver.
Pour me fascher, briefve expédition.
En te donnant maulvaise impression 80
De moy, ton serf, pour après à leur ayse
Mieulx mettre à fin leur volunté maulvaise ;
Et pour ce faire ilz n'ont certes eu honte
Faire courir de moy vers toy maint compte,
Avecques bruyt plein de propos menteurs, 85
Desquels ilz sont les premiers inventeurs.
De Lutheriste ilz m'ont donné le nom.
62. Mélange de deux construc- 78. Quis, Participe passé de quérir ^
tions : Qu'est-il (qu'y a-t-il), et est-il chercher.
rien? 79. Expédition. Cf. expédient,
63. En absence et en face. En mon 87 sqq. L'année suivante, 1536,
absence ou moi présent. Marot dut, pour rentrer en France,
64. M*, Au datif. Contre moi. faire abjuration solennelle du luthé-
65. En criminel : comme un cri- ranisme. Au reste, il ne semble pas
minel. avoir jamais professé d'une façon
69. Et tant, etc. Et que tant, etc. positive la religion réformée. Comme
Le quef exprimé dans une propo- un grand nombre de ses contempo-
sition, s'omet dans une autre pro- rains, il attaque les abus et môme
position coordonnée à la première, répudie certaines croyances du catho-
70. A cler : clairement. licisme, mais sans rompre tout à fait
77. Quand : puisque. avec l'Eglise.
M A R O T 49
Qu'à droict ce soit, je leur respond que non.
Luther pour moy des cieulx n'est descendu,
Luther en croix n'a point esté pendu 90
Pour mes péchez; et, tout bien advisé,
Au nom de luy ne suis poinct baptizé :
Baptizé suyz au nom qui tant bien sonne
Qu'au son de luy le Père éternel donne
Ce que l'on quiert : le seul nom soubz les cieulx 95
En et par qui ce monde vicieux
Peult estre sauf; le nom tant fort puissant
Qu'il a rendu tout genouil fleschissant,
Soit infernal, soit céleste ou humain;
Le nom par qui du seigneur Dieu la main 100
M'a préservé de ces grandz loups rabis,
Qui m'espioient dessoubz peaulx de brebis.
Seigneur Dieu, permettez moy de croire
Que réservé m'avez à vostre gloire.
Serpens tortus et monstres contrefaictz, 105
Certes, sont bien à vostre gloire faictz.
Puis que n'avez voulu doncq condescendre
Que ma chair vile ayt esté mise en cendre,
Faites au moins, tant que seray vivant,
Que vostre honneur soit ma plume escripvant; 110
Et si ce corps avez prédestiné
A estre un jour par flamme terminé.
Que ce ne soit au moins pour cause folle,
Ainçoys pour vous et pour vostre parolle ;
95. Quiert : demande. parle souvent avec gravité, avec émo-
101. Rabis : enragés. tion. Cf., par ex., dans la Déploration
103 sqq. Ce morceau ne permet de Messire Florimond Robertet (p. 97),
guère de mettre en doute la sincérité un passage moins connu que celui-ci,
du sentiment religieux chez Marot. mais qui n'est pas d'un accent moins
Quelque intérêt que puisse avoir le fort et moins élevé. Le poète badin,
poète à se disculper des accusations le joyeux compagnon dont la verve
portées contre lui, il semble difficile s'égaie si souvent dans la gaudriole,
de suspecter une invocation aussi fer- avait un fond de piété sincère et vivace.
vente. Au surplus, sans parler même 104. A vostre gloire : pour votre
de la traductioib des Psaumes, les cho- gloire.
ses religieuses tiennent une grande 108. Mise en cendre. Sur le bûcher,
place dans l'œuvre de Marot, et il en 114. Ainçoys : mais.
50 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Et VOUS supply, père, que le tourment 115
Ne luy soit pas donné si véhément
Que l'âme vienne à mettre en oubliance
Vous, en qui seul gist toute sa fiance;
Si que je puisse avant que d'assoupir
Vous invoquer jusque au dernier souspir. 120
Que dy je? Où suy je? noble roy Françoys,
Pardonne moy, car ailleurs je pensois.
Pour revenir doncques à mon propos,
Rhadamantus avecques ses suppostz
Dedans Paris, combien que fusse à Bloys, 125
Encontre moy fait ses premiers exploicts
En saisissant de ses mains violentes
Toutes mes grandz richesses excellentes
Et beaulx thresors d'avarice délivres,
C'est assavoir, mes papiers et mes livres 130
Et mes labeurs. juge sacrilège,
Qui t'a donné ne loy ne privilège
D'aller toucher et faire tes massacres
Au cabinet des sainctes Muses sacres?
Bien est il vray que livres de defifense 135
On y trouva : mais cela n'est offense
A un poète, à qui on doibt lascher
La bride longue, et rien ne luy cacher.
Soit d'art magie, necromance ou cabale;
Et n'est doctrine escripte ne verbale 140
Qu'un vray poète au chef ne deust avoir,
Pour faire bien d'escripre son debvoir.
Sçavoir le mal est souvent prouffitable,
Mais en user est toujours evitable.
118. Fiance : confiance. 135. De deffense : livres défendus.
119. Si que : de façon que — Assou- 136. Offense : tort, faute.
pir : m'assoupir, et, par suite, mourir. 139. Cabale. D'abord, tradition juive
121. Françoys. Prononcez ouè. sur Tinterprétation de l'Ancien Tes-
124. Rhadamantus. Le lieutenant tament. Puis, science prétendue pour
criminel Morin. Cf. l'Enfer, v. 2. commercer avec les êtres surnaturels.
125. Combien que : quoique. 141. Au chef: dans la tête.
129. Délivres : exempts. 142. Son devoir d'écrire, d'écrivain.
134. Sacres : sacrées. 144. En user. Le pratiquer.
MAROT 51
Et d'aultre part, que me nuist de tout lire? 145
Le grand donneur m'a donné sens d'eslire
En ces livrets tout cela qui accorde
Aux sainctz escriptz de grâce et de concorde,
Et de jecter tout cela qui diffère
Du sacré sens, quand près on le confère; 160
Car l'Escripture est la touche où l'on treuve
Le plus hault or. Et qui veult faire espreuve
D'or quel qu'il soit, il le convient toucher
A ceste pierre, et bien près l'approcher
De l'or exquis, qui tant se fait paroistre, 155
Que, bas ou hault, tout autre fait cognoistre.
Le juge doncq affecté se monstra
En mon endroict, quand des premiers oultra
Moy qui estoys absent et loin des villes
Où certains folz feirent choses trop viles 160
Et de scandale, helas ! au grand ennuy.
Au détriment et à la mort d'aultruy.
Ce que sçachant, pour me justifier,
A ta bonté je m'osay tant fier
Que hors de Bloys party pour à toy, Syre, 165
Me présenter. Mais quelcun me vint dire :
f Si tu y vas, amy, tu n'es pas sage ;
Car tu pourroys avoir maulvais visage
De ton Seigneur. » Lors, comme le nocher
Qui pour fuyr le péril d'un rocher 170
En pleine mer se destourne tout court,
Ainsi, pour vray, m'escartay de la Court,
145. Que : en quoi. 156. B<is ou hault. Quel qu'en soit
146. Le grand donneur. Dieu. — le titre.
Eslire. Choisir. 157. Affecté : irrite.
147. Accorde : s'accorde. 158. Des premiers. Moi, parmi les
150. Sacré sens. Sens des livres premiers. — Oultra : poursuivit,
sacrés. Ces vers sentent quelque peu 160, 161. Choses... de scandale.
l'hérétique. Allusion aux placards contre la
151. Touche. Cf. pierre de tou- messe et l'eucharistie affichés dans
che, Paris la nuit du 19 octobre 1534.
153. Toucher. Eprouver sur la 165. Party : je partis,
pierre de touche. 170. Fuyr, Deux syllabes.
52 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Craignant trouver le péril de durté
Où je n'euz oncq fors doulceur et seurté :
Puis je sçavois, sans que de faict l'apprinse, 175
Qu'à un subject l'œil obscur de son prince
Est bien la chose en la terre habitable
La plus à craindre et la moins souhaibtablè.
Si m'en allay, évitant ce danger, •
Non en pays, non à prince estranger, 180
Non poinct usant de fugitif destour,
Mais pour servir l'autre Roy à mon tour.
Mon second maistre, et ta sœur son espouse,
A qui je fu, des ans a quatre et douze,
De ta main noble heureusement donné. 185
Puis tost après, royal chef couronné,
Sçachant plusieurs de vie trop meilleure
Que je ne suyz estre bruslez à l'heure
Si durement que mainte nation
En est tombée en admiration, 190
J'abandonnay, sans avoir commis crime.
L'ingrate France, ingrate, ingratissime
A son poète, et en la délaissant.
Fort grand regret ne vint mon cueur blessant.
Tu ments, Marot : grand regret tu sentis, 195
Quand tu pensas à tes enfants petits.
173. Lfi péril de durté. Cf. le péril dans les demiersjours de Tannée 1518
d'un rocher au y. 170. Marot a craint ou dans les premiers de l'année 1519.
de trouver des cœurs durs comme le 186. Chef : tôte.
roc. 187. Vie. Deux syllabes. — Trop :
174. Oncq : jamais. — Fors : hors, beaucoup.
si ce n'est. — Où je ne trouvais jamais 188. A l*heure : présentement,
que, etc. 190. S'en est émue. Sens du latin
176. Vœil obscur. Figuré, pour la mirari. — Après l'affaire des placards
défaveur. (v. note du v. 161), François !•» avait
179. Si : aussi. fait brûler un grand nombre d'héré-
182. Vautre Roy. Le roi de Navarre, tiques.
183. Ta sœur, Marguerite, qui sou- 194. Vint... blessant. Cette cons-
vent protégea Marot. truction du participe présent avec
184. Des ans a quatre et douze : il ff/i/r et surtout a//er comme auxiliaire
y a seize ans. est très fréquente au seizième siècle.
185. Donné. Marot entra au service •— Vint blessant : blessa.
de Marguerite, comme secrétaire, 195, 196. Cf. le vers 26 de l'épitfQ
M A n o T 53
En fin passay les grandz froides montaignes,
Et vins entrer aux Lombardes campaignes :
Puis en TYtale, où Dieu qui me guydoit
Dressa mes pas au lieu où residoit 200
De ton cler sang une princesse humaine,
Ta belle sœur et cousine germaine,
Fille du roy tant crainct et renommé,
Père du peuple aux chroniques nommé.
En sa duché de Ferrare venu, 205
M*a retiré de grâce, et retenu.
Pource que bien luy plaist mon escripture,
Et pour autant que suy ta nourriture.
Par quoy, ô Syre, estant avecques elle,
Conclure puy d'un franc cueur et vray zelle 210
Qu'à moy ton serf ne peult estre donné
Reproche aulcun que t'aye abandonné,
En protestant, si je perd ton service,
Qu'il vient plustost de malheur que de vice.
suivante. — Marot eut probablement Qui portent en tout temps sur lenn doa
deux fils et une fille. En s'exilant à M^taires
Ferrare, il laissait un fils encore au ^* "«'»«"' ^®" *'*™"' '«• '^^^'" héréditaire^
berceau. Cf. ces vers de la Complainte (Hymnes, I, v.)
du Pastoureau chrétien : I99 VYtale : l'Italie.
liait denna tont accroUt ma passion 200. Dressa : adressa.
Le dur regret qoe j'ai de Marion. SOI. Humaine : pleine d'humanité.
Qui est, Pan, ton humble bergerette, 202. Belle sœur. Comme sœur de
Et du petit bergeret qu'elle allaite. Claude de France. — Cousine ger-
197. Les grandz froides montaignes. '"«»"«• Comme fille de Louis XII.
C'est tout ce que Marot voit dans les 206. Retire : accueilli auprès d elle.
Alpes, n a bien le « sentiment de la " '^^ Srace : gracieusement,
nature «, mais d'une nature aimable 207. Escripture : manière décrire,
et riante. Cf. Ronsard : ®^^®'
208. Pour autant que : parce que.
.«.. Le froid des Alpes haut^ornnes ^ Nourriture. Elève. Marot appelle
Qui soutiennent le ciel de leurs croupes chenues, ailleurs la cour sa maîtresse d'école.
Nourrloe. de maint fleuve à qui les^^rand. ^^^ ^^j^^^ suivante, vers 34.)
Du menton tout glacé jusqu'aux pieds vont 211. Donné : adressé.
[courants 214. Il : cela, cette perte.
54 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
VI
A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN*, DU TEMPS
DE SON DICT EXIL.
En mon vivant, n*apres ma mort avec,
Prince royal, je ne tournay le bec
Pour vous prier ; or devinez qui est ce
Qui maintenant en prend la hardiesse ?
Marot banny : Marot mis en requoy. 5
C'est luy sans aultre; et sçavez vous pourquoy
Ce qu'il demande il a voulu escripre ?
C'est pour aultant qu'il ne l'ose aller dire.
Voylà le poinct, il ne fault pas mentir.
Que l'aer de France il n'ose aller sentir : 10
Mais s'il avoit sa demande impetrée
Jambes ne teste il n'a si empestrée
Qu'il n'y volast. En vous parlant ainsi,
Plusieurs diront que je m'ennuye icy.
Et pensera quelque caffart pelé 15
Que je demande à estre rappelé;
Mais (Monseigneur) ce que demander j'ose
De quatre parts n'est pas si grande chose.
Ce que je quiers et que de vous espère,
C'est qu'il vous plaise au Roy, vostre cher père, 20
* François, duc de Bretagne, qui 9, 10. Voilà le poinct... que. Le
mourut l'année suivante.* point, le voici : c'est que.
1. N'apres ma mort. En manière de 16. Rappelé. De rappe léles ennemis
plaisanterie (ce ton est celui de toute du poète firent rat pelé. Marot s'était
l'épître, et, notamment, du début), déjà plus d'une fois comparé à un rat.
Marot fait de son exil une sorte de Cf. notamment l'Epître à Lyon Jamet.
mort. — i4fec: aussi, et, par suite, non 18. La chose que je demande n'est
plus. pas aussi grande ; il s'en faut de quatre
5. En requoy : en retraite. Du latin parts, c'est-à-dire des quatre quarts,
requietem. c'est-à-dire du tout. Variante : des
6. Sans aultre : lui seul et pas quatre parts, — Môme plaisanterie
d'autre. au vers 24.
8. Pour aultant que : parce que. 19. Quiers : cherche, demande.
MAROT 55
Parler pour moy, si bien qu'il soil induict
A me donner le petit saufconduict
De demy an, que la bride me lasche,
Ou de six moys, si demy an luy fasche;
Non pour aller visiter mes chasteaulx, 25
Mais bien pour veoir mes petits Marotteaulx,
Et donner ordre à un faix qui me poise ;
Aussi affin que dire adieu je voyse
A mes amys et compaignons vieulx :
Car vous sçavez, si fays je encores mieulx, 30
Que la poursuyte et fureur de l'affaire
Ne me donna jamais temps de ce faire.
Aussi affin qu'encor un coup j'accoUe
La court du Roy, ma maistresse d'escolle.
Si je vay là, mille bonnetz ostez, 35
Mille bons jours viendront de touts costez;
Tant de Dieu gards, tant qui m'embrasseront,
Tant de salutz qui d'or poinct ne seront.
Puis ce dira quelcque langue friande :
f Et puis, Marot, est ce une grand viande, 40
Qu'estre de France estrangé et banny?
23. Que. De façon que, en sorte 36. Bons jours : bonjours,
que. 37. Dieu gards : Dieu vous garde,
26. Cf. les y. 195, 196, de l'Epitre formule de salut. Dieu gard s'em-
précédente. ployait comme un substantif. Cf. le
27. Poise : pèse. — Régler une Dieu gard a la Court, page 57.
affaire qui me pèse. 38. Le salut d'or était une monnaie
28. Voyse. Subjonctif de ye i'ais, ainsi nommée parce que l'Ânnoncia-
29. Vieulx. Deux syllabes. tion de la Vierge était figurée sur la
30. Fais je. Employé comme sub- face. Cf. Première Epistre du Coq a
stitut du verbe savoir. Et je le sais l'Asne :
mieux encore que vous. ♦.„„,«,« „„ ,r^„A t«nunn
..... .» • j i> 1 ji Je t enToye un grrftna million
33. J'accoUe : je donne 1 accolade, i,e salut»; mon amy Lyon :
j'embrasse. Au sens figuré, en accord s'ila estoyent d'or, iU yauldroyent mienlx.
avec ma maistresse d'escolle du vers
suivant. 39. Friande. Affriandée par l'occa-
34. Ma maistresse d'escolle. Marot sion d'une raillerie.
dut évidemment à la fréquentation de 40. Viande. Avec diérèse. — Est ce
la cour sa politesse et l'élégance de une grand viande : une chose de
son style. On l'a appelé un Villon de grande conséquence,
bonne compagnie. Cf. l'Enfer, note 41. Estrangé. Du verbe estranger:
du V. 171. éloigner.
^
56 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
— Par Dieu, Monsieur, ce diray je, nenny, »
Lors que de chère et grandes accolées
Prendray les bons, laisseray les voilées.
f Adieu, Messieurs ! — Adieu donc, mon mignon, i 45
Et cela faict, verrez le compaignon
Tost desloger ; car mon terme sailly,
Je ne craindroys sinon d'estre assailly
Et empaulmé. Mais si le Roy vouloit
Me retirer, ainsi comme il souloit, 50
Je ne dy pas qu'en gré je ne le prinse.
Car un vassal est subject à son prince.
Il le feroit s'il sçavoit bien comment
Depuis un peu je parle sobrement :
Car ces Lombards avec qui je chemine 55
M'ont fort apprins à faire bonne mine,
A un mot seul de Dieu ne deviser,
A parler peu, et à poltronniser.
Dessus un mot une heure je m'arreste.
S'on parle à moy, je responds de la teste. GO
Mais, je vous pry, mon saufconduict ayons.
Et de cela plus ne nous esmayons ;
Assez avons espace d'en parler
Si une foys vers vous je puis aller.
Conclusion, royale geniture, 65
Ce que je quiers n'est rien qu'une escripture
Que chascun jour on baille aux ennemys;
On la peult bien octroyer aux amys.
Et ne fault ja qu'on ferme la Ghampaigne
Plustost à moy qu'à quelcque Jean d'Espaigne; 70
43. Chère : yisage, et, par suite, de lui. — Souloit : avait l'habitude,
accueil. — Accolées : accolades. 57. A ne deviser un seul mot de
43, 44. Ces deux vers ne paraissent Dieu,
pas susceptibles d'être expliqués 62. ^^mayonj: émouvons. Du vieux
d'une façon satisfaisante. verbe esmayer,
47. Mon terme sailly. Si je sautais, 66. Je quiers : je demande,
si je dépassais le terme fixé par mon 70. Jean. Le premier venu. — D'Es-
sauf-conduit. paigne. On laissait entrer sans diffi-
49. Empaulmé : empoigné. culte les étrangers. Si Marot nomme
50. Me retirer : m'accueillir auprès particulièrement les Espagnols, c'est
MAROT 57
Car, quoy que né de Paris je ne soys,
Point je ne laisse à estre bon Françoys;
Et si de moy, comme espère, Ton pense,
J*ay entreprins, pour faire recompense.
Un œuvre exquis, si ma Muse s'enflamme, 75
Qui maulgré temps, maulgré fer, maulgré flamme
Et maulgré mort, fera vivre sans fin,
Le roy Françoys et son noble Daulphin.
VII
LE DIEU GARD* A LA COURT**
(1537)
Vienne la mort quand bon luy semblera,
Moins que jamais mon cueur en tremblera.
Puis que de Dieu je recoy ceste grâce
De veoir encor de Monseigneur la face.
Ha! mal parlants, ennemys de vertu, 5
Totallement me disiez desvestu
qu'ils étaient alors nos ennemis. Cf. En fait d'œuyres a de haut styla »,il
le V. 67. ne fit que les Psaumes^ qui, décidé-
71 . Né de : natif de. ment, sont presque toujours pro-
73. E\ si Ton pense de moi comme saïqueset faibles. Il n'y ayait pas dans
je l'espère, si l'on m'accorde, par Marot l'étoffé d'un poète héroïque,
suite, ce que je demande. Lui-même ne l'ignorait pas ; il parle
74. Pour faire récompense : pour quelque part de son « style trop
témoigner de ma gratitude. mince ».
75. 27n. (EMire, s'employait au mas- 76. Souvenir d'Horace.
culin. — Exquis: d'an genre releyé. — * V. la note du v. 37 de l'épitre
Dans VEpttre au duc d'Enghien, Marot précédente. Le Dieu gard était à cette
exprimera les mêmes velléités d'en- époque une sorte de salut très usité,
treprendre quelque œuvre héroïque. ** Marot venait de rentrer en
..... Arrière ceste lire France. Il s'était arrêté quelque
Dont je chantois l'amour par cy devant t temps à Lyon, mais avait bientôt
PloB ne m'orrez Venus mettre en ayant, après repris sa place auprès du roi
Ni de flageolsoner chant bucolique, qui l'accueillit avec beaucoup de
Ains soncray la trompeté bellique bienveillance.
D'un grand Virgile ou d'Homère ancien / m^ •
Pour célébrer le. hanlt. falot. d'Anghien, J- ^onseigneur : mon seigneur.
Lequel sera (contre fortune amere) ^ ®^* *® ""O^*
Nostre Aohiles et Marot son Homère. j 5. Mal parlants : médisants.
^
58 POÈTES DU XVI^ SIÈCLE
De ce grand bien : vostre cueur endurcy
Ne cogneuct onc ne pitié ne mercy.;
Pourtant avez semblable à vous pensé
Le plus doulx Roy qui fut onc offensé; lo
C*est luy, c*est luy, France, royne sacrée,
C'est luy qui veult que mon œil se recrée,
Comme souloit, en vostre doulx regard.
Or je vous voy, France, que Dieu vous gard!
Depuis le temps que je ne vous ay veue, 16
Vous me semblez bien amendée et creue ;
Que Dieu vous croisse encores plus prospère.
Dieu gard Françoys, vostre cher filz et père.
Le plus puissant en armes et science
Dont ayez eu encore expérience. 20
Dieu gard la royne Aliénor d'Austriche,
D'honneur, de sens et de vertuz tant riche.
Dieu gard du dard mortifère et hydeux
Les filz du Roy; Dieu nous les gard touts deux.
O que mon cueur est plein de dueil et d'ire, 25
De ce que plus les troys je ne puis dire;
Dieu gard leur sœur, la Marguerite pleine
De dons exquis. Haï Royne Magdeleine,
Vous nous lairrez : bien vous puy (ce me semble)
Dire Dieu gard et adieu tout ensemble. 30
Pour abréger : Dieu gard le noble reste
Du royal sang, origine céleste;
Dieu gard touts ceux qui pour la France veillent,
Et pour son bien combatent et conseillent.
7. De ce grand bien. Cf. y. 3, cette l'aniiée précédente. Il restait encore
grâce, deux fils au roi, Henri d'Orléans,
8. Onc : jamais. qui régna sous le nom de Henri II,
9. Pourtant : pour cette raison. et Charles d'Angoulâme, qui mourut
10. Onc : jamais. en 1545.
13. Comme souloit. Comme il en 27. Marguerite, duchesse de Berry,
avait l'habitude. qui épousa en 1559 le duc de Savoie.
17. Croisse : fsisse croître. 29. Lairrez '.laisserez. — Madeleine
21. Eléonore d'Autriche, sœur de avait épousé Jacques d'Ecosse, le
Charles-Quint, mariée à François I«' 1«' janvier 1537. Elle devait sous peu
en 1530. rejoindre son mari.
24. François de Bretagne était mort 34. Conseillent : délibèrent.
f%
MAROT 59
Dieu gard la court des dames, où abonde 35
Toute la fleur et l'eliste du monde.
Dieu gard enfin toute la fleur de lys,
Lime et rabot des hommes mal polys.
Or sus avant, mon cueur, et vous, mes yeulxl
Touts d'un accord dressez vous vers les cieulx 40
Pour gloire rendre au pasteur débonnaire
D*avoir tenu en son parc ordinaire
Geste brebis esloignée en soufirance.
Merciez ce notable Roy de France,
Roy plus esmeu vers moy de pitié juste 45
Que ne fut pas envers Ovide Auguste;
Car d'adoulcir son exil le pria,
Ce qu'accordé Auguste ne luy a :
Non que je veuille (Ovide) me vanter
D'avoir mieulx sceu que ta muse chanter; 50
Trop plus que moy tu as de véhémence
Pour esmouvoir à mercy et clémence :
Mais assez bon persuadeur me tien.
Ayant un prince humain plus que le tien.
Si tu me vaincz en l'art tant agréable, 65
Je te surmonte en fortune amyable;
Car quand banny aux Gettes tu estois,
Ruysseaulx de pleurs sur ton papier jectois.
En escripvant sans espoir de retour;
Et je me voy mieulx que jamais autour 60
De ce grand Roy. Cependant qu'as été.
Près de César, à Romme, en liberté,
D'amour chantant, parlant de ta Corynne,
Quant est de moy, je ne veulx chanter hymne
38. Cf. le V. 34 derépitre précédente, qui mourut en exil.
41. Pasteur débonnaire. Framçoisl". 50. On sait qu'Ovide, durant le
Cf. VEglogue au Roy sous les noms de moyen âge et encore dans la première
Pan et de Robint où le poète reprend moitié du seizième siècle, était égalé
ce thème idyllique. ou môme préféré à Virgile.
43. Allusion à Texil. 52. Mercy : miséricorde.
44. Merciez '. remerciez.— Ce. Avec 53. Mais je me tieiis pour, etc.
Faccont tonique. 57. Aux Gettes : chez les Gètes.
46. Auguste tint rigueur à Ovide, 63. Chantant. Attribut de as été.
'
60 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Que de mon Roy : ses gestes reluysans 65
Me fourniront d'argumens suffisans.
Qui veult d'amour deviser, si devise :
Là est mon but; mais quand je me ravise,
Doy je finir l'elegie présente
Sans qu'un Dieu gard encore je présente? 70
Non; mais à qui? puis que Françoys pardonne
Tant et si bien qu'à touts exemple il donne.
Je dy Dieu gard à touts mes ennemys.
D'aussi bon cueur qu'à mes plus chers amys.
VIII
FRIPELIPPES* VALET DE MAROT, A SAGON**
(1537)
Par mon ame, il est grand foyson,
Grand année et grande saison
65. Gestes : exploits. de « fripeur et lescheur de lippes »,
67. Celui qui veut deviser d'amour, Qui va partout fripelipper
soit, qu'il en devise. CherohMit aa disnee et loappee.
68. Là se rapporte aux vers 64-66. ** Sagon, secrétaire de l'abbé de
— Quand Je me ravise : quand j'y Saint-Evroult, plus tard curé de Beau-
pense, en y réfléchissant. vais, satisfaisait, en s'attaquant à Ma-
69. Elégie. L'e muet compte dans la rot, une rancune personnelle contre
mesure. — Les genres, au temps de le poète, qui l'avait traité avec mé-
Marot et pendant tout le seizième pris, et, d'autre part, servait la Sor-
siècle, se distinguaient mal les uns bonne dans l'intérêt de son ambition,
des autres. Telle pièce de Ronsard En 1536 il avait publié son Coup
est intitulée tantôt élégie, tantôt ode, d'essai en réponse à l'épître que Marot
tantôt discours. Marot appelle ici venait d'adresser au roi pour se justi-
élégie uife pièce qui porte le titre fier; l'année suivante, son /^leu gard
d'épitre. Il est vrai qu'une épitro peut (V. l'Epitre précédente, note du v. 74)
fort bien avoir le tour élégiaque. reprit contre le poète rentré en grftce
74. Ces paroles de paix et de cha- les mômes calomnies. Il serait fasti-
rité adressées par le poète à ses enne- dieux d'entrer dans le détail de cette
mis ne les empêchèrent pas de conti- longue querelle, qui n'en demeura
nuer leurs attaques. Sagon y répondit pas là. Les libelles rimes de Sagon
par un Dieu gard outrageant et diffa- n'ont aucune valeur. Son nom serait
matoire qui lui attira l'épître suivante, tout à fait oublié s'il n'avait survécu
* Le nom de Fripelippes que dans l'épître suivante, où s'est donné
Marot prenait pour répondre à carrière la verve de Marot.
ses adversaires, leur fut une occa- 2. Année. Dans le sens de récolte,
sion de traiter le poète lui-même moisson, qu'a le mot latin annus.
MAROT 61
De bestes qu'on deust mener paistre,
Qui regimbent contre mon maistre.
Je ne voy poinct qu'un Sainct Gelais, ô
Un Heroet, un Rabelais,
Un Brodeau, un Sève, un Ghappuy
Voysent escripvant contre luy.
Ne Papillon pas ne le poinct.
Ne Thenot ne le tenue point. 10
Mais bien un tas de jeunes veaulx.
Un tas de rithmasseurs nouyeaulx,
Qui cuydent eslever leur nom
Blasmant les hommes de renom
Or, des bestes que j'ay susdictes, 15
Sagon, tu n'es des plus petites;
Combien que Sagon soyt un mot
Et le nom d'un petit marmot.
Et sçaches qu'entre tant de choses
Sottement en tes dictz encloses, 2o
Ce vilain mot de concluer
M'a faict d'ahan le front suer.
3. Deust : devrait. 9. Papillon. Poète du temps, en
5. Sainct Gelais. Poète élégant et faveur duquel Marot adressa une
ingénieux, ami de Marot. épître à François !•'. — Poinct : pique,
6. Heroet. Antoine Héroet, un des attaque.
précurseurs de la Pléiade par la no- 10. Thenot. Diminutif amical
blesse et la pureté de son inspiration. d'Etienne. Il s'agit sans doute
7. Brodeau. Victor Brodeau, dont d'Etienne Dolet, le célèbre huma-
les poésies se recommandent par leur niste, avec lequel Marot s'était lié
naturel et leur grâce. — Sève. Maurice quand, rentrant de Ferrare en France,
Scève, Lyonnais, poète élevé, mais il avait fait un séjour à Lyon. — Tenne:
souvent obscur, qui, comme Héroet, tanner, tourmenter. Jeu de mot.
prépara les voies à Ronsard. C'est 11. Jeii/ie^feau^o;. Ignorants. Comme
plus tard seulement qu'il composa nous dirions des dnes.
ses deux principales œuvres, Délie, 17. Combien que : quoique,
recueil de dizains en l'honneur d'une 17, 18. Sagon ou sagouin, espèce de
maîtresse idéale, et le Microcosme^ singe ; de môme marmot.
sorte de poème héroïco-didactiquo, 21, 22. Marot avait un grand souci
dans le fatras duquel on trouve sou- de la correction et de la pureté. On le
vent de beaux vers. — Chappuy. voit soutenir dans une épigramme
Claude Chappuys, auteur du Blason « que le mot viser est bon langage »,
de la main. rimer pour ses disciples les règles du
8. Voysent. Subjonctif du verbe ye participe, donner son avis sur tel cas
vais. épineux de grammaire ou do versifi-
62 POÈTES DU XVI^ SIÈCLE
Au reste de tes escriptures
Il ne fault vingt ne cent ratures
Pour les corriger. Combien donc ? 25
Seulement une tout du long.
Aussi Monsieur en tient tel compte,
Que de sonner il auroit honte
Contre ta rude cornemuse
Sa doulce lyre; et puis sa muse, 30
Parmy les princes allaictée,
Ne veult point estre valetée
Venez, ses disciples gentilz,
Combatre ceste lourderie ;
Venez, son mignon Borderie, 35
Grand espoir des Muses haultaines;
Rocher, faites saillir Fontaines,
Lavez tous deux aux veaulx les testes;
Lyon, qui n'est pas roy des bestes
(Car Sagon Test), sus, hault la pâte, 40
Que du premier coup on Tabbate.
Sus, Gallopin, qu'on le gallope!
Redressons cest asne qui choppe;
Qu'il sente de touts la poincture :
Et nous aurons Bonadventure, 45
A mon advis assez sçavant
cation. Cet aimable poète est un véri- fense^ fait allusion à ce poète quand il
table homme de métier. — D'ahan : souhaite que ces Fontaines tarissent
de peine. (Liv. H, chap. xi).
23. Au reste. Quand au reste. 38. Veaulx, Cf. la note du vers 11.
28. 5onn«r. Emploi transitif. 39. Zyon. Lyon Jamet, auquel Marot
29. Rude : sans art. — Cornemuse, a adressé une de ses meilleures
Instrument grossier. épîtres. Cf. page 29.
32. Valetée : rayalée. 42. Gallopin. Nom inconnu. On a
35. Borderie, La Borderie écrivit supposé que c'était l'anagramme de
VAmye de cour en réponse à la Par- Papillon (sur Papillon, Cf. note du
faite amye d'Antoine Héroet, qu'il v. 9) ; mais le P aurait donc été rem**
trouvait par trop platonique, et le placé par un G. -^ Gallope : pour*
Voyage à Constantinople. suive, tourmente.
37. Fontaines. Encore un jeu de 44. Poincture : piqûre,
mot. Charles Fontaine lui-môme inti- 45. Bonadventure. Bonaventure des
tula un de ses recueils Ruisseaux de VérieTByV dateur du Cymbalummundit
Fontaine, et J. du Bellay, dans sa Dé' qui avait pris la défense de Marot.
MABOT 63
Pour le faire tirer avant.
Vien, Brodeau, le puisné son filz,
Qui si trèsbien le contrefiz
Au huictain des Frères mineurs, 50
Que plus de cent beaulx divineurs
Dirent que c'estoit Marot mesme
Zon dessus l'œil, zon sur le groin,
Zon sur le dos du Sagouyn,
Zon sur TAsne de Balaan ! 55
Ha! vilain, vous petez d'ahan :
Le feu sainct Antoine vous arde !
Ça ce nez, que je le nazarde,
Pour t'aprendre avecques deux doigtz
A porter honneur où tu doibs. , 60
Enflez, vilain, que je me joue;
Sus, après, tournez l'autre joue;
Vous cryez : je vous feray taire,
Par Dieu, monsieur le secrétaire
De beurre fraiz. Hou le mastin!... 66
Que je donne au diable la beste !
Il me fait rompre icy la teste
A ses mérites collauder.
Et les bras à le pelauder,
Et si ne vault pas le tabut. 70
Mieulx vault donc icy mettre but,
T'advisant, sot, t'advisant, veau,
48. Brodeau, V. note du v. 7. — d'érysipéle. — Arde ihrdle, Cf. ardent.
Son fils. Marot le nommait ainsi. 64. Sagon était secrétaire de Félix
49 sqq. Voici ce huitain, qui fut de Brie, abbé de Saint-Evroult.
en effet attribué à Marot : 65. De beurre frais. Allusion pro-
Me8 beaux frères religieux, bable au nom de Félix de Brie. Le
VonB dlsnes pour un grand merci. beurre de la Brie était sans doute
O gen« heureux I 6 demi-dieux I ««««.«««^ «y^,»»» o«.« f,,,^.^.^^^
—. . 1 -,, . . ... renommé comme son iromaire.
Pleost a Dieu que je fasse ainsi I «0*1 j »..
Comme tous vivrols sans souci : ^^' ^ ^^^^^ ««^ mérites.
Car le vœu qui l'argent tous oste, C^» Pclouder : battre, rosser.
Il est clair qu'il défend aussi 70. Et si : et pourtant. — Tabut :
Que ne payes jamais vostre hoste. bruit, trouble, peine. — Il n'en vaut
56. D'ahan : de peine, de souf- pas la peine,
france. 71. Mettre but : mettre fin, finir.
57. Le feu sainct Antoine, Une sorte 72. Veau, Cf. la note du vers 11.
64 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
T'advisant, valeur d'un naveau,
Que tu ne te veis recevoir
Oncques tant d'honneur que d'avoir 75
Receu une epistre à oultrance
D'un valet du Maro de France.
Et crains, d'une part, qu'on t'en prise ;
Puis, d'avoir tant de peine prise,
J'ai paour qu'il me soit reproché 80
Qu'un asne mort j'ay escorché.
EGLOGUES
EGLOGUB AU ROY SOUBZ LES NOMS DE PAN ET ROBIN*
(1539)
Un pastoureau, qui Robin s'appelloit
Tout à par soy nagueres s'eii alloit
Parmy fousteaux (arbres qui font umbrage).
Et là tout seul faisoit de grand courage
Hault retentir les boys et l'aer serain, 5
Chantant ainsi : t O Pan, dieu souverain,
Qui de garder ne fus oncq paresseux
73. Naveau : navet. gers, traitant, sous propos et termes
75. Oncques : jamais. rustiques, morts de princes, calamités
77. Du Maro de France. Du Virgile du temps, mutations de républiques,
français. 'Cf. les vers 126 sqq. de et telles choses sous allégorie claire. »
VEnfer, Nous avons de Marot une autre
78. Et crains. Et je crains. églogue. Sur la naissance du filz de
79. D'avoir... prise. De ce que j'ai Mgr le Dauphin; on trouvera plus
pris, pour avoir pris. loin un assez long fragment de la
* Pan, c'est le roi, et Robin, c'est Complaincte d'un pastoureau chrè-
Marot. Pendant tout le seizième siècle, tien. Ici, le poète rappelle avec beau-
l'églogue, à l'exemple de Virgile, fut coup de gn^ce les souvenirs de son
un genre allégorique et n'eut le plus enfance. Toute la première partie de
souvent de champêtre que le nom cette pièce est charmante, et l'allé-
des personnages et le cadre. Voici la gorie ne nous y gène guère,
définition qu'en donne Thomas Si- 2. A par soy : seul,
bilet, disciple de Marot, dans son 3. Fousteaux : hêtres.
Art poétique : « Dialogue entre ber- 4. Courage : cœur.
MAROT
65
Parez et brebis et les maistres d'iceux,
Et remects sus toutz gentilz pastoureaux
Quand ilz n'ont prez ne loges ne taureaulx, 10
Je te supply (si oncq en ces bas estres
Daignas ouyr chansonnettes champestres),
E scoute un peu, de ton verd cabinet,
Le chant rural du petit Robinet.
Sur le printemps de ma jeunesse folle, 15
Je ressemblois Tarondelle qui vole
Puis çà, puis là : Taage me conduisoit,
Sans paour ne soing, où le cueur me disoit.
En la forest (sans la craincte des loups)
Je m'en allois souvent cueillir le houx, 20
Pour faire gluz à prendre oy seaux ramages,
Touts différents de chantz et de plumages;
Ou me souloys (pour les prendre) entremettre
A faire britz, ou cages pour les mettre;
Ou transnouoys les rivières profondes, 25
Ou renforçoys sur le genoil les fondes.
Puis d'en tirer droict et loing j'apprenoys
Pour chasser loups et abbatre des noix.
O quantes foys aux arbres grimpé j'ay.
Pour desnicher ou la pye ou le geay, 30
Ou pour jecter des fruictz ja meurs et beaulx
A mes compaings, qui tendoyent leurs chappeaulx!
Aulcunes foys aux montaignes alloye
Aulcunes foys aux fosses devalloye.
9. Remets sus : relèves.
11. Oncq : jamais. — En ces bas
estres : parmi ces humbles ôtres.
13. Verd cabinet. Nous disons en-
core un cabinet de verdure.
16. Ressemblois. Transitif. — • Aron-
dette : hirondelle.
17. Puis... puis : tantôt... tantôt.
18. Soing : souci.
21. Ramages. Adjectif. Hôtes de la
ramée, des bois.
23. Me. Se rapporte à entremettre.
— Souloys : j'ayais coutume. — M'en-
tremettre : me mettre, entreprendre.
24. Britz : pièges.
25. Transnouoys : je traversais à la
nage.
26. Fondes : frondes.
27. 28. J'apprenoys... noix. La
diphtongue oi avait dans ces deux
mots le môme son oue.
29. Quantes foys : combien de fois.
31. Ja : déjà.
32. Compaings : compagnons.
33. 34. Aucunes foys : quelquefois,
tantôt.
4.
^
66 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Pour trouver là les gistes des fouynes, 35
Des hérissons ou des blanches hermines,
Ou pas à pas le long des buyssonnetz
Alloys cherchant les nidz des chardonnetz
Ou des serins, des pinsons ou lynotes.
Desja pourtant je faisoys quelques notes 40
De chant rustique, et dessoubz les ormeaux,
Quasi enfant, sonnoys des chalumeaux.
Si ne sçaurois bien dire ne penser
Qui m*enseigna si tost d'y commencer,
Ou la nature aux Muses inclinée, 45
Ou ma fortune, en cela destinée
A te servir : si ce ne fust l'un d'eulx.
Je suy certain que ce furent touts deux.
Ce que voyant le bon Janot mon père
Voulut gaiger à Jacquet, son compère, 50
Contre un veau gras deux aignelletz bessons
Que quelque jour je feroys des chansons
A ta louange (ô Pan, dieu tressacré),
Voyre chansons qui te viendroyent à gré;
Et me souvient que bien souvent aux festes, 55
En regardant de loing paistre noz bestes,
Il me souloit une leçon donner
Pour doulceraent la musette entonner,
Ou à dicter quelque chanson rurale
Pour la chanter en mode pastourale. 60
Aussi le soir, que les trouppeaux espars
Estoient serrez et remis en leurs parcs.
35. Fouynes. Diérèse. dans lesquels il raconte deux expé-
38. Chardonnetz : chardonnerets, ditions de Louis XIL Ses vers ont de
39. Serins. Oiseaux verts que l'on la facilité, de la grâce, et, parfois, de
trouve dans le Midi de la France. la vigueur.
42. Sonnoys. Transitif. Je faisais 50. Jacquet. Jacques Colin, secré-
résonner. taire et lecteur du roi.
43. Si : pourtant. 51. Bessons : jumeaux.
49. Janot. Jean Marot, poète lui- 55. Me souvient. Il me souvient,
même, auteur de rondeaux, épîtres, 57. Souloit, Avait coutume,
pastorales, épigrammes, et surtout 59. A. Dépend de souloit, construit
des Voyages de Gènes et de Venise^ plus haut sans préposition.
MÀROT 67
Le bon vieillard après moy travailloit,
Et à la lampe assez tard me veilloit,
Ainsi que font leurs sansonnetz ou pies, 65
Auprès du feu bergères accroupies.
Bien est il vray que ce luy estoit peine ;
Mais de plaisir elle estoit si fort pleine.
Qu'en ce faisant sembloit au bon berger
Qu'il arrousoit en son petit verger 70
Quelque jeune ente, ou que teter faisoît
L'aigneau qui plus en son parc luy plaisoit ;
Et le labeur qu'après moy il mit tant,
Certes, c'estoit affin qu'en l'imitant
A l'advenir je chantasse le los 75
De toy (ô Pan), qui augmentas son clos,
Qui conservas de ses prez la verdure,
Et qui gardas son trouppeau de froidure.
f Pan (disoit il), c'est le dieu triumphant
Sur les pasteurs ; c'est celuy (mon enfant) 80
Qui le premier les roseaux pertuysa.
Et d'en former des flustes s'advisa :
Il daigne bien luy mesme peine prendre
D'user de l'art que je te veulx apprendre.
Appren le doncq, affin que montz et boys, 86
Rocz et estangz apprennent soubz ta voix
A rechanter le hault nom après toy
De ce grand Dieu que tant je ramentoy;
Car c'est celuy par qui foisonnera
Ton champ, ta vigne, et qui te donnera 90
Plaisante loge entre sacrez ruysseaulx
Encourtinez de flairants arbrisseaux.
Là d'un costé auras la grand closture
63. Apres moi. A m'instraire. 84. Cf. Epître au Roy pour succè-
65. Font. Substitut du verbe veiller, der, etc., la note du vers 71.
71. £»<e : arbrisseau greffé. 88. Je ramentoy : je rappelle, je
72. Plus : le plus. célèbre.
75. Los : gloire. 91. Log^e : logis.
81. Pertuysa : perça. 92. Encourtinez : entourés comme
d'une courtine. — Flairants : odorants.
f
68 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
De saulx espez, où pour prendre pasture
Mousches à miel la fleur succer yront 95
Et d'un doulx bruyt souvent t^endormiront
Mesmes alors que ta fluste champestre
Par trop chanter lasse sentiras estre.
Puis tost après sur le prochain bosquet
T'esveillera la pie en son caquet : 100
T'esveillera aussi la columbelle.
Pour rechanter encore de plus belle •
II
»
LA COMPLAINCTE D UN PASTOUREAU CHRETIEN
.>^.
FAICTE EN FORME D EGLOGUE RUSTIQUE
DRESSANT SA PLAINTE A DIEU SOUBZ LA PERSONNE DE PAN*
Las! c'est à droict, ô Pan, que je lamente
Pour mon ennuy qui si fort me tourmente,
Et par raison, soit en champs ou en boys.
Et jecte cris de lamentable voix,
Voyant ainsi bergiers de toutes parts 5
Par faux pasteurs deschassez et espars.
Lesquels, fuyants la peine à eulx prochaine.
Sont peregrins en région lointaine.
Où le recors de leurs loges petites
Fait qu'à eulx soyent liesses interdites, 10
Si ce n'estoit le seul grand nom de toy.
Qui les met hors de tout fascheux esmoy.
94. Saulx : saules. 6. Faux pasteurs. Ceux qui persé-
97. Mesmes : surtout. entaient les réformés. — Deschas'sez
* Cette complainte « fut trouvée chassés. — Espars : dispersés.
après la mort de Marot ». Elle date 7. A eulx prochaine. Qui les me-
probablement de son exil à Ferrare. nace de près.
1. A droict : à juste titre. 8. Peregrins : errants.
3. Par raison : avec raison. 9. Recors i souvenir.— Loj'ef: logis.
MAROT 69
Mais, quoyque soit un grand bien et plaisir
De colloquer en toy tout son désir,
Si est ce, Pan, un cas par trop estrange 15
Veoir pastoureaux par le pays estrange
Courir ainsi, laissant leurs maisonnettes.
Où ils souloyent par belles chansonnettes
Louer ton nom et ta haute excellence
De tous leurs cueurs et humaine puissance; 20
De veoir aussi pastoureaux par les champs
Ne faire plus que pitoyables chants
Jusques à quand, ô Pan grand et sublime,
Laisseras tu ceste gent tant infime,
Et faux pasteurs parjures et meschants, 25
Dessus trouppeaulx dominer en tes champs?
Jusques à quand, ô Pan tresdebonnaire,
Permettras-tu ceste gent nous mal faire,
Et que tousjours en ce poinct ils deschassent
Geulx qui ton loz et ta gloire pourchassent ? 30
J'ay veu le temps, ô Pan, que je souloys
Aller louant ton grand nom par les boys ;
J'ay veu le temps que ma joyeuse muse
Me provoquoit sus douce cornemuse
Dire tes loz et tes boutez aussi; 35
Mais à présent tant plein suy de soucy.
De tant d'ennuys, de travaulx et d'encumbre.
Que je ne puis t'en reciter le numbre.
Tant que de dueil je laisse ma houlette.
Et en un coing je jette ma musette... 40
Las! quantesfois j'ay veu de mes deux yeulx
De ces pasteurs les faits séditieux I
14. Colloquer : placer, mettre. 31. Je souloys : j'ayais coutume.
15. 5/ : pourtant. 31, 32. Soulois bois. Cf., dans
16. Estrange : étranger. la pièce précédente, la note des
18. Souloyent : avaient coutume. vers 27, 28.
29. Deschassent : chassent. 35. Dire tes loz. A chanter tes
30. Zoz: honneur, louange. — Pour- louanges.
chassent : poursuivent, dans le sens 4t, 43, 45. Quantesfois : combien
de rechercher, avoir en vue. de fois.
70 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Las! quantesfois soubs saincte couverture,
Aux aignelets ont faict tort et injure,
O quantesfois de ma loge petite 45
J'ay regardé leur cruauté mauldicte,
Et quantesfois sous moyen feinct et beau
Je les ay veu saccager le troupeau,
Duquel, ô Pan, feignent le soing avoir!
Mais leur semblant ne tend qu'à décevoir. 50
Ce sont renards qui sous simples habits
Vont dévorant les plus tendres brebis.
Ce sont des loups qui les troupeaux séduisent
Du droict chemin, et à mal les induisent;
Ce sont voleurs qui dans le toict champestre 55
Ne sont entrez sinon par la fenestre.
Dont sus troupeaux par moyens tresiniques
Vont exerçant leur damnables pratiques.
Certes, s'il faut icy ramentevoir
La moindre part des cas que j'ay peu veoir, 60
J'en pourrois tant ores narrer et dire.
Qu'un jour entier ne pourroit pas suffire
A les compter; puis ma voix rauque et casse
Empescheroit que bien ne les contasse.
Mais si ne puis je, ô vray Pan, mon seul Dieu, 65
Me contenir que ne die en ce lieu,
Et que ma voix ne recite et prononce
Ce dont l'esprit me vient faire semonce.
Ay je pas veu les manières perverses
De ces pasteurs, et traffiques diverses? 70
Ay je pas veu par plus de cents journées
43. Couverture : prétexte. 57. Dont : d'où, à la suite de quoi.
45. Loge : logis. 59. Ramentevoir : rappeler.
47. Sous moyen : en couvrant leurs 61. Ores : maintenant,
méfaits d'un moyen spécieux. Moyen 63. Casse. Féminin de cas : qui
parait avoir ici un sens analogue à sonne le cassé,
celui de prétexte. 65. Si : pourtant.
60. Leur semblant : l'apparence 68. Faire semonce : rappeler,
qu'ils se donnent. 70. Traffiques. Comme trafics, mais
63. Séduisent. Dans le sens étymo- féminin,
logique d'écarter.
MAROT 71
Leurs tons malins et damnables menées?
Ay je pas veu, estant au verd bosquet,
Leur dangereux et frauduleux caquet,
Dont les troupeaux à pleine veue d'œil 75
Ils decevoient, qui m*estoit un grand dueil?
Trop plus souvent que je n'eusse voulu,
J'ay veu comment ton sainct temple ont poilu.
Alors disois bassement à par moy :
« Pan, mon grand Dieu, veoit bien ce desarroy, 80
Et de là hault il recorde et contemple
Ce que ces gens vont faisant en son temple;
Mais quelquesfois (disois je) il adviendra
Que de leurs faicts meschants luy souviendra.
Lors on verra que son bras grand et fort 85
Sur ces pasteurs monstrera son effort. »
Mais toutefois, dont je me donne esmoy,
Ce temps pendant (tu Tas mieux veu que moy.
Et toy tout seul es valable tesmoing),
De leurs troupeaux ne prennent meilleur soing, 90
Ains, comme on voit, par chacun jour empirent
Et contre toy detractent et conspirent.
En lieu d*appaist et bonne nourriture,
Hz vont donnant esventée pasture
A leurs troupeaux; et, dont croist mon chagrin, 05
Leur vont donnant la paille pour le grain,
Dont le troupeau, de soy gras et alaigre,
Par tel appaist devient chetif et maigre.
72. Malins : méchants. me donne esmoy. Ce qui m'émeut.
74. Frauduleux : perfide. 88. Ce temps pendant : pendant ce
75. Dont : par lequel. — Veue. L'e temps, en attendant,
muet compte dans la mesure. 91. Ains : mais.
76. Qui : ce qui. 92. Detractent. Intransitif, dans le
77. Trop : beaucoup. sens de médire.
78. Poilu : souillé. 93. Appaist : pâture.
79. Bassement : à yoix basse. 94. Esventée. L'e muet compte dans
81» Recorde : songe à. la mesure. — Vont donnant: donnent.
82é Vont faisant : font. 95. Dont : ce dont.
83. Quelquesfois : un jour. 97. Dont : par suite do quoi.
87. Dont : 6e dont. — Dont Je 98. Appaist. V. la note du vers 93.
72 POÈTES DU XVI® SIECLE
Las ! qui seroit le berger qui pourroit
Se contenir, quand telz cas il verroit? 100
Seroit il pas à toy trop infidelle,
Voyant tels cas, s'il n'en faisoit querelle?
Seroit il pas à toy traistre et parjure,
S'il ne blasmoit le forfait et injure
Que vont faisant contre toy et les tiens 105
Ces faux pasteurs, en ces parcs terriens?
Car de l'ennuy qu'au maistre l'on procure,
Le bon servant la pluspart en endure
Et est ce pas, ô Pan, fureur terrible
De n'estre point aux pastoureaux loisible 110
Chanter de toy et de ton divin nom,
Pour par nos champs accroistre ton renom ?
Ne sont ce pas deffenses trop estranges
De prohiber annoncer tes louanges
Parmi les champs, ou en temple sacré, 115
Gomme je sçay que bien te vient à gré ?
Las I tant ont fait ces pasteurs par leurs loix,
Que maintenant on n'entend une voix,
Qui de ton loz ose parler et bruire ;
Car tels pasteurs soudain fairoient détruire 1 20
Et mettre à mort cil qui entreprendroit .
Parler de toy, et mal luy en prendroit
puissant Pan, de ton hault lieu regarde
Ces cas piteux, et à venir ne tarde
Donner secours à tes simples brebis 125
Et tes troupeaux errans par les herbis
De ces bas lieux, qui sans cesse t'invoquent,
Et à pitié et mercy te provoquent.
Si tu entens par grâce singulière
Mon oraison et treshumble prière, 130
102. Querelle : plainte. 115. Cf. la note précédente.
105. Vont faisant : font. 118. Une, Pas une seule.
108. Servant : serviteur. — La plus- 121. Cil : celui.
part : la plus grande partie. 124. Piteux : digne de pitié.
112. Par nos champs. Dans nos 126. //«rôw : herbages,
campagnes.
M A R O T 73
Que je te fais, ô Pan, je te promets
Que ce bienfaict n'oublieray jamais,
Ains mes compaings de ce j'avertiray,
Et ce grand bien par tout je publieray.
ELEGIE*
(1527)
Qui eust pensé que l'on peust concevoir
Tant de plaisir pour lettres recevoir?
Qui eust cuydé le désir d'un cueur franc
Estre caché dessoubz un papier blanc?
Et comment peult un œil au cueur eslire 5
Tant de confort par une lettre lire?
Certainement, dame treshonorée.
J'ay leu des sainctz la Légende dorée.
J'ai leu Alain, le tresnoble orateur.
Et Lancelot, le tresplaisant menteur; 10
J'ai leu aussi le Romant de la Rose,
132. N'oublieray, h'e muet compte 5. Au cœur eslire. Eslire est em-
dans la mesure. ployé ici avec le même sens que
133. Ains : mais. — Compaings : choisir du vers 16. Eslire au cœur
compagnons . signifie recueillir ^ mettre dans le cœur.
* Marot a composé vingt-sept élé- 9. Alain. Alain Chartier, écrivain
gies. n n'avait certes pas le tempéra- du quinzième siècle, que Saint-Grelais
ment élégiaque. On trouve chez lui, appelle « haut et scientifique poète »,
jusque dans se^ cpigrammes, des Clero excellent, orateur magniflqae.
vers tendres et mélancoliques ; mais C'est à lui que la dauphine Marguerite
ce ne sont que traits fugitifs, et il d'Ecosse donna publiquement un
retourne aussitôt au ton du badinage. baiser pendant qu'il était endormi.
La plupart de ses élégies ont de 10. Lancelot. Lancelot du Lac, un
l'élégance, de la grâce, et comptent des plus fameux héros du cycle bre-
parmi ses ouvrages les plus soignés; ton. — Menteur. Parce que les aven-
mais elles sont en général d'une tures que conte ce roman sont tout
galanterie froide, et l'on y sent peu imaginaires,
d'émotion. 11. Le Roman de la Rose exerça
3. Cuydé : cru. — Le désir : l'objet sur notre poésie jusqu'au milieu du
du désir. seizième siècle une influence prédo-
G, P. — Poètes du xvio siècle. 5
74 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Maistre en amours, et Valere, et Orose,
Comptant les faicts des antiques Rommains;
Bref, en mon temps, j'ai leu des livres maintz,
Mais en nulz d'eux n'ay trouvé le plaisir 15
Que j'ay bien sceu en voz lettres choisir;
J'y ay trouvé un langage bening,
Rien ne tenant du stile femenin;
J'y ai trouvé suite de bon propos,
Avec un mot qui a mis en repos 20
Mon cueur estant travaillé de tristesse,
Quand me souffrez vous nommer ma maistresse
moy heureux d'avoir maistresse au monde
En qui vertu soubz grand beauté abonde.
Tel est le bien qui me fut apporté 25
Par vostre lettre, où me suis conforté ;
Dont je maintiens la plume bien heurée
Qui rescrivit lettre tant désirée.
Bien heureuse est la main qui la ploya.
Et qui vers moy (de grâce) l'envoya : 30
Bien heureux est qui apporter la sceut.
Et plus heureux celuy qui la reçeut.
Tant plus avant ceste lettre lisoye,
En aise grand tant plus me deduisoye
minante. Marot s'en est ressenti, sur- lettres, ainsi que ceux qui vinrent
tout dans ses œuvres de jeunesse, et, après lui, si n'en estoit-il si dégarni
par exemple, dans le Temple de qu'il ne les mist souvent en œuvre
Cupido. Nous avons de lui une édi- fort à propos. » (Pasquier.) Cf. plus
tion de ce roman. loin le passage do V Enfer oii il célèbre
12. Maistre en amours. Toute la la Renaissance, page 93, v. 134 sqq.
première partie du poème, celle qui 16. Choisir : recueillir, goûter,
a Guillaume de Lorris pour auteur, 22. Quand vous souffrez que je vous
est une espèce d*Art d'aimer. — nomme.
Fa/«re.Valère-Maxime,historicn latin 27. Dont : d'où, par suite de quoi,
qui vécut sous Tibère. — Orose. His- 27, 28. Je maintiens la plume bien
torien latin du cinquième siècle, au- heurée Qui^ etc. : Je tiens pour bien
teur d'une volumineuse compilation heurée (bien heureuse, bénie) la plume
très réputée pendant le moyen âge. qui, etc.
14. La première éducation de Marot 28. Rescrivit : écrivit en réponse,
avait été négligée, et il ne fit jamais 30. De grâce l'envoya. Me fit la
grand cas de l'érudition. Mais « encore grftce de l'envoyer,
qu'il ne fust accompagné do bonnes 34. Me deduisoye : je me réjouissais.
MÀROT 75
Car mes ennuys sur le champ me laissèrent, 35
Et mes plaisirs d'augmenter ne cessèrent,
Tant que j'euz leu un mot qui ordonnoit
Que ceste lettre ardre me convenoit.
Lors mes plaisirs d'augmenter prindrent cesse :
Pensez adonc en quelle doubte et presse 40
Mon cueur estoit. L'obéissance grande
Que je vous doy, brusler me la commande :
Et le playsir que j'ay de la garder
Me le deffend, et m'en vient retarder.
Aucunefoys au feu je la boutoye 45
Pour la brusler : puis soudain l'en ostoye,
Puis l'y remis, et puis l'en reculay.
Mais à la fin (à regret) la bruslay
En disant : t Lettre (après l'avoir baisée),
♦ Puisqu'il luy plaist, tu seras embrasée : 50
Car j'ayme mieulx dueil en obéissant
Que tout plaisir en désobéissant. »
Voylà comment pouldre et cendre devint
L'ayse plus grand qu'à moy onques advint.
Mais si de vous j'ay encor quelque lettre, 55
Pour la brusler ne la faudra que mettre
Près de mon cueur; là elle trouvera
Du feu assez, et si esprouvera
Combien ardante est l'amoureuse flamme
Que mon las cueur pour voz vertus ei^amme. 60
Au moins, en lieu des tourmens et ennuyz
Que vostre amour me donne jours et nuyctz.
Je vous supply de prendre (pour touts mets)
Un crystallin miroyr que vous transmets.
En le prenant, grand joye m'adviendra, 65
37. Tant que : jusqu'à ce que. Je la boutoye : je la mettais.
38. Qu'il convenait que je fisse brû- 54. Ay se : joie. — 0/i^ue5 : jamais.
1er cette lettre. — Ardre. Transitif. 55 sqq. La sensibilité fait place au
40. Adonc : alors. Retombe sur bel esprit.
estoit. — Doubte: hésitation. Du fé- 65. £n^« j^renan^ Construction libre
minin. du participe. Si vous le prenez. — Joye.
45. Aucunefoys : quelquefois. — L'« muet compte dans la mesure.
76 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Car (comme croy) de moy vous soubviendra
Quand là dedans mirerez ceste face
Qui de beauté toutes autres efface.
Il est bien vray, et tiens pour seureté,
Qu'il n'est miroyr, ne sera, n'a esté, 70
Qui sceust au vif monstrer parfaictement
Vostre beauté; mais croyez seurement.
Si vos yeulx clers plus que ce cristallin
Veissent mon cueur féal et non malin,
Hz trouveroient là dedans imprimée 75
Au naturel vostre face estimée.
Semblablement, avec vostre beauté
Vous y verriez la mienne loyauté ;
Et la voyant, vostre gentil courage
Pourroit m'aymer quelque poinct d'advantage. 80
Pleust or à Dieu donques que peussiez veoir
Dedans ce cueur, pour un tel heur avoir !
C'est le seul bien où je tends et aspire.
Et pour la fin, rien je ne vous désire
Fors que cela que vous vous desirez, 85
Car mieulx que moy vos désirs choysirez.
69. Pour seureté : pour chose iQ. Quelque poinct d'advantage. [\]ii.
sûre. degré de plus), un peu plus.
73. Cristallin : miroir. 81. Pleust or à Dieu donques : or
74. Veissent, Latinisme : l'impar- donc, plût à Dieu.
fait du subjonctif pour le condi- 82. Pour un tel heur avoir. Pour
tionnel. — Féal : fidèle. — Malin : que j'aie un tel bonheur,
méchant. 85. Fors que cela que : hors ce que.
79. Courage : cœur. 86. Désirs. V. la note du vers 3.
MÀROT 77
EPIGRAMMES
DU LIEUTENANT CRIMINEL ET DE SÀMBLÀNÇÀY
(1527)
Lors que Maillart, juge d'enfer, menoit
A Monfaulcon Samblançay Tame rendre,
A vostre advis, lequel des deux tenoit
Meilleur maintien? Pour le vous faire entendre,
Maillart sembloit homme qui mort va prendre, 5
Et Samblançay fut si ferme vieillart.
Que Ton cuydoit, pour vray, qu*il menast pendre
A Monfaulcon lé lieutenant Maillart.
II
DE CUPIDO ET DE SA DAME
(1527)
Amour trouva celle qui m'est amere.
Et je y estois, j'en sçay bien mieulx le compte :
* Les épigrammes de Marot n'ont — Samblançay. Surintendant des
pas toujours, il s'en faut bien, le tour finances. Louise de Savoie, aux dila-
« épigrammatique ». De son temps pidations de laquelle il s'était opposé,
comme chez les anciens, on appelait l'accusa faussement de péculat. Dans
de ce nom une petite pièce devers, une de ses élégies, la vingt-deuxième,
sur un sujet quelconque, dans la- Marot nous fait entendre les plaintes
quelle le poète exprimait avec déli- de ce « riche infortuné ».
catesse quelque pensée ingénieuse. 7. Cuydoit : croyait.
1. Maillart, Lieutenant criminel. 8. « C'est, de toutes les épigrammes
Le même devant lequel Marot avait dans le goût noble, celle à qui je
comparu en 1526. — Enfer. C'est le donnerais la préférence, d (Voltaire.)
nom que Marot donne au Chfttelet; — Cette pièce est un huitain. On
il sert de titre à une de ses plus célè- appelle huitain un poème de huit vers
bres pièces, satire contre les gens de octosyUabiques ou décasyllabiques
justice. V. page 88. dans lequel les rimes sont disposées
2. Monfaulcon, Où était le gibet, de la façon suivante : ABABBCBC.
IS p o K r i: s DU x v i ^^ s i r c u !•:
« Bonjour, dicl il, bonjour, Venus, ma naere; »
Puis tout à coup il veoit qu'il se mescompte.
Dont la couleur au visage luy monte, r>
D avoir failly honteux Dieu sçait combien.
« Non, non, Amour, ce d}^ je, n'ayez honte :
Plus clervoyants que vous s'y trompent bien. »
111
A MADAMOYSELLE DE LA GKELIETIE
(152«)
Mes yeulx sont bons, Greliere, et ne voy rien,
Car je n'ay plus la présence de celle
Voyant laquelle au monde voy tout bien,
Et voyant tout je ne voy rien san* elle.
A ce propos souvent (ma Damoyselle), ô
Quand vous voyeit mes yeulx de pleurs lavez.
Me venex dire : « Amy, qu'est ce qu'avez ! »
Mais le disant vous parlez mal apoinct,
Kt m'est advis que plus tost vous debvez
Me demander : « Qu'est ce que n'avez poincl? » lo
IV
JDE OUT JET WJEWWT
Un doulx Nenny, avec un doulx souhrire^
Kst tant honneste, il le vous fault apprendre :
ik. S€ uusco/n^te : «e trompe, dajne les premiers rero^ waâs dont 1«
5. Pont : paj* eolte <ie quoi. — La tr<ut liual « bi&a de la gr&oe. — Cette
cifuleiu' : le rouge. pièce e«t \m duutioL. On appelle disaîa
3. y<fy4iui4 la^u^CU. Juatisisiaae : ua poéxue de dix lers octofiyUa-
quatn videns. — Voy : je vois. i)i<|uefi, ou, plue ^ouveat, décasjlla-
i. HqX apoiiict : amJ à propo», im- biques, daAS lequel les rimes soat
proprew^oi. dit>poséee de la £ftço* nÛTaate :
1«. E>pi^^F»mm» w« pe« «UmbUiuée ABABBCCDCD.
MAROT 79
Quant est d*Ouy, si vous veniez à le dire.
D'avoir trop dict je vouldroys vous reprendre ;
Non que je soys ennuyé d'entreprendre 6
D'avoir le fruict dont le désir me poind ;
Mais je vouldroys qu'en le me laissant prendre
Vous me disiez : c Non, vous ne l'aurez poinct. »
AU ROY DE NAVARRE
Mon second Roy, j'ay une haquenée
D'assez bon poil, mais vieille comme moy
A tout le moins; long temps a qu'elle est née,
Dont elle est foible, et son maistre en esmoy ;
La povre beste, aux signes que je voy, 6
Dit qu'à grand peine ira jusqu'à Narbonne ;
Si vous voulez en donner une bonne,
Sçavez comment Marot l'acceptera ?
D'aussi bon cueur comme la sienne il donne
Au fin premier qui la demandera. 10
VI
IL CONVIE TROIS POETES A DISNER
Demain que Sol veult le jour dominer,
Viens, Boissonné, Villas et la Perrière,
Je vous convie avec moy à disner;
Ne rejectez ma semonce en arrière :
3. Quant est, Qaant à ce qui est. — 9. Comme, Que.
Ouy. Deux syllabes. 10. Fin, Renforce premier. Cf. le
6. Poind : pique. fin fondy etc.
1. Mon second Roy, — Il était le 1. Sol, Le Soleil,
mari de Marguerite, sa protectrice. 2. Trois poètes oubliés.
3. A. Il y a. 4. Semonce : invitation.
4. Dont, Par suite de quoi.
m
80 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Car en dîsnant, Phebus par la verrière 5
Sans la briser viendra veoîr ses suppostz.
Et donnera faveur à noz propos,
En les faisans dedans noz bouches naistre.
Fy du repas qui en paix et repos
Ne sçait l'esprit avec le corps repaistre ! 10
VII
.»
DIXÀIN DE N OSER DESCOUVRIR SON AFFECTION
Force d*Amour me veult souvent contraindre
A declairer mon cœur appertement ;
Mais un refus (pour honte) tant à craindre
M'a toujours fait un grand empeschement.
Mon mal ainsi nourry couvertement, 5
Dissimulant Tennuy tant que je puis;
D'aultre costé, du bien que je poursuys
Le souvenir renforce mon martyre.
Voyez (helas !) le tourment où je suys :
Voulant parler, un seul mot ne puis dire. 10
VIII
REPLIQUE A LA ROYNE DE NAVARRE
Mes créanciers, qui de dixains n'ont cure,
Ont leu le vostre, et sur ce leur ay dict ;
f Sire Michel, sire Çonadventure,
La sœur du roy a pour moi fait ce dict. »
5. Verrière : fenêtre. Par son sens étymologique, souvenir
2. Appertement : ovLyeri^menX, peut se rapporter aussi bien à Tavenir
5. Nourry, Je nourris. — Couverte- qu'au passé.
ment : secrètement. 2. Le vostre. Un dizain que la reine
8. Le souvenir. La pensée, l'espoir, de Navarre avait envoyé à Marot.
MAROT 81
Lors eulx, cuydants que fusse en grand crédit, 5
M'ont appelé Monsieur à cry et cor,
Et m'a valu vostre escript autant qu'or,
Car promis ont, non seulement d'attendre,
Mais d'en prester (foy de marchant) encor,
Et j'ay promis (foy de Clément) d'en prendre. 10
IX
D UNE DAME DE NORMANDIE
Un jour la dame en qui si fort je pense
Me dit un mot, de moy tant estimé,
Que je ne puis en faire recompense
Fors de l'avoir en mon cueur imprimé.
Me dit avec un ris accoustumé : 5
t Je crois qu'il fault qu'à t'aymer je parvienne. »
Je luy respons : < Garde n'ay qu'il m'advienne
Un si grand bien, et si ose affirmer
Que je devroys craindre que cela vienne,
Car j'ayme trop quand on me veult aymer. » 10
A GEOFFROY BRUSLARD
Tu painctz ta barbe, amy Bruslard; c'est signe
Que tu vouldrois pour jeune estre tenu;
Mais on- t'a veu nagueres estre un cigne,
Puis tout à coup un corbeau devenu.
5. Cuydants : croyant. 7. Car^« n'ay. Je n'ai garde, je n'ose
6. A cry et cor. Nous disons à cor espérer.
et à cri. 8. Et si : et pourtant.
3. En faire récompense. En témoi- 3. Estre un cigne. Etrehlsmc comme
gner ma gratitude. un cygne.
4. Fors de l'avoir : hors en l'ayant.
5.
82 POÈTES DU XVI' SIÈCLE
Encor le pis qui te soit advenu,
C'est que la Mort, plus que toy fine et sage,
Gognoist assez que tu es tout chenu,
Et t'ostera ce masque du visage.
XI
DE SOY MESME ET d'uN RICHE IGNORANT
Riche ne suis, certes, je le confesse,
Bien né pourtant et nourri noblement;
Mais je suis leu du peuple et gentillesse
Par tout le monde, etdict on : t C'est Clément. »
Maintz vivront peu, moy éternellement; 5
Et toy tu as prez, fontaines et puits.
Bois, champs, chasteaux, rentes et gros appuis.
C'est de nous deux la différence et l'estre.
Mais tu ne peux estre ce que je suis;
Ce que tu es, un chascun le peult estre. 10
6. Fine : avisée. 3. Et gentillesse. Et de la noblesse.
7. Chenu : blanc. 8. L'estre : l'état, la condition.
8. Epigramme imitée de Mftrtial, 10. Epigramme imitée de Marti:* 1.
2. Hfourri : élevé.
J
MAROT 83
BALLADES*
I
A MADAME D*ALENÇON**
POUR BSTRE COUCHÉ EN SON ESTAT***
(1518)
Princesse au cueur noble et rassis,
La fortune que j'ay suivie
Par force m'a souvent assis
Au froid giron de triste vie;
De m'y seoir encor me convie, 6
Mais je respons (comme fasché) :
c D'estre assis je n'ai plus d'envie ;
Il n'est que d'estre bien couché, i
Je ne suys point des excessifz
Importuns, car j'ay la pépie, 10
Dont suys au vent comme un châssis,
Et debout ainsi qu'une espie;
* La ballade est un poème en dé- de François I***, Marot devint bientôt
easyllabes ou en octosyllabes. La après son secrétaire,
ballade en décasyllabes se compose *** Estât, Budget, rôle des dé-
de trois dizains construits sur les penses.
mômes rimes et d'un quintain dont 1. Rassis : grave, ferme,
la forme est la même que celle des 5. Me convie. Elle me convie,
cinq derniers vers des dizains. (V. la 9 sqq. Passage obscur. Le sens est
définition du dizain, page 78, note 10.) probablement : Je ne suis pas avide
La ballade en octosyllabes se com- à Fexcés, car, si J'ai maintenant la
pose de trois huitains construits sur pépie, etc., U me suffira d'être couché
les mêmes rimes et d'un quatrain sur votre estât pour que Je me dé-
dont la forme est la même que celle clare content.
des quatre derniers vers des huitains. 11. Dont : par suite de quoi. —
(V. la définition du huitain, page 77, Comme un châssis. Sans doute un
note 8.) Le quintain ou le quatrain chflssis de paravent,
s'appellent envoi. Tons les couplets 12. Espie : espion. Ici, dans la signi-
finissont par le même vers. fication de sentinelle. Marot épie le
Marguerite d'Angoulême, sœur vent, guette l'occasion d'une faveur.
**
84 POÈTES ou XVI® SIÈCLE
Mais s'une fois en la copie
De vostre estât je suis merché,
Je criray plus hault qu'une pie : 15
c II n'est que d'estre bien couché. »
L'un soustient contre cinq ou six
Qu'estre accouldé c'est rausardie ;
L'aultre, qu'il n'est que d'estre assis
Pour bien tenir chère hardie ; 20
L'aultre dit que c'est mélodie
D'un homme debout bien fiché ;
Mais quelcque chose que l'on die,
Il n'est que d'estre bien couché.
ENVOY
Princesse de vertu remplie, 25
Dire puis (comme j'ay touché),
Si promesse m'est accomplie :
c II n'est que d'estre bien couché. »
II
DE PAIX ET DE VICTOIRE
Quel hault souhait, quel bienheuré désir
Ferai-je, las! pour mon deuil qui empire?
Souhaiteray*-je avoir dame à plaisir?
Désireray-je un règne ou un empire?
Nenny (pour vray) car celuy qui n'aspire 5
Qu'à son seul bien trop se peult desvoyer ;
Pour chascun donc à soûlas convoyer,
Souhaiter veulx chose plus méritoire :
14. Mtrchè : marqué. cure. Probablemont : c'est quelque
18. Musardie : paresse, Ici \ agréa- chose de bienséant à rhomme que de
bU fa^on de paresseuser. se tenir debout.
20, Chère hardie. Visage, air, main- 22. Fiché : planté,
tien assuré. 26. Touché : indiqué,
21. C^est mélodie. Expression obs- 7. Soûlas : Consolation, joie.
MAROT 85
C'est que Dieu veuille en brief nous envoyer
Heureuse paix ou triumphant victoire. 10
Famine vient Labeur aux champs saisir;
Le bras au chef soudaine mort désire ;
Soubz terre voy gentilz hommes gésir,
Dont mainte dame en répétant souspîre ;
Clameurs en faict ma bouche qui respire ; 1 5
Mon triste cœur Toeil en faict larmoyer;
Mon foible sens ne peult plus rithmoyer.
Fors en dolente et pitoyable histoire ;
Mais Bon Espoir me promet pour loyer
Heureuse paix ou triumphant victoire. 20
Ma plume lors aura cause et loysir
Pour du loyer quelque beau lay escrire ;
Bon temps adonc viendra France choisir,
Labeur alors changera pleurs en rire.
O que ces mots sont faciles à dire ! 25
Ne sçay si Dieu les vouldra employer.
Cueurs endurcis (las!) il vous fault ployer.
Amende-toy, ô règne transitoire !
Car tes péchez pourroient bien forvoyer
Heureuse paix ou triumphant victoire. 30
ENVOY
Prince Françoys, fais Discorde noyer ;
Prince Espaignol, cesse de guerroyer;
Prince aux Angloîs, garde ton territoire;
Prince du Ciel, veuille à France octroyer
Heureuse paix ou triumphant victoire. 35
9. En brief : bientôt. 1». Loyer : récompense.
13. Voy : je vols. 22. Lay : chant.
14. Dont : de quoi. 29. Forvoyer : fourvoyer, faire
17. Rithmoyer : rimer, faire des vers, perdre le bon chemin.
86
POÈTES DU XVI^ SIÈCLE
RONDEAUX
I
SUR CES MOTS :
Chacun soit content de ses biens :
Qui n'a suffisance n'a riens .
D'estre content sans vouloir davantage,
C'est un trésor qu'on ne peut estimer ;
Avoir beaucoup et tousjours plus aymer,
On ne sçauroit trouver pire héritage.
Un usurier trouve cela servage ;
Mais un franc cueur se doibt à ce sommer
D'estre content.
Qui veult avoir de richesse bon gage,
Sans en ennuy sa vie consumer,
Pour en vertus se faire renommer,
Tasche tousjours d'avoir cet advantage
D'estre content.
10
* Le rondeau se compose de trois
couplets; le second et le troisième
ont un refrain formé par le premier,
ou les premiers mots du vers initial.
Tout le poème est construit sur deux
rimes. Le nombre des vers est varia-
ble dans chaque couplet. Générale-
ment le premier couplet en a quatre
ou cinq; le second, deux ou trois
(en ne comptant pas le refrain), et le
troisième quatre ou cinq, comme le
premier, avec le refrain eu plus.
1, 7, 12. Estre content. Se contenter
de ce qu'on a.
2. Qu'on ne peut estimer : inesti-
mable.
4. Héritage. Dans le sens de lot.
5. Cela. D'être content. Gomme ce
du vers suivant.
6. Un franc cueur. Opposé à ser-
vage. — Se... sommer. Se contraindre.
9. Vie. L'e muet compte dans la
mesure.
MAROT 87
II
A MONSIEUR DE POTHON*
Là OÙ sçavez sans vous ne puis venir;
Vous estes cil qui povez subvenir
Facilement à mon cas et affaire,
Et des heureux de ce monde me faire,
Sans qu'aucun mal vous en puisse advenir. 5
Quand je regarde et pense à l'advenir,
J'ay bon vouloir de sage devenir;
Mais sans support je ne me puis retraire
Là où sçavez.
Maie fortune a voulu maintenir, 10
Et a juré de toujours me tenir;
Mais, Monseigneur, pour l'occire et deffaire,
Envers le Roi vueillez mon cas parfaire,
Si que par vous je puisse parvenir
Là où sçavez. 15
DE l'amour du SIECLE ANTIQUE
(1525)
Au bon vieulx temps un train d'amour regnoit
Qui sans grand art et dons se demenoit,
* M. de Pothon était gentilhomme parvenir du v. 14.
de la duchesse d'Alençon, sœur de 10. Maie. Adjectif qui s'est cou-
François I*r. serve dans certaines locutions, par
1. £à où 5pa fez. Marot voulait « être exemple malechance. — Maintenir.
couché en l'état de Madame d'Alen- Intransitif> dans le sens de persister.
çon. » Cf. la ballade I. 13. Parfaire. Faire aboutir.
2. Cil : celui. 14. Si que : de façon que.
8. Support '.appui.—- Me... retraire: 2. Se demenoit : se pratiquait.
me retirer, trouver une retraite. Cf.
88 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
•
Si qu'un bouquet donné d'amour profonde,
G'estoit donné toute la terre ronde,
Car seulement au cueur on se prenoit. 5
Et si par cas à jouyr on venoit,
Sçavez-vous bien comme on s'entretenoit?
Vingt ans, trente ans : cela duroit un monde
Au bon vieulx temps.
Or est perdu ce qu'amour ordonnoit : 10
Rien que pleurs fainctz, rien que changes on n'oyt
Qui vouldra donc qu'à aymer je me fonde.
Il fault premier que l'amour on refonde,
Et qu'on la meine ainsi qu'on la menoit
Au"ton vieulx temps. 15
PIECES DIVERSES
L'ENFER*
Pour abréger, je trouve en une salle
Rhadamantus (juge assis à son aise),
3. Si que : de façon que. 14. La. Amour était du féminin. —
4. Donné, C'était toute la terre « Le meilleur rondeau que l'on ait
donnée. Mais le participe, mis ayant fait est peut-être celui de Marot inti-
le substantif , reste invariable , tulé De l'amour au siècle antique, »
comme, dans l'usage actuel, excepté, (Sainte-Beuve.)
vu, etc. * Marot désigne ainsi le Châtelet,
6. Par cas : par bonne fortune. — où il avait été enfermé, comme sus-
A jouyr. A avoir la jouissance d'être pect d'hérésie, en février 1526. —
aimé. V Enfer fut composé à Chartres dans
7. On s'entretenoit : on restait uni. la prison de l'Aigle, qui dépendait de
1 1 . Changées : changements. — Oyt : l'évêché, prison fort douce où le poète
entend. On n'entend parler que de était traité de la manière la plus libé-
changements. raie. V. page 29, note à l'astérisque
12. Qui : si l'on. — Qu^à aymer Je 2. Rhadamantus. Un juge des en-
me fonde : que je me mette ferme- fers dans la mythologie grecque,
ment à aimer. Marot désigne sous ce nom Jean
13. Premier, Adverbe : première- Morin, lieutenant civil du bailli de
ment. Paris.
%
MAROT 89
Plus enflammé qu'une ardente fournaise,
Les yeux ouverts, les oreilles bien grandes,
Fier en parler, cauteleux en demandes, 5
Rébarbatif quand son cueur il descharge :
Bref, digne d'estre aux Enfers en sa charge.
Là devant luy vient mainte ame damnée ;
Et quand il dit c Telle me soyt menée, »
A ce seul mot un gros marteau carré 10
Frappe tel coup contre un portail barré
Qu'il faict crouler les tours du lieu infâme.
Lors, à ce bruyt, là bas n*y a paovre ame
Qui ne frémisse et de frayeur ne tremble
Ainsi qu'au vent fueille de chêne ou tremble. 15
Car la plus seure a bien crainte et grand peur
De se trouver devant tel attrapeur.
Mais un ministre appelle et nomme celle
Que veult le juge : adoncques s'advance elle.
Et s'y en va tremblant, morne et pallie. 20
Dès qu'il la voit, il mitigue et pallie
Son parler aigre et en faincte doulceur
Luy dyt ainsi : « Vien ça, fay moy tout seur,
Je te supply, d'un tel crime et forfaict.
Je croiroys bien que tu ne l'as point faict, 25
Car ton maintien n'est que des plus gaillardz ;
Mais je veulx bien cognoistre ces paillardz
Qui avec toy feirent si chaude esmorche.
Dy hardyment : as-tu peur qu'on t'escorche ?
Quand tu diras qui a faict le péché, 30
Plus tost seras de noz mains depesché.
Dequoy te sert la bouche tant fermée,
Fors de tenir ta personne enfermée?
5. Fier. Avec le'sens du latin ferut, 33. Fay moy tout seur. Donne-moi
6. Comme on dit : décharger sa bile» des informations qui me renseigpaent
12. Qi»'. Tel... que. sûrement. Cf. le latin /'ac«r«ccr//or«/n.
16. Seure. Avec le sens du latin 38. Esmorche : amorce, et, par
securus. suite, tentative, attentat.
19. Adoncques : alors. 31. Depesché : délivré.
30. Et s'y en va : et s'en va là. 33. Fors : hors, excepté.
90 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Si tu dys vray, je te jure et promets
Par le hault Ciel, où je n'iray jamais, 35
Que des Enfers sortiras les brisées
Pour t'en aller aux beaulx Champs Ëlysées,
Où liberté fait vivre les esprits
Qui de compter vérité ont apris.
Vault il pas mieux doncques que tu la comptes 40
Que d'endurer mille peines et hontes?
Certes, si faict. Aussi je ne croy mye
Que soys menteur, car ta phyzionomie
Ne le dit poinct, et de maulvais affaire
Seroit celuy qui te vouldroit mesfaire. 46
Dy moy, n'ays paour. » Tous ces motz alleschans
Font souvenir de l'oyseleur des champs.
Qui doulcement fait chanter son sublet
Pour prendre au bric l'oyseau nice et foiblet,
Lequel languit ou meurt à lapippée : 50
Ainsi en est la paovre ame grippée :
Si tel' doulceur luy fait rien confesser,
Rhadamantus la faict pendre ou fesser,
Mais si sa langue elle refraind et mord,
Souventefoys eschappe peine et mort. 55
Ce nonobstant, si tost qu'il vient à veoir
Que par doulceur il ne la peut avoir,
Aucunesfoys encontre elle il s'irrite.
35. Jamais. Rhadamante ne pou- 45. Mesfaire : faire du mal.
yait quitter les enfers. Mais le vers 48. Sublet : sifflet.
doit aussi s'entendre de Jean Morin, 49. Bric : piège. — Nice : qui sort
que Marot damne assez plaisamment, du nid, et, par suite, jeune, naïf,
36. Sortiras. Transitif. — Brisées ; facile à tromper. Latin nidacem.
traces, sentiers. 50. A la pippée. La pipëo est une
39. Compter : conter, dire. chasse dans laquelle, en imitant le
i2, Mye. Comme pas ^ point, cri do la chouette, on attire les oiseaux
goutte, etc. sur des branches enduites de glu.
43. Phyzionomie. Quatre syllabes. 51. Grippée : attrapée.
44. Maulvais affaire. Affaire s'em- 52. Rien : quelque chose,
ployait alors au masculin. 54. Refraind : refrène. — Mord. De
44, 45. De maulvais affaire Seroit : manière à ne rien dire.
se mettrait une mauvaise affaire sur 55. Eschappe. Transitif,
les bras. 58. Aucunesfoys : quelquefois.
MAROT 91
Et de ce pas, selon le démérite
Qu'il sent en elle, il vous la fait plonger 60
Au fond d'Enfer, où luy fait alonger
Veines et nerfz, et par tourments s'efforce
A esprouver s'elle dira par force
Ce que doulceur n'a sceu d'elle tirer.
0! chers Amys, j'en ay veu martyrer 65
Tant, que pitié m'en mettoit en esmoy.
Parquoy vous pry de plaindre avecques moy
Les innocents qui en telz lieux damnables
Tiennent souvent la place des coulpables.
Et vous, enfans suivants maulvaise vie, 70
Retirez vous : ayez au cueur envie
De vivre autant en façon estimée
Qu'avez vescu en façon déprimée.
Quand le bon train un peu esprouverez.
Plus doulx que l'autre en fin le trouverez, 75
Si que par bien le mal sera vaincu.
Et du regret d'avoir si mal vescu
Devant les yeulx vous viendra honte honneste,
Et n'en hairrez cil qui vous admonneste,
Pource qu'alors, ayant discrétion, 80
Vous vous voirez hors la subjection
Des Infernaulx et de leurs entrefaictes ;
Car pour les bons les loix ne sont poinct faites.
Venons au poinct. Ce juge tant divers
Un fier regard me jecta de travers, 85
Tenant un port trop plus cruel que brave,
61. Alonger. Par le tortionnaire. 79. Hairrez : haïrez. — Cil : celui,
65. L'accent devient ici pathétique. — Admonneste. Us ne sonnait pas.
On voit que le spectacle de ces tor- 80. Pource qu\ Comme parce que.
tures avait profondément impres- — Discrétion : discernement,
sionné l'Ame du gentil poète. — Mar- 82. Entrefaictes : entreprises.
tyrer : martyriser. 83. Les bons n'ont rien à craindre
67. Parquoy : c'est pourquoi. des lois.
71. Retirez vous. Du mal, de cette 84. Divers. Qui change de visage
mauvaise vie. et de ton.
73. Z)e/7rime« : basse et abjecte. 85. Fter : farouche. Cf. la note du v. 5.
74. Le bon train -.la. houne y oie, 86. Trop : beaucoup. — Brave :
76. Si que : de sorte que. Dans le sens d'aimable.
92 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Et d'un accent impératif et grave
Me demandant ma naissance et mon nom
Et mon estât : « Juge de grand renom,
Respond je alors, à bon droict tu poursuys 90
Que je te dye orendroit qui je suys ;
Car incogneu suy des umbres iniques,
Incogneu suy des âmes plutoniques
Et de touts ceulx de ceste obscure voye,
Où pour certain jamais entré n'avoye : . 95
Mais bien cogneu suy des umbres Geliques,
Bien cogneu suy des umbres angeliques,
Et de touts ceulx de la tresclaire voye
Où Juppiter les des voyez avoye :
Bien me cognent et bien me guerdonna loo
Lors qu'à sa sœur Pallas il me donna :
Je dy Pallas la si sage et si belle;
Bien me cognoist la prudente Gybelle,
Mère du grand Juppiter amiable
Mais par sus tout suy cogneu des neuf Muses 105
Et d'Appollo, Mercure et toutz leurs fîlz,
En vraye amour et science conûctz.
Ce sont ceulx là (juge) qui en briefz jours
Me mettront hors de tes obscurs séjours,
Et qui pour vray de mon ennuy se dénient. 110
Mais puis qu'envie et ma fortune veulent
Que cogneu soye et saisy de tes lacqs,
Sçache de vray, puis que demandé Tas,
Que mon droict nom je ne te veulx poinct taire :
Si t'adverty qu'il est à toy contraire 1 1 5
Gomme eau liquide au plus sec élément :
Gar tu es rude, et mon nom est Glement.
Et pour monstrer qu'à grand tort on me triste,
91. Orendroit : à présent. 103. Cybclle. Louise de Savoie.
96. Celiques : célestes. 110. Se deulent : s'attristent.
99. Avoye : met sar la bonne voie. 114. Droict : vrai.
— Juppiter, Entendez : François I*'. 115. Si : or.
100. Guerdonna : récompensa. 118. Triste : attriste, centriste,
101. Pa//aj. Marguerite de Navarre, tourmente.
M A R O T 93
Clément n'est point le nom de Lutheriste,
Ains est le nom (à bien l'interpréter) 120
Du plus contraire ennemy de Luther
Le crains tu poinct? C'est celuy qui afferme
Qu'il ouvre Enfer, quand il veult, et le ferme :
Celuy qui peult en feu chauld martyr er
Cent mille espritz ou les en retirer» 125
Quant au surnom, aussi vray qu'Evangile,
Il tire à cil du poète Virgile,
Jadis chery de Mecenas à Romme :
Maro s'appelle, et Marot je me nomme :
Marot je suis, et Maro ne suy pas : 130
Il n'en fut oncq depuis le sien trespas;
Mais puis qu'avons un vray Mecenas ores,
Quelcque Maro nous pourrons veoir encores.
Et d'autre part (dont nos jours sont heureux)
Le beau verger des lettres plantureux 135
Nous reproduit ses fleurs et grandz jonchées.
Par cy devant flaistries et seichées
Par le froid vent d'ignorance, et sa tourbe,
Qui hault sçavoir persécute et destourbe.
Et qui de cueur est si dure ou si tendre 140
Que vérité ne veult ou peult entendre.
O Roy heureux, soubz lequel sont entrez
(Presque perys) les lettres et lettrez.
Enten après (quant au poinct de mon estre)
119. Cf. Au royf du temps de son 132. Un vray Mécénat, Allusion
exil, y. 87 sqq (page 48). probable à Jacques Colin, secrétaire
120. Ains : mAïa. — Interpréter, L> et lecteur de François I«', qui concilia
sonne. à beaucoup de poètes la faveur royale.
121. Contraire : hostile. — Marot — Ore; : maintenant,
veut dire le pape, Clément VII. 134. Dont : ce dont.
122. Afferme : affirme. 136. Reproduit : produit de nou-
124. Martyrer : martyriser. veau.
127. rire à: ressemble à. — C{7: celui. 137. Flaistries, Ve muet compte
129. Cf. Frippelipes à Sagon, v. 77 dans la mesure.
(page 64). 139. Destourbe, En latin distur-
130. Cf. ces vers de Sagon : bare : séparer violemment, renverser,
Itlarot loiu ( est un excellent poète ; détruire.
Mais areo ( il est tout corrompu. 140. Tendre : molle, lâche,
131. Onc^: jamais. 144. Quant au poinct de mon estre.
i
94 POÈTES DU XYI* SIÈCLE
Que vers midy les haultz Dieux m*ont faict naistre, 145
Où le soleil non trop excessif est;
Parquoy la terre avec honneur s'y vest
De mille fmietz, de mainte fleur et plante :
Bacchus aussi sa bonne vigne y plante,
Par art subtil, sur montaignes pierreuses 150
Rendants liqueurs fortes et savoureuses :
Mainte fontaine y murmure et undoye,
Et en touts temps le laurier y verdoyé
Près de la vigne, ainsi comme dessus
Le double mont des Muses, Parnassus : 155
Dont 8*esbahit la mienne fantaisie
Que plus d'esprits de noble Poésie
N'en sont yssuz. Au lieu que je declaire
Le fleuve Lot coule son eau peu claire,
Qui maints rochers traverse et environne, 160
Pour s'aller joindre au droict fil de Garonne.
A bref parler, c'est Cahors en Quercy,
Que je laissay pour venir querre icy
Mille malheurs, ausquelz ma destinée
M'avoit submis. Car une matinée, 165
N'ayant dix ans, en France fu mené
Là ou depuis me suy tant pourmené
Que j'oubliay ma langue maternelle,
Et grossement apprîns la paternelle
Langue françoyse, es grands courts estimée, 170
Laquelle en fin quelcque peu s'est limée,
Suyvant le Roi Françoys premier du nom,
Dont le sçavoir excède le renom
Pour ce qui touche mon état, ma coii- 171. S*est limée. Dans la préface à
dition. son édition de Villon, Marot, excusant
145. Midy, Le Sud de la France. son devancier « des incongruités dont
154. Ainsi comme : ainsi que. estoit plein le langage mal limé d'ice-
156. Dont : C'est pour cela que. — luy temps», dit « qu'il ne luy manqua
Fantaisie : imagination, esprit. qued'estrenourryenlacourt desroys
158. Declaire : indique, désigne. et des princes, là où les jugemens s'a-
1 61 . Fil : courant. mendent et les langages se polissent. »
163. Çuerre : chercher. 172. Suyvant. Se rapporte au sujet
170. Es... courts : dans les cours, de m^ suy pourmxné.
MAROT
95
EPITAPHES
I
DE MAISTRE GUILLAUME CRETIN*, POETE FRANÇOYS
(1652)
Seigneurs passans, comment pourrez vous croire
De ce tumbeau la grand pompe et la gloire ?
Il n*esl ne painct ne poly ne doré,
Et si se dit haultement honoré,
Tant seulement pour estre couverture 5
D*un corps humain cy mys en sépulture :
C'est de Crétin, Crétin qui tant sçavoit.
' Regardez donc si ce tombeau avoit
De ce Crétin les faictz laborieux,
Comme il debvroit estre bien glorieux, lo
Veu qu'il prend gloire au paovre corps tout mort.
Lequel par tout vermine mine et mord.
O dur tumbeau, de ce que tu en cœuvres
Contente toi; avoir n'en peulx les œuvres :
Chose éternelle en mort jamais ne tombe, 15
Et qui ne meurt n'a que faire de tumbe.
* Marot lui avait, en 1520, adressé
une épigramme dans laquelle il le
qualifie de souverain poète français.
— Crétin excellait aux rimes bizarres
qui étaient en usage dans la première
partie du seizième siècle. (Cf. la
Notice, pages 5 et 6.) On le com-
parait de son temps à Homère
pour les livres de chroniques qu'il
rima.
2. Pompe. Dans le sens de renom^
UlUstrcUion.
4. Et si : et pourtant.
5. Pour estre : parce qu'il est.
9. Faictz, C'est-à-dire les œuvres.
Cf. le V. 14.
11. Prend gloire au.., corps. Tire
gloire du corps.
13. En : de lui. Cf. le v. suivant. —
Cœuvres : couvres.
96 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
II
DE TROIS ENFANS FRERES
D'un mesme dard, soubs une mesme année,
Et, en trois jours, de mesme destinée,
Mal pestilent soubz ceste dure pierre
Meit Jean de Bray, Bonadventure et Pierre,
Frères tous trois, dont le plus vieil dix ans 5
A peine avoit. Qu'en dictes vous, Lisants?
Cruelle Mort, Mort plus froide que marbre.
N'a elle tort de faire cheoir de l'arbre
Un fruict tant jeune, un fruict sans meureté.
Dont la verdeur donnoit grand seureté 10
De bien futur? Qu'a elle encores faict?
Elle a, pour vray, du mesme coup deffaict
De père et mère espérance et liesse,
Qui s'attendoient resjouyr leur vieillesse
Avec leurs filz, desquelz la mort soudaine 15
Nous est tesmoing que la vie mondaine
Autant enfans que vieillards abandonne;
Il nous doibt plaire, et puisque Dieu l'ordonne.
III
DE MONSIEUR DU TOUR, MAISTRE ROBERT GEDOYN
Sçais tu, passant, de qui est ce tumbeau ?
D'un qui jadis, en cheminant tout beau,
Monta plus hault que tous ceulx qui se hastent.
C'est le tumbeau là où les vers s'appastent
3. Mal pestilent. La même peste 16. Vie. L'e muet compte dans la
dont lut atteint Marot. Cf. Epttre au mesure. — Mondaine : de ce monde .
roi pour avoir été dérobé^ note du 18. II. Au neutre {illud). — Et puis-
yers 53. que. Et cela parce que.
6. Lisants : lecteurs. 2. Tout beau : tout doucement.
9. Meureté : maturité. 4. S'appastent : se nourrissent.
MAROT 97
Du bon vieillard agréable et heureux 5
Dont tu as veu tout le monde amoureux,
Gy gist, helas ! plus je ne le puis taire,
Robert Gedoyn, excellent secrétaire,
Qui quatre Roys servit sans desarroy.
Maintenant est avecques le grand Roy, 10
Où il repose après travail et peine.
Or a vescu personne d*aage pleine,
Pleine de biens et vertu honorable ;
Puis a laissé ce monde misérable
Sans le regret qui souvent l'homme mord. 15
O vie heureuse, ô bien heureuse mort !
DEFLORATION
DE MESSIRE FLORIMOND ROBERTET
L'ame est le feu, le corps est le tyson;
L*âme est d'enhault, et le corps inutile
N'est autre cas qu'une basse prison
En qui languyt l'ame noble et gentile.
De tel' prison j'ay la clef tressubtile : 5
C'est le mien dard, à l'ame gracieux.
Car il la tire hors de sa prison vile
Pour d'icy bas la renvoyer aux cieulx
Jésus, affin que de moy n'eusses crainte,
Premier que toy voulut mort encourir; 10
Et en mourant ma force a si estaincte,
Que quand je tue on ne sçauroit mourir.
Vaincue m'a pour les siens secourir,
9. Sans desarroy : sans encombre, 4. Gentile. A peu près synonyme de
sans traverse. noble.
16. On sent ici une émotion sincère 5. La Mort se présente comme une
et pénétrante. ^ libératrice.
* Secrétaire d'État. — Dans le frag- 10. Premier que toy : avant toi.
ment cité^ c'est la Mort qui parle. 13. Vaincue. L'e muet compte dans
3. N'est autre cas. N'est pas chose la mesure,
de plus de prix.
6
98 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Et plus ne suis qu'une porte ou entrée
Qu'on doibt passer volontiers, pour courir 15
De ce vil monde en céleste contrée.
Jadis celuy que Moyse l'on nomme
Un grand serpent tout d*arain eslevoit,
Qui (pour le veoir) povoit guérir un homme
Quand un serpent naturel mors l'avoit. 20
Ainsi celuy qui par vive foy voyt
La mort du Christ, guerist de ma blessure,
Et vit ailleurs plus qu'icy ne vivoit :
Que dy je, plus ! Mais sans fin, je t'asseure.
Par quoy bien folle est la coustume humaine, 25
Quand aucun meurt, porter et faire dueil ;
Si tu crois bien que Dieu vers luy le maine,
A quelle fin en jectes larmes d'œil ?
Le veulx tu vif tirer hors du cercueil.
Pour à son bien mettre empesche et deffense ? 30
Qui pour ce pleure est marry dont le vueil
De Dieu est faict. Jugez si c'est offense.
Laisse gémir et braire les payens,
Qui n'ont espoir d'éternelle demeure ;
Faulte de foy te donne les moyens 35
D'ainsi pleurer quand fault que quelqu'un meure;
Et quant au port du drap plus noir que meure
Hipocrisie en a taillé l'habit,
Dessoubz lequel tel pour sa mère pleure
Qui bien vouldroit de son père l'obit 40
Mais, pour tomber à mon premier propos,
Ne me crains plus, je te pry, ne mauldis;
Car qui vouldra en éternel repos
Avoir de Dieu les promesses et dictz,
19. Pour le feotr. Pourvu qu'on le 31. ()Mt : celui qui. — Jlf arry : fâché,
vît; il suffisait de le voir. — Dont : de ce que. — Vueil : vœu.
20. Mors : mordu. 35, 36. C'est le manque de foi qui
21. Voj/t. Prononcez voue. te fait ainsi pleurer.
24. Mais : bien plus. 37. Meure : mûre. Les vêtements de
26. Aucun : quelqu'un. deuil.
30. Empesche : empêchement. 4o. Obit : mort.
-^
MAROT 99
Qui vouldra veoir les anges benedictz, 45
Qui vouldra veoir de son vray Dieu la face,
Brief, qui vouldra vivre au beau Paradis,
Il fault premier que mourir je le face.
Confesse donc que je suis bienheureuse.
Puis que sans moy tu ne peulx estre heureux, 50
Et que ta vie est aigre ou rigoureuse,
Et que mon dard n'est aigre ou rigoureux;
Car, tout au pis, quand l'esprit vigoureux
Seroit mortel comme le corps immunde,
Encores t'est ce dard bien amoureux, 55
De te tirer des peines de ce monde.
CANTIQUE DE LA CHRESTIENTE
SUR LA VENUE DE l'eMPEREUR ET DU ROY AU VOYAGE DE NICE
(1538)
Approche toy, Charles, tant loing tu soys,
Du magnanime et puissant roy Françoys ;
Approche toy, Françoys, tant loing sois tu,
De Charles, plein de prudence et vertu;
Non pour touts deux en bataille vous joindre, 5
Ne par fureur de voz lances vous poindre.
Mais pour tirer Paix, la tant désirée.
Du ciel treshault, là où s'est retirée.
Si Mars cruel vous en feistes descendre
Ne pouvez vous le faire condescendre 10
A s'en aller, pour ça bas donner lieu
A Paix la belle, humble fille de Dieu ?
Certainement, si vous deux ne le faictes.
Du monde sont vaines les entrefaictes ;
45. Benedictz : bénis. 6. Poindre : piquer, percer.
kS. Premier : premièrement. 11. (Ta 6aj : ici-bas. — Donner lieu:
51. Et que. Coordonné à Confesse faire place.
que, du y. 40. 14. Entrefaictes : entreprises, efforts.
iOO POÈTES DU XTI* SIÈCLE
Recevez la, princes chevalenreux, 15
Pour faire non s (voyre vous) bien henrenx;
Ce vous sera trop plus d'honneur et gloire
Qu'avoir chascun quelque grosse victoire :
Recevez la, car si vous la fuyez.
Elle dira que serez ennuyez 20
De voz repos, et que portez envie
A la doulceur de vostre heureuse vie.
Si pitié donc (ô princes triumphants)
Vous ne prenez des peuples voz enfants,
(Dont reciter Testât calamiteux 25
Seroit un cas trop long et trop piteux)
Si d'eulx n'avez commisération,
A tout le moins ayez compassion
Du noble sang et de France et d'Espaigne,
Dedans lequel ce cruel Mars se baigne. 30
Mars cy devant souloit teindre ses dars
Dedans le sang de voz simples souldars;
Mais maintenant (ô Dieu, quel dur esclandre !)
Plaisir ne prend fors à celuy espandre
Des nobles chefz, meritans diadesmes, 35
Et si respand souvent le vostre mesmes,
Faisant servir les haults princes de butte
Au vil souldart tirant de hacquebutte,
Si que de Mars ne sont plus les trophées
Fors enrichîz d'armes bien estoffées. 40
Plus ilz ne sont garniz et décorez
Que de harnoys bien polys et dorez,
Qui disent bien : c La despouille nous sommes
De grans seigneurs et de vertueux hommes. »
quantz et quelz de vos plus favoriz 45
17. Trop : beaucoup. 36. Si : ainsi.
31. Portez envie. Au sens du latin 38. Hacquebutte. Yieïile arme kieu.
invidere. 'Vou»\oyczd*un œil chagrin. 39. Si que : de sorte que.
25. Reciter : raconter. 40. Fors : hors, sinon. Les trophées
26. Piteux : triste. de Mars sont tous enrichis, etc. —
31. Souloit: avait coutume. Estoffées : ornées.
l 34. Fors : horg, excepté. 45, 47. Quantz : combien.
. •■ • « fc
MAROT 101
Sont puis dix ans en la guerre periz !
quantz encore en verrez desvyer.
Si à ce coup paix n'y vient obvyer !
Que pensez vous? Cherchez vous les moyens
De vos malheurs, nobles princes Troyens? 50
Ja pour tenir ou voz droictz ou voz torts
Sont ruez jus voz plus vaillans Hectors.
Gardez qu'en fin je, qui suy vostre Troye,
Du puissant Grec ne devienne la proye.
Estimez vous que ce grand Eternel 55
Ne voye bien du manoir supernel
Les grans debas d'une et d'autre partie ?
Ne sçavez vous qu'un bon père chastie
Plustost les siens que les desavouez?
Si maintenant faictes ce que povez, 60
Paix descendra, portant en main l'olive,
Laurier en teste, en face couleur vive,
Tousjours riant, claire comme le jour,
Pour venir faire en mes terres séjour,
Et Mars, souillé tout de sang et de pouldre, 65
Deslogera plus soudain que la fouldre ;
Car il n'est cueur, tant soit gros, qui ne tremble,
Si voz vouloirs on sent uniz ensemble.
Vienne sur champs Mars avec son armée
Vous présenter la bataille fermée, 70
Il la perdra. Ainsi donques, uniz.
Et de pitié paternelle muniz.
Vous eslirez quelque bienheuré lieu.
46. Puis: dopais. parle.
47. Quantz : combien. — Desvyer : 54. Grec. Allusion au péril turc,
décéder, mourir. 56. Voye. Deux syllaLes. — Su-
48. A ce coup : cette fois, enfin. pernel : supérieur, céleste.
49. 50. Cherchez-vous à vous rendre 57. De Tune et de l'autre partie,
malheureux à plaisir? des deux adversaires.
51. r«nir: soutenir. — Torts: pré- 59. Les desavouez. CeuxqvL*ïïn*BvovLe
tentions injustes. pas, qu'il ne reconnaît pas pour
52. Buez : jetés, renversés. — Jus : siens.
à bas. 67. Gros : grand.
53. Je, C'est la Chrétienté qui 70. Fermée. En champ clos.
6.
102 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Là OÙ viendra de vous deux au milieu
Pallas sans plus. Pallas, à sa venue, 75
Vous couvrira d'une céleste nue,
Pour empescher que les malings trompeurs,
D'heureuse paix trop malheureux rompeurs,
Ne puissent veoir les moyens que tiendrez
Alors qu'au poinct tant désiré viendrez, 80
Si qu'ilz seront tout à coup esbahys
Que sur le soir Tun et l'autre pays
Reluyra tout de beaulx feuz de liesse,
Pour le retour de Paix, noble déesse.
Et que rendray, sans que Mars m'en retarde, 85
Grâces au ciel. mon Dieu! qu'il me tarde !
Aproche toy, Charles, tant loing tu sois.
Du magnanime et puissant roy Françoys ;
Approche toy, Françoys, tant loing soys tu,
De Charles, plein de prudence et de vertu.
PSAUMES*
PSAUME II
Quare fremuerunt génies.
Icy yeoit on comment Dayid et son royaume sont vraye figure et
indubitable prophétie de Jésus Christ et de son règne.
Pourquoi font bruyt et s'assemblent les gens ?
Quelle folie à murmurer les meine ?
Pourquoy sont tant les peuples diligens
A mettre sus une entreprise vaine ?
74. Entre vous deux. de Marot. En 1539, il en parut trente.
81. Si qu' : de sorte que. L'édition complète fut publiée en 1543.
* Nous avons cinquante psaumes 4. Mettre sus : exécuter.
MAROT 103
Bandez se sont les grands roys de la terre, 5
Et les primatz ont bien tant présumé
De conspirer et vouloir faire guerre
Touts contre Dieu et son Roy bien aymé.
Disans entre eulx : Desrompons et brisons
Touts les lyens dont lyer nous prétendent; 10
Au loîng de nous jectons et mesprisons
Le joug lequel mettre sur nous s'attendent.
Mais cestuy là qui les haultz cieulz habite
Ne s'en fera que rire de là hault.
Le Toutpuissant de leur façon despite 15
Se moquera, car d'eulx il ne luy chault.
Lors, s'il luy plaist, parler à eulx viendra
En son courroux, plus qu'autre espovantable.
Et touts ensemble estonnez les rendra,
En sa fureur terrible et redoutable. 20
Roys, dira il, d'où vient ceste entreprise?
De mon vray Roy j'ay faict élection,
Je l'ay sacré, sa couronne il a prise
Sur mon tressainct et hault mont de Sion.
Et je, qui suy le Roy qui luy ay pieu, 25
Racompteray sa sentence donnée :
C'est qu'il m'a dict : Tu es mon filz esleu;
Engendré t'ay ceste heureuse journée.
Demande moy, et pour ton héritage
Subjectz à toy touts peuples je rendray, 30
Et ton empire aura cest advantage
Que jusqu'aux bordz du monde l'estendray.
5. Bandez se sont : se sont bandés. 16. // ne luy chault. Du verbe cha-
6. Ont eu assez de présomption loir (Cf. nonchalant). Ce qu'ils font
pour... lui importe peu.
9. Desrompons. Latin disrumpere. 19. Estonnez. Frappés d'effroi féty-
14. Ne fera que s'en rire. mologiquement : du tonnerre).
15. Despite : irritée. 25^ Je^ David.
104 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Verge de fer en ta main porteras
Pour les dompter et les tenir en serre,
Et s'il te plaist menu les briseras 35
Aussi aisé comme un vaisseau de terre.
Maintenant donc, ô vous, et Roys et Princes,
Plus entenduz et sages devenez.
Juges aussi des terres et provinces,
Instruction à ceste heure prenez. 40
Du Seigneur Dieu serviteurs rendez vous.
Craignez son ire, et luy vueillez complaire.
Et d'estre à luy vous resjouyssez tous,
Ayant toujours craincte de luy desplaire.
Faictes hommage au Filz qu'il vous envoyé, 45
Que courroucé ne soit amèrement,
Affin aussi que de vie et de voye
Ne périssez trop malheureusement.
Car tout à coup son courroux rigoureux.
S'embrasera, qu'on ne s'en donra garde. 50
O combien lors ceulx là seront heureux.
Qui se seront mis en sa sauvegarde !
34. Serre : prison. psaume est : De crainte que vous ne
36. Comme : que. périssiez dans votre voie.
42. Ire : colère. 50. Au moment où l'on ne sera pas
46. Que : afin que. sur ses gardes.
47. De vie et de voye. Le texte du
MAROT 105
II
PSAUME XXXIII
ExuUate justi in Domino»
C'est un bel hymne, auquel le prophète invite d'entrée à célébrer
le Toutpuissant, puis chante que tout est plein de sa bonté,
recite ses merveilles, admoneste les princes de ne se fier en leurs
forces et que Dieu assiste à ceulx qui le révèrent; puis invoque
sa bonté.
Resveillez vous, chascun fidèle,
Menez en Dieu joye orendroit ;
Louange est tresseante et belle
En la bouche de Thomme droict.
Sur la doulce harpe 5
Pendue en escharpe
Le Seigneur louez ;
De luz, d'espinettes,
Sainctes chansonnettes
A son nom jouez. 10
Chantez de luy par mélodie,
Nouveau vers, nouvelle chanson,
Et que bien on la psalmodie
A haulte voix et plaisant son.
Car ce que Dieu mande, 15
Qu'il dit et commande,
Est juste et parfaict;
Tout ce qu'il propose.
Qu'il faict et dispose,
A fiance est faict. 20
Il ayme d'amour souveraine
Que droict règne et justice ait lieu ;
a. Orendroit : en ce moment. 20. A fiance : de telle sorte qu'on
8. Luz : luths. peut s'y fier.
14. Plaisant : agréable.
106 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Quand tout est dict, la terre est pleine
De la grande bonté de Dieu.
Dieu par sa parole 25
Forma chascun pôle
Et ciel précieux;
Du vent de sa bouche
Feit ce qui attouche,
Et orne les cieulx. 30
Il a les grans eaux amassées
En la mer comme en un vaisseau,
Aux abysmes les a mussées
Comme un trésor en un monceau.
Que la terre toute 35
Ce grand Dieu redoubte,
Qui feit tout de rien ;
Qu'il n*y ayt personne
Qui ne s'en estonne
Au val terrien. 40
Car toute chose qu'il a dicte
A esté faicte promptement :
L'obéissance aussi subite
A esté que le mandement.
Le conseil, l'emprise 45
Des gens il desbrise
Et mect à l'envers;
Vaines et cassées
Il rend les pensées
Des peuples divers. 50
Mais la divine providence
Son conseil sçait perpétuer;
23. Quani rouf e^tdifî^.Pour tout dire. 39. Qui ne le craigne.
26. CÀo^cun: chacun des deux, l'un 44. Mandement: ordre,
et l'autre. 45. Emprise : entreprise.
29. Attouche : touche. 46. Desbrise. Cf. déi>ris.
32. Vaisseau : vase. 52. Son conseil : les desseins de sa
33. Mussées : cachées. sagesse.
MAROT 107
Ce que son cueur une foys pense
Dure à jamais sans se muer.
O gent bienheurée 55
Qui toute asseurée,
Pour son Dieu le tient!
Heureux le lignage
Que Dieu en partage
Choisit et retient! 60
Le Seigneur éternel regarde
Icy bas du plus hault des cieulx;
Dessus les humains il prend garde
Et les veoit tous devant ses yeulx.
De son throne stable, 65
Paisible, équitable.
Ses clairs yeulx aussi
Jusqu'au fond visitent
Tous ceulx qui habitent
En ce monde icy. 70
Car luy seul, sans autruy puissance,
Forma leurs cueurs telz qu'ilz les ont :
C'est luy seul qui a cognoissance
Quelles toutes leurs œuvres sont.
Nombre de gensdarmes 75
En assaulx n'allarmes
Ne saulvent le Roy;
Bras ny hallebarde
L'homme fort ne garde
De mortel desroy. 80
Celuy se trompe qui cuyde estre
Sauvé par cheval bon et fort :
55. Bienheurée : rendue bienheu- 74. Quelles sont toutes leurs œuvres,
reuse. 79. Ne garde l'homme fort.
93. Dessus... il prend garde. 11 80. Desroy: confusion, mêlée. Cf.
veille sur. désarroi.
71. Autruy. Adjectivement. 81. Cuyde : croit.
108 POÈTES DU XV!*^ SIÈCLE
Ce n'est point par sa force adextre
Que l'homme eschappe un dur efiPort.
Mais l'œil de Dieu veille 85
Sur ceulx, à merveille,
Qui de volunté
Grainctifz le révèrent,
Qui aussi espèrent
En sa grand bonté, 90
Affin que leur vie il délivre
Quand la mort les menacera,
Et qu'il leur donne de quoy vivre
Au temps que famine sera.
Que doncques nostre ame 95
L'Eternel reclame,
S 'attendant à luy :
Il est nostre addresse,
Nostre forteresse,
Pavoys et appuy. 100
Et par luy grand resjouyssance
Dedans noz cueurs toujours aurons,
Pourveu qu'en la haulte puissance
De son nom sainct nous espérons.
Or ta bonté grande 105
Dessus nous s'espande,
Nostre Dieu et Roy,
Tout ainsi qu'entente,
Espoir et attente
Nous avons en toy. lio
83. Adextre : adroite. — L'x ne fiance en lui.
sonnait pas. 98. Addresse. Celui auquel nous nous
84. Eschappe, Transitif. — Effort : adressons.
attaque. 106. S'espande, Que ta bonté... s'é-
86. A merveille. Se rattache à pande.
veille. 108. Entente : accord.
97. S'attendant à luy : ayant con- 109. Attente. {^tï.s'attendantday.^T,
RONSARD
ODES
I
A MICHEL DE l'HOSPITAL
Chancelier de France *
Strophe i.
Errant par les champs de la Grâce
Qui peint mes vers de ses couleurs
Sur les bords dirceans j'amasse
L'eslite des plus belles fleurs,
Afin qu'en pillant je façonne
D'une laborieuse main
* Ode pindaresque. V. la notice,
page 15. — Cette ode fut considérée
en son temps comme « un chef-d'œuvre
de poésie ». C'est le mot du commen-
tateur Richelet.
1. Cf. Pindare, Pythiques, VI, i.
3. Dirceans. Dircé, femme deLycus,
roi de Thqbes, fut changée en fon-
taine. Dircèan ou Dircéen yeut dire :
de Béotie. On sait que Pindare était
Béotien. Horace l'appelle le cygne de
Dircé.
5. En pillant. Cf. Odes^ I, xxii :
Je pillay Thàbe et saccageay la Fouille.
Trop souvent, chez Ronsard et ses
(j. P. — Poètes du XVI» siècle.
disciples, l'imitation des anciens. est
un véritable « pillage ». Cf. Poèmes ^
I, Hylas :
Mon Passerat, je reaBemble à l'alMille
Qui ya cueillant tantoat la fleur vermeille,
Tantost la jaune, errant de pré en pré
Où plus los fleurs fleurissent à ion gré,
Contre l'hyrer amassant force rivres.
Ainsi courant et feuilletant mes Urres,
J'amasse, trie, et choisis le plus beau.
Qu'en cent couleurs je peins eu un tableau, etc.
Et encore, Gayetez, II :
Ça, page, donne ce Catulle,
Donne nxoj TibuUe et MaruUe,
Donne ma lyre et mon archet,
Dépends la tost de ce crochet,
Tite dono, afin que je chante, etc.
110 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
La rondeur de ceste couronne
Trois fois lorse d'un ply thebain, .
Pour orner le haut de la gloire
De l'Hospital, mignon des Dieux, 10
Qui çà bas ramena des Gieus
Les filles qu'enfanta Mémoire.
Antistrophe,
Mémoire, royne d'Eleuthere,
Par neuf baisers qu'elle receut
De Jupiter, qui la fit mère, 15
En neuf soirs neuf filles conceut.
Mais quand la Lune vagabonde
Eut courbé douze fois en rond
(Pour r'enflamer l'obscur du monde)
La double voûte de son front, 20
Elle adonc lassement outrée
Dessous Olympe se coucha,
Et criant Lucine, accoucha
De neuf filles d'une ventrée.
Epode.
En qui respandit le Ciel
Une musique immortelle, 25
Comblant leur bouche nouvelle
Du jus d'un attique- miel.
Et à qui vrayment aussi
Les vers furent en souci, 30
8. Allusion à la structure de l'ode 19. L'obscur du monde. Adjectif
pindaresque, divisée en strophes, an- employé substantivement. C'est une
tistrophes et épodes. construction très fréquente chez les
10. Mignon : favori. poètes do la Pléiade.
11. Çà bus : ici-bas. — Ramena des 20. Voûte. L'arc, le croissant.
Cieus. Pas métaphorique, mais pris 21. Adonc : alors. — Lassement
au propre. C'est le sujet môme de outrée : épuisée de lassitude.
cette ode. 23. Criant : invoquant de ses cris.
12. Les Muses. — Li/cintr. Nom sous lequel Junonpré-
13. Eleuthere. Ville do l'Attiquo. sidait aux accouchements. "^
1
RONSARD 111
Les vers dont flatez nous sommes,
Afin que leur doux chanter
Peust doucement enchanter
Le soin des dieux et des hommes.
Strophe ii.
Aussi tqgt que leur petitesse, 35
Gourante avec les pas du temps,
Eut d'une rampante vistesse
Touché la borne de sept ans,
Le sang naturel, qui commande
De voir ses parens, vint saisir 40
Le cœur de cel&te jeune bande,
Chatouillé d'un noble désir;
Si qu'elles mignardant leur mère.
Neuf et neuf bras furent pliant
Autour de son col, la priant 45
De voir la face de leur père.
Antistrophe.
Mémoire, impatiente d'aise,
Délaçant leur petite main.
L'une après l'autre les rebaise
Et les presse contre son sein. 50
Hors des poumons à lente peine
Une parole lui montoit,
De souspirs allègrement pleine.
Tant l'affection l'agitoit,
31 . Les vers, qui ont pour nous tant avec courant,
de charme. 43. Si que : de sorte que. — MigncW'
32. Chanter. Infinitif employé sub- 4ant : caressant» cajolant,
stantivement, comme on en trouve un 44. Plièrent leurs bras. — Neuf et
grand nombre chez les poètes de la neuf bras. Neuf bras, cela fait quatre
Pléiade. Muses et demie : division bizarre.
33. Enchanter. Adoucir par leur 46. De voir. Qu'elles vissent, que
charme. Mémoire leur fît voir.
34. Soin: souci. 51. A lente peine. X\ec peine etlen-
35-38. Périphrase bien pénible. tement.
37. Aampanftf n'est guère en accord 54. A/fection. Émotion.
112 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Pour avoir déjà cognoissance 55
Combien ses filles auront d'heur,
Ayant pratiqué la grandeur
Du Dieu qui planta leur naissance.
Épode.
Après avoir relié
D'un tortis de violettes 60
Et d'un cerne de fleurettes
L'or de leur chef délié,
Après avoir proprement
Troussé leur accoustrement,
Marcha loin devant sa trope, 65
Et, la hâtant jour et nuict,
D*un pié dispos la conduit
Jusqu'au rivage Ethiope.
Strophe m.
Ces vierges encores nouvelles
Et mal aprises au labeur, 70
Voyant le front des eaux cruelles
S'eflroyerent d'une grand'peur.
Et toutes pancherent arrière
(Tant elles s'alloient émouvant).
Gomme on voit dans quelque rivière 75
Un j onc se pencher sous le vent;
Mais leur mère, non étonnée
De voir leur sein qui babatoit
55. Pour avoir. Parce qu'eUe avait. 69. Nouvelles : novices.
57. Ayant pratiqué, etc. Une fois 74. S*aUoient émouvant : s'ëmou-
qu'eUes se seront fait reconnaître du vaiont. Construction très fréquente
grand Dieu qui, etc. au seizième siècle.
60. Tortis. Gruirlande tressée. 78. jBa^atott. C'est le texte delà pre-
61. Cerne, Couronne. Cf. le verbe mière édition. De même, on trouve /Zo-
cerner. fiotantàAns V Avant-Entrée de Henri II
62. DéUé : délicat. à Paris (1549). Ce n'est donc pas du
63. Proprement. Le mot propre Bartas, comme on le dit, qui inventa
avait, encore au dix-septième siècle, ces réduplications. Il n'y en a d'ail-
le sens de joli, élégant. leurs chez Ronsard que les deux
65. Marcha : elle marcha^ exemples cités.
RONSARD 113
Pour les asseurer les flatoit
De ceste parole empennée : 80
Antistrophe,
€ Courage, mes filles (dit-elle),
Et filles de ce Dieu puissant
Qui seul en sa main immortelle
Soustient le foudr e rougissant !
Ne craignez point les vagues creuses 85
De l'eau qui bruit profondement,
Sur qui vos chansons doucereuses
Auront un jour commandement;
Mais dédaignés ses longues rides,
Et ne vous souffres décevoir 90
Que vostre père n'aillés voir
Dessous ces royaumes humides, i
Epode.
Disant ainsi, d'un plein saut
Toute dans les eaus s'allonge,
Gomme un cygne qui se plonge 95
Quand il void Taigle plus haut.
Ou ainsi que l'arc des cieux
Qui d'un grand tour spacieux
Tout d'un coup en la mer glisse.
Quand Junon haste ses pas 100
Pour aller porter là bas
Un message à sa nourrice *
79. Asseurer : rassurer. — Flatoit : leur mère et pénèti^ent jusqu'au « châ-
encourageait. teau » de l'Océan, « qui dessous Teau
80. Empennée : ailée. donnait un festin » à Jupiter. Celui-ci
84. Foudre. Masculin au seizième leur fait accueil et veut les entendre
siècle. chanter. Elles disent la querelle de
87. Doucereuses : douces. Minerve et de Neptune, puis la guerre
90, 91. Ne vous laissez pas abuser des Gréants contre les dieux. Ravi de
au point de ne pas aller. leurs chants, Jupiter les invite à « re-
101. Là bas. Dans les profondeurs quérir quelque beau don ». Au nom
de la mer. de toutes, Calliope demande qu'il leur
102. Sa nourrice. Téthys. accorde d'être les inspiratrices de
* Les filles de Mémoire suivent toute poésie.
114 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Strophe xii.
A-tant acheva sa requeste,
Courbant les genoux humblement,
Et Jupiter, d'un ^^^^ ^fi t^**T 105
L'accorda libéralement.
« Si toutes les femmes mortelles
Que je donte dessous mes bras
Me concevoient des filles telles
(Dit-il), il ne me chaudroit pas 11 o
Ny de Junon ny de sa rage;
Tousjours pour me faire honteux,
M'enfante ou des monstres boiteux,
Ou des fils de mauvais courage,
Antistrophe.
« Gomme Mars; mais vous, troupe chère lis
Que j'ayme trop plus que mes yeux.
Je vous plantay dans vostre mère
Pour plaire aux hommes et aux dieux.
Sus doncques, retournez au monde,
Goupez-moy derechef les flos, 120
Et là d'une langue faconde
Chantez ma gloire et vostre los.
Vostre mestjer, race gentille,
Les autres mestiers passera,
D'autant qu'esclave il ne sera 125
De l'art, aux Muses inutile.
103. Autant : alors. vent chez Ronsard. Cf. dans la môme
110. // ne me chaudroit pas. Du ode :
verbe chaloir. Je ne me soucierais pas. j,^ „l de leur, lainte. parolai
113. Allusion à Vulcain. se réTeillerent les deTini,
114. Courage : cœur. Et diaoiplei de leun eacoles
116. Trop plus : beaucoup plus. Vlndront les poëtei dlrln» :
121. Faconde : éloquente. I>'^**»» d'auUnt que la nature
122. Los : louange, honneur. !»" '^ f "°»«»t exprlmolent,
4«o r^ s -Il vi San» art leur naWe ewsrltore
123. Gentille : noble. p„ 1^ ^^^ 11, anlmoient, eto.
125, 126. C'est la théorie de l'inspi-
ration, que nous retrouvons si sou- Et, dans l'Ode à J. du Bellay :
/
RONSARD 115
Epode,
« Par art le navigateur
Dans la mer manie et vire
La bride de son navire,
Par art plaid e l'orateur, 130
Par art les roys sont guerriers,
Par art se font les ouvriers ;
Mais si vaine expérience
Vous n'aurez de tel erreur :
Sans plus, ma saincte fureur 135
Polira vostre science :
Strophe xiii.
c Gomme l'aymant sa force inspire
Au fer qui le touche de près,
Puis soudain ce fer tiré tire
r
Un autre qui en tire après, 140
Ainsi du bon fils de Latoûiifi
Je raviray l'esprit à moy ;
Luy, du pouvoir que je luy donne,
Ravira les vostres à soy ;
Vous, par la force apollinée, 145
Ravirez les poëtes saincts ;
Eux, de vostre puissance attaints.
Raviront la toiirhfi estonnée.
Car lo poeto endoctriaé, sans doute : Pour VOUS, un tel ap-
Par le seul naturel bien né, prentissage Serait vain, inutile ; point
Se hi-te de ravir le prix ; d'erreurs, point de tâtonnements. -
Mak ces rimcun qui ont appria _ ' ' ,.
Arec trarall, peines et ruBes, Erreur. Du masculin.
A leur honte enfantent dos vert 135. Fureur : inspiration.
Qui toujoan conrent de travera 141. Apollon.
Parmy la carrière des Muaes... 143. Du pouvoir : par le pouvoir.
. \i8. Estonnée. EmeryeiWée et rsLyie.
Rien de plus contraire à la théorie __ ^^^^ ^^rot, la poésie était un jeu,
proprement classique de Malherbe et „n badinage; avec Ronsard elle de-
de Boileau. vient une mission sacrée : le poète
132. Ouvriers. Doux syllabes. est une sorte de prêtre, directement
133, 134. Vers obscurs. Ils signifient inspiré par les dieux.
116 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Antistrophe,
« Afin (ô destins !) qu'il n'ayienxie
Que le monde, appris faussement, 150
Pense que vostre mestier vienne
D'art, et non de ravissement,
Cet art pénible et misérable
S'eslongnera de toutes parts,
De vostre mestier honorable 155
Desmembré en diverses parts.
En prophétie, en poésies.
En mystères et en amour,
Quatre fureurs qui tour à tour
Chatouilleront vos fantasies. 160
Epode,
9 Le traict qui fuit de ma main
Si tost par Tair ne çkemine
Gomme la fureur divine
Vole dans un cœur humain,
Pourveu qu'il soit préparé, 165
Pur de vice, et reparé
De la vertu précieuse.
Jamais les dieux, qui sont bons,
Ne respandent leurs saints dons
En une ame vicieuse. 170
Strophe xiv.
« Lors que la poiieiine ravissante
Vous viendra troubler vivement,
150. Appris faussement. Cf. l'ex- 160. Vos fantasies : votre imagina-
pression encore usitée mal ap- tion.
pris. 163. Fureur, Cf. note du vers 135.
152. Ravissement. Cf. le verbe ravir 166. Reparé : muni,
aux vers 142, 144, 146, 148. 168 sqq. Cf. Abrégé d'Art poétique :
155. Honorable : glorieux. « Les Muscs ne veulent loger en une
158. Mystères. Les poètes sont âme, si elle n'est bonne, saincto et
« prestres sacrez des saincts orgieux vertueuse, » etc.
mystères ». 171. Ravissante. Même sens que
159. Fureurs. Cf. note du vers 135. plus haut aux vers 142, 144, 146, 148.
RONSARD 117
D'une poitrine obéissante
Tremblez dessous son mouvement,
Et souffrez qu'elle vous secoue 175
Le corps et l'esprit agité,
Afin que, dame, elle se joue
Au temple de sa deité.
Elle, de toutes vertus pleine,
De mes secrets vous remplira, 180
Et en vous les accomplira
Sans art, sans sueur, ne sans peine.
Antistrophe.
« Mais par sur tout prenez bien garde,
Gardez-vous bien de n'employer
Mes presens en un cœur qui garde 185
Son péché, sans le nettoyer;
Ains devant que de luy respandre,
Purgez-le de vostre saincte eau.
Afin que net il puisse prendre
Un beau don dans un beau vaisseau; 190
Et luy, purgé, à l'heure à l'heure
Divinement il chantera
Je ne sai quel vers qui fera
Au cœur des hommes sa demeure.
Épode,
« Geluy qui sans mon ardeur 195
Voudra chanter quelque chose
177. Dame : souveraine. Les poètes de la Pléiade sont
178. Temple de sa deité. C'est la presque toujours des improvisateurs.
« poitrine » môme des Muses. Ronsard, dans la dernière partie de
183. Par jur /ou^ Par-dessus tout, sa carrière, sentit que ses vers avaient
187. Ains : mais. — Devant que de \ besoin d'être revus : les corrections
avant de.— Luy respandre. Répandre qu'il y fit ont été elles-mêmes impro-
mes présents dans ce cœur. visées. Cette promptitude de veine
190. Vaisseau : vase. explique maints défauts qui gâtent
191. i4 l* heure : aussitôt, sur le souvent ses meilleures inspirations ;
champ. — Cf. Poèmes j la Lyre : elle s'accorde bien avec une poésie
▲laii Je ooon à course deebridée P^"» spontanée, plus vive, plus géné-
Qtumd la fureur en taoj l'ert desbordée, reuse que celle des Malherbe et des
Impétueux luia raison ny oonseil, etc. Boileau.
7.
118 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
11 voirra ce qu'il compose
Veuf de grâce et de grandeur;
-^ Ses vers naistront inutis,
Ainsi qu*enfans abortis 200
Qui ont forcé leur naissance,
Pour monstrer en chacun lieu
Que les vers viennent de Dieu,
Non de l'humaine puissance.
Strophe xv.
c Ceux là que je feindrai poètes 205
Par la grâce de ma bonté,
Seront nommez les interprètes "^
Des dieux et de leur volonté ;
Mais ils seront, tout au>«ontraire.
Appeliez sots et furieux 210
Par le cac[uet du populaire
Méchantfiment injurieux.
Tousjours pendra devant leur face
Quelque Wïnbn qui, au besoin.
Gomme un bon valet, aura soirt^^^ 215
De toutes choses qu'on leur face.
Antistrophe,
« Allez, mes filles, il est heure
De fendre les champs escumeux;
Allez, ma gloire la meilleure,
Allez, mon los le plus fameux. 220
Vous ne devez, dessus la terre,
Long temps cette fois séjourner,
Que l'ignorance avec sa guerre
Ne vous contraigne retourner,
199. Inutis : inutiles. 214. Démon : génie. — Au : dans lo.
200. Abortis : abortifs. Quand ils en auront besoin.
202. Chacun. Employé comme ad- 216. Face. Qu'on pourra leur faire,
jectif. C'est ici le sens du subjonctif.
205. Feindray : formerai, façon- 217. Il est heure. Cf. (7 est temps.
nerai. 220. Los : louange, honneur, gloire.
210. Furieux : fous. 223. Que. Ayant que.
RONSARD 119
Pour rfe tomber sous la conduite 225
D'un guide dont la docte main,
Par un effroy grec et romain,
Ailera ses pieds à la fuite. »
Epode,
A-tant Jupiter enfla
'Sa bouche rondement pleine, 230
Et du vent de son haleine
Sa fureur il leur soufla.
Après leur avoir donné
Le luth qu'avoit façonné
L'ailé courrier Atlantide, 235
D'ordre par l'eau s'en-revont;
En traji^^jL^t.rQjide elles font
Ronfler la campagne humide *
Strophe xx.
Ces trois sœurs, à l'œuvre eatentives,
Marmotoient un charme fatal, 240
Tortillans les fîlaces vives
Du corps futur de l'Hospital.
Glothon, qui le filet replie,
Ces deux vers mascha pour neuf fois :
c Je retqrs la plus belle vie 245
Qu'ONCQUES RETORDIRENT MES DOIS. B
226. Guide, L'HôpitaL * De retoar sur la terre, les Muses
227. Construction peu nette. Les inspirent les poètes, d'abord en Grèce,
Grecs et les Romains, appelés à son puis à Rome. Chassées par l'Igno-
aide par l'Hôpital, rempliront l'igno- rance, elles se réfugient auprès de
rance d'eflfroi et la mettront en fuite. Jupiter. Plusieurs siècles s'écoulent ;
228. >l(7era. Du verbe aiUr: mettre pour Ronsard comme pour tous ses
des ailes à. — A: pour. contemporains, le moyen Age est une
229. A-tant : alors. époque de ténèbres. Enfin, quand la
232. Fureur. Inspiration. Renaissance s'annonce, Jupiter con-
235. Atlantide, Mercure, descen- duit les Muses auprès des Parques,
dant d'Atlas. occupées à filer les jours deTHôpital.
236. D'ordre. En ordre, et, comifie 240. Charme : incantation,
en latin ordine, à la file. - 241. Filaces : fils.
238. La campagne humide. Les 244. Mascha, A peu près comme
« champs liquides », la mer. marmotoient du v. 240.
120 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Mais si tost qu'elle fut tirée
A l'entour du fuzeau humain,
Le Destin la mit en la main
Du fils de Saturne et de Rhée. 250
Antistrophe,
Luy adoncques print une masse
De terre, et devant tous les Dieux
Dedans il feignit une face,
Un corps, deux jambes et deux yeux.
Deux bras, deux flancs, une poitrine, 255
Et, achevant de l'imprimer,
Soufla de sa bouche divine
Le saint filet pour l'animer;
Luy donnant encor' davantage
Mille vertus', il appella 260
Ses neuf filles, qui çà et là
Entouroient la nouvelle image :
Épode.
« Ore vous ne craindrez pas,
Seures sous telle conduite,
De reprendre encor la fuite 265
Pour encor voler là bas.
Suivez donc ce guide ici :
C'est celuy, filles, aussi.
Du quel la docte asseurance
Franches de peur vous fera, 270
Et celuy qui de s fera
Les soldars de l'ignorance. »
248. Humain. Le fuseau des vies 256. Et, quand il eut achevé de mo-
humaines. deler 1' « image ».
250. Jupiter. 263. Ore : maintenant.
251. Adoncques : alors. 270. Franches : exemptes.
253. Feignit: figura.
RONSARD 121
Strophe xxi.
Lors à bas il poussa leur guide;
Et elles, d'ordre le suivant,
Fendoient le grand vague liquide, 275
Hautes sur les ailes du vent,
Ainsi qu'on voit entre les nues
De rang un escadron voler
Soit de cygnes ou soit de grues,
Suivant leur guide parmy l'air. 280
A-tant, prés de terre eslevées.
Tombèrent au monde, et le feu
Qui flamber à gauche fut veu
Resalu a leurs arrivées.
, Antistrophe,
Hà! chère Muse, quel zephyre, 285
Souflant trop violentement,
A fait écarter mon navire
Qui fendoit Tair si droitement ?
Tourne à rive, douce nourrice,
Ne vois-tu Morel sur le bord, 290
Lequel, à fin qu'il te chérisse»
T'oeillade pour venir au port ?
N'ois-tu pas sa nymphe Antoinette
Du front du havre t'appeller,
Faisant son œil estinceler, 295
Qui te sert d'heureuse planète ?
274. D'ordre. Cf. v. 236. de la poésie lyrique. Dans la préface
275. Vague : immensité ; nous disons de ses Odes il parle des « admirables
le vague des airs y etc. Peut-être ad- inconstances » de Pindare.
jectif, au sens d'indéfini, infini. 290. Morel. « Docte personnage,
278. De ran^. Même sens que d'ordre assez cogneu de son temps. » (Com-
au V. 236. — Voler. LV se prononçait, mentaire de Richelet.)
281. A-tant : alors. 292. Tœillade. Te fait signe du re-
282. Tombèrent au monde, Descen- gard. — Pour venir : pour que tu
dirent sur la terre. — Feu. Prononcez viennes.
fu. Rime dialectale. 293. Antoinette. Femme de Morel,
283. A gauche. Présage favorable. « docte pareillement, comme estoient
285 sqq. Ronsard feint ici le beau aussi ses trois filles ». (Commentaire
désordre que Boileau érigera en régie de Richelet.)
é
122 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Epode,
Haste-toy donc de plier
Ta chanson trop poursuyvie
De peur, Muse, que l'Envie
N'ait matière de crier, 300
La quelle veut abysmer
Nos noms au fond de la mer
Par sa langue sacrilège ;
Mais plus eir nous veut plonger.
Et plus eir nous fait nager 305
Haut dessus l'eau comme un liège.
Strophe xxii.
Contre ceste lice exécrable
Résiste d'un dos non plié.
C'est grand mal d'estre misérable.
Mais c'est grand bien d'estre envié. 310
Je sçay que tes peines, ancrées
Au port de la divinité.
Seront malgré les ans sacrées
Aux pieds de l'Immortalité;
Mais les vers que la chienne Envie 31 5
En se rongeant fait aïorter
Jamais ne pourront supporter
Deux soleils sans perdre la vie.
Ântistrop/ie»
Qundi^, à douce lyre mienne,
Encore un chant àcestui-ci, 320
Qui met ta corde dorienne
Sous le travail, d'un doux souci.
Il n'y a ne torrent ne roche '''
Qui puisse engarder un sonneur
298. Trop poursuyvie. Trop longue. 318. Soleils : années.
301. Abysmer. L'r se prononçait. 320. Cestui-ci. L'Hôpital.
307. Lice : chienne. Cf. vers 315. 321. Dorienne, Comme pindarique,
311. Tes peines. Le fruit de tes 324. Engarder : empêcher. — Son-
peines^ tes vers. neur : poète.
RONSARD 123
Que près des bons il ne s'approche 325
Gourant pour chanter leur honneur.
\ Puissé-je autant darder cette hynne
Par l'air, d'un bras présomptueux,
V Comme il est sage et vertueux,
Et comme il est de mes vers dinne. 330
Epode,
Faisant parler sa grandeur
Aux sept langues de ma lyre,
, DeJuy je ne veux rien dire
Dont je puisse estre menteur;
Mais, véritable, il me plaist 335
De chanter bien haut qu'il est
L'ornement de nostre France,
Et qu'en fidèle équité,
En justice et vérité,
. Les vieux siècles il dcYâûfi^ 340
(Odes y I, X.)
II
A CASSANDRE*
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avoit desclose
327, 329. — Autant,,, comme. Au- une jeune fille qu'il rencontra aux
tant... que. environs de Tours et dont il s'éprit
330. Dinne : digne. à première vue. De l'ode précédente
334. Dont: par quoi. à celle-ci, le ton a complètement
335. Véritable: sincère. changé. Ronsard s'est détourné de
340. Cette ode, dont nous ne don- Pindare, il imite Anacréon et Horace,
nons ici que les parties les moins ou môme il abandonnë~se8 inspirations
hérissées d'érudition mythologique, à leur naturelle pente sans plus s'em-
reste le plus grand e£fort de Ronsard barrasser d'aucun modèle. Beaucoup
pour se guinder à la hauteur du de ses odelettes ont toute la grftce,
lyrisme th^bain. Quels qu'en puissent toute l'élégance de Marot, avec plus
être les défauts, elle se recommande de sentiment, et plus de coule ur
tout au moins par une dignité d'ac- poétique.
cent, par une hauteur d'inspiration, ' '2V Desclose : ouverte. Le participe
par une amplitude de style que notre peut encore s'accorder avec le complé-
poésie n'avait pas encore connues. ment direct qui le suit. Cette construc-
* Nom MOUS lequel Ronsard chante tion se retrouvejusque dans Corneille.
124 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu ceste vesprée,
Les plis de sa robe pourprée, 5
Et son teint au vostre pareil.
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las ! las ! ses beautez laissé cheoir !
O vrayment marastre Nature, 10
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir!
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté, 15
Cueillez, cueillez vostre jeunesse :
Comme à ceste fleur, la vieillesse
Fera ternir vostre beauté.
(Odes, I, XVII.)
III
A LA FONTAINE BELLERIE*
O fontaine Bellerie!
Belle déesse chérie
4. Vesprée : soirée, soir. —^ Cueillei rnitre jeunene ; [plaint
14. Fleuronne : fleurit. Quand on perd ion arril, en octobre on «'en
18. Thème très souvent repris soit i? * «i v • j r • ^^iv.)
par Ronsard lui-même, soit par ses .! ^,''^"} ^T'"" ^« ^^''l'f'^^Tr ^
disciples. Cf. le sonnet à Marie cité ^t5al!ii:§lmûUïfiffiSJltde cedëbut:
plus loin, page l4l7eVdâns les 5on. ^'«;»<'«««; «"««f ''«"•••: Et pour le
nets pour Hélène : '~' 5*^^*' ^"^/ P»*°K''f ^«P">« ^«^V *?"*
'^ a images ! Sa robe de pourpre laisse
^I**!!! ^^°^^ *" beautés. Cet ftge qui fleu-
ronne en sa verte nouveauté^ cueillir
(I, Lxii.) sa jeunesse, Malherbe a-t-il bien osé
bi£fer de tels vers, et Despréaux les
avait-il lus? » (Sainte-Beuve.)
* Fontaine du Vendômois.
(II, XLii.) 1. Cf. Horace, Odes, III, xiii.
Les Iseantéf en un Jour l'en ront comme lei
yijgS^q l^m'en croye», n'attendez à demain,
ffnëmea âès âûjourd'huy les fosêâ d e la "rie.
RONSARD
125
De nos nymphes, quand ton eau
Les cache au fond de ta source,
Fuyantes le satyreau
Qui les pourchasse à la course
Jusqu'au bord de ton ruisseau.
Tu es la nymphe éternelle
De ma terre paternelle.
Pource, en ce pré verdelet,
Voy ton poëte qui t'orne
D'un petit chevreau de lait,
A qui l'une et l'autre corne
Sortent du front nouvelet.
10
Toujours l'esté je repose
Près ton onde, où je compose,
Caché sous tes saules vers,
Je ne sçay quoy qui ta gloire
Envoira par l'univers,
Commandant à la mémoire
Que tu vives par mes vers.
15
20
L'ardeur de la canicule
Jamais tes rives ne brûle,
Tellement qu'en toutes pars
Ton ombre est espaisse et drue
Aux pasteurs venans des parcs,
25
5. 5a«yrcaw. Diminutif de Satyre.
14. Nouvelet : jeune.
15. Je repose. Cf. Odes, III, viii, à la
Fontaine Bellerie :
Couché tont pUt demnis ta rire
Oiiif à la fnischeur du rent.
16. Ou je compose. Cf. J. du Bellay,
dans les Conditions du vrai poète :
Il fuit volontiers la Tille.....
Led Buperbes Colisées,
Les palais ambitieux
Et les maisons tant prisées
Ne retiennent pas ses yeaz,
Mais bien les fontaines riyes.
Mères des petits ruisseaaz,
Autour de leurs Tertes rives
Encourtinez d'arbrisseaux.
Dans sa Vie de Ronsard, Claude
Binet nous dit que le poète se plaisait
à errer en composant ses vers dans
les bois d'Hercueil (Arcueil) et de
Meudon. Cf. la pièce suivante.
26. Parcs. Dans le sens propre. Lieu
où l'on parque les troupeaux.
#
126 POÈTES BC XTI* SIÈCLE
Aox bœafe las de la charme
Et an bestîaJ erspars.
lo- ta s^ras sans cesse
Des fontaines la princesse, 3>
^lov célébrant le conduit
Du fXM^her percé qui darde
Arec an enroaé brait
L'eao de ta source jazarde,
Qaî trepîllante se sait. 3â
» * ^ •
IV
A LA FOREST DE GASTINE*
Couché sous tes ombrages vers,
Gastine, je te chante
Autant que les Grecs, par leurs vers,
La forest d'Erymanthe :
Car, malin, celer je ne puis 5
A la race future
De combien obligé je suis
A ta belle verdure.
Toy qui, sous Tabry de tes bois,
Ravy d*esprit m'amuses; 10
Toy qui fais qu*à toutes les fois
Me respondent les Muses ;
Toy par qui de Timportun soin
Tout franc je me délivre,
29. Au bestial. Aux bestiaux. 5. Malin. Se rattache à c«^r. Comme
2tf. lo. Exclamation grecque. s'il y avait ccUr malignement.
31. Moy célébrant. C'est l'ablatif 10. M'amuses: me captives, me rc-
absolu des Latins. crées.
34. Jazarde : babillarde. 13. Soin : souci.
35. Trepîllante. Comme trépignante. 14. Tout franc. Je, etc. Je me dé-
*ForôtduVendômois. — Crastineest, livre, de manière à être tout franc
pour ainsi dire, leTiburde Ronsard, (exempt).
RONSARD 127
Lors qu'en toy je me pers bien loin, 15
Parlant avec un livre,
Tes boccages soient tousjours pleins
D'amoureuses brigades
De Satyres et de Sylvains,
La crainte des Naiades ! 20
En toy habite désormais
Des Muses le collège,
Et ton bois ne sente jamais
La flame sacrilège !
{Odes, II, XV.)
l'amour mouillé*
Du malheur de recevoir
Un estranger sans avoir
De luy quelque cognoissance
Tu as fait experiance,
Menelas, ayant receu 5
Paris, dont tu fus deceu;
Et moy je la viens de faire,
Las ! qui ay voulu retraire
Tout soudain un estranger
Dans ma chambre et le loger. 10
Il estoit minuict, et l'Ourse
De son char tournoit la course
Entre les mains du Bouvier,
Quand le somme vint lier
D'une chaîne sommeillere 15
Mes yeux clos sous la paupière.
17. Tes boccages soient. Ellipse de 7. Je la viens de faire. Je viens de
que. la faire. Gomme avec les verbes aUer,
21. Habite. Au subjonctif, avec devoir, falloir, construits à la façon
ellipse de que. d'auxiliaires.
* Ode imitée d'Anacréon. 8. Retraire : recueillir chez moi.
6. Do/t^ Par lequel.
128 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Jà, je dormois en mon lit,
Lors que j'entr'ouy le bruit
D'un qui frapoit à ma porte,
Et heurtoit de telle sorte 20
Que mon dormir s'en alla.
Je demanday : t Qu'est-ce là
Qui fait à mon huis sa plainte ?
— Je suis enfant, n'aye crainte, »
Ce me dit-il. Et adonc 25
Je luy desserre le gond
De ma porte verrouillée.
« J'ay la chemise mouillée,
Qui me trempe jusqu'aux oz,
Ce disoit, car sur le doz 30
Toute nuict j'ay eu la pluie ;
Et pour ce je te supplie
De me conduire à ton feu
Pour m'aller seicher un peu. »
Lors'je prins sa main humide, 35
Et par pitié je le guide
En ma chambre, et le fis seoir
Au feu qui restoit du soir;
Puis, allumant des chandelles.
Je vy qu'il portoit des ailes, ^o
Dans la main un arc turquois.
Et sous l'aisselle un carquois.
Adonc en mon cœur je pense
Qu'il avoit grande puissance,
Et qu'il falloit m'apprester 45
Pour le faire banqueter.
Ce-pendant, il me regarde
D'un œil, de l'autre il prend garde
18. J'entr'ouy. Comme entrevoir, 24. N'aye. L'e muet compte dans la
19. Un: quelqu'un. mesure.
21. Mon dormir. Infinitif employé 25. Adonc: alors,
substantivement. 31. Toute nuict. Toute la nuit.
22. Qu'est-ce, Pour qui est-ce. 41. Turquois. A la turque.
23. Huis : porte, 43. Adonc : alors.
■^
RONSARD 129
Si son arc estoit séché;
Puis, me voyant empesché 50
A luy faire bonne chère.
Me tire une flèche amere
Droict en Toeil, et qui de là
Plus bas au cœur dévala,
Et m'y fit telle ouverture 55
Qu'herbe, drogue ny murmure,
N*y serviroient plus de rien...
{Odea^ II, XIX.)
VI
A ANTHOINE CHASTEIGNER*
Abbé de Nantueil.
Ne s'effroyer de chose qui arrive,
Ne s en fâcher aussi,
Rend l'homme heureux, et fait encor qu'il vive
Sans peur ne sans souci.
Comme le temps vont les choses mondaines, • 5
Suivans son mouvement;
Il est soudain et les saisons soudaines
Font leur cours brèvement.
I Dessus le Nil jadis fut la science,
Puis en Grèce elle alla. 10
\ Rome depuis en eut l'expérience,
Paris maintenant l'a.
50. Empesché : occupe. / du modèle grec une familiarité naïve
54. Dévala : descendit, pénétra. y^ qui a beaucoup de saveur.
56. Murmure : incantation, formule * Cf. Horace : yU admirari, etc.
magique. Épîtres, I, vi.
57. Cette odelette est une des meil- 2. Aussi : non plus.
leures qu'ait inspirées la veine ana- 11. L'expérience: l'usage, la pos>
créontique aux poètes du sei/.icme session,
«iécle. Elle associe à la grâce délicate
I
V
130 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Villes et forts et royaumes périssent
Par le temps tout exprès,
Et donnent lieu aux nouveaux qui fleurissent, 15
Pour remourir après.
Comme un printemps les jeunes enfants croissent.
Puis viennent en esté ;
L'hiver les prend, et plus ils n'apparoissent
Cela qu'ils ont esté. 20
Naguère estoient dessus la sèche arène
Les poissons à Tenvers,
Puis tout soudain l'orgueilleux cours de Sène
Les a de flots couverts.
La mer n'est plus où elle souloit estre, 25
Et aux lieux vuides d'eaux
(Miracle estrange I) on la void soudain naistre
Hospital de bateaux.
Telles loix fit dame Nature guide,
Lors que par sur le dos 30
Pyrrhe sema dedans le monde vuide
De sa mère les os
Arme-toy donc de la philosophie
Contre tant d'accidens.
Et, courageux, d'elle te fortifie 35
L'estomach au dedans,
N'ayant effroy de chose qui survienne
Au devant de tes yeux,
15. Donnent lieu: font place. 30. Par sur le dos. Enles jetant p&r-
17. Croissent. Prononcez ouè. dessus son dos.
21. Arène : sable. 31. Cf. Ovide, Métam. ^1^375 sqq.
25. Souloit : avait coutume. — Cf. 35. Courageux. Pour être coura-
Elégie à la forêt de Gastine, y. 59 sqq., geux.
page 159. 36. L'estomach : le cœur. Encore
28. Donnant l'hospitalité à des ba- employé par Corneille,
tcaux.
RONSARD 131
Soit que le ciel les abysmes devienne,
Et Tabysme les cieux. 40
{Ode, III, XIX.)
VII
DE l'élection de SON SEPULGHRE
Antres, et vous fontaines,
De ces roches hautaines
Qui tombez contre-bas
D'un glissant pas;
Et vous forests, et ondes 5
Par ces prez vagabondes.
Et vous rives et bois,
Oyez ma vois.
Quand le ciel et mon heure
Jugeront que je njeure, 10
Ravi du beau séjour
Du commun jour,
Je defens qu'on ne rompe
Le marbre pour la pompe
De vouloir mon tombeau 15
Bastir plus beau.
Je veuil, j'enten, j'ordonne
Qu'un sepulchre on me donne,
Non près des rois levé
Ny d'or gravé, 20
\ Mais en cette isle verte
Où la course entrouverte
10. Jugeront : décideront. Torgueilleuse intention de me bAtir
11. Ravi : enlevé. un plus beau tombeau.
12. Commun. A tous les hommes. 19. Levé : dressé, se dressant.
13. Rompe : taille. 22. Le courant du fleuye se sépare
14 sqq. Pour la pompe, etc. Dans en deux bras.
132 POÈTES DU XVI^ SIÈCLE
/
Du Loir autour coulant
Est accoUant,
Là où Braye s'amie 25
D'une eau non endormie
Murmure à Tenviron
De son giron.
Mais bien je veux qu'un arbre
M'ombrage en lieu d'un marbre, 30
Arbre qui soit couvert
Tousjours de verd.
De moy puisse la terre
Engendrer un lierrei
M'embrassant en maint tour 35
Tout à l'entour;
Et la vigne tortisse
Mon sepulchre embellisse,
Faisant de toutes pars
Un ombre espars. 40
Là viendront chaque année
A ma feste ordonnée,
Avecques leurs troupeaux,
Les pastoureaux;
Puis, ayans fait l'office 45
De leur beau sacrifice,
Parlans à l'isle ainsi.
Diront ceci :
24. Est accoUant. Comme accoliez pour sépulcre, Ronsard songeait
donne l'accolade. Le fleuve entoure probablement à son prieuré de Saint-
l'Ile de ses deux « bras ». Cosme-en-l'IsIc, où il finit ses jours.
25. Braye, Rivière du Vendômois. « Ce prieuré, dit Duperron dans
Deux syllabes. — S'atnie.Voixr saamie, son oraison funèbre du poète, est
32. Cf. Propereo, II, xiii, 19. situé en un lieu fort plaisant, assis
37. Tortisse : qui s'enlace autour. sur la rivière de la Loire, accompagné
40. Ombre. Généralement masculin de bocages, de ruisseaux et de tous
au sens propre. les ornements naturels qui embellis-
42. Ordonnée : instituée. sent la Touraine, de laquelle il est
47. L'isle. £u choisissant ce lieu comme l'œil ut les délices. »
RONSARD 133
t Que tu es renommée
D'estre tombeau nommée 50
D'un de qui l'univers
Chante les vers,
c Et qui oncque en sa vie
Ne fut brûlé d'envie,
Mendiant les honneurs 55
Des grands seigneurs,
« N'y n'enseigna l'usage
De l'amoureux breuvage,
N'y l'art des anciens
Magiciens, 60
c Mais bien à nos campagnes
Fit voir les Sœurs compagnes
Foulantes l'herbe aux sons
De ses chansons,
« Car il fit à sa lyre 65
Si bons accords eslire
Qu'il orna de ses chants
Nous et nos champs !
f La douce manne tombe
A jamais sur sa tombe, 70
Et l'humeur que produit
En may la nuit !
« Tout à l'entour l'emmure
L'herbe et l'eau qui murmure.
L'un tousjours verdoyant, 75
L'autre ondoyant!
49. Quelle illustration c'est pour 69. Tombe. Au subjonctif, avec
toi! l'ellipse de que.
51. Un: quelqu'un. 71. Humeur : humidité. Il s'agit de
53. Oncque : jamais. « la rosée.
58. Des philtres amoureux. 73. Emmure. Au subjonctif. Cf. le
59. Anciens. Trois syUabes. v. 69.
62. Les Muses.
80
134 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
« Et nous, ayans mémoire
Du renom de sa gloire,
Luy ferons, comme à Pan,
Honneur chaque an. »
Ainsi dira la troupe,
Versant de mainte coupe
Le sang d'un agnelet.
Avec du lait.
Dessus moy, qui à l'heure 85
Seray par la demeure
Où les heureux esprits
Ont leur pourpris.
La gresle ne la nege
N'ont tels lieux pour leur siège, «0
Ne la foudre oncques là
Ne dévala.
Mais bien constante y dure
L'immortelle verdure,
Et constant en tout temps 95
Le beau printemps.
Et Zephire y alaine
Les myrtes et la plaine
Qui porte les couleurs
De mille fleurs. loo
Le soin qui sollicite
Les rois ne les incite
Le monde ruiner
Pour dominer,
85. A l'heure : à cette heure-là. 97. AlaCiie : caresse de son haleine.
88. Pourpris : demeure, 101. Soin: souci.
91. 0«cçtt« : jamais. 102. Les. Les heureux esprits. Cf.
92. Dévala : descendit. v> 87.
RONSARD 135
Ains comme frères vivent, 105
Et, morts, encore suivent
Les mestiers qu'ils avoient
Quand ils vivoient.
Là, là j'oirray d'Alcée
La lyre courroucée, 110
Et Sapphon, qui sur tous
Sonne plus dous.
Combien ceux qui entendent
Les odes qu'ils respendent
Se doivent réjouir 115
De les ouir.
Quand la peine receue
Du rocher est deceue.
Et quand saisit la faim
Tantale en vain. 120
La seule lyre douce
L'ennuy des cœurs repousse.
Et va l'esprit flatant
De l'escoutant.
{Odes, IV, IV.)
105. Ains : mais. 122. Ennuy. Avait un sens plus
109. Alcée. Poète lyrique grec, de fort que dans l'usage moderne,
l'école éolienne. 123. Va flatant : ûatte,
110. Courroucée. Une partie de ses 124. L'e^cou^anf: l'auditeur. — «Cette
vers consistaiten violentes invectives pièce délicieuse réunit tous les mé-
contre ses adversaires politiques. rites. Les idées en sont simples.
i\l. Sapphon. Sapho, la poétesse douces et tristes ; la couleur pastorale
de Lesbos. — Sur. Par->dcssus. n'y a rien de fade ; l'exécution surtout
117, 118. Allusion au rocher de y est parfaite. Ce petit vers masculin
Sisyphe. — Puisque Sisyphe lui-même de quatre syllabes qui tombe à la fin
en oublie son rocher. de chaque stance produit à la longue
120. En vain. Parce qu'il ne peut la une impression mélancolique : c'est
satisfaire. comme un son de cloche funèbre. »
121. Seule, la lyre douce. (Sainte-Beuve.)
136 POINTES DU XVI® SIÈCLE
VIII
Le petit enfant Amour
Gueilloit des fleurs à l'entour
D*une ruche, où les avettes •
Font leurs petites logettes.
Gomme il les alloit cueillant 5
Une avette sommeillant
Dans le fond d'une fleurette,
Luy piqua la main tendrette.
Si tost que piqué se vit,
Ah! je suis perdu, ce dit; 10
Et, s'en-courant vers sa mère,
Luy monstra sa playe amere :
Ma mère, voyez ma main.
Ce disoit Amour tout plein
De pleurs, voyez quelle enflure 15
M'a fait une esgratignure !
Alors Venus se sourit.
Et en le baisant le prit.
Puis sa main luy a souflée
Pour guarir sa plaie enflée. 20
Qui t'a, dy-moy, faux garçon,
Blessé de telle façon?
Sont-ce mes Grâces riantes.
De leurs aiguilles poignantes ?
Nenny, c'est un serpenteau, 25
Qui vole au printemps nouveau
* Odelette imitée d'Anaeréon. 21. Faux : méchant. Se trouve en-
3. Avettes : abeilles. core dans Molière avec ce sens.
5. Alloit cueillant : cueillait. 24. Poignantes : piquantes.
17. Se sourit : sourit. 25. Serpe nteau.Diminutit de eerpent.
19. A soufflé sur sa main.
^
RONSARD
137
Avecques deux ailerettes
Çà et là sur les fleurettes.
Ah ! vrayment je le cognois,
Dit Venus ; les villageois 30
De la montagne d*Hymette
Le surnomment une avette.
Si donques un animal
Si petit fait tant de mal,
Quand son halesne espoinçonne 35
La main de quelque personne,
Combien fais-tu de douleurs
Au prix de luy, dans les cœurs
De ceux contre qui tu jettes
Tes homicides sagettes? 40
{Odes, IV, XIV.)
IX
Bel aubespin verdissant,
Fleurissant,
30. Villageois, Prononcez ouè.
32. Avette. Cf. la note du t. 3.
35. Halesne : alêne, dard. — Espoin-
çonne: pique.
40. Sagettes : flèches. — « Ce sont
là de ces imitations à la manière de
La Fontai ne. Une sorte de naïveté,
gauloise y rachète ce qu'on perd d'ail-
leurs en précîsfôn et en simplicité de
_Cûlllpur. Venus, comme une bonne
mère, souffle sur la main de son mé-
chant garçon pour le guérir; elle lui
demande qui l'a ainsi blessé, et si ce
ne sont pas les Grâces riantes avec
leurs aiguilles. Arrêtée à temps, cette
façon familière est un agrément de
plus. » (Sainte-Beuve, Tableau de la
Poésie au seizième siècle.) Cf. la tra-
duction de H. Belleau :
Amour ne Toyoit pas enclose
Entre les replia de 1a rose
Une mouche à miel qui soudain
En l'un de ws doigts le vint poindre.
Le mignon commence à ae plaindre,
Voyant enfler sa blanche main.
Aussi tost à Venus la belle
Fuyant, il rolle à tire d'aelle :
« Mère, dist-il, c'est fait de moy.
C'en est fait, il faut qu'à ceste heure
Narré juaquea au cœur je meure
Si secouru ne suis par toy.
Narré je suis en cette sorte
D'un petit serpenteau qui porte
Deux ailerons dessus le dos.
Aux champs une abeille on l'appelle :
Voye» donc ma playe cruelle,
Las i il m'a plcqué jusqu'à l'os, s
« Mignon (dîst Venus), si la pointe
D'une mouche à miel telle atteinte
Droit au cœur (comme tu dis) faict,
Combiea sont narrez darantage.
Ceux qui sont espoinda de ta ra^re
Et qui sont bleaaea de ton trait?
8.
t
138 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Le long de ce beau rivage,
Tu es vestu jusqu'au bas
Des longs bras 5
D'une lambrunche sauvage.
Deux camps drillants de fourmis
Se sont mis
En garnison sous ta souche ;
Et dans ton tronc mi-mangé, 10
Arrangé
Les avettes ont leur couche.
Le gentil rossignolet,
Nouvelet,
Avecques sa bien-aimée, 15
Pour ses amours alléger
Vient loger
Tous les ans en ta ramée.
Sur ta cyme il fait son ny,
Bien garny 20
De laine et de fine soye,
Où ses petits esclorront,
Qui seront
De mes mains la douce proye.
Or vy, gentil aubespin, 25
Vy sans fin,
Vy sans que jamais tonnerre.
Ou la coignée, ou les vents,
Ou les temps,
Te puissent ruer par terre. 30
{Odes, IV, XXI.)
3. Rivage : rive. 14. Nouvelet : jeunet.
6. Lambrunche : vigne vierge. 16. i4^/e^er. Alléger sa peine amou-
7. Drillants, Le mot veut dire aller reuse, calmer sa passion en la con-
vite, s'empresser, tentant.
11, 12. Les avettes ont arrangé. 30. Ruer: renverser.
12. Avettes : abeilles.
RONSARD 139
LES AMOURS
AMOURS DE GASSANDRE'^
I
••
Avant le temps tes tempes fleuriront,
De peu de jours ta fin sera bornée,
Avant ton soir se clorra ta journée,
Trahis d'espoir tes pensers périront.
Sans me fléchir tes escrits flétriront, 5
En ton desastre ira ma destinée.
Ta mort sera pour m'amour terminée,
De tes soupirs tes neveux se riront;
Tu seras fait du vulgaire la fable.
Tu bastiras sur l'incertain du sable, 10
Et vainement tu peindras dans les cieux.
* Sur Cassandre, Cf. l'Ode à Mi> 1. Fleuriront : blanchiront,
gnonne, page 123. Les Amours de 3. « Vers tout moderne, qu'on
Cassandre se rattachent à la même croirait d'André Chénier. » (Sainte-
inspiration que les premières odes de Beuve.)
Ronsard. La plupart de ces sonnets 5. Sans me fléchir, Cassandre, en
sont gâtés par le pédantisme, et sen- effet, resta inflexible. — Flétriront :
tent l'effort Mais quelques-uns allient se flétriront,
l'élégance à la gravité. Le poète s'ins- 6. Je causerai ta perte,
pire de Pétrarque, qui, comme Pin- 7. Mon amour, l'amour que tu as
dare, a son galimatias. Du moins, il pour moi, sera cause de ta mort. —
faut le louer d'avoir le premier intro- Terminée : accomplie,
duit dans la poésie française une 10. L'incertain. Adjectif employé
conception élevée et délicate de substantivement. Construction très
l'amour, qui fait contraste avec la ga • fréquente chez les poètes de la
lanterie frivole de Marot. Pléiade.
** Dans ce sonnet, Ronsard, assi- 11. « Expression magnifique et
milant sa Cassandre à l'antique pro- splendidequU(a.an.4uhlime. » (Sainte-
phétesse, fille de Priam, se fait prédire Beuve.)
par elle ses destinées.
140 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Ainsi disoit la Nymphe qui m'afFolle,
Lors que le ciel, témoin de sa parolle,
D'un dextre éclair fut présage à mes yeux.
{Amours^ I, xix.)
II
Gomme un chevreuil, quand le printemps détruit
Du froid hyver la poignante gelée.
Pour mieux brouter la fueille emmiellée.
Hors de son bois avec l'Aube s'enfuit;
Et seul, et seur, loin des chiens et du bruit, 5
Or' sur un mont, or' dans une valée.
Or' prés d'une onde à l'escart recelée,
Libre, folâtre où son pied le conduit;
De rets ne d'arc sa liberté n'a crainte,
Sinon alors que sa vie est atteinte 10
D'un trait meurtrier empourpré de son sang;
Ainsi j'allois, sans espoir de dommage.
Le jour qu'un œil, sur l'avril de mon âge.
Tira d'un coup mille traits dans mon flanc.
{Amours f I, lix.)
III
Voicy le bois que ma saincte Angelette
Sur le printemps anima de son chant;
Voicy les fleurs où son pied va marchant.
Lorsque, pensive, elle s'ébat seulette; ^
12. M'affole, D'amour. supérieur au modèle. « Lo charmant
14. Les éclairs du côté droit étaient yera Pour mieux brouter ^ etc, est
des présages do malheur. tout entier de Ronsard, et cet autre,
2. Poignante : piquante. allègre et sémillant, Libre, folâ-
6. Or'. Pour ore : tantôt. fre, etc., vaut mieux que l'original. »
11. Meurtrier. Deux syllabes. (Sainte-Beuve.)
12. Espoir : attente, appréhension. 3. Va marchant : marche.
14. Sonnet imité de Bembo, mais
KONSARD 141
lo, voicy la prée verdelette 5
Qui prend vigueur de sa main la touchant,
Quand pas à pas, pillarde, va cherchant
Le bel émail de l'herbe nouvelette.
Icy chanter, là pleurer je la vy,
Icy sourire, et là je fu ravy 10
De ses beaux yeux par lesquels je des-vie ;
Icy s'asseoir, là je la vy danser :
Sus le mestier d'un si vague penser
Amour ourdit les trames de ma vie.
(AmourSf I, CLix.)
AMOURS DE MARIE"^ .
I ^
Je vous envoyé un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies ;
Qui ne les eust à ce vespre cueillies,
Gheutes à terre elles fussent demain.
Gela vous soit un exemple certain 5
Que vos beautez, bien qu'elles soient fleuries.
En peu de temps seront toutes flaitries.
Et, comme fleurs, périront tout soudain.
Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame,
Las! le temps, non, mais nous nous en allons, 10
Et tost serons estendus sous la lame.
5. lo. Cf. page 126, note du vers 29. ce recueil exprime avec une vivacité
— Prée : pré. — L'e muet compte généreuse ce que l'amour peut avoir
dans la mesure. de plus passionné ; d'autres sont des
7. Va cherchant : cherche. chefs-d'œuvre de grâce plaintive, de
B. Le belémaU.ljes fleurs qaiémaiil' langueur attendrie et de volupté
lent l'herbe. rêveuse.
11. Je des-vie : je meurs. Cf. décéder. 3. Qui : si l'on. — Vespre : soir.
* Marie, « fleur angevine de quinze 4. Cheutes... elles fussent. Elles se-
ans » qui inspira les Secondes Amours, raient tombées.
Ronsard n'affecte plus ici le pétrar- 5. Ellipse de que.
quisme subtil et quintessencié des 11. Lame. La pierre du tombeau,
sonnets à Cassandre. Mainte pièce de
r
142 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Et des amours desquelles nous parlons
Quand serons morts n'en sera plus nouvelle.
Pour ce aymez-moy ce pendant qu'estes belle.
{Sonnets retranchée, xyii.)
II*
Gomme on voîd sur la branche au mois de may la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur.
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand Taube de ses pleurs au poinct du jour l'arrose ;
La Grâce dans sa fueille et T Amour se repose, 5
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur;
Mais, batue ou de pluye ou d'excessive ardeur.
Languissante, elle meurt, fueille à fueille déclose :
Ainsi, en ta première et jeune nouveauté.
Quand la terre et le ciel honoroient ta beauté, 10
La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes.
Pour obsèques reçoy mes larmes et mes pleurs.
Ce vase plein de laict, ce pannier plein de fleurs,
A fin que, vif et mort, ton corps ne soit que roses.
{Amours t II, iv.)
13. N'entera plus nouvelle, Onu* en Platon à Xanthippe : « Je suis une
parlera plus. Pomme; quelqu'un qui t'aime me jette
14. Pour ce. L'e de ce s'élide. — à toi. Consens, Xanthippe ; et moi et
Cf. l'Ode à Gassandre, page 123. — toi aussi nous nous flétrirons. »
Cette pièce est imitée de MaruUe : * Marie était morte à l'âge de
Hm TiolM Btqae hme tibl candida lilU mitto j ^i^g* «* u° «ïi8.
Le^ hodie Tiolaa, candida 1111a heri : 4. La rosée.
LiUa at initantla monearia, Tlrgo, aenectae, 8. Déclose : ouverte. Les pétales se
Tarn oito qa» lApala marcida «imt foUla, détachent les uns après les autres.
III» ut rere soo doceant rer carpere rit» jj. Obsèques. Le mot est pris ici,
InTldaqucdmlaeri* tam brere Parca dédit. p„ extension, dans le sens d'off'rande
On 'connaît encore l'épigramme de funèbre.
RONSARD 143
SONNETS A HÉLÈNE*
I
Je plante en ta faveur cet arbre de Gybelle,
Ce pin, où tes honneurs se liront tous les jours :
J'ay gravé sur le tronc nos noms et nos amours,
Qui croistront à Tenvy de l'escorce nouvelle.
Faunes, qui habitez ma terre paternelle, 5
Qui menez sur le Loir vos danses et vos tours.
Favorisez la plante et luy donnez secours,
Que Testé ne la brusle et l'hyver ne la gelle.
Pasteur qui conduiras en ce lieu ton troupeau,
Flageollant une eclogue en ton tuyau d'aveine, 10
Attache tous les ans à cest arbre un tableau
Qui tesmoigne aux passans mes amours et ma peine ;
Puis Tarrosant de lai et et du sang d'un agneau,
Dy : c Ce pin est sacré, c'est la plante d'Helene. »
(VIII.)
II
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle.
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, et vous esmerveillant :
Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle.
Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle, 5
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
* Hélène de Sargères, fiUe d'hon- 4. A l'envy de : en rivalisant avec,
neur de Catherine de Médicis. Hon> — Cf. Virgile, Eglog.j X, 54.
sard lui consacra ses derniers son- 10. Flageollant. Chantant sur le
nets, dont quelques-uns ont un grand flageol ou flageolet,
charme de mélancolie douce et péné- 11. Cf. page 159, vers 44.
trante. « Ce fut, dit Binet, le plus 1. Cf. Tibulle, I, viii, 41.
digne objet de sa muse, et il finit 5. Oyant : entendant,
quasi sa vie en la louant. »
144 POÈTES DU XVi^ SIÈCLE
Qui, au bruit de Ronsard, ne s'aille réveillant,
Bénissant vostre nom de louange immortelle.
Je seray sous la terre, et, fantosme sans os.
Par les ombres myrteux je prendray mon repos; 10
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et vostre fier desdain.
Vivez, si m*en croyez, n'attendez à demain;
Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie.
(XLII.)
III
Il ne faut s'esbahir, disoient ces bons vieillars
Dessus le mur troyen, voyans passer Hélène,
Si pour telle beauté nous souffrons tant de peine :
Nostre mal ne vaut pas un seul de ses regars.
Toutesfois il vaut mieux, pour n'irriter point Mars, 5
La rendre à son espoux, afin qu'il la remmeine,
Que voir de tant de sang nostre campagne pleine,
Nostre havre gaigné, l'assaut à nos rampars.
Pères, il ne falloit, à qui la force tremble.
Par un mauvais conseil les jeunes retarder; 10
Mais, et jeunes et vieux, vous deviez tous ensemble
Pour elle corps et biens et ville bazarder.
Menelas fut bien sage et Paris, ce me semble,
L'un de la demander, l'autre de la garder.
(XL VI.)
7. Au bruit : au nom de, en enten- actuel. Cf. le latin férus,
dant nommer. — S'aille réveillant: 14. Cf. l'Ode àCassandre,pagel23.
se réveille. * Cf. Iliade, III, 169.
8. De : par une. 9. A qui. Vous à qui.
10. Ombres myrteux. L'ombrage 10. Retarder. Sens du latin retar-
des myrtes, aux enfers. — Ombre dare : refroidir,
s'employait au masculin, surtout dans 13. Et Pdris. Et Paris le fut aussi,
le sens propre. — Cf. Properce, II, m, 57.
12 Fier. Plus fort que dans l'usage
RONSARD 145
LES HYMNES
HYMNE DE l'oR
On dit que Jupiter, pour vanter sa puissance,
Monstroit un jour sa foudre, et Mars monstroit sa lance,
Saturne sa grand' faulx, Neptune son trident,
Appollon son bel arc. Amour son traict ardent,
Bacchus son beau vignoble, et Gérés ses campaignes, 5
Flore ses belles fleurs, le Dieu Pan ses montaignes.
Hercule sa massue, et bref les autres Dieux
L'un sur l'autre vantoient leurs biens à qui mieux mieux ;
Toutefois ils donnoient par une voix commune
L'honneur de ce débat au grand Prince Neptune, 10
Quand la Terre leur mère, espointe de douleur
Qu'un autre par-sur elle emportoit cet honneur.
Ouvrit son large sein, et au travers des fentes
De sa peau, leur monstra les mines d'or luisantes,
Qui rayonnent ainsi que l'esclair du soleil 15
Reluisant au matin, lors que son beau réveil
N'est point environné de l'espais d'un nuage,
Ou comme l'on voit luire au soir le beau visage
De Yesper la Gyprine, allumant les beaux crins
De son chef bien lavé dedans les flots marins. 20
* Ronsard appelle ainsi des 11. E^pom^e : piquée^ percée,
poèmes en alexandrins qui n'ont en 12. Par-sur : par-dessus,
général rien de proprement lyrique, 17. L'espais. Adjectif employé sub-
mais tiennent soit de l'élégie, soit de stantivement.
l'épopée, soit de l'épître morale. 19. La Cyprine. Yesper est l'étoile
8. L'un sur l'autre. Sur : par-dessus, de Vénus, et Vénus avait à Chypre
plus que. Même sens que à qui mieux un de ses cultes les plus renommés.
mieux. — Crins : cheveux.
10. L'honneur. La palme. 20. Chef : tête.
G. P. — Poètes du XVI» siècle. 9
à
146 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Incontinent les Dieux estonnez confessèrent
Qu'elle estoit la plus riche, et flattans la pressèrent
De leur donner un peu de cela radieux
Que son ventre cachoit, pour en orner les cieux.
Ils ne le nommoient point; car ainsi qu'il est ores, 25
L'Or, pour n'estre cogneu, ne se nommoit encores.
Ce que la Terre fit, et prodigue honora
De son Or ses enfans, et leurs cieux en dora.
Adonques Jupiter en fit jaunir son throne,
Son sceptre, sa couronne, et Junon la matrone 30
Ainsi que son espoux son beau throne en forma.
Et dedans ses patins par rayons l'enferma.
Le Soleil en crespa sa chevelure blonde.
Et en dora son char qui donne jour au monde.
Mercure en fit orner sa verge, qui n'estoit 35
Auparavant que d'if; et Phebus, qui portoit
L'arc de bois et la harpe, en fit soudain reluire
Les deux bouts de son arc et les flancs de sa lyre.
Amour en fit son trait, et Pallas qui n'a point
La richesse en grand soin, en eut le cœur espoint, 40
Si bien qu'elle en dora le groin de sa Gorgonne,
Et tout le corselet qui son corps environne.
Mars en fit engraver sa hache et son boucler,
Les Grâces en ont fait leur demi-ceint boucler.
Et pour l'honneur de luy Venus la Gytherée 45
Tousjours depuis s'est fait appeller la Dorée ;
21. Estonnez: frappés d*a.drairation, 38. Flancs :■ côtés.
22. Flattans : flatteurs, avec des 40. En grand soin. En grand souci,
flatteries. Qui ne se soucie guère de la richesse.
23. De cela radieux : de cet or ra- — Espoint : piqué, épris.
dieux. Cf. le vers 25 : 7^* ne le nom- 41. Sa Gorgonne. Il y avait trois
moient pas. Gorgones ; celle-ci est Méduse, dont
25. Ores : maintenant. Pallas avait fixé la tête à sou égide.
25, 26. Pour n'être pas connu 42. Cor^e^e^: petit corps de cuirasse,
oomme il l'est maintenant. 43. Engraver : graver, incruster.
26. Pour n'estre. Parce qu'il n'était. 44. Demi-ceint : ceinture étroite, de
29. Adonques : alors. chaînons de métal, à laquelle les
32. Patins : chaussures. femmes suspendaient clefs^ ciseaux,
33. Crespa : frisa. — En fit les fri- etc.
sures de sa..., etc. 45. C^/^Aere'e. La déesse de Cythorc.
35. Verge. Le caducée.
^
RONSARD 147
Et mesme la Justice à l'œil si refrongné
Non plus que Jupiter ne l'a pas dédaigné,
Mais soudain cognoissant de cest Or l'excellence
En lit broder sa robbe, et faire sa balance 50
[Hymnes, II, vu.)
II
HYMNE D£ LA MORT
Ainsi qu'un prisonnier qui jour et nuict endure
Les raanicles aux mains, aux pieds la chaisne dure,
Se doit bien réjouir à l'heure qu'il se voit
Délivré de prison ; ainsi l'homme se doit
Réjouir grandement, quand la Mort luy deslie 5
Le lien qui serroit sa misérable vie.
Pour vivre en liberté; car on ne sçauroit voir
Rien de né qui ne soit par naturel devoir
Esclave de labeur; non seulement nous hommes
Qui vrais enfans de peine et de misères sommes, 10
Mais le soleil, la lune et les astres des cieux
Font avecques travail leur tour laborieux ;
La mer avec travail deux fois le jour chemine;
La terre tout ainsi qu'une femme en gesine.
Qui avecque douleur met au jour ses enfans, 15
Ses fruits avec travail nous produit tous les ans ;
Ainsi Dieu l'a voulu, afin que seul il vive
Affranchi du labeur qui la race chetive
Des humains va rongeant de soucis langoureux.
Pource, l'homme est bien sot, ainçois bien malheu- 20
Qui a peur de mourir, et mesmement à l'heure [reux,
Qu'il ne peut résister que soudain il ne meure.
50. Etienne Pasquier admirait ce désormais, etc.
morceau comme un des meilleurs de 18, 19. Qui... va rongeant la race,
Ronsard. etc. — Va rongeant : ronge. — Lan-
1. Pour toute la pièce. Cf. Marot, goureux : qui font languir, dépérir.
Déploration, etc., page 96. 20. Ainçois : ou plutôt.
2. Manicles : liens pour les mains. 21. Mesmement : surtout.
7. Pour vivre. De façon qu'il vive 22. Résister que... ne. S'anipècherdo,
148 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Se raocqueroit-on pas de quelque combatant,
Qui dans le camp entré s'iroit espouvantant,
Ayant, sans coup ruer, le cœur plus froid que glace, 25
Voyant tant seulement de l'ennemy la face ?
Puis que l'on est contraint sur la mer voyager.
Est-ce pas le meilleur, après maint grand danger.
Retourner en sa terre et revoir son rivage ?
Puis qu'on est résolu d'accomplir un voyage 30
Est-ce pas le meilleur de bien tost mettre à fin,
Pour regaigner l'hostel, la longueur du chemin.
De ce chemin mondain qui est dur et pénible,
Espineux, raboteux, et fascheux au possible,
Maintenant large et long, et maintenant estroit, 35
Où celuy de la Mort est un chemin tout droit.
Si certain à tenir, que ceux qui ne voient goutte
Sans fourvoyer d'un pas n'en faillent point la route?
que d'estre ja morts nous seroit un grand bien
Si nous considérions que nous ne sommes rien 40
Qu'une terre animée, et qu'une vivante ombre,
Le sujet de douleur, de misère et d'encombre,
Voire et que nous passons en misérables maux
Le reste (ô creve-cœur!) de tous les animaux!
Non pour autre raison Homère nous égale 45
A la fueille d'Hyver qui des ar*bres dévale,
Téint nous sommes chetifs et pauvres journaliers.
Recevant sans repos maux sur maux à milliers,
Gomme faits d'une masse impuissante et débile.
Pource je m'esbahis des paroles d'Achille, 50
24. S'iroit espouvantant. Cf. va ron- 43. Voire et que : et qae -vraiment ;
géant du v. 19. ou bien : et même que.
25. Ruer : lancer. 44. Le reste,,, de tous : tous les
26. Voyant : en voyant. autres.
32. L'hostel. Son logis, sa maison. 45. Ce n'est pas pour une autre
36. Ou. Au lieu que. raison que.
37. Tenir. Suivre d'une façon con- 46. Dévale : descend, tombe,
tinue. 47. Journaliers. Substantif. Nous
38. Fourvoyer. Comme se fourvoyer, vivons au jour le jour.
S'écarter de la voie. — Faillent, 50 sqq. Cf. Odyssée, ch. xi.
manquent.
nONSAHD 149
Qui dit dans les enfers qu'il aîmeroit trop mieux
Estre un pauvre valet, et jouir de nos cieux,
Que d'estre Roy des morts. Certes il faut bien dire
Que contre Agamemnon avoit perdu son ire,
Et que de Briséis plus ne se souvenoit, 55
Et que plus son Patrocle au cœur ne luy venoit,
Qui tant et tant de fois luy donnèrent envie
De mourir de despit pendant qu'il fut en vie.
Ou bien s'il eust ouy l'un des Sages, qui dit
Que l'homme n'est sinon, durant le temps qu'il vit, 60
Qu'une mutation qui n'a constance aucune,
Qu'une proye du temps, qu'un jouet de Fortune,
Il n'eust voulu çà-haut renaistre par deux fois,
Non pour estre valet, mais le plus grand des Roys.
Masures, on dira que toute chose humaine 65
Se peut bien recouvrer, terres, rentes, domaine.
Maisons, femmes, honneurs, mais que par nul effort
On ne peut recouvrer l'âme quand elle sort.
Et qu'il n'est rien si beau que de voir la lumière
De ce commun soleil, qui n'est seulement chère 70
Aux hommes sains et forts, mais aux vieux chargez d'ans,
Perclus, estropiats, catharreux, impotans.
Tu diras que tousjours tu vois ces platoniques,
Ces philosophes pleins de propos magnifiques,
Dire bien de la mort; mais quand ils sont ja vieux, 75
Et que le flot mortel leur nage dans les yeux.
Et que leur pied tremblant est desja sur la tombe.
Que la parole grave et severe leur tombe.
Et commencent en vain à gémir et pleurer.
Et voudroient, s'ils pouvoient, leur trespas différer. 80
51. Trop mieux : beaucoup mieux. 65. Masures. Louis des Masures,
54. Avoit : il avait. — Ire : colère. « poète françois, » auquel est dédié
55. Briséis. La jeune esclave qui lui cet hymne.
avait été enlevée par Agamemnon. 73. />/atont(7ue.f. Disciple de Platon.
60. N'est sinon que : n'est que. 78. Que. Coordonné au que du v. 73.
62. Proye. Deux syllabes. — Leur tombe : leur fait défaut.
63. Çà-haut. Cf. çà-bas : ici-bas. 79. Et commencent. Et qu'ils com-
Çà~haut signifie : sur la terre, par mencent. — En vain. Cf. s'ils pou-
rapport aux enfers. valent du vers suivant.
/
150 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Tu me diras encor que tu trembles de crainte
D'un batelier Gharon, qui passe par contrainte
Les âmes outre l'eau d'un torrent efFroyant,
Et que tu crains le chien à trois voix aboyant,
Et les eaux de Tantale et le roc de Sisyphe, 85
Et des cruelles Sœurs l'abominable griffe.
Et tout cela qu'ont feint les poëtes là-bas
Nous attendre aux enfers après nostre trépas.
Quiconque dis cecy, ha ! pour Dieu te souvienne
Que ton âme n'est pas payenne, mais chrestienne, 90
Et que nostre grand Maistre, en la croix estendu
Et mourant, de la Mort l'aiguillon a perdu.
Et d'elle maintenant n'a fait qu'un beau passage
A retourner au ciel, pour nous donner courage
De porter nostre croix, fardeau léger et doux, 95
Et de mourir pour luy comme il est mort pour nous;
Sans craindre, comme enfans, la nacelle infernale.
Le rocher d'Ixion et les eaux de Tantale,
Et Gharon, et le chien Gerbere à trois abois.
Desquels le sang de Ghrist t'affranchit en la croix, loo
Pourveu qu'en ton vivant tu luy vueilles complaire.
Faisant ses mandemens qui sont aisez à faire,
Gar son joug est plaisant, gracieux et léger.
Qui le dos nous soulage en lieu de le charger.
S'il y avoit au monde un estât de durée, 105
Si quelque chose estoit en la terre asseurée,
Ce seroit un plaisir de vivre longuement ;
Mais puis qu'on n'y voit rien qui ordinairement
82. D'un, Dépend de crainte, quoi- souvienne,
que ce mot ne soit pas déterminé. — 92. Perdu. Dans le sens de détruire.
D'un batelier Charon : d'un batelier briser.
tel que Charon. — Par contrainte : 102. Mandements : commandements,
malgré elles. 103. Plaisant : agréable.
84. Cerbère. 106. Asseurée. Se rapporte à quel-
86. Sœurs. Les Furies. que chose. Construction courante au
87. Là-bas. Dans les profondeurs seizième siècle.
des enfers. 108. Or^//m(re/nen^ Suivant Tordre
89. Quiconque dis. Qui que tu sois normal et universel,
qui dises. — Te souvienne. Qu'il te
RONSARD 151
Ne se change et rechange, et d'inconstance abonde,
Ce n'est pas grand plaisir que de vivre en ce monde; 110
Nous le cognoissons bien, qui tousjours lamentons,
Et pleurons aussi tost que du ventre sortons,
Gomme presagians par naturel augure
De ce logis mondain la misère future.
Non pour autre raison les Thraces gemissoient 115
Pleurans piteusement, quand les enfans naissoient;
Et quand la Mort mettoit quelqu'un d'eux en la bière,
L'estimoient bien-heureux, comme franc de misère
Que ta puissance, ô Mort, est grande et admirable!
Rien au monde par toy ne se dit perdurable; 120
Mais tout ainsi que Tonde, à val des ruisseaux, fuit
Le pressant coulement de Tautre qui la suit ;
Ainsi le temps se coule, et le présent fait place
Au futur importun qui les talons luy trace.
Ce qui fut, se refait; tout coule comme une eau, 125
Et rien dessous le ciel ne se voit de nouveau;
Mais la forme se change en une autre nouvelle.
Et ce changement-là, vivre au monde s'appelle,
Et mourir, quand la forme en une autre s*en-va;
Ainsi avec Venus la Nature trouva 130
Moyen de r'animer par longs et divers changes,
La matière restant, tout cela que tu manges;
Mais nostre âme immortelle est tousjours en un lieu,
Au change non sujette, assise auprès de Dieu,
Citoyenne à jamais de la ville éihérée, 135
Qu'elle avoit si long temps en ce corps désirée.
Je te salue, heureuse et profitable Mort,
111. Cognoissons : savons; le est 120. Perdurable: qui doit toujours
au neutre. — Qui : nous qui. — La- durer.
mentons. Emploi courant du seizième 121. A val. En suivant la pente, le
siècle. courant.
114. Mondain : terrestre. 122. Pressant : qui presse le flot
115. Ce n'est pas pour une autre précédent.
raison que, etc. 124. Qui.., trace, etc. Qui suit à la
116. Piteusement.U'uneîaqondigne trace ses talons.
de pitié. 126. Joignez rien et de nouveau.
118. Fra/ic : exempt. 131, 134. Changes : changements.
/
152 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Des extrêmes douleurs médecin et confort !
Quand mon heure viendra, Déesse, je te prie
Ne me laisse long temps languir en maladie, 140
Tourmenté dans un lict : mais puisqu*il faut mourir,
Donne moy que soudain je te puisse encourir.
Ou pour l'honneur de Dieu, ou pour servir mon Prince ,
Navré, poitrine ouverte, au bord de ma province!
{Hymnes, II, ix.)
r r
ELEGIES
ÉLÉGIE DU PRINTEMPS*
Printemps, fils du Soleil, que la terre, arrousée
De la fertile humeur d'une douce rousée,
Au milieu des œillets et des roses conceut,
Quand Flore entre ses bras nourrice vous receut.
Naissez, croissez, Printemps, laissez-vous apparoistre ; 5
En voyant Isabeau, vous pourrez vous cognoislre.
Elle est vostre miroër, et deux lys assemblez
Ne se ressemblent tant que vous entre-semblez.
Tous les Éeux n'estes qu'un, c'est une mesme chose;
La rose que voicy ressemble à ceste rose, lo
Le diamant à l'autre, et la fleur à la fleur;
Le Printemps est le frère, Isabeau est la sœur.
144. Navré : blessé. — Au bord, etc. le recueil des Elégies, mais dans celui
En défendant la frontière. — PrO' des Sonnets pour Astrée.
vince : pays. — Brantôme raconte que 2. Humeur : liqueur.
Ghastellard, condamné à mort comme 1. Assemblez : mis l'un près de
ayant offensé Marie Stuart, « lut cette l'autre.
hymne sur l'échafaut pour son éter- 8. Que vous vous entre-semblez.
nelle consolation, ne s'aidant d'autre Le premier sfous est soue-entendu. —
livre spirituel, ni de ministre, ni de S'entre-sembler : se ressembler entre
confesseur, d soi.
* Cette pièce se trouve, non dans 11. Un diamant à un autre.
RONSARD 153
On dit que le Printemps, pompeux de sa richesse,
Orgueilleux de ses fleurs, enflé de sa jeunesse
Logé comme un grand prince en ses vertes maisons, 15
Se vantoit le plus beau de toutes les saisons,
Et, se glorifiant, le contoit à Zephyre.
Le Ciel en fut marry, qui soudain le vint dire
A la mère Nature. Elle, pour r'abaisser
L'orgueil de cet enfant, va par tout ramasser 20
Les biens qu'elle serroit de mainte en mainte année.
Quand elle eut son espargne en son moule ordonnée,
La fit fondre, et, versant ce qu'elle avoit de beau.
Miracle! nous fit naistre une belle Isabeau,
Belle Isabeau de nom, mais plus belle de face, 25
De corps belle et d'esprit, des trois Grâces la grâce.
Le Printemps estonné, qui si belle la voit,
De vergongne la fièvre en son coeur il avoit;
Tout le sang luy bouillonne au plus creux de ses veines ;
Il fit de ses deux yeux saillir mille fontaines, 30
Souspirs dessus souspirs comme feu luy sortoient.
Ses muscles et ses nerfs en son corps luy batoient ;
Il devint en jaunisse, et d'une obscure nue
La face se voila, pour n'estre plus cognuë.
« Et quoy! disoit ce dieu de honte furieux, 35
Ayant la honte au front et les larmes aux yeux.
Je ne sers plus de rien, et ma beauté premièfe,
D'autre beauté vaincue, a perdu sa lumière;
Une autre tient ma place, et ses yeux en tout temps
Font aux hommes sans moy tous les jours un prin- 40
Et mesme le Soleil plus longuement retarde [temps ;
Ses chevaux sur la terre, à fin qu'il la regarde.
13. Pompeux. Se faisant honneur. D'année en année et depuis mainte
14. Enflé. Tirant vanité. année.
16. Se vantait comme étant le plus 22. Ordonnée. Disposée,
beau, d'ôtre le plus beau. — BeaUy du 27. Estonné : frappé d'admiration,
masculin, se rapportant k printemps, — Voit. Prononcez voué.
comme s'il y avait : se vantait d'être 29. Au plus creux : au plus pro-
beau entre toutes les saisons. fond.
18. Marry : fâché. 30. Saillir : sauter, jaillir.
21. De mainte en mainte année. 34. Pour n'cf^re: pour qu'elle ne fût.
#
154 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
11 ne veut qu'à grand'peine entrer dedans la mer,
Et, se faisant plus beau, fait semblant de l'aimer.
Elle m'a desrobé mes grâces les plus belles, 45
Mes œillets et mes lys et mes roses nouvelles,
Ma jeunesse, mon teint, mon fard, ma nouveauté;
Et diriez, en voyant une telle beauté.
Que tout son corps ressemble une belle prairie
De cent mille couleurs au mois d'avril fleurie. 50
Bref, elle est toute belle, et rien je n'aperçoy
Qui la puisse égaler, seule semblable à soy »
Ainsi disoit ce dieu tout remply de vergogne.
Voilà pourquoy de nous si long temps il s'élongne,
Craignant vostre beauté, dont il est surpassé; 55
Ayant quitté la place à l'Hyver tout glacé.
Il n'ose retourner. Retourne, je te prie.
Printemps, père des fleurs! Il faut qu'on te marie
A la belle Isabeau, car vous apparier,
C'est aux mesmes beautez les beautez marier, 60
Les fleurs avec les fleurs; de si belle alliance
Naistra de siècle en siècle un Printemps en la France.
Pour douaire certain tous deux vous promettez
De vous enlre-donner vos fleurs et vos beautez,
Afin que vos beaux ans, en despit de vieillesse, 65
Ainsi qu'un renouveau soient tousjours en jeunesse.
II*
Six ans estoient coulez, et la septiesme année
Estoit presques entière en ses pas retournée,
Quand, loin d'affection, de désir et d'amour,
En pure liberté je passois tout le jour,
44. Aimer. LV, au temps de Ron- 55. Dont : par laquelle,
sard, n'est jamais muet. 56. Quitté : cédé.
47. Fard : lustre. — Nouveauté : * Cette élégie se trouve dans le
fraîcheur. recueil des Sonnets pour Hélène.
49. Ressemble. Employé transitive- 3. Affection : passion,
ment selon l'usage contemporain.
RONSAUD 155
El, franc de tout soucy qui les araes dévore, 6
Je dormois dès le soir jusqu'au poinct de l'aurore ;
Car, seul maistre de moy, j'allois, plein de loisir,
Où le pied me portoit, conduit de mon désir.
Ayant tousjours es mains, pour me servir de guide,
Aristote ou Platon, ou le docte Euripide, lo
Les bons hostes muets qui ne fâchent jamais ;
Ainsi que je les prens, ainsi je les remais.
O douce compagnie et utile et honneste !
Un autre en caquetant m'estourdiroit la teste.
Puis, du livre ennuyé, je regardois les fleurs, 15
Fueilles, tiges, rameaux, espèces et couleurs.
Et l'entrecoupement de leurs formes diverses.
Peintes de cent façons, jaunes, rouges et perses.
Ne me pouvant saouler, ainsi qu'en un tableau.
D'admirer la nature et ce qu'elle a de beau, 20
Et de dire, en parlant aux fleurettes escloses :
« Geluy est presque Dieu qui cognoist toutes choses,
Esloigné du vulgaire et loin des courtizans.
De fraude et de malice impudens artizans. »
Tantost j'errois seulet par les forest sauvages, 25
Sur les bords enjonchez des peinturez rivages,
Tantost par les rochers reculez et déserts,
Tantost par les taillis, verte maison des cerfs.
J'aimois le cours suivy d'une longue rivière.
Et voir onde sur onde allonger sa carrière, 30
Et flot à l'autre flot en roulant s'attacher.
Et, pendu sur le bord, me plaisoit d'y pescher.
Estant plus resjouy d'une chasse muette
5. Franc : exempt. 16. Espèces : apparences, figures.
9. Es : dans les. 26. Enjonchez. Couverts de joncs.
11. Qui ne fâchent jamais. Qui ne — Peinturez. Diversement colorés,
sont jamais fâcheux, importuns. 29, 30. J'aimois le cours... et voir.
12. Je les prends et les remets Le verbe se construisait souvent, au
(quitte) à mon gré. seizième siècle, et même au dix-sep-
13. Honneste. Avec le sens bien tième, avec deux compléments de
connu que ce mot conserve au dix- diverse nature.
septième siècle dans l'expression 32. Pendu. Penché en avant.
honnête homme. 33, 34. Plus réjoui de troubler par
r
156 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Troubler des escaillez la demeure secrette,
Tirer avecq' la ligne en tremblant emporté 35
Le crédule poisson prins à Thaim apasté,
Qu'un grand prince n'est aise ayant pris à la chasse
Un cerf qu'en haletant tout un jour il pourchasse.
Hçureux si vous eussiez d'un mutuel esmoy
Prinst l'apast amoureux aussi bien comme moy, 40
Que tout seul j'avallay, quand, par trop désireuse,
Mon ame en vos yeux beut la poison amoureuse.
Puis, alors que Vesper vient embrunir nos yeux,
Attaché dans le ciel, je contemple les cieux,
En qui Dieu nous escrit en notes non obscures 45
Les sorts et les destins de toutes créatures
Or le plus de mon bien, pour décevoir ma peine.
C'est de boire à longs traits les eaux de la fontaine
Qui de vostre beau nom se brave, et, en courant
Par les prez, vos honneurs va tousjours murmurant, 50
Et la royne se dit des eaux de la contrée :
Tant vaut le gentil soin d'une muse sacrée
Qui peut vaincre la mort et les sorts inconstans,
Sinon pour tout jamais, au moins pour un long temps.
Là, couché dessus l'herbe, en mes discours je pense 55
Que pour aimer beaucoup j'ay peu de recompense.
Et que mettre son coeur aux dames si avant,
une chasse muette la demeure, etc. — 39. D'un mutuel esmoy. Partageant
Muette. Par opposition aux armes à ma passion.
feu. — Escaillez : poissons. 40. Comme : que.
36. Haim : hameçon. — Apastè : 41. Que. Cet appAt que.
muni de Tappât. 42. Poison. Du féminin au seizième
38. Pour ce tableau, Cf. Boileau : siècle.
45. Notes : signes.
Ici dans un vallon bornant touB mes désirs, 47 r- „/„c //*«*«« i./-« . .«-. 1
Ti-,-vx*„ A j- ^_i j 113 1 , , *'• ^^ p^tis ae mon bien : mon plus
J'achète à peu de frais de solides plaisirs. /1 Vi "*v#m ^4ub
Tantôt, un livre en main, errant dans les S^^^^ "^f^'
[prairies, ^^' ^^ orave : se fait brave (dans un
J'occupe ma raison d'utiles rêveries ; [trui. Sens archaïque du mot). Se pare.
Tantôt cherchant la fin d'un vers que je cons- 50. Va... murmurant : murmure
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avait — Ronsard lui fait redire ses chants
n , * , ^, ^ ^^^'^ > en l'honneur d'Hélène.
Quelquefois aux appas d'un hameçon perfide ko /> *•/ ui
J'amorce en badinant le poisson trop avide. ^^' ^*['"" * noble.
55. Discours : réflexions.
{Epftre VI, V. 23 sqq.). 57. Si avant : si profondément.
RONSARD 157
C'est vouloir peindre en l'onde et arrester le vent;
M'asseurant toutefois qu'alors que le vieil âge
Aura comme un sorcier changé vostre visage, 60
Et lors que vos cheveux deviendront argentez,
Et que vos yeux d'Amour ne seront plus hantez,
Que tousjours vous aurez, si quelque soin vous touche.
En l'esprit mes escrits, mon nom en vostre bouche.
Maintenant que voicy l'an septième venir, 65
Ne pensez plus, Hélène, en vos laqs me tenir :
La raison m'en délivre et vostre rigueur dure,
Puis il faut que mon âge obéisse à nature.
III
CONTRE LES BUCHERONS DE LA FOREST DE GASTINE*
Quiconque aura premier la main embesongnée
A te coupper, Forest, d*une dure congnée.
Qu'il puisse s'enferrer de son propre baston,
Et sente en l'estomac la faim d'Erisichthon
Qu'il puisse, pour venger le sang de nos forests, 5
Tousjours nouveaux emprunts sur nouveaux interests
Devoir à l'usurier, et qu'en fin il consomme
Tout son bien à payer la principale somme.
Que tousjours sans repos ne face en son cerveau
Que tramer pour-neant quelque dessein nouveau 10
59 sqq. Cf. le sonnet Quand vous de Thessalie; il offensa Gérés qui
serez bien vieille, etc., page 143. lui infligea pour chAtiment une faim
63. Que. Répétition du que qui suit insatiable. Cf. Ovide. Mètamorph.,
m'asseurant. — Si quelque soin, etc. Si VIII , 730 sqq.
TOUS n'êtes pas tout à fait insensible. 5. Pour venger. Pour donner répa-
67. La raison et votre dure rigueur ration.
m'en délivrent. 6, 7. Ronsard suppose que celui
68. Mon âge, Ronsard avait alors dont il parle fait abattre les arbres
bien près de soixante ans. de sa forêt pour en tirer de l'argent.
* Cf. Ode à la Forêt de Gastine, 8. La principale somme. On disait
page 126. aussi le principal : le capital.
4. Erisichthon. Fils de Triopas, roi 10. Pour-neant. En pure perte.
158 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Porté d'impatience et de fureur diverse
Et de mauvais conseil qui les hommes renverse.
Escoute, Bûcheron, arreste un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoûte à force 15
Des Nymphes qui vivoient dessous la dure escorce?
Sacrilège meurdrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts, et de détresses
Merites-tu, meschant, pour tuer nos Déesses? 20
Forest, haute maison des oiseaux bocagers!
Plus le Cerf solitaire et les Ghevreulx légers
Ne paistront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du Soleil d'Esté ne rompra la lumière.
Plus l'amoureux Pasteur sus un tronq adossé, 25
Enflant son flageolet à quatre trous perse.
Son mastin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette;
Tout deviendra muet. Echo sera sans vois;
Tu deviendras campagne, et en lieu de tes bois, 30
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le contre, et la charrue;
Tu perdras ton silence et haletant d'effroy
Ny satyres ny Pans ne viendront plus chez toy.
Adieu, vieille Forest, le jouet de Zephyre, 35
Où premier j'accorday les langues de ma Lyre,
Où premier j'entendi les flèches résonner
D'Apollon, qui me vint tout le cœur estonner;
Ou premier admirant la belle Galliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope, 40
11. Porté de : eraporté par, 36. Premier. Non pas le premier,
15. A force : abondamment. mais pour la première fois.
17. Meurdrier. Deux syllabes. 38. Estonner. Ebranler avec force.
22. Plus : jamais plus. 39. Calliope. Muse de la poésie
30. Campagne. Dans le sens de épique.
champ labourable. 40. Trope. De sa troupe, composée
32. Coutre. Le couteau fixé en des neuf Muses,
ayant du soc de la charrue.
^
RONSA H D
159
Quand sa main sur le front cent roses me jelta,
Et de son propre laict Euterpe m'allaita.
Adieu, vieille Forest, adieu testes sacrées,
De.tableaux et de fleurs autrefois honorées.
Maintenant le desdain des passans altérez, 45
Qui, bruslez en l'Esté des rayons etherez.
Sans plus trouver le frais dç tes douces verdures,
Accusent tes meurtriers, et leur disent injures.
Adieu, chesnes, couronne aux vaillans citoyens,
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens, 50
Qui premiers aux humains donnastes à repaistre ;
Peuples vrayment ingrats, qui n'ont sçeu recognoistre
Les biens receus de vous, peuples vrayment grossiers.
De massacrer ainsi leurs pères nourriciers.
Que l'homme est malheureux qui au monde se fie ! 55
O Dieux, que véritable est la Philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin périra,
Et qu'en changeant de forme une autre vestira!
De Tempe la valée un jour sera montagne.
Et la cyme d'Athos une large campagne ; 60
Neptune quelquefois de blé sera couvert :
La matière demeure et la forme se perd.
42. Euterpe. Muse de la musique.
46. Etherez : du ciel. Lucrèce dit
setherius sol.
48. Meurtriers. Cf. note du v. 17.
49. Aux. Pour les. — La couronne
civique, faite de chêne.
50. Dodonéens. Il y avait à Dodone
une forêt de chênes consacrée à
Jupiter.
51. Cf. Virgile :
..... Cmn jam glandes atqne arbuta lacras
Deficerent silyee et Tictum Dodona negarct.
(Gcor^., 1,148-9).
57. Périra. Dans sa forme.
58. Revêtira une autre forme.
61. Quelquefois : un jour.
A
160 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
EGLOGUES
ORLEANTIN
Puis que le lieu, le temps, la saison et l'envie.
Qui s'eschaufent d'amour, à chanter nous convie,
Ghanton donques, bergers, et en mille façons
A ces vertes forest apprenon nos chansons.
Icy de cent couleurs s'esmaille la prairie, 5
Icy la tendre vigne aux ormeaux se marie,
Icy l'ombrage frais va les fueilles mouvant
Errantes çà et là sous l'haleine du vent;
Icy de pré en pré les soigneuses avettes
Vont baisant et sucçant les odeurs des fleurettes; 10
Icy le gazouillis enroué des ruisseaux
S'accorde doucement aux plaintes des oiseaux;
Icy entre les pins les Zephyres s'entendent.
Nos flûtes cependant trop paresseuses pendent
A nos cols endormis, et semble que ce temps 15
Soit à nous un hyver, aux autres un printemps.
Sus donques en cet antre ou dessous cet ombrage
Disons une chanson. Quant à ma part, je gage,
Pour le prix de celuy qui chantera le mieux,
Un cerf apprivoisé qui me suit en tous lieux. 20
Je le desrobay jeune, au fond d*une vallée,
A sa mère, au dos peint d'une peau martelée,
* Fragment de l'églogue I, dans c'est-à-dire Marguerite, duchesse do
laquelle les ducs d'Orléans et d'An- Savoie,
jou, frères de Charles IX, le roi de 7. Va... mouvant : meut.
Navarre et le duc de Guise se dispu- 9. Avettes : abe.illes.
tent la palme du chant, sous les noms 15. Et semble : et il semble.
d'Orléantin, Angelot, Navarrin et 18. Quant à ma part .pour maipAFt.
Guisin, devant la bergère Margot, 22. Martelée : marquetée, tachetée.
RONSAnD 161
Et le nourry si bien que, souvent le gratant,
Le chatouillant, touchant, le peignant et flatant,
Tantost auprès d'une eau, tantost sur la verdure, 25
En douce je tournay sa sauvage nature.
Je l'ay tousjours gardé pour ma belle Thoinon,
Laquelle en ma faveur l'appelle de mon nom ;
Tantost elle le baise et de fleurs odoreuses
Environne son front et ses cornes rameuses 30
Et tantost son beau col elle vient enfermer
D'un carquan enrichy de coquilles de mer,
D'où pend la croche dent d'un sanglier, qui ressemble
En rondeur le croissant qui se rejoint ensemble.
Il va seul et pensif où son pied le conduit; 35
Maintenant des forest les ombrages il suit,
Maintenant il se mire aux bords d'une fontaine
Ou s'endort sous le creux d'une roche hautaine.
Puis il retourne au soir, et gaillard, prend du pain,
Tantost dessus la table et tantost en ma main, 40
Saute à l'entour de moy, et, de sa corne essaye
De cosser brusquement mon mastin qui l'abaye,
Fait bruire son cleron, puis il va se coucher
Au giron de Thoinon, qui l'estime si cher.
Il souffre que sa main le chevestre luy mette, 45
Faict à houpes de soye, et si bien ell' le traite
Que sur son dos privé le bast elle luy met.
Elle monte dessus et sans crainte le fait
Marcher entre les fleurs, le tenant à la corne
D'une main, et de l'autre, ingénieuse, elle orne 50
Sa croupe de bouquets et de petits rameaux;
Puis le conduit au soir à la fraischeur des eaux,
Et de sa blanche main seule luy donne à boire.
3t. Enfermer. L'r final sonnait. 43. Son cleron. Sa voix de clairon.
32. Carquan : collier. — Coucher. LV sonnait.
33. Croche : crochue. — Sanglier. 45. Chevestre : licol.
DevLKsyïlàbcs. — Ressemble. TrunsïtiU 47. PrtVe : apprivoisé.
39. Gaillard : vif. allègre, alerte. 53. On reconnaît dans tout ce qui
42. Cosser : heurter. — L'abaye. précède l'imitation de Virgile. Cf.
Aboie après lui. Enéide ^ Vil, 483 sqq.
162 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Or quiconques aura l'honneur de la victoire,
Sera maistre du cerf, bienheureux et contant 55
De donner à s'amie un présent qui vaut tant.
ANGELOT
Je gage mon grand bouc, qui par mont et par plaine
Conduit seul un troupeau comme un grand capitaine ;
Il est fort et hardy, corpulent et puissant.
Brusque, prompt, éveillé, sautant et bondissant, GO
Qui gratte, en se jouant, de l'ergot de derrière
(Regardant les passans) sa barbe mentonnière.
Il a le front severe et le pas mesuré,
La contenance fîere et l'œil bien asseuré;
Il ne doute les loups, tant soient-ils redoutables, 65
Ny les mastins armez de colliers effroyables.
Mais, planté sur le haut d'un rocher espineux,
Les regarde passer et si se mocque d'eux.
Son front est remparé de quatre grandes cornes;
Les deux proches des yeux sont droites comme bornes 70
Qu'un père de famille esleve sur le bord
De son champ qui estoit nagueres en discord;
Les deux autres, qui sont prochaines des aureilles.
En douze ou quinze plis se courbent à merveilles
Comme ondes de la mer et en tournant s'en vont 75
Cacher dessous le poil qui luy pend sur le front.
Dés la poincte du jour, ce grand bouc qui sommeille
N'attend que le pasteur tout le troupeau réveille,
Mais il fait un grand bruit dedans l'estable, et puis.
En poussant le crouillet, de sa corne ouvre l'huis, 80
Et guide les chevreaux, qu'à grands pas il devance
Comme de la longueur d'une moyenne lance,
56. S'amie. Pour sa amie. 72. Qui. Se rapporte à bord du vers
65. Doute : redoute. précédent. — En discord : en litige.
68. 5t : ainsi. 77. Qui sommeille. Jusqu'hlsi pointe
69. Remparé : muni. du jour et pas plus.
71. Père de famille. Au sens latin : 80. Crouillet : verrou. — Huis : porte,
chef de maison. 82. Com/n«. A peu près.
RONSARD 163
Puis les rameine au soir à pas contez et Ions,
Faisant sous ses ergots poudroyer les sablons.
Jamais en nul combat n'a perdu la bataille, 85
Ruzé dés sa jeunesse, en quelque part qu'il aille,
D'emporter la victoire ; aussi les autres boucs
Ont crainte de sa corne et la révèrent tous.
Je le gage pourtant, gentil pasteur, regarde.
Il vaut mieux que le cerf que ta Thoinon te garde... 90
MARGOT
Je meltray pour celuy qui gaignera le prix
Un merle qu'à la glus en nos forests je pris;
Puis vous diray comment je l'enfermay en cage
Et luy fis oublier son naturel ramage.
Un jour en l'escoutant siffler dedans ce bois 95
J'en plaisir de son vol et plaisir de sa vois.
Et de sa robbe noire, et de son bec qui semble
Etre peint de safran, tant jaune il luy ressemble;
Et pour ce j'espiay l'endroit où il buvoit.
Quant au plus chaud du jour ses plumes il lavoit. 100
Or en semant le bord de vergettes gluées.
L'une assez près de l'autre, en ordre situées.
Je me cachay sous l'herbe au pied d'un arbrisseau.
Attendant que la soif ameneroit l'oiseau.
Aussi tost que le chaud eut la terre enflamée, 105
Et que les bois fueilluz hérissez de ramée
N'empeschoient que l'ardeur des rayons les plus chaux
Ne vinssent altérer le cœur des animaux.
Ce merle, ouvrant la gorge et laissant l'aile pendre,
Matté d'ardante soif, en volant vint descendre 110
87. D'emporter, De remporter. — 101. En 5cman/. Après avoir semé.
De^ dépend de ruzi. Comme s'il y 104. Ameneroit. Latinisme. Le con-
avait à. ditionnel pour l'imparfait du sub-
87, 8*8. Dans houes le c no sonnait jonctif.
pas, et, de môme, le s de tous. 107. iV'e//;/7e5cÀoien/.N'empêchaient
89. Je le gage. Je le mets en gage plus,
comme prix. 108. Vinssent. Comme si le sujet
94. Cf. V. 127. était rayons. — Le cœur» Comme en
98. Luy. Au safran. latin pectus.
0K
164 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Dessus le bord glué, et comme il allongeoit
Le col pour s'abreuver (pauvret qui ne songeoit
Qu'à prendre son plaisir!), se veit outre coustume
Engluer tout le col et puis toute la plume,
Si bien qu'il ne faisoit, en lieu de s'en-voler, 115
Sinon à petits bonds sur le bord sauteler.
Incontinent je cours, et prompte luy desrobbe
Sa douce liberté, le cachant sous ma robbe ;
Puis, pliant et nouant de vergettes de buis
Et d'osier une cage, en prison je le mis. 120
Et fust que le soleil se plongeast dedans l'onde
Fust qu'il monstrast au jour sa belle tresse blonde,
Fust au plus chaud midy, alors que nos troupeaux
Estoient en remaschant couchez sous les ormeaux.
Si bien je le veillay, parlant à son aureille, 125
Qu'en moins de quinze jours je luy appris merveille.
Et luy fis oublier sa rustique chanson,
Pour retenir par cœur mainte belle leçon...
{EglogueSf I.)
LE BOCAGE ROYAL*
Quand le jeune phénix sur son espaule tendre
Porte le lit funèbre et l'odoreuse cendre,
113. Outre coutume. Contre sa cou- très diverses appartenant soit au
tume, contre son attente. genre élégiaque, soit à la satire, soit
115. En lieu de : au lieu de. à la pastorale. C'est à proprement
115, 116. Ne faisoit sinon : ne faisait parler un recueil de Mélanges. Citons
que. ici les vers suivants, mis par le poète
121. Fust que. Nous disons soit que, lui-môme en tête de ce recueil :
même quand le sujet de la proposi- _ „ .. m ^ ^
7 . , ^•', M. , Dana ce Bocafire on voit de tontes sortes
tion prmcipale est a un temps passe. D.argumcnta différents, comme tn les apportes,
122. A son lever. o Muse I au laboureur qui sçait bien défricher
124. Remaschant : ruminant. Ton domaine, et, suant, le circler et bêcher,
* Cf. les Silves de Stace (5t7fas), à Prodiguant tes présents à celuy qui s'employe.
qui Ronsard a emprunté ce titre. Le ^tace entre les Romains nous en montra la
Bocage royal se compose de pièces [voye.
RONSARD 165
Reliques de son père, et plante en appareil
Le tombeau paternel au temple du soleil,
Les oyseaux esbahis, en quelque part qu'il nage, 5
De ses ailes ramant, admirent son image,
Non pour luy voir le corps de mille couleurs peint,
Non pour le voir si beau, mais pour ce qu'il est saint,
Oyseau religieux aux mânes de son père.
Tant de la pieté nature, bonne mère, 10
A planté dès le naistre en Tair et dans les eaux
La vivace semence au cœur des animaux !
Donques le peuple suit les traces de son maistre;
Il pend de ses façons, il l'imite, et veut estre
Son disciple, et tousjours pour exemple l'avoir, 15
Et se former en luy ainsi qu'en un miroir,
Cela que le soudart aux espaules ferrées.
Que le cheval flanqué de bardes acérées.
Ne peut faire par force, amour le fait seulet.
Sans assembler ny camp, ni vestir corcelet. 20
Les vassaux et les roys de mutuels offices
Se combattent entr'eux, les vassaux par services,
Les roys par la bonté : le peuple desarmé
Aime tousjours son roy quand il s'en voit aimé.
Il sert d'un franc vouloir quand il est nécessaire 25
Qu'on le face servir. Plus un roy débonnaire
Luy veut lascher la bride, et moins il est outré.
Plus luy-mesmes la serre, et sert de son bon gré.
Se met la teste au joug sous lequel il s'efforce.
Qu'il seçou'roit du col s'on luy mettoit par force. 30
6. Cf. l'expression latine remigium 19. Seulet, Ce diminutif n'est guère
alarum. en accord avec le ton du morceau.
7. Non parce qu'ils lui voient. 2\. De mutuels offices :^dxàQ%oî&CQS
\\. Le naistre. Encore un exemple mutuels. Gomme nous disons lutter
d'infinitif employé substantivement, de bons offices.
13. Donques : c'est ainsi que. 23. Desarmé, 11 ne songe point à
14. Pend : dépend. prendre les armes.
17. Soudart : soldat. — Ferrées : 27. Outré. Moins il outrepasse la
couvertes de fer. mesure.
18. Flanqué de bardes : bardé. — 30. Qu'. Ce joug que, etc. — ^on
La barde est une armure faite de luy mettoit. Ellipse du pronom le,
lames de fer.
166 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
C'est alors que le prince en vertus va devant;
Qu'il montre le chemin au peuple le suivant;
Qu'il faict ce qu41 commande, et de la loi suprême
Rend la rigueur plus douce obéissant luy-mesme ;
Et tant il est d'honneur et de louange espoint, 35
Que, pardonnant à tous, ne se pardonne point.
Quel sujet ne seroit dévot et charitable
Sous un roy pieteux? Quel sujet misérable
Voudroit de ses ayeux consommer les thresors,
Pour, homme, effeminer par délices son corps 'lO
D'habits pompeux de soye elabourez à peine,
Quand le prince n'auroit qu'un vestement de laine,
Et qu'il retrancheroit par edictz redoutez
Les fertiles moissons des ordes voluptez,
Gouppant, comme Hercules, l'hydre infâme des vices, 45
Par l'honneste sueur des poudreux exercices?
A forcer par les bois un cerf au front ramé.
Enferrer un sanglier de défenses armé.
Voir levreter le lièvre à la jambe pelue.
Voir pendre les faucons au milieu de la nue, 50
Faire d'un pied léger poudroyer les sablons,
Voir bondir par les prez l'enflure des ballons,
A porter le harnois, à courir la campagne,
A donter sous le frein un beau genêt d'Espaigne,
A sauter, à luitter d'un bras fort et voûté : 55
Voilà les ferremens trenchans l'oisiveté.
Mais porter en son ame une humble modestie.
C'est à mon gré des rois la meilleure partie
35. Espoint : piqué, épris. 47. A : do. L'usage actuel supprime
38. Pieteux : pieux. plutôt toute préposition. — Ramé.
40. Pour, homme, effeminer. Pour Surmonté de « bois » .
efTéminer, étant homme. Effeminer a 48. Sanglier. Deux syllabes.
ici son sens propre, par lequel il 49. Levreter : chasser avec dos
s'oppose à homme. lévriers. — Pelue : poilue.
41. A peine : avec peine. 52. L'enflure des ballons AQshaWous
44. Ordes : sales. enflés. Il s'agit du jeu de paume.
46. Honneste : honorable. — Pou- 55. Voûté . arqué, qui enlace l'ad-
dreux. Qui soulèvent la poussière, versaire.
Cf. V. 51. 56. Ferremens : outils.
RONSARD 167
Tousjours l'humilité gaigne le cœur de tous ;
Au contraire, l'orgueil attize le courrous. 60
Ne vois-tu ces rochers, rempars de la marine?
Grondant contre leurs pieds, tousjours le flot les mine,
Et d'un bruit escumeux à l'entour aboyant,
Forcenant de courroux, en vagues tournoyant,
Ne cesse de les battre, et d'obstinez murmures 65
S'opposer à l'effort de leurs plantes si dures,
S'irritant de les voir ne céder à son eau.
Mais quand un mol sablon par un petit monceau
Se couche entre les deux, il fléchit la rudesse
De la mer, et l'invite, ainsi que son hostesse, 70
A loger en son sein : alors le flot qui voit
Que le bord luy fait place, en glissant se reçoit
Au giron de la terre, appaise son courage,
Et la lichant se joue à l'entour du rivage.
La Vigne lentement de ses tendres rameaux 7 5
Grimpe, s'insinuant aux faistes des ormeaux.
Et se plie à l'entour de l'estrangère escorce
Par amour seulement, et non pas par la force;
Puis mariez ensemble, et les deux n'estant qu'un.
Font à l'herbe voisine un ombrage commun. 80
La peste des grans rois sont les langues flateuses,
Esponges et corbeaux des terres souffreteuses;
Mais le mal le plus grand qu'un prince puisse avoir
C'est quand il hait le livre, et ne veut rien sçavoir.
Le roy dont je vous parle et que le ciel approuve 85
Jamais en sa maison l'ignorance ne trouve,
Ayant fait rechercher (d'une belle âme espris)
61 . Marine : mer. 73. Courage : cœur, passion, colère.
64. Forcenant. Faisant des efforts 82. Esponges. Elles s'approprient
violents. toute la substance de ces « terres ».
66. S'opposer. De s'opposer. — Cf. Rsmonstranceaupeuple de France,
Plantes. Cf. pieds du vers 62. vers 5.
68. Quand du sable mou en petit 85. Vous. La pièce est adressée à
monceau. C'est-à-dire : quand un peu Henri III.
de sable. 87. D'une belle âme espris. £n-
72. Se reçoit. Dans le sens du latin flammé par la passion d'uuo boUu
se recipit : pénètre, s'insinue. ftmu.
il
168 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Par tout en ses pays les hommes mieux appris,
Près de luy les approche, et les rend vénérables,
S*honorant d'honorer les hommes honorables. 90
De parolle il les loue, et de biens avancez,
Gomme ils le meritoient, les a recompensez
(Panégyrique de la Renommée au roy Henri III.)
II
DIALOGUE ENTRE LES MUSES DESLOGÉES'*' ET RONSARD
Levant les yeux au ciel et contemplant les nues,
J'avisay l'autre jour une troupe de grues.
Qui, d'un ordre arrangé et d'un vol bien serré,
Representoient en l'air un bataillon quarré.
D'avirons emplumez et de roides secousses 5
Cherchant en autre part autres terres plus douces.
Où tousjours le soleil du rayon de ses yeux
Rend la terre plus grasse et les champs plus joyeux.
Ces oiseaux, rebatant les plaines rencontrées
De l'air, à grands coups d'aile alloient en leurs con- 10
Quittant nostre païs et nos froides saisons, [trées,
Pour refaire leur race et revoir leurs maisons.
Les regardant voiler ,je disois en moy-mesme :
« Je voudrois bien, oiseaux, pouvoir faire de mesme,
Et voir de ma maison la flame voltiger 15
Dessur ma cheminée, et jamais n'en bouger.
Maintenant que je porte, injurié par l'âge.
Mes cheveux aussi gris comme est vostre plumage.
Adieu, peuples ailez, hostes Strymoniens,
Qui, volant de la Thrace aux ^Ethiopiens, 20
88. Mieux : le mioux. Construction 15. Cf. Du Bellay, Regrets, son-
courante du temps. net XXXI, vers 5-6 (pagu 231).
91. Avancez. Se rapporte à les dn 17. Injurié. Ondit encore les injures
vers suivant. — Avancez de biens : du temps.
enrichis. 18. Comme : que.
* Chassées de leur « logis ». 19. ^^r^mome/u.DuStrymon, fleuve
Cf. V. 152. de la Thrace.
4. Representoient : formaient. 20. éthiopiens. Cinq syllabes.
RONSARD 169
Sur le bord de la mer encontre les pygmées
Menez, combat léger, vos plumeuses armées :
Allez en vos maisons. Je voudrois faire ainsi.
Un homme sans foyer vit tousjours en soucy. »
Mais en vain je parlois à l'escadron qui voile : 25
Car le vent emportoit comme luy ma parolle,
Remplissant de grands cris tout le ciel d'alentour,
Joyeux de retourner au lieu de son séjour.
De l'air abaissant l'œil le long d'une valée,
Je regarday venir une troupe haslée, 30
Lasse de long travail, qui par mauvais destin
Avoit fait (ce sembloit) un pénible chemin.
Elle estoit mal en conche et pauvrement vestue;
Son habit attaché d'une espine poinctue
Luy pendoit à l'espaule, et son poil dédaigné 35
Erroit salle et poudreux, crasseux et mal peigné.
Toutefois de visage elle estoit assez belle ;
Sa contenance estoit d'une jeune pucelle.
Une honte agréable estoit dessus son front.
Et son œil esclairoit comme les astres font; 40
Quelque part qu'en marchant elle tournast la face,
La vertu la suivoit, l'éloquence et la grâce,
Monstrant en cent façons, dès son premier regard.
Que sa race venoit d'une royale part.
Si bien qu'en la voyant toute ame généreuse, 45
Se réchaufant d'amour, en estoit amoureuse.
Devant la trouppe alloit un jeune jouvenjceau,
Qui portoit en courrier des ailes au chapeau.
Une houssine en main de serpens tortillée.
Et dessous pauvre habit une face éveillée; 50
27. Remplissant. So rapporte à comme... « en conche » pour « en
lui du vers 26. ordre ». (Pasquier, flcc A. de laFrance,
29. De l'air. Détournant mon re- VIII, 3.)
gard du haut des airs pour l'abais- 35. Poil : cheyeluru. — Dédaigné :
ser, etc. négligé.
33. Mal en conche. Mal habillée. 44. Part : lieu. Cf. quelque part,
Conche : ajustement. « Nous avons 46. Se réchaufant : s' éprenant,
depuis trente ou quarante ans 47. Mercure,
emprunté plusieurs mots d'Italie, 49. Tortillée : tressée.
lu
170 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Et monstroît à son port quel sang le concevoit,
Tant la garbe de prince au visage il avoit,
Tout furieux d'esprit, je marchay vers la bande,
Je luy baise la main, puis ainsi luy demande
(Car l'ardeur me poussoit de son mal consoler, 55
M'enquerir de son nom, et de l'ouyr parler) :
RONSARD
Quel est vostre païs, vostre nom et la ville
Qui se vante de vous? L'une, la plus habile
De la bande, respond.
MUSES
Si tu as jamais veu
Ce Dieu qui de son char tout rayonné de feu 60
Brise l'air en grondant, tu as veu nostre père;
Grèce est nostre païs. Mémoire est nostre mère.
Au temps que les mortels craignoient les deitez,
Ils bastirent pour nous et temples et citez;
Montaignes et rochers et fontaines, et prées, 65
Et grottes et forests nous furent consacrées.
Nostre mestier estoit d'honnorer les grands rois,
De rendre vénérable et le peuple et les lois,
Faire que la vertu du monde fust aimée.
Et forcer le trespas par longue renommée; 70
D'une flame divine allumer les esprits.
Avoir d'un cœur hautain le vulgaire à mespris,
Ne priser que l'honneur et la gloire cherchée,
Et tousjours dans le ciel avoir l'ame attachée.
Nous eusmes autrefois des habits précieux, 75
Mais le barbare Turc, de tout victorieux.
Ayant vaincu l'Asie et l'Afrique, et d'Europe
51. Le concevoit. L'avait conçu. 59, 60. Veu... feu. Himo dialectale.
52. Garbe : caractère d'une fi- Prononcez vu ot fu.
gure. ' 65. Prées : prés.
53. Furieux. Sens du latin furor. 67. Mestier. Cf. le mot latin minis-
Cf. le vers 46 et le vers 55. terium.
55. A consoler son mal. 73. Cherchée. Prix des efforts.
RONSARD 171
La meilleure partie, a chassé nostre trope
De la Grèce natale, et, fuyant ses prisons,
Errons, comme tu vois, sans biens et sans maisons, 80
Où le pied nous conduit, pour voir si sans excuses
Les peuples et les rois auront pitié des Muses.
RONSARD
Des Muses! di-je lors. Estes-vous celles-là
Que jadis Helicon les neuf Sœurs appella?
Que Gyrrhe et que Phocide avouoient leurs maistresses, 85
Des vers et des chansons les sçavantes Déesses?
Vous regardant marcher nuds pieds et mal-en-poinct
J'ay le cœur de merveille et de frayeur espoint,
Et me repens d'avoir vostre danse suivie.
Usant à vos mestiers le meilleur de ma vie. 90
Je pensois qu'Amalthée eust mis entre vos mains
L'abondance et l'argent, l'autre ame des humains ;
Maintenant je cognois, vous voyant affamées.
Qu'en esprit vous paissez seulement de fumées,
Et d'un titre venteux, antiquaire et moysi, 95
Que pour un bien solide en vain avez choisi.
Pour suivre vos fureurs misérables nous sommes.
Certes, vous ressemblez aux pauvres gentils-hommes;
Lors que tout est vendu, levant la teste aux cieux.
N'ont plus autre recours qu'à vanter leurs ayeux. loo
Que vous sert Jupiter dont vous estes les filles?
Que servent vos chansons, vos temples et vos villes?
Ce n'est qu'une parade, un honneur contrefait,
Riche de fantaisie, et non pas en effet.
78. Trope. Comme troupe. La pro- Jupiter. Une de ses cornes devint la
nonciation hésitait entre o et ou. De corne d'abondance,
môme crope et croupe, corone et 95. Venteux : yain. — Antiquaire :
courone, etc. vieux.
81. 5a/i^e:t;&'{^«f. Sans chercher des 96. Pour: au lieu de. — En vain.
excuses les dispensant de ce devoir. Ce n'est là qu'un leurre.
85. Cyrrhc. Cirrhe, ville do Phocide. 97. Pour suivre. En suivant. — Fu-
— Avouoient, reconnaissaient. reurs. Caprices, délires.
S8. De merveille esjjoint: émerveillé, 102. Villes. Les deux / su mouil-
étonné. — Espoint : piqué, ému. laicnt.
91. Amalthée. Chèvre qui nourrit 104. De fantaisie. En imagination.
/"
172 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Vertu, tu m'as trompé, te pensant quelque chose! 105
Je cognois maintenant que le malheur dispose
De toy, qui n'es que vent, puisque tu n'as pouvoir
De conserver les tiens qui errent sans avoir
Ny faveurs ny amis, vagabonds d'heure en heure,
Sans feu, sans lieu, sans bien, sans place ny demeure. 110
MUSES
Hà que tu es ingrat de nous blasmer ainsi !
Que fusses-tu sans nous, qu'un esprit endurcy,
Consumant, casanier, le plus beau de ton âge
En ta pauvre maison, ou dans un froid vilage,
Incognu d'un chacun? oii t'ayant abreuvé 115
De nectar, et l'esprit dans le ciel eslevé.
T'avons faict désireux d'honneur et de louanges,
Et semé ton renom par les terres estranges.
De tes rois estimé, de ton peuple chery,
Ainsi que nostre enfant en nostre sein nourry. 120
Dieu punit les ingrats : à tous coups que la foudre
Trébuchera de l'air, tu auras peur qu'en poudre
Tu ne sentes ton corps et ta teste briser.
Pour la punition d'ainsi nous mespriser.
Pource, adjoute créance à qui bien te conseille : 125
Ayde-nous maintenant, et nous rens la pareille.
RONSARD
Que voulez-vous de moy? L'une des sœurs alors,
Qui la bande passoit de la moitié du corps,
Me contre-respondit :
MUSES
Nous avons ouy dire
Que le prince qui tient maintenant vostre empire, 130
103. Te pensant. Se rapporte à me. le ciel.
112. Fusses : serais. Latinisme. 118. Estranges : étrangères.
Imparfait du subjonctif pour con-. 119. Estimé... chery. Se rapportent
ditionnel. — Endurcy : dur, grossier. à<c(du v.ll7),reprispar<o»(duv.ll8).
115. Où : au lieu que. 122. Trébuchera : tombera.
116. Et t'ayant élevé l'esprit dans 125. Pource. Ve s'élide.
RONSARD 173
Et qui d'un double sceptre honore sa grandeur,
Est dessus tous les rois des lettres amateur,
Caresse les sçavans, et des livres fait conte,
Estimant l'ignorance estre une grande honte :
Dy-luy de nostre part qu'il luy plaise changer 135
En mieux nostre fortune, et nous donne à loger.
RONSARD
Vous m'imposez au dos une charge inégale;
J'ay peu de cognoissance à sa grandeur royale,
C'est un prince qui n'aime un vulgaire propos,
Et qui ne veut souffrir qu'on trouble son repos, 140
Empesché tous les jours aux choses d'importance,
Soustenant presque seul tout le faix de la France,
Méditant comme il doit son peuple gouverner
Et faire dessous luy l'âge d'or retourner.
Honorer les vertus et chastier le vice, 145
Défenseur de la loy, protecteur de justice.
Je n'ose l'aborder, je crains sa majesté.
Tant je suis esblouy des raiz de sa clairté :
Pource, cherchez ailleurs un autre qui vous meine.
Adieu, troupe sçavante, adieu belle neuvaine. 150
Prince qui nous servez de phare et de flambeau.
Ne laissez point errer sans logis ce troupeau.
Troupeau de sang illustre et d'ancienne race.
Pauvre, mais de bon cœur, digne de vostre grâce.
Jupiter le conceut, lequel vous a conceu : 155
Ainsi de mesme père ensemble avez receu
131. Double. Le sceptre royal et le préférait le voluptueux Desportes.
« sceptre des arts ». Après son avènement, le poète ne
133. Fait conte : fait cas. tarda pas à quitter la cour et se retira
136. Loger. C(. deslogées du titre. en Vendômois.
137. Inégale. Comme en latin ini- 141. Empesché : occupé.
quus. Trop lourde pour mon dos. 148. Raiz : rayons.
138. J'ay peu de cognoissance à : je 150. Neuvaine. Ici, troupe des neuf
suis peu familier avec. — Henri III, on Muses.
le sait, n'avait pas pour Ronsard la 153. Ancienne. Quatre syllabes,
même affection que Charles IX. Il lui
10,
A
174 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
L'estre et l'affinité : Vous, comme le plus riche,
A vos pauvres parens ne devez estre chiche.
DISCOURS
I
DISCOURS DES MISERES DE CE TEMPS*
A LA ROYNE MERE DU ROY
Vous, Royne, dont l'esprit prend plaisir quelquefois
De lire et d'escouter l'histoire des François,
Vous sçavez (en voyant tant de faits mémorables)
Que les siècles passez ne furent pas semblables.
Un tel Roy fut cruel, l'autre ne le fut pas; 5
L'ambition d'un tel causa mille débats;
Un tel fut ignorant, l'autre prudent et sage;
L'autre n'eut point de cœur, l'autre trop de courage.
Tels que furent les Roys, tels furent leurs sujets;
Car les Roys sont tousjours des peuples les objets. 10
Il faut donc dés jeunesse instruire bien un Prince,
A fin qu'avec prudence il tienne sa province.
Il faut premièrement qu'il ait devant les yeux
La crainte d'un seul Dieu, qu'il soit devotieux
Envers la sainte Eglise, et que point il ne change 15
La foy de ses ayeux pour en prendre une estrange;
Ainsi que nous voyons instruire notre Roy,
Qui par vostre vertu n'a point changé de' loy.
157 Affinité. Parenté . — Comme. 10. Objets. Ce qu'on a devant les
Puisque vous êtes. yeux. Ici, modèle.
158. Ce poème fut composé en 1584. 11. Un Prince. Charles IX, encore
C'est une des dernières pièces de mineur, était sous l'autorité de sa
Ronsard. mère.
* Publié en 1563. 16. Estrange : étrangère. Il s'agit,
1. Aoj/ree. Catherine de Médicis. — bien entendu, de la religion ré-
Quelquefois. Oi se prononce oue. formée.
4. Semblables. Au nôtre. 18. Par : grâce à. — Loy : religion.
RONSARD 175
Las ! Madame, en ce temps que le cruel orage
Menace les François d'un si piteux naufrage, 20
Que la gresle et la pluye, et la fureur des cieux
Ont irrité la mer de vents séditieux,
Et que l'astre jumeau ne daigne plus reluire.
Prenez le gouvernail de ce pauvre navire,
Et maugré la tempeste, et le cruel effort 25
De la mer et des vents, conduisez-le à bon port.
La France à joinctes mains vous en prie et reprie.
Las ! qui sera bien tost et proye et moquerie
Des Princes estrangers, s'il ne vous plaist en bref
Par vostre authorité appaiser son raeschef. 30
Hà ! que diront, là bas, sous les tombes poudreuses.
De tant de vaillans Roys les âmes généreuses?
Que dira Pharamond, Glodion, et Glovis?
Nos Pépins, nos Martels, nos Charles, nos Loys,
Qui de leur propre sang versé parmy la guerre 35
Ont acquis à nos Roys une si belle terre?
Que diront tant de Ducs et tant d'hommes guerriers,
Qui sont morts d'une playe au combat les premiers,
Et pour France ont souffert tant de labeurs extrêmes,
La voyant aujourd'huy destruire par nous-mêmes? 40
Ils se repentiront d'avoir tant travaillé,
Querellé, combattu, guerroyé, bataillé,
Pour un peuple mutin divisé de courage.
Qui perd en se jouant un si bel héritage.
Héritage opulent, que toy peuple qui bois 45
Dans l'Angloise Tamise, et toy More qui vois
Tomber le chariot du soleil sur ta teste,
Et toy race Gothique aux armes tousjours preste,
Qui sens la froide bise en tes cheveux venter,
Par armes n'avez sceu ny froisser ny domter. 50
20. Piteux : pitoyable. 28. Qui. La France qui.
23. L^astre Jumeau. Traduction du 29. En fcre/*: sans tarder,
latin geminum sidus qui signifie soit 30. Meschef : malheur.
le soleil et la lune, soit le soleil à son 43. Courage : cœur.
lever et à son coucher. 50. Froisser : frotter avec forcer
26. Le. L'es'élide. meortrir;; ici^ mettre à mal.
176 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Car tout ainsi qu'on voit une dure coignée
Moins reboucher son fer, plus est embesongnée
A couper, à trancher, et à fendre du bois,
Ainsi par le travail s'endurcit le François;
Lequel n'ayant trouvé qui par armes le donte, 55
De son propre couteau soi-mesme se surmonte.
Ainsi le fier Ajax fut de soy le vainqueur.
De son propre poignard se transperçant le cœur.
Ainsi Rome jadis des choses la merveille,
(Qui depuis le rivage où le soleil s'éveille, 60
jusques à l'autre bord son empire estendit)
Tournant le fer contre elle à la fin se perdit...
O toy historien, qui d'encre non menteuse
Escris de nostre temps l'histoire monstrueuse.
Raconte à nos enfans tout ce malheur* fatal, 65
Afin qu'en te lisant ils pleurent nostre mal,
Et qu'ils prennent exemple aux péchez de leurs pères.
De peur de ne tomber en pareilles misères
Morte est l'authorité; chacun vit à sa guise;
Au vice desreglé la licence est permise; 70
Le désir, l'avarice, et l'erreur insensé
Ont c'en dessus dessous le monde renversé.
On a fait des lieux saincts une horrible voirie,
Un assassinement et une pillerie,
Si bien que Dieu n'est seur en sa propre maison; 75
Au ciel est revolée et Justice et Raison,
Et en leur place, helas! règne le brigandage,
La haine, la rancueur, le sang et le carnage.
Tout va de pis en pis ; le sujet a brisé
Le serment qu'il devoit à son Roy mesprisé ; 80
Mars enflé de faux zèle et de vaine apparence,
52. Reboucher : émousser, en dessus (étant mis) en dessous.
53. Bois. V. la note du vers 7. 75. Seur : en sûreté.
69. Des choses la merveille. C'est le 78, Rancueur : rancune.
pulcherrima rerum de Virgfile. 81. Faux : mal appliqué. — Vaine
71. Erreur. Employé alors au mas- apparence. Dans un passage antérieur
culin. de ce discours, Ronsard attribue à
72. C'en dessus dessous. Ce (qui cst^ l'Opinion tous les maux do la Franco.
RONSARD 177
Ainsi qu'une furie agite nostre France,
Qui, farouche à son Prince, opiniastre suit
L'erreur d'un estranger qui folle la conduit.
Tel voit-on le poulain, dont la bouche trop forte 85
Par bois et par rochers son escuyer emporte.
Et maugré l'esperon, la houssine et la main,
Se gourme de sa bride, et n'obéit au frein ;
Ainsi la France court, en armes divisée,
Depuis que la raison n'est plus authorisée 90
Dieu ! qui de là haut nous envoyas ton Fils,
Et la paix éternelle avecques nous tu fis.
Donne, je te suppli', que ceste Royne mère
Puisse de ces deux camps appaiser la colère ;
Donne-moy derechef que son sceptre puissant 95
Soit maugré le discord en armes fleurissant ;
Donne que la fureur de la guerre barbare
Aille bien loin de France au rivage Tartare;
Donne que nos harnois de sang humain tachez
Soient dans un magazin pour jamais attachez; 100
Donne que mesme loy unisse nos provinces.
Unissant pour jamais le vouloir de nos Princes.
Ou bien (ô Seigneur Dieu!) si les cruels destins
Nous veulent saccager par la main des mutins.
Donne que hors des poings eschappe l'alumelle 105
De ceux qui soustiendront la mauvaise querelle ;
Donne que les serpens des hideuses fureurs
Agitent leurs cerveaux de paniques terreurs.
Donne qu'en plein midy le jour leur semble trouble.
Donne que pour un coup ils en sentent un double, 110
Donne que la poussière entre dedans leurs yeux.
D'un esclat de tonnerre arme ta main aux cieux,
84. D'un estranger. Luther. d'autorité.
88. Se gourme de sa bride. « Se fait 92. Et... tu. Comme s'il y avait
une gourmette de sa bride, la saisit et qui.
et en paralyse les effets. Ici, au figuré, 96. Discord: discorde,
sans doute se moquer de sa bride. » 105. Alumclle : lame d'épce.
(Becq de Fouquicres.) 106. Querelle : cause, parti.
90. N'est plus authorisée : n'a plus
178 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Et pour punition eslance sur leur teste,
Et non sur les rochers les traicts de la tempeste !
II
INSTITUTION
POUR l'adolescence du ROY TRES-CHRESTIEN
CHARLES IX DE CE NOM*
Sire, ce n'est pas tout que d'estre Ro}»^ de France,
II faut que la vertu honore vostre enfance;
Car un roy sans vertu porte le sceptre en vain.
Et luy sert d'un fardeau qui luy charge la main
Il ne doit seulement sçavoir l'art de la guerre, 5
De garder les citez, ou les ruer par terre,
De picquer les chevaux, ou contre son harnois
Recevoir mille coups de lances aux tournois;
De sçavoir comme il faut dresser une embuscade,
Ou donner une cargue ou une camisade, lo
Se ranger en bataille et sous les estendars
Mettre par artifice en ordre les soldars.
Les Rois les plus brutaux telles choses n'ignorent.
Et par le sang versé leurs couronnes honorent;
Tout ainsi que lyons qui s'estiment alors 15
De tous les animaux estre veuz les plus forts,
Quand leur gueule dévore un cerf au grand corsage.
Et ont remply les champs de meurtre et de carnage.
Mais les Princes chrestiens n'estiment leur vertu
* Ce Discours fut publié en 1564. pour se reconnaître entre eux.
4. Et ce sceptre lui sert. 12. Par artifice : avec art.
6. Ruer : renverser. 14. Honorent. C'est-n-diro ne don-
7. Harnois. Oi se prononçait oiih. nent d'autre honneur à leur couronne
9. De sçavoir. Il no doit seulement que celui du sang verse.
sçavoir l'art (v. 5) de sçavoir. 15. Alors. Retombe sur quand du
10. Donner une cargue: charger les vers 17.
ennemis. — Camisade. Attaque faite 20. Procéder. Avancer, faire des
par des soldats qui revêtaient par- progrés. — De : par.
dessus l'armure une chemise blanche
nONSAHD 179
Procéder ny de sang, ni de glaive pointu, 20
Ny de harnois ferrez qui les peuples estonnent.
Mais par les beaux mesliers que les Muses nous donnent.
Quand les Muses, qui sont filles de Jupiter
(Dont les Rois sont issus), les Rois daignent hanter,
Elles les font marcher en toute révérence, 25
Loin de leur Majesté bannissant l'ignorance;
Et tous remplis de grâce et de divinité,
Les font parmy le peuple ordonner équité
Il faut premièrement apprendre à craindre Dieu,
Dont vous estes l'image, et porter au milieu 30
De vostre cœur son nom et sa saincte parole.
Gomme le seul secours dont l'homme se console.
Après si vous voulez en terre prospérer.
Vous devez vostre mère humblement honorer,
La craindre et la servir, qui seulement de mère 35
Ne vous sert pas icy, mais de garde et de père.
Après il faut tenir la loy de vos ayeux.
Qui furent Rois en terre et sont là haut aux cieux ;
Et garder que le peuple imprime en sa cervelle
Le curieux discours d'une secte nouvelle. 40
Après il faut apprendre à bien imaginer.
Autrement la raison ne pourroit gouverner ;
Car tout le mal qui vient à l'homme prend naissance
Quand par sus la raison le cuider a puissance.
Tout ainsi que le corps s'exerce en travaillant, 45
Il faut que la raison s'exerce en bataillant
21. Estonnent : frappent de ter- 38. En terre. Cf. note du vers 33.
reur. 40. Curieux : subtil. — Discours.
22. Par. Changement de prcposi- Encore au dix-septième siècle, ce mot
tion. — Mcstiers : offices, services. s'emploie au sens de raisonnement.
24. Hanter. LV se prononçait. 41. A bien imaginer. A se faire une
27. Tous remplis : tout remplis. image, une idée nette des choses.
32. Dont : par lequel. 44. Sus : dessus. — Le cuider. Infi-
33. En terre : sur cette terre. nitif employé substantivement. —
34. Mère. Catherine de Médicis. Cuider : penser, croire. Le cuider
35. Qui : elle qui. signifie ici l'opinion (Cf. Discours sur
36. Garde. Tutrice. les Misères, note du vers 81), le sens
37. Tenir : maintenir. La loy. La loi propre, par opposition à la raison
religieuse, la religion. quisignilio le sens commun*
180 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Contre la monstrueuse et fausse fantaisie,
De peur que vainement l'ame n'en soit saisie;
Car ce n'est pas le tout de sçavoir la vertu,
Il faut cognoistre aussi le vice revestu 50
D'un habit vertueux, qui d'autant plus offence
Qu'il se monstre honorable et a belle apparence.
De là vous apprendrez à vous cognoistre bien.
Et en vous cognoissant vous ferez tousjours bien.
Le vray commencement pour en vertus accroistre 55
C'est (disoit Apollon) soy-mesme se cognoistre.
Celuy qui se cognoist est seul maistre de soy,
Et sans avoir royaume il est vraiment un Roy.
Commencez donc ainsi; puis si tost que par Tâge
Vous serez homme fait de corps et de courage, 60
Il faudra de vous-mesme apprendre à commander,
A ouïr vos subjets, les voir et demander.
Les cognoistre par nom et leur faire justice,
Honorer la vertu et corriger le vice
Or, Sire, pour autant que nul n'a le pouvoir 65
De chastier les Rois qui font mal leur devoir,
Punissez-vous vous-mesme, à lin que la justice
De Dieu, qui est plus grand, vos fautes ne punisse.
Je dy ce puissant Dieu dont l'empire est sans bout,
Qui de son throsne assis en la terre void tout, 70
Et fait à un chacun ses justices égales,
Autant aux laboureurs qu'aux personnes royales;
Lequel je suppliray vous tenir en sa loy,
Et vous aymer autant qu'il fit David son Roy,
Et rendre comme à luy vostre sceptre tranquille, 75
Car sans l'ayde de Dieu la force est inutile.
47. Fantaisie : imagination chimé- 56. Apollon. L'oracle de Delphes,
rique. 60. Courage : cœur.
48. Vainement. Comme en vain, 61. Apprendre à commander (par)
V. 96 des Muses deslogées, page 171. vous-même.
50. Cognoistre: reconnaître. 62. Z)e/nan^£r. Les mander, les faire
51. Offence : nuit. venir.
55. Accroistre: croître. — Oise pro- 65. Pour autant que: parce que.
nonçait ouc. 74. Fit. Substitut d'aimer.
■
1
RONSARD 181
III
REMONSTRÂNGE AU PEUPLE DE FRANCE*
Madame, faut chasser ces gourmandes Harpyes,
Je dy ces importuns, qui les griffes remplies
De cent mille morceaux, tendent tousjours la main.
Et tant plus ils sont saouls tant plus meurent de faim,
Esponges de la cour, qui succent et qui tirent : 5
Plus ils crèvent de biens, et plus ils en désirent!
vous, doctes Prélats, poussez du Sainct Esprit,
Qui estes assemblez au nom de Jesus-Ghrist,
Et taschez sainctement par une voye utile
De conduire l'Eglise à l'accord d'un concile; 10
Vous-raesmes les premiers. Prélats, reformez-vous,
Et comme vrais pasteurs faites la guerre aux loups;
Ostez l'ambition, la richesse excessive ;
Arrachez de vos cœurs la jeunesse lascive,
Soyez sobres de table, et sobres de propos; 15
De vos troupeaux commis cherchez-moy le repos.
Non le vostre. Prélats; car vostre vray office
Est de prescher sans cesse, et de chasser le vice.
Vos grandeurs, vos honneurs, vos gloires despouillez;
Soyez-raoy de vertus, non de soye habillez; 20
Ayez chaste le corps, simple la conscience;
Soit de nuit, soit de jour, apprenez la science;
Gardez entre le peuple une humble dignité.
Et joignez la douceur avec la gravité.
Ne vous entremeslez des affaires mondaines, 25
* Ce Discours fut publie en 1564. moins les abus et les corruptions de
I. Afa<2ame. Catherine de Médicis. l'Eglise.
8. Assemblez. Au concile de Trente. 16. Commis. A vous confiés.
II. Reform£z-vous. Bien que Ron- 23. Entre :pRrmi. — Humble dignité.
sard fasse hautement profession de Alliance de mots à remarquer,
catholicisme, il n'en reconnaît pas
G. P. — Poètes du xvi» siècle. 11
^
182 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Fuyez la cour des Roys et leurs faveurs soudaines,
Qui périssent plustost qu'un brandon allumé
Qu'on voit tantost reluire, et tantost consumé.
Allez faire la cour à vos pauvres oueilles,
Faictes que vostre voix entre par leurs aureilles, 30
Tenez-vous prés du parc, et ne laissez entrer
Les loups en vostre clos, faute de vous monstrer...
Et vous, nobles aussi, qui n'avez renoncée
La foy de père en fils qui vous est annoncée,
Soustenez vostre Roy, mettez-luy derechef 35
Le sceptre dans la main, et la couronne au chef;
N'espargnez vostre sang, vos biens ny vostre vie :
Heureux celuy qui meurt pour garder sa patrie !
Vous, peuple, qui du contre et des bœufs accouplez
Fendez la terre grasse et y semez des blez ; 4C
Vous, marchans, qui allez les uns sur la marine.
Les autres sur la terre, et de qui la poitrine
N'a humé de Luther la secte ny la foy,
Monstrez-vous à ce coup bons serviteurs du Roy!
Et vous, sacré troupeau, sacrez mignons des Muses, 45
Qui avez au cerveau les sciences infuses,
Qui faites en papier luire vos noms icy
Gomme un soleil d'esté de rayons esclarcy.
De nostre jeune Prince escrivez la querelle,
Et armez Apollon et les Muses pour elle 50
28. Reluire... consumé. Construction 38. Garder : sauvegarder,
qu'autorisait l'usage plus libre du 39. Coutre. Cf. page 158^ note du
seizième siècle. vers 32.
29. Oueilles : ouailles. 41. Marine : mer.
31. Parc. Lieu où les troupeaux 45. Mignons : favoris.
sont parqués. 48. Esclarcy : éclairé.
33. Renoncée : répudiée. — Le par- 49. Querelle. Le sens du mot est
ticipe s'accorde avec son régime direct parti, cause. Baci ne l'emploie encore
placé après lui. Cette construction avec cette signification. Escrivez la
se retrouve encore au dix-septième querelle veut dire : soutenez la cause
siècle. de votre plume.
36. Chef: télé.
RONSARD 183
IV
RESPONSE DE RONSARD
AUX INJURES ET CALOMNIES DE JE NE SCAY QUELS
PREDICANTEREAUX ET MINISTKEAUX DE GENEVE
♦
M 'éveillant au matin, devant que faire rien,
J'invoque l'Eternel, le père de tout bien,
Le priant humblement de me donner sa grâce,
Et que le jour naissant sans l'offenser se passe;
Qu'il chasse toute secte et toute erreur de moy, 5
Qu'il me vueille garder en ma première foy.
Sans entreprendre rien qui blesse ma province,
Tres-humble observateur des loix et de mon Prince.
Après je sors du lict, et quand je suis vestu
Je me range à l'estude et apprens la vertu, 10
Composant et lisant, suivant ma destinée,
Qui s'est dés mon enfance aux Muses enclinée.
Quatre ou cinq heures seul je m'arreste enfermé;
Puis sentant mon esprit de trop lire assommé.
J'abandonne le livre et m'en vais à l'église. 15
Au retour pour plaisir une heure je devise ;
De là je viens disner, faisant sobre repas,
Je rends grâces à Dieu; au reste je m'esbas.
Car si l'apres-disnée est plaisante et sereine,
Je m'en-vais pourmener, tantost parmy la plaine, 20
Tantost en un village, et tantost en un bois,
Et tantost par les lieux solitaires et cois.
* Cette pièce fut publiée en 1563. 10. Je me range : je me mets.
1. Ronsard, accusé de mauvaises 13. Je m'arreste : je reste,
mœurs, fait de sa vie le tableau sui- 16. Pour plaisir. Nous disons en-
vant avec une simplicité tout ingénue core pour tout plaisir.
et cordiale. — Devant que : avant de. 17. De là : puis.
4. Sans Voffenser : sans que je 18. Je m'esbas : je me divertis,
l'offense. 19. Plaisante : agréable.
5. Secte : hérésie. 22. Cois : tranquilles.
7. Province : pays.
184 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
J'aime fort les jardins qui sentent le sauvage;
J'aime le flot de l'eau qui gazouille au rivage.
Là, devisant sur l'herbe avec un mien amy, 25
Je me suis par les fleurs bien souvent endormy
Mais quand le ciel est triste et tout noir d'espesseur,
Et qu'il ne fait aux champs ny plaisant ny bien seur,
Je cherche compagnie, ou je joue à la prime,
Je voltige, ou je saute, ou je lutte, ou j'escrime, 30
Je dy le mot pour rire, et à la vérité
Je ne loge chez moy trop de sévérité.
J'ayme à faire l'amour, j'ayme à parler aux femmes,
A mettre par escrit mes amoureuses flammes;
J'ayme le bal, la danse et les masques aussi, 35
La musique et le luth, ennemis du soucy.
Puis quand la nuict brunette a rangé les estoilles,
Encourtinant le ciel et la terre de voiles,
Sans soucy je me couche; et là, levant les yeux
Et la bouche et le cœur vers la voûte des cieux, 40
Je fais mon oraison, priant la bonté haute
De vouloir pardonner doucement à ma faute
26. Par : parmi. 35. Masques. Mascarades, sortes de
27. D'espesseur. D'épais nuages. — travestissements mythologiques en
Prononcez épaissur, comme, au vers vogue à la cour des derniers Valois,
suivant, silr. Un recueil de Ronsard est intitulé
28. Plaisant : agréable. Cartels et Mascarades.
29. Prime. Jeu de cartes. 37. Rangé : mis chacune à son rang,
30. Je voltige. Le mot signifie : faire à sa place.
des exercices pour s'habituer à monter 38. Encourtinant : enveloppant
à cheval sans étriers. — J' escrime. Je comme d'une courtine.
fais de l'escrime. 42. Doucement : avec douceur.
RONSARD 185
LES POEMES*
A PIERRE L'ESGOT**
Abbé de Cleremont, seigpieur de Clany, aumosnier
ordinaire du Roy,
Puis que Dieu ne m'a fait pour supporter les armes,
Et pour mourir sanglant au milieu des alarmes
En imitant les faits de mes premiers ayeux,
Si ne veux-je pourtant demeurer ocieux;
Ains comme je pourray, je veux laisser mémoire 5
Que les Muses jadis m'ont acquis de la gloire,
A fin que mon renom, des siècles non vaincu,
Rechante à mes neveux qu'autrefois j'ay vescu
Caressé d'Apollon et des Muses aimées,
Que j'ay plus que ma vie en mon âge estimées. 10
Pour elles à trente ans j'avois le chef grison,
Maigre, palle, défait, enclos en la prison
D'une melancholique et rheumatique estude,
Renfrongné, mal-courtois, sombre, pensif et rude,
* Ronsard appelle Poèmes toutes Trarena la Hongrie et la basse Allemaigne,
celles de ses pièces qui ne rentrent TraTewalaBoargogneettoutela Champaigne,
dans aucun genre bien déterminé. 5' '^'^^ ^"* l"^ ^^^^^ *? ^î^^*!» ,
«* T ^1 < 1. ^'^ ^ T1 '^ Qui ponr lors arottgaeire encontre les Angloia.
** Le célèbre architecte. Il avait
sculpté en bas-relief sur un des f ron- ^ ^^ . pourtant. — Ocieux : oisif.
tons du Louvre la Renommée de Ron- g^ Ains: mais.
sard en face de la Gloire de Henri II. {^^ Q^i^^n : gris. — Cf., pour ce
1. Ronsard avait été obligé, par la morceau, le portrait que Michelet fait
surdité dont il fut atteint très jeune, ^e Ronsard. « arrachant des griffes
de renoncer au service des princes. «t des dents les lambeaux de l'anti-
3. Cf. Elégie à R. Belleau : -^jj^ ,
Or quant à mon ancestre il a tiré sa race 12. Tous ces adjectifs se rapportent
D'où le glaoé Dannlie est roisin de la Thrace, ^^ gujet J>
Plo. bas que la Hongrie en une «"ide Part jg Melancholique : propre à engen-
Est un seigneur nommé le marquis do Ronsard, , , ,, , r i .^ ^ j. iTÎ
Riche d'or et de gens, de rilles et de terre. ^^®*" ^* mélancolie, c'est-à-dire l'hu-
Un de ses ais puisnez, ardant de Toirla guerre, meur noire. —Rheumatique. Propre
Un oamp d'autres pulsnoa assembla hasardeux, à donner des rhumatismes. — Estude :
Et quittant son pays, fait capitaine d'eux, cabinet de travail.
186 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
A fin qu'en me tuant je peusse recevoir 15
Quelque peu de renom pour un peu de sçavoir.
Je fus souventes-fois retansé de mon père
Voyant que j'aimois trop les deux filles d'Homère,
Et les enfans de ceux qui doctement ont sceu
Enfanter en papier ce qu'ils avoient conceu. 20
Et me disoit ainsi : « Pauvre sot, tu t'amuses
A courtiser en vain Apollon et les Muses !
Que te sçauroit donner ce beau chantre Apollon,
Qu'une lyre, un archet, une corde, un fredon
Qui se respand au vent ainsi qu'une fumée, 25
Ou comme poudre en l'air vainement consumée?
Que te sçauroient donner les Muses qui n'ont rien,
Sinon autour du chef je ne sçay quel lien
De myrte, de lierre, ou, d'une amorce vaine,
T'allecher tout un jour au bord d'une fontaine, 30
Ou dedans un vieil antre, à fin d'y reposer
Ton cerveau mal-rassis, et béant composer
Des vers qui te feront, comme pleins de manie,
Appeller un bon fol en toute compagnie ?
« Laisse ce froid mestier qui ne pousse en avant 35
Geluy qui par sus tous y est le plus sçavant;
Mais avec sa fureur qu'il appelle divine,
Tout sot se laisse errer accueilly de famine.
Homère, que tu tiens si souvent en tes mains,
15. En me tuant. Cf. du Bellay, le 32. Mal-rassis. Mal avait souvent
Poète courtisan, vers 25 sqq. le sens d'une négation. Mal rassis :
17. Retansé : tancé. — De : par. — inquiet. — Béant : qui bée, ou baye.
Mon père. Louis de Ronsard compo- Le verbe bayer signifie proprement
sait cependant, en latin et en français, tenir la bouche ouverte en regardant
des vers qui furent loués par Marot. quelque chose. Cf. l'expression bayer
18. Les deux filles d'Homère. L'Iliade aux corneilles.
et rOdyssée. 33. Manie : folie.
19. Les enfans : les productions. 36. Sus : dessus.
21. Pour tout ce passage, Cf. Ré- 37. Fureur: folie.
gnier, Satire IV, v. 15, sqq. On peut 38. Accueilli de famine. Le mot
lire aussi la satire VIII de Boilcau. accMctV/tVavail dos les premiers temps
29. Lierre. Diérèse. et conserva jusqu'au commencement
30. T'allecher. Construction irrégu- du dix-septième siècle le sens d'as-
lière, mais dont le sens n'a pas à saillir. On disait très bien accueilli
souffrir. d'une tempête^ d'un mal, etc.
RONSARD 187
Que dans Ion cerveau creux comme un Dieu tu te peins, 40
N'eut jamais un liard; si bien que sa vielle
Et sa Muse qu'on dit qui eut la voix si belle,
Ne le sceurent nourrir, et falloit que sa faim
D'huis en huis mendiast le misérable pain.
€ Laisse-moy, pauvre sot, cette science folle; 45
Hante-moy les palais, caresse-moy Bartolle,
Et d'une voix dorée au milieu d'un parquet
Aux despens d'un pauvre homme exerce ton caquet,
Et fumeux et sueux, d'une bouche tonnante
Devant un président mets-moy ta langue en vente; 50
On peut par ce moyen aux richesses monter.
Et se faire du peuple en tous lieux bonneter.
« Ou bien embrasse-moy l'argenteuse science
Dont le sage Hippocrate eut tant d'expérience.
Grand honneur de son isle ; encor' que son mestier 55
Soit venu d'Apollon, il s'est fait héritier
Des biens et des honneurs, et à la poësie.
Sa sœur, n'a rien laissé qu'une lyre moisie.
« Ne sois donc paresseux d'apprendre ce que peut
La nature en nos corps, tout cela qu'elle veut, 60
Tout cela qu'elle fuit; par si gentille addresse
En secourant autruy on gaigne la richesse.
c Ou bien si le désir généreux et hardy.
En t'eschauffant le sang, ne rend accouardy
Ton cœur à mespriser les périls de la terre, 65
Pren les armes au poing, et va suivre la guerre.
Et d'une belle playe en l'estomac ouvert,
Meurs dessus un rempart de poudre tout couvert;
Par si noble moyen souvent on devient riche,
44. Huis : porte. 53. Argenteuse. Le mot n'est pas
46. Palais. Les palais de justice, resté.
les tribunaux. — Bartolle. Barthole, 55. Isle. Cos.
célèbre jurisconsulte italien du qua- 58. Sa sœur. La poésie est, elle
torzième siècle. aussi, issue d'Apollon.
47. Dorée. Cf., vers 50, ta langue en 64. Ne rend accouardy : n'accouar-
vente. — Parquet : tribunal. dit, ne rend couard.
49. Sueux : couvert de sueur. 67. Estomac. Cf. page 130, note du
52. Bonneter : saluer. vers 36.
188 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Car envers les soldats un bon Prince n*est chiche. » 70
Ainsi en me tançant mon père me disoit,
Ou fust quand le soleil hors de Teau conduisoit
Ses coursiers, haletans de la pénible trette,
Ou fust quand vers le soir il plongeoit sa charette,
Fust la nuict, quand la lune avec ses noirs chevaux, 75
Creuse et pleine reprend Terre de ses travaux.
qu'il est mal-aisé de forcer la nature !
Tousjours quelque génie, ou l'influence dure
D'un astre nous invite à suivre maugré tous
Le destin qu'en naissant il versa dessus nous. 80
Pour menace ou prière, ou courtoise requeste,
Que mon père me fist, il ne sceut de ma teste
Oster la poésie ; et plus il me tansoit.
Plus à faire des vers la fureur me poussoit.
Je n'avois pas douze ans, qu'au profond des vallées, 85
Dans les hautes forests des hommes reculées.
Dans les antres secrets de frayeur tout couvers
Sans avoir soin de rien je composois des vers ;
Echo me respondôit et les simples Dryades,
Faunes, Satyres, Pans, Napées, Oreades, 90
Egypans qui portoient des cornes sur le front.
Et qui ballant sautoient comme les chèvres font
Et le gentil troupeau des fantastiques fées
Autour de moy dansoient à cottes agrafées.
Je fu premièrement curieux du latin ; 95
Mais cognoissant, helas ! que mon cruel destin
72. Fuf^ Cf. page 164; note du V. 121. — Oreades: Nymphes des mon-
73. Trette : traite. tagnes.
76. Erre : manière de marcher, mar- 91. Egipans. Divinités aux pieds de
che, cours. bouc.
80. Versa. Cf. le mot influence de 92. Ballant : dansant.
fluo : couler. 93. Fantastiques : capricieuses.
81. Pour menace. Quelque menace. 94. Cottes : jupes.
84. Fureur : inspiration. 96 sqq. Ce serait donc par pis-aller,
86. Reculées : écartées. s'il fallait Ten croire, que Ronsard
88. Soin : souci. aurait écrit en français. Cf. du Bellay,
90. JVa/7e«f. Nymphes des yallons. p.207, A Madame Marguerite^ noUasï'
— Ve muet compte dans la mesure, ment vers 33 sqq.
RONSARD 189
Ne m*avoit dextrement pour le latin fait naistre,
Je me fey tout François, aimant certes mieux estre
En ma langue ou second, ou le tiers, ou premier,
Que d'estre sans honneur à Rome le dernier. 100
Donc suivant ma nature aux Muses inclinée,
Sans contraindre ou forcer ma propre destinée,
J'enrichy nostre France, et pris en gré d'avoir,
En servant mon païs, plus d'honneur que d'avoir
LA FRANCIADE
I
COMBAT SINGULIER DE FRÂNGUS ET DE PHOVÈRE*
Entre l'ardeur, la haine et les efforts.
Une fureur leur réchauffa le corps.
Ici la rage, ici la chaude honte,
Des deux guerriers le courage surmonte.
Perd leur raison, si bien qu'à toutes mains, 5
A vuides coups, à coups fermes et plains,
De pointe, taille et de travers ruèrent.
Et leur harnois en cent lieux déclouèrent.
Si que le camp estoit partout semé
Du fer touché de leur corps désarmé. 10
Icy la hausse, icy tombe la grève,
La maille icy. Ces chevaliers, sans trêve,
99. Tiers : troisième. sçauroit lire un si brave duel en tous
* Francus, fils d'Hector, le héros les poètes grecs et latins.» (Argument
de la Franciade, jeté par un naufrage d'Amadis Jamin.)
sur les côtes de la Crète, reçoit l'hos- 4. Courage : cœur,
pitalité du roi Dicée. Le fils de Dicée, 7. Ruèrent : frappèrent.
Orée, est retenu prisonnier par un 11. Hausse. Pièce de l'armure. —
géant nommé Phovère. « Francus Grève : sorte de jambart.
s'offre à le combattre, ce qu'il fait de 12. Maille. Les mailles sont les
si magnanime courage et avec telle petits annelets de fer dont les armures
prouesse et dextérité qu'il le tue et étaient faites,
retire Orée de sa captivité. On ne
11.
100 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Fumant, soufflant, suant et haletant,
Playe sur playe ils se vont combatant.
Pied contre pied, sans point changer de place. 15
L'un de son corps se fie en la grand masse,
Ferme en son poids; et l'autre, plus gaillard,
Dispost, se fie au secours de son art.
Mais à la fin ils reprennent haleine,
Demy matez de sueur et de peine ; 20
Puis, tout soudain, comme deux taureaux font.
Rentrent de pieds, et de bras, et de front.
L'un contre l'autre. Une horreur, une rage,
Un fier despit flamboyé en leur visage;
Tantost petits, tantost ils se font grands, 25
Tantost courbez, tantost à demy flancs,
Dessus la jambe ores gauche, ores dextre,
Gontre-avisoient où le coup pouvoit estre
Mieux assené, mais point ne se trompoient,
Car tout d'un coup ils paroient et frapoient. 30
Francus luy jette en Toeil droit une pointe;
L'autre, appuiant sur sa dague bien joincte
L'espée en croix, loin de l'œil repoussa
La playe au vent et le bras luy blessa.
Le sang coula de cest enfant de Troye, 35
Vermeil ainsy qu'est une rouge soye
Que la pucelle arrange avecques l'or
Dessus la gaze, ornement d'un trésor,
Ou tel que fut de la playe Adonine
Le sang fardeur de la rose pourprine ; 40
14. Playe sur playe. Ve muet fait 29. Mieux : le mieux. Cf. page 168,
la seconde syllabe du vers. note du vers 88.
17. Gaillard : yïf. 30. Tout <2'un cou/?. En même temps.
24. Fier .îdiVoxxcYiQ,— Despit :eo\ète. 32, 33. Parant avec sa dague, qu'il
26. A demy flancs. La position inter- croise contre l'épée de Francus.
médiaire entre de flanc et de front. 39.i4£{o/t///e. Adonis, fils de Cyniras,
27. Dextre. Ux ne se prononçait roi de Chypre, fut aimé de Vénus;
pas. un sanglier envoyé par Mars l'ayant
2^. Contre-avisoient, Avisaient •.chev' déchiré, la déesse le changea en une
chaient du regard. Contre indique la fleur rouge.
position des doux adversaires, l'un en 40. Fardeur : qui teignit de sa cou-
face de l'autre. leur.
RONSARD 191
Mais pour cela ne perdit la vertu.
Armé de cœur et de glaive pointu,
Le suit, le tient, l'importune et rapproche.
Gomme les flots qui frappent une roche.
Luy, qui le corps de naissance avoir dur 45
Plus que métal ou le marbre d'un mur,
Comme rusé, par longue prévoyance
Gardoit sa veine afin qu'on ne l'offense.
Francus, voyant que c'estoit temps perdu
D'avoir sur luy tant de coups despendu, 50
Ainsi qu'une aigle en roideur qui se laisse
Caler à bas, ouvrant la nue espaisse,
Dessus un cygne arresté sur le bord,
Ainsi, doublant effort dessus effort,
Sur le grand corps s*eslança de rudesse, 55
Adjoustant l'art avecques la prouesse ;
Sous luy se rue et de près l'approcha;
La gauche main à son col accrocha,
Et de la dextre en contre-bas le tire.
Il le tourmente, il le tourne, il le vire, 60
Le choque, heurte, et d'un bras bien tendu
Le tient en l'air longuement suspendu;
Puis du genou les jambes luy traverse.
Et le fait cheoir tout plat à la renverse.
Phovère imprime, en tombant de son long, 65
La poudre molle. Ainsi tombe le tronc
D'un grand sapin bronché d'une montagne,
Qui de son corps imprime la campagne.
De bras nerveux et d'ongles bien crochus
47. Comme rusé. Rusé comme il taigne.)
était. 52. Caler : se laisser aller.
48. Gardait sa veine. Il n'était vul- 55. De rudesse : radement.
nérable qu'au talon. Cf. vers 77, 78. — 56. Prouesse : bravoure.
Offense: blesse. Une syntaxe rigou- 63. Tra^er^e. Met le genou en travers
reuse exigerait offensât. de ; lui donne, du genou, un croc en
50. Despendu : dépensé. jambe.
51. En roideur. Raideur signifie ra- 65. Imprime. Laisse une empreinte
pidité de mouvement. « Des chevaux sur.
courant de toute leur roideur. » (Mon- 67. Bronché : précipité.
192 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Cent fois essaye à se remettre sus 70
Se debatant, mais en vain il s'efforce :
Car du Troyen la vigoureuse force
Tient le genou comme victorieux
Sur l'estomac, le poignard sur les yeux.
Trois, quatre fois, de toute sa puissance 75
L'avoit frappé, quand il eut souvenance
Que le trespas de ce cruel félon
Estoit enclos aux veines du talon.
Pource il se tourne et promptement assène
L'endroit certain où tressailloit la veine. 80
Du fer poignant coup sur coup la chercha,
Et veine et vie ensemble luy trencha.
Le sang qui sort d'une vive secousse
Bien loin du corps rendit la terre rousse
A longs filets. Ainsi que d'un conduit 85
S'eschappe l'eau qui jallissant se suit.
Et d'une longue et saillante rousée
Baigne la terre à l'entour arrousée,
Ainsi le sang bouillonnant s'en-alla.
Et par le sang son ame s'escoula, 90
Palle d'horreur et de despit suivie.
De perdre ainsi la jeunesse et la vie.
Ce corps tout froid et affreux se roidit;
Gomme un glaçon l'estomac luy froidit.
Et de ses yeux l'une et l'autre prunelle 95
Ferma son jour d'une nuict éternelle.
N'estant plus rien d'un tel tyran, sinon
Qu'un tronc bronché diffamé de renom.
(Cht II.)
70. Se remettre sus. Se relever, se 86. Jallissant se suit : jaillit d'une
remettre sur pieds. façon continue.
79. Assène. Ce verbe, dérivé du latin 87. Saillante : qui saute, qui jaillit.
assignare, signifie distribuer , donner. 94. Froidit : se refroidit.
Par exemple, asséner un coup. Ron- 97. Rien n'étant plus,
sard l'emploie ici dans une construo- 98. Bronché : tombé. — Diffamé de
tion peu conforme h l'étymologie. renom. Sa défaite enlève à Phovère
81. Poignant : piquant, perçant. tout prestige.
RONSARD 193
II
LES ROIS FAINÉANTS*
« Voy, Francien, ces autres rois dontez
De vin, d'amour, de toutes voluptez,
Qui, abestis, en un monceau se pressent.
Et le regard contre la terre baissent.
Une grand' nue esparse sur leur front 5
Les obscurcit ; regarde comme ils vont
Efieminez, et d'une alleure lente
Monstrent au front une ame nonchalante.
Ah malheureux I ils seront fils des tiens.
Germe maudit, Troyennes, non Troyens; 10
Qui tant s'en faut qu'ils soient en France dignes
D'avoir au chef les couronnes insignes.
Qu'ils ne sont pas, pestes du genre humain,
Dignes d'avoir l'aiguillon en la main;
Rois sans honneur, sans cœur, sans entreprise, 1 5
Dont la vertu sera la paillardise.
Leur beau royaume, acquis par le harnois
De tant d'ayeux, très invincibles rois,
Par la sueur de tant de capitaines.
Par sang, par fer, par discours et par peines, 20
En peu de jours tombé de sa vigueur.
Ah ! fier destin ! perdra puissance et cœur.
Ne vois-tu pas comme Glovis en pleure?
Tay-toy, grand roy : rien çà-bas ne demeure
En son entier; tant plus le sceptre est haut, 25
Et plus il tombe à terre d'un grand saut.
* Hyante, fille de Dicée, « savante guerre. Harnais voulait dire ppopre-
en l'art magie », montre à Francus les ment : armure complète d'un homme
rois qui doivent sortir de son sang, d'armes.
2. De vin : par le vin. 22. Fier : cruel.
15. Entreprise: énergie. 24. Çà-bas '. ici-bas.
17. Harnois, C'est-à-dire par la
194 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
« Ces rois hideux en longue barbe espesse,
En longs cheveux ornez presse sur presse
De chaisnes d'or et de carquans gravez,
Hauts dans un char en triomphe élevez 30
Une fois l'an se feront voir en pompe,
Enflez d'un fard qui le vulgaire trompe,
Quittant leur sceptre aux maires du palais.
Dont ils seront esclaves et valets,
Masques de rois, idoles animées, 35
Et non pasteurs ny princes des armées,
Qui se verront, honnis de voluptez,
De leurs vassaux à la fin surmontez.
Appren, Troyen, comme un lasche courage
Perd en un jour son sceptre et son lignage. 40
Il ne faut estre aux affaires rétif :
La royauté est un mestier actif.
(Ght IV.)
GAYETES
I
LES BACCHANALES
OU LE FOLASTRISSIME VOYAGE D'HEKCUEIL
f
lo, lo, trope chère.
Quelle chère
28. Presse sur presse. Ce» chaînes 1. lo. Cf. page 126, note du v.22. —
etces carcans sont en si grand nombre Cette pièce, d'une verve si gaillarde,
qu'ils se pressent les uns contre les d'un rythme si allègre, nous fait con-
autres. naître un Ronsard tout autre que ce-
29. Carquans : colliers. lui des Odes pindaresques ou de la
32. Enflez. Comme qui dirait em- Franciade. C'est à ce Ronsard-là que
pâtés. se rattachent certains irréguliers du
33. Quittant : abandonnant. dix-septième siècle, et en première
37. Honnis de : déshonorés par. ligne Saint-Amand.
39. Courage : cœur.
RONSARD 195
Ce jour ameine pour nous !
Partons doncq or' que. l'Aurore
Est encore 5
Dans les bras de son espoux.
Ores doncque que l'Aurore
Est encore
Dans les bras de son espoux,
Partons ains qu'elle flamboyé, 10
Et qu'on voye
Son grand flambeau dessus nous.....
lo, comme ces saulayes
Et ces hayes
Sentent l'humide fraischeur, 15
Et ces herbes et ces plaines
. Toutes plaines
De rousoyante blancheur!
Que ces rives escumeuses
Sont fumeuses, 20
Au premier traict de Phoebus I
Et ces fontanieres prées
Diaprées
De mille tapis herbus!
Voici l'aube safranée 25
Qui ja née
Couvre d'œillets et de fleurs
Le ciel qui le jour desserre,
Et la terre
De rosées et de pleurs. 30
4. Or" que : maintenant que. 25. Safranée : couleur de safran.
10. Ains : avant. 28. Desserre : délie, lâche, fait
18. Rousoyante. Provenant de la ëclore.
f rosée. 29. Et couvre la terre.
20. Fumeuses ; vaporeuses. 30. Rosées, Ve muet compte dans
I 22. Fontanieres : arrosées de fon- la mesure,
taines, de ruisseaux.
/
196 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Sus I conduisez d'une aubade
La brigade,
vous, chantres honorez,
Qui tenez en ce bas estre
Vostre naîstre 35
D'Apollon aux crins dorez!...
lo, je voy la vallée
Avallée
Entre deux tertres bossus,
Et le double arc qui emmure 40
Le murmure
De deux ruisselets moussus.
C'est toy, Hercueil, qui encores
Portes ores
D'Hercule l'antique nom, 45
Qui consacra la mémoire
De ta gloire
Aux labeurs de son renom
Ja la cuisine allumée
Sa fumée 50
Fait tressauta jusqu'aux cieux,
Et ja les tables dressées
Sont pressées
De repas délicieux...
Je veux que la tasse pleine 55
Se promeine
Tout autour de poing en poing,
Et veux qu'au fond d'elle on plonge
Ce qui ronge
Nos cerveaux d'un traistre soing... 60
34. Estre : existence, état, condi- 38. Avallée : qui s'abaisse,
tion. 43. Hercueil, Arcueil.
35. iVa£ffre: naissance. Cf. page 213, 44. Ore« : maintenant,
note du vers 10. 60. Soing : souci.
RONSARD 197
lo, qu'on boive et qu'on chante,
Qu'on enchante
La dent des soucis félons :
La vieillesse larrpnnesse
Ja nous presse 65
Le derrière des talons.
lo! garçon, verse encore,
Que j'honore
D'un sacrifice joyeux
Geste belle onde verrée 70
Consacrée
Au plus gay de tous les dieux.
Que l'on charge la fontaine
Toute pleine
De gros flacons surnoiians; 75
Qu'en l'honneur de luy maint verre
My-plein erre
Sus les vagues se roiians.
Evan, ta force divine
Ne domine 80
Les hommes tant seulement;
Elle estrgint de toutes bestes
Toutes testes
D'un effort également.
Voyez-vous ceste grenouille 85
Qui gazouille
Yvre sur le bord de l'eau,
Tant l'odeur d'une bouteille
(Grand merveille ! )
Luy enchante le cerveau ? 90
62. Enchante. Dans le sens propre 78. RoUans : roulant,
du mot. 79. Evan. Surnom de Bacchus.
70. Verrée : cristalline. 84. Avec la môme force.
75. Surnoiians : surnageant. i
^
198 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Comme elle, du vin surprise,
Est assise
Sur nos flacons entrouverts !
Gomme sur l'un et sur l'autre
Elle veautre 95
Son corps flottant à l'envers !
Mais tandis que ceste beste
Nous arreste,
lo, compaings, n'oyez-vous
De Dorât la voix sacrée loo
Qui recrée
Tout le ciel d'un chant si doulx?...
Prestons doncq à ses merveilles
Nos aureilles :
L'entusiasme limfljisin 105
Ne luy permet de rien dire
Sur sa lyre
Qui ne soit divin, divin...
Quand je l'entends, il me semble
Que Ton m'emble 110
Mon esprit d'un rapt soudain.
Et que loing du peuple j'erre
Soûls la terre
Avec Tame du Thdjain,
Avecques l'ame d'Horace : 115
Telle grâce
99. Compaings : compagnons. Muses par les outils des Grecs et le
100. Dorât. Le principal du Collège réveil des sciences mortes. » Il est
de Coqueret, qui enseigna les langues compté parmi les sept de la Pléiade,
anciennes à la « brigade ». Lui-même 105. Eiitusiasme. Quatre syllabes,
composait des vers, non seulement en — Limousin. Dorât était d'origine
latin et en grec, mais aussi en français, limousine.
Son vrai mérite est d'avoir, comme dit 110. Emble : ravit.
Ronsard, « destoupé la fontaine des 114. Du Thebain : Pindare.
RONSARD 199
Se distile de son miel
Et de^a voix limousine,
Vrayment digne
D'estre Serene du ciel. 120
Ha! Ve§per, brunette estoile,
Qui d*un voile
Partout embrunis les cieux,
Las ! en ma faveur iencorp
Ne décore ^ ' 125
La grand* voûte de tes ye.ulx...
Quoy ! des astres la compaigne,
Tu dédaigne
Mon prier, et sans séjour
Devant l'heure tu flamboyes 130
Et envoyés
Soubs les ondes nostre jour?
Va, va, jalouse, chemine;
Tu n*es digne,
Ny tes estoilès, d'ouyr . 135
Une chanson si parfaicte,
Qui n'est faicte
Que pour les dieux esjouir.
Doncques, puisque la nuict sombre, 140
Pleine d'ombre.
Vient les montaignes saisir.
Retournons, troupe gentille,
Dans la ville
Demy-soulez de plaisir.
119. Digne. Prononcez dine. De 129. Prier. Infinitif employé sub-
même au vers 134. stantivement. Cf. page 213, note du
120. Serene : Sirène. vers 10. — Séjour : retard.
124-126. Ne décore pas encore de 130. Devant : avant.
tes yeux la grande voûte. 132. Soubs les ondes. De la mer.
200 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Jamais Thomme, tant qu*il meure, 145
Ne demeure
Fortuné parfaictement ;
Toujours avec la lyesse
La tristesse
Se mesle secrettement. 150
145. Tant qu'il : jusqu'à ce qu'il.
J. DU BELLAY
EXTRAITS
L^OLIVE*
ET AUTRES ŒUVRES POÉTIQUES
Sonnet XLV
Ores qu'en l'air le grand Dieu du tonnerre
Se rue au seing de son épouse amée,
Et que de fleurs la nature semée,
A faict le ciel amoureux de la terre ;
Or' que des ventz le gouverneur desserre 5
Le doux Zephire, et la forest armée
Voit par l'épaiz de sa neuve ramée
Maint libre oiseau, qui de tous coûtez erre :
* Anagramme du nom d'une jeune gouverneur. Eole. — Desserre : délie,
fille qu'aimait du BeUay, M^^* de Viole. 6. Et la : et que la. Le que se sous-
1. Ores que : pendant que. entendait régulièrement dans la se-
2. Son épouse amée. Cf. Lucrèce : conde proposition. — Armée : munie
Poitremo pereant imbrei, ubi e<M pater ^her de ses feuilles.
In gremiammatriB Terrai prieoipiUTit? 7. L'épaiz. Adjectif employé sub-
(I, 251.) stantivement. Cf. Défense et illustra-
Virgile : tion : < Use doncques hardiment... de
Tom pater omnipoteiufecandisimbribniJIther de l'Adjectif substantivé, comme le
Conjngia ia gremiom Istas descendit, eto. liquide des eaux^ le fraiz des umbres,
(Géorg. Il, 325.) l'epes des foretz (II, ix).
5 Or' que. Cf. v. 1. — Des ventz le
202 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Je vois faisant un cry non entendu,
Entre les fleurs du sang amoureux nées, lo
Pasle, dessoubz l'arbre pasle étendu :
Et de son fruîct amer me repaissant,
Aux plus beaux jours de mes verdes années
Un triste hyver sens en moy renaissant.
^
Sonnet LXXXIII
Déjà la nuit en son parc amassoit
Un grand troupeau d'étoiles vagabondes,
Et pour entrer aux cavernes profondes.
Fuyant le jour, ses noirs chevaulx chassoit :
Déjà le ciel aux Indes rougissoit, 5
Et l'Aulbe encor' de ses tresses tant blondes
Faisant gresler mile perlettes rondes.
De ses thesors les prez enrichissoil :
Quand d'occident, comme une étoile vive,
Je vy sortir dessus ta verde rive, 10
fleuve mien! une Nymphe en rient.
Alors voyant cette nouvelle Aurore,
Le jour honteux d'un double teint colore
Et l'Angevin et l'Indique orient.
9. Je vois : je vais. ^ reprenant ce thôme indiqué discrète-
10. Allusion à la légende d'Adonis, ment par du Bellay, opposeront la
Cf. Ovide : la douleur de l'homme à la nature en
..... FIm de Muiguine conoolor ortua fête.
Qaalem qme lento celant «ub cortloe gnamen i. Parc, Lieu où l'on parque les
Punie» ferre soient. troupeaux. Cf. le vers suivant.
[Metamorph., X, viii.) ^ y^^^ . vivante.
11. L'arbre /?aWc. L'olivier, qui est 11. Fleuve mien. Le Loir. — En
pour l'amant d'Olive ce que le laurier rient : en riant. Se rapporte à sortir :
avait été pour l'amant de Laure. sortir en riant.
14. Le dernier tercet est d'une mé- 14. Ce sonnet, déjà remarquable
lancolie touchante. Bien des poètes, par son éclat et par sa gravité, est
J. DU BELLAY
203
Sonnet GXIIl
j
A
Si nostre vie est moins qu*une journée
En Téternel, si l'an qui faict le tour
Chasse nos jours sans espoir de retour,
Si périssable est toute chose née,
Que songes-tu, mon ame emprisonnée?
Pourquoy te plaist l'obscur de nostre jour.
Si pour voler en un plus cler séjour.
Tu as au dos Taele bien empanée?
La est le bien que tout esprit désire,
La, le repos ou tout le monde aspire,
La est l'amour, la le plaisir encore.
La, ô mon ame, au plus hault ciel guidée,
Tu y pourras recognoistre l'Idée
De la beauté, qu'en ce monde j'adore.
10
pour ainsi dire le prototype des
« belles matineuses i>. Cf. Voiture :
Des portes du matin l'amante de Céphale
Sa rosée épandait dans le milieu des ain,
Et jetait sur les oienz nourellement ouverts
Ces traits d'or et d'azur qu'en naissant elle
[éUle,
Quand la njmphe dirine, à mon repos fatale,
Apparut et brilla de tant d'attraits dirers,
Qu'il semblait qu'elle seule éclairait l'unirers
Et remplissait de feux la rire Orientale.
Le soleil, se hAtant pour la gloire des cieuz,
Vint opposer sa flamme h l'éclat de ses yeux
Et prit tous les rayon» dont l'Olympe se dore.
L'onde, la terre et l'air s'allumaient alentour ;
Mais auprès de Philis on le prit pour l'aurore,
Et l'on crut que Philis était l'astre du jour.
2. En l'éternel : en l'éternité. Cf.
page 201, note 7.
5. Que : à quoi. — Emprisonnée. Le
corps est une prison. Cf. Marot, p. 96,
Déploration de Messire Robertet;
Ronsard, page 147, Hymne de la Mort.
6. L'obscur. Cf. page 201, note 7.
8. Empanée : empennée, munie de
plumes.
9. La. Dans ce clair séjour.
13. L'Idée. Le type éternel et im-
muable. C'est la théorie platonicienne.
Du Bellay, dans ce sonnet, s'inspire
à la fois de Platon et de Pétrarque.
14. « Prenez le cent treizième sonnet
de V Olive. Il est dur assurément, mais
il est noble, élevé, et il faudrait peu
de chose pour que l'essor se fît jour
en plein ciel et se déployAt. A ce mou-
vement, à ces formes, à ces rimes
inusitées jusqu'alors en poésie fran-
çaise, on est transporté par delà, et
l'on se prend à redire involontaire-
ment avec Lamartine, dans ces stances
de la première pièce de ses premières
Méditations :
Là je m'enirrcrais à la source où j'aspire ;
Là je retrouTeraia et l'espoir et l'amour.
Et ce bien idéal que toute ftme désire
Et qui n'a pas do nom an terrestre séjour.
« Du Bellay, gônéot empêché dès le
i%
204 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
DISCOURS AU ROI
. . . Veu que la nature a d'un si petit cours
A l'homme limité le terme de ses jours,
Pourquoy de tant d'ennuis, de travaux et traverses,
De voyages lointains, et fortunes diverses.
Fol se priveroit-il de ce peu de plaisir, 5
S'il n'avoit en son cœur cet honnesle désir
D'allonger par vertu le cours de sa mémoire,
Et gaigner par sa mort une immortelle gloire ?
Ce généreux désir de l'immortalité
Tous l'apportent ici dès leur nativité, 10
Chascun en plus ou moins, selon que de nature
Il est favorisé, ou de sa nourriture :
Ce qui nous monstre bien que tout on ne meurt pas.
Mais qu'il reste de nous, après nostre trespas.
Je ne scay quoy plus grand et plus divin encore, 15
Que ce que nous voyons et que la mort dévore...
C'est pourquoy ces grands Rois, et magnanimes Princes,
Après avoir donté les barbares provinces,
Fait florir la vertu, la justice et la paix,
Dechassé les Tyrans, et par autres bienfaicts 20
Aydé le genre humain, pour sacrer leur mémoire
A la postérité, engraverent la gloire
début, n'a donné que la note : Que — Ce peu de plaisir. Le peu de plaisir
songes-tu, mon Ame emprisonnée? Il que nous permet la brièveté de notre
l'a donnée du moins. C'est un com- vie.
mencement de Méditation, Le motif 6. Honneste : honorable, noble. Cf.
est trouvé. ]> (Sainte-Beuve.) généreux du vers 9.
1 sqq. Imitation d'un passage de 8. Et gaigner. Ellipse de la préposi-
Cicéron dans les Tusculanes. tion dans le second terme. Cf. l'eUipse
3. De : par. de que, page 201, note du vers 6.
5. Fol. Adjectif employé adverbia- 10. Nativité : naissance,
lement. Cf. Défense et Illustration : 12. Nourriture : éducation.
« Use doncques hardiment... des 13. Qu'on ne meurt pas tout entier.
Noms pour les Adverbes, comme Hz 20. Dechassé : chassé.
combattentobstinez'pourobstinéement, 21. Sacrer : consacrer.
il vole léger pour légèrement. (II, ix.) 22. Engraverent : gravèrent.
J. DU BELLAY 205
De leurs faicts généreux en marbres eslevés,
En colomnes, en arcs à double front gravés,
Et superbes tombeaux, et semblables ouvrages 25
Que le temps a doutés. Quelques autres plus sages
Voulant perpétuer le bruit de leur vertu
Par œuvre qui ne peust du temps estre abbatu,
Qui ne craignis t le feu, ny le fer, ny l'orage,
Ny mesme Jupiter, mais passant d'aage en aage 30
Se fîst tousjours plus beau, empruntèrent les mains
Et l'immortel labeur des doctes escrivains :
Par le moyen desquels plus vivants ils sont ores.
Que du temps qu'ils vivoient, et leurs beaux faicts encore
Plus récents que ceux-là, qu'on voit présentement ; 35
Tant de force a l'histoire escrite doctement.
Sire, parlant ainsi du pouvoir de l'histoire,
Je parle du Poëte, estant assez notoire.
Que tous deux sont esmeus d'un semblable désir,
Qui est de profiter, et de donner plaisir. 40
Tous deux par leurs escripts mesme chose prétendent.
Mais par divers moyens à mesme fin ils tendent.
Gestuy là, sans user d'aucune fiction.
Représente le vray de chacune action.
Gomme un, qui sans oser s'esgayer davantage, 45
Rapporte après le vif un naturel visage.
Gestuy-cy, plus hardy, d'un art non limité
Sous mille fictions cache la vérité,
Gomme un peinctre qui fait d'une brave entreprise
La figure d'un camp, ou d'une ville prise, 50
28. Par œuvre. La suppression de 39. Esmeus : mus.
l'article était de régie quand le nom 40. Cf. Horace :
se prenait dans un sens général ou Omne tulit punctum qui miscuit utile dnlci.
indéfini. — Abbatu. Le mot œuvre (Art. poèt.y y. 343.)
s'employait au masculin dans toutes 44. Chacune. Le mot s'employait
ses acceptions. comme adjectif.
33. Ores : maintenant. 45. Un : quelqu'un.
35. Ceux-là qu'on^ etc., : ceux qu'on. 46. Rapporte : représente. — Apres :
Construction régulière au seizième d'après. — Le vif : le modèle vivant,
siècle. 50. Figure : image.
38. Estant : puisqu'il est.
12
206 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Un orage, une guerre, ou mesme il fait les Dieux
En façon de mortels se monstrer à nos yeux.
Tel que ce premier là est vostre Janet, Sire,
Et tel que le second Micchelange on peult dire;
A l'un vostre Paschal est semblable en son art, 55
A l'autre est resemblant vostre docte Ronsard.
Je ne veux pas ici par le menu déduire
Plusieurs autres raisons, que je pourrois induire
Pour monstrer ce qui est de semblable en ces deux
Et ce qui est aussi de différence entre eux. 60
Par un autre œuvre à part je vous feray notoire
Ce qui se trouve escript des vertus de l'histoire.
Qui vers nous de héraut sert à l'antiquité.
Gomme à nous quelque jour vers la postérité
EU' doit aussi servir; mais fuyant la matière 65
De ce présent discours, pour une gloire entière
Bastir à vostre nom, dire j'oseray bien.
Que le poëte il faut joindre à l'historien.
Car bien que cestuy-cy d'un plus seur tesmoignage
Dépose à l'advenir des gestes de son aage, 70
Et de ce qu'il a veu (car sans ce dernier poinct
Le nom d'historien il ne mérite poinct)
Gestuy-la toutefois est trop plus admirable.
Et son œuvre n'est moins que l'histoire durable.
Pour ce qu'en imitant Tautheur de l'univers, 75
Toute essence et idée il comprend en ses vers.
52. En façon : sous la forme. 64, 65. Comme elle doit nous servir
53. Janet. Peintre du roi. Ronsard un jour de héraut à l'égard de la pos-
lui a adressé une élégie. térité.
55. Paschal. « Pierre Paschal, gen- 66. Pour une gloire^ etc., se rattache
tilhomme, natif du bas pays de Lan- à ce qui suit. J'oserai dire que pour
guedoc, homme savant et d'une telle bastir, etc., il faut, etc.
éloquence latine que mesme le sénat 70. Gestes : faits, exploits,
de Venise s'en est quelquefois csmer- 71. Sans ce dernier poinct. Du Bellay
veillé.» (Note de Muret, dans les veut que l'historien ait été témoin des
Amours de Ronsard.) événements qu'il rapporte.
59. Ce qui est de semblable : ce qu'il 73. Trop : beaucoup,
y a do semblable. — Sur la différence 74. N'est moins : n'est pas moins,
entre l'historien et le poète. Cf. 75. Pour ce : pour cette raison.
Ronsard, Préf. de la Franciade. 76, On reconnaît ici cette assertion
61. Un. Cf. note du vers 28. d'Aristote que la poésie est supérieure
DU BELLAY 207
RECUEIL DE POESIES
PRÉSENTÉ
A TRES ILLUSTRE MADAME MARGUERITE
A MADAME MARGUERITE*
d'esgrire en sa langue
Ode IV**
Quiconque soit qui s*estudie
En leur langue imiter les vieulx,
D'une entreprise trop hardie
Il tente la voye des cieulx,
Croyant en des ailes de cire, 5
Dont Phebus le peult déplumer :
Et semble à le voir qu'il désire
Nouveaux noms donner à la mer.
Il y met de l'eau, ce me semble
Et pareil (peult estre) encor' est lo
à rhistoire, comme ayant un carac- Du Bellay put bien pétrarquiser tout
tère plus philosophique, comme s'éle- d'abord, il ne pindarisa jamais. C'est
vant au-dessus des contingences pour un élcgiaque, non un lyrique,
saisir la vérité idéale. 1. Cf. l'ode d'Horace :
* Madame Marguerite. La sœur Pindarum quisquis studet semulari, etc.
du roi, qui avait encouragé les dé- (IV, ii.)
buts des novateurs. On raconte que 2. Imiter. A imiter. — Les vieulx :
Melin de Saint-Gelais, quand Ronsard les anciens,
publia ses premières odes, en ayant lu '*• Voye. Deux syllabes,
une devant la cour sur un ton de pa- 5. Croyant : se fiant,
rodio, Marguerite lui arracha des 6- Déplumer. L'r sonne,
mains le volume et débita la même 7« ^'^-ft^/n^/^. Suppression, régulière
pièce avec un tel accent que l'admi- au seizième siècle, du pronom per-
ration succéda à la risée. sonncl neutre.
** Cette pièce et la suivante s'inti- 8. Allusion à Icare,
tulent odes, mais sont moins des odes 9» H va porter de l'eau à la mer.
véritables que dos épîtrcs familières. 10 sqq. Cf. Défense et Illustration :
208 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
A celuy qui du bois assemble,
Pour le porter en la forest.
Qui suyrra la divine Muse,
Qui tant sceut Achille extoller ?
Ou est celuy qui tant s'abuse 15
De cuider encore voler
Ou par régions incongneues
Le cygne Thébain si souvent
Dessoubs luy regarde les nues,
Porté sur les ailes du vent ? 20
Qui aura l'haleine assez forte,
Et Testommac, pour entonner
Jusqu'au bout la buccine torte.
Que le Mantuan fist sonner?
Mais ou est celuy qui se vante 25
De ce Calabrois approcher,
Duquel-jadis la main scavante
Sceut la lyre tant bien toucher ?
« Horace dit que Romule en songe une imitation trop superstitieuse de
l'ammonesta, lorsqu'il faisoit des vers l'antiquité, il faut aussi remarquer
Grecz, de ne porter du bois en la qu'elle substitua cette imitation, qui
forest. » (II, XII.) Voici les vers d'Ho- deviendra de plus en plus libre, de
'***î® * plus en plus originale, au vain tra-
in tllvain non ligna feras insanius ac si vail dos faiseurs de centons grecs et
Magnas Gracorum malis implere oatervas. latins.
(5af.,I, X, 34.) 14. Extoller : exalter.
— Pour toute cette pièce. Cf. la 15, 16. Tant... De. Assez pour.
Défense^ chap. xi du premier livre, 16. Cuider : croire,
intitulé : Qu'il est impossible d'égaler 18. Le cygne Thébain. Pindare.
les Anciens en leurs Langues^ et sur- 19, 20. Cf. Horace :
toutchap. XII du second livre, intitulé: « i* im i ^
_,,*'. _ ... Multa DircsBiim levât aura oyonum.
Exhortation aux Francoys décrire en . , -__
leur Langue. — Par une inconséquence ^ ^ ' ' *'
dont il s'est galamment excusé, du 22. Et l'estommae , Sous-entendu
Bellay composera des Elégies latines assez fort. — Estomac dans le sens de
d'ailleurs fort élégantes. Mais à ce mo- poitrine. Cf. page 130, note du vers 36.
ment-là Ronsard et du Bellay lui- 23. Buccine : trompette.
même auront déjà montré de quoi 24. Le Mantuan. Virgile.
la langue française était capable, et 26. D'approcher ce Calabrois. — Ce
si l'on peut reprocher à la Pléiade Calabrois. Horace.
i
J. DU BELLAY 209
Princesse, je ne veulx point suyvre
D'une telle mer les dangers, 30
Aimant mieulx entre les miens vivre
Que mourir chez les estrangers.
Mieulx vault que les siens on précède
Le nom d'Achille poursuyvant,
Que d'estre ailleurs un Diomède, 35
Voire un Thersite bien souvent.-
Quel siècle esteindra ta mémoire
O Boccace ! et quels durs hyvers
Pourront jamais sécher la gloire,
Pétrarque, de tes lauriers verds? 40
Qui verra la vostre muette
Dante, et Bembe à l'esprit haultain?
Qui fera taire la musette
Du pasteur Neapolitain ?
Le Lot, le Loyr, Touvre et Garonne, 45
A vos bords vous direz le nom
De ceulx que la docte couronne
Eternize d'un hault renom;
Et moy (si la doulce folie
Ne me déçoit, je te promés 50
36. Voire : et même. — Thersite, culte pour Cicéron.
Personnage de l'Iliade, à la fois inso- 44. Du pasteur Neapolitain. S»"-
lent et lAche. ngZAT, 1458-1530, auteur d'un poème
38. boccace. Célèbre écrivain italien pastoral intitulé V Arcadia . qui fut
du quatorzième siècle; son œuvre très souvent imité par nos poètes
principale est le Décaméron. du seizième siècle. Il fit aussi des
40. Pétrarque. Celui des poètes poésies latines,
italiens qui eut le plus d'influence sur 45. Le Lot, Marot est né à Cahors.
la Pléiade, en particulier sur du Bellay — Le Loyr. Ronsard est né à Ven-
lui-môme, première manière, et sur dôme. — Touvre, Saint-Gelais est né
Ronsard. à Angoulème. — Garonne. Lancelot
42. Dante. Le poète de la Divine de Carlo est né à Bordeaux.
Comédie^ 1265-1321. — Bembe . Le car- 49. La doulce folie. Cette douce folie
dinal Bembo, 1470-15477 On a de lui qui abuse parfois les poètes sur la
des poésies italiennes, mais aussi des durée de leurs œuvres,
poésies latines. Il est célèbre par son
12.
^
210 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Loyre, que ta lyre abolie,
Si je vy, ne sera jamais.
( Marguerite peut donner celle
Y Qui rendoit les enfers contens,
Et qui bien souvent après elle 55
Tiroit les chesnes escoutans.
A BOUJU
LES CONDITIONS* DU VRAI POETE
Ode IX
Bouju, celuy que la Muse
D*un bon œil a veu naissant,
De l'espoir qui nous abuse,
Son cœur ne va repaissant.
La faveur ambitieuse 5
Des grands voluntiers ne suit,
Ny la voix contentieuse
Du palaiz, qui tousjours bruit.
Sa vertu n'est incitée
Aux biens que nous admirons, 10
Et la mer sollicitée
N'est point de ses avirons.
51. Loyre. Le Loir, sur les bords poète, ce sont ses goûts, ses mœurs,
duquel naquit du Bellay. Cf< le son- son caractère et sa manière de vivre,
net XXXI des Regrets. 1. Bouju. Le président Bouju, An-
51,52. Que ta lyre ne sera jamais, etc. gevin comme du Bellay, et poète latin.
— Abolie : oubliée, effacée de la mé- Ronsard lui a adressé deux odes, dont
moire. une pindarique. — Cf. Horace :
53. Celle. La lyre. Quem tu Melpomeue semel
54. Allusion à la descente d'Orphce Nascentem placido lumine Tideria,
dans les enfers. Illum, etc,
55. On raconte qu'Orphée charmait [Odes^ IV, m.)
des sons de sa lyre les bêtes sauvages, 4. Va repaissant : re\iaXt.
les rochers, les fleuves, les arbres. 6. Suit : recherche.
56. Tiroit : attirait. 7. Contentieuse : querelleuse.
* Conditions» Les conditions du 8. Palaiz, Le Palais de Justice.
J. DU BELLAY
211
La vieille au visage blesme
Jamais grever ne le peult,
Qui se tourmente elle mesme, 15
Quand tourmenter elle veult.
Son estoile veult qu'il vive
Tousjours de l'amour ami,
Mais la volupté oysive
Ne l'a onques endormi. 20
Il fuit voluntiers la ville,
Il hait en toute saison
La faulse tourbe civile
Ennemie de raison.
Les superbes collisées, 25
Les Palaiz ambitieux
Et les maisons tant prisées
Ne retiennent point ses yeux :
Mais bien les fontaines vives
Mères des petits ruisseaux 30
Autour de leur verdes rives
Encourtinez d'arbrisseaux :
Dont la frescheur qui contente
Les beufz venant du labeur
De la canicule ardente 35
Ne sentit onques la peur.
Il tarde le cours des ondes
Il donne oreilles aux bois,
13. La vieille^ etc. L'envie, qui, se 25. Collisées. Le mot est employé
tourmentant du bien d'autrui, se ici avec le sens d'édifice magnifique et
donne tourment à soi-même. (Note de lieu de divertissement populaire,
de Jan Proust.) 32. Encourtinez. Entourés comme
14. Grever : charger, accabler. d'une courtine.
20. Onques : jamais. 34. Labeur : labour.
23. Faulse : méchante. Cf. page 136, 36. Onques : jamais.
note du v. 21. — Civile : des citoyens, 37. Tarde : retarde, arrête. — Cf. la
des habitants de la cité. pièce précédente, note du vers 55.
24. Ennemie. Ve muet compte dans 38. Les bois l'écoutent et sont char--
la mesure. mé& de ses vers.
212 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Et les cavernes profondes
Fait rechanter soubs sa voix : 40
Voix que ne feront point taire
Les siècles s'entresuivants :
Voix qui les hommes peult faire
A eulx mesmes survivants.
Ainsi ton bruit qui s*écarte, 45
Bouju, tu feras parler,
Ainsi ta petite Sarte
Au mesme Pau s*esgaler.
que ma Muse a d'envie
D'ouyr (te suivant de près) 50
La tienne des bois suyvie
Commander à ces forestz !
En leur apprenant sans cesse,
Et à ces rochers ici,
Le nom de nostre Princesse, 55
Pendant que ma lyre aussi
Geste belle Marguerite
Sacre à la postérité
Et sa vertu, qui mérite
Plus d'une immortalité. 60
l'ornement délectable
De Phebus ! O le plaisir,
Que Jupiter à la table
Sur tous a voulu choisir !
40. Rechanter : répéter ses chants, cédente, note du vers 55.
45. Ton bruit qui s'écarte : ta gloire 55. Nostre Princesse. Cf. le vers 57.
solitaire. Régime de tu feras parler. 57. Marguerite. Cf. page 207. — Ré-
47. Sarte : La Sarthe. « Pour ce que gime de sacre.
Bouju est né prés de Sarte. » (Jan 58. 5acre: consacre. Cf. la même ex-
Proust.) pression dans le Discours au roy^ y. 21.
48. Pau : Pô. — Au mesme Pau : au 63. Jupiter, à table, écoute les chants
Pô lui-môme. Du Bellay fait de Bouju d'Apollon et des Muses.
un Virgile. 64. Sur tous. De préférence à tous
51. Des bois suyvie. Cf. la pièce pré- les autres plaisirs.
J. DU BELLAY 213
Luc, qui éteins la mémoire 65
De mes ennuitz, si ces doigtz
Ont rencontré quelque gloire,
Tienne estimer tu la doibs.
Ou me guidez vous, Pucelles,
Race du père des dieux? 70
Ou me guidez-vous, les belles,
Et vous. Nymphes aux beaux yeux?
Fuyez l'ennemy rivaige
Gaignez le voisin rocher !
Je voy de ce bois sauvaige 76
Les Satyres approcher.
DIVERS POEMES
LA COMPLAINTE DU DÉSESPÉRÉ
Quand toutes les eaux des nues
Seroient larmes devenues
Et quand tous les ventz cognuz
De la charette importune
Qui fend les champs de Neptune, 5
Seroient soupirs devenuz :
Quand toutes les voix encores
Complaintes deviendroient ores,
Si ne me suffiroient point
Les pleurs, le soupir, le plaindre, 10
65. Luc : luth. maintenant.
66. Ces. Les miens. 9. Si. Pourtant.
69. Pucelles. Les Muses. 10. Le plaindre. Infinitif employé
4. Charette : Il s'agit d'un vaisseau, substantivement. Cf. Défense et illus-
— Importune. Dans le sens étymolo- tration : (l Use doncques hardiment de
gique : qui ne trouve pas de port. l'Infinitif pour le Nom, comme l'aller ^
8. Complaintes : plaintes. — Ores : le chanter, le vivre, le mourir. » (II, ix.)
214 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
A vivement contre feindre
L'ennuy, qui le cœur me poingt.
Ainsi que la fleur cueillie
Ou par la bize assaillie
Perd le vermeil de son teinct, 15
En la fleur du plus doux aage,
De mon palissant visage
La vive couleur s'esteint.
Une languissante niie
Me sille desja la veiie, 20
Et me souvient en mourant
Des doulces rives de Loyre,
Qui les chansons de ma gloyre
Alloit jadis murmurant,
Alors que parmy la France 25
Du beau cygne de Florence
J'alloys adorant les pas,
Dont les plumes j'ay tirées,
Qui des ailes mal cirées,
Le vol n'imiteront pas. 30
Quel boys, quelle solitude,
Tesmoing de l'ingratitude
De l'archer malicieux,
Ne résonne les alarmes,
Que les amoureuses larmes 35
Font aux espris ocieux?
11. Contrefeindre : représenter, de fleuves, de montagnes, etc., l'ar-
exprimer. ticle se supprimait souvent.
12. Ennuy. Le sens du mot était 24. i4//o(7.../nur//tura/t<: murmurait,
beaucoup plus fort. Cf. page 135^ note 26. Cygne de Florence. Pétrarque,
du vers 122. — Poingt : pique, perce. 28. Dont. Ce cygne dont.
15. Le vermeil. Cf. page 201, note du 30. Allusion à la légende d'Icare,
vers 7. 33. Archer. Cupidon. — Malicieux.
20. Sille : ferme. Plus fort que dans l'usage actuel.
21. Me souvient : il me souvient. — 34. Résonne. Transitif, au sons du
Cf. Virgile : répéter.
....Et dalceumoriensnininiacitar ÀrtfM. 36. Ocieux. Qui se lamentent à
22. De Loyre : du Loir. Avec les noms loisir.
J. DU BELLAY 215
Les bledz aiment la rousée
Dont la plaine est arrousée :
La vigne aime les chaleurs,
Les abeilles les fleurettes, 40
Et les vaines amourettes
Les complaintes et les pleurs.
Mais la douleur véhémente,
Qui maintenant me tourmente,
A repoussé loing de moy 45
Telle fureur insensée
Pour entrer en ma pensée
Le trait d'un plus juste esmoy
Qu*ay-je depuis mon enfance
Sinon toute injuste offense 50
Senty de mes plus prochains?
Qui ma jeunesse passée
Aux ténèbres ont laissée,
Dont ores mes yeux sont plains.
Et depuis que l'âge ferme 65
A touché le premier terme
De mes ans plus vigoreux,
Las, hélas, quelle journée
Feut onq' si mal fortunée
Que mes jours les plus heureux? 60
Mes oz, mes nerfz, et mes veines
Tesmoins secrez de mes peines.
Et mile souciz cuysans,
Avancent de ma vieillesse
k2. Complaintes. Cf. v. 8. trèsjeuiie,il eût beaucoup à so plaindre
46. Insensée. Par opposition k Juste d'un frère aîné qui fut son tuteur,
du vers 48. 53. Son éducation fut très négligée.
47. Entrer : faire entrer. 55. L^âgc ferme. Par opposition à
49 sqq. On sait qnn IVnfance de « l'âge tendre ».
du Bellay fut peu heureuse ; orphelin 59. Onq' : jamais.
216 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Le triste hyyer, qui me blesse 65
Devant Testé de mes ans.
Comme l'automne saccage
Les verds cheveux du boccage
A son triste advenement
Ainsi peu a peu s'efface 70
Le crespe honneur de ma face
Veufve de son ornement.
Mon cœur ja devenu marbre
En la souche d'ung viel arbre
A tous mes sens transmuez : 75
Et le soing, qui me desrobe,
Me faict semblable à Niobe
Voyant ses enfants tuez...
Les flotz courroussez, qui baignent
Leurs rivages qui se plaignent, 80
Ne sont pas plus sourds que suis :
Ny ce peuple qui habite,
Ou le Nil se précipite
Dedans la mer par sept huys.
Les ventz, la pluye, et l'orage 85
N'exercent plus grand oultrage
Sur les montz et sur les flotz,
Que l'éternelle tempeste,
Qui brouille dedans ma teste
Mile tourbillons encloz 90
66. Devant l'esté. Avant l'été, avant 81. Sourds. On sait que du Bellay,
que je n*aie eu mon été. tout jeune encore, devint sourd,
69. Advenement : venue, arrivée. comme Tétait déjà Ronsard. Dans
71. Crespe : frisé. — Le crespe hon- V Hymne de la surdité (v. page 250), il
neur de ma face. Périphrase c noble » se console en songeant à tout ce qui
pour mes cheveux. blesse une oreille délicate; mais cette
76. Soing : souci. — Desrobe : dé- hymne est sans doute un jeu d'esprit
pouille. Cf. Horace : en môme temps qu'une satire dé-
Slngul* d« nol>ia anni i»r«dantur euntes. guisée.
{Epft.^ Il, 11,55.) 84. Huys : ouverture, porte; ici,
77. yiobt'. Niobé, changée en pierre, bouche.
J. DU BELLAY 217
D'une entre-suyrante fuyte
Il adjourne, et puys annuyte :
L'an d'ung mutuel retour
Ses quatre saisons rameîne :
Et après la lune pleine, 95
Le croissant luist à son tour :
Tout ce que le ciel entourne,
Fuyt, refuyt, tourne et retourne,
Comme les flotz blanchissans,
Que la mer venteuse pousse, 100
Alors qu'elle se courrousse
Contre ses bords gémissans.
. Chacune chose décline
Au lieu de son origine :
Et Tan, qui est coustumier 105
De faire mourir et naistre,
Ce qui feut rien, avant qu'estre,
Réduict à son rien premier.
Mais la tristesse profonde,
Qui d'ung pié ferme se fonde, 110
Au plus secret de mon cœur,
Seule immuable demeure,
Et contre moy d'heure en heure
Acquiert nouvelle vigueur.
91. Entre-suy vante. Le jour et la faire nuyt. > (II. vi.)
nuit f'e/ifrefuiVen/, se succèdent régu- 93. D'un mutuel retour : chacune à
lièrement l'un à l'autre. son tour.
92. Adjourne: {9\%}o\kT, — Annuyte : 97. Entourne : entoure,
fait nuit. Cf. Défense : ■ Use do motz 103. Chacune : chaque,
purement Françoys, non toutesfois 103, 104. Chaque chose retourne, en
trop communs, non point aussi trop déclinant peu à peu, au néanid'où elle
inusités, si tu ne voulois quelquefois est sortie.
usurper... quelques mot2 antiques en 105 sqq. Et l'an (c'est-à-dire le
ton Poème... Pour ce faire, te faudroit temps) qui est coutumier de faire
voir tous ces vieux Romans et Poètes mourir et naître, réduit ce qui, avant
Françoys, ou tu trouverras un ajour- d'être, n'était rien, à ce rien pri-
n€r pour faire jour ^ annyter pour .luitif.
G. P. — Poètes du xvi« siècle. 13
218 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Ainsi la flamme allumée, 115
Que les ventz ont animée,
Forcenant cruellement.
En mile poinctes s'eslance,
Dédaignant la violence
De son contraire élément. 120
Quand Tobscurité desserre
Ses aisles dessus la terre,
Et quand le présent des Dieux
Pour emmieller la peine,
De toute la gent humaine 126
Charme doulcement les yeux ;
Lors, d'une horreur taciturne,
Dessoubz le voile nocturne
Tout se fait paisible et coy ;
Toute manière de beste 130
Au sommeil courbe la teste
Dedans son privé recoy.
Mais le mal qui me réveille,
Ne permet que je sommeille
Ung seul moment de la nuict, 135
Sinon que l'ennuy m'assomme
D'ung espouvantable somme
Qui plus que le veiller nuyt.
Puis quand l'aulbe se descouche
De sa jaunissante couche 140
Pour nous esclerer le jour,
117. Forcenant : faisant effort, fai- 131. Au : pour le.
Bant rage. 132. Recoy : lieu de repos, retraite.
120. De l'eau, avec laquelle on veut 136. Sinon que : sans que. — Ennuy.
l'éteindre. Cf. note du vers 12.
121. Desserre : déploie. 138. Le veiller. Cf. note du vers 10.
123. Le présent des Dieux. Le som- 139. Se descouche : se lève.
meil. 140. Jaunissante, L'aube est « sa-
124. Emmieller : adoucir. franée. » Cf. page 195, note du v. 25.
127. Z)Vwe: par une, avec une. 141. Esclerer .-allumer.
130. Manière : sorte.
J. DU DELLAY 219
Avec raoy j'éfeuille à l'heure
Le soing rongeard qui demeure
En mon familier séjour
Sus mon ame, tourne arrière, 145
Et borne ici la carrière,
De tes ingrates douleurs;
Il est temps de faire espreuve,
Si après la mort on treuve
La fin de tant de malheurs. 150
Ma vie désespérée,
A la mort délibérée
Ja desja se sent courir.
Meure donques, meure, meure,
Celuy qui vivant demeure, 155
Mourant sans pouvoir mourir
Vous, à qui ces durs allarmes
Arracheront quelques larmes,
Soyez joyeux en tout temps,
Ayez le ciel favorable, 160
Et, plus que moy misérable,
Vivez heureux et contens.
142. Avec moy : a part moi, en moi. 151. Vie. h'e muet compte dans la
— J'éfeuille : je repasse en moi feuille mesure.
à feoiUe. — A l'heure^ comme nous 152. Délibérée : décidée, certaine,
disons à l'instant. A cette heure-là. 157. Durs. Alarme s'employait au
143. Rongeard : rongeant. masculin.
145. Sus. Interjection pour exci- 161. Plus. Retombe sur heureux et
ter. contens.
220 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
LE POÈTE COURTISAN*
Je ne veux point ici du maistre d'Alexandre,
Touchant Tart poëtic, les préceptes Rapprendre;
Tu n'apprendras de moy comment jouer il fault
Les misères des Roys dessus un eschafault :
Je ne t'enseigne l'art de l'humble Comœdie 5
Ny du Méonien la Muse plus hardie ;
Bref je ne monstre icy d'ung vers Horatien
Les vices et vertuz du poëme ancien :
Je ne dépeins aussi le Poëte du Vide ;
La court est mon autheur^ mon exemple et ma guide. 1 o
Je te veux peindre icy, comme un bon artisan,
De toutes ses couleurs l'Apollon Courtisan :
Où la longueur surtout il convient que je fuye,
Car de tout long ouvrage à la court on s'ennuye.
Celui donc qui est né (car il se fault tenter 15
Premier que l'on se vienne à la court présenter)
A ce gentil métier, il fault que de jeunesse
Aux ruses et façons de la court il se dresse.
* Le Poëte courtisan est une sorte 7. Horatien, Imité d'Horace, dans
de satire où du Bellay raille avec une son Epitre aux Pisons.
délicate ironie les beaux esprits à la 8. Ancien. Trois syllabes,
mode, les faiseurs de dizains et de 9. /)£/7emf,etc. Jene faispaslepor-
rondcaux qui n'avaient d'autre mérite trait du poète, tel que le figure Vida
que d'aduler fadement les grands sei- dans son Art poétique. Vida composa
gneurs, et qui, du haut de leur igno- en latin un Art poétique auquel Vau-
rance fringante, tournaient en ridicule quelin de la Fresnaye a fait quelques
les efforts des novateurs vers une emprunts. — /lum : non plus,
poésie docte et grave. Cette pièce est 10. Autheur. Dans le sens d'autorité,
le complément de la Défense. mais aussi par opposition aux auteurs
1. Du maistre d'Alexandre, Aris- ci-dessus mentionnés. — Ma guide.
tote. Le mot guide s'employait au féminin.
3. Jouer : représenter; il s'agit du 13. Ou : et là, dans ce portrait,
poète. 15. Tenter : essayer, tàter.
4. Les misères des Roys. Matière de 16. Premier que : avant que.
la tragédie. — Eschafault : scène. 17. A. Dépend de né. yé à : né pour.
6. Mconicn. Homère. La Méonie est — Gentil : noble. — De jeunesse : dès
une contrée de la Lydie. la jeunesse.
J. DU BELLAY 221
Ce précepte est commun; car qui veult s'avancer
A la court, de bonne heure il convient commencer. 20
Je ne veulx que longtemps à l'étude il pallisse,
Je ne veulx que resveur sur le livre il vieillisse,
Feuilletant studieux tous les soirs et matins
Les exemplaires Grecs, et les autheurs Latins.
Ces exercices-là font l'homme peu habile, 25
Le rendent catarreux, maladif, et débile.
Solitaire, fâcheux, taciturne et songeard;
Mais nostre courtisan est beaucoup plus gaillard.
Pour un vers allonger ses ongles il ne ronge ;
Il ne frappe sa table, il ne resve, il ne songe, 30
Se brouillant le cerveau de pensemens divers,
Pour tirer de sa teste un misérable vers.
Qui ne rapporte, ingrat, qu'une longue risée
Partout ou l'ignorance est plus authorisée.
Toy donc qui as choisi le chemin le plus court, 35
Pour être mis au rang des sçavants de la court,
Sans mascher le laurier, ny sans prendre la peine
De songer en Parnasse, et boire à la fontaine
Que le cheval volant de son pied fit saillir,
19. Qui : si Ton. tains des préceptes qu'il tourne ici en
21 sqq. Il faudra naturellement ridicule. Cf. Regrets^ sonnet IV.
prendre le contre-pied de tous ces 22. Resveur, Absorbé dans ses ré-
préceptes. Cf. Défense et illustration : flexions.
« Qui veult voler par les mains etbou- 23. Studieux . Adjectif employé
ches des hommes doit longuement comme adverbe,
demeurer en sa chambre, et qui de- 26. Cf. Ronsard, page 185, v. 11 sqq.
sire vivre en la mémoire de la pos- 27. Songeard : songeur,
térité doit, comme mort en soy- 29. Allonger. De manière à remplir
mesme, suer et trembler maintefois, la mesure. Cf. Regrets, II, 5 sqq., et,
et autant que noz poètes courtisans ici, la note du v. 21.
boivent, mangent et dorment à leur 29, 30. Cf. Perse :
aise, endurer de faim, de soif et de ^^^ piutenmc»dit,neodemorB«iMpitnn^e8.
longues vigiles » (II, m). Et plus loin: ,^^^ I ^Qg v
c Ly doncque et rely premièrement
(ô Poète futur), feuillette de main 31. Pensemens ipeuBées, réûexions.
nocturne et journelle les exemplaires 38. En : sur le. — Et boire. La pré-
Grecz et Latins » (II, iv). Plus târd^ position est omise dans le second
dans la seconde partie do sa carrière, terme, suivant l'usage du temps. —
du Bellay, renonçant aux ambitions La fontaine. Hippocréne.
du début, reprendra pour son propre 39. Le cheval volant. Pégase. —
compte, et sans ironie cette fois, cer- Saillir : sauter, sourdre.
â
222 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Faisant ce que je dy, tu ne pourras faillir. 40
Je veux en premier lieu que, sans suivre la trace
(Gomme font quelques uns) d'un Pindare et Horace,
Et sans vouloir, comme eux, voler si haultement.
Ton simple naturel tu suives seulement.
Ce procès tant mené, et qui encore dure, 45
Lequel les deux vault mieulx, ou l'art, ou la Nature,
En matière de vers, à la court est vuidé :
Car il suffit icy que tu soyes guidé
Par le seul naturel, sans art et sans doctrine.
Fors cest art qui apprend à faire bonne mine. 50
Car un petit sonnet qui n*a rien que le son.
Un dixain à propos, ou bien une chanson,
Un rondeau bien troussé, avec une ballade
(Du temps qu'elle couroit) vault mieux qu'une Iliade.
Laisse moy donques là ces Latins et Grégeois, 55
Qui ne servent de rien au poëte François,
Et soit la seule court ton Virgile et Homère,
Puis qu'elle est (comme on dit) des bons esprits la mère.
La court te fournira d'arguments suffisants
Et seras estimé entre les mieulx disans, 60
Non comme ces resveurs, qui rougissent de honte
Fors entre les sçavants, desquelz on ne fait compte.
44. Cf. note du vers 21. Ce que nous térisque. — Ballade, Cf. p. 83, note à
aimons chez du Bellay, c'est juste- Tastérique. — « Puis me laisse toutes
ment son naturel, son aimable et ces vieilles poésies françoises aux
coulante facilité. Nous avons ici le Jeux Floraux de Toulouze et au Puy
du Bellay de la première manière, de Rouan, comme Rondeaux, Balla-
qui vise à une sublimité docte et des, Virelaiz, Chants Royaulx, Chan-
quelque peu ardue. La seconde ma- sons et autres belles épiceries, n
nière, plus naturelle à ce génie facile {Défense et iUustr.y II, iv.)
et doux, ne tardera pas à se dessiner. 55. Grégeois. Grecs. Prononcez ouè
45. Cf. Horace : 57. Et que la cour seule soit, etc.
Natura fieret laudaliile canneii an arte, 58. Cf. Marot, page 55, V. 34 et la
QusBsitum est, etc. note.
(Art poét,, 408.) 59. Arguments : sujets. Mellin de
— Mené : poursuivi. Saint-Gelais, auquel du Bellay fait allu-
48. Soyes. Deux syllabes. sion, composait des pièces de vers sur
50. Fors : hors, excepté. un miroir, des gants, une poudre de
51. Le son. L'harmonie des mots. toilette, une belette apprivoisée, etc.
52. Dixain, Cf. p. 78, note du v. 10. 61. Resveurs, Cf. v. 22.
53. Rondeau, Cf. p. 86, note à Tas- 62. Fors : hors, excepté. — Les sça-
J. DU BELLAY 223
Or si les grands seigneurs tu veux gratifier,
Argumens à propos il te fault espier :
Comme quelque victoire, ou quelque ville prise, 65
Quelque nopce, ou festin, ou bien quelque entreprise
De masque, ou de tournoy; avoir force desseings,
Desquelz à ceste fin tes coffres seront pleins.
Je veux qu'aux grands seigneurs tu donnes des devises,
Je veux que tes chansons en musique soient mises, 70
Et afin que les grands parlent souvent de toy,
Je veux que l'on les chante en la chambre du Roy.
Un sonnet à propos, un petit épigramme
En faveur d'un grand Prince, ou de quelque grand'Dame,
Ne sera pas mauvais; mais garde toy d'user 75
De mots durs, ou nouveaux, qui puissent amuser
Tant soit peu le lisant : car la douceur du stile
Fait que l'indocte vers aux oreilles distille :
Et ne fault s'enquérir s'il est bien ou mal fait.
Car le vers plus coulant est le vers plus parfait. 80
Quelque nouveau poëte à la court se présente,
Je veux qu'à l'aborder finement on le tente :
Car s'il est ignorant, tu sçauras bien choisir
Lieu et temps à propos, pour en donner plaisir :
Tu produiras par tout ceste beste, et, en somme, 85
Aux dépens d'un tel fol, tu seras galant homme.
faw/j. A vrai dire, Ronsard et ses amis tique.— Amuser : retarder, arrêter.
liront trop souvent de la poésie une 77. Lisant : lecteur.
dame érudite, pédante et rébarbative. 78. Distille : coule doucement.
63. Gratifier : faire plaisir. 80. Plus : le plus. — Pas si faux,
66y%l, Entreprise de fnasque : mas- après tout; plus tard, du Bellay ne
carade. Il faut noter que les poètes do sera pas loin de le penser, et même
la Pléiade, Ronsard en tôte, feront do le dire.
à leur tour des mascarades et des 81. Se présente. Comme se présente^
cartels. t-il.
67. Desseings. Plans de poèmes. 82. Aborder. Infinitif employé sub-
68. Co/fre^: coffrets pour les papiers, stantivement. Cf. page 213, note du
13. Petit. Epigramme s'employait vers 10. — A l'aborder: en. Vahordant.
alors au masculin. Sur le sens du — Finement : adroitement. — On le
mot. Cf. pa^ 77, note à l'astérisque, tente : on le tâte,le mette à l'épreuve.
76. Durs ou nouveaux. C'est le 84. En donner plaisir. Faire rire à
reproche que faisaient à Ronsard les ses dépens,
adversaires de la nouvelle école poé- 86. Fol : sot.
224 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
S'il est homme sçavant, il te fault dextremem
Le mener par le nez, le louer sobrement,
Et d'un petit soubriz et branslement de teste
Devant les grands seigneurs lui faire quelque feste : 90
Le présenter au Roy, et dire qu'il fait bien.
Et qu'il a mérité qu'on luy fasse du bien.
Ainsi tenant tousjours ce povre homme soubs bride.
Tu te feras valoir, en luy servant de guide :
Et combien que tu soyes d'envie espoinçonné, 95
Tu ne seras pour tel toutefois soubsonné.
Je te veux enseigner un autre poinct notable :
Pour ce que de la court l'eschole c'est la table.
Si tu veux promptement en honneur parvenir.
C'est où plus sagement il te fault maintenir. loo
Il fault avoir tousjours le petit mot pour rire,
Il fault des lieux communs, qu'à tous propos on tire,
Passer ce qu'on ne sçait, et se monstrer sçavant
En ce que l'on a leu deux ou trois soirs devant.
Mais qui des grands seigneurs veult acquérir la 105
Il ne fault que les vers seulement il embrasse, [grâce.
Il fault d'autres propos son stile déguiser.
Et ne leur fault tousjours des lettres deviser.
Bref pour estre en cest art des premiers de ton aage
Si tu veux finement jouer ton personnage, llo
Entre les Courtisans du sçavant du feras
Et entre les sçavants courtisan tu seras.
Pour ce te fault choisir matière convenable.
Qui rende son autheur aux lecteurs aggreable.
87. Dextrement : adroitement. maintien.
89. Soubriz : sourire. 103. Passer. Il faut passer.
95. Combien que : quoique. — Es- 104. Devant : avant.
poinçonné : pique, aiguillonné. — 105. Grâce : faveur.
Soyes. Monosyllabe. 107. Déguiser. Proprement, chan-
96. Soubsonné : soupçonné. ger la guise.
98. Pour ce que^ pour cette raison 108. Deviser : parler,
que. 111. Du sçavant du feras : ta feras
100. C'est ou : c'est là que. — Plus : le savant. Cf. Rotrou :
le plus. — // te fault maintenir. Il J'ai fait du sourerain et j'ai tmaohé du maître.
faut te maintenir, te tenir. Cf. le mot [Vencesl.^ Vf, ii.)
J. DU BELLAY 225
Et qui de leur plaisir t'apporte quelque fruict. 115
Encores pourras tu faire courir le bruit,
Que si tu n'en avois commandement du Prince
Tu ne l'exposerois aux yeux de ta province,
Ains te contenterois de le tenir secret :
Car ce que tu en fais est à ton grand regret. 120
Et à la vérité, la ruse coustumiere,
Et la meilleure, c'est, rien ne mettre en lumière :
Ains jugeant librement des œuvres d'un chacun,
Ne se rendre subject au jugement d'aucun,
De peur que quelque fol te rende la pareille, 125
S'il gaigne comme toy des grands Princes l'oreille.
Tel estoit de son temps le premier estimé.
Duquel si on eust leu quelque ouvrage imprimé,
Il eust renouvelé, peut estre, la risée
De la montaigne enceinte : et sa Muse prisée 130
Si hault au paravant, eust perdu (comme on dit)
La réputation qu'on luy donne à crédit.
Retien donques ce poinct; et si tu m'en veux croire,
Au jugement commun ne hasarde ta gloire.
Mais sage sois content du jugement de ceux 135
Lesquelz trouvent tout bon, auxquelz plaire tu veux.
Qui peuvent t'avancer en estats et offices,
Qui te peuvent donner les riches bénéfices.
Non ce vent populaire, et ce frivole bruit
118. Tu ne l'exposerois. La chose en 130. Cf. Horace :
question, la pièce de vers. Le est au p^rtariunt monte., na-cetur ridicnlm mra.
neutre. , . ^ .^ ._. ,
119. ^»n. : mais. {Art poet.,y.\Z%.)
121. Et à la vérité. Et, pour dire 135. Sage sois content : contente-
vrai, pour tout dire. toi sagement. Encore un adjectif em-
122. Cf. Régnier, satire à Rapin, ployé comme adverbe.
V. 107 sqq. 137. Estats : charges. — Offices :
123. Ains : mais. fonctions.
124. Ne s'exposer au jugement de 139. Ce vent populaire. En latin
personne. aura popularis,le souffle de la faveur
127. Allusion probable à Mellin de publique. Non ce vent doit s'expliquer
Saint-Gelais, qui n'avait produit comme s'il y avait au lieu de ce vent.
aucun ouvrage de longue haleine. Cf. v. 145.
128. Duquel, etc. Construction latine.
13.
226 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Qui de beaucoup de peine apporte peu de fruict. 140
Ce faisant tu tiendras le lieu d*un Aristarque,
Et entre- les sçavants seras comme un Monarque :
Tu seras bien venu entre les grands seigneurs,
Desquelz tu recevras les biens et les honneurs,
Et non la pauvreté, des Muses l'héritage, 145
Laquelle est à ceux-là réservée en partage,
Qui dédaignant la court, fâcheux et malplaisans.
Pour allonger leur gloire, accourcissent leurs ans.
LES REGRETS
Sonnet L
Je ne veulx point fouiller au sein de la nature,
Je ne veulx point chercher l'esprit de l'univers,
Je ne veulx point sonder les abysmes couvers
Ny desseigner du ciel la belle architecture :
Je ne peins mes tableaux de si riche peinture, 5
Et si hauts argumens ne recherche à mes vers :
Mais suivant de ce lieu les accidents divers,
Soit de bien, soit de mal, j'escris à Tadventure.
Je me plains à mes vers, si j'ay quelque regret;
Je me ris avec eulx, je leur dy mon secret, 10
Comme estant de mon cœur les plus seurs secrétaires.
141. Aristarque, Illustre critique recueil, ce sont les Regrets^ parce
d'Alexandrie. que nous l'y trouvons lui-même. Ils
145. FA non. Cf. v. 139. nous donnent la confession sincère et
2. Chercher : rechercher. touchante d'une âme tendre, que la
4. Desseigner : dessiner. délicatesse de sa sensibilité prédis-
7. Accidents : tout ce qui arrive, ce posait à souffrir. Aucun artifice, aa-
qui se passe. cune contrainte. Le poète se montre
11. Du Bellay fut, par excellence, à nous avec une naïveté tout aimable
un poète «Slégiaque. Son meilleur et familière.
J. DU BELLAY 227
Aussi ne veulx-je tant les pigner et friser,
Et de plus braves noms ne les veulx desguiser,
Que de papiers journaux, ou bien de commentaires.
Sonnet II.
Un plus sçavant que moy (Paschal) ira songer
Aveques TAscrean dessus la double cyme :
Et pour estre de ceulx dont on fait plus d'estime,
Dedans Tonde au cheval tout nud s'ira plonger.
Quand à moy, je ne veulx, pour un vers allonger, 5
M'accoursir le cerveau : ny pour polir ma ryme,
Me consumer l'esprit d'une songneuse lime.
Frapper dessus ma table, ou mes ongles ronger.
Aussi veulx-je (Paschal) que ce que je compose.
Soit une prose en ryme, ou une ryme en prose 10
Et ne veulx pour cela le laurier mériter.
Et peult estre que tel se pense bien habile.
Qui trouvant de mes vers la ryme si facile,
En vain travaillera, me voulant imiter.
12. Pigner : peigner. 1. Paschal, Cf. page 206, v. 55.
13. Braves : beaux, pompeux. 2. L'Ascrean. Hésiode, né à Ascra.
14. Que de : que du nom de. — —La double cyme. Du Parnasse.
Papiers journaux. Ce que nous appe- 3 Plus : le plus.
\on9 un journal iîitime. — Dans ce son- 4. L'onde au cheval. Cf. page 221,
net,du Bellay répudie,de propos déli- vers 39.
béré, la poésie érudite pour la poésie 5 sqq. Cf. page 221, v. 29 sqq. Du
personnelle. — « Bien lui a pris de Bellay se montre ici revenu de ses
ne pas lutter avec Ronsard et de ne premières ambitions.
le vouloir suivre que quand celui-ci 6. Accoursir. Le mot est amené par
se lasse et se rabaisse. Il déclare allonger du vers précédent. Il signi-
dans son découragement ne plus fie quelque chose comme mettre à la
avoir souci de la gloire ni de la posté- gêne, torturer.
rite, et c'est précisément alors qu'en 7. Songneuse. Cf. soin employé alors
puisant ses vers à la source intime dans le sens de souci.
d'où une ambition plus haute le dé- 10. De la prose rimée ou des vers
tournait, il nous les offre plus vrais ayant l'allure toute pédestre.
et encore vivants après trois siècles, d 14. En vain. C'est le mot de valeur.
(Sainte-Beuve.) Travaillera vainement à m'imiler.
/
>c
228 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Sonnet IV.
Je ne veulx feuilleter les exemplaires Grecz,
Je ne veulx retracer les beaux traicts d'un Horace,
Et moins veulx-je imiter d'un Pétrarque la grâce,
Ou la voix d*un Ronsard, pour chanter mes Regrets.
Ceulx qui sont de Phœbus vrais poëtes sacrez, 5
Animeront leurs vers d'une plus grand'audace :
Moy, qui suis agité d'une fureur plus basse,
Je n'entre si avant en si profonds secretz.
Je me contenteray de simplement escrire
Ce que la passion seulement me fait dire, 10
Sans rechercher ailleurs plus graves argumens.
Aussi n*ay-je entrepris d'imiter en ce livre
Ceulx qui par leurs escripts se vantent de revivre,
Et se tirer tous vifz dehors des monumens.
Sonnet VI.
Las ou est maintenant ce mespris de Fortune?
Ou est ce cœur vainqueur de toute adversité,
Cest honneste désir de l'immortalité,
Et ceste belle flamme au peuple non commune ?
Ou sont ces doulx plaisirs, qu'au soir soubs la nuict 5
Les Muses me donnoient, alors qu'en liberté [brune
Dessus le verd tapiz d'un rivage esquarté
Je les menois danser aux rayons de la Lune?
1. Grecz. Le c ne se prononçait pas. 10. La passion. L'ëmotion.
2. Reifacer : tracer de nouveau. — 14. Et se tirer. Cf. page 221, note du
Retracer les traicts : suivre les vers 38. — Tous vifs : tout vifs. Cons-
traces. truction régulière du temps. — Monu-
3. Et moins : encore moins. mens : tombeaux.
7. Fureur : inspiration. 3. Honneste : honorable, noble.
A
J. DU BELLAY 229
Maintenant la Fortune est maistresse de moy,
Et mon cœur qui souloit estre maistre de soy, 10
Est serf de mille maux et regrets qui m'ennuient.
De la postérité je n'ay plus de souci,
Geste divine ardeur, je ne Tay plus aussi.
Et les Muses de moy, comme estranges, s'enfuyent.
Sonnet IX.
France, mère des arts, des armes et des loix,
Tu m*as nourry long temps du laict de ta mamelle :
Ores, comme un aigneau qui sa nourrisse appelle.
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
Si tu m'as pour enfant advoiié quelquefois, 5
Que ne me repons-tu maintenant, ô cruelle?
France, France, respons à ma triste querelle :
Mais nul, sinon Echo, ne respond à ma voix.
Entre les loups cruels j'erre parmy la plaine,
Je sens venir l'hyver, de qui la froide haleine lo
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.
Las ! tes autres aigneaux n'ont faute de pasture.
Ils ne craignent le loup, le vent, ny la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troppeau.
9 sqq. Allusion à tous les tracas de sa fierté modeste. » (Sainte-Beuve.)
son existence ingrate et précaire. Cf. Cette Italie où du Bellay était arrivé
la Notice, le cœur plein d'enthousiasme, cette
10. Souloit : avait l'habitude. Rome, vraie patrie de l'humanité, ne
11. Ennuient. Cf. page 135, note du lui apparaît plus que comme un dur
V. 122. lieu d'exil, une terre avare et cruelle,
13. Aussi : non plus. habitée par un peuple inhumain. At-
14. Estranges : étrangères. taché à une besogne ingrate, souffrant
.^. Ores : maintenant. dans sa tendresse, dans sa dignité,
5. Advoiïé : reconnu. dans ses plus légitimes espérances, il
7. Querelle : plainte. se retourne vers le doux pays natal,
12. N'ont faute : ne manquent pas. exprimant avec une émotion tou-
14. Si ne suis-je : et cependant je chante la nostalgie de son ftme
ne suis pas. — « Vers touchant dans pieuse et fidèle.
230 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Sonnet XVI.
Cependant que Magny suit son grand Avanson,
Panjas son Cardinal, et moy le mien encore,
Et que Tespoir flatteur, qui noz beaux ans dévore,
Appaste noz désirs d'un friand hamesson.
Tu courtises les Roys et d'un plus heureux son 5
Chantant l'heur de Henry, qui son siècle décore,
Tu t^honnores toy mesme, et celuy qui honore
L'honneur que tu luy fais par ta docte chanson.
Las, et nous cependant nous consumons nostre aage
Sur le bord incogneu d'un estrange rivage, 10
Où le malheur nous fait ces tristes vers chanter :
Comme on voit quelquefois, quand la mort les appelle,
Arrangez flanc à flanc parmy l'herbe nouvelle.
Bien loing sur un estang trois cygnes lamenter.
1. Magny. Le poète Olivier de 9. Aage : vie.
Magny. — Avanson. Olivier de Magny 10. Estrange : étranger,
accompagnait en Italie M. d' Avanson, 14. Lamenter : se lamenter. — « Je
« conseiller d'Etat, grand homme de ne sais point de plus beau sonnet en
son temps et amateur des Muses, qui ce genre élégiaque que le seizième
fut envoyé en ambassade à Rome. » des Regrets... Il est d'un sentiment
(Note de Marcassus dans les ££'/o^(«€5 tendre et d'une belle imaginatipn...
de Ronsard.) Cette image des trois poètes, com-
2. Panjas. Autre ami de du Bellay, parés à trois cygnes rangés flanc à
— Son cardinal. Le cardinal de Châ- flanc et exhalant leur âme dans un
tillon ou le cardinal de Lorraine. — chant suprême, m'a rappelé un beau
Le mien. Le cardinal du Bellay, cou- passage du Génie du Christianisme ^
sin du poète, qui l'avait auprès de lui les deux cygnes de Chateaubriand,
en qualité de secrétaire et d'inten- Même après le trait de pinceau de
dant. cette imagination merveilleuse, même
5. Tu. Le sonnet est adressé à Ron- après le Poète mourant de Lamartine,
sard. où la similitude du cygne est le motif
6. Heur : bonheur. dominant, le sonnet de du Bellay
7. Et celuy : et tu honores aussi peut se relire. » (Sainte-Beuve.)
celui, etc.
J. DU BELLAY 231
Sonnet XXV.
Malheureux Tan, le mois, le jour, l'heure, et le poinct,
Et malheureuse soit la flateuse espérance,
Quand pour venir icy j'abandonnois la France :
La France, et mon Anjou, dont le désir me poingt.
Vr^yment d'un bon oyseau guidé je ne fus point, 5
Et mon cœur me donnoit assez signifiance,
Que le ciel estoit plein de mauvaise influence,
Et que Mars estoit lors à Saturne conjoint.
Cent fois le bon advis lors m'en voulut distraire,
Mais tousjours le destin me tiroit au contraire : 10
Et si mon désir n'eust aveuglé ma raison,
N'estoit-ce pas assez pour rompre mon voyage,
Quand sur le sueil de l'huis, d'un sinistre présage,
Je me blessay le pied sortant de ma maison?
Sonnet XXXI.
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy la qui conquit la toison.
Et puis est retourné, plein d'usage et raison.
Vivre entre ses parents le reste de son aage !
1. Poinct : moment, temporis punc- provenir du ciel et des astres, et agir
tum, sar les hommes et les choses.
3. Quand. Se relie plutôt à poinct 8. Cette « conjonction » était de
qu'à espérance. Le poinct quand : le mauvais augure.
moment où. La flateuse espérance 9. Le bon advis. Cf. ma raison du
quand s'explique d'ailleurs comme vers 11. Bon advis : raison bien
s'il y avait l'espérance qui me flatta avisée. — Distraire : détourner.
quand, 10. Au contraire : en sens con-
4. Poings : pique, aiguillonne. traire.
5. Bon : de bon augure. 12. Rompre : renoncer à.
6. Donnoit... [signifiance : sigmûsiitf 13. Huis : porte. — D'un : par un.
indiquait. 2. Cestuy la. Jason.
7. Influence, Dans le sens propre 3. Usage : expérience,
du mot. Sorte d'écoulement matériel 4. Aage : vie.
que l'ancienne physique supposait
/«
232 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Quand revoiray-je, hélas, de mon petit village 5
Fumer la cheminée : et en quelle saison
Revoiray-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage?
Plus me plaist le séjour qu'ont basty mes ayeux.
Que des palais Romains le front audacieux : 10
Plus que le marbre dur me plaist l'ardoise fine.
Plus mon Loyre gaulois, que le Tybre latin.
Plus mon petit Lyre, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur Angevine.
Sonnet LXXXI.
Il fait bon voir (Paschal) un conclave serré,
Et l'une chambre à l'autre également voisine,
D'antichambre servir, de salle, et de cuisine.
En un petit recoing de dix pieds en carré :
Il fait bon voir autour le palais emmuré, 5
Et briguer là dedans cette troppe divine,
5, 6. Cf. Homère, Odyssée, I, 58. générale, plus abstraite, et sans les
8. Qui vaut pour moi une province, détails familiers et locaux qui font en
11. L'ardoise, Il y a beaucoup d'ar- partie le charme de ce sonnet,
doisiéres dans l'Anjou, et les mai- 1. Paschal. Cf. page 206, y. 55.
sons sont couvertes d'ardoise. — Un conclave. Du Bellay vit la fin
12. Loyre. Le Loir. du pontificat de Jules III, celui de
13. Lyre. Nom du village où est né Marcel II, et le commencement de
du Bellay. celui de Paul IV. — Serré. Le mot
14. La doulceur angevine.hdi&oixeenT est expliqué par les vers suivants,
du ciel angevin. — Ce n'est pas seu- 2. L'une : une. — A Vautre, Dépend
lement la France après laquelle du de voisine que l'on trouve encore dans
Bellay soupire. Son regret de la la Fontaine construit avec à. — Ega^
grande patrie lui inspirait tout à lement. Une chambre est également
l'heure un sonnet pathétique; mais voisine de l'autre, c'est-à-dire que
il y a quelque chose de plus intime et toutes les chambres sont également
de plus délicatement ému dans ceux voisines, se touchent les unes les
où il chante sa petite patrie, son pays autres. — Mais plutôt l'adverbe re-
angevin, ce petit coin de terre auquel tombe sur servir , ce qui fait un
tant de chers liens l'attachent. Du meilleur sens.
Bellay avait déjà fait en latin une 5. Emmuré. Les cardinaux étaient
élégie intitulée Patrise desiderium^ enfermés, avec interdiction absolue de
dans laquelle il exprime les mêmes sortir avant d'avoir fait un pape,
sentiments, mais d'une façon plus 6. Et briguer... cette troppe: et cette
J. DU BELLAY 233
L'un par ambition, l'autre par bonne mine,
Et par despit de l'un, estre l'autre adoré :
Il fait bon voir dehors toute la ville en armes,
Crier, le Pape est fait, donner de faulx alarmes, lo
Saccager un palais : mais plus que tout cela
Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante.
Qui met pour cestui-cy, qui met pour cestui-la.
Et pour moins d'un escu dix Cardinaux en vente.
Sonnet LXXXVI.
Marcher d'un grave pas et d'un grave sourci.
Et d'un grave soubriz à chascun faire feste,
Balancer tous ses mots, respondre de la teste,
Avec un Messer non, ou bien un Messer si :
Entremesler souvent un petit, É cosi 5
Et d'un Son Servitor contrefaire Thonneste :
troupe briguer. — Voir, construit Cf. encore le sonnet suivant et
d'abord avec un substantif, l'est le GX«.
maintenant avec un verbe. — Troppe. « Du Bellay a des peintures, des
Rien de blessant dans ce mot qui esquisses prises sur le fait et au
s'appliquait communément aux Mu- naïf de la Rome moderne, de la Rome
ses, la neuvaine troupe. papale et cardinalesque. Arrivé sous
7, Par ambition. Au seuB -prïmitH; le ponti6cat relâché et dissolu do
manœuvres. —Bonne mine. Affabi- Jules III, il vit Marcel II, qui ne régna
lité, bonne grAce. que vingt et un jours. Il était aux pre-
10. Faulx. Alarme s'employait au mières loges pour décrire un con*
masculin. clave ; il ne s'en fait pas faute, et Ton
12. Fait : il fait. Suppression, très a en quatorze vers la réalité mou-
fréquente au seizième siècle, du pro- vante du spectacle, la brigue à huis
nom personnel neutre. — Se vante : clos, les bruits du dehors, les fausses
se fait honneur do soutenir. nouvelles, les paris engagés pour et
13. Met. C'est une sorte d'enjeu. contre... » (Sainte-Beuve.)
14. Et.... dix Cardinaux f etc. Et il 1. D'un grave sourci. Avec le sour-
fait bon voir, etc. -^ Pour moins d'un cil grave, c'est-à-dire avec un air de
escu, etc. Les cardinaux mal cotes. — gravité; expression traduite du latin.
Voilà un do ces sonnets satiriques 2. Soubriz : sourire.
qui justifient le vers de Vauquelin sur 3. Balancer : peser.
du Bellay : 4. Monsieur, non; Monsieur, oui.
Premier fit le sonnet lentlr ion éptgramme. 5. E cosi : c'est ainsi.
{Artpoét. I, 588.) 6. Son Servitor : je suis (votre) ser-
Ronsard avait appelé du Bellay le viteur. — L'konneste. L'homme civil,
grand Alcée angevin {Odes, v, 8.) aimable.
234 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Et, comme si l'on eust sa part en la conqueste,
Discourir sur Florence, et sur Naples aussi :
Seigneuriser chascun d*un baisement de main,
Et suivant la façon du courtisan Romain, lo
Cacher sa pauvreté d'une brave apparence :
Voila de ceste Court la plus grande vertu.
Dont souvent, mal monté, mal sain et mal vestu.
Sans barbe et sans argent on s'en retourne en France.
Sonnet CX.
Quand je voy ces Messieurs, desquelz Tauctorité
Se void ores icy commander en son rang.
D'un front audacieux cheminer flanc à flanc.
Il me semble de voir quelque divinité.
Mais les voyant pallir lors que sa Saincteté
Crache dans un bassin, et d'un visage blanc 5
Cautement espier s'il y a point de sang.
Puis d'un petit soubriz feindre une seureté :
combien (dy-je alors) la grandeur que je voy,
Est misérable au prix de la grandeur d'un Roy! 10
Malheureux qui si cher acheté tel honneur.
7. En la conqueste. A la conquête à merveille le fin mot de cette cour
de l'Italie. romaine du seizième siècle, ec qui
9. Seigneuriser : traiter en sei- la distingue en général des autres
gncur. cours par son caractère de douceur,
11. Brave. Avec l'ancien sens de de finesse et de ruse. » (Sainte-
qui fait belle figure, spécieux. Beuve.)
13. Z>o/i^ Cette cour dont, d'où. — 1. Ces Messieurs. Les cardinaux.
Monté: équipé. — Malsain : malade. 2. Ores : maintenant.
14. 5a7if 6ar^£. Effet de la maladie. 6. Cautement : avec une attention
— « Cette vie qui s'use en simagrées, méfiante.
en cérémonies, en visites, en faux 7. Soubriz : sourire. — Feindre une
semblants, trouve en du Bellay son seureté: faire semblant d'être ras-
dessinateur à la plume. Il nous rend sures.
J. DU BELLAY 235
Vrayement le fer meurtrier, et le rocher aussi
Pendent bien sur le chef de ces Seigneurs icy,
Puis que d'un vieil filet dépend tout leur bon heur.
Sonnet GLXXIII.
Ronsard, j'ay veu Torgueil des Colosses antiques,
Les théâtres en rond ouvers de tous costez,
Les Columnes, les arcz, les haults temples voultez,
Et les sommets pointus des carrez obélisques.
J'ay veu des Empereurs les grands thermes publiques, 5
J*ay veu leurs monuments que le temps a doutez,
J'ay veu leurs beaux palais que l'herbe a surmontez,
Et des vieux murs Romains les poudreuses reliques,
Bref, j'ay veu tout cela que Rome a de nouveau,
De rare, d'excellent, de superbe et de beau : 10
Mais je n'y ay point veu encores si grand*chose
Que ceste Marguerite, où semble que les cièulx.
Pour effacer l'honneur de tous les siècles vieux.
De leurs plus beaux présens ont l'excellence enclose.
12. Vrayement. Trois syUabes. — Le et leur chute soudaine le leudemain.
fer. L'épée de Damoclos. — Meur- Toute une fortune dépendait ainsi
trier. Deux syllabes. — Le rocher. Cf. d'une santé chétive ; toute une ambi-
Virgile : tion était suspendue à une toux de
Quid memorem L*pithu, Iziona, Pirithoom- vieillard. Du Bellay n'hésite pas à
[que ? nous faire voir le revers misérable de
QuM Buper atra silex jainjam lapsnra cadenU toute cette pompe et de tout cet or-
Imminet a«imlU«. g„gjl q„j g'éialait aux yeux et qu'il
(Enéide, VI, 601.) perce à jour. » (Sainte-Beuve.)
13. Chef: tète. 5, Publiques. Vour publics.
14. Vieil : de vieillard. — Filet. Do 9. Nouveau. Qu'on ne trouve nulle
sang. Cf. V. 6. — « Un caractère sail- autre part.
lant de la cour romaine à cette époque 12. Marguerite. Cf. p. 207, note à
était l'exaltation soudaine de quel- l'astérisque. — Semble: il semble,
ques-uns qui n'étaient rien la veille, 14. Ont enclos l'excellence.
2^ r#>iTE* •r XTI* SIÈCLE
LES A5TIQî:ITEZ de ROME
SOXXET IL
ï^ Bi»hyJ/ynî«ï a^n faaultfi murs rantrra
Et 5Mr<j rergrçr» en Tair, de son Epb^enne
I^ (jrrhrj: de<!Krriira la fabri<]oe ancienne.
Et le peuple do Nil «teji pointes cbantera :
La menme Grkce encor ranteose publiera 5
lie «/fil grand Joppiter Timage Olrnipienne,
Le MafjM>le fera la gloire Carienne,
Kt «on Tieux Labjrinth* la Crète n'oobliera :
L^antiqtie Rhodien élèvera la gloire
f)^r «on fameux Colosse au temple de Mémoire : 10
Kt «i quf;lf(ue œuvre encore digne se peult vanter
De marcher en ce rang, quelque plus grand' faconde
Le dira : quant à moy, pour tous je veulx chanter
Lc« «cpt costaux Romains, sept miracles du monde.
Sonnet IIL
Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome,
Kt rien de Home en Rome n^apperçois,
(iCH vieux palain, ces vieux arcz que tu vois,
Kt coH vieux murs, c'est ce que Rome on nomme.
1, tlnhyUmlru. Cinq syllnboi. 6. La Btatue de Jupiter Olympien.
3. Vfrfffm ou l'air. Los Jardins sus- 7. Le tombeau élevé à Mausole par
pnriduM. ~ San Kphrtlftinc. Diane sa veuve Artémise, le Mausolée,
nvnit h Kpliôso un tomplo célèbre. 11. Digne. Adjectif employé pour
îli l'nbviquf ; onnstruntinn, et par l'adverbe. Peut se vanter dignement,
Niiltn, iWliflrn. (II*. Di^fi'nsc: « Venant k ajuste titre,
r'nitlflpr ontn Fnbriquo, vous serez 12. Faconde : éloquence,
htitn Inln^ de luy restituer sa pre- 14. Miracles : merveilles. — Rome
mlnr^ grnn<|pup. w (I, xt.) à elle seule vaut les « sept merveilles
4. Sfn ftnintfif, ïion pyramides. du monde », ci-dessus énumérées.
ft. Vnntou»(> ! qui se ynnto.
J. DU JULLLAY 237
Voy quel orgueil, quelle ruine : et comme 5
Celle qui mist le monde sous ses loix,
Pour donter tout, se donta quelquefois,
Et devint proye au temps, qui tout consomme.
Rome de Rome est le seul monument.
Et Rome Rome a vaincu seulement. lo
Le Tybre seul, qui vers la mer s'enfuit,
Reste de Rome. mondaine inconstance I
Ce qui est ferme, est par le temps destruit.
Et ce qui fuit, au temps fait résistance.
Sonnet VI.
Telle que dans son char la Berecynthîenne
Couronnée de tours, et joyeuse d'avoir
Enfanté tant de Dieux, telle se faisoit voir
En ses jours plus heureux ceste ville ancienne :
5
Ceste ville, qui fut plus que la Phrygienne
Foisonnante en enfants, et de qui le pouvoir
5. Quel orgueil^ quelle ruine. Les stance, inconséquence des choses de
Antiquités de Rome s'inspirent de ce monde.
deux sentiments, celui de la grandeur 1. LaBerecynthienne : Cybèle, mère
romaine, et celui du néant de toute des dieux, adorée principalement en
grandeur. Phrygie, sur le mont Bérécynthe.
7. Pour donter tout : quoiqu'ayant 2. Couronnée. L*e muet compte
tout dompté. — Se donta. Le réfléchi dans la mesure. — Couronnée de
n'est pas mis ici pour le passif, tours. Cybèle était représentée lo
Cf. Yers 10. — Quelquefois : un jour, front ceint d'une couronne de tours,
enfin. parce qu'elle présidait à la fondation
8. Au temps : pour le temps. — Con- des villes. Cf. Virgile :
somme : consume. Inrehitur curru PhrygiM turriU per urb«.
9. Monument : tombeau. Rome n a .„ ... y. __.
pas d'autre tombeau que Rome. Lucr'ce* » » w
10. Seule, Rome a pu vaincre Rome.
- Ces jeux de mots redoublés sont ^^^^^Vie «put «ummum cinxeM cown*
imités d une épigramme latine fort
célèbre à son moment, mais ils n'en ^ ' '
Talent pas mieux pour cela. 4. Ancienne. Synérèsc.
12. Mondaine inconstance : incon- 5. La Phrygienne. CL note du v. l.
238 POÈTES DU XVI® SIECLE
Fut le pouvoir du monde, et ne se peult revoir
Pareille à sa grandeur, grandeur sinon la sienne.
Rome seule pouvoit à Rome ressembler,
Rome seule pouvoit Rome faire trembler : 10
Aussi n'avoit permis l'ordonnance fatale,
Qu'autre pouvoir humain, tant fust audacieux.
Se vantast d'égaler celle qui fit égale
Sa puissance à la terre, et son courage aux cieux.
Sonnet VII.
Sacrez costaux, et vous sainctes ruines
Qui le seul nom de Rome retenez.
Vieux monuments, qui encor soustenez
L'honneur poudreux de tant d'ames divines :
Arcz triomphaux, pointes du ciel voisines, 5
Qui de vous voir le ciel mesme étonnez,
Las, peu à peu cendres vous devenez,'
Fable du peuple, et publiques rapines !
Et bien qu'au temps pour un temps facent guerre
Les bastimens, si est-ce que le temps 10
Œuvres et noms finalement atterre.
Tristes désirs, vivez donques contents :
Car si le temps finist chose si dure.
Il finira la peine que j'endure.
7, 8. Et grandeur pareille à sa gran- 9. Facent guerre : résistent,
deur ne peut se reyoir, sinon la sienne. 10. Si est-ce que ; pourtant il ar-
11. L'ordonnance fatale. L'ordre riye que.
des destins. 11. Atterre. Dans le sens propre.
12. Tant fust audacieux : si auda- 14. Du Bellay fait un retour sur lui-
cieux qu'il fût. même : devant tant de superbes mo-
14. Cf. Virgile : numents qui sont peu à peu devenus
Imperiam terris, auimos aeqmbit Olympo. « fables du peuple et publiques
{Enéide f VI, 782.) rapines », le sentiment lui vient de ce
2. Retenez : conservez. qu'il y a d'éphémère et d'illusoire
3. Qui encor soustenez : qui soute- dans ses ambitions, dans ses espé-
nez encore. rances, dans ses joies ou ses peines.
J. DU BELLAY 239
Sonnet XIII
Ny la fureur de la flamme enragée,
Ny le trenchant du fer victorieux,
Ny le degast du soldat furieux
Qui tant de fois (Rome) t'a saccagée,
Ny coup sur coup ta fortune changée, 5
Ny le ronger des siècles envieux,
Ny le despit des hommes et des Dieux,
Ny contre toy ta puissance rangée,
Ny l'esbranler des vents impétueux,
Ny le desbord de ce Dieu tortueux, 10
Qui tant de fois t*a couvert de son onde,
Ont tellement ton orgueil abbaissé.
Que la grandeur du rien qu'ilz t'ont laissé
Ne face encor' émerveiller le monde.
Sonnet XV.
Pâlies Esprits, et vous, Ombres poudreuses,
Qui jouissant de la clarté du jour
Fistes sortir cest orgueilleux séjour,
Dont nous voyons les reliques cendreuses :
Dictes, Esprits, (ainsi les ténébreuses 5
Rives de Styx non passable au retour.
Vous enlaçant d'un trois fois triple tour,
N'enferment point vos images ombreuses)
L'âme troublée du poète s'apaise, se 9. L'esbranler. Cf. v. 6.
console^ et trouve^ en sa tristesse eUe- 10. Desbord. Inondation. -—Ce Dieu
même, je ne sais quelle sérénité tortueux. Le Tibre,
méditative et doucement attendrie. 2. Jouissant. Lorsque vous jouissiez .
3. Degast : ravage. 4. Cendreuses : couvertes de cendres.
6. Le ronger. Cf. page 213, note du 6. Non passable : qu'on ne peut
vers 10. passer. Cf. Virgile, Enéide, VI, 425.
7. Despit : colcro. 8. Ombreuses : vaines comme des
8. Allusion aux guerres civiles. ombres.
240 POÈTES DU XVl® SIÈCLE
Dictes moy donc (car quelqu'une de vous
Possible encor se cache icy dessous) 10
Ne sentez vous augmenter vostre peine,
Quand quelquefois de ces costaux Romains
Vous contemplez l'ouvrage de vos mains
N'estre plus rien qu'une poudreuse plaine ?
Sonnet XXVIII.
Qui a veu quelquefois un grand chesne asseiché,
Qui pour son ornement quelque trophée porte,
Lever encor' au ciel sa vieille teste morte,
Dont le pied fermement n'est en terre fiché,
Mais qui^ dessus le champ plus qu'à demy panché, 5
Monstre ses bras tous nuds, et sa racine torte.
Et, sans fueille ombrageux, de son poix se supporte
Sur son tronc noiiailleux en cent lieux esbranché :
Et bien qu'au premier vent il doive sa ruine,
Et maint jeune à l'entour ait ferme la racine, 10
Du dévot populaire estre seul révéré ;
10. Possible : peut-être. la mesure.
14. N'estre, Contemplez est cons- 4. Dont. La construction de ce son-
truit comme voir. Quelques sonnets net est un peu embarrassée. Dont se
des Antiquités expriment, pour la rapporte, non pas à tête du yers 3,
première fois dans notre langue, mais à chesne du vers 1.
cette poésie des ruines que nous ne 6. Tous nuds. Cf. p. 228^ note du
retrouverons plus au dix-septième vers 14.
siècle, sinon peut-être chez quelque 7. Et sans fueille ombrageux. Il n'a
disciple attardé de la Pléiade (la So' pas de feuilles, mais son tronc fait de
litude de Saint- Am^nd) et que nous l'ombre,
rendra le romantisme avec Château- 8. Noiiailleux : noueux,
briand et Lamartine. 9. Bien qu'il doive être abattu par
1. Asseiché. Desséché parla vieil- le premier vent.
lesse. 10. Et maint, etc. : et que maint.
2. Trophée. L'e muet compte dans 11. Populaire : peuple. -— Estre»
H
J. DU BELLAY 241
Qui tel chesne a peu voir, qu'il imagine encores,
Comme entre les citez, qui plus florissent ores,
Ce vieil honneur poudreux est le plus honnoré.
DIVERS JEUX RUSTIQUES ET AUTRES
ŒUVRES POÉTIQUES
D'UN VANNEUR DE BLÉ
AUX VENTS
A vous troppe légère,
Qui d'œle passagère
Par le monde volez,
Et d'un sifflant murmure
L'ombrageuse verdure 5
Doulcement esbranlez.
J'offre ces violettes
Ces lis et ces fleurettes,
Et ces roses icy.
Coordonné à lever du vers 3. Tôt circum silrse firmo se robore tollant,
13. Plus : lo plus. — Ores : main- Sola tamen colitur.
tenant. [Pharsale, I, 135.)
14. Ce vieil honneur. L'antique « Le sonnet de du Bellay ne sou-
gloire de Rome. — Cf. Lucain, sur tient pas trop mal la comparaison
Pompée : avec le latin. Le stat magni noniinis
..... Stat magni nominla ambra. umbra a une sorte d'équivalent dans
QaaliB fugifero quercus sublimU in agro, ce vieil honneur poudreux qui est on-
Exuvia» Tctereg popull lacrataque geatana cQpe le plus honoré. » (Sainte-Beuve.)
Dona ducom; neo jam validia radicibufl haerens - TroDDC ' trouDe
Pondère fixa auo est : uudosque per aéra ramoa „* _ '^^ " ^ ' ....
[bram • ^' •'^û^fa^cre : qui ne tait que
Eflundena, trunco non frondibua efficit um- passer, rapide.
▲t (luamyia primo nutet caaura aub Euro, 9. Ces roses icy. Comme ces roses-ci.
14
242 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Ces vermeillettes roses 10
Tout freschement écloses,
Et ces œilletz aussi.
De votre doulce halaine
Eventez ceste plaine,
Eventez ce séjour : 15
Ce pendant que j*ahanne
A mon blé, que je vanne
A la chaleur du jour.
DE DEUX AMANS
A VÉNUS
Nous deux amans, qui d'un mesme courage
Sommes unis en ce prochain village,
Chaste Gypris, vouons à ton autel,
Avec le lis, Tamaranthe immortel.
Et c'est à fin que nostre amour soit telle 5
Que l'amarantlie à la fleur immortelle.
Soit tousjours pure, et de telle blancheur,
Que sont les lis en leur pasle frescheur,
Et que noz cœurs mesme lien assemble,
Comme ces fleurs on voit joinctes ensemble.
16. J'ahanne : je peine. a conduit du Bellay à sortir de la
18. Cf. la pièce de Naugerio qu'a si monotonie du distique latin, si par-
gracieusement imitée du Bellay : fait qu'il fût, et à faire une yillanelle
Aur«, qu» levibuB percurriti» aéra pennia ^''}^ chantante et aUes déployées,
• Et BtrepiUs blando per nemora alta «ono, q"i Suit la gaieté naturelle des cam-
Berta dat hœc vobU, robis haec rostica Simon pagnes au lendemain de la moisson,
Spargit odorato plena canistxa croco. et qui nous arrive dans l'écho. » (/<2.)
YoB, lenite SBHtam et paleas lejongite InaneB \^ Courage : cœur.
Dum medio fruge» rentUat iUe die. g*. Prochain : voisin.
« Victor Hugo n'a pu trouver, 3. Cypris. Vénus, déesse de Chy-
pour la charmante ballade de Trilby^ pre.
de plus sémillante épigraphe que 5. Telle. Amour s'employait au
cette chanson de du Bellay ». (Sainte- féminin.
Beuve.) « L'invention seule du rythme
r
J. DU BELLAY 243
CONTRE LES PÉTRARQUISTES
J'ay oublié l'art de Pétrarquizer,
Je veulx d'Amour franchement deviser,
Sans vous flatter, et sans me deguizer :
Ceux qui font tant de plaintes,
N'ont pas le quart d'une vraye amitié, 5
Et n'ont pas tant de peine la moitié,
Comme leurs yeux, pour vous faire pitié.
Jettent de larmes feintes.
Ce n'est que feu de leurs froides chaleurs,
Ce n'est qu'horreur de leurs feintes douleurs, 10
Ce n'est encor' de leurs souspirs et pleurs.
Que vents, pluye et orages :
Et bref, ce n'est, à ouïr leurs chansons.
De leurs amours que flammes et glaçons,
Flesches, liens, et mille autres façons 15
De semblables oultrages.
De vos beautez, ce n'est que tout fin or,
Perles, crystal, marbre, et ivoire encor,
1. Du Bellay avait « pétrarquisé » Que je ne sais comment, par loiigei et par nue
dans V Olive f où il se contraint et se Q'»® 1« peuple n'entend; ledouz Anacréon
guindé. Mais, un moment séduit par ^« P^***' ^^•
les doctes subtilités du pétrarquisme, 2. Franchement. Par opposition au
il revint bientôt et pour toujours à pétrarquisme^ qui est tout factice,
son naturel et au naturel. Ici, il 6, 7. Et n'ont pas la moitié autant
semble même en vouloir quelque peu de peine que, etc.
à Pétrarque de Tavoir tout d'abord 9. Du Bellay se moque du vocabu-
fourvoyé dans les laborieuses mie- laire coutumier des pétrarquisants.
vreries de V Olive. C'est ainsi que C'est ainsi que, peu d'années aupara-
Ronsard, après avoir imité Pindare, vant, l'auteur du Quintil Horatian
chanta sa palinodie lorsque Anacréon avait raillé dans V Olive le même luxe
et Horace l'eurent converti à un ly- de comparaisons et d'images,
risme moins ardu. Voici des vers 15. Façons : sortes,
qu'il mit en tête de la traduction 16. Oultrages : peines, souffrances,
d' Anacréon par Belleau : 17. Il y avait un répertoire de
„ . , , , „ ^ figures, toujours les mêmes, pour
Mail loue qui voudra les replia recourbe», célébrer la beauté d'une maîtresse
Les torrens de Pindare à nos yeux dearobe», ceieDrer la Deaute a une maîtresse,
[nnei pour bénir ses faveurs ou pour dé-
Obacon, rudes, fascheux, et ces chantons con- plorer ses cruautés.
244 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Et tout l'honneur de l'indique thresor,
Fleurs, lis, œillets, et roses : 20
De voz doulceurs ce n'est que sucre et miel,
De voz rigueurs n'est qu'aloës, et fiel,
De voz esprits, c'est tout ce que le ciel
Tient de grâces encloses.
Puis tout soudain ilz vous font mille tors, 25
Disant que voir voz beaux cheveux retors.
Vos yeux archers, autheurs de mille mors.
Et la forme excellente
De ce que peult l'accoustrement couver,
Diane en l'onde il vaudroit mieux trouver 30
Ou voir Meduze, ou au cours s'esprouver
Avecques Atalante.
S'il faut parler de vostre jour natal,
Vostre ascendant heureusement fatal
De vostre chef écarta tout le mal, 35
Qui aux humains peult nuire.
Quant au trépas, sça' vous quand ce sera
Que vostre esprit le monde laissera ?
Ce sera lors que la hault on voyra
Un nouvel Astre luire. 40
25. Tout soudain. Tout 8* nioutaAt très Méduse était changé en pierre. —
souvent aux adverbes, comme, dans Au cours: à la course. — S'esprouver :
l'usage moderne, aux adjectifs. s'exercer, se mesurer.
26. Retors : tressés. 32. Atalante. Atalante, fille de
27. Archers: qui lancent des trtiits. Schœnée, roi de Scjros, défiait ses
28. Excellente : parfaite. prétendants à la course, et, vaincus,
29. De ce que les vêtements peu- les faisait mettre à mort.
vent cacher. 34. Ascendant. Dans le sens astro-
26 sqq., 30. Construction irrégu- logique du mot. L'ascendance d'un
Hère Voir... fil vaudroit mieux trouver: astre était considérée par rapporta
plutôt que de voir, il vaudrait la nativité d'une personne comme
mieux, etc. agissant sur sa destinée. — Fatal :
30. Diane en l'onde. Diane, surprise prédestiné.
au bain par Actéon, le métamorphosa 35. Chef: tète.
en cerf et le fit déchirer par ses 37. Sça' vous : savez-vous.
propres chiens. 38. Esprit : âme.
31. Voir Meduze. Celui qui voyait
J. DU BELLAY 245
Si pour sembler autre que je ne suis,
Je me plaisois à masquer mes ennuis
J'irois au fond des éternelles nuictz
Plein d'horreur inhumaine :
Là d'un Sisyphe, et là d'un Ixion 45
J'esprouverois toute l'affliction,
Et l'estomac, qui pour punition.
Vit, et meurt à sa peine.
De voz beautez, sça' vous que j'en dirois?
De voz deux yeux deux astres je ferois, 50
Vos blonds cheveux en or je changerois,
Et voz mains en ivoyre :
Quant est du teinct, je le peindrois trop mieux
Que le matin ne colore les cieux :
Bref, vous seriez belle comme les Dieux, 55
Si vous me vouliez croire.
Mais cest enfer de vaines passions,
Ce paradis de belles fictions,
Deguizemens de noz affections,
Ce sont peinctures vaines : 60
Qui donnent plus de plaisir aux lisans,
Que voz beautez à tous voz courtisans.
Et qu'au plus fol de tous ces biens-disans
Vous ne donnez de peine.
Voz beautez donq' leur servent d'argumens, 65
Et ne leur fault de meilleurs instrumens,
43. Au fond des enfers, éternelle- nasme. Z>e, plus haut, signifie ^wanf à.
ment obscurs. 51. Cf. vers 17 sqq.
45. On connaît le rocher de Sisyphe 53. Tro/i : beaucoup,
et la roue d'Ixion. 57. Passions : souffrances.
47. Et l'estomac. Construction bi- 59. Affections : sentiments,
zarre. — Estomac : poitrine. Cf. 61. Lisans : lecteurs.
page 208, note du vers 22. 63, 64. Que leur amour pour tous
48. Allusion au supplice de Tityos. ne donne de peine au plus fol de tous
Cf. Virgile, Enéide^ VI, 595 sqq. — ces bien disans, c'est-à-dire ne le
A sa peine : pour sa peine, pour son fait sincèrement souffrir.
chAtiment. 66. Et ne leur fault : et il ne leur
49. Sça* ifous : savez-TOus. — Qiic : faut pas.
ce que. — En. Il n'y a pas de pléo-
14.
246 POÈTES DU XVI* SIECLE
Pour les tirer tous vifz des monumens :
Aussi, comme je pense,
Sans qu'autrement vous les récompensez
De tant d'ennuis mieux escrits que pensez, 70
Amour les a de peine dispensez
Et vous de recompense.
Si je n'ay peingt les miens dessus le front,
Et les assaults que voz beautez me font.
Si sont-ils bien gravez au plus profond 75
De ma volunté franche :
Non comme un tas de vains admirateurs.
Qui font ainsi par leurs souspirs menteurs
Et par leurs vers honteusement flateurs
Rougir la carte blanche. 80
Il n'y a roc, qui n'entende leur voix :
Leurs piteux cris ont fait cent mille fois
Pleurer les monts, les plaines, et les bois,
Les Antres, et fontaines :
Bref, il n'y a ny solitaires lieux, 85
Ny lieux hantez, voire mesme les cieux, \
Qui çà et là ne monstrent à leurs yeux
L'image de leurs peines. ^
Gestuy-la porte en son cœur fluctueux
De l'Océan les flots tumultueux, 90
Gestuy l'horreur des vents impétueux
Sortans de leur caverne :
67. Cf. page 228, y. 14 et la note. 73. Les miens : mes ennuis.
— Pour les faire revivre, leur assurer 75. Si sont-ils : ils n'en sont pas
l'immortalité. moins.
69. Récompensez. L'indicatif au lieu 76. Volante. A peu prés dans le
du subjonctif. sens à'âme. — Franche : sincère.
70. Mieux escrits que pensez. Très 77. Non comme un tas. Ce n'est pas
bien dépeints, mais où il n'y a rien comme pour un tas.
de sincère. 80. Carte : papier.
72. Et vous de récompense. Ils sont 89. Fluctueux : agité, orageux,
déjà bien payés par leur réputation 92. Caverne. La caverne d'Eole.
de « bien disans » ; vous ne leur Cf. Virgile, Enéide, 1, 52.
devez rien.
J. DU BELLAY 247
L'un d'un Caucase et Montgibel se plaingt,
L'autre en veillant plus de songes se peingt,
Qu'il n'en fut onq' en cest orme, qu'on feinct 95
En la fosse d'Averne.
Qui contrefaict ce Tantale mourant
Bruslé de soif au milieu d'un torrent,
Qui repaissant un aigle dévorant,
S'accoustre en Promethee : 100
Et qui encor* par un plus chaste vœu,
En se bruslant, veult Hercule estre veu,
Mais qui se mue en eau, air, terre, et feu.
Gomme un second Protee.
L'un meurt de froid, et l'autre meurt de chault, 105
L'un vole bas, et l'autre vole hault.
L'un est chetif, l'autre a ce qu'il lui fault.
L'un sur l'esprit se fonde.
L'autre s'arrête à la beauté du corps :
On ne vit onq' si horribles discords 110
En ce chaos, qui troubloit les accords
Dont fut basty le monde.
Quelque autre après, ayant subtilement
Trouvé l'accord de chacun élément,
Façonne un rond tendant également 115
Au centre de son ame :
Son firmament est peinct sur un beau front,
93. D'un Caucase. Comme Pro- 102. Hercule. On sait qu'Hercule se
méthée. — Montgibel. Comme Ence- brûla sur le mont OEta. — Estre veu.
lade. Montgibel est un autre nom de Dans le sens du latin videri : paraître.
l'Etna. En italien monté Gibello (de 107. Chetif : de pauvre condition,
l'arabe Z)/é^e/, montagne). 108. Ne regarde, ne s'attache qu'aux
94. Se peingt : s'imagine. qualités de l'esprit.
95. Onq* : jamais. — Cest orme. 110. Discords : discordes.
Cf. Virgile, Enéide, VI, 282 sqq. — 114. Chacun : chaque.
Feinct • représente. 115. Un rond. Une espèce d'uni-
97, 99, 101, 103. Qui : tel. vers, orbis.
101,103. Vau..., feu. "Prononcez vUf 117. Il a pour firmament le front
fu, de sa dame.
/
248 POÈTES DU XVI® SIECLE
Tous ses désirs sont balancez en rond,
Son pôle Artiq' et Antartiq' se font
Les beaux yeux de sa Dame. 120
Gestuy, voulant plus simplement aymer,
Veult un Properce et Ovide exprimer,
Et voudroit bien encor' se transformer
En l'esprit d'un Tibulle :
Mais cestuy-la, comme un Pétrarque ardent, 125
Va son amour et son style fondant,
Gest autre après va le sien mignardant.
Gomme un second Gatulle...
Noz bons Ayeulx, qui cest art demenoient,
Pour en parler, Pétrarque n'apprenoient, 130
Ains franchement leur Dame entretenoient
Sans fard, ou couverture :
Mais aussitôt qu'Amour s'est faict sçavant,
Luy, qui estoit françois au paravant.
Est devenu flatteur et décevant, 135
Et de Thusque nature.
Si vous trouvez quelque importunité
En mon amour, qui vostre humanité
Préfère trop à la divinité
De vos grâces cachée, 140
Changez ce corps, object de mon ennuy,
Alors je croy, que de moy, ni d'autruy,
Quelque beauté que l'esprit ait en luy,
Vous ne serez cherchée.
118. Ont sa dame pour centre com- tempSy page 87.
mun. 131. Ains : mais.
119, 120. Les beaux yeux de sa 132. Couverture : déguisement,
dame deviennent ses deux pôles. 136. Thusque : Toscan.
126. Va... fondant : fond, c'est-à- 139. Trop : de beaucoup.
dire alambique. 140. Grâces : ce sont les qualitt^s
127. Va.., mignardant : migpaarde, morales et intellectuelles,
c'est-à-dire raffine. 141. Ennuy : souci amoureux, pas-
129. Cet art. L'art d'aimer. — De- sion.
menoient : pratiquaient. — Cf. Marot, 144. Cherchée : recherchée,
le rondeau de l'Amour au bon vieux
J. DU BELLAY 249
Et qu'ainsi soit, quand les hyvers nuisans, 145
Auront seiche la fleur de voz beaux ans,
Ridé ce marbre, esteinct ces feuz luisans.
Quand vous voirez encore
Ces cheveux d*or en argent se changer.
De ce beau sein Tivoyre s'allonger 150
Ces lis fanir, et de vous s'estranger
Ce beau teinct de l'Aurore,
Qui pensez-vous qui vous aille chercher,
Qui vous adore, ou qui daigne toucher
Ce corps divin, que vous tenez tant cher? 155
Votre beauté passée
Ressemblera un jardin à noz yeux,
Riant naguère aux hommes et aux Dieux,
Ores faschant de son regard les ci eux
Et l'humaine pensée. IGO
N'attendez donq* que la grand* faux du Temps
Moissonne ainsi la fleur de voz printemps.
Qui rend les Dieux et les hommes contents :
Les ans, qui peu séjournent,
Ne laissent rien, que regrets et soupirs, 165
Et empennez de noz meilleurs désirs,
Avecques eux emportent nos plaisirs.
Qui jamais ne retournent ?
Je ry souvent voyant pleurer ces fouis,
Qui mille fois voudroient mourir pour vous, 170
Si vous croyez de leur parler si doulx
Le parjure artifice :
Mais quant à moy, sans feindre ny pleurer,
li5. Qu'ainsi soit -.Etant donné qu'il yeux. Héjiend de ressemblera,
en est ainsi. — yuisans : nuisibles. 159. Ores : maintenant.
151. Fanir: faner. — S'estranger : 161. Cf. Ronsard, Ode II, page 123.
s'éloigpier. 164. Séjournent : durent.
153, 154. Chercher... y toucher. L'r 166. Empennez: munis de plumes,
sonnait. —Empennez de, etc. Leurs ailes sont,
157. Ressemblera. Tr&nshit-^ A nos pour ainsi dire, faites de nos désirs.
250 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Touchant ce poinct, je vous puis asseurer,
Que je veux sain et dispos demeurer, 175
Pour vous faire service.
De voz beautez je diray seulement,
Que si mon œil ne juge folement,
Votre beauté est joincte également
A vostre bonne grâce : 180
De mon amour, que mon affection
Est arrivée à la perfection
De ce qu'on peult avoir de passion
Pour une belle face.
Si toutefois Pétrarque vous plaist mieux, 185
Je repandray mon chant mélodieux,
Et voleray jusqu'au séjour des Dieux
D'une œle mieux guidée :
Là dans le sein de leurs divinitez
Je choisiray cent mille nouveautez, 190
Dont je peindray vos plus grandes beautez
Sur la plus belle Idée.
HYMNE DE LA SURDITE
A P. RONSARD
Je ne suis pas, Ronsard, si pauvre de raison,
De vouloir faire à toy de moy comparaison,
A toy, qui ne seroit un moindre sacrilège.
Qu'aux Muses comparer des pies de collège,
179, 180. La beauté s'unit en vous sonnet de V Olive, page 203. — Du
à la bonne grâce, à une bonne grâce Bellay se raille ici lui-même,
qui égale cette beauté. 3. Qui: ce qui.
181. De mon amour. Sous-entendu 4. Pies. Ue muet compte dans la
je dirai. mesure. — Des pies de collège. Des
192. Sur : d'après. — Idée. Cf. le pédants bavards.
^
J. DU BELLAY 251
A Minerve Aracné, Marsye au Delien, 5
Ou à nostre grand Prince un prince Italien.
Bien ay-je, comme toy, suivy des mon enfance
Ce qui m'a plus acquis d'honneur que de chevance :
Geste saincte fureur, qui pour suyvre tes pas,
M'a tousjours tenu loing du populaire bas, 10
Loing de l'ambition, et loing de l'avarice.
Et loing d'oysiveté, des vices la nourrice,
Aussi peu familière aux soldats de Pallas,
Comme elle est domestique aux prestres et prélats.
Au reste, quoy que ceulx, qui trop me favorisent, 15
Au pair de tes chansons les miennes authorisent.
Disant comme tu sçais, pour me mettre en avant.
Que l'un est plus facile, et l'autre plus sçavant,
Si ma facilité semble avoir quelque grâce,
Si ne suis-je pourtant enflé de telle audace, 20
De la contre-peser avec ta gravité,
Qui sçait à la doulceur mesler l'utilité.
Tout ce que j'ay de bon, tout ce qu'en moy je prise.
C'est d'estre comme toy, sans fraude, et sans feintise,
D'estre bon compaignon, d'estre à la bonne foy, 25
Et d'estre, mon Ronsard, demy-sourd, comme toy...
... Or, celuy qui est sourd, si tel default luy nie
5. Aracné, Aracné, fille d'Idmon, 14. Domestique : familière, inhé-
fière de son habilité à broder, défia rente.
Minerve, qui la métamorphosa en arai- 16. Au pair : à l'égal. — Authori»
gnée. — Marsye. Le satyre Marsyas, sent : estiment.
très habile joueur de flûte, osa se 17. Pour me mettre en avant. Du
mesurer avec Apollon, qui le vainquit Bellay s'excuse de commencer par lui :
et le fit écorcher tout vif. Cf. Défense : L'un est plus facile.
« Veux-tu à l'exemple de ce Marsye, 18 sqq. Cf. Etienne Pasquier :
qui osa comparer sa fluste rustique « Chacun donne à Ronsard la gravité,
à la douce lyre d'Apolon, égaler ta à du Bellay la douceur. »
Langue à la Greque et Latine ? » 20. Si ne suis-je pourtant. Cepen-
(I, IX.) — Delien. Apollon, Dieu de dant je ne sais pas pour cela.
Délos. 20, 21. De telle audace de : d'assez
8. C/iefa/ice: biens, fortune. d'audace pour.
9. Fureur : délire poétique. 21. Co/i<re-/7ef«r: mettre en balance.
13. Aux soldats de Pallas. Pallas 25. D'estre à la bonne foy: confiant,
était la déesse de la sagesse et des candido.
arts. 27. I^ie : refuse.
252 POÈTES DU XYI^ SIÈCLE
Le plaisir qui provient d'une doulce armonie,
Aussi est-il privé de sentir maintefois
L*ennuy d'un faulx accord, une mauvaise voix, 30
Un fâcheux instrument, un bruit, une tempeste,
Une cloche, une forge, un rompement de teste,
Le bruit d'une charrete, et la doulce chanson
D'un asne, qui se plaingt en effroyable son.
Et s'il ne peult gouster le plaisir délectable 35
Qu'on a d'un bon propos, qui se tient à la table,
Aussi n'est-il subject à l'importun caquet
D'un indocte prescheur, ou d'un fascheux parquet.
Au babil d'une femme, au long prosne d'un prestre,
Au gronder d'un vallet, aux injures d'un maistre, 40
Au causer d'un bouffon, aux broquars d'une court,
Qui font cent fois le jour désirer d'estre sourd.
Mais il est mal venu entre les damoizelles :
O bien heureux celuy, qui n'a que faire d'elles,
Ny de leur entretien ! car si de leurs bons mots 45
Il n'est participant par faulte de propos,
Il ne s'estonne aussi, et ne se mord la langue.
Rougissant d'avoir fait une sotte harangue.
Mais il est soubsonneux, et tousjours dans son cueur
Se faict croire qu'il sert d'argument au moqueur : 50
Il ne le doit penser, s'il se pense habile homme,
Ains pour tel qu'il se croid, doit croire qu'on le nomme.
Mais il n'est appelé au conseil des seigneurs :
O que cher bien souvent s'achètent tels honneurs.
29. Privé : exempt. Sans doute par dant pas, il ne peut prendre part à la
ironie. conversation.
37. Aussi n'est-il : il n'est pas non 47. // ne s'estonne. Ne reste pas
plus. tout déconcerté. — Aussi : non
38. //i^cte : ignorant. — Prescheur: plus.
prédicateur. — Parquet. Il s'agit des 49. Mais. Cf. v. 43. — Dans son
plaidoiries. cœur : en lui-môme.
40. Gronder. Cf. page 213, note 10. 50. Se faict croire : se figure.
41. Causer. Id. — Broquars : bro- 52. Ains : mais. — 11 doit croire
carde, traits piquants. qu'on le répute pour tel qu'il se
43. Mais. Dira-t-on. croit.
46. Par faulte de propos. N'enten- 53. Mais. Cf. v. 43.
J. DU BELLAY 253
De ceulx qui tels secrets dans leurs oreilles portent, 55
Quand par légèreté de la bouche ilz leur sortent !
Mais il est taciturne : ô bien heureux celuy
A qui le trop parler ne porte pas d'ennuy,
Et qui a liberté de se taire à son aise,
Sans que son long silence à personne déplaise ! 60
Le parler toutefois entretient les amis.
Et nous est de nature à cest efFect permis :
Et ne peult-on pas bien à ses amis escrire.
Voire mieulx à propos, ce qu'on ne leur peult dire?
Si est-ce un grand plaisir, dira quelque causeur, 65
D'entendre les discours de quelque beau diseur.
Mais il est trop plus grand de voir quelque beau livre,
Ou lors que nostre esprit, du corps franc et délivre.
Voyage hors de nous, et nous faict voir sans yeux
Les causes de nature, et les secrets des cieux 70
La Surdité, Ronsard, seule t'a fait retraire
Des plaisirs de la court et du bas populaire,
Pour suyvre par un trac encores non battu
Ce pénible sentier, qui meine à la vertu.
Elle seule a tissu l'immortelle couronne 75
De Myrte Paphien, qui ton chef environne :
Tu luy dois ton laurier et la France luy doit
Qu'elle peut désormais se vanter à bon droit
D'un Horace et Pindare, et d'un Homère encore,
S'elle void ton Francus, ton Francus qu'elle adore 80
Pour ton nom seulement, et le bruit qui en court :
Dois-tu donques, Ronsard, te plaindre d'estre sourd?
55. De ceulx. Les honneurs de ceux. 68. Délivre : affranchi.
57. Mais. Cf. v. 43, et la note. 71. Retraire : retirer.
61. Le parler. Cf. page 213, note 10. 73. Trac : chemin. Cf. trace, tracer,
— Autre objection. 76. De Myrte Paphien. Le myrte
62. De nature. Par la nature. — était consacré à Vénus, et Vénus avait
Permis : donné, accordé. pour séjour favori la ville de Paphos
63. Réponse à l'objection. dans l'île de Chypre.
64. Voire : et même. — A propos : 80. S'elle : si elle. — Francus. Le
de façon pertinente. héros de la Franciade, laquelle ne
65. Si est-ce : c'est pourtant. parut qu'en 1572.
67. Trop : beaucoup.
G. P. — Poètes du xvi« siècle. 15
254 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
O que tu es heureux, quand le long d'une rive,
Ou bien loing dans un bois à la perruque vive,
Tu vas, un livre au poing, méditant les doulx sons, 85
Dont tu sçais animer tes divines chansons,
Sans que Taboy d'un chien, ou le cry d'une beste,
Ou le bruit d'un torrent t'étourdisse la teste.
Quand ce doulx aiguillon si doulcement te poingt,
Je crois qu'alors, Ronsard, tu ne souhaites point 90
Ny le chant d'un oyseau, ny l'eau d'une montagne.
Ayant avecques toy la Surdité compagne.
Qui faict faire silence, et garde que le bruit
Ne te vienne empescher de ton aise le fruict
bien heureux celuy qui a receu des Dieux 95
Le don de Surdité! voire qui n'a point d'yeux.
Pour ne voir et n'ouïr en ce siècle où nous sommes
Ce qui doit offenser et les Dieux et les hommes.
Je te salue, ô saincte et aime Surdité !
Qui, pour throsne et palais de ta grand'majesté, 100
T'es cave bien avant soubs une roche dure
Un antre tapissé de mousse et de verdure.
Faisant d'un fort hallier ton effroyable tour,
Où les cheutes du Nil tempestent à l'entour.
Là se void le Silence assis à la main dextre 105
Le doigt dessus la lèvre : assise à la senestre
Est la Melancholie au sourcil enfonsé;
L'Estude tenant l'œil sur le livre abbaissé
Se sied un peu plus bas : l'Ame Imaginative,
Les yeux levez au ciel, se tient contemplative 110
Debout devant ta face : et là dedans le rond
84. Perruque: chevelure; en latin, « trois petits os » de Toreille.
coma. — Vive : vivante, et> par suite, 104. Allusion aux bourdonnements
verte. qu'entendent les sourds. Cf. page 216,
89. Poingt : pique. v. 85 sqq.
93. Garde : empêche. 105. A la main dextre : à droite. —
94. Empescher -.troubler, — Fruict : L'a; ne se prononçait pas.
iouissance. 107. Enfonsé : Cf. d'Aubigné :
99. Aime : bienfaisante. Loa soarcia de eon front en rides s'enfoncèrent.
101. Cave : creusé. — Roche. Les {Tragiq., les Feux.)
J. DU BELLAY 255
D'un grand miroir d'acier te fait voir jusqu'au fond
Tout ce qui est au ciel, sur la terre, et soubs l'onde,
Et ce qui est caché soubs la terre profonde :
Le grave Jugement dort dessus ton giron, 115
Et les Discours aelez volent à Tenviron.
Donq', ô grand' Surdité, nourrice de sagesse.
Nourrice de raison, je te supply, Déesse,
Pour le loyer d'avoir ton mérite vanté
Et d'avoir à ton loz ce Cantique chanté, 120
De m'estre favorable : et si quelqu'un enrage
De vouloir par envie à ton nom faire oultrage.
Qu'il puisse un jour sentir ta grande deité.
Pour sçavoir, comme moy, que c'est de Surdité.
116. Aelez : ailés. ce que c'est que la surdité. — Dans
119. iMyer : récompense. ces derniers vers se trahissent les
120. Loz : honneur. vrais sentiments de du Bellay. Cf. la
121. 122. £nra^e /:{e: a la rage de. Complainte du désespéré, page 213,
124. Que c'est de surdité, Construc- notamment les vers 79-90.
tion régulière du seizième siècle, pour
D'AUBIGNÉ
PRÉFACE DES TRAGIQUES
L^AUTHEUR A SON LIVRE
Sois hardy, ne te cache point,
Entre chez les Rois mal en point;
Que la pauvreté de ta robbe
Ne te diminue ou desrobe
La suffisance ni le cœur; 5
Porte, comme au sénat romain,
L'advis et Thabit du vilain
Qui vint du Danube sauvage,
Et monstra hideux, effronté
De la façon, non du langage, 10
La malplaisante vérité.
Si on te demande pourquoy
Ton front ne se vante moy,
2. Mal en point. Tout mal en point 10. Par ses façons, non par son
(pauvre, chétif) que tu sois. langage.
i. Te: k toi. 13. La première édition des Tra-
5. 5u/7£5ance: confiance, assurance, giqucs parut sans nom d'auteur. En
— Cœur : courage. voici le titre : Les Tragiques, donnez
8. Cf. La Fontaine, le Paysan du au public par le larcin de Promethée.
Danube, Fables, XI, vu. Cet apologue Au Dezert (Maillé), par L. B. D. D. (le
est raconté par Guevara. bouc du Désert), 1616.
258 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Dis-leur que tu es un posthume
Desguisé, craintif et discret; 15
Que la Vérité a coustume
D'accoucher en un lieu secret.
Ta trenche n*a or ne couleur ;
Ta couverture sans valeur
Permet, s'il y a quelque joye, 20
Aux bons la trouver au dedans ;
Aux autres fascheux je t'envoie
Pour leur faire grincer les dents.
Aux uns tu donneras de quoy
Gémir et chanter avec toy, 25
Et les autres en ta lecture,
Fronçans le sourcil de travers.
Trouveront bien ta couverture
Plus aggreable que tes vers
Tu es né légitimement; 30
Dieu mesme a donné l'argument,
Je ne te donne qu'à l'Eglise.
Tu as pour support l'équité
La vérité pour entreprise,
Pour loyer l'immortalité. 35
20, 21. Permet aux bons de la la vérité et de la vertu.
trouver. 33. Support : appui.
22. Fascheux. Se rapporte à te, 34. Entreprise : objet.
23. Gémir sur tant de maux et de 35. Loyer : récompense,
crimes, chanter le triomphe final de
D*AUBIGNÉ 259
LES TRAGIQUES
LA GUERRE CIVILE
Je n'escry plus les feux d'un amour inconnu;
Mais, par l'affliction plus sage devenu,
J'entreprens bien plus haut, car j'apprends à ma plume
Un autre feu, auquel la France se consume.
Ces ruisselets d'argent que les Grecs nous feignoient, 5
Où leurs poëtes vains beuvoient et se baignoient.
Ne courent plus icy; mais les ondes si claires
Qui eurent les saphyrs et les perles contraires.
Sont rouges de noz morts; le doux bruit de leurs flots,
Leur murmure plaisant heurte contre des os. lo
Telle est, en escrivant, non ma commune image;
Autre fureur qu'amour reluit en mon visage :
Pour un inicque Mars, parmy les durs labeurs
Qui gastent le pappier et l'ancre de sueurs.
Au lieu de Thessalie aux mignardes vallées, 15
I. Allusion au Printemps, recueil premier fond naturel, je veux dire ce
de poésies dejeunesse, qui resta d'ail- qu'il y avait tout spontanément en
leurs inédit jusqu'à notre époque. lui d'aimable, de gracieux et de gai.
3. J'entreprends. Emploi absolu. 12. Autre fureur qu'amour : que
5. Feignoient : inventaient, figu- celle de l'amour. D'Aubigné, comme
raient. la plupart des poètes contemporains
6. Vains : frivoles. avait écrit des vers amoureux. It'Ué'
8. Avec lesquelles ne rivalisaient catombe à Diane se compose de cent
que les saphirs et les perles. sonnets en l'honneur de M"* de
10. Plaisant : agréable. Lezay.
II. Telle est (mon imago) en écri- 14. Ancre: encre.
vant ce poème (et) non (plus) mon 15. Thessalie. Omission, régulière
image commune. (Sur ce sens à'image, au seizième siècle, de l'article devant
Cf. p. 289, V. 161). — On sait que les noms de pays. — Mignardes :
d'Aubigné commença les Tragiques aimables, gracieuses. — Vallées. Par
dès 1577. Jusque-là, il avait surtout exemple, Tempe,
montré ce qui était peut-être son
260 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Nous avortons ces chants au millieu des armées,
En délassant nos bras de crasse tous rouillez,
Qui n'osent s'esloigner des brassards despouillez.
Le luth que j'accordois avec mes chansonnettes
Est ores estoufFé de Tesclat des trompettes : 20
Icy le sang n'est feint, le meurtre n'i défaut,
La Mort joue elle-mesme en ce triste eschafTaut;
Le juge criminel tourne et emplit son urne ;
D'icy, la botte en jambe, et non pas le cothurne.
J'appelle Melpomene en sa vive fureur, 25
Au lieu de THypocrene, esveillant cette sœur
Des tombeaux rafraichis, dont il faut qu'elle sorte,
Eschevelee, affreuse et bramant en la sorte
Que faict la biche après le faon qu'elle a perdu ;
Que la bouche luy saigne, et son front esperdu 30
Fasse noircir du ciel les voûtes esloignees ;
Qu'elle esparpille en l'air de son sang deux poignées
Quand, espuisant ses flancs de redoublez sanglots.
De sa voix enrouée elle bruira ces mots :
c France désolée! o terre sanguinaire! 35
Non pas terre, mais cendre : o mère! si c'est mère
Que trahir ses enfans aux douceurs de son sein.
Et, quand on les meurtrit, les serrer de sa main.
16. Nous avortons. Transitif. Cette 25. Melpomene. La Muse tragique,
construction est insolite. Cf. le titre du poème.
17. Crasse : poussière. — Tous. Pour 26. L'Hypocrene. Fontaine de l'Hé-
tout, conformément à l'usage du licon. — 5œMr. Sœur des autres Muses,
temps. les neuf sœurs.
18. Brassards. Partie de l'armure 26, 27. Evoquant Melpomene, non
qui couvrait le bras. — Ils n'osent dé- de l'Hippocréne, mais du fond des
pouiller les brassards, s'en démunir, tombeaux.
20. Ores : maintenant. 27. Rafraichis. Rouverts.
21. Feint. Imaginaire, comme sur le 28, 29. En la sorte que : comme,
théâtre. — Défaut : manque. 30. Que la bouche. Dépend de il
22. Eschaffaut : scène. faut. — Et son front : et que son
23. Cf. Virgile : front.
QuMitorMlnoflumammoTet. 34. Bruira : proférera. — Deux syl-
{Enèide, VI, 432.) labes.
Le quaesitor est justement ce que 35. Sanguinaire : ensanglantée.
d'Aubigné appelle juge criminel. 36. Cendre. Allusion aux bûchers.
24. Le cothurne. Chaussure de la — Si c'est mère : si c'est être mère,
tragédie. 37. Aux: dans les.
D*AUniGNK 261
Tu leur donnes la vie, et dessous ta mammelle
S'esmeut des obstinez la sanglante querelle ; 40
Sur ton pis blanchissant ta race se débat,
Et le fruict de ton flanc faict le champ du combat. »
Je veux peindre la France une mère affligée
Qui est entre ses bras de deux enfans chargée;
Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts 45
Des tetins nourriciers; puis, à force de coups
D*ongles, de poings, de pieds, il brise le partage
Dont nature donnoit à son besson Tusage :
Ce voleur acharné, cet Esau malheureux,
Faict degast du doux laict qui doit nourrir les deux; 50
Si que, pour arracher à son frère la vie,
Il mesprise la sienne et n'en a plus d'envie;
Mais son Jacob, pressé d'avoir jeusné mesuy,
Ayant dompté longtemps en son cœur son ennuy,
A la fin se défend, et sa juste colère 55
Rend à l'autre un combat dont le champ est la mère.
Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris.
Ni les pleurs reschauffez ne calment les esprits ;
Mais leur rage les guide et leur poison les trouble.
Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble. 60
Leur conflict se r'allume et faict si furieux.
Que d'un gauche malheur ils se crèvent les yeux.
Cette femme esploree, en sa douleur plus forte,
41. Pis : poitrine. 51. Si que : si bien que.
42. Et le fruict. Le mot est employé 53. Jacob. Le parti protestant. —
plusieurs fois par d'Aubigné avec la Afr.f//^: jusqu'aujourd'hui Jusqu'alors,
signification d'enfant. Le fruict, c'est 54. Ennuy. Cf. page 229, note du
bien sans doute le fruit de ton flanc, vers 11.
mais de ton flanc doit être aussi 56. Cf. v. 42.
rapporté à faict. — Autre leçon, celle- 57. Pitoyables : qui excitent la pitié,
ci très claire : — Ce sont, bien entendu, les soupirs
Là le fruict de ton flAnc, etc. et les cris de la mère.
43. Une mère. Comme une mère. 58. Reschauffez. Cf. l'expression
46. Tetins : seins. pleurer à chaudes larmes.
47. Partage : lot, part. 61. Faict furieux. Faict au sens
48. Besson .-jumeau. de se comporter, besogner; furieux ,
49. Esau. Deux syllabes. — Cet emploi de l'adjectif pour l'adverbe.
Esaa symbolise ici le parti catholique. 62. Gauche: sinistre.
15.
262 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Succombe à la douleur, mi vivante, mi morte;
Elle voit les mutins tous deschirez, sanglants, 65
Qui, ainsy que du cœur, des mains se vont cerchants.
Quand, pressant à son sein d'une amour maternelle
Geluy qui a le droict et la juste querelle.
Elle veut le sauver, Tautre, qui n'est pas las,
Viole en poursuivant l'asyle de ses bras. 70
Adonc se perd le laict, le suc de sa poictrine ;
Puis, aux derniers abois de sa propre ruine.
Elle dit : « Vous avez, félons, ensanglanté
c Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté;
c Or, vivez de venin, sanglante geniture; 75
« Je n'ay plus que du sang pour vostre nourriture! »
La France donc encor est pareille au vaisseau
Qui, outragé des vents, des rochers et de l'eau,
Loge deux ennemis; l'un tient avec sa troupe
La proue, et l'autre a pris sa retraitte à la pouppe. 80
De canons et de feux chacun met en esclats
La moitié qui s'oppose, et font verser en bas.
L'un et l'autre enyvré des eaux et de l'envie.
Ensemble le navire, et la charge et la vie,
65. Tous deschirez : tout déchirés. C'wre
Construction régulière du temps. Et à grand» coupe de pieds rout empeBcher son
P * I _ D'ayolr sa nourriture aussi bien comme luy.
66. Se vont cerchants : se cherchent. "^ P^"» J«"'^«' ^"•«^* *'»^«>*^ j«""^^ meshuy,
- Ils se cherchent, n'y voyant plus. ^ **'**'^^ **"^*' "' ^"^ ^^"^ ^^ ""^f^^r^ l
68. Querelle : cause. Celui dont la s'arrachent les deux yeux. Lors, 6 d^leur
cause est juste. La mère perd son laiot et sustance, d'annuy.
70. Poursuivant. Emploi absolu. gUe rôle des mains aux oheyeux et aux tresses,
71. Adonc : alors. Et dit à ses deux fils, les regardant en pièces :
74. Porté. Le participe passé n'était « O malheureux enfans d'exécrable nature,
pas encore soumis à des règles yous m'ostez donc le lait qui tous a alalcté I
fixes. Tous pollues de sang mon sein et ma beauté I
75. Or : maintenant. — Geniture : [rlture I »
Droeéniture. Tous n'aures que du sang pour Tostre nour-
76. Cf. le sonnet, d'ailleurs assez 78. Outragé: maltraité,
médiocre, dans lequel d'Aubigné a 80. A pris sa retraitte : s'est retiré,
pour ainsi dire condensé ce ta- 81. En esclats: en pièces.
bleau : 82. La moitié qui s'oppose : la moitié
adverse. — Et font : et ils font. —
La Pranoe alalct« encor deux enfans aujoïïl ^'^''"'' «« *«* '- ^^O"!®** ^«»-
[sa mère, ^3* Enyvre des eaux» Tous deux
Dont l'on Jt se» deuxxaaina tient les bouta de sont submergés.
D*AUBIGNÉ 263
En cela le vainqueur ne demeurant plus fort 85
Que de voir son haineux le premier à la mort,
Qu'il seconde, autochyre, aussi tost de la sienne,
Vainqueur, comme Ton peut vaincre à la cadmeenne.
Barbares en effect, François de nom, François,
Vos fausses loix ont eu des faux et jeunes Roys, 90
Impuissants sur leurs cœurs, cruels en leur puissance ;
Rebelles, ils ont veu la désobéissance.
Dieu sur eux et par eux desploia son courroux,
N'ayant autres bourreaux de nous-mesmes que nous.
Les Roys, qui sont du peuple et les Roys et les Pères, 95
Du troupeau domesticq sont les loups sanguinaires ;
Ils sont l'ire allumée et les verges de Dieu,
La crainte des vivants. Ils succèdent au lieu
Des héritiers des morts; ravisseurs de pucelles,
Adultères, souillans les couches les plus belles... loo
Les vieillards enrichis tremblent le long du jour;
Les femmes, les maris privez de leur amour,
Par l'espais de la nuict se mettent à la fuitte ;
Les meurtriers souldoyez s'eschauffent à la suitte.
L'homme est en proye à l'homme, un loup à son pareil. 105
Le père estrangle au lict le filz, et le cercueil
Préparé par le filz sollicite le père.
Le frère avant le temps hérite de son frère.
On trouve des moyens, des crimes tous nouveaux,
Des poisons inconnus, ou les sanglans cousteaux 110
Travaillent au midy; et le furieux vice
86. Que ffe voir: que parce qu'il voit, abandonnés à leurs passions.
— Haineux : ennemi. 95. Qui sont : qui doivent être, qui
87. Qu'il seconde. Sa mort seconde sont faits pour être.
(= suit) celle de son ennemi. — AutO' 97. Ire : colère.
chyre. Mot grec qui signifie : agissant 98. Ils succèdent au lieu : ils se
de sa propre main. C'est une espèce substituent à la place.
de suicide. 103. L'espais. Cf. page 201, note 7.
88. A la cadmeenne. Des dents du 104. A la suitte: à leur poursuite,
dragon tué par Cadmus, il naquit 105. Un loup à son pareil. Est un
des hommes qui s'entretuèrent. loup pour son pareil. Homo homini
89. En effect : en réalité. C'est là lupus.
proprement votre nom. 109. Tous. Cf. vers 65.
9t. Impuissants sur leurs cœurs: 111. Au mî^y : en plein midi.
M
264 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Et le meurtre public ont le nom de justice.
Les belistres armez ont le gouvernement,
Le sac de nos citez ; comme anciennement
Une croix bourguignonne espouvantoit noz pères, 115
Le blanc les faict trembler et les tremblantes mères
Pressent à l'estomach leurs enfans esperdus,
Quand les tambours François sont de loin entendus.
Les places de repos sont places estrangeres.
Les villes du milieu sont les villes frontières; 120
Le village se garde, et noz propres maisons
Nous sont le plus souvent garnisons et prisons.
L'honorable bourgeois, l'exemple de sa ville,
Souffre devant ses yeux violer femme et fille.
Et tomber sans mercy dans l'insolente main 125
Qui s'estendoit naguère à mendier du pain.
Le sage justicier est traisné au supplice.
Le malfaicteur lui faict son procès ; l'injustice
Est principe de droict; comme au monde à l'envers,
Le vieil père est fouetté de son enfant pervers. 130
Celuy qui en la paix cachoit son brigandage
De peur d'estre puni, estalle son pillage.
Au son de la trompette, au plus fort des marchez.
Son meurtre et son butin sont à l'ancan preschez.
Si qu'au lieu de la roue, au lieu de la sentence, 135
La peine du forfaict se change en recompense.
il3. Belistres : misérables, gueux, solente main. Comme nous disons
114. Le sac. Pour eux, gouverner, tomber aux mains de quelqu'un.
c'est saccager. — Anciennement. Cinq 126. S'estendoit : se tendait. — A :
syllabes. pour.
115. Du temps de la guerre entre 129. Au monde à l'envers : dans le
Armagnacs et Bourguignons. monde renversé.
116. Le blanc. L'écharpe blanche 130. De : par.
des huguenots. 131. En la paix : en temps de paix.
117. Pressent sur leur sein. Cf. 133. Au plus fort. A l'endroit des
page 130, note du vers 36. marchés où il y a le plus d'activité, le
1 19. Places de repos : villes de sûreté, plus de monde.
124. Souffre, etc. Voit, sans pouvoir 134. Son butin acquis par le meurtre,
l'empêcher, violer sa femme et sa fille. — Preschez; annoncés, proclamés,
125. Et tomber. Et ( souffre ) de mis en vente,
tomber, se voit tomber. — Dans Vin-
D*AUBIGNÉ 265
Ceux qui n'ont discerné les querelles des grands
Au lict de leur repos tressaillent, entendans,
En paisible minuict, que la ville surprise
Ne leur promet sauver rien plus que la chemise... 140
Encor vous bienheureux qui, aux villes fermées,
D'un mestier inconnu avez les mains armées,
Qui goustez en la peur l'alternatif sommeil.
De qui le repos est à la fiebvre pareil ;
Mais je te plains, rusticq, qui, aiant, la journée, 145
Ta pentelante vie en rechignant gaignee,
Reçois au soir les coups, l'injure et le tourment,
Et la fuitte et la faim, injuste payement.
Le paisan de cent ans, dont la teste chenue
Est couverte de neige, en suivant sa charrue, 150
Voit galopper de loin Targolet outrageux,
Qui d'une rude main arrache les cheveux,
L'honneur du viellard blanc, meu de faim et de rage
Pour n'avoir peu trouver que piller au village.
Ne voit-on pas desjà dés trois lustres passez 155
Que les peuples fuiards des villages chassez
Vivent dans les forests : là chacun d'eux s'asserre
Au ventre de leur mère, aux cavernes de terre;
Ils cerchent, quand l'humain leur refuse secours.
Les bauges des sangliers et les roches des ours, 160
{Misères.)
137. N'ont discerné. 'S'y connaissant 151. Argolet. Soldat à cheval armé
rien, ne s'en sont pas mêlés. d'un arc ou d'une arquebuse. — Ou-
140. Sauver : qu'ils sauveront. trageux : qui fait outrage. Outrage a
141. Aux : dans les. souvent le sens de dommage, dégât,
142. Vous qui avez pour vivre un ruine.
obscur métier. 153. Meu : excité (se rapporte à l'ar-
143. Alternatif: qui alterne avec la golet). — De : par.
veille. 155. Dès : depuis.
145. Rusticq : habitant des cam- 157. S'asserre : se cache,
pagnes. 158. Leur mère. La terre. — De
146. Pentelante : haletante. terre : de la terre.
148. Payement. Trois syllabes. 159. L'humain : l'homme.
149. Paisan. Deux syllabes. 160. Sangliers. Synérèse.
266 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
II
PRIÈRE A DIEU
CONTRE LES PERSÉCUTEURS
c Tu vois, juste vengeur, les fléaux de ton Eglise,
Qui, par eux mise en cendre et en masure mise,
A, contre tout espoir, son espérance en toy,
Pour son retranchement, le rempart de la foy.
« Tes ennemis et nous sommes esgaux en vice, 5
Si, juge, tu te sieds en ton lict de justice;
Tu fais pourtant un choix d'enfans ou d'ennemis.
Et ce choix est celuy que ta grâce y a mis.
< Si tu leur faicts des biens, ils s'enflent en blasphèmes.
Si tu nous faicts du mal, il nous vient de nous-mesmes; 10
Ils maudissent ton nom quand tu leur es plus doux;
Quand tu nous meurtrirois, si te benirons-nous...
c Veux-tu long-temps laisser en cette terre ronde
Régner ton ennemy? N'es-tu Seigneur du Monde,
Toy, Seigneur, qui abbats, qui blesses, qui guéris, 15
Qui donnes vie et mort, qui tues et qui nourris? [merveilles;
« Les Princes n'ont point d'yeux pour voir ces grands
Quand tu voudras tonner, n'auront-ils point d'oreilles ?
Leurs mains ne servent plus qu'à nous persécuter;
Ils ont tout pour Satan et rien pour te porter. 20
1. Fléaux. Monosyllabe. 8. T : entre les uns et les autres.
2. En masure : en ruine. — Masure 9. Leur. A tes ennemis.
signifie proprement ce qui reste d'un 10. IL Ce mal. Nous acceptons ce
édifice ruiné. mal, comme venant de nous-mêmes.
4. Pour son retranchement. Sup- 11. /'/m* : le plus,
pléez a du vers précédent. A pour 12. Meurtrirois : ferais périr. — Si'.
retranchement le rempart de la foi. pourtant (même ainsi).
6. Tu te sieds : tu t'assieds, tu 14. Ton ennemy. Satan. Cf. v. 20.
sièges. 17. Grands. Féminin archaïque.
7, 8. C'est la doctrine de la prédes- 20. Pour te porter. Pour porter à
tination et de la grâce. tes autels.
d'aubigné 267
c Sion ne reçoit d'eux que refus et rudesses,
Mais Babel les rançonne et pille leurs richesses;
Tels sont les monts cornus, qui (avaricieux)
Monstrent l'or aux Enfers et les neiges aux Gieux.
€ Les temples du payen, du Turc, de l'idolâtre, 25
Haussent au Ciel l'orgueil du marbre et de l'albastre,
Et Dieu seul, au désert pauvrement hébergé,
A basti tout le monde et n'i est pas logé ! [délies ;
€ Les moineaux ont leurs nids, leurs nids les hyron-
On dresse quelque fuye aux simples colombelles; 30
Tout est mis à l'abry par le soin des mortels.
Et Dieu, seul immortel, n'a logis ni autels.
c Tu as tout l'univers, où ta gloire on contemple,
Pour marchepied la terre et le Ciel pour un temple.
Où te chassera l'homme, ô Dieu victorieux? 35
Tu possèdes le Ciel et les Gieux des haults Gieux!
f Nous faisons des rochers les lieux où l'on te presche.
Un temple de l'estable, un autel de la creiche;
Eux, du temple une estable aux asnes arrogants.
De la saincte maison la caverne aux brigands. 40
f Les premiers des Ghrestiens prioient aux cimetières :
Nous avons faict ouïr au tombeau noz prières,
Faict sonner aux tombeaux le nom de Dieu le fort,
Et annoncé la vie aux logis de la mort.
f Tu peux faire conter ta loiiange à la pierre ; 45
Mais n'as-tu pas tousjours ton marchepied en terre?
21. Sion. Proprement la citadelle pigeons. — i4//j? : pour les. — Colom-
de Jérusalem. Ici, au figuré, le peuple belles. Diminutif de colombe. — Les
de Dieu, les protestants. Tragiques offrent parfois des compa-
22. Babel. La Rome papale. raisons gracieuses qui font contraste
23. Tels : à ces princes semblables, avec l'âpreté de cette satire.
— Cornus : pointus, élevés. 34. Pour un temple : pour temple.
24. Aux Enfers. Gomme les princes 37. Les protestants tenaient leurs
donnent leurs richesses à Babel. — assemblées au « désert».
Les neiges aux deux. Les neiges par 39. Aux : iponr les. — Asnes arro~
comparaison avec les refus et rudesses; gants. Les prédicateurs catholiques,
arij; cteux par comparaison avec 5M7n. 40. Cf. les paroles de Jésus-Christ
28. Tout le monde : le monde tout aux vendeurs du temple,
entier. 46. Cf. v. 34.
30. Fuye : petite volière pour les
à
268 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Ne veux-tu plus avoir d'autres temples sacrez
Qu'un blanchissant amas d'os de morts asserrez ?
c Les morts te loiiront-ils? Tes faicts grands et terribles
Sortiront-ils du creux de ces bouches horribles? 50
N'aurons-nous entre nous que visages terreux
Murmurans ta loiiange aux secrets de noz creux?
t En ces lieux caverneux tes chères assemblées.
Des ombres de la mort incessamment troublées,
Ne feront-elles plus resonner tes saincts lieux 55
Et ton renom voiler des terres dans les Gieux ?
« Quoy! serons-nous muets, serons-nous sans oreilles.
Sans mouvoir, sans chanter, sans ouïr tes merveilles ?
As-tu esteint en nous ton sanctuaire ? Non,
De noz temples vivans sortira ton renom. 60
< Tel est en cet estât le tableau de l'Eglise :
Elle a les fers aux pieds, sur les gesnes assise,
A sa gorge la corde et le fer inhumain,
Un pseaume dans la bouche et un luth en la main.
« Tu aimes de ses mains la parfaicte harmonie : 65
Nostre luth chantera le principe de vie ;
Noz doigts ne sont plus doigts que pour tourner tes sons,
Noz voix ne sont plus voix qu'à tes sainctes chansons.
€ Metg à couvert ces voix que les pluies enroiient;
Deschaine donc ces doigts, que sur ton luth ils joiient; 70
Tire nos yeux ternis des cachots ennuyeux,
Et nous monstre le Ciel pour y tourner les yeux.
c Soient tes yeux addoucis à guérir nos misères,
48. Asserrez : serrés les uns contre 67. Tourner tes sons.Com.me on dit:
les autres. tourner des verSy tourner une louange,
52. Aux : dans les. — Creux. Cf. le etc.
vers suivant- 68. A : pour.
54. Incessamment : sans cosse. 69. Pluies, h'e muet compte dans la
56. Des terres : de la terre. Cf. le mesure,
pluriel latin terrse : la terre. 70. Deschaine : délie. — Que : afin
58. Sans mouvoir. Incapables de que.
nous mouvoir. 71. Ennuyeux. Sens beaucoup plus
60. Noz temples vivans. Nos cœurs, fort que dans l'usage actuel. Cf.
62. Gesnes : instruments de torture, page 135, note du vers 122.
65. L'harmonie de ses mains, les 73. Soient tes yeux, etc. Que tes
-sons que-touraeat ses doij^ts (Ctv, £7). yeux soient adoucis pour guérir, etc.
D 'au B IGNÉ 269
Ton oreille propice ouverte à noz prières,
Ton sein déboutonné à loger noz souspirs 75
Et ta main liberalle à nos justes désirs.
« Que ceux qui ont fermé les yeux à noz misères,
Que ceux qui n'ont point eu d'oreille à noz prières.
De cœur pour secourir, mais bien pour tourmenter,
Point de main pour donner, mais bien pour nous oster, 80
f Trouvent tes yeux fermez à juger leurs misères ;
Ton oreille soit sourde en oiant leurs prières;
Ton sein ferré soit clos aux pitiez, aux pardons;
Ta main seiche, stérile aux bienfaicts et aux dons, [mes, 85
f Soient tes yeux clairvoyants à leurs péchez extre-
Soit jton oreille ouverte à leurs cris de blasphèmes.
Ton sein desboutonné pour s'enfler de courroux
Et ta main diligente à redoubler tes coups.
« Ils ont pour un spectacle et pour jeu le martyre ;
Le meschant rit plus haut que le bon n'i souspire ; 90
Noz cris mortels n'i font qu'incommoder leurs ris,
Leurs ris de qui Tesclat oste l'air à noz cris.
f Ils crachent vers la lune ; et les voûtes célestes
N'ont-elles plus de foudre et de feux et de pestes?
Ne partiront jamais du throsne où tu te sieds 95
Et la Mort et l'Enfer qui dorment à tes pieds?
(Misères.)
III
AUTRES MŒURS, AUTRE STYLE
Si quelqu'un me reprend que mes vers eschauffez
Ne sont rien que de meurtre et de sang estoffez,
75. Déboutonné. Le contraire de tacle. Cf. v. 34.
clos, V. 84. 92. L'éclat de leurs rires remplit
81. Qu'ils trouvent tes veux fermés l'air et n'en laisse plus à nos cris,
à leurs misères, insensibles à leurs 95, 96. La Mort et l'Enfer ne parti-
maux, quand le jour du jugement ront-ils, etc. — Tu te sicds. Cf. v. 6.
sera venu. Mais l'expression est bien 1. Que : de ce que.
peu nette. 2. N'ont pour étoffe (=: matière)
83. Ferré : de fer. que des meurtres et du sang.
89. Pour un spectacle : pour spec-
270 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Qu'on n'y lit que fureur, que massacre, que rage,
Qu'horreur, malheur, poison, trahison et carnage,
Je lui responds : Ami, ces mots que tu reprends 5
Sont les vocables d'art de ce que j'entreprens ;
Les flateurs de l'Amour ne chantent que leurs vices,
Que vocables choisis à peindre les délices,
Que miel, que ris, que jeux, amours et passe-temps,
Une heureuse folie à consumer son temps. 10
Quand j'estois fol heureux (si c'est heur et folie.
De rire aiant sur soy sa maison démolie;
Si c'est heur d'applicquer son fol entendement
Au doux, laissant Tutil', estre sans sentiment,
Lépreux de la cervelle, et rire des misères 15
Qui accablent le col du païs et des frères).
Je fleurissois comm' eux de ces mesmes propos,
Quand par Toisiveté je perdois le repos.
Ce siècle, autre en ses mœurs, demande un autre style :
Cueillons des fruicts amers desquels il est fertile. 20
{Princes.)
IV
LE TYRAN ET LE ROI
La ruine et l'amour sont les marques à quoy
On peut connoistre à l'œil le Tyran et le Roy :
6. Vocables d'art : mots techniques, plus loin, d'Aubigné parle d'âmes
appropriés au sujet. lépreuses.
8, 10. A : pour. 17. Allusion à ses poésies de jeu-
11. Fol heureux. Cf. heureuse folie nesse.
du vers précédent. Sorte d'adjectif 18. Par : dans ; c'est le latin per. On
double, comme doux-arner, om encore disait aussi parmi,
aigre-doux, qui est resté. — Heur : 19. Siècle : génération. — Cf. Aug.
bonheur. — Si c'est heur et folie : si Barbier :
c'est une heureuse folie, une folie g| jo.on yers est trop cru
qu'on puisse qualifier d'heureuse. C'est qu'il lonne aujourd'hui daiu nu slèole
14. Estre. Coordonné à de rire et [d'airain.
d'applicquer, avec ellipse de la pré- {Prolog, des ïambes.)
position. — Sans sentiment. Insen- 20. Desquels. On disait fertile de
sible aux maux de ses frères. pour fertile en.
15. Lépreux de la cervelle. Un peu 2. Connoistre : reconnaître.
d'aubigné 271
L'un desbrise les murs et les loix de ses villes,
Et l'autre à conquérir met les armes civiles ;
L'un cruel, l'autre doux, gouvernent les subjects 5
En valets par la guerre, en enfans par la paix;
L'un veut estre hay, pourveu qu'il donne crainte ;
L'autre se faict aimer, et veut la peur esteinte ;
Le bon chasse les loups, l'autre est loup du troupeau;
Le Roy veut la toison, l'autre cerche la peau : 10
Le Roy faict que la voix du peuple le bénie,
Mais le peuple en ses vœux maudit la tyrannie.
Voicy quels dons du ciel, quels thresors, quels moyens,
Réqueroient en leurs Roy s les plus sages payens.
Voicy quel est un Roy de qui le règne dure: 15
Qui establit sur soy pour Royne la Nature,
Qui craint Dieu, qui esmeut pour l'affligé son cœur.
Entrepreneur prudent, hardy exécuteur.
Craintif en prospérant, dans le péril sans crainte,
Au conseil sans chaleur, la parolle sans feinte ; 20
Imprenable aux flatteurs, gardant l'amy ancien;
Chiche de l'or public, trés-liberal du sien;
Père de ses subjects, amy du misérable,
Terrible à ses haineux, mais à nul mesprisable;
Familier, non commun, aux domestiques doux; 25
Effroyable aux meschants, équitable envers tous ;
Faisant que l'humble espère et que l'orgueilleux tremble,
3. Desbrise : brise. 16. Qui. C'est celui qui. — La Na-
4. Met : emploie. — Les armes turc. La justice naturelle.
civiles : les armes des citoyens, de ses 18. Entrepreneur prudent. Qui réflé-
sujots. chit ayant d'entreprendre.
7. C'est le mot bien connu : Oderint, 19. En prospérant. Dans le succès.
dum mctuant. — Donne crainte, Sup- 20. Sans chaleur. Froid, mesuré,
pression de l'article régulière au sage.
XVI* siècle. 24. Haineux : ennemis. — A : pour.
8. Veut la peur esteinte. Veut que — Nul : personne. — A nul niespri-
la peur soit éteinte, que ses sujets sable. Sa bonté ne doit pas dégénérer
soient affranchis de toute peur. en faiblesse.
10. Cerche : cherche. 25. Commun. Qui compromet sa di-
11. Bénie : bénisse. gnité avec le premier venu. — Dômes-
13. Moyens. D&nsle&ens de qualités, tiques. Ceux qui font partie de sa
vertus, ou, peut-être, de pratiques, maison.
272 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Portant au front la crainte et l'amour tout ensemble,
Pour se voir des plus hauts et plus subtils esprits
Sans haine redouté, bien aymé sans mespris; 30
Qu'il ait le cœur dompté, que sa main blanche et pure
Soit nette de l'autruy, sa langue de l'injure ;
Son esprit à bien faire emploie ses plaisirs ;
Qu'il arreste son œil de semer des désirs.
Debteur aux vertueux, persécuteur du vice, 35
Juste dans sa pitié, clément en sa justice.
Par ce chemin l'on peut, régnant en ce bas lieu,
Estre Dieu secondaire, ou image de Dieu.
{Princes.)
PORTRAITS DE CHARLES IX ET d'hENRI III
Encor, la tyrannie est un peu supportable,
Qu'un lustre de vertu faict paroistre agréable. •
Bien heureux les Romains qui avoient les Gaesarâ
Pour Tyrans, amateurs des armes et des arts :
Mais malheureux celuy qui vit esclave infâme 5
Soubs une femme hommace et soubs un homme femme.
Une mère douteuse, après avoir esté
M à ses filz, en a l'un arresté
Sauvage dans les bois, et, pour belle conqueste,
Le faisoit triompher du sang de quelque beste : 10
28. Son front inspire la crainte, etc. 35. Debteur : redevable (proprc-
— La crainte. Cf. v. 7. Ici, crainte si- ment : débiteur),
gnifie plutôt respect. Cf. redouté du 2. Qu'. Cette tyrannie que.
vers 30. 6. Hommace. Se dit d'une femme
29. Subtils : pénétrants, profonds, qui a les traits, la voix, les manières
31. Qu*il ait le cœur dompté. Qu'il d'un homme.
maîtrise ses passions. 7. Une mère. Catherine de Médicis.
32. L'autruy : le bien d'autrui. — Douteuse. Mérite-t- elle ce nom de
33. Son esprit: que son esprit. — mère?
Emploie. L'e muet compte dans la 8. L'un. Charles IX. — Arresté:
mesure. — Que son esprit mette ses établi.
plaisirs à bien faire. 10. Charles IX avait pour la chasse
34. Arreste : empêche. une passion effrénée.
d'aubignr 273
Elle en fit un Esau, de qui le ris, les yeux,
Sentoyent bien un Tyran, un chartier furieux :
Pour se faire cruel, sa jeunesse esgaree
N'avoit rien que le sang, et prenoit sa curée
A tiier sans pitié les cerfs qui gemissoient, 15
A transpercer les daims et les fans qui naissoient,
Si qu'aux plus advisez cette sauvage vie
A faict prévoir de lui massacre et tyrannie.
L'autre fut mieux instruit, à juger des atours
Des p de sa Cour, et plus propre aux amours; 20
Avoir raz le menton, garder la face pasle,
Le geste efféminé, l'œil d'un Sardanapale :
Si bien qu'un jour des Rois, ce douteux animal.
Sans cervelle, sans front, parut tel en son bal :
De cordons emperlez sa chevelure pleine, 25
Soubs un bonnet sans bord faict à l'Italienne
Faisoit deux arcs voûtez; son menton pinceté.
Son visage de blanc et de rouge empasté,
Son chef tout empoudré, nous firent voir l'idée,
En la place d'un Roy, d'une p fardée. 30
Pensez quel beau spectacle, et comm' il fit bon voir
Ce Prince avec un buse, un corps de satin noir
Gouppé à l'Espagnolle, où des dechiquetures
Sortoient des passemens et des blanches tireures ;
Et affin que l'habit s'entresuivist de rang, 35
Il montroit des manchons gauffrez de satin blanc,
11. Esau, Deux syUabes. 24. Sans front. Son front était caché
12. Chartier : charretier. par une coiffure de femme.
13. Esgaree : pervertie. 27. Pinceté. Epilé avec une pince.
16. Qui naissoient : qui ne faisaient 29. Chef : tête. — Empoudré : con-
que de naître. yert de poudre. — L'idée i l'image.
17. Si : si bien. 32. Buse : lame flexible qui main-
19. L'autre. Henri III. tient le devant d'un corset. — Corps :
21. Avoir... garder. Ces infinitifs, casaque.
qui ne sauraient se rattacher à instruit 34. Tireures. A peu prés synonyme
ou à propre f paraissent équivaloir à de passements.
il avait, il gardait. La construction 35. Afin que l'habillement fût bien
est imitée du latin. assorti dans toutes ses pièces.
23. Douteux. Cf. le vers 42. — 36. Manchons : manches courtes.
Animal : être.
274 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
D'autres manches encor qui s'estendoient fendues,
Et puis jusques aux pieds d'autres manches perdues.
Pour nouveau parement, il porta tout ce jour
Cet habit monstrueux pareil à son amour : 40
Si qu'au premier abord chacun estoit en peine
S'il voioit un Roy femme ou bien un homme Royne.
{Princes. )
VI
MIGNON DU ROI
Un père, deux fois père, employa sa substance
Pour enrichir son filz des thresors de science;
En couronnant ses jours de ce dernier dessein,
Joieux, il espuisa ses coffres et son sein.
Son avoir et son sang : sa peine fut suivie 5
D'heur à parachever le présent de la vie.
Il voit son fils sçavant, adroict, industrieux,
Meslé dans les secrets de Nature et des Gieux,
Raisonnant sur les loix, les mœurs et la police :
L*esprit sçavoit tout art, le corps tout exercice. lu
Ce vieil François, conduit par une antique loy,
Consacra cette peine et son filz à son roy ;
L'equippe, il vient en Cour : là cette ame nouvelle,
'Des vices monstrueux ignorante pucelle,
Void force hommes bien faits , bien morgans , bien vestus . 1 5
Il pense estre arrivé à la foire aux vertus
Voicy un gros amas qui emplit jusqu'au tiers
Le Louvre de soldats, de braves Chevaliers,
39. Parement : parure. 8. Meslé : verBé.
40. Si : si bien. ». Police : politique, gouvornement
1. Deux fois père. Expliqué par des Etats.
sa substance. — Substance. Pas seule- 13. L'equippe. Il l'équipe. — II. Le
ment son avoir, mais ses soins, et son jeune homme. — Nouvelle : novice. Cf.
sang (v. 5). neuf, du vers 46.
6. Heur : bonheur. — Il avait donné 15. Morgans. Qui font paraître do
la vie; ce présent, il le parachève on la morgue (= gravité hautaine),
élevant son fils avec tant de soin.
d'aubigné 275
De noblesse parée : au milieu de la nuë
Marche un Duc, dont la face au jeune homme inconnue 20
Le renvoyé au conseil d'un page traversant,
Pour demander le nom de ce Prince passant;
Le nom ne le contente; il pense, il s'esmerveille;
Tel mot n*estoit jamais entré en son oreille.
Puis, cet estonnement soudain fut redoublé, 25
Alors qu'il vit le Louvre aussytost dépeuplé
Par le sortir d'un autre, au beau millieu de Tonde
De Seigneurs l'adorant comm' un Roy de ce monde.
Nostre nouveau venu s'accoste d'un vieillard,
Et pour en prendre langue il le tire à Tescart. 30
Là, il apprit le nom, dont l'histoire de France
Ne lui avoit donné ne vent ne connoissance.
Ce courtisan grison, s'esmerveillant de quoy ^
Quelqu'un mesconnoissoit les mignons de son Ro}r/
Raconte leurs grandeurs, comment la France entière, 35
Escabeau de leurs pieds, leur estoit tributaire.
A l'enfant qui disoit : « Sont-ils grands terriens.
Que leur nom est sans nom par les historiens ? »
Il respond : « Rien du tout, ils sont mignons du prince. »
Ont-ils sur l'Espagnol conquis quelque province? 40
Ont-ils par leur conseil relevé un mal heur.
Délivré leur païs par extrême valeur ?
19. Nué'. On dit encore une nuée 33. Grison : aux cheveux gris. —
dans le sens d'une foule, mais avec un De quoy : de ce que.
complément déterminatif. 34. Mesconnoissoit : ne connaissait
20. Un Duc. Le duc d'Epernon. pas.
21. Le renvoyé au conseil, etc. L'en- 36. Escabeaude leurs pieds. Exprès-
gage à consulter. — Traversant, sion biblique.
Emploi absolu. 37. Terriens : possesseurs de terres.
23. Le nom ne le contente. Cf. v. 31, 37, 38. Le jeune homme s'imagine
32. — Pense : réfléchit. que, si l'histoire ne les nomme pas,
24. Mot : nom. leur grandeur doit s'expliquer paf la
27. Le sortir : la sortie. Cf. page 213, possession de vastes terres.
note 10. — L'onde. La foule, com- 38. Sans nom : sans renom. — Par :
parée aux flots. parmi, chez.
29. S'accoste : s'approche, aborde. 39. Rien du tout : pas du tout.
30. En prendre tangue : s'enquérir 41. Conseil. La sagesse do l'homme
auprès de lui. d'Etat.
32. ye vent, etc. Ne : ni.
276 POÈTES DU XVI*^ SIÈCLE
Ont-ils sauvé le Roy, commandé quelque armée
Et par elle gaigné quelq' heureuse journée?
A tout fut respondu : < Mon jeune homme, je croy 45
Que vous estes bien neuf, ce sont mignons du Roy. •
(Princes.)
VII
LES MARTYRS
Les corps à demi-morts sont trainez par les fanges,
Les enfans ont pour jeu ces passe-temps estranges :
Les satellites fiers tout autour arrangez
EtoufToient de leurs cris les cris des afQigez.
Puis les empoisonneurs des esprits et des âmes, 5
Ignorants, endurcis, [les] conduisent aux fiâmes...
Or, de peur qu'à ce poinct les esprits délivrez.
Qui ne sont plus de crainte ou d'espoir enyvrez,
Desjà proches du Ciel, lesquels par leur constance
Et le mespris du monde ont du Ciel connoissance, 10
Comme cygnes mourans ne chantent doucement,
Les subtils font mourir la voix premièrement.
Leur prière est muette, au Père seul s'envolle,
Gardans pour le loiier le cœur, non la parolle.
Mais ces hommes, cuidans avoir bien arresté 15
Le vray par un bâillon, preschent la vérité.
La vérité du Ciel ne fut onc bâillonnée.
Et cette race a veu (qui Ta plus estonnee)
44. Journée : bataille. 13. Leur. Des martyrs. -^ Au Père
3. Fiers : farouches, cruels. — Ar~ seul. Sans ôtre entendue par les
rangez : rangés. hommes.
5. Les prêtres et moines. 14. Gardans. Construction libre du
7. A ce poinct : à ce moment. participe présent. — Non la parolle :
9. Lesquels. Ces esprits qui. à défaut de la parole.
10. Ont du Ciel connoissance. Près- 15. Cuidans : croyant.
sentent les joies du ciel. 16. La vérité. Leur vérité à eux, non
10, 11. Réminiscence do Platon, celle du ciel (v. 17).
dans le Phédon. 17. Onc : jamais.
\'2. S ubtils'.rnsés.D'Aubigné appelle 18. Race: engeance. — Qui: ce qui.
Satan le Subtil. — i'/uf :1e plus. Construction usueUe.
d'aubigné 277
Que Dieu à ses tesmoings a donné maintesfois
(La langue estant couppee) une céleste voix, 20
Merveilles qui n*ont pas esté au siècle vaines.
Les cendres des bruslez sont précieuses graines
Qui, après les hyvers noirs d'orage et de pleurs,
Ouvrent au doux printemps d'un million de fleurs
Le baume salutaire, et sont nouvelles plantes 25
Au milieu des parvis de Sion fleurissantes.
Tant de sang que les Roys espanchent à ruisseaux
S exhale en douce pluie et en fontaines d'eaux,
Qui, coulantes aux pieds de ces plantes divines.
Donnent de prendre vie et de croistre aux racines. 30
Des obscures prisons les plus amers souspirs
Servent à ces beautez de gratieux zéphyrs.
L'Ouvrier parfaict de tout, cet Artisan suprême,
Tire de mort la vie et du mal le bien mesme ;
Il resserre noz pleurs en ses vases plus beaux, 35
Escrist en son regist éternel tous nos maux.
D'Italie, d'Espagne, Albion, France et Flandres,
Les anges diligents vont ramasser noz cendres ;
Les quatre parts du monde et la terre et la mer
Rendront compte des morts qui luy plaira nommer. 40
(La Chambre dorée.)
19. Tesmoings. C'est le sens du mot 33. Ouvrier. Synérèse.
martyr. 34. De mort : de la mort.
21. Qui n'ont pas été inutiles au 35. Resserre : renferme. — Plus
monde. C'est l'idée que va développer beaux : les plus beaux. Cf. vers 18 et
le couplet suivant. la note.
26. Sion. C'est-à-dire le peuple élu. 36. Regist : registre.
Proprement, Sion était une colline de 37. D'Italie. Ve muet compté ans
Jérusalem. la mesure. — Albion : Angleterre.
30. Donnent aux racines de prendre 39. Pcwts : parties.
vie et de croître. 40. Qui : qu'il. Il y a chez d'Aubigné
31. Les prisons où soupirent les plusieurs exemples de cette construc-
persécutés. tion. — Nommer. L'r sonnait.
16
278 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
VIII
ÉPISODE DE LA SAINT-BARTHELEMY
Or, cependant qu'ainsy par la ville on travaille,
Le Louvre retentit, devient champ de bataille,
Sert après d'eschaffaut, quand fenestres, créneaux
Et terrasses servoient à contempler les eaux.
Si encores sont eaux. Les Dames, mi-coëffées, ' 5
A plaire à leurs mignons s'essayent eschauffées.
Remarquent les meurtris, les membres, les beautez,
Bouffonnent sallement sur leurs infirmitez.
A l'heure que le Ciel fume de sang et d'ames,
Elles ne plaignent rien que les cheveux des Dames; 10
C'est à qui aura lieu à marquer de plus prés
Celles que Ton esgorge et que l'on jette après ;
Les unes qu'ils forçoient avec mortelles poinctes
D'elles mesmes tomber, pensant avoir esteintes
Les âmes, quand et quand que Dieu, ne pouvant voir 15
Le martyre forcé, prendroit pour desespoir
Le cœur bien espérant. Nostre Sardanapale
Ridé, hideux, changeant, tantost feu, tantost pasle.
Spectateur, par ses cris tous enrouez, servoit
De trompette aux maraux; le hasardeux avoit 20
3. Eschaffaut : théâtre, lieu de spec- 14, \h. Avoir esteintes les dmes. Avoir
tacle. perdu les âmes, les avoir vouées à la
5. Sont eaux. Tant il s'y môle de damnation,
sang. 15. Quand et quand : et aussi. —
8. Les meurtris : les morts. Cf. page Que. Dépend de pensant.
266, note du vers 12. 15, 16. Ne pouvant voirie martyre
9. Un de ces beaux vers isolés forcé. Ne pouvant voir que cette mort
comme il en vient souvent à d'Aubigné n'était pas volontaire.
jusque dans les passages les plus ro- 16, 17. Prendrait^ etc. Croirait que
cailloux et les plus pénibles. ces cœurs si fermes avaient désespéré.
11. Aura lieu à : aura occasion de. 17. Sardanapale. Charles IX.
— Marquer : remarquer. 18. Feu. Rouge comme le feu.
li. D'elles mesmes tomber. A tomber 19. Tous. Cf. page 262, note du
d'elles-mêmes dans le fleuve. — Es- vers 65.
teintes. Construction du temps. Cf. 20. Maraux. A la canaille. — Le
page 123, note du vers 2. hasardeux. Ironique.
D AUBIGNE
279
Armé son lasche corps ; sa valeur estonnee
Fut, au lieu de Conseil, de p entournee;
Ce Roy, non juste Roy, mais juste arquebusier,
Giboioit aux passans trop tardifs à noier
La Mère avec son train hors du Louvre s*eslogne.
Veut jouïr de ses fruicts, estimer labesongne.
Une de son troupeau trotte à cheval trahir
Ceux qui soubs son secret avoient pensé fuir.
En tel estât la Cour, au jour d'esjouissance.
Se pourmeine au travers des entrailles de France.
{Les Fers.)
25
30
IX
l'océan recueille les corps des martyrs
L'Océan donc estoit tranquille et sommeillant
Au bout du sein Breton, qui s'enfle en recueillant
Tous les fleuves françois, la tournoyante Seine,
La Gironde, Charente et Loire et la Vilaine
La lame de la mer estant comme du laict.
Les nids des Alcions y nageoient à souhait :
Entre les flots saliez et les ondes de terre
S'esmeut par accidens une subite guerre :
Le dormant pense ouïr un contraste de vents
21. Sa valeur estonnee. Etonnée
d'elle-mdme.
22. Entournee : entourée.
23. Juste arquebusier. D'Aubigné
joue sur le mot juste.
24. Giboioit. Cf. page 273, vers 13
sqq. — Noicr : se noyer.
25. La Merc. Catherine. — Train :
suite.
26. Jouïr de ses fruicts. Des fruits
de sa politique. — Estimer : se rendre
compte par elle-même.
27. Une de son troupeau : une femme
de sa suite. — Trotte., trahir. Comme
court trahir.
28. Soubs son secret. Protégés par le
secret qu'elle leur garderait. — Fuir.
Diérèse.
29. Esjouissance : réjouissance.
30. Pourmeine : promène.
2. Sein. Cf. le latin sinus.
3. Tournoyante : sinueuse.
4. Charente et Loire. Omission ré-
gulière de l'article.
7. Les ondes de terre. Les eaux des
fleuves.
8. S'esmeut : s'élève, éclate.
9. Le dormant, L'Océan qui dort
encore. Cf. sommeillant du vers 1, le
songeur du v. 25. — Contraste : conflit.
â
280 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Qui, du bout de la mer jusqu'aux sables mouvants, lo
Troubloient tout son Royaume, et sans qu'il y consente ,
Vouloient, à son deceu, ordonner la tourmente.
c Comment ? (dit le vieillard) Tair volage et léger
Ne sera-il jamais lassé de m'outrager,
De ravager ainsi mes provinces proffondes? 15
Les ondes font les vents, comme les vents le? ondes,
Ou bien Tair pour le moins ne s'anime en fureurs
Sans le consentement des corps supérieurs :
Je pousse les vapeurs causes de la tourmente.
L'air soit content de l'air, l'eau de l'eau est contente. » 20
Le songe le trompoit, comme quand nous voions
Un soldat s'afiuster, aussitôt nous oions
Le bruict d'une fenestre ou celuy d'une porte,
Quand l'esprit va devant les sens : en mesme sorte
Le songeur print les sons de ces flots mutinez 25
Encontre d'autres flots, jappans, enfelonnez,
Pour le trouble de l'air et le bruit de tempeste.
Il esleve en frottant sa vénérable teste :
Premier un fer poinctu paroist, et puis le front.
Ses cheveux regrissez par sa colère en rond; 30
Deux testes de dauphins et les deux balais sortent
Qui nagent à fleur d'eau et sur leur dos le portent :
Il trouva cas nouveau, lorsque son poil tout blanc
Ensanglanta sa main : puis, voyant à son flanc
Que l'onde refuiant laissoit sa peau rougie : 35
12. A son deceu ; en le trompant. 24. Va devant : prévient. — En
Employé jusqu'au milieu du dix- mesme sorte : de môme,
septième siècle. 26. Encontre : contre. — Enfe-
16. Si les vents font les ondes, ce lonnez : irrités,
sont les ondes qui font les vents. 28. En frottant. Peu clair. En se la
Entre les vents et les ondes, il y a frottantyCoxsiXïiQnons disons se frotter
donc égalité. les yeux de quelqu'un qui se réveille.
18. Des corps supérieurs. Des va- 30. Regrissez : hérissés,
peurs, qu'exhale l'Océan. Ci. v. 19. 31. Balais : queues.
20. Que l'air se contente de son do- 32. Qui. Se rapporte à dauphins,
maine, comme l'eau est contente du 33. Cas : circonstance, chose,
sien. 34. Sa main. Cf. en frottant, du
22. S'affuster : se disposer (à tirer vers 28.
un coup de feu). 35. Refuiant : reculant.
D 'au B IGNÉ 281
« A moy ! (dist-il) à moy ! pour me charger d*envie !
A moy, qui dans mon sein ne souffre point les morts,
La charongne, l'ordure, ains la jette à mes bords!
Bastardes de la terre et non filles des nues,
Fiebvres de la Nature! Allons, testes cornues 40
De mes béliers armez, repoussez-les, heurtez,
Qu'ils s'en aillent ailleurs purger leurs cruautez. i
Ainsy la mer alloit, faisoit changer de course
Des gros fleuves amont vers la coulpable source,
D'où sortoit par leurs bords un déluge de sang, 45
A la teste des siens : l'Océan, au chef blanc,
Vid les Gieux s'entr'ouvrir et les Anges à troupes
Fondre de l'air en bas ayants en main des coupes
De précieux rubis qui, plongez dedans l'eau.
En chantant rapportoient quelque présent nouveau. 50
Ces messagers aislés, ces Anges de lumière
Tiroient le sang meurtry d'avec l'onde meurtrière,
Dans leurs vases remplis qui prenoient, heureux, lieu
Aux plus beaux cabinets du palais du grand Dieu :
Le Soleil, qui avoit mis un espais nuage 55
Entre le vilain meurtre et son plaisant visage.
Ores de chauds rayons exhale à soy le sang,
Qu'il faut qu'en rouge pluie il renvoyé à son rang.
36. Envie. Avec le sens du latin in- 47. A troupes : par troupes.
vidia qui signifie la haine dont on est 50. En chantant. Se rapporte aux
l'objet. Pour me charger d'envie : Anges,
pour me rendre odieux. 51. Messagers. C'est le sens propre
38. Ains : mais. du mot grec aY^eXoc.
39. Il s'adresse aux eaux des fleuves. 52. Le sang meurtry : de ceux qui
40. Fiebvres de la nature. Gomme avaient été meurtris (= tués). —
qui dirait humeurs morbides. Meurtrière. Synérèse.
41. Béliers. Ce sont les vagues de 53. /'renoie/i^..2^tf: prenaient place,
la mer qu'il compare à des béliers : 54. Cabinets, Sorte de buffet où
on appelle bélier une machine de l'on serre les objets précieux,
guerre dont on battait les murailles 56. Vilain. Sens beaucoup plus fort
d'une ville. — Heurtez. Heurtez-les. que dans l'usage actuel. — Plaisant :
44. Afnont, En les forçant à re- agréable,
monter. 57. Ores : maintenant. — Exhale à
46. A la teste des siens. Suite de la soy : le réduit en vapeur et l'aspire.
mer alloit. Ou bien : Ce sang rejaillit 58. En rouge pluie. De Thou et d'Au-
à la tôte des flots, comparés avec bignérapportentqu'il y eut des pluies
des béliers. — Chef : tête. de sang en 1570 et 1575.
16.
/
282 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
L'Océan, du Soleil et du troupeau qui vole
Ayans prins sa leçon, change advis et parolle. 60
f Venez, enfans du Ciel (s'escria le vieillard).
Héritiers du Royaume à qui le ciel despart
Son champ pour cimetière : o Saincts que je repousse !
Pour vous, non contre vous, juste je me courrouce. »
Il s'avance dans Loire, il rencontre les bords, 65
Les sablons cramoisis, bien tapissez de morts.
Curieux, il assemble, il enlevé, il endure
Cette chère despouille, au rebours de nature.
Ayant tout arrangé, il tourne avec les yeux
Et le front serené, ces parolles aux Gieux : 70
€ Je garderay ceux-cy, tant que Dieu me commande
Que les filz du bon heur à leur bon heur je rende;
Il n'i a rien d'infect, ils sont purs, ils sont nets ;
Voicy les parem'ens de mes beaux cabinetz :
Terre qui les trahis, tu estois trop impure 75
Pour des Saincts et des purs estre la sépulture. »
A tant il plonge au fond; Teau rid en mille rais,
Puis, aiant faict cent ronds, crache le sable après.
{Les Fers.)
59. Troupeau. Les anges. rejette cette dépouille.
60. Ayans prins sa leçon. Mieux 69. Tourne, S'applique également à
instruit par le soleil et les anges. yeux, front, parolles.
64. Juste je me courrouce. Adjectif 70. Serené : rasséréné,
tenant lieu d'adverbe. Cf. page 204, 71. Jan/^ue : jusqu'à ce que.
note du vers 5. Je me courrouce jus- 72. Les fils du bon heur. Cf. les fils
tement; il est juste que je me cour- de perdition, dans un autre passage
rouce. du même chant. Les fils du bonheur
65. Dans Loire. Cf. page 279,note sont les élus. — A leur bon heur Je
du vers 4. rende. Allusion à la résurrection des
66. Sablons : sable. corps.
67. Curieux : avec soin. — Il*en- 73. Il n'i a. En eux.
dure : il supporte, il admet, il re- Ik. Parements : p&rureB,—' Cabinets,
cueille. Cf. v. 54.
68. Au rebours de nature. La nature 77. A tant : alors. — Rais : raies,
(c'est-à-dire la terre, les fleuves) rides.
D*AUBIGNÉ 283
LE JUGEMENT DERNIER
Un grand Ange s'escrie à toutes nations :
€ Venez respondre icy de toutes actions !
L'Eternel veut juger. » Toutes âmes venues,
Font leurs sièges en rond en la voûte des nues,
Et là les Chérubins ont au milieu planté 5
Un throsne rayonnant de saincte majesté :
Il n'en sort que merveille et qu'ardente lumière.
Le soleil n'est pas faict d'une estoffe si claire;
L'amas de tous vivans en attend justement
La désolation ou le contentement. 10
Les bons du Sainct Esprit sentent le tesmoignage,
L'aise leur saute au cœur et s'espand au visage ;
Car, s'ilz doivent beaucoup, Dieu leur en a faict don:
Ils sont vestus de blanc et lavez de pardon.
O tribus de Judas, vous êtes à la dextre, 15
Edom, Moab, Agar, tremblent à la senestre ;
Les tyrans, abbattus, pasles et criminels,
Changent leurs vains honneurs aux tourments éternels.
Ils n'ont plus dans le front la furieuse audace;
Ils souffrent en tremblant l'impérieuse face, 20
Face qu'ils ont frappée, et remarquent assez
Le chef, les membres saincts qu'ils avoient transpercez.
Ils le virent lié, le voicy les mains hautes;
Ces sévères sourcils viennent conter leurs fautes.
2. De toutes vos actions. Noms des peuples païens ennemis du
8. Estoffe : substance. peuple élu. — Senestre : gauche.
9. L'assemblée de tous les vivants. 18. Aux : pour les.
12. L'aise : la joie. 20. La face de Jésus-Christ.
13. Dieu leur a fait remise de leurs 22. Chef : tête.
dettes, c'est-à-dire de leurs péchés. 24. Ces sévères sourcils. De Jésus-
15. Tribus de Judas : les justes. — Christ. — Conter : compter. — Des
Dextre : droite, h'x ne se prononçait sourcils qui comptent , l'expressioa
pas. eat hardie.
16. Edom, Moab, Agar: les impies.
284 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
L'innocence a changé sa crainte en majestés, 25
Son roseau en acier trenchant des deux costés,
Sa croix au tribunal de présence divine.
Le Ciel l'a couronné, mais ce n'est plus d'espine.
Ores viennent trembler à cet acte dernier
Les condamneurs aux pieds du juste prisonnier. 30
Voicy le grand Héraut d'une estrange nouvelle,
Le Messager de mort, mais de mort éternelle.
Qui se cache ? qui fuit devant les yeux de Dieu ?
Vous, Gains fugitifs, où trouverez-vous lieu?
Quand vous auriez les vents collez soubs vos aisselles, 35
Ou quand l'aube du jour vous presteroit ses aisles,
Les monts vous ouvriroient le plus profond rocher;
Quand la nuict tacheroit en sa nuict vous cacher,
Vous enceindre la mer, vous enlever la nuë
Vous ne fuirez de Dieu ny le doigt ni la veuë 40
Tout s'eslève contre eux: les beautez de Nature,
Que leur rage troubla de venin et d'ordure.
Se confrontent en mire et se lèvent contr'eux.
c Pourquoy (dira le Feu) avez-vous de mes feux.
Qui n'estoient ordonnez qu'à l'usage de vie, 45
Faict des bourreaux, valets de vostre tyrannie? »
L'Air encor une fois contr'eux se troublera.
Justice au Juge sainct, trouble, demandera.
Disant : « Pourquoy, Tyrans et furieuses bestes,
M'empoisonnastes-vous de charongnes, de pestes, 50
Des corps de voz meurtris. — Pourquoy, diront les Eaux,
Ghangeastes-vous en sang l'argent de noz ruisseaux ? i
Les Monts qui ont ridé le front à voz supplices :
25. Majestés, Pluriel bizarre. en face d'eux, front à front.
27. Au. Cf. vers 18. 45. Ordonnez : destinés.
29. Ores : maintenant. — Acte. C'est 50. Pestes. Us devait ne pas se pro-
ici le dénouement suprême de la noncer.
tragédie. 51. Voz meurtris : ceux que vous
34. Lieu. D'asile, de refuge. avez tués. Sur meurtris, Cf. page 266,
37. Les monts. Quand les monts. note du vers 12.
39. Quand la mer tâcherait de vous 53. Voz supplices. Les supplices in-
enceindre, la nue de vous enlever. fligés par vous.
43. Se confrontent en mire. Se placent
d'aubigné 285
c Pourquoy nous avez-vous rendus voz précipices ? i
c Pourquoy nous avez-vous, diront les Arbres, faicts, 55
D*arbres délicieux, exécrables gibets? »
Nature blanche, vive et belle de soy mesme,
Présentera son front ridé, fascheux et blesme
Au peuple d'Italie et puis aux nations
Qui les ont enviez en leurs inventions, 60
Pour, de poison meslé au milieu des viandes,
Tromper Tamere mort en ses liqueurs friandes.
Donner au meurtre faux le mestier de nourrir.
Et sous les fleurs de vie embuscher le mourir
Le Seigneur place les impies à sa gauche, les justes
à sa droite, et s'adresse d'abord aux justes :
€ Vous qui m'avez vestu au temps de la froidure, 65
Vous qui avez pour moi souffert peine et injure.
Qui à ma seiche soif et à mon aspre faim
Donnastes de bon cœur vostre eau et vostre pain ;
Venez, races du Ciel, venez, esleuz du Père;
Vos péchez sont esteints, le Juge est vostre frère; 70
Venez donc, bienheureux, triompher pour jamais
Au Royaume éternel de victoire et de paix. »
A ce mot, tout se change en beautez éternelles,
Ce changement de tout est si doux aux fidèles !
Que de parfaicts plaisirs! o Dieu, qu'ils trouvent beau 75
Cette terre nouvelle et ce grand Ciel nouveau I
Mais d'autre part, si tost que l'Eternel faict bruire
A sa gauche ces mots, les foudres de son ire,
54. Pourquoi avez-vous fait de nous tremper au lieu de tromper?
vos précipices, les précipices du haut 63. Faux : perfide. — Mestier : of-
desquels vous jetiez les justes ? fice.
57. De soy mesme. Quand les hommes 64. Embuscher : embusquer, cacher,
ne l'adultèrent pas. — Le mourir : la mort. Cf. page 213,
58. Fascheux : morose. note du vers 10.
60. Les. Par syllepse. — Enviez : 70. Esteints : effacés,
imités. 77. Bruire : retentir.
61. De : par du. — Viandes : ali- 78. Les foudres. Apposition à ces
ments. Diérèse. mots^
62. Vers peu net. Ne serait-ce pas
■J
286 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Quand ce Juge, et non Père, au front de tant de Rois,
Irrévocable, pousse et tonne cette voix: 80
€ Vous qui avez laissé mes membres aux froidures,
Qui leur avez versé injures sur injures,
Qui à ma seiche soif et à mon aspre faim
Donnastes fiel pour eau et pierre au lieu de pain ;
Allez, maudits, allez grincer vos dents rebelles 85
Au gouffre ténébreux des peines éternelles » ,
Lors ce front qui ailleurs portoit contentement
Porte à ceux-cy la mort et l'espouvantement.
Il sort un glaive aigu de la bouche divine ;
L'Enfer glouton, bruiant, devant ses pieds chemine... 90
Vous avez dict, perduz : « Nostre nativité
N'est qu'un sort; nostre mort, quand nous aurons esté,
Changera nostre haleine en vent et en fumée.
Le parler est du cœur l'estincelle allumée :
Ce feu esteint, le corps en cendre deviendra, 0.5
L'esprit, comme air coulant, parmy l'air s'espandra ;
Le temps avallera de nos faicts la mémoire,
Comme un nuage espais estend sa masse noire,
L'esclaircit, la despart, la desrobe à nostre œil :
C'est un brouillard chassé des rayons du soleil. 100
Nostre temps n'est rien plus qu'un ombrage qui passe ;
Le sceau de tel arrest n'est point subject à grâce »
enfants de ce siècle, o abusez mocqueurs,
Imployables esprits, incorrigibles cœurs,
80. Tonne : fait tonner. 96. Coulant : fluide.
82. Injures : mauvais traitements. 97. Avallera : engloutira, abolira.
90. Glouton. Il dévore les damnés. 99. L'esclaircit, La maase, étendue j
91. Perduz. Réprouvés, damnés. — est moins épaisse, plus claire. — Des-
Nativité : naissance. part : distribue, et, par suite, dissipe.
92. Sort : hasard. 100. Des : par les.
93. /^aicmc. Ils ne croient pas à une iOl. Rien plus : rien de plus. —
âme; V&me n'est pour eux que le Ombrage : ombre.
souffle de la vie. 102. Ils se figurent que ce sera là
94. Le parler : la parole. Cf. page 213, tout leur châtiment.
note du vers 10. 103. Abusez : qui avez été victimes
95. Le corps se réduira en cendre, de votre erreur.
«^
Y
D*AUBIGNÉ 287
Vos esprits trouveront en la fosse profonde 105
Vray ce qu'ils ont pensé une fable en ce monde.
Ils languiront en vain de regret sans mercy ;
Vostre ame à sa mesure enflera de soucy.
Qui vous consolera? L'amy qui se désole
Vous grincera des dents au lieu de la parole. llo
Les Saincts vous aimoient-ils ? Un abysme est entr*eux;
Leur chair ne s'esmeut plus, vous estes odieux.
Mais n'esperez-vous point fin à vostre souffrance ?
Poinct n'esclaire aux Enfers Taube de Tesperance.
Dieu auroit-il sans fin esloigné sa mercy? 115
Qui a péché sans fin souffre sans fin aussy.
La clémence de Dieu fait au Ciel son office,
Il desploye aux Enfers son ire et sa justice.
Mais le feu ensouphré, si grand, si violent,
Ne destruira-il pas les corps en les bruslant? 120
Non, Dieu les gardera entiers à la vengeance,
Conservant à cela et l'estofe et Tessence,
Et le feu qui sera si puissant d'opérer
N'aura pouvoir d'esteindre ains de faire durer.
Et servira par loy à l'éternelle peine. 125
L'air corrupteur n'a plus sa corrompante haleine,
Et ne faict aux Enfers office d'élément;
Geluy qui le mouvoit, qui est le firmament,
105. Fosse profonde : enfer. 114. Cf. Dante :
107. Regret. Non pas repentir. Cf. Lasciate ogni spersnaa, roi ch' entrate.)
V. 149, 150. [Enfer, III, 9.)
108. A sa mesure : autant qu'elle le 117. La clémence^ etc. C'est par clé-
pourra. Ou bien, autant qu'elle l'aura mence qu'il sauve la race élue,
mérité. 118. Ire : courroux.
109. L'a//ty. Vos amis, impies comme 122. A : pour. — L'estofe : la sub-
Yous. Btance. — L'essence : l'être.
110. Au lieu de la parole. Four toute 123. Si puissant d'opérer. Qui aura
parole, au lieu de vous adresser une des effets si puissants, qui brûlera
parole de sympathie. avec une telle intensités
111. Les Saincts : les justes. — Entr'- 124. Pouvoir. Opposé k puissant. —
eux. Entre eux et vous. Esteindre : détruire . Cf. le latin
112. Leur chair^ etc. Ils n'ont plus extingucre. — Ains : mais.
de chair qui s'émeuve. — Vous estes 125. Par loy. Par l'ordre de Dieu.
odieux : vous leur êtes odieux. 126. L'air corrupteur. L'air qui al-
113. La négation est ironique. tère les corps.
M
/
/
/
288 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Ayant quitté son bransle et motives cadances,
Sera sans mouvement, et de là sans muances. 130
Transis, désespérez, il n'y a plus de mort
Qui soit pour vostre mer des orages le port.
Que si voz yeux de feu jettent l'ardente veuë
A l'espoir du poignard, le poignard plus ne tuë.
Que la Mort (direz- vous) estoit un doux plaisir! 135
La Mort morte ne peut vous tiier, vous saisir.
Voulez-vous du poizon? en vain cet artifice.
Vous vous précipitez ? en vain le précipice.
Gourez au feu brusler? le feu vous gèlera;
Noyez-vous? l'eau est feu, l'eau vous embrazera; 140
La Peste n'aura plus de vous miséricorde;
Estranglez-vous? en vain vous tordez une corde:
Criez après l'Enfer? de l'Enfer il ne sort
Que l'éternelle soif de l'impossible mort.
Vous vous peigniez des feux : combien de fois vostre 145
Désirera n'avoir affaire qu'à la flamme ! [ame
Voz yeux sont des charbons qui embrazent et fument,
Voz dents sont des cailloux qui en grinçant s'allument.
Dieu s'irrite en voz cris et au faux repentir.
Qui n'a pu commencer que dedans le sentir. 150
Ce feu, par voz costés ravageant et courant,
Fera revivre encor ce qu'il va dévorant ;
Le chariot de Dieu, son torrent et sa gresle,
Meslent la dure vie et la mort pesle mesle.
Abbayez comme chiens, hurlez en vos tourments, 155
129. Bransle : mouvement, impal- 145. Vous vous peigniez des feux.
sion. Nous disons encore donner le Vous vous représentiez dans votre
branle, — Et motives cadences : et ses esprit des flammes ordinaires,
motives cadences. -^ Motives : qui 146, 147. Deux rîmes féminines de
font mouvoir. suite.
130. Muances : changements. 147. Embrazent. Sens neutre.
131. Transis, De peur. 149. En... au : de... du.
133. De feu. Cf. vers 147. 150. Le sentir. Cf. page 213, note du
136. Morte, Cf. vers 131. ^Saisir: vers 10. — Votre repentir n'a com-
avoir prise. mencé qu'avec la soufnrance.
140. Noyez-vous : vous noyez-vous? 151. Par. L&tin per.
— Vous embrasera. Sans vous brû- 152. Va dévorant : dévorci
1er. 153. Le chariot de Dieu,Letonnerre.
d'aubignë 289
L'abisme ne respond que d'autres hurlements;
Les Salans descouplez d'ongles et dents tranchantes
Sans mort deschireront leurs proyes renaissantes;
Ces Démons tourmentans hurleront tourmentez;
Leurs fronts seillonneront ferrez de cruautez; 160
Leurs yeux estincelans auront la mesme image
Que vous aviez baignans dans le sang du carnage;
Leurs visages transis. Tyrans, vous transiront:
Ils vengeront sur vous ce qu'ils endureront, [surent
O malheur des malheurs, quand tels bourreaux me- 165
La force de leurs coups aux grands coups qu'ils endurent!
Mais de ce dur estât le poinct plus ennuyeux,
C'est sçavoir aux Enfers ce que l'on faict aux Cieux,
Où le sacré concert de la joye indicible
Habite la lumière à eux inaccessible, 170
Où l'accord très parfaict des douces unissons
A l'univers entier accorde ses chansons,
Où tant d*esprits ravis esclattent de louanges.
La voix des Saincts unie avec celle des anges,
Les orbes des neuf Gieux, des trompettes le bruict, 175
Tiennent tous leur partie à l'hymne qui se suit :
€ Sainct, sainct, sainct le Seigneur, ô grand Dieu des ar-
De ces beaux Cieux nouveaux les voûtes enflamees [mees !
Et la nouvelle terre et la nefve cité,
Hierusalem la saincte, anoncent ta bonté. 180
Tout est plein de ton nom. Sion la bienheureuse
N'a pierre dans ses murs qui ne soit précieuse,
156. D'autres : par d'autres. 170. Â eux : aux enfers.
157. Descouplez : déchaînés. 175. Des neuf Cieux» Les anciens
158. Sans mort : sans qu'elles avaient imaginé sept ciels, pour les
taeurent. — Proyes. L'e muet compte sept planètes, et un huitième ciel ou
dans la mesure. empyrée, pour les étoiles fixes. Plus
160. Seillonneront : se sillonneront, tard ils imaginèrent un ciel inter-
se rideront. médiaire entre celui de Saturne et
161. Image : apparence. l'empyrée.
163. Transis : pénétrés do part en 176. Partie. Au sens musicaL — A :
part. Ici, transis par la soull'ranc^. dans.
167. Plus : le plus. — Ennuyeux, Cf. IttO. Ilicrusalcm, La Jérusalem nou-
page 135, note du vers 122. vello, lo peuple dos élus.
168. C'est sçavoir : c'est do savoir. 181. Sion, Cf. page 26 H, note du v. 21.
G. P. — Poètes du xvi* siècle. 17
290 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Ne citoyen que sainct, et n'aura pour jamais
Que victoire, qu'honneur, que plaisir et que paix.
« Là nous n'avons besoing de parure nouvelle, 185
Car nous sommes vestus de splendeur éternelle ;
Nul de nous ne craint plus ni la soif ni la faim,
Nous avons l'eau de grâce et des Anges le pain ;
La pasle Mort ne peut accourcir cette vie ;
Plus n'i a d'ignorance et plus de maladie, 190
Plus ne faut de soleil : car la face de Dieu
Est le soleil unique et l'astre de ce lieu.
Le moins luisant de nous est un astre de grâce,
Le moindre a pour deux yeux deux soleils à la face ;
L'Eternel nous prononce et crée de sa voix 195
Roys, nous donnant encor plus haut nom que de Roys :
D estrangers il nous faict ses bourgeois, sa famille.
Nous donne un nom plus doux que de filz et de filles. »
{Jugements.)
183. Ne citoyen qiie sainct : ni citoyen muet compte dans la mesure,
qui ne soit saint. 196. Que de Roys : que celui do
191. Ne faut : il ne faut, il n'est rois,
besoin. 197. Ses bourgeois : les citoyens de
194. Pour : au lieu de. sa cité.
195. Prononce : déclare. — Crée. Ve 198. Que de filz : que celui de fils,
REGNIER
SATIRES
Satire I*
LE POÈTE AU ROI
Dans le Temple de Delphe, où Phœbus on révère,
Phœbus, Roy des chansons, et des Muses le père,
Au plus haut de l'Autel se voit un laurier sainct,
Qui sa perruque blonde en guirlandes etraint,
Que nul prestre du Temple en jeunesse ne touche, 5
Ny mesme prédisant ne le masche en la bouche,
Chose permise aux vieus, de sainct zèle enflaraez,
Qui se sont par service en ce lieu confirmez.
Dévots à son mistère, et de qui la poictrine
Est plaine de l'ardeur de sa verve divine. 10
Par ainsi, tout esprit n'est propre à tout sujet;
L'œil foible s'esblouit en un luisant objet;
* Cette satire est intitulée Discours 8. Se sont... confirmez. Ont fait leurs
au roy. preuves.
4. Perruque : chevelure. — Estraint : 9. Son. De Phœbus.
ceint. 11. Par ainsi. Locution aujourd'hui
5. En Jeunesse : tant qu'il est jeune, populaire. — Tout esprit, etc. Cf. Boi-
6. Mesme prédisant. Même dans le leau :
délire prophétique. - Le. Substitution ^ ^^^^ ^^^ile en cprite excellent^
du pronom personnel au relatif dans gau entre les auteurs partager les talents.
la proposition coordonnée. C'est une ,. , t -to v
construction fréquente au seizième ^ •'"'* '' ' ''
siècle. 12. S'esblouit : est ébloui. — En un
â
292 POÈTES DU XVI® SIECLE
De tout bois, comme on dict, Mercure on ne façonne;
Et toute médecine à tout mal n'est pas bonne.
De mesme le laurier et la palme des Roys 15
N'est un arbre où chacun puisse mettre les doigs ;
Joint que ta vertu passe, en louange féconde.
Tous les Roys qui seront, et qui furent au monde.
Il se faut recognoistre, il se faut essayer,
Se sonder, s'exercer, avant que s'employer, 20
Gomme fait un luiteur entrant dedans l'arène.
Qui, se tordant les bras, tout en soy se deméne,
S'alonge, s'accoursit, ses muscles estendant.
Et, ferme sur ses pieds, s'exerce en attendant
Que son ennemy vienne, estimant que la gloire 25
Ja riante en son cœur lui don'ra la victoire.
11 faut faire de mesme un œuvre entreprenant.
Juger comme au sujet l'esprit est convenant.
Et quand on se sent ferme, -et d'une aisle assez forte, •
Laisser aller la plume où la verve l'emporte. 30
Mais, Sire, c'est un vol bien eslevé pour ceux
Qui, foibles d'exercice, et d'esprit paresseux.
Enorgueillis d'audace en leur barbe première.
Chantèrent ta valeur d'une façon grossière.
Trahissant tes honneurs, avecq' la vanité 35
D'attenter par ta gloire à l'immortalité.
luisant objet. Quand il a devant lui Malherbe.
quelque chose de brillant. 27. Un œuvre» Régime d'entrcpre-
13. Proverbe attribué à Pytha- nant. — Œuvre est encore du mas-
gore et qu'empruntèrent les Latins, culin.
Non e quovis ligno Mercurius fingi 28. Est convenant : convient.
potcst. 30. Ce vers caractérise bien la ma-
17. Joint que. Ajoutons que. — En nière de Régnier. C'est par là qu'il
loiïange féconde. Féconde en louange, se rattache à la Pléiade et s'oppose à
19. Se recognoistre. Au sens où s'em- Malherbe.
ploie le mot dans l'expression rccon- 32. Foibles d'exercice. Novices en-
naitre un pays. — Cf. Horace, Art core. — D'esprit paresseux iparesseuic
poct.y 38 sqq. d'esprit. Le second hémistiche répond
20. Avant que : avant de. S'emploie au premier.
encore au dix-septième siècle. 33. En leur barbe première. Lati-
22. En soy. Seul, à part soi. nismc. Première : naissante.
26. Ja : déjà. — Don'ra : donnera. 35. Vanité : vaine prétention.
Une de ces licences que proscrivit 36, Attenter : tendre avec effort
nÉGNiEit 293
Pour moy, plus retenu, la raison m'a faict craindre,
N*osant suivre un sujet oii l'on ne peut attaindre :
J'imite les Romains encore jeunes d'ans,
A qui Ton permetoit d'accuser, impudans, 40
Les plus vious de l'Estat, de reprendre, et do dire
Ce qu'ils ponsoient servir pour le bien de l'Empire.
Et comme la jeunesse est vive et sans repos,
Sans peur, sans fiction, et libre en ses propos.
Il semble qu'on luy doit permetre davantage : 45
Aussi que les vertus fleurissent en cest' âge,
Qu'on doit laisser meurir sans beaucoup de rigueur,
Afin que tout à l'aise elles prenent vigueur.
C'est ce qui m'a contraint de librement escrire,
Et sans piquer au vif me mettre à la Satyre; 50
Où, poussé du caprice, ainsi que d'un grand vent.
Je vais haut dedans l'air quelquefois m'eslevant,
Et quelquefois aussi, quand la fougue me quitte,
Du plus haut au plus bas mon vers se précipitte,
Selon que, du sujet touché diversement, 55
Les vers à mon discours s'off*rent facillement :
Aussi que la Satyre est comme une prairie,
vers. — Par : par le moyen de, grâce s'unit au verbe sans article pour for-
à. — Cf. Boileau : mer une sorte de verbe composé.
L'un, enstyle pompeux habillant une églojfue, ^^ette construction était très fréquonlo
De BGs rares vertu» te fait un long proloRue, «" seizième siècle. Nous disons encore
Et mC'le, en bo yantant soi-même à tout propos, perdre pied , donner prise , tourner
Les louanges d'un fat à celles d'un héros. bride, etc.
(Disc, au roi.) ^^' (Contraint. Se rapporte directe-
ment aux vers 37, 38. Régnier, s'il s'en
Z^, N'osant. Se rapporte à nie du croyait capable, aimerait mieux chau-
vers précédent. Pour cette construc- ter la gloire du roi.
tion du participe, Cf. môme .Satire, 50. Me mettre. Ellipse de la prépo-
V. 55, .Va/. IV, 48, 52, .Sat. VIII, 85, 86. sition de.
— .Suivre : poursuivre, tenter. 52. Je vais... m'eslevant: }e m'élève.
40. ///i/pfi(/a//.(. L'ndjeclif.pour l'ad- .55. Du sujet touché : touché du
verbe. Cf. page 203, note du vers 5. sujet. Touche se rapporte nje ou moi
44. Fiction : feinte. contenu dans mon du vers suivant;
46. >lii.v.vi7f/e : joint que, et déplus, mon di.^cours = moi discourant. Cf.
— ('est'. Age s'employait au féminin, note du vers 38.
47. Que. Les vortus que. — Meurir : 57. Au.t.Ki que. Cf. note du vers 46.
mftrir. 57 sqq. Originairement chez les
'i8. Prenent vigueur. Le substantif Latins la satire était un divertisse-
i
294 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Qui n'est belle sinon en sa bisarrerie ;
Et, comme un pot-pouri des Frères mandians,
Elle forme son goust de cent ingredians. 60
Or, grand Roy, dont la gloire en la terre espanduë
Dans un dessein si haut rend ma Muse esperduë,
Ainsi que l'œil humain le Soleil ne peut voir,
L'esclat de tes vertus offusque tout sçavoir ;
Si bien que je ne sçay qui me rend plus coupable, 65
Ou de dire si peu d'un sujet si capable.
Ou la honte que j'ay d'estre si mal apris,
Ou la témérité de l'avoir entrepris.
Mais quoyl par ta bonté, qui toute autre surpasse,
J'espère du pardon, avecque ceste grâce 70
Que tu liras ces vers, où jeune je m'ébas.
Pour esgayer ma force; ainsi qu'en ces combas
De fleurets on s'exerce, et, dans une barrière.
Aux pages l'on reveille une adresse guerrière
Follement courageuse, afin qu'en passetans 75
Un labeur vertueux anime leur printans;
Que leur corps se desnouë, et se desangourdisse.
Pour estre plus adroit à te faire service.
Aussi je fais de mcsrae en ces caprices fous :
Je sonde ma portée, et me taste le pous, 80
Afin que s'il advient, comme un jour je l'espère,
Que Parnasse m'adopte, et se dise mon père.
ment dramatique mélangé de danse, 70. Dupardon. Comme nous dirions
de musique et de paroles. de l'indulgence.
58. Ne... sinon : ne que. — Bisar- 71. Je m'ébas : je me divertis.
rerie : bigarrure. 72. Esgayer : récréer.
59. Pot-pouri. C'est le sens du 73. Barrière : enceinte fermée pour
latin satura, les combats et les joutes.
64. Offusque : ohscxxvcii» 74. i4Mj;/>a^cf: dans les pages, chez
65. Qui : quelle chose. les pages.
66. Capable : fécond, ample. Cf. 75. En passetans. Ce n'est qu'un
capere, contenir. exercice.
67. Ou la honte. Changement de 77. Desangourdisse : dégourdisse,
construction, comme il y en a tant 81. Comme un jour Je l'espère.
d'exemples dans la langue plus libre Comme j'cspèro qu'il adviendra un
du seizième siècle. — Mal apris. Dans jour.
le sens propre du mot.
RÉCNIKU 295
Emporté de ta gloire et de tes faids guerriers,
Je plante mon lierre au pied de tes Lauriers.
Satire II
LES MÉCHANTS POÈTES
Or, laissant tout cecy, retourne à nos moutons,
Muse, et sans varier dy-nous quelques sornettes
De tes enfants bastards, ces tiercelets de Poëtes,
Qui par les carefours vont leurs vers grimassans.
Qui par leurs actions font rire les passans; 5
Et quand la faim les poind, se prenant sur le vostre.
Comme les estourneaux ils s'affament Tun Taulre.
Cependant, sans souliers, ceinture, ny cordon.
L'œil farouche et troublé, l'esprit à l'abandon.
Vous viennent acoster comme personnes yvres 10
Et disent pour bon jour ; Monsieur, je fais des livres ;
On les vent au Palais; et les doctes du tans,
A les lire amusez, n'ont autre passetans.
De là, sans vous laisser, importuns ils vous suivent,
Vous alourdent de vers, d'alaigresse vous privent, 15
Vous parlent de fortune, et qu'il faut acquérir
S3, Emporté de: saisi d'enthou- quo la. {eraelle. Ces tiercelets de poètes
siasiiie par. signifie ces poétereaux, ces méchants
84. Lierre. Diérèse. — Les poètes poètes. — Poëtes, Synérése,
étaient couronnés de lierre. Cf. Ho- 4. Vont... grimassans : grimacent,
race : 6. Poind : pique, aiguillonne. — Se
Mo docUrnm heder» prœmia frontium prenant sur le vostre : g'attaquant à
Dii mifloent inperia. votre bien. Cf. leur propre^ Satire III,
(Odes, l, I. ) vers 7.
Cf. Epttre liminaire au Roi : « Ma H, Cf. Horace :
Muse prend la hardiesse de se mettre Noria nos, inquit ; docti nunua...
à l'abri do vos palmes. » [Satires^ I, ix.)
\, Retourne à nos moutons. VToyerhe 12, Palais, Le Palais de justice,
qui remonte à la farce de Pathelin. dans les galeries duquel étaient éta-
2. Sans varier. Sans digression blis dos libraires.
nouvelle. 15. ^/oKr<2en/ : alourdissent, c'est-
3. De : touchant. — Tiercelets. En à-dire accablent.
fauconnerie, lo mâle s'appelait tierce- 16. Et qu'il. Suppléez disent^ tiré de
lot, comme étant un tiers plus petit parlent.
296 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Du crédit, de l'honneur, avant que de mourir;
Mais que, pour leur respect, l'ingrat siècle où nous sommes
Au prix de la vertu n'estime point les hommes ;
Que Ronsard, du Bellay, vivants ont eu du bien, 20
Et que c'est honte au Roy de ne leur donner rion.
Puis, sans qu'on les convie, ainsi que vénérables,
S'assiessent en Prélats les premiers à vos tables,
Où le caquet leur manque, et, des dents discourant,
Semblent avoir des yeux regret au demeurant. 25
Or, la table levée, ils curent la mâchoire.
Apres grâces Dieu beut, ils demandent à boire.
Vous font un sot discours; puis, au partir de là,
Vous disent : Mais, monsieur, me donnez-vous cela?
C'est tousjours le refrein qu'ils font à leur balade. 30
Pour moy, je n'en voy point que je n'en sois malade;
J'en perds le sentiment, du corps tout mutilé.
Et durant quelques jours j'en demeure opilé.
Un autre, renfrongné, resveur, mélancolique,
Grimassant son discours, semble avoir la colique, 35
Suant, crachant, toussant, pensant venir au point :
Parle si finement, que l'on ne l'entend point.
Un autre, ambitieux, pour les vers qu'il compose,
Quelque bon bénéfice en l'esprit se propose;
17. Avant que de. Encore très fré- ayant de les dire, on se versait une
quent à la fin du dix-septième siècle, dernière fois à boire. Apres grâces
18. Pour leur respect : h leur Dieu beut veut dire : le repas iino
égard. fois fini. — Beut est ici, malgré l'ortho-
21. Leur. A eux qui parlent. graphe, un participe passé. Cf. être
22. Ainsi que vénérables : comme cheut, Satire X, vers 43.
s'ils étaient vénérables. 28. Au partir^ comme nous disons
23. S'assiessent : s'asseyent. au sortir.
24. Le caquet, etc. Ils no soufflent 30. Sur le refrain de la ballade, Cf.
mot. pafço 83.
25. Avoir des yeux regret au de- 33. Opilé : obstrué. Terme de mé-
mourant. Regarder avec regret ce dccinc.
qui demeure, ce qui reste dans le 34. Mélancolique : qui a l'humeur
plat. noire.
26. Ils curent la mâchoire : ils se Zb. Grimassant son discours. CL\. h.
curent. 36. Venir au point : Bibon\,\r.
27. Apres grâces Dieu beut. On di- 39. Bénéfice : revenu d'un bien ec-
sait les grâces h la fin du repas, et, clésiastiquc.
RÉGNIER 297
Et dessus un cheval, comme un singe, attaché, 40
Méditant un sonnet, médite une Evesché.
Si quelqu'un, comme moy, leurs ouvrages n'estime.
Il est lourd, ignorant, il n'ayme point la rime;
J3ifficille, hargneux, de leur vertu jaloux,
Contraire en jugement au commun bruit de tous ; 45
Que leur gloire il desrobe avecq' ses artifices ;
Les Dames cependant se fondent en délices
Lisant leurs beaux escrits, et, de jour et de nuit,
Les ont au cabinet, sous le chevet du lict;
Que portez à l'Eglise ils valent des matines, 50
Tant, selon leurs discours, leurs œuvres sont divines.
Encore après cela ils sont enfants des Gieux;
Ils font journellement carousse avecq' les Dieux :
Compagnons de Minerve, et confis en science,
Un chacun d'eux pense estre une lumière en France. 55
Ronsard, fay-m'en raison; et vous autres, esprits,
Que, pour estre vivans, en mes vers je n'escris.
Pouvez -vous endurer que ces rauques Cy galles
Egallent leurs chansons à voz œuvres royalles,
Ayant vostre beau nom laschement dementy ? 60
Ha! c'est que nostre siècle est en tout perverty.
Mais pourtant quelque esprit, entre tant d'insolence,
Sçait trier le sçavoir d'avecque l'ignorance,
Le naturel de l'art, et, d'un œil avisé.
41. Une. Evêché resta des deux 54. Confis en science. Confit veut
genres jusque vers le milieu du dix- dire pénétré de, par comparaison
septième siècle. avec les fruits qu'on laisse longtemps
45. Jugeant d'une façon contraire dans le sirop.
à la voix publique. 57. Pour estre vivans : parce que
46. Que. Ils disent que. vous êtes encore vivants.
49. Cabinet. Sorte do secrétaire oii 60. Dementy : renié.
l'on mettait les objets précieux les 64. Le naturel de l'art. Le naturel
plus usuels. — Sous te chevet du lict. d'avec l'art. Le naturel, c'est le génie,
Tout à portée de la main. — Au ca- la verve, l'inspiration. Quant à l'art,
binet doit se rapporter à de jour et Régnier entend par là ce qu'Horace
sous le chevet à de nuit. appelle infelix opéra, le misérable
50. Que. Cf. note du vers 46. travail d'un rimeur qui rabote péni-
53. Font... carousse. « Font beu- blement des vers.
verie » (H. E&ticnne), boivent avec.
17.
298
POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Voit qui de Galliope est plus favorisé. 65
Juste postérité, à tesmoin je t'apelle,
Toy qui sans passion maintiens l'œuvre immortelle,
Et qui, selon l'esprit, la grâce et le sçavoir,
i)e race en race au peuple un ouvrage fais voir;
Vange ceste querelle, et justement sépare 70
Du Cigne d'Apollon la corneille barbare,
Qui, croassant partout d'un orgueil effronté,
Ne couche de rien moins que l'immortalité.
Mais, Comte, que sert-il d'en entrer en colère?
Puisque le tans le veut, nous n'y pouvons rien faire. 75
11 faut rire de tout : aussi bien ne peut-on
Changer chose en Virgile, ou bien l'autre en Platon.
Satire 111
la vie de la cour
A M. LE MARQUIS DE GŒUVRES
Marquis, que doy-je faire en ceste incertitude?
Doy-je, las de courir, me remettre à l'estude,
Lire Homère, Aristote, et, disciple nouveau,
Glaner ce que les Grecs ont de riche et de beau ;
65. Calliopc. Muse de la poésie
épique et de l'éloquence.
67. Maintiens immortelle l'œuvre
des vrais poètes.
69. De race en race : de génération
en génération.
70. Querelle : cause. Venge la
cause des vrais poètes.
73. Ne couche, etc. Coucher de,
c'est mettre au jeu telle somme. Au
figuré, avancer, mettre en avant. Le
poète dont parle Bégnier se targue
d'être immortel, met toujours en
avant son immortalité.
74. En : de cela, pour cela. Entrer en
colère est construit comme s'irriter.
75. Le tans le veut. Cf. v. 61.
76. Il faut rire de tout. Cf. le der-
nier vers de la Satire V.
77. Chose : tel ou tel. — L'autre :
tel autre. — Régnier ne nomme que
rarement ceux auxquels il s'attaque.
Cf. au contraire Boilcau :
La raison dit Virgile ot la rime Qainaalt.
Satire II, v. 20.
Je le déclare donc : Quliiault est un Virgile.
Satire IX, v. 288.
* François-Annibal d'Estrées, frère
de la belle Gabriello. Régnier lui a
aussi adressé la Satire VII.
2. Courir. Cf. les vers 14, 15. Et
encore, Satire II :
..... Si jeune, abandonnant la Fr&noe
[rance,
J'allay, vif de courage et tout chaud d'espe-
En la cour d'an Prolat qu'arec raille danger»,
J'ay BuiT7, Courtisan, aux pali estrangera.
RÉGNIER 299
Reste de ces moissons que Ronsard et Desportes 5
Ont remporté du champ sur leurs espaules fortes,
Qu'ils ont comme leur propre en leur grange entassé,
Egallant leurs honneurs aux honneurs du passé?
Ou si, continuant à courtiser mon maistre.
Je me doy jusqu'au bout d'espérance repaistre, 10
Courtisan morfondu, frénétique et resveur,
Portrait de la disgrâce et de la défaveur;
Puis, sans avoir du bien, troublé de resverie,
Mourir dessus un coffre en une hostellerie.
En Toscane, en Savoye, ou dans quelque autre lieu, 15
Sans pouvoir faire paix ou tresve avecques Dieu?
Sans parler je t'entends : il faut suivre l'orage;
Aussi bien on ne peut où choisir avantage.
Nous vivons à tâtons, et dans ce monde icy
Souvent avecq' travail on poursuit du soucy : 20
Car les dieux, courroucez contre la race humaine.
Ont mis avecq' les biens la sueur et la paine.
Le monde est un berlan où tout est confondu :
Tel pense avoir gaigné, qui souvent a perdu.
Ainsi qu'en une blanque où par hazard on tire ; 25
Et qui voudroit choisir souvent prendroit le pire.
Tout dépend du Destin, qui, sans avoir esgard,
5. Desportes. Oncle de^égmor. lia concilier avec Dieu. — Ou tresve,
imité les Italiens plutôt que les Grecs. Trait de malicieuse bonhomie : Sinon
6. Ae/n/>or<«. Cf. p. 262, note du V. 74. la paix, ce qui est beaucoup, du
7. Leur propre. Leur propre bien, moins une trêve.
Ils se sont approprié les emprunts 17. 5an5 /^aWer : sans que tu parles,
faits aux anciens. 18. On ne peut savoir où trouver son
9. Mon maistre. Le duc de Joyeuse, avantage ; nous ne savons d'avance
auquel Régnier fut longtemps attaché, ce qui nous sera avantageux. Cf. v. 26.
11. Resveur : hagard, égaré. 19. Ce monde icy : ce monde-ci.
13. Resverie -.égarement. Cf. resveur 20. On poursuit, on cherche à ob-
du vers 11. tenir une chose qui doit vous causer
14. Le poète mourut dans l'hôtellerie du souci.
de l'Ecu d'Orléans, à Rouen, où il 23. Berlan : brelan. Jeu de hasard,
était allé se faire secrètement traiter, tripot où il se joue.
15. En Toscane, en Savoye. Régnier 25. Blanque. Sorte de loterie. —
avait passé par ces pays en allant à Par hasard : au hasard.
Rome. 27. Sans avoir esgard. Au mérite.
16. Sans avoir le temps de me ré-
300 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Les faveurs et les biens en ce monde départ.
Mais puisqu'il est ainsi que le sort nous emporte,
Qui voudroit se bander contre une loy si forte ? 30
Suivons doncq' sa conduite en cest aveuglement.
Qui pèche avecq* le ciel, pèche honorablement.
Car penser s'affranchir, c'est une resverie.
iLa liberté par songe en la terre est chérie.
p.ien n'est libre en ce monde ; et chaque homme dépend, 35
Comtes, Princes, Sultans, de quelque autre plus grand.
ITous les hommes vivans sont icy-bas esclaves ;
^ais suivant ce qu'ils sont, ils diferent d'entraves ;
t«es uns les portent d'or et les autres de fer :
Mais n'en déplaise aux vieux, ny leur Philosopher, 40
Ny tant de beaux escrits qu'on lit en leurs escoles,
Pour s'affranchir l'esprit ne sont que des paroles.
Au joug nous sommes nez, et n'a jamais esté
Homme qu'on ayt vu vivre en plaine liberté.
En vain me retirant enclos en une estude 45
Penseroy-je laisser le joug de servitude ;
Estant serf du désir d'aprendre et de sçavoir,
Je ne ferois sinon que changer de devoir.
C'est l'arrest de nature, et personne en ce monde
Ne sçauroit contrôler sa sagesse profonde. 50
Puis, que peut-il servir aux mortels icy-bas.
Marquis, d'estre sçavant, ou de ne l'estre pas,
Si la science, pauvre, affreuse, et mesprisée.
Sert au peuple de fable, aux plus grands de risée.
Si les gens de latin des sots sont dénigrez? 55
28. Départ : distribue, répartit. Infinitif pris substantivement. Cf.
30. Se bander : se roidir, se révolter, page 213, note du vers 10. — Dans phi-
31. Sa conduite. Laissons-nous con< losopher, Vr sonnait.
duire par lui. — Aveuglement. Cf. 43. Au joug :ipo\xr\Q\o\\g,
V. 18, 26. 45. Estude: cabinet de travail.
32. Le ciel. C'est le destin (v. 27), 48. Je ne ferois sinon que, ie ne îev^i
le sort (v. 29). rien sinon, jo ne ferai que.
33. Resverie : chimère. 52. D'estre sçavant^ ou de ne l'estre
34. Par jo/f^e. Ce n'est qu'un songe, pas. Comme s'il y avait plus haut
un rêve irréalisable. quelle différence, etc.
40. Vieux : SiTLCxejiS. — Philosopher. 55. Les gens de latin. Cf. l'exprcs-
PI
RÉGNIER 301
Et si l'on nest docteur sans prendre ses degrés ?
Pourveu qu'on soit morguant, qu'on bride sa moustache,
Qu'on frise ses cheveux, qu'on porte un grand pannaclie,
Qu'on parle baragouin, et qu'on suive le vent,
En ce temps du jourd'huy l'on n'est que trop sçavant. 60
Du siècle les mignons, fils de la poule blanche,
Ils tiennent à leur^ré la fortune en la manche;
En crédit eslevez, ils disposent de tout,
Et n'entreprennent rien qu'ils n'en viennent à bout.
Mais quoy! me diras-tu, il t'en faut autant faire. 65
Qui ose, a peu souvent la fortune contraire.
Importune le Louvre et de jour et de nuict :
Perds pour t'assugetir et la table et le lict :
Sois entrant, ejTronté, et sans cesse importune;
En ce temps l'impudance eleve la fortune. 70
Il est vray; mais pourtant je ne suis point d'avis
De dégager mes jours pour les rendre asservis.
Et souz un nouvel Astre aller, nouveau pilote,
Conduire en autre mer mon navire qui flote
Entre l'espoir du bien et la peur du danger 75
De froisser mon attente en ce bord estranger.
sion ironique de Chrysale dans les Unae dicimiis.
Femmes savantes : 62. En ta manche. Encore une ex-
Tous TOI gens à latin. pression populaire. Nous disons avoir
56. Nest : naît. — Degrés : grades quelqu'un dans sa manche.
universitaires. 66. C'est le mot de Juvénal : Au^
57. Morguant. Cf. page 274, note du daces fortuna juvat.
V. 15. — Bride. Brider sa moustache, 68. Pour t'assugetir. Pour devenir
c*est la porter droite ou relevée sur Tesclave de quelque grand seigneur,
les joues. (Note de l'édition Courbet.) — Et la table et le lict : et l'appétit et
59. Baragouin. Allusion aux façons le sommeil.
do parler étrangères qu'affectaient 69. Entrant : insinuant, intrigant,
les gens du bel air. 72. Dedegager mes jours. Détendre
60. Du jourd'huy. On s:iit que huy mes jours libres en renonçant à
vient de hodie. Jourd'huy pouvait l'étude, à la poésie. -~ Pour les
alors s'employer comme substantif, rendre asservis : pour m'asservir au
61. Mignons : favoris. — Fils de la métier de courtisan.
poule blanche. Hommes nés sous une 73. Et... aller. Et d'aller,
heureuse étoile. C'est la traduction 75. Du bien : de la fortune.
d'un proverbe latin qu'on trouve 76. Froisser. Ruiner. — En ce bord.
dans Juvénal : Gallinœ filius albae La cour. — Froisser^ qui veut pro>
{Sat. XIII, 141). Cf. dans les Adages prement dire fracasser^ et bord sont
d'Erasme : Féliciter natum albœ gal^ en rapport avec la flgure.
302 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Car pour dire le vray, c'est un pays eslrange,
Où comme un vray Prothée à toute heure on se change,
Çù les loys par respect sages humainement,
Confondent le loyer avecq' le chastiment; 80
Et pour un mesme fait, de mesme intelligence.
L'un est justicié, l'autre aura recompence.
Car selon l'interest, le crédit ou l'apuy.
Le crime se condamne et s'absout aujourd'huy.
Je le dy sans confondre en ces aigres remarques 85
La clémence du Roy, le miroir des Monarques,
Qui, plus grand de vertu, de cœur et de renom.
S'est acquis de Clément et la gloire et le nom.
Or, quant à ton conseil qu'à la cour je m'engage.
Je n'en ay pas l'esprit, non plus que le courage. 90
Il faut trop de sçavoir et de civilité.
Et, si j'ose en parler, trop de subtilité.
Ce n'est pas mon humeur : je suis mélancolique;
Je ne suis point entrant; ma façon est rustique;
Et le surnom de bon me va-t-on reprochant, 95
D'autant que je n'ay pas l'esprit d'estre meschant.
Et puis je ne sçaurois me forcer ny me faindre.
Trop libre en volonté, je ne me puis contraindre.
Je ne sçaurois flater, et ne sçay point comment
Il faut se taire acort ou parler faucement, loo
79. Par respect sages humainement, modèle.
Ayant pour toute sagesse des consi- 89. Pour ce qui suit, Cf. Juvénal,
dérations de prudence humaine. A Sat.y III, 41 sqq.
moins quo/^arref/^ccf ne signifie peut- 90. Courage: cœxxv. — Jen'ainil'es-
être : Sauf le respect que je leur dois, prit ni le cœur faits pour cela.
80. Confondent. Distribuent sans 93. Mélancolique : d'humeur cha-
distinction de mérite. — Loyer : ré- grine.
compense. 94. Entrant, Cf. v. 69.
81. De mesme intelligence. Accompli 95. Bon. Nous disons encore le bon
par deux personnes agissant d'un Régnier.
commun accord. 96. Assez d'esprit pour être méchant.
82. Justicié: châtié. — Cf. Juvénal: 98. Je ne me puis contraindre. Traàt
Maltl de caractère que nous retrouvons
Committant eadem direno crimlna fato : aussi dans le poète,
nie crucem pretlum Bceleria tullt, hic diadem». loo. Acort : discret, avisé. Adjectif
(Satires, XIII, 104.) employé comme adverbe. Cf. page 203,
86. Du Roy : Henri IV. — Miroir : note du vers 5.
RÉGNIER 303
Bénir les favoris de geste et de parolles,
Parler de leurs ayeux au jour de GerizoUes,
Des hauts faicts de leur race, et comme ils ont acquis
Ce titre avecq' honneur de Ducs et de Marquis.
Je n'ay point tant d'esprit pour tant de menterie. 105
Je ne puis m'adonner à la cageollerie;
Selon les accidens, les humeurs, ou les jours,
Changer, comme d'habits, tous les mois de discours.
Suivant mon naturel, je hay tout artifice;
Je ne puis déguiser la vertu ni le vice, 110
Offrir tout de la bouche, et, d'un propos menteur.
Dire : Pardieu! monsieur, je vous suis serviteur;
Pour cent bonadies s'arrester en la rue,
Faire sus l'un des pieds en la sale la grue;
Entendre un marjollet qui dit avecq' mespris: 115
Ainsi qu'asnes, ces gens sont tout vestus de gris,
Ces autres verdelets aux peroquets ressemblent,
Et ceux-cy mal peignez devant les Dames tremblent.
Puis, au partir de là, comme tourne le vent,
Avecques un bonjour, amis comme devant 120
Pour moy, j'ay de la court autant comme il m'en fault :
Le vol de mon dessein ne s'estend point si haut :
De peu je suis content; encore que mon maistre,
S'il luy plaisoit un jour mon travail recongnoistre,
Peut autant qu'autre Prince, et a trop de moyen 125
102. A la journée de Gérisolcs. La gnicr offre d autres exemples. Peut-
bataille de Gérisolcs fut gagnée par être faut-il supprimer le pronom.
le duc d'Enghien en 1544. 114. Faire.., la grue. Nous disons
103. Comme. Cf. p. 295, note du v. 16. encore faire le pied de grue.
103, 104. Comme ils ont acquis avec 115. Marjollet : petit-maître.
honneur ce titre de ducs et de marquis. 117. Verdelets : vêtus de vert.
105. Tant : autant qu'il en faut, 119. Au partir : au sortir.
assez. — Cf. v. 90. 120. Devant : avant.
107. Accidens : circonstances. 121. Autant comme : autant que.
112. Cf. Molière : 122. Je n'élève pas si haut mes visées
Lai présenter la main et d'an baiser flattear 124. Recongnoistre : récompenser.
Appuyer le Bermen t d'être son Berriteur. _ La préposition de pouvait s'omettre
{Misanthr.^ II, iv.) après le verbe plaire.
1 13. Bonadies : bonjours. Bona dics. 125. Peut. Imparfait du subjonctif et
— S'arrester. Anacoluthe dont Ré- conditionnel. — Trop : beaucoup.
304 POÈTES DU XVï® SIÈCLE
D'élever ma fortune et me faire du bien.
Ainsy que sa Nature à la vertu facille
Promet que mon labeur ne doit estre inutille,
Et qu'il doit quelque jour, malgré le sort cuisant,
Mon service honorer d'un honneste presant; 130
Honneste et convenable à ma basse fortune,
Qui n'abaye et n'aspire, ainsy que la commune,
Apres l'or du Pérou, ny ne tend aux honneurs
Que Rome départit aux vertus des Seigneurs.
Que me sert de m*asseoir le premier à la table, 135
Si la faim d'en avoir me rend insatiable.
Et si le faix léger d'une double Evesché,
Me rendant moins contant, me rend plus empesché;
Si la gloire et la charge à la peine adonnée
Rend sous l'ambition mon ame infortunée? 140
Et quand la servitude a pris l'homme au collet,
J'estime que le Prince est moins que son valet.
C'est pourquoy je ne tends à fortune si grande :
Loing de l'ambition, la raison me commande,
Et ne prétends avoir autre chose, sinon 145
Qu'un simple bénéfice, et quelque peu de nom,
Affîn de pouvoir vivre avecq' quelque asseurance.
Et de m'oster mon bien que l'on ait conscience.
126. De est omis dans le second grand revenu; car il y avait long-
terme. — ilfe /VwVedMWfij. C'est l'ex- temps qu'on ne possédait plus en
pression consacrée. Malherbe en France deux évêchés, comme on fait
abuse. en Allemagne. (Note de Brossette.)
127. Ainsy que : aussi bien. 138. Empesché: embarrassé.
129. //. Lui, mon maître. 144. Me commande. Me gouverne,
130. Honneste : honorable. règle mes vœux.
131. Co/tve;m^/e à: en rapport avec. 145, 146. Sinon ^li'iiN : autre chose
132. Abaye : aboie. Môme sens que qu'un, autre chose sinon un.
aspire. — La commune : la foule, le 146. Un simple bénéfice. Un béné-
commun des hommes. fice simple, pouvant être possédé
135. A la table. Au figuré. La table par un clerc tonsuré qui n'a d'autre
des honneurs. — Ce couplet est imité obligation que de dire son bréviaire.
d'Arioste, Satire If. On sait que Régnier n'avait pas été
136. D'en avoir. En représente hon- ordonné prôtre.
nenrs du vers 133. 147. Asseurance : sûreté, sécurité
137. Evesché. Du féminin. — Double 147, 148. Afin de... et... que... Con-
Evesché signifie ici un évêché d'un struction permise au seizième siècle.
nÉGNIER 305
Alors vrayement heureux, les livres feuilletant,
Je rendrois mon désir et mon esprit contant. 150
Car sans le revenu Testude nous abuse.
Et le corps ne se paist aux banquets de la Muse.
Ses mets sont de sravoir discourir par raison
Gomme lame se meut un tans en sa prison;
Et comme délivrée elle monte divine 155
Au Ciel, lieu de son estre et de son origine;
Comme le Ciel mobile, éternel en son cours,
Fait les siècles, les ans, et les mois et les jours ;
Comme aux quatre elemens les matières encloses
Donnent, comme la mort, la vie à toutes choses; 160
Comment premièrement les hommes dispercez
Furent par l'armonie en troupes amassez;
Et comme la malice, en leur ame glissée,
Troubla de noz ayeux l'innocente pensée;
D'où nasquirent les loys, les bourgs et les citez, 165
Pour servir de gourmete à leur meschancetez;
Comme ils furent enfin réduis sous un Empire;
Et beaucoup d'autres plats, qui seroient longs à dire.
Et quand on en sçauroit ce que Platon en sçait.
Marquis, tu n'en serois plus gras, ny plus refaict. 170
Car c'est une viande en esprit consommée,
Légère à l'estomac, ainsi que la fumée.
Sçais-tu, pour sçavoir bien, ce qu'il nous faut sçavoir?
C'est s'affiner le goust de cognoistre et de voir,
151. Cf. Racine : 163. Malice : perversité.
..Sans argent l'honneur n'est qn'une maladie. 1C5. Cf. Lucrèce, chant V.
{Plaid., l, I.) 166. (iourmete. Nous dirions frein.
153. Ses mets. Les mets de la 168. Plats. Cf. mets du vers 153.
Muse, ce dont elle se nourrit. 169, 170. On... tu. Passage de l'idée
157. Mobile... court. Les anciens générale à une application pcrson-
croyaient la voAtc du ciel mobile. nclle.
159. Aux ; dans les. — Quatre ele- 170. Refaict : restauré.
mens. La terre, l'eau, Tair, le feu, 171. rm«rfc : nourriture. — Le mot
considérés par les anciens comme compte pour deux syllabes,
les éléments de toute chose. 173. Sais-tu ce qu'il nous faut
161 sqq. Cf. Horace, Art. poét., ■ savoir pour savoir bien ?
391 sqq., Boileau^ Art.poét.,\\, 133 sqq. 174. S'affiner. Comme s'il y avait on
162. Amassez : assemblés. au lieu do nous dans le vers précédent.
1
300 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Aprendre dans le monde et lire dans la vie 175
D'autres secrets plus fins que de Philosophie,
Et qu'avecq' la science il faut un bon esprit.
Or entends à ce point co qu'un Grec en escrit :
Jadis un loup, dit-il, que la faim epoinçonne,
Sortant hors de son fort rencontre une lionne, 180
Rugissante à l'abord, et qui montroit aux dents
L'insatiable faim qu'elle avoit au dedans.
Furieuse elle aproche ; et le loup qui l'avise
D'un langage flaleur luy parle et la courtise :
Car ce fut de tout tans que, ployant sous l'effort, 185
Le petit cède au grand, et le foible au plus fort.
Luy, di-je, qui craignoit que, faute d'autre proye,
La beste l'attaquast, ses ruses il employé.
Mais enfin le hazard si bien le secourut,
Qu'un mulet gros et gras à leurs yeux aparut. 190
Ils cheminent dispos, croyant la table preste,
Et s'approchent tous deux assez près de la beste.
IjG loup qui la congnoist, malin et deffîant,
Luy regardant aux pieds, luy parloit en riant :
D'où es-tu? qui es-tu? quelle est ta nouriture? 195
Ta race, ta maison, ton maistre, ta nature?
Le mulet, estonné de ce nouveau discours,
De peur ingénieux, aux ruses eut recours ;
Et, comme les Normans, sans luy repondre : Voire,
176. Que de Philosophie : quo ceux miciilx sçavant, non qui est plus sça-
do la philosophie. vant. » (I,xxiv.)
177. Et qu'. Construction peu nette. 178. A ce point : maintenant. — Un
On ne sait trop à quoi rattacher le Grec, Esope. Régnier avait pu lire
que. Nous devons sous-entendre cette fable dans les conteurs italiens,
sans doute : ce qu'il nous faut savoir. Elle a été reprise par La Fontaine. Cf.
c'est... — Dans tout ce couplet, nous le Cheval et le Loup{W,y\i\) et le Re-
retrouvons les idées de Montaigne, nard, le Loup et le Cheval (XII, xvii).
« Ce grand monde est le mirouer où 179. Epoinçonne : aiguillonne.
il nous faut regarder... Nous nous 180. /'"orf : le plus épais des bois et
enquerons volontiers : « Sçait-il des buissons où les bêtes se retirent,
du grec ou du latin? écrit-il en vers 181. A l'abord : à son abord,
ou en prose? » Mais, s'il est devenu 195. Nouriture : éducation,
meilleur ou plus advisé, c'estoit le 199. Sans luy repondre. Sans rë-
principal, et c'est ce qui demeure pondre directement à sa question. —
derrière. Il falloit s'enquérir qui est Voire : en vérité.
RÉGNIER 307
Compère, ce dît-il, je n'ay point de mémoire; 200
Et comme sans esprit ma grand'mere me vit,
Sans m'en dire autre chose, au pied me l'escrivit.
Lors il levé la jambe au jaret ramassée ;
Et d'un œil innocent il couvroit sa pensée,
Se tenant suspendu sur les pieds en avant. 205
Le loup qui l'aperçoit se levé de devant,
S'excusant de ne lire, avecq' ceste parolle.
Que les loups de son tans n'alloient point à Fecolle.
Quand la chaude lionne, à qui Tardante faim
Alloit précipitant la rage et le dessein, 210
S'aproche, plus sçavante, en volonté de lire.
Le mulet prend le tans, et du grand coup qu'il tire
Luy enfonce le teste, et d'une autre façon.
Qu'elle ne sçavoit point, luy aprit sa leçon.
Alors le loup s'enfuit, voyant la beste morte, 215
Et de son ignorance ainsi se reconforte :
N'en déplaise aux Docteurs, Gordeliers, Jacopins,
Pardieu, les plus grands clers ne sont pas les plus fins.
Satire IV
LA VOCATION POÉTIQUE DE REGNIER
Mais pour moy, mon amy, je suis fort mal payé
D'avoir suivy cet' art. Si j'eusse estudié,
202. En,., l'. Ce qu'on vient de lui 216. Ainsi. Ouhîenen disant ceciy au
demander. cas où les deux derniers vers sont mis
203. Ramassée : pliée. On dit 5e ra- dans la bouche du loup; ou bien, s'il
masser dans le sens de se replier sur faut en faire une réflexion de Fauteur,
soi-même. en voyant la bête morte. — Se recon-
206. Se levé de devant : se retire de forte : se console,
devant le mulet. 217. Jacopins : Jacobins.
207. Avecq' ceste parolle: en disant. 218. Cf. Rabelais : « Par Dieu, mon
209. Quand. Le relatif pour Tante- ami^ magis magnos clericos non sunt
cèdent, comme ou pour là, etc. magis magnos sapientes » (1^39). C'est
Quand = alors. dans la bouche de frère Jean qu'est
210. Alloit précipitant: précipitait, mis ce latin barbare.
212. Prend le tans : saisit l'occa- 2. Cet' art. Art s'employait au fé-
sion. minin. — II s'ngit de la poésie.
308 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Jeune, laborieux, sur un banc à rescolle,
Galien, Hipocrate, ou Jason, ou Bartolle,
Une cornete au col, debout dans un parquet, 5
A tort et à travers je vendrois mon caquet :
Ou bien tastant le pouls, le ventre, et la poitrine,
J'aurois un beau teston pour juger d'une urine;
Et me prenant au nez, loucher dans un bassin
Des ragous qu'un malade offre à son Médecin, 10
En dire mon advis, former une ordonnance.
D'un rechape s'il peut, puis, d'une révérence.
Contrefaire l'honneste ; et quand viendroit au point,
Dire, en serrant la main : Dame, il n'en falloit point.
Il est vrai que le Ciel, qui me regarda naistre, 15
S'est de mon jugement toujours rendu le maistre,
Et bien que, jeune enfant, mon Père me tançast.
Et de verges souvent mes chansons menaçast,
Me disant de dépit, et bouEfy de colère :
Badin, quitte ces vers : et que penses-tu faire? 20
4. Ja.fo/i. Jurisconsiilto du quator- Rondibilis, auquel Pnnurge, qui vient
zième siècle. — Bartolle. Cf. page 187, de le consulter, remet quatre nobles
note du vers 46. à la rose. « Hé, hé, hé, monsieur, il
5. Cornete. Bande de soie que les ne falloit rien. Grand merci toutefois,
docteurs en droit portaient au cou. — De meschantes gens jamais je ne
yV/r^i/c^ Lieu où se tiennent les juges, prends rien.» Cf. encore, dans Mo-
8. Teston. Ancienne monnaie, ainsi liùro, le Médecin malgré lui, II, viii.
nommée parce qu'elle représentait la 15. cid. Au môme sens que dans ce
tête du roi. vers de Boileau :
9. Me prenant au nez. Me bouchant s'il n'a reçu du ciel l'influence secrète.
le nez. — Loucher. Pour ne se répète (^j^/ poét., I, 3.)
P^®- j ^, —Qui me regarda naistre. C{.^o\\G!i\\:
W^ \2. Former une ordonnance D un
rechape s'il peut. Ordonner un remède «i «on astre en naissant ne l'a formé poète,
au hasard. (Art poét.,\,k.)
12. 13. D'une révérence Contrefaire 17, Et bien que. Et cela, bien que.
l'honneste. Se donner par une rêvé- a moins de détacher ce vers du pré-
rencclesairs d'un «honnête homme ». cèdent et de le relier au vers 39, avec
13. Viendroit. Le malade. — Au une an.icoluthc. — Me tançast. Cf.
point. A la chose essentielle, au paie- Ronsard, page 186, v. 17 sqq.
ment des honoraires. 19. Dépit : irritation.
14. En serrant la main. La main 20.^arf//i: sot. Encore dans Molière:
qu'on lui tend avec l'argent dedans. [badin
— Dame. Abréviation de par Notre- Mol, jaloux ! Dieu m'en ffarde, et d'ôtre assex
Dame! — Il n'en falloit point. D'ar- Tour m'aller emmalgrir avec un tel chajrrln !
gent. Cf. dans Rabelais le médecin (Dépit amoureux, I, 11.)
RÉGNIER 309
La Muse est inutile; et si ton oncle a sçeu
S'avancer par cet' art, tu t'y verras deçeu.
Un mesme Astre toujours n'esclaire en ceste terre :
Mars tout ardant de feu nous menace de guerre,
Tout le monde frémit; et ces grands mouvemens 25
Couvent en leurs fureurs de piteux changemens.
Penses-tu que le lut, et la lyre des Poêles
S'accorde d'armonie avecques les trompettes,
Les fîffres, les tambours, le canon et le fer,
Concert extravagant des musiques d'enfer? 30
Toute chose a son règne; et dans quelques années
D'un autre œil nous verrons les fieres destinées.
Les plus grands de ton tans, dans le sang aguerris,
Comme en Trace seront brutalement nourris,
Qui rudes n'aymeront la lyre de la Muse, 35
Non plus qu'une vielle ou qu'une cornemuse.
Laisse donc ce métier, et sage prends le soing
De t'acquerir un art qui te serve au besoing.
Je ne sçay, mon amy, par quelle prescience,
Il eut de noz Destins si claire congnoissance; 40
Mais pour moy, je scay bien que, sans en faire cas,
Je mesprisois son dire, et ne le croyois pas,
Bien que mon bon Démon souvent me dist le mesme.
Mais quand la passion en nous est si extrême,
Les advertissemens n'ont ny force ny lieu, 45
Et l'homme croit à peine aux parolles d'un dieu.
Ainsi me tançoit-il d'une parolle emeuë.
Mais comme en se tournant je le perdoy de veuë,
21. Inutile. Nous n'en tirons aucun Satire III, vers 195.
profit. — Ton oncle. Desportes. 35. Qui : et ils.
22. Cet'. Cf. note du vers 2. 38. Au besoing : dans le besoin.
24. Allusion aux troubles de la 42. Son dire : ses paroles.
Ligue. 43. De/non : génie. — Le mesme. Au
25. Tout le monde : le monde en- neutre, la même chose.
tier. 45. Ny lieu. N'entrent pas dans
26. Piteux: dignes de pitié; par notre esprit, ne s'y fixent pas.
suite, funestes. 48. En se tournant : dos qu'il s'était
27. Poëtcs. Synérèsc. tourné. Le participe se construisait
34. Nourris : élevés. Cf. ncurriturc, beaucoup plus librement. Cf. Sat. 1, 83.
310 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Je perdy la mémoire avecques ses discours,
Et resveur m'esgaray tout seul par les destours 50
Des Antres et des Bois, affreux et solitaires,
Où la Muse, en dormant, m'enseignoit ses misteres,
M'aprenoit des secrets, et, m'eschauffant le sein.
De gloire et de renom relevoit mon dessein :
Inutile science, ingrate et mesprisée, 55
Qui sert de fable au peuple, et aux grands de risée!
Satire V
A BERTAUT
CHAQUE AGE A SES HUMEURS
Scaures du tans présent, hipocrites sévères.
Un Claude effrontément parle des adultères;
Milon sanglant encor reprend un assassin;
Grache, un séditieux; et Verres, le larcin. [jette,
Or, pour moy, tout le mal que leur discours m'ob- 5
C'est que mon humeur libre à l'amour est sugette,
Que j'ayme mes plaisirs, et que les passetans
Des amours m'ont rendu grison avant le tans;
Qu'il est bien mal-aisé que jamais je me change,
49. Avecques ses discours. Ses dis- tent des dehors de séyéritéi — Cf
cours aussitôt perdus ( = à peine avais- Juvénal :
je cessé de les entendre)^ j'en perdis Nonne igitar jure «cmerlttfyitin oltima fictos-
aussi la mémoire. Contemnunt Scaoros?
50 sqq. Ces vers ne conviennent {Sat.f XI, 34.)
guère à un moraliste, à un satirique. 2. Claude. Publius Clodius firt
Mais, bien souvent, la poétique ex- soupçonné d'adultère avec Pompéia,
primée par Régnier est moins la sienne femme de César, et d'inceste a-vec ses
que celle de Ronsard et do Desportes, propres sœurs.
52. En dormant. Tandis que je dor- 3, jj^,-^^^ Le meurtrier de Clodius.
mais. Cf. note du vers 48. _ sanglant encor : encore couvert de
54. Relevoit : rehaussait à mes yeux. g^ng. -_ Pour ces vers. Cf. Juvénal :
55. Inutile. Cf. y. 21. q^.^ ^uierit Oracchoa de aedltione querentea?
1. Scaures. «^miliusScaurus,homo quIb cjelum terria non miseeat et mare cœla
nobilis, impiger, factioSUSj avidus Si for displiccat Verri, homicida Miloni,
potentiae, honoris, divitiarum : cote- Claudius aocuset mcechofi?
rum vitia sua callide occultans. d (Sal- (Sat., Il, 24.)
luste, Jug.y XV). — Sévères : qui affcc-
RÉGNIER 311
Et qu'à d'autres façons ma jeunesse se range. 10
Mon oncle m'a conté que, montrant à Ronsard
Tes vers estincellans et de lumière et d'art,
Il ne sçeut que reprendre en ton aprentissage
Sinon qu'il te jugeoit pour un Poëte trop sage.
Et ores au contraire on m*objecte à péché 15
Les humeurs qu'en ta Muse il eust bien recherché.
Aussi je m'esraerveille, au feu que tu recelles,
Qu'un esprit si rasis ait des fougues si belles :
Car je tien, comme luy, que le chaud élément
Qui donne ceste pointe au vif entendement, 20
Dont la verve s'echaufle, et s'enflame de sorte
Que ce feu dans le Ciel sur des aisles l'emporte,
Soit le mesme qui rend le Poëte ardant et chaud,
Suject à ses plaisirs, de courage si haut,
Qu'il méprise le peuple et les choses communes, 23
Et, bravant les faveurs, se mocque des fortunes.
Qui le fait desbauché, frénétique, resvant,
11. Mon oncle. Dcsportes. — Mon- page 262, note du vers 74.
trant. Sur la construction avec il ne 17. Au feu, otc. En voyant quel feUi
sceut, Cf. page 30'J, note du vers 48. Cf. le vers 12. Mais, nous l'avons dit^
13. Aprentissage. Education poc- Bertaut ne mérite pas cet éloge,
tique. 19. Je tien '. je tiens pour vrai. — *
14. Poëte. Synércae. — « M. Bertaut Le chaud élément. Les chaudes
et moi, dit du Perron, fîmes des vers humeurs.
sur la prise de Laon ; les siens furent 20. Pointe : stimulant,
trouvés ingénieux; les miens avaient 2t. Dont. Cette pointe par laquelle <
un pou plus de nerf, un peu plus de — Tout ce passage est bien embar-
vigueur. 11 était fort poli. » Cf. la Vie rassé.
<2eJI/a^Aer^e par Racan : «Il (Malherbe) 2Z. Soit. Nous dirions est. Lci
n'estimait aucun des anciens poètes subjonctif atténue l'affirmation. — -
français, qu'un peu Bertaut; encore Poc/e. Synérèse. — Nous avons revu,
disait-il que ses stances étaient ni- vers 1830, cette théorie éminemment
chil-au^dos » (c'est-à-dire avaient peu « romantique ».
de consistance). Bertaut a laissé beau- 24. Suject à : esclave de. — De cou-
coup de vers fort agréables; il lui rage : de cœur.
manquait le feu sacré, l'accent, la 26. Des fortunes. Le pluriel pour le
trompe. singulier. Ouj peut-être, avec le
15. Ores : maintenant. sens de choses fortuites. Cf.- Horace :
16. Humeurs : capriceB, saillies du Detrimenta, fugw «errorum, luccudia rideU
tempérament. — Recherché. Avec la /*,'„.■* tt . lo^ \
signincation a apprécier ^ estimer. —
Le participe reste invariable, quoique 27. Frénétique, En délire. — Res-
précédé du complément direct. Ci. vaut. Cf. page 299, vers 11 et 13:
312 POÈTES oc XVI^ SIÈCLE
Porter la teste basse, et Tesprit dans le yent.
Egayer sa fureur parmy des précipices.
Et plus qu à la raison suject à ses caprices. 30
Faut-il doncq' à présent s*etonner si je suis
Enclin à des humeurs qu'éviter je ne puis.
Où mon temperamment malgré moy me transporte.
Et rend la raison foible où la nature est forte?
Mais que ce mal me dure il est bien mal-aisé. 35
L'homme ne se plaist pas d estre toujours fraisé.
Chaque âge a ses façons, et change la Nature,
De sept en sept ans, nostre température :
Selon que le Soleil se loge en ses maisons.
Se tournent noz humeurs, ainsi que noz saisons. 40
Toute chose en vivant avecq' l'âge s'altère.
Le débauché se rid des sermons de son père :
Et dans vingt et cinq ans venant à se changer.
Retenu, vigilant, soigneux, et mesnager,
De ces mesmes discours ses fils il admoneste, 45
Qui ne font que s'en rire et qu'en hocher la teste.
Chaque âge a ses humeurs, son goust et ses plaisirs;
Et, comme nostre poil, blanchissent nos désirs.
Nature ne peut pas Tage en Tage confondre :
L'enfant qui sçait desja demander et respondre, 50
Qui marque asseurement la terre de ses pas,
28. Porter. Coordonné aax adjectifs 38. Température : tempérament,
précédents. Cf. plus loin. Et... suject. 39. Ses maisons. Les douze signe»
— Dans le vent. Nous disons dans les du zodiaque. Cf. Ronsard :
t.^ .1 . . ^. ,^. Je dy ce grand Soleil qai nous fiiU les Sâiioiui
29. fureur: mspiration poétique, selon qaU entre oa «,rt de «. doa«, nuti-on..
30. C est le contraire du poète ^Rcmontr. au peuple de France.)
classique. Il ne faut point associer
Régnier à la réforme de Malherbe. 43. Dans vingt et cinq arts : dans
31. A présent. Quand je suis encore l'espace de vingt-cinq ans.
j cune. 45. Admoneste. L's ne sonnait pas.
33. Me transporte. Me porte; mais 47 sqq. Pour ce morceau. Cf. Aris-
Ic mot a bien quelque chose du sens tote, Rhétor.tllf xii, xiii; Horace, Art
do transport. poét., 156; Vauquelin, Art poét.y II,
36. Fraisé. De porter toujours la 332; Bo'ûesLU^ Art poét., 111,373.
fraise. A la fraise, qui se porta jusque 48. Proverbe espagnol.
vers 1C30, succéda le collet. 49. Confondre un âge avec un autre.
37. La Mature, iàujet du vurbe change. ôl. Asseurement : d'un pied assuré.
RÉGNIER 313
Avecque ses pareils se plaist en ses ébas :
Il fuit, il vient, il parle, il pleure, il saute d'aise,
Sans raison d'heure en heure il s'émeut et s'apaise.
Croissant l'âge en avant, sans soing de gouverneur. 55
Relevé, courageux, et cupide d'honneur,
Il se plaist aux chevaux, aux chiens, à la campagne;
Facile au vice, il hait les vieux et les dedagne :
Rude à qui le reprend, paresseux à son bien,
Prodigue, depencier, il ne conserve rien; 60
Hautain, audacieux, conseiller de soy-mesme.
Et d'un cœur obstiné se heurte à ce qu'il aime.
L'âge au soing se tournant, homme fait, il acquiert
Des biens et des amis, si le temps le requiert;
Il masque ses discours comme sur un théâtre; 65
Subtil, ambitieux, l'honneur il idolâtre :
Son esprit avisé prévient le repentir,
Et se garde d'un lieu difficille à sortir.
Maints fâcheux accidens surprennent sa viellesse :
Soit qu'avecq' du soucy gagnant de la richesse, 70
Il s'en defïend l'usage, et craint de s'en servir.
Que tant plus il en a, moins s'en peut assouvir :
Ou soit qu'avecq' froideur il fasse toute chose,
Imbecille, douteux, qui voudroit et qui n'ose,
Dilayant, qui tousjours a l'œil sur l'avenir; 75
54. S'émeut. De colère. 66. L'honneur. Dans un autre sens
55. L'âge croissant en ayant, c'est- qu'au vers 56. Là, c'était la gloire ; ici,
à-dire s'avançant. — Sans soing de ce sont les dignités, les charges pn-
gouverneur. N'étant plus sous la bliques. Dans Horace inservit hoiiori,
tutelle d'un gouverneur. pour honoribus.
56. Relevé : fier. Dans Horace, 68. DiffUillc à sortir. Construction
subliniis. irrégulière pour d'oh il serait difficile
59. Paresseux. Peu appliqué. de sortir.
61. Con^ei7/er, etc. Ne prenant con- 70. Avecq du soucy. Péniblement,
seil que de lui-même. 71. S'ciideffcnd. Au lieu du subjonc-
62. 5eÀc'Mr/e:s'aheurte,s'opiniâtre. tif. Construction du temps.
63. Au soing. Cf. V}ià]ecWî soigneux, 72. Que. Coordouné au que du
au vers 44. C'est le même sens. vers 70.
64. Si les circonstances le doman- 74. Jmbccillc. Dans Horace, incrs.
dent. Sans énergie. — Douteux : craintif.
65. Sur un théâtre. Nous disons en 75. Dilayant. Usant de délais. —
ce sans Jouer la comédie, jouer un rôle. Qui... a: ayant.
18
314 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
De léger il n'espère, et croit au souvenir :
Il parle de son tans; diffîcille et severe,
Censurant la jeunesse, use des droits de père;
Il corrige, il reprend, hargneux en ses façons,
Et veut que tous ses mots soient autant de leçons. 80
Voilà doncq' de par Dieu, comme tourne la vie.
Ainsi diversement aux humeurs asservie,
Que chasque âge départ à chaque homme en vivant.
De son tempérament la qualité suivant.
Et moy qui, jeune encor' en mes plaisirs m'égaye, 85
Il faudra que je change; et, malgré que j'en aye,
Plus soigneux devenu, plus froid, et plus rassis,
Que mes jeunes pensers cèdent aux vieux soucis
Pères des siècles vieux, exemple de la vie,
Dignes d'estre admirez d'une honorable envie 90
(Si quelque beau désir vivoit encor' en nous).
Nous voyant de là-haut. Pères, qu'en dites-vous?
Jadis, de yostre tans, la vertu simple et pure,
Sans fard, sans fiction imitoit sa nature.
Austère en ses façons, severe en ses propos, 95
Qui dans un labeur juste egayoit son repos ;
D'hommes vous faisant Dieux, vous paissoit d'ambrosie,
Et donnoit place au Ciel à vostre fantasie.
La lampe de son front partout vous esclairoit,
76. De léger. A la légère, facilement, altérées et perverties, et la vertu de-
— Souvenir. Par opposition à l'espoir, vient « une courtisane ». — Exemple :
L'avenir lui inspire de la défiance; il modèle.
ne se fie qu'au passé, aux choses dont 90. D'une honorable envie. Avec une
il se souvient. envie honorable (de vous imiter).
83. Que : A ces humeurs que. — En 94. Imitoit sa nature. Se conformait
vivant. Suivant le cours de sa vie. à sa nature, sans y ajouter aucun
84. Suivant la qualité do, etc. artifice.
86. Malgré que j'en ayc. Quelque 96. (?/«, etc. Coordonné à un adjectif,
mauvais gré que j'en aie. Cf. le v. 75. — Juste. Bien propor-
88. Aux vieux soucis. Aux soucis de tionné.
la vieillesse, des vieillards. 98. Fantasie : imagination. — Leur
89. Régnier continue on se plai- imagination les emportait loin de la
gnant qu'on juge sans tenir compte terre, et, comme dit Ronsard (p. 170,
des circonstances, chacun suivant son vers 74), ils avaient l'âme dans le ciel
goût ou son intérêt. Aussi toutes les attachée.
notions du bien et du mal sont
RÉGNIER 315
Et de toutes frayeurs voz espris asseuroit; loo
Et, sans penser aux biens où le vulgaire pense,
Elle estoit vostre prix et vostre récompense :
Où la noslre aujourd'huy, qu'on révère icy-bas,
Va la nuict dans le bal, et dance les cinq pas,
Se parfume, se frise, et, de façons nouvelles, 105
Veut avoir par le fard du nom entre les belles.
Fait crever les courtaux en chassant aux forests;
Court le faquin, la bague; escrime des fleurets;
Monte un cheval de bois, fait desus des pommades;
Talonne le Genêt, et le dresse aux passades; 110
Chante des airs nouveaux, invente des ballets,
Sçait escrire et porter les vers et les poulets;
A l'œil toujours au guet pour des tours de souplesse ;
Glose sur les habits et sur la gentillesse;
Se plaist à l'entretien, commente les bons mots 115
Et met à mesme pris les sages et les sots...
Voillà comme à présent chacun l'adulterise.
Et forme une vertu comme il plaist à sa guise.
Elle est comme au marché dans les impressions,
Et s'adjugeant au taux de noz affections, 120
100. De : contre. cice de manège. — Pommades. Sauts
loi Sans penser. Sans que vous, etc. que l'on fait en tournant sur le cheval
— oit : auxquels. de bois et en appuyant seulement la
103. Ou : au lieu que. main sur le pommeau de la selle, ce
104. Les cinq pas. Danse en usage qui l'a fait nommer ainsi. (Furetière.)
au temps de Régnier. Trois pas en 110. Genêt : espèce de cheval, ve-
avant, deux en arrière. nant d'Espagne. — Passades : voltcs
105. De façons nouvelles. Avec des faites aux deux extrémités de la
façons à la mode du jour. piste.
107. Courtaux. Chevaux auxquels 112. Poulets : hiWels galants.
on a coupé les oreilles et la queue. — 115. A l'entretien. Aux conversa-
Aux : dans les. tions mondaines.
108. Faquin. Mannequin contre 117. £'arf«//c/xçe. Altère la vertu,
lequel on joutait dans les manèges. 118. Forme : façonne.
Ce mannequin, tournant sur un pivot, 119. Comme au marché. Cf. s'adju-
frappait d'un sabre do bois le cavalier géant du vers suivant. — Dans les
qui ne l'avait pas atteint au milieu. — impressions. Chacun en juge suivant
La bague. La bague est un anneau son impression personnelle,
suspendu à un pieu; le cavalier doit 120. ^j* taux de noz affections.
l'enlever au galop. — £jcmne : fait de D'après la manière dont elle affecte
l'escrime. — Des : avec les. chacun de nous, d'après le goût par-
109. Un cheval de bois. Autre exer- ticulicr de chacun.
316 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Fait que, par le caprice, et non par le mérite,
Le blasme et la loiiange au hazard se débite ;
Et peut un jeune sot, suivant ce qu'il conçoit,
Ou ce que par ses yeux son esprit en reçoit.
Donner son jugement, en dire ce qu'il pense, 125
Et mettre sans respec nostre honneur en balance.
Mais, puisque c'est le tans, mesprisant les rumeurs
Du peuple, laissons là le monde en ces humeurs;
Et si selon son goust un chacun en peut dire,
Mon goust sera, Bertault, de n'en faire que rire. 130
Satire VIII
L'IMPORTUN OU LE FASGHEUX
A M. l'abbé de BEAULIEU
NOMMÉ PAR SA MAJESTÉ A l'ÉVESCHÉ DU MANS
Charles, de mes péchez j'ay bien fait pénitence.
Or toy, qui te cognois aux cas de conscience,
Juge si j'ay raison de penser estre absous.
J'oyois un de ces jours la messe à deux genoux.
Faisant mainte oraison, l'œil au Ciel, les mains jointes, 5
Le cœur ouvert aux pleurs et tout percé de pointes,
Qu'un dévot repentir élançoit dedans moy,
Tremblant des peurs d'Enfer, et tout bruslant de foy,
Quand un jeune frisé, relevé de moustache,
121. Par: suivant. sion que lo poùtc aboutit le plus
122. Se débite. Le singulier, malgré souvent. — Cf. Satire II, fin.
les deux sujets. Construction fré- * Régnier, dans cette pièce, a eu
quente au seizième siècle. pour modèle la satire IX du 1" livre
124. Suivant l'impression qu'il en d'Horace,
reçoit, que ses yeux transmettent à 1. Cf. l'expression bien connue
son esprit. Pour mes pèches.
126. Sans respec : sans égard, sans 4. J'oyois : j'entendais,
scrupule. — En balance : en question. 4 sqq. Cf. page 341^ note à l'asté-
127. Puisque c'est le tans. Puisque riquo.
notre temps lo comporte ainsi. 9. Relevé de moustache. Dont une
129. Dire : parler. moustache relevait la mine.
130. Que rire. C'est à cette conclu-
RÉGNIER 317
De galoche, de botte, et d'un ample pennache, lo
Me vint prendre, et me dist, pensant dire un bon mot :
Pour un Poëte du tans, vous estes trop dévot.
Moy, civil je me levé, et le bon jour luy donne,
(Qu'heureux est le folastre, à la teste grisonne.
Qui brusquement eust dit, avecq' une sambieu : 15
Guy-bien pour vous, Monsieur, qui ne croyez en Dieu!)
Sotte discrétion ! je voulus faire acroire
Qu'un Poëte n'est bisarre et fâcheux qu'après boire.
Je baisse un peu la teste, et, tout modestement,
Je luy fis à la mode un petit compliment. 20
Luy, comme bien apris, le mesme me sceut rendre,
Et ceste courtoisie à si haut pris me vendre.
Que j'aymerois bien mieux, chargé d'âge et d'ennuys.
Me voir à Rome pauvre, entre les mains des Juys.
Il me prist par la main, après mainte grimace, 25
Changeant, sur l'un des pieds, à toute heure de place,
Et, dansant tout ainsi qu'un Barbe encastelé,
Me dist, en remâchant un propos avalé :
Que vous estes heureux, vous autres belles âmes.
Favoris d'Apollon, qui gouvernez les Dames, 30
Et par mille beaux vers les charmez tellement.
Qu'il n'est point de beautez que pour vous seullement!
10. Pennache : panache, bouquet de 27. Tout ainsi. Cf. Tout de même.
plumes. Tout s'ajoutait souvent à des adverbes
12. Poëte. Synércse. ou à des adjectifs pour en renforcer lo
13. Civil. Adjectif employé comme sens. On disait tout soudain, tout
adverbe. Je me lève civilement. telj etc., comme nous disons encore
14. Folastre. Dans le sens étymolo- tout d'abord» tout à l'heure^ etc. —
gique {fol et le suffixe astre) : ma- Barbe : cheval de Barbarie, de race
niaquo, brusque, quinteux. orientale. — Encastelé. L'encastelure
15. Sambieu : sambieu = sang (de) est le rétrécissement du sabot, qui
Dieu. — Du féminin. Cf. par la sam- gêne la marche.
bleu. 28. L'expression s'explique par une
18. Poète. Cf. note du v. 12. — Bi- comparaison mentale avec le bœuf qui
sarre : fantasque. — Fâcheux : d'hu- rumine ce qu'il a déjà mâché et avalé.
meur chagrine. 31. Charmez. Le mot retient ici
23. Ennuys, Bien plus fort que dans quelque chose de son sens originel,
l'usage actuel. 32. Point... que. L'usage, dans ces
24. Juys : Juifs. — Entre les mains constructions, ne supprimait pas
des usuriers. encore le point ou pas.
18.
318 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Mais vous les méritez : voz vertus non communes
Vous font cligne, Monsieur, de ces bonnes fortunes.
Glorieux de me voir si hautement loué, 35
Je devins aussi fier qu'un chat amadoiié ;
Et sentant au Palais mon discours se confondre,
D'un ris de sainct Medard il me fallut respondre.
Il poursuyt. Mais, amy, laissons-le discourir,
Dire cent et cent fois : Il en faudroit mourir; 40
Sa barbe pinçoter, cageoller la science.
Relever ses cheveux, dire : En ma conscience;
Faire la belle main ; mordre un bout de ses guents ;
Rire hors de propos ; monstrer ses belles dents ;
Se carrer sur un pied; faire arser son espée; 45
Et s'adoucir les yeux ainsi qu'une poupée ;
Cependant qu'en trois mots je te feray sçavoir
Où premier, à mon dam, ce fâcheux me put voir
Apres tous ces propos qu'on se dict d'arivée.
D'un fardeau si pesant ayant l'ame grevée, 50
Je chauvy de l'oreille, et, demourant pensif,
L'eschine j'alongois comme un asne rétif,
Minutant me sauver de ceste tyrannie.
36. Amadoiié : caresse. 42. En ma conscience. Comme il en
37. C'est-à-dire que les paroles se faudroit mourir.
brouillaient dans sa bouche. 45. Arser : briller.
38. D'un ris de sainct Medard : d'un 46. S'adoucir les yeux. Cf. faire les
rire forcé. « Saint Medard ayant le don yeux doux,
d'apaiser la douleur des dents, on le 48. Dam : dommage. A mon dam :
représentait la bouche cntr'ouverte, à mes dépens,
laissant un peu voir ses dents, pour 49. D'arivée : do prime abord,
faire souvenir, quand on y aurait mal, 50. Grevée : chargée, accablée,
d'avoir recours à ce saint. Et parce 5i. Je chauvy. Lo mot chovir^chouir^
que, entr'ouvrant ainsi la bouche, il dérivé de choue, radical de chouette^
paraissait rire, mais d'un ris qui désigne ce mouvement des plumes,
ne passait pas le bout des dents, particulier à la chouette, qui figure
de là est venu le proverbe. » (Bros- des oreilles comme celles du chat,
sette.) (Littré.) Je chauvy de l'oreille veut
40. Il en faudroit mourir. Exprès- direye dressai les oreilles.
sion à la mode. Dans ses Mémoires, 53. Minutant : projetant. La minute
Sully parle de ces « cajoleurs de cour» est un brouillon, une sorte de projet,
qui répètent sans cesse des Jésus Sire ! Cf. Molière :
et « crient en voix dolente : // en faut Mlnatant atout coap quolqae retraite honnête
mourir. » (Ft/chrux, I, i.)
RÉGNIER 319
Il le juge à respect. 0! sans cérémonie,
Je vous suply, dit-il, vivons en compagnons. 55
Ayant, ainsi qu'un pot, les mains sur les roignons,
Il me pousse en avant, me présente la porte.
Et, sans respect des Saincts, hors l'Eglise il me porte,
Aussi froid qu'un jaloux qui voit son corrival.
Sortis, il me demande : Estes-vous achevai? 60
Avez-vous point icy quelqu'un de vostre troupe?
Je suis tout seul, à pied. Luy, de m'offrir la croupe.
Moy, pour m'en dépestrer, luy dire tout exprès :
Je vous baise les mains; je m'en vais icy près
Chez mon oncle disner. Dieu! le galand homme! 65
J'en suis. Et moy pour lors, comme un bœuf qu'on as-
Je laisse choir la teste ; et bien peu s'en falut, [somme.
Remettant par dépit en la mort mon salut.
Que je n'alasse lors, la teste la première,
Me jeter du Pont-Neuf à bas en la rivière. 70
Insensible, il me traisne en la court du Palais,
Où trouvant par hasard quelqu'un de ses valets,
Il l'appelle, et luy dit : Holà! hau! Ladreville,
Qu'on ne m'attende point, je vay disner en ville.
Dieu sçait si ce propos me traversa l'esprit! 75
Encor' n'est-ce pas tout : il tire un long escrit.
Que voyant je fremy. Lors, sans cageollerie :
Monsieur, je ne m'entends à la chicannerie.
Ce luy dy-je, feignant l'avoir veu de travers.
54. Il voitlàune marque do respect. 68. Cherchant mon salut dans la
56. Ainsi qu'un pot. Un pot à anses, mort. — Remettant : confiant. — De-
— Roignons se dit populairement des pit : colère.
reins. 71. Palais. Le Palais de Justice,
59. Froid. Se rapporte à me. — dont les galeries étaient alors très
Corrival. Comme rival. fréquentées.
60. A cheval. Du temps de Régnier, 75. Traversa : transperça.
on se servait peu de carrosses. 77. Que voyant, je fremy. Cons-
61. De vostre troupe. De vos gens, truction latine en usage au seizième
62. On prenait souvent un ami en siècle.
croupe. « Les dames même de con- 78. A la chicannerie. Comme si ce
dition allaient en croupe derrière papier était un mémoire. Nous sommes
leurs écuyers. » (Brossette.) au Palais.
63. Luy dire. Pour de lui dire. 79. L'avoir veu. Le représente un es-
do. Mon oncle. Desportes. crit du v. 76, rappelé par quedwy. 77.
320 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Aussi n'en est-ce pas; ce sont des meschans vers, 80
(Je cogneu qu'il estoit véritable à son dire)
Que, pour tuer le tans, je m'efforce d'écrire;
Et, pour un courtisan, quand vient l'occasion.
Je monstre que j'en sçay pour ma provision.
Il lit ; et se tournant brusquement par la place, 85
Les banquiers étonnez admiroient sa grimace,
Et monstroient, en riant, qu'ils ne luy eussent pas
Preste, sur son minois, quatre doubles ducats,
Que j'eusse bien donnez pour sortir de sa pâte.
Je l'écoute; et durant que l'oreille il me flate, t)o
Le bon Dieu sçait comment, à chaque fin de vers
Tout exprès je disois quelques mots de travers.
Il poursuit, nonobstant, d'une fureur plus grande.
Et ne cessa jamais qu'il n'eust fait sa légende.
Me voyant froidement ses œuvres advouër, 95
Il les serre, et se met lui-mesme à se louer :
Doncq', pour un Cavalier, n'est-ce pas quelque chose?
Mais, Monsieur, n'avez-vous jamais veu de ma prose?
Moy de dire que si, tant je craignois qu'il eust
Quelque procez-verbal qu'entendre il me fallust. 100
Encore, dites-moy en vostre conscience.
Pour un qui n'a du tout acquis nulle science,
Gecy n'est-il pas rare ? Il est vray, sur ma foy,
Luy dy-je sousriant. Lors, se tournant vers moy,
M'acolle à tour de bras; et, tout pétillant d'aise, 105
80. Des. Construction en usage au (Brossettc.)
seizième siècle. 87. En riant. Par leurs rires.
81. Véritable : qui dit vrai. — A son 90. Flate : caresse, charme.
dire : quant à son dire. Cf. p. 325, 94. Légende : lecture.
note du vers 65. 95. Advouër. Autoriser. Ici, par
83. Pour un courtisan. Ce n'est pas suite, approuver.
son métier que de faire des vers. 97. Pour un Cavalier. Cf. pour un
84. Pour ma provision. Je ne suis pas courtisan du vers 83.
dépourvu de savoir, j'en ai ma part. 100. Procez-verbal. Par plaisan-
85. %^.. Se tournant... Les banquiers, terie. Cf. v. 78.
Cf. Sat. I, V. 38 et la note. 101. En vostre conscience. Cf. v. 42.
86. Les banquiers. « Apparemment 102. Un : quelqu'un,
que les banquiers s'assemblaient alors 103. // : cela.
dans la cour du palais pour leurs 105. M'acolle. Me met les bras
négociations et leur commerce. » autour du cou.
RÉGNIER 321
Doux comme une épousée, à la joue il me baise;
Puis, me flatant l'épaule, il me fist librement
L'honneur que d'aprouver mon petit jugement,
Apres cette caresse, il rentre de plus belle :
Tantost il parle à l'un, tantost l'autre il appelle : 110
Toujours nouveaux discours ; et tant fut-il humain.
Que tousjours, de faveur, il me tint par la main.
J'ay peur que sans cela... J'ay l'ame si fragille.
Que, le laissant d'aguet, j'eusse peu faire gille :
Mais il me fut bien force, estant bien attaché, 115
Que ma discrétion expiast mon péché...
Satire IX
A M. RAPIN*
CONTRE MALHERBE ET SON ÉCOLE
Rapin, le favorit d'Apollon et des Muses,
Pendant qu'en leur mestier jour et nuit tu t'amuses,
Et que d'un vers nombreux, non encore chanté,
Tu te fais un chemin à l'immortalité,
107. Flatant. Touchant doucement. 115. Nous disons encore : force me
108. Que. Cf. la construction : C'est fut.
un grand honneur qu'il me fit que il6. Discrétion. Cî.\.\7.~- Expiast»
d'approuver, etc. etc. Cf. v. 1.
109. Rentre. Revient à ses propos. * Rapin, un des auteurs de la
111. ///imam : poli, aimable. Satyre Menippée, tournait agréable-
112. De faveur. Par faveur. ment les vers français et latins. Ré-
113. Après sans cela, il doit y avoir gnier a fait son épitaphe en forme de
sans doute une interruption. sonnet. — Pour le plan et pour les
m. D'aguet. En guettant, en pre- mouvements, cette Satire a été calquée
nant bien son temps, et, par suite, sur Ronsard. Cf. Remontrance au
habilement. — Faire gille : s'es- peuple de France et Continuation du
quiver. Etymologie douteuse. « Quand Discours des misères.
quelqu'un s'en est fui sccrettement, 3. Nombreux : harmonieux. — Non
on dit qu'il a fait Gile, parce que Saint encore chanté. Régnier veut dire
Gille, prince du Languedoc, s'enfuit que les vers de Hapin ont un caractère
ainsi de peur d'être fait roi. » (Fleury de original et ne ressemblent pas à ceux
Bellingen, Etymologie ou explication des autres poètes.
des Proverbes françois,LRlî&ye f 1656.)
322 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Moy, qui n'ay ny l'esprit ny l'halaine assez forte 5
Pour te suivre de prez et te servir d'escorte,
Je me contenteray, sans me précipiter,
D'admirer ton labeur, ne pouvant l'imiter,
Et; pour me satisfaire au désir qui me reste.
De rendre cest hommage à. chacun manifeste; 10
Par ces vers j'en prens acte, afin que l'avenir
De moy par ta vertu se puisse souvenir;
Et que ceste mémoire à jamais s'entretienne,
Que ma Muse imparfaite eut en honneur la tienne :
Et que si j'eus l'esprit d'ignorance abatu, 15
Je l'eus au moins si bon, que j'aymay ta vertu :
Contraire à ces resveurs dont la Muse insolente.
Censurant les plus vieux, arrogamment se vante
De reformer les vers, non les tiens seulement,
Mais veulent déterrer les Grecs du monument, 20
Les Latins, les Hébreux, et toute l'Antiquaille,
Et leur dire à leur nez qu'ils n'ont rien fait qui vaille.
7. Me précipiter. Tomber dans le chez M. Dosportes, oncle de Régnier,
précipice. Cf. Horace : ils trouvèrent que l'on avait déjà servi
Qui paullum a lammo dcoeasit verytf a(2 imunt. lo potage. M. Oesportcs reçut M. de
(Art poct.y 378.) Malherbe avec grande civilité, et of-
9. Au désir : dans le désir. — Qui frant de lui donner un exemplaire de
me reste. Par opposition au désir ses Psaumes qu'il avait nouvellement
d'imiter Rapin. faits, il se mit en devoir de monter en
11. Par ces vers j'en prens acte. Ces sa chambre pour l'aller quérir. M. do
vers attestent l'engagement que je Malherbe lui dit qu'il les avait déjà
prends. vus, que cola ne valait pas qu'il prît
12. Par : grftce à. la peine de remonter, et que son po-
13. Mémoire : souvenir. — S'entre- tago valait mieux que ses Psaumes,
tienne : se perpétue. Il ne laissa pas de dîner avec M. Dcs-
16. Si bon que : assez bon pour. portes, sans se dire mot, et aussitôt
17. Cowfratrc : L'adjectif pour l'ad- qu'ils furent sortis do table, ils se
verbe. — Ces resveurs : ces fous, séparèrent et ne se sont jamais vus
Allusion à Malherbe, que Régnier depuis. Cela donna lieu à Régnier de
no nomme pas, mais contre lequel est faire la satire contre Malherbe qui
faite cette satire. Outre leur dissenti- commence :
mentlittéraire,Régnior voulait venger Rapin, le farori, etc.
son oncle, que Malherbe avait fort (Vie de Malherbe par Racan.)
maltraité.» Il (Malherbe) avait été \S. Les plus vieux. C'est ici un compa-
l'ami de Régnier le satirique et l'es- ratif. Ceux qui sont plus vieux qu'eux.
timait en son genre à l'égal des Latins; Ronsard et les poètes de la Pléiade,
mais la cause de leur divorce arriva 20. Monument : tombeau,
do ce qu'étant allés dîner ensemble 21. Antiquaille : antiquité. Le mot
RÉGNIER 323
Ronsard en son mestier n'estoit qu'un aprentif,
Il avoit le cerveau fantastique et rétif :
Desportes n'est pas net; Du Bellay trop facille : 25
Belleau ne parle pas comme on parle à la ville;
Il a des mots hargneux, bouffis et relevez,
Qui du peuple aujourd'huy ne sont pas aprouvez.
Gomment! il nous faut doncq', pour faire une œuvre
Qui de la calomnie et du tans se deffende, [grande 30
Qui trouve quelque place entre les bons autheurs,
Parler comme à Sainct-Jean parlent les crocheteurs !
Encore je le veux, pourveu qu'ils puissent faire
Que ce beau sçavoir entre en l'esprit du vulgaire,
Et quand les crocheteurs seront Poëtes fameux, 35
Alors sans me fâcher je parleray comme eux.
Pensent-ils, des plus vieux offenceant la mémoire,
Par le mespris d'autruy s'aquerir de la gloire ;
Et, pour quelque vieux mot, estrange, ou de travers,
n'avait pas cncoro pris une acception grand nombre des critiques a trait à
défavorable. ce manque do netteté. — Du Bellay
« Il (Malherbe) n'estimait point trop facille. Est trop facile. On sait
du tout les Grecs, et particulière- que Malherbe gâtait une demi-rame
ment il s'était déclaré ennemi du de papier pour une stance. Quant à
galimatias de Pindare. » (Vie de Mal- du Bellay, Cf. Regrets, sonnet II.
herbe par Racan.) Il appréciait da- 27. Hargneux : rudes, rébarbatifs,
vantage les Latins, mais surtout des — Relevez : emphatiques,
poètes comme Stnce, Sénèque le Tra- 28. Peu/^/e. Dans le sens restrictif de
gique et Juvénul. Quant aux Hébreux, bas peuple. Cf. crocheteurs du vers 32.
on raconte que, des érudits lui rcpro- 32. Sainct-Jean. Le marché Saint-
chant de n'avoir pas été suffisam- Jean. — « Quand on lui demandait
ment exact dans ses paraphrases des son avis de quelque mot français, il
Psaumes, il répondit : « Je ne m'ar- renvoyait ordinairement aux croche-
rcto pas à cela ; j'ai bien fait parler le teurs du port au Foin, et disait que
bonhomme David autrement qu'il c'étaient ses maîtres pour le langage;
n'avait fait. » ce qui peut-être a donné lieu à Ré-
22. Aprentif : apprenti. — On sait gnier de dire :
comment, après avoir effacé la moitié Comment, il faudrait donc, etc.
de son Ronsard, Malherbe effaça tout /„...,.,,
le reste pour ne pas laisser croire ^^*^' ^^ ^^^^^^'^^^ P^^' ^^^^"')
après sa mort qu'il en approuvait On raconte aussi qu'avant de pu-
quelque chose. blier ses vers, Malherbe les lisait
24. Fantastique : fantasque. Le cou- à sa servante pour voir si elle les
traire de raisonnable. entendait.
25. Pas net. Il n'y a qu'à lire le 35. Poètes. Synérèse.
Commentaire sur Ocsportes : le plus 37. Des plus vieux. Cf. v. 18.
324 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Prouver qu'ils ont raison de censurer leurs vers? 40
(Alors qu'une œuvre brille et d'art et de science,
La verve quelquefois s'egaye en la licence.)
Il semble, en leur discours hautain et généreux,
Que le Cheval volant n'ait pissé que pour eux;
Que Phœbus à leur ton accorde sa vielle ; 45
Que la mouche du Grec leurs lèvres emmielle;
Qu'ils ont seuls icy-bas trouvé la pie au nit,
Et que des hauts esprits le leur est le zenit;
Que seuls des grands secrets ils ont la cognoissance;
Et disent librement que leur expérience 50
A raffiné les vers, fantastiques d'humeur.
Ainsi que les Gascons ont fait le point d'honneur;
Qu'eux tous seuls du bien-dire ont trouvé la metode,
Et que rien n'est parfaict s'il n'est fait à leur mode.
Cependant leur sçavoir ne s'estend seulement 55
Qu'à regrater un mot douteux au jugement,
Prendre garde qu'un qui ne heurte une diphtongue;
Epier si des vers la rime est brève ou longue;
Ou bien si la voyelle à l'autre s'unisSant
Ne rend point à l'oreille un vers trop languissant : 60
42. Vers qui caractérise bieû Bé> la versification.
gnier par opposition à Malherbe. 50. Et disent : et ils disent. — Li"
Celui-ci proscrivit impitoyablement bremcnt : ouvertement, sans se
toute licence. gêner. — Leur expérience : leur art.
43. Généreux : fier, glorieux. 51. Fantastiques : fantasques. Se
44. Le Cheval volant. Pégase. — rapporte au sujet de disent.
Pissé. Allusion à la source d'Hippo- 52. Ont fait. Substitut du verbe
crène. raffiner. — Les Gascons se forma-
46. Du Grec. Pindare, sur la bouche lisaient pour un rien, cherchant occa«
duquel, lorsqu'il était encore nu bor- sion de se battre, et, par là, de
ceau, des abeilles firent leur miel. montrer leur courage.
47. Trouver la pie au nit se dit de 57. Malherbe proscrivit l'hiatus,
ceux qui ont fait quelque heureuse 58. Malherbe était féroce sur la
rencontre ou accompli quelque ex- rime, que les poètes de la Pléiade
ploit, « le naturel de la pic étant de avaient un peu trop négligée. Ronsard
nicher sur les plus hauts arbres fait très souvent rimer une longue
qu'elle trouve. » (Nicot.) avec une brève, couronne, par
48. Est le zenit. Dans le ciel des exemple, avec trône.
hauts esprits, le leur est le plus élevé. 50, 60. Ces deux vers ne sont pas
49. Des grands secrets. Ironique, bien nets. Le poète veut dire sans
Les minuties de la grammaire et de doute que Malherbe inlcrdisuit de
RÉGNIER 325
Et laissent sur le verd le noble de Touvrage.
Nul eguillon divin n'esleve leur courage ;
Ils rampent bassement, foibles d'inventions,
Et n'osent, peu hardis, tanter les fictions,
Froids à Timaginer : car s'ils font quelque chose, 65
C'est proser de la rime, et rimer de la prose,
Que l'art lime et relime, et polit de façon
Qu'elle rend à l'oreille un agréable son;
Et voyant qu'un beau feu leur cervelle n'embrase.
Ils attifent leurs mots, ageollivent leur phrase, 70
Affectent leur discours tout si relevé d'art,
Et peignent leurs defaux de couleur et de fard.
Aussi je les compare à ces femmes jolies
Qui par les affîquets se rendent embelies,
compter dans la mesure un e muet 66. Proser de la rime. Ce premier
précédé d'une voyelle à la fin du mot, hémistiche revient au même que le
et en prescrivait Télision sur une second : proser de la rime, c'est
autre voyelle qui devait commencer ravaler la poésie jusqu'à la prose. —
le mot suivant. Régnier ne voulut Rimer de la prose. Les qualités de
jamais se soumettre à cette règle. Malherbe sont en effet celles d'un
61. Laissent sur le verd : aban- prosateur, d'un prosateur qui rimct
donnent, comme on laisse sur le pré qui versifie, avec une rectitude impec-
les toiles qu'on blanchit. (Littré.) — cable. ~ Cf. d'Â.ubigné : a On n'y voit
Le noble. Adjectif employé substanti- point (dans les pièces de Malherbe)
vement. Ce qu'il y a de noble dans la fureur poétique sans laquelle nous
la poésie. ne lisons que des proses bien rimées. »
62. Courage : cœur, esprit. [Lettres de points de science.)
64. « 11 (Malherbe) avait aversion 67. Vart. A l'art Régnier oppose
contre les fictions poétiques, et en le naturel, la verve, le génie,
lisant une épitre de Régnier à Henri 70. Phrase : diction.
le &rand, qui commence : 71. Tout si relevé. Tout relevé, et
Il était presque jour, etc. tellement,
et où il feint que la France s'enleva 73. A ees femmes Jolies, Cf. Pascal :
en l'air pour parler à Jupiter et se a On ne sait pas en quoi consiste
plaindre du misérable état où elle l'agrément, qui est l'objet de la
était pendant la Ligue (Cf. page 339), poésie... On a inventé de certains
il demandait à Régnier en quel temps termes bizarres : « siècle d'or, mer-
cela était arrivé, et disait qu'il avait veiUe de nos jours, fatal, etc. ; » et on
toujours demeuré en France depuis appeUe ce jargon beauté poétique,
cinquante ans et qu'il ne s'était point Mais qui s'imaginera une femme sur
aperçu qu'elle sefùtenlevée horsde sa ce modèle-là..., verra une jolie damoi-
place. » (Vie de Malherbe par Racan,) seUe toute pleine de miroirs et de
65. A l'imaginer. Infinitif employé chaînes, etc. » (Pensées, Vil, 25.)
comme substantif. Pour ce qui est 74. Affiquets, Menus objets de toi-
d'imaginer. letto.
Cr. P. — Poètes du xvi* siècle. 19
326 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Qui, gentes en habits, et sades en façons, 75
Parmy leur point coupé tendent leurs hameçons ;
Dont Tœil rit molement avecque afféterie,
Et de qui le parler n*est rien que flaterie;
De rubans piolez s'agencent proprement.
Et toute leur beauté ne gist qu'en l'ornement; 80
Leur visage reluit de cereuse et de peautre,
Propres en leur coifure, un poil ne passe pas l'autre.
Où ces divins esprits, hautains et relevez,
Qui des eaux d'Helicon ont les sens abreuvez ;
De verve et de fureur leur ouvrage étincelle, 86
De leurs vers tout divins la grâce est naturelle,
Et sont, comme l'on voit, la parfaite beauté,
Qui, contente de soy, laisse la nouveauté
Que l'art trouve au Palais, ou dans le blanc d'Espagne.
Rien que le naturel sa grâce n'accompagne ; 90
Son front, lavé d'eau claire, éclate d'un beau teint.
De roses et de lys la nature l'a peint ;
Et, laissant là Mercure et toutes ses malices,
Les nonchalances sont ses plus grands artifices.
75. Gentes : gentiUes. — Sades : Dans un autre sens qu'au vers 43.
agréables. Cf. Maussade : désagréable. Non pas arrogants j mais sublimes.
Le mot, qui vient du latin sapidus, 85. Construction irrégulière, mais
indique sans doute que les façons de plus viye. — Fureur : inspiration,
ces femmes ont quelque chose de 86. Divins. Parce qu'ils ont été faits
piquant, de provoquant. sans effort.
76. Point coupé. Sorte de dentelle. 87. Et sont. Ils sont. — La parfaite
79. Piolez ', bigarrés. Le mot vient beauté. Par opposition à ces femmes
de pie. — Proprement : élégamment, du vers 73.
coquettement. 88. Contente de soy. Se contentant
80. Gist : consiste. d'elle-même, telle que Ta faite la na-
81. Cereuse. Sel de plomb. — ture. — Laisse : s'abstient de. — La
Peautre. Sel d'étain. — La céruse et nouveauté. Los ornements et affiquets
le peautre servent de fard. à la nouvelle mode.
82. Propres. Cf. v. 79. — Poil : che- 89. Au Palais. Dans les galeries du
veu. •— Passe : dépasse. — Il est eu- Palais de Justice, où se vendaient les
rieux que le défenseur de Desportes articles de toilette.
reproche à Malherbe de l'afféterieJ 91. D'eau châtre. Par opposition aux
Régnier traite d'artifice l'art indus- fards.
trieux et patient du versificateur, au- 93. Mercure. Le dieu des marchands
quel il oppose la « naïveté » du vrai et des fraudeurs.
poète. 94. Non pas que ces nonchalances
83. Ou : au lieu que. — Hautains, soient un effet de l'art. Il n'y a chez
RÉGNIER 327
Or, Rapin, quant à moy, je n'ay point tant d'esprit. 95
Je vay le grand chemin que mon oncle m'aprit,
Laissant là ces Docteurs, que les Muses instruisent
En des arts tout nouveaux : et s'ils font, comme ils disent,
De ses fautes un livre aussi gros que le sien.
Telles je les croiray quand ils auront du bien, 100
Et que leur belle Muse, à mordre si cuisante.
Leur don'ra, comme à luy, dix mille escus de rente,
De l'honneur, de l'estime ; et quand par l'Univers
Sur le lut de David on chantera leurs vers ;
Qu'ils auro^t joint l'utille avecq* le délectable, 105
Et qu'ils sçauront rimer une aussi bonne table
S'ils ont l'esprit si bon, et l'intellect si haut,
Le jugement si clair, qu'ils fassent un ouvrage
Riche d'inventions, de sens et de langage.
Que nous puissions draper comme ils font nos escris, 110
Et voir, comme l'on dit, s'ils sont si bien apris :
Qu'ils montrent de leur eau, qu'ils entrent en cariere.
lui nul artifice, pas d'autres artifices leurs que Malherbe, contre lequel est
que les nonchalances, qui sont le dirigée cette satire, jugeait du mérite
contraire même des artifices. de ses vers par le profit qu'il en
99. C'est ce que fit en effet Mal- tirait. « Les vers, disait-il, seront
herbe, qui, dans son Commentaire de beaux pour moi s'ils me procurent
Desportes, se borne presque exclusi- une augmentation de pension. »
yement à relever des fautes. 104. Desportes avait traduit les
100. Telles Je les croiray. Je tiendrai Psaumes^ et sa traduction venait
ces prétendues fautes pour des fautes d'ôtre mise en musique.
réelles. 106. Une aussi bonne table. Expres-
101. Â mjordre si cuisante. Qui fait sion piquante. Des vers qui leur
de si cuisantes morsures. procureront les moyens de, etc.
102. Don'ra. Pour donnera. Licence 108. Clair : net.
poétique. — Dix mille, etc. L'oncle de 109. De langage : de style.
Régnier était le mieux rente de tous 110. Draper : habiller de toutes
les poètes. Henri III lui avait prodigué pièces^ comme nous disons encore. —
les bénéfices, et Henri IV, quoique Font : drapent.
Desportes se fût d'abord rangé du 111. Et voir. Que, du v. 110, équi-
côtédela Ligue, lui fit rendre, pour se vaut à afin que le. Par suite : afin
l'attacher, ceux qui avaient été saisis, que nous puissions le draper, et voir,
— On est surpris de trouver un tel etc. .
argument dans la bouche de Régnier. 112. Qu'ils montrent de leur eau.
Mais ces dix mille écus de rente Expression proverbiale.Qu'ils fassent
témoignaient, après tout, de l'estime voir ce dont ils sont capables, qu'ils
que les rois et les princes faisaient produisent quelque chose à quoi la
de Desportes. N'oublions pas d'ail- critique puisse se prendre. Cf. d'Au-
328 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Leur âge deffaudra plus tost que la matière.
Nous sommes en un siècle où le Prince est si grand,
Que tout le monde entier à peine le comprend. 115
Qu'ils fassent, par leurs vers, rougir chacun de honte :
Et comme de valeur nostre Prince surmonte
Hercule, -^née, Achil', qu'ils ostent les lauriers
Aux vieux, comme le Roy l'a fait aux vieux guerriers.
Qu'ils composent une œuvre; on verra si leur livre 120
Après mile et mile ans sera digne de vivre.
Surmontant par vertu l'envie et le Destin,
Gomme celuy d'Homère et du chantre latin.
Satire X *
FACHEUX ET PÉDANTS
Un de ces jours derniers, par des lieux destournez
Je m'en allois resvant, le manteau sur le nez,
L'ame bizarement de vapeurs occupée,
Gomme un Poëte qui prend les vers à la pippee :
En ces songes profonds où flottoit mon esprit, 5
Un homme par la main hazardement me prit.
Ainsi qu'on pourroit prendre un dormeur par l'oreille.
Quand on veut qu'à minuict en sursault il s'esveille.
bigné : « On demande à ces législa- 117. De valeur : par sa valeur.
tears que, pour avoir l'autorité sur le 118. Achil'. De telles licences sont
siècle que les grands maistres de ce fréquentes chez Régnier.
temps ont prise, que nous voyions de 119. Aux vieux. Aux vieux poètes,
leurs mains des poëmes épiques, he- ceux de la Grèce et de Romei — Fait.
roïques, ou quelque chose qui se Substitut du verbe ôter.
puisse appeler œuvre. » (Lettres de 123. Du chantre latin. De Virgile.
points de science.) — En carrière. * Cf. Boileau, Le repas ridicule. —
Dans la lice. Cette satire est imitée des Italiens
113. Age : vie. — Deffaudra : fera Berni et Caporali.
défaut. 3. Vapeurs : songeries vagues. —
115. Tout le monde entier : le monde Occupée : remplie, pleine,
tout entier. — Comprend : peut con- 4. Poëte. Synérése. — A la pippee.
tenir. Cf. Juvénal, disant d'Alexandre : Cf. page 90, note du vers 50.
iEstoat iafellx angosto in limite mundL 6. Hazardement : d'une manière
IIG. Chacun. Des autres poètes. hasardée, indiscrète.
RÉGNIER 329
Je passe outre d'aguet, sans en faire semblant,
Et m'en vois à grands pas, tout froid et tout tremblant, 10
Craignant de faire encor', avec ma patience,
Des sottises d'autruy nouvelle pénitence.
Tout courtois il me suit, et, d'un parler remis :
Quoi ! Monsieur, est-ce ainsi qu'on traite ses amis ?
Je m'arreste, contraint; d'une façon confuse, 15
Grondant entre mes dents, je barbotte une excuse....
Le Ciel nous fit ce bien qu'encor' d'assez bonne heure
Nous vinsmes au logis où ce Monsieur demeure.
Où, sans historier le tout par le menu.
Il me dict : Vous soyez. Monsieur, le bien-venu. 20
Apres quelques propos, sans propos et sans suitte,
Avecq' un froid Adieu je minute ma fuitte.
Plus de peur d'accident que de discrétion.
Il commence un sermon de son affection.
Me rid, me prend, m'embrasse avecq' cérémonie : 26
Quoi! vous ennuyez-vous en nostre compagnie?
Non, non, ma foy, dit-il, il n'ira pas ainsi;
Et, puisque je vous tiens, vous souperez icy.
Je m'excuse; il me force. O dieux! quelle injustice!
Alors, mais las! trop tard, je cogneus mon supplice; 30
Mais pour l'avoir cogneu, je ne peus l'éviter,
Tant le destin se plaist à me persécuter.
A peine à ces propos eut-il fermé la bouche,
Qu'il entre à Testourdi un sot fait à la fourche.
Qui, pour nous saluer laissant cheoir son chapeau, 35
9. D'aguet. Cf. Satire VIII, note du saientvïwa.', des propos tenus à rayen-
yers 114. ture.
11. Encor*. Cf. Satire VIII. 22. Je minute. Cf. SatireVlllyy. 53.
13. Remis : doux. 23. De discrétion : par discrétion.
16. Je barbotte : je marmotte. Cf. de peur.
19. Historier : raconter. 24. De : sur.
19. 20. Sans historier..., il me dit. 27. Il : cela.
Construction de l'infinitif plus libre 31. Peus : pus.
que dans l'usage actuel. Sans historier 33. A peine eut-il terminé ces pro-
sig^fie : Sans que j'historie, pour ne pos.
pas raconter, etc. 34. Fourche. L'r ne devait pas son-
20. Vous soyez. Ellipse de que. ner. — Fait à la fourche. Mal bâti.
21. Sans propos : qui no se propo-
330 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Fit comme un entrechat avec un escabeau,
Trébuchant sur le cul, s'en va devant derrière,
Et, grondant, se fascha qu'on estoit sans lumière.
Pour nous faire, sans rire, avaller ce beau saut.
Le Monsieur sur la veuë excuse ce defiaut, 40
Que les gens de sçavoir ont la visière tendre.
L'autre se relevant devers nous se vint rendre,
Moins honteux d*estre cheut que de s'estre pressé;
Et luy demandast-il s'il s'estoit point blessé.
Après mille discours, dignes d'un grand volume, 45
On appelle un vallet, la chandelle s'allume :
On apporte la nappe, et met-on le couvert :
Et suis parmy ces gens comme un homme sans vert,
Qui fait, en rechignant, aussi maigre visage
Qu'un renard que Martin porte au Louvre en sa cage. 60
Un long temps sans parler je regorgeois d'ennuy.
Mais, n'estant point garant des sottises d'autruy.
Je creu qu'il me falloit d'une mauvaise affaire
En prendre seulement ce qui m'en pouvoit plaire.
Ainsi considérant ces hommes et leurs soings, 55
Si je n'en disois mot, je n'en pensois pas moins ;
Et jugeai ce lourdaut, à son nez autentique.
Que c'estoit un Pédant, animal domestique.
37. S'en va. Le présent pour le 50. Un renard mis en cage que
passé défini, qui précède et qui Martin porterait au Louvre pour
suit. amuser les laquais. Martin était sans
40. Le Monsieur. "Le maître do céans, doute un montreur de butes.
41. Que. Se construit avec un verbe 54. En prendre. En explétif,
comme disant, alléguant^ contenu 55. Soings. Ce qui les occupe,
dans excuse du vers précédent. — 57. Autentique. Scellé de rouge
Visière : vue. — Tendre : faible. comme une charte revôtue du grand
42. Devers : vers. — Se vint rendre : sceau. (Note de l'édition Courbet.)
vint se rendre, se dirigea. Brossette explique par bien étoffé,
44. Demandast-il. Le maître de bien gros. Il est à supposer que, ce
maison. — Inversion du pronom per- nez servant ici do pièce, d'attestation,
sonnel après et^ comme, dans l'usage Régnier le qualifie plaisamment d'au-
modeme, après aussi, peut-^tre, etc. thentique comme un document irré-
46. 5'a//u/ne. Le réfléchi pour le pas- cusable.
sif ; très â'équent au seizième siècle. 57, 58. Ce lourdaut.,» que c'estoit :
47. Et met-on. Cf. la note du v. 44. que ce lourdaud était. Hellénisme.
48. Sans vert : pris au dépourvu. 58. Pédant : pédagogue. — Dômes-
RÉGNIER 331
De qui la mine rogue, et le parler confus,
Les cheveux gras et longs, et les sourcils touffus, 60
Faisoient par leur sçavoir, comme il faisoit entendre,
La figue sur le nez au Pédant d'Alexandre.
Venons à luy, dont la maussade mine
Ressemble un de ces Dieux des coutaux de la Chine,
Et dont les beaux discours, plaisamment estourdîs, 65
Feroient crever de rire un sainct de Paradis.
Son teint jaune, enfumé, de couleur de malade,
Feroit donner au Diable et ceruze et pommade;
Et n'est blanc en Espaigne à qui ce cormoran
Ne fasse renier la loy de l'Alcoran. 70
Ses yeux, bordez de rouge, esgarez, sembloient estre
L'un à Montmartre, et l'autre au chasteau de Bicestre :
Toutesfois, redressant leur entre-pas tortu,
Ils guidoient la jeunesse au chemin de vertu.
Son nez haut relevé sembloit faire la nique 75
A l'Ovide Nason, au Scipion Nasique,
tique : qui fait partie de la maison. — laissery etc. — C'est-à-dire que la cé-
Tout ce portrait est imité d'une pièce ruse et la pommade, impuissantes à
de Caporali. lui éclaircir le teint, se donneraient
61. Par leur sçavoir. Leur ne au diable,
laisse pas d'être piquant. — Comme : 69. Blanc. Ce qu'on appelle le blanc
à ce que. d'Espagne. — Cormoran. Oiseau à
61. 62. Faisoient... la figue sur le chair très noire.
nez. Faire la figue signifie mépriser. 70. Ne fasse proférer des jure-
Cette locution s'explique par une ments, par dépit de ne pas arriver à
anecdote qu'on trouvera dans le die- le blanchir. « Le blanc d'Espagne
tionnaire de Littré. renie la loi de Mahomet : jurement
62. Au Pédant d'Alexandre. Au familier aux Espagnols à cause de
maître d'Alexandre, Aristote. leur antipathie mortelle pour les
63. Luy. Toujours ce pédant. Maures. » (Brossette.)
64. «On s'est servi pendant quelque 73. £n/re-^af. Proprement, l'entre-
temps de couteaux dont le manche pas est une allure du cheval entre le
était figuré en marmouzet ou terminé trot et le pas, quelque chose comme
par quelque figure extraordinaire, l'amble.
comme une tête de Maure, et d'autres 75. Faire la nique : témoigner mé-
semblables ; et on appelait ces cou- pris ou moquerie par un certain signe
teaux des couteaux de la Chine. Cette de tête. (Littré.)
mode durait encore en France vers 76. Nason... Nasique. Surnoms. En
la fin du siècle passé. » (Brossette.) latin Naso, Nasiea, qui a le nez très
68. Feroit donner. Ellipse régu- fort ou très long.
Hère de se avec les verbes faire*
332 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Où maints rubis balez, tous rougissans de vin,
Monstroient un hac itur à la Pomme de pin,
Et, preschant la vendange, asseuroient en leur trongne
Qu'un jeune Médecin vit moins qu'un vieux yvrongne... 80
Quant au reste du corps, il est de telle sorte,
Qu'il semble que ses reins et son espaule torte
Façent guerre à sa teste, et par rébellion
Qu'ils eussent entassé Osse sur Pellion ;
Tellement qu'il n'a rien en tout son attelage 85
Qui ne suive au galop la trace du visage.
Pour sa robbe, elle fut autre qu'elle n'estoit
Alors qu'Albert le Grand aux festes la portoit;
Mais toujours recousant pièce à pièce nouvelle,
Depuis trente ans c'est elle, et si ce n'est pas elle : 90
Ainsi que ce vaisseau des Grecs tant renommé.
Qui survescut au temps qu'il avoit consommé.
Une taigne affamée estoit sur ses espaules.
Qui traçoit en arabe une carte des Gaules.
Les pièces et les trous, semez de tous costez, 95
Representoient les bourgs, les monts et les citez.
Les filets séparez, qui se tenoient à peine,
Imitoient les ruisseaux coulans dans une pleine
77. Ou. Nez sur lequel. — Salez, tique ».
Mot d'origine persane, qui ne s'em- 86. La figure est préparée par at~
ploie que dans l'expression rubis telage du vers précédent.
6a/a» : d'un rouge tirant sur l'orange. 88. Albert le Grand. Fameux doc-
— Tous rougissans. Pour tout rougis- teur du treizième siècle.
sants. Cf. page 262, vers 65. 89 Pieceàpiece nouvelle. Une pièce
78. Hac itur. Mot à mot : c'est par à une autre pièce.
là qu'on ya. — Pomme de pin. Ancien 90. Et si : et pourtant,
et fameux cabaret, prés du pont 91. Fa^^eau. Celui qui porta Thésée
Notre-Dame. Il en est question dans d'Athènes dans la Crète, pour aller
Rabelais et dans Villon. combattre le Minotaure. Les Athé-
84. Qu'ils eussent. La régularité niens le conservèrent plusieurs
grammaticale exigerait qu'ils aient, siècles en substituant des. planches
— Of^e fur Pe/ton. Montagnes de Thés- neuves à celles qui tombaient en
salie que les Géants entassèrent pourriture.
l'une sur l'autre pour escalader le 92. Consommé : consumé.
ciel. 93. Taigne. La teigne est un in~
85. Attelage. Comme équipagCymaiB secte qui ronge les étoffes,
approprié à cet « animal dômes- 97. Filets. Petit fils de la trame.
RÉGNIER 333
Un mouchoir et des gants, avecq' ignominie,
Ainsi que des larrons pendus en compagnie, 100
Luy pendoient au costé, qui sembloient, en lambeaux,
Crier en se mocquant : Vieux linges, vieux drapeaux!
De l'autre, brimballoit une clef fort honneste,
Qui tire à sa cordelle une noix d'arbaleste.
Ainsi ce personnage, en magnifique arroy 106
Mavchaint pedetentim, s'en vint jusques à moy,
Qui sentis à son nez, à ses lèvres décloses,
Qu'il fleuroit bien plus fort, mais non pas mieux que roses.
Il me parle latin, il allègue, il discourt.
Il reforme à son pied les humeurs de la Court : 110
Qu'il a pour enseigner une belle manière ;
Que sans robe il a veu la matière première ;
Qu'Epicure est yvrongne, Hypocrate un bourreau,
Que Bartolle et Jason ignorent le barreau ;
Que Virgile est passable, encor' qu'en quelques pages 115
Il meritast au Louvre estre chifQé des Pages;
Que Pline est inesgal; Terence un peu joly :
Mais sur-tout il estime un langage poly.
Ainsi sur chaque autheur il trouve de quoy mordre.
L'un n'a point de raison, et l'autre n'a point d'ordre; 120
101. « J'ai vu de bonnes gens du 107. Décloses : ouyertes.
temps jadis qui portaient encore les 109. Allègue : fait des citations,
gants pendus à la ceinture. » (Bros- HO. A son pied : à sa mesure, c'est-
sette.) à-dire à sa guise.
102. Vieux linges, vieux drapeaux I 111. Qu'il a. Le que dépend d'un
c Cri des revendeuses qui cherchent verbe comme disant qu'il faut tirer
à acheter de vieilles bardes. » (Bros- des verbes qui précèdent, reforme et
sette.) — Drapeau : morceau de drap discourt.
ou de ling^. 112. Sans robe : sans voile.
103. Brimballoit : o8cïilaât,hranlait. 113. Epicure vécut, au contraire^
104. Cordelle : corde dont on se très tempérant. Cf. le vers d'Alfred
sert en général pour le halage des de Musset :
bateaux. — Noix d'arbaleste: partie Qui du lobre Epienre a fait an demi-dieu,
du ressort d'une arbalète où la corde 114. Bartolle -et Jason, Cf. Satire
est arrôtée quand on l'a tendue. IV, note du v. 4.
105. Arroy: équipage. Cf. désarroi. 116. JtfertYaj^. Conditionnel en même
106. Pedetentim : à pas comptés, temps que subjonctif. — ChiffU :
Régnier joue peut-être sur la res- sifQé.
semblance du mot avec celui de 118. Sur^tout : par-dessus tout.
pédant.
19.
334 POÈTES DU XVI* SIECLE
L'autre avorte avant temps des œuvres qu'il conçoit.
Or' il vous prend Macrobe, et luy donne le foit.
Giceron, il s'en taist, d'autant que l'on le crie
Le pain quotidian de la Pédanterie.
Quant à son jugement, il est plus que parfait, 125
Et l'immortalité n'ayme que ce qu'il fait.
Par hazard disputant, si quelqu'un luy réplique,
Et qu'il soit à quia : Vous estes hérétique,
Ou pour le moins fauteur; ou. Vous ne savez point
Ce qu'en mon manuscrit j'ay noté sur ce point. 130
Satire XIII*
MAGETTE
La fameuse Macette, à la C9ur si connue.
Qui s'est aux lieux d'honneur en crédit maintenue,
Et qui, depuis dix ans jusqu'en ses derniers jours,
121. il fan< /e/n/7^: avant le temps. — eût-elle été capable toute seule de
Des. Avorter de comme accoucher de. donner à Régnier la grande réputation
122. Or' : maintenant, tantôt. — qu'il conserve encore aujourd'hui
jlf ocro^e. Erudit latin du cinquième parmi nous et qu'il portera sans doute
siècle. à la postérité. > (Brossette.) — « Ma-
125. Son. De lui-môme, du pédant, cette est déjà Tartuffe. Chez Ovide et
128. II. Le pédant. — A quia. Etre chez Properce, à qui le poète a pris
à quia, c'est n'avoir d'autre raison à l'idée de cette satire, Macette n'est
fournir que quia^ parce que. qu'une Canidie vulgaire contre la-
129. Fauteur. D'hérésie. quelle les amants accumulent toutes
* Dans cette satire, Régnier s'ins- les invectives d'usage. Cette diffé-
pire d'Ovide, de Properce, et du rence suffit pour montrer comment
Roman de la Rose. — « De toutes les Régnier entendait l'imitation des
satires de Régnier, celle-ci est la anciens, et avec quelle aisance, en
mieux versifiée, celle dont les vers leur empruntant un caractère ridicule
sont les plus soutenus, les plus nom- ou vicieux, il le dépouillait des habi-
breux, les plus détachés les uns des tudes antiques et pour ainsi dire de la
autres (c'est un disciple de Boileau tunique romaine pour le revêtir des
qui parle) , les plus naturels et les plus mœurs et du pourpoint de son temps.»
beaux... Quand elle parut, elle fut (Sainte-Beuve.)
reçue avec des applaudissements qui 3. Depuis dix ans. Depuis l'Age de
allaient à l'admiration; et peut-être dix ans.
RÉGNIER 335
A soustenu le prix en Tescrime d'amours,....
Lasse, di-je, et non soûle, enfin s'est retirée, 5
Et n'a plus d'autre objet que la voûte Etheree
Donnant des sainctes lois. à son affection,
Elle a mis son amour à la dévotion.
Sans art elle s'habille; et, simple en contenance,
Son teint mortifié presche la continence. 10
Clergesse elle fait jà la leçon aux prescheurs :
Elle lict sainct Bernard, la Guide des Pécheurs.
Les Méditations de la mère Thérèse ;
Sçait que c'est qu'hypostase avecque synderese ;
Jour et nuict elle va de convent en convent; 15
Visite les saincts lieux, se confesse souvent
Loin du monde elle fait sa demeure et son giste :
Son œil tout pénitent ne pleure qu'eau beniste.
Enfin c'est un exemple, en ce siècle tortu,
D'amour, de charité, d'honneur, et de vertu. 20
Pour Béate partout le peuple la renomme ;
Et la gazette mesme a desjà dit à Rome,
La voyant aymer Dieu, et la chair maistriser.
Qu'on n'attend que sa mort pour la canoniser.
Moy-mesme, qui ne croy de léger aux merveilles, 25
Qui reproche souvent mes yeux et mes oreilles,
La voyant si changée en un temps si subit,
4. Cf. Boileau : La Guide des Pécheurs, ouyrage du
,. ^ . ^ [crime, théologien Louis de Grenade.
Dan. les combat. d'e.^t^«T«t^m^^d'e.. ^3 |^.^^^ Thérèse.
5 Cf. Juvénal : > > • • 14 Sçait que c'est. Construction du
Et lanâta rlri. aed non Mtii^ recumbtt. temps pour sait ce que c^est.—HypoS'
{Sat., VI, 129.) tase. Terme de théologie : il n'y a
6. La voûte Etheree. Le ciel, la reli- qu'une nature en Dieu, et il y a trois
gion. hypostases (^ personnes). — Synde-
7. Des. Cf. Satire VIII, note du rese, repentir.
vers 80. — Affection : sentiments, 15. Convent : couvent,
dispositions. 19* Tortu : pervers.
8. Mis : appliqué, attaché. 21. Beau. Terme de théologie : bien
9. Simple. Se rapporte à Macette, heureux, qui vit saintement,
et non à teint. 25. De léger : à la légère.
11. Clergesse. Féminin de clerc. — 26. Reproche : récuse.
Prescheurs : prédicateurs. 27. En un temps si subit : si subi-
12. La. Guide était du féminin. — tement.
336 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Je creu qu'elle Testoit d'ame comme d'habit;
Que Dieu la retiroit d'une faute si grande ;
Et disois à par moy : Mal vit qui ne s'amende. 30
Jà des-jà tout dévot, contrit et pénitent,
J'estois, à son exemple, esmeu d'en faire autant :
Quand, par arrest du ciel, qui hait rh3rpocrisie,
Au logis d'une fille, où j'ay ma fantasie.
Geste vieille chouette, à pas lents et posez, 35
La parole modeste, et les yeux composez.
Entra par révérence ; et resserrant la bouche,
Timide en son respect, sembloit saincte Nitouche,
D'un Ave Maria lui donnant le bon jour,
Et de propos communs, bien esloignez d'amour, 40
Entretenant la belle en qui j'ay la pensée,
D'un doux imaginer si doucement blessée,
Qu'aymans, et bien aymez, en nos doux passe-tans,
Nous rendons en amour jaloux les plus contens.
Enfin, comme en caquets ce vieux sexe fourmille, 45
De propos en propos, et de fil en esguille.
Se laissant emporter au flus de ses discours.
Je pense qu'il falloit que le mal eust son cours.
Feignant de m'en aller, d'aguet je me recule
Pour voir à quelle fin tendoit son préambule ; 50
Moy qui, voyant son port si plein de saincteté,
Pour mourir, d'aucun mal ne me feusse doubté.
Enfin, me tapissant au recoin d'une porte,
31. Jà desjà : déjà. Cf. le latin libertine avait rendu Régnier à de
jamjam. plus chastes délicatessèB d'amour, il
32. Esmeu de : poussé à, tenté de. parle ici en vers dignes de Chénier. »
34. Fille : jeune fille. — Où : en (Sainte-Bepve.)
laquelle. — FantCLsie : inclination, 45. Ce vieux sexe. Singulière façon
amour. Cf. imaginer du vers 42. de parler, pour les vieilles femmes ou
37. Par révérence. Avec révérence, filles.
38. Saincte Nitouche. Qui n'y touche 47, 48. — Se laissant... Je pense. Cou-
pas, struction libre du participe présent.
41. En qui j*ay la pensée, A.\diq}xeVie 49. D'aguet. Cf. Sat. VIII, note du
va ma pensée. vers 114.
42. Imaginer. Infinitif employé 52. i>ourmour»r.Eussé-je dû mourir,
substantivement. — Cf. fantasie du m'eût-il fallu mourir.
vers 34. 53. Me tapissant. Du verbe se tapir,
« Comme si l'aspect de l'hypocrisie
RÉGNIER 337
J'entendy son propos, qui fut de ceste sorte :
Ma fille, Dieu vous garde, et vous vueille bénir! 55
Si je vous veux du mal, qu'il me puisse advenir!
Qu'eussiez-vous tout le bien dont le Ciel vous est chiche,
L'ayant je n'en seroy plus pauvre ny plus riche :
Car n'estant plus du monde, au bien je ne pretens;
Ou bien, si j'en désire, en l'autre je l'attens; 60
D'autre chose icy-bas le bon Dieu je ne prie.
A propos, sçavez-vous? on dit qu'on vous marie,
Je sçay bien vostre cas : un homme grand, adroit.
Riche, et Dieu sçait s'il a tout ce qu'il vous faudroit.
Il vous ayme si fort ! Aussi pourquoy, ma fille, 65
Ne vous aymeroit-il? Vous estes si gentille,
Si mignonne et si belle, et d'un regard si doux.
Que la beauté plus grande est laide auprès de vous.
Mais tout ne respond pas au traict de ce visage
Plus vermeil qu'une rose, et plus beau qu'une image. 70
Vous devriez, estant belle, avoir de beaux habits,
Esclater de satin, de perles, de rubis.....
Que cecy fust de soye et non pas d'estamine.
Ma foy, les beaux habits servent bien à la mine.
On a beau s'agencer, et faire les doux yeux, 75
Quand on est bien parée, on en est toujours mieux :
Mais, sans avoir du bien, que sert la renommée?
C'est une vanité confusément semée
Dans l'esprit des humains, un mal d'opinion,
Un faux germe, avorté dans nostre affection. 80
55 sqq. Cf. Molière, Ecole des fem~ 61. D'autre chose. Gomme on dit
mes, II, VI ; prier de avec un infinitif.
... Le lendemain, étant sur notre porte, 63. Adroit. Oi se prononçait ouè.
Une Tieille m'aliorde en parlant de la sorte : 68. Plus grande : la plus grande.
Mon enfant,le bon Dieu vous pulase-t-il bénir, gg ^„ traict. An caractère, à la
[teïii'I beauté
Bt dans tons Yoa attraits longtemps Tooa main- • «
n ne Toua a pai faite une belle perwnne '^** Devriez. Synérese.
Afin de mal uaer des choiea qu'il voua donne, etc. 73. Estantine, ^tofLe &Q laine.
57. Qu'eussiez-vous : que si vous 75. S'agencer : s'ajuster.
aviez. 78. Une idée vague et sans consis-
58. L'ayant. J'aurais beau l'avoir, tance.
vous le prendre. %Q. Faux germe. QS. semée û.'a.y&csl%.
60. En l'autre. Dans l'autre monde. —- Affection. Terme vague, que Ré-
338 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Ces vieux contes d'honneur dont on repaist les Dames
Ne sont que des appas pour les débiles âmes,
Qui, sans chois de raison, ont le cerveau perclus.
L'honneur est un vieux sainct que Ton ne chomme plus.
Il ne sert plus de rien, sinon d'un peu d'excuse, 85
Et de sot entretien pour ceux-là qu'on amuse.
Ou d'honneste refus, quand on ne veut aymer.
Il est bon en discours pour se faire estimer :
Mais au fond c'est abus, sans excepter personne.
La sage le sçait vendre où la sotte le donne. 90
Ma fille, c'est par là qu'il vous en faut avoir.
Nos biens, comme nos maux, sont en nostre pouvoir.
Fille qui sçait son monde a saison opportune.
Chacun est artisan de sa bonne fortune.
Le malheur, par conduite, au bonheur cédera. 95
Aydez-vous seulement, et Dieu vous aydera.
Combien, pour avoir mis leur honneur en séquestre.
Ont-elles en velours eschangé leur limestre.
Et dans les plus hauts rangs eslevé leurs maris !
Ma fille, c'est ainsi que Ton vit à Paris, loo
Et la vefve aussi bien comme la mariée :
Celle est chaste, sans plus, qui n'en est point priée.
Toutes, au fait d'amour, se chaussent en un point :
Jeanne que vous voyez, dont on ne parle point.
Qui fait si doucement la simple et la discrète, 105
Elle n'est pas plus sage, ains elle est plus secrète;
gnier emploie souvent pour sensibi- 9T. En séquestre. Etat d'une chose
lité, imagination, ou même âme. en litige, remise aux mains d'un tiers.
82. Appas : appâts. 98. Limestre. Etoffe de laine.
%Z. Sans choix de raison. IncK^dlhlQS 101. Comme: que.
de faire un choix raisonné. 102. Celle : celle-là. — En: de vivre
85. D'excuse. De prétexte. ainsi.
86. Qu'on amuse : qu'on leurre. 103. Au fait d'amour. Comme nous
88. En discours : en parole. disons en fait d'amour. — Se chaussent
89. Au fond, personne sans excep- en unpoint. Chaussent le même point,
tion ne s'en sert que pour abuser les et, figurément, tiennent la môme con-
autres. duite.
91. Par là : de cette façon-là. 106. Ains : mais. — Cf. Desportes :
95. Par conduite. Si l'on sait se Ne soyez pas plus chaste, ains aoyeaploasecrette.
conduire. (Elégies, II, m.)
^
RÉGNIER 339
Elle a plus de respect, non moins de passion,
Et cache ses amours sous sa discrétion.
Moy-mesme, croiriez- vous, pour estre plus âgée.
Que ma part, comme on dit, en fust desjà mangée?... 110
Je cache mon dessein aux plaisirs adonné.
Le péché que l'on cache est demi-pardonné.
La faute seulement ne gist en la deffence.
Le scandale, l'opprobre est cause de TofiFence.
Pourveu qu'on ne le sçache, il n'importe comment. 115
Qui peut dire que non, ne pèche nullement.
Puis la bonté du Ciel nos offenses surpasse.
Pourveu qu'on se confesse, on a tousjours sa grâce.
DISCOURS AU ROP
Il estoit presque jour, et le ciel souriant
Blanchissoit de clairté les peuples d'Oriant;
L'Aurore, aux cheveux d'or, au visage de roses,
Desjà, comme à demy, decouvroit toutes choses ;
Et les oyseaux, perchez en leur feuilleux séjour, 5
Commençoient, s'eveillant, à se plaindre d'amour :
Quand je vis en sursaut une beste effroyable
Chose estrange à conter, toutefois véritable.
Qui, plus qu'une Hydre affreuse à sept gueulles meuglant,
Avoit les dents d'acier, l'œil horrible et sanglant, 10
107. Respect : égards poar l'opinion 115. Comment, On se conduit,
du monde. Nous disons, dans le 116. Cf. Desportes :
môme sens, respect humain. c^u^ ^ ^^ ^^ ^^ ^^ ^^ ^^ ^^
109. Pour estre : parce que je suis. twi- i tt
113. La faute ne consiste pas seule- {Elégies, II, ui.)
ment à faire quelque chose de dé- * a Dans ce discours allégorique,
fendu. l'auteur loue Henri le Grand d'avoir
114. L'opprobre. La déconsidération dissipé la Ligue et étouffé les guerres
publique. — Cf. Molière : civiles. » (Brossette.)
Voua fitea «Morée ici d'an plein Ment [fait. ^* FeutY/euX. Le mot n'est pas resté.
Et le voMl n'est jamaia que dana l'éclat qu'on 7. En sursaut. Avec un sursaut de
Le Bcandale du monde est oe qui fait l'ofEenie, terreur. — Une beste. La Lig^e.
Kt ce n'eit pas péoher que pécher en lilenee. 9, p^yg affreuse qu'une hydre meu-
[Tart.f IV, v.) glant (mugissant) par sept gueules.
340 POÈTES DU XVI® SIÈCLE
Et pressoit à pas torts une Nimphe fuyante.
Qui, réduite aux abois, plus morte qiie vivante,
Haletante de peine, en son dernier recours,
Du grand Mars des François imploroit le secours,
Embrassoit ses genoux, et, Tappellant aux armes, 16
N'avoit d'autre discours que celuy de ses larmes. ^
Geste Nimphe estoit d'âge, et ses cheveux meslez
Flottoient au gré du vent, sur son dos avalez.
Sa robe estoit d'azur, où cent fameuses villes
Eslevoient leurs clochers sur des plaines fertilles, 20
Que Neptune arosoit de cent fleuves épars.
Qui dispersoient le vivre aux gens de toutes parts.
Les vilages épais fourmilloient par la plaine ;
De peuple et de bétail la campagne estoit plaine,
Qui, s'employant aux ars, meloient diversement 25
La fertile abondance avecque l'ornement.
Tout y reluisoit d'or, et sur la broderie
Eclatoit le brillant de mainte piererie.
La mer aux deux côtés ceste ouvrage bordoit :
L*Alpe de la main gauche en biais s'epandoit, 30 |
Du Rhain jusqu'en Provence; et le mont qui partage
D 'avecque l'Espagnol le François héritage,
De l'Âucate à Rayonne en cornes se haussant,
Monstroit son front pointu de neges blanchissant.
Le tout estoit formé d'une telle manière 35
Que l'art ingénieux excedoit la matière.
Sa taille estoit auguste, et son chef, couronné.
De cent fleurs de lis d'or estoit environné.
Ce grand Prince, voyant le soucy qui la grève,
11. Pressait. Poursuivait. — A pas ployait au féminin.
torts. Avec des replis sinueux. — Une 30. De. Du côté de, sur.
Nimphe. La France. 31. Le mont. Les Pyrénées.
14. Mars. Henri IV. 32. Héritage : domaine, territoire.
17. Meslez : emmêlés. 33. UAucate. Leucate, ville de
18. Avalez : descendus. l'Aude. — Cornes : pics.
19. Oii : et là, et sur cette robe. Z^.Materiem super abat opus, [OviàQ,
22. Le vivre. En latin victum, ce Métam., II, 5.)
dont on vit, aliment, nourriture. 39. Grève : appesantit, accable.
29. Ceste. Le mot ouvrage s'em-
^
RÉGNIER 341
Touché de piété, la prend et la relevé; 40
Et de feux estoufant ce funeste animal,
La délivra de peur aussi-tost que de mal ;
Et purgeant le venin dont elle estoit si plaine,
Rendit en un instant la Nimphe toute saine.
POESIES SPIRITUELLES*
STANCES
Quand sur moy je jette les yeux,
A trente ans me voyant tout vieux,
Mon cœur de frayeur diminue :
Estant vieilly dans un moment.
Je ne puis dire seulement 5
Que ma jeunesse est devenue.
Du berceau courant au cercueil,
Le jour se dérobe à mon oeil,
Mes sens troublez s'évanouissent.
Les hommes sont comme des fleurs, 10
Qui naissent et vivent en pleurs.
Et d'heure en heure se fanissent.
Leur âge, à l'instant écoulé
Comme un trait qui s'est envolé,
40. Piété : pitié. 6. Que : ce que.
41. i)e /eux : par des feux. 8. Le jour: le temps. Cf. le latin
* Tout épicurien et débauché qu'il dies. Le temps, qui court du berceau
fût, Régnier a eu des accès de pieux au cercueil, va si vite que mon œil no
repentir. Il faut dire, au surplus, que peut le suivre. On peut aussi com-
c'est la maladie et la crainte de la prendre en expliquant courant par
mort qui l'amènent à la contrition. — pendant que je cours.
L'authenticité de ces stances est con- 11. En pleurs. Pour les fleurs, ces
testable. pleurs sont la rosée, la pluie.
3. Diminue : se contracte. 12. D'heure en heure : d'une heure
i.Sstant vieilli. Coraxae ayant vieillif à l'autre. — Se fanissent: se fanent.
étant devenu vieux. 13. Age : vie.
342 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Ne laisse après soy nulle marque; 15
Et leur nom, si fameux icy,
Si-tost qu'ils sont morts meurt aussi,
Du pauvre autant que du Monarque.
N'agueres, verd, sain et puissant,
Gomme un aubespin florissant, 20
Mon printemps estoit délectable.
Les plaisirs logeoient en mon sein;
Et lors estoit tout mon dessein
Du jeu d'amour et de la table.
Mais, las! mon sort est bien tourné, 25
Mon âge en un rien s'est borné.
Foible languit mon espérance.
En une nuit, à mon malheur.
De la joye et de la douleur
J'ay bien appris la différence. 30
La douleur aux traits vénéneux,
Comme d'un habit épineux,
Me ceint d'une horrible torture.
Mes beaux jours sont changés en nuits;
Et mon cœur, tout flestry d'ennuys, 35
N'attend plus que la sépulture
15. Marque : trace. leurs justifié par la comparaison avec
16. Si fameux. Quelque fameux qu'il un aubépin. — Sain : en bonne santé,
puisse être. — Puissant : vigoureux. — Remarquer
18. Autant que. On attendrait du la construction de ces adjectifs qui
monarque autant que du pauvre, sur- ne se rapportent pas au sujet gram-
tout puisqu'il s'agit du nom, c'est- matical printcmpsy mais au sujet
à-dire de la renommée. Cf. les vers logique ye ou moi.
bien connus de Malherbe : 25. Tourné : changé.
- ^ ., ^ , 26. Age: vie. — En un rien s'est
Lie pauTre en sa cabane, où 10 chaume le couTrei , • ? ^ > i« «i. :
E.t sujet à ne. loi., etc. *«"'«• ^ ^^''''^ »» 1»™^^® «" ""^ "««^
{Stances à Du Périer.) de temps.
' 28. -4 : pour.
19. Verd. Nous disons une verte 35. Ennuys. Plus fort que dans
vieillesse. L'emploi du mot est d'ail- l'usage actuel.
R É G N I E n 343
Qu'est-ce de moy ? Foible est ma main,
Mon courage, hélas! est humain;
Je ne suis de fer ni de pierre.
En mes maux monstre-toy plus doux, 40
Seigneur; aux traits de ton courroux
Je suis plus fragile que verre.
Je ne suis à tes yeux, sinon
Qu'un festu sans force et sans nom,
Qu'un hibou qui n'ose paroistre, 45
Qu'un fantosme icy-bas errant.
Qu'une orde escume de torrent,
Qui semble fondre avant que naistre :
Où toy, tu peux faire trembler
L'Univers, et desassembler 50
Du Firmament le riche ouvrage :
Tarir les flots audacieux,
Ou, les eslevant jusqu'aux Cieux,
Faire de la Terre un naufrage.
Le soleil fléchit devant toy; 55
De toy les Astres prennent loy ;
Tout fait joug dessous ta parole :
Et cependant tu vas dardant
Dessus moy ton courroux ardent,
Qui ne suis qu'un bourrier qui vole. 60
Mais quoy ! si je suis imparfait.
Pour me défaire m'as-tu fait ?
Ne sois aux pécheurs si severe.
Je suis homme, et toy Dieu clément!
37. Qu'est-ce de moy ? Que suis-je ? 50. Desassembler : désagréger.
43, 44. Sinon qu'un. Cf. p. 300, v. 48. 57. Fait joug : se soumet.
47. Orde : sale. 58. Tu vas dardant : tu dardes.
48. Avant que. Cf. page 292, note du 60. Qui. Le relatif pouvait ôtre sé-
vers 20. paré de son antécédent. — Bourrier.
49. Ou : au lieu que. Petit amas de paille.
344 POÈTES DU XVI* SIÈCLE
Sois donc plus doux au châtiment, 65
Et punis les tiens comme Père.
J*ay Toeil scellé d*un sceau de fer;
Et déjà les portes d'Enfer
Semblent s'entr'ouvrîr pour me prendre.;
Mais encore, par ta bonté, 70
Si tu m'as osté la santé,
Seigneur! tu me la peux rendre.
Le tronc de branches devestu,
Par une secrette vertu
Se rendant fertile en sa* perte, 75
De rejettons espère un jour
Ombrager les lieux d*alentour,
Reprenant sa perruque verte,
Où rhomme en la fosse couché.
Apres que la mort l'a touché, 80
Le cœur est mort comme l'escorce :
Encor Teau reverdit le bois ;
Mais rhomme estant mort une fois,
Les pleurs pour luy n'ont plus de force.
66. Cf. le fameux sonnet de des [Chrirtr
Barreaux : Q^ ^'^ ^^^ ^^ courert du aang de Jénu-
[quité • '^^' Encore. Se rattache à rendre.
Gnmd Dieu, tes jugemenU sont remplis d'é- 78. Perruque : chevelure.
Toajoiin tu prends plaisir à nous être propice. 79. Ou : au lieu que.
Mais j'ai tant fait de mal que jamais ta bonté 79^ 81. L'homme. S'oppose directe-
Ne me pardonnera qu'en blessant ta jusUce. ^^^^ ^^ ^^ ^^^^ ^e la strophe précé-
Oni, Seigneur, la grandeur de mon impiété dente. On ne doit Sans doute pas
délaisse à ton pouvoir que le choix du suppUce; j^j^^ de l'homme... couché une sorte
Ton intérêt s'oppose à ma félicité, ,, , , «.•x- u 1 t »-. *• - j>.
Et ta clémence même attend que je périsse. d'ablatif absolu. La construction de
„ ^ ^ ^ ^, . . .., .. , . cette phrase est irréguliere, ou môme
Contente ton désir puisqu'il t'est glorieux : . *^ . • -i i* * .. i'l — ^
Olfense^idespleursqScoulentdemesye^; mcorrecte, mais il faut que l homme
[pour guerre. ^^^^ 1^ sujet (quitte à être remplacé
Tonne, frappe, il est temps, rends-moi guerre plus loin par le cœur) .
J'adore en périssant la raison qui t'aigrit. B2. Encor', L'eau reverdit encore
Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre le bois.
RÉGNIER 345
ÉPITAPHE DE RÉCxNlER
i
FAITE PAR LUI-MÊME
; J*ay vescu sans nul pensement,
Me laissant aller doucement
A la bonne loy naturelle ;
Et ne sçaurois dire pourquoy
La mort daigna penser à moy 5
Qui n'ay daigné penser en elle.
I 1. Pensement: réflexion. siècle. — On voit, par les stances
! 3. La loi de nature, c'est-à-dire précédentes, que Régnier songea
l'instinct. pourtant à la mort ; mais il n'y songea
6. En. Gomme à du vers précédent, qu'au moment même où elle le me-
Construction fréquente au seizième naçait.
■^'IH i/^
TABLE DES MATIERES
Pages.
NOTIGB 5
MAROT
Epîtrbs.
v* A Lyon Jamet 29
u Au Roi, pour le délivrer de
prison 33
Au Roi, pour succéder en l'état
de son père 36
.«^u Roi, pour avoir été dérobé. 40
' Au Roi, du temps de son exil. 45
j A Monseigneur le Dauphin, du
temps de son exil 54
Le Dieu gard' à la Cour .... 57
Fripelippes à Sagon 60
EOLOGUBS.
Eglogue au Roi 64
Complainte d'un pastoureau
chrétien 68
ELéoiBS.
Qui eust pensé 73
Epiorammbs.
Du lieutenant criminel et de
'^^ Samblançay 77
De Gupido et de sa Dame ... 77
A M»« de la Grelière 78
' De Oui et Nenni 78
,^u Roy de Navarre 79
— Il convie trois poètes à dîner. 79
. Dizain de n'oser découvrir son
affection 80
^ Réplique à la reine de Navarre. 80
D'une dame de Normandie . ■ 81
A Geoffroy Bruslard 81
De soi-même et d'un riche
ignorant 82
Balladbs.
A M»* d'Alençon 83
De Paix et de Victoire 84
RONDBAUX.
D'Ôtre content 86
Là où savez 87
^ Au bon vieulx temps 87
PlBGBS DIVERSES.
L'Enfer 88
Epitaphbs.
De Crétin 95
De trois enfiants frères .... 96
Pages.
De Monsieur du Tour 96
DÉFLORATION DE MSSSIRB FlO-
RIMOND ROBBRTBT 97
Cantique de la Chrétienté . . 99
Psaumes.
Psaume li 102
Psaume xxxiii 105
RONSARD y/
Odrs.
A L'Hôpital 109
^ A Cassandre 123
A la fontaine Bellerie 124
^ A la forêt de Gfttines 126
L'Amour mouillé 127
A Antoine Chasteigner. . . . 129
De l'élection de son sépulcre. 131
Le petit enfant Amour 136
^Bel aubespin verdissant. . . . 137
Amours de Cassandre.
Avant le temps 139
Comme un chevreuil 140
Voicy le bois 140
Amours de Marie.
Je vous envoyé 141
Comme on void sur la branche. 142
Sonnets a Hélène.
Je plante en ta faveur 142
— Quand vous serez bien vieille. 143
"^11 ne faut s'esbahir 144
Hymnes.
THymne de l'or 145
'^ymne de la mort 147
Elégies.
Au Printemps 152
\ A Hélène 154
^^ontre les bûcherons de la
forêt de Gastines 157
Églooub 160
Le Bocage Royal.
Panégyrique de la Renommée,
à Henri II 164
Dialogue avec les Muses dé-
logées 168
Discours.
Discours des Misères de ce
* temps 174
348 TABLE DES
Pages.
Institution pour l'adolescence
du Roi . 178
Remontrance au peuple de
France 181
Réponse aux injures des pré-
dicantereaux et ministreaux
de Genève 183
Poèmes.
A Pierre Lescot 185
La Frangiade.
Combat singulier de Francus
et de Phovère 189
Les rois fainéants 193
Gaietés.
Les Bacchanales 194
DU BELLAY
L'Olive.
Ores qu'en Tair 201
vDéjà la nuit 202
"^i nostre vie 203
Discours au roi 204
A Madame MAROUBRiTB.D'écrire
en sa langue 207
Des conditions du vrai poète. 210
La Complainte du Désespéré. 213
Le Poète courtisan 220
Les Regrets.
Je ne veux point fouiller . . . 226
Un plus sçavant que moy. . . 227
Je ne veulx feuilleter 228
Las ! où est maintenant .... 228
France, mère des arts 229
Cependant que Magny 230
Malheureux l'an, le mois . . . 231
Heureux qui comme Ulysse . 231
Il fait bon voir, Paschal .... 232
Marcher d'un grave pas .... 233
Quand je voy ces Messieurs. . 234
Ronsard, j'ay veu l'orgueil . . 235
Les Antiquités de Rome.
Le Babylonien : 236
Nouveau venu 236
Telle que dans son char. . . . 237
Sacrez costaux 238
MATIÈRES
Pa^M.
Ny la fureur 239
Pâlies Esprits 239
Qui a veu quelquefois 240
Jeux Rustiques.
D'un vanneur de blé 241
De deux amants 242
Contre les Pétrarquistbs . . 243
Hymne de la Surdité 250
D'AUBIQNÉ
Préface des Tragiques .... 257
Les Tragiques.
La guerre civile 258
Prière à Dieu 266
Autres mœurs, autre style . . 269
Le tyran et le roi 270
Portraits de Charles IX et
d'Henri III 272
Mignon du roi * 274
Les Martyrs 276
Episode de la Saint-Barthé-
iemy 278
L'Océan recueille les corps
des martyrs 279
Le jugement dernier 283
RÉGNIER
Satires.
Satire I. Le poète au roi . 291
— II. Les méchants
poètes 295
— III. La vie de Cour. . 298
— IV. La vocation poé-
tique de Ré-
gnier 307
— y. Chaque âge a ses
humeurs .... 310
— VIII. L'Importun. ... 316
~ lY. Contre Malherbe. 321
— X. Fâcheux et pé-
dants 328
— XIII. Macette 334
Discours au roi 339
Stances 341
Épitaphb de Régnibr par lui-
MÊMB 345
\\
APR1 9 19^B
Paris. ~ Imp. Paul Sghmidt, 5, avenue Verdier, Montrouge (Seine).