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Full text of "Notre France d'Extrême-Orient"

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NOTRE  FRANCE 

D'EXTRÊME-ORIENT 


Copyright  by  Perrin  et  C'»,   1912. 


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DU   MEME  AUTEUR 


Ma  première  Croisière,  i  vol.  Pion  {Épuisé). 

La  ville  au  Bois  dormant,  i  vol.  Pion. 

En  Indo-Chine.  Mes  chasses,  mes  voyages,  i  vol.  Lafilte. 


JOLI    TYPE    DE    FEMME    ANNAMITE 


DUC  DE  MONTPENSIER 


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NOTRE  FRANCE 

D'EXTRÊME-ORIENT 


PREFACE 


M.  LE  MYRE  DE  VILERS 


Ouvrage  orné  de  18  gravures 
d'après  les  photographies  de  l'auteur 


PARIS    ^  N^ 


LIBRAIRIE    ACADÉMIQUE 

PERRIN   ET   0\   LIBRAIRES-ÉDITEURS 

35,    QUAI    DES    GRA.NDS-AUGUSTINS,    35 
I  9  I  3 

Tous  droits  do  reproduction  et  de  traduction  réservés  pour  tous  pajs. 


X 


PREFACE 


Soldat  dans  Tâme,  passionné  d'aventures,  M^""  le 
duc  de  Montpensier  aurait  désiré  entrer  dans  Farmée 
où  ses  ancêtres  ont  laissé  tant  de  glorieux  souvenirs. 
La  politique  ne  le  lui  permit  pas. 

Le  prince  voulut,  cependant,  servir  son  pays  et, 
s'inspirant  de  Texemple  de  son  cousin  Henri  d'Orléans, 
résolut  de  participer  à  notre  expansion  coloniale  en 
faisant  mieux  connaître  la  plus  belle  de  nos  possessions 
d'outre-mer.  A.  cet  effet,  M^""  le  duc  de  Montpensier 
entreprit  une  grande  exploration  en  Indo-Chine  et 
débarqua  à  Saigon  le  22  janvier  1907. 

Convenablement  outillé,  il  visita  de  nombreuses 
régions  jusque-là  ignorées,  et,  grâce  au  concours  d'un 
habile  collaborateur,  prit  de  nombreux  fdms  cinémato- 
graphiques qui  lui  permirent  de  saisir  sur  le  vif  les 
indigènes  dans  les  différentes  manifestations  de  leurs 
travaux,  de  leurs  fêtes,  de  leur  existence  familiale.  Ses 
vues  des  villages  mois  fournissent  à  l'ethnographie  des 
documents  inédits  du  plus  haut  intérêt. 


II  PREFACE 

Pendant  cinq  années  il  visita  la  Cochinchine,  le  Cam- 
bodge, le  Laos,  l'Annam,  recueillant  près  des  colons, 
des  fonctionnaires,  des  notables  indigènes  des  renseigne- 
ments sur  les  mœurs,  les  coutumes,  l'organisation 
sociale  des  habitants,  sur  l'agriculture  et  l'industrie.  Sa 
bonne  humeur  constante  lui  ouvrait  toutes  les  portes  et 
provoquait  la  confiance. 

Tenant  à  se  rendre  compte  de  la  vie  matérielle  et 
morale  du  colon,  il  se  fit  planteur  de  caoutchouc,  don- 
nant ainsi  un  puissant  encouragement  à  cette  nouvelle 
industrie  qui  doit  doubler  la  prospérité  de  la  Cochinchine 
en  la  soustrayant  aux  dangers  de  la  monoculture  rizi- 
cole.  S'associant  aux  plaisirs  de  ses  compatriotes,  il 
fonda  des  prix  pour  les  courses,  offrit  un  aéroplane, 
ouvrit  un  club  aéronautique,  et,  comme  dernière  marque 
de  son  attachement  à  la  colonie,  fit  construire  un  châ- 
teau à  Phan-thiet,  sa  principale  résidence. 

Au  bout  de  cinq  années  de  séjour,  le  prince  quitta  la 
colonie,  emportant  l'estime  et  l'affection  de  ceux 
qui  l'ont  connu,  muni  d'abondantes  documentations 
qu'aucun  autre  explorateur  n'aurait  pu  se  procurer. 

Malgré  les  fatigues  de  cette  laborieuse  campagne, 
sa  santé  n'a  pas  été  éprouvée  par  le  climat  ;  dès  son 
retour  il  se  mit  au  travail  et  prépara  la  publication  de 
deux  importants  ouvrages.  Dans  le  premier,  portant 
pour  titre  En  Indo-Chine,  le  duc  de  Montpensier 
raconte  ses  voyages  et  ses  chasses  ;  dans    le  second, 


PREFACE  III 

d'ordre  économique  et  scientifique,  il  fait  connaître 
rindo-Chine  telle  qu'il  l'a  vue  et  comprise,  en  évitant 
soigneusement,  comme  la  prudence  le  lui  commandait, 
toule  immixtion  dans  la  politique  locale.  Les  personnes 
qui  ont  habité  la  colonie  approuveront  certainement  cette 
réserve  ;  elles  savent  que  souvent  les  critiques  dépassent 
la  mesure,  qu'on  y  distribue  l'éloge  ou  le  blâme  selon 
les  impressions  de  l'heure. 

Cependant,  si  l'on  tient  compte  des  difficultés 
presque  insurmontables  que  nous  rencontrâmes  au  début 
de  la  conquête  dans  un  pays  d'une  civilisation  très 
avancée  dont  nous  ignorions  la  langue  et  même  l'écri- 
ture, il  est  de  toute  équité  de  reconnaître  que  l'œuvre  de 
la  France  en  Asie  a  été  considérable  et  fait  honneur  au 
génie  de  notre  race. 

M^'""  le  duc  de  Montpensier  a  donc  complètement 
atteint  le  but  qu'il  se  proposait.  En  entreprenant  son 
exploration  et  en  publiant  La  France  d  Extréme-Orienl, 
il  a  fidèlement  servi  le  pays. 

Le  Myre  de  \ilers 


NOTRE  FRANCE 

D'EXTRÊME-ORIENT 


CHAPITRE  PREMIER 

HISTORIQUE 


Premières  relations  de  la  France  et  de  TEmpire  d'Annam.  —  Gia- 
Long  et  Ms^  de  Behaine. 

Expédition  de  Cochinchine  (i8j8).  La  Cochinchine  colonie  fran- 
çaise (1867).  Protectorat  du  Cambodge  (1867). 

Mission  Doudart  de  Lagrée  et  Francis  Garnier  (1866-1868)  et  la 
politique  française  en  Annam  et  au  Tonkin,  —  Le  traité  du 
i5  mars  1874. 

Expédition  du  commandant  Rivière  au  Tonkin  (1882).  —  Opéra- 
tions de  l'amiral  Courbet.  —  Occupation  du  Delta.  —  Traité 
du  -20  août  1882  et  du  5  juin  1884.  —  L'affaire  de  Lang-Son. 
—  Paix  avec  la  Chine. 

Occupation  du  Laos.  —  Acquisition  du  territoire  de  Quang- 
Tcheou-Wan  (1900). 

Réunion  au  Cambodge  des  territoires  de  Battambang,  Sisophon  et 
Siemreap  (1907). 

Première  organisation  administrative.  —  Le  gouvernement  des 
amiraux  en  Cochinchine.  —  Les  gouverneurs  civils. 

L'oeuvre  de  pacification  au  Tonkin.  —  La  mission  de  Paul  Bert. 


2  NOTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

Le  Gouvernement   général  de  l'Indo-Chine  et  les  premiers  Gou- 
verneurs généraux. 

Les  débuts  de  Toccupation  française  en  Indo- 
Chine  remontent  à  1809. 

Jusqu'à  cette  date,  les  relations  de  la  France  avec 
Tempire  d'Annam  n'avaient  eu  aucun  caractère 
permanent  d'occupation,  et  n'avaient  été  marquées 
d'aucune  intention  colonisatrice.  Au  xyii''  siècle, 
des  missionnaires  s'étaient  installés  dans  le  pays 
pour  Y  convertir  les  indigènes  au  christianisme,  et 
l'un  d'eux,  Alexandre  de  Rhodes,  venu  au  Tonkin 
vers  1627,  y  fit  même  un  long  séjour. 

Plus  tard,  des  commerçants  envoyés  par  la  Com- 
pagnie des  Indes  Orientales  cherchèrent  à  nouer 
des  relations  en  Indo-Chine  et  en  Chine.  L'un 
d'eux.  Poivre,  avait  même  reçu  en  1 748  du  Ministre 
de  la  Marine,  Maurepas,  une  mission  commer- 
ciale. 

Poivre  était  entré  en  relations  avec  la  cour  de 
Hué,  et  avait  obtenu  l'autorisation  de  fonder  un 
comptoir  dans  la  baie  de  Tourane  à  Faï-fo.  Mal- 
heureusement la  décadence  et  la  suppression  de 
la  Compagnie  des  Indes  ne  permit  pas  à  la  France 
de  tirer  parti  des  négociations  de  Poi\Te,  et  pen- 
dant les  années   qui  suivirent,   les  missionnaires 


HISTORIQUE  3 

soûls  perpétuèrent  dans  ces  régions    le    nom    de 
notre  pays. 

A  la  fin  du  xviii"  siècle,  la  France  fut  amenée 
cependant  à  intervenir  dans  les  affaires  d'Annam 
d'une  manière  plus  active. 

L'empire  d' Annam  était  alors  en  proie  à  de  pro- 
fondes dissensions. 

Les  partisans  des  Lé  disputaient  le  pouvoir  aux 
partisans  du  Nguyên  et  finalement  les  Nguyên 
battus  avaient  dû  se  réfugier  à  la  cour  du  roi  de 
Siam. 

C'est  là  que  Nguyên- Anh,  plus  connu  dans  la 
suite  sous  le  nom  de  Gia-Long,  rencontra  lévêque 
d'Adran,  W  Pigneau  de  Behaine.  Celui-ci  était 
depuis  quinze  ans  vicaire  apostolique  en  Cocliin- 
chine  ;  il  dissuada  Gia-Long  de  recourir  à  la  pro- 
tection des  Hollandais  de  Batavia  et  des  Anglais 
du  Bengale,  et  lui  vantant  la  puissance  de  la  France 
rincita  à  demander  son  appui. 

L'évêque  d'Adran  espérait  ainsi  à  la  fois  res- 
taurer Gia-Long  sur  le  trône  d'Annam,  et,  en  assu- 
rant la  domination  française  en  Indo-Chine,  con- 
vertir le  pays  au  catholicisme. 

Gia-Long  se  laissa  aisément  persuader,  et  le 
28  novembre  1787  un   traité  d'alliance  offensive 


4  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

et  défensive  fut  signé  à  Versailles  avec  le  roi 
Louis  XVI. 

Le  roi  de  France  promettait  à  l'empereur  Gia- 
Long  une  escadi-e  de  20  bâtiments  de  guerre, 
7  régiments,  des  armes,  des  munitions  et 
5oo.ooo  piastres  en  espèces.  En  retour,  le  souve- 
rain de  l'Annam  cédait  à  la  France,  en  toute  sou- 
veraineté, la  ville  et  la  baie  de  Tourane,  etFarchipel 
de  Poulo-Condore  ;  il  accordait  aux  consuls  fran- 
çais la  faveur  de  résider  dans  tous  les  ports  de  la 
Cochinchine  ;  toutes  les  opinions  religieuses 
devaient  être  libres  dans  les  territoires  cédés,  des 
taxes  seraient  perçues  par  les  Français,  suivant  les 
usages  du  pays,  et  le  roi  ne  réclamait  aucune  part 
sur  les  taxes. 

Enfin  si  la  guerre  recommençait  dans  llnde, 
Gia-Long  promettait  un  secours  de  i4  000  soldats, 
et  s'engageait  à  lever  une  armée  de  60.000  hommes 
pour  y  défendre  nos  établissements,  si  les  opéra- 
tions s'étendaient  à  la  Cochinchine. 

Bien  que  de  misérables  querelles  personnelles 
aient  à  ce  moment  contrecarré  Faction  pourtant  si 
clairvoyante  de  M'*^  de  Behaine,  et  gêné  lapplica- 
tion  intégrale  du  traité,  celui-ci  n'en  marque  pas 
moins  une  date  importante  dans  l'histoire  de  nos 


HISTORIQUE  5 

relations  avec  rExtrême-Orient,  car  le  texte  allait 
servir  de  base  à  toute  notre  politique  ultérieure 
dans  ces  régions  lointaines. 

Gia-Long,  grâce  à  Tappui  des  Français,  put 
réunir  une  armée,  l'organiser  et  la  discipliner.  Une 
flotte  fut  construite  et  Gia-Long  fut  rétabli  sur  son 
trône.  Hué,  Saigon,  Mytho  furent  fortifiées  sur  le 
modèle  des  forteresses  de  Vauban,  et  en  1812  la 
puissance  de  Gia-Long  devint  telle  qu'il  put  recon- 
quérir le  Tonkin,  se  faire  connaître  en  Chine  et 
vivre  en  paix  jusqu'à  sa  mort  en  1820. 

Gia-Long  n'oublia  pas  les  services  que  notre 
pays  et  en  particulier  M'""  de  Behaine  lui  avaient 
rendus  :  le  mausolée  superbe  qu'il  lui  fit  élever  en 
témoigne  encore  de  nos  jours. 

Ses  successeurs  devaient  montrer  à  Fégard  de 
notre  pays  de  tous  autres  sentiments.  Son  fils, 
Minh-Mang,  puis  Thieû-Tri,  et  finalement  Tu-Duc, 
tous  trois  fanatiques  et  cruels,  persécutèrent,  en 
effet,  les  Français  établis  en  Cochinchine,  et 
particulièrement  nos  missionnaires. 

Bien  qu'à  ce  moment  Fopinion  fût  généralement 
assez  peu  portée  vers  des  entreprises  lointaines,  le 
gouvernement  ne  pouvait  impunément  laisser 
massacrer  nos  nationaux.    En    1841,   i843,   des 


b  >'OTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

vaisseaux  de  guerre  français  apparurent  sur  les 
côtes  d'Annam. 

En  1847,  Thieû-Tri,  sommé  de  respecter  les 
traités  par  les  amiraux  Lapierre  et  Rigault  de 
Genouilly,  leur  répondit  qu'il  n'obéirait  pas.  On 
le  vit  même  essayer  traîtreusement  de  surprendre 
nos  vaisseaux  dans  la  baie  de  Tourane.  Une  action 
énergique  devenait  nécessaire.  Une  bataille  sen- 
gagea,  au  cours  de  laquelle  la  flotte  annamite  fut 
détruite. 

La  leçon  ne  devait  malheureusement  pas  porter. 
Tandis  que  l'escadre  française  s'éloignait,  Thieû- 
Tri  mourait,  léguant  à  son  fils  et  successeur  Tu- 
Duc  sa  haine  contre  les  Français  et  son  fanatisme. 

De  nouvelles  atrocités  ne  tardèrent  pas  à  être 
commises. 

En  1 856,  M.  de  Montigny  chargé  de  se  rendre 
à  la  cour  de  Hué  pour  présenter  à  Tu-Duc  les 
réclamations  de  lEmpereur  jXapoléon  III  ne  fut 
même  pas  reçu,  et  dut  se  retirer  devant  la  risée  des 
mandarins.  Tu-Duc  nous  bravait  ouvertement. 
Une  nouvelle  intervention  s'imposait,  sous  peine 
de  voir  le  prestige  français  détruit  dans  tout  TEx- 
trême-Orient.  La  France  etFEspagne  se  décidèrent 
en  commun  à  entreprendre  une  action  énergique. 


HISTORIQUE  7 

L'arrivée  de  la  flotte  de  ramiral  Rigault  de 
Genouilly  devant  Tourane  marque  le  point  de 
départ  de  notre  installation  en  Indo-Chine. 

Le  i^'"  septembre  i858,  Tourane  est  pris  ;  quel- 
ques mois  après,  Saigon,  17  février  1839,  tombe 
entre  nos  mains. 

Tu-Duc  cependant  organise  la  résistance,  le 
climat  fait  des  ravages  épouvantables  parmi  nos 
troupes  ;  en  quelques  semaines  notre  situation 
devient  critique.  Un  instant  on  peut  même  croire 
que  cette  campagne  brillamment  commencée  va 
avoir  un  piteux  dénouement.  La  guerre  venait 
d'éclater  en  Italie  entre  la  France  et  F  Autriche,  et 
nous  nous  préparions  à  lutter  contre  la  Chine. 
L'amiral  Page,  qui  avait  succédé  à  l'amiral  Rigault 
de  Genouilly,  ne  disposait  que  d'effectifs  insigni- 
fiants pour  tenir  tête  à  Nguyên-Tri-Phung,  le  meil- 
reur  général  de  Tu-Duc.  Les  opérations  traînaient 
en  longueur. 

Au  mois  de  février  1 86 1 ,  la  guerre  de  Chine 
est  heureusement  finie  ;  l'amiral  Charmes  débarque 
à  Saigon  et  écrase  à  Ki-Hoa  l'armée  annamite. 
Mytho  et  Bien-Hoa  tombent  peu  après  entre  nos 
mains. 

Vaincu,  menacé  même  par  une  insurrection  for- 


5  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

midable  qui  venait  d'éclater  au  Tonkin,  à  Tinsti- 
gation  du  prince  de  Lê-Phuong,  Tu-Duc  demande 
la  paix.  Elle  fut  signée  au  Camp  des  Lettrés  le 
5  juin  1862.  Tu-Duc  cédait  à  la  France  les  trois 
provinces  de  Saïgon,  Bien-Hoa  et  Mytho,  et  les 
îles  de  Poulo-Condore,  il  ouvrait  au  commerce  les 
trois  ports  de  Tourane,  Balat  et  Quang-An,  payait 
à  la  France  età  lEspagne  une  indemnité  de  guerre 
de  20  millions,  accordait  enfin  aux  missionnaires 
et  aux  chrétiens  indigènes  la  liberté  du  culte  dans 
tout  lEmpire,  s'engageait  enfin  à  ne  céder  aucune 
parcelle  de  son  territoire  «  qu'avec  le  consente- 
ment de  r Empereur  des  Français  » . 

Tu-Duc  avait  également  promis  d'observer  vis- 
à-vis  de  la  France  une  paix  et  une  amitié  com- 
plètes. 

Dès  qu  il  fut  débarrassé  de  son  compétiteur 
Lê-Phuong,  Tu-Duc  ne  songea  qu'à  éluder  ses 
engagements.  Excitant  ses  sujets  contre  nous,  cher- 
chant par  tous  les  moyens  à  nous  lasser  de 
notre  nouvelle  conquête,  Tu-Duc  rendit  bientôt 
une  deuxième  intervention  française  nécessaire. 

Pour  en  finir  avec  les  rebelles  qui  menaçaient 
nos  établissements,  il  fallait  se  rendre  maître  des 
provinces    occidentales     de  la    Cochinchine.     Le 


HISTORIQUE  9 

19  juin  1867,  r amiral  La  Grandière  parut  devant 
Vinh-Long.  Les  habitants  s'enfuirent  épouvantés. 
Chaudoc  et  Hatien  se  rendirent  peu  de  temps 
après.  Le  delta  du  Mékong  était  à  nous.  L'amiral 
La  Grandière  l'annexa  purement  et  simplement 
(déclaration  du  23  juin  18G7). 

L'établissement  de  la  France  en  Cochinchine 
présente  avec  la  conquête  de  l'Algérie  plus  d'un 
trait  de  ressemblance.  En  Cochinchine,  comme 
jadis  en  Algérie,  certains  hommes  politiques  entre- 
voyaient dans  notre  jeune  établissement  le  point 
de  départ  d'un  grand  empire  colonial.  D'autres, 
au  contraire,  affectaient  de  n'y  voir  qu  un  pied  à 
terre  provisoire,  un  gage  contre  les  violences  de 
Tu- Duc.  Comme  en  Algérie,  les  adversaires  de 
toute  expansion  coloniale  avaient  même  failli 
en  1 863  obtenir  de  Napoléon  III  l'abandon  de  nos 
établissements  de  Cochinchine.  L'intervention 
éclairée  et  patriotique  du  marquis  de  Chasseloup- 
Laubat,  de  Duruy,  de  l'amiral  Rigault  de 
Genouilly  et  de  quelques  hommes  d'Etat,  tels  que 
Thiers,  réussit  seule  à  empêcher  l'évacuation  pro- 
jetée de  se  réaliser.  Comme  en  Algérie  aussi,  la 
possession  d'un  territoire  riche  et  peuplé,  situé  au 
milieu    d'un     pays  plein     d'avenir,    allait    nous 


10  NOTRE    FRANCE    D^EXTRÉME-ORIENT 

entraîner  à  reculer  les  bornes  de  notre  conquête. 

Depuis  deux  siècles,  le  Siam  et  FAnnam  se  dis- 
putaient le  royaume  du  Cambodge.  En  i863,  le 
roi  du  Cambodge,  Norodom,  menacé  par  Tu-Duc, 
se  tourne  vers  la  France,  et  lui  demande  aide  et 
protection.  Nous  ne  pouvions  laisser  échapper 
cette  occasion  d'étendre  notre  action  vers  TOuest, 
et  sur  les  rives  du  Mé-Kong,  en  repoussant  ses 
avances.  Un  premier  traité  signé  avec  le  Siam  le 
ID  juillet  1867  établit  définitivement  notre  influence 
au  Cambodge.  Aux  termes  de  ce  traité,  le  roi  de 
Siam  renonçait  à  tout  tribut,  présent  ou  autre 
marque  de  vassalité  de  la  part  du  Cambodge,  et  de 
son  côté,  FEmpereur  des  Français  s'engageait  à 
ne  point  s'emparer  de  ce  royaume  pour  Fincor- 
porer  à  ses  possessions  de  Cochinchine  \ 

Du  coup,  notre  sphère  d'action  en  Indo-Chine 
se  trouvait  doublée. 

Le  résultat  était  précieux,  cai^,  à  ce  moment,  on 
commençait    à    se    préoccujDcr    sérieusement    de 


^  Un  traité  signe  quelques  années  plus  tard,  le  17  juin  1884, 
devait  préciser  définitivement  notre  situation  au  Cambodge  en  le 
plaçant  directement  sous  notre  protectorat.  Le  Cambodge  accep- 
tait d  accomplir  toutes  les  réformes  administratives,  judiciaires, 
financières  et  commerciales  auxquelles  la  France  jugerait  utile  de 
procéder  pour  faciliter  l'accomplissement  de  son  protectorat. 


HISTORIQUE  II 

rechercher  les  moyens  de  permettre  au  commerce 
européen  d  atteindre  facilement  les  régions  du  Sud 
de  la  Chine,  le  Kouang-Si,  le  Se-Tchouen,  le 
Kouei-Tcheou  et  le  Yun-JNam,  dont  on  devinait 
les  prodigieuses  et  multiples  richesses.  La  voie  du 
\ang-tse-Kiang,  seule  pratiquée  jusqu'alors,  était 
longue,  pénible  et  coûteuse. 

De  Soueï-Fou  à  Shang-Haï  les  bateaux  mettaient 
deux  mois  et  demi  à  la  descente,  cinq  à  la  montée. 
Les  rapides  du  fleuve  ne  permettaient  le  passage 
en  barques  que  pendant  les  deux  tiers  de  Tannée. 
Les  douanes  du  Céleste-Empire,  les  révoltes  des 
populations  riveraines  gênaient  également  les  rela- 
tions commerciales.  Il  devenait  indispensable  de 
rechercher  une  voie  plus  sûre. 

Depuis  de  longues  années  déjà,  les  Anglais  cher- 
chaient un  passage  privilégié  par  Flraouaddy, 
mais  malgré  toute  la  ténacité  de  Margary  et  mal- 
gré le  traité  de  Tche-Fou  de  1876,  T Angleterre 
navait  pas  réussi  à  Fatteindre  dans  des  conditions 
pleinement  satisfaisantes.  La  France,  établie  à 
Fembouchure  du  Mé-Kong  en  Cochinchine  et  au 
Cambodge,  tenait  au  contraire  la  clef  du  problème. 

Quelques  mois  après  la  prise  de  Saigon,  une 
brochure  très  remarquable  intitulée  La  Cochinchine 


12  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

française  en  1864  avait  fait  dans  le  monde  poli- 
tique une  profonde  impression.  On  y  réclamait 
Textension  de  notre  colonie  naissante,  et  on  mon- 
trait au  gouvernement  la  route  qui  devait  nous  con- 
duire en  Chine.  L'auteur,  qui  dissimulait  sa  véri- 
table identité  sous  un  pseudonyme,  était  un  jeune 
enseigne  de  vaisseau  de  vingt-cinq  ans,  Francis 
Garnier.  Ce  que  voulait  Francis  Garnier,  c'était 
fonder  en  Indo-Chine  un  vaste  empire  colonied 
français,  ouvi'ir  dans  la  péninsule  des  routes  dans 
tous  les  sens  et  la  mettre  en  relation  avec  les  pro- 
vinces du  Sud  de  la  Chine.  Il  citait  lexemple  des 
Anglais  essayant  de  pénétrer  les  mystérieuses 
régions  du  Haut-Iraouaddy,  et  obligés  d'étudier 
le  problème  par  le  côté  le  moins  abordable.  Il 
demandait  enfin  qu'il  profitât  de  notre  situation 
en  Cochinchine  pour  le  résoudre  à  notre  profit. 
Le  Ministre  de  la  Marine  M.  de  Chasseloup- 
Laubat,  le  Gouverneur  de  la  Cochinchine,  Famiral 
de  La  Grandière,  avaient  été  frappés  de  la  justesse 
de  ces  vues  et  séduits  par  les  perspectives  bril- 
lantes exposées  dans  le  travail  de  Francis  Garnier. 
L'exploration  pacifique  du  Mé-Kong  fut  décidée. 
De  ce  jour,  notre  installation  en  Cochinchine 
devenait  une  entreprise  vraiment  nationale. 


HISTORIQUE  l3 

L'histoii*c  de  la  mission  Doudart  de  Lagrée  et 
Francis  Garnier  (1866- 1868)  ainsi  que  les  événe- 
ments qui  suivirent  sont  trop  connus  pour  qu'il 
soit  nécessaire  de  les  raconter  longuement. 

Malgré  la  mort  de  Doudart  de  Lagrée,  et  le  pro- 
fond dénuement  où  se  trouvait  la  mission  quand 
elle  arriva  à  Shang-Haïle  12  juin  1868,  après  avoir 
accompli  un  trajet  de  plus  de  2.000  kilomètres, 
à  travers  des  régions  inconnues,  la  mission  appor- 
tait une  série  incomparable  d'observations  écono- 
miques et  scientifiques. 

Si  les  désastres  de  la  guerre  franco-allemande 
n'étaient  venus  à  ce  moment  détourner  Tattention 
du  gouvernement  de  la  question  indo-chinoise,  les 
résultats  de  cette  randonnée  héroïque  auraient 
été  immédiats. 

Malheureusement  les  circonstances  n'étaient  pas 
favorables .  Quand  Francis  Garnier  rentra  en  France, 
on  raccueillit  froidement  ;  on  trouva  ses  entre- 
prises inopportunes  et  compromettantes. 

Les  courageux  efforts  de  Jean  Dupuis  sur  le 
fleuve  Rouge,  l'expédition  fantastique  de  Francis 
Garnier  s'emparant  d'Hanoï  et  conquérant  le  Delta 
avec  une  poignée  d'hommes  en  1878  ne  parvinrent 
pas  à  secouer  lapathie  du  gouvernement. 


ï4  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

Bien  mieux,  le  i5  mars  1874,  une  convention 
était  signée  avec  FAnnam,  aux  termes  de  laquelle 
la  France  reconnaissait  la  souveraineté  du  roi 
d'Annam  et  son  entière  indépendance  vis-à-vis  de 
toute  puissance  étrangère. 

D'autre  part,  elle  lui  promettait  gratuitement 
son  appui  pour  le  maintien  de  Tordi'e  dans  ses 
Etats,  pour  la  destruction  de  la  piraterie  sur  ses 
côtes,  lui  offrait  à  cet  effet  des  armes,  des  muni- 
tions et  des  navires  de  guerre.  Elle  s'engageait,  en 
outre,  à  fournil*  à  FAnnam  des  instructeurs  mili- 
taires, des  marins,  des  ingénieurs  et  des  chefs 
d'ateliers. 

Enfin  elle  lui  faisait  remise  de  tout  ce  qui  lui 
était  dû  de  Fancienne  indemnité  de  guerre  encore 
impayée,  soit  environ  6  millions. 

En  compensation  de  ces  avantages,  Tu-Duc 
s'engageait  à  ouvrir  trois  ports  au  commerce  de 
toutes  les  nations  :  Hanoï,  Haïphong  et  Qui-Nhon, 
et  réservait  seulement  à  la  France  le  droit  d'y  entre- 
tenir un  consul  assisté  d'une  force  de  cent  hommes 
au  plus,  et  investi  du  droit  du  juridiction  dans  les 
procès  entre  les  Français  et  les  étrangers,  et  entre 
les  Français  et  les  Annamites,  avec  le  concours 
(Y  un    magistrat     indigène.    Tu-Duc    s'engageait 


I 


HISTORIQUE  l5 

également  à  conformer  sa  politique  extérieure  à 
celle  de  la  France  ;  il  reconnaissait  la  pleine  et 
entière  souveraineté  de  notre  pays  sur  les  six  pro- 
vinces de  Gochinchine  et  promettait  le  libre  exer- 
cice du  culte  catholique  à  tous  ses  sujets,  mais  sa 
conduite  antérieure  permettait  de  rester  sceptique 
en  face  d'engagements  de  ce  genre.  On  s'en  aperçut 
bientôt.  Pour  braver  la  France  qui  avait  proclamé 
son  entière  indépendance,  Tu-Duc,  dès  1876, 
envoya  à  lEmpereur  de  Chine  une  ambassade  et 
une  lettre  où  il  Fassurait  ((  de  sa  sincérité,  de  son 
respect  et  de  son  obéissance  ».  La  lettre  fut  publiée 
dans  la  Gazette  officielle  de  Pékin  et  Fambassade 
comblée  d'honneurs. 

Les  difficultés  s'accrurent  rapidement.  Les 
douanes  annamites  favorisaient  la  contrebande  chi- 
noise, les  pirates  infestaient  les  côtes  et  bravaient 
nos  consuls  ;  sous  prétexte  de  venir  dans  le  Haut- 
Tonkin  chasser  les  rebelles,  les  troupes  chinoises 
s'installaient  à  leur  place.  Nos  soldats  cantonnés 
dans  les  ports  d'Haïphong  et  d'Hanoï  voyaient  se 
masser  autour  d'eux  des  bandes  de  Pavillons-Noirs 
et  de  pirates  sous  l'œil  bienveillant  de  la  police 
annamite,  et  vu  leur  petit  nombre,  se  trouvaient 
dans  l'impossibilité  d'intervenir.  Tu-Duc,  de  son 


l6  NOTRE    FRAN'CE     D  EXTREME-ORIENT 

côté,  suscitait  toutes  sortes  de  difficultés  à  nos  repré- 
sentants et  persécutaient  les  Annamites  qui,  pen- 
dant les  années  précédentes,  avaient  manifesté 
quelque  fidélité  à  la  France. 

Une  nouvelle  intervention  s'imposait,  et  cela 
non  seulement  contre  F Annam,  mais  aussi  contre 
la  Chine  à  qui  Tu-Duc  avait  demandé  des  secours. 

C'est  ici  que  se  place  toute  une  série  d'événe- 
ments bien  connus  et  qui  devaient  finalement 
donner  à  notre  colonie  dlndo-Chine  sa  configura- 
tion politique  actuelle. 

Au  début  se  place  Texpédition  confiée  au  com- 
mandant Rivière,  qui  arriva  à  Hanoï  le  5  avril  1882. 
Rivière  reprend  Hanoï  d'assaut  le  16  avril,  enlève 
Nam-Dinh  aux  Pavillons-Noirs,  il  est  malheureu- 
sement tué  le  19  mai  au  cours  d'une  sortie  sur  la 
route  de  Son-Tay,  non  loin  de  l'endroit  où  dix  ans 
aupai'avant  Francis  Garnier  était  mort  dans  des 
circonstances  analogues.  Quelques  heures  avant 
le  départ  de  cette  expédition  M.  le  Myre  de  Villers, 
alors  gouverneur  général  de  Flndo-Chine,  avait 
entretenu  le  commandant  Rivière.  L'éminent  gou- 
verneur qui  devait  plus  tard  organiser  notre 
colonie  de  Madagascar,  en  soulevant,  par  son 
activité  et  son  énergie,  l'admiration  unanime  du 


HISTORIQUE  17 

pays,  regretta  maintes  fois  la  mort  du  brave 
Rivière. 

Mais  cet  événement  eut  pour  elFet  de  décider  les 
Chambres  à  voter  les  crédits  nécessaires  pour  entre- 
prendre une  action  immédiate  plus  énergique.  Le 
général  Boët  à  la  tête  de  3.700  hommes  reprend 
donc  Foffensive  au  Tonkin,  tandis  que  l'amiral 
Courbet,  à  la  tête  de  Fescadre,  s'empare  des  ports 
de  Thuan-An,  à  Feutrée  de  la  rivière  de  Hué, 

Le  20  juillet  Tu-Duc  étant  mort,  ces  rapides 
succès  décident  son  frère  et  successeur  Hiep-Hoa 
à  signer  le  2  5  août  un  traité  dont  les  conditions 
étaient  avantageuses. 

L'Annam  reconnaissait  le  protectorat  de  la 
France,  cédait  la  province  de  Binh-Thuan,  rap- 
pelait ses  troupes  du  Tonkin,  acceptait  l'occupation 
militaire  des  forts  de  Thuan-An  par  une  garnison 
française,  le  contrôle  de  la  France  sur  les  douanes 
et  les  travaux  publics,  Fouverture  de  trois  ports 
au  commerce,  létablissement  de  routes  et  de  télé- 
graphes, l'installation  de  résidents  français  dans 
les  chefs-lieux,  etc.. 

Le  traité  du  25  août  n'engageait  que  les  Anna- 
mites, il  restait  à  chasser  du  Tonkin  les  Pavillons- 
Noirs  et  les  réguliers  chinois. 


NOTRE    FRAPs'CE     D  EXTREME-ORIENT 


A  la  fin  d'octobre  i883,  Famiral  Courbet  prend 


PJ 


donc  la  direction  des  opérations  militaires  et  attaque 
Son-Tay  etBac-jNinh.  Le  i4  décembre,  la  première 
de  ces  places  est  prise.  Sur  ces  entrefaites,  la  cour 
de  Hué  nous  suscite  de  nouveaux  embarras  :  le 
successeur  de  Tu-Duc,  Hiep-Hoa,  qui  avait  signé 
le  traité  du  2  5  août,  est  empoisonné  et  son  parent 
Kien-Pbuoc  est  proclamé  sans  le  consentement  de 
notre  résident  à  Hué  (décembre  i883). 

De  nouveaux  renforts  sont  heureusement 
envoyés  à  ce  moment  par  la  Métropole,  le  corps 
expéditionnaire  sélève  alors  à  16.000  hommes  et 
les  troupes  divisées  en  deux  brigades  sous  les  ordres 
des  généraux  Brière  de  Flsle  et  iVégrier  avancent 
contre  Bac-Ninh.  Le  12  mars  i88/j,  après  une 
bataille  de  quatre  jours,  la  ville  est  prise;  le 
18  mars,  les  Chinois  sont  également  chassés  de 
Thai-Nguyen,  le  12  avril  de  Houng-Hoa  et  le 
i^juin  de  Tuyên-Quang.  Lamiral  Courbet,  pen- 
dant ce  temps,  menace  avec  son  escadre  Haï-j\an 
et  Canton. 

Ces  succès  devaient  amener  naturellement 
TAnnam  et  la  Chine  à  composition. 

L  occupation  du  Delta  du  Tonkin  avait  dérouté 
le  parti  de  la  guerre  à  Pékin,  on  ne  croyait  pas  que 


HISTORIQUE  19 

le  Parlement  français  voterait  si  vite  les  crédits 
nécessaires  et  que  les  opérations  seraient  aussi 
rapidement  menées.  Le  vice-roi  Li-Hong-Tchang 
se  montra  donc  disposé  à  accueillir  favorablement 
les  propositions  de  paix  qui  lui  furent  faites  en 
avril  1884.  Le  II  mai,  les  préliminaires  de  Tien- 
Sin  étaient  signés. 

Le  gouvernement  annamite  n'avait  guère  de 
raisons  pour  résister  plus  longtemps.  Le  5  juin, 
notre  représentant  à  Hué,  M.  Patenôtre,  signait 
également  avec  TEmpeur  d'Annam  un  traité  qui 
confirmait  le  traité  négocié  le  23  août  i883  par 
M.  Harmand. 

Cet  traité  consacrait  définitivement  notre  pro- 
tectorat sur  TAnnam. 

La  paix  n'était  point  pourtant  encore  assurée,  et 
deux  incidents  allaient  avoir  en  France  des  con- 
séquences politiques  importantes  et  un  douloureux 
retentissement. 

En  juin  1884,  le  général  Millot  avait  envoyé 
quelques  compagnies  de  tirailleurs  à  Lang-Son  sur 
la  frontière  tonkinoise  pour  remplacer  la  garnison 
chinoise.  Avant  d'arriver  à  Lang-Son,  au  défilé  de 
Bac-Lé,  notre  colonne,  décimée  par  la  chaleur  et 
la   fièvre,  se  heurta  à   10.000  réguliers  chinois; 


ao  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

accueillie  peir  un  feu  meurtrier,  elle  dut  se  retirer 
après  avoir  eu  une  centaine  d  hommes  hors  de 
combat. 

Le  traité  de  Tien-Tsin  avait  été  mal  accueilli  à 
Pékin.  Ce  traité  se  trouvait  violé. 

Le  20  août  1884,  lamiral  Courbet  bombardait 
Tai'senal  de  Fou-Tcheou,  mais  ce  fait  de  guerre  à 
si  grande  distance  de  Pékin  ne  devait  pas  avoir 
r effet  qu'on  en  espérait. 

A  Paris,  de  nouveaux  crédits  avaient  été  votés, 
et  des  renforts  expédiés.  Une  nouvelle  campagne 
allait  commencer  au  Tonkin.  Il  s'agissait  d'en 
finii"  et  de  rejeter  les  Chinois  de  Fautre  côté  de  la 
frontière . 

Les  opérations  furent  menées  avec  rapidité 
et  énergie.  L'arrivée  du  général  de  Négrier  devant 
Lang-Son  et  la  défaite  des  réguliers  chinois  amè- 
nent à  nouveau  le  Tsung-li-Yamen  à  prêter  Toreille 
aux  conseils  de  paix  qui  lui  sont  donnés  de  tous 
côtés.  Le  26  mars  i885  enfin,  la  paix  est  faite. 
On  touchait  au  but. 

Pour  refouler  les  Chinois,  le  général  de  Négrier 
avait  franchi  la  frontière  chinoise  et,  le  i[\  mai, 
s'était  heurté  à  des  forces  importantes.  Après  une 
lutte  sanglante  dans  laquelle  il  avait  été  blessé,  il 


HISTORIQUE  2  1 

dut  se  replier  après  avoir  perdu  un  tiers  de  son 
effectif. 

L'attitude  de  la  Chine,  qui  penchait  visiblement 
vers  la  paix,  ne  s'en  trouva  nullement  modifiée,  et 
le  i^^  avril  i885,  elle  acceptait  les  préliminaires  de 
paix.  Le  gouvernement  chinois  reconnaissait  la 
convention  de  Tien-Tsin,  signée  Tannée  précé- 
dente, et  par  suite  nos  droits  sur  le  Tonkin,  il 
s'engageait  en  outre  à  respecter  nos  conventions  avec 
la  cour  d'Annam,  et  sanctionnait  ainsi  tous  les 
traités  conclus  jusque-là. 

L'Indo-Chine  était  à  nous. 

La  conquête  proprement  dite  était  terminée.  Il 
restait  à  pacifier  et  à  organiser  le  pays. 

Pour  établir  notre  domination  sur  FAnnam  et 
le  Tonkin  de  nouvelles  campagnes  étaient  encore 
nécessaires.  Les  opérations  qui  suivirent  furent 
longues  etpénibles.  Elles  se  terminèrent  néanmoins 
à  la  fin  de  1889  par  la  soumission  des  principaux 
chefs  rebelles,  dont  on  acheta  Fobéissance  par  de 
très  larges  concessions. 

L'occupation  du  Laos  se  fit  progressivement, 
soit  par  Tannexion  directe  des  populations  indé- 


, 


22  ^'OTRE    FRANCE     d'eXTRÉME-ORIENT 

pendantes  de  la  vallée  du  Mé-Kong,  soit  à  la  suite 
de  traités  passés  avecle  Siamen  1873,  1896,  1902 
et  1904. 

En  1898,  rindo-Chine  s'est  accrue  du  territoire 
de  Kouang-Tchéou-Wan.  Le  territoire  situé  dans 
le  Kouang-Toung  a  été  cédé  à  bail  par  la  Chine  à 
la  France  pour  une  durée  de  99  ans,  le  10  avril 

1898. 

Par  le  même  accord  la  Chine  s'est  engagée  à  ne 
jamais  aliéner  à  d'autres  puissances  les  îles  d  Haï- 
Nan,  et  les  provinces  du  Yun-nam,  du  Kouang-Si 
et  de  Kouang-Toung,  limitrophes  du  Tonkin. 

Elle  nous  a  reconnu  également  le  droit  de  péné- 
trer dans  ces  provinces,  d'y  fonder  des  exploita- 
tions agricoles  ou  minières,  et  d  y  construire  des 
chemins  de  fer. 

Plus  récemment,  une  convention  signée  avec 
le  Siam  le  23  mars  1907  a  rendu  au  Cambodge 
les  provinces  depuis  longtemps  contestées  de  Bat- 
tambang,  de  Siem-Reap  et  de  Sisophon. 

C  est  ce  dernier  accord  en  date  qui  a  achevé  de 
donner  à  notre  Indo-Chine  ses  limites  politiques 
actuelles. 


CHAPITRE  II 

DESCRIPTION  GÉOGRAPHIQUE 

I 

LE   RELIEF 

Dans  son  ensemble,  le  relief  de  la  Péninsule 
Indo-chinoise  est  une  dépendance  du  puissant 
massif  thibétain  qui  couvre  toute  la  Chine  méri- 
dionale. A  partir  de  la  frontière  du  Tonkin,  les 
diverses  chaînes  se  différencient  et  prennent  une 
direction  N.-E.  S.-E,  ne  laissant  entre  elles  que 
des  vallées  étroites  et  parallèles .  A  mesure  qu'on 
avance  vers  le  Sud,  ces  vallées  s'élargissent,  les 
montagnes  s'abaissent  et  deviennent  des  plateaux 
plus  ou  moins  accidentés  séparant  entre  elles  les 
bassins  du  Mékong  et  les  fleuves  côtiers. 

Bien  que  Forographie  de  Flndo-Chine  procède 
directement  des  immenses  massifs  qui  se  déve- 
loppent sur  le  Yun-nam  et  le  Kouang-Si,  il  n'est 


24  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

pas  impossible  d'y  distinguer  un  certain  nombre 
de  régions  montagneuses  et  de  chaînes  qui  ont 
une  originalité  propre. 

Sans  doute,  au  nord  du  Fleuve  Rouge,  les 
massifs  granitiques  cristallins  et  gneissiques  à 
travers  lesquels  les  affluents  de  droite  du  fleuve  se 
sont  frayés  un  passage,  affectent  des  directions 
très  confuses.  lia  fallu  toute  la  science  du  colonel 
Friquegnon  et  de  M.  Tingénieur  en  chef  Lante- 
nois,  dont  les  remarquables  travaux  font  autorité 
en  cette  matière,  pour  déterminer,  au  moins  dans 
ses  grandes  lignes,  Forographie  de  ces  régions.  La 
direction  générale  N.-O.  S.-E.  ne  subsiste  que 
dans  la  vallée  du  Song-Ghay .  Plus  au  Nord,  les  plis- 
sements se  font  en  éventail  et  quelquefois  en  sui- 
vant une  orientation  franchement  N. -S.  On  y  ren- 
contre cependant  des  montagnes  élevées.  Entre  le 
Song-Gay  et  la  Rivière  Claire,  le  Tsi-Con-Link 
atteint  2.400  mètres.  Entre  la  Rivière  Claire  et  le 
Song-Cam  le  massif  du  Pou-Ta-Ka  comporte  les 
sommets  d'une  altitude  sensiblement  égale.  A 
Fouest  du  Pou-Ta-Ka,  au  sud  de  Cao-Bang,  le  Pia- 
Ta  et  le  Pia-Ouac  atteignent  encore  2.000  mètres. 
Les  hauteurs  diminuent  à  mesure  qu'on  s'avance 
vers  le  Sud,  leTam-Dao  atteint  à  peine  i .  000  mètres. 


DESCRIPTION    GÉOGRAPHIQUE  7.5 

Au  sud  du  Fleuve  Rouge,  la  chaîne  qui  sépare 
le  Fleuve  Rouge  de  la  Rivière  Noire  est  encore 
une  des  ramifications  importantes  des  montagnes 
Yunnamaises.  On  y  remarque  des  formations  très 
complexes.  Les  terrains  primaires  et  secondaires 
(schistes  et  calcaires)  y  alternent  avec  des  massifs 
microgranitiques  et  porphyriques.  Ses  altitudes 
très  élevées,  les  plus  élevées  même  du  Tonkin  y 
ont  été  relevées  :  2.858  mètres  dans  le  groupe  des 
Aiguilles  au  sud  de  Laokay  ;  mais  à  la  différence 
des  massifs  qui  s'étendent  plus  au  Nord,  la  direc- 
tion est  franchement  N.-O.  S.-E.  ;  le  Fleuve  Rouge, 
qui  y  a  tracé  sa  vallée,  a  un  cours  presque  recti- 
ligne  et  à  ce  point  de  vue  représente  la  voie  de 
pénétration  naturelle  par  excellence  vers  le  Yun- 
nam  et  les  provinces  méridionales  de  la  Chine. 

Au  sud  de  ces  montagnes,  au  nord  de  la  grande 
houcle  du  Mékong,  et  jusqu'au  102°  de  longitude 
Est,  s'étend  le  Haut-Laos.  Ce  grand  massif  pré- 
sente une  originalité  plus  nette.  Dans  son 
ensemhle,  c'est  une  région  très  mouvementée  et 
de  formation  géologique  très  complexe.  On  y  cons- 
tate l'existence  de  granits  et  de  calcaires  carboni- 
fères, de  schistes  et  de  grès  secondaires  ainsi  que 
de  nombreux  terrains  métamorphiques.  Il  est  fort 


a6  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

difficile  de  déterminer  la  direction  des  chaînes  qui 
le  couvrent.  Le  capitaine  Cupet  qui  a  traversé  le 
Haut-Laos,  avec  la  mission  Pavie,  remarque  que 
les  arêtes  montagneuses  y  sont  si  nombreuses, 
les  directions  s'enchevêtrent  tellement,  la  hauteur 
des  chaînes  limitant  les  bassins  des  grandes  rivières 
ou  ceux  de  leurs  affluents  est  si  peu  différente 
qu'on  ne  peut  guère  assigner,  à  première  vue, 
d  orientation  générale  au  relief  autrement  que  par 
la  direction  des   cours  d'eau  les  plus  importants. 

Le  charme  qui  se  dégage  de  cette  région  très 
accidentée  a  été  très  exactement  remarqué  par  le 
capitaine  Cupet.  Une  brume  inexplicable  enve- 
loppe souvent  ces  montagnes  limitant  l'horizon  à 
courte  distance.  On  dirait  un  mélange  de  pous- 
sière impalpable  et  de  fumée  dégagées  du  sol  sans 
cause  apparente.  Les  silhouettes  des  grandes 
chaînes  apparaissent  indécises,  à  peine  estompées 
sur  le  ciel,  donnant  lillusion  de  nuages  légers  avec 
lesquels  on  les  confond  souvent  \ 

On  y  trouve  des  sommets  de  plus  de  2.000 
mètres,  comme  au  Pou-Loï  entre  le  Nam-Het  et  le 
Nam-Khan  et  au  Pou-Bia  (2.830  mètres)  au  sud 

^  Mission  Pavie.  Orographie  et  Voyages,    t.  III,  p.  168  et  suiv. 


DESCRIPTION    GEOGRAPHIQUE  27 

de  Xieng-Khouang.  Les  plateaux  eux-mêmes  sont 
assez  élevés  :  le  Hua-Pank  et  le  Tra-Ninh  ont  une 
altitude  moyenne  de  i.3oo  mètres. 

Au  Nord,  la  jonction  du  Haut-Laos  avec  les 
chaînes  longeant  la  Rivière  Noire  se  fait  par  des 
plateaux  de  900  à  1.200  mètres  qui  s'abaissent 
même  à  3oo  mètres  dans  la  vallée  du  Haut- 
Song-Ma. 

Au  sud-est  du  massif  du  Haut-Laos,  s^étend, 
entre  le  Mékong  et  la  mer,  la  Chaîne  annami- 
tiqae.  Le  terme  de  Cordillère,  dont  on  se  sert 
pour  la  désigner,  est  assez  impropre  en  ce  sens 
que  cette  chaîne,  qui  s'étend  sur  plus  de  huit 
degrés  de  latitude,  ne  représente  pas  une  arête 
continue.  C'est,  au  contraire,  une  série  de  tronçons 
montagneux  sélargissant  en  certains  endroits  en 
forme  de  plateaux  et  où  des  sommets  élevés 
alternent  avec  de  brusques  dépressions. 

La  Chaîne  annamitique  commence  au  sud  du 
Song-La.  Les  massifs  du  Pou-Luong  (i  .200  mètres 
environ),  du  Pou-Sang  (1.700  mètres),  le  plateau 
de  Kammon  se  développent  suivant  une  direction 
nettement  N.-O.  S.-E.  et  deux  cols  coupent  cette 
succession  de  montagnes  :  celui  du  Hop-Ham  et 
celui  de  Qui-Hop  (800  mètres) .  C'est  par  eux  que 


28  NOTRE    FBANCE    D  EXTRÊME-ORIENT 

peuvent  s'établir  les  communications  entre  Vinh 
et  Pak-Hin-Boun  sur  le  Mékong. 

A  l'Est,  un  contrefort  transversal  de  la  Cordil- 
lère, le  Hoanh-Son  se  détache  sur  la  mer  et  se  ter- 
mine au  cap  \ung-Chua.  Ce  chaînon  est  coupé 
près  de  la  mer  par  un  col  peu  élevé  (120  mètres) 
qui  a  joué  jadis  un  très  grand  rôle,  aussi  bien  au 
point  de  vue  stratégique  qu'au  point  de  vue  éco- 
nomique dans  Fhistoire  des  relations  de  lAnnam 
et  du  Tonkin,  c'est  la  Porte  d'Annam. 

Bien  que  les  provinces  situées  au  nord  du  Hoanh- 
Son  appartiennent  au  Nord-Annam,  le  Hoanh-Son 
délimite  géographiquement  dune  manière  encore 
aujourd'hui  très  nette,  le  Tonkin  de  TAnnam  pro- 
prement dit. 

Au  sud  du  col  de  Qui-Hop,  la  Chaîne  annami- 
tique  présente  quelques  massifs  élevés  :  le  Pou- 
Hac  (2.000  mètres),  le  Pou-Thuong  qui  est  coupé 
par  le  col  de  Men-Gia  (460  mètres),  la  Dent  du 
Tigre  (i  .800  mètres) .  Au  sud  de  la  Dent  du  Tigre, 
le  col  d'Aï-Lao  (4oo  mètres  environ)  interrompt 
de  nouveau  la  chaîne.  C'est  le  passage  le  plus 
important  de  toute  la  Cordillère.  Facile  d'accès,  il 
met  en  communication  Quang-Tri  et  Hué  avec  la 
vallée  du  Mékong.  La  route  projetée  enti'e  Dong- 


DESCRIPTION    GEOGRAPHIQUE  ag 

Ha  et  Savannaket  empruntera  le  passage  en  atten- 
dant que  le  rail  se  substitue  à  la  route. 

Au  sud  de  ce  point,  on  retrouve  de  nouvelles 
crêtes,  parmi  lesquelles  plusieurs  dépassent 
2.000  mètres;  le  Pou-Atouat,  en  face  d'Hué 
(2.000  mètres) ,  la  Mère  et  l'Enfant  (2. 100  mètres), 
entre  le  Phu-Yen  et  le  Khan-Hoa.  Les  cols  des 
Nuages  (470  mètres)  entreTouraneetHué,  d'Ankhé 
et  de  Jok-Kao  ouvrent  des  passages  à  travers  la 
montagne  et  mettent  en  relations  la  côte  avec 
TaiTière-pays  du  Sud-Annam  qui  touche  au 
Mékong. 

Au  Sud-Ouest  et  au  Sud,  la  Cordillère  propre- 
ment dite  disparait  et  fait  place  à  de  vastes  pla- 
teaux de  i.ooo  à  1.200  mètres  d'altitude.  Le  pla- 
teau des  Boloven  s'étale  entre  le  Se-Don,  le 
Mékong  et  le  Se-Kong  à  i.ioo  mètres  d  élévation. 
Ces  trois  rivières  ont  dû  se  creuser  au  travers  un 
passage  et  les  rapides  de  Khône  qui  gênent  encore 
à  rheure  actuelle  la  navigation  du  Mékong  témoi- 
gnent des  difficultés  que  le  fleuve  a  rencontrées. 
A  1  Ouest,  le  plateau  des  Boloven  se  prolonge  parla 
chaîne  de  Pnom-DangTck  qui  borde  au  Nord  le 
Cambodge. 

Au  Sud,  les  plateaux  de  1  Ayum,  du  Dar-Lac, 


3o  NOTRE    FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

du  Lang-Bian,  des  Ma,  s'étagent  à  travers  la 
Cochinchine,  mais  les  sommets  les  plus  élevés 
qui  les  surmontent  ne  dépassent  pas  800  à 
900  mètres.  On  touche  alors  à  la  Basse-Gochin- 
chine  et  au  Delta  du  Mékong. 

Au  delà,  entre  la  grande  dépression  dont  le 
fond  est  occupé  aujourd'hui  par  le  Tonlé-Sap 
cambodgien  et  le  golfe  de  Siam,  le  sol  se  relève. 
Dans  la  chaîne  de  FEléjDhant  et  dans  les  monts  des 
Cardamomes,  on  trouve  encore  quelques  chaî- 
nons dépassant  i .  5oo  mètres  et  les  îles  qui  parsè- 
ment le  littoral  indiquent  les  transformations  géo- 
logiques qui  ont  eu  lieu  dans  cette  région  au  cours 
des  âges  antérieurs  ;  mais  au  nord  des  monts  des 
Cardamomes,  le  sol  s'abaisse  et  la  large  dépression 
qui  s'ouvre  entre  cette  chaîne  et  celle  de  Dangrek 
explique  la  facilité  des  relations  qui  de  tout  temps 
ont  existé  entre  le  Cambodge  et  le  Siam. 

II 

LES   COTES 

Les  côtes  de  l'Indo-Chine  ont  une  longueur  de 
2.5oo  kilomètres.  Un  coup  d'œil  rapide  sur  une 
carte  permet  de  constater  qu'elles  se  développent 


DESCRIPTION    GÉOGRAPHIQUE  3l 

du  Nord  au  Sud  suivant  la  forme  d'un  S  allongé 
dont  la  boucle  supérieure  correspondrait  au  golfe 
du  Tonkin  et  la  boucle  inférieure  au  delta  du 
Mékong. 

Leur  aspect  et  leur  configuration  sont  en  rela- 
tion très  étroite  avec  le  relief  du  pays  qu'elles 
bordent. 

Au  Nord,  de  la  frontière  de  Chine  à  Quang-Yen 
le  littoral  est  très  rocheux,  très  découpé,  creusé 
d'une  multitude  de  baies  très  sûres  abritées  der- 
rière des  myriades  d'îles  et  d'îlots  que  nos  offi- 
ciers de  marine  ont  décorés  des  noms  les  plus 
fantaisistes  (le  Crapaud,  le  Moine,  le  Coq,  FOEuf, 
le  Képi,  le  Chandelier,  l'Ours,  FEncrier,  le 
Lapin,  etc.).  Celles  de  Ké-Bao,  de  Cac-Ba,dela 
Table,  Fîle  Rousse  et  l'île  Madeleine  sont  les  plus 
considérables.  Elles  avoisinent  la  magnifique  baie 
d'Along  dont  les  falaises  abruptes  et  sauvages,  les 
grottes  ont  été  si  souvent  citées  comme  l'une 
des  curiosités  les  plus  remarquables  de  Flndo- 
Chine. 

De  Quang-Yen  au  cap  Chou-May,  les  mon- 
tagnes s'éloignent  du  littoral  et  la  côte  devient 
basse,  sablonneuse  et  monotone.  Au  Nord,  les 
bouches  du    Thaï-Binh,    du    Fleuve    Rouge,   du 


0'2  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

Song-Ma  découpent  seules  les  côtes  plates  du 
delta  du  Tonkin  et  du  Thanh-Hoa. 

Au  cap  Vung-Chua,  le  Hoanh-Son,  qui  se 
détache  de  la  Cordillère  annamitique,  détermine 
un  éperon  rocheux  mais  qui  ne  rompt  qu'un  ins- 
tant la  monotonie  de  cette  côte  basse  rectiligne, 
bordée  de  dunes,  battue  par  la  houle  Nord-Est  et 
si  redoutée  des  pêcheurs  annamites  qu'ils  l'ont 
surnommée  la  Côte  de  Fer. 

Au  delà  du  cap  Ghou-May,  la  côte  change 
complètement  d'aspect.  Les  montagnes  bordent  la 
mer  en  fermant  Ihorizon.  Le  littoral  s'accidente 
immédiatement  et  forme  la  magnifique  et  spa- 
cieuse rade  de  Tourane.  Des  îles  nombreuses,  les 
Lao-Ray,  Culao-Cham,  rompent  la  monotonie  du 
large. 

A  partir  du  cap  Batangan,  la  côte  se  dirige  vers 
le  Sud,  droite,  abrupte  et  sans  îles.  Elle  reste 
capricieusement  découpée  et  creusée  d'une  multi- 
tude de  baies  :  baies  de  Tan-Quan,  de  Vuong-Moc, 
de  Vuong-Bac,  de  Da-Dieng,  de  Binh-Coi,  de 
Binh-Cang,  de  Gam-Ranh. 

Du  cap  Padaran  au  cap  Saint- Jacques,  s'étend 
une  sorte  de  zone  de  transition.  Les  montagnes 
sont  maintenant  plus  éloignées  de  la  mer,    elles 


DESCRIPTION    GÉOGRAPHIQUE  33 

sont  d'ailleurs  peu  élevées,  puisqu'il  ne  s'agit 
plus  que  des  derniers  contreforts  méridionaux  de 
la  Cordillère  annamitique.  La  côte  présente  des 
baies  très  ouvertes  et  des  caps  peu  accusés  : 
baies  de  Phan-Ri  et  Phan-Thiet,  cap  Baké,  pointe 
Kéga,  pointe  Guio. 

Au  cap  Saint- Jacques,  le  paysage  change  tota- 
lement :  à  la  montagne  succède  le  delta.  Le  rivage 
redevient  plat,  coupé  des  seules  embouchures  du 
Dong-Naï  et  du  Mékong.  D'anciennes  îles,  aujour- 
d  hui  réunies  au  rivage  par  les  alluvions  du  fleuve 
et  qui  émergent  de  la  plaine  environnante  rompent 
seules  l'uniformité  de  la  côte.  La  pointe  de 
Camau  qui  s'avance  comme  un  coin  vers  le  Sud 
dans  la  mer  et  qui  constitue  la  pointe  méridionale 
de  la  colonie  se  rattache  au  delta  du  Mékong. 
Les  baies  qui  la  découpent  sont  très  ouvertes  et  ne 
sont  d'aucune  utilité  pour  la  navigation  (baies  de 
Cua-Lon,  de  Cay-Duong,  de  Rach-Gia,  de  Canh- 
Rai). 

Au  Nord,  à  partir  du  cap  de  la  Table,  le  littoral 
redevient  rocheux  et  accidenté  en  raison  de  la 
proximité  des  montagnes  cambodgiennes.  De 
nombreux  archipels  bordent  la  côte  (île  du  Milieu, 
Phu-Quoc,  îles  Rong  et  Rong-Sam  Lam,  etc..)  ; 

3 


34  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

mais  ces  îles  sont  trop  éloignées  de  la  côte  pour 
protéger  efficacement  les  baies  (baie  de  Kompong- 
Som)  qui  restent  trop  ouvertes  :  aussi  ne  trouve- 
t-on  dans  cette  région  aucun  port  convenable.  Il 
convient  également  d'ajouter  qu'un  exhaussement 
constant  du  rivage,  qu^augmente  encore  le  dépôt 
des  alluvions  charriées  par  les  fleuves,  ne  donnent 
pas  à  ces  baies  une  profondeur  suffisante. 

III 

LES  COURS  D'EAU 

L'orographie  de  la  péninsule  indo-chinoise  con- 
ditionne son  hydrographie.  La  suite  des  mon- 
tagnes qui  la  traverse  du  Nord  au  Sud  et  qui  par 
endroits  se  rapproche  tout  près  de  la  mer  n'a 
permis  nulle  part  rétablissement  de  grands  fleuves 
transversaux  orientés  de  TEst  à  FOuest  ou  de 
rOuest  à  FEst. 

Toute  Fhydrographie  de  FIndo-Ghine  se  résume 
au  Nord  dans  le  bassin  du  Fleuve  Rouge  et  à 
FOuest  dans  celui  du  Mékong  qui,  comme  le  pré- 
cédent, descend  des  montagnes  du  Yun-nam,  mais 
qui  doit  longer  et  contourner  toute  la  chaîne  anna- 
mitique  avant  de  trouver  une  issue  vers  la  mer. 


DESCRIPTION     GÉOGRAPHIQUE  35 

Les  autres  fleuves  côtiers  sont  sans  importance  au 
moins  au  point  de  vue  de  la  longueur. 

Le  Fleuve  Rouge  ou  Song-Caï  prend  sa  source 
au  Yun-nam,  au  sud  du  lac  de  Tali,  sous  le  26"  de 
latitude  Nord,  à  une  altitude  de  2 .000  mètres.  Après 
un  cours  assez  tourmenté  en  Chine,  il  entre  au 
ïonkin  et  le  traverse  en  ligne  droite  entre  deux 
chaînes  montagneuses  qui  le  dominent  par  endroits 
à  gauche  de  i.ooo  mètres,  à  droite  de  plus  de 
2.5oo  mètres. 

Son  cours  se  ressent  naturellement  de  ce  voi- 
sinage. Entre  Man-Hao  et  Yen-Bay  on  ne  compte 
pas  moins  de  3o  rapides  qui  rendent  la  navigation 
très  périlleuse. 

A  partir  de  Yen-Bay,  la  vallée,  jusque-là  très 
étroite,  s'élargit.  A  Lao-Kay  le  fleuve  n'a  pas  plus 
de  IDG  mètres  de  largeur,  en  amont  de  Vietri  il 
en  a  déjà  plus  de  i.ooo. 

Après  son  confluent  avec  la  Rivière  Noire  (à 
droite)  et  la  Rivière  Glaire  (à  gauche) ,  le  Fleuve 
Rouge  se  répand  sur  de  vastes  étendues  que  par- 
sèment pendant  la  saison  des  basses  eaux  d'im- 
menses bancs  de  sable.  Son  delta  qui  englobe  les 
provinces  les  plus  riches  du  Tonkin  commence 
peu  après  Viétri. 


36  NOTRE    FRANCE    DEXTRÈME-ORIENT 

Avant  Hanoï,  le  Song-Gaï  se  divise  en  deux 
branches,  l'une,  le  Day,  se  dirige  vers  le  Sud  et 
passe  à  jNinh-Binh,  Tautre  continue  vers  Test, 
passe  à  Hanoï  et  à  Hong- Yen,  et  se  subdivise  en 
une  foule  de  bouches  (Gua  Dien-Ho,  Gua  Traly, 
Gua  Balat) . 

La  Rivière  Noire  (Song-Bo)  et  la  Rivière  Glaire 
(Song-Go)  ont  un  cours  et  un  régime  tout  à  fait 
analogues  à  ceux  du  fleuve  principal.  La  première 
descend  parallèlement  au  Fleuve  Rouge  jusqu'à 
Hanoï,  à  cet  endroit  elle  se  heurte  à  un  contrefort 
montagneux  qui  loblige  brusquement  à  remonter 
vers  le  Nord  ;  mais,  coulant  dans  cette  direction, 
elle  ne  tarde  pas  à  rencontrer  le  Fleuve  Rouge.  La 
Rivière  Noire  n'est  guère  navigable.  Les  chaloupes 
la  remontent  jusqu'à  Gho-Bo,  mais  au  delà,  seules 
les  pirogues  des  Thaï  blancs  peuvent  la  remonter  ; 
pendant  les  hautes  eaux,  les  tourbillons  inter- 
rompent même  toute  circulation. 

La  Rivière  Glaire  est  accessible  aux  sampans 
indigènes  jusqu'à  Ha-Giang,  c'est-à-dire  presque 
jusqu  à  la  frontière  chinoise,  sauf  pendant  la 
période  des  hautes  eaux,  mais  les  chaloupes  ne 
vont  pas  au  delà  de  Tuyen  Quan.  La  Rivière 
Glaire,  dont  le  cours  est  moins  encaissé  que  celui 


DESCRIPTION     GÉOGRAPHIQUE  ^7 

de  la  Rivière  Noire,  reçoit  quelques  affluents  im- 
portants :  le  Song-Chay  qui  vient  de  Chine  et  le 
Song-Day  qui  longe  le  massif  du  Tam-Dao. 

Le  Thaï-Binh  est  un  fleuve  qui  se  jette  dans  le 
golfe  du  Tonkin  au  nord  du  delta  du  Fleuve 
Rouge.  Formé  de  la  réunion  de  plusieurs  rivières 
(Song-Cau,  Song  Thuong,  Song-Luc-j\amj  qui 
descendent  de  la  région  montagneuse  environnant 
Thaï-Nguyen  et  Lang-Son,  le  Thaï-Binh  a  colla- 
horé  à  la  formation  du  delta  du  Tonkin. 

Comme  le  Song-Caï,  le  Thaï-Binh,  dès  qu'il 
arrive  dans  la  plaine,  se  divise  en  plusieurs 
branches  et  se  jette  dans  la  mer  par  un  très  grand 
nombre  de  bouches  (Cua  Nam-Trieu,  Cua  Cam, 
CuaLac-Tray,  Cua  Van-Uc,  Cua  Thaï-Binh,  etc.). 
La  navigation  y  est  également  restreinte.  Sur  le 
fleuve  principal  elle  ne  dépasse  pas  Dap-Cau  et 
Bac-Ran  sur  le  Song-Cau,  son  affluent  le  plus 
important. 

A  travers  le  delta  tonkinois,  les  diverses  embou- 
chures du  Song  Caï  et  du  Thaï-Binh  sont  reliées 
par  de  nombreux  canaux  :  le  canal  des  Bambous, 
le  canal  de  Nam-Dinh,  le  canal  des  Rapides  per- 
mettant à  la  navigation  très  active  de  cette 
région  de  passer  indistinctement  dun  bassin  dans 


38  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

Tautre  et  de  desservir  toute  la  plaine  deltaïque. 

Le  régime  du  Fleuve  Rouge  est  très  variable 
suivant  les  saisons.  De  fin  décembre  à  fin  mars 
les  eaux  basses  ;  mais  à  partir  du  mois  d'avril, 
mai,  les  pluies  qu'apporte  la  mousson  du  Sud-Est 
et  qui  tombent  sur  les  liants  plateaux  oii  le  fleuve 
et  ses  affluents  prennent  leurs  sources,  le  gros- 
sissent très  rapidement.  A  Hanoï,  on  a  enregistré 
en  1904  et  1907  des  crues  de  10  et  11  mètres. 
Le  cours  du  fleuve  a  alors  une  vitesse  qui  dépasse 
parfois  10  mètres  à  la  seconde. 

Pendant  cette  période  des  hautes  eaux,  la  navi- 
gation devient  très  active.  Les  chaloupes  à  vapeur 
peuvent  remonter  jusqu'à  Lao-Kay.  Pendant  le 
reste  du  temps,  seules  les  jonques  indigènes  peuvent 
circuler,  car  elles  n'ont  qu'un  très  faible  tirant 
d'eau.  Au  delà  de  Lao-Kay,  les  courants  et  les 
rapides  rendent  la  navigation  très  dangereuse.  Les 
sampans  remontent  cependant  le  fleuve  jusqu'à 
Man-Hao,  mais  à  partir  de  ce  point  toute  circula- 
tion par  voie  fluviale  devient  impossible  et  on  doit 
transborder  marchandises  et  voyageurs  à  dos  de 
mulet. 

Pour  les  nombreuses  populations-  qui  habitent 
le  delta,    le    Fleuve   Rouge,   c'est  à  la    fois  une 


DESCRIPTION     GKOGRAPHTQUE  ^9 

source  de  richesse  et  de  difTicultés  multiples.  Afin 
de  se  préserver  des  inondations,  les  Annamites 
ont  depuis  longtemps  dû  construire  de  nombreuses 
digues.  Il  en  existe  même  en  certains  endroits 
deux  et  même  trois  rangées  parallèles  de  façon  que 
la  rupture  de  Tune  n'entraîne  pas  de  trop  graves 
inondations.  L'administration  les  entretient  et  les 
renforce.  Malheureusement  les  eaux  du  fleuve 
sont  tellement  chargées  de  limon  que  Ion  a  à 
lutter,  en  même  temps,  contre  une  autre  difficulté  : 
Texhaussement  constant  du  lit  du  fleuve,  et  on  ne 
parvient  pas  à  éviter  complètement  les  inonda- 
tions. Certaines  ont  été  terribles.  En  1903,  deux 
digues  importantes  s'étant  rompues,  210.000  hec- 
tares de  rizières  furent  détruits,  entraînant  pour 
plus  de  18  millions  de  francs  de  dégâts.  En  1909, 
encore  i5.ooo  hectares  ont  été  anéantis. 

L'apport  des  alluvions  charriées  par  le  Fleuve 
Rouge  gêne  aussi  beaucoup  la  navigation  dans  le 
delta.  Les  embouchures  du  fleuve  sont  fermées 
par  des  bancs,  que  seuls  les  navires  de  faible  tirant 
d'eau  peuvent  franchir.  Le  Gua  Cam  et  le  Gua 
Nam-Trieu,  au  Nord,  s'ensablent  moins  vite,  mais 
les  gros  navires  qui  viennent  à  Haïphong  sur  le 
Gua  Gam  ne  peuvent  pénétrer  dans  le  port  qu'au 


4o 

moment  de  la  marée,  et  encore  doit-on  sans  cesse 
procéder  à  des  travaux  de  dragage  pour  éviter 
Tenvasement  du  port. 

Le  Mékong  est  le  plus  considérable  des  fleuves 
indo-chinois.  Sa  longueur  totale  ne  paraît  pas 
encore  très  exactement  connue,  les  uns  lui  donnent 
un  cours  de4  200  kilomètres,  d'autres  4  840  kilo- 
mètres. Son  bassin  est  évalué  à  i  million  de  kilo- 
mètres carrés,  soit  à  une  surface  équivalente  à  près 
de  deux  fois  la  France.  Le  Mékong,  qui  prend  sa 
source  dans  Test  du  plateau  du  Thibet,  a  déjà 
franchi  près  de  2.000  kilomètres  quand  il  pénètre 
en  Indo-Chine. 

Lorsqu'il  entre  au  Laos,  c'est  déjà  un  grand 
fleuve  de  3oo  à  4oo  mètres  de  largeur.  Son  lit  est 
malheureusement  encombré  de  roches  qui  rendent 
toute  navigation  impossible.  De  Xieng-Sen  à  Vien- 
Tian,  le  Mékong  franchit  de  nombreux  rapides, 
mais  les  pirogues  indigènes  peuvent  déjà  circuler 
sans  trop  de  danger. 

Entre  Xieng-Sen  et  Vien-Tian,  le  Mékong  reçoit 
plusieurs  affluents  importants  :  le  jXam-Beng,  le 
Nam-Hou  qui  se  jette  un  peu  au  nord  de  Louang- 
Prabang  et  le  Nam-Ghan  qui  atteint  le  fleuve  à 


DESCRIPTION    GEOGRAPHIQUE  /,  i 

Louang-Prabang  même.  Le  Nam-Hou  est  une 
grande  rivière  qui  descend  du  Nord  et  qui  est 
navigable  pendant  toute  Tannée  sur  plus  de 
i5o  kilomètres.  Le  cours  du  JNam-Hou  a  été  jadis 
exploré  par  Doudart  de  Lagrée  qui  a  décrit  cette 
grande  masse  d'eau  noirâtre  très  profonde  qui 
coule  entre  des  rochers  majestueux,  aux  formes 
tourmentées  et  pittoresques.  Sur  plus  de  12  kilo- 
mètres des  rochers  ont  été  sculptés  par  des  artistes 
indigènes,  les  uns  représentent  des  figures  hu- 
maines, les  autres  des  animaux,  éléphants, 
buffles,  singes,  crocodiles.  Son  affluent,  le  iNam- 
Bac,  présente  des  figures  semblables.  Les  arbres 
et  les  gazons  des  rives  ont  aussi  des  formes  d'ani- 
maux. A  Fépoque  de  la  fête  des  eaux,  les  indi- 
gènes réparent  chaque  année  les  ouvrages  qui 
auraient  pu  être  endommagés. 

A  Vien-Tian,  le  Mékong  n'est  plus  qu'à 
3oo  mètres  d'altitude,  mais  de  nombreux  rapides 
entravent  encore  son  cours.  Ceux  de  Kemmarat, 
de  Khône,  de  Préapatang  sont  les  plus  connus.  Si 
Ton  met  à  part  un  bief  de  5oo  kilomètres  qui 
s'étend  entre  Yien-Tian  et  Savannaket,  la  naviga- 
tion reste  dangereuse  dans  ces  régions.  Au  delà  de 
Thasakou,    le     fleuve    n'est     praticable    qu'aux 


4a  NOTRE    FRANCE    D  EXTRÊME-ORIENT 

radeaux  et  aux  pirogues  indigènes.  De  Kemmarat 
à  Pak-Moun  sur  une  distance  de  i6o  kilomètres, 
entre  Tembouchure  de  Se-Bang-Hien  et  du  Se- 
Moun,  le  Mékong  se  trouve  parfois  ramené  d'une 
longueur  de  5  à  600  mètres  à  une  largeur  de  l\o  à 
5 G  mètres.  Il  franchit  avec  une  vitesse  vertigi- 
neuse ces  trois  passages. 

M.  le  D^  Harmand,  qui  a  exploité  Tun  des  pre- 
miers cette  section  du  Mékong,  Ta  décrite  avec 
une  exactitude  saisissante  : 

((  En  ce  point,  dit-il,  le  lit  du  fleuve  se  rétrécit, 
des  berges  d'argile  et  de  sable,  mollement  ondu- 
lées, disparaissent  pour  faire  place  à  d'énormes 
rochers  d'aspect  triste  et  sauvage,  quelquefois 
taillés  à  pic  comme  un  coup  de  ciseau  gigantesque. 
Le  fleuve,  aux  eaux  désertes  et  sombres,  prend 
Taspect  d'un  canal  entre  deux  murailles  cyclo- 
péennes  et  acquiert  une  profondeur  énorme.  Le 
courant  est  fort,  mais  uniforme  et  sans  rapides... 
La  force  du  courant  obHge,  de  place  en  place,  les 
hommes  à  grimper  sur  les  rochers  et  à  haler  les 
pirogues  Tune  après  l'autre  au  moyen  de  longs 
câbles  de  rotin.  Puis  ils  redescendent  à  bord  ruis- 
selants d'eau  et  de  sueur,  se  remettent  à  la  pagaie 
ou   à    la    gaffe,     pour    recommencer    bientôt   le 


DESCRIPTION    GÉOGRAPHIQUE  43 

manège,  dans  les  endroits  où  la  ligne  de  grand 
courant  se  rapprochant  d'une  des  murailles  ne 
permet  plus  d  avancer...  Après  les  rapides,  le 
Mékong  sélargit  peu  à  peu  et  les  rochers  se 
recouvrent  de  limon  desséché.  Mais  il  est  toujours 
aussi  encaissé  d'une  vingtaine  de  mètres,  au-des- 
sous du  faîte  des  falaises,  oii  se  dressent  de  vilains 
bambous,  jaunes  et  sans  feuilles,  pareils  à 
d'énormes  balais  et  de  maigres  ai^bres  à  huile. 
C'est  triste  à  mourir.  Les  rives  sont  complète- 
ment désertes  :  qui  donc  voudrait  vivre  au  milieu 
d'une  pareille  désolation  !  Quelques  sternes  au  bec 
rouge  ou  jaune  et  des  vanneaux  criards  animent 
seuls  le  paysage.  Plus  loin  les  rives  se  relèvent  à 
pic,  atteignant  par  endroits  jusqu'à  do  mètres  de 
hauteur...  Le  fleuve  présente  ainsi  une  série 
d'étranglements  et  de  bassins  qui  se  succèdent 
comme  les  gi'ains  d'un  chapelet  ;  à  chaque  étran- 
glement, un  rapide  ^  » 

En  aval  de  Muong-Khong,  commencent  les 
fameux  rapides  du  Rhône,  véritables  cataractes, 
parsemés  d'îles  recouvertes  d'épaisses  forêts. 
Francis  Garnier,   qui  les  a  rencontrés  en  remon- 

1  D""  Harmand.  Le  Laos  et  les  populations  sauvages  de  V Indo-Chine  ; 
Tour  du  monde,  1880. 


44  NOTRE    FRAîsCE    D  EXTRÊME-ORIENT 

tant  le  fleuve,  a  donné  la  description  suivante  de 
cette  partie  très  curieuse  du  Mékong  : 

((  Les  chutes  de  Khône  sont  précédées  par  un 
immense  et  magnifique  bassin  qui  a  environ  une 
lieue  et  demie  dans  sa  plus  grande  dimension  et 
une  quarantaine  de  mètres  de  profondeur.  Il  est 
limité  au  Nord  par  un  amas  compact  d'îles  au 
milieu  desquelles  surgissent  pour  la  première  fois 
quelques  collines.  C'est  au  travers  de  ce  groupe 
d  îles  et  par  vingt  canaux  différents  que  les  eaux 
du  fleuve,  quelque  temps  retenues  dans  les  sinuo- 
sités de  leurs  rives,  se  précipitent  dans  le  tran- 
quille bassin  où  elles  viennent  se  confondre  et 
s'apaiser.  A  l'extrémité  ouest  de  ce  bassin  et  sur 
la  rive  droite  du  fleuve  s'élève  un  groupe  de  mon- 
tagnes. On  sent  que  c'est  là  le  point  de  départ  de 
Fan'ête  rocheuse  qui  est  venue  barrer  malencon- 
treusement le  cours  du  fleuve.  En  traversant  le 
bassin,  on  aperçoit  successivement  à  l'entrée  de 
chaque  bras  des  chutes  d'eau,  différentes  d'aspect 
et  de  hauteur,  qui  ferment  l'horizon  de  leur 
mobile  rideau  d'écume.  Les  eaux  ne  tombent 
point  cependant  partout  en  cascades.  Dans  quel- 
ques bras  longs  et  sinueux,  elles  ont  aplani  l'obs- 
tacle et  coulent  en   torrent.  Ce  sont  là  des  pas- 


DESCRIPTION     GÉOGHAPHIQLE  45 

sages  dont  profitent  les  indigènes  pour  faire  passer 
leurs  barques.  Les  deux  canaux  les  plus  impor- 
tants et  les  cataractes  les  plus  belles  se  trouvent 
dans  les  deux  bras  extrêmes  du  fleuve.  Là,  on 
voit  des  chutes  deau  de  plus  de  i5  mètres  de 
hauteur  verticale  et  d'une  longueur  qui  atteint 
parfois  un  kilomètre.  La  ligne  des  cataractes 
atteint,  décomposée  en  plusieurs  tronçons,  un 
développement  total  de  12  à  i3  kilomètres.  Au- 
dessus,  le  fleuve  se  rétrécit  un  instant  jusqu'à  ne 
plus  mesurer  que  la  moitié  de  cette  dimension, 
puis  il  s'épanouit  de  nouveau  sur  Timmense  pla- 
teau de  rochers  qui  précède  les  chutes  \  » 

Dans  la  partie  moyenne  de  son  cours,  c  est-à- 
dire  entre  Vien-Tian  et  Kratié,  le  Mékong  reçoit 
quelques  affluents  considérables.  Ce  sont,  à  gauche 
et  descendant  des  massifs  du  Haut-Laos  et  de  la 
Cordillère  annamitique  :  le  Nam  Ngoum,  le 
Nam  San,  le  Nam  Kha-Dinh  le  Nam  Hin-Boum, 
le  Se  Bang-Faï,  le  Se  Bang-Kien,  le  Se  Don  et  le 
Se  Kong  qui  lui  arrive  grossi  du  Se  San  et  du 
Tonlé  Srépok.  Ces  rivières  sont  accessibles  aux 
pirogues  indigènes  sur  une  bonne  partie  de  leur 

^  Fr.  Garnier.  Voyage  et  exploration  en  Indo-Chine,  l.  1>  p.  176. 


46  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÉME-ORIENT 

cours  et  constituent  un  réseau  de  voies  de  commu- 
nication d'une  utilité  très  appréciable  pour  péné- 
trer dans  tout  le  pays  Laotien. 

A  droite,  le  Mékong  reçoit  le  Sé-Moun.  C'est 
un  affluent  considérable  qui,  grossi  du  Nam-Si, 
roule  un  volume  d'eau  énorme.  Si  à  Pimoun,  à 
quelques  kilomètres  du  confluent  avec  le  Mékong, 
des  chutes  n'interrompaient  pas  la  navigation,  le 
Sé-Moun  serait  une  voie  de  pénétration  magni- 
fique pour  aller  par  Oubône  de  la  vallée  du 
Mékong  jusqu'à  Khorat  en  plein  pays  siamois, 
malheureusement  c'est  un  obstacle  naturel  qui 
sera  sans  doute  encore  longtemps  infranchissable. 

A  Kratié,  où  commence  son  cours  inférieur,  le 
Mékong  devient  navigable  en  toute  saison.  A 
Kompong-Ghan,  on  entre  dans  la  grande  dépres- 
sion cambdogienne,  la  pente  devient  très  faible 
et  le  fleuve  s'étend  largement.  En  amont  de  Pnom- 
Penh  commence  le  delta  du  Mékong  :  celui-ci,  au 
lieu  dit  les  Quatre-Bras,  se  divise  en  deux 
branches.  L'une,  le  Tonlé-Sap,  se  dirige  vers  le 
Nord-Ouest  et  la  région  des  Lacs.  L'autre  continue 
vers  le  Sud-Est  et  la  mer. 

La  première,  pendant  la  saison  des  crues,  verse 
le  trop-plein  du  fleuve  dans  les  lacs  cambodgiens, 


DESCRIPTION    GÉOGRAPHIQUE  47 

mais,  à  la  saison  sèche,  le  courant  se  retourne  et  le 
Tonlé-Sap  envoie  ses  eaux  au  Mékong.  Alterna- 
tivement émissaire  des  lacs  ou  du  fleuve  suivant 
la  saison,  ce  bras,  long  de  120  kilomètres,  a 
i.ooo  mètres  de  largeur  devant  Pnom-Penh,  il  est 
soumis  à  Finfluence  des  marées  tout  comme  le 
Mékong  du  reste  jusqu'au  rapide  de  Sambor. 

La  région  des  Lacs  se  compose  de  trois 
cuvettes  distinctes  :  le  Veal  Phuoc,  ou  plaine  de 
boue,  très  peu  profond  (3o  à  [\o  centimètres  d'eau 
en  saison  sèche),  le  Petit  Lac  qui,  en  dehors  du 
chenal  central,  n'est  pas  sensiblement  plus  profond 
et  le  Grand  Lac  situé  entre  la  rivière  de  Battambang 
et  celle  de  Pursat,  qui  a  une  profondeur  d'un 
mètre  environ  pendant  les  basses  eaux.  La  largeur 
moyenne  de  ces  trois  lacs  atteint  une  trentaine  de 
kilomètres,  leur  longueur  i4o  kilomètres.  Au 
moment  des  hautes  eaux  ces  limites  disparaissent 
sous  une  immense  nappe  d'eau.  Aux  eaux  du 
Mékong  viennent  s'ajouter  celles  d'une  multitude 
de  rivières  qui  descendent  de  la  chaîne  du  Dang- 
Rek  au  Nord  et  des  monts  des  Cardamomes  au  Sud- 
Ouest  et  sont  pour  la  plupart  accessibles  aux  petits 
vapeurs  ;  à  gauche,  la  rivière  de  Siem-Réap  qui 
conduit  aux  monuments  d  Ang-Kor,  le  Stung-Sen, 


48  >OTRE    FRANCE     d"eXTRÉME-ORIE>T 

à  droite  le  Stung-Sang-Ké  qui  mène  à  Battambang, 
le  Stung-Pursat  qui  met  en  communication  Pursat 
avec  le  Grand  Lac.  A  cette  époque,  la  zone 
d  inondation  quintuple  la  surface  du  Jac  et  les 
chaloupes  à  vapeur  arrivent  à  Battambang  qui,  en 
saison  sèche,  est  à  70  kilomètres  du  Lac. 

Immédiatement  au-dessous  de  Pnom-Penh,  le 
fleuve  se  divise  en  deux  branches  qui  se  dirigent 
parallèlement  vers  le  Sud-Est  pendant  200  kilo- 
mètres. Celle  de  1  Ouest,  Hang-Giang,  ou  fleuve  de 
Bassac,  est  navigable  à  Tépoque  des  hautes  eaux 
pour  les  canonnières  et  seulement  pour  les  barques 
du  pays  pendant  la  saison  sèche.  Ses  rives  cou- 
vertes de  rizières  et  de  villages  sont  assez  peu- 
plées. Le  fleuve  traverse  successivement  Chau- 
doc,  qui  est  relié  à  Hatien  sur  le  golfe  de  Siam  par 
le  canal  de  Vinh-An,  Long-Xuyen  qui  commu- 
nique par  un  canal  avec  Rach-Gia,  Daï-JXgaï  d'où 
une  rivière  canalisée  ouvre  une  route  aux  chaloupes 
jusqu  à  Soc-Trang  et  Bac-Lieu  à  travers  des 
rizières  magnifiques.  A  Daï-Ngaï,  le  Bassac  se 
divise  en  trois  bras  :  Cua-Dinh-An,  Cua-Ba-Thac, 
Cua-Tran-Dé  qui  se  jettent  dans  la  mer. 

La  branche  orientale,  Tien-Giang,  ou  Fleuve 
Antérieur,  est  navigable  en  toute  saison  pour  tous 


DESCRIPTION    GEOGRAPHIQUE  49 

les  navires  calant  3  mètres.  Plus  large  que  la 
précédente,  elle  arrose  des  plaines  peuplées  très 
fertiles,  couvertes  de  rizières.  Le  Tien-Giang  se 
ramifie  en  une  foule  de  bras  secondaires  ou  arroyos 
et  répand  ses  eaux  sur  les  immenses  terrains  d'inon- 
dation de  la  plaine  des  Joncs.  Avant  d'atteindre 
Vinh-Long,  il  se  divise  en  trois  grandes  branches 
(cua)  au  Nord,  celle  de  Mytho  (cua  Thio)  est  la 
plus  importante.  Les  jonques  annamites  et  les 
vapeurs  fluviaux  la  remontent  sans  difficulté.  Au 
centre  se  trouve  celle  de  Bentrée  et  au  Sud  celle 
de  Vinh-Long  et  Tra-Yinh  qui  se  subdivise  encore 
avant  d'atteindre  la  mer. 

Le  delta  du  Mékong  est  Fun  des  plus  vastes  du 
globe.  Sa  base  vers  la  mer  n'a  pas  moins  de 
600  kilomètres  et  en  avant  du  littoral  des  bas-fonds 
le  prolongent  à  plus  de  5o  kilomètres.  C'est  un 
ancien  golfe  qui  a  été  comblé  par  les  apports  du 
fleuve.  Au  milieu  du  delta  on  reconnaît  encore, 
dans  les  éminences  qui  en  parsèment  la  surface,  les 
anciennes  îles  qui  émergeaient  du  golfe  :  Nui  Sap, 
Nui  San,  Nui  Ba-Thé,  Mon  Soc,  Mon  Dat.  L'ar- 
chipel de  Poulo-Gondore  est  lui-même  sur  une  plate- 
forme que  recouvre  à  peine  20  à  3o  mètres  d'eau. 
Il  est  vi^aisemblable  qu'un  jour  viendra  où  ces  îles 

4 


5o  ^-OTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIEN'T 

se  trouveront  rattachées  au  continent.  Le  gi^and 
fleuve  modifie  incessamment  ses  rives,  ses  îles,  ses 
aiToyos  ainsi  que  les  plaines  de  son  delta.  Les 
bancs  de  sable  qu'il  charrie  sont  d  ailleurs  un  obs- 
tacle à  sa  navigation,  les  grands  navires  ne  peuvent 
le  remonter  à  mai'ée  basse. 

Les  obstacles  qui  ban-ent  le  cours  du  Mékong 
depuis  son  entrée  en  Indochine,  et  les  alluvions 
que  le  fleuve  arrache  aux  flancs  des  montagnes 
qu'il  côtoyé  ne  permettront  d'ailleurs  jamais  de 
faille  de  cette  grande  artère  fluviale  une  voie  navi- 
gable de  grande  valeur.  Son  débit  est  en  outre  très 
irrégulier.  Les  pluies  apportées  pai'  la  mousson  du 
Sud-Ouest,  de  juin  à  octobre,  et  qui  succèdent  à 
la  fonte  des  neiges  dans  le  Thibet  produisent  des 
crues  pendant  lesquelles  le  courant  est  trop  violent 
pour  permettre  la  navigation  et  l'utiliser  sans 
danger;  au  contraire,  pendant  la  saison  sèche, 
d'octobre  à  mai,  on  risque  de  ne  plus  pouvoir 
avancer  faute  d'eau.  En  effectuant  divers  travaux 
d'aménagement,  on  pourra  faciliter  la  navigation 
—  et  on  l'a  déjà  fait  en  plusieurs  points.  On 
ne  pourra  jamais  supprimer  tous  les  obstacles  et 
donner  au  Mékong  la  valeur  économique  et  com- 
merciale   qu'ont   la    plupai't    des   grands    fleuves 


DESCRIPTION    GÉOGRAPHIQUE  5l 

chinois .  Nous  verrons  ultérieurement  comment  le 
commerce  Futilise  pour  ses  transports. 

Au  nord  de  la  colonie,  les  eaux  du  Thaï-Binh 
viennent  se  déverser  dans  le  delta  du  Tonkin.  Au 
Sud,  etpresque  symétriquement,  le  Dong-Naï  vient 
mêler  ses  eaux  dans  les  mômes  conditions  à  celles 
du  Mékong.  Le  Dong-Naï  prend  sa  source  au  sud 
de  FAnnam,  à  1.200  mètres  d'altitude  dans  le 
massif  du  Lang-Bian.  Les  régions  qu'il  traverse 
sont  pittoresques  et  grandioses. 

Encombré  de  roches  et  encaissé  entre  de  hautes 
rives,  le  Dong-Naï  se  précipite  de  rapides  en  rapides 
et  n'est  pas  navigable  même  assez  loin  après  sa 
sortie  des  montagnes.  Un  banc  de  roches  barre  son 
cours  en  aval  de  Bien-Hoa  et  les  navires  ne  peuvent 
le  franchir  qu'à  marée  haute . 

Le  Dong-Naï  reçoit  à  droite,  à  10  lieues  de  la 
mer,  la  rivière  de  Saïgon  qui  vient  des  contreforts 
méridionaux  de  la  Cordillère  annamitique,  puis  les 
deux  Vaïco,  le  Vaïco  oriental  et  le  Vaïco  occidental. 
Le  premier,  le  Vaïco  oriental,  est  seul  navigable 
pour  les  navires  calant  2  à  3  mètres.  Autour  de 
Saïgon,  toutes  ces  rivières  se  divisent  et  se  subdi- 
visent en  d'innombrables  arroyos  communiquant 
entre  eux  et  avec  ceux  du  Mékong,  de  telle  sorte 


5a  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

que  Saigon,  quoique  situé  en  dehors  du  delta  du 
Mékong  proprement  dit,  est  quand  même  le  prin- 
cipal débouché  de  toutes  les  marchandises  qui 
entrent  en  Cochinchine  au  Laos  ou  au  Cambodge 
ou  qui  en  sortent. 

En  dehors  des  quatre  fleuves  qui  viennent  d^être 
étudiés.  Fleuve  Rouge  et  Thaï-Binh,  Mékong  et 
Dong-Naï,  les  autres  cours  d'eau  de  la  péninsule 
ont  une  importance  tout  à  fait  secondaire.  Ce  sont 
de  petits  fleuves  côtiers  sans  développement  en 
raison  de  la  proximité  des  montagnes  avec  la  mer. 

Du  Sud  au  Nord  on  rencontre  : 

Le  Son-Gaï  ou  rivière  de  Phan-Rang  ; 

La  rivière  de  Nha-Trang; 

Le  Song-Darang  et  le  Song-Ga-Go  ou  rivière  de 
Phu-Yen. 

La  rivière  d'Ana-Nhon  qui  draine  une  partie 
de  la  province  de  Binh-Dinh  et  le  Song-Pakhuc 
la  province  de  Quang-Ngaï  ; 

La  rivière  de  Tourane,  dont  un  affluent  dessert 
Faï-Fo,  est  navigable  sur  80  kilomètres. 

La  rivière  de  Hué  est  courte,  mais  importante 
au  point  de  vue  économique,  et  très  pittoresque 
avec  ses  rives  bordées  de  bambous  et  ses  habita- 


DESCRIPTION    GÉOGRAPHIQUE  53 

tiens  indigènes  qui  se  dissimulent  dans  la  verdure. 

La  rivière  de  Deng-Ha  et  le  Song-Giang  dans  le 
Quang-Binh. 

Dans  les  provinces  du  Ha-Tinh,  de  Nghé-An 
et  de  Thanh-Koa,  les  trois  provinces  septentrio- 
nales de  TAnnam,  la  Cordillère  s'écarte  de  la 
mer  et  a  permis  aux  rivières  de  prendre  un  déve- 
loppement un  peu  plus  considérable. 

Le  Song-Ca,  qui  descend  du  Pou-Li  dans  le 
Haut-Laos,  aboutit  à  la  mer  près  de  Vinli  après 
un  cours  de  Goo  kilomètres.  C'est  un  fleuve 
encombré  de  rapides.  Le  capitaine  Cupet  en  a 
rencontré  117  entre Muong-Hua-Huong et  Cua-Rao, 
mais  les  sampans  peuvent  les  franchir.  Au-des- 
sous de  Cua-Rao,  les  chaloupes  à  vapeur  peuvent 
circuler  pendant  la  période  des  hautes  eaux. 

Le  Song-Ma  qui  prend  sa  source  dans  la  région 
de  Dien-Bien-Phu  et  le  Song-Chu  qui  naît  près  de 
Sam-Neua,  sont,  comme  le  précédent,  encombrés 
de  rapides  et  accessibles  à  la  navigation  d'une 
manière  très  irrégulière.  Le  Song-Ma  et  le  Song- 
Chu  forment  au  sud  du  grand  delta  du  Fleuve 
Rouge,  un  petit  delta  :  le  Thanh-Koa. 


5.'|  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

IV 

LE   CLIMAT 

La  situation  géographique  de  Flndo-Chine,  son 
étendue,  sa  configuration  physique,  les  montagnes 
qui  la  couvrent  et  empêchent  les  vents  venant  de 
la  mer  de  pénétrer  dans  certaines  régions,  le  voi- 
sinage ou  Féloignement  de  la  mer  sont  autant 
de  causes  qui  diversifient  le  climat  de  Flndo- 
Ghine. 

Aussi,  bien  que  notre  colonie  d'Indo-Chine  soit 
située  dans  la  zone  tropicale  et  soit  dotée  d'un 
climat  qu'on  est  convenu  de  qualifier  de  tropical, 
doit-on  faire  des  réserves  sérieuses  à  ce  sujet  et 
indiquer  que  cette  règle  subit  d'assez  nombreuses 
dérogations  suivant  le  pays  que  Ton  considère  en 
particulier. 

La  température  est  presque  toujours  élevée  et 
dans  Fensemble  elle  est  caractérisée  par  des  écarts 
très  faibles,  les  moyennes  ne  sont  pourtant  pas 
pai^tout  les  mêmes  suivant  qu'il  sagit  de  la  Cochin- 
chine,  de  FAnnam  ou  du  Tonkin.  En  Gochin- 
chine,  à  Saigon,  la  moyenne  maxima  est  de  33** 


DESCRIPTION    GEOGRAPHIQUE  ^^ 

et  la  moyenne  minima  de  24^5-  En  Annam,  à 
Hué,  la  moyenne  maxima  est  de  36%  la  moyenne 
minima  est  de  i5°6.  Au  Tonkin,  il  existe  un  véri- 
table hiver.  Dans  le  delta,  la  moyenne  des  minima 
de  février  est  de  i3°8  et  sur  les  plateaux  de 
la  haute  région,  l'hiver  est  beaucoup  plus  sen- 
sible. 

Ces  moyennes  elles-mêmes  ne  représentent  que 
des  données  relativement  fictives,  d'autant  plus 
que  les  observations  que  Ton  possède  sont  en 
général  assez  incomplètes  et  portent  sur  un 
nombre  d'années  assez  restreint.  De  plus,  le  climat 
de  Saigon  ne  représente  pas  le  climat  de  la  Gochin- 
chine  tout  entière,  ni  celui  de  Hué  celui  de  tout 
r  Annam. 

Le  climat  du  nord  de  FAnnam  est  très  semblable 
à  celui  du  Tonkin  et  celui  du  sud  de  la  même 
colonie  se  rapproche  beaucoup  plus  du  climat  de 
la  Cochinchine  que  du  climat  de  Hué.  Le  voisi- 
nage de  la  mer  ou  de  la  Chaîne  annamitique  modi- 
fie également  dans  des  proportions  très  notables 
le  climat  normal  du  pays.  Certaines  stations  éle- 
vées comme  le  plateau  du  Lang-Bian  jouissent 
d'une  température  beaucoup  moins  haute  que 
les  régions  voisines  et  plus  basses.  Au  Laos,  la 


56  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÈME-ORIENT 

proximité  des  montagnes  qui  met  le  pays  à  Fabri  des 
influences  marines,  la  température  comporte  des 
écarts  souvent  considérables.  A  Vien-Tian,  on  note 
des  moyennes  de  il\'  en  décembre  et  à  Xieng- 
Khouang  des  moyennes  de  6*^  à  la  même  époque 
tandis  que  pendant  les  mois  de  mars,  avril,  mai, 
des  températures  de  27®,  3o°,  34°  ne  sont  pas 
rares. 

Les  moussons  qui  soufflent  avec  régularité  sur 
toute  la  péninsule  indo-chinoise  établissent  une 
uniformité  beaucou]3  plus  grande  dans  le  régime 
des  vents  de  Flndo-Chine.  Le  régime  des  mous- 
sons est  particulièrement  régulier  dans  le  Sud  et 
il  le  serait  éo^alement  dans  le  nord  de  la  péninsule 


'O 


penmi 


si  le  voisinage  des  côtes  d'Annam  et  du  Tonkin 
ne  les  faisait  dévier  et  souffler  du  Sud-Est  au  lieu 
du  Sud-Ouest. 

Les  typhons  sont  des  vents  très  violents  qui 
accompagnent  souvent  les  moussons.  Ce  sont  des 
tourbillons  qui  sont  particulièrement  dangereux 
dans  le  golfe  du  Tonkin  et  sur  les  côtes  d'Annam. 
On  les  redoute  de  juin  à  septembre  au  Tonkin 
et  de  septembre  à  novembre  en  Annam.  Les 
typhons  occasionnent  souvent  des  dégâts  consi- 
dérables en  projetant  sur   les   rivages  et  sur  les 


DESCRIPTION    GÉOGRAPHIQUE  5^ 

côtes  basses  des  millions  de  mètres  cubes  d'eau. 
Le  typhon  de  1903  a  fait  à  Hanoi  plus  de 
3.000  victimes  et  anéanti  des  espaces  considé- 
rables de  rizières. 

Le  régime  des  pluies  étant  en  relations  directes 
du  régime  des  vents  est  par  suite  régulier  surtout 
dans  le  Sud.  Au  Cambodge  et  en  Gochinchine,  la 
saison  des  pluies  correspond  à  la  saison  de  la 
moisson  d'été  (mai  à  octobre).  Au  Tonkin,  le 
régime  des  pluies  est  moins  régulier.  Les  mois  de 
juillet,  août  et  septembre,  pendant  lesquels  souffle 
la  mousson  sont  certainement  très  pluvieux,  mais 
d  autres  mois  ne  le  sont  guère  moins.  Sur  les 
côtes  d' Annam ,  la  mousson  d'hiver  qui  s'est  chargée 
d'humidité  en  passant  sur  les  mers  de  Chine  occa- 
sionne des  pluies  d  hiver  d'autant  plus  considéra- 
bles que  Ton  descend  davantage  vers  le  Sud, 

Le  régime  des  pluies  est  d'ailleurs  dans  l'en- 
semble assez  inégal.  Certaines  années  sont  très 
humides,  d'autres  très  sèches.  Il  en  résulte  soit 
des  inondations,  soit  des  sécheresses  non  moins 
désastreuses  pour  Tagriculture. 

La  tension  électrique  qui  est  élevée  particuliè- 
rement au  Tonkin  rend  le  climat  humide  et  chaud 
de  l'Indo-Chine  assez  difficile  à  supporter  en  général 


58  NOTRE    FRANCE    D  EXTRÊME-ORIENT 

pour  rEuropéen.  Les  côtes  et  les  régions  basses 
qui,  au  premier  abord,  sembleraient  malsaines, 
sont  encore  plus  salubres  que  les  montagnes  à  cause 
de  la  proximité  de  la  mer  qui  y  entretient  ordi- 
nairement une  brise  pure  et  vivifiante.  Les  régions 
élevées  généralement  boisées  occasionnent  souvent 
des  fièvres  que  Ton  attribue  à  Faccumulation  des 
détritus  végétaux  qui  y  pourrissent  et  aux  brouil- 
lards. Quelques  régions  élevées  comme  le  Tran- 
rsinh,  le  Lang-Bian,  le  Tam-Dao  ou  le  Naï-Ong 
sont  saines  i^aice  que  les  plateaux  sont  en  général 
dénudés  et  que  les  vents  peuvent  purifier  latmos- 
phère . 


CHAPITRE  III 

L  EXPANSION  KMER  ET  ANNAMITE 
DANS  LA  PÉNINSULE  INDO  CHINOISE 

Les  Khmers  et  les  Chams  en  Indo-Chine.  —  L'expansion  annamite 
et  chinoise.  —  Formation  de  l'Empire  d'Annam.  —  Les  popu- 
lations indo-chinoises  actuelles. 

Malgré  les  nombreux  travaux  de  détail  déjà 
publiés,  notamment  par  les  soins  de  TEcole  fran- 
çaise d'Extrême-Orient,  Fethnographie  de  Flndo- 
Chine  reste  à  faire.  Llndo-Ghine  a  subi  tant  d'in- 
vasions et  vu  tant  de  migrations  que,  dans  Tétat 
actuel  de  nos  connaissances,  il  n'est  guère  pos- 
sible de  construire  autre  chose  que  des  hypothèses 
plus  ou  moins  vraisemblables  en  face  des  races 
multiples  qu'on  y  rencontre. 

Avant  notre  intervention,  quatre  peuples  parais- 
sent s'être  successivement  disputé  le  territoire  de 
rindo-Chine  :  les  Khmers,  les  Chams,  les  Thaïs  et 
les  Annamites. 

Les  Khmers  et  les  Chams  étaient  d'origine  hin- 


6o  >'OTRE    FRA>'CE    D^EXTRÉME-ORIENT 

doue.  Ils  arrivèrent  en  Indo-Chine  probablement 
bien  avant  le  commencement  de  l'ère  chrétienne 
et  y  fondèrent  deux  grands  Etats  :  le  Founan  au 
Sud,  le  Champa  dans  le  Nord. 

On  ne  sait  à  peu  près  rien  du  Founan  sinon 
qu'un  Etat  vassal,  le  Cambodge,  le  remplaça  vers 
le  iv^  siècle. 

Bien  que  Ton  continue  sans  relâche  à  déchiffrer 
les  inscriptions  khmers  qui  couvrent  les  monuments 
dAngkor,  on  connaît  peu  de  choses  sur  Ihistoire 
de  ce  peuple  primitif.  On  ignore  même  à  quelle 
époque  exacte  et  dans  quelles  circonstances  les 
Cambodgiens  se  substituèrent  aux  Khmers. 

Il  est  possible  que  les  Cambodgiens  soient  d'ori- 
gine thaï  et  soient  venus  pai'  suite  de  la  Chine 
méridionale. 

Les  Thaïs  auraient  pénétré,  croit-on,  d  abord 
dans  le  Haut-Tonkin  et  de  là  se  seraient  répandus 
dans  tout  le  sud-ouest  jusque  dans  la  péninsule 
malaise. 

Les  Tho  qui  occupent  encore  la  région  qui 
s'étend  entre  la  Rivière  Claii'c  et  Monkay  seraient 
des  descendants  plus  ou  moins  mélangés  de  ces 
Thaïs  primitifs. 

En  s'avançant   vers  le   Sud,  ces  peuples  thaïs 


L  EXPANSION    KMER    ET    ANNAMITE  6l 

auraient  fondé  au  Laos  les  royaumes  de  Vien-tian 
et  de  Luang-Prabang,  puis  vers  le  xii^  siècle  auraient 
substitué  leur  suzeraineté  au  Cambodge  à  celle  des 
anciens  Klimers  ;  enfin  continuant  leur  mouvement 
vers  le  Sud-Ouest,  auraient  finalement  fondé  un 
nouveau  royaume  au  Siam. 

Les  Cambodgiens,  sans  cesse  exposés  aux  atta- 
ques de  leurs  voisins  siamois  et  annamites,  eurent 
une  histoire  très  troublée  pendant  les  siècles  qui 
suivirent  et  ce  n  est  que  lïntervention  française  au 
temps  de  Norodom  qui  leur  procura  la  paix  et  la 
sécurité. 

Lliistoire  des  Chams,  habitants  du  Champa, 
est  peu  connue,  malgré  leurs  démêlés  avec  les 
Annamites  qui,  les  refoulant  peu  à  peu  du  Nord 
vers  le  Sud,  finirent  par  les  vaincre  définitive- 
ment. 

On  trouve  des  vestiges  des  Chams  tout  le  long 
de  la  Cordillère  annamitique,  depuis  le  Quang- 
Nam  jusqu'au  Sud-Annam.  Dans  le  Khanh-Hoa 
particulièrement,  on  voit  encore  des  traces  de  leur 
civilisation  qui  consistent  surtout  en  monuments 
religieux  dédiés  à  des  rois  passés  au  rang  des 
génies  et  en  de  nombreuses  stèles  avec  inscriptions 
sanscrites.  L'une  des  plus  anciennes  a  été  décou- 


62  >'OTRE    FRA>'CE    d'eXTRÊME-ORIENT 

verte  dans  une  rivière  à  6  kilomètres  de  Nha- 
Trang.  C'est  une  pierre  grossièrement  taillée 
de  2°',5o  de  hauteur.  L'inscription  en  sanscrit 
archaïque  remonte  à  1.400  ans  environ  et  relate 
une  offrande  faite  aux  divinités  par  le  roi  Srinava. 
De  l'autre  côté  de  la  rivière  de  Nha-Trang  s'élève 
sur  un  mamelon  un  autre  monument  cham,  le 
Poh-iNagar,  qui  remonte  au  vin*"  siècle  ;  il  abrite 
la  statue  de  Baghavati  aux  douze  bras,  mère  de 
Siva.  Le  temple  est  encore  aujourd'hui  l'objet 
dune  grande  vénération  de  la  part  des  indigènes. 

La  civilisation  cham  paraît  avoir  eu  le  temps  de 
moins  se  développer  cependant  que  la  civilisation 
khmer.  Les  Chams  établis  sur  le  littoral  de  l'An- 
nam  furent,  en  effet,  exposés,  plus  encore  que  les 
Khmers,  aux  incursions  des  Annamites  et  durent 
soutenir  contre  les  envahisseurs  et  aussi  contre  les 
pirates  venus  par  mer  plus  de  luttes  et  plus  de 
guerres,  jusqu'au  jour  où  ils  finirent  par  céder  à 
la  formidable  poussée  sino-annamite  venue  du 
Nord. 

Les  Annamites,  qui  absorbèrent  finalement  les 
Chams,  venaient,  comme  les  Thaïs,  des  confins  du 
Thibet. 

Des  travaux  récents  permettent  de  penser  que 


l'expansion  kmer  et  annamite  63 

Finvasion  de  Tlndo-Ghine  par  les  Annamites  fut, 
à  Forigine,  en  quelque  sorte,  une  entreprise  de 
colonisation  chinoise. 

Longtemps  avant  notre  ère,  les  Annamites  pri- 
mitifs menaient  probablement  le  long  des  fron- 
tières méridionales  de  la  Chine  une  existence 
indépendante,  pastorale  et  quasi  sauvage,  analogue 
à  celle  que  Fon  constate  aujourd'hui  encore  chez 
les  montagnards  deSé-Tchouenetdu  Yun-nam.  Peu 
à  peu,  ces  peuplades  pénétrèrent  sur  les  hauts  pla- 
teaux du  Tonkin  et  dans  la  partie  montagneuse  de 
FAnnam  où  vivaient  déjà  les  Champans.  Pêcheurs  et 
chasseurs,  assurément  pas  agriculteurs,  ces  Anna- 
mites étaient  plutôt  des  populations  indépendantes 
qui  fuyaient  devant  les  armées  chinoises  cherchant 
à  pénétrer  au  Tonkin. 

D'après  le  Yii-Kung^  F  Empire  chinois,  au 
i^^  siècle  avant  Jésus-Christ,  ne  comptait  que  neuf 
provinces  et  dépassait  à  peine  le  Yang-Tsé-Kiang  ; 
il  avait  pensé  vivre  derrière  sa  muraille,  mais  il 
se  vit  bientôt  contraint  de  la  franchir. 

L'expansion  chinoise  se  fit  d'abord  vers  l'Ouest 
et  c'est  de  cette  époque  que  date  l'émigration  des 
clans  annamites  ;  puis  les  armées  chinoises  descen- 
dirent vers  le   Sud  et  envahirent  le  Tonkin.  Les 


64  NOTRE    FRANCE    D  EXTRÊME-ORIENT 

populations  du  Kouang-Toung  et  du  Kouang-Si 
déversèrent  alors  un  flot  démigrants  en  armes  qui 
occupèrent  le  nord  du  Tonkin  pêle-mêle  avec 
Télément  annamite  qui  les  avait  pacifiquement 
devancés. 

L'Annam  tout  entier  devait  rester  province  chi- 
noise de  1 1 1  avant  Jésus-Christ  à  987  après  Jésus- 
Christ. 

La  domination  chinoise  fut  très  féconde  pour 
FAnnam,  bien  que  les  chroniqueurs  annamites  la 
représentent  aujourd'hui  comme  une  période  de 
désolation  et  d'exaction.  La  Chine  s'efforça  d'in- 
culquer aux  clans  annamites  les  principes  de  sa 
civilisation.  «Longtemps,  dit  M.  Camille  BrifFaut, 
il  fut  difficile  au  vainqueur  d'astreindre  ce  peuple 
de  chasseurs  à  la  culture  du  sol  et  à  la  vie  séden- 
taire ;  il  aimait  tant  sa  liberté  vagabonde  qu'il  se 
refusa  longtemps  à  s'accoutumer  aux  règles  de 
l'Empire  du  Milieu  et  porte  encore  aujourd'hui 
dans  sa  promptitude  à  la  rébellion  et  à  Fexode  la 
trace  atavique  de  son  passé  migrateur.   » 

((  Le  Gouvernement  chinois,  comme  s'il  eût  senti 
qu'il  lui  valait  mieux  composer  avec  ce  petit 
peuple  que  de  tenter  de  l'éloigner  ou  de  le  détruire, 
utilisa  toute  sa  patience  et  toute  sa  science  à  Fas^ 


I 


L  EXPANSION    KMER    ET    ANNAMITE  65 

similer  et  à  Fabsorber  ;  les  mélanges  de  nationalité 
et  les  fusions  de  races  ne  furent  point  interdites  ; 
la  colonisation  raisonnée  du  pays  fut  entreprise  et 
donnée  comme  modèle  par  les  troupes  impériales, 
dont  chaque  unité  déguisait  un  paysan  ;  les  con- 
damnés à  1  exil  furent  dirigés  de  Chine  sur  les 
pays  annexés  ;  un  immense  et  continuel  exemple 
fut  donné  par  les  immigrants  chinois  aux  popula- 
tions aborigènes  !  D'aucuns  préférèrent  se  retirer, 
mais  TAnnamite  demeura  et  le  gouvernement 
ne  le  découragea  point,  ayant  le  dessein  de  se 
l'assimiler  \  » 

Sous  l'influence  du  conquérant  chinois,  une 
transformation  profonde  s'accomplit  chez  le  peuple 
annamite.  Du  iv*'  au  v^  siècle,  on  le  voit  déplacer 
lentement  son  habitat,  descendre  des  montagnes, 
abandonner  la  forêt  pour  les  terres  marécageuses 
et  fertiles  du  delta  tonkinois,  essaimer  le  long  de 
la  côte  d'Annam,  à  TOuest  et  au  Sud,  refouler  et 
anéantir  les  autochtones,  se  constituer  et  grandir. 

Après  plusieurs  tentatives  infructueuses,  au 
milieu  du  x°  siècle,  1  Empire  d'Annam  conquit 
son  indépendance  et  chassa  les  Chinois. 

*  C.  Briffaut.  La  Cité  annamite,  t.  I,  p.  148  et  passim. 

5 


66  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

Pendant  les  cinq  siècles  qui  suivent,  le  nouvel 
État  accroît  sa  domination  sur  les  Champas  et  les 
Malais,  puis  continue  à  s  étendre  vers  le  Sud.  Les 
populations  primitives  des  bords  du  Dong-Naï,  de  la 
Basse-Cochinchine,  sont  successivement  soumises, 
et  les  Annamites,  remontant  peu  à  peu  les  cours 
d'eau,  refoulent  dans  les  parties  reculées  de  la 
forêt  les  Cambodgiens.  Aujourd'hui  encore,  en 
Cocbinchine,  quelques  cantons  cambodgiens  attes- 
tent la  présence  de  l'ancienne  domination  khmer 
dans  cette  région. 

A  la  fin  du  xvn^  siècle,  le  Bas-Cambodge  n'était 
plus  qu'une  province  annamite  organisée  adminis- 
trativement  et  dont  la  colonisation  raisonnée  com- 
mençait selon  les  anciennes  métbodes  sino-anna- 
mites  :  les  vagabonds,  les  errants,  les  criminels 
étaient  déportés  dans  la  nouvelle  province  au  fur 
et  à  mesure  que  s'étendait  la  conquête  des  pays  du 
Bas-Mékong.  La  révolte  des  Tày-Son  qui  survint 
à  la  fin  du  xvii^  siècle  n'interrompit  pas  l'exode  des 
populations  annamites  vers  le  sud  de  la  Cocbin- 
chine ;  sous  le  règne  si  troublé  de  Gia-Long,  beau- 
coup d'Annamites  fuyant  les  révoltes  vinrent  se 
fixer  à  Soctrang,  Cantho  et  Travinh. 

L'Empire  d'Annam,  continuant  son  exode  sécu- 


L  EXPANSION     KMER     ET    ANNAMITE  67 

laire  vers  le  Sud,  se  disposait  à  franchir  les  fron- 
tières du  Haut-Cambodge  et  à  achever  l'absorption 
de  Fancien  empire  khmer  lorsque  1  Europe  vint 
troubler  cette  conquête  lente  et  y  mettre  un  terme. 

Ce  rapide  exposé  de  la  formation  ethnique  de 
rindo-Chine  serait  incomplet  si  on  n'y  mentionnait 
pas  encore  l'arrivée  plus  récente  de  nouveax  immi- 
grants venus  de  Chine  et  de  l'Inde. 

La  constitution  de  l'Etat  annamite  au  Tonkin, 
en  Annam  et  en  Cochinchine  et  même  au  Cam- 
bodge n'avait  pas  complètement  arrêté  le  mouve- 
ment d'émigration  chinoise  vers  le  Sud.  L'infiltra- 
tion chinoise  fut  constante  pendant  ces  mille  der- 
nières années  et  les  frontières  du  nord  du  Tonkin 
ne  furent  jamais  respectées  par  les  bandes  de 
pirates  que  le  Gouvernement  chinois  installait  par 
la  suite  dans  le  pays  pour  prix  de  leurs  services  en 
leur  distribuant  des  terres. 

A  la  fin  du  xvif  siècle,  des  Chinois,  partisans  des 
Minhs,  craignant  les  représailles  des  Mandchous, 
vinrent  demander  asile  à  la  cour  de  Hué  et  l'Em- 
pereur les  autorisa  à  s'installer  à  Mytho  et  à  Bien- 
Hoa. 

Au   début  du  xviii^  siècle,  un  aventurier  chi- 


68  NOTRE    FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

nois,  Mac-Càu,  vint  s'établir  dans  le  golfe  du  Siam, 
à  Ha-Tièn.  Plusieurs  villages,  puis  Rach-Gia  et 
Gam-au  s'élevèrent  malgré  les  attaques  des  pirates 
et  des  Khmers.  Mac-Gàu  fit  hommage  de  ses  con- 
quêtes à  l'Empereur  de  Hué  qui  l'autorisa  à  y  ins- 
taller d'autres  de  ses  compatriotes. 

Depuis  cette  époque,  l'émigration  chinoise  ne 
s'est  guère  arrêtée  et,  de  nos  jours,  les  commer- 
çants venus  de  Ganton  ou  du  Phuc-\en  sont  très 
nombreux  :  Cholon  est  une  ville  presque  entière- 
ment chinoise. 

Quant  aux  Hindous,  leur  venue  est  plus  récente 
encore.  Elle  ne  remonte  guère  au  delà  de  notre 
arrivée  dans  la  péninsule.  Les  Hindous  sont  soit 
des  usuriers  (chettys),  soit  des  commerçants.  Ils 
commencent  à  entrer  aussi  dans  l'administration . 


Les  indications  qui  précèdent  permettent  dès 
maintenant  de  se  faire  une  idée  de  Fethnographie 
de  rindo-Chine. 

Une  race  a  une  prédominance  très  marquée  et 
donne  à  notre  colonie  une  très  réelle  unité,  c'est 


L  EXPANSION     KM  EH     ET    ANNAMITE  69 

la  race  annamite,  représentée  approximativement 
par  12  millions  d  individus. 

Viennent  ensuite  les  descendants  des  races  abo- 
rigènes (300.000  environ)  et  les  descendants  des 
populations  chams  soumises  par  les  Annamites 
(100.000  environ),  puis  les  Thaïs  (1.200.000)  et 
les  Cambodgiens  (i.doo.ooo),  enfin  les  Chinois 
(230. 000)  et  les  Hindous  (25o.oooj. 

Quant  aux  Européens,  on  évalue  leur  nombre  à 
17  ou  18.000  parmi  lesquels  on  compte  environ 
1 5.000  Français,  sans  compter,  bien  entendu,  les 
troupes  métropolitaines  stationnaii'es  dans  la  colo- 
nie. 


n\ 


CHAPITRE  lY 

LES  ANNAMITES 

Le  type  annamite.  —  La  société  annamite.  —  La  famille.  —  La 
commune.  —  Organisation  politique  et  sociale.  —  Les  religions 
et  le  culte  des  ancêtres.  —  Les  fêtes.  —  La  main-d'œuvre  anna- 
mite. 

Le  peuple  annamite  représente  les  cinq  sixièmes 
de  la  population  totale  de  Flndo-Chine.  Il  occupe 
actuellement  toute  la  région  des  plaines  du  Tonkin, 
de  TAnnam  et  de  la  Cochinchine.  Au  Cambodge, 
les  Annamites  sont  assez  peu  nombreux  (à  peine 
5  p.  loo  de  la  population) .  Les  Annamites  sont  très 
clairsemés  dans  les  montagnes,  ils  ne  vont  jamais 
s'installer  qu'à  contre-cœur  dans  les  hautes  régions 
où  Feau,  disent-ils,  est  mauvaise  et  donne  lafîèvre. 

Bien  que  la  race  annamite  ait  subi  à  travers  ses 
nombreuses  migrations  d'inévitables  croisements 
qui  ont  dû  en  altérer  assez  fortement  la  pureté,  le 
type  actuel  de  l'Annamite  est  encore  très  nette- 
ment caractérisé. 


7a  NOTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

Au  physique,  FAnnamite  est  de  taille  moyenne, 
plutôt  petite,  d'apparence  chétive  sous  ses  vête- 
ments quoiqu'en  réalité  il  soit  fortement  musclé. 
Les  traits  du  visage  sont  peu  accentués,  les  pom- 
mettes, par  contre,  sont  très  saillantes,  le  front  est 
bombé,  haut  et  large,  le  nez  épaté,  la  mâchoire 
est  très  développée  et  comporte  généralement  une 
dentition  qui  serait  superbe  si  elle  n'était  abîmée 
soit  par  Fhabitude  qu'ont  les  Annamites  de  se 
laquer  les  dents  en  noir,  soit  par  Fusage  du  bétel. 
Les  yeux  peu  obliques,  mais  très  bridés,  sont  doux 
et  expressifs.  La  chevelure  est  noire,  rude,  lon- 
gue et  abondante.  La  barbe  est  rare  et  pousse  très 
tard.  Le  teint  est  très  variable  suivant  les  occupa- 
tions de  Findividu,  sa  condition  sociale  ou  même 
la  région  qu  il  habite.  L'Annamite  est  le  plus  sou- 
vent de  couleur  vieil  ivoire,  parfois  blanc  mat, 
quelquefois  brun  foncé,  surtout  dans  les  pays  où 
le  type  a  subi  des  croisements  avec  les  Chams 
primitifs. 

La  démarche  est  active,  souple,  Fabord  obsé- 
quieux, mais  déliant  à  l'égard  des  Européens, 
affable  cependant  et  cérémonieux  dans  les  relations 
habituelles. 

Au  moral,  le  caractère  de  FAnnamite  a  été  par- 


LES    ANNAMITES  73 

fois  très  sévèrement  apprécié.  On  a  souvent  trouvé 
1  Annamite  fourbe,  de  mauvaise  foi  et  d'une  mora- 
lité douteuse.  On  oublie  trop  fréquemment,  en  por- 
tant des  jugements  de  ce  genre,  que  nous  sommes 
en  présence  dindigènes  qui  voient  surtout  en  nous 
des  vainqueurs.  Au  reste,  les  Français  qui  ont 
le  plus  contribué  à  répandre  sur  TAnnamite 
ces  jugements  ont  fréquenté  surtout  lAnnamite 
des  villes,  les  fonctionnaires  indigènes.  Tinter- 
prêté,  le  boy,  toute  une  population  servile  et 
corrompue  et  ne  connaissent  guère  le  paysan,  le 
nhâquê  qui  représente  pourtant  Timmense  majo- 
rité de  la  population.  Celui-ci  a,  au  contraire,  de 
très  réelles  qualités  :  il  est  patient,  sobre,  doué 
d^une  compréhension  très  rapide  des  choses  et 
beaucoup  d'Annamites  incorporés  dans  notre  admi- 
nistration sont  des  agents  très  dévoués,  d'une 
loyauté  à  toute  épreuve. 

Notons  enfin  que  le  type  annamite,  au  physique 
aussi  bien  qu  au  moral,  n  est  ni  unique,  ni  im- 
muable. L'Annamite  du  Tonkin  ne  ressemble  pas 
à  lAnnamite  de  Cochinchine.  Le  Tonkinois  est 
plus  robuste,  plus  énergique,  plus  actif;  il  a  plus 
d'initiative  que  son  congénère  ;  on  sent  que  pour 
lui  la  vie  est  souvent  plus  dure  et  qu'au  cours  des 


74  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

âges  antérieurs  il  a  dû  déployer  plus  d'énergie 
pour  résister  à  l'invasion  chinoise  et  défendre 
contre  l'activité  chinoise  ses  biens  et  sa  place  dans 
la  lutte  quotidienne  pour  la  vie. 

La  société  annamite  est  fondée  sur  une  orga- 
nisation très  puissante  de  la  famille,  copiée  d'ail- 
leurs sur Forganisation  delà  famille  chinoise.  Tout 
Annamite  doit  normalement  faire  partie  d'une 
famille,  ce  qui  entraîne  pour  lui  l'obligation  de  se 
marier,  de  perpétuer  la  race,  de  façon  à  pouvoir 
continuer  aussi  bien  la  culture  du  bien  familial 
que  la  célébration  du  culte  des  ancêtres. 

Le  Kê-cù  est  FAnnamite  des  campagnes  qui 
réunit  ces  conditions  essentielles.  [Kê  signifie  à  la 
fois  succéder,  perpétuer  et  cà,  sédentaire,  domi- 
cilié.) Il  est  l'héritier,  le  successeur  des  fondateurs 
de  la  famille.  «  Sédentaire  et  agi-icole,  comme  ses 
pères,  dit  M.  BrifFaut,  le  Kê-cù  a  mission  sacrée 
de  sauvegarder  et  de  perpétuer  F  œuvre.  Que  les 
morts  dorment  heureux  dans  leurs  tombes  !  Ce  que 
le  père  a  commencé,  le  fils  le  continuera.  » 

Dans  la  notion  pure  de  la  famille  annamite, 
comme  dans  celle  de  la  famille  chinoise,  lexpa- 
triation  définitive  ne  se  conçoit  pas.  L'Annamite, 
comme  le  Chinois,  considère  comme  un  malheur 


LES    A>'NAMITES 


la  mort  loin  du  village  natal.  Lorsque,  par  esprit 
de  lucre,  FAnnamite  vient  à  s'expatrier,  il  doit, 
aux  termes  mêmes  de  la  loi,  déclarer  publiquement 
qu'il  reviendra.  Pendant  son  absence,  sa  place  reste 
marquée  au  foyer  familial;  ses  proches  et  au 
besoin  l'autorité  communale  prennent  soin  de  ses 
biens.  Et  s'il  est  parti  sans  s'être,  au  préalable, 
soumis  aux  formalités  de  Fabsence  légale,  lorsqu  il 
revient,  on  lui  fera  bon  accueil,  on  lui  donnera 
même  des  terres  abandonnées  ou  incultes  afin  de 
ne  pas  le  laisser  sans  moyen  d'existence. 

Une  organisation  de  la  famille  aussi  rigoureuse 
entraîne  naturellement  une  hiérarchie  très  sévère 
et  des  devoirs  d'assistance  très  stricts  entre  enfants 
et  parents.  Au  temps  de  Gia-Long,  la  loi  pénale 
témoignait  d'un  tel  respect  pour  la  collectivité 
familiale  qu'elle  autorisait  le  condamné  à  mort  à 
demeurer  auprès  de  ses  aïeul  ou  aïeule,  père  ou 
mère  âgés  de  plus  de  soixante-dix  ans  et  infirmes, 
pour  les  soigner,  les  nourrir  et  veiller  aux  céré- 
monies du  culte.  En  ce  cas,  le  condamné  ne  subis- 
sait que  la  peine  de  cent  coups  de  truong.  La 
peine  ne  devenait  exécutoire  qu  au  cas  où  il  ne  se 
conformerait  pas  à  son  devoir.  La  loi  pénale 
tenait  même  compte  du  degré  de  parenté  liant  les 


76  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

coauteurs  d'un  délit  et  punissait  plus  gravement 
le  plus  âgé  parce  qu  il  avait  ce  le  devoir  spécial  »  de 
maintenir  le  plus  jeune  dans  le  droit  chemin. 

Le  père  de  famille  a  naturellement  Fautorité  la 
plus  étendue  sur  tous  ses  enfants  qui  lui  doivent  un 
respect  absolu,  dont  les  formes  extérieures  sont 
même  assurées  par  des  sanctions  pénales.  Légale- 
ment, il  peut  avoir  plusieurs  épouses,  mais  une 
seule  a  rang  de  maîtresse  de  maison  et  de  mère  de 
famille  ;  elle  commande  aux  épouses  de  rang  infé- 
rieur dont  les  enfants  sont  ses  enfants  au  même 
titre  que  ceux  du  père  de  famille. 

La  commune,  le  village  est  la  réunion  de  plu- 
sieurs familles  et  le  pouvoir  central  lui  reconnaît 
une  autonomie  et  une  indépendance  presque 
absolues.  Des  notables  majem^s  et  des  notables 
mineurs  l'administrent.  Le  maire  (Ly-Trùong)  est 
choisi  parmi  les  premiers,  mais  il  n'en  est  pas  le 
président,  il  est  seulement  Tagent  d'exécution  de 
leurs  délibérations  et  il  en  règle  les  diverses  moda- 
lités d'accord  avec  les  notables  mineurs.  En  prin- 
cipe, le  pouvoir  central  n'intervient  jamais  dans 
l'administration  intérieure  de  la  commune.  Ce 
sont  les  notables  qui  répartissent  et  perçoivent 
limpôt.  La  répartition  s'opère  d'après  le  nombre 


II 


LES    ANNAMITES  77 

des  inscrits  propriétaires  et  artisans.  Chacun  doit 
payer  proportionnellement  aux  terres  qu'il  cul- 
tive. 

Les  liens  de  solidarité  des  familles  à  Fintérieur 
de  la  commune  ne  sont  pas  moins  forts  que  ceux 
qui  unissent  les  individus  à  Fintérieur  de  la 
famille.  La  commune  est  propriétaire  des  terres. 
Elle  en  surveille  la  culture,  encourage  et  punit, 
allotit  et  dessaisit  selon  les  aptitudes,  les  moyens 
économiques,  les  forces  et  la  bonne  volonté  de 
chacun.  Le  Dân-Dào,  le  transfuge  qui,  pour  ne 
pas  satisfaire  aux  charges  fiscales,  abandonne  sa 
terre  et  sa  famille  est  une  cause  de  désordre  dans 
Fétablissement  de  1  assiette  de  l'impôt  ;  la  loi  et  la 
coutume  le  traquent  en  conséquence  de  toutes 
parts  et  il  est  fatalement  voué  à  la  piraterie  ou 
obligé  tôt  ou  tard  de  revenir  dans  sa  patrie  d'ori- 
gine. La  commune  réserve  d  ailleurs  obligatoire- 
ment une  partie  des  terres  disponibles  pour  ses 
indigents  et  cette  organisation  charitable  rend  rela- 
tivement très  rare  le  paupérisme  parmi  les  Anna- 
mites. 

Le  canton  (tông) ,  la  sous-préfecture  (huyên)  et 
la  préfecture  (phu),  même  la  province  (tinh)  ne 
sont  que  des  cadres  administratifs  sans  conséquence 


8  KOTRE    FRA>^CE     D  EXTREME-ORIENT 


au  point  de  vue  social.  Au-dessus  de  la  commune, 
il  n"y  a  que  l'Etat  qui  se  concentre  tout  entier 
dans  TEmpereur. 

L'Empereur  (Vua)  est  à  la  fois  monarque  et 
juge  suprême.  Il  n*a  à  côté  de  lui  aucune  autorité 
susceptible  de  contrebalancer  ou  d'affaiblir  la 
sienne.  Aucune  constitution,  aucun  parlement, 
aucune  noblesse  héréditaire.  Un  corps  de  manda- 
rins seul  l'assiste  pour  l'administration  de  l'Etat. 
Il  Y  a  deux  catégories  de  mandarins  :  des  manda- 
rins civils,  recrutés  au  concours  et  des  mandarins 
militaires  qui  doivent  seulement  j  ustifier  d'aptitudes 
physiques  suffisantes.  Les  premiers  jouissent  d'un 
prestige  beaucoup  plus  marqué  que  les  seconds. 

Tous  les  offices  de  mandarins  sont  classés  en 
neuf  catégories  et  chaque  catégorie  est  subdivisée 
en  deux  classes.  Dans  la  première  classe  du  pre- 
mier degré,  il  n'y  a  que  neuf  mandarins,  les 
((  quatre  colonnes  de  l'Empire  »  et  les  cinq  maré- 
chaux. La  première  classe  du  deuxième  degré 
comprend  les  six  ministres  et  les  tông-dôc  (gou- 
verneur) des  grandes  provinces.  Viennent  ensuite 
les  préfets  (quan-phu),  les  sous-préfets  (quan- 
huyên,  etc.  Les  mandarins  sont  recrutés  parmi 
les  lettrés  ayant  satisfait  à  des  concours  littéraires 


LES    ANNAMITES  79 

qui  ont  lieu  périodiquement.  Certains  concours 
durent  plusieurs  semaines  et  sont  présidés  par  les 
plus  hauts  fonctionnaires  de  la  cour. 

Primitivement,  les  concours  consistaient  en  dis- 
sertations, en  poésies  ;  depuis  notre  installation 
dans  le  pays,  l'administration  y  a  introduit  des 
matières  plus  en  rapport  avec  les  occupations  des 
futurs  mandarins.  Ces  concours  jouissent  d'une 
très  grande  faveur  et  F  Annamite  professe,  à  Tégard 
de  tous  ceux  qui  sV  distinguent,  une  véritable 
vénération.  En  terre  d'Annam,  la  science  est 
honorée  à  Fégal  d'une  vertu  et,  dans  chaque  vil- 
lage, le  simple  maître  d'école  passe,  dans  la  hié- 
rarchie du  respect,  immédiatement  après  le  père 
de  famille. 

Au  point  de  vue  religieux,  les  Annamites  pra- 
tiquent soit  le  confucianisme,  soit  le  bouddhisme 
ou  le  taoïsme.  Parfois  même,  ils  juxtaposent  ces 
divers  cultes.  Le  confucianisme  est  le  culte  officiel, 
l'Empereur,  les  lettrés,  les  fonctionnaires  en  sont 
les  officiants  naturels. 

Le  culte  des  ancêtres,  des  grands  hommes,  des 
génies  est  la  base  du  confucianisme.  C'est  à  cer- 
tains égards  plus  une  morale  qu'une  religion,  car 
aucune  divinité,  à  proprement  parler,  n'est  honorée 


8o  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÈME-ORIENT 

en  particulier.  Le  culte  des  ancêtres  est  célébré 
par  le  chef  de  la  famille,  et  dans  aucun  cas  ne 
peut  être  célébré  par  une  femme.  Le  culte  des 
grands  hommes  est  célébré  par  TEmpereur  et  les 
mandarins.  Au  culte  des  ancêtres,  les  Annamites 
ajoutent  celui  du  génie  du  foyer  qui  rappelle  assez 
celui  des  dieux  lares  chez  les  Romains, 

Un  certain  nombre  d'Annamites  sont  boud- 
dhistes, mais  ce  bouddhisme  est  très  superficiel  et 
se  confond  chez  beaucoup  avec  le  confucianisme. 

Quand  au  taoïsme,  fondé  par  La-Tseu,  c'était 
au  début  une  doctrine  philosophique  ;  il  a  dégé- 
néré en  une  série  de  rites  plus  ou  moins  magiques 
auxquels  on  a  recours  en  cas  d  épidémies,  de  cala- 
mités, pour  faire  choix  d'un  lieu  de  sépul- 
ture, etc..  Certaines  sectes  —  les  Dao-Tiên,  les 
Dao  Dông-Côt  et  les  Dao-Nôi  —  participent  à  la 
fois  du  confucianisme  et  du  taoïsme. 

Beaucoup  d'Annamites  empruntent  d'ailleurs  à 
ces  diverses  religions  une  grande  quantité  de 
superstitions  ;  fort  peu  les  pratiquent  dans  toute 
leur  pureté.  On  trouve  généralement  dans  les  vil- 
lages annamites  une  pagode  affectée  au  culte  de 
Bouddha,  des  pagodes  plus  petites  servant  à  la 
célébration  du  culte  de  Dieux  secondaires  ou  de 


150L  JJIJH A 


LES    ANNAMITES  01 

déesses,  des  autels  en  maçonnerie  dédiés  au  culte 
deConfucius,  enfin,  et  surtout,  une  grande  pagode 
appelée  dinh  et  dédiée  au  culte  particulier  des 
génies  du  village  et  qui  sert  aussi  de  maison  com- 
mune et  de  lieu  de  réunion  jDOur  les  notables 
délibérant  sur  les  intérêts  de  la  commune. 

C'est  finalement  dans  le  culte  des  ancêtres  que 
se  résume  la  religion  annamite. 

L'Annamite  croit  que  les  âmes  des  morts  souf- 
frent si  elles  ne  sont  pas  Tobjet  d'un  culte  familial, 
qu'elles  apparaissent  aux  vivants  et  les  tourmen- 
tent si  on  ne  leur  rend  pas  les  honneurs  auxquels 
elles  ont  droit.  L'Annamite  tient  donc  par-dessus 
tout  à  laisser  une  postérité  mâle  pour  perpétuer  ce 
culte,  et,  s'il  n'a  pas  d  enfants,  il  en  adopte. 

Toutes  les  fêtes  annamites  ont  pour  base  le 
culte  des  ancêtres. 

C'est  lui  qui  domine  la  cérémonie  du  mariage. 
Au  jour  fixé,  le  fiancé  et  le  cortège  se  rendent  au 
domicile  de  la  fiancée.  Là,  devant  Tau  tel  des 
ancêtres,  tout  décoré  pour  la  circonstance,  par- 
fumé de  bâtonnets  d'encens,  on  place  un  plateau 
de  bétel  et  deux  bougies.  Le  chef  de  famille  les 
allume  et  annonce  aux  ancêtres  qu'il  marie  sa 
fille  à  un  Tel,  fils  de  un  Tel  et  appelle  leur  béné- 

6 


8à  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

diction  sur  le  nouveau  couple.  Le  père  et  la  mère 
des  deux  époux  font  quatre  lays  devant  Tautel  et 
on  se  retire  ;  la  première  partie  de  la  cérémonie, 
qui  a  pour  objet  de  détacher  la  fiancée  de  son 
ancienne  famille,  est  terminée.  On  se  rend  alors 
dans  la  maison  de  l^époux  et  les  nouveaux  époux 
vont  faire  des  lays  devant  Tautel  domestique.  Là, 
le  père  prévient  de  même  les  ancêtres  du  mariage 
qui  est  en  train  de  s'accomplir,  et  il  ne  reste  plus 
qu'à  aller  festoyer  dans  la  maison  du  nouvel 
époux. 

Au  moment  des  funérailles,  les  ancêtres  de  la 
famille  sont  également  associés  à  la  cérémonie. 
Quand  un  Annamite  vient  à  mourir,  on  pousse  de 
grands  cris  pour  rappeler  son  âme,  puis  on  revêt 
le  mort  de  ses  vêtements  ordinaires.  On  le  place 
dans  un  cercueil  avec  sept  sapèques  dans  la  bouche, 
si  c'est  un  homme,  neuf  si  c'est  une  femme,  afin 
de  chasser  les  mauvais  esprits.  Au  moment  fixé 
pour  rinhumation,  le  cercueil  est  placé  sur  un 
brancard  et  le  cortège,  précédé  de  deux  hommes 
armés  de  lances  et  de  bâtons,  pour  chasser  le  diable, 
se  met  en  marche,  suivi  de  porteurs  de  bannières 
rouges  et  blanches  avec  des  caractères.  Des  assis^ 
tants  portent  de  Tencens  et  des  offrandes.  Après 


LES    ANNAMITES  83 

eux  viennent  le  conducteur  du  deuil,  le  cercueil 
et  la  famille.  L'inhumation  terminée,  on  offre  des 
sacrifices  aux  génies  de  la  terre. 

Les  différentes  phases  du  deuil  donnent  lieu  à 
des  cérémonies  familiales  (cung) .  La  première  a 
Heu  trois  mois  et  dix  jours  après  le  décès,  c'est 
l'anniversaire  des  cent  jours  (tuân-ba-nhut) ,  la  fin 
des  pleurs.  La  seconde  se  célèbre  au  bout  dun 
an,  c'est  le  tien-tuong,  ou  petit  bonheur,  et  la 
troisième  à  l'expiration  de  la  deuxième  année, 
G  est  le  dai-tuong,  ou  grand  bonheur,  fin  de  deuil. 

Il  y  a  deux  manières  de  célébrer  ces  fêtes,  soit 
suivant  la  forme  rituelle  de  Confucius  (lam-dang- 
le)  j  soit  suivant  celle  de  Bouddha  (lam-dang-phât) . 
La  première  consiste  à  présenter  aux  mânes  du 
défunt  un  repas  copieux  et  en  se  conformant  aux 
principes  du  grand  philosophe  chinois  ;  la  deuxième 
a  pour  but  de  prendre  1  àme  du  défunt  (bat-bon) 
pour  la  transporter  dans  1  Occident,  berceau  de 
Bouddha.  Les  offrandes  se  composent  alors  exclu- 
sivement de  végétaux,  c'est  une  sorte  de  jeûne. 

Quelques  Annamites  riches,  pour  donner  plus 
d'éclat  à  ces  fêtes  familiales,  les  célèbrent  même 
suivant  les  deux  rites  et  font  succéder  au  jeûne  (an- 
chay)  de  grands  festins  (^nga-mang),  retour  au  gras. 


84  NOTRE    FRANCE    D  EXTRÊME-ORIENT 

Les  plus  grandes  fêtes  de  la  vie  religieuse  de 
r Annamite  ont  lieu  à  Tépoque  du  nouvel  an, 
c'est  le  Têt.  Le  Têt  est  encore  une  fête  qui  se  rat- 
tache de  très  près  au  culte  des  ancêtres.  Le  Têt 
est  une  fête  tout  à  la  fois  officielle,  religieuse  et 
familiale.  Elle  dure  environ  une  dizaine  de  jours  et 
TAnnamite  même  le  plus  pauvre  ne  voudrait  pas 
ne  pas  la  célébrer.  Le  Gouvernement  s'associe  à  ces 
manifestations,  en  faisant  cesser  l'expédition  des 
affaires  du  vingt-cinquième  jour  du  douzième  mois 
annamite  jusqu  au  dixième  jour  du  premier  mois 
de  la  nouvelle  année. 

En  ville,  tout  le  mouvement  commercial  est  sus- 
pendu, on  ne  voit  que  des  gens  revêtus  de  leurs 
plus  beaux  atours,  qui  circulent  pour  se  rendre 
visite  et  on  n'entend  guère  d'autres  bruits  que 
celui  des  pétards  qui  sont,  on  le  sait,  de  toutes 
es  fêtes  annamites. 

La  fête  elle-même  a  lieu  à  l'intérieur  des  mai- 
sons. Devant  la  porte,  sur  la  rue,  on  plante  un 
grand  mât  orné  au  sommet  de  feuilles  de  latanier, 
de  cocotier  ou  de  plumes.  Le  soir  on  y  accroche 
une  lanterne.  Dans  la  cour,  on  plante  également 
un  bambou  vert.  Toute  cette  décoration  extérieure 
a  pour  objet  d'indiquer  la  maison  aux  mânes  des 


LES    ANNAMITES  85 

ancêtres  et  des  parents  morts;  par  ces  signes,  ils 
sont  invités  à  entrer  et  à  prendre  le  repas  qui  est 
servi  pour  eux  sur  l'autel  des  ancêtres. 

Sur  le  seuil  de  la  porte,  on  trace  à  la  craie  des 
arcs  et  des  flèches,  on  y  ajoute  même  parfois 
quelques  fagots  et  plantes  épineuses,  afin  de 
défendre  l'entrée  delà  maison  aux  mauvais  esprits. 
A  Tintérieur,  Tameublement  habituel  est  complè- 
tement bouleversé.  Sur  le  côté  gauche  du  mur  de 
la  porte,  en  voit  une  petite  niche  carrée,  c'est  un 
autel  en  l'honneur  du  génie  du  quartier,  chef  des 
portes.  On  y  voit  brûler  des  cierges,  des  bâtons 
d'encens,  des  fleurs;  des  papiers  dorés  ornent  cet 
autel,  et  deux  fois  par  jour  on  offre  deux  repas 
au  génie. 

Dans  la  première  pièce,  faisant  face  générale- 
ment à  la  porte  d'entrée,  s'élève  Fautel  des  ancêtres. 
Une  tablette  dorée  est  placée  dessus  et  porte  les 
noms  des  descendants  morts,  et  tout  autour  s'éta- 
lent des  brûle-parfums,  des  vases  à  baguettes 
d'encens,  des  papiers  dorés  ;  enfin,  un  repas  tout 
aussi  copieux  que  celui  qui  peut  être  destiné  à  la 
famille  vivante. 

Le  grand  repas  a  lieu  le  trentième  jour  du 
12^  mois  à  minuit.  On  l'accompagne  d'un  fracas 


86  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÈME-ORIENT 

épouvantable  de  pétards,  de  coups  de  tam-tam  et 
de  gong.  Au  cours  de  ce  festin,  on  fait  d  abon- 
dantes libations  et  il  est  bien  peu  d'Annamites  qui 
ne  soient  complètement  ivres  au  début  de  la  nou- 
velle année. 

Enfin,  le  4  du  premier  mois,  on  fait  un  dernier 
repas,  on  finit  de  brûler  tous  les  papiers  dorés,  tous 
les  pétards.  Les  ancêtres  sont  partis.  Avant  de  rou- 
vrir la  maison  et  de  reprendre  les  occupations  habi- 
tuelles, les  Annamites  attendent  le  soleil,  lui  seul 
doit  y  pénétrer  le  premier  sous  peine  des  plus 
effroyables  calamités. 

Le  Ministère  des  rites  surveille  dailleurs  Fac- 
complissement  de  toutes  ces  formalités  au  cours 
des  diverses  cérémonies  qui  marquent  la  vie  reli- 
gieuse de  r Annamite.  Tout  un  chapitre  du  code 
annamite  détermine  celle  que  1  on  doit  accomplir, 
lors  des  grands  sacrifices  offerts  au  ciel,  à  la  terre, 
aux  esprits  protecteurs  de  la  dynastie  et  de  1  Etat 
ou  lors  des  sacrifices  moyens  offerts  au  soleil  du 
matin,  à  la  lune  du  soir,  au  vent,  aux  nuages,  à  la 
foudre,  à  la  pluie,  aux  montagnes  hantées,  à  la 
mer  et  aux  torrents  ainsi  qu'aux  esprits  des  anciens 
empereurs  et  des  ancêtres. 

Cette  organisation  étatique  et  ces  pratiques  reli- 


LES    ANNAMITES  87 

gieuâes  ont  fini  à  la  longue  par  créer  une  menta- 
lité sociale  très  originale  à  TAnnamite  des  cam- 
pagnes. Le  Kê-cù  a  une  morale  très  intimement 
liée  à  toutes  les  circonstances  de  la  vie  rurale  qui 
absorbe  toute  son  activité.  Son  honneur  est  d'être 
cultivateur  et  bon  cultivateur  au  sein  de  la  com- 
mune. Son  bonheur  ne  dépasse  pas  les  limites  de 
sa  rizière.  Son  devoir  consiste  à  observer  rigou- 
reusement toutes  les  pratiques  qui  lui  procureront 
une  bonne  récolte,  tous  les  rites  religieux  qui  lui 
concilieront  les  forces  mystérieuses  et  fécondes  de 
la  nature.  Les  inondations,  les  typhons,  les  orages 
sont  pour  lui  le  signe  de  la  colère  du  Ciel  et 
quand  ces  calamités  viennent  à  se  produire,  elles 
indiquent  que  quelque  formule  du  rituel  écono- 
mique a  été  méconnu,  il  faut  s'efforcer  sans  retard 
de  conjurer  le  péril  en  offrant  aux  génies  mécon- 
tents les  sacrifices  ou  les  offrandes  nécessaires. 

Les  religions  occidentales  ont  eu  relativement 
peu  de  prise  sur  le  peuple  annamite  des  campa^ 
gnes.  L'islamisme  a  fait  quelques  progrès  dans  le 
sud  de  FAnnam  et  le  christianisme  compte  des 
fidèles  assez  nombreux  grâce  au  zèle  des  mission- 
naires, mais  les  Annamites  ayant  embrassé  le  chris- 
tianisme ne  sont  guère  plus  de  5  à  600  ooo.  Les 


88  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÈME-ORIENT 

catholiques  sont  réunis  en  chrétienté  dans  des  vil- 
lages disséminés  sur  tout  le  territoire  de  la  colonie, 
et  répartis  au  point  de  vue  hiériarchique  en  dix 
vicariats  apostoliques  dont  cinq  pour  le  Tonkin, 
trois  pour  lAnnam  et  deux  pour  la  Cochinchine 
et  le  Cambodge. 

Au  point  de  vue  professionnel,  la  majorité  des 
Annamites  est  surtout  composée  d'agriculteurs, 
dont  l'infatigable  ardeur  s'exerce  surtout  dans  les 
deltas.  Là  le  cultivateur  annamite  a  réussi  à  tirer 
parti  même  des  terrains  les  moins  favorisés.  Son 
ingéniosité  a  inventé  mille  procédés  pour  irriguer 
sa  rizière  ou  pour  le  protéger  de  1  inondation. 

L'Annamite  est  également  pêcheur.  Le  déve- 
loppement considérable  des  côtes  la  naturellement 
conduit  à  chercher  dans  la  mer  le  complément  de 
son  alimentation,  et  les  nombreux  cours  d'eau  qui 
sillonnent  son  pays  ont  entretenu  ce  besoin  chez 
ceux  qui  sont  plus  éloignés  delà  côte.  Les  Anna- 
mites sont  souvent  aussi  des  ouvriers  d'art  remar- 
quables dont  les  broderies,  les  sculptures,  les  incrus- 
tations ornent  les  maisons  riches. 

Tous,  d'ailleurs,  quel  que  soit  leur  métier  ou 
leur  goût  personnel,  font  preuve  de  sérieuses  apti- 


LES    ANNAMITES  89 

tudes  professionnelles.  L'Annamite,  quel  que  soit 
le  travail  auquel  on  l'emploie,  exécute  très  vite  la 
besogne  qu'on  lui  confie  grâce  à  son  habileté  natu- 
relle qui  est  extrêmement  développée  et  qui  se 
contente  souvent  pour  Fexercer  des  outils  les  plus 
rudimentaires. 

Dans  les  usines,  sur  les  chantiers  de  travaux 
publics,  les  Annamites  rendent  de  précieux  ser- 
vices. Les  témoignages  à  ce  sujet  sont  très  nom- 
breux et  catégoriques.  Un  officier  qui  a  assisté  à 
la  pose  du  matériel  de  la  voie  ferrée  sur  la  ligne 
d'Hanoï  à  Laokay,  le  capitaine  Ibos,  s'exprime 
ainsi  dans  son  ouvrage  sur  le  chemin  de  fer  du 
Fleuve  Rouge  : 

«  L'Annamite,  dit-il,  a  des  aptitudes  marquées 
pour  la  mécanique  et  les  métiers  qui  en  dérivent. 
Ajusteurs,  ouvriers  en  fer  et  en  cuivre  de  toutes 
catégories,  dressés  dans  les  ateliers  de  la  Compagnie 
ou  dans  ceux  de  la  Direction  des  travaux  publics 
et  des  entreprises  privées,  suffisent,  sous  la  sur- 
veillance de  contremaîtres  européens,  à  tous  les 
besoins.  Wagons,  locomotives,  appareils  éléva- 
toires,  machines-outils  arrivent  de  France  dé- 
montés. Nos  Annamites  ont  vite  compris  les  rela- 
tions et  les  rôles  des  diverses  parties  d'un  appareil 


90  NOTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

et  font  preuve  dune  surprenante  dextérité  dans 
le  montage,  les  réparations,  Tentretien  des  mul- 
tiples organes  mécaniques  d'une  voie  ferrée.  Dans 
la  conduite  des  trains,  mécaniciens  et  chauffeurs 
montrent  un  zèle  louable,  une  grande  expérience 
et  dans  les  circonstances  difficiles  un  imperturbable 
sang- froid.  » 

Le  jour  où  un  enseignement  professionnel  bien 
adapté  aux  nécessités  locales  serait  donné  à  FAn- 
namite,  celui-ci  apporterait  à  lindustrie  naissante 
indo-chinoise  un  appoint  remarquable.  Lorsque  le 
jeune  Annamite  aura  passé  à  1  école  profession- 
nelle deux  ans  à  apprendre  un  métier  de  mécani- 
cien, d'électricien,  de  tanneur,  d'ébéniste,  d'ajus- 
teur, il  trouvera  toujours  un  emploi  rémunérateur. 
Intelligent  et  travailleur,  il  pourra  devenir  un  con- 
tremaître précieux  dans  un  atelier.  En  tout  état 
de  cause,  il  n'aura  jamais  de  mépris  pour  les  pro- 
fessions manuelles,  comme  aujourd  hui  tant  de 
demi-lettrés  qui  sont  surtout  des  déclassés,  des 
oisifs,  réduits  pour  vivre  à  des  besognes  très  lou- 
ches. Peu  à  peu  et  par  une  évolution  inconsciente 
mais  fatale  chez  l'ouvrier  annamite,  apparaîtra  la 
notion  du  devoir  et  de  la  responsabilité.  Aujour- 
d'hui, on  lui  reproche  à  lusine  d'être  un  véritable 


LES    ANNAMITES  91 

enfant,  toujours  prêt  à  s'amuser  ou  à  quitter  son 
travail  pour  le  moindre  motif  sans  souci  du  pré- 
judice que  son  absence  peut  causer.  Ce  défaut  ne 
tardera  pas  à  disparaître  quand  une  éducation 
morale  et  professionnelle  convenable  aura  démontré 
à  FAnnamite  Fétroite  solidarité  qui  existe  entre 
ses  propres  intérêts  et  ceux  du  patron. 

Notre  devoir  de  grande  nation  colonisatrice 
nous  commande  impérieusement  de  ne  pas  négliger 
un  élément  ethnique  aussi  nombreux  et  d  une 
valeur  aussi  grande  ;  TAnnamite  est  l'auxiliaire 
nécessaire  et  Tinstrumcnt  de  notre  œuvre  dans 
son  pays. 


CHAPITRE  V 

LES    CAMBODGIENS 

Le  type  cambodgion.  —  Institutions  politiques  et  sociales.  —  Les 
reformes  récentes  en  matière  communale.  —  Constitution  de  la 
propriété  privée  au  Cambodge. 

Religion.  —  Les  bonzes.  —  Les  fêtes  de  la  vie  cambodgienne. 

On  évalue  à  i.3oo.ooo  le  nombre  des  Cambod- 
giens existant  en  Indo-Chine.  La  plupart  vivent  au 
Cambodge  où  ils  représentent  près  des  85  p.  loo 
de  la  population  totale.  En  Cochinchine,  il  n'y 
en  a  que  de  7  p.  loo.  Au  Laos,  on  en  trouve 
quelques-uns  dans  le  Sud. 

L'origine  des  Cambodgiens  est  très  obscure, 
nous  Favons  vu.  Ils  sont  vraisemblablement  les 
descendants  d'une  race  aborigène  qui  a  été  suc- 
cessivement modifiée  parles  Klimers  et  les  Thaïs. 

On  rencontre  parmi  les  Cambodgiens  deux  types 
assez  nettement  caractérisés.  L  un  estgrand,  svelte, 
a  le  nez  droit;  Tautre  est  massif,  trapu  étale  nez 
écrasé.    Chez  Tun   et  l'autre  la   bouche   est  assez 


94  NOTRE    FRANGE    D  EXTRÊME-ORIENT 

grande  avec  des  lèvres  charnues.  Le  teint  est  clair 
ordinairement,  mais  peut  parfois  être  rouge  bronzé. 
Les  yeux  sont  passablement  bridés  et  le  regard  est 
oblique.  Les  cheveux  très  noirs  sont  abondants. 
Hommes  et  femmes  les  portent  coupés  en  brosse. 
Le  torse  est  carré,  la  taille  bien  prise,  les  jambes 
droites,  les  pieds  sont  petits,  Torteil  est  écarté 
comme  chez  l'Annamite.  La  démarche  est  sûre  et 
ne  manque  pas  d'une  certaine  élégance. 

Les  hommes  portent  une  sorte  de  veston  droit 
boutonné  devant  et  un  pantalon  très  court,  les 
femmes  une  robe  serrée  à  la  taille  et  aux  poignets. 
Le  langouti  ou  sampot  qui  couvre  simplement 
les  reins  et  les  cuisses  remplace  d'ailleurs  souvent 
ces  vêtements.  Des  ceintures  de  soie  plus  ou  moins 
richement  brodées  accompagnent  quelquefois  ce 
costume. 

Le  caractère  du  Cambodgien  est  très  doux,  très 
insouciant  aussi,  et  on  retrouve  peu  chez  ce  peuple 
indifférent  et  d  une  nature  passive  les  traditions 
d'énergie  qu'attestent  si  brillamment  les  magni- 
fiques monuments  de  l'antiquité  de  la  civilisation 
khmer.  Le  Cambodgien  se  contente  de  peu.  La 
forêt  voisine  lui  fournit  le  bambou,  le  rotin  néces- 
saires à  la  construction  de  sa  maison,  le  sol  fécondé 


LES    CAMBODGIENS  qS 

chaque  année  par  Tinondation  lui  procure  sans 
la  moindre  fatigue  le  riz  dont  il  se  nourrit.  Les 
lacs  et  les  rivières  lui  donnent  les  poissons  qui 
complètent  son  alimentation.  Le  plus  souvent  les 
hommes  laissent  aux  femmes  le  soin  de  cultiver  les 
quelques  arpents  de  terre  qu'ils  possèdent  et  pas- 
sent leur  temps  à  la  chasse  ou  dans  les  pagodes 
qui  sont  pour  eux  de  véritables  lieux  de  réunion. 
Un  travail  sérieux  ne  saurait  les  intéresser,  et  bien 
souvent,  dans  certains  districts,  l'administration 
s'est  heurtée  à  la  mauvaise  volonté  des  habitants 
lorsqu'elle  a  voulu  entreprendre  avec  leur  collabo- 
ration des  travaux  tels  que  le  creusement  de 
canaux  ou  la  construction  de  routes. 

Les  institutions  cambodgiennes  diffèrent  tota- 
lement des  institutions  annamites.  Avant  que  le 
protectorat  n'ait  modifié  Fancien  état  de  choses, 
le  roi  était  propriétaire  éminent  de  toutes  les  terres 
du  royaume,  maître  absolu  de  tous  les  biens  et  de 
toutes  les  existences.  Son  pouvoir  était  illimité  et 
sa  volonté  faisait  loi.  Au-dessous  du  roi,  une 
noblesse,  assez  semblable  à  notre  féodalité  au 
moyen  âge,  se  partageait  le  pays  en  fiefs.  Cinq 
ministres  et  des  gouverneurs  assistaient  le  roi 
dans  l'administration  des  provinces.   S.  M.  Siso- 


96  NOTRE     FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

wath,  le  roi  actuel  du  Cambodge,  a  fortement 
contribué  à  modifier  cette  organisation  séculaire. 
Après  avoir  abandonné  son  droit  de  propriétaire 
éminent  il  a  créé,  par  diverses  ordonnances,  la 
propriété  indigène  et  la  commune  cambodgienne. 

La  propriété  indigène  a  été  organisée  sur  les 
bases  suivantes  : 

Tout  terrain  est  présumé  appartenir  à  celui  qui 
le  possède  et  le  cultive  d'une  façon  paisible  et 
continuelle.  Tout  Cambodgien  possesseur  de  ter- 
rain est  tenu  d'en  acquérir  Timmatriculation  ;  sa 
demande  est  affichée  à  la  maison  commune  afin 
de  permettre  aux  oppositions  de  se  produire.  La 
durée  de  raiTichage  dure  six  mois  et  à  F  expiration 
de  ce  délai,  si  la  dematide  n'a  faitTobjet  d'aucune 
opposition,  elle  est  immatriculée  et  un  titre  de 
propriété  détaché  d'un  registre  à  souches  est  délivré 
au  propriétaire.  Ce  titre  constitue  une  preuve 
désormais  inattaquable  en  justice. 

En  cas  d  opposition,  le  Conseil  des  notables 
statue  si  la  description  physique  de  la  parcelle  est 
seule  en  cause  ;  dans  tous  les  autres  cas,  les  tribu- 
naux sont  seuls  compétents. 

Les  terrains  abandonnés  depuis  plus  de  cinq 
ans  font  retour  au  domaine  et  toutes  conventions 


LES    CAMBODGIENS  97 

comportant  modification  du  droit  de  propriété  doit 
être  constatée  par  voie  d'immatriculation  sur  les 
titres  de  propriété. 

Plusieurs  ordonnances,  en  créant  les  budgets 
résidentiels,  en  supprimant  les  apanages  ministé- 
riels avaient  déjà  réalisé  des  réformes  précieuses 
pour  le  développement  du  pays.  L'ordonnance 
du  5  juin  1908,  en  organisant  la  commune,  a  fait 
faire  un  pas  de  plus  dans  cette  voie  en  sauvegar- 
dant d'une  façon  plus  nette  les  intérêts  immédiats 
de  la  population. 

Le  Conseil  communal  se  compose  désormais  de 
membres  élus  (Krom-Chumnum)  se  réunissant  au 
moins  tous  les  trois  mois.  Il  dirige  les  affaires  de 
commune  (Khum).  Les  Krom-Chumnum  sont 
élus  au  scrutin  secret  par  les  électeurs  de  chacun 
des  Khum  ou  agglomération  comptant  plus  de 
5o  habitants.  Sous  leurs  ordres,  ils  ont  les  chefs 
de  groupes  de  familles,  comprenant  plus  de 
20  habitants.  Ils  sont  les  représentants  de  l'autorité 
administrative  dans  le  khum  auquel  ils  appar- 
tiennent. 

Les  conseillers  des  divers  khum  élisent  parmi 
eux  ou  en  dehors  d  eux  un  Mékhum,  sorte  de 
maire  qui  devient  chef  de  Khum.  Le  Mékhum  est 

7 


gS  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

assisté  d'un  nombre  d'adjoints  proportionné  à 
Timpor tance  du  Khum.  Les  mandats  conférés  ont 
une  durée  de  quatre  ans  et  les  élus  doivent  savoir 
lire  et  écrire  et  n'avoir  subi  aucune  condamnation 
correctionnelle  ou  criminelle . 

Le  Mékhum,  qui  doit  être  de  nationalité  cam- 
bodgienne, est  chargé  de  la  direction  de  tous  les 
services  du  Khum.  En  cas  d  empêchement,  il  est 
remplacé  par  le  premier  adjoint  à  qui  incombe, 
en  temps  ordinaire,  le  recouvrement  des  impôts, 
le  contrôle  permanent  de  la  Caisse  du  village  et  la 
tenue  du  registre  des  délibérations  du  Conseil  du 
Khum.  Le  deuxième  adjoint  est  spécialement 
chargé  de  la  Caisse  de  la  police  et  des  réquisi- 
tions. 

La  personnalité  morale  du  Khum  a  été  reconnue 
et  la  liste  de  ses  biens  fonciers  établie  et  déposée  à 
la  Résidence  et  au  chef-lieu  de  la  province.  Ses 
biens  ne  peuvent  être  aliénés  qu'avec  l'autorisation 
du  Conseil  de  Résidence,  sur  la  proposition  du  Con- 
seil du  Khum  et  du  gouverneur  de  la  région. 
Aucune  action  judiciaire  ne  peut  être  poursuivie 
par  le  Mékhum  sans  autorisation  du  gouverneur 
et  du  résident. 

Les    Cambodgiens  sont    ordinairement    boud- 


LES    CAMBODGIENS  99 

dhistes,  mais  leur  religion  est  très  fortement  imbue 
de  brahmanisme  et  entremêlée  d'un  grand  nombre 
de  superstitions. 

Le  système  religieux  cambodgien  n'a  pas  d'autre 
divinité  que  Bouddha.  Bouddha  n'est  d'ailleurs 
pour  les  Cambodgiens  rien  d'autre  qu'un  homme 
ne  différant  pas  d'origine  avec  ses  semblables 
mais  qui,  par  ses  mérites  et  ses  vertus,  a  été 
admis  dans  une  des  sphères  célestes.  Il  en  est 
sorti  pour  reprendre  la  forme  humaine,  expirer  à 
son  heure  et  passer  dans  le  Nirvana.  Ni  Dieu,  ni 
création.  On  part  de  l'hypothèse  que  la  matière  a 
existé  de  tout  temps  et  que  le  vent,  la  terre,  l'eau 
et  le  feu   sont  les  quatre  causes   de  la  création. 

Les  fêtes  religieuses  cambodgiennes  sont  très 
nombreuses.  Les  unes  ont  pour  objet  la  nouvelle 
année,  les  autres  sont  destinées  à  attirer  la  pluie 
sur  les  plants  de  riz  nouvellement  repiqué  ou 
pour  la  faire  cesser  lorsque  les  rizières  sont  suffi- 
samment arrosées.  On  offre  encore  des  fêtes  à 
la  lune  au  mois  d'octobre  en  l'honneur  du  pre- 
mier riz.  Au  mois  de  septembre,  la  fête  des  morts 
dure  trois  jours. 

Ce  sont  les  bonzes  qui  sont  chargés  de  célébrer 
toutes  ces  cérémonies  en  l'honneur  de  Bouddha 


lOO  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

dans  les  pagodes.  Les  bonzes  représentent  une 
classe  très  nombreuse  et  très  influente  parmi  la 
population.  Les  bonzes,  réunis  en  commun  dans 
desbonzeries.  vivent  des  aumônes  qu'ils  recueillent 
de  porte  en  porte.  Ils  sont  vêtus  de  jaune  et  évi- 
tent le  contact  et  même  la  vue  des  femmes.  Leurs 
journées  se  passent  en  prières  et  en  méditations. 
Ils  n'ont,  à  parler,  aucune  fonction  sacerdotale  et 
tout  individu  peut  se  faire  bonze,  soit  à  perpétuité, 
soit  pour  un  temps  donné.  Lorsqu'un  jeune 
homme  veut  embrasser  la  vie  religieuse  et  se  faire 
bonze,  il  prend  l'avis  de  ses  parents,  consulte  les 
bonzes  et  fait  un  stage  d'un  certain  temps  dans 
une  bonzerie;  lorsque  les  bonzes  jugent  son  édu- 
cation suffisante,  ils  l'admettent  définitivement 
parmi  eux.  Les  parents  du  jeune  homme  lui 
donnent  alors  la  part  d  héritage  qui  lui  revient  et 
cette  somme  est  généralement  destinée  à  l'achat 
du  trousseau  du  nouveau  bonze  et  au  paiement  de 
la  grande  fête  qui  est  donnée  au  moment  de  son 
entrée  dans  la  vie  religieuse.  Les  bonzes  donnent 
rinstruction  aux  enfants  dans  les  bonzeries  et  tout 
adolescent,  quelle  que  soit  sa  condition  sociale, 
doit  y  passer  au  moins  quelques  mois.  Les  Cam- 
bodgiens  entourent  les    bonzes    d  un   très  grand 


I 


LES    CAMBODGIENS  lOi 

respect  et  leur  donnent  toujours  la  première  place 
dans  les  cérémonies.  La  personne  d'un  bonze  est 
inviolable,  nul  que  ses  pairs  n'a  le  droit  de  juger 
ses  actes. 

En  dehors  de  Bouddha,  tout  spécialement 
honoré  dans  les  pagodes,  les  Cambodgiens  ont  un 
culte  particulier  pour  le  Nac-Ta  (esprit  du  bien)  et 
le  A-rac  (esprit  du  mal) .  Le  Nac-ta  est  un  dieu 
qu'on  invoque  en  toutes  circonstances,  quand  il 
s'agit  de  retrouver  un  objet  perdu,  de  guérir  un 
malade,  de  détourner  un  malheur  quelconque.  Si 
le  résultat  attendu  survient,  on  offre  au  Nac-ta 
des  bananes,  du  poulet  bouilli,  de  1  alcool  que 
le  Cambodgien  à  la  fm  de  la  cérémonie  consomme 
par  reconnaissance  du  service  rendu.  Les  maladies 
sont  dues  à  Fesprit  du  mal.  Pour  apaiser  TA-rac 
il  faut  avoir  recours  à  des  sorciers  qui  seuls  con- 
naissent les  moyens  ordinairement  très  bruyants 
d'y  parvenir. 

Le  mariage,  les  funérailles  donnent  également 
lieu  à  des  fêtes  de  la  vie  cambodgienne.  Le  mariage 
a  lieu  sensiblement  de  la  même  manière  que  chez 
les  Annamites,  à  la  seule  différence  essentielle  pour- 
tant que  le  mari  va  habiter  chez  sa  femme.  La 
femme  joue  ordinairement    le   rôle   de    chef    de 


lOa  NOTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

famille;  c'est  elle  qui  hérite,  rend  le  culte  aux 
ancêtres  et  détient  la  fortune  de  la  communauté. 
Les  Cambodgiens  brûlent  généralement  leurs 
morts.  La  fête  de  la  crémation  est  célébrée  avec 
plus  ou  moins  de  solennité  suivant  la  fortune  de 
la  famille.  Les  riches  brûlent  en  général  les  corps 
de  leurs  morts  quelques  jours  seulement  après  le 
décès  ;  ils  en  apportent  ensuite  les  cendres  à  la 
pagode  où  elles  sont  conservées.  Les  pauvres 
attendent  parfois  plusieurs  mois  avant  de  procéder 
à  cette  opération  et  réunissent  pendant  ce  laps  de 
temps  l'argent  nécessaire.  La  veuve  ne  peut  se 
remarier  avant  lincinération  de  son  premier 
naari. 


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CHAPITRE  VI 

POPULATIONS  thaï 
GHAMS  ET  SAUVAGES 


I.      Les  Thaïs.  —  Thos.  Laotiens. 

IL    Les  Chams  et  les  Malais. 

IIL  Les  populations  dites  sauvages  :  Mois,  Khas,  Muongs,  Manij, 

Méos,  etc. 
IV.   Les  Chinois. 
Mœurs.  Costumes.  Organisation  sociale. 


I 
LES  thaïs 

La  race  thaï,  on  la  vu  précédemment,  s'est 
répandue  du  \un  nam  au  Siam,  suivant  le  mot  de 
M.  Finot,  comme  une  grande  nappe dinondation. 
((  Pareille  à  un  fleuve  immense  qui  réfléchit  dans 
ses  eaux  la  variété  des  paysages,  elle  s'est  trans- 
formée à  1  image  des  peuples  qu'elle  a  côtoyés  dans 
sa  marche  ;  le  Thaï  du  Yun  nam  ressemble  au  Chi- 
nois, celui  du  Tonkin  à  FAnnamite,  celui  du  Laos 


I0/|  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

et  du  Siam  au  Khmer.  Les  uns  pratiquent  le 
bouddhisme  singalais,  les  autres  le  culte  des 
ancêtres;  les  uns  brûlent  leurs  morts,  les  autres 
les  enterrent.  Non  moins  que  les  costumes,  la 
langue  a  été  modifiée  par  Tafflux  d'éléments 
étrangers.  L'écriture  est  plus  diverse  encore  :  on 
arriverait  facilement  à  en  relever  une  dizaine  de 
variétés.  » 

Les  agglomérations  thaï  les  plus  importantes  se 
rencontrent  dans  le  Haut-Tonkin  et  au  Laos. 

Dans  le  Haut-Tonkin,  la  race  thaï  est  repré- 
sentée par  les  Thos  qui  habitent  au  nombre 
de  iDO.ooo  environ  la  région  comprise  entre  la 
Rivière  Claire  et  Kébao,  cest-à-dire  les  plaines  de 
Ha-Giang,  de  Daobang,  de  Bac-Giang,  de  Thaï- 
Nguyen  et  de  Tuyen-quang.  Les  Thos  sont  peu 
actifs,  peu  entreprenants  et  ne  cherchent  pas  à  tirer 
parti  des  richesses  forestières  qui  les  entourent.  Ils 
mènent  au  fond  une  existence  assez  misérable. 
Profondément  ennemis  de  tout  progrès,  leur 
maison,  leur  costume  et  leurs  instruments  de 
travail  n'ont  pas  changé  depuis  des  siècles. 

Le  Tho  est  plus  grand,  plus  fort  que  l'Annamite, 
ses  membres  sont  moins  grêles.  Bon  marcheur,  il 
est  un  excellent  porteur,   malgré  la  difficulté  des 


POPULATIONS    THAÏ,     CHAMS    ET     SAUVAGES       io5 

chemins.  Au  moral,  c'est  un  résigné  qui  supporte 
le  joug  de  l'étranger  avec  une  fatalité  tout  orien- 
tale. Si  le  joug  lui  devient  trop  lourd,  il  émigré. 
La  femme  est  bien  proportionnée  et  a  une  certaine 
grâce  jusqu'au  moment  de  son  mariage.  Mariée, 
elle  se  déforme  très  vite,  car  elle  est  assujettie  à 
tous  les  travaux  pénibles. 

Les  Thos  se  nourrissent  de  riz,  particulièrement 
de  riz  gluant  qu'i^  font  cuire  à  la  vapeur  d'une 
façon  spéciale.  Au-dessus  d'une  marmite  pleine 
d'eau,  ils  placent  un  gros  bambou  fermé  à  la  partie 
inférieure  avec  un  morceau  de  toile  et  un  fin 
treillis  de  bambou.  Quand  1  eau  bout,  la  vapeur 
traverse  le  bambou  dans  lequel  le  riz  est  placé. 
Les  Thos  vont  également  chercher  dans  la  forêt 
pour  se  nourrir  des  pousses  de  bambous,  des  fleurs 
de  bananiers  sauvages.  Les  rivières  leur  four- 
nissent également  des  poissons  qu'ils  harponnent 
au  passage  ou  qu'ils  prennent  à  l'aide  de  nasses  et 
d'éperviers.  A  lâchasse,  les  Thos  se  servent  darba- 
lètes  et  de  flèches  empoisonnées.  Leur  adresse  est 
très  remarquable. 

Les  Thos  ont  un  costume  de  forme  semblable 
à  celui  des  Annamites.  Il  se  compose  dune  tunique 
boutonnée  sur  le  côté  et  d'un  pantalon  court  retenu 


Io6  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

par  une  ceinture  et  dont  le  bas  est  souvent  resserré 
dans  des  jambières  en  toile.  Leurs  vêtements  sont 
teints  en  bleu  bien  qu'ils  récoltent  beaucoup  de 
cunao  dans  leur  pays.  Les  femmes  shabillent 
comme  les  hommes  avec,  en  plus,  un  cache-sein 
de  cotonnade  blanche.  Elles  portent  les  cheveux 
roulés  autour  de  la  tête  comme  les  femmes  anna- 
mites . 

Les  villages  thos  sont  ordinairement  formés  de 
trois  ou  quatre  cases  bâties  dans  le  fond  des  vallées. 
Le  Tho  bâtit  ordinairement  sa  maison  au  milieu 
même  des  terrains  qu'il  cultive  afin  d'avoir  le 
moins  de  mal  possible  pour  planter  sa  rizière  ou 
pour  la  protéger.  Au  temps  delà  piraterie,  les  Thos 
avaient  pris  T habitude  de  se  grouper;  depuis  que 
la  sécurité  règne  dans  leur  pays,  ils  sont  revenus 
à  leurs  anciennes  habitudes.  La  maison  est  ordi- 
nairement bâtie  sur  pilotis,  ce  qui  lui  donne  1  air 
d'une  habitation  lacustre  autour  de  laquelle  Feau 
se  serait  retirée.  On  y  accède  par  un  escalier  gros- 
sièrement taillé  et  aboutissant  à  un  palier  dont  le 
plancher  est  à  claire-voie.  De  ce  palier  on  entre 
dans  la  maison.  Celle-ci  est  ordinairement  divisée 
en  deux  parties.  Lune  est  réservée  à  la  famille  et 
l'autre,  séparée  de  la  première  par  une  cloison  en 


POPULATIONS    THAÏ,     CHAMS    ET    SAUA'AGES       107 

tambour,  est  destinée  aux  étrangers.  G 'est  dans  cette 
deuxième  pièce  qu'est  placé  Fautel  des  ancêtres, 
très  modeste  le  plus  souvent.  L'ameublement  est 
très  rudimentaire.  Le  lit  se  compose  d'une  natte 
et  d'une  couverture  rembourrée  avec  du  coton, 
parfois  le  lit  est  entouré  d'un  moustiquaire. 
L'oreiller  est  un  morceau  de  bambou.  Quelques 
tasses,  une  bassine  enfer,  une  marmite,  une  bouil- 
lotte pour  le  thé  représentent  les  ustensiles  de  cui- 
sine usuels.  On  sert  le  repas  par  terre  sur  un  pla- 
teau en  bois  ou  en  cuivre  et  on  mange  les  aliments 
au  moyen  de  baguettes. 

Le  Tho  change  fréquemment  ses  pénates.  Si  un 
danger  le  menace,  il  déménage  et  va  s'installer 
ailleurs,  quitte  à  revenir  dès  que  toute  crainte  a 
disparu. 

Gomme  les  Annamites,  les  Thos  pratiquent  le 
culte  des  ancêtres  et  une  foule  de  superstitions. 
Leur  religion  est  très  primitive  et  de  nombreux 
sorciers  participent  à  leurs  fêtes.  Gelles-ci  sont 
simples  et  bizarres.  Elles  consistent  le  plus  souvent 
dans  des  sacrifices  de  poulets,  de  cochons,  sacri- 
fices accompagnés  de  chants  et  d'une  musique 
criarde  produite  par  des  flûtes  nasillardes  et  des 
castagnettes.  Quand  une  personne  est  malade,  on 


Io8  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÈME-ORIENT 

fait  venir  le  sorcier  et  on  fait  un  vacarme  épou- 
vantable pour  chasser  l'esprit  du  mal . 

Les  Thos  n'ont  ni  écriture,  ni  littérature,  ni  tra- 
ditions. On  ne  trouve  chez  eux  aucune  légende  de 
nature  à  révéler  leur  origine  ;  et  beaucoup  igno- 
rent même  ce  qui  s'est  passé  dans  leur  village  au 
temps  de  leur  grand-père  ou  même  de  leur  père. 

Les  Laotiens  appartiennent  au  groupe  thaï  ; 
ils  en  forment  même  le  rameau  le  plus  important. 

Leur  taille  élevée,  leur  teint  clair  leur  donnent 
un  certain  cachet  de  distinction.  Beaucoup  se 
tatouent  le  ventre  et  les  jambes,  particulièrement 
ceux  qui  habitent  la  région  des  anciens  royaumes 
de  Vien-tian  et  de  Bassacetcest  même  cette  parti- 
cularité qui  leur  a  valu  le  nom  de  Laotiens  à 
ventre  noir  que  Ton  donne  souvent  aux  Laotiens 
du  Nord  par  opposition  aux  «  Laotiens  à  ventre 
blanc  »  qui  habitent  le  Laos  méridional. 

Les  Laotiens  ont  des  maisons,  un  mobilier,  une 
nourriture  analogue  à  ceux  des  Thaïs  décrits  précé- 
demment. Leur  vêtement  est  quelque  peu  diffé- 
rent. Il  se  compose  ordinairement  d'un  langouti 
qui  est  une  pièce  d'étoffe  de  coton  et  quelquefois 
de  soie  passée  entre  les  jambes  et  autour  de  la 
ceinture  comme  le  sampot  cambodgien.  Les  gens 


POPULATIONS    THAÏ,     CHAMS    ET    SAUVAGES      109 

aisés  portent  quelquefois  en  plus  une  petite  veste 
boutonnée  droit  sur  la  poitrine  à  manches  étroites 
ou  une  écharpe  en  soie.  Leur  tête  est  rasée;  au 
sommet  le  Laotien  ne  conserve  quun  rond  de  che- 
veux longs  de  trois  à  quatre  centimètres.  Les 
femmes,  qui  sont  habillées  comme  les  hommes, 
portent  leurs  cheveux  relevés  en  chignon  sur  le 
sommet  de  la  tête.  Tous  aiment  beaucoup  les 
bijoux  d'or  et  dargent. 

Les  Laotiens  sont,  comme  les  Thaïs,  très  non- 
chalants et  très  paresseux.  Ils  n'exercent  aucune 
industrie.  Quelques-uns  sont  sculpteurs  sur  bois, 
ciseleurs  de  métaux  et  fabriquent  des  boîtes,  des 
vases,  ou  même  des  meubles,  mais,  en  général, 
ils  ne  pratiquent  aucun  métier  déterminé,  se  bor- 
nant à  être,  tour  à  tour  et  suivant  les  circonstances, 
chai' pen  tiers,  tisserands,  teinturiers,  tailleurs, 
pêcheurs,  etc.. 

Le  Laotien  est  assez  religieux,  il  passe,  quand 
il  est  jeune,  un  temps  plus  ou  moins  long  dans 
les  pagodes  qui  servent  à  la  fois  à  la  célébration 
du  culte  et  de  maison  d'école.  Il  est  en  général 
bouddhiste  et  rend  un  culte  aux  exprits. 

Les  autres  peuplades  d'origine  thaï  sont  les 
Thaïs  blancs,  les  Thaïs  noirs,  les  Thaïs  rouges,  les 


IIO  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

Thaïs  Nenas,  les  Lus  qui  vivent  disséminés  dans  les 
régions  montagneuses  du  bassin  du  Mékong  et  dans 
le  Haut-Laos.  Quelques-unes  sont  assez  laborieuses, 
leurs  cultures  sont  soignées  et  leurs  villages  plus 
propres  que  chez  les  Laotiens.  Leur  religion  ne 
dépasse  pas  Fadoration  superstitieuse  des  esprits  et 
de  nombreuses  pratiques  de  sorcellerie. 


II 

GHAMS  ET  MALAIS 

Les  Ghams,  qui,  à  l'instar  des  Khmers,  tinrent 
une  place  importante  dans  Fancienne  histoire  de 
FIndo-Ghine,  n'occupent  plus  aujourd'hui  que  de 
petites  bourgades  disséminées  dans  le  sud  de 
FAnnam,  en  Gochinchine  (région  de  Ghâu-dôc)  et 
au  Gambodge.  On  leur  donne  assez  communément 
le  nom  de  Malais . 

Dans  les  siècles  passés,  les  Malais  avaient  la 
réputation  d'excellents  marins  et  de  bons  soldats. 
On  les  a  beaucoup  employés  au  moment  des 
guerres  entre  FAnnam  et  le  Gambodge.  Les  Ghams 
et  les  Malais  étaient  alors  organisés  en  régiments 
(co)  ayant  à  leur  tête  des  chefs  choisis  parmi  eux 


I 


POPULATIONS    THAÏ,     CHAMS    ET    SAUVAGES       lil 

et  toujours  prêts  à  marcher  au  premier  signal. 
Ils  furent  très  utiles  aux  Annamites  pour  de' fendre 
leurs  frontières  menacées  par  les  Cambodgiens. 

Aujourd'hui  les  Malais  et  les  Ghams  sont  ordi- 
nairement commerçants,  très  peu  sont  cultivateurs. 
Ils  font  surtout  du  commerce  d'échange  :  tabac, 
soieries,  poissons  secs, bétel,  noix  d'arec,  sel.  Comme 
chez  les  Chinois,  on  remarque  chez  eux  un  esprit 
d'association  très  puissant  et  il  n'est  pas  rare  de 
les  voir  se  grouper  pour  acheter  une  barque  et 
parcourir  le  pays.  Quelques-uns  confectionnent 
des  bijoux  qui  témoignent  d'un  certain  goût. 

Les  Chams  sont,  au  physique,  d'une  taille  supé- 
rieure à  celle  des  Annamites  (i°',7o  en  moyenne). 
Leur  tète  est  bien  proportionnée,  l'œil  est  bien 
fendu,  franc  de  regard  et  de  couleur,  la  bouche 
moyenne,  la  lèvre  sans  épaisseur  exagérée.  Les 
cheveux  sont  noirs  et  très  longs,  les  femmes  les 
tordent  en  chignon,  les  hommes  les  recouvrent 
d'un  turban  ou  d  un  carré  de  soie. 

Beaucoup  de  Chams  sont  musulmans,  les  autres 
sont  brahmaniques. 

Les  Malais  et  les  Chams  vivent  entre  eux  et  se 
marient  entre  eux.  Quelquefois  un  Malais  ou  un 
Cham  épouse  une  Cambodgienne,  mais  une  Malaise 


lia  NOTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

OU  une  Cham  n'épouse  jamais  un  étranger  à  sa 
race . 

Les  habitations  sont  groupées  et  à  peine  séparées 
par  d'étroites  ruelles.  Les  maisons  sont  toutes 
construites  sur  pilotis  à  i™,5o  au-dessus  du 
niveau  du  sol.  Elles  sont  grandes  et  spacieuses, 
soignées  et  ne  manquent  pas  d  une  certaine  élé- 
gance. Aucune  culture  ne  les  entoure,  à  peine 
aperçoit-on  derrière  les  hameaux  Chams  quelques 
champs  de  maïs. 

Les  populations  diminuent  d'ailleurs  chaque 
année  d'une  façon  assez  sensible.  On  comptait 
en  1880  plus  de  1 3.ooo  Chams  et  Malais  dans  la 
seule  province  du  Châu-dôc,  ils  n'étaient  plus 
que  4. 000  ces  dernières  années.  Beaucoup  émigrent 
au  Cambodge. 

III 

POPULATIONS  DITES   SAUVAGES 

Les  peuples  dont  nous  venons  de  décrire  à  grands 
traits  Ihabitat  et  les  mœurs  sont  des  produits 
ethniques  plus  ou  moins  purs  des  diverses  invasions 
qui  ont  eu  1  Indo-Chine  pour  terrain  d'expansion. 
Ils  n'ont  cependant  pas  fait  complètement  dispa- 


f>OPLLATIONS    TUAI,     CHAMS     ET     SAUVAGES       ni 

raître  les  populations  autochtones  et  primitives. 
Ce  sont  ces  populations  que  Ton  désigne  sous  le 
nom  passablement  impropre  de  «  populations 
sauvages  ». 

Au  point  de  vue  ethnographique,  ces  peuplades 
appartiennent  soit  au  type  négrito,  soit  au  type 
malais  ou  au  type  thihétain. 

On  les  classe  ordinairement  en  trois  groupes 
d'après  leur  répartition  géographique. 

Les  unes  habitent  le  sud  de  1  Annam,  ce  sont 
les  Mois,  les  autres,  telles  que  les  Khas,  vivent  au 
Laos,  le  troisième  groupe  comprend  les  monta- 
gnards du  Tonkin,  c'est-à-dire  les  Muongs,  les 
Maos  ou  \ao,  les  Méos  et  les  Lolos. 

Parmi  ces  peuplades  du  Sud-Annam,  les  Mois 
représentent  le  groupe  le  plus  sauvage  et  le  plus 
important.  Les  Mois  comprennent  un  grand  nombre 
de  tribus  :  les  Gho-ma,  les  Stieng,  les  Rade,  les 
Bahnar,  les  Djarai,  les  Sédang,  les  Kaseng,  les 
Lové,  les  Souk,  les  Arak,  les  iNiaheu,  les  Boloven 
vivent  entre  la  mer  de  Chine  et  le  Mékong;  les 
lv(jui,  les  Jau,  les  Samré,  les  Bar,  les  Guay  que 
Ton  rencontre  disséminés  au  Cambodge,  sont  éga- 
lement des  Mois. 

Toutes   ces   tribus  vivent  en   général    dans  les 

8 


Il4  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

montagnes  du  sud  de  FAnnam.  A  FEst  et  au 
Sud  existe  un  premier  groupe  moï  mélangé 
d'éléments  chams  ;  on  le  rencontre  dans  la  zone 
des  Hauts-Plateaux  auxquels  donne  accès,  de  la 
côte,  la  vallée  du  Bas  S.  Ba.  Au  Sud-Ouest 
et  à  FOuest  vient  un  deuxième  groupe  de  tribus  moï 
mélangées  d'éléments  khmers  ;  leur  zone  d  habitat 
correspond  au  glacis  du  Mékong,  aux  vallées  tri- 
butaires du  grand  Fleuve  et  au  bassin  du  Dong-jNaï 
qui  appartint  jusqu'au  milieu  du  xviii^  siècle  à 
FEmpire  khmer. 

La  zone  montagneuse  centrale  du  Nord-Ouest, 
dont  l'impraticabilité  protégeait  les  populations 
indigènes  des  infiltrations  étrangères,  a  permis  aux 
tribus  mois  de  s'y  maintenir  à  l'état  à  peu  près 
pur.  Les  influences  laotiennes  et  annamites  y  sont 
trop  récentes  pour  avoir  transformé  la  race. 

Les  Mois,  en  dépit  d'assertions  contraires,  sont 
des  populations  douces  et,  malgré  leur  allure  bel- 
liqueuse aisées  à  manier.  Les  Mois  sont  malheureu- 
sement peu  travailleurs.  Beaucoup  de  Mois  ont 
été  jadis  des  pirates  redoutables.  Certaines  tribus 
telles  que  les  Jarais  et  les  Sédangs  avaient  fait 
même  de  la  piraterie  leur  occupation  habituelle 
et  rendu   les  régions   mois    d  une  sécurité    plus 


POPULATIONS    THAÏ,     CHAMS     ET    SAUVAGES       Il5 

que  douteuse.  Ceci  explique  leur  réputation  plutôt 
mauvaise,  mais  en  les  menant  avec  douceur,  on 
les  apprivoise  très  vite. 

Il  n^y  a  pas  de  nation  moi  à  proprement  parler, 
comme  on  Ta  cru  parfois.  Le  village  placé  sous  la 
protection  et  le  despotisme  d'un  chef  constitue 
toute  Tunité  sociale.  Parfois  un  chef  est  assez  puis- 
sant pour  réunir  sous  son  autorité  plusieurs  vil- 
lages, mais  c'est  l'exception.  Le  chef  est  ordinaire- 
ment issu  d'une  famille  aisée.  Autour  de  lui  se 
groupent  un  certain  nombre  de  familles  libres, 
propriétaires  de  quelque  bétail,  puis  un  assez 
grand  nombre  d  engagés  pour  dettes  et  de  a.  ser- 
viteurs »,  sorte  d'esclaves.  Comme  chez  beaucoup 
de  peuplades  indo-chinoises,  les  sorciersjouentdans 
l'organisation  sociale  un  rôle  prépondérant  et 
rémunérateur  pour  eux-mêmes.  Leur  intervention 
est  fréquente  mais  comporte  quelques  risques, 
car  lorsqu'un  sorcier  se  trompe  dans  ses  prévi- 
sions, il  est  généralement  l'objet  de  représailles 
qui  vont  jusqu  à  la  mort. 

La  religion  des  Mois  est  des  plus  simples,  a  Ils 
croient  que  la  terre  est  plate  et  ronde  comme  un 
disque  et  que  le  soleil  y  touche  par  les  bords. 
Autrefois,  disent-ils,  le  ciel  et  la  terre  se  touchaient 


Il6  NOTRE    FRArs'CE     D  EXTREME-ORIENT 

sur  toute  leur  surface.  Le  vent,  le  tonnerre,  les 
nuages,  la  pluie  sont  pour  eux  les  manifestations 
de  la  colère  du  génie  qui  habite  le  ciel.  Le  soleil, 
la  lune  sont  autant  de  génies  puissants.  Du  reste, 
ils  ont  Ihabitude  d  attribuer  immédiatement  une 
puissance  occulte  à  tout  ce  qu  ils  ne  comprennent 
pas...  Les  Mois  croient  à  lexistence  d  un  être 
suprême  qui  aurait  créé  le  ciel  et  la  terre,  mais  ils 
ne  lui  donnent  pas  de  nom.  Ce  «  dieu  »  habitait 
autrefois,  disent-ils,  près  des  humains  lorsque 
la  terre  et  le  ciel  se  touchaient  ;  mais  comme  il 
y  a  très  longtemps  qu'ils  se  sont  séparés,  per- 
sonne n'a  conservé  le  souvenir  du  nom  du  Créa- 
teur \  » 

Un  génie  bienfaisant,  qui  ne  serait  autre  peut- 
être  que  Bouddha,  veille  sur  les  cultures,  les  exis- 
tences et  distribue  le  bien-être  aux  humains.  Natu- 
rellement les  présages,  l'âme  des  morts,  les  reve- 
nants jouent  un  rôle  considérable  dans  la  vie  de 
ces  populations  primitives. 

L'importance  des  villages  mois  est  très  variable. 
Parfois  un  village  ne  comporte  pas  plus  de  trois 
ou  quatre  maisons,  quelquefois  il  en  comporte  une 

^    Besnard.  Les  populations  mois  du  Darlac,   Bulletin  de    l'Ecole 
française  d'Extrême-Orient,  janvier-juin  1907. 


POPULATIONS  THAÏ.  CHAMS  ET  SAUVAGES   II7 

soixantaine  et  même  davantage.  Certaines  tribus 
telle  que  les  Muongs  les  entourent  de  palissades 
solides  formant  deux  ou  trois  enceintes. 

Les  maisons  mois  sont  ordinairement  construites 
sur  pilotis  et  comportent  une  plate-forme  qui  est 
destinée  à  faciliter  le  chargement  des  éléphants. 
Au-dessous  de  cette  plate-forme  se  trouvent  les 
étables  où  Ton  rassemble  les  bœufs,  les  chevaux 
et  tous  les  animaux  domestiques.  Les  cloisons  et 
les  murs  sont  naturellement  en  bambous  et  le  toit 
à  pente  très  inclinée  est  recouvert  d  un  épais  man- 
teau d'herbe  et  de  paille.  Ces  maisons,  relative- 
ment confortables,  sont  très  solides,  elles  ont  chez 
certaines  tribus  des  dimensions  assez  considérables, 
une  cinquantaine  de  mètres  ordinairement,  parfois 
même  davantage.  Chez  dautres  peuplades  mois, 
elles  sont  de  dimensions  plus  restreintes.  La  maison 
est  divisée  en  deux  parties  :  dans  la  première,  der- 
rière rentrée,  se  trouve  la  salle  commune.  Elle 
tient  souvent  la  moitié  de  Fédifîce,  on  s'y  rassemble 
pour  boire  et  on  y  rencontre  tous  les  ustensiles  de  la 
vie,  les  armes  notamment,  toute  une  collection  de 
vases,  de  récipients  nécessaires  à  la  cuisson  du  riz. 
L'autre  partie  de  la  maison  est  strictement  réservée 
aux  divers  ménages  composant  la  famille.  C'est  là 


Ii8  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

que  se  tiennent  ordinairement  les  femmes  et 
qu'elles  vaquent  aux  travaux  domestiques.  Chez 
certaines  tribus,  les  maisons  comportent  également 
des  magasins  où  l'on  conserve  le  riz. 

Le  riz  est  la  base  de  la  nourriture  des  Mois.  Les 
Mois  en  cultivent  de  plusieurs  sortes,  ordinaire- 
ment du  riz  de  montagne  selon  la  méthode  habi- 
tuelle des  rays.  Les  Mois  récoltent  également  beau- 
coup de  mais  et  cette  céréale  atteint  dans  leurs 
montagnes  des  dimensions  parfois  gigantesques. 
Des  spécimens  de  quatre,  cinq  mètres  ne  sont  pas 
rares  et  la  plante  atteint  couramment  deux  et  trois 
mètres.  Les  courges,  les  citrouilles,  les  pastèques, 
les  concombres,  les  patates,  le  manioc,  les  oignons, 
les  haricots,  sont  également  cultivés  par  les  Mois. 
Très  fumeur,  le  Moi  plante  beaucoup  de  tabac  à 
proximité  des  villages.  La  feuille,  une  fois  cueillie, 
est  passée  au  feu,  roulée  et  découpée.  On  la  fume 
sans  autre  préparation. 

Au  riz  et  au  manioc,  les  Mois  ajoutent  pour  leur 
nourriture  du  gibier  et  du  poisson.  Le  Moi  est 
même  fort  peu  délicat  en  matière  de  gibier  et  tout 
animal  susceptible  d'être  mangé  est  absorbé  goulû- 
ment, même  les  lézards,  les  insectes,  les  rats.  Le 
Moi  boit  ordinairement  de  l'eau,  mais,  au  moment 


POPULATIONS    THAÏ,     CHAMS    ET     SAUVAGES      Il9 

des  fêtes,  il  absorbe  de  lalcool  de  riz  jusqu'à  com- 
plète ivresse. 

L'accoutrement  des  Mois  est  très  sommaire.  Une 
simple  ceinture  passée  autour  des  reins  leur  suffit 
ordinairement.  Les  vêtements  de  fêtes  sont  plus 
luxueux  et  comportent  entre  autres  une  tunique 
plus  ou  moins  brodée  suivant  la  richesse  du  pro- 
priétaire. Des  brandebourgs  de  flanelle  rouge  sont 
également  cousus  souvent  sur  la  poitrine  et  dans 
le  dos  et  complètent  Fornementation  du  costume. 
Une  couverture  polychrome  et  ornée  de  dessins 
qui  ne  sont  pas  dépourvus  d'originalité  s'ajoute  à 
ces  vêtements.  Les  Mois  se  drapent  dedans  à  la  façon 
des  ponchos.  Sur  la  tête,  ils  portent  ordinairement 
un  turban,  sorte  de  chiffon  crasseux  qui  leur 
enveloppe  la  tête  et  le  chignon. 

Les  femmes  portent  une  sorte  de  jupon  retenu 
autour  des  hanches  et  qui  tombe  au-dessous  du 
genou.  Elles  ont  généralement  le  torse  nu,  mais, 
pour  sortir,  endossent  une  petite  veste  beaucoup 
plus  courte  que  celle  des  hommes. 

Les  Mois  couchent  sur  des  nattes  de  joncs  posées 
à  même  sur  le  plancher  ou  sur  des  lits  de  camp. 
Comme  oreillers,  ils  ont  de  simples  bambous  ou 
des  blocs  de  bois  fendus  dans  le  sens  de  la  Ion- 


lio  NOTRE     FRANGE    D  EXTREME-ORIENT 

giicur,  parfois  ils  se  servent  aussi  d'oreillers  plus 
doux  fal)riqués  avec  de  la  bourre  de  faux  coton- 
tonnier. 

Les  Mois  n'ont,  à  proprement  parler,  aucune 
industrie,  mais  confectionnent  la  plupart  des  usten- 
siles dont  ils  ont  besoin.  Les  forgerons  façonnent 
des  hachettes,  des  couteaux,  des  lances,  des  bou- 
cliers. Les  Mois  portent  à  peu  près  constamment  sur 
eux  le  coupe-coupe,  qui  leur  sert  à  une  foule 
d'usages  ;  les  riches  possèdent  même  des  coupe- 
coupe  d'apparat  qu'ils  portent  au  moment  des 
fêtes. 

Les  Mois,  tout  en  étant  encore  peu  policés  dans 
Tensemble,  ne  sont  pas  incapables  d'éducation  et, 
avec  de  la  douceur,  on  pourrait  très  aisément  les 
amener  à  un  état  de  civilisation  beaucoup  plus 
avancé. 

Les  Khas  habitent  le  Laos  méridional  et  occu- 
pent les  deux  versants  de  la  Chame  annamitique. 
En  général,  ils  ne  se  mélangent  pas  plus  avec  les 
Annamites  que  les  Mois;  en  annamite,  Moi  veut 
dire  sauvage,  et,  en  laotien,  Kha  a  la  même  signi- 
fication. 

Leur  tempérament  belliqueux  et  indépendant 
les  fait  ressembler  assez  aux  Mois.  Leurs  mœurs 


POPULATIONS    THAÏ 

rappellent  celles  des  Laotiens.  Presque  tous  sont 
chasseurs  et  agriculteurs. 

La  culture  du  riz  représente  leur  occupation 
habituelle.  Dès  qu'une  tribu  kha  a  choisi  un 
emplacement  oii  elle  pense  pouvoir  planter  du  riz, 
elle  s'y  transporte  et  met  le  feu  à  la  brousse.  Sur 
remplacement  du  «  ray  »,  elle  élève  des  cases  et 
sème  du  riz.  Elle  reste  là  jusqu'au  moment  de  la 
récolte  et  une  fois  celle-ci  terminée  elle  se  trans- 
porte ailleurs  ou  revient  dans  son  village.  Le  riz 
nécessaire  à  la  nourriture  de  la  famille  est  mis  de 
côté,  le  reste  est  vendu  sur  le  marché  voisin,  ou 
échangé  contre  des  vêtements,  du  sel,  des  armes, 
des  ustensiles  de  ménage,  du  tabac  ou  des  bijoux. 

En  général,  les  Khas  sont  agiles  et  robustes, 
turbulents  et  crédules.  Ils  sont  entièrement  sous 
la  dépendance  de  leurs  sorciers. 

Les  Maongs,  que  Ion  rencontre  dans  les  massifs 
montagneux,  situés  au  nord  de  TAnnam  et  entre 
la  Rivière  Noire  et  le  Fleuve  Rouge,  ont  eu  long- 
temps une  organisation  sociale  très  particulière. 
Les  Muongs  sont,  en  effet,  constitués  en  tribus 
ayant  une  existence  indépendante.  A  la  tête  de 
ces  tribus  se  trouve  un  chef  élu  par  les  Quang- 
langs  qui  sont  des  sortes  de  seigneurs  féodaux  héré- 


122  >^OTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

ditaires  Généralement  le  chef  du  groupement 
(chau)  est  pris  dans  la  même  famille,  c'est  ordinai- 
rement celle  qui  par  sa  richesse  ou  par  d'autres 
moyens  a  su  prévaloir  sur  les  autres. 

Les  Muongs  ont  su  rester  très  indépendants 
malgré  les  incursions  des  bandes  chinoises  qui  ont 
investi  leur  pays  à  de  nombreuses  reprises,  et, 
malgré  les  efTorts  des  empereurs  de  Hué  pour  leur 
imposer  la  domination  annamite.  Sous  Minh-Manh 
ils  s'y  soumirent  pendant  quelques  années,  mais 
se  soulevèrent  lorsque  TAnnam  voulut  les  placer 
sous  Fadministration  des  mandarins  et  introduire 
dans  leur  pays  l'organisation  communale  et  l'en- 
seignement du  chinois. 

Des  troubles  éclatèrent  et  sous  Tu-Duc  la  cour 
de  Hué  dut  renoncer  à  ces  idées  d'annexion  et  d'as- 
similation en  les  laissant  sous  l'autorité  de  leur 
Quan-lang,  dont  elle  reconnut  les  droits  en  leur 
confiant  des  fonctions  publiques.  Ces  Quan-lang, 
qui  évitent  avec  soin  toute  mésalliance,  ont  fondé 
une  véritable  aristocratie  féodale  pourvue  de  véri- 
tables fiefs  et  qui  subsiste  encore  de  nos  jours. 

Depuis  1891,  date  de  notre  installation  dans  le 
pays,  les  troubles  ont  cessé  car  notre  administra- 
tion a  respecté  les  anciennes  traditions.  Les  Quan- 


POPULATIONS    THAÏ,     CHAMS    ET    SAUVAGES      r^i 

langs  qui  subsistent  n'ont  cependant  aucun  carac- 
tère officiel  ;  en  pays  muong,  ce  sont  les  chefs  de 
canton  et  les  ly-truong  qui  exercent  les  ordres  du 
Gouvernement. 

Les  Muongs  sont,  au  physique,  dune  taille 
élevée,  leur  poitrine  est  large  et  leurs  membres 
plus  forts  que  ceux  des  Annamites.  Ces  qualités 
physiques  en  font  des  gens  robustes,  doués  dune 
endurance  très  grande  et  qui  leur  permet  de  sup- 
porter beaucoup  plus  facilement  que  les  Anna- 
mites le  climat  chaud  et  humide  des  basses  vallées 
de  leurs  pays.  Par  contre,  leur  intelligence  est  en 
général  assez  limitée,  elle  est  beaucoup  moins 
développée  que  celle  des  Annamites. 

Les  Muongs  exploitent  leurs  forets  et  apportent 
sur  les  marchés  —  en  particulier  sur  celui  de  Chobo, 
dans  la  province  de  Hoa-binh  —  les  bois  qu'ils  y 
abattent,  ducaoutchouc,  du  benjoin,  du  rotin,  etc.. 

Les  Muongs  fabriquent  eux-mêmes  leurs  armes 
qui  consistent  en  coupe-coupe  et  en  arbalète.  L'ar- 
balète est  l'arme  du  peuple.  Cet  instrument  se 
compose  d  un  fut  en  bois  de  gô-sên.  L  arc  que 
supporte  ce  fût  est  fait  d'un  bois  très  dur  (le  coy- 
guong) ,  la  corde  est  en  fibres  de  ramie  et  les  flèches 
sont  fabriqués  avec  des  tiges  de  bambou  femelle; 


Ilfi  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

on  les  empoisonne  dans  un  liquide  obtenu  en  fai- 
sant macérer  des  feuilles  de  cay-sai. 

Les  Muongs  fabriquent  quelques  étoffes  et  les 
teignent  de  couleurs  variées  et  éclatantes.  Elles 
sont  de  qualité  ordinairement  supérieure  à  celles 
qu'emploient  les  Annamites. 

Le  riz  représente  la  culture  la  plus  importante 
des  pays  muongs.  On  récolte  trois  sortes  de  riz  : 
le  lua-nêp,  le  lua-té  et  le  lua-lôc.  Ce  dernier  est  le 
riz  de  montagne,  il  est  très  commun  car  il  alavan- 
tage  de  pouvoir  croître  sur  les  pentes  des  mon- 
tagnes arrosées  seulement  par  Teau  des  pluies. 

Pour  cultiver  le  riz  de  plaine,  les  Muongs  notam- 
ment dans  la  région  de  Siac-Son  — ont  été  obligés 
d'établir  des  rizières  étagées  qu'ils  irriguent  en  y 
fadsant  monter  Feau  au  moyen  de  grandes  roues 
élévatoires  ou  norias.  Un  barrage  est  fait  au  tra- 
vers de  la  rivière  et  ne  laisse  à  1  eau  pour  s'écouler 
qu'un  passage  étroit.  Le  courant  s'y  engouffre  et  met 
en  mouvement  de  grandes  roues  de  huit  à  dix 
mètres  de  diamètre  munies  de  palettes  et  d'augets 
en  bambous.  L  eau  est  reçue  dans  des  bassins  et 
de  là  répartie  dans  les  champs  avoisinants. 

LHndustrie  n'existe  pas  chez  les  Muongs.  Leurs 
maisons  sont  construites  en  bois,   en  bambou,  à 


POPULATIONS    TH\1,     CHAMS    ET    SAUVAGES       i'25 

l'exclusion  de  tous  autres  matériaux.  Les  Muongs 
ne  se  livrent  point  à  F  exploitation  des  mines  et 
semblent  même  avoir  du  dédain  pour  ce  genre 
d'industrie. 

11  existe  un  nombre  considérable  de  tribus  Mans, 
Meos  et  Lolos.  Elles  occupent  en  général  les  hau- 
teurs du  bassin  de  la  Rivière  Claire  et  de  ses 
affluents.  Ordinairement  les  Meos  et  les  Lolos  habi- 
tent les  plateaux  et  les  crêtes  et  construisent  leurs 
hameaux  jusqu  à  2.000  mètres  d  altitude.  Les 
Mans  vivent  plus  bas,  entre  4oo  et  800  mètres. 

Une  légende  indigène  explique  pourquoi  les 
Mans  habitent  ces  régions  élevées.  Un  empereur  de 
Chine  avait  un  jour  promis  sa  fille  en  mariage  et 
la  moitié  de  son  empire  à  celui  qui  lui  rapporte- 
rait la  tète  d'un  de  ses  ennemis.  Un  Man,  ayant 
réussi  à  réaliser  ce  désir,  réclama  l'exécution  de 
la  promesse.  Un  conseiller  avisé  fit  remarquer 
qu'en  promettant  la  moitié  de  son  empire,  le  sou- 
verain n'avait  pas  indiqué  dans  quel  sens  on  trace- 
rait la  ligne  de  démarcation,  on  pouvait  donc  la 
comprendre  suivant  un  plan  horizontal  et  aban- 
donner au  barbare  toute  la  partie  supérieure,  c'est- 
à-dire  la  terre  aux  pentes  difficiles  où  il  était 
impossible  d'établir  des  rizières  et  dont  les  Chinois 


126  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

ne  faisaient  rien.  Le  conseiller  fut  écouté  et  c'est 
ainsi  que  les  Mans  furent  mis  en  possession  de 
toutes  les  montagnes. 

Cette  règle  nest  d'ailleurs  pas  absolue.  Il  y  a 
des  Mans  sur  les  rives  du  Fleuve  Rouge  et  des 
Meos  qui  vivent  à  des  altitudes  assez  basses,  mais 
les  uns  et  les  autres  s'accommodent  mal  de  cet 
habitat  et  ceux  que  l'on  rencontre  dans  les  vallées 
n'ont  pas  la  vigueur  de  leurs  congénères  qui  habi- 
tent dans  des  montagnes. 

En  général,  les  hommes  sont  de  haute  stature 
et  bien  constitués,  ce  sont  de  grands  marcheurs.  Ils 
tracent  de  larges  sentiers  presque  toujours  en  ligne 
droite.  Jamais  ils  ne  contournent  un  mamelon,  ils 
le  montent  à  pic  et  le  redescendent  de  même  avec 
une  agilité  surprenante.  Les  femmes  sont  égale- 
ment fortes  et  travailleuses.  Elles  ont  une  coiffure 
bizarre  composée  d'une  sorte  de  planchette  ou  de 
petit  panier  qui  se  dresse  sur  le  chignon  au  sommet 
de  la  tête.  Elles  portent  leurs  enfants  comme  les 
Chinoises  à  califourchon  sur  leur  dos,  dans  une 
pièce  d'étofPe  qui  s'attache  au  cou  et  à  la  ceinture. 

On  représente  souvent  les  tribus  mans  comme 
essentiellement  nomades;  c'est  exagéré.  Les  Mans 
sont   moins    attachés  que  les   Annamites  à   leur 


POPULATIONS    THAÏ,    CHAMS    ET    SAUVAGES       127 

village,  mais  s'il  leur  arrive  de  Fabandonner,  c'est 
souvent  plus  par  nécessité  que  par  désir  de  chan- 
gement. L'Annamite  qui  considère  les  Mans  comme 
des  êtres  inférieurs,  taillables  et  corvéables  à  merci, 
leur  fait  souvent  sentir  durement  sa  supériorité  ; 
pour  échapper  à  cette  tyrannie,  les  Mans  émi- 
grent.  Les  procédés  de  culture  de  ces  peuplades 
rendent  également  leur  exode  périodique  presque 
indispensable.  L'humus  naturel  du  sol,  amassé 
sous  le  couvert  de  la  forêt,  disparaît  rapidement 
sous  rinfluence  de  la  pluie  dès  que  les  arbres  et 
les  broussailles  ont  été  détruits  et  le  terrain  n'est 
bientôt  plus  assez  fertile  pour  cultiver  le  riz.  Le 
Man  est  alors  obligé  de  se  mettre  en  quête  de  nou- 
veaux emplacements. 

Les  Mans  construisent  leurs  maisons  sur  pilotis. 
Les  gens  vivent  dans  la  maison,  le  bétail  et  la 
basse-cour  au-dessous.  A  l'intérieur,  il  existe  deux 
ou  trois  autels  des  ancêtres.  On  y  entretient  du  feu 
nuit  et  jour,  été  comme  hiver,  car  les  allumettes 
y  sont  inconnues.  Le  mobilier  n'existe  guère.  On 
dort  ordinairement  sur  le  plancher  qui  est  fait  de 
bambous  écrasés,  et  pour  prendre  ses  repas  ou 
pour  causer,  le  Man  s'accroupit  par  terre  les  jambes 
croisées. 


128  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

Le  costume  des  Mans  est  assez  variable.  Il  con- 
siste, en  général,  en  une  veste  à  manches  courtes 
et  en  un  pantalon  large  à  la  chinoise,  de  couleur 
bleue  ou  blanche.  Un  turban  ordinairement  bleu 
entoure  la  tête.  Les  femmes  ont  parfois  un  assez 
joli  costume,  une  ample  tunique  bleue  à  grand 
col  rouge  rabattu,  se  prolongeant  par  devant  jus- 
qu'à la  ceinture  et  orné  de  broderies,  de  verroterie 
et  de  petits  glands.  Cette  tunique  s'ouvre  sur  un 
cache- sein  bleu  brodé  de  rouge  et  recouvert  de 
larges  plaques  d  argent.  Le  pantalon  est  bleu  et 
brodé.  Beaucoup  se  parent  de  larges  boucles 
d'oreilles  et  de  colliers  d'argent.  Dans  certaines 
tribus,  les  femmes  s  épilent  soigneusement  les 
sourcils,  l'absence  de  sourcils  étant  pour  elles  le 
dernier  mot  de  l'élégance. 

Le  culte  des  ancêtres,  mêlé  de  superstitions 
nombreuses,  constitue  la  seule  religion  des  Mans. 
Tout  individu  qui  meurt  devient  immédiatement 
pour  la  famille  un  génie  tutélaire.  Les  esprits  éli- 
sent domicile  dans  les  angles  des  maisons  et  veil- 
lent avec  soin  sur  leur  postérité.  Chez  certaines 
peuplades  mans,  cette  croyance  est  si  forte  que 
quand  la  famille  entière  quitte  la  maison  pour 
aller  dans  la  montagne  vaquer  à  ses  travaux,  per- 


sonne  n'a  Fidée qu'un  vol  puisse  y  être  commis.  Le 
téméraire  qui,  pendant  l'absence  des  maîtres, 
oserait  s'introduire  dans  leur  logis,  serait  immé- 
diatement ensorcelé. 

Les  Méos  sont  de  race  analogue.  On  en  ren- 
contre dans  le  Ilaut-Tonkin  un  assez  grand  nombre 
de  tribus,  particulièrement  dans  la  province  de 
Yen-Bay.  On  les  distingue  en  Méos  noirs  et  en 
Méos  blancs,  suivant  la  couleur  bleu  foncé  ou 
blanc  sale  de  leur  costume. 

Ce  costume  se  compose,  pour  les  hommes,  d'un 
pantalon  relevé  comme  un  pantalon  de  zouave  et 
d'une  petite  veste  boutonnée  sur  le  côté  ;  pour  les 
femmes,  d'une  veste  portant  dans  le  dos  un  col 
de  matelot  et  d'une  jupe  plissée  en  accordéon 
autour  de  la  taille  ordinairement  ornée  de  brode- 
ries. Des  bijoux  en  argent  complètent  cet  habille- 
ment. 

Les  maisons  méos  sont  construites  au  ras  du 
sol.  Elles  sont  ordinairement  très  sales,  plusieurs 
familles  habitent  souvent  sous  le  même  toit.  Les 
Méos  sont  de  terribles  destructeurs  de  forêts.  Pour 
mettre  en  culture  un  ou  deux  hectares  de  terre, 
ils  n'hésitent  pas  à  détruire  parfois  tout  un  ver- 
sant boisé.  L'année  suivante,  après  les  pluies,  la 

9 


l3o  NOTRE    FRAÎsCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

terre  végétale  a  disparu  et  le  Méo  transporte  ail- 
leurs ses  pénates. 

Les  Méos  plantent  du  riz  de  montagne  et  surtout 
du  maïs  qui  constitue  la  base  de  leur  nourriture. 
Ils  cultivent  également  beaucoup  de  légumes  et  se 
livrent  à  Félevage  du  bétail,  des  chevaux,  des 
porcs,  de  la  volaille.  Ils  s'adonnent  également 
volontiers  au  commerce  et  descendent  dans  la 
plaine  les  produits  de  leur  culture.  Leurs  affaires 
terminées,  ils  se  hâtent  d'ailleurs  de  remonter  sur 
leurs  cimes  par  des  sentiers  à  pic  et  toujours  en 
ligne  droite. 

Les  Méos  n'ont  pas  d'autre  religion  que  le  culte 
des  ancêtres.  Plus  indépendants  encore  que  les 
Mans,  ils  supportent  difficilement  toute  autorité 
et  sont  toujours  prêts  à  émigrer  pour  s'y  sous- 
traire. Ils  ne  respectent  guère  que  le  chef  de  leur 
village  qu'ils  élisent  eux-mêmes. 


IV 

LES   CHINOIS 

En    plus    de   ces   nombreuses    populations,    il 
existe  encore  en  Indo- Chine,  nous  Tavons  indiqué, 


POPULATIONS  THAÏ,  CHAMS  ET  SAUVAGES  l'U 

environ  200.000  Chinois  repartis  sur  tout  le  ter- 
ritoire de  la  colonie  et  plus  spécialement  établis  en 
Cochinchine  et  au  Cambodge. 

L'élément  chinois  ne  se  mélange  pas  au  reste 
de  la  population.  C'est  une  entité  ethnique  à  part 
qui  tient  à  rester  indépendante.  Le  Chinois  ne 
s'expatrie  qu'avec  Fespoir  de  retourner  dans  son 
pays  natal  pour  y  finir  ses  jours.  Les  Chinois  ont 
monopolisé  en  Indo-Chine  la  plus  grande  partie  du 
petit  commerce.  En  relations  très  étroites  et  très 
suivies  avec  les  paysans,  ils  leur  prêtent  de  largent 
à  gros  intérêt  au  moment  des  semailles  et  les  récu- 
pèrent au  moment  de  la  récolte.  En  cas  de  non 
paiement,  ils  s'emparent  du  sol,  il  paraît  même 
que  dans  certaines  provinces  de  Cochinchine,  la 
moitié  des  rizières  leur  appartient. 

En  Cochinchine,  les  Chinois  se  groupent  sui- 
vant leur  habitude  en  congrégations.  La  congréga- 
tion de  Canton  comprend  les  Chinois  originaires 
de  Canton  et  des  environs  ainsi  que  de  la  partie 
nord-ouest  de  la  province.  La  congrégation  des 
Hakkas  comprend  les  Chinois  de  la  partie  nord- 
est  de  la  même  province.  Les  Chinois  du  sud- 
ouest  de  la  province  d'Amoy  sont  groupés  dans  la 
congrégation  de  Fou-Kien  et  ceux  de  Swatow  et 


l32  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÉME-ORIENT 

Haï-Nan  dans  celles  de  Trieu-Chaii  et  de  Haï-Nan. 

Les  Gantonais  sont  les  plus  nombreux.  Très 
nombreux  en  Cochinchine,  ils  sont  surtout  indus- 
triels et  commerçants.  ACbolon,  plusieurs  décor- 
tiqueries  de  riz  leur  appartiennent;  beaucoup  y 
possèdent  des  magasins  de  soie,  des  scieries,  des 
briqueteries,  des  chantiers  de  construction.  Un 
grand  nombre  de  Gantonais  sont  également  maçons, 
marchands  de  meubles,  cordonniers,  charpentiers, 
tailleurs,  bouchers,  restaurateurs,  etc..  La  navi- 
gation fluviale  en  Gochinchine  est  presque  entiè- 
rement entre  leurs  mains . 

Les  Fou-Kien  sont  un  peu  moins  nombreux, 
mais  beaucoup  occupent  dans  le  commerce  des 
situations  importantes.  A  Saigon,  63  maisons  de 
commerce  et  à  Gholon  ï3c)  sont  entre  leurs  mains. 
On  remarque  que  dans  cette  congrégation,  on  ne 
rencontre  ni  domestiques,  ni  ouvriers,  il  n'y  a  que 
des  commerçants  ou  des  commis  aspirant  à  le 
devenir. 

Les  Hakkas  possèdent  à  Saïgon  70  maisons  de 
commerce  et  4^  à  Gholon.  Leur  importance  au 
point  de  vue  commercial  est  cependant  moindre 
que  celle  des  Ghinois  appartenant  aux  deux 
grandes   congrégations  précédentes.    Les  Hakkas 


-h  i: 


RESTAURANT    EN     PLEIN    AIR 


PORTEUR    D  EAU    CHINOIS 


POPULATIONS    thaï,     ClIAMS    ET    SAUVAGES     i33 

exerçant  plus  volontiers  de  petits  métiers,  forge- 
rons, tailleurs  de  pierre,  mécanicien,  cordonnier, 
boulanger,  charron.  Quelques-uns  sont  agricul- 
teurs, et  maraîchers. 

Les  Trieu-Chau  sont  plus  nombreux,  mais  se 
bornent  à  être  bateliers  ou  débardeurs.  Les  Haï- 
Nan  sont  ordinairement  agriculteurs. 

AuTonkin,on  compte  12.000  Chinois.  Presque 
tous  s'adonnent  au  commerce  ou  fournissent  la 
main-d'œuvre  aux  industries  locales. 

En  Annam,  il  y  en  a  moins  :  5. 000  environ, 
mais  ces  Chinois  ont,  malgré  leur  nombre  relati- 
vement restreint  une  importance  très  réelle  au 
point  de  vue  commercial.  Plusieurs  grosses  mai- 
sons de  commerce  de  Faï-Fo  et  de  Tourane  sont 
entièrement  chinoises.  Quelques-unes  ont  même 
des  comptoirs  à  Fintérieur  et  réalisent  de  très 
sérieux  bénéfices  dans  Fachat  et  la  vente  de  la  soie 
et  de  la  cannelle. 

Les  Chinois  sont  colporteurs  au  Laos  et  au 
Cambodge.  Dans  ce  dernier  pays,  ils  sont  particu- 
lièrement nombreux  (90.000  environ).  Beaucoup 
sont  agriculteurs. 

Les  Chinois  sont  partout  très  solidaires  les  uns 
des  autres  et  leurs  œuvres  de  mutualité  et  d  assis- 


i34 


NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 


tance  sont  multiples.  Leur  nombre  et  leur  acti- 
vité, qui  s'exerce  sous  les  formes  les  plus  diverses 
dans  un  pays  qui  a  plus  besoin  d'agriculture  que 
de  commerçants,  a  obligé  l'administration  à  envi- 
sager l'utilité  d'une  réglementation  spéciale  de 
rimmigration  chinoise.  La  question  chinoise  est 
très  complexe  et  mérite  d'être  envisagée  avec  une 
très  sérieuse  attention.  C'est,  à  l'heure  actuelle, 
l'un  des  problèmes  de  politique  indigène  et  éco- 
nomique les  plus  délicats  à  résoudre. 


CHAPITRE  VII 

PRODUITS   D  ORIGINE    ANIMALE 

FAUNE.  CHASSE.   PÈCHE.   ÉLEVAGE 

I.  Faune  et  chasse.  —  Les  animaux  sauvages  de  l'Indo-Chine.  Pro- 
cédés de  chasse  indigènes. 

II.  Pêche.  —  Pêche  maritime  et  fluviale.   Procédés  employés  par 
les  indigènes.  Produits  de  la  pêche. 

III.  Élevage.  —  Buffles,  chevaux,  etc.  Vers  à  soie. 

I 

FAUNE   ET  CHASSE 

La  faune  indo-chinoise  est  extrêmement  variée 
et  le  chasseur  trouve  dans  la  colonie  matière  à  de 
merveilleuses  prouesses.  Le  gros  et  le  petit  gibier 
abondent. 

Les  éléphants  sont  encore  très  nombreux  dans 
certaines  régions  de  FAnnam,  du  Laos  et  du  Cam- 
bodge ;  on  en  trouve  même  encore  dans  certaines 
provinces  de  Cochinchine.  Les  Laotiens  et  les 
Cambodgiens  en  capturent  un  grand  nombre,  les 


l36  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÉME-ORIENT 

domestiquent  et  les  utilisent  pour  les  transports. 

Au  Cambodge,  dans  beaucoup  de  provinces, 
l'éléphant  est  le  seul  moyen  de  transport  qu'on 
puisse  même  employer  en  raison  de  la  nature  du 
pays. 

Les  tigres,  très  nombreux,  causent  des  ravages 
quelquefois  épouvantables  dans  les  districts  fores- 
tiers et  montagneux.  Dans  certaines  provinces,  il 
n'est  pas  rare  de  voir  des  villages  entiers  émigrer  et 
abandonner  les  cultures  à  l'approche  du  fauve.  Vers 
le  mois  de  novembre .  le  tigre  ne  se  contente  pas  de  la 
forêt  et  du  gibier  qu'elle  contient  et  on  le  voit, 
particulièrement  en  Annam,  s'aventurer  dans  la 
plaine,  sur  la  route  mandarine,  traverser  les  villages 
et  y  faire  des  victimes.  Les  indigènes  en  cachent 
d'ailleurs  soigneusement  le  nombre  par  crainte  de  la 
vengeance  du  fauve  qu'ils  entourent  d'un  respect 
superstitieux.  «  Monsieur  le  Tigre  »  (Ong  Cop)  est 
de  la  part  des  Annamites  Fobj  et  d'une  terreur  qu'il 
est  très  difficile  de  vaincre.  L'administration,  qui  a 
organisé  tout  un  système  de  prime  pour  détruire  cet 
animal,  a  d  abord  à  lutter  contre  lui  et  ensuite 
contre  l'Annamite.  Celui-ci  le  protège  dans  sa 
superstition  maladroite  jusqu'à  aller  lui  ouvrir  la 
porte  du  piège  où  par  hasard  il  s'est  fait  prendre. 


PRODUITS    d'origine    ANIMALE  î3'] 

La  panthère  est  très  commune  en  Annam,  le 
chat  sauvage,  le  chat- tigre  sont  très  abondants. 

Le  rhinocéros  se  rencontre  surtout  au  Laos  et 
dans  les  forêts  deTAnnam  et  de  l'est  de  la  Cochin- 
chine. 

L'ours  est  représenté  par  plusieurs  variétés  ;  au 
Sud  ou  trouve  le  petit  ours  à  miel  ou  ours  malais, 
au  Nord,  dans  les  montagnes  du  Tonkin,  Tours 
du  Thibet,  beaucoup  plus  gros  et  plus  fort. 

Les  sangliers  vivent  en  bandes  nombreuses,  et 
causent  de  grands  dégâts  aux  cultures  indigènes. 

On  rencontre  encore  de  nombreuses  variétés  de 
buffles  sauvages,  de  daims,  de  chevreuils  et  des 
cerfs  dont  la  chair  est  très  estimée  par  les  indigènes . 

Les  petits  mammifères  sont  légion  :  agoutis, 
lièvres,  écureuils,  porcs-épics,  pangolins  pullulent 
dans  les  forêts  et  dans  la  brousse. 

Les  singes  sont  représentés  par  un  très  grand 
nombre  d'espèces  de  toute  taille  et  de  toutes  couleurs . 
Le  macaque  ourson  à  queue  très  courte  est  spécial 
à  rindo-Chine. 

Paimi  les  oiseaux,  il  faut  citer  le  paon  qui  est 
très  commun,  de  nombreuses  variétés  de  faisans, 
de  poules  et  de  coqs  sauvages,  de  cailles,  de  per- 
dreaux, de  sarcelles,  de  bécasses,  particulièrement 


l38  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÈME-ORIENT 

au  Tonkin  de  novembre  à  mars,  de  bécassines,  de 
canards,  daigrettes,  de  grues  et  de  marabouts,  de 
pigeons  et  de  tourterelles.  Des  troupes  doies  sau- 
vages descendent  pendant  Fhivernage  du  nord  de 
la  Chine  et  se  cantonnent  au  Tonkin  et  dans  le 
nord  de  TAnnam. 

Les  marais,  les  rivières  sont  peuplés  d'animaux 
aquatiques  ;  on  y  rencontre  un  grand  nombre  d'es- 
pèces de  tortues  ;  le  Mékong  renferme  moins  de 
crocodiles  qu  autrefois,  mais  il  en  existe  encore 
cependant.  Les  rizières  contiennent  une  quantité 
énorme  de  grenouilles  et  de  crapauds.  Le  cri  du 
petit  crapaud-buffle  s'entend  de  très  loin  et  imite 
à  s'y  méprendre  le  beuglement  des  buffles. 

Citons  encore,  en  terminant  cette  rapide  énumé- 
ration,  les  serpents  très  nombreux  en  Indo-Chine 
(cobras,  serpents  bananiers,  serpent  fouet,  ser- 
pent buffle,  serpent  minute,  etc. . .)  et  les  myriades 
d  insectes  nuisibles  et  désagréables  (scorpions, 
scolopendres,  sangsues  des  bois,  termites,  mous- 
tiques, qui  peuplent  la  forêt,  la  brousse,  et  même 
les  villages,  causant  des  dégradations  sans  nombre 
aux  cultures  et  rendant  parfois  la  vie  extrèm^ement 
désagréable  aux  hommes  et  aux  animaux. 

Cette  multitude  d'animaux  procure  à  Falimen- 


PRODUITS    D  ORIGIIS^E    ANIMALE  l^() 

tation  indigène  un  contingent  très  appréciable  et 
au  commerce  des  produits  non  moins  recherchés 
(défenses  d'éléphant,  cornes  de  rhinocéros,  peaux 
et  plumes) . 

La  chasse  est  pratiquée  par  les  indigènes,  soit  à 
courre  avec  des  chiens,  soit  au  filet,  soit  à  la  haie 
avec  des  rabatteurs,  soit  à  Tare  avec  des  dards 
empoisonnés,  soit  au  piège  ou  à  TafFût.  11  ne  sera 
peut-être  pas  dénué  d'intérêt  de  donner  quelques 
détails  sur  la  manière  dont  se  pratiquent  ces  dif- 
férentes chasses. 

La  chasse  à  courre  se  pratique  pour  le  sanglier 
et  le  cerf.  Les  chasseurs,  en  général  au  nombre  de 
huit  ou  dix,  sont  armés  de  lances,  de  piques  et  de 
haches.  Us  emmènent  avec  eux  une  dizaine  de 
chiens  spéciaux  (cho-sang)  dont  la  taille  et  la  force 
sont  plus  développées  que  celles  des  chiens  ordi- 
naires ;  ces  chiens  fort  bien  dressés  obéissent  au 
son  de  la  corne  et,  quand  ils  sont  à  jeun,  montrent 
beaucoup  de  flair. 

On  surprend  ordinairement  le  gibier  au  gîte,  la 
chasse  commence  donc  de  grand  matin,  dès  Taube. 
Si  la  bête  est  surprise,  les  chiens  1  entourent  et  les 
chasseurs  la  frappent  de  leurs  armes.  Si  elle  vient 
à  éventer  la  meute  et  à  fuir,  on  la  suit,  mais  elle 


l4o  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

échappe  souvent;  il  est  juste  de  dire  que  ce  cas 
se  présente  rarement,  car  les  chasseurs  sont  ordi- 
nairement très  adroits . 

On  chasse  au  filet,  soit  les  quadrupèdes  comme 
les  cerfs,  les  daims,  etc.,  soit  les  oiseaux,  comme 
la  tourterelle,  la  bécassine,  la  sarcelle  et  une  sorte 
de  goéland  qu'on  appelle  le  con-ba-kiên 

Quand  il  s^agit  de  quadrupèdes,  la  chasse  exige 
un  personnel  assez  nombreux  de  rabatteurs.  On 
se  sert  de  deux  engins,  le  luoi-cungetleluoi-khoe, 
dont  les  mailles  sont  faites  avec  des  lanières  de 
peau  de  buffle  et  de  grosses  cordes  en  fibre  de 
coco  enduites  de  résine. 

L'engin  a  une  dizaine  de  mètres  de  long  et 
i'",5o  de  hauteur.  On  le  tend  au  débouché  d'une 
clairière  où  Ton  a  relevé  des  traces  fraîches  de 
gibier  et  les  deux  cordes  qui  encadrent  ses  bords 
sont  fixées  à  deux  piquets  solidement  plantés  en 
terre,  mais  en  s'entrecroisant  de  telle  manière  que 
le  filet  peut  se  rabattre  comme  une  porte.  Quand 
Fanimal,  traqué  par  les  rabatteurs  au  bruit  du  tam- 
tam,  du  gong,  de  la  corne  et  des  pétards,  vient 
heurter  lengin,  celui-ci  s'abat  en  enveloppant  la 
bête,  les  chasseurs  portés  à  proximité  l'abattent  à 
coups  de  lances. 


PRODUITS    D  ORIGINE    ANIMALE  I^I 

Les  luoi-koc  sont  dix  filets  rectangulaires  que 
l'on  dispose  en  angle  au  fond  d'une  clairière  en 
ménageant  une  étroite  sortie.  Le  gibier,  traqué 
comme  ci-dessus,  est  tué  à  mesure  quil  tente  de 
s'échapper  par  Touverture. 

Pour  la  chasse  à  la  tourterelle,  on  se  sert  éga- 
lement de  filets  rectangulaires  que  Ton  dispose 
au-dessus  d'un  coin  de  terre  fraîchement  remuée. 
Une  tourterelle  apprivoisée  placée  au  centre  sert  à 
attirer  les  autres  que  l'on  attrape  en  rabattant 
les  filets  sur  elles. 

Il  existe  différentes  formes  de  filets,  suivant  les 
pays,  mais  le  procédé  reste  sensiblement  le  même 
partout. 

La  chasse  à  la  haie  se  pratique  comme  la  pré- 
cédente pour  les  grands  fauves. 

Dans  la  chasse  à  l'arc  les  chasseurs  vont  deux 
par  deux.  L'un  imite  à  l'aide  d'appels  spéciaux  le 
cri  de  la  femelle  ou  du  petit  de  l'animal  dont  on  a 
signalé  la  présence,  l'autre,  muni  d'un  arc  et  de 
flèches  empoisonnées,  setient  prêta  tirer.  Dès  que 
l'animal,  trompé  par  le  cri,  apparaît,  le  chasseur  le 
tue  à  bout  portant.  Cette  chasse  n'est  pas  sans 
danger,  car  il  arrive  qu'un  tigre  trompé  lui-même 
par  le  crise  présente.  Ordinairement,  les  chasseurs 


I  \7.  NOTRE    FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

se  sauvent,  mais  si  la  fuite  est  impossible,  ils  le 
tirent,  et  il  est  heureux  pour  eux  en  ce  cas  que 
TefTet  du  poison  des  flèches  soit  foudroyant. 

La  chasse  à  dos  de  buffle  est  une  sorte  de  chasse 
à  courre  que  Ton  pratique  d'ailleurs  assez  peu 
aujourd'hui. 

Les  indigènes  se  servent  également  de  fosses  et 
de  lacets,  placés  dans  les  sentiers  fréquentés  par 
le  gibier. 

Le  khai  est  employé  pour  le  tigre  et  la  pan- 
thère. 

C'est  une  sorte  de  cage  rectangulaire  dont  les 
dimensions  varient  suivant  la  taille  de  lanimal 
qu'il  s'agit  de  capturer.  Le  bas  est  formé  par  une 
planche  à  bascule  qui  maintient  la  porte  d'entrée 
ouverte  au  moyen  d'un  déclic.  On  place  au  centre 
un  jeune  porc  ou  un  chien  en  guise  d'appât  dans 
un  compartiment  abrité  par  des  barreaux.  Quand 
le  fauve  a  pénétré  dans  la  cage  pour  l'atteindre,  il 
fait  jouer  le  déclic  et  la  porte  tombe  en  l'enfer- 
mant. 

Le  bây-lô  est  un  nœud  coulant  dissimulé  dans 
un  trou  et  attaché  à  un  pieu  ou  à  un  fort  bambou 
bandé  en  arc  :  quand  l'animal  est  pris,  le  bambou 
se  détend  et  le  maintient  en  l'air  étranglé. 


IMIODUITS     D  ORIGINE     ANIMALE  l  \'i 

II 

PÊCHE 

La  pèche  fournit  aux  indigènes  des  ressources 
alimentaires  plus  considérables  encore  et  plus 
variées  que  la  chasse.  Le  poisson  salé,  séché  ou 
frais  constitue  avec  le  riz  la  nourriture  essentielle 
de  toutes  les  populations  indo-chinoises  ;  on  en 
exporte  chaque  année  pour  une  douzaine  de  mil- 
lions de  francs. 

On  doit  distinguer  la  pêche  maritime  et  la  pêche 
fluviale . 

La  pêche  maritime  n'est  pas  pratiquée  sur  toutes 
les  côtes. 

Le  golfe  de  Siam  est  assez  pauvre  en  poissons, 
la  population  est  peu  nombreuse  et  la  mousson 
du  Sud-Ouest  y  souffle  avec  violence.  Kampot, 
Hatien,  Rach-Gia  etTîle  de  Phu-Quôc  sont  cepen- 
dant des  centres  de  pêche  importants.  La  pêche, 
sauf  à  Phu-Quôc,  n'a  pas  d'autre  but  que  de  satis- 
faire les  besoins  de  la  consommation  locale. 

A  Phu-Quôc,  elle  a  relativement  plus  d'exten- 
sion, étant  subordonnée  à  l'industrie  de  la  fabri- 
cation d'une  saumure  renommée  dans  toute  lin- 


I44  NOTRE    FRANCE    D*EXTRÈME-ORIENT 

do-Chine,  le  mioc-mâm  et  de  la  pâte  de  chevrettes 
appelée  mani-ruôc.  Duong-Lông  est  le  centre  de 
fahrication  du  nuoc-mâm,  une  centaine  d'indus- 
triels s'y  livrent  tant  que  souffle  la  mousson  du 
Nord-Est  et  emploient  à  ce  travail  plus  de  deux  cents 
ouvriers.  Ce  produit  s^obtient  en  empilant  dans 
de  grandes  cuves  en  bois  des  couches  de  poissons 
d'une  espèce  particulière,  le  ca-com,  que  Ton 
sépare  les  unes  des  autres  par  des  couches  de  sel, 
de  façon  à  obtenir  trois  parties  de  poisson  pour 
une  de  sel.  Quand  les  cuves  sont  garnies  suivant 
ces  proportions,  on  les  couvre  d'une  claie  en 
bambou  et  on  presse.  Au  bout  de  quelques  jours, 
une  liqueur  fermentée,  brune,  trouble,  à  odeur 
très  forte  commence  à  se  dégager;  l'opération  dure 
deux  à  trois  mois  environ,  pendant  lesquels  on 
soutire  le  liquide  dans  des  jarres  en  terre  vernissée 
d'une  contenance  de  quatre  à  cinq  litres.  C'est  le 
nuoc-mâm.  Pour  le  bonifier,  on  le  laisse  déposer 
au  soleil  son  excès  de  sel  et  les  détritus  organiques 
dont  il  est  chargé,  et  on  décante  à  nouveau. 

Le  mâm-ruoc  se  prépare  en  pilant  des  chevrettes 
avec  du  sel.  On  obtient  ainsi  un  produit  à  odeur 
forte,  de  couleur  rougeâtre.  On  en  expédie  la  plus 
grande  partie  au  Siam. 


PHODUITb     h  ORIGINE    ANIMALE  i  .\3 

La  pcche  est  beaucoup  plus  abondante  le  long 
des  cotes  de  Cochinchine  et  de  TAnnam  du  Sud 
sur  le  versant  de  la  mer  de  Chine.  L'existence  de 
salines  et  une  mousson  plus  douce  ont  permis  à 
des  centres  de  pêche  de  se  développer  à  Baclieu, 
Gangio,  Baria  et  tout  le  long  de  la  côte  jusqu'au 
cap  Vai'clla,  à  Phan-Tliiet,  Phan-Ri  et  Mui-né.  Ces 
côtes  sont  exceptionnellement  poissonneuses,  non 
seulement  le  poisson  y  est  abondant,  mais  encore 
d'une  qualité  tout  à  fait  supérieure. 

La  plus  grande  partie  du  poisson  pêche  est 
séché  pour  1  exportation  ou  mis  en  fermentation 
pour  la  fabrication  du  nuoc-mâm. 

La  pêche  se  fait  au  filet.  Le  luoi-rung  est  une 
sorte  de  seine.  On  en  réunit  trois  ensemble,  celui 
du  milieu  forme  poche.  Chaque  seine  ayant 
environ  70  à  i5o  mètres  de  long,  Tensemble  de 
Fengin  présente  un  développement  de  i5o  à 
3oo  mètres.  Chacune  des  deux  extrémités  libres 
est  attachée  à  une  des  barques  qui  trament  le  filet 
depuis  la  pleine  mer  jusqu'à  la  grève  en  les  rappro- 
chant légèrement  Tune  de  Tautre  de  façon  à 
donner  au  filet  la  forme  d'un  angle  rentrant  au 
sommet  duquel  se  trouve  la  poche.  Le  poisson, 
poussé  par  1  engin,  remonte  jusqu  au  sommet,  et 


I '|6  NOTRE    FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

au  moment  où  les  barques  arrivent  à  teiTe  une 
cinquantaine  de  coolies  saisissent  les  extrémités  du 
filet  et  Tattirent  sur  le  sable.  Cette  pêche  se  pra- 
tique pendant  six  mois  de  Tannée,  de  mars  à 
septembre,  et  nécessite  l'emploi  de  deux  filets  va- 
riant de  3oo  à  5oo  piastres  chacun,  de  cinq  jonques 
d'une  valeur  de  loo  piastres  chacune  et  une  bonne 
campagne  peut  rapporter  de  i.3oo  à  i.joo  pias- 
ti'es  que  le  propriétaire  partage  par  moitié  avec  les 
coolies. 

Le  pêcheur  qui  ne  dispose  pas  du  capital  néces- 
saire pour  cette  pêche  se  contente  dun  cuoi-rê. 
C'est  un  filet  à  grandes   mailles  de   lo  mètres  de 
long  sur  2  de  large.  Il  porte  sur  un  de  ses  grands 
côtés  une  ligne  de  flotteurs  qui  le  maintient  à  la 
surface  de  l'eau,  mais  à  la  différence  du  luoi-rung, 
le  bord  opposé  n'est  pas  garni  de  plomb,  ce  qui 
lui  permet  dosciller  sous  Teau  dans  tous  les  sens. 
Les  deux  bouts  du  filet  sont  en  outre  attachés  à 
deux  perches  de  bambou,   maintenues   verticale- 
ment hors  de  Teau  par  un  contre-poids  et  portant 
à  1  extrémité  supérieure  une  torche  allumée.  La 
pêche  se  pratique  la  nuit.  Quatre  propriétaires  de 
filets    se  réunissent   en    général  pour  louer  une 
embarcation,   ils  attachent  leurs  quatre  engins  à 


PRODUITS    D  ORIGINE    AiNIMALE  l/,7 

des  distances  diiTérentes  et  les  traînent  doucement 
au  large.  Le  poisson,  attiré  par  les  lumières,  se 
23récipite  contre  le  piège  tendu,  s  entortille  dans 
les  mailles  du  fdet,  d'autant  plus  sûrement  qu'il 
se  débat  davantage.  On  ne  prend  à  cette  pèche 
que  de  gros  poissons  et  chaque  saison  de  pêche 
peut  rapporter  à  chacun  des  propriétaires  des 
quatre  barques  5oo  piastres. 

Le  poisson  pris  est  salé  ou  séché,  à  moins  qu'on 
ne  Tutilise  à  la  fabrication  du  nuoc-mâm.  Le 
salage  se  fait  en  superposant  dans  de  grandes  cuves 
des  couches  de  poissons  et  de  sel.  Les  poissons 
sont  alors  soumis  à  une  forte  pression  pendant  six 
ou  sept  jours,  puis  exposés  au  soleil  pendant 
trois  jours.  3o  piculs  de  poisson  ainsi  traité 
donnent  23  piculs  de  poisson  salé,  valant  sur  le 
marché  de  Saigon  3  piastres  5o  le  picul. 

Pour  sécher  le  poisson,  on  le  fend  aussitôt  péché 
en  suivant  la  ligne  du  dos  et  en  glissant  le  couteau 
le  long  de  Tarête.  On  le  met  macérer  une  nuit  dans 
de  1  eau  salée,  le  lendemain,  on  le  lave  à  Teau 
douce,  et  on  le  sèche  au  soleil;  le  picul  de  poisson 
séché  se  vend  environ  4  piastres. 

Avec  les  petites  espèces,  on  fabrique  du  nuoc- 
mâm.     Mais  sur  les    côtes   de  Cochinchine,    on 


l4o  NOTRE     IRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

apporte  peu  de  soins  à  la  préparation  de  cette  sau- 
mure, elle  est  par  suite  peu  estimée. 

Autour  du  cap  Saint- Jacques,  on  trouve  en  abon- 
dance des  langoustes,  des  huîtres  et  des  palourdes, 
mais  ces  mollusques  ne  valent  pas  ceux  que  Ton 
pèche  en  France.    Les  langoustes  sont  petites  et 
ont  un  goût  très  particulier.  Les  huîtres  sont  petites 
et  ne  font  Tobjet  d'aucune  culture.  Elles  vivent  en 
agglomérations   compactes  sur  les  rochers  et  sont 
dans  rimpossibihté  de  se  développer.  Une  culture 
rationnelle  pourrait  seule  en  améliorer  la  qualité. 
Au  nord  du  cap  Varella  etjusqu'auThanh-hoa, 
les   pêcheries    sont   restreintes    uniquement   aux 
besoins  de  la  consommation  locale.  Il  y  a  peu  de 
bons    ports,    les    typhons    sont   fréquents    et    la 
mousson  du  Nord-Est  est  très  violente.  Les  pêche- 
ries   ne  reprennent  quà  partir    du   Than-hoa  et 
redeviennent  actives  le  long  du  delta  du  Tonkin. 
Dans    le    golfe  du  Tonkin,  les  pêcheries  font 
vivre  de  nombreuses  populations,  mais  elles  sont 
cependant  moins  rémunératrices  que  le  long  des 
côtes  cochinchinoises  ou  annamites  ;  les  bancs  de 
poissons     sont    moins    riches     et     en    outre    les 
pêcheurs    chinois    de    Haï-j\an   et    de    Pak-hoï 
viennent     faire    aux     pêcheurs     tonkinois     une 


I 


PRODl'TTS     n  ORIGINE     ANIMALE  1^9 

concurrence  redoutable,  car  ils  sont  mieux 
outilles. 

Dans  la  province  de  Quang-Yên,  la  pêche  a 
pourtant  une  très  réelle  importance,  et  indépen- 
damment des  pêcheries  indigènes  installées  sur  les 
rives,  les  jonques  chinoises  qui  viennent  à  la 
Cac-ba  pendant  la  plus  grande  partie  de  Tannée 
pour  s'y  livrer  à  la  grande  pêche  déterminent  dans 
cette  région  un  mouvement  d'échanges  qui  est  loin 
d'être  négligeable. 

Ces  jonques  restent  pendant  plusieurs  mois  sur 
les  côtes,  venant  s  abriter  la  nuit  ou  pendant  les 
mauvais  temps  dans  la  baie  de  la  Cac-ba.  Le  poisson 
péché  est  vidé,  salé  et  séché  au  fur  et  à  mesure 
de  la  capture.  De  grandes  jonques  l'emportent 
vers  Pac-Khi,  d'oià  on  lexpédie  en  Chine.  H  y  a 
des  saisons  où  il  y  a  dans  la  baie  de  la  Cac-ba  près 
de  mille  jonques  venues  des  mers  de  Chine. 

La  pêche  fluviale  produit  également  des  res- 
sources qui  viennent  s'ajouter  à  celles  de  la  pêche 
maritime.  Au  Tonkin  et  en  Annam  elle  ne  donne 
pas  lieu,  à  proprement  parler,  à  un  commerce  ; 
quoique  très  active,  elle  fournit  des  vivres  aux 
populations  locales  et  rien  de  plus. 


l5o  NOTRE    FRANCE    D'EXTRÊME-ORIENT 

C'est  en  Cochinchine  et  surtout  au  Cambodge 
qu'elle  est  au  contraire  particulièrement  abondante. 
Les  cours  d'eau  qui  sillonnent  le  pays  en  tous  sens 
sont  habités  par  des  myriades  de  poissons,  qui 
font  l'objet  d'un  commerce  très  développé. 

Pendant  toute  l'année  les  indigènes  pèchent  les 
diverses  espèces  de  poissons  à  écailles  blanches 
dites  ca-trang.  qui  servent  de  base  à  l'alimentation 
de  la  population.  Il  y  en  a  une  quai-antaine  d'espèces 
(ca-chay,  ca-duôi,  ca-phên,  ca-luon-trân,  etc..) 
qui  vivent  dans  les  grands  fleuves  ou  dans  les 
aiToyos  ayant  au  moins  trois  mètres  de  fond. 

Pendant  la  saison  sèche,  c'est-à-dire  de  février 
à  a\Til.  au  moment  de  la  baisse  des  eaux,  on  pêche 
les  poissons  de  marais  (ca-dông)  qui  comptent  sept 
ou  huit  espèces  communes  (ca-loc,  ca-bong,  ca- 
sât, ca-trê,  ca-dày,  etc.).  Ces  espèces  se  pèchent 
à  la  source  des  cours  deau,  dans  les  plaines  inon- 
dées, dans  les  cuvettes  boueuses  des  rizières,  dans 
les  étangs. 

Le  matériel  de  pêche  employé  n'a  rien  de  très 
particulier.  On  se  sert  de  filets  fixés  de  dimensions 
variables,  d  éperviers,  d'hameçons  et  de  lignes. 
Les  poissons  de  marais  sont  capturés  au  moyen 
de  nasses  et  surtout  de  clayonnages  faits  de  bam- 


PRODUITS    d'origine    ANIMALE  i5i 

bous  qui  sont  mis  en  place  au  moment  où  les  eaux 
se  retirent.  On  sèche  et  on  sale  le  poisson  quand 
on  ne  peut  le  consommer  frais. 

Dans  certaines  provinces,  Chau-Doc,  par 
exemple,  où  la  pêche  est  une  véritable  industrie, 
celle-ci  est  réglementée.  Il  existe  trois  sortes  de 
pêcheries.  Les  grandes  pêcheries  sont  affermées 
par  lEtat  à  des  particuliers  ;  les  pêcheries  de  vil- 
lages sont  aflcrmées  aux  villages  qui  les  sous-louent 
par  voie  d'adjudication,  enfin  les  mares  et  les 
fosses  sont  louées  par  les  villages.  Les  locations 
procurent  des  revenus  appréciables.  Dans  les  pro- 
vinces de  Chau-Doc  les  prix  de  location  sont 
annuellement  les  suivants  : 

Fleuve  antérieur 2.900  francs. 

Fleuve  postérieur i  .002      — 

Arroyos  de  Tra-da,  Hông-Ngu,  So- 

thuong,   So-ha 2.600      — 

Arroyo  de  Pa-Long 679      — 

Pêcheries  des  villages  et  mares  .    .    .  2i.o32      — 

De  Chau-Doc  on  exporte  chaque  année  environ 
21.000  piculs  de  poissons  frais,  7.200  piculs  de 
poissons  secs,  3,  joo  piculs  de  poissons  salés. 

Dans  la  région  du  Grand-Lac  au  Cambodge, 
Tépoque  de  la  pêche  donne  lieu  à  un  spectacle 
extrêmement  curieux  qui  a  été  d  ailleurs  maintes 


132  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

fois  décrit.  Les  pêcheurs,  annamites,  siamois, 
chinois,  arrivent  dans  les  arroyos  du  Grand-Lac 
dès  les  premiers  jours  de  décembre  pour  choisir 
leurs  emplacements,  élever  leurs  séchoirs  et  leurs 
huttes  en  bambous,  préparer  les  claies  qui  doivent 
servir  à  établii'  les  barrages.  La  forêt  voisine 
fournit  les  matériaux  nécessaires.  Une  pêcherie 
bien  organisée  comprend  un  personnel  assez  nom- 
breux, ordinairement  2J  hommes  et  une  douzaine 
de  femmes.  Les  engagements  sont  contractés  pour 
six  mois,  l'homme  est  payé  loo  francs  et  les 
femmes  5o. 

On  fournit  à  chacun  les  instruments  dont  il  a 
besoin,  1 7  kilogrammes  de  riz,  1  de  bétel,  2  de  tabac 
par  mois,  cinq  pantalons,  cinq  chemises  et  un  cha- 
peau .  Quand  les  eaux  commencent  à  baisser,  de  véri- 
tables villages  sont  construits  sur  le  lac  ;  maisons, 
séchoirs,  sanctuaires,  petits  jardins  suspendus,  rien 
n'y  manque.  On  évalue  à  une  trentaine  de  mille  le 
nombre  des  pêcheurs  et  commerçants  de  tout  genre 
qui  viennent  exercer  leur  profession  sur  le  Tonlé- 
Sap  pendant  la  saison  de  la  pêche.  La  plus  grande 
partie  du  poisson  séché  ou  salé  est  achetée  sur 
place  par  des  Chinois  et  exportée  vers  Pnom-Penh 
et  Saigon  par  la  voie  du  Mékong. 


PRODUITS    D  ORIGINE    ANIMALE  l'î-J 

On  évalue  à  2 j.ooo  tonnes  en  moyenne  la  quan- 
tité de  poisson  annuellement  exporté  d' Indo-Chine 
vers  Singapour  et  Hong-Kong  ^ 

A  ce  produit  s'ajoutent  des  envois  de  crevettes 
séchées,  de  pâte  et  de  saumure  de  poissons,  de  graisse 
et  de  colle  de  poissons,  d'ailerons  de  requins  et  de 
nids  de  salanganes  ou  hirondelles  de  mer  recueillis 
dans  les  îles  dépendant  de  Quang-Nam  (notam- 
ment dans  Tîle  de  Galao-Gham),  et  qui  sont  très 
recherchés  en  Chine.  La  qualité  la  plus  estimée, 
dite  Yen-Hayet,  se  vend  de  i^'',  10  à  i'^'',5o  les 
3o  grammes,  la  qualité  inférieure,  dite  Yen-Sao, 
vaut  o^'",8o.  On  exporte  également  en  Chine  des 
quantités  assez  notables  d'algues  marines  comes- 
tibles, recueillies  sur  les  côtes  du  nord  de  TAnnam. 


III 

ÉLEVAGE 

Avec  la  chasse  et  la  pêche,  Télevage  fournit  une 
troisième  catégorie  importante  de  produits  dori- 
gine  animale. 

^  En  1910,  on  a  exporté  26.964.808  kilogrammes  de  poissons 
secs  et  616.879  kilogrammes  de  pâtes  de  poissons  et  saumures. 


l54  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

L'élevage  des  animaux  domestiques  pourrait 
procurer  en  Indo-Chine  des  bénéfices  considéra- 
bles. Malheureusement  on  ne  pratique,  en  général, 
cette  industrie  agricole  que  d'une  manière  tout  à 
fait  rudimentaire. 

Les  principaux  animaux  que  Ton  élève  sont  les 
buffles  et  les  bœufs,  les  chevaux,  les  porcs,  quel- 
ques moutons  et  des  animaux  de  basse-cour. 

Le  buffle  est  l'animal  domestique  par  excel- 
lence. Peu  délicat,  le  buffle,  qui  aime  beaucoup 
Teau,  est  tout  désigné  pour  le  travail  dans  les 
rizières.  Très  docile  pour  les  indigènes,  de  tout 
jeunes  enfants  suffisent  à  le  conduire.  On  élève  le 
buffle  un  peu  paitout  en  Indo-Chine.  Certaines 
régions  en  exportent.  Ce  sont,  au  Tonkin,  les  pro- 
vinces voisines  du  delta,  en  Annam,  les  provinces 
de  Vinh,  du  Thanh-Hoa,  du  Ha-tinh,  du  Phu- 
Yen  et  du  Khanh-hoa.  En  Cochinchine,  on  se 
livre  assez  à  Télevage  ;  par  contre,  au  Cambodge, 
il  y  a  de  nombreux  troupeaux  de  bovidés.  Le 
marché  de  Kratié  est  particulièrement  fréquenté. 
On  y  trouve  une  race  spéciale,  pour  le  bœuf  stieng, 
qui  fournit  les   transports  d'excellents  trotteurs. 

Des  épizooties  fréquentes  sont  malheureusement 
désastreuses  pour  Télevage  des  bovidés  indo-chi- 


PRODUITS     d'origine    ANIMALE  l55 

nois,  et  leur  menace  a  fait  prendre  depuis  quelques 
années  des  mesures  pour  réglementer  et  réduire 
l'exportation. 

La  population  bovine  et  bubaline  malgré  tout 
diminue,  car  les  marchands  philippins  achètent  à 
des  prix  très  élevés  tous  les  animaux  qu'ils  peu- 
vent trouver.  Les  indigènes,  alléchés  par  Tappât 
de  gains  élevés,  vendent  inconsidérément  et  dans 
certaines  régions  manquent  maintenant  des  buffles 
nécessaires  pour  les  travaux  agricoles. 

Il  serait  à  désirer  que  Télevage  en  grand  soit 
entrepris  sans  retard.  Les  hautes  régions  du 
Tonkin  dans  les  districts  de  Gao-Bang  de  Bac-Kan, 
de  Bao-Lac  et  de  Ha-Giang  ;  en  Annam,  les  pla- 
teaux du  Lang-Biang  et  d'An-Khâ,  au  Laos  les 
plateaux  du  Tra-Ninh  et  du  Cam-Mon  et  les 
plaines  voisines  de  Savannaket  offrent  de  vastes 
étendues  herbeuses  propres  à  l'élevage. 

Certains  colons  et  le  service  zootechnique  du 
Tonkin  ont  déjà  obtenu  par  croisement  ou  par 
acclimatemement  de  races  importées  des  résultats 
encourageants.  Au  Lang-Biang,  il  y  a  actuellement 
des  vaches  provenant  d'un  croisement  de  la  race 
du  pays  avec  notre  race  bretonne,  qui  commencent 
à  être  très  appréciées  comme  vaches  laitières  en 


l56  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

Annam  et  au  Tonkin.  On  doit  souhaiter  que  les  ex- 
périences soient  poursuivies  et  développées  dans  de 
établissements  spécialement  aménagés  à  cet  effet. 

Le  cheval  annamite  est  très  résistant  et  très 
robuste.  Son  seul  défaut  est  sa  taille  très  petite  qui 
ne  dépasse  guère  l'^^O-  Le  service  zootechnique 
est  parvenu  à  obtenir  des  croisements  intéressants 
avec  des  juments  tarbaises  et  australiennes,  mais 
ces  essais  ont  jusqu'ici  été  assez  peu  nombreux,  en 
raison  des  frais  très  lourds  qui  en  résultaient. 

Le  mouton  sacclimate  très  difficilement  en 
Indo-Chine,  le  climat  est  trop  humide.  Seule  une 
race  spéciale  provenant  de  la  péninsule  malaise  a 
pu  jusqu'ici  se  développer  à  la  station  de  Yen-Dinh 
dans  le  Thanh-hoa. 

Les  porcs  sont  élevés  par  contre  à  peu  près  par- 
tout en  Indo-Chine.  On  en  exporte  même  du 
Tonkin,  de  FAnnam  et  du  Cambodge,  des  quan- 
tités considérables  vers  la  Chine  et  les  entrepôts 
de  Singapour. 

On  élève  également  beaucoup  de  poulets,  de 
canards  et  d'oies.  On  exporte  en  Chine  des  canards 
desséchés. 

Le  ver  à  soie  a  été  introduit  en  Indo-Chine  par 
les  Chinois  deux  siècles  avant  notre  ère. 


PUODLITS    D  OlUGINE     VMMALE  1^7 

Les  races  de  ver  qui  s'y  rencontrent  sont  très 
robustes,  bien  adaptées  au  climat  et  donnent  sept  à 
buit  générations  par  an.  Le  mûrier  est  en  outre  très 
abondant  partout. 

Toutes  ces  circonstances  favorables  font  que 
Télevage  du  ver  à  soie  joue  un  rôle  considérable 
dans  Féconomie  générale  de  la  colonie. 

La  sériculture  est  à  Iheure  actuelle  particulière- 
ment développée  au  Tonkin,  dans  les  provinces  de 
Bac-Giang,  de  Bac-Niah,  de  Nam-Dinh  et  de 
Ninh-Binh;  en  Annam  dans  celles  de  Than-hoa, 
de  Quang-Nam  et  de  Binh-Dinh  ;  en  Cocbinchine 
dans  celle  de  Chau-doc,  au  Cambodge  dans  les 
régions  voisines  du  Mékong. 

Le  ver  à  soie  indo-chinois  ne  fournit  en  général 
quun  petit  cocon  (i.  loo  à  1.200  au  kilogramme, 
tandis  que  pour  nos  belles  espèces  françaises  4oo 
à  l\30  suffisent)  et  en  outre  il  faut  22  à  23  kilo- 
grammes de  cocons  pour  i  kilogramme  de  soie  ; 
mais  la  soie  obtenue  a  un  très  bel  éclat. 

Les  méthodes  d'éducation  sont  fixées  par  une 
longue  routine  souvent  défectueuse.  Les  Anna- 
mites entassent  trop  de  vers  dans  leurs  paniers  et 
leur  ménagent  trop  la  nourriture.  Ces  circons- 
tances permettent  aux  maladies  —  en  particulier  à 


l58  NOTRE     FRANCE     DEXTRÊME-ORIENT 

la  pébrine  —  de  se  développer  et  de  causer  de 
grands  ravages. 

Depuis  1 90G,  r administration  s'efforce  de  fournir 
aux  sériculteurs  des  graines  débarrassées  de  tout 
germe  de  pébrine  par  des  méthodes  analogues  à 
celles  pratiquées  jadis  en  France  par  Pasteur,  et 
ses  efforts  ont  permis  d'améliorer  dune  façon  très 
notable  la  production  pendant  ces  dernières  années. 
Des  croisements  et  des  sélections  judicieuses  ont 
également  eu  pour  résultat  d  augmenter  le  poids 
des  cocons  et  leur  richesse  soyeuse.  Des  appareils 
nouveaux  et  des  méthodes  de  dévidage  perfec- 
tionnés ont  été  introduits.  On  a  réussi  à  obtenir 
des  soies  grèges  de  meilleures  qualités. 

La  production  de  la  soie  oscille  actuellement 
autour  de  i  .200.000  kilogrammes  chaque  année.  Il 
n'est  pas  douteux  que  dans  un  avenir  prochain  nos 
manufactures  métropolitaines  qui  demandent 
pour  l'instant  à  létranger  les  grèges  dont  elles  ont 
besoin,  pourront  s  approvisionner  dans  la  colonie, 
et  que  les  Etats-Unis  aussi  qui  en  achètent  beau- 
coup à  Canton  deviendront  pour  Flndo-Chine  de 
nouveaux  clients. 


CHAPITRE  VIII 

PRODUITS   D'ORIGINE   VÉGÉTALE 

FLORE.   FORÊTS.  CULTURES 


I.  Les  forêts  indo-chinoises.  —  Répartition  et  peuplement.  — 
Principales  essences. 

II.  Cultures  alimentaires  :  riz,  maïs,  manioc.  —  Cultures  colo- 
niales :  thé,  café,  poivre,  canne  à  sucre,  etc.  —  Coton  et  pro- 
duits textiles.  —  Caoutchouc. 


Au  point  de  vue  végétal,  le  paysage  indo-chinois 
présente  deux  aspects  essentiels  :  la  forêt  et  la 
rizière. 

La  prairie  représente  une  troisième  formation 
végétale,  mais  moins  caractérisée  que  la  précé- 
dente. 

La  prairie  est  d'ailleurs  souvent  mêlée  à  la  forêt. 
Sur  le  versant  laotien  de  la  Cordillère  annami- 
tique  depuis  le  plateau  des  Boloven  jusqu'au 
Lang-bian  et  sur  les  massifs  côtiers  annamites, 
on  rencontre  d'assez  vastes  étendues  de  prairies, 
mais  la  nature  géologique  du  sol  ne  convient  pas 


l6o  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÉME-ORIENT 

ordinairement  au  développement  des  graminées 
propres  à  l'élevage.  Le  tranh,  qui  constitue  la 
prairie  le  plus  ordinairement,  est  une  sorte  de 
roseau  sans  grande  valeur  nutritive  pour  le  bétail. 
La  rizière  et  la  forêt  forment  le  plus  singulier 
des  contrastes.  La  première  est  aussi  monotone 
que  la  seconde  est  variée.  En  pays  de  rizière,  la 
campagne  s'étend  à  perte  de  vue,  uniformément 
plate,  divisée  en  compartiments  par  les  digues. 
C'est  un  paysage  de  marais  salants,  sauf  qu'à  cer- 
taines époques  les  marais  deviennent  verts  et  se 
transforment  en  une  ondoyante  prairie  où  toutes 
les  gammes  de  vert  se  trouvent  successivement 
représentées. 

I 

LES  FORÊTS  INDO-CHINOISES 

La  forêt  indo-chinoise,  au  contraire,  sous  l'in- 
fluence de  rhumidité  et  de  la  chaleur  est  en  géné- 
ral luxuriante,  comme  toutes  les  forêts  tropicales. 

La  superficie  des  forêts  en  Indo-Chine  est  im- 
mense. 11  est  même  actuellement  très  difficile  de 
révaluer  d'une  façon  approximative.  Elle  couvre 
indistinctement  le  bassin  du  Fleuve  Rouge,  la  Cor- 


I 


PRODUITS    d'origine     VEGETALE  l6l 

dillère  annamitique  et  le  bassin  du  Mékong  d'un 
épais  manteau  de  verdure. 

Les  indigènes  Font  détérioré  en  de  nombreux 
endroits  par  la  déplorable  pratique  des  ray^  ou 
feux  de  brousse,  qu'ils  allument  pour  défricher 
les  emplacements  dont  ils  ont  besoin  et  aussi  par 
des  exploitations  sans  méthode  et  sans  soin. 

Elle  n'en  reste  pas  moins  dans  l'ensemble  très 
dense,  et  certains  massifs  exposés  aux  grandes 
pluies  des  moussons  et  certaines  vallées  basses  et 
humides  sont  encore  à  Fheure  actuelle  couvertes 
de  forêts  magnifiques. 

Au  Tonkin,  les  forêts  que  Ton  rencontre  entre 
la  Rivière  Claire  et  le  Song-Ghay,  entre  le  Son- 
Cau  et  le  Song-Day,  le  versant  nord-est  du  Tam- 
Dao  dans  la  région  de  Bac-Kan  et  dans  celle  du 
Pho-binh-gia,  sont  justement  célèbres  par  la  mul- 
titude des  essences  qu'elles  renferment.  L'aspect 
des  forêts  tonkinoises  n'est  pas  cependant  aussi 
beau,  ni  aussi  imposant  que  celui  des  autres  forêts 
de  rindo-Chine.  Les  schistes  et  les  calcaires  qui 
composent  la  plus  grande  partie  du  sous-sol  ne 
sont  pas  favorables  au  développement  des  gros 
arbres.  Le  plus  souvent  les  forêts  sont  élevées, 
mais  très  grêles,  même  chez  des  arbres  très  vieux. 


l6a  NOTRE    FRANCE     DEXTRÊME-ORIENT 

Le  service  forestier  a  même  dû  abaisser  au  Tonkin 
à  0,35  la  mesure  minimum  du  diamètre  exigé 
pour  Tabatage  des  ai'bres,  alors  qu'en  Cocbin- 
chine  cette  limite  est  de  0,93  et  de  i  mètre  au 
Cambodge. 

En  Annam,  les  vallées  du  cours  moyen  du  Song- 
Ma,  du  Song-Chu,  du  Song-Ca  sont  également 
couvertes  de  hautes  et  belles  forêts  ;  malheureuse- 
ment, dans  certaines  provinces  les  feux  de  brousse 
des  indigènes  en  ont  détruit  de  vastes  étendues. 

Dans  Farrière-pays  d'Annam,  dans  le  Tra-Ninh, 
au  Gam-Mon  et  au  Lang-Bian  la  forêt  est  plus 
clairsemée  ;  elle  est  souvent  éclaircie  par  des 
régions  herbeuses  que  parsèment  des  bouquets  de 
pins  et  de  diverses  espèces  de  cupulifères. 

Les  terres  rouges  des  régions  basses  de  Gochin- 
chine  oii  le  sol  est  à  la  fois  fertile  et  frais  offrent 
par  contre  de  magnifiques  types  de  forêts.  Tantôt 
les  arbres  puissants  et  forts  y  poussent  très  serrés, 
entrelacés  de  lianes  comme  dans  toutes  les  forêts 
tropicales,  tantôt  la  forêt  est  coupée  de  clairières. 
Partout  les  arbres  sont  hauts  et  droits  et  les 
espèces  très  nombreuses. 

Dans  son  ouvrage  célèbre  sur  la  Flore  fores- 
tière   de   Cochinchine^  le    botaniste   Pierre   en    a 


PRODUITS    n  OnîGTNE    VÉGÉTALE  ifi'î 

décrit  ^)i'A  difTérentes,  sans  compter  les  variclcs, 
et  la  mort  Ta  empêché  de  continuer  son  inven- 
taire 

Dans  le  nord  du  Cambodge,  entre  le  Grand- 
Lac  et  les  plateaux  du  Sud-Annam  les  forêts  rede- 
viennent plus  maigres.  Les  arbres  qui  les  peu- 
plent sont  ordinairement  résineux  et  rabougris. 
Quelques  fougères  et  une  herbe  dure  et  jaune 
tapissent  le  sol.  Cette  végétation  relativement 
pauvre  contraste  avec  la  précédente,  mais  elle 
provient  de  la  nature  gréseuse  du  sous-sol  qui 
produit  des  terrains  sablonneux  et  infertiles. 

Dans  leur  ensemble  et  malgré  la  pauvreté  — 
relative  d  ailleurs  —  de  certaines  régions,  les 
forêts  indo-chinoises  représentent  une  source  de 
richesses  naturelles  qui  mérite  d'être  aménagée 
avec  soin. 

Jusqu'ici  les  indigènes  n'ont  apporté  dans  l'ex- 
ploitation des  forêts  de  la  colonie  aucune  mé- 
thode. 

Dans  beaucoup  de  provinces  et  faute  de  sur- 
veillance, l'abatage,  qui  a  lieu  toute  Tannée, 
s'effectue  dans  des  conditions  déplorables.  On 
n'observe  aucun  principe  de  coupe  rationnelle,  ni 
de  reboisement.  L'indigène  coupe  les  arbres  vieux 


l64  NOTRE    FRANCE    D  EXTRÊME-ORIENT 

et  jeunes  sans  discernement  et  détruit  le  plus  sou- 
vent par  le  feu  les  jeunes  pousses  qui  peuvent 
subsister,  uniquement  pour  avoir  le  passage  libre 
pour  le  transport  des  gros  arbres  abattus.  On  conçoit 
combien  cette  manière  de  procéder  est  défectueuse. 
Quantités  de  districts  sont  dépeuplés  pour  long- 
temps. C'est  une  perte  très  sérieuse  pour  la  colonie 
et  en  même  temps  ce  déboisement  systématique 
cause  des  perturbations  dangereuses  dans  la 
région  des  cours  deaux  qui  prennent  leur  source 
dans  ces  régions. 

Depuis  plusieurs  années  les  services  forestiers 
et  l'administration  s'efforcent  de  réagir  contre  ces 
pratiques  dangereuses  ;  mais  dans  l'état  actuel  des 
choses,  ils  doivent  limiter  leur  action  à  la  surveil- 
lance, à  la  protection  et  à  l'aménagement  des  prin- 
cipaux massifs  forestiers.  Pour  assurer  l'exploita- 
tion méthodique  et  supprimer  aussi  bien  la  coupe 
libre  que  les  rays,  on  a  pratiqué  le  système  des 
mises  en  réserve.  Les  boisemenls  déclarés  mis  en 
réserve  par  arrêté  du  Gouverneur  général  sont 
mis  en  exploitation  méthodique.  L'exploitation 
des  coupes  dans  chaque  réserve  a  lieu  par  voie 
d'adjudication  publique  ou  par  marché  de  gré  à 
gré.  Au  3o  juin  191 1,  il  existait  en  Indo-Chine 


PRODUITS     n'orUCilNE    VÉGÉTALE  1^)5 

i8G  réserves  représentant  3(*)0.37i  hectares  et 
réparties  entre  les  diverses  colonies  de  la  façon 
suivante  : 

Cochinchinc,  81  réserves  d'une  surface  de  167.335  hectares  ; 
Cambodge,      3i        —  —  —        21.202       — 

Annam,  10       —  —         —        45-4»o       — 

Tonkin,  63       —  —         —       i36.384       — 

Ces  résultats  auxquels  s'ajoutent  de  nombreuses 
études  de  reboisements  sont  appréciables  ;  ils  sont 
malheureusement  encore  très  insuffisants  eu  égard 
à  rimmensité  des  forets  qu'il  s'agirait  de  protéger. 
Le  service  forestier  manque  d'ailleurs  de  per- 
sonnel et  dans  beaucoup  de  régions  on  a  du  se 
borner  à  cantonner  les  peuplades  nomades  dans 
des  districts  déterminés  où  elles  restent  libres  de 
continuer  à  couper  les  bois  comme  elles  Tenten- 
dent  et  à  pratiquer  leurs  «  rays  »  destruc- 
teurs . 

Ce  serait  sortir  du  cadre  de  cette  étude  que 
d'entreprendre  la  description  même  sommaire  des 
multiples  espèces  arborescentes  qui  composent  la 
foret  indo-chinoise.  Il  n'est  pas  cependant  possible 
de  ne  pas  indiquer  brièvement  quelles  sont  les 
plus  importantes  d'entre  elles  et  dont  l'exploitation 
est  commencée  et  peut  devenir  rémunératrice. 


l66  NOTRE    FRANGE     d'eXTRÉME-ORIENT 

Dans  les  forêts  du  Tonkin,  du  Nord-Annam  et 
du  Haut-Laos  ce  sont  surtout  les  cupulifères  qui 
dominent.  Ces  arbres  qui  comportent  des  sortes 
nombreuses  sont  tous  de  grands  arbres  que  l  on 
utilise  dans  Fébénisterie  et  dans  la  menuiserie, 
d'autant  plus  volontiers  qu'ils  sont  inattaquables 
par  les  insectes. 

Viennent  ensuite  les  conifères  auxquels  appar- 
tiennent les  cèdres  de  la  région  du  Ha-Giang,  les 
bois  de  cercueil,  les  pins  à  deux  feuilles  de  la 
région  de  Mon-Kay  et  de  la  province  de  Quang- 
Yen,  jDuis  les  légumineuses  mimosées,  dont  le  type 
le  plus  répandu  et  le  plus  connu  est  le  lim.  Les 
bois  de  fer  sont  employés  à  une  foule  d'usages  et 
ont  une  grande  valeur  comme  bois  d'ébénisterie 
et  d'ameublement. 

Dans  la  forêt  cochinchinoise,  la  famille  des 
diptérocarpées  fournit  des  arbres  de  dimensions 
énormes  et  particulièrement  utiles  par  la  qualité 
de  leur  bois.  Ils  comportent  de  nombreuses 
espèces  et  jouent  dans  la  production  forestière  de 
la  Gochinchine  un  rôle  analogue  à  celui  des  cupu- 
lifères dans  la  forêt  tonkinoise. 

Ce  sont  des  spécimens  de  ces  arbres  que  les 
indigènes    font    descendre    vers  la   mer    sur    les 


PRODUITS     n'oHlGINK    VÉGÉTALE  id'] 

énormes  radeaux  que  Ton  rencontre  quand  on 
remonte  les  grandes  rivières  indo-chinoises. 

L'abatage  des  arbres  a  lieu  à  la  hache  ou  au 
coupe-coupe,  assez  rarement  à  la  scie.  Les  plus 
belles  pièces,  les  troncs  des  gros  arbres  sont  mis 
de  côté  pour  servir  de  bois  de  charpente  ou  d'ébé- 
nisterie,  tandis  que  les  jeunes  arbustes  et  les 
branches  secondaires  des  gros  arbres  sont  débites 
pour  servir  de  bois  à  brûler  ou  transformés  sur 
place  en  charbon  de  bois.  Toutes  les  pièces  desti- 
nées à  être  exportées  sont  alors  réunies  sur  la  berge 
de  la  rivière  la  plus  voisine.  Là  on  les  charge  quel- 
quefois sur  des  jonques  ou  des  sampans  à  voile,  le 
plus  souvent  on  les  assemble  en  radeaux. 

La  confection  de  ces  radeaux  est  assez  délicate, 
car  la  plupart  de  ces  bois,  vu  leur  densité,  ne  peu- 
vent flotter,  on  doit  alors  se  servir  de  flotteurs  en 
bambous.  Lorsque  Tapprovisionnement  de  bois  est 
jugé  suffisant,  les  exploitants  procèdent  à  une 
coupe  de  bambous  qui,  par  exemple,  est  de  9  à 
16.000  par  stock  dc3oo  pièces  de  4  mètres.  Cette 
provision  sert  à  former,  par  paquets  et  par  couches 
légèrement  plongeantes  de  bambous  régulièrement 
superposés,  le  cadre  et  le  fond  du  radeau.  Les  bois 
sont  placés  au  centre  et  sur  toute  la  longueur  de 


l68  NOTRE    FRANCE    DEXTRÈME-ORIENT 

cet  encadrement.  Toutes  les  jDièces  sont  percées  à 
une  extrémité  et  attachés  entre  elles  et  au  cadre 
du  radeau. 

Des  pièces  légères  sont  ensuite  disposées  en  tra- 
vers sur  la  plate-forme,  réunies  bout  à  bout  au 
moyen  de  lianes  et  de  gros  cordages  en  fibres  de 
bambous  qui  entourent  complètement  le  radeau. 
La  largeur  de  ces  trains  de  bois  excède  rarement 

10  mètres,  mais  la  longueur  atteint  60,  80  et 
même  100  mètres.  Un  équipage  de  G  à  8  hommes 
s'installe  sur  le  radeau  dans  de  petites  cases  en 
bambous  et  tout  le  chargement  descend  la  rivière. 
L'abatage,  le  rassemblement  et  la  confection  d'un 
radeau  composé  de  3oo  pièces  de  bois  et  10.000 
bambous  nécessitent  en  moyenne  3  à  4  niois  de 
travail  avec  12  à  i5  ouvriers  employés  chaque 
jour. 

A  côté  des  espèces  précédemment  citées,  les 
forêts  indo-chinoises  en  renferment  d'autres  non 
moins  précieuses. 

Le  camphrier,  les  arbres  à  laque  sont  du  nombre. 

11  existe  plusieurs  espèces  d'arbres  à  laque.  L'un 
d'eux,  Tarbre  à  cochenille,  produit  la  laque  car- 
minée. Aussitôt  que  l'arbrisseau  est  assez  robuste, 
on  y  suspend  de  petites  branches  portant  des  œufs 


PHODITTS     n'oiUr.TNE    VÉGÉTALE  i^Q 

d'insectes.  L  éclosion  a  lieu  en  peu  de  semaines  et 
les  branches  disparaissent  bientôt  sous  une  couche 
épaisse  de  laque  où  sont  dissimulés  de  nombreux 
œufs.  D'autres  arbres  de  la  même  espèce  produi- 
sent par  simple  incision  de  la  gomme-gutte,  du 
stick-laque  qui  est  employé  dans  l'industrie  des 
vernis. 

La  cardamome,  qui  donne  lieu  à  un  important 
commerce,  croit  au  Cambodge  à  l'état  de  nature 
dans  les  régions  humides  de  Pursat  et  du  Thpong 
et  au  Tonkin  dans  les  districts  de  Pho-Binh-gia 
et  de  Cao-bang.  Les  indigènes  se  bornent  à  élaguer 
les  arbustes  ;  la  cardamome  du  Cambodge  est  de 
beaucoup  la  plus  estimée. 

Le  cannelier  se  trouve  en  abondance  en  Annam 
dans  la  province  de  Quang-Nam.  Les  Chinois  de 
Faï-Fo,  qui  détiennent  presque  entièrement  le 
monopole  du  commerce  de  la  cannelle,  en  expor- 
tent des  quantités  considérables  sur  Canton.  Depuis 
quelques  années,  les  Annamites  ont  fait  dans  les 
montagnes  voisines  des  plantations  de  canneliers 
et  la  cannelle  cultivée,  moins  recherchée  que  la 
cannelle  sauvage,  se  vend  encore  à  des  prix  très 
élevés  sur  les  marchés  de  la  Chine.  Là  encore 
l'Administration  a  du  intervenir  pour  réglementer 


lyo  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

Texploitation  et  Texportation  de  la  cannelle,  car  les 
indigènes  cédant  à  Fattrait  de  prix  très  élevés 
offerts  par  les  Chinois  détruisaient  sans  merci  les 
vieux  arbres  dont  Técorce  fournit  un  produit  d'un 
goût  particulièrement  fort  et  apprécié. 

Le  cu-nâu  est  une  sorte  d'excroissance  qu'on 
trouve  sur  les  racines  de  certaines  lianes.  Ce  pro- 
duit, qui  est  employé  pour  teindre  en  brun  les 
étoffes  indigènes,  est  très  recherché.  Il  est  commun 
dans  les  terrains  schisteux,  particulièrement  dans 
les  provinces  de  Yinh-Yen  et  de  Phu-To,  au 
Tonkin . 

La  badiane  ou  anis  étoile,  qui  entre  dans  la 
composition  de  lanisette  et  de  labsinthe,  donne 
lieu  à  une  production  très  irrégulière.  On  en 
recueille  actuellement  surtout  dans  les  environs  de 
Lang-Son. 

Le  benjoin,  le  vétiver  existent  à  Tétat  plus  ou 
moins  sauvage  au  Tonkin,  et  même  pour  beaucoup 
de  ces  plantes  il  est  difficile  de  distinguer  celles 
qui  croissent  naturellement  de  celles  qui  font  l'objet 
de  cultures  spéciales. 

Une  énumération  de  ce  genre  serait  très  incom- 
plète si  on  ne  faisait  une  place  importante  aux 
bambous  et  aux  arbres  à  huile. 


PRODUITS    D  ORIGINE    VEGETALE  171 

Le  bambou  se  rencontre  à  peu  près  partout  au 
Tonkin,  dans  le  nord  et  le  centre  de  TAnnam,  au 
Laos,  au  Cambodge  et  en  Gochinchine.  On  en 
compte  jusqu'à  32  espèces  que  l'on  peut  diviser 
en  trois  catégories  :  i""  le  bambou  mâle  à  nœuds 
saillants  et  puissants,  plein  sur  les  deux  tiers  à  peu 
près  de  son  épaisseur,  il  atteint  une  hauteur  d'en- 
viron 20  mètres;  2^  le  bambou  femelle  à  parois 
très  minces  ;  3°  le  bambou  hybride  qui  a  la  gros- 
seur du  bambou  mâle  et  les  autres  caractères  du 
bambou  femelle.  Comme  lui  il  est  peu  utilisable. 
Par  contre  le  premier  sert  aux  usages  les  plus 
variés.  Les  maisons  sont  pour  la  plupart  et  pour 
la  plus  grande  partie  construites  en  bambou.  On 
en  fait  des  liens  et  des  cordes,  des  treillis,  des 
paniers,  des  nattes,  des  cloisons,  on  en  construit 
des  barques  d'un  bon  marché  extraordinaire,  on 
en  fait  des  pipes  et  des  tuyaux  de  pipe,  des  cha- 
peaux, des  bâtons,  des  rames,  des  objets  sonores 
pour  les  appels  et  les  signaux,  des  ponts  pour 
passer  les  torrents,  des  bâtonnets  pour  manger  le 
riz,  des  cure-dents,  et  une  foule  d'ustensiles  domes- 
tiques. Ses  épines  et  la  haie  fourrée  qui  entourent 
les  villages  forment  de  puissantes  défenses  pour 
les  habitants  ;  on  mange  même  les  jeunes  pousses  ; 


172  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

on  Tutilise  en  un  mot  à  tant  d'usages  qu'on  peut 
se  demander  ce  que  serait  la  vie  des  Annamites 
sans  le  bambou. 

Quant  aux  arbres  à  huile,  il  en  existe  de  nom- 
breuses sortes.  Leur  exploitation  commence  à 
peine,  mais  si  Ton  considère  Timportance  des 
demandes  de  produits  oléagineux  sur  le  marché 
français  on  peut  voir  là  une  sorte  de  richesse  très 
précieuse  pour  la  colonie.  On  rencontre  au  Tonkin 
et  dans  le  Nord-Annam  Tabrasin  et  en  Gochin- 
chine  le  bancoulier  ;  le  garcinia  est  abondant  dans 
les  bassins  de  la  Rivière  Noire  et  de  la  Rivière 
Claire,  à  côté  du  stillingia  ou  arbre  à  suif  de  Chine. 
En  Cochinchine,  il  existe  des  irvingias  qui  donnent 
un  suif  végétal  très  employé  pour  la  fabrication 
des  bougies. 

A  côté  de  toutes  ces  espèces  arborescentes  qui 
se  rencontrent  à  Tétat  plus  ou  moins  spontané 
dans  les  forêts  dlndo-Chine,  il  convient  de  citer 
maintenant  un  certain  nombre  de  plantes  ou  d'ar- 
bustes cultivés  par  les  indigènes  et  que  Ton  utilise 
soit  dans  l'alimentation,  soit  dans  l'industrie. 


PRODUITS    d'origine    VEGETALE  17^ 

II 

CULTURES  ALIMENTAIRES  :  LE  RIZ 

Au  premier  rang  des  cultures  alimentaires  de 
rindochine  se  place  le  riz.  Le  riz  est  pour  ainsi 
dire  Tunique  nourriture  de  la  majorité  des  indi- 
gènes. 

Il  en  existe  une  très  grande  quantité  de  variétés. 
Une  enquête  officielle  faite  en  Cochinchine  a 
démontré  que  cette  colonie  en  renferme  plus  de 
200  espèces  définies,  ayant  chacune  une  dénomina- 
tion spéciale.  Il  est  certain  qu'au  Tonkin  et  en 
Annam  où  le  climat  et  les  terrains  sont  beaucoup 
plus  différenciés  qu'en  Cochinchine,  il  en  existe 
autant,  sinon  davantage. 

Au  point  de  vue  de  la  qualité,  on  classe  les  riz, 
soit  d'après  leur  habitat  (riz  de  plaines  ou  repiqué, 
riz  de  montagne  ou  semé  à  la  volée),  soit  d'après 
leur  consistance  après  cuisson,  riz  durs  (gâo)  ou 
gluants  (nêp),  soit  d'après  la  couleur  du  grain 
(riz  blanc,  noir,  rouge,  etc.),  soit  d'après  leur 
précocité  (riz  de  trois  mois,  ou  riz  tardif). 

Sur  le  marché  de  Cholon,  où  sont  les  grands 
entrepôts  de  riz,  le  commerce  distingue  trois  caté- 


174  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

gories  de  riz  :  le  go-cong  ou  riz  à  grains  ronds  et 
courts,  c'est  le  riz  le  plus  recherché  en  Europe,  le 
Baï-xau  ou  riz  à  grains  demi-longs  qui  est  très 
apprécié  par  les  indigènes  et  le  Vinh-long  à  grains 
longs  qui  est  le  plus  commun. 

Selon  Fétat  plus  ou  moins  avancé  de  sa  prépa- 
ration, le  riz  prend  le  nom  de  paddy  quand  le 
grain  n'est  pas  débarrassé  de  son  enveloppe,  de 
riz  blanc  quand  il  est  décortiqué,  de  riz  cargo, 
quand  une  faible  quantité  de  paddy  est  encore 
mélangée  à  du  riz  décortiqué.  Le  riz  glacé  est  du  riz 
blanc  dépelliculé  et  spécialement  traité.  On  se  sert 
et  on  exporte  même  les  brisures  de  riz. 

En  Indo-Chine,  on  trouve  des  rizières  un  peu 
partout.  Etant  donné  que  le  riz  a  besoin  d'une 
terre  fertile,  riche  en  humus,  et  de  beaucoup 
d'eau,  on  rencontre  les  plus  belles  rizières  dans 
les  deux  deltas  du  Fleuve  Rouge  et  du  Mékong, 
mais  il  y  a  de  nombreuses  rizières  ailleurs,  il  en 
existe  même  dans  les  montagnes,  où  Ton  sème  un 
riz  spécial  qui  se  contente  d'une  humidité  moindre. 
Les  indigènes,  pour  qui  le  riz  a  une  importance 
alimentaire  plus  grande  que  le  pain  chez  nous, 
plantent  en  réahté  le  riz  partout  où  ils  le  peuvent. 
Toutes  les  plaines  irriguées  naturellement  ou  irri- 


PRODUITS    d'origine    VEGETALE  175 

gables  artificiellement  lui  sont  consacrées  et  dans 
les  régions  où  le  régime  hydrographique  s'y  prête, 
au  Tonkin  par  exemple,  et  dans  le  Nord-Annam, 
on  fait  même  deux  récoltes  par  an. 

En  Cochinchine  les  rizières  occupent  en  moyenne 
une  surface  de  i.35o.ooo  hectares,  quelquefois 
davantage  (ï.494-ooo  pendant  ces  dernières 
années).  C'est  le  cinquième  de  la  superficie  totale 
de  la  colonie. 

Depuis  trente  ans  les  rizières  ont  pris  dans  la 
colonie  une  extension  considérable. 

En  1880,  on  n'en  cultivait  guère  plus  de 
5oo.ooo  hectares.  En  1890,  on  cultivait  déjà  plus 
de  85o.ooo  et  en  1900  près  de  1.200.000.  Dans 
certaines  provinces  il  ne  reste  pour  ainsi  dire  plus 
de  place  disponible,  la  rizière  occupe  entièrement 
toutes  les  terres  susceptibles  d'être  cultivées.  C'est 
le  cas  des  provinces  de  Go-CongoÙ98,8p.  100  de 
la  surface  est  en  rizières,  Travinh  (80,9  p.  100), 
Vinhlong  (76,8  p.  100).  Dans  d'autres,  la  propor- 
tion, quoique  inférieure,  reste  élevée  :  Soctranh 
(75  p.  100),  Giadinh  et  Cholon  (60  p.  100), 
Mytho  (60  p.  100),  Bentré  (09  p.  100). 

Dans  quelques  provinces  Long-Xuyen,  Rach- 
gia,  Tanan,  cette  proportion  s'abaisse  à 24,  23,  i4 


176  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

p.  100;  elle  n'est  plus  que  de  5,  4  et  2  p.  100 
dans  celles  de  Bien-Hoa,  Thudaumot  et  Tayninh, 
c'est-à-dire  dans  les  régions  septentrionales  et 
montagneuses  de  la  colonie. 

Cette  culture  pourra  prendre  un  développe- 
ment beaucoup  plus  considérable,  le  jour  où 
les  travaux  d'irrigation  nécessaires  seront  effec- 
tués. Une  superficie  égale  à  celle  actuellement 
occupée  par  les  rizières  pourrait  être  mise  en 
culture  dans  l'immense  plaine  des  Joncs,  située 
au  nord  du  Mékong  et  dans  la  plaine  marécageuse 
de  la  presqu'île  de  Camau.  De  grands  travaux  de 
drainage  et  d  irrigation  sont  actuellement  en  cours 
d'exécution  et  peut-être  est-ce  la  main-d'œuvre  qui 
viendra  à  manquer  et  à  empêcher  la  riziculture 
de  prendre  dans  ces  régions  toute  l'extension 
désirée. 

En  Annam,  les  plaines  sont  plus  rares.  La  mon- 
tagne aboutit  à  la  mer  en  beaucoup  d'endroits  et 
le  plus  souvent  il  n'y  a  le  long  du  rivage  qu'une 
mince  bande  de  terres  de  quelques  kilomètres  de 
large  seulement.  Les  embouchures  deltaïques  des 
petits  fleuves  côtiers  sont  cependant  utilisées  pour 
les  rizières.  Le  Thanh-hoa,  lelNghê-An,  le  Quang- 
rSam,  le  Binh-Dinh  renferment  des  rizières  bien 


PRODUITS    D  ORIGINE    VEGETALE  177 

cultivées,  malheureusement  exposées  aux  inonda- 
tions et  aux  raz  de  marée. 

Le  ïonkin,  bien  que  plus  peuplé  que  la  Cochin- 
chine,  comporte  une  surface  moindre  cultivée  en 
rizières  :  8  à  900.000  hectares  environ.  La  possi- 
bilité de  faire  deux  récoltes  par  an  sur  le  même 
emplacement  (cinquième  et  dixième  mois,  mai-juin 
et  octobre-novembre)  compense  la  moindre  éten- 
due des  rizières. 

Les  rizières  sont  surtout  abondantes  dans  le 
delta.  Dans  les  provinces  de  Haï-Duong.  de  Ha- 
Nam  et  de  Kièn-An  5o  p.  100  environ  de  la  sur- 
face totale  est  en  rizières,  dans  celles  de  Ha-Dong 
et  de  j\am-Dinh  cette  proportion  atteint  73  p.  100 
et  dans  celle  de  Bac-Ninh  elle  dépasse  90  p.  100. 
Dans  la  province  déjà  montagneuse  de  Haï-Duong, 
on  rencontre  encore  92  p.  100  de  la  superficie 
cultivés  en  rizières. 

Au  contraire  de  ce  qui  se  passe  en  Cochinchine, 
il  y  a  dans  le  delta  tonkinois  peu  de  terrains  dis- 
ponibles susceptibles  d'être  tranformés  en  rizières. 

On  estime  qu'on  ne  peut  guère  ajouter  plus 
de  140.000  hectares  à  la  surface  totale  des  rizières. 
Seuls  des  travaux  d'irrigation  et  d'appropriation 
des  terrains  déjà  cultivés  pourront  accroître  le  ren- 


17'^  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

dément.  Un  des  problèmes  essentiels  à  résoudre  à 
ce  point  de  vue  est  la  protection  des  rizières  contre 
les  dangers  d'inondation. 

Au  Cambodge,  le  riz  est  également  la  principale 
culture  des  provinces  de  Takeo,  Soai-Rieng,  Prey- 
veng,  Siem-Reap  et  Battambang  ;  le  Cambodge 
est  malheureusement  peu  peuplé  et  on  ne  peut 
guère  songer  pour  Tinstant  à  accroître  la  superficie 
des  rizières.  La  superficie  actuelle  des  rizières  ne 
dépasse  pas  673.000  hectares,  soit  45  5  p.  100  de 
la  surface  totale. 

Au  Laos,  il  y  a  également  dans  les  plaines  de 
nombreuses  rizières,  mais  le  riz  produit  est  con- 
sommé sur  place. 

La  culture  du  riz  la  plus  répandue,  et  qui  est 
pratiquée  dans  les  rizières  à  grands  rendements, 
comporte  des  semis  dans  des  pépinières  spéciales 
(ma)  et  le  repiquage  du  jeune  plant  dans  la  rizière. 
Ces  deux  opérations  sont  délicates  et  demandent 
quon  soit  maître  dinonder  ou  d'assécher  à  volonté 
la  rizière,  d  autant  plus  que  si  le  riz  a  grand  besoin 
d'eau,  Texcès  d'humidité  lui  est  tout  aussi 
nuisible.  Il  faut  pouvoir  inonder  la  rizière  avant 
les  labours  qui  se  font  quand  la  terre  est  trans- 
formée en    boue  liquide    et    après   le   repiquage 


PRODUITS     D  ORIGINE     VEGETALE  179 

pendant  deux  on  trois  mois.  Il  faut  également 
pouvoir  Tassccher  à  Tépoque  de  la  maturation  et 
de  la  récolte.  Le  temps  de  la  végétation  dure 
quatre  à  cinq  mois  et  dans  certaines  régions, 
en  combinant  très  exactement  Tépoque  des  semis 
et  de  la  végétation,  on  peut  faire  deux  récoltes. 
Dans  les  pays  où  la  topographie  ne  permet  pas 
une  irrigation  facile,  on  remplace  Tune  des 
deux  cultures  de  riz  par  une  autre  culture  vivrière, 
patates,  maïs  ou  par  du  coton. 

En  Cochinchine,  la  récolte  du  premier  moi  (jan- 
vier-février) est  de  beaucoup  la  plus  forte.  Une 
seconde  récolte  de  riz  liàtif  a  lieu  ordinairement 
vers  le  septième  mois  (août-septembre) .  Dans  le 
Nord-Annam  et  au  Tonkin  on  fait  deux  récoltes  au 
cinquième  mois  (mai-juin)  et  au  dixième  mois 
(novembre).  Quand  elle  nest  pas  contrariée  par  des 
inondations,  ou  des  typhons,  cette  dernière  récolte 
est  la  plus  importante.  Dans  FAnnam  du  Centre  et 
du  Sud,  les  deux  récoltes  ont  lieu  pendant  le  troi- 
sième mois  (avril)  et  le  huitième  mois  (septembre- 
octobre)  . 

Le  rendement  varie  suivant  les  régions  et  sui- 
vantes années.  On  considère  généralement  comme 
satisfaisant  un  rendement  de  2.000  kilogrammes 


l8o  NOTRE    FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

de  paddy  à  rhectare  en  Goehinchine,  mais  il  y  a 
des  régions  où  on  doit  se  contenter  de  rendements 
inférieurs  (800  kilogrammes)  tandis  que  dans 
d'autres  on  obtient  jusqu'à  4.000  kilogrammes. 

Le  prix  est  également  très  variable.  Au  Tonkin, 
le  riz  vaut  de  i  piastre  25  à  2  piastres  le  picul, 
c'est-à-dire  de  5  à  9  francs  les  too  kilogrammes. 
Sur  le  marché  de  Cholon,  le  riz  vaut  ordinairement 
8  francs  les  100  kilogrammes. 

Le  riz  de  montagne  est  cultivé  par  les  Mois  et 
les  Muongs  de  la  Chaîne  annami tique.  Il  donne  lieu 
à  des  opérations  beaucoup  moins  compliquées.  On 
le  sème  à  la  volée.  Le  riz  pousse  d'une  manière 
beaucoup  plus  irrégulière  et  donne  par  suite  des 
rendements  moins  élevés. 

La  culture  du  riz  dans  les  régions  rizicoles 
occupe  tous  les  Annamites  y  compris  les  femmes 
et  les  enfants.  Les  hommes  labourent,  les  enfants 
conduisent  les  buffles,  les  femmes  repiquent,  tout 
le  monde  collabore  à  la  récolte.  Le  nhaqué  anna- 
mite s'est  ingénié  à  mettre  en  valeur  le  plus  de  ter- 
rain possible.  Pour  irriguer  des  rizières  il  a  inventé 
de  multiples  appareds. 

Dans  certaines  régions,  des  norias  à  pédales,  des 
roues  élévatoires  mues  par  des  bœufs  ou  par  le 


PRODUITS    d'origine    VÉGÉTALE  l8l 

coiiraiil,  des  pîmiers  munis  de  longues  cordes, 
balancées  par  deux  ouvriers  selon  une  cadence 
régulière,  servent  à  élever  et  à  transporter  Teau 
dans  la  rizière. 

Divers  colons  ont  déjà  chercher  à  utiliser  de 
puissantes  pompes  rotatrices  pour  irriguer  des 
plaines  jusqu'ici  dépourvues  d'eau,  des  semeuses 
permettant  d'éviter  le  repiquage,  des  moisson- 
neuses. 11  est  certain  que  les  procédés  de  culture 
pourraient  être  améliorés  et  on  ne  peut  que  féli- 
citer rAdmiiiistration  d'avoir  Fan  dernier  permis 
rentrée  en  franchise  de  douane  des  machines  agri- 
coles (d'origine  américaine  notamment)  servant  à 
la  culture  du  riz,  il  y  a  dans  leur  introduction  en 
Indo-Chine  et  dans  leur  vulgarisation  un  moyen 
précieux  pour  augmenter  le  rendement  des  cul- 
tures. 

Le  riz  produit  est  consommé  sur  place  ou 
exporté. 

Pour  l'Annamite,  le  riz  dur  est  Faliment  par 
excellence.  An  Com^  qui  correspond  en  annamite 
à  ridée  de  manger,  signifie  littéralement  manger 
du  riz  cuit.  Les  pauvres  le  consomment  cuit  à 
Teau  avec  quelques  légumes  et  un  peu  de  nuoc-mâm 
ou  saumure    de   poissons.    Les  riches  y  ajoutent 


l8'2  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

quelques  mets  plus  compliqués  empruntés  à  la 
cuisine  chinoise.  Mais  le  riz  constitue  toujours  au 
moins  la  moitié  de  la  masse  alimentaire. 

Le  nép  ou  riz  gluant  sert  à  la  distillation  de 
Talcool,  on  en  fait  également  du  vermicelle,  de 
la  pâtisserie  et  de  la  colle. 

Parmi  les  grands  pays  producteurs  de  riz  Tlndo- 
Ghine  figure  au  second  rang,  très  près  derrière  la 
Birmanie.  Le  tableau  ci-après  indique  en  tonnes 
les  quantités  de  riz  exportées  pendant  ces  dix 
dernières  années. 


EXPORT.*.TIO>S    VERS 

ANNÉES 

EXP0RT.VT10>S    TOT.*.LKS 

hK  FRANCE  ET  LES  COLONIES 

1900.    .    .    . 

915.637 

162.609 

1901. 

912.434 

205.729 

1902. 

i.ii5.6oi 

218.709 

1903. 

676.019 

90 . 000 

1904. 

965.607 

239.754 

1905. 

622.037 

153.933 

1906. 

740.484 

171.019 

1907. 

I .428.121 

191 .422 

1908. 

1.234.003 

198,270 

1909. 

I .095.855 

268.755 

1910. 

1 .269.516 

284.794 

1911. 

858. 453^ 

204 . 962 

^   Par  suite  de  la  mauvaise  récolte. 

L  industrie  exporte  en    somme   peu   de    riz  en 


PRODUITS    D  ORIGINE    VEGETALE  i8^ 

France.  Le  riz  du  Tonkin  est  dirigé  ordinairement 
vers  Hong-Kong. 

Depuis  quelques  années,  il  en  vient  davantage  en 
France  (29.G00  tonnes  en  1908,  53.joo  en  1909). 
Ceux  de  Cochinchine  sont  expédiés  également 
pour  les  2/3  vers  Hong-Kong,  les  Philippines  et 
au  Japon. 

En  France  on  préfère  pour  la  consommation 
les  riz  de  Java  ou  d  Italie;  le  riz  indo-chinois  qui 
y  est  importé  sert  dans  les  distilleries,  les  amidon- 
neries,  les  féculcries  et  pour  la  nourriture  des 
volailles.  Pour  que  le  riz  dindo- Chine  se  crée  une 
place  plus  considérable  sur  le  marché  métropolitain, 
il  faudrait  exiger  des  producteurs  annamites  plus 
de  soins  dans  le  choix  de  leurs  semences.  Il  reste 
encore  beaucoup  à  faire  dans  cet  ordre  d'idées. 

Le  riz  est  la  principale  culture  alimentaire  des 
Annamites,  il  n'est  pas  la  seule.  Depuis  quelques 
années  le  maïs  a  pris  au  Tonkin  un  très  grand  déve- 
loppement. En  1904,  on  nen  exportait  que 
107  tonnes,  en  1910  on  en  a  exporté  près  de 
100.000.  Sa  production  tend  d  ailleurs  à  se  géné- 
raliser et  à  s'étendre  à  toute  1  Indo-Chine. 

On  le  cultive  dans  les  plaines  trop  élevées  pour 
pouvoir  être  facilement  irriguées,  sur   les  pentes 


l8/,  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

fertiles  et  aussi  dans  les  rizières  après  la  récolte  du 
riz.  Dans  les  terres  nouvellement  défrichées  c  est 
la  céréale  que  Ton  plante  de  préférence  à  toute  autre. 
Il  en  existe  de  nombreuses  variétés.  Chez  les 
Muongs  il  existe  une  sorte  de  maïs  qui  est  remar- 
quable par  la  hauteur  de  sa  tige  qui  atteint  parfois 
4  mètres.  On  a  même  introduit  cette  espèce  dans 
le  midi  de  la  France  il  y  a  quelques  années  comme 
maïs-fourrage,  elle  a  donné  des  rendements  supé- 
rieurs aux  meilleurs  maïs  mexicains.  On  cultive 
ordinairement  deux  espèces  de  maïs  ;  le  bap-nêp 
dont  le  grain  blanc  devient  gluant  après  cuisson  et 
le  bap-giang  dont  Tépi  porte  à  la  fois  des  grains 
blancs  et  des  grains  rougeâtres.  On  consomme  de 
préférence  le  premier  sous  forme  de  galette  sucrée, 
dure  et  cassante.  Il  y  a  quelques  années,  TAdmi- 
nistration  avait  essayé  d  introduii^e  en  Cochincliine 
une  espèce  de  maïs  d  Europe,  à  gros  gi^ains, 
mûrissant  bien,  et  donnant  d'excellente  farine. 
Mais  ce  grain  peu  gluant  et  peu  sucré  n'a  pas  eu 
de  succès  auprès  des  indigènes  qui  voient  dans 
cette  plante  plutôt  une  friandise  qu'un  aliment. 
Dans  certaines  provinces,  le  maïs  se  récolte  encore 
vert  et  tendre,  un  peu  avant  la  pleine  maturité  et 
on  le  consomme  immédiatement.  On  le  cuit  dans 


PRODUITS     DOHIGINE    VEGETALE  l85 

l'eau,  encore  enveloppé  de  sa  feuille  et  on  le  mange 
à  même  sa  raffle.  Quelques-uns  le  font  griller  sur 
les  charbons. 

Le  rendement  de  cette  céréale  est  avantageux. 
Chaque  tige  en  terrain  propice  et  bien  cultivé  donne 
ordinairement  deux  épis.  Un  hectare  de  maïs 
rapporte  environ  4oo  kilogrammes  qui  se  vendent 
à  raison  de  7  à  8  francs  les  100  kilogrammes. 

Il  nexiste  guère  en  Indo-Chine  d'autres  céréales 
qui  fassent  Fobjet  d'une  culture  régulière.  On  a 
tenté  à  plusieurs  reprises  de  semer  du  blé,  de  1  orge, 
du  seigle,  de  lavoine  dans  les  hautes  régions  du 
Tonkin.  Ces  cultures  n'ont  présenté  aucun  intérêt. 
Quelques  blés  indigènes  seuls  sont  cultivés  dans 
la  région  de  Cao-Bang.  En  quelques  endroits,  on 
sème  également  du  millet  et  du  sarrazin  pour 
Talimentation. 

Par  contre,  les  Annamites  cultivent  pour  leur 
alimentation  beaucoup  de  plantes  à  rhizomes  ou  à 
tubercules  féculents. 

Le  manioc,  que  Ton  utilise  pour  la  fabrication 
du  tapioca,  est  lobjet  d'une  véritable  culture  dans 
les  terres  sèches  du  Tonkin,  de  FAnnam  et  du 
Cambodge.  Les  patates  occupent  les  terrains 
pauvres,  sablonneux.  On  en  plante  beaucoup  au 


l86  NOTRE     FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

bord  de  la  mer.  On  en  cultive  également  souvent 
dans  les  rizières  quand  la  sécheresse  ou  le  manque 
de  temps  ne  permet  pas  de  préparer  une  seconde 
récolte  de  riz.  Certaines  variétés  de  haricots  (dau- 
xanh)  sont  également  très  répandues  et  servent  à 
des  farines  ou  des  pâtes  alimentaires. 

Les  légumes  et  les  fruits  sont  très  abondants  et 
très  variés,  paiticulièrement  au  Cambodge  et  en 
Cochinchine. 

Les  bananiers  sont  cultivés  autour  de  toutes 
les  maisons,  les  ananas  poussent  à  1  état  sauvage 
au  ïonkin  et  en  Annam.  Mangues,  mangoustans, 
letchis,  oranges,  mandarines,  goyaves,  limons, 
pamplemousses,  pommes-cannelles,  jujubes  sont 
très  communs.  Certains  fruits  qui  répugnent  aux 
Européens  sont  au  contraire  très  appréciés  des  indi- 
gènes. Le  fruit  dujacquier  etle  durian.  quine pous- 
sent guère  qu'en  Cochinchine  et  au  Cambodge,  se 
reconnaissent  de  loin,  quand  ils  ne  sont  pas  frais,  à 
leur  odeur  repoussante.  La  carambole  avec  laquelle 
on  fait  des  confitures  est  trouvée  trop  acide  par  les 
Européens.  Les  fruits  de  nos  pays  s  acclimatent  très 
difficilement  et  c  esta  grandpeine  que,  dans  certai- 
nes régions,  on  a  pu  obtenir  quelques  raisins  de 
table  et  des  fraises,  à  Nui-chua-chang  par  exemple. 


PRODUITS   d'ohigine   végétalk  i «'^7 

Les  cultures  dites  coloniales  sont  représentées 
en  Indo-Chine  par  le  thé,  le  café,  la  canne  à  sucre 
et  le  poivre. 

Le  thé  vient  très  bien  en  Annam  dans  le  Ha- 
tinh  et  le  QuangNam,  et  au  Tonkin  dans  le  Phu- 
Tho,  le  jNinh-Binh  et  le  Bac-Giang.  Sa  produc- 
tion est  déjà  considérable  et  on  exporte  en 
France  des  quantités  très  appréciables  :  029.909 
kilogrammes  en  1910.  Mais  cette  culture  pren- 
drait une  extension  beaucoup  plus  grande  si  le 
thé  entrait  en  franchise  de  douane  dans  la  Métro- 
pole et  si  la  qualité  des  thés  expédiés  était  meilleure. 
Malheureusement  à  ce  point  de  vue  le  théd'Annam 
laisse  en  général  beaucoup  à  désirer.  Les  procédés 
de  culture  sont  en  effet  par  trop  défectueux  et 
primitifs  dans  certains  districts.  Le  cultivateur 
ne  sai'cle  presque  jamais  sa  plantation  et  ne  la 
fume  pas.  11  se  contente  d'élaguer  Tarbuste  de 
façon  à  le  rendre  touffu  et  à  empêcher  sa  hauteur 
de  dépasser  i"',2o,  i"\5o,  puis  il  se  borne  à 
enfouir  au  pied  de  l'arbre  les  branches  élaguées 
et  les  feuilles  impropres  à  la  consommation,  pré- 
tendant que  c  est  là  le  meilleur  des  engrais.  11  con- 
viendrait en  outre  d'apporter  au  sélectionnement 
et  au  triage  des  feuilles  plus  de  discernement.  Le 


l88  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

peu  de  soin  apporté  à  la  dessiccation  et  à  la  fer- 
mentation rend  aussi  la  conservation  du  produit 
souvent  très  difficile.  Dans  certaines  provinces 
tonkinoises  (Phu-Tho)  on  tend  heureusement  à 
réagir  contre  ces  méthodes  défectueuses.  Depuis 
quelques  années  la  culture  du  thé  a  pris  un  grand 
développement  dans  les  huyên  de  Gamkhé  et  de 
Thanh-ba  ;  des  colons  européens  ont  initié  les 
indigènes  aux  meilleurs  procédés  de  taille  des 
arbustes,  de  cueillette  et  de  préparation.  Ils  ont  en 
outre  assuré  lécoulement  des  récoltes  en  en  ache- 
tant la  totahté  aux  indigènes  et  les  résultats  obtenus 
ont  été  des  plus  encourageants. 

Le  café  a  été  introduit  en  Indo-Chine  lors  des 
premières  interventions  françaises.  Il  est  cultivé  au 
Tonkin  et  dans  quelques  districts  de  TAnnam 
(Quang-Tri,  Quang-lNam  et  Binh-Dinh)  ;  mais  les 
tentatives  de  culture  en  grand  n'ont  pas  très  bien 
réussi.  Les  planteurs  ont  à  lutter  contre  un  para- 
site, le  borer,  que  F  on  n'est  pas  encore  parvenu  à 
combattre  efficacement. 

La  canne  à  sucre  est  cultivée  dans  tous  les  pays 
del  Indo-Chine.  etplusparticulièrementenAnnam, 
au  Cambodge  et  dans  la  Cochinchine  orientale.  A 
1  aide  de  presses  verticales  actionnées  par  des  buffles 


PRODUITS    d'origine    VÉGPÎTÀLE  189 

les  indigènes  en  extraient  un  marc  noir  et  grossier, 
présenté  sous  forme  de  galettes  que  l'on  exporte 
en  Chine. 

On  extrait  également  du  sucre  du  palmier  à 
sucre  du  Cambodge.  L'exportation  des  sucres 
indo-chinois  vers  la  Chine  varie  entre  2.000  et 
7.000  tonnes;  mais  le  commerce  total  entre 
l'Annam  et  le  Tonkin  est  beaucoup  plus  considé- 
rable, on  révalue  de  i5  à  20.000  tonnes. 

L'Indo-Chine,  etparticuhèrement  le  Cambodge, 
produit  beaucoup  de  poivre.  On  en  cultive  aussi 
en  Coclîinchine  (^Hatien  et  Baria)  et  dans  TAnnam 
central  ;  mais  cette  culture  n'est  pas  très  rémuné- 
ratrice, la  production  excédant  souvent  la  demande. 
Les  détaxes  dont  ce  produit  a  bénéficié  pendant 
quelques  années  à  son  entrée  en  France  a  favorisé 
l'extension  des  poivrières,  mais  une  crise  de  sur- 
production n'a  pas  tardé  à  éclater  et  actuellement 
la  culture  des  poivrières  ne  peut  redevenir  rému- 
nératrice qu'à  condition  de  chercher  de  nouveaux 
débouchés  à  l'étranger. 

Aux  cultures  alimentaires,  on  peut  rattacher 
sans  exagération  celles  du  tabac,  de  la  noix  d'arec 
et  du  bétel,  car  ces  produits  jouent  un  rôle  consi- 
dérable dans  la  vie  quotidienne  des  indigènes. 


igo  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÈME-ORIENT 

En  Indo-Chine  toutes  les  populations  indigènes 
fument.  Les  principaux  centres  de  production  du 
tabac  sont  les  terres  rouges  de  la  Cochinchine 
orientale,  les  provinces  de  Phu-\en,  Binh-Dinh, 
Quang-Ngai,  Quang-Tri  et  Quang-Binh  en  Annam, 
de  Haï-Duong  au  Tonkin,  de  Vientiane  et  de 
Kampot  au  Laos  et  au  Cambodge.  Certains  tabacs 
du  Laos  et  de  FAnnam  ont  même  une  certaine 
réputation.  Pendant  ces  dix  dernières  années,  la 
production  du  tabac  a  quintuplé  en  Cochinchine 
et  au  Cambodge.  Elle  pourait  prendre  un  dévelop- 
pement beaucoup  plus  considérable.  La  Direction 
générale  des  Manufactures  de  F  Etat  songe  à  uti- 
liser les  tabacs  indo-chinois  ;  une  commission 
d'études  a  été  instituée  à  cet  effet,  il  y  a  deux  ans, 
et  on  espère  arriver  à  des  essais  qui  donneront 
satisfaction. 

L'aréquier  fait  partie  du  paysage  annamite.  Il 
est  peu  de  villages  autour  desquels  on  ne  voit  se 
dresser  le  tronc  lisse  et  droit  des  aréquiers.  C'est 
sa  noix  que  Fon  mâche  avec  le  bétel.  La  grappe 
sort  en  un  magnifique  bouquet  vert  et  blanc  qui 
répand  une  odeur  très  suave  et  enivrante,  compa- 
rable à  celle  de  Foranger.  Un  ai^équier  met  cinq  à 
six  ans  à  venir  avant  de  rapporter  ;  k  paitir  de  cet 


I 


PRODUITS    D  ORIGINE     VEGETALE  191 

âge  il  donne  trois  ou  quatre  grappes  par  an.  Cet 
arbre  est  très  sensible  à  Feau  et  aux  courants  d'air 
de  certains  vents  ;  trois  jours  d'inondation  suffisent 
pour  le  faire  périr.  Son  fruit  se  mâche  vert  ou 
séché,  suivant  Tépoque,  seul  ou  avec  du  bétel. 

Le  bétel  est  presque  toujours  cultivé  à  côté  de 
Taréquier.  C'est  une  sorte  de  lierre  dont  les  Anna- 
mites mâchent  la  feuille  avec  un  peu  de  chaux  et 
un  quartier  de  noix  d'arec.  La  mastication  du 
bétel  produit  un  goût  frais,  piquant,  très  agréable 
pour  ceux  qui  y  sont  habitués.  La  salive  devient 
rouge,  couleur  de  sang,  les  nerfs  se  sentent 
stimulés,  tandis  qu'une  douce  chaleur  se  répand 
dans  tout  le  corps  et  le  repose.  Les  Annamites  en 
font  un  article  de  cérémonie  et  ne  manquent  pas 
d'en  offrir  aux  étrangers  qui  viennent  les  visiter 
ou  aux  amis  qu'ils  rencontrent  chemin  faisant.  Il 
nest  pas  un  Annamite  qui  n'en  ait  dans  sa  cein- 
ture ou  dans  un  sachet  quelques  boules.  On  plante 
beaucoup  de  bétel.  La  feuille  se  cueille  au  fur  et 
à  mesure  des  besoins.  Elle  ne  peut  que  se  con- 
sommer fraîche,  après  sept  ou  huit  jours  elle  ne 
vaut  plus  rien.  La  culture  du  bétel  est  assez  lucra- 
tive, mais  elle  exige  beaucoup  de  soins.  Un  hec- 
tare produit  une  quantité  de  feuilles  d'une  valeur 


19^  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

approximative  de  25o  francs.  Les  plantations  de 
bétel  doivent  être  renouvelées  tous  les  trois  ans. 

Les  principales  cultures  industrielles  de  Flndo- 
Chine  sont  celles  des  textiles,  des  oléagineux  et 
des  plantes  à  caoutchouc. 

En  tête  de  tous  les  textiles  figure  le  coton.  On 
en  cultive  deux  espèces  spéciales  :  le  Gossypium 
herbaceum  au  Tonkin,  en  Annam  et  en  Cochin- 
cliine,  le  G.  hirsutum  au  Cambodge. 

Le  cotonnier  herbacé  se  présente  sous  deux 
formes  :  le  bong-tàu  ou  cotonnier  chinois  a  de 
0,80  à  I  mètre  de  haut,  le  bong-se  ou  coton- 
nier du  pays  est  plus  petit,  0,23  à  0,60.  La 
production  du  Tonkin  et  de  F  Annam  est  variable. 
Elle  oscille  autour  de  i.ooo  tonnes  par  an.  Celle 
du  Cambodge  est  beaucoup  plus  importante  : 
elle  atteint  7  à  8.000  tonnes  chaque  année.  Le 
cotonnier  est  cultivé  surtout  sur  les  rives  du 
Mékong,  dans  la  province  de  Kompong-Cham. 
On  en  trouve  aussi  au  Laos,  mais  sa  culture  y  est 
limitée  en  raison  du  peu  de  densité  de  la  popula- 
tion. 

Le  coton  herbacé  a  des  soies  courbes  qui  ne 
pourraient  convenir  aux  filatures  françaises,  mais 


PRODUITS    D  ORIGINE    VEGETALE  19^ 

que  les  filatures  du  Tonkin  utilisent  parfaitement. 

Le  coton  du  Cambodge  fournit  également  une 
soie  assez  courte,  mais  de  belle  couleur  et  frisant 
facilement.  Sur  le  marché  de  Hong-Kong,  cette 
particularité  lui  fait  obtenir  un  cours  de  2  piastres 
plus  élevé  parpicul,  que  les  cotons  dellnde.  Très 
apprécié  à  Hong-Kong  et  au  Japon,  il  le  serait 
également  en  France,  si  les  quantités  produites 
étaient  suffisantes  pour  conquérir  une  place  sur 
notre  marché. 

La  ramie,  dont  on  se  sert  pour  la  fabrication 
des  filets  de  pêche,  est  cultivée  dans  toute  llndo- 
Ghine  et  particulièrement  sur  la  Rivière  Noire, 
dans  le  nord  de  l'Annam  et  dans  le  Laos.  La 
consommation  locale  excède  d'ailleurs  de  beaucoup 
la  production  indigène. 

Le  jute  trouverait  en  Indo-Chine  des  débouchés 
considérables.  On  s'en  sert  pour  fabriquer  des 
cordes,  notamment  la  trame  des  nattes  ou  des  sacs 
destinés  à  Femballage,  il  n'est  malheureusement 
cultivé  que  dans  quelques  districts  du  Tonkin,  si 
bien  que  Flndo-Chine  est  obligée  d'importer 
chaque  année  de  Singapore  pour  plusieurs  mil- 
lions de  francs  de  gunnies  (sacs  de  jute  pour  le  riz 
et  le  poivre),  fabriqués  avec  les  jutes  de  Flnde. 

i3 


194  NOTRE    FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

Le  chanvre  est  cultivé  dans  le  jNord-Annam, 
le  Haut-Tonkin  et  au  Laos,  mais  en  petite  quantité. 

On  a  songé  à  exploiter  pour  la  production  des 
fibres  textiles  les  immenses  peuplements  de  bana- 
niers sauvages  qui  existent  dans  les  hautes  vallées 
du  Tonkin,  mais  jusqu'ici  les  essais  qui  ont  été 
tentés  n'ont  pas  donné,  semble-t-il,  des  résultats 
satisfaisants. 

L'abaca  est  une  sorte  de  bananier  qui  croît  en 
grande  quantité  aux  Philippines.  Il  donne  une 
fibre  textile  extrêmement  longue  et  résistante,  une 
fibre  a  parfois  plus  de  2  mètres  de  long  et  peut 
supporter  un  poids  de  4  kilogrammes.  L'abaca 
est  employé  dans  la  fabrication  des  câbles,  courroies 
de  transmission.  L'Amérique  et  F  Australie  en 
achètent  des  quantités  considérables.  Cette  plante 
était  jadis  inconnue  au  Tonkin.  Elle  y  a  été  intro- 
duite par  un  planteur.  L'abaca  donne  un  rende- 
ment très  rémunérateur.  On  sème  en  place  ou  on 
replante.  Au  bout  d'un  an  on  peut  commencer 
à  couper. 

Aux  plantes  énumérées  ci-dessus,  il  convient 
d'ajouter  le  coir,  produit  fibreux  qui  entoure  la 
noix  de  coco  et  qui  est  très  demandé  par  1  indus- 
trie de  la  corderie  et  de  la  brosserie. 


I 


PRODUITS    D  ORIGINE    VEGETALE  igS 

Notons,  enfin,  dans  le  même  ordre  d'idées,  que 
les  matériaux  de  rembourrage  sont  très  nombreux 
en  Indo-Chine.  Le  kapok  fourni  par  des  Erioden- 
dron  et  des  Bombax  du  Cambodge,  de  la  Cochin- 
chine  et  de  FAnnam  est  très  demandé  depuis 
quelques  années. 

La  sparterie  utilise  également  des  quantités 
importantes  de  rotins,  de  lataniers  fpour  la  fabri- 
cation de  chapeaux  annamites  et  de  manteaux 
imperméables  et  de  joncs  pour  la  fabrication  des 
nattes).  On  trouve  des  joncs  à  nattes  en  très 
gi'ande  quantité  dans  les  provinces  maritimes  du 
Tonkin  et  de  la  Cochinchine. 

Nous  avons  précédemment  indiqué  quelles  étaient 
les  espèces  arborescentes  figurant  dans  les  forêts 
indo-chinoises,  d'où  on  tirait  des  produits  oléagi- 
neux. La  flore  de  Flndo-Chine  comporte  d'autres 
plantes  cultivées  produisant  des  huiles  et  graisses 
végétales  très  employées  sur  place  et  très  deman- 
dées sur  les  marchés  étrangers. 

Le  cocotier,  cultivé  surtout  en  Cochinchine, 
au  Cambodge,  le  long  du  Mékong  et  dans  tout 
IWnnam  central  et  méridional,  a  déjà  été  cité 
à  propos  de  la  production  du  coir.  Le  coprah  quil 
fournit  et  dont  on  retire  une  huile  très  employée 


196  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÉME-ORIENT 

dans  rindustrie  est  exportée  d'Indo-Ghine,  à  rai- 
son de  5.000  tonnes  par  an. 

On  cultive  le  ricin  dans  toute  la  colonie,  parti- 
culièrement au  Tonkin,  le  sésame  au  Cambodge, 
les  arachides  dans  le  Centre- Annam.  L'arachide, 
autrefois  très  cultivée  dans  les  terres  hautes,  dis- 
paraît. Elle  est  attaquée  depuis  plusieurs  années 
par  une  maladie  qui  en  diminue  beaucoup  le  ren- 
dement et  la  vulgai'isation  du  pétrole,  qu'on  subs- 
titue partout  à  Thuile  d'arachide  pour  Téclairage, 
est  une  cause  d'abandon  de  cette  culture. 

En  dehors  des  textiles  et  des  oléagineux,  on 
cultive  encore  en  Indo-Chine  des  arbres  à  caout- 
chouc. Les  plantations  se  sont  beaucoup  déve- 
loppées pendant  ces  dernières  années.  Les  essais 
de  Cereas  et  de  Castilloas  ont  donné  des  résultats 
assez  médiocres,  mais  les  ficus  elastica  et  les  hévéas 
ont  bien  réussi  dans  le  Nord-Annam,  au  Tonkin, 
et  surtout  dans  les  terres  rouges  de  Cochinchine  \ 

Les  premiers  essais  de  plantations  remontent 
à  une  quinzaine  d'années  ;  mais,  au  début,  on 
planta  l'hévéa  dans  les  terrains  sablonneux  pauvres 
de  la  partie  basse  de  la  Cochinchine.  Les  résultats 

^  Balletin  de  l'Asie  française,   février  191 1,  p.  70. 


I 


PRODUITS    D  ORIGINE    VEGETALE  197 

furent  médiocres.  A  partir  de  1906,  l'attention 
des  capitalistes  fut  attirée  par  les  résultats  obtenus 
dans  les  Etats  malais  et  à  Java,  et  un  certain 
nombre  de  sociétés  se  formèrent  pour  la  culture 
rationnelle  des  hévéas  en  Cochinchine.  Des  essais 
dans  les  terres  rouges  furent  faits  et  les  terres  riches 
en  nitrates  et  en  acide  phosphorique  apparurent 
bientôt  comme  d'une  fertilité  égale  à  celles  de 
Java. 

Aujourd'hui  l'hévéa  dont  la  première  planta- 
tion en  Indo-Chine  fut  celle  de  llnstitut  Pasteur 
de  Nha-Trang  est  très  répandu  en  Cochinchine  et 
donne  de  très  sérieuses  espérances.  On  évaluait  en 
191 G  à  un  million  le  nombre  des  hévéas  plantés. 
Depuis  19 10,  des  superficies  considérables  de 
terrains  domaniaux  ont  été  vendus  en  Cochin- 
chine ou  données  en  concession  à  des  planteurs 
de  caoutchouc.  En  quelques  mois,  plus  de  3o.ooo 
hectares  ont  été  aliénés  en  vue  de  la  culture  de 
1  hévéa  dans  la  seule  province  de  Bien-Hoa,  et  les 
demandes  de  concession  continuent  à  affluer.  Le 
nombre  des  plantations  (non  compris  celles  d  éten- 
due restreinte  que  commencent  à  créer  les  indi- 
gènes) dépasse  cinquante,  couvrant  une  superficie 
de  60.000    hectares  de   terres  rouges  et    i4-ooo 


198  NOTRE     FRANCE     d'eXTRÈME-ORIENT 

hectares  de  terres  grises  (silico-argileuses) .  Dans 
les  terres  rouges,  les  plantations  de  Suzannah 
comptaient  192.000  arbres  au  i^'  janvier  191 1, 
celles  de  Courtenay  iSo.ooo  arbres,  celles  de 
Xa-Trach  200.000,  la  société  de  caoutchouc  de 
Cochinchine,  à  Long-than  18.000.  Dans  les 
terres  grises,  on  rencontre  peut-être  moins  de 
plantations  aussi  considérables,  mais  les  planta- 
tions de  25  à  3o.ooo  arbres  sont  très  nombreuses. 
Plusieurs  plantations  sont  déjà  en  plein  rapport, 
d'autres  ne  tarderont  pas  à  entrer  dans  la  période 
de  production  :  à  Suzannah,  à  Xa-Trach,  on  a 
commencé  à  saigner  cette  année. 

Partout  les  essais  ont  été  satisfaisants.  Les 
échantillons  de  caoutchouc  recueillis  dans  la  plan- 
tation que  la  colonie  possède  à  Ong-Yêm  ont  été 
particulièrement  remarqués  à  l'Exposition  de 
Londres  et  ont  provoqué  de  nombreuses  demandes 
d'achat. 

L'avenir  des  plantations  d'arbres  à  caoutchouc 
en  Cochinchine  est  intimement  lié  à  la  question 
du  recrutement  de  la  main-d'œuvre.  En  raison  du 
développement  considérable  donné  à  cette  culture 
dans  le  monde  entier,  le  succès  dépend  en  grande 


PRODUITS    D  ORIGINE    VEGETALE  199 

partie  de  la  rapidité  avec  laquelle  les  plantations 
atteindront  la  période  de  production.  Il  est  indis- 
pensable pour  les  planteurs  de  disposer,  dès 
maintenant,  de  nombreux  coolies  pour  le  défri- 
chement des  terres  et  Fentretien  des  exploita- 
tions. 

La  main-d'œuvre  locale  est  manifestement 
insuffisante  pour  toutes  les  cultures,  particulière- 
ment en  Cochinchine,  et  il  est  nécessaire  d'avoir 
recours  à  la  main-d'œuvre  étrangère.  On  a  déjà 
tenté  de  nombreux  essais,  mais  les  résultats 
obtenus  n'ont  pas  toujours  correspondu  aux  frais 
consentis.  Des  coolies  javanais,  chinois,  tonki- 
nois, annamites  ont  été  successivement  employés 
par  diverses  sociétés,  mais  un  gxand  nombre  ont 
déserté  les  plantations  ou  les  ont  quittées  par  suite 
de  maladies. 

Un  arrêté  du  Gouverneur  général,  en  date  du 
i4  mars  191 1,  a  nommé  une  commission  com- 
posée de  fonctionnaires  et  de  planteurs  pour 
rechercher  les  moyens  propres  à  favoriser  l'immi- 
gration en  Cochinchine  de  la  main-d'œuvre  indo- 
chinoise ou  étrangère  et  d'étudier  la  création  de 
bureaux  de  colonisation.  Il  serait  désirable  que 
ces  travaux  aboutissent  à  des  propositions  pratiques 


-iOO  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÉME-ORIENT 

et  réalisables,  cai'  la  question  intéresse  aussi  bien 
les  planteurs  de  TEst  que  les  agriculteurs  de 
rOuest. 

La  culture  du  riz  exige,  en  effet,  à  certaines 
époques  de  Tannée,  de  nombreux  coolies,  soit  pour 
la  préparation  des  terrains,  soit  pour  le  repiquage 
des  plants  ou  la  récolte. 

On  a  tenté,  depuis  deux  ans,  d'obvier  à  la 
pénurie  de  main-dœuvi'e  par  l'emploi  de  ma- 
chines agricoles,  mais  les  résultats  n'ont  pas  été 
concluants.  Le  matériel  employé  ne  répond  pas, 
en  effet,  exactement  aux  conditions  de  la  culture 
en  Cochinchine,  il  est  en  général  trop  lourd  et, 
dans  les  terres  profondes  de  1  Ouest,  il  s'embourbe 
dès  que  le  sol  est  un  peu  humide.  Il  faut  donc 
des  machines  plus  légères;  en  outre,  il  est  néces- 
saire pour  faire  usage  de  ces  machines  que  le 
sol  soit  suffisamment  sec  et  humide.  Pour  cela,  il 
faut  que  les  cultivateurs  soient  maîtres  du  niveau 
des  eaux  sur  leurs  terres,  qu'ils  puissent  les 
défendre  contre  celles  que  le  reflux  des  marées 
pourrait  y  amener  et  évacuer  celles  qui  provien- 
nent des  pluies.  En  outre,  pour  avoir  un  sol  uni,  il 
faut  que  le  terrain  ait  été  hersé  et  labouré.  Or,  le 
nhâqué  annamite  dans  Touest  de  la  Cochinchine 


PRODUITS    D  ORIGINE    VEGETALE  'loi 

ne  laboure  pas.  Il  repique  les  plants  de  riz  dans  le 
sol  humide  sans  autre  travail  préparatoire. 

Avant  d'introduire  des  machines  agricoles,  il 
est  donc  indispensable  que  le  cultivateur  indigène 
modifie  ses  procédés  de  travail  actuels  et  qu'il  dis- 
pose des  capitaux  nécessaires  pour  cette  transfor- 
mation. 

Récemment  une  association  s'est  fondée  en  vue 
précisément  de  résoudre  cette  question  de  la  cul- 
ture mécanique  en  Gochinchine.  Elle  comprend 
un  grand  nombre  de  notabilités  coloniales  et  la 
plupart  des  colons  de  la  Gochinchine.  Elle  est 
actuellement  sortie  de  la  période  d'organisation  et 
est  entrée  dans  celle  des  réalisations  pratiques  ; 
elle  se  propose  de  commencer  des  essais  sur  un 
territoire  de  3oo  hectares.  On  doit  espérer  que, 
grâce  aux  ressources  importantes  dont  elle  dis- 
pose, elle  fera  faire  un  grand  pas  à  cette  question 
qui  intéresse  à  un  si  haut  point  l'avenir  écono- 
mique de  toute  la  colonie. 


CHAPITRE  IX 

PRODUITS   D'ORIGINE   MINÉRALE 


I.  Mines.  —  Houille  et  lignite. 

II.  Minerais  et  gîtes  métallifères  :  fer,  cuivre,  étain,  zinc,  etc. 

III.  Carrières  :   pierres,   marbres,   phosphates.  —  Salines  et  eaux 
thermales. 

Bien  que  Tinventaii-e  des  divers  produits  qu'il 
renferme  n'ait  pas  encore  été  complètement  dressé, 
le  sous-sol  de  Flndo-Chine  ne  paraît  pas  moins 
riche  que  la  forêt  et  la  plaine  dont  nous  venons 
de  voir  les  ressources  multiples. 

Les  productions  minérales  peuvent  être  classées 
sous  les  quatre  rubriques  suivantes  :  mines,  car- 
rières, salines  et  eaux  minérales. 


I 

MINES 

La  houille  existe  certainement  en  abondance  à 
de  très  grandes  profondeurs.  On  en  a  signalé  sur 


■lO\  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

plusieurs  points  et  on  en  exploite  déjà  des  affleu- 
rements importants. 

Les  gisements  situés  entre  Sept-Pagodes  et  la 
baie  d'Along  (dans  les  provinces  de  Haï-duong  et 
de  Quang-Yen)  sont,  pour  l'instant  tout  au  moins, 
de  beaucoup  les  plus  considérables. 

La  Société  française  des  charbonnages  du  Tonkin 
l'exploite  en  deux  points  :  à  Hatou  et  à  Nagotna. 

A  Hatou,  l'exploitation  a  lieu  à  ciel  ouvert,  un 
chemin  de  fer  à  voie  étroite  de  i4  kilomètres 
relie  la  mine  à  Hongay,  sur  les  bords  de  la  baie 
d'Along.  A  Nagotna,  l'extraction  a  lieu  dans  des 
galeries  situées  au  fond  d'un  puits  de  i32  mètres 
de  profondeur. 

La  mine  de  Kébao,  située  dans  Tîle  du 
même  nom,  dans  la  baie  d'Along,  a  une  super- 
ficie d'environ  25.ooo  hectares.  On  en  retire 
chaque  année  20.000  tonnes  de  charbon  en 
moyenne. 

La  mine  Francis  située  à  Dong-Lang,  dans  le 
Quang-Yen,  a  une  superficie  beaucoup  plus  petite 
(373  hectares)  mais  fournit  par  an  une  quantité 
sensiblement  égale  de  houille. 

Ces  trois  centres  occupent  près  de  5. 000  ouvriers 
et  ont  fourni  à  l'exportation  ces  dernières  années 


PRODUITS    D  ORIGINE    MINERALE  205 

plus  de  3oo  ooo  tonnes,  valant  près  de  8  millions 
de  francs. 

Le  charbon  de  Hongay  est  un  charbon  maigre 
qui  ressemble  beaucoup  à  lanthracite.  Riche  en 
gaz  pauvre,  il  a  une  puissance  calorifique  assez 
élevée,  il  fournil  sous  forme  de  briquettes  un  com- 
bustible très  recherché  par  les  chemins  de  fer  et 
les  compagnies  de  navigation. 

U  existe  d'autres  gisements  au  Tonkin,  à  Yen- 
Bay,  à  Dong-Giao  (Ninh-Binh j ,  à  Maokhè,  à  Trang- 
Bach,  à  Mong-Dzuong,  à  Yen-Khoai,  à  Dong- 
Trieu,  et  dans  1  île  aux  Buissons,  mais  l'exploita- 
tion dans  les  mines  est  soit  difficile,  soit  restreinte. 

Dans  le  Nghê-An,  en  Annam,  à  Tuyen-Nham 
on  a  également  reconnu  la  présence  de  gisements 
de  charbon.  La  mine  de  Nong-Son,  dans  la  pro- 
vince de  Quang-Nam,  est  actuellement  en  rapport 
et  en  mesure  de  fournir  80  tonnes  de  charbon 
par  jour.  Elle  a  l'avantage  d^être  en  relation  avec 
Tourane  par  un  cours  d'eau  navigable. 

Plusieurs  gisements  ont  été  reconnus  au  Laos 
dans  les  environs  de  Luang-Prabang  et  dans  la 
province  d  Attopeu  ;  mais  Tabsence  de  tout  moyen 
de  communication  rend,  pour  Tinstant,  toute 
exploitation  impossible. 


2<)b  NOTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

Le  territoire  de  Kouang-Tcheou-Wan  paraît  éga- 
lement renfermer  des  gîtes  carbonifères. 

On  trouve  des  gisements  importants  de  lignite 
au  Tonkin  dans  la  région  de  Yen-bay,  près  de 
Ninh-Binh,  de  Laokay  et  de  Lang-Son.  Le  bassin 
de  Tan-nhuan  seul  est  exploité.  On  en  extrait 
chaque  année  20.000  tonnes  de  combustible. 

Le  jais  qui  est  une  variété  de  lignite  existe, 
paraît-il,  également  dans  Fîle  de  Phu-Quoc 
(Gochinchine) . 

La  production  de  la  houille  et  du  lignite  en  1909 
a  atteint  449-ooc>  tonnes,  sur  lesquelles  249.000 
tonnes  ont  été  exportées  et  i5o.ooo  environ  con- 
sommées sur  place. 


II 

MINERAIS 

Les  gîtes  métallifères  sont  nombreux  en  Indo- 
Chine  et  leur  exploitation  a  fait  des  progrès  rapides 
pendant  ces  dernières  années. 

Les  gisements  de  minerai  de  fer  sont  très  fré- 
quents et  les  indigènes  en  exploitent  plusieurs 
depuis  de  longues  années.  Les  principaux  gîtes  fer- 


PRODUITS    D  OHIGINE     MINERALE  -207 

rugineux  du  Tonkin  sont  ceux  de  Ba-xat,  Pho-lu, 
Ga-vinh,  Tay-ha,  sur  le  Fleuve  Rouge,  ceux  du 
bassin  de  Song-Bang-giang  (Mo-xat;  et  du  bassin 
du  Song-Cau  (Mona-Khon  et  Gu-Vanj .  Ces  mine- 
rais sont  ordinairement  formés  de  magnétite,  d'hé- 
matite et  quelquefois  de  limonite,  plusieurs  sont 
manganésifères.  Tous  ces  gîtes  produisent  du  fer 
de  bonne  qualité  et  plusieurs  d'entre  eux  (Mona- 
Khon  et  Ba-xat)  paraissent  pai'ticulièrement riches. 

Il  existe  également  des  gisements  ferrugineux  en 
Annam  ;  les  indigènes  exploitent  depuis  longtemps 
celui  de  Xho-Lam  (Nghè-an)  qui  contient  de  i5 
à  20  p.  100  de  manganèse,  de  Gam-Lo  (Quang- 
Tri) ,  de  Tra-Bong  et  de  Loi-Thot  dans  le  Quang- 
Ngai. 

Au  Laos  on  en  trouve  également  dans  les  pro- 
vinces de  Louang-Prabang,  de  Xieng-Khouang,  de 
Savannaket,  de  Gam-mon  et  d'Attopeu.  Mais  ces 
gisements  ne  sont  pas  exploités,  faute  de  main- 
d'œuvi'e  ou  de  charbon. 

Le  cuivre  existe  également  au  Tonkin,  en  Annam 
et  au  Laos.  Les  mines  de  Le-Vien  dans  le  Quang- 
Yen,  du  Tum-Dao  (Vinh-Yenj,  deLang-Lang  sont 
exploitées  depuis  très  longtemps. 

Des  gisements  très  riches  existeraient,  paraît-il, 


'AoS  NOTRE    FRANCE    D  EXTRÊME-ORIENT 

au  Laos,    dans    la  province  de    Luang-Prabang. 

Dans  quelques  gisements,  le  cuivre  se  présente 
associé  à  de  l'argent  (Bac-Giang  et  Quang-Yen) ,  à 
de  la  blinde,  de  la  galène  ou  à  de  Tantimoine 
(mines  de  Lang-Ghea,  près  d'An-chan). 

Le  plomb,  représenté  le  plus  souvent  sous  forme 
de  galène  argentifère,  était  autrefois  exploité  parles 
Ghinois  pour  le  compte  du  gouvernement  anna- 
mite. Les  mines  ont  été  ensuite  abandonnées  pen- 
dant longtemps,  mais  des  capitalistes  français  ont 
tenté  pendant  ces  dernières  années  d'en  reprendre 
l'exploitation.  On  trouve  des  gisements  importants 
dans  la  province  de  Tuyen-Quang,  en  Annam 
(]Ngbê-an)  dans  le  Tran-Ninh,  dans  les  provinces 
de  Luang-Prabang  et  d'Attopeu. 

L'or  a  été  exploité  jadis  également  en  plusieurs 
points  par  les  Ghinois,  et  quelques  mines  abandon- 
nées ontété  reprises  avec  succès  par  des  Européens. 
Le  métal  se  recueille  à  la  battée  dans  les  régions 
deHa-Giang  et  de  Gao-bang,  mais  en  quantités  très 
minimes.  Par  contre,  on  trouve  de  For  filonien 
dans  le  Quang-Nam  (à  Bong-Min)  et  surtout  au 
Laos  (Luang-Prabang  et  Attopeu) ,  mais  l'absence 
de  main-d'œuvi'e  et  Téloignement  rendent  pour 
rinstant    toute    exploitation    problématique.    Les 


PRODUITS     D  ORIGINE    MINERALE  '209 

gîtes  métalliques  de  zinc  et  d'étain  représentent 
une  richesse  plus  considérable  que  tous  les  gise- 
ments précédents. 

Les  minerais  de  zinc  ont  donné  lieu  depuis 
quelques  années  à  des  recherches  sérieuses  et  Tex- 
ploitation  des  mines  qui  en  a  été  la  conséquence 
est  aujourd'hui  très  importante.  En  190^,  Tlndo- 
Ghine  produisait  200  tonnes  de  zinc,  en  1908  cette 
production  est  passée  à  9.300.  En  19 10,  elle  a 
dépassé  20.000  tonnes. 

On  trouve  du  zinc  au  Tonkin  dans  les  régions 
de  Tuyen-Quang,  de  Thai-Nguyen  et  de  Lang-Son. 
La  mine  de  Trang-Du,  dans  la  province  de  Tuyen- 
Quang,  fournit  par  an  environ  10.000  tonnes  de 
minerai.  A  Ban-Duong,  il  existe  d'anciennes 
exploitations  que  Ton  cherche  actuellement  à 
remettre  en  état.  En  Annam,  un  filon  de  zinc  et  de 
cuivre,  à  Duc-bo,  dans  le  Quang-Nam,  paraît  très 
riche.  On  en  a  extrait  ces  dernières  années  jusqu'à 
i.DOO  tonnes  de  minerai  valant  près  de  iSo.ooo 
francs.  Au  Thanh-hoa  on  a  ouvert  récemment  une 
nouvelle  exploitation. 

On  trouve  l'étain  comme  le  zinc,  surtout  au 
Tonkin,  particulièrement  dans  la  région  de  Cao- 
bang,  près  de  Nguyên-binh.  L'étain  y  est  souvent 

14 


alO  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

mélangé  à  d'autres  minerais,  Avolfram,  tungs- 
tène, etc..  En  1909,  on  a  exporté  196  tonnes 
d'étain  et  17  de  Avolfram. 

De  nombreux  permis  de  recherches  ont  été  déU- 
vrés  pendant  ces  dernières  années  dans  toute  cette 
région,  et  on  pense  que  lexploitation  ne  tardera 
pas  à  s'accroître  rapidement. 

De  nombreux  gisements  de  minerais  d'étain  ont 
été  également  signalés  au  Laos,  dans  la  province 
de  Savannaket;  à  Ta-Coua,  dans  la  région  de  Pa- 
Kin-Boun  on  a  trouvé  d  importants  gisements  de 
cassitérite,  très  riche  en  étain  fin. 

L'antimoine,  le  soufre  existent  encore  en  divers 
endroits,  en  particulier  au  Laos. 

Enfin,  notons  en  terminant  cette  rapide  énumé- 
ration  que  Ion  rencontre  des  mines  de  saphir  dans 
la  province  de  Son-Tra  (Tonkin) ,  dans  le  territoire 
de  Battambang  et  dans  le  Haut  Mékong  (Ban- 
Houei-Sai)  et  quelques  rubis  dans  la  même  région. 

III 

CARRIÈRES   ET   SALINES 

D'importantes  carrières  de  marbre  sont  exploi- 
tées au  Tonkin  le  long  de  la  chaîne  du  Day   (Ha- 


PRODUITS    D  ORIGINE    MINERALE  '211 

Nam) ,  au  Cambodge  à  Pursat,  en  Annam  à  Tou- 
rane. 

Dans  la  province  de  Quang-Vea,  il  y  a  également 
de  grandes  carrières  de  pierre  calcaire  et  de  pierre 
à  chaux.  Dans  Tîle  des  Deux-Song,  on  extrait  le 
calcaire  dont  se  servent  les  usines  d  Haïphong  pour 
la  fabrication  des  ciments. 

En  Annam,  on  trouve  du  calcaire  renfermant  des 
argiles  qui  permettent  la  fabrication  de  chaux 
hydraulique  ;  au  Cambodge,  on  en  trouve  d'autres 
propres  à  la  fabrication  de  la  chaux  grasse. 

On  trouve  encore  en  Indo-Chine  des  grès  très 
abondants  dans  le  nord  du  Cambodge  où  ils  ont 
été  utilisés  dans  toutes  les  constructions  khmers,à 
Angkor  notamment;  de  la  latérite  ferrugineuse, 
connue  sous  le  nom  de  pierre  de  Bien-Hoa  et  qui 
sert  à  Fempierrement  des  routes,  des  granits,  des 
argiles,  propres  à  la  fabrication  des  poteries  (pro- 
vinces de  Haï-Ouong,  Dong-Trieu,  Bien-Hoa  et 
Kompong-Chnam) . 

Il  y  a  deux  ans  environs,  on  a  même  commencé 
d'une  façon  sérieuse  la  recherche  des  phosphates, 
dont  la  présence  avait  été  signalée  dans  les  provinces 
de  Kampot  et  de  Hatien  dès  1895.  Il  est  possible 
quil  y  a  là  pour  la  colonie  une  source  de  richesse 


212  NOTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

nouvelle,  d'autant  plus  précieuse  que  le  riz  demande 
en  particulier  des  terrains  fertiles  et  riches  en  tous 
végétaux. 

Salines  et  eaux  thermales.  —  Aux  richesses  miné- 
rales précédentes  s'ajoute  le  produit  des  salines  et 
des  eaux  thermales.  Le  sel  est  recueilli  sur  toutes  les 
côtes  sablonneuses  du  Sud  du  Tonkin  et  on  l'uti- 
lise sur  place  en  très  grandes  quantités  pour  la  con- 
servation du  poisson  péché  dans  la  région. 

L'industrie  du  sel  était  jadis  plus  prospère  et  la 
régie,  en  monopolisant  la  vente  de  cette  denrée,  a 
amené  une  diminution  notable  de  la  production. 

On  trouve  encore  d'importantes  salines  au 
Tonkin  dans  le  Quang-Yen  et  dans  le  Thai-Binh, 
en  Annam  dans  le  Nghê-An,  dans  le  Quang-Ngai, 
le  Phu-Yen  et  le  Phan-Rang.  Les  salines  du  Phan- 
Rang  exportent  pour  près  de  i5.ooo  tonnes  de  sel 
chaque  année,  principalement  sur  Hong-Kong. 

En  Cochinchine,  il  y  a  des  salines  dans  les  pro- 
vinces de  Bac-Lieu  et  de  Baria  qui  trouvent  dans 
les  pêcheries  voisines  de  la  côte,  du  delta  et  du 
Grand-Lac  un  débouché  pour  leur  produit. 

Au  Laos,  il  existe  des  puits  de  sel  gemme  à 
Ban-Bo  (région  de  Vien-Tiane)  dans  les  provinces 


PRODUITS     D'ORIGI^'E    MINERALE  2l3 

d'Attopeu  et  de  Bassac,  mais  la  production  n'est 
pas  très  importante  :  elle  ne  suffit  pas  à  la  consom- 
mation locale. 

Llndo-Chine  renferme  un  certain  nombre  de 
sources  thermales,  connues  depuis  longtemps  par 
les  indigènes,  sans  qu'ils  paraissent  leur  avoir 
reconnu  des  propriétés  médicales  particulières.  Au 
Laos,  dans  les  provinces  de  Saravanc  et  de  Sam- 
Neua,  il  y  a  cependant  des  eaux  sulfureuses  très 
appréciées  pour  la  guérison  des  maladies  de  peau . 


CHAPITRE  X 

MOYENS   DE    COMMUNICATION 


I.  Relations  maritimes  et  terrestres  extérieures.  —  Les  lignes  de  na- 
vigation. —  Les  ports  indo-chinois. 

IL  Relations  intérieures.  —  Les  routes.  —  Les  voies  fluviales  navi- 
gables. —  Les  chemins  de  fer.  —  Etat  du  réseau  et  Hgnes  pro- 
jetées. —  Les  lignes  de  pénétration. 


I 

RELATIONS   MARITIMES 
ET  TERRESTRES  EXTÉRIEURES 

L' Indo-Chine,  avant  d'être  colonie  française  était 
un  point  de  relâche  habituel  pour  les  lignes  de 
navigation  reliant  TEuropc  à  lExtrême-Orient,  à 
la  Chine  et  au  Japon.  Depuis  que  la  France  est 
installée  dans  le  pays,  les  services  ont  été  organisés 
et  régularisés  dans  des  conditions  relativement 
satisfaisantes. 

Deux  compagnies  françaises,  les  Messageries 
maritimes  et  les  Chargeurs  réunis,  ont  établi  des 


2l6  >'OTRE    FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

services  réguliers  entre  la  métropole  et  Tlndo- 
Chine. 

Les  Messageries  assurent  le  service  postal  par 
des  paquebots  partant  tous  les  quatorze  jours  de 
Marseille  et  qui  arrivent  à  Saigon  vingt-cinq  jours 
après,  avec  des  escales  à  Port-Saïd,  Djibouti  ou 
Aden,  Colombo  et  Singapour.  Les  mêmes  bateaux 
continuent  sur  Hong-Kong,  Sbangaï  et  le  Japon. 

Une  ligne  annexe  hebdomadaire  relie  Saigon  à 
Phang-Rang,  Nha-trang,  Qui-Nhon,  Tourane  et 
Haïphong. 

La  même  Compagnie  a  une  ligne  commerciale 
qu'elle  dessert  au  moyen  de  paquebots  (cargo- 
boats)  à  marche  plus  lente  et  qui  partent  de  Dun- 
kerque  une  ou  deux  fois  par  mois  suivant  les 
besoins.  Le  voyage  est  un  peu  plus  long  et  dure  de 
trente  à  trente-cinq  jours.  Ces  bateaux  desservent 
Tourane  et  Haïphong  sans  transbordement. 

La  Compagnie  des  Chargeurs  réunis  assure  un 
service  analogue  à  celui  de  la  ligne  commerciale 
des  Messageries,  au  moyen  de  paquebots  partant 
une  fois  par  mois  de  Dunkerque  et  passant  par 
Le  Havre  et  Bordeaux  au  départ  de  France  avant 
d'arriver  à  Marseille. 

Des  compagnies  étrangères  peuvent  être  égale- 


MOYENS    DE    COMMUNICATION  -417 

ment  employées  pour  se  rendre  en  Indo-Chine  en 
s'arrêtant  à  Singapore  ou  à  Hong-Kong  pour 
reprendre  des  correspondances  à  destination  de 
rindo-Ghine.  Ce  sont  la  China  Mutual  S.  N.  C 
Ld  de  Swansea-Liverpool  au  Japon,  la  Glen-Line 
de  Londres  au  Japon,  le  Norddeutscher  Lloyd  de 
Brème,  Hambourg,  Gènes  et  Naples  à  Colombo, 
Singapore,  Hong-Kong  et  le  Japon,  la  Péninsular 
and  Oriental  Steam  navigation  G",  pour  Tlnde  et 
r Indo-Chine  (avec  transbordement) . 

L'Indo-Cliine  est  en  relations  maritimes  avec 
tous  les  grands  pays  d  Extrême-Orient.  La 
ligne  bi-mensuelle  des  Messageries  maritimes 
réunit  Saigon  à  Yokohama  par  Hong-Kong  et 
Shangaï.  Plusieurs  lignes  locales  font  le  service 
de  Haïphong  à  Hong-Kong  avec  escale  à  Pak-Hoï, 
Hoï-Hao  et  Kouang-Tchéou-Wan.  Une  ligne  de 
Messageries  fluviales  de  Cochinchine  va  de  Saigon 
à  Bangkok  par  Poulo-Gondore,  Hatien  et  Ghanta- 
boun.  Enfin,  la  Compagnie  des  Messageries  mari- 
times a  des  lignes  annexes  qui  unissent  Saigon  à 
Singapore  et  Batavia. 

Ajoutons  enfin,  qu'en  plus  des  nombreux  cargos 
qui  font  le  trajet  entre  Saigon  et  la  Chine  suivant 
les  besoins  du  commerce,  la  Compagnie  française 


ai8  >OTRE    FRA?ÎCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

du  Cabotage  des  mers  de  Chine  envoie  des  navires 
de  Saigon  au  Japon,  en  Chine,  aux  Phihppines 
et  à  Java. 

Par  voie  de  terre,  les  relations  de  llndo-Chine 
avec  les  pays  voisins  sont  beaucoup  moins  actives 
que  par  voie  de  mer.  Notre  colonie  échange  de 
nombreux  produits  avec  le  Siam,  mais  ce  com- 
merce, qui  emprunte  les  pistes  ou  les  voies  navi- 
gables du  bassin  du  Mékong,  ne  comporte  aucun 
service  régulier,  il  attend  d'ailleurs  pour  se  déve- 
lopper la  création  de  moyens  de  communication 
meilleurs  et  plus  rapides. 

Le  chemin  de  fer  du  \unnam,  qui  réunit  depuis 
deux  ans  le  delta  du  Tonkin  à  \unnan-Fou,  a 
déjà  étendu  beaucoup  les  relations  commerciales 
du  Tonkin  avec  le  sud  de  la  Chine,  il  faudrait  de 
même  construire,  à  travers  le  Laos  et  se  dirigeant 
vers  le  Siam,  une  voie  ferrée  pour  drainer,  vers 
les  ports  de  la  côte  d'Annam,  les  produits  de 
l'arrière -pays. 

Le  Transsibérien  mérite  également  une  mention 
à  propos  des  voies  de  communication  de  ITndo- 
Chine.  Notre  colonie,  qui  est  reliée  deux  fois  par 
mois  à  Shanghaï,  avec  transbordement  à  Hong- 
Kong,  bénéficie  en  effet  de  cette  ligne,  qui  permet 


MOYENS    DE    COMMUNICATION  '219 

de  se  rendre  à  Shanghaï  en  Europe  et  à  Paris  en 
quinze  ou  seize  jours,  suivant  Fitinéraiie  employé 
entre  cette  ville  et  le  Transsibérien. 

Les  ports.  —  Les  ports  indo-chinois  ont  été 
très  notablement  améliorés  depuis  notre  installa- 
tion dans  le  pays  ;  ils  ne  sont  pas  cependant  encore 
à  la  hauteur  du  rôle  économique  qu'ils  pourraient 
jouer,  et  il  reste  beaucoup  à  faire  pour  les  doter  de 
tous  les  aménagements  réclamés  par  le  commerce. 

Le  plus  important  est  celui  de  Saigon,  qui  est  à 
la  fois  port  de  commerce  et  port  de  guerre.  Sa 
situation,  au  centre  du  réseau  navigable  du 
Mékong,  duDong-Naï,  de  la  rivière  de  Saigon  et  des 
Vaïco,  est  exceptionnelle  et  en  fait  le  débouché 
naturel  des  produits  de  la  Gochinchine,  du  Cam- 
bodge et  du  Laos,  en  même  temps  que  le  point  de 
débarquement  commandé  de  toutes  les  marchan- 
dises destinées  à  ces  pays. 

Son  mouvement,  qui  a  atteint,  en  1911, 
1.090.849  tonnes  d'une  valeur  de  3o8.i 37.036 
francs,  augmente  sans  cesse.  Ce  port  de  com- 
merce est  situé  à  Fembouchure  de  FArroyo  chinois. 
Les  navires  sont  conduits  entre  le  cap  Saint-Jac- 
ques et  Saigon  par  des  pilotes,  et  la  durée  de  ce 
trajet  est  de  quatre  à  cinq  heures. 


220  >OTRE     FRA>'CE     D  EXTREME-ORIENT 

Pendant  ces  dernières  années,  on  a  exécuté  de 
nombreux  travaux  d'aménagement  dans  le  port  de 
commerce,  qui  sont  presque  terminés.  Ces  tra- 
vaux sont  des  plus  précieux  pour  le  développement 
commercial  de  ce  port.  Un  quai  de  i.ioo  mètres, 
établi  sur  la  rive  droite  de  la  rivière,  permet 
Faccostage  simultané  de  9  navires  de  120  mètres 
de  longueur.  Parallèlement  à  ce  quai,  et  à  une 
distance  de  i5  mètres  de  la  bordure,  s'étend 'une 
série  de  magasins  ayant  ensemble  une  superficie  de 
près  de  23.000  mètres  carrés.  Des  voies  ferrées 
ont  été  en  outre  établies  sur  le  devant  et  en 
arrière  des  magasins  pour  faciliter  la  manipulation 
des  marchandises  ;  20  postes  d'amarrage  avec 
corps  morts  semblables  à  ceux  existant  déjà  sur  la 
rive  gauche  ;  un  pont  tournant  construit  en  pro- 
longement de  la  rue  d'Adran  et  destiné  à  relier 
cette  voie  au  port  de  commerce,  complètent  ces 
aménagements . 

Ces  travaux  ont  coûté  plus  de  10. 3 00. 000  francs 
et  sont  presque  entièrement  terminés. 

Le  port  militaire  de  Saigon  comporte  un  arsenal 
très  bien  outillé,  d  une  superficie  de  17  hectares 
et  occupant  2.000  ouvriers.  Sa  position  straté- 
gique et  les  installations  dont  il  est  doté  en  font 


MOYENS    DE    COMMUNICATION  221 

un  port  de  guerre  de  premier  ordre.  L'arsenal  pos- 
sède un  outillage  très  puissant  et  très  per- 
fectionné, permettant  d'exécuter  des  travaux  de 
construction  et  des  réparations  même  délicates 
dans  les  meilleures  conditions.  A  Tarsenal  est  joint 
un  bassin  de  radoub  de  i6o  mètres  de  long,  plus 
grand,  par  conséquent,  que  le  port  de  Toulon.  Son 
établissement  a  coûté  plus  de  7  millions.  L'arsenal 
possède,  en  outre,  un  bassin  de  dimensions  plus 
réduites  pour  les  canonnières,  torpilleurs  et  autres 
bâtiments  d'un  faible  tirant  d'eau. 

L'industrie  privée  possède  plusieurs  slips  de 
carénage  dont  certains  sont  très  puissants  ;  mais 
le  commerce  grandissant  de  Saigon  réclame  depuis 
plusieurs  années  la  construction  soit  d'une  nou- 
velle forme  de  radoub,  soit  au  moins  celle  d'un 
dock  flottant. 

Haïphong  est  le  principal  port  du  Tonkin.  Situé 
au  confluent  du  Cua-Cam  et  du  Song-tam-bac,  à 
20  milles  de  la  mer,  à  l'extrémité  maritime  de  la 
grande  voie  du  Fleuve  Rouge  et  du  chemin  de  fer 
de  Yunnam,  à  5o  kilomètres  de  la  baie  d'Along, 
il  est  placé,  par  suite,  dans  une  situation  commer- 
ciale de  premier  ordre  qui  lui  assure  un  trafic  gran- 
dissant. 


■111  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

.  Les  premiers  travaux  d'aménagement  qu'on  y  a 
effectués  remontent  aux  premières  années  de 
notre  occupation.  Les  appontements,  les  phares  des 
Nordways  et  de  Hondau  remontent  à  1 885-1 887- 
1888. 

Actuellement,  grâce  aux  di*agages  efiFectués,  le 
port  est  accessible  entons  temps  aux  navires  calant 
6  mètres.  Les  navires  d'un  trop  grand  tonnage, 
pour  franchir  la  barre  à  marée  basse,  peuvent 
d'ailleurs  trouver  dans  la  baie  d'Along  un  mouil- 
lage très  sûr.  (Par  un  phénomène  bizarre  et  encore 
scientifiquement  mal  expliqué,  il  n'y  a  qu'une 
marée  pai'  jour  sur  les  côtes  du  golfe  du  Tonkin.) 

Haïphong  possède  des  appontements  d'une  lon- 
gueur de  3oo  mètres  ainsi  que  des  ateliers  de 
construction  et  de  réparation  bien  outillés.  L'in- 
dustrie privée  possède  des  ateliers  de  construction 
et  de  réparation  qui,  par  leurs  seuls  moyens,  peu- 
vent mettre  à  flot  des  bateaux  de  plus  de  3oo  tonnes. 

Ces  aménagements  sont  néanmoins  insuffisants. 
Le  port  d' Haïphong  se  développe  rapidement. 
En  1907,  le  mouvement  général  des  marchandises 
embarquées  et  débarquées  était  de  394.000  tonnes, 
en  1910,  il  a  dépassé  465-000  tonnes!  Le  pavil- 
lon allemand  n'occupe  pas  la  première  place  comme 


MOYENS    DE    COMMUNICATION  '^^i 

nombre  de  navires,  mais  avec  ses  186.402 
tonneaux  de  jauge  et  ses  i83  navires,  il  trouve 
le  moyen  de  prendre  plus  de  loo.ooo  tonnes  de 
mai'chandises,  soit  le  tiers  du  tonnage  total  (1910), 
il  faut  au  pavillon  français  3o8  navires  et 
5 29. 464  tonneaux  de  jauge  pour  prendre  1 65. 000 
tonnes,  le  deuxième  tiers  du  tonnage  total  du 
port  de  Haïphong.  [Asie  française^  mars  191 1, 
p.  i36.) 

De  grands  travaux  ont  été  projetés  pour  amé- 
liorer les  installations  du  port.  Une  commission 
spéciale  en  a  élaboré  le  programme  en  1906  et 
estimé  que  sa  réalisation  coûterait  21  millions  de 
francs  et  demanderait  six  ans  pour  être  exécutée. 
Ces  travaux  auraient  pour  effet  de  porter  la  lon- 
gueur des  appontements  à  85o  mètres,  de  rendre 
le  port  accessible  aux  plus  gros  navires,  creusant 
un  chenal  de  profondeur  suffisant  et  passant  par 
la  baie  dAlong,  la  grande  Brèche  et  l'île  de  Haïnan, 
de  doter  le  port  d'une  forme  de  radoub  de 
3oo  mètres  de  longueur  utile,  enfin,  de  construire 
3.000  mètres  carrés  de  hangars  et  des  voies  ferrées 
desservant  les  quais  et  reliées  à  la  gare  du  chemin 
de  fer. 

Il  n'est  pas  douteux  que  le  jour  où  ces  travaux 


2a4  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

seront  terminés,  Haïphong  comptera  parmi  les 
ports  les  mieux  outillés  de  l'Extrême-Orient. 

La  baie  de  Tourane  est  1  une  des  plus  belles  du 
monde.  Abritée  du  côté  de  la  mer  par  la  presqu'île 
montagneuse  de  Tiên-Cha,  on  Fa  comparée  à  la 
baie  de  Rio-de-Janeiro  et  à  celle  de  Diégo-Suarez. 
Le  port  de  Tourane  est  malheureusement  d'un 
accès  difficile,  une  barre  Fobstrue  et  il  serait  néces- 
saire de  creuser  un  chenal  pour  permettre  aux 
gros  navires  Faccès  de  la  rivière  de  Tourane  où  le 
port  est  installé. 

Les  autres  ports  (Quang-Yen,  Ben-Thuy,  Faï-fo, 
Phan-thiet,  etc.),  ne  sont  fréquentés  que  par 
des  chaloupes  ou  des  jonques  chinoises,  quelque- 
fois ces  ports  sont  installés  dans  des  baies  pro- 
fondes, mais  sont  mal  protégés  des  moussons  ou 
des  typhons;  la  rade  de  Qui-Mion,  celle  de  Nha- 
trang  ou  de  la  baie  de  Camranh  sont  dans  ce  cas. 

II 

RELATIONS  INTÉRIEURES;  ROUTES 
VOIES  NAVIGABLES,   CHEMIN  DE  FER 

Lors  de  notre  arrivée  en  Indo-Chine,  les  moyens 
de  communication  intérieurs  se  réduisaient  à  des 


MOYENS    DE     COMAÏUNICATION  '225 

routes  plus  ou  moins  bien  entretenues  et  à  la  navi- 
gation par  sampans.  Notre  œuvre  dans  la  colonie 
a  été  marquée  à  ce  point  de  vue  par  la  cons- 
truction de  nouvelles  routes  et  par  T introduction 
dans  le  pays  de  nombreux  moyens  de  communi- 
cation empruntant  à  la  vapeur  ou  à  Télectricité 
leur  force  de  propulsion  :  chaloupes,  chemins  de 
fer,  tramways,  automobiles.  Il  faut  ajouter  même 
à  cette  énumération  Faéroplane  qui  commence  à 
évoluer  déjà  au-dessus  des  centres. 

Les  routes  sont  surtout  nombreuses  en  Cochin- 
chine  et  au  Tonkin.  En  Gochinchine,  les  routes 
bien  empierrées  de  bienhoa  (latérite  originaire  de 
Bien-boa)  sont  souvent  fort  belles.  Les  principales 
sont  celles  qui  relient  Saigon  à  la  frontière  du 
Cambodge  par  Trang-banh  et  Tay-Nanh,  et  a  la 
frontière  d'Annam  par  Gia-dinh,  Thu-duc,  Bien- 
hoa, Long-than  et  Baria  ;  une  belle  route  réunit 
également  Baria  au  Saint- Jacques. 

D'autres  routes  réunissent  également  Saigon  à 
Hon-Quam  par  Thudaumot,  à  Go-cong  par  Tanan 
et  Mytho  ;  Sadec  à  Vinh-long  par  Tra-vinh  à  tra- 
vers les  îles  du  delta. 

Les  routes  provinciales  ont  été  1  objet  de  nom- 
breuses     améliorations     pendant     ces     dernières 


2*26 

années.  Plusieurs  provinces  (Rentré  notamment) 
dont  la  population  est  très  dense  et  où  il  est  néces- 
saire par  suite  de  développer  les  moyens  de  com- 
munication, n'ont  pas  hésité  depuis  trois  ans  à  con- 
sacrer la  plus  grande  partie  de  leurs  ressources  à  la 
mise  en  état  de  leurs  routes.  Cette  seule  pro- 
vince possède  actuellement  un  réseau  routier  d'une 
longueur  totale  de  i4o  kilomètres,  dont  70  sont 
des  routes  nouvelles,  bien  empierrées  en  granit. 

La  route  interprovinciale  de  Long-Xuyên  à 
Cantho  est  presque  terminée  et  lorsque  les  travaux 
de  la  route  reliant  Vinh-Long  à  Cantho  seront 
achevés,  les  chefs-lieux  des  cinq  provinces  du 
delta  ;  Long-Xuyên,  Cantho,  Vinh-Long,  Sadec  et 
Tra-vinh  seront  réunis  entre  eux  par  un  système 
de  routes  excellentes. 

Un  essor  financier  sérieux  a  été  récemment  con- 
senti par  la  colonie  et  va  permettre  d'ici  quelques 
années  F  ouverture  de  routes  nouvelles  ou  la  réfec- 
tion de  voies  anciennes  à  travers  les  provinces  de 
Test  de  la  Cochinchine,  dans  la  zone  des  ce  terres 
rouges  )),  où  les  plantations  de  caoutchouc  pren- 
nent une  importance  croissante.  Le  budget  local  de 
la  Cochinchine  a  pris  en  effet  à  sa  charge  une 
partie  des  dépenses  qu'occasionnera  la  construction 


I 


MOYENS    DE     COMMUNICATION  'l-l'-j 

de  ces  routes.  Dès  à  présent,  on  a  décidé  rétablisse- 
ment d  une  voie  prolongeant  à  travers  la  province  de 
Baria,  la  route  dite  des  Mois  qui  s'amorce  à  Baria 
et  ira  rejoindre  dans  la  province  de  Bien-hoa,  à  la 
station  de  Xuân-Loc,  le  chemin  de  fer  de  Saigon 
à  Phan-thiet;  sont  également  prévues  la  réfection 
de  la  route  Ghesne  et  la  construction  d'une  route 
réunissant  les  deux  précédentes.  Ces  travaux,  dont 
les  dépenses  ont  dû  être  réparties  sur  plusieurs 
exercices,  sont  pour  la  plupart  déjà  commencés. 

Au  Tonkin,  les  routes  sont  nombreuses,  mais 
leur  état  a  été  souvent  Fobjet  de  critiques  justi- 
fiées. 

Les  principales  routes  du  Tonkin  rayonnent 
autour  d'Hanoï  et  se  dirigent  vers  Cao-Bang  par 
Thaï-Nguyen  et  Bac-Kan,  —  vers  Ha-Giang  par 
Son-Tay,  Hung-hoa,  Phu-tlio  et  Tuyen-Quang,  — 
vers  Lao-Kay  par  Hung-Lao  et  Yen-bay,  —  vers 
Phu-nho-quan  par  Hoa-binh,  —  vers  Do-son  par 
Haï-duong  et  Haï-Phong,  —  vers  Hongay  pai*  Bac- 
Ninh,  Phu-lang-thuong  et  Lam,  —  vers  Lang-Son 
par  Phu-lang-thuong  et  Kep. 

A  ces  diverses  routes  qui  relient  en  somme 
Hanoï  à  tous  les  centres  importants  de  la  colonie,  il 
faut  ajouter  : 


•àiS  NOTRE     FHANCF     D  p:XTREME-ORIENT 

Une  route  d'intérêt  stratégique,  longeant  la 
frontière  de  Chine  de  Mon-Kay  à  Lao-Kay  par 
Tieu-Yen,  Lang-Son,  Cao-bang,  Bao-Lac  et  Ha- 
giang. 

La  route  mandarine  qui  unit  Hanoï  à  Hué  par 
iNam-Dinh  et  Ninh-binh. 

Cette  route,  qui  suit  toute  la  côte  d'Annam  de 
Phan-thiet  à  Ben-thuy  sur  une  longueur  de 
1 .200  kilomètres,  aurait  besoin  d'être  refaite  sur 
de  nombreux  points. 

Pendant  ces  dernières  années,  on  s'est  efforcé 
d'améliorer  au  Tonkin,  comme  en  Cochinchine,  le 
réseau  routier,  en  particulier  dans  les  régions 
minières  auxquelles  il  ne  manque  que  les  moyens 
de  transporter  leurs  produits  pour  acquérir  une 
grande  prospérité. 

Les  groupes  miniers  situés  dans  les  provinces 
de  Thai-Nguyen,  Bac-Kan  et  Cao-bang  réclament 
en  particulier  rétablissement  de  routes  nouvelles. 
Actuellement  les  mines  de  Thaï-Nguyen,  groupes 
de  Langhit  (zinc)  et  de  Giang-tien  (charbon)  ont 
seules  à  leur  disposition  un  débouché  suffisant, 
constitué,  pendant  la  période  des  hautes  eaux,  par 
le  cours  du  Song-Lan  et  en  tous  temps  par  la 
route  empierrée  de  Thay  iNguyenà  Dong-Anh,  non 


MOYENS     DE     COMMUNICATION  iig 

loin  de  Hanoï.  Les  autres  groupes  :  Pia-Ouac 
(Gao-bang),  Ngan-Son  (Bac-Kan)  elCho-bon  (Bac- 
Kan)  sont  beaucoup  moins  favorisés.  Le  premier, 
où  se  rencontrent  d'excellentes  mines  d'étain  et  de 
wolfram,  n'est  desservi  que  par  un  sentier  muletier 
rejoignant  à  Nguyen-binh  la  route  qui,  par  Cao- 
bang  et  That-Khé,  gagne  Lang-Son  et  le  chemin 
de  fer  de  Hanoï.  Ces  communications  sont  insuf- 
fisantes et  1  Administration  a  projeté  une  route 
carrossable  contournant  le  massif  minier  et  se  rac- 
cordant avec  Tancienne  route  de  Cao-bang  qui  sera 
entièrement  refaite.  En  même  temps,  le  prolon- 
gement et  la  réfection  de  la  route  Bac-Kan  à  Thaï- 
Nguyen  donnera  un  nouveau  dégagement  vers  le 
Song-Can. 

Le  groupe  de  jNgan-Son  (plomb  argentifère) 
bénéficiera  lui  aussi  de  ces  divers  travaux.  L'ou- 
verture d'un  tronçon  de  3o  kilomètres  de  routes 
actuellement  à  l'étude,  permettra  de  même  aux 
propriétaires  des  gisements  de  calamine  du  groupe 
de  Cho-kôn  d  expédier  leurs  produits  vers  le 
Song-Can. 

Le  même  plan  de  réfection  des  routes  comporte 
encore  Famélioration  de  la  route  de  Tuyen-Quang 
à  Ha-Giang  et  de  la  route  du  Pia-Ouac  au  Song- 


A^o  NOTHK     IHANCE     D   EXTREME-ORIENT 

Gam  (aiïluent  de  la  Rivière  Claire).  Enfin  le  massif 
minier  du  Dong-Trieu  sera  desservi  par  deux 
grandes  routes,  empruntant  le  tracé  des  chemins 
actuels  et  le  contournant  au  Nord  par  Phu-Lang- 
thupng,  Luc-nam,  An-chan,  pour  redescendre  sur 
Quang-Yeii  (I  plus  has,  par  Sept-Pagodes,  Dong- 
Trieu  et  Quang-\cn. 

Le  Laos  n  a  pas  de  roule  à  pnjpromenl  parler. 

Il   n'a   que  des    sentiers    difficilement   praticables 

après  la   saison  des  pluies.  La  seule  voie  qui  soit 

carrossable  est  celle  (|iii  relie  Savaiiiuiketà  Quang- 

\\\  j);ir  L;i()-I);i(>  el    le  col  d  Aï-laO. 

Des  sentiers réunisseiil  P;ik-San  à\ieii-Khouang 
el  Sam-lNeua,  \  Inli  m  n;iii-(l(»n  |),ir  le  col  de  lb>p- 
hnm  et  Keiig-Kiee-\  ieii-tiau  ;i  Lii;«ui:-Prab;mj:, 
Luang-Prabang  à  Cua-Hao  (Aniiaiu  ,  Mu(jng-Sing 
il  Ban-buoi-Sai.  Saravan  ii  Savannaket  |)ar  Pak- 
Sé,  Saravan  à  Vllopeu,  Saravan  à  (JuanL^- fn  |)ai' 
Lao-bao,  mais  toutes  ces  voies  escaladant,  pour 
la  ])lu])ail.  la  (lliaîiie  amiainitique  où  ses  contre- 
forts, sont  très  souNenl  iiupialicables  sur  de  longs 
espaces. 

Au  Cambodge,  il  \  a  encore  assez  peu  de  routes, 
mais  un  réseau  complet  est  en  conslruction  et 
sera    lerniiué    d'ici    quelques    années.    Une    fois 


MOYENS    DE    COMMUNICATION  251 

achevé,  il  aura  un  développement  de  3.ooo  kilo- 
mètres. 

Les  principales  routes  projetées  partiront  de 
Pnom-Penh  pour  aboutir  à  TEst  a  la  frontière  de 
Cochinchine  par  Banam  et  Soaï-rieng  ;  au  Nord  à  la 
frontière  du  Siani  par  Kompong-thoni  et  Melou- 
prey  ;  à  lOuest  vers  Battambang  par  Pursat  et 
Swaidon-Kéo  et  vers  Cliantaboun  par  Kompong- 
speu  ;  au  Sud,  vers  le  ii^olfe  de  Si;nn  par  Kainjiot  et 
le  canal  du  \  iuli-t(''  par  fakéo. 

L'améli(M'alinn  des  routes  p;ir;iit  préoccuper 
sérieusenienl  1  Vdiiiiiii-halioii .  Le  |)i()|el  d  enipiimt 
de  ()()  niillioMs  .lehielleineiil  xdiiiiis  au  l\jile- 
ment  alhahue  une  somme  de  <).  )0().ooo  Iraucs  à 
ramélioralioii    du    i(''>eau    loulier  de   la    eoloine   à 


raisoîi  (le 


i.ooo.oot)  '!'■  t"rniK<  [xjiir  !*•   Tiinkiii  : 
6.000.000     —  —    la  rrgioii  <lii  Mt'koiig  ; 

i.5oo.ooo     —  —     la  Cochiru  hinc. 

Le  projet  comporte  1  amélioration  ou  la  cons- 
fiuelion  de  routes  au  Tonkni  de  Lang-Son  à  Cao- 
bang,  de  lianoï  à  Cao-bang,  de  façon  à  desservir 
les  centres  miniers  de  Thaï-Nguyen,  Cho-don, 
Ngan-son  et  ^guyen-Binh  dont  on  a  vu  précédem- 
ment le  manque  de  communication. 


a32  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÉME-ORIENT 

En  Annam  et  au  Laos,  la  construction  d'une 
route  partant  du  terminus  actuel  du  chemin  de 
fer  (Dong-ha)  et  aboutissant  au  Mékong  à  Savan- 
naket  serait  la  grande  voie  de  pénétration  réclamée 
depuis  très  longtemps. 

En  Gochinchine,  on  établirait  des  routes  nou- 
velles dans  la  région  des  terres  rouges  qui  sont  le 
centre   des  nouvelles  plantations  de  caoutchouc. 

Il  faut  souhaiter  pour  Tavenir  économique  de 
la  colonie  que  ces  projets  soient  tous  exécutés  sans 
retard.  H  y  a  urgence  si  Ton  veut  voir  cesser  un 
état  de  choses  vraiment  anormal  comme  celui  que 
Ton  constate  dans  la  région  minière  du  Tonkin,  les 
propriétaires  de  mines  extrayant  des  minerais,  en 
amassent  des  stocks  considérables,  puis  licencient 
finalement  leur  personnel  faute  de  moyens  de 
transport  pour  écouler  vers  Hanoï  les  minerais 
extraits. 

Les  voies  fluviales  navigables  sont  très  nom- 
breuses en  Indo-Chine  ;  mais  elles  sont  loin  d'être 
toutes  également  praticables.  En  étudiant  1  hydro- 
graphie du  pays,  on  a  vu  combien  dobstacles 
naturels  entravaient  et  même  parfois  empêchaient 
complètement  la  navigation.  Rapides,  tourbillons, 
envasement  progressif  des  deltas,  seuils  rocheux, 


MOYENS    DE    COMMUNICATION  ^33 

barres  s^opposent  tour  à  tour  au  passage  des 
embarcations. 

L'Administration  a,  on  doit  le  reconnaître,  déjà 
fait  beaucoup  pour  améliorer  les  conditions  défec- 
tueuses de  navigabilité  des  cours  d'eau. 

Le  Mékong,  de  Savannaket  à  Vien-tian,  sur 
lequel  jadis  deux  transbordements  étaient  néces- 
saires, est  maintenant  parcouru  pendant  toute 
Tannée  par  un  service  de  chaloupes.  Entre  Saigon 
et  Vien-tian,  la  navigation  a  été  également  rendue 
meilleure  et  plus  rapide.  Jadis  ce  trajet  exigeait 
quarante-deux  à  quaiante-cinq  jours;  il  n'en 
demande  plus  que  vingt  au  maximum,  mais  un 
double  transbordement  et  le  transport  en  chemin 
de  fer  à  travers  l'île  de  Kkône  ne  peuvent  être 
évités,  c'est  un  grave  inconvénient  que  l'on  n'est 
malheureusement  pas  près  de  voir  disparaître. 

La  Compagnie  des  Messageries  fluviales  de 
Gochinchine  assure  les  services  réguliers  sur  le 
Mékong  et  dans  le  delta  cochinchinois.  Ses  prin- 
cipales lignes  sont  : 

La  grande  ligne  de  rOuest  :  de  SaïgonàMytho, 
Ghaudoc-Cantho  et  Daï-i\gaï. 

Les  lignes  de  Mytho  à  Bac-Lieu,  Yinh-Long  et 
Bentré. 


234  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

La  ligne  du  Cambodge  et  des  Lacs,  de  Saigon 
à  Pnom-Penh,  Siem-Reap  et  Battambang. 

Les  lignes  du  Laos,  de  Khône  à  Savannaket, 
Vien-tian  et  Luang-Prabang  avec  des  transborde- 
ments. 

Des  chaloupes  chinoises  assurent  d'autres  ser- 
vices (Chau-doc-Hatien)  à  travers  le  delta  cochin- 
chinois. 

L  Annam  renferme  peu  de  rivières  navigables. 
On  y  utilise  surtout  les  lagunes  et  les  canaux  qui 
réunissent  entre  elles  les  rivières  le  long  du  lit- 
toral. Le  principal  canal  est  celui  de  Thanh-hoa  à 
Phat-diem.  Dans  le  Sud  et  même  dans  le  centre, 
le  cours  des  rivières  est  coupé  par  trop  de  rapides 
pour  qu'on  puisse  Futiliser  pour  la  navigation. 

Au  Tonkin,  les  voies  navigables  sont  de  valeur 
médiocre;  les  navires  calant  plus  de  i",5o  peu- 
vent difficilement  y  circuler  pendant  la  période 
des  basses  eaux.  Il  existe  cependant  des  lignes 
régulières  de  Hanoï  à  Haïphong,  de  Hanoï  à  Son- 
tay  et  Vietry  avec  bifurcation  sur  Cho-bo  ou 
Tuyen-Quang,  de  Haïphong  à  Hongay  et  Mon- 
Kay,  de  Haïphong  à  iNam-dinh,  de  Haïphong  à 
Sept-Pagodes. 

Là  où  les  chaloupes  à  vapeur  ne  peuvent  passer, 


MOYENS     DE     COMMUNICATION  l'^J 

les  sampans  et  les  jonques  indigènes  qui  ont  un 
très  faible  tirant  d'eau  rendent  de  grands  services. 

Ces  embarcations,  en  bois  ou  en  bambou  tressé 
et  goudronné  et  qui  se  meuvent  à  la  rame,  soit  à 
la  voile,  soit  par  le  halage,  servent  au  transport 
de  toutes  les  marchandises  de  poids. 

Les  voies  de  terre  servent  surtout  pour  le  trans- 
port des  menus  objets  ou  des  voyageurs.  Les  indi- 
gènes se  servent  de  la  balance  ou  brouette,  et 
de  charrettes.  La  balance  est,  on  le  sait,  un 
instrument  très  répandu  en  Extrême-Orient.  On 
dépose  les  marchandises  à  transporter  dans  les 
plateaux  et  le  fléau  se  place,  en  son  centre  de  gra- 
vité, sur  r épaule  du  porteur.  Quelques  mandarins 
utilisent  le  cheval  dans  leurs  déplacements,  mais 
le  moyen  de  transport  le  plus  usité,  pour  les  voya- 
geurs, est  le  palanquin.  C'est  une  sorte  de  hamac 
dont  les  deux  extrémités  sont  suspendues  à  un 
solide  bambou  que  deux  ou  quatre  domestiques 
portent  sur  leurs  épaules.  Le  voyageur  s'y  couche 
et  ce  mode  de  locomotion  est  bien  en  harmonie 
avec  le  caractère  nonchalant  des  Orientaux. 

Ajoutons  quau  Cambodge  on  utilise  beaucoup 
pour  les  transports  Téléphant  et  les  charrettes  à 
bœufs. 


236  NOTRE    FRAN'CE    d'eXTRÉME-ORIENT 

A  ces  modes  de  transport,  on  doit  ajouter  l'au- 
tomobile qui  depuis  quelques  années  prend  en 
Indo-Chine  une  importance  croissante.  L'état  des 
routes  qui  tend  à  devenir  très  satisfaisant  dans  de 
nombreuses  provinces  rend  aujourd'hui  pratique 
ce  mode  de  transport  aussi  bien  pour  le  voyageur, 
le  commerçant,  le  touriste  que  pour  Fadministra- 
teur  qui  peut  accomplir  maintenant  de  fréquentes 
tournées  à  travers  sa  circonscription. 

Chemins  de  fer.  —  Depuis  1898,  nous  avons 
poursuivi  en  Indo-Chine  la  réalisation  d'un  grand 
programme  de  ti'avaux  publics,  de  chemins  de  fer 
notamment,  dont  le  promoteur  fut  M.  Doumer 
quand  il  était  Gouverneur  général.  Le  plan 
Doumer  comportait  la  création  d'un  grand  trans- 
indochinois  reliant  le  Tonkin  à  la  Cochinchine 
et  aboutissant  au  Nord  par  plusieurs  lignes  dans 
les  provinces  de  la  Chine  méridionale.  C'est  pour 
les  réaliser  en  partie  que  M.  Doumer  fit  voter  par 
le  Parlement  métropolitain,  en  décembre  1898, 
l'emprunt  de  200  millions. 

Depuis  cette  époque,  un  certain  nombre  des 
lignes  prévues  ont  été  construites,  d'autres  ont  été 
ajournées,  car  on  s'est  aperçu  que  s  il  était  utile 


MOYENS    DE    COMMUNICATION  ïi'] 

de  construire  des  chemins  de  fer  à  travers  la  colo- 
nie, ces  travaux  n'étaient  pas  les  seuls  à  avoir  une 
importance  économique  de  premier  ordre,  et  qu'en 
matière  d'irrigation  notamment  il  y  avait  une 
œuvre  au  moins  aussi  urgente  à  entreprendre  pour 
développer  la  richesse  dans  ce  pays. 

Actuellement  le  réseau  ferré  indo-chinois,  qui  a 
une  longueur  totale  de  1.317  kilomètres,  se  com- 
pose des  lignes  suivantes  : 

Le  Tonkin  possède  à  lui  seul  près  de  i  .000  kilo- 
mètres de  voies  ferrées.  Une  ligne  réunit  Hanoï  au 
Kouang-Sipar  Lang-Song  et  Dong-dang  (167  kilo- 
mètres ;  une  autre  va  de  Hanoï  à  Vinh  et  Benthuy 
par  Phu-ly  Nam-Dinh,  Ninh-Binh  et  Ïhan-Hoa 
(325  kilomètres)  ;  une  troisième  va  de  Haïphong 
à  Lao-Kay  par  Haï-dung,  Hanoï  et  Yen-Bay 
(390  kilomètres) . 

La  colonie  exploite  les  deux  premières  ;  la  troi- 
sième est  exploitée  par  une  Compagnie  particu- 
lière . 

La  ligne  de  Haïphong  à  Lao-Kai  se  prolonge 
jusqu'à  Yunnan-Senpar  Mong-Tseu,  Ami-Tchéou, 
et  se  déroule  ainsi  sur  une  longueur  de  plus  de 
85o  kilomètres.  Sa  construction  a  demandé  dix 
ans.  Des    difficultés  de  tous   ordres    ont  dû  être 


'238  >'OTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

vaincues  et  le  travail  fait  le  plus  grand  honneur  aux 
ingénieurs  français  qui  ont  eu  le  talent  et  le  cou- 
rage de  mener  à  bien  une  entreprise  aussi  colos- 
sale. 

LWnnam  ne  possède  qu'une  seule  ligue  :  celle 
de  Tourane  à  Hué  et  Quang-Tri  (173  kilomètres), 
qui  est  exploitée  par  la  colonie.  Un  chemin  de  fer 
à  voie  étroite  relie  Tourane  à  Faï-fo  (35  kilomètres) . 

En  Cochinchine,  une  voie  ferrée  réunissant 
Saigon  à  Mytho  par  Tan- An  (71  kilomètres)  existe 
depuis  longtemps.  Cette  ligne  appartient  à  la 
Société  générale  des  Tramways  à  vapeur  de  Cochin- 
chine; une  autre  ligne  relie  Saigon  à  Phan-thiet 
(190  kilomètres). 

Cette  ligne  que  1  on  poursuit  jusqu'à  Phan-rang 
forme  avec  la  ligne  de  Tourane  à  Quang-Tri  et 
celle  de  Vinh  à  Hanoï  les  trois  tronçons  actuelle- 
ment construits  du  transindochinois  projeté  par 
M.  Doumer.  La  réunion  de  ces  trois  lignes  a  été 
ajournée,  mais  il  faut  espérer  qu'un  jour  viendra 
où  cette  grande  voie  sera  achevée  soit  suivant  le 
plan  primitivement  adopté,  soit  en  suivant  un  autre 
tracé. 

Ces  trois  tronçons,  sauf  celui  du  Xord,  n'ont  en 
effet  qu'une  utihté  immédiate  relative  et  ne  pour- 


MOYENS    DE     COMMUNICATION  îi^Q 

l'ont  jouer  un  rôle  économique  important  que  le 
jour  où  ils  seront  réunis  et  en  communication  avec 
Tarrière-pays,  et  notamment  avec  les  provinces  du 
Laos  central. 

Pour  rinstant,  on  a  pensé  —  et  non  sans  raison 
—  qu'il  valait  mieux  diriger  notre  effort  vers  des 
régions  riches  et  dépourvues  de  voies  de  commu- 
nication comme  le  Cambodge  et  le  Laos,  et  c'est 
dans  cet  esprit  qu'a  été  élaboré  le  programme  du 
prochain  emprunt  de  llndo-Chine. 

Si  on  a  dû  pour  l'instant  renoncer  à  prévoir  les 
crédits  nécessaires  pour  la  construction  d'une  ligne 
de  chemin  de  fer  mettant  en  communication  Savan- 
naket  avec  la  mer  et  se  borner  à  l'établissement 
d'une  route,  des  études  seront  prochainement  faites 
pour  installer  une  voie  ferrée  entre  Battambang  et 
Saigon.  Afin  de  montrer  que  Fidée  du  transindo- 
chinois  n'est  pas  abandonnée,  le  projet  en  question 
s'est  borné  à  prévoir  les  crédits  pour  la  construc- 
tion d'un  tronçon  nouveau  réunissant  Vinh  à  Dong- 
ha  de  façon  à  achever  la  ligne  au  moins  entre  Hanoï 
et  Tourane  avec  les  provinces  du  centre  de  l'Annam 
jusqu'ici  privées  de  moyens  de  communication. 

La  question  des  chemins  de  fer  indo-chinois 
mérite  d'ailleurs  de  retenir  l'attention  des  pouvoirs 


l'iu  NOTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

publics  en  France  de  la  façon  la  plus  sérieuse.  Elle 
dépasse  en  effet  singulièrement  la  portée  qu'on  lui 
prête  ordinairement  et  doit  être  traitée  d  un  point 
de  vue  général  en  regardant  les  progrès  qui  ont 
été  réalisés,  au  delà  de  nos  frontières,  chez  nos  voi- 
sins Siamois  et  Anglais  pendant  ces  dernières 
années. 

Le  Siam  disposait  en  191  o  d  un  réseau  de  982 
kilomètres  se  composant  des  cinq  lignes  de 
Bangkok-Korat  (264  kilomètres)  ;  Ban-Paji-Pang 
Tong  Pung(/)46  kilomètres)  ;  Bangkok-Petriu  (63 
kilomètres),  Bangkok  au  Menam  [6  kilomètres)  ; 
Bang-Kok-ISoi  Pecha-Buri  (i5i  kilomètres). 
Actuellement  ces  voies  ferrées  qui  rayonnent  en 
somme  autour  de  Bangkok  s'arrêtent  dans  quatre 
directions  en  des  points  qui  ne  peuvent  être  que 
des  terminus  provisoires.  Ce  réseau,  qui  repré- 
sente un  capital  engagé  de  110.690.000  francs, 
n'a  pas  coûté  très  cher  à  établir  (118.766  francs 
par  kilomètre)  et  les  bénéfices  qu'il  procure  sont 
sérieux  i/\  millions  et  demi  par  an) .  Le  coefficient 
d'exploitation  est  peu  élevé  (moins  de  40  p.  100). 

La  même  année  (1910)  les  Etats  confédérés  malais 
disposaient  d'un  réseau  de  862  kilomètres,  cons- 
titué par  la  ligne  de  Prai  à  la  frontière  de  l'Etat 


MOYENS    DE    COMMUNICATION  241 

de  Johore  (3i8  milles)  et  la  ligne  de  l'Est  (io3 
milles)  auxquelles  s'ajoutaient  la  ligne  de  Ipoh- 
Promoh  (  1 5  milles) ,  Tampin-Malacca  (2 1  milles) , 
Taiping-Port-Weld  (7  milles),  Kuala-Lumpus- 
Batucaves  (5  milles) .  Ce  réseau  consiste  en  somme 
dans  une  ligne  centrale  (main-roadj  qui  longe  le 
versant  occidental  de  la  dorsale  montagneuse  de  la 
péninsule,  dessert  les  régions  moyennes  riches  en 
étain  et  en  plantations  de  caoutchouc  et  atteint  la 
frontière  méridionale  où  elle  rejoint  le  rail  des  che- 
mins de  fer  de  Johore  qui  la  prolongent  jusqu'à 
Singapore.  Les  autres  lignes  ne  sont  guère  que  des 
embranchements  unissant  les  ports  ou  les  centres 
importants  à  la  ligne  centrale. 

Le  réseau  malais  représente  un  capital  engagé 
de  133.471.00Q  francs;  son  prix  de  revient  kilo- 
métrique moyen  n'a  pas  atteint  1 5 5. 000  francs  et 
en  191 G  les  bénéfices  se  sont  élevés  à  près  de  6  mil- 
lions de  francs  (5. 8 14.200  francs).  Le  coefficient 
d'exploitation,  plus  élevé  que  sur  le  réseau  siamois, 
ne  dépasse  pas  cependant  61  p.  100. 

En  Indo-Chine  —  et  la  comparaison  est  suggestive 
—  notre  réseau  représente  un  capital  engagé  beau- 
coup plus  considérable  (226  millions  de  francs) .  Le 
prix  de  revient  kilométrique  a  atteint  un  chiffre 

16 


242  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

relativement  élevé  :  170.309  francs  en  moyenne; 
et  en  face  des  bénéfices  précédemment  indiqués 
pour  les  chemins  de  fer  siamois  (4.545.o33  francs) 
et  malais  (5.8i4-200  francs),  ceux  de  notre  réseau 
sont  plutôt  maigres  (355.707  francs).  Le  coeffi- 
cient d'exploitation  moyen  est  très  élevé  (gj  p .  1 00) , 
il  est  de  44  P-  ^00  sur  la  ligne  Saïgon-Mytho, 
mais  dépasse  232  p.  100  sur  la  ligne  Tourane-Hué, 
119  p.  100  sur  le  tronçon  Saigon- Khanh-Loa. 

Les  chemins  de  fer  siamois  drainent  vers  Bang- 
kok tous  les  produits  de  F  intérieur  ;  si  les  nôtres 
en  Indo-Chine  convergeaient  vers  Haiphong  au 
Nord  et  vers  Saigon  au  Sud  et  comportaient  au 
milieu  de  la  colonie  une  ligne  de  raccordement  qui 
serait  en  même  temps  une  voie  de  pénétration  à 
travers  le  Laos,  il  est  probable  que  les  résultats 
commerciaux  de  notre  réseau  indo-chinois  seraient 
encore  meilleurs.  Il  semble  que  la  solution  du 
problème  pourrait  être  cherchée  d'une  part  dans 
la  construction  d'une  ligne  qui  partant  de  Tou- 
rane  se  dirigerait  vers  le  Mékong.  Les  plateaux 
laotiens,  actuellement  sans  valeur  parce  que  sans 
communication,  pourraient  devenir  riches  le  jour 
où  ils  seraient  vivifiés  par  le  rail  ;  d'autre  part, 
dans  la  construction  d'une  ligne  qui  reliant  Saigon 


MOYENS    DE    COMMUNICATION  '243 

à  la  frontière  siamoise  pourrait  se  raccorder  avec 
la  voie  de  Bangkok-Pietru-Vatana.  L'établissement 
de  ces  lignes  permettrait  au  commerce  d'amener 
vers  Saïgon  les  produits  de  larrière-pays  siamois 
et  cambodgien  et  aurait  une  influence  certainement 
décisive  dans  le  développement  économique  de 
tout  le  sud  de  la  péninsule  indo-chinoise.  Ce  serait 
en  quelque  sorte  le  pendant  au  point  de  vue  com- 
mercial de  la  ligne  du  Yunnam  qui  nous  permet 
dès  maintenant  de  drainer  vers  Hanoï  et  Haïphong 
la  plus  grande  partie  des  produits  du  Yunnam  et 
même  du  Seu-tchouen  et  du  Quang-Si*. 

Notons  enfin  en  terminant  qu'il  existe  en  Indo- 
Chine  un  certain  nombre  de  tramways  à  vapeur  ou 
électriques.  Ce  sont  les  tramAvajs  de  Hanoï 
(78  kilomètres),  celui  de  Phuninh-giang  à  Ké-Sat 
et  Cam-giang  (42  kilomètres),  celui  de  Tourane 
à  Fai-fo  (35  kilomètres),  ceux  de  Saïgon  à 
Cholon  (route  haute  et  route  basse)  (11  kilo- 
mètres) et  de  Saïgon  à  Go-vap  et  Hoc-Mom 
(22  kilomètres) . 


^  En  191 1,  la  situation  financière  des  lignes  de  chemin  de  fer  de 
rindo-Chine  en  exploitation  s'est  réglée  de  la  façon  suivante,  par 
rapport  à  1910  :  (Voir  pages  2-|5,  246,  247.) 

La  situation  s'est,  on  le  voit,  un  peu  améliorée  en  191 1. 


2i4 


NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 


Ce  réseau  de  voies  ferrées  est  complété  par 
I.200  kilomètres  de  lignes  télégraphiques  qui 
relient  entre  eux  tous  les  ports  de  llndo-Chine, 
par  des  réseaux  téléphoniques  qui  fonctionnent 
dans  les  principales  villes  et  par  des  postes  de  télé- 
graphie sans  fil  établis  sur  divers  points  de  la  côte 
et  de  rintérieur  et  qui  sont,  sans  doute,  appelés  à 
rendre  dans  un  avenir  prochain  les  services  les 
plus  utiles. 


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CHAPITRE  XI 

INDUSTRIE   ET    MOUVEMENT 
COMMERCIAL 


I.  Industrie  alimentaire.  Dccortiqucries.  —  Pêcheries  et  salai- 
sons. 

II.  Filatures  et  tissages. 

III.  Industries  diverses. 

IV.  Mouvement  commercial.  —  Statistiques.  — -  Clients  et  four- 
nisseurs de  rindo-Chine.  —  Principaux  articles  d'importation  et 
d'exportation.  —  Transit.  —  Navigation  et  cabotage. 

V.  Commerce  intérieur. 

L'Annamite  est  patient,  habile  et  de  tempéra- 
ment industrieux,  son  pays  est  riche  en  produits 
de  toutes  sortes  et  autour  de  lui  vivent  des  peuples 
qui  lui  demandent  les  denrées  qui  leur  manquent. 
De  tout  temps,  il  a  existé  en  Indo-Chine  de  nom- 
breuses industries  et  un  mouvement  d'échanges 
très  actif.  Notre  arrivée  n'a  pas  manqué  de  stimuler 
ces  dispositions  naturelles,  d'y  susciter  des  indus- 
tries nouvelles  et  d'y  accélérer  le  mouvement  com- 
mercial. 


25o  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÈME-ORIENT 

I 

L'INDUSTRIE  ALIMENTAIRE 

L'Indo-Chine  est  avant  tout  un  pays  agricole.  Il 
est  donc  naturel  que  les  industries  agiùcoles  et  ali- 
mentaii'es  y  occupent  une  place  prépondérante.  Le 
riz  qui  est  le  principal  produit  agricole  en  fait  vivi-e 
plusieurs,  celles  des  décortiqueries  et  des  distilleries 
en  particulier. 

Les  décortiqueries  ne  travaillent  pas  pour  l'ex- 
portation. Le  décor ticage  du  paddy  est  une  indus- 
trie qui  ne  se  pratique  en  grand  que  dans  des  rize- 
ries européennes.  Les  rizeries  sont  toutes  concentrées 
sur  les  quais  de  Cholon.  De  grandes  machines  à 
vapeur,  chauffées  avec  la  pedlle  même  du  riz,  débar- 
rassent le  paddy  de  la  paille  et  de  son  écorce.  Les 
rizeries  de  Cholon  sont  au  nombre  de  neuf:  six 
sont  exclusivement  chinoises,  une  appartient  à  un 
Annamite,  les  deux  autres,  fondées  avec  des  capi- 
taux français,  allemands  et  chinois  sont  dirigées  par 
une  maison  allemande.  Ces  usines,  pourvues  d'un 
outillage  des  plus  modernes,  fonctionnent  jour  et 
nuit  et  peuvent,  en  pleine  marche,  traiter 
1.800.000  tonnes,  c  est-à-dire  une  quantité  supé- 


INDUSTRIE    ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL       'iSl 

rieur e    à    la    totalité    de    i  exportation    indo-chi- 
noise. 

Autrefois  les  Annamites  fabriquaient  leur  alcool 
en  distillant  le  riz  nêp  suivant  des  procédés  très 
rudimentaires,  mais  qui  leur  procurait  un  alcool 
d'un  goût  empireuma tique  spécial  qu'ils  appré- 
ciaient particulièrement.  Depuis  FétabKssement  de 
la  régie  des  alcools,  les  distilleries  indigènes  ont  été 
supprimées  et  remplacées  par  de  très  importantes 
distilleries  qui  traitent  le  riz  d'après  le  procédé 
découvert  par  le  D"^  Galmette,  à  la  suite  de  l'étude 
faite  par  ce  savant  des  moisissures  utilisées  depuis 
longtemps  empiriquement  par  les  Chinois  et  les 
Japonais  pour  la  transformation  de  l'amidon  en 
alcool.  L'alcool  produit  est  beaucoup  plus  pur  que 
1  alcool  indigène,  mais  F  Annamite  en  général  ne 
l'apprécie  pas  beaucoup,  et  on  a  pu  voir  avec  raison 
dans  ce  fait  un  des  motifs  les  plus  sérieux  du 
mécontentement  récent  des  populations  indigènes 
contre  la  régie  de  l'alcool.  Les  distilleries  de  Hanoï, 
Nam-dinh  et  Haï-Duong  qui  appartiennent  à  la 
Société  française  des  distilleries  de  llndo- Chine 
peuvent  produire  4J.000  hectolitres  d'alcool  par 
an.  Il  existe  quelques  autres  distilleries  en  Annam, 
en  Cochinchine  et  au  Cambodge,  elles  sont  entre 


a52  NOTRE    FR.VNCE    D  EXTREME-ORIENT 

les  mains  de  Chinois  et  employent  des  procédés 
moins  perfectionnés. 

Les  Annamites  consomment  beaucoup  de  pâtes 
alimentaires,  de  vermicelles.  Des  usines  indigènes 
fabriquent  un  peu  partout  des  fécules  et  des 
tapiocas  de  manioc,  d  arrow-root,  de  vermicelles 
de  riz  et  de  haricots.  On  cite  comme  particulière- 
ment importantes  les  fabriques  de  vermicelle  de 
Bin-Dinh,  de  fécule  de  Quang-Binh. 

Une  féculerie  européenne  sest  montée  il  y  a 
quelques  années  à  Lac-]Nam  au  Tonkin.  Elle  y 
traite  les  maniocs  de  la  région  et  peut  produire 
jusqu'à  trois  tonnes  de  tapioca  par  jour. 

En  étudiant  précédemment  les  pêcheries  de 
rindo-Chine  nous  avons  indiqué  les  principaux 
procédés  employés  pour  la  conservation  des  pois- 
sons péchés,  soit  sur  les  côtes,  soit  dans  les  fleuves 
ou  dans  les  régions  des  Grands  Lacs  cambodgiens  ; 
Findustrie  des  salaisons,  des  sécheries,  la  fabrica- 
tion des  saumures,  des  pâtes  de  poisson,  de  la 
colle  de  poisson  font  vivre  une  quantité  considé- 
rable d'indigènes  le  long  des  côtes  et  au  Cam- 
bodge. 

La  valeur  des  poissons  exportés  du  Cambodge 
chaque  année  représente  en  moyenne  12  millions 


INDUSTRIE     ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL        '25i 

de  francs.  L'Annam  exporte  pour  2  ou  3  millions 
et  le  Tonkin  pour  2  ou  3oo.ooo  francs. 

Les  pêcheries  et  les  industries  qui  en  dépendent 
sont  en  très  grande  majorité  entre  les  mains  des 
indigènes.  Il  existe  cependant  dans  la  baie  de  Gam- 
Rang  une  importante  sécherie  de  poissons  apparte- 
nant à  des  colons  français. 

Notons  encore  une  brasserie  qui  fonctionne  au 
Tonkin  et  qui  fournit  une  bière  légère,  appréciée 
par  les  consommateurs  européens.  Cette  usine  pro- 
duit annuellement  4-t)00  hectolitres  de  bière.  Une 
autre  brasserie  a  été  construite  à  Saigon. 

L'énorme  quantité  d'œuf  s  produits  par  les  innom- 
brables canards  qui  peuplent  les  rizières  suscite,  en 
Indo-Chine,  une  industrie  spéciale,  celle  de  la 
fabrication  de  ralbumine.  Le  blanc  est  transformé 
en  albumine  séchée,  le  jaune  est  envoyé  en  France 
pour  être  utilisé  dans  les  mégisseries.  Il  existe  une 
usine  de  ce  genre  à  Nam-Dinh,  deux  à  Hué,  une 
à  Qui-Nhon.  Celle-ci  est  installée  pour  traiter 
DO.ooo  œufs  par  jour. 


a54  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

II 

FILATURES  ET  TISSAGES 

Les  industries  textiles  sont  nombreuses  et  impor- 
tantes. Le  coton  est  produit,  nous  Favons  vu,  en 
assez  grandes  quantités  en  Annam  et  au  Cam- 
bodge. On  en  exporte  beaucoup,  mais  on  en  tra- 
vaille également  sur  place  soit  dans  des  filatures 
indigènes,  soit  dans  des  usines  européennes. 

Trois  filatures  européennes  fonctionnent  au 
Tonkin,  à  Hanoï,  à  Haïpliong  et  à  Nam-Dinh, 
elles  comportent  respectivement  lo.ooo,  20.000 
et  25.000  broches.  Elles  n'utilisent  d'ailleurs  le 
coton  indigène  que  comme  appoint,  pour  leur 
fabrication  elles  font  venir  la  plus  grande  partie 
du  coton  qu'elles  traitent  de  Flnde.  Leur  pro- 
duction, qui  atteint  3. 000  tonnes  de  filés  par  an, 
est  exportée  en  Chine  et  particulièrement  au 
Yunnam. 

Près  de  Kompong-Cham,  au  Cambodge,  à 
Koack-Kandal,  il  existe  également  une  usine  pour 
Fégrenage  du  coton,  qui  occupe  45o  ouvriers. 

L'industrie   de   la  soie  est   naturellement    très 


INDUSTRIE     ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL        itjj 

ancienne  et  très  développée  surtout  dans  les  pays 
annamites. 

Les  indigènes  dévident  et  tissent  la  soie,  mais 
les  instruments  qu'ils  emploient  sont  souvent  rudi- 
mentaires  et  ne  permettent  de  produire  que  des 
pièces  de  soie  de  C^j/Jo  à  o™,5o  de  largeur  au  plus. 

Actionnés  avec  les  mains  et  les  pieds,  ces 
métiers  rustiques  n'ont  pas  une  marche  très  régu- 
lière, la  fabrication  laisse  par  suite  à  désirer  et  leurs 
produits  ne  sont  ordinairement  pas  assez  parfaits 
pour  être  utilisés  par  nos  usines  lyonnaises. 

Les  tisseurs  annamites  et  cambodgiens  four- 
nissent cependant  des  étoffes  appréciées  tant  par 
leur  coloris  vai'ié  que  par  leur  solidité  ;  et  cette 
industrie  se  développe  et  s'améliore  sous  l'effet  de 
renseignement  et  des  encouragements  donnés 
depuis  une  dizaine  d'années  par  T Administration. 
Les  principaux  centres  de  lindustrie  de  la  soie 
sont  situés  dans  les  provinces  de  Bac-Giang  et  de 
Nam-Dinh,  au  Tonkin,  dans  le  Nghê-An,  le 
Quang-Nam  et  le  Binh  Dinh,  en  Annam,  dans  la 
province  de  Chau-doc,  en  Gochinchine,  et  dans 
celle  de  Ta-Kéo  au  Cambodge. 

La  production  de  la  soie  grège  est  difficile  à 
évaluer.  On  ne  connaît  guère  exactement  que  le 


'256  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

chiffre  des  exportations  ;  mais  ce  chiffre  n'a  pas 
grande  signification,  car  les  soies  grèges  sont  de 
plus  en  plus  tissées  dans  le  pays.  Elle  atteignait 
79.000  kilogrammes  en  1908,  elle  a  baissé  depuis 
sans  qu'on  puisse  en  conclure  que  1  industrie  de 
la  soie  est  en  décadence,  car  ce  serait  contraire  à  la 
vérité.  En  1907  on  a  exporté  plus  de  100.000  kilo- 
grammes de  bourre  de  soie. 

Plusieurs  usines  européennes  travaillent  la  soie. 
La  plus  importante  est  à  Phu-Phong  dans  la  pro- 
vince de  Binh-Dinh,  on  y  fait  à  la  fois  le  filage,  le 
moulinage  et  le  tissage  mécanique.  Cette  usine 
emploie  55o  ouvriers  indigènes.  Il  en  existe  égale- 
ment d'autres  très  bien  outillées  à  Faï-fo  et  à  Nam- 
Dinh. 

A  lindustrie  de  la  soie  se  rattache  celle  de  la 
broderie.  Les  brodeurs  du  Tonkin  et  de  Bac-Ninh 
en  particulier  sont  renommés  dans  tout  lExtrême 
Orient  et  appréciés  jusqu'en  Europe. 

La  nomenclature  des  industries  textiles  doit 
mentionner  en  outre  Findustrie  des  nattes  qui  se 
pratique  dans  toutes  les  régions  où  les  joncs  sont 
cultivés  pour  utiliser  les  terrains  trop  riches  en  sel 
(deltas  du  Mékong  et  du  Tonkin,  Thanh- 
Hoa,  etc.). 


INDUSTRIE    ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL       257 

Les  principaux  centres  de  fabrication  sont  Phat- 
Dien  (Ninh-Binh),  Hai-Trieu  (Thaï-Binh),  Than- 
Trieu  (Thaï-Binh),  Quang-Xuong  (Thanh-Hoa), 
Bac-Lieu  et  Tanan.  Certaines  de  ces  fabriques 
(Hai-Tien  et  Than-Trieu  par  exemple)  emploient 
jusqu'à  5oo  métiers  et  1.600  ouvriers,  hommes, 
femmes  et  enfants.  Ces  deux  usines  consomment 
90.000  piculs  de  joncs  valant  de  2  à  4  piastres  le 
picul.  Chaque  métier  produit  7  kilogrammes  de 
nattes  par  jour  et  en  tenant  compte  des  arrêts  de 
fabrication,  la  production  de  ces  deux  usines  peut 
être  évaluée  à  6.3oo.ooo  kilogrammes  de  nattes 
par  an,  représentés  par  12.000  rouleaux  ayant 
35  mètres  de  longueur.  Pendant  très  longtemps, 
cette  industrie  était  monopolisée  par  les  Chinois 
qui  revendaient  à  Hong-Kong,  sous  le  nom  de 
nattes  de  Chine,  les  nattes  efPectivement  fabri- 
quées au  Tonkin.  Depuis  quelques  années,  des 
sociétés  annamites  se  sont  fondées  pour  leur 
enlever  ce  monopole. 

III 
INDUSTRIES  DIVERSES 

Les  produits  forestiers   si  abondants  en  Indo- 


258  NOTRE    FRANCE    D  EXTRÊME-ORIENT 

Chine  ont  suscité  un  certain  nombre  d'industries 
importantes  : 

Des  scieries  ont  été  installées  à  Hanoï,  à  Viétri 
et  à  proximité  des  forêts  en  exploitation  à  Gho- 
lon,  à  Thua-Hau  (Thua-Tiên) ,  à  Ben-Thuy  (près 
de  Vinh) ,  où  une  société  fabrique  des  lattes  de  par- 
quets en  lim.  Une  des  spécialités  de  l'usine  de  Ben- 
Thuy  est  Ja  préparation  du  bois  de  lim  qui  est 
employé  dans  le  monde  entier  pour  faire  des 
cannes  et  des  manches  d'ombrelles  ou  de  parapluies . 

Il  existe  au  Laos,  dans  l'île  de  Khône  et  à  Luang- 
Prabang,  deux  usines  organisées  pour  débiter  des 
bois  de  teck. 

Des  fabriques  d'allumettes  existent  à  Hanoï  et  à 
Ben-Thuy.  L'usine  d'Hanoï  produit  annuellement 
plus  de  l[0  millions  de  boîtes  d'allumettes  ;  celle 
de  Ben-Thuy  emploie  1.200  ouvriers  et  produit 
36  millions  de  boîtes.  Les  allumettes  indo-chi- 
noises sont  exportées  à  Madagascar,  à  Obock,  à 
Djibouti,  même  en  Algérie. 

Il  y  a  également  d  assez  nombreuses  papeteries. 
La  pâte  à  papier  est  obtenue  soit  avec  du  bambou, 
soit  avec  diverses  espèces  de  bananiers  ou  d'agaves. 
L'industrie  indigène  fabrique  elle-même  du  papier 
et  certains  centres,  tels  que  le  ce  village  du  Papier  », 


INDUSTRIE    ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL       2^9 

daiis  la  banlieue  d'Hanoï,  sont  particulièrement 
connus. 

Ajoutons  que  les  menuisiers  annamites  font  des 
meubles  en  bois  et  en  rotin  très  finement  travaillés 
et  qui  sont  très  appréciés  même  hors  d'Indo-Chine 
pai'  les  Européens. 

Les  carrières  de  calcaire  et  d'argile,  très  nom- 
breuses en  Indo-Chine,  ont  fourni  depuis  long- 
temps aux  indigènes  les  matières  nécessaires  pour 
la  fabrication  de  la  chaux,  de  la  brique  et  des 
tuiles  nécessaires  à  la  construction  des  maisons  et 
des  temples.  La  chaux  de  H  en-Boum  etdeThalek 
(Pakhinboum)  s'exporte  dans  tout  le  bassin  du 
Mékong  jusqu'à  Vien-Tiane.  Au  Tonkin  les  pote- 
ries de  Moncay,  de  Huong-Ganh  (Vinh-Yen),  de 
Bac-Ninh  et  du  Bac-Giang  sont  particulièrement 
connues.  Les  usines  de  Gay-Mai  (près  de  Gholon), 
qui  fournissent  des  poteries  en  terre  vernissée  avec 
décors  en  relief  sont  connues  dans  toutlExtrême- 
Orient.  Au  Cambodge,  dans  la  province  de  Kom- 
pong-Ghnang,  on  fabrique  également  des  poteries 
renommées  et  très  répandues. 

Une  cimenterie  très  importante  existe  à  Haï- 
phong.  La  Société  des  ciments  de  Portland  artifi- 
ciels de  rindo-Glîine  qui  la  dirige  possède  plusieurs 


26o  NOTRE    FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

carrières  de  calcaire  dans  lîle  des  Deux-Songs, 
emploie  i.5oo  ouvriers  et  produit  par  an  20.000 
tonnes  de  ciment  et  10.000  tonnes  de  chaux.  Une 
usine  de  chaux  hydraulique  à  Lang-Tho,  près  de 
Hué,  peut  livrer  4o  tonnes  de  chaux  par  jour. 

Citons  encore  les  briqueteries  européennes,  les 
poteries,  faïenceries  et  usines  céramiques  de  Dap- 
Cau,  Hanoï  et  Bac-Giang,  les  huileries  et  savon- 
neries de  Haïphong  et  de  Qui-Nhon  qui  trans- 
forment en  huiles  et  en  savons  les  produits 
aborigènes  de  TAnnam  et  du  Tonkin. 

L'industrie  du  cuir  est  très  ancienne  dans  la 
province  de  Haï-Duong.  On  estime  qu'elle  remonte 
à  Tannée  i63o.  Plusieurs  habitants  deTruc-Lam, 
Van-Lam  et  Phuong-Lam,  envoyés  en  mission 
en  Chine  auraient,  dit-on,  profité  de  leur  séjour 
pour  s  initier  au  travail  du  cuir  alors  inconnu 
en  Annam  et  auraient  rapporté  cette  industrie, 
à  leur  retour,  dans  leur  pays.  Aujourd'hui  les 
habitants  de  ces  trois  villages  se  rencontrent  un 
peu  partout  travaillant  le  cuir,  à  Hanoï,  à  Bac- 
Ninh,  à  Nam-Dinh,  Bac-Giang,  Sontay,  Haï- 
phong, mais  font  tous  venir  leurs  cuirs  de 
leurs  villages,  principalement  le  cuir  rouge  qu'on 
ne  trouve  nulle  part    ailleurs   au   Tonkin.    Leur 


INDUSTRIE     ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL        ibl 

principale  industrie  consiste  dans  la  fabrication 
des  souliers  et  des  sandales,  des  selles,  des  cous- 
sins, de  la  chaussure  fine.  Leurs  cuirs  ne  peuvent 
pas  cependant  rivaliser  avec  ceux  des  Chinois 
parce  que  les  procédés  de  tannage  employés  sont 
trop  rudimentaires. 

Notons  enfin  à  côté  des  multiples  industries 
d'art,  bijouterie  dor  et  d'argent,  des  meubles  en 
bois  incrustés  ou  laqués,  des  vases  et  des  plats  en 
cuivre  niellé,  de  la  décoration  sous  toutes  ses 
formes  qui  ont  contribué  à  donner  à  Tart  indo- 
chinois  un  cachet  si  particulier,  toute  la  série  d  in- 
dustries que  les  besoins  de  la  colonisation  ont 
rendue  nécessaire  et  développée,  ateliers  et  entre- 
prises de  construction,  de  réparations  pour  le  fer 
et  le  bois,  usines  élévatoires,  usines  électriques, 
imprimeries,  fabriques  de  glaces,  etc.,  etc.. 


IV 

MOUVEMENT  COMMERCIAL 
COMMERCE   EXTÉRIEUR 

On  ne  peut  guère  étudier  le  mouvement  com- 
mercial extérieur  de  llndo-Chine  d'après  des  sta- 
tistiques précises  qu  à  partir  du  moment  où  furent 


a62 


I^OTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 


créés    les   services  de   la  Direction  générale   des 
Douanes  et  Régies,  c'est-à-dire  depuis  1896. 

De  1896  à  191  o,  le  commerce  de  Flndo-Chine, 
tant  aux  importations  qu'aux  exportations,  a 
atteint  les  chiffres  suivants  (non  compris  les 
mouvements  du  numéraire  qui  représentent  chaque 
année  de  3o  à  5o  millions  de  francs)   : 


ANNÉES 

IMPORTATIONS 

EXPORTATIONS 

COMMERCE  TOTAL 

Francs. 

Francs. 

Francs. 

1896.    .    .    . 

81.084.040 

88.809.575 

169.893.615 

1897. 

88.183.991 

117.234.962 

205.414.953 

1898. 

I02 .444- 346 

127.510.979 

229.955.325 

1899. 

115.4^4-493 

137.937.288 

253.361.781 

1900. 

186.044.387 

i55 .600.385 

341.644.772 

1901. 

202.477.671 

160.608.377 

363. 086. 047 

1902. 

2i5 . 162 .998 

185.266.589 

400.429.587 

1903. 

204.253.872 

120.448. 5o5 

324.702.877 

1904. 

184.995.664 

06.373.687 

341. 369.351 

1905. 

254.560.279 

168.757.653 

423.317.732 

1906. 

220. 685. 801 

176.896.780 

397.582.581 

1907. 

291.937.548 

253.417.324 

545.354.872 

1908. 

280.441 .614 

246.915 .6i5 

527.357  229 

1909. 

249.753.677 

273.034  618 

522.788.295 

1910. 

238.686.288 

290.546.912 

529.233 .200 

1911. 

244.142.680 

25o. 146.499 

494.289.179 

En  tenant  compte  du  mouvement  du  numéraire, 
le  commerce  extérieur  de  llndo-Ghine  s'est  donc 
élevé  en  moyenne  de  1898  à  1901  à  plus  3oomil- 


INDUSTRIE     ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL 


t63 


lions  de  francs,  de  1902  à  190G  à  plus  de 
400  millions  et  de  1907  à  1911  à  5oo  millions 
environ.  Ces  chiffres  indiquent  un  développement 
très  réel  des  échanges,  d  autant  plus  notable  que 
les  années  1903,  1904,  1903,  190G  et  1908  ont 
été  des  années  de  crise  économique  marquées  par 
de  mauvaises  récoltes  provenant  d'inondations,  de 
typhons  et  d'autres  calamités  naturelles  de  même 
genre.  Seule  Tannée  1907  a  été  bonne. 

Parmi  les  pays  clients  et  les  fournisseurs  de 
rindo-Chine,  la  France  occupe  le  premier  rang. 
Son  commerce  avec  la  métropole  et  ses  colonies  a 
atteint  de  1900  à  19 11  les  chiffres  suivants  : 


ANNÉES 

IMPOUT.VTIONS 

EXPORTATIO>-S 

COMMERCE  TOTAL 

1900      . 

1901. 

1902 

1903 

1904 

1905 

1906 

1907.  . 

1908.  . 
1909. 
1910.    . 
1911 

Francs. 

74 .o32.4oo 
100.067  -^^oo 

108 . 222 .400 
97.396.300 

86. 5o 1.400 
41 .953.800 
86 . 729. 700 
r06.866.712 
98.371.1N2 
99.032. 145 
83. 199.000 

89.183.466 

Francs. 

34.767.800 
39.640.000 
40. 127.600 
19.470.900 
40 .902.600 
39.973.300 
38.894.300 
42.746.330 
46.870.991 
66.503.872 

66. 507.000 
58. 793.502 

Francs. 

108.800.200 
139. 707 .000 

i48.35o.ooo 
116.867.200 
127.404.000 
i5i  .9'^7. 100 
125.624.000 
i49.6i3.o52 
145.242.173 
i65. 536.017 
151.706. 000 
147.978.968 

264 


NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 


Pendant  la  même  période,  le  commerce  dellndo- 
Chine  avec  les  pays  étrangers  s'est  élevé  aux 
chiffres  ci-après  : 


.\.NNÉES 

IMPORTATIONS 

EXPORT.iTIONS 

COMMERCE  TOTAL 

1897.  .    .    . 

1898.  .    . 

1899.  . 

1900.  .    . 

1901.  .    . 

1902.  .    .    . 

1903.  .    .    . 

1904.  .    .    . 

1905.  .    .    . 

1906.  .    .    . 

1907.  .    .    . 
J908.    .    .    . 

1909.  .    .    . 

1910.  .    .    . 

1911.  .    .    . 

Francs. 

52.398.200 

58.028.600 

6o.2i3.8oo 

m .818. 100 

102 .410.700 

106.940.600 

106.857.600 

98.494.500 

III .990.300 

108.948.200 

185.070.826 

182.270.482 

i5o.7i2.532 

153,487.000 

105.457.488 

Francs. 

99.703.600 
96.354.500 
114-370.700 
120.790.000 
120.968.400 
145. 139.000 
120.977.600 
II 5. 507 .200 
98.168.300 
112 .994. 5oo 
210.670.994 
200.044.624 
206. 530.746 
224.039.000 
148.789.376 

Francs. 

132. lOI .800 

154.383. 100 
i74.584.5oo 
232.608. JOO 
223.379. 100 

252 . 179. 600 
227.835.200 
214.001 . 700 

210. i58.6oo 
221 .942 . 700 
395 . 741 .820 
382.3i5.io6 
357.243.278 
377.526.000 
254.246.864 

En  jetant  un  coup  d'oeil  rapide  sur  ces  tableaux, 
on  serait  volontiers  tenté  de  croire  que  llndo-Chine 
s'est  développée  au  point  de  vue  commercial  d'une 
manière  formidable  pendant  ces  quinze  dernières 
années. 

Le  mouvement  commercial  qui  s'élevait  en 
chiffres  ronds  à  1^0  millions  en  1896  est  passé  à 


INDUSTRIE     ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL        265 

33o  millions  en  191  o  :  c'est  un  résultat  qui  à  pre- 
mière vue  dénote  une  activité  commerciale  peu 
commune.  Un  examen  critique  de  ces  statistiques 
douanières  est  cependant  nécessaire  si  Ton  veut  se 
faire  une  idée  exacte  de  l'évolution  économique  de 
la  colonie.  Divers  éléments  accidentels  ou  étrangers 
au  développement  de  la  production  dans  le  pays 
sont  venus  en  effet  quelque  peu  grossir  ces  résul- 
tats. C'est  ainsi  par  exemple  que  les  grands  tra- 
vaux effectués  en  Indo-Chine  de  1900  à  1903 
ont  occasionné  l'importation  de  matériaux  de  tous 
genres.  Leur  introduction  en  Indo-Chine  s'est 
fait  sentir  au  paragraphe  des  importations  d'une 
manière  sensible.  On  doit  également  apporter  une 
grande  prudence  dans  la  comparaison  des  statis- 
tiques entre  elles  :  les  valeurs  des  produits  ayant 
plusieurs  fois  été  modifiées  et  augmentées  dans 
des  proportions  considérables.  Le  chiffre  des 
importations  françaises  au  début  de  notre  instal- 
lation dans  le  pays  serait  beaucoup  plus  élevé  si 
le  calcul  en  avait  été  établi  sur  les  bases  d'évaluation 
adoptées  actuellement.  C'est  ainsi,  par  exemple, 
que  le  prix  des  filés  de  coton,  qui  avait  été  fixé 
en  1899  à  123  francs  les  100  kilogrammes,  s'est 
trouvé  porté    ultérieurement   à  3oo  francs;   que 


•266  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÈME-ORIENT 

rétain,  évalué  en  1899  à  i.3oo  francs  la  tonne 
est  entré  en  ligne  de  compte  à  partir  de  1900  pour 
2.780  francs,  que  le  thé  est  passé  de  3  à  5  francs, 
le  tabac  Chinois  de  i  à  3  francs,  la  soie  de  6^"",  3o 
à  63  francs,  décuplant  ainsi  de  valeur.  Ces  varia- 
tions de  valeur  ont  grossi  le  chiffre  des  importations, 
mais  en  réalité  celles-ci  n'ont  pas  autant  augmenté 
que  Ton  serait  tenté  de  le  croire  \ 

Malgré  ces  réserves  nécessaires  pour  avoir  une 
idée  exacte  de  la  situation  commerciale  de  llndo- 
Chine,  on  doit  reconnaître  que  celle-ci  s'est  très 
heureusement  développée  depuis  vingt  ans  et  si 
les  chiffres  ci-dessus  nlndiquent  pas  toujours  avec 
une  exactitude  rigoureuse  lamplitude  de  ce  déve- 
loppement,  il  n'est  pas  douteux  cependant  qu'ils 
en  caractérisent  très    suffisamment   l'importance. 

A  la  métropole  1  Indo-Chine  demande  surtout 
des  objets  manufacturés,  des  tissus,  principale- 
ment des  cotonnades  (17  à  18  millions  par  an), 
des  marchandises,  des  ouvrages  en  métaux  et  des 
métaux  (16  à  17  millions),  des  ciments,  des  armes, 
du  papier,  du  sucre,  des  fils,  des  boissons,  des  pro- 
duits chimiques,  des  couleurs,  etc.. 

^  René  Ferry.  Le  régime  douanier  de  V Indo-Chine,  p.  io3  et 
suiv . 


INDUSTRIE     ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL        267 

Aux  autres  pays  de  l'Europe  ou  d'Amérique, 
rindo-Chinc  achète  assez  peu  de  produits.  La 
Suisse  et  les  Etats-Unis  lui  fournissent  cependant 
de  rhorlogerie,  l'Angleterre  et  TAllemagne  des 
machines,  des  bascules,  du  fer  étamé,  du  goudron 
minéral,  de  la  bière,  des  jouets;  les  Etats-Unis  des 
farines,  des  conserves  alimentaires  ;  F  Autriche  des 
meubles,  etc.. 


Hong-Kong  .    .    . 
Singapore.    . 

Chine 

Indes  Néerlandaises 
Indes  Anglaises.    . 

Japon 

Philippines    .    .    . 

Siam 

Birmanie  .     .     . 
Australie   .... 


mPORT.^.TIO>-S 

Francs 

32 

333 

337 

16 

724 

i33 

20 

373 

940 

1 

414 

782 

4 

85o 

5i8 

2 

.63o 

791 

76 

3oi 

356 

840 

77 

528 

I 

007 

EXPORTATIO>"S 


Fraucs. 
93 . 732 .822 

i8.5o4. 732 
33 .  542 .029 
27.331.094 
3oo. 566 
5.060.746 
23 . 757 . 721 

1.428.738 

» 


Francs. 


148.066 

35 . 228 

53.915 

29.746 

5. 161 

7.691 

23.834 

1.785 

77 

I 


•  1^9 

.865 

969 
.876 
.084 
.537 
.022 
.578 
.528 
.007 


En  dehors  de  la  France,  ses  principaux  fournis- 
seurs sont  en  Extrême-Orient  :  la  Chine,  le  Japon, 
le  Siam,  les  Philippines,  les  Indes  anglaises,  soit 
directement,  soit  par  1  intermédiaire  des  entrepôts 
de  Hong-Kong  et  de  Singapore  qui  absorbent  une 


.z68  >'OTRE    FRÂ^'CE     d'eXTRÈME-ORIENT 

part  importante  du  commerce  extérieur  indo-chi- 
nois, ainsi  qu'on  peut  s  en  rendre  compte  par 
l'examen  du  tableau  ci-dessus  [chiffres  de  Tannée 
1910]. 

A  ces  pays,  Flndo-Chine  achète  de  multiples 
produits  nécessaii'es  à  l'alimentation,  au  vêtement, 
à  la  vie  usuelle.  Les  principaux  sont  : 

Parmi  les  matières  végétales  :  des  huiles  et 
sucs  végétaux  venant  de  Chine  (2  à  3  millions) 
et  des  Indes  anglaises  /^2. 100.000  francs  envi- 
ron) 5  des  denrées  coloniales  de  consommation  à  la 
Chine,  particulièrement  du  thé  (i  .800.000  francs) , 
des  filaments  tiges  et  fruits  aux  Indes  (coton) 
(i.  100. 000  francs)  et  à  la  Chine  (6o5.ooo  francs), 
des  fruits  et  des  graines  à  la  Chine  (i  million). 

Parmi  les  matières  minérales  :  des  marbres,  des 
pierres,  de  la  houille,  du  pétrole  aux  Indes  néerlan- 
daises et  au  Japon  (G  millions) . 

Parmi  les  matières  fabriquées  :  du  papier  et 
des  objets  en  papier  à  la  Chine  (3  millions  et  demi) , 
des  tissus  aux  Indes  anglaises  (i.3oo.ooo  francs) 
et  à  la  Chine  (700.000  francs),  des  fils  à  la 
Chine  (i  million),  de  la  porcelaine,  des  poteries 
(700.000  francs),  de  Tor  en  feuilles  pour  la  bijou- 
terie, etc.. 


i 


INDUSTRIE     ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL        269 

Llndo-Chine  exporte  surtout  des  produits  ali- 
mentaires, en  tête  desquels  vient  le  riz,  qui  repré- 
sente à  lui  seul  70  p.  100  de  l'exportation  totale. 

Le  riz  est  de  moins  en  moins  demandé  par  le 
Japon  et  par  les  Philippines,  mais  il  trouve  et  trou- 
vera encore  pendant  longtemps  un  débouché  avan- 
tageux en  Chine  et  sur  le  marché  de  Singapore. 
Si  les  cultivateurs  indo-chinois  voulaient  en  outre 
améliorer  les  espèces  qu'ils  plantent,  leur  riz  pour- 
rait même  venir  en  quantités  beaucoup  plus  grandes 
en  Europe  et  spécialement  en  France. 

Viennent  ensuite  les  produits  de  la  pêche  : 
poissons  séchés,  salés,  saumures,  etc.,  qui  s'ex- 
portent en  Chine  (ii  à  12  millions  chaque  année), 
le  maïs  (8  à  9  millions),  les  denrées  coloniales  de 
consommation  :  poivre,  cannelle,  tabac,  thé,  café, 
sucre,  cardamome  (8  millions).  Le  tabac  indo-chi- 
nois pourra  trouver  en  Chine  un  débouché  con- 
sidérable à  mesure  que  Fusâge  de  Topium  dès 
maintenant  prohibé  disparaîtra. 

Llndo-Chine  vend  encore  assez  peu  de  matières 
premières  nécessaires  à  rindustrie.  Ces  exportations 
ne  représentent  guère  que  5  à  6  p.  100  du  chifFie 
total,  soit  une  dizaine  de  millions.  Elle  vend  de  la 
houille   (5   millions),  de   la    soie,  des  peaux,    du 


270  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

caoutchouc,  du  coton,  des  minerais.  Le  jour  où 
des  moyens  de  communication  plus  nombreux  et 
plus  pratiques  seraient  mis  à  la  disposition  des 
planteurs  de  caoutchouc  ou  des  prospecteurs  de 
mines,  l'exportation  de  ces  produits  saccroîtrait 
très  rapidement  dans  des  proportions  considérables. 
L'industrie  étant  encore  peu  développée  en 
Indo-Chine,  ou  tout  au  moins  insuffisamment 
outillée  pour  travailler  en  vue  de  l'exportation ,  le 
chiffre  des  produits  manufacturiers  exportés  est 
très  minime.  La  colonie  vend  des  ouvrages  de 
vannerie  ou  de  sparterie  tels  que  des  nattes  et 
des  pelleteries  ornées,  des  meubles  en  bois  ou  en 
rotin.  Les  filés  de  coton  du  Tonkin  commencent 
cependant  à  faire  lobjet  d'une  exportation  sérieuse 
au  Yunnan. 

Transit.  —  Un  grand  nombre  de  marchandises 
à  destination  ou  en  provenance  de  la  Chine  et  du 
Siam  transitent  à  travers  1  Indo-Chine.  Elles  em- 
pruntent ordinairement  trois  voies  dont  il  est 
possible  de  mesurer  la  valeur  par  limportance  des 
droits  de  transit  acquittés  traversant  le  territoire 
de  la  colonie.  Ces  trois  voies  sont  celles  de  Haï- 
phong  à  Laokay  vers  Yunnan-sen.   de  Haïphong  à 


INDUSTRIE    ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL       271 

Langson  vers  le  Quang-Si  et  celles  de  Pnom-Penh- 
Battambang  vers  leSiam. 

Louverture  au  commerce  de  la  ligne  ferrée  du 
Yunnam,  et  son  prolongement  probable  dans  Fin- 
térieur  du  pays  donneront  au  transit  par  Haïphong- 
Laokay  une  importance  croissante.  La  voie  bir- 
mane qui  appartient  à  FAngleterre  a  d'ailleurs 
beaucoup  diminué  depuis  que  la  voie  française  a 
été  ouverte.  De  1 3. 800.000  francs  en  1904  son 
trafic  s'est  abaissé  en  igoS  à  11.800.000  francs 
et  à  10.100.000  francs  en  1906. 

Dès  maintenant  les  principales  marchandises 
expédiées  de  Hong-Kong  par  cette  voie  à  destina- 
tion du  Yunnam,  sont  les  suivantes  et  représentent 
les  valeurs  ci-après  :  filés  de  coton,  7  millions 
environ,  tissus  de  coton,  1.200.000  francs,  tabacs 
chinois  préparés,  Soo.ooo  francs;  viennent  ensuite 
les  farines  de  froment,  les  huiles  d'arachide,  les 
pétroles,  For  en  feuilles,  les  porcelaines,  les  tissus 
de  laine,  les  vêtements,  les  allumettes,  etc.. 

En  échange,  le  Yunnam  envoie  à  Hong-Kong 
pour  i3  millions  d'étain  en  saumon,  du  thé  et 
divers  produits  végétaux,  tels  que  des  amomes, 
des  cardamomes,  de  la  gomme  laque,  de  Fopium, 
des  espèces  médicinales,  des  rotins,  etc.. 


272  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

La  voie  de  transit  Pnom-Penh-Battambang  a 
moins  d'importance,  car  les  négociants  siamois 
s'approvisionnent  surtout  par  la  voie  de  Bangkok 
de  préférence  à  la  voie  de  Saigon.  Pour  donner  à 
celle-ci  une  réelle  importance,  il  faudrait  que  Ton 
construisît  le  chemin  de  fer  projeté  à  travers  le 
Cambodge,  ou  celui  du  Laos  entre  Savannaket  et 
la  côte. 

V 
COMMERCE  INTÉRIEUR 

Il  est  assez  difficile  d'évaluer  d'une  manière  pré- 
cise l'importance  du  commerce  intérieur.  Il  existe 
en  efiPetun  assez  grand  nombre  de  petits  postes,  sur 
la  côte  d'Annam  notamment,  où  se  pratique  un 
cabotage  intense  et  qui  échappe  à  tout  contrôle. 
D'autre  part,  le  long  de  la  frontière  du  Laos,  toute 
statistique  risque  fort  d'être  erronée  en  raison  de 
Téloignement  des  postes  de  douanes  qui  rend  la 
surveillance  fort  précaire. 

Les  chiffres  ci-dessous  qui  sont  ceux  de 
TAdministration  des  Douanes  et  Régies  doivent 
cependant  se  rapprocher  assez  exactement  de  la 
vérité  : 


INDUSTRIE     ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL 


273 


1909 

1910 

Cochinchine 

Tonkin 

\nnani 

fr. 
53.772.260 

58. 630.911 

63. 374.0::  5 

3.632.717 

fr. 

5o.6o3. 10 I 

5i .742.805 

65.211 .745 

4.356.2i5 

Cambodge 

D'après  le  dernier  rapport  de  la  navigation  de 
rindo-Chine  (en  1910)  paru  en  191 1  dans  le  Bul- 
letin économique,  les  principaux  produits  ali- 
mentant le  cabotage  ont  été  en  1910  les  sui- 
vants : 

Le  cabotage  est  particulièrement  actif  en 
Annam,  il  est  alimenté  pour  moitié  environ  par  le 
trafic  intérieur  et  pour  Tautre  moitié  par  les  rela- 
tions avec  la  Gochincbine. 

La  Cochincbine  envoie  en  Annam  du  riz,  des 
poteries  communes,  des  huiles  de  pétrole,  des  vins, 
du  thé,  des  filés  et  des  tissus  de  coton.  Elle  en 
reçoit  en  échange  des  pâtes  de  poissons  et  des  sau- 
mures, des  poissons  secs,  salés  ou  fumés,  de  la 
chaux,  des  légumes  secs,  du  sucre  (noir,  brun  et 
blanc),  des  bois  et  des  allumettes,  des  tourteaux, 
des  graines  oléagineuses,  des  noix  d'arec  sèches, 
des   huiles    végétales    (coco,    coton,  sésame,  ara- 

18 


2^4 


>-OTRE     FRA>CE     D  EXTREME-ORIE^'T 


chides,  etc.) ,  des  peaux  de  bœufs  et  de  buffles,  du 
thé,  ainsi  que  du  sel  en  quantités  très  variables. 


PRINCIPALES    MARCHANDISES 


Peaux  et  pelleteries  brutes.    .    . 
Pâtes  de  poissons  et  saumures    . 

Mais  et  orge 

Riz  et  paddy 

Légumes  secs 

Noix  d'arec 

Sucres  bruns 

Opium 

Espèces  médicinales 

Bois  d'ébénisterie 

Matériaux,  chaux,  ciments .    .    . 

Houille 

Huile  lourde  et  pétrole   .    .    .    . 

Médicaments 

Poteries 

Fils 

Tissus 

Ouvrages  en  métaux 

Ouvrages  en  bois  autres  que  les 

meubles 

Ouvrages  en  matières  diverses    , 

Allumettes 

Poissons  conservés 

Poivre,  piment,  girolle  .     .    .    . 

Cannelle 

Bois  communs 

Sel 

Papier 

Armes 


1 .602 .973 
12 .o5i . 323 

923.421 
5 .362 . 5o5 

966. 723 
I. 451.846 
I . 207 .679 

5 . 2o3 . 108 


937.654 
926.169 
5.452. io5 
I .212 .816 
809.669 
2.398.028 
2.726.083 

5  493 -997 
2.o3o.8i6 

I . 276.018 

814.362 

3.332.343 


fr. 
I  .019.520 

12.286.865 

1.937. 147 

2.818. 177 

861.345 

I .655.619 

» 

7.353.655 

584.785 
I .060. 170 

744.204 
I .059.664 
I . 100.792 
4.381 .702 
2.625. 287 
5.578,240 
2.041 .587 


2 .829.342 

2. i3o  037 

2.965.225 

638. 039 

I .059.689 

733.673 

984.524 

839.841 


L'Annam  reçoit  du  Tonkin  :  du  riz,  des  charbons 


INDUSTRIE     ET    MOUVEMENT    COMMERCIAL        27^ 

et  des  briquettes,  des  vins,  de  Talcool  de  riz,  du 
ciment,  des  filés  de  coton  et  du  pétrole  et  lui 
envoie  du  sel,  du  sucre,  des  allumettes,  des  plan- 
ches, des  pâtes  de  poissons,  des  saumures,  des 
légumes  secs,  des  noix  d'arec,  des  bois,  du  riz, 
du  cacao  et  des  tourteaux  oléagineux. 

Au  Tonkin,  le  trafic  de  port  à  port  alimente  à 
peu  près  la  moitié  du  cabotage,  le  trafic  avec 
FAnnam  et  la  Cochinchine  Fautre  moitié. 

Le  Tonkin  envoie  en  Cochinchine  de  la  houille 
et  des  briquettes,  du  ciment  et  des  allumettes,  il 
en  reçoit  du  sel,  du  riz  et  des  noix  d'arec. 

En  Cochinchine,  le  trafic  de  port  à  port  ne  repré- 
sente guère  que  le  cinquième  du  total .  La  Cochin- 
chine est  surtout  en  relations  avec  le  Cambodge 
qui  lui  envoie  du  poivre  en  échange  d'un  assez 
gi'and  nombre  de  produits  parmi  lesquels  les  tissus 
de  coton  figurent  pour  un  chiffre  particulièrement 
important. 

Le  Laos  est  en  communication  avec  la  Cochin- 
chine et  le  Cambodge  par  le  Mékong,  dans  sa  partie 
inférieure,  avec  le  Siam  dans  sa  partie  septentrio- 
nale par  les  chemins  de  fer  de  Korat  et  de  Paknam- 
Po.  Il  est  très  difficile  d'évaluer  exactement  la 
valeur  des  importations  de  ce  pays  en  raison,  on 


276  NOTRE    FRAÎS'CE     d'eXTRÈME-ORIENT 

l'a  indiqué  précédemment,  de  Timmense  dévelop- 
pement de  la  frontière  qui  rend  souvent  illusoii'e 
toute  surveillance  douanière.  On  les  estime  d'une 
manière  approximative  et  respectivement  à  3  mil- 
lions et  demi  et  4 -300.000  francs.  Le  Siam  im- 
porte au  Laos  pour  2  millions  et  demi  de  mar- 
chandises sous  forme  de  cotonnades,  parapluies, 
quincaillerie,  pétrole,  tissus  divers  et  médica- 
ments. Le  Laos  exporte  des  buffles,  des  éléphants, 
des  peaux,  du  benjoin,  des  cardamomes  et  du 
bois  de  teck. 

Ajoutons  enfin  que  le  mouvement  commercial 
du  territoii^e  de  Quang-tcheou-Wan  s'élève  à 
12  millions  environ  :  6. 5 00. 000  francs  pour  les 
importations,  5.5oo.ooo  pour  les  exportations. 
Quang-tcheou-Wan  exporte  des  porcs,  des  nattes, 
des  bœufs,  du  sucre,  des  peaux  et  importe  des  filés 
de  coton,  de  Fopium,  du  pétrole,  des  médicaments 
chinois,  des  tissus  de  coton  et  des  allumettes. 


CHAPITRE    XII 

L  UNITÉ   INDO-CHINOISE 


I.  L'imité  indo-chinoise  et  le  Gouvernement  général.  —  Pouvoirs 
du  Gouverneur  général.  —  Le  Conseil  du  Gouvernement  de 
rindo-Chine.  —  Les  grands  services. 

n.  Les  budgets  et  l'organisation  financière. 


I 

L'UNITÉ  INDO-CHINOISE 
ET  LE  GOUVERNEMENT  GÉNÉRAL 


L^organisation  politique,  administrative  et  finan- 
cière de  rindo-Chine  repose  sur  la  distinction  des 
intérêts  généraux  et  des  intérêts  locaux  des  divers 
pays  de  la  colonie. 

A  la  gestion  des  premiers  correspond  la  notion 
du  gouvernement  général  qui  est  essentiellement 
composé  d'organes  de  direction  et  de  contrôle  ;  à 
la  gestion  des  seconds  correspond  celle  des  gouver- 
nements locaux  et  provinciaux. 


l'jS  NOTRE     FRANCE     d'eXTRÊME -ORIENT 

Le  Gouvernement  général  s  étendait,  en  1887, 
au  moment  de  sa  création,  surleTonkin,  FAnnam, 
la  Gochinchine  et  le  Cambodge.  En  1892,  il  s'est 
accru  du  Laos  et  en  1900  du  territoire  de  Quang- 
Tchéou-Wan.  Son  institution  a  réalisé  lUnion 
indo-chinoise,  c'est-à-dire Tunité  politique  franco- 
annamite  sans  laquelle  toute  action  coloniale  aurait 
été  impossible  dans  la  péninsule. 

Le  principe  de  cette  unité  n'entraînait  pas 
nécessairement  une  uniformité  absolue  dans 
l'organisation  administrative  de  l'Union  et  on 
a  eu  la  sagesse,  en  présence  de  la  diversité  des 
intérêts  propres  à  chacun  des  pays  de  l'Union, 
d'organiser  au-dessous  du  Gouvernement  général 
des  gouvernements  locaux  dotés  d'institutions  au- 
jourd'hui suffisamment  décentralisées  pour  s'adap- 
ter aux  conditions  spéciales  à  chacun  de  ces  pays. 

Le  Gouvernement  général  est  constitué  par  le 
Gouverneur  général  de  1  Indo-Chine  qu'assistent  un 
secrétaire  général  du  Gouvernement  général,  plu- 
sieurs chefs  de  grands  services  et  un  Conseil  du 
Gouvernement.  Des  décrets  récents,  en  date  du 
20  octobre  191 1,  ont  précisé  les  attributions  et 
les  fonctions  des  divers  organes  administratifs  et 
financiers  du  Gouvernement  général. 


L  UNITE    INDO-CHINOISE  279 

Le  Gouverneur  général  est  le  dépositaire  du 
pouvoir  de  la  République  en  Indo-Chine.  Il  a  la 
haute  direction  et  le  contrôle  de  tous  les  services 
civils  de  la  colonie.  Il  les  organise  et  est  respon- 
sable de  leur  fonctionnement.  Il  répartit  entre  les 
divers  pays  et  suivant  les  besoins  tout  le  per- 
sonnel, à  Texception  de  celui  de  la  magistrature. 
Il  nomme  à  toutes  les  fonctions  civiles,  sauf  à 
celles  dont  la  nomination  est  réservée  à  l'autorité 
métropolitaine  par  les  décrets.  Pour  ces  dernières, 
la  nomination  a  lieu  sur  sa  présentation.  Le  Gou- 
verneur général  organise  et  nomme  les  personnels 
locaux  et  indigènes.  Il  peut  déléguer  au  Gouver- 
neur de  la  Cochinchine,  aux  Résidents  supérieurs 
duTonkin,  deFAnnam,  du  Cambodge,  du  Laos  et 
à  l'Administrateur  du  territoire  du  Quang-tchéou- 
Wan  tout  ou  partie  de  ses  pouvoirs  en  matière 
de  nomination  de  personnel,  mais  il  consent  ces 
délégations  sous  sa  responsabihté. 

Le  Gouverneur  général  est  responsable  de  la 
défense  intérieure  et  extérieure  de  l'Indo-Chine.  D 
dispose  à  cet  effet  des  forces  de  terre  et  de  mer  qui 
y  sont  statioimées.  Il  ne  peut  en  aucun  cas 
exercer  le  commandement  direct  des  troupes  qui 
appartient  à  Fautorité  militaire,  mais  aucune  opé- 


•280  NOTRE    FRANCE    D  EXTRÊME-ORIENT 

ration  ne  peut  être  entreprise  sans  son  autorisa- 
tion. 

Le  Gouverneur  général  a  seul  le  droit  de  cor- 
respondre avec  le  Gouvernement  et  communique 
avec  les  Départements  ministériels  sous  le  couvert 
du  Ministre  des  Colonies.  Il  correspond  toutefois 
directement  avec  les  ambassadeurs,  ministres  plé- 
nipotentiaires, consuls  généraux  et  vice-consuls 
de  France  en  Extrême-Orient  ;  sans  pouvoir  tou- 
tefois engager  aucune  négociation  diplomatique  en 
dehors  de  Tautorisation  du  Gouvernement. 

Une  fois  pai'  an  au  moins  le  Gouverneur  général 
convoque  le  Conseil  du  Gouvernement  de  llndo- 
Chine  et  lui  soumet  entre  autres  questions  d  in- 
térêt général  les  budgets  de  la  colonie. 

Ce  Conseil,  appelé  Conseil  supérieur  de  llndo- 
Chine  jusquà  Fan  dernier,  est  composé  des  prin- 
cipaux collaborateurs  civils  et  militaires  qui 
assistent  le  Gouverneur  général  dans  sa  tache. 

Cette  assemblée  siège  ordinairement  à  Saigon, 
mais  le  Gouverneur  général  peut  la  convoquer  en 
toute  autre  capitale.  Dans  l'intervalle  des  sessions, 
une  Commission  permanente  siège  et  assiste  le 
Gouverneur  général. 

De  1900  à  1910,  TAdministration  a  été  très  for- 


L  UNITE    INDO-CHINOISE  281 

tement  centralisée.  Depuis  quelques  années,  on 
paraît  vouloir  abandonner  cette  politique  et  adopter 
des  mesures  de  décentralisation  qui  sans  atteindre 
le  principe  d'unité  qui  sert  de  fondement  au  Gou- 
vernement général  laissent  cependant  aux  diverses 
autorités  locales  une  part  plus  grande  d'autorité  et 
de  responsabilité.  Les  deux  tendances  peuvent  se 
justifier.  Pendant  la  période  des  débuts,  le  Gou- 
vernement avait  besoin  de  marquer  sa  volonté 
d  une  manière  suffisamment  énergique  pour  im- 
primer à  son  action  une  direction  prépondérante. 
A  la  longue,  cette  politique  de  centralisation  à 
outrance  a  pu  paraître  s'imposer  d'une  façon 
moins  impérieuse  et  une  décentralisation  plus 
grande  a  semblé  désormais  opportune.  C'est  dans 
cet  esprit  qu'ont  été  rédigés  les  derniers  décrets 
du  20  octobre  1911  et  conçues  plusieurs  mesures 
récentes  tendant  en  particulier  à  la  transformation 
des  anciennes  Directions  générales  en  services  plus 
modestes  ayant  à  leur  tête  de  simples  directeurs 
ou  des  inspecteurs-conseils. 

Quoique  pourvues  d'attributions  plus  restreintes 
depuis  quelques  mois,  ces  Directions  représentent 
encore  des  services  administratifs  considérables. 

La  Direction    des    Douanes    et   Régies    étudie 


•28-2  ^'OTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

toutes  les  réformes  d'ordre  fiscal  susceptibles  d'être 
apportées  aux  impôts  indirects  :  les  grandes  régies 
de  Talcool,  de  Topium  et  du  sel,  les  taxes  inté- 
rieures de  vente  et  de  circulation  créent  des  diffi- 
cultés multiples  qui  réclament  pour  être  résolues 
des  études  minutieuses  et  attentives  ;  une  organi- 
sation minutieuse  des  services  doit  être  prévue 
pour  que  le  contribuable  indigène  se  procure  sans 
trop  de  gêne  les  produits  faisant  Tobjet  du  mono- 
pole et  ne  soit  pas  Tobjet  de  vexations  inutiles. 

Le  service  des  Travaux  publics  a  été  récemment 
réorganisé.  La  Direction  générale  a  été  supprimée  ; 
létude,  Fexécution  et  l'entretien  des  travaux  inté- 
ressant directement  les  divers  pays  de  FUnion  ont 
été  confiés  à  des  services  locaux;  le  service  des 
Travaux  publics  du  Gouvernement  général  n'a  plus 
gardé  dans  ses  attributions  que  les  services  géné- 
raux (mines,  chemins  de  fer,  services  mariti- 
mes, etc.)  qui  n'intéressent  qu'indirectement  l'Ad- 
ministration locale  de  chaque  pays.  Un  inspecteur- 
conseil  assure  la  direction  à  donner  à  ces  services. 

Les  anciennes  Directions  générales  de  FAgri- 
culture,  des  Forêts,  du  Commerce  et  de  l'Enseigne- 
ment ont  été  de  même  transformées,  leur  per- 
sonnel a  été  réparti  dans  les  services  locaux  et  un 


L  UNITE    INDO-CHINOISE  'l^'i 

inspecteur-conseil  seul  assure  désormais  auprès 
du  Gouverneur  général  1  unité  et  la  coordination 
des  vues. 

Le  chef  du  Service  judiciaire  est  le  Procureur 
général  près  la  Cour  d  appel.  Cette  Cour  se  com- 
pose de  deux  chambres  siégeant  à  Saigon  et  de 
deux  chambres  siégeant  à  Hanoï.  Les  fonctions  de 
Cour  d'assises  sont  remplies  par  une  Commission 
criminelle  siégeant  dans  chacune  de  ces  deux 
villes.  Les  litiges  entre  Européens  et  indigènes 
sont  tranchés  par  le  tribunal  de  première  instance 
de  Saigon  et  par  douze  tribunaux  répartis  de  la 
manière  suivante  :  neuf  en  Cochinchine,  deux  au 
Tonkin,  un  au  Cambodge.  Enfin  cinq  justices  de 
paix  à  compétence  étendue  siègent  en  Cochinchine, 
une  en  Annam,  une  au  Tonkin  à  côté  des  tribu- 
naux de  commerce  mixtes  à  Saigon,  Hanoï  et  Haï- 
phong. 

II 

LES   BUDGETS   ET  L'ORGANISATION 
FINANCIÈRE 

Lunité  administrative  réalisée  par  la  création 
du    Gouvernement  général    a    été    complétée    en 


■lS\  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

matière  budgétaire  par  la  création  du  budget 
général  et  des  budgets  locaux. 

Le  budget  général  de  Tlndo-Chine  est  préparé 
d'après  les  instructions  du  Gouverneur  général, 
parle  secrétaire  général  du  Gouvernement  général, 
chargé  des  fonctions  de  directeur  des  Finances.  Il 
est  arrêté  chaque  année  en  Conseil  du  Gouverne- 
ment et  approuvé  i^aï  décret. 

Le  budget  général,  comme  en  Afrique  occi- 
dentale et  en  Afrique  équatoriale,  pourvoit  aux 
dépenses  des  grands  services  communs  à  Tensemble 
du  pays  (Douanes  et  Régies,  Trésorerie) ,  et  crée 
ainsi  entre  les  diverses  colonies  de  FUnion  une 
solidarité  financière  excellente  à  tous  points  de 
vue.  Il  est  alimenté  par  le  produit  des  taxes  de 
consommation,  par  celui  des  régies  (alcool,  opium, 
sel),  pai^  les  recettes  des  Douanes,  de  FEnregistre- 
ment,  des  Postes,  etc.. 

Les  chemins  de  fer,  depuis  Tan  dernier,  font 
Fobjet  de  budgets  annexes  au  budget  général, 
comme  en  Afrique  occidentale. 

Le  budget  général,  ainsi  constitué,  est  considé- 
rable. Il  s'est  équilibré  en  recettes  et  en  dépenses 
pendant  ces  dernières  années  de  la  façon  sui- 
vante : 


L  UNITE    INDO-CHINOISE 


•285 


RECETTES 
En    piastres. 

DÉPE>SES 

En    piastres. 

1900.    .    .    . 

21.688.928.32 
29-969.259,99 
27.229.744,81 
33.822.013,56 
37.037.054,23 
37.578.228.33 
38.765.662,16 

19.054. 463,29 

3o. 492.085, 65 
27.516. 238. 63 
33.434.676,48 
36. 037. 054. 23 
36.526.562,43 
37.783.171,98 

1905 

1906 . 

1907 

1908 

1909 

1910.    .    . 

Les  prévisions  pour  191 2  sont  de  35.3 17.000 
piastres,  se  répartissant  ainsi  : 
Dépenses  : 

Services  des  douanes  et  régies .    .    .     .  ii.ii 5. 020  piastres. 

Dettes  remboursables  par  annuités  .    .  7.678.858  — 
Contributions  aux  dépenses  militaires 

de  la  métropole 5.622.210 

Services  de  travaux  publics 3o6.3io  — 

Services  des  postes  et  télégraphes.    .     .  2.077.205  — 

Services  des  chemins  de  fer 1.858.907  — 

Recettes  : 

Contributions  indirectes  et  régies .    .    .  8.400.000  — 

Douanes 23.878.950  — 

Enregistrement,  domaines  et  timbre    .  1.592.540  — 

Chemins  de  fer 189.907  — 

Postes  et  télégraphes 800.000  — 

Pour  faire  face  aux  dépenses  locales,  on  a  ins- 
titué des  budgets  locaux.    La   majeure  partie   de 


286  NOTRE     FRANCE     d'eXTRÈME-ORIENT 

leurs  recettes  consiste  dans  le  produit  des  impôts 
directs  et  des  taxes  assimilées. 

Ces  budgets  sont  établis  chaque  année  par  le 
Gouverneur  de  la  Cochinchine,  pai^  les  Résidents 
supérieurs  de  TAnnam,  du  Tonkin,  du  Cambodge 
et  du  Laos  et  par  F  Administrateur  en  chef  de 
Quang-Tchéou-Wan,  avec  Taide  des  conseils  locaux 
et  des  principaux  chefs  de  service.  Soumis  à 
l'approbation  du  Gouverneur  général,  ils  étaient 
jusqu  à  l'année  dernière  approuvés  par  décret  par 
le  pouvoir  métropolitain.  Depuis  le  décret  du 
20  octobre  191 1,  le  Gouverneur  général  a  pouvoir 
de  les  rendre  directement  exécutoii'es. 

Au-dessous  du  budget  général  et  des  budgets 
locaux,  il  existe  encore  des  budgets  provinciaux  et 
communaux.  Ces  budgets  sont  alimentés  par  les 
recettes  provenant  des  fermes  et  des  marchés,  des 
taxes  urbaines  et  des  centimes  additionnels  et  font 
face  aux  dépenses  des  provinces  et  des  communes. 
Dans  les  grandes  villes  il  existe  également  des 
budgets  spéciaux,  mais  leurs  recettes  sont  géné- 
ralement insuffisantes  et  les  budgets  locaux  doi- 
vent leur  venir  en  aide  au  moyen  de  subventions 
spéciales. 


CHAPITRE  XIII 

ORGANISATION   DES   DIVERSES 
COLONIES  DE  L'UNION  INDO  CHINOISE 


I.  Cochinchine.  —  Le  Gouverneur.  —  Le  Conseil  privé.  —  Le 
Conseil  de  gouvernement.  —  Organisation  des  provinces.  —  Les 
administrateurs  français  et  indigènes. 

IL  Protectorats  de  l'Annam,  du  Tonkin,  du  Cambodge  et  du  Laos. 
Pouvoirs  des  résidents  supérieurs  et  des  résidents  des  conseils 
locaux.  —  Administration  du  territoire  de  Quang-Tcheou-Wan. 

Chaque  colonie  de  FUnion  indo-chinoise  est 
dotée  d'une  organisation  administrative  propre  et 
d'un  régime  poUtique  spécial.  La  Cochinchine  est 
un  pays  d'administration  directe,  FAnnam,  le 
Tonkin,  le  Cambodge,  le  Laos  sont  des  pays  de 
protectorat,  mais  de  forme  assez  dissemblable. 

I 

COCHINCHINE 

La  Cochinchine,  où  nous  sommes  installés 
depuis  longtemps,   comprend    vingt  provinces  et 


'iSS  NOTRE    FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

représente  un  domaine  de  plus  de  57.000  kilo- 
mètres carrés,  peuplé  de  3  millions  d'habitants 
(2.000  Européens,  2.600.000  Annamites,  1 20.000 
Chinois  et  280.000  Cambodgiens). 

La  colonie  est  placée  sous  Fautorité  d'un  Gou- 
verneur qui  représente  le  Gouverneur  général  et 
qui  est  chef  de  l'administration  locale. 

Le  Gouverneur  est  assisté  dans  sa  tâche  par  un 
Conseil  privé,  qui  comprend  le  commandant  mili- 
taire, le  chef  du  service  judiciaire  et  le  directeur 
des  bureaux  du  Gouvernement,  le  procureur  de 
la  République  du  chef-heu  de  la  colonie,  le  chef 
du  service  des  travaux  publics,  deux  notables 
choisis  parmi  les  citoyens  français  notables,  jouis- 
sant de  leurs  droits  civils  et  politiques  et  désignés 
pour  deux  années  par  le  Gouverneur  général  sur 
présentation  du  Gouverneur  et  de  deux  notables 
indigènes  nommés  par  décret.  Le  Conseil  privé 
est  un  Conseil  consultatif  qui  peut  se  transformer 
en  Conseil  du  Contentieux  par  l'adjonction  de  deux 
magistrats,  Fun  d'eux  prend  alors  le  titre  de  com- 
missaire du  gouvernement.  Le  secrétaire  archi- 
viste remplit  les  fonctions  de  greffier. 

Il  existe,  en  outre,  en  Cochinchine  une  seconde 
assemblée,  le  Conseil  colonial.  Ce  Conseil  qui  cor- 


COLOiMES    DE    l'uîsION    INDO-CHINOISE  '289 

respond  sensiblement  aux  Conseils  généraux  qui 
fonctionnent  dans  nos  vieilles  colonies  des 
Antilles  et  de  la  Réunion,  étudie  toutes  les  ques- 
tions d'intérêt  général.  Pour  préciser  ses  délibé- 
rations, il  formule  des  vœux.  Il  statue  sur  la 
gestion  du  domaine  de  la  colonie  en  matière  d  ac- 
quisitions, de  baux,  d  aliénations.  Il  discute  et  vote 
le  budget  de  la  colonie  ainsi  que  ses  emprunts. 
Il  donne  enfin  des  avis  sur  diverses  questions, 
notamment  en  matière  de  douanes. 

Le  Conseil  colonial  est  composé  de  conseillers 
français  élus  au  suffrage  universel  par  les  citoyens 
français  résidant  en  Cochinchine  depuis  plus  d'un 
an,  de  deux  délégués  du  Conseil  privé  et  de  six 
conseillers  annamites  élus  par  les  délégués  des 
notables  des  villages. 

Notons  enfin  que  la  Cochinchine  élit  un  député 
à  la  Chambre  des  députés  de  la  Métropole,  mais 
qu'elle  n  est  pas  représentée  au  Sénat. 

Dans  les  provinces,  on  a  introduit  un  système 
d'administration  directe  mixte  en  ce  sens  que 
rélément  indigène  y  collabore  d'une  manière 
assez  étendue. 

La  commune  existe  à  la  base.  Elle  est  dirigée 
par  un  Conseil  de  douze  notables  élus  par  leurs 

19 


290  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

pairs,  parmi  les  habitants  présentant  certaines 
garanties  de  fortune,  de  savoir,  et  d'honorabilité. 
Trois  notables  qui  occupent  les  trois  derniers  rangs 
dans  la  hiérarchie  des  notables,  les  huong-than,  le 
tho-truong  et  le  huong-hao  sont  chargés  d'exé- 
cuter les  ordres  du  Conseil.  Le  Conseil  administre 
les  biens  de  la  commune  et  en  affecte  les  revenus 
aux  dépenses  d'intérêt  communal  :  routes,  marchés, 
école,  pagodes,  caisse  commune,  etc.. 

Gomme  en  France,  au-dessus  de  la  commune 
on  trouve  le  canton  qui  est  administré  depuis  1908 
par  un  chef  et  un  sous-chef  de  canton.  Ces  agents 
sont  de  véritables  fonctionnaires  recrutés  par  con- 
cours parmi  les  candidats  désignés  par  les  vil- 
lages . 

La  province  représente  la  réunion  de  plusieurs 
cantons.  Elle  a  à  sa  tête  un  administrateur  fran- 
çais du  corps  des  services  civils  de  Tlndo-Chine. 

Dans  certaines  provinces  particulièrement  im- 
portantes ou  étendues,  la  dissémination  considé- 
rable des  populations  s'accommodait  assez  mal  de 
cette  centralisation  et  on  a  pris  Ihabitude  depuis 
quelques  années  de  grouper  plusieurs  cantons  sous 
l'autorité  de  fonctionnaires  indigènes  (doc-phu, 
phu  ou  huyen)  qui  sont  des  sortes  de  sous-préfets 


COLONIES     DE    L  UNION     INDO-CHINOISE  291 

et  servent  d'intermédiaires  entre  les  chefs  de  canton 
et  le  gouverneur.  Dans  certaines  circonscriptions, 
ces  fonctionnaires  sont  même  des  Français. 

L'Administrateur,  chef  de  province,  réside  au 
chef-lieu.  Il  a  sous  ses  ordres  immédiats  tous  les 
fonctionnaires  de  la  province  et  exerce  son  contrôle 
même  sur  les  agents  qui  relèvent  plus  directe- 
ment des  grands  services  (agents  des  Travaux 
publics,  des  Douanes,  de  TEnregistrement,  des 
Postes,  etc..)  L'Administrateur  est  assisté  dans  sa 
tâche  d  un  Conseil  provincial  composé  exclusive- 
ment d  indigènes  qui  votent  le  budget  de  la  pro- 
vince. 

II 

LANNAM.  LE  TONKIN.  LE  CAMBODGE.   LE  LAOS 

L'Annam  est  un  pays  de  protectorat  ayant  con- 
servé Fancienne  administration  indigène  presque 
intacte.  Celle-ci  fonctionne  sous  le  contrôle  de  la 
France. 

L'Empereur  est  au  sommet  de  toute  la  hiérar- 
chie. Un  Conseil  secret  ou  Co-Mat  lassiste  dans 
ses  délibérations  et  joue  actuellement  un  rôle  d'au- 
tant   plus    prépondérant  que  l'Empereur  actuel, 


'igi  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

S.  M.  Duy-Tan,  est  encore  enfant.  Ce  Conseil  est 
composé  des  sept  ministres,  de  llntérieur.  des 
Finances,  de  la  Guerre,  des  Rites,  de  la  Justice, 
des  Travaux  publics  et  de  Tlnstruction  publique. 
Un  Conseil  de  trois  mandarins  assiste  en  outre 
chaque  ministre.  La  gestion  des  fonctionnaires  est 
contrôlée  par  un  Conseil  de  censure,  nommé  par 
1  Empereur. 

Les  provinces,  qui  sont  formées  de  plusieurs  cir- 
conscriptions de  cantons,  sont  dirigées  par  un  tong- 
doc,  assisté  d'un  chef  du  service  administratif 
(Quan-bo) ,  d'un  chef  du  service  judiciaire  (an-sat) , 
d  un  inspecteur  des  écoles  (doc-hoc)  et  d  un  com- 
mandant militaire  (lank-binh) . 

Le  tong-doc  a  sous  ses  ordres  des  quan-huyen 
et  des  quan-phu  qui  administrent  les  circonscrip- 
tions et  les  cantons. 

A  la  base,  on  trouve  la  commune  dont  nous  avons 
indiqué  précédemment  lorganisation,  avec  ses 
inscrits,  son  Conseil  de  notables,  etc.. 

Le  traité  de  1 884  (art.  3,  5,  ii)  avait  délimité 
strictement  le  rôle  de  F  Administration  française. 
Nous  devions  avoir  seulement  un  Résident  général 
à  Hué  pour  présider  aux  relations  du  protectorat 
sans  s'immiscer   dans    l'administration  locale  des 


l^-^' 


COLONIES    DE    L  UNION    INDO-CHINOISE  'Mj'S 

provinces.  Nous  ne  pouvions  intervenir  qu'en 
matière  de  douanes,  de  travaux  publics  et  en 
général  dans  les  services  exigeant  une  direction 
ou  le  concours  d'ingénieurs  européens.  L'impôt,  en 
particulier,  devait  être  perçu  par  les  fonctionnaires 
indigènes  et  pour  le  compte  de  la  cour  de  Hué. 

Peu  à  peu,  notre  rôle  administratif  a  grandi  et 
le  Gouvernement  français  dirige  aujourd  hui  non 
seulement  les  relations  extérieures  du  pays  et 
les  grands  services  publics,  mais  encore  les 
finances  et  contrôle  même  l'administration  et  la 
justice  indigènes.  Deux  ordonnances  de  1897  et 
1898  prises  par  l'empereur  Thanh-Taï  ont  consacré 
le  développement  de  notre  action. 

Le  Résident  supérieur  représente  le  Gouverne- 
ment français  auprès  de  l'Empereur,  préside  le 
Co-Mat  et  dirige  en  fait  à  l'heure  actuelle  tous  les 
grands  services  publics.  Maître  du  budget  dont  il 
fixe  les  recettes  et  les  dépenses,  il  est  maître  des 
finances  de  TEmpire.  Au-dessous  de  lui  des  Rési- 
dents français  placés  à  côté  des  fonctionnaires  indi- 
gènes à  la  tête  des  quatorze  provinces  de  la  colonie 
contrôlent  Fadministration  indigène. 

Le  Résident  supérieur  est  assisté  d'un  Conseil 
de  protectorat  analogue  au  Conseil  privé  de  Cochin- 


29^1  NOTRE    FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

chine,  mais  qui,  à  la  différence  de  ce  Conseil,  ne 
se  transforme  pas  en  Conseil  du  Contentieux.  Le 
Conseil  du  Contentieux  siégeant  à  Hanoï  évoque 
devant  lui  les  affaires  de  FAnnam.  Le  Conseil  de 
protectorat  est  composé  de  fonctionnaires  français, 
d'un  délégué  de  la  Chambre  mixte  du  Commerce 
et  d'Agriculture  et  de  deux  délégués  du  Co-Mat. 

Le  Tonkin  est,  comme  FAnnam,  un  pays  de 
protectorat,  mais  le  protectorat  français  y  a  revêtu 
une  forme  différente  et  plus  stricte  qu'en  Annam. 

Le  traité  du  6  juin  i884  nous  en  donnait  le 
droit  en  autorisant  l'installation  de  résidents  et  de 
résidents-adjoints  dans  les  chefs-lieux  où  leur  pré- 
sence serait  jugée  utile.  Ce  traité  stipulait  bien 
que  les  fonctionnaires  indigènes  en  service  conti- 
nueraient à  gouverner  et  à  administrer  sous  le  con- 
trôle des  résidents,  mais  l'autorité  française  pou- 
vait demander  leur  révocation.  Nos  résidents 
avaient  en  outre  le  droit  de  centraliser  Fimpôt 
avec  le  concours  des  quan-bo  indigènes  et  d'en 
surveiller  la  perception  et  l'emploi. 

Notre  action  s'est  d  ailleurs  fortement  accrue  au 
Tonkin,  comme  en  Annam,  depuis  i884-  Le 
poste  de  Kinh-Luoc,  c'est-à-dire  de  vice-roi  du 
Tonkin,  a  été  supprimé  en  1897  et  les  attributions 


1   a 


COLONIES    DE    l'uNION    INDO-CHINOISE  '295 

de  ce  haut  fonctionnaire  indigène  ont  été  dévo- 
lues au  Résident  supérieur  du  Tonkin.  Des  rési- 
dents ont  été  installés  dans  toutes  les  villes  impor- 
tantes devenues  chefs-lieux  de  province  et  tous 
ces  résidents  ont  été  placés  sous  la  dépendance 
très  étroite  du  Résident  supérieur. 

Comme  en  Annam,  le  Résident  supérieur  est 
maître  des  finances  de  la  colonie  en  préparant  et 
en  administrant  le  budget.  Un  Conseil  de  protec- 
torat qui,  à  l'occasion,  devient  Conseil  du  Conten- 
tieux l'assiste  dans  ses  délibérations. 

Au  Cambodge,  l'administration  a  été  organisée 
sur  des  bases  nouvelles  pendant  ces  dernières 
années.  On  a  vu  précédemment  comment  S.  M. 
Sisowath  avait  donné  à  la  commune  cambodgienne 
une  forme  nouvelle  et  plus  rationnelle.  Au-dessus 
de  la  commune  se  trouve  la  province,  le  Khet, 
dirigé  par  un  gouverneur  qui  a  sous  ses  ordres  un 
certain  nombre  de  fonctionnaires  indigènes  chargés 
de  la  police  et  de  TAdministration  proprement 
dite. 

Le  Roi  est  au  sommet  de  la  monarchie  et  dirige 
l'Administration  indigène.  Un  Conseil  composé  de 
cinq  ministres  (premier  ministre,  un  ministre  de 
la  Justice,  du  Palais,  de  la  Marine  et  de  la  Guerre) 


2g6  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

et  de  treize  autres  membres  l'assiste  pour  Texpé- 
dition  des  affaires.  Un  intendant  de  la  liste  civile 
joue  le  rôle  de  Ministre  des  Finances. 

Un  Résident  supérieur  français  placé  auprès  du 
Roi  représente  le  Gouvernement  français  et  assure 
lexercice  du  protectorat.  Le  Résident  supérieur 
préside  le  Conseil  des  ministres  et  le  Conseil  du 
protectorat.  Plusieurs  chefs  de  service  (Agricul- 
ture, Enseignement,  Travaux  publics,  etc..)  et 
douze  résidents,  chefs  de  province,  sont  sous  ses 
ordres  directs. 

Les  résidents  qui  sont  chargés  de  surveiller 
l'administration  indigène  sont  assistés  d'un  Con- 
seil de  résidence  élu  qui  donne  son  avis  sur  toutes 
les  questions  relatives  à  la  répartition  de  1  impôt. 

Au  Laos,  on  rencontre  plusieurs  souverainetés 
indigènes.  Il  existe  un  roi  à  Luang-Prabang,  il  en 
existe  un  autre  à  Bassac,  un  troisième  à  Muong- 
Sing.  La  France  exerce  sur  toutes  son  protectorat 
par  Fentremise  d'un  Résident  supérieur  qui  siège 
à  Vien-Tian  et  est  assisté  par  douze  commissaires 
du  gouvernement  placés  à  la  tète  de  douze  com- 
missariats. 

L'administration  indigène,  comme  dans  les 
colonies  précédentes,   s'exerce  dans   les   villages, 


COLONIES    DE    L  UNION    INDO-CHINOISE  297 

dans  les  cantons  et  dans  les  provinces.  Les  vil- 
lages sont  administrés  par  des  phoban  et  les  can- 
tons par  des  tasseing,  qui  sont  assistés  les  uns  et 
les  autres  par  deux  adjoints  et  par  deux  conseils 
d'anciens.  Un  liao-muong  est  chef  de  la  province, 
trois  mandarins  généralement  choisis  parmi  les 
membres  des  familles  nobles  de  la  province,  le 
tiao-oupahar,  le  tiao-latsavong  et  le  tiao-lattsabout, 
assistent  le  tiao-muong  dans  Fadministration  de  la 
province. 

La  plupart  de  ces  chefs  sont  élus  par  les  chefs 
de  villages  et  agréés  par  Fautorité  française. 

Au  fond,  toute  cette  administration  est  très 
rudimentaire,  en  raison  de  la  dissémination  des 
habitants  et  de  la  rareté  des  moyens  de  communi- 
cation. Notre  rôle  se  borne  en  fait  à  tâcher  de 
secouer  l'apathie  naturelle  des  habitants  et  à  les 
initier  à  mettre  en  valeur  leur  pays. 

Un  Administrateur  en  chef  dirige  le  territoire 
de  Quang-tchéou-Wan  avec  sous  ses  ordres  trois 
chefs  de  circonscription.  Cet  Administrateur  en 
chef  relève  directement  du  Gouverneur  général  de 
FIndo-Chine. 


CHAPITRE  XIV 

SITUATION    FINANCIÈRE 


Situation  financière.  —  État  des  finances  do  la  colonie.  —  Le  bud- 
get général,  les  budgets  locaux.  —  Situation  de  la  caisse  de 
réserve.  —  Les  emprunts. 

Nous  avons  vu  précédemment  quelle  était  Tor- 
ganisation  budgétaire  de  la  colonie  ;  quelques  ren- 
seignements sur  la  situation  financière  pourront 
apporter  sur  le  sujet  quelques  précisions  et  mon- 
trer le  développement  économique  très  réel 
pris  par  la  colonie  au  cours  de  ces  quinze  der- 
nières années  et  sa  répercussion  dans  la  situa- 
tion financière. 

Les  chiffres  ci-dessous  se  rapportent  à  Texercice 
1910,  le  seul  dont  on  connaisse  encore  à  Fheure 
actuelle  d'une  manière  très  précise  et  officielle  les 
résultats. 

Les  recettes  et  les  dépenses  du  budget  général 
avaient  été  arrêtées  pour  1910  à  la  somme  totale 


3oO  NOTRE    FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

de  35.82i.5oo  piastres,  la  piastre  étant  calculée 
au  taux  de  i^%3o. 

Les  recettes  prévues  au  budget,  tant  au  titre 
des  recettes  ordinaires  que  des  recettes  extraordi- 
naires, devaient  atteindre  37.765.662  piastres, 
d'où  un  excédent  sur  les  recettes  de  1.344- 162 
piastres. 

Les  dépenses  prévues  s'élevaient  à  37.421.300 
piastres,  elles  se  sont  élevées  à  37.783.171  piastres, 
soit  à  361.671  piastres  déplus;  mais  ce  chiffre  a 
permis  au  budget  général  de  s'équilibrer  avec  un 
excédent  définitif  de  recettes  de  982.490  piastres. 

La  situation  du  budget  général  était  donc  à 
cette  date  excellente.  Tous  les  chapitres  s'étaient 
soldés  du  reste  avec  des  excédents  de  recettes,  à 
lexception  du  chapitre  de  l'exploitation  des  che- 
mins de  fer,  en  déficit  de  38.823  piastres.  Les 
plus-values  de  recettes  sont  dues  à  la  prospérité 
de  la  colonie  pendant  ces  dernières  années.  Les 
recettes  ont  été  abondantes,  la  richesse  du  pays  et 
par  suite  sa  capacité  d  achat  s'est  trouvée  naturel- 
lement augmentée.  Il  en  est  résulté  un  développe- 
ment très  notable  des  transactions.  Les  produits 
des  Douanes,  par  exemple,  qui  avaient  été  prévus 
pour  5.450.000  piastres   ont  dépassé  6.637.000 


SITUATION    FINANCIKHK  3o  ( 

piastres,  d  où  un  excédent  de  plus  de  687.000 
piastres.  A  noter  également  un  excédent  de 
233. 3o6  piastres  sur  les  droits  à  1  exportation.  Le 
développement  des  entrées  et  des  sorties  de  mar- 
chandises a  eu  sa  répercussion  sur  les  droits  de 
statistique,  de  transit,  de  phare  et  d'ancrage,  de 
navigation,  etc.,  dont  les  produits  sont  versés  au 
budget  général. 

Le  budget  local  de  la  Cochinchine  pour  Texer- 
cice  1910,  arrêté  en  recettes  et  en  dépenses  à  la 
somme  de  5.273.G00  piastres,  a  présenté  au 
3o  juin  191 1,  date  de  la  clôture  de  l'exercice,  la 
situation  réelle  suivante  : 

Recettes  réalisées  :  5.429.024  piastres. 

Dépenses  effectuées  :  5.3o6.i84  piastres. 

L'excédent  des  recettes  sur  les  dépenses  a  donc 
atteint  i32.84o  piastres. 

Le  budget  local  du  Tonkin^  arrêté  en  recettes  et 
en  dépenses  à  la  somme  de  6.2,54  o38  piastres  a 
présenté,  en  fin  d'exercice,  la  situation  suivante  : 

Recettes  réalisées  :  6.289.003  piastres. 

Dépenses  effectuées  :  6.240.779  piastres. 

D  où  encore  un  excédent  de  l\'6.ii^  piastres, 
bien  que  le  budget  du  Tonkin  ait  eu,  cette  année- 
là.  à  faire  face  aux  dépenses  occasionnées  par  les 


Soi  NOTRE    FRANCE    D  EXTREME-ORIENT 

opérations  militaires  du  Yen-thé  contre  le  Dé- 
Tham  du  Phu-Yen  et  de  Hoa-Binh  contre  les 
réformistes  chinois. 

Le  budget  local  deVAnnam  s'est  également  soldé 
par  un  excédent  de  recettes  de  69.678  piastres. 

Arrêté  à  la  somme  de  3. 231. 660  piastres,  il 
s'est  facilement  équilibré  aux  chiffres  suivants  : 

Recettes  :  3.263.999  piastres. 

Dépenses  :  3. 194.321  piastres. 

Le  budget  local  du  Cambodge  est  en  situation 
meilleure  encore,  puisque  Texcédent  des  recettes 
sur  les  dépenses  a  atteint  3o4.65i  piastres.  Les 
recettes  portées  au  budget  pour  2.927.610  piastres 
ont  atteint  3.107.494  piastres,  et  les  dépenses 
2.802.842  piastres. 

Le  budget  local  du  Laos  a  également  présenté 
une  plus-value  notable,  6 1.439  piastres,  provenant 
de  1  excédent  des  recettes  :  967.355  piastres  sur 
les  dépenses  :  905.926  piastres. 

Le  versement  du  reliquat  de  lexercice  19 10 
aux  diverses  caisses  de  réserve  de  la  colonie  a 
porté  1  actif  de  1  Indo-Chine  à  9  millions  et  demi 
de  piastres.  Cest  un  joli  denier  qui  mieux  que 
tout  commentaire  indique  quelle  est,  en  somme, 
la  situation  financière  de  la  colonie. 


SITUATION    FINANCIERE  3o3 

Le  budget  général  de  1912  a  été  arrêté  à  la 
somme  de  3 5. 3 17. 000  piastres,  en  tenant  compte 
de  la  nécessité  de  procéder  à  des  économies 
sérieuses  dans  toutes  les  branches  de  l'Adminis- 
tration, conformément  aux  volontés  du  Parlement. 
D'après  les  derniers  renseignements  qui  sont  par- 
venus dlndo-Chine,  Fexercice  en  cours  se  pré- 
sente dans  d'excellentes  conditions;  au  3i  août 
191 2,  les  recettes  prévues  pour  les  quatre  prin- 
cipaux chapitres  du  budget  général  (Douanes, 
Contributions  indirectes  et  Régies,  Enregistrement, 
Domaine  et  Timbres,  Postes,  Télégraphes  et  Télé- 
phones) accusaient  déjàuneplus-valuede3.3 15.672 
piastres. 

Au  3 1  mai  1 9 1 2 ,  la  caisse  de  réserve  du  budget 
général  contenait  f\.o3i.i5S  piastres  et  comme  on 
pense  que  l'exercice  191 1  se  clôturera  avec  un 
excédent  de  recettes  de  236.429  piastres,  il  est 
facile  de  calculer  approximativement  quel  sera 
prochainement  le  montant  de  la  caisse  de  réserve 
de  ces  colonies. 

LTndo-Chine  est  donc  dans  une  situation  finan- 
cière très  satisfaisante.  Si  les  dépenses  ont  grandi 
depuis  quinze  ans  comme  il  était  naturel  à  mesure 
que  notre  œuvre   de  colonisation  se  développait, 


•3o', 


NOTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 


ses  ressources  se  sont  également  accrues  sans  que 
rindigène  ait  eu  en  somme  à  supporter  des  charges 
fiscales  exorbitantes.  La  perception  de  certains 
impôts,  celle  des  impôts  indirects,  monopoles  et 
régies  en  particulier,  a  pu,  à  certains  moments, 
donner  lieu  à  quelques  réclamations,  mais  il  s'agit  là 
de  cas  isolés  qu'une  sage  administration  peut  aisé- 
ment faiie  disparaître.  Dans  Tensemble,  la  situation 
est  bonne  et  la  marche  ascendante  des  budgets  reflète 
surtout  le  développement  économique  du  pays. 
A  titre  de  renseignements,  voici  quelle  a  été  la 
progression  des  recettes  du  budget  général  depuis 

1899- 


1899 
1900 
1901 
1902 
1903 
1904 
1903 
1906 
1907 
1908 

1909 
1910 

191 1  (prévis 


onsj 


191 3  (prévisions) .    . 


TAUX  DE   LA  PIASTRE 

Piastres 

Francs 

19.687.701 

2,52 

•21.690.804 

2,57 

24. 029. 279 

2,5o 

•28.920.263 

2,l5 

31.844.277 

2,20 

3i.45i.6oi 

2,34 

3o.o66.844 

2,46 

27.320.023 

2,35 

33.914.366 

2,5o 

32.8o5.ooo 

2,5o 

37.425.500 

2,40 

35.765.662 

2,30 

38.362.254 

2,40 

35.317.000 

2,4q 

SITUATION    FINANCIÈRE  3o5 

La  dette  de  Tlndo-Chine  comporte  actuellement 
deux  grands  emprunts,  Tuii  de  80  millions  de 
francs  en  icS()G  par  les  colonies  de  TAnnam- 
Tonkin  et  l'autre  de  200  millions  contracté  en 
r8f)8  pour  Texécution  de  grands  travaux  publics 
qui  faisaient  partie  du  plan  de  M.  le  Gouverneur 
général  Doumer.  En  1909,  un  emprunt  de  liqui- 
dation de  j3  millions  a  été  contracté  pour  achever 
de  payer  les  dépenses  du  chemin  de  fer  du 
Yunnan,  et  si  Ton  ajoute  aux  annuités  payées  au 
titre  des  emprunts  précédents  celles  afférentes  au 
remboursement  du  capital  de  construction  du 
chemin  de  fer  de  Saïgon-Mytho  et  au  service  de 
rintérêt  et  de  Famortissement  des  obligations 
garanties  de  la  Compagnie  des  chemins  de  fer  de 
r Indo-Chine  et  du  Yunnan,  on  arrive  à  un  chiffre 
de  7.234.408  piastres  qui  représente  l'annuité 
totale  de  la  dette  de  Tlndo-Chine. 

Nous  avons  vu  précédemment  que  le  Gouverne- 
ment a  récemment  soumis  au  Parlement  un  projet 
de  loi  tendant  à  permettre  à  Tlndo-Chine  de  con- 
tracter un  nouvel  emprunt  de  90  millions  pour  lui 
permettre  deffectuer  un  certain  nombre  de  tra- 
vaux publics.  L'annuité  relative  à  cet  emprunt 
serait  de  444 -450  piastres,  mais  serait  compensée 


3o6  NOTRE     FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

par  une  diminution  de  la  contribution  de  la 
colonie  aux  dépenses  militaires  de  la  métropole  en 
Indo-Chine.  Au  point  de  vue  financier,  ce  nouvel 
emprunt  n'accroîtrait  pas  d  une  manière  sensible 
les  charges  de  la  colonie. 


7^ 


A>G-KO|',    THr»M 


:b^ 


1 


CHAPITRE  XV 

L'INDO   CHINE    AU   POINT   DE    VUE 
DU    TOURISME 


L'Indo-Chinc  au  point  de  vue  artistique.  —  Les  grands  monu- 
ments :  Ang-Kor,  les  tombeaux  des  empereurs  de  Hué.  —  Les 
grandes  villes,  Saigon,  Pnom-Penh,  Hanoi.  —  Les  grands  tra- 
vaux :  le  chemin  de  fer  du  Yunnam.  —  Les  sites  naturels  :  la 
baie  d'Along. 

L'Indo-Chine  au  point  de  vue  littéraire.  —  Les  littératures  indi- 
gènes :  les  légendes,  les  romans,  les  pièces  de  théâtre,  etc. 

Les  populations  dont  nous  avons  précédemment 
indiqué  le  caractère,  les  mœurs,  décrit  les  princi- 
paux types  sont  toutes  très  attachantes  et  intéres- 
santes, aussi  bien  pour  F  ethnographe  que  pour  le 
simple  touriste.  Nous  n'avons  indiqué  à  leur  sujet 
dans  les  pages  qui  précèdent  que  les  caractères 
essentiels  de  leurs  coutumes  et  de  leur  existence, 
mais  que  de  traits  curieux  renfermerait  une  étude 
plus  attentive  et  plus  détaillée  de  leur  vie  quoti- 
dienne, de  leur  littérature,  de  leur  art. 

Car  à  la  différence  des  autres  populations  qui 


3o8  NOTRE     FRAN'CE     d'eXTRÈME-ORIENT 

peuplent  notre  empire  africain  ou  même  mal- 
gache, nous  sommes  ici  installés  en  Indo-Chine  au 
milieu  de  races  ayant  une  civilisation  très  ancienne, 
un  art  très  délicat,  une  littérature  particulière. 

L'art  indo-chinois  revêt  des  formes  multiples  ; 
mais  ce  que  Ion  en  connaît  généralement  en 
Europe  ne  saurait  suffire  pour  en  faire  apprécier 
toute  la  délicatesse  et  la  beauté.  Les  Annamites  sont 
des  maîtres  dans  la  broderie,  dans  Fébénisterie,  et 
leur  merveilleux  talent  dans  Fart  de  l'incrustation 
et  de  la  sculpture  qui  leur  permet  de  produire  de  si 
jolis  motifs  de  décoration,  ne  donne  qu'une  idée, 
très  lointaine,  de  tout  ce  que  Fart  indigène  ren- 
ferme de  puissant  et  d  original. 

Comme  architectes  et  constructeurs,  les  peuples 
indo-chinois  ont  produit  des  œuvres  admirables. 
J  ai  décrit  récemment  le  joyau  architectural  de 
llndo-Chine,  Ang-Kor,  dont  heureusement  la 
majesté  sublime  commence  àretenir  l'attention  des 
touristes  du  monde  entier,  habitués  jusqu'ici  à  se 
porter  vei^  des  monuments  égyptiens,  ou  indiens, 
remarquables  certainement,  mais  qui  ne  sont  pas 
plus  imposants  \  Cet  ensemble  extraordinaire  dédi- 

^  En  Indochine,  mes  chasses,  mes  voyages  (duc   de  Montpensier) . 


l'indo-chine   au   point  de   vue   du  tourisme  3o9 

fices  ensevelis  sous  un  linceul  de  verdure,  aux 
prises  depuis  des  siècles  avec  une  végétation  enva- 
hissante et  destructive,  avec  ce  fameux  figuier  des 
ruines . 

Hué,  avec  ses  tombeaux  des  Empereurs,  offre 
un  spectacle  qui  n'est  guère  moins  grandiose. 
Dans  ce  pays  où  le  culte  des  morts  synthétise 
presque  entièrement  toute  religion,  il  était  naturel 
que  les  restes  des  anciens  empereurs  fussent  Fobjet 
de  manifestations  artistiques,  architecturales  impo- 
santes. Les  tombeaux  de  Ïhieû-Tri,  Tu-Duc,  ceux 
de  Minh-Mang,  de  Gia-Long,  situés  dans  une  région 
extrêmement  pittoresque,  charment  le  visiteur 
autant  par  l'originalité  de  leur  style  que  par  la 
variété  de  leur  conception.  Tous  ces  monuments, 
soigneusement  dissimulés  dans  la  verdure,  en- 
châssés dans  des  pièces  d'eau,  savamment  amé- 
nagées et  dessinées,  tous  ces  dragons,  ces  sculp- 
tures finement  fouillées,  tous  ces  toits  pointus 
aux  arêtes  bizarrement  contournées  sont  pour 
Tartiste  un  véritable  enchantement,  un  ravisse- 
ment sans  fin  qui  se  combine  majestueusement 
avec  la  grandeur  religieuse  qui  ennoblit  ce  somp- 
tueux décor. 

Les  villes  indo-chinoises  présentent,  elles  aussi, 


3io  NOTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

par  rimpression  de  vie  exubérante  et  d'activité 
qui  s  en  dégage,  un  intérêt  non  moins  puissant. 
Une  végétation  luxuriante,  des  fleurs  innom- 
brables aux  parfums  pénétrants,  des  arbres  aux 
silhouettes  étranges  donnent  aux  promenades  et 
aux  boulevards  que  nous  y  avons  créés  un  chai'me 
très  spécial. 

Saigon,  la  capitale  de  la  Cochinchine  et  même 
de  toute  llndo-Chine,  pourrait-on  dire,  avec  son 
port  de  commerce  et  son  port  de  guerre,  avec 
ses  édifices  publics  :  le  palais  du  Gouverneur, 
Tarsenal,  Fhôpital  maritime,  la  cathédrale,  le 
palais  de  Justice,  le  théâtre,  son  musée  commer- 
cial, son  hôtel  des  Postes,  ses  collèges  d'Adran 
et  de  Chasseloup-Laubat,  ses  habitations  com- 
modes et  salubres,  ses  rues  bien  entretenues  et 
bien  arrosées,  Saigon  peut  supporter  la  compa- 
raison avec  n  importe  quelle  grande  ville  de 
France  et  aucune  n'est  à  même  de  présenter  un 
cachet  d'originalité  aussi  prénétrant  que  la 
grande  cité  cochinchinoise,  car  on  n'y  trouve 
pas  cette  collection  invraisemblable  de  boutiques 
indigènes,  de  comptoirs,  d'étalages  multicolores 
qui  donne  à  Saigon  cette  physionomie  exotique 
et  charmante. 


ANG  KOU    VAT 


L  INDO-CHINE     AU    POINT    DE    VUE     DU     TOURISME  j  II 

A  Pnom-Penh,  la  capitale  du  Cambodge,  le 
touriste  et  lartiste  trouvent  des  aspects  nouveaux 
et  tout  différents.  Pnom-Penh  est  une  ville  toute 
récente.  En  1889,  c  était  une  misérable  bourgade 
remplie  de  mares  infectes,  aujourd'hui  cette  ville 
est  vraiment  une  capitale.  Très  propres,  très  bien 
entretenues,  très  animées,  très  pittoresques,  les 
rues  macadamisées  en  pierre  rouge  de  Bien-Hoa 
s  étendent  toutes  droites.  La  ville  administrative 
forme  le  quartier  aristocratique.  Elle  est  dominée 
par  le  dôme  du  Pnom.  La  pagode  du  Pnom  est 
entourée  d'un  magnifique  jardin  et  on  y  accède 
par  un  escalier  monumental  sur  lequel  s  étage  un 
peuple  de  statues  de  génies,  de  guerriers  armés, 
de  lions,  de  danseuses  aux  formes  gracieuses  et  de 
nagas,  ces  serpents  à  sept  têtes  que  Ton  retrouve 
dans  toute  l'architecture  khmer.  Au  palais  du  Roi, 
la  salle  du  trône  avec  son  parquet  formé  de 
lamelles  d'argent  et  ses  peintures  murales  repré- 
sentant les  scènes  de  la  vie  de  Bouddha  est  d  une 
richesse  merveilleuse. 

Hanoï  est  également  un  centre  dont  Fattrait  ne 
le  cède  en  rien  aux  autres  grandes  villes  d" Extrême- 
Orient.  Son  lac  bordé  de  pelouses  fleuries  et  au 
milieu  duquel  émerge  gracieuse  la  pagode  de  la 


3l2  NOTRE     FRANCE     D  EXTREME-ORIENT 

Montagne  de  Jade,  rendez-vous  des  lettrés  ton- 
kinois, son  immense  jardin  botanique,  sillonné 
de  routes  carrossables,  sa  pagode  du  Grand- 
Bouddha  qui  remonte  au  xiii^  siècle,  le  Van-lieu 
ou  temple  de  la  littérature,  connu  sous  le  nom  de 
Pagode  des  Corbeaux,  la  pagode  des  deux  sœurs 
Trung  sont  autant  de  monuments  à  visiter  et 
tous  également  dignes  de  captiver  le  touriste.  Le 
quartier  indigène  avec  ses  rues  occupées  par  un 
corps  de  métier  spécial  n'est  pas  moins  curieux  et 
ne  présente  pas  moins  de  spectacles  inattendus 
et  pittoresques. 

L'occupation  française  s  est  traduite  en  Indo- 
Chine,  depuis  vingt-cinq  ans,  par  la  construction 
de  nombreux  monuments  nécessaires  pour  la  plu- 
part à  la  marche  des  grands  services  publics,  par 
des  travaux  d'assainissement,  par  la  construction 
de  routes,  de  ports,  de  chemins  de  fer,  de  ponts, 
dont  l'utilité  frappe  les  moins  prévenus  et  les 
moins  au  courant  de  nos  choses    coloniales. 

Certains  de  ces  travaux  représentent  des  œuvres 
de  tout  premier  ordre.  Le  Pont  Doumer  à  Hanoï 
est  souvent  cité,  mais  s'il  fallait  nommer  un  tra- 
vail où  lintérêt  artistique,  pittoresque  rivalise 
avec  1  intérêt  économique,   on  ne  pourrait  certai- 


L^INDO-CHINE     AU     POINT    DE    VUE     DU     TOURISME  3l3 

nement  pas  trouver  de  meilleur  exemple  que  le 
chemin  de  fer  du  Yunnam  qui  met  en  communi- 
cation, depuis  Fan  dernier,  la  capitale  du  Yunnam 
avec  Haïphong.  Nous  avons  précédemment  indiqué 
l'utilité  économique  et  politique  que  présente 
cette  nouvelle  ligne  ferrée,  son  intérêt  au  point 
de  vue  pittoresque  n'est  pas  moindre.  C'est  incon- 
testablement Tune  des  lignes  ferrées  les  plus  acci- 
dentées et  les  plus  curieuses  à  parcourir  de  tout  le 
monde  entier. 

Traversant  tantôt  la  grande  brousse  tropicale, 
tantôt  cheminant  au  fond  de  ravins  profonds  et 
encaissés  comme  de  véritables  canons,  tantôt  esca- 
ladant la  montagne  escarpée,  cette  ligne  laisse 
chez  tous  ceux  qui  en  ont  parcouru  le  tracé  un 
souvenir  inoubliable.  Sa  construction  a  soulevé 
des  problèmes  techniques  innombrables.  Il  a  fallu 
plus  de  3.000  ouvrages  d'art  pour  triompher  des 
obstacles  que  la  nature  semblait  avoir  accumulés 
com_me  à  plaisir  sur  le  tracé.  L'énergie  et  la  science 
de  nos  ingénieurs  les  a  vaincus  de  façon  magis- 
trale. Certains  ponts,  tel  que  le  viaduc  métallique 
qui  entre  deux  tunnels  franchit  la  gorge  du  Peï- 
Ho  au  kilomètre  III,  ont  été  de  véritables  tours 
de   force    de    construction,    rendus    extrêmement 


3l4  NOTRE    FRANCE     d'eXTRÉME-ORIENT 

délicats  non  seulement  par  les  difficultés  mêmes 
du  travail,  mais  encore  par  linsécurité  du  pays 
qui  rendait  le  recrutement  de  la  main-d^œuvre 
souvent  des  plus  problématique. 

Je  ne  puis  au  cours  de  ces  pages  trop  brèves 
songer  à  décrire  la  prodigieuse  variété  de  paysages 
que  Ion  rencontre  à  chaque  pas  en  Indo-Chine. 
Certains  d  entre  eux,  comme  la  baie  d'Along, 
qui  est  bien  Tune  des  merveilles  naturelles  les 
plus  étonnantes  qu'il  soit  au  monde,  dépassent 
dVilleurs  la  compétence  descriptive  d'un  simple 
explorateur  et  il  faudrait  la  plume  d  un  poète  pour 
entreprendre,  avec  quelques  chances  d'exactitude, 
la  description  de  ce  prodigieux  amoncellement 
d'îlots  et  de  rochers  aux  formes  étranges  qui 
paraissent  avoir  été  jetés  là  dans  la  mer  bleue  par 
la  main  de  quelque  géant. 

Dans  un  ordre  d'idées  différent  mais  non  moins 
intéressant,  la  littérature  et  le  théâtre  indigènes  où 
se  reflète  de  façon  si  curieuse  Tâme  des  diverses 
populations  indo-chinoises  présentent  des  sujets 
d'études  variées  et  des  plus  inédits. 

Les  légendes  philosophiques  et  religieuses  jouent 
un  rôle  prépondérant  dans  la  vie  littéraire  des  Anna- 
mites aussi  bien  que  des  Cambodgiens.  La  gram- 


L  INDO-CHINE    AU     POINT    DE     VUE     DU     TOURISME    iio 

maire  et  les  lettres  proprement  dites  ne  sont  guère 
cultivées.  Mais  la  littérature  abonde  en  poèmes, 
en  pièces  de  théâtre,  en  romans,  en  contes,  en 
chansons... 

Bien  que  Ton  n  ait  pas  réuni  jusqu'ici  en  volume 
spécial  les  récits  qui  forment  le  fond  de  la  littéra- 
ture cambodgienne  et  annamite,  on  en  trouve  cer- 
tains spécimens  dans  plusieurs  ouvrages  relatifs 
aux  populations  indo-chinoises. 

M.  Pavie,  dans  son  volume  intitulé  Recherches 
sur  les  littératures  du  Cambodge^  du  Siam  et  du 
Laos,  nous  en  fait  connaître  quelques-uns. 

La  Viméan  Chan  est  une  jeune  fille  riche,  Prea 
Chan,  dieu  de  la  lune,  en  devient  amoureux;  il  se 
rend  au  domicile  de  la  jeune  personne  et  la  décide 
à  force  de  séduction  à  le  suivre.  Pour  calmer  les 
alarmes  de  la  famille,  il  lui  donne  de  l'argent  et 
emmène  la  Viméan  Chan  dans  la  lune. 

Arrivée  à  destination,  la  Viméan  Chan  est  en 
butte  à  la  jalousie  de  tout  le  personnel  féminin  de 
la  cour.  On  décide  de  lui  tendre  un  piège.  Le  soir 
venu,  Prea  Chan  ayant  fait  atteler  son  char  pour 
aller,  selon  la  coutume,  allumer  le  feu  céleste  qui 
produit  la  lumière  douce  dont  jouissent  les  habi- 
tants de  la  terre,  les  conjurées  incitent  leur  nou- 


3l6  ^•OTRE     FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

velle  compagne  à  suivre  le  dieu  afin  de  voir  les 
choses  extraordinaires  qu'elles  disent  avoir  admi- 
rées elles-mêmes  bien  des  fois. 

Piquée  dans  sa  curiosité  de  femme,  la  belle 
Viméan  demande  une  place  sur  le  char,  et  lorsque 
celui-ci  s'est  élancé  à  travers  Fespace,  la  tête  de  la 
compagne  du  dieu,  qui  n  était  point  faite  pour 
résister  à  un  pareil  déchaînement  des  éléments,  est 
détachée  du  tronc.  La  tête  tombe  sur  la  terre, 
tandis  que  le  tronc  reste  sur  le  char. 

Le  dieu  désolé  revient  sur  terre  pour  y  recher- 
cher sa  tête.  Il  a  la  chance  de  la  retrouver, 
rassemble  les  deux  parties  de  la  \iméan,  un  instant 
séparées  et  les  ranime.  Mais  en  homme  bien  avisé, 
il  se  garde  de  ramener  la  jeune  femme  dans  la  lune. 
Il  la  laisse  sur  terre  et  la  Viméan  peu  après  s'y 
marie  avec  le  fils  d  un  puissant  monarque. 

Là,  son  bonheur  est  de  courte  durée  également. 
Les  autres  princes  ayant  accusé  son  mari  de  vou- 
loir usurper  la  couronne,  le  roi  expatrie  son  fils 
avec  toute  sa  famille.  Les  fugitifs  se  retirent  dans 
une  forêt  inhabitée.  Ils  vivent  là  sans  abri  et  misé- 
rablement, quand  Indra  vient  à  avoir  pitié  d'eux 
et  leur  fait  bâtir  dans  cet  endroit  un  palais  confor- 
table. Ils  ont  un  enfant.  Un  saint  ermite  1  élève  et 


L  INDO-CHINE     AU     POINT    DE    VUE     DU     TOURISME   H17 

rinitie  h.  Tart  militaire.  Quand  le  jeune  homme  a 
vingt  ans,  il  part  pour  venger  son  père  et  sa  mère 
et  tue  successivement  ses  six  oncles,  mais  respecte 
son  grand-père  quil  pourrait  également  détrôner. 
Cet  acte  de  vengeance  accompli,  il  va  conquérir 
un  royaume  et  y  installe  son  père  et  sa  mère,  afin 
de  leur  rendre  le  rang  et  Thonneur  qui  leur  sont 
dus. 

L'histoire  du  mariage  de  Rothisen,  le  Bouddha 
et  de  Néang-Kangrey  est  également  célèbre.  Le 
père  de  Néang-Kangrey  hésitait  à  marier  sa  fille 
tant  il  redoutait  le  moment  de  se  séparer  de  leur 
enfant.  Quand  Rothisen  se  présente  pour  lui 
demander  la  main  de  Néang-Kangrey,  le  père  fit 
apporter  un  panier  plein  de  riz  et  dit  au  Bouddha  : 

((  Tous  ces  grains  sont  marqués  d'un  signe  que 
tu  peux  voir  ;  ils  sont  comptés  ;  en  ta  présence,  ils 
vont  être  jetés  dans  les  jardins,  par  les  champs, 
par  les  bois  d'alentour  ;  si,  sans  qu'il  en  manque 
un,  tu  les  rapportes  ici  demain,  je  reconnaîtrai  que 
ta  demande  vaut  la  peine  d'être  examinée.  » 

Et  il  en  est  ainsi  fait. 

Rothisen  emporte  le  panier  vide,  et  fait  la  prière 
suivante  :  «  O  vous  tous,  les  oiseaux,  les  insectes 
de  Tair,  les  fourmis  de  la  terre,  ne  mangez  pas  les 


^t8  notre     FRANCE     d'eXTRÊME-ORIENT 

petits  grains  de  riz  qui  viennent  de  pleuvoir  sur 
le  sol,  secondez  lamour  qui  me  gagne,  ne  mettez 
pas  obstacle  au  plus  cher  de  mes  vœux.  O  vous, 
les  génies  protecteurs  du  pays,  si  vous  croyez  que 
mon  union  avec  la  princesse  pour  qui  je  suis  sou- 
mis à  cette  difficile  épreuve  doive  être  de  quelque 
bien  pour  les  peuples,  faites  que  les  êtres  animés 
que  j'invoque  entendent  ma  prière.  )) 

Tandis  qu'il  parle,  les  oiseaux  de  toute  la  région 
apportent  dans  le  panier  tous  les  grains  de  riz  dis- 
persés sur  le  sol.  Rothisen  les  caresse  doucement 
et  les  remercie. 

Etonné  de  ce  résultat,  le  père  de  la  jeune  fille 
fait  le  lendemain  porter  le  panier  jusqu'au  bord  des 
fleuves,  y  fait  jeter  les  grains  à  la  volée  et  dit  à 
Rothisen  :  a  Je  les  voudrais  demain.  » 

Rothisen  appelle  les  poissons  à  son  secours, 
comme  il  a  fait  appel  aux  oiseaux  et  leur  explique 
que  son  bonheur  dépend  d'eux.  Les  poissons  se 
mettent  en  quête  des  précieux  grains  et  les  rap- 
portent au  Bouddha. 

Le  père  de  Néang-Kangrey  les  fait  compter  et 
on  constate  qu'il  en  manque  un.  Rothisen  retourne 
vers  le  fleuve  et  explique  la  chose  aux  poissons. 
Ceux-ci  se  regardent   surpris,  quand  1  un  d'eux 


L  INDO-CHINE    AU    POINT    DE     VUE     DU    TOURISME  3 19 

s'approche  en  le  restituant,  et  avoue  qu'il  a  dé- 
robé un  grain,  croyant  que  le  larcin  passerait  ina- 
perçu. Rothisen  lui  donne  en  ce  moment  du  bout 
du  petit  doigt  un  coup  sur  le  museau  et  subitement 
celui-ci  se  courbe  chez  tous  ceux  de  Tespèce. 

Les  ((  nez-courbés  »  n'ont  pas  encore  obtenu 
leur  pardon.  Chaque  année  toute  la  race  des  nez- 
courbés  se  donne  rendez-vous  à  Kierouil-Kianva 
près  de  Pnom-Penh,  dans  le  grand  fleuve  pour 
aller  vers  Angkor  saluer  la  statue  du  Sage  et 
demander  Toubli  de  FofFense .  Mais  tous  les  hommes 
du  pays  qui  ne  suivent  pas  la  règle  du  Bouddha 
le  savent  et  se  donnent  rendez-vous  sur  le  fleuve 
avec  leurs  filets.  Les  nez-courbés  ne  peuvent  passer 
et  sont  pris.  C'est  l'origine  des  grandes  pêches 
annuelles  du  Cambodge. 

Ces  légendes  sont  très  nombreuses,  j'en  ai  moi- 
même  fait  noter  également  quelques-unes  que  des 
lettrés  ont  mises  sur  la  scène. 

Un  père  veuf  a  un  fils  en  âge  de  se  marier,  bien 
qu'il  soit  très  pauvre.  Le  fils  a  pour  son  père  une 
grande  vénération,  car  il  a  reçu  une  excellente 
éducation.  Une  nuit,  pendant  le  sommeil  du  père, 
le  fils  quitte  la  maison  et  va  réciter  des  vers  dans 
la  campagne.  Il  y  a  un  beau  clair  de  lune.  Tout  à 


3'20  ^'OTRE     FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

coup,  le  promeneur  aperçoit  une  jeune  fille.  Il 
Finterpelle,  lui  demandant  pour  quel  motif  elle  se 
permet,  elle,  une  étrangère,  de  venir  à  lui  dans  la 
nuit  avancée.  Jamais  il  ne  Ta  vue  auparavant. 
Cette  jeune  fille  qui  nest  autre  qu  une  fée  immor- 
telle ayant  conçu  pour  lui  un  grand  amour  lui 
répond  : 

((  J'habite  comme  vous  le  hameau.  J'ai  entendu 
votre  récit  qui  me  semble  bien  doux  et  mon  carac- 
tère a  suivi  son  impulsion.  Je  suis  venue  à  vous 
pour  gagner  votre  amitié.  » 

Le  poète  accepte,  et  les  nuits  suivantes  ils  se 
retrouvent.  Ils  deviennent  les  meilleurs  amis  du 
monde  et  échangent  naturellement  une  promesse 
de  mariage.  Une  nuit,  le  père  surprend  le  couple 
absorbé  dans  une  conversation  poétique.  Furieux, 
le  vieillard  chasse  la  jeune  fille  avec  des  mots  hau- 
tains et  méprisants,  puis  sadressant  à   son  fils  : 

—  Si  ton  cœur  peut  vraiment  concevoir  des  senti- 
ments filiaux,  dit-il,  je  te  défends  d'agir  ainsi, 
nous  sommes  pauvres,  mais  de  la  classe  des  lettrés. 
Il  faut  te  marier,  certes,  mais  en  faisant,  suivant 
les  règles,  la  demande  à  la  famille  de  la  jeune  fille 
que  tu  as  choisie  entre  toutes. 

Avant  de  regagner  la  maison,  le  fils  veut  avoir 


l'iNDO-CHINE     au    point    de    vue     du     tourisme  321 

avec    son    amie    un    dernier    et    bref    entretien. 

—  Va,  dit-elle,  demander  la  main  d'une  jolie 
fille  très  honnête,  dumêmeâge,  qui  habite  le  hameau 
voisin. 

—  Mais,  répond-il  tristement,  notre  pauvreté 
est  grande  et  je  n'ai  pas  d'argent  pour  faire  face 
aux  dépenses  de  la  cérémonie  nuptiale. 

—  Qu'à  cela  ne  tienne,  reprend  celle  qu'il  ne 
doit  plus  revoir.  Je  suis  la  fille  d'un  riche  proprié- 
taire. J'ai  là  un  sac  d'or.  Prends-le.  Il  est  à  toi  et 
sois  heureux. 

Le  jeune  homme  étonné  pleure  amèrement. 

—  Lequel  de  nous  deux,  dit-elle  encore,  a  dans 
son  cœur  l'amour  le  plus  vrai,  de  toi  qui  pleures 
ou  de  moi  qui  fais  le  sacrifice  de  mon  rêve  ?  Allons  ! 
ne  te  désole  pas,  rien  n'est  changé  pour  toi, 
puisque  te  voilà  riche  et  que  tu  auras  bientôt  une 
épouse  gracieuse  et  jolie. 

Vite,  elle  s'éloigne  et  va  faire  ses  préparatifs, 
car  la  maison  du  hameau  voisin,  la  jeune  fille,  les 
parents,  tout  est  imaginaire.  La  fée  crée  de  toutes 
pièces  tous  ces  personnages  ainsi  qu'un  homme 
courageux  qui  plus  tard  jouera  un  rôle  important 
dans  l'action. 

Le  lendemain,  aux  premières  lueurs  du  jour,  le 


3a2  NOTRE    FRANCE     DEXTRÈME-ORIENT 

fils  avoue  tout  à  son  père  et  sollicite  rautorisation 
d'aller  demander  la  main  de  la  belle  jeune  fdle  hon- 
nête du  hameau  voisin.  Il  fait  sa  visite  et  est  agréé. 

Un  an  après  son  mariage,  le  jeune  lettré  est 
père  d'un  garçon.  La  femme,  d'un  caractère  ai- 
mable et  plus  jolie  que  jamais...  Le  ménage  vit 
heureux. 

Dans  le  même  village,  malheureusement, 
demeure  un  mandarin  retraité  qui  a  beaucoup 
d  influence.  Le  jour  de  la  fête  des  morts,  ce  man- 
darin rencontre  le  mari,  la  femme  et  Fenfant  qui 
sont  allés  balayer  les  tombeaux  des  ancêtres  du 
mari. 

Attiré  par  la  beauté  de  la  femme  le  mandarin 
demande  à  Tacheter.  Malgi'é  la  réponse  négative 
de  la  famille,  il  verse  l'argent  et  donne  à  ses  servi- 
teurs Tordre  d'emporter  chez  lui,  dans  sa  somp- 
tueuse demeure,  la  femme  convoitée.  Le  mari  se 
sent  incapable  de  lutter  et  pour  prévenir  un  nou- 
veau malheur,  il  amène  son  jeune  enfant  à  la 
maison  filiale. 

Le  vieux  père,  qui  estimait  à  leur  juste  valeur  les 
qualités  exceptionnelles  de  sa  bru,  se  hâte  d'aller 
tenter  de  reprendre  au  ravisseur  la  femme  de  son  fils. 
Il  est  assassiné  par  les  serviteurs  du  lettré.  Seul,  le 


L  INDO-CHINK     VU     POINT     DE     VUE     DU     TOURISME  3vi'î 

mari  inconsolable  ne  peut  songer  à  la  lutte  contre 
un  homme  influent.  Il  soufl're  sans  se  résigner, 
impuissant,  et  pour  mettre  le  comble  à  sa  souf- 
france, il  apprend  que  sa  femme  s'est  suicidée. 

C'est  alors  qu'intervient  1  homme  courageux 
créé  par  la  fée.  Celui-ci  va  trouver  le  jeune  homme 
et  lui  dit  : 

—  \  ous  êtes  un  homme  et  non  un  enfant.  On  tue 
votre  père,  on  pousse  votre  femme  au  suicide  et 
vous  ne  vous  révoltez  pas  !  Vous  acceptez  cela  ! 
Vous  préférez  la  vie  pour  vous-même  aux  ennuis 
de  la  lutte.  Vous  vivez  comme  un  simple  animal 
sans  raison.  Moi,  à  votre  place  —  et  je  vous  parle 
sans  colère,  mais  par  dévouement  et  sentiment  — 
je  tuerais  mon  adversaire.  Si  vous  n'êtes  pas 
capable  de  cet  acte,  alors  tuez-vous.  iN'est-ce  pas  le 
moyen  daller  retrouver  dans  l'autre  monde  votre 
père  et  votre  épouse  ? 

—  Pour  lutter ,  répond  à  travers  ses  larmes  le  j  eune 
lettré,  je  suis  bien  faible  et  j  hésite  à  me  tuer  parce 
que  j'ai  un  enfant  en  bas  âge  sur  la  vie  duquel  je 
voudrais  veiller. 

—  La  lâcheté  habite  votre  cœur,  conclut  1  homme 
courageux,  qui  sait  la  valeur  de  ses  muscles,  con- 
naît les  fmesses  de  l'escrime  et  peut  lancer  sans 


3l\  NOTRE    FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

erreur  les  poignards  à  cinq  ou  six  mètres  dans  le 
but  choisi. 

La  nuit  vient  et  durant  cette  nuit  le  mandarin 
est  assassiné  à  coups  de  poignard  dans  son  lit.  En 
apprenant  ce  nouvel  événement,  le  jeune  lettré, 
craignant  d'être  soupçonné  par  la  justice,  prend  la 
fuite  et  gagne  la  forêt  avec  son  enfant.  Mais  les 
autorités,  certaines  de  sa  culpabilité  en  constatant 
son  brusque  départ,  le  font  rechercher. 

On  le  découvre,  on  larrête  et  son  enfant  est 
abandonné  dans  la  forêt. 

L'instruction  de  TafTaire  suit  son  cours  ;  elle  est 
longue.  Cependant  on  reconnaît  Tinnocence  du 
prisonnier.  On  lui  rend  la  liberté  et  il  va  de  nou- 
veau s'installer  dans  la  maison  vide  où  il  pleure  et 
son  père,  et  sa  femme  et  son  enfant. 

Une  nuit,  on  frappe  à  la  porte;  il  ouvre.  Il 
reconnaît  son  amie  d'autrefois,  celle  qu'il  a  aban- 
donnée sur  Tordre  de  son  père.  Par  la  main  elle 
conduit  un  enfant.  C'est  son  fils,  sain  et  sauf!  Il 
ne  peut  cacher  sa  joie.  Il  pose  mille  questions 
hâtives  à  celle  qui  est  la  bienfaitrice  de  son  foyer 
tant  éprouvé. 

Mais  l'amie  de  jadis  ne  veut  répondre  à  aucune 
des  questions. 


l'indo-ciitne  au   point  de  vue   du   tourisme  ■^■2'> 

—  Vos  mallicurs  n'existent  plus,  dit-elle. 
Aujourd'hui,  que  vous  voilà  seul,  sans  père,  sans 
femme,  voulez-vous  m'acccpler  comme  épouse  ? 
Je  m'elTorccrai  d'être  ulilc  dans  la  maison  et  je 
veillerai  à  tout,  tandis  que  courageux  et  tenace, 
vous  compléterez  votre  instruction... 

Les  histoires  de  sorcellerie  jouent  naturellement 
un  rôle  prépondérant  dans  cette  littérature.  On 
Ta  vu  déjà  dans  le  récit  précédent,  en  voici  un 
autre  exemple,  c'est  la  traduction  d'un  conte  cam- 
bodgien, qui  peut-être  est  inédit. 

Près  d'un  village,  une  forêt  était  habitée  par  de 
mauvais  esprits  dont  tous  les  habitants  redou- 
taient la  puissance  et  où  nul  n'osait  aller  seul. 
Survint  un  jeune  homme  qui  n'avait  pas  peur  des 
esprits.  On  était  à  la  saison  du  dessèchement  du 
riz  et  dans  toutes  les  maisons  on  pilait  du  riz 
frais.  Le  jeune  homme  entendit  ce  que  l'on  racon- 
tait des  esprits  de  la  forêt,  et  dit  :  «  Si  quelqu'un 
veut  me  donner  beaucoup  de  riz  pilé  pour  entrer 
seul  dans  la  forêt  du  fantôme,  je  n'aurai  pas  peur 
de  lui.  »  On  lui  répondit  :  (c  Si  tu  oses  vraiment  y 
aller,  nous  te  donnerons  tous  du  riz  pilé.  » 

La  convention  conclue,  il  pénétra  dans  la  forêt 
à  1  heure  où  les  bœufs  rentrent  à  Fétable.  Le  fan- 


326  NOTRE    FRANCE    D^EXTRÉME-ORIENT 

tome  souleva  une  tempête,  fit  apparaître  des  chiens 
et  des  chats  qui  poursuivaient  le  jeune  homme, 
mais  celui-ci  n'eut  pas  peur  et  cria  :  a  Fais  encore 
davantage  pour  voir.  » 

Ayant  épuisé  sa  science,  le  fantôme  se  trans- 
forma en  homme,  et  vint  causer  avec  le  jeune 
homme  et  le  mena  dans  un  endroit  de  la  forêt  où 
il  y  avait  un  mauvais  esprit  d'un  grade  supérieur. 
Le  simple  fantôme  lui  fait  son  rapport,  et  Fes- 
prit  met  en  œuvre  toute  sa  puissance,  fait  appa- 
raître des  tigres,  des  éléphants,  des  buffles,  des 
bœufs,  des  bêtes  féroces  de  toutes  espèces.  Mais 
de  quelque  manière  qu'il  s'y  prît,  le  jeune 
homme  n'eut  pas  la  moindre  peur  et  dit  seule- 
ment de  travailler  à  faire  encore  plus  fort. 

Quand  Tofficier-fantôme  eut  tout  fait  ce  qui 
était  en  son  pouvoir,  il  prit  la  forme  humaine  et 
mena  le  jeune  homme  chez  des  esprits  plus  puis- 
sants encore,  des  ministres-fantômes  ;  ceux-ci 
firent  apparaître  des  fleuves,  des  rivières,  des 
marais,  d'immenses  mers  et  cent  autres  choses, 
mais  le  jeune  homme  n'eut  pas  la  moindre  peur. 
Quand  les  esprits  eurent  épuisé  leur  science,  ils 
se  transformèrent  également  en  hommes  et  le 
menèrent  chez  le  roi. 


I 


L^INDO-CHINE    AU    POINT    DE    VUE    DU    TOURISME    ^27 

Là,  il  vit  un  palais  tout  garni  de  meubles, 
mais  oii  il  ne  paraissait  personne.  Une  fois  dans 
le  palais,  il  fut  environné  de  flammes  de  tous 
côtés,  mais  n'avait  toujours  pas  peur.  Il  criait 
même  qu'on  fit  encore  plus  pour  qu'il  s'amusât 
à  regarder. 

Le  roi  alors  cessa  de  l'épouvanter,  il  lui  montra 
sous  forme  humaine  tous  les  esprits  qui  étaient 
dans  les  palais,  puis  lui  fît  raconter  son  histoire. 
Quand  le  jeune  homme  eut  terminé,  le  roi  lui 
proposa  de  l'adopter  et  lui  ayant  fait  ouvrir  la 
bouche  il  lui  cracha  trois  fois  dedans.  Puis  il 
lui  permit  de  s'en  retourner.  Il  avait  dès  lors  le 
pouvoir  de  voir  les  fantômes. 

Il  revint  au  village  et  réclama  l'obole  qu'il 
avait  gagnée.  Pour  vivre,  il  se  fit  médecin. 
Lorsque  quelqu'un  était  malade,  il  allait  auprès  de 
lui  et  ordonnait  aux  esprits  de  cesser  de  le  tour- 
menter. Les  esprits  n'osaient  lui  résister  et  il 
devint  le  plus  grand  médecin  du  pays. 

Les  farces,  les  histoires  comiques  de  voleur 
volé  obtiennent,  surtout  au  théâtre,  ordinairement 
un  gros  succès. 

Deux  fripons  se  rencontrent  et  ont  l'intention 
de  se  duper  mutuellement.  L'un  n'a  que  le  four- 


3-28  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

reau  et  la  poignée  d'un  sabre,  l'autre  n'a  qu'une 
clochette  à  bulïle,  sans  buffle,  bien  entendu. 
Après  les  compliments  d'usage,  ils  se  proposent 
d'échanger  le  sabre  contre  le  buffle  et  tombent 
d'accord.  Sous  prétexte  qu'il  a  peur  de  voir  la 
lame  du  sabre,  le  vendeur  du  sabre  prie  son  ache- 
teur de  ne  pas  sortir  cette  lame  avant  d'être  bien 
loin  de  lui,  et  sous  prétexte  qu'il  a  peur  du  buffle, 
le  vendeur  du  buffle  fait  de  même  vis-à-vis  de  son 
acheteur.  Chacun  y  consent,  pensant  à  part  soi 
filouter  son  acheteur.  Le  marché  réalisé,  les  deux 
filous  s'aperçoivent  qu'ils  se  sont  dupés  récipro- 
quement et  retournent  chacun  chez  eux  tout 
penauds. 

J'ai  également  noté  le  scénario  suivant  d'une 
farce  qui  est  jouée  très  souvent  dans  les  théâtres 
ambulants. 

Un  homme  d'un  caractère  faible  est  dominé  par 
sa  femme,  volontaire  et  acariâtre.  Il  est  malheu- 
reux, battu  souvent  et  peu  satisfait  des  coups 
qu'il  reçoit.  Un  jour,  sa  femme  l'envoie  au  marché 
vendre  un  cochon.  Il  rencontre  un  boucher,  et 
une  conversation  s'engage. 

—  Ta  femme  te  bat-elle  toujours? 

—  Oui. 


l'indo-chine   au    point   de   vue   du   tourisme  3-29 

—  Pourquoi  ne  lui  réponds-tu  pas  ? 

—  Elle  est  plus  forte  que  moi. 

—  Veux-tu  que  je  t'apprenne  à  boxer? 

L'autre,  qui  entrevoit  déjà  le  plaisir  de  la  ven- 
geance, consent  à  prendre  une  leçon  et  pour  prix 
des  conseils  qu'il  reçoit,  fait  don  du  cochon  à  son 
professeur. 

Plein  d'espoir  à  l'idée  qu'il  pourra  désormais 
défendre  sa  tranquillité,  il  revient  chez  lui. 

—  L'argent  du  cochon,  demande  l'épouse. 

—  Je  n'ai  pas  d'argent. 

—  Pas  d'argent  1  Que  signifie  cette  ruse  ? 

—  Laisse-moi  tranquille!  Ne  crie  pas.  Je  suis 
le  plus  fort  maintenant. 

Une  bataille  s'engage  et  la  femme  a  encore  le 
dessus  comme  jadis.  Le  malheureux  mari,  rossé 
d'importance,  crie  comme  un  beau  diable  et  les 
voisins  arrivent  pour  le  défendre.  Mais  ils  ont 
affaire  à  forte  partie  ;  la  mégère  les  ligote  tous  et  à 
la  grande  joie  du  public,  elle  les  oblige  à  tour  de 
rôle  à  faire  l'un  le  singe,  l'autre  le  cochon,  un 
autre  le  chien,  sous  peine  de  recevoir  un  châti- 
ment immédiat. 

Les  farces  sont  courtes  et  les  Annamites  qui 
sont  très  gais  s'amusent  beaucoup  à  les  voir  repré- 


33o  NOTRE    FRANCE    d'eXTRÊME-ORIENT 

senler.  Il  est  vrai  qu'ils  ne  se  divertissent  pas 
moins  en  assistant  à  des  représentations  de  tragé- 
dies, de  drames  qui  parfois  durent  plusieurs 
jours  et  qui  sont  joués  dans  un  langage  incom- 
préhensible pour  eux. 

L'usage  veut,  en  effet,  que  les  tragédies  soient 
écrites  dans  une  langue  littéraire,  très  ancienne, 
composée  surtout  de  mots  sonores,  de  cris  guttu- 
raux, ayant  même  souvent  perdu  toute  signification 
précise.  Des  Annamites  bien  plus  cultivés  avouent 
même  ne  rien  comprendre  fréquemment  aux 
paroles  des  auteurs.  La  grosse  caisse  souligne 
d'un  coup  sonore  les  passages  particulièrement 
remarquables  et  tout  le  monde  applaudit  et  s'extasie 
avec  une  joie  enfantine  et  délirante. 

Les  spectateurs  indigènes  ne  sont  nullement  dif- 
ficiles. Les  théâtres  annamites  sont  des  plus  som- 
maires et  les  décors  réduits  à  leur  plus  simple 
expression.  Une  natte  étendue  sur  le  parquet 
signifie  que  la  scène  va  se  passer  dans  l'intérieur 
du  palais  royal;  l'acteur  qui  tient  un  fouet  à  la 
main  est  un  cavalier  ;  un  carré  de  toile  que  l'on 
agite  en  le  tenant  par  les  extrémités  figure  la  proxi- 
mité de  la  mer,  et  plus  on  l'agite,  plus  la  tem- 
pête qui  sévit  sur  la  mer  est  violente. 


l'indo-chine  au   point  de  vue   du   tourisme  33 1 

L'acteur  indigène,  extraoïdinairement  grimé, 
s'avance  sur  la  scène  et  il  lui  suffit  d'une  excel- 
lente mémoire  pour  y  faire  bonne  figure.  Il  est 
vrai  que  si  sa  mémoire  vient  à  défaillir,  il  n^a  qu'à 
improviser  ou  à  faire  quelques  pirouettes  qui 
égayeront  le  public.  Celui-ci  se  soucie  peu  de 
savoir  si  sa  mimique  forcenée  a  trait  ou  non  à  la 
pièce  représentée. 

C'est  un  spectacle  curieux  que  ces  théâtres  indi- 
gènes et  l'Européen  qui  assiste  à  quelques-unes  de 
ces  représentations  y  jouit  d'un  coup  d'oeil  étrange 
et  vraiment  pittoresque. 

Tout  est  inédit  et  captivant  dans  cette  merveil- 
leuse colonie.  Je  l'ai  dit  au  début  de  ce  chapitre 
et  chacun  est  sûr  d'y  trouver  des  sensations  nou- 
velles et  curieuses  à  chaque  pas. 

Grâce  à  l'extrême  obligeance  des  fonctionnaires 
de  l'Administration  et  en  particulier  à  l'éminent 
Gouverneur  général  qui  dirige  actuellement  les 
destinées  de  l'Indo-Chine,  nous  avons  pu  pénétrer 
en  maints  endroits  et  y  glaner  une  ample  et  riche 
collection  de  documents  et  de  choses  vues  fort 
remarquables.  Ce  volume  en  donne  un  résumé 
très  incomplet  malheureusement.  11  serait  à  sou- 
haiter cependant  que  les  renseignements  qui  s'y 


rii 


NOTRE    FRA^'CE    D  EXTREME-ORIENT 


trouvent  puissent  donner  à  nos  compatriotes  le 
désir  de  connaître  de  près  ce  beau  pays.  Au 
moment  où  s'afRrme  chaque  jour  davantage  la 
nécessité  de  donner  une  conscience  coloniale  à 
notre  pays,  ce  serait  pour  nous  un  plaisir  très 
doux  d'avoir  pu  intéresser  quelques  Français  à  la 
grande  œuvre  de  civilisation  qui  se  poursuit  là-bas 
sous  le  chaud  mais  merveilleux  soleil  des  tropiques, 
à  Fombre  de  notre  drapeau. 


CHAPITRE  XVI 
LES  ARMES  CÉLESTES  AU  CAMBODGE 

LE  PREA-KHAN 

Les  populations  cambodgiennes  ont  toujours  eu 
le  culte  du  Merveilleux. 

De  génération  en  génération,  les  traditions,  les 
légendes,  et  aussi  les  objets  d'origine  soi-disant 
surnaturelle  se  transmettent  plus  ou  moins  fidè- 
lement. Je  dis  plus  ou  moins  fidèlement,  car,  dans 
leur  zèle,  les  croyants  ne  dédaignent  pas  d'inventer 
quelques  fictions  nouvelles,  quelques  détails  inédits 
pour  augmenter,  si  possible,  le  mystérieux  prestige 
des  légendes  sacrées. 

Il  existe,  en  Indo-Chine,  dans  des  sanctuaires 
vénérés,  plusieurs  armes  célestes  ;  mais  la  plus 
prestigieuse  est  assurément  le  prea-khan,  épée 
donnée  par  le  dieu  Indra  aux  rois  khmers. 

Cette   épée  date    de  plusieurs  siècles.    Elle  est 


334  NOTRE    FRANCE    D  EXTRÊME   ORIENT 

passée,  dans  1  esprit  des  populations,  au  premier 
rang  des  armes  confiées  aux  mortels  par  les  divi- 
nités favorables. 

Elle  est  déposée  dans  une  salle  spéciale  du 
Palais  et  repose  sur  des  draperies  et  coussins  d'un 
grand  luxe. 

A  côté  du  prea-khan  reposent  d'autres  armes 
d'origine  également  céleste,  un  fer  de  lance,  des  poi- 
gnards malais,  des  arcs,  des  flèches  ;  mais  tous  ces 
objets  sacrés  sont  bien  loin  de  posséder  le  tradi- 
tionnel prestige  du  prea-khan. 

Des  croquis  plus  ou  moins  exacts  avaient  été  faits 
de  cette  épée  ;  mais  ils  ne  possédaient  pas  un  grand 
parfum  d'authenticité  et  d'exactitude. 

En  outre  les  profanes,  qui  avaient  pu  entrevoir 
le  prea-khan,  connaissaient  seulement  le  fourreau 
de  Farme. 

Contempler  la  lame,  sortant  du  fourreau,  était 
considéré  jusqu'à  ce  jour  comme  faveur  impos- 
sible à  obtenir  des  gardiens  jaloux  et  fidèles  de 
larme  divine. 

J'ai  cependant  eu  la  bonne  fortune  —  et  je  crois 
en  toute  sincérité  que  je  suis  le  seul  —  de  pou- 
voir photographier,  hors  de  son  fourreau,  sans 
que  le  fait  prenne  les  proportions  d'un  trop  gros 


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Li:    PHKV-KMVN 


LES    ARMES    CELESTES    AU    CAMBODGE  3'35 

sacrilège,  la  lame  sacrée,  confiée  par  la  divinité 
aux  rois  khmcrs  triomplia leurs. 

J'ai  également  photographié  d'autres  armes. 

Je  reproduis  la  photographie  duprea-khan,  cer- 
tain qu'elle  offrira  quelque  intérêt  à  ceux  qui 
aiment  les  légendes  si  profondément  pittoresques 
des  sectateurs  de  Bramah  et  de  Bouddha. 

Mes  photographies  ne  peuvent  donner  naturel- 
lement les  détails  du  décor  de  la  poignée,  à  peu 
près  cylindrique,  de  Tépée  céleste. 

Ces  détails,  les  voici,  à  peu  près  exacts  : 

Poignée  or  ciselé  et  émaillé.  La  perle  s'associe 
harmonieusement  à  Témail  et  à  la  ciselure.  Au  bas 
de  la  poignée,  le  buste  du  divin  donateur  de 
Tarme,  le  Dieu  Indra. 

Auprès  de  la  divinité,  Téléphant  à  trois  têtes, 
portant  le  dieu  Syva.  Une  tour,  au  sommet  de 
laquelle  Vichnou  et  ses  quatre  bras. 

Des  singes,  des  dragons,  des  plantes  décoratives 
complètent  cette  œuvre  intéressante  d'orfèvrerie 
céleste.  Le  fourreau  est  en  bois  recouvert  de  soie. 
Sur  cette  soie  une  feuille  d'or  avec  des  ornements 
découpés  dans  le  métal.  Ce  sont  des  singes  grima- 
çants coiffés  de  hautes  couronnes  pointues  et  vêtus 
d'habits  princiers. 


336  NOTRE    FR.\>'CE     D  EXTRÊME-ORIENT 

Là  aussi,  Vichnou,  toujours  avec  ses  quatre  bras. 
Il  repose  sur  Foiseau  sacré  Garuda  qui  écrase  des 
serpents  dans  ses  serres. 

Le  fer  de  lance  principal  est  une  œuvre  intéres- 
sante. 

Là  encore,  parmi  les  sujets  d'or  découpés,  se 
trouve  Toiseau  Garuda,  posé  sur  le  dragon  Rahu, 
celui-là  même  qui,  parmi  de  nombreux  privilèges, 
possède  celui  de  provoquer  à  son  gré  les  éclipses 
de  soleil. 

Quatre  superbes  têtes  de  dragons,  au  rictus  mena- 
çant, complètent  ce  décor  pittoresque  et  charmant. 
Cependant,  je  le  répète,  ce  fer  de  lance,  pas  plus 
que  les  arcs,  les  flèches  d  origine  céleste,  est  bien 
loin  d  inspirer  la  même  vénération  que  le  prea- 
khan,  dont  je  reproduis  la  photographie  à  Texclu- 
sion  de  tout  autre  présent  des  divinités. 

Le  prea-khan  a  été  l'objet  de  plusieurs  guerres. 

Dans  diverses  circonstances,  notamment,  au 
siècle  dernier,  la  révolution  et  les  conflits  avec  les 
puissances  voisines,  ont  ravi  aux  Cambodgiens 
Farme  divine.  Les  Annamites,  notamment.  Font 
possédée  en  1820,  en  i84o  ;  mais  toujours  la 
relique  vénérée  fut  rendue  aux  souverains  du 
Cambodge. 


LES    ARMES    CÉLESTES    AU    CAMBODGE  337 

Si  la  lame  du  prea-khan  était  souillée  pai'  le 
moindre  soupçon  de  rouille,  par  une  impureté 
quelconque,  ce  serait  le  signal  de  grands  malheurs. 
Aussi  Tarme  est-elle  Tobjet,  plusieurs  fois  par 
semaine,  des  soins  les  plus  minutieux,  de  la  plus 
pieuse  sollicitude.  Tous  les  samedis  elles  mardis, 
notamment,  les  prêtres  chargés  de  ce  soin 
dégainent  le  prea-khan,  en  tournant  toujours  sa 
poignée  vers  le  Nord.  Ils  s'assurent  que  la  rouille 
n'a  pas  envahi  Tacier  de  Tarme  mystérieuse 
confiée  par  la  divinité  aux  souverains  khmers  et 
dont  les  générations  cambodgiennes  sont  si  fières. 

Avant  de  tirer  le  trait  final,  je  voudrais  expri- 
mer ici  ma  reconnaissance  envers  ceux  que  ces 
pages  ont  pu  intéresser.  Je  n'ai  voulu  qu'ap- 
porter une  modeste  pierre,  mais  très  simplement, 
et  très  sincèrement  à  Toeuvre  coloniale.  Et  cette 
pierre,  j'ai  voulu  la  poser  au  seuil  du  jardin 
enchanté  de  Flndo-Chine  où  le  soleil  rayonne  sur 
des  richesses  incomparables,  pour  en  faire  un  des 
joyaux  les  plus  précieux  du  collier  glorieux  de 
notre  belle  France  ! 


FIN 


i 


p'^ 


BIBLIOGRAPHIE 


Alinot,  Géographie  générale  de  la  Cochinchine.  Saigon,  1906. 

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34o  NOTRE    FRANCE     D  EXTRÊME-ORIENT 

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ANONYMES  ET  PÉRIODIQUES 

Annuaire  général  de  ÏIndo  Chine. 

Bulletin  économique  de  V Indo-Chine,  publié  par  la  Direction  de 


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Bulletin  de  la  Société  des  Éludes  indo-chinoises  depuis  i<)oi. 

Bulletin  du  Comité  de  l  Asie  française . 

Bulletin  de  la  Société  de  Géographie. 

Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  commerciale  de  Paris. 

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1911-191-2. 


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TABLES 


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TABLE  DES  GRAVURES 


1.  Joli  t\pe   de   femme    annamite Frontispice. 

2.  Bouddha 80 

3.  Pendant  les  fêtes  du  têt 84 

4.  Enfants  cambodgiens 93 

5.  Elèves  bonzes 99 

6.  Fête  de  la  coupe  des  cheveux  (Cambodge) 10 1 

7.  Une  des  dernières  nattes   (Décembre  191 1) 102 

8.  Femme  cambodgienne 102 

g.   Restaurant  en  plein   aih iji 

10.  Porteur  d'eau  chinois i32 

1 1 .  Danseuses  du  Palais   (Cambodge) 292 

12.  Musiciens  du  Palais   (Cambodge) 296 

i3.  Ang-kor   Thom 307 

14  •  Escalier  du  vertige  (Ang-kor  Vat) 3o8 

i5.  Ang-kor  Vat 3 10 

16.  Ang-kor   Vat 3x2 

17.  Le  Pnom 3x4 

18.  Le  Prea-kh.vn 334 


2,^1 


TABLE  DES  MATIERES 


Chapitre  premier.  —  Historique I 

Chapitre  II.  —  Description  géographique 2  3 

I.  Le  relief 23 

II.  Les  côtes 3o 

III.  Les  cours  d'eau 34 

IV.  Le  climat 54 

Chapitre  III.  —  L'expansion  khmer  et  annamite  dans 

la  péninsule  indo-chinoise 59 

Ch.apitre  IV.  —  Les  Annamites 71 

Chapitre  V.  —  Les  Cambodgiens 93 

Chapitre  VI.  —  Populations  thaï,  ohams  et  sauvages.  io3 

I.  Les  Thaïs io3 

II.  Chams  et  Malais iio 

III.  Populations  dites  sauvages 112 

IV.  Les  Chinois i3o 

Chapitre  VII.  —  Produits  d  origine  animale  (Faune. 

Chasse.  Pêche.  Elevage.) i35 

I.  Faune  et  chasse i35 

II.  Pêche 143 

m.  Elevage i53 

Chapitre  VIII.  —  Produits  d' origine  végétale   (Flore. 

Forêts.  Cultures.) 109 

I.  Les  forêts  indo-chinoises i6o 

II.  Cultures  alimentaires  :  le  riz 173 


348  TABLE     DES    MATIERES 

Chapitre  IX.  —  Produits  d'origine  minérale 2o3 

I.  Mines 2o3 

II.  Minerais 206 

III.  Carrières  et  salines 210 

Chapitre  X.  —  Moyens  de  communication 2i5 

I.  Relations  maritimes  et  terrestres  extérieures    ...  2i5 

II.  Relations  intérieures;   routes,  voies  navigables,  che- 
mins de  fer 224 

Chapitre  XI.  —  Industrie  et  mouvement  commercial  .  249 

I.  L'industrie  alimentaire 25o 

II.  Filatures  et  tissages 254 

III.  Industries  diverses 267 

"^     IV.  Mouvement  commercial.   Commerce  extérieur    .    .  261 

"^     V.    Commerce  intérieur 272 

Chapitre  XII.  —  L'unité  indo-chinoise 277 

"-     I.    L'unité  indo-chinoise  et  le  Gouvernement  général    .  277 

II.  Les  budgets  et  l'organisation  financière 283 

Chapitre  XIII.  —  Organisation  des  diverses   colonies 

de  l'Union  indo-chinoise 287 

I.  Cochinchlne 287 

II.  L'Annam.  Le  Tonkin.  Le  Cambodge.  Le  Laos.    .    .  291 

Chapitre  XIV.  —  Situation  financière 299 

Chapitre  XV.  —  L'Indo-Chine  au  point  de  vue  du  tou- 
risme   307 

Chapitre  XVI.  —  Les  armes  célestes  au  Cambodge.    .  333 

Bibliographie 339 


ÉVKEUX.    IMPRIMERIE    CH.    HÉRISSEY,    PAITL    HÉRISSEY,    SUCC 


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