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Full text of "Nouvelle biographie universelle depuis les temps les plus reculés jusqu'a nos jours, avec les renseignements bibliographiques et l'indication des sources a consulter;"

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FROM   THE 
BATES  FUND 


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in  2010  with  funding  from 

Boston  Public  Library 


http://www.archive.org/details/nouvellebiograph43hoef 


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NOUVELLE 

BIOGRAPHIE    GÉNÉRALE 

DEPUIS 

LES  TEMPS  LES  PLUS  RECULÉS 

JUSQU'A  NOS  JOURS. 


TOME    QUARANTE-TROISIÈME. 


Saint- Ange.   —  Simiane. 


TYPOGRAPHIE    OK    11,    l'IllMIN    DIDOT.    —    MESN1L    (EURE). 


NOUVELLE 

BIOGRAPHIE    GÉNÉRALE 


DEPUIS 


LES   TEMPS  LES  PLUS  RECULÉS 

JUSQU'A  NOS  JOURS,        ,  / 

AVEC  LES  RENSEIGNEMENTS  BIBLIOGRAPHIQUE^  -r/V 


ET  l'indication  des  sources  a  consulter  ; 
PUBLIÉE    PAR 


MM.  FIRNIN  DIDOT  FRÈRES, 


SOUS    LA    DIRECTION 


DE  M.   LE  Dr  HOEFER. 


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«■u-C.-^t^ 


PARIS 


FIRMIN  DIDOT  FRÈRES,  FILS  ET  C'«,  ÉDITEURS, 

IMPRIMEURS-LIBRAIRES    DE    L'iNSTITUT    DR    FRANCE  , 
RUE  JACOB,  56. 

M  DGGC  LXIY. 

Les  éditeurs  se  réservent  le  droit  de  traduction  et  de  reproduction  à  l'étranger. 


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NOUVELLE 

BIOGRAPHIE 

GÉNÉRALE 

DEPUIS  LES  TEMPS  LES  PLUS  RECULÉS  JUSQU'A  KOS  JOUES. 


saint-ange  (Ange-François  Fariau,  dit 
de),  poète  français ,  né  le  13  octobre  1747,  à 
Blois,  mort  le  8  décembre  1810, à  Paris.  Son 
père  était  conseiller  du  roi.  Après  avoir  com- 
mencé ses  études  chez  les  jésuites  de  sa  ville 
natale,  il  les  termina  au  collège  de  Sainte-Barbe, 
où  il  avait  obtenu  une  bourse.  11  n'avait  pas 
quitté  l'Université  lorsqu'en  1768  il  présenta  à 
Christian  VII,  roi  de  Danemark,  alors  de  pas- 
sage à  Paris,  une  ode  en  vers  français,  qui  fut 
imprimée.  On  réprimanda  aigrement  le  poète, 
on  lui  ordonna  de  revenir  aux  vers  grecs  et 
latins ,  mais  ce  désagrément  ne  fit  qu'accroître 
sa  verve  poétique,  et  à  peine  libre,  il  se  mit 
à  jimer,  d'après  Ovide,  les  morceaux  de  Ver- 
tlunne  et Pomone  et  des  Amours  deBiblis.  Ce 
fut  un  événement  dans  la  vie  de  Saint-Ange  : 
cette  traduction, publiée  dans  le  Mercure  (déc. 
1771),  parut  sous  les  auspices  de  La  Harpe  qui 
l'accompagua  d'éloges  délicats  ;  Voltaire  écrivit 
à  l'auteur  que  ses  vers  l'avaient  un  peu  ranimé, 
et  qu'il  lui  donnait  sa  bénédiction;  enfin  Turgot 
lui  procura  au  contrôle  général  une  place  chan- 
gée plus  tard  en  une  pension  sur  YAlmanach 
royal.  La  révolution  le  laissa  sans  ressources  et 
sans  appui;  il  continua,  malgré  ses  opinions 
monarchiques,  de  résider  à  Paris,  et  obtint  en 
1794  une  modique  place  dans  l'agence  de  l'ha- 
billement des  troupes.  Bientôt  après  H  accepta 
la  chaire  de  grammaire  générale,  puis  de  belles- 
lettres  à  l'école  centrale  de  la  rue  Saint-Antoine 
(  collège  Charlemagne)  ;  le  zèle  qu'il  apporta  dans 
l'exercice  de  ses  fonctions  acheva  d'ébranler  une 
santé  déjà  chancelante,  et  il  se  fit  accorder  un 
suppléant  en  conservant  toutefois  ses  honoraires. 
Au  rétablissement  de  l'université,  Fontanes  le 
nomma  professeur  d'éloquence  latine  à  la  fa- 
culté des  lettres  (juillet  1809).  Saint-Ange  s'é- 
tait présenté  plusieurs  fois  aux  suffrages  de 
l'Académie  française;  il  y  fut  admis  le  4  juillet 
1810  en  remplacement  de  Domergue;  ses  audi- 

NOUV.  BiOGR.   GÉNÉIU  —  T.   XL1II. 


teurs  furent  vivement  émus  à  ce  passage  de 
son  discours  de  réception  :  «  Je  fais  violence  en 
ce  moment  aux  souffrances  continuelles  et  into- 
lérables qui  m'avertissent  que  l'ombre  de  l'aca- 
démicien que  je  remplace  attend  la  mienne.  » 
Cinq  mois  plus»  tard  il  mourut  des  suites  d'une 
chute  qu'il  avait  faite  en  se  rendant  à  l'Institut^ 
Le  nom  de  Saint-Ange  est  demeuré  attaché  à 
Ovide,  mais  avec  moins  d'éclat  que  celui  de 
Delille  à  Virgile.  Il  entreprit  de  le  faire  passer 
tout  entier  dans  notre  langue,  et  trente  années 
d'un  labeur  assidu  et  d'une  patience  infatigable 
n'y  suffirent  pas.  Quelque  attrait  qu'Ovide  puisse 
avoir,  c'est  l'effet  d'une  constance  peu  com- 
mune de  rester  si  longtemps  attaché  à  ses  pas. 
La  version  seule  des  Métamorphoses,  la  meil- 
leure partie  du  travail  de  Saint-Ange,  forme  un 
poème  de  quinze  mille  vers,  «  riche,  varié, dit 
Gingueué,  rempli  de  descriptions  brillantes, 
d'images  vives  et  de  sentiments  passionnés  ». 
S'il  n'a  pas  laissé  à  Ovide  tout  son  esprit,  ainsi  que 
le  lui  reprochait  Chéuier,  il  a  su  remplacer  par 
un  tour  élégant  et  facile  l'éclat  de  l'original.  Ses 
longues  et  cruelles  infirmités  ne  lui  laissèrent 
pas  toujours  le  loisir  de  donner  à  ses  vers  tout 
le  fini  désirable,  et  c'est  sans  doute  pour  ce 
motif  qu'il  s'est  permis  d'emprunter  à  ses  devan- 
ciers des  morceaux  entiers,  entre  autres  à  Tho- 
mas Corneille  qu'il  a  dépouillé  ainsi,  sans  en  rien 
dire,  de  plus  de  quinze  cents  vers.  On  a  dit  avec 
raison  qu'il  se  laissait  aller  à  toutes  les  illusions 
de  l'amour- propre;  sa  vanité  du  reste,  bien 
qu'excessive,  ne  manquait  pas  d'une  certaine 
naïveté ,  et  la  bonhomie  en  tempérait  un  peu 
l'expressiou.  «  Quel  talent  ne  fâut-il  pas  pour 
traduire  Ovide  !  s'écriait-il.  Combien  cette  déli- 
catesse de  détails  m'a  coûté  d'efforts!...  on  ne 
peut  égaler  les  anciens  qu'à  la  condition  de  les 
surpasser.  »  Saint-Ange  n'a  pas  achevé  la  tra- 
duction poétique  d'Ovide  :  voici  ce  qu'il  en  a 
publié  -.  Les  Métamorphoses  (Paris,  1778-89, 

1 


3  SÀlftT-A3GE  —  SAINT- AUBIN 

liv.  I-Vf,  in-  8°;  trois  éditions  complètes  :  Paris, 
iS01,2vol.  in-8°flg.;1803,4  vol.in-12,  et  1808, 

4  vol.  gr.  in-8°),  travail  très-recommandable 
que  celui  de  M.  de  Pongerville,  malgré  sa  su- 
périorité, n'a  pas  fait  entièrement  oublier;  Les 
Fasles  (ibid.,  1804,  2  vol.  in-8%  et  1809, 
1811,  in-12),  L'Art  d'aimer  (ibid.,  1807,  in-12), 
-et  Le  Remède  d'amour  (ibid.,  1811,  in-12). 
Chacun  de  ces  volumes  est  accompagné,  suivant 
les  termes  de  l'auteur,  «  de  remarques  d'éru- 
dition, de  critique  et  de  littérature  fleurie  «;  ii 
y  a  dans  la  plupart  du  goût  et  un  savoir  bien 
digéré.  On  a  encore  de  Saint-Ange  :  Commen- 
cement de  l'Iliade,  en  vers  ;  Paris,  1776,  in-8°; 
—  L'École  des  pères,  comédie  envers;  Paris, 
1782,in-8°; — la  traduction  de  l'Homme  sensible 
(1775,  in-12)  et  de  l'Homme  du  monde  (1775, 
2  vol.),  romans  anglais  de  Mackensie;  —  divers 
morceaux  insérés  dans  ses  Mélanges  de  poésie; 
Paris,  1802,  in-12.  On  a  recueilli  ses  Œuvres 
complètes;  Paris,  1823-24,  9  vol.  in-12  fig. 

Notice  dans  Le  Moniteur  universel.,  1810.  —  Ginguené, 
dans  la  Décade  phiiosoph.,  avril  1S01  et   janv.  1804.  — 
Notice,  à  la   tète  des   Poésies   diverses,  1823,  in-12.  — 
Hommes  illustres  de  l  Orléanais,  I. 
SAIXT-ARXA5ID.  Voy.  LEROY. 

saint-aubis  (Jean  de),  historien  fran- 
çais, né  en  1587,  dans  le  Bourbonnais,  mort  le 
18  octobre  1660,  à  Lyon.  Admis  en  1606  dans 
la  Compagnie  de  Jésus ,  il  passa  toute  sa  vie  à 
Lyon,  où  il  prêcha  avec  succès,  professa  la 
rhétorique  et  dirigea  la  maison  du  noviciat.  Ii 
se  signala  par  son  zèle  pour  le  service  des  ma- 
lades pendant  la  peste  de  1623.  On  a  de  lui  : 
Histoire  de  la  ville  de  Lyon,  ancienne  et  mo- 
derne (Lyon,  1666,  in-fol.),  et  Histoire  ecclé- 
siastique de  Lyon  (ibid.,  1666, in-fol. ),  pu- 
bliées l'une  et  l'autre  par  les  soins  du  P.  Me- 
nestrier.  «  Cette  histoire  (celle  de  Lyon),  dit 
Spon ,  semble  un  sermon  ou  '  un  panégyrique 
perpétuel ,  tant  l'auteur  a  eu  soin  d'accabler  le 
lecteur  de  fleurs  de  rhétorique.  »  Cependant 
elle  est  recherchée,  peut-être  à  cause  des  figures, 
gravées  par  Israël  Silvestre.  On  a  du  même 
auteur  quelques  pièces  de  vers  latins  et  une 
Paraphrase  de  l'Ecclésiaste  (Lyon,  1658, 
in-12),  où  l'oii  rencontre  les  vers  suivants  : 

Sous  la  vofite  des  cieux  II  n'est  rien  de  nouveau  ; 
Ce  qui  plut  autrefois  est  encor  trouvé  beau. 
L'astre  qui  fait  les  jours,   les  mois  et  les  années, 
Voit  renaître  aujourd'hui  les  choses  déjà  nées; 
Témoin  du  temps  passé,  témoin  de  l'avenir, 
11  \ oit  recommencer  tout  ce  qu'il  voit  finir. 
Ce  qui   frappe  nos  yeux,  ce  qui  bat  nos  oreilles, 
Avait  jadis  aussi  des  rencontres  pareilles. 
Pour  se  renouveler  la  rose  fleurira  , 
Le  monde  a  déjà  vu  ce  qu'un  jour  11  saura. 

Alezan  be,  Script,  soc.  Jesu.  —  Coloni  i,  Ilist.  litler. 
de  Lyon.  M.  —  Spon,  Recherches.  —  Collombet,  Études 
iur  les  kisl.  du  Lyonnais. 

SAi.vr-AruiN  {Charles  Germain  de),  des- 
sinateur et  graveur,  né  en  1721,  à  Paris,  ou  il 
est  mort,  le  17  mars  1786.  11  était  l'un  des  qua- 
torze enfants  de  Gabriel-Germain  de  Saint-Aubin, 
graveur  privilégié  du  roi,  et  l'aîné  des  quatre 


i  d'entre  eux  qui  s'adonnèrent  aux  arts  du  des- 
sin. Son  père,  qui  le  destinait  fort  probablement 
à  suivre  la  carrière  que  lui-même  avait  rem- 
plie, lui  enseigna  le  dessin,  et  ce  qu'il  acquit  de 
talent  fut  employé  à  composer  des  ornements  et 
des  modèles  de  broderies,  aussi  reçut-il  le  brevet 
de  dessinateur  du  roi  pour  le  costume  moderne. 
Il  n'est  guère  connu  aujourd'hui  que  comme 
auteur  de  deux  suites  d'estampes  gravées  à  l'eau- 
forte  avec  autant  d'esprit  que  d'originalité  et  qui 
sont  extrêmement  difficiles  à  rencontrer  :  ce 
sont  les  Essais  de  papillonneries  humaines 
représentant  des  papillons  jouant  différents  rôles 
de  la  vie  humaine.  On  doit  encore  à  cet  artiste 
deux  suites  de  gravures  intitulées  :  Mes  -petits 
bouquets,  et  les  Fleurettes. 

Saimt-Aubin  (Gabriel- Jacques  de),  peintre 
et  graveur,  frère  du  précédent,  né  en  1724,  à 
Paris,  où  il  est  mort,  le  9  février  1780.  11  fré- 
quenta tour  à  tour  les  ateliers  de  Jeaurat,  Col- 
lin  de  Vermont  et  Boucher.  En  1753,  après  avoir 
mérité  diverses  médailles  dans  les  concours  de 
l'Académie,  il  obtint  le  deuxième  prix  de  pein- 
ture. Mécontent  d'un  tel  résultat,  se  croyant  vic- 
time des  préférences  injustes  de  l'Académie,  Ga- 
briel de  Saint-Aubin  se  dégoûta,  dit-on,  des 
études  académiques;  il  se  livra  alors  à  tous  les 
caprices  de  son  imagination  et  d'une  curiosité 
immodérée ,  «  se  jetant  dans  une  sorte  de  sys- 
tème ,  voulant  tout  voir  et  tout  savoir  sans  se 
soucier  de  son  avenir  et  de  son  talent.  Il  avait 
une  négligence  extrême  de  sa  personne  tant  pour 
sa  santé  que  pour  son  extérieur.  Quoiqu'il  ne 
fût  pas  hors  d'état  de  satisfaire  à  ces  deux  points  : 
il  portait  cette  abnégation  de  soi-même  au  point 
qu'il  est  mort  dans  un  dépérissement  total  de  la 
nature,  n'ayant  voulu  se  laisser  soigner  que 
quand  il  n'était  plus  temps  de  le  faire.  •»  G.  de 
Saint-Aubin  était  membre  et  professeur  de  l'A- 
cadémie de  Saint-Luc,  et,  de  1751  à  1774, il  prit 
part  à  toutes  les  expositions  de  cette  société,  a 
laissé  un  grand  nombre  de  croquis  et  de  dessins 
et  quarante-trois  estampes  gravées  à  l'eau- forte 
d'une  pointe  agréable;  les  uns  et  les  autres  sont 
aujourd'hui  avidement  recherchés  des  amateurs. 

Saiint-Aubin  (Augustin  de),  graveur,  frère  des 
précédents,  né  le  3  juin  (1)  1736,  à  Paris,  où  il  est 
mort,  ie  9  novembre  1807.  Après  avoir  appris 
de  son  frère  Gabriel  les  premiers  éléments  du 
dessin,  il  entra  dans  l'atelier  d'Etienne  Fessard , 
puis  alla  finir  ses  études  sous  la  direction  de 
Laurent  Cars.  Le  premier  ouvrage  important 
qu'il  exécuta  fut  une  gravure  du  tableau  de 
Boucher  représentant  Vertumne  et  Pomone. 
Bientôt  il  délaissa  les  grands  ouvrages  pour 
s'occuper  presqu'exclusivement  du  dessin  et  de 
la  gravure  des  vignettes  et  surtout  des  por- 
traits pour  les  libraires.  Son  habileté  en  ce 
genre   délicat   le   plaça  vite  au  premier  rang 

(1)  C'est  par  erreur  que  ta  notice  placée  en  tète  du 
catalogue  de  la  vente  faite  après  le  décès  d'Aug.  de 
Saint-Aubin,  donne  la  date  du  3  janvier  1736. 


o  SAINT-AUBIN 

des  agréables  petits  maîtres  de  la  lin  du  dix- 
huitième  siècle.  Peu  de  livres  parurent  à 
cette  époque  et  au  commencement  de  notre 
siècle  sans  être  ornés  de  portraits  sortis  de  son 
atelier,  En  1771 ,  il  fut  agréé  dans  l'Académie 
de  peinture  et  sculpture,  et  en  1777,  il  succéda  à 
Etienne  Fessard  dans  la  place  de  graveur  de  la 
bibliothèque  du  roi.  J.  Duclos,  Macret,  Anselin, 
Blot,  Sergent,  etc.,  furent  ses  élèves.  De  nos  jours 
on  recherche  les  jolis  portraits  familiers  dessinés 
à  plusieurs  crayons  par  A.  de  Saint- Aubin. 

Saint-Aubin  (Louis-Michel  de),  frère  des 
précédents,  né  à  Paris,  ie  20  mars  1731,  mort 
en  1779,  pratiqua  l'ait  de  la  peinture  sur  porce- 
laine. Il  était  domicilié  à  Sèvres  en  1764,  ce  qui 
pourrait  faire  penser  qu'il  travaillait  alors  à  la 
manufacture  royale  des  porcelaines.    H.  H — n. 

Pahin  de  la  Blaocherie.  Essai  d'un  tableau  hist.  des 
peintres  de.  l'École  française.  —  Collet  de  Baudicourt, 
Le  Peintre  graveur  français  continué.  —  De  Concourt, 
L'Art  au  dix-huitième  siècle.  —  Regnault-Dclal aride  , 
Catalogue  des  tableaux,  dessins....  qui  composaient  le 
cabinet  de  feu  Ht.  A.  de  Saint- Aubin. 

SAINT-AUBIN.  Voy.  GuÉDIER  et  Mague. 
SAINT-AUEA1RE.    VOIJ.  SAINTE-AULAIRE . 
SAINT-BONNET.    VOIJ.  TOIRAS. 

saint-bris.  Voy.  Lambert. 

saint-bîîisson.  Voy.  Seguier. 

saint-contest  [Dominique-Claude  Bar- 
berie  de),  magistrat  et  dipiomate,né  en  1668, mort 
Ie22juinl730.  Conseiller  au  Chàtelet  (1687),  puis 
au  parlement  de  Paris  (1689),  il  fut  maître  des 
requêtes  ordinairede  l'hôtel,  en  1696.  Intendant 
de  Metz  et  des  Trois-Évôchés  (1700),  de  l'armée  de 
la  Moselle  (1705), de  l'armée  d'Allemagne  (1708), 
une  seconde  fois  de  l'armée  de  la  Moselle  (1713), 
second  plénipotentiaire  au  congrès  de  Bade 
(1714),  conseiller  au  conseil  de  la  guerre  en  1715, 
il  parvint  enfin,  en  1716,  au  rang  de  conseiller 
d'État.  «  Saint-Contest,  dit  Saint-Simon,  était 
de  mes  amis  ;  c'était  un  homme  d'un  extérieur 
lourd  et  grossier,  avec  toutes  les  manières  ri- 
diculement bourgeoises,  qui  avait  tout  l'art,  la 
finesse,  la  souplesse,  les  vues  et  les  tours  pour 
arriver  à  ses  fins,  sans  avoir  l'air  de  penser  à 
rien,  lors  même  qu'il  y  travaillait  le  plus.  Cela 
lui  était  naturel.  Avec  cela  doux,  liant,  acces- 
sible et  honnête  homme.  »  Le  régent,  qui  appré- 
ciait ses  talents  et  son  habileté,  l'employa  dans- 
plusieurs  affaires  importantes  et  difficiles.  Il  le 
nomma  rapporteur  dans  le  procès  des  princes 
du  sang  contre  l'éditde  1 714.  par  lequel  Louis  XIV 
avait  donné  aux  princes  légitimés  le  droit  de 
succéder  à  la  couronne  ;  Saint-Contest  lut  son 
rapport,  le  1er  juillet  1717,  et  conclut  à  l'exclu- 
sion des  princes  légitimés;  ce  fut  aussi  la  con- 
clusion de  l'édit  qui  termina  cette  affaire.  Presque 
aussitôt  après,  Saint  Contest  fut  chargé,  avec 
d'Ormesson,  des  négociations  relatives  à  quel 
ques  questions  pendantes  entre  la  France  et  la 
Lorraine,  qui  furent  réglées  par  le  traité  du 
21  janvier  1718. 11  entra  au  conseil  de  commerce, 
le  30  novembre  1720    et  fut  bientôt  envoyé, 


-  SAIiNTEDMK  G 

comme  plénipotentiaire,  auprès  des  états  géné- 
raux des  Provinces-Unies,  puis  au  congrès  de 
Cambrai.  Le  congrès  terminé,  il  revint  prendre 
sa  place  au  conseil,  en  qualité  de  conseiller  d'É- 
tat ordinaire. 

Sa  tint- Contest  [François-Dominique  Bar- 
berie,  marquis  de),  homme  d'État,  fils  du  pré- 
cédent, né  le  26  janvier  1701,  mort  le  24  juillet 
1754.  Avocat  du  roi  au  Chàtelet  de  Paris  en 
1721,  conseiller  an  parlement  en  1724,  maître 
des  requêtes  ordinaire  de  l'hôtel  en  1728,  inten- 
dant de  Béaru  en  17?7,  de  Caen,  puis  de  Bour- 
gogne en  1740,  il  reçut,  le  15  juillet  1749,  les 
pouvoirs  nécessaires  pour  régler,  avec  le  rési- 
dent de  France  à  Genève,  l'affaire  des  territoires 
genevois  situés  dans  le  pays  de  Gex.  Le  24  avril 
1750,  il  eut  le  titre  de  maître  des  requêtes  ho- 
noraire, et,  au  mois  de  septembre  de  la  même 
année,  on  l'envoya  ambassadeur  en  Hollande. 
Au  retour  de  celte  mission,  Saint-Contest  fut 
nommé  ministre  des  affaires  étrangères,  le 
il  septembre  1751.  Il  s'était  élevé  grâce  à  la 
réputation  de  son  père,  et,  comme  il  était  dé- 
pourvu de  caractère,  aussi  bien  que  de  finesse 
et  de  vues  politiques,  il  ne  fut,  au  ministère, 
que  l'instrument  de  Mme  de  Pompadour  et  de 
ses  conseillers  Noailles  et  Saint-Severin;  il  se 
prêta  à  leurs  desseins  avec  une  faiblesse  qui  le 
rendit  ridicule,  et,  après  avoir  affiché  l'inten- 
tion d'établir  entre  les  divers  États  de  l'Europe 
un  système  fédératif  contre  l'Autriche,  la  Russie 
et  l'Angleterre,  il  passa,  sur  un  signe  de  ses  pro- 
tecteurs ,  à  un  système  tout  opposé.  On  venait 
de  le  nommer  prévôt  et  maître  des  cérémonies 
des  ordres  du  roi ,  lorsqu'il  mourut. 

Saint- Allais,  France  législative.  —  Lemontey,  Hist.  du 
dix-huitième  siècle. 

saint-cyb.  Voy.  Giry  et  Gouvion. 

SA1NT-CYI5AN.  Voy.  DuVERGIER. 
SAINT  DIDIER.    VOIJ.  LlMOJON. 
SAINT-DONAT.  Voy.  COUPÉ. 

saint-edme  (Edme-Théoclore  Bourg,  dit), 
littérateur  français,  né  le  31  octobre  1785,  à 
Paris,  où  il  est  mort,  le  26  mars  1852.  Après 
avoir  fait  les  premières  campagnes  de  l'empiro 
en  qualité  de  commissaire  des  guerres,  il  devint 
secrétaire  du  maréchal  Berthier,  et  à  la  chute  de 
Napoléon,  se  fit  homme  de  lettres  etpubliciste 
en  commençant  à  réfuter  un  écrit  de  M.  de  Cha- 
teaubriand. Depuis  ce  moment,  il  fut  un  de 
ces  écrivains  qui  ne  cessèrent  de  haï  celer  le 
gouvernement  de  la  Restauration  au  profit  des 
idées  impériales  ou  républicaines,  et  son  acti- 
vité fut  telle,  en  fait  de  compilation,  qu'il  eût 
pu  rendre  des  points  à  l'abbé  Trublet,  qui,  ce- 
pendant, on  le  sait,  s'était  acquis  un  assez  beau 
renom  dans  ce  genre  de  travaux.  Après  la  révo- 
lution de  juillet  1830,  Saint-Edme  continua  la 
lutte, et,  pour  mieux  servir  la  cause  démocra 
tique  en  sapant  le  trône  de  Louis-Philippe,  i! 
commença,  en  collaboration  de  M.  Germain  Sar- 
rut,  un  ouvrage  considérable  sous  le  titre  de 

1. 


SAINT-EDME  —  SAINT-EVREMOND 


Biographie  des  hommes  du  jour,  et  dont  on  a 
pu  dire,  avec  raison,  que  beaucoup  de  notices, 
malgré  la  devise  générale  «  Justice,  vérité,  im- 
partialité, »  tournent ,  selon  l'opinion  politique 
des  personnages  ,  ou  selon  leurs  relations  avec 
les  auteurs ,  en  panégyriques  ou  en  pamphlets. 
Le  triomphe  de  la  démocratie  en  1848  et  celui 
des  idées  napoléoniennes  peu  après  ne  ralen- 
tirent point  l'activité  fébrile  de  Saint-Edme,  mais 
ne  lui  procurèrent  point  la  position  à  laquelle  ses 
luttes  avec  les  divers  pouvoirs  semblaient  lui 
donner  quelques  droits.  Succombant  à  la  vio- 
lence d'un  chagrin  invétéré  que  rendaient  en- 
core plus  cuisant  des  embarras  financiers,  il 
avait  depuis  longtemps  conçu  l'idée  d'un  suicide. 
Au  moment  d'exécuter  ce  funeste  projet,  il 
consigna  dans  une  sorte  de  journal  toutes  ses 
impressions,  et  ce  document  que  la  Presse  a 
publié  offre  un  grand  intérêt  an  point  de  vue 
psychologique.  Après  avoir  hésité  entre  les  di- 
vers genres  de  mort,  Saint-Edme  opta  pour  la 
pendaison ,  et  se  pendit  en  effet  aux  rayons  de  sa 
bibliothèque.  On  a  de  lui  :  De  V Empereur  et 
du  comte  de  Lille,  ou  Réfutation  de  l'écrit  : 
De  Buonaparte  et  des  Bourbons;  Paris  ,  1815, 
in-8°  :  c'est  le  seul  de  ses  ouvrages  publié  sous 
son  propre  nom  de  Bourg  ;  —  Napoléon  con- 
sidéré comme  général,  premier  consul,  empe- 
reur, prisonnier  à  l'Ile  d'Elbe  et  à  Sainte- 
Hélène;  Paris,  1821,in-8°;  —  Constitution  et 
organisation  des  Carbonarï;  Paris,  1821, 
in-8°;  —  Relation  historique  de  la  révolution 
du  royaume  d'Italie  en  1814,  trad.  de  Guic- 
ciardi;  Paris,  1822,  in-8° ;  — Dictionnaire  ana- 
lytique et  raisonné  de  l'histoire  de  France; 
Paris,  1823,  in-8°  ;  —  Dictionnaire  de  la  pé- 
nalitédans  toutes  les  parties  du  monde  connu; 
Paris,  1824,  4  vol.  in-8°;  —  Législation  du  sa- 
crilège chez  tous  les  peuples;  Paris,  1825  , 
jn-8°;  —  Paris  et  ses  environs;  Paris,  1828-38, 
1842,  2  vol.  in-8°;  —  Biographie  des  lieute- 
nants généraux,  ministres,  etc..  de  la  police 
en  France;  Paris,  1829,  in-8°;  —  Amours  et 
galanteries  des  rois  de  France;  Paris,  1830, 
2  vol.  in-8°;  —  Répertoire  général  des  causes 
célèbres;  Paris,  1834-1837,  17  vol.  in-8°;  — 
Biographie  des  hommes  du  jour  (avec  Sarrut)  ; 
Paris,  1835-42,  6  vol.  gr.  in-8°,  divisés  chacun 
en  deux  parties,  avec  portr.  Plusieurs  des  no- 
tices contenues  dans  cet  ouvrage  ont  été  tirées  à 
part;  —  Procès  du  prince  Napoléon-Louis  et 
de  ses  co-accusés  devant  la  Cour  des  pairs; 
Paris,  1840,  2  parties,  in-8°;  —  Didier,  His- 
toire de  la  conspiration  de  1816;  Paris,  1841, 
in-32; —  Vraie  histoire.  Collection  de  lettres 
et  documents  autographes,  etc.;  Paris,  1844, 
2  vol.  in-4°  (avec  M.  Félix  Drouin).  Il  rédi- 
gea sur  les  notes  du  soi-disant  baron  de  Ri- 
chement :  Mémoires  du  duc  de  Normandie , 
fils  de  Louis  XVI  (Paris,  1831,  in-8°  ),  et 
travailla  dans  plusieurs  journaux,  surtout  aux 
Tablettes  universelles ,  à  V Assemblée  consti- 


tuante, en  1848,  au  Journal  de  tout  le  monde, 
en  1849.  11  a  laissé  des  manuscrits  importants 
et  des  notes  curieuses  sur  les  hommes  illustres 
avec  lesquels  il  a  vécu.  H.  F. 

Quérard,  La  France  littér.  —  La  Littérature  ron- 
temp.  —Derniers  moments  du  sieur  Bourg Saint-lldme 
(  écrits  par  lui-même  ),  dans  la  Presse  du  7  avril  1852. 

SAINT-ETIENNE.  Vay.  RABAUT. 

SAïnt-Évremond  (Charles  de  Margue- 
tel  de  Saint-Denis,  seigneur  de),  écrivain 
français,  né  à  Saint-Denis  du  Guast,  près  Cou- 
tances,  le  1er  avril  1613,  mort  à  Londres,  le 
29  septembre  1703.  Son  père,  le  baron  de  Saint- 
Denis,  commandait  la  compagnie  des  gen- 
darmes du  duc  de  Montpensier,  gouverneur  de 
Normandie,  et  sa  mère  était  la  sœur  du  mar- 
quis de  Rouville,  qui  avait  été  intendant  des 
finances.  L'un  des  cadets  de  six  garçons  nés  de 
ce  mariage,  il  vint  fort  jeune  à  Paris  au  col- 
lège de  Clermont  ou  des  jésuites,  puis  il  com- 
mença à  Caen  ses  études  de  droit,  auxquelles 
il  renonça  pour  entrer  au  service  en  qualité 
d'enseigne;  il  commanda  bientôt  une  compa- 
gnie d'infanterie,  à  la  tête  de  laquelle  il  se 
trouva  au  siège  d'Arras.  11  se  distingua  par 
son  courage,  sa  souplesse  dans  les  exercices  du 
corps  et  son  habileté  à  l'escrime.  Il  passa  en- 
suite dans  la  cavalerie,  et  le  duc  d'Enghien, 
qui  goûtait  sa  conversation,  lui  donna  une  lieu- 
tenance  dans  la  compagnie  de  ses  gardes.  Il  as- 
sista aux  combats  de  Rocroy,  de  Fribourg  et  de 
Nordlingen,  et,  dans  cette  dernière  affaire,  il  re- 
çut au  genou  gauche  une  blessure  qui  faillit  né- 
cessiter l'amputation  de  la  cuisse.  Guéri  après 
de  longues  souffrances ,  il  continua  de  servir 
avec  la  plus  grande  distinction  en  Allemagne  et 
dans  les  Flandres.  Son  intelligence  et  son  esprit 
n'étaient  pas  moins  remarquables  que  sa  bra- 
voure. Les  devoirs  de  sa  profession  ne  le  dé- 
tournaient pas  du  commerce  des  lettres  et  du 
goût  des  études  philosophiques.  En  même 
temps,  il  ne  négligeait  point  les  relations  de 
société;  il  se  créait  des  protecteurs  et  des  amis 
nombreux  dans  les  plus  hauts  rangs  :  Turenne, 
les  maréchaux  de  Gramont ,  d'Estrées ,  d'Al- 
bret,  de  Clércmbault,  de  Créqui,  le  duc  de 
Candale,  les  comtes  de  Gramont  et  d'Olonne, 
le  surintendant  Fouquet;  il  menait  les  plaisirs 
de  front  avec  les  études  et  les  affaires.  Saint- 
Évremond  fut  de  borne  heure  un  épicurien , 
ami  de  la  chère  délicate,  et  si  l'on  en  croit  son 
biographe  et  son  ami  des  Maizeaux  ,  c'est  lui  et 
ses  deux  compagnons ,  le  comte  d'Olonae  et  le 
marquis  de  Roisdauphin,  qui  furent  surnommés 
les  Coteaux.  L'origine  et  la  signification  de  ce 
mot,  dont  Boileau  a  fait  la  fortune  dans  sa 
troisième  satire,  sont  trop  connues  pour  que 
nous  ayons  à  y  appuyer.  Saint-Évremond  ne 
sut  pas  conserver  la  faveur  dont  Condé  lui 
donnait  chaque  jour  des  marques  particulières  : 
un  penchant  à  la  critique  et  au  sarcasme,  qui 
devait  se  changer,  dans  sa  vieillesse,  en  une 


politesse  circonspecte  et  méticuleuse,  lui  valut  sa 
disgrâce  :  il  eut  l'imprudence  de  railler  certains 
travers  du  prince,  qui,  l'ayant  appris,  lui  de- 
manda la  démission  de  sa  lieutenance  (1048). 
Ajoutons  qu'il  ne  lui  garda  pas  toujours  rancune 
et  s'appliqua  à  lui  prouver  par  la  suite  qu'il 
avait  oublié  ses  torts. 

Pendant  la  Fronde,  Saint-Évremond  demeura 
fortement  attaché  au  parti  du  roi,  et  combattit 
les  rebelles  non-seulement  de  son  épée,  mais  de 
sa  plume;  car  il  paraît  prouvé  qu'il  est  l'auteur 
d'une  pièce  satirique,  attribuée  quelquefois  à 
Charleval  :  La  Retraite  de  M.  de  Longueville  en 
Normandie.  11  fut  récompensé  de  sa  fidélité  par 
un  brevet  de  maréchal  de  camp  et  une  pension  de 
1,000  écus  (1652).I1  exerça  durant  ce  temps  di- 
vers commandements  dans  la  Guyenne,  où  il  sut 
si  bien  mettre  à  profit  les  conjonctures  et  tirer 
parti  des  assignations  qu'on  donnait  alors  aux  of- 
ficiers sur  les  villes  et  communautés  pour  le 
paiement  et  l'entretien  de  leurs  troupes,  que,  de 
son  propre  aveu ,  il  en  rapporta,  après  deux  ans 
et  demi ,  un  bénéfice  d'une  cinquantaine  de 
miile  francs.  11  faut  connaître  l'organisation  et 
l'administration  des  armées  d'alors  pour  bien 
comprendre  un  pareil  résultat,  qui  fait  plus 
d'honneur  à  l'habileté  de  Saint-Évremond  qu'à 
sa  délicatesse.  Quelque  temps  après ,  il  tomba 
dans  une  nouvelle  disgrâce.  Mazarin,  supposant 
qu'il  avait  agi  contre  ses  intérêts  dans  raccom- 
modement que  fit  la  province  de  Guyenne,  prit 
prétexte  de  quelques  légèretés  de  paroles  pour 
.  l'envoyer  à  la  Bastille.  11  fut  mis  en  liberté  après 
un  emprisonnement  d'un  peu  plus  de  trois  mois. 
En  1659,  il  se  rendit  avec  plusieurs  person- 
nages de  qualité  aux  conférences  entre  le  car- 
dinal et  don  Louis  de  Haro,  qui  précédèrent  le 
fameux  traité  des  Pyrénées,  puis  il  fut  désigné 
par  le  roi,  qui  le  voyait  d'un  bon  œil,  pour  ac- 
compagner en  Angleterre  l'ambassade  du  comte 
de  Soissons  (1660),  qui  allait  féliciter  Charles  II 
de  son  rétablissement  sur  le  trône  de  ses  pères, 
et  il  demeura  six  mois  dans  ce  pays,  où  il  noua 
des  relations  intimes  avec  un  grand  nombre  de 
seigneurs  anglais.  Il  était  à  peine  de  retour  en 
France,  quand  éclata  l'événement  qui  devait 
causer  son  exil.  Mazarin  était  mort,  et  on  ve- 
nait d'arrêter  la  perte  de  Fouquet.  Or,  en  par- 
tant pour  accompagner  la  cour  dans  un  voyage 
en  Anjou  et  eu  Bretagne ,  Saint-Évremond  avait 
déposé  chez  Mine  Duplessis-Bellière,  amie  du 
surintendant,  une  cassette  qui  contenait  tous 
ses  papiers,  et  parmi  ces  papiers  se  trouvait 
une  lettre  adressée  au  maréchal  de  Créqui  lors 
des  conférences,  dans  laquelle,  pour  lui  faire 
sa  cour,  il  s'exprimait  fort  librement  sur  le  traité 
des.  Pyrénées,  qui  déplaisait  particulièrement 
aux  gens  de  guerre.  Lorsqu'on  arrêta  Fou- 
quet, on  fit  mettre  le  scellé  non-seulement  sur 
ses  papiers,  mais  sur  ceux  de  ses  amis,  et  la 
cassette  de  Saint-Évremond  se  trouva  confon- 
due dans  la  saisie  pratiquée  chez  Mœe  Duples- 


SAINT-ÉVREMOND  10 

sis-Bellière.  On  y  découvrit  la  lettre  en  ques- 
tion :  le  roi  en  fut  indigné,  et  les  créatures  du 
ministre  défunt,  de  concert  avec  les  ennemis  de 
l'imprudent  écrivain,  ne  négligèrent  rien  pour 
achever  de  l'aigrir.  Saint-Évremond,  averti,  se 
retira  d'abord  en  Normandie  chez  un  de  ses 
parents,  puis  il  erra  de  province  en  province 
pendant  quelque  temps,  ne  voyageant  que  de 
nuit  et  se  cachant  avec  soin.  Enfin ,  apprenant 
que  le  roi  ne  se  laissait  pas  fléchir  et  qu'il  n'était 
plus  en  sûreté,  il  prit  le  parti  de  quitter  la 
France,  vers  la  fin  de  l'année  1661,  en  empor- 
tant tout  l'argent  qu'il  put,  et  laissant  le  reste 
à  son  fidèle  ami,  le  maréchal  de  Créqui,  qui  lui 
en  fit  une  rente  viagère.  Après  avoir  passé  suc- 
cessivement par  les  Pays-Bas  et  la  Hollande,  il 
arriva  en  Angleterre  (1662),  où  il  fut  reçu  très- 
favorablement  par  le  souverain  et  par  les  plus 
hauts  personnages  de  l'aristocratie.  Il  s'y  lia 
bientôt  aussi  avec  les  écrivains  et  les  beaux- 
esprits  les  plus  illustres  :  Waller,  Hobbes, 
Cowley,  etc.  En  1665,  pour  éviter  la  peste 
qui  commençait  à  réguer  dans  Londres ,  il  se 
rendit  en  Hollande,  où  il  entra  en  relations 
particulières  avec  le  grand  pensionnaire  de 
Witt,  avec  la  plupart  des  ambassadeurs  étran- 
gers, et  avec  des  philosophes  ou  des  savants 
comme  Vossius  et  Spinosa  ;  mais  la  princi- 
pale connaissance  qu'il  y  fit,  et  qui  devait  être 
la  plus  avantageuse  pour  lui  par  la  suite ,  fut 
celle  du  prince  d'Orange.  Il  alla  assister  aux 
négociations  du  traité  de  Breda,  fit  un  court 
voyage  à  Bruxelles,  et  à  son  retour  à  La  Haye, 
il  se  lia  avec  le  prince  de  Toscane,  aussi  de  pas- 
sage en  celte  ville,  et  qui,  devenu  grand  duc, 
continua  à  lui  donner  des  marques  de  son  ami- 
tié. 11  y  avait  quatre  ans  qu'il  était  en  Hollande 
quand  le  roi  Charles  II  lui  fit  dire  qu'il  souhai- 
tait son  retour  en  Angleterre.  Il  se  hâta  donc 
de  revenir  à  Londres,  où  le  souverain  le  reçut 
avec  la  plus  grande  bienveillance ,  et  lui  donna 
une  pension  de  trois  cents  livres  sterling.  Ce 
revenu,  joint  à  la  rente  viagère  du  maréchal  de 
Créqui,  à  une  autre  de  cent  livres  sterling  que 
lui  faisait  le  duc  de  Moutaigu  ,  en  échange  d'une 
somme  de  500  livres  qu'il  lui  avait  versée  à  son 
retour  de  Hollande,  enfin  à  ce  qu'il  tirait  de  ses 
biens  de  Normandie,  lui  assura  une  existence  à 
l'abri  du  besoin.  Dès  lors,  il  s'arrangea  pour 
vivre  en  Angleterre  aussi  agréablement  que  le 
peut  faire  un  exilé,  s'occupant  à  l'étude,  à  la 
lecture,  aux  plaisirs  et  aux  relations  dans  la 
haute  société.  On  assure  pourtant  qu'il  se  mêla 
à  quelques-unes  des  intrigues  de  la  cour  an- 
glaise, si  multipliées  sous  le  règne  de  Charles  IL 
L'arrivée  à  Londres  de  la  duchesse  de  Mazarin 
fut  un  lien  de  plus,  et  non  le  moins  puissant, 
qui  l'attacha  à  sa  nouvelle  patrie.  Saint-Évre- 
mond se  constitua  son  chevalier  ;J1  l'aida  à  or- 
ganiser ce  célèbre  salon ,  espèce  de  cénacle  lit- 
téraire et  philosophique,  d'hôtel  de  Rambouillet 
transplanté  au  delà  de  la  Manche,  dont  il  était 


îi 


SAIJST-EVREMOND 


12 


l'âme.  C'est  là  que  naquirent  un  grand  nombre  j  comme  l'oracle  familier  des  lettres  :  une  question 
de  ses  dissertations  qu'il  multiplia  sur  tous  les 
sujets;  c'est  pour  la  duchesse  ou  pour  ses  habi- 
tués qu'il  écrivit  ses  meilleures  pages.  11  a  cé- 
lébré mille  fois  ses  charmes  et  son  esprit;  il  se 
chargea  de  répliquer  pour  elle  au  plaidoyer  de 
l'avocat  de  sou  mari  ;  il  lui  prêta  même  de  l'ar- 
gent, et  elle  mourut  sa  débitrice.  On  voit  qu'il 
lui  rendit  des  services  dans  tous  les  genres,  et  on 
peut  dire  qu'elle  devint  dès  lors  la  principale 
occupation  et  ie  grand  charme  de  sa  vie. 

Cependant  Saint-Évremond  avait  conservé 
à  Paris  un  grand  nombre  d'amis  puissants  qui 
s'employaient  activement  en  sa  faveur.  Le 
marquis  Colbert  de  Croissy,  ambassadeur  en 
Angleterre,  écrivit  même  plusieurs  fois  à  son 
frère  ie  ministre,  pour  tâcher  d'obtenir  le  rap- 
pel de  l'exilé.  Tout  fut  inutile.  On  a  peine  à  com- 
prendre une  si  longue  persévérance  dans  la  ri- 
gueur, pour  une  faute  après  tout  assez,  légère, 
puisqu'elle  n'avait  été  commise  que  dans  une 
correspondance  privée.  Faut-il  croire,  comme 
le  dit  Voltaire  (Siècle  de  Louis  XIV),  que  sa 
disgrâce  avait  encore  une  autre  cause  sur  la- 
quelle il  ne  voulut  jamais  s'expliquer?  On  en  est 
réduit  sur  ce  point  à  des  conjectures.  Quoi  qu'il 

en  soit,  Saint-Évremond  se  considéra  désormais 

comme  fixé  définitivement  en  Angleterre.  A  la 

mort  de  Charles  II,  sa  pension  fut  supprimée, 

et  il  refusa  une  charge  de  secrétaire  du  cabinet 

qu'on  voulait  créer  pour  lui.  La  révolution  de  1688 

lui  fut  plutôt  avantageuse  que  défavorable.  Le 

prince  d'Orange  (Guillaume  III),  se  montra  plein 

de  bienveillance  à  son  égard,  et  lui  prodigua  ses 

faveurs.  A  ce  moment,  Saint-Évremond  apprit 

tout  à  coup  que  la  grâce  qu'il  avait  si  longtemps 

sollicitée  en  vain  lui  était  accordée,  et  qu'il  pou- 
vait rentrer  en  France.  Mais  c'était  trop  tard  ;  il 

était  vieux ,  il  s'était  créé  à  Londres  des  habitudes 

et  des  relations  intimes  qu'il  ne  se  sentait  plus 

la  force  de  rompre,  et  surtout  il  était  trop  épris 

de  Mme  de  Mazarin  pour  la  quitter.  Il  refusa,  et 

acheva  sa  vie  dans  la  capitale,  de  l'Angleterre, 

partageant  son  temps  entre  la  lecture,  la  conver- 
sation ,  et  la  composition  de  ces  petites  pièces 

qu'il  écrivait  pour  son  amusement  et  celui  d'un 

cercle   choisi  ;  trônant  tantôt  dans  le  salon  de 

Mme  de  Mazarin,  tantôt  au  caféde  Will,  parmi  les 

écrivains  illustres,  Dryden,  Temple,  Swift,  etc., 

qui  en    avaient  fait  une  sorte   de  club  litté- 
raire. Il  avait  l'oreille  à  tout  bruit  venant  de 

France;  il  entretenait  une  correspondance  assi- 
due avec  ses  amis  de  France,  les  comtes  de  Lionne, 

d'Olonne,  de   Gramont,  etc.,  et  surtout  avec 

Ninon  de  l'Enclos,  à  qui  il  envoyait  souvent  des 

lettres  qui  sont  de  véritables  dissertations  phi- 
losophiques et  morales  ;  il  se  tenait  au  courant 

de  toutes  les  productions   nouvelles,  et  suivait 

avec  attention  dans  ses  moindres  symptômes  le 

mouvement   des   intelligences.  Son   exil   l'avait 

mis  plus  en  vue  par  l'isolement.  De  toutes  parts, 
4e  Paris  plus  que  de  Londres, on  le  consultait 


délicate  divisait-elle  les  esprits,  chacun  le  pre- 
nait pour  arbitre,  et  sa  décision  faisait  loi. 
Très- facilement  accessible  à  toute  requête  de  ce 
genre,  le  resigné  proscrit,  qui  resta  jusqu'au 
bout  aussi  français  de  style  et  d'idées  que  s'il 
n'eût  jamais  quitté  Paris ,  répondait  sans  pé- 
dantisme,  avec  une  grâce  légère  et  facile,  et 
ses  réponses,  courant  de  main  en  main,  faisaient 
les  délices  des  salons.  Comme  il  ne  livrait 
rien  à  l'impression,  la  rareté  de  ses  écrits  en 
augmentait  le  prix,  et  il  était  devenu  tellement 
à  la  mode  que  le  libraire  Barbin  demandait  ins- 
tamment à  ses  auteurs  de  lui  faire  du  Saint- 
Évremond,  et  qu'on  lui  offrit  souvent  des 
sommes  très-é!evées  pour  acquérir  le  droit  de 
publier  ses  manuscrits. 

La  mort  de  la  duchesse  de  Mazarin  (1699)  vint 
attrister  la  vieillesse  de  Saint-Évremond  et  dé- 
truire la  plus  chère  de  ses  habitudes.  Néanmoins 
il  se  releva  de  ce  coup,  grâce  à  la  gaîté  de  son 
humeur,  et  à  un  enjouement  de  caractère  que  se- 
condait la  vigueur  de  sa   santé.  «  11  aimoit  la 
compagnie  des  jeunes  gens,  dit  son  biographe 
des  Maizeaux,  il  étoit  sensible  à  tous  leurs  plai- 
sirs. Les  divertissements  qu'il  n'étoit  plus  enéiat 
de  goûter  faisoient  sur  son  esprit  une  impression 
vive  et  agréable;  il   se  plaisoit  à  en  entendre 
parler.   Il  étoit   naturellement  malpropre,  et  ce 
qui  y  contribuoit  le  plus,  c'est  qu'il  avoit  tou- 
jours chez  lui   des  chiens,  des  chats,  toutes 
sortes  d'animaux.  Il  disoit  que  pour  divertir  les 
ennuis  inséparables  de  la   vieillesse,   il  falloit 
toujours  avoir  devant  les  yeux  quelque  chose  de 
vif  et  d'animé.  »  Pour  compléter  son  portrait, 
ajoutons  qu'au  physique  il  était  de  taille  avanta- 
geuse, d'une  démarche  aisée,  même  dans  l'âge  le 
plus  avancé,  avec  des  yeux  bleus  pleins  de  feu, 
une  physionomie  ouverte  et  spirituelle,  de  rares 
cheveux  blancs  qu'il  ne  voulut  jamais  cacher 
sous  une  perruque,  et  malheureusement  aussi 
une  grosse  loupe  à  la  racine  du  nez,  qui  lui  était 
venue  plus  de  vingt  ans  avant  sa  mort.  Il  con- 
serva jusqu'à  la  dernière  minute  de  sa  vie  son 
jugement,  sa  mémoire  et  tous  ses  sens.  11  mou- 
rut d'un  ulcère  dans  la  vessie,  à  l'âge  de  plus  de 
quatre-vingt-dix  ans,  et  fut  enterré  dans  l'abbaye 
de  Westminster.  Bayle  assure  qu'il  rendit  l'âme 
sans  les  secours  de  la  religion.  Tout  libre  pen- 
seur qu'il  était,  Saint-Évremond  se  montra  tou- 
jours respectueux  pour  le  dogme  :  entre  son  scep- 
ticisme et  celui  de  Voltaire,  il  y  a  toute  la  dif- 
férence du  dix-septième  au  dix-huitième  siècle. 
Il  n'est  nulle  part  agressif,  ni  même  hostile  au 
christianisme,  et  c'est  à  tort,  comme  Voltaire 
le  proclame  lui-même,  qu'on  lui  attribua  un  li- 
belle impie  dont  son  caractère  et  les  habitudes 
de  sa  vie  suffiraient  à  démontrer  qu'il  n'est  pas 
l'auteur,  quand  même  cet.  ouvrage  ne  s'éloigne- 
rait pas  si  complètement  de  sa  manière  d'écrire. 
Saint-Evremond    était  le  type  de   Vhonnète 
homme  et  du  galant  homme,  c'est-à-dire  de 


13  SAINT-ÉVREMOND 

l'homme  de  'qualité.  Il  avait  la  conversation  fa- 
cile et  enjouée,  la  repartie  vive  et  piquante,  les 
manières  polies.  Son  savoir  était  inoins  étendu 
que  son  esprit.  Jl  ne  s'attachait,  en  lisant,  qu'à 
étudier  le  génie  d'un  auteur  et  non  à  charger  sa 
mémoire  de  faits.  Il  écrivait  avec  facilité,  quoi- 
qu'il corrigeât  beaucoup  ses  œuvres.  Il  faisait 
facilement  des  vers  ingénieux  et  prosaïques, 
qu'il  avait  le  tort  de  préférer  à  sa  prose.  Malgré 
sa  Comédie  des  Opéras,  dont  les  railleries 
pourraient  donner  le  change  sur  ses  goûts,  il 
aimait  beaucoup  la  musique  et  composa  même 
plusieurs  airs.  Ses  écrits  les  plus  célèbres  sout 
sa  Comédie  des  Académistes  (Paris,  1650, 
in-8°),  son  premier  et  son  meilleur  ouvrage  en 
vers;  ses  Réflexions  sur  les  divers  génies  du 
peuple  romain  (1664,  in  8°),  sujet  qu'il  a  traité 
quelquefois  de  manière  à  pouvoir  supporter  la 
comparaison  avec  Montesquieu  ;  la  Conversation 
du  maréchal  d'Hocquincourt  avec  le  P.  Ca- 
naye;  ses  Jugements  et  Observations  sur  Sé- 
nèque,  Plutarque,  Pétrone,  Sallusle,  Tacite,  sur 
diverses  tragédies  de  Racine  et  de  Corneille; 
ses  dissertations  Sur  la  tragédie  ancienne 
et  moderne  et  Sur  les  poèmes  des  anciens, 
.  où  il  a  mieux  entrevu  que  pas  un  autre  la  vraie 
solution  de  la  querelle  des  anciens  et  des  mo- 
dernes, etc.  Ses  petits  traités  littéraires  sont  nom 
breux  et  généralement  d'un  style  vif,  juste  et  fin. 
Il  ne  vise  pas  à  épuiser  le  sujet,  se  contentant 
d'exprimer  ses  vues  personnelles  et  d'ouvrir  des 
aperçusféconds.  Toutes  ses  pages  portent  le  même 
cachet  de  mesure  et  de  modération,  modéra- 
tion qui  est  peut-être  autant  celle  de  l'épicurien 
sceptique  que  de  l'homme  de  goût,  et  d'un  li- 
béralisme intelligent  fondé  sur  le  sentiment  des 
nécessités  d'un  nouvel  ordre  social.  11  semble 
que  sa  critique  se  soit  émancipée  au  contact  des 
libertés  de  la  littérature  anglaise,  au  milieu  de 
laquelle  il  vivait.  Les  critiques  grammairiens 
et  pédants  sont  l'objet  tout  particulier  de  son 
aversion.  Sans  afficher  en  rien  le  rôle  d'un 
révolutionnaire,  et  dédaigner  les  conventions 
reçues ,  il  met  bas  toutes  les  opinions  de  l'école 
pour  juger  uniquement  d'après  lui.  Il  sait  même 
au  besoin  dominer  ses  motifs  les  plus  légitimes 
de  ressentiment;  il  ne  répondait  pas  aux  cri- 
tiques, et  il  persista  toujours  à  louer  Boileau, 
qui  s'était  montré  fort  rude  pour  lui.  Mais  il 
sait  moins  dominer  certains  préjugés  et  entraî- 
nements de  son  esprit  •  c'est  ainsi  que,  partisan 
delà  vieille  cour  et  de  l'ancienne  littérature  qui 
triomphait  au  moment  de  son  exil,  il  va  jus- 
qu'à défendre  Y  Attila  de  Corneille,  proclamer 
en  toute  occasion  Sophonisbe  un  chef-d'œuvre 
et  ne  voir  qu'un  caprice  injuste  de  l'opinion  dans 
la  défaveur  de  ses  dernières  pièces.  Puis  l'ab- 
sence d'un  sens  moral  élevé  est  encore  plus 
d'une  fois  une  cause  de  défaillance  pour  sa  cri- 
tique. A  part  ces  défauts,  dont  le  dernier 
surtout  a  sa  gravité,  Saint-Ëvremond  est  un 
excellent  juge  des  choses  de   l'esprit,  et  qui 


-  SAINT-FLORENTIN  M 

donne  l'idée,  sinon  tout  à  fait  la  mesure,  d'un 
critique  supérieur. 

Les  premières  éditions  des  Œuvres  deSaint- 
Evremond,  imprimées  sans  son  concours  sur  des 
copies  peu  exactes,  étaient  extrêmement  défec- 
tueuses. Le  succès  de  l'édition  en  1  vol.  in-12 
publiée  par  Barbîn  en  1668  fut  tel  que  le  libraire 
s'empressa  d'y  adjoindre  de  nouvelles  pièces 
ramassées  de  toutes  parts,  sans  choix  et  sans 
garantie  d'authenticité.  Le  désordre  finit  par 
aller  si  loin  qu'on  imprima  comme  de  Saint- 
Évremond  des  volumes  entiers  où  ii  n'y  avait 
rien  de  iui  :  tels  sont  le  Saint-Evremoniana, 
le  Recueil  d'ouvrages  de  M.  de  Saint-Évre- 
mond  (  Anisson ,  1701),  les  Mémoires  de  la 
vie  du  comte  D.  avant  sa  retraite ,  rédigés 
par  M.  de  Saint  Évremond,  etc.  Après  avoir 
longtemps  refusé  de  se  rendre  aux  sollicitations 
des  libraires  et  de  ses  amis,  il  finit  par  se  laisser 
convaincre,  sur  la  fin  de  sa  vie,  et  prépara,  de 
concert  avec  Des  Maizeaux,  une  édition  que 
celui-ci  acheva  avec  Silvestre,  après  la  mort  de 
l'écrivain.  Cette  édition  ,  la  première  aulhen- 
tique,  intitulée  Les  Véritables  œuvres  de  M.  de 
Saint  Évremond, publiées  sur  les  manuscrits 
de  L'auteur  (Londres,  1705,  3  vol.  gr.  in-'t°), 
reparut  avec  des  additions  à  Amst.,  1706,  5  vol. 
in-12;  et  à  Londres,  1708,  7  vol.  in-12,  et  1709, 
3  vol.  gr.  in-4b.  Citons  encore  l'édit.  d'Amster- 
dam, 1726,  7  vol  in-12,  avec  gravures  de  Ber- 
nard Picart,  laquelle  a  servi  de  modèle  auxédiL 
de  Paris,  1740,  10  vol.  in-12,  et  1753,  12  vol. 
pet.  in-12.  Deleyre  a  publié  en  1761  l'Esprit  de 
Saint- Évremond  (in-12),  et  Desessarts  ses- 
Œuvrcs  choisies  en  1804  (in-12). 

Victor  Fournel. 

fie  de  Saint-  Évremond,  par  Des  Maizeaux,  en  tête 
des  édil.  de  1705  et  1706.  —  IVoticesen  tête  de  ses  OEuvres 
complètes  ou  choisies.  -  Mémoires  lie  Saint-Simon. — 
Sal)atiiT,/,e,«  Trois  siècles.—  Hippeau,  Les  Écrivains  nor- 
mands au  dix-septième  siècle  (1857 ,  in-12..—  Rigault, 
Querelle  des  anciens  et  des  modernes,  2e  partie,  chap.  1. 

SAINT-FA  RG  EAU.    y0y.  Le  PELLETIER. 

SAINT-FLOîlEXTIN    (  LoUiS    PhELVPEAUX, 

comte  de),  ministre  français,  né  le  18  août  1705, 
mort  le  27  février  1777,  à  Paris.  Il  appartenait 
à  l'une  des  branches  de  la  famille  Phelypeaux, 
et  fut  plus  connu  sous  le  nom  de  Saint- Floren- 
tin qu'il  porta  de  préférence  au  titre  de  marquis 
de  la  Vrillière.  Il  avait  en  1725,  à  la  mort  de 
son  père  Louis  (voy.  Vrillière),  hérité  ce  der- 
nier titre  ainsi  que  la  charge  de  secrétaire  d'É- 
tat, qui,  pendant  près  de  deux  siècles,  ne  sortit 
pas  de  sa  maison.  Chargé  d'abord  des  affaires 
générales  de  la  religion  réformée,  il  réunit  en 
1749  ce  département  à  celui  de  la  maison  du  roi 
et  en  1757  celui  de  Paris;  en  1761,  il  entra 
au  conseil  comme  ministre  d'État,  et  fut  obligé, 
en  juillet  1775,  de  résigner  tous  ses  emplois.  En 
1770  il  avait  reçu  le  titre  de  duc  de  la  Vrillière. 
Comme  ministre,  Saint-Florentin  n'eut  ni  am- 
bition ni  influence;  c'était  une  sorte  de  Dan- 
geau,  un  courtisan  modèle,  dévoué  aveuglément 


15  SAINT-FLORENTIN 

à  Louis  XV  et  à  ses  favorites.  Il  traversa  tout  ! 
un  long  règne  sans  avoir  recherché  d'autre  hon-  ! 
neur  que  celui  d'avoir  servi  fidèlement  la  nio-  : 
narchie.  Malgré  sa  vie  dissipée,  ses  galanteries 
sans  nombre,  ses  prodigalités  fastueuses,  il  fai- 
sait preuve  de  zèle  et  d'activité  ;  aucun  ministre 
n'a  peut-être  signé  une  quantité  plus  grande  de 
lettres  de  cachet,  aucun  n'a  déployé  à  cette 
époque  autant  d'intolérance  contre  les  protes- 
tants sur  lesquels  il  appelait  sans  cesse  des  me- 
sures de  rigueur.  Souple  avec  le  maître,  il  se 
montra  dur  et  hautain  envers  les  parlements  et 
les  philosophes.  Adversaire  déclaré  de  Choiseul, 
il  excita  le  roi  contre  lui,  et  lors  de  la  disgrâce 
du  duc  (décembre  1770),  il  lut  succéda  par  in- 
térim dans  le  département  des  affaires  étran- 
gères, qu'il  céda  en  juin  1771  au  duc  d'Aiguillon, 
son  neveu.  L'avènement  de  Louis  XVI  dérangea 
ses  habitudes  :  il  se  laissa  aller  à  des  murmures, 
et  fronda  ce  qu'il  voyait  faire.  C'était  le  plus  haï 
des  ministres  du  feu  roi.  Abandonné  même  de 
Maurepas,  son  beau-frère,  il  donna  sa  démission 
et  eut  pour  successeur  dans  son  ministère  le 
vertueux  Malesherbes.  Son  rang  et  son  crédit 
suffirent  à  lui  donner  accès  dans  l'Académie  des 
sciences  (1740)  et  dans  celle  des  inscriptions 
(1757)  comme  membre  honoraire.  Il  n'eut  point 
d'enfants  de  sa  femme,  Amélie-Ernestine  de  Pla- 
fen,  et  légua  toute  sa  fortune  à  sa  sœur,  la  com- 
tesse de  Maurepas.  Le  nom  de  Saint-Florentin 
est  demeuré  à  une  rue  de  Paris,  où  ce  ministre 
habitait  un  magnifique  hôtel,  bâti  en  1767  et 
qui  a  servi  de  résidence  au  prince  de  Talleyrand. 
Moréri,  Dlct.  hist.  —  Mémoires  du  temps. 

saint-foix  (Germain-François  Poullajn 
de),  littérateur  français,  né  le  5  février  1693,  à 
Rennes,  mort  le  25  août  1776,  à  Paris.  Il  était 
d'une  bonne  famille  de  robe,  et  le  frère  aîné  de 
Pouliain  du  Parc  (voy.  ce  nom),  savant  pro- 
fesseur de  droit.  En  sortant  du  collège  des  jé- 
suites de  Rennes,  il  fut  admis  dans  les  mous- 
quetaires. Malgré  un  caractère  bouillant  et  fou- 
gueux, il  avait  fait  de  bonnes  études;  de  bonne 
heure  il  sentit  le  goût  des  lettres,  et  aspira, 
comme  on  disait  alors,  au  double  laurier  d'A- 
pollon et  de  Mars.  Le  désir  d'avoir  ses  entrées, 
et  peut-être  encore  plus  l'amour  que  lui  avait 
inspiré  une  jeune  actrice,  le  rendit  auteur  dra- 
matique, et  il  écrivit  pour  le  Théâtre-Français 
une  comédie  en  un  acte,  Pandore  (13  juin  1721), 
qui  fut,  bien  accueillie.  Puis  il  passa  à  la  Comédie 
italienne  et  y  donna  trois  pièces  en  prose,  La 
Veuve  à  la  mode  (1726),  Le  Philosophe  dupe 
de  l'amour  (1726),  et  Le  Contraste  de  l'amour 
et  de  l'hymen  (1727),  qu'il  jugea  trop  faibles 
pour  les  admettre  dans  le  recueil  de  ses  œuvres. 
1!  venait  de  publier  ses  Lettres  turques  lorsque 
la  guerre  éclata  avec  l'Autriche.  Il  suivit  son 
régiment  en  Italie,  devint  aide  de  camp  du  ma- 
réchal de  Broglie,  et  se  distingua  en  1734  à  la 
bataille  de  Guastalla.  N'ayant  pu  obtenir  un  bre- 
vet de  capitaine  qu'il  avait  sollicité,  il  quitta  le 


—  SAINT-F01X 


16 


service,  revint  à  Rennes,  et  y  acheta  en  1736  la 
maîtrise  des  eaux  et  forêts.  Il  ne  tarda  pas  à 
se  lasser  de  la  vie  calme  de  province,  et  le  goût 
des  lettres  et  des  aventures  le  ramena  en  1740 
à  Paris;  ses  querelles  et  ses  duels  l'y  avaient 
rendu  plus  fameux  que  ses  productions  litté- 
raires. Pendant  longtemps  Saint-Foix  fut  un 
auteur  à  la  mode,  et  plus  d'une  de  ses  pièces, 
comme  l'Oracle,  le  Sylphe,  les  Grâces,  Julie, 
les  Veuves  turques,  attira  la  foule  ;  il  en  com- 
posa, de  1740  à  1761,  une  vingtaine,  et  se  par- 
tagea entre  les  troupes  rivales  du  Théâtre-Fran- 
çais et  du  Théâtre-Italien.  Il  se  flattait  d'avoir 
introduit  à  la  scène  un  genre  nouveau,  «  dont 
les  sujets,  disait-il,  moins  étendus,  plus  unis, 
et  toujours  dans  le  gracieux ,  ne  présenteraient 
que  la  simple  nature  et  le  sentiment  ».  Ce  sont, 
de  petits  tableaux  agréables  de  féerie  ou  de 
mythologie,  tous  jetés  dans  le  même  moule, 
offrant  tous  quelque  surprise  de  l'amour.  D'A- 
lembert  y  trouvait  du  naturel,  mais  moins  d'es- 
prit et  de  finesse  que  chez  Marivaux  ;  ils  ont 
aussi  le  mérite  d'être  écrits  avec  pureté,  grâce 
et  délicatesse.  Voisenon  ne  manquait  pas  de  jus- 
tesse en  comparant  leur  auteur  à  un  encrier  qui 
répandrait  de  l'eau  de  rose.  D'un  cœur  droit  et 
généreux,  il  était  susceptible,  exigeant,  inquiet; 
il  n'était  pas  permis  de  heurter  ses  opinions  sans 
allumer  sa  colère.  Aucun  journaliste  n'osait 
porter  sur  ses  ouvrages  un  jugement  défavo- 
rable. Ce  caractère  querelleur  l'avait,  dit-on, 
obligé  à  quitter  le  service;  il  lui  attira  dans  le 
inonde  plus  d'un  duel  et  plus  d'une  aventure 
désagréable.  De  différents  traits  de  sa  vie,  plus 
ou  moins  bien  arrangés,  on  a  composé  un  Fac- 
tum  qui  fait  partie  du  Recueil  des  facéties 
parisiennes  pour  1760  (1).  Saint-Foix  passa  les 
derniers  temps  de  sa  vie  dans  la  retraite;  il  io- 
geait  dans  la  rue  des  Fossés-Saint -Victor,  à 
l'une  des  extrémités  de  Paris,  et  voyait  quelques 

(1)  Dans  l'histoire  de  ses  querelles  les  deux  suivantes 
sont  les  plus  connues.  Un  jour,  au  café  Procope,  Saint- 
Foix  vit  entrer  un  garde  du  roi,  qui  demanda  une  tasse 
de  café  au  lait  et  un  petit  pain.  «  Voilà  un  fichu  dîner!  » 
s'écria-t-il,  et  il  répéta  si  souvent  ce  propos  que  le  garde, 
irrité  de  ce  persiflage,  lui  proposa  de  sortir.  Ils  mettent 
l'épée  à  la  main,  et  Saint-Foix  est  blessé.  «  M'eussiez  - 
vous  tué,  dit-il,  vous  n'en  auriez  pas  moins  tait  un  fichu 
dîner.  »  —  Un  autre  Jour,  au  foyer  de  l'Opéra,  il  se  prit 
de  querelle  avec  un  provincial  qu'il  ne  connaissait  pas 
et  qui  ne  voulut  point  céder  ;  se  croyant  offensé,  il  lui 
assigna  un  rendez- vous.  «  Quand  on  a  affaire  a  moi,  dit 
le  provincial,  on  vient  me  trouver  :  c'est  ma  coutume.  » 
I.e  lendemain  Saint-Foix  se  présente  chez  l'inconnu,  qui 
l'invite  à  déjeuner.  «  11  est  bien  question  de  cela.  Sor- 
tons! —  Je  ne  sors  jamais  sans  avoir  déjeuné:  c'est  ma 
coutume.  ;>  L'inconnu  ,  toujours  accompagné  de  Saint- 
Foix,  entre  dans  un  café,  joue  une  partie  d'échees  et 
va  faire  aux  Tuileries  un  tour  de  promenade,  en  répé- 
tant à  chaque  chose  :  c'est  ma  coutume.  Enfin,  à  bout 
de  patience,  Saint-Foix  lui  propose  de  passer  aux 
Champs-Elysées.  «  Pourquoi  faire?  —  Relie  demande  ! 
pour  nous  battre.  —Nous  battre!  s'écria  l'autre.  Y  pen- 
sez-vous, Monsieur?  Convient-il  à  un  trésorier  de  France, 
à  un  magistrat,  de  mettre  l'épée  à  la  main?  On  nous 
prendrait  pour  des  fous.  »  L'aventure  courut  la  ville,  et 
cette  fois  les  rieurs  ne  furent  pas  du  cûlé  du  spadassin 
à  la  mode. 


17  "  SAINT- F01X  - 

gens  de  lettres,  qui,  comme  Sabatier  et  La 
Dixmerie,  avaient  consenti  à  ne  le  contredire 
en  rien.  Il  avait  une  pension  sur  le  Mercure, 
et  vers  1764  il  fut  nommé  historiographe  de 
l'ordre  du  Saint-Esprit.  Après  avoir  penché  vers 
le  parti  des  philosophes ,  il  se  déclara  leur  ad- 
versaire. Comme  écrivain,  il  ne  manque  ni  d'es- 
prit ni  d'imagination  ;  il  respecte  les  personnes 
et  n'affecte  pas  un  ton  doctoral  et  tranchant.  Il 
s'est  inspiré  dans  les  Lettres  turques  de  la  ma- 
nière de  Montesquieu,  et  il  y  a  semé  des  traits 
fins  et  délicats.  Les  Essais  sur  Paris  sont  d'une 
lecture  assez  agréable  et  offrent  un  tableau  varié 
des  mœurs  et  usages  sous  l'ancienne  monarchie. 
On  a  de  lui  :  Lettres  d'une  Turque  à  Paris 
écrites  à  sa  sœur;  Ajmst.,  1730,  ih-12;  réirapr. 
sous  les  titres  de  Lettres  de  Nedim  Coggia; 
Amst.,  1732,  in-12,  et  de  Lettres  turques; 
Amst.  (Paris),  1750,  1754,  in-12;  —  Essais 
historiques  sur  Paris;  Londres  (Paris),  1754- 
57,  5  vol.  in-12;  5e  édit.,  1776,  7  vol.  in-12  : 
Ducoudray  et  Auguste  de  Saint-Foix,  neveu  de 
l'auteur,  ont  publié  de  Nouveaux  Essais,  le 
premier  en  1781,  le  second  en  1805  ;  —  Origine 
de  la  maison  de  France;  s.  1.,  1761,  in-12; 

—  Histoire  de  l'ordre  du  Saint-Esprit  ;  Paris, 
1767  et  ann.  suiv.,  3  part,  in-12,  et  1774,  2  vol. 
in-12  ;  il  avait  publié  en  1760  un  Catalogue  de 
l'ordre,  in-fol.  ;  —  Lettre  au  sujet  de  l'Homme 
au  masque  de  fer;  Amst.  (  Paris  ),  1768,  in-12  ; 
il  y  prétend  que  c'est  le  duc  de  Monmouth. 
Quant  à  ses  pièces  de  théâtre,  qu'il  a  réunies 
presque  toutes  {Théâtre;  Paris,  1748,  2  vol. 
in-12,  et  1772,  4  vol.  in-12),  en  voici  les  titres 
et  les  dates  de  représentation  :  au  Théâtre-Fran- 
çais, Pandore  (1721),  l'Oracle  (1740),  Deuca- 
lion  et  Pyrrha  (1741),  comédie  retirée  et  mise 
en  vers  lyriques  pour  être  jouée  en  1755  à  l'O- 
péra, l'Ile  sauvage  (1743),  les  Grâces  (1744), 
Julie  (1746),  Égérie  (1747),  la  Colonie,  et  le 
Rival  supposé  (1749),  les  hommes  (1753),  le 
Financier  (1761);  —  au  Théâtre-italien,  la 
Veuve  à  la  mode,  et  le  Philosophe  dupe  de 
l'amour  (1726),  le  Contraste  de  l'Amour  et 
de  V Hymen  (1727),  le  Sylphe  (17 '43) ,  le  Double 
déguisement,  Arlequin  au  sérail,  et  Zèloïde, 
trois  comédies  jouées  dans  la  même  soirée  (1747), 
les  Veuves  turques  (1747),  jolie  pièce  jouée 
devant  Saïd  effendi  et  trad.  en  turc  par  le  fils  de 
cet  ambassadeur;  les  Métamorphoses  (1748), 
la  Cabale  (1749),  Alceste  (1752),  le  Derviche 
(1755).  Les  trois  premières  pièces  ne  font  pas 
partie  du  Théâtre  de  Saint-Foix,  non  plus  que 
celle  des  Trois  esclaves,  impr.  en  1761  dans  le 
Mercure,  sans  avoir  été  représentée.  Les  Œu- 
vres complètes  de  cet  auteur  ont  été  recueillies 
aprcssa  mort;  Paris,  1778,  6  vol.  in-8°  ou  in-12, 
avec  figures.  p.  l. 

Ducoudray,  Éloge  de  Saint-Foix;  Paris,  1777,  in-12.   I 

—  Nécrol.  des  hommes  célèbres.  1777.  —  Fiévée,  Notice    I 
dans  le  Répert.  du  Théâtre- Français,  XVI. 

saist-fond.  Voy.  Faujas. 


SAIiNT-GELAIS  18 

SAINT-GELAIS  (Jean  de),  chroniqueur 
fiançais;  on  ignore  la  date  de  sa  naissance  et 
celle  de  sa  mort.  Oncle  d'Octavien  (et  non  pas 
son  frère,  comme  on  l'a  cru  longtemps),  il 
commence  la  dynastie  littéraire  de  cette  famille. 
Vaillant  capitaine,  il  faisait  grande  figure  à  la 
cour  du  roi  Louis  XII.  Sa  Chronique ,  qui  s'é- 
tend de  1270  à  1510,  a  été  publiée  par  Théod. 
Godefroy  (Paris,  1622,  in-4°  )  ;  on  la  dit  re- 
marquable par  son  exactitude.  Ach.  G. 
F„  Castaigne,  Notice  sur  les  Suint-Geluis. 

saint  gelais  (Octavien  de),  prélat  et 
poète  français,  né  à  Cognac  (Angoumois),  vers 
1466,  mort  en  1502.  Son  père,  Pierre  de  Saint- 
Gelais,  marquis  de  Montlieu  et  de  Saint-Au- 
laye,  prétendait  tenir  aux  Lusignan.  Octavien 
fit ,  ainsi  que  ses  six  frères ,  de  brillantes  et  so- 
lides études  au  collège  de  Sainte-Barbe,  à  Paris, 
où  Gui  de  Fontenay,  son  parent ,  était  régent. 
Ce  fut  toutefois  Mathieu  Le  Maistre  qui  dirigea 
ses  études.  Sa  philosophie  terminée ,  il  suivit  les 
cours  de  théologie  du  collège  de  Navarrre,  et, 
malgré  son  ardeur  pour  le  plaisir,  entra  dans  les 
ordres.  Une  longue  et  dangereuse  maladie,  ré- 
sultat de  débauches  et  de  travaux,  les  uns  et  les 
autres  trop  soutenus ,  le  rendit  valétudinaire  à 
vingt-trois  ans  ;  il  lui  fallut  être  sage  malgré  lui 
et  il  se  tourna  exclusivement  vers  l'ambition. 
Charles  VIII,  dont  il  sut  se  faire  aimer,  de- 
manda et  obtint  pour  lui  l'évêché  d'Angoulêmedu 
pape  Alexandre  VI  à  qui  le  chapitre  avait  remis 
sondroitde  nomination  (1494)  Troisans  plus  tard, 
il  abandonna  la  cour,  se  retira  dans  son  évêché, 
chercha  par  un  zèle  vraiment  pastoral  à  effacer 
les  scandales  de  sa  jeunesse,  et  mourut  bientôt, 
à  peine  âgé  de  trente-six  ans.  Comme  poète, 
Saint-Gelais  n'a  ni  l'énergie  de  Villon,  ni  la  grâce 
de  Charles  d'Orléans.  Pour  le  bien  juger  il  faut 
le  mettre  en  regard  de  ses  contemporains  ,  Cré- 
tin ,  G.  Chastelain,  Molinet,  Jean  Marot,  etc. 
Est-il  supérieur  à  ceux-ci?  Quelquefois.  Dans 
ces  vers,  par  exemple  : 

Pour  estre  loyal  à  sa  dame 
Sauez-vous  ce  qu'il  en  aduient? 
De  ioyeulx  dolent  on  deuient, 
Car  point  n*est  de  loyale  femme. 

Et  dans  ceux-ci,  on  remarque  un  laisser-aller 
qui  n'est  pas  sans  charmes  : 

Bonnes  gens,  i'ay  perdu  ma  dame. 
Qui  la  trouuera,  sur  mon  âme, 
Combien  qu'elle  soit  belle  et  bonne, 
De  très-bon  cueur  ie  la  luy  donne. 

Le  Séjour  d'honneur  est  l'œuvre  capitale  de 
Saint-Gelais  et  l'emporte  sur  le  recueil  intitulé  : 
Chasse  ou  Départ  d'Amours.  Un  écrivain  a  dit 
avec  raison  du  Séjour  d'honneur  qu'il  avait  été 
pensé  et  écrit.  Son  émotion  est  communicative; 
on  la  subit  encore,  çà  et  là,  après  tantôt  quatre 
siècles.  C'est  le  Séjour  d'honneur  qu'il  faut  lire 
pour  se  faire  une  idée  précise  de  la  valeur  d'Oc- 
tavien de  Saint-Gelais  et  comme  poète  et  comme 
homme;  ses  autres  œuvres  (traductions  de  Vir- 
gile, d'Homère,  d'Ovide,  et  même  sa  Chasse 


19 


ou  Départ  cV Amours,  où  l'on  rencontre  quel- 
ques jolis  morceaux  ),  ne  donnent  de  lui  qu'une 
notion  insuffisante.  Ses  ouvrages  publiés  sont  : 
Le  Séjour  d'honneur;  Paris,  s.  d.  (vers  1503), 
pet.  in-4°,  et  1519,  in-4°;  —  La  Chasse  et  dé- 
part d' Amours  ;  Paris,  1509,  in-fol.,  et  s.  d., 
in-4°;  —  Le  Vergier  d'honneur  ;  Paris,  s.  d., 
in-fol.  et  in-4°  :  on  y  trouve  le  poëme  d'Octa- 
vien  sur  l'invasion  de  Charles  VIII  en  Italie  et 
son  retour  en  France  ;  —  Le  Trésor  de  no- 
blesse ;  Paris,  s.  d.,  in-4°  ;  —  les  traductions 
de  Virgile,  d'Homère  et  d'Ovide;  celle  d'Ovide 
(Paris,  1544,  pet.  in-12)  est  remarquable  par 
ses  charmantes  figures  à  mi-page. 

Des  six  frères  d'Octavien  de  Saint-Gelais,  un 
seul ,  Charles,  archidiacre  de  Lyon  et  protono- 
tairc  apostolique,  paraît  avoir  cultivé  !a  littéra- 
ture. On  a  de  lui  :  Chroniques  de  Judas  Ma- 
chabeus,  un  des  neuf  preux,  etc.,  translatées 
de  latin  en  français  ;  Paris,  1514,  pet.  in-fol.  ; 

—  Le  Politique  de  la  chose  publique;  Paris, 
1522,  in-8°  goth.  Les  autres,  Merlin  ou  Mellin, 
qu'on  croit  avoir  été  le  parrain  de  Mellin  de 
Saint-Gelais,  fut  premier  maître  d'hôtel  de  Fran- 
çois Ier;  Jacques  fut  évêque  d'Uzès;  Achille, 
Regnault  et  Alexandre  vécurent  à  l'armée  ou 
dans  leurs  terres.  Ach.  G. 

La  croix  du  Maine.  -  Goujet,  Bibl.  fr.,  IV,  V,  VI,  IX. 

—  Bailler,  V.  -  Castaigne,  Nnt.  sur  les  S.-Gclais.  — 
J.  Quicherat,  Hist.  du  collège  de  Sainte- Ilarbe.  — 
Sainte-Beuve ,    Tabl.  de  la  poésie  au  seizième  siècle. 

SAINT-GELAIS  (Mellin  de),  poète  français 
et  latin,  né  à  Angoulême  en  1491 ,  mort  à  Paris 
en  1558.  Les  incidents  de  sa  vie  sont  à  peu 
près  inconnus.  A  vingt  ans ,  il  se  rendit  à  Pa- 
doue  pour  étudier  le  droit;  rebuté  par  cette 
étude,  il  revint  en  France  et  embrassa  l'état  ec- 
clésiastique. Fils,  selon  les  uns,  neveu  seule- 
ment, suivant  les  autres,  d'Octavien  de  Saint- 
Gelais,  il  parait  n'avoir  eu  d'autre  souci  que  de 
mener,  à  la  cour  des  rois  François  Ier  et  Hen- 
ri II,  une  existence  joyeuse  et  facile.  Prêtre, 
Mellin  donna,  par  anticipation,  au  seizième 
siècle,  un  échantillon  de  ces  abbés  frivoles  dont 
le  dix-huitième  siècle  devait  être  émaillé.  Poète, 
il  écrivit  de  petits  vers  musqués,  alambiqués,  à 
l'usage  du  petit  public  curial  dont  il  ambition- 
nait, avant  tout,  les  applaudissements.  Voiture 
et  Sarrazin,  dit  M.  Sainte  Beuve,  lui  auraient 
envié  le  dizain  que  voici  : 

Prés  du  cercueil  d'une  morte  gisante 
Mort  et  Amour  vinrent  dcuaut  mes  veulx. 
Amour  nie  dlct  :  la  Mort  t'est  plus  duisante, 
Car,  en  mourant,  tu  auras  beaucoup  mlculx. 
Alors  la  Mort,  qui  rcgnolt  en  maints  lieux, 
Pour  me  naurcr,  son  fort  arc  en/onça; 
Mais,  de  malheur,  sa  flèche  m'offensa 
Au  propre  lieu  où  Amour  mist  la  sienne; 
Et  sans  entrer,  seulement  auança 
Le  iraict  d'Amour  en  la  playe  ancienne. 

Cependant,  malgré  cette  manie  de  pétrar- 
quisme,  comme  on  disait  alors,  manie  que  Ca- 
therine de  Médicis  avait  favorisée,  Mellin  prouva 
parfois  qu'il  eût  pu  marcher  sur  les  traces  de 
Villon  et  rivaliser  sérieusement  avec  maître  Cié- 


SAIJST-GELAIS  :-'> 

ment.  Aussi,  est-ce  bien  à  son  adresse  que  du 
Bellay  envoyait  ces  vers  du  Poète  courtisan  : 


Tel  estoit  de  son  temps  le  premier  estimé 
Duquel,  si  on  eust  lu  quelque  ouurage  imprimé, 
Il  eust  rcnouuelé  peut-estre  la  risée 
De  la  montagne  enceinte  ,  etc.  ? 

Le  fait  est  d'autant  plus  douteux  qu'ailleurs 
du  Bellay  assigne  à  Mellin  sur  le  Parnasse 
français  une  place  des  plus  honorables.  A  la 
vérité,  en  1550,  lors  de  la  publication  de  Y  Il- 
lustration de  la  langue  françoise,  du  Bellay 
avait  vu  Mellin  se  déclarer  contre  lui,  contre 
Bonsard  et  les  autres  réformateurs  du  Parnasse. 
Dans  la  chaleur  de  la  défense,  les  coups  que  l'on 
porte  ou  que  l'on  rend  le  sont  souvent  un  peu 
au  hasard;  peutTêlre  les  vers  cités  sont-ils  un  de 
ces  coups  à  l'aventure. 

Il  est  certain  que  Mellin  de  Saint-Gelais  fut 
l'un  des  poètes  les  plus  instruits  de  son  temps. 
Dans  son  Quintil  Censeur,  Charles  Fontaine 
parle  de  lui  en  ces  termes  :  «  Et  si  vous  autres , 
dit-il,  me  mettez  en  avant  un  Mellin,  Monsieur 
de  Saint-Gelais,  qui  compose,  voire  bien  sur 
tous  autres ,  vers  lyriques,  les  met  en  musique, 
les  chante,  les  ioue,  et  sonne  sur  les  instru- 
ments :  le  confesse,  et  say  ce  qu'il  sait  faire, 
mais  c'est  pour  luy.Et  en  cela  il  soustient  diver- 
ses personnes,  et  est  Poète,  Musicien  vocal  et 
instrumental.  Voire  bien  d'avantage  est-il  Ma- 
thématicien, Astronome ,  Théologien ,  brief  Pa- 
nepistemon  (omniscient).  Mais  de  tels  que  luy  ne 
se  trouve  pas  treize  en  la  grand  douzaine,  et  si 
ne  se  arrogue  rien ,  et  ne  dérogue  à  nul.  »  Fon- 
taine n'ajoute  pas  que  l'importation  du  sonnet 
en  France  est  due  à  Mellin.  François  1er  donna 
à  ce  poète  l'abbaye  de  Beclus  (diocèse  de  Troyes)  ; 
le  dauphin  (depuis  Henri  II)  le  fit  son  aumô- 
nier; en  1544,  il  fut  nommé  garde  de  la  biblio- 
thèque de  Fontainebleau. 

Mellin  de  Saint-Gelais  mourut  comme  il  avait 
vécu  :  gaiement.  On  raconte  que  les  médecins , 
embarrassés  sur  le  caractère  de  sa  maladie ,  et 
ne  sachant  à  quelle  opinion  s'arrêter,  discutaient 
près  de  son  lit.  Mellin,  que  leur  vacarme  impor- 
tunait sans  doute,  leur  dit  :  «  Messieurs,  je  vais 
vous  tirer  de  peine.  »  Il  se  tourne  du  côté  opposé 
et  meurt.  On  a  de  lui  :  Œuvres  tant  en  compo- 
posilion  que  translation  ;  Lyon,  1547,  pet. 
in-8°  de  79  p.;  —  Œuvres  poétiques;  Lyon, 
1574,  pet.  in-8°  et  in-12,  et  1582,  in-16;  Paris, 
165G,  1719,  in-12;  —  Sophonisbe,  trad.  du 
Trissino,  tragédie  en  5  actes,  en  prose,  repré- 
sentée à  Blois  en  1559;  Paris,  1559,  in-S°;  — 
le  Courtisan,  de  Castiglione,  trad.  par  Jean 
Colin  et  revu  par  Mellin;  Paris,  1549,  in-8°;  — 
Histoire  de  Genièvre,  imit.  del'Arioste,  termi- 
née par  J.  A.  de  Bail';  Paris,  1572,  in-8°. Enfin, 
ce  fut  Mellin,  d'après  La  Croix  du  Maine,  qui 
retrouva  les  Voyages  aduentureux  du  capi- 
taine Jean  Alfonse,  Saintongeois ,  et  en  pré- 
para l'édit.  de  Poitiers,  1559.      Ach.  Genty. 

Est.  l'asquier.  —  La  Croix  du  Maine.  —  Thevet,  Iiom- 


21  SAINT-GELALS  - 

mes  i.ll.,  II,  6K7.  -  Nicerou,  V  et  X.  -  Goujef,  liibl.fr., 
XI.  Titon  du  Tillet.  —  Salute-Beuve,  Tableau  de  la 
poésie  fr.  au  seizième  siècle.  —  Eus.  Castalgne,  Notice 
sur  les  Saint-Gelais ;  Angoulême,  1336,  ln-8°. 

saint-geniés  (Jean  de),  poète  français, 
né  le  12  septembre  1607,  à  Avignon,  mort  le 
25  juin  16G3,  à  Orange.  I!  était  fils  d'un  juriscon- 
sulte qui  fut  en  1621  primicier  de  l'université 
d'Avignon.  La  première  partie  de  sa  vie  s'écoula 
à  Paris,  où  son  goût  pour  les  lettres  le  mit  en 
relations  intimes  avec  ceux  qui  les  cultivaient , 
tels  que  le  cardinal  Fr.  Barberini,  Balzac ,  le 
P.  Audiffret,  Ménage,  Boissat,  Chapelain,  Cos- 
tar,  etc.  Il  y  publia  le  recueil  de  ses  vers  latins 
sous  le  titre  de  Joannis  Sangenesii  Poemata; 
Paris,  1654,  in-4°,  recueil  qui  contient  des  idyl- 
les, des  satires  et  des  élégies,  et  qui  est  terminé 
par  un  écrit  en  prose  (De  Parnasso  et  finiti- 
mis  locis  lib.  11),  espèce  d'abrégé  historique  et 
critique  de  la  poésie  latine  et  de  ses  vicissi- 
tudes. S'il  laisse  à  désirer  pour  la  pureté  du 
style,  Saint-Geniés  montre  un  esprit  solide  et 
éclairé  et  une  rare  modestie;  il  passait,  au  ju- 
gement de  Colletet  et  de  Chapelain,  pour  un 
des  bons  poètes  latins  de  son  époque.  Dans  l'âge 
mûr,  il  embrassa  l'état  ecclésiastique  et  fut 
pourvu  d'un  canonicat  à  Orange.  Tous  ses  biens 
furent  distribués  aux  pauvres. 

Colletet,  Disc,  du poëme  bucolique.  —  Saint-Didier 
(de),  f'mjage  du  Parnasse,  p.  87.  —  Amusements  du 
cœur  et  de  l'esprit,  t.  IX.  —  Moréri,  Dict.  fiist. 

saint-gesses.  Voij.  Ray. 

saint-ge&is  (Auguste- Nicolas  de),  ma- 
gistrat français,  né  le  2  février  1741,  à  Vitry-le- 
François,  mort  le  1er  octobre  1808,  à  Pantin 
près  Paris.  Du  collège  de  Yitry  il  passa  dans 
l'école  de  mathématiques  de  Reims.  Il  venait 
d'être  nommé  par  M.  de  Choiseul  commissaire 
des  guerres  (1762)  lorsque  ses  fonctions  ayant 
cessé  par  suite  de  la  paix,  il  s'appliqua  à  l'étude 
du  droitet devint  avocat,  en  1766.  Trois  ans  plus 
tard  il  entrait  comme  auditeur  à  la  chambre  des 
comptes  (1769),  et  il  occupa  cet  emploi  jusqu'à 
la  révolution.  En  1792  il  se  retira  à  la  campagne. 
On  a  de  lui  -.  Défense  des  droits  du  roi  contre 
les  prétentions  du  clergé  de  France  sur  cette 
question  :  Les  ecclésiastiques  doivent-ils  à  Sa 
Majesté  la  foi  et  l'hommage,  l'aveu  et  dénom- 
brement ou  des  déclarations  du  temporel  poul- 
ies biens  qu'ils  possèdent  dans  le  royaume?  Pa- 
ris, 1785,  in-4°;  —  plusieurs  bons  Mémoires 
dans  les  Annales  de  l'agriculture  de  'fessier. 
Sa  collection  des  lois  françaises  a  été  acquise  de 
sa  veuve,  en  1814,  et  fait  partie  de  la  bibliothèque 
du  Louvre.  Cette  vaste  encyclopédie,  qui  est  en 
grande  partie  son  ouvrage  (1),  forme  environ 
dix-huit  cents  volumes  que  l'on  peut  diviser  en 
deux  parties  :  1°  les  deux  tables,  l'une  alpha- 
bétique, l'autre  chronologique,  ensemble  95  vol. 


(1)  Comme  l'a  fort  bien  établi  Barbier,  il  est  probable 
que  Saint- Genis  n'a  fait  que  continuer  et  compléter  la 
collection  du  même  genre  commencée  par  l'avocat  Tierre 
Gillet,  mort  en  1773. 


SAINT-GENOIS  22 

in- fol.  ;  2°  les  recueils  et  ouvrages,  tant  manus- 
crits qu'imprimés.  Ce  magistrat  ne  cessa  en 
outre  de  cultiver  avec  ardeur  la  physique,  l'a- 
griculture, la  botanique,  la  chimie,  l'histoire  na- 
turelle; les  recherches  et  les  expériences  multi- 
pliées dans  lesquelles  l'entraînait  celte  soif  de 
savoir  n'étaient  pour  lui  que  des  délassements, 
et  la  pénétration  de  son  esprit  le  mit  plus  d'une 
fois  sur  la  trace  d'une  observation  ou  d'un  pro- 
cédé utile.  On  retrouve  son  nom  cité  avec  hon- 
neur dans  les  Recherches  sur  les  ossements 
fossiles  de  Cuvier. 

Annales  eneyetop.,  1817  (notice  rélmpr.  à  part  et  an- 
notée par  Barbier).  —  Mém.  de  la  Soc.  d'agric.  de  la 
Seine,  XII. 

SAiiVr-GESois  (François-Joseph,  comte 
de),  généalogiste  belge,  né  à  Mons,  le  28  mai 
1749,  mort  à  Bruxelles,  le  25  août  1816.  Ses 
éludes  terminées,  il  entra,  comme  cadet,  dans 
le  régiment  de  Kaunitz,  mais  n'ayant  aucune 
disposition  pour  la  profession  des  armes,  il  la 
quitta  en  1776,  après  avoir  été  élu  membre  de 
I  la  noblesse  aux  états  du  Hainaut.  Il  étudia  alors 
|  la  jurisprudence,  et  se  livra  à  des  recherches 
j  sur  l'histoire  de  son  pays  et  de  ses  principales 
!  familles.  Les  archives  de  la  chambre  des  comptes 
|  à  Lille  furent  surtout  l'objet  de  ses  investiga- 
|  tions;  il  recueillit  aussi  de  nombreux  documents 
dans  les  principaux  dépôts  d'archives  de  la  Bel- 
gique, et  même  clans  ceux  de  Vienne  et  de 
Prague. -En  1783,  il  fut  nommé  député  des  états 
par  l'ordre  de  la  noblesse,  et  s'occupa  avec  une 
nouvelle  ardeur  des  affaires  administratives.  A 
l'époque  de  la  révolution  brabançonne,  il  fut 
emprisonné  pendant  quelque  temps  à  Bruxelles, 
puis  il  s'empressa  de  retourner  à  Prague  qu'il 
ne  quitta,  pour  revenir  en  Belgique,  qu'après 
la  restauration  de  la  maison  d'Autriche.  Lors 
de  la  création  du  royaume  des  Pays-Bas,  il  fut 
nommé  premier  roi  d'armes.  Nous  citerons  di: 
iui  :  Mémoires  généalogiques  et  historiques 
pour  servir  à  V histoire  des  familles  des  Pays- 
Bas;  Amst.,  1780-81,  2  vol.  in-8°,  avec  plan- 
ches dont  le  nombre  varie  dans  les  divers  exem- 
plaires. Ce  nombre,  dans  l'exemplaire  le  plus 
complet,  que  l'on  connaisse  (celui  de  M.  Rénier 
Chalon,  de  Bruxelles)  est  de  vingt  et  une  dans 
le  t.  1er,  et  de  dix-huit  dans  le  t.  II  ;  —  Chro- 
nologie des  gentilshommes  reçus  à  la  chambre 
de  la  noblesse  des  états  du  pays  et  comté 
de  Hainaut  depuis  1500  jusqu'en  1779;  Paris, 
1780,  in-fol.;  —  Dictionnaire  onomastiqre 
des  chartes  du  pays  et  comté  de  Hainaut,  de 
Vannée  1619;  Mons,  1782,  in-8°  :  ce  livre  ne 
paraît  pas  être  l'œuvre  de  Saint-Génois;  il  se 
trouvait  en  manuscrit  dans  la  bibliothèque  de 
plusieurs  jurisconsultes  du  Hainaut;  —  Monu- 
ments anciens  essentiellement  utiles  à  la 
France,  aux  provinces  de  Hainaut,  Flandre, 
Brabant,  Namur,  Artois,  Liège,  Hollande, 
Zèlande,  Frise,  Cologne,  et  autres  pays  li- 
mitrophes de  V Empire  ;  Paris,  Lille  et  Bruxel- 


23  SAINT-GENOIS  - 

les,  1782-1816,  2  vol.  in-fol.  :  il  existe  aujour- 
d'hui fort  peu  d'exemplaires  complets  de  ce  re- 
cueil, publié  par  livraisons  eu  trente- quatre 
années,  et  dont  le  t.  Ier  avait  d'abord  paru  sous 
ce  titre  :  Droits  primitifs  des  anciennes  terres 
et  seigneuries  de  Haynaut.  Ces  ouvrages 
manquent  d'ordre  et  de  clarté,  mais  ils  contien- 
nent des  pièces  d'une  grande  importance;  bien 
qu'imprimés  à  petit  nombre  d'exemplaires,  ils 
ne  se  vendirent  pas,  et  absorbèrent  une  partie 
d'une  fortune  considérable.  La  bibliothèque  pu- 
blique de  Mons  conserve  divers  travaux  manus- 
crits de  Saint-Génois,  notamment  les  matériaux 
d'un  vaste  ouvrage,  en  4  vol.  in-fol.,  qui  devait 
être  intitulé  :  Amusements  généalogiques  et 
historiques,  et  dont  le  prospectus  parut  à 
Vienne,  en  1788.  E.  R. 

Ad.  Mathieu,  Biogr.  montoise.  —  J.  Delecourt,  Notice 
dans  les  Annales  dît  Cercle  archeol.  de  Mons,  t.  11. 

£  saint-genois  (Jules  -  Ludger  -  Domi- 
nique- Ghislain,  baron  de),  littérateur  belge, 
de  la  famille  du  précédent,  né  à  Lennick-Saint- 
Quentin  (Brabant),  le  22  mars  1813.  11  était 
depuis  1836  archiviste  de  la  province  de  la 
Flandre  orientale,  quand  il  devint  en  1843  bi- 
bliothécaire et  professeur  extraordinaire  à  l'uni- 
versité de  Gand.  Il  a  rempli  les  fonctions  d'é- 
chevin  de  cette  ville  de  1855  à  1858.  Élu  cor- 
respondant de  l'Académie  royale  de  Belgique  en 
1838,  il  en  est  membre  depuis  1846.  Ses  prin- 
cipaux écrits  ont  pour  titres  :  Hembyse,  histoire 
gantoise  du  seizième  siècle;  Bruxelles,  1835, 
3  vol.  in-18  :  ce  roman  historique  a  été  traduit  en 
hollandais;  —  Histoire  des  avoueries  en  Bel- 
gique; Bruxelles,  1837,  in-8°,  mémoire  cou- 
ronné par  l'Académie  royale  de  Belgique;  —  La 
cour  du  duc  Jean  IV,  chronique  braban- 
çonne, 1418-1421  ;  Bruxelles,  1837,  2  vol.  in-18; 

—  Le  faux  Baudouin  (Flandre  et  Hainaut); 
Gand,   1840,  2  vol.  in-18,  trad.  en  hollandais; 

—  Un  premier  amour  de  Charles-Quint; 
Bruxelles,  1840,  in-8°;  —  Notice  sur  le  dépôt 
des  archives  de  la  Flandre  orientale;  Gand, 
1841,  in  8°;  —  Inventaire  analytique  des 
chartes  des  comtes  de  Flandre  ;  Gand,  1843- 
46,  in-4°  ;  —  Le  château  de  Wildenborg,  au 
les  Mutinés  du  siège  d'Oslende;  Bruxelles, 
1846,  2  vol.  in-8°;  —  Les  Voyageurs  belges  du 
treizième  au  dix-huitième  siècle;  Bruxelles, 
1847,2  vol.  in-18;  —  Catalogue  méthodique 
et  raisonné  des  manuscrits  de  la  bibliothèque 
de  Gand;  Gand,  1849-52,  in-8°;  —  Feuillets 
détachés;  Gand,  1851,  in-18;  —  Historïsche 
verhalcn  (Récits  historiques)  ;  Gand,  1854, 
in-18;  —  Missions  diplomatiques  de  Corné- 
lius Sapperus ;  Bruxelles,  1856,  in-4°.  M.  de 
Saint-Onois  a  donné  des  travaux  divers  aux 
Mémoires  et  aux  Bulletins  de  l'Académie 
royale,  aux  Bulletins  de  la  commission  royale 
d'histoire,  au  Messager  des  sciences  hislori- 
ques,k  la  Revue  belge,  à  lu  Revue  de  Bruxelles, 
au  Trésor   national ,  au  Jiulletin  de  l'Acacl. 


SAINT-GEORGES 


24 


d'archéologie  de  Belgique,  au  Belgisch  mu- 
séum, à  la  Renaissance,  etc.  E.  R. 

Bibliogr.  académique.  —  Docum.  particuliers. 

sàint-georges  (  JV...,  chevalier  de),  né  à 
la  Guadeloupe,  le  25  décembre  1745,  mort  à 
Paris,  le  12  juin  1799.  Il  était  fils  d'une  femme 
de  couleur  et  de  M.  de  Boulogne,  qui  devint 
fermier  général.  Son  père  l'amena  très-jeune  à 
Paris,  et  lui  fit  donner  une  éducation  qui  s'ap- 
propriait parfaitement  à  sa  nature  et  à  son 
époque  :  il  le  mit  en  pension  chez  le  maîlre 
d'armes  La  Boëssière,  où  l'on  joignait  aux  études 
sérieuses  les  arts  d'agrément,  l'escrime,  la  danse 
et  l'équitation.  Lorsque  Saint-Georges  parut  dans 
le  monde,  il  avait  de  la  grâce  dans  les  manières, 
de  la  vivacité  dans  l'esprit,  une  taille  bien  prise, 
et,  malgré  ses  cheveux  crépus  et  sa  couleur 
très-foiicée,  une  belle  figure;  il  était  hon  musi- 
cien, excellent  cavalier,  sans  rival  pour  l'escrime, 
et  d'une  adresse  incroyable  pour  ious  les  exer- 
cices du  corps.  On  vantait  sa  douceur,  la  gé- 
nérosité de  son  caractère,  et  sa  délicatesse  qui, 
pour  éviter  les  querelles,  le  portait  à  se  nommer 
lorsqu'il  voyait  d'imprudents  adversaires  sur  le 
point  de  s'engager  contre  lui.  Les  sociétés  les 
plus  distinguées  par  l'esprit  et  la  fortune  le  re- 
cherchèrent; il  obtint  près  des  femmes  de  bril- 
lants succès.  Sa  position  indépendante  était  en- 
core relevée  par  son  intimité  avec  !e  duc  de 
Chartres,  dont  il  était  devenu  eapitainedesgardes, 
aprèsavoir  été  écuyer  dé  Mme  de  Montesson.  11  se 
plaisait  surtout  à  la  musique  et  en  faisait  son 
occupation  principale;  il  jouait  fort  agilement 
du  violon  et  comptait  parmi  les  coryphées  du 
Concert  des  amateurs.  En  1776,  on  eut  l'in- 
tention de  confier  à  une  régie  l'Académie  royale 
de  musique;  plusieurs  compagnies  se  présen- 
tèrent; à  la  tête  de  l'une  d'entre  elles  se  trou- 
vait le  chevalier  de  Saint-Georges:  «  M*les  Ar- 
nould,  Guimard,  Rosalie  et  autres,  dit  Grimm, 
n'en  ont  pas  été  plutôt  informées,  qu'elles  ont 
adressé  un  placet  à  la  reine  pour  représenter  à 
Sa  Majesté  que  leur  honneur  et  la  délicatesse  de 
leur  conscience  ne  leur  permettraient  jamais 
d'être  soumises  aux  ordres  d'un  mulâire.  »  Ne 
pouvant  diriger  l'opéra,  Saint-Georges  fit  en- 
tendre des  œuvres  de  sa  composition  :  en  juin 

1777,  Ernestine( paroles  de  Laclos)  ;  en  octobre 

1778,  la  Chasse  (paroles  de  Desfontaines);  en 
août  1787,  la  Fille  Garçon  (paroles  de  Des- 
maillot). Ces  trois  pièces  n'eurent  aucun  succès; 
la  musique  en  parut  quelquefois  gracieuse,  ail- 
leurs ingénieuse  et  savante,  mais  toujours  sans 
caractère,  sans  variété,  sans  idées  nouvelles,  avec 
beaucoup  de  longueurs,  des  réminiscences  et  des 
imitations.  La  vogue  de  ses  sonates,  de  ses  con- 
certos et  du  menuet  qui  porte  son  nom  put  le 
consoler  de  ses  défaites  à  la  scène.  A  l'époque  de  la 
révolution,  Saint  Georges  fut,  par  reconnaissance 
autant  que  par  conviction,  au  nombre  des  par- 
tisans les  plus  actifs  du  duc  d'Orléans.  Il  obtint, 
en  1792,  la  permission  de  lever,  comme  colo- 


25  SAINT-GEORGES 

nel,  un  régiment  de  chasseurs  à  cheval,  dans 
lequel  on  remarqua  beaucoup  d'hommes  de  cou- 
leur 11  le  conduisit  à  l'armée  de  Dumouriez,  et 
montra  un  courage  très-enthousiaste  contre  l'in- 
vasion des  Prussiens.  De  retour  à  Paris,  il  pré- 
tendit avoir  dénoncé  l'un  des  premiers  la  défec- 
tion de  Dumouriez.  Cette  assertion,  vraie  ou 
fausse,  par  laquelle  il  espérait  mettre  hors  de 
doute  son  patriotisme,  ne  l'empêcha  pas  d'être 
emprisonné,  comme  suspect,  en  1794.  Rendu 
à  la  liberté  par  le  9  thermidor,  il  traîna  péni- 
blement ses  dernières  années  dans  la  gêne  et 
dans  des  souffrances  aiguës ,  résultant  d'un  ul- 
cère à  la  vessie,  qui  causa  sa  mort. 

Notice  historique  sur  Saint-Georges,  en  tête  du  Traité 
de  l'art  des  armes  par  La  Boëssière  ûls.  —  Correspon- 
dance Je  Grimn) ,  années  1776,  1777,  1778,  1787.  _:  Fétis, 
Biogr  univ.  des  musiciens. 

saint-germain  (Jean- François  de),  sei- 
gneur d'Entremont,  né  en  mars  1668,  à  Entre- 
mont (Normandie),  où  il  est  mort,  le  26  juillet 
1735.  Sa  vie  presque  entière  s'écoula  dans  le 
lieu  de  sa  naissance,  et  il  y  partagea  son  temps 
entre  l'étude  et  les  soins  de  la  campagne.  11  com- 
posa dans  le  goût  de  Marot  une  quantité  de  pièces 
de  vers,  pleines  d'esprit  et  de  saillies,  et  dont 
plusieurs  ont  été  imprimées  dans  les  recueils  du 
temps.  Il  fut  membre  de  l'Académie  de  Caen. 

Nouvelles  littér.  de  Caen,  1744,  in-8°,  p.  382. 

saint-germain  (Claude-Louis ,  comte 
de),  général  français  ,  né  le  15  avril  1707,  au 
château  de  Vertamboz ,  près  Lons-le-Saulnier, 
mort  à  Paris,  le  15  janvier  1778.  Élevé  chez  les 
jésuites ,  il  parut  d'abord  vouloir  embrasser  l'é- 
tat ecclésiastique  et  professa  les  humanités  dans 
les  collèges  de  l'ordre  ;  mais,  porté  à  la  vie  aven- 
tureuse et  éloigné  de  toute  soumission  par  un 
esprit  volontaire  et  une  vanité  intraitable,  il 
quitta  bientôt  les  livres  et  le  petit  collet  pour 
l'épée  et  le  costume  militaire.  A  peine  avait-il 
obtenu  une  sous-lieutenance ,  qu'il  passa  subi- 
tement en  Allemagne,  soit  qu'il  fût  poussé  par 
l'espoir  d'un  avancement  plus  rapide,  soit  plu- 
tôt, comme  l'ont  écrit  des  contemporains,  qu'il 
voulût  fuir  les  conséquences  d'un  duel,  dans  le- 
quel il  avait  tué  un  officier  de  marque.  Après 
avoir  servi  chez  l'électeur  palatin,  il  alla  en 
Hongrie  et  fit  une  campagne  contre  les  Turcs  ; 
mais ,  la  France  s'étant  déclarée  contre  Marie- 
Thérèse  ,  il  donna  sa  démission,  et  prit  du  ser- 
vice chez  l'électeur  de  Bavière,  qui  devint  em- 
pereur sous  le  nom  de  Charles  VII.  Lorsque  ce 
prince  mourut,  Saint-Germain  était  feld-maré- 
chal  lieutenant;  il  partit  pour  Berlin  dans  l'in- 
tention d'entrer  dans  l'armée  du  grand  Frédéric; 
mais  la  sévérité  de  la  discipline  l'effraya;  il 
quitta  la  Prusse,  et  alla  dans  les  Pays-Bas  se 
présenter  au  marécha'l  de  Saxe  qui ,  avec  l'as- 
sentiment du  ministère ,  lui  donna  le  grade  de 
maréchal  de  camp  dans  l'armée  française.  Saint- 
Germain  se  distingua  à  Lawfeld  ,  à  Raucoux  et 
au  siège  de  Maëslricht  ;  il  participa  ensuite,  en 
qualité  de  lieutenant  général ,  à  cette  guerre  de 


SAINT-GERMAIN 


26 


Sept  ans  qui  fut  si  triste  et  si  honteuse  pour  la 
France.  On  doit  reconnaître  qu'il  se  conduisit 
mieux  que  les  autres  officiers  supérieurs.  «  Il 
avait  fui  moins  loin,  dit  Lacretelle.  »  Les  sol- 
dats l'aimaient  pour  son  courage,  pour  sa  fran- 
chise, pour  sa  brusquerie  même,  et  pour  son 
étrange  vie  de  condottiere,  qu'ils  se  racontaient 
au  bivouac,  en  y  ajoutant  de  merveilleuses 
aventures  ;  mais  il  avait  contre  lui  les  généraux 
dont  il  relevait  les  fautes  et  les  revers  avec  de 
mordantes  railleries.  Mécontent  de  sa  situation 
et  du  gouvernement ,  jaloux  de  tout  ce  qui  l'en- 
tourait, inquiété  par  les  plus  simples  actions, 
par  les  moindres  paroles,  il  tomba  dans  la  même 
maladie  d'imagination  qui  troubla  les  dernières 
années  de  Jean-Jacques  Rousseau  :  il  ne  rêva 
plus  que  vexations  et  complots  dirigés  contre 
sa  personne  ;  il  ne  vit  plus  que  traîtres  et  mé- 
chants conjurés  pour  le  perdre.  Quittant  de  nou- 
veau la  France  (1760),  en  renonçant  à  son  grade 
et  au  cordon  de  commandeur  de  Saint-Louis, 
il  se  rendit  en  Danemark,  où  Frédéric  V  le 
créa  feld-maréchal  général,  et  le  mit,  en  1762, 
à  la  tête  de  son  armée,  avec  la  mission  de 
!a  réorganiser  sur  un  plan  nouveau.  La  mort 
de  Frédéric  (1766)  changea  encore  sa  destinée  : 
il  demanda  sa  retraite ,  qui  fut  d'abord  réglée  à 
sept  mille  écus  de  rente ,  et  qu'il  fit  changer  en- 
suite en  un  capital  de  cent  mille  écus.  Rentré  en 
France,  il  acheta  près  de  Lauterbach,  en  Alsace, 
un  petit  domaine  où  il  se  fixa  ,  et  où  il  partagea 
son  temps  entre  l'horticulture  et  des  exercices 
de  dévotion.  La  faillite  de  son  banquier  le  laissa 
dépourvu  de  toutes  ressources;  il  supporta  ce 
malheur  en  sage ,  avec  beaucoup  de  calme.  Les 
officiers  des  régiments  allemands  au  service  de 
la  France  se  cotisèrent  pour  lui  faire  une  rente; 
il  les  refusa,  le  ministre  de  la  guerre  lui  ayant 
constitué  une  pension  de  dix  mille  livres  sur  la 
cassette  du  roi.  Peu  de  temps  après,  deux  mi- 
nistres philosophes,  Turgot  et  Malesherbes,  qui 
rêvaient  la  réforme  de  l'armée,  comme  celle  des 
autres  administrations ,  le  présentèrent  au  roi , 
qui  le  nomma  ministre  de  la  guerre ,  le  26  oc- 
tobre 1775.  Personne,  en  France,  n'avait  aussi 
bien  étudié  les  divers  systèmes  militaires ,  et  il 
paraissait  seul  capable  de  relever  notre  armée, 
dont  la  décadence  était  telle,  que,  suivant  l'idée 
répandue  dans  toute  l'Europe,  elle  ne  pouvait, 
à  nombre  égal,  tenir  tête  à  celles  des  autres 
puissances.  Dès  1758,  Saint-Germain  avait  écrit 
un  Mémoire  sur  les  vices  du  système  mili- 
taire français  ;  il  y  attaquait  surtout  les  corps 
à  privilège,  la  multiplicité  des  officiers  géné- 
raux, le  nombre  excessif  des  ofiiciers  inférieurs, 
et  l'obligation  pour  les  capitaines  d  entretenir  les 
compagnies  à  leurs  frais ,  ce  qui  amenait  la  mi- 
sère du  soldat.  A  peine  au  pouvoir,  il  supprima 
les  deux  somptueuses  compagnies  des  mousque- 
taires gris  et  noirs ,  et  la  compagnie  des  grena- 
diers à  cheval;  il  allait  détruire  aussi  les  gen- 
darmes et  les  chevau-légers,  lorsque  Maurepas 


27 


SAINT-GERMAIN 


28 


et  M.  de  Soubise  l'arrêtèrent;  !a  plupart  de  ses 
autres  projets  furent  empêchés  par  ceux  qui 
étaient  intéressés  au  maintien  de  l'ancien  sys- 
tème. «  M.  de  Saint-Germain,  écrivit  le  grand 
Frédéric  à  Voltaire,  avait  de  grands  et  beaux 
desseins  très-avantageux  à  vos  Welches;  mais 
tout  le  monde  l'a  traversé ,  parce  que  les  réfor- 
mes qu'il  se  proposait  de  faire  auraient  obligé  à 
une  exactitude  qui  leur  répugnait,  dix  mille 
fainéants  bien  chamarrés,  bien  galonnés.  «  Saint- 
Germain  ,  qui  avait  déjà  contre  lui  les  officiers, 
se  perdit  auprès  des  soldats  en  voulant  rétablir 
l'ordre  et  la  régularité  au  moyen  de  la  discipline 
allemande  :  il  ordonna  de  punir  certaines  fautes 
par  des  coups  de  bâton.  Ce  ne  fut  qu'un  cri 
dans  l'armée  française.  Effrayé  de  cette  explo- 
sion de  colère,  il  substitua  aux  coups  de  bâton 
les  coups  de  plat  de  sabre-  Ce  changement  ne 
calma  pas  les  esprits ,  et  tout  le  monde  répéta 
ce  mot  d'un  grenadier  :  «  Dans  le  sabre,  il  n'y 
a  de  bon  que  le  tranchant.  »  L'estime  publique 
s'était  retirée  de  Saint-Germain;  on  le  tourna  en 
ridicule,  pour  ses  projets  de  remplacer  les  Inva- 
lides de  Louis  XIV  par  trente-six  établissements 
dans  les  provinces,  et  de  disperser  sur  plusieurs 
points  l'École  militaire  de  Paris,  en  donnant 
pour  maîtres  aux  futurs  officiers  des  hommes 
d'église.  Au  mois  de  septembre  1777,  il  offrit  sa 
démission  qui  fut  acceptée,  et  se  retira  à  l'Ar- 
senal, où  ie  roi  lui  avait  donné  un  logement, 
avec  40,000  livres  de  pension. 

Mémoires  historiques  et  militaires  de  Rochambeau.  — 
-Soulavie,  Mémoires  de  Louis  XVI.  —  Correspondance 
du  comte  de  Saint-Germain.  —  Lacretelle,  Histoire  du 
dix-huitième  siècle.  —  Sisraondi,  Histoire  des  Français. 
—  Abbe  de  La  Montagne,  Mémoires  du  comte  de  Saint- 
Germain;  Amsterdam,  1779,  in-8°.  —  Wimpfen,  Com- 
mentaires des  Mémoires  du  comte  de  Saint- Germain; 
Londres,  1780,  in-8",  et  1781,  2  vol.  in-12. 

saint-germain  (N..-,  comte  de),  célèbre 
aventurier,  mort  à  Sleswig,  en  1784.  La  vie  de 
cet  homme  étrange,  de  ce  conte  pour  rire, 
comme  l'appelle  Voltaire,  semble  une  création 
féerique,  et  les  nuages  dont  il  eut  l'art  de  s'en- 
tourer, pour  grandir  son  rôle  et  surprendre  la 
crédulité  de  ses  contemporains,  le  dérobent  en- 
core aujourd'hui  à  la  sagacité  des  plus  habiles 
recherches.  Mais  si  les  faits  qu'on  a  pu  recueillir 
ne  sont  ni  assez  nombreux,  ni  assez  décisifs , 
pour  percer  le  mystère  de  cette  existence,  ils 
servent  du  moins  à  mettre  en  lumière  l'état  d'es- 
prit dans  lequel  se  trouvait,  au  milieu  du  dix- 
huitième  siècle,  la  haute  société  française.  En 
jetant.  Paris  dans  le  scepticisme,  les  philosophes 
n'avaient  pas  éteint  cette  foi  au  merveilleux 
qui  paraît  être  une  des  conditions  essentielles 
de  la  vie  humaine,  et,  pour  remplacer  la 
croyance  aux  miracles  de  la  religion ,  surgissait 
une  croyance  à  d'autres  miracles  et  à  un  autre 
surnaturel.  Alors  vinrent  des  hommes,  sortis  on 
ne  sait  d'où,  qui  promettaient  des  prodiges  et 
qui  montraient  les  images  des  personnes  dont  on 
regrettait  la  mort  ou  l'absence;  écoutés  et  lar- 
gement rétribués,  ils  virent  le  meilleur  monde  se 


!  réunir  autour  de  leurs  miroirs  magiques.  Aucun 
j  ne  devint  plus  à  la  mode  que  le  comte  de  Saint- 
j  Germain,  et  bientôt  il  ne  fut  bruit  que  de  lui. 
I  Ce  n'est  pas  seulement  à  des  effets  de  cbatlata- 
j  nisme  qu'il  faut  attribuer  son  succès,  mais  sur- 
j  tout  à  son  mérite  personnel.  «  Le  comte  de 
|  Saint-Germain,  dit  Grimm,  a  paru  à  tous  ceux 
j  qui  l'ont  connu  un  homme  de  beaucoup  d'es- 
i  prit.  Il  avait  cette  éloquence  naturelle  qui  est  la 
plus  propre  à  séduire  ;  il  savait  beaucoup  de 
chimie,  et  l'histoire  comme  peu  de  personnes 
l'ont  apprise.  Il  avait  le  talent  de  rappeler  dans 
la  conversation  les  événements  les  plus  impor- 
tants de  l'histoire  ancienne,  et  de  les  raconter 
comme  on  raconte  l'anecdote  du  jour,  avec  les 
mêmes  détails ,  le  même  degré  d'intérêt  et  de  vi- 
vacité. »  Le  maréchal  de  Belle-Isle,  qui  l'avait 
connu  en  Allemagne,  l'amena  en  France  vers 
1740,  et  le  présenta  à  Mme  de  Pompadour  qui 
ne  tarda  pas  à  l'admettre  dans  son  intimité. 
Louis  XV  lui  fit  aussi  un  gracieux  accueil,  s'en- 
tretint souvent  et  longuement  avec  lui,  et  lui 
donna  un  appartement  à  Chambord.  «  Un  jour, 
raconte  Mme  du  Hausset,  Madame  (de  Pompa- 
dour) lui  dit  devant  moi,  à  la  toilette  :  «  Corn- 
ment  était  fait  François  Ier  ?  C'est  un  roi  que 
j'aurais  aimé.  —  Aussi  était-il  très-aimable,  » 
dit  Saint-Germain;  et  il  dépeignit  ensuite  sa  fi- 
gure et  toute  sa  personne,  comme  l'on  fait  d'un 
homme  que  l'on  a  bien  considéré.  Ii  continua 
sur  le  connétable,  sur  la  cour,  puis  sur  Marie 
Stuart,  sur  Marguerite  de  Valois...  Madame  lui 
dit  en  riant  :  «  Il  semble  que  vous  ayez  vu  tout 
cela.  —  J'ai  beaucoup  de  mémoire,  dit-il,  et  j'ai 
beaucoup  lu  l'histoire  de  France.  Quelquefois  je 
m'amuse,  non  pas  à  faire  croire,  mais  à  laisser 
croire  que  j'ai  vécu  dans  les  plus  anciens  temps. 
—Mais  enfin  vous  ne  dites  pas  votre  âge,  et  vous 
vous  donnez  pour  fort  vieux.  La  comtesse  de 
Gergy  qui  était,  il  y  a  cinquante  ans,  je  crois, 
ambassadrice  à  Venise ,  dit  vous  y  avoir  connu 
tel  que  vous  êtes  aujourd'hui.  —  Il  est  vrai,  Ma- 
dame, que  j'ai  connu,  il  y  a  longtemps,  Mme  de 
Gergy.  —  Mais,  suivant  ce  qu'elle  dit,  vous  au- 
riez plus  de  cent  ans  à  présent?  —  Cela  n'est 
pas  impossible,  dit-il  en  riant  ;  mais  je  conviens 
qu'il  est  possible  que  cette  dame,  que  je  respecte, 
radote.  —  Vous  lui  avez  donné,  dit-elle,  un 
élixir  surprenant  par  ses  effets;  elle  prétend 
qu'elle  a  longtemps  paru  n'avoir  que  vingt-quatre 
ans.  Pourquoi  n'en  donneriez-vous  pas  au  roi  ? 
—  Ah!  Madame,  dit-il  avec  une  sorte  d'effroi , 
que  je  m'avise  de  donner  au  roi  une  drogue  in- 
connue; il  faudrait  que  je  fusse  fou.  »  Si  cette 
conversation  eut  été  répétée,  elle  eût  sans  doute 
bien  diminué  les  exagérations  de  la  crédulité 
publique;  mais  il  n'entrait  pas  dans  les  desseins 
du  comte  d'éclairer  l'opinion  qui  lui  attribuait 
une  puissance  pour  ainsi  dire  surhumaine.  On 
disait  qu'il  avait  plus  de  deux  mille  ans  et  qu'il 
avait  connu  Jésus-Christ;  on  parlait  avec  ad- 
miration de  cet  élixir  qui  perpétuait  sa  vie,  de 


SAÎNT-GEftMÀlJN 

ses  immenses  richesses ,  de  ses  secrets  pour 
faire  grossir  les  perles,  et  pour  enlever  les  taches 
des  diamants  sans  diminuer  leur  poids.  Le  fait 
est  qu'il  avait  une.  grande  fortune,  et  qu'il  éta- 
lait parfois  un  luxe  inouï.  Un  jour,  il  montra  à 
M""-'  de  Pompadour  une  boîte  qui  contenait  des 
topnz.es,  des  rubis,  des  émeraudes,  le  tout  d'une 
très-grande  valeur.  Une  autre  fois,  il  parut  a  la 
cour  avec  des  boucles  de  souliers  et  des  jarre- 
tières de  diamants ,  qu'on  estima  au  moins 
200,000  francs.  D'où  tenait-il  sa  richesse  ?  On 
n'a  pu  le  savoir.  On  ignore  sa  naissance  et  son 
véritable  nom.  La  croyance  la  plus  répandue, 
c'est  qu'il  tirait  ses  ressources  de  quelque  cour 
étrangère,  pour  laquelle  il  remplissait  l'emploi 
d'espion;  selon  d'autres,  il  était  fils  d'un  juif  de 
Bordeaux  et  d'une  princesse  qu'on  ne  désigne 
pas;  Mme  du  Hausset  dit  que  le  roi  en  parlait 
quelquefois  comme  étant  d'une  illustre  nais- 
sance, et  elle  incline  à  le  croire  bâtard  d'un  roi 
de  Portugal.  Si  l'on  pouvait  ajouter  foi  aux  Mé- 
moires authentiques  pour  servir  à  l'histoire 
du  comte  de  Cagliostro,  on  aurait,  une  expli- 
cation bien  plus  vraisemblable  du  rôle  joué  par 
Saint-Germain ,  de  son  influence  sur  les  plus 
hauts  personnages  et  des  richesses  dont  il  dis- 
posait. Ces  Mémoires  en  effet  le  font  grand- 
maître  de  la  franc-maçonnerie  ,  et  assurent  que 
Cagliostro  reçut  de  lui  l'initiation,  avant  d'aller 
-établir  en  Courlande  les  loges  maçonniques  se- 
lon le  rite  égyptien  ;  mais  ce  livre  est  trop  peu 
digne  de  créance,  pour  qu'on  établisse  rien  de 
certain  sur  les  assertions  qu'il  avance.  Ce  qu'il 
est  impossible  de  nier,  c'est  la  domination  que 
le  comte  de  Saint-Germain  exerçait  autour  de 
lui,  domination  extraordinaire  surtout  si  on  ne 
lui  cherche  pas  une  cause  occulte.  Car  on  ne 
peut,  en  ce  cas,  l'attribuer  qu'à  sa  force  indi- 
viduelle ,  c'est-à-dire  à  la  supériorité  de  son  in- 
telligence ou  à  l'énergie  de  sa  volonté.  Il  ne  fut 
en  effet  ni  un  apôtre  du  magnétisme  ni  un  évo- 
cateur  d'esprits,  et  tous  les  prodiges  qu'il  opéra 
se  réduisirent  à  déployer  une  volonté  assez 
puissante  pour  éveiller  chez  les  autres,  au  moyen 
d'effets  de  catoptrique,  des  sensations  illusoires, 
à  surexciter  leur  imagination  au  point  qu'ils 
crussent  voir  dans  le  miroir  magique  les  per- 
sonnes dont  ils  désiraient  l'apparition.  Le  véri- 
table succès  de  Saint-Germain  fut  à  Paris  ;  jus- 
que-là, en  Hollande ,  en  Allemagne,  à  Venise,  à 
Londres,  on  ne  lui  avait  prêté  qu'une  attention 
distraite  et  mêlée  d'ironie.  Lorsqu'il  quitta  la 
France,  il  alla  d'abord  à  Hambourg,  puis  auprès  du 
landgrave  de  Hesse,  et  après  avoir  si  longtemps 
excité  l'étonnement  et  l'admiration,  il  passa  ses 
derniers  jours  loin  du  bruit.  Nous  pouvons,  d'a- 
près les  témoignages  contemporains,  nous  le 
représenter  tel  qu'il  se  montra  à  la  cour  de 
Louis  XV  :  il  paraissait  avoir  cinquante  ans  ;  il. 
avait  l'air  fin  et  spirituel  ;  il  n'était  ni  gras  ,  ni 
maigre,  d'une  taille  moyenne,  et  très-robuste; 
il  était  mis  d'ordinaire  avec  une  simplicité  de 


—  SAINT-GILLES  30 

bon  goût  qui  faisait  valoir  l'éclat  des  diamants 
qu'il  portait  aux  doigts,  et  qui  enrichissaient  sa 
tabatière  et  sa  montre;  il  affectait  une  grande 
sobriété. 

Mémoires  de  M""  du  Haussât.  —  Correspondance  de 
Grirnin.  —  Correspondance  de  Voltaire.  —  figuier,  IJist. 
du  merveilleux,  t.  IV.  —  Nachrichten  vom  Crafen 
Saint-Germain;  Francfort,  1780,  in-8°. 

SAINT-GERMAIN.   Voy.  MoURGUES. 

saint-germai*  (Christopher),  légiste  an- 
glais, né  à  Slùlton,  près  Coventry,  mort  le 
28  septembre  1540,  à  Londres.  Il  était  fils  d'un 
chevalier  et  possédait  quelque  aisance.  Il  se 
rendit  fort  habile  dans  la  connaissance  du  droit, 
passa  pour  l'un  des  avocats  les  plus  renommés 
de  son  temps,  et  écrivit  en  latin,  sous  le  titre  an- 
glais The  Doctor  and  siudent  (Londres,  1523, 
in-12),  un  traité  sur  les  fondements  de  la  légis- 
lation anglaise,  qui  a  été,  jusqu'en  1787,  réim- 
primé une  vingtaine  de  fois.  On  lui  attribue  plu- 
sieurs ouvrages,  dont  un  seul  paraît  être  de 
lui  :  Newe  addicions  treating  specially  of 
the  power  ofthe  Parlyament  (Londres,  1531, 
in-12).  Il  entama  avec  Thomas  Morus  une  con- 
troverse, qui  amena  l'échange  de  quelques  écrits. 
Tanner.  —  Baie.  —  Eridgman,  Légal  Bibliography. 

saint-gery  {Joseph  de)  ,  littérateur  fran- 
çais, né  en  1590,  à  Magnas,  près  de  Lectoure, 
mort  en  1674,  dans  le  même  lieu.  Il  était  d'an- 
cienne noblesse  et  seigneur  de  Magnas.  Dès  sa 
jeunesse  il  prit  le  parti  des  armes  et  s'attacha  à 
la  maison  de  La  Valette;  après  avoir  suivi  en 
1612  le  comte  Henri  de  Candale  dans  ses  cam- 
pagnes de  mer  contre  les  Turcs ,  il  passa  au  ser- 
vice du  duc  d'Épernon,  et  reçut  de  lui  en  1627 
le  commandement  de  son  régiment  de  Guienne 
ainsi  que  la  lieutenance  de  Lectoure.  Durant 
l'interminable  différend  qui  s'éleva  entre  le  duc 
et  l'archevêque  de  Bordeaux,  il  fut  député  plu- 
sieurs fois  à  la  cour  et  s'acquitta  avec  prudence 
de  ces  épineuses  et  souvent  puériles  négocia- 
tions. La  disgrâce  où  tomba  son  protecteur  nui- 
sit beaucoup  à  son  avancement;  en  1642  il  se 
retira  dans  son  château  de  Magnas,  et  partagea 
ses  loisirs  entre  le  culte  de  la  poésie  et  l'étude 
des  sciences  physiques.  En  considération  de  ses 
travaux  et  par  égard  pour  les  hautes  amitiés 
qu'il  avait  conservées  à  Paris,  il  fut  gratifié  en 
1663  de  la  charge  honorifique  de  conseiller  d'É- 
tat. Ses  divers  écrits,  réunis  sous  le  titre  d'Es- 
sais (Paris,  1663,  in-4°),  avaient  paru  isolément 
à  Paris  en  1662  et  1663  :  ce  sont  Ma  félicité, 
Iris,  longues  pièces  de  vers  français,  et  des  dis- 
sertations latines  De  motu  cordis  et  cerebri  et 
De  finïbus  corporis  et  spiritus. 

Girard  ,  Vie  du  duc  d'Épernon.  —  Moréri ,  Dict.  Mit. 

saint-gilles  (JV...  DE  l'Enfant,  chevalier 
de),  poëte  français,  mort  vers  1709  (1).  Sous- 

(1)  C'est  par  erreur  qu'on  l'a  fait  naître  en  1680,  puis- 
que l'une  de  ses  meilleures  œuvres,  le  Contrai,  fut  im- 
primée en  1694,  et  qu'elle  courait  manuscrite  depuis 
plusieurs  années.  C'est  sans  doute  aussi  par  une  autre 
erreur  que  des  Dictionnaires,  paraissant  ignorer  la  date 


31 


SAINT-GILLES  —  SAINT-HILAÎRE 


brigadier  de  la  première  compagnie  des  mous- 
quetaires du  roi,  il  quitta  le  service  après  Ra- 
millies  (1706),  renonça  au  monde  et  se  renferma 
dans  un  couvent  de  capucins.  «  C'était,  ditTi- 
ton  du  Tillet,  un  homme  qui  avait  l'air  pensif  et 
qui  parlait  peu.  Son  esprit  était  souvent  occupé 
à  ranger  quelques  petits  morceaux  de  poésie, 
qu'il  faisait  éclore  et  qu'il  récitait  avec  plaisir  à 
ses  amis.  11  réussissait  surtout  à  faire  des  contes, 
et  ordinairement  sur  des  sujets  assez  gaillards. 
Il  a  composé  aussi  plusieurs  chansons  et  plu- 
sieurs parodies  sur  des  airs  d'opéra,  qui  sont 
pleines  d'esprit  et  de  gentillesse.  »  Ce  poète  ?i- 
mable  est  celui  qui ,  avec  Vergier,  a  le  plus  ap- 
proché de  La  Fontaine  dans  le  conte  ;  cependant 
il  est  presque  inconnu.  De  son  vivant  même  il 
ne  fut  apprécié  que  dans  le  petit  cercle  de  ses 
amis,  ne  fit  rien  imprimer,  et  se  vit  dépouillé  de 
ses  œuvres  au  profit  d'autres  écrivains.  Le  li- 
braire Adrien  Moetjens  publia ,  dans  le  t.  II  de 
son  Recueil  de  pièces  curieuses  (La  Haye, 
1694,  in-18),  le  Contrat ,  sous  le  nom  de  La 
Fontaine.  Malgré  la  réclamation  de  Saint-Gilles, 
le  Contrai  fut  encore  inséré  dans  des  éditions 
de  La  Fontaine,  notamment  dans  celle  d'Amster- 
dam, 1732;  et,  dans  le  Nouveau  Parterre  du 
Parnasse  français  (La  Haye,  1737,  in- 12),  il 
?ut  attribué  à  un  nommé  Julien. 

Les  œuvres  posthumes  de  Saint-Gilles,  impri- 
mées sous  le  titre  de  la  Muse  mousquetaire 
(Paris,  1709,  in-12),  présentent  bien  du  fatras  et 
quelques  pièces  charmantes,  entre  autres  le  Con- 
trat et  Vindicio.  Le  prologue  de  ce  dernier 
conte  débute  par  les  vers  que  l'on  a  souvent  re- 
prochés à  Vergier  : 

Sur  les  traces  de  La  Fontaine 
Je  n'ai  pas  prétendu  marcher... 

et  que  les  éditeurs  de  Vergier  eurent  en  effet  le 
tort  de  reproduire  en  tête  du  Mal  d'aventure. 
On  trouve  encore  dans  le  Nouveau  choix  de 
pièces  de  poésie  (La  Haye,  1715,  2  vol.  in-12) 
quelques  pièces  de  Saint-Gilles.  Gudin  l'accuse 
d'être  lubrique  ;  mais  ii  semble  ne  l'avoir  pas  lu, 
c.ar  Saint-Gilles  est  plus  réservé  que  La  Fontaine, 
et  Gudin  l'est  bien  moins  que  l'un  et  l'autre. 

L'auteur  de  la  Muse  mousquetaire  eut  un 
frère ,  lieutenant  de  cavalerie  au  régiment  de 
Bissy,  qui  donna  une  tragédie  à'Ariaralhe,  re- 
présentée le  30  octobre  1699,  mais  non  impri- 
mée. Il  mourut  en  1746,  à  quatre-vingt-six  ans, 
écrasé  par  les  roues  d'un  carrosse.  J.  M— r— l. 

Walckcnaer,  Vie  de  La  Fontaine.  —  Titon  du  Tillet, 
l'm-nasse  français.  —  Gudin,  Histoire  des  contes,  1. 1. 

SAINT-GILLES.  \'oy.   ALBANS. 

SAiNT-iHLAiRE  (  Louis-  Vincent-  Joseph 
le  Blond,  comte  de  ) ,  général  français,  né  le 
4  septembre  1766,  à  Ribemont  (Aisne),  mort  le 
3  juin  1809,  à  Vienne  en  Autriche.  Fils  d'un  offi- 
cier de  fortune,  il  était  à  onze  ans  cadet  au  ré- 

de  ses  OEuvres  posthumes  (T709) ,  l'ont  fait  mourir  en 
1786.  Aucun  document  ne  nous  fait  connaître  Tannée 
de  sa  naissance  ,  ni  l'époque  précise  de  sa  mort. 


giment  de  Conti  cavalerie,  et  à  quatorze  il  s'em- 
barquait pour  les  Indes  orientales  comme  sous- 
iieutenant  à  la  suite.  En  1783  il  passa  dans 
l'infanterie,  devint  capitaine  en  1792,  et  com- 
manda au  siège  de  Toulon  l'aile  gauche  de  l'a- 
vant-garde.  Le  général  Laharpe  témoigna  dans 
un  rapport  de  son  intrépidité  et  de  ses  talents 
militaires,  «  qui  dépassaient  ce  qu'on  devait  at- 
tendre d'un  jeune  homme  de  son  âge  ».  Envoyé 
dans  le  Piémont  comme  adjudant,  général  chef 
de  brigade,  il  défendit  contre  neuf  mille  Autri- 
chiens le  centre  de  la  ligne  de  Borghelto  et  leur 
fit  six  cents  prisonniers.  11  fit  la  campagne  de 
l'an  iv  de  la  façon  la  plus  brillante  :  promu  gé- 
néral de  brigade  (24  déc.  1795),  il  s'empara  des 
hauteurs  de  Salo,  puis  de  la  Rocca  d'Anfo, 
l'un  des  principaux  débouchés  du  Tyrol,  et  entra 
un  des  premiers  dans  Bassano  après  un  engage- 
ment très-meurtrier  ;  au  combat  de  Saint-Georges, 
où  il  conduisait  l'avant-garde  de  Masséna,  il  fut 
blessé  aux  deux  jambes.  A  la  suite  du  18  bru- 
maire, Saint-Hilaire  fut  nommé  général  de  divi- 
sion (27  déc.  1799),  et  commanda  à  Marseille 
d'où  il  envoya  avec  une  activité  infatigable  des 
secours  de  toute  nature  à  l'armée  d'Italie;  ii 
passa  ensuite  à  Rouen,  et  reçut  la  plaque  de 
grand  officier  de  la  Légion  d'honneur.  En  1805 
il  fit  partie  du  corps  d'armée  de  Soult,  et  con- 
courut à  Auslerlitz  à  l'occupation  des  hauteurs 
de  Pratzen,  qui  étaient  la  clé  de  la  position  des 
Austro-Russes  ;  blessé  grièvement  dès  les  pre- 
miers coups  de  fe-u ,  il  resta  à  la  tête  de  sa  di- 
vision jusqu'à  la  fin  de  la  journée.  Sa  belle  con- 
duite lui  valut  le  cordon  de  grand  aigle  de  la  Lé- 
gion d'honneur  (26  déc.  1805).  Continuant  d'être 
employé  à  la  grande  armée,  il  assista  aux  ba- 
tailles d'Iéna  et  d'Eylau.  Dans  la  campagne  de 
1809  il  culbuta  plusieurs  fois  les  Autrichiens,  et 
leur  fit  essuyer  des  pertes  graves;  il  y  contribua 
au  succès  de  la  bataille  d'Eckmulh  et  fit  des  pro- 
diges de  valeur  à  Essling  ;  mais  il  eut  le  pied 
gauche  emporté  par  un  boulet,  et  mourut  douze 
jours  plus  tard  des  suites  de  sa  blessure.  Son 
corps  fut  transféré,  en  1810,  à  Paris  et  déposé  au 
Panthéon.  «  C'était,  a  dit  Napoléon ,  un  homme 
aimable,  remarqué  par  son  caractère  cheva- 
leresque, ce  qui  le  fit  appeler  le  chevalier  sans 
peur  et  sans  reproches.  » 

Moniteur  univ..  1810.  -  Victoires  et  conquêtes.  — 
Fastes  de.  la  Légion  d'honneur,  III. 

saint-hilaire  (Auguslin-François-César 
Prouvensal  de  Sahyt-Hilaire,  connu  sous  le 
nom  d'Auguste  de),  botaniste  français,  né  le 
4  octobre  1799 ,  à  Orléans,  où  il  est  mort,  le 
30  septembre  1853.  Doué  d'un  goût  très-vif  pour 
l'histoire  naturelle,  il  s'appliqua  à  l'entomologie  ; 
mais  diverses  circonstances  le  contraignirent  de 
partir  pour  le  Holstein,  où,  en  compensation,  il 
se  rendit  familières  les  langues  allemande  et 
anglaise.  De  retour  à  Orléans  après  plusieurs 
années ,  il  se  livra  à  l'étude  de  la  botanique.  A 
cette  époque,  désigné  pour  être  auditeur  au 


33  SAINT-H1LA1RE  - 

conseil  d'État,  il  vint  à  Paris  tout  en  hésitant 
sur  la  conduite  qu'il  avait  à  tenir  ;  car  des  rai- 
sons de  famille  semblaient  lui  faire  un  devoir 
d'accepter  cette  place.  On  était  alors  au  mois  de 
février.  Au  milieu  de  ses  irrésolutions,  il  fit  une 
promenade  au  Jardin  des  Plantes,  et  la  vue  d'un 
seul  tussilage  en  fleur  décida  de  son  sort.  Sen- 
tant qu'il  ne  lui  serait  pas  possible  de  s'appli- 
quer à  la  botanique  sans  négliger  les  devoiis  de 
sa  place,  il  déclara  qu'il  y  renonçait.  Le  Balle- 
tin  de  la  Société  des  sciences  d'Orléans  inséra 
ses  premiers  travaux.  Il  avait  entrepris  une 
Histoire  complète  des  pistils  et  des  fruits 
des  plantes  de  la  France;  mais  comme  elle 
ne  pouvait  être  terminée  qu'après  de  longues 
années  de  voyages  et  d'observations ,  il  résolut 
d'extraire  de  ses  nombreux  matériaux  une  suite 
de  mémoires  de  physiologie  végétale ,  qui  pa- 
rurent dans  les  Annales  et  les  Mémoires  du 
Muséum.  Un  voyage  dans  les  contrées  équi- 
noxiales  était  depuis  longtemps  l'objet  des  désirs 
de  Saint- Hilaire,  qui  profita  des  offres  que  lui  fit 
M.  de  Luxembourg,  ambassadeur  de  France  au 
Brésil,  et  partit  pour  Rio  de  Janeiro.  Pendant 
six  années  il  parcourut  ce  vaste  empire,  et  y  fit 
environ  dix  mille  kilomètres,  depuis  le  13°  lat.  S. 
jusqu'à  Rio  de  la  Plata.  Il  revint  en.  Europe 
avec  environ  24,000  échantillons  de  plantes,  for- 
mant à  peu  près  0,000  espèces ,  presque  toutes 
nouvelles,  analysées  pour  la  plupart  sur  les 
lieux  mêmes,  des  graines,  2,000  oiseaux,  16,000 
insectes,  135  quadrupèdes,  des  reptiles,  des 
poissons  et  quelques  minéraux.  A  peine  arrivé, 
il  s'occupa  de  la  publication  de  son  grand  ou- 
vrage sur  la  Flore  du  Brésil;  mais  tant  de  fa- 
tigues et  de  travaux  altérèrent  sa  santé  :  il  tomba 
dans  une  débilité  nerveuse  portée  au  dernier 
période,  se  vit  privé  de  la  parole  et  presque  de 
la  vue,  et  fut  obligé  de  se  réfugier  à  Montpellier, 
où  l'air  pur  et  les  soins  de  deux  excellents  amis, 
les  docteurs  Dunal  et  Lallemand,  lui  rendirent  la 
santé  et  lui  permirent  de  reprendre  ses  travaux, 
pourlesquels  il  avait  dû,  pendant  quelque  temps, 
s'adjoindre  MM.  de  Jussieu  et  Cambessède.  L'A- 
cadémie des  sciences,  qui  durant  son  séjour  au 
Brésil  l'avait  choisi  pour  un  de  ses  correspon- 
dants, le  nomma,  le  8  mars  1830,  membre  titu- 
laire, en  remplacement  de  Lamarck.  On  a  de  ce 
botaniste  :  Flora  Brasilise  meridionalis ,  ou 
Histoire  et  description  de  toutes  les  plantes 
qui  croissent  dans  les  différentes  provinces 
du  Brésil  ;  Paris,  1825,  3  vol.  gr.  in-4°,  avec 
192  pi.  gravées;  —  Voyage  dans  les  provinces 
de  Rio  de  Janeiro  et  Minas  Geraes;  Paris, 
1830,  2  vol.  in-8°,  p!.;  —  Voyage  dansledis- 
trict  des  diamants  et  sur  le  littoral  du  Bré- 
sil; Paris,  1833,  2  vol.  in-8°;  —  Sur  les  Rcsé- 
dacées;  Montpellier,  1838,  in-4°;  — Sur  le 
système  d'agriculture  adopté  par  les  Brési- 
liens; Paris,  1838,  in-8°;  —  Leçons  de  Bota- 
nique, comprenant  principalement  la  mor- 
phologie végétale,  la  terminologie,  la  bota- 

NOBV.    BIOSR,    GÉNÉR.    —   T.    XLUI. 


SAINT-HUBERTY 


34 


nique  comparée,  etc.;  Paris,  1840-41,  in-8°, 
pi.  ;  —  La  morphologie  végétale  expliquée, 
par  des  figures  ;  Paris,  1841,  in-8";  —  Voyage 
aux  sources  du  Rio  de  San-Francisco;  Paris, 
1847  48,  2  vol.  in-8°;  —  L'Agriculture  et  Vé- 
lève  du  bétail  dans  les  C ampos- Geraes  ;  Paris, 
1849,  in-8°.  Saint-Hilaire  a  publié  dans  la  Revue 
des  deux  mondes  (1831)  un  Tableau  des 
dernières  révolutions  du  Brésil.  Il  a  donné 
avec  Moquin-Tandon,  qui  lui  a  succédé  à  l'Ins- 
titut, des  Mémoires  sur  la  famille  des  Poly- 
galéas,  et  sur  la  symétrie  des  Capparidées, 
insérés  dans  les  Mémoires  du  Muséum,  et  a 
travaillé  aux  Nouvelles  Annales  des  Voyages. 

liiogr.  vnïv.  et  portât,  des  Contemp. 

saikt-hslaike.  Voy.  Jaume  et  Geoffroy- 
Saint-Hilaire. 

SAINT-HUBERTY  (  Anne- Antoinette  (1) 
Clavel,  dite),  célèbre  actrice  lyrique,  née  à 
Strasbourg,  le  15  décembre  1756,  morte  le  22 
juillet  1812,  près  de  Londres.  Son  père,  dont 
M.  Fétis  fait  à  tort  un  ancien  militaire,  était  musi- 
cien de  profession,  et  elle  fut  son  élève.  Pendant 
ses  premières  années  elle  parcourut  avec  ses 
parents  l'Allemagne ,  la  Prusse  et  la  Pologne. 
Elle  eut  le  bonheur  de  rencontrer  à  Varsovie  le 
compositeur  Le  Moyne,  qui,  charmé  de  ses  bril- 
lantes dispositions,  entreprit  son  éducation  théâ- 
trale. En  1774  elle  revint  en  France ,  et  joua 
pendant  trois  ans  l'opéra  à  Strasbourg.  Le 
23  septembre  1777  avait  lieu  à  l'Académie  royale 
de  musique  la  première  représentation  del'Ar- 
mide  de  Gluck,  et  Mme  Saint- Huberty  (  c'est  le 
nom  qu'elle  avait  adopté)  y  débutait  par  le  rôle 
de  Mélisse,  dans  lequel  elle  produisit  peu  de 
sensation.  D'une  taille  médiocre,  maigre  et 
blonde ,  l'ensemble  de  sa  personne  ne  compor- 
tait rien  de  sympathique.  Lors  de  la  retraite 
de  Sophie  Arnould ,  il  lui  fut  permis  d'aborder 
quelques  rôles  importants,  et  celui  d'Angélique, 
dans  le  Roland  de  Piccinni,  qu'elle  joua  en  1780, 
la  plaça  haut  dans  l'estime  du  public.  Un  mois 
après,  elle  créa  le  rôle  de  Lise,  dans  Le  Sei- 
gneur bienfaisant,  avec  tant  d'âme,  que  le  pu- 
blic, sous  le  charme  de  l'illusion,  l'applaudit  avec 
des  transports  enthousiastes.  On  raconte  que 
Mme  Saint-Huberty  apporta  tant  d'expression, 
tant  d'énergie,  dans  la  scène  du  désespoir,  que 
sa  santé  s'en  ressentit  et  qu'il  lui  fallut  quelques 
jours  de  repos  pour  se  rétablir.  En  1782,  les 
opéras  de  Thésée  et  à' Ariane  mirent  le  sceau 
à  sa  réputation.  La  mort  de  MUeLaguerre  (1783) 
et  la  retraite  de  Rosalie  Levasseur  lui  laissèrent 
le  champ  libre,  et  mise  en  possession  du  titre  de 
chef  d'emploi,  elle  redoubla  d'efforts  afin  de  s'en 
rendre  digne.  C'est  ainsi  qu'elledonna  l'expression 
et  la  vie  au  beau  rôle  de  Didon.  Tous  les  au- 
teurs s'empressèrent  d'écrire  des  rôles  pour  elle; 
mais  tous  ne  furent  pas  également  heureux,  et 
pendant  les  quatre  années  qu'elle  passa  encore 

(1)  Et  non  Cécile. 


35  SAINT-HUBERT T  - 

à  l'Opéra,  ses  succès  furent  traversés  par  quel- 
ques ennuis.  Ainsi  elle  fut  obligée  de  renoncer 
au  rôle  de  Clytemnestre,  dans  lequel  ses  qua- 
lités extérieures  ne  la  servaient  pas  convenable- 
ment. On  lui  opposa  plus  tard  M^e  Dozon ,  qui 
était  loin  de  la  valoir,  et  M'ie  Maillard,  son  élève, 
qui  ne  rougit  pas  de  la  payer  d'ingratitude. 

Dès  les  premiers  jours  de  la  révolution, 
Mme  Saint-Huberty,  qu'une  liaison  étroite  unis- 
sait depuis  longtemps  au  comte  d'Entraigues  ," 
dont  elle  avait  adopté  avec  chaleur  les  opinions 
royalistes,  donna  sa  démission,  etalla  le  rejoindre 
à  Lausanne,  où  il  s'était  réfugié.  lis  s'y  mariè- 
rent, le  29  décembre  1790;  mais  cette  union 
fut  tenue  secrète,  et  ce  n'est  qu'en  1797,  à  l'é- 
poque de  son  arrestation  à  Trieste ,  que  le  comte 
déclara  son  mariage.  Sa  femme  trouva  les 
moyens  de  le  faire  évader,  et  tous  les  deux  se 
rendirent  d'abord  à  Vienne,  puis  à  Grsetz.  Le 
comte  d'Entraigues  étant  passé  en  Angleterre, 
où  il  était  chargé  par  l'empereur  de  Russie 
d'une  mission  secrète  auprès  du  cabinet  anglais, 
ii  y  fut  assassiné  ainsi  que  sa  femme  par  leur 
domestique.  On  a  prétendu  ,  non  sans  quelque 
apparence  de  raison,  que  la  politique  n'avait 
point  été  étrangère  à  cette  catastrophe.  Mœe  d'En- 
traigues portait  toujours  sur  elle,  dit-on,  k 
cordon  de  Saint-Michel,  qu'où  a  dit  lui  avoir  été 
donné  par  Louis  XV1I1,  pour  reconnaître  son 
dévouement  et  les  services  rendus  par  elle  à  la 
cause  royale.  E.  de  Manne. 

Grimm,  Bachaumont.  —  Almanack  drs  spectacles.  — 
Castil-Blaze ,  Hist.  de  l'Opéra.  —  Fetis,  Biogr.  des 
music.  —  Renseignements  particuliers. 

saint-Hyacinthe  (Hyacinthe  Cordon- 
nier, dit  le  chevalier  de  Thémiseul,  dit),  litté- 
rateur français,  né  à  Orléans,  le  24  septembre 
1684,  mort  à  Genecken,  près  de  Breda.  en  1746. 
Son  père  (1),  qui  s'appelait  comme  lui  Hyacinthe 
Cordonnier,  faisait  partie  de  la  maison  de  Mon- 
sieur, frère  de  Louis  XIV,  avec  le  titre  de 
porte-manteau,  et  de  plus  était  employé  avec  sa 
femme  dans  la  musique  de  ce  prince.  Il  mourut 
en  1701,  sans  laisser  de  fortune.  «  La  veuve 
Cordonnier,  qui  avait  été  très-belle  femme ,  dit 
Grosley,  avec  un  esprit  romanesque  et  un  iuth 
<iont  elle  touchait  agréablement,  vint  s'établir  à 
Troyes,  sans  autre  ressource  qu'une  pension  de 
000  livres  sur  l'état  de  la  maison  de  Monsieur. 
N...  qui  jouissait  d'un  canonicat  de  la  cathé- 


(1)  Un  bruit  qui  acquit  dans  le  temps  quelque  con 
sistance  le  faisait  naître  de  la  liaison,  d'autres  disent  du 
mariage  secret,  de  Bossuet  avec  M"e  de  Mauléon.  Pa- 
lissot  ne  dément  pas  ce  bruit;  mais  Voltaire,  dan3  son 
Catalogue  des  Écrivains  du  siècle  de  Louis  XI y,  le 
déclare  complètement  faux.  Voici  ce  qu'en  pense  Grosley  : 
«  11  n'a  pas  tenu  à  Bel-Air  qu'à  la  faveur  de  trois  ou 
quatre  noms  d'emprunt,  qui  masquent  son  véritable  nom, 
il  n'ait  été  regardé  comme  né  du  commerce  du  grand 
Bossuet  avec  Mlle  Dnvieux  de  Mauléon.  Cette  cliimère, 
dont  11  se  prévalait  dans  les  pays  étrangers,  il  l'avait 
bâtie  sur  l»s  relations  de  sa  mère  avec  M.  Bossuet  (  neveu 
du  grand  Bossuet),  qui,  évêque  rie  Troyes  en  1718,  lui 
avait  continué  les  bontés  dont  l'honoraient  MM.  Bou- 
Ihlller  de  Chavlgny,  ses  prédécesseurs.  » 


SA1NT-H  JACINTHE  36 

drale  de  Saint  -  Etienne  et  d'un  revenu  de 
6,000  livres,  le  partagea  avec  la  veuve  Cordon- 
nier et  son  fils,  de  l'éducation  duquel  ii  prit  un 
soin  proportionné  aux  dispositions  que  montrait 
cet  enfant.  »  Bel-Air,  comme  on  appelait  alors 
ce  dernier,  à  cause  de  sa  belle  mine,  fit  de 
brillantes  études  au  collège  des  oratoriens,  et 
lorsqu'il  eut  dix-neuf  ans,  sa  mère  lui  obtint 
un  brevet  d'officier  de  cavalerie  sous  le  nom  de 
chevalier  de  Thémiseul.  Pris  à  la  bataille  de 
Hochstedt(i704),  il  resta  quelque  temps  prison- 
nier en  Hollande.  De  retour  à  Troyes,  le  bruit  de 
sa  mésaventure,  son  esprit  et  les  grâces  de  son 
extérieur  le  mirent  à  la  mode.  Mais,  désireux 
d'aventures,  il  partit  pour  joindre  l'armée  sué- 
doise. En  débarquant  à  Stockholm  (1709),  il  ap- 
prit la  défaite  de  Pultawa,  et  passa  en  Hollande, 
où  ii  se  trouva  bientôt  sans  ressources.  Une 
fripière  juive,  chez  laquelle  il  alla  mettre  des 
habits  en  gage,  fut  touchée  de  sa  misère,  et  le  re- 
commanda à  la  duchesse  d'Ossone,  femme  de 
l'arnbassadeurd'Ëspagneau  congrès  d'Utreeht.  II 
plut  dès  la  première  entrevue  à  la  sensible  et 
galanîedame;  les  visites  se  renouvelèrent,  et  Thé- 
miseul devint  un  des  habitués  les  plus  assidus  de 
l'hôtel,  où  il  eut  même  la  table  et  le  logement. 
L'ambassadeur  cependant  finit  par  voir  clair 
dans  la  conduite  de  sa  femme ,  et  le  soi-disant 
chevalier  reçut  l'ordre  de  quitter  la  Hollande.  Il 
avait  mis  à  profit  son  séjour  et  ses  loisirs  dans 
ce  pays  pour  étudier  le  hollandais,  l'allemand, 
l'anglais,  l'italien  et  l'espagnol.  Lorsqu'il  fut  re- 
venu à  Troyes ,  il  mêla  l'étude  aux  élégantes 
dissipations  de  sa  vie  d'autrefois;  bientôt  une 
nouvelle  aventure  le  contraignit  à  quitter  la 
France  :  chargé  d'enseigner  l'italien  a  la  nièce 
d'une  abbesse,  il  devint  l'amant  de  son  élève, 
et  l'abbesse  ayant  obtenu  contre  lui  un  décret 
de  prise  de  corps,  il  se  hâta  de  retourner  en 
Hollande.  Déjà  lié  avec  quelques-uns  des  écri- 
vains et  dt,s  érudits  qui  se  groupaient  autour  de 
S'Gravesende,  ii  renoua  ses  relations  avec  eux, 
et  concourut  à  la  fondation  du  Journal  litté- 
raire, qui  commença  à  paraître  à  La  Haye  eu 
1713.  Le  Chef-d'œuvre  d'un  inconnu,  qu'il 
publia  en  1714,  sous  le  pseudony  me  du  docteur 
Chrysostomus  Mathanasius,  eut  un  très-grand 
succès;  les  uns  l'attribuèrent  à  La  Monnoye, 
d'autres  à  Fontenelle.  Saint-Hyacinthe  (c'était 
son  nouveau  nom)  fit  connaître  qu'il  en  était 
l'auteur,  et  alla  à  Paris,  où  l'élite  des  littéra- 
teurs et  des  hommes  d'esprit  l'accueillit  parfai- 
tement. Mais  le  mandat  décerné  contre  lui 
ayant  toujours  pleine  vigueur,  il  fut  bientôt 
forcé  de  repartir.  L'amour  vint  encore  changer 
le  cours  de  son  existence.  Il  s'éprit  d'une  pas- 
sion violente  pour  Suzanne  de  Marcouay,  fille 
d'un  gentilhomme  protestant  réfugié,  et  se  fit 
enlever  par  elle  en  plein  jour.  Les  deux  amants 
se  rendirent  à  Londres,  et  y  contractèrent  un 
mariage,  auquel  M.  de  Maroonay  donna  son 
assentiment   (1722).  Saint-Hyacinthe,  qui  avait 


37  SAINT-HYACINTHE 

embrassé  le  protestantisme,  on  ne  sait  à  quelle 
époque,  obtint,  dit-on,  parle  crédit  de  ses 
amis,  la  pension  dont  jouissaient  alors  les  proles- 
tants réfugiés  en  Angleterre.  Il  revit  à  Londres 
Voltaire ,  dont  il  avait  reçu  des  félicitations  à 
Paris,  au  sujet  du  Chef-d'œuvre  d'un  inconnu; 
leurs  rapports  furent  pendant  quelque  temps  as- 
sez intimes,  puis  ils  se  brouillèrent  tout  à  coup , 
sans  qu'on  en  ait  su  le  motif.  Saint-Hyacinthe 
commença  la  guerre  devant  le  public,  d'abord 
par  une  critique  de  la  Henriade,  dans  laquelle 
il  accusait  Voltaire  d'ignorer  la  langue  fran- 
çaise et  de  n'avoir  jamais  su  écrire,  ensuite  par  la 
Déification  du  docteur  Aristarchus  Masso, 
qu'il  inséra  dans  une  nouvelle  édition  du  Chef- 
d'œuvre  d'un  inconnu; cette  Déification  était 
une  allusion  directe  à  Voltaire  et  à  des  coups  de 
bâton  qu'il  avait,  à  ce  que  l'on  assure,  reçus, 
quelques  années  auparavant,  d'un  officier  fran- 
çais nommé  Beauregard.  Voltaire  fut  dès  lors 
impitoyable  contre  son  agresseur;  il  lui  rendit 
hostiles  les  nombreux  écrivains  qui  servaient 
ses  haines,  le  décria  même  auprès  des  puissants, 
lui  aliéna  le  comte  d'Argenson,  directeur  de  l'im- 
primerie, empêcha  le  roi  de  Prusse  de  répondre 
à  ses  lettres,  le  tourna  en  ridicule,  prétendi't  que 
le  Chef-d'œuvre  d'un  inconnu  n'était  pas  de 
lui,  mais  de  M.  de  Sallengre,êt  le  poursuivit  jus- 
qu'à la  fin  de  ses  traits  les  plus  acérés.  Saint- 
Hyacinthe  en  fut  réduit  à  Desfontaines  et  à  Fré- 
ron  pour  alliés,  et  lorsqu'il  quitta  Londres  pour 
habiter  Paris  (1734),  il  sentit  bien  vite  que  le  sé- 
jour de  cette  ville  était  devenu  pour  lui  intolé- 
rable; il  se  retira  à  Genecken,  patrie  de  sa  femme, 
où  il  mourut.  L'écrit  le  plus  original  et  le  plus 
spirituel  de  Saint-Hyacinthe  est  son  début  dans 
les  lettres,  le  Chef-d'œuvre  d'un  inconnu;  La 
Haye,  1714,  1716  et  1732,  in-8°;  Paris,  1806, 
2  vol.  in-s°.  Ce  chef-d'œuvre  est  une  chanson 
populaire  de  la  plus  grande  vulgarité,  que  l'au- 
teur dit  avoir  apprise  de  la  duchesse  d'Ossone; 
il  l'a  ornée  de  préfaces,  d'approbations,  de  pro- 
légomènes ,  de  lettres  de  félicitations  en  langues 
anciennes  et  modernes,  de  tables  des  matières, 
d'extraits  de  comptes  rendus,  et  enfin  d'un  tel 
luxe  de  remarques,  de  commentaires  et  de  ci- 
tations grecques ,  latines ,  françaises ,  anglaises, 
italiennes,  etc.,  qu'avec  cette  chanson  de  qua- 
rante vers  il  a  fait  un  volumede  deux  cents  pages. 
C'est  une  satire  vive  et  complète  du  pédantisrne 
et  de  l'abus  de  l'érudition  alors  à  la  mode.  Les 
autres  ouvrages  de  Saint  -  Hyacinthe  sont  : 
Lettres  à  M>»e  Dacier  sur  son  livre  Des  causes 
de  la  corruption  du  goût;  La  Haye,  1715,  in-12: 
elles  ont  rapport  à  la  querelle  des  anciens  et  des 
modernes;  l'auteur  prend  parti  pour  les  der- 
niers ;  —  Mémoires  littéraires  ;  La  Haye,  1716, 
in-8°;  —  Entretiens  dans  lesquels  on  traite 
des  entreprises  de  l'Espagne  ;ibid.,  1719,  in-12; 
—  Lettres  écritesdela  campagne;  Ma.,  1721, 
in-8°; —  Lettres  critiques  sur  la -Henriade; 
Londres,  1728,  in-8°;  —   Lettre  à   un  ami 


-  SAINT- JACQUES  i>8 

touchant  le  progrès  du  déisme  en  Angleterre; 
Amst.,  1732,  in-12;  —  Pensées  secrètes  et  ob- 
servations critiques  ;  Londres,  1735,  in-12;  — 
Histoire  du  prince  Titi;  Paris,  1735,  2  vol. 
in-12;  —  La  Conformité  des  destinées  et 
Axiamire;  Paris,  1736,  in-12;  —  Recherches 
philosophiques  sur  la  nécessité  de  s'assurer 
par  soi-même  de  la  vérité  ;  La  Haye  et  Londres, 
1743,  in-8°.  11  collabora  au  Journal  littéraire 
(1713  et  ann.  suiv.,  24  vol.  in-12),  à  l'Europe 
savante  (1718-20).  On  lui  doit  aussi  quelques 
traductions,  et  il  a  donné  des  éditions  du  Traité 
du  poème  épique,  du  P.  Le  Bossu  (La  Haye, 
1714,  in-8°),  des  Réflexions  nouvelles  sur  les 
femmes ,  de  Mme  de  Lambert  (ibid.,  1729),  et 
des  Contes  et  joyeux  Devis  de  Bonaventure 
desPerriers  (1735,  3  vol.  in-12).      J.  M— r— l. 

Leschevin,  Notice  sur  Saûit-Hyacinthe,  à  la  têteduCAe/- 
d'œuvre  d'un  inconnu  (édit.  de  1806).  —  Haag  frères, 
La  France  protestante.  —  Palissot ,  Mémoires.—  Lettre 
de  Lévesque  de  Burlgny  a  l'abbé  de  Saint-Léger,  sur  les 
démêlés  de  Voltaire  avec  Saint -Hyacinthe;  Paris,  1780, 
in-8°.—  Corresp.  de  Voltaire  —  Groslcy,  Mémoires. 

SAINT-HYACINTHE.    VOIJ.  ChARRIÈRES. 
SAINT-ILDEPHONT.    Voy.   LEFEBVRE. 

saint-jacques  (  Guillaume  de;),  mathé- 
maticien français,  né  le  18  janvier  1722,  à  Mar- 
seille, où  il  est  mort,  le  10  février  1801.  Il  fut 
élevé  chez  les  oratoriens,  et  s'appliqua  à  l'é- 
tude des  mathématiques,  en  s'imposant  de 
bonne  heure  pour  loi  de  ne  jamais  lire  la  dé- 
monstration d'une  proposition  ou  la  solution 
d'un  problème  qu'il  ne  l'eût  trouvée  auparavant, 
lui-même.  Cette  méthode  imprima  à  son  esprit 
tant  de  pénétration  et  de  puissance  qu'elle  le 
mit  promptement  en  état  de  résoudre  les 
questions  les  plus  difficiles.  A  dix-huit  ans  il 
prenait  place  parmi  les  savants  de  Marseille,  et 
le  P.  Pezenas,  plus  tard  directeur  de  l'observa- 
toire, ne  faisait  rien  sans  le  consulter.  En  1 744 
il  envoya  à  l'Académie  des  sciences,  d'après  l'a- 
vis de  Jacquier,  un  mémoire  sur  le  solide  de  la 
plus  grande  attraction,  qui  fut  inséré  dans  le 
Recueil  des  savants  étrangers.  Ayant  reçu  en 
1749  le  Traité  de  la  précession  des  équinoxes 
par  d'Alembert,  il  y  releva  des  erreurs,  étudia 
à  son  tour  le  problème,  et  imagina  une  règle  fort 
simple,  à  l'appui  de  laquelle  il  composa  deux  mé- 
moires; d'Alembert,  à  qui  ils  avaient  été  adres- 
sés, les  garda  soigneusement  au  lieu  de  les  sou- 
mettre au  jugement  de  l'Académie,  comme  il 
avait  promis  de  le  faire.  Cette  affaire  s'ébruita, 
et  donna  lieu  à  des  disputes  fort  vives  ;  mais  il 
fallut  recourir  à  l'autorité  pour  obtenir  restitu- 
tion des  mémoires  envoyés.  Le  P.  Pezenas  les  fit 
insérer  dans  le  recueil  de  Mémoires  de  mathé- 
matiques et  de  physique,  rédigés  à  l'observa- 
toire de  Marseille  (1755-56,  in-4°).  Ce  jésuite 
ayant  été,  par  suite  de  la  suppression  de  son  ordre, 
obligé  de  quitter  l'observatoire,  Saint-Jacques 
lui  succéda  dans  l'emploi  de  directeur  (1764);  il 
l'occupa  jusqu'à  sa  mort.  Nous  citerons  encore 
parmi  ses  travaux  dispersés  dans  les  recueils  du 

2. 


SD  SAINT-JACQUES 

temps  ceux  qui  traitent  de  l'échappement  d'hor- 
logerie (1745),  de  l'écoulement  de  l'eau  par  un 
orifice  pratiqué  au  fond  ou  au  côté  d'un  vase, 
de  la  précession  des  équinoxes  {Philosoph. 
Trans.,  1752),  des  variations  célestes,  de  la  na- 
vigation, delà  richesse  d'un  État,  du  rapport  de 
l'âme  à  Dieu  et  de  l'âme  au  corps,  de  la  comète 
de  1770,  de  l'infini  mathématique,  de  la  défense, 
des  places,  des  sources,  etc.  On  lui  doit  un  grand 
nombre  d'observations  utiles,  d'explications 
scientifiques,  qui  sont  les  plus  naturelles  du 
monde,  et  de  machines  ou  d'instruments  qu'il 
inventa  selon  le  besoin  qu'il  en  avait. 

Achard,  Dict.  àist.  de  la  Provence.  —  Lalande ,  Bi- 
bliogr.  astronom. 

SAINT-JOHN.  Voy.  BOLINCBROKE. 

saïnt-jojrry  (  Pierre  du  FAURDE;,en  latin 
PeîrusFaber, jurisconsulte  français,  néenl540, 
à  Toulouse",  où  il  est  mort,  le  18  mai  1600(1).  Issu 
de  cette  honorable  famille  du  Faur  qui  a  fourni 
tant  de*  membres  au  parlement  de  Toulouse,  il 
«Hait  de  la  branche  de  Saint-Jorry  et  avait  le 
célèbre  Pibrac  pour  cousin  germain.  Pendant 
plusieurs  années  il  étudia  le  droit  à  Bourges, 
sous  Cujas,  qui,  témoin  de  la  pénétration  avec 
laquelle  il  démêlait  les  passages  obscurs ,  l'en- 
couragea au  travail  en  lui  prédisant .  une  belle 
carrière.  De  retour  dans  sa  patrie,  il  devint  con- 
seiller au  graud  conseil,  puis  maître  des  re- 
quêtes. Entraîné  dans  le  parti  des  Ligueurs,  il 
se  montra  néanmoins  ami  de  la  paix  ;  il  en  donna 
:les  preuves  en  1595,  lors  des  conférences  qui  eu- 
vent  lieu  à  ce  sujet  dans  sa  propre  maison.  Mais  se 
refusant  à  subir  davantage  le  joug  des  factieux,  il 
sortit  de  la  ville  avec  une  grande  partie  de  ses 
confrères,  et  alla  s'établir  à  Castelsarrazin.  Après 
l'édit  de  Folembray,  Saint-Jorry  fut  ramené  en 
triomphe  à  Toulouse,  et  le  8  juillet  1597  il  fut 
reçu  premier  président,  en  vertu  de  la  nomina- 
tion d'Henri  IV,  qui  récompensa  ainsi  la  fermeté 
de  sa  conduite.  Il  mourut  d'une  attaque  d'apo- 
plexie, en  prononçant  une  admonestation  au  pa- 
lais. Comme  savant ,  il  a  mérité  les  éloges  de 
ses  contemporains;  Juste  Lipse,  deThou,  Scali- 
ger,  Sainte-Marthe,  Gruter,  Vossius  sont  una- 
nimes à  admettre  qu'il  joignait  à  une  grande 
probité  de  mœurs  une  connaissance  singulière 
de  toute  l'antiquité  et  un  excellent  jugement. 
On  a  de  lui  :  De  regulis  jurïs  antiqui;  Lyon, 
1566,  in-fol.  :  commentaire  très-estimé; —  Se- 
mestrium  lib.  III;  Paris,  1570-75-95,  3  vol. 
in-4°;  Lyon,  1598,  3  vol.  in-4°  :  plusieurs 
des  traités  de  ce  recueil  avaient  paru  isolément; 
—  Dodecamenon,  sive  de  Dei  nomine  et  at- 
tributis;  Paris,  1588,  in-8°;  —  Agonosticon, 
sive  de  re  athletica  ludisque  velerum;  Lyon, 
1590,  1595,  in-4°,  et  dans  le  t.  VHI  des  Antiq. 
grxc.  de  Gronovius;on  a  accusé  Juste  Lipse 
d'y  avoir  pillé  plusieurs  chapitres  entiers;  — 
Commentant  in  libros  Academicos  Ciceronis; 
Lyon,  (001,  in-8°. 

(i)Oa  donne  également  la  date  de  novembre  1600. 


-  SAINT- JULIEN  40 

Baillet,  Jugem.  des  savants,  If.  —  Sainte-Marthe, 
Elogia.  —  Taisand,  Pies  des  jurisc  au  mot  Faber.  — 
Biogr.  toulousaine,  II. 

saint-julien  (Pierre  de ),érudit français, 
né  vers  1520,  au  château  de  Balleure  (dioc.  de 
Chalon-sur-Saône),  mort  le  20  mars  1593,  à 
Chalon-sur-Saône.  Il  était  de  famille  noble,  et 
bien  qu'il  fût  l'aîné  de  seize  enfants,  il  se  destina 
à  l'Église,  afin  de  se  livrer  tout  entier  à  l'étude  de 
l'histoire,  dont  il  avait  contracté  le  goût  dans 
l'abbaye  de  Tournus,  où  il  avait  été  élevé.  A 
peine  eut-il  reçu  les  ordres  qu'il  fut  nommé 
protonotaire  apostolique  et  pourvu  deriches  bé- 
néfices dans  sa  province  ;  c'est  ainsi  qu'ayant 
obtenu  la  sécularisation  du  prieuré  de  Saint- 
Pierre  de  Mâcon ,  il  en  devint  en  1 557  le  pre- 
mier chanoine ,  et  qu'il  eut  successivement  les 
quatre  archidiaconés  de  l'église  de  Mâcon  et 
celui  de  Tournus  en  l'église  de  Châlon.  Saint- 
Julien  mena  la  vie  opulente  et  licencieuse  de 
la  plupart  des  prélats  ou  des  dignitaires  ec- 
clésiastiques de  son  temps;  il  parcourut  la 
France  et  l'Italie,  et  ses  opinions  paradoxales, 
son  orgueil,  son  entêtement  lui  firent  partout  des 
ennemis,  qui  ne  lui  épargnèrent  pas  les  épi- 
grammes.  Il  se  montra  pourtant  l'un  des  vio- 
lents adversaires  de  la  réforme,  et  il  embrassa 
le  parti  de  la  Ligue  avec  chaleur.  Son  zèle  poul- 
ies recherches  historiques  le  porta  à  visiter  plu- 
sieurs fois  les  bibliothèques  de  la  Bourgogne. 
On  a  de  lui  :  De  Vorigine  des  Bourguignons  et 
antiquités  des  états  de  Bourgogne;  plus  des 
antiquités  d'Autun,  de  Châlon ,  de  Mâcon  et 
de  Tournus;  Paris,  1581,  in-fol.  :  dans  cet  ou- 
vrage ,  peu  estimé ,  il  prétend  que  les  Bourgui- 
gnons sont  d'origine  gauloise  et  qu'ils  tirent  leur 
nom  d'un  prétendu  Bourg  d'Ogrié,' que  Dijon  a 
remplacé;  —  Gemelles  eu  Pareilles,  re- 
cueillies de  divers  auteurs,  tant  grecs,  latins 
que  françois;  Lyon,  1584,  in-8°  :  recueil  de 
cent  histoires  singulières;  il  est  rare; —  Dis- 
cours et  paradoxe  de  Vorigine  de  Capet, 
extrait  des  différends  entre  Louis  II,  comte 
de  Flandre,  et  Marguerite  de  Bourgogne; 
Paris,  1585,  in-8°  :  où  il  s'efforce  de  rattacher 
Hugues  Capet  à  la  descendance  de  Charlemagne; 
l'auteur  défendit  cette  opinion  contre  les  attaques 
de  Nicolas  Vignier,  dans  une  Apologie;  ibid., 
1588,  in-8°  ;  —  Mélanges  historiques ,  ou  Re- 
cueil de  diverses  matières,  la  plupart  para- 
doxales et  néanmoins  vraies;  Lyon,  1589, 
in-8°  :  on  y  trouve  dans  beaucoup  de  fatras  des 
failscurieux  et  intéressants.  On  attribue  à  Saint- 
Julien  un  Discours  par  lequel  il  apparaîtra 
que  le  roy.  de  France  est  électif  (1591,  ir>-8°), 
etilatraduittrois  opuscules  dePlutarque  (Lyon, 
1546,  in-8°).  Quelques-uns  de  ses  ouvrages  ma- 
nuscrits sont  conservés  à  la  Bibliothèque  inip. 

Jacob,  De  script.  Cabilonenslbus.  —  Niceron,  Mé- 
moires, XX  VII.  —  Papillon,  liibl  des  auteurs  de  Bour- 
gogne. —  Lelong,  Bibl.  hist.  de  la  France. 

saint- jdlien  (  Louis-Guillaume  Baillet, 
baron  de),  littérateur  français,  né  vers  1715,  à 


41 


SAINT-JULIEN  —  SAINT- JUST 


42 


Paris.  Sa  famille  était  originaire  de  la  Bourgogne. 
On  manque  de  détails  sur  sa  vie,  et  c'est  à  peine 
si  ses  contemporains  se  sont  occupés  de  lui.  Il 
a  pourtant  composé  un  certain  nombre  d'opus- 
cules d'un  genre  très-divers,  s'appliquant  tour  à 
tour  à  la  poésie,  à  la  critique  d'art  et  à  la  tech- 
nologie; et  il  les  amis  au  jour  sans  nom  d'auteur 
ou  sous  de  simples  initiales.  Aussi  a-t-on  pu 
dire  de  lui  avec  quelque  raison  «  qu'il  vécut  et 
mourut  incognito  dans  son  siècle  ».  On  a  de 
Saint-Julien  :  Réflexions  sur  quelques  circons- 
tances présentes,  contenant  deux  lettres  sur 
Vexposition  des  tableaux;  s.  1.  (Paris),  1748, 
in- 1 2  ;  —  Discours  en  vers  et  autres  poésies; 
Genève  (Paris),  1749,  1751.  in- 12;  —  Lettres 
sur  la  peinture,  par  un  amateur;  Genève, 
1750,  in- 1 2  ;  —  Lettre  à  Chardin  sur  les  ca- 
ractères de  la  peinture;  Genève,  1753,  in-12; 

—  La  Peinture, ode,  trad.  deVanglois  demi- 
lord  Telliab  (Baillet)  ;s.  1.  n.  d.  (1753),  in-8°, 
réïmpr.  en  1755,  sous  le  titre  de  Caractères  de 
quelques  peintres  françois ;  —  Satires  nou- 
velles et  attires  pièces  de  littérature  ;  Londres 
(Paris).1754,  in-8";  —  Œuvres  mêlées,  1758, 
in-12  ;  —  Manière  d'enluminer  V  estampe  posée 
sur  toile;  Londres,  1773,  in-8°;  —  Art  de  fa- 
briquer les  aiguilles,  dans  les  Annales  des 
arts  et  manufactures ,  nos  11  et  12;  —  Art  de 
composer  et  faire  les  fusées,  pluies  de  feu, 
serpenteaux,  etc.; Paris,  1775, 1780,  in-8°,fig. 

Desessarts,  Siècles  littér.  —  Barbier,  DM.  des  ano- 
nymes. 

saint-juré  {Jean  -  Baptiste  de),  auteur 
ascétique,  né  en  1588,  à  Metz,  mort  le  30  avril 
1657,  à  Paris.  Admis  à  seize  ans  chez  les  Jé- 
suites, il  dirigea  successivement  les  maisons 
professes  d'Amiens,  d'Alençon,  d'Orléans  et  de 
Paris,  et  forma  un  grand  nombre  de  religieux. 
Il  fut  du  nombre  des  jésuites  qui  passèrent  en 
Angleterre  sous  Charles  Ier  ;  mais  les  troubles 
de  ce  pays  le  forcèrent  de  repasser  la  mer.  Il  a 
écrit  plusieurs  ouvrages  autrefois  estimés  et  qui, 
grâce  aux  retouches  du  style,  ont  eu  jusqu'à  nos 
jours  un  grand  nombre  de  réimpressions  ;  nous 
citerons:  Delà  Connaissance  et  de  V  amour  de 
Jésus- Christ; Paris,  1634,  in-4°;  Lyon,  1823, 
5  vol.  in-8°,  et  1847,  3  vol.  in-8°;  Clermont-Fer- 
rand,  1837, 8  vol.  in-8°,  et  in-12  ;  un  abrégé,  sous 
le  même  titre,  en  a  été  donné  par  l'abbé  de  Saint- 
Pard;  Paris,  1772,  in-12;  Lyon,  1837,  in-12; 

—  Méthode  pour  bien  mourir;  Paris,  1640, 
in-4°;  —  V Homme  spirituel;  Paris,  1646, 
in-4°;  Lyon,  1842,  2  vol.  in-8°;  —  L'Idée  d'un 
parfait  chrétien,  ou  la  Vie  de  M.  de  Renty ; 
Paris,  1651,  in-4°  et  in-12  :  édit.  nombreuses;  le 
théologien  protestant  Poiret  l'aréimpr.  en  1701, 
à  Cologne  ;  —  L'Homme  religieux;  Paris,  1657, 
in-4°;  Paris,  1849,  2  vol.  in-12. 

Plusieurs  membres  de  cette  famille  ont  acquis 
quelque  illustration  dans  les  armes;  le  dernier, 
Jean-Baptiste  de  Saint-Jure,  mourut  en  1744, 
sans  postérité. 


Dom  Calmct,  Bibl.  lorraine.  —  Bégin ,  Biogr.  de  la 
Moselle. 

saint-just  (i)  (  louis-Antoine  (2)  '  de), 
conventionnel,  né  le  25  août  1767,  à  Decize  (Ni- 
vernais), guillotiné  le  28  juillet  1794  (10  ther- 
midor an  n  ),  à  Paris.  Il  était  fils  de  Louis-An- 
toineJJe  Saint-Just  et  de  Jeanne-Marie  Robinot; 
sa  famille  était  plébéienne  (3),  et  son  père,  ex- 
capitâine  de  cavalerie  et  chevalier  de  Saint-Louis, 
avait  quitté  le  service  pour  s'établir  dans  les  en- 
virons de  Noyon,  à  Blérancourt ,  où  il  mourut, 
en  1777,  laissant  un  fils  et  deux  filles  en  bas 
âge.  Vers  cette  époque  Saint-Just  fut  placé  à 
Soissons,  chez  les  oratoriens,  et  il  y  acquit  une 
forte  somme  de  connaissances  sur  toutes  les 
matières  d'instruction  -,  Platon,  Montesquieu  et 
Rousseau  étaient  ses  auteurs  favoris.  Au  sortir 
du  collège,  il  alla  étudier  le  droit  à  Reims; 
mais  au  bout  de  peu  de  temps  il  revint  dans 
son  village ,  et  se  livra  entièrement  à  la  littéra- 
ture. Le  fruit  de  ses  loisirs  fut  le  poème  à' Or- 
gant,  œuvre  d'écolier,  qui  parut  à  la  fin  de  1789, 
sans  nom  d'auteur.  La  publication  de  cet  ou- 
vrage l'avait  amené  à  Paris  :  le  spectacle  de  la 
révolution  naissante,  auquel  il  assista  pendant 
quelques  semaines,  le '  transporta  '  d'enthou- 
siasme; il  dit  adieu  à  la  poésie  pour  se  faire 
l'ardent  apôtre  des  principes  qui  venaient  d'être 
proclamés.  Sa  foi  vive ,  sa  parole  éloquente 
établirent  sa  réputation .  La  nature  l'avait  d'ail- 
leurs admirablement  doué  :  à  la  pureté  des 
formes  antiques  il  joignait  le  charme  et  l'élé- 
gance des  manières,  un  air  de  gravité  impo- 
sant, un  maintien  fier  et  réservé.  Malgré  une 
beauté  peu  commune,  il  montrait  déjà  l'eNemple 
d'une  austérité  de  mœurs  dont  il  ne  se  départit  ja- 
maisdans  la  suite  (4).  Ses  talents,  sa  conduite  pri- 
vée, son  enthousiasme  pour  les  idées  nouvelles 
le  désignaient  au  choix  de  ses  compatriotes  : 
élu  par  eux  lieutenant-colonel  de  la  garde  na- 
tionale, il  les  conduisit  à,  Paris  pour  assister  en 
1790  à  la  fête  de  la  Fédération.  Tel  était  son 
amour  pour  la  liberté,  «  plus  jeune  que  lui  », 
que  dans  cette  même  année  il  avait  juré  dans 
une  manifestation  publique  de  se  dévouer  à  elle 
et  de  périr  plutôt  que  d'oublier  ce  serment.  A 
cette  époque  sa  commune  étant  menacée  devoir 
transférer  ses  marchés  à  Coucy,  il  offrit  d'aban- 
donner son  patrimoine  pour  en  obtenir  le  main- 
tien. Cette  affairelui  donna  occasion  des'adresser 


(1)  Les  contemporains  de  Saint-Just  prononçaient  son 
nom  sans  faire  sonner  \'s  :  Saint- Jut. 

(2)  Sa  famille  substitua  au  prénom  d'Antoine  celui  de 
Léon,  qui  se  voit  sur  le  titre  de  VEspritde  la  Révolution. 

(3)  La  particule  n'a  jamais  suffi,  comme  on  le  sait,  pour 
Impliquer  la  noblesse. 

(4)  On  n'a  pas  manqué,  Jusqu'en  ces  derniers  temps, 
de  compromettre  Saint-Just  dans  des  amours  de  bas 
étage  et  dans  de  scandaleux  adultères,  qui  jetteraient, 
si  on  avait  pris  soin  de  les  étayer  de  preuves,  un  voile 
sombre  «  sur  ce  grand  éclat  épique  de  sa  conti- 
nence ».  Ce  n'est  pas  le  lieu  de  discuter  la  valeur  de  té- 
moignages erronés,  puérils  ou  suspects;  cette  besogne  a 
été  faite  par  M.  Hamel;  l'historien  de  Saint-Just,  et  nous 
renvoyons  pour  plus  de  détails  au  livre  qu'il  a  publié. 


43  SAhNT-JUST 

à  Robespierre.  «Je  ne  vous  connais  pas, lui  écri- 
vait-il  ;  mais  vous  êtes  un  grand  homme.  Vous  j 
n'êtes  pas  seulement  député  d'une  province,  vous 
êtes  celui  de  l'humanité  et  de  la  république.  » 

Saint-Just  venait  de  publier  sur   Y  Esprit  de  \ 
la   i-évolulion  un    vigoureux   essai,    qui    eut  ! 
beaucoup  de  retentissement,  lorsqu'il  se  porta 
candidat  à  l'Assemblée  législative;  n'ayant  pu 
être  élu,  parce  qu'il  n'avait  pas  encore   vingt- 
cinq  ans,  i!  rentra  dans  la  vie  privée,   suivant 
de  loin  avec  une  fiévreuse  impatience  le  cours  j 
des  événements  et  se  détachant  peu  à  peu  de  la  ! 
monarchie,  qui  lui  paraissait  désormais  incom- 
patible avec  la  liberté  (1).  Le  2  septembre  1792  j 
U  fut  élu  député  de  l'Aisne  à  la  Convention,  et  le  ' 
18  seulement  (2)  il  se  rendit  à  Paris.  D'abord  il 
se   tint  à   l'écart,  affermit   des   relations  déjà  j 
ébauchées   avec    Robespierre ,    et  se  contenta  ! 
d'applaudir  à  !a  proclamation  de  la  république. 
Ce  fut  le  13  novembre,  à  l'occasion  du  procès  du  ; 
Toi,  qu'il   prit  pour  la   première  fois  la  parole. 
Sans  s'abaisser  aux  exagérations  de  langage  si  I 
communes  chez  les  orateurs  de  cette  époque,  il  j 
se  montra  exalté  jusqu'au  fanatisme,  et  jugea 
le  roi  en  sectaire  qui  en  était  arrivé  à  mettre  la 
royauté  même  en  dehors  du  droit  commun. 

«  Je  dis  que  le  roi  doit  être  jugé  en  ennemi  (  dit-   I 
il)  ;  que  nous  avons  moins  à  le  j  uger  qu'à  le  combattre, 
et  que  n'étant  pour  rien  dans  le  contrat  qui  unit  !es 
Français,   les  formes  de  la  procédure  ne  sont  point  ; 
dans  la  loi  civile,  mais  dans  la  loi  du  droit  des   ; 
gens...  Juger  un  roi  comme  un  citoyen  !   Ce  mot  ! 
étonnera  la  postérité  froide.  Juger,  c'est  appliquer  J 
la  loi.  Une  loi  est  un  rapport  de  justice.  Quel  rap=    j 
port  de  justice  y   a-t-il  donc  entre  l'humanité  et  \ 
les  rois?...  On  ne  peut  régner  innocemment;  tout  ' 
roi  est  un  rebelle  et  un  usurpateur...  Hâtez-vous  \ 
de  juger  le  roi,  car  il  n'est  pas  de  citoyen  qui  n'ait 
sur  lui  le  droit  qu'avait  Brutus  sur  César.  » 

Cette  parole  sobre  et  hautaine ,  procédant 
par  phrases  tranchantes  et  par  interrogations, 
entremêlée  de  brèves  sentences,  avivée  par  les  j 
souvenirs  de  Rome,  passionnée  par  un  ardent 
amour  du  peuple,  remua  profondément  l'as- 
semblée; des  applaudissements  éclatèrent  à  la 
dernière  phrase  :  «  Peuple,  si  le  roi  est  jamais 
absous,  souviens-toi  que  nous  ne  serons  plus  j 
dignes  de  ta  confiance!  «  Inconnu  la  veille,  Saint- 
Just  était  le  lendemain  célèbre  et  populaire  (3). 

(1)  Dans  une  lettre  très-curieuse,  datée  de  Noyon, 
29  Juillet  1792,  et  qui  n'est  probablement  pas  parvenue  à  i 
son  adresse,  Saint-Just  met  à  nu  l'état  de  son  âme.  On 
y  lit  Jes  passages  suivants  :  «  Je  suis  tourmenté  d'une 
lièvre  républicaine  qui  me  dévore  et  me  consume...  11 
est  malheureux  que  je  ne  puisse  rester  a  Paris  :  je  me 
sens  de  quoi  surnager  dans  le  siècle....  Allez  voir  Dcs- 
inoulins...  et  dites-lui  que  j'estime  son  patriotisme,  mais 
r|ue  je  le  méprise,  lui,  parci' que  j'ai  pénétré  son  âme.  » 

(2)  Il  n'assistait  donc  pas  aux  massacres  de  septembre 
et  n'y  put  jouer  aucun  rôle.  Il  faut  ranger  dans  le  do- 
maine des  faussetés  historiques  ou  des  imaginations  de 
poète  la  conversation  lugubre  que,  dans  l'Histoire  des  : 
Girondins  de  Lamartine,  tiennent  Saint-Just  et  Robes- 
pierre au  moment  où  le  tocsin  donne  le  signal  de  la  san-  ' 
glante  tragédie. 

13)  Les  girondins   tentèrent  en   vain  de   l'attirer   dans   j 
leurs  rangs,  Iî:- j-.r.ot  découvrit  dans  son  discours  rf«  <lé- 


44 


Le  16  décembre  il  demanda  l'exil  de  tons  les 
Bourbons,  et  le  27  il  répondit  aux  défenseurs 
de  Louis  XVI  que  c'était  le  peuple  seul  qui  l'ac- 
cusait et  le  jugeait  par  la  Convention.  Il  vota 
la  mort  sans  appel. 

Au  milieu  de  ces  terribles  débats,  il  fallait 
pourvoir  à  l'organisation  et  à  la  sûreté  de  la  ré- 
publique. Deux  questions  surtout  préoccupaient 
les  patriotes,  celle  des  subsistances  et  celie.  de 
l'armée.  Déjà,  le  29  novembre  1792,  Saint-Just 
avait  parlé  sur  les  subsistances  :  il  réclamait 
pour  le  commerce  la  plus  grande  liberté  possible; 
il  s'effrayait  de  l'émission  déréglée  du  papier  de 
confiance  représentant  la  valeur;  il  voulait 
qu'on  se  hâtât  de  venir  en  aide  à  l'agriculture 
et  à  l'industrie,  et  s'il  commit  une  erreur  ca- 
pitale en  demandant  que  l'impôt  foncier  fût  payé 
en  nature,  il  faut  en  accuser  son  époque  et 
cette  illusion,  générale  alors,  qui  faisait  voir  un 
remède  au  mal  dans  des  greniers  publics  régu- 
lièrement remplis.  Le  26  janvier  1793  il  pré- 
senta ses  vues  sur  l'administration  de  l'armée. 
Après  avoir  appuyé  le  plan  de  Sieyès  pour  la 
nourriture,  la  paye,  l'habillement  et  la  remonte, 
il  s'en  sépara  au  sujet  du  ministre  delà  guerre, 
qu'il  voulut  immédiatement  soumis  à  l'Assem- 
blée et  ne  dépendant  que  d'elle  seule.  Le  il  fé- 
vrier il  reprit  la  parole  pour  le  projet  du  co- 
mité militaire,  qui  fut  adopté. 

La  discussion  de  la  Constitution  apporta  quel- 
que trêve  aux  querelles  des  partis.  Tous  les 
orateurs  éminents  avaient  pris  la  parole  lorsque 
Saint-Just  présenta  un  projet  qu'il  avait  lui- 
même  élaboré  (24  avril).  Tous  les  articles  en 
étaient  dirigés  contre  les  passions  ambitieuses 
qui  pouvaient  tuer  la  liberté  et  contre  les  pro- 
jets de  fédération  qui  pouvaient  dissoudre  l'É- 
tat. La  république,  une  et  indivisible ,  devait 
être  représentée  par  une  assemblée  législaiive 
nommée  pour  deux  ans  par  l'universalité  des 
électeurs,  et  par  un  conseil  élu  pour  trois  ans 
par  des  électeurs  du  second  degré;  ce  conseil, 
composé  d'un  membre  et  de  deux  suppléants 
par  chaque  département,  ne  pouvait  agir  qu'en 
vertu  des  lois  de  l'assemblée,  et  les  ministres 
qu'il  avait  mission  de  nommer  ne  devaient 
exercer  aucune  autorité  personnelle.  Tout  conflit 
entre  le  conseil  et  l'assemblée  prenait  fin  par  le 
recours  à  la  sanction  du  peuple.  Telles  étaient  les 
bases  de  ce  projet,  qui  tirait  surtout  sa  force  de 
l'élection  populaire.  11  est  facile  de  retrouver 
dans  la  Constitution  de  93  l'influence  des  idées 
que  Saint-Just  avait  développées.  Un  sentimen- 
talisme humanitaire  jetait  sur  tout  l'ensemble  ce 
reflet  de  douceur,  pour  ainsi  dire  poétique,  dont 
les  ennemis  du  jeune  législateur  lui  ont  fait  un 
crime,  la  traitant  d'hypocrisie,  ou  qu'ils  ont 
tournée  en  dérision  (1). 

tails  lumineux.  Barère,  le  jugeant  longtemps  après,  di- 
sait  qu'il  «    exécrait  la   noblesse  autant  qu'il  aimait  le 
peuple  »,  et  que  «  s'il  eût  fait  des  révolutions   comme 
Marius,  il  n'aurait  jamais  opprimé  comme  Sylla  ». 
(1)  Citons  quelques-uns  des  articles  généraux  qui  ter- 


15 


Les  girondins  ne  tardèrent  pas  à  engager  la 
lutte  avec  plus  d'animosité,  demandant  que 
Paris  cessât  d'être  le  siège  du  gouvernement, 
et  montrant  de  plus  en  plus  à  découvert  leurs 
projets  de  fédéralisme.  Deux  fois  Saint-Just  prit 
la  parole  (mai);  il  soutint  que  frapper  Paris 
c'était  frapper  la  France,  et,  prenant  pour 
exemple  les  États-Unis,  il  démontra  qu'une 
confédération  n'était  pas  une  république.  L'in- 
surrection du  31  mai  détermina  la  chute  de  la 
Gironde;  le  vote  du  2  juin  la  consomma.  Saint- 
Just,  qui  venait  d'être  adjoint  au  comité  de 
salut  public  (  30  mai),  ne  prit  pas  une  part  ac- 
tive à  leur  renversement,  et  son  nom  ne  retentit 
point  dans  ces  tristes  débats.  La  guerre  civile 
avait  éclaté,  et  les  royalistes,  mettant  à  profit  la 
révolte  fomentée  par  les  girondins,  avaient 
arboré  le  drapeau  blanc  (1).  En  face  de  ce 
danger  commun  à  tous  ceux  qui  voulaient,  par 
des  moyens  divers,  le  triomphe  de  la  républi- 
que, les  chefs  de  la  montagne  tentèrent  des 
mesures  de  conciliation  :  Danton  s'offrit  en 
otase,  et  même  Saint-Just  proposa  de  se  rendre 
à  Caen,  au  foyer  de  l'insurrection  (2).  Mais 
tout  compromis  fut  repoussé  (3),  et  la  Conven- 
tion se  prépara  à  soutenir  vigoureusement  la 
lutte.  Saint-Just  charge,  le  16  juin,  de  préparer, 
avec  Cambon,  un  rapport  sur  les  trente-deux 
girondins  décrétés  d'arrestation,  le  présenta  à  la 
tribune  dans  la  séance  du  8  juillet.  Il  fut  juste 
en  affirmant  la  culpabilité  des  hommes  qui  ve- 
naient d'allumer  la  guerre  civile  ;  mais  lorsqu'il 
accusa  les  girondins  d'avoir  été  complices  de 
Dumouriez,  de  n'avoir  voulu  la  révolution  que 
pour  mettre  sur  le  trône  le  duc  d'Orléans  et  d'a- 
voir conspiré  chez  Valazé  le  massacre  d'une 
partie  de  la  Convention,  il  fut  le  jouet  d'illusions 
singulières,  ou,  ce  qui  est  plus  croyable,  il  se 
laissa  entraîner  contre  ses  ennemis  à  des  manœu- 
vres perfides  el  mensongères.  Ce  rapport  concluait 
en  déclarant  traîtres  à  la  patrie  et  hors  la  loi  les 
députés  qui  avaient  fui  dans  les  départements,  et 
en  provoquant  la  mise  en  accusation  de  leurs 
complices  restés  à  Paris.  Le  rapport  de  Saint- 
Just  fut  accueilli  par  des  applaudissements  una- 
nimes, et  lui-même  fut  désigné,  le  10  juillet  1793, 
avec  Couthon,  pour  entrer  définitivement  dans 
le  comité  du  salut  public. 


SAINT-JUST  46 

De  ce  moment  paraît  se  former  entre  Robes- 
pierre, Saint-Just,  Coulbon  et  Le  Bas  (1),  une 
union  plus  intime  et  plus  directement  politique 
qu'elle  ne  l'était  auparavant.  Ils  marchent  d'accord 
avec  fermeté,  et  détruisent  impitoyablement  les 
obstacles  qui  s'opposent  à  leurs  idées.  Saint-Just 
ne  fut-il  que  l'instrument  de  Robespierre?  C'est 
la  pensée  de  la  plupart  des  historiens.  Cepen- 
dant, ce  que  nous  avons  vu  jusqu'à  présent  des 
travaux  du  jeune  conventionnel,  ce  que  nous 
verrons  plus  tard  de  ses  écrits  politiques,  ne 
permet  pas  de  douler  qu'il  n'eût  en  propre  ses 
plans  fortement  mûris,  et  lui  laisse  une  puissante 
individualité  (2).  On  était  alors  en  pleine  terreur  . 
la  Convention  venait  d 'en  compléter  le  système  en 
étendant  la  juridiction  du  tribunal  révolutionnaire 
et  en  décrétant  la  loi  des  suspects.  Dans  le  co- 
mité, Saint-Just  fut  chargé  spécialement  des  insti- 
tutions et  des  lois  constitutionnelles,  et  il  concourut 
aux  énergiques  mesures  que  nécessitait  la  situa- 
tion de  la  France,  menacée  aux  frontières  par  les 
armées  de  la  coalition,  déchirée  à  l'intérieur  par 
la  guerre  civile.  Il  lut  le  10  octobre  le  rapport 
sur  l'organisation  d'un  gouvernement  révolution- 
naire jusqu'à  la  paix.  «  Dans  les  circonstances 
où  se  trouve  la  république,  dit-il,  la  Constitu- 
tion ne  peut  être  établie  ;  on  l'immolerait  par  elle- 
même.  Elle  deviendrait  la  garantie  des  attentats 
contre  la  liberté,  parce  qu'elle  manquerait  de 
la  violence  nécessaire  pour  les  réprimer.  »  Et  il 
proposa  le  décret,  qui  fut  adopté  à  l'unanimité, 
par  lequel  le  conseil  exécutif,  les  ministres,  les 
généraux,  les  corps  constitués  étaient  placés 
sous  la  surveillance  du  comité  de  salut  public. 
Le  16  octobre  il  présenta  le  rapport  pour  le 
maintien  de  la  loi  par  laquelle  les  sujets  d'une 
puissance  en  guerre  avec  la  république,  et  no- 
tamment les  Anglais,  devaient  être  détenus  jus- 
qu'à la  paix.  Ce  jour  même  Marie-Antoinette 
avait  été  guillotinée  ;  Saint-Just  fit  allusion  à 
cette  mort  en  termes  qui  peuvent  d'autant  plus 
justement  lui  être  reprochés,  qu'ils  ont  plus  de 
froideur  et  moins  d'emportement  :  «  Votre  co- 
mité a  pensé  que  la  meilleure  représaille  envers 
l'Autriche  était  de  mettre  l'échafaud  et  l'infamig 
dans  sa  famille.  » 


minent  son  œuvre  :  «  La  république  protège  ceux  qui 
sont  bannis  de  leur  patrie  pour  la  cause  sacrée  (le  la 
liberté.  —  Elle  refuse  asile  aux  homicides  et  aux  tyrans. 
—  Elle  ne  prendra  point  les  armes  pour  asservir  un 
peuple  et  l'opprimer.  —  Elle  ne  fait  point  la  paix  avec  un 
ennemi  qui  occupe  son  territoire.  »  Si  l'idée  de  Dieu, 
absente  du  plan  de  Condorcet,  apparut  au  frontispice  de 
la  Constitution  républicaine,  on  le  doit  à  Saint-Just,  qui 
avait  écrit  cette  phrase  :  •«  Le  peuple  français  reconnaît 
l'Être  suprême.  • 

(1)  Soixante-dix  départements,  sur  quatre-vingt-trois, 
s'étaient  prononcés  en  toutou  en  partie  contre  la  Con- 
\  ention. 

(2)  Foy.  les  Mémoires  de  Garât,  p.  149. 

(S;  «  Qu'ils  prouvent  que  nous  sommes  coupables, 
écrivait  Vergniaud,  sinon  qu'ils  aillent  eux-mêmes  à  l'é- 
«hafaud.  » 


(1)  La  sœur  do  Le  Bas,  Henriette,  aima  quelques  mois 
plus  tard  Saint-Just  et  en  fut  aimée.  Leur  mariage,  ré- 
solu et  accepté  avec  plaisir  par  les  deux  familles,  fut 
remis  à  des  temps  plus   calmes. 

(2)  Levasseur  s'exprime  ainsi  à  ce  sujet  dans  ses  Mé- 
moires :  «  Robespierre  a  toujoursété  regardé  comme  la 
tète  du  gouvernement  révolutionnaire.  I'our  moi,  qui  ai 
vu  de  près  les  événements  de  cette  époque,  j'oserais  presque 
affirmer  que  Saint-Just  y  eut  plus  de  part  que  Robespierre 
lui-même.  Quoique  l'un  des  plus  jeunes  membres  de 
la  Convention,  Saint-Just  était  peut-être  celui  qui  Joi- 
gnait à  l'enthousiasme  le  plus  exalté,  au  coup  d'œil 
prompt  et  sûr,  la  volonté  la  plus  opiniâtre  et  l'esprit  le 
plus  éminemment  organisateur...  Intimement  lié  avec 
Robespierre,  il  lui  était  devenu  nécessaire,  et  il  s'en 
était  fait  craindre  peut-être  plus  encore  qu'il  n'avait 
désiré  s'en  faire  aimer.  Jamais  on  ne  les  a  vus  divisés 
d'opinions,  et  s'il  a  fallu  que  les  idées  personnelles  de 
l'un  pliassent  devant  celles  de  l'autre,  il  est  certain  que 
jamais  Saint-Just  n'a  cédé.  » 


47  SAINT 

Au  mois  d'octobre  1793  (brumaire  an  h), 
Saint-Just  fut  envoyé  en  Alsace  pour  rétablir 
l'ordre,  réprimer  les  contre-révolutionnaires  et 
repousser  l'ennemi,  qui  avait  pris  les  lignes  de 
Wissembourg.  Sur  sa  demande,  Le  Bas  lui  fut 
adjoint.  A  peine  arrivés  à  Strasbourg  (3  bru- 
maire), ils  établissent  de  concert  une  commission 
spéciale  chargée  de  punir  les  crimes,  les  dé- 
sordres et  les  abus,  sans  être  astreinte  à  aucune 
forme  de  procédure  particulière.  Vu  colonel  qui 
a  tenu  des  propos  offensants  contre  la  répu- 
olique  est  fusillé;  un  commandant  qui,  en  état 
d'ivresse,  a  frappé  un  de  ses  hommes  est  dé- 
gradé; le  général  Eisenberg,  qui  s'est  enfui  après 
s  être  laissé  surprendre  par  les  Autrichiens,  est 
exécuté.  Ordre  est  donné  à  tous,  sous  peine  de 
rnoit,  de  coucher  tout  habillés;  les  chefs  sont 
forcés  de  dormir  sous  la  tente.  Les  soldats 
manquent  de  chaussures  ;  Saint-Just  et  Le  Bas 
écrivent  aux  officiers  municipaux  :  «  Dix  mille 
hommes  sont  nu-pieds  dans  l'armée,  il  faut  que 
vous  déchaussiez  tous  les  aristocrates  de  Stras- 
bourg et  que  demain,  à  dix  heures  du  matin,  dix 
mille  paires  de  souliers  soient  en  marche  pour 
le  quartier  général.  »  Un  parlementaire  prussien 
vient  demander  une  suspension  d'armes;  les  re- 
présentants lui  répondent  :  «  La  république  fran- 
çaise ne  reçoit  de  §es  ennemis  et  ne  leur  envoie 
que  du  plomb.  »  Des  mesures  de  rigueur  furent 
prises;  de  nombreux  emprisonnements  eurent 
lieu  (1),  et  un  emprunt  de  neuf  millions  fut  levé 
sur  un  certain  nombre  de  personnes  désignées. 
Ils  sévirent  aussi  avec  non  moins  de  rigueur 
contre  les  exagérations  de  certains  révolution- 
naires (voy.  Schneider),  et  renouvelèrent  les 
conseils  du  département,  malgré  les  réclama- 
tions de  la  Société  populaire.  Après  avoir 
mis  fin  par  une  suite  de  mesures  énergiques 
à  l'anarchie  démagogique  ou  réactionnaire,  les 
commissaires  rejoignirent  l'armée.  Selon  les 
expressions  de  Carnot,  tous  les  regards  de  la 
France  se  tournaient  vers  les  bords  du  Rhin. 
«  Il  faut  que  votre  génie  se  crée  des  ressources 
nouvelles,  écrivait  le  comité  à  Saint-Just;  nous 
attendons  tout  de  la  sagesse  et  de  la  fermeté  de 
vos  mesures.  >-  Le  8  frimaire,  Hoche  avait  lancé 
trois  colonnes  d'attaque  contre  l'ennemi,  logé  sur 
les  hauteurs  de  Kayserslautem ;  l'ennemi,  pro- 
tégé par  sa  position,  le  contraignit  de  revenir  en 
arrière.  Le  12  frimaire,  Saint-Just  et  Le  Bas 
écrivirent  à  Hoche  une  lettre  commençant  par 
ces  mots  :  «  Tu  as  pris  à  Kayserslautem  un 
nouvel  engagement  :  au  lieu  d'une  victoire,  il 
en  faut  deux  »  ;  et  finissant  par  ceux-ci  :  «  Mets 
la  plus  grande  rapidité  dans  la  marche  sur  Lan- 

(1)  On  a  exagéré  le  nombre  et  la  rigueur  de  ces  empri- 
sonnements ;  quant  au  nombre  des  condamnations  à 
mort  prononcées  par  le  tribunal  criminel,  il  s'élève  & 
vingt,  ainsi  qu'il  résulte  des  recherches  de  M.  Berriat 
Salut  Prix  sur  te  Justice  révolutionnaire  ;  mais  on  ne 
saurait  faire  peser  sur  les  représentants  alors  en  mis- 
sion la  responsabilité  entière  de  ces  condamnations, 
dont  la  liste  s'augmenta  encore  après  leur  départ. 


JTJST  48 

dau;  le  Français  ne  peut  s'arrêter  un  moment 
sans  s'abattre.  »  Hoche,  suivant  leurs  conseils, 
opéra  sa  jonction  avec  l'armée  de  Pichegru.  11 
était  impossible  que  le  commandement  restât 
égal;  Saint-Just  et  Le  Bas  désiraient  que  Piche- 
gru fût  nommé  général  en  chef;  mais  les  repré- 
sentants Lacoste  et  Baudot ,  qui  étaient  aussi  en 
mission  près  de  l'armée  et  qui  ignoraient  les  in- 
tentions de  leurs  collègues,  déférèrent  le  com- 
mandement à  Hoche.  Cet  incident,  dont  Saint- 
Just  et  Le  Bas  informèrent  le  comité  dans  une 
lettre  où  se  trouve  quelque  amertume,  n'eut  pas 
de  résultats  fâcheux,  grâce  à  l'enthousiasme  qui 
entraînait  tout  le  monde,  grâce  surtout  à  la  con- 
duite de  Pichegru,  qui  accepta  sans  murmurer  la 
prédominance  de  son  jeune  collègue  (  1  )  .Le  6  nivôse 
(26  déc.)  les  armées  réunies  de  la  Moselle  et  du 
P.hin,sous  le  commandement  de  Hoche,  soutenu 
à  gauche  par  René  Moreaux  et  à  droite  par  De- 
saix,  s'élancèrent  en  mêlant  au  chant  de  la 
Marseillaise  les  cris  de  Landau  ou  la  mort! 
Les  commissaires  de  la  Convention  marchèrent 
au  milieu  des  soldats;  Saint-Just  se  jeta  dans  la 
mêlée,  disait  Baudot,  «  au  milieu  de  Ja  mitraille 
et  de  l'arme  blanche,  avec  l'insouciance  et  lafougue 
d'un  jeune  hussard  ».  Le  7  les  Français  entrèrent 
dans  Wissembourg,  et  le  8  dans  Landau  déblo- 
qué. Peu  de  jours  après,  Spire,  Newstadt, 
Keysersîautem,  Frankental,  Worms  tombaient 
en  notre  pouvoir.  L'ennemi,  chassé  de  la  France, 
était  obligé  de  se  défendre  sur  son  propre  terri- 
toire. 

Saint-Just  revint  à  Paris  dans  les  premiers 
jours  de  janvier  1794.  Il  y  passa  un  mois  à  peine, 
occupé  de  ses  travaux  dans  le  comité  de  salut 
public  (2),  et  partit,  le  7  pluviôse  (26  janv.),  avec 
Le  Bas  en  mission  pour  l'armée  du  nord.  En  quel- 
ques jours,  ils  inspectèrent  les  diverses  places  de 
la  frontière,  y  établirent  les  mêmes  mesures  de 
sûretédont  ils  s'étaient  servis  avecsuceès  dans  le 
Bas-Rhin,  et  après  avoir  fait  donner  le  comman- 
dement à  Pichegru,  ils  retournèrent  à  Paris.  Le 
lerventôse(19  février)  Saint-Just  fut  choisi  parla 
Convention  pour  son  président.  Le  23  il  prononça 
au  nom  du  comité  le  rapport  contre  les  héber- 
tistes  et  contre  la  conspiration  des  étrangers,  que 
l'on  croyait  ou  qu'on  feignait  de  croire  mêlés  aux 
troubles  qu'excitaient  dans  Paris  les  ultra-révo- 

(1)  On  a  frit  de  Saint-Just  un  ennemi  de  Hoche,  et 
l'on  a  écrit  que  lorsque  le  comité  de  salut  public  ordonna 
l'arrestation  de  ce  général,  le  22  germinal  an  II,  il  lança 
cet  ordre  sur  la  demande  de  Saint-Just,  et  que  celui-ci 
fit  arrêter  Hoche  au  milieu  de  ses  troupes,  avant  même 
d'avoir  reçu  la  réponse  du  comité.  Un  seul  mot  sufOt  à 
détruire  cette  fable,  c'est  que  Hoche  ne  fut  pas  arrêté  à 
l'armée  du  Rhin,  mais  ù  l'armée  des  Alpes,  où  Saint-Just 
ne  parut  jamais. 

(2)  Il  est  utile  de  faire  observer  que  de  tous  les  hommes 
marquants  de  cette  époque,  Saint-Just  fut  celui  qui  se 
tint  le  plus  à  l'écart  des  misérables  querelles  de  partis. 
S'il  fréquentait  le  club  des  Jacobins,  il  n'y  parlait  Jamais. 
On  ne  le  vit  se  mêler  à  auoune  intrigue  ni  faire  partie 
d'aucun  comité  insurrectionnel.  Il  méditait,  il  travaillait 
sans  cesse,  et  plus  peut-être  qu'aucun  autre  il  possédait 
le.  génie  pratique  du  gouvernement. 


49 


SAINT-JUST 


50 


lutionnaires.  «  Je  viens,  dit-il,  acquitter  le  tribut 
sévère  de  l'amour  de  la  patrie  et  vous  dire,  sans 
aucun  ménagement,  des  vérités  âpres,  voilées 
jusqu'aujourd'hui...  Parmi  nous,  une  classe 
d'hommes  prend  un  air  hagard,  une  affectation 
d'emportement,  ou  pour  que  l'étranger  l'achète, 
ou  pour  que  le  gouvernement  la  place...  Les 
rois  d'Europe  regardent  à  leur  montre.  En  ce 
moment,  où  la  chute  de  notre  liberté  et  la  perte 
de  Paris  leur  est  promise ,  vous  adhérerez  aux 
mesures  sévères  qui  vous  seront  proposées.  «  A 
la  suite  de  ce  rapport  fut  adopté  à  l'unanimité 
un  décret  terrible  par  le  vague  des  expressions 
sous  lesquelles  on  désignait  les  différentes  sortes 
de  trahisons  contre  la  patrie.  Hébert  et  ses  adhé- 
rents furent  arrêtés  ;  puis  vint  le  tour  de  Danton 
lui-même.  Saint- Just  reçut  des  trois  comités  de 
salut  public,  de  sûreté  générale  et  de  législation 
réunis  l'ordre  de  faire  condamner  par  la  Con- 
vention le  grand  patriote  (31  mars  1794).  Il  ré- 
digea une  partie  de  son  rapport  d'après  les  notes 
que  lui  avait  fournies  Robespierre  (1).  Au  milieu 
de  froides  et  sombres  déclamations  sur  «  l'a- 
mour de  la  pairie,  qui  doit  tout  immoler  à  l'in-  : 
férèt  public  »,sur  les  factions  que  paye  l'étranger,  : 
sur  les  intrigants  et  les  corrompus,  sur  la  vanité 
et  la  richesse,  sur  «  le  solide  bien,  qui  est  la 
probité  obscure  »,  il  accusait  Danton  d'avoir 
servi  la  tyrannie,  d'avoir  été  le  protégé  de  Mi- 
rabeau, l'ami  des  Lameth,  le  complice  de  Dumou- 
riez,  d'avoir  causé  le  massacre  du  Champ- de- 
Mars,  d'avoir  défendu  la  Gironde,  et  d'avoir 
entraîné  Desmoulins,  Philippeaux  et  Lacroix,  qui 
étaient  devenus  coupables  en  suivant  son  ins- 
piration. 

Les  jours  du  crime  sont  passés,  disait-il  en  finis- 
sant ;  malheur  à  ceux  qui  soutiendraient  sa  cause  ! 
Que  tout  ce  qui  fut  criminel  périsse  !  On  ne  fait 
point  de  républiques  avec  des  ménagements,  mais 
avec  la  rigueur  farouche,  la  rigueur  inflexible  en- 
vers tous  ceux  qui  ont  trahi . 

Condamné  à  l'unanimité  par  l'assemblée,  Dan- 
ton fut  envoyé  au  tribunal  révolutionnaire,  et 
monta  le  16  germinal  sur  l'échafaud.  Robespierre 
et  Saint-Just  se  trouvaient  ainsi  délivrés  de  leurs 
rivaux  les  plus  puissants,  de  ceux  qui  par  leur 
influence  menaçaient  le  plus  de  s'opposer  à  l'é- 
tablissement de  la  république  telle  qu'ils  l'avaient 
rêvée  (2). 

(1)  On  ne  saurait  attribuer  à  Robespierre  et  à  Saint- 
Just  seuls  le  coup  qui  frappait   Danton;  ils  y  contri-    j 
huèrent,  mais  l'initiative  ne  vint  pas  d'eux.  Si  Saint-Just 
porta   la  parole  dans  cette  malheureuse  affaire,  c'est   ; 
qu'il  en  fut  particulièrement  chargé  par  les  trois  coml-    : 
tés,  dont  tous  les  membres,  excepté  Ruhl  et  Robert  Lin- 
det,  signèrent  le  décret  d'arrestation. 

(2)  Tous  les  historiens  ont  blâmé  la  mort  de  Danton, 
comme  iinpolilique;  mais  des  jugements  très-divers  ont   '. 
otélportés  sur  les  causes  de  la  conduite  de  Robespierre 
et  de  Saint-Just  dans  cette  circonstance.  Selon  les  uns, 
ils  n'auraient  obéi  qu'à  une  étroite  jalousie  et  à  des  mo- 
tifs personnels  de  vengeance;  selon  d'autres,  l'ambition    ' 
du  pouvoir  fut  leur  véritable   mobile  ;  d'autres,  enfin ,    j 
considérant  leur  probité,  leur  austérité  de  mœurs  et  leur    j 
incorruptibilité,  voient  en  eux  des  sectaires  convaincus  i 


Le  26  germinal  (15  avril)  Sainl-Just  présenta  le 
rapport  sur  la  police  générale  et  sur  l'influence 
morale  et  politique  du  gouvernement  révolution- 
naire. C'est  un  de  ses  plus  remarquables  discours, 
plein  de  sages  préceptes  et  de  vues  élevées  :  «  Il 
faut  s'attacher  à  former  la  conscience  publique; 
voilà  la  meilleure  police...  La  liberté  n'est  pas  une 
chicane  de  palais  :  elle  est  la  rigidité  envers  le 
mal;  elle  est  la  justice  et  l'amitié...  Formez  les 
institutions  civiles,  les  institutions  auxquelles  on 
n'a  point  pensé  encore;  il  n'y  a  point  de  liberté 
durable  sans  elles;  elles  soutiennent  l'amour  de 
la  patrie  et  l'esprit  révolutionnaire,  même  quand 
la  révolution  est  passée.  »  Le  10  floréal  (29  avril) 
Saint-Just  partit  de  nouveau  en  mission  pout 
l'armée  du  nord  avec  Le  Bas.  Lorsqu'ils  y  arri- 
vèrent l'ennemi  venait  de  prendre  Landrecies. 
Les  deux  représentants  redoublèrent  de  sévérité 
contre  les  traîtres,  contre  les  agents  prévarica- 
teurs des  administrations  et  contre  l'indiscipline; 
ils  enjoignirent  aux  soldats  et  officiers  de  ren- 
voyer immédiatement,  sous  peine  de  mort,  les 
femmes  de  mauvaise  vie  qu'ils  menaient  avec 
eux,  et  décrétèrent  même  des  peines  rigoureuses 
contre  les  hommes  atteints  de  maladies  véné- 
riennes. Le  but  de  l'armée  était  d'attaquer  Char- 
leroi,  clef  de  la  Belgique;  mais  avant  de  com- 
mencer cette  attaque  il  fallait  se  rendre  maître 
des  deux  rives  de  la  Sambre;  c'est  là  ce  que 
comprenait  Saint-Just,  qui  fit  partager  sa  convic- 
tion aux  généraux.  Le  passage  de  la  Sambre, 
tenté  d'abord  le  21  floréal  (lOmai), ne  réussit  pas; 
on  le  tenta  de  nouveau,  avec  succès,  le  1er  prai- 
rial (20  mai)  ;  mais  le  5  l'ennemi,  renforcé  de 
30,000  hommes,  attaqua  nos  avant-postes  à  l'im- 
proviste ,  et  nous  contraignit  de  revenir  en  ar- 
rière (I).  Saint-Just,  mandé  par  le  comité  de 
salut  public  pour  des  motifs  qui  sont  restés  in- 
connus, arriva  à  Paris  le  14  prairial  (2  juin)  et  en 
repartit  le  19  (2).  Il  n'assista  donc  pas  à  la  fête 
de  l'Etre  suprême,  qui  eut  lieu  le  20.  Aussitôt 
qu'il  eut  rejoint  l'armée,  il  poussa  les  opérations 
avec  vigueur  La  Sambre  fut  repassée  le  30  prai- 
rial, et  le  7  messidor  (25  juin)  Charleroi  tomba  au 
pouvoir  des  Français.  Ce  jour  même  les  coalisés 
s'avançaient  au  secours  de  la  place;  Jourdan  alla 
à  leur  rencontre,  et  le  lendemain,  à  trois  heures 
du  matin,  la  bataille  s'engagea  dans  les  plaines 
de  Fleurus;  un  enthousiasme  héroïque  animait 
les  soldats,  les  généraux  et  les  représentants,  qui 

agissant  avec  un  impitoyable  fanatisme  contre  les  élé- 
ments impurs,  afin  de  fonder  ensuite  leur  république 
idéale  sur  la  croyance  à  l'Être  suprême  et  sur  la  pra- 
tique de  la  vertu.  Le  cœur  de  tout  homme,  quelle  que 
soit  son  impassibllité.apparente,  n'est-il  pas  tourmenté 
de  passions  diverses,  et  ne  faut-il  pas  chercher  la  vérité 
dans  l'ensemble  des  sentiments  dont  chaque  historien  n'a 
voulu  voir  qu'une  partie? 

(t)  Le  livre  des  notoires  et  Conquêtes  blâme  à  tort 
Saint-Just  d'avoir  sacrifié  Inutilement  le  sang  des  Fran- 
çais, en  ordonnant  à  cinq  reprises  différentes  et  infruc- 
tueusement le  passage  de  la  Sambre. 

(2)  Blllaud-Varennes  ,  dans  son  Mémoire  justificatif, 
s'exprime  ainsi  à  ce  sujet  :  «  Saint-Just  s'en  alla  comme 
il  était  venu,  ciuq  ou  six  Jours  après.  » 


51  SAINT 

combattirent  à  la  tête  des  troupes  ;  la  victoire 
nous  ouvrit  la  Belgique.  Deux  jours  après  Saint- 
Just  prit  la  route  de  Paris,  et  fut  salué  sur  son 
passage  par  des  cris  de  triomphe. 

Quand  il  arriva,  il  se  vit  à  peu  près  seul  pour 
lutler  au  sein  des  comités  contre  l'excessive  in- 
fluence de  certains  membres  (1).  «  Je  ne  reconnus 
plus  que  quelques  visages,  lit-on  dans  son  dernier 
discours....  Tout  était  changé  :  le  gouvernement 
n'était  point  divisé,  mais  il  était  épars  et  aban- 
donné à  un  petit  nombre,  qui,  jouissant  d'un 
absolu  pouvoir,  accusa  les  autres  d'y  prétendre, 
pour  le  conserver.  »  La  conspiration  de  thermi- 
dor s'ourdissait  déjà.  Saint-Just  en  eut-il  le 
soupçon  ?  C'est  probable,  car  on  le  voit  assister 
assidûment  aux  séances  des  comités;  ses  col- 
lègues, «  qu'il  gênait  beaucoup  par  sa  présence  », 
suivant  la  remarque  expressive  de  Billaud-Va- 
rennes,  le  laissèrent  à  l'écart,  «  comme  un  citoyen 
sans  prétention,  et  qui  marchait  seul  ».  Plus  tard 
on  l'accusa  d'avoir  aspiré  à  la  dictature,  de 
s'être  fait  le  pourvoyeur  acharné  du  tribunal 
révolutionnaire,  d'avoir  créé  le  bureau  de  police 
générale;  on  chargea  de  tous  les  excès  de  la 
révolution  celui-là  même  qui  n'avait  cessé  de 
les  poursuivre.  «  Les  armes  de  la  liberté  ne 
doivent  être  touchées  que  par  des  mains  pures.  » 
disait-il.  Aussi  avait-il  attaqué  sans  ménage- 
ments Fouché,  Collot  d'Herbois,  Bourdon  (de 
l'Oise),  Rovère,  Tallien,  Carrier.  Les  dantonistes 
et  tous  les  adversaires  de  Robespierre,pro!îtant  des 
craintes  et  des  jalousies  qu'inspirait  la  puissance, 
trop  peu  dissimulée,  de  son  parti,  préparaient 
dans  l'ombre  le  grand  coup  qui  devait  le  renver- 
ser avec  ses  amis.  Peu  à  peu  leur  projet  se 
montra  au  jour;  des  récriminations,  préludes  de 
l'accusation  définitive,  commencèrent  à  se  faire 
entendre.  Des  réunions  extraordinaires  des  co- 
mités de  salut  public  et  de  sûreté  générale 
eurent  lieu  le  4  et  le  5  thermidor  ;  Saint-Just  y 
prit  la  parole,  faisant  appel  à  la  conciliation  et 
demandant  à  ses  collègues  de  s'expliquer  avec 
franchise.  C'est  aussi  dans  un  esprit  de  concilia- 
tion qu'il  rédigea  le  rapport  dont  le  chargèrent 
les  comités.  Il  monta  à  la  tribune  le  9  thermidor 
à  midi,  et  il  en  commença  la  lecture;  il  ne  put 
en  prononcer  que  quelques  lignes;  arrivé  à  ces 
mots  :  «  La  confiance  des  deux  comités  m'ho- 
nore; mais  quelqu'un  cette  nuit  a  flétri  mon 
cœur,  et  je  ne  veux  parler  qu'à  vous...  »  il  fut 
interrompu  par  Tallien,  qui  demanda  la  parole 
pour  une  motion  d'ordre.  Les  orateurs  et  les 
violences  se  succédèrent;  Saint-Just,  d'après  Le 
Moniteur,  n'ouvrit  plus  la  bouche.  Décrété 
d'accusation  avec  les  deux  Robespierre,  Couthon 
et  Le  Bas,  il  fut  emprisonné  aux  Écossais.  Dé- 
livré, comme  ses  amis,  par  les  agents  du  conseil 
général  de  la  commune,  il  se  rendit  à  l'hôtel  de 
ville;  et  comme  Couthon  proposait  d'adresser 
une  proclamation  au  peuple  et  à  l'armée  :  «  Au 

(1)  Robespierre  n'y  avait  pas  paru  depuis  quinze  jours 
environ;  Couthon  malade  y  venait  rarement. 


■JUST 


52 


nom  de  qui?  demanda  Robespierre.  —  Au  nom 
de  la  Convention;  elle  est  partout  où  nous 
sommes  » ,  répondit  Saint  -  Just,  Robespierre 
refusa.  Peu  d'instants  après,  les  forces  de  la 
Convention  occupèrent  l'hôtel  de  ville,  et  les 
proscrits  furent  transportés  au  comité  de  sûreté 
générale,  puis  à  la  Conciergerie.  Saint-Just  n'a- 
vait pas  cherché  à  attenter  à  ses  jours;  il  suivit 
à  pied,  les  mains  liées,  les  corps  mutilés  de  ses 
amis.  Le  lendemain,  il  monta  avec  un  courage 
calme  les  marches  de  l'échafaud.  Pas  un  mot  ne 
sortit  de  sa  bouche.  Il  n'avait  pas  encore  vingt- 
sept  ans . 

Pour  achever  de  connaître  Saint-Just,  il  fauî 
jeter  un  coup  d'œil  sur  ses  écrits.  En  voici  la 
liste  :  Organt,  poème  satirique  en  XX  chants; 
au  Vatican  (Paris),  1789,  2  vol.  in-12  ;  réimprimé, 
probablement  sans  la  participation  de  l'auteur, 
sous  ce  nouveau  titre  :  Mes  Passe-temps,  ou 
le  Nouvel  Organt,  par  un  député  à  la  Con- 
vention nationale  ;  Paris,  1792,2  vol.  in-12. 
On  y  lit  en  guise  de  préface  ce  vers  : 

J'ai  vingt  ans;  j'ai  mal  fait;  je  pourrai  faire  mieux. 
C'est  une  imitation  des  nombreux  poèmes  com- 
posés à  cette  époque,  avec  le  même  luxe  de 
descriptions  et  d'allégories,  le  même  mélange  de 
crudités,  de  railleries  et  de  fadeurs  amoureuses. 
Le  vers  en  est  facile,  mais  le  plus  souvent  mé- 
diocre par  la  pensée  et  l'expression  ;  —  Esprit 
de  la  révolution  et  de  la  Constitution  de  la 
France;  Paris,  1791,  in-8°  de  182  p.  Après 
avoir  parlé  des  signes  précurseurs  de  la  révolu- 
tion, des  philosophes  et  des  parlements,  qui  por- 
tent les  premiers  coups  à  la  monarchie,  du  roi 
«  brusque  et  faible  »,  de  la  reine  «  plus  trompée 
que  trompeuse  »,  des  fautes  des  ministres,  des 
prodigalités  de  la  cour,  il  examine  la  constitu- 
tion, qu'il  se  réjouit  de  voir  fondée  sur  la  liberté, 
la  justice  et  l'égalité,  et  étudie  l'état  civil  de  la 
France,  son  état  politique  et  la  question  du 
droit  des  gens.  Cet  ouvrage,  écrit  d'un  style  net 
et  précis,  porte  l'empreinte  d'un  caractère  de 
modération  qui  contraste  vivement  avec  les 
actes  rigoureux  du  conventionnel  ;  —  Frag- 
ments d'institutions  républicaines  ;  Paris  , 
1800,  in-12,  et  1831,  in-S°,  avec  une  préface  de 
Nodier.  On  retrouve  dans  ces  Fragments,  re- 
cueillis par  Briot,  la  plupart  des  idées  que  Saint- 
Ju.4  a  développées  à  la  iribune  dans  ses  rap- 
ports et  dans  ses  discours  ;  on  y  trouve  aussi 
bien  des  germes  de  théorie,  qui  semblent  infruc- 
tueux, sur  l'alliance  universelle  des  peuples,  l'u- 
nité de  l'impôt,  l'extinction  du  paupérisme,  etc. 
P.  Louisy. 
Le  Moniteur  universel,  1792-94.  —  Mémoires  du  temps. 

—  Hist.  de  la  Révolution,  par  MM.  Thiers,  Louis  Blanc, 
Micbelet  et  Villiaumé.  —  Lamartine,  fJift.  des  Giron- 
dins. —  Barante,  Hist.  de  la  Convention.  —  Cuvillier- 
Fleury,  Portraits.  —  Sainte-Beuve,  Causeries  du  lundi. 

—  Nodier,  Notice  à  la  tête  des  Instit.  républ.  —  Fleury, 
Saint-Just  et  la  terreur;  Paris,  1852,  2  vol.  in-18.  — 
lirn.  Hamel,  Hist.  de  Saint-Just.;  Paris,  1859,  in-8°. 

saint-just.  Voy.  Freteau,  Godard  d'Au- 
cour  et  Merard. 


53 


SAINT-LAMBERT 


r>4 


saint-Lambert  (Jean-François  de),  poëte 
français,  né  à  Nancy,  le  26  décembre  1710,  mort 
à  Paris,  le  9  février  1803  (1).  Il  était  d'une  fa- 
mille noble,  mais  pauvre  et  sans  illustration; 
c'est  seulement  à  l'époque  de  ses  succès  litté- 
raires qu'il  s'attribua  le  titre  de  marquis.  Les 
jésuites  de  Pont-à-Mousson  relevèrent  avec  cette 
tolérance  un  peu  mondaine  qui  valait  tant  d'a- 
mis à  leur  société,  et  qui  inspira  plus  tard  à 
Saint- Lambert  ces  vers  si  connus  : 

Apôtres  pleins  d'urbanité,... 

Aux  charmes  touchants  du  bréviaire 

Vous  entremêlez  prudemment 

Et  du  Virgile  et  du  Voltaire. 

Ses  études  terminées,  il  servit  d'abord  dans 
l'infanterie,  et  devint  ensuite  exempt  des  gardes 
du  roi  Stanislas  et  grand  maître  de  sa  garde- 
robe.  Vivant  alors  à  la  cour  de  Lunéville,  il  y 
connut  Voltaire  et  la  marquise  du  Châtelet.  La 
belle  Emilie  conçut  pour  Saint -Lambert  un 
amour  passionné,  qui  la  rendit  infidèle  à  Voltaire 
et  lui  coûta  la  vie  :  on  sait  qu'elle  expira  en 
donnant  le  jour  à  l'enfant  né  de  cette  liaison. 
Celte  aventure  mit  Saint-Lambert  à  la  mode; 
protégé  par  Voltaire,  qui  pleura  Mmedu  Châtelet, 
sans  montrer  de  jalousie  à  l'auteur  de  sa  mort, 
encouragé  par  Mme  de  Boufflers  et  appelé  par 
son  ami  le  prmee  de  Beauvau ,  il  se  rendit  à 
Paris,  où  quelques  poésies  fugitives  commen- 
cèrent sa  réputation  de  poëte  (2).  Il  vit  alors 
Mi"-' d'Houdetot,  et  contracta  avec  elle  une  liaison 
qui  durajusqu'à  sa  mort.  Ayant  obtenu  un  brevet 
de  colonel  au  service  de  la  France,  il  fit  les  cam- 
pagnes de  Hanovre  (1756-1757)  dans  l'état- major 
de  M.  deContadcs.  Une  attaque  de  paralysie,  qui 
le  força  d'aller  aux  eaux  d'Aix-la-Chapelle,  le 
décida  à  quitter  la  carrière  militaire  pour  se 
donner  exclusivement  aux  lettres.  Il  reprit  donc 
ses  liaisons  avec  les  encyclopédistes,  ses  vi- 
sites au  salon  de  Mrae  Geoffrin,  ses  dîners  chez 
Mlle  Quinault,  avec  Diderot,  Duclos,  d'Holbach, 
Grimm  et  M'«e  d'Épinay.  Avant  son  départ  pour 
l'année,  il  avait  fait  représenter,  en  1756,  Les 
Fêtes  de  V Amour  et  de  V Hymen,  comédie 
ballet  qui  ne  réussit  pas.  En  1764,  il  publia  deux 
charmantes  poésies,  intitulées  Le  Malin  et  Le 
Soir.  Les  Saisons,  qui  parurent  en  1769,  lui 
ouvrirent  l'Académie  française,  où  il  fut  reçu  le 
23  juin  1770.  Son  importance  littéraire,  déjà  si 
exagérée  par  Voltaire  et  par  les  philosophes, 
grandit  encore,  et  la  vanité  qui  lui  était  naturelle 
grandit  en  même  temps  ;  il  exerça  de  l'influence 
à  l'Académie,  et  il  domina  dans  le  salon  de 
Mme  Necker.  Pendant  la  révolution,  il  se  retira 
à  Eaubonne,  près  de  la  maison  qu'habitait 
Mme  d'Houdetot.  En  1798  il  publia  son  Caté- 
chisme universel,  tel  qu'il  l'avait  terminé  dès 
1786,  et  au  mois  de  juillet  1800  il  sortit  de  sa 

*  (1)  C'est  à  M.  Louis  Lallement  que  l'on  doit  de  con- 
naître les  véritables  prénoms,  la  date  et  le  lieu  de  nais- 
sance de  Saint- Lambert. 

(2)  C'est  la  marquise  da  Boufflers  qui  y  est  désignée 
sous  les  noms  de  Thèmire  et  de  Doris. 


retraite  pour  assister  aux  réunions  qui  eurent 
lieu  dans  le  but  de  reconstituer  l'Académie  fran- 
çaise. Lorsque  ce  projet  fut  mis  à  exécution,  le 
28  janvier  1803,  et  que  l'Académie  devint  une 
des  quatre  sections  de  l'Institut,  Saint-Lambert 
fut  appelé  à  en  faire  partie;  mais  il  était  alors 
tombé  en  enfance,  et  il  mourut  onze  jours  après. 
Mme  d'Houdetot  vivait  encore,  et  leur  liaison  n'a- 
vait jamais  été  troublée;  bien  que  contraire  aux 
lois  de  la  société,  elle  avait  fini  par  imposer  le 
respect,  et  Marmontel  n'était  pas  seul  à  nommer 
Saint-Lambert  le  Sage  d' Eaubonne.  Cette  cons- 
tance dans  l'affection,  cette  décence  dans  des 
relations  même  illégitimes,  un  air  de  noblesse, 
une  habitude  de  la  haute  société,  où  on  le  re- 
cherchait, expliquent  la  phrase  suivante  de  Gail- 
lard :  «  Il  soutenait  dans  le  monde  la  dignité  des 
lettres  par  celle  de  son  caractère,  de  ses  mœurs, 
de  ses  manières,  et  il  fournissait  aux  gens  de 
lettres  un  modèle  de  tout  ce  que  l'usage  du  monde 
peut  ajouter  à  leur  mérite.  »  D'après  des  témoi- 
gnages contemporains,  il  mêlait  à  sa  dignité 
une  roideur  vaniteuse,  et  il  manquait  tout  à 
fait  de  grâce  et  d'abandon.  «  11  est  certain, 
dit  Grimm,  qu'il  est  estimé  de  tous  ceux  qui 
le  connaissent;  mais  on  remarque  dans  son 
commerce  la  même  aridité  et  la  même  tristesse 
qu'on  a  reprochées  à  ses  notes  (des  Saisons), 
et  ceux  qui  le  connaissent  peu  lui  reprochent, 
outre  la  sécheresse,  un  ton  méprisant  et  dédai- 
gneux. »  Son  portrait  gravé  par  Adam  le  repré- 
sente sous  des  traits  assez  beaux. 

Lorsque  le  poëme  des  Saisons  parut,  ce  fut 
un  cri  d'enthousiasme  dans  le  camp  des  philo- 
sophes, et  Voltaire  lui  prodigua  de  pompeuses 
louanges  :  il  écrivait  à  l'auteur,  en  1773  :  «  Soyez 
persuadé  que  c'est  le  seul  ouvrage  de  notre  siècle 
qui  passera  à  la  postérité.  »  La  postérité  n'a  pas 
confirmé  ces  paroles,  et  Les  Saisons  n'ont  plus 
que  des  lecteurs  rares  et  distraits,  donnés  par 
le  hasard  ou  par  une  curiosité  bien  vite  déçue. 
C'est  bien  moins  le  goût  littéraire  que  l'esprit 
de  secte  qui  dicta  les  éloges  des  encyclopédistes. 
Pouvaient-ils  en  effet  rêver  rien  de  mieux  qu'une 
poésie  tout  à  la  fois  philosophique  et  scientifique? 
On  ne  vit  bientôt,  sous  leur  influence,  que  descrip- 
tions et  préceptes  rimes.  On  décrivit  le  ciel  et  la 
terre,  les  eaux,  les  jardins,  les  repas,  les  fêtes, 
les  jeux;  les  plus  petits  objets  furent  illustrés 
de  merveilleuses  périphrases.  Quelques  écrivains 
furent  lus  et  applaudis  ;  mais,  de  l'avis  des  en- 
cyclopédistes, Saint-Lambert  conquit  le  premier 
rang.  «  C'est,  dit  Condorcet,  le  seul  poëte  fran- 
çais qui  ait  réuni,  comme  Voltaire,  l'âme  et  l'es- 
prit d'un  philosophe.  »  Tous  les  contemporains 
cependant  ne  se  laissèrent  pas  entraîner  au  même 
enthousiasme.  Grimm  et  Diderot  reprochent 
aux  Saisons  le  défaut  de  verve  et  d'invention,  la 
froideur  du  style,  le  retour  fréquent  des  épithètes 
et  les  exclamations  parasites.  Mme  du  Deffand 
écrivait  à  Walpole  :  «  Ce  Saint-Lambert  est  un 
esprit  froid,  fade  et  faux;  il  croit  regorger  d'i- 


55  SAINT-LAMBERT  —  SAINT-LUC 

dées,  et  c'est  la  stérilité  même  ;  sans  les  oiseaux,  [ 
les  ruisseaux,  les  ormeaux  et  Jeurs  rameaux,  il 
aurait  bien  peu  de  chose  à  dire.  »  —  «  Ali  i  que 
vous  en  parlez  avec  justesse!  lui  répondait  Wal-  ! 
pôle;  !e  .plat  ouvrage!  Point  de  suite,  point  d'i-  j 
maginatiOG  ;  une  philosophie  froide  et  déplacée  ;  | 
un  berger  et  une  bergère  qui  reviennent  à  tous 
moments  ;  des  apostrophes  sans  cesse,  tantôt  au 
bon  Dieu ,  tantôt  à  Bacchus.  »  Tout  en  recon-  j 
naissant  que  le  poëme  des  Saisons  ne  manque  | 
pas  toujours  d'éclat  et  de  couleur,  qui!   unit 
quelquefois  à  l'art  des  contrastes  la  netteté,  la 
sobriété,  la  précision,  nous  devons  avouer  que 
bien  peu  de  ces  vers  tant  vantés  méritent  d'é- 
chapper à  l'oubli. 

Les  poésies  fugitives  de  Saint-Lambert  sont 
ses  meilleurs  titres  à  l'attention  de  la  postérité. 
Elles  n'ont  pas  la  verve  et  le  mouvement  poé- 
tique de  celles  de  Voltaire;  mais  on  y  trouve  de 
la  grâce,  du  naturel,  un  tour  d'esprit  élégant  et 
fin,  comme  dans  ces  vers  si  connus  : 

Le  temps,  qui  fuit  sur  nos  plaisirs, 
Semble  s'arrêter  sur  nos  peines. 

Le  Catéchisme  universel  est  médiocrement 
écrit:  voici  comment  Palissot  résume  les  principes 
contenus  dans  cet  ouvrage  :  «  Les  vices  et  les 
vertus  ne  sont  que  des  affaires  de  convention. 
Ce  sont  ces  conventions  et  notre  propre  intérêt 
qui  forment  notre  conscience.  L'homme  soumis 
à  la  raison  universelle  est  toujours  heureux;  il 
n'est  malheureux  qu'en  cessant  de  lui  obéir.  Dès 
lors,  pour  arriver  au  bonheur  il  faut  cultiver 
sa  raison  :  aussi  ceux  qui  la  cultivent  le  plus, 
c'est-à-dire  les  philosophes,  ^ont-ils  les  plus  heu- 
reux des  hommes.  »  Le  Catéchisme  universel 
fut  désigné  comme  digne  du  grand  prix  de 
morale,  par  l'Institut,  en  1810,  lors  des  propo- 
sitions pour  les  prix  décennaux,  qui  ne  furent  ja- 
mais décernés. 

On  a  de  Saint-Lambert  :  Ode  sur  l'Eucha- 
ristie; 1732;  —  Recueil  de  poésies  fugitives  ; 
Paris,  1759,  in-8°,  et  1826,  in-32;  —  Essai  sur 
le  luxe;  Paris,  1764,  in- 12,  tiré  de  Y  Encyclo- 
pédie; —  Sara  Th...,  nouvelle  (prétendue) 
traduction  de  V anglais;  Paris,  1765,  iii-80; 
—  Abenaki,  Sara  Th...,  et  Ziméo,  contes  en 
prose  ;  Paris,  1769,  in-8°  ;  —  Les  Saisons,  poëme  ; 
Paris,  1769,  in-8°  et  in-12;  on  trouve  à  la  suite 
les  contes  précédents  et  des  Fables  orientales 
en  prose;  —  Les  deux  Amis,  conte  iroquois; 
s.  I.,  1770,  in-8°;  —  Fables  orientales,  en 
prose;  Paris,  1772,  in-12;—  Les  Saisons, 
poëme;  Paris,  1782,  in-18,  et  1795,  2  vol.  in-18; 
1822,  in-8°;  —  Principes  des  mœurs  chez 
toutes  les  nations,  ou  Catéchisme  universel; 
Paris,  1798,  3  vol.  in-8";  —  Œuvres  philoso- 
phiques; Paris,  1801,  5  vol.  in-8°.  Il  a  donné 
des  poésies  à  YAlmanach  des  Muses,  des  ar- 
ticles à  Y  Encyclopédie,  entre  autres  ceux  qui 
ont  pour  titres  :  Génie,  Intérêt  de  V argent, 
Législateurs,  Luxe,  Manières,  etc.,  et  deux 
lettres  dans  les  Variétés  littéraires.  J.  M-r-l. 


56 

Th.  de  Puymaigre  ,  Poètes  et  romanciers  de  la  lor- 
raine. —  Louis  Lallemenr,  Mémoire  sur  Saint-Lambert, 
lu  à  la  Société  d'archéologie  de  Nancy  ,  le  it  mars  18SJ. 
—  Michel ,  Biogr.  des  hommes  marquant.',  de  ta  Lor- 
raine. —  Chevrier,  Hommes  illustres  de  la  Lorraine.  — 
Durival,  Descr.  de  la  Lorraine.  —  Fayolle,  Notice,  dans 
Le  Moniteur  du  ler  septembre  1804.  —  Quérard  ,  la 
France  littéraire.  —  Witsen-Geysbeek,  Jjetterkundige 
levensschets  van  Saint-Lambert;  Amst,  1805,  in  8°.  j.:. 

saint-lary.  Voy.  Bellegarde. 

saint-laurent  (  Louis-Joseph-Auguste- 
Gabriel,  baron),  général  français,  né  le  29  juin 
1763,  à  Dunkerque,  mort  le  1er  septembre  1832, 
à  Saint-Mandé,  près  Paris.  Lieutenant  d'artillerie 
à  dix-huit  ans,  il  ne  quitta  jamais  cette  arme,  où 
il  rendit  d'utiles  services.  Après  avoir  fait  sur 
merles  campagnes  de  1782  et  1783,  il  servit  à 
l'intérieur,  et  fut  attaché  aux  armées  des  côtes 
de  l'ouest  et  d'Angleterre;  il  passa  ensuite  à  l'ar- 
mée du  Bhin,  commanda  sous  le  consulat  l'é- 
cole de  Reunes ,  et  prit  part  aux  campagnes  de 
la  grande  armée  jusqu'en  1808,  et  à  celle  d'Es- 
pagne en  1812.  L'année  suivante  il  se  rendit  en 
Italie,  et  ce  fut  à  lui  que  la  France  dut  la  conser- 
vation de  l'immense  matériel  d'artillerie  qu'elle 
possédait  au  delà  des  Alpes.  Général  de  brigade 
en  1803  et  général  de  division  le  11  juillet  1807, 
il  reçut  en  1810  le  titre  de  baron ,  et  fut  mis  en 
retraite  à  la  fin  de  1814.  Son  nom  est  inscrit 
sur  l'arc  de  triomphe  de  l'Étoile. 
Fastes  de  la  Légion  d'honneur,  II.  —  Moniteur  univ., 

1832,  p.  1674. 

SAINT-LAURENT.    VOIJ.  NOMBRET. 
SAINT- LÉ«ER.  Voy.  MERCIER. 

saint-leu.  Voy.  Napoléon  (  Louis  et  Hor- 
tense). 

saint-louis.  Voy.  Pierre  de  Sxint-Louis. 

saint-luc  (François  d'Espinay,  seigneur 
de),  capitaine  français,  né  en  1554,  lue  le  8  sep- 
tembre 1597,  au  siège  d'Amiens.  Il  descendait 
delà  maison  d'Espinay,  une  des  plus  illustres  et 
des  plus  anciennes  de  la  Normandie;  son  grand- 
père,  Robert,  avait  fondé  la  branche  de  Saint-Luc, 
et  son  père,  Waleran,  se  signala  en  1552  à  la 
défense  de  Metz,  où  il  commandait  la  compagnie 
de  cent  hommes  d'armes  du  duc  de  Guise. 
Élevé  à  la  cour,  il  devint  l'un  des  favoris  de 
Henri  III,  qui  trouvait  en  lui  un  esprit  agréable  et 
orné,  des  mœurs  douces,  du  courage  jusqu'à  la 
témérité.  Il  partagea  la  vie  turbulente  des  mi- 
gnons du  roi,  et  les  seconda  dans  leurs  que- 
relles avec  Bussy  d'Amboise  ;  après  la  mort  de 
ce  dernier,  ce  fut  pour  échapper  aux  représailles 
dont  on  le  menaçait  qu'il  acheta,  en  1579,  le  gou- 
vernement de  la  Saintonge  et  de  Brouage.  L'an- 
née précédente  il  avait  épouséJeannede  Brissac 
(9  févr.  1578),  qui  était  «  laide,  bossue  et  en- 
core pis  »,  au  rapport  de  L'Estoile  (1).  Elle  causa 
la  disgrâce  où  il  tomba  peu  de  temps  après,  en 


;i)  Elle  était  méprisée  à  ia  cour,  où  le  quatrain  sui- 
vant courait  sur  elle  : 

lirissac  aime  tant  l'artifice 
Et  du  dedans  et  du  dehors 
Qu'ôtez-lui  le  faux  et  le  vice. 
Vous  lui  ôtez  l'âme  et  le  corps 


57 


SAINT-LUC  —  SAINT-MARC 


58 


rendant  publique  la  passion  que  la  duchesse 
d'Aumale  avait  inspirée  au  roi  (1).  Saint-Luc  cou- 
rut s'enfermer  dans  Drouage  (janvier  1580)  ;  il  y 
chercha  des  consolations  dans  l'étude,  et  com- 
posa vers  cette  époque  des  poésies  vantées  par 
Scévole  de  Sainte-Marthe,  ainsi  qu'un  recueil 
d'Observations  militaires,  qui  figure  aujour- 
d'hui parmi  les  manuscrits  de  la  bibliothèque 
impériale.  Brouage  était  une  place  importante, 
dont  le  voisinage  inquiétait  sans  cesse  les  Ro- 
chelois,  qui  tentèrent  plusieurs  fois  de  la  sur- 
prendre. En  1585  Condé  vint  y  mettre  le  siège,  le 
roi  de  Navarre  le  continua;  mais  Saint-Luc, 
quoique  bloqué  par  mer  et  par  terre,  se  défendit 
vaillamment  et  lassa  la  patience  des  huguenots. 
En  1587  il  combattit  à  Coutras  ;  quand  la  mêlée 
se  changea  en  déroute  :  «  Que  nous  reste-t-il  à 
faire?  cria- t-il  à  Joyeuse.  — A  mourir  »,  répondit 
celui-ci.  Plus  heureux  que  son  ami,  il  sauva  sa 
vie  par  une  ruse  adroite  :  ayant  distingué  Condé 
parmi  ceux  qui  le  poursuivaient,  il  courut  à  lui 
la  lance  basse,  le  désarçonna,  et  en  même  temps 
se  déclara  son  prisonnier.  Un  des  premiers  à 
reconnaître  Henri  IV,  il  le  servit  fidèlement  dans 
plusieurs  sièges ,  et  concourut  à  la  pacification 
de  la  Bretagne,  où  de  1592  à  1596  il  remplit 
les  fonctions  de  lieutenant  général.  En  1594  il 
négocia  secrètement  avec  Brissac,  son  beau- 
frère  ,  la  reddition  de  Paris ,  et  entra  le  premier 
dans  cette  ville  le  pistolet  à  la  main.  Il  reçut  du 
roi  le  collier  de  l'ordre  (1595),  et  la  grande  maî- 
trise de  l'artillerie  en  remplacement  de  Philibert 
de  la  Guiche  (5  sept.  1596).  L'année  suivante,  au 
siège  d'Amiens,  un  boulet  le  tua  roide.  «  Saint- 
Luc,  dit  Brantôme,  très-gentil  et  accompli  cava- 
lier en  tout,  »  laissa  la  réputation  d'un  vaillant 
capitaine;  on  l'avait  surnommé  le  brave  Saint- 
Luc.  Il  laissa  quatre  fils,  dont  l'aîné,  Timoléon, 
fut  maréchal  de  France. 

Brantôme,  Vie  des  grands  capitaines.  —  L'Estolle, 
Journal  de  Henri  III.  —  D'Aubigné,  Hist.  univ.  — 
Sully,  Mémoires ,  liv.  IX.  ..'.,• 

saint-luc  (  Timoléon  d'Espinay,  marquis 
de),  maréchal  de  France,  fils  du  précédent,  né 
vers  1580,  mort  le  12  septembre  1644,  à  Bor- 
deaux. Il  porta  les  armes  avec  honneur  aux 
sièges  de  La  Fère  et  d'Amiens ,  succéda  à  son 
père  dans  le  gouvernement  de  Brouage ,  et  ac- 
compagna en  1603  Sully  dans  son  ambassade  à 
Londres.  Nommé  maréchal  de  camp  (1617)  et 
vice-amiral  (1622) ,  il  contribua  aux  avantages 
remportés  sur  la  flotte  des  Rochelois,  et  obligea 
Sou  bise  à  évacuer  l'île  de  Ré,  après  lui  avoir 
tué  huit  cents  hommes.   S'étant  démis  en  fa- 

(1)  D'Aubigné  donne  de  cette  disgrâce  une  raison  bien 
différente.  D'après  les  suggestions  de  sa  femme,  et  de 
concert  avec  Joyeuse,  Saint-Luc  s'efforça  d'arracher  son 
uiaitre  à  la  vie  scandaleuse  qu'il  menait;  au  moyen 
d'une  sarbacane  de  cuivre  introduite  dans  le  cabinet  du 
roi,  il  le  menaçait  la  nuit,  avec  une  voix  terrible,  des 
jugements  de  Dieu.  Henri  se  troubla  de  ces  menaces  au 
point  d'en  perdre  la  santé;  Joyeuse  lui  révéla  alors  le 
stratagème,  et  toute  la  colère  du  roi  retomba  sur  Saint- 
Luc,  qui  s'évada  tandis  que  sa  femme  fut  Jetée  en  prison. 


i  veurde  Richelieu  du  gouvernement  de  Brouage, 

|  il  reçut  en  compensation  la  lieutenanec  géné- 

I  raie  de  laGuienne  (30janvier  1627),  et  fut  nommé 

j  le  même  jour  maréchal  de  France.  De  sa  pre- 

!  mière  femme,  Henriette,  sœur  du  maréchal  de 

Bassompierre,  il  eut  quatre  enfants,  dont  Louis, 

archevêque   de  Bordeaux,   mort   en  1644,   et 

François,  qui  suit. 

Saint-Luc  (François,  marquis  de  ),  fils  du 
précédent,  mort  en  avril  1670,  prit  part  à  la 
guerre  de  Trente  ans,  et  sous  la  Fronde,  au 
siège  de  Bordeaux;  il  commanda  au  même  titre 
que  son  père  dans  la  Guienne  et  fut  fait  lieute- 
nant général  en  1650. 

Moréri,  Dict.  hist.  —  Courcellés  (  De),  Dict.  des  géné- 
raux français. 

saint-marc  (  Charles-Hugues  Le  Febvre 
de),  littérateur  français,  né  le  22  juin  1698,  à 
Paris,  où  il  est  mort,  le  20  novembre  1769.  Sa 
famille  était  originaire  de  la  Picardie,  et  son 
père,  secrétaire  de  M.  de  Lionne,  y  possédait 
une  terre  du  nom  de  Saint-Marc.  Après  avoir 
fait  de  bonnes  études  au  collège  du  Plessis,  il 
entra  comme  sous-lieutenant  dans  le  régiment 
d'Aunis,  et  quitta  l'épée  pour  se  charger  d'une 
éducation  particulière.  Il  occupa  depuis  beau- 
coup de  postes  semblables ,  et  le  seul  dont  il 
tira  honneur  et  profit  à  la  fois  fut  celui  qu'il 
remplit  auprès  du  comte  de  Saint-Nectaire  l'a- 
veugle. Justement  dégoûté  d'une  profession  si 
ingrate,  il  prit  le  parti  de  se  consacrer  à  l'étude, 
et  ajouta  à  ses  modiques  ressources  en  travail- 
lant pour  le  compte  des  libraires.  Malgré  un  la- 
beur assidu,  il  vécut  dans  une  extrême  pauvreté, 
et  mourut  d'un  coup  de  sang  en  pleine  rue,  à 
l'âge  de  soixante  et  onze  ans.  Saint-Marc  avait 
beaucoup  d'érudition  et  connaissait  plusieurs 
langues;  il  se  délassait  de  l'aridité  des  recherches 
historiques  en  composant  des  vers;  ses  études 
suivies  n'avaient  rien  pris  sur  la  bonté  de  son 
cœur,  mais  il  écrivait  dans  un  style  pesant  et 
décoloré ,  et  ses  remarques  n'accusent  pas  tou- 
jours un  goût  bien  pur.  Ses  propres  ouvrages 
sont  :  Supplément  au  Nécrologe  de  Port-Royal , 
1735,  in-4°,  avec  le  concours  de  l'abbé  Goujet, 
son  ami  ;  dans  la  même  année  il  avait  publié  des 
Remarques  sur  la  préface-  lu  Nécrologe,  in-4o  ; 
—  Vie  de'  Pavillon,  évëque  d'Aletfi;  Saint- 
Mihiel,  1738,  3  vol.  in-8° ;  Utrecht  (Paris), 
1739,3voL  in- 12;  en  collaboration  avec  La  Chas- 
sagne;  —  Vie  de  Philippe  Hecquet,  ancien  doyen 
de  la  Faculté  de  médecine  de  Paris  /Paris, 
1740,in-t2; "—  Le  Pouvoir  de  Vamour;  Paris, 
1743,  in-4",  ballet  en  vers,  joué  avec  succès  à 
l'Opéra;  —  Éloge  de  Claude  Capperonnier  ; 
Paris,  1744,  in-4°;  —  Abrégé  chronologique 
de  l'histoire  d'Italie;  476-1229;  Paris,  1761- 
70,  6  vol.  in-8°  :  rédigé  sur  le  plan  de  l'Abrégé 
du  président  Hénault,  cet  ouvrage  est  d'une 
lecture  fatigante  par  la  prolixité  du  style  et  par 
la  singularité  de  l'orthographe  adoptée;  le  t.  VI 
a  été  publié  par  Lefèvre  de  Beauvray  ;  —  les 


59  SAINT-MARC  — 

t.  XVlIet  XVIII  du  journal  Le  Pour  et  le  Contre, 
fondé  par  l'abbé  Prévost.  Comme  éditeur,  on 
lui  doit  la  publication  des  ouvrages  suivants, 
enrichis  pour  la  plupart  de  notes  estimées  :  Mé- 
moires de  Feuquières  (1734,  3  vol.  in-12); 
Œuvres  de,  Pavillon  (1747,2  vol.  in-12),  de 
Boileau  (1747,  5  vol.  in-S°),  de  Chaulieu  (1749, 
2  vol.  in-12),  de  Chapelle  et  Bachaumont  (1754, 
in-12);  Médecin  des  pa«î;resdeHecquet(1749), 
Histoire  d'Angleterre  de  Rapin  de  Toiras  (1750, 
16  vol.  in-4°);  Poésies  de  Lainez  (1753),  de 
Malherbe  (1757),  et  de  Lalanne,  Saint-Pavin  et 
Charleval  (1759).  Toutes  ces  éditions  offrent  des 
avantages  sur  celles  qui  les  avaient  précédées  ;  il 
fauten  excepter  cellede  Boileau,  qui  ne  se  distin- 
gue ni  parla  solidité  ni  par  l'à-propos  descritiques. 

Lefèvre  de  Beauvray,  Notice  à  la  tête  du  t.  VI  de 
l'abrégé  de  l'/iist.  d'Italie.  —  Nécrol.  des  hommes  cé- 
lèbres, 1770. 

SAINT-MARC.   VoiJ.  GuÉNlN. 

*  SAINT-MARC  GIRARDIN   (MtlTC  GlRARDlN 

dit),  professeur  et  écrivain  français,  né  à  Paris, 
le  19  février  1801.  Sorti  d'une  famille  de  com- 
merçants, il  lit  d'excellentes  études,  au  collège 
Henri  IV  ;  quoiqu'il  se  destinât  à  l'enseigne- 
ment, il  fit  son  droit  et  fut  reçu  avocat. 
En  1823  il  fut  nommé,  au  concours,  agrégé  des 
classes  supérieures  des  lettres.  Ses  opinions  li- 
bérales le  tinrent  éloigné  de  l'université  jus- 
qu'en 1827,  où  il  fut  chargé  de  la  chaire  de 
seconde  au  lycée  Louis-le-Grand.  Dès  1822 
il  avait  obtenu  le  premier  accessit  du  prix  d'é- 
loquence à  l'Académie  française  par  Y  Éloge  de 
Lesage  (  Paris ,  1822,  in-8°).  Son  Éloge  de 
Bossuet  (Paris,  1827,  in-4°)  fut  couronné 
en  1827,  et  en  1828  il  partagea  avec  M.  Phila- 
rète  Chasles  le  prix  pour  le  Tableau  de  la  lit- 
térature française  au  seizième  siècle  (Paris, 
1839,  in-8°).  Le  gouvernement  de  Juillet  lui 
confia  en  1833  d'abord  la  suppléance  de  M.  Guizot 
à  la  Sorbonne ,  dans  la  chaire  d'histoire ,  et  le 
nomma  en  1833  titulaire  de  la  chaire  de  poésie 
française,  à  .la  mort  de  M.  Laya.  Dans  un 
premier  voyage  en  Allemagne,  il  avait  passé 
trois  mois  à  Berlin ,  s'était  lié  avec  E.  Gans,  et 
avait  entendu  Hegel  (1830).  Chargé  en  1833d'é- 
tudier  les  établissements  d'instruction  de  l'Al- 
lemagne, il  descendit  les  bords  du  Danube,  et 
visita  Vienne;  il  a  consigné  ses  observations 
dans  des  Notices  politiques  et  littéraires 
(Paris  1834,  1845,  in-8°),  dans  un  Rapport  sur 
l'instruction  intermédiaire  en  Allemagne 
(1835-1838,  2  parties  in-8°  )•  H  avait  débuté 
dans  la  vie  politique  comme  journaliste  au  Jour- 
nal des  Débats,  et  était  entré  en  1830  comme 
maître  des  requêtes  au  conseil  d'Etat.  En  1834 
le  collège  de  Saint-Yrieix  (  Haute  -  Vienne)  l'en- 
voya à  la  chambre  des  députés,  où  il  siégea 
jusqu'à  l'époque  de  la  coalition,  dont  il  était 
l'adversaire.  Non  réélu  en  1839,  il  fit  un  voyage 
en  Orient,  et  rentra  à  la  chambre  en  1842,  et  re- 
présenta le  même  arrondissement  jusqu'à  la  ré- 


SAINT-MARÏIN 


GO 


volution  de  1848.  11  prit  plusieurs  fois  la  parole 
sur  les  affaires  étrangères,  surtout  sur  la  ques- 
tion d'Orient,  dontil  a  fait  une  étude  approfondie. 
Il  a  été  rapporteur  de  la  loi  sur  l'instruction  se- 
condaire en  1837.  Dans  le  cours  de  cette  année, 
il  fut  nommé  membre  du  conseil  royal  de  l'ins- 
truction publique  et  conseiller  d'État  en  service 
extraordinaire.  Sous  la  république,  et  depuis 
l'empire,  M.  Saint-Marc  Girardin  n'a  pris  part  à 
la  politique  que  comme  publiciste,  dans  la 
Revue  des  deux  mondes  et  le  Journal  des 
débats.  Lors  de  la  suppression  de  l'ancien 
conseil  de  l'instruction  publique  (1852),  il  est 
devenu  l'un  des  membres  qui  représentent  l'Ins- 
titut dans  le  nouveau  conseil  supérieur  ;  il  avait 
été  élu  à  l'Académie  frauçaise  le  18  février  1844, 
à  la  place  de  Campenon.  M.  Saint-Marc  Girardin 
a  été  deux  fois  péniblement  frappé  dans  ses  affec- 
tions de  famille  :  sa  première  femme  se  noya  par 
accident  dans  la  Seine  (  29  août  1835),  et  son  fils 
aîné  a  péri  delamêmemoridansl'Yères,  e-a  î  861. 
Un  dernier  malheur,  la  mort  de  son  gendre,  l'a  dé- 
cidé à  quitter,  en  novembre  1863,  la  chaire  qu'il 
avaitr  emplie  avec  tant  d'éclat.  M.  Saint-Maie  Gi- 
rardin réunit  le  double  mérite  du  littérateur  et  de 
l'homme  d'État;  mais  ce  qui  a  le  plus  contribué 
à  sa  réputation,  c'est  son  cours  à  la  Sorbonne.  Ne 
séparant  pas  dans  ses  leçons  la  morale  de  la  lit- 
térature ,  éclairant  le  passé  par  des  rapproche- 
ments fréquents  avec  les  choses  présentes,  défen- 
seur fidèle  et  chaleureux  des  idées  libérales,  et 
enfin,  mêlant  atout  beaucoup  d'esprit,  il  a  retrouvé 
pendant  trente  ans  un  auditoire  de  jeunes  gens 
et  d'hommes  de  goût  toujours  enthousiaste  et 
toujours  nombreux.  Son  enseignement  a  été 
l'origine  d'un  ouvrage  très-répandu  (  Cours  de 
littérature  dramatique,  ou  de  V Usage  des 
passions  dans  le  draine;  Paris,  1843  et  suiv., 
4  vol.  in-18) ,  remarquable  par  la  justesse  des 
vues,  la  clarlé  et  l'élégance  du  style.  Les  mêmes 
qualités  se  retrouvent  dans  ses  autres  œuvres  : 
Essais  de  littérature  et  de  morale  (1845, 
2  vo).  in-18);  De  l'instruction  intermédiaire 
(2  vol  in-18)  ;  Souvenirs  et  voyages  (2  vol.).  Ses 
principaux  articles  des  Débats  ont  été  recueillis 
dans  les  Souvenirs  et  réflexions  politiques 
d'un  journaliste  (1859,  in-8°).  Parmi  les  nom- 
breux articles  publiés  par  M.  Saint-Marc  Girardin 
dans  la  Revue  des  deux  mondes,  il  faut  noter 
ceux  sur  la  poésie  chrétienne,  sur  la  vie  et  les  ou- 
vrages de  J.-J.  Rousseau  et  sur  la  question  d'O- 
rient. En  1863,  le  discours  qu'il  a  prononcé  sur 
les  prix  Montyon  a  été  remarqué,  comme  un 
petit  chef-d'œuvre  de  goût,  de  style  et  de  senti- 
ment. G.  R. 
Revue  des  deux  mondes,  15  février  1843. 
SAINT-MARD.   Foy.  RÉMOND. 

saint-martin  (  Michel  de),  né  à  Saint-Lô, 
le  ter  mars  16  I4,mort  à  Caen,)e  14  novembre  1687. 
Son  père  avait  épousé  une  demoiselle  de  Caen. 
Ayant  acheté  une  noblesse  du  Canada,  il  était 


61  SAINÏ- 

devenu  marquis  de  Miskou.  Héritier  de  ce  titre 
quelque  peu  ridicule,  dont  il  était  cependant  très- 
fier,  il  rapporta  d'un  voyage  en  Italie  une  charge 
de  protonotaire  du  saint- siège  et  un  gros  vo- 
lume sur  le  Gouvernement  de  la  ville  de  Rome. 
Établi  à  Caen ,  il  imita  les  usages  de  la  cour  de 
Rome  dans  ses  habits,  son  genre  de  vie  et  ses 
dévotions.  Devenu  recteur,  il  se  mit  en  tête  de 
faire  porter  des  robes  grises  et  des  toques  à  tous 
les  étudiants,  à  la  manière  des  collèges  de 
Rome.  Il  ne  tarda  pas  à  devenir  un  objet  de 
raillerie  pour  les  habitants  de  Caen.  Il  s'était 
prémuni  contre  le  froid  en  portant  sept  che- 
mises, sept  paires  de  bas  et  autant  de  culottes. 
Il  couchait  sur  un  lit  de  briques  30us  lequel  était 
placé  un  fourneau  pour  entretenir  la  chaleur;  il 
se  faisait  traîner  dans  une  de  ces  voitures  appe- 
lées vinaigrettes,  dont  il  se  prétendait  l'inventeur. 
Aussi  laborieux  que  zélé  pour  les  intérêts  de  ses 
compatrioles,  il  écrivît  un  grand  nombre  d'ou- 
vrages, qu'il  imprimait  à  ses  frais  et  distribuait 
à  ses  amis,  et  il  proposa  ou  fit  exécuter  plu- 
sieurs améliorations  dont  la  ville  aurait  pu  lui 
savoir  plus  de  gré  II  n'en  fut  pas  moins  vic- 
time de  mystifications  qui  font  peu  d'honneur 
à  ceux  qui  profitèrent  de  la  faiblesse  d'un  vieil- 
lard revêtu  de  graves  fonctions  pour  le  rendre 
à  jamais  ridicule.  On  se  figurerait  difficilement 
aujourd'hui  que  les  faits  rapportés  dans  la  Man- 
darinade  de  l'abbé  Porée  (  La  Mandarinade , 
ou  Histoire  comique  du  mandarinat  de 
M.  l'abbé  de  Saint-Martin,  marquis  de  Mis- 
kou; La  Haye  1738,  3  vol.  in-12)  aient  été 
des  faits  réels.  La  ville  de  Caen  tout  entière, 
s'associant  à  la  jeunesse  des  écoles  et  guidée 
par  un  grave  magistral,  M.  Gonfrey,  parent 
de  l'abbé  de  Saint  Martin,  et  forte  de  l'appui 
d'un  de  ses  échevins  (c'était  le  poète  Segrais) , 
avec  le  concours  du  marquis  de  Coigny,  son 
bailli  et  son  gouverneur,  abusa  de  la  crédulité 
du  pauvre  recteur,  affublé  du  nom  d'abbé 
de  la  Calotte ,  jusqu'à  lui  offrir  et  lui  faire  ac- 
cepter, dans  une  cérémonie  que  lui  seul  prit 
au  sérieux,  le  bonnet  de  mandarin  de  Siam. 
Cela  eut  lieu  publiquement  en  l'année  1685,  au 
milieu  des  scènes  les  plus  bouffonnes,  dont  l'é- 
clat dépasse  de  bien  loin  ce  qu'a  pu  imaginer 
l'auteur  du  Bourgeois  gentilhomme. 

L'abbé  de  Saint-Martin  mourut  bien  persuadé 
qu'il  était  réellement  mandarin  de  Siam.  Il  fut 
enterré  dans  une  chapelle  magnifique,  qu'il  avait 
fait  construire  dans  le  couvent  des  Cordeliers  de 
Caen.  Il  avait  fondé  dans  la  même  ville  plusieurs 
établissements  d'utilité  publique.  Il  l'avait  ornée 
d'un  grand  nombre  de  statues  ;  il  avait  fait  rele- 
ver la  belle  croix,  abattue  par  les  hugue- 
nots, réédifié  à  ses  frais  l'école  de  théologie, 
fondé  une  chaire  de  théologie  dans  le  collège 
des  Jésuites ,  etc.  L'abbé  Michel  de  Saint-Mar- 
tin a  publié  :  Le  Gouvernement  de  Rome, 
où  il  est  traité  de  la  religion,  de  la  Justice 
et  de  la  police  ;  Caen,   1652,  in- 8°;—  Voyage 


MARTIN 


62 


1  fait  au  Mont-Saint-Michel  par  la  con- 
frérie de  l'église  de  Saint-Pierre  de  Caen; 
Caen,  1654;  —  Le  bon  et  libéral  Officier, 
ou  la  vie  et  mort  de  Jean  du  Bois,  conseiller 
en  la  cour  des  monnaies  de  Saint- Lô ; 
Caen,  1655-1658,  in-12  ;  —  Récit  de  l'entrée 
solennelle  dans  Bayeux  de  SW  de  Nes- 
mond,  évêque  de  la  même  ville;  Caen, 
1662,in-4°;  —  Respect  dû  aux  églises  et 
aux  prêtres;  Caen,  1664  ; —  Relation  d'un 
voyage  fait  en  Flandres,  Brabant,  Haïnaut, 
Artois,  Cambrésis,  etc.,  en  l'année  16G1  ;  Caen, 
1667,  in-12; —  Traité  des  Images  en  bosse 
qui  sont  dans  les  places  de  Caen,  où  l'on 
voit  plusieurs  épitaphes  de  pavents  et  amis  de 
M.  de  Saint-Martin ,  la  description  de  sa  belle 
chapelle,  de  son  cabinet  doré  et  autres  matières 
curieuses;  Caen,  1658,  in-12  ;  —  Description  de 
la  ville  de  Saint-L6,  particulièrement  de  la 
belle  église,  et  du  cardinal  du  Perron  ;  Caen . 
1680,  in-12;  —  Le  Livret  des  voyageurs  à  Caen, 
avec  son  supplément;  livret  des  plus  curieux;  — 
Portrait  et  éloge  de  Ch.  de  Lorme,  médecin; 
Caen,  1682,  pet.  in-12;  —  Moyens  faciles  et 
éprouvés  dont  M.  de  Lorme  s'est  servi  pour 
vivre  près  de  cent  ans;  Caen,  1682.  On  trouve 
dans  ce  dernier  ouvrage  des  détails  intéressants 
sur  le  médecin  de  Lorme,  que  l'abbé  de  Saint- 
Martin  avait  beaucoup  connu.  M.  Beuchot,  dans 
la  Biographie  universelle,  avait,  d'après  Dreux 
du  Radier,  fait  naître Marion de  Lorme  en  1614ou 
1615,  d'une  famille  bourgeoise  de  Châlous  en 
Champagne.  Les  indications  plus  précises  de. 
l'abbé  de  Saint-Martin  prouvent  qu'elle  était  bien 
la  fille  du  célèbre  médecin.  «  Une  fille  naturelle, 
dit-il,  dans  l'ouvrage  dont  nous  venons  de 
transcrire  le  titre,  une  fille  naturelle  et  légi- 
timée, avec  le  droit  de  prendre  le  nom  et  les 
armes  de  son  père ,  fut  le  fruit  précoce  d'une 
folle  passion;  c'est  la  fameuse  Marion  de 
Lorme.  »  C.  Hippeau. 

Mélanges  cîe  Vigneul-Marville.  —  Huet,  Oriyines  de 
Caen.—  Rcimeville,  Hist.  de  la  Bastille.  —  La  Manda- 
rinade de  l'orée.  —  Éloge  des  deux  frères  Porée,  par 
M.  Alieauroe  (Mémoires  de  l'Académie  de  Caen,  1855) 
et  rapport  fait  sur  cet  ouvrage  par  M.  C.  Hippeau.  — 
Ed.  Frère,  Le  Bibliographe  normand. 

saint-siartin  (Louis-Claude  de),  dit  le 
Philosophe  inconnu,  né  le  18  janvier  1743,  à 
Amboise,  mort  le  13  octobre  1803,  à  Aunay,  près 
Paris.  Ayant  perdu  sa  mère  au  berceau,  il  dut  à 
la  tendresse  éclairée  de  sa  belle-mère  cette  édu- 
cation, grave  et  douce  à  la  fois,  qui  le  fit,  disait- 
il,  aimer  de  Dieu  et  des  hommes.  De  bonne 
heure  il  s'accoutuma  à  la  méditation,  et  ce  fut 
dans  un  livre  ascétique,  L'Art  de  se'  connoilre 
soi-même,  d'Abbadie,  qu'il  s'initia  confusément 
au  renoncement  des  choses  de  ce  monde.  Du 
collège  de  Pont-le-Voy  il  passa  à  l'école  de  droit  : 
son  père  le  destinait  à  la  magistrature ,  et  en  fils 
respectueux  il  se  fit  recevoir  avocat  au  prési- 
dial  de  Tours.  Au  bout  de  six  mois  de  pratique 
il  n'était  pas  capable  de  distinguer  «  qui ,  dans 


C3 


SAlNT-MART-rN 


64 


«ne  cause  jugée,  avait  gagné  ou  perdu  son 
procès  »,  et  il  obtint  la  permission  d'embrasser 
le  métier  des  armes  ;  il  s'y  décida,  non  par 
goiit  ou  par  ambition  (il  détestait  la  guerre  et 
s'écartait  du  monde),  mais  pour  continuer  à 
loisir  l'étude  de  la  religion  et  de  la  connaissance. 
Le  duc  de  Choiseul ,  pour  obliger  sa  famille,  lui 
avait  accordé  un  brevet  de  lieutenant  dans  le 
régiment  de  Foix,  alors  en  garnison  à  Bordeaux 
(1765).  Ses  aspirations  enthousiastes  trouvèrent 
dans  cette  ville  un  aliment  plein  de  séductions. 
Il  y  rencontra  un  de  ces  hommes  mystérieux 
comme  ce  siècle  en  a  tant  produits ,  charlatans 
de  génie  ou  rêveurs  chimériques ,  qui ,  emprun- 
tant des  armes  à  l'arsenal  du  merveilleux,  mé- 
prisaient la  science ,  luttaient  contre  les  philo- 
sophes ,  et  revendiquaient  hardiment  au  nom 
de  leurs  pratiques  secrètes  l'empire  du  monde, 
qui  passait  à  la  raison  :  il  s'appelait  Marti- 
nez  de  Pasqualis,  Portugais  de  race  orien- 
tale et  chrétien  d'origine  juive,  qui  depuis 
plus  de  dix  ans  tenait  dans  l'ombre  école  de 
théurg'ie.  Il  ne  cherchait  ni  l'argent  ni  la  re- 
nommée. Qu'enseignait-il  ?  La  réintégration  des 
êtres  dans  leurs  premières  propriétés  spirituelles 
et  divines,  et  à  ses  leçons  il  joignait  un  en- 
semble de  formules,  de  rites,  d'opérations 
propres  à  s'assurer  l'assistance  des  puissances 
supérieures  (1).  Bien  peu  d'adeptes  connurent 
tout  son  secret;  Saint-Martin  le  pénétra;  et  s'il 
demeura  plein  d'admiration  et  de  respect  pour  le 
maître ,  il  se  détacha  avec  le  temps  d'un  sys- 
tème qu'il  jugeait  trop  compliqué.  «  Faut -il  tant 
de  choses  pour  prier  Dieu?  »  avait-^il  demandé 
à  Martinez.  En  quittant  la  voie  des  manifesta- 
tions sensibles,  il  se  renferma  plus  en  lui-même, 
au  centre,  comme  il  disait,  au  lieu  de  se  répandre 
à  la  circonférence.  Mais  cette  évolution  de  sa 
pensée,  elle  ne  se  produisit  complètement  que 
vers  la  fin  de  sa  carrière .  et  pendant  plus  de 
vingt  ans  encore  il  subit  l'influence  de  sa  primi- 
tive initiation  au  spiritualisme  mystique. 

Après  avoir  tenu  garnison  à  Lorient  et  à 
Longwy,  Saint-Martin  quitta  le  service  (1771), 
résolu  à  ne  plus  dépendre  que  de  lui-même,  et 
aussi  à  propager  ses  principes  ,  mission  qu'il 
croyait  avoir  reçue  d'enhaut.  Il  courut  rejoindre 
à  Paris  son  maître  Martinez  (1774),  puis  à  Lyon. 
Sa  première  liaison  intime  fut  avec  le  comte 
d'Hauterive,  et  date  de  Lyon ,  où  pendant  plu- 
sieurs années  l'école  martiniste  avait  trouvé 
dans  les  loges  maçonniques  de  véritables  sanc- 
tuaires de  mysticité.  Il  prit  une  part  active  à 
leurs  conférences,  sans  qu'on  puisse  trop  démêler 
quel  était  l'objet  de  ses  préférences  d'alors  des 
expériences  mesmériennes  ou  des  études  Ihéur- 

(1)«  Les  connaissances  surnaturelles,  dit  J.  de  Malstre 
en  parlant  de  celle  secte  d'illuminés,  sont  le  grand  but 
de  leurs  travaux  et  de  leurs  espérances;  ils  ne  doutent 
point  qu'il  ne  soit  possible  à  l'homme  de  se  mettre  en 
communication  avec  le  monde  spirituel,  d'avoir  un  com- 
merce avçc  les  esprits,  et  de  découvrir  ainsi  les  plus  rares 
mystères.  »  Voy.  les  Soirées  de  iaint-Pélersbourg. 


giques.  Ajoutons  toutefois  qu'il  ne  dut  pas  s'at- 
tarder longtemps  aux  premières,  lui  qui  ne 
voyait  dans  Mesmer  «  qu'un  matérialiste  dispo- 
sant d'une  grande  puissance  ».  A  mesure  que  les 
idées  de  son  maître  se  répandaient,  il  s'en  écar- 
tait davantage ,  et  il  refusa  de  participer  aux 
opérations  des  Grands  Profès  et  des  Philalèthes, 
sociétés  parisiennes  qui  lui  semblaient  avoir 
abandonnée  vrai  but  de  lathéurgie,  la  science 
des  esprits.  A  cette  époque  il  avait  publié  son 
premier  livre,  Des  Erreurs  et  de  la  vérité 
(1775),  réfutation  des  théories  du  matérialisme 
faite  à  l'aide  de  la  théorie  gnostique  de  l'émana- 
tion ou  des  agents  spirituels  émanés  du  Verbe, 
cause  unique  (1).  Dans  le  monde  Saint-Martin 
ne  menait  pas  la  vie  d'un  sectaire  ou  d'un  en- 
thousiaste. Sa  figure  expressive,  une  extrême 
réserve,  ses  façons  polies  et  douces,  un  vif  désir 
de  plaire  le  firent  rechercher  partout  avec  in- 
térêt. Le  Philosophe  inconnu  (ainsi  se  désignait- 
il  lui-même)  n'aspirait  qu'à  être  connu;  spirituel 
et  gai ,  penseur  original  et  homme  de  bonne 
compagnie,  il  fréquentait  dans  les  meilleures 
maisons  de  Paris  et  les  plus  aristocratiques, 
comme  les Lusignan,  les  Bouillon, les  Choiseul, 
les  Noailles,  les  Clermont-Tonnerre.  11  recher- 
chait les  savants  et  les  lettrés ,  mais  il  tenait  le 
clergé  à  l'écart.  Il  admirait  dans  Voltaire  «  un 
monument  de  l'esprit  humain  »  ;  il  aimait  Rous- 
seau, avec  qui  il  se  trouvait  plus  d'une  ressem- 
blance. En  1778,  de  passage  à  Toulouse,  il 
faillit  par  deux  fois  s'engager  dans  le  mariage; 
ces  velléités  s'évanouirent,  car  mille  expériences 
lui  avaient  appris  «  qu'il  n'était  né  que  pour  une 
seule  chose  ».  La  société  des  femmes  l'attirait 
pourtant ,  parce  qu'elles  l'aidaient  «  à  se  mon- 
trer »  et  «  à  sortir  de  lui-même  »  ;  aussi  ses 
plus  fidèles  amies  comme  ses  plus  ferventes 
adeptes  furent-elles  les  marquises  de  la  Croix,  de 
Lusignan  et  de  Chabanais ,  la  duchesse  de  Bour- 
bon ,  la  maréchale  de  Noailles.  C'est  pour  satis- 
faire à  leurs  demandes,  encore  plus  qu'à  celles 
des  autres  initiés ,  qu'il  entreprit  d'exposer  avec 
plus  de  clarté  sa  doctrine,  sous  le  titre  de  Tableau 
naturel  des  rapports  qui  existent  entre  Dieu, 
l'homme  et  l'univers  (  1782  ).  Partant  de  ce 
principe,  que  nos  facultés  internes  sont  les  vraies 
causes  de  nos  oeuvres  externes ,  il  admet  que 
dans  l'univers  entier  les  puissances  cachées  sont 
de  même  les  vraies  causes  de  tous  les  phéno- 
mènes; que  cette  vérité  est  visible  dans  tout 
ce  qui  nous  environne,  mais  que  Dieu  l'a  im- 
primée plus  clairement  encore  dans  cequi  forme 
le  caractère  distinctif  de  l'homme;  et  que  par 
conséquent  l'étude  approfondie  de  la  vraie  na- 

(1)  Le  maréchal  rie  Richelieu,  qui  avait  du  goût  pour  le 
Jeune  auteur,  avait  parlé  à  Voltaire  de  eet  ouvrage.  «  Le 
livre  que  vous  avez  lu  tout  entier,  répondit  le  malin 
vieillard,  je  ne  le  connais  pas;  mais  s'il  est  bon,  11  doit 
contenir  cinquante  volumes  in-folio  sur  la  première  par- 
tic  et  une  demi- page  sur  la  seconde.  »  Plus  tard, il  lut  le 
livre,  et  le  critiqua  durement  dans  une  lettre  à  D'Alem- 
bert. 


65  SAINT- 

tuve  de  l'homme  doit  nous  mener  par  induction 
à  la  science  de  l'ensemble  des  choses.  Or,  les 
facultés  intellectuelles  de  l'homme  sont,  d'après 
Saint- Martin ,  une  preuve  incontestable  qu'il 
en  existe  hors  de  lui  d'un  ordre  bien  supérieur 
aux  siennes,  qui  produisent  en  lui  les  pensées; 
car  les  mobiles  de  sa  pensée  n'étant  pas  à  lui ,  il 
ne  peut  trouver  ces  mobiles  que  dans  unesource 
intelligente  qui  ait  des  rapports  avec  son  être, 
et  sans  lesquels  !e  germe  de  sa  pensée  resterait 
inefficace.  Cette  théorie,  qui  passa  inaperçue 
dans  le  monde,  causa  une  vive  sensation  chez 
les  martinistes,  et  en  1784  la  Société  des  phila- 
lèthes  de  Paris  engagea  l'auteur  à  s'unir  à  elle. 
Saint-Martin,  qui  avait  eu ,  quelques  années  au- 
paravant ,  des  entrevues  avec  les  philalèthes  à 
Versailles,  où  il  s'était  attaché  M.  Gence,  les 
avait  quittés,  mécontent  de  ce  qu'ils  n'élaient  ini- 
tiés que  parles  cérémonies  extérieures,  par  les 
formes;  il  ne  déféra  pas  à  leur  invitation,  sous 
prétexte  qu'ils  s'adonnaient  à  la  recherche  de  la 
pierre  philosophale. 

Vers  17S6,  Saint-Martin  fit  un  voyage  en  An- 
gleterre, où  il  se  lia  étroitement  avec  le  théo- 
sophe  William  Law,  il  se  prit  surtout  d'affection 
pour  les  Russes,  qui  lui  parurent  plus  portés 
au  spiritualisme.  Le  prince  Alexis  Galitzin  devint 
son  élève  et  son  ami,  et  l'emmena  visiter  l'Italie 
en  1787.  Saint-Martin,  qui  dans  une  courte 
excursion  en  1775,  ne  s'était  arrêté  qu'à  Gênes, 
alla  jusqu'à  Rome,  où  il  passa  plusieurs  mois, 
vivant,  selon  son  habitude,  dans  la  plus  hante 
société.  A  son  retour  (juin  178S),  il  se  fixa  à 
Strasbourg ,  où  il  fut  attiré  probablement  par  le 
désir  de  connaître  les  ouvrages  de  Jacques 
Bothnie.  Deux  personnes,  Rodolphe  Salzmannet 
surtout  Mm?  de  Bœcklin,  l'initièrent  à  l'étude  de 
cet  illuminé.  Cette  dame,  née  la  même  année 
que  Saint-Martin ,  avait  quarante-cinq  ans  lors- 
qu'elle le  connut;  mère  de  plusieurs  enfants  et 
grand-mère,  elle  restait  belle  encore  et  unissait 
au  charme  de  la  douceur  cet  attrait  de  l'esprit 
qui  est  si  puissant  chez  les  femmes  bien  nées.  Il 
se  forma  entre  elle  et  Saint-Martin  une  de  ces 
amitiés  exaltées  qui  restent  pures  au  milieu  des 
tendresses  mystiques,  et  que  les  esprits  superfi- 
ciels cherchent  en  vain,  et  sans  preuves,  à  trans- 
former en  vulgaires  passions  (1).  Pendant  troisans 
ils  se  virent  chaque  jour,  et  depuis  deux  mois  ils 
avaient  exécuté  leur  projet  de  vivre  sous  le  même 
toit,  lorsque  Saint-Martin  fut  rappelé  par  son 


(1)  Pour  apprécier  la  nature  des  relations  de  Saint-Mar- 
tin avec  M»"  de  Bœcklin,  II  sufût  peut-être  de  remarquer 
qu'il  s'en  glorifie,  et  ae  voir  combien  il  regrette  les  pas- 
sions de  sa  jeunesse  :  «  J'ai  été  très-chaste  dans  mon 
enfance...  SI  ceux  qui  devaient  veillersur  mol  m'eussent 
conduit  comme  j'aurais  désiré  de  l'être,  cette  vertu  ne 
m'aurait  jamais  abandonné,  et  Dieu  sait  quels  fruits  il  en 
tût  résulté  pour  l'œuvre  auquel  j'étais  appelé!  Mes  fai- 
blesses en  ce  genre  m'ont  été  préjudiciables,  au  point 
que  j'en  gémis  souvent,  et  que  j'en  gémirais  encore  da- 
vantage si  je  ne  sentais  qu'avec  du  courage  et  de  la 
constance  nous  pouvons  obtenir  que  Dieu  répare  tout  en 
nous.  » 

NOUY.   BiOCR.   GÉNÉR.  —  T.  XLI1I. 


MARTIN  66 

père,  qui  était  malade  (juillet  1791).  Les  annéi  s 
qu'il  venait  de  passer  dans  l'étude  l'avaient  ini- 
tié à  une  science  théosophique  supérieure  aux 
doctrines  de  l'école  de  Bordeaux ,  et  avaient 
agrandi  ses  vues  sur  rliistoire,  la  philosophie, 
la  critique  et  la  science  en  général.  Cependant, 
les  ouvrages  qu'il  écrivit  à  Strasbourg  ne  pré- 
sentent presque  pas  la  trace  de  l'influence  de 
Bœhme.  Le  premier,  L'Homme  de  désir  (1790), 
est  un  recueil  d'hymnes  ou  plutôt  d'aspirations 
vers  l'état  primitif  de  l'âme,  et  se  rattache  par  le 
langage  et  la  pensée  à  l'école  martinéziste.  Le 
second,  Le  nouvel  homme  (1792),  fut  composé 
d'après  les  conseils  du  chevalier  de  Silferhielm, 
neveu  de  Svedenborg,  avec  lequel  Saint-Martin 
eut  des  relations  suivies  au  commencement  du 
séjour  qu'il  fit  à  Strasbourg.  Ce  livre  enseigne 
que  l'homme,  aujourd'hui  vieilli,  doit  s'efforcer  de 
revenir  à  sa  jeunesse  primitive,  que  son  âme 
est  une  pensée  de  Dieu,  que  cette  pensée  est  son 
renouvellement,  sa  gloire,  sa  puissance;  qu'elle 
le  rendra  maître  de  l'uni  vers.  VEcce  homo  (17  92), 
écrit  pour  la  duchesse  de  Bourbon,  n'est  qu'une 
reproduction  des  doctrines  du  Nouvel  homme, 
avec  des  détails  qui  font  toucher  au  doigt  l'infir- 
mité du  vieil  homme,  tels  que  son  penchant  a'i 
merveilleux  d'un  ordre  inférieur,  au  somnambu- 
lisme, etc. 

Saint-Martin,  tombé  de  Strasbourg,  son  pa- 
radis, dans  Amboise,  son  enfer  (1),  fit  bien  des 
tentatives  pour  rejoindre  Mine  de  Bœcklin  ; 
mais  la  maladie  de  son  père  se  prolongea,  et  il 
fut  obligé  de  rester  auprès  de  lui.  Toujours 
préoccupé  du  progrès  de  ses  idées,  il  ne  se 
mêla  pas  au  mouvement  politique,  et  ne  fut  pas 
iroublé  par  les  événements  qui  agitaient  la 
France;  il  continuait  à  correspondre  sur  des 
sujets  mystiques  et  abstraits  avec  sa  chère  B.., 
son  ami  Divonne,  et  le  baron  bernois  Kirch- 
berger  de  Liebisdorf,  qu'il  ne  vit  jamais,  bien 
qu'ils  aient  échangé  des  lettres  pendant  sept 
ans.  Vers  le  milieu  de  1793,  il  fut  obligé,  pour 
ne  pas  se  rendre  suspect,  de  renoncer  à  sa  cor- 
respondance avec  Divonne,  qui  était  émigré,  et 
avec  Mrae  de  Bœcklin .  Le  père  de  Saint-Martin 
était  mort  au  mois  de  janvier  1793  ;  mais  des 
raisons  que  nous  ne  connaissons  pas  l'empê- 
chèrent de  retourner  auprès  de  son  amie;  ii 
continua  à  vivre  à  Amboise,  faisant  de  rares  sé- 
jours à  Paris,  ou  dans  la  retraite  de  la  duchesse 
de  Bourbon  à  Petit-Bourg.  Les  excès  de  la  ré- 
volution l'attristaient,  il  regardait  sa  «  besogne 
comme  une  pitié  »  ;  mais  il  reconnaissait  la 
grandeur  du  mouvement  et  la  beauté  du  but. 
Vivant  dans  un  isolement  presque  complet,  ii 

(1)  «  11  y  a  (rois  villes  en  France,  dit-il,  dont  l'une  est 
mon  paradis,  et  c'est  Strasbourg,  l'autre  est  mou 
enfer  (  Amboise  ),  et  l'autre  est  mon  purgatoire  (Paris'. 
Dans  mon  paradis,  je  pouvais  parler  et  entendre  parler 
régulièrement  des  vérités  que  J'aime;  dans  mon  enfer, 
je  ne  pouvais  ni  en  parler  ni  en  entendre  parler,  parce 
que  tout  ce  qui  tenait  à  l'esprit  y  était  antipathique  : 
c'était  proprement  un  enfer  de  glace,  etc.  » 


67 

se  concentrait  dans  ses  théories  mystiques  et 
dans  sa  traduction  de  Bœhme.  Le  16  mai  1794 
il  fut  chargé  de  dresser  le  catalogue  des  livres  et 
manuscrits  tirés  des  maisons  ecclésiastiques 
supprimées  par  la  loi.  Son  district  le  choisit  en- 
suite comme  candidat  à  l'École  normale.  Malgré 
son  âge,  il  accepta  cette  position  d'élève  profes- 
seur, par  cette  raison  qu'il  faut  s'associer  au  tra- 
vail «  quand  il  ne  s'agit  ni  de  juger  les  humains 
ni  de  les  luer  ».  Il  allait  donc  cesser  d'être, 
selon  son  expression,  le  Robinson  Crusoé  de  la 
spiritualité,  et  reprendre  sa  mission  dans  le 
monde.  Nous  le  voyons  s'installer  à  Paris  rue 
de  Tournon,  monter  sa  garde  au  Temple  et  re- 
nouer avec  ses  anciens  amis.  L'École  fut  ouverte 
à  la  fin  de  janvier  1795.  La  manière  dont  on  y 
comprit  l'enseignement  fut  loin  de  satisfaire 
Saint-Martin;  il  regarda  surtout  comme  un 
danger  l'idéologie  sensualiste  de  Garât,  et,  dans 
deux  de  ces  conférences  où  les  auditeurs 
étaient  invités  à  présenter  leurs  observations,  il 
demanda  que  le  sens  moral  fût  reconnu  d'une 
manière  formelle,  que  la  matière  non  pensante 
fût  mise  à  sa  véritable  place,  et  qu'on  affirmât 
la  nécessité  d'une  parole  première  donnée  à 
l'homme  dès  sa  création.  Garât  répondit,  et 
chacun  des  deux  adversaires  s'attribua  la  vic- 
toire. Ces  discussions  ne  se  renouvelèrent  pas, 
l'École  ayant  été. fermée  le  9  mai  1795.  Peu 
lie  temps  après  ,  Saint-Martin  publia  ses  Consi- 
dérations sur  la  révolution  française  (1795). 
«  Pour  mener  la  révolution,  cette  grande  crise 
de  la  société,  dit-il,  à  ses  fins  véritables,  il  faut 
en  faire  une  régénération  de  l'humanité  en  son 
état  primitif,  en  son  point  de  départ.  »  Et  con- 
fondant la  religion  avec  la  politique,  il  en  ar- 
rive à  un  rêve  de  théocratie,  que  l'on  regarde 
non  sans  raison  comme  le  précurseur  des  idées 
théocratiques  de  Joseph  de  Maistre.  Seulement, 
pour  Saint-Martin  la  religion  catholique,  qui  a 
été  déshonorée  par  le  trafic  et  l'imposture,  n'est 
plus  le  salut  de  l'humanité,  et  la  Providence 
saura  bien  en  faire  naître  une  autre  du  cœur  de 
l'homme.  Quant  au  fait  même  de  la  révolu- 
tion française,  il  le  regarde  comme  la  révolution 
du  genre  humain,  comme  une  miniature  du  juge- 
ment dernier.  «  Les  pays  qui  ne  valent  pas  mieux 
que  la  France  ne  seront  pas  plus  épargnés 
quand  le  temps  de  leur  visite  sera  arrivé.  »  En 
1797,  Saint-Martin  revit  Petit-Bourg  et  la  du- 
chesse de  Bourbon,  rendue  à  la  liberté,  puis 
Champlâtreux  et  Mme  Mole.  L'année  suivante  il 
fit  paraître  Le  Crocodile,  poëme  allégorique, 
grotesque  et  bizarre,  souvent  lourd,  obscur  et 
même  incompréhensible,  et  dans  lequel  il  a  in- 
tercalé un  mémoire  d'une  métaphysique  pro- 
fonde sur  la  question,  mise  au  concours  par 
l'Institut,  De  l'Influence  des  signes  sur  la  for- 
mation des  idées.  En  1802  il  donna  son  der- 
nier ouvrage  original,  Le  Ministère  de  V homme- 
esprit  ;  il  y  démontrait  comment  l'homme,  exer- 
çant un  ministère  spirituel  sur  la  terre,  se  ré- 


SAINT-MARTIN  68 

génère  lui-même  et  régénère  les  autres,  c'est-à- 
dire  répète  dans  sa  personne  l'œuvre  que  le 
Christ  a  remplie  dans  l'humanité,  ou,  suivant  sa 
langue  théosophique,  rend  le  Logos  (le  Verbe)  à 
l'homme  et  à  la  nature.  L'influence  de  Jacques 
Bœhme  est  sensible  dans  tout  le  développement 
de  cette  grande  pensée,  et  l'auteur  ne  garde 
presque  plus  rien  de  la  théurgie  de  Martin^z. 
Le  style,  plus  clair  que  dans  la  plupart  de  ses 
autres  écrits,  présente  encore  des  étrangetés  qui 
l'empêchent  d'être  complètement  accessible.  Du 
reste  cet  ouvrage  se  perdit  dans  l'éclat  qui  en- 
toura l'apparition  du  Génie  du  christia- 
nisme (1).  «  Il  est  trop  loin  des  idées  humaines, 
dit  Saint-Martin,  pour  que  j'aie  compté  sur  son 
succès.  J'ai  senti  souvent  en  l'écrivant  que  je 
faisais  là  comme  si  j'allais  jouer  sur  mon  violon 
des  valses  et  des  contredanses  dans  le  cime- 
tière de  Montmartre,  où  j'aurais  beau  faire  aller 
mon  archet,  les  cadavres  qui  sont  là  n'enten- 
draient aucun  de  mes  sons  et  ne  danseraient 
point.  »  Mais  si  Saint-Martin  s'expliquait 
facilement  le  peu  d'attention  et  de  sympathie 
que  montraient  pour  ses  idées  les  hommes  de 
son  temps,  il  ne  désespérait  pas  de  l'avenir,  et 
il  avait  une  haute  idée  du  rôle  qu'il  remplissait, 
comme  on  peut  en  juger  par  les  lignes  suivantes, 
maigre  la  restriction  de  modestie  qui  en  atténue 
la  pensée  ambitieuse  :  «  Descartes  a  rendu  un 
service  essentiel  aux  sciences  naturelles,  en  ap- 
pliquant l'algèbre  à  la  géométrie  matérielle.  Je 
ne  sais  si  j'aurai  rendu  un  aussi  grand  service 
à  la  pensée,  en  appliquant  l'homme,  comme  je 
l'ai  fait  dans  tous  mes  écrits,  à  cette  espèce  de 
géométrie  vive  et  divine  qui  embrasse  tout,  et 
dont  je  regarde  l'homme-esprit  comme  étant  la 
véritable  algèbre  et  l'universel  instrument  ana- 
lytique. Ce  serait  pour  moi  une  satisfaction  que 
je  n'oserais  pas  espérer,  quand  même  je  me  per- 
mettrais de  la  désirer.  » 

Des  relations  passagères  avec  Mma  d'Albany 
et  Mme  de  Krudener  marquèrent  la  dernière 
année  de  sa  vie.  Il  sentit,  sans  se  troubler, 
approcher  sa  fin,  et  n'eut  de  regret  qu'à  une 
chose  :  c'était  de  ne  rien  laisser  «  d'un  peu 
avancé  sur  les  nombres  ».  Cette  question  le 
préoccupait  beaucoup;,  et  il  en  fit  l'objet  d'un 
long  entretien  avec  M.  de  Rossel  la  veille  même 
de  sa  mort.  S'étant  rendu  le  lendemain  (13  oc- 
tobre 1803)  à  Aulnay,  chez  Lenoir- Laroche, 
son  ami,  il  y  mourut ,  d'un  coup  d'apoplexie, 

(1)  Saint-Martia  rechercha  Chateaubriand  avec  em- 
pressement, et  fut  heureux  de  l'entrevue  que  Je  peintre 
Neveu  lui  ménagea.  «  J'aurais  leaucoup  gagné,  dit-il, 
à  le  voir  plus  tôt.  C'est  le  seul  homme  de  lettres  hon- 
nête avec  qui  je  me  suis  trouvé  en  présence  depuis  que 
j'existe.  »  Chateaubriand  railla  d'abord  ce  philosophe 
du  ciel,  ses  paroles  d'oracle,  ses  façons  d'archange. 
«  Depuis  six  mortelles  heures,  ajoute-t-il  ,  j'écoutais 
et  je  ne  découvrais  rien.  A  minuit  l'homme  des  visions 
se  lève  tout  à  coup  :  je  crus  que  l'Espiit  descendait 
mais  M.  de  Saint-Martin  déclara  qu'il  était  épuisé;  11 
prit  son  chapeau,  et  s'en  alla.  »  En  1807  M  eut  un  re- 
mords d'avoir  parlé  avec  un  peu  demoquerie  d'un  homme 
«  d'un  grand  mérite  ». 


«9  SAINT- 

après  avoir  exhorté  ceux  qui  l'entouraient  à 
mettre  leur  confiance  en  Dieu  et  à  vivre  comme 
des  frères.  «  Les  ouvrages  de  Saint-Martin,  dit 
Gence,  ont  pour  but  non-seulement  d'expli- 
quer la  nature  par  l'homme,  mais  de  ramener 
toutes  nos  connaissances  au  principe  dont  l'es- 
prit humain  peut  devenir  le  centre.  La  nature 
actuelle,  déchue  et  divisée  d'avec  elle-même  et 
d'avec  l'homme,  conserve  néanmoins  dans  ses 
lois,  comme  l'homme  dans  plusieurs  de  ses  fa- 
cultés, une  disposition  à  rentrer  dans  l'unité  ori- 
ginelle. Par  ce  double  rapport,  la  nature  se 
met  en  harmonie  avec  l'homme,  de  même  que 
l'homme  se  coordonne  à  son  principe....  Sui- 
vant Saint-Martin ,  l'homme  pris  pour  sujet  ne 
conçoit  ni  n'aperçoit  pas  simplement  l'objet 
abstrait  de  sa  pensée  :  il  le  reçoit,  mais  d'une 
autre  source  que  celle  des  impressions  sensi- 
bles. De  plus ,  l'homme  qui  se  recueille  et  qui 
fait  abnégation,  par  sa  volonté,  de  toutes  les 
choses  extérieures,  opère  et  obtient  la  connais- 
sance intime  du  principe  même  de  la  pensée 
ou  de  la  parole,  c'est-à-dire  de  son  prototype 
ou  du  Verbe,  dont  il  est  originairement  l'image 
et  le  type.  L'Être  divin  se  révèle  ainsi  à  l'es- 
prit de  l'homme,  et  en  même  temps  se  mani- 
festent les  connaissances  qui  sont  en  rapport 
avec  nous-mêmes  et  avec  la  nature  des  choses.  » 
Voici  la  liste  complète  des  écrits  de  Saint- 
Martin  :  Des  Erreurs  et  de  la  vérité,  ou  les 
hommes  rappelés  au  principe  universel  de 
la  science,  par  un  phil...  inc...;  Edimbourg 
(  Lyon),  1775,  2  part.  in-8°;  trad.  en  allemand 
par  Claudius  (Breslau,  1782,  in-8°)  ;  la  pré- 
tendue Suite  des  Erreurs  et  de  la  vérité  (Sa- 
lomonopolis  [Paris],  1784,  in-8°)  a  été  signalée 
par  l'auteur  comme  frauduleuse;  il  en  est  de 
même  de  la  Clef  des  Erreurs  et  de  la  vérité, 
par  un  senurier  incontiu;  —  Le  Livre  rouge; 
opuscule  presque  introuvable,  et  dont  Saint- 
Martin  a  lui-même  revendiqué  la  paternité;  — 
Tableau  naturel  des  rapports  qui  existent 
entre  Dieu,  l'homme  et  l'univers,  par  un 
ph...  inc...  ;  Edimb.  (Lyon),  2  part.  in-8°; 
trad.  en  allemand  en  1783  et  1785;  —  L'Homme 
de  désir;  Lyon,  1790,  in-8°;  Metz,  1812, 
2  vol.  in-12;  trad.  en  allemand  en  1813;  — 
Ecce  homo;  Paris,  1792,  in-8°  ;  trad.  en  alle- 
mand en  1819;  —  Le  nouvel  homme;  Paris, 
1792,  in-8°;  —  Lettre  à  un  ami,  ou  consi- 
dérations philosophiques  et  religieuses  sur 
la  révolution  française;  Paris,  1796,  in-8°; 
trad.  en  1818  en  allemand  par  Varnhagen  von 
Ënse;  —  Éclair  sur  l'association  humaine; 
Paris,  1797,  in-8°  ;  —  Réflexions  d'un  obser- 
vateur sur  la  question  proposée  par  l'Ins- 
titut :  Quelles  sont  les  institutions  les  plus  pro- 
pres à  fonder  la  morale  d'un  peuple?  Paris, 
1798,  in-8°;  —  Essai  relatif  à  cette  question: 
Déterminer  l'influence  des  sigues  sur  la  forma- 
tion des  idées;  Paris,  1799,  in-8°;  —  Le  Cro- 
codile, ou  la  guerre  du  bien  et  du  mal,  ar- 


MARTIN 


70 


rivée  sous  le  règne  de  Louis  XV,  poème 
épico-magique  en  102  chants,  par  un  ama- 
teur de  choses  cachées  ;  Paris,  1799,  in-8°  de 
460  p.;  —  L'Esprit  des  choses,  ou  coup 
d'œil  philosophique  sur  la  nature  des  êtres 
et  sur  l'objet  ae  leur  existence;  Paris,  1800, 
2  tom.  in-8°  ;  trad.  en  allemand;  —  Le  Cime- 
tière d'Amboise,  en  vers;  Paris,  l801,in-8°; 
— '  Discours  sur  l'existence  d'un  sens  moral, 
en  réponse  à  Garât,  prononcé  le  27  lévrier  1795 
et  inséré  dans  le  t.  III  dé  la  collection  des 
Écoles  normales,  1801  ;  —  Le  Ministère  de 
l'homme-esprit;  Paris,  1802,  in-8°  ;  trad.  en 
1845  en  allemand;  —  Œuvres  posthumes; 
Tours,  1807,  2  vol.  in-8°  :  on  y  trouve  un  choix 
de  pensées,  un  journal  sous  le  titre  de  Portrait, 
des  fragments  de  littérature  et  de  philosophie, 
des  poésies,  des  méditations,  etc.  ; —  Traité  des 
nombres;  Paris,  1843,  in-4°; —  Correspon- 
dance avec  Kirchberger  ;  Paris,  1862,  in-8°.  De 
Jacques  Bœhme,  Saint-Martin  a  traduit  les  ou- 
vrages suivants  :  L'Aurore  naissante  (Paris, 
1800,2  tom.  in-8°  ),  Les  trois  Principes  de 
l'essence  divine  (ibid.,  1802,  2  vol.  in-8°), 
Quarante  questions  sur  l'âme  (ibid.  1807, 
in-8°  ),  et  De  la  triple  vie  de  l'homme  (  ibid., 
1809,  in-8°).  Il  a  laissé  en  manuscrit  plusieurs 
traités  sur  l'astrologie,  sur  le  magnétisme  et  le 
somnambulisme,  sur  le  principe  et  l'origine  des 
formes,  sur  la;Bible,  etc.  P.  L. 

Gence,  Notice  biogr.  sur  L.-C.  de  Saint-Martin  ; 
Paris,  1824,  in-8°.  —  Caro,  Essai  sur  la  vie  et  la  doc- 
trine de  Saint-Martin  ;  Paris,  1852,  in-8°.  —  Matter, 
Saint- Martin,  le  philosophe  inconnu  ;  Paris,  1862,  in-8°. 
—  Dicl.  des  sciences  pfiilosoph. 

saint-Martin  (Antoine- Jean),  orienta- 
liste français,  né  le  17  janvier  1791,  à  Paris,  où 
il  est  mort,  le  16  juillet  1832.  Il  fut  longtemps 
le  commis  de  son  père,  qui  exerçait  la  profes- 
sion de  marchand  tailleur,  ce  qui  ne  l'empêcha 
pas  de  prendre  la  particule  nobiliaire,  en  pu- 
bliant son  édition  de  Le  Beau  (1824).  Ses  occu- 
pations dans  le  commerce  paternel  lui  permirent 
cependant  de  faire  ses  études,  et  de  1802  à 
1809  il  suivit  les  cours  de  l'école  centrale  des 
Quatre-Nations.  Il  fréquenta  ensuite  l'école  des 
langues  orientales  vivantes,  et  apprit  l'arabe,  le 
persan,  le  turc  et  l'arménien  ;  mais  il  se  contenta 
d'arriver  le  plus  promptement  possible  à  les 
comprendre,  afin  d'appliquer  les  textes  à  la  so- 
lution de  difficultés  historiques.  «  Cette  manière 
abrégée  de  parvenir  à  la  connaissance  des 
idiomes  étrangers  expose  à  de  grandes  méprises, 
dit  M.  de  Saci ,  et  si  elle  permet  de  se  livrer 
concurremment  à  l'étude  de  plusieurs  langues,  elle 
laisse  souvent  dans  l'application  quelque  chose 
de  vague  qui  ne  permet  pas  de  se  rendre  à  soi- 
même  un  compte  parfait  de  la  fidélité  d'une  tra- 
duction. »  On  aperçoit  sous  ces  paroles  mesu- 
rées les  points  faibles  de  l'érudition  de  Saint- 
Martin  :  beaucoup  d'apparence,  un  ton  tran- 
chant, des  jugements  hâtifs,  et  bien  des  er- 
reurs que  le  temps  a  fait  connaître  lorsqu'elles 

3. 


7i 


SAINT-MARTIN  —  SAINT-MÉGRIN 


n'ont  pas  été  démontrées  dès  l'origine.  Ces  dé- 
fauts signalés,  il  faut  voir  aussi  chez  Saint-Mar- 
tin les  qualités  qui  expliquent  sa  réputation  et 
l'amitié  que  lui  porta  jusqu'à  la  fin  Abel  Remu- 
sat  :  il  avait  la  passion  des  études  orientales; 
'ii  portait  dans  la  critique  un  don  d'intuition 
parfois  supérieur;  il  rachetait  par  la  variété  de 
ses  connaissances  ce  qui  leur  manquait  en  pro- 
fondeur. L'Académie  celtique  le  reçut  en  1 810 
au  nombre  de  ses  membres,  et  il  en  devint  se- 
crétaire en  1814,  lorsqu'elle  prit  le  nom  de  So- 
ciété des  antiquaires  de  France.  Le  2  septembre 
1820  il  fut  élu  membre  de  l'Académie  des  ins- 
criptions, en  remplacement  de  Tochon  d'Annecy. 
La  vie  politique  de  Saint-Martin  fut  pour  lui  la 
source  de  quelque  fortune.  En  1815,  il  refusa 
d'adhérer  à  l'acte  additionnel,  et  publia  les  mo- 
tifs de  son  vote.  Sous  les  Bourbons  il  ne  tarda 
pas  à  être  bien  en  cour,  toucha  une  pension  de 
3,000  fr.  sur  les  fonds  du  ministère  des  affaires 
étrangères,  fut  nommé  conservateur  de  la  bi- 
bliothèque de  l'Arsenal  (1824),  et  inspecteur  à 
l'imprimerie  royale,  place  qu'il  occupa  pendant 
plusieurs  années  sans  autre  résultat  pour  la 
science  que  la  gravure  des  caractères  zends  et 
cunéiformes.  Il  paya  ces  faveurs  en  fondant  et 
dirigeant  L'Universel  (1er  janvier  1829-27  juillet 
1830),  journal  plus  emporté  dans  ses  déclama- 
tions légitimistes  que  la  Gazette  de  France  ou 
La  Quotidienne.  Le  gouvernement  de  Juillet  ne 
lui  enleva  que  la  place  de  conservateur  à  l'Ar- 
senal (novembre  1830).  En  1831,  l'Institut  et 
le  Collège  de  France  le  proposèrent  pour  une 
chaire  d'histoire  au  ministère,  qui  la  lui  refusa.  Le 
choléra  l'enleva,  à  l'âge  de  trente-neuf  ans.  On 
a  de  Saint-Martin  :  Notice  sur  l'Egypte  sous 
les  Pharaons  ;  Paris,  1811,in-8°:  attaque 
contre  le  système  chronologique  adopté  par 
Champollion;  —  Mémoires  historiques  et  géo- 
graphiques sur  V Arménie,  suivis  des  textes 
arméniens  de  /'Histoire  des  princes  orpélians, 
par  Etienne  Orpélian,  et  des  géographies 
attribuées  à  Moyse  de  Chorène  et  au  docteur 
Vartan;  Paris,  1818,  2  vol.  in-8°  :  c'est  l'ou- 
vrage le  plus  important  de  Saint-Martin;  les 
justes  critiques  dont  il  a  été  plus  tard  l'objet 
n'empochent  pas  qu'il  ne  renferme  des  notions 
précieuses  sur  l'Arménie;  —  Recherches  sur 
V époque  de  In  mort  cV Alexandre  et  sur  la 
chronologie  des  Plolémées,  ou  examen  cri- 
tique de  Vouvrage  de  M.  Champollion-Fï- 
cjeac  intitulé  Annales  des  Lagides;  Paris,  1820, 
in-8°  :  la  base  de  cette  chronologie  de  Champol- 
lion est  la  date  de  la  mort  d'Alexandre,  qu'il 
fixe  à  l'an  323  av.  J.-C.  ;  Saint-Martin  soutient 
que  cette  mort  eut  lieu  en  324  ;  —  Notice  sur 
le  zodiaque  de  Denderoh;  Paris,  1822,  in-8°; 

—  Traité  sur  le  calendrier;  Paris,  1827,  in-8°; 

—  Recherches  sur  Vhistoire  et  la  géographie 
de  la  Mésène  et  de  la  Characène  (publié  par 
M.  F.  Lajard);  Paris,  1839,  in-80;—  des  mé- 
moires dans  le  Recueil  de  VAcad.  des  inscr., 


nouv.  série,  t.  XII,  2e  part.;  —  de  nombreux 
articles  dans  le  Journal  des  savants,  le  Jour- 
nal asiatique,  la  Biographie  universelle.  Il  a 
publié,  comme  traducteur  :  Choix  de  fables  de 
Vartan  (  1 825,  in-8°),  avec  le  texte  arménien. 
Il  a  édité  les  Recherches  sur  les  médailles  des 
nomes  de  V Egypte  (  1822,  in-4°,  fig.  ),  ouvrage 
posthume  de  Tochon  d'Annecy,  et  les  treize  pre- 
miers volumes  de  V Histoire  du  Bas-Empire 
par  Le  Beau  (1824  et  suiv.,  in-8°);  l'édition  a 
été  achevée,  en  21  volumes,  par  M.  Brosset 
jeune,  élève  et  ami  de  Saint-Martin;  elle  pré- 
sente des  documents  nouveaux  et  des  rectifica- 
tions, surtout  en  ce  qui  concerne  l'Arménie  et 
la  Perse.  Saint-Martin  a  été  l'un  des  collabora- 
teurs de  la  nouvelle  édition  de  Y  Art  de  vérifier 
les  dates,  et  a  concouru  avec  Remusat  et  de 
Chézy  à  la  fondation  de  la  Société  asiatique  (1822). 

S.  de  Saci,  Notice  dans  le  Recueil  de  VAcad.  des  ins- 
cript. —  Quérard ,  La  France  littéraire. 

SAINT-MARTIN.    VOIJ.  JUGE. 

saint-maur.  Voy.  Dupré. 

SAINT-MÉARD.    Voy.  JOUP.GNIAC. 
SAINT-MÉGRIN    (  Paul   DE  STUER    DE  CACS- 

s\de,  comte  de),  mignon  d'Henri  III,  mort  à 
Paris,  le  22  juillet  1578.  La  famille  de  Stuer 
appartenait  à  l'ancienne  noblesse  de  Bretagne. 
Saint-Mégrin  s'attacha  de  bonne  heure  à  Henri  III, 
qui  le  fit  premier  gentilhomme  de  sa  chambre, 
gouverneur  de  Saintonge  et  d'Angoumois,  capi- 
taine de  cent  hommes  d'armes  et  mestre  de 
camp  de  la  cavalerie  légère  de  France.  L'Estoile 
a  tracé  la  physionomie  de  ces  mignons  qui,  sans 
pudeur  de  leur  haute  naissance,  cherchèrent  la 
fortune  en  se  pliant  aux  vices  honteux  du  jeune 
monarque.  «  lis  étoient,  dit-il,  fort  odieux  au 
peuple,  tant  pour  leurs  façons  de  faire  badines 
et  hautaines,  que  par  leurs  accoutrements  effé- 
minés et  les  dons  immenses  qu'ils  recevoient  du 
roi.  »  Henri  III  ne  leur  demandait  pas  seule- 
ment des  toilettes  hermaphrodites  et  des  mœurs 
dissolues;  comme  il  se  prétendait  enthousiaste 
de  la  bravoure,  il  les  voulait  toujours  prêts  à  se 
prendre  de  querelle  et  à  jouer  avec  la  mort.  Le 
1er  février  1578,  Quélus,  Saint-Mégrin,  Saint- 
Luc  et  d'Arqués  (Joyeuse)  se  battirent  contre 
Bussy  d'Amboise,  mignon  de  Monsieur;  le 
27  avril  de  la  même  année,  Quélus  fut  blessé  à 
mort  par  Charles  d'Enlragues;  le  21  juillet 
Saint-Mégrin  sortait  du  Louvre  à  onze  heures 
du  soir,  lorsqu'il  fut  attaqué  dans  la  rue  Saint- 
Honoré  par  une  vingtaine  d'assassins  qu'avait 
apostés  le  duc  de  Guise,  dont  Saint-Mégrin  avait 
compromis  la  femme  par  ses  galanteries.  Frappé 
de  trente-quatre  coups  d'épée,  il  ne  mourut  quflle 
lendemain  matin  ;  le  roi  lui  fit  élever,  dans  l'église 
Saint-Paul,  un  superbe  tombeau  quele  peuple  dé- 
truisitau  temps  de  la  Ligue,  avec  ceux  de  Quélus 
et  de  Maugiron. Une  enquête  fut  commencée  contre 
les  meurtriers  ;  mais  la  puissante  maison  deGuise 
ne  tarda  pas  à  faire  abandonner  les  recherches. 
L'Estoile,  Journal.  —  Morérl,  Grand  Dict,  liist. 


73 


SAINT-MERY  — 


SAIN'T-MÉIiY.    Voy.  MOREAU. 

saint-non  (Jean-Claude  Ricuard  (l)  de), 
amateur  distingué,  né  en  1727,  à  Paris,  où  il 
est  mort,  le  25  novembre  1791'.  Destiné  à  l'É- 
glise comme  cadet  de  sa  famille,  il  ne  prit  que 
le  sous-diaconat,  et  en  1749  acheta  une  charge 
de  conseiller  clerc  au  parlement  de  Paris.  Les 
querelles  suscitées  par  la  bulle  Unigenitus  et 
l'affaire  des  billets  de  confession  (1752-1757) 
ayant  amené  l'exil  du  parlement,  il  partagea  le 
sort  de  cent  quatre-vingts  de  ses  collègues,  et  se 
retira  à  Poitiers.  On  a  une  petite  estampe  de  lui 
datée  de  cette  ville  en  1756.  Après  la  réconcilia- 
tion du  roi  et  du  parlement,  voulant  se  livrer  en- 
tièrement à  ses  goûts  artistiques,  il  vendit  sa 
charge,  et  obtint  en  commende  l'abbaye  de  Poul- 
tières,  au  diocèse  de  Langres(1759).Ilalla  passer 
quelques  mois  en  Angleterre,  et  se  rendit  ensuite 
en  Italie,  où  il  se  lia.  étroitement  avec  Fragonard 
et  Hubert  Robert  ;  il  (it  avec  eux  le  voyage  de 
Sicile  et  de  Naples.  A  son  retour  il  entreprit  d'en 
publier  la  relation  (  Voyage  pittoresque  de 
JSapleset  de  Sicile;  Paris,  1781-1786,  5  vol. 
in- fol.),  et  l'accompagna  de  542  planches  et  vi- 
gnettes, gravées  par  les  meilleurs  artistes  du 
temps  d'après  ses  propres  dessins  et  ceux  de  ses 
compagnons;  car  il  en  exécuta  un  grand  nombre, 
soit  à  l'eau-forte,  soit  au  lavis  par  un  procédé 
de  son  invention,  et  qui  diffère  de  celui  de  Le 
Prince  (2).  Une  semblable  publication,  ne  s'a- 
dressantqu'à  un  nombre  très-restreint  deriches 
amateurs,  était  au-dessus  des  forces  d'un  simple 
particulier.  Elle  fut  ruineuse  pour  Saint-Non,  et 
absorba  non-seulement  sa  propre  fortune  ,  mais 
aussi  celle  d'un  de  ses  frères.  11  n'en  remplit  pas 
moins  satâchejusqu'au  bout,  ne  conservant  pour 
ressource  que  les  revenus  de  son  abbaye,  évalués 
à  7,000  livres.  Cependant  aux  premiers  jours  de 
la  révolution  il  n'hésita  pas  à  en  offrir  la  moitié  à 
la  nation.  Saint-Non  était  lié  avec  les  principaux 
philosophes  et  écrivains  de  son  temps,  il  faisait 
partie  de  cette  société  de  lettrés  qui  répandait  .et 
défendait  les  idées  nouvelles  et  préparait  la  ré- 
volution. Il  fréquentait  assidûment  le  salon  de 
Franklin  à  Passy,  et  lorsqu'il  partit  pour  l'Italie 
Rousseau  le  recommanda  tout  particulièrement 
au  pasteur  Vernes,  son  ami.  Saint-Non  a  encore 
gravé  un  certain  nombre  de  pièces.  Les  princi- 
pales sont  :  une  suite  de  huit  Vîtes  du  moulin 
Joli  (3)  ;  un  Recueil  de  griffonis,  grand  in-fol. 
de  294  pi.;  deux  jolies  eaux-fortes  originales  :  la 
Visite  à  la  malade  et  Le  Concert,  et  un  grand 
nombre  d'estampes  d'après  Boucher,  Hubert  Ro- 
bert, Fragonard, Le  Prince,  Wille,Berghem,  et  ses 


(1)  1 1  était  fils  de  Jean-Pierre  Richard,  receveur  général 
et  payeur  des  rentes  de  l'hôtel  de  ville  de  Paris,  et  de 
Slarie-Anne,  fille  du  peintre  Louis  de  Boullongne. 

i.2}  Une  nouvelle  édition  du  Voyage  pittoresque,  mise 
dans  un  meilleur  ordre,  a  été  donnée  par  J.-P.  Charrin; 
Paris,  1828  et  ann.  suiv.,  4  vol.  in-8°  et  atlas  in-fol. 

(3)  Varie  vedute  del  gentile  Mulino  (1755,  gr.  in-4«, 
oblong),  recueil  dédié  à  l'aimable  meunière,  qui  était, 
comme  on  sait,  Marguerite  Le   Comte,  l'amie  deWatelet. 


SA1NT-PARD  74 

propres  dessins.  Saint-Non  avait  élé  admis,  sous 
le  titre  d'honoraire  associé  libre,  dans  l'Aca- 
démie de  peinture  le  6  décembre  1777.  H.  H— n. 
Brlzard ,  Notice  sur  liichard  de  .Saint-Non  ;  Paris, 
1792,  in-8°.  —  Huber  et  Rost,  Manuel  du  curieux. 
—  Ch.  Blanc,  Hist.  des  peintres  de  tontes  les  écoles,  art. 
Kragonard.  —  G.  Duplessis,  Hist.  de  la  gravure.  — 
Catalogue  de  la  collection  du  baron  de  Véze. 

SAINT-OLON.  Voy.  PlDOU. 

SAiNT-oiTRs(J(jan-PJerreDE),peintresuisse, 
né  le  4  avril  1752,  à  Genève,  où  il  est  mort,  le 
6  avril  1809.  Il  appartenait  à  une  famille  de  ré- 
fugiés protestants  français,  et  il  eut  pour  premier 
maître  son  père,  Jacques  de  Saint-Ours,  bon 
dessinateur,  qui  avait  été  reçu  en  1759  bourgeois 
de  Genève.  A  seize  ans  il  fut  envoyé  à  Paris,  et 
entra  dans  l'atelier  de  Vien.  Après  avoir  obtenu 
divers  succès  dans  les  concours  de  l'Académie, 
il  remporta  en  1780  le  grand  prix  de  peinture 
dont  le  sujet  était  l'Enlèvement  des  Sabines; 
son  tableau,  qui  a  un  mérite  réel,  est  encore  au 
musée  du  Louvre.  Toutefois  son  double  titre 
d'étranger  et  de  protestant  l'empêcha  de  profiter 
des  avantages  attachés  à  la  distinction  qu'il 
avait  obtenue,  et  il  se  vit  réduit  à  faire,  avec  ses 
propres  ressources,  le  voyage  de  Rome.  Sauf  de 
courtes  absences,  il  passa  douze  années  dans 
cette  ville,  travaillant  d'abord  sous  la  direction 
de  Battoni,  puis  d'après  ses  propres  inspira- 
tions. Le  mauvais  état  de  sa  santé  le  ramena 
dans  sa  patrie  (août  1792);  il  s'y  maria,  et 
se  consacra  tout  entier  à  son  art.  En  1803,  le 
gouvernement  français  ayant  mis  au  concours 
le  sujet  du  Concordat,  Saint-Ours  envoya  un 
dessin,  et  fut  le  seul  des  soixante-douze  con- 
currents, qui  obtint  un  accessit.  L'Institut  le 
choisit  alors  pour  correspondant  étranger.  Cet. 
artiste  mourut  d'une  obstruction  au  foie  qui  dé- 
généra en  hydropisie,  laissant  beaucoup  d'études 
à  l'huile,  et  des  Recherches  historiques  sur 
l'utilité  politique  de  quelques-uns  des  beaux- 
arts  chez  différents  peuples,  ouvrage  ina- 
chevé. On  loue  chez  lui  la  pureté  du  dessin,  la 
douceur  de  l'expression,  la  sagesse  de  l'ordon- 
nance, et  parfois  une  grande  vigueur  de  pinceau. 
Ses  principaux  tableaux,  placés  au  musée  Rath 
de  Genève,  sont  :  David  et  Abigaïl,  L'Amour 
enlevant  Psyché,  Les  Jeux  olympiques,  Le 
Tremblement  de  terre,  Homère  chantant  ses 
poésies.  Il  excellait  dans  les  portraits ,  et  en  a 
peint  un  grand  nombre. 

Rigaud,  Des  Beaux-arts  à  Genève.  —  Nagler,  Kûnst 
Ur-l.exicon.  —   Haag  frères,  La  France  protest. 

saint-par»  (Pierre-Nicolas  van  Blo- 
taque,  abbé  de),  auteur  ascétique  belge,  né  le 
9  février  173'j,  à  Givet-Saint-Hilaire  (pays  de 
Liège),  mort  le  1er décembre  1S24,  à  Paris.  Il  fit 
ses  études  chez  les  jésuites  de  Dinan,  em- 
brassa leur  règle,  et  fut  envoyé,  selon  l'usage, 
dans  plusieurs  collèges  de  province  pour  y  pro- 
fesser. Lors  de  la  suppression  de  la  Société  il  se 
trouvait  à  Vannes;  aussitôt  il  accourut  à  Paris , 
et  en  apprenant  l'arrêt  du  parlement  qui  inter- 


75 


SAINT-PARD  —  SAINT-PAUL 


disait  à  ses  confrères  l'exercice  même  du  sa- 
cerdoce, il  changea  de  nom,  d'après  le  conseil  de 
l'archevêque  Christophe  de  Beaumont,  adopta 
celui  de  Saint-Pard,  qu'il  conserva  depuis,  et 
fut  placé  par  le  prélat  dans  la  paroisse  de  Saint- 
Germain  en  Laye.  De  retour  à  Paris  vers  1775, 
il  devint  directeur  des  religieuses  de  !a  Visitation. 
Pendant  la  révolution  il  n'émigra  point  :  constam- 
ment caché,  mais  toujours  prêt  à  exercer  son  mi- 
nistère, il  sut  éluder  les  lois  sévères  prononcées 
contre  le  clergé.  Sa  prudence  l'abandonna  sous 
le  Directoire,  et  un  excès  de  zèle  l'ayant  amené 
à  prêcher  en  public,  il  fut  deux  fois  arrêté  et 
jeté  en  prison.  Après  le  concordat  de  1801, 
M.  de  Belloy  le  nomma  chanoine  honoraire  de 
Notre-Dame.  S'éiant  attaché  à  la  paroisse  de 
Saint-Jacques-  du-Haut-Pas,  il  continua  de  rem- 
plir ses  devoirs  jusqu'au  moment  où  ses  infirmi- 
tés lui  interdirent  l'usage  des  jambes.  Nous  cite- 
rons de  l'abbé  de  Saint-Pard  :  Retraite  de  dix 
jours;  Paris,  1773,  1805, -in-12;  —  L'Ame 
chrétienne  formée  sur  les  maximes  de  l'É- 
vangile; Paris,  1774,  in-12;  —  Le  Jour  de 
communion; Paris ■,  1776,  1819,  in-12;  —  Exer- 
cices de  l'amour  du  pénitent;  s.  1.,  1799, 
1819,  in- 16.  Il  a  abrégé  et  rajeuni  quant  au 
style  Le  Livre  des  élus  (1759)  et  La  Connais- 
sance de  Jésus-Christ  (1772),  du  P.  de  Saint- 
Jure,  et  il  a  trad.  du  latin  Vie  de  Jésus-Christ 
(1775,  2  vol.  in-12),  du  P.  Avancin. 

L'Ami  de  la  religion,  25  déc.  1824.  —  Becdelièvre-Ha- 
mal,  liiogr.  liégeoise,  II. 

SAINT-PAUL    OU  SAINT-POL  (ComteSDE), 

famille  illustre  de  la  Picardie,  qui  tirait  son  nom 
de  Saint-Paul  ou  plutôt  Saint-Pol  en  Ternois  ;  plu- 
sieurs États  ont  choisi  ces  seigneurs  pour  leurs 
conseillers,  chanceliers,  ambassadeurs  et  gouver- 
neurs ;  les  rois  de  France  leur  ont  confié  les  pre- 
mières charges  de  la  couronne,  et  l'Église  en  a 
tiré  des  bienheureux,  des  cardinaux,  des  prélats. 
Le  comté  passa,en  1 196,  à  la  maison  de  Chastillon, 
et  en  1354,  dans  celle  de  Luxembourg;  il  se 
trouvait  dans  la  maison  d'Orléans-Longueville 
lorsqu'il  fut  vendu  dans  les  premières  années 
du  dix-huitième  siècle.  11  appartenait  en  der- 
nier lieu  au  prince  de  Rohan-Soubise. 

Roger,  mort  en  1067,  paraît  être  le  chef  véri- 
table de  cette  puissante  famille.  11  eut  des  dé- 
mêlés avec  l'abbé  de  Saint-Bertin ,  à  qui  il  en- 
leva la  moitié  de  ses  terres. 

Hugues  Ier,  son  fils,  mort  en  1070,  fut  sur- 
nommé, on  en  ignore  la  raison,  Candavène 
(candensavena),  ou  Champ  d'avesne  (campus 
arenae)  ;  ce  sobriquet  demeura  à  ses  successeurs 
directs,  qui  s'en  firent  une  sorte  de  nom  de  fa- 
mille. 

Gui  Ier,  fils  du  précédent,  mort  en  1083,  n'est 
connu  que  par  une  lettre  du  pape  Grégoire  VII, 
au  sujet  d'usurpations  des  biens  de  l'Eglise.  — 
Ses  frères  lui  succédèrent  :  l'un,  Hugues  II , 
mort  en  1130,  accompagna  le  duc  de  Normandie 
en  Terre  Sainte;  l'autre,  Hugues  III,  mort  en 


1141,  fut  d'abord  un  ennemi  acharné  des  prêtres 
et  des  moines,  et  s'attira l'anathème  du  corîcile  de 
Reims.  Les  plaintes  des  églises  opprimées  tou- 
chèrent Louis  le  Gros,  qui  se  préparait  à  mar 
cher  contre  Hugues ,  lorsque  celui-ci,  par  une 
brusque  volte-face ,  déclara  se  soumettre  à  la 
pénitence  ;  ii  obtint  du  pape  Innocent  II  l'abso- 
lution du  passé,  à  la  condition  de  bâtir  un  mo- 
nastère, et  en  1137  il  fonda  en  conséquence  celui 
deCercamp,  où  il  installa  une  colonie  de  moines 
de  Cîteaux  qu'il  était  allé  chercher  lui-même. 

Hugues  IV,  petit-fils  d'Hugues  III,  mort  en 
1205,  rendit  d'assez  grands  services  à  Philippe- 
Auguste,  qui,  en  1194,  lui  donna  plusieurs  terres. 
Bien  qu'en  1190  il  eût  suivi  le  comte  de  Flandre 
en  Palestine,  il  prit  de  nouveau  la  croix  (1202), 
et  se  distingua  dans  la  prise  de  Constanlinople. 
Baudouin,  le  nouvel  empereur,  lui  accorda  la 
dignité  de  connétable  ainsi  que  la  propriété  de 
Didimotique,  ville  forte  de  Thrace.  Il  mourut  de 
la  goutte,  et  son  corps  fut  rapporté  en  France. 
Hugues  était  zélé  pour  l'observanee  de  la  justice  : 
ayant  appris,  raconte  \illehardouin,  qu'un  de 
ses  chevaliers  s'était  adjugé,  malgré  sa  défense, 
une  part  du  butin,  il  le  fit  pendre  avec  l'écusson 
de  ses  armes  attaché  au  cou  pour  plus  grande 
ignominie.  Après  sa  mort,  le  comté  passa  parle 
mariage  d'Elisabeth,  sa  fille,  dans  la  maison  de 
Chastillon  (voy.  ce  nom). 

Art  de  vérifier  les  dates.  —  Moréri,  Dict.  hist. 

saint-Paul,  {François  de  Bourbon,  comte 
de),  capitaine  français ,  né  le  6  octobre  1491,  à 
Ham  (Picardie),  mort  le  1er  septembre  1545, 
à  Cotignan,  près  Reims.  Il  était  le  quatrième  fils 
de  Marie  de  Luxembourg  et  de  François  de 
Bourbon,  comte  de  Vendôme,  mort  le  2  octobre 
1495,  et  il  avait  pour  frères  Charles,  premier 
duc  de  Vendôme,  et  Louis,  cardinal  de  Bourbon. 
11  assista  à  la  bataille  de  Marignan,  et  fut  armé 
chevalier  par  Bayard  (1515).  En  1520  il  eut  le 
gouvernement  de  l'Ile-de-France,  et  le  conserva 
jusqu'en  1523.  Ce  fut  chez  lui,  à  Romorantin, 
que  le  roi,  cédant  à  une  folie  de  jeunesse,  faillit 
perdre  la  vie  (6  janvier  1521).  «  Le  roi,  dit  Mar- 
tin du  Bellay,  sachant  que  M.  de  Saint-Pol 
avait  fait  un  roi  de  la  fève,  en  son  logis,  délibéra 
d'envoyer  défier  ledit  roi;  ce  qui  fut  fait.  Et 
parce  qu'il  faisait  grandes  neiges,  M.  de  Saint- 
Pol  fit  grande  munition  de  pelotes  de  neige,  de 
pommes  et  d'œufs  pour  soutenir  l'effort.  Étant 
enfin  toutes  armes  faillies  pour  la  défense  de 
ceux  de  dedans,  ceux  de  dehors  forçant  la  porte, 
quelque  mal-avisé  jeta  un  tison  de  bois  par  la 
fenêtre ,  et  tomba  ledit  tison  sur  la  tête  du 
roi  ;  de  quoi  il  fut  fort  blessé.  »  On  sait  que 
François  Ier  ne  voulut  pas  connaître  le  «  mal- 
avisé» qui  avait  fait  le  coup,  et  qu'il  ne  témoigna 
jamais  de  cet  accident  aucune  humeur  au  comte 
de  Saint- Paul.  En  1522,  ce  dernier  conduisit  un 
secours  de  six  mille  hommes  à  Mézières,  assiégé 
par  les  Impériaux,  reprit  Mouzon  et  Bapaume, 
et  battit  l'arrière  garde  de  l'armée  anglaise  à  Pas- 


77 


SAINT-PAUL 


78 


en- Artois.  En  1553  il  repassa  les  Alpes ,  et  suc- 
céda en  1524àBonnivetdans  le  commandement 
des  troupes,  qu'il  sauva  d'un  désastre  complet 
après  la  mort  de  Bayard.  Jl  se  trouva  aussi  à  la 
bataille  de  Pavie,  et  fut  blessé  aux  côtés  du  roi. 
En  1528,  il  tira  de  cette  défaite  une  revanche 
sanglante  :  après  s'être  emparé  des  places  fortes 
du  Tessin,  il  assiégea  Pavie,  l'emporta  d'assaut, 
et  la  livra  au  pillage.  Surpris  à  Landriano  par 
Antonio  de  Leyva,  trahi  par  les  lansquenets  et 
abandonné  par  son  avant-garde,  il  fut  mis  en 
déroute  et  fait  prisonnier  (22  juin  1329).  La  paix 
qui  se  conclut  trois  mois  plus  tard  le  rendit  à 
la  liberté.  En  1536  il  commanda  l'armée  qui  en- 
vahit la  Savoie,  s'empara  de  Chambéry,  et  sou- 
mit presque  tout  le  pays  à  l'autorité  du  roi.  La 
guerre  s'étant  renouvelée,  en  1542,  entre  la  France 
et  l'empereur,  il  suivit  le  dauphin  dans  la  Picar- 
die et  le  Luxembourg ,  et  porta  secours  à  Lan- 
drecies.  En  1526  il  avait  remplacé  Bonnivet 
dans  le  gouvernement  du  Dauphiné.  Ami  dévoué 
du  roi,  il  savait  mieux  se  battre  que  conduire 
une  armée;  son  courage  impétueux  tenait  de  la 
témérité,  mais  il  ne  brilla  qu'au  second  rang 
parmi  cette  foule  de  capitaines ,  ses  contempo- 
rains, dont  Brantôme  a  retracé  l'histoire. 

De  sa  femme,  Adrienne  d'Estouteville ,  qui  fut 
créée  duchesse  et  dont  il  porta  depuis  1534  le 
nom  et  les  armes,  Saint-Paul  eut  un  fils,  Fran- 
çois, mort  en  1546,  âgé  de  dix  ans,  et  une  fille, 
Marie,  qui  épousa  successivement  Jean  de  Bour- 
bon, comte  d'Enghien,  François  de  Clèves, 
duc  de  Nevers,  et  Léonor  d'Orléans,  duc  de 
Longueville  ;  elle  ne  laissa  de  postérité  que  du 
troisième  mari ,  et  mourut  le  7  avril  1601. 

MarLin  du  Bellay,  Vieilleville,  Mémoires.  —Brantôme, 
Grands  capitaines.  —  Anselme,  Grands  officiers  de  la 
couronne.  —  Moréri,  Dict.  hist. 

saint-paul.  Voy.  Luxembourg. 

saikt-paul  (  François-Paul  Barletti  de), 
grammairien,  né  le  8  février  1734,  à  Paris,  où 
il  est  mort,  le  13  octobre  1809.  Sa  famille  était 
originaire  de  Naples.  Élevé  auprès  de  son  oncle, 
l'abbé  Antonini,  qui  enseignait  l'italien  à  Paris, 
il  reçut  en  outre  des  leçons  de  Pluche  et  de  Du- 
marsais,  et  fit  dans  l'étude  des  langues  de  si 
rapides  progrès  qu'à  seize  ans  il  entreprit  de 
rédiger  une  nouvelle  méthode  d'éducation,  véri- 
table encyclopédie,  qui  l'occupa  sa  vie  entière  et 
qu'il  ne  parvint  pas  même  à  mettre  au  jour. 
Malgré  une  jeunesse  orageuse,  il  fut  nommé  en 
1756  sous-instituteur  des  enfants  de  France. 
Compromis  dans  une  querelle  de  bas  étage,  il 
fut  forcé  de  quitter  le  royaume  (1758),  et  passa 
cinq  ans  à  Naples,  en  proie  à  des  tribulations  de 
plus  d'un  genre.  On  le  retrouve  ensuite  à  Rome 
avec  le  titre  de  secrétaire  du  protectorat  de 
France.  La  protection  du  dauphin  lui  permit  de 
revenir  à  Paris,  et  il  fut  choisi  pour  mettre  en 
ordre  trois  grandes  bibliothèques,  entre  autres 
celle  du  marquis  de  Paulmy.  En  1764,  il  fit  pa- 
raître un  prospectus  de  son  Encyclopédie  élé- 


mentaire, dont  dix-huit  volumes  étaient  ache- 
vés, et  provoqua  une  réunion  de  ses  amis  afin 
de  couvrir  les  frais  d'impression,  estimés  à 
100,000  écus.  Sur  les  plaintes  de  l'université, 
jalouse  de  voir  usurper  son  droit  de  former  des 
instituteurs,  le  parlement  empêcha  que  l'assem- 
blée eût  lieu.  L'ouvrage  fut  renvoyé  à  l'examen 
de  quatre  censeurs  royaux ,  qui  le  déclarèrent 
impraticable  (1).  Barletti,  dans  une  brochure 
intitulée  Le  Secret  révélé,  attaqua  avec  violence 
ses  persécuteurs,  les  commissaires  et  jusqu'au 
lieutenant  de  police,  M.  de  Sartine,  et  il  expia 
cette  imprudence  par  une  détention  de  trois  mois 
à  la  Bastille.  En  1770,  il  accepta  la  chaire  de 
belles-lettres  au  collège  des  cadets  à  Ségovie,  et 
il  s'en  démit  en  1773,  pour  rentrer  dans  sa  pa- 
trie. Il  avait  hâte  d'y  publier  les  deux  inven- 
tions qu'il  avait  faites  en  Espagne,  l'une  destinée 
à  faciliter  les  études,  l'autre  relative  à  un  sys- 
tème de  fonte  typographique  qui  lui  valut  une 
récompense  de  20,000  livres.  Mais  il  ne  per. 
dait  pas  de  vue  son  ouvrage  favori,  et  à  force 
de  sollicitations  il  obtint,  en  1782,  du  ministre 
Amelot  qu'on  procédât  à  un  examen  plus  équi- 
table de  ses  traités  élémentaires  :  l'académie 
des  sciences  délégua  à  cet  effet  deux  membres, 
et  leur  jugement  fut  favorable.  De  nouvelles  con- 
trariétés, provenant  cette  fois  de  la  censure,  l'en- 
travèrent dans  l'exposition  de  ses  idées  :  il  lui 
fallut  y  renoncer  jusqu'en  1802,  époque  où  il 
demanda  à  l'Institut  une  dernièreépreuve.  L'abbé 
Sicard  fit  sur  l'entreprise  de  Barletti  un  rapport 
très-détaillé  :  il  loua  la  sagacité  de  l'auteur,  cri- 
tiqua ses  moyens  d'exécution ,  et  conclut  à  ce 
qu'on  lui  accordât  les  encouragements  dus  aux 
propagateurs  des  lumières.  Pendant  la  révolu- 
tion ,  il  avait  été  successivement  sous-chef  dans 
les  bureaux  du  département  de  Paris,  membre 
du  jury  de  l'instruction  publique  (mai  1793), 
professeur  de  grammaire  générale  d'abord  au 
collège  des  Qnatre-Nations  (septembre  1795,), 
puis  à  l'école  centrale  de  Fontainebleau  (1797). 
Barletti  mourut  avec  le  regret  de  n'avoir  pu, 
dans  le  cours  d'une  carrière  longue  et  agitée, 
exécuter  le  vaste  plan  qu'il  avait  conçu  pour 
faciliter  l'instruction  des  enfants.  On  a  de  lui  : 
Essai  sur  une  introduction  générale  et  rai- 
sonnée  à  V étude  des  langues;  Paris,  1756, 
in-12;  dédié  au  dauphin;  —  Le  Secret  révélé; 
Bruxelles,  1764,  broch.  in-8°;  —  Nouveau 
système  typographique,  découvert  en  1774 
par  Mme  de  P...  ;  Paris,  1776,  impr.  roy.,  in-4°  : 
ce  moyen  de  diminuer  de  moitié,  selon  l'auteur, 
le  travail  et  les  frais  de  composition,  de  correc- 
tion et  de  distribution,  consistait  à  fondre  en  un 
seul  caractère  toutes  les  combinaisons  de  lettres 
qui  se  représentent  fréquemment  dans  une  série 
de  mots  ;  on  a  depuis  longtemps  renoncé  à  ce 
prétendu  perfectionnement,  si  même  il  a  jamais 
été  adopté  dans  quelque  imprimerie;  —  Bes- 

|1)  Le  rapport  se  trouve  dans  le  Mercure  d'oct.  1764- 


79  SAINT-PAUL  - 

eription  d'un  cabinet  littéraire;  Paris,  1777, 
in  4°  :  il  s'agit  d'une  machine  qui  avait  dû  servir 
à  faciliter  les  études  d'un  infant  d'Espagne  : 
c'était  une  armoire  énorme,  contenant  huit  bi- 
bliothèques, deux  tables,  neuf  tiroirs  et  une 
multitude  de  cassetins;  —  Moyen  de  se  pré- 
server des  erreurs  de  L'usage  dans  l'instruc- 
tion de  la  jeunesse;  Paris  (Bruxelles),  1781, 
in-4°  :  cet  ouvrage,  le  meilleur  de  Darletti,  est 
relatif  à  l'enseignement  des  sciences  et  des  lan- 
gues, et  contient  un  procédé  au  moyen  duquel 
deux  écoliers  peuvent  facilement  se  donner  des 
leçons  tour  à  tour;  —  Les  Dons  de  Minerve 
aux  pères  de  famille  et  aux  instituteurs  ; 
Paris,  1782,  in-8°;  —  Plan  d'une  maison  d'é- 
ducation nationale  ;  Rennes,  1784,  in-8°,  qui 
fit  accuser  l'auteur  d'incliner  aux  idées  républi- 
caines; —  Encyclopédie  élémentaire  ;  Paris, 
1788,  t.  Ier,  in-4°  :  ce  volume,  le  seul  qui  ait 
paru,  renferme  un  traité  de  grammaire  et  d'or- 
thographe; —  Nouveaux  principes  de  lecture 
et  de  prosodie;  Lyon,  1790,  in-8°;  — Adresse 
aux  83  départements  ;  1791,  in  8°  :  où  il  pro- 
pose d'ouvrir  un  concours  pour  la  rédaction  des 
livres  élémentaires;  —  Vues  relatives  au  but 
et  aux  moyens  de  l'instruction  du  peuple; 
Paris,  1793,  broch.  in-4°.  On  ignore  ce  qu'est 
devenu  le  manuscrit  de  V Encyclopédie,  dont 
Barletti  avait,  à  sa  mort,  rédigé  25  volumes. 

Le  Journal  d'éducation,  sept.  1816.  —  Jay,  Jouy,  etc., 
Biogr  nouv.  des  Contemp. 

saint-pavin  (Denis  Sakguin  de),  poète 
français,  né  à  Paris,  au  commencement  du  dix- 
septième  siècle ,  mort  le  8  avril  1670.  Il  était 
d'une  famille  ancienne,  les  Sanguin,  qui  s'était 
illustrée  dans  l'Église  et  dans  la  robe.  Son  père 
était  président  aux  enquêtes;  sa  mère,  Isabelle 
Seguier,  cousine  du  chancelier.  On  lui  fit  embras- 
ser l'état  ecclésiastique,  et  on  lui  donna  de  bonne 
heure  l'abbaye  de  Livri,  où  il  passa  ses  jours, 
insouciant  et  libre,  entouré  d'amis  spirituels, 
composant  des  sonnets  pour  Iris  et  lançant  au 
loin  ses  légères  et  vives  épigrammes. 

Je  n'ai  l'esprit  embarrassé 

De  l'avenir  ni  du  passé; 

Ce  qu'on  dit  de  mol  peu  me  choque, 

De  force  choses  je  me  moque, 

Et,  sans  contraindre  mes  désirs, 

Je  me  donne  entier  aux  plaisirs. 

Tel  est  le  portrait  moral  que  trace  de  lui-même 
ce  hardi  et  sincère  disciple  d'Épicure  et  de  Gas- 
sendi. Pour  son  portrait  physique,  il  n'en  est 
pas  plus  embarrassé,  et  le  livre  gaiement  aux 
railleries  de  son  siècle.  En  voici  le  résumé  : 

Soit  par  hasard,  soit  par  dépit, 
La  nature  injuste  me  fit 
Court,  entassé,  la  panse  grosse; 
Au  milieu  de  mon  dos  se  hausse 
Certain  amas  d'os  et  de  chair 
Fait  en  pointe  comme  un  clocher; 
Mes  bras,  d'une  longueur  extrême  , 
Et  mes  jambes  presque  de  même, 
Me  font  prendre  le  plus  souvent 
Pour  un  petit  moulin  à  vent. 

Il  avait  deux  qualités  rares,  franchise  et  belle 


SAINT-PIERRE  80 

humeur,  et  ne  les  perdit  jamais,  pas  même  lors- 
que, tout  à  fait  perclus  par  la  goutte,  il  fut, 
comme  Scarron,  cloué  dans  un  fauteuil.  Sa  cor- 
respondance avec  Mme  de  Sévigné  n'en  devint 
pas  moins  maligne,  ni  moins  vive  sa  guerre  d'é- 
pigramrnes  contre  Boileau.  Saint-Pavin  fut  ra- 
mené à  la  religion  par  les  exhortations  de  Claude 
Joly,  curé  de  Saint-Wicolas-des  Champs,  et  ra- 
cheta ses  erreurs  par  des  legs  pieux.  Ses  poésies, 
publiées  d'abord  par  Sercy,  dans  les  Poésies 
choisies  de  MM.  Corneille,  Boisrobert,  etc. 
(1655,  5  vol.  in-12),  puis  par  Barbin,  dans  le 
Recueil  des  plus  belles  pièces  des  poètes 
françois  (1692,  5  vol.),  ont  été  éditées  par 
Saint-Marc,  avec  celles  de  Charieval  ;  Amster- 
dam (Paris),  1709,  in-12. 

Les  l'oëtes  français  (  édit.  Crépet),  t  II.  —  Sainte- 
Beuve,  Une  ruelle  poétique  sous  Louis  X1P  (Revue  des 
deux  mondes,  15  oclobre  1839). 

SAINT-PERAVI.    Voy.  GcÉRINEAC. 

saikt-philippe.  Voy.  Baccalar  v  Sanna. 

saint-pierre  (  Eustacht  i)g).,  bourgeois  de 
Calais,  mort  en  1371.  Ce  personnage  a  été  po- 
pularisé parles  historiens,  qui,  sans  esprit  cri- 
tique, répétaient  les  traditions  et  les  légendes. 
Son  existence  est  à  la  vérité  certaine ,  mais  le 
fait  qui  l'a  illustré  reste  1res -problématique. 
Froissart  seul  le  raconte;  voici  le  résumé  de  son 
récit.  Après  la  bataille  de  Crécy,  Edouard  !I£ 
mit  le  siège  devant  Calais,  le  3  septembre  1346. 
Vers  la  fin  de  juin  1347,  Jean  devienne,  qui 
commandait  dans  Calais,  écrivit  au  roi  Philippe 
de  Valois  pour  le  presser  de  porter  secours  à  la 
ville,  dont  les  ressources  étaient  épuisées.  La 
lettre  tomba  entre  les  mains  des  Anglais,  qui 
poussèrent  le  siège  plus  vivement  ;  Philippe  tâcha 
de  passer  au  travers  de  leur  armée,  et  ne  put  y 
parvenir.  Jean  de  Vienne,  forcé  de  se  rendre, 
demanda  une  conférence  à  Edouard  III;  celui-ci 
exigea  que  six  notables  de  Calais  vinssent ,  la 
corde  au  cou,  se  mettre  à  sa  discrétion.  Jean  de 
Vienne  rentré  dans  Calais  «  fit  sonner  la  cloche 
pour  assembler  toutes  manières  de  gens  en  la 
halle...  Quand  ils  ouïrent  le  rapport,  ils  com- 
mencèrent tous  à  crier  et  à  pleurer...  Un  espace 
après  se  leva  en  pied  le  plus  riche  bourgeois  de 
la  ville,  qu'on  appeloit  sire  Eustache  de  Saint- 
Pierre,  et  dit  devant  tous  ainsi  :  Je,  en  droit 
moi,  ai  si  grand  espérance  d'avoir  grâce  et  par- 
don envers  Nôtre-Seigneur  si  je  meurs  pour  ce 
peuple  sauver,  que  je  veus  être  le  premier,  et 
me  mettrai  volontiers  en  pur  ma  chemise,  à  nu- 
pied,  et  la  hart  au  col,  en  la  merci  du  roi  d'An- 
gleterre. »  Jean  d'Aire,  Jacques  et  Pierre  de 
Wisant,  ainsi  que  deux  autres  bourgeois,  s'u- 
nirent à  lui,  et  ils  se  rendirent  au  camp  d'E- 
douard III.  «Le roi  les  regarda  très-ireusement... 
et  quand  il  parla,  il  commanda  qu'on  leur  cou- 
past  la  tête.  »  La  reine  Philippine  de  Hainaut  se 
jeta  à  ses  pieds,  et  obtint  leur  grâce. 

Hume  et  Voltaire  ont  les  premiers  révoqué 
en  doute  cette  histoire.  Bréquigny,  dans  un  Mé- 


81 


SAINT-PIERRE 


82 


moire  très-étudié,  la  regarde  comme  complète- 
ment fausse,  et  appuie  son  opinion  sur  des 
raisons  nombreuses.  Les  principales  sont  le 
penchant  du  chroniqueur  Froissart  à  répéter  et 
à  inventer  des  récits  légendaires,  l'ignorance 
dans  laquelle  on  resta  pendant  longtemps,  à  Pa- 
ris et  dans  toute  la  France,  d'un  fait  aussi  re- 
marquable, la  conduite  que  tint  à  l'égard  d'Eus- 
tache  de  Saint-Pierre  le  roi  Edouard ,  qui  lui 
rendit  ses  propriétés  et  lui  fit  des  pensions  con- 
sidérables, enfin  le  changement  opéré  dans  les 
sentiments  du  héros  de  Calais,  qui,  d'abord  dé- 
voué à  sa  patrie  jusqu'à  affronter  la  mort,  devint 
sujet  fidèle  du  roi  d'Angleterre. 

Chronique  de  Froissart.  —  Dissertation  de  Bréquigny 
dans  les  mémoires  de  l'Jcad.  des  inscr.,  t.  XXXVII.  — 
Slsmondi,  Hist  des  Français.  —  Éd.  Fournier,  L'Es 
prit  dans  l'histnire. 

saint-pierke  (Charles-  lrénée  Castel, 
abbé  de),  pnbliciste  célèbre,  né  le  18  février 
1658,  au  château  de  Saint-Pierre-Église,  entre 
Cherbourg  et  Barfleur  (Manche),  mort  à  Paris, 
le  29  avril  1743.  D'une  très-ancienne  famille  de 
la  basse  Normandie  ,  il  était  fils  de  Charles  Cas- 
tel,  bailli  du  Cotentin.  La  faiblesse  de  sa  cons- 
titution, qui  le  força  de  renoncer  à  la  carrière 
des  armes  pour  embrasser  l'état  ecclésiastique, 
ue  l'empêcha  pas  de  vivre  jusqu'à  l'âge  de 
quatre-vingt-cinq  ans.  Après  avoir  étudié  chez 
les  jésuites  de  Caen,  il  entra  dans  les  ordres, 
en  même  temps  que  son  ami  Varignon ,  le  cé- 
lèbre géomètre,  dont  les  entretiens  firent  naître 
en  lui  un  vif  amour  pour  les  sciences.  Il  avait, 
en  1678,  commencé  son  Projet  pour  diminuer 
le  nombre  des  procès,  travail  dont  l'idée  devait 
naturellement  lui  être  venue  dans  le  pays  de  la 
chicane.  Les  deux  amis  arrivèrent  ensemble  en 
1686  à  Paris,  où  ils  se  livrèrent  avec  ardeur  à 
l'étude.  L'abbé  de  Saint- Pierre,  recherchant  tous 
les  hommes  distingués  de  son  temps,  fit  mar- 
cher de  front  la  métaphysique,  la  morale,  la 
chimie,  la  physique,  l'anatomie,  la  médecine.  Il 
se  lia  avec  Segrais,  qu'il  avait  connu  à  Caen  et 
qui  lui  ouvrit  la  maison  de  Mme  de  La  Fayette, 
avec  Nicole,  Malebranche ,  Vertot.  Fontenelle 
le  présenta  à  la  marquise  de  Lambert,  et  le  fit 
entrer  en  1695  à  l'Académie  française,  où  il  suc- 
céda à  Bergeret.  11  acheta,  en  1702,  la  charge  de 
premier  aumônier  de  la  duchesse  d'Orléans,  qui 
le  fit  pourvoir  de  l'abbaye  de  Tiron.  Il  assista  en 
1712  au  congrès  d'Utrecht  avec  le  cardinal  de 
Polignac.  Ce  fut  en  1713  que  parurent  les  deux 
premiers  volumes  du  plus  connu  des  ouvrages 
de  l'abbé  de  Saint- Pierre  :  Le  Projet  de  paix 
perpétuelle  ;le  t.  III,  publié  en  1717, fut  adressé 
au  Bégent.  «  Vous  avez  oublié,  lui  dit  le  cardinal 
de  Fleury,  en  recevant  cet  ouvrage,  d'envoyer 
des  missionnaires  pour  toucher  le  cœur  des 
princes  et  leur  persuader  d'entrer  dans  vos 
vues.  »  Bien  n'avait  cependant  paru  plus  facile 
à  l'aimable  philanthrope  que  l'exécution  de  son 
projet,  résumé  en  cinq  articles,  et  dont  il  faisait 
remonter  naïvement   i'idée  jusqu'à  Henri  IV. 


C'étaient,  comme  le  disait  le  cardinal  Dubois, 
non  sans  quelque  raison,  les  rêves  d'un  homme 
de  bien.  Au  mois  d'avril  1718  parut  le  Dis- 
cours sur  la  polysynodie,  ouvrage  qui,  condam- 
nant sévèrement  le  gouvernement  de  Louis  XIV, 
n'était  rien  moins  qu'un  plan  de  constitution  pour 
la  France.  Il  y  faisait  l'éloge  des  conseils  établis 
par  le  Bégent.  L'Académie,  à  la  presque  unani- 
mité, sur  la  proposition  du  cardinal  de  Polignac, 
l'exclut  de  son  sein  et  refusa  même  d'entendre 
les  explications  qu'il  proposait  de  donner.  Une 
société  composée  de  philosophes,  d'économistes 
et  d'hommes  du  monde,  désignée  plus  tard  sous 
le  nom  de  Club  de  l'Entresol  (  parce  qu'elle  se 
réunissait  à  l'enlre-sol  d'un  hôte!  appartenant  au 
président  Hénault,  sur  la  place  Vendôme  )  four- 
nit à  l'abbé  de  Saint- Pierre  le  moyen  de  donner 
l'essor  à  son  zèle  ardent  pour  le  bonheur  des 
hommes,  devenu  la  passion  de  toute  sa  vie.  Il  y 
apporta  une  foule  de  dissertations,  dans  lesquelles 
il  exposait  tous  les  perfectionnements  que  son 
esprit,  fécond  en  ressources,  put  imaginer  pour 
toutes  les  branches  de  l'administration.  Les  an- 
nées qui  s'écoulèrent  de  1724  à  1731,  période  de 
la  durée  du  Club  de  l'Entre-sol,  furent  marquées 
par  une  série  de  travaux  importants  dus  aux 
membres  de  cette  société  fameuse.  Les  mémoires 
de  d'Argenson  font  connaître  les  personnages  qui 
figuraient  dans  cette  réunion,  qui  n'était  rien  de 
moins  que  ce  qui  plus  tard  a  été  constitué  sous 
le  nom  d'Académie  des  sciences  morales  et 
politiques.  C'étaient  MM.  de  Coigny,  de  Mati- 
gnon, de  Lassay,  de  Noirmoutiers,  de  Saint- 
Contest,  les  abbés  Alary,  fondateur  du  club,  de 
Bragelonne  et  de  Pomponne,  l'Écossais  Bamsay, 
le  comte  de  Plélo.  La  liberté  avec  laquelle  les 
questions  de  philosophie  et  de  politique  étaient 
traitées,  sous  les  inspirations  de  l'abbé  de  Saint- 
Pierre,  que  tourmentait  cette  fièvre  des  amélio- 
rations, qui  s'appellera  l'esprit  révolutionnaire, 
alarma  le  pouvoir  et  le  prudent  cardinal  de  Fleury. 
Celui-ci,  ne  concevant  guère  la  paix  perpétuelle 
que  pour  lui-même  et  son  administration,  fit 
fermer  ce  dangereux  Club  de  l'Entre-sol,  qui  com- 
mençait à  troubler  son  sommeil.  Les  doctrines 
ou  plutôt  les  nobles  et  généreux  sentiments  qui 
animaient  le  respectable  philanthrope  trouvèrent 
de  nombreux  disciples  et  de  zélés  propagateurs, 
parmi  lesquels  il  faut  placer  au  premier  rang  le 
marquis  d'Argenson.  L'abbé  de  Saint-Pierre  con- 
tinua à  composer  mémoire  sur  mémoire,  dans 
lesquels  il  exposait  des  théories  dont  souriaient 
les  esprits  pratiques,  mais  qui  ne  pouvaient 
qu'inspirer  une  profonde  sympathie  pour  son 
caractère.  Malgré  toutes  les  illusions  qu'éprouvent 
naturellement  les  auteurs  de  théories  politiques 
ou  sociales,  l'excellent  abbé  savait  bien  qu'il 
travaillait  plutôt  pour  l'avenir  que  pour  le  pré- 
sent. «  Mes  projets  subsisteront,  dit-il  dans  ses 
Observations  sur  le  gouvernement  des  rois 
de  France;  plusieurs  entreront  dans  les  jeunes 
esprits  de  ceux  qui  auront  un  jour  part  au  gou- 


83 


SAliNT-PIERRE 


vernement,  et  pourront  être  alors  fort  utiles  au 
public  futur.  »  C'est  en  s'abandonnant  douce- 
ment à  ces  espérances  que  l'abbé  de  Saint-Pierre 
passa  la  plus  grande  partie  de  sa  longue  et  heu- 
reuse existence,  vivant  tantôt  à  Saint-Pierre- 
Église,  tantôt  à  Chenonceaux,  où  il  trouvait 
dans  Mme  Dupin  une  ardente  prosélyte  et  où  il 
fut  connu  de  Jean-Jacques  Rousseau,  sympa- 
thique au  noble  vieillard,  bien  que  traitant  d'u- 
topies quelques-unes  de  ses  doctrines.  Deux  in- 
tendants, M.  de  Tourny  à  Limoges  et  M.  de 
Chauvelin  en  Picardie,  se  félicitèrent  d'avoir  pu 
appliquer  dans  leurs  généralités  le  système  de  la 
taille  tarifée,  dont  ils  le  reconnaissaient  comme 
le  père.  Après  avoir  mérité  le  beau  surnom  de 
Solliciteur  pour  le  bien  public,  l'abbé  de  Saint- 
Pierre  mourut,  en  1743,  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
cinq  ans.  Ses  ouvrages  mériteraient  un  long 
commentaire.  Un  grand  nombre  de  ses  espé- 
rances pour  l'amélioration  de  la  société  et  des 
institutions  politiques,  traitées  de  rêves  pendant 
sa  vie,  se  sont  réalisées,  et  c'est  justice  que  son 
nom  soit  placé  à  côté  de  ceux  dont  s'honore  le 
plus  l'humanité. 

Les  ouvrages  de  l'abbé  de  Saint-Pierre  sont  : 
Le  Projet  de  paix  perpétuelle  ;  Utrecht,  1713, 
3  vol.  in- 12  ;  — Discours  sur  le  sujet  des  confé- 
rences Jutur  es  de  l' Académie  françoise  ;  Paris, 
1714,  in-4"  ;  —  Mémoire  pour  perfectionner 
la  police  contre  les  duels  ;  Paris,  1715,  in-4°; 
—  Mémoire  pour  l'établissement  d'une  taille 
proportionnelle;  Paris,  1717,  in-4°,  réimpr. 
plusieurs  fois  sous  le  titre  de  Projet  d'une  taille 
tarifée,  in-4°  et  in- 12  ;  —  Discours  sur  la  Po- 
lysynodie,  où  l'an  démontre  que  la  pluralité 
des  conseils  est  la  forme  de  ministère  la  plus 
avantageuse  pour  un  roi  et  son  royaume; 
Àmst.,  i718,  in-4°;  1719,  in- 12;  —  Mémoire 
sur  les  pauvres  mendiants  et  sur  les  moyens 
de  les  faire  subsister;  1724,  in-8°;  — Blé- 
moire  pour  diminuer  le  nombre  des  procès  ; 
Paris,  1725,  in-8°;  —  Mémoire  pour  augmen- 
ter le  revenu  des  bénéfices  et  pour  faire  va- 
loir davantage  au  profit  de  l'État  les  terres 
et  autres  fonds  des  bénéfices;  1725,  in-8°;  — 
Projet  pour  perfectionner  l  éducation,  avec 
un  discours  sur  la  grandeur  et  la  sainteté 
des  hommes;  Paris,  1728,  in-12;  —  Projet 
pour  perfectionner  l'orthographe  des  langues 
de  l'Europe;  Paris,  1730,  in-8°;  —  Discours 
sur  la  différence  du  grand  homme  et  de 
l'homme  illustre,  dans  les  Mémoires  de  Tré- 
voux, janv.  1736;  —  Ouvrages  de  politique  et 
de  morale;  Rotterdam,  1738-1741,18  vol.  in-12. 
C'est  un  recueil  composé  en  grande  partie  des 
ouvrages  publiés  par  l'auteur;  —  Annales  po- 
litiques; Londres  (Paris),  1757,  2  vol.  in-8°. 
C.  Hippeau. 

Alletz,  Rêves  d'un  homme  de  bien,  eu  vues  utiles  et 
praticables  de  l'abbé  de  Saint-Pierre;  Paris,  1775, 
in-12.  —  Goumy,  Études  sur  la  vie  et  les  écrits  de  l'abbé 
de  Saint-Pierre  ;  Paris  .  1861,in-8<*.  -  Prévost-Paradol, 
Éloge  de  l'abbé  de  Saint-Pierre,  couronné  par  l'Aca- 


84 

Molinari,  L'abbé  de  Saint-Pierre; 


demie   française. 
Paris,  1861,  in-8°. 

saint-pierre  (Jacques-Henri-Bernardin 
de),  célèbre  écrivain  français,  né  le  1 9  janvier  1 737, 
au  Havre,  mort  le  21  janvier  1814,  à  Éragny-sur- 
Oise  (Seine-et-Oise).  Dès  son  enfance  il  montra  le 
germe  des   qualités  qui    se  développèrent  dans 
ses  écrits  et  des  défauts  qui  troublèrent  toute 
son  existence.  Tendre,  gracieux,  déjà  rêveur,  il 
paraissait  timide,  était  présomptueux,  inquiet  et 
morose.  Il  se  plaisait  à  la  solitude,  s'attardait  à 
regarder  le  jeu  des  vagues ,  pleurait  en  voyant 
maltraiter  les  animaux,  et  prodiguait  aux  plantes 
du  jardin  qu'il  cultiva  dès  l'âge  de  huit  ans  des 
soins  presque  affectueux.  Un  jour  le  maître  d'école 
le  menaça  du  fouet;  le  lendemain  matin   il  s'é- 
chappa de  la  ville  avec  son  déjeuner  dans  son 
petit  panier,  résolu  à  se  faire  ermite  dans  quel- 
que bois  voisin,  et  à  vivre  en  compagnie  des 
arbres,  des  fleurs  et  des  oiseaux,  sans  inquié- 
tude pour  les  larmes  de  ses  parents.  C'était  bien 
déjà  l'homme  égoïste  et  sensible  qui  devait  pré- 
férer les    charmes    de   la  nature  aux    obliga- 
tions de  la  vie   sociale,  dont  l'imagination  était 
trop  vive  pour  supporter  les  injustices  ou  la 
domination,    mais  dont  le  caractère  était  trop 
personnel  pour  ressentir  vivement  les  douleurs 
ou  les  joies  de  ceux   qui  le  touchaient  de  plus 
près.  On  le  mit  quelques  années  à  Caen,  chez 
un  curé  qui  enseignait  les  éléments  des  langues 
latine  et  grecque.  De  retour  à  la  maison  pater- 
nelle, le  livre  de  Robinson  Crusoé  tomba  entre 
ses  mains  ;  il  le  lut  et  le  relut  :  le  voilà  rêvant 
voyages,  île  déserte  et  aventures.  Sur  ces  entre- 
faites, son  oncle  Godebout,  capitaine  de  vaisseau, 
propose  à   ses  parents  de  l'emmener  jusqu'à  la 
Martinique.  La  permission   est  accordée;  Ber- 
nardin monte  sur  le  navire  dans  des  transports 
de  joie.  La  désillusion  vint  vite.  L'enfant  n'avait 
pensé  ni  aux  fatigues  de  la  navigation  ni  aux 
devoirs  à  accomplir,  et  lorsqu'il  eut  éprouvé  !e 
mal  de  mer,  lorsqu'il  se  vit  forcé  de  servir  aux 
manœuvres  et  de  se  plier  aux  ordres  de  l'oncle 
Godebout,  il  n'aspira  plus  qu'à  regagner  le  Havre. 
Ainsi  sera-t-il  tout  le  temps  rte  sa  vie,  enthou- 
siasmé pour  l'inconnu,  rebuté  par  les  difficultés 
et  les  devoirs.  Le  voyage   terminé,  on  envoya 
Bernardin  continuer  ses  études  chez  les  jésuites 
de  Caen  ;  ces  maîtres,  qui  cherchaient  dans  leurs 
disciples  des  prosélytes  pour  leurs  missions,  les 
entretenaient  souvent  des  peuples   barbares  à 
convertir  et  du  mérite  qu'il  y  avait  à  leur  porter 
la  foi;   l'imagination  de  Bernardin  s'exalta  de 
nouveau,  et  il  voulut  partir  comme  missionnaire. 
Ce  projet  d'aller,  au  péril  de  sa  vie,  sauver  les 
âmes  des  Chinois  et  des  Japonais  ne  plut  pas  à 
M.  de  Saint-Pierre,  qui  rappela  son  fils  et  l'en- 
voya au  collège  de  Rouen,  où  il  fit  sa  philoso- 
phie et  obtint   le  prix  de   mathématiques,  en 
1757.   Il  entra   ensuite  à  l'école   des  ponts  et 
chaussées;  mais  au  bout  d'un  an  le  ministère, 
par  mesure  d'économie,  réforma  les  fonds  des- 


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SAINT-PIERRE 


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fines  à  cet  établissement,  et  tons  les  élèves  furent 
licenciés;  Bernardin  demanda  à  être  admis  dans  le 
corps  de  jeunes  ingénieurs  qui  se  formait  à  Ver- 
sailles, suivant  les  ordres  du  comte  de  Saint-Ger- 
main. Sans  avoir  un  brevet  bien  régulier,  il  obtint 
600  livres  de  gratification  ,  100  louis  d'appointe- 
ment ,  et  partit  pour  l'armée  qui  était  à  Dussel- 
dorf.  Son  aptitude  pour  les  travaux  du  génie  lui 
promettait  une  carrière  brillante;  mais  sa  suscep- 
tibilité et  sa  hauteur  lui  créèrent  de  nombreuses 
inimitiés  :  il  fut  suspendu  de  ses  fonctions  et  ren- 
voyé en  France.  Après  avoir  passé  quelque  temps 
chez  son  père,  qui  venait  decontracter  un  nouveau 
mariage,  il  vit  qu'il  ne  pourrait  vivre  en  paix 
avec  sa  belle-mère,  et  prit  la  route  de  Paris,  au 
commencement  de  mars  1760,  n'ayant  que  six 
louis  pour  toute  fortune.  Un  billet  gagnant  de  la 
loterie  de  Saint-Sulpice  doubla  ces  faibles  res- 
sources. En  1761,  il  fut,  sur  sa  demande,  envoyé 
comme  ingénieur  à  l'île  de  Malte,  qui  craignait  une 
attaque  des  Turcs  ;  la  guerre  n'ayant  pas  eu  lieu, 
il  retourna  à  Paris,  après  avoir  reçu  600  livres 
pour  les  frais  de  son  voyage. 

Bernardin  se  logea  rue  des  Maçons-Sorbonne, 
et  essaya  de  donner  des  leçons  de  mathéma- 
tiques; mais  il  ne  réussit  pas  à  se  procurer  des 
élèves,  et  se  trouva  bientôt  réduit  à  la  misère.  Il 
adressa  alors  au  ministre  de  la  marine  un  mé- 
moire, dans  lequel  il  proposait  d'aller  seul  sur 
une  barque  lever  le  plan  de  toutes  les  côtes 
d'Angleterre.  Ne  recevant  pas  de  réponse,  il  em- 
prunta quelques  cents  francs  à  ses  amis  ,  et  se 
livra  au  hasard  des  voyages.  De  la  Hollande, 
où  il  resta  peu  de  temps,  quoique  bien  reçu  par 
le  réfugié  français  Mustel,  qui  lui  proposa  de 
l'attacher  à  la  rédaction  de  son  journal ,  il  se 
dirigea  vers  Saint-Pétersbourg,  plein  de  con- 
fiance dans  l'accueil  que  l'impératrice  Catherine 
faisait  aux  étrangers.  Il  apprit,  en  arrivant,  que 
la  cour  était  à  Moscou,  et,  après  avoir  dépensé 
le  peu  d'argent  qui  lui  restait,  il  se  voyait 
dans  l'impossibilité  de  payer  son  hôtesse,  lors- 
que le  hasard  le  lia  avec  le  secrétaire  du  maré- 
chal de  Munnich ,  gouverneur  de  Pétersbourg. 
Le  maréchal  l'accueillit  d'une  façon  bienveillante, 
lui  fournit  les  moyens  de  se  rendre  à  Moscou  et 
lui  remit  une  lettre  de  recommandation  pour  le 
général  français  Dubosquet.  Celui-ci  prit  son 
compatriote  sous  sa  protection ,  lui  obtint  une 
sous-lieutenance  dans  le  corps  du  génie,  et  le 
présenta  à  M.  de  Villebois ,  grand  maître  de 
l'artillerie.  Bernardin  avait  écrit  un  mémoire  sur 
le  Projet  d'une  Compagnie  pour  la  décou- 
verte d'un  passage  aux  Indes  par  la  Russie. 
La  tête  pleine  de  la  république  de  Platon ,  des 
utopies  de  Télémaque  et  des  idées  généreuses 
de  la  philosophie  contemporaine,  il  s'était  ima- 
giné pouvoir  fonder  sous  ce  titre  de  compagnie, 
près  des  rives  orientales  de  la  mer  Caspienne, 
une  république  où  tous  les  hommes  bons  et 
souffrants  trouveraient  un  asile.  M.  de  Ville- 
bois  lui  ménagea  une  audience  de  l'impéra- 


trice (1).  Quel  espoir  pour  Bernardin!  Il  entre 
dans  la  galerie  d'attente,  bien  résolu  à  parler 
sans  crainte  et  à  exposer  les  plans  d'une  entreprise 
qu'il  croit  digne  d'intéresser  toute  la  terre  :  la 
vue  des  courtisans  commence  à  l'intimider; 
l'impératrice  paraît,  il  se  trouble,  fléchit  le  ge- 
nou et  murmure  quelques  flatteries;  l'impéra- 
trice passe  avec  un  sourire.  Bernardin  présenta 
ensuite  son  mémoire  à  Orlof,  qui  ne  s'en  occupa 
jamais,  et  la  future  république  delà  mer  Caspienne 
s'évanouit  comme  un  rêve.  Le  général  Dubosquet 
emmena  le  législateur,  fort  désenchanté,  dans  un 
voyage  qu'il  faisait  en  Finlande,  afin  d'examiner 
les  positions  militaires  et  d'établir  un  système  de 
défense.  Revenu  à  Pétersbourg ,  Bernardin  ap- 
prit la  tentative  de  Radziwil  pour  former  un 
royaume  de  Pologne;  s'enthousiasmant  pour  ce 
jeune  prince,  il  quitta  le  service  de  la  Russie,  et 
se  dirigea  sur  Varsovie.  Fait  prisonnier  à  trois 
milles  de  cette  place  (1765),  il  fut  relâché  au  bout 
de  neuf  jours,  et  se  vit  libre  de  se  battre,  comme 
il  le  désirait,  pour  l'indépendance  d'un  peuple. 
Mais  l'amour  vint  le  détourner  de  la  guerre,  et 
la  passion  que  lui  inspira  et  que  partagea  la  prin- 
cesse polonaise  Marie  M...  occupa  pendant  plu- 
sieurs mois  son  cœur  et  son  esprit.  Ce  roman 
finit  par  un  billet  de  la  princesse,  qui  contenait 
ces  mots  :  «  Vos  passions  sont  des  fureurs  que 
je  ne  peux  plus  supporter...  Je  pars,  je  vais  re- 
joindre ma  mère  dans  le  Palatinat  de  X...  Je  ne 
reviendrai  ici  que  lorsque  vous  n'y  serez  plus.  » 
Bernardin  quitte  Varsovie  plein  de  colère,  pé- 
nètre en  Saxe  avec  la  résolution  de  prendre  du 
service  dans  l'armée  qui  se  préparait  à  com- 
battre la  Pologne,  et  entre  à  Dresde,  le  15  juin 
1765.  Il  y  fut  le  héros  d'une  aventure  roma- 
nesque et  tellement  voluptueuse  qu'on  peut  à 
peine endonner  une  idée  (2),  et  s'enfuit  bientôt  de 
Dresde  comme  d'un  séjour  odieux.  A  Berlin  ,  il 
demande  du  service  à  Frédéric,  ne  veut  pas  accep- 
ter les  conditions  qu'on  lui  offre,  refuse  aussi 
un  mariage  fort  convenable  que  lui  proposait 
un  Allemand  dont  il  avait  fait  la  connaissance  en 
Russie,  revient  en  France,  et  se  hâte  de  courir  au 
Havre,  où  il  arrive  le  20  novembre  1766. 

(1)  On  a  dit,  mais  sans  preuve,  que  M.  de  Villebois  es- 
pérait en  faire  un  favori  nouveau,  et  ruiner  ainsi  le  cré- 
dit d'Orlof.  Bernardin  était  doué  en  effet  d'une  physio- 
nomie capable  de  plaire,  bien  que  la  grâce  de  ses  traits 
fût  un  peu  trop  efféminée,  si  l'on  en  juge  par  le  portrait 
de  Girodet-Trioson. 

(2)  Un  soir,  comme  il  reposait  sur  un  banc  de  gazon  * 
un  page  lui  remit  un  billet  d'une  dame  qui  l'invitait  à  la 
venir  voir;  un  équipage  le  mena  à  la  porte  d'un  palais 
qu'il  ne  connaissait  pas.  Après  l'avoir  guidé  à  travers  des 
appartements  magnifiques,  le  page  disparut  tout  à  coup; 
une  porte  s'ouvrit,  et,  à  travers  le  nuage  des  parfums 
qui  brûlaient  dans  des  cassolettes  d'or,  se  montra,  cou- 
chée sur  des  fleurs,  une  femme  de  la  plus  exquise  beauté. 
Elle  s'approcha  de  Pernardin  ,  le  couronna  de  roses  et 
l'enlaça  dans  ses  bras...  Le  souper  fut  servi  par  une 
troupe  déjeunes  filles  légèrement  vêtues;  des  harpes 
faisaient  entendre  une  musique  pleine  de  tendresse... 
Bernardin  passa  huit  jours  dans  l'enivrement  des  sens 
et  reconduit  ensuite  chez  lui,  sans  connaître  le  nom  de 
cette  mystérieuse  Armide ,  il  se  crut  un  moment  le  Jouet 
des  illusions  d'un  songe. 


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SAINT-PIERRE 


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Le  père  de  Bernardin  était  mort;  sa  sœur 
avait  pris  le  voile  dans  un  couvent  de  Honfleur. 
Il  alla  à  Paris,  et  au  printemps  de  1767  loua 
une  chambre  chez  le  curé  de  Ville-d'Avray,  où 
il  mit  en  ordre  ses  Voyages  dans  le  Nord.  Son 
travail  achevé,  il  le  présenta  à  M.  Durand,  pre- 
mier commis  des  affaires  étrangères,  qui  ne  le 
lut  pas  et  l'égara.  Alors,  découragé,  il  témoigna 
au  baron  de  Breteuil,  qui  l'avait  reçu  avec  bien- 
veillance à  Pétersbourg,  le  désir  de  passer  aux 
colonies.  M.  de  Breteuil  lui  fit  obtenir  un  bre- 
vet d'ingénieur  pour  l'Ile  de  France,  et  lui  confia 
que  sa  destination  véritable  était  Madagascar; 
qu'il  était  chargé  de  relever  les  murs  du  fort 
Dauphin  et  de  civiliser  la  colonie.  Cette  propo- 
sition fut  accueillie  par  Bernardin  de  Saint- 
Pierre  avec  beaucoup  de  joie,  et  il  s'embarqua 
en  se  berçant  des  plus  séduisantes  espérances. 
Mais,  sur  le  point  d'arriver,  le  chef  de  l'entre- 
prise lui  apprit  qu'il  n'avait  d'autre  but  que 
la  traite  des  nègres;  il  s'en  sépara  aussitôt, 
acheta  une  cabane  à  l'Ile  de  France,  et  prit  du 
service  sous  M.  de  Bcuil,  ingénieur  en  chef. 
Après  un  séjour  de  trois  ans,  pendant  lequel  il  se 
livra  à  l'étude  de  l'histoire  naturelle  et  fit  des 
excursions  à  File  Bourbon  et  au  cap  de  Bonne- 
Espérance,  il  revint  à  Paris  (juin  1771),  et  habita 
pendant  quelque  temps  la  rue  Neuve  -  Saint - 
Étienne-du-Mont. 

M.  de  Breteuil  adressa  son  protégé  à  D'Alem- 
bert,  qui  le  reçut  bien  et  l'introduisit  chez  Mlle  de 
Lespinasse.  Bernardin  de  Saint  -  Pierre  visita 
aussi  plusieurs  fois  à  cette  époque  Jean-Jacques 
Rousseau  dans  son  pauvre  ménage  de  la  rue 
Plâtrière;  le  même  penchant  pour  la  nature,  le 
même  dégoût  du  monde  les  attirèrent  l'un  vers 
l'autre  et  changèrent  bientôt  leur  liaison  en  ami- 
tié. La  société  qui  se  réunissait  chez  Mlle  de 
Lespinasse  ne  pouvait  avoir  autant  de  charme 
pour  Bernardin.  Ces  sceptiques,  qui  niaient  Dieu 
et  qui  tournaient  tout  en  raillerie,  trouvant  chez 
lui  des  principes  fort  arrêtés  et  opposés  aux 
leurs  ,  virent  bientôt  qu'il  ne  serait  ni  leur  prô- 
neur  ni  leur  obligé;  ils  le  traitèrent  avec  peu 
d'égards,  et  sa  susceptibilité  s'éveilla  sous  leurs 
paroles  de  dédain  ou  de  pitié.  Ayant  vendu,  en 
1773,  son  Voyage  à  Vile  de  France,  au  prix 
de    1,000   francs,  il  ne  fut  pas  payé  par  le  li- 

lire,  et  le  récit  qu'il  fit  chez  M"e  de  Lespi- 
nasse  de  sa  déconvenue  étant  accueilli  par  une 
froideur  qui  lui  sembla  du  sarcasme,  il  se  retira 
tout  à  fait  de  cette  société.  Il  ne  réussit  pas 
mieux  plus  tard  dans  le  salon  de  Mme  Necker, 
o  !  sa  lecture  du  manuscrit  de  Paul  et  Virginie 
endormit  les  assistants  (1).  Les  déboires,  les 
injustices  et  les  dédains  lui  causèrent  une  ma- 

|i]  «  D'abord  on  l'écoute  en  silence,  peu  à  peu  l'atten- 
tion se  fatigue,  on  se  parle  à  l'oreille,  en  bâille,  on  n'é- 
coule plus;  M.  de  Ruffon  regarde  sa  montre,  et  demande 
ses  chevaux;  le  plus  prés  de  la  porte  s'esquive;  Thomas 
s'endort  ;  M.Neckcr  sourit  en  voyant  pleurer  les  dames. 
et  les  dames,  honteuses  de  leurs  larmes,  n'osent  avouer 
qu'elles  ont  été  intéressées.  »  (Aline  Martin.) 


ladie  misanthropique  semblable  à  celle  de  Jean- 
Jacques  Rousseau  :  il  éprouvait  à  l'aspect  des 
hommes  une  répugnance  invincible;  il  lui  était 
impossible  de  rester  dans  un  appartement  où  il 
y  avait  du  monde;  il  ne  pouvait  pas  même  tra- 
verser une  allée  de  jardin  public  où  se  trouvaient 
plusieurs  personnes  rassemblées.  On  lit,  dans  le 
préambule  de  L'Arcadie,  l'aveu  qu'il  fait  de  ce 
triste  état  :  «  Des  feux  semblables  à  ceux  des 
éclairs,  dit-il,  sillonnaient  ma  vue.  Tous  les  ob- 
jets se  présentaient  à  moi  doubles  et  mouvants. 
Comme  Œdipe,  je  voyais  deux  soleils;  mon 
cœur  n'était  pas  moins  troublé  que  ma  tête.  Dans 
les  plus  beaux  jours  d'été,  je  ne  pouvais  traver- 
ser la  Seine  en  bateau  sans  éprouver  des  anxiétés 
intolérables,  moi  qui  avais  conservé  le  calme  de 
mon  âme  dans  une  tempête  du  cap  de  Bonne- 
Espérance,  sur  un  vaisseau  frappé  de  la  foudre. 
Si  je  passais  seulement  près  d'un  bassin  plein 
d'eau,  j'éprouvais  des  mouvements  de  spasme 
et  d'horreur.  Il  y  avait  des  moments  où  je 
croyais  avoir  été  mordu,  sans  le  savoir,  par 
quelque  chien  enragé.  Il  m'était  arrivé  bien  pis  , 
je  l'avais  été  par  la  calomnie...  J'allais  m'asseoir 
assez  souvent  sur  les  buis  du  fer  à  cheval  aux 
Tuileries,  pourvoir  des  enfants  se  jouer  sur  les 
gazons  avec  de  jeunes  chiens  qui  couraient  après 
eux  :  c'étaient  là  mes  spectacles  et  mes  tournois. 
Leur  innocence  me  réconciliait  avec  l'espèce 
humaine  bien  mieux  que  l'esprit  de  nos  drames  et 
que  les  sentences  de  nos  philosophes.  Mais  à  la 
vue  de  quelque  promeneur  dans  mon  voisinage, 
je  me  sentais  tout  agité,  je  m'éloignais  ;  je  me 
disais  souvent  :  Je  n'ai  cherché  qu'à  bien  mériter 
des  hommes,  pourquoi  est-ce  que  je  me  trouble 
à  leur  vue?  En  vain  j'appelais  la  raison  à  mon 
secours,  ma  raison  ne  pouvait  rien  contre  un 
mal  qui  lui  ôtait  ses  propres  forces.  »  Des  pro- 
menades avec  Jean-Jacques  Rousseau  faisaient 
ses  plus  chères  distractions;  ils  se  dirigeaient  en- 
semble vers  la  campagne,  dînaient  au  pied  d'un 
arbre  et  ne  reprenaient  que  le  soir  le  chemin  de 
la  ville.  La  nature,  la  religion,  l'immortalité, 
étaient  les  objets  habituels  de  leurs  méditations. 
En  1784,  la  publication  des  Études  de  la  na- 
fure  mit  fin  à  sa  détresse  et  apaisa  les  tris- 
tesses de  son  imagination.  Le  manuscrit  de  cet 
ouvrage  était  tombé  entre  les  mains  de  M.  Bailiy, 
prote  de  M.  Didot  jeune,  qui  en  appréci-a  le  mé- 
rite; M.  Didot  le  lut  à  son  tour,  et  confirmant 
le  jugement  qui  avait  été  porté,  fit  les  frais  rie 
l'impression.  Un  très-grand  succès  accueillit 
cette  o'uvre;  il  fut  dépassé  par  celui  de  Paul  et 
Virginie,  qui  parut  en  1787,  et  dont  il  se  fit  en 
un  an  plus  de  cinquante  contrefaçons.  En  1792, 
Louis  XVI  confia  à  Bernardin  de  Saint  Pierre 
l'intendance  du  Jardin  des  Plantes  et  du  Cabinet 
d'histoire  naturelle.  «  J'ai  lu  vos  ouvrages,  lui 
dit-il;  ils  sont  d'un  honnête  homme,  et  j'ai  cru 
nommer  en  vous  un  digne  successeur  de  M.  de  Buf- 
fon.  »  II  ne  jouit  pas  longtemps  de  celle  place, 
qui  fut  supprimée  en  1793,  et  il  vécut  retiré  dans 


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sa  maison  de  campagne  d'Essonnes ,  jusqu'à  la  fin 
de  1794;  il  fut  nommé  à  cette  époque  profes- 
seur de  morale  à  l'École  normale,  et  en  1795 
membre  de  l'Institut  (  classe  de  la  langue  et  de 
la  littérature  françaises).  Convaincu  de  l'exis- 
tence de  Dieu  et  de  l'immortalité  de  l'âme,  il  ne 
sut  pas  opposer  aux  adversaires  de  ses  idées  le 
calme  et  l'aménité  qui  ajoutent  à  la  force,  et 
soutint  d'aigres  disputes  contre  Volney.  Cabanis, 
Suard  et  Morellet.  Sous  l'empire  il  reçut  une  pen- 
sion de  2,000  francs  et  la  croix  delà  Légion  d'hon- 
neur. Frappé  successivement  de  plusieurs  attaques 
d'apoplexie,  il  ne  se  fit  pas  illusion,  et  reconnut, 
au  commencement  de  novembre  1813,  que  sa  vie 
allait  s'éteindre;  il  se  bâta  de  quitter  Paris,  pour 
jouir  à  la  campagne  des  derniers  beaux  jours  de 
l'automne,  et  mourut,  le  21  janvier  1814,  dans 
le  village  d'Éragny,  sur  les  bords  de  l'Oise.  Ses 
dernières  paroles  furent  :  «  Je  sens  que  je 
quitte  la  terre,  et  non  la  vie.  » 

Il  avait  épousé,  en  t~92,  M"e  Didot,  dont  il 
eut  deux  enfants,  Paul,  qui  mourut  jeune,  et  Vir- 
ginie, qui  épousa  le  général  de  Gazan.  Il  se  re- 
maria à  soixante-trois  ans,  avec  M»«  de  Pelle- 
port,  qui  lui  survécut  et  qui  épousa  en  secondes 
noces  M.  Aimé  iMartin. 

La  simple  esquisse  de  la  vie  de  Bernardin  de 
Saint-Pierre  fait  entrevoir  le  désaccord  qui  sé- 
parait son  caractère  dans  la  pratique  du  monde 
du  caractère  de  ses  œuvres;  des  détails  plus 
circonstanciés  le  marqueraient  encore  davantage. 
Problème  qui  mérite  d'arrêter  les  plus  graves 
esprits!  cet  écrivain  si  aimant  paraît,  d'après  des 
témoins  droits  et  sans  passions ,  avoir  été  tra- 
cassier  et  insupportable.  «  C'était,  dit  Andrieux, 
un  homme  dur  et  méchant.  »  Il  rêvait  une  ré- 
publique idéale,  une  Arcadie,  une  Salente,  dont 
tous  les  habitants  seraient  unis  par  une  mutuelle 
tendresse,  et  il  se  montrait  lui-même  d'un 
égoïsme  farouche  qui  le  rendait  incapable  des 
devoirs  de  la  société  (1).  Il  voulait  tous  les 
hommes  sages,  et  il  n'avait  pas  la  sagesse  de 
supporter  les  événements  qui  contrariaient  son 
imagination  capricieuse,  d'endurer  la  gêne  qu'a- 
vait amenée  sa  vie  aventurière;  il  sollicitait  les 
set  vices  d'argent  et  les  secours  avec  une  âpreté 
attristante.  Il  imaginait  tous  les  hommes  bons , 
et  il  n'avait  pas  même  assez  de  bonté  pour  res- 
pecter les  idées  opposées  aux  siennes;  il  s'em- 
portait contre  les  athées  en  haines  violentes  qui 
allaient  jusqu'à  parler  de  les  étrangler.  Ombra- 
geux par  nature,  il  était  devenu,  par  la  suite  de 
sa  vie,  aussi  irritable  que  méfiant.  Ignoré,  re- 
poussé, raillé  même,  comme  dépourvu  d'esprit 

(1)  Il  faut  cependant  se  garder  de  croire  toutes  les 
accusations  portées  contre  lui.  La  plus  grave  de  toutes 
lui  reproche  d'avoir,  au  10  août,  refusé  un  asile  dans  le 
Jardin  des  Plantes  à  M  Terrier  de  Monciel.  qui.  comme 
ministre  de  l'intérieur,  l'avat  présenté  pour  la  place  d'in- 
tendant de  ce  jardin.  Lorsque  ce  fait  parut  dans  une  bio- 
graphie ,  Charles  Nodier  Ot  savoir  à  l'éditeur  qu'il  possé- 
dait une  lettre  par  laquelle  M.  Terrier  le  démentait 
complètement. 


•PIERRI? 


90 


et  de  talent,  jusqu'au  jour  où  il  publia  son  pre- 
mier livre,  il  porta  pendant  quarante  ans,  replié 
sur  lui-même  et  changé  à  la  longue  en  un  poi- 
son d'orgueil,  le  sentiment  de  sa  propre  force. 
Tel  nous  apparaît  Bernardin  de  Saint-Pierre 
dans  ses  rapports  avec  le  monde;  mais  qu'il  se 
mette  à  écrire,  un  don  mystérieux  le  transforme. 
«  Il  tient  la  plume,  dit  M.  Sainte-Beuve,  la  grâce 
céleste  descend,  la  magie  commence,  la  pre- 
mière beauté  de  cœur  a  brillé.  Sitôt  que  ce  talent 
se  lève,  c'est  comme  une  lune  qui  idéalise  tout... 
Au  dedans  de  lui,  au  dehors,  un  manteau  lumi- 
neux s'étend  sur  toutes  choses.  » 

Héritier  direct  en  littérature  de  La  Fontaine  et 
de  Fénelon,  élève  passionné  de  Virgile,  Bernar- 
din de  Saint-Pierre  est,  avec  Jean-Jacques  Rous- 
seau et  Buffon,  l'un  des  premiers  grands  peintres 
de  la  nature;  il  peignit  les  paysages  et  le  ciel  des 
tropiques  avec  ce  sentiment  profond  et  cette  vue 
large  qui  avaient  révélé,  sous  la  plume  de  Jean- 
Jacques  ,  les  paysages  et  le  ciel  des  Alpes.  Les 
Études,  en  y  comprenant  Paul  et  Virginie,  Le 
Café  de  Surate  et  La  Chaumière  indienne, 
qu'il  y  introduisit,  sont  toute  l'œuvre  de  Bernar- 
din de  Saint-Pierre;  car  le  Voyage  à  ri  le  de 
France  n'est  que  le  premier  trait  de  ce  qu'il 
développera  plus  tard,  et  les  Harmonies  ne 
sont  qu'une  suite  de  la  même  œuvre.  Nous  n'a- 
vons plus  à  nous  occuper  des  Éludes  au  point 
de  vue  scientifique,  comme  on  le  fit  en  178i, 
ni  à  prendre  parti  pour  ou  contre  les  marées, 
la  fonte  des  glaces  et  l'allongement  du  pôle.  Les 
progrès  de  la  physique  et  de  la  chimie  ont  laissé 
bien  loin  les  hypothèses.  Tableaux  enchanteurs, 
phrases  éloquentes,  hymnes  à  la  Providence  va- 
lent moins  aujourd'hui  pour  démontrer  les  har- 
monies de  la  nature  qu'une  sèche  analyse;  mais 
au-dessus  des  erreurs  d'une  science  éphémère 
survit  la  poésie  avec  toute  la  suavité  de  sa  gra- 
cieuse mollesse,*en  même  temps  pathétique  et 
pittoresque,  trempée  de  larmes  et  habilement 
nuancée  de  brillants  et  magiques  reflets.  Le  CoJ'é 
de  auraient  La  Chaumière  indienne  sont  des 
satires  délicates,  qui  unissent  à  la  raillerie  le 
charme  et  la  magnificence.  Paul  et  Virginie 
reste,  qui  ne  le  sait?  le  chef-d'œuvre  de  Bernar- 
din de  Saint-Pierre.  Quel  lettré,  en  le  lisant,  ne 
s'est  rappelé  les  plus  aimables  inventions  des 
Grecs,  Daphnis  et  Chloé  ou  la  Galatée  de 
Théocrite?  Le  sujet  de  cet  ouvrage  fut,  selon  la 
remarque  de  Lemontey,  une  bonne  fortune  pour 
son  auteur;  il  ne  risqua  pas  de  s'y  laisser  en- 
traîner à  la  politique,  aux  sciences  exactes,  à 
la  dialectique,  parties  faibles  de  son  talent;  il 
unit  l'instruction  et  le  pathétique  au  coloris  en 
unissant  la  morale  et  la  sensibilité  à  la  beauté 
des  descriptions.  «  Ce  qui  me  frappe  et  me  con- 
fond au  point  de  vue  de  l'art,  ajoute  M.  Sainte- 
Beuve,  c'est  comme  tout  est  court,  simple,  sans 
un  mot  de  trop,  tournant  vite  au  tableau  en- 
chanteur; c'est  cette  succession  d'aimables  et 
douces  pensées,  vêtues  chacune  d'une  seule 


91 


SAINT-PIERRE  —  SAINT-PRIEST 


82 


image  comme  d'un  morceau  de  lin  sans  suture, 
hasard  heureux  qui  sied  à  ia  beauté.  Chaque 
alinéa  est  bien  coupé,  en  de  justes  moments, 
comme  une  respiration  légèrement  inégale  qui 
finit  par  un  son  touchant  ou  dans  une  tiède  ha- 
leine... Cette  nature  de  bananiers,  d'orangers  et 
de  jam-roses,  est  décrite  dans  son  détail  et  sa 
splendeur,  mais  avec  sobriété  encore,  avec 
nuances  distinctes,  avec  composition  toujours... 
Bernardin  de  Saint-Pierre  n'a  pas  médiocrement 
agi  sur  les  écrivains  formés  vers  la  fin  du  siècle... 
Nous  tous,  nous  avons  été.  une  fois  ses  disciples, 
ses  fils;  tous,  nous  avons  été  baignés,  quelque 
soir,  de  ses  molles  clartés,  et  nous  retrouvons 
ses  fonds  de  tableaux  embellis  dans  les  lointains 
déjà  mystérieux  de  notre  adolescence.  » 

Voici  la  liste  des  ouvrages  de  Bernardin  de 
Saint-Pierre  et  de  leurs  éditions  :  Voyage  à 
l'Ile  de  France,  à  l'Ile  Bourbon,  au  cap  de 
Bonne- Espérance,  par  un  officier  du  roi; 
Amsterdam  et  Paris,  1773,  2  vol.  in-8°;  Paris, 

1835,  2  vol.  in-8°;  —  L'Arcadie;  Angers,  1781, 
in- 18;  Paris,    1793,  in-18;  1796,  2  vol.  in-12; 

—  Études  de  la  nature;  Paris,  1784,  3  vol. 
in-12;  1804,  5  vol.  in-8°;  1820,  8  vol.  in-18; 
1825,  5  vol.  in-S»,  pi.  ;  1835,  1836,  6  vol.  in-g°; 

—  Paul  et  Virginie;  Paris,  1787,  1789,  1792, 
in-12;  1806,  in-4°;   1816,    1820,   1823,  in-18; 

1836,  in-18,  avec  une  notice  par  M.  Sainte-Beuve, 
des  vignettes  et  des  planches  ;  plusieurs  autres 
éditions  plus  ordinaires;  —  Vœux  d'un  soli- 
taire; Paris,  1789,  in-12;  —  La  Chaumière 
indienne; Paris,  1790,in-8°;  1791,  in-12;  1822, 
in-18;  1828,  in-32  et  in-18  (avec  Le  Café  de  Su- 
rate); —  Mémoire  sur  la  nécessité  de  joindre 
une  ménagerie  au  Jardin  national  des  Plan- 
tes; Paris,  1792,  in-12;  —  De  la  nature  de  la 
morale,  fragment  d'un  rapport  lu  à  l'Institut; 
Paris,  1798,  in-12  ; —  Voyage  en  Silésie;  Paris, 
1807,  in-12;  —  La  Mort  de  Socrate,  drame, 
précédé  d'un  Essai  sur  les  journaux  et  suivi 
d'un  Discours  académique  ;  Paris,  1808,  in-18  ; 

—  Harmonies  de  la  nature;  Paris,  1815, 
3  vol.  in-8°,  avec  portrait;  1818,  4  vol.  in-12, 
avec  port.  Les  Œuvres  complètes  de  Bernardin 
de  Saint-Pierre,  précédées  de  la  Vie  de  l'au- 
teur, ont  été  publiées  par  M.  Aimé  Martin  ;  Pa- 
ris, 1818-1820,  12  vol.  in-8°,  20  grav.  ;  1820-21, 
19  vol.  in-18,  27  grav.;  1825-26  et  1830-31, 
12  vol.  in-8°,  14  grav.;  1835,  9  vol.  in-8°. 
M.  Aimé*  Martin  a  aussi  édité  :  Œuvres  post- 
humes (Paris,  1833-36,  2  vol.  in-8°)  et  Ro- 
mans, contes,  opuscules  (Paris,  1834,  2  vol. 
in-18,  fig.).  La  plupart  des  ouvrages  de  Bernar- 
din de  Saint-Pierre  ont  été  traduits  en  langues 
étrangères;  La  Chaumière  indienne  l'a  été  en 
grec  moderne  (Paris,  1825,  in-18).    J.  Morel. 

Aimé  Martin  ,  Vie  de  B.  de  Saint- Pierre ,  à  la  tête  des 
Œuvres  complètes ,  et  Mémoires  sur  la  vie  et  les  ou- 
vrages de  B.  de  Saint-Pierre  ;  Paris,  1826.  in-8°.  —  Cor- 
rçsp.  de  B.  de  Saint-Pierre;  Paris,  1826,  3  vol.  —  Patin, 
Eloge  de  V.  de  Saint-  Pierre;  Paris,  1816, in-8°  —Sainte- 
Beuve  ,  Portraits  littér.  -  Viîlemain ,  Littérature  au 


dix  -  huitième   siècle.   —   Lemontey  ,    Mélanges  litté- 
raires. 

saint-pol.  Voy.  Saint-Paul. 

saint-prest  (Jean-Yves  de),  historien 
français,  mort  le  1"  janvier  1720.  Il  était  con- 
seiller au  grand  conseil,  lorsque  le  marquis  de 
Croissy  le  nomma,  en  1682,  directeur  du  dépôt 
des  archives  des  affaires  étrangères.  Ce  dépôt 
n'existait,  pour  ainsi  dire,  que  de  nom;  le  zèle 
persistant  de  Saint-Prest  l'enrichit  d'une  belle 
collection  d'archives.  En  1710,  M.  de  Torcy, 
mettant  à  exécution  un  projet  de  son  père,  le 
marquis  de  Croissy,  fonda  l'Académie  politique, 
école  destinée  à  former  à  la  diplomatie  quelques 
jeunes  gens  choisis.  Saint-Prest  en  fut  nommé 
directeur.  Cette  école  établie  au  Louvre,  où  était 
le  dépôt  des  archives  étrangères,  ne  compta  d'a- 
bord que  six  élèves;  ce  nombre  fut  élevé  à 
douze,  en  1713.  L'enseignement  de  Saint-Prest, 
qui  portait  sur  l'histoire,  la  géographie,  les  lan- 
gues vivantes  et  le  droit  public,  avait  d«  la 
clarté,  de  la  variété  et  de  l'intérêt.  Aussitôt  après 
sa  mort,  l'Académie  politique  déclina,  et  en 
1725  elle  cessa  d'exister.  Plusieurs  ouvrages  de 
Saint-Prest,  destinés  à  l'instruction  de  ses  élèves, 
sont  restés  inédits  au  dépôt  des  archives  étran- 
gères; on  n'a  imprimé  de  lui  que  Y  Histoire  des 
traités  de  paix  et  autres  négociations  du 
dix-septième  siècle,  depuis  la  paix  de  Ver- 
vins  jusqu'à  celle  de  Nimègue,  où  l'on  donne 
l'origine  des  prétentions  de  toutes  les  puis- 
sances de  l'Europe;  Amst.,  1725,  2  vol.  infol. 
Il  était  secrétaire  des  commandements  de  Marie- 
Françoise  de  Bourbon,  duchesse  d'Orléans. 

Ohaudon,  Dict.  hist.  univ. 

saint-priest  (  Françoi s- Emmanuel Gui- 
gnard,  comte  de),  homme  d'État  français,  né  à 
Grenoble,  le  12  mars  1735,  mort  à  la  terre  de 
Saint-Priest,  près  de  Lyon,  le  26  février  1821. 
Sa  famille,  originaire  d'Alsace,  possédait  depuis 
longtemps  dans  le  Dauphiné  la  vicomte  dont  elle 
portait  le  nom;  son  père,  Jean-Emmanuel , 
conseiller  d'État  et  intendant  du  Languedoc,  avait 
des  protecteurs  puissants  dans  la  maison  de 
Tencin,  à  laquelle  il  était  allié.  Lé  bailli  de  Ten- 
cin  fit  recevoir  François-Emmanuel  chevalier 
de  Malte  dès  l'âge  de  quatre  ans ,  et  après  l'a- 
voir mis,  en  1750,  dans  les  mousquetaires  gris, 
pour  qu'il  y  apprît  le  métier  des  armes,  l'em- 
mena, en  février  1753,  à  Malte,  où  il  commença 
ses  caravanes;  elles  se  bornèrent  à  quelques 
croisières  sur  les  côtes  de  Sicile ,  de  Sardaigne, 
d'Espagne,  de  Barbarie,  et  furent  achevées  à  la 
fin  de  1754.  Saint-Priest  revint  alors  en  France, 
et,  au  mois  de  mars  1755,  il  reprit  son  service 
dans  la  maison  du  roi.  Sa  première  eampagne 
eut  lieu  sous  le  maréchal  de  Broglie,  en  Alle- 
magne; il  s'y  distingua  comme  aide  maréchal 
des  logis,  fut  nommé  colonel,  et  passa  dans 
l'armée  de  Portugal,  sous  le  prince  de  Beauvau. 
La  paix  signée,  il  revint  à  Paris  (mars  1763), 
et  tourna  ses  vues  vers  la  carrière  diplomatique  : 


93  SAINT 

le  1er  novembre  suivant  il  partit  pour  Lisbonne, 
en  qualité  de  ministre  plénipotentiaire.  Sans 
avoir  à  traiter  d'affaire  importante,  il  occupa  ce 
poste  à  la  satisfaction  de  la  cour,  et  fut  envoyé, 
en  1768,  ambassadeur  à  Constantinople  à  la 
place  de  M.  de  Vergennes.  La  Porte  soutenait 
alors  contre  la  Russie  une  guerre,  dont  les  autres 
États  de  l'Europe  ne  cherchaient  pas  à  précipiter 
la  solution ,  et  le  rôle  de  la  diplomatie  se  bor- 
nait à  des  semblants  de  menaces  ou  à  des  pro- 
messes aussitôt  retirées  qu'avancées';  l'affabilité 
de  Saint-Priest  jointe  à  son  extérieur  imposant 
l'aida  dans  les  difficultés  de  cette  situation.  En 
octobre  1776  il  regagna  la  France  pour  exposer 
l'état  des  affaires  aux  ministres  et  pour  en  rece- 
voir des  instructions  nouvelles  ;  il  mena  en  même 
temps  dans  sa  famille  la  femme  qu'il  avait  épou- 
sée à  Constantinople,  et  qui  était  fille  du  comte 
de  Ludolf,  ministre  de  Naples  près  de  la  Porte. 
En  1778,  il  retourna  en  Turquie,  concourut  eu 
traité  d'Aïnali-Cavac,  en  vertu  duquel  la  Russie 
prit  possession  de  la  Crimée  (21  mars  1779), 
et  ne  revit  la  France  que  le  1er  janvier  1785. 
Une  nouvelle  ambassade  lui  fut  confiée  en  Hol- 
lande, le  Ie»"  septembre  1787;  il  n'y  resta  que 
quelques  mois,  et,  en  décembre  1788,  il  entra 
au  conseil,  avec  le  titre  de  ministre  d'État  sans 
portefeuille.  On  venait  de  clore  la  deuxième 
assemblée  des  notables  et  de  convoquer  les  états 
généraux.  M.  de  Saint-Priest ,  qui  partageait 
les  idées  de  Necker,  partagea  aussi  sa  fortune  ; 
il  fut  renvoyé  avec  lui,  le  12  juillet  1789,  re- 
vint avec  lui  aux  affaires,  après  la  prise  de  la 
Bastille,  et  remplaça  M.  de  Villedeuil  comme 
secrétaire  d'État  de  la  maison  du  roi,  et  fut  bien- 
tôt nommé  ministre  de  l'intérieur.  Pressé  entre 
les  rancunes  des  partisans  du  pouvoir  absolu  et 
les  exigences  enthousiastes  des  révolutionnaires, 
ce  parti  des  monarchistes  modérés  et  constitu- 
tionnels, auquel  se  rattachait  Saint-Priest,  ne 
pouvait  occuper  le  pouvoir  que  pendant  une  pé- 
riode bien  courte  de  transition;  les  attaques  ne 
cessèrent  de  le  harceler.  Saint-Priest  en  parti- 
culier encourut  toutes  les  menaces  de  l'im- 
popularité. On  l'accusa  d'avoir,  dans  les  jour- 
nées des  5  et  6  octobre ,  donné  au  roi  le  con- 
seil de  repousser  la  force  par  la  force;  le  10, 
Mirabeau  le  dénonça  à  l'Assemblée,  pour  avoir 
répondu  aux  femmes  qui  demandaient  du  pain  : 
«  Vous  n'en  manquiez  pas  quand  vous  n'aviez 
qu'un  roi  ;  allez  en  demander  à  vos  douze  cents 
souverains.  »  Saint-Priest  écrivit  le  jour  même 
à  l'Assemblée  une  lettre  dans  laquelle  il  démen- 
tait les  paroles  qui  lui  étaient  attribuées;  mais 
son  nom  resta  aux  yeux  du  peuple  synonyme 
de  violence,  et  aux  yeux  des  députés  synonyme 
d'hostilité  intraitable.  Ses' actes,  ses  discours 
furent  donc  incriminés  sans  relâche  ;  il  fit  cepen- 
dant tête  à  ses  adversaires  toute  une  année,  et 
ne  se  retira  qu'à  la  fin  de  décembre  1790, 
lorsque  l'Assemblée  eut  annulé  un  des  arrêts 
qu'il  avait  contresignés.  Presque  aussitôt  il  émi- 


PRIEST  <J4 

|  gra,  et  se  rendit,  en  mai  1791,  à  Stockholm,  où 
j  son  beau-frère,  M.  de  Ludolf,  représentait  la 
j  cour  de  Vienne.  Tous  ses  efforts  tendirent  alors 
à  obtenir  des  souverains  étrangers  des  secours 
|  pour  les  Bourbons;  après  avoir  agi  auprès  du 
roi  de  Suède,  il  alla  solliciter  la  Russie,  la  Prusse, 
l'Autriche,  la  Saxe  et  le  Danemark.  En  1795, 
Louis  XVIII  l'appela  à  Vérone,  ou  il  avait  formé 
un  ministère,  et  lui  donna  le  titre  de  ministre 
de  sa  maison.  Saint-Priest  suivit  son  maître  à 
Biankenbourg  et  à  Mittau.  Vers  la  fin  de  1808,  il 
alla  vivre  en  Suisse,  auprès  d'une  de  ses  filles. 
Ayant  vainement  sollicité  la  permission  de  ren- 
trer en  France,  et  forcé,  en  1811,  par  un  ordre 
du  gouvernement  helvétique  de  quitter  le  terri- 
toire de  la  république  ,  il  se  retira  à  Vienne. 
Rentré  à  Paris  (11  août  1814),  il  eut  le  grade 
de  lieutenant  général.  Il  passa,  sans  être  inquiété, 
les  cent-jours  à  Évreux,  et  à  la  seconde  res- 
tauration fut  nommé  pair  de  France  (17  août 
1815).  Son  grand  âge  et  une  surdité  presque 
complète  l'empêchèrent  de  prendre  part  aux 
travaux  de  la  chambre;  il  se  retira  dans  sa  terre 
près  de  Lyon,  où  il  mourut,  plus  qu'octogénaire. 
D'une  taille  élevée,  d'une  figure  expressive, 
Saint-Priest  commandait  le  respect  ;  sa  fermeté 
et  sa  résolution ,  la  dignité  de  ses  manières,  ne 
l'empêchaient  pas  d'être  bon  et  d'un  commerce 
agréable  ;  il  conversait  avec  esprit  et  parlait  plu- 
sieurs langues.  Nous  avons  de  lui  un  écrit  inti- 
tulé :  Examen  des  assemblées  provinciales  ; 
Paris,  1787,  in-8°.  Il  a,  dit-on,  laissé  des  Mé- 
moires manuscrits.  On  assure  aussi  que,  lors  de 
son  ambassade  à  Constantinople,  il  rédigea  et 
envoya  au  ministère  le  plan  d'une  expédition  en 
Egypte,  plan  qui  n'aurait  pas  été  inutile  au  Di- 
rectoire et  au  général  Bonaparte. 

Il  laissa  trois  fils,  Guillaume,  Armand  et 
Louis,  qui  entrèrent  au  service  de  la  Russie 
(voy.  les  articles  ci-après). 

De  Sèze  ,  dans  le  Moniteur  du  14  juin  1821.  —  Mabul, 
Annuaire  nécrolog.,  1821.  —  Barante  (de),  Études  hist. 
et  bioqr.,  II,  163-301. 

saint-priest  (  Guillaume  -  Emmanuel 
Guignard,  comte  de),  général,  fils  aîné  du  pré- 
cédent, né  à  Constantinople,  le  6  mai  1776, 
mort  à  Laon,  le  29  mars  1814.  Élevé  à  Paris 
et  destiné  à  l'état  militaire,  il  émigra  avec  son 
père  (1791),  et,  dès  l'âge  de  seize  ans  commença 
ses  premières  armes  contre  la  France,  dans  l'ar- 
mée de  Condé  (1792).  11  prit  ensuite  du  service 
en  Russie ,  et  fut  officier  dans  le  régiment  des 
cadets  d'artillerie.  En  1799,  il  se  rendit  à  Mittau, 
et  nommé  aide  de  camp  du  duc  d'Angoulême,  il 
retourna  à  l'armée  de  Condé.  Après  la  campagne 
de  1800,  il  alla  de  nouveau  en  Russie,  où  l'em- 
pereur Alexandre,  qui  l'avait  pris  en  affection , 
le  nomma  colonel  du  régiment  de  Sameneiowski. 
Il  se  distingua  à  Austerlitz,  perdit  une  jambe 
dans  la  campagne  de  1806,  et  au  retour  de  la 
guerre  contre  la  Turquie  reçut  le  grade  de  gé- 
néral   major  (1810).  Il  combattit  encore  les 


95  SAIiNT-PRlEST 

Français  à  la  Moskowa,  à  Lutzen  et  à  Leipzig, 
entra  en  France  à  la  suite  de  Blucher,  et  occupa 
Reims  (12  mars  1814),  Forcé  par  le  retour  de 
Napoléon  d'évacuer  cette  ville,  il  fut  atteint^  dans 
la  retraite,  par  un  obus,  et  mourut  à  Laon,  où 
on  l'avait  transporté. 

Jay,  Jouy,  etc.,  Biogr.  nouv.  dès  contemp.  —  «abbe, 
Biogr.  univ.  des  contemp. 

saint  -  priest  (  Armand  -  Emmanuel- 
Charles  Guignard,  comte  de),  frère  puîné  du 
précédent,  né  à  Constantinople,  le  29  septembre 
1782,  mort  à  Paris,  le  15  juin  1863.  Attaché  au 
service  de  la  Russie,  il  était  depuis  1812  gou- 
verneur civil  d'Odessa  et  de  la  province  de  Po- 
dolie,  conseiller  d'État  d'Alexandre  Ier,  lorsque  la 
mort  de  son  père  le  lit  entrer  à  la  chambre  des 
pairs,  où  il  fut  admis  le  28  juin  1822.  En  1804,  il 
avait  épousé  la  princesse  Sophie  Galitzin ,  et 
resta  veuf  en  1814  avec  un  fils,  Alexis  (voy.  ci- 
après)  et  une  fille,  Olga,  née  en  1807  et  mariée 
en  1847  au  prince  Basile  Dolgoroulu. 
Ccurcelles,  Dict.  des  pairs  de  France,  VII. 

saint-priest  (Alexis  Guignard,  comte  de), 
historien  français,  né  le23  avril  1805,àSaint-Pé- 
tersbourg,'mort  le  29  septembre  1851,  à  Moscou. 
Jl  était  fils  d'Armand  de  Saint-Priest  et  de  la 
princesse  Sophie  Galitzin.  Il  reçut  dans  le  col- 
lège d'Odessa,  placé  sous  la  direction  de  l'ahbé 
Nicolle,  une  éducation  toute  française.  La  raee 
eut  sur  lui  plus  d'influence  que  le  sol  :  élevé  au 
milieu  delà  barbarie,  il  appartint  dès  le  premier 
jour  à  la  civilisation  et  aux  instincts  les  plus 
raffinés  du  dernier  siècle.  A  dix-sept  ans  il  re- 
joignit à  Paris  son  père,  qui  venait  d'être  ap- 
pelé à  la  chambre  des  pairs,  et  presque  aussitôt 
il  fournit  aux  Chefs-d'œuvre  des  Théâtres 
étrangers  le  volume  du  théâtre  russe,  avec  no- 
tices et  préfaces.  «  Ce  qui  le  faisait  surtout  re- 
marquer, dit  M.  de  Barante,  parmi  les  hommes 
de  la  génération  et  dans  la  société  parisienne,  où 
il  se  trouvait  tout  à  coup  transporté,  c'était  le 
goût,  le  culte  de  l'esprit,  le  désir  de  plaire  et  de 
réussir  par  la  conversation.  Ce  jeune  homme, 
arrivant  des  bords  de  la  mer  Noire,  avait  plus 
que  ses  contemporains  le  ton  et  les  habitudes 
des  salons  que  nos  révolutions  avaient  fermés  ou 
changés.  «Il  voyagea  en  Italie, puis  en  Espagne, 
et  fit  imprimer  dans  la  Revue  française  une 
lettre  sur  l'état  de  la  péninsule  en  182J.  On  ne 
le  vit  point  se  mêler  aux  luttes  des  opinions;  sa 
vocation  littéraire,  ses  relations  avec  des  écri- 
vains distingués  et  la  tournure  de  son  esprit 
l'inclinaient  du  côté  libéral.  Aussi  prit-il  en 
bonne  part  la  révolution  de  1830.  Une  affection 
véritable  le  liait  au  nouvel  héritier  du  trône,  et 
il  reçut  dans  la  famille  d'Orléans  un  accueil  en- 
courageant ;  il  songea  à  entrer  dans  la  diplomatie. 
Après  avoir  débuté  comme  ministre  au  Brésil 
(janvier  1833),  il  remplit  le  même  poste  en 
Portugal  (1835)  et  en  Danemark  (1838).  Rap- 
pelé pour  être  nommé  pair  de  France  (25  (hc. 
1341),  il  ne  se  mêla  point  aux  discussions  poli- 


96 
tiques,  et  suivit  son  goût  pour  les  lettres  sans 
songer  à  s'en  détourner.  Ses  travaux  historiques 
lui  ouvrirent  les  portes  de  l'Académie  française  : 
élu  le  18  janvier  1849,  à  la  place  de  M.  Vatout, 
il  ne  fut  reçu  qu'un  an  plus  tard,  le  17  janvier 
1850.  Ayant  à  louer  Ballanche  et  Yalout  à  la 
fois,  ses  deux  prédécesseurs,  il  insista  avec  goût 
sur  ce  rapprochement  que  le  hasard  amenait 
et  que  l'art  eût  évité.  Depuis  longtemps  il 
avait  le  projet  de  faire  un  voyage  en  Russie,  où 
son  père  était  revenu  se  fixer;  il  s'y  rendit  en 
juillet  1351,  et  deux  mois  après  il  succombait 
aux  atteintes  d'une  fièvre  typhoïde,  à  l'âge  de 
quarante-six  ans.  De  son  mariage  avec  MUe  de  la 
Guiche  (1827),  il  a  laissé  deux  filles  mariées, 
l'une  à  M.  de  Ciermont-Tonnevre,  l'autre  à 
M.  d'Harcourt.  On  a  d'Alexis  de  Saint-Priest  : 
Les  Ruines  françaises,  suivies  dti  Voyageur  à 
lu  Trappe,  essais  poétiques;  Paris,  1823, 
in-3°  de  24  p.;  —  Athénais ,  ou  le  Souvenir 
d'une  femme;  comédie  en  un  acte,  en  prose; 
Paris,  1826,  in-8°;  —  Le  Présent  et  te  Passé, 
épitre;  Paris,  1828,  in-8°;  —  L 'Espagne, frag- 
ment de  voyage;  Paris,  1.830,  in-8°  :  —  His- 
toire de  la  royauté  considérée  dans  ses  ori- 
gines jusqu'à  la  formation  des  principales 
monarchies  de  l'Europe;  Paris,  1842,  2  vol. 
in-8°.  Après  avoir  reconnu  dans  l'antique  Orient 
la  première  notion  delà  royauté,  complètement 
ignorée  des  Grecs  et  des  Romains  dans  le  sens 
moderne  attaché  à  ce  mot,  l'auteur  ne  la  retrouve 
telle  qu'il  la  définit  que  chez  les  peuples  ger- 
mains, et  il  suit  les  vicissitudes  qu'elle  a  subies 
depuis  l'invasion  des  barbares  jusqu'à  la  pé- 
riode féodale  :  on  trouve  dans  ce  livre  beau- 
coup d'érudition  et  de  sagacité;  tel  qu'il  est, 
avec  l'exubérance  du  style,  la  disproportion  du 
plan  et  des  détails,  la  hardiesse  parfois  légère 
des  assertions,  il  est  peut-être  l'œuvre  la  plus 
remarquable  de  Saint-Priest;  —  Histoire  de  la 
chute  des  Jésuites,  au  dix-huitième  siècle; 
Paris,  1844,  m-8°;  réimpr.  dans  la  même  année, 
in-18,  avec  des  corrections  et  des  pièces  justi- 
ficatives. Au  moment  où  il  parut ,  ce  travail  eut 
tout  le  mérite  de  l'à-propos,  et  il  obtint  un  très- 
grand  succès.  L'auteur  y  apporta  un  soin  mi- 
nutieux en  même  temps  qu'une  impartialité  par- 
faite; au  lieu  de  voir  dans  la  suppression  de 
l'ordre  une  œuvre  delà  philosophie  du  dix -hui- 
tième siècle,  il  expliqua  comment  tout  s'était 
passé  dans  ia  région  politique  ,  et  montra  com- 
ment les  jésuites  témoignèrent  dans  ce  long 
conflit  peu  d'habileté  et  peu  de  connaissance 
des  hommes  et  des  affaires;  —  La  Perte  de 
l'Inde  sous  Louis  XV,  dans  la  Revue  des 
deux  inondes  du  1er  mai  1845;  —  Histoire 
de  la  conquête  de  Naplespar  Charles  d'An- 
jou, frère  de  saint  Louis;  Paris,  1847-48, 
4  vol.  in-8°.  «  La  composition  de  son  ouvrage , 
rapporte  1M.  de  Barante,  son  unité,  l'ait  du 
récit,  l'enchaînement  des  faits,  la  peinture  des 
mœurs  de  ce  siècle,  l'exposé  de  la  situation  des 


97  SA1NT-PRIEST 

grands  États  européens,  le  caractère  des  princi- 
paux personnages,  la  diversité  des  armées  et 
des  peuples  qui  se  heurtaient  les  uns  contre  les 
autres,  tels  sont  les  mérites  de  es  livre;  »  — 
Un  vio t  sur  le  24  février,  dans  la  Revue  des 
deux  mondes  du  1er  juin  1849.  M.  de  Saint- 
Priest  travaillait  à  une  Vie  de  Voltaire  quand 
la  mort  l'a  surpris. 

Albert  de  Broglle.  Études  morales  et  littèr.,  p.  3SS- 
367.  -  Barantc  (De),  Études  hisi.  et  biogr.,  I,  M9-462.  — 
llerrye:-,  Oise,  de  récept.  à  VAcad.  fr.,  1852. 

*  sAiXT-rstiEST  ( Emmanuel- Louis- Marie 
GuiGiunD ,  vicomte  de),  général  et  diplomate 
fiançais,  né  à  Paris,  le  6  décembre  1789.  Troi- 
sième fils  du  ministre  de  Louis  XVI  (  voy.  ci- 
dessus  ),  il  fut  tenu  sur  les  fonts  baptismaux  par 
ce  prince  et  par  Marie-Antoinette.  A  l'exemple 
de  ses  deux  frères,  il  entra  au  service  de  la 
Russie,  et  se  trouva  à  la  bataille  d'Austerlitz 
comme  simple  sous-officier  dans  les  chasseurs 
de  la  garde  impériale  russe,  Blessé  grièvement 
au  combat  de  Gulstadt(1807)  et  à  Lutzen  (1813), 
il  avança  rapidement  et  venait  d'être  nommé 
colonel  (1814)  lorsque  des  partisans  français  le 
firent  prisonnier  en  Champagne,  au  moment  où 
il  cherchait  à  rejoindre  le  huitième  corps  d'armée, 
commande  par  son  frère  aîné;  il  aurait  été  fu- 
sillé si  l'ordre  de  Napoléon  n'eût  été  intercepté 
paries  Cosaques,  ordre  dont  le  duc  de  Feltre 
ajourna  la  réexpédition.  Après  la  restauration,  le 
duc  d'Angoulême  l'attacha  à  sa  personne,  et 
l'envoya,  en  mars  1815,  de  Bordeaux  à  Sisteron, 
pour  soulever  le  Dauphiné  et  le  midi  ;  unis  en 
apprenant  la  capitulation  de  la  Palud,  M.  de 
Saint-Priesl  licencia  ce  qui  lui  restait  de  troupes, 
et  s'embarqua  à  Marseille  pour  rejoindre  le 
prince  en  Espagne.  Pris  par  un  corsaire  tu- 
nisien, il  subit  une  captivité  de  plusieurs  se- 
maines, et  arriva  ensuite  à  Barcelone  assez  a 
temps  pour  franchir  la  frontière  avec  le  prince 
et  quelques  centaines  Ai  volontaires  royalistes 
organisés  par  le  duc  d'Escars.  Nommé  maréchal  de 
camp  (9  avril  1 8 1 5),il  reçut  en  outre  de  Louis  XVilI 
les  charges  de  premier  éouyer  tranchant,  de  porte- 
cornette  blanche ,  de  gentilhomme  d'honneur  et 
de  menin  du  duc  d'Angoulême;  et  bien  qu'on 
l'accusât  de  libéralisme,  il  eut  là  mission  d'ins- 
pecter plusieurs  fois  l'infanterie.  Commandant 
d'une  brigade  de  l'armée  de  Catalogne  en  1823, 
il  fut  chargé  de  poursuivre  Mina  qu'il  atteignit 
le  14  juin  dans  la  Cerdagne,  où  il  lui  fit  sept 
cents  prisonniers.  Ce  fait  d'armes  lui  valut  le 
grade  de  lieutenant  général  (23  juin).  Après  la 
reddition  de  Cadix,  il  revint  en  France,  et  fut 
nommé,  en  novembre  1875,  ambassadeur  à  Ber- 
lin, d'où  il  passa,  en  1827,  à  la  cour  de  Madrid. 
C'est  lui  qui,  l'année  suivante,  négocia  le  traité 
en  vertu  duquel  l'Espagne  s'engageait  à  verser 
annuellement  à  la  France  une  somme  de  4  mil- 
lions jusqu'à  l'entière  extinction  de  sa  dette, 
montant  à  SO  millions  de  francs.  A  la  suite  de 
ce  traité,  Ferdinand  VJI  lui  conféra  la  graud'- 

NOUV.    EiOCSî.    CÉMSR.    —   T.    XL1H. 


-  SAIINT-RÉAL  98 

croix  de  Charles  III  (janvier  1829).  M.  deSaiut- 
Priest  protesta,  en  mars  1830,  contre  la  décision 
du  ioi  Ferdinand  qui  changeait  l'ordre  de  suc- 
cession au  trône  d'Espagne  ;  mais  cette  protesta- 
lion,  par  suite  de  la  révolution  qui  éclata  en 
France,  n'amena  aucun  résultat.  Démission- 
naire le  9  août  1830,  il  reçut  du  roi  Ferdinand 
la  grandesse  et  le  titre  de  duc  d'Almazan  (30  sep- 
tembre 1830).  En  quittant  l'Espagne  (mars  1831), 
M.  de  Saint-Priest  se  rendit  en  Italie,  et  revit 
pour  la  première  fois  à  Naples  la  duchesse  de 
Berri,  auprès  de  laquelle  il  passa  l'hiver  à  Massa. 
Au  printemps  de  1832,  il  fréta  le  Carlo  Al- 
berto, qui  amena  cette  princesse  en  Provence 
avec  quelques-uns  de  ses  compagnons.  Arrêté  à 
la  Ciotaf.  avec  une  partie  de  l'équipage  de  ce  bâ- 
timent, il  protesta  contre  le  droit  des  gens  violé 
eu  sa  personne,  et  obtint  gain  de  cause  devant  la 
cour  royale  d'Aix,  dont  l'arrêt  fut  cependant  an- 
nulé par  la  cour  de  cassation  ;  après  un  procès 
qui  eut.  un  grand  retentissement,  il  fut  rendu  à 
la  liberté,  le  15  mars  1833,  par  un  arrêt  de  la 
cour  d'assises  de  Montbrison  ,  devant  laquelle  il 
avait  été  renvoyé.  Sa  détention  avait  duré  dix 
mois.  Il  alla  rejoindre  alors  à  Livourne  la  du- 
chesse de  Berri,  qu'il  accompagna  en  Autriche  au- 
près de  Charles  X,  et  sur  ses  démarches  la  cour 
de  Vienne  mit  à  la  disposition  de  cette  princesse 
d'abord  la  résidence  de  Graetz,  puis  celle  de  Bran- 
deis,  à  trois  lieues  de  Prague.  De  retour  à  Paris,  il 
y  vécut  dans  une  retraite  absolue,considéré  comme 
l'un  des  chefs  du  parti  légitimiste,  mais  après  la 
révolution  de  février  1848  11  entreprit  une  cor- 
respondance active  avec  le  comte  de  Chambord. 
Élu  en  mai  1849  représentant  de  l'Hérault  à  l'As- 
semblée législative,  il  fui  de  nouveau  rendu  à  la 
vie  privée  par  le  coup  d'État  du  2  décembre. 
Il  est  veuf  d'Auguste-Charlotte-Louise  de  Ca- 
l'aman,  qu'il  avait  épousée  le  28  octobre  1817. 

Sarrut  et  Saint-Edroe,  Biogr.  des  hommes  du  jour, 
l.  V-  —  Vapereau,  Dictionnaire  universel  des  contemp. 
—  courcelles,  Dict.  Iiist.  des  pairs  de  France,  î.  Vil. 

SAIXT-RÉ.VL  (César  Vichard  de),  historien 
français,  né  à  Chambéry,  en  1639,  mort  dans 
cette  ville,  à  la  fin  de  1692.  Issu  d'une  famille 
de  Savoie  distinguée  dans  la  magistrature,  il 
prit  le  nom  de  la  terre  de  Saint-Réal,  qui  appar- 
tenait à  son  père,  sénateur  de  Chambéry.  A  seize 
ans  il  vint  compléter  à  Paris  ses  études,  chez  les 
Jésuites.  Afin  de  se  soustraire  plus  facilement 
aux  distractions  du  monde,  il  adopta  l'habit  ecclé- 
siastique ;  il  se  laissa  donner  le  titre  d'abbé,  sans 
posséder  jamais  un  seul  bénéfice.  Livré  à  lui- 
même  il  n'eut  peut-être  été  qu'un  savant  exi'.cî 
et  sagace;  ce  fut  la  rencontre  de  Varillas,  alors 
à  l'apogée  de  sa  réputation,  qui  fit  de  lui  un  his- 
torien brillant,  mais  romanesque.  11  contracta 
à  son  école  l'habitude  d'embellir  l'histoire, 
d'être  peu  scrupuleux  sui  les  anecdotes,  et  de 
chercher  dans  la  fécondité  de  son  imagination 
des  ressources  contre  la  stérilité  des  événements. 
Les  deux  écrivains  ne  demeurèrent  pas  long- 


99 


SAIJNT-RÉAL 


100 


temps  en  bonne  intelligence.  Varillas  prétendit 
que  son  disciple  lui  avait  dérobé  certains  docu- 
ments précieux.  Celui-ci  ne  daigna  pas  répondre, 
soit  par  un  reste  de  reconnaissance  pour  son 
maître ,  soit  par  respect  pour  lui-même.  Mais 
dès  lors  il  se  méfia  autant  des  amitiés  littéraires 
que  des  conversations  de  la  société,  où  il  ne  trou- 
vait, disait-il,  qu'un  vain  et  tumultueux  babil. 
Les  premiers  fruits  de  cette  laborieuse  solitude 
furent  les  discours  sur  Y  Usage  de  V histoire 
(Paris,  1G71,  in-12).  Ces  discours  sont  au 
nombre  de  sept  :  ils  sont  précédés  d'une  intro- 
duction. C'est  en  quelque  sorte  la  philosophie 
de  l'histoire  anecdotique,  ou,  si  l'on  veut,  un  traité 
sur  la  méthode  de  rendre  l'histoire  plus  agréable 
qu'on  n'avait  fait  jusqu'alors,  et,  selon  lui,  le  vrai 
moyen  c'est  de  ne  pas  oublier  les  rapports  de 
cet  art  avec  la  morale.  En  1673  il  mettait  ses 
préceptes  en  pratique  dans  la  nouvelle  histo- 
rique de  Don  Carlos  (Amst.  [Paris],  in-12), 
un  des  livres  qui  apprirent  aux  écrivains  quelle 
fortune  peut  faire  chez  nous  un  récit  sobre ,  pa- 
thétique, où  il  y  a  plus  d'action  que  de  descrip- 
tion et  autant  de  passion  que  d'art.  Schiller  n'a 
eu  qu'à  se  baisser  pour  tirer  de  ce  dramatique 
récit  son  Don  Carlos,  et  certains  critiques 
trouvent  et  prouvent  que  le  poète  allemand  a 
été  moins  heureux  que  Saint-Réai,  car  plus  que 
lui  il  a  disséminé  son  pathétique  au  lieu  de  le 
concentrer  sur  le  malheureux  infant  d'Espagne. 
La  Conjuration  de  Venise  parut  en  1674  (1). 
C'est  un  modèle  de  narration  sinon  de  véracité, 
et  l'on  peut  dire  que  jamais  Salluste  n'avait 
rencontré  un  imitateur  aussi  exercé  que  Saint- 
Kéal.  Les  portraits  historiques  à  la  façon  de 
Retz  y  abondent  :  celui  du  marquis  de  Bedmar 
est  resté  comme  un  type  qui  serait  classique 
si  le  faux  pouvait  arriver  à  une  vie  complète. 
L'action  n'est  pas  moins  bien  composée  que  le 
caractère  des  acteurs  ;  la  rhétorique  y  est  pres- 
que simple.  On  se  lasse  vite  des  attitudes  hé- 
roïques de  Renault,  des  monologues  de  Jaffier; 
on  pense  à  tous  ces  drames  qui  viennent  de  son 
livre  depuis  l'œuvre  shakespearienne  d'Otway 
jusqu'à  la  pauvre  tragédie  de  La  Place,  jouée  en 
t746,  et  malgré  soi  on  devient  un  peu  sévère  à 
celui  qui  nous  a  valu  cette  kyrielle  de  dé- 
clamations sonores.  Aujourd'hui  que  Ranke  a 
éclairci  ce  fait  si  longtemps  obscur,  on  trouve 
que  Saint-Réal  aurait  pu  mieux  appliquer  son 
esprit  qu'à  un  événement  d'une  portée  aussi 
peu  sérieuse  que  le  projet  du  corsaire  français 
Jacques  Pierre  conspirant  de  compte  à  demi 
avec  le  duc  d'Ossuna  pour  tenter  un  coup  de 
main  contre  Venise- 
Chargé  par  Charles  -  Emmanuel  II  d'écrire 
l'histoire  de  son  aïeul,  Charles-Emmanuel  le, 

(1)  Le  titre  exact  est  :  Conjuration  des  Espagnols 
contre  la  république  de  fenise;  Paris,  167»,  !n-12.  Peu 
d'ouvrages  ont  eu  autant  de  vogue  que  ce  roman  histo- 
rique, qui  restera  le  chef-d'œuvre  de  Saint-Réal,  et  il  ea 
a  été  fait  jusqu'à  nos  Jours  une  soixantaine  de  réimpres- 
sions. 


Saint-Réal  quitta  Paris  et  retourna  à  Chambéry 
en  1G7 ■■,  pour  se  mettre  à  l'œuvre.  Est-ce  la 
nécessité  de  voiler  bien  des  côtés  de  la  vie  de 
son  héros  qui  le  dégoûta  de  ce  travail  ?  Toujours 
est-i!  qu'il  n'en  est  rien  resté;  et  il  n'est  même 
pas  bien  prouvé  qu'il  l'ait  jamais  commencé.  A 
Chambéry  sa  vie  était  studieuse  et  cachée  comme 
à  Paris,  quand  la  belle  Hortense  Mancini,  du- 
chesse de  Mazario,qui  courait  l'Europe  comme 
une  infante  persécutée  pour  se  dérober  aux  folies 
de  son  ridicule  époux,  se  mit  en  tête  d'arracher 
le  savant  à  ses  livres.  Il  devint  le  familier,  l'ami, 
le  lecteur  de  la  duchesse.  «  Il  avait  l'honneur 
de  l'entretenir  tous  les  jours,  dit  Desmaizeaux, 
et  de  lui  lire  les  meilleurs  livres  français  et  ita- 
liens. »  On  a  conclu  de  cette  intimité,  un  peu 
trop  à  la  légère,  qu'il  était  l'auteur  des  Mémoires 
de  Mme.  d.e  Ma%arin,  dontonagrossi  ses  œuvres 
dans  quelques  éditions.  Sous  le  charme  de  la 
duchesse,  il  dérogea  à  ses  habitudes  au  point  de 
la  suivre  à  la  lin  de  1675  en  Angleterre;  mais  il 
se  lassa  soit  du  pays,  soit  de  la  vie  qu'il  fallait 
mener  à  la  petite  cour  de  Mme  de  Mazarin  ;  et  il 
quitta  Londres  au  bout  de  quelques  mois.  De 
retour  à  Paris,  il  travailla  à  cette  Vie  de  Jésus- 
Christ  (Paris,  1678,  ia-4°)  dont  la  dédicace  à 
Louis  XIV  commence  ainsi  :  «  Sire,  voici  le  seul 
modèle  qu'il  reste  à  vous  proposer.  » 

Bientôt  après  il  retourna  en  Savoie,  fit  quel- 
que séjour  à  Turin ,  fut  associé  à  l'Académie  de 
cette  ville,  et  consacra  son  discours  de  remer- 
cîment  au  panégyrique  de  la  fondatrice,  la  veuve 
de  Charles-Emmanuel  II.  De  retour  à  Paris,  où 
l'appelèrent  des  missions  délicates  qu'il  eut  à 
remplir  au  nom  de  la  cour  de  Savoie  près  du 
duc  d'Orléans,  l'historien  diplomate  y  publia: 
Éclaircissement  sur  le  discours  de  Zachée 
à  Jésus-Christ  (Paris,  1682,  in-12)  ;  Césarion 
(1684,  in-12),  choix  d'entretiens  où  l'esprit  assai- 
sonne agréablement  une  érudition  étendue;  le 
faible  Discours  sur  la  Valeur  (1688,  in-12), 
adressé  à  l'électeur  de  Bavière,  qui  au  siège  de  Bel- 
grade avait  montré  la  témérité  d'un  soldat  ;  et  le 
traité  De  la  Critique  (1691,  in-12),  dirigé  contre 
Andry  de  Boisregard,  auteur  de  Réflexions  sur 
la  langue  française.  Ce  dernier  est  le  plus 
médiocre  des  ouvrages  de  Saint-Réal  ;  il  y  fait 
preuve  d'un  esprit  étroit,  et  ne  paraît  pas  com- 
prendre les  droits  de  la  critique,  puisqu'elle 
n'est  licite,  selon  lui,  qu'à  l'égard  des  morts  (1). 
Quelques-unes  de  ses  remarques  grammaticales 
sont  curieuses  pour  l'histoire  de  la  langue.  Ses 
derniers  travaux  passèrent  presque  inaperçus. 
Sa  traduction  des  deux  premiers  livres  des  lettres 
de  Cicéron  à  Atticus  ne  devait  pas,  malgré  un 

(1)  «  On  doit  'regarder  la  critique  comme  ces  remèdes 
délicats  que  la  médecine  compose  des  drogues  les  plus 
venimeuses  et  dont  quelque  poison  est  la  bise,  pour  par- 
ler en  termes  de  l'art.  »  [De  la  Critique,  introd.  )  Voir 
au  ch.  xv  le  morceau  qui  commence  par  ces  mots  : 
<i  Louer  tous  les  auteurs  en  face,  mais  jamais  en  présence 
i'nn  de  l'autre;  approuver  par  un  geste  ou  par  un  sou- 
rire le  mal  qu'ils  disent  des  absents  »;  etc. 


101  SAINT-RÉAL  - 

fidélité  assez  rare  à  cette  époque,  le  soustraire 
aux  critiques  sévères  des  amis  de  Port-Royal,  qui 
lui  reprochèrent  avec  quelque  raison  un  style 
lourd,  embarrassé,  et  des  familiarités  comme 
celle-ci  :  Ma  Tulliette  pour  traduire  Meam 
Tulliolam. 

L'année  d'après  il  mourait  à  Chambéry,  en 
1692,  à  cinquante-trois  ans,  assez  à  temps  pour 
ne  pas  voir  les  récits  historiques  de  Vertot  faire 
concurrence  aux  siens,  ce  qui  eût  été  le  plus 
rude  des  supplices  pour  cet  amour-propre  irri- 
table à  l'excès.  Aussitôt  qu'il  fut  mort,  le  public 
demanda  du  Saint-Réal  comme  il  allait  demander 
du  Saint  -Évremond.  De  là  tant  de  morceaux 
insérés  parmi  ses  œuvres  et  qui  ne  sont  pas  de 
lui,  quoiqu'on  y  ait  parfaitement  attrapé  sa  ma- 
nière, où  il  y  a  plus  d'art  que  de  naturel,  plus 
d'effort  que  de  chaleur.  Ainsi  il  faut  restituer  à 
leurs  véritables  auteurs  les  ouvrages  que  Saint- 
Réal  n'a  pas  écrits  :  à  Villefore,  la  Vie  d'Octa- 
vie;  à  Richard  Simon,  la  Lettre  contre  la  tra- 
duction de  l' Histoire  du  concile  de  Trente; 
au  marquis  de  La  Bastie,  les  Fragments  sur 
Lépide  et  sur  Auguste,  les  Considérations 
sur  Antoine,  Luctillus  et  Livie,  les  Traités 
de  Philosophie,  de  Politique  et  de  Morale, 
les  Maximes,  la  Conjuration  des  Gracques  , 
les  Affaires  de  Marias  et  de  Sylla  (1),  etc.  ;  à 
l'abbé  Desfontaines  deux  discours  trad.  de  Xéno- 
phon,  enfin  à  des  auteurs  inconnus,  la  Méthode 
pour  combattre  les  déistes,  les  Remarques 
sur  les  Esséniens,  Épicharis,  etc.  Voilà  com- 
ment l'abbé  Perau  put  arriver  à  remplir  les 
8  vol.  in- 12  de  son  édition  de  Saint-Réal  (Paris, 
1757)  ;  celle  qui  avait  paru  à  Amsterdam  (1740), 
la  plus  estimée  de  toutes,  n'en  avait  que  six  ; 
elle  fut  reproduite  à  Paris  en  t745,  3  vol.  in-4°, 
fig.  On  a  fait  un  recueil  des  Œuvres  choisies, 
réimprimé  par  divers  auteurs  :  en  1783,  4  vol. 
in-24;  en  1804,  2  vol.  in-12;  en  1819,  in-8°,  et 
en  1826,  2  vol.  in-32.  F.  Colincamp. 

Bayle,  Dict.  et  Corresp.  —  Niceron,  Mémoires,  II.  — 
Moréri,  Grand  Dict.  kist.  —  Journal  des  savants,  1731. 
—  Marchand,  Dict,  II.  —  La  Harpe,  Cours  de  littér.  — 
Voltaire,  Siècle  de  Louis  XIV.  —  Grillet,  Dict.  hist.  des 
dép.  du  Mont-Blanc  et  du  Léman.  —  F.  di  Baroio,  Me- 
morie  spettanti  alla  vita  di  Saint-Réal  ;  Turin,  1783, 
in-8°.  —  Sayous,  Hist.  de  la  littér.  fr.  à  l'étranger. 

saint-romuald  (Pierre  de).  Voy.  Guille- 

BAUD. 

SAINT-SAUVEUR.  Voy.  GRASSET. 

SAINT  SILVESTKE  (JUSte-LoUtS  IrtJ  FAUR, 

marquis  de),  général  français,  né  le  9  janvier 
1627,  à  Paris,  mort  le  6  février  1719,  à  Valence, 
en  Dauphiné.  Issu  d'une  ancienne  famille  du 
Vivarais,  il  embrassa  la  carrière  des  armes,  et 
obtint,  en  sortant  des  pages  de  Louis  XIII,  une 
compagnie  de  chevau- légers,  à  la  tête  de  la- 
quelle il  signala  sa  bravoure  en  plusieurs  ren- 
contres; dans  une  seule  journée,  il  reçut  sept 


(1)  Tousses  opuscules  forment  un  recueil  de  préten- 
dues Œuvres  posthumes  de  Saint-Réal;  Paris.  Barbin, 
1693,  3  vol.  in-18. 


SA1JNT-SIMOIN 


12 


blessures  avant  d'être  mis  bors  de  combat.  Il 
prit  part  en  1609  à  l'expédition  de  Candie,  et 
en  1672  il  devint  mestre  de  cavalerie  d'un  régi- 
ment de  son  nom.  De  l'armée  de  Flandre  il  passa 
dans  celle  d'Italie  en  qualité  de  maréchal  de  camp 
(1690),  contribua  au  gain  de  la  bataille  de  Staf* 
farde  ainsi  qu'à  la  prise  de  Carmagnole,  et  eut, 
en  récompense  de  ses  services,  une  pension  de 
4,000  livres  (1691),  puis  le  grade  de  lieutenant 
général  (1692).  Envoyé  en  Catalogne,  il  assista 
à  la  prise  de  Roses  (1693);  mais  il  ne  réussit 
pas  à  s'accorder  avec  le  maréchal  deNoailles,  et 
ce  dernier  se  plaint  dans  ses  Mémoires  «  qu'il 
désespérait  de  tout,  exposait  infidèlement  l'état 
des  choses,  et  qu'il  ne  faisait  point  de  cas  des 
conseils ,  des  avis  ni  des  ordres.  »  En  juin 
1695,  on  rappela  Saint-Silvestre,  qui  se  retira  à 
Valence. 

Saint- Silvestre  (Charles  -  François  do 
Faur,  marquis  de),  descendant  du  précédent, 
né  le  1er  octobre  1752,  au  château  de  Satilleu 
(Vivarais),  où  il  est  mort,  le  1er  novembre  1818. 
Député  de  la  noblesse  de  sa  province  aux  états 
généraux  de  1789,  il  y  siégea  sous  le  nom  de 
marquis  de  Satilleu ,  et  vota  avec  le  côté  droit. 
Il  n'émigrar  point,  et  passa  le  reste  de  sa  vie  dans 
le  Vivarais,  occupé  d'études  historiques.  Ses  ou- 
vrages ,  tous  manuscrits  et  au  uombre  de  cin- 
quante-huit, ont  passé  entre  les  mains  d'un  re- 
jeton de  sa  famille,  qui  appartient  à  une  brandie 
établie  dans  les  Pays-Bas. 

Saint- Allais,  Le  Nobiliaire  universel. 

SAiMT-sïMON.nom  d'une  ancienne  seigneurie 
du  Vermandois  (aujourd'hui  chef-lieu  de  canton 
du  dép.  de  l'Aisne),  qui  fut  érigée  en  1635  en 
duché  pairie.  Les  anciens  sires  de  Saint-Simon 
avaient  eu  des  prétentions  sur  le  Vermandois  et 
le  Valois;  leur  dernière  héritière  fut  Margue- 
rite, qui,  vers  1332,  apporta  en  mariage  la  terre 
de  Saint-Simon  à  Matthieu  de  Rouvroi,  dit  le 
Borgne,  d'une  famille  du  Beauvoisis.  Cette  mai- 
son se  divisait  au  dix- septième  siècle  en  cinq 
branches,  dont  les  principales  étaient  celles  des 
comtes  et  des  ducs  de  Saint-Simon,  et  des  mar- 
quis de  Sandricourt.  Il  n'en  existe  plus  aujour- 
d'hui que  les  deux  branches  de  Montbleru  et  de 
Sandricourt  :  la  première,  où  s'est  renouvelé 
le  titre  ducal,  a  pour  chef  Henri- Jean-Victor, 
général  et  sénateur  (voy.  plus  bas),  et  la  seconde 
est  représentée  par  Robert-Louis- Adolphe,  ca- 
pitaine de  vaisseau  dans  la  marine  de  l'État. 

Moréri,  Dict.  hist-  —  Nobiliaire  universel. 

saint-simon  (Gilles  deRouvroi,  sire  de), 
fondateur  de  la  branche  des  ducs  de  Saint-Si- 
mon, mort  vers  1478.  C'était  le  second  fils  de 
Matthieu  II  de  Rouvroi,  tué  en  1415  dans  la 
journéed'Azincourt.  Élevé  auprès  de  Charles  VII, 
il  se  signala  dans  les  campagnes  contre  les  An- 
glais, notamment  à  la  bataille  de  Verneuil, 
Chambellan  du  roi  en  1424,  il  le  fut  aussi  du 
connétable  de  Richemont,  qu'il  accompagna  dans 
toutes  ses  expéditions  militaires.  Après  avoir 

4. 


103 


SAINT-SIMON 


!C4 


assisté  à  l'entrée  du  roi  dans  Paris,  il  se  trouva 
aux  sièges  de  Meaux,  de  Creil  et  de  Pontoise, 
et  servit  aussi  dans  le  recouvrement  des  places 
de  Normandie;  au  combat  de  Formigny  (1450), 
il  commandait  les  gendarmes  et  les  archers. 
Louis  XI  l'établit  en  1465  l'un  des  seigneurs  pour 
la  garde  et  la  sûreté  de  Paris.  Gilles  fit  son  tes- 
tament le  20  septembre  1477  et  y  ajouta  un  co- 
dicille le  7  décembre  suivant.  Il  fut  enterré  dans 
la  cathédrale  de  Sentis. 

Moréri,  Dict.  hist.  —  Vallet  (  de  Virlville  ),  Hist.  de 
Charles  FIL 

saint-simon  (CZawde  de  Rouvroi,  duc  de), 
lieutenant  général,  descendant  du  précédent,  né 
le  16  août  1607,  mort  le  3  mai  1693,  à  Paris.  Il 
était  fils  de  Louis,  mort  en  1643, qui  en  fidèle 
royaliste  avait  suivi  toutes  les  guerres  de  Hen- 
ri IV.  Page  de  Louis  XIII,  il  sut  gagner  la  fa- 
veur du  roi,  qui  lui  donna  plusieurs  charges 
considérables ,  comme  celles  de  grand  louvetier, 
de  premier  gentilhomme  de  la  chambre  et  de 
premier  écuyer.  A  la  fin  de  1630  il  reçut  le  gou- 
vernement de  Blaye,  et  fut  créé  en  1635  duc 
et  pair.  Il  suivit  le  roi  dans  différentes  cam- 
pagnes, et  eut  le  commandement  en  chef  de 
tous  "les  arrière-bans  du  royaume,  q_ui  étaient 
de  cinq  mille  gentilshommes.  Après  avoir  été  en 
bons  rapports  avec  le  cardinal  de  Richelieu ,  il 
finit spar  donner  de  l'ombrage  à  ce  ministre,  qui 
parvint  à  l'éloigner  de  la  cour  en  1637.  Après  la 
mort  île  Richelieu,  il  reparut  quelque  temps  à  la 
cour,  vendit  sa  charge  de  premier  écuyer,  et 
mena  une  vie  assez  retirée.  «  Sa  faveur  fut  sans 
envie ,  a  écrit  son  fils  ;  modeste  et  désintéressé, 
il  fut  l'homme  le  plus  obligeant,  le  mieux  fai- 
sant et.le  plus  généreux  qui  ait  paru  à  la  cour.  » 
Il  avait  aussi  l'humeur  vive  et  chatouilleuse, 
ainsi  qu'il  le  prouva  par  son  duel  avec  de  Vardes, 
par  son  défi  au  duc  d'Harcourt  et  par  son  dé- 
menti au  duc  de  La  Rochefoucauld.  Il  menait 
une  grande  existence,  faisait  bonne  chère  et 
jouissait  dans  son  gouvernement  d'une  autorité 
absolue.  Sa  première  femme  lui  donna  deux 
filles;  de  la  seconde,  Charlotte  de  l'Aubespine, 
il  eut  un  fils,  Louis,  qui  suit. 

Saint-Simon,  Mémoires. 

SAINT-SIMON  (LouiX  DE  ROCVROl,  duc  DE), 

auteur  des  Mémoires,  fils  du  précédent,  né 
dans  la  nuit  du  15  au  16  janvier  1675,  mort 
à  Paris,  le  2  mars  1755.  Sa  mère,  Charlotte 
de  l'Aubespine  (1),  dirigea  habilement  son  édu- 
cation. Il  apprit  assez  de  latin  pour  le  parler, 
sut  l'allemand  et  cultiva  son  esprit  par  des  lec- 
tures variées.  L'histoire  surtout  le  captiva,  et  il 
s'initia  à  tous  les  secrets  de  la  science  héral- 
dique. Il  fit  ses  premières  armes  au  siège  de 
Namur,  obtint,  en  1693,  une  compagnie  de  ca- 
valerie, et  succéda,  la  même  année,  dans  le 
gouvernement  de  Blaye  à  son  père,  qui  venait 
de  mourir.  11  fut   à  Neerwinden  de  la  charge 

(1)  Elle  mourut  à   Paris,  le  6  octobre   1725,  dans  sa 
quatre  -vingl-einquième  année. 


impétueuse,  trois  fois  recommencée,  sous  les 
ordres  du  duc  de  Chartres;  sa  belle  conduite 
lui  mérita  peu  après  l'agrément  d'un  régiment 
de  cavalerie.  Dès  cette  époque  la  lecture  des 
Mémoires  de  Bassompierre  lui  donna  l'idée 
de  composer  les  siens.  Dans  la  campagne  du 
Rhin ,  le  maréchal  de  Lorges,  qui  commandait 
en  chef,  le  remarqua,  le  reçut  chez  lui  et  lui  ou- 
vrit sa  maison  ;  leurs  relations  devinrent  si  in- 
times que  Saint-Simon  épousa,  le  7  avril  1695,  la 
fille  aînée  du  maréchal,  Gabrielle  de  Durfort,  per- 
sonne accomplie  de  tous  points,  si  ce  n'est  que  son 
aïeul  maternel  se  nommait  simplement  M.  Fré- 
mont.Unétat  de  maison  florissant  et  le  crédit  du 
père  l'avaient  d'abord  attiré;  les  vertus  de  la  fille 
le  fixèrent  pour  toujours.  Mlle  de  Lorges  était  la 
femme  qui  lui  convenait  le  mieux  pour  modé- 
rer ce  qu'il  y  avait  en  lui  d'excessif.  Aussi  in- 
différente aux  vaines  disputes  de  préséance  que 
son  mari  en  était  avide,  elle  cédait  à  propos  sur 
les  points  contestables;  elle  ne  mettait  pas  tout 
en  feu  pour  un  tabouret  mal  placé.  Toujours 
prompte  à  deviner  le  piège,  manœuvrant  avec 
aisance  au  milieu  des  écueils,  elle  savait,  dans 
les  occasions  ambiguës,  indiquer  le  seul  conseil 
décisif  et  la  seule  démarche  salutaire;  elle  pos- 
sédait cette  sorte  d'esprit  délié ,  sûr  et  tranquille, 
arme  défensive  des  cours,  qui  ne  mène  pas  à  la 
faveur,  mais  qui  évite  la  disgrâce.  Saint-Simon, 
toutefois,  ne  recueillit  pas  de  ce  mariage  le  fruit 
que  son  ambition  s'en  était  promis.  En  1702,  il 
n'était  encore  que  mestre  de  camp,  et  cinq  de 
ses  cadets  lui  furent  préférés  pour  un  grade  su- 
périeur. Il  s'offensa  de  l'injustice  qui,  à  vrai  dire, 
n'était  pas  criante,  et  donna  sa  démission* 

Saint-Simon  avait  alors  vingt-sept  ans.  Comme 
il  n'avait  rien  relâché  de  la  fermeté  de  ses  prin- 
cipes, il  n'avait  rien  perdu  de  la  vigueur  de  son 
âme ,  jet  il  pouvait  affronter,  sans  péril  pour  sa 
probité,  l'épreuve  difficile  de  la  cour.  La  religion 
était  le  fondement  solide  sur  lequel  il  avait  ré- 
solu d'appuyer  son  existence.  Sa  liaison  avec 
M.  de  Rancé ,  liaison  singulière  pour  un  jeune 
homme  aussi  abîmé  dans  la  contemplation  de 
ses  titres,  avait  fortifié  en  lui  les  habitudes 
pieuses  qui  se  mêlaient  à  son  orgueil  sans  le 
pouvoir  détruire.  Tant  que  vécut  ce  réformateur, 
il  ne  se  passa  point  d'année  qu'il  n'allât  durant 
plusieurs  semaines  se  nourrir  de  ses  entretiens, 
et  même  après  sa  mort  il  continua  de  faire  à 
la  Trappe  de  nombreux  pèlerinages.  A  la  cour, 
l'entêtement  de  la  qualité  engagea  Saint-Simon 
dans  une  suite  de  débats  aussi  acharnés  que 
futiles.  Ici  commence,  avec  ce  rôle  de  grand 
seigneur  à  outrance ,  cette  lutte  contre  les  gens 
de  peu  où  il  prodigua  l'esprit  à  se  couvrir  de 
ridicule.  Il  enveloppe  dans  sa  vengeance  la  ro- 
ture tout  entière;  au  moindre  honneur  qu'on  lui 
décerne ,  il  s'enflamme  ;  il  raconte  avec  stupeur 
qu'une  femme  de  ministre  a  été  admise  dans  les 
carrosses  du  roi  à  coté  d'une  princesse.  Ne  lui 
parlez  pas  de  Villars  ni  de  sa  bataille  de  Koch- 


105 


stedt  ;  Villars  est  le  petit-fils  d'un  greffier  de  Coin- 
drieu  :  la  chose  est  sûre,  tandis  que  ses  vic- 
toires sont  incertaines.  Il  attaque  en  préséance 
les  Luxembourg  et  les  La  Rochefoucauld.  Que  les 
évêques  ne  s'attendent  pas  à  obtenir  de  lui  le 
Monseigneur  ;  il  le  refuse  aux  ministres;  il  ne 
l'accorde  même  pas  au  duc  d'Orléans,  qui  est 
son  ami.  Les  princes  dusang,ilestvrai,marchent 
avant  les  pairs  :  il  l'avoue  et  il  en  souffre.  Mais 
malheur  à  ceux  qui,  sans  être  issus  de  la  race  des 
rois,  se  piquent  de  précéder  les  pairs ,  ou  qui , 
étant  pairs  eux-mêmes ,  affectent  sur  lui  la  su- 
périorité! Avec  quelle  science  cruelle  il  leur 
montre  dans  chacun  de  leurs  titres  le  fruit  d'une 
bassesse ,  d'un  subterfuge  ou  d'un  vol.  Comme 
il  déchire  leur  blason  pièce  par  pièce!  Rohan, 
Soubise,  Lorrains,  Guemené,  les  noblesses  les 
mieux  établies  fondent,  pour  ainsi  dire,  entre 
ses  mains.  On  s'étonne  après  l'avoir  lu  qu'il 
reste  encore  un  seul  gentilhomme  authentique, 
et  l'on  doute  de  lui  comme  des  autres ,  puisque 
après  Charlemagne ,  le  premier  de  ses  aïeux ,  il 
se  garde  d'en  plus  nommer  aucun.  Tant  de 
querelles  lui  suscitèrent  des  inimitiés  violentes. 
Le  duc  du  Maine,  légitimé  par  Louis  XIV,  et  qui 
voulait  prendre  place  entre  les  princes  du  sang 
et  les  pairs ,  le  savait  fort  opposé  à  ce  rang  in- 
termédiaire. Il  prévint  contre  lui  Mme  de  Main- 
tenon  et  le  roi.  Celui-ci  marqua  de  l'humeur  de 
ces  interminables  disputes,  d'autant  qu'il  lui 
revenait  que  Saint-Simon  ,  à  propos  d'étiquette, 
ne  se  ménageait  guère  sur  le  gouvernement. 
Mais  si  la  colère  du  maître  devenait  menaçante, 
il  ne  cherchait  point  un  refuge  dans  le  silence. 
Il  courait  au  devant  d'elle.  Il  forçait  le  roi  de 
l'écouter.  Nulle  part  la  connaissance  qu'il  avait 
du  cœur  humain  n'éclate  mieux  que  dans  ces  en- 
tretiens, modèles  de  franchise,  de  souplesse, 
de  dignité  et  de  flatterie  insinuante ,  où  ,  sans 
rien  sacrifier  de  ses  prétentions,  il  paraissait 
s'abandonner  aveuglément  à  l'arbitrage  suprême 
de  son  souverain.  Louis  goûtait  plus  vivement 
des  louanges  que  sa  grandeur  semblait  arracher 
à  un  esprit  chagrin,  et  satisfait  pourvu  qu'on  le 
distinguât  du  reste  des  hommes,  il  cessait  d'être 
irrité  d'un  censeur  qui,  reprenant  tout,  savait 
se  taire  sur  lui  seul.  Saint-Simon,  malgré  tous 
ces  débats,  ne  laissa  point  d'acquérir  quelques 
amis.  Lié  de  tout  temps  avec  le  duc  de  Che- 
vreuse  et  avec  le  duc  de  Beauvilliers,  gouverneur 
du  duc  de  Bourgogne,  il  se  concilia  de  plus 
en  plus  l'affection  du  chancelier  Pontchartrain  ; 
il  gagna  les  bonnes  grâces  de  Godet,  évêque  de 
Chartres,  directeur  spirituel  de  Mme  de  Main- 
tenon,  et  Chamillart,  ministre  alors  tout-puis- 
sant, lui  demanda  comme  un  honneur  d'avoir 
part  à  sa  confiance.  De  toutes  ces  amitiés  il  y  en 
avait  une  qui  touchait  de  plus  près  à  son  cœur, 
parce  qu'elle  était  plus  conforme  à  son  âge;  c'é- 
tait celle  de  Philippe  d'Orléans. 

Sans  aucune  fonction  éminente ,  Saint-Simon 
devint  un  personnage  avec  lequel  il  fallut  comp- 


SAINT-SIMON  [06 

ter.  Écarté  des  affaires ,  il  régna  sur  la  cour  ;  il 
surveilla  les  cabales  et  il  en  forma  lui-même. 
Lorsque  Louis  XIV,  malgré  sa  répugnance  pour 
Desmarets,  le  rappela  de  l'exil  et  lui  donna  les 
finances,  il  ne  se  doutait  guère  qu'en  cela  il 
suivait  le  choix  résolu  d'abord  par  Saint-Simon. 
Telle  était  l'importance  occulte  attribuée,  non. 
sans  cause,  à  Saint-Simon  par  l'opinion  de  Ver- 
sailles que  le  P.  Tellier,  nommé  en  1709  confes- 
seur du  roi ,  chercha  à  entretenir  avec  lui  un 
commerce  régulier  bien  qu'il  le  connût  pour  un 
adversaire  déclaré  des  jésuites.  Cette  impor- 
tance s'accrut  encore  lorsqu'il  eut  réussi  à  sé- 
parer le  duc  d'Orléans  de  Mrae  d'Argenton ,  sa 
maîtresse,  et  surtout  lorsqu'en  dépit  des  préfé- 
rences de  Monseigneur  pour  la  maison  de  Condé 
il  fit  conclure  le  mariage  de  Mademoiselle  avec 
le  duc  de  Berri ,  petit-fils  de  Louis  XIV.  Tan- 
tôt il  réglait  par  des  avis  salutaires  la  conduite 
que  le  duc  d'Orléans  devait  tenir  en  Espagne  ou 
en  Italie  ;  tantôt,  pénétrant  les  secrets  desseins 
des  ennemis  du  duc  de  Bourgogne,  il  les  dénon- 
çait à  M.  de  Beauvilliers.  Il  devina  les  disposi- 
tions hostiles  de  Mme  de  Maintenon  contre  Cha- 
millart, quand  elles  ne  faisaient  que  de  naître , 
et  il  recula  autant  qu'il  était  possible  la  disgrâce 
du  ministre.  Au  milieu  de  ces  petites  manœuvres 
il  ne  perdait  point  de  vue  des  objets  plus  hauts. 
Il  méditait  des  plans  de  politique  générale  qu'il 
se  croyait  appelé  à  exécuter  tôt  ou  tard.  Dès 
1704  il  proposa  pour  mettre  fin  à  la  guerre 
de  la  succession  d'Espagne  de  démembrer  la  mo- 
narchie de  Philippe  V,  de  donner  à  l'Autriche 
les  Pays-Bas  et  au  duc  de  Savoie  une  partie 
des  possessions  espagnoles  d'Italie  avec  le  titre 
de  roi.  Ce  projet,  alors  repoussé  avec  dédain, 
fut  adopté  en  partie  comme  base  du  traité  d'U- 
trecht.  Il  voulait,  en  ce  qui  concernait  les  affaires 
ecclésiastiques,  ruiner  la  prépondérance  fu- 
neste de  la  Compagnie  de  Jésus.  Mais  son  des- 
sein, ou  plutôt  sa  chimère  favorite,  fut  de 
dépouiller  la  roture  des  grandes  charges  dont 
l'avait  investie  Louis  XIV  et  de  lui  substituer 
partout  la  noblesse.  Il  imagina  un  système  où 
la  royauté  serait  à  la  fois  soutenue  et  dirigée  par 
des  conseils  aristocratiques  dont  chacun  aurait 
dans  son  ressort  une  partie  distincte  de  l'ad- 
ministration. 11  comptait  d'abord  sur  l'appui  du 
duc  de  Bourgogne ,  puis ,  après  sa  mort,  il  re- 
porta toutes  ses  espérances  sur  le  duc  d'Orléans. 
Au  moment  où  Louis  XIV  descendit  dans  la 
tombe  (1 7 15), Saint-Simon,  malgré  la  nonchalance 
de  Philippe,  avait  tout  disposé  pour  le  grand  coup 
qui  devait  anéantir  ses  dernières  volontés;  il 
avait  eu  l'art  de  réunir  contre  le  duc  du  Maine 
les  jansénistes  et  les  jésuites,  les  grands  sei- 
gneurs et  les  ministres,  et  il  méditait  de  faire 
convoquer  les  états  généraux  afin  qu'ils  défé- 
rassent solennellement  la  régence  au  duc  d'Or- 
léans. Mais  ce  prince-  ne  voulut  ni  des  états  gé- 
néraux ni  d'une  proclamation  par  les  pairs  et  les 
officiers  de  la  couronne.  11  aima  mieux  déférer 


107 


SAINT-SIMON 


108 


ses  prétentions  au  parlement  ;  et  ce  corps ,  que 
Saint-Simon  prétendait  abattre  à  tout  jamais, 
parut  la  seule  puissance  capable  de  balancer 
l'autorité  d'un  roi.  Cette  blessure  faite  à  l'orgueil 
du  noble  duc  ne  servit  qu'à  exciter  ses  rancunes. 
Violent  et  avide  de  représailles,  impatient  de 
fouler  aux  pieds  ceux  qui  avaient  dominé  sous 
Louis  XIV,  il  ne  voulait  pas,  avec  beaucoup  d'art , 
de  détours  et  de  sacrifices,  prendre  une  possession 
tranquille  et  ferme  du  pouvoir  ;  il  voulait  briser 
tout  devant  lui  et  l'envahir  comme  un  conquérant. 
Desmarets,  aussi  bien  que  Ponlchartrain,  fils  du 
chancelier,  l'avait  offensé.  Il  s'assura  qu'on  les 
dépouillerait  tous  deux  de  leurs  fonctions.  La 
délivrance  des  prisonniers  jansénistes  et  la  di- 
rection des  affaires  ecclésiastiques ,  confiée  au 
cardinal  de  Noailles,  furent  pour  la  vieille  cour 
un  outrage  éclatant  et  une  satisfaction  sensible 
donnée  aux  gens  de  bien.  Saint-Simon,  unique 
promoteur  de  ces  mesures  réparatrices  ,  pour- 
suivit dès  lors  sans  relâche  le  parti  de  la  Cons- 
titution. 11  devint  redoutable  au  Vatican,  et  quel- 
ques années  plus  tard ,  comme  le  pape  refusait 
leurs  bulles  à  des  évêques  choisis  par  le  duc 
d'Orléans,  celui  ci  s 'étant  déchargé  de  la  que- 
relle sur  une  commission  où  entra  le  pieux  élève 
de  M.  deRancé,  il  suffit  d'un  tel  nom;  la  cour 
de  Rome,  «  avec  laquelle  il  n'eût  pas  filé  doux,  » 
accorda  les  bulles.  En  même  temps,  il  pressait 
l'organisation  de  ces  fameux  conseils  par  les- 
quels il  se  proposait  d'anéantir  à  jamais  le  pou- 
voir des  secrétaires  d'État  et  de  relever  la  no- 
blesse sur  les  ruines  de  la  roture.  Soit  qu'il  fût, 
comme  il  l'avoue,  mal  propre  à  diriger  les  dé- 
tails d'une  administration  particulière;  soit  qu'il 
voulût  prudemment  se  garder  une  place  auprès 
de  Philippe,  il  refusa  d'être  chef  ailleurs,  pour 
demeurer  simple  membre  au  conseil  de  régence. 
Enfin  brillèrent  au  grand  jour,  avec  l'établis- 
sement des  conseils,  tous  ces  gentilshommes 
rejetés  et  contenus  dans  l'ombre  par  la  main 
puissante  de  Louis  XIV.  Maîtres  à  leur  tour  et 
revêtus  des  plus  hautes  fonctions,  ils  n'en 
usèrent  que  pour  leur  fortune.  La  facilité  du 
régent  n'opposa  de  barrière  à  aucune  préten- 
tion; tout  fut  au  pillage.  Saint-Simon  le  vit,  et 
le  déplora.  Pour  lui  il  sut  donner  en  exemple  à 
tous  sa  conduite  désintéressée,  et ,  à  part  deux 
survivances  et  quelques  régiments  pour  ses  fils 
ou  pour  ses  cousins,  à  part  des  abbayes  pour 
ses  belles-sœurs,  une  pension  pour  Mme  de 
Saint-Simon,  et  pour  lui-même  une  aug- 
mentation de  12,000  livres  sur  son  gouverne- 
ment de  Senlis ,  «  il  ne  demanda  jamais  rien 
au  régent  ».  Quand  il  s'aperçut  que  la  machine, 
laborieusement  combinée,  sur  laquelle  repo- 
saient les  plus  chères  illusions  de  toute  sa 
vie,  ne  produisait  que  de  faux  mouvements ,  il 
n'eut  pas  le  courage  d'en  accuser  la  constitution 
intime.  Comme  un  taureau  blessé  par  une  main 
inconnue,  il  promena  autour  de  lui  des  regards 
furieux,   cherchant  à  découvrir  quelle  maligne 


influence  en  troublait  les  ressorts ,  et  il  vit  se 
dresser  deux  spectres  :  l'ambition  de  Dubois  et 
«  l'inouïe  scélératesse  »  de  Noailles.  Dès  lors 
tout  fut  expliqué.  Noailles  et  Dubois  aspiraient 
chacun  à  devenir  premier  ministre,  et  c'est 
pourquoi,  visant  à  renverser  les  conseils,  ils 
embarrassaient  sourdement  leur  marche  de 
mille  obstacles.  Explication  deux  fois  ingénieuse, 
qui  épargnait  la  vanité  de  l-'auteur  et  fournissait 
à  ses  haines  un  aliment  de  plus  !  Il  s'arrangea 
donc  pour  bien  mépriser  Dubois  et  bien  détes- 
ter Noailles.  Ses  rapports  avec  Law,  dont  il 
combattit  d'abord  le  système  avec  un  effroi 
trop  légitime  et  qu'il  jugea  ensuite  avec  tant  de 
hauteur  et  de  liberté  d'esprit,  la  lutte  des  princes 
du  sang  et  des  bâtards,  les  intrigues  de  la  du- 
chesse du  Maine,  qu'il  dénonça  l'un  des  pre- 
miers au  régent,  ne  sauraient  être  racontés  avec 
détail  ;  non  plus  que  ce  bizarre  soulèvement  de 
toute  la  noblesse  contre  les  ducs,  seute  récom- 
pense obtenue  par  un  gentilhomme,  de  ses  pa- 
reils, dont  il  avait  essayé  vainement  de  fonder  mal- 
gré eux  la  suprématie.  Il  lui  arriva  un  maiheur 
plus  fait  pour  l'abattre  que  cette  ligue  de  hobe- 
reaux; ce  fut  la  mésintelligence  qui  éclata  entre 
lui  elle  duc  d'Orléans.  Pour  deux  ou  trois  con- 
seillers intimes  de  Louis  XIV,  maintenus  dans 
leurs  charges ,  il  parla  une  première  fois  de  se 
retirer.  Philippe  caressa,  et  fit  changer  cette 
belle  résolution.  Toutefois ,  il  entra  dès  lors  en 
défiance  de  sa  politique  forcenée ,  et  diminua  de 
plus  en  plus  sa  part  d'influence  dans  les  affaires 
générales.  Saint-Simon  n'en  resta  pas  moins 
attentif  à  surveiller  les  démarches  du  parlement 
et  à  profiter  de  ses  moindres  fautes.  Quand  cette 
compagnie,  par  son  alliance  étroite  avec  la  cour 
de  Sceaux  et  par  l'éclat  de  son  opposition  au 
système,  eut  placé  le  régent  dans  la  nécessité  ou 
de  subir  une  tutelle  honteuse  ou  de  l'accabler, 
il  saisit  avidement  la  conjoncture  et  parla  l'un 
des  premiers  de  frapper  uu  coup  prompt  et  dé- 
cisif. Il  régla  le  lieu  et  l'heure,  multiplia  les 
précautions,  s'enveloppa  de  mystère,  contint  son 
âme,  et  fut  partout.  Il  se  leva  enfin  ce  jour  «  si 
démesurément  et  si  persévéramment  souhaité  », 
ce  jour  de  résurrection  pour  la  pairie,  ce  vrai 
jour  de  colère  qui  devait  réduire  en  poudre  et 
!e  parlement  et  les  bâtards.  Saint  Simon  ramassa 
tout  ce  qu'il  avait  de  passion  pour  jouir  pleine- 
ment de  sa  vengeanoe,  et  tout  ce  qu'il  avait  de 
génie  pour  l'exprimer.  Le  lit  de  justice  du 
26  août  1718,  où  les  princes  légitimés  furent  ré- 
duits au  rang  de  leur  pairie  et  où  défense  fut 
faite  au  parlement  de  se  mêler  d'affaires  d'État 
et  de  finances,  ne  fut  pour  lui  qu'un  long  trans- 
port; le  récit  qu'il  nous  en  a  fait  n'est  qu'un 
délire  d'éloquence.  Au  reste,  il  ne  profita 
guère  de  sa  victoire.  L'humiliation  du  parlement 
servit  de  prélude  à  la  chute  des  conseils;  en 
dépit  de  ses  efforts,  la  plupart  furent  supprimés  au 
mois  de  septembre  1718.  Le  conseil  de  régence 
subsista,  mais    sans  pouvoir;  le    duc    d'Or- 


109  SAINT- 

léans  avait  pris  l'habitude  de  tout  régler  dans 
son  cabinet.   Saint-Simon ,     en    repoussant  les 
fonctions  de  gouverneur  du  roi  par  un  scrupule 
d'honneur  et  la  dignité  de  garde  des  sceaux  par 
un  scrupule  de  vanité,  rejeta  les  seuls  moyens 
qui  s'offrissent  à  lui  de  faire  encore  une  figure 
importante.  Isolé  de  tout  appui  par  l'impétuosité 
croissante  de  son  fanatisme  ducal,  la  fatigue  et 
le  dépit  le  réduisirent  à  laisser  le  champ  libre  à 
Dubois.  Aux  déceptions  politiques  se  joignirent 
des  chagrins    de  famille  qui  provenaient  de  la 
même  source.    Il  ne  put  empêcher  le   duc  de 
Lorges,  son   beau-frère,   d'épouser    la  fille  du 
premier  président.  Il  se  promit  du  moins  de  ne 
le  plus  voir.  Mais  Mme  de  Saint-Simon,  qui  ai- 
mait ce    frère   avec  tendresse,  tomba  grave- 
ment malade.  Il  se  livra  alors  dans  l'âme  de  son 
mari,  entre  l'affection  et  la  haine,  un  long  combat, 
qu'il  n'a  point  raconté  sans  douleur  et  d'où  l'af- 
fection sortit  victorieuse.  L'orgueilleux  duc  se 
résigna  à  recevoir  chez  lui  le  chef  du  parlement.  ; 
La  réconciliation  définitive  de  la   France  et  ! 
de  l'Espagne  ne  tarda  pas  à  tirer  Saint-Simon  de 
son   repos.  Le  duc  d'Orléans  le  chargea  d'une 
ambassade   extraordinaire  à  Madrid ,  avec  mis-   ! 
sion  de  faire  la  demande  solenuelle  de  l'infante 
pour  le  roi  Louis  XV  (1721).  Il  ne  se  montra  pas 
fort  différent  à  Madrid  de  ce  qu'on  l'avait  vu  à 
Versailles.  11  plut  à  la  reine  par  la  vivacité  pi- 
quante de  son  esprit;  il  accomplit  le   prodige 
d'égayer  le  roi  et  de  le  faire  sourire  en  dépit  de  ; 
l'étiquette;  puis  il    finit  par  importuner  égale- 
ment le  roi  et  la  reine  à  force  d'obstination.  La 
plupart  des  seigneurs  espagnols  n'eurent  qu'à  se 
louer  de  ses  prévenances;  lui-même  porte  aux 
nues  leur  hospitalité.  Toutefois,  il  ne  repassa 
point  les  Pyrénées  sans  avoir  préparé  les  élé- 
ments d'un  mémoire  volumineux,  où  il  insinue 
qne  les  premières  familles  de  ce  pays  sont  enta- 
chées  de  bâtardise.    Son  incorrigible  jactance 
n'avait  pas  trouvé  d'autre  moyen  de  démontrer 
victorieusement  combien  la  pairie,  est  au-dessus 
de  la  grandesse.  Il  revint,  ayant  obtenu  pour  son 
fils  aîné  la  Toison   d'Or;   pour  son  plus  jeune 
fils  et  pour  lui-même,  la  grandesse  qu'il  affectait 
maintenant  de  dénigrer  et  qui  avait  été  le  prin-  ; 
cipal  objet  de  son  voyage.  Si  la  cour  de  Madrid 
n'avait  eu  pour  lui  que  des  faveurs ,  la  France 
lui  réservait  de  nouveaux  déboires.  Dubois  de- 
vint plus  puissant  que  jamais;  les  bâtards  même 
furent  rétablis  dans  une  partie  de  leurs  hon- 
neurs. A  ce  dernier  coup,   Saint-Simon  rompit 
de  nouveau  avec  le  duc  d'Orléans;  il  ne  reprit 
avec  rffi  ses  anciennes  relations  qu'après  la  mort 
de  Dubois,  juste  assez  tôt  pour  n'avoir  point  le 
regret  de  voir  descendre  dans  la  tombe  chargé 
de  ses  rancunes  ce  malheureux  prince,  toujours 
blâmé  et  toujours  cher.  La  succession  du  régent 
tomba  entre  les  mains  du  duc  de  Bourbon ,  que 
Saint-Simon  aurait  voulu  à  tout  prix  écarter  du 
pouvoir.  Avant  de  quitter  la  cour  cependant,  il 
assura  M.  le  Duc  que  son  ministère  comblait  ! 


SIMON 


110 


tous  ses  vœux  ;  et  ce  ne  fut  pas  sa  moindre 
bizarrerie  de  terminer  par  un  mensonge  gratuit 
une  existence  j>olitique  tant  de  fois  troublée  par 
trop  de  sincérité.  Il  était  temps  qu'il  se  retirât. 
Les  intrigues  où  l'avait  engagé  la  pratique  des 
affaires  commençaient  à  altérer  la  franchise  de 
son  caractère. 

La  principale  occupation  de  sa  retraite  fut  la 
rédaction  deses  Mémoires  (1).  Il  leur  donna  pour 
terme  la  fin  du  duc  d'Orléans,  l'homme  qu'il  avait 
le  plus  aimé.  Il  se  proposait  d'y  ajouter  une  suite 
que  nous  ne  possédons  pas  (2).  En  même  temps  il 
continuait  d'entretenir  avec  plusieurs  personnages 
importants  une  vaste  correspondance,  dont  Le- 
montey  parle  avec  éloge  et  que  nous  regrettons  de 
ne  pouvoir  admirer  que  sur  parole.  Quels  furent, 
durant  les  dernières  années  de  sa  vie,  les  sen- 
timents et  les  idées  qui  l'occupèrent  ?  On  l'ignore, 
mais  qu'il  est  facile  d'en  soupçonner  l'amertume! 
En  1743  il  put  entendre  retentir  à  ses  oreilles 
ce  vers  foudroyant  de  Mérope  : 

Qui  sert  bien  son  pays  n'a  pas  besoin  d'aïeux. 

Il  vit  en  1748  un  président  de  Bordeaux,  dans 
le  livre  fameux  où,  en  étudiant  les  lois  du  passé, 
il  formule  celles  de  l'avenir,  assigner  tranquille- 
ment sa  part  à  la  noblesse  avec  la  générosité  du 
vainqueur.  Enfin,  en  1754  parut  le  Discours  sur 
l'origine  de  Vinégalité  parmi  les  hommes. 
Le  vieux  Saint-Simon  n'avait  plus  qu'à  mourir. 
Tels  furent  ses  derniers  jours  (3). 

(1)  On  a  placé,  avec  quelque  vraisemblance,  la  compo- 
sition définitive  des  Mémoires  de  Saint-Simon  entre  1740 
et  1746;  mais  il  faut  en  chercher  l'idée  première  dans  le 
Journal  de  Dangeau,  dont  l'importance  le  préoccupait 
beaucoup,  et  qu'il  avait  enrichi  A'additions  considé- 
rables sur  la  copie  manuscrite  faite  exprès  pour  lui  d'a- 
près l'original  en  36  vol  in-fol.  (aujourd'hui  au  minis- 
tère des  affaires  étrangères).  Ces  additions,  qui  sont  en 
grande  partie  de  la  main  des  secrétaires  de  Saint-Simon  , 
ont  été,  à  ce  qu'on  présume,  écrites  de  1734  à  1738.  On  y 
verrait  souvent  l'addition  plus  modérée,  plus  exacte,  plus 
imparUale  que  les  Mémoires  «  On  y  verrait  sans  cesse, 
disent  MM.  Souiié  et  Dussleux,  l'arrangement  des  anec- 
dotes et  des  discours,  racontés  ici  d'une  façon,  là  d'une 
autre.  On  constaterait  par  ces  différences  une  très- 
grande  préoccupation  d'arrangement,  un  énorme  travail 
littéraire,  malgré  les  formes  abruptes,  un  grand  effort 
d'auteur  dans  la  rédaction  définitive  de  ces  Mémoires, 
auxquels  Saint-Simon  ne  s'est  rais  que  vingt-cinq  ans 
après  la  mort  de  Louis  Xiv.  »  Les  notes  journalières 
prises  dès  1691,  des  extraits  d'une  lecture  assidue,  le 
Journal  de  Dangeau,  forment  la  base  de  cet  énorme  tra- 
vail; mais  il  faudrait  encore  y  ajouter  les  emprunts  fré- 
quents que  l'auteur  a  faits  aux  écrivains  de  son  siècle,  à 
Mme  de  Sévigné  par  exemple. 

(2)  Cette  suite  devait  s'arrêter  en  1743,  époque  de  la 
mort  de  Fleury.  Saint-Simon  l'at-il  réellement  écrite? 
«  On  ne  pourrait  eclaircir  ce  doute,  lit-on  dans  une  note 
de  M.  Cheruel  {Mém.,  édit,  1356,  t  XIII,  p.  101),  que  s'il 
était  permis  d'étudier  les  papiers  du  duc  conservés  au 
ministère  des  alfaires  étrangères.  Nous  l'avons  vainement 
tenté.  » 

(3)  Depuis  la  régence  Saint-Simon  n'avait  paru  que  ra- 
rement à  la  cour.  11  obtint  cependant  le  cordon  bleu 
sous  le  ministère  de  Fleury  <1728)  ;  mais  avec  le  déplai- 
sir de  prendre  rang  après  les  deux  fils  du  duc  du 
Maine,  compris  dans  la  même  promotion.  Il  cessa  en- 
tièrement de  venir  à  Versailles ,  et  y  céda  même  son 
appartement,  à  la  mort  de  sa  femme  (1743'.  L'esprit  de 
conduite  dans  les  affaires  privées  lui  manquait  complète- 
ment, et  quoique  ses    revenus  fussent   considérables,  sa 


lïl 


Les  Mémoires  de  Saint-Simon  sont  l'œuvre 
principale  de  sa  vie  et  l'expression  la  plus  fidèle 
de  son  caractère.  Leur  vaste  étendue  comprend 
deux  époques  distinctes  :  les  dernières  années 
de  Louis  XIV  (1692-1715)  et  la  régence.  Il  les 
a  rédigés  tout  d'une  suite,  ou  plutôt  il  Jes  a  mis 
en  ordre  avec  leur  forme  actuelle,  sous  le  mi- 
nistère du  cardinal  Fleury.  Mais  il  est  clair 
qu'il  recueillait  des  notes  sur  les  événements, 
à  mesure  qu'ils  se  produisaient;  souvent  même, 
pour  peu  qu'ils  eussent  de  gravité ,  il  en  com- 
posait aussitôt  le  récit,  et  bien  des  pages 
inspirées  par  l'émotion  du  moment  ont  plus 
tard  trouvé  leur  place  sans  aucune  altération 
dans  le  cours  de  son  ouvrage.  La  première  partie 
est  plus  riche  de  digressions  et  d'histoires  parti- 
culières; la  seconde,  plus  exclusivement  consa- 
crée à  l'histoire  politique,  est  pleine  d'observa- 
tions où  se  trahissent  la  maturité  et  l'expérience. 
Spectateur  assidu  de  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV, 
il  en  a  suivi  jour  par  jour  la  décadence.  Qui 
mieux  que  lui  a  pénétré  l'âme  de  ce  roi?  Qui 
nous  l'a  dévoilée  avec  plus  de  force?  Qui  a  dé- 
peint avec  plus  d'éloquence  sa  volonté  impérieuse 
jusque  dans  les  moindres  détails,  son  égoïsme 
implacable,  sa  dureté  envers  sa  famille,  et  cette 
crainte  universelle  qu'il  était  fier  d'inspirer  aux 
grands  comme  aux  petits.  «  Louis  XIV,  dit 
Saint-Simon,  sans  la  crainte  du  diable,  que  Dieu 
lui  laissa  jusque  dans  ses  plus  grands  désordres, 
se  serait  fait  adorer.  »  Et  Bossuet  ni  Saurin 
n'auraient  pu  définir  d'un  mot  plus  profond 
la  religion  des  orgueilleux.  Sans  négliger  les 
catastrophes  éclatantes  qui  remplissent  le 
théâtre  de  l'histoire,  Saint-Simon  aime  à  y 
joindre  de  petites  scènes ,  qui  font  moins  de 
bruit  peut-être,  mais  qui  ne  sont  point  perdues 
pour  le  développement  général  de  l'action;  il 
décrit  les  ressorts  cachés  de  la  politique  et  nous 
initie  aux  mœurs  intimes  de  la  cour.  Parfois  il 
soulève  un  coin  du  voile  épais  qui  séparait  Ver- 
sailles du  reste  de  la  France,  et  il  nous  montre 
la  noblesse  des  provinces  persécutée  par  les  in- 
tendants, l'inquisition  naissante  de  la  police, 
l'inquisition,  plus  terrible,  des  collecteurs,  Port- 
Royal  détruit  et  profané,  les  saisons  unissant 
leurs  rigueurs  à  celles  de  la  guerre,  et,  pour 
achever  ce  tableau  ,  des  révoltes  furieuses  de 
paysans  dans  le  Rouergue  et  le  Périgord  ;  dans 
Paris  même  des  émeutes  d'un  caractère  étrange, 
où  l'on  voyait  déjà  le  peuple  pour  seul  acteur, 
où  l'on  entendait  pour  seul  cri  de  ralliement  le 

fortune  était  très-embarrassée,  ce  qui  le  mettait  dans  un 
grand  état  de  gêne.  Ses  deux  fils  (  ducs  de  Ruffec)  mou- 
rurent avant  lui  (l'un  en  1746,  l'autre  en  1754).  La  fille 
unique  de  l'un  d'eux,  comtesse  de  Valentlnois,  fut 
son  hérllière,  et  mourut  sans  postérité,  en  1774. 

Suivant  les  mémoires  du  duc  de  Luynes,  1.1er,  d'où 
sont  extraits  ces  renseignements,  Saint-Simon  avait  à  la 
mort  de  sa  femme  273.000  fr.  de  revenus  ;  mais  ses  dettes 
montaient  à  1,0.00,000  francs.  Ses  enfants,  qui  ne  récla- 
mèrent pas  leurs  droits,  lui  offrirent  de  lui  payer  une  rente 
de  55,000  francs  et  de  se  charger  de  ses  biens  et  de  ses 
dettes;  mal<  il  refusa. 


SAINT-SIMON  112 

cri  redoutable  de  la  faim.  En  face  d'un  tel  spec- 
tacle, Saint-Simon  élève  sa  pensée  jusqu'au 
souverain  distributeur  des  maux  et  des  biens. 
D'un  côté  de  la  balance,  il  met  l'oppression  des 
peuples,  l'incendie  du  Palatinat,  la  révocation 
de  l'édit  de  Nantes;  de  l'autre,  les  revers  de 
Louis  XIV;  et  quarante  années  d'orgueil  ne  lui 
paraissent  pas  trop  punies.  L'idée  de  la  Provi- 
|  dence,  partout  présente  dans  ses  Mémoires,  en 
constitue  de  la  sorte  l'harmonie  générale. 

Saint-Simon  ne  dissimule  pas  plus  ses 
haines  que  ses  amitiés,  et  c'est  assez  pour 
que  nous  puissions  voir  dans  chaque  circons- 
tance quel  degré  de  fei  il  mérite.  Il  cherche 
moins  à  nous  prévenir  contre  certains  noms 
qu'à  satisfaire  l'aversion  qu'ils  lui  inspirent.  Les 
accusations  les  plus  terribles  deviennent  alors 
un  jeu  pour  son  imagination  :  ce  que  la  charité 
lui  défend  d'exprimer  hautement,  fl  l'insinue.  Il 
saisit  le  lecteur  par  des  remarques  d'une  perfidie 
odieuse,  qu'il  jette çà  et  là  sur  son  chemin  comme 
d'un  air  d'insouciance  (!•).  Les  grandes  misères, 

(1)  Les  éditeurs  du  Journal  Je  Dangeau  disent  que 
presque  toutes  les  fois  qu'ils  ont  pu  contrôler  Saint-Si- 
mon, ils  l'ont  trouvé  «  dans  le  faux,  dans  l'exagération, 
dans  l'erreur  tu  dans  le  mensonge  ».  Ce  jugement  peut 
paraître  sévère;  mais  il  faut  reconnaître  que  la  h;>ine  de 
Saint-Simon  dénature  souvent  les  faits  et  fausse  les 
physionomies.  Ce  qu'il  dit  de  la  mort  de  Louvois  en  est 
un  exemple  frappant  :  «  La  soudaineté  du  mal  et  la  mort 
de  Louvois  fit  tenir  bien  des  discours,  bien  plus  encore 
quand   on  sut  par  l'ouverture  de  son  corps  qu'il  avait 

été  empoisonné Un  frotteur  du  logis fut  arrêté  et 

mis  en  prison  Mais  à  peine  y  eut -il  demeuré  quatre 
jours,  et  la  procédure  commencée,  qu'il  fut  élargi  par 
ordre  du  roi,  ce  qui  avait  déjà  été  fait  jeté  au  feu,  et 
défense  défaire  aucune  recherche....  Quia  fait  le  coup? 
C'est  ce  qui  est  demeuré  dans  les  plus  épalssesténébres.» 
Or  Dionis,  chirurgien  de  Louvois,  dans  un  de  ses  ou- 
vrages intitulé  Dissertation  sur  la  mort  subite  (Paris, 
1710),  parle,  après  avoir  raconté  la  mort  du  ministre,  de 
l'ouverture  de  son  corps,  et  11  dit  :  «  Le  cerveau  était 
dans  un  état  naturel  et  très-bien  disposé;  l'estomac  était 
plein  de  tout  ce  qu'il  avait  mangé  â  son  dîner;  les  pou- 
mons étaient  gonfles  et  pleins  de  sang;  le  cœur  était  gros, 
flétri,  mollasse  et  semblable  à  du  linge  mouillé,  n'ayant 
pas  une  goutte  de  sang  dans  ses  v-cn-trlcules.  Le  jugement 
certain  qu'on  peut  faire  de  la  cause  de  cette  mort  est 
l'interception  de  la  circulation  du  sang;  les  poumons 
en  étaient  pleins  parce  qu'il  y  était  retenu,  et  il  n'y  en 
avait  point  dans  le  cœur  parce  qu'il  n'y  en  pouvait  point 
entrer;  il  fallait  donc  que  ses  mouvements  cessassent 
ne  recevant  point  de  sang  pour  les  continuer,  c'est  ce 
qui  s'est  fait  aussi  et  ce  qui  a  causé  une  mort  si  subite.  » 

Lorsqu'on  connaît  ainsi  la  vérité  sur  la  mort  de  Lou- 
vois, on  ne  peut  que  trouver  odieuses  les  insinuations 
dirigées  par  Saint-Simon  contre  Louis  XIV  :  «  Quoique 
Je  n'eusse  guère  que  quinze  ans,  dit-il,  je  voulns  voir  la 
contenance  du  roi  à  un  événement  de  cette  qualité.  Il 
me  parut  avec  sa  majesté  accoutumée,  mais  avec  je  ne 
sais  quoi  de  leste  et  de  déluré  qui  me  surprit  assez  pour 
en  parler  après.  » 

On  trouverait  facilement  bien  d'autres  exemples  des 
perfidies  et  des  légèretés  de  Saint-Simon  :  la  disgrâce  de 
Racine  venant  de  ce  que  le  poë-te  avait  imprudemm-ent 
prononcé  le  nom  deScarron  devant  Louis  Xiv  et  Mme  de 
Malntcnon;  la  mort  de  Vauban,  causée  par  son  chagrin 
d'avoir  perdu  toutes  qualités  aux  yeux  du  roi  à  cause  de 
son  livre  sur  la  Dlmeroyale;  l'appréciation  du  talertf  de 
Jules  Mansart,  l'architecte  du  Ghâteau  de  Versailles  et 
des  Invalides,  qu'il  met  bien  au-dessous  de  son  oncle, 
François  Mansart,  l'architecte  du  Val-de-Gràce,  et  dont 
il  fait  un  intrigant  sans  mérite;  le  portrait  de  Fénelon,  qui 
î  devient  sous  sa  plume  un  pur  ambitieux,  unissant  la 


113 


SAINT-SIMON 


114 


devant  lesquelles  tombe  d'ordinaire  le  ressenti- 
ment des  autres  hommes,  ne  servent  qu'à  exalter 
le  sien;  les  images  même  de  la  mort  le  trouvent 
insensible  ;  ce  n'est  pas  un  scrupule  de  générosité, 
c'est  la  froide  bienséance  qui  le  retient  de  mani- 
fester sa  joie  en  face  du  cadavre  d'un  ennemi. 
On  recule  effrayé  de  cette  prodigieuse  faculté 
de  haïr.  11  ne  faut  pas  se  hâter  de  conclure  que 
l'effet  général  de  ce  livre  soit  de  diminuer  en 
nous  le  respect  de  la  nature  bumaine  en  refroi- 
dissant l'admiration  que  nous  inspirent  les  noms 
fameux  et  les  belles  actions.  Câlinât,  Vauban, 
Pomponne,  Beauvilliers,  Chevreuse,  d'Agues- 
seau,  vous  tous  que  le  malheur  n'a  pu  abattre 
on  que  la  puissance  n'a  pu  corrompre,  est-ce 
donc  le  mépris  des  hommes  que  nous  enseignent 
vos  noms  tant  de  fois  célébrés  dans  le  cours 
de  ces  Mémoires! 

Personne  ne  jugera  jamais  le  style  de  Saint- 
Simon  avec  plus  de  rigueur  que  lui-même.  C'est 
de  bonne  foi  qu'il  en  accuse  la  négligence,  la 
diffusion  et  l'obscurité.  A  supposer  un  instant 
qu'une  partie  de  son  livre  aurait  pu  paraître 
sous  Louis  XIV,  le  dédain  et  l'oubli  de  la  gram- 
maire qui  s'y  montre  à  toutes  les  pages  auraient 
suffi  pour  inspirer  le  dégoût.  Dans  l'âge  suivant, 
ce  grand  nombre  de  mots  accumulés  pour  rendre 
la  même  idée,  ces  redites  sans  fin,  ces  périodes 
qui  s'embarrassent  les  unes  dans  les  autres  et 
qui  souvent  même  ne  sont  pas  achevées;  tout  ce 
pêle-mêle  d'expressions  et  de  pensées  eût  ré- 
volté un  public  devenu  sybarite.  Peut-être  il 
n'appartenait  qu'à  notre  temps,  affranchi  de 
tout  .préjugé  en  matière  de  style,  d'accueillir 
cet  ouvrage  avec  l'admiration  qui  lui  est  due. 
Cette  disposition  de  notre  esprit  était  déjà  favo- 
rable à  Saint-Simon.  Le  contraste  piquant  de 
son  langage  avec  la  banalité  du  nôtre  a  fait  le 
reste.  L»  langue  de  Saint-Simon,  en  effet,  a  été 
tout  entière  créée  par  lui.  Il  détourne  les  mots 
de  leur  acception  ordinaire,  il  en  invente,  il 
ajoute  à  ceux  dont  la  signification  est  le  plus 
riche,  il  les  dispose  par  groupes  entre  lesquels 
toute  liaison  matérielle  est  supprimée,  et  il  en 
forme  des  associations  jusque-là  inouïes ,,  >qui 
sont  à  la  fois  le  comble  de  l'audace  et  du  bon- 
heur. Sous  le  désordre  apparent  du  style  se 
cache  et  règne  une  ordonnance  intime,  qui  ne 
vient  que  d'elle  seule  et  qui  supplée  à  la  rigueur 
de  la  syntaxe  par  la  succession  naturelle  des 
idées.  Changez  le  rang  d'un  mot,  corrigez  un 
tour,  vous  détruisez  l'économie  intérieure  de  la 
phrase  et  vous  retranchez  peut-être  une  beauté. 

Comme  Saint-Simon  écrit  d'abondance  et  sous 
l'empire  de  la  forte  impression  qu'il  reçoit  des 
objets,  la  vigueur  et  l'ampleur  sont  les  deux 
qualités  dominantes  de  son  style.  Toutes  deux 
ont  leur  source  dans  la  prodigieuse  facilité  de 

hauteur  à  la  souplesse,  auquel  il  était  dangereux  de  ré- 
sister, qu'il  était  dangereux  même  de  ne  pas  admirer, 
et  qui  cependant  avait  la  passion  de  plaire,  et  au  valet 
autant  qu'au  maître;  etc. 


son  imagination.  Il  trouve  du  premier  coup  le 
terme  qui  peint.  Veut- il  parler  d'un  envieux? 
«  11  était  né  piqué  de  tout  »  ;  d'une  hypocrite  à 
la  mode  :  «  Elle  arbora  la  haute  dévotion  »  ; 
d'un  prélat  sans  vertu  :  «  Il  fut  bombardé  ar- 
chevêque. »  Quelquefois  l'image  résume  seule 
tout  un  drame  :  «  Le  cardinal  Bonzi  mourut 
consommé  par  Basville,  tjran  du  Languedoc.  » 
Il  y  a  même  des  occasions  où  l'auteur  n'emploie 
les  figures  que  par  impuissance  de  trouver  le 
mot  propre.  S'il  veut  juger  Versailles,  comme  il 
ne  connaît  pas  le  jargon  des  architectes,  il  dira 
que  du  côté  des  jardins  «  les  ailes  fuient  sans 
tenir  à  rien  »,  et  que  du  côté  de  la  cour  «  l'é- 
tranglé suffoque  ».  Quand  il  est  ainsi  obligé  de 
lutter  avec  la  langue  et  de  lui  faire  violence,  la 
vérité  jaillit  inattendue  de  sa  plume  Un  style 
aussi  énergique  se  prêtait  merveilleusement  à 
l'expression  de  ces  pensées  profondes  et  amères 
dont  Tacite  parmi  les  anciens  nous  a  offert  les 
plus  fameux  exemples.  Saint-Simon  met  partout 
à  côté  de  l'orgueil  le  trait  qui  le  rabat;  à  côté 
du  despotisme  et  de  la  flatterie,  le  trait  qui  venge 
les  âmes  libres. 

Que  dire  maintenant  de  cette  multitude  de 
tableaux  et  de  récits  dans  lesquels  il  a  déployé 
la  faculté  de  vive  représentation  que  lui  avait  si 
largement  départie  la  nature?  L'histoire  y  est 
toute  en  reliefs.  Les  personnages  y  ont  été 
transportes  vivants;  ils  y  ont  gardé  leur  physio- 
nomie et  leur  costume  aussi  bien  que  leur  carac- 
tère D'ordinaire  il  surcharge  les  couleurs  et 
grossit  les  figures;  il  le  fallait  bien  pour  que 
même  une  postérité  lointaine  les  aperçût  nette- 
ment. Tantôt,  dans  les  grandes  scènes  qu'il  nous 
expose,  il  atteint  au  sublime;  tantôt  il  dépouille 
l'histoire  de  ses  dehors  pompeux ,  et  il  la  rend 
aussi  piquante  qu'elle  est  instructive.  La  variété 
de  son  style  défie  alors  les  ressources  de  l'écri- 
vain le  plus. consommé.  Le  franc-parler  de  Mo- 
lière, les  détours,  les  suspensions  et  les  chutes 
de  La  Bruyère ,  une  causticité  qui  jouit  mali- 
gnement d'elle-même  comme  celle  de  Le  Sage, 
une  verdeur  rabelaisienne,  un  art  de  découvrir 
le  comique  jusque  dans  les  consonnances  des 
mots,  toutes  les  bouffonneries  et  toutes  les  déli- 
catesses forment  un  langage  transperçant  où  la 
richesse  du  ridicule  est  inépuisable.  Et  ce  même 
homme,  dont  la  comédie  semble  le  véritable  et 
unique  domaine,  avec  quelle  solennité  et  quelle 
terreur  il  nous  fait  tout  à  coup  envisager  la 
mort,  le  repentir,  le  néant  du  monde!  Mais  ce 
qu'il  y  a  de  plus  admirable,  c'est  que,  n'ayant 
jamais  éprouvé  l'amour,  il  se  joue  au  milieu  de 
ses  contradictions.  Il  pénètre  de  part  en  part 
les  cœurs  féminins.  Il  a.  quand  il  le  faut,  la  ten- 
dresse de  Térence;  il  rencontre  des  expressions 
d'une  mélancolie  austère  qui  égalent  et  quelque- 
fois surpassent  le  pathétique  de  Racine.  Lorsque 
ces  qualités,  la  plupart  du  temps  incompatibles, 
se  trouvent  réunies  dans  le  même  tableau;  lors- 
qu'on y  voit  les  teintes  opposées  se  combiner, 


115  SAINT 

se  confondre  et  se  graduer,  lorsque  l'effet  va 
toujours  croissant,  lorsque  les  émotions  s'accu- 
mulent et  en  s'accumulant  deviennent  plus  vives, 
lorsqu'enfin  l'élégance  et  une  pureté  irrépro- 
chable régnent  dans  toutes  les  parties,  on  répugne 
à  croire  quêtant  de  perfections  n'aient  pas  coûté 
de  longs  efforts;  mais  au  moment  même  où  l'on 
s'applaudit  de  surprendre  Saint-Simon  occupé  à 
polir  sa  phrase  comme  un  auteur  de  profession, 
soudain  une  négligence,  un  terme  incorrect  ou 
qui  n'est  pas  en  rapport  avec  les  autres,  tra- 
hissent une  fois  de  plus  le  grand  seigneur  qui 
n'écoute  que  son  instinct,  raconte  ce  qu'il  a  vu, 
dit  ce  qu'il  sent  et  dédaigne  d'écrire  (1). 

On  a  de  Saint-Simon  et  de  sa  femme  deux 
beaux  portraits  par  Rigaud,  que  possède  le  pré- 
sent duc  de  Saint-Simon. 

J.-J.  Weiss. 
Sainte-Reuve,  Causeries  du  lundi.  —  A.  Lefèvre-Pon- 
talis,  Disc,  sur  la  vie  et  les  «livres  de  Saint-Simon; 
Paris,  1835,  in-8°.  —  E.  Poitou,  dans  la  Revue  des  deux 
mondes,  Ier  sept.  1855.  —  H.  Taine,  Mélanges.  —  Mon- 
talembert  (de) ,  dans  le  Correspondant,  1862. 

saint-simon  (Eus tache-  Titus,  marquis 
de),  de  la  branche  des  comtes  de  Saint-Simon, 
né  le  22  juillet  1654,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le 
1er  septembre  1712.  On  l'appelait  marquis  par 
courtoisie.  Son  père  et  son  frère  aîné  «  ayant 
mangé  plus  de  40,000  livres  de  rente  sans  sortir 
de  chez  eux  »,  il  fut  obligé  d'entrer  dans  les 
gardes  françaises,  où  par  ancienneté  il  devint 
capitaine  et  brigadier. 

Des  treize  enfants  qu'il  laissa,  nous  citerons  les 
suivants  : 

Claude,  né  en  1694,  fut  d'abord  chanoine  ré- 
gulier de  Saint-Victor,  puis  bailli  général  des 
galères  de  Malte. 

Claude  le  jeune,  né  en  1695,  reçut  en  1716 
du  régent  l'abbaye  de  Jnmiéges;  nommé  en  17-31 
évêque  de  Noyon,  il  fut  transféré  en  173-3  à 
Metz;  il  fonda  en  1743  un  séminaire  qui  a  con- 
servé son  nom,  et  y  mourut,  le  29  février  1760. 

Henri,  né  en  1703,  mort  le  18  janvier  1739, 
à  Montpellier,  accompagna  le  duc  de  Saint-Simon 

(1)  «  Après  la  mort  de  Saint-Simon,  dit  M.  Sainte-Beuve, 
ses  mémoires  eurent  bien  des  vicissitudes.  Us  sortirent 
des  mains  de  sa  famille  pour  devenir  des  espèces  de 
prisonniers  d'État;  on  craignait  les  divulgations  indis- 
crètes. »  Voltaire,  Duclos  et  Maimontel  en  eurent  con- 
naissance, et  en  firent  un  ample  usage  pour  leurs  tra- 
vaux historiques.  M"ie  du  Deffand  les  lut  en  1770  et  1771, 
et  en  écrivit  ses  impressions  à  Walpole.  En  1788  il  en 
parut  dos  extraits  tronqués  et  compilés  sans  nom  d'au- 
teur et  sous  le  titre  de  Mémoires  sur  le  règne  de 
Louis  XIV (Marseille,  1788,3  vol.  ii:-8°) -,  l'éditeur,  Sou- 
lavie,  v  ajouta  un  Supplément  (Paris,  1789,  3  vol.  in-8°); 
puis  il  les  reprit,  les  remania,  les  grossit  sans  utilité  de 
notes  et  de  pièces  Justificatives  [OEuvrcs  complètes  de 
Louis  de  Saint  Simon;  Strasbourg,  1791,  13  vol.  in-8°), 
sans  pouvoir  en  faire  autre  chose  qu'une  compilation 
mal  digérée.  Cette  édition  ,  refondue  dans  un  meilleur 
Qr/lre,  fut  reproduite  à  Paris,  1816  ou  1828,  6  vol.  in-8». 
Mais  on  ne  publia  qu'en  1S29  la  totalité  dos  Mémoires 
d.ms  leur  forme  originelle  et  authentique  (Paris,  1829-30 
21  vol  In  8°),  et  celte  publication  a  été  singulièrement 
améliorée  quant  à  la  révision  du  texte  par  celle  qu'a 
donnée  M.  Cheruel  en  ces  derniers  temps  (  Paris,  18S6  cl 
suiv.,  20  vol.  in-8»  et  13  vol.  in-18). 


SIMON  116 

dans  l'ambassade  d'Espagne;  il  servit  en  Italie 
et  fut  fait  maréchal  de  camp.  En  lui  s'éteignit  la 
branche  des  comtes  de  son  nom. 

Saint-Simon,  Mémoires.  —  La  Chesnaye-Desbois,  Dict. 
de  la  noblesse. 

s&int-simon  (Louis-François  de),  mar- 
quis de  Sandricourt,  né  vers  1630,  à  Paris,  où 
il  est  mort,  le  15  août  1751.  Élevé  sous  les  yeux 
du  fameux  duc  de  Saint-Simon,  il  lui  dut  une 
partie  de  son  avancement  et  le  paya  d'ingratitude 
dans  la  suite.  Après  avoir  servi  dans  le  régiment 
de  Berri  cavalerie,  il  prit  part  à  la  guerre  de 
Catalogne  (1708),  et  se  trouva  à  la  défense  de 
Cette,  surprise  par  les  Anglais  (17-K)).  11  fut  en- 
voyé ensuite  en  Italie,  et  y  gagna  le  grade  de 
lieutenant  général  (20  février  1734).  De  son  ma- 
riage avec  Louise-Marie-Gahrielle  de  Gourgues 
(1717),  il  eut  neuf  enfants,  entre  autres  Maxi- 
milien- Henri  et  Siméon  -  François  (voy.  ci- 
après),  et  B ait hasar- Henri,  père  du  fondateur 
de  la  secte  dite  saint-simonienne. 

Moréri,  Dict.  hist.  —  Saint-Simon,  Mémoires. 

saint-simon  (Maximilien  -  Henri,  mar- 
quis de),  littérateur,  fils  du  précédent,  né  en 
novembre  1720,  mort  en  1799,  dans  les  environs 
d'Utrecht.  Après  avoir  servi  comme  aide  de 
camp  du  prince  deConti  dans  tes  guerres  d'Italie, 
il  quitta  le  service  en  1749,  se  mit  à  voyager, 
et  finit  par  s'établir,  vers  1758,  dans  un  domaine 
qu'il  avait  acquis  aux  environs  d'Utrecht.  Le 
goût  de  la  botanique  et  la  culture  des  lettres 
occupèrent  ses  loisirs.  C'est  à  ce  peu  de  rensei- 
gnements que  se  borne  ce  que  l'on  sait  de  sa  vie. 
C'était  un  homme  aimable,  instruit,  désintéressé, 
et  dont  les  ouvrages  auraient  mérité  d'être  plus 
cennus;  il  les  publia  tous  en  Hollande  et  les 
écrivit  en  langue  française  ;  en  voici  les  titres  : 
Des  Jacinthes,  de  leur  anatomie,  reproduc- 
tion et  culture;  Amst.,  1768,  in-4°,  pi.  :  l'au- 
teur était  un  amateur  passionné  de  jacinthes,  et 
il  en  avait  réuni  plus  de  2,000  variétés  dans  un 
jardin  qu'ïl  possédait  à  Harlem  ;  son  traité  offre 
des  observations  neuves  et  intéressantes;  — 
Histoire  de  la  guerre  des  Alpes,  ou  Campagne 
de  1744;  Amst.,  17-69,  in-fol.  ;  réimpr.  en  1770 
et  1787,  in--4°,  avec  une  Histoire  de  Coni,  trad., 
selon  Denina,  des  Secoli  di  Cuneo  :  l'ouvrage 
proprement  dit  est  estimé  ;  —  Histoire  de  la 
guerre  des  Balaves  et  des  Romains;  Amst., 
1770,  gr.  in-fol.,  avec  fig.,  plans  et  cartes;  — 
Essai  de  traduction  littérale  et  énergique 
de  l'Homme  de  Pope;  Harlem,  1771,  in-8°; 
Amsterdam,  1793,  in-8°  :  il  y  a  rejoint  la  version 
d'une  partie  du  livre  H  de  la  Pharsale;  —  Te- 
mora,  poème  épique  d'Ossian;  Amst.,  1774, 
in-8°;  —  Nyclologucs  de  Platon;  Utreeht, 
1 784,  2  part.  in-4°  :  c'est  une  série  de  sept  dia- 
logues oh  nuits,  consacrés  à  des  discussions 
philosophiques;  l'auteur  y  a  fait  une  suite,  sous 
le  titre  d'Absurdités  spéculatives,  s.  d.,  in-4°; 
—  Mémoires  ou  l'Observateur  véridique  sur 
les  troubles  actuels  de  la  France;   Londres, 


1 1 7  SAINT 

1788,  in-8°;  —  Essai  sur  le  despotisme  et  les 
révolutions  de  la  Russie;  s.  I.,  1794,  in-4°. 

Magasin  encyclop.  —  Quérard,  la  France  liltér. 

saint  -  simon  (  Charles  -  François-Siméon 
de),  prélat,  frère  du  précédent,  né  le  5  avril 
1727,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le  26  juillet  1794. 
Il  lit  ses  études  au  collège  d'Harcourt  et  dans  la 
maison  de  Navarre,  etapprit  l'hébreu  sous  l'abbé 
Villefroy.  Pourvu  en  1753  de  l'abbaye  de  Concbes, 
il  devint  peu  après  vicaire  général  de  Claude  de 
Saint-Simon,  évêque  de  Metz,  son  oncle.  En  1754, 
il  passa  en  Italie,  assista  à  l'élection  du  pape 
Clément  XIII,  et  visita  les  fouilles  d'Herculanum. 
Nommé  à  l'évêché  d'Agde  (8  mars  1759),  il  s'oc- 
cupa de  la  rédaction  d'un  bréviaire  et  d'un  mis- 
sel,  achevés  en  1705,  et  il  les  fit  précéder  de 
mandements  pleins  de  recherches  sur  la  liturgie. 
Il  se  forma  une  bibliothèque  considérable ,  ren- 
fermant surtout  une  suite  nombreuse  d'ouvrages 
sur  les  antiquités.  Attaqué  depuis  sa  jeunesse 
d'un  asthme  très-violent,  qui  ne  lui  permettait 
de  dormir  que  dans  un  fauteuil,  il  passait  une 
grande  partie  de  ses  nuits  au  milieu  de  ses 
livres.  Son  érudition  le  fit  recevoir  (18  février 
1785)  associé  de  l'Académie  des  inscriptions. 
Assailli  dans  son  palais  par  une  populace  éga- 
rée (juin  1791),  il  fut  forcé  de  quitter  Agde  et 
vint  habiter  Paris.  Sous  la  terreur  il  fut  arrêté 
comme  suspect,  et  condamné,après  plusieurs  mois 
de  détention,  à  la  peine  de  mort.  Il  fut  exécuté 
le  jour  même.  Ses  livres,  qui  avaient  été  saisis 
et  transportés  à  Béziers,  furent  en  grande  partie 
rendus  à  son  frère,  le  bailli  de  Saint-Simon,  qui 
les  vendit  au  médecin  Barthez,  après  la  mort 
duquel  ils  sont  passés  dans  la  bibliothèque  de  la 
faculté  de  médecine  de  Montpellier.  Ce  prélat, 
malgré  sa  vaste  érudition,  n'a  rien  publié. 
Magasin  encyclopédique,  1808,  t.  v. 

saint-simon  (Claude-Henri,  comte  de), 
philosophe  et  chef  de  secte,  né  le  17  octobre 
1760,àParis,oùilestmort,le  19mai  1825. Neveu 
des  deux  précédents  et  fils  de  Balthasar-Henri, 
né  en  1721 ,  il  appartenait  à  la  branche  de  Sandri- 
court.  Ce  penseur,  qui  devait  être  un  des  apôtres 
du  socialisme,  fut  cependant  élevé  dans  le  préjugé 
aristocratique  qu'il  se  rattachait  par  les  comtes 
de  Vermandois  à  l'empereur  Charlemagne.  Il 
puisa  dans  cette  tradition  de  famille  un  amour 
de  la  gloire,  qui ,  excité  sans  cesse  par  l'activité 
d'imagination  dont  l'avait  doué  la  nature,  lui 
donna  dès  sa  jeunesse  un  vif  désir  de  se  dis- 
tinguer, une  persistance  ardente  dans  les  idées , 
et  une  énergie  de  caractère  qu'il  conserva 
presque  sans  faiblesse  jusqu'au  dernier  jour,  à 
travers  les  plus  rudes  épreuves.  On  raconte 
qu'à  l'âge  de  treize  ans  il  refusa  de  faire  sa  pre- 
mière communion,  par  le  motif  qu'il  était  dans 
l'impossibilité  d'apporter  à  cet  acte  la  moindre 
conviction;  que  son  père,  pour  punir  ce  refus, 
l'ayant  fait  enfermer  à  Saint-Lazare,  le  jeune  pri- 
sonnier ordonna  au  gardien  de  le  mettre  en  li- 
berté.et  que,  ns  pouvant  enobtenir  ce  qu'il  deman- 


SIMON  H8 

dait,  il  engagea  une  lutte  contre  lui,  le  blessa,  prit 
les  clefs,  et  s'enfuit  chez  une  tante  qui  le  recon- 
duisit, pardonné,  à  la  maison  paternelle.  On 
dit  aussi  que,  peu  de  temps  après,  mordu  par 
un  chien  enragé  ,  il  appliqua  lui-même  le  feu 
sur  sa  blessure,  et  cacha  un  pistolet  chargé,  dans 
l'intention  de  se  tuer  s'il  s'apercevait  que  le 
remède  fût  inefficace.  Il  avait  à  peine  seize  ans 
que  son  domestique,  d'après  ses  ordres,  lui  ré- 
pétait chaque  matin  en  l'éveillant  :  «  Levez- 
vous,  monsieur  le  comte,  vous  avez  de  grandes 
choses  à  faire,  v  Son  éducation  fut  celle  des 
nobles  de  son  temps,  et  tournée  du  côté  des 
études  philosophiques,  comme  il  était  de  mode 
à  cette  époque,  mais  sans  direction  régulière, 
quoiqu'il  ait  compté  d'Alembert  au  nombre  de 
ses  maîtres.  Il  atteignait  sa  dix-huilième  année 
lorsqu'il  entra  dans  lacarrièredes  armes  (1777). 
Heureusement  pour  lui,  il  ne  s'usa  pas  dans  la 
vie  degarnison:  envoyé  en  Amérique,  il  se  dis- 
tingua dans  la  journée  où  Cornwallis  se  rendit 
avec  son  armée  (17  sept.  1781),  et  il  reçut 
l'ordre  de  Cincinnatus.  En  revenant  en  France, 
il  assista  à  la  défaite  de  l'escadre  française,  par 
Rodney,  et  le  vaisseau  la  Tille  de  Paris, 
sur  lequel  il  se  trouvait,  ayant  été  forcé  de 
se  rendre,  il  fut  conduit  prisonnier  à  la  Ja- 
maïque, où  il  resta  jusqu'à  la  paix  (1783).  En 
passant  an  Mexique,  il  présenta  au  vice-roi  le 
projet  de  rendre  navigable  la  rivière  In  Partido, 
pour  faire  communiquer  les  deux  océans.  A 
peine  arrivé  en  France,  il  fut  nommé  chevalier 
de  Saint-Louis  et  colonel  au  régiment  d'Aqui- 
taine. Le  désœuvrement  de  la  vie  militaire  en 
temps  de  paix  ne  pouvait  convenir  à  son  esprit 
actif;  après  avoir  passé,  en  qualité  de  commandant 
de  place,  quelque  temps  à  Metz,  et  suivi  le 
cours  de  mathématiques  l'ait  par  Monge  à  l'école 
du  génie  de  Mézières,  il  quitta  le  service,  dans 
l'intention  de  voyager,  et  se  rendit  d'abord  en 
Hollande  (1785).  Ensuite  il  passa  en  Espagne 
(1787).  Il  communiqua  au  comte  de  Cabarrus, 
directeur  de  la  banque  Saint-Charles,  le  plan 
qu'il  avait  formé  de  relier  par  un  canal  Madrid 
à  la  mer,  et  tous  deux  s'unirent  pour  en  pro- 
poser l'exécution  au  gouvernement  espagnol  •.  le 
comte  de  Cabarrus  offrait  les  fonds,  moyennant 
concession  d'un  péage;  Saint-Simon  prometlait 
d'enrôler  six  mille  étrangers,  quatre  mille  comme 
travailleurs,  et  deux  mille  comme  soldats,  pour 
tenir  garnison  ;  le  gouvernement  n'avait  à  four- 
nir que  Ie3  frais  d'habillement  et  d'hôpitaux.  Ce 
plan  ne  fut  pas  adopté,  et  Saint-Simon  s'occupa 
d'établir  en  Andalousie  un  service  de  diligences 
semblable  à  celui  qui  existait  en  France.  Son 
entreprise  réussit.  La  révolution  commençait 
lorsqu'il  alla  se  fixer  dans  la  commune  de  Faloy, 
près  Péronne,  où  était  son  patrimoine;  il  présida 
l'assemblée  électorale  qui  devait  choisir  une  nou- 
velle municipalité,  le  7  février  1-790,  et  le  12  mai 
suivant  il  rédigea  une  adresse  au  nom  des 
électeurs  du  canton  de  Marché-le-Pot,  pour  de- 


ÏJ9  SAiNT-SIMON 

mander  à  l'Assemblée  nationale  la  suppression 
des  titres  de  noblesse.  Ce  fut  la  seule  part  qu'il 
prit  aux  actes  politiques  de  la  révolution,  et  il 
se  contenta  du  rôle  de  spéculateur  sur  les  biens 
nationaux.  Faut-il  chercher,  comme  il  l'a  fait 
lui-même,  une  excuse  à  cet  emploi  financier  de 
son  temps ,  dans  un  projet  humanitaire  de  for- 
mer un  grand  établissement  d'instruction  pu- 
blique, ou,  comme  l'ont  dit  ses  disciples,  dans 
la  nécessité  d'acquérir  la  fortune  pour  se  livrer 
ensuite,  sans  souci  des  difficultés  de  la  vie,  au 
travail  de  ses  idées?  Ce  sont  là  des  explications 
aussi  confuses  qu'insuffisantes.  Une  seule  chose  est 
certaine,  c'est  que  Saint-Simon  fut  dévoré  à  cette 
époque  de  la  passion  de  s'enrichir.  Il  s'associa 
avec  M.  de  Redern  (voy.  ce  nom),  qu'il  avait 
connu  à  Madrid ,  et  acheta  les  biens  nationaux 
de  tout  le  département  de  l'Orne,  ainsi  que 
quelques  immeubles  à  Paris ,  entre  autres  le 
grand  hôte!  des  Fermes  dans  la  rue  du  Bouloi. 
La  terreur  arrêta  les  spéculations  de  cette  so- 
ciété :  M.  de  Redern  fut  obligé  de  s'éloigner  de 
France,  et  Saint-Simon,  arrêté  comme  noble(l), 
fut  emprisonné  pendant  onze  mois ,  d'abord  à 
Sainte- Pélagie,  puis  au  Luxembourg.  Le  9  ther- 
midor lui  rendit  la  liberté,  et  les  circonstances 
devinrent  on  ne  peut  plus  propices  à  l'heureuse 
conclusion  de  ses  opérations  financières.  Les  as- 
signats, qui  ne  valaient  plus  que  6  francs  pour 
mille,  étaient  encore  acceptés  à  leur  taux  d'é- 
mission en  payement  des  biens  nationaux  ;  c'est 
avec  cette  monnaie  que  la  société  Redern  et 
Saint-Simon  paya  les  propriétés  qu'elle  avai-t 
acquises  :  en  1796,  elle  possédait  un  fonds 
rapportant  150,000  fr.  de  rente.  Habileté,  au- 
dace ou  réussite,  ce  résultat,  sous  quelque  nom 
qu'on  le  désigne ,  ne  fut  pas  aussi  heureux  pour 
Saint-Simon  que  pour  M.  de  Redern;  celui-ci 
ayant  été  chargé  du  partage  ne  donna  à  son  as- 
socié que  150,000  fr.  une  fois  comptés.  C'est  du 
moins ,  sur  cette  affaire ,  la  version  de  Saint- 
Simon,  qui  se  contenta  de  protester,  et  fit  seu- 
lement, bien  plus  tard,  quelques  démarches 
pour  recouvrer  ce  qu'il  regardait  comme  lui  étant 
légitimement  dû. 

Cette  époque  marque  une  phase  nouvelle 
dans  la  vie  de  Saint-Simon  :  de  l'industrie,  il 
va  passer  à  la  science,  des  projets  d'organisation 
financière  aux  projets  d'organisation  sociale.  Déjà, 
dans  sa  prison ,  il  avait  trompé  les  longues 
heures  de  la  solitude  par  le  travail  constant  de 
la  pensée ,  par  la  concentration  de  ses  idées  sur 
les  eauses  de  la  désunion  des  hommes  et  sur  les 
moyens  d'y  mettre  un  terme,  par  les  rêves 

(1)  Prévenu  à  temps ,  il  se  préparait  à  quitter,  sous  un 
déguisement,  l'hôtel  qu'il  habitait,  lorsqu'on  vint  pour 
l'arrêter  :  il  rencontra  au  bas  de  l'escalier  les  envoyés 
du  tribunal,  >  Le  citoyen  Simon,  lui  demandérenLIls.  — 
Le  citoyen  Simon?  répondit-il,  voyei  au  second.  »  En- 
suite, ii  monte  a  cheval  et  s'enfuit  au  galop.  Mais  ayant 
apprh  que  le  propriétaire  de  l'hôtel  avait  été  arrêté  pour 
avoir  favorisé  son  évasion,  il  alla  s'offrir  au  tribunal, 
afin  de  le  faire  élargir. 


J20 
d'une  imagination  enthousiaste.  «  A  l'époque  ia 
plus  cruelle  de  la  révolution ,  a-t-il  écrit,  et  pen- 
dant une  rruit  de  ma  détention  au  Luxembourg, 
Charlemagne  m'est  apparu  et  m'a  dit  :  Depuis 
que  le  monde  existe,  aucune  famille  n'a  joui  de 
l'honneur  de  produire  un  héros  et  un  philosophe 
de  première  ligne.  Cet  honneur  était  réservé  à 
ma  maison.  Mon  fils,  tes  succès,  comme  philo- 
sophe, égaleront  ceux  que  j'ai  obtenus  comme 
militaire  et  comme  politique  «  Saint-Simon  se 
prépara  donc,  lorsqu'il  eut  une  fortune  indé- 
pendante, à  remplir  cette  mission  qu'il  venait  de 
se  donner,  d'enseigner  aux  hommes  les  voies 
véritables  qui  devaient  les  conduire  au  progrès 
et  au  bonheur.  Dans  ce  but,  il  commença  par 
se  faire  écolier,  bien  qu'il  eût  trente-huit  ans.  Il 
alla  demeurer  en  face  de  l'École  polytechnique, 
et  invita  à  sa  table  les  professeurs  de  mathéma- 
tique, de  physique  et  d'astronomie,  afin  d'ap- 
prendre d'eux  la  science  des  corps  bruts  ;  puis,  se 
transportant  près  de  l'École  de  méd-ecine,  il  re- 
çut les  physiologistes,  et  étudia  la  science  des 
corps  organisés.  S'étant  marié  en  1S01  avecMllede 
Champgrand  (1),  ri  ouvrit  son  salon  à  tous  les 
hommes  d'élite  que  Paris  possédait  alors  dans 
la  science  et  l'art.  Mais  comme  il  ne  pou- 
vait rien  faire  avec  modération  et  qu'il  apportai!: 
dans  tout  un  entraînement  passionné,  il  vit 
bientôt  s'évanouir  dans  ses  prodigalilés  la  for- 
tune qu'il  avait  acquise.  11  apprit  alors  que  le 
mari  de  Mme  de  Staël  venait  de  mourir;  il  s'i- 
magina aussitôt  que  cette  femme,  d'après  la 
hauteur  philosophique  de  ses  dernières  œuvres, 
était  la  seule  capable  de  s'associer  à  sa  mission, 
et  il  ne  douta  pas  qu'elle,  ne  consentit  à  con- 
tracter un  mari-age  avec  lui.  Il  fit  donc  prononcer, 
en  juillet  1802,  un  divorce  qui  le  rendit  libre,  et 
n'hésita  pas  à  se  rendre  à  Coppet,  pour  proposer 
directement  à  Mme  de  Staël  l'union  dont  il  espé- 
rait un  résultat  fécond  pour  l'avenir  de  l'huma- 
nité (2).  Il  resta  ensuite  quelque  temps  à  Genève,  et 
y  fitimprimerson  premier  ouvrage  :  Lettred'un 
habitant  de  Genève  à  ses  contemporains  (1803, 
in-12).  Il  demandait  d'abord  d'ouvrir  une  sous- 
cription annuelle  dont  le  produit  serait  partagé 
entre  les  mathématiciens,  physiciens,  chimistes, 
physiologistes,  littérateurs,  peintres, musiciens, 
qui  seraient  désignés  trois  par  trois  à  la  majorité 
des  voix*  afin  que  les  hommes  de  génie  eussent 
une  récompense  digue  d'eux.  Il  établissait  en- 
suite que  le  pouvoir  spirituel  devait  être  entre 
les  mains  des  savants,  le  pouvoir  temporel  entre 
les  mains  des  propriétaires,  le  pouvoir  de  nom- 
mer les  individus  appelés  à  remplir  les  fonc- 
tions de  grands  chefs  de  ^humanité  entre  les 
mains  de  tout  le  monde.  Il  terminait  en  disant 
que  la  religion  n'était  qu'une  invention  humaine. 


(1)  Elle  épousa  quelques  années  plus  tard  M.  de  Bawr. 

(2)  On  prétend  qu'il  lui  dit:  «Madame,vous  êles  la  femme 
la  plus  extraordinaire  du  monde,  comme  J'en  suis 
l'homme  le  plus  extraordinaire;  à  nous  deux  nous  aurions 
sans  doute  un  enfant  plus  extraordinaire  encore.  » 


121 


SAINT-SIMON 


122 


Eu  1803  il  parcourut  l'Allemagne;  il  avait 
visité  l'Angleterre  l'année  précédente.  Bientôt 
ses  ressources  s'épuisèrent  :  forcé  de  solliciter 
une  place,  il  n'obtint  qu'au  bout  de  six  mois  un 
emploi  de  copiste  au  Mont- de-Piété.  Cet  emploi 
excéda  les  forces  de  Saint-Simon,  dont  la  santé 
était  déjà  fort  délabrée,  et  il  allait  renoncer 
à  ce  pénible  moyen  d'existence,  lorsqu'il  fut 
recueilli  par  un  de  ses  anciens  commis.  «  Le 
hasard,  dit-il  dans  un  écrit  de  1808,  me  fit 
rencontrer  le  seul  homme  que  je  puisse  appe- 
ler mon  ami.  J'ai  rencontré  Diard ,  qui  m'a- 
vait été  attaché  depuis  1790  jusqu'en  1797;  .... 
j'ai  été  chez  lui ,  et  il  a  fourni  avec  empresse- 
ment à  tous  mes  besoins,  même  aux  frais 
considérables  de  l'ouvrage  que  j'ai  imprimé.  » 
Cet  ouvrage,  Introduction  aux  travaux  scien- 
tifiques du  dix-neuvième  siècle  (Paris,  1807, 
in-8°)est  un  des  plus  importants  que  Saint-Si- 
mon ait  publiés  (1)  ;  nulle  paît  il  ne  s'élève  à  une 
plus  grande  hauteur  de  vues  générales.  Son 
but  ne  tendait  à  rien  moins  qu'à  faire  changer 
la  méthode  scientifique  suivie  depuis  plus  de 
cent  ans,  et  à  remplacer  l'analyse  par  l'induc- 
tion; il  disait  qu'on  avait  assez  expérimenté, 
assez  collectionné  de  faits,  pour  utiliser  les 
données  acquises  et  construire  un  édifice  conr- 
plet  avec  les  matériaux  amassés.  L'état  de 
trouble  dans  lequel  se  trouvait  la  société  euro- 
péenns  ne  pourrait  cesser  que  lorsqu'une  sorte 
de  magistrature  intellectuelle  présiderait  aux  des- 
tinées des  nations.  Les  Lettres  au  Bureau  des 
longitudes  (Paris,  1808,in-4°)  ne  sont,  sous  une 
forme  plus  concentrée ,  que  la  reproduction  de 
l'ouvrage  précédent.  Dans  le  Prospectus  d'une 
nouvelle  Encyclopédie  (Paris,  1810,  in-8°), 
l'auteur  démontrait  que  Diderot  et  d'Alembert 
n'avaient  pas  fait  une  encyclopédie,  mais  un  dic- 
tionnaire ;  que  \emol  encyclopédie,  signifiant  en- 
chaînement des  sciences ,  ne  pouvait  être  donné 
qu'à  une  conception  dans  laquelle  les  connais- 
sances humaines  seraient  présentées  dans  l'ordre 
de  leur  filiation,  et  qu'il  était  essentiel  de  re- 
commencer le  travail. 

La  mort  de  Diard,  en  1810,  vint  replonger 
Saint-Simon  dans  la  misère.  Il  n'en  continua  pas 
moins  ses  travaux,  et  écrivit  deux  Mémoires, 
l'un  Sur  la  science  de  l'homme,  l'autre  Sur  la 
gravitation  universelle;  comme  il  n'avait  pas 
l'argent  nécessaire  pour  les  faire  imprimer,  il  en 
adressa  des  copies  à  des  savants  et  à  des  séna- 
teurs, entre  autres  à  Lacépède,  àCuvier,  à  De- 
gérando,  à  Cambacérès,  à  Lebrun,  au  prince  de 
Bénévent;  une  lettre  accompagnait  cet  envoi  : 
«  Monsieur,  disait-il,  soyez  mon  sauveur,  je 
meurs  de  faim...  Depuis  quinze  jours,  je  mange 
du  pain  et  je  bois  de  l'eau  ;  je  travaille  sans  feu 
et  j'ai  vendu  jusqu'à  mes  habits  pour  fournir  aux 

(1)  Il  y'joignit  uu  arbre  engyclopédique,  qui  n'embras- 
sait pas  seulement  les  facultés  de  la  connaissance,  comme 
l'arbre  de  Bacon,  mais  aussi  tes  facultés  esthétiques  et 
•Industrielles. 


frais  des  copies  de  mon  travail.  C'est  la  passion 
de  la  science  et  du  bonheur  public,  c'est  le  dé- 
sir de  trouver  un  moyen  de  terminer  d'une  ma- 
nière douce  l'effroyable  crise  dans  laquelle  toute 
la  société  européenne  se  trouve  engagée,  qui 
m'ont  fait  tomber  dans  cet  état  de  détresse. 
Ainsi,  c'est  sans  rougir  que  je  peux  faire  l'aveu 
de  ma  misère,  et  demander  les  secours  néces- 
saires pour  me  mettre  en  état  de  continuer  mon 
œuvre.  »  Cuvier  seul  l'encouragea  à  persévérer; 
quelques  autres,  et  particulièrement  Cambacérès, 
l'engagèrent  à  s'adresser  à  l'empereur.  Il  suivit 
ce  conseil,  et  fit  parvenir  au  chef  de  l'État  son 
Mémoire  sur  la  gravitation ,  en  lui  donnant, 
sans  doute  pour  attirer  plus  sûrement  l'atten- 
tion, ce  titre  bizarre,  que  ses  disciples  ont  essayé 
vainement  d'expliquer  -.  Moyen  de  faire  recon- 
naître aux  Anglais  l'indépendance  des  pa- 
villons. L'empereur,  ne  pouvant  comprendre  la 
signification  de  ce  titre,  ne  s'occupa  ni  du 
mémoire  ni  de  son  auteur.  Après  1812,  Saint- 
Simon  tenta  vainement  d'obtenir  de  M.  de  Re- 
dern,  son  ancien  associé ,  une  partie  delà  somme 
qu'il  prétendait  lui  être  due.  Il  se  rendit  alors  à 
Péronne,  où  il  subit  une  grave  maladie,  résultat 
des  longues  privations  qu'il  avait  endurées.  Sa 
famille  le  soigna,  le  rendit  à  la  santé  et  lui  fit  une 
petite  pension.  Il  retourna  à  Paris. 

Après  la  restauration,  Saint-Simon  se  logea  près 
de  l'École  normale;  Augustin  Thierry  devint  son 
plus  intime  disciple ,  et  coopéra  à  la  rédaction 
de  la  Réorganisation  de  la  société  européenne 
(Paris,  1814,  in-8°).  Cet  ouvrage  cherchait  à 
démontrer  l'inutilité  du  congrès  de  Vienne,  l'in- 
capacité de  tous  les  congrès  à  établir  une  paix 
durable,  l'impossibilité  de  faire  subsister  le  corps 
social  par  des  conventions  et  des  accords.  Il 
établissait  que  notre  mépris  pour  le  moyen 
âge  n'est  qu'ignorance;  qu'à  cette  époque  seule 
le  système  politique  de  l'Europe  avait  été  fondé 
sur  sa  véritable  base,  sur  une  organisation  géné- 
rale, dont  le  lien  était  l'ancienne  unité  catho- 
lique; qu'aujourd'hui  le  rôle  de  la  religion  et  du 
clergé  catholiques  étant  terminé,  il  fallait  leur 
substituer  un  parlement  européen,  ayant  le 
droit  de  juger  les  différends  qui  s'élèvent  entre 
les  diverses  nationalités.  11  ajoutait  que  le  pre- 
mier pas  à  faire  vers  la  réorganisation  européenne 
était  l'union  de  la  France  et  de  l'Angleterre. 
Cette  dernière  proposition ,  tombant  au  milieu 
des  passions  haineuses  si  longtemps  avivées  par 
la  guerre,  fit  regarder  l'auteur  comme  un  fou  ou 
comme  un  mauvais  citoyen  ;  cependant,  ce  livre 
est  le  premier  de  Saint-Simon  qui  ait  eu  un  grand 
retentissement.  Il  le  compléta  par  un  autre,  in- 
titulé :  Opinion  sur  les  mesures  à  prendre 
contr-e  lacoalition  de  1815  (Paris,  1815,  in-8°), 
avec  Augustin  Thierry.  Les  années  suivantes, 
il  fit  paraître  l'Industrie  ou  Discussions  poli- 
tiques, morales  et  philosophiques ,  (Paris,  1817  - 
18,4  vol.  in-8").  Il  eutd'abord  pour  collaborateurs 
dans  ce  recueil  Saint- Aubin  et  Augustin  Thierry  ; 


123  SAINT-SlMGiN 

celui-ci,  qui  prit  en  cette  circonstance  le  titre  de 
fils  adoptif  de  Saint-Simon,  cessa  cependant 
sa  collaboration  dès  la  fin  du  premier  volume 
et  se  sépara  de  son  père  spirituel;  il  fut  rem- 
placé par  Auguste  Comte.  C'est  à  propos  du 
t.  III  de  l'Industrie,  écrit  par  ce  nouveau  dis- 
ciple, que  quelques  banquiers  déclarèrent ,  dans 
une  lettre  du  30  avril  1817,  qu'en  souscrivant 
à  l'ouvrage  ils  avaient  entendu  non  marquer  de 
la  sympathie  pour  les  doctrines,  mais  simple- 
ment faire  acte  d'aumône.  En  1819,  Saint-Simon 
publia ,  sous  le  nom  de  Parabole,  une  brochure 
hardie,  dans  laquelle  il  metlaitnettement  au-dessus 
des  hommes  qui  font  l'éclat,  le  luxe,  la  grandeur 
superficielle  de  la  société,  les  hommes  qui  sont 
la  base  et  les  moteurs  de  sa  force,  de  ses  pro- 
grès, de  sa  grandeur  réelle  (1).  Déféré  à  la  cour 
d'assises,  il  fut  acquitté  au  mois  de  mars  1820. 
Les  divers  ouvrages  qu'il  fit  imprimer  ensuite 
épuisèrent  entièrement  ses  ressources  ;  voyant 
l'impossibilité  de  faire  face  par  des  souscrip- 
tions nouvelles  à  ses  propres  besoins  et  aux 
frais  de  ses  publications,  il  écrivit,  le  9  mars 
1823,  à  M.  Ternaux  :  «  ...  J'ai  pris  le  parti  de 
vous  dire  adieu.  Mes  derniers  sentiments  sont 
ceux  d'une  profonde  estime  pour  vous...  J'em- 
porte un  grand  chagrin,  c'est  celui  de  laisser  la 
femme  qui  était  avec  moi  dans  une  position  af- 
freuse... Je  vous  conjure  avec  toute  l'instance 
possible  de  lui  accorder  votre  protection.  Ce 
n'est  point  une  domestique,  c'est  une  ouvrière 
qui  a  beaucoup  d'intelligence  et  une  délicatesse 
qui  la  rend  susceptible  d'occuper  tout  emploi 
de  confiance.  Je  finis  en  souhaitant  que  vous 
viviez  longtemps  pour  le  bonheur  de  tous  ceux 
qui  ont  des  relations  avec  vous.  »  Il  éloigna  en- 
suite l'amie  qu'il  venait  de  recommander  à  M.  Ter- 
naux, et  se  tira  à  la  tête  un  coup  de  pistolet  chargé 
de  sept  chevrotines;  aucun  de  ces  projectiles 
n'entra  dans  le  cerveau ,  et ,  après  de  longues 
souffrances,  Saint-Simon  fut  rendu  à  la  vie,  dé- 
figuré et  privé  d'un  œil  (1).  Quelque  temps  après, 
Auguste  Comte  se  retira ,  et  fut  remplacé  par 
OlindeRodrigjues,  auquel  se  joignirent  MM.  Léon 
Halévy,  Bailly  (de  Blois)  et  Duvergier. 

(1)  Voici  le  résumé  de  cette  Parabole  :  «  Nous  suppo- 
sons que  la  France  perde  subitement  les  trois  mille  pre- 
miers savants,  artistes  et  artisans  qu'elle  possède.  Comme 
de  tous  les  Français,  ils  sont  les  plus  producteurs,  les 
plus  utiles  à  leur  pays,  ceux  qui  lui  procurent  le  plus  de 
gloire,  qui  hâtent  le  plus  sa  civilisation  et  sa  prospérité, 
il  faudrait  à  la  France  au  moins  une  génération  entière 
pour  réparer  ce  malheur.  Supposons  maintenant  qu'elle 
ait  le  malheur  de  perdre,  en  un  même  jour,  Monsieur, 
frère  du  roi,  les  ducs  et  duchesses  d'Angoulême,  de 
Berri ,  d'Orléans,  de  Bourbon,  les  grands  officiers  de  la 
couronne,  les  ministres  d'État,  les  évèqucs,  les  préfets, 
les  Juges,  les  employés  des  ministères ,  et  de  plus  les  dix 
mille  propriétaires  les  plus  riches  :  cet  accident  afflige- 
rait certainement  les  Français,  parce  qu'ils  sont  bons; 
mais  cette  perte  de  trente  mille  individus,  les  plus  im- 
portants de  l'État,  ne  leur  causerait  de  chagrin  que  sous 
un  rapport  purement  sentimental  ;  car  II  n'en  résulterait 
aucun  mal  pour  l'État,  par  la  raison  qu'il  serait  très-facile 
de  remplir  les  places  devenues  vacantes.  » 

(2)  Il  habitait  alors  la  maison  où  est  mort  Molière, 
rue  Richelieu,  n°  34. 


124 

La  dernière  œuvre  de  Saint-Simon,  le  Nou- 
veau Christianisme  (Parts,  1825,  in-8°),  est 
aussi  son  œuvre  la  plus  remarquable  et,  pour 
ainsi  dire,  le  couronnement  de  sa  vie.  Le  chris- 
tianisme, d'après  lui,  a  été  détourné  de  ses  voies  ; 
progressif  de  sa  nature,  devant  se  modifier  selon 
les  pays  et  les  âges,  il  a  été  immobilisé  dans  les 
entraves  canoniques  ;  le  clergé,  qui  a  la  mission 
d'enseigner,  ne  sait  rien  lui-même  de  ce  qu'il  faut 
à  notre  temps  et  à  nos  mœurs;  il  est  donc  dans 
une  incapacité  complète;  le  christianisme  réformé 
de  Luther  n'est  pas  plus  dans  le  vrai  que  l'Église 
catholique  ;  en  supprimant  du  culte  les  arts  qui 
charment  la  vie,  en  ne  s'occupant  pas  de  l'amé- 
lioration physique  des  classes  pauvres,  Luther  a 
continué  la  lutte  fatale  delà  matière  et  de  l'intel- 
ligence, du  corps  et  de  l'esprit.  Le  christianisme 
nouveau  a  un  but  plus  large,  et  qui  embrasse 
tous  les  besoins  de  l'humanité  ;'il  dérive  du  grand 
principe:«  Aimez-vous  les  uns  les  autres  »,  qu'il 
approprie  à  l'état  actuel  de  la  société  et  dont  il 
tire  la  formule  suivante  :  «  La  religion  doit  di- 
riger toutes  les  forces  sociales  vers  l'améliora- 
tion morale  et  physique  de  la  classe  la  plus  nom- 
breuse et  la  plus  pauvre.  »  Voilà  tout  le  chris- 
tianisme, et  il  lui  faut  pour  prêtres  les  hommes 
les  plus  capables  de  contribuer  par  leurs  travaux 
à  la  moralisation  et  au  bien-être  général.  Les  dis- 
ciples de  Saint-Simon  déduisirent  de  ces  prémisses 
la  hiérarchie  sociale  basée  sur  la  capacité  et  sur 
les  œuvres,  l'église  universelle  gouvernant  le 
temporel  comme  le  spirituel,  comprenant  toutes 
les  fonctions,  toutes  les  professions,  sanctifiant 
la  science  et  l'industrie,  réglant  les  vocations, 
fixant  les  salaires,  partageant  les  héritages  et 
prenant  les  meilleurs  moyens  pour  que  les  tra- 
vaux de  chacun  concourent  au  bien  de  tous. 
Quant  au  maître,  il  n'eut  pas  le  temps  d'ajouter 
des  corollaires  à  son  livre;  malade,  ne  vivant 
que  de  bouillon,  il  conservait  cependant  une 
grande  sérénité,  une  merveilleuse  activité  d'es- 
prit, et  il  s'occupait  de  la  publication  du  Pro- 
ducteur, journal  destiné  à  développer  ses  doc- 
trines, lorsqu'il  mourut,  le  19  mai  1825,  à 
soixante-quatre  ans  et  sept  mois,  rue  du  Fau- 
bourg Montmartre,  n°  9.  Ses  principaux  collabo- 
rateurs l'entouraient;  il  les  entretint  jusqu'à  la 
fin.  «  Toute  ma  vie  se  résume  dans  une  pensée, 
dit-il  :  assurer  à  tous  les  hommes  le  plus  libre 
développement  de  leurs  facultés...  On  a  cru  que 
tout  système  religieux  devait  disparaître  parce 
qu'on  avait  réussi  à  prouver  la  caducité  du  sys- 
tème catholique  ;  on  s'est  trompé  :  la  religion  ne 
peut  disparaître  du  monde,  elle  ne  fait  que  se 
transformer..  Rodrigues,  ne  l'oubliez  pas,  et 
souvenez-vous  que,  pour  faire  de  grandes  choses, 
il  faut  être  passionné...  La  poire  est  mûre,  vous 
devez  la  cueillir.  Quarante  -  huit  heures  après 
notre  seconde  publication  nous  serons  un  parti.  » 
Ses  dernières  paroles,  qu'il  accompagna  d'un 
geste  expressif,  furent,  à  voix  basse,  mais  dis- 
tincte :  «  Nous  tenons  notre  affaire.  » 


125  SAINT 

On  a  voulu  faire  de  la  vie  de  Saint-Simon  un 
tout  logique  et  s'avançant,  par  un  enchaînement 
d'actes  et  de  pensées,  vers  un  but  final  qu'il  se 
serait  fixé  dès  sa  jeunesse;  il  a  contribué  lui- 
même  à  répandre  celte  opinion,  qui  le  grandirait 
outre  mesure  et  conviendrait  mieux  à  un  Messie 
qu'à  un  homme.  Mais  la  simple  succession  des 
faits  ne  permet  pas  d'accueillir  une  si  haute 
hypothèse,  et  jusqu'à  la  dissolution  de  la  so- 
ciété Redern  on  ne  peut  voir  en  lui  qu'un  esprit 
actif  et  inquiet,  une  imagination  ardente,  cher- 
chant dans  des  voies  diverses  un  chemin  vers 
la  gloire  et  vers  la  fortune.  A  partir  de  cette 
époque  tout  se  tient  et  se  lie  mieux  dans  sa  vie, 
ses  études,  ses  voyages,  ses  écrits,  les  expériences 
qu'il  fait  sur  les  individus  et  sur  la  société,  tout 
semble  n'avoir  qu'un  but,  la  recherche  d'une 
réorganisation  sociale  ;  son  premier  ouvrage,  les 
Lettres  d'un  habitant  de  Genève,  offre  en 
germe  les  idées  qu'il  achèvera  d'exposer  dans 
le  Nouveau  Christianisme  :  on  y  trouve 
déjà  l'humanité  considérée  comme  formant  un 
être,  une  unité  collective,  vivante,  supérieure 
non-seulement  aux  individus,  mais  aux  nations  ; 
on  y  entend  déjà  l'appel  fait  à  la  science  de 
prendre  la  direction  de  la  société.  Cependant , 
sa  doctrine  ne  se  présente  pas  tout  d'un  coup 
dans  sa  plénitude;  il  la  construit  peu  à  peu.  Ce 
qui  le  frappe  d'abord ,  c'est  l'incapacité  du 
clergé  à  diriger  les  forces  de  notre  temps  ;  il  ne 
dégage  que  plus  tard  de  l'obscurité  de  ses  con- 
ceptions premières  le  rôle  même  de  ces  forces, 
la  science  et  le  travail,  double  base  de  l'é- 
difice futur.  Il  ne  montre  d'abord  d'autre  des- 
sein que  de  rappeler  ou  d'annoncer  à  son 
siècle  certaines  vérités,  puis  de  simple  théoricien 
il  songe  à  se  faire  réformateur;  il  cherche,  il 
trouve  des  adeptes;  le  philosophe  devient  théo- 
sophe  et  grand  prêtre  de  la  religion  nouvelle. 
Sa  doctrine  manquait  trop  de  développements 
précis  pour  ne  pas  appeler  la  division  chez  ses 
disciples.  Ils  se  laissèrent  entraîner  davantage, 
selon  leurs  tendances  personnelles,  les  uns  vers 
la  partie  spirituelle,  les  autres  vers  la  partie  ma- 
térielle des  idées  du  maître.  Cette  division  n'a 
pas  peu  contribué  à  hâter  la  dissolution  de  la 
secte  saint-simonienne.  Elle  perdit  bientôt  son 
caractère  religieux  pourse  réduire  à  n'êlrequ'une 
camaraderie,  et  à  se  partager  de  nos  jours  en 
plusieurs  sociétés  d'affaires  qui  se  soutiennent 
et  s'entr'aident.  Ce  résultat  sans  doute  est  un 
peu  mesquin  pour  une  association  qui  prétendit 
un  jour  à  l'honneur  d'être  une  religion;  mais  il 
ne  doit  pas  nous  faire  oublier  que  les  idées  de 
Saint-Simon  ont  puissamment  contribué  au  mou- 
vement social  qui  tend  à  l'amélioration  générale, 
et  qu'elles  ont  formé,  séduit  ou  entraîné,  à  des 
degrés  divers ,  des  hommes  qu'il  suffit  de  citer 
pour  signifier  intelligence ,  hauteur  de  vues  ou 
habileté  :  MM.  Augustin  Thierry,  Auguste  Comte, 
Olinde  Rodrigues,  Bailly  (deBlois),  Léon  Halévy, 
Duvergier,  Bazard,  Enfantin,  Cerclet,  Bûchez, 


SlMOiN  V2<\ 

C'arnot,  Michel  Chevalier,  Henri  Fournel,  Dugied, 
Barraitlt,  Charles  Duveyrier,  Talabot,  Pierre 
Leroux,  Jean  Reynaud,  Emile  Péreire,  Félicien 
David,  Saint-Chéron ,  Guéroult,  Charton,  Ca- 
zeaux,  Dubochet ,  Stéphane  Mony.  «  Une  foule 
de  questions  qui  sommeillaient  avant  le  saint-si- 
monisme,  dit  M.  Louis  Reybaud,  ont  été,  par 
son  seul  avènement,  éveillées  d'une  façon  si 
brusque  et  si  bruyante,  que,  placées  désormais 
en  relief,  elles  sont  acquises  à  la  curiosité  géné- 
rale, et  livrées  à  cet  esprit  d'analyse  qui  tôt  ou 
tard  agira  sur  elles  par  un  travail  de  prépara- 
tion. Le  saint-simonisme  sera  à  l'avenir  social 
ce  qu'est  un  ballon  d'essai  dans  une  expérience 
aéronautique.  Le  ballon  d'essai  s'enlève  aux  yeux 
de  la  foule  étonnée,  monte,  s'amoindrit  peu  à 
peu,  et  se  noie  dans  l'espace  :  après  un  rôle 
court  et  brillant,  c'est  fait  de  lui  ;  mais  le  grand 
aérostat  y  a  gagné  du  moins  de  connaître  l'é- 
tat des  zones  atmosphériques,  et  les  caprices 
des  aires  de  vent  qui  l'attendent  sur  son  che- 
min. » 

Outre  les  ouvrages  que  nous  avons  cités ,  et 
qui  présentent  plus  expressément  la  pensée  de 
l'auteur,  Saint  -  Simon  a  publié  :  Lettre  à 
MM.  Comte  et  Dunoyer,  dans  le  Censeur  eu- 
ropéen, t.  III,  1814;  — Le  Défenseur  des  pro- 
priétaires des  domaines  nationaux;  Paris, 
1815  (seulement  le  prospectus);  —  Profession 
de  foi  des  auteurs  de  l'ouvrage  annoncé  sous 
le  titre  :  le  Défenseur,  etc.;  ibid.,  1S15,  in-8°; 
—  Profession  de  foi  au  sujet  de  Vinvasion 
du  territoire  français  par  Napoléon  Bona- 
parte; ibid.,  1815,  in- 8°;  —  Quelques  idées 
soumises  à  l'assemblée  générale  d'instruc- 
tion primaire ;ibid.,  1815,  in-8°;  —  Le  Poli- 
tique, par  une  société  de  gens  de  lettres;  ibid., 

1819,  2  vol.  in-8°,  périodique;  —  L'Organisa- 
teur ;  ibid.,  1819-20,  in-8°  ;  publiée  par  morceaux 
détachés;  —  Lettre  aux  jurés  qui  doivent 
prononcer  sur  l'accusation  intentée  contre 
moi;  ibid.,  1820,  in-8°;  —  Considérations  sur 
les  mesures  à  prendre  pour  terminer  la  ré- 
volution; ibid.,  1820,  in-8°;  —  Trois  lettres 
à  MM.  les  cultivateurs,  fabricants,  négo- 
ciants, banquiers  et  autres  industriels  ;  ibid., 

1820,  in-8°;  —  Lettre  d'envoi  à  MM.  les  in- 
dustriels; ibid.,  1820,  in-4°  ;  —  Six  Lettres 
sur  les  Bourbons;  ibid.,  1820,  in- 8°;  —  Du 
Système  industriel  ;  ibid.,  1821,  in-8°;  —  Opi- 
nions littéraires,  philosophiques  et  indus- 
trielles; MA.,  1821-25,  in-8°;  —  Des  Bour- 
bons et  des  Sluarts;  ibid.,  1822,  in-8°;  — 
Catéchisme  des  industriels;  ibid.,  1824, 
in-8°.  Il  a  laissé  en  manuscrit  plusieurs  ou- 
vrages, notamment  le  Mémoire  sur  la  gravi- 
tation et  celui  sur  la  Science  de  l'homme. 
Ces  deux  mémoires  ont  été  publiés  par  M.  En- 
fantin, un  de  ses  disciples,  puis  dans  les  Œuvres 
choisies  de  Saint  Simon  (Bruxelles.  1859.  3  vol. 
in-12).  M.  Olinde  Rodrigues  avait  entrepris  une 
édition  complète  de  ses  œuvres,  mais  il  n'a  pu 


127 


SAINT-SIMON 


128 


en  donner  que  les  tomes  I  et  II  (Paris,  1832, 

in-S°).  J.    MOREL. 

Louis  Reyband,  Études  sur  les  réformateurs  ou  socia- 
listes modernes.  —  Vlllenave,  llist.  du  saint  simonisme 
et  de  la  famille  de  Rothschild  ;  Paris,  18V!,  in-8».  — 
G.  Hubbard,  Saint-Simon,  sa  vie  et  ses  travaux;  Paris, 
1837,  in-lî.  —  Loménie,  Galerie  des  contemp.,  t.  X.  — 
Essai  sur  la  doctrine  de  Saint-Simon ,  à  la  tête  des 
Couvres  choisies  ;  Bruxelles,  1859.  —  H.  Fournel,  Bibliogr. 
saint-simonienne. 

saint-simon  {Claude- Anne,  marquis,  puis 
duc  de),  capitaine  général,  né  le  16  mars  1740, 
à  la  Faye,  près  Ruffec,  mort  le  3  janvier  1819, 
à  Madrid.  Il  était  l'un  des  fils  de  Louis-Gabriel 
de  Saint-Simon,  de  la  branche  des  seigneurs  de 
Montbleru.  En  sortant  de  l'école  militaire  de 
Strasbourg,  où  il  fut  élevé,  il  passa  dans  le  régi- 
ment d'Auvergne,  et  y  fit  ses  premières  armes.  A 
dix-buk  ans  il  entra  comme  lieutenant  chef  de 
brigade  dans  les  gardes  du  roi  Stanislas.  Ayant 
bientôt  après  reçu  le  brevet  de  colonel,  il  com- 
manda en  1771  le  régiment  de  Poitou  et  en 
1775  celui  de  Turenne,  avec  lequel  il  fut  envoyé 
en  1779  à  la  Martinique.  L'année  suivante  il 
entra  au  service  de  l'Espagne  et  eut  sous  ses 
ordres  un  corps  de  2,000  hommes,  à  la  tête  du- 
quel il  se  distingua  dans  la  guerre  d'Amérique; 
sa  conduite  lui  valut  l'ordre  de  Oincinnafus.  De 
retour  en  France,  il  fut  nommé  gouverneur  de 
Saint-Jean  Pied-de-Port  (mai  1783).  Élu  le  pre- 
mier par  la  noblesse  de  l'Angoumois,  il  siégea 
aux  états  généraux,  parmi  les  amis  de  la  cour  et 
des  privilèges;  après  avoir  prêté  eu  1790  le  ser- 
ment civique  pour  ce  seul  motif  que  la  constitu- 
tion laissait  à  la  nation  le  droit  de  changer  la 
loi  qu'elle  s'était  donnée,  il  adhéra  aux  protesta- 
tions de  la  minorité,  et  partit  pour  l'Espagne. 
Dans  la  même  année  (1793,)  il  devint  maréchal 
de  camp  (16  mai),  colonel  de  la  légion  royale 
des  émigrés  (29  septembre),  lieutenant  général 
(  10  octobre),  et  il  reçut  deux  coups  de  feu,  l'un 
au  combat  d'Irun,  l'autre  à  l'affaire  d'Argensu. 
En  1795  il  commanda  en  second  l'armée  de  Na- 
varre, et  en  1796  il  forma  le  régiment  de  Bour- 
bon, et  fut  mis  comme  capitaine  général  à  la 
tête  de  la  Vieille-Cas  tille.  En  1801  il  prit  part 
aux  opérations  militaires  contre  le  Portugal. 
Lors  du  siège  de  Madrid  par  les  Français  (1808), 
Saint-Simon  se  trouvait  dans  la  ville,  et  la  dé- 
fendit :  fait  prisonnier  et  condamné  à  mort  par 
un  conseil  de  guerre,  il  obtint  un  sursis,  puis 
une  commutation  de  peine,  et  fut  enfermé  dans 
la  citadelle  de  Besançon,  où  sa  fille  unique,  com- 
pagne volontaire  de  sa  prison,  l'entoura  des  soins 
les  plus  touchants.  Les  événements  de  1814  le 
rendirent  à  la  liberté,  et  son  jugement  fut  dé- 
claré nul  par  des  lettres  patentes  de  Louis  XVIII, 
qui  déclara  en  outre  qu'il  avait  bien  mérité  par 
sa  fidélité  de  la  maison  de  Bourbon.  Il  revint 
en  Espagne,  et  fut  élevé  par  Ferdinand  VU  à  la 
double  dignité  de  duc  et  de  capitaine  général 
(octobre  1814),  enfin  en  1825  au  grade  de  colo- 
nel des  gardes  wallonnes.  Depuis  il  vécut  à  l'é- 
cart des  événements  politiques,  qui  agitèrent  son 


pays  d'adoption.  Le  15  septembre  1803,  il  avait 
été  créé  grand  d'Espagne  par  Charles  IV. 

Jay,  Jouy,  etc.,  Biogr.nouv.  des  Contemp. 

*  Saint-Simon  (Henri-Jean-Victor,  mar- 
quis, puisducDE),  général  et  sénateur,  neveu  du 
précédent,  né  le  12  février  1782,  au  château  des 
Doucets,  commune  de  Péreuil  (Charente).  Fils  de 
Louis-Charles  de  Saint-Simon,  capitaine  au  régi- 
ment Royal-Picardie,  mort  en  1 790,  et  d'Adélaïde- 
Blanche-Marie  de  Saint-Simon  Sandricourt,  il 
s'engagea  en  1800  dans  un  régiment  de  hussards,  et 
fit  ses  premières  armes  sous  Moreau.  Sous-  lieute- 
nant au  2e  decarabiniers  (1802),  puis  aide  decamp 
du  maréchal  Ney  (1 805),il  fut  nommé  capitaine  sur 
lechamp  de  bataille  d'Iéna(  1806).  Chef  d'escadron 
en  1808,  il  passa  en  1809  en  Espagne,  et  com- 
battit à  Vittoria,  Saragosse,  Madrid  ,  Astorga , 
Lugo  et  la  Corogne.  En  1812  il  prit  le  com- 
mandement du  29e  de  chasseurs,  et  fut  en  1813 
chargé  par  Lamarque  de  celui  de  l'avant-garde 
d'une  division  active  qui  opérait  en  Catalogne. 
Il  fut  cité  plusieurs  fois  dans  les  bulletins  de 
cette  armée,  notamment  pour  sa  conduite  au 
combat  de  Vich.  Après  la  déchéance  de  Napo- 
léon ,  il  se  rallia  aux  Bourbons,  entra  comme 
sous-lieutenant  dans  les  gardes  du  corps,  et  ac- 
compagna le  roi  à  Gand,  où  il  reçut  le  grade  de 
maréchal  de  camp  (15  mai  1815).  Dans  la  suite 
il  commanda  les  départements  du  Calvados,  de 
la  Manche  et  du  Loiret ,  et  devint  pair  de  France 
le  5  mars  1819  avec  le  titre  de  marquis.  Le 
3  janvier  précédent  la  mort  de  son  oncle, 
Claude-Anne,  l'avait  rendu  héritier  du  titre  de 
duc  et  de  la  grandesse  d'Espagne.  Après  avoir 
pendant  quelques  mois  représenté  la  France  en 
Portugal,  il  fut  envoyé  en  Danemark  (Il  oc- 
tobre 1820),  et  fut  maintenu  dans  ses  fonctions 
par  le  gouvernement  de  Juillet.  Rappelé  le 
20  mars  1833,  il  devint  gouverneur  général  des 
possessions  françaises  dans  les  Indes  (6  sep- 
tembre 1 834),  et  reçut  à  son  retour  le  grade  de 
lieutenant  général  (18  déc.  1841).  De  1844  à 
1848,  il  commanda  en  Corse  la  17e  division  mi- 
litaire ,  fut  mis  à  la  retraite  par  le  gouvernement 
provisoire,  et  réintégré  ensuite  dans  le  cadre  de 
réservepar  le  décretdu  l"  décembre  1852.  M.  de 
Saint-Simon  a  été  compris  dans  la  première 
promotion  du  sénat  (26  janvier  1852).  Remis 
par  Louis  XVIII  en  possession  des  manuscrits 
autographes  des  Mémoires  du  duc  Louis  de 
Saint-Simon,  il  a  revendiqué  sur  cette  œuvre 
des  droits  de  propriété  que  la  cour  impériale  de 
Paris  a  reconnus,  et  grâce  à  lui  on  a  pu  don- 
ner en  1857  une  édition  correcte  et  complète  de 
ces  Mémoires,  tronqués  et  défigurés  par  Sou- 
lavie  et  autres.  Chevalier  de  la  Légion  d'hon- 
neur (14  mars  1806),  M.  de  Saint-Simon  éîait 
grand-croix  depuis  le  30  décembre  1855.  De 
son  mariage  avec  Anne-Marie  de  Lasalle,  il  n'a 
eu  que  deux  filles,  Eugénie- Blanche,  marquise 
d'Estourmel,  et  Alix,  vicomtesse  d'Hédouville. 

Le  Sénat  de  l'empire  français. 


129 


SAINT-SORLIN  —  SAINT-VINCENT 


i?A 


SAINT-SORLIN.  VotJ.  DE6MARETS. 

saint-viscent  (  Grégoire  de  ) ,  géomètre 
belge,  né  à  Bruges,  en  1584,  mort  à  Gand,  le 
27  janvier  1667.  Sa  jeunesse  fut  entièrement 
consacrée  à  de  sérieuses  études,  qu'il  alla  con- 
tinuer à  Rome ,  où  ses  premiers  succès  en  ma- 
thématiques furent  remarqués  par  les  Jésuites. 
Ceux-ci  parvinrent  à  l'attirer  dans  leur  ordre 
(1605),  espérant  bien  qu'il  l'honorerait  un  jour. 
Devenu  disciple  du  célèbre  Clavius,  il  lui  succéda 
dans  la  chaire  de  mathématiques.  Vers  1625, 
Philippe  IV  l'invita  à  se  rendre  à  Madrid  pour  y 
remplir  les  fonctions  de  précepteur  de  son  fils 
don  Juan  d'Autriche  Saint-Vincent  préféra  ac- 
cepter les  offres  de  l'empereur  Ferdinand  If,  qui 
l'appelait  à  Prague  II  se  trouvait  dans  cette 
ville  en  1631,  lorsqu'elle  fut  prise  et  saccagée 
par  les  troupes  de  Gustave-Adolphe.  Unegrande 
partie  des  manuscrits  du  savant  géomètre  fut 
brûlée  par  la  so.datesque.  Quelques  papiers 
furent  cependant  sauvés  ,  grâce  au  dévouement 
d'un  ami,  Rodrigue  de  Arriaga,  théologien  dis- 
tingué. Grièvement  blessé,  Saint  Vincent  se  ré- 
fugia à  Vienne,  d'où  il  vint  ensuite  se  fixer  à 
Gand  :  là,  il  continua  à  professer  les  mathé- 
matiques et  à  reconstruire  le  fruit  de  ses  re- 
cherches de  plusieurs  années .  Il  mourut  à  quatre- 
vingt-trois  ans,  d'une  attaque  d'apoplexie. 

Grégoire  de  Saint-Vincent  doit  la  meilleure 
part  de  sa  célébrité  à  son  livre  intitulé  :  Opus 
geomelricum  quadraturse  circuit  et  sectio- 
num  coni  X  libris  (Anvers,  1647,  in-fol.).  «  Ja- 
mais, dit  Montucla,  géomètre  n'a  poursuivi  avec 
plus  de  génie  et  d'assiduité  cet  important  pro- 
blème, à  travers  toutes  les  épines  de  la  géomé- 
trie; et  quoiqu'il  ait  manqué  son  but,  l'abon- 
dante moisson  de  vérités  nouvelles  qu'il  rapporta 
de  celte  recherche  lui  a  mérité  un  rang  parmi 
les  géomètres  les  plus  distingués.  »  Leibniz 
porte  sur  Grégoire  de  Saint-Vincent  le  juge- 
ment  que  voici  :  «  Majora  (nempe  Galilea- 
nis  ac  Cavellerianis  )  subsidia  attulere, 
Cariesius  ostensa  raiione,  lineas  geometriœ 
commuais  exprimendi  per  sequationes , 
Fermatius  inventa  metfiodo  de  maximis  ac 
minitnis,  ac  Gregorius  a  ^ancto-Vincentio , 
mu! fis  prx clans,  inven/is  (Act.  Lips.,  ann. 
1695)  »Le  livre  de  Saint  Vincent  ne  vit  pas  plu- 
tôt le  jour  qu'on  s'empressa  de  toutes  parts  à 
l'examiner.  Le  titre  qu'il  portait,  le  nom  de 
son  auteur  et  la  quantité  d'excellentes  choses 
qu'il  contenait,  étaient  fort  capables  de  piquer 
la  curiosité;  mais  sa  quadrature  ne  soutint  pas, 
comme  le  reste,  l'épreuve  de  l'examen.  Des- 
cartes en  aperçut  bientôt  la  lausseté.et  montra  la 
source  de  l'erreur  dans  une  lettre  au  P.  Mersenne. 
Elle  fut  ensuite  publiquement  réfutée  par  Huygens, 
alors  encore  fort  jeune,  dans  un  écrit,  mo- 
dèle de  netteté  et  de  précision  ;  et  plus  au  long 
par  le  P.  Léotaud,  habile  géomètre  dauphinois! 
Ce  fut  en  vain  que  deux  disciples  de  Grégoire  de 
Saint- Vincent,  les  PP.  Aynscom  et  de  Sarasa,  se 

NOCT.    BIOGR.    GENER.   —  T.    XLIU. 


constituèrent  ses  défenseurs.  Tout  en  échouant 
quant  au  principal  objet  de  ses  recherches, 
Saint-Vincent  nous  a  laissé  un  grand  nombre  de 
découvertes  importantes  et  curieuses  :  telles 
sont  une  multitude  de  propriétés  nouvelles  deg 
sections  coniques;  la  sommation  des  termes  et 
des  puissances  des  termes  des  progressions  par 
des  considérations  géométriques  ;  des  moyens 
variés  de  mesurer  la  parabole  et  les  figures  con- 
sidérées par  les  anciens;  la  mesure  de  beaucoup 
de  solides  de  révolution;  etc.  Comme  Cavalieri 
ethoberval,  il  appliqua,  mais  d'une  manière 
qui  lui  était  propre,  les  méthodes  d'Archimède 
pour  la  quadrature  desespacescurvilignes.il 
trouva  ainsi  la  propriété  remarquable  des  aires 
hyperboliques  entre  les  asymptotes,  qui  sont  les 
logaritbmesdes  abscisses.  —  Il  a  laissé  de  nom- 
breux manuscrits,  qui  ont  été  réunis  en  13  vol. 
in-fol.,  et  que  possède  la  bibliothèque  de 
Bruxelles.  On  a  encore  de  lui  :  De  cometis; 
Lou vain,  1619,  in-4°;  —  Theoremata  mathe- 
matica  scientix  staticae  de  ductu  ponderum 
per  planitiem,  proposita;  Lou  vain,  1624, 
in-4u;  —  Opus  ad  Mesolabium  per  rationum 
propor/umalium  novas  proprietates ;  Gand, 
1668,  in-fol.  E.  M. 

Alegambc  —  Sntwel.  —  Montucla,  Histoire  îles  ma- 
thémat..  II.  —  Quételet,  Cnrresp.  mattiém.  etpliilos.,l. 
—  Chastes,  si  perçu  historique.  —  Paquot,  Mémoires,  X. 

saint-Vincent    (  Pierre  -  Augustin    Ro- 
bert de),  magistrat  français,    né  à  Pans,  le 
1 5  juillet  1725,  mort  à   Brunswick ,  le  29    dé- 
cembre 1799.  Fils  d'un  conseiller  au  parlement 
de  Paris ,  il  reçut  une  éducation  sévère  et  fut  de 
bonne  heure   imbu  des  idées  jansénistes  parta- 
gées par  toute  sa  famille.  Après  avoir  pris  sesde- 
grés  en  droit,  il  fut  reçu  conseiller  le  12  janvier 
1748.  Défenseur  enthousiaste  des  parlements,  il 
prétendait  qu'ils  pouvaient  seuls  être   la  sauve- 
garde des  libertés  publiques,  et  se  mit  avec  son 
collègue   Duval  d'Espremenil ,  bien  p!us  jeune 
que  lui,  à  la  tête  de  ces  magistrats,  qui  bâtèrent, 
sans  s'en  douter,  la  chute  de  la  monarchie.  Ou- 
bliant son  âge,  il  se  montra  l'un  des  frondeurs 
les  plus    implacables  de  la  cour,  et  sa  critique 
paraissait  d'autant  plus  dangereuse,  qu'elle  était 
dirigée  par  un  grand  fonds  de   probité,  et  par 
l'amour  du  bien    public.   On  le  vit,  dans  la  fa- 
meuse affaire  du  collier,  prendre  vivement  avec 
Fret  eau  de  Saint-Just  les  intérêts  du  cardinal 
de  Rolian,  et  conclure  à  son  acquittement  «  en. 
blâmant,  dit  Georgel,  la  publicité  donnée  à  ce 
procès  et  la   scène  si  peu  refléchie  du  15  août, 
dans  la  galerie  de  Versailles.  »  Sou  opinion  fut 
adoptée,  comme  on  le  sait.  Le  19  décembre  1786, 
il  dénonça  aux  chambres  assemblées  le  Pasto- 
ral   de  Paris ,    réimpression    avec    plusieurs 
changements  du  Rituel  que  M.  de  Juigné  avait 
dix  années  auparavant,  publié  à  Châlons  :  mal- 
gré ses  instances    pour    qu'on    en    fît  arrêter 
la   distribution    séance    tenante ,  cette    affaire 
n'eut  pas  de  suite.  Il  prit  une  part  active  à  l'arrêt 


131 


SAINT-VINCENT  —  SAINTE-AULAIRE 


132 


;rendu,  en  août  1787,  contre  l'enregistrement 
forcé  de  l'édit  sur  l'impôt  territorial  et  du 
timbre,  et  partagea  l'exil  du  parlement  àTroyes. 
Louis  XVI,  s'étant  rendu  le  19  novembre  sui- 
vant au  parlement,  pour  y  faire  enregistrer  un 
édit  portant  création  d'emprunts  pour  420  mil- 
lions, Robert  de  Saint- Vincent  adressa  au  mo- 
narque un  discours  d'une  franche  audace,  et, 
oubliant  le  respect  dû  à  la  majesté  royale,  fit 
entendre  les  observations  les  plus  violentes, 
auxquelles  son  débit ,  son  organe  et  son  geste 
ajoutaient  encore  plus  de  rudesse  et  d'originalité. 
Louis  XVI  ne  lui  tint  pas  rancune ,  mais  le  car- 
dinal de  Brienne,  principal  ministre,  et  le  garde 
des  sceaux  Lamoignon  le  firent  éloigner  pendant 
quelque  temps.  Lors  de  l'arrestation  ded'Espré- 
menil  et  de  Montsabert,  Saint- Vincent  fut  un 
des  membres  delà  députation  chargée  d'aller 
faire  au  roi  des  représentations  sur  l'excès  des 
malheurs  qui  menaçaient  la  nation.  Bientôt 
après,  prévoyant  le  sort  qui  lui  serait  réservé, 
comme  à  ceux  dont  il  avait  partagé  les  er- 
reurs, il  s'empressa  d'émigrer  avec  sa  femme, 
Elisabeth  Jogues,  qu'il  perdit  à  Wandsheck  (du- 
ché de  Holstein),  le  8  décembre  1796.  Un  prince 
ecclésiastique  d'Allemagne  lui  avait,  en  sep- 
tembre 1793,  ordonné  de  sortir  de  ses  États , 
en  raison  de  ses  principes  religieux,  et  le  comte 
de  Provence  (plus  tard  Louis  XVIII)  dut  in- 
terposer sa  médiation  pour  faire  annuler  cette 
décision.  Après  avoir  résidé  à  Genève,  puisa 
■Chambéry,  Saint -Vincent  alla  à  Brunswick. 
Une  loi  du  9.6  août  1790  adjugea,  comme  bien 
d'émigré,  la  maison  où  il  était  né,  rue  Haute- 
feuille,  au  mécanicien  J.-P.  Droz  pour  le  ré- 
compenser de  ses  découvertes  dans  la  fabrica- 
tion des  monnaies.  H.  F. 

Georgcl,  Mémoires.  —  Sallier,  Annales  françaises.  — 
Mémoires  du  temps.  —  Nougaret,  Anecdotes  du  règne 
de  Louis  XVI.  —  Docum.  paît. 

SAINT-VINCENT.   Voy.  JERVIS. 

saint-yves  (Charles),  oculiste  français, 
né  le  10  novembre  1667,  à  Maubert-Fontaine, 
près  Rocroi  (Ardennes),  mort  le  3  août  1733, 
dans  le  même  lieu  (I).  Sa  famille  était  attachée 
au  domaine  de  MUe  de  Guise,  et  lui-même  dut  à 
cette  princesse  les  soins  de  sa  première  éduca- 
tion. Après  les  études  ordinaires,  il  embrassa 
la  vie  monastique,  et  fit  profession  en  1686  chez 
les  lazaristes  de  Paris.  Les  dispositions  qu'il 
montra  le  firent  employer  dans  la  pharmacie  de 
leur  maison;  en  même  temps  qu'il  travaillait  à 
la  préparation  des  drogues,  il  étudia  la  méde- 
cine et  la  chirurgie,  et  après  s'être  exercé  douze 
a  quinze  ans  dans  les  trois  parties  de  l'art  de 
guérir,  il  se  voua  entièrement  au  traitement  des 
maladies  des  yeux.  «  Cette  partie  de  l'art  était 
alors  assez  négligée,  dit  Éloy.  Il  se  fit  donc 
une  affaire  de  l'éclairer  par  ses  recherches,  et  il  y 
réussit  si  bien  que  les  guérisons  surprenantes 

(1)  Nous  avons  suivi  le»  indications  de  l'abbé  Boulliot, 
<|ui  paraissent  les  plus  sûres. 


qu'il  procura  (1)  lui  attirèrent  une  affluence  con- 
sidérable de  malades  de  la  ville  et  de  toutes  les 
provinces  du  royaume....  Bon  et  charitable,  il 
quittait  tout,  même  ses  repas,  quand  on  lui  di- 
sait que  c'était  des  gens  de  la  campagne  qui  ve- 
naient le  consulter  et  qui  devaient  retourner  le 
même  jour.  Il  leur  fournissait,  ainsi  qu'aux 
pauvres  de  là  ville,  ses  ordonnances  et  les  re- 
mèdes gratis,  et  si  leurs  maladies  exigeaient 
des  opérations,  il  les  faisait  demeurer  à  Paris, 
sollicitait  des  aumônes  pour  leur  subsistance, 
et  le  plus  souvent  il  y  fournissait  de  sa  bourse.» 
Afin  de  vaquer  plus  librement  à  ses  travaux, 
Saint-Yves  quitta  en  1711  la  maison  de  Saint- 
Lazare,  et  s'installa  chez  son  frère  aîné,  dans  la 
rue  Notre-Dame  de  Bonne-Nouvelle.  En  1715 
il  s'adjoignit  un  jeune  élève  en  chirurgie  nommé 
Léoffroi  :  l'adresse  et  le  caractère  de  ce  jeune 
homme  lui  plurent  tellement  qu'd  le  maria  avec 
sa  gouvernante,  l'autorisa  à  porter  son  nom 
et  le  fit  son  légataire  universel.  La  fortune  qu'il 
laissa  fut  évaluée  à  plus  de  500,000  fr.  (2).  On  a  de 
lui  :  Nouveau  Traité  des  maladies  des  yeux; 
Paris,  1722,  in-8o,et  1767,  in- 12;  trad.  en  anglais 
et  en  allemand  :  ouvrage  très-estimé  et  qui  con- 
tient, outre  des  remarques  intéressantes,  plu 
sieurs  descriptions  de  maladies  peu  connues. 

Éloy,  Dict  de  la  médecine.  —  Haller,  Bibl.  chiruraica. 
—  Portai,  Hist.  de  la  chirurgie.  —  Cairaet,   Bibl.  lor- 
raine. —  Bculliot,  ISiogr.  ardemiaise. 

sainte-aijlaire  (Beaopoil  de),  maison 
ancienne,  originaire  de  la  Bretagne,  où  elle  pos- 
sédait la  seigneurie  de  Noëmalet.  En  1440  Ju- 
lien de  Beaupoil,  plus  tard  écuyerdu  roi  Char- 
les VII,  acquit  dans  les  environs  d'Uzerche  en 
Limousin  la  terre  de  Sainte-Aulaire,  qui  vient 
du  mot  latin  corrompu  Sancta  Eulalia.  Parmi 
ses  descendants  nous  citerons  Jean  II ,  maître 
d'hôtel  de  François  Ier;  François ,  qui  se  dis- 
tingua dans  la  bataille  de  Montcontour;  André- 
Daniel,  évêque  de  Tulle  de  1702  à  1720,  ef 
ceux  qui  suivent. 

Nobiliaire  unie,  de  France. 

sainte -AULAiRE  (  François  -  Joseph  DE 
Beaufoil,  marquis  de),  né  en  1643,  au  château 
du  Bary  (Limousin),  mort  le  17  décembre  1742, 
à  Paris.  Il  passa  sa  première  jeunesse  dans  son 
pays,  «  entouré,  dit-il ,  d'automates  que  je  m'A 
musais  à  voir  dédaigner  le  génie  et  les  talents, 
d'aussi  bonne  foi  que  s'il  n'avait  tenu  qu'à  eus 
de  les  posséder.  »  11  fit  son  occupation  de  la 
lecture  d'Horace  et  de  Virgile,  et  l'âge  venu 
d'embrasser  une  carrière,  il  choisit  celle  des 
armes.  Mme  de  Lambert  nous  apprend  qu'il  w 
se  contenta  pas  d'assurer  sa  réputation  sur  I; 
valeur,  qu'il  en  donna  souvent  des  preuves  aux 
dépens  de  sa  soumission  aux  lois;  «  c'est  U 
seule  infidélité,  ajoute-t-elle,  qu'il  leur  ait  jamais 

(1)  Dans  le  seul  printemps  de  1708,  il  enleva  571  cata 
ractes. 

(2)  Léoffroi  eut  en  173^  un  procès  à  soutenir  contre  Ii 
neveu  de  Saint-Yves,  et  le  gagna.  Cayot  de  Pitaval  l*a  in- 
séré dans  le  t.  V  des  Causes  célèbres. 


133 

faite.  »  11  avait  soixante  ans  lorsqu'il  publia,  sous 
le  voile  de  l'anonyme ,  sa  première  pièce  devers, 
qui  fut  trouvée  assez  belle  pour  être  attribuée  à 
La  Fare;  quand  on  sut  que  Sainte-Aulaire  en  était 
le  véritable  auteur,  chacun  s'étonna  qu'on  se 
montrât  poète  ù  un  âge  si  avancé.  La  cour  litté- 
raire de  la  duchesse  du  Maine  brigua  l'honneur 
de  le  posséder  :  il  en  fit  partie  pendant  une  qua- 
rantaine d'années  environ,  ne  cessa  d'égayer 
cette  société  d'élite  par  des  saillies  piquantes, 
entre  autres  ce  madrigal  si  connu ,  et  qu'il  im- 
provisa, dit-on,  lorsque  la  duchesse,  qui  l'ap- 
pelait ordinairement  son  Berger,  l'appela  son 
Apollon  en  lui  demandant  un  secret  : 
la  divinité  qui  s'amuse 
A  me  demander  mon  secret, 

Si  j'étais  Apollon  ne  serait  point  ma  muse  : 

Elle  striiit  Thétis  et  le  jour  finirait. 

L'abbé  Testu  ayant  laissé  par  sa  mort  une  place 
vacante  à  l'Académie  (1706),  Sainte-Aulaire  se 
porta  candidat  :  son  élection  fut  presque  una- 
nime; «  elle  eut  le  bonheur,  dit  D'Alêmbert, 
d'être  approuvée  du  public  même,  qui,  soit  hu- 
meur, soit  justice ,  ne  joint  pas  toujours  sa  voix 
à  celle  des  académiciens.  »  Il  est  à  remarquer 
que  Boileau  ne  voulut  jamais  accorder  son  suf- 
frage à  Sainte-Aulaire.  «  Voilà,  s'écria-til  enli- 
sant une  pièce  de  vers  de  ce  poëte,  un  plaisant 
titre  pour  obtenir  un  fauteuil  à  l'Académie!  Je 
n'ai  point  de  voix  à  donner  à  un  homme  qui  à 
soixante  ans  écrit  des  vers  aussi  pitoyables  et 
aussi  impudiques.  »  L'abbé  Abeille  ayant  ajouté 
que  le  marquis  ne  travaillait  pas  comme  un 
poëte  de  profession,  mais  qu'il  se  bornait  à  faire 
de  petits  vers  comme  Anacréon  :  «  Comme  Ana- 
créon  !  répéta  Boileau ,  et  vous  l'avez  lu ,  vous 
qui  en  parlez?  Eh  bien  donc,  Monsieur,  si  vous 
estimez  tant  les  vers  de  votre  marquis,  vous 
me  ferez  un  très-grand  plaisir  de  mépriser  les 
miens.  »  Plus  juste  que  l'auteur  du  zWrin,  mais 
donnant  un  trop  libre  essor  à  la  louange,  Vol- 
taire a  dit  dans  Le  Temple  du  Goût  : 

L'aisé,  le  tendre  Sainte-Aulaire 
Plus  vieux  encor  qu'Anacréon, 
Avait  une  voix  plus  légère. 
On  voyait  les  fleurs  de  Cythére 
Et  celles  du  sacré  vallon 
Orner  son  front  octogénaire. 

Les  poésies  de  Sainte-Aulaire  se  trouvent  dans 
divers  recueils.  Son  discours  de  réception ,  pro- 
noncé le  23  septembre  1706,  et  loué  par  D'A- 
lêmbert, fut  ce  qu'il  devait  être  dans  la  circons- 
tance, simple  et  modeste.  Celui  qu'il  pro- 
nonça, le  6  mars  1738,  en  réponse  au  duede  La 
Trémouille  fut  plein  de  sentiments.  On  rapporte 
qu'il  répondit  au  prêtre  qui  l'exhortait  longue- 
ment à  se  préparer  à  la  mort  :  «  Monsieur,  je 
vous  suis  très-obligé  :  ne  vous  suis-je  plus  bon  à 
rien  ?  »  Martial  Audoin. 

Voltaire,  Siècle  de  Louis  X1F.  -  Titon  du  Tillet, 
Suppl.  au  Parnasse  français  .  —  Mme  de  Lambert,  t.  I, 
p.  ICC.  -  Moréri,  Grand  dict.  hist.  —  Sabatier,  Les 
Trois  siècles.  -  Feuille  hebd.  de  Limoges,  16  oct.  1776. 
-.  D'Alcmbert,  Hist.  des  membres  de  l'Âcad.  française. 

sainte-aulaire    (Marc- Antoine- Front 


SAINTE-AULAIRE  134 

de  Beaupoil  de),  marquis  de  Lanmary,  lieute- 
nant général,  né  le  25  octobre  1689,  mort  le 
24  avril  1749,  à  Stockholm.  A  la  mort  de  so:i 
père,  Louis,  tué  en  1702,  au  combat  de  Casal- 
maggiore,  il  hérita  de  la  charge  de  grand  échan- 
son  de  France,  qu'il  occupa  jusqu'au  mois  de 
mai  1731.  Mousquetaire  à  dix-sept  ans,  il  servit 
en  Flandre  et  sur  les  frontières  du  Rhin,  assista 
à  la  journée  de  Malplaquet  ainsi  qu'aux  sièges 
du  Quesnoy,  de  Fribourg  et  de  Philipsbourg,  et 
obtint  en  1730  une  compagnie  dans  les  gen- 
darmes de  Bourgogne.  11  fut  nommé  en  1738  ma- 
réchal de  camp  et  lieutenant  général  le  1er  jan- 
vier 1748.  Au  mois  d'août  1741  il  se  rendit  ù  la 
cour  de  Suède  en  qualité  d'ambassadeur,  et  ce 
fut  là  qu'il  mourut. 

Gazette  de  France,  31  mai  1749. 

saixte-aclaire  (  Martial-Louis  de  Beau- 
poil  de),  prélat,  né  en  1720,  mort  en  mars  1798,  à 
Fribourg  (Suisse).  Il  fut  appelé  en  1759  à  l'évêché 
de  Poitiers.  Le  clergé  de  la  sénéchaussée  du  Poi- 
tou le  choisit  pour  député  aux  états  généraux 
de  1789-,  il  se  montra  l'adversaire  des  innova- 
tions, et  adhéra  à  tous  les  votes  de  la  minorité. 
Le  4  janvier  1791  il  monta  pour  la  première  et 
la  seule  fois  à  la  tribune,  et  ce  fut  pour  protester 
contre  le  serment  qu'on  exigeait  des  ecclésias- 
tiques à  la  constitution  civile,  «  ne  voulant  pas, 
disait-il ,  se  déshonorer  en  reniant  Dieu  ».  Dans 
la  même  année  il  passa  en  Angleterre,  et  de  là  en 
Suisse. 

Sainte-Aulaire  (  Cosme-Joseph  de  Beaupoil, 
comte  de),  lieutenant  général,  né  le  10  septembre 
1743,  mort  en  1822.  Admis  en  1767  dans  les 
gardes  du  corps,  il  y  devint  enseigne,  puis 
lieutenant  (1776);  en  1788  il  fut  nommé  maré- 
chal de  camp.  Ayant  suivi  les  princes  dans  l'é- 
migration, il  servit  contre  la  France,  et  n'y  re- 
vint qu'en  1814  ;  il  reçut  de  Louis  XVIII  le  grade 
de  lieutenant  général  (  21  sept. )  et  la  grand'- 
croiv  de  Saint-Louis. 

Sainte-Aulaire  (Jean- Yrieix  de  Beaupoil, 
marquis  de),  d'une  autre  branche  que  les  pré- 
cédents, né  en  1745,  était  capitaine  d'infanterie 
à  l'époque  de  la  révolution  ;  il  émigra ,  et  fut 
chargé  d'abord  de  différentes  négociations  poli- 
tiques par  les  frères  de  Louis  XVI,  puis  il  servit 
dans  leur  armée.  En  1795  il  fut  employé  avec  le 
grade,  de  colonel  dans  l'expédition  de  Quiberon. 
En  1806  il  entra  au  service  de  la  Russie,  et  se 
distingua  dans  les  guerres  contre  la  France; 
en  1817  il  revint  dans  sa  patrie  avec  une  pension 
du  tsar  Alexandre  1er,  et  fut  nommé  maréchal 
de  camp  (26  août  1818). 
De  Courcelles,  Dict.  des  généraux  français,  II. 

saixte-aclaire  (Joseph  de  Beaupoil, 
comte  de),  pair  de  France,  né  le  20  mars  1758, 
à  Périgneux,  mort  le  19  février  1829,  à  Paris.  Fils 
du  marquis  de  Sainte-Aulaire  de  Fontenille,  il 
fut  page  de  Louis  XV,  puis  sous-lieutenant  de 
carabiniers.  En  1777  il  épousa  Mlle  de  Noyan, 
petite-nièce  de  La  Chalotais  ;  mais  s'étant  ruiné 

5. 


H5  SAIJNTE- 

au  service  de  la  cour,  il  demanda  une  sépara- 
tion de  biens  ,  et  se  retira  en  1780  dans  le  Péri- 
gord.  En  1791  il  émigra,  et  fit  sept  campagnes 
dans  l'armée  deCondé  sans  autre  ressource  que 
sa  solde.  En  1801  il  rentra  en  France,  et  lut 
admis  dans  la  pairie  le  5  mars  1819;  il  avait 
été  reconnu  dans  son  grade  de  lieutenant-colonel. 
Sa  femme  est  morte  à  Paris ,  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-dix-huit  ans. 

Le  Moniteur,  1829,  p.  Î35  et  518. 

saiîste-AULAIRE  (Louis-Clair  de  Beaupoil, 
comte  i»e),  écrivain  et  diplomate,  filsdu  précédent, 
néle9  avril  l778,àSaint-MéarddeDromme(Péri- 
gord  ),  mort  à  Paris,  le  12  novembre  1854.  Élève 
du  collège  Louis-le-Grand,  puis  externe  au  col- 
lège Mazarin  ,  il  y  fit  de  brillantes  études.  Après 
ta  convocation  des  états  généraux,  il  vit  chez  sa 
mère  quelques-uns  de«  membres  du  côté  droit, 
MM.de  FoucauldetdePérigord,  l'abbé  Maury,etc, 
et  ce  fut  dans  leur  conversation  qu'il  puisa  cet 
amour  égal  pour  l'ordre  et  la  liberlé  qui  fut  plus 
tard  la  règle  de  sa  conduite  politique.  A  la  suite  du 
complot  et  de  la  mort  de  la  Kouarie,  M.  de  Noyan, 
son  grand-père ,  avait  été  jeté  dans  les  prisons 
de  Rennes,  puis,  à  Paris,  dans  celle  de  la  Con- 
ciergerie. L'entremise  de  Goliier,  et  surtout, 
d'après  le  récit  de  M.  de  Sainte-Aulaire  lui- 
même,  auquel  nous  laissons  toute  la  responsabilité 
d'une  telle  assertion ,  le  don  d'une  somme  de 
6,000  fr.  à  Fouquier-Tinville  et  d'une  autre, 
de  1 00,000,  à  un  agent  des  comités  de  la  Conven- 
tion qui  se  chargea  de  supprimer  une  pièce 
compromettante,  sauvèrent  la  vie  à  M.  de 
Noyau.  Ces  derniers  sacrifices  avaient  épuisé 
les  ressources  de  Mmede  Sainte-Aulaire  :  un  jour 
que  son  fils  montait  la  rue  de  Charonne,  il  la  ren- 
contra chargée  d'un  énorme  paquet  de  linge  sale  : 
«Je  ne  pus,  dit-il,  me  défendre  de  fondre  en 
larmes  en  la  voyant  plier  sous  ce  fardeau.  »  Quant 
à  lui,  reçu  ent7t)4  élève  de  l'École  des  ponts  et 
chaussées,  il  put  ainsi  demeurer  à  Paris  mal- 
gré le  décret  qui  enjoignait  à  tous  les  nobles  de 
sortir  de  la  capitale.  A  la  fin  de  Tannée,  i!  était 
admis  à  l'École  polytechnique.  En  1796  ilobtintau 
concours  une  des  six  places  d'élève  ingénieur  géo- 
graphe. Avec  le  Directoire,  la  société  s'était  re- 
formée; les  salons  se  rouvrirent:  ce  fut  là  que, 
pendant  plus  de  dix  années,  Sainte-Aulaire  ac- 
quit cette  finesse  desprit,  cette  grâce  et  cette 
politesse  exquises  qui  ont  fait  de  lui  un  des  der- 
niers représentants  de  ces  qualités  célèbres  de 
l'ancienne  aristocratie  française.  En  1804,  il  s'of- 
frit spontanément  comme,  otage  du  marquis  de 
Rivière,  qu'il  ne  connaissait  que  de  nom  et  qui, 
condamnée  mort  comme  complice  deCadoudal, 
obtint  sa  grâce  sous  cette  garantie.  Nommé, 
le  21  décembre  1809  et  à  son  insu,  chambellan 
de  l'empereur,  il  échangea  avec  plaisir  ces  fonc- 
tions pour  celles  de  préfet  de  la  Meuse  (12 
1813).  Il  avait,  en  1812,  refusé  le  poste  de  mi- 
nistre près  la  cour  de  Wurtemberg.  Il  ne  quitta 
i  ar-le-Duc  qu'à  l'entrée  des  alliés  dans  celte 


AULAÎRE 


136 


ville  (janvier  1814),  et  suivit  l'impératrice  à 
Blois.  Nommé  par  Louis  XVIII  préfet  à  Tou- 
louse (13  oct.),  il  y  fut,  lors  du  retour  de  l'île 
d'Elbe,  un  peu  sous  les  ordres  de  M  de  Vi- 
trolles  devenu  commissaire  général,  puis  le  pro- 
tégea dans  sa  retraite;  mais  le  5  avril  il  donna 
sa  démission,  et  l'annonça  par  une  proclama- 
tion où  il  reconnaissait  que  la  cause  des  Bour- 
bons était  perdue.  Aussi  se  trouva-t-il  en  dis- 
grâce auprès  de  la  seconde  restauration.  Élu 
alors  député  de  la  Meuse  ,  il  fit  partie,  dans  la 
chambre  de  1815,  de  celte  minorité  qui  voulait 
la  liberté  non  moins  que  la  royauté.  Écarté  des 
élections  de  1816  par  la  limite  d'âge,  il  fut. 
élu  de  nouveau,  en  1818,  par  le  collège  élec- 
toral du  Gard,  dont  il  avait  été  nommé  pré- 
sident par  le  roi.  Peu  de  temps  auparavant,  à 
la  sollicitation  de  Louis  XVIII  lui-même,  il  avait 
marié  à  M.  Decazes  sa  fille,  devenue,  par  ia 
mort  de  su  mère,  une  tiès-riche  héritière.  Se- 
crétaire de  la  chambre  dans  les  sessions  de  1818 
et  de  1819, il  prit  bientôt  rang  parmi  les  orateurs  : 
son  discours  sur  la  proposition  d'une  récom- 
pense nationale  offerte  au  duc  de  Richelieu  eut 
un  grand  succès.  -<  Sa  parole,  dit  M.  de  Barante, 
avait  un  caractère  de  facilité,  sa  diction  quelque 
chose  d'élégant  et  de  bonne  grâce  :  c'était  l'es- 
prit et  le  ton  delà  conversation,  nulle  emphase, 
nulle  pédanterie;  jamais  de  déclamation.  Mais  il 
joignait  à  la  politesse  et  aux  égards  pour  ses 
adversaires  une  fermeté  accentuée  dès  que  l'oc- 
casion la  rendait  nécessaire.  »  Il  le  prouva  dans 
cette  vive  réponse  qu'il  fit  à  M.  Clausel  de 
Coussergues  accusant  M.  Decazes  de  compli- 
cité dans  l'assassinat  du  duc  de  Berri  «  Puis- 
que M.  de  Coussergues  ne  veut  pas  qu'on  at- 
tribue à  sa  douleur  les  mots  qui  lui  sont  échap- 
pés hier,  je  lui  dirai  seulement  .  Vous  êtes  un 
calomniateur!  »  En  1823,  il  s'éleva  avec  vigueur 
contre  l'exclusion  de  Manuel;  mais,  ainsi  qu'il 
l'avait  prévu,  il  ne  fut  pas  réélu  dans  le  Gard 
à  la  fin  de  l'année,  et  se  livra  dès  lors  sans 
réserve  à  la  culture  des  lettres.  Les  traductions^ 
pour  la  Collection  des  théâtres  étrangers,  de 
l'Expiation  de  Mùllner,  d'Emilie  Galotti  de 
Lessing,  de  Faust  de  Goethe;  enfin  son  His- 
toire de  la  Fronde,  furent  les  fruils  de  cette 
retraite  studieuse.  Comme  traducteur.  M  de 
Sainte-Aulaire  est  du  système  des  belles  infi- 
dèles, car  «  en  essayant,  dirait-il.  de  conserver 
à  la  traduction  la  couleur  de  l'original  le  tra- 
ducteur arrive  à  un  effet  tout  différent  :  il 
donne  un  air  étranger  à  ce  qui  en  allemand  était 
naturel  et  facile  ».  Comme  historien  il  vit  dans 
la  Fronde  un  premier  essai  de  royauté  tempérée 
et  constitutionnelle  :  ce  point  de  vue  fit,  avec  le 
mérite  littéraire  de  l'écrivain,  le  succès  de  ce  livre, 
qu'il  avait  mis  trois  ans  à  composer  (18'>.7).  L'opi- 
nion libérale,  triomphanle  aux  élections  de  1827, 
le  choisit  pour  député  dans  les  arrondissements 
de  Verdun  et  de  Libourne;  il  opta  pour  le  premier. 
Porté  à  la  vice-presidence  de  l'assemblée,  dans 


137  SAINTE- AUX  AIRE 

la  session  de  1829,  il  entra  cette  année  même  àla 
chambre  des  pairs.  Il  était  à  Amsterdam  lorsqu'il 
apprit  les  ordonnances  de  1830  :  à  son  retour  la 
révolution  était  accomplie.  Partisan  convaincu  du 
régime  parlementaire,  M.  de  Sainte- Au laire  ne 
trouvait  dans  ses  principes  rien  d'hostile  au  gou- 
vernement nouveau.  Il  le  servit  donc,  et  ce  fut 
dans  la  diplomatie  que  le  tact  du  roi  Louis-Phi- 
lippe employa  cet  esprit  aussi  ferme  que  délicat. 
Nommé  ambassadeur  à  Rome  (mars  1831),  il 
protégea  la  papauté  contre  les  révolutionnaires 
italiens  et  contre  l'ambition  de  l'Autriche.  En- 
voyé en  janvier  1833  à  Vienne,  il  réussit  peut- 
être  mieux  a  réconcilier  l'Autriche  avec  la  royauté 
de  1830  qu'à  résoudre  à  notre  avantage  les  af- 
faires de  Syrie,  et  à  parer  l'échec  diplomatique 
que  le  traité  du  15  juillet  1840  infligea  à  la 
France.  Ajoutons  qu'il  contribua  beaucoup  au 
traité  du  13  juillet  1841,  qui  fut  la  revanche 
de  celui  de  1840,  et  où  la  France  reprit  le 
rang  qui  lui  appartenait.  Le  7  janvier  1841,  lors- 
qu'il était  encore  à  Vienne,  il  fut  élu  membre  de 
l'Académie  française,  en  remplacement  de  M.  de 
Pastoret  :  sa  réception  eut  lieu  le  8  juillet  sui- 
vant. L'ambassade  de  Londres  fut  comme  la 
consécration  de  sa  carrière  diplomatique  (9  sept. 
1841)  :  les  cinq  années  pendant  lesquelles  il 
occupa  ce  poste  furent  celles  de  ce  qu'on  ap- 
pelait alors  Yentente  cordiale.  A  la  fin  de  1847 
il  demanda  lui-même  son  rappel  :  il  voulait  re- 
prendre sa  place  à  la  chambre  des  pairs;  la  ré- 
volution de  février  en  disposa  autrement,  et  ce 
fût /à  rédiger  des  Mémoires  qu'il  employa  les 
loisirs  que  lui  firent  les  événements.  «  11  me 
semble  que  mes  Mémoires,  dit-il,  pourraient 
former  une  histoire  de  la  diplomatie  sous  le 
dernier  règne...  Les  événements  de  notre 
époque  .'seront  odieusement  travestis  si  nous  les 
livrons  à  l'appréciation  des  nouveaux  hommes 
d'État.  »  Marié  à  M  de  Soyecourt  (1798) , 
puis  à  MUe  du  Roure  (1809),  il  eut  de  la  pre- 
mière union  une  fille  devenue  'Mme  la  du- 
chesse Decazes,  et  de  la  seconde  plusieurs  en- 
fants. 

On  a  de  M.  de  Sainte-Aulaire  :  Réponse  au 
Mémoire  de  M.  Berryer  pour  le  général  Don- 
nadieu;  Paris,  1820,  in-8°  de  84  p.  :  trois  édit. 
dans  la  même  année  ;  —  un  volume  du  Théâtre 
allemand  dans  les  Chefs-d'œuvre  des  théâtres 
étrangers;  Paris,  1823,  in-8°  ;  —  Histoire  de 
la  Fi  onde;  Paris,  1827,3  vol.  in  8°. 

Eug.  Asse. 

Baranle  (de),  Études  hist.  et  biogr.,  il.  —  Sainl- 
Marc  Girardin,  Notice. 

sajxte-beuve  (Jacques  de),  théologien 

français,  né  le  26  avril  1613,  à  Paris,où  il  est  mort, 
le  15  décembre  1677.  Reçu  docteur  deSorbonne 
en  1638,  il  devint  en  1643  professeur  royal  de 
théologie,  et  son  érudition  lui  acquit  bientôt  une 
réputation  si  étendue  qu'il  passa  pour  le  plus 
habile  casuiste  de  son  temps.  Son  refus  de 
souscrire  à  la  censure  portée  le  31  janvier  1656 


—  SAINTE-BEUVE  138 

par  la  Sorbonnc  conlre  deux  propositions  d'Ar- 
nauld,  dont  la  doctrine  avait  beaucoup  d'affinité 
avec  la  sienne,  lui  attira  quelques  désagréments, 
et  par  ordre  du  roi,  il  fut  obligé,  le  26  février 
suivant,  de  se  démettre  de  sa  chaire.  L'autorisa- 
tion de  prêcher  lui  fut  en  même  temps  enlevée; 
mais  comme  il  montra  plus  de  soumission  poul- 
ies décisions  de  l'Eglise  en  signant  le  nouveau 
formulaire  prescrit  le  15  février  1665  par 
Alexandre  Vil,  il  fut  choisi  pour  théologien  du 
clergé  de  France,  qui  lui  donna  une  pension  de 
1,000  livres  et  le  chargea,  dans  son  assemblée 
de  Mantes,  de  composer  une  Théologie  morale. 
Seinte-Beuve  vécut  toujours  au  milieu  de  Paris 
dans  la  même  retraite  que  s'il  eût  habité  la  soli- 
tude la  plus  à  l'écart,  sans  cesse  occupé  de  l'é- 
tude et  de  la  prière.  Évoques,  chapitres,  curés, 
religieux,  princes  et  magistrats  le  consultaient, 
et  l'on  a  dit  de  son  cabinet  ce  que  Cicéron  disait 
de  la  maison  d'un  jurisconsulte,  «  que  c'était 
l'oracle  non-seulement  de  toute  une  ville ,  mais 
de  tout  un  royaume  ».  Ses  ouvrages,  recueillis 
parles  soins  de  son  frère  Jérôme,  qu'on  appelait 
le  prieur,  mort  en  septembre  17  11,  sont  :  De  Con- 
firmatione  ;  Paris,  1686  ,in-4°  ;  —  De  Ex  tréma 
unctione;  Paris,  1686,  in-4°.  Ce  traité  et  le 
précédent  sont  dirigés  contre  le  ministre  protes- 
tant Daillé;  —  Décisions  de  cas  de  conscience  ; 
Paris,  1686,  3  vol  in-4n  et  in-8"  :  collection  où 
les  questions  de  discipline  sont  traitées  à  fond 
et  où  l'on  trouve  beaucoup  de  sagesse,  de  droi- 
ture et  de  prudence  ainsi  qu'une  grande  con- 
naissance de  l'antiquité.  L'ancienne  bibliothèque 
de  la  Sorbonne  possédait  de  lui  quelques  ma- 
nuscrits. 

Du  Pin,  Biblioth.  fies  auteurs  ecclci.  —  Dict.  kist 
des   aut.  eccl.,   t.  IV.  —  Moréri,  Dtct.  hist. 

*  sainte-beuve  ( Charles- A ugust in  )  (t), 
poète  et  critique  français,  néle  23  décembre  1804, 
à  Boulogne  sur-mer.  Il  vint  au  monde  deux 
moisaprès  la  mort  son  père,  qui  exerçait  les  fonc- 
tions de  contrôleur  principal  des  droits  réunis. 
Sa  mère,  femme  d'une  intelligence  remarquable, 
éveilli  en  lui  dès  la  première  jeunesse  ce  sens 
critique  qu'il  devait  porter  à  un  point  si  parti- 
culier de  finesse  et  de  sagacité.  Elle  était  fille 
d'une  Anglaise.  Est-ce  à  cet  instinct  originel  que 
son  fils  a  dû  un  goût,  précoce  pour  la  poésie 
de  Cowper  et  de  Wordsworth?  A  treize  ans 
et  demi  il  avait  terminé  sa  rhétorique  dans  une 
pension  de  Boulogne;  envoyé  à  Paris,  il  entra, 
en  1818,  dans  l'institution  Landry  et  au  col- 
lège Charlemagne,  comme  élève  de  troisième. 
Il  fit  en  1822  une  seconde  année  de  rhétorique 
au  collège  Bourbon.  Après  avoir  achevé  ses 
études ,  il  embrassa  la  carrière  médicale.  Il 
s'adonna  avec  passion  à  l'anatomie,  et  obtint 
bientôt  à  l'hôpital  Saint-Louis  une  place  d'externe 


(1)  Son  père,  qui  croyait  appartenir  à  la  famille  jansé- 
niste des  Sainte-Beuve  (voy.  ci  dessus),  a  signé  de  Sainte- 
Beuve  jusqu'à  la  révolution;  le  (ils  n'a  pas  repris  la  parti 
culc. 


ISM  SAINTE-BEUVE 

avec  logement.  Malgré  l'ardeur  qu'il  apportait  à 
ses  travaux,  son  amour  des  lettres  s'avivait  à 
la  vue  des  triomphes  de  ses  jeunes  contempo- 
rains, et  lui  livrait  de  violents  et  continuels 
combats.  Appelé  par  son  ancien  professeur  de 
rhétorique,  M.  Dubois,  qui  dirigeait  le  Globe,  il 
écrivit  dans  ce  journal,  et  après  y  avoir  collaboré 
depuis  1824  quitta  définitivement  l'hôpital  Saint- 
Louis  en  1827.  De  bons  articles  d'histoire  et 
de  critique  le  firent  remarquer  de  Jouffroy,  qui 
devint  plus  tard  son  ami.  Au  mois  de  janvier 
1827,  M.  Sainte-Beuve  écrivit  dans  le  Globe 
l'appréciation  des  Odes  et  Ballades  de  Victor 
Hugo.  «■  Chez  M.  Hugo,  disait-il,  l'inspiration 
première  est  constamment  vraie  et  profonde; 
tout  le  mal  vient  de  comparaisons  outrées, 
d'écarts  fréquents,  de  raffinements  d'ana- 
lyse... Ajoutons  quelques  métaphores  mal 
suivies,  de  l'impropriété  dans  les  termes,  trop 
d'ellipses  dans  la  série  des  idées,  des  incidences 
prosaïques  au  milieu  de  la  plus  éclatante  poé- 
sie... »  Peu  de  temps  après,  M.  Sainte-Beuve, 
emporté  lui-même  dans  le  mouvement  roman- 
ticrue,  parut  ne  plus  voir  les  taches  qu'il  avait 
signalées;  mais,  après  avoir  subi  les  enthou- 
siasmes et  les  désillusions  qui  ont  tourmenté 
tour  à  tour  et  apaisé  les  esprits ,  il  revint  plus 
tard  à  la  liberté  de  ses  premières  impressions. 
M.  Sainte-Beuve  fut  invité  aux  lectures  intimes 
de  Cromwell,  et  fit  partie  du  Cénacle,  où  il  se 
Ha  avec  MM.  de  Vigny,  Alfred  de  Musset  et  les 
frères  Deschamps.  Le  premier  ouvrage  qu'il 
publia  fut  le  Tableau  historique  et  critique 
de  la  poésie  française  et  du  théâtre  fran- 
çais au  seizième  siècle  (1828).  11  l'avait  com- 
mencé sur  les  conseils  de  Daunou,  son  com- 
patriote, et  dans  l'intention  de  concourir  au  prix 
d'éloquence  de  l'Académie;  mais,  ne  tardant  pas 
à  en  concevoir  le  plan  et  les  idées  principales  en 
dehors  du  programme  académique,  il  avait  re- 
noncé au  concours  et  rattaché  son  étude  aux 
questions  littéraires  du  moment.  La  Revue 
française  déclara  cet  ouvrage  un  modèle  de 
critique;  en  voici  la  substance  :  avant  d'avoir 
une  langue  la  France  a  eu  une  poésie;  Ronsard 
et  la  Pléiade  avaient  formé  la  tentative  de 
construire,  sur  un  idiome  encore  dans  l'enfance, 
une  langue  savante  et  une  poésie  calquée  sur 
l'antique;  cette  poésie  a  régné  cinquante  ans  en 
France;  elle  a  croulé  au  premier  pas  delà  langue 
nationale,  mais  il  reste  dans  ses  débris  une  verve 
lyrique,  une  souplesse  de  rhythme,  une  fraî- 
cheur de  sentiments  qui  ne  se  rencontrent 
guère  aux  siècles  suivants  ;  elle  se  rattache  à 
André  Chénier  et  à  l'école  nouvelle,  qui  est  ap- 
pelée à  en  faire  son  profit.  On  a  pu  contester 
justement  ce  qu'il  y  a  de  systématique  dans 
cette  dernière  partie  du  livre;  mais  on  a  dû 
convenir  que  M.  Sainte-Beuve  a  retrouvé  le 
premier  un  chapitre  intéressant  de  notre  histoire 
littéraire.  Les  Poésies  de  Joseph  Delorme, 
qu'il  donna  comme  l'œuvre  d'un  jeune  étudiant 


140 


en  médecine  mort  récemment,  d'une  phthisie 
pulmonaire,  soulevèrent  par  la  bizarrerie  de 
quelques  pièces,  par  les  enjambements  témé- 
raires, les  inversions  hasardées,  les  ellipses  au- 
dacieuses, un  concert  d'éloges,  d'un  côté,  et  de 
l'autre,  un  débordement  de  critiques,  dont  l'é- 
cho est  venu  jusqu'à  nous.  On  ne  put  cependant 
méconnaître  le  sentiment  vrai  d'un  genre  de 
poésie  qui  n'était  pas  encore  introduit  en  France, 
la  poésie  simple,  familière  et  pour  ainsi  dire 
domestique,  le  tableau  d'intérieur  à  la  manière 
flamande,  avec  la  vérité  dans  le  détail.  Dans  les 
Consolations ,  qui  parurent  peu  après  (1830), 
on  vit  moins  de  recherche,  plus  de  grâce  et  de 
facilité  ;  le  sensualisme  de  Joseph  Delorme  fit 
place  à  des  effusions  mystiques  mêlées  de  pen- 
sées d'art  et  de  souvenirs  d'enfance. 

Après  la  révolution  de  1830,  M.  Pierre  Leroux 
ayant  pris  la  direction  du  Globe,  M.  Sainte- 
Beuve  travailla  à  transformer,  au  point  de  vue 
littéraire,  le  Globe  doctrinaire  en  Globe  saint- 
simonien  :  il  invita  le  romantisme  à  sortir  de 
l'art  pur,  «  à  rayonner  le  sentiment  de  l'huma- 
nité progressive  ».  En  1831  il  continua  dans  la 
Revue  des  deux  mondes,  les  Portraits  litté- 
raires qu'il  avait  commencés,  en  1829,  dans 
la  Revue  de  Paris  (1).  Vers  la  même  époque, 
Armand  Carrel  lui  demanda  sa  collaboration  au 
National;  il  y  écrivit  des  articles  littéraires  et 
politiques.  En  1832  il  connut  Lamennais,  s'éprit 
d'enthousiasme  pour  lui,  et  fut  invité  à  se  réfu- 
gier dans  l'amour  divin.  C'est  alors  qu'il  entreprit 
de  décrire  le  combat  «  de  la  chair  et  de  l'esprit  », 
et  qu'il  composa  Folupté,  roman  étrange,  où  les 
révoltes  de  l'esprit  se  voient  enchaînées  par  les 
faiblesses  des  sens  (2).  En  1837,  durant  un  voyage 
en  Suisse,  il  fut  convié  à  faire  un  cours  public  à 
l'académie  de  Lausanne;  il  choisit  pour  sujet 
de  ses  leçons  l'histoire  de  Port-Royal,  qu'il  mé- 
ditait déjà  d'écrire,  et  dont  il  a  fait  plus  tard 
une  œuvre  aussi  remarquable  par  la  forme  que 
par  l'abondance  des  documents.  A  la  même 
époque  il  publia  les  Pensées  d'août,  poésies  qui 
eurent  moins  de  succès  que  les  précédentes.  Eu 
1840  il  fut  nommé  bibliothécaire  à  la  biblio- 
thèque Mazarine,  et  le  27  février  1845  il  suc- 
céda dans  l'Académie  française  à  Casimir  De- 
lavigne.  En  octobre  1848  il  quitta  la  France,  et 
pendant  un  an  fit  le  cours  de  littérature  fran- 
çaise à  l'uuiversité  de  Liège.  En  1850,  il  entra 

(1)  Le  premier  article  de  la  Revue  de  Paris  est  de 
M.  Sainte-Beuve;  il  a  pour  objet  lioileau,  et  parut  sous 
le  titre  général,  imaginé  par  M.  Véron  et  fort  remarqué 
alors,  de  Littérature  ancienne.  Le  premier  article  litté- 
raire de  la  Revue  des  deux  mondes  est  aussi  de  M.  Sainte- 
Beuve. 

(2)  On  a  dit  que  l'abbé  Lacordalre  avait  collaboré  à 
Volupté.  Le  fait  n'est  pas  complètement  faux.  M.  Sainte- 
Beuve  lui  ayant  manifesté  l'intention  de  peindre  l'inté- 
rieur d'un  séminaire,  et  de  décrire  [es  premières  impres- 
sions d'une  ûme  qui  passe  du  monde  à  la  vie  religieuse, 
l'abbé  Lacordaire  l'invita  à  visiter  le  séminaire  d'Issy,  et 
écrivit  dans  quelques  pages  ses  propres  impressions.  De 
cette  visite  et   de  ces  pages  M.  Sainte-Beuve  a  tiré  un 

chapitre  frappant  de  vérité. 


141 


SAINTE-BEUVE  —  SAINTE-CLA1RE-DEVILLE 


112 


au  Constitutionnel,  et  y  reprit  ses  Portraits, 
sous  le  titre  de  Causeries  du  lundi.  En  1852, 
M.  Sainte-Beuve  passa  au  Moniteur,  et  fut 
nommé  professeur  de  poésie  latine  au  Collège 
de  France;  son  cours,  interrompu  par  l'hostilité 
d'une  partie  des  auditeurs,  qui  se  manifesta 
bruyamment,  ne  fut  pas  repris.  A  la  lin  de  1857 
il  accepta  la  place  de  maître  de  conférences  à 
l'École  normale.  En  1861, il  a  quitté  Le  Moni- 
teur pour  reprendre  sa  collaboration  au  Consti- 
tutionnel, et  a  cessé  sou  enseignement  à  l'É- 
cole normale. 

Poète  délicat,  pénétrant,  original,  M.  Sainte- 
Beuve  a  trop  de  nuances,  de  mystère  et  d'inti- 
mité pour  déployer  ces  grands  coups  d'aile  qui 
ravissent  les  foules.  Aussi  a-t-il  pu  dire  juste- 
ment avec  une  tristesse  contenue  :  «  Le  poète  en 
moi,ravouerai-je?a  quelquefois  souffert  de  toutes 
les  indulgences  mêmes  qu'on  avait  pour  le  prosa- 
teur. »  Le  prosateur,  le  critique ,  voilà  en  effet 
le  titre  de  gloire  le  plus  généralement  reconnu 
de  M.  Sainte-Beuve.  Sa  prose,  surtout  depuis 
1831,  lui  est  tout  à  fait  personnelle;  piquante, 
imprévue,  subtile,  savamment  combinée  pour 
des  effets  certains,  elle  paraît  souvent  précieuse, 
tourmentée  et  vague  au  premier  coup  d'œil;  les 
nuances  en  sont  si  habiles  qu'elles  échappent  à 
bien  des  yeux,  et  il  faut  l'avoir  fréquentée  long- 
temps pour  l'appréciera  sa  juste  valeur.  Une 
expression  qui  semble  d'abord  obscure  donne 
une  teinte  voulue,  une  autre  qui  semble  trop 
vive  montre  le  point  lumineux  ;  un  tour  qui  pa- 
rait se  heurter  aux  règles  de  la  grammaire  fait 
le  geste  et  l'éloquence  de  la  phrase.  Gracieux 
lorsqu'il  raconte,  spirituel  lorsqu'il  discute,  il 
devient  parfois  véhément  et  lyrique  lorsqu'un 
ennemi  l'irrite  ou  qu'un  enthousiasme  fait  vi- 
brer son  àme.  On  a  reproché  à  sa  critique  une 
tendance  générale  à  conclure  trop  facilement 
du  petit  au  grand,  ou  à  négliger  le  grand  pour 
le  petit.  Sans  méconnaître  ce  qu'il  y  a  de  juste 
dans  ce  reproche,  il  faut  remarquer  que  cette 
critique  minutieuse  offre  des  moyens  d'apprécia- 
tion qu'un  procédé  plus  large  ne  fournirait  peut- 
être  pas.  M.  Ampère  a  comparé  ces  procédés 
d'une  critique  profonde  à  force  de  finesse  à  ces 
ingénieux  instruments  qui  par  leur  ténuité  môme 
plongent  bien  avant  dans  le  sol  et  vont  chercher 
les  sources  jaillissantes.  On  peut  conclure,  avec 
la  plupart  de  ceux  qui  ont  exprimé  leur  juge- 
ment sur  son  talent,  que  M.  Sainte-Beuve  a 
donné  à  la  critique  contemporaine  une  forme  nou- 
velle et  conquis  en  ce  genre  une  réputation  que 
nulle  autre  ne  surpasse. 

Les  œuvres  de  M.  Sainte-Beuve  ont  paru  dans 
l'ordre  suivant  :  Tableau  de  la  poésie  fran- 
çaise au  seizième  siècle,  et  Œuvres  choi- 
sies de  Ronsard,  avec  une  notice,  des  notes 
et  commentaires  ;  Paris,  1828,  2  vol.  in-8°  : 
les  Œuvres  de  Ronsard  forment  le  second  vo- 
lume; le  Tableau  de  la  poésies  passé  par  un 
grand  nombre  d'éditions;—  Fie,  Poésies  et  Pen- 


sées de  Joseph  Delorme;  Paris,  1829,  gr.  in-ic  ; 
1830,  in-.8°,  et  1860,  in-18,  avec  des  Poésies 
inédites  :  M.  Jay  publia  contre  cet  ouvrage 
un  volume  intiiulé  :  Conversion  d'un  roman- 
tique, manuscrit  de  Jacques  Delorme,  frère 
de  Joseph  (Paris,  1830,  in -8°);  —  Les  Con- 
solations, poésies;  Paris,  1830,  in-18,  et  1834, 
in-S°; — Portraits  littéraires; Paris,  1832-1839,. 
8  vol.  in-S°;ct  1841,  1844,  3  vol.  in-18;—  Vo- 
lupté, roman;  Paris,  1834,  2  vol.  in-8°  ;  et 
1840,  1845,  in-18;  —  Pensées  d'août,  poésies; 
Paris,  1837,  in-18  -,  —  Poésies  complètes  ;  Pa- 
ris, 1840,  in-18;  —  Histoire  de  Port-Royal  ; 
Paris,  1840-1862,  4  vol.  in-8°;  —  Portraits 
de  femmes;  Paris,  1844,  in-18;—  Portraits 
contemporains;  Paris,  1846,  2  vol.  in-18; 
—  Causeries  du  lundi;  Paris,  1851-57, 
13  vol.  in-18;  —  Étude  sur  Virgile;  Pa- 
ris', 1857,2  vol.  in-8°;—  Nouveaux  lundis; 
Paris,  1863;  in-18°.  M.  Sainte-Beuve  a  colla- 
boré à  plusieurs  journaux  et  recueils,  qui  sonS 
le  Globe,  la  Revue  de  Paris,  la  Revue  des 
deux  mondes ,  le  National,  le  Moniteur,  le 
Constitutionnel,  le  Dictionnaire  de  la  Con- 
versation, VAlhenœum  français ,  le  Keep- 
sahe,  etc.  11  a  écrit  aussi  un  grand  nombre  de 
Préfaces  et  de  Notices,  en  tête  d'œuvres  litté- 
raires. 

I.oménle  (de) ,  Galerie  des  contemp.  illustres,  t.  IX.  — 
Planche.  Portraits  littéraires,  t  I.  —  II  Babou,  dans  les 
Poètes  français  (édil.  Crépet,  18GI).  —  Vapereau,  Dict» 
des  contemp. 

*  SA1MTE  -  CLA1BE  -  DEVILLE      (  Henri- 

Étienne),  chimiste  français,  né  le  11  mass 
1818,  à  l'île  Saint-Thomas  (Antilles),  de  parents" 
français.  Après  de  bonnes  études  littéraires  en 
France,  il  fit  à  peu  près  seul  son  éducation  scien- 
tifique, et  entraîné  par  un  goût  marqué  vers  la 
chimie,  il  construisit  à  ses  frais  un  laboratoire, 
où  pendant  neuf  années  il  se  livra  à  de  pa- 
tientes recherches.  Reçu  docteur  es  sciences 
physiques  et  en  médecine,  il  fut  chargé  de  l'or- 
ganisation de  la  faculté  des  sciences  créée  en 
1844  à  Besançon,  et  y  obtint  le  16  février  184 S 
la  chaire  de  chimie,  avec  le  titre  de  doyen.  Le 
22  janvier  1851,  il  devint  maître  de  conférences 
à  l'École  normale.  Depuis  le  10  mars  1858  il 
supplée  M.  Dumas  comme  professeur  de  chimie 
à  la  faculté  des  sciences  de  Paris,  et  le  25  no- 
vembre 1861  l'Académie  des  sciences  (  section 
de  minéralogie)  l'a  élu  en  remplacement  de 
Pierre  Berthier.  C'est  sur  les  essences  et  les  ré- 
sines que  M.  Sainte-Claire-Deville  a  dirigé  ses 
premiers  travaux,  dont  les'plus  importants  ap- 
partiennent à  la  chimie  minérale.  En  1849,  il 
découvrit  les  propriétés  de  l'acide  nitrique  com- 
posé et  en  fit  connaître  la  préparation.  En  1853, 
il  publia  une  nouvelle  méthode  d'analyse  miné- 
rale, dite  par  la  voie  moyenne,  et  pour  se  pré- 
server des  erreurs  auxquelles  donne  lieu  l'u- 
sage du  filtre,  il  proposa  d'employer  exclusive- 
ment les  gaz  et  les  réaclifs  volatils.  On  peut 
fixer  à  la  même   époque   ses   premières   re« 


SAIKTE-CLA1RE-DEVILLE  —  SAINTE-CROIX  !44 

Y  aluminium ,  métal    découvert      fense  de  Belle-Isle,  qu'ii  prolongea  pendant  deux 


Î43 

cherches   sur 

en  1827  par  Wœliler,  et  qu'on  obtient,  en  ré- 
duisant dans  un  creuset  chauffé  au  rouge  le 
chlorure  d'aluminium  au  moyen  du  potassium. 
Grâce  à  ses  efforts ,  les  procédés  d'extraction 
de  l'aluminium  ont  été  simplifiés;  les  appareils 
qu'on  y  consacre  ont  reçu  une  forme  manufactu- 
riers, les  malières  premières  nécessaires  à  sa 
production  ont  été  obtenues  en  abondance  et  à 
bas  prix.  L'aluminium  figura  à  l'exposition  uni- 
verselle de  1855  comme  uue  des  plus  précieuses 
conquêtes  de  la  scienceetde  l'industrie.  M.  Sainte- 
Glaire-  Deville  a  décrit  les  propriétés  de  ce  mé- 
tal dans  les  Annales  de  chimie  et  de  physique 
(t.  XL11I  et  XLVI).  Il  a  présenté  depuis  â  l'A- 
cadémie des  sciences  plusieurs  notes  sur  le  sili- 
cium et  le  charbon  cristallisés  en  donnant  une 
méthode  générale  pour  la  production  de  quel- 
ques corps  simples  fixes  au  moyen  de  leurs  com- 
binaisons volatiles,  sur  les  propriétés  chimiques 
«le  l'aluminium  et  sur  la  variation  des  affinités 
avec  la  température ,  etc.  Il  est  officier  de  la 
Légion  d'honneur  depuis  le  13  mars  1855. 

*  Sainte-Claike-Deville  ( Charles),  géologue, 
frère  du  précédent,  né  à  l'île  Saint-Thomas,  en 
J814.  Après  avoir  suivi  en  qualité  d'externe  les 
cours  de  l'École  des  mines  à  Paris ,  il  entreprit 
à  ses  frais  un  voyage  scientifique,  et  de  1839  à 
i-843  visita  les  Antilles ,  et  les  îles  de  Ténériffe 
ni  du  Cap  Vert.  L'exploration  géologique  de  la 
Guadeloupe  l'occupa  plus  d'une  année,  et  il  se 
trouvait  dans  cette  île  lors  du  tremblement  de 
ferre  de  1843.  A  son  retour,  il  publia  son  Voyage 
géologique  aux  Antilles  et  aux  îles  de  Téné- 
ïiffe  et  de  Fogo  (Paris,  impr.  imp.  ).  et  partit  de 
nouveau  pour  explorer  l'Italie  méridionale.  Té- 
moin en  1855  de  la  grande  éruption  du  Vésuve, 
il  en  suivit  toutes  les  phases,  et  adressa  alors  à 
M.  Élie  de  Beaumont  une  série  de  lettres  sur  les 
phénomènes  éruptifs  de  ce  volcan;  elles  ont  été 
imprimées  dans  le  Moniteur  de  1856.  M.Charles 
Sainle-Claire-Deville  est  entré  dans  l'Académie 
âes  sciences  (section  de  minéralogie),  le  28  dé- 
cembre 1857,  à  la  place  de  Dufrénoy  II  supplée 
depuis  plusieurs  années  M.  Élie  de  Beaumont 
tîans  sa  chaire  d'histoire  des  corps  inorganiques 
au  Collège  de  France.  Il  est  officier  de  la  Légion 
d'honneur.  On  a  encore  de  lui  dans  les  Annales 
de  chimie  (1852)  un  travail  sur  les  modifi- 
cations qu'éprouve  le  soufre  sous  l'influence 
de  la  chaleur  et  des  dissolvants. 

Docum.  part. 

saintk-ckoix  (Gaétan -Xavier  Guilhem 
ïie  Pascalis,  connu  sous  le  nom  de  chevalier  de), 
général  français,  né  le  11  décembre  1708,  à  Mor- 
jfïioiron  (comtat  Vcnaissin),  mort  le  18  août 
1762,  au  Cap  français  (Haïti).  Il  descendait  des 
seigneurs  de  Clermont-Lodève,  qui  s'établirent 
au  quatorzième  siècle  dans  le  Comlat.  Chevalier 
de  Malte  en  1729,  il  entra  en  1731  dans  le  régi- 
ment de  Bourbon,  et  y  obtint  en  1748  le  brevet 
de  lieutenant-colonel.  Il  s'est  illustré  par  la  dé- 


mois, et  il  ne  se  rendit  aux  Anglais  que  sous  les 
condilions  les  plus  honorables  (7  juin  1761  ).  Le 
20  juillet  suivant,  il  fut  nommé  maréchal  decamp. 
Désigné  à  la  fin  de  l'année  pour  commander  les 
troupes  françaises  danslesîles  du  Vent,  menacées 
par  les  Anglais,  il  s'embarqua  en  janvier  1762, 
et  mourut  au  Cap  français,  des  suites  d'une  bles- 
sure qu'il  avait  reçue  autrefois  à  l'attaque  des 
lignes  de  Wissembourg. 

Bacjavel,  Dict.  hist.  du.  F'auclute.  —  Voltaire,  Siècle 
de  Louis  XV. 

sainti:-croix  (  Guillaume  -  Emmanuel- 
Joseph  Guiluem  de  Clermoist-Lodeve,  baron 
de),  antiquaire  français,  neveu  du  précédent, 
né  le  5  janvier  1746,  à  Mormoiron  (comtat  Ve- 
naissin),  mort  le  11  mars  1809,  à'  Paris.  D'une 
famille  noble  et  ancienne,  ii  fut  destiné  à  la  car- 
rière des  armes.  En  sortant  du  coliége  des  jé- 
suites à  Grenoble,  il  obtint  un  brevet  de  capi- 
taine de  cavalerie,  et  suivit,  en  qualité  d'aide  de 
camp  (janvier  1761  ),  le  chevalier  de  Sainte- 
Croix,  son  oncle,  qui  allait  prendre  le  comman- 
dement des  îles  du  Vent.  La  mort  de  ce  parent, 
arrivée  en  1762,  dérangea  ses  projets  :  il  repassa 
la  mer,  et  fut  attaché,  avec  son  grade,  au  corps 
des  grenadiers  de  France;  mais  en  1770  il  quitta 
le  service  pour  se  livrer  entièrement  à  son  goût 
pour  l'étude ,  trop  contrarié  par  un  genre  de  vie 
qui  le  tenait  parfois  éloigné  de  toutes  les  sources 
i  de  l'instruction.  En  même  temps  il  se  maria  et 
alla  s'établir  à  Avignon.  Dès  ses  premières  pro- 
ductions, qui  supposaient  beaucoup  d'érudition 
et  de  lecture,  il  prit  une  place  honorable  dans  le 
monde  savant  :  en  1772  il  remporta  le  prix  de 
l'Académie  des  inscriptions  pour  Y  Examen  cri- 
tique des  historiens  d'Alexandre,  et  «  ce  pre- 
mier trophée  littéraire,  ainsi  que  l'a  tait  remar- 
quer Dacier,  est  devenu  par  la  suite  le  dernier 
et  comme  le  couronnement  de  ses  nombreux 
travaux  ».  Deux  autres  sujets,  la  recherche  des 
noms  et  des  attributs  de  Minerve,  de  Cérès  et 
de  Proserpine,  lui  firent  décerner  les  prix  de 
1775  et  de  1777  ;  à  celte  dernière  date  l'Acadé- 
mie, qui  ne  pouvait  se  l'atlacher autrement  parce 
qu'il  ne  résidait  point  sur  une  terre  française, 
l'admit  au  nombre  des  académiciens  libres.  Il 
avait  entamé  des  relations  avec  les  principaux 
savants  de  son  temps,  surtout  avec  Foncemagne 
et  avec  l'abbé  Barthélémy,  qu'il  seconda  plus 
d'une  fois  dans  ses  travaux,  puis  avec  Courier. 
Il  prenait  à  la  religion  l'intérêt  le  plus  vif;  il 
aurait  voulu  travailler  directement  pour  elle; 
pénétré  de  douleur  des  progrès  de  l'incrédulité, 
il  ne  laissait  passer  dans  ses  écrits  aucune  occa- 
sion de  la  combattre  ;  il  déplorait  l'esprit  du 
siècle,  et  faisait  observer  avec  peine  que  la  foi 
et  l'érudition  déclinaient  également.  Malgré  des 
sentiments  sincèrement  religieux,  Sainte-Croix 
encourut  la  disgrâce  du  gouvernement  pontifical 
pour  avoir  défendu  avec  chaleur,  dans  le  sein 
des  états  du  Venaissin,  les  franchises  des  corn- 


f45  SAINTE-CROIX 

mimes,  méconnues  par  l'administration  ecclé- 
siastique (1784);  averti  qu'il  allait  être  arrêté  et 
conduit  an  château  Saint-Ange,  il  se  retira  en 
France;  mais  les  biens  qu'il  possédait  dans  le 
comtat  fuient  mis  sous  le  séquestre,  et  ne  lui 
furent  rendus  qu'après  des  négociations  aussi 
longues  que  difliciles.  Peu  de  temps  après  la 
révolution  commença.  Partisan  des  réformes 
utiles.  Sainte-Croix  s'associa  au  mouvement  po- 
litique de  1789,  et  fut  appelé  par  le  vœu  public 
à  reprendre  sa  place  dans  l'assemblée  des  états. 
Des  scènes  effroyables  éclatèrent  en  1791  dans 
le  Comtat  :  il  en  fut  une  des  premières  victimes. 
Ses  domaines  furent  dévastés,  ses  fermes  incen- 
diées ,  ses  deux  fils  jetés  en  prison  ,  sa  biblio- 
thèque fut  mise  au  pillage;  arrêté  lui  même  par 
une  bande  de  brigands,  il  racheta  sa  vie  par  une 
grosse  somme  d'argent,  et  s'enfuit  à  Paris.  C'est 
dans  un  village  voisin  de  la  capitale,  à  Thiais, 
qu'il  passa  le  temps  de  la  terreur  Cependant  à 
celte  époque  même  son  mérite  n'était  point  ou- 
blié, comme  le  prouve  la  réquisition  qu'il  reçut 
le  11  frimaire  an  u  au  nom  du  comité  de  salut 
public  «  de  rentrer  dans  la  commune  de  Paris 
pour  être  employé  à  continuer  ses  travaux  lit- 
téraires »*  Lors  de  la  réorganisation  de  l'Insti- 
tut, en  1803,  il  y  prit  siège  dans  la  troisième 
classe,  qui  remplaçait  l'Académie  des  inscriptions. 
Il  mourut  d'une  maladie  de  la  vessie,  compli- 
quée d'une  maladie  aiguë.  Son  portrait,  peint  par 
Laurel,  a  été  placé  en  1838  dans  le  musée  Cal- 
vet  à  Avignon.  «  Le  grand  nombre  et  la  variété 
des  sujets  traités  par  M.  de  Sainte-Croix,  dit 
S.  de  Saci,  suffisent  pour  faire  juger  de  l'étendue 
de  ses  connaissances.  La  rectitude  de  son  juge- 
ment se  manifeste  par  le  choix  des  sujets  aux- 
quels il  consacre  ses  recherches,  l'heureux  em- 
ploi qu'il  fait  de  l'érudition,  les  rapports  qu'il 
établit  entre  l'histoire  ancienne  et  l'histoire  mo- 
derne, la  critique  avec  laquelle  il  pèse  les  témoi- 
gnages, et  les  leçons  qu'il  sait  tirer  du  passé.  » 
La  liste  de  ses  ouvrages  est  considérable; 
nous  citerons  les  suivants  :  Examen  critique 
des  anciens  historiens  d'Alexandre  le  Grand; 
Paris,  1775,  in-4°  :  revu,  corrigé  et  augmenté,  il 
est  devenu  dans  I'édit.  de  1804,  in-4°,  fig.,  un 
ouvrage  presque  nouveau;  tandis  que  Dacier, 
de  Saci,  Wyttenbach,  Boissonade  ont  été  una- 
nimes à  en  louer  le  mérite,  Chéniei  n'y  voit 
qu'une  dissertation  trop  longue,  écrite  avec  pro- 
lixité, et  sans  critique  judicieuse;  —  L'Ezour- 
Vedam,  ou  Ancien  commentaire  du  Vedam, 
trad.  du  samscretan  par  un  brame  ;  Yverdon 
(Avignon),  1778,2  vol.  in-12  :  l'auteur  démontra 
dans  l'introduction  combien  était  douteuse  l'an- 
tiquité si  vantée  des  dogmes  religieux  et  des 
livres  sacrés  des  Indiens;  —  De  VÈtat  et  du 
sort  des  colonies  des  anciens  peuples;  Phila- 
delphie (Paris),  1779,  in -8°  ;  —  Observations 
sur  le  traité  de  paix  conclu  à  Paris  en  1763  ; 
Amst  (Yverdon),  1780,  in-12;  —  Histoire  des 
progrès  de  la  puissance  navale  de  l'Angle- 


■  SAIJNTE-MARIK  146 

terre;  Yverdon,  1783,  2  vol.  in-12;  Paris, 
1786,  2  vol.  in-12,  avec  addit.  ;  —  Éloge  de 
l'abbé  Poulie;  Avignon,  1783,  in-8°;  —  Mé- 
moire pour  serinr  à  l'histoire  de  la  religion 
secrète,  des  anciens  peuples;  Paris,  1784,  in-8"  : 
couronné  par  l'Académie  en  1777,  il  fut  édité 
par  Dansse  de  Villoison,  qui  y  ajouta  des  notes 
ridicules  et  une  dissertation  latine  De  triplici 
theotogia  veterumque  mysleriis,  dans  laquelle 
il  exposait  une  manière  d'envisager  ce  sujet 
fort  éloignée  de  celle  de  l'auteur.  Ce  dernier 
supprima  ces  développements  dans  la  trad.  alle- 
mande qui  parut  en  1790,  remania  et  augmenta 
son  ouvrage,  qui  fut  publié  sous  le  titre  de 
Recherches  historiques  sur  les  mystères  du 
paganisme  ;  Paris,  1817,  2  vol.  in-8°,  avec 
M.  de  Saci  pour  éditeur  ;  —  .Mémoires  histo- 
riques et  géographiques  sur  les  pays  situés 
entre  la  mer  Noire  et  la  mer  Caspienne;  Pa- 
ris, 1797,  in-4°,  avec  de  Baert  et  Barbie  du  Bo- 
cage; —  Des  anciens  gouvernements  fétiéra- 
îifs  ei  de  la  législation  de  Crète;  Paris, 
an  vu  (1798),  in-8°.  On  a  encore  de  lui  des 
Mémoires  insérés  dan?  le  recueil  de  l'Acad.  des 
inscr.,  et  des  articles  dans  le  Journal  des  sa- 
vants avant  1792;  dans  les  Annales  religieuses, 
philosophiques  et  littéraires,  trois  recueils 
publiés  de  1796  à  1806  par  M.  de  Boulogne  ;  dans 
les  Archives  de  l'Europe,  le  Magasin  encyclo- 
pédique, etc.  Comme  éditeur  on  lui  doit  Œuvres 
diverses  de  l'abbé  Barthélémy  (Paris,  1798, 
2  vol.  in-8°),  précédées  de  son  éloge;  De  l'Évi- 
dence de  la  religion  chrétienne,  de  Jennings 
(4e  éd.,  1803,  in-12);  Lettres  de  quelques 
juifs  de  Guénée  (  1805,  3  vol.  in-12),  et  Mé- 
moires pour  servir  à  la  vie  de  M.  de  Pen- 
thièvre  (1808,  in-12).  Sainte-Croix  fut,  vers  la 
lin  de  sa  vie,  membre  de  la  commission  chargée 
de  continuer  VHist.  littér.  de  la  France,  mais 
il  n'eut  pas  le  temps  de  s'associer  à  ses  travaux. 

P.  L. 
S.  de  Saci,  Notice  sur  Sainte-Croix,  flans  le  Cataloç/ue 
des  livres  de  sa  bibliothèque  ;  |uin  1809,  in-S".  —  Bnissj 
cl'Anglas,  Disc,  prononce  aux  funérailles  de  Sainte- 
Croix  ;  Paris,  1809,  in-8°.  —  Darier,  Notice  dans  le  Mo- 
niteur, 1811,  n°  188  —  Boissonade,  dans  le  Journal  de 
l'Empire,  6  avril  1809.  -  Le  Mercure  de  France,  25  mai 
1809.  —  Desessarts,  Siècles  littér.  —  Debray,  Tablettes. 
—  Bnrjavel,  Dut.  hist.  du  Vaucluse. 

sainte-choix.  Voy. Santa-Croce  et  Santa- 
Croz. 

sainte-marik  (Etienne),  médecin  fran- 
çais, né  le  4  août  1777,  à  Sainte-Foi  près  Lyon, 
mort  le  3  mars  1829,  à  Lyon.  Après  avoir  pris 
le  grade  de  docteur  à  Montpellier  (1803),  il 
exerça  la  médecine  dans  son  lieu  natal,  où  son 
père  était  chirurgien;  puis  il  s'établit  à  Lyon,  y 
acquit  une  clientèle  nombteuse,  et  se  fit  estimer 
pour  son  savoir  et  l'aménité  de  son  caractère.  li 
était  laborieux  et  instruit,  consacrait  ses  loisirs 
à  l'étude  des  lettres,  et  écrivait  avec  une  grande 
pureté  de  style.  Nous  citerons  parmi  ses  ou- 
vrages :  De  morbis  ex  imitaiione;  Montpel- 
lier, Ls03,  in-4°;   —  Heniarques  grammali- 


147  SAINTE-MARIE  — 

cales;  Lyon,  1810,  brocii.  in-8°;  —  Éloge  his-  j 
torique  deJ.-E.  Gdibert;  Lyon,  1814,  in-4°; 
—  Méthode  pour  guérir  les  maladies  véné- 
riennes invétérées  qui  ont  résisté  aux  trai- 
tements ordinaires;  Lyon,  1818,  1821,  in-8°  : 
elle  consiste  à  boire  à  jeun,  le  matin,  par  grandes 
verrées  très-rapprochées,  une  quantité  considé- 
rable d'une  forte  décoction  de  salsepareille;  — 
Nouveau  Formulaire  médical  et  pharmaceu- 
tique; Lyon,  1820,  in-8°;  —  Dissertation  sui- 
tes médecins  poêles;  Paris,  1825,  in-8°;  il  y  a 
beaucoup  d'omissions  parmi  les  noms  cités;  — 
De  l'huître  et  de  son  usage  comme  aliment 
et  comme  remède;  Lyon,  1827,  in-8°;  —  Lec- 
tures relatives  à  la  police  médicale;  Paris, 
1829,  in-8\  Ce  médecin  a  trad.  deux  dissertât, 
latines,  l'une  de  Wichmann,  l'autre  de  Quarin, 
et  un  Traité  des  effets  de  la  musique  de  Ro- 
ger (  1803,  in-8°),  avec  des  notes. 

Hevite  du  Lyonnais,  t.  II.  -  Mahul,  Annuaire  nécrol., 
i82i.  —  Biogr.  mèd. 

SAINTE-MARIE.    Voy.  HONORÉ. 

sainte-Marthe  (  Charles  de  ),  poète  fran- 
çais, né  à  Fontevrauld  (Poitou),  mort  à  Alençon, 
en  1555,  à  quarante-trois  ans.  Il  était  le  second  des 
douze  enfanls  de  Gaucher  Ier,  médecin  ordinaire 
de  François  1er,  et  qui  mourut  en  1551  ;  deux 
siècles  auparavant  sa  famille  possédait  les  titres 
de  messire  et  de  chevalier.  Reçu  docteur  en 
droit  à  Poitiers,  il  s'appliqua,  selon  les  idées  du 
temps,  à  la  théologie, et  se  mit  à  en  faire  des 
leçons  publiques;  mais,  accusé  de  pencher  vers 
la  réforme  de  Luther,  il  fut  forcé  de  s'enfuir  à 
Grenoble,  où  il  retrouva  les  mêmes  persécuteurs. 
Détenu  en  prison  pendant  trente  mois,  il  n'é- 
chappa à  la  mort  qu'en  simulant  la  folie  (1). 
Bien  accueilli  à  Lyon ,  il  y  enseigna  au  collège 
l'hébreu,  le  grec,  le  latin  et  le  français.  Sa  répu- 
tation de  poète  et  d'érudit  le  fit  appeler  à  la 
petite  cour  d'Alençon;  comblé  de  faveurs  par  la 
duchesse  Marguerite  de  Valois,  il  devint  tout 
ensemble  son  lieutenant  criminel,  un  de  ses 
maîtres  des  requêtes  et  procureur  général  du 
duché  de  Beaumont.  11  mourut  de  la  rupture 
d'un  anévrisme,  sans  laisser  de  postérité.  Ou  a 
de  lui  :  Poésie  françoise,  divisée  en  III  li- 
vres ;  Lyon,  1540,  in  12  :  quelques  pièces  sont 
adressées  à  François  1er,  à  Marguerite  de  Valois, 
à  la  duchesse  d'Estampes,  et  le  plus  grand 
nombre  à  ses  amis,  parmi  lesquels  il  comptait 
tous  les  poêles  contemporains  ;  il  admirait  Dolet, 
et  il  appelait  Marot  son  père  d'alliance;  — 
In  psalmos  VII  et  XXXIII  paraphions; 
Lyon,  1543,  in-12  :  ces  deux  paraphrases  lui  ont 
été  inspirées  par  les  mauvais  traitements  qu'il 
endura  dans  les  cachots  de  Grenoble;  —  In 
ps.  XC  meditalio;  s.  I.  n.  d.,  iu-12;  — In  obi- 
tum  Margaritœ,  Navarrorum  reginse,  oratio 


(lï  «  Simulavi  insaniarn,  et  sum  ea  consecutus  ut  qui 
in  arcta  prlus  turre  solus  langucbam,  cum  pedunculis , 
ciraicibus,  soricibus  et  scorpionibus  colluctans,  liberta- 
tem  obtinuerlm.  » 


SAINTE-MARTHE  148 

funebris;  Paris,  1550,  in-4°;trad.  en  français 
par  l'auteur,  ibid.,  1550,  in-4°;  —  Oraison  Ju- 
nèbre  sur  le  trépas  de  Françoise  d'Alençon, 
duchesse  de  Beaumont;  Paris,  1550,  in-4°. 

Son  frère  aîné,  Louis,  mort  en  1566,  eut  pour 
fils  le  fameux  Scévole  (  voy.  ci-après  ).  Un  autre 
frère,  Jacques,  mort  en  1570,  fut  médecin  des 
rois  Henri  II,  François  II  et  Henri  II!,  et  forma 
la  branche  de  Champdoiseau;  il  a  laissé  une 
version  latine  des  Oracles  de  Zoroastre,  impr. 
dans  le  recueil  de  J.  Obsopœus  (Paris,  1599a 
in- 8°  ). 

Dreux  du  Radier,  Bibl.  du  Poitou.  —  Haag  frères, 
La  France  protest. 

sainte-marthe  (Gaucher  II,  dit  Scé- 
vole 1er,  DE);  poète,  neveu  du  précédent,  né  à 
Loudun,  le  2  février  1536,  mort  dans  la  même 
Yille,  le  29  mais  1623.  Son  père  Louis  était  pro- 
cureur du  roi  au  siège  de  Loudun.  Élève  de  Mu- 
ret, de  Turnèbe  et  de  Ramus  en  l'université  de 
Paris,  il  ne  tarda  pas  à  trouver  que  son  nom 
de  Gaucher  était  bien  rustique  pour  un  érudit 
de  bonne  maison  qui  savait  à  la  fois  le  latin,  le 
grec  et  l'hébreu.  Choisissant  donc  un  nom  plus 
sonore,  il  se  fit  appeler  Scsevola.  Celte  substitu- 
tion a  été  acceptée.  En  quittant  Paris  à  dix-sept 
ans,  Scévole  se  rendit  à  Poitiers,  puisa  Rourges, 
où  il  étudia  la  jurisprudence  et  fit  des  vers; 
Nous  le  voyons  en  1 57 1  contrôleur  général  des 
finances  en  Poitou,  en  1 579  maire  et  capitaine  de 
Poitiers,  puis  trésorier  de  France  dans  la  même 
généralité.  Pendant  qu'il  occupait  ce  dernier  em- 
ploi, il  fut  supprimée  par  un  édit.  Ses  collègues  le 
chargèrent  alors  d'obtenir  la  révocation  des  let- 
tres royales  qui  leur  portaient  un  si  grand  dom- 
mage ;  il  l'obtint.  Le  roi  dit,  après  l'avoir  en- 
tendu, «  qu'il  n'y  avait  point  d'édits  qui  pussent 
tenir  contre  une  telle  éloquence  ».  En  1588  Scé- 
vole de  Sainte- Marthe  siégeait  aux  états  de 
Blois,  où  il  faisait  remarquer  son  zèle  pour  îa 
cause  royale.  Envoyé  vers  la  fin  de  cette  année 
à  Poitiers,  il  s'employa  de  tous  ses  efforts  à 
maintenir  cette  ville  dans  le  parti  du  roi;  mais 
elle  passa  bientôt  au  parti  de  la  ligue  ;  ce  qui  le 
força  de  se  retirer  quelque  temps  à  Tours, 

Dum  turbulenta  factio 
Pictones  furiat  meus  (1). 

Il  détestait  les  ligueurs,  sans  avoir  plus  de  pen- 
chant pour  les  réformés.  Il  était  de  la  faction  des 
politiques.  Il  reparut  dans  le  Poitou  en  1589, 
avec  la  mission  de  revendiquer  au  nom  des  ca- 
tholiques leurs  biens  usurpés  par  les  religion- 
naires  (2).  En  1593  il  remplit  la  charge  d'inten- 
dant des  finances  dans  l'armée  de  Bretagne,  que 
commande  le  duc  de  Montpensier.  On  le  félicite 
d'avoir  contribué  plus  que  personne  à  la  soumis- 
sion de  Poitiers  en  1594.  En  1597,  il  est  compté 
parmi  les  notables  réunis  à  Rouen  par  Henri  IV. 


|1)   I.yricorum  Mb.  I. 

(2)  Niceron  et  l'abbé  Goujet,  fini  le  copie,  lui  donnent 
pour  compagnon  dans  ce  voyage  le  chancelier  de  lllos- 
pital,  qui  était  mort  le  13  mars  1573. 


149  SAINTE 

Il  est  ensuite  maire  de  Poitiers;  puis  il  quitte 
Poitiers  pour  retourner  à  Loudun,  sa  ville  natale, 
où  il  meurt,  le  29  mars  1623.  Théophraste  Re- 
naudot  prononça  son  éloge  à  Loudun  et  Urbain 
Grandier  son  oraison  funèbre.  De  Renée  de  la 
Haye,  fille  du  sieur  de  Malaguet,  Scévole  de 
Sainte-Marthe  avait  eu  huit  enfants,  entre  autres 
Abel,  Scévole  et  Louis,  qui  suivent,  et  Pierre, 
sieur  de  la  Jalletière,  trésorier  de  France. 

Ses  ouvrages  imprimés  sont  :  Œuvres;  Paris, 
1569,  in-8°,  et  1579,  in-4°  :  traductions  diverses 
en  vers  français,  sonnets,  épigrammes,  méta- 
morphoses; quelques-unes  de  ces  pièces  ont  été 
insérées  par  du  Verdier  dans  sa  Bibliothèque 
françoise,  et  l'on  ne  s'étonne  pas  trop  qu'elles 
aient  obtenu  du  vivant  de  l'auteur  un  véritable 
succès  ;  —  Hymne  sur  V avant-mariage  du 
roi  Charles  IX;  Paris,  1570;  —  La  Louange 
de  la  ville  de  Poitiers;  Poitiers,  1573,  in-8°  ; 
—  Poemata;  Paris,  1575,  in-S°:  recueil  de  poé- 
sies latines,  plusieurs  fois  imprimées  dans  la  suite 
avec  d'importantes  additions,  et  dans  lequel  on 
signale  à  bon  droit  des  morceaux  vraiment  esti- 
mables. Si  les  vers  français  de  Scévole  sont  fa- 
ciles, enjoués,  ses  vers  latins  sont  plus  châtiés, 
plus  corrects  ;  on  peut  les  lire  encore  avec  intérêt. 
L'auteur  imite  tantôtLucain,  tantôt  Horace,  mais 
sans  pédantisme,  et  en  homme  qui  a  pris  l'ha- 
bitude de  leur  beau  style.  En  recevant  les  poèmes 
de  Scévole,  Ronsard  écrivit  à  Raif  :  «  Grands 
dieux  (Du  boni)1,  quel  livre  viens-tu  de  m'en- 
voyer  composé  par  notre  Sainte-Marthe?  Non, 
ce  n'est  pas  un  livre,  ce  sont  les  Muses  elles- 
mêmes.  J'invoque  à  cet  égard  le  témoignage  de 
tout  notre  Hélicon.  Si  l'on  m'accorde  le  droit  de 
prononcer  le  jugement,  je  déclare  préférer  l'au- 
teur de  ces  vers  à  tous  les  poètes  de  notre  siècle, 
quelque  désagrément  que  je  puisse  causer  à 
Bembo,  à  Navagero,  au  divin  Fracastor....  » 
Etienne  Pasquier  eut,  en  lisant  les  mêmes 
Poèmes,  un  véritable  accès  d'enthousiasme;  il 
le  fait  assez  voir  dans  ce  distique,  extrait  du 
livre  IV  de  ses  Épigrammes  : 

Seu  latios  scrib.it,  seu  gallos  Scœvola  versus, 
Nil  lalia  aut  inajus  gallica  terra  tullt. 

Les  éditions  postérieures  des  Poemata  de  Sainte- 
Marthe  contiennent  la  pièce  suivante,  d'abord 
séparément  publiée  :  Psedotrophise,  sive  de 
puerorum  educatione  lib.  III;  Paris,  1580, 
in-12  :  œuvre  véritablement  remarquable,  dix 
fois  imprimée  du  vivant  de  l'auteur  et  dix  fois 
après  fa  mort,  que  l'abbé  d'Olivet  insérait  en- 
core en  1749,  certain  de  plaire  à  tous  les  amis 
des  lettres  latines,  parmi  ses  Poemata  didas- 
calica,  et  que  le  petit-fils  de  Scévole,  Abel,  a 
traduite  en  français;  —  Gallorum  doctrina 
illustrium  qui  noslra  patrumque  memoria 
-floruerunt  elogia;  Poitiers,  1598,  in-8°  :  quoi- 
que cet  opuscule  ait  été  souvent  imprimé,  il  est 
moins  intéressant  qu'il  aurait  pu  l'être,  puisqu'il 
contient  moins  de  détails  biographiques  ou  litté- 
raires que  d'emphatiques  témoignages  d'estime; 


MARTHE 


150 


Guillaume  Collefet  l'a  paraphrasé  en  français; 
Paris,  1644,  in-4°;  —  Opéra  latina  et  gallica; 
Paris,  1633,  in-4°  :  la  dernière  et  la  plus  com- 
plète édition  de  ses  œuvres,  où  l'on  trouve  aussi 
quelques  pièces  de  son  fils  Abel.  Rappelons  enfin 
que  diverses  poésies  ou  latines  ou  françaises  île 
Scévole  ont  été  publiées  dans  le  Journal  de 
Henri  III,  à  l'année  1587,  et  parmi  les  Poé- 
sies de  Jean  de  La  Péruse.  B.  H. 

Niceron,  Mémoires,  VIII.  —  Goujct,  Bibliot/i.  fran- 
çoise, XIV.  —  Mbtioth.  de  La  Croix  du  Maine  et  de 
du  Verdier,  édit.  de  Rlgoley  de  Juvigny.  —  Dreux  du 
Radier,  Dibl.  du  Poitou.  —  Sainte-Beuve,  Tableau  de  la 
poésie  au  seizième  —  siècle.  —  Fougère.  Notices. 

sainte-marthe  (Abel  1RT  de),  seigneur 
d'Estrepied,  fils  aîné  du  précédent,  né  à  Loudun, 
en  mai  1566,  mort  à  Poitiers,  en  1652.  Suivant 
l'exemple  paternel,  il  se  consacra  d'abord  aux 
lettres;  ensuite  il  étudia  les  lois,  et  devint 
avocat  au  parlement  de  Paris.  En  1621 
Louis  XIII  le  fit  conseiller  d'État,  en  1627 
garde  de  sa  bibliothèque  de  Fontainebleau.  Ses 
œuvres  sont  :  Opuscula  varia;  Poitiers,  1645,. 
in-8°  :  recueil  de  diverses  pièces  publiées  sépa- 
rément; —  Plaidoyer  de  MM.  Nicolas  deCor- 
beron  :  ensemble  les  plaidoyers  de  M.  A  bel  de 
Sainte-Marthe;  Paris,  1693, in-4°  :  les  plaidoyers 
d'Abel,  au  nombre  de  douze,  sont  courts;  mais 
ils  n'ont  guère  d'autre  mérite;  le  style  en  est 
fardé,  et  ils  sont  farcis  de  citations  grecques  et 
latines;  —  un  certain  nombre  de  poésies  latines, 
qui  ont  été  impr.  eu  1632  dans  le  recueil  des 
œuvres  de  son  père. 

Sainte-Marthe  (.4 bel  II  de),  sieur  de  Cor- 
beville,  fils  du  précédent,  né  en  1630,  mort 
le  30  décembie  1706.  Comme  son  père,  Abel  II 
prit  la  robe,  et  fut  conseiller  en  la  cour  des  aides: 
il  fut  aussi  comme  son  père  garde  de  la  biblio- 
thèque de  Fontainebleau  On  a  de  lui  :  Discours 
au  roi  sur  le  rétablissement  de  la  biblio- 
thèque royale  de  Fontainebleau,  présenté  au 
roi  en  1668,  et  publié  par  l'auteur  à  la  suite  des 
Plaidoyers  de  Corberon,  son  beau-père,  et 
d'Abel  de  Sainte-Marthe,  son  père,  en  1693, 
in-4°;  il  contient  un  peu  d'histoire  et  beaucoup 
d'indécentes  flatteries  à  l'adresse  de  Louis  XIV; 

—  quelques  pièces  latines  dans  les  Opuscula 
varia,  publiés  en  1645  sous  le  nom  d'Abel  Ier; 

—  La  Manière  de  nourrir  les  enfants  à  la 
mamelle;  Paris,  1698,  in-8°;  traduction  du 
poème  latin  de  Scévole  Ier.  B.  H. 

Niceron,  Mémoires,  VIII. 

sainte-marthe  (  Gaucher  III,  dit  Scé' 
vole  II,  et  Louis  de),  historiens,  frères  jumeaux, 
fils  de  Scévole  Ier,  nés  à  Loudun,  le  20  décembre 
1571,  morts  à  Paris,  Scévole  le  7  septembre  1650, 
Louis  le  29  avril  1656.  Inscrits  ensemble  sur  le 
tableau  des  avocats  au  parlement  de  1599,  ils 
parurent  rarement  au  palais.  Le  président  de 
Thou  les  ayant  engagés  à  consacrer  tons  leurs 
loisirs  à  l'étude  de  l'histoire,  ils  suivirent  ce 
conseil.  En  1620  ils  furent  nommés  l'un  et 
l'autre    historiographes  de   France  et  conseil- 


151  SAINTE 

lers  du  roi.  Scévole,  seigneur  de  Meré- sur- 
Indre, se  maria,  et  de  sa  femme,  Isabelle  Du 
Moulin,  il  eut  Pierre  -Scévole ,  Abel- Louis, 
dont  nous  parlerons  ci-après,  et  Nicolas-  Charles, 
qui  entra  dans  I  église  et  mourut  obscur.  Louis  , 
seigneur  de  Grelay,  se  maria  vers  le  même 
temps  que  son  frère;  mais  n'ayant  pas  d'en- 
fants, il  se  sépara  de  sa  femme,  qui  prit  le  voile 
à  Notre-Dame  de  Poitiers,  et  embrassa  lui- 
même  l'état  ecclésiastique;  il  fut  dans  la  suite 
prieur  de  Claunay. 

V Histoire  généalogique  de  la  maison  de 
France  (Paris,  1619,  in  4°) est  désignée  comme 
le  premier  de  leurs  ouvrages;  mais  cette  édition 
ne  contient  que  la  troisième  race;  celle  de  1628, 
2  vol  in-fol  ,  offre  l'histoire  des  trois  races. 
Cependant  les  auteurs  en  préparèrent  une  troi- 
sième, en  3  vol.  in-fol.,  dont  les  2  premiers  pa- 
rurent en  1647  ;  le  dernier  n'a  pas  été  publié  (1). 
Us  donnèrent  en  1626  V  Histoire  généalogique 
de  la  maison  de  Beauvau  (Paris,  in-fol.), 
livre  toujours  estimé.  Le  plus  considérable  et  le 
plus  célèbre  de  leurs  ouvrages  est  le  Gallia 
Chrisliana  (Paris,  1656,4  vol.  in-fol.).  Jean 
Chenu,  de  Bourges,  avocat  au  parlement  de 
Paris,  avait  le  premier,  en  1621,  dans  son  Ar- 
chiepUcoporum  et  episcoporum  Gallise  chro- 
nologica  historia  (in-4°),  essayé  d'établir  la 
succession  chronologique  des  archevêques  et  des 
évêques  de  France.  Cet  ouvrage  imparfait,  sou- 
vent inexact,  plein  de  lacunes,  servit  peu  à  l'é- 
rudition. Claude  Robert,  grand  archidiacre  de 
Chalon-sur-Saône,  ayant,  en  1626,  publié, sous  le 
titre  de  Gallia  Chrisliana,  un  volume  in-folio 
de  nouvelles  tables  chronologiques,  accompa- 
gnées de  notes  sommaires,  extraites  des  char- 
triers  épiscopaux  et  monastiques,  ce  volume, 
moins  défectueux  que  celui  de  Chenu,  eut  un 
véritable  succès.  Cependant  Robert,  qui  avait, 
en  écrivant  son  Gallia  Chrisliana,  reçu  plus 
d'une  officieuse  communication  des  frères  Sainte- 
Marthe,  les  engagea  vivement ,  vers  la  (in  de  sa 
vie,  à  corriger,  dans  une  plus  ample  édition, 
les  erreurs  et  les  diverses  imperfections  de  son 
livre.  Leur  travail  était  presque  achevé  quand , 
en  1645,  ils  en  soumirent  le  plan  à  l'assemblée 
générale  du  clergé,  qui,  pour  les  indemniser  des 
frais  d'impression,  leur  accorda  un  don  de  6,000 
livres.  Le  nouveau  Gallia  Chrisliana  fut  pré- 
senté, après  la  mort  des  auteurs,  à  l'assemblée 
de  1656  par  les  fils  de  Scévole;  sur  le 
rapport  de  ses  commissaires ,  celte  assemblée 
joignit  généreusement  à  tous  les  éloges  que  sa 
reconnaissance  décerna  aux  défunts  Scévole  et 
Louis  une  pension  annuelle  de  500  livres  à 
chacun  de  leurs  trois  héritiers 

On  doit  encore  à  Scévole  et  à  Louis  de  Sainte- 
Marthe  une  première  édition  des  Épîtres  de 
Fr.  Rabelais  (  Paris,  1651,  in-8°),  avec  des  Ob- 

(]i  l'oy.  sur  cet  ouvrage  Fevret de  Fontette,  Biblioth. 
ttist.  de  la  France,  t.  Il,  p.  628,  et  Mémoires  de  l'.lcad. 
des  inscrtpt.,  t.  XX,  p.  562. 


MARTHE  152 

servations  bien  plus  étendues  que  les  Épîtres., 
Nous  ne  saurions  donner  ici  le  détail  des 
nombreux  manuscrits  qu'ils  ont  laissés,  et  qui 
ont  été  longtemps  conservés  à  Saint-Magloire; 
Fevret  de  Fontette  en  cite  plusieurs  dans  sa  Bi- 
bliothèque historique. Ces  manuscrits  sont  des 
généalogies  d'illustres  familles  françaises.  Pierre- 
Scévole,  fils  de  Scévole,  en  a  tiré  ['Abrégé  his- 
torique  et  généalogique  de  la  maison  de  la 
Trimouille  (Paris,  1668,  in-12).  B.  H. 

Niceron,  Mémoires,  VIII.  -  Gallia  Christ.,  1. 1,  dans 
les  divers  prolégomènes,  —  Dreux  du  Radier,  Biblioth. 
du  Poitou.  —  Journal  des  Savants,  aux  tables. 

sainte  mirthe  (  Pierre  -  Guucher ,  dit 
Scévole  de),  historien,  fils  de  Scévole  II,  né  à 
Paris,  en  1618,  mort  le  9  août  1690.  Il  fut  maître 
d'hôtel  du  roi,  conseiller  d'État  et  historiographe 
de  France.  Son  père  dirigea  ses  premiers  tra- 
vaux, et  l'eut  pour  collaborateur  dans  ses  prin- 
cipaux ouvrages  II  prit  ainsi  une  part  plus  ou 
moins  considérable  à  la  rédaction  de  V Histoire 
généalogique  de  la  maison  de  France  et  du 
Gallia  Chrisliana.  Ses  ouvrages  personnels 
sont  :  Table  généalogique  de  la  maison  de 
France;  Paris,  16^9,  in-fol.;  —  L'État  de  la 
cour  des  rois  dt  l'Europe,  avec  les  noms  et 
qualités  des  princes  régnants  en  Asie  et  en 
Afrique;  Paris,  1670,  3  vol.  in-12,  et  1680, 
4  vol.  in-12,  avec  des  additions;  —  Traité 
historique  des  Armes  de  France  et  de  Na- 
varre; Paris,  1673,  in-12  ■  avec  un  Traité  des 
fleursdelis  (voy.  Fevret  de  Fontette,  Biblioth. 
hist.,  t  II,  p.  757);  —  Remarques  sur  l'His- 
toire de  France  du  P.  Jour  dan,  jésuite ,  et 
sur  la  Critique  du  duc  d'Épernon  touchant 
Voriginede  la  maison  de  France  ;  Paris,  1684, 
in-12  :  ouvrage  anonyme;  — V Europe  vivante, 
ou  l'état  des  rois  et  princes  souverains  et 
autres  personnes  de  marque  dans  l'Église, 
dansl'épée  et  dans  la  robe;  Paris,  1685,  in- 12. 
Sur  les  manuscrits  laissés  par  Pierre-Scévole  on 
peut  consulter  la  Bibliothèque  historique,  quoi- 
qu'elle ne  les  désigne  pas  tous.  Il  est,  en  outre, 
auteur  de  plusieurs  traductions.  De  l'espagnol  il 
a  traduit  :  La  Disgrâce  du  comte  duc  d'Oli- 
varez;  de  l'italien  :  La  Juste  balance  des  car- 
dinaux vivants  en  1650;  1652, 1655,  in-12  : 
ouvrage  de  Gregorio  Leti,  très-  peu  flaiteur 
pour  certains  cardinaux,  entre  autres  pour 
Mazarin ,  qui  rechercha  vainement  le  nom  du 
traducteur.  B.  H. 

Niceron,  Mémoires,  VIII.  —  Fevret  de  Fontette, 
Biblioth..  hisu  -  Dreux  du  Radier,  Biblioth.  du  Poitou. 
sainte-marthe  (Abel- Louis  de),  théolo- 
gien et  poète  latin,  frère  du  précédent,  né  en 
1620,  à  Paris ,  mort  le  7  avril  1697  ,  à  Saint- 
Paul  aux  Bois,  près  Soissons  II  abandonna 
le  barreau  pour  entrer  dans  la  congrégation 
de  l'Oratoire  (1642),  et  parcourut  d'abord  la  car- 
rière de  l'enseignement,  où  il  débuta  par  les 
humanités.  Il  se  trouvait  à  Nantes  lorsqu'il  com- 
posa un  petit  poème,  Sanctorum  Galliœ  re- 
gum  et  principum  sylva  historica,  qui  fut  in- 


153 


SAINTE 


séré  à  la  tête  du  t.  Ier  de  V Histoire  généal. 
de  la  maison  de  France  (1647,  in-fol.).  Les 
devoirs  de  son  état  l'empêchèrent  de  se  livrer, 
comme  l'avaient  fait  ses  ancêtres,  à  la  culture 
des  lettres  latines,  et  il  professa  avec  zèle  la 
théologie  dans  les  maisons  de  son  ordre  à  Paris, 
puis  à  Saumur.  La  mort  de  son  père  Scévole  (1650) 
et  de  son  oncle  Louis  (1656)  avait  arrêté  l'im- 
pression du  GalliaChristiana  :  appelé  à  Saint- 
Magloire  pour  y  mettre  la  dernière  main,  il  re- 
vit tout  l'ouvrage,  de  concert  avec  ses  frères 
Pierre-Scévole  et  Nicolas-Charles,  et  le  publia 
en  1656  (Paris,  4  vol.  in-fol.)-  L'assemblée  du 
clergé,  qui  se  tint  cette  année  là,  encouragea  les 
trois  éditeurs  en  accordant  à  chacun  d'eux  une 

Pension  de  500  livres.  Aussitôt  ils  se  remirent  à 
œuvre,  et  recueillirent  un  assez  grand  nombre 
de  pièces  pour  augmenter  d'un  quart  la  nou- 
velle édition  qu'ils  préparaient.  Des  travaux 
d'un  antre  genre  et  aus^  la  mort  de  Nicolas- 
Charles  (l)  détournèrent  Abel-Louis  de  cette 
entreprise,  dont  tous  les  matériaux  passèrent 
entre  les  mains  de  Denis  de  Sainte-  Marthe  (voy. 
ci-après).  Avec  l'aide  de  son  frère  aîné  Pierre- 
Scévole,  il  consacra  plusieurs  années  à  une  his- 
toire générale  du  monde  chrétien  :  le  plan,  qu'ils 
rédigèrent  ensemble,  parut  en  1664  sous  le  titre 
ô'Orbis  christianus,  mais  l'ouvrage  entier, 
formant  9  vol.  in-fol.,  ne  vit  pas  le  jour,  et  fut 
déposé  en  manuscrit  dans  la  bibliothèque  de 
Saint-Magloire.  Abel-Louis  était  depuis  long- 
temps supérieur  de  cette  maison  lorsque,  le  3  oc- 
tobre 1672,  il  fut  élu  supérieur  général  de  l'ordre  : 
il  déploya  beaucoup  de  zèle  pour  rétablir  la  dis- 
cipline, travailla  à  la  conversion  des  protes- 
tants, ets'attirala  confiance  des  prélats  les  plus 
respectable-.  Son  administration,  aussi  équitable 
que  florissante,  fut  troublée  dans  les  derniers 
temps  par  les  querelles  du  jansénisme;  l'arche- 
vêque de  Paris  M.  de  Harlay,  qui  avait  traversé 
son  élection,  le  desservit  dans  l'esprit  du  roi,  et 
sans  qu'il  lui  eût  été  possible  de  se  justifier  des 
torts  imaginaires  qu'on  lui  reprochait,  il  fut 
obligé  de  quitter  Paris  à  trois  reprises  diffé- 
rentes. Cette  persécution  cessa  en  1696,  par  suite 
des  bons  offices  de  M  de  Noailles ,  successeur 
de  M.  de  Harlay  ;  mais  en  donnant  sa  démis- 
sion (14  sept.  1696),  il  se  retira  dans  la  maison 
de  Saint-Paul  aux  Bois,  où  il  mourut  six  mois 
après.  P.  !,. 

Dreux  du  Radier,  Biblioth.  du  Poitou.  —  Niceron, 
.Mémoires,  vin. 

saintr-marthe  {Claude  de),  auteur  as- 
cétique, né  le  8  juin  1620,  à  Paris,  mort  le 
11  octobre  1690,  an  château  de  Courbeville,  près 
d'Orsay  (  Seiue-et-Oise).  Il  se  rattachait  par  la 
branche  des  Champdoiseau  à  Gaucher  de  Sainte 
Marthe,  médecin  de  François  Ier;  son  père, 
François,  mort  en  1641,  était  chef  du  conseil 
du   cardinal  de   Richelieu.  De   bonne  heure  il 

|ij  Arrivée  le  6  février  1662.  II  était  prieur  de  Claunay 
et  aumônier  du  roi. 


MARTHE  154 

quitta  le  monde,  s'engagea  dans  le  sacerdoce, 
et  vécut  dans  la  solitude  et  la  prière.  Après  avoir 
gouverné  pendant  la  Fronde  la  modeste  cure  de 
Momleville  (diocèse  de  Sens),  il  se  renferma 
dans  Port-Royal  des  Champs,  et  y  dirigea  les 
religieuses;  la  persécution  l'arracha  deux  fois  à 
cette  retraite  :  il  s  en  éloigna  tout  à  fait  en  1 679, 
et  alla  vivre  au  château  de  Courbeville,  qui  ap- 
partenait à  sa  famille.  On  a  voulu  rendre  dans  le 
distique  suivant  son  caractère  en  même  temps 
que  sa  conduite  : 

Impatiens  falsi  Terlque  tenacior,  inde 
Ingemuit,  tncult.  fuglt  et  pecubuit. 

On  connaît  de  lui  :  Défense  des  religieuses  de 
Port- Royal  et  de  leurs  directeurs  ;  Paris, 
1667,  in-4"  de  176  pag.,  en  réponse  aux  faits  al- 
légués par  le  théologien  Chamillart;  —  Traités 
de  piété  ;  Paris ,  1702,  1733,2  vol.  in-12;  — 
Lettres  de  piété  et  de  morale;  Paris,  1709, 
2  vol.  in-12.  11  eut  part  à  la  Morale  pra- 
tique des  Jésuites,  ainsi  qu'à  la  traduction 
du  Nouveau  Testament  de  Mons.  On  lui  prêta 
encore  divers  petits  écrits ,  des  discours,  des 
lettres,  etc. 
Niceron,  Mémoires,  vin.  —  Nécrologe  de  Port-Royal. 

—  Satnte-Bcuve,  Port-Royal. 

sainte-marthe  (  Denis  de  ),  historien  et 
théologien,  neveu  du  précédent,  néle  24  mai  1650, 
à  Paris,  où  il  est  mort,  le  30  mars  1725.  En  lui 
s'éleignit  la  descendance  directe  de  la  branche 
des  Champloiseau.  Destiné  à  l'église,  il  acheva 
ses  études  à  Pont-le-Voy,  et  fit  à  dix-huit  ans 
profession  chez  les  bénédictins  de  Saint-Maur. 
Pendant  onze  ans  il  professa  dans  différentes 
maisons  la  philosophie  et  la  théologie,  et  ne 
sortit  de  l'enseignement  que  pour  s'élever  aux 
premières  d'gnités  de  sa  congrégation.  Il  remplit 
depuis  1690  l'office  de  prieur  à  Tours,  à  Rouen, 
à  Paris  et  à  Saint-Denis,  et  en  1720  il  fut  élu 
supérieur  général.  Il  s'était  rangé  au  parti  des 
appelants  de  la  bulle  Unigcnilus,  mais  il  adhéra 
à  l'accommodement  qui  intervint  l'année  même 
de  son  élection  Ce  religieux,  d'un  caractère 
modeste  et  affable,  a  écrit  un  grand  nombre 
d'ouvrages  d'érudition  et  de  controverse,  parmi 
lesquels  nous  choisirons  les  suivants  :  Traité 
delà  confession,  contre  les  calvinistes;  Paris, 
1685,  in  8°;  —  Réponse  aux  plaintes  des  pro- 
testants touchant  la  prétendue  persécution 
de  France;  Paris,  1688,  in  12;—  Entretiens 
touchant  l'entreprise  du  prince  d'Orange,  sur 
l'Angleterre;  Paris,  1689-91,  in-12;  —  Lettres 
(cinqi  à  M.  de  Rancé;  Paris,  1692-93,  in-t?  :  ces 
lettres,  dont  la  dispute  sur  les  études  monas- 
tiques fait  le  sujet,  sont  très-satiriques,  et  Rancé 
y  est  traité  avec  si  peu  de  ménagement  que 
Thiers  se  crut  obligé  de  le  défendre  dans  son 
Apologie  de  Vabbéde  la  Trappe  (1693,  in-12)  ; 

—  Vie  de  Cassiodore;  Paris,  1694,  in-12  :  le 
meilleur  écrit  de  l'auteur; — Histoire  de  saint 
Grégoire  le  Grand;  Paris,  1697,  in-4°  :  il  la 
traduisit  en  latin  et  la  plaça  dans  le  t.  IV  de 


155  SAINTE-MARTHE  • 

l'édition,  peu  estimée  du  reste,  qu'il  donna  des 
Œuvres  de  ce  pape  (Paris,  1705,  4  vol.  in-fol.), 
en  société  avec  deux  de  ses  confrères  Bartli.  de 
Lacroix  etGuill.  Besshi.  Le  dernier  ouvrage  du 
P.  Denis  de  Sainte-Marthe  est  le  Gallia  Chris- 
tiania :  à  la  prière  de  l'assemblée  du  clergé  de 
1710,  il  en  avait  entrepris  une  nouvelle  édition, 
pour  laquelle  il  s'aida  des  nombreux  matériaux 
recueillis  par  les  membres  de  sa  famille  (voy. 
Abel-Louis  ci-dessus),  ainsi  que  des  recherches 
de  quelques  bénédictins,  qu'il  avait  choisis  pour 
collaborateurs.  Cet  ouvrage  est  tout  différent  de 
l'ancien  et  pour  le  fond  et  pour  la  forme  :  il  en 
publia  le  t.  1er  (1715,  in-fol.),  et  eut  la  principale 
part  aux  t.  Hà  IV,  qui  parurent  de  1720  à  1728. 
On  sait  que  ce  vaste  recueil  a  été  continué  par 
d'autres  membres  de  la  congrégation  de  Saint- 
Maur,  et  repris  de  nos  jours  par  M.  Hauréau, 
notre  savant  collaborateur. 

Cette  famille,  une  des  plus  célèbres  dans  la 
république  des  lettres ,  compte  encore  beaucoup 
d'autres  personnages  que  nous  n'avons  pu  in- 
diquer; Dreux  du  Radier,  qui  leur  a  consacré 
plus  de  la  moitié  du  t.  V  de  sa  Bibl.  du  Poi- 
tou, en  a  mentionné  quarante-cinq,  dont  dix- 
neuf  ont  écrit.  Le  dernier  qu'il  ait  cité  était 
Âbel-Scévole-Louis,  né  le  28  mai  1753. 

P.  L. 
Dreux  du  Radier,  Bibl.    du   Poitou.  —  Gallia  Chris- 
tiana,  VII.  —  Le  Cerf,  Bibl.  des  auteurs  de  la  congrêg. 
de  Saint-Maur.  —  Niceron,  Mémoires,  V  .    —  Moréri, 
Grand  Dict.  hist. 

sainte-palwe  (  Jean  -  Baptiste  de  La 
Curne  de),  érudit  français ,  né  le  6  juin  1697,  à 
Auxerre,  mort  le  1er  mars  1781,  à  Paris.  Sa  fa- 
mille était  noble  et  ancienne,  et  son  père,  Edme 
de  La  Curne,  avait  été  gentilhomme  du  duc  d'Or- 
léans, puis  receveur  du  grenier  à  sel  d'Auxerre. 
D'une  constitution  faible  et  délicate,  il  passa  son 
enfance  près  de  sa  mère,  et  ne  commença  guère 
qu'à  quinze  ans  l'étude  des  langues  classiques. 
Lorsque  sa  santé  raffermie  lni  permit  plus  d'ap- 
plication, il  se  livra  à  des  travaux  soutenus,  et 
grâce  à  une  mémoire  tenace  et  à  une  volonté 
forte,  il  tira  de  cette  éducation  tardive  des  ré- 
sultats étonnants.  A  l'âge  de  vingt-sept  ans  il 
était  admis  dans  l'Académie  des  inscriptions 
(1724),  distinction  d'autant  plus  flatteuse  qu'elle 
s'adressait  à  son  seul  mérite,  puisqu'il  n'avait 
encore  rien  publié.  En  1725  il  fut  envoyé  à 
Wissembourg  auprès  du  roi  Stanislas  et  chargé 
de  la  correspondance  de  la  cour  de  France  avec 
ce  prince;  il  le  suivit  à  Chambord,  mais  en  1726 
il  renonça  à  la  diplomatie  pour  revenir  aux 
lettres,  qu'il  avait  quittées  avec  regret.  Après 
avoir  communiqué  à  l'Académie  son  premier 
mémoire  sur  deux  passages  de  Tite-Live  et  de 
Denys  d'Halicarnasse  (1727),  il  résolut  de  consa- 
crer ses  veilles  aux  origines  de  l'histoire  natio- 
nale :  de  là  jusqu'en  1740  une  série  de  notices 
pleines  d'intérêt,  où  il  analyse  des  chroniques 
inédites,  comme  la  Vie  de  Charlemagne,  con- 
servée dans   l'abbaye  de   Saint-Yves,   et  les 


•  SAINTE-PAL  A  YE  156 

Chroniques  de  Saint- Denis,  et  où  il  apprécie 
des  historiens  de  la  troisième  race,  tels  que  Ri- 
gord,  Guillaume  le  Breton,  Raoul  Glaber,  Guil- 
laume de  Nangis  et  ses  continuateurs,  Helgaud, 
Froissart,  etc.  La  lecture  qu'il  faisait  des  chro- 
niqueurs et  des  romanciers  le  conduisit  à  for- 
mer une  triple  et  vaste  entreprise ,  d'expli- 
quer d'abord  l'une  des  institutions  les  plus 
remarquables  du  moyen  âge,  la  chevalerie,  en- 
suite de  composer  un  dictionnaire  des  antiquités 
françaises  et  un  glossaire  complet  des  variations 
de  notre  langue.  Au  premier  de  ces  ouvrages, 
où  l'intérêt  l'emporte  sur  l'érudition,  il  voulut 
joindre  une  histoire  des  troubadours;  dans  ce 
dessein  il  retourna  en  1749  en  Italie  (il  y  avait 
fait  un  voyage  en  1739),  en  rapporta  4,000  pièces 
inédites  ou  peu  connues,  apprit  seul  la  langue 
provençale,  et  forma  de  ses  immenses  matériaux 
une  collection  de  23  vol.  in-fol.  Ce  fut  dans 
cette  riche  mine  qu'il  permit  à  l'abbé  Millot  de 
puiser  pour  rédiger  son  Histoire  des  trouba- 
dours (1774,  3  vol.in-12).  Les  deux  autres  pro- 
jets qui  occupèrent  le  reste  de  sa  vie  n'ont  été 
ni  achevés  ni  publiés:  l'un,  le  Glossaire,  de 
l'ancienne  langue  française,  dont  il  fit  con- 
naître le  plan  en  1756  (broch.  in-4°  de  30  p.), 
ne  vit  le  jour  qu'en  bien  faible  partie  :  le  colla- 
borateur de  Sainte-Palaye,  qu'il  avait  formé  lui- 
même  et  à  qui  il  avait  confié  la  tâche  de  publier 
l'ouvrage  ,  J.-G.  Mouchet,  ne  put  terminer  l'im- 
pression du  tome  I«"  ;  quelques  exemplaires  à 
peine  de  ce  fragment  ont  échappé  à  la  destruc- 
tion. L'autre  entreprise  de  Sainte-Palaye,  plus 
compliquée  et  plus  vaste  encore,  son  Diction- 
naire des  antiquités  françaises,  forme  un 
recueil  de  40  vol.  in-fol.,  manuscrits  acquis  par 
Moreau  pour  la  bibliothèque  du  roi.  Des  travaux 
si  étendus  et  si  variés  n'ont  pourtant  pas  rempli 
tous  les  moments  de  sa  vie  :  il  en  adonné  beau- 
coup au  monde,  et  encore  plus  à  la  tendre 
amitié  qui  l'unissait  à  M.  de  La  Curne,  son 
frère  jumeau.  Jamais  ils  ne  se  séparèrent  :  ils 
eurent  le  même  logement,  les  mêmes  habitudes, 
les  mêmes  sociétés ,  les  mêmes  amusements. 
Sainte-Palaye  mourut  plus  qu'octogénaire.  Outre 
l'Académie  des  inscriptions,  il  avait  été  admis 
en  1758  dans  l'Académie  française,  à  cause  des 
recherches  qu'il  avait  commencées  sur  la  langue, 
et  il  faisait  aussi  partie  des  académies  de  la 
Crusca,  de  Dijon  et  de  Nancy.  A  la  liste  de  ses 
nombreux  mémoires,  nous  ajouterons  celle  fort 
courte  de  ses  ouvrages  publiés  à  part  :  Lettre  à 
Bachaumont  sur  le  bon  goût  dans  les  arts  et 
les  lettres  ;  s.l.,  1751,  in-12;—  Mémoires  sur 
l'ancienne  chevalerie ,  considérée  comme  un 
établissement  politique  et  militaire;  Paris, 
1759-81,  «3  vol.  in-12  :  le  t.  III,  dont  Ameilhon 
fut  l'éditeur,  contient  différentes  pièces  peu  con- 
nues; une  nouvelle  édit.  annotée  a  été  donnée 
sous  le  nom  deCh.  Nodier;  Paris,  1826,  2  vol. 
in  8"  ;  cet  ouvrage  a  été  trad.  en  polonais,  en 
anglais  et  en  allemand.  Le  même  savant  a  publié 


157 


SAINT  Ë-PALAYE  -  SAINTRAILLES 


158 


en    1756  le  fabliau  d'Aticassin  et  ISicoletle, 
in-12.  P.  L-Y. 

Chamfort,  Discours  de  réccpt.  â  VAcad.  fr.,  1781, 
j„_4o.  ._  Dupuy,  Éloge  de  Sainte-Palaye,  dan1;  les 
Sltémoires  de  VAcad.des  inscr.,  XLV.  —  Le  Nécro- 
loge, mars  1782  —  Iininet,  Manuel  du  libraire. 

sainte-suzanne  (  Gilbert- Joseph- Martin 
Bruneteau,  vicomte,  puis  comte  de),  général 
français,  né  le  7  mars  1760,  au  Mothé,  près 
Poivre  (Aube),  mort  !e  26  août  1830,  à  Paris. 
D'abord  page  de  la  comtesse  de  Provence ,  il 
obtint  en  1779  une  sous-lieutenance  dans  le  régi 
ment  d'Anjou  infanterie.  A  l'époque  de  la  révo- 
lution, il  en  adopta  les  principes,  devint  capi- 
taine de  grenadiers,  et  se  distingua  à  la  défense 
de  Mayence,  puis  à  la  bataille  de  Cholet,  en 
Vendée.  Nommé  général  de  brigade  (mars  1795), 
il  passa  à  l'armée  du  Rhin,  combattit  les  Autri- 
chiens avec  autant  de  vigueur  que  de  succès,  et 
leur  fit  éprouver  des  perles  considérables  par  la 
décision  et  la  rapidité  de  ses  mouvements  à  Et- 
tingen;  sa  belle  conduite  à  Aalen  lui  valut,  dans 
le  même  jour,  le  grade  de  général  de  division 
(2  août  1796).  Dans  les  divers  rapports  que 
Moreau  adressa  au  Directoire  sur  les  opérations 
de  l'armée,  il  cita  avec  les  plus  grands  éloges 
l'intrépidité  et  les  talents  de  Sainte-Suzanne. 
Après  avoir  été  chargé  de  défendre  le  pont  de 
Kehl ,  ce  dernier  fut  appelé  au  bureau  topogra- 
pliique  de  la  guerre  (23  juillet  1797),  où  il  eut 
occasion  de  montrer  l'étendue  de  ses  connais- 
sances. Deux  ans  plus  tard  il  accepta ,  comme 
lieutenant  de  Moreau  à  l'armée  du  Danube,  le 
commandement  de  l'aile  gauche ,  forte  de  seize 
mille  hommes.  Il  s'avançait  sur  Ulm  lorsque 
ses  lignes  furent  attaquées  et  forcées  entre  Er- 
bach  et  Asch  (16  mai  1800)  ;  dans  cette  position 
critique  il  réussit,  en  resserrant  ses  ailes  et  en 
abandonnant  momentanément  la  rive  gauche 
du  Danube,  qui  lui  servait  d'appui,  à  retirer  ses 
troupes  du  pas  dangereux  où  les  combinaisons 
du  général  en  chef  les  avaient  engagées;  ce  fut  en 
vain  que  les  Autrichiens  tentèrent,  dans  un  com- 
bat très-meurtrier,  de  le  déloger  des  positions 
■qu'il  avait  reprises.  Cette  campagne,  qui  lui  avait 
fait  le  renom  d'un  tacticien  habile ,  fut  la  der- 
nière de  Sainte-Suzanne  :  des  infirmités  pré- 
coces le  forcèrent  de  renoncer  au  service  actif.  En 
1804  il  fut  élu  sénateur  et  nommé  grand  officier 
de  la  Légion  d'honneur; il  devint  en  1809  comte 
de  l'empire;  ce  dernier  titre  lui  fut  donné  après 
qu'il  eut  pris  toutes  les  dispositions  nécessaires 
pour  mettre  les  côtes  de  Boulogne  en  état  de 
défense.  En  avril  1814  il  adhéra  à  la  dé- 
chéance, et  le  4  juin  il  fut  du  nombre  des  nou- 
veaux pairs  de  France.  Dans  le  procès  du  ma- 
réchal Ney  il  refusa  avec  quatre  de  ses  collègues 
de  prendre  part  au  jugement,  attendu ,  disait-il, 
que  la  défense  n'avait  été  ni  libre  ni  entière,  par 
le  refus  qu'avait  fait  la  chambre  de  reconnaître 
en  faveur  de  l'accusé  un  des  articles  de  la  capi- 
tulation de  Paris.  Du  reste,  il  ne  cessa  de  voter  au 
Luxembourg  avec  l'opposition  libérale,  et  bien 


que  mourant,  en  1830  il  se  hâta  de  venir  à  Paris 
donner  son  adhésion  à  la  monarchie  de  Juillet. 
On  a  de  cet  officier  général  :  Siège  de  Dantzïck 
en  1807;  Paris,  1818,  in-18,  pi.;—  Projet  de 
changements  à  opérer  dans  le  système  des 
places  fortes  ;  Paris,  1819,  in-8°. 

Son  fils,  Auguste,  né  en  1800,  lui  succéda  au 
Luxembourg,  donna  sa  démission  en  janvier  1832, 
et  mourut  le  19  octobre  1855  au  château  d'E- 
cury  (Marne). 

Sainte-Suzanne  (Jean-Chrijsostome  Brune- 
teau,  comte  de),  frère  du  général ,  né  le  4  mars 
1773,  suivit  aussi  la  carrière  des  armes,  et  fit  les 
campagnes  de  la  république  en  Allemagne  et  en 
Italie.  En  1803  il  fut  envoyé  à  l'Ile  de  France 
en  qualité  d'officier  supérieur,  et  devint  en 
1809  gouverneur  de  la  Réunion.  Celte  colonie 
ayant  été  attaquée  en  1810  par  une  Hotte  an- 
glaise et  plus  de  sept  mille  hommes  de  débar- 
quement, il  refusa  de  se  rendre  aux  premières 
sommations,  et  bien  qu'il  n'eût  ni  places  fortes 
ni  vaisseaux  et  que  le  nombre  de  ses  soldats 
s'élevât  à  cinq  ou  six  cents  à  peine,  il  disputa  le 
terrain  pied  à  pied ,  et  ne  posa  les  armes  que 
lorsque  la  moitié  de  Saint-Denis,  chef-lieu  de 
l'île,  fut  au  pouvoir  de  l'ennemi  ;  la  capitulation 
qu'il  signa  en  cette  circonstance  fut  des  plus 
honorables.  Revenu  en  France ,  il  fut  mis  à  la 
tête:  du  29e  léger  (1811),  prit  part  à  l'expédition 
de,  Russie  et  tomba  entre  les  mains  des  Russes  au 
passage  de  la  Bérésina.  Louis  XVIII  lui  donna 
le  grade  de  maréchal  de  camp  (6  sept.  1814). 
Dans  les  cent-jours  il  commanda  à  Schelestadt; 
bloqué  par  une  division  de  troupes  alliées,  il  fit 
plusieurs  sorties,  s'empara  du  quartier  général , 
et  ne  consentit,  au  bout  de  deux  mois,  à 
rendre  la  place  qu'au  roi.  Il  fut  employé  ensuite  à 
l'intérieur,  et  se  brûla  la  cervelle  en  apprenant 
la  révolution  de  juillet  1830. 

Ile  Courcellcs,   Dict.  hist.  des  généraux  français. 

saintonge  (Louise  -  Geneviève  Gillot, 
Mme  de),  femme  de  lettres  française,  née  en 
1650,  à  Paris,  oùelleest  morte,  le  24  mars  1718. 
Fille  de  Mme  Gomez  de  Vasconcelle  (  voy.  ce 
nom),  elle  fut  mariée  à  un  avocat  du  nom  de 
Saintonge.  Elle  a  écrit  des  épîtres,  des  églogues, 
des  madrigaux  et  des  chansons,  deux  comédies, 
deux  opéras,  Bidon  et  Circé,  joués  en  1693  et 
1694,  le  tout  réuni  sous  le  titre  de  Poésies  ga- 
lantes (Paris,  1696,  in-12;  Dijon,  1714,  2  vol. 
in-12);  —  Histoire  secrète  de  dom  Antoine, 
roi  de  Portugal  ;  Paris,  1696,  in-12  :  tirée,  à  ce 
qu'elle  prétend ,  des  Mémoires  de  don  Gomès 
Vasconcellos  de  Figueredo,  son  aïeul  maternel  ; 
—  Diane  de  Montemayor,  mise  en  nouveau 
langage;  Paris,  1696,  1699,  1733,  in-12. 

Prudhomme,  Biogr.  uni»,  des  femmes  célèbres.  — 
Descssarts ,  Les  Siècles  littér. 

SAINTRAILLES  OU  XAINTKAILLES  (Po- 

ton  (1)  de),  capitaine  français,  né  vers  1390  ou 

(1)  Le  cabinet  des  titres  et  les  collections  de  manus- 
crits renferment  des  actes  nombreux   souscrits  de  cette 


159 

1400,  mort  le  7  octobre  1461,  à  Bordeaux.  Frère 
puîné  de  Jean,  seigneur  de  Saintrailles  (1)  che- 
valier, mort  en  1432,  c'était  un  cadet  de  famille, 
appartenant,  par  sa  naissance,  à  la  Gascogne  et 
se  rattachant  par  des  liens  de  vassalité  au  comte 
d'Armagnac.  Il  fit  ses  premières  armes,  avec  La 
Hire,  son  compatriote,  dans  la  Picardie  (1418), 
où  ils  combattirent  les  Bourguignons,  sous  les 
drapeaux  du  dauphin  (Charles  Vil).  Jusqu'à 
la  mort  de  La  Hire  (1443),  ils  ne  se  quittèrent 
plus,  et  leurs  noms  sont  demeurés  inséparables 
dans  l'histoire.  Après  avoir  tenu  frontière  à 
Crespy,  Saintrailles  prit  part  au  siège  d'Alençon 
(142)),  s'empara  de  Saint-Riquier,  se  distingua  à 
la  bataille  de  Mons-en-Vimeu,  où  il  fut  t'ait  pri- 
sonnier de  la  propre  main  du  duc  Philippe  le 
Bon,  qui  lui  rendit  la  liberté  en  le  comblant  de 
présents.  Il  combattit  ensuite  à  Cravant,  s'em- 
para de  Ham,  et  commanda  l'une  des  ailes  de 
l'armée  à  la  journée  de  Verneuil  (  17  août  1424). 
Ayant  appris  que  la  guerre  venait  d'éclater  entre 
le  duc  de  Brabant  (que  soutenait  Philippe  le 
Bon  )  et  le  duc  de  Glocester,  Saintrailles  alla  se 
ranger  sous  la  bannière  du  duc  (1425).  Bientôt 


SAINTRAILLES  160 

Fait  prisonnier,  ainsi  que  Guillaume,  il  fut  con- 
duit à  Rouen.  Peu  de  mois  auparavant,  il  avait 
poussé  une  pointe  hardie  à  travers  la  Normandie, 
et  avait  saccagé  la  ville  d'Eu.  Les  Anglais  te- 
naient en  haute  estime  ce  redoutable  adversaire, 
dont  ils  admiraient  la  vaillance.  Saintrailles,  en- 
voyé à  Londres  avec  un  sauf-conduit  d'Henri  VI, 
négocia  sa  libération  par  voie  d'échange,  ave« 
lord  Talbot.  Il  marqua  son  retour  par  les  pille- 
ries  qu'il  exerça,  en  1434,  sur  le  pays  libre  de 
Metz.  Au  mois  d'août  1435,  pendant  que  les 
ambassadeurs  délibéraient  au  congrès  d'Arras, 
Saintrailles  accompagné  de  La  Hire,  et  sans  tenir 
compte  des  trêves,  ni  du  congrès,  rouvrit,  de 
son  chef,  les  hostilités  contre  le  duc  de  Bour- 
gogne; puis  il  appuya  l'insurrection  de  la  Nor- 
mandie, et  s'associa  au  siège  et  à  la  prise  de 
Dieppe  par  Des  Marais.  Il  commandait  aiors  une 
de  ces  compagnies  indisciplinées  que  le  traité 
d'Arras  laissait  sans  emploi  et  qui  reçurent  le 
titre  mérité  iVéeorcheurs. 

Après  avoir  guerroyé  dans  le  Médoc  conlre 
les  Anglais,  à  la  suite  d'un  célèbre  condottiere . 
nommé  Rodrigo  de  Villa-Andrando,  comte  de 


après  il  fut  arrêté  et  conduit  à  Bruges  par-devant  I  Ribadeo,  Saintrailles  reprit  du  service  auprès  du 


le  duc,  qui  l'interrogea  sévèrement  sur  les  pille- 
ries  qui  lui  étaient  imputées.  Il  réussit  à  se  faire 
absoudre,  et  reçut  même  du  prince  un  présent 
de  235  livres,  à  titre  de  dommages  et  intérêts. 
Le  13  septembre  1427,  il  signa  à  Gergeau,  ainsi 
que  son  frère  Jean,  un  traité  d'alliance  avec  le 
comte  de  Foix ,  pour  soutenir  la  cause  des  fils 
de  Louis  d'Orléans. 

Peu  de  temps  après,  les  Anglais  envahirent 
de  nouveau  la  France.  Sainjrailles  prit  une  part 
glorieuse  à  cette  mémorable  période  de  guerre 
défensive ,  illustrée  par  la  Pucelle  et  qui  décida 
de  l'indépendance  de  notre  pays.  Il  se  distingua 
d'abord  à  Beaugency,  puis  au  siège  d'Orléans, 
à  Gergeau,  où  ayant  fait  Talbot  prisonnier,  il  le 
délivra  sur  parole,  à  Patay,  et  fournit  enfin  toute 
la  campagne  du  Sacre.  En  1430  il  seconda  !a 
Pucelle  à  Compiègne,  et  remporta  un  avantage 
assez  notable  à  Guerbigny,  près  Beauvais,  en 
bataille  rangée.  L'illustre  héroïne  ayant  péri  sur 
le  bûcher,  Raoul  de  Chartres,  chancelier  de 
France,  ne  rougit  pas  de  lui  substituer  un  pâtre 
du  Gévaudan,  nommé  Guillaume  Saintrailles 
avait  accepté  la  Pucelle  :  peu  scrupuleux  sur  de 
pareilles  questions,  il  accepta  le  pâtre,  et  perdit, 
sous  la  bannière  île  cet  idiot  visionnaire,  la  ba- 
taille dite  du  Berger  (du  10  au  15  août  1431  ). 

signature  autographe  :  Poton.  tracée  d'une  main  ferme, 
en  caractères  très-réguliers.  I,e  maréchal  savait  donc 
signer  son  nom;  mais  c'est  là  que  s'arrêtaient  ses  capa- 
cités en  malien-  d'écriture  i.ui  même  s'en  eiplique  dans 
les  te  mes  qui  suivent,  et  que  nous  empruntons  littéra- 
lement à  son  testament  :  «  t.o  quau  présent,  testament 
f  y  feyt  ese.ruire  (  per  so  que  no  srey  escrnire,  fors  et 
exceplal  mnn  nom  Coton),  à  Johan  Giiischard,  clerc  no- 
taire r.'.vau  en  la  senesch alia  de  Guianna.  «(Cabinet  des 
titres,  copie  de  G.iignières. ) 

|H  aujourd'hui  Xalntraillcs  arrond.  de  Nèrac  (I.ot-ct- 
Uaionne). 


roi  de  France,  qu'il  aida  utilement  au  siège  de 
Montereau  Charles  VII  avait  distingué  ses  ta- 
lents militaires,  et  dès  l'époque  du  sacre  il  l'a- 
vait nommé  son  premier  écuyer  et  maîîre  de  son 
écurie  (1).  Voulant  se  l'attacher  définitivement, 
il  le  maria,  en  1 437,  à  Catherine  Brachet,  dame  de 
Salignac  en  Limousin,  et  lui  fit  un  don  de 
4,000  écus  d'or;  en  même  temps  il  le  nomma 
bailli  du  Limousin,  puis  bailli  du  Berriet  membre 
du  grand  conseil.  Chargé,  en  1438,  d'une  mis- 
sion politique  et  surtout  militaire  dans  le  Lan- 
guedoc, Saintrailles  rencontra  de  nouveau  Ro- 
drigo, qui  guerroyait  contre  les  Anglais,  et  l'ac- 
compagna en  Roussillon,  où  le  capitaine  castillan 
avait  une  querelle  à  vider.  En  1440  il  s'empara 
de  Louviers,  par  un  hardi  coup  de  main,  et  en 
1441  il  assista  au  siège  de  Pontoise.  En  1449  il 
obtint  un  commandement  de  la  grande  ordon- 
nance, se  signala  aux  sièges  d'Harcourt,  de 
Rouen,  de  Beliême,  de  Lisieux,  de  Caen,  de  Fa- 
laise, partit  immédiatement  pour  la  Guienne ,  et 
contribua,  pour  une  part  considérable,  aux  ra- 
pides succès  des  armes  de  Charles  VII.  Il  reçut, 
avec  Dunois,  la  soumission  des  Bordelais  (juin 
1451),  qui  termina  cette  expédition.  Mais,  en 
1453,  Talbot  surprit  la  ville  et  fit  prisonniers 
Saintrailles  et  ses  gens,  qui  se  rachetèrent  a;ix 
dépens  du  roi.  Au  mois  de  juillet  suivant,  Sain- 
trailles reprit  l'offensive,  Talbot  périt  à  la  ba- 
taille de  Castillon, et  les  Anglais  furent  définiti- 
vement expulsés  de.  notre  territoire. 
En  récompense  de  ses  longs  services,  Cbar- 


(1!  Cet  office,  qu'il  remplit  après  Froiicr,  baron  de 
Preuillv,  et  l.c  i^amus  de  Beaulicu  Ivov.  cei  noms),  lui 
donnait  l'intendance  de  la  garde  du  corps  et  de  la  mai- 
son militaire  du  roi.  Mais  il  ne  porta  jamais  le  titre  de 
grand  écuyer  de  France. 


161 


SAINTRAILLES  —  SALA 


162 


es  VII  nomma  Poton  de  Saintrailles  maréchal      in-18;  —  Essais  sur  la  philosophie  et  la  re- 


te  France,  le  1er  avril  1454  (1).  Saintrailles  avait 
léjà  reçu  diverses  possessions  territoriales  en 
luienne.  Par  lettres  du  30  octobre  1459,  il  de- 
vint gouverneur  de  Bordeaux  et  lieutenant  du 
çouvcrneur  général.  11  s'installa  au  château 
Trompette,  construit  pour  assurer  la  domination 
lu  roi,  et  le  20  mars  1461  il  dicta  de  cette  de- 
neure,  dans  sa  langue  gasconne  et  maternelle, 
on  testament,  dont  le  texte  nous  est  resté. 
,rivé  de  postérité  directe  et  masculine,  il  légua 
on  nom  et  ses  armes,  ainsi  qu'une  partie  de  ses 
>iens,  à  des  héritiers  collatéraux,  et  disposa  du 
este  en  œuvres  pies.    A.  Vallet  (de  Viiïville). 

Cibinct  des  titres  :  Saintrailles.  —  Mss.  de  la  Biblioth. 
îip.,  n°«  1,717,  loi.  95  ;  4,805,  fol.  133  ;  5,909,  fol.  247  ;  origr- 
aux  de  FontanieUjt.  I,  pièce  3;  Gaignières,  896,1,  fol  17; 
egrand,  t.  VI;  Dnchesne,  n°s  48,  fol.  181,  et  107.  fol.  392; 
i.  Grenier,  t.  XX  bis,  fol.  13  ;  Cordeliers,  n"  16,  fol.  484,  etc. 
rchives  des  Basses-Pyrénées,  E,  439,  n°  2,874.  Archives 
e  l'hospice  de  Laon,  etc.  —  Barante ,  Mélanges  litté- 
aircs.  —  Montlezun ,  Hist.  de  Gascogne,  t.  IV,  p.  423 
t  s.  —  Anselme,  aux  Maréchaux  de  France.  —  Procès 
e  la  Pucelle.  —  Chronique  de  Monstreiet,  édit.  d'Arcq, 
la  table.  —  Vallet  (de  Viriville),  Chroniques  de  Cousinot 
t  de  Jean  Chartier;  Histoire  de  Charles  Fil. 

saisset  (  Emile- Edmond  ),  philosophe 
rançais ,  né  le  16  septembre'  1814,  à  Mont- 
lellier,  mort  le  27  décembre  1863,  à  Paris.  Il 
lait  fils  d'un  médecin  de  sa  ville  natale.  Admis 
n  1833  à  l'École  normale,  il  en  sortit  avec  le 
itre  d'agrégé  de  philosophie,  et  professa  dans 
Iusieurs  collèges,  notamment  à  Caen.  Profes- 
eur  suppléant  d'histoire  de  la  philosophie  à  l'É- 
ole  normale  supérieure  en  1842,  puis  maître  de 
onférences  en  1846,  il  fit  de  1853  à  1857  les 
ours  complémentaires  de  philosophie  grecque 
t  latine  au  Collège  de  France.  De  1849  à  1852 

suppléa  M.  Damiron  dans  la  chaire  d'his- 
3ire  de  la  philosophie  à  la  Sorbonne,  et  devint 
itulaire  de  cette  chaire  à  la  mort  de  ce  dernier 
1862);  il  venait  de  le  remplacer  dans  l'Aca- 
émie  des  sciences  morales  lorsqu'il  est  moi  i, 

quaranfe-neuf  ans.  Ses  écrits  se  font  remar- 
uer  par  l'élégance,  la  vigueur  et  la  sobriété  du 
tyle.  Un  des  maîtres  de  l'école  éclectique, 
I.  Saisset  a  défendu  hautement  la  cause  du  spiri- 
jalisme  cartésien  contre  les  tentatives  du  pan- 
îéisme  et  du  matérialisme  d'outre  Rhin,  les 
mpiétements  dangereux  du  mysticisme,  et  la 
égation  du  voltairianisme  renaissant.  On  a 
e  M.  Saisset  :  Ses  thèses  de  doctorat,  Œnési- 
ètne,  et  De  varia  S.  Anselmi  in  proslogio 
rgumenti  fortuna;  Paris,  1840,  in-8°;  — 
ne  traduction  des  Œuvres  de  Spinosa,  avec 
ne  remarquable  préface;  Paris,  1843,   2  vol. 

<1)  Il  s'agissait  de  transmettre  l'un  des  deux  bâtons  de 
laréchal,  vacant  par  la  mort  du  maréchal  de  Jaloignes. 
disent  les  lettres  de  provision ,  a  rassemblé  en 
jnseil  son  connétable,  le  maréchal  survivant,  ainsi  que 
s  chefs  de  l'armée,  et  les  a  requis  de  lui  désigner  le 
ijetqui  leur  semblait  le  plus  digne  d'obtenir  cet  office, 
e  choix  du  roi  s'étanl  rencontré  avec  la  désignation 
esque  unanime  de  ses  conseillers  militaires ,  Poton  de 
ilntrailles a  été  nommé  et  institué.  (Ms.  fr. 5,909,  fol.  £47.) 
m  traitement  était  de  2,000  livres,  qui  représentent 
',000  francs  de  notre  monnaie. 

NOUV.    EIOCH.    CF.NÉR.    —    T.    XUH. 


ligion  au  dix-neuvième  siècle;  Paris,  1845, 
in-18;  —  Renaissance  du  voltairianisme; 
Paris,  1845,  broch.  in-8"  ;  —  Mélanges  d'his- 
toire, de  morale  et  de  critique;  Paris,  1859, 
in-8°;  —  Essai  de  philosophie  religieuse;  Pa- 
ris, 18C0,  in-8°,  couronné  par  l'Académie  des 
sciences  morales  et  par  l'Académie  française;  — 
Précurseurs  et  disciples  de  Descartes  ;  Paris, 
1862,  in-8°.  lia  donné  dans  le  Dict.  des  sciences 
philosophiques  ,  la  Revue  des  deux  mondes, 
la  Liberté  de  penser,  de  nombreux  articles  de 
philosophie  spéculative  et  appliquée;  il  a  traduit 
la  Cité  de  Dieu  de  saint  Augustin,  et  ii  a  édité, 
dans  la  Biblioth.  Charpentier,  les  Œuvres  de 
Clarke,  et  les  Lettres  d'Euler. 

Vapereau,  Dict.  des  Contemp. 

saix  (du).  Voy   Du  Saix. 

sakiamouni.  Voy.  Bouddha. 

sala  (Angiolo),  chimiste  italien,  né  à  Vi- 
cence,  dans  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle. 
On  ne  sait  rien  de  ses  études,  de  ses  débuts  ni 
de  ses  premiers  voyages.  Il  devait  avoir  acquis 
une  certaine  notoriété  lorsqu'il  fit  traduire  en 
laiin  son  premier  traité  sur  la  préparation  des 
médicaments.  Vers  1609  on  le  trouve  en  Suisse, 
exerçant  la  médecine;  de  1613  à  1617  il  résida 
en  Hollande,  où  il  répandit  ses  idées  ;  entre  1620 
et  1625  il  habitait  Hambourg  ;  enfin,  vers  1632, 
il  fut  nommé  médecin  du  duc  de  Mecklembourg- 
Giistrow.  Il  vivait  encore  en  1639,  mais  depuis 
on  perd  tout  à  fait  ses  traces.  Boerhaave  parle 
de  lui  comme  d'un  écrivain  très-exact  dans  le 
choix,  la  préparation  et  la  description  des  médi- 
caments, et  il  le  loue  beaucoup  pour  avoir  ensei- 
gné, avec  toute  la  clarté  possible,  à  traiter  les 
végétaux,  les  animaux  et  les  minéraux,  dans  la 
vue  d'en  tirer  des  remèdes  utiles.   Haller  fait 
aussi  grand  cas  de  ses  travaux,  entre  autres  de 
YEssentiarum  vegeiabilium  anatome  ,  de  la 
Saccharologia,de:\'  Exegesis  chymiatricà,  etc., 
et  lui  décerne  un  bref  mais  magnifique  éloge,  en 
le  qualifiant  de  primus  chemicorum  qui  desiit 
ineptire.  Les  ouvrages  de  Sala  ont  été  recueillis 
sous  le  titre  d'Opéra  medico-chymica  ;  Franc- 
fort,   1647,   1680,    1712,  in-4°;   Rouen,   1650, 
in-4°.  Les  éditions  particulières  sont  :  De  variis 
erroribus  in  prxparatione  medicinali  corn- 
missis;  Francfort,  1602,  1049,  in-4°;  —  Ana- 
tomia  vitrioli;  Anreliae   Allobrogum  ,    1609, 
1613,  in-12;  —  Septem  planetarum  terres- 
trium  spagirica  recensio ;  Amst.,  1614,  in-12; 

—  Anatomia  anlimonii;  Leydc,  i617,  in  s°; 

—  Aphorismorum  chymiatricorum  synopsis  , 
Brème,  1 620,  in  8°  ;  —  Chrysologia  ;  Hambourg, 
1622,  in-8°;  —  Emetologia  ;  Erfurt,  1628, 
in-8°;  —  Ternarius  lernarwrum,  hermeUco- 
rum,  bezoardicorum,  laudanorum ;  Erfurt, 
1630,  in-8°  :  cet  ouvrage  avait  déjà  paru  en 
français  à  Leyde,  1616,  in-4°,  ainsi  que  la  partie 
qui  traite  de  l'opium  ;  La  Haye,  1614,  in-8°  ;  —  De 
auro  potabili  novo;  Strasbourg,  1630,  in-8°; 


163 


SALA  —  SALABERRY 


164 


—  Tartarologia  (en  allemand);  Rostock, 
1632,  in- 8°;  —  Essentiarum  vegetabilium 
anatome;  Rostock,  1635,  in-8°  ;  —  Saccharo- 
logia;  Rostock,  1637, in-8°;  —  De  peste;  Mar- 
purg,  1641,  in-8°;  il  y  a  une  édit.  française  de 
Leyde,  1617,  ïn-8°.  Les  ouvrages  de  Sala  pa- 
raissent avoir  été  écrits  d'abord  en  italien  ;  on 
ignore  s'ils  ont  vu  le  jour  dans  celte  langue. 

Manget,  Bibl.  viediea.  —  Haller,  Bibl.  botanica.  — 
Éloy,  Dict.  hist.  de  la  méd. 

sala  (Gaspar),  littérateur  espagnol,  né  à 
Saragosse,  mort  le  7  janvier  1670.  Après  avoir 
fait  ses  études  à  Barcelone,  il  y  entra  dans  un 
couvent  de  l'ordre  des  Augustins,  et  se  distingua 
par  ses  talents  pour  la  chaire.  L'université  de 
cette  ville  lui  conféra  le  grade  de  docteur  en 
théologie  et  celui  de  docteur  régent.  Dès  l'en- 
trée des  Français  en  Catalogne,  il  se  déclara 
leur  partisan,  et  écrivit  des  livres  en  leur  fa- 
veur; Louis  XIII  le  nomma  en  1642  son  prédi- 
cateur et  son  historiographe,  et  il  lui  donna  en 
1643  l'abbaye  de  Saint-Cugat.  Les  Espagnols 
ayant  reconquis  la  Catalogne ,  Sala  se  réfugia  à 
Perpignan  (1652),  et  ne  rentra  en  possession 
de  son  abbaye  qu'après  la  paix  des  Pyrénées. 
Il  a  laissé  quelques  écrits  en  espagnol  et  en 
catalan  ;  nous  citerons  :  Govern  politich  de  Bar- 
celona  pera  sustentai*  los  pobres  ;  Barcelone, 
1636,  in-8°;  —  Noiizia  unïversal  de  Cata- 
luna;  ibid.,  1639,  in-4°;  —  Epilome  de  los 
principios  y  progresos  de  las  guerras  de 
Cataluna;  1640-41;  ibid.,  1641,  in-4°.  Il  a  tra- 
duit du  français  un  éloge  du  comte  d'Harcourt, 
du  P.  de  Cerisiers,  sous  le  titre  El  Heroe  frances 
(Barcelone,  1646,  in-4*1). 
Antonio ,  Bibl.  nova  hispana. 

sala  (Nicolà),  compositeur  italien ,  né  en 
1701,  près  Bénévent,  mort  en  1800,  à  Naples. 
Il  fut  élève  de  Léo,  et  passa  plus  de  soixante 
ans  dans  l'enseignement  de  la  composition  et 
dans  !a  direction  du  conservatoire  de  la  Pietà. 
On  ne  connaît  pas  d'autres  circonstances  de  sa 
vie  et  même  de  sa  carrière  artistique.  Il  paraît 
avoir  en  peu  de  succès  à  la  scène ,  où  il  a  pro- 
duit deux  opéras,  Vologeso  (Rome,  1737)  et 
Merope  (Naples,  1769).  Dans  le  style  d'église, 
il  a  composé  l'oratorio  de  Giuditta  (1780)',  et 
quelques  autres  morceaux.  Il  doit  sa  réputation 
de  savant  musicien  à  un  recueil  de  modèles  de 
contrepoint  et  de  fugues,  intitulé  Regole  del 
contrappunto  pratlico  (Naples,  1794,  3  vol. 
gr.  in-fol.  )  :  travail  d'un  mauvais  style  et  d'une 
valeur  douteuse.  Choron,  qui  n'en  avait  point 
aperçu  les  défauts,  s'était  épris  d'enthousiasme 
pour  cet  ouvrage,  et  l'avait  pris  pour  base  de 
ses  Principes  de  composition  des  écoles  d'I- 
talie. Sala  mourut  presque  centenaire. 

Llioyr.  dcgli  uomini  illustri  di  Napoli,  VI.  —  Félis, 
Motjr.  univ.  des  fllitsic. 

salabekry  (Charles -Marie  d'Irumberbv, 
comte  de),  homme  politique,  né  en  1766,  à  Pa- 
ris, mort  le  7  juillet  1847,  à  Fossé,  près  de  Blois. 
Sa  famille  était  ancienne  et  originaire  de  la  Na- 


varre; son  père,  président  à  la  chambre  des 
comptes,  était  mort  en  1794,  sur  l'échafaud.  Quanl 
à  lui,  il  émigraen  1790,  fit  un  assez  longséjoui 
en  Turquie ,  rejoignit  l'armée  de  Condé,  puis  s< 
réunit  aux  bandes  royalistes  de  la  Vendée ,  où  il 
commanda  une  compagnie  de  cavalerie.  Après  k 
pacification  du  2  février  1800,  il  se  retira  dans  1( 
domaine  de  Fossé,  s'y  occupa  de  lettres  et  d'agri 
culture,  et  resta  en  surveillance  jusqu'à  la  cbuti 
de  l'empire.  Durant  les  cent-jours  il  combatti 
en  Vendée  avec  La  Rochejaquelein.  De  1815  i 
1830  il  siégea  dans  la  chambre  des  députés,  oî 
il  représenta  le  Loir-et-Cher,  son  département 
«  N'ayant  rien  compris  à  la  révolution,  ni  à  se 
causes,  ni  à  ses  résultats ,  dit  la  Biogr.  univ 
des  contemp.,  c'est-à-dire  n'ayant  vu  que  de 
excès,  inséparables  de  toute  grande  régénératioi 
sociale,  il  partagea  de  bonne  foi  la  terreur  don 
son  parti  parut  frappé ,  et  ne  rêva  plus  que  1 
retour  des  Jacobins  et  de  la  guillotine.  On  n 
peut  attribuer  qu'au  délire  d'un  cerveau  malad 
les  manifestations  de  M.  de  Salaberry  ,  dont  se 
amis  mêmes  ont  reconnu  plus  d'une  fois  le  r 
dieule  et  l'exagération.  »  C'est  probablement  c 
continuel  excès  de  zèle  qui  faisait  dire  de  lui 
Mme  de  Staël  :  «  il  a  trop  d'esprit  pour  sa  tête,  j 
Aussi  siégeait-il  à  la  chambre  sur  les  bancs  d 
l'extrême  droite.  Il  demanda  la  peine  de  moi  I 
pour  ceux  qui   proféraient  des   cris  séditieu , 
(1815),  se  prononça  avec  sa  violence  ordinair 
contre  la   loi  de  recrutement  (1818),  prit  un 
part  active  à  l'expulsion  de  Grégoire  (1819),  M 
condamner  le  Journal  du  Commerce  pour  ir 
suite  au  caractère  des  députés  (1826),  et  signa!! 
plusieurs  fois  la  presse  comme  «  l'arme  cher!  | 
des  ennemis  de  la  religion  et  de  la  dynastie  r<j 
gnante,  des  amis  du  protestantisme  et  de  l'illég  ! 
timité  ou  de  la  souveraineté  du  peuple  »,  <| 
l'imprimerie  comme  la  «  seule  plaie  dontMoï-f 
oublia  de  frapper  l'Egypte  ».  11  regarda  la  chu  : 
du  ministère   Villèle  comme   devant  entraîm 
inévitablement  celle  de  la  monarchie,  et  prl 
depuis  1827  peu  de  part  aux  discussions  parli 
mentaires.  Après  l'a  révolution  de  Juillet  il  vécil 
tout  à  fait  à  l'écart  de  la  scène  politique.  Outi  j 
plusieurs  discours  et  écrits  politiques,  on  a  il 
lui  :  Voyage  à  Constantinople,  en  Italie  et  aul 
îles  de  r  Archipel  par  l'Allemagne  et  la  FlorV 
grie;  Paris,   an   vu    (1799),  in-8°;  —   Mot 
voyage  au  mont  d'Or;  Paris,  an  xi   (18031 
1805,  in-8°  ;  ouvrages  assez  superficiels;   -I 
Corisandre  de  Beauvilliers,  roman  abrégé  <| 
l'anglais;  Blois,  1806,  2   vol.   in-12;  —   Lor^ 
Wiseby,  ou    le   Célibataire,    roman;   Pariai 
1808,  2  vol.  in-12  ;   —   Histoire  de  l'emph 
ottoman  jusqu'en  1792;  Paris,    1813,   181 
4  vol.  in-8°  ;  —  Développements  des  principe 
royalistes  au  20  janvier  1816;  Paris,  1819-2' 
4  broch.  in-8°;  —  Essais  sur  la  Valachie 
la  Moldavie  ;  Paris,  1821,  in-8°  :  il  y  soutien 
avec  chaleur  la  légitimité  du  gouvernement  tun 
—  La  Première,  la  Seconde,  etc.,  la  Dixièn 


1G5  SALABERRY  — 

aux  hommes  de  bien;  Paris,  1828,  in-8°,  suite 
de  dix  lettres  sur  des  matières  politiques  et  re- 
ligieuses; —  Loisirs  d'un  ménage  en  1804, 
nouvelles;  Paris,  1828,  in-12  :cetouvrage,  ainsi 
que  Corisandre  et  Lord  Wiseby  ont  été  attri- 
bués à  Mmc  de  Salaberry.  On  lui  doit  encore  des 
articles  dans  le  Conservateur,  les  Archives  lit- 
téraires de  Vanderbourg,  et  la  Biographie  uni- 
verselle, et  il  est  l'auteur  de  couplets  satiriques 
sur  les  différentes  phases  politiques  que  la  France 
a  eu  à  traverser  depuis  la  révolution. 

Vaulabtlle,  Nist.  des  deux  restaurations.  —  Cape- 
figue,  Uist.  de  la  restauration.  —  Rabbc ,  Biogr.  univ. 
et  portât,  des  contemp. 

saladin  (Jean- Baptiste- Michel),  conven- 
tionnel, mort  à  la  fin  de  1813,  à  Paris.  D'abord 
avocat  à  Amiens,  puis  en  1790  juge  au  tribunal 
de  cette  ville,  il  représenta  le  département  de  la 
Somme  dans  l'Assemblée  législative  et  dans  la 
Convention  nationale.  Hésitant  sans  cesse  entre 
les  partis  opposés,  il  prononça  différents  dis- 
cours qui  se  ressentent  de  l'incertitude  de  ses 
principes  politiques.  Après  s'être  montré  révo- 
lutionnaire fougueux  en  harcelant  la  conduite  des 
derniers  ministres  du  roi,  en  faisant  casser  les 
administrateurs  d'Amiens,  en  votant  la  mort  de 
Louis,  il  se  rapprocha  des  girondins ,  et  protesta 
le  6  juin  contre  leur  proscription.  Ce  ne  fut 
pourtant  que  trois  mois  plus  tard  que,  sur  les 
dénonciations  de  Tallien,  il  fut  mis  en  arrestation; 
il  partagea  la  captivité  des  soixante-treize  députés 
exclus  de  la  Convention,  et  y  rentra  avec  eux  à 
la  suite  du  9  thermidor.  Devenu  membre  de  la 
commission  des  vingt  et  un,  il  fut  chargé  d'exa- 
miner la  conduite  de  ses  collègues  et  les  traita 
sans  aucune  espèce  de  ménagement  :  il  présenta 
différents  rapports  contre  les  terroristes,  entre 
autres  Barère,  Vadier,  Collot  d'Herbois  et  Bil- 
laud-Varennes,  et  constata  leurs  actes  les  plus 
odieux  avec  une  accablante  exactitude.  Envoyé 
dans  les  départements  du  Jura,  du  Doubs  et  de 
la  Haute  Saône,  il  mit  un  terme  aux  vexations 
éprouvées  par  beaucoup  de  familles,  et  lit  annuler 
tous  les  décrets  de  mise  hors  la  loi  rendus  à 
l'occasion  du  31  mai,  ainsi  que  les  procédures 
et  saisies  de  biens  qui  en  avaient  été  la  suite. 
Emporté  par  ce  nouvel  excès  de  zèle,  il  s'opposa 
à  la  réélection  de  deux  tiers  des  conventionnels 
dans  les  conseils  législatifs  (août  1795),  et  sou- 
leva contre  lui  la  majorité  de  l'assemblée  ;  on 
l'accusa  de  royalisme,  et  il  faillit  être  compris  au 
nombre  des  fauteurs  de  l'insurrection  du  13  ven- 
démiaire. Saladin  passa  néanmoins  dans  le  con- 
seil des  Cinq-Cents;  mais  s'étant  réuni  au  con- 
ciliabule de  Clichy,  il  figura  sur  la  liste  des  dé- 
portés du  18  fructidor;  il  parvint  à  se  cacher, 
et,  rappelé  en  1799  par  le  décret  des  consuls,  il 
résida  d'abord  à  Amiens,  sous  la  surveillance  de 
la  police,  puis  à  Paris.  Sous  l'empire  il  acheta 
une  charge  d'avocat  à  la  cour  de  cassation. 

Biogr.  moderne.  —  Moniteur  univ. 

salaoix.  Voy.  Salah-ed-din. 


SALAH-ED-DIN 


16( 


salah-ed-din  (  Malek-Nasser-  YousouJ  ) , 
en françaisSALADiN, sultan  d'Egypte,  né  àTekrit, 
sur  le  Tigre,  l'an  532  de  l'hégire  (  1137  de  l'ère 
chrét.  ),  mort  à  Damas ,  le  27  safar  589  (4  mars 
1 193). Son  aïeul ,  Schadi-ben-Merouan,  Kurde  de 
naissance,  appartenait  à  la  tribu  des  Ravadiens  :il 
eut  deux  fils,  Schirkoub  et  Ayoub,  le  père  de 
notre  héros.  L'ambition  de  Schirkoub  fit  l'élé- 
vation de  Saladin,  son  neveu.  Les  deux  frères, 
attachés  au  service  de  Nour-ed-din,  prince  ou 
atabekdeSyne,  étaient  parvenus  aux  plus  hautes 
dignités.  Ce  fut  sur  Schirkoub  que  Nour-ed-din 
jeta  les  yeux  lorsque,sollicité  par  Chaour,  visir  des 
califes  fatimites  du  Caire,  de  le  rétablir  dans  ce 
poste  important  où  Dargham-abou-el-Achbal  l'a- 
vait supplanté,  le  sultan  de  Syrie  organisa  une 
expédition  en  Egypte  avec  l'espoir  de  conquérir 
plus  tard  cette  contrée  (1164).  Schirkoub,  nommé 
général  en  chef  des  troupes  syriennes ,  emmena 
avec  lui  Saladin ,  qui  ne  consentit  à  partir  que 
sur  l'ordre  exprès  de  l'atabek.  Ce  futur  conqué- 
rant était  alors  entièrement  adonné  au  plaisir. 
El-Added-le-din-illah  occupait  le  califat  lorsque 
les  troupes  de  Nour-ed-din  envahirent  l'Egypte. 
Cette  expédition  réussit  pleinement  ;  mais  bientôt 
Chaour,  pénétrant  les  projets  secrets  de  l'atabek 
de  Syrie  et  de  son  lieutenant,  fit  alliance  avec 
les  chrétiens  et  leur  roi  Amaury,  afin  de  se  dé- 
barrasser de  ses  protecteurs  intéressés.  Schir- 
koub, après  avoir  tenu  quelque  temps  contre  les 
troupes  réunies  de  Chaour  et  d'Amaury,  fut  forcé 
d'évacuer  le  pays.  Mais  il  sut  intéresser  à  sa 
cause  le  calife  abbasside,  réunit  une  nouvelle 
armée,  marcha  sur  le  Caire  et  ne  s'arrêta  qu'au 
défilé  des  Deux  Portes  (bàbaïn).  Là  il  mit  en 
déroute  les  Francs  unis  aux  Égyptiens ,  puis  il 
soumit  la  basse  Egypte  et  vint  camper  devant 
Alexandrie;  cette  ville  ouvrit  ses  portes  au  vain- 
queur. L'expédition  se  termina  par  un  traité 
qui  stipulait  certaines  conditions  avantageuses 
aux  Syriens  et  l'évacuation  des  Francs  (1167). 

Saladin  avait  suivi  son  oncle  dans  cette  nou- 
velle guerre.  11  montra  dans  Alexandrie  assiégé 
par  les  chrétiens ,  et  où  il  se  trouvait  seul  avec 
une  faible  garnison,  une  prudence,  une  habileté, 
qui  pouvaient  dès  cette  époque  laisser  soup- 
çonner en  lui  un  capitaine  consommé.  Quelques 
auteurs  prétendent  que  ce  fut  au  moment  de 
l'évacuation  d'Alexandrie  que  Saladin  se  fit  armer 
chevalier.  Les  attaques  des  chrétiens,  toujours 
désireux  de  s'immiscer  dans  les  affaires  de  l'E- 
gypte, forcèrent  bientôt  Chaour  à  recourir  de 
nouveau  à  l'intervention  de  Nour-ed-din  (1168), 
et  celui-ci  confia  à  Scbirkoub  le  commandement 
d'une  troisième  expédition.  De  son  côté  le  calife, 
fatigué  de  la  tyrannie  de  son  ministre,  promit  à 
Schirkoub  de  lui  remettre  le  visirat  s'il  parve- 
nait à  le  débarrasser  de  Chaour  et  des  Francs. 
Schirkoub  accéléra  aussitôt  sa  marche,  battit 
les  chrétiens  aux  environs  du  Caire,  et  entra  dans 
la  ville  environné  de  la  population  reconnais- 
sante. Chaour  eut  la  tête  tranchée,  et  son  heureux 

6. 


f67 


SALAH-ED-DIN 


168 


rival  fut  proclamé  grand  visir  ;  mais  il  mourut  peu 
après  son  triomphe.  Le  calife,  croyant  trouver 
dans  Saladin  un  jeune  homme  sans  expérience,  et 
qu'il  pourrait  diriger  à  sa  guise,  s'empressa  de  le 
nommer  à  la  place  de  son  oncle  avec  le  titre  à'El- 
melek-el-nasser  (le  roi  victorieux). 

La  nouvelle  de  l'élévation  d'un  émir  syrien  au 
visirat  des  fatimites  jeta  l'alarme  parmi  les 
chrétiens  de  Syrie.  Ils  firent  appel  aux  princes 
de  l'Europe  pour  qu'ils  organisassent  une  croi- 
sade. L'empereur  grec  fut  le  seul  qui  répondit 
d'une  manière  effective.  Il  mit  à  la  disposition 
d'Amaury  une  flotte  destinée  à  transporter  en 
Egypte  les  troupes  de  ce  prince.  Cette  flotte  vint 
mouiller  dans  les  eaux  de  Damiette;  mais,  après 
être  restés  cinquante  jours  devant  cette  ville,  les 
Francs,  qui  se  trouvaient  dans  un  état  complet 
de  détresse ,  se  virent  obligés  de  remettre  à  la 
Toile.  Saladin,  désireux  d'occuper  les  troupes 
syriennes  dont  il  disposait,  porta,  l'année  sui- 
vante, la  guerre  dans  la  Syrie  chrétienne.  Il 
assiégea  Daroun ,  forte  citadelle  située  près  de 
Gazza,  marcha  à  la  rencontre  des  chrétiens,  les 
défit  et  s'empara  de  Gazza.  Cependant  Nour-ed- 
din,  jaloux  de  son  lieutenant,  usa  de  tous  les 
moyens  pour  affaiblir  l'influence  qu'il  avait  su 
acquérir.  Ce  fut  dans  ce  but  qu'il  lui  intima 
i'ordre  de  faire  accepter  aux  musulmans  de  la 
vallée  du  Nil  fout,  entière  la  direction  spirituelle 
du  calife  abbasside.  C'était,  en  réalité,  demander 
ta  déposition  d'El-Added- le-din-illah.  Saladin, 
dans  le  plus  grand  embarras,  convoqua  son  con- 
seil ;  personne  n'osa  émettre  uue  opinion.  Le 
seul  émir  Alam  se  chargea  de  donner  un  com- 
mencement d'exécution  aux  volontés  de  Nour- 
ed-din,  en  prononçant,  le  vendredi  suivant,  le 
Khothah  (prière  sacramentelle),  au  nom  du 
calife  de  Bagdad.  Les  fidèles  accueillirent  cette 
innovation  par  la  plus  grande  indifférence.  Sala- 
din, n'ayant  plus  à  redouter  un  soulèvement  du 
peuple,  imposa  la  même  formule  à  tous  les  kha- 
lebs  des  mosquéesdu  Caire,et  étendit  bientôt  cette 
mesure  à  l'Egypte  entière.  Ainsi  finit  le  schisme 
des  fatimites  et  la  domination  des  princes  de 
cette  dynastie,  qui  s'éteignit  d'ailleurs  peu  de 
temps  après,  dans  la  personne  d'El-Added,  son 
dernier  représentant.  Saladin  a  été  accusé  par 
Guillaume  de  Tyr  d'avoir  fait  assassiner  ce  ca- 
iife.  Quoi  qu'en  disent  les  auteurs  arabes,  una- 
nimes pour  décharger  la  mémoire  du  fils  d'Ayoub 
de  ce  crime,  la  conduite  de  Saladin  à  l'égard 
d'El-Added  tendrait  à  justifier  l'accusation  de 
('historien  chrétien;  elle  laisse  au  moins  des 
loutes  sérieux  sur  son  inculpabilité.  El-Added 
fut  en  effet  renfermé  dans  son  palais  par  les 
ordres  de  l'ambitieux  visir;  tout  lui  fut  refusé 
des  prérogatives  de  son  rang,  jusqu'à  sa  dernière 
monture,  qu'il  dut  céder  à  son  vassal. 

La  mort  du  calife  fatimite  rendit  Nour-ed- 
din  souverain  de  l'Egypte;  mais,  par  le  fait,  le 
véritable  maître  fut  Saladin.  Dissimulant  habi- 
aiment  ses  intentions,  il  se  reconnut  toujours 


lieutenant  du  sultan  de  Syrie.  Si  sa  politique  à 
l'égard  de  ce  dernier  fut  adroite ,  celle  qu'il 
tint  avec  le  peuple  égyptien  ne  fut  pas  moins 
savante  :  il  chercha  et  réussit  à  déraciner  des 
esprits  les  principes  de  la  secte  d'Ali  en  établis- 
sant des  collèges  où  d'habiles  docteurs  prê- 
chèrent les  dogmes  orthodoxes.  En  même  temps 
il  se  créa,  tant  au  sein  de  la  population  que 
parmi  les  émirs  syriens,  de  zélés  partisans. 
Nour-ed  din  tenta  à  deux  reprises,  mais  en  vain, 
de  l'attirer  hors  de  l'Egypte  afin  de  pouvoir  le 
déposséder  sans  coup  férir.  Puis  il  lui  déelara  qu'il 
irait  en  personne  le  chasser  de  l'Egypte;  la  mort 
vint  le  surprendre  au  milieu  de  ses  préparatifs 
de  guerre  (12  avril  1174).  Saladin  proclama  son 
entière  soumission  envers  le  nouveau  sultan, 
faible  enfant  âgé  de  onze  ans  et  nommé  El-Melek- 
el-Saleh-Ismaïl.  En  même  temps,  il  se  rendit  à 
Damas,  d'où  il  chassa  Séif  ed-din  el-Ghazy, 
neveu  de  Nour^ed-din,  qui  avait  usurpé  cette  ville 
surTsmaïl.  Il  s'empara  successivementd'Émesse, 
de  Hamah,  de  Baalbek  et  d'autres  places;  il  était 
même  sur  le  point  de  forcer  Alep,  résidence  du 
fils  de  Nour-ed-din,  toujours  sous  le  prétexte  de 
défendre  les  intérêts  de  ce  prince  et  de  l'arra- 
cher à  une  tutelle  injuste.  Pressé  par  les  troupes 
de  Saladin,  le  régent  Chems-ed-din  implora  l'ap- 
pui de  Séif-ed-din-el-Ghazy  que  nous  avons  nomuri 
plus  haut;  les  troupes  de  ce  roi  de  Mossoul, 
unies  à  celles  d'Ismaïl,  attaquèrent  le  visir  d'E- 
gypte près  de  Hamah,  le  19  de  ramadan  570 
(1174);  elles  furent  complètement  défaites.  Sa- 
ladin, devenu  par  cette  victoire  maître  de  la 
Syrie  musulmane,  fit  proclamer  son  nom  dans 
les  prières  publiques,  accompagné  du  titre  dp 
sultan  d'Egypte  et  de  Syrie.  Les  croisés  se 
jetèrent  alors  sur  le  territoire  de  Damas,  et  bat- 
tirent Touran-chah,  frère  du  sultan.  Mais  Sala 
din  les  força  de  se  retirer,  et  poursuivit  ses 
eonquêtes  en  Asie.  En  1177,  l'armée  égyptienne 
fut  défaite  à  Ramlah  par  Raymond  de  Châtillon. 
La  discorde  qui  s'établit  entre  les  chefs  chrétiens 
entrava  leurs  succès.  Saladin,  apprenant  qu'Azz 
ed-din,  roi  de  Mossoul,  traitait  avec  les  Francs, 
s'empressa  de  rentrer  en  Syrie,  s'empara  d'A- 
lep  par  capitulation,  et  vint  mettre  le  siège  de- 
vant Mossoul.  Le  siège  de  cette  ville,  souvent 
interrompu,  ne  fut  repris  définitivement  qu'en 
1185.  Saladin  tomba  dangereusement  malade. 
Obligé  de  se  retirer  à  Hamah,  il  conclut  un  traite 
de  paix  avec  Azz-ed-din  par  lequel  ce  dernier  il 
reconnaissait  comme  suzerain  de  ses  États  el 
prenait  envers  lui  certaines  obligations. 

Dès  lors  Saladin  ne  tourna  plus  ses  armes 
que  contre  la  Palestine.  Gui  de  Lusignan  occu- 
pait à  cette  époque  le  trône  de  Jérusalem.  Re- 
naud de  Châtillon  vint  fournir  au  sultan  un 
prétexte  pour  prendre  les  armes  contre  les  chré 
tiens  :  il  enleva,  au  mépris  des  traités,  une 
riche  caravane  musulmane  qui  traversait  ses 
terres.  Les  chrétiens,  attaqués  par  Saladin,*prou- 
vèrent  des  défaites  successives.  Une  foule  de 


!    169  SALAH 

!  places  fortes,  la  forte  ville  d'Akkah  (Acre)  elle- 
même,  tombèrent  au  pouvoir  du  sultan  d'Egypte 
à  la  suite  de  la  bataille  de  Tibériade  (4  juillet 
1187),  bataille  dans  laquelle  Gui  de  Lusignan 
fut  fait  prisonnier.  Le  2  octobre  suivant,  Jé- 
rusalem fut  forcéede  se  rendre.  A  cette  nouvelle 
l'Europe  s'émut.  Trois  souverains  se  croisèrent  : 
le  premier,  Frédéric  Barberousse ,  mourut  avant 
d'avoir  terminé  la  sainte  entreprisse  de  recon- 
quérir Jérusalem;  vinrent  ensuite  et  ensemble 
d'abord,  Philippe-Auguste  et  Richard  Cœur  de 
Lion  (1 191).  La  désunion  s'établit  entre  ces  deux 
princes  dès  qu'il  s  eurent  touché  le  sol  de  la  Syrie,  et 
la  lutte  que  Kichard  Cœur  de  Lion  continua  seul 
eut  pour  résultat  d'obtenir  de  Saladin  une  trêve  de 
troisans  (août  1 192).  Débarrasséde  ces  puissants 
ennemis,  le  sultan  alla  chercher  à  Damas  le  repos 
que  réclamait  sa  santé.  Il  reçut  dans  cette  ville 
des  députations  de  tous  les  princes  de  l'Orient, 
qui  le  félicitaient  de  ses  victoires;  mais  il  était 
atteint  d'une  maladie  incurable,  qui  le  conduisit 
en  peu  de  temps  au  tombeau. 

Saladin  ne  fut  pas  seulement  un  capitaine  habile 
et  expérimenté;  il  laissa  dans  l'administration  de 
ses  États,  surtout  en  Egypte,  des  traces  durables 
de  sa  sagesse  On  voit  encore  au  Caire  des  cons- 
tructions qu'il  fit  élever,  des  édifices  comme  la 
citadelle  (Galah-el-Gebel),  le  puits  dit  de  Joseph, 
du  nom  de  Saladin  (Yousouf);  enfin  les  gre- 
niers également  connus  sous  le  nom  de  greniers 
de  Joseph.  Les  canaux,  les  digues,  les  voies 
publiques  eurent  tous  ses  soins.  Il  fit  entourer 
l'enceinte  du  Caire  d'une  muraille  fortifiée.  «  Sa- 
ladin, dit  M.  Sédillot,  est  un  personnage  très- 
intéressant  dans  l'histoire  des  croisades,  et  son 
règne  représente  pour  nous  le  plus  haut  point  de 
la  civilisation  des  Arabes.  Kurde  de  naissance, 
il  n'appartient  pas  précisément  à  la  race  turque; 
mais  il  en  a  l'instinct  guerrier,  et  il  y  joint  une 
intelligence  supérieure.  On  personnifie  dans  Go- 
defroi  de  Bouillon  et  Richard  Cœur  de  Lion  la 
foi,  la  générosité,  la  bravoure  des  chevaliers 
chrétiens;  Saladin  est  au  même  titre  le  héros 
des  musulmans.  En  lui  viennent  se  résumer 
leurs  plus  belles  qualités:  courage  àtonteépreuve, 
grandeur  d'âme,  fidélité  inébranlable,  aux  traités, 
piété  sincère,  esprit  de  justice,  modération  dans 
la  victoire,  simplicité  de  mœurs  s'unissant  quel- 
quefois  à  toute  la  munificence  orientale;  tels 
sont  les  traits  principaux  de  son  caractère.  Pas- 
sant sa  vie  au  milieu  des  comhats,  il  ne  nous 
apparaît  pas  comme  le  protecteur  des  lettres, 
des  arts  et  des  sciences,  mais  il  ne  leur  est  pas 
étranger;  il  possède  toutes  les  connaissances 
arabes  et  il  ne  néglige  aucun  moyen  de  s'élever 
dans  l'estime  des  peuples.  » 

Henri  Thiers. 

Aboulfeda,  Aboulfaradj,  Isfahant.  —  fita  et  res  gestœ 
Saladini,  éd.  Schultens,  1"32.  —  Marin.  Hist.  de  Saladin  ■ 
Paris,  i7R3,  s  v..l.  in-12.  -  iVHerbc-lot,  Hibi.  orientale'. 
—  sédillot,  Hist.  des  arabes.  —  Michaud  ,  Hist.  des 
croisades.  —  Relnaud,  Notice  sur  la  vie  de  Saladin  ■ 
Paris,  1824,  in-8». 


ED-DIN 


170 


salah-ed-din  il  (Melik-el-Nasr-Salah- 
ed-din  Yousouf),  sultan  d'Alep,  arrière-petit- 
flls  du  précédent,  né  en  (229,  mort  en  I2C1.  11 
n'avait  que  sept  ans  lorsqu'il  succéda  en  1236 
à  son  père  Melik-el-Azis  Mohammed.  Le  pouvoir 
fut  exercé  pendant  sa  minorité  par  son  aïeule 
Daifa-Khatoun,  qui  eut  à  lutter  contre  des  cir- 
constances difficiles  :  les  Kharismiens,  refoulés 
par  les  Mogols ,  envahirent  les  contrées  situées 
au  sud  de  la  mer  Caspienne  et  taillèrent  en 
pièces  les  troupes  d'Alep.  Après  la  mort  de  la 
régente  (1242),  le  premier  acte  du  jeune  prince 
fut  d'intervenir  contre  les  Mogols  en  faveur  de 
sou  beau-frère  le  sultan  d'Iconium  (1243);  mais 
il  ne  put  prévenir  sa  ruine.  La  révolution  qui 
en  1250  substitua  en  Egypte  la  domination  des 
Mamelouks  à  celle  des  Aïoubites  lui  fut  avanta- 
geuse. Le  pays  de  Damas,  repoussant  le  joug 
des  nouveaux  maîtres  du  Nil,  se  donna  à  lui  et 
il  rallia  plusieurs  princes  voisins;  mais  lorsqu'il 
voulut  conquérir  l'Egypte,  il  fut  abandonné  d'une 
partie  de  ces  nouveaux  alliés,  et  malgré  quelques 
succès  il  retourna  en  Syrie,  et  signa  la  paix  trois 
ans  après;  il  put  même,  profitant  des  défections 
qui  avaientéclaté  parmi  les  Mamelouks,  leur  arra- 
cher des  concessions  de  territoire  qui  étendirent 
son  empire  jusqu'à  El-Arisch.  Les  Mogols,  qui 
s'avançaient  alors  vers  l'Asie  méridionale,  étaient 
pour  lui  des  ennemis  bien  plus  dangereux.  Le 
calife  «le  Bagdad  chercha  près  de  lui  un  appui 
contre  les  envahisseurs  et  lui  donna  solennelle- 
ment l'investiture  des  États  qu'il  occupait;  l'an- 
née suivante  Bagdad  était  pris  et  le  califat  dis- 
paraissait (1258).  Le  chef  des  Mogols  Houlagou 
somma  alors  le  sultan  d'Alep  de  venir  s'humilier 
devant  lui  ;  Saladin  envoya  à  sa  place  son  fils, 
qui  fit  appel  à  la  générosité  du  vainqueur,  mais 
celui-ci  lui  répliqua  d'un  ton  menaçant  :  «  Va 
dire  à  ton  père  que  je  lui  ai  donné  l'ordre  de 
venir  en  personne.  »  Les  Mogols,  sans  attendre 
un  nouvel  acte  de  soumission,  se  répandirent 
comme  un  torrent  sur  la  Syrie  et  occupèrent  en 
1260  Alep,  qui  fut  saccagé  pendant  cinq  jours. 
Saladin,  avec  le  concours  des  princes  de  Syrie, 
marcha  au  secours  de  sa  capitale.  Voyant  la  dis- 
corde éclater  parmi  ses  troupes  et  redoutant 
quelque  trahison,  il  rebroussa  chemin  et  chercha 
un  refuge  dans  la  citadelle  de  Damas.  Bientôt  il 
se  disposa  à  aller  avec  son  frère  implorer  le 
secours  du  sultan  d'Egypte;  toujours  incertain,, 
il  renonça  à  ce  projet, et  accompagné  d'un  petit 
nombre  de  soldats  fidèles,  il  s'enfonça  dans  le 
désert.  C'est  alors  qu'il  suivit  le  fatal  conseil 
d'implorer  la  clémence  des  Mogols,  m.iîtres  de 
ses  États.  Ceux-ci,  avertis  du  lieu  où  il  se  cachait, 
se  saisirent  de  sa  personne  et  le  conduisirent  à 
Houlagou,  qui  lui  fit  d'abord  un  généreux  accueil  ; 
mais  la  nouvelle  de  deux  échecs  éprouves  par  ses 
soldats  le  rendit  furieux  ;  il  reprocha  à  Saladin  sa 
perfidie,  et  le  frappa  d'une  javeline.  Au  second 
coup  le  sultan  tomba  blessé  à  mort.  Avec  lui 
s'éteignit  la  dynastie  des  Aïoubites  d'Alep.  Prince 


171  SALAH-ED-DIN 

fastueux  et  prodigue,  inconsistant,  dont  la  bonté 
avait  le  caractère  de  la  faiblesse ,  il  était  peu 
capable  de  prolonger  la  durée  d'un  empire  me- 
nacé de  toutes  parts.  La  faveur  qu'il  accorda  aux 
lettres  et  aux  arts  ne  compensait  pas  son  insuf- 
fisance sous  les  autres  rapports  dans  des  cir- 
constances aussi  critiques.  Il  laissa  des  descen- 
dants, qui  s'éteignirent  dans  l'obscurité. 
Aboulféda,  Annales.  —  D'flerneîot,  Bibl.  orientale. 

salai  ou  salaino  {Andréa),  peintre, né  à 
Milan,  vers  1500;  l'époque  de  sa  mort  est  in- 
connue. Il  était  entré  chez  Léonard  de  Vinci  en 
qualité  de  creato  (garçon  d'atelier),  mais  par 
sa  beauté,  sou  esprit  et  son  cœur,  il  devint  bien- 
tôt le  favori  et  le  modèle  de  son  maître,  et  plus 
tard  un  de  ses  meilleurs  élèves.  Vasari  rapporte 
que  beaucoup  de  ses  tableaux  furent  retouchés 
par  le  Vinci.  Si  le  dessin  de  Salai  n'est  pas  tou- 
jours irréprochable,  son  coloris  doux,  ses  formes 
pleines  de  suavité  le  rapprochent  de  son  maître. 
Dans  le  petit  nombre  d'ouvrages  qu'il  avait  laissés 
à  Milan,  on  voyait  une  Sainte  famille,  placée 
jadis  dans  la  sacristie  de  la  Madonna  presso 
Santo-Celso,  et  qui  figure  à  Munich  dans  la  ga- 
lerie du  prince  de  Leuchtenberg.  Cette  œuvre 
soutenait  sans  désavantage,  au  dire  de  Lanzi,  la 
comparaison  avec  une  Sainte  famille  de  Ra- 
phaël placée  en  pendant,  et  qui  est  également 
passée  en  Allemagne.  Du  reste,  on  prétend  que 
Salai  avait  peint  son  tableau  d'après  un  carton 
que  le  Vinci  avait  composé  à  Florence,  où  il 
avait  excité  une  vive  admiration.  Milan  possède 
de  cet  artiste:  à  la  bibliothèque  Ambrosienne, 
Saint  Jean  dans  le  désert,  tableau  d'un  coloris 
chaud  ;  une  Madone  au  palais  Vitali,  et  au  mu- 
sée de  Brera  une  autre  Madone,  une  Sainte 
famille  ella  Vierge  entresaint  Pierre  et  saint 
Paul.  Nous  trouvons  encore  de  lui  :  une  Sainte 
famille  à  la  galerie  publique  de  Florence  ;  une 
jolie  Madone  à  la  villa  Albani  près  Rome,  et  au 
musée  de  Naples  Jésus  et  saint  Jean  se  te- 
nant embrassés.  Paris,  qui  ne  possédait  aucune 
œuvre  de  Salai,  en  compte  maintenant  trois  dans 
le  nouveau  musée  Napoléon  III,  une  Madone, 
une  Adoration  des  mages  et  le  portrait  de  la 
Bienheureuse  Marie-Catherine  Bagora.  Salai 
excellait  dans  ce  dernier  genre.      E.  B — n. 

Vasari,  Lanzi,  Orlandl.  —  Pirovano,  Guida  di  Milano. 

salazar.  Voy.  Mendoza. 
sa  i.  dan  h  a  (Joâo-Carlos ,  comte,  puis  duc 
de),  homme  d'État  portugais,  né  le  17  novem- 
bre 1791,  à  Lisbonne,  où  il  est  mort,  le  17  no- 
vembre 1861.  Son  père,  Jofiode  Saldanha(l)Oli- 
veira,  appartenait  à  l'une  des  grandes  familles  du 
pays;  sa  mère,  Maria- Amelia,  était  fille  du  mar- 
quis de  Pornbal.  Après  avoir  fait  de  bonnes  étu- 
des au  collège  des  nobles  de  Lisbonne,  puis  à  l'u- 
niversité de  Coïmbre,  il  entra  au  service  mili- 
taire, commanda  en  1810  un  bataillon  à  Busaco, 
prit  part  à  toutes  les  campagnes  de  la  guerre 
d'Espagne  sous  les  ordres  de  Wellington  et  de 

(1)  On  prononce  ce  nom  Saldagna. 


—  SALDANHA  172 

Beresfoid ,  et  reçut  quatre  médailles  d'honneui 
pour   des  actions   d'éclat.  Il  ne  quitta  l'armé* 
qu'après  la  bataille  de  Toulouse,  avec  le  gradt 
de  maréchal  de  camp  (1814).  Envoyé  au  Brésil, 
il  rendit  de  grands  services  dans  la  guerre  d< 
Montevideo,  et  défit  la  redoutable  cavalerie  d'Ar- 
îegas.  Il  était  capitaine  général  de  la  provins 
de  Bio-Grande  du  sud  lorsqu'il  apprit  la  révo- 
lution de   1820  :  aussitôt  il  proclama  spontané- 
ment les  bases  de  la  constitution  adoptée  parlei 
coi  tes,  et  fut  à  i'unanimité  élu  chef  du  gouver- 
nement provisoire;  mais  il  refusa  de  soutenir  I 
cause  de  dom  Pedro,  malgré  les  avantages  qu'oi 
lui  offrit,  et  se  rembarqua  peur  le  Portugal  (1822) 
Ses  opinions  libérales  et  ses  talents  militaire: 
faisaient  de  lui  un  personnage  considérable,  etl< 
gouvernement  constitutionnel  s'empressa  de  I< 
nommer  gouverneur  du   Brésil  et  commandan 
des  forces  de  terre  et  de  mer,  avec  les  pouvoir: 
d'un  vice-roi.  Sur  ces  entrefaites  le  Brésil  s'af 
franchit  de  la  métropole,  et  Pedro  fut  élu  em  j 
pereur  ;  on  fit  traîner  en  longueur  les  prépara 
tifs  de  l'expédition  organisée  contre  lui,  et  Sal  a 
danha,  découragé,  résigna  ses  pouvoirs.  Mis  au:  I 
arrêts  le   15  février  1823,  il  dut  la  liberté  ai. 
soulèvement  de  la  garnison  de  Lisbonne  (27  mai)  ; 
et  se  rendit  auprès  de  Jean  VI,  à  qui  il  arrach; 
la  proclamation  du  31  mai,  où  une  constitutioi .' 
était  promise  aux  Portugais.  Au  mois  de  févrie.  : 
1825,  ii  devint  gouverneur  militaire  de  Porto  , 
et  après  la  mort  de  Jean  VI  (1826),  ii  proclama  j 
à  la  tête  de  la  garnison  de  cette  ville,  la  ebarh 
de  dom  Pedro;  cet  acte  d'heureuse  audace  dé  i 
cida  du  triomphe  de  son  parti,  et  lui  fit  donner' 
dans  le  ministère  de  la  régente  Isabelle,  le  por- 
tefeuille de  la  guerre  (3  août  1826).  La  chart<  J 
trouva  en  lui  un  énergique  défenseur  lorsque  h 
veuve  de  Jean  VI  excita  des  troubles  en  faveui 
de  domMiguel  :  il  se  mit  lui-même  à  la  tête  da 
troupes  et  chassa  les  rebelles  de  l'Algarve.  Uni 
maladie  subite,  qu'on  soupçonna  avoir  été  causéi 
par  une  tentative  d'empoisonnement,  l'exposa  ; 
un  si  grand  danger  qu'il  interrompit  l'exercicij 
de   ses  fonctions   (12  janvier  1827);  au  moi: 
de  juin  il  reprit  à  l'improviste  son  portefeuille  j 
qui  avait  été  confié  à  Xavier,  obligea  la  régenhj 
à  congédier   ses  conseillers  et  composa   le  ea- 
binet  de  libéraux.  Mais  le  parti  de  la  cour  n<  j 
tarda  pas  à  reprendre  le  dessus  ;  Saldanha  fu 
destitué  (24  juillet),  et  l'usurpation  de  dom  Mi 
guel  ne  rencontra  plus  d'obstacle  sérieux.  L'an- 
née suivante,  à  la  nouvelle  du  soulèvement  d( 
Porto  (16  mai  182.8),  il  quitta  l'Angleterre,  où  i 
s'était  réfugié,  et  rejoignît  la  petite  armée  cons 
litutionnelle,    qu'il  trouva  en  pleine  déroute, 
n'ayant  pu  réussir  à  la  réorganiser,  il  reprit  h 
chemin  de  Pexil.'En  janvier  1829  il  tenta,  ave< 
un  millier  d'hommes,  de  renforcer  la  garnison  ai 
Terceira,  restée  fidèle  à  dona  Maria  ;  repoussé  pat 
le  canon  anglais,  il  chercha  un  asile  en  France. 
Il  ne  renonça  pas  cependant  àses  projets,  et  pré- 
para ,  de  concert  avec  ses  amis  politiques,  de 


73 


SALDANII 


|  uouvelles  tentatives  en  faveur  de  doiia  Maria; 
nais  son  caractère  entier  et  orgueilleux  lui  sus- 
cita des  difficultés  avec  dom Pedro,  qui  était  venu 
!  prendre  la  direction  des  intérêts  de  sa  fille,  et 
orsqu'une  expédition  composée  de  Français  et 
[Ile  Portugais  partit  de  Belle-Isle  en   1832,  Sal- 
[lanha  n'en  Gt  pas  partie. 

L'année  suivante  il  prit  une  part  active  à  la 
utte  ouverte  entre  dom  Pedro  et  dorh  Miguel,  se 
eta  dans  Porto,  bloquée  parle  prétendant,  le  re- 
poussa et  devint  le  principal  personnage  du  gou- 
vernement de  Maria.  Ses  talents  militaires  le  ren- 
flaient indispensable  pour  un  pouvoir  qui  avait 
pneorc  de  nombreux  obstacles  à  vaincre;  Ce  fut 
Saldanha  qui  proposa  et  exécuta,  de  concert  avec 
e duc  de  Terceira,  l'expédition  qui  porta  jusqu'au 
[  bnd  des  Algarves  le  drapeau  victorieux  de  Pedro, 
f  ;t  qui  fut  marquée  par  des  succès  continus,  par 
a  soumission  de  Lisbonne  et  par  la  chute  défi- 
f  îitive  de  domMiguel,  qui,  parla  capitulation  d'E- 
[rora,  renonça,  en  1834,  à  toutes  ses  prétentions. 
Malheureusement,  s'il  était  un  général  distingué, 
1  n'avait  pas  assez  les  qualités  d'homme  d'État 
hour  justifier  l'ambition  absorbante  qui  le  faisait 
pspirer  à  un  rôle  omnipotent.  Inconsistant  et  mo- 
bile à  l'excès,  il  passait  avec  une  étrange  facilité 
d'un  parti  à  un  autre.  Quoique  récompensé  de 
'ses  services  par  les  titres  de  marquis  et  de  ma- 
réchal, il  se  mit  à  la  tête  de  l'opposition,  et  con- 
quit par  ce  moyen  le  poste  de  ministre    de  la 
guerreaveclaprésidenceduconseil(27  mai  1835). 
Une  put  pas  plus  que  d'habitude  s'entendre  avec 
ses  collègues,  et  vit  se  former  dans  les  chambres 
un   parti  hostile  qui   ébranla  son  pouvoir;  il 
donna  sa  démission  (  14  novembre).  Lorsque  la 
révolution  de  septembre  1 836  eut  entraîné  le  pou- 
voir dans  une   voie  plus  libérale,     Saldanha, 
donnant   un  démenti  à  tout  son  passé,   se  fit 
le  champion  de  la  reine,  et  dirigea  avec  elle 
la  faction  qui  voulait  ramener  le  pouvoir  dans 
un  sens  rétrograde.  Après  avoir  échoué,  il  tenta 
;de  ressaisir  le  pouvoir  en  appelant  aux  armes  au 
nom  de  la  charte  outragée  (juillet  1837).  Il  ras- 
sembla autour  de  lui  quelques  centaines  de  sol- 
dats, se  joignit  au  duc  de  Terceira,  et  établit  une 
régence  provisoire.  Il  tint  la  campagne  deux  mois  : 
battu  par  Bomfim  à  Campo  de  Leiria  et  par  das 
Antas  à  Ruivaes,  il  se  rembarqua  (sept.  1837), 
et  vécut  tour  à  tour  en  France  et  en  Angleterre, 
dans  l'attente  d'événements  nouveaux.  En  1846, 
don  a  Maria  ayant  failli  être  renversée  par  une 
insurrection  sanglante  qui  avait  éclaté  contre  la 
dictature  de  Costa-Cabral,  elle  appela  auprès 
d'elle  le  maréchal ,  le  créa  duc  et  pair,  et  lui 
donna    mission   de  former  un  nouveau  minis- 
tère  (20  mai  1846).   Celui-ci   s'en   réserva   la 
présidence,  avec  le   portefeuille     des  affaires 
étrangères;  mais  malgré  la  victoire  qu'il  rem- 
porta à  Torres  Vedras  sur  das  Antas  et  Bomfim, 
>1   ne    triompha    point    entièrement   du  parti 
mécontent,  et  se  retira  le  22  août  1847.  Après 
avoir  occupé  pendant  quelques  mois  le  poste 


V  —  SALE  174 

d'ambassadeur  à  Madrid  ,  il  revint  au  pou- 
voir' (22  décembre  1847), et  accepta,  en  janvier 
1849  la  présidence  du  conseil.  Mais  lorsque 
Costa-Cabral  voulut  reprendre  sa  place  dans 
le  cabinet,  sur  lequel  il  exerçait  une  sorte  de 
dictature  anonyme,  le  vieux  maréchal  refusa  de 
s'associer  davantage  aux  actes  d'un  gouvernement 
réactionnaire.  11  ne  cessa  d'attaquer  le  dictateur 
au  nom  de  la  liberté,  rallia  de  nombreux  partisans, 
et,  grâce  à  son  ascendant  sur  l'armée,  il  devint 
bientôt  redoutable.  Enfin,  en  mai  1851,  secondé 
par  Sylva  Cabrai,  frère  du  dictateur,  appuyé  par 
l'Angleterre,  il  triompha  de  sou  rival  dans  une 
insurrection  qui  le  porta  lui-même  à  la  tête  du 
ministère  (23  mai).  Saldanha,  devenu  Farbitredes 
destinées  de  la  nation  portugaise,  cassa  les  actes 
de  son  prédécesseur,  et  prétendit  représenter  la 
cause  de  la  liberté;  mais  l'opposition  qu'il  ren- 
contra et  les  embarras  d'une  régence  le  portèrent 
à  des  actes  arbitraires,  qui  augmentèrent  le 
nombre  de  ses  ennemis.  Les  attaques  des  Cortès 
contre  lui  étaient  devenues  si  violentes  que  le 
jeune  roi  Pedro  II  crut  devoir  le  sacrifier;  il  quitta 
donc  le  pouvoir  (6  juin  1856)  après  cinq  ansde  mi- 
nistère, pendant  lesquels  il  n'avait  pas  justifié  par 
des  talents  politiques  Tâpreté  de  son  ambition. 
En  1860,  il  succéda  au  duc  de  Terceira  dans  la 
présidence  du  conseil  suprême  de  justice  mili- 
taire. Il  mourut  après  une  très-courte  maladie, 
le  jour  même  où  il  accomplissait  sa  soixante- 
dixième  année.  L.  C. 

Biogr.  univ.   et  portât,  des  contemp.,  suppl.   —  Le- 
sur,  Annuaire  hit  t. 

sale  (George),  savant  littérateur  anglais, 
né  en  1680,  mort  le  14  novembre  1736,  à  Londres. 
Malgré  les  services  qu'il  a  rendus  aux  lettres,  on 
ignore  les  particularités  de  sa  vie;  il  exer- 
çait à  Londres  la  profession  d'homme  de  loi , 
et  ce  ne  fut  que  vers  la  fin  de  sa  carrière  qu'il 
songea  à  tirer  parti  de  ses  connaissances.  On 
trouve  son  nom  parmi  les  auteurs  de  la  grande 
Histoire  universelle,  éditée  par  Swinton, 
Campbell  et  autres,  et  il  fournit  à  ce  recueil 
la  partie  cosmogonique  ainsi  que  plusieurs  mor- 
ceaux d'histoire  sur  les  nations  de  l'Orient.  Il 
travailla  aussi  au  General  Dictioiwry  (Londres, 
1734,  10  vol.  in-4"),  qui  est  en  grande  partie  la 
reproduction  du  Dictionnaire  de  Bayle.  Mais 
l'œuvre  qui  le  recommande  à  la  postérité  est  une 
version  anglaise  du  Koran  d'après  l'original 
arabe,  avec  des  notes  et  un  commentaire  (ibid., 
1734  in-4°);  il  la  fit  précéder  d'un  discours 
préliminaire  sur  l'état  social  et  religieux  des 
Arabes,  des  Juifs  et  des  chrétiens ,  au  temps  de 
Mahomet,  discours  que  Du  Ryer  a  introduit  en 
tête  de  sa  traduction  française  du  Koran  (1770, 
2  vol.  in-8°).  Sale  fut  un  des  fondateurs  de  la 
Société  pour  l'encouragement  des  études  (1736). 
On  a  publié,  après  sa  mort,  le  catalogue  raisonné 
de  ses  manuscrits  orientaux. 
Clialmers,  General  ISiogr.  Dict. 

sale  (la).  Voy.  La  Sale. 


175 


SALEL 


salel  (Hugues),  poëte  français,  né  vers 
1504,  à  Casais  (Qnerci),  mort  en  1553,  à  l'ab- 
baye de  Saint-Cheron,  près  Chartres.  On  ne 
sait  rien  de  sa  famille  ni  de  sa  première  éduca- 
tion. Un  certain  talent  pour  la  poésie  le  mit  en 
faveur  auprès  de  François  Ier,  qui  le  combla  de 
biens  et  lenomma  son  valet  dechambre  puis  son 
maître  d'hôtel.  Ce  fut  pour  le  récompenser  de  sa 
traduction  des  premiers  livres  de  V Iliade  que 
ce  prince  lui  donna  en  1540  l'abbaye  de  Saint- 
Chéron.  Salel  en  fut  le  premier  abbé  commen- 
dataire.  Après  la  mortde  son  bienfaiteur (1547), 
il  quitta  la  cour  et  renonça  probablement  à  la 
vie  mondaine  qu'il  avait  menée  jusqu'alors  pour 
aller  passer  à  Saint-Chéron  le  reste  de  sa  vie 
dans  le  repos.  Il  vivait  encore  à  la  fin  de  mars 
1553,  ainsi  qu'on  le  voit  par  une  lettre  d'Olivier 
de  Magny,  qui  lui  donne  les  qualités  de  con- 
seiller et  aumosnier  ordinaire  de  la  royne. 
Ses  poésies  sont  en  petit  nombre,  et  ne  répondent 
point  aux  éloges  que  les  poètes  de  son  temps , 
comme  Mellin  de  Saint-Gelais,  Olivier  de  Magny, 
Pierre  Paschal,  Jodelle,  lui  ont  prodigués  à  cette 
occasion.  Presque  toutes  roulent  sur  l'amour,  et 
sont  remplies  d'expressions  libres  et  de  senti- 
ments peu  dignes  de  l'état  qu'il  avait  embrassé. 
Il  était  savant  et  il  possédait  bien  la  langue 
grecque.  On  a  de  lui  :  Dialogue  auquel  sont 
introduits  les  dieux  Jupiter  et  Cupidon; 
Lyon,  s.  d.  (1538),  in-8°;  —  Les  Œuvres  de 
Hugues  Salel;  Paris,  1539,  in-12;Lyon,  1573, 
in-lfi  :  elles  se  composent  d'un  grand  nombre  de 
pièces  en  l'honneur  de  Marguerite,  sa  maîtresse  : 
«  encore  s'il  ne  lui  avait  conté  que  des  douceurs 
amoureuses,  on  pourrait  les  lui  passer;  mais, 
dit  Goujet,  il  a  la  sottise  de  louer  dans  sa  belle 
tout  ce  que  la  simple  pudeur  devait  l'empêcher 
de  nommer....,  et  il  finit  gravement  ces  imperti- 
nences par  un  Chant  royal  de  la  Conception 
de  la  Vierge.  «  Les  morceaux  de  la  Chasse 
royale  et  de  VÉglogue  marine  méritent  quel- 
que attention  ;  —  Les  dix  premiers  livres  de 
l'Iliade  d'Homère,  prince  des  poètes,  Irad. 
en  vers  français;  Paris,  1545,  in-foI,fig.;  cette 
édit.  n'est  pas  la  première  :  un  libraire  de  Lyon 
avait  imprimé  vers  1542  les  premiers  livres  sur 
une  copie  défectueuse.  L'auleur  s'en  plaignit  à 
François  Ier,  qui  lui  accorda,  par  lettres  pa- 
tentes (1)  du  18  janvier  1544,  un  privilège  spé- 

(1)  On  y  lit  entre  autres  ce  passage  :  «  Aucuns  libraires 
et  imprimeurs,  plus  avaricieux  que  savants,  ayant  trouvé 
moyen  de  recouvrer  des  doubles  ou  copies  d'aucuns  li- 
vres de  l'Iliade  d'Homère,  que  nous  lui  avons  (à  Salel) 
commandé  de  traduire  et  mettre  en  vers  françois,  se  sont 
ingérés  de  les  imprimer...  avec  une  infinité  de  fautes  et 
changements  de  dictions,  qui  altérèrent  le  sens  des  sen- 
tences, contre  l'intention  de  l'auteur  et  la  diligence  du 
translateur,  lequel  n'en  peut  recevoir  sinon  une  dérépn- 
tatlon  et  calomnie...,  nous,  à  cette  cause,  voulant  obvier 
et  pourvoir  à  telles  folles  et  vaines  entreprises  des  dits 
libraires  à  ce  que  par  eux  la  dignité  de  l'auteur  ne  soit 
en  aucun  endroit  profanée,  ne  aussi  le  labeur  du  dit  tra- 
ducteur mal  reconnu,  au  préjudice  de  l'utilité,  richesse 
et  décoration  que  notre  langue  françolse  reçoit  par  cette 
traduction....  » 


SALICETI     •  17 

cial  pour  la  publication  de  son  oeuvre.  Il  en  f 
paraître  une  seconde  édition  (Paris,  1555,  in-8° 
augmentée  du  Xle  livre,  et  son  ami  OJivierd 
Magny  publia  le  tout  (Paris,  1574,  in-8&),  e 
y  ajoutant  le  liv.  XII  et  partie  du  XIIF.  Amad 
Jamyn  acheva  plus  tard  cette  traduction,  et  1 
publia  en  1 580,  in-12.  La  version  de  Salel  est  loi 
d'être  littérale,  mais  elle  ne  manque  pas  d'exat 
iicude  et  pendant  longtemps  elle  a  élé  lue  ave 
une  sorte  de  plaisir.  p.  L. 

La  Croix  du  Maine  et  Du  Verdier,  Bibliotk.—  Gouje 
BM.françoise,  IV  et  XII.  —  Vlollet  Le  Duc,  Bibl.  pot 
tique,  —  Niceron,  mémoires,  XXXVI. 

sales  (François  de).  Voy.  François. 

sales  (  Dehsle  de  ).  Voy.  Delisl-e. 

salian  (Jacques),   savant   jésuite,  né  ( 
1557,  à  Avignon,  mort  le  23  janvier  1640,  à  P; 
ris.  Admis  en  1578  dansl'institutde  Saint-Ignac 
il  professa  pendant  longtemps  les  humanités  | 
la   théologie  morale  dans  la  province  de  Lyoi 
Il  était  recteur  du  collège  de  Besançon  lorsqu 
fut  appelé  à  Paris  par  ses  supérieurs  ;  il  y  mouri 
d'apoplexie,  au  collège  de  Clermont.  Son  princip 
ouvrage  a  pour  titre   :  Annales   ecclesiastl 
V.  T.  ab  orbe  condito  usque  ad  Christi  mo. 
tem;  Paris,,  1619-24,  6  vol.   in-fol.;  il  suppo: 
beaucoup  de  recherches  et  d'érudition ,  mais 
manque  quelquefois  de  critique  et  d'exactitud 
L'auteur  en  soigna  la  troisième  édition  (Pari 
1625,  6  vol.   info!.)  et  en  prépara,  avant  t 
mourir,  la  quatrième,  qui  est   la  plus   complè 
(ibid.,  1641,  6  vol.  in  fol.).  Après  avoir  éludé 
demande  que  lui  rît  l'évêque  Sponde  de  rédui  ! 
ses  Annales,  il  en  fit.   lui-même   un    abréf 
(Ann.  eccles.  V.  T. epitome;  Paris,  1635, in-fol  I 
Lyon,  1 664,  in-fol.  ),  où  il  resserra  avec  tant  d  art  ! 
fice  ce  qu'il  avait  étendu  dans  son  grand  ouvra' 
qu'on  était  obligé  de  consulter  celui-ci  pour  êti  ' 
instruit  à  fond  de  ce  qu'on  souhaiterait  de  s,[ 
voir.  Enfin  il   en  rédigea  une  espèce    de  sorjj 
maire  (Enchiridium   chronologicum  sacrée 
profanx  historiée;  Paris,  1636,  in-12).  On  d( 
au  même  jésuite   quelques   ouvrages    de  piét 
dont  l'un,  De  timoré    Dei,  a  été  mis  par  h 
même  en  français  sous  le  titre  qui  suit  :  L'Ai, 
bassade  de  la  princesse    Crainte  de  Diei 
Paris,  1630,  in-8°. 
Sotwell./J«M.  Soc.Jesu.—  Achard,  Diet.  de  la  Provent 

saliceti  (Christophe),  homme  politique 
né  à  Bastia,  en  1757,  mort  à  Naples,  le  23  d 
cembre  1809.  Sa  famille  était  originaire  de  Pli 
sance.  Il  fut  éievé  chez  les  barnabitesde  Basti 
et  étudia  le  droit  à  l'université  de  Pise.  De  retot 
en  Corse,  il  exerça  la  profession  d'avocat  ; 
conseil  supérieur  de  l'île.  Élu,  en  1789,  dépu 
du  tiers  aux  états  généraux,  il  s'y  rangea  pan 
les  membres  du  parti  démocratique,  et  formula 
le  30  décembre  1789,  le  décret  de  l'Assembl 
constituante  qui  déclarait  la  Corse  partie  inh! 
grante  du  territoire  français.  Il  fut  un  des  pr 
rniers  à  demander  le  rappel  de  Paoli,  et  contribi 
à  le  faire  nommer  commandant  général  delagan 


177  SALICETI 

nationale  de  Corse;  mais  la  différence  rie  leurs 
sentiments  politiques  ne  tarda  pas  à  les  mettre  en 
hostilité.  Après  la  dissolution  de  l'Assemblée  cons- 
tituante, Saliceti  devint  procureur  syndic  de  la 
Corse,  et  il  représenta  ce  département  à  la  Con- 
vention. 11  vota  la  mort  de  Louis  XVI  sans  appel 
ni  sursis.  En  mai  1793,  il  fui  envoyé  en  Corse 
avec  Lacombe-Saint-Michel  pour  réunir  la  popu- 
lation contre  les  projets  des  Anglais.  Son  carac- 
tère violent  était  peu  propre  à  cette  oeuvre  de 
conciliation;  il  ne  put  s'entendre  avec  Paoli ,  et, 
les  partisans  de  la  France  étant  les  moins  forts, 
il  fût  obligé  de  se  soustraire  par  la  fuite  à  un 
danger  imminent.  Arrivé  en  Provence,  il  rejoi- 
gnit l'armée  de  Carteaux,  qui  opérait  contre  Mar- 
seille, et  s'unit  aux  commissaires  Barras,  Ro- 
bespierre jeune,  Fréron,  pour  abattre  les  enne- 
mis de  la  république  dans  cette  partie  du  midi. 
Rappelé,  après  le  9  thermidor,  comme  terro- 
riste, et  décrété  d'arrestation,  en  mai  1795,  ilfnt 
compris  dans  la  loi  d'amnistie.  En  février  1796, 
le  Directoire  l'envoya  à  l'armée  d'Italie  en  qua- 
lité de  commissaire  du  gouvernement;  il  y  fut 
très-utile  au  général  Bonaparte ,  et  contribua  à 
la  conclusion  de  l'armistice  avec  le  pape.  A  la 
fin  de  la  môme  année  ,  il  se  rendit  en  Corse,  où 
il  organisa,  conjointement  avec  Lucien  Bona- 
parte, les  deux  départements  du  Golo  et  du 
Liamone.  Élu  par  ses  concitoyens  membre  du 
conseil  des  Cinq-Cents,  il  ne  changea  pas  de 
ligne  politique;  aussi  fut-il  sur  le  point  d'être 
atteint  par  les  mesures  prises  contre  les  oppo- 
sants au  18  brumaire;  mais  Bonaparte  raya 
son  nom.  et  ne  tarda  pas  à  utiliser  ses  ta- 
lents d'administrateur,  qu'il  avait  appréciés  à 
l'armée  d'Italie.  Après  une  mission  en  Corse, 
Saliceti  fut  envoyé  en  Toscane  (  janvier  1802), 
puis  à  Gênes,  pour  y  créer  un  parti  en  faveur  de 
la  France.  Il  vengea  en  cette  circonstance  la 
Corse  de  la  tyrannie  que  les  Génois  avaient  si 
longtemps  exercée  sur  elle,  et  fit  rendre  les 
honneurs  funèbres  aux  chefs  de  sa  patrie ,  dont 
les  têtes  étaient  restées  pendant  trois  quarts  de 
siècle  suspendues  dans  la  salle  du  sénat.  Nommé, 
en  1806,  ministre  de  la  police  générale  à  Naples, 
auprès  de  Joseph  Bonaparte,  il  montra  dans  ces 
nouvelles  fonctions  de  grandes  qualités  et  ce 
caractère  ferme  qui  ne  l'abandonna  jamais.  On 
dit  que  lors  de  l'insurrection  de  la  Calabre,  Jo- 
seph, effrayé,  songeait  à  fuir,  et  qu'il  ne  resta  que 
sur  les  instances  de  Saliceti  et  de  Massena. 
Bientôt  Saliceti  joignit  le  portefeuille  de  la  guerre 
à  celui  de  la  police,  et  concentra  ainsi  entre  ses 
mains  toute  la  force  du  pouvoir  (1).  Cet  état  de 
choses  subsista  jusque  l'arrivée  de  Murât,  qui , 
craignant  l'influence  de  sa  femme  Caroline,  à 
laquelle   Saliceti   s'était  uni  dans  l'intention  de 

(1)  A  cette  époque  une  tentative  fut  dirigée  contre  sa 
■vie.  On  essaya  de  faire  sauter  son  hôtel  par  un  baril  de 
pouitre  placé  rinns  les  caves.  L'explosion  renversa  une 
partie  des  bâtiments;  mais  Saliceti  échappa  au  danger, 
ainsi  que  sa  fille. 


—  SALIER1  (78 

le  diriger,  enleva  à  celui-ci  le  portefeuille  de  la 
guerre  pour  le  donner  au  général  Reynier.  bien- 
tôt après,  le  roi  fit  préparer  le  décret  qui  excluait 
du  service  de  Naples  tous  les  Français  non  na- 
turalisés. Saliceti ,  qui  s'était  opposé  en  vain  à 
cette  mesure,  fut  forcé  de  retourner  à  Paris, 
d'où  Napoléon  l'envoya  faire  partie  de  la  consulte 
qui  devait  prendre  possession  de  Rome  (  1809). 
Il  était  dans  cette  ville  lorsqu'une  armée  anglo- 
sicilienne  débarqua  en  Calabre.  Aussitôt  il  se 
rendit  à  Naples,  que  l'ennemi  menaçait ,  y  reprit 
ses  anciennes  fonctions,  organisa  la  garde  natio- 
nale et  rétablit  l'ordre  et  le  calme  au  milieu  de 
la  confusion  générale.  Quelque  temps  après, 
Murât  donna  au  Génois  Magliella  le  portefeuille 
de  la  police,  et  Saliceti  mourut  subitement,  au 
sortir  d'un  dîner  que  lui  avait  donné  ce  nouveau 
ministre.  Le  bruit  courut  qu'il  avait  étn  empoi- 
sonné, et  les  personnes  intéressées  à  détruire  ce 
bruit  n'y  sont  point  parvenues.  Napoléon  dit  en 
apprenant  cette  nouvelle  :  «  L'Europe  vient  de 
perdre  une  de  ses  têtes  les  plus  fortes.  » 

Saliceti  était  un  homme  d'un  esprit  distingué, 
d'un  caractère  énergique  et  résolu  ;  il  avait  le 
bon  sens  et  l'énergie  prompte  des  anciens  mon- 
tagnards corses.  Républicain  sincère,  il  garda  ses 
convictions,  même  en  servant  les  rois  issus  de 
la  république,  et  le  dévouement  qu'il  montra  à 
son  compatriote  Napoléon  ne  l'entraîna  jamais  à 
des  bassesses.  Il  fut  toujours  zélé  pour  les  inté- 
rêts et  la  grandeur  de  la  France.  Quoiqu'on 
l'ait  accusé,  à  Gênes  surtout,  d'avoir  exigé  des 
sommes  énormes  des  peuples  vaincus ,  il  n'a- 
massa pas  pour  lui-même  une  grande  fortune. 

Thlers,  Hist.  de  la  rérol.  franc.  —  Mémoires  de  Mot 
de  Melito.  —  Correspondance  du  roi  Joseph.  —  Colletta, 
Hist.  du  royaume  de  Naples.  —  Moniteur  tmiv. 

sali  eh  (Jacques),  théologien  français,  né 
en  1615,  à  Saulien,  mort  le  20  août  1707,  à 
Dijon.  Il  appartenait  à  l'ordre  des  Minimes,  et, 
après  avoir  professé  la  théologie,  il  devint  provin- 
cial, puis  definiteur  de  la  province  de  Bourgogne. 
Au  jugement  de  LaMonnoye,il  entendait  bien 
la  théologie  scolastique.  On  a  de  lui  :  Historia 
scolastica  de  speciebus  eucharisticis,  sive  de 
formarum  materialium  natura  ;  Lyon  et 
Dijon,  1687-1692-1704,  3  vol.  in- 4°;  —  Caco- 
cephalus,  sive  de  plagiis  opusculum;  Mâcon, 
1694,  in-12  :  il  n'y  dissimule  point  l'accusation 
de  plagiat  formée  contre  lui  au  sujet  de  l'ouvrage 
précédent;  —  Pensées  sur  le  paradis  et  sur 
l'âme  raisonnable;  s.  I.  n.  d.  (  Dijon  ),  in-8°  : 
malgré  la  promesse  du  titre,  on  n'y  trouve  rien 
sur  le  paradis. 

Papillon,  Blbl.  des  auteurs  de  Bourgogne. 

salieri  (Antonio),  célèbre  compositeur  ita- 
lien, né  le  19  août  1750,  à  Legnago  (  Lombardie), 
mort  à  Vienne,  le  12  mai  1825.  Fils  d'un  négo- 
ciant de  Legnago,  il  apprit  au  collège  de  cette 
ville  les  éléments  de  la  musique;  son  frère  aîné, 
François,  élève  de  Tartini ,  lui  enseigna  à  jouer 
du  violon.  11  avait  à  peine  quinze  ans,  lorsque, 


179  SALIERI 

ayant  perdu  son  père,  ruiné  par  suite  de  fausses 
spéculations,  il  dut  pourvoir  à  son  existence; 
sur  la  recommandation  d'un  des  membres  de 
l'illustre  famille  des  Mocenigo,  il  fut  admis  à  la 
maîtrise  de  l'église  Saint-Marc  à  Venise.  Doué 
d'une  belle  voix  et  étant  déjà  d'une  certaine 
force  sur  le  clavecin,  il  prit  des  leçons  de  chant 
du  ténor  F.  Pacini,  etcommença  l'étude  de  l'har- 
monie sous  la  direction  de  Jean  Pescetti.  Gass- 
mann,  directeur  de  la  chapelle  impériale  de 
Vienne,  ayant  remarqué  les  heureuses  disposi- 
tions du  jeune  Salieri,  lui  proposa  de  l'emmener 
avec  lui  à  Vienne.  Salieri  accepta  (juin  1766). 
Après  quatre  années  d'études  sous  la  direction 
de  ce  maître ,  qui  le  traitait  comme  un  lils,  il 
essaya  ses  forces  en  écrivant  la  musique  d'un 
opéra  bouffe,  Le  donne  littérale,  représenté 
pendant  le  carnaval  de  1770.  Plusieurs  autres 
opéras  représentés  de  1771  à  1774  ,  notamment 
YArmida,  assurèrent  la  réputation  de  l'artiste, 
et  en  1775,  peu  après  la  mort  de  Gassmann, 
Salieri  fut  choisi  pour  remplacer  ce  maître  comme 
directeur  de  la  musique  de  la  cour  impériale. 
Appelé  à  Milan  en  1778,  il  écrivit,  pour  l'ou- 
verture du  nouveau  théâtre  de  la  Scala,  son 
Europa  riconosciuta.  En  1779  il  donna  de 
nouveaux  ouvrages  à  Venise,  à  Milan  et  à  Rome, 
et  en  1780  il  retourna  à  Vienne.  Joseph  II  ve- 
nait de  succéder  à  Marie-Thérèse. 

Ce  prince ,  qui  était  passionné  pour  la  musique 
italienne,  aimait  beaucoup  celle  de  Salieri.  Ce- 
pendant, depuis  1774  une  modification  s'était 
opérée  dans  le  talent  du  compositeur  :  témoin 
de  l'enthousiasme  qu'excitait  la  nouvelle  manière 
de  Gluck,  il  s'était  rapproché  de  l'auteur  (Y Or- 
phée, lui  avait  demandé  des  conseils,  et  avait 
fini  par  s'approprier  le  style  de  ce  maître,  en  y 
imprimant  toutefois  le  cachet  plus  mélodique  de 
ses  propres  inspirations.  Son  premier  essai  dans 
ce  nouveau  genre  fut,  en  1781,  la  partition  d'un 
opéra  allemand,  intitulé  Der  Rauchfangkehrer 
(Le  Ramoneur).  Mais  déjà  il  était  préoccupé 
d'une  œuvre  bien  plus  importante.  Gluck  avait 
emporté  de  Paris  le  poème  des  Danaïdes.  Le 
mauvais  état  de  sa  santé  ne  lui  permit  pas  d'en- 
treprendre un  si  grand  ouvrage;  sans  en  rien 
dire  à  l'administration  de  l'Opéra,  il  chargea  Sa- 
lieri de  le  remplacer  dans  l'accomplissement  de 
cette  tâche  difficile.  Salieri  se  mit  à  l'œuvre,  et 
lorsqu'il  eut  terminé  la  partition ,  il  se  rendit  à 
Paris  pour  diriger  la  mise  en  scène,  et  le  26  avril 
1784  l'ouvrage  fut  représenté  à  l'Académie  royale 
de  musique.  Le  nom  de  Gluck  fut  proclamé 
seul  au  milieu  des  plus  chaleureux  applaudis- 
sements; mais  le  jour  de  la  treizième  représen- 
tation parut  dans  les  journaux  une  lettre  de 
Gluck  déclarant  que  la  musique  des  Danaïdes 
élait  entièrement  l'œuvre  de  Salieri.  Celui-ci 
vendit,  pour  1,200  livres,  à  l'éditeur  Deslau- 
rier le  manuscrit  de  sa  partition;  la  direction  de 
l'Opéra  lui  paya  10,000  livres  pour  la  propriété 
de  l'ouvrage,  outre  3,000  livres  pour  ses  frais  de 


180 

voyage,  et  la  reine  Marie-Antoinette  lui  fit  un 
riche  présent. 

Après  le  brillant  succès  des  Danaïdes,  Salieri 
obtint  le  poème  d'une  tragédie  lyrique  en  trois 
actes,  Les  Horaces,  et  en  1785  il  revint  à  Paris 
pour  la  faire  représenter.  Cet  opéra,  dans  lequel 
les  actes  étaient  liés  par  des  intermèdes  qui  te- 
naient à  l'action  et  ressemblaient  aux  chœurs 
de  la  tragédie  grecque,  ne  fut  pas  goûfé  du 
public;  mais  le  compositeur  prit  une  éclatante 
revanche  dans  Tarare,  opéra  tragi-comique 
(8  juin  1787)  :  amené  sur  la  scène,  il  fut  cou- 
ronné au  bruit  des  applaudissements  de  la  salle 
entière  (1).  A  son  retour  à  Vienne,  il  traita  le 
même  sujet  sous  le  titre  d'Assur,  re  d'Ormus, 
et  vit  cet  ouvrage,  où  l'on  retrouve  presque 
toute  la  partition  de  Tarare,  accueilli  avec  en- 
thousiasme. Il  donna  en  1789  //  Pastor  fido. 
Bientôt  la  mort  de  Joseph  II  et  les  événements 
qui  la  suivirent,  en  rendant  plus  rares  les  repré- 
sentations de  la  cour  impériale,  ralentirent  l'ac- 
tivité du  compositeur.  Cependant  il  écrivit  en- 
core, de  1792  à  1802,  neuf  autres  opéras,  parmi 
lesquels  on  remarque  Gesar  in  Fannacusa. 
Sa  dernière  production  dramatique  fut  Le  Nègre, 
joué  en  1804.  A  partir  de  cette  époque  il  con- 
sacra son  talent  à  la  musique  d'église.  11  venait 
de  résigner  les  fonctions  de  maître  de  chapelle 
de  la  cour,  qu'il  occupait  depuis  quarante-cinq 
ans,  lorsqu'il  mourut,  le  12  mai  1825,  avant 
d'avoir  accompli  sa  soixante-quinzième  année. 
Il  avait  été  marié  et  laissait  plusieurs  tilles.  On 
exécuta  à  ses  obsèques  un  Requiem  qu'il  n'a- 
vait fait  connaître  à  personne. 

Salieri  était  petit  de  taille  ;  il  avait  le  teint 
brun,  les  yeux  noirs,  le  regard  expressif.  Ai- 
mable, gai,  spirituel,  sa  conversation,  où  les 
langues  italienne  ,  française  et  allemande ,  ve- 
naient incessamment  se  mêler,  était  pleine  d'o- 
riginalité. Prompt  à  s'irriter,  il  se  calmait  aussi 
facilement,  et  la  bonté  de  son  cœur  ne  se  dé- 
mentait jamais.  Le  sentiment,  de  sa  reconnais- 
sance pour  les  bienfaits  que,  dans  sa  jeunesse, 
il  avait  reçus  de  son  maître  Gassmann  ne  s'é- 
teignit qu'avec  sa  vie.  Les  deux  filles  de  Gass- 
mann étaient  encore  dans  l'enfance  lorsqu'elles 
perdirent  leur  père;  Salieri  pourvut  à  leurs  be- 
soins et  fit  de  l'une  d'elles,  qui  devint  plus  tard 
Mme   Rosenbaum,  une  cantatrice  distinguée. 

Comme  compositeur  dramatique,  Salieri  eut 
un  talent  d'aulant  plus  remarquable  qu'il  sut  en 
modifier  le  caractère  et  le  présenter  sous  des 
aspects  variés.  Bien  que  la  plupart  de  ses  opéras 
contiennent  de  fort  belles  choses,  Les  Danaïdes 


(1!  Quelques  biographes  disent  que  ce  fut  à  l'occasion 
du  succès  de  cette  pièce  qu'on  demanda  pour  (a.  pre- 
mière fois  l'auteur  à  l'Opéra  et  qu'un  pareil  honneur 
avait  été  décerné.  Nous  ferons  remarquer  ici  que 
Floquet  avait  déjà  triomphé  de  cette  manière  sur  le 
même  théâtre  le  7  septembre  1773,  après  la  première  re- 
présentation de  L'Union  de  V Amour  et  des  Arts,  et  Pic- 
cini,  le  7  décembre  177S,  après  le  succès  de  La  buona 
flgliola. 


181  SALIERI 

et  Tarare  sont  considérés  comme  ses  meilleurs 
ouvrages.  Dans  le  pathétique,  il  s'est  souvent 
élevé  jusqu'au  sublime.  L'air  d'Hypermnestre, 
Par  les  larmes  de  votre  fille,  dans  Les  Da- 
naides,  et  celui  de  Danaiis,  Jouissez  d'un  des- 
tin prospère,  sont  des  morceaux  du  plus  puis- 
sant effet.  Comme  tous  les  compositeurs  ita- 
liens dont  l'éducation  a  commencé  par  l'étude 
du  chant,  Salieri  possédait  l'art  de  bien  écrire 
pour  les  voix.  De  là  vient  que,  tout  en  se  lais- 
sant entraîner  par  son  admiration  pour  la  dé- 
clamation de  Gluck,  il  sut  rendre  cette  déclama- 
tion plus  facile  dans  ses  propres  ouvrages.  Son 
style,  comme  celui  de  ce  grand  maître,  est  ferme , 
vigoureux  et  toujours  expressif.  Nul  mieux  que 
lui  ne  connaissait  le  mécanisme  de  la  coupe 
dramatique  et  l'effet  produit  par  le  retour  des 
idées.  Sans  avoir  été  un  de  ces  génies  qui  im- 
priment une  direction  à  leur  art,  il  n'en  fut  pas 
moins  le  modèle  que  suivirent  la  plupart  des 
compositeurs  allemands  qui  pendant  les  vingt- 
cinq  premières  années  du  dix-neuvième  siècle 
ont  écrit  pour  la  scène  lyrique.  Beethoven, 
Weigl,  Meyeibeer,  reçurent  ses  conseils.  Parmi 
les  œuvres  de  Salieri,  qui  appartiennent  au 
genre  religieux,  on  cite  particulièrement  son 
oratorio  de  La  Passion. 

Décoré  de  l'ordre  de  la  Légion  d'honneur  par 
Louis  XVIII,  Salieri  avait  été  nommé  eu  1806 
associé  étranger  de  l'Institut  de  France,  puis 
correspondant  du  conservatoire  de  Paris.  Il  fut 
aussi  membre  de  l'Académie  royale  de  musique 
de  Stockholm. 

Voici  la  nomenclature  des  ouvrages  de  Sa- 
lieri :  Opéras  :  Le  Donne  letterate,  et  L'Amore 
innocente,  1770;  —  Armida  et  II  DonChis- 
ciote,  1771  ; —  Il  Barone  di  rocca  antica,  La 
Fiera  di  Venezia,  et  La  Secchia  rapita,  1772; 

La  Locandiera  ,  1773;  —  La  Calamità  de' 

cori,  et  La  Finta  scema,  1775;  —  Delmîta 
e  Daliso,  1776;  —  Earopa  riconosciuta,  1778; 

—  La  Scuola  de'  gelosi,  Il  Talismanno^  et 
La  Partenza  inaspettata,  1779;  —  La  Dama 
pastorella,  1780;  —  Der  Rauchfangkehrer 
(Le  Ramoneur),  1781  ;  —  Les  Danaïdes,  cinq 
actes (1784);  en  1817,  cet  ouvrage,  auquel  Per- 
suis  et  Spontini  avaient  fait  des  changements  et 
additions,  fut  repris  avec  beaucoup  de  succès. 
Spontini  y  avait  introduit  une  bacchanale  d'un 
grand  effet;  —  Semiramide ,  et  11  Ricco  d'un 
giorno,  1784  ;  —  Eraclilo  e  Democrito,  et  La 
Grotta  di  Trofonio,  1785;  —  Les  Horaces, 
trois  actes(1786);  —  7arare,cinq  actes  avec  pro- 
logue (1787)  ;  —  Assur  re  d'Ormus,  quatre  actes, 
et  Cublai,  gran  can  de'  Tartari,  1788  ;  —  Il 
Pastor  fido,  quatre  actes,  et  La  Gif r a,  1789; 

—  Catilina ,  1792  ;  —  Il  Mondo  alla  rovescia, 
1794  ;  —  Palmira,  1795  ;  —  Il  Moro,  1796;  — 
Fals/aff,  1798;  —  Danaiis,  Cesare  in  Far- 
macusa,  Angiolina,  1800;  —  Annibale  in 
Capaa,  1801;  —La  Sella  selvaygia,  1802; 

—  Ouverture,  entr' actes  et  chœurs  des  Hus- 


-  SALIEZ 
sites    de   JNaumbourg    1803  ; 


182 


Die    Niger 

(Le  Nègre),  1804;  —  Chimène  et  Rodrigue, 
cinq  actes  (1788),  ouvrage  écrit  pour  le  grand 
Opéra  de  Paris,  et  non  représenté;  —  La 
Princesse  de  Babylone,  trois  actes  (1789), 
idem;  —  Sapho ,  trois  actes  (1790),  idem; 
les  partitions  originales  des  trois  ouvrages  pré- 
cédents se  trouvent  dans  les  archives  de  l'A- 
cadémie impériale  de  musique;  —  Das  Post- 
liaus  (La  Maison  de  Poste),  non  représenté;  — 
Fragments  d'un  opéra  intitulé  /  tre  Filosofi, 
non  représenté.  —  Musique  d'église  :  Une 
messe  a  quatre  voix,  sans  accompagnement ,  et 
quatre  autres  messes  avec  orchestre;  —  Re- 
quiem, à  quatre  voix,  chœur  et  orchestre;  — 
Trois  Te  Deum;  —  Vêpres  pour  la  dédicace  de 
l'église;  —  Quatorze  graduels,  offertoires,  mo- 
tets, psaumes,  etc.,  pour  solo  et  chœur;  — 
Oratorios  :  La  Passione  di  Gesù  Christo 
(1776);  et  Gesù  al  limbo(\&0à);  —  Fragments 
d'un  oratorio  de  Saùl.  —  Cantates:  La  Scon- 
fitta  di  Borea  et  II  Trionfo  délia  gloria  e 
délia  virtù,en  1774,  Le  Jugement  dernier, 
en  1787,  et  einq  autres.  —  Musique  vocale 
détachée  :  Scherzi  armorici,  recueil  de  vingt- 
cinq  canons  à  troix  voix,  sans  accompagne- 
ment; —  Suite  du  même  recueil,  contenant 
quinze  autres  canons' à  trois  voix,  et  douze 
autres  morceaux  à  deux,  trois  et  quatre  voix; 

—  cent  cinquante  autres  compositions  du  même 
genre,  en  manuscrit; —  une  .Méthode  de  chant, 
également  en  manuscrit.  —  Musique  instru- 
mentale :  Une  symr.honie  pour  orchestre;  — 
Symphonie  concertante  pour  violon,  hautbois  et 
violoncelle;  —  Sérénades  et  musique  de  ballet; 

—  Variations  pour  l'orchestre,  sur  le  thème  des 
Folies  d'Espagne  ;  —  Deux  concertos  pour  le 
piano; —  Concerto  pour  flûte  et  hautbois  ;  — idem 
pour  orgue.  Dieudonné  Denne-Baron. 

I.-F.  de  Mosel,  Ueber  das  Lcben  und  die  Werfce  des 
Anton  Salieri;  Vienne,  1827,  in-S°.  —  Féti.%  Bingrapliie 
universelle  des  musiciens.  —  Gistil-Blaze,  L'Académie 
impériale  de  musique.  —  Neuc  IVekrolog  der  Dcutscfi., 
III. 

saliez  ou  salies  (Antoinette  deSalvan, 
dame  de),  femme  auteur  française,  née  en 
1638,  à  Albi,  où  elle  est  morte,  le  14  juin  1730. 
A  l'âge  de  vingt-deux  ans,  elle  épousa  un  gen- 
tilhomme albigeois  d'une  maison  fort  ancienne, 
Antoine  de  Fontvielle,  seigneur  de  Saliez, 
et  resta  veuve  en  avril  1672.  Bien  qu'elle  fût 
encore  jeune,  elle  ne  voulut  point  passer  à  de 
secondes  noces,  et  profita  de  sa  liberté  pour  s'a- 
donner à  la  culture  des  lettres.  On  lui  reconnais- 
sait un  esprit  délié,  un  goût  sûr  et  même  quel- 
que érudition;  elle  avait  encore  de  la  piété,  un 
grand  fonds  de  bienveillance  et  une  douce  ama- 
bilité. Sa  longue  vie  s'écoula  dans  sa  ville  natale, 
et  elle  fit  de  louables  efforts  pour  associer  ses 
compatriotes  au  mouvement  littéraire  de  son 
temps.  Non  contente  de  donner  l'exemple  par 
elle-même,  et  de  tenir  dans  sa  maison  des  as- 
semblées où   les  beaux-esprits  de  la  province 


ÎS3 


SALIEZ  — 


étaient  accueillis  avec  empressement,  elle  forma, 
selon  le  goût  du  jour,  une  petite  académie,  à  qui 
elle  donna  le  nom  de  Société  des  chevaliers 
et  des  chevalières  de  la  Bonne  foi.  Elle  en 
dressa  le  statuts  en  1704,  et  en  exprima  le 
caractère  dans  le  premier  quatrain,  ainsi  conçu  : 
Une  amitié  tendre  et  sincère, 

Plus  douce  mille  fois  que  l'.imou.reuse  loi, 

Duit  être  le  lien,  l'aimable  caractère 
Des  chevaliers  de  Bonne  foi. 

Dès  1689  la  Muse  d'Albi  avait  reçu  des 
lettres  d'admission  dans  l'académie  des  Rico- 
vratiàe  Padoue,  et  cet  honneur  lui  avait  valu 
des  félicitations  de  Charles  Patin ,  des  époux 
Dacier,  et  d'autres  lettrés.  Elle  mourut  nonagé- 
naire, ayant  conservé  jusqu'au  dernier  moment 
la  vivacité  de  son  esprit.  On  a  de  cette  dame  : 
La  Comtesse  d'Isembourg,  roman  historique; 
Paris,  1678,  in-12  :  trad.  en  allemand  et  en  ita- 
lien; —  Réflexions  chrétiennes;  —  Para- 
phrases sur  les  psaumes  de  la  pénitence ,  en 
vers  français;  —  plusieurs  morceaux,  en  prose 
et  en  vers,  insérés  dans  Le  Mercure,  de  1679  à 
1704;  — des  lettres  et  des  poésies,  dans  La 
Nouvelle  Pandore  de  Vertron ,  et  dans  d'autres 
recueils. 

Titon  du  Tillet,  Parnasse  français.  —  Pnidhomme, 
Femmes  célèbres. 

salimbkni  (Arcangelo),  peintre,  né  à 
Sienne,  florissaitde  1557  à  1579.11  fut,  d'après 
Lanzi,  élève  du  Tozzo  ou  du  Bigi;  ce  qui  est 
certain,  c'est  que  sa  manière  n'a  aucun  rapport 
avec  celle  de  Federico  Zuccari ,  que  Baldinucci 
lui  donne  pour  maître.  II  a  enrichi  Sienne  d'un 
assez  grand  nombre  de  tableaux,  dont  les  prin- 
cipaux sont  une  Sainte  famille,  à  l'église  de 
S.-Agostino;  un  Martyre  de  saint  Pierre  (1579), 
l'un  de  ses  meilleurs  ouvrages,  à  Saint-Domi- 
nique, et  une  Nativité,  au  couvent  del  Carminé. 
Ses  fresques  sont  peu  nombreuses;  nous  ne 
pouvons  guère  citer  à  Sienne  que  La  Vierge 
entre  deux  saints,  au-dessus  de  la  porte  de 
Saint-Nicolas;  plusieurs  petits  sujets  du  Nou- 
veau Testament  dans  une  salle  du  Casino  Chigi- 
Farnèse,  et  à  Lucques  plusieurs  plafonds  du 
palais  Andreozzi.  De  sa  femme,  Battista  Focari , 
veuve  et  déjà  mère  d'un  enfant  qui  devait  deve- 
nir célèbre  sous  le  nom  de  Francesco  Vanni , 
il  eut  un  fils,  Ventura,  qui  suit. 

Salimbeni  (  Ventura  ),  dit  le  Cavalier  Bevi- 
lacqua,  fils  du  précédent,  né  à  Sienne,  en  1567, 
mort  en  1613.  Elève  de  son  père,  il  se  perfec- 
tionna sous  son  frère  utérin  Francesco  Vanni  ; 
puis  il  étudia  en  Lombardie  les  ouvrages  du 
Corrège ,  et  se  rendit  à  Rome,  où  il  a  beaucoup 
travaillé.  Cet  artiste  est  un  de  ceux  qui  font  le 
plus  d'honneur  à  l'école  de  Sienne,  mais  son  goût 
pour  los  plaisirs  et  la  légèreté  de  son  caractère 
ne  lui  permirent  pas  de  réaliser  entièrement  ce 
qu'on  était  en  droit  d'attendre  de  lui.  Beaucoup 
de  ses  œuvres  se  voient  dans  sa  patrie  :  une  des 
plus  anciennes  est  la  fresque  de  Saint  Georges, 
placée  aujourd'hui  dans  la  sacristie   de  l'église 


SALIMBENI  1S4 

consacrée  à  ce  saint.  Au  nombre  des  plus  im- 
portants travaux  de  ce  maître  sont  les  vives  et 
admirables  peintures  <ju'il  exécuta,  de  1595  à 
1602,  à  la  voûte  de  l'église  Santa-Trinità,  après  la 
chute  de  fresques  peintes  en  1 564  par  le  Rusti- 
cone  ;  il  a  représenté  dans  huit  compartiments 
Le  Paradis  ûes  époux  de  l'église,  des  Saints 
moines, des  Vierges,  des  Pontifes,  des  Apôtres, 
des  Patriarches,  des  Martyrs  et  des  Anges.  lia 
peint  dans  la  même  église  de  petits  sujets  sur 
l'arc  de  l'autel,  et  dix  lunettes.  A  l'oratoire  de 
Saint-Bernardin  sont  des  Anges  superbes ,  et  i 
deux  lunettes  représentant  Un  Noyé  et  Un  En- 
fant frappé  par  un  taureau.  Ces,  peintures,  qui 
datenl  de  1600,  ont  été  gravées  à  l'eau -forte  par 
Capitelli.  De  belles  fresques  de  1603  se  voient  à 
l'église  des  S.  S.  Quirico  et  Giulietta,  telles  que 
le  Martyre  des  deux  saints,  Sainte  Cathe- 
rine et  Le  Songe  de  saint  Pierre,  Sainte 
Claire  et  la  Conversion  de  saint  Paul;  enfin 
de  Petits  anges  «  qui,  dit  l'auteur  de  la  Des- 
cription de  Sienne,  semblent  plutôt  tombés  du 
ciel  que  formés  par  une  main  humaine  ».  Sous 
le  porche  de  la  même  église,  Salimbeni  a  peint  La 
Madone  entre  les  saints  titulaires;  cette 
belle  peinture  a  beaucoup  souffert.  A  Sainte- 
Catherine,  la  Sainte  assaillie  par  le  peuple  flo- 
rentin, est  un  excellent  ouvrage  de  1604.  Ce  fut 
en  1609  que  Ventura  peignit  les  quatre  grandes 
fresques  du  chœur  de  la  cathédrale,  Sainte 
Catherine  de  Sienne,  Saint  Bernardin,  Saint 
Thomas  d'Aquin,  Saint  Ansan  et  quelques 
autres  saints;  et  dans  la  même  église,  Esther 
devant  A.ssuérus,  et  La  chute  de  la  manne 
dans  le  désert ,  grande  composition  qui  peut 
être  regardée  comme  l'un  des  meilleurs  ouvrages 
du  maître  Indiquons  parmi  ses  tableaux  à 
Sienne  :  un  Père  éternel  k'  Sainte- Lucie;  un 
Spasimo  à  Saint-Augustin;  un  Saint  Roch  à 
Saint-Pierre;  une  Sainte  Catherine  à  Saint- 
Roch  ;  un  Crucifix  à  Saint-Dominique.  A  Flo- 
rence, nous  trouvons  :  au  cloître  de  l'Annunziata, 
huit  fresques  tirées  de  l'histoire  de  l'ordre  des 
Servîtes ,  et  au  musée  public  un  tableau  repré- 
sentant l' Apparition  de  saint  Michel  à  Saint- 
Galgan;  à  Pise,  dans  la  cathédrale,  La  Chute,  de 
la  manne;'a  l'ancien  palais  de  l'ordre  de  Saint- 
Etienne  Les  Quatre  vertus  cardinales  ;  à  Santo- 
Frediano,  La  Vierge  avec  saint  François;  au 
palais  public,  une  ligure  allégorique  de  Pise 
entre  deux  enfants.  A  Rome,  on  voit  dans 
l'église  du  Gesù,  Abraham  adorant  les  trois 
anges ,  fresque  qui  ne  mérite  pas  les  éloges  de 
Lanzi;  à  Sainte-Marie-Majeure,  plusieurs  Sujets 
du  Nouveau  Testament  ;  et  dans  la  grande 
salle  de  la  bibliothèque  du  Vatican,  plusieurs 
grandes  fresques  représentant  des  Conciles. 

On  trouve  encore  des  peintures  de  Salimbeni 
à  Foligno,  à  Pérouse,  à  Lucques,  àAneône,à 
Pavie,  etc.  A  Gênes,  on  a  de  lui  une  belle  salle 
au  palais  Adorno;  une  Sainte  Famille  fait  par- 
tie du  Musée  de  Vienne,  .et  le  Musée  de  Nantes 


185  SAL1MBEJNI 

lui  doit  le  portrait  d'un  Jeune  ecclésiastique 
romain. 

Salimbeni  (Simondio),  fils  de  Ventura,  né  en 
1697,  mort  en  1643,  aexécuté  dans  l'église  Saint- 
floch  de  Sienne  quatre  fresques  importantes,  La 
Descente  du  Saint-Esprit ,  La  Mort  de  la 
Vierge,  La  Sainte  Famille,  et  La  Dispute  de 
Jésus  avec  les  docteurs.  La  Mort  de  Saint 
Joseph  (1634)  dans  l'église  S.-Pietrode  Sienne 
passe  pour  son  meilleur  ouvrage.      E.  Breton. 

Lanzi,  Ticozzi,  Pistnlesi,  Orlandi.  —  Morrona,  Pisa  il- 
lustrata.  —  Romagnoll,  Cenni  storico-artistici  di  Sienu. 
—  Fantozzl,  Guida  di  firenze.  —  Catalogues. 

SA  lin  as  (Francisco  de),  musicien  espagnol, 
né  en  1512,  à  Burgos,  mort  en  février  1590,  à 
Salamanque.  Il  était  fils  de  Juan  de  Satinas,  tré- 
sorier de  l'empereur  Charles  V.  A  dix  ans  il 
perdit  presque  entièrement  la  vue;  pour  le  dé- 
sennuyer, son  père  lui  fit  donner  des  leçons  de 
musique  et  d'orgue.  Le  hasard  lui  permit  de 
suivre  le  cours  ordinaire  des  études  :  ayant  ap- 
pris d'une  jeune  fille  les  éléments  du  latin,  il  fit 
dans  cette  langue  de  tels  progrès  qu'on  l'envoya 
à  l'université  de  Salamanque,  où  il  s'appliqua 
aux  mathématiques,  au  grec  et  à  la  philo- 
sophie. Puis  il  entra  dans  la  maison  de  l'arche- 
vêque de  Compostel le,  Pedro  Sarmiento ,  qui, 
charmé  de  ses  talents,  l'emmena  en  1538  a 
Rome,  lorsqu'il  alla  y  recevoir  le  chapeau  de 
cardinal.  La  mort  de  son  protecteur  (1540)  dé- 
cida Salinas  à  entrer  dans  les  ordres,  afin  de  con- 
tinuer ses  études  sur  la  musique  ;  il  s'attacha  à 
divers  riches  prélats  de  sa  nation,  qui  furent  à 
son  égard  plus  prodigues  de  louanges  que  de 
services ,  et  obtint  enfin  de  Paul  IV,  par  l'in- 
termédiaire du  duc  d'Albe,  l'abbaye  de  Saint- 
Pancrace,  dans  le  royaume  de  Naples.  Après  un 
séjour  de  vingt-trois  ans  à  Rome,  il  fut  rappelé  à 
Salamanque  pour  y  professer  la  musique  (1561). 
Ce  fut  pour  aider  à  l'intelligence  de  ses  leçons 
qu'il  écrivit  une  série  de  traités  (  De  musica, 
lib.  VII;  Salamanque,  1577,  in-fol.,  ou  1592, 
avec  un  nouveau  titre),  où  il  traite  particuliè- 
rement de  l'union  du  rhythme  poétique  avec  le 
rhythme  musical.  Salinas  eut  la  réputation  du 
plus  grand  organiste  de  son  temps. 

Antonio,  Bibl  hispana.  -  Teissier,  Éloges.  —  Fétls, 
Biogr.  univ  des  musiciens. 

salins  (Jean- Baptiste  de),  médecin  fran- 
çais, né  en  avril  1630,  à  Beaune,  où  il  est  mort, 
le 8  février  1710.  Comme  son  père  Hugues,  il 
pratiqua  la  médecine  dans  sa  ville  natale  II  est 
auteur  de  deux  opuscules  rares,  intitulés  :  Dé- 
fense du  vin  de  Bourgogne  contre  le  vin  de 
Champagne  (Dijon,  1701, 1704,in-8°),  et  Lettre 
à  un  magistrat  (  Paris,  1706,  in-4°).  où  il  tend 
à  prouver  une  fois  de  plus  la  supériorité  du  vin 
de  Beaune. 

Salins  (  Hugues  de),  frère  du  précédent,  né 
le  7  décembre  1632,  à  Beaune,  mort  le  28  sep- 
tembre 1710,  à  Meursault,  près  cette  ville  Reçu 
docteur  à  Angers,  et  agrégé  en  1688  au  collège 
des  médecins   de  Dijon,  il  fut  pourvu  d'une 


SALLE  186 

charge  de  secrétaire  du  roi  en  la  chambre  des 
comptes  de  Dôle.  Il  consacra  ses  veilles  à  éta- 
blir l'antiquité  de  Beaune,  qu'il  s'efforça  d'iden- 
tifier avec  la  Bibracte  des  Éduens,  et  publia 
surcette  question  une  partie  des  recherches  qu'il 
avait  faites.  Il  a  aussi  traduit  en  latin  la  Défense 
du  vin  de  Bourgogne  de  son  frère  (  Beaune , 
1705,  etDijon,  1706,  in-4°). 

Salins  (Claude  de),  fils  de  Hugues,  médecin 
et  maître  des  comptes  de  Dijon ,  a  laissé  deux 
livres  de  Paraphrases  en  vers  sur  les  psaumes 
(Dijon,  1714-16,  in-4°). 

Journal  des  Savants,  1706,  p.  125  et  345.  —  Papillon, 
Bibl.  des  auteurs  de  Bourgogne. 

salisbury  (Jean  de).  Voy.  Jean. 
salivet  (Louis-Georges- Isaac),  littérateur 

français,  né  le  9  décembre  1737,  à  Paris,  où  il 
est  mort,  le  4  avril  1805.  Avocat  au  parlement, 
il  fit  preuve  d'un  talent  cultivé  et  d'un  caractère 
désintéressé.  Pendant  la  révolution  il  devint  suc- 
cessivement accusateur  public  près  l'un  des  tri- 
bunaux criminels  de  Paris  (1790),  juge  de  paix 
de  la  section  de  Beaurepaire,  chef  de  l'un  des  bu- 
reaux de  l'administration  des  armes  portatives, 
et  employé  dans  le  ministère  de  la  justice.  En 
1802  il  fut  nommé  professeur  à  l'académie  de  lé- 
gislation. On  a  de  lui  des  articles  dans  la  grande 
Encyclopédie,  des  éditions  d'ouvrages  classiques 
et  entre  autres  celle  de  Plutarque,  trad.  Dacier 
(1778,  12  vol.  in-8°),  et  le  Manuel  du  tour- 
neur (Paris,  1792-96,  2  vol.  in-4°),  publié 
sous  le  nom  de  Bergeron. 

Magasin  encyclopédique,  180$,  p.  292-300. 

salle  (La).  Voy.  La  Salle. 

salle  (Jacques  -  Antoine) ,  jurisconsulte 
français, né  le  4  juin  1712,  à  Paris,  où  il  est 
mort,  le  14  octobre  1778.  Fils  d'un  commerçant, 
ilsefitrecevoir  avocat  en  1736;  mais  il  renonça 
bientôt  auT)arreau,àcause  de  sa  timidité,  et  se 
livra  à  un  travail  approfondi  sur  les  ordonnances 
rendues  à  cette  époque  sur  la  proposition  de 
d'Aguesseau,  et  qui  inspirées  surtout  des  prin- 
cipes du  droit  romain  étaient  loin  d'être  com- 
prises par  le  commun  des  jurisconsultes.  L'a- 
nalyse claire  et  méthodique  qu'il  en  fit  et  les 
développements  lumineux  qu'il  y  ajouta,  furent 
très-goûtés  par  d'Aguesseau,  auquel  il  soumit  son 
ouvrage  ;  mais  le  chancelier  désira  qu'il  ne  fût 
pas  imprimé,  par  le  motif  que  Justinien  n'avait 
pas  voulu  qu'on  le  commentât.  Ce  ne  fut  qu'a- 
près la  mort  de  d'Aguesseau,  queSallé  fit  paraître 
son  Esprit  des  ordonnances  de  Louis  XV  (Pavis, 
1752,  3  vol.  in-12;  1759,  in-4°),  qui  fut  aus- 
sitôt placé  parmi  les  livres  classiques  de  droit 
pratique,  ainsi  que  son  Esprit  des  ordon- 
nances de  Louis  XIV;  Paris,  1758,  2  vol. 
in-4°.  La  netteté  de  son  esprit,  la  précision  de 
son  style  et  son  amour  de  l'équité  firent  recher- 
cher son  office  comme  avocat  consultant;  il  le 
remplissait  entre  autres  auprès  de  la  congré- 
gation de  Saint-Maur.  Nommé  plus  tard  baifli 
de  la  commanderie  de  Saint-Jean  de  Latran ,  il 


187  SALLE  - 

donna  sa  démission  en  1771,  lors  de  l'édit  du 
chancelier  Maupeou  qui  désorganisait  la  ma- 
gistrature, et  ferma  en  même  temps  son  cabinet, 
quoiqu'il  se  soumît  par  là  à  beaucoup  de  priva- 
tions. En  1776,  après  le  rétablissement  des 
parlements  ,  il  devint  bailli  du  prieuré  de  Saint- 
Martin  des  Champs;  dans  ses  fonctions  de  juge, 
il  continua  à  faire  preuve  d'un  caractère  intègre 
et  ami  de  la  conciliation.  Les  remarques  judi- 
cieuses qu'il  écrivit  sur  le  nouveau  code  de  Fré- 
déric le  Grand  lui  valurent  d'être  associé  à  l'A- 
cadémie de  Berlin.  On  a  encore  de  lui  :  Traité 
des  fonctions  des  commissaires  du  Châtelet  ; 
Paris,  1760,  2  vol.  in-4";  —Nouveau  Code  des 
curés;  Paris,  1780,  4  vol.  in-12;  à  la  tête  du 
quatrième  se  trouve  un  Éloge  de  l'auteur,  auquel 
on  doit  encore  une  partie  du  Journal  des  au- 
diences. 

Nécrologe,  ann.  1780.  —  I'orraey,  Souvenirs,  II,  p.  152. 

sallengre  (Albert-Henri  de),  littérateur 
français,  né  en  1694,  à  La  Haye,  où  il  est  mort, 
le  27  juillet  1723.  Sa  famille,  originaire  du  Hai- 
naut,  s'était  réfugiée  en  Hollande  pour  cause  de 
religion-,  son  père,  receveur  général  de  la 
Flandre  wallonne,  portait  les  mêmes  prénoms 
que  lui ,  et  il  avait  pour  mère  une  sœur  de 
Rotgans,  poète  hollandais.  A  l'Académie  de 
Leyde,  où  il  soutint  en  1711  ses  thèses  de  phi- 
losophie et  de  droit ,  il  eut  pour  maîtres  Peri- 
zonius  et  Bernard.  Après  avoir  été  reçu  avocat  de 
la  cour  de  Hollande,  il  visita  la  France, et  y  fit 
en  1717  un  second  vovage.  En  1719  il  alla  en 
Angleterre,  et  fut  admis  dans  la  Société  royale  de 
Londres.  H  fut  conseiller  de  la  princesse  de 
Nassau,  puis  commissaire  des  finances  des  états 
généraux.  Il  mourut  à  trente  ans,  de  la  petite 
vérole.  On  a  de  lui  :  Éloge  de  l'ivresse;  La 
Haye,  1714,  in-12;  réimp.  plusieurs  fois  et  trad. 
en  hollandais;  la  dernière  édition  de  ce  badinage 
faite  par  Miger  (Paris,  1798,  in-12)  contient  des 
additions  et  desv  changements  en  si  grand  nombre 
qu'elle  peut  passer  pour  un  nouveau  livre  ;  — 
Histoire  de  Pierre  de  Montmaur  ;  La  Haye, 

1715,  2  vol.in-8°  :recueil  des  pièces  écrites  sur 
ce  fameux  gourmand;  —  Mémoires  de  littéra- 
ture;^ Haye,  1715-17,  2  vol.  in-8°:  c'est,  à  pro- 
prement parler,  un  choix  de  singularités  bibliogra- 
phiques ;  Goujet  et  Desmolets  y  ont  donné  une 
Continuation  ,  conçue  dans  un -esprit  plus  gé- 
néral; —  Novus  Thésaurus  aniiquitatum 
romanarum ;  La  Haye,  1716-19,  3  vol.  in-fol. 
fig.  :  recueil  des  pièces  échappées  à  Grae  vins  et  dont 
plusieurs  étaient  rares;  —  Essai  d'une  Histoire 
des  Provinces-Unies  pour  l'année  1621;  La 
Haye,  1728,  in  4°  :  travail  incomplet,  mais  qui 
renferme  de  bonnes  choses.  Sallengre  a  eu  part 
au  Journal  littéraire  de  La  Haye  (1713-22), 
ainsi  qu'au  Chef-d'œuvre  d'un  inconnu.  Il  a 
traduit  de  l'anglais  l'État  présent  de  l'Église 
romaine  (17 16,  in-S°)de  Rich.  Steele,etila 
publié  les  Poésies  de  La  Monnoge  (La  Haye, 

1716,  in-8°),  édition  incomplète  et  faite  à  l'insu  de 


SALLIER.  188 

l'auteur;  Pièces  échappées  au  feu,  en  prose  et 
en  vers  (1717,  in-8°);  Comm.  dé  rébus  ad  eum 
perlinentibus  de  Huet  (1718,  in- 12),  et  Traité 
de  la  faiblesse  de  l'esprit  humain,  du  même 
(1723,  in-12). 

Journal  ïtttêr.,  t.  XII,  220.  —  Niceron,  Mém,\  et  X. 

salles  (Jean- Baptiste) , conventionnel,  né 
vers  1760,  exécuté  le  20  juin  1794,  à  Bordeaux. 
Il  exerçait  la  médecine  à  Vézelise,  en  Lorraine, 
lorsque  le  tiers  état  de  Nancy  le  nomma  député 
aux  états  généraux.  Partisan  des  principes  de  la 
révolution ,  mais  avec  une  modération  relative 
qui  le  lia  plus  tard  aux  députés  de  la  Gironde,  il 
parla  dans  l'Assemblée  constituante  contre  le  veto 
et  pour  une  assemblée  unique.  Lors  du  voyage 
à  Varennes,  il  défendit  l'inviolabilité  royale.  Élu 
député  de  la  Meurthe  à  la  Convention,  il  se  mon- 
tra ennemi  opiniâtre  des  anarchistes.  Doué  d'une 
imagination  inquiète,  agitée,  violente,  il  était  seul 
accessible  à  toutes  les  suggestions  de  Louvet,  et 
croyait,  comme  lui,  à  de  vastes  complots,  tramés 
dans  la  commune  et  aboutissant  à  l'étranger. 
Lors  du  procès  de  Louis  XVI,  c;est  Salles  qui 
proposa  et  soutint  le  premier  le  système  de 
l'appel  au  peuple,  dans  la  séance  du  27  no- 
vembre, a  C'est  à  la  nation  elle-même,  dit-il,  à 
fixer  son  sort  en  fixant  celui  de  Louis  XVI...  Oq 
posera  ainsi  la  question  aux  assemblées  pri- 
maires :  Louis  XVI  sera-t-il  puni  de  mort,  ou 
détenu  jusqu'à  la  paix?  Et  elles  répondront 
par  ces  mots  :  détenu  ou  mis  à  mort.  »  Il  vota 
la  détention  jusqu'à  la  paix,  puis  le  sursis  à 
l'exécution.  Obligé  de  quitter  Paris  après  le 
31  mai  1793,  et  mis  hors  la  loi,  le  28  juillet,  il 
suivit  les  girondins  dans  leurs  retraites  de  • 
l'Eure  et  du  Calvados,  et  s'enfuit  ensuite  avec 
eux  parmerà  Bordeaux.  Arrêté,  le  19  juin  1794, 
chez  le  père  de  Guadet,  et  condamné,  le  20,  à 
mourir  le  jour  même,  il  écrivit  à  sa  femme: 
«  Quand  tu  recevras  cette  lettre  je  ne  vivrai  que 
dans  la  mémoire  des  hommes  qui  m'aiment...  Je 
crois  m'être  dévoué  pour  le  peuple.  Si  pour  ré- 
compense je  reçois  la  mort,  j'ai  la  conscience 
de  mes  bonnes  intentions.  Mon  amie,  je  te  laisse 
dans  la  misère.  Quelle  douleur  pour  moi  !  Et 
quand  on  te  laisserait  tout  ce  que  je  possédais, 
tu  n'aurais  pas  même  du  pain;  car  tu  sais,  quoi 
qu'on  ait  pu  dire,  que  je  n'avais  rien.  Cependant, 
Charlotte,  que  cette  considération  ne  te  jette 
pas  dans  le  désespoir.  Travaille,  mon  amie,  tu 
le  peux.  Apprends  à  tes  enfants  à  travailler, 
lorsqu'ils  seront  en  âge...  Espère  encore,  espère 
en  celui  qui  peut  tout;  il  est  ma  consolation  au 
dernier  moment...  et,  comme  dit  si  bien  Rous- 
seau :  Qui  s'endort  dans  le  sein  d'un  père  n'est 
pas  en  souci  du  réveil.  »  Il  n'était  âgé  que  de 
trente-quatre  ans. 

Souvenirs  de  Garât.  —  A.  de    Lamartine,  Hist.  des 
Girondins.  —  Guadet,  Idem. 

SA  LU  eu  (Claude),  philologue  français ,  né  I 
le  4  avril  1685,  à  Saulieu  (Côte-d'Or),  mort  le  [ 
9  juin  1761,  à  Paris.  Il  appartenait  à  une  famille 


189 


SALLIKR  —  SÀLLO 


L90 


ancienne  et  honorable,  mais  comme  il  comptait 
sept  frères  on  sarars,  il  eut  pour  tout  patrimoine 
l'instruction  que  ses  parents  lui  tirent  donner. 
Par  son  goût  pour  l'étude  et  son  amour  du  tra- 
vail il  sut  tirer  si  bon  parti  de  ce  petit  fonds>q'.ii 
consistait  en  du  latin  et  en  un  peu  de  grec, qu'il 
parvint  à  se  faire  un  nom  à  Paris  dans  les  lettres 
et  les  sciences.  Reçu  membre  de  l'Académie 
royale  des  inscriptions  et  belles-lettres  en  1715, 
il  fut  nommé  successivement  lecteur  et  profes- 
seur royal  en  langue  hébraïque  au  Collège  de 
France,  et  l'un  des  gardes  de  la  bibliothèque  du 
roi;  enfin  l'Académie  française  lui  ouvrit  ses 
portes  en  1729.  L'abbé  Sallier  a  publié  dans  les 
Mémoires  de  l'Académie  des  inscriptions,  sur 
des  sujets  de  philosophie,  d'histoire,  de  littéra- 
ture et  de  phi'o  ogie,  anciens  et  modernes,  environ 
cinquante  dissertations  marquées  au  coin  d'une 
critique  judicieuse.  Il  a  travaillé  activement  au 
Catalogue  de  la  bibliothèque  royale,  dont  il  a 
donné,  de  1739  à  1753,  six  volumes  in-fol.,  com- 
prenant la  théologie,  les  belles-lettres  et  une  partie 
de  la  jurisprudence.  Non  content  d'augmenter  le 
dépôt. qui  lui  était  confié,  il  en  exhuma  des  ri- 
chesses inconnues.  On  lui  doit  les  poésies  de 
Charles  duc  d'Orléans,  qu'il  y  découvrit.  Il  pu- 
blia en  collaboration  avec  Melot,  son  compa- 
triote et  son  ami,  la  première  édition  complète 
et  authentique  de  ['Histoire  de  saint  Louis  par 
le. sire  de  Joinville,  avec  un  glossaire,  1761, 
in-fôl.  Rappelons  à  la  louange  de  Sallier  qu'il 
avait  formé  le  noyau  d'une  bibliothèque  publique 
dans  sa  ville  natale. 

J.-P.  Abel  Jeandet  (de  Verdun).' 
L'abbé   Leblanc,  Lettres  d'un   Français,  5e  édit.,  III, 
194.  —  Étogcs  des  membres  de   V  Acad,  des  inscript.  — 
Courtépée,  Descript.    de    Bourgogne,   nouv.  édit.,  IV, 
107.  —  Muteau  et  Garnicr,  Galerie  hourgtliijn.,  III. 

sallo  {Denis  de),  fondateur  du  Journal 
dés  Savants,  né  en  1020,  à  Paris,  où  il  est  mort, 
le  14  mai  1669.  Sa  famille  était  d'ancienne  no- 
blesse et  originaire  du  Poitou  ;  il  se  qualifiait  de 
seigneur  de  la  Coudraye,  et  son  père,  Jacques 
de  Sallo,  occupait  un  siège  de  conseiller  en  la 
grand'chambre.  Après  avoir  fait  ses  études  au 
collège  des  Grassins,  il  soutint  des  thèses  de  phi- 
losophie en  grec  et  en  latin;  puis  il  s'appliqua 
au  droit,  et  succéda  en  1052  à  son  père  dans  le 
parlement.  Dans  son  enfance  il  avait  l'esprit  pe- 
sant, mais,  selon  les  termes  de  Moréri,  il  fit 
paraître  -au  palais  un  très-beau  génie,  une  con- 
ception facile  et  un  jugement  solide.  La  littéra- 
ture l'occupa  autant  que  la  jurisprudence  :  il  li- 
sait sans  cesse  et  toutes  sortes  de  livres ,  et  em- 
ployait deux  secrétaires  à  transcrire  ses  ré- 
flexions et  les  extraits  qu'il  voulait  faire  de  ses 
lectures;  par  cette  manière  d'éludé  il  se  forma 
de  nombreux  recueils,  à  l'aide  desquels  il  put 
composer  des  traités  sur  des  matières  fort  diffé- 
rentes. Il  savait  peu  de  grec,  bien  qu'on  ait  pré- 
tendu le  contraire;  mais  les  langues  vivantes 
étaient  un  de  ses  délassements;  il  ne  se  conten- 
tait pas  de  les  lire  superficiellement,  il  s'efforçait 


d'en  connaître  les  délicatesses.  L'application  de 
Sallo  au  travail  lui  causa  une  maladie  qui  le  ren- 
dit impotent  pour  le  reste  de  ses  jours.  Réduit 
à  l'inaction ,  ce  fut  alors  qu'il  conçut  le  projet 
d'un  journal  hebdomadaire  destiné  à  faire  savoir 
ce  qui  se  passerait  de  nouveau  dans  la  république 
des  lettres,  et  contenant  l'analyse  et  le  catalogue 
des  ouvrages  récemment  imprimés ,  l'indication 
des  découvertes  les  plus  importantes  dans   les 
sciences,  des  notices  nécrologiques,  et  les  princi- 
pales décisions  des  tribunaux  séculiers  et  ecclé- 
siastiques. Cette  gazette  parut  le  lundi  5  janvier 
lG05,avec  le  titre  de  Journal  des  Savants  et 
sous  le  nom  du  sieur  de  Hédouville  (1).  Le  fon- 
dateur s'assura  le  concours  de  plusieurs  lettrés, 
tels  que  Chapelain,  l'abbé  Gallois,  Gomberville 
et  Bourzeïs,  et  tout  en  laissant  aux  opinions  les 
plus  contradictoires  liberté  entière  de  se  pro- 
duire, il  ne  se  réserva  que  le  droit  d'ajuster  les 
matériaux  afin  de  leur  donner  à  la  fois  propor- 
tion  et  régularité.  L'entreprise  eut  du  succès; 
mais  la  critique  de  Sallo,  bien  qu'appuyée  de 
preuves  et  aiguisée  de  traits  plus  fins  que  mor- 
dantSj  ne  pouvait  manquer  de  froisser  l'amour- 
propre  si  irritable  des  auteurs.  Aussi  les  vit-il 
bientôt,  fait  remarquer  Niceron ,  «  se  soulever 
centre  lui,  et  se  venger  de  la  liberté  qu'il  se 
donnait  par  celle  qu'ils  prirent  à  l'égard  de  son 
journal.  »  Ménage  jeta  le  premier  les  hauts  cris 
et  traita  les  gazettes  du  nouvel  Arislarque 
de  billevesées  hebdomadaires  ;  Tannegui  Le 
Fèvre  et  Grégoire  Huret  se  joignirent  à  lui,  ainsi 
que  Gui  Patin,  piqué  outre  mesure  d'une  accu- 
sation de  plagiat  portée  contre  son  fils.  Après 
le  treizième  numéro  (30  mars    1665),  le  pri- 
vilège fut  retiré  à  Sallo   et  son  journal  sup- 
primé. On  eut  recours  à  cette  espèce  de  coup  d'É- 
tat contre  le  journalisme  naissant,  non  pas  sur 
les  plaintes  des  auteurs  maltraités,  mais,  suivant 
Camusat,  sur  ladénonciationde  la  courdeRome, 
irritée  de  ce  qu'on  eût  parlé  en  termes  peu  res- 
pectueux d'un  décret  de  l'inquisition  rendu  contre 
Baluze  et  Launoy.  Cette  affaire,  comme  on  le 
pense  bien,  fit  beaucoup  de  bruit.   Sallo  s'en 
retira  avec  honneur;  il  refusa  de  continuer  son 
journal  avec   un  censeur,  et  malgré  l'indépen- 
dance de  son  esprit,  il  ne  perdit  rien  des  bonnes 
grâces  de  Colbert,  qui  ne  cessa  de  le  consulter 
sur  les  objets  de  littérature  et  même  sur  la  ma- 
rine, sur  les  droits  de  la  couronne,  etc.  Vers  la 
fin  de  sa  vie  le  défaut  d'ordre,  sa  générosité,  la 
passion  du  jeu  avaient  dérangé  sa  fortune;  il  ve- 
nait, pour  en  réparer  les  brèches ,  d'obtenir  de 
son  protecteur  un  haut  emploi  dans  les  finances 
lorsqu'il  mourut  d'une  attaque  d'apoplexie,  à 
l'âge  de  quarante-trois  ans.  Les  recueils  manus- 
crits de  Sallo  formaient  9  vol.  in-fol.  et  traitaient 
particulièrement  des  matières  historiques;  on 

(1)  Les  uns  disent  que  ce  nom  était  relui  d'un  fief  que 
possédait  Sallo  en  Normandie,  les  autres  qu'il  servait  à 
déguiser  un  de  ses  laquais,  appelé  Germain,  et  dont  Va- 
lois a  vanté  les  connaissances  en  latin  et  même  en  droit. 


191 

n'a  imprimé  de  lui  que  les  opuscules  suivants  : 
Des  Noms  et  surnoms ,  dans  le  Recueil  de 
pièces  deGranet,  t.  III;  et  un  Traité  des  lé- 
gats a  latere,  à  la  suite  de  l'Origine  des  car- 
dinaux de  Du  Peyrat  (Cologne,  1665,  in-12). 
Quant  an  Journal  des  savants,  il  fut  repris  le 
4  janvier  1666  par  l'abbé  Gallois,  et  continué  en 
1685  par  l'abbé  de  la  Roque,  en  1687  par  le  pré- 
sident Cousin,  et  de  1702  à  juillet  1792  par  une 
commission  de  gens  de  lettres;  supprimé  pen- 
dant la  révolution  et  l'empire ,  il  a  été  rétabli  en 
1816  par  ordonnance  royale.  La  collection  en- 
tière (1665-1792)  forme  111  vol.  in-4°;  la  réim- 
pression faite  à  Amsterdam  (1669  et  ann.  suiv.) 
est  de  381  vol.    in-24.  P.  L. 

Moréri,  Grand  Dict.  hist.  —  Niceron ,  Mémoires, 
IX  et  X.  Vigneul-Marville,  Mélanges,  t.  Ier.  —  Camusat, 
Hist.  critique  des  journaux,  t.  1er.  —  Perrault,  Mé- 
moires. —  lîninet.  Manuel  du  libraire. 

salutste    (Caius   Crispus    Salltjstius), 
historien  romain ,  né  dans  le  municipe  d'Ami- 
ternum,  au  pays   des   Sabins,  en  86  av.  J.-C, 
mort  en  34,    à  Rome.  Son  enfance  s'éleva  au 
bruit  des  guerres  intestines,  et  le  spectacle  des 
dernières   agonies    de   la    république   émut  sa 
jeunesse.    Issu   d'une  famille  plébéienne,  sans 
illustration  (car   c'est  en  lui  que  commence  la 
célébrité  de  son  nom),  mais  dans  une   situation 
de  fortune  assez  heureuse  pour  que  la  culture  la 
plus  exquise  ne  manquât  pointa  son  naturel,  il 
venait  dans  ce  temps,  favorable  pour  le  talent, 
où  la  philosophie  et  les  arts  de  la  Grèce  avaient 
achevé  la  conquête  intellectuelle  de  Rome.  Sa 
vocation  littéraire  s'était    fait   sentir   de  très- 
bonne  heure,  mais  elle  fut  bientôt  contrainte 
de  se  taire,  et  de  céder  aux  entraînements  du 
forum   (4    quo  incepto   studio  me   ambitio 
mala  detinuerat),  Tout  jeune  encore  (adoles- 
centulus  initio) ,  Salluste  prit  part  aux  affaires 
publiques,   sans    doute    par   une   intervention 
privée   et  par   des  influences  personnelles  d'a- 
bord ;  ensuite  il  obtint  la  questure.  Ce  ne  pou- 
vait être  avant  l'âge  de  vingt-sept  ans,  auquel 
il  était  parvenu  en  59,  sous  le  consulat  de  César 
et  de  Bibulus.  Quels  principes  de  gouvernement 
embrassa-t-il?  Ses  écrits,  à  défaut  d'autres  té- 
moignages,   suffiraient   pour  ne  laisser  aucun 
doute  sur  son  ardeur  à  servir  le  parti  populaire. 
Les  comices  le  nommèrent  tribun  en  52.  Quel- 
que graves  que  fussent  ses  occupations  d'homme 
d'État,  elles  ne  le  détournaient  pas  entièrement 
des  plaisirs  et  de  la  galanterie  :  témoin  le  rendez- 
vous  où  il  fut  surpris  avec  Fausta  par  Milon, 
le  mari  offensé,  et  d'où  il  ne  sortit  que  rude- 
ment fustigé  et  mis  à  rançon.  Déjà  adversaire 
politique  de  Milon,  il  devint  son  ennemi  impla- 
cable, et  s'acharna  contre  tous  ses  partisans,  à 
la  tète  desquels  était  Cicéron.  La  communauté 
de  haine  resserra  plus  étroitement  les  liens  qui 
l'attachaient  à  Clodius,  et  lorsque  celui-ci   eut 
péri  dans  une  rencontre   avec  Milon ,  Salluste 
poussa  la  vengeance  jusqu'à  la  fureur;  il  se  si- 
gnala parmi  les  harangueurs  funèbres  qui  exci- 


SALLO  —  SALLUSTE  192 

tèrentla  multitude  à  briser  les  bancs  d'une  salle 
d'assemblée  du  sénat  pour  dresser  un  bûcher 
au  mort,  et  qui  furent  cause  de  l'incendie  de  la 
basilique   Porcia.   Ils  firent  condamner  Milon, 
mais  leur  triomphe  ne  fut  pas  de  longue  durée. 
Pompée  rétablit  l'ordre  contre  eux,  après  avoir 
sacrifié  à  son  ambition,  autant  qu'à  leur  animo- 
sité,  Milon,  qu'il   ne   voulait  pas  avoir   pour 
collègue  dans  le  consulat.  Deux  ans  après  (50), 
les  censeurs  Appius  Pulcher  et  Pison  chassèrent 
Salluste  du    sénat,  pour  cause  de  mauvaises 
mœurs.  On  croit   que   c'est  pendant  ce   repos 
forcé  qu'il  composa  le  récit  de  la  Conjuration 
de  Catilina.    Une  révolution  le  tira  prompte- 
ment  de  ses  studieux  loisirs,  où  il  n'avaittrouvé 
ni  la  patience  ni  le  calme.  César  passe  tout  à 
coup  le   Ruhicon,  met  en  fuite  Pompée,   et  se 
rend  maître   de  Rome   et  de  l'Italie.    Salluste 
court  aussitôt  se  ranger  sous  les  aigles  du  vain- 
queur; il  devient  questeur  pour  la  seconde  fois, 
(48),  puis  préteur  l'année*suivante  (1).   Obligé 
d'aller  servir  César  dans  la  guerre  d'Afrique,  il 
s'y    distingua   par  son   habileté,   et   quand   la 
Numidie  eut  été  réduite  en  province  romaine, 
César  lui   en  donna  le   commandement.  Qu'on 
n'accorde  point  de  crédit  aux  diatribes  hyperbo- 
liques de  Lenœus,  affranchi  de  Pompée,  qui  lui 
reprochait  de  n'avoir  laissé  aux  Numides  que  ce 
qu'il    lui    était   impossible  d'emporter,  on  sait 
cependant  qu'il   était  ruiné  avant  sa   magistra- 
ture, et  sa  splendide  villa  de  Tibur,  les  délicieux 
jardins  qui  gardèrent  son   nom  (horti  sallus- 
tiani)  et  qui  suffirent  dans  la  suite  à  la  magni- 
ficence d'une  résidence  impériale,  demeurèrent 
comme  témoignage  de  ses  rapines.  Accusé  par 
la  province,  il  fut  absous  par  César,  mais  non 
par  la  conscience  publique.  C'était  quelques  se- 
maines avant  les  ides  de  mars.  Dès  lors,  privé 
de  son  puissant  ami ,  délié  de  tout  engagement 
par  cette  mort,  possesseur  d'une  immense  for- 
tune, il  résolut,  à  quarante-deux  ans,  de  se  re- 
tirer dans  la  vie  privée,  et  de  n'nscr  de  la  fa- 
veur qui  devait  l'accueillir  si  facilement  chez  le 
fils  de  César,  que  pour  se  conserver,  non  pour 
s'agrandjr;  il  obtint  ce  qu'il  souhaitait  désor- 
mais uniquement,  et  ce  qui  semblait  impossible, 
de  vivre  riche  et  tranquille  sous  le  triumvirat. 
Les  lettres  occupèrent  noblement  l'activité  de 
son  esprit;  il  avait  auprès  de  lui  des  auxiliaires 
lettrés  qui  lui  débrouillaient  les  premières  re- 
cherches, et  il  ne  voulait  composer  que  des  mor- 
ceaux d'histoire  (  carptim  res  gestas  perscri- 
bere),  non  des  œuvres  de  longue  haleine.  Ainsi 
ses    huit  dernières  années  (il  mourut  en  34) 
s'employèrent  à  effacer  l'ignominie  du  libertin, 
les  extravagances  du  démagogue,  les  malversa- 
tions du  concussionnaire,  par  la  renommée  de 
l'historien. 

(1)  C'est  vers  cette  époque  que  l'on  place  son  mariage 
avec  Terenlia,  la  femme  répudiée  de  Cicéron.  Foy.  sur 
ce  fait,  qui  parait  Improbable,  Druraann,  Cesch.  Roms, 
VI,  693. 


193  SALLUSTE  —  SALM 

Salluste  fut  le  premier  (et  c'est  là  sa  gloire  émi- 
nenle)  qui  comprit  la  science  de  l'histoire.  Avant 
lui,  elle  ne  présentait  que  des  notices  sommaires 
d'événements  et  de  dates,  sans  autre  méthode  que 
la  succession  chronologique  ,  ou  un  confus  mé- 
lange de  fiction  et  de  vérité  dans  des  annales 
versifiées.  Il  vit  que  pour  exercer  toute  sa  puis- 
sance elle  devait  offrir  le  tableau  animé,  mais 
grave  aussi,  des  choses  humaines;  qu'elle  pou- 
vait emprunler  à  l'épopée  la  vivacité  des  exposi- 
tions dramatiques,  le  dessin  des  grandes  figures, 
l'éclat  des  descriptions,  et  même  quelques  arti- 
fices de  composition  et  d'ordonnance  pour  l'effet 
du  spectacle,  à  la  condition  toutefois  de  répudier 
toute  machine  fabuleuse;  que  la  connaissance 
des  lieux  devait  aider  à  la  connaissance  des  faits, 
la  géographie  éclairer  et  soutenir  la  narration; 
qu'il  ne  fallait  mettre  en  œuvre  aucune  matière 
qu'elle  n'eût  été  épurée  par  une  critique  dili- 
gente etséiieuse;  il  pensa  enfin  que  raconter  les 
actions  des  hommes  et  les  destinées  des  peuples 
sans  découvrir  les  ressorts  cachés,sans  montrer  la 
liaison  nécessaire  des  effets  avec  les  causes ,  des 
fautes  avec  les  passions,  des  vices  avec  les  in- 
fortunes et  l'abaissement,  des  prospérités  ou  de 
la  gloire  avec  les  vertus ,  c'était  priver  le  récit 
de  son  intelligence,  de  sa  moralité,  de  son  âme. 
Telles  sont  les  voies  nouvelles  où  il  conduisit 
l'histoire  chez  les  Romains,  en  la  revêtant  de  ce 
style  dont  la  rapidité  incisive  et  profonde,  la 
précision  nerveuse  (velocitas,  brevitas  salins- 
tiana)  sont  regardées  par  les  arbitres  du  goût 
comme  le  type  de  la  perfection  en  ce  genre. 

Velleius  Paterculuset  Quintilien,  malgré  leur 
idolâtrie  pour  le  génie  grec,  n'hésitent  point  à 
mettre  Salluste  en  parallèle  avec  Thucydide;  et 
Quintilien  l'égale  à  Tite-Live,  «  deux  esprits  dif- 
férents, mais  de  même  ordre  ».  S'il  avait  nommé 
Tacite,  quel  rang  aurait-il  donné  à  Salluste  dans 
la  comparaison  ?  Malgré  le  respect  pour  les  an- 
ciens et  la  prévention  toujours  un  peu  défavo- 
rable aux  vivants,  nous  croirons  difficilement 
qu'il  les  eût  placés  de  niveau  dans  son  estime. 
Autant  Salluste  est  supérieur  à  Tacite  pour  la 
pureté  du  langage,  qu'il  tenait  de  son  temps,  au- 
tant il  le  lui  cède  pour  cette  énergie  communica- 
tive  du  style  qui  résulte  de  la  conscience  des 
jugements  et  de  la  sincérité  des  émotions.  Une 
tristesse  véhémente  est  le  caractère  dominant 
des  deux  auteurs.  Chez  Tacite  elle  est  inspirée 
par  une  sensibilité  qu'irrite  l'indignation  contre 
le  vice  et  le  crime ,  mais  qui  n'exclut  point  les 
sympathies  pour  le  malheur  et  l'enthousiasme 
pour  la  vertu.  C'est  une  colère  grondeuse,  une 
ardeur  haineuse  d'invective,  qui  règne  uniforme 
ment  chez  Salluste,  sans  aucun  trait  d'affection 
douce  et  généreuse.  Quintilien  lui  a  reproché 
l'inconvenance  de  ses  débuts  du  Catilina  et  du 
\Jugurtim  (nihil  ad  historiam  perlinentibus 
bnncipiis),  quoique  le  défaut  soit  plutôt  dans  la 
[forme  que  dans  le  fond;  car  l'auteur  pouvait 
avoir  raison  d'indiquer,  en  commençant,  la  cause 

NO'.lV.   IUOOR.    GÉNÉK.  _    T.  XL1II. 


101 

générale  des  troubles  et  des  maux  qu'il  allait 
retracer,  savoir  :  la  corruption  des  mœurs  pu- 
bliques et  privées;  mais  ici  l'intérêt  et  la  passion 
de  l'homme  ont  entraîné,  ont  fourvoyé  l'art  de 
l'historien.    Dans  cette   fastueuse    et  intempé- 
rante déclamation  de   philosophie  on  sent  trop 
l'effort  pour  couvrir   d'une   sagesse  empruntée 
une   flétrissure  véritable;   et  de  même  sa  pré- 
tendue manie  d'archaïsme,  dont    les  grammai- 
riens le    blâmaient,  ne  fut  bien   plutôt  qu'une 
hypocrisie    de  paroles,  un  fauxsembant  d'ha- 
bitudes antiques.  Dans  ses  amères  satires  des 
vices  du  siècle,  qui  se  résument  toujours  en  dia- 
tribes contre  la  noblesse,  le  factieux  se  trahit  par 
son  emportement,  comme  ses  réticences  accusent 
plus  haut  encore   ses  inimitiés  contre  Cicéron. 
Et  cependant  il  faut  reconnaître  que  ses  deux 
seuls  livres  qu'on  ait  conservés  eutiers  sont  des 
chefs-d'œuvre    de  composition   historique,  ac- 
complis en  toutes  leurs  formes ,  narration ,  por- 
traits, harangues,  distribution  et  agencement  des 
parties.  Les  fragments  de  son  Histoire  générale, 
qui  emhrassait  la  seconde  moitié  du  septième 
siècle  de  Rome,  montrent  combien  on  doit  eu  re- 
gretter la  perte.  Quant  aux  epitres  à  César,  sur 
l'organisation  du  gouvernement  de  Rome,  nous 
y  trouvons  tant  de  réminiscences  des  phrases  et 
des  locutions   qui  se  rencontrent  ailleurs  dans 
ses  écrits,  que  nous  ne  pouvons  nous  empêcher 
de  concevoir  quelque  doute  sur  leur  légitimité. 
Les  premières  éditions  de  cet  auteur  ont  paru 
presque  dès  la  naissance  de  l'imprimerie,  l'une 
en    1470,  à  Rome,  in-fol. ,    l'autre  probable- 
ment à  Paris,  sans  date.  Ceux  qui  veulent  lire  le 
texte  préféreront  les  éditions  d'Haverkamp  (  La 
Haye,  1742,in-4°),  de  M.  Burnouf  (Paris,  1821), 
de  Gerlach  (Bâle,  1823-1,^31,  3  vol.  in-4°),  de 
Kritz  (Leipzig,  1828-1834,  2  vol.  in-8°),  et  d'O- 
relli  (Zurich,  1840).  Si  l'on  a  besoin  de  s'aider 
de  traductions,  on  peut  choisir  entre  celles  de 
MM.  Dureau-Delamalleet  Mollevaut  etdeM.Du- 
rozoir,  qui  est  venu  après  eux.  La  traduction 
italienne  d'Alfieri  passe  pour  élégante  et  fidèle. 
Mais  de  tous  les  interprètes  et  les  exégètes  de 
Salluste,  le  meilleur  est  le  président  de  Brosses. 
Naudet. 
C.   Coter,    Sallustius;    Nuremberg,    1599,   in-8°.  — 
D.-W.  Moller,  De  C.   Sallvstio  ;   Allorf,  1684,  in-4°.   — 
Nast,  De  P'irlutibus  historiée  Saltustii  ;  Stuttgart,  1785. 
iu-4°.  —  Millier,  C.  Sallustius,    oder  histor.  Untersu- 
c/uing,  etc.;  1817,   in-8°.  —  Lœbell.  Zur  Beurtheilung 
des  C.    Sallustius  ;  Breslau,  1818.   in-8°.    —    Gerlach, 
Vber  den  Geschichtsschreiber  C.  Sallustius;  Cale,  1831, 
ln-t°.  -   Gerlache  (C.   C.  de).   Études    sur  Salluste, 
Bru  m  Iles.  1847,  in-8°.  —  Index  editiouuin  et  versionum, 
joint-  à  ledit,  de  Frotscber. 

salm,  ancienne  maison  comtale  remontant  à 
Thierry,  seigneur  lorrain  ,  mort  en  1040 ,  en 
laissant  deux  fils,  qui  reçurent,  Henri  le  comté 
de  Salm  dans  le  Wasgau,  et  Charles  le  comté  de 
Salm  dans  les  Ardennes.  Henri  fonda  la  bran- 
che d'Obersalm.  Jean  V,  son  descendant  à  la 
treizième  génération  et  qui  mourut  en  1431, 
laissa  deux  fils,  Jean  VI  et  Simon  II.  Nicolas  II, 


195 


SALM  —  SALM-DYCR 


196 


petit-fils  de  Jean  Vf,  fonda  la  ligne  de  Salm- 
Neubourg,  qui  s'éteignit  en  1784.  Jean  VIII, 
autre  petit-Iils  de  Jean  VI,  eut  pour  unique 
héritière  Christine,  qui  apporta  ses  biens  à  son 
mari  François  de  Vaudemont.  Simon  II  n'eut 
qu'une  fille,  Jeannette,  qui  épousa  le  rhingrave 
Jean  V  ;  celui-ci  prit  alors  le  titre  de  comte  d'O- 
bersalm.  Ses  descendants  se  divisent  en  trois 
branches:  1°  Salm-Salm ,  qui  reçut  la  di- 
gnité de  prince  en  1623;  2°  les  comtes  de 
.Salin  Kyrbourg  ;  3°  les  princes  de  Salm- 
Horstmar.  . 

Charles,  fils  de  Thierry,  fonda  au  onzième 
siècle  la  ligne  de  Niedersalm.  Henri  IV,  son 
descendant,  mourut  en  1423  sans  enfants  ;  ses 
domaines  et  ses  titres  passèrent  à  son  parent 
Jean,  comte  de  Reifferscheidt;  les  descendants 
de  ce  dernier  se  divisèrent,  en  1639,  en  deux 
branches,  les  princes  lie  Salin- Bei/ferseheidt,  et 
les  comtes  de  Salm-Dyck,  qui  reçurent  en  1816 
la  dignité  de  prince. 

SALM-UEIFFEKSCHEIDT    (Nicolas,  comte 

»e),  capitaine  allemand,  né  en  1458,  à  Salm-In- 
férieur,  mort  à  Vienne,  le  4  mai  1630.  Dans 
l'armée  de  l'empereur  Frédéric  III,  il  assista 
aux  batailles  de  G-randson  et  de  Morat,  et  prit 
ensuite  part  aux  campagnes  contre  les  Hongrois, 


après  la  mort  de  son  père  par  sa  tante,  la 
princesse  d'Hohenzollern-Sigmaringen.  Sa  prin- 
cipauté, située  sur  la  rive  gauche  du  Rhin,  ayant 
été  réunie  à  la  république  française,  il  en  obtint 
une  autre,  en  1803,  dans  l'ancien  évêché  de  Muns- 
ter, et  devint  en  1806  membre  de  la  Confédé- 
ration du  Rhin.  Mais  en  1812,  l'empereur  s'étant 
emparé  de  ce  territoire,  qui  fut  compris  dans  le 
département  de  la  Lippe ,  l'indemnisa  par  une 
rente  de  400,000  francs,  qu'il  toucha  jusqu'à  la 
chute  de  l'empire.  Après  être  entré  en  J806  à 
l'école  militaire  de  Fontainebleau ,  il  en  sortit 
clandestinement  dix  mois  après  pour  aller  re- 
joindre en  Pologne  l'armée  française,  dont  les 
victoires  avaient  enflammé  sa  jeune  imagination. 
Il  fut  très-bien  accueilli  par  Napoléon  ,  qui  le 
nomma  aussitôt  sous-lieutenant  dans  un  régi- 
ment de  hussards  et  peu  de  temps  après  officier 
d'ordonnance  attaché  au  service  de,  sa  personne. 
La  bravoure  et  l'intelligence  qu'il  déploya  dans 
la  campagne  de  1807  le  firent  en  moins  d'un  an 
arriver  au  grade  de  capitaine.  Envoyé  en  Por- 
tugal en  1808,  il  y  remplit  avec  éclat  plusieurs 
missions  périlleuses,  et  passa  ensuite  en  Espagne; 
nommé  grand  d'Espagne  de  première  classe  par 
Je  roi  Joseph,  il  se  trouvait  à  Figuières,  lors- 
qu'il fut  chargé  d'aller  porler  à  Napoléon  une 


les  Vénitiens  et   les  Français.  Après  s'être  si-  J  dépêche  des  plus  importantes.  Sa  faible  escorte 


gnalé  à  ta  bataille  de  Pavie,  il  fut  envoyé  en  1329 
en  Hongrie,  où  il  défit  les  partisans  de  Jean  Za- 
poly.  Dans  la  même  année  il  dirigea  la  défense 
de  Vienne  assiégée  par  les  Turcs,  et  fut  atteint 
lors  du  dernier  assaut  d'une  blessure,  à  laquelle 
il  succomba. 

SALM-siYKBOCKG  (Frédéric  III,  prince 
■de),  né  à  Limbourg,  vers  1746,  mort  à  Paris, 
le  23  juillet  1794.  Il  vint  de  bonne  heure  à 
Paris,  où  il  se  plongea  dans  les  plaisirs  au 
point  de  se  perdre  de  réputation,  d'autant  plus 
qu'il  montra  un  courage  très-équivoque  dans  un 
duel  qu'il  eut  avec  un  officier  du  nom  de  Lan- 
jamet,  et  dont  les  détails  se  trouvent  dans  les 
Lettres  de  M'»e  du  Deffand.  En  1788,  il  fut  fait 
maréchal  de  camp  et  envoyé  en  Hollande  pour 
soutenir  le  parti  des  patriotes  contre  le  sta- 
thouder.  Il  se  trouvait  avec  huit  mille  hommes 
à  Utrecht,  lorsqu'à  la  nouvelle  de  l'entrée  des 
troupes  prussiennes,  il  abandonna  sans  coup 
férir  cette  forteresse  importante  et  s'empressa 
lâchement  de  retourner  à  Paris,  où  il  occupait 
le  bel  h'Mel  qui  est  devenu  le  palais  de  la  Lé- 
gion d'honneur.  Lors  de  la  révolution,  il  acclama 
avec  ardeur  le  nouvel  ordre  de  choses  et  fut 
élu  chef  de  bataillon  de  la  garde  nationale.  Il 
fut  néanmoins  arrêté  comme  aristocrate ,  et 
périt  sur  l'échafaud. 

N.  r.cnsncr,  Jrœ  sépulcrales  familise  Salmensis  ;Slras- 
bourg.  1GR4,  in-fol.  —  Hubncr,  Tabulée  gcueulor/iae.— 
2edler,  V 'inversai- Lexihon    —  Connersalions-I.axilion. 

salm-  ktrroïTRG  (  Ernest  ■  Olhon  •  Fré- 
déric IV,  prince  de  ),  fils  do  précédant,  né  à 
Paris,    1789,  mort  le  14  août  18a9.  Il  fut  élevé 


fut  attaquée  en  route  par  des  forces  supérieures; 
blessé  grièvement,   il  fut  fait  prisonnier  après 
être  cependant  parvenu  à  détruire  la  dépêche 
qui  lui  avait  été  confiée.  Conduit  à  Girone,  il 
y  subit  pendant  neuf   mois  une  captivité  des 
plus  pénibles.  Relâché  ensuite  sous  la  condi- 
tion de  ne  plus  servir  contre  les  Espagnols,  il 
revint    en   France    pour  aller   quelques  mois 
plus  tard  reprendre  son  emploi  d'officier  d'ordon- 
nance auprès  de  Napoléon,  alors  à  Schœnbrunn. 
Nommé  chef  d'escadron  après   la   bataille    de1 
Wagram  (1809),  il  reçut  dans  la  même  année 
le  commandement   du  14e  de  chasseurs,   avec 
lequel  il  fut  envoyé  en   Italie.  Il  s'y  distingiui 
pendant   les   campagnes  de  1813    et  1814;  ï\ 
quitta  alors  le  service,  et  alla  vivre  alternative- 
ment à  Ormesson  près  de  Paris  et  à  son  châ  \ 
teau  d'Aahus  en  Wesfphalie.  Le  prince  de  Salm 
qui  possédait  encore  des  domaines  considérable!' 
en  Belgique  et  en  Hollande,  épousa  la  baronni 
Cécile  Pavelot,  de  Bordeaux,  et  en  eut  un  fil: 
qui  est  officier  dans  l'armée  prussienne. 
Norvins,  Binyr.  des  contemp 
SALM-DYCK  (  Constance- Marie  de  Théis 
dame  Pipelet,   puis  princesse  de),  femme  au 
teur  française,  née  à  Nantes,    le  7  septembn 
1767,  morte  à  Paris,  le  13  avril  1845,  était  fil! 
d'Alexandre  de  Théis  (voy.  ce  nom),  maître  de 
eaux   et  forêts.  Une  éducation   sérieuse  déve 
loppa  chez  elle  ces  facultés  qui  devaient  un  jou 
la  faire  surnommer,  dans  sa  société,  la  Mus 
de  la  raison  et  le  Boileau  des  femmes;  mai 
avant  d'offrir  au  public  des  ouvrages  d'une  cer 
laine  valeur,  elle  s'essaya  dans  la  poésie  légère 


197 


SALM-DYCK  —  SALMANASSAR 


198 


et  dès  l'âge  de  clix-litiït  ans  inséra  dans  les  re- 
cueils du  temps  quelques  petites  pièces  dont  le 
principal  mérite  est  dans  la  jeunesse  de  l'auteur. 
C'est    là  qu'il   faut  chercher   (  Almanach  des 
Muses,  1783  )  la  romance  de  Bouton  de  rose, 
que  !a  facile  mélodie  de  Pradher  mit  à  la  mode 
dix  ans   plus   tard.  En  1~89,  Mlle    de  Théis 
épousa  M.  Pipelet,  membrede  l'Académie  de  chi- 
rurgie, et  c'est  sous  le  nom  de  Constance  Pipelet 
qu'elle  fit  paraître  ses  premières  poésies  didac- 
tiques, épitres  et  discours,  dont  les  idées  et  la 
forme  austères  appartiennent  à  une  école  clas- 
sique qui  compte   peu  de.  talents  féminins.  En 
décembre  1794,  elle  fit  représenter  au   théâtre 
Louvois   Sapho,  musique    de   Martini,  œuvre 
d'uue  couleur  assez  antique ,  qui  eut  plus  de 
cent  leprésentations.  C'est,  avec  un  drame  joué 
une  seule   fois   au  Théâtre-Français,    Camille 
[1799),  tout  ce  qu'elle  a  écrit  pour  la  scène. 
Dans  l'intervalle  de  ces  deux  compositions,  elle 
Ij ivait  fait  paraître  plusieurs  épitres,  favorable- 
ment accueillies.  Après  avoir  divorcé  d'avec  son 
Jnari  (17991,  elle  épousa  en  1803  le  prince  de 
lUalm-Dyrk,  qui  lui-môme  avait  aussi  rompu  une 
[première  alliance  avec  la  comtesse  de  Hatzfeldt, 
pette  seconde  union,   en   la  plaçant  dans  une 
tiaule  situation,  ne  changea  en  rien  ses  habi- 
tudes   studieuses.    Entourée  d'amis    dévoués, 
fi'admirateurs  de  son  talent  et  de  sa  beauté,  elle 
I  .ut  garder  une  place  honorable  et  honorée  dans 
l  bette  carrière  des  lettres,  dont  il  est  si  difficile  à 
me  femme    de    concilier   les    exigences  avec 
I  îl'autres  devoirs.  Elle   recevait  avec  grâce   et 
lislinction,   soit  à  Dyck,    résidence   princière, 
[;oit  à  Paris,  où  elle  faisait  de  longs  séjours, 
1  [ous  ceux   qu'attiraient  près  d'elle  son  rang  et 
'  isa  célébrité.  Cette  existence   brillante  et   fcr- 
\  [unée   fut  cependant  attristée  par   un   chagrin 
'•  iju'elle  ressentit  profondément  :  la  mort  de  sa  fille 
Jnnique,  Mme  la  baronne  de  Francq,  née  de  son 
premier  mariage,  et  qui  laissait  deux  enfants,  dont 
Vile  prit  soin  avec  tendresse  et  dévouement. 
I  Plusieurs  sociétés  littéraires,   les  académies 
[  M  Marseille,  de  Lyon,  de  Livourne,  et  à  Paris, 
I  i  Lycée   des   Arts,  comptaient  M,fie  de  Salm 
l\u  nombre  de   leurs  membres.    C'est  pour  Le 
8  lycée  qu'elle  a  écrit  la  plupart  de  ses  notices 
!  ft  de  ses  Éloges  en  prose,  et  on  lui  demandait 
l 'ouvent  de  les   lire  elle-même  en  S"ance   pu- 
blique. On  rapporte  que   sa  belle  physionomie, 
I harmonie  de  ses  gestes  et  de  sa  voix  faisaient 
Wne   vive  impression    sur   l'auditoire,   et  que 
a  auteur   ne  semblait  pas  se   troubler  de  l'effet 
Ijru'elle  produisait.  Parmi  ces  Éloges,  nous  dis- 
tinguons celui  de  Sedaine  comme  retraçant  avec 
TFoût  et  simplicité  les  mérites  de  cet  aimable 
*futeur,  et  celui  de   Lalande,  présentant  cette 
Mngularité,  que  le  célèbre  astronome  avait  de- 
'"'nandé  à  Mme  de  Salin  de  parler  de  lui  après  sa 
*  por»,  et  que  pour  rendre  cette  tâche  plus  fa- 
e  île  il  lui  avait  remis  lui-même  toutes  les  notes 
Wui  devaient  la  guider.  En  1817,  ayant  traité  ie 


snjet  de  poésie  proposé  par  l'Académie  fran- 
çaise sur  le  Bonheur  de  l'élude,  elle  obtint 
une  meniion  honorable.  Ses  Poésies,  publiées 
en  1811,  puis  en  1814  (in-8°),  furent  revues  et 
augmentées  pour  l'édition  de  1835  (2  vol.  in- 18), 
a  laquelle  elle  donna  en  quelque  sorte  pour 
complément  le  recueil  de  ses  Ouvrages  divers 
en  prose  (  1835,  2  vol.  in-18).  Ses  Œuvre* 
complètes  forment  4  vol  gr.in  8"  (1837  ou  1842), 
et  l'auteur  les  a  fait  précéder  d'un  Avant- propos 
indiquant  les  divers  événements  de  sa  vie  lit 
téraire.  Cette  édition  renferme,  outre  une  foule 
de  morceaux  et  d'opuscules  en  prose  et  en  vers, 
la  tragédie  lyrique  de  Sapho  (179i,  in-8°), 
les  Pensées  (Aix-la-Chapelle,  1829,  in-12; 
Paris,  1836,  1846,  in-S°  ),  d'une  observation 
fine  et  sensée;  an  roman  par  lettres  :  Vingt- 
quatre  heures  d'une  femme  sensible  (Paris, 
1824,  1836,  in-8°  ),  le  seul  qui  soit  sorti  de  la 
plume  deMœe'de  Salm,  et  qui,  malgré  le  faux 
goût  appartenant  à  une  certaine  exagération 
sentimentale,  aujourd'hui  passée  de  mode,  oe 
manque  pas  d'habileté  dans  ia  manière  dont  est 
traité  un  sujet  difficile;  on  poëme  intitulé  :Mes 
soixante  ans  (  1833,  in-8°),  qui  est  à  la  fois 
un  adieu  fait  à  cette  longue  carrière  littéraire  et 
une  revue  de  tous  les  événements  qui  l'ont  ani- 
mée. Outre  ces  détails,  qui  ne  peuvent  être 
qu'indiqués,  on  en  trouve  de  plus  étendus  et  de 
plus  intimes  dans  un  recueil  de  Lettres  d'elle  ci 
de  quelques  amis,  écrites  entre  1805  et  1810,  et 
qui  font  juger  le  degré  d'estime  et  d'admiration 
que  ce  mérite,  un  peu  oublié  aujourd'hui,  obte- 
nait de  ses  contemporains.  Mme  C.  Du  Parquet. 

Micli.  Berr ,  Notice  snr  la  princesse  de  Salm.  — 
M""*  Achille  Comte,  F.loae  De  la  princesse  de  Salm, 
couronné  en  1850.  —  l'ongerville  (  De  ),  Notice,  à  la  tèLe 
drs  Pensées.  —  Bignan,  Notice,  (tins  I.c  Moniteur  du 
15  avril  1-S45.  —   Bioyr.  univ.  et  port,  des  contemp. 

sai.manassak,  nom  de  plusieurs  rois  d'As- 
syrie, dont  le  premier  régna  vers  1100  av. 
J.-C.  et  dont  le  second  bâtit  à  Calach  un  palais 
restauré  pbistard  par  Sardanapale  IH. 

Salmanassar  III,  fils  de  ce  dernier,  régna  de 
878  à  869  av.  J.-C.  Dans  les  ruines  du  palais  qu'il 
éleva  au  centre  de  Calach,  on  a  trouvé  des  ins- 
criptions cunéiformes  accompagnant  des  statues 
de  taureaux  à  face  humaine  et  qui  contiennent 
le  récit  des  seize  premières  campagnes  du  roi  ; 
on  y  a  découvert  aussi  sur  le  monument,  dit 
obélisque  de  Aimroud,  une  inscription  qui 
énumère  brièvement  ses  faits  militaires  jusqu'à 
sa  trente  et  unième  campagne.  D'après  ces  texte* 
(reproduits  dans  les  Inscriptions  de  Layard  et 
dont  !e  dernier  a  été  trad.  dans  le  t.  I,  p.  342, 
de  V Expédition  en  Mésopotamie  d'Oppert),  il 
ressort  que  Salmanassar  III,  aussi  guerrier  que 
son  père,  fut  constamment  occupé  à  réprimer 
les  soulèvements  des  princes  ses  vassaux.  îl 
châtiait  cruellement  leur  mutinerie  par  des  exé- 
cutions, des  dévastations  et  par  l'internement  en 
Assyrie  d'une  partie  «les  populations.  Les  pays 
qui  lui  opposèrent  le  plus  de  résistance,  furent 

7. 


199  SALMANASSAR  —  SALMON 

l'Arménie,  où  il  fit  trois  expéditions,  et  la  Syrie, 
où  les  rois  de  Ilamath  et  de  Damas  luttèrent  à 
plusieurs  reprises  contre  ses  formidables  ar- 
mées. Jéhu,  roi  de  Juda,  les  princes  de  Phé- 
nicie  et  de  Chaldée,  n'essayèrent  pas  de  l'af- 
fronter et  acquittèrent  les  tributs  qu'il  réclama 
d'eux.  Vers  la  fin  de  sa  vie,  son  fils  Sardanapale 
se  souleva  contre  lui,  et  se  maintint  pendant  cinq 
ans  dans  une  partie  de  l'empire  jusqu'à  ce  qu'il  fut 
vaincu  par  Samâs-Hou  III,  autre  fils  de  Salma- 
nassar,  et  qui  lui  succéda. 

Salmanassau  V  succéda  à  Tiglatpileser  IV, 
en  725  av.  J.-C,  et  mourut  en  721.  Deux  ex- 
péditions contre  Osée,  roi  d'Israël,  marquèrent 
son  règne  :  dans  la  première  il  l'obligea  à  re- 
connaître sa  suzeraineté  et  à  lui  payer  tribut; 
dans  la  seconde,  il  l'assiégea  dans  Samane. 
Étant  mort  pendant  le  siège,  il  eut  pour  succes- 
seur son  fils  Ninip-Uuya.  Mais  un  des  généraux 
de  son  armée  usurpa  le  pouvoir  quatre  ans  après, 
et  gouverna  l'Assyrie  sous  le  nom  de  Sargon 
voy.  ce  nom).  C'est  lui  qui  prit  Samarie,  qui 
emmena  les  Israélites  en  captivité  et  qui  eut  une 
guerre  malheureuse  avec  le  roi  de  Tyr,  faits 
attribués  jusqu'ici  à  Salmanassar,  qui  dans  le 
Livre  des  Rois  et  dans  l'historien  Jcsèphe  a 
été  confondu  avec  Sargon. 

Niebuhr,  Gesch.  4ssurs  und  [labels.  -  Oppert,  Expé- 
dition en  Mésopotamie,  t.  1. 

salmeggia  (  £nea),  dit  le  Talpino,  peintre, 
né  à  Bergame,  mort  en  1626,  dans  un  âge  très- 
avancé.  Après  avoir  été  élève  des  Campi  à  Cré- 
mone et   des  Procaccini  à  Milan ,  il  passa    à 
Rome,  où  il  consacra  quatorze  années  à  l'étude 
des  œuvres  de  Raphaël.  Grâce  à  ce  travail  as- 
sidu, il  parvint   à  l'imiter  dans  la  netteté  des 
contours,  la  douceur  du   pinceau,  la  disposition 
des  draperies,  et  même  la  grâce  et  l'expression 
des  tètes;  mais  il  resta  bien  loin  de  lui  pour 
la  grandeur  et  l'harmonie  de  la  composition. 
Beaucoup  de  ses  ouvrage*  sont  restés  à    Ber- 
game, mais  c'est  à  Milan  qu'il  faut  chercher  les 
plus  importants,  tels  que  la  Sainte  Françoise 
romaine  (1600),  Saint    Victor,  La    Vierge 
avec  saint  Bernard,  à   S.-Vittore  al  Corpo; 
le  Christ  au  jardin  des  Oliviers,  à  Santa-Maria 
délia  Passione  ;  deux  sujets  du    Nouveau  Tes- 
tament, à  Saint-Antoine  abbé;   Saint  Benoit, 
à  Saint-Simplicien;  Saint   Augustin,   à  Saint- 
Marc;  et  au  Musée  de  Brera,  une  Descente  de 
croix (1602),  "ne  Madone  avec  saint  Roch, 
saint  François  et  saint  Sébastien  (  1604  ),  et 
La    Vierge  avec    saint    Dominique,    sainte 
Marthe,  sainte  Thérèse  et  des  anges  (1614). 
A  Rome,  la  galerie  Colonna  possède  de  lui  un 
Martyre  de  sainte    Catherine.  Les  tableaux 
de  chevalet  de  cei   artiste  sont  devenus  rares, 
parce  que  la   plupart  ont   été  vendus   sous  le 
nom  de  maîtres  plus  illustres.  Il  eut  pour  dis- 
ciples sa  fille  Chiara  et  son  fils  Franccsco,  qui 
marchèrent  >ur  ses  traces,  en  sachant  se  pré- 
server du   maniérisme.    Leurs  meilleurs    ou- 


2C0 
vrages  se  trouvent  à  Bergame  et  portent  les  dates 
de  1626  et  1628.  L    B—  s. 

Tassi,  yite.da'pittoribcrgamaschi.  —  Lanzi.  —  Tl- 
cozzi  —  Pirovano,  Guida  di  MUano.  —  l.avicc,  neuve 
des  musées  d'Italie. 

sal.mkbon    (  Alphonse  ),  jésuite  espagnol, 
ne  à  Tolède,  le  8  oetobre  1515,  mort  à  Naples, 
le  13  février  1585.  Après   avoir  fait  ses  pre- 
mières  études  à   Alcala  de  Henarès,  où  il  se 
rendit  habile  dans  les   langues,  il  vint  à  Paris 
suivre  des  cours  de  philosophie  et  de  théologie. 
Ce  fut  là  qu'il  se  lia  avec  Ignace  de  Loyola,  qui, 
lorsqu'en  1553  il  établit  sa  Compagnie,  l'admit, 
malgré  sa  jeunesse,  au  nombre  de  ses  premiers 
compagnons.  Devenu  prêtre,   il  exerça  ses  ta- 
lents oratoires  en    Italie,  et  plusieurs  papes  le 
firent  voyager  dans    l'intérêt  de  la  religion  en 
Allemagne,  en  Pologne,   en    France,  et  il  fut' 
même  revêtu  du  titre  de  nonce  apostolique  en 
Irlande.  Sous  Paul  III,  Jules  III  et  Pie  IV,  il 
se  trouva  au  concile  de  Trente,  où  il  prononça 
comme  orateur  du  saint-siége  le  panégyrique  de 
saint  Jean  l'Évangéliste,  imprimé  à  la  fin  des  actes 
de  ce  concile.  L'affaiblissement   de  ses  force* 
le   détermina  à  se  retirer   à  Naples  ;   il  y    fui 
nommé  provincial,  et   contribua  à  l'établisse- 
ment du  collège  de  cette  ville.    On  a  de  lui  di- 
vers traités  theologigues  et  des  dissertation'. 
sur  les  Évangiles,  sur  les  Actes  des  apôtres  S 
sur  les  Épltres  canoniques,  imprimés  à  Madrid 
1597-1602,  16  tom    en  8  vol.  in-fol.  Cet  écri 
vain,  dont  les  ouvrages   ont  eu  plusieurs  édi 
tions,  avait  un  génie  facile,  de  l'érudition,  mai: 
peu  de  critique  et  un   style  prolixe.  11  soutiem 
des  principes  fort  dangereux  et  d'un  ultramon 
tanisme  outré,  sur  les  droits  des  papes  et  de 
rois.  Il  est  uu  des  défenseurs  de  la  suffisance  d 
l'intention  extérieure  dans  l'administration  de 
sacrements. 

Southwell,  fiiô.'.  script.  Soc.Jesu.  —  Rlbadeneira,  Fit* 
Saltneronis.  —  N.  Antonio,  Bibl.  hrspana. 

Salmon  (  Jean  ),  dit  Maigret  ou  Macri 
nus  (1),  à  cause  de  sa  maigreur,  poète  latin,  n 
en  1490,  à  Loudun,  où  il   est  mort,   en  155: 
11  fit  ses  études  à  Paris,  grâce  aux  libéralité 
du  cardinal  Bouhier,   archevêque  de   Pjourge.' 
et  résida  ensuite  dans  sa  maison.  Après  la  moi 
du  prélat,  il  vint  à  la  cour  en  qualité  de  précen 
teur  de  Claude  et  d'Honoré  de  Savoie  (1520 
se  lia  avec  les  beaux-esprits  du  temps,  et  d< 
vint  un  des  valets  de  chambre  de  François  1er. 
trente-huit  ans  il  épousa  Gillonne  de  Boursau 
(1528),  quin'enavait  que  dix-huit,  et  qui  mouri 
avant  lui  en  lui  laissant  douze  enfants.  Salmon 
reçu  de  ses  contemporains  le  surnom  tfHorntl 
français  ;  il  en  est  digne  si  on  le  juge  au  poil 
de  vue  de  l'élégance  et  du  tour  poélique.  Il 
excellé  dans  l'ode  latine,  et  ses  sujets  sont  toi 

(1)  D'après  Vartllas,  il  s'appelait  MITRON,  «l'api 
d'autres  Maigret.  On  lit  le  nom  rie  Salmon  en  le 
cTunc  pièce  de  vers  de  lSi-V,  «celé  à  celui  de  m 
ternus,  et  c'est  ce  dernier  qu'en  1516  il  changea  en  M 
crinus. 


201 

jours  honnêtes.  Ses  plus  belles  poésies,  ses  plus 
tendres  et  ses  plus  délicates  sont  celles  qu'il 
adressa  à  sa  femme;  elles  l'emportent  de  beau- 
coup sur  les  pièces  dures  et  négligées  de  sa 
vieillesse.  Nous  citerons  de  lui  :  Cartni- 
nvm  lib.  IV;  Paris,  1530,  in-8°;  —  Lyri- 
corum  lib.  II  et  Epilhalamiorum  unus  ; 
Paris,  1531,  in-8°  ;  —  Hymnorum  lib.  VI  ; 
Paris,  1537,  in-8°,  adressées  au  cardinal  du 
Bellay  ;  —  Odarum  lib.  VI;  Paris,  1537, 
in-8u,  au  roi  François  Ier;  —  Psalmi  in  ly- 
ricos  numéros  versi  et  Pceanum  lib.  VI; 
Poitiers,  1538,  in-8u,  et  1556,  in-40;  —  Oda- 
rum lib.  III;  Paris,  1546,  in-8°;  —  Epi- 
grammatum  lib.  II  ;  Poitiers,  1548,  in-8°;  — 
Epitome  vitx  Jesu  Christi;  Paris,  1549, 
in-8°;  —  Nxniarum  lib.  III  de  Gelonide 
Borsola;  Paris,  1550,  in-8°. 

Son  fils,  S\lmon  {Charles),  élève  de  Ra- 
imus,  fut  précepteur  de  Catherine  de  Bourbon, 
isœur  de  Henri  IV;  il  acquit  une  connaissance 
approfondie  des  langues  anciennes,  mais  il  n'a 
Irien  publié.  Ayant  embrassé  la  réforme,  il  périt 
:au  Louvre  dans  le  massacre  de  la  S  -Barthélemi. 
Sainte-Marthe,  Élogia.  —  Niceron,  Mémoires,  XXXI. 
—  Varilla;-,  Hist  de  l'hérésie,  t.  V.  —  Michel.de  l'Hos- 
pital,  Poésies  latines,  trad.  par  I.  Bandy  de  Naléche.  — 
Dreux  du  Radier,  Bibl.  du  Poitou. 

sa  î. mo. m  (Thomas),  antiquaire  anglais,  mort 
vers  1710.  Il  était  recteur  deMepsall  (Bedford- 
Ishire  ).  «  Préoccupé  d<  s  difficultés  de  la  lecture 
de  la  musique  dans  la  notation  ordinaire,  rap- 
porte M.  Fétis,  et  voulant  réduire  les  tablatures 
de  luth ,  de  viole  et  de  clavecin  à  une  notation 
universelle  d'où  la  diversité  des  clefs  serait  ban- 
nie, il  imagina  de  poser  les  lettres  romaines  in- 
dicatives des  notes  sur  la  portée.  »  La  décou- 
verte n'était  pas  neuve;  puisqu'on  la  trouve 
appliquée  dans  quelques  manuscrits  de  plain- 
phant  du  treizième  siècle.  Il  la  publia  dans  un 
|tfï,.«<7z/  to  the  advancement  ofmusic  by  cas- 
King  away  the  perplexily  of  différent  cliffs 
If  Londres,  1672,  in-8°),  et  la  défendit  dans  une 
[lettre  à  Wallis  contre  les  attaques  de  Matthew 
ILock  (A  vindication  of  an  Essay,  etc.;  ibid., 
^673,  in-8°).  On  a  encore  de  lui  :  A  Proposai 
îL'o  perform  music  in  perfect  and  mathema- 
lical  proportions  ;  Londres,  1688,  in-4°,  avec 
jftes  remarques  de  Wallis;  —  Historical  ac- 
lount  of  the  order  of  Saint  George;  ibid., 
.  [704,  in-4°. 

'il  Saumon   (Thomas),  littérateur,  fils  aîné  du 
précédent,  né  à  Mepsall,  mort  en  avril  1743,  à 
[Londres.  Il  entra  dans  la  marine,  et  courut  les 
jners  pendant  plusieurs  années.  Après  avoir  ré- 
sidé dans  les  Indes,  il  ouvrit  un  café  à  Cambridge, 
t  faute  de  clients  se  relira  à  Londres,  où  il  mit 
a  plume  au  service  des  libraires.  De  ses  nom- 
breux ouvrages ,  nous  citerons  :   Modem  his- 
ory,  or  présent  state  of  ail  nations  ;  Londres, 
i  vol.  in-fol.  et  32  vol.  in-8°  -.on  a  fait  de  cette 
'.ompilation,  oubliée  aujourd'hui,  divers  abrégés, 
ontinuations  et  traductions  en  allemand  et  en 


SALMON  202 

français;  —  The  Slale  of  the  universi/ies  and 
of  the  five  adjacent  counties;  Londres,  1744, 
in-8"  :  ce  lome  Ier  d'un  ouvrage  inachevé  ne 
contient  que  l'histoire  d'Oxford,  comté  et  univer- 
sité; —  The  Foreigner's  Companion  through 
the  universities  of  Oxford  and  Cambridge; 
Londres,  1748,  in-8°;  —  An  Examinalion  of 
BurneVs  History  of  his  own  limes  ;  —  The 
chronological  historian;  2  vol.  in-8°;  —  His- 
tory of  England;  12  vol.  in-8°;  —  General 
Description  of  England;"!  vol.  in-8°;  — Essay 
on  marriage  ;  in-8°.  II  a  travaillé  à  la  grande 
Histoire  universelle  anglaise. 

Salmon  (  Nathanael),  antiquaire,  frère  du  pré- 
cédent, né  vers  1676,  à  Mepsall,  mort  le  2  avril 
1742,  à  Bisliop's  Stortford  (comté  deHertford). 
Après  avoir  pris  ses  grades  à  Cambridge, 
il  fut  pourvu  d'un  petit  bénéfice  dans  le  comté 
de  Hertford;  mais  à  l'avènement  de  la  reine 
Anne,  il  se  fit  un  scrupule  de  renouveler  le  ser- 
ment d'allégeance  qu'il  avait  déjà  prêté  à  Guil- 
laume III,  résigna  sa  cure,  et  rentra  dans  le 
monde  pour  y  commencer  une  nouvelle  carrière. 
Il  choisit  la  médecine,  et  la  pratiqua  pendant 
trente  ans  d'abord  à  Saint-Ives,  puis  à  Bishop's 
Stortford.  Il  s'était  attaché  à  l'étude  des  anti- 
quités, et  c'est  sur  cet  objet  que  roulent  ses  ou- 
vrages, recommandables  par  l'exactitude  et  l'a- 
bondance des  recherches  ;  en  voici  les  titres  : 
A  Survey  of  the  roman  stations  in  Britain, 
according  to  the  roman  itinerary  ;  Londres, 
1721,  in-8°;  —  A  Survey  of  the  roman  anli- 
quities  in  the  midland  counties  in  England; 
Lond.,  1726,  in-8°  :  cet  ouvrage  et  le  précédent 
ont  été  réunis  dans  une  édition  améliorée  qui 
porte  le  titre  de  Survey  of  the  roman  stations 
in  England;  ibid.,  1731,  2  vol.  in-8°;  —  Bis- 
tory  of  Hertfordshi  re  ;  Lond.,  1728,  in-fol., 
destinée  à  servir  de  continuation  à  V Histoire  du 
même  comté  de  Chauncey;  —  Lives  of  the 
english  bishops,  from  the  restoration  to  the 
révolution   (1660-1688);   Lond.,  1733,  in-8°; 

—  The  Antiquities  of  Surrey ;  Lond.,  1736, 
jn.80;  —  The  History  and  antiquities  of  Es- 
sex;  Lond.,  1740,  in-fol.  :  la  mort  empêcha  l'au- 
teur de  mettre  la  dernière  main  à  cet  ouvrage. 

Gough,  Topography.  —  Gentleman, 's  magazine,  LXVI. 

—  Chalmers,  General  biogr.  dict. 

salmon  (François),  érudit  français,  né  le 
29  janvier  1676,  à  Paris,  mort  à  Chaillot,  le  9  sep- 
tembre 1736.  Il  était  d'une  famille  enrichie  par 
le  commerce  des  draps.  Habile  dans  les  langues 
savantes  et  surtout  dans  l'hébreu,  il  acquit  une 
grande  connaissance  des  Pères,  des  conciles  et 
des  livres,  dont  il  fit  une  ample  et  riche  collec- 
tion. Son  érudition  le  fit  nommer  bibliothécaire 
de  la  maison  de  Sorbonne,  où  il  avait  été  reçu 
docteur  en  1702.  On  a  de  lui  :  Traité  de  l'étude 
des  conciles  et  de  leurs  collections;  Paris, 
1724,  in-4<>;  Leipzig,  1729,  in-4°  :  divisé  en 
trois  parties  avec  un  catalogue  des  principaux 
auteurs  qui  ont  traité  des  conciles,  et  des  éclair- 


aoi 


SALMOR  ~  SALOMOK 


504 


cissements  sur  les  ouvrages  qui  concernent  cette 
matière  et  sur  le  choix  de  leurs  éditions.  Sal- 
mon  avait  eu  le  dessein  de  donner  un  supplé- 
ment à  la  Collection  des  conciles  du  P.  Labbe, 
ainsi  qu'un  Index  de  toutes  les  pièces  relatives 
à  l'histoire  ecclésiastique  disséminées  dans  des 
recueils  ;  mais  ces  ouvrages  n'ont  pas  été  achevés 
et  sont  restés  inédits. 

Êlofie  de  Salinon,  à  la  tête  du  Catalogue  de  sa  biblio- 
thèque (  Bibliotheca  salmoniana);  Paris,  1737,  in-lî.  — 
Moréri,  DM.  tiist.  de  1759. 

salomon  (1),  roi  d'Israël,  né  vers  1045,  av. 
J.-C,  mort  en  986.  11  était  fils  du  roi  David  et 
de  Bethsabé.  Lorsque  l'aîné  de  ses  frères,  Ado- 
nias,  se  fut  proclamé  roi,  le  prophète  Nathan 
et  le  grand-prêtre  Sadoc,  le  sachant  incapable  de 
consoliderl'existence  à  peine  assurée  du  royaume, 
firent  rappeler  à  David  la  promesse  qu'il  avait 
faite  de  choisir  Salomon  pour  successeur.  Da- 
vid ordonna  aussitôt  de  le  conduire  à  la  fon- 
taine de  Gihon  et  de  l'y  sacrer  roi.  Le  peuple 
et  l'armée  accueillirent  ce  choix  avec  des  cris 
d'allégresse.  Abandonné  de  ses  partisans,  Adonias 
se  réfugia  dans  le  sanctuaire,  et  demanda  grâce 
à  son  frère,  qui  lui  accorda  la  vie  sauve  à  la 
condition  de  se  conduire  en  homme  de  bien. 
David  mourut  quelques  jours  après  ces  événe- 
ments (1025).  Dans  les  premières  années  de  son 
règne  Salomon  fit  preuve  d'une  sévérité  exces- 
sive. La  première  victime  de  son  ombrageuse 
justice  fut  Adonias,  coupable  d'avoir  demandé 
la  dernière  concubine  de  David ,  n'ignorant  pas 
que  la  possession  des  femmes  du  roi  constituait 
alors  un  droit  au  trône.  Il  exila  le  grand  prêtre 
Abiatar  et  le  priva  de  son  office  lui  et  ses  des- 
cendants. Joab,  que  ne  protégeait  plus  le  pardon 
de  David,  fut  massacré  au  pied  de  l'autel,  et 
Séméi  encourut  la  peine  de  mort  pour  avoir 
franchi  les  portes  de  Jérusalem,  sa  prison  per- 
pétuelle. Cependant  plusieurs  des  peuples  sou- 
mis par  David  s'apprêtaient  à  secouer  le  joug 
d'Israël.  Les  Iduméens  se  soulevèrent  et  élurent 
pour  roi  un  de  leurs  chefs,  Hadad,  qui  s'était 
réfugié  en  Egypte,  où  il  avait  épousé  une  sœur 
de  la  reine  Malgré  ce  lien  de  parenté,  le  pharaon 
Psusennès,  qui  tenait  à  ménager  le  puissant  roi 
d'Israël,  devenu  son  voisin  immédiat,  refusa  de 
venir  en  aide  à  Hadad,  et  conclut  alliance  avec 
Salomon,  auquel  il  accorda  sa  fille  en  mariage; 
il  envoya  même  une  armée  pour  concourir  à  la 
soumission  du  royaume  cananéen  de  Gazer,  qui 
prétendait  s'affranchir  de  la  suzeraineté  d'Israël. 
Salomon  de  son  côté  réprima  en  partie  la  rébel- 
lion des  Iduméens;  mais,  retranché  dans  les 
montagnes  de  son  pays,  Hadad  réussit  à  y  main- 
tenir son  indépendance.  Il  en  fut  de  même  de 
Rezon,  chef  araméen  qui  s'était  proclamé  roi  à 
Damas;  Salomon  reconquit  cette  ville  et  la  ma- 
jeure partie  de  son  territoire  ;  mais  il  ne  put 
vaincre  Rezon  complètement.  En  revanche,  il 
incorpora  à  son  empire  le  petit  royaume  de  Ha- 

(I)  (.e  nom  signifie  en  hrlircu  le  Pacifique. 


math,  qui  avait  refusé  de  payer  le  tribut  imposé 
par  David,  et  il  acheva  la  soumission  des  Hé- 
théens,  Amorhéens,  Idluzéens  et  autres  popula- 
tions cananéennes. 

Il  avait  ainsi  en  peu  d'années  établi  solide- 
ment son  empire  sur  une  vaste  contrée  comprise 
entre  l'Euphrate  et  l'Egypte,  entre  Thapsus  et 
Gaza.  Il  ne  songea  pas  à  étendre  plus  loin  ses 
conquêtes ,  quoiqu'il  lui  eût  été  possible  avec 
quelques  efforts  d'établir  sa  suprémalie  en  Asie. 
Pendant  le  reste  de  son;  règne  il  s'attacha  à  faire 
fleurir  la  paix,  le  commerce  et  les  arts,  sans 
négliger  d'assurer  la  sécurité  du  royaume,  qu'il 
munit  d'une  ceinture  de  forteresses;  il  augmenta 
son  armée  d'un  corps  de  douze  mille  cava- 
liers, et  de  quaiorze  cents  chars  de  guerre 
achetés  en  Egypte.  Pour  relever  le  commerce, 
très-réduit  par  les  troubles  des  derniers  siècles^ 
Salomon  fit  bâtir  vers  les  frontières,  nolamment 
du  côlé  de  la  Phénicie  et  dans  le  pays  de  Hamath», 
des  villes  d'entrepôt  où  l'on  réunissait  de  grands 
approvisionnements  des  produits  du  pays  des- 
tinés à  être  échangés  contre  ceux  des  contrées 
voisines  ;  dans  le  but  de  faciliter  le  transport  des 
marchandises  à  travers  le  désert  de  Syrie,,  il 
éleva  dans  une  oasis  la  ville  de  Thammor 
(Palmyre).  Il  fit  construire  à  Essiougeber,  suri 
la  mer  Rouge,  un  grand  nombre  de  navires] 
qui,  équipés  en  partie  de  Phéniciens,  furent  en- 
voyés régulièrement  dans  le  pays  d'Ophir,  c'est- 
à-dire  dans  l'Inde  (1).  Chaque  expédition  durait 
trois  ans;  les  vaisseaux  rapportaimt  de  l'or  el 
de  l'argent,  des  pierres  précieuses,  de  l'ivoire, 
des  paons  et  des  singes,  et  aussi  du  bois  de  san^ 
dal,  auparavant  inconnu.  Cette  puissante  impul- 
sion donnée  au  commerce  amena  bientôt  uni 
prospérité  générale,  dont  le  souvenir  resta  l'un 
des  plus  chers  au  peuple  d'Israël,  qui  depuis  n'en 
vit  jamais  de  semblable. 

Le  règne  de  Salomon  marqua  encore   dan  i 
l'esprit  des  Juifs  par  la  construction  du  temp!  jj 
qu'il  fit  élever  à  Jérusalem.  David  avait  depuil 
longtemps  amassé  des  sommes  immenses  et  d  H 
riches  matériaux  pour  bâtir  dans  la  capitale  ul 
sanctuaire  digne  de  Jéhova.  Reprenant  le  projf 
de  son  père,  Salomon  conclut  dès  son  avénemeil 
un  traité  avec  Hiram,  roi  de  Tyr,  prince  d'ufl 
caractère  semblable  au  sien,  afin  de  s'assurer 
concours  des  architectes,  artistes  et  ouvriei 
phéniciens.  Sous  la  direction  de  ces  habiles  étraï 
gers,  trente  mille  charpentiers   furent  occupi 
dans  le  Liban  à  abattre  des  cèdres,  tandis  qi 
quatre-vingt  mille  ouvriers  taillaient  les  pierre 
La    construction   du   temple   commença  apr 
trois  ans  de  préparatifs  et  fut  achevée  en  huit  ai 
et  demi  (2).  On  choisit  pour  modèle  de  cet  éâ 

(i)  On  a  longtemps  cru  qu'Ophir  était  en  ' rsb 
Voy.  d'AnviUe,  Mémoire  sur  te  pays  d'Ophir,  dansl 
t.  XXX  du  recueil  de  l'Acad.  des  Inscr.;  Lassen,  lnd\ 
che  Alterthumsliunde,  t.  1  ;  Heeren,  Idées  sur  le  coA 
merce  citez  tes  anciens,  et  Movcrs,  Das phoeniziscl 
Atlcrlhum,  t.  III. 

(2)  On  éleva  l'édifice  sur  la  colline  de  Moriah,  dont  I 


205 


SALOMON 


206 


fice  les  temples  d'Egypte,  mais  en  y  apportant 
dans  l'ensemble  une  plus  noble  et  plus  imposante 
simplicité.  Il  se  composaitdu  Saint  des  saints  , 
destinée  recevoir  l'arche  d'alliance;  du  Saint, 
décoré  avec  magnificence  et  précédé  d  un  portique. 
Aux  parois  extérieures  du  temple  étaient  adossés 
trois  élages  de  chambres  destinées  aux  offrandes 
et  aux  objets  du  culte  (1).  L'intérieur  du  sanc- 
tuaire était  magnifiquement  décoré;  les  murailles 
et  le  plancher  étaient  de  planches  de  cèdre 
sculptées  et  incrustées  d'or;  les  portes  étaient 
des  plus  riches  matériaux.  L'ensemble  de  ces 
constructions  était  entouré  d'une  enceinte  cir- 
culaire, destinée  à  tenir  écarté  le  peuple,  qui  pou- 
vait se  rassembler  dans  un  autre  parvis  quadran- 
gulaire  orné  de  portiques  très-élevés  et  placé 
devant  le  temple  (2).  On  en  célébra  l'inaugura- 
tion avec  la  plus  grande  pompe;  tous  les  chefs 
de  la  nation  y  assistèrent.  Le  roi,  qui  dirigeait  la 
cérémonie,  fit  à  lui  seul  sacrifier  vingt-deux 
mille  bœufs  et  cent  vingt  mille  pièces  de  petit 
bétail.  La  création  de  ce  nouveau  centre  reli- 
gieux,qui  semblait  en  même  temps  avoir  pour 
toujours  établi  l'unité  politique,  exigea  une  réor- 
ganisation des  lévites  :  les  divers  services  du 
culte  furent  distribués  à  un  certain  nombre  de 
familles  d'entre  eux,  qui  en  restèrent  chargées 
héréditairement. 

Salomon  bâtit  ensuite  sur  la  colline  de  Sion 
une  citadelle  et  un  palais,  qui  reçut  le  nom  de 
Maison  de  la  forêt  du  Liban,  à  cause  de  l'é- 
norme quantité  de  bois  de  cèdre  qui  y  fut  em- 
ployée, et  où  il  rendit  ses  jugements.  Il  entoura 
la  ville  d'une  ceinture  de  murailles ,  et  l'appro- 
visionna d'eau  de  source  à  l'aide  d'aqueducs 
considérables.  Il  établit  aussi  des  parcs  et  jar- 
dins magnifiques  aux  environs  de  Jérusalem, 
comme  dans  d'autres  parties  du  royaume, 
notamment  dans  l'Anti-Liban,  où  il  fit  élever 
les  fameuses  tours  ornées  d'ivoire  mentionnées 
dans  le  Cantique  des  cantiques.  Le  plus  grand 
luxe  régnait  à  la  cour  de  Salomon  ;  la  table  y  était 
servie  avec  une  profusion  extrême;  toute  la 
vaisselle  était  d'or  fin,  ainsi  que  les  cinq  cents 
boucliers  des  gardes.  Salomon  épousa  successi- 
vement jusqu'à  soixante  femmes,  et  il  avait  en 
outre    quatre-vingts  concubines  (3).  Les  douze 

base  fut  entourée  d'une  muraille  qui  subsiste  encore  en 
grande  partie.  Le  vide  existant  entre  la  colline  et  cette 
reuaille  fût  comblé  par  d'autres  blocs,  et  l'on  obtint 
ainsi  au  sommet  une  plate-forme  artificielle,  sur  laquelle 
on  bâtit  le  temple. 

(11  Ce  fut  .lliram,  fils  d'un  Tyrien  et  d'une  Juive, qui 
dTicca  la  fonte  des  vases  et  autres  ustensiles  en  airain  et 
en  d'autres  métaux,  la  ciselure,  la  dorure,  la  fabrication 
des  tapisseries  ,  enfin  tout  ce  qui  n'était  pas  de  l'archi- 
teclure. 

(2)  Pour  les  détails  si  Intéressants  de  la  construction  du 
temple  de  Salnroon,  qui  dura  jusqu'à  la  prise  de  la  ville 
par  Nabukodrossor,  voy.  Hirt,  Der  Tempel  Salomos; 
Stifglitz,  Geschichte  der  Bauhunst;  Meyer,  Der  Tempel 
Salomos:  Eeil.  Dtr  Tempel  .Vatonos;'Griineisen,  Révi- 
sion dtr  Forschungen  iiver  den  Salomrmisehen  Tempel, 
dans  le  Kunsthlatt,  année  1831;  Schnaase,  Gesch.  der 
bildenden  kûnste.  t.  I;  etSaulcy,  Hist.  de  l'art  judaïque. 

(S)  Ce  nombre  donné  par  le  Cantique  des  cantiques 


gouverneurs  entre  lesquels  il  avait  réparti  l'ad- 
minislration  de  ses  domaines  et  le  recouvrement 
des  impôts  étaient  chargés  alternativement  de 
mois  en  mois  de  pourvoir  aux  dépenses  toujours 
croissantes  de  la  cour.  Les  prodigalités  du  roi , 
les  frais  immenses  de  ses  constructions,  finiront 
parépuiserses  finances, d'abord  si  Roiissante*  (I). 
Aussi  fut-il  obligé  lorsqu'il  régla  ses  comptes 
avec  Hiram  de  lui  céder,  faute  d'argent,  vingt 
petites  villes  sur  la  frontière  de  Pbémcie.  Il 
en  vint  aussi  à  imposer  non  plus  seulement  aux 
Cananéens  mais  encore  aux  Israélites  des  corvées 
de  plus  en  plus  onéreuses. 

Après  la  mort  de  Nathan,  on  ne  vit  pas  sur- 
gir un  seul  de  ces  prophètes  qui  avant  comme 
après  Salomon  prirent  une  part  si  importanle  au 
gouvernement  de  la  nation,  et  firent  «ontre-poids 
à  la  royauté.  Salomon  était  regardé  lui-même 
comme  le  plus  éminent  prophète  de  son  époque  ; 
mais  il  ne  pouvait  longtemps  réunir  en  sa  per- 
sonne les  deux  pouvoirs,  qui  poursuivaient  des 
buts  si  différents.  Ayant  à  veiller  comme  roi  aux 
intérêts  matériels  de  son  empire,  qui  comprenait 
des  populations  aux  religions  les  plus  diverses, 
il  fut  amené  à  y  laisser  régner  une  grande  tolé- 
rance; il  permit  même  à  celles  de  ses  femmes 
qui  n'étaient  pas  juives  d'élever  près  de  Jérusa- 
lem des  temples  à  leurs  dieux  (2).  Aussi  voit-on 
vers  la  fin  du  règue  de  Salomon  se  b'ver  de 
nouveau  des  prophètes  soucieux  de  défendre 
contre  son  incurie  la  religion  nationale,  dont  la 
pureté  menaçait  d'être  souillée  au  milieu  de  ce 
débordement  de  jouissances  matérielles.  Le  pre- 
mier, Achija,  excita  Jéroboam  à  profiter  de  l'irri- 
tation causée  par  l'excès  des  impôts  et  des  cor- 
vées ponr  lever  l'étendard  de  la  révolte.  Jéro- 
boam trouvade  nombreux  partisans,  surtout  chez 
les  tribus  du  nord,  jalouses  de  l'élévation  de 
Juda  ;  vaincu ,  après  une  longue  résistance,  il  se 
sauva  en  Egypte,  où  régnait  alors  une  nouvelle 
dynastie  hostile  à  Israël.  Tant  que  vécut  Salo- 
mon, le  royaume  resta  en  apparence  uni  et  fort; 
mais  sa  dissolution  élait  imminente,  et  n'aurait 
pu  être  évitée  que  par  des  circonstances  qui  ne 
se  rencontrèrent  pas. 

Il  ne  reste  plus  qu'à  parler  des  écrits  de  Salo- 
mon et  de  ceux  qui  lui  sont  attribués.  Ce 
prince,  dont  la  haute  sagesse,  l'esprit  vaste, 
sagace  et  profond  était  renommé  dans  tout  l'O- 
rient (3),  fut  le  principal  représentanUde  la  ten- 

est  beaucoup  plus  piausibleque  Celui  de  sept  cents  femmes 
et  de  trois  cents  concubines  indique  par  le  Livre  des 
Rois,  et  qui  dans  tous  les  cas  est  inexact;  car  il  devait 
y  avoir  entre  le  nombre  des  femmes  et  celui  des  concu- 
bines une  proportion  inverse. 

il)  Ses  revenus  ordinaires  étaient  estimés  à  six  cent 
soixante  talents  d'or,  auxquels  il  faut  encore  ajouter  les 
bénéfices  qu'il  tirait  du  commerce  avec  les  chars  de 
guerre  égyptiens,  dont  il  s'était  réservé  le  monopole. 

(2)  1,'liorreur  que  cette  condescendance  inspira  aux 
Israélites  fervents  fit  plus  tard  accuser  Salomon  d'avoir 
lui  même  sacrifié  à  Baal.  à  Moloch,  à  Astarté  et  autres 
divinités,  ce  qui  est  peu  probable. 

(3)  D'après  une  tradition  tiéja  rapportée  par  Josèphe, 
Salomon   était  regardé  comme  ayant  possédé  sur  ies 


207 

dance  qu'on  pourrait  appeler  philosophique,  et 
qui  était  née  chez  les  Israélites  depuis  que,  déli- 
vrés des  ennemis  extérieurs ,  ils  s'étaient  trou- 
vés en  rapports  suivis  avec  des  peuples  d'une 
haute  civilisation ,  les  Égyptiens  et  les  Phéni- 
ciens. L'esprit  juif,  dont  l'horizon  venait  ainsi  de 
s'étendre,  se  mit  alors  à  examiner  curieusement, 
sans  choix  et  sans  méthode,  tout  ce  qui  dans  le 
monde  matériel  comme  dans  le  monde  moral 
offrait  matière  à  la  réflexion;  il  se  plaisait  à  ré- 
soudre ce  qu'on  appelait  alors  des  énigmes,  ce 
qui  comprenait  les  questions  les  plus  élevées  des 
choses  divines  et  humaines,  comme  aussi  de 
simples  faits  de  la  vie  ordinaire,  dont  on 
pouvait  trouver  la  clef  avec  de  la  pénétration. 
Salomon  étonna  ses  contemporains  par  la  promp- 
titude et  la  justesse  avec  laquelle,  alrant  droit  au 
but,  il  résolvait  ces  énigmes;  attirée  par  sa  re- 
nommée, la  reine  de  Saba,  pays  de  l'Arabie  du 
Sud,  vint  à  Jérusalem  pour  l'éprouver.  «  Elle  lui 
fit  connaître  tout  ce  qui  était  dans  son  cœur,  dit 
la  Bible;  et  Salomon  lui  expliqua  tout  ce  qu'elle 
lui  avait  proposé,  et  il  n'y  eut  rien  qu'il  ne  lui 
éclaircît.  »  Salomon  s'était  d'abord  attaché  à  pé- 
nétrer les  mystères  delà  nature;  il  écrivit  plu- 
sieurs livres ,  depuis  longtemps  perdus,  où  il 
consigna  ses  observations  sur  les  animaux  et  sur 
les  plantes  depuis  le  cèdre  jusqu'à  l'hysope.  Il 
s'occupa  ensuite  de  l'homme,  de  sa  destinée  et  de 
ses  devoirs;  ses  vues  à  jamais  admirables  sur 
ce  sujet,  il  les  exprima  dans  des  sentences  en 
vers,  courtes  et  pleines  de  sens;  il  fut  le  créa- 
teur de  cette  forme  tant  cultivée  après  lui.  li 
laissa  trois  mille  de  ces  Proverbes  (  en  hébreu 
Misle  )  ;  la  moindre  partie  seulement  nous  en  a 
a  été  conservée  :  en  effet  dans  le  Livre  des  Pro- 
verbes, qui  existe  sous  son  nom  dans  V Ancien 
Testament,  il  n'y  a  d'après  les  recherches  plau- 
sibles d'Ewald  que  les  chapitres  X  à  XXIII,  qui 
lui  appartiendraient  authentiquement;  le  com- 
mencement et  la  fin  ont  été  ajoutés  bien  après  lui. 
Salomon  composa  aussi  mille  cinq  cantiques;  il 
ne  paraît  plus  en  subsister  qu'un  seul,  le 
psaume  II;  les  psaumes  LXI1  et  CXXVII,  qui 
sont  attribués  à  Salomon  ,  ont  été  écrits  bien 
après  lui.  11  en  est  de  même  de  Y Ecclésiaste 
(Kohéleth)  qu'Ewald  place  au  cinquième  siècle 
avant  notre  ère  ;  l'auteur  de  ce  livre,  qui  est  plein 
du  plus  amer  désenchantement  et  déclare  vaines 
toutes  les  entreprises  humaines,  s'est  caché  sous 
le  nom  de  Salomon  ,  pour  donner  plus  de  poids 
à  ses  paroles.  Reste    enfin  le    Cantique  des 


esprits  du  bien  et  du  mal  un  pouvoir  souverain  attache 
à  un  anneau  magique.  Les  auteurs  orientaux  du  moyen 
âge  ne  tarissent  pas  d'histoires  merveilleuses  sur  ce  prince, 
qu'ils  appellent  Soliman,  et  qui  selon  eux  aurait  gou- 
verne toute  la  terre.  Le  plus  célèbre  de  ces  récits  légen- 
daires est  le  Soliman  Nameh  de  Firdousi.  [f  ou.  d'Her- 
belot,  llibl.  orientale.)  D'après  un  passage  du  Coran  on 
voit  que  dès  l'époque  de  Mahomet  on  attribuait  à  Salomon 
une  foule  de  livres  de  magie,  la  fameuse  Clavicule  entre 
autres,  dont  au  quinzième  siècle  encore  Agrippa  faisait 
tant  de  cas  (  I  'ou.  Naudé,  apologie  des  grands  hommes 
accuses  de  magie.  ) 


SALOMON  208 

cantiques  (Sir  Hasirim),  qui  fut  longtemps  re- 
gardé comme  une  œuvre  de  Salomon  ;  mais 
comme  il  y  paraît  souvent  dans  un  rôle  peu  flat- 
teur pour  lui,  et  par  d 'autres  raisons  encore,  on 
regarde  maintenant  assez  généralement  ce  poëme 
comme  ayant  été  composé  dans  la  Palestine  du 
nord  dans  les  cinquante  années  qui  suivirent  la 
mort  de  Salomon.  (  Voy.  Hitzig ,  Das  Hohe  Lied; 
Ewakl,  Das  Hohe  Lied;  Renan,  Le  Cantique 
des  cantiques.  Sur  les  autres  écrits,  voy.  Ewald, 
Die  pœlischen  Bûcher  des  aLten  Bundes ,  et 
Herder,  Poésie  sacrée  des  Hébreux).  E.  G. 
Rois,  liv.  111.  —  Paralipomènes,  liv.  II.  —  Josèphe, 
Antiq.  —  Pineda,  De  rébus  gestis  Sulomonis.  —  Chosy, 
Vie  de  Salomon.  —  J.-L.  Ewald,  Salomo;  Géra,  1800, 
in-8».  —  Ewald,  CieschicMe  des  f'olKes  Israël,  t.  III.  — 
Ouvrages  cités. 

salomon  1er,  prétendu  roi  de  la  Bretagne 
Armorique,  placé  par  certains  chroniqueurs  au 
commencement  du  cinquième  siècle  de  notre  ère. 
Gn  a  cru  jusque  dans  ces  derniers  temps  qu'il 
était  le  fils  du  roi  de  Bretagne  Conan  Mériadec 
et  qu'il  parvint  au  trône  en  421.  Il  aurait  entre- 
tenu de  bonnes  relations  avec  les  empereurs  ro- 
mains, et  repoussé  les  invasions  des  Visigoths  et 
des  Alains.  Bien  que  zélé  prolecteur  de  l'Église,  il 
aurait  été  massacré  vers  434  par  ses  sujets,  que 
son  despotisme  et  sa  cupidité  auraient  poussés  à 
la  révolte.  L'Armorique  se  trouvait  alors  à  l'état 
de  république  fédérative;  le  premier  roi  de  Bre- 
tagne, Riowall,  fut  élu  en  513. 

Salomon  11,  roi  de  Bretagne,  succéda  à  Hoel  III, 
son  père,  au  préjudice  de  son  frète  aîné  Judicael 
(612).  Il  régna  vingt  ans,  et  s'attacha  à  faire  ou- 
blier son  usurpation  par  un  gouvernement  équi- 
table et  en  protégeant  l'Église 

Salomon  III,  roi  de  Bretagne,  assassiné  en  874. 
Il  était  fils  de  Riowall,  frère  aîné  du  duc  Nomi- 
noé.  A  la  mort  de  ce  dernier,  qui  eut  pour  suc- 
cesseur son  fils  Erispoé,  il  éleva  des  prétentions 
au  trône.  Avec  le  secours  de  Charles  le  Chauve  il 
força  Erispoé  à  lui  céder  le  comté  de  Rennes.  En 
857,  il  conspira  contre  son  cousin,  et  l'assassina 
au  pied  des  autels,  à  Vannes.  Pendant  deux  ans 
il  exerça  les  plus   effroyables  ravages  sur  les 
terres  de  France.  Menacé  de  justes  représailles, 
il  prêta  hommage  au  roi  de  Neustrie  et  lui  paya 
un  tribut.  A  la  mort  de  Robert  le  Fort,  Charles 
conclut  avec  Salomon  une  alliance  contre  les  Nor-  J 
mands,  lui  conféra  la  dignité  royale,  et  l'investit  : 
du  comté  de  Coutances  (867).  Quoique  à  peine  se-  ( 
condé  par  les  Francs,  Salomon  réussit  quelque 
temps  à  préserver  l'Anjou  et  la  rive  droite  de  la  j 
Loire  des  excursions  des  barbares;  mais  il  finit, 
par  acheter  leur  départ  moyennant  cinq  cents 
vaches  brunes.  Hastings,  après  avoir  recruté  de  i 
nouvelles  bandes,  s'établit  à  Angers,  et  dévasta  . 
les  pays  d'alentour.  Charles  le  Chauve  et  Sa- 
lomon vinrent  l'assiéger;   mais  leurs  attaques 
échouèrent  contre  la  résistance  désespérée  des  I 
Normands  ;  ils  allaient  se  retirer  lorsque  Salomon  j 
s'avisa  de  faire  détourner  le  cours  de  la  Mayenne, 
qui  traversait  la  ville.  Aucun  des  pirates  n'aurait 


209 

échappé  à  la  mort  si  Charles,  par  cupidité,  ne 
leur  eût  pour  uneénorme  somme  d'argent  permis 
de  se  rembarquer  (873).  Salomon  ne  pouvait  ef- 
facer de  sa  mémoire  le  souvenir  du  crime  qui 
lui  avait  donné  le  pouvoir.  Il  comblait  les  cou- 
vents de  libéralités,  se  livrait  aux  pratiques  de 
la  dévotion  la  plus  sévère,  et  changeait  son  pa- 
lais de  Plelan  en  une  sorte  de  Thébaïde.  Rongé  de 
remords,  il  résolut  d'abdiquer  en  faveur  de  son 
fils.  Une  conspiration,  ourdie  par  févêque  de 
Vannes,  éclata  tout  à  coup  contre  lui  :  le  propre 
gendre  du  roi  y  figura  et  prêta,  ainsi  que  le 
comte  de  Rennes ,  le  concours  de  ses  hommes 
d'armes.  Poursuivi  de  refuge  en  refuge,  Salomon 
fut  atteint  dans  une  église  de  la  Cornouaille;  des 
soldats  francs,  après  avoir  égorgé  son  jeune  fils 
devant  ses  yeux,  le  traînèrent  hors  de  l'église  et 
le  tuèrent.  En  910,  il  fut  canonisé  par  le  pape 
Anastase. 

Pnidenlius,  Annales.  —  Annales  Bertiniani.  —  Ré- 
ginon,  Chron.  —  Le  Baud,  d'Argentré,  Dora  Morlce,  Dom 
LoMneau,  l)aru,  Roujoux,  Histoire  de  Bretagne.  —  A. 
de  Courson,  Hist.  des  peuples  bretons. 

salomon,  roi  de  Hongrie,  né  en  1051,  mort 
au  commencement  du  douzième  siècle.  Son  père, 
André  Ier,  le  fit  en  1058  couronner  à  Albe  royale, 
sans  tenir  compte  de  la  promesse  qu'il  avait 
faite  à  Bêla,  son  frère,  de  lui  laisser  le  trône. 
Bêla  prit  les  armes,  vainquit  André ,  qui  resta 
sur  le  champ  de  bataille,  et  fut  proclamé  roi 
(1061).  A  la  mort  de  Bêla  (1064),  Salomon  quitta 
la  cour  de  l'empereur  Henri  IV,  et  revint  en 
Hongrie,  où  avec  l'aide  des  trois  fils  de  son  oncle, 
Geisa,  Ladislas  et  Lambert .  il  fut  de  nouveau 
couronné.  Pendant  plusieurs  années  il  vécut  en 
bonne  intelligence  avec  ses  cousins,  et  entreprit 
des  expéditions  heureuses  contre  les  Carin- 
thiens,les  Bohémiens  et  les  Comans.  En  1072  il 
enleva  Belgrade  aux  Grecs,  après  un  siège  de 
trois  mois,  et  donna  la  plus  grande  partie  du 
butin  qu'il  y  recueillit  à  son  favori  le  comte  Vid. 
Ce  fut  l'origine  de  la  rupture  qui  éclata  entre 
Salomon  et  ses  cousins.  Des  deux  côtés  on  se 
prépara  à  une  lutte  ouverte,  l'un  recrutant  en 
Allemagne  des  soldats  auxiliaires,  les  autres  le- 
vant des  troupes  en  Bohême,  en  Pologne  et  en 
Moscovie.  Une  trêve ,  ménagée  par  le  clergé , 
arrêta  pendant  quelque  temps  les  hostilités  A 
l'instigation  de  son  favori  le  roi  la  viola ,  attaqua 
Geisa  à  l'improviste  dans  une  forêt,  et  le  força 
de  prendre  la  fuite.  Enhardi  par  le  succès,  il  se 
porta  au  devant  de  Ladislas,  qui  accourait  à 
l'aide  de  son  frère;  il  essuya  une  défaite  com- 
plète. Geisa  rentra  alors  en  campagne,  etassiégea 
Salomon  dans  Presbourg  ;  il  mourut  subitement 
au  milieu  de  son  triomphe  (1077).  Les  grands 
élurent  Ladislas  pour  roi,  et  Salomon  reçut  en 
échange  de  la  couronne  une  pension  considérable. 
Toutefois  il  ne  se  résigna  pas  volontiers  à  vivre  dans 
l'obscurité.  En  108 1  il  tenta  de  s'emparer  de  la 
personne  de  Ladislas,  et  subit  une  captivité  d'un 
an  à  Wissegrad.  En  1086  il  fit,  avec  le  chef  des 
Comans,  une  irruption  en  Hongrie,  et  fut  battu. 


SALOMON  —  SALONINA  210 

Il  n'eut  pas  un  meilleur  succès  en  1087  lors- 
qu'il s'avisa,  de  concert  avec  son  allié,  de  ra- 
vager le  territoire  grec.  Longtemps  après,  il 
revint  en  Hongrie  en  habits  de  moine,  et  se 
présenta  à  Albe  royale  devant  Ladislas  parmi  les 
mendiants  qui  sous  les  portes  de  la  cathédrale 
imploraient  la  pitié  du  roi.  Reconnu  par  son 
cousin,  il  s'esquiva  dans  la  foule,  et  alla 
vivre  encore  plusieurs  années  dans  une  caverne 
près  de  Polaen  Istrie,  s  imposant  les  plus  dures 
pénitences.  C'est  là  qu'il  termina  sa  vie  agitée. 

Turocz,  Chronicon.   —   Katona,  fJist.  critica.  —   Mal- 
lath,  Cescli.  der  Magyarcn. 

salomon  (François-  Henri),  littérateur 
français,  né  le  4  octobre  1620,  à  Bordeaux,  où  il 
est  mort,  le  2  mars  1670.  Fils  d'un  conseiller  au 
parlementde  Bordeaux,il  fut  pourvu  d'une  charge 
d'avocat  général  au  grand  conseil.  Il  avait  le 
goût  des  lettres  et  y  consacrait  ses  loisirs;  mais 
il  ne  se  piquait  pas  d'y  réussir,  et  ses  vers  la- 
tins, su  vaut  Chapelain,  n'étaient  pas  plus 
excellentsque  sa  prose  française.  Il  fut  pourtant, 
au  choix  de  l'Académie  française,  préféré  à  Cor- 
neille, alors  dans  tout  l'éclat  de  sa  gloire,  et  élu 
le  2 1  novembre  1 644,  5  la  place  de  Nicolas  Bour- 
bon. «  L'Académie,  dit  Pellisson,  se  détermina 
pour  cette  raison  que  Corneille,  faisant  son  sé- 
jour à  la  province,  ne  pouvait  presque  jamais 
se  trouver  aux  assemblées  et  faire  la  fonction 
d'académicien.  »  La  compagnie  n'y  gagna  pas  pour 
cela  un  membre  plus  exact,  puisque  peu  detemps 
après  Salomon  retourna  a  Bordeaux,  pour  n'en 
plus  sortir,  et  y  devint  lieutenant  général  du  séné- 
chal de  Guienne,  et  président  à  mortier  au  par- 
lement après  la  mort  de  son  beau- père,  Lancelot 
de  Lalanne.  Il  reçut  le  cordon  de  Saint-Michel 
en  récompense  des  services  qu'il  avait  rendus 
pendant  les  troubles  de  la  Fronde.  Il  y  a  sur 
son  compte  d'autres  particularités  dans  les  Mé- 
langes de  Vigneul-Marville,  mais  ce  qu'il  dit  de 
sa  famille  n'est  qu'un  tissu  de  fables.  On  a  de 
Salomon  :  Discours  d'État  à  Grotiussur  V His- 
toire du  cardinal  de  Bentivoglio  ;  Paris,  1640, 
in-8°  ;  —  De  judiciis  et  pœnis  ,  et  de  officiis 
vïtœ  civilis  Romanorum;  Bordeaux,  1665, 
in- 12,  et  dans  le  Thésaurus  de  Sallengre,  t.  III. 
Vigneul-Marville,  Mélanges,  édit.  1725,111,  393-4.  — 
Chapelain ,  Mélanges  de  littérature,  p.  261.  —  Pellisson 
et  d'Oliver,  Hist.  de  V Acad.  fr. 

SALOMON  DE  CAPS.   Voy.  CauS. 

salonina  (Publia  LiciniaJulia  Cornelia), 
impératrice  romaine,  femme  de  l'empereur  Gai- 
lien,  vivait  dans  le  troisième  siècle  après  J.-C. 
Les  médailles  qui  nous  restent  d'elle  lui  donnent 
entre  autres  surnoms  celui  de  Chrysogone,  ce 
qui  a  fait  penser  qu'elle  était  grecque  d'oi  igiae. 
Elle  épousa  Gallien,  fils  de  Valérien,  vers  240, 
plus  de  dix  ans  avant  l'élévation  de  ce  dernier  à 
l'empire.  Saloninus,  le  fils  qu'elle  eut  de  Gallien, 
fut  mis  à  mort  par  l'usurpateur  Postumus,  en  259. 
Quelques  années  plus  tard  elle  vit  périr  son 
mari  sous  les  murs  de  Milan,  en  268.  L'histoire 
personnelle  de  cette  princesse  est  inconnue. 


211 

Trebellius  Pollio,  Callienus.  Saloninus-  —  Eckhel, 
Doctrina  nvmorum,  vol.  VU,  p.  421.  —  ue  Witte,  dans 
les  Mem.  de  CAcad   de  Bruxelles,  1836. 

SALOMUS  (Saint),  évêque  de  Genève, mort 
vers  470.  11  était  fils  d'Eucher,  depuis  évêque  de 
Lyon,  et  avait  pour  frère  Veran,  qui  le  fut  de 
Vence.  A  peine  âgé  de  dix  ans,  il  entra  dans  le 
monastère  de  Lerins,  et  y  fut  élevé  sous  la  disci- 
pline d'Honorat,  d'Hilaire,  de  Salvien  et  de 
Vincent.  Eucher  composa  aussi  quelques  écrits 
pour  l'instruction  de  son  fils,  qu'il  qualifie  d'or- 
nement et  d'espérance  de  son  siècle.  On  ne  sait 
pas  positivement  quelle  église  Salonius  eut  à 
gouverner,  celle  de  Vienne  ou  de  Genève;  les 
probabilités  ont  fait  pencher  dom  Rivet  vers 
cette  dernière,  où  du  reste  l'année  de  sa  mort 
est  célébrée  au  28  septembre.  On  pense  qu'il 
assista,  ainsi  que  son  père,  au  concile  d'Orange 
tenu  en  441.  11  envoya  au  pape  Léon  1er  une 
lettre  pour  défendre  les  droits  d'Ingenuus,  ar- 
chevêque d'Embrun,  et  il  reçut  vers  462  ré- 
ponse d'Hilaire,  successeur  de  Léon.  On  a  de 
lui,  sous  le  titre  de  Expositio  mystica  in  Pa- 
rabolas  Salomonis  et  Ecclesiasten ,  un  ouvrage 
qui  est  peut-être  le  fruit  des  éludes  communes 
de  Salonius  et  de  Veran  ;  le  style  en  est  simple 
et  net,  la  plupart  des  explications  ont  rapport  à 
la  morale.  L'ouvrage,  imprimé  séparément  à  Ha- 
guenau,  1532,  in-4",  a  été  inséré  dans  les  ortho- 
doxographes,  et  dans  diverses  bibliothèques  des 
Pères. 

Hist.  littér,  de  la  France,  II,  433-437,  —  Possevino, 
Appara'ns  sacer.  —  Gallia  C/iristicma,  IV. 

salt  (Henry),  voyageur  anglais,  né  vers 
1785,  à  Lichfield  (comté  de  Stafford),  mort  Je 
30  août  1 827,  en  Egypte,  sur  la  route  du  Caire 
à  Alexandrie.  11  reçut  au  collège  de  Lichiield  sa 
première  éducation,  et  la  compléta  ensuite  par 
des  études  personnelles,  qu'il  étendit  non-seule- 
ment à  l'antiquité  et  aux  belles-lettres,  mais  aux 
mathématiques  et  à  l'art  du  dessin.  D'un  esprit 
fin  et  sagace,  d'un  caractère  réfléchi,  il  montra 
de  bonne  heure  une  prudence  au-dessus  de  son 
âge.  Aussi  fut-il,  à  la  recommandation  du  ré- 
vérend George  Butt,  son  oncle,  accepté  par 
lord  Valentia  pour  secrétaire  et  pour  dessinateur 
lorsque  ce  seigneur  entreprit  ses  voyages 
d'exploration  scientifique  dans  l'Inde.  Embarqué 
le  3  juin  1802  sur  Z,a  Minerve,  il  arriva  dans  le 
même  mois  de  l'année  suivante  à  Calcutta,  après 
avoir  séjourné  plus  ou  moins  de  temps  à  Ma- 
dère, à  Sainte-Hélène,  et  au  Cap;  il  parcourut 
l'Inde  du  nord  au  sud,  visita  Ceylan  et  les  côtes 
de  la  mer  Rouge,  tantôt  écrivant,  tantôt  dessi- 
nant ce  qu'il  voyait  dans  ses  courses,  tantôt 
entamant  des  négociations  avec  les  chefs  indi- 
gènes. Ce  fut  en  celte  dernière  qualité  d'ambas- 
sadeur officieux  qu'il  se  rendit  seul,  avec  une 
suite  convenable  et  des  présents,  dans  l'Abys- 
sinie  (juin  1805),  qu'il  rouvrit  entre  ce  pays  et 
l'Europe  des  communications  interrompues  de- 
puis plus  de  deux  siècles  et  demi.  Après  avoir 
rejoint  lord  Valentia  à  Massaor.au,  ils  consa- 


SALOKINA  —  SALVANDY  212 

crèrent  ensemble  plusieurs  mois  à  explorer  les 
lieux  les  plus  célèbres  de  la  basse  Egypte,  et 
revinrent,  en  septembre  1806,  dans  leur  patrie. 
La  publication  des  Voyages  de  lord  Valentia 
acquit  à  son  jeune  compagnon  une  juste  re- 
nommée. Aussi  fut-il  bientôt  chargé  par  le  gou- 
vernement anglais  d'une  mission  particulière , 
celle  de  négocier  une  alliance  avec  l'Abyssinie. 
Salt  partit  le  20  janvier  1809  :  il  doubla,  comme 
la  première  fois,  Madère  et  le  Cap,  et  mit  à 
profit  sa  navigation  le  long  des  côtes  orientales 
de  l'Afrique  pour  recueillir  une  foule  de  rensei- 
gnements utiles  à  l'hydrographie;  puis  il  pé- 
nétra dans  la  province  de  Tigré,  mais  ses  efforts 
pour  établir  des  relations  régulières  furent  pa- 
ralysés par  les  guerres  civiles  et  religieuses 
qui  désolaient  alors  ce  pays.  Il  retourna  en  An- 
gleterre en  passant  par  flnde  (janvier  1811). 
En  1815  il  fut  nommé  consul  général  au  Caire, 
et  lors  de  son  passage  à  Paris  il  eut  l'honneur 
d'être  agrégé  à  l'Académie  des  inscriptions  en 
qualité  de  correspondant  (8  décembre  1815).  Il 
s'adonna  avec  passion  à  l'étude  de  l'ancienne 
Egypte,  et  favorisa  de  tout  son  pouvoir  les  re- 
cherches des  savants  et  des  voyageurs,  notam- 
ment celles  de  Belzoni ,  auquel  il  fournit  les 
moyens  de  continuer  son  intéressante  explora- 
tion. En  se  rendant  à  Alexandrie,  il  mourut  dans 
un  village,  et  son  corps,  transporté  au  Caire,  y 
fut  l'objet  des  funérailles  les  plus  splendides 
qu'on  eût  vues  depuis  longtemps.  Outre  sa  col- 
laboration aux  Voyages  du  vicomte  Valentia,  on 
a  de  Salt  :  Account  of  a  voyage  to  AbysrAnia, 
and  travels  in  the  interior  part  ofthat 
country  in  1809  and  1810;  Londres,  1814,, 
gr.  in-4°,  fig.;  trad.  en  français  par  P.-F.  Henry 
(Paris,  1816,  2  vol.  in-8°  et  atlas);  on  a  fait  à 
cet  ouvrage  le  reproche  de  n'être  que  la  repro- 
duction, sous  une  forme  plus  développée,  de  la 
relation  que  l'auteur  avait  déjà  fournie  au  recueil 
de  lord  Valentia;  —  Egypt,  a  descriptive poem, 
with  notes;  Alexandrie,  1824,  in-8°  de  55  p.  : 
c'est  une  curiosité  typographique  tirée  à  50  ex. 
seulement;  —  Essay  on  Young's  and  Cham- 
pollion,s  phonetic  System  of  hieroglypkics ; 
Londres,  1895,  in-8°;  trad.  en  français  par 
L.  Devère  (Paris,  (827,  gr.  in-8u)  :  s'il  n'a  pas 
avancé  la  science  du  déchiffrement  des  hiéro- 
glyphes ,  il  a  du  moins  été,  au  jugement  de 
Walkenaër,  le  premier  qui  en  ait  fait  d'heureuses 
applications  pour  expliquer  quelques  inscrip- 
tions. On  a  publié  en  1854  sa  Correspondance. 

Biogr.  DUt.nfUvingauthors-Gimtlemujïs  magazine. 
—  J.-J.  Mail,  The  Life  un<t  correspondence  of  Henry 
Salt;  Londres,  1854,  2  vol.  in-S°. 

SALTZIUANN.    VOIJ.  SALZMANN. 
SALITTATO.    VOIJ.    CoLCCCIO. 
SALVAIXG.    VOIJ.    BOISSIEU. 

salvakdy  (Narcisse-Achille,  comte  de),  | 
homme  politique  et  littérateur,  d'une  famille  ir- 
landaise établie  en  France  depuis  le  dix-sep- 
tième siècle,  naquit  à  Condom,  le  11  juin  1795, 


213 


SALVANDY 


211 


et  mourut  le  15  décembre  1856,  au  château  de 
Gravcrou  (Normandie).  Dépourvu  de  fortune, 
mais  possédé  d'un  besoin  immense  d'instruction 
et  de  renommée,  il  sollicita  et  obtint  à  onze  ans 
une  bourse  au  lycée  Napoléon,  et  s'y  distingua 
bientôt  par  la  diversité  de  ses  aptitudes.  Une 
étourderie  entrava  le  succès  de  ces  brillantes  dis- 
positions. Fasciné  comme  toute  la  jeunesse  de 
cette  époque  par  l'éclat  du  régime  impérial,  il 
imagina  de  dater  da  champ  de  bataille  de 
Lut/.en  le  bulletin  fictif  d'une  victoire  qu'ac- 
compagnait, avec  une  proclamation  impériale, 
un  prétendu  envoi  aux  lycées  de  Paris  des  dra- 
peaux conquis  sur  l'ennemi.  Cette  audacieuse 
mystification,  qui  réussit  pendant  quelques 
heures,  coûta  au  jeune  lycéen  la  perte  de  sa 
position  privilégiée.  Mais  il  fut  incorporé,  avec  le 
grade  de  brigadier,  dans  aa  des  régiments  des 
gardes  d'honneur  (25  mai  1813)  ;  il  prit  part  aux 
campagnes  de  Saxe  et  de  France,  reçut  un  coup 
de  feu  au  combat  de  Rrienne,  et  quitta  l'armée 
avec  l'épaulette  de  sous-lieutenant.  Au  retour 
des  Bourbons,  Salvandy  entra,  malgré  les  obs- 
tacles apportés  à  son  admission  par  l'irrégu- 
larité de  sa  naissance,  dans  la  maison  militaire 
de  Louis  XVIII;  mais  il  n'émigra  point  durant 
les  cenl-jours,  et,  quoique  fort  jeune,  il  s'es- 
saya dans  la  carrière  d'écrivain  politique  par 
trois  brochures  :  Mémoire  à  V empereur  sur 
les  griefs  et  les  vœux  du  peuple  français; 
Observations  critiques  sur  le  Champ  de  Mai, 
et  Opinion  d'un  Français  sur  l'Acte  addi- 
tionnel, et,  quelques  jours  après  Waterloo, 
par  une  quatrième,  Sur  la  nécessité  de  se 
rallier  au  roi.  A  ces  écrits,  qui  passèrent 
inaperçus,  il  en  ajouta,  sous  l'impression  du 
traité  du  20  novembre  1815,  un  nouveau, 
La  Coalition  et  la  France  (mars  1816, 
in-8°  (1),  qu'une  énergie  courageuse,  des  sen- 
timents patriotiques  signalèrent  vivement  à  l'at- 
tention publique.  Les  ministres  des  puissances 
coalisées  s'émurent  de  cette  publication;  ils  en 
exigèrent  la  saisie,  et  la  sécurité  personnelle  de 
Salvandy  eût  été  compromise  sans  l'intervention 
de  Louis  XVI11.  Monsieur  lui  adressa  plus  tard 
de  flatteuses  félicitations ,  et  le  roi  voulut  l'in- 
former lui-même  de  sa  nomination  au  titre  de 
maître  des  requêtes  en  service  extraordinaire 
(20  janvier  1819).  Salvandy  fut  un  des  auxiliaires 
les  plus  actifs  de  la  politique  de  M.  Decazes, 
soit  dans  le  Journal  des  Débats,  soit  par  les 
brochures  intitulées  Vues  politiques  et  Dan- 
gers de  la  situation  (1819).  A  l'avènement 
du  cabinet  ultra-royaliste,  il  résigna  ses  fonctions, 
et  engageai  contre  l'administration  de  M.  de  Vil- 
lèle  une  lutte  marquée  par  des  écrits  passionnés, 
tels  qu'en   1824,  Du  parti  à   prendre  envers 

(1)  Réimpr.  à  Bruxelles,  1S18,  ln-8°,  aveo  la  Lettre  de 
l'auteur  au  duc  de  Wellington  sur  la  tentative  d'assas- 
sinat dirigée  contre  ce  général  dans  la  nuit  du  19  fé- 
vrier 181».  Celte  Lettre  fut  retirée  de  la  circulation  par 
l'influence  des  ambassadeurs  étrangers 


l'Espagne,  Le  Aoureau  règne  et  l'ancien  mi- 
nistère, Le  Ministère  et  la  France  ;  en  1825, 
Discussion  de  la  loi  du  sacrilège  ;  en  1827, 
Les  Amis  de  la  liberté  de  la  presse,  Insolences 
de  la  censure,  Que  feront-ils,  et  huit  Lettres 
au  Journal  des  Débats.  Le  ministère  Martignac 
recueillit,  avec  la  succession  Yillèle.la  tâche 
d'apaiser  l'irritation  des  partis.  Salvandy  y 
entra  comme  conseiller  d'État  (  12  novembre 
1828),  et  coopéra  à  ses  travaux  avec  un  zèle 
louable.  Lorsque  Charles  X  eut  recours  au  dé- 
vouement, plus  sincère  qu'éclairé, du  prince  de 
Polignac,  Salvandy  fut  un  des  premiers  fonction- 
naires qui  refusèrent  leur  concours  à  la  nou- 
velle administration.  II  écrivit  au  roi,  dont  il 
avait  personnellement  éprouvé  les  bontés,  pour 
lui  signaler  les  périls  de  la  situation,  et  lit  en- 
tendre dans  un  bal  que  le  due  d'Orléans  don- 
nait au  roi  de  Naples,  peu  de  jours  avant  les 
ordonnances  de  juillet,  celte  phrase  prophé- 
tique :  «  Monseigneur,  c'est  bien  là  une  fête 
napolitaine,  car  nous  dansons  sur  un  volcan!  » 
Salvandy  se  rallia  sans  empressement  et  sans 
répugnance  au  régime  de  1830,  et  consacra  ses 
premiers  efforts  à  défendre  Charles  X  et  ses  mi- 
nistres des  inculpations  injustes  que  le  malheur 
avait  attirées  sur  eux.  Il  fit  partie  du  conseil  d'É- 
tat réorganisé  le  20  août  1830,  Élu  au  mois 
d'octobre  suivant  député  de  La  Flèche,  il  prit 
rang  parmi  les  soutiens  les  plus  intrépides  du 
parti  de  la  résistance,  combattit  toutes  les  pro- 
positions inspirées  par  l'esprit  démocratique,  et 
blâma  énergiquement  le  ministère  de  la  mol- 
lesse de  son  attitude  en  présence  des  excès  des  13 
et  14  février  183t.  Ayant  refusé  de  promettre  un 
vote  favorable  à  la  pairie  viagère,  sa  candidature 
aux  élections  générales  de  cette  année  ne  put 
triompher  de  l'opposition  du  cabinet.  Il  employa 
ses  loisirs  parlementaires  à  la  composition  du  plus 
recommandable  de  ses  ouvrages  politiques,  Seize 
mois,  ou  la  révolution  de  1830  et  les  révolu- 
tionnaires  (1831,  in-8°),  réimpr.  en  1832,  sous 
le  titre  de  Vingt  mois,  et  le  fit  suivre  d'un  opus- 
cule :  Paris,  Nantes  et  la  Session  (1832),  où  il 
exhortait  le  ministère  à  amnistier  les  partis 
vaincus.  Il  rentra  à  la  chambre  en  1S33  comme 
député  d'Évreux,  et  prêta  au  gouvernement,  sans 
dépendance  systématique,  un  laborieux  concours, 
qui  dans  le  ministère  Mole  lui  ouvrit,  le  15  avril 
1837,  l'entrée  au  conseil  avec  le  portefeuille 
de  l'instruction  publique.  En  dépit  de  quel- 
ques entraînements,  de  quelques  légèretés  pro- 
pres à  son  caractère,  cette  première  épreuve 
du  pouvoir  fut  favorable  à  Salvandy.  11  s'ap- 
pliqua à  restituer  au  corps  universitaire  l'éclat 
et  l'importance  qu'il  avait  eus  sous  l'empire,  et 
étendit  jusqu'à  la  profusion  les  encouragements 
de  toutes  natures  qu'il  distribua  aux  professeurs 
et  aux  gens  de  lettres.  Après  la  chute  du  cabinet 
dont  il  faisait  partie  (mars  1839  ),  il  rentra  à  la 
chambré  comme  député  de  Nogent-le-Rotrou,  et 
continua  de  voter  avec  le  parti  conservateur,  qui 


215 


SALVANDY  —  SALVAT1CU 


210 


l'élut  à  l'une  des  vice-présidences  de  cette  as- 
semblée. Le  14  septembre  1841,  il  fut  nommé 
ambassadeur  en  Espagne,  à  l'époque  où  le  ré- 
gent Espartero  venait  de  fortifier  le  pouvoir  de 
la  reine  par  la  défaite  des  deux  factions  op- 
posées. Mais  cet  ambitieux  représentant  de  l'in- 
fluence anglaise  contesta  au  diplomate  français 
le  droit  de  présenter  ses  lettres  de  créance  à  la 
reine  el Ie-même,et  Sal vandy ,  après  pi usieurs  mois 
de  pourparlers  et  de  propositions  conciliatrices, 
revint  en  France,  où  se  discutait  alors,  à  propos  du 
projet  d'adresse,  la  grande  question  du  droit  de 
•visite.  Il  combattit  avec  force  et  succès  sur  ce 
point  la  politique  ministérielle,  et  mit  sa  position 
personnelle  d'accord  avec  sa  conduite  parlemen- 
taire en  renonçant  aussitôt  à  son  traitement 
d'ambassadeur  ;  mais  il  n'en  demeura  pas  moins 
fermement  attaché  au  parti  conservateur,  et  ré- 
péta souvent  alors  que  «  notre  société  ne  savait 
pas  de  combien  près  elle  côtoyait  l'extrême  dé- 
sordre ».  Réélu  en  1842  député  de  Nogent  et  de 
Lectoure,  il  opta  pour  ce  dernier  collège,  et  fut 
nommé  le  6  novembre  1843  à  l'ambassade  de 
Turin,  où  il  ne  fit  qu'une  courte  apparition.  Rap- 
pelé en  France  par  le  débat  de  l'adresse,  dont  un 
paragraphe  tendait  à  flétrir  les  cinq  députés 
qui  avaient  porté  leurs  hommages  au  comte  de 
Chambord ,  à  Belgrave-Square ,  il  vota  contre 
ce  blâme  de  parti,  et  répondit  par  sa  démission 
immédiate  de  ses  fonctions  diplomatiques  aux  vifs 
reproches  que  le  roi  lui  adressa  à  cette  occasion. 
Mais  la  fermeté  de  son  langage  à  la  tribune  ne 
pamt  pas  à  la  hauteur  de  cet  acte  d'indépen- 
dance, et  Louis-Philippe,  désarmé  par  sa  ré- 
serve, lui  rendit  le  1er  février  1845  le  porte- 
feuille de  l'instruction  publique.  Cette  seconde 
phase  de  l'administration  de  Salvandy  fut 
marquée,  comme  la  précédente,  par  d'importantes 
améliorations,  telles  que  la  reconstitution  du 
conseil  d'instruction  publique,  la  fondation  de 
l'école  d'Athènps,  la  restauration  de  l'école  de3 
chartes,  et  la  présentation  de  projets  de  loi  sur 
l'instruction  secondaire,  sur  l'organisation  des 
écoles  de  droit,  de  médecine  et  de  pharmacie. 
La  plupart  de  ces  projets  avortèrent  par  suite 
de  la  révolution  de  1848;  mais  Salvandy  en  vit 
adopter  les  principales  dispositions  par  les  as- 
semblées issues  du  suffrage  universel. 

La  chute  du  gouvernement  de  Juillet,  auquel 
il  s'était  entièrement  dévoué,  fut  le  terme  de  sa 
participation officielleaux  affaires  publiques.  Mais 
dans  le  but  de  reconstituer  le  parti  de  l'ordre  et 
de  préparer  le  retour  du  régime  constitutionnel, 
il  travailla  de  toutes  ses  forces  à  la  réconciliation 
des  deux  branches  de  la  maison  de  Bourbon  ; 
le  succès  des  négociations  ne  répondit  point 
à  ses  efforts.  La  vie  de  Salvandy  appartint  ex- 
clusivement dès  lors  aux  lettres,  dont  la  cullure, 
après  avoir  charmé  ses  premières  années,  était 
devenue  la  source  de  son  élévation  Élu  membre 
de  l'Académie  française  le  19  février  1835,  en 
remplacement  de  Parseval-Grandmaison,  il  s'é- 


tait fait  remarquer  dans  cette  compagnie  par 
plusieurs  discours  élégamment  écrits  mais  em- 
preints de  la  tournure  un  peu  théâtrale  qui  était 
propre  à  son  caractère  et  à  son  esprit.  M.  de 
Salvandy  laissa  de  son  mariage  avec  Mt'e  Feray 
un  fils  et  une  fille,  mariée  au  marquis  d'Aux. 
Outre  les  écrits  déjà  signalés,  nous  citerons  en- 
core de  lui  :  Don  Alonzo,  ou  L'Espagne,  his- 
toire contemporaine;  Paris,  1824,  2  vol. 
in-8°  et  5  vol.  in-12  :  c'est  un  roman  histo- 
rique, peu  lu  aujourd'hui  ;  —  Islaor,  ou  Le 
barde  chrétien,  nouvelle  gauloise;  Paris, 
1824, in-12;  —  Les  Funérailles  de  Louis  XVII I; 
Paris,  1824,  in  8°; —  De  l'Émancipation  de 
Saint-Domingue;  Paris,  1825,  in-8°;  —  La 
Vérité  sur  les  marchés  Ouvrard  ;  Paris,  1825, 
in-8°  ;  —  Histoire  de  Pologne  avant  et  sous 
le  roi  Sobieski;  Paris,  1827-1829,  3  vol. 
in-8°,  et  1844,  in- 18  :  livre  estimable  pour  la 
forme  et  l'esprit,  mais  où  l'on  a  signalé  de 
nombreuses  erreurs  échappées  à  une  composi- 
tion hâtive  et  à  une  connaissance  insuffisante 
du  sujet;  —  Lettres  (deux  )  de  la  girafe  au 
pacha  d'Egypte,  1834;  —Prix  de  vertu; 
discours  prononcés  en  tS38  et  en  1840;  —  Dis- 
cours prononcé  pour  la  réception  de 
M.  Victor  Hugo  à  l'Académie  française  ; 
Paris,  1841,  in-4°  ;  —  Rapport  au  roi  sur 
l'état  des  travaux  exécutés  depuis  1835  jws- 
qu'en  1847  pour  le  recueil  et  la  publication 
des  documents  inédits  relatifs  à  l'histoire 
de  France;  Paris,  1847,  in-8°.  Salvandy  a 
collaboré  assidûment  sous  la  restauration  au 
Journal  des  Débats,  et  il  a  fourni  des  articles 
au  Courrier  français,  au  Keepsnke  des  hom- 
mes utiles,  au  Livre  d'honneur  de  VUniver- 
si/é,  à  la  Revue  contemporaine,  au  Diction- 
naire de  la  Conversation,  au  Livre  des  Cent 
et  wn,  etc.  On  lui  a  souvent  attribué  deux  ro- 
mans anonymes,  Natalie  et  Corisandre  de 
Mauléon,  qui  sont  de  Mme  de  Montpezat.  La 
valeur  littéraire  de  Salvandy  a  été  exagérée 
durant  sa  vie  ;  mais  la  postérité  n'hésitera  pas 
à  reconnaître  en  lui  un  citoyen  recommandable 
par  des  services  réels,  par  l'indépendance  rela- 
tive de  son  caractère,  l'honnêteté  de  ses  prin- 
cipes et  l'élévation  de  ses  sentiments. 

A.  Bolllée. 

Rabbe,  Biogr.  univ.  et  portât,  des  conlemp.  —  Sarrut 
et  Saint-Edme ,  Biogr.  des  hommes  du  jour,  t.  I, 
2»  partie.  —  Pascalet,  Biographe  universel.  —  Lo- 
tnénie,  Galerie  des  contemp.  illustres,  t.  X,  —  Robin, 
Galerie  des  gens  de  lettres.  —  Revue  rétrospective  de 
1848.  —  Journal  des  débals,  1856. 

salvatici  (Viltore  Porchetto  de' ) ,  hé- 
braïsant  italien,  né  à  Gênes,  florissait,  selon 
l'opinion  commune,  au  commencement  du  qua- 
torzième siècle.  Il  appartenait  à  une  des  pre- 
mières familles  patriciennes  de  Gênes,  et  fit 
profession  chez  les  chartreux.  On  n'a  pas 
d'autre  détail  sur  sa  vie.  Il  avait  une  connais- 
sance alors  peu  commune  de  l'hébreu.  On  a  de 
lui  :    Victoria  adversus  impios  Hebrctos   ex 


217 


SALVATICI  -  SALVERTE 


218 


Sacris  Litteris  tum  ex  dictis  Talmud  ac  ca- 
balisticarum ;  Paris,  1520,  in-fol.;  l'auteur 
avoue  lui-même  avoir  beaucoup  emprunté  au 
Pt/gio  Jidei  de  Raimond  Martin  ;  Pierre  Ga- 
latin  en  fit  de  même  pour  son  De  Arcanis  ca- 
tholicx  veritatis,  ce  qui  a  produit  entre  cet 
ouvrage  et  celui  de  Salvatici  une  telle  ressem- 
blance que  Galatin  a  été  accusé  d'avoir  pillé 
Salvatici;  —  De  Entibus  trinis  et  unis,  inédit 
ainsi  que  De  Virgine  Maria. 

Oiidin,  Cave,  Scriptores  ecclesiastici.  —  Sopr.ini, 
Scrittori  dellu  Liguria  —  Morozzo,  Theatrum  Carthu- 
siense.  —  Wolf,  Bibl.  hebraica. 

SALVATOK  KOSA.   Voy.  RoS.V. 

salverte  { Anne- Joseph- Eusèbe  Bacon- 
nièi(E-),  publiciste  et  homme  politique,  né  à 
Paris,  le  18  juillet  1771,  mort  dans  celte  ville, 
le  27  octobre  1839.  Son  père,  qui  était  adminis- 
trateur du  contrôle  et  du  domaine,  lui  fit  faire 
d'excellentes  études  chez  les  oratoriens  de 
Juilly.  Reçu  avocat  du  roi  au  Châtelet,  il  en 
remplit  les  fonctions  jusqu'à  la  suppression  de 
ce  tribunal.  Employé  en  1792  au  ministère  des 
affaires  étrangères,  il  donna  sa  démission  en 
1793,  par  suite  des  dénonciations  |>ortées  contre 
lui,  et  fui  admis  à  l'École  des  ponts  et  chaussées, 
où  il  professa  l'algèbre.  Ayant  pris  une  part  ac- 
tive à  la  réaction  thermidorienne,  il  fut  dans  la 
journée  du  13  vendémiaire  l'un  des  principaux 
meneurs  de  la  section  du  Mont  Blanc  ;  con- 
damné à  mort  par  contumace,  il  se  présenta  en 
1796  devant  ses  juges,  et  fut  acquitté.  Dès  lors 
il  s'éloigna  du  parti  royaliste,  et  finit  par  en  répu- 
dier tous  les  principes.  Sous  le  Directoire  il  oc- 
cupa une  place  dans  l'administration  du  ca- 
dastre. Ses  écrits  philosophiques  et  littéraires 
attirèrent  de  bonne  heure  l'attention  sur  lui;  il 
professait  les  opinions  anti- religieuses  de  son 
temps,  et  fréquentait  les  joyeuses  réunions  du 
Caveau.  En  1812  il  épousa  la  veuve  du  comte 
de  Fleurieu,  et  se  retira  avec  elle  en  1814  à  Ge- 
nève, où  il  passa  cinq  années.  Ardent  partisan  de 
la  liberté  et  d'un  régime  constitutionnel  très- 
voisin  de  la  démocratie,  il  se  montra,  sous  la 
restauration ,  habile  à  saisir  vivement  l'opinion 
publique  par  des  brochures  qui  étaient  l'expres- 
sion des  tendances  libérales  de  cette  époqu« 
(en  1817,  Épîlre  sur  la  liberté;  en  1819,  des  : 
Pétitions  ;  en  1820,  Un  député  doit-il  ac-  \ 
cepter  des  places,  et  VÉtat  de  la  question;  en 
1824,  Les  Menaces  et  les  promesses,  Du  Taux 
de  l'argent,  et  Lettre  à  M***,  cultivateur  ;  en 

1827,  Du  Droit  et  du  devoir  d'un  électeur;  en 

1828,  Opinion  sur  des  pétitions  relatives  aux 
Jésuites,  et  Des  Droits  du  citoyen).  Élu  député 
de  la  Seine  en  avril  1828,  il  ne  cessa  de  dé- 
fendre les  principes  dp  la  hb-rté.  Plein  d'audace 
dans  ses  paroles  comme  dans  ses  résolutions, 
il  demandait  dès  1829  la  mise  en  accusation  des 
ministres  pour  crime  de  concussion  et  de  tra- 
hison, s'élevait  contre  les  Jésuites,  et  réclamait 
la  suppression  de  la  loterie.  Il  signa  l'adresse  i 


des  221,  se  réunit  à  ses  collègues  le  3t  juillet 
1830,  et  proposa  de  renouveler  intégralement 
la  magistrature.  Réélu  à  Paris,  il  fit  une  propo- 
sition contre  les  ministres  signataires  des  ordon- 
nances du  25  juillet,  et  réclama  la  liberté  poul- 
ies professions  d'imprimeur  et  de  libraire.  Un 
des  signataires  du  Compte  -rendu,  il  se  montra 
hostile  à  la  famille  déchue  et  favorable  au  rappel 
de  la  famille  de  Bonaparte;  cependant  il  parla, 
en  1833,  pour  la  mise  en  liberté  de  la  duchesse 
de  Berri,  dont  l'emprisonnement  ne  lui  parais- 
sait pas  assez  justifié  par  l'état  du  pays.  Depuis 
les  élections  de  1 834  il  représenta  le  cinquième 
arrondissement  de  Paris,  et  compta  jusqu'à   sa 
mort  parmi  les  députés  dont  le  vote  et  la  parole 
cherchèrent  à  arrêter  le  gouvernement  sur  la 
pente   de  réaction  où   il  semblait  chaque  jour 
plus  entraîné.  A  son  lit  de  mort  il  refusa  de 
remplir  aucun  devoir  religieux,  et  son  corps  ne 
fut    pas    présenté    à    l'église.    Salverte    était 
membre  libre  de  l'Académie  des  inscriptions. 
Par  ses  nombreux  et  si  divers  écrits,  comme 
par  ses  discours  politiques,  il  est  assurément  une 
des    figures   les   plus    remarquables    de   notre 
temps  et  serait  très-digne  d'une  étude  littéraire 
approfondie,  qui  reste  cependant  encore  à  faire. 
Outre  les  brochures  citées,  on  a  encore  de 
lui  :  Entretiens  de  Brutus  et  de  Macius  ;  Paris, 
1793,  in-8°;  —  Ê pitre  à  une  femme  raison- 
nable, ou  ce  qu'on  doit  croire;  Paris,   1793, 
in-8"  ;  —  Les  Journées  des  12  et  13  germinal 
an  III  ;  Paris,  1795,  in-8°;  —  Les  Premiers 
jours   de    prairial;  Paris,    1795,    in-8°;    — 
Idées  constitutionnelles  ;  Paris,   1795,   in-8°; 
—  Épîlre  de  Salluste  à   César  ;  Paris,  1798, 
in-8°;  -    De  la  Balance  du  gouvernement  et 
de  la  législature  ;  Paris,  1798,    in  8°;  —  Ro- 
mances   et  poésies  erotiques  ;  Paris,    1798, 
pet.   in-8°  ;  —  Conjectures  sur  la  cause  de 
la     diminution    apparente   des   eaux    sur 
notre  globe;  Paris,  1799,     in-8°  ;  —  Le  Droit 
des  nations,  ode;  Paris,    1799,  in-8°;  —   Un 
Pot  sans  couvercle  et  rien  dedans,  histoire 
merveilleuse;  Paris,   1799,    in-8° ;  —  Notice 
sur  la  vie  de  Cadet  de  Gassicourt,  pharma- 
cien; Paris,  1800,    1822,   in-8°  ;   —  Éloge  de 
Diderot  ;  Paris,  1801,  in-8°;  —  Rapports  de 
la  médecine  avec  la  politique;  Paris,  1«06, 
in-8°  ;    —  Tableau  littéraire  de  la  France 
au  dix-huitième  siècle  ;   Paris,  1809,  in-8°, 
qui  a  obtenu  une   mention   honorable  au  con- 
cours   de    l'Académie  française  en    1 807  ;   — 
Neila,  ou  les  serments,  roman  ;  Paris,  1812, 
2  vol.  in-12;  —  De  la  Civilisation  depuis  les 
premiers   temps   historiques  jusqu'à   la  fin 
du  dix- huitième   siècle;  Paris,    1813,  in-8°; 
il  y  posa  le  premier  la  distinction  de  la  forme 
fixe  et  de  la  forme  progressive,  l'une  propre 
aux  sociétés  antiques,  l'autre  introduite  dans  les 
temps  modernes  ;  —  Phédosie,  tragédie  (  non 
jouée);   Paris,   1813,  in-8°  ; — Sur  quelques 
monuments  anciens  des  environs  de  Genève; 


219  SALVERTE 

Genève,  1819,in-8°;  —  Des  Maisons  de  sanié  \ 
destinées  aux  aliénés  ;  Paris,  1821,  in-8°;  — 
Horace  et  l'empereur  Auguste;  Paris,  1823, 
in-8"  ;  —  Essai  historique  et  philosophique  sur 
les  noms  d'hommes,  de  peuples  et  de,  lieux, 
considérés  dans  leurs  rapports  avec  la  civili- 
sation ;  Paris,  1824,2  vol.  in-8°,trad.  enanglais, 
Londres,  1862,  in-8°  :  cet  essai,  le  travail  le 
plus  complet  qu'on  eût  encore  en  ce  genre,  avait 
paru  en  partie  dans  la  Biblioth.  univ.  de 
Genève;  —  Des  Dragons  ou  des  serpents 
monstrueux;  Paris,  1826,  in-8°;—  Des  Scien- 
ces occultes,  ou  Essai  sur  la  magie,  les  pro- 
diges et  les  miracles;  Paris,  1829,  2  vol. 
in-8°,et  1843,  1862,  in-8°  :  l'auteur  prétend  y 
expliquer  par  la  physique  et  la  chimie  tous  les 
actes  attribués  par  les  religions  anciennes  et 
modernes  à  une  intervention  surnaturelle  ;  — 
De  la  Civilisation  :  Venise,  Iiaguse;  Paris, 
1835,  in-8°  ;  —  Essais  de  traductions  ;  Paris, 
1838,  in-S°.  Eusèbe  Salverte  a  encore  fourni  des 
articles  littéraires  ou  historiques  au  Mercure, 
à  L'Esprit  des  journaux  ,  aux  Mémoires  de 
V Académie  celtique,  à  la  Biblioth.  française 
de  Pougens,  à  la  Biblioth.  universelle  de  Ge- 
nève, à  la  Revue  encyclopédique,  au  Diction- 
naire de  la  Conversation,  etc. 

Salverte  (Jean-Marie-Eustache  Bacon- 
nière-),  frère  aîné  du  précédent,  né  le  26  mars 
1768,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le  10  décembre 
1827,  fut  d'abord  directeur,  puis  en  1813  admi- 
nistrateur de  l'enregistrement  et  des  domaines; 
pendant  les  cent-jours  il  représenta  la  ville  de 
Paris  dans  la  chambre  des  représentants.  On  le 
mit  en  1818  à  la  retraite.  11  est  l'auteur  d'un 
Examen  des  budgets  pour  1818,  des  directions 
des  finances  (1818,  4  broch.  in-8").  E-  Asse. 
G.  Sarrut  et  Snint-EJme,  Biofjr.  des  hommes  du 
jour,  1.  2e  part.,  p.  5.  —  Dion.  univ.  et  portai,  des  con- 
temp.  —  Quérard,  La  France  htt. 

salvi  (  Giovanni-Baltista),  dit  le  Sasso- 
ferralo,  peintre  de  fécole  romaine,  né  le  11 
juillet  1605,  à  Sassoferrato  (  Marche  d'Ancône), 
mort  à  Rome,  le  8  août  1685.  Après  avoir  dans 
sa  patrie  reçu  les  leçons  de  son  père,  Tar- 
quinio  (1),  et  peut-être  aussi  de  Jacopo  Vignali, 
il  alla  jeune  à  Rome,  puis  bientôt  à  Naples,  où  il 
continua  ses  éludes  sous  le  Dominiquin,  dont 
il  approcha  sous  plus  d'un  rapport.  11  a  laissé 
un  assez  grand  nombre  d'excellentes  copies 
exécutées  en  petit  d'après  l'Albanc,  lt  Guide, 
le  Baraccio  et  surtout  Raphaël.  Dans  ses  pro- 
pres compositions,  il  évita  également  les  œu- 
vres de  grande  dimension.  Sans  posséder  le 
beau  idéal  des  Grecs,  il  sut  se  créer  un  type 
parfaitement  approprié  au  caractère  de  la  Vierge, 
et  il  donna  à  ses  Madones  une  expression 
pleine  à  la  fois  d'humilité  et  de  noblesse ,  en 
même  temps  qu  il  les  revêtait  de  draperies  sim- 
ples et   heureusement  disposées.  Un   peu  dur 

(1)  On  :i  lie.  lui  un  assez  bon  tnblcau  du  Rosaire  (1S73;, 
dauit  l' église  des  Ermites,  a  Rome. 


—  SALVI  220 

dans  ses  teintes  locales,  il  rachète  ce  défaut  par 
la  science  du  clair-obscur  et  par  un  coloris 
charmant;  Sassoferrato  fit  peu  de  tableaux 
d'autel,  et  celui  de  Notre-Dame  du  Rosaire, 
l'un  de  ses  chefs-d'œuvre,  à  Sainte- Sabine  du 
Mont  Aventin,  est  un  des  plus  petits  qui  se 
voient  à  Rome.  En  revanche,  ses  têtes  de  Ma- 
dones sont  très-nombreuses;  le  musée  du 
Louvre  en  possède  cinq;  à  Romeily  en  aune  très- 
célèbre,  au  palais  Doria,  et  trois  au  palais  Corsini; 
on  en  voit  également  à  Florence,  à  Pérouse,  à  Mi- 
lan, a  Naples,  etdans  lesgaleri.es  publiques  de  l'Eu- 
rope. Cet  artiste  ne  s'est  pas  borné  à  l'exécution 
de  ce  type,  dans  lequel  il  n'avait  de  rival  parmi 
ses  contemporains  que  Carlo  Dolci;  il  a  traité 
quelquefois  des  sujets  un  peu  plus  compliqués, 
et  on  connaît  de  lui  au  Musée  de  Naples  une 
Sainte  famille  et  un  Intérieur  de  l'atelier  de 
saint  Joseph,  composition  au  moins  bizarre; 
au  Musée  de  Berlin,  uu  Christ  au  tombeau  et 
une  Sainte  famille  ;  une  Annonciation  et  une 
Assomption,  au  Louvre.  E.  B — n. 

Lanzi,  Ticozzi.  —  Pistolesi,  Descrizinne  di  Iioma.  — 
Fantuzzi,  Guida  dï  Firenze.  —dialogues  des  Musées. 

salvi  (Niccolo),  architecte,  né  en  1699,  à 
Rome,  où  il  est  mort,  en  1751.  Issu  d'une  fa- 
mille aisée,  il  reçut  une  brillante  éducation ,  et 
s'appliqua  tour  à  tour  à  la  poésie,  aux  mathéma- 
tiques, à  la  philosophie  et  même  à  la  médecine-; 
il  resta  fidèle  à  l'architecture,  son  étude  favorite, 
qu'il  avait  apprise  dans  Vitruve  et  dont  Canevari 
lui  avait  donné  des  leçons.  Son  maître  ayant  été 
appelé  en  Portugal,  il  resta  chargé  des  entre- 
prises qu'il  laissait  inachevées  à  Rome. 

Nous  ne  parlerons  que  pour  mémoire  des  des- 
sins d'autels  qu'il  donna  pour  les  églises  de  Saint- 
Eustache  et  des   Saints  Lorenzo  et  Damaso  d« 
Rome,  pour  Santa-Maria  de'  Gadi  de  Viterbe, 
et  pour  l'abbaye  du  Mont-Cassin;  nous  ne  rap? 
pellerons  la  Villa  Corsinique  pour  en  déplorer  U 
destruction  à  l'époque  du   siège  de   1849.  Sam 
s'est  illustré  par  une  composition  hors  ligne  er 
son  genre,  par  la  fontaine  monumentale  de  Trev 
ou  de  Yacqua  vergine,  ouvrage  commencé  ei 
1735,  par  ordre  de  Clément  XII,  et  achevé  sous 
Benoît  XIV.  Sur  une  façade  de  palais  ornée  d<| 
quatre  colonnes  et  de  six  pilastres  corinthiens 
se  détache  la  statue  colossale  de  Neptune  pai 
Pietro  Bracci ,  montée  sur  un  char  traîné  pai 
des  chevaux  marins    que  guident  des  tritons 
dans  les  niches  latérales  sont  les  statues  de  Le 
Salubrité  et  de  La  Fécondité  par  Va  le.  Cett* 
composition  n'est  pas  d'un  goût  irréprochable 
mais  on   ne  peut  lui  refuser  un  effet  grandiose 
qui  force  l'admiration. 

Cinq  ans  avant  sa  mort,  Salvi  tomba  en  para 
Iysie;  mais,  bien  que  ne  pouvant  se  servir  de  sei 
mains,  il  continua  à  s'occuper  d'archi lecture,  e 
il  dicta  en  quelque  sorte  à  l'un  de  ses  élève 
plusieurs  projets  pour  la  façade  des  Saints 
Apôtres.  E.   B — n. 

I'Is'oIcm,  Dcsrriziove  rli  Tiomn.  —  Omilr  mère  (Il 
Qulncy,  l/ist.  des  < élébres  architectes ,  el  Dict.  d'archit 


12i  SALVIANI 

salviani  (  JppoUto),  naturaliste  italien,  né 
en  1514,  à  Città  di  Castello  (Ombrie),  mort  en 
1572  à  Rome.  Il  était  de  Camille  patricienne. 
Après  avoir  visité  les  universités  de  son  pays,  il 
alla  s'établira  Rome,  et  y  pratiqua  la  médecine. 
La  profondeur  de  ses  connaissances  lui  mérita  la 
confiance  publique  et  l'estime  des  savants  de 
l'époque.  Ayant  choisi  pour  objet  de  ses  éludes 
l'histoire  naturelle,  et  plus  particulièrement 
l'histoire  des  poissons,  il  eut  le  bonheur  de 
trouver  dans  le  cardinal  Cervini  (plus  tard  le 
pape  Marcel  II)  un  protecteur  aussi  éclairé  que 
généreux  ;  par  son  intermédiaire  il  obtint  la  place 
de  médecin  de  Jules  III,  et  continua  de  la  remplir 
auprès  de  Paul  IV.  Comme  il  était  pauvre  et 
qu'il  n'avait  le  moyen  de  connaîire  d'autres 
poissons  que  ceux  des  mers  d'Italie,  Cervini 
l'aida  de  sa  bourse,  engagea  d'autres  cardinaux  à 
suivre  son  exemple,  et  fit  venir  à  ses  Irais  ,  dies 
mers  les  plus  prochaines,  plusieurs  espèces  in- 
connues à  Rome,  et  de  France,  d'Allemagne , 
d'Angleterre,  de  Portugal,  de  Grèce,  des  dessins 
coloriés  d'un  grand  nombre  d'autres  espèces. 
I  L'ouvrage  de  Salviani  parut  sous  le  titre  tfA- 
quatilium  animalium  historiée  (Rome,  1554, 
gr.  in-fol.,  avec  99  fig.  entaille-douce);  il  fut 
imprimé  dans  la  maison  même  de  l'auteur,  et 
malgré  la  date  de  1554,  il  ne  put  être  livré 
entièrement  au  public  qu'en  1558.  On  y  lit 
à  la  tête  l'épitre  dédicatoire  adressée  au  car- 
dinal Cervini,  bien  que  ce  prélat,  devenu  pape, 
fût  mort  depuis  plus  de  trois  ans.  Malgré  son 
érudition  Salviani,  qui  emprunte  beaucoup  aux 
anciens,  n'a  pas  rangé  les  92  espèces  qu'il  a 
décrites  dans  un  ordre  méthodique  ;  il  s'est  con- 
tenté de  les  rapprocluer  d'après  leurs  caractères 
extérieurs,  en  indiquant  pour  chacune  d'elles  la 
synonymie,  les  liabitudes  particulières,  la  ma- 
nière de  la  pêcher  et  de  l'accommoder,  ses  pro- 
priétés médicales  ou  hygiéniques.  Les  défauts  de 
son  livre  lui  sont  communs  avec  Belon  et  Ron- 
delet, ses  contemporains,  et  aujourd'hui  il  n'offre 
plus  rien  d'utile  que  les  gravures,  aussi  par- 
laites  que  possible  pour  l'époque,  et  dont  Ges- 
ner  et  Aldrovandi  ont  fait  leur  profit  en  les  re- 
produisant en  bois  dans  leurs  recueils.  Outre 
cet  ouvrage,  réimpr.  à  Rome,  1593,  in-fol.  et  à 
Venise,  1600,  1602,  in-fol.,  on  a  encore  de  Sal- 
viani :  La  Ruffiana;  Rome,  1554,  in  8°  :  co- 
médie de  mœurs  qui  a  eu  différentes  éditions;  — 
Decrisibus  ad  Galeni  censuram;  Rome,  1558, 
in-SOi  etl589,in-4°. 

Salviani  (Snluslio),  fds  du  précédent,  pra- 
tiqua aussi  la  médecine  à  Rome  et  l'enseigna  pu- 
bliquement de  1576  à  1587.  Il  a  laissé  :  De  ca- 
lore  naturali,acquisito  etfebrili;  Rome,  t586, 
in-8°;  —  De  urinis;  ibid.,  1587,  iu-8°;  —  Va- 
rias faction' s  de  re  me.dica;  ibid.,  1588,  in-8°. 

Salviani  (  Gasparo),  frère  du  précédent,  prit 
part  à  la  fondation  de  l'académie  des  Umorisli, 
et  composa  des  poésies  ainsi  que  des  notes  au 
poëme,  La  Stcchia  rapila,  deTassoni,  son  ami. 


—  SALVIAT1  222 

IHarlni,  Deijli  Arcliialri  ponteflci.  —  rinibnsnlii,  Storia 
délia  letter.  UuL,  VU,  2"  partie.  —  Cuvier,  But,  des 
sciences  naturelles.  II.  —  Biogr.  méd. 

salvianus.  Yoy.  Salvien. 

salviati,  famille  noble  qui  a  figuré  avec 
honneur  dans  les  annales  de  Florence  depuis  le 
treizième  siècle.  Lorenzo  fut  au  nombre  des 
conseillers  qu'on  imposa  à  Alexandre,  duc 
d'Urbin,  lorsqu'il  fut  clu  en  1331  souverain  de 
la  république.  Après  lui  la  charge  de  gonfalo- 
nier  devint  en  quelque  sorte  héréditaire  parmi 
ses  descendants,  dont  quelques-uns  s'illustrèrent 
par  les  armes  ou  dans  l'Église.  Leurs  alliances 
avec  les  Médicis  les  rapprochèrent  des  mai- 
sons princières  de  l'Europe. 
Imhof,  General  ilittstr.  Italue  familiarum. 

salviati  (Jacopo),  capitaine  ,  mort  dans  la 
première  moitié  du  quinzième  siècle.  Il  lit  la 
guerre  avec  succès  contre  les  comtes  Guidi,  et 
reçut  en  1404  le  titre  de  chevalier.  On  a  de  lui 
une  relation  historique,  écrite  d'un  bon  style 
et  que  Manni  jugeait  bella  a  maraviglia  ;  elle  a 
été  d'abord  insérée  dans  le  t.  XVII  des  Uelizie 
dcgli  eruditi  loscani  (1770-89,  25  vol.  ),  puis 
impr.  à  part  (Cronaca  fiorentina ,  1398-1411; 
Florence,  1784,in-8°). 

Gamba,  Testi  di  lingua. 

salviati  (Francesco),  petit-fils  du  précé- 
dent, monta  en  1474  sur  le  siège  archiépiscopal 
de  Pise;  il  succédait  à  un  Médicis,  et  il  avait  été 
désigné  par  le  pape  Sixte  IV,  qui  baissait  cette 
famille.  C'était  un  homme  hardi,  sans  aucunes 
mœurs  et  rongé  d'ambitioa.  «  Quand  on  con- 
viendrait, fait  observer  Roscoë,  que  tout  ce  que 
Politien  dit  des  vices  et  du,  caractère  odieux  de 
ce  personnage  est  exagéré,  toujours  resterait-il 
démontré  qu'il  n'avait  aucune  des  vertus  qui  au- 
raient pu  le  rendre  digne  d'exercer  un  emploi 
aussi  respectable.  »  Lorsque  les  Pazzi  conspi- 
rèrent la  ruine  et  la  mort  des  Médicis ,  ce  fut 
l'archevêque  de  Pi6e  qui  servit  de  principal  agent 
à  leur  détestable  entreprise.  Pendant  qu'on  as- 
sassinait Julien,  il  chercha,  avec  une  trentaine 
de  complices ,  à  s'assurer  de  la  personne  des 
magistrats  ;  mais  il  manqua  de  résolution  ,  fut 
arrêté  par  legonfalonierPetiucci,etpendu  le  jour 
même  (26  avril  1478)  à  l'une  des  fenêtres  du  Palais 
vieux,  sans  qu'on  lui  eût  permis  de  quitter  ses 
habits  pontificaux.  Ses  derniers  moments  furent 
marqués,suivant  Politien  ,  par  un  étrange  exem- 
ple de  férocité;  comme  il  était  suspends  tout 
près  de  Francesco  Pazzi,  il  saisit  avec  ses 
dents  le  corps  nu  de  ce  misérable,  et  l'agonie 
même  de  la  mort  ne  put  lui  faire  lâcher  prise. 
—  Son  frère  Jacopo,  et  un  de  ses  cousins, qui 
portait  aussi  ce  nom,  partagèrent  l'infamie  de 
son  supplice. 

Roscoe,  fie  de  Laurent  de  Médicis,  I,  c.  t. 

salviati  (Jacopo),  chef  de  la  principale 
brandie  de  la  famille  Salviati  et  cousin  du  pré- 
cédent, né  vers  1460,  était  fils  de  Francesco  Sal- 
viati et  de  Magdalena  de'  Gondi.  En  14S6il  épousa 
Lucrezia  de'    Medici  ,   sœur  du  pape  Lcon  X 


223 


SALVIATI 


224 


et  grand'fante  de  Catherine  de  Médicis,  reine  de 
France;  son  caractère  élevé  et  ses  qualités  brillantes 
le  rendaient  digne  d'une  si  haute  faveur.  Après 
la  mort  de  son  beau-père  Laurent  (1492),  il  fut 
obligé  de  se  retirer  à  Rome,  où  il  fit  un  séjour 
de  plusieurs  années.  En  1514  il  fut  élu  gonfalo- 
nier  de  Florence.  Il  laissa  six  enfants,  entre 
autres  Giovanni  et  Bernardo  (  voy.  ci-après  ), 
cardinaux  l'un  et  l'autre,  et  Maria,  qui,  par  son 
union  avec  Jean  de  Médicis,  général  des  bandes 
noires,  devint  mère  du  duc  Cosme  le  Grand. 

Un  autre  de  ses  fils,  Alamanno,  continua  la 
postérité  et  fut  bisaïeul  de  Jacopo,  mort  en  1698, 
à  l'âge  de  soixante-dix  ans.  Ce  dernier  avait  été 
créé  en  1627  duc  de  Juliano  par  le  pape  Ur- 
bain VIII,  titre  qui  se  perpétua  dans  cette 
branche  jusqu'à  la  mort  à' Antonio- Maria,  ar- 
rivée en  1704  ;  il  avait  épousé  une  fille  d'un 
prince  de  Massa,  Veronica  Cibo,  dont  on  rap- 
porte un  trliit  d'énergie  peu  commune  :  elle  fit 
couper  la  tête  à  une  courtisane  entretenue  par 
son  mari  et  la  lui  envoya  dans  un  plat. 
Imhof,  Geneal.  illudr.  Italiœ  fumil. 

salviati  (Giovanni),  cardinal,  fils  du  précé- 
dent, né  le  24  mars  1490,  à  Florence,  mort  à  Ra- 
venne,  le  28  octobre  1553.  Il  était  protonotaire 
apostolique  lorsque  Léon  X,  son  oncle,  le  nomma, 
en  1517,  cardinal,  puis  administrateur  de  l'église 
deFermo,  d'où  il  passa,  en  1520,  à  l'évêché  de 
Ferrare.  Clément  VU,  son  cousin,  le  chargea  d'a- 
paiser des  troubles  à  Parme  et  à  Plaisance,  et  il 
l'envoya  en  1526  auprès  de  Charles  V  à  Madrid, 
pour  solliciter  de  ce  prince  la  délivrance  de  Fran- 
çois 1er  et  le  rappel  des  troupes  impériales  qui 
avaient  envahi  les  États  de  l'Église.  Salviati 
n'ayant  pas  réussi  à  empêcher  le  sac  de  Rome 
par  les  bandes  du  connétable  de  Bourbon,  il  vint 
implorer  le  secours  du  roi  de  France  en  faveur 
du  chef  de  l'Église  ;  par  son  entremise  fut  signé, 
le  2t>  mai  1527 ,  entre  Clément  VU,  François  1er  et 
Henri  VIII,  le traitédela Sain^  Z/igue,  etc'est lui 
qui  négocia  à  travers  mille  obstacles  la  paix  de 
Charles  V  avec  le  saint-siége(  1529).  Il  administra 
successivement  les  diocèses  de  Volterra  (1530), 
de  Santa-Severina  (1532),  de  Bitetto  (1532  à 
1539),  et  François  le<\  qui  l'avait  pourvu  dès 
1520  de  l'évêché  d'01eron,lui  donna  encore  celui 
de  Saint- Papoul  et  plusieurs  riches  abbayes. 
Paul  III  le  fit  en  1543  évêque  d'Albano  et  de 
Sabine,  et  en  1546  de  Porto.  A  la  mort  de  ce 
pape  (1549)  il  était  désigné  pour  occuper  lesié»e 
pontifical,  mais  Charles  V,  qui  connaissait  ses 
sympathies  pour  la  France,  s'opposa  à  ce  qu'il 
fût  élu.  Salviati  avait  le  goût  des  arts,  inhérent 
à  sa  famille  :  il  s'était  fait  bâtir  sur  les  dessins 
de  Bramante,  au  pied  du  Janicule,  un  palais 
splendide,  toujours  ouvert  aux  savants  et  aux  ar- 
tistes, qui,  comme  Fr.  de'  Bossi  (voy.  ci-après), 
trouvaient  en  lui  un   protecteur  généreux. 

S\lviati  (Bernardo),  cardinal,  frère  du 
précédent,  né  en  1492,  à  Florence,  mort  à  Borne, 
le  6  mai  1568.  D'abord  chevalier  de  Saint-Jean 


de  Jérusalem,  il  prit  part  à  diverses  expédi- 
tions contre  les  corsaires  barbaresques,  et  par- 
vint au  grade  de  général  des  galères;  il  lenta 
une  entreprise  sur  le  Péloponèse  lorsque  l'Ile 
de  Bhodes  fut  tombée  au  pouvoir  de  Soliman, 
ruina  Tripoli,  détruisit  les  forts  qui  bordaient  le 
canal  de  Fagiera,  assiégea  et  prit  Coton  et  Mo- 
don  en  Morée ,  ravagea  l'Ile  de  Scio,  d'où  il  ra- 
mena un  grand  nombre  d'esclaves,  et  son  nom 
devint  la  terreur  des  Ottomans  Député  à  Bar- 
celone auprès  de  Charles  V  avec  Philippe 
Strozzi  et  Laurent  Ridolfi,  il  plaida  en  vain 
pour  la  liberté  de  sa  patrie,  troublée  par  des 
révolutions.  S'étant  rendu  à  la  cour  de  France,  il 
suivit  le  conseil  de  sa  parente  Catherine  de  Mé- 
dicis, et  embrassa  la  carrière  ecclésiastique.  La 
reine  le  fit  son  premier  aumônier,  et  Salviati, 
sur  la  démission  de  son  frère  Jean,  devint  le 
7  juin  1549  évêque  de  Saint-Papoul.  A  la  prière 
de  Catherine  de  Médicis,  Pie  IV  le  nomma  en 
1561  cardinal  et  évêque  de  Clermont.  Il  gou- 
verna ce  diocèse  par  l'intermédiaire  de  Julien 
Salviati,  son  neveu,  qu'il  fit  son  vicaire  général, 
et  qui ,  en  son  nom ,  assista  au  colloque  de 
Poissy.  IL  F. 

Ciaconius,  Hist.  Pontificum  et  Cardinaliiim,  III.  — 
Ughelli.  Italia  sacra.  — Galliachristiana,,  Il  et  XIII.  — 
Giovio,  Eiogia.  —  Eloçij  degV  illustri  Toscani,  IV. 

salviati  (Anlonio-Maria) ,  cardinal,  ne- 
veu des  deux  précédents,  né  en  1507,  mort 
le  28  avril  1602,  à  Rome.  Il  fut  élevé  dans  les 
lettres,  et  acquit  à  fond  la  science  du  droit.  En 
1561  il  devint  évêque  de  Saint-Papoul,  en  Lan- 
guedoc, siège  déjà  occupé  par  ses  deux  oncles; 
mais,  en  revenant  du  concile  de  Trente,  il  s'en 
démit  entre  les  mains  de  Pie  IV  (1563),  qui  l'en- 
voya deux  fois  en  ambassade  à  la  cour  de  France. 
Grégoire  XIII  l'employa  aussi  avec  succès,  et  le 
revêtit  de  la  pourpre,  le  23  décembre  1583  Dans 
la  suite  il  devint  légat  à  Bologne .  puis  préfet  de 
l'une  et  l'autre  signature  On  lui  donna,  à  cause 
de  ses  vertus ,  le  surnom  de  grand  cardinal 
Salviati. 

Ughelli,  Italia  sacra.  —  Auberi,  Hist.  des  cardinaux. 
salviati  (  Alamanno) ,  cardinal ,  né  le  20 
avril  1668,  à  Florence,  mort  le  24  février  1733, 
à  Borne. Il  était  fils  de  Gian-Vincenzo  Salviati, 
marquis  de  Montieri.   Il    était  protonotaire  du 
saint-siége  lorsqu'il  fut  chargé  par   Clément  XI 
des   présents    destinés  au  duc    de    Bretagne, 
arrière   petit-fils  de  Louis  XIV,  qui  venait  de  ' 
naître  (1707).  Après  avoir  été   vice-légat  d'Avi-  i 
gnon  (1711).  il  devint  légat  d'Lrbino  (1717),  et  j 
conserva  cette  charge  jusqu'au  8  février  1730, 
où   il  fut  créé  cardinal.  A    la  fin  de  l'année,  il  I 
succéda  au  nouveau  pape,  Clément  XII ,  comme  | 
préfet  de  la  signature  de  justice.  Ce  prélat  a 
écrit  fépître  dédicatoire  adressée  au  grand-duc  \ 
Jean-Gaston  et  qui  est  à  la  tête  du  Vocabulario  I 
de  l'Académie  de  la  Crusca  (Florence,  1729-38,  j 
6  vol.  in-fol.  ),  dans  laquelle  il  siégeait  sous  le 
surnom  de  Vin/orme . 

Morérl,  Grand  Dict.  hist. 


225  SAL\ 

salviati  (Lionardo),  philologue,  de  la  fa- 
mille des  précédents,  né  en  1540,  à  Florence,  où 
il  est  mort,  en  septembre  1589.  Son  père,  Ro- 
berto,'ne  joignait  pas  à  l'avantage  d'une  nais- 
sance illustre  celui  de  la  fortune  ;  aussi  le  jeune 
Lionardo  fut-il  de  bonne  heure  destiné  à  la  car- 
rière des  lettres,  au  lieu  de  parcourir,  àl'exemple 
de  ses  nombreux  parents  ,  celle  des  magistra- 
tures de  sa  patrie.  Il  reçut  une  éducation  soi- 
guée,  et  eut  pour  maître  le  savant  Varchi,  dont 
il  devait  plus  tard  prononcer  en  public  l'éloge 
funèbre.  Ses  débuts  furent  précoces,  et  grâce  à 
l'une  des  manies  de  ce  temps ,  ils  eurent  même 
de  l'éclat  :  une  grande  facilité  d'élocution  lui 
avait  permis  de  prendre  rang  parmi  les  lettrés 
à  un  âge  où  on  étudie  encore;  dans  les  assem- 
blées de  l'académie  florentine  comme  dans  les 
cérémonies  publiques,  ce  fut  lui  qui  porta  le  plus 
souvent  la  parole  :  il  devint  l'orateur  à  la  mode, 
et  il  trouva  moyen,  à  ce  qu'on  raconte,  d'écrire 
cinq  discours  différents  sur  un  seul  sonnet  de 
Pétrarque  et  de  disserter  trois  jours  de  suite  sur 
les  vertus  et  les  mérites  d'un  fils  de  Cosme  1er, 
Garcia  de'Medici,  mort  à  quinze  ans  (1562). 
Admis  dans  une  petite  réunion  littéraire  formée 
par  Grazzini  et  quelques-uns  de  ses  amis,  il 
réussit  à  la  transformer  en  une  académie  (15S2), 
qui  devint  célèbre  sous  le  nom  de  la  Crusca;  il 
y  acquit  promptement  de  l'influence,  et  lui  fit 
malheureusement  partager  sa  haine  contre  le 
Tasse,  dont  il  méconnut  obstinément  le  génie, 
après  l'avoir,  dans  ses  lettres  privées,  accablé 
de  félicitations.  Ses  travaux  sur  Boccace  ne  con- 
tribuèrent pas  à  établir  sa  réputation  d'érudit  : 
il  s'y  donna  tant  de  licences  qu'on  les  regarde 
comme  une  tache  à  son  nom.  Pourtant  on  les 
reproduisit  trois  ou  quatre  fois,  et  sans  oser  en 
discuter  la  valeur,  par  ce  seul  motif,  suivant 
Apostolo  Zeno,  qu'il  avait  reçu  du  grand-duc 
François  1er  lui-même  mission  de  les  entre- 
prendre. La  critique  reprit  ses  droits,  et  fort  in- 
justement cette  fois,  lorsqu'il  publia  les  Avverti- 
menti,  ouvrage  qui  a  mérité  de  devenir  classique. 
La  passion  que  Salviati  avait  déployée  dans  sa 
querelle  avec  leTasse  lui  avait  valu  des  protecteurs 
à  la  cour  d'Alfonse  II,  duc  de  Ferrare,  et  parmi 
ceux-ci  GuarinietMontecatino,  ennemis  du  grand 
poêle.  A  cette  époque  il  était  pauvre,  chargé  de 
dettes,  et  venait  de  perdre  la  pension  que  lui 
avait  faite  le  duc  deSora.  Appelé  en  1587  à  Fer- 
rare,  il  saisit  toutes  les  occasions  d'augmenter 
son  crédit,  en  prononçant  l'éloge  funèbre  d'un 
bâtard  de  la  maison  d'Esté ,  et  en  exaltant  l'A- 
rioste  au  détriment  du  Tasse.  11  n'obtint  pas  du 
duc  les  avantages  qu'il  s'était  promis,  et  au  bout 
de  quelques  mois  il  revint  à  Florence  pauvre  et 
humilié.  Atteint  d'une  maladie  que  le  chagrin 
rendit  mortelle,  il  passa  les  derniers  temps  de  sa 
vie  dans  un  couvent  de  camaldules.  En  mettant 
de  côté  les  écrits  dictés  par  son  injuste  animosité 
contre  un  grand  homme,  on  pourrait  dire  que 
Salviati  n'avait  vécu  que  pour  la  langue  et  pour 
r;ouv.  biogr.  génér.  —  t.  xliii. 


IATI 


226 


l'éloquence  toscane.  Nous  citerons  de  lui  :  De1 
dialoghi  delV  amieizia  Ubro  primo  ;  Florence, 
1504,  in-8°,  et  à  la  suite  du  Giovane  istruilo 
de  Facciolati;  Padoue,  1740,  in-8°;  —  //  Gran- 
chio;  Florence,  1566,  in-8°  :  comédie  en  vers 
jouée  devant  les  académiciens  de  la  Crusca;  — 
Orazioni;  ibid.,  1575,  in-4°  :  on  y  remarque 
les  trois  sur  la  mort  de  Garcia  de'  Medici  (1562), 
celles  In  Iode  délia  fiorentina  favella  (1564), 
Délie  lodi  di  B.  Varchi  (1565),  Alla  coro- 
nazione  di  Cosimo  de'  Medici  (1570)  ,etc;  — 
Cinquelezioni  sopra  ilsonetto  delPelrarca: 
Poi  chevoi,  et  io  più  volteabbiam  provato;  ibid., 
1575,  in-4°;—  Avvertimenti  délia  lingua  so- 
pra'l  Decamerone;  Venise  et  Florence,  1584- 
86,  2  vol.  in-4°;  Naples,  1712,2  vol.  in-4°;  et 
dans  les  Autori  del  ben  parlare,  lre  part.;  Ve- 
nise, 1743,  19  vol.  pet.  in-4°;  le  meilleur  ou- 
vrage de  Salviati,  où  il  tire  du  Décameron  les 
principales  règles  de  l'art  d'écrire;  —  Il  Lasca, 
dialogo;  Florence,  1584,  in-4°,  sous  le  nom  de 
Rigogoli;  —  Orazione  délie  lodi  di  P.  Vet- 
lori;  ibid.,  1585,  in-4°;  —  DelV  lnfarinato 
Risposla  ail'  apologia  di  T.  Tasso;  ibid.,  1585, 
in-8°,  suivi  en  1588  d'une  seconde  Rispos ta  alla 
Replica  di  Cam.  Pellegrini;  le  surnom  de 
V lnfarinato  était  celui  que  Salviati  avait  choisi 
dans  l'académie  de  la  Crusca;  —  Considera- 
zioni  di  Carlo  Fioretti  ;  ibid.,  1586,  in-8°:  lors- 
qu'il attaqua  le  Tasse,  son  ancien  ami,  il  n'osa  pas 
le  faire  à  visage  découvert,  et  déguisa  la  violence 
et  l'injustice  de  ses  critiques  sous  les  noms  de  Ri- 
gogoli, de  V lnfarinato  et  de  Fioretti,  sans 
compter  les  écrits  où  il  engagea  l'autorité  de  l'a- 
cadémie naissante;  le  Tasse  répondit  avec  une 
modestie  qui  rendit  plus  odieux  l'emportement 
de  ses  adversaires  ;  — LaSpina;  Ferrare,  1 592, 
in-8°  :  comédie  en  prose,  réimpr.  avec  11  Gran- 
chio  en  1606,  in-8°.  Les  Œuvres  de  Salviati  ont 
été  réunies  pour  la  première  fois  dans  l'édit.  de 
Milan,  1809  1810,  5  vol.  in-8°,  laquelle  fait 
partie  des  classiques  italiens.  On  a  publié  de  lui 
quelques  poésies  inédites  dans  les  Tesli  di  lin- 
gua de  Poggiali,  t.  1er  (Livourne,  1813,  in-8°). 
En  outre  il  a  édité  la  Costanza ,  comédie  de 
Razzi  (Florence,  1565,  in-8°),  le  Décameron 
de  Boccace  (ibid.,  1582,  in-4°),  et  lo  Specchio  di 
penitenza,de  Passavanti(ibid.,  1585,  in-l2).P. 

P. -F.  Cambi,  Orazione  in  morte  di  L.  Salviati  ;  Flo- 
rence, 1590,  in-4°.  —  Notizie  deW  Accad.  florentina.  — 
Salvini,  Fasti  consolari.  —  Negrl,  Scrittori  ftorentini.— 
Blouidegli  uomini  illustri  Toscani.  —  Serassi,  Vita  di 
T.  Tasso.  —  Tiraboschi,  Storia  delta  letter.  ital.,  VII. 

salviati  (Francesco  Rosside'),  dit  Cecco 
ou  Cecchino  de'  Salviati ,  peintre ,  né  à  Flo- 
rence, en  1510,  mort  à  Rome,  en  1563.  Élève 
de  son  père,  Filippo  Rossi,  puis  de  Bugiardini, 
il  fut  par  ce  dernier  mis  en  rapport  avecVasari, 
devint  son  ami  intime,  et  fréquenta  avec  lui  les 
ateliers  de  Rafaello  da  Brescia,  du  sculpteur 
Baccio  Bandinelli,  et  d'Andréa  del  Sarto.  Il  s'é- 
tait déjà  fait  connaître  quand- il  fut  appelé  à 
Rome  par  le  cardinal  Giovanni  Salviati ,  qui  se 

8 


227  SALVIATI 

déclara  son  protecteur,  et  dont  par  reconnaissance 
il  prit  le  nom.  Vasari,  cédant  à  une  trop  par- 
tiale amitié,  le  proclame  «  le  plus  grand  peintre 
qui  existât  à  Rome  de  son  temps  ».  En  réalité, 
Salviati  montra  dans  la  fresque,  genre  qu'il  cul- 
tiva de  préférence,  une  richesse  d'invention ,  une 
science  et  une  pureté  de  dessin,  qui  ont  fait  de  lui 
un  peintre  distingué.  Salviati  se  créa  de  nom- 
breux ennemis  par  son  caractère  caustique, 
bizarre  et  tracassier  ;  il  ne  put  se  fixer  nulle 
part,  et  voyagea  sans  cesse  à  Rome,  à  Florence, 
en  Lombardie,  à  Venise  et  même  en  France,  où 
il  vint  en  1554.  Partout  il  a  laissé  des  traces  de 
son  passage.  A  Rome,  on  voit  de  lui  des  fresques 
à  la  Bibliothèque  du  Vatican,  à  la  Chancellerie, 
dans  les  palais  Salviati,  Farnèse,  Ricci,  Sac- 
chetti;  des  tableaux  nombreux,  tels  que  la  Des- 
cente de  croix  du  palais  Doria,  Adam  et  Eve 
du  palais  Colonna,  Saint  Jérôme  du  palais 
Spada,  le  Christ  mort  de  l'église  de!P  Anima, 
&  Y  Annonciation  de  S.  Francesco.  A  Fiorence, 
il  a  laissé,  outre  plusieurs  toiles,  dans  la  galerie 
publique  et  dans  les  églises,  la  meilleure  de  ses 
productions,  le  Triomphe  de  Camille,  qu'il 
peignit  pour  l'une  des  salles  du  Palais  vieux.  A 
Venise,  au  palais  Grimani,  il  peignit  cette  Psy- 
ché,  œuvre  correcte,  mais  que  Vasari  appelle 
avec  trop  d'emphase  la  plus  belle  qui  soit  à 
Venise.  Au  reste,  Salviati  ne  paraît  pas  avoir  été 
fort  goûté  dans  cette  ville.  Malheureusement 
pour  lui,  le  même  sort  l'attendait  en  France, 
où  il  travailla  pour  le  cardinal  de  Lorraine,  au 
château  de  Dampierre.  Indiquons  encore  de  ce 
maître  :  à  Bologne,  la  Madone  et  plusieurs 
saints  (à  Sainte-Christine);  à  la  pinacothèque 
de  Munich,  la  Vierge  avec  saint  Romuald  et 
d'autres  saints;  au  Musée  de  Turin,  la  Géo- 
métrie ;k  Berlin,  Psyché  et  V  Amour  ;  à  Vienne, 
la  Résurrection  ;k Madrid,  \m& Sainte  famille; 
au  Louvre,  V Incrédulité  de  saint  Thomas, 
une  Visitation,  et  une  Sainte,  famille. 

Salviati  eut  un  grand  nombre  d'éièves,dont  les 
plus  connus  sont  Francesco  del  Prato,  habile 
orfèvre,  Bernardo  Buontalenti,  l'Espagnol  Ro- 
viale,  Domenico  Romano,  Ahnibale  Bigio  et 
surtout  Giuseppe  Porta,  surnommé,  comme  son 
maître,  Salviati.  E.  B— n. 

Vasari,  Orlnndi,  Lami  ,  Tieozïi,  Pistolesi,  Fantozzi', 
Gualundi.—  Cataloguée  des  Musées.  -  Lavice,  Revoie  des 
musées  d'Italie. 

salvsatï  (Giuseppe).   Voij.  Poiîta. 

salvien  (Salvianus),  prêtre  de  Marseille., 
né  à  Cologne  ou  à  Trêves,  vers  390,  mort  vers 
484,  à  Marseille.  H  consacra  sa  jeunesse  à  l'é- 
tude des  sciences.  On  ignore  s'il  naquit  de  pa- 
rents chrétiens;  mais  il  avait  beaucoup  de  con- 
naissances en  matières  religieuses  quand  il  se 
maria,  encore  jeune,  avec,  Palladia,  fille  d'IIypa 
tins  et  de  Quieta,  l'un  et  l'autre  païens,  et  rési- 
dant à  Cologne.  Non-seulement  il  la  convainquit 
bientôt  de  ses  erreurs,  mais  après  la  naissance 
d'une  fille,  Auspiciôla,  il  lui  persuada  de  vivre 


-  SALVINI  22i 

ensemble  dans  la  plus   rigoureuse  continence 
Ayant,  par  suite  de  cette  résolution  ,  encouru  1; 
disgrâce  de  son  beau-père,  que  toutefois  il  réus 
sit  au  bout  de  sept  ans  à  apaiser,   et  même 
dit-on ,  à  convertir  au  christianisme,  il  se  retir; 
dans  le  midi  de  la  France.  Après  un  court  séjoui 
à  Vienne,  il  se  rendit  à  Lérins,  dans  le  monas 
tère  de  Saint-Honorat,  et  y  passa  six  ans,  dans  1; 
pratique  de  toutes  les  vertus  religieuses.  Il  y  ins 
truisit  Salonius  et  Veranus,  fils  de  saint  Eucher 
et  se  lia  d'une  étroite  amitié  avec  saint  Hiiair 
d'Arles.  Vers  428,  il  se  fixa  à  Marseille,  où  Ho 
norat  lui  conféra  le  sacerdoce.   Salvien  devin  i 
l'une  des  lumières   de  cette  église,  et,quoiqu  j 
simple  prêtre  (  car  il  ne  fut  jamais  évêque,  coin  m  j 
certains    auteurs  l'ont  prétendu),  on    le   sur 
nomma  le  Guide  des  évêques.  Les  prélats  se 
contemporains  le  consultaient  comme  un  excel 
lent  maître  en  théologie  chrétienne,  et  c'est  pou 
leur  usage  et  à  leur  demande  qu'il  composa  1 
plupart  de  ses  Homélies,  qu'on  peut   regarde 
comme  autant  d'instructions    pastorales.  Tell 
fut  sa  principale  occupation  dans  le  cours  d'uni 
vie  de  près   de  cent  années  et  que  Gennadiu 
prolonge  même  jusqu'à  cent  cinq  ans.  Des  nom  | 
breux  ouvrages  que  Salvien  avait  composés,  I 
reste  :  Adversus  avarïtiam  lib.  IV,  publié  sou  I 
le  nom  de  Timothée  dans  VAnlidolum  deJ.  Si: 
chard  (Bâle,  1528,   in-fol.),et  à  part  (Trêves  ' 
1609,  in-4°);  —  De-  Gubernatione  Dei  et  d\ 
juslo    Dei    prsesentique  judicio   lib.    VIlï\ 
composé  vers  455  et  publié  par  Frohenius  ;  Bàb 
1530,  in-fo!.;   trad.   en    français  (Lyon,    157fj 
in-8°;  Paris,  1634,  in-8°,et  1701,  in-12)  :  cetrail 
est  écrit  avec  plus  d'éloquence  que  de  méthode,  <  | 
Scaliger  n'était  que  juste  en  s'écriant  :  «  Le  béai 
livre  que  c'est  et  d'une  belle  simplicité!  »  Il  ri 
reste  plus  que  neuf  Lettres  de  Salvien,  adressée 
à  des  personnes  non  moins  distinguées  par  let 
mérite  que  par  l'éclat  de  leurs  dignités.  Il  avaj 
encore  composé  un  traité  De  l'Avantage  de  il 
virginité ,  un  Commentaire  de  l'Ecclésiasw 
un  poème  (Hexameron)  sur  la  Création,  enfj 
des  Homélies  dont  on  ne  connaît  pas  le  nombr  h 
Les  Œuvres  de  Salvien,  réunies  pour  ia  pn 
mière  fois  par  Brassicanus  (  Bâle,  1 53»,  in  fol.  H 
ont  donné  lieu  à  plusieurs  réimpressions,  notanl 
ment  à  celles  de  Rome,  156'i,  in-fol.,  de  Pari  h' 
1580,  in-8°,  d'Altdorf,  1611.  in-8°.  etc.;  mais    n 
plus  correcte  est  celle  de  Baluze  (  Paris ,    166  HJ 
1669,  1684,  in-8°).  11  existe  deux  versions   frai  M 
çaises   de  Salvien,  l'une  du  P.   Bonnet  (170   I 
2  vol.    in-12),  et  l'autre  du  P.  Mareuil  (173 |î 
in- 12).  H.  F 

Gennadius,    De  viris  illuslr.    —   f/ist.  littér.  de  H 
France,  t    11,  p.    517-S3S.    —  Mémoires  de    J'i/lemotM 
XVI,—  fie  de  ,\alï\cn,i\\n  lète  <le  la  irad.du  I'   MareulJ 
—  C.  Iloiisqurt,  yntu-r  tiist.  sur  .Salvien;  Marseille  18' 
in-4°.    —  Giraud,  Étude  sur   Salvien.  —  Ampère,    Hi.\ 
littér.  de  la  France. 

SAMrifti  (An ton io- Maria),  littérateur  it 
lien,  né  le  12  janvier  1653,  à  Florence,  où 
est  mort,  le  17  mai  1729.  Selon  le  vo?u  de  s 


2'J9 


S  AL  VIN  I 


230 


tarants,  il  étudia  le  droit  a  Pise,et  y  prit  le  di- 
)lome  de  docteur;  mais  à  son  retour  il  mani- 
festa pour  le  barreau  une  telle  répugnance 
ju'on  lui  permit  de  s'appliquer  aux  belles-lettres. 
^  l'âge  de  vingt-trois  ans  il  fut  pourvu  d'une 
•haire  de  grec  à  Florence  (1776).  Sa  longue  vie 
;'écoula  dès  lors  dans  la  retraite  et  dans  l'étude; 
latient  et  laborieux ,  il  amassa  de  nombreux 
Matériaux  sur  les  différentes  branches  de  la  lit— 
craturc  et  composa  une  quantité  d'ouvrages, 
lont  la  moitié  au  moins  ne  vit  le  jour  qu'après  sa 
nort.  La  pureté  de  ses  mœurs,  sa  modestie, 
on  obligeance  lui  avaient  gagné  l'estime  générale, 
t  le  cardinal  Noris  l'a  peint  au  vrai  en  écrivant  de 
ji  :  l'ir,quem  doctrinee excellentia ,et  moruin 
•itor,ac,quodrarumest,  in  multa  erudilione 
wdestia  ac  humanitas,  domi  forïsque  etiam 
(que  etiam  commendant.  Fabroni  n'a  pas  fait 
e  lui  un  moindre  éloge.  Ce  qu'on  a  critiqué  chez 
•alvini,  c'est  la  médiocrité  de  ses  vers,  le  vide 
tla  boursouflure  de  ses  discours; c'est  surtout 
i  faiblesse  de  ses  traductions,  qui  n'ont  de  poé- 
que  que  le  nom,  et  la  rudesse  de  son  style, 
ui  appliqué  à  l'interprétation  des  chefs-d'œuvre 
e  l'antiquité  donne  un  démenti  perpétuel  à 
harmonie  delà  langue  italienne.  Il  appartenait  à 
Académie  delaCrusca,  et  travailla  plus  qu'au- 
un  de  ses  confrères  à  la  perfection  du  diction- 
laire  de  cette  compagnie,  qui  l'autorisa  à  y  rap- 
îorter  des  exemples  tirés  de  ses  propres  écrits. 
)n  a  de  lui  :  Discorsi  accademia  sopra  alcuni 
lubbj  proposa  neW  Accademia  degli  Apa- 
isti;  Florence,  1695-1712-1733,  3  vol.  in-4°  : 
es  discours  sont  au  nombre  de  deux  cent  qua- 
ante-trois;  il  y  a  à  la  suite  quelques  trartuc- 
ions  du  grec;  le  tout  a  été  réimpr.  à  Naples, 
786,6  vol.  in-8°,  età  Bologne,  1821,  11  vol.  pet. 
n-8°;  —  Orazione  in  morte  di  B.  Averani; 
rlorence,  1709,  in-4°;  — Orazione  in  morte 
!i  A.  Magliabechi;  ibid.,  1715,  in-fol.  ;  — 
Oj-ose  toscane,  recitate  neW  Accademia  délia 
>usca;  ibid.,  1715-1735,  2  vol.  in-4°  :  ce  re- 
ueil  contient  dix  discours  et  quatre-vingt-dix- 
ept  lezioni;  —Prose  sacre;  ibid.,  1716,  in-4°; 
ie  édit.,  Milan,  1820,  in-16  :  on  y  trouve  vingt 
liscours  et  vingt  sermons;  le  style  de  cet  ou- 
•rageet  du  précédent  est  plus  châtié  et  plus 
^légant  que  celui  des  Discours  académiques  ; 
'-  une  Vie  de  Galilée,  à  la  tête  des  Œuvres 
le  ce  savant;  Florence,  17<8,  3  vol.  m-4°;  — 
Irazionein  morte  di  P.  A.  Forzoni;  ibid.,  1720, 
»4*J  —  Sonetti;  ibid.,  1728,  în-4°,  avec  por- 
rait;  —  Orazione  in  Iode  di  Cosimo  pater 
-intrix;  ibid.,  1814,in-8°;  —  Sonetti  inediti  ; 
h«d  ,  1823,  in-4°,  publiés  par  D.  Moreni.  On  a 
inssi  inséré  des  morceaux  inédits  de  cet  auteur 
lanslesPro.se  florentine  (Florence,  1716-45, 
7  vol.  in-8°)  et  dans  les  Opuscoli  inediti  degli 
roscani  (ibid.,  1808-1809,  3  vol.  in  8°).  —  Les 
raductions  deSalvini  sont  fort  nombreuses,  et 
outes  n'ont  pasété  livrées  au  public,  comme  celles 
le  Virgile,  de  l'Art  poétique  de  Boileau,elc; 


elles  ont  joui,  à  cause  de  la  réputation  de  l'au- 
teur, d'une  grande  vogue  dans  le  dernier  siècle, 
bien  qu'on  puisse  les  mettre  au  rang  des  belles 
infidèles;  deux  ou  trois  à  peine  ont  pu,  par 
suite  de  réimpressions  successives,  arriver  jus- 
qu'à nous.  Nous  les  citerons  dans  l'ordiv.  chro- 
nologique :  An acréon;  Florence,  1695,  in-12;  — 
CWon.tragédied'Addison;  ibid.,  1714, 17>5,in-4°; 

—  Théocrite;  ibid.,  1717,  in-12;  Arez/o.  1754, 
in-8°;  —  les  Amours ,  de  Xénophon  d'Éphèsej 
Londres,  1723, 1757,  in-12;  plus,  éditions,  entre 
autres  celle  de  Paris,  1800,  in-12,  revue  par 
Yisconti;—  Homère  (complet);  Florence,  1723, 

2  vol.  in-8°;    Padoue,  1742,  2   vol.  in-8°; 

Perse;  Florence,  1726,  in-4°;  —  Délia  salirica 
poesia  de'  Greci,  de  Casaubon,  avec  le  Cyclope 
d'Euripide;  ibid.,  1728,in-4°;  —  Oppien  ;  ibid., 
1728,  in-8°;  il  y  emploie,  d'après  l'idée  qu'en 
avait  déjà  eue  Trisslno,  l'accent  circonflexe  sur 
l'O  et  l'E,  afin  de  marquer  avec  plus  d'exactitude 

la  prononciation  de  ces  lettres   en   italien;  I 

Lamentazioni,  di  Geremia; ibid.,  1728,  in-4°; 

—  Diogène  Laerce  et  Epictèle,  dans  les  DiS' 
corsi,  t.  III;  —Hésiode,  Orphée  et  Proclus  ; 
Padoue,  1747,  1773,  in-12;  —  Callimaque; 
Florence,  1763,  in-8°;—  Nicandre; ibid.,  1764, 
in-8°;  —  7fenomeni,d'Aratus;ibid.,  1765,  in-8°; 

—  Il  Rattodi  Elena,  deColutbus;  ibid.,  1765, 
in-8°; — Eroe  Leandro,  de  Musée;  ibid.,  1765, 
gr.  in-8°  :  plusieurs  éditions;  —  La  Presa  di 
Troja,  de  Tryphiodore;  ibid.,  1765,  in-8°;  — 
Théognis ,  Phocijlide  et  les  Vers  dorés;  ibid., 
1766.  in-8°;  —  //  Podagroso  e  l'Ocipo,  de  Lu- 
cien, dans  les  1. 1  et  VII  des  Opuscoli  scientificï  ; 
ibid.,  1807  et  1808,  in-8°;  r-  Y  Idée  de  la  perfec- 
tion delà  peinture,  de  Fréart  de  Cbambray; 
ibid.,  1809,  in-8".  —  Enfin,  Salvini  a  enrichi  de 
notes  et  de  remarques  les  éditions  de  beaucoup 
d'auteurs  italiens,  tels  que  les  Proginnasmi 
poetici  de  Fioretti  (Florence,  1695-97,5  vol. 
in-4°),  la  Bella  mano  de  Conti  (1715,  in-12), 
la  Cronica  de  B.  Pitti  (1720,  in-4°),  le*  Opère 
burlesche  de  Berni  (Londres,  1721-24,2  vol. 
in-8o),  le  Commentaire  de  Boccace  sur  Dante 
(Naples,  1724,  2  vol.  in-8°),  les  Lettere  de  Ma- 
galotti  (Florence,  1736,  in-4°),  Giovanni  délia 
Casa,  GrazzinijBrunetto  Latini,  Lippi,  Menzini, 
Giovanni  Fiorentino,  Redi,  Buonmaltei,  Salvator 
Rosa,  etc. 

Laml,  Ulemnrabilia  Italorum,  I.  —fite  degli  Jrcadi 
illastri,  5e  partie.  —  Fabroni,  fitx  Italorum,  XV.  — 
Elogi  degli  illustri  Toscani,  IV.  —  Gamba,  Testi  di  lin- 
gua.  -  Peruzzi,  Orazione  in  morte  di  A  M.  Salvini,- 
Florence,ï73l,in-V\— Mozzi./cfrm;  Florence.  1731, in-4». 
SALYim  (Salvino  ),  littérateur,  frère  du  pré- 
cédent, né  en  1667,  à  Florence,  où  il  est  mort, 
le  29  novembre  1751.  Comme  son  frère,  il  étudia . 
à  Pise,  et  s'adonna  sous  sa  direction  aux  belles^ 
lettres  et  aux  antiquités  de  sa  patrie.  Ses  ta- 
lents lui  méri!èrent  un  canonicat  à  la  cathédrale 
de  Florence;  plusieurs  académies,  telles  que  la 
Crusca  etl'Arcadie,  s'empressèrent  de  l'appeler 
dans  leur  sein,  où  il  entretint  des  rapports  d'a- 

8. 


231  SALVINI  — 

mitié  avec  Zeno ,  Gori,  Queriai  et  Muratori .  On 
a  de  lui  :  Fasti  consolari  dell'  Accademia  fio- 
rentina;  Florence,  1717,  gr.  in-4»  :  ouvrage  fort 
estimé;  —  Orazione  in  morte  del  granduca 
Giov.-Gastone;  ibid.,  1738,  in-4°;  —Componi- 
men ti  poetici;  ibid.,  1750,  in-8°;  —  Calalogo 
dei  canonici  ftorenlini  :  impr.  après  sa  mort;  — 
des  noies  sur  quelques  anciens  auteurs  italiens; 
—  des  notices  littéraires  dans  le  Giornale  de' 
letterati  et  les  Notizie  degli  Arcadi.  Il  a  laissé 
quelques  ouvrages  manuscrits,  entre  autres  une 
Biographie  de  la  Toscane,  où  il  avait  fondu 
celle  de  Negri. 

Novel le  florentine.—  Gori,  préface  de  Demetrio  Fuie- 
reo.  —  Elogi  degli  illustri  Toscani.  —  Peruzzi,  dans  les 
Memorie  délia  Société  colombaria ,  t.  II.  —  Tipaldo, 
Biogr.  degli  illustri  Italiani,  Vil. 

sam  a  h  (Al  ben  Melik  el  Julani  ),  émir  d'Es- 
pagne, tué  le  11  mai  721,  à  la  bataille  de  Tou- 
louse. Il  s'était  distingué  dans  l'armée  qui ,  sous 
la  conduite  de  Tarik  et  de  Mouza,  fit  la  con- 
quête de  la  Péninsule,  et  il  commandait  l'armée 
de  la  frontière  lorsque  le  calife  Yezid  II  le 
nomma  émir  (720),  pour  remplacer  al  Hour,  dont 
l'avidité  et  les  exactions  avaient  soulevé  des 
plaintes  générales.  Le  nouvel  émir  s'appliqua  à 
réparer  les  maux  et  à  ramener  l'ordre  dans  l'ad- 
ministration ;  il  supprima  les  inégalités  qui  exis- 
taient dans  la  répartition  des  impôts,  en  exigeant 
partout  le  cinquième  du  revenu;  il  visita  les  di- 
verses provinces ,  embellit  Cordoue ,  et  envoya 
au  calife,  avec  une  description  des  villes  et  du 
territoire  de  l'Espagne,  un  tableau  détaillé  de 
ses  richesses  agricoles  et  industrielles.  Al  Sa- 
mah  se  proposa  ensuite  de  poursuivre  la  con- 
quête de  la  Gaule,  commencée  parai  Hour.  Après 
avoir  laissé  à  Ambesah  le  commandement  de 
l'Espagne ,  il  traversa  les  Pyrénées,  et  assiégea 
Toulouse,  qui  résista  assez  longtemps  pour  per- 
mettre à  Eudes,  duc  d'Aquitaine,  de  rassembler 
son  armée  et  de  s'avancer  sous  les  murs  de  la 
ville  (11  mai  721).  La  victoire  fut  longtemps  dis- 
putée ;  l'émir,  toujours  au  plus  fort  de  la  mêlée, 
animait  les  siens  par  son  exemple;  un  coup  de 
lance  le  renversa  de  dessus  son  cheval  et  lui 
donna  la  mort.  Ce  fut  le  signal  de  la  défaite  des 
Arabes,  qui  s'enfuirent  en  désordre.  Abd  el 
Rahman  sauva  les  débris  de  l'armée,  qu'il  ra- 
mena à  Narbonne. 

Rosscuw  Saint-Hilaire,  Hist.  d'Espagne.  —  Romey, 
Idem. 

samaxi  ( Abou- Ibrahim- Ismael  Al),  fonda- 
teur de  dynastie,  né  en  847,  mort  en  novembre 
907,  appartenait  à  ces  hordes  turques  qui  s'a- 
vancèrent-des  versants  de  l'Altaï  vers  l'Asie  mé- 
ridionale, et  d'abord  auxiliaires  du  califat  de 
Bagdad  en  préparèrent  ensuite  la  chute.  Samani 
fonda  la  grandeur  de  la  dynastie  samanide,  que 
l'on  faisait  remonter  à  Saman,  dont  le  fils  Açad  fut 
appelé  à  la  cour  du  calife  Al  Mamoun.  Les  quatre 
fiisd'Açad  obtinrent  en  819  des  gouvernements 
importants  dans  l'Asie  occidentale,  et  l'un  d'eux, 
Ahmed,  en  hérita  et  les  transmit  à  ses  fils.  L'aîné, 


SAMANIEGO 


23! 


Naser,  gouverna  Samarcande  et  s'empara  de  1; 
Transoxiane;  un  des  plus  jeunes,  Ismael,  don 
nous  nous  occupons,  lui  servit  de  lieutenant.  Soi 
frère,  qui  avait  conçu  des  soupçons  sur  sa  fidé> 
lité,  lui  fit  la  guerre  (888).  Vaincu  et  prisonnier,! 
fut  traité  par  Ismael  avec  les  plus  grands  égards 
et  reconduit  à  Samarcande.  Lorsque  Naser  mou 
rut  (892),  Ismael,  qui  déjà  jouissait  d'un  grani 
crédit  parmi  les  Turcs,  recueillit  son  héritage,  e 
gouverna   la  Transoxiane  en   souverain   réelle 
men-t  indépendant.  Plusieurs  victoires  éclatante 
avaient  consacré  son  autorité,  lorsque  le  califi 
Mothaded  réclama  ses  secours  contre  Amrou,  l'u 
surpateur  soffaride.  Il  l'attaqua  avec  des  force 
bien  inférieures ,  le  mit  en  déroute  (900),  (  , 
réunit  le  Korassan  et  le  Tabaristan  à  ses  États  I 
Le  calife,  en  le  confirmant  dans  ses  conquêtes  I 
lui  donna  le  titre  de  padichah  et  lui  envoya d  V 
magnifiques  présents;  le  Samanide  reçut  ave  1 
les  marques  du  plus  profond  respect  les  insigw  h 
de  l'investiture,  et  donna  au  courrier  qui  les  li  I 
avait  apportés  une  somme  équivalent  à  62, 5C  !.! 
francs.  Les  dernières  années  de  la  vie  d'Isma^  a 
furent  presque    exclusivement  consacrées  au  I 
soins  du  gouvernement;  il  apporta  une  sollic  I 
tude  extrême  à  faire  observer  la  justice,  à  ri 
primer  les  abus  d'autorité  de  ses  officiers  etlij 
violences  de   ses  soldats  ;   son   souvenir  res  j 
longtemps  entouré  d'un  pieux  respect.  La  pa 
de  la  fin  de  son   règne  fut  troublée  par  dei 
expéditions  :  la  première  contre  un  usurpate 
qui  s'était  révolté  contre  le  calife,    la  secon 
contre  le  Turkeslan,  qu'il  soumit  en  partie.  To 
les  historiens  s'accordent  à  représenter  ce  prin , 
comme  un  modèle  de  bravoure,  de  générosité  I 
de  justice;  la  plupart  de  ses  successeurs ,  s  j 
fils  excepté,  se  firent  gloire  de   marcher  si 
ses  traces.  La  dynastie  des  Samanides  dura  il 
siècle  entier,  et  s'éteignit  avec  Monthasser. 

Klaproth,  Tableaux  hist.  de  l'Asie.  —  Univers  pitt 

samaniego  (Felix-Maria  de),  poëte  esri 
gnol,  né  en  1745,  à  Bilbao,  mort  en  1801,  à  Mj 
drid.  C'était  un  gentilhomme  riche  et  de  boni 
naissance,    seigneur  des  villages    delà  vall 
d'Arraya ,  et  qui  partagea  son  temps  entre  1  fc 
tude  et  l'encouragement  de  l'instruction  poffe 
laire.  Il  fut  l'un  des  fondateurs  et  des  memb 
les  plus  actifs  de  ces  sociétés  patriotiques  fij 
niées  sous  le  règne  de  Charles  III,  et  qui  ex|i 
cèrent  une  si  remarquable  influence  sur  les  pij; 
grès  des  lettres  en  Espagne.  La  Société  de  ! 
Biscaye,  fondée  en  1765,  se  consacra  à  l'édu 
tion  des  classes  pauvres,  et  ce  fut  pour  aide 
cette  noble  entreprise  que  Samaniego  se  mit: 
composer  un  recueil  de  fables  à  l'usage  des  i  i 
fants  élevés  par  les  soins  de  la  Société.  Il  le  II 
paraître  en  1781  et  1784,  à  Bilbao,  et  réunit  fl 
deux  parties  dans  l'édition  de  Madrid  :  Fabu\ 
en  verse  castillano ;  1787,  2  vol.  in-8°.ll  c<J!; 
nutYriarte,  et  le  choisit  pour  modèle;  s'il  s   ' 
style  moins  châtié  que  le  sien  et  s'il  est  mol 
original,  il  a  plus  de  génie  poétique,  plus  ■ 


!33 


SAMANIEGO  — 


lalurel  et  de  facilité,  et  pa>-  ces  dernières  quali- 
és  il  a  le  droit  d'être  rapproché  de  La  Fontaine. 
ies  fables  de  ce  poète  sont  au  nombre  de  157; 
i  plupart  sont  imitées  des  anciens,  des  Orien- 
aux ,  et  suitout  de  La  Fontaine  et  de  Gay.  Sa- 
inaniego  faisait  partie  de  l'académie  de  Madrid. 

Navarretc,  Notice,    dans  la  Coleccion   de  Quintana, 
.  IV.  —  Tlcknor,  Hist.  ofspanish  titer.,t.  III. 

sami'.hvçaï.  Voy.  Beaone. 
sambucus  (Jean),  savant  hongrois,  né  à 
yrnau,  le  25  juin  1531,  mort  le  13  juin  1584,  à 
'ienne.  Après  avoir  fréquenté  les  universités 
'Allemagne  et  de  France,  où  il  se  lia  avec 
ambin  et  Turnèbe,  il  se  fit  recevoir  en  1555  li- 
encié  en  médecine  à  Padoue.  Il  visita  aussi  le 
2ste  de  l'Italie,  et  fit  la  connaissance  des  prin- 
ipaux  érudits  de  ce  pays.  Il  recueillit  dans  ses 
oyages,  qui  durèrent  vingt-deux  ans,  un  grand 
ombre  de  manuscrits  d'anciens  auteurs,  des 
îédailles  et  autres  objets  d'antiquité.  Il  retourna 
asuite  parles  Pays-Bas  en  Autriche;  l'empe- 
;ur  Maximilien  II,  appréciant  son  savoir,  aussi 
arié  qu'étendu,  le  nomma  historiographe  de  la 
îaison  de  Habsbourg,  emploi  qu'il  occupa  aussi 
jus  Rodolphe  II,  qui  professait  également  pour 
îi  une  haute  estime.  On  a  de  lui  :  Epistolarum 
onscribendarum  methodus;  Bâle,  1552, 
i-8°  ;  —  Imperatorum  aliquot  romanorum 
Use;  Strasbourg,  1552;  —  Appendix  a  rege 
iatthïa  usque  ad  Ferdinandum  1,  ouvrage 
xact  et  d'un  style  élégant,  placé  à  la  suite  de 
Epitome  rerum  hungaricarum  de  P.  Ran- 
eau;  Vienne,  1558,  in- fol  ;  —  De  imitationc 
•■  Cicérone  peienda;  Paris,  1561,  et  Anvers, 
563,  in-8°;  —  Ars  poetica  Horatii  et  in  eam 
laraphrasis;  An\ers,,lSùi,m-8'1;  —  Emblemata 
ioetica  ;  Anvers  ,  1564,  1566,  in-8°,  et  1569, 
576,  1584,  in-16,  fig.;  ce  livre,  à  la  suite  du- 
[uel  se  trouve  la  description  des  médailles  les 
lus  curieuses  du  cabinet  de  l'auteur,  a  été  tra- 
uit  en  vers  français,  Anvers,  1567,  in-16;  — 
"abula  geographicà  Hun gariee  ;  Vienne,  1566, 
î-fol.  ;  —  Arcus  triumphales  aliquot  in 
\onorem  Jani  Austrise;  Anvers,  1572,  in-fol.; 
-  Icônes  veterum  aliquot  et  recentium  me- 
'icorum  philosophorumque  cum  eorum  elo- 
iis;  Anvers,  1574,  1603,  in-fol.;  Amst.,  1612, 
613,  in-fol.,  avec  67  portraits;  —  Apoleles- 
nata;  Francfort,  1577,  in-80;—  Carmina  ethi- 
a;  Padoue,  in-8°.  Comme  éditeur  Sambucus, 
ui,  selon  de  Thou,  n'a  pas  fait  moins  avec  des 
moyens  bornés  pour  la  mise  au  jour  des  au- 
eurs  anciens  que  les  hommes  qui  ont  le  mieux 
faérité  des  belles-lettres,  a  publié  :  Plante  (An- 
gers, 1566,  in-16),  Végèce,  De  arte  veteri- 
naria  (Bâle,  1574,  in  4°),  Petronii  Fragmenta 
y.ucta  (Anvers,  1565,  in-8°),  Diogène  de 
\<aerce;  Ennape,  \itx  sophistarum ;  Aristé- 
Pète,  Epistolx  amatoriœ  ;  Hesychius,  Pinax; 
lephestion,  Enchiridium  ;  des  Lettres  iné- 
dites, au  nombre  de  plus  de  huit  cents,  écrites 
lar  les  principaux  Pères  grecs;  d'autres,  par 


SAMMICHELI  231 

Bessarion  et  Clirysoloras;  Apollonius  Dyscole, 
Syntaxis_;  Bonfinius,  Htingariee  hisloria; 
(  Francfort,  1581,  in-fol.)  :  excellente  édition,  aug- 
mentée et  continuée,  etc.  Nous  devons  encore 
à  Sambucus  les  traductions  en  latin  de  plusieurs 
écrits  grecs;  ses  corrections  de  manuscrits,  de 
médailles  et  de  livres  furent  placées  à  la  biblio- 
thèque de  Vienne. 

Horanyi,  Mémorise  Hungarorum.  —  Czeiltlnger,  Hun- 
garia  literata.  —  Saxe,  '.Onomasticon,  t.  111,  p.  »18.  — 
Teissier,  Éloges,  t.  Il,  p.  94. 

SAMMICHELI  OU  SAN-MICHELI  (Michel), 

architecte  et  ingénieur,  né  en  1484,  à  Vérone, 
où  il  est  mort,  en  1549.  Il  fut  d'abord  élève  de 
son  père,  Giovanni,  et  de  son  oncle,  Barlolommeo 
Sammicheli,  tous  deux  architectes  de  talent.  A 
seize  ans,  il  alla  étudier  à  Rome  les  chefs- 
d'œuvre  de  l'antiquité.  Sa  première  construction 
fut  la  cathédrale  de  Montefiascone,  et  il  prit  part 
aux  travaux  de  la  cathédrale  d'Orvieto.  Clé- 
ment VII  l'envoya,  avec  Antonio  San-Gallo,  dans  la 
haute  Italie  pour  mettre  les  villes  de  Parme  et  de 
Plaisance  à  l'abri  d'un  coup  de  main.  En  1527  il 
retourna  dans  sa  patrie,  dont  il  était  éloigné  de- 
puis vingt-cinq  ans.  Ayant  pris  goût  à  l'architec- 
ture militaire,  il  entreprit  pour  son  instruction  la 
visite  des  places  fortes  de  l'État  vénitien  :  sa 
curiosité  éveilla  les  soupçons  du  gouvernement, 
qui  le  fit  arrêter  comme  espion  à  Padoue.  Bien- 
tôt il  entra  comme  ingénieur  militaire  au  ser- 
vice de  la  république.  Milizia  réclame  pour  lui 
l'honneur  d'avoir  inventé  la  nouvelle  architec- 
ture militaire.  «  Avant  lui ,  dit-il ,  tous  les  bas- 
tions étaient  ronds  ou  carrés;  il  fut  le  premier  à 
changer  le  système  et  à  introduire  une  nou- 
velle méthode,  en  inventant  le  bastion  triangu- 
laire ou  plutôt  pentagonal,  avec  des  fac-es  planes 
et  des  chambres  basses  qui  doublent  les  dé- 
fenses et  non-seulement  flanquent  la  courtine, 
mais  toute  la  face  du  rempart  voisin,  et  balayent 
le  fossé ,  le  chemin  couvert  et  le  glacis.  Le  se- 
cret de  cet  art  consistait  à  trouver  le  moyen  que 
tous  les  points  de  l'enceinte  fussent  défendus  de 
flanc,  tandis  qu'en  faisant  le  bastion  rond  ou 
carré,  le  front  de  celui-ci,  c'est-à-dire  l'espace 
qui  restait  dans  le  triangle  formé  par  les  tirs 
latéraux,  demeurait  sans  défense.  C'est  là  jus- 
tement ce  qu'inventa  Sammicheli,  et  dans  la 
suite  Vauban  et  tant  d'autres  étrangers  n'ont 
fait  que  modifier  longtemps  après  la  décou- 
verte de  notre  architecte.  »  C'est  dans  cette 
nouvelle  forme  qu'en  1517  Sammicheli  cons- 
truisit à  Vérone  le  bastion  délia  Maddalena 
et  quatre  autres,  qui  ont  été  ruinés  en  1801,  et 
qu'il  fortifia  ensuite  Legnago,  Orzi  Nuovo,  Cas- 
tello,  et  dans  le  Levant  Corfou,  Famagouste,  La 
Canée,  Napoli  de  Romanie.  De  retour  en  Italie, 
il  construisit  deux  bastions  à  Padoue,  fortifia 
Brescia,  Peschiera  et  Chiusa,  et  commença  vers 
1545  le  plus  merveilleux  de  ses  ouvrages,  le 
fort  de  Saint-André  du  Lido,  qui  défend  l'entrée 
du  port  de  Venise.  Circonscrivant  l'espace  que 


235  SAMMICHFXI  - 

devait  occuper  le  fort  avec  une  double  rangée  de 
pilotis  remplis  de  terre,  il  fit  creuser  le  sol  et, 
luttant  sans  cesse  contre  l'envahissement  des 
eaux,  établit  les  fondations  à  l'aide  d'énormes 
assises  de  pierres  superposées  (t).Sammicheli 
accomplit  une  autre  révolution  dans  l'architec- 
ture militaire;  le  premier  il  chercha  à  réunir 
l'élégance  à  la  force,  heureuse  alliance  que  nous 
trouvons  au  plus  haut  degré  dans  les  portes 
qu'il  éleva  à  Vérone.  Depuis  longtemps  les  tra- 
vaux de  Sammicheli  avaient  répandu  au  loin  sa 
renommée.  Le  duc  de  Milan,  Francesco  Sforza, 
avait  obtenu  avec  peine  trois  mois  de  son  temps; 
moins  heureux,  François  1er  et  Charles  V  ne 
réussirent  pas  à  le  détacher  un  seul  instant  du 
service  de  sa  patrie. 

Sammicheli  s'adonna  avec  un  égal  succès  à 
l'architecture  civile  et  religieuse.  \  Castelfranco 
nous  trouvons  le  célèbre  palais  Soranzo,  les  pa- 
lais Cornaro  à  Piombino  et  à  Venise;  dans  cette 
dernière  ville,  le  mausolée  du  jurisconsulte 
G'.-B.  Ferretti  à  Saint-Etienne  ,  les  palais  Braga- 
dinoet  Corner-Mocenigo,  et  le  palais  Grimani 
(aujourd'hui  occupé  par  la  poste  aux  lettres), 
chef-d'œuvre  d'élégance,  de  richesse  et  de  dis- 
tribution. A  Saint- Antoine  de  Padoue,  il  dessina 
le  magnifique  mausolée  de  Contariui;  enfin,  il 
embellit  Vérone  d'une  foule  d'édifices  sacrés  et 
profanes,  parmi  lesquels  il  suffira  de  citer  la 
chapelle  des  Pellegrini  à  Saint-Bernardin,  là 
façade  incomplète  de  Santa-Maria  in  Organo , 
l'église  suburbaine  de  la  Madonna  di  Campagna, 
la  chapelle  de  la  villa  des  comtes  de  la  ïorre, 
les  palais  Maffei ,  Pompei,  Canossa,  Bevilacqua  , 
Manuelli,  Guaslaverza,  Uberti,  Pellegrini,  etc., 
qui  pour  la  plupart  ont  été  publiés  par  Maffei 
dans  sa  Verona  illustrata,  et  le  Ponte  nuovo, 
qu'il  jeta  sur  l'Adigc,  en  1539. 

Dans  tous  ces  travaux  Sammicheli  avait  été 
puissamment  aidé  par  son  cousin  Matteo  Sam- 
ibiciuxj,  et  surtout  par  son  neveu  Gian-Giro- 
lamu,  artiste  d'un  grand  talent.  «  Nui  alors,  dit 
Quatremère,  ne  lui  était  comparable  dans  l'art 
de  lever  les  terrains,  de  dresser  les  plans  et 
de  faire  les  modèles  en  relief.  »  Il  mourut  à 
quarante-cinq  ans,  dans  l'île  de  Chypre.  Cette 
perte  fut  tellement  sensible  à  Micheli ,  qu'elle 
contribua  sans  aucun  doute  à  accélérer  sa  fin; 
il  survécut  peu  de  jours  à  sou  neveu,  et  fut 
inhumé  à  Vérone,  dans  l'église  de  Saint-Tho- 
mas de  Cantorbéry ,  qui  avait  été  commencée  sur 
ses  dessins.  Ce  grand  homme  joignait  à  son  ta- 
lent d'artiste  les  plus  hautes  qualités  morales;  il 
était  pieux,  bienfaisant,  courtois  et  en  toutes 
choses  d'une  conduite  exemplaire.  Les  artistes 
lui  rendaient  pleine  justice,  et  Michel-Ange  lui- 

(I)  On  raconle  que  des  envieux  ayant  prétendu  que  le 
fort  ne  pourrait  résister  à  l'ébranlement  causé  par  les 
explosions  de  l'artillerie,  Sammicheli  leur  répondit  en 
priant  le  sénat  d'y  faire  transporter  Immédiatement  les 
pins  grosses  pièces  de  l'arsenal  en  aussi  grand  nombre 
que  possible ,  de  les  faire  charger  outre  mesure  et  de 
raetlre  le  feu  à  toutes  en  même  temps. 


SAMMONICUS  23C 

même  professait  pour  lui  la  plus  sincère  admira-  il 
tion  (1).  E.  Breton. 

Vasari,  Vile.  —  Milizia,  l'île,  degl'  architetti  —  Ti 
cozzi,  Dilionario.  —  Pennassuti,  Guida  di  Verona.  -  Il 
Maffei,  Verona  illustrata.  —  Quadri,  Otto  giorni  ii  I 
Venezia.  -  Cicognara,  Stnr'xa  délia  scvltvra  —  Qua  II 
tremère  de  Quincy,  Diction,  d'architecture.  —  Gailha  il 
baud,  Monuments  anciens  et  modernes.  —  A.  Selva  I 
Elogiodi  M.  Sammicheli;  Rome,  1SH,  in-S°. 

sammonicus  (Qaintus  Serenus),  mor  I 
en  212,  à  Borne.  Ses  vastes  connaissances  lui 
avaient  acquis  une  réputation  considérable;  il 
vivait  avec  les  plus  hauts  personnages  sur  1  I 
pied  de  l'intimité ,  el  il  doit  avoir  possédé  d  I 
grandes  richesses,  puisqu'au  rapport  de  Capito  il 
lin  la  bibliothèque  qu'il  avait  formée  ne  réunis  I 
sait  pas  moins  de  soixante-deux  mille  volumes  I 
Il  avait  été  l'un  des  familiers  de  Geta;  aussi,  I 
peine  élu  empereur,  Caracalla  le  fit-il  massacrei  I 
dans  un  festin  où  il  l'avait  invité.  On  ne  conna!  I 
pas  autre  chose  de  sa  vie.  Était-il  orateur  o  il 
poète,  ou  l'un  et  l'autre  ensemble?  On  Pignon  I 
Sidoine  Apollinaire  vante  ses  connaissances  dan  M 
les  mathématiques,  et  le  loue  de  s'être  appliqul 
à  des  recherches  sur  les  mœurs  et  coutume  II 
tombées  en  désuétude;  Macrobe,  en  nou  I 
transmettant  deux  fragments  de  ce  personnage! 
le  qualifie  de  vir  sxculo  suo  doctus.  D'aprê! 
Lampride,  ses  œuvres  auraient  été  du  nombil 
de  celles  qu'Alexandre  Sévère  avait  choisal 
pour  ses  lectures  particulières.  Pour  augmente! 
la  confusion,  les  écrivains  de  l'antiquité  foi! 
aussi  mention  d'un  autre  Sammonicus,  portau! 
les  mêmes  prénoms,  et  qui  est  regardé  pour  il 
fils  du  premier;  il  fut  le  précepteur  de  Gordiei! 
le  jeune,  et  lui  légua  la  magnifique  bibliothèqi  II 
qu'il  tenait  par  héritage  de  son  père.  On  a  soi! 
le  titre  de  Q.  Sereni  Sammonici  De  medicinm 
prsecepta  saluberrima,  un  poème  de  11 15  vei! 
hexamètres.divisé  en  65  chapitres  et  que  l'on  s'ai|| 
corde  généralement  à  attribuer  à  Sammonici  I 
l'ancien;  il  renferme  une  foule  de  précepte»! 
empruntés  à  Pline  et  à  Dioscoride  ,  sur  Thistoi  I 
naturelle  et  l'art  de  guérir,  et  confondus  avi  I 
des  fables  et  des  superstitions  puériles,  telles  qi! 
la  vertu  des  amulettes,  le  tout  exprimé  dansi! 
langage  trivialet  prosaïque.  Le  texte  en  esttr&fl 
corrompu,  et  la  fin  tout  à  fait  tronquée.  Lésée! 
tions  de  ce  poème  se  sont  beaucoup  multipliée! [I 
nous  citerons  la  première,  impr.  avec  Avienus! 
Germanicus  et  Aratus  (Venise,  1488,  in-4°  N 
puis  celles  de  Caesariu's  (Haguenau,  1528,  in- 8°  I 
de  Du  Moulin  (Lyon  ,  1542,  in-8°),  de  Keuchfjl 
(Amst.,  1662,  in-12),  de  Burmann  dans  s  II 
Poetœ  latini  minores  (1731,  t.  II),  et  d'AckaH 
mann  (Leipzig,  1786,  in-8°).  Une  traductùM 


(1)  Les  dessins  des  édifices  construits  sous  sa  directi. 
ont  été  recueillis  dan.i  plusieurs  ouvrages,  tels  que 
cinque  orditii  dell  architettura  civile  di  Sammiche 
par  A.  Pompei  |  Virone,  1735,  in-fol.).  Le  Fabriclie  i 
vili,  ecclesiastiche  e  militari  di  Sammicheli  \  ibi 
182H-80,  in-fol.,  et  Venise,  1836.  in-fnl.);  et  Cnpella  del 
famiglla  Pellegrini  (ibid.,  1316,  gr.  in-fol),  clief-dœu\ 
d'architecture  qui  se  trouve  à  Vérone  dans  l'église 
Saint  Bernardin. 


237  SAMMONICUS 

française  de  Sammonicus  figure  dans  la  Bibl.  lat.- 
fr.  de  Panckoucke.  Bœhmer  s'est  efforcé  de  prou- 
ver, dans  les  quatre  dissertations  qu'il  a  publiées 
de  1798  à  1800  à  Wittemberg,  qu'on  devait  en- 
core le  considérer  comme  l'auteur  d'un  autre 
poëme  De  lingendis  capillis. 

CaplKilln,  Cord.,  18.  —  Spartien,  Carae.  4,  Geta,  S.  — 
Rcuss,  l.evtiones  Sammonirœ;  Wurzbourg,  1837,  inri". 

sampietro.  Voy.  ÛRN4NO. 

samson  (i),  juge  et  libérateur  d'Israël,  né  à 
Saraa  ou  Tzora,  1105  av.  J.-C,  mort  en  1117,  à 
Gaza.  Il  était  (ils  de  Manué,  de  la  tribu  de  Dan, 
et  d'une  mère  jusqu'alors  stérile.  Il  fut  élevé  en 
nazaréen,  c'est-à-dire  consacré  à  Dieu  ;  on  laissa 
croître  sa  cbevelure,  et  il  ne  but  ni  vin  ni  autre 
liqueur  lermentée.  L'esprit  de  Dieu  se  manifesta 
en  lui,  selon  la  Bible,  par  la  force  extraordinaire 
dont  il  fut  doué.  A  dix-huit  ans,  il  descendit  à 
Thamatba  pour  prendre  sa  femme  parmi  les 
Philistins  ;  il  rencontra  un  lionceau  qui  s'élança 
sur  lui,  et,  quoique  sans  armes,  il  ledéchiracomme 
un  simple  chevreau  ;  en  repassant  auprès  de  l'a- 
nimal mort,  il  trouva  dans  sa  gueule  un  essaim 
d'abeilles  et  un  rayon  de  miel,  dont  il  fit  manger 
à  ses  parents.  Pendant  les  fêtes  du  mariage,  il 
proposa  une  énigme  aux  Philistins;  sa  femme, 
à  force  d'importunités,  en  obtint  de  lui  l'expli- 
cation et  la  livra  à  ses  compatriotes.  Samson, 
furieux,  descendit  à  Ascalon,  y  tua  trente  Phi- 
listins, et  se  retira  chez  son  père  :  sa  femme  fut 
donnée  à  l'un  des  invités  de  la  noce.  Pour  ven- 
ger cette  injure,  il  prit  trois  cents  renards,  les  at- 
tacha par  la  queue  et  les  lâcha ,  chargés  de 
torches  enflammées,  à  travers  les  blés  des  Phi- 
listins :  l'incendie  qui  en  résulta  se  communi- 
qua même  aux  vignes  et  aux  oliviers.  Les  Phi- 
listins brûlèrent  la  femme  et  le  beau-père  de  Sam- 
son, puis,  au  nombre  de  trois  mille,  vinrent  de- 
mander qu'il  leur  fût  livré.  Les  gens  de  sa  tribu, 
l'ayant  surpris,  le  garrottèrent  avec  de  grosses 
cordes;  mais  il  rompit  ses  liens,  et  à  l'aide  d'une 
mâchoire  d'âne  il  tua  plus  de  mille  ennemis.  Après 
ce  merveilleux  exploit,  une  des  dents  de  la  mâ- 
choire devint  une  source  d'eau  vive,  qui  le  désal- 
téra et  rétablit  ses  forces.  A  dater  de  cette 
époque,  Samson  fut  revêtu  de  la  judicature  sur 
Israël ,  et  l'exerça  pendant  vingt  ans.  Les  Phi- 
listins apprirent  un  jour  qu'il  se  trouvait  à  Gaza 
chez  une  courtisane  ;  ils  s'empressèrent  de  cerner 
la  ville  et  d'en  fermer  les  portes.  Au  milieu  de  la 
nuit,  Samson  arracha  les  portes,  et  les  porta  sur 
le  haut  de  la  montagne  qui  regarde  Hebron.  Une 
femme  idolâtre,  Dalila,  profita  de  l'amour  qu'il 
avait  pour  elle  pour  lui  arracher  le  secret  de  sa 
force  :  elle  lui  fit  couper  les  cheveux  pendant  son 
sommeil,  et  le  livra  aux  Philistins,  qui,  après  lui 
avoir  crevé  les  yeux,  le  condamnèrent  à  tourner 
la  meule  d'un  moulin.  Ses  cheveux  crûrent  de 
nouveau,  et  avec  eux.  revint  sa  force.  Trois 
mille  Philistins  réunis  dans  le  temple  du  dieu 
Dagon  l'ayant  fait  venir  pour  se  moquer  de  lui, 

(1)  En  hébreu  Soleil  de  loi. 


—  SAMSON 


238 


Samson  saisit  deux  des  plus  fortes  colonnes,  et 
fit  crouler  l'édifice  sur  lui-même  et  sur  tous  ses 
ennemis. 

Livre  des  Juges,  cli.  13,  14,  18  et  16.  —  Calnict,  ÏMc t. 
de  la  Bible. 

*  samson  {Joseph- Isidore),  artiste  drama- 
tique français,  né  le  2  juillet  1"93,  à  Saint-Denis 
(Seine).  Ses  parents  tenaient  un  café  dans  celte 
ville.  On  ne  sut  trop  d'abord  ce  que  deviendrait 
le  jeune  Samson;  une  piété  ardente,  exaltée 
sembla  quelque  temps  le  destinera  l'Église  ;  mais, 
mis  en  pension  à  Belleville,  il  changea  tout  à 
coup,  et  les  idées  voltairiennes  prirent  la  place 
des  sentiments  religieux.  Mais  bientôt  les  mau- 
vaises affaires  de  ses  parents  vinrent  interrompre 
ses  études,  qui  promettaient  d'être  brillantes  : 
obligé  de  gagner  son  pain,  il  enlra  chez  un 
avoué  de  Corbeil;  il  y  étudia  le  théâtre  plus  que 
la  procédure.  Aussi  vint-il  bientôt  s'établir  à  Pa- 
ris, sans  autres  ressources  qu'une  mince  place 
de  copiste  dans  un  bureau  de  loterie;  le  soir  il 
jouait  au  théâtre  Doyen;  de  plus,  il  fréquentait 
assidûment  le  Conservatoire,  où  il  reçut  les  le- 
çons de  Lafond  et  de  Michelot.  Ses  efforts  furent 
récompensés  par  le  prix  de  comédie,  qui  lui  fut 
décerné  en  1812.  Alors  il  alla  courir  les  pro- 
vinces ;  pendant  ces  pérégrinations,  il  se  maria, 
en  1814,  avec  une  jeune  actrice.  En  t  S  1§  il  était 
à  Rouen,  quand  il  fut  engagé  au  théâtrevde  l'O- 
déon.  En  1827  les  sociétaires  de  la  Comédie 
française  l'appelèrent  à  eux;  en  1830  des  brouilles 
de  coulisses  lui  firent  quitter  le  Théâtre-Français 
pour  le  Palais-Royal ,  où  il  se  trouva  avec  Ré- 
gnier. 11  fallut  un  procès  pour  faire  rentrer  le 
transfngedans  la  maison  de  Molière,  qu'il  n'a  pas 
quittée  depuis.  M.  Samson  a  pris  sa  retraite  le 
1er  avril  1863  :  il  avait  soixante-dix  ans.  Le  pu- 
blic a  regretté  en  lui  une  science  profonde  et  une 
habileté  consommée;  s-a  voix  était  nasillarde, 
mais  il  rachetait  ce  défaut  par  l'aplomb,  la  sû- 
reté de  l'esprit  avec  lequel  il  entrait  dans  les  per- 
sonnages qu'il  représentait.  Une  extrême  mobi- 
lité de  figure  donnait  à  son  jeu  une  grande  expres- 
sion; on  lui  a  reproché  d'avoir  abusé  de"  cette 
facilité  jusqu'à  la  charge.  M.  Samson  a  corêservé 
toute  sa  vie  l'ardeur  de  sa  jeunesse;  le  nombre 
de  ses  créations  passe  deux  cent  cinquante- 
sept.  Ses  meilleurs  rôles  sont  certainement 
dans  le  répertoire  de  Molière ,  de  Regnard , 
de  Beaumarchais  et  de  Marivaux;  parmi  ses 
créations  modernes ,  nous  pouvons  citer  Mon- 
tigny,  dans  Louis  XI  à  Peronne  ;  Joyeuse, 
dans  Henri  III  et  sa  cour;  Olivier  le  Dain, 
dans  Louis  XI ;  Bertrand  de  Rantzau,  dans 
Bertrand  et  Raton;  le  pair  de  France,  dans  La 
Camaraderie;  Charles-Quint,  dans  Les  Contes 
de  la  reine  de  Navarre;  maître  André,  dans  Le 
Chandelier;  Destigny,  dans  Lady  Tartuffe,  le 
marquis,  dans  Mlle  de  la  Seiglière;  etc. 

M.  Samson  était  depuis  1 829  professeur  sup- 
pléant an  Conservatoire;  il  passa  titulaire  en 
1836  :  ce  cours  a  acquis  une  sorte  de  célébrité 


2S9 


SAMSON  —  SAN-GALLO 


540 


depuis  qu'il  a  compté  Rachel  et  les  deux  Brohan 
pour  élèves.  Au  milieu  de  ces  travaux  M.  Sam- 
son  trouva  encore  le  temps  de  briguer  la  gloire 
littéraire.  Deux  jolies  comédies  de  lui  se  sont 
maintenues  jusqu'à  présent  au  répertoire  du 
Théâtre-Français  :  La  Belle-Mère  et  le  Gendre 
(1826),  trois  actes,  en  vers,  et  La  Famille  Pois- 
son (1846),  un  acte,  en  vers.  Ses  autres  pièces 
sont  :  La  Fête  de  Molière  (1825),  un  Veu- 
vage (1842),  V Alcade  de  Zalameia,  et,  avec 
J.de  Wailly,  Un  Péché  dejezinesse(\8i3),  vau- 
deville. On  lui  doit  encore ,  un  Éloge  en  vers 
de  Picard  (1830,  in-8°),  un  Plaidoyer  en  vers 
pour  la  Comédie-Française  (1830)  ;  une  Épître 
à  Rachel  (1839),  un  Discours  en  vers  sur  Mo- 
lière (184 5) ,  un  poëme  didactique,  L'Art  théâ- 
tral (Paris,  1862,  in-8°),  ouvrage  assez  bien  ver- 
sifié, mais  froid  et  languissant. 

En  1848,  les  membres  de  l'Association  des 
artistes  dramatiques,  dont  il  est  un  des  plus  ac- 
tifs propagateurs,  voulurent  porter  leur  camarade 
à  la  représentation  nationale.  M.  Samson  eut  le 
bon  goût  de  refuser  ce  mandat.      L.  delà  M. 

E.  de  Mirecourt,  Samson.  —  Galerie  des  artistes  dra- 
matiques. 

samdel  (1),  juge  et  prophète  d'Israël,  né 
vers  l'an  1155  av.  J.-C,  à  Ramatha,  où  il  est 
mort,  en  1057.  Fils  d'Elcanaetd'Anne,  de  la  tribu 
de  Lévi ,  il  fut  accordé  aux  instantes  prières  de 
sa  mère ,  longtemps  stérile  et  qui  le  consacra 
au  service  du  temple.  Après  la  mort  d'Héli,  Sa- 
muel, âgé  d'environ  quarante  ans,  fut  établi  juge 
d'Israël  (1116);  mais  il  n'y  a  point  d'apparence 
qu'il  ait  été  prêtre,  et  moins  encore  grand- 
prêtre,  comme  certains  commentateurs  l'ont 
pensé.  Samuel  jugea  Israël  tout  le  reste  de  sa 
vie,  dit  l'Écriture,  et  cela  doit  s'entendre  de  la 
grande  autorité  qu'il  conserva  sous  le  règne  de 
Saiil.  Étant  devenu  vieux  ,  ses  fils,  Joël 
et  Albia ,  qu'il  avait  établis  juges  à  Bersa- 
bée,  n'imitant  point  sa  vertu,  les  anciens  le. 
pressèrent  de  leur  donner  un  roi-  Cette  pro- 
position déplut  d'abord  à  Samuel,  qui,  après 
avoir  consulté  le  Seigneur,  conféra  l'onction 
royale  à  Saùl.  Ce  dernier  ayant  offert  lui-même 
la  victime  en  holocauste  et  ayant  épargné  de 
plus  Agaz,  roi  des  Amalécites,  le  prophète  lui 
adressa  de  violents  reproches  et  menaça  de  lui 
ôter  la  couronne.  Quelques  années  après  il  sa- 
crait David  roi  d'Israël.  On  attribue  à  Samuel  : 
le  Livre  des  Juges  et  le  premier  Livre  des 
Rois ,  jusqu'au  chap.  24.  C'est  l'opinion  la  plus 
générale  et  la  plus  accréditée.  Cependant  quel- 
ques remarques,  qui  ne  peuvent  être  du  temps 
de  Samuel,  font  conjecturer  qu'Esdras,  ayant  eu 
en  main  les  originaux  de  Samuel  et  des  écrivains 
contemporains  de  David,  a  rédigé  et  retouché  le 
premier  livre  des  Rois  ainsi  que  les  trois  autres, 
ce  qui  concilie  les  contradictions  qu'on  peut 
trouver  dans  son  texte.  On  a  aussi  attribué  à 
Samuel   un   Livre   du  droit   du  royaume  et 

(t)  En  hébreu  Que  Dieu  a  exauce. 


quelques  autres  pièces  apocryphes,  au  sujet  des- 
quelles on  peut  consulter  Fabncius. 

Livre  des  Rnis.  —  Ecclésiastique,  chap  46.  —  n.  Cal- 
met,  Dict.  de  la  Bible,  et  Diss.  à  la  tète  de  son  Conm. 
sur  les  Livres  des  Rois  —  Kabricius,  Coder  pseudepigr. 
Veter.  Tcstam.,  t.  1.  —  Volney,  Hvt.  de  Samuel,  inven- 
teur du  sacre  des  Rois;  Parts,  1820,  in-8u.  —  Ortlob, 
Diss.  de  Samuele  judice  et  propheta;  Leip'/.ig,  l7H,in-i°. 
—  Winckler,  findintio  scholœ  Samuelis  propheticee; 
Hildesheim,  1751,  in-4°. 

SiMUEL  yeretz,  historien  arménien,  né  à 
Ani  (grande  Arménie),  vivait  au  douzième 
siècle.  Disciple  du  docteur  Georges  Mclrig, 
était  prêtre,  et  Grégoire  IV,  élu  en  1173  pa- 
triarche d'Arménie,  l'invita  à  rédiger  une  Chro- 
nique ou  Histoire  universelle.  Samuel ,  après 
avoir  pris  part  aux  délibérations  du  conciie  con- 
voqué en  1179,  au  sujet  delà  réunion  de  l'É- 
glise arménienne  à  l'Église  grecque,  embrassa  le 
parti  qui  désapprouva  les  actes  de  ce  concile, 
et,  se  séparant  de  Grégoire,  reconnut  pour  pa- 
triarche Basile,  archevêque  d'Ani.  Il  n'en  écrivit 
pas  moins  son  ouvrage,  qui  se  divise  en  deux 
parties,  commence  à  la  création  du  monde  et  se 
termine  à  l'an  1179.  Ce  n'est,  à  proprement 
parler,  qu'un  abrégé  de  la  chronique  d'Eusèbe, 
augmentée  de  documents  puisés  dans  Y  Histoire 
d'Arménie  de  Moïse  de  Khoren  et  dans  des 
écrits  postérieurs  aujourd'hui  perdus.  Le  doc- 
leur  Zohrab  et  Angelo  Mai  ont  publié  la  traduc- 
tion latine  de  cette  chronique,  à  la  suite  de  la 
version  arménienne  d'Eusèbe;  elle  a  pour  litre 
Samuelis,  presb.  Aniensis,  temporum  usqv.e 
ad  saam  œtatem  ratio;  Milan,  1818,  in-4°. 

Assemani,  Biblioth.  orient.  —  Tchamtchian,  Hist. 
d'Arménie. 

san-fklice  (Antonio),  surnommé  frà  Pli- 
nio,  poète  latin,  né  en  1515,  près  d'Aversa, 
mort  en  1570,  à  Naples.  11  prononça  ses  vœux 
dans  l'ordre  de  Saint-François.  Sa  vie,  consacréei 
à  l'étude  et  aux  devoirs  religieux,  passa  telle- 
ment inaperçue,  qu'on  n'y  peut  signaler  aucun: 
événement  remarquable.  Il  avait  une  grande  con- 
naissance de  l'antiquité,  comme  le  témoignent 
ses  ouvrages,  et  il  les  a  écrits  dans  un  style  si  pur 
que  Montfaucon  ne  craint  pas  de  les  égaler  à  ce 
que  le  seizième  siècle  a  produit  de  plus  parfait 
en  ce  genre.  Ils  ont  pour  titres  :  Clio  divina; 
Naples,  1541,  in-4°,  et  1567,  in- 8°;  —  Campa- 
nia;  'MA.,  1562,  1596,  1636,  in  4°  :  ce  poëme 
latin  est  dédié  à  la  ville  de  Capoue,  qui  fit  pré- 
sent à  l'auteur  d'une  somme  de  cinquante  du- 
cats; la  meilleure  édition  est  celle  de  Naples, 
1796,  in-8°,  qui  contient  avec;  des  notes  une 
version  italienne  de  Girolamo  Aquiao. 

Tafuri,  Sorittori  Ael  régna  di  Napoli.  111.  —  Sorin, 
Memor.  deali  scritlori  napolitani,  Il  5*3.  —  Waddingp, 
Script,  ord.  Minorum.  —  Notice,  dans  l'édil.  de  1791 

san-gallo  (Giuliano  Giameerti,  ditc/a), 
architecte,  né  en  1443,  à  Florence,  où  il  est 
mort,  en  1517.  Élève  de  son  père,  Francisco 
Giamherti,  architecte  de  talent,  il  étudia  d'abord 
la  sculpture  en  bois ,  puis  fut  employé  par 
Laurent  de  Médicis  comme  ingénieur  militaire. 
11  débuta  dans  l'architcclure  par  le  cloître  flo- 


241 


SAN-GALLO 


242 


rentin  des  Carmélites  de  Santa-Maria  de'  Pazzi, 
dont  il  n'exécuta  que  la  partie  soutenue  par  des 
colonnes  ioniques,  et  qui  est  justement  la  plus 
estimée  ;  il  avait  pris  pour  modèle  un  chapiteau 
antique  trouvé   à  Fiesole.  A    la  demande   de 
Laurent  le  Magnifique,  il  construisit  la  villa  de 
Poggio   impériale  et  celle  de   Poggio-Cajano, 
dans  laquelle  se  trouve  une  voûte  en  berceau 
d'une  portée  prodigieuse;  enfin  l'église  de  la  Ma- 
donna  délie  Carceri  de  Prato  (1),  un  des  beaux 
monuments  religieux  de  l'époque.  Appelé  à  Na- 
ples,  il  présenta  au  roi  Ferdinand  Ier  le  modèle 
d'un  palais  qui  devait  être  élevé  près  du  Château- 
Neuf;  mais  il  refusa  de  rien  accepter  de  ce  prince, 
si  ce  n'est  quelques  sculptures  antiques,  dont  à 
son  retour  il  fit  hommage  à  son  protecteur.  Ce 
fut  alors  que  Laurent  le  chargea  d'élever  hors  de 
la  porte  San-Gallo  un  vaste  couvent  d'Augustins, 
qui  ne  fut  jamais  achevé  et  qui  fut  entièrement 
détruit  pendant  le  siège  de  Florence  en   1530  ; 
c'est  de  là  que  lui  et  son  frère  prirent  le  sur- 
nom sous  lequel  ils  sont  connus.  A  Loreto,  il 
éleva  la  belle  coupole  de  l'église  de  Notre-Dame. 
A  Rome,  sous  Alexandre  VI,  il  restaura  le  pla- 
fond de  Sainte-Marie  Majeure  que  l'on  dit  avoir 
été  doré  avec  le  premier  or  apporté  d'Amérique. 
Il  construisit  pour  le  cardinal  délia  Rovere  (Ju- 
les II  )  le  palais  de  San-Pietro  in  Vincoli,  et  lui 
fournit  les  dessins  d'un  autre  palais  à  Savone, 
dont  son  frère  Antonio  surveilla  l'exécution.  Il 
avait  élevé  aussi  pour  le  duc  Valentin  le  châ- 
teau   de  Montefiascone ,    aujourd'hui    détruit. 
Jules    H   étant  monté  sur  le    trône,    Giuliano 
éprouva  un  vif  désappointement  en  voyant  le 
nouveau  pontife,  pour  lequel  il  avait  déjà  tant 
!  travaillé,  confier  la  fabrique  de  Saint-Pierre  au 
(Bramante  ;  il  se   retira  avec  son  frère  à  Flo- 
irence.   Le  pape  le   rappela;  mais,   dégoûté   de 
[n'être  plus  employé  dans  aucun  travail  impor- 
tant,  il   retourna   de  nouveau  dans  sa  patrie. 
jPietro  Soderini  l'employa  au  siège  de  Pise,  où 
il  lui   fit  exécuter  un  pont  d'une  construction 
'fort  ingénieuse,  qui  s'élevait  de  manière  à  être 
toujours  au  dessus  du  cours  du  fleuve  ;  la  ville 
iprise,  il  y  éleva  rapidement  une  forteresse.  II 
(retourna  une  dernière  fois  à  Rome,  où  l'appelait 
Léon  X,  qui  voulait  lui  confier  la  direction  des 
[travaux    de    Saint-Pierre;    mais  il    était  trop 
[tard.  Giuliano, attaqué  de  la  maladiedela  pierre, 
dut  revenir  à  Florence,  où  bientôt  il  rendit  le 
.dernier  soupir.  E.  B— n. 

|  Vasari,  F ite.  —  Pislolesl ,  Descrizione  cli  Borna.  — 
i Orlandi,  Abbecedario.  —  Cicognara,  Storia  délia  scul- 
tura.  —  Ticozzi,  Dizionario.  —  Campori,  Gti  artisti 
Iftevli  Stati  Estensi.  —  Quatremère  de  Quincy,  Dict.  d'ar- 
^chltectiire. 

san-gallo  (Antonio  Giamberti,  dit  da) 
\  l'ancien,  architecte,  frère  du  précédent,  né  à 
■Florence,  vers  1450,  mort  en  1534.  11  s'adonna 

I  (i)  Quand  on  examine  le  premier  dessin  fait  par  le  Bra- 
■  mante  pour  Saint-Pierre  de'Rome,  on  ne  peut  s'empê- 
,chor  de  croire  que  la  première  pensJe  ne  lui  en  ait  été 
[fournie  par  l'église  de  Prato,  commencée  en  H32. 


I 


d'abord  à  la  sculpture  en  bois  avec  un  succès 
qu'attestent  plusieurs  grands  crucifix.  Puis  il  aida 
son  frère  dans  la  plupart  de  ses  entreprises. 
Quant  aux  ouvrages  qui  lui  sont  propres,  nous 
citerons  la  transformation  en  forteresse  du  mau- 
solée d'Adrien,  la  citadelle  de  Civita-Castellana, 
les  fortifications  d'Arezzo ,  l'église  de  Monlepul- 
ciano,  édifice  remarquable  par  la  perlectioa  de 
son  exécution,  et  deux  palais  destinés  au  car- 
dinal Antonio  del  Monte.  Après  la  mort  de  son 
frère,  il  se  livra  tout  entier  à  l'agriculture. 

Vasari,  rite  —  Orlandi,  Abbecedario. 

SAN-GALLO  (Antonio  Picconi,  dit  da),  le 
jeune,  architecte,  neveu  des  précédents,  né  à 
Mugello,  en  Toscane,  mort  très-âgé,  à  Terni,  en 
1546.  Fils  d'un  tonnelier,  il  obtint  (non  sans 
peine  )  d'aller  étudier  à  Rome  sous  ses  oncles, 
dont  il  adopta  le  surnom.  Leur  départ  à  l'avé- 
nement  de  Jules  II  l'ayant  laissé   sans  appui 
(1504),  il  se  fit  connaître  du  Bramanle,  qui,  de- 
venu paralytique,  fut  enchanté  de  trouver  un 
jeune  artiste  capable  de  le  suppléer  dans  ses  im- 
portants travaux.  La  première  entreprise  qui 
attira    l'attention   sur   lui    fut   la   restauration 
complète   du  palais  Farnèse,  devenu ,   grâce  à 
lui  et  à  Michel-Ange,  qui  y  ajouta  l'entable- 
ment, une  des  merveilles  de  Rome.  Il  fut  en- 
suite appelé  à  terminer  au  forum  de  Trajan  I'é»- 
glise  de  la  Madonna  di  Loreto,  commencée  en 
1507;  la  coupole   lui  est  due  tout  entière;  ce 
fut  la  première  construite  à  Rome  avec  une 
double  calotte,  comme  le  furent  plus  tard  celles 
de  Saint-Pierre  et  de  S. -Carlo  al  Corso.  Après 
lamortdu  Bramante  et  de  Giuliano  da  San-Gallo, 
il  se  trouva  naturellement  désigné  au  choix  de 
Léon  X    pour   la  direction   de  la  fabrique  de 
Saint-Pierre;   seulement  on  lui   adjoignit  Bal- 
dassare  Peruzzi.  Les  troubles  politiques  ne  per- 
mirent aux  travaux  de  marcher  qu'avec  une  ex- 
trême lenteur;   l'abside  était   à  peine  achevée 
quand,  en  1536,  mourut  Peruzzi.  Chargé  de  pré- 
senter à  Paul  III  un  modèle  en  relief  du  monu- 
ment, il  le  fit  exécuter  en  bois  par  Antonio  La- 
bacco,    son   élève.  Nous  devons    avouer   qu'il 
méritait  les  critiques  sévères  de  Michel-Ange  et 
qu'il  laissait  beaucoup  à  désirer  sous   le  rap- 
port de  l'invention  et  du  goût.  La  mort  ne  per- 
mit pas  à  San-Gallo  de  le  mettre  à  exécution,  et 
on  sait  qu'il  eut  pour  successeur  Michel-Ange, 
qui  le  modifia  profondément.  On  est  effrayé  de 
l'activité   que    San-Gallo  eut   à  déployer  pour 
suffire  à  tant  de  travaux,  qu'il  dirigeait  à  la  fois 
dans  les  diverses  parties  de  l'Italie,  et  comme 
architecte  et  comme  ingénieur  militaire.  Parmi 
ces  nombreuses  entreprises,  signalons  les  prin- 
cipales, telles  que  la  citadelle  d'Ancône,  celle  de 
Nepi,  la  fortezza  da  basso  de  Florence,  les 
fortifications   de   Cività-Vecchia,    de   Pérouse, 
d'Ascoli,  le  puits  monumental  de  Saint-Patrice  à 
Orvieto,  construit  en  1527,  profond  de  61m30, 
large  de  13m40,  autour  duquel  règne  une  double 
rampe  douce  en  spirale  qui  permet  aux  mulets 


243  SAN- G  ALLO  — 

chargés  de  tonneaux  de  descendre  sans  rencon- 
trer ceux  qui  remontent;  la  façade  de  l'église 
dell'  Anima,  une  aile  de  l'hôpital  Saint-Esprit  et 
son  église  entière,  la  chapelle  Pauline  et  la  salle 
royale  du  Vatican;  le  pillais  Sacchetti,  qu'il 
avait  commencé  pour  lui-même,  et  qui  fut  ter- 
miné par  Baccio  d'Agnolo.  Enfin,  en  1536  il 
avait  dirigé  les  fêtes  et  composé  les  décorations 
et  les  arcs  de  triomphe  pour  l'entrée  de  Char- 
les V  à  Rome. 

Déjà  infirme  et  très-avancé  en  âge,  San-Gallo 
ne  refusa  cependant  pas  d'aller  lui-même  exa- 
miner les  travaux  que  demandaient  l'écoulement 
du  Velino  et  les  fameuses  chutes  de  Terni,  pour 
mettre  un  terme  aux  continuelles  discussions 
des  habitants  de  cette  ville  et  de  celle  de  Rieti; 
dans  ce  voyage,  il  gagna  une  fièvre  qui  l'enleva 
en  quelques  jours.  Son  corps  fut  rapporté  à 
Rome,  et  de  pompeuses  funérailles  lui  fuient 
faites,  dans  l'ancienne  basilique  de  Saint-Pierre, 
où  il  fut  déposé  près  de  Sixte  IV.        E.  B— n. 

\asari,  Vite.  —  Ticozzi,  Dizlonario.  —  Pistolesi,  Va- 
iicano  illustrait).  —  Campori,  Cli  artisti  neqli  Stati 
Estensi.  —  Pistolesi,  Descrizione  di  Roma.  —  Quatrcmère 
de  Quincy,  Vie  des  architectes. 

san-gimignano  (  Vincenzo  da) ,  peintre, 
né  en  Toscane,  vivait  dans  la  première  moitié 
du  seizième  siècle.  Il  fut  un  des  élèves  de  Ra- 
phaël qui  travaillèrent  aux  loges  sur  ses  des- 
sins; on  lui  attribue  Moïse  sur  le  mont  Horeb. 
Raphaël  faisait  de  lui  grand  cas  pour  la  dou- 
ceur de  son  coloris  et  les  belles  peintures  à  la 
cire  dont  il  avait  orné  la  façade  de  plusieurs  pa- 
lais. Lors  du  sac  de  Rome  en  1527,  Vincenzo 
maltraité  s'enfuit  ayant  perdu  presque  toutes  ses 
études  et  ses  dessins,  et  retourna  à  San-Gimi- 
gnano,  où  le  chagrin  lui  causa  une  maladie  de 
langueur  qui  ne  tarda  pas  à  l'emporter.  Les  ta- 
bleaux de  ce  peintre  sont  fort  rares  ;  on  voit  ce- 
pendant de  lui  une  Madone  avec  Ventant 
Jésus  et  saint  Jean  au  Musée  de  Dresde. 

Vasari,  Vite .  —  Orlandl,  Abbecedario. 
san  giorgio  (  Benvenulo,  comte  de  ),  his- 
torien italien,  né  dans  le  Montferrat,  mort  à 
Casai,  le  8  septembre  1527.  Il  appartenait  à 
l'illustre  famille  des  comtes  de  Biandrate,  et 
était  fils  deGiovanni,  seigneur  de  San-Giorgio,  qui 
avait  été  ambassadeur  à  la  cour  impériale.  Après 
s'être  fait  recevoir  docteur  en  droit  canon,  il 
entra  dans  l'ordre  de  Saint-Jean  de  Jérusalem, 
et  se  signala  par  son  courage  lors  du  siège  de 
Rhodes  par  les  Turcs.  De  retour  dans  son  pays, 
il  gagna  la  confiance  des  marquis  de  Montferrat. 
Boniface  IV  le  chargea  d'aller  complimenter  le 
pape  Alexandre  VI  et  l'empereur  Maximilien,  et 
Guillaume  Vil  le  nomma  président  du  sénat  de 
Casai.  11  fut  en  1523  créé  comte  par  Charles- 
Quint.  Il  profita  de  sa  position,  qui  lui  donnait 
un  libre  accès  dans  les  archives  du  Montferrat 
pour  en  extraire  les  pièces  les  plus  intéressantes, 
à  l'aide  desquelles  il  écrivit  en  italien  une  his- 
toire, intitulée  Ragionarnen/o  familiare  de 
la  origine,  tempi  et  posthumi  de  li  mar- 


SAN-GIOVATWl 


244 


chesi  di  Monlferralo.  Ce  travail  se  dislingue 
des  productions  historiques  de  l'époque  par  l'é- 
tude consciencieuse  des  sources  et  par  l'esprit  de 
critique  ;  en  revanche,  le  style  manque  de  viva- 
cité et  d'élégance.  L'ouvrage  de  San-Giorgio , 
reproduit  aussitôt  par  plusieurs  copies,  ne  fut 
imprimé  qu'en  1639,  à  Casai,  d'une  façon  très- 
fautive;  reproduit  dans  le  t.  XXIII  des  Scrip- 
lores  de  Muraiori,  il  a  été  publié  avec  beau- 
coup de  soin  sous  le  titre  de  Cronaca  del 
Monteferralo  par  les  soins  de  J.  Vernazza  (  Tu- 
rin ,  1780,  in-4°).  L'auteur  avait  fait  lui-même 
de  son  ouvrage  un  court  extrait  en  latin  (Asti, 
1519;  Trino,  1521  ).  Ses  harangues  prononcées 
devant  Alexandre  VI  et  Maximilien  ont  été  im- 
primées en  1493,  la  première  à  Rome,  l'autre  à 
Ferrare;  on  lui  doit  aussi  un  Libellus  de  ori- 
gine Guelphorum  et  Gibellinorum  (Bàle, 
1519),  où  il  attaque  l'opinion  des  principaux  his- 
toriens de  son  temps  sur  ce  sujet.  Enfin  il  a 
laissé  en  manuscrit  :  De  origine  gcnlilium 
morum  et  rerum  successibus  comitum  Blan- 
dratse  :  très-bon  travail  sur  l'origine  de  sa  fa- 
mille, et  dont  une  analyse  étendue  a  été  donnée 
par  Tonso,  dans  sa  Rimostranza  in  falto  e  in 
ragione  (Turin,  1749). 

Vernazza,  Vita  di  San-Giorgio,  en  tête  de  l'édit.  de  la 
Cronaca  del  Monteferralo. 

san-giorgio    (Gianantonio   de)*,    cano- 
niste  italien,  parent  du  précédent,  né  en  1439, 
à  Milan,  mort  le  14  mars  1509,  à  Rome.  Il  des- 
cendait d'une  noble  et  ancienne   famille,  origi-  | 
naire  de  Plaisance,  et  que  l'empereur  Sigismond 
avait  décorée  en  1423  du  titre  de  comte  palatin. 
Après  avoir  achevé  ses  études  à  Pavie,  il  ouvrit! 
dans  cette  ville   une  école   publique  de  droit) 
canon  qui  fut  très-fréquentée,  et  six  ans  plus  [ 
tard  il  revint  à  Milan,  où  il  devint  membre  du 
collège  des  jurisconsultes  (  1473),  puis  prévôf 
de  la  basilique  de  Saint- Ambroise.  Sixte  IV  le) 
nomma  évêque  d'Alexandrie   (1479),  et  audi-; 
teur  de  rote;    Alexandre   VI   le    fit  cardinal 
(1493),  et  le  transféra  successivement  à  Panne  j 
(1499),  à  Frascati,  à  Albano,  à  Palestrina  et  cl 
Sabina.  Ce  prélat,  dont  Ughelli  vante  la  pru-J 
dence  et  l'érudition,  fut  au>si  employé  par  \&A 
papes  et  le  duc  de  Milan  dans  la  conduite  d< 
diverses  négociations.  On  le  désigne  queli]uefoi 
sous  le  nom  de  cardinal  d'Alexandrie.  II  a  pu  j 
blié  :  Oralio  in  exsequiis  card.  Tornacensi. 
Federici  de  Cluniaco;    Pavie,   1483,  in-fol.il 

—  Commentaria  super  quarto  Decrelalium 
Lyon,  1490,  in-fol.  ;  Trente,  1515,  in-fol.;  - 
Commentaria  Decretorum  ;  Milan,  1493,  gr 
in-fol.  ;  Lyon,  1511,  gr.  in-fol.  ;  —  De  appella 
tionibus;  Venise,  1497,  1579,  in-fol.  ;  —  Lecu 
turse  super  Décrétâtes;  Pavie,  1497,  in-fol. 

—  Deusibus  feudorum;  Venise,  1498,  in-fol 
On  a  recueilli  srs  œuvres  canoniques  en  1579  «3 
Venise,  3  vol.  in-fol. 

Argelati,  Bibl.  mediolan.,  11.  —  Ughelli,  Italia  saerii  ( 

san-giovasni  (G.  da).  Voy.  Mankgzzi. 


24Ô 


SAN-MARÏINO  —  S  AN-MIGUEL 


24G 


san-mabtino(  Matleo,  comte  de),  littéra- 
teur italien,  né  en  1494,  à  Vische  (Piémont). 
A  l'étude  de  sa  propre  langue  il  joignit  la  culture 
de  la  poésie,  et  s'il  fallait  s'en  rapporter  aux 
ingénieux  calculs  d'Apostolo  Zeno,  il  serait  l'in- 
venteur n'es  idylles  maritimes  (  pescatorie  )  ; 
mais  ce  genre  appartient  à  Rota,  et  San-Mar- 
tino  n'a  été  que  le  premier  à  le  répandre.  On 
a  de  lui  :  Pescatorie  ed  egloghe  ;  s.  1.  n.  d. 
(Venise,  vers  1540),  in-8°  :  mélange  de  vers 
et  de  prose  ;  —  Osservazioni  grammaticali  e 
poeticfie  délia  lingua  ituliana  ;  Rome,  1555, 
in-8°  :  la  meilleure  partie  de  ce  livre  est  celle 
qui  concerne  Pétrarque.  11  avait  entrepris  sur 
les  amours  et  les  guerres  de  César  un  poëme, 
La  Giuliade,  qui  n'a  pas  vu  le  jour. 

QlMdiïo,  Sloria  di  ogni  poesia.  —  Tiraboschi,  VU!, 
8"  part. 

san-micheli.  Voy.  Sammicheli. 

san-miguel.  (  Evaristo,  duc  nE  ),  maréchal 
espagnol,  né  à  Gijon  (Asturies),  le  26  octobre 
1785,  d'une  famille  aisée,  mort  à  Madrid,  le 
29  mai  1862.  Sa  vocalion  l'entraînant  dans  la 
carrière,  des  armes,  il  entra  comme  cadet  au 
premier  bataillon  des  volontaires  d'Aragon  (1805), 
et  fut  nommé  sous-lieutenant,  le  10  juillet  1807. 
Après  les  événements  de  1808,  l'assemblée  pro- 
vinciale des  Asturies,  présidée  par  le  marquis 
de  Santa-Cruz,  déclara  solennellement  la  guerre 
à  Napoléon.  A  cette  nouvelle  San-Miguel  s'é- 
vada île  Madrid  pour  courir  s'enrôler  dans  les 
rangs  de  l'armée  de  l'indépendance.  11  assista 
en  qualité  de  volontaire  au  combat  de  Cabezon, 
le  12  juillet  1808,  où  il  fut  nommé  capitaine, 
prit  part  quelques  jours  après  à  la  bataille  de 
Rio-Seco,  qui  ouvrit  à  Joseph  les  portes  de 
Madrid,  en  dernier  lieu  au  combat  de  Saint- 
Vincpnt  de  la  Barquesa,  où  il  fut  fait  prisonnier 
et  conduit  en  France;  il  demeura  dans  ce  pays 
jusqu'à  la  paix  générale.  Attarbé  en  1819  au 
corps  d'armée  rassemblé  à  Cadix  pour  recon- 
quérir le  Mexique,  il  se  joignit  aux  mécontents, 
fut  détenu  une  première  fois  au  fort  Saint-Sé- 
bastien, et  entra  dans  la  conspiration  de  Riego, 
qui  le  fit  adjudant  d'état-major  de  l'armée  cons- 
titutionnelle, et  secrétaire  de  la  junte  d'officiers, 
investie  d'une  espèce  de  pouvoir  exécutif.  Il 
accompagna  Riego  dans  sa  marche  sur  Algési- 
ras;  et  lorsque  celui-ci  se  vit  contraint  d'éva- 
cuer cette  ville  pour  se  diriger  sur  Malaga,  San- 
Miguel  composa  le  citant  devenu  fameux  comme 
symbole  des  constitutionnels,  sous  le  titre 
&  Hymne  de  Riego.  Confirmé  dans  son  grade  de 
colonel  d'état-major,  il  suivit  la  politique  peu 
sensée  de  Riego,  niais  échappa  à  sa  catastrophe. 
Il  remplit  pendant  toute  l'année  1821  le  singu- 
lier emploi  de  chef  de  section  de  la  commission 
d'ofliciers  qui  étaient  aux  ordres  de  la  junte 
auxiliaire  du  ministère  de  la  guerre.  Il  travaillait 
en  même  temps  d'une  manière  très-active  à  la 
rédaction  du  journal  El  Speclador.  Nommé 
colonel  du  Bataillon  sacré,  troupe  composée 


d'anciens  militaires  qui  appuyait  le  ministère 
contre  le  roi  et  ses  partisans,  il  combattit  à 
leur  tête  dans  la  sanglante  journée  du  o  juillet 
1822,  où  les  régiments  de  la  garde  essayèrent 
de  rétablir  le  gouvernement  absolu.  Cette  ten- 
tative ayant  éeboué,  Ferdinand,  humilié,  fut 
réduit  à  prendre  son  ministère  dans  les  rangs 
d'hommes  qu'il  détestait.  San-Miguel  en  fit  par- 
tie comme  ministre  des  affaires  étrangères,  et 
rédigea  les  réponses  aux  représentations  des 
cours  étrangères  réunies  au  congrès  de  Vérone; 
cespièce^d'un  patriotisme  plus  ardent  qu'éclairé, 
amenèrent  le  départ  immédiat  des  ministres 
d'Autriche,  de  Prusse  et  de  Russie,  qui  ne  tarda 
pas  à  être  suivi  de  la  déclaration  de  guerre  de  la 
France.  A  l'ouverture  des  Cortès  de  1823,  Fer- 
dinand releva  de  leurs  fonctions  les  palriotes 
qu'il  appelait  le  ministère  des  Sept  poignards. 
San-Miguel  rejoignit  alors  l'armée  d'opération  en 
Catalogne,  sous  les  ordres  de  Mina.  Dans  une 
sortie  qu'il  fit  à  Barcelone,  il  rencontra  les  Fran- 
çais qui  revenaient  du  siège  de  Painpelune,  les 
atlaqua,  et  demeura  sur  le  champ  de  bataille, 
atteint  de  dix  blessures.  Conduit  une  seconde 
fois  en  France,  il  y  demeura  jusqu'au  licencie- 
ment des  dépôts  de  prisonniers,  et  se  retira  alors 
en  Angleterre,  où  il  prit  part,  de  1825  à  1829, 
aux  travaux  de  quelques-uns  de  ses  compa- 
triotes, travaux  réunis  sous  le  titre  de  Ocios 
de  Espanoles  emigrados. 

Après  la  révolution  de  1830,  San-Miguel 
essaya  avec  trois  cent  cinquante  hommes  de 
pénétrer  en  Catalogne,  ppndant  que  d'autres 
groupes  d'émigrés  essayaient  de  s'établir  en 
Navarre.  Rejeté  en  France,  il  y  attendit  le  dé- 
cret d'amnistie  du  15  octobre  1833,  et  rentra 
dans  sa  patrie  en  1834.  Il  travailla  à  la  rédaction 
du  Messager  des  Cortès,  et  consacra  sa  plume 
à  l'histoire  des  événements  arrivés  en  Espagne 
de  1808  à  1823.  En  1835,  il  fut  remis  en  posses- 
sion de  son  grade  de  colonel,  puis  nommé  bri- 
gadier, et  lors  de  l'insurrection  de  Saragosse 
il  fut  investi  de  la  présidence  de  la  junte  supé- 
rieure de  la  province  d'Aragon.  Mais  il  se  rallia 
bientôt  à  la  cause  de  la  reine,  et  devint  maré- 
chal de  camp  (11  juin  1836  ),  commandant  en 
chef  de  l'armée  du  centre,  sans  cesser  d'être 
capitaine  général  d'Aragon.  Envoyé  aux  cortès 
par  la  province  d'Oviedo,  San-Miguel  ne  quitta 
pas  les  rangs  des  progressistes,  et  suivit  les 
destinées  de  ce  parti  pendant  toutes  les  agi- 
tations de  la  guerre  civile.  Après  la  convention 
de  Vergara  (31  août  1839)  on  le  voit  entrer 
successivement  dans  le  ministère  d'Espartero, 
en  qualité  de  ministre  de  la  marine,  dans  celui 
d'Arara,  comme  ministre  de  la  guerre.  En  1 843, 
il  reçoit  le  grade  de  lieutenant  général  comman- 
dant la  Nouvelle-Castille.  En  1844,  il  composa 
Yffistoria  dç  don  Fe  lippe  II  (Madrid,  1844  45, 
4  vol.),  qui  lui  ouvrit  en  1852  les  portes  de 
l'Académie  d'histoire. 

A  l'explosion  du   mouvement  de  Vicalvaro 


247  S  AN-MIGUEL  • 

(juillet  1854),  il  se  mit  à  la  tête  de  la  junte  de 
défense  qui  avait  pour  but  de  soutenir  et  de 
surveiller  à  la  fois  O'  Donnell.  Quoique  militaire, 
il  était  en  principe  opposé  au  gouvernement  de 
l'armée.  Pendant  quelques  jours  il  eut,  sous  le 
titre  de  ministre  de  la  guerre,  le  pouvoir  tout 
entier  entre  les  mains.  Bientôt  il  reçut  d'Espar- 
terola  dignité  de  maréchal.  Toutefois  il  fit  preuve 
de  modération  au  sein  des  cortès ,  dont  il  pré- 
sida les  séances,  et  vota  pour  le  maintien  des 
institutions  monarchiques.  La  reine  Isabelle  lui 
sut  gré  de  sa  conduite,  en  le  plaçant  à  la  tête 
de  sa  garde  particulière  et  en  le  nommant  duc 
et  grand  d'Espagne  de  première  classe.  11  passa 
alors,  au  sénat.  Depuis  le  coup  d'État  d'O'Don- 
nell  (1856),  il  s'était  retiré  de  la  vie  publique. 

Le  maréchal  Évariste  San-Miguel  était  un  de 
ces  hommes  de  l'école  de  La  Fayette,  auquel/on 
l'a  souvent  comparé,  admirablement  propre  à 
l'attaque  d'un  gouvernement  établi,  moins  ca- 
pable de  fonder  que  de  détruire,  esprit  mé- 
diocre, mais  cœur  ardent,  fanatique  de  la  li- 
berté, comprenant  vaguement  les  excellentes 
choses  qui  s'y  rattachent,  capable  de  mettre  en 
jeu  sa  vie,  pour  le  succès  de  ses  opinions. 
Eug.  Baret. 
Vocum.  partie. 

SAN-SEVERINO.   Voy.   SANGRO. 

sanadon  (Noel-Etienne),  célèbre  jésuite, 
né  à  Rouen,  le  16  février  1676,  mort  à  Paris,  le 
21  septembre  1733.  Admis  chez  les  Jésuites  dès 
l'âge  de  quinze  ans,  il  termina  ses  études  à 
Caen,  y  professa  la  rhétorique,  et  se  lia  d'une 
étroite  amitié  avec  Huet.  Son  début  dans  la  car- 
rière des  lettres  fut  un  poème  latin  (Nicanor 
moriens;  Caen,  1698,  in-8°),  dont  le  sujet  était 
emprunté  à  l'histoire  de  Judas  Machabée.  Cet 
écrit  fut  accueilliavechonneur  ainsi  qu'un  recueil 
d'odes  (Odse;MA.,  1702,  in-8°)>  Dès  lors  il  com- 
posa, pour  l'instruction  des  élèves  ou  l'agrément 
de  ceux  qui  cultivaient  la  poésie  latine,  une 
foule  de  pièces  de  vers  dans  la  langue  d'Horace 
et  de  Virgile.  Il  eut  le  mérite  de  la  reproduire 
assez  fidèlement  pour  que  l'on  y  retrouvât  un 
brillant  reflet  de  la  pureté  d'expression,  de 
l'harmonie,  de  la  délicatesse  de  pensées  qui  ca- 
ractérisent ces  grands  maîtres.  On  peut  citer 
comme  des  modèles  du  genre  ses  épitaphes  la- 
tines de  Fénelon  et  de  Catinat.  Après  avoir  pro- 
noncé ses  quatre  vœux  (2  février  1711),  Sa- 
nâdon fut  nommé  en  1712  professeur  de  rhé- 
torique au  collège  de  Louis-le-Grand;  mais  la 
faiblesse  de  sa  santé  le  contraignit,  en  1718,  à 
renoncer  au  professorat.  Il  fut  alors  nommé 
préfet  des  classes  à  Tours,  où  il  mit  la  dernière 
main  a  sa  Traduction  d'Horace,  le  meilleur  de 
ses  ouvrages,  et  qu'il  dédia  au  prince  de  Conti, 
dont  il  était  devenu  le  précepteur.  Cet  ouvrage  con- 
tenait, outre  une  dédicace  consacrée  à  l'éloge  du 
poète  latin,  une  Préface  dans  laquelle  il  es- 
sayait de  prouver  que  l'on  ne  peut  bien  traduire 
un  poète  qu'en  prose;  une  Vie  d'Horace  dres- 


•  SANCASSANI  248 

sée  d'après  ses  œuvres  et  rédigée  année  par  année, 
plan  suivi  de  nos  jours  par  le  savant  Walcke- 
naër,  qui  a  fait  oublier  le  travail  estimable  du 
P.  Sanadon.  La  traduction  était  accompagnée 
de  notes  nombreuses  et  de  commentaires 
étendus.  Dans  son  désir  de  travailler  à  cette 
réforme  orthographique  qui  a  donné  lieu  à  tant 
de  tentatives  inutiles,  Sanadon  avait  dans  sa 
traduction  supprimé  toutes  les  lettres  qui  ne  se 
prononcent  pas,  écrit  les  dérivés  du  grec  sans 
accent,  et  avec  les  mêmes  caractères  que  le 
latin  et  le  français.  La  nécessité  de  rappeler  les 
étymologies  d'une  langue  tirée  presque  entière- 
ment du  latin  a  fait  rejeter  par  le  bon  sens  pu- 
blic tous  les  essais  de  ce  genre,  d'abord  comme 
irréalisables  et  ensuite  comme  pouvant  être 
beaucoup  plus  nuisibles  qu'utiles.  En  1728  il  fut 
nommé  bibliothécaire  du  collège  Louis-lc-Grand. 
On  a  encore  de  cet  écrivain  :  Cunse  regales, 
sive  Carmina  in  partum  Mariœ  Ludovicœ 
Hispaniarumreginœ  ;  Paris,  1707,  in-8°,  fig.  ; 

—  Laudalio  funebris  Ludovici  delphini  ; 
Paris,  1712,  in-12;  —  De  mata  ingeniorum 
contagione  oratio;  Paris,  1714,  in-12;  —  Ad 
religionem,  ode;  Paris,  1715,  in-12;  —  Thè- 
ses rhetoriese  ;  Paris,  1716,  in-4°;  —  Thèses 
horatianx;  Paris,  1717,  in-4°;  —  Poésies 
d'Horace;  Paris,  1728,  2  vol.  in-4°;  réimpr. 
sous  le  titre  ù'Œuores  (restituas  omissis), 
1747,  in-8°,  édi-t.  attribuée  au  roi  Frédéric  II; 
Amst.,  1756,  8  vol.  in-12  ;  —  trad.  du  Pervigi- 
Hum  Veneris  ;  Paris,  1728,  in-12.  Il  a  laissé 
un  assez  grand  nombre  d'ouvrages  manuscrits. 

Son  oncle,  Sanadok  (Nicolas),  jésuite  comme 
lui,  et  né  à  Rouen,  a  publié  quelques  livres  de 
piété;  il  est  mort  en  1720.  C.  H. 

Le  Mercure,  déc.  1733.  —  Moréri,  Grand  Dict.  hilt.  — 
Frère;  Manuel  dubiblivyr.  normand. 

sancassani  ( Dionigio- Andréa) ,  médecin 
italien,  né  le  7  avril  1659,  à  Scandiana  (Mode- 
nais),mort  le  11  mai  1738,  à  Corr.aechio  (États 
de  l'Église).  Fils  d'un  médecin,  il  embrassa  la 
même  carrière,  fut  reçu  docteur  en  1677,  à  Bo- 
logne, suivit  ensuite  la  clinique  du  célèbre  hô- 
pital de  Sainte-Marie-Nouvelle  à  Florence,  et 
s'établit  à  Reggio ,  où  malgré  sa  jeunesse  il 
commença  de  pratiquer  son  art.  N'ayant  pas  vu 
l'espoir  d'y  réussir,  il  parcourut  divers  endroits 
de  l'Italie,  et  après  avoir  résidé  de  1718  à  1723 
à  la  cour  du  duc  de  Guastalla,  il  reprit  sa  vie 
errante,  et  mourut  d'apoplexie  à  Comacchio.  11 
s'est  distingué  non-seulement  dans  la  médecine, 
mais  aussi  dans  la  poésie  latine  et  italienne,  et 
c'est  à  la  variété  de  ses  talents  qu'il  dut  l'entrée 
dans  plusieurs  académies  de  son  pays.  On  a  de 
lui  :  Phtoes  tkerapeia;  Guastalla,  1683,  in-4°; 

—  Polyandrion,  nempe  dissertationum  epis- 
tolarium  enneas;  Ferrare,  1701,  in-4°  :  pros- 
pectus d'un  ouvrage  qui  n'a  pas  été  publié;  — 
Aforismi  generali  délia  cura  délie  ferite  col 
modo  di  Magati;  Venise  ,  1713,  in-8°;  —  L'A- 
nalomia  délie  acque  ;  Padoue,  17 15,  in-8°;  — 


249 


SANCÀSSÀTW  —  SANCHEZ 


Dilucidazioni  fisico-mediche ;  Rome,  1731- 
38,  4  vol.  iu-fol.  :  recueil  d'une  prolixité  rebu- 
tante, mais  rempli  de  faits  intéressants.  Il  a 
traduit  du  français  Le  Chirurgien  d'hôpital  de 
Belloste  (Ferrare,  1708,in-8°),  et  dulalin  en  vers 
italiens  le  poème  Philosophia  nova  antiqua 
du  P.  Th.  Ceva  (  Venise,  1732). 

Tiraboschi,  Biblioth.  modenese.  —  Bioqr.  méd. 

sancerre  (  Louis  de),  connétable  de  France, 
né  vers  1342,  mort  le  6  février  1402.  Deuxième 
fils  de  Louis  II,  comte  de  Sancerre,  qui  mourut 
à  Crécy,  «et  orphelin  dès  l'âge  de  quatre  ans, 
il  fut  élevé  avec  les  petits-fils  de  Philippe  de 
Valois.  Il  possédait  les  seigneuries  de  Charenton, 
de  Bornez,  de  Condé,  de  Lusi,  et  portait  le  titre 
de  chevalier.  Sa  brillante  conduite  dans  Iaguerre 
contre  les  Anglais,  sous  Charles  V,  lui  valut  la 
protection  de  du  Guesclin,  l'amitié  de  Clisson, 
et,  en  1369,  le  rang  de  maréchal  de  France. 
Après  le  sacre  de  Charles  VI ,  auquel  il  assista 
en  qualitéde  maréchal, il  fut  chargé,  en  1381, du 
commandement  de  la  Guienne;  il  quitta  cette 
province  en  1382,  pour  diriger,  conjointement 
avec  le  connétable  de  Clisscn,  l'avant-garde  de 
l'armée  à  la  bataille  de  Rosebecque  ;  l'année  sui- 
vante, il  défendit  vaillamment  la  Guienne  contre 
les  Anglais.  Nommé  connétable  de  France,  le 
26  juillet  1397,  à  la  mort  du  comte  d'Eu,  il  mar- 
cha, en  1398,  au  comté  de  Foix  contre  le  captai 
de  Buch,  auquel  il  imposa  la  paix.  Il  mourut 
trois  ans  après,  et  fut  enterré  à  Saint-Denis,  au 
côté  gauche  de  la  chapelle  du  roi  Charles  V.  Il 
n'avait  pas  contracté  d'alliance,  et  laissait  deux 
enfants  naturels,  Louis  de  Sancerre,  qui  mourut 
obscur,  et  Jeannette  de  Sancerre,  qui  fut  ma- 
riée à  l'écuyér  Jean  de  la  Teillage.  Le  connétable 
de  Sancerre  était  borgne,  comme  son  compagnon 
d'armes  Olivier  de  Clisson. 

Anselme,  Grands  o/flc.  de  la  couronne.  —  De  Cour- 
celles,  Dict.  kist.  des  généraux  français. 

SANCHE.  Voy.  Sancho. 

san'ciiez  de  arevalo  (Rodriguez)  ,  en 
latin  Sancius ,  savant  prélat  espagnol ,  né  en 
1404,  à  Santa-Maria  de  Nieva  (  diocèse  de  Sé- 
govie),  mort  le  10  octobre  1470,  à  Rome. 
Orphelin  de  bonne  heure  ^  il  fut  élevé  sous 
la  tutelle  de  sa  mère,  femme  dévote,  qui  s'at- 
tacha à  lui  inspirer  le  goût  de  la  vie  religieuse. 
Cependant  ses  parents  du  côté  paternel  s'oppo- 
sèrent à  ce  qu'il  entrât  dans  un  cloître ,  et  lui 
firent  achever  ses  études  à  l'université  de  Sa- 
lamanque,  où  il  reçut  le  diplôme  de  docteur  en 
droit.  On  l'avait  retenu  pour  professer  cette 
science,  lorsqu'il  renonça  de  lui-même  à  l'ensei- 
gnement et  embrassa  l'état  ecclésiastique.  Après 
avoir  rempli  pendant  vingt  ans  les  fonctions 
d'archidiacre  à  Trevino  (dioc.  deBurgos),  il 
«xerça  celles  de  doyen  à  Léon  (1448),  puis  à  Sé- 
ville  (1455).  Ses  talentset  sa  naissancelui  avaient 
depuis  longtemps  valu  un  rang  honorable  à  la 
cour  des  rois  de  Castille,  qui  le  chargèrent  à 
différentes  reprises  de  négociations  politiques  : 


250 


ainsi  Jean   II  le  dépécha   en  ambassade  vers 
l'empereur  Frédéric  111,  et  Henri  IV  le  choisit 
pour  son  chargé  d'affaires  auprès  du  saint  siège. 
Ce  fut  vers  I55G  que  Sanchez  se  rendit  à  Rome, 
où  devait  s'écouler  au  milieu  de  l'étude  le  reste 
de  sa  vie.  CallistelII,  charmé  de  son  éloquence, 
n'eut  point  de  peine  à  le  retenir  dans  la  ville  éter- 
nelle, et  Paul  II  le  lit,  dès  son  avènement  (1464), 
gouverneur  du  château   Saint-Ange  et  gardien 
des  trésors  de  l'Église  ;  dans  la  suite  il  le  pourvut 
successivement  des  évêchés    espagnols  de  Za- 
mora,  de  Calahorra  et  de  Palencia.  Il  avait  reçu 
de  Nicolas  V  sa  première  dignité  épiscopale ,  le 
siège  d'Oviedo,au  retour  d'une  ambassade  au- 
près de  Philippe   le  Bon,  duc  de  Bourgogne. 
Sanchez ,  au  sujet  duquel  les  biographes  sont 
tombés  dans  de  fréquentes  méprises,  dues  à  la 
multiplicité  de  ses  noms  et  de  ses  titres ,  était 
un  prélat  pieux,  affable,  rempli   d'érudition; 
mais  il  n'est  pas  possible  de  le  ranger,  ainsi  que 
l'ont  fait  Flaqcus  Illyricus,  Oudin  et  quelques     ■•/ 
autres,  parmi  les  précurseurs    de  la  réforme 
(  testes  veritatis).  On  doit,  au  contraire,  voir  en 
lui  un  des  plus  outrés   défenseurs  de  l'autorité 
ponlificale,  et  il  en  était  si  follement  entêté  que, 
suivant  l'expression  deProsper  Marchand,  il  l'a 
portée  jusqu'à  l'impiété  même.    Qu'on  en  juge/^ 
par  cet  extrait  du  Spéculum,  lib.  II,  c.  ï  :  «  Vi-         l 
ces  veri  Dei  gerit  (summus  pontifex)  in  terris; 
non  ad  humanum  tantum  principatum,  sed  ad 
divinum  ;  non  ad  principandum  solum  morfali- 
bus,  sed  immortalibus ,  nec  modo  hominibus, 
sed  angelis;  non  ad  judicandum  vivos,  sed  mor- 
tuos;  non  in  terra  solum,  sed  in  cœlo;  non  ad 
praesidendum  solis  fidelibus,  sed  infidelibus;  et, 
ut  paucis  dicam,  ad  eam  ipsam  dignitatem, 
ad  eamdem  juridictionem  et  coactionem ,  ac 
universalem  tôto  orbe  supremum   principa- 
tum a  summo  Deo  et  ejus  loco  supra  eunc- 
tos  mortales  instilutus  et  evectus  est.  »  Nou^x^ 
citerons  parmi  ses  nombreux  ouvrages  :   Spé- 
culum viles  humanse  H  lib.;  Rome,    1468, 
gr.  in-fol.   :  depuis   cette  édition,  la  première 
connue,  ce  livre,  simple  traité  de  morale,  où  l'on 
passe  en  revue  les  avantages  et  les  inconvénients 
des  différentes    professions,  a  été  réimprimé 
une  douzaine  de  fois  dans  le  quinzième  siècle  et 
souvent  encore  jusqu'en  1683  (Francfort,  in-8°), 
date  de  la  plus  récente  publication;  on  recherche  les 
éditions  d'Augsbourg,  1471,  in-fol.,  de  Munster 
en  Argau,  1472,  in-fol.,  et  de  Strasbourg,  1507, 
in-fol.,  et  on  en  connaît  deux  traductions  fran- 
çeises  (Lyon,  1477  et   1482,  in-fol.  ) ,  par  les 
moines  augustins  Julien  Macho  et  Pierre  Farget, 
ainsi  qu'une   version    allemande  (Augsbourg, 
1488,    in-fol.)  et  une    espagnole    (Saragosse, 
1491,  pet.  in-fol.,  fig.).  Enfin  Josse  Lorich  en  a 
publié  un  abrégé  en  latin;  Munich,  1589,  in-8°; 
—  Compendiosa    historia  hispanica  ;  Rome , 
s.  d.  (1470),  gr.  in-4°,  et  dans  VHispania  il- 
lustrata  de   Schott  :  cette  histoire  est  assez 
exacte,  mais  mal  écrite  et  déparée  par  quantité 


251  SANCHEZ 

de  locutions  barbares;  —  De  origine  ac  diffe- 
rentia  princïpaîus  imperialis  et  regalis; 
Rome,  1 521 ,  in-fol.  :  l'auteur  s'efforce  d'y  démon- 
trer la  suprématie  du  pape  sur  tous  les  souve- 
rains. Ln  grand  nombre  d'ouvrages  manuscrits 
de  Sancliez  sont  conservés  dans  la  bibliothèque 
du  Vatican.  P. 

N.  Antonio,  Bibl.  hispana  vetvs,  II.  —  Fabricius,  Bibl. 
médise  et  inflmse  latiniiatis.  —  Pr.  Marchand,  Dict. 

sanchez  (Affonso),  pilote  portugais,  né  au 
quinzième  siècle,  mort  après  1480.  Ce  person- 
nage, dont  la  légende  a  fait  un  précurseur  de 
Colomb,  serait  né  à  Cascaès,  et  selon  quelques 
autorités  son  prénom  était  Francisco.  Monté 
sur  une  caravelle  et  commandant  à  un  équi- 
page peu  considérable,  il  aurait  été  surpris  dans 
les  mers  d'Afrique  par  une  série  de  tempêtes  qui 
l'auraient  entraîné  vers  les  régions  occidentales. 
Après  avoir  abordé  quelques-unes  des  îles  Ca- 
raïbes, il  se  serait  dirigé  de  nouveau  vers  l'Eu- 
rope, et  il  aurait  abordé  en  1480  l'île  de  Madère, 
ayant  sa  caravelle  à  demi  brisée,  et  n'ayant  plus 
à  bord  que  trois  ou  quatre  matelots,  morts  pour 
ainsi  dire  de  fatigue  et  de  privations.  Chris- 
tophe Colomb,  se  trouvant,  alors  à  l'île  de  Ma- 
dère, ce  serait  du  marin  de  Cascaès  qu'il  au- 
rait reçu  les  renseignements  au  moyen  des- 
quels il  accomplit  sa  découverte.  F.  D. 

Abreu  e  Lima,  Synopsis  o  deduccâo  chronologica.  — 
Ayres  de  Cazal ,  Corografia  Brasilica.  —  Gotnaro  ,  Hist. 
de  las  lndias.   —   Lisboa,   Annaes  do   Rio  de  Janeiro. 

sanchez  (Francisco),  en  latin  Sanctius, 
érudit  espagnol,  né  en  1523,  à  las  Brozas  (Es- 
tramadure),  mort  le  17  janvier  1601,  à  Sala- 
manque.  Bien  qu'issu  d'une  famille  pauvre,  il 
reçut  une  éducation  classique,  fit  de  rapides  pro- 
grès dans  les  langues  anciennes,  et  renonça  aux 
subtilités  de  la  philosophie  pour  revenir  à  la 
culture  des  lettres.  Après  avoir  été  reçu  bache- 
lier à  Salamanque,  il  obtint,  en  1554,  dans  l'uni- 
versité de  cette  ville  la  chaire  de  grec,  à  laquelle 
il  joignit  jusqu'en  1593  celle  de  rhétorique;  il 
ne  prit  qu'«n  1574  le  diplôme  de  docteur.  Dès 
qu'il  fut  entré  dans  l'enseignement,  il  se  maria 
pour  être  dégagé  des  soins  matériels  de  la  vie, 
et,  autant  pour  se  créer  des  ressources  que  pour 
propager  ses  vues  ,  il  donna  des  leçons  particu- 
lières de  grec  et  de  lalin,  et  composa  des  gram- 
maires simples  et  claires  à  l'usage  de  ses 
nombreux  élèves.  Il  portait  dans  ses  cours  un 
tel  esprit  d'ordre  et  d'analyse  qu'il  se  flattait 
d'enseigner  le  latin  en  huit  mois,  le  grec  en 
vingt  jours,  la  sphère  en  huit  ou  dix,  la  rhéto- 
rique en  deux  mois,  la  philosophie  et  la  mu- 
sique en  moins  de  temps  encore.  Malgré  une  vie 
active  et  laborieuse,  il  ne  parvint  pas  à  sortir 
de  la  médiocrité,  et  il  mourut. pauvre,  comme  il 
avait  vécu.  Ses  travaux  du  reste,  qui  faisaient  au 
dehors  la  gloire  de  son  pays,  étaient  mal  rétri- 
bués; il  était,  en  butte  aux  tracasseries  de  ses 
collègues,  qui  l'accusaient  d'innover.  L'admira- 
tion des  étrangers  le  vengea  de  leur  indifférence 
et  de  leur  basse  jalousie  :  Juste  Lipse  l'appelle 


252 
le  Mercure  et  l'Apollon  de  l'Espagne,  Scioppius 
un  homme  divin,  et  Baillet  le  prince  des  gram- 
mairiens. Par  son  savoir,  l'excellence  de  sa  mé- 
thode, la  pureté  de  son  style  et  sa  prodigieuse 
lecture,  Sanchez  mérite  en  partie  ces  éloges,  bien 
qu'on  puisse  lui  reprocher  le  mépris  avec  lequel  il 
traite  ses  devanciers,  qu'il  accuse  de  ne  pas  savoir 
lagramrnaire,  Quintilien  y  compris.  On  a  de  lui  : 
De  arte  dicendi;  Salamanque,  1556, 1569, 1573, 
in-8°;  Anvers,  1 592,  in-8°;  les  dernières  édit.  con- 
tiennent de  plus  trois  élégies  etumparaphrase 
de  Y  Art  poétique  d'Horace; —  Verse  brèves- 
que  grammatiese  latinse  insliluliones;  Lyon, 
1562,  in-8°;  Salamanque,  1566,  1587,  1595r 
in-8";  on  trouve  à  la  suite  un  Arte  para  saber 
latin,  en  vers  rimes;  —  Organum  dialecticum 
et  rhetoricum ;  Lvon,  1579,  in-8°;  —  Sphera 
mun di ;  Salam.,  1579,  in-8°;  —  Grammatices 
grœcse  compendium;  Anvers,  1581  in-8°,  et 
Salam..  1592,  in- 8", avec  des  corrections;  —  De 
auctoribus  interpretandïs ;  Anvers,  1581,in-8°; 
—  Paradoxa;  ibid.,  1582,  in-S°  :  choix  de  cinq 
dissertations  grammaticales;  —  Minerva,  seu 
de  causis  linguse  latinse;  Salam.,  1587,  in-8". 
Accueilli  favorablement  en  France  et  en  Italie, 
cet  ouvrage,  où  Sanchez  a  éclairé  la  grammaire,  et  • 
qui,  au  rapport  de  Lancelot,  passe  sans  compa- 
raison tous  ceux  qui  l'ont  devancé,  lui  valut  le 
double  titre  de  Père  de  la  langue  latine  et  de 
Docteur  commun  de  tous  les  lettrés;  Ha.  eu  > 
beaucoup  d'éditions,  entre  autres  celles  d'Amst.,. 
1754,  1761,  in-S°,  avec  les  notes  de  Scioppius  et 
de  Perizonius;  de  Scheid,  Utrecht,  1795,  in-8"; 
et  de  C.-L.  Bauer,  Leipzig,  1793-1801  ou  1804, 
2  vol.  in. 8°;  —  De  nonnullis  Porphyrii  alio- 
rumque  in  dialeclica  erroribus;  Salam., 
1588,  1597,  in-8°.  Tous  ces  écrits,  à  l'exception  J 
de  Minerva,  ont  été  recueillis  par  G.  May  ans 
(Genève,  1766,  4  vol.  in-8°).  On  doit  encore  J 
à  Sanchez  des  éditions  annotées  des  Sylvss 
de  Politien  (1554),  des  Emblemala  d'Alciat 
(1563),  des  Œuvres  de  Garcilaso  de  la  Vegaetj 
de  Juan  de  Nieva  (1574),  des  Bucoliques  de 
Virgile  (1591),  des  Satyres  de  Perse  (I59i),  de 
Pomponius  Mêla,  etc.  Enfin  le  dernier  ouvrage! 
qu'il  ait  mis  au  jour  est  une  traduction  espagnole  i 
du  Manuel  d'Épictète  (Salam.,  1600,  in-S°). 

N.  Antonio,  Bibl.  Hispananova.  —  Adam,  F  Use  phi- 
losophorum.  —  Notice  ,  à  la  tête  des  Operu  omnia. 

sanchez  (Thomas),  casuiste  espagnol,  ni 
à  Cordoue,  en  1550,  mort  à  Grenade,  le  19  mai 
1610.  Il  entra  à  seize  ans  chez  les  Jésuites,  j 
termina  ses  études  avec  soin,  et  devint  directeuii 
du  noviciat  que  la  Compagnie  possédait  à  Gre 
nade.  Il  n'y  a  rien  de   plus  à  dire  sur  la  vie  d< 
Sanchez,  et  son  nom  serait  aujourd'hui  tout  c: 
fait  oublié  s'il  n^était  l'auteur  du    célèbre  trait* , 
De  matrimonio ,  qu'il  publia  à  Gênes,  en  1592 
Sanchez  s'est  proposé  d'y  décrire  tous  les  péché: 
que  peuvent  commettre  entre  eux  l'homme  et  li 
femme  dans  l'étal  de  mariage;  et  il  l'a  fait  avei 
une  abondance  de  détails,  un  cynisme  d'exprès  j 


253  SANCHEZ 

lions  dont  on  ne  connaît  pas  d'autre  exemple. 
On  a  beaucoup  vanté  la  sainteté  de   la  vie,  la 
pureté  des  mœurs  de  Thomas  Sanchez,  et  à  cet 
égard  il  y  a  presque  unanimité  parmi  les  bio- 
graphes: «  C'est  au  pied  du  crucifix  qu'il  écrivait 
son  ouvrage  »,  dit  l'un  d'eux  (1) .  Suivant  Sotwel, 
Sanchez  était  d'une  vertu  admirable,  et  d'une 
chasteté  telle  qu'il  conserva  sa  virginité  jusqu'au 
tombeau,...    Castimonia    tanlum   decus ,  ut 
virginitatis   jlorim   in     tumulum    intule- 
ril  (2).  Tout  cela  est  cependant  bien  difficile  à 
croire,  quand  on  parcourt  le  De  matrimonio,  où 
l'on  rencontre  décrits  à  chaque  page,  et  longue- 
ment discutés,  les  plus  effroyables  raffinements 
de  luxure  qu'ait  jamais  pu  rêver  une  imagination 
en  délire.  L'ouvrage  lit  scandale  dès  son  appari- 
tion; et,  circonstance  curieuse,  ses  adversaires 
ne  purent   pourtant  obtenir  sa  condamnation. 
Tous  les  recueils  biographiques  racontent  que  le 
permis  d'imprimer  donné  par  le  supérieur  ec- 
clésiastique de  Sancbez  portait  ces  mots  :  Legi, 
perlegi  maxima  cum  voiuplale.  Si  cette  men- 
tion a  réellement   existé,  ce  ne  peut  être  que 
sur  l'édition  priuceps,  et  nous  l'avons  vainement 
cherchée  dans  toutes  les  bibliothèques  publiques 
de  Paris;  toutes  les  éditions  postérieures  à  1600 
portent  une  approbation  conçue  suivant  la  for- 
mule ordinaire.  Dans  son  ordre  du  moins,  San- 
cbez paraît  avoir  joui  jusqu'à  la  fin  d'une  grande 
considération;  l'archevêque  et  le  conseil  royal 
de  Grenade  assistèrent  à  ses  obsèques,  que  l'on 
s'efforça  de  rendre  solennelles.  Le   traité   De 
matrimonio,  publié  à  Gênes,  en  1592,  in  fol.,  à 
été  très- fréquemment  réimprimé;  mais  l'édition  la 
plus  recherchée  est  celle  d'Anvers,  1607,  3  tom.ën 
1  vol.  in-fol .,  qui  a  été  donnée  par  Martin  Nutius. 
On  doit  encore  à  Th.  Sancbez  :  Concilia,  seu 
épuscula  moralia;  Lyon  1635,  in-fol.  ;  — Opus 
momie  in  prxcepta  decalogi;  Madrid,  1613; 
L\on.    1621;  Anvers,   1624,  2    vol.  in-fol.  Ses 
Œuvres  complètes  ont  été  publiées  à  Venise, 
en  1740,  7   vol.  in-folio.  On  a  publié  plusieurs 
abrégés  du  De  matrimonio  ;  les  plus  connus  sont 
ceux  de  J.-A.  Cadeus,  de  Vincent  Ricci,  et  de 
. E.-L.  Soares;  voici  le  titre  de  ce  dernier  :  Com- 
pendium  traclatus  de  s.  matrimonii  sacra- 
menlo;  Cologne,  1623,  in-12.  On  trouveencore 
deux  extraits  de  ce  livre  dans  quelques  ouvrages 
récents  publiés  contre  les  Jésuites;  nous  cite- 
rons seulement   :   Résumé  de  la  doctrine  des 
Jésuites,  ou  extraits  des    assertions  dange- 
,reuscs  et  pernicieuses  soutenues  par  les  J4- 
f$ui/es ;  Paris ,  1826,  in-12;  c'est  un  abrégé  de 
[V Er trait  des  assertions  dangereuses  soute- 
\iwes  par  les  Jésuites   dans  leurs   ouvrages 
|  dogmatiques,  qui  fut  publié  en  1762,  par  ordre 
[du  parlement;   l'ouvrage  de  Sancbez  y  joua  un 
[grand  rôle.  Alfred  Fkankun. 

,     Alcg.-nnbc  et  Sntwel,  liibl.   scri/it   Se.   Jeun.—  Elo- 
(litim  IL  l>.  Thomx  Sanchez,  en  tète  rie  presque  toutes 


(1)  Dict.  fiist.  des  auteurs  écriés.,  t.  IV,  p.  139 
l-î  SoUvc!,  bibl.  script.  Sor.  Jesu,  p.  S5J. 


254 

les  tidit.  du  Pc  matrimonio.  —  N.  Antonio,  Bibl.  kispana 
nova.  —  Pa'iniant».  —  Th.  Haynaud,  De  malis  et  bonis 
libiis.  *-  Rtaret,  Exphcatio  necalo<ii. 

sakchez  (François),  médecin  portugais,  né 
en  1552,  àTuy,  mort  en  1632,  à  Toulouse.  Il  était 
fils  d'un  médecin,  juif  de  religion,  qui  l'emmena 
de  bonne  heure  à  Bordeaux.  Se  destinant  à  la 
même  profession,  il  visita  une  partie  de  l'Italie, 
et  prit  ses  degrés  à  Montpellier.  Afin  de  se  tenir 
à  l'écart  des  querelles  religieuses  qui  troublaient 
cette  ville,  il  s'établit  à  Toulouse,  où  il  professa 
la  philosophie,  puis  la  médecine;  il  y  dirigea 
aussi  pendant  trente  ans  l'hôtel-Dieu.  C'est  un 
grand  pyrrhonien,  a  dit  Bayle,  qui  l'a  jugé 
légèrement,  et  sur  le  titre  de  son  premier  traité 
de  philosophie  :  De  mullum  nobili  et  prima 
universali  scientia  quod  nihil  scitur  (Lyon, 
1581,  in-4°  ;  Francfort,  1628,  in-8°  ).  Au 
lieu  de  placer  Sanchez  à  côté  de  Montaigne  et 
de  Charron,  il  convient  mieux  d'en  faire  un 
précurseur  de  Descaries.  «  Mon  dessein,  dit-il, 
est  de  fonder  une  science  solide  et  facile ,  pur- 
gée de  ces  chimères  et  de  ces  fictions  sans  fon- 
dements qu'on  rassemble  dans  le  but ,  non  de 
nous  instruire,  mais  de  nous  montrer  l'esprit  de 
l'auteur.  »  Mais  il  s'est  contenté  de  dresser  contre 
la  philosophie  scolastique  et  la  méthode  d'argu- 
mentation un  acte  d'accusation  en  règle,  et  les 
objections  qu'il  met  en  avant  se  retrouvent  plus 
tard  avec  plus  de  force  chez  Bacon,  il  définit  la 
science  rei  perfecla  cognitio;  s'il  veut  en 
rendre  l'étude  circonspecte ,  il  ne  conclut  pas 
à  l'impuissance  de  la  raison.  Son  livre  est  d'une 
lecture  agréable,  écrit  d'un  style  vif  et  animé; 
on  regrette  qu'il  n'ait  pas  achevé  sa  tâche,  en  fai- 
sant connaître  les  véritables  fondements  de  la 
science  et  de  la  méthode,  et  que  les  éclairs  de 
son  esprit,  suivant  l'expression  de  Tennemann, 
au  lieu  de  dissiper  les  ténèbres,  n'aient  servi 
qu'à  les  rendre  visibles.  Ulric  Wild  a  entrepris 
de  réfuter  le  prétendu  scepticisme  de  Sancbez 
dans  la  thèse  intitulée  Quod  aliquid  scitur 
(  Leipzig,  1664,  in-4°),  et  il  a  été  à  son  tour  ré- 
futé par  Daniel  Hartnack  (  Sanchez  aliquid 
sciens;  Stettin,  1665,  in-12).  Tous  les  écrits  de 
Sanchez,  ont  été  révisés  dans  l'édit.  de  Tou- 
louse, 1635,  in  4";  les  quatre  traités  philoso- 
phiques qui  en  font  partie  (  Quod  nihil  sciiïir, 
De  divinatione  per  soninum,  In  phijsiogno- 
micon  Arislo/elts,  De  longitudine  et  brevi- 
tale  vilos).  ont  été  réimpr.  à  Rotterdam,  1649, 
in-12.  P. 


N.  Anlonin,  BM.  hispana  nova.  —  Astrnc,  Ilist.  de 
la  faillite  de  Montpellier.  —  Patininna.—  Bayle.  Dict., 
et  Jolv,  Itemitrqves  sur  tiayle.  —  Tennemann,  Ilist.  de 
la  pliit"S"p/ue,  l\,  S08. 

sa  .t  c H  HZ  (  A  n  tonio- iSunes  Ribeiro  ) ,  méde- 
cin portugais,  né  le  7  mars  1699,  à  Penamacor, 
mort  le  1  k  octobre  1783,  à  Paris.  11  était  fils 
d'un  riche  négociant,  qui  loi  lit  donner  nue  édu- 
cation soignée.  Après  avoir  fréquenté  trois  ans 
l'université  de  Salamanque,  il  accepta  la  propo- 
sition d>«a  de  ses  oncles  qui  lui  offrait  la  main 


255  SANCHEZ 

de  sa  fille  s'il  voulait  s'appliquer  à  la  juris- 
prudence; la  lecture'  des  Aphorismes  d'Hippo- 
cratc  le  rendit  à  la  médecine,  pour  laquelle  il  avait 
montré  un  penchant  décidé.  Malgré  la  volonté 
de  sa  famille,  il  s'enfuit  secrètement,  et  alla  étu- 
dier à  Coïmbre.  Un  autre  oncle,  DiogoRibeiro, 
praticien  distingué  de  Lisbonne,  l'encouragea 
dans  sa  résolution,  lui  fournit  les  moyens  de 
continuer  son  éducation  médicale  jusqu'à  ce  qu'il 
eût  pris  ses  dégrés  à  Salamanque  (1724),  et  le 
pourvut  en  1725  de  la  place  de  médecin  pen- 
sionnaire de  la  ville  de  Benaventi.  Sa  passion 
pour  l'étude  poussa  bientôt  Sancbez  à  chercher 
hors  de  sa  patrie  les  moyens  de  la  satisfaire  ;  il  vi- 
sita successivement  Gênes,  Londres,  Montpellier, 
Paris  et  Leyde,  où  il  adopta  avec  une  sorte 
d'enthousiasme  les  doctrines  de  Boerhaave. 
L'impératrice  Anne  s'étant  adressée  à  ce  dernier 
pour  obtenir  trois  médecins  de  son  école  à  qui 
elle  destinait  des  postes  éminents  en  Russie 
(1731),  Sanchez  fut  désigné,  et  il  devint  succes- 
sivement premier  médecin  de  Moscou,  médecin 
de  Pétersbonrg  (1733),  médecin  des  arméees 
(1735),  du  corps  des  cadets,  de  la  cour  (1740), 
et  du  tsar  Ivan.  Pendant  son  séjour  en  Russie,  il 
rendit  beaucoup  de  services  à  la  science,  non- 
seulement  par  ses  observations  de  toutes  sortes, 
mais  par  ses  envois  de  productions  naturelles  et 
par  son  active  correspondance.  Il  fut  avecEuler 
un  de  ceux  qui  contribuèrent  à  la  célébrité  de 
l'Académie  de  Pétersbourg ,  à  laquelle  il  appar- 
tenait. A  l'avènement  d'Elisabeth,  il  éprouva  tant 
de  désagréments,  par  suite  de  son  attachement  à 
la  famille  déchue,  qu'il  quitta  la  Russie  pour  s'é- 
tablir à  Paris  (1747).  Sanscesserde  cultiver  les 
sciences,  il  exerça  sa  profession  en  philosophe, 
c'est-à-dire  pour  les  pauvres;  aussi  serait-il 
tombé  dans  la  gêne  si  les  gouvernements  de 
Russie  et  de  Portugal  n'étaient  venus  ,  tardive- 
ment il  est  vrai,  au  secours  de  sa  bienfaisance. 
Il  était  correspondant  de  l'Académie  des  sciences 
de  Paris.  On  a  de  lui  :  Dissertation  sur  l'ori- 
gine de  la  maladie  vénérienne  ;  Paris,  1750, 
1765,  in-8°,  et  1753,  1772,  in-12;  Leyde,  1777, 
in-12  ;  trad.  en  anglais  en  1751  et  en  allemand  : 
on  y  prouve  que  cette  maladie  n'a  pas  été  ap- 
portée d'Amérique,  mais  qu'elle  était  connue  en 
Italie  au  mois  de  juin  1493,  époque  antérieure  au 
premier  retour  de  Christophe  Colomb;  —  Exa- 
men historique  sur  l 'apparition  delà  maladie 
vénérienne  en  Europe;  Lisbonne  (Paris),  1774, 
in-8°  :  cet  opuscule  et  le  précédent  ont  été  réu- 
nis par  les  soins  deGanbius;  Leyde,  1777,  in-8°; 
—  Tratado  da  conservaçao  da  sande  dos  po- 
vos  (De  la  conservation  de  la  santé  des  peuples); 
Paris,  1756,  in  8°;  Lisbonne,  1757,  in-4°;  —  Me- 
todo  per  aprender  a  estudiar  a  medicina; 
s.  A.,  1763,  in-8°;  en  français,  1783,  in-8°;  — 
Observations  sur  les  maladies  vénériennes  ; 
Paris,  1785,  in-8°;  trad.  en  allemand  et  en  por- 
tugais :  dans  cet  ouvrage,  publié  par  Andry,  on 
trouve  un  effrayant  tableau  des  ravages  causés 


-  SANCHO  256 

I  par  le  virus  vénérien.  «  Rien ,  dit  l'auteur,  ne 
f  peut  détruire  ce  virus  quand  une  fois  il  a  été  in- 
troduit dans  l'économie ,  et  il  se  transmet  en- 
suite de  génération  en  génération.  Ceux  qui  ont 
été  affectés  lors  de  la  première  éruption  du  mal 
n'ont  jamais  été  guéris,  non  plus  que  leurs  en- 
fants; de  là  tous  les  maux  qui  affligent  le  genre 
humain,  »  Sanchez  prétend  que  ce  fut  lui  qui 
enseigna  à  van  Swieten  l'usage  du  sublimé, 
bien  que  ce  dernier  n'en  ait  jamais  parlé.  Il  four- 
nit aussi  à  Y  Encyclopédie  méthodique  un  ar- 
ticle remarquable  sur  les  Affections  de  Vâme. 
Les  manuscrits  qu'il  légua  à  son  ami  Andry  for- 
maient 27  vol.  in-fol.  et  traitaient  de  religion ,  de 
politique,  de  morale,  de  physique  et  de  matière 
médicale.  On  a  publié  le  Catalogue  de  sa  bi- 
bliothèque, dont  la  vente  fut  faite  par  Debure. 

Andry,  Précis  hist.  sur  Sanc/iei,  à  la  tôte  du  Cota' 
logue;  Paris,  1783,  in-8°.  —  lnn.  da  Silva,  Dicc.  bibliogr. 
porluguese.  —  Biogr.  méd.  —  Vicq  d'Azyr,  Éloges.  — 
Kova  Acta  Acad.  petropolitan.se ,  t.  I,  hist.,  p.  214. 

sanchez    (  Thomas  -  Antonio) ,   littérateui 
espagnol,  né  en  1732,  à  Burgos,mort  en  juin 
1798,  à  Madrid.  Versé  dans  la  connaissance  des 
langues  anciennes    et   modernes,  doué  d'une 
vaste  érudition ,  il  rendit  un  véritable  service  È 
son  pays  en  débrouillant   le  chaos  des  siècles 
obscurs  où  prit  naissance  la  poésie  espagnole. 
ainsi  qu'en  publiant  des  éditions  annotées  de  plu- 
sieurs auteurs    classiques,   comme   Garcilaso 
Quevedo  et  Cervantes;  son  Apologie  de  céder 
nier  (Madrid,  1788,  in-8°  )  est  un  morceau  d(| 
bonne  critique.  Mais   il  est  surtout  connu  pai 
son  estimable  Coleccion  depoesias  castellana.1 
anteriores    al  siglo  XV;   Madrid,  1779-1790 
4  vol.  in-8°,  réimpr.  à  Paris,  1842,  gr.  in-8° i 
deux  colonnes,  et  qu'il  n'a  pas  malheureusemen 
menée  à  fin.  Sanchez  fut  bibliothécaire  des  roi;  ) 
Charles  III  et  Charles  IV. 
Ticknor,  Hist.  of  spanisft  Uterature,  III. 

I.  Sancho,  roi  d'Aragon. 

sancho,  roi  d'Aragon  et  de  Navarre,  né  ver  | 
1037,  tué  le  6  juillet  1094,  devant  Huesca.  Fil  I 
et  successeur  de  Rarniro  1er  (1063),  qui  lors  d  | 
partage  des  États  de  Sancho  III,  roi  de  Navarre  S 
avait  obtenu  l'Aragon,  il  fut  proclamé  roi  san  i 
opposition,  et  parvint,  grâce  à  l'amour  qu'il  su  ■ 
inspirer  à  ses  sujets ,  à  maintenir  la  paix  intt; 
rieure  durant  un  règne  de  trente  ans,  ainsi  qu' 
mettre  ses  frontières  en  sûreté  contre  ses  puL1 
sants  voisins,  chrétiens  et  musulmans.  D'accor. 
avec  Alfonse  VI  de  Castille,  il  saisit  pour  pr< 
texte   l'assassinat  de   Sancho  IV,  leur  cousi 
.germain,  pour  envahir  la  Navarre,  et  pour  sa  pai 
il  prit,  avec  le  titre  de  roi,   les  provinces  qilï 
touchaient  aux  Pyrénées  (1076).   Il  fit  aussi  | 
plusieurs  reprises  la  guerre  au\  infidèles,  etlei. 
enleva  la  ville  de  Balbastro;  mais  il   périt   ell 
assiégeant  Huesca,  d'un  coup  de  flèche  qui  l'a    ] 
teignit  à  l'aisselle.  Quelques  auteurs  prétende] 
que  l'Aragon  lui  est  redevable  de  la  substitutic 
des  lois  romaines  au  code  goth,  jusqu'alors  f  a 


257  SANCHO 

vigueur*  De  Félicie,  fille  d'un  comte  de  Rouci, 
il  eut  trois  fils,  Pedro  1er,  Alfonse  Ier  et  Ra- 
miro  II,  qui  régnèrent  après  lui  successivement. 

Zurlta,  Ann.  de  Aragon.  —  Schmldt,  Cesch.  Arago- 
niens.  —  Abarca,  Los  Reyes  de  Aragon. 


258 


H.  Sancho  I  à  iv,  rois  de  Castille  et  de  Léon. 

sancho  Ier,  le  Gros,  roi  de  Léon,  mort  en 
septembre  967,  était  issu  d'un  second  lit  de  Ra- 
miro  II,  et  succéda,  en  août  955,  à  OrdoBo  IN, 
son  frère  consanguin.  Habile  soldat,  il  avait 
guerroyé  contre  les  Maures  avec  son  père,  à  la 
mort  duquel  il  avait  en  vain  tenté  de  s'emparer 
du  pouvoir.  En  956  les  seigneurs  s'unirent  contre 
lui,  et  l'obligèrent  de  céder  le  trône  à  un  fils 
i'Alfonse  IV,  qui  fut  proclamé  sous  le  nom  d'Or- 
lono  IV.  Sancho  se  retira  d'abord  à  Pampelune, 
puis  à  Cordoue,  et  il  mit  à  profit  la  science 
les  médecins  arabes  pour  se  guérir  d'une  obésité 
excessive,  qui  l'avait  rendu  impropre  aux  exer- 
cices du  corps.  En  960  il  obtint  de  l'amitié 
l'Abd-er-Rahman,  son  hôte,  une  armée  àl'aide 
le  laquelle  il  chassa  l'usurpateur  et  reprit,  sans 
;xcès  ni  violence ,  possession  de  ses  États.  Une 
expédition  qu'il  entreprit  en  967  dans  la  Galice, 
ix>ur  soumettre  quelques  seigneurs  qui  visaient 
»  l'indépendance,  lui  fut  fatale  :  il  fut  empoi- 
onné  par  l'un  d'eux,  dans  une  entrevue,  et 
nourut  trois  jours  plus  tard,  au  monastère  de 
Jastrillo,  sur  les  bords  du  Minho.  Son  fils  Ra- 
oiro  III  lui  succéda. 

Sancho  II,  le  Fort,  roi  de  Castille,  né  vers 
1035,  tué  le  6  octobre  1072,  devant  Zamora. 
L'aîné  des  fils  de  Ferdinand  Ier,  ii  lui  succéda, 
m  1065,  au  royaume  de  Castille,  en  même 
.emps  que  ses  frères  étaient  proclamés,  en  vertu 
lu  traité  de  partage  de  1064,  Alfonse  roi  de 
liiéon,  et  Garcias  roi  de  Galice.  Les  trois  frères, 
pien  que  mécontents  de  la  part  qui  leur  était 
ichue,  vécurent  d'abord  en  assez  bonne  intelli- 
gence; à  la  mort  de  leur  mère  Sancha  (nov. 
f[067),  la  rupture  éclata  entre  eux.  Castillans  et 
[Léonais  marchèrent  les  uns  contre  les  autres,  et 
l'étant  rencontrés  dans  un  lieu  appelé  Llantada 
(juillet  1068),  ils  combattirent  à  outrance,  avec 
pe  grande  perte  d'hommes.  En  1701  ils  repri- 
rent les  armes ,  et  la  bataille  qu'ils  se  livrèrent 
[i  Volpejar  fut  encore  plus  sanglante  ;  Sancho  la 
|;agna  avec  l'aide  du  fameux  Cid ,  fit  Alfonse 
tisonnier,  le  dépouilla  de  ses  États,  et  le  força 
le  revêtir  l'habit  monacal.  Maître  de  Léon  et  des 
Isturies,  il  se  retourna  aussitôt  contre  son  se-- 
|:ond  frère,  Garcias,  et  obtint  sans  coup  férir  la 
oumission  des  Galiciens,  fatigués  du  joug  d'un 
:yran  imbécile.  Ce  que  convoitait  Sancho,  c'était 
e  domaine  entier  qui  avait  appartenu  à  son  père  : 
!  n'y  manquait  plus  pour  le  reconstituer  sons 
on  autorité  que  les  villes  deToro  et  de  Zamora, 
lonnées  en  apanage  à  ses  sœurs.  L'une  d'elles, 
-lvira,  ne  lui  opposa  aucune  résistance  dans 
"oro  ;  mais  la  seconde.  Urraca,  s'enferma  dans 
'amora,  et  s'y  défendit  avec  un  courage  tout  vi-  ' 

NOUV.  BIOGR.   GÉNÉK.    —  T.    XL1II. 


ril.  Il  y  avait  quelque  temps  que  le  siège  durait 
lorsqu'un  des  principaux  habitants,  nommé  Bel- 
lidod'Olfos,  sortant  tout  à  coup  de  la  ville,  frappa 
d'un  coup  de  lance  le  roi  Sancho,  qui  se  prome- 
nait dans  son  camp.  Cet  événement  réunit  les 
couronnes  de  Castille  et  de  Léon  sur  la  tête 
d'Alfonse  VI.  Sancho  n'avait  point  laissé  d'en- 
fants de  sa  femme  Alberta ,  dont  l'histoire  ne 
fait  pas  connaître  la  patrie. 

Sancho  III,  né  vers  1130,  mort  le  31  août 
1158,  à  Tolède,  succéda  en  1157  à  Alfonse  VIII, 
son  père,  qui,  lors  du  partage  de  ses  Étals  (1047), 
lui  avait  donné  la  Castille  et  la  Biscaye,  avec  le 
titre  d'empereur.  Il  se  montra  courageux  et 
ferme,  en  forçant  les  rois  de  Navarre  et  de  Léon 
à  reconnaître  sa  suzeraineté;  mais  il  mourut 
d'une  façon  inattendue,  laissant  pour  successeur 
Alfonse  IX,  son  fils.  Ce  fut  sous  son  règne  que 
l'abbé  Raimond  inslitua  l'ordre  militaire  de  Ca- 
latrava,  sous  la  règle  de  Citeaux. 

Sancho  IV,  le  Brave,  roi  de  Castille  et  de 
Léon,  né  le  13  mai  1258,  mort  le  25  avril  1295, 
à  Tolède.  C'était  le  fils  puîné  d'Alfonse  X  et  de 
Violante  d'Aragon.  «  Il  fut,  dit  M.  Romey,  le  vé- 
ritable roi  espagnol  du  moyen  âge,  brave,  dur, 
plein  de  saillies,  d'esprit  et  de  caractère.  Caus- 
tique, âpre  et  hautain,  spirituel  et  illettré  tout 
ensemble ,   il  portait  je  ne  sais  quelle  jactance 
jusque  dans  la  grandeur  vraie.  Sur  sa  bravoure 
il  n'y  avait  qu'une  voix  en  Europe.»  A  douze  ans 
il  avait  épousé  la  fille  d'un  vicomte  de  Béarn, 
Guillelmine,  qui  mourut  peu  de  temps  après. 
De  bonne  heure  il  montra  des  instincts  guer- 
riers. Lors  de  l'invasion  du  midi  de  l'Espagne 
par  l'émir  de  Maroc  (1275),  il  s'empressa  de  ras- 
sembler des  troupes  et  de  mettre  en  bon  état  de 
défense  les  frontières  de  l'Andalousie;  il  harcela 
les  musulmans,  mais  sans  les  contraindre  à  se 
rembarquGr,  ainsi  qu'on  l'a  prétendu,  puisqu'ils 
ne  furent  ni  entamés  dans  leur  retraite  volon- 
taire ni  dépouillés  de  leur  immense  butin.  Pen- 
dant la  guerre  l'infant  Ferdinand  de  la  Cerda 
était  mort  subitement.  Aussitôt   Sancho  réunit 
les  grands,  et  se  fit,  au  détriment  des  fils  de  son 
frère  aîné,   reconnaître  pour  l'unique  héritier 
présomptif  du  trône.  Un  an  plus  tard  il  vit  ses 
prétentions  approuvées  du  roi ,  qui,  pour  donner 
à  sa  décision  plus  de  solennité,  la  présenta  à 
l'assentiment  des  cortès,  convoquées  tout  exprès 
à  Ségovie  (1276).  Dès  lors  Sancho  prit  part  aux 
affaires  et  s'appliqua  à  fortifier  son  parti  :  son 
alliance  avec  Maria  de  Molina,  issue  du    sang 
castillan,  y  contribua     singulièrement   (juillet 
1281).  Lorsqu'en  1282  il  se  révolta  contre   son 
père,  il  eut  tout  le  royaume  pour  lui.  Craignant, 
avec  raison,  que  l'héritage  paternel  ne  fût  partagé 
entre  lui  et  ses  neveux,  il  résolut  de  s'en  empa- 
rer seul  :  s'il  refusa  le  titre  de  roi ,  il  s'en  laissa 
conférer  toute  l'autorité  sous  celui  plus  modeste 
de  régent.  Alfonse  X,  abandonné  de  la  plupart  de 
ses  sujets,  fulmina  contre  Sancho,  le  maudit,  le 
déclara  impie  et  parricide,  et  le  déshérita ,  par 

9 


$m  SANCHO 

un  acte  daté  de  Séville,  le  8  novembre  1282.  En 
désespoir  de  cause,  il  eut  recours  à  l'émir  de 
Maroc,  tandis  que'  son  fiis  recherchait  l'alliance 
de  l'émir  de  Grenade.  La  guerre  se  prolongea 
jusqu'à  la  mort  d'Alfonse  (4  avril  1284).  San- 
clio,  que  le  vieux  roi  maudit  encore  in  extre- 
mis, en  l'exceptant  seul  du  pardon  qu'il  avait 
accordé  aux  rebelles,  lui  succéda  néanmoins  sans 
opposition.  Couronné  le  30  avril  suivant,  à  To- 
lède, il  fit  déclarer  pour  héritière  sa  fille  Isa- 
bella,  acte  importaut  qui  établissait,  éventuelle- 
ment toutefois  et  à  défaut  d'enfant  mâle ,  le  droit 
des  femmes  à  porter  la  couronne  de  Castille.  Ea 
1285  il  eut  à  repousser  une  invasion  de  l'émir 
marocain  Abou-Youssouf  Yacoub ,  qui  pour  la 
quatrième  fois,  suivant  les  historiens  musulmans, 
faisait  le  voyage  d'Espagne  (1);  mais  avec  sa  di- 
ligence accoutumée ,  il  le  cerna  par  terre  et  par 
.imer,  et  l'émir,  qui  s'était  attardé  au  siège  de 
Xérès  de  laFrontera,  s'estima  heureux  d'ache- 
ter le  salut  de  son  armée  au  prix  de  deux  millions 
de  maravedis.  L'ambition  d'un  favori,  Lope  de 
Haro,  causa  de  nouveaux  troubles.  Sancho,  qui 
lui  devait  eu  grande  partie  la  couronne,  l'avait 
comblé  de  faveurs  et  de  biens.  Marié  à  une  sœur 
de  la  reine,  ce  vassal  trop  puissant,  égal  au  roi, 
rapporte  une  chronique,  en  état  et  en  rentes,  s'é- 
tait donné  un  allié  dans  un  frère  de  Sancho ,  le 
turbulent  Juan,  qu'il  avait  choisi  pour  gendre.  Il 
ouvrit  en  1287  les  hostilités  contre  le  roi,  sans 
donner  d'autre  motif  que  son  plaisir  et  sa  vo- 
lonté. Il  poussa  l'arrogance  jusqu'à  se  présenter, 
escorté  d'une  suite  nombreuse,  aux  cortès  assem- 
blées à  Alfaro  (mai  1288),  pour  délibérer  s'il 
convenait  mieux  de  faire  la  paix  avec  l'Aragon 
qu'avec  la  France.  L  'Aragon  avait  épousé  la 
querelle  des  infants  de  la  Cerda ,  et  Haro,  ainsi 
que  Juan,  qui  l'accompagnait,  se  déclarèrent  in 
solemment  pour  l'Aragon.  Le  roi,  hors  de  lui, 
ordonna  de  les  retenir  prisonniers.  Un  tumulte 
épouvantable  éclata  :  Haro,  qui  avait  levé  l'épée 
sur  le  roi,  fut  tué  d'un  coup  de  masse,  et  Juan 
trouva  à  grand'peîne  un  refuge  dans  la  chambre 
de  la  reine.  Rien  de  plus  confus  que  cette  pé- 
riode du  règne  incertain  et  agité  de  Sancho.  Le 
parti  favorable  aux  prétentions  de  la  Cerda  ral- 
luma la  guerre  en  Biscaye ,  puis  avec  l'Aragon. 
Le  roi  châtia  durement  ses  sujets  rebelles,  et  ra- 
vagea le  pays  jusqu'à  l'Ebre  ;  mais  chaque  année 
l'agitation  recommençait ,  et  le  feu  de  la  révolte 
se  rallumait  sans  fin  dans  quelque  province,  à 
l'instigation  des  nobles  batailleurs.  La  prise  de 
Tarifa  fut  pour  Sancho  un  fait  plus  glorieux  :  il  s'en 
empara  de  vive  force,  le  21  sept.  1292;  mais  une 
maladie  de  langueur  le  minait  depuis  longtemps, 
et  il  y  succomba,  en  1295,  n'ayant  pas  encore 
trente-sept  ans  accomplis.  Son  mariage  avec 
Maria  de  Molina,  sa  parente  à  un  degré  prohibé 
par  l'Église,  lui    avait  causé  de  perpétuelles 


(1)  I.'émir  avait  écrit  au  rel  pour  lui  offrir  la  paix  ou  la 
guerre.  «  Je  tiens  le  gâteau  d'une  main  et  le  bûton  de 
i'autre,  répondit  Sancho;  tu  peux  choisir.  » 


260 

tribulations,  et  la  validité  n'en  fut  reconnue 
qu'après  sa  mort  par  une  bulle  de  Boniface  YIIL 
L'aîné  de  ses  fils  lui  succéda,  sous  le  nom  de 
Ferdinand  IV. 

Cronica  del  rey  D.  Sancho.  —  Mariana,  Ferreras, 
Conde.  —  Romey,  Hist.  d'Espagne.  —  Rosscuw  Sa*nt- 
Hilaire,  Idem.  —  Cronica  gênerai  de  Espaîia. 

III.  SANCHO,  roi  de  Majorque. 
sancho,  roi  de  Majorque ,  mort  le  4  sep- 
tembre 1324,  à  Formiguera,  dépendance  du 
pays  de  Foix.  Second  fils  de  Jacques  Ier,  il  lui 
succéda  en  13 il  dans  le  gouvernement  des  iles 
Baléares ,  du  Roussillon  et  de  la  seigneurie  de 
Montpellier,  pour  laquelle  il  fit  hommage  à  Phi- 
lippe le  Bel.  On.  le  représente  comme  un  prince 
pieux  et  équitable.  11  prit  part  avec  son  cousin 
l'infant  d'Aragon  à  la  conquête  de  la  Sardaigne 
sur  les  Pisans  (1324).  Son  neveu  Jacques  II  lui 
succéda. 

Veissète,  Hist.  du  Languedoc,  IV.  —  Zurita,  Ann.  de 
Aragon. 

IV.  Sahcho  i  à  vu,  rois  de  Navarre. 

SANCHO  Ier,  roi  de  Navarre,  mort  en 925.  Fik 
de  Garcias  1er,  que  l'on  regarde  comme  le  pre- 
mier roi  de  la  Navarre,  il  succéda  en  905  à  For- 
tun,  son  frère  aîné,  qui  avait  abdiqué  pour  s( 
faire  moine.  Il  ne  prit,  à  ce  qu'il  semble,  le  titn 
de  roi  qu'après  avoir  conquis  et  donné  à  ce  pays  j 
les  limites  qu'il  eut  depuis  comme  royaume  in- 
dépendant.   Il  entreprit  une  expédition  au  deli  ', 
des  Pyrénées  pour  venir  en  aide  aux  Yasconj 
aquitains  (906)  ;  puis,  se  tournant  contre  le  gou  I 
verneur    arabe    de   Saragosse ,   qui    menaçai  I 
Pampelune,  il  remporta  sur  lui  unevictoire  écla  I 
tante  (907).  Chaque  année  deson  règne  est  mail 
quée  par  une  campagne  contre  les  musulmans  :.:  I 
leur  fit  une  guerre  fort  vive,  et  leur  enleva  plu  ■;; 
sieurs  villes.  Son  pouvoir  s'étendit  sur  toute  II 
contrée  située  entre  l'Êbre,  l'Aragon  et  le  Gai 
lego,  contrée  à  laquelle  on  commençait  de  donnt  | 
le  nom  d'Aragonie  (territorïwn  aragonense  ^ 
On  prétend  qu'en  919  Sancho,  accablé  d'ans 
d'infirmités,  se  retira  dans  le  monastère  de  Leyra 
mais  il  n'y  fit  pas  un  long  séjour  et  en  sortit  en  921 
à  l'appel  d'Ordoho  II,   roi  de  Léon,  son  alli* 
pour    stoppQser  à  la  formidable  invasion   di 
Arabes.  Vaincu  dans  la  sanglante  bataille  du  v 
de  Junquera,  il  tira  des  Arabes  de  cruelles  r 
présailles  lorsqu'au  retour  de  leur  expédition  i 
s'engagèrent  dans  les  gorges  étroites  des  Pyn 
nées  :  il  leur  fit  subir  de  grandes  pertes,  et 
riche  butin  dont  ils  revenaient  chargés  toml 
entre  ses  mains.  Ajoutons  que  les  ebroniqui 
chrétiennes  et  musulmanes  parlent  en  terni' 
contradictoires  de  cette  guerre,  et  que  du  re» 
on  sait  peu  de  chose  de  ce  règne,  d'où  date-  * 
réalité  l'existence  de  la  Navarre.  Outre  une  fil1 
mariée  àAlfonselV,  roi  de  Léon ,  Sancho  lais 
Garcias  Ier,  qui  lui  succéda. 

Sancho  II.  Le  règne  de  ce  prince  paraît  ap> 
cryphe  comme  celui  de  Garcias  H,  son  succe 
seur;on  ne  trouve  dans  les  chroniques  chi 


261 


SANCHO 


262 


tiennes  ou  dans  les  documents  contemporains 
rien  qui  les  justifie  l'un  et  l'autre.  C'est  pour 
combler  la  lacune  qui  s'étend  de  970  au  début 
du  onzième  siècle  que  les  historiens  navarrais  les 
ont  forgés.  D'après  eux  Sancbo  II,  fils  de  Gar- 
das Ier,  aurait  laissé,  en  994,  le  trône  à  son  fils 
Garcias  II,  mort  en  1000. 

Sancho  III,  le  Grand,  né  vers  9C5,  mort  en 
février  1035.  Au  milieu  des  ténèbres  qui  cou- 
vrent cette  période  de  l'histoire  de  la  Navarre,  il 
est  impossible  de  préciser  le  temps  où  il  succéda 
à  Garcias,  son  père  ;  mais,  en  le  supposant  alors 
mineur,  on  peut  placer  son  avènement  entre  970 
et  995,  ce  qui  s'accorde  avec  les  chroniques 
qui  donnent  à  son  règne  une  durée  de  soixante  à 
soixante-cinq  ans.  Ce  prince  est  la  grande  figure 
ïistorique  du  siècle.  Ni  violences  ni  perfidies  ne 
ui  coûtèrent  pour  agrandir  ses  États  :  on  le  vit 
)eti  à  peu  envahir  le  pays  de  Sobrarbe,  le  comté 
le  Rigaborza,  la  Vasconie  citérieure,  et  en  1028 
a  Castille,  dont  il  s'empara  pour  venger  rassas- 
iât du  comte  Garcias,  son  beau-frère.  Puis  il 
elourna  contre  Bermudo  III,  roi  de  Léon  (1032), 
>t  consentit  à  lui  laisser  l'apparence-du  pouvoir,  à 
a  condition  que  ce  jeune  monarque  s'engagerait, 
Tune  part,  à  marier  sa  sœurSancha  à  Fernando, 
I  econd  fils  de  Sancho ,  et  de  l'autre  à  ériger  en 
ioyaume  le  comté  de  Castille  (1033).  A  cette 
;poque  Sancho  III  tenait  entre  ses  mains  l'unité 

Pe  l'Espagne  chrétienne  :  il  détruisit  en  mourant 
œuvre  de  son  règne,  et  son  ambition  ne  fut 
irofUable  ni  à  sa  dynastie  ni  à  son  pays.  Celui 
![ue  les  chroniques  intitulent  roi  de  Navarre,  de 
"antabrie,  d'Aragon,  de  Sobrarbe,  de  Castille  et 
'le  Léon,  et  qui  porta  même,  dit-on,  le  titre 
Vempereur,  que  les  Goths  n'avaient  point  osé 
■rendre,  partagea  de  son  vivant,  suivant  le  fu- 
neste exemple  donné   par  les  rois  francs ,  ses 
astes  domaines  entre  ses  quatre  fils  :  Garcias 
laîné  lui  succéda  dans  la  Navarre  et  la  Biscaye  ; 
l'ernando  eut  la  Castille  ;Gonzalo  le  petit  royaume 
e  Sobrarbe,  réuni  en  1038  à  l'Aragon,  et  Ra- 
firo  l'Aragon.  Après  ce  partage,  «  triste  dénoue- 
ment d'une  vie  glorieuse  »,  Sancho  mourut  ac- 
oblè  d'années.  Aussi  pieux  que  guerrier,  il  se 
istingua  par  son  zèle  pour  la  fondation  des 
i  fouvents  et  pour  le  maintien  delà  discipline  ec- 
clésiastique. 
:  !  Sancho  IV,  fils  et  successeur  de  Garcias  III, 
J    é  vers  1038,  tué  le  4  juin  1076,  fut  élevé  en 
054  sur  le  trône,  après  la  désastreuse  bataille 
t  'Atapuerta,  dont  le  gain  donna  à  la  Castille  la 
1  ossession  de  toute  la  rive  droite  de  l'Èbre.  Au- 
^  un  événement  saillant  n'est  signalé  dans  son 
h  jîgne ,  et  il  paraît  n'avoir  été  occupé  qu'à  dis- 
|!  [uter  à  ses  voisins  chrétiens  et  musnlmans  le 
Itîtit  territoire  qu'on  lui  avait  laissé.  Il  périt 

I  jisassinépar  son  frère  Ramon  et  sa  sœur  Erme- 
c  inda  :  un  jour  qu'il  assistait  du  haut  d'un  rocher 
k:  [une  chasse  au  sanglier,  il  fut  précipité  en  bas 
h  \  assommé. 

I I  Sancho  V,  fils  de  Ramiro  Ier, roi  d'Aragon, 


s'empara  de  la  Navarre  au  préjudice  des  eufants 
de  Sancho  IV,  et  mourut  en  1094.  (  Voij.  San- 
cho d'Aragon.) 

Sancho  VI,  le  Sage,  mori  le  27  juin  1194,  suc- 
céda en  1150  à  Garcias  IV,  son  père.  Depuis  la 
mort  de  Sancho  III,  la  Navarre  n'exerça  plus  la 
moindre  influence  sur  les  destinées  de  la  pénin- 
sule. Ainsi  Garcias  IV  n'avait  pu  échapper  à  une 
ruine  totale  qu'en  reconnaissant  la  suzeraineté 
d'Alfonse  VII ,  roi  de  Castille.  Le  premier  acte 
de  son  fils  fut  de  rompre  un  vasselage  qui  lui 
pesait  :  à  la  faveur  des  troubles  qui  accompa- 
gnèrent la  minorité  d'Alfonse  VIII,  son  neveu, 
il  recouvra  en  1160  la  rive  droite  de  l'Ebre;  mais 
il  fa  perdit  de  nouveau  en  1 173 ,  et  ne  put  ré- 
sister aux  Castillans,  qui  s'avancèrent  jusqu'à 
Pampelune.  La  guerre  dura  plusieurs  années, 
sans  avantage  marqué;  il  était  difficile  de  faire 
des  conquêtes  durables  dans  une  terre  monta- 
gneuse et  hérissée  de  châteaux  forts.  Las  d'une 
lutte  inutile,  les  deux  princes  sollicitèrent  en 
1 177  la  médiation  de  Henri  II,  roi  d'Angleterre, 
qui  ordonna  la  restitution  intégrale  de  tout  ce 
qu'ils  s'étaient  enlevé  l'un  à  l'autre;  adhérant  à 
cette  sentence,  ils  jurèrent  la  paix  pour  dix  ans, 
et  la  rompirent  au  printemps  suivant.  Au  reste, 
toute  l'histoire  de  la  Navarre  se  réduit  à  de 
continuels  différends  avec  l'Aragon  et  la  Castille, 
et  il  fallut  à  ses  chefs  autant  de  valeur  que  d'ha- 
bileté pour  maintenir  entre  ces  puissants  voi- 
sins leur  précaire  royauté.  De  Sancha,  fille 
d'Alfonse  VIII  de  Castille,  Sancho  VI  eut  un 
fils  du  même  nom  (voy.  ci-après),  et  deux  filles, 
Bérengère^  mariée  en  1191  à  Richard.  Cœur 
de  Lion,  roi  d'Angleterre,  et  Blanche ,  qui 
épousa  Thibaut  III ,  comte  de  Champagne. 

Sancho  VII,  le  Fort  (1),  fils  et  successeur  de 
de  Sancho  VI,.  né  en  1154,  mort  à  Tudela,  le 
7  avril  1234.  Serré  de  près  par  les  rois  de  Cas- 
tille et  d'Aragon ,  les  ennemis  héréditaires  de  la 
Navarre,  et  abandonné  par  le  roi  d'Angleterre,  son 
beau-frère,  il  rechercha  l'amitié  des  Almohades, 
qui  dominaient  alors  à  Cordoue.  A  la  nouvelle 
de  cette  alliance  impie,  le  pape  Célestin  III  ful- 
mina contre  lui  une  sentence  d'interdit ,  et  In- 
nocent III,  son  successeur,  la  renouvela  en  1198. 
Loin  de  se  soumettre  aux  censures  de  l'Église, 
Sancho  remit  en  mains  sûres  le  gouvernement 
de  ses  États,  et  se  rendit  lui-même,  en  compagnie 
de  quelques  amis ,  à  la  cour  de  Mohammed , 
fils  de  Yacoub,  afin  d'obtenir  l'appui  de  cet  émir, 
qui  passait  alors  pour  le  véritable  arbitre  des 
destinées  de  la  péninsule.  Ce  fut  là  l'unique 
motif  de  son  voyage,  ef  non,  comme  l'ont  avancé 
sans  aucune  preuve  certaines  chroniques  pos- 
térieures ,  un  prétendu  mariage  entre  lui  et 
une  princesse  maure.  Pendant  son  absence  Al- 
fonse  de  Castille  entra  dans  la  Navarre,  et  la 
conquit  presque  tout  entière.  Sancho  se  décida  à 
y  revenir,  «  chargé,  dit  Rodrigue  de  Tolède,  de 

(1)  Sa  longue  «t  volontaire  réclusion  dans  le  château 
de  Tudela  lui  valot  aussi  le  surnom  de  l'Enferme. 

9. 


263 


SANCHO  —  SANCHONIATHON 


264 


présents  et  de  promesses,  mais  léger  d'honneur 
et  frustré  de  tout  ce  qu'on  lui  avait  promis 
(1220)  ;  »  toutefois,  il  ne  regagna  pas  les  provinces 
d'Aiava,  de  Biscaye  et  de  Guipuscoa,  qu'il  avait 
perdues,  et  n'obtint  qu'en  1207  une  paix  mal  dé- 
finie, grâce  à  l'intervention  du  clergé.  Lorsque 
l'Espagne  fut  menacée  d'une  invasion  nouvelle 
par  Mohammed  ben  Yacoub ,  il  fit  à  la  foi  chré- 
tienne le  sacrifice  de  ses  justes  ressentiments , 
se  joignit  à  la  croisade  placée  sous  les  ordres  des 
rois  de  Castitle  et  d'Aragon ,  qui  s'étaient  par- 
tagé ses  dépouilles,  contribua  à  la  glorieuse  vic- 
toire de  las  Navas  (16  juillet  1212);  outre  un 
riche  butin,  il  remporta  chez  lui  quelques 
morceaux  des  chaînes  de  fer  qui  entouraient  le 
camp  de  l'émir,  et  qui  de  l'écu  de  Navarre,  où 
elles  avaient  figuré,  passèrent  depuis  Henri  IV 
dans  les  armes  des  rois  de  France.  Le  reste 
de  son  règne  n'offre  plus  rien  de  remarquable , 
sinon  les  démêlés  sans  cesse  renaissants  avec 
la  Castille,  et  l'adoption  qu'il  fit  du  roi  Jayme 
d'Aragon  à  titre  d'héritier  présomptif;  mais  ce 
choix,  bien  que  ratifié  parles  grands,  demeura 
sans  effet ,  et  il  eut  pour  successeur  son  neveu 
Thibaut  Ier  de  Champagne*  Sancho  mourut  octo- 
génaire, et  en  lui  s'éteignit  la  race  d'inigo  ,  la- 
quelle avait  porté  haut  la  puissance  d'un  pays 
qui  finit  par  n'avoir  plus  de  sécurité  que  dans 
sa  faiblesse  même.  P. 

Morct,  Anales  de  Navarra.  —  Rosseuw  Saint-HIlaire, 
Ilist.  d'Espagne.  —  Romey,  Idem, 

V.  SANCHO  I  à  il,  rois  de  Portugal. 

SANCHO  1er,  roi  de  Portugal,  né  le  11  no-  | 
vembre  1154,  à  Coïmbre,  mort  le  27  mars  1211,  | 
dans  la  même  ville.  Il  était  filsd'Alfonso-Henri-  j 
quez,  premier  roi  de  Portugal,  et  de  Mafalda, 
princesse  de  Savoie.  Dès  l'âge  de  quatorze  ans,  | 
il  fit  ses  premières  armes  à  la  journée  d'Ar-  ! 
ganal  ;  il  chassa  les  Maures  de  TAiemtejo,  dé- 
livra la  place  d'Elvas,  et  contribua,  en  1184,  à 
l'éclatante  victoire  remportée  à  Santarem  sur  les 
Almoravides.  Trois  jours  après  la  mort  de  son 
père,  il  fut  couronné  roi   à  Coïmbre  (  9   dé- 
cembre 1185).  La  conquête  des  Algarves,  ga- 
gnée en  1189  avec  l'aide  d'une  flotte  de  croisés 
anglais  et  perdue  en  1 191,  est  l'événement  mili- 
taire le   plus  important  de  son  règne.  Prince 
guerrier  dans  son  extrême  jeunesse,  roi  pai- 
sible  lorsqu'il    commençait    a   atteindre    l'âge 
mûr,  il  mérita  alors  les  surnoms  de  Povoador  et 
de  Lavrador,  que  l'histoire  lui  a  décernés  :  il 
donna  une  vive  impulsion  à    l'agriculture;  il 
fonda  nombre  de  bourgades  et  de  monastères, 
et   accorda  d'immenses   privilèges  au  couvent 
d'Alcobaça.   De  Dulcia,  fille    de  Raimond-Bé- 
renger  IV,  comte  de  Barcelone,  il  eut  trois  fils 
et  cinq  filles;  l'aîné,  Affonso  If,  lui  succéda. 

Sancho  II,  dit  Capello  (1),  roi  de  Portugal, 
né  le  8  septembre  1207,  à  Coïmbre,  mort  en 

(1)  Ce  surnom  lui  vient  du  capuchon  qu'il  porta 
dans  son  enfance,  parce  qu'étant  d'an  tempérament 
débile,  il  avait  été  voué  par  sa  mère  à  S. Augustin, 


1248,  à  Tolède.  Petit-fils  du  précédent  et  fils 
d'Affonso  II  et  d'Uraaca  de  Castille,  il  succéda 
en  1225  à  son  père.  Les  premières  années  de 
son  règne  furent  assez  brillantes  :  il  enleva  aux 
infidèles  plusieurs  places   des   Algarves  et  de 
l'Alemtejo,   et  s'appliqua  à  faire  fleurir  la  paix 
et  les  finances.  Bientôt  il  se  plongea  dans  la 
débauche,  abandonna  le  gouvernement  à  d'in- 
dignes favoris,  et  conçut  une  passion  folle  pour 
une  femme  que  la  réprobation  générale  avait  flé- 
trie, la  belle  et  astucieuse  dona  Mencia,  fille  de 
Lopez  de  Haro.  Les  nobles,  ennemis  d'un  pou- 
voir qu'ils  ne  partageaient  point,  se  joignirent 
au  clergé  pour  entrer  en  rébellion  et   portei 
leurs  griefs  au  pape  Grégoire   IX.  Le  roi  fer 
excommunié  et  son  royaume  mis  en  interdit  I 
effrayé,  il  promit  de  réformer  les  abus,  notam  j 
ment,  et  le  plus  grave  de  tous  à  cette  époque  I 
l'admission  des  juifs  aux  emplois  publies;  mai  I 
son  amour  pour  Mencia,  qu'il  avait  déclarée  s<  I 
femme ,   l'emporta    encore.   Une     insurrectioi  I 
éclata  alors  parmi  les  habitants  de  l'Alemtej  I 
(  1244)  :  sous  la  conduite  des  nobles,  ils  mar  H 
chèrent  sur  Coïmbre,  envahirent  le  palais,  et  e  I 
arrachèrent  la  reine,  qu'ils  firent  passer  en  Cai  fl 
tille,  où  elle  mourut.  Cet  acte  de  violence  n'as  § 
souvit  pas  l'ambition  des  mécontents  :  ce  qu'i 
voulaient,  c'était  la  déposition  de  Sancho  II,  <  j 
ils  n'eurent  pas  de  peine  à  l'obtenir  d'Innc 
cent  IV.   qui  s'empressa,  par  sa  bulle  du  5 
juillet  1245,  d'ordonner  aux  Portugais  de  ri 
connaître  pour  régent  le  frère  de  Sancho,  A 
fonso,    alors  comte   de    Boulogne.    Le   faihl 
prince,  tout  consterné  d'une  semblable  décisio 
s'enfuit  à  la  hâte,  gagna  Tolède,  et  y  termina 
vie,  dans  les  œuvres  de  piété. 

Scbœfer,  Hist.  du  Portugal.  —  F.  Denis,  Le  Portug* 
dans  l'Univers  pittoresque. 

sanciiomathon,  historien  phénicien,  qJ 
vécut  probablement  au  deuxième  ou  troisièij 
siècle  avant  J.-C.  La  conquête  de  l'Asie  oc 
dentale  par  la  Grèce,  qui  exerça  sur  la  dire 
tion  de  l'esprit  humain  une  influence  si  dé 
sive,  a  eu,  il  faut  l'avouer,  pour  l'histoire  et  ; 
philologie  les  plus  fâcheux  résultats.  Une  fo 
de  littératures  locales  qui  s'étaient  conserva  j 
jusqu'aux    deux  siècles   qui   précédèrent  l'\ 
chrétienne,  disparurent   devant  le  prestige 
cette  culture  hellénique  dont  l'éclat  devait 
duire  tous  les  peuples  qui  se  trouvèrent  en  r  j 
port  avec  elle.  La  Phénicie  fut  uia  des  pays 
l'Orient   le   plus  tôt  envahis  par   l'hellénisij 
Qu'il  eût  pourtant  existé  une  littérature  phéJ 
cienne,   c'est  ce  qu'il  est  impossible  de  réj 
queren  doute.  L'existenced'annales  phénicien^ 
et  d'historiens  écrivant  en  phénicien,  tels 
Théodote,  Hypsicrate,  Mochus,  ne  saurait  (  j 
niée.  De  ce  vaste  corps  d'annales,  tout  a  pél 
le  peuple  auquel  presque  toute*  les  nations  c 
lisées  doivent  l'écriture  alphabétique  ne  nou 
pas  laissé  de  monument  de  littérature.  Un  f  [ 
lambeau  a  surnagé,  et  encore  si  misérablen 


r 


s 


265 


SANCHONIATHON 


266 


tftéré,  qu'il  mérite  à  peine  d'être  regardé  comme 
ine  exception  dans  ce  naufrage  universel.  C'est 
\  la  controverse  religieuse,  si  vive  au  troisième 
et  au  quatrième  siècle,  que  nous   devons   la 
conservation  de  ce  monument,   auquel   notre 
pauvreté,  bien  plus  que  ses  qualités  intrinsè- 
ques, donne   tant    de   prix.  Porphyre,  pour 
ittaquer  la  véracité  de  l'histoire  mosaïque,  cita, 
>n  insistant  sur  sa  valeur  historique  et  sur  son 
incienneté,  une  mythologie  phénicienne   attri- 
buée à   Sanchoniathon  et  traduite  en  grec  par 
Philon  de  Byblos.  Eusèhe  peu  de  temps  après 
i  «tournait  la  même  autorité  contre  Porphyre,  et 
s'en  servait  pour  convaincre  le  paganisme  d'ex- 
ravagance  et  d'immoralité.  On  sait  les  griefs 
le  la  critique  contre  Eusèhe,  esprit  crédule  et 
itartial,  uniquement  attentif  à  relever  dans  les 
ex  tes  ce  q*ui   pouvait  servir    sa  cause.  Non 
noins  passionné,  Porphyre  n'a  dû  avoir  dans  ses 
stations  d'autre  but  que  les  besoins  de  sa  polé- 
nique.  Plusieurs  traits,  enfin,  semblent  élever 
ontre  la  sincérité  de  Philon  et  de  Sanchonia- 
ihon  les  soupçons  les  plus  graves.  Tout  com- 
inande  donc  la  défiance  quand  il   s'agit  d'un 
|exte  transmis  de  troisième  ou  de  quatrième 
nain,  par  des  intermédiaires  d'une  foi  dou- 
jeuse,  et  sur  un  sujet  qui  prête  beaucoup  par 
ui-même  aux  fraudes  et  aux  déceptions.  Les 
lésitations  de  la  critique  moderne  sur  la  valeur 
,1e  l'écrit  singulier  qui  nous  occupe  suffiraient, 
lu  reste,  pour  conseiller  la  réserve  et  la  timi- 
iité.  Accueillie  d'abord  avec  confiance,  puis  re- 
stée avec  mépris,  l' Histoire  phénicienne  de 
I  sanchoniathon  a  repris  de  nos  jours  une  subite 
faveur.  M.  Movers,  qui  d'abord  l'avait  reléguée 
uu  rang  des  compositions  apocryphes,  s'est  en- 
suite converti  à  l'opinion  de  ceux  qui  croient 
rllevoir  la  prendre  fort  au  sérieux.  Plus  récem- 
Ifnent,  M.  Ewald  et  M.  Bunsen  ont  essayé  de 
^montrer  la  grande  valeur  et  l'origine  purement 
Ibhénicienne  de  l'ouvrage  traduit  par  Philon.  On 
Ipeut  dire  que  cette  opinion  est  aujourd'hui  l'opi- 
iiion  dominante  en  Allemagne. 
i    M.  Ewald  et  M.  Bunsen  me  paraissent  avoir 
[■(suffisamment  démontré  que  les   fragments  qui 
:  [aous   sont  parvenus  de  l'ouvrage  traduit  par 
Philon  de  Byblos  renferment  plusieurs  cosmo- 
gonies  de  provenances  assez  diverses ,  quoique 
toutes  réunies  par  d'évidentes  analogies.  Ces 
cosmogonies,  qui    semblent  avoir  été  puisées 
pour  la    plupart  sur  les  stèles  des  temples , 
comme  l'affirment  Porphyre  et   Philon,  et  où 
les  traditions  particulières  de  Sidon,  de  Byblos, 
3e  Tyr  el  de  Béryte  se  discernent  assez  nette- 
ment, ont  été  réunies  au  moyen  de  transitions 
artificielles,   qui   laissent  apercevoir  encore  la 
[iivisiondes  fragments  primitifs.  Dominé,  comme 
[lous  les  compilateurs,  par  le  désir  d'être  com- 
plet, l'auteur  aime  mieux  se  contredire  et  suivre 
la  marche  la  plus  bizarre  que  de  rien  omettre 
île  ce  qu'il  a  entre  les  mains.  Dans  la  longue 
'échelle  généalogique  qu'il  a  dressée  se  remar- 


quent des  espèces  de  reprises  :  il  revient  plu- 
sieurs fois  au  Dieu  suprême  ou  aux  piincipes 
cosmiques,  et  descend  de  là  par  divers  échelons 
jusqu'à  la  terre  ou  l'homme,  pour  remonter  en- 
core aux  principes  suprêmes.  Ainsi  tout  d'a- 
bord il  part  du  chaos,  et  aboutit  aux  hommes  et 
aux  animaux  ;  puis,  après  une  transition  gros- 
sière, il  revient  aux  principes  cosmiques,  KoXrtia 
et  Baav,  et  retombe  tout  à  coup  dans  le  inonde 
humain  par  Tévoç  et  Tevtà.  Il  se  relève  avec 
Bee).ffa[AY)v,  et,  reprenant  son  récit  par  une 
vague  formule  à  Oulom  ou  Aîwv,  il  descend 
jusqu'aux  Sidoniens.  Les  séries  très-compli- 
quées qui  suivent  offrent  la  même  loi,  et  l'au- 
teur les  met  bout  à  bout,  malgré  leur  diversité, 
en  établissant  entre  le  dernier  terme  de  la  pré- 
cédente et  le  premier  terme  de  la  suivante  un 
lien  artificiel  de  synonymie  ou  de  filiation.  Tel 
est  l'ensemble  de  l'Histoire  phénicienne,  d'a- 
près l'analyse  que  nous  en  a  donnée  la  Prépara- 
tion évangélique  d'Eusèbe 

Les  critiques  qui  ont  élevé  des  doutes  sur  la 
réalité  de  Sanchoniathon  comme  auteur  de 
l'Histoire  phénicienne  ont  attribué  cet  ou- 
vrage d'une  voix  presque  unanime  à  Philon  de 
Byblos.  Pour  servir  ses  préjugés  nationaux  et 
religieux,  Philon  aurait  composé  lui-même  le 
livre  dont  il  ne  se  donne  que  comme  le  traduc- 
teur, et  pour  en  relever  l'autorité  il  se  serait 
couvert  du  nom  révéré  de  Sanchoniathon,  qu'on 
rapportait  à  une  antiquité  fabuleuse.  De  graves 
difficultés  me  semblent  pouvoir  être  opposées  à 
ce  sentiment.  Tout  ce  que  nous  savons  du  ca- 
ractère de  Philon  repousse  l'hypothèse  d'une 
supercherie.  Grammairien  habile  et  bibliophile 
érudit,  Herennius  Philon  n'est  pas  de  la  famille 
des  faussaires.  Son  caractère,  autant  qu'on  peut 
en  juger  par  ses  propres  écrits,  fut  celui  d'un 
polygraphe  consciencieux.  Les  passages  qui 
dans  le  texte  de  la  Préparation  évangélique 
appartiennent  certainement  à  Philon  ont  un  ton 
de  bonne  foi  scientifique  qui  frappe  tout  d'a- 
bord. L'auteur  expose  avec  simplicité  le  désir 
qu'il  avait  de  connaître  la  vérité,  les  peines  qu'il 
s'est  données  pour  cela,  la  masse  de  livres  qu'il 
a  lus,  les  doutes  que  lui  a  causés  le  désaccord 
des  témoignages.  Est-ce  à  dire  que  Philon  soit 
exempt  de  tout  engouement  patriotique,  de 
toute  prévention  d'école  ?  Non,  certes  :  il  est  par- 
tisan outré  de  la  Phénicie;  il  s'obstine  mala- 
droitement à  chercher  l'origine  des  mythes  grecs 
dans  la  Phénicie.  Mais  il  cherche  à  prouver  sa 
thèse  par  des  documents,  et  non  à  l'imposer 
par  des  mensonges  ou  à  la  rendre  séduisante 
par  d'ingénieuses  fictions.  Il  est  évident  pour 
moi  qu'il  prenait  au  sérieux  Sanchoniathon,  et 
que  s'il  y  a  fourberie  dans  l'Histoire  phéni- 
cienne, la  fourberie  est  antérieure  à  lui.  Les 
témoignages  de  l'antiquité  confirment  ce  ré- 
sultat d'une  manière  frappante.  Si  Sanchonia- 
thon était,  comme  on  le  suppose ,  une  invention 
de  Philon,  l'antiquité  ne  l'eût  connu  que  par 


267 


SANCHONIATHON  —  SANCROFT 


268 


Philon  et  ne  lui  attribuerait  point  d'autres  ou- 
vrages que  ceux  de  Philon.  Or  il  n'en  est  point 
ainsi.  Suidas,  au  mot  Eayx«vcà6wv ,  nomme 
trois  ouvrages.  Des  preuves  directes  établissent 
d'ailleurs  que  l' Histoire  phénicienne  a  été  tra- 
duite du  phénicien  ;  une  foule  de  jeux  de  mots 
et  d'étymologies  n'ont  de  sens  qu'en  se  reportant 
à  un  original  écrit  en  cette  langue. 

Une  nouvelle  question  s'offre  maintenant  à 
résoudre  :  ce  nom  de  Sanchoniathon  est-il 
réellement  celui  du  Phénicien  qui  composa  Y  His- 
toire phénicienne,  ou  bien  faut-il  y  voir  un 
nom  ancien  dont  un  auteur  moderne  aurait 
cherché  à  s'autoriser?  Cette  seconde  hypothèse 
paraît,  au  premier  coup  d'œil,  la  plus  vraisem- 
blable. En  effet,  il  semble  difficile  de  disculper 
l'auteur,  quel  qu'il  soit,  de  YHistoire  phéni- 
cienne, d'une  certaine  fraude  littéraire.  La  dé- 
dicace à  Abibal,  l'approbation  que  ce  roi  est 
censé  décerner  à  l'ouvrage,  l'antiquité  fabu- 
leuse qu'on  lui  attribue,  en  le  rapportant  à  l'é- 
poque de  la  guerre  de  Troie  et  de  Sémiramis, 
tout  cela  constitue  autant  de  traits  qui  sem- 
blent dénoter  le  faussaire.  Le  faussaire  se  trahit 
d'ordinaire  par  les  moyens  qu'il  emploie  pour 
cacher  sa  fraude  :  or  il  est  difficile  de  mécon- 
naître chez  l'auteur  de  YHistoire  phénicienne 
ce  luxe  de  précautions,  qui  naturellement 
éveille  le  soupçon.  Je  ne  connais  aucun  exemple 
d'ouvrage  avec  une  dédicace  dans  l'antique 
Orient  :  un  tel  usage  est  évidemment  moderne. 
Cependant,  malgré  la  dédicace  à  Abibal  et  les 
autres  traits  qui  sentent  l'apocryphe,  je  suis 
tenté  de  considérer  Sanchoniathon  comme  le 
nom  du  Phénicien  qui  écrivait  l'ouvrage  traduit 
par  Philon.  Il  faut  avouer  que  dans  ce  qui 
reste  de  l'ouvrage  lui-même,  et  en  dehors  des 
renseignements  que  nous  donnent  sur  l'auteur 
Philon  et  Porphyre,  on  ne  rencontre  aucune 
particularité  qui  excite  le  soupçon,  et  qu'on 
trouve  au  contraire  des  circonstances  qui  re- 
poussent l'idée  d'une  fraude.  Qui  sait  si  ce  n'est 
pas  quelque  erreur  de  Philon  ou  de  Porphyre 
qui  nous  cause  ces  insolubles  embarras  ?  Qui 
sait  si  un  préambule  apocryphe  n'a  pas  été  at- 
taché à  une  œuvre  sérieuse  pour  en  relever  la 
valeur?  Quant  à  l'époque  où  fut  composé  l'ori- 
ginal phénicien,  d'une  part  les  traces  d'hellé- 
nisme que  nous  y  avons  remarquées  sont  une 
raison  pour  ne  point  en  reporter  la  composition 
au  delà  de  l'époque  des  Séleucides.  D'un  autre 
côté,  le  riche  fonds  de  doctrine  phénicienne  qui 
s'y  retrouve  montre  que  l'hellénisme,  à  l'époque 
où  écrivait  l'auteur,  n'avait  pas  encore  effacé  les 
diversités  locales.  Tout  cela  nous  reporte  au 
deuxième  ou  troisième  siècle  avant  l'ère  chré- 
tienne. 

Il  me  paraît  donc  résulter  de  l'étal  actuel  de 
la  question  qu'un  Phénicien  à  l'époque  des  Sé- 
leucides qui  s'appelait  ou  feignait  de  s'appeler 
Sanchoniathon  écrivit  en  phénicien  un  grand 
recueil  d'histoire  et  de  mythologie ,   puisque 


Philon  de  Byblos,  vers  l'époque  d'Aîlrien,  tra- 
duisit librement  ce  livre,  de  telle  sorte  qu'entre 
ses  mains  la  théologie  grossière  de  Sanchonia- 
thon prit  les  apparences  de  l'incrédulité. 

Orelli  a  publié  une  très-utile  édition  des 
Fragments  de  Sanchoniathon  (Leipzig,  1826, 
in-8°).  Ernest  Renan. 

Eusébe,  Prép.  èvang.,  I,  p.  31  ;  X,  p.  «85.  —  Suidas 
au  raot  2aYXt0Vl*9£ùv-  —  Porphyre,  De  abstin.  ab. 
anim.,  11,  94.  —  Fabricius,  Bibliot/ieca  grseca.  —  Grote- 
fend,  Die  Sanchuniathonische  Streifraye  vaeh  vnge- 
druch'ten  Briefen  yewûrdigt  ;  Hanovre,  1S3G,  8  vol. 
—  Schraidt ,  Der  neventdecîile  Sunckuniai/i.en  ein 
Brie/wechscl  ;  Aitona,  1838.  —  Muvers,  Die  Phœnizier. 

SANOÎUS.  Voij.  Sanchez. 

sancroft  (  William),  prélat  anglais,  né 
le   30  janvier    161G,  à  Fresingfield  (  Suffolk  ), 
mort  le  24  novembre  1693,  dans  le  même  lieu. 
Son  intelligence  précoce  et  sa  piété  le  firent  des- 
tiner à  l'Église  ;    il  fut  un   des  plus  brillants 
élèves  de  Cambridge  ;  il  y  prit  ses  degrés  et  il 
y  professa  jusqu'au  moment  où,  ayant  refusé 
d'adhérer  au  covenant,  il   perdit  sa  place.  En 
1652  il  publia,  dans  un  ouvrage  intitulé   Mo- 
dem policïes and  practices  (Londres,  in-12), 
un  exposé  de  ses  principes  politiques  destiné  à 
battre  en  brèche  le  gouvernement  de  C'romwell. 
A  peine  la  monarchie  eut-elle  été  rétablie ,  il 
revint  de  Rome,  et  obtint,  avec  un  bénéfice, 
une  prébende  à  la  cathédrale  de  Durham.  Dès 
lors   il  eut  un  avancement  rapide ,  et   devint 
successivement  principal  du  collège  d'Emma- 
nuel à  Cambridge  (1662),  doyen  d'York  (1603), 
doyen  de  Saint-Paul  (1664),  archidiacre  de  Can- 
terbury  (1668);  il  fut  promu   en    1.677,  sans 
qu'on  s'y  attendit,  à  l'archevêché  de  cette  ville. 
C'était  alors,  suivant  Burnet,  un  prélat  sec, 
froid,  réservé,  de  mauvaise  humeur,  estimé  de  ! 
peu  de  gens  ;  il  affectait  une  rigidité  monas- 
tique, et  s'attachait  superstitieusement  aux  plus 
mesquines  cérémonies.  Le  parti  de  la  cour  avail  L 
appuyé  son  élection  parce  qu'on  le  crojait  dis.  | 
posé  à    tout  laisser  faire,  quand  le   moment 
d'agir  serait  venu.  Cependant  il  ne  voulut  point 
seconder  le  rétablissement  du  catholicisme,  re- 
fusa  de  publier  redit   de  tolérance ,    et  pré- 
senta à  ce  sujet  au  roi  une  requête  qui  le  fit  en- 
fermer dans  la  Tour  avec  six  autres  évoques 
(juin  16SS).  Après  la  fuite  de  Jacques  If,  il 
proposa  en  vain  de  former  une  régence,  et  son 
refus  de  prêter  serment  à  Guillaume  d-'Orange 
le  fit  suspendre  de  son  siège  (  1er  août  1689).  Ce 
fut  Tillotson  qui  lui  succéda.  On  a  encore  de 
Sancroft  trois  Sermons  (Londres,  1703,  in-.§°), 
Familiar  letters  (1757,  in-8°),  et  un  grand 
nombre  de  papiers  et  de  recueils,  «  où  il  avail 
plus  écrit  de  sa  propre  main,  dit  Wharton,  que 
peut-être  personne  n'avait  fait  de  son  siècle  » 
De  ces    papiers   on   a   extrait  Miscellaneoiu 
Tracts  relating  to  the  historij  of  Englana 
(Londres,  1781,  2  vol.  in-8°  ). 

Biotjr.    Britann.   —   Bur.net,    Own  Urnes.   —  Gutch 
Collectanea  euriosit.  —  Wharton,  préface  de  VHist.  o, 


269 


SANCROFT  —  SANCY 


270 


Laud's  Su/ferings.  -  W.  Uoyly,  Life  of  If.  Sancroft, 
Votui.,  1821,  2  vol.  ln-8°. 

sanctus.  Voy.  Sanchez. 

SANCTORIUS.   Voy.   SANTORIO. 

sancy  (Nicolas  Harlay  de  ),  homme  d'État 
français,  né  en  1546,  mort  à  Paris,  le  13  ou  le 
17  octobre  1629.  Issu  d'une  branehe  cadette  de 
la  maison  de  Harlay,  qui  avait  embrassé  la 
communion  protestante,  il  résidait  à  Orléans, 
lorsqu'il  se  fit  catholique,  en  1572,  pour 
échapper  au  massacre  de  la  Saint-Barthélémy  ; 
mais  il  ne  tarda  pas  à  revenir  à  la  religion  ré- 
formée. D'abord  conseiller  au  parlement  de 
Paris,  puis  maître  des  requêtes,  il  fut  admis, 
quoique  huguenot,  dans  le  conseil  du  roi. 
Henri  III,  dont  les  ressources  étaient  très-res- 
treintes,  cherchait  les  moyens  de  résister  à  la 
Ligue  ;  Sancy  lui  dit  qu'il  se  faisait  fort  de  lui 
Drocurer,  sans  argent,  toute  une  armée  de 
suisses.  Cette  promesse  parût  celle  d'un  fan- 
aron  ou  d'un  fou.  Malgré  les  railleries  et  les 
)ppositions,  Sancy  partit  avec  l'approbation  du 
'oi  ;  il  emportait,  pour  aider  à  la  Téussite  de 
5on  dessein,  de  riches  pierreries,  dont  l'acquisi- 
ion  avait  coûté  des  sommes  considérables,  soit 
i  lui,  soit  à  ses  ancêtres,  et,  entre  autres,  le 
àmeux  diamant  qui  aujourd'hui  encore  s'ap- 
ielle,  de  son  nom,  le  Sancy  (1).  Sa  négocia- 
tion a  été  vantée  par  les  historiens  français  ; 
mais  les  esprits  impartiaux  n'y  voient  pas  moins 
de  mauvaise  foi  que  d'habileté.  Lorsqu'il  ar- 
riva à  Genève,  le  14  février  1589,  cette  répu- 
blique ainsi  que  celle  de  Berne,  était  menacée 
par  le  duc  de  Savoie.  Sancy  fit  valoir  l'avantage 
qui  résulterait  pour  ces  deux  États  d'une  attaque 
[directe  de  la  France  contre  la  Savoie;  mais  il 
ajouta  que  le  roi  ne  pouvait  s'engager  dans  une 
iLguerre  nouvelle  sans  une  avance  d'argent.  Berne 
llet  Genève  se  laissèrent  gagner  à  ses  paroles  : 
i|la  première  donna  cent  mille  écus ,  et  la  se- 
Bconde  tout  ce  que  lui  permit  l'état  de  son  trésor. 
Sancy,  a.u  moyeu  de  sommes  empruntées  sur 
!|ses  diamants,  avait  déjà  commencé  à  former 
'■une  armée;  il  la  compléta  et  l'éleva  à  douze  mille 
jhommes.  Après  avoir  remporté  quelques  avan- 
[lages  sur  le  duc  de  Savoie,  il  manifesta  aux 
itroupes  l'intention  de  les  conduire  en  France. 
(.Gagnés  par  une  promesse  d'augmentation  de 
[solde  et  d'un  butin  facile,  ces  mercenaires  n'hé- 
sitèrent pas  à  le  suivre,  et  il  les  mena  au  roi, 
près  de  Paris.  Henri  III  mort,  Sancy  ne  fut  pas 
•moins  dévoué  à  Henri  IV.  Celui-ci  le  récom- 
pensa parla  place  de  surintendant  des  finances 
1(1594),  l'envoya  en  ambassade  près  de  la 
jreine  d'Angleterre  (1596),  et  le  nomma  la 
imême  année  colonel  général  des  Suisses.  Sancy, 

!     (1)  Le  Sancy   est  de  106  carats.  Il  avait  appartenu  à 

1  Charles  le  Téméraire,  qui  le  perdit  sur  le  champ  de  ba- 
taille de  Granson.    Le  soldat   suisse  qui   le  trouva  le 

:  vendit  à  un  prêtre  pour  un  florin.  Sancy  l'acheta 
100,009  livres,  d'Antoine,  prieur  de  Crato.  Après  diverses 
vicissitudes,  Il  fut  possédé  par  la  couronne  de  France. 
Depuis  1835  il  fait  partie  du  trésor  de  la  Russie,  qui  l'a 

!  payé  SOO.QOO  roubles  d'argent. 


pour  entrer  plus  avant  dans  la  faveur  du 
maître,  changea  de  nouveau  de  religion,  et  se  fit 
catholique,  en  1597  ;  il  publia  partout  qu'il  avait 
été  converti  par  l'intérêt  de  son  salut  et  par  les 
instructions  de  l'évêque  d'Évreux  du  Perron;  mais 
il  ne  trompa  personne ,  et  la  spirituelle  satire  de 
d'Aubigné,  intitulée  la  Confession  catholique 
de  Sancy ,  fut  l'écho  des  pensées  de  tous  ; 
Henri  IV  lui-même  dit  qu'il  ne  manquait  plus 
à  son  surintendant  que  de  prendre  le  turban. 
Cette  troisième  apostasie  de  Sancy  ne  servit  pas 
sa  fortune  comme  il  l'avait  espéré;  Gabrielle 
d'Estrées,  dont  il  s'était  fait  une  ennemie,  tra- 
vailla de  son  mieux  contre  lui,  et  Henri  IV,  qui 
désirait  mettre  plus  d'ordre  dans  les  finances,  le 
remplaça  par  Sully,  en  1 599.  Besté  colonel  général 
des  Suisses,  il  alla  les  commander  au  siège  d'A- 
miens (1597),  et  suivit  aussi  le  roi  dans  son  expé- 
dition de  Savoie  (1600).  11  se  retira  entièrement 
des  affaires  publiques  en  1 605,  etne  prit  plus  part 
à  la  direction  du  gouvernement  que  par  ses 
conseils  et  par  ses  Remontrances  à  Marie  de 
Médicis,  qui  ont  été  insérées  dans  les  Mémoires 
de  Villeroy.  Il  a  laissé  un  Discours  sur  l'oc- 
currence des  affaires,  où  l'on  trouve  des  dé- 
tails intéressants  sur  le  temps  où  il  a  vécu. 

Haag  frères,  France  protestante.  —  De  Courcellcs, 
Dict.  hist.  des  généraux  français.  —  Histoire  du  pré- 
sident de  Thou,  —  Journal  de  VEstoile.  —  Moréri, 
Grand  Dict.  hist. 

sancy  (Achille  Harlay  de),  diplomate  et 
prélat,  fils  du  précédent,  né  en  1 58 1 ,  mort  le  20  no- 
vembre 1646.  Tandis  que  son  frère  aîné,  baron  de 
.Maule,  suivait  la  carrière  militaire,  il  se  livrait 
d'abord  à  l'étude  du  droit,  puis  à  celle  de  la 
théologie  et  bientôt  était  pourvu  de  trois  ab- 
bayes et  d'un  évêché  (  Lavaur  )  ;  mais  ce  frère  lui 
ayant  été  enlevé  au  siège  d'Ostende(lCOi)  il  quitta 
la  soutane  et  revêtit  la  cuirasse  à  son  tour.  Après 
diverses  campagnes  en  Italie,  en  Allemagne  , 
dans  les  Flandres  et  en  Angleterre,  on  le  nomma 
ambassadeur  en  Turquie.  A  cette  époque  les- 
diplomates  français  ne  recevaient  qu'un  traite- 
ment minime,  ou  plutôt  n'en  recevaient  point  ;. 
ils  en  étaient  réduits  à  se  ruiner  ou  à  se  rendre 
odieux  par  leurs  exactions.  Harlay  préféra  ce- 
second  parti.  Son  attachement  pour  les  Jésuites 
ne  lui  épargna  ni  le  déshonneur  ni  la  honte.  A 
la  suite  d'un  forfait  par  trop  scandaleux,  le  gou- 
vernement turc  fit  administrer  au  représentant 
de  la  France  cent  coups  de  latte  sur  la  planta 
des  pieds.  On  résolut  à  Paris  de  demander  satis- 
faction ;  mais  avant  que  de  Namps ,  le  nouvel 
ambassadeur,  fût  parvenu  à  son  poste,  un  en- 
voyé ridicule  offrait  à  Paris  des  excuses,  que  l'on 
accepta.  On  sait  aujourd'hui  que  Sancy  n'avait 
pas  intérêt  à  ce  que  réparation  fût  demandée,, 
car  on  n'aurait  pas  tardé  à  découvrir  ses  dé- 
prédations. En  quelques  années  (  1611-1618  ),  il 
avait  emboursé  de  quatre  à  cinq  cent  milkt 
francs.  A  la  suite  de  son  emprisonnement,  il  mit 
un  impôt  sur  les  échelles  du  Levant,  et  avant  de 
partir  alla  faire  sa  cour  au  successeur  du  son^ 


271  'SANCY 

verain  qui  l'avait  fait  bâtonnet1.  Cependant,  si 
peu  digne  qu'ait  été  la  conduite  de  Harlay, 
elle  ne  défend  pas  de  reconnaître  à  l'ambassa- 
deur un  vif  amour  pour  l'étude ,  une  mémoire 
et  des  dispositions  exceptionnelles.  Les  savants 
qui  lui  rendirent  visite  à  Constantinople  disent 
qu'il  parlait  parfaitement  le  grec  moderne,  le 
latin,  l'italien,  l'espagnol,  l'anglais,  et  l'allemand, 
qu'il  lisait  l'hébreu  des  bibles  et  celui  des  ra- 
bins  et  qu'il  dépensait  de  grandes  sommes  à 
réunir  des  manuscrits  orientaux.  Habile  en  ma- 
thématiques et  en  histoire  naturelle,  il  s'adonna 
à  la  recherche  des  propriétés  médicales  des 
plantes  et  aux  «  distillations  chimiques  ».  A 
son  retour  en  France,  il  entra  dans  la  congré- 
gation de  l'Oratoire,  et  se  dévoua  à  la  fortune  du 
cardinal  de  Richelieu.  Celui-ci  lui  fit  signer, 
comme  solution  d'un  cas  de  conscience,  que 
la  loi  de  Dieu  n'obligeant  pas  les  enfants  à 
garder  toujours  leurs  père  et  mère  auprès  d'eux, 
Louis  pouvait  sans  se  rendre  coupable  dû 
moindre  péché  reléguer  sa  mère  où  il  le  ju- 
gerait à  propos  pour  le  bien  de  sa  politique.  Et 
Marie  de  Médicis  fut  exilée. 

Harlay  accompagna  Bassompicrre  en  Angle- 
terre lorsque  celui-ci  fut  envoyé  dans  ce  pays 
comme  ambassadeur.  Nommé  pour  faire  partie 
de  la  maison  ecclésiastique  de  la  reine  Henriette, 
Harlay  déplut  bientôt,  à  cause  de  son  zèle  ar- 
dent, et  attira  à  Bassompierre  l'animadversion 
du  roi  auprès  duquel  on  l'avait  placé.  On  ren- 
voya l'oratorien  en  France,  et  en  1631,  lors  de 
sa  sortie  de  l'ordre,  motivée  par  son  excessive 
ambition,  il  fut  nommé  évêque  de  Saint-Malo.  11 
présida  trois  ans  après  les  états  de  Bretagne. 
On  lui  attribue  les  ouvrages  suivants  ;  mais  il  est 
fort  peu  prouvé  qu'il  les  ait  écrits  :  Relation 
des  persécutions  que  les  ecclésiastiques 
françois  attachés  à  la  reine  d' Angleterre 
éprouvèrent  de  la  part  du  duc  de  Bucking- 
fiam,  au  Mercure  de  1626  ; —  Discours  d'un 
vieux  courtisan  désintéressé  sur  la  lettre 
que  la  reine  mère  du  roi  a  écrite  à  S.  M. 
après  être  sortie  du  royaume;  Paris,  1631, 
in-8°;  —  Réponse  au  libelle  intitulé  :  Très- 
humble,  très-véridique  et  très-importante  re- 
montrance au  roi;  1632,  in-8°.  N'oublions 
pas  de  dire  que  les  nombreux  manuscrits  orien- 
taux de  Harlay  furent  donnés  par  lui  à  la  con- 
grégation de  l'Oratoire,  et  qu'ils  sont  aujourd'hui 
à  la  bibliothèque  Richelieu.     Louis  Lacour. 

Le  Vassor,  Hist.  de  Louis  XIII.  —  Recueil  des  pièces 
ctirievses  porir  la  défense  de  la  reine  mère.  —  Le  P. 
Jacob,  Traité  des  Bibl.,  1645,  p.  SSO.  —  Ferrier,  Catho- 
lique d'estat  ;  Paris,  1626,  p.  13V.  —  Délia  Valle,  Iti- 
néraire, 1. 1,  p.  163.  —  J.  Morin,  Opusc.  Hebr.,  p.  9S. 
—  Tallemant,  Historiettes.  —  Mss  .  à  la  Bibl.  imp.  : 
Relation  de  l'ennoy  d'un  chaoun  nommé  Iloussan  par 
le  arand-seiqneur  Osman  au  roy,  en  1619  (suite 
de  Mortcmar,  n°  14). 

sand  (Christophe vonden),  en  latin  Sandius, 
théologien  allemand,  né  à  Kœnigsberg,  le  12  oc- 
tobre 1644,  mort  à  Amsterdam,  le  30  novembre 
1680.  Son  père  Christophe  Sand  ,  conseiller  de 


—  SAND  272 

l'électeur  de  Brandebourg  et  secrétaire  du  tribunal 
suprême,  fut  destitué  en  1657,  parce  qu'il  n'as- 
sistait pas  aux  cérémonies  de  l'Église  luthé- 
rienne et  qu'il  professait  en  religion  des  doc- 
trines approchant  du  socinianisme.  Le  jeune 
Sand ,  qui  était  dans  les  mêmes  sentiments, 
s'expatria  peu  de  temps  après,  craignant  d'être 
inquiété  par  les  autorités  de  son  pays;  il  passa 
eu  Hollande,  et  se  fixa  à  Amsterdam,  où  il  se 
fit  correcteur  d'imprimerie.  Sans  avoir  pris  de 
grades  académiques,  il  possédait  des  connais- 
sances étendues  en  théologie  et  dans  les  belles- 
lettres;  ses  mœurs  étaient  exemplaires.  Vers  la 
fin  de  sa  vie,  il  adopta,  dit-on,  les  doctrines  des 
arminiens.  On  a  de  lui  :  Nueleus  historix  ec- 
clesiasticx,  cui  prafixus  est  Tractatus  de  ve- 
teribus  scripioribus  ecclesiasticis  ;  Cosmo- 
polis (Amsterdam),  1668,  in-12,  Cologne 
(Amst.),  1676,  in-4°  :  cet  écrit,  qui  doit  prouver 
que  les  Pères  des  trois  premiers  siècles  de  l'É- 
glise n'admettaient  ni  l'éternité  ni  la  consub- 
stantialité  du  Verbe,  a  été  réfuté  par  Le  Moyne 
dans  ses  Varia  sacra  et  aussi  par  Sam.  Gar- 
diner,  auquel  Sand  répondit  dans  un  Appendix 
ad  Nucleum;  Cologne  (Aiiast),  1678,  in-4°; 
—  Centuria  epiyrammatum ;  Amst.,  1669, 
in-12;  —  interpretationes  paradoxe  IV\ 
Evangeliorum  ;  Amst.,  1670,  in-12;  —  De* 
origine  animas;  Amst.,  1671,  in-12  :  traité  qui" 
fut  attaqué  par  Bebelius;  —  Nota,  et  animad- 
versiones  in  G.-J.  Vossii  Ubros  de  Historicis 
latinis  ;  Amst.,  1677,  in-18;  —  Confession  dt\ 
foy  conformément  à  VEscriture  ;  Leyde. 
1678,  in-16  :  l'auteur  en  a  écrit  l'original  ei 
latin;  —  Scriptura  Trinitalis  revelatrixA 
Gouda  (  Amst.  ),  1678,  in-16  ;  —  Bibliothea  \ 
anti-trinitariorum  ;  Freistadt  (Amst.  ),  1684 
in-12  :  la  partie  bibliographique  de  cet  ouj 
vrage,  qui  contient  aussi  diverses  pièces  conj 
cernant  l'histoire  des  unitaires  en  Po  ogne,  es  j 
beaucoup  mieux  traitée  que  la  partie  historique  J 
Sand  a  laissé  en  manuscrit  une  vingtaine  d'é| 
crits ,  notamment  un  Auctuarium  operi  • 
Vossiani  de  Historicis  latinis,  et  deux  pièce  I 
qui  établissent  qu'il  admettait,  contrairement  i 
l'opinion  des  sociniens,  pour  le  Ckrist  une  exis 
tence  antérieure  à  son  incarnation. 

S^nd,  Bibl.  anti-trinitariorum,,  p.  169-112»  —  Arnolc 
Kirchen-und  Ketzer  historié,  2e  partie.  —  Zeltne 
Theatrum  virorum  eruditorum,  p.  482-486.  —  Paquo 
Mémoires,  Ut. 

SAN»  (  Charles-Louis  ),   né   le   5  octobi 
1795,  à  Wundsiedel,  exécuté  à  Mannheim,  il 
20  mai  1820.   Il   était  fils  du  bailli  de  sa  vill 
natale,  et  reçut  une  éducation  très-soignée.  J 
se  fit  dès.,  ses  premières  années  remarquer  pcill 
son   application  au  travail   et  par   une  exce    j 
lente  conduite  ;  mais  il  montra  aussi  dès  lors  u  11 
penchant  pour  la  mélancolie,  suite  de  sa  coni 11 
titution  maladive  et  que  l'influence  de  sa  mèr 
qui  était  portée  au   mysticisme,  ne  fit  que  d  1 
velopper.   Sombre  et  replié  sur  lui-même ,    li 
donnait   quelquefois    subitement  les   preuv    i 


273 


SAND 


274 


d'une  grande  exaltation.  Après  avoir  terminé  ses 
humanités,  il  commença  en  1814,  à  Tubingue, 
l'élude  de  la  théologie,  qu'il  interrompit  en  1815 
por.r  s'engager  dans  les  chasseurs  de  Rezat, 
corps  de  volontaires  qui  prit  part  à  l'invasion 
de  la  France  ;  puis  il  continua  ses  études  à  Er- 
langen  et  à  Iéna,  et  s'acquit  dans  ces  deux  uni- 
versités l'estime  de  ses  professeurs  et  l'amitié 
de  ses  camarades.  Cependant  il  voyait  avec  un 
chagrin  croissant  s'évanouir  les  espérances  de 
libellé  que  le  peuple  allemand  avait  conçues  sur 
lespromesses  réitères  faites  en  1813etl814parses 
souverains.  Affilié  aux  sociétés  secrètes  formées 
alors  par  les  étudiants  de  l'Allemagne,  il  fut  un 
les  ordonnateurs  des  fêtes  de  la  Wartbourg, 
qu'ils  célébrèrent  en  1817  en  commémoration  de 
'affranchissement  de  leur  pays.  Il  remit  à  chacun 
les  invités  un  écrit  publié  en  1819  à  Nuremberg, 
sous  le  titre  :  Die  wichtigsten  Lebensmonente 
7.  L.  Sands,  in-8°,  et  où  il  engageait  les  étu- 
liants  à  s'associer  pour  revendiquer  les  droits 
)olitiques  dont  les  prince3  frustraient  leurs  su- 
ets.  Son  projet  fut  aussitôt  mis  en  pratique  par 
a  fondation  de  la  Burschenschaft.  Il  revint  en- 
uite  à  Iéna,  qu'il  quitta  pendant  quelques  mois 
le  l'automne  de  1818  pour  faire  un  voyage  en 


sion  désignée  pour  le  juger.  Ii  ne  se  repentit 
pas  un  instant  de  son  action,  et  prétendit  n'a- 
voir pas  eu  de  complices,  ce  qui  paraît  hors  de 
doute.  L'instruction  terminée  (septembre  1819), 
ii  fut  condamné  à  mort,  le  5  mai  1820,  par  le 
tribunal  de  Mannheim,  et  exécuté  par  le  glaive 
quelques  jours  après;  il  mourut  avec  la  plus 
grande  fermeté,  après  avoir  prononcé  ces  der- 
nières paroles  :  «  Je  prends  Dieu  à  témoin  que 
je  meurs  pour  la  liberté  de  l'Allemagne.  » 

Sand  dargestellt  durck  seine  Tagebucher  and 
Briefe  ;  Altembourg,  1821,  in-8°.  —  Hohehorst,  folls- 
taendige  Cbersicltt  der  gagen  Sand  gefùhrten  Vnter- 
suchung  ;  Stuttgart,  1820,  in-8°.  —  Acten-Anzilge.  nebst 
audren  Materialien  zur  Beurtheilung  Sands  ;  Al- 
tembourg,  1821,  in-3°.  —  Courtln,  Sands  letzte  Lebens- 
tagean'i  Hinrichtitng  ;  Frankenthal,  1821,  in-8°.  — 
Jarke,  Sand  and  sein  an  Kotzebue  verilbter  Hord  ■  Ber- 
lin, 1831,  in-8».  —  Gervlnus,  Cesch.  des  neunzehuten 
Jahrhunderts. 

*  sand  (  Armandine-Lucile- Aurore  Dupin, 
baronne  Dudevant,  connue  sous  le  nom  de 
Georges),  la  plus  célèbre  des  femmes  auteurs 
contemporaines,  née  à  Paris,  le  1er  juillet  1804. 
Son  père ,  Maurice  Dupin ,  officier  distingué  de 
la  république  et  de  l'empire,  était  fils  de  M.  Du- 
pin de  Francueil,  fermier  général,  qui  avait 
épousé  la  veuve  du  comte  de  Horn,  fille  natu- 


t saxe  et  en  Prusse,  dans  un  but  qui  se  rattache  |  relie  de  Maurice  de  Saxe.  Élevée  au  château 


probablement  à  la  résolution,  qui  mûrissait  peu 
i»  peu  dans  son  esprit,  de  donner  la  mort  à  Kot- 
[jebùe.  Depuis  la  fête  de  la  Wartbourg,  où  on 
pavait  brûlé  solennellement  l'Histoire  d'Alle- 
Imagne  de  Kotzebue,  il  avait  conçu  une  haine 
[dolente  contre  cet  écrivain,  qui  se  plaisait  à 
fiancer  mille  traits  ironiques  contre  les  tendances 
[libérales  des  étudiants  allemands.  Les  dernières 
[phrases,  datées  du  31  décembre  et  qui  termi- 
nent son  Journal,  commencé  en  1816,  indiquent 
uu'il  avait  dès  lors  décidé  de  venger  ses  amis 
lies  sarcasmes  de  celui  qu'il  regardait  comme 
jan  émissaire  russe  chargé  d'insulter  aux  as- 
pirations des  classes  éclairées  de  l'Allemagne. 
{Les  éloges  que  Kotzebue  prodigua  à  un  écrit 
lie  Stourdza,  qui  réclamait  des  mesures  restric- 
tives contre  les  universités,  présentées  comme 
an  foyer  révolutionnaire,  exaspérèrent  Sand,  qui 
partit  le  17  avril  1819  de  Iéna  pour  Mannheim, 
bù  demeurait  Kotzebue.  Ce  jour-là  il  adressa 
ii  ses  parents  une  lettre  où  il  exposait  les  mo- 
tifs qui  l'avaient  poussé  à  assassiner  un  traître. 
|\rrivé.à  Mannheim  le  23,  il  se  fit  introduire 
jdaus  l'après-midi  auprès  de  Kotzebue;  après 
quelques  paroles  banales,  il  lui  porta  plusieurs 
poups  de  poignard  et  le  blessa  mortellement.  Il 
fj'enfonça  ensuite  une  autre  arme  dans  le  sein 
gauche,  descendit  dans  la  rue,  où,  après  avoir  re- 
mercié Dieu  à  genoux  de  lui  avoir  permis  d'ac- 
complir cette  œuvre  de  justice,  il  se  fit  encore 
[une  autre  blessure.  Relevé  sans  connaissance, 
iil  fut  porté  à  l'hôpital,  et  traité  avec  beau- 
coup de  soin.  Grâce  à  sa  jeunesse,  on  parvint, 
| malgré  la  lésion  de  ses  poumons,  à  le  mettre 
fen  état  de  subir  l'interrogatoire  de  la  commis- 


de  Nohant,  près  de  la  Châtre  (Indre),  par  sa 
grand'mère,  Mme  Dupin,  qui  pratiquait  en  fait 
d'éducation  les  doctrines  de  Jean- Jacques ,  la 
jeune  Aurore  vécut  en  pleine  liberté  jusqu'à 
l'âge  de  treize  ans ,  mêlée  aux  autres  enfants  de 
la  campagne.  On  la  mit  alors  au  couvent  des 
Augustines  anglaises ,  à  Paris,  où  elle  resta  de 
1817  jusqu'en  1820.  De  retour  à  Nohant,  elle 
s'absorba  dans  les  lectures  les  plus  diverses  et 
les  plus  propres  à  surexciter  son  imagination,  na- 
turellement exaltée.  A  la  mort  de  sa  grand'mère, 
elle  voulut  rentrer  au  couvent;  mais  onla  maria, 
presque  malgré  elle  (1822),  à  M.  le  baron  Dude- 
vant,  militaire  retraité,  devenu  gentilhomme 
campagnard.  Elle  eut  de  lui  deux  enfants,  un 
fils,  Maurice,  artiste  et  littérateur,  et  une  fille, 
Solange,  femme  aujourd'hui  séparée  du  statuaire 
Clesinger.  En  1831,  une  séparation  volontaire  eut 
lieu  entre  elle  et  son  mari  ;  elle  vint  habiter  Paris 
avec  sa  fille,  et  chercha  à  se  créer  des  ressources 
qui  lui  permissent  une  vie  indépendante.  Elle  fit 
des  traductions ,  dessina  des  portraits,  coloria 
des  tabatières;  mais  tout  ce  travail  était  peu 
lucratif;  elle  eut  l'idée  d'écrire.  Rebutée  parKé- 
ratry  et  par  Balzac,  elle  trouva  de  sérieux 
encouragements  chez  Henri  Delatouche,  son 
compatriote,  qui  lui  fit  faire  de  petits  ar- 
ticles dans  le  Figaro  d'alors.  Jules  Sandeau 
(voy.  ce  nom)  y  travaillait  avec  elle:  mais  ils 
prenaient  beaucoup  de  peine  et  n'obtenaient  que 
de  médiocres  résultats.  Ils  composèrent  en  com- 
mun, sous  le  nom  de  Jules  Sand,  une  nouvelle  : 
La  prima  donna  (Revue  de  Paris,  1831),  puis 
un  roman  :  Rose  et  Blanche  (Paris,  1831,5  vol. 
in-12).  L'éditeur,  H.  Dupuy,  s'étant  renseigné 


275 


SAND 


276 


sur  la  part  respective  des  deux  collabora- 
teurs, et  Trappe  du  mérite  littéraire  de  certaines 
pages  écrites  par  la  jeune  femme ,  lui  demanda 
un  roman  qui  fût  d'elle  seule.  Elle  partit  alors 
pour  Nohant,  et  écrivit  Indiana,  qui  parut  en 
1832  (2  vol.  in-8°),  sous  le  nom  de  Georges 
Sand,  pseudonyme  forgé  par  Delatouche,  adopté 
par  le  public  et  consacré  par  le  talent  de  l'au- 
teur. Indiana  eut  un  immense  succès,  aug- 
menté encore  par  le  mystère  qui  entourait  l'au- 
teur. A  la  fin  de  la  même  année ,  elle  fit  paraître 
Valentine  (2  vol.  in-8»),  dont  le  premier  volume 
au  moins  restera  un  des  plus  beaux  titres  de 
gloire  de  Mœe  Sand.  Lélia  (1833,2  vol.  in-8°)  fit 
scandale  :  on  ne  comprenait  guère  ce  tissu  de  para- 
doxes contradictoires,  composé  dans  un  moment 
de  crise  et  presque  de  maladie.  G.  Sand  alla  cher- 
cher le  repos  en  Italie,  où  l'accompagnait  Alfred  de 
Musset  (voy.  ce  nom).  Les  Lettres  d'un  voyageur, 
qui  parurent  de  1834  à  1836  dans  la  Revue  des 
deux  mondes,  portent  l'empreinte  du  calme  qui 
se  rétablit  alors  dans  son  âme.  Venise  surtout  l'en- 
chanta, et  cette  impression  se  traduisit  dans  plu- 
sieurs compositions  charmantes  :  Metella  (1833), 
Leone Leoni  (1834), Mattea(l83à),  Les  Maîtres 
mosaïstes  (1837),  La  Dernière  Aldini  (1837), 
LTscoque  (1838).  Elle  avait  donné  en  1834 
Jacques  (2  vol.  in-8°),  où  elle  traitait  encore  une 
fois  la  question  du  mariage,  et  Le  Secrétaire 
intime  (2  vol.  in-8°),  qui  renferme  plus  d'une 
allusion  à  ses  relations  avec  Alfred  de  Musset  Eile 
était  revenue  d'Italie  sans  lui.  En  1835,  vers  l'é- 
poque delà  publication  d'André  (in-8°),  elle  fit 
la  connaissance  de  Miche!  de  Bourges  (c'est  l'E- 
vrard des  Lettres  d'un  voyageur)  qui  le  premier 
lui  parla  politique  et  la  troubla  sans  la  convaincre. 
Son  influence  se  fait  sentir  néanmoins  dans  plus 
d'un  passage  de  Mauprat,  qu'elle  publia  en  1836 
(2  vol.  in-8°).  La  même  année,  à  la  suite  d'un 
jugement  qui  la  séparait  définitivement  de  son 
mari,  elle  fit  un  voyage  en  Suisse  et  écrivit  de 
Chamounix  sa  Dernière  lettre  d'un  voyageur. 
Au  retour,  elle  vit  La  Mennais,  dont  l'esprit  ar- 
dent fit  sur  elle  une  impression  profonde,  vive- 
ment accusée  dans  la  Lettre  à  Marie  (journal 
Le  Monde,  1837).  Elle  alla  passer  l'hiver  de  1838 
dans  l'île  de  Majorque,  en  compagnie  de  Frédéric 
Chopin.  Spiridion  (1839),  et  Les  sept  cordes  de 
la  lyre  (1840),  oùla  philosophie  religieuse  absorbe 
complètement  le  roman,  furent  écrits  sous  l'inspi- 
ration de  Pierre  Leroux.  Pauline  (1840)  fut  le 
dernier  récit  qu'elle  publia  à  celte  époque  dans  la 
Revue  des  deux  mondes.  On  lui  refusa  Horace, 
qu'elle  porta  à  la  Revue  indépendante  et  qui  y 
parut  après  Consuelo  (1844).  Les  premiers  vo- 
lumes de  ce  dernier  roman  eurent  un  immense 
succès;  mais  La  Comtesse  de  Rudolstadt  (1 843), 
qui  en  était  la  suite,  trouva  à  peine  des  lecteurs. 
Laissant  là  les  théories  religieuses,  Georges  Sand 
revint  à  la  politique  sociale  dans  Le  Compagnon 
autour  de  France  (1840),  Le  Meunier  d'An- 
gibault  (1845),  et  Le  Péché  de  M.  Antoine 


(1847).  Teverino  (1843)=- n'est  qu'un  délicieux 
dialogue  sur  l'art  et  en  particulier  sur  la  musique. 
Dans  Lucrezia  Floriani  (1847)  et  dans  Le 
Château  des  Désertes,  qui  en  est  la  suite,  elle 
traite  d'une  manière  particulière  de  l'art  drama- 
tique, et  surtout  de  l'art  du  comédien. 

G.  Sand,  comme  tous  les  grands  artistes,  a  eu 
plusieurs  manières.  Après  le  roman  passionné 
et  le  roman  socialiste,  sans  parler  de  ce  qu'on 
pourrait  appeler  le  roman  esthétique,  elle  trouva 
une  voie  nouvelle ,  qui  ne  fut  pas  la  moins  glo- 
rieuse. En  1846,  au  moment  où  l'on  signalait  déjà 
dans  ses  écrits  des  traces  de  lassitude  et  de  fai- 
blesse, La  M are  azt,  diable  surprit  et  charma  le 
public.  En    rajeunissant    le  roman   pastoral. 
Georges  Sand   lui  ouvrait  une  nouvelle  voie, 
pleine  de  fraîcheur,  de  grâce  et  d'enseignement* 
moraux.  Déjà,  en  1844,  Jeanne  avait  étécomnu 
une  tentative  de  ce  côté.  François  le  Champ, 
et  Lapetile  Fadelte  (1848)  achevèrent  de  gagne] 
les  esprits ,  et  indiquèrent  encore  de  riches  fi 
Ions  dans  une  mine  déjà  bien  exploitée.  La  cri- 
tique y  reconnut  «  un  dessein  suivi,  une  corn 
position  toute  nouvelle,  une  perfection  véritable  » 
Les  Maîtres  sonneurs  (1853)  furent  le  demie: 
des  romans  champêtres.  De  la  même  ;époqu; 
a  peu  près  datent  le  Piccinino  et  La  Filleule 
La  révolution  de  1848  avait  arraché  momenta- 
nément Georges  Sand  à  l'art  et  au  travail.  Elli 
crut  à  la  réalisation  de  ses  rêves,  et  prêta  le  se 
cours  de  sa  plume  à  ses  amis  au  pouvoir.  Ver 
cette    époque  elle  aborda  le  théâtre.  Déjà  es 
1840  Cosima  avait  été  accueillie  plus  que  froi  ; 
dément.  Le  Roi  attend  (1848)  ne  trouva  pa 
plus  de  faveur  auprès  d'un  public  naturellemen 
méfiant  envers  un  auteur  qui  s'écarte  de  sa  voi  ; 
habituelle.  Mais,  en  1849,  François  le  Champ 
triompha  de  ses  préventions,  et  bientôt  aprè 
Claudie  (1851)  emportait  les    suffrages  de  1 
critique  la  plus  hostile.  Le  théâtre  de  G.  San! 
est  déjà  considérable  et  comprend  :  Le  Manag 
de  Victorine  (1851),  Le  Démon  du  foyer  (ISoi,  \ 
Molière  (1853),  Le  Pressoir  (1853),  Maupral 
(1853),  Flaminio(18M),  Lucie  (1856),  Maltr 
Favilla  (1855),  Comme  il  vous  plaira  (1856] 
Françoise  (1856),  Les  beaux  Messieurs  de  Boit 
Doré  (1862),  etc.  Si  ce  catalogue  dramatiqu 
n'indique  pas  toujours  une  vocation  bien  décidée  j 
ii  marque  un  goût  bien  vif  pour  un  genre  qui 
tenté  tous  nos  grands  écrivains.  11  faut  l'avouei 
toutes  ces  œuvres,  malgré  d'incontestables  qua 
lités ,  manquent  un  peu  du  mouvement  nécei 
saire  à  la  scène  et  gagnent  à  la  lecture. 

En  1854  Georges  Sand  publia  dans  La  Press 
l'Histoire  de  ma  vie.  étude  psychologique  e 
10  vol.,  où  le  public  s'irrite  de  ne  point  rencontre 
les  révélations  qu'il  attendait.  En  1858,  George 
Sand  rentra  à  la  Revue  des  deux  mondes,  pa 
Elle  et  lui,  œuvre  remarquable,  autour  d 
laquelle  on  souleva  un  scandale  peu  justifié  t 
qui  semble  n'avoir  été  qu'un  dernier  hommag 
à  un  souvenir  toujours  vivant  et  toujours  chei 


277 


SAND  —  SANDEAU 


278 


i  Jean  de  La  Roche  et  JjC  Marquis  de  Vil  levier 
<  sont  venus  témoigner  encore  îles  ressources  de 
1  ce  vaillant  génie  et  inaugurer  avec  éclat  toute 
i  une  série  nouvelle  de  compositions  d'un  ton 
>  calme  et  doux  et  d'une  supérieure  beauté.  On  n'a 
jamais  exposé  plus  éloquemment  la  théorie  de 
(l'amour  dans  le  mariage  et  du  bon  sens  dans  l'a- 
i  mour.  Ajoutons  que  le  paysage  qui  encadre  ces 
i  beaux  récits  y  tient  une  large  part  et  n'a  jamais 
I  été  traité  avec  une  touche  plus  savante  et  plus 
[SHave.  Parmi  ces  productions  des  dernières  an- 
inées,  fruits  savoureux  d'un  automne  splendide, 
I nous  citerons  :  Les  Dames  vertes,  Laure, 
\VHomme  de  neige  (1859),  Constance  Verrier, 
|  Flavie  (1860),  Valvèdre ,  Tamaris,  Antonia, 
\La  Ville  Noire,  La  Famille  Germandre  (1861), 
\M"edeLa  Quinlinie  (1863),  Laura  (1864),  etc. 
i  Disciple  de  Jean- Jacques  et  de  Chateaubriand , 
•  G.  Sand  a  retenu  du  premier  cette  méfiance  de 
i  la  société  qu'elle  a  traduite  en  attaques  non  moins 
i  riolentes ,  mais  dictées  par  un  amour  pins 
!  sincère  de  l'humanité.  Ses  théories  subversives 
ine  sont  en  réalité  ;qne  le  témoignage  d'aspira- 
1  lions  généreuses  et  de  nobles  illusions.  Dans  le 
j  uariage  même,  il  faut  reconnaître  qu'elle  a  moins 
I  ittaqué  l'institution  que  la  manière  dont  cette 
i  institution  est;comprise  et  pratiquée.  A  Cbateau- 
ibriand  elle  doit  en  partie  ce  vif  sentiment  de 
\te  nature  qui  éclate  dans  toutes  ses  œuvres,  et 
elle  a  eu  le  mérite<original  de  comprendre  et  de 
1  faire  sentir  la  poésie  des  paysages  de  France.  En 
;dépit  des  réserves  qu'on  pourrait  faire  sur  plus 
fd'un  point,  G.  Sand  reste  au  premier  rang 
parmi  les  romanciers  contemporains.  Ses  com- 
positions sont  en  général  magnifiquement  or- 
données. Les  personnages  sont  vivants  et  placés 
en  pleine  lumière  :  quelques-uns  seulement ,  a 
force  de  tendre  vers  l'idéal,  perdent  un  peu  de 
leur  individualité  et  tournent  au  type.  La  fable, 
toujours  al  tachante,  se  développe  sans  efforts;  les 
passions  qui  y  jouent  un  grand  rôle  sont  très- 
finement  analysées.  Les  entrées  en  matière  sont 
'admirables  et  digtes  des  plus  beaux  débuts  de 
[Walter  Scott.  Mais  c'est  surtout  par  le  style  que 
G.  Sand  est  bien  le  maître  du  chœur.  A  aucune 
époque  de  la  langue  on  ne  rencontre  une  prose 
de  plus  fine  trempe  et  de  plus  pur  métal.  L'exa- 
gération des  idées  n'a  pu  porter  atteinte  à  la  pu- 
reté <le  la  forme  :  la  pensée  est  souvent  décla- 
matoire, jamais  l'expression.  Cette  supérieure 
qualité  de  style  est  un  don  du  génie;  G.  Sand  l'a 
i  possédée  dès  les  premiers  jours,  et  c'est  là  qu'est 
son  impérissable  gloire. 

!  Outre  les  ouvrages  cités,  Georges  Sand  a  pu- 
blié les  romans  suivants  :  Simon  (1836),  Isï- 
dora,Adriani,  Le  Diable  aux  champs,  Évenor 
etLeucippe,  LaDaniella,Les  beaux  Messieurs 
I  de  Bois-Doré,  Narcisse,  etc. 

P.  Feuilleret. 
i    Gustave  Planche,  Portraits  littéraires.  -  Sainte-Beuve, 
Causeries  du  lundi.  —  Loménie,  Galerie  des  Contempo- 
rains. —  3.  Janin,  dans  la  Biogr.  des  femmes  auteurs 
françaises.  —  Walsh,   Georges  Sand;  1837,  in-8°.  — 


A.  GuiUlcrt,  A'nlire;  1843,  in  8°.—  lîrault,  Biographie, 
18'tS,  ln-8u.  —  Vapcreau,  IHct.  des  contemp.  —  1'.  de  Mus- 
set, Lui  et  elle.  —   M»'e  Collet,  Lui. 

*  sandeau  (Léonard-Sylvain-Jules),  ro- 
mancier français,  né  à  Aubusson,  le  10  février 
1811.  Venu    à  Paris  pour  étudier  le  droit,  il  y 
renonça  bientôt,  et  se  tourna  vers  la  littérature,  où 
l'appelaient  ses  goûts ,  ses  aptitudes ,  et  ses  re- 
lations avec  MmeDudevant,    qu'il    connut   en 
1830,  près  de  La  Châtre,  où  habitaient  les  deux 
familles.  Ils  commencèrent  à  travailler  ensemble 
au   Figaro,  sous  les  auspices  d'Henri  de  La- 
touche,  qui  leur  choisit  le  nom  de  Jules  Sandt 
sous  lequel  parurent  leurs  œuvres  communes. 
Le  premier  travail  qui  porte  cette  signature  est 
une  nouvelle,  La  Prima  donna,  publiée  dans  la 
Revue  de  Paris  en  1831  ;  vint  ensuite  le  roman 
du  Rose  et  Blanche  (1831,  5  vol.  in-12),  classé 
plus  tard   dans  les  œuvres   de  Georges  Sand. 
Mme  de  Sommerville,  qui  parut  en  1834,  est  le 
premier  ouvrage  qui  porte  le  nom  de  M.  San- 
deau,  le  seul  qu'il  reconnaisse  pour  son  vé- 
ritable début  dans  la  carrière    du  roman.  A 
partir  de  cette  époque  il  fournit  de  nombreux 
articles  à  la  Chronique  de  Paris ,  au  Corsaire , 
au  Figaro,  et  à  la  Revue  de  Paris,  où  pendant 
près  de  dix  ans  il  fut  chargé  du  compte-rendu 
des  théâtres.  La  Revue  des  deux  mondes  lui 
fut  ouverte  en  1839,  à  la  suite  du  succès  qu'ob- 
tint le  beau  roman  de  Mariana,  où  l'auteur, 
adoptant  définitivement  sa  voie,  proteste  au  nom 
du  devoir  contre  la  passion,  traitée    cependant 
par  lui  avec  ménagement  et  respect;  la  Revue 
des  deux  mondes  inséra  d'abord  Le  docteur 
Herbeau,    puis  à  partir    de   cette  époque  la 
plus  grande  pai-tie  des    travaux  de  l'auteur. 
M:  Sandeau  resta  étranger  au  théâtre  jusqu'en 
1851;  i!  présenta  alors  aux  Français  une  pièce 
tirée  d'un  de  ses  romans,  MHe  de  la  Seiglière, 
qui  est  restée  au  répertoire  ;  il  donna  ensuite,  en 
collaboration  avec  M.  Emile  Augier,  La  Pierre 
de  touche  (Théâtre- Français,  1853),  Le  Gendre 
de  M.  Poirier  (Gymnase,  1854)  et  LaCeinture 
dorée  (ibid.,  1855).  Il  a  été  élu  en  1858  membre 
de  l'Académie. jfrançaise,  en  remplacement  de 
M.  Briffaut.  Bibliothécaire  à  la  Bibliothèque  ma- 
zarine  depuis  1853,  il  en  devint  conservateur  en 
1859,  et  fut  fait  à  la  même  époque  bibliothécaire 
du  palais  de  Saint-Cloud.  Voici  la  liste  de  ses 
ouvrages  :  Mme  de  Sommerville;  Paris,  1334, 
in-8e;  —  Les  Revenants;  1836,2  vol.; —  Un  jour 
sans  lendemain;  1835,  in-8°;  —  Mariana; 
1339,  2  vol.  in-8°; —  Mlie  de  Kérouare;  1840, 
in-8°; —  Le  Docteur  Herbeau;  1841,  2  vol. 
in-8°;  —  Vaillance  et  Richard;  1843,  in-8°; 
—  Fernand;  1844,in-80;—  Catherine;  1845, 
in-8u;  —  Valcreuse;  1846,  2  vol.    in  8°;   — 
0ie  de  la  Seiglière  ;  1848, 2  vol.  in-8°;  —  Ma- 
deleine; 1 848,  in-8°  ;  —  La  Chasse  au  roman  ; 
1849,  2  vol.  in-8°;  —  Un   Héritage;  1849, 
2  vol.   in-8° ;—  Sacs  et  parchemins;  1851, 
2  voh  in-8°;  —  Le  Château  de  Monsabrey  ; 


279  SANDEAU 

1S53,  2  vol.  in-3°;  —  Olivier;  1854,  in-8°;  — 
La  Maison  de  Penarvan;  1858,  in-18;  —  Un 
Début  dans  la  magistrature  ;  1862,  in-18.  Il 
a  publié  le  recueil  de    ses  Nouvelles   (1859, 

2  vol.  in-18).  A.Franklin. 

Documents  partie. 

sandeo  (  Felino-Maria ),  canoniste  italien, 
né  en  1444,  à  Felina  (diocèse  de  Reggio),  mort 
on  octobre  1503,  à  Lucques.  Ce  fut  par  hasard 
qu'il  prit  naissance  au  village  de  Felina,  d'où  il  a 
tiré  le  surnom  de  Felino,  sous  lequel  il  est 
quelquefois  désigné;  mais  sa  famille  était  ori- 
ginaire de  Lucques,  alliée  à  celle  de  l'Arioste, 
et  il  reçut  à  Ferrare  sa  première  éducation.  I 
entra  de  bonne  heure  dans  les  ordres,  s'adonna 
à  la  jurisprudence,  et  professa  d'abord  le  droit  à 
Ferrare  (1465),  puis  le  droit  canon  à  Pise(1474). 
Bien  qu'on  eût  augmenté  ses  gages  de  500  à  700 
florins,  il  quitta  en  i486  cette  dernière  ehaire, 
soit  dans  la  crainte  de  perdre  sa  réputation  en 
se  tirant  mal  d'une  dispute  engagée  avec  Phi- 
lippe Decius,  soit  par  ambition  de  s'avancer 
dans  les  dignités  ecclésiastiques.  Il  se  produisit 
avec  honneur  à  la  cour  de  Rome,  et  fut  nommé 
auditeur  de  rote,  référendaire  des  deux  signa- 
tures et  vice-auditeur  de  la  chambre  aposto- 
lique; il  mit  sa  plume  au  service  du  saint-siège, 
dont  il  défendit  les  droits  contre  Ferdinand  Ier, 
roi  de  Naples,  et  Charles  VIII,  roi  de  France; 
ces  services  furent  récompensés  par  i'évêché 
d'Atri  (1495)  et  par  celui  de  Lucques  (1499). 
C'était  un  homme  qui  avait  beaucoup  lu  et  re- 
cueilli, et  ses  ouvrages  ont  eu  plusieurs  fois  les 
honneurs  de  la  réimpression  ;  nous  citerons  les 
suivants  :  De  regibus  Sicil'tse  et  Apulias,  et  no- 
minatim  de  Alfonso,  rege  Aragonum,  epi- 
tome-  Milan,  1495,  in-4°  :  c'est  un  rapide 
aperçu  des  événements  depuis  537  jusqu'en  1494; 
réimpr.  par  Freher,  Hanovre,  1601,  in-4°,  et 
dans  le  Thésaurus  antiq.  ital.,  t.  X;  —  Ad 
Vi  lib.  Decretalium  commentaria;  Venise, 
1497-99,  3  vol.  in-fol.;  Lyon,  1519,  1535,1587, 

3  vol.  in-fol.; —  Consilia;  Lyon,  1553,  in-fol. 
Quelques-uns  des  ouvrages  manuscrits  deSandeo 
pourraient  servir  à  l'histoire  diplomatique  de  son 
temps. 

Panciroll,  De  claris  legum  interpretibus.  —  Nlceron, 
Mémoires,  XL1.—  Tiraboschi,  Storia  delta  letter.  ital., 
VI,  lre  partie. 

sanders  ou  saunders  (Nicolas),  en  la- 
tin Sanderus,  controversiste  anglais,  né  vers 
1527,  à  Charlewood  (Surrey),  mort  en  1583, 
en  Irlande.  Du  collège  de  Winchester  il  passa 
dans  l'université  d'Oxford,  et  après  s'être  rendu 
aussi  habile  dans  la  théologie  que  dans  le  droit 
canon,  il  y  enseigna  depuis  1557  cette  der- 
nière science.  A  l'avènement  d'Elisabeth,  son 
zèle  pour  la  religion  catholique  l'empêcha  de 
conserver  sa  chaire,  et  en  1560  il  se  rendit  à 
Rome,  où  il  reçut  la  prêtrise  et  le  diplôme  de 
docteur  en  théologie;  puis  il  accompagna,  en 
qualité  de  théologal,  le  cardinal  Hosius  au  con- 


SANDERS 


280 


cile  de  Trente  ainsi  qu'en  Pologne,  en  Prusse  et 
en  Lithuanie.  Ces  voyages  finis ,  il  s'établit  à 
Louvain,  et  y  professa   pendant  douze  ans   la 
théologie  ;  en  même  temps  il  travailla   active- 
ment à  la  rédaction  des  nouveaux  écrits  de  con- 
troverse qu'échangeaient  les  deux  partis.  Il  s'at- 
tacha ensuite  aux  cardinaux  Commendon  et  Phi- 
lippe  Sega ,  rit  quelque   séjour  en  Espagne ,  et 
accepta  en  1579  ia  nonciature  d'Irlande.  L'objet 
de  sa  mission  était  d'animer  les  catholiques  qui 
avaient  pris  les  armes  dans  ce  pays  à  soutenir  vi- 
goureusement ce  qu'ils  avaient  commencé  ;  mais 
leur  défaite  rendit  inutiles  toutes  les  peines  qu'il  \ 
se  donna  dans  ce  but.  Par  crainte  de  tomber  entre  i 
les  mains  des  Anglais ,  il  erra  longtemps  dans  les 
forêts,  où  il  mourut,  à  ce  qu'on  croit,  de  faim  el  : 
de  misère.  C'était  un  théologien  instruit,  habile, 
mais  peu  scrupuleux,  d'un  zèle  emporté,  el 
qui  alla  jusqu'à  prétendre  que  l'Église    et  1< 
peuple  avaient  le  droit  de  déposer  le  souverait 
qui  mettait  la  religion  en  péril.  Ses  principaux  j 
ouvrages  sont  -.  The  Supper  of  our  Lord  ;  Lou- 
vain, 1566,  in-4°  :  en  réponse  à  Jewel  et  à  No- 1 
vel;  — The  Rock  of  the  Church,  concemint 
the  prirnaey  ofS.   Peter;  ibid.,  1566,  in-8°  ; 
trad.  latine,  Venise,  1603,  in-4°; —  Treatisii 
of  the  images  of  Christ  and  his  Saints;  ibid.  j 
1567,  in-8°;   —   De  visibilï  monarchia  Ec  I 
clesias  lib.  VIII;  ibid.,  1571,  in-fol.;  Rome! 
1586,  in-fol.  :  c'est  un  des  plus  amples  traité  ' 
qui  aient  été  faits  sur  la  matière  ;  Clefk  et  Ack  j 
worth  l'ont  réfuté;  —  De  origine  ac  progressi  ; 
schismatis  anglicani  lib.  III;  Cologne,  1585 
1 590,  in-8°  ;  trad.  en  anglais,  en  italien  et  trois  foi 
en  français,  1587,  1588,  et  1678;  eette  Histoire 
dont  le  troisième  livre  est  d'Edward  Rhiston,  es  • 
écrit  avec  trop  de  passion  et  renferme  bien  de 
faits  suspects  ;  —  De  clave  David,  seu  regn 
Christi  lib.  VI;  Rome,  1588,  in-8°. 

Wood,  Athense  Oxon.  —  Dodd,  Church  history.  •  j 
Strype,  Life  of  Parker,  p.  377  et  381.—  Collier,  Eccle  j 
history. 

sanders  (Antoine),    en  latin  Sanderus  i 
historien  belge,  né  à  Anvers,  le  16  scptembi  u 
1586,  mort  à  l'abbaye  d'Afflïghem,  près  d'AlosI 
le  16  janvier  1664.  Fils  d'un  médecin,  il  ache\ 
ses  études  chez  les  jésuites  de  Gand ,  puis 
Louvain  et  à  Douai.  Ordonné  prêtre,  il  rempl 
des  fonctions  pastorales  dans  les  parties  de  1  i 
Flandre  où  les  doctrines  des  calvinistes  et  d( 
anabaptistes  avaient  conservé  des  partisans.  Pc  I 
de  temps  après,  en  1625,  il  devint  aumônier  <  | 
secrétaire   du  cardinal  Alphonse  de  la  Cuevi 
qui  fut  un  instant  gouverneur  des  Pays-Bas.  Cl 
prélat  le  pourvut  d'un  canonicat  dans  la  eatln 
drale  d'Ypres,  dont  il  devint  pénitencier  en  16S 
et  théologal  en  1660.  Il  remplit  longtemps  ans: 
les  fonctions  de  censeur  des  livres  à  Bruxelle 
La   plupart   de  ses  biographes  disent  que    s< 
publications  typographiques  le  ruinèrent  si  con 
plétement,  qu'il    dut  accepter  l'asile    que  li 
offrirent  les  religieux  d'Afflighem.   C'était  u 


281  SANDERS  — 

homme  très-laborieux  et  qui  possédait  une  vaste 
connaissance  de  l'antiquité  religieuse  et  profane. 
Il  se  servait  quelquefois,  dans  sa  correspondance, 
de  la  langue  espagnole  ;  il  savait  aussi  le  fran- 
çais; mais  cette  langue  lui  était  moins  familière 

■  que  le  flamand  et  le  latin.  Paquot  cite  de  San- 
:  ders  quarante-deux  ouvrages  imprimés,  et  qua- 
I  rante  inédits;  nous  mentionnerons  les  princi- 
[  paux  :  De  Brugensibus  eruditionis  fama  cla- 
I  ris;  Anvers,  1624,  in-4°  :  bien  que  le  titre  porte 
i  libri  duo,  l'auteur  n'en  a  fait  qu'un,  et  l'ou- 
>  vrage  paraît  complet;  —  De  scriptoribus 
t  Flandrise;  Anvers,  1624,  in-4°;  —  De  Gan- 
\  davensibus  Claris  ;  Anvers,  1624,  in-4°  ;—  Gan- 

davumsive Gandavensium rerumlib.  VI;An- 
vers  et  Bruxelles,   1624-1628,   2  vol.  in-4°  ;  — 
Uagiologium  Flandriœ;  Anvers,  1625,  in-4°; 
Lille,  1639,  in-8»,  —Eîogia  cardinalhim  guo- 
I  rumdam;  Louvain,  1 626,in-4°  ; —  Diversche  Be- 
merkingen,eic.  (Diverses  réflexions,  qui  peuvent 
'<  conduire  l'homme  à  la  véritable  connaissance  de 
Dieu  et  de  soi-même);  Bruxelles,  1626,  in-12  : 
c'est  le  seul  ouvrage  écrit  en  flamand  par  San- 
ders;  —  De  Claris  Antoniis;  Louvain,  1627, 
i  in-4o  ;  —  Diss.  pro  instituto  bibliotheca;  pu- 
Micas  Gandavensis  ;  Bruxelles,  1633,  gr.  in- 4", 
t  très-rare;  —   Flandria  illustrata;   Cologne 
I  (  Amsterd.),  1642-44,  2  vol.  in-fol.,  fig.  La  biblio- 
Ithèque  royale  de  Bruxelles  possède  le  tome  III 
I  (inédit)  de  ce  précieux  ouvrage;  il  contient  la 
([description  topographique  de  la  Flandre  fran- 
çaise, de  Tournai   et  du  Tournaisis,  ainsi  que 
I  plusieurs   dessins.    L'auteur  avait  préparé  les 

I  matériaux  d'un  4e  volume,  qui,  outre  plusieurs 

■  [ nouveaux  documents  sur  la  Flandre,  devait 
if  contenir  l'histoire  de  l'ancienne  ville  et  évêch 

'  de  Térouanne  et  de  l'abbaye  de  Saint-Bertin. 

't  Une  2e  édit.  de  la  Flandria  illustrata  est  de 
't'La  Haye,  1732-1735,  3  vol.  in-fol.;  les  planches 

j  en  sont  moins  belles  que  celles  de  la  première. 
.[L'édition  flamande  de  Leyde,  1735,  2  vol.  in- 

I  fol.,  est  l'un  des  plus  beaux  ouvrages  flamands 

J  que  l'on  connaisse  ;  —  Bibliotheca  belgica  ma- 
hnuscripta;  Lille,  1641  43,  2  vol.  in-4°  :  cetra- 

\  vail  devait  avoir  six  parties  ;  les  deux  pre- 
Umières  ont  seules  paru.  «  Quoique  la  Biblio- 
i\theca   manuscripta ,  dit  Beiffenberg,  ne  soit 

1  qu'un  assemblage  de  catalogues  informes,  d'une 
1 négligence  et  d'une  sécheresse  désespérante, 
•  !  elle  n'en  est  pas  moins  d'une  grande  utilité  au- 

f  jourd'hui  pour  nous  mettre  sur  la  voie  des  ma- 

I I  nuscrits  que  nous  désirerions  recouvrer,  et  pour 
!  avoir  une  idée  approximative  des  richesses  litté- 
i  raires  de  nos  couvents;  »  —  Opuscula  minora, 

[\oralïones  sacras,  prasfationum  syntagma, 
■  poematum  lib.IV;  Louvain,  1651,  in-4°  ;  — 
f  Chorographia  sacra   Brabantise  ;  Bruxelles , 

■-  \  1659-63,  2  vol.  in-fol.,  fig.;  La  Haye,  1726-1727, 
\  3  vol.  in-fol.  :  le  second  volume  de  la  première 

'(édition  est   rarissime;    la  plupart   des   exem- 

:  ■  plaires  en  ayant  élé  détruits  par  le  bombarde- 
ment de  Bruxelles  en   1695;   —  Bibliotheca 


SANDERSON 


282 


sacro-prof ana  ;  Bruges,  1657,  in-4°  :  une  se- 
conde partie  est  restée  manuscrite.  Ce  catalogue 
des  livres  que  Sanders  possédait  en  1656  con- 
tient d'utiles  indications  bibliographiques  sur  les 
travaux  que  ce  savant  avait  déjà  publiés  à  cette 
époque,  ou  dont  il  avait  préparé  les  manuscrits. 
La  bibliothèque  de  Tournai  conserve  le  manus- 
crit autographe  d'un  ouvrage  de  Sanders ,  inti- 
tulé :  Tornacum  ilhistratum.  Les  dessins  ori- 
ginaux destinés  par  l'auteur  à  l'ornement  de  ce 
livre,  resté  inachevé ,  existent  à  la  bibliothèque 
royale  de  Bruxelles.  E.  Begnard. 

Paquot,  Mémoires,  t.  XVI,  exemplaire  de  la  biblioth. 
roy.  de  Bruxelles,  annoté  par  C.  van  Hulthero.  —  Saint- 
Génois,  Antoine  Sanderus  et  ses  écrits,  daps  les  Annales 
de  la  Société  royale  de  Gand,  t.  VIII,  p.  185.  —  Mes- 
sager des  sciences  hist.  de  Belgique,  1834.  p.  53.  —  De 
Reiffenberg,  Chronique  rimée  de  Philippe  Mouskès, 
introd.,  p.  xx. 

sânderson  (Robert),  prélat  anglais,  né 
le  19  septembre  1587,  à  Bolherham  (Yorkshire), 
mort  le  29  janvier  1663,  à  Lincoln.  11  fit  d'excel- 
lentes études  à  l'université  d'Oxford  ,  où  il  prit 
ses  grades  en  lettres  et  en  théologie,  et  y  pro- 
fessa la  logique  ;  ses  maîtres  disaient  de  lui  qu'il 
avait  l'esprit  métaohysique  et  une  mémoire  sans 
pareille.  L'état  médiocre  de  sa  fortune  l'avait 
forcé  d'entrer  dans  l'Église  :  sa  double  réputa- 
tion de  casuiste  et  d'ami  du  roi  le  tira  de  l'obs- 
curité. Après  avoir  eu  dans  le  comté  de  Lincoln 
son  premier  bénéfice  (1618),  il  devint,  par  l'in- 
termédiaire de  Laud ,  alors  évêque,  chapelain  de 
Charles  1er  (1631),  qui  le  pourvut  en  1642  de  la 
chaire  de  théologie  à  Oxford  et  le  consulta  sur 
les  propositions  du  parlement  pour  rétablir  la 
paix.  Sous  la  république,  il  perdit  sa  chaire  ainsi 
qu'un  canonicat  à  Oxford  ;  il  vécut  dans  sa 
cure  de  Boothby  Pannel ,  et  fut  pillé  plusieurs 
fois,  blessé  en  trois  endroits  et  réduit  à  une 
grande  pauvreté,  ayant  femme  et  enfants.  Durant 
sa  retraite,  plusieurs  personnes  s'adressèrent  à 
lui  sur  des  cas  de  conscience,  dont  il  leur  donnait 
la  solution  par  lettres.  En  1658  il  reçut  de  Bo- 
bert  Boy  le  un  présent  de  cinquante  liv.  st., 
avec  offre  de  lui  servir  sa  vie  durant  une  pen- 
sion égale  ou  plus  forte  même ,  pour  le  mettre 
hors  de  la  gêne  où  il  était  tombé.  Le  rétablisse- 
ment des  Stuarts  le  tira  de  peine.  Dans  la  même 
année  (1660),  il  fut  rétabli  dans  sa  chaire  et 
nommé  évêque  de  Lincoln.  Prideaux,  Usher, 
Hammond  ont  parlé  de  Sanderson  avec  beau- 
coup d'éloges;  c'était  un  homme  fort  instruit, 
d'une  grande  modération,  et  d  u^e  timidité  in- 
vincible. Ses  principaux  ouvrages  sont  :  Logicx 
artis  compendium;  Oxford,  1615,  in-8°; 
9e  édit.,  1C80,  in-8°;  —  De  juramenti  promis- 
sorii  oblïgatione;  Londres,  1647,  1683,  in-8°; 
trad.  en  anglais  par  le  roi  Charles  Ier;  ibid., 
1655,  in-8°;—  De  obligatione  conscientix ; 
Londres,  1660,  1682,  in-8°;  trad.  en  anglais; 
Episcopacy,  as  established  by  law  in  En- 
gland,  not  prejudicial  to  the  régal  power; 
Londres,    1661,   1683,    in  8°;  —   Sermons; 


283 


SANDERSON  —  SANDOVAL 


284 


Londres,  1660, 1681,  in-fol.; —  Discourse  on  the 
visïbility  of  the  true  Church;  Londres,  1668, 
in-4°;  — JSine  Cases  of  conscience  resolved; 
Londres,  1678,  1685,  in-8°. 

Wood,  Athenos  Oxon.  —  Wordsworlli,  Ecclesiastical 
biogruphy,  —  Chaufepié,  Nouveau  Dict.  hist.  —  Walton, 
Life  o/bisfwp  Sander son ,-Lond.,  1678,  in-8°, 

sandjar  (  Aboul-Hareth  Moezz-eddin)  , 
sultan  seldjoucide  de  Perse,  né  en  1086,  mort 
en  1157,  à  Merou.  Melik-Chah  1er,  son  père, 
était  le  troisième  prince  de  sa  dynastie  ;  il  mourut 
lorsque  le  jeune  Sandjar,  ainsi  nommé  d'une 
■ville  de  Mésopotamie  où  il  était  né,  n'avait  que 
six  ans.  Ses  deux  frères  aînés,  Barkiaroket  Mo- 
hammed Ier,  le  précédèrent  sur  le  trône,  et  pen- 
dant leur  règne  il  fit  l'apprentissage  du  pouvoir 
en  gouvernant  le  Khoraçan.  En  1117  la  mort 
du  dernier  d'entre  eux  l'appela  au  trône  de 
Perse.  Sa  puissance  s'étendait  sur  d'immenses 
contrées  ;  il  s'en  montra  digne  par  sa  vaillance, 
par  son  humanité,  sa  générosité  et  la  sollici- 
tude dont  il  entourait  les  lettres  et  les  arts.  Il 
n'avait  pas  la  passion  de  la  guerre,  et  n'inter- 
vint pas  dans  celles  que  se  faisaient  entre  eux 
les  princes  seldjoucides ,  ni  dans  celles  qui 
avaient  pour  objet  la  possession  du  califat.  Ce- 
pendant son  règne  fut  souvent  troublé.  En 
1130,  Soliman  s' étant  révolté  au  nord  du  Dji- 
houn,  Sandjar  marcha  contre  lui,  le  soumit  et 
lui  donna  un  gouvernement  important;  en 
1132,  deux  de  ses  neveux  ayant  pris  les  armes 
pour  le  renverser,  il  les  vainquit  et  les  traita 
également  avec  clémence;  l'ingratitude  même 
ne  pouvait  triompher  de  sa  longanimité,  comme 
il  le  prouva  à  l'égard  de  son  neveu  Bahram- 
Chah,  qui  lui  devait  la  souveraineté  des  Gazne- 
vides  et  contre  lequel  il  eut  à  combattre.  En 
1141  il  marcha  contre  le  sultan  du  Kharisme, 
vassal  rebelle  qui  avait  appelé  à  son  aide  les 
Khitans,  peuple  tartare  pillard  et  féroce  ;  mais 
sa  fortune  habituelle  l'abandonna  :  trente  mille 
des  siens  restèrent  sur  le  champ  de  bataille 
avec  son  harem,  et  il  lui  fallut  des  prodiges  d'é- 
nergie pour  regagner  ses  États  avec  quelques 
rares  compagnons  de  sa  fuite.  Il  se  vengea  de 
la  défaite  que  lui  avaient  infligée  les  Khitans 
au  détriment  des  Kharismiens  ,  et  les  réduisit 
à  la  paix  après  trois  campagnes  victorieuses. 
En  1149,  le  fondateur  de  la  dynastie  des  Ghan- 
rides  ayant  fait  une  invasion  dans  le  Khoraçan, 
il  le  vainquit,  puis  lui  rendit  la  liberté  et  son 
gouvernehjwt.  Dans  ce  monde  oriental,  où  au- 
cune domination  ne  reposait  sur  des  bases  so- 
lides, une  grande  guerre  avait  toujours  son 
contre-coup  dans  les  pays  voisins*  L'arrivée  des 
Khitans  avait  provoqué  le  déplacement  des 
Turcs  Uzes,  qui,  franchissant  leDjihoun,  étaient 
venus  s'établir  dans  le  voisinage  de  Balk. 
Sandjar  dirigea  contre  eux  une  armée  de 
cent  mille  hommes,  et  repoussa  les  proposi- 
tions suppliantes  qu'ils  lui  adressaient,  dans  la 
conviction  que  la  paix  ne  pouvait  être  durable. 


|  Les  Turcs,  réduits  au  désespoir,  remportèrent 
sur  lui  une  victoire  éclatante  et  s'emparèrent  de 
sa  personne  (1153).  Il  resta  quatre  ans  entre 
!  leurs  mains.  La   réputation  glorieuse  dont  il 
jouissait  en  Asie  lui  concilia  leurs  respects,  et 
|  ils  le  traitèrent  d'abord  avec  les  plus  grands 
égards;  ils  cherchèrent  ensuite  à  lui  arracher 
la  cession  de  Merou,  sa  capitale  ;  mais  n'ayant 
;  pu  triompher  de  son  inébranlable  courage,  ils 
1  se  vengèrent  de  son  refus  en  ajoutant  aux  ri- 
!  gueurs  de  sa  captivité  et  en  exerçant  sur  ses 
i  États  d'épouvantables  ravages.  Au   milieu  de 
l'adversité  l'affection  de  ses  sujets  ne  l'avait  pas 
abandonné;  un  plan  de  délivranee  fut  formé. 
Quelques-uns  des  esclaves  les  plus  fidèles  du 
monarque   captif  se  mêlèrent  aux  Turcs,  se- 
mèrent l'or  parmi  ses    gardiens ,  emmenèrent 
sous  le  prétexte  d'une  chasse  Sandjar  jusqu'aux 
bords  du  Djihoun,  le  franchirent  avec  lui  et  le 
conduisirent  dans  sa  capitale;  mais  il  ne  jouit  i 
que  quelques  mois  de  sa  liberté,  et  mourut,  à 
soixante-onze  ans.    Il    n'avait   pas  d'enfants;  i 
la  domination    de   sa   famille  finit  avec  lui. 

Klaproth,  Tableaux  hist.   de   l'Asie.   —  D'Herbelot,  ' 
Bibl.   orientale. 

sândoval  (Prudentio  i>e  ),  historien  es- ! 
pagnol,  né  vers    1560,  à  Valîadolid,  mort  le: 
17    mars    1621 ,    à   Pampelune.    Ses   parents  j 
étaient,  à  ce  qu'on  croit,  originaires  du   Por-  ] 
tugal.  Il  entra  dans  l'ordre  de  Saint-Benoît,  el 
s'appliqua  à  l'étude  des  antiquités  de  l'Espagne. 
Ses  talents  attirèrent  sur  lui  l'attention  de  Phi- 
lippe III,  qui  l'attira  à  la  cour,  et  le  combla  d( 
faveurs  :  outre   l'abbaye  de    Saint-Isidore  d( 
Guenga,  il  le  pourvut  de  deux  riches  évêchés,  l 
d'abord  celui  de  Tuy,  en  Galice  (  10  mars  1608) 
puis    celui   de  Pampelune  (17  février  1612)! 
Sandoval  fut  un  des  historiographes  en  litre  d< 
la  monarchie  :  non-seulement  il  prépara,  cornait 
il  en  avait  reçu  l'ordre,  la  continuation  de  Moi 
raies,  mais  il  semble  avoir  pris  à  tâche  d'êtn 
le  successeur  de  Mariana;  il  est  loin  d'égale  { 
en  critique  et  en  science  l'éloquent  jésuite,  e  ; 
ses  travaux  personnels  se  ressentent  des  pré  ; 
jugés  et  de  la  dépendance  de  l'historien  cour 
tisan.  Il  faut  pourtant  faire  une  exception  pou 
sa   Vie  de  Charles  V,   œuvre  estimable  paj 
l'abondance  des  détails  et  la  simplicité  du  style  ' 
mais  trop  diffuse   et   surtout  d'une  partialit 
trop   flagrante.    Ses   principaux  écrits   sont 
Chronïca     del     emperador     de      Espam\ 
Alonso    VU;  Madrid,   1600,    in-fol.  ;  —  La\ 
Fundaciones   de  los  monasterios  de  S.-Bt 
nito  ;  Madrid,  1601,  in-fol.  ;  la  première  parti1 
de  cet  ouvrage  a  seule  paru;  —  Historia  d 
la  vida  y  hechos  del  emperador  Carlos  V\  < 
Valîadolid,    1004-1606,   2  vol.  in-fol.  ;  réimpij 
à  Pampelune,  1618,1634;  à  Anvers,  1681,  etc. 
abrégée  et  traduite  en'  anglais  par  J.  Stevens  j 
1703,  in-8°;  La  Motte  le  Vayer  a  attaqué  ave 
force  les  défauts  de  cette  histoire,  dans  un  Dis 
cours  adressé  àMazarin;  —  Ântiguedad  d\ 


285  SANDOVAL 

la  ciudad  y  iglesia  de  Tuij;  Braga,  1610, 
in-4°  ;  —  Catalogo  de  los  obispos  de-  Pam- 
plona  ;  Pampelune,  1614,  in-fol.  ;  —  Historia 
de  los  reyes  de  Caslilla  y  de  Léon  ;  Pampc- 
luiie,  1615,  1634,  in-fol.;  cette  continuation  de 
Morales  embrasse  la  période  comprise  entre 
1037  et  1134.  Sandoval  a  édité  le  recueil  des 
chroniques  d'Idace  et  de  quatre  évêques  espa- 
gnols du  douzième  siècle  (Pampelune,  1614- 
1G34,  in-fol.),  et  il  a  traduit  du  latin  de  saint 
Léandre  :  De  la  vida  y  observancia  de  las 
9nonjas(  Valladolid,  1604,  in-3°). 

N.  Antonio,  Ilibl.  hfspana  nova.  —  Bitl.  de  l'ordre 
de  Saint-Benoît,  III.  —  La  Mothe  le  Vaycr,  OEuvres, 
éd.  1GC9,  in-12,  t.  II,  p..  139-243.  —  Ticltnor,  Hist.  of  spu- 
nish  liter.,  III. 

sandrart  (Joachim  de),  peintre  graveur 
et, écrivain  allemand,  né  à  Francfort,  le  12  mai 
1606,  mort  à  Nuremberg,  le  14  octobre  1683. 
Il  descendait  d'une  ancienne  famille  de  l'Artois. 
De  très-bonne  heure  il  s'adonna  à  la  gravure. 
Un  orfèvre  son  parent,  Michel  Le  BIou,  lui 
ayant  enseigné  les  premiers  éléments  du  dessin, 
il  alla  prendre  à  Nuremberg  les  leçons  de 
Pierre  Iselburgen.  A  quinze  ans  il  fit  à  pied  le 
voyage  de  Prague,  dans  l'intention  de  fré- 
quenter l'atelier  de  Gilles  Sadeler  ;  mais,  d'après 
les  conseils  de  ce  maître,  il  se  livra  entière- 
ment à  la  peinture,  et  se  rendit  à  Utrecht,  où 
il  devint  l'élève  de  Gérard  de  Honthorst.  Ses 
dispositions,  son  zèle  et  ses  rapides  progrès 
satisfirent  tellement  cet  artiste  qu'il  l'emmena 
en  Angleterre,  où  l'appelait  Charles  Ier.  En  1627 
il  passa  en  Italie,  et  visita  Venise,  Bologne  et 
Florenee  en  compagnie  de  Michel  Le  Blou  avant 
de  se  fixer  à  Rome.  Son  affabilité,  la  distinc- 
tion de  ses  manières,  son  instruction  lui  firent 
de  nombreux  amis ,  parmi  lesquels  comptaient 
Poussin,  Claude  Lorrain  et  Pierre  de  Laer.  Il 
s'acquit  une  si  grande  réputation  que  Velas- 
quez  lui  commanda  un  tableau  au  nom  du  roi 
d'Espagne  Philippe  IV,  comme  à  l'un  des  douze 
plus  habiles  peintres  qui  fussent  alors  à  Rome. 
D'un  autre  côté,  le  marquis  Vincenzo  Giusti- 
niani  le  chargeait  de  dessiner  les  statues  an- 
tiques de  sa  galerie  et  de  faire  graver  ses  des- 
sins par  des  artistes  tels  que  Cf.  Mellan,  Blo- 
maert,  Nataïïs,  Théodore  Matham,  etc.  Cet  ou- 
vrage (1)  achevé,  il  parcourut  le  royaume  de 
Naples,  la  Sicile,  Malte,  revint  à  Rome,  puis 
après  un  séjour  de  sept  années  en  Italie,  il  re- 
prit le  chemin  de  l'Allemagne  (1635),  désolée 
alors  par  la  guerre  de  Trente  ans.  A  peine  ar- 
rivé à  Francfort,  où  il  se  maria,  l'état  misérable 
de  son  pays  l'obligea  d'aller  s'établir  à  Ams- 
terdam. En  1672  il  contractait  à  Augsbourg  un 
second  mariage,  et  en  1673  il  se  fixa  tout  à  fait  à 
Nuremberg.  C'est  dans  cette  Tille  qu'il  publia 
les  divers  ouvrages  qui  ont  plus  contribué  à 
nous  le  fairs  connaître  que  ses  peintures,  à  sa- 
voir :  L'Àcademia  délia  architectura,  scol- 

il)  Galleria  Giustini&na  ;  Rome,  1640,  2  vol.  in-fol. 


SANDYS 


286 


dira  e  piltura,  oder  Deutsche  Académie  der 
edlen  Bau-Bild  und  Malerey  Kunsle;  Nu- 
remberg, 1675-1679,  4  tom.  en  2  vol.  in-fol., 
avec  plus  de  200  portraits.  On  a  longtemps  re- 
gardé ce  Dictionnaire  comme  l'histoire  la  plus 
complète  de  la  peinture;  une  version  latine  l'a 
reproduit  en  partie,  sous  le  titre  iVAcademia 
nobilissimos  artis  pictorix  ;  ibid.,  1683, 
in-fol.  ;  —  Admiranda  artis  staluariee; 
ibid.,  1680,  in-fol.  ;  —  Tconologia  deorum, 
oder  Abbildung  der  Goetter  der  Allen  ; 
ibid.,  1680,  in-fol.,  fig.  ;  —  Romœ  antiquse  et 
novae,  theatrum;  ibid.,  1684,  in-fol.,  fig.;  - 
Romanorum  fontinalia  ;  ibid.,  1685,  in-fol. 
lig.  Volkmann  a  publié  de  ces  différents  ou- 
vrages une  édit.  nouvelle;  Nuremberg,  1769- 
1775,  8  part,  in-fol.  Outre  quelques  gravures 
d'après  les  maîtres  ou  ses  propres  dessins,  San- 
drart a  exécuté  un  grand  nomhre  de  tableaux 
oubliés  aujourd'hui.  La  suite  des  Douze  mois, 
qu'il  peignit  en  Hollande,  et  qui  figure  dans  la 
pinacothèque  de  Munich,  a  été  célébrée  en  vers 
hollandais  par  Bartaeus  et  Vondel.  «  La  postérité, 
plus  sévère  que  ces  poètes,  dit  M.  Ch.  Blanc, 
n'a  vu  dans  Sandrart  qu'un  dessinateur  savant 
mais  lourd,  et  un  imitateur  indécis  qui  tantôt 
cherche  à  se  rapprocher  du  Titien,  tantôt  s'efforce 
de  reproduire  Rubens,  mais  en  le  regardant 
avec  les  yeux  de  Honthorst.  «        H.  H — n. 

J.  Sandrart,  JutobiograpTiie,  à  la  tête  de  YAcademia 
artis  pictorix.  —  Fontenai,  Dict.  des  urtistes.  —  Ch. 
Blanc,  Hist.  des  peintres.  —  Abcdario  de  Mariette.  — 
Helneken,  Idée  générale  dune  collection  d'estampes.  — 
Brulliot,  Dict.  des  monogrammes.  —  Huber  et  Rost, 
Manuel.  —  Nagler,  Kilnstler-Lexikon. 

SANDRAS.  VOIJ.  Coi'RTILZ. 
SANDROCOTTCTS.    VoiJ.  TcnANDIUGOUPTA. 

sandys  (Fdïoïn),  prélat  anglais,  né  eu 
1519,  près  Hawkshead  (  Laneashire  ),  mort  le 

10  juillet  15SS,  à  Southwell.  ïï  fit  ses  études 
à  Cambridge,  et  fut  élu  en  1547  principal  de 
Catherine -Hall,  qui  fait  partie  de  cette  univer- 
sité. II  avait  adopté  la  réforme  religieuse,  et 
possédait  plusieurs  riches  bénéfices.  Ayant  cédé 
aux  prières  ou  à  l'ordre  du  duc  de  Northum- 
berland,  il  prêcha  à  l'appui  des  prétentions  de 
Jane  Grayàla  couronne  (juillet  1553);  le  parti 
de  Marie  Tudor  l'emporta  ,  et  Sandys,  chassé  de 
l'université,  subit  près  d'une  année  de  prison  à 
Londres,  et  n'échappa  qu'avec  peine  au  bûcher 
où  l'évêque  Gardiner  voulait  l'envoyer,  comme 
un  des  plus  dangereux  hérétiques  du  royaume. 

11  s'embarqua  pour  la  Flandre,  et  rejoignit  à 
Strasbourg  la  petite  colonie  d'Anglais  exilés  ou 
persécutés  pour  leurs  sentiments  religieux.  A 
l'avènement  d'Elisabeth  (1558),  il  revint  dans 
son  pays  et  fut  sacré,  le  21  décembre  1559,  évo- 
que de  Worcester  ;  dans  la  suite  il  succéda  à 
Grindal ,  son  ami ,  dans  l'évêché  de  Londres 
(1570)  et  dans  l'archevêché  d'York  (  1576). 
D'après  Whitaker,  ce  prélat  doit  être  compté 
parmi  les  hommes  marquants  de  son  siècle,  à 
cause  de  sa  forte  et  saine  intelligence,  de  son 


287 


SANDYS  —  SANÉ 


288 


savoir,  de  sa  pénétration  et  de  son  éloquence 
persuasive.  Dans  sa  conduite  privée,  il  montra 
moins  de  vertus  :  anglican  orthodoxe,  mais 
courtisan  accompli,  il  s'inquiéta  peu  de  main- 
tenir !a  paix  parmi  ses  diocésains,  et  la  rudesse 
avec  laquelle  il  les  traita  en  plusieurs  rencon- 
tres lui  attira  des  désagréments  et  même  des 
avanies.  Il  donna  à  l'épiscopat  réformé  le  fâ- 
cheux exemple  d'un  prélat  vivant  mesquine- 
ment à  la  campagne,  afin  d'accroître  ses  re- 
venus et  d'enrichir  sa  nombreuse  famille. 
Outre  des  lettres  et  des  morceaux  insérés  dans 
les  recueils  ecclésiastiques,  Sandys  a  laissé  des 
Serinons  ;  Londres,  1589,  1613,  in  4°,  et  1812, 
in-8°.  Il  a  eu  part  à  la  version  anglaise  de  la 
Bible  commencée  en  1565. 

VVhitaker,  Life  of  Edwin  Sandys,  à  la  tête  des  Ser- 
mons, éd.  1818.  —  strype,  Lives  of  Cranmer,  Parker, 
and  Grindal.  —  Le  Neve,  Archbishops,  II.  —  Fos, 
Acts  and  monuments.  —  Lodge,  Illustrations. 

sandys  (  George  ),  poète,  fils  du  précédent, 
né  en  1577,  à  Bishopsthorpe  (Yorkshire  ), 
mort  en  mars  1643,  à  Boxley  (Kent).  Il  fré- 
quenta l'université  d'Oxford,  mais  on  ignore 
s'il  y  prit  ses  degrés.  Au  mois  d'août  1610,  il 
commença  ses  voyages  :  il  visita  plusieurs  con- 
trées de  l'Europe,  puis  Constantinople,  la  Grèce, 
l'Egypte,  la  Terre-Sainte,  et  retourna  à  Lon- 
dres après  une  absence  de  plus  de  quatre  an- 
nées. Un  peu  plus  tard,  il  alla  remplir  l'emploi 
de  trésorier  dans  la  colonie  américaine  de  la 
Virginie  ;  et  ce  fut  sur  les  bords  de  la  rivière 
James  qu'il  traduisit  en  vers  les  Métamor- 
phoses d'Ovide  au  milieu  de  circonstances  dont 
il  a  tracé  un  assez  vif  tableau  dans  sa  dédicace 
au  roi  Charles  Ier.  Ce  prince  le  nomma  gen- 
tilhomme de  sa  chambre.  On  a  de  lui  :  Rela- 
tion of  a  journey  begun  in  1610,  in  IVbooks, 
containing  a  description  of  the  Turkish 
empire,  of  Egypt,  of  the  Holy  Land,  and  of 
the  remote  parts  of  Italy  and  islands  ad- 
joining  ;  Londres,  1615,  in-fol.,  fig.;  7e  édit.  ; 
ibid.,  1673,  in-fol.  :  il  y  a  dans  Purchas , 
liv.  VIII,  un  extrait  de  cette  relation;  — 
Ovid's  Métamorphoses  englished  ;  Oxford, 
1632,  in-fol.,  avec  figures  de  Fr.  Cleyn;  on 
trouve  à  la  suite  un  Essay  to  the  translation 
of  the  JEneis,  réimpr.  à  part  en  1640,  in-fol.  ; 

Paraphrase  upon  the  Psalms;  Londres, 

1636,  in-8°;  l'édit.  de  1638,  in-fol.,  contient  la 
musique  de  Henry  Lawes  ;  —  Christ's  Pas- 
sion ;  Londres,  1539,  1688,  in-8°;  traduction 
du  Chrislus  patiens,  tragédie  de  Grotius  ;  — 
The  Song  of  Solomon  ;  Londres,  1641,in-4°. 
Les  ouvrages  de  Sandys  sont  simples,  sérieux 
et  sincères  ;  ses  récits  de  voyages  abondent  en 
traits  de  mœurs  et  instruisent  sans  affectation 
de  savoir.  Quant  à  ses  poésies,  elles  ont  con- 
tribué, comme  celles  de  Carew  et  d'Hcrrick,  à 
former  une  versification  cadencée  et  harmo- 
nieuse, accompagnement  naturel  d'un  esprit 
pur  et  élevé  ;  ses  mérites  à  cet  égard  ont  été 
mis  en  évidence  par  Waller,  Dryden  et  War- 


ton.  Un  choix  de  ses  poésies  (Sélections  from 
Sandys's  metrical  paraphrases)  a  paru  à 
Londres,  1839,  in-8°. 

Sandys  (  Sir  Edwin  ) ,  frère  aîné  du  précé- 
dent, né  en  1561,  mort  en  octobre  1629,  à 
Northborne  (Kent).  A  vingt  ans  il  était  pourvu 
par  son  père  d'une  prébende  dans  l'église 
d'York.  II  voyagea  sur  le  continent,  et  com- 
mença d'écrire  à  Paris  son  Europœ  spéculum, 
qui  ne  fut  terminé  qu'en  1 599.  Créé  chevalier 
par  Jacques  Ier  (1603  ),  il  fut  pendant  quelque 
temps  trésorier  de  la  Compagnie  des  Indes  oc- 
cidentales, et  laissa  aux  Bermudes,  où  il  ré- 
sida, le  souvenird'un  administrateur  intelligent. 
Il  siégea  aussi  dans  la  chambre  des  communes, 
et  s'opposa  en  1621  aux  mesures  anti-libérales 
du  ministère.  En  mourant  il  laissa  une  somme 
de  1,500  liv.  st.  pour  la  dotation  d'un  cours  de 
métaphysique  à  Oxford.  Son  livre  a  pour  titre  : 
Europse  spéculum,  or  a  view  or  survey  of 
the.  state  of  religion  in  the  western  parts 
of  the  world;  La  Haye,  1629,  in-4°;  réimpr. 
en  1637  et  en  1673,  et  trad.  en  français  .  les 
deux  édit.  antérieures  à  1629  sont  défectueuses,  j 
et  l'auteur  les  a  désavouées. 

Des  cinq  fils  de  sir  Edwin,  quatre  cmbras- 1 
sèrent  la  cause  du  parlement,  et  l'un  d'eux,  le  j 
colonel  Edwin,  fut  blessé  mortellement  à  la  ba- 
taille de  Worcester  (1642  ). 

Wood,  Athense  Oxon.  —  Fuller,  Worthies.  —  Cibber,  j 
Lives  of  the  poets,  —  H.-J.  Todd,  Notice  à  la  tête  des 
Sélections  from  Sandys. 

sané  (Jacques-Noël,  baron),  ingénieur  na- 
val, né  à  Brest,  le  18  février  1740,  mort  à; 
Paris,  le  22  août  1831.  Doué  par  la  nature  de; 
la  justesse  du  coup  d'œil ,  de  ce  sentiment  ex- 
quis des  formes  qui  adapte  les  détails  à  l'en- 
semble et  d'un  génie  pratique  propre  à  appli- 
quer les   théories   et   les    découvertes  de  le 
science,  il  devint  le  Vauban  de  la  marine.  De  . 
puis  1782  jusqu'à  l'invention  des  navires  à  val 
*peur  tous  les  vaisseaux  à  trois  ponts  français 
furent  construits  snr  les  plans  de  Sané.  Il  entre 
à  l'arsenal  de  Brest  à  l'âge  de  quinze  ans,  y  de 
vint  élève  constructeur  en  1758,  élève  ingé- 
nieur en  1765,  sous-ingénieur  en  1766,  et  in  j 
génieur  ordinaire  en  1774.  On  adopta  ses  plan*  ' 
pour  la  construction  de  cinq  frégates  de  vingt 
six  et  de  vingt-huit  canons,  que  l'on  exécuta  j 
en  1779,  sur  les  chantiers  de  Saint-Malo.  "El  j 
1780,  il  construisit  à  Brest  Le  Northumberland 
vaisseau  de  74.  Admis  au  concours  établi  par  1< 
gouvernement    français,  afin  de   donner  à  lit 
flotte  des  modèles  uniformes  pour  les  vaisseau? 
de  chaque  rang,  il  fit  adopter  ses  plans-typei 
en  1774,  pour  les  vaisseaux  de  74,  en  1786  pou ni 
ceux  de  118,  en  1788  pour  ceux  de  80.  Il  unit  se: 
talents  et  son  savoir  à  ceux  de  son  ami  le  cheva- 
lier ds  Borda;  et  c'est  ainsi  qu?il  fit  faire  un  gran< 
pas  au  plus  difficile  des  arts  militaires.  «  Cegranolj 
ingénieur,  dit  M.  Charles  Dupin,  produisit  de; 
vaisseaux  supérieurs  à  tous  ceux  que  les  mo 


L>x9  SAJNÉ  — 

lernes  avaient  construits  jusqu'à  cette  époque.» 

i  marine  française  se  rappelle  encore  le  scnti- 
iiont  d'admiration  que  lit  naître  le  vaisseau 
'Océan  (l),  navire  à  trois  ponts,  que  le  public 
tdroirait  pour  l'élégance  et  la  majesté  de  ses 
ormes  apparentes,  et  que  les  marins  admiraient 
larce  qu'il  était  le  vaisseau  le  plus  facile  à 
nanœuvrer  et  le  plus  fin  voilier,  entre  tous  les 
lavires  du  même  rang  qu'on  eût  construits  en 
ïurope.  Il  ne  suffisait  pas  du  reste  d'avoir 
onçu  ies  plans  et  dirigé  la  construction  des 
aisseaux  les  plus  parfaits,  il  fallait  généraliser 
ette  supériorité  dans  toute  notre  armée  na- 
ale.  C'est  un  nouveau  service  qui  résulta  des 
ravaux  du  baron  Sané...  La  France,  au  lieu 
'avoir  des  armées  navales  qui  manœuvraient 
vec  tous  les  genres  d'infériorité  des  plus  mau- 
ai»  vaisseaux,  composa  bientôt  des  armées 
'  ont  lés  navires  possédaient  tous  les  genres 
'  e  supériorité  que  l'art  pouvait  procurer  :  c'é- 
-  lit  l'uniformité  appliquée  à  la  perfection .  »  En 
!  793,  Sané  fut  nommé  ordonnateur  de  la  ma- 
î  ne  au  port  de  Brest,  et  d'accord  avec  le  re- 
rësentant  du  peuple  Saint-André,  il  prit  ac- 
vement  toutes  les  mesures  jugées  utiles  à  la 
atrie.  11  devint  l'année  suivante  inspecteur 
os  constructions  navales  sur  les  côtes  de  l'O- 
man, et  en  1800  la  place  d'inspecteur  généra). 
lu  génie  maritime  récompensa  dignement  les 
fervices  qu'il  rendait  depuis  plus  de  vingt  ans 

notre  flotte.  De  nombreuses  améliorations 
r  îrent  encore  dues  à  ses  travaux  :  c'est  sur  ses 
Mans  que  furent  construits  en  1802  les  vais- 
fsaux  de  74  pour  la  navigation  de  l'Escaut, 
n  1808  des  vaisseaux  à  trois  ponts  de  110,  et 

partir  de  1810  des  frégates  dont  il  donna  le 
lantype  dans  La  Justice.  Sané  reçut  en  1811 
;  titre  de  baron  de  l'empire,  et  il  prit  sa  re- 
aite  en  1817;  la  même  année  il  fut  nommé 
tevalier  de  l'ordre  de  Saint-Michel,  et  en  1818 
frand  officier  de  la  Légion  d'honneur..  Il  était 
fepuis  1807  memhre  de  l'Académie  des  sciences 
►section  de  mécanique  ),  où  il  était  entré  sur  la 
proposition  même  de  Napoléon.  Le  baron  Sané 
nouait  à  quatre-vingt-douze  ans,  laissant  une 
Jnémoire  respectée  de  tous  les  partis,  comme 
[avait  été  sa  vie,  qu'il  avait  consacrée  à  la 
l'rance,  sans  s'inquiéter  des  opinions  qui  tour  à 
pur  dictaient  des  lois  au  pays. 
[  Discours  du  baron  Ch.  Dopin,  dans  Le  Moniteur  du 
|i3  août  1831.  —  Annales  7narttiw.es,  1S31,  2e  part. , 
•  II.  —  Fastes  de  la  Légion  d'honneur,  t.  IV. 
|  sang  a  (Quintus  Fabius),  un  des  membres 
je  la  gens  Fabia.  Ce  fut  à  lui  que  les  députés 
es  A  llobroges  révélèrent  les  projets  deCatilina 
fontre  la  république  romaine.  11  s'empressa  de 
i  .s  porter  à  la  connaissance  de  Cicéron,  son  ami, 
jont  la  diligence  fit  avorter  la  conspiration. 
i  Salluste,  Cat.,  41.  -  Appien,  II,  4. 

>  sangko  (Raimondo  de),  prince   me  San- 

(I)  U  parta  d'abord  le  nom  de  les  États  de  Bourgogne, 
peut  en  1793  celui  de  la  Montagne,  et  devint  l'Océan 
p  1Ï98  ;  il  était  de  118  canons. 

NOtiV.   BtOfiR.    GÉNÉR.  —  T.    XLIII. 


SANGRO 


290 


Severo  ,  savant  italien,  né  le  30  janvier  1710,  à 
Naples,  où  il  est  mort,  le  22  mars  1771.  Issu 
d'une  ancienne  famille,  il  était  fils  d'Antonio, 
duc  de  Terra-Maggiore,  et  ne  succéda  aux  ti- 
tres de  sou  père  qu'après  la  mort  de  ses  deux 
frères  aînés.  Il  acheva  à  Rome,  cbez  les  jé- 
suites, le  cours  de  ses  études,  et  montra  dès 
l'enfance  un  génie  extraordinaire  pour  les  arts 
mécaniques.  A  vingt  ans  il  épousa  une  de  ses 
parentes.  Son  nom,  son  rang,  ses  immenses 
domaines,  tout  l'invitait  à  mener  la  vie  opulente 
et  oisive  des  grands  seigneurs  ;  mais  la  nature 
l'avait  doué  des  aptitudes  les  plus  diverses, 
d'un  esprit  prompt,  ingénieux  et  facile,  d'une 
curiosité  ardente  et  jamais  assouvie,  et  il  fut 
sans  doute  l'homme  le  plus  occupé  de  son  pays, 
ne  trouvant  au  travail  d'autre  délassement  que 
le  travail  lui-même.  «  11  aurait  été  difficile , 
dit  Lalande,  de  trouver  un  prince,  et  même  un 
académicien  plus  instruit  que  San-Severo,  qui 
eût  pu  composer  à  lui  seul  une  académie  tout 
entière.  »  En  effet  il  cultivait  avec  succès  les 
belles-lettres,  composait  des  inscriptions  latines, 
possédait  trois  ou  quatre  langues  orientales  ;  il 
avait  décoré  lui-même  avec  élégance  un  ora- 
toire, qui  n'a  pas  été  achevé.  Il  connaissait  les 
sciences  physiques  et  mathématiques,  et  savait 
à  fond  l'art  militaire,  comme  il  le  prouva  dans 
la  courte  campagne  qu'il  fit  en  1744.  Il  avait 
établi  dans  son  palais  un  vaste  laboratoire,  un 
atelier  de  peinture,  des  salles  d'expériences,  un 
fourneau  à  fabriquer  les  cristaux,  une  impri- 
merie d'où  étaient  sorties  quelques  belles  édi- 
tions, etc.  Ses  inventions  sont  si  nombreuses 
qu'il  faut  se  borner  à  rapporter  les  principales. 
L'art  de  la  guerre  lui  doit  un  plan  de  taetique 
pour  l'infanterie  adopté  par  Frédéric  II  et  Mau- 
rice de  Saxe  ;  un  canon  d'une  matière  autre  que 
le  bronze,  pesant  trente  livres  et  capable  de 
lancer  un  boulet  du  calibre  des  pièces  de  cam- 
pagne; un  fusil  à  tube  et  à  platine  simples, 
pouvant  être  chargé  à  poudre  et  à  vent;  un  pa- 
pier à  gargousses  qui  se  carbonisait  sans  étin- 
celles. Il  avait  dérobé  à  la  physique  quelques- 
uns  de  ses  secrets,  comme  celui  de  la  lampe 
perpétuelle,  éteinte  par  la  maladresse  d'un  do- 
mestique, et  qui,  après  avoir  brûlé  trois  mois 
de  suite,  n'avait,  dit-on ,  absolument  rien  perdu 
de  la  liqueur  qui  l'alimentait.  Il  tira  des  arts 
mécaniques  plus  d'une  application  nouvelle; 
nous  citerons  les  suivantes  :  une  machine  hy- 
draulique capable  d'élever  l'eau  à  une  hauteur 
considérable;  une  voiture  à  quatre  roues  qui, 
au  moyen  d'un  mécanisme  invisible,  avançait 
dans  la  mer  sans  enfoncer  (1);  une  espèce  de 
drap  très-mince  et  imperméable;  une  méthode 
d'impression  typographique  en  couleur,  sans 
multiplier  les  tirages  et  les  planches;  l'art  de 
préparer  la  soie  de  l'apocyn  (brassica  canina); 
un  genre  de  peinture,  dit  héloïdrique,  délicat 

|t)  Le  voyageur  suédois  l'jœrnstachï  parle  de  cette  mer- 
veille dans  ses  Lettres  à  Gjœrvell. 

10 


Sâa  SANGRO  — 

et  vigoureux  à  la  fois,  et  un  autre  genre  à  l'en- 
caustique, supérieur  à  celui  de  Caylus  (1)  ;  un 
mastic  très-tendre  en  le  posant  et  qui  acquérait 
la  dureté  du  marbre;  l'emploi  de  la  laque  et 
du  cinabre  dans  les  fresques  ;  la  coloration  des 
marbres  de  Carrare  dans  toute  leur  'épaisseur; 
l'art  d'imiter  les  pierres  fines  (2),  celui  de  les 
blanchir.  Une  vie  si  activement  employée  sem- 
blait laisser  au  prince  peu  de  temps  pour  les 
travaux  de  cabinet;  il  n'en  est  pas  ainsi  pour- 
tant, et  il  apporta  dans  ses  écrits  la  même  ar- 
deur que  dans  les  inventions.  Ceux  qu'il  a  mis 
au  jour  sont  rares  :  Pratica  di  esercizj  mili- 
tari per  Vinfauteria  ;  Naples,  1747,  in-fol., 
fig:;  Rome,  1760;  —  Lettera  apologetica  del 
libro  intitolato  Lettere  di  una  Peruviana,  per 
rispetto  alla  supposizione  dé1  Qulpu  ;  Na- 
ples,  1750,  in-4°;  suivie  en  1753  d'une  Sup- 
plica  au  pape  Benoît  XIV  pour  solliciter  de 
lui,  ce  qu'il  obtint,  qu'on  rayât  de  l'Index  les 
Lettres  d'une  Péruvienne,  comme  ouvrage  inof- 
fensif et  d'une  érudition  pédantesque  ;  —  Lettres 
à  l'abbé  Nollet ,  au  sujet  d'une  découverte  en 
chimie;  Naples,  1753-1756,  in-8°.  Parmi  les 
ouvrages  restés  inédits,  il  faut  rappeler  ceux  qui 
ont  pour  titres  :  Vccabolario  dell'  arie  mili- 
tare  di  terra,  6  vol.  in-fol.  jusqu'à  la  lettre  0  ; 
l'Anti-Tolando,  et  Lettere  ad  un  liberopen- 
satore  Sulla  perfetta  morale.  Le  prince  de 
San-Severo  se  montra  digne  de  l'amitié  que  lui 
témoigna  le  roi  Charles  10,  et  seconda  de  tout 
son  pouvoir  à  Naples  ses  grandes  réformes  ad- 
ministratives et  industrielles.  Ii  se  contenta 
dans  sa  cour  de  la  charge  de  chambellan,  qu'il 
reçut  en  1737,  et  du  titre  de  grand  d'Espagne  de 
première  classe.  Il  appartenait  à  plusieurs  so- 
ciétés savantes  d'Italie  et  d'Espagne. 

Signorelli,  ficende  délia  colturanelle  Ditc-Sicilie.  — 
Martusceili,  Piogr.  degli  itomini  illustri  di  Aapoll, 
t.  Ier.  -  Lalando,  Voyage  d'Italie,  vj. 

sanlecque  (  Jacques  Ier  de),  imprimeur, 
graveur  et  fondeur,  né  à  Chaume  (Boulon- 
nais), vers  1554,  mort  à  Paris,  le  20  novembre 
1648.  Il  vint  à  Paris  à  quatorze  ans,  et  porta 
les  armes  sous  la  Ligue.  Mais  ce  n'est  pas  dans 
l'ait  militaire  qu'il  devait  se  distinguer.  Entré 
dans  les  ateliers  de  G.  Lebé,  l'habile  graveur  et 
fondeur,  il  y  prit  le  goût  de  l'art  typographique, 
et  se  fit  imprimeur  ;  le  plus  curieux  des  ou- 
vrages sortis  de  ses  presses  est  l'Histoire  de 
l'élection  et  couronnement  du  roi  des  Ro- 
mains (Paris,  1613,  in-8°).  C'est  dans  la  gra- 


(1)  Le  prince  avait  fait  présent  an  roi  Charles  III  d'un 
tableau  peint  avec  des  cires  en  eouleur,  d'un  effet 
trè.-î-rctoarquable;  il  lui  en  avait  donné  un  autre,  non 
moins  curieux,  imprimé  sur  velours  et  représentant  la 
Motionne  à  demi  cachée  sous  un  faux  voile  trans- 
parent, et  un  troisième,  dont  le  sujet  est  une  Chasse 
royale,  fabriqué  avec  des  poussières  de  drap  (tonîisses) 
fixe":;  sur  une  toile  de  Hollande. 

(S)  Suivant  l.alsnde,  un  morceau  de  lapls-lazuli  fut 
examiné  par  différents  chimistes  allemands,  qui  consta- 
tèrenl  que  l'acide  nitrique  le  dépolissait,  comme  il  ar- 
rive dans  le  véritable  lapis. 


SANLECQUE  292 

\  vure  de  caractères  qu'il  a  acquis  une  juste  rc 
nommée.  Les  trois  caractères  de  musique  (pe- 
i  lite,  moyenne  et  grosse  musique  )  qu'il  in- 
venta, avec  l'aide  de  son  troisième  fils,  sont, 
dit  Fournier,  «  un  chef-d'œuvre  pour  la  préci- 
sion des  filets,  la  justesse  des  traits  obliques! 
qui  lient  les  notes  et  la  parfaite  exécution  ».  J 
;  Ses  caractères  orientaux  (  syriaque,  samaritain  j 
chaldaïque  et  arabe  )  ont  été  employés  dans  1; 
Bible  poli/glotte  de  Lejay  (1628-1645, 10  vol.) 
ouvrage  dont  l'exécution  typographique  fait  ï] 
peu  près  le  seul  mérite. 

Sanlecque  (Jacques  II  de  ),  fils  du  précé  j 
dent,  né  en  1613,  à  Paris,  où  il  est  mort,  l  j 
:  23  décembre  1660.  Il  collabora  avec  son  père  I 
la  fonte  des  caractères  de  musique ,  mais  s  1 
distingua  surtout  par  son   érudition.  11   posst  I 
dait  l'hébreu,  le  syriaque,  l'arabe,  le  grec,  1 1 
latin,  l'anglais,  l'italien  et  l'espagnol.  On  ne  cor;  I 
naît  de  lui  qu'une  Allégorie,  dialogue  compos  I 
!  à  l'occasion  d'un  procès  qu'il  eut  avec  Robei 
Ballard ,   qui   prétendait  au  privilège  exclus 
d'imprimer  la  musique,  et  imprimé  à  la  suil 
'  du  Traité  de  l'eau-de-vie  (1646),  de  Brouaul 
A  la  sollicitation  de  son  frère  Henri,  qui  avaj 
été  valet  de  chambre  de  Charles  Ier  d'Angle  j 
terre,  Sanlecque  avait  embrassé  le  protestai  | 
tisme.  De  ses  trois  fils,  l'aîné,  Louis,  se  di: 
tingua  dans   les    lettres    (voy.    ci-après); 
!  troisième,  Jean,  suivit  la  profession  paternelle  j 
j  et  mourut  en  1716,  transmettant  à  son  fil 
Jean-Eustache-Louis ,  mort  en  1778,  les  poii 
çons  et  matrices  de  sa  famille.  En  1734  la  foi 
derie  des  Sanlecque  passa  chez  Hsener,  à  Nanc 
Sanlecque  (  Louis  de  ) ,  poète  français,  fils  < 
j  Jacques  II,  né  à  Paris,  en  1652,  mortàGarnal 
:  près   Dreux,  le  14  juillet    1714.  Il  entra  toJ 
jeune  chez  les  chanoines  réguliers  de  Saintl 
Geneviève,  qui,  remarquant  en  lui  de  grand 
|  dispositions  pour  la  littérature,  l'envoyèreij 
i  professer  les  humanités    dans  leur  collège  ' 
j  Nanterre.    Il  y   demeura  sept    ou  huit    ar| 
i  Pendant  son  séjour  dans  ce  collège ,  il  avi> 
i  composé  plusieurs  morceaux  de  poésie  frai 
i  çaise  et  latine,  qui  n'étaient  point  passés  in 
j  perçus;  il  avait  adapté  à  la  scène  du  collé 
Le  Bourgeois  gentilhomme  de  Molière,  enJ 
i  ajoutant  quatre  ou  cinq  cents  vers.  Le  suc* 
que  lui  avaient  obtenu  ces  petits  travaux  l'el 
gagèrent,  lors  de  sa  sortie  de  Nanterre,  à  se  h  ! 
sarder  tout  à  fait  sur  la  route  du  Parnasse,  il 
j  premiers  pas  furent  malheureux.  Il  débuta  j 
une  attaque  en  forme  contre  Boileau  et  par  u  | 
apologie  complète  de  la  Phèdre  de  Pradon. 
jugement   faillit  lui    conquérir  un  évêché. 
duc  de  Nevers,  à  qui  le  poète  faisait  sa  coi  j 
avait  pris  parti  pour  Pradon;  il  était  allé  jusqi 
décocher  contre  Racine  un  sonnet  très-aeé: 
Boileau  s'empare  des  rimes  du  sonnet,  y  ajni  | 
de  nouveaux  hémistiches  et  ie  retourne,  aib 
transformé,  à  l'ennemi.  Sanlecque,  pour  eoil 
plaire  au  duc,  reprend  à  son  four  les  mên| 


93  SANLECQUE 

itius  et  les  renvoie  à  îîoitcau" adaptées  aux  hé- 
mistiches suivants  : 

Dans  un  coin  de  Paris  Boileau,  tremblant  et  blême, 
Fui  liicr  bien  frotte,  quoiqu'il  n'en  dise  rien  ; 
1     Voilà  ce  qu'a  produit  son  style  peu  chrétien: 
;     Disant  du  mal  d'autrui,  l'on  s'en  fait  à  soi-rucroc. 

e  reste  du  sonnet  exaltait  le  duc  de  Nevers,  qui 

;  ;  lors  prit  en  grande  amitié  son  défenseur. 

usai ,   quelques    années   après ,    l'évêché    de 

ethléem  étant  venu  à  vaquer,  le  duc,  usant  de 

>d  droit  d'y  nommer,  pensa-t-il  à  Sanlecque. 

>éjà  celui-ci  avait  fait  sa  profession  de  foi  entre 

s  mains  du  nonce,  lorsque  Louis  XIV  le  dé- 

.  ara  indigne.   Sanlecque  avait  oublié  certain 

Dénie  Contre  les  directeurs  et  certaine  satire 

Contre    lus  évêqtces.  Le  poète  se  retira  dans 

m  prieuré  de  Garnay,    près  de  Dreux;  il  y 

D  issa  ses  dernières  années  dans  le  détachement 

|  plus  absolu  des  choses  terrestres.  On  dit  que 

-  s  paroissiens  profitèrent  de  la  presque  totalité 

I  îs  revenus  de  sa  cure  et  que,  pour  n'en  rien 

I  sh aire,  il  se  refusa  à  faire  réparer  la  maison 

Ip.ême  qui  l'abritait.  Les  eaux  du  ciel  gagnèrent 

entôt  jusqu'à  sa  chambre  et  son  lit  ;    iî  fit 

Langer  son    lit    de   place.  La.  pluie  l'y  vint 

|ouver;le  lit  fut  transporté  sur  un  autre  point 

«a  la  chambre.  Sanlecque  s'en  consola,  en  com- 

.  osant  une  pièce,  malheureusement  perdue,  sur 

b  Promenades  de  son  lit.  Avant  sa  mort,  il 

h  amende  honorable  à  Boileau  :  dans  la  pièce 

3  Boileau  et  Momus,i\  fait  détrôner  celui-ci  par 

lilui-là.  Les  poésies  de  Sanlecque,  vantées  desou 

aaps,  sont  tombées  dans  un  discrédit  complet; 

uelques  traits  d'esprit  n'y  sauraient  compenser 

:  manque  presque  absolu  de  netteté.  Ses  poésies 

ht  paru  à  Harlem  (Lyon),  1096,  in-S°,et  172G, 

i-12;  Paris,  1742,  in-12.  Ach.  G. 

:  Titon  du  Tillct.  — Moréri,  Dicl.  Ms<;  —Voltaire,  Siècle 

te  Louis  Xiy.  —  Vigneul-MaTv.lle,  Éfélanties. 

I   S&MtAZAR.  Voy.  SaNNAZARO. 

;  SAXXAZAno  (Jacopo),  en  français  San- 
\azar,  poète  latin  et  italien,  né  le  2S  juillet 
|458,  à  Naples,  où  il  est  mort,  le  2*7  avril 
1530  (I).  Sa  familie  était  d'origine  espa- 
gnole (2)  ;  elle  fut  dépouillée  d'une  partie  de  ses 
iens  par  la  reine  Jeanne.  Enfant,  Sannazar 
erdit  son  père  ;  sa  mère  se  retira  avec  lui  pen- 
ant  quelque  temps  à  Santo-Mango,  près  de  5a- 
xne.  Avant  de  quitter  Naples,  Sannazar  avait 
ommencé  à  étudier  sous  la  direction  du  sa- 
vant Giuniano  Maggro  ;  il  avait  aussi,  dit-on, 
prouvé  les  premières  atteintes  de  l'amour,  et 
l'était  épris  dès  l'âge  de  huit  ans  pour  une 
l'une  fille  que  Crispo  appelle  Carmosina  Bo- 
jifacio.  Bientôt  Sannazar  revint  à  Naples  avec 
a  mère;  il  retrouva  les  leçons  de  Maggïo,  qui 
jii  enseigna  le  latin  et  le  grec,  et  qui,  fier  de  ses 
apides  progrès,  le  présenta  à  Pontanus.  Celui- 
|i  prit  le  jeune  érudit  en  affection,  et  le  reçut 

I  (1)  C'est  la  date  qui  fut  inscrite  sur  son  tombeau;  mais 
i  es  auteurs  l'ont  fait  mourir  en  1532,  d'autres  en  1S33. 

(s)  Elle  se  fixa,  dit  Tiraboschi,  dans  la  terre  de  San- 
!  aizaro  sur  le  ro,  et  en  prit  le  nom. 


SA1NNAZARO 


294 


membre  de  VAccademia  Pontanci,  sous  le 
nom  d'Aclius  Sincerus.  Cependant  l'amour 
occupait  toujours  le  cœur  de  Sannazar  ;  mais  la 
Carmosina  ne  payait  d'aucun  retour  une  pas- 
sion que  peut-êlre  elle  ignorait.  En  proie  à  la 
tristesse  et  d'autant  plus  désespéré  qu'il  souffrait 
en  silence,  Sannazar  fut  sur  le  point  de  se 
donner  la  mort;  heureusement,  il  résolut  de 
chercher  l'oubli  dans  l'éloignement,  et  se  mit  à 
voyager.  Suivant  les  uns,  il  alla  en  France; 
suivant  d'antres,  plus  croyables,  en  Orient.  C'est 
pendant  ce  voyage  qu'il  composa  l'Arcadia.  A 
son  retour  en  Italie,  il  apprit  la  mort  de  celle, 
qu'il  avait  aimée,  et  ne  songea  plus  qu'à  l'im- 
mortaliser par  ses  poésies  (t).  Les  vers  de 
Sannazar  le  rendirent  bientôt  célèbre,  et  il  fut 
appelé  à  la  cour,  où  il  composa  plusieurs  comédies 
pour  le  divertissement  des  princes  (2).  Sannazar 
montra  à  ses  souverains  un  dévouement  qui  ne 
recula  pas  devant  '-'adversité.  Quand,  en  1501, 
Frédéric  III,  trahi  par  Ferdinand  le  Catholique, 
son  parent  et  son  allié,  dut  abandonner  Naples 
et  se  réfugier  en  France,  le  poète  fît  argent  de 
tout  ce  qu'il  put,  suivit  le  roi  déchu  dans  son 
exil,  et  ne  retourna  en  Italie  qu'après  lui  avoir 
fermé  les  yea<x  (  1504).  Le  vainqueur  de  Fré- 
déric, Gonzalve  de  Cordoue,  mit  tout  en  œuvre 
pour  s'attacher  le  poète,  et  lui  demanda  de  cé- 
lébrer ses  triomphes  ;  le  poète  refusa,  voulant 
que  sa  plume  ne  fût  pas  moins  fidèle  que  son 
cœur  à  l'infortune.  Genre  de  courage  plus  re- 
marquable que  celui  dont  il  avait  donné  des 
preuves  en  combattant  près  du  duc  Alphonse 
contre  les  troupes  d'Alexandre  VI.  On  a  dit  que 
Sannazar  était  tombé  malade  en  apprenant  que 
Philibert,  prince  d'Orange,  avait  fait  raser  la  villa 
Mergellina.  C'était  un  présent  du  roiFrédéric  au 
poète,  et -ie'poëie  l'avait  plus  d'une  fois  chantée. 
On  ajoute  qu'à  la  nouvelle  de  la  mort  de  Phi- 
libert, le  poète  ressentit  une  telle  joie  qu'il  en 
mourut.  Le  premier  fait  paraît  vrai,  mais  le 
second  est  inexact  :  Sannazar  mourut  en  avril  et 
Philibert  en  août  de  la  même  année.  Sannazar 
fut  inhumé  dans  l'église  qu'il  avait  fait  cons- 
truire près  de  sa  maison  de  campagne.  Bembo 
lui  consacra  cette  épitapke  : 

Da  sacro  cineri  fiores;  hic  ille  Maroni 
Sincerus  Musa,proximus  ettumalo. 

Les  jugements  les  plus  divers  ont  été  portés  sur 
V Œuvre  de  Sannazar.  PaulGiovio  et  Girardi  lui 
ont  reproché  d'avoir,  sous  prétexte  de  polir  son 
De  partu  Virginis,  passé  vingt  ans  à  le  dé- 
former et  à  l'affaiblir.  D'autres  critiques,  plus 
sévères  que  les  papes  Léon  X  et  Clément  VII, 
qui  témoignèrent  au  poète  une  satisfaction  sans 
réserve ,  lui  ont  fait  un  crime  de  n'avoir  pas 
prononcé  une  seule  fois  le  nom  de  Jésu3,  d'a- 


(1)  Sous  les  noms  ù'Amaranthe,  de  Philis  et  de  Char- 
mostjne. 

(2)  On  appelait  ces  comédies  gliciommere ;  une  seule 
de  Sannazar  est  arrivée  jusqu'à  nous  ;  elle  fut  jouée  le 
4  mars  1492. 


10. 


295  SANNAZARO 

voir  qualiûé  la  Vierge  d'Espoir  des  dieux  , 
mis  dans  ses  mains  les  vers  des  sibylles  au 
lieu  des  Psaumes,  oubliant  sans  doute  que  San- 
nazar  se  conformait  ainsi  au  goût  du  temps,  et 
que  s'il  s'y  fût  soustrait  son  poëme  eût  reçu  un 
accueil  peu  flatteur.  Les  deux  Scaliger  et  surtout, 
de  nos  jours,  M.  Saint-Marc-Girardin  ont  jugé  ce 
poëme  comme  il  doit  l'être.  VArcadia,  mélange 
de  prose  et  de  vers,  est  écrite,  dit  Cl.  Lancelot, 
avec  une  délicatesse  et  une  naïveté  merveilleuses» 
Éloge  que  confirme  Tir  aboschi,  en  l'exagérant  un 
peu  toutefois  :  «  L'élégance  du  style,  la  propriété 
et  le  choix  des  expressions,  les  descriptions,  les 
images,  tout,  on  peut  le  dire,  est  nouveau  et 
original  dans  VArcadia,  et  ce  n'est  pas  mer- 
veille si  elle  eut  dans  ce  siècle  (seizième  siècle) 
environ  soixante  éditions.  »  Les  Eclogee,  au 
nombre, de  six,  forment,  d'après  Paul  Giovio, 
l'œuvre  la  plus  parfaite  de  Sannazar  ;  les  ber- 
gers classiques  y  sont  remplacés  par  des  pê- 
cheurs, les  mœurs  et  les  travaux  des  campagnes 
par  les  mœurs  et  les  travaux  des  populations 
qui  habitenLles  rivages  de  la  mer.  Les  Rime 
renferment  des  satires,  des  épigrammes  mor- 
dantes et  des  élégies  parfois  fort  tendres. 

L'Œuvre  de  Sannazar  se  compose  des  ou- 
vrages suivants  :  Arcadia  ;  Venise,  1502 
(contre  l'intention  de  l'auteur );  Naples,  1504, 
in-4°,  et  Milan,  1808,  in-8°;  trad.  en  français 
par  Jean  Martin  (Paris,  1544,  in-8°)  et  par 
Pecquet  (Paris,  1737,  in-12)  ;  —  Sonetti  e  Can- 
zoni  ;  Naples,  1530,  in-4°,  et  Venise,  1534, 
in-88.  VArcadia,  les  Sonetti  et  les  Canzoni 
ont  été  réimpr.  à  Padoue;  1753,  in-4°;  — 
Eclogse  VI,  Elegiarum  libri  III,  Epi- 
grammatum  lïb.  III,  De  morte  Christi, 
ad  mortales  Lamentatïo,  et  De  partit  Vir~ 
ginis  lïb.  III;  Naples,  1526,  pet.  in-fol.  ;  Ve- 
nise, 1528-1535,  in-8°;  Lyon,  1547,  in-16; 
Amst.,  1689,  in-12,  et  1728,  in-8°.  Le  De 
partit  Vir ginis  a  été  traduit  en  vers  italiens 
par  Jean  Giolito de' Ferrari;  Vérone,  1732,  in-4°, 
et  f,ar  Casarege;  Florence,  1740,  in-8°  ;  en 
français  par  Guillaume  Colletet;  Paris,  1645, 
in-12.  Ach.  Genty. 

Crispo,  V ita  di  Sannazaro.  —  J.-A.  Volpi,  Sanna- 
suris  Fita.  —   Niceron,   VIII.  —   Angelis,   Sannazar. 

—  Biografla  degli  uomini  Ut.  del  regno  di  Napoli, 
t.  II.  -  Ttrabosehl,  Storla  delta  lelterat.ital.,Vll,  part. 3. 

—  Saint-Marc  Gtrardln  ,  Tableau  de  la  littér.  fr.  au 
seizième  siècle,  p.  î37  et  sulv. 

SANO  DI  PIETBO.    Voy.  LORENZETTI. 

sanson  (Nicolas),  ingénieur  et  géographe, 
né  à  Abheville  ,  le  31  décembre  1600,  mort  à 
Paris  ,  le  7  juillet  1667.  Sa  famille,  originaire 
d'Ecosse,  était  une  des  plus  distinguées  du 
comté  de  Ponlhieu.  Son  père  le  fit  élever 
chez  les  jésuites  d'Amiens,  et  l'initia  aux  études 
géographiques,  qu'il  cultivait  lui-même  avec 
succès.  A  l'époque  où  il  vivait,  les  conquêtes  de 
la  navigation  étaient  incomplètes;  les  procédés 
de  la  géométrie,  les  observations  manquaient 
à  la  géographie.  Cependant  Sanson,    par  une 


-  SANSON 


29 


sorte  de  divination,  bien  jeune  encore,  se  montr 
le  glorieux,  émule  desgéographes  étrangers  Ortéi 
lius  et  Mercator  :  âgé  de  dix-huit  ans,  il  entrepr 
la  savante  carte  des  Gaules ,  consultée  pendar 
longtemps  comme  le  guide  le  plus  sûr  des  po 
sitions  stratégiques  romaines.  Familier  ave» 
les  langues  anciennes,  il  écrivit,  dans  un  lali 
élégant  et  pur,  des  dissertations  sur  la  géogrc 
phie  ancienne  et  moderne.  Exact,  ingénieux 
hardi,  il  franchit  les  limites  delà  science,  qu' 
enrichit.  Au  lieu  de  se  borner  aux  cartes  de  dt 
tails,  il  s'empara  des  deux  hémisphères,  repn 
duisit  chaque  partie  du  globe  sous  la  forme  pn 
cise  et  à  la  place  que  la  nature  lui  assigna  (1)., 
marqua  avec  précision  le  berceau  des  différent 
races  humaines.  Il  ouvrit  ainsi  la  voie  auxétud 
ethnologiques.  Il  joignit  à  ces  grandes  vuo 
d'ensemble  l'exactitude  et  la  clarté  des  détail 
on  admire  surtout  ces  qualités  dans  Jes  cart 
des  diocèses  de  France,  dans  celles  de  l'Ail 
magne,  des  Pays-Bas,   et  du  cours  du  Rhi 

Présenté  au  cardinal  de  Richelieu  en  162 
Sanson  reçut  le  titre  de  géographe  du  roi  et  I 
charge   d'ingénieur  en  Picardie  ;   il  donna  d  i 
leçons  de  géographie  à  Louis  XIII  et  plus  ta 
au  jeune  Louis  XIV.  Les  travaux  de  fortificati 
dont  il  aArait  à  s'occupera  Abbeville  et  dans  1 
autres  villes  de  son  pays  natal  l'y  ramenaie 
souvent,  et  il  s'y  trouvait  à  l'époque  où  le  ce 
dinal  de  Richelieu  y  conduisit  Louis  XIII 
Ponthieu.  Les  autorités  locales  préparaient 
somptueux  logement  ;  mais  le  roi  ne  voulut  t 
biter  que  la  demeure  du  géographe.  On  se  d 
posait  à  prendre  le  cabinet  de  travail  de  Sansc 
afin  d'agrandir  la  chambre  royale  ;  le  souver* 
ne  le  permit  pas ,  et  dit  qu'il  se  ferait  un  scr 
pule  d'envahir  le  sanctuaire  de  la  science.  Il 
sita,  accompagné  de  son  ingénieur,  les  fortifidt 
tions  de  la  placé.  A  son  départ,  Louis  lui  ref 
le  brevet  de  conseiller  d'État ,  transmissibli 
la  postérité  du   titulaire;  mais  le  savant  refii 
l'hérédité,  de  peur,  dit-il,  d'affaiblir   dans 
enfants  l'amour  fie  l'étude. 

Affaibli  par  de  profondes  études,  miné  dep 
longtemps  par  les  incessants  regrets  de  la  pe 
de  l'aîné  de  ses  fils ,  Sanson  dépérissait  depuis  p 
sieurs  années.  D'illustres  visiteurs  venaient  se 
vent  jouir  de  son  entretien  ;  de  grands  dignitair 
de  savants  marins,  des  maréchaux  de  France 
prince  de  Conti  et  le  grand  Condé  lui-mên 
s'empressaient  de  recueillir  dans  les  doctes  c: 
séries  de  ce  fameux  investigateur  du  globe 
onseignements  profitables  à  leur  profession.  S;| 
son  mourut  à  soixante-sept  ans ,  et  fut  inhuj 
dans  l'église  Saint-Sulpice.Ses  principaux  élè' 
furent  ses  fils  (voij.  ci-après),  son  neveu  Dul 
et  le  père  de  Guillaume  Delisle. 


(1)  Les  observations  astronomiques  des  jésuites 
extrémités  de  l'Asie  sont  postérieures  aux  cartes 
Sanson;  il  avait  dû  suivre  les  bases  de  rtolémec;  I 
trompa  donc  sur  l'étendue  de  la  Méditerranée,  des  bi 
de  l'Asie  aux  confins  de  l'Atlas. 


\W  SANSON  — 

On  a   de  lui  :   Gallix  aniiqux  descriptio 
îeographica;  1627,  in-fol.,et  1708,  in- 12,  avec 
me  carte,  la  première  qu'il  ait  faite  et  qui  porta 
aussitôt  sa   réputation   à   un  très-haut   degré; 
k—  Grxcix  aniiqux  descriptio  geographica  ; 
(636,    in-fol.,  avec  cartes; —  V Empire  ro- 
\nain  ;  1637,  in-fol.,  avec  15  cartes;—  Bri- 
cmnia,  ou  Recherches  de  l'antiquité  d' Abbe- 
ville ;  1638,  in-8°  :  selon  lui,  Abbeville  es!  la 
Iritannia  de  Strabon,  et   elle  a  fourni  à  la 
|  Jrande-Bretagne  son  nom  et  sa  première  colo- 
nie; —  Les  princes  souverains  de  V Italie,  ou 
Traité  succinct  de  leurs  Estats,  etc.;  1641, 
1-8°,  et  1705,  1717,  in-12  ; —  La  France,  1644, 
ii-fol.,  en  10  cartes,  5  latines  et  5  françaises; 

-  Tables  méthodiques  pour  les  divisions  des 
îaxtles  et  de  la  France;  1644,  1696,  in-fol., 
1 1742,  avec  des  corrections  par  Robert  de  Vau- 
ondy;  —  L'Angleterre,  l'Espagne,  l'Italie 
tP Allemagne;  1644,  in-fol.  avec  10  cartes;  — 
,e  Cours  du  Rhin;  1646,  in-fol.,  en  9  cartes; 

-  In  pharum  Gallix  antiqux  Philippi 
abbedisquisiliones  geographicx;  Paris,  1647- 
548,  2  vol.  in-12;  —  Remarques  sur  la  carte 
e  l'ancienne  Gaule  de  César;  l651,in-4°;  — 
'Asie,  165.2,  in-4°,  en  14  cartes  ;  —  Index  geo- 
raphicus  ;  1653 ,  in-12  ;  —  Geographia  sacra  ; 
aris,  1653,  1665,  in-fol.,  et  Amst.,  1704,  en 
cartes;  —  L'Afrique;  1656,  in-4°,  avec   19 

irtes.  Les  cartes  de  Sanson  furent  reproduites 
a  partie  sous  le  nom  d'Atlas  nouveau,  par 
l'ubert  Jaillot,  en  1692,  et  sous  le  nom  d'Atlas 
e  géographie  ancienne  et  d'Atlas  britannique 
ai  Delamarche  au  dix-huitième  siècle ,  à  des 
iates  incertaines.  De  Powserville. 

i  P.  Ignace,  Illst.  des  comtes  de  Ponthieu  et  des  mayeurs 
'Abbeville  (avec  la  Gènéaloyie  delà  famille  Sanson). 
.■  Lonandrc ,  Continuation  de  l'Hist.  des  comtes  de 
onthieu.  —  Niceron,  Mémoires,  t.  XIII  et  XX.  —  Fre- 
t,  Lettre  dans  le  Mercvre,  mars ,  1726.  —  Catalogtie 
;s  cartes  et  livres  de  gëogr.  de  Sanson  ,-  1702,  in-8°. 

i  sanson  (Nicolas) ,  géographe,  fils  aine,  du 
irécédent,  né  vers  1626,  mort  h  Paris,  le 
7  août  1648.  Sous  la  Fronde  il  arracha  le  chan- 
[telier  Seguier,  ami  de  son  père,  à  la  fureur  du 
euple,  le  fit  monter  en  voiture,  et  l'escorta, 
épéc  à  la  main;  à  la  descente  du  Pont-Neuf, 
n  coup  de  mousquet  lui  fracassa  la  cuisse;  il 
îourut  le  lendemain.  Niceron  lui  attribue  : 
'raité  de  l'Europe  en  discours,  in-4°;  avec 
irtes  françaises  et  9  cartes  latines. 

Sanson  (Adrien),  frère  du  précédent,  mort 
'1  septembre  1708,  fut  géographe  du  roi,  et 
ollabora  aux  ouvrages  de  Guillaume. 
I  Sanson  (Guillaume),  frère  cadet  des  précé- 
!?nts,  mort  à  Paris,  le  16  mai  1703.  Géographe- 
u  roi,  il  s'associa  avec  Adrien  pour  continuer 
;  commerce  des  publications  géographiques;  il 

•édita  plusieurs  ouvrages  de  son  père,  et  publia 
p  lui-même  :  Introduction  à  la  géographie  ; 

iris,  1681,  3  part,  in-12;  cinq  éditions;  — 
»  Geographiam  antiquam  M.-A.  Baudrand 

souis.  geographicx  ;  Paris,  1683,  in-12;  — 


SANSOVINO  298 

—  Lettres  sur  les  changements  qui  se  trouvent 
dans  ta  carte  de  Utisie,  mise  au  jour  par  de 
Fer,  dans  le  Journal  des  savants  de  1697,  et 
dans  le  même  recueil  un  extrait  d'une  Disser- 
tation contre  Cassini  au  sujet  de  la  Ccltibérieet 
(I.?  la  Galatie.  Le  fonds  de  commerce  des  frères 
Sanson  passa  à  leur  neveu  Pierre  Moulait,  et  en 
1730  à  Robert  de  Vaugondy. 

1'.  Ignace,  Illst.  des  comtes  de  Ponthieu.  —  Niceron, 
Mémoires,  t.  XIII  et  XX.  —  Manuscrits  de  dom  Gre- 
nier, p.  15,  art.  IV  (à  la  Bibliothèque  impériale).— 
Dreux  du  Radier,  Récréât,  hist.,  I,  304. 

sanson  (Jacques),  écrivain  ecclésiastique,  de 
la  famille  des  précédents ,  né  à  Abbeville,  le  10 
février  1596,  mort  à  Charenton,  le  19  août  1665. 
Après  avoir  achevé  ses  études  dans  sa  ville  natale, 
il  fit  profession  aux  Carmes  de  Paris  (1619),  sous 
le  nom  A' Ignace-Joseph  de  Jésus-Maria.  Il  fut 
prieur  de  la  maison  de  Paris,  puis  dirigea  les  no- 
vices à  Charenton  et  à  Toulouse.  Comme  il  était 
dans  cette  dernière  ville,  la  duchesse  de  Savoie, 
Christine,  fille  de  Henri  IV,  fit  demander  parles 
Carmes  de  Turin  un  confesseur  français;  il  fut 
désigné,  et  resta  auprès  de  cette  princesse  jusqu'à 
ce  qu'elle  mourut  (1663).  De  retour  en  France,  il 
contribua  beaucoup  à  la  fondation  de  deux  cou- 
vents de  son  ordre,  l'un  à  Abbeville,  l'autre  à 
Amiens.  On  a  de  lui,  sous  le  nom  de  P.  Ignace  : 
Vie  de  saint  Maur  des  Fossés;  Paris,  1640,  in-8°; 

—  Histoire  ecclésiastique  de  la  ville  d' Abbe- 
ville; Paris,  1646,  in-4°  ;  —  Vie  de  la  mère 
Gabrielle de  Jésus-Maria;  Paris,  1646,  h>8°; 

—  Histoire  généalogique  des  comtes  de  Pon- 
thieu et  des  mayeurs  d\ibbeville ;  Paris,  î  657, 
vol.  in-fol.  Il  a  laissé  en  manuscrit,  d'après 
M.  Louandre  :  Histoire  ecclésiastique  du  dio- 
cèse d'Amiens }  Vies  des  saints  de  ce  diocèse, 
une  Chronique  des  Carmes  déchaussés  de 
France,  etc.  Les  ouvrages  du  P.  Ignace  sont 
mal  écrits,  mais  ceux  qui  ont  rapport  au  Pon- 
thieu et  à  Abbeville  sont  fort  utiles  pour  l'his- 
toire générale  de  la  province. 

Bibliothèque  des  écrivains  de  l'ordre  des  Carmes 
Bordeaux,  l"30,  iu-V>.  —  Moréri,  Grand  Dict  hist.  — 
Louimdre,  Biogr.  d' Abbeville.  —  Prarond,  Homme 
utiles  de  l'arr.  d' Abbeville. 

sansone.  Voy.  Marchesi. 

sansovino  (Andréa  Contucci,  dit  le), 
sculpteur  et  architecte,  né  en  1460,  et  mort  en 
1529,  à  Monte-Sansovino  (Toscane).  Il  était  fils 
d'un  simple  paysan  ;  mais  Simone  Vespucci,  po- 
destat de  la  ville ,  l'ayant  vu  tout  enfant  s'exer- 
cer à  modeler  en  terre  en  gardant  les  moutons 
de  son  père,  le  conduisit  à  Florence  et  le  confia 
à  Antonio  delPollajuoIo.  Florence  lui  devait  déjà 
la  chapelle  duSaint-SacrementdeSanto-Spirito  et 
le  Baptême  de  Jésus-Christ,  groupe  plein  de  no- 
blesse, terminé  par  Vincenzo  Danti,  lorsque,  vers 
l'âge  de  trente  ans,  il  fut  appelé  en  Portugal.  Sous 
les  règnes  de  Jean  II  et  d'Emmanuel  Ier,  il  construi- 
sit divers  édifices,  dont  un  palais  royal  flanqué  de 
quatre  tours,  et  revint  neuf  aus  plus  tard  dans  sa 
patrie.  A  Rome,  il  exécuta  dans  Santa-Maria  del 
Popolo  les  tombeaux  élégamment  ornés  des  car- 


299  SAKSOVIKO  30< 

dinaux  Sforza  (1505)  et  Basso  (1507),  et  dans  fé-  |  passa  la  seconde  moitié  de  sa  longue  carrière 
glise  Saint-Augustin  le  groupe  de  La  Madone  et  J  Venise;  il  fut  pour  cette  ville  ce  que  furent  Jule 
sainte  Anne,  l'un  de  ses  chefs-d'œuvre.  LéonX  j  Romain  pour  Mantoue,  Palladio  pour  Vicenct 
l'envoya  à  Loreto  pour  revêtir  la  Santa-Casa 
d'une  riche  enveloppe  de  marbre.  Tout  le  des- 
sin de  cette  élégante  décoration  est  son  œuvre; 
mais  parmi  les  sculptures,  il  n'exécuta  lui-même 
que  les  bas-reliefs  de  V Annonciation  et  de  La 
Nativité  et  la  statue  de  Jérémie.  Pendant  ces 
travaux,  qui  le  retinrent  longtemps  à  Loreto,  il 
allait  passer  chaque-année  quatre  mois  à  Monte  - 
Sansovino,  et  s'occupait  d'embellir  la  propriété 
qu'il  y  avait  acquise.  S'étant  un  jour  échauffé 
outre  mesure  à  porter  des  palissades ,  il  gagna 
une  fluxion  de  poitrine,  qui  remporta  rapidement. 
C'était  un  artiste  profondément  versé  dans  les 
théories  de  l'art,  ainsi  qu'en  font  foi  les  écrits  et 
les  dessins  qu'il  a  laissés  sur  les  mesures  des 
anciens,  les  proportions  architecturales  et  la 
perspective  aérienne.  «  Entre  tous  les  sculp- 
teurs qui  ne  sortirent  pas  de  l'école  de  Buonar- 
rotti,  dit  Cicognara,  Sansovino  fut  le  plus  ha- 
bile de  la  fin  d'un  siècle  et  du  commencement  de 
l'autre....  Si  Michel-Ange  eût  pu  avoir  un  rival 
parmi  ses  contemporains,  il  l'eût  trouvé  dans  cet 
artiste,  à  la  fois  bon  architecte ,  habile  fondeur 
et  sculpteur  noble  et  élégant.  »  Sansovino  forma 
de  nombreux  élèves,  dont  les  plus  illustres  sont 
Girolamo  Lombardo  et  Jacopo  Tatti,  qui  adopta 
le  surnom  de  son  maître.  E.  B— n. 

Vasari,  Vite.  —  Cicognara,  Sloria  délia  scultiira.  — 
Orlantli,  Abbeccdario.  —  Ticozzi,  Di^ianario.  —  Pisto- 
lesi,  Descrizione  di  Roma.  —  V.  Murri,  Sant-Casa  di 
Loreto.  —   Fanlbzzi,  Guida  di  Firenze. 

sansovino  (Jacopo  Tatti,  dit  le),  sculp- 
teur et  architecte,  né  àMonte-Sansovino,  en  1479, 
mort  à  Venise,  en  1570.  11  avait  reçu  quelques 
leçons  de  peinture  d'Andréa  del  Sarto;  mais  il 
fut  élève  du  précédent,  son  compatriote,  Contucci 
Sansorino,  en  qui  il  trouva  toute  l'affection  d'un 
père.Ses  premières  œuvres  à  Rome  furent  l'église 
Saint-Marcel  au  Corso  et  la  belle  Madone  de 
l'église  Saint- Augustin.  Chargé  en  1514,  par  le 
pape  Léon  X,  de  couvrir  d'une  décoration  en 
bois  la  façade  inachevée  de  la  cathédrale  de 
Florence,  il  passa  quelque  temps  en  Toscane, 
et  fit  à  cette  époque  un  Bacchus  qui  fut  consi- 
déré comme  un  de  ses  chefs-d'œuvre  en  sculp- 
ture, mais  qui,  brisé  dans  un  incendie  de  la  ga- 
lerie Médicis,  en  1762,  n'a  pu  être  restauré  que 
fort  imparfaitement  (1).  Il  construisit  ensuite  à 
Rome  le  palais  Gaddi  et  l'église  de  Saint-Jean 
des  Florentins,  pour  laquelle  ses  dessins  furent 
préférés  à  ceux  de  Raphaël ,  d'Antonio  da  San- 
Gallo  et  de  Baldassare  Peruzzi.  A  l'époque  du  sac 
de  Rome  (1527),  il  s'enfuit  à  Venise,  avec  l'in- 
tention de  passer  de  là  en  France,  où  l'appelait 
François  1er;  mais  le  doge  Andréa  Gritti  parvint 
aie  retenir,  et  lui  conféra  en  1529  le  titre  d'ar- 
chitecte des  Procuratie  de  sopra.  Sansovino 


(1)  Il  est  encore  à  la  galerie  de  Florence.  L'académie  de 
Venise  en  possède  un  excellent  moulage,  antérieur  à 
l'accident. 


Sammicheli  pour  Vérone.  Après  avoir  restauré  1 
grande  coupole  de  Saint-Marc,  qui  menaçait  ruine 
il  commença,  en  1534,  l'église  de  S.-Franceso 
délia  Vigna,  qui  tient  le  premier  rang  parmi  s( 
œuvres  d'architecture,  et,  en  1538,  les  Procv 
ratie  nnove  de  la  place  Saint-Marc,  qui  furei 
achevées  par  Scamozzi  (1).  Ce  monument  n'e; 
pas,  comme  l'a  dit  l'Arétin,  tout  à  fait  «  sup 
rieur  à  l'envie  »  ;  mais  Palladio  ne  fit  que  li 
rendre  justice  en  le  déclarant  «  l'édifice  peu 
être  le  plus  riche  et  le  plus  orné  qui  eût  é 
élevé  depuis  l'antiquité  jusqu'à  sou  temps  ».  I 
1550,  Sansovino  donna  les  dessins  de  l'ék'gan 
église  de  S. -Giorgio  de'  Greci,  dont  le  cloche 
fondé  sur  des  pilotis,  qui  ont  eédé,  est  aujourd'h 
incliné;  en  1555  il  construisait  les  nouveai 
édifices  du  Rialto.Le  chœur  de  S.-Faustin,  éle 
en  1564,  paraît  avoir  été  son  dernier  ouvrag 
Mentionnons  encore  les  palais Manini,  Corner 
Dolfin,  la  Zecca  (Monnaie),  d«nt  la  belle  faça 
regarde  la  mer,  enfin  la  décoration  du  grand  c 
calier  du  palais  ducal.  Parmi  les  sculptures  do 
Sansovino  enrichit  Venise,  les  plus  rcnaarçuabl 
sont  :  les  portes  en  bronze  de  la  6aeristie 
Saint-Marc,  représentant  la  Mort  et  la  Résu 
reclion  de  Jésus-Christ,  travail  qui  nedeman 
pas  moins  de  vingt  années  ;  les  statues  de  Ma 
et  de  Neptune  placées  dans  l'escalLer  du  pal; 
ducal,  qui  doit  à  leur  taille  colossale  le  nom  d'e 
calier  des  Géants  ;  celles  de  Pallas,  d'Apollon, 
la  Paix,  de  Marco,  celui  de  Raveune,  les  mauin 
lées  Podacalaroh  Saint- Sébastien  et  Venicrt: 
Saint  Sauveur,  etc.  Sansovino  fut  un  artiste  d' 
génie  fécond,  d'une  conduite  et  d'un  aspect  nol 
et  digne.  Le  sénat  avait  pour  lui  et  pour  le  r 
tien  une  telle  estime,  que  seuls  ils  furent  exen 
tés  d'une  taxe  extraordinaire  imposée  à  tous  | 
habitants  de  Venise.  Ses  restes  reposent  à  l'oi 
toire  de  S. -Maria  délia  Sainte,  sous  un  monuHn 
orné  de  son  buste  par  A.  Vittoria.  Son  fils  Frc 
cesco  (voy.  ci-après),  dans  la  préface  de  l'Ei 
fizio  del  corpo  humano  (Venise,  1550,  in-fi 
dit  que  le  Sansovino  avait  dessiné  au  moi 
soixante  plans  d'église  de  son  invention.  ( 
dessins  sont  aujourd'hui  perdus 

Sansovino  forma  un  grand  nombre  d'élève 
Danese  Cattaneo,  Tiziano  Minio,    Aiessanc 
Vittoria,  leTribolo,  Girolamo  da  Ferrara, 
copo  Colonna,  etc.  E.  15 — n. 

Cicognara,  Storia  dclla  scultura.  —  Milizia,  File 
ali  architetti.  —  Vasari,  Vite.  —  Ticozzi,  Dizionario 
Lanzi,  Storia  pittorica.  —   Orlandi,    Abbeeedario.  \ 


(!)  La  voûte,  très-hardie,  des  Procuratie  nuove  é 
à  peine  terminée  qu'elle  s'écroula,  soit  par  la  faute 
ouvriers,  soit  par  suite  delà  commotion  causée  par 
coups  de  canon  tirés  à  très-peu  de  distance.  Sansot 
fut  emprisonné;  mais  grâce  a  l'intervention  de  l'ami 
sadéur  de  Charles-Quint  et  aux  démarches  actives  de 
deux  amis  intimes,  l'Arétin  et  le  Titien,  il  fut  proioi 
ment  mis  en  liberté  et  rétabli  dans  tous  ses  emplois. 


I  301 

!  Ptotol cal,  Descrisione  di  Rama.  —  Quadri,  Otto  giornl 
\  in  l'en  iia.  —  Quatremère  Ue  Qulncy,  Diet.  d'arcftilcc- 
I  tune  cl  Pie  des  architectes.  —  Gaiihabaud,  Monuments 
anciens  et  modernes. 

sansovino  (Francesco  Tattj),  érudit,  fils 
do  précédent,  né  en  1521,  a  Rome,  mort  en  1580, 
'  à  Venise.  Apres  avoir  passé  son  enfance  à  Ve- 
:  nise,  il  se  conforma  à  la  volonté  de  son  père,  et 
S  alla  suivre  les  cours  de  droit  àPadoue;  mais, 
ainsi  qu'il  l'avoue  lui-môme,  tout  le  temps  qu'il 
i  donna  à  celte  étude  fut  un  temps  perdu  pour  lui, 
I  et  il  acquit  à  Bologne  les  titres  de  docteur   et 
'|  d'avocat  sans  en  être  plus  habile.  Il  s'était  déjà 
[  fait  connaître  par  quelques  morceaux  de  critique 
I  et  par  deux  ou  trois  éditions  d'auteurs  italiens, 
lorsque  l'exaltation  du  pape  Jules  III,  qui  l'avait 
|  tenu  sur  les  fonts  baptismaux,  réveilla  son  am- 
[  bition  :  il  ne  retira  de  son  voyage  à  Rome  que 
[  le  vain  titre  de  camérier  pontifical  (1550).  De 
retour  à   Venise,  sa   patrie  d'adoption,  il  ne 
voulut  plus  en  sortir,  et  consacra  le  reste  de  sa 
vie  à  la  culture  des  lettres.  Pendant  longtemps  il 
fut  correcteur  chez  Gabriele  Giolito,  puis  il 
acquit  une  imprimerie,  et  choisit  pour  emblème 
un  croissant  avec  la  devise  In  (lies.  Ses  ou- 
vrages dépassent  la  cinquantaine,  ce  qui  revient 
à  dire  que  l'exactitude  n'en  fait  pas  le  principal 
mérite;  nous  citerons  de  lui  :  Leltere  sopra  'l 
Dccamerone  dt  Boccacio ;  s.  I.,  1542,  in-S0;  — 
Del  governo  dëregni  e  délie  republiche  anli- 
c/te  e  moderne;  Venise,  1546, 1561, 1578,  in-4°; 
Irad.  en  français;  —  L'Edificio  del  corpohu- 
mano;  ibid.,  1550,  in-8°;  —  Ordine  dé1  cava- 
lieri  del  Tosone  d'oro;  ibid.,  1558,  in-4°;  — 
Délie  Cose  notabili  che  sono  in  Venetia;  ibid., 
15G1,  in-8°  ;  réimpr.    avec  des  additions  par 
Doglioni,  en  1603,  in-4°,  et  par  Ziotti  en  1655, 
ùi*12;  —lsioria  universali  de'  Turchi;  ibid., 
1564,  1582,  in-4";  —  Dell'  Istona  délia  casa 
Orsina;  ibid.,    1565,   in-fol.;  — Origine  de' 
cavalieri;  ibid.,  1566,  in-8°  :  abrégé  de  l'his- 
toire et  des   statuts  de  quelques  ordres  mili- 
taires;—  Il  simolacro  di  Carlo  V imper ador; 
ibid.,  1567,  in-80;  —  Dal  Segretario  lib.  VII ; 
ibid.,  1568,  in-8o;  plusieurs  édit.;  —  Annali 
Turcheschi,  ovvero  vite  de1  principi  délia 
casa  ollomanna;  ibid.,  1568,  1573,  in-4°;  — 
Oriografia  délie  vocl  délia  lingua  italiana  ; 
ibid.,  1568,  in-8°  :  c'est  un  dictionnaire  italien- 
latin  que  l'auteur  avait  compilé  pour  l'instruction 
de  son  fils  ;  —  Dell' Arleoratoria  lib.  IU,- ibid'., 
iàù9,m-{k°;—I  Principi  délia  casa  d'Ans  tria; 
ibid.,  1575,in-fol.; —  Cronologia  del  mondo, 
ftno  al  anno   1580;  ibid.,  1580,  in-40;  —  Ve- 
netia descrilta  in  XIV  lib.;  ibid.,  1581,in-4°; 
ouvrage  augmenté  par  Stringa  et  Martinoni  ;  — 
Dell'  origine  et  fatti  délie  famiglie  illustri 
d'Italia;  ibid.,   1582,  in-4°;  —  des   lettres  et 
des  poésies  éparses    dans  différents    recueils. 
Sansovinoa  traduit  en  italien  les  Institutes  de 
Justinien  (t552,in-4°),  la  Selva  di  varia  lezione 
<le  Pedro  Mexia  (1560,   in-8°),  V 'Agriculture 
de  Palladio  (1560,  in-40),  la  Materia  medici- 


SANSOVINO  —  SANTA-ANJNA  302 

nalede  P.  de  Bairo(l561,  in-4°),  Tratlalo  detl' 
agricollura  de  Crescenzi  (1564,  in-8n),  {'His- 
toire de  Nicetas,  etc.  Parmi  les  ouvrages  qu'il  a 
publiés  ou  compilés,  nous  rappellerons  :  Satire 
e  Rime  d'Arioste  (1546,  in-12),  Il  Dccamerone 
(1546,  in-4°)  et  II  Filocopo  (1551,  in-8")  de 
Boccace,  Lib.  VII  di  Satire  de  divers  auteurs 
(l560,in-8°),  Lettere  a  P.  Bembo  scrilte  (1560, 
m-8°),  Cento  novelle  scelte  (1561,  in-811), 
recueil  souvent  réimpr.  et  augmenté  du  double; 
Orazioni  diverse  (1561,  2  vol.  in-4°),  Hisloria 
fiorentina  de  L.  Aretino  (1561,  in-4"),  Rime 
(1561,  in-12)  et  Prose  (1562,  in-8°)  de  Bembo, 
Osservazioni  delta  lingua  volgare  de  divers 
(1562,  in-8°),  Lettere  amorose  (1563,  2  vol.), 
Sonetti  e  canzoni  (1566,  in-12),  les  Vies  de 
Plutarque,  trad.  de  Domenichi  (1570,  3  vol. 
in-4°),  Concetti  polilici  (1578,  in-4o),  Epilome 
dell'  istoria  d'Italia  de  Guicciardini  (1580, 
in-8o),  et  Y  Istoria  d'Italia  du  même  (  Genève, 
1636,  in-4o). 

Sansovino,  Lettr-J,  à  la  fin  du  Segreenrio.  —  Poccianti, 
Catal.  script,  ftorentinorum.  —  Gniliui,  Theatro.  — 
Fontanini  et  Zeno,  Bibl.  ital.  —  Niceron,  Mémoires, 
XXI.  —  Tlrabosehi,  Storia  délia  lelter.,  Vil,  2*  partie. 
*  santa-anna  (  Antonio- Lopez  de),  gé- 
néral et  homme  d'État  mexicain,  est  né  à  Mexico, 
en  1798,  dans  une  famille  d'origine  espagnole, 
mais  peu  favorisée  de  la  fortune.  Son  caractère 
remuant  et  ambitieux  s'était  déjà  révélé  lorsqu'é- 
clata  la  guerre  de  l'indépendance;  à  la  tête  d'un 
corps  d'insurgés, en  1821,  il  s'empara  de  la  Vera- 
Cruz,  et  contribua  activement  à  l'élévation  d'I- 
turbide,  qui  l'éleva  au  grade  de  brigadier,  c'est- 
à-dire  d'officier  général.  En  1822  il  se  révolta 
contre  lui,  et  rallia  à  son  parti  le  général  envoyé 
pour  le  soumettre.  En  1823  la  république  fut 
proclamée.  A  partir  de  ce  moment  Santa-Anna 
joua  un  rôle  important  dans  les  révolutions  qui 
se  succédèrent  au  Mexique;  mais  jusqu'en  1833 
il  travailla  pour  le  compte  d'autrui ,  élevant  et 
renversant  le  pouvoir  éphémère  des  présidents. 
A  peine  la  révolution  de  1823  l'avait-elle  géné- 
reusement récompensé  qu'il  se  mita  la  tête  des 
fédéralistes;  mais  il  fut  complètement  défait,  et 
alla  cacher  sa  disgrâce  dans  son  domaine  de 
Jalapa.  En  1828  Pedrazza  et  Guerrero  se  dispu- 
taient la  présidence;  il  se  prononça  pour  ce 
dernier,  qui,  ayant  triomphé,  paya  son  concours 
par  le  portefeuille  de  la  guerre  et  le  commande- 
ment en  chef  de  l'armée.  En  1829  il  repoussa  une 
armée  espagnole  qui  avait  débarqué  au  Mexique. 
En  1830  il  prit  parti  pour  Pedrazza  contre  Bus- 
îamente,  et  vainquit  ce  dernier,  ce  qui  assura  le 
pouvoir  à  son  rival;  enfin,  après  tant  d'agita- 
tions stériles,  il  succéda  lui-même  à  Pedrazza 
(1833).  Depuis  il  resta  à  la  tête  du  gouverne- 
ment jusqu'en  1856,  mais  avec  plusieurs  inter- 
ruptions. En  1836  il  marcha  contre  les  Texiens, 
qui,  aidés  par  des  bandes  d'Américains,  voulaient 
se  séparer  du  Mexique;  il  fut  battu  à  San-Ja- 
cinto  par  le  général  Houston,  et  resta  prisonnier. 
Une  convention   particulière  reconnut  bientôt 


SG3 


SANTA-ANNA  —  SANTA- CROCE 


304 


l'indépendance  à  peu  près  complète  du  Texas. 
Ayant  été  rétabli  dans  la  présidence,  il  ne  fut 
pas  plus  heureux  quand  il  s'agit  de  défendre  la 
Vera-Cruz  contre  les  Français  (1838)  ;  c'est  alors 
qu'il  perdit  une  jambe.  Un  testament  qu'il  fit 
pour  les  Mexicains  provoqua  en  sa  faveur  une 
bruyante  explosion  d'enthousiasme.  En  janvier 
1845  l'opinion  se  déchaîna  contre  lui  avec  le 
même  emportement  :  renversé  une  seconde  fois, 
il  alla  chercher  un  asile  à  La  Havane;  mais 
après  la  chute  du  président  Paredes  (184G),  il 
revint  prendre  la  direction  de  ses  partisans.  Le 
Mexique  espérait  en  lui  pour  repousser  l'agres- 
sion des  troupes  américaines  qui  avaient  envahi 
le  Texas  ;  Santa-Anna,  qui  a  rarement  justifié  la 
haute  réputation  militaire  dont  il  jouissait,  fut 
battu  par  le  général  Taylor  à  Buenavista,  ie  22  et 
le  23  février  1847.  Il  est  vrai  que  cette  défaite  dut 
être  attribuée  particulièrement  à  la  désobéissance 
età la  lâcheté  de  sa  cavalerie;  car  i!  avait  pris  de 
bonnesdispositions.Lei8avril  suivant,le  général 
Scott  le  vainquit  à  Cerro-Gordo.  11  persuada 
alors  au  pays  de  lui  remettre  la  dictature,  sans 
réussir  davantage.  Défait  deux  fois  encore  par 
Scott  à  Contrera  et  à  Churubasco ,  sans  par- 
ler des  échecs  de  ses  lieutenants ,  impuissant 
à  résister  aux  ennemis  qui  avaient  occupé  la 
capitale,  il  fut  obligé  de  subir  une  paix  humi- 
liante, par  laquelle  le  Mexique  abandonnait 
aux  États-Unis  le  Texas  et  le  territoire  de  l'O- 
regon.  Les  Mexicains,  déçus  dans  leurs  espé- 
rances, en  conçurent  contre  Sarita-Anna  une  vive 
irritation.  Son  ennemi  personnel  Paredes  en  pro- 
fita pour  s'insurger.  Santa-Anna  vaincu  se  réfu- 
gia à  la  Jamaïque  (1847).  A  peine  fut-il  éloigné 
que  l'insuffisance  de  son  successeur  Arista, 
la  désorganisation  des  finances ,  le  désordre 
universel  et  la  misère  publique  le  firent  regretter. 
Après  quelques  années  d'anarchie  il  fut  rappelé 
(1853)  :  le  suffrage  universel  lui  conféra  la  dicta- 
ture à  vie,  avec  le  titre  d'altesse  sérénissime. 
Cette  nouvelle  forme  politique  ne  présenta  pas 
S>Ius  de  garanties  de  stabilité  que  les  précédentes. 
Un  traité  signé  en  1854  avec  les  États-Unis  pour 
la  délimitation  des  frontières  souleva  de  violents 
murmures;  les  adversaires  du  pouvoir  unitaire, 
les  pur  os,  ou  démocrates,  prirent  les  armes  sous 
le  général  Juan  Alvarès.  Malheureusement  pour 
Santa-Anna  ,  il  avait  adopté  tour  à  tour  toutes 
les  opinions,  cherché  un  appui  dans  les  ré- 
publicains, les  fédéralistes,  les  unitaires,  le 
peuple,  le  clergé,  la  noblesse,  et  en  fin  de 
compte  il  semblait  pencher  pour  l'établissement 
d'une  monarchie  au  Mexique.  Il  en  résulta  qu'il 
eut  tout  le  monde  contre  lui,  et  fut  obligé  de  se 
réfugier  à  La  Havane  (1856).  C'est  là  qu'il  vit 
retiré  depuis  cette  époque,  comprenant  sans 
doute  que  son  rôle,  trop  souvent  funeste  à  sa 
patrie,  est  terminé.  Son  dernier  acte  politique 
a  été  de  donner  son  adhésion  à  l'attaque  dirigée 
par  la  France  contre  le  Mexique.  Sans  être  un 
grand  administrateur  ni  un  grand  capitaine    il 


fut  supérieur  aux  médiocrités  qui  l'entouraient. 
«  Mélange  de  bonnes  et  de  mauvaises  qualités, 
dit  M.  Lucas  Alaman,  on  trouve  en  lui  un  grand 
talent  naturel  sans  culture  littéraire  ou  morale, 
un  esprit  entreprenant  sans  fixité  dans  les  des- 
seins, l'énergie  et  le  sens  du  gouvernement  avec 
d'énormes  lacunes.  Habile  à  tracer  le  plan  gé- 
néral d'une  campagne  comme  d'une  révolution, 
il  est  malheureux  dans  la  direction  d'une  ba- 
taille. 11  n'en  a  gagné  qu'une  seule.  11  a  formé 
des  élèves  et  a  réuni  de  nombreux  lieutenant 
quand  il  s'est  agi  de  combler  les  maux  de 
patrie  ;  il  n'a  pas  su  en  avoir  quand  il  a  fallu 
résister  au  canon  français  à  la  Vera-Cruz  ou  à  la 
cavalerie  française,  dans  l'enceinte  de  Mexico.  » 
Louis  Collas. 

Lucas  Alaman,  Hlst.  du  Mexique..—  Revue  des  deux 
mondes  du  1«  avril  1862.—  L'Illustration,  29  juillet  1843. 
—   Annuaire  des   deux  mondes,  1850  à  1862. 

samta-groce  (Prospero  de),  cardinal  et 
diplomate  italien,  né  en  1513,  à  Rome,  où  il  est  i 
mort,  le  2  octobre  1589.  Issu  d'une  famille  qui 
prétendait  descendre  de  Valerius  Publicola,  il, 
étudia  le  droit  à  Padoue,  et  fut  à  vingt-deux  ans 
pourvu  d'une  charge  d'avocat  consistorial,  puis 
nommé  par  Paul  III  évêque  de  Castel-Chisamo 
(île  de  Candie).  Jules  III,  Paul  IV  et  Pie  IV 
l'envoyèrent  comme  nonce  apostolique  en  Alle- 
magne, en  Portugal,  en  Espagne,  et  en  1562  en 
France,  au  moment  où  commençaient  les  guerres 
de  religion.  Catherine  de  Médicislui  fit  donner 
en  1565  l'archevêché  d'Arles  et  le  chapeau  de 
cardinal.  Il  travailla  dès  lors  à  obtenir  la  cession 
de  la  Sardaigne  à  Antoine  de  Bourbon.  On 
i  reconnut  plus  tard  que  les  promesses  de  Phi- 
j  lippe  II  à  cet  égard  n'étaient  qu'un  leurre  pour 
|  se  mettre  à  l'abri  de  certaines  entreprises  dont 
il  redoutait  les  résultats.  Le  cardinal ,  à  qui  ses 
services  avaient  valu  une  place  dans  le  coaseil 
de  Charles  LX,  se  démit  en  157-3  de  son  arche- 
vêché en  faveur  de  Silvio  de  Santa-Croce,  son 
neveu,  et  retourna  à  Rome.  Sixte  V  lui  donna  l'é- 
vêche  d'Albano  (6  mai  1589),  mais  il  n'en  jouit 
crue  peu  de  mois,  et  fut  inhumé  à  Sainte-Marie 
Majeure,  où  ses  neveux  lui  firent  élever  un  ma- 
gnifique tombeau  en  marbre.  Comme  c'est  ce 
cardinal  qui,  au  retour  de  sa  nonciature  de  Por- 
tugal, fit  connaître  en  1561  le  tabac  en  Italie, 
on  donna  à  cette  plante  le  nom  de  Santa-Croce, 
de  même  qu'en  France  on  l'appela  Nicotiane, 
du  nom  de  Jean  Nicot,  son  introducteur  à  cette 
époque.  Santa  Croce  avait  écrit  en  latin  les  Mé- 
moires de  sa  vie  et  d'autres  encore  sur  les 
guerres  civiles  de  France  ;  ces  mémoires  ont  été 
publiés  par  les  PP.  Martenne  et  Durand, 
dans  le  t.  V  de  leur  Colleotio  veterum  scrip- 
torum  sous  le  titre  de  :  De  eivilibus  Galliee 
dissensionibus  comm.;  1547-1567  ;  Paris,  1729, 
in-fol.  On  a  encore  de  lui  :  Decisiones  Rotac 
romanœ;  Gonstitutiorncs  lanœ  artis  in  Vrbe 
erectx  ;  un  manuscrit,  De  offtciis  legati,  et 
cinquante  lettres  en  italien  et  en  français,  sur 


305  SANTA-CROCE 

les  affaires  de  France,  publiées  par  Aymon  dans 
les  Synodes  des  églises  réformées. 

Ughclli,  ttalia  sacra.—  Aubery,  Hist.  des  cardinaux. 
—  Gallia  christiana,  t.  I.  —  Du  Teins,  Le  Clergé  de 
France,  t.  1.  -  Dupont,  Hist.  de  l'église  d'Arles. 

santa-crcz  (  Alvaro  de  Bassano,  marquis 
de),  amiral    espagnol,  né  dans   les    Asturies, 
vers  1510,  mort  à  Lisbonne,  en  1588.  Fils  li'Al- 
varo  de  Bassano,  général  des  troupes  de  Ferdi- 
nand le  Catholique  pendant  la  guerre  de  Gre- 
nade, et  d'Anne  de  Guzman,  il  embrassa  tout 
jeune  encore  la  carrière  des  armes,  et  montra 
dans  plusieurs  campagnes  sur  mer  tant  de  cou- 
rage et  d'habileté  que  Charles  V  le  nomma  gé- 
néral des  galères  et  le  chargea,  en  1530,  de  dé- 
fendre les  côtes  d'Espagne  contre  Kaïr-ed-Din 
(Barberousse),  devenu  maître  de  Tunis.  Ayant 
équipé  seize  galères,  qu'il  garnit  de  troupes,  il  fit 
.ine  descente  en  Afrique,  emporta  de  vive  force 
a  place  d'Oran,  et  dispersa  la  flotte  barbaresque. 
Le  19  mai  1535,  il  amena  dix-neuf  galères  pour 
rendre  part  à  l'expédition  que  Charles  V  vou- 
lut  faire  en  personne  contre  les  Maures  d'A- 
rique,  et  se  distingua  au  combat  qui  força  Bar- 
oerousse  à  abandonner  Tunis.  11  conduisit  en 
1536  ses  galères  à  Gênes,  pour  défendre  contre 
es  Turcs  les  côtes  d'Italie  et  seconder  la  des- 
iente  de  l'empereur  en  France.  Eu  1554,  il  ac- 
compagna l'infant  Philippe  dans  son  voyage  en 
Angleterre,  où  il  allait  épouser  la  reine  Marie. 
En  1563,  il  ravitailla  Cran,  s'empara  du  Pennon 
le  Vêlez,  arrêta  quelque  temps  les  excursions 
les  pirates  de  Tétuan  en  faisant  échouer  à  l'en- 
trée de  leur  rivière  des  bâtiments  remplis  de 
îpierres  et  de  chaux.  Après  avoir  transporté  six 
mille  hommes  en  Sicile,  il  reçut  en  1565  le  titre 
(l'amiral  d'Espagne,  et  secourut  Malte,  attaquée 
par  les  Turcs.  Il  se  signala  à  Lépante  (1571)  et 
y  reçut  trois  blessures.  A   cette  époque,  Phi- 
lippe   II  l'avait    depuis  quelque    temps    créé 
imarquis  de  Santa-Cruz.  Lorsque  la  France  se 
flisposa  à  soutenir  en    Portugal  les  droits  du 
(prieur  de  Crato,  Santa-Cruz  attaqua  la  flotte 
française,  placée  sous  les  ordres  de  Philippe 
J5trozzi  (25  juillet  1582),  la  détruisit  complètement, 
jimais  déshonora  sa  victoire  par  une  cruauté  sans 
[exemple  -,  il  fit  massacrer  tous  ceux  que  le  sort 
Ides  armes  avait  mis  entre  ses  mains  ;  Strozzi  fut 
jtout  vivant  attaché  sur  une  planche  et  jeté  à  la  mer. 
'Après  avoir,  en  1586,  remporté  quelques  avanta- 
ges sur  l'amiral  Drake,  il  reçut  le  commandement 
%  la  célèbre  Armada  destinée  à  opérer  une  des- 
pente en  Angleterre  ;  mais  la  douleur  d'avoir  es- 
suyé de  Philippe  II  quelques  injustes  reproches 
hâta  sa  mort  avant  le  départ  de  la  flotte-.  Le  roi 
'l'Espagne  le  regretta  vivement,  et  plus  tard  attri- 
bua à  sa  mort  la  défaite  de  son  armée.    H.  F. 
i  Ferreras,  Hist.  gén.  de  l'Espagne,  t.  IX  et  X.  —  ciir. 
|«osquera  de  Figneroa,  Elogio  del  margues  de  Sancta- 
\-rux;  1600,  ln-12.  -  Gabriel  Laso  de  la  Vega,  Elogios 
île  don  Jayme,  rey  de  Aragon,  don  Alvaro  de  Baçan 
[barques  de  Santa-Cruz,    y  don    Fernando    Cortès' 
"«'•?"«  de*  J"a»e;Saragosse.  1601,  pet.  in-S°.  -  Bran-' 
|ome,  Grands  capitaines. 


—  SANTAREM  30c 

sANTAMu.it.  Voy.  La  Serna. 

santarelli  (Antonio),  jésuite  italien,  né 
en  1569,  à  Atri  (roy.  deNaples),  mort  à  Rome, 
le  5  décembre  1649.  Entré  à  seize  ans  dans  la 
Compagnie  de  Jésus,  il  professa  à  Rome  d'abord 
les  belles-lettres  puis  la  théologie  morale.  Il  est 
l'auteur  d'un  traité  qui  fit  beaucoup  de  bruit  : 
De  heeresi,  sehismate,  apostasia  et  soltici- 
tatione  in  sacramenlo  pœnitentix,  et  de 
potestate  summi  pontificis  in  his  delictis 
puniendis  (Rome,  1625,  in-4°),  traité  où  il 
attribue  au  pape  un  pouvoir  qui  s'étend  jusque 
sur  le  trône  des  souverains;  en  1626  la  Sorbonne 
le  censura,  et  le  parlement  de  Paris  le  con- 
damna au  feu.  Les  Jésuites  donnèrent  une  décla- 
ration formellement  opposée  aux  doctrines  émi- 
ses par  leur  confrère  quand  ils  virent  ce  dernier 
également  censuré  par  les  facultés  de  théologie 
de  Caen,  de  Toulouse,  de  Valence,  de  Bordeaux, 
de  Reims,  de  Bourges  et  d'Orléans.  Richer  a 
recueilli  toutes  les  pièces  de  cette  affaire  (  Rela- 
tion, etc.;  Paris,  1629,  in-4°).  Santarelli  a  encore 
écrit,  en  italien,  un  Jubilé  de  l'année  sainte 
(Rome,  1624,  1625,  in-12),  trad.  en  français,  en 
latin  (  Mayence,  1626,  in-12),  la  vie  de  Jésus  et 
de  la  Vierge  (Rome,  1625,  in-8°)  et  quelques 
notices  historiques  sur  des  Jésuites.  Il  était  de- 
venu aveugle  quelques  années  avant  sa  mort. 

Sotwel,  Bibt.  script.  Soc.  Jesu.  -  Du  Pin,  Hist.  ecclés. 
1. 1.  —  D'Avrigny,  mém.  eccl.  —  Toppi,  Bibl.  napolitana. 

—  Mercure  de  France,  1626. 

santarem  (Manoel-Francisco  de  Bar- 
ros  y  Sooza,  vicomte  de),  érudit  portugais,  né 
à  Lisbonne,  le  18  novembre  1790,  mort  à  Paris, 
le  17  janvier  1856.  Il  était  fils  d'un  valet  de 
chambre  ou  de  garde-robe  de  Jean  VI,  qui  lui 
donna  des  lettres  de  noblesse.  Après  avoir  fait 
de  bonnes  études  au  collège  des  nobles ,  il  ac- 
compagna la  famille  royale  au  Brésil,  et  en  1814, 
comme  il  avait  déjà  fait  des  travaux  importants 
sur  l'histoire  diplomatique  de  son  pays,  il  fut 
nommé  conseiller  d'ambassade  avec  la  mission 
d'accompagner  son  oncle,  le  comte  de  Porto- 
Santo,  plénipotentiaire  au  congrès  de  Vienne.  Il 
passa  ensuite  avec  le  même  titre  à  Paris,  et 
devint  peu  après  ministre  du  Portugal  en  Dane- 
mark, d'où  il  fut  rappelé  après  la  révolution  de 
1820,  à  cause  de  ses  opinions  absolutistes.  Souple 
de  caractère  et  sachant  se  plier  aux  circons- 
tances ,  il  essaya  vainement  de  se  faire  employer 
à  son  retour  à  Lisbonne ,  et  ce  ne  fut  qu'après 
le  renversement  de  la  constitution  des  cortès  et 
le  rétablissement  du  pouvoir  absolu  en  1823 
qu'il  fut  nommé  directeur  des  archives  du 
royaume.  Après  la  mort  de  Jean  VI,  la  régente 
Isabelle-Marie  le  fit  en  1827  ministre  d'État  ornais 
Santarem  ne  songea  plus  qu'à  seconder  les  des- 
seins de  don  Miguel.  Ce  dernier,  devenu  régent  et 
bientôt  roi,  lui  confia  en  1828  le  portefeuille  des 
affaires  étrangères,  qu'il  conserva  jusqu'en  juillet 
1833,  époque  de  la  chute  de  l'usurpateur.  II 
vint  alors  se  réfugier  à  Paris,  et  continua  d'y 


S07 


SANTAREM  — 


poursuivreses  travaux  historiques  avec  une  grande 
persévérance.  Membre  de  l'Académie  des  sciences 
de  Lisbonne,  il  fut  admis  dans  la  société  des 
antiquaires  de  France  (9  avril  1828),  et  devint 
correspondant  de  l'Académie  des  inscriptions 
(20  janvier  1837).  Outre  des  articles  spéciaux 
insérés  dans  différents  recueils  périodiques ,  on  a 
de  lui  :  Prioridade  dos  descobrimentos  por- 
tuguezes;  Paris,  1841,  iu-8°  :  histoire  des 
découvertes  des  Portugais  sur  la  côte  occiden- 
tale d'Afrique;  —  Quatro  elementar  das  re- 
laçaoes  politieas  e  diplomaticas  de  Portu- 
gal; Paris,  1842-1854,  15  vol.  in-8°  :  cet  ou- 
vrage, malheureusement  inachevé,  traite  des 
relations  diplomatiques  du  Portugal  avec  les 
différentes  puissances,  et  a  été  imprimé  aux  frais 
du  gouvernement  portugais;  —  Introduction 
au  tableau  des  relations  politiques  et  diplo- 
matiques du  Portugal  ;  Paris ,  1836 ,  in-8°; 
—  Institution  des  colonies  anglaises;  Paris, 
1840,  in-8°;  —  Recherches  sur  Amélie  Ves- 
puce  et  ses  voyages;  Paris,  1842,  in-8°;  — 
Recherches  sur  la  découverte  des  pays  situés 
sur  la  côte  occidentale  d'Afrique;  Paris,  1842, 
in-8°,  avec  atlas,  et  Sur  lis  progrès  de  la  science 
géographique  après  le  seizième  siècle.  Dans  cet 
ouvrage,  l'auteur  égaré  par  l'esprit  de  système  et 
de  patriotisme,  cherche  à  démontrer  que  les 
Européens  n'ont  rien  connu  au  sud-est  de  Bo- 
jador  avant  les  découvertes  entreprises  par  les 
Portugais  sous  les  auspices  de  don  Henri.  Il  a  été 
réfuté  par  M»  d'Avezac,  dans  les  Nouvelles  An- 
nales des  voyages,  1845-46;—  Essai  sur  l'his- 
toire de  la  cosmographie  et  de  la  cartogra- 
phie pendant  le  moyen  âge;  Paris,  1849-1852, 
3  vol.  in-8°  :  l'un  des  ouvrages  les  plus  com- 
plets sur  cette  matière  ;  —  une  Histoire  des 
anciennes  Cor  lès  ou  du  Parlement  de  Por- 
tugal, en  allemand,  etc. 

Biogr.  wiiv.  et  port,  des  contemp-  (suppl.)  —  Ann. 
Jtist.  et  biogr.  des  souverains,  etc.,  t.  I.  —  Vapereau, 
Dict.  des  contemp.  —  Ann.  de  la  Soc.  des  antiq.  de 
France. 

santé  (La).  Voy.  La  Sainte. 

santen  {Laurent  van),  philologue  hollan- 
dais, né  le  1er  février  1746,  à  Amsterdam,  mort 
le  10  avril  179S,  à  Leyde.  11  fit,  sous  la  conduite 
de  Pierre  Burman  le  jeune,  d'excellentes  études 
classiques,  et  s'appliqua  ensuite  à  la  jurispru- 
dence, qu'il  enseigna  comme  répétiteur  à  Leyde. 
Sauf  deux  courts  voyages,  l'un  en  Allemagne 
(1766),  l'autre  en  France  (1776),  il  passa  sa  vie 
entière  dans  cette  ville,  seconda  pendant  la  ré- 
volution les  efforts  du  parti  patriote,  devint  en 
1795  curateur  de  l'université,  et  profita  de  son 
passage  dans  les  hautes  fonctions  pour  fonder 
une  chaire  de  littérature  hollandaise,  qu'il  fit 
donner  à  Siegenbeck,  son  ami.  La  culture  des 
lettres  avait  été  le  délassement  de  sa  jeunesse  ;  il 
y  trouva  une  ressource  quand  les  revers  ébran- 
lèrent la  fortune  de  son  père,  qui  pratiquait  le 
négoce  à  Amsterdam.  Ses  débuts  dans  la  poésie 
latine  furent  brillants;  c'était  aussi  un  bon  phi- 


SANTERRE  30i 

lologue,  surtout  pour  îa  critique  des  auteurs  an 
ciens,  sur  lesquels  il  a  laissé  des  remarques  très 
judicieuses.  Ses  poésies,  d'abord  publiées  soasï 
titre  de Carmina  juvenilia  (Leyde,  1767,  in-12) 
avec  celle  de  trois  autres  disciples  de  Burma; 
(Hooft,  Couderc  et  Schepper)  et  dédiées  à  leu 
maître,  ont  été  réimprimées  à  part,  à  Paris,  177C 
et  à  Londres,  1782,  in-12;  un  second  reçue 
(Carmina)  en  a  paru  à  Utrecht,  1780,  in-8°;  < 
après  sa  mort  elles  ont  été  réunies  par  J.-F 
Hoeufft  (Leyde,  1801,  in-8").  Van  Santen  a  pi 
blié  comme  éditeur  :  Properce  (Utrecht,  1781 
in-4°),  travail  préparé  par  Burman;  J.  Helvel 
Poemala  (Leyde,  1782,  in-8°);  Deliciae  po. 
tiese  (ibid.,  1783-1796,  8  part.)  ;  lîomeri  i 
Callimachi  Hymnus  in  Cererem  et  alla  m 
nora  carmina  (ibid.,  1784,  in-8°);  J.  Farseï 
Carmina  (ibid.,  1785,  in-8");  Callimac. 
Hymnus  in  Apollinem  (ibid.,  1787,  in-8' 
trad.  en  vers  latins;  Honorali  Centimelru 
(ibid.,  1788,  in-12),  etc.  Le  travail  qu'il  av. 
préparé  sur  Catulle  n?a  point  vu  le  jour.  Le  ( 
talogue  de  ses  livres  a  été  publié  par  J.  van  Tbo. 

J.-H.  Hoeufft,  Notice,  à  la  tête  de  l'd-dit.  de  1801. 
Peerlkamp,  Vxtx  Belgarum  qui  latina  carmina  scrip 
runt.  —  liibl.  Santeniana. 

saîsterke  (Jean-Baptiste),  peintre  fra 
çaïs,  né  le  1er  janvier  1658,  à  Magny  (Seine-  J 
Oise),  mortà  Paris,  le  21  novembre  1717. Il  et 
fils  d'un  procureur.  Après  avoir  étudié  à  Pa 
les  éléments  du  dessin  chez  François  le  Mai 
peintre  médiocre,  il  enti?a  dans  l'atelier  de  Bo 
longne  l'aîné.  Doué  de  peu  d'imagination,  ni 
d'un  esprit  patient  et  curieux  de  la  perfection 
ne  négligea  aucun  soin  ni  aucune  étude  pour 
quérir  un  rang  élevé  dans  son  art;  il  étudia 
perspective  et  l'analomie,  bien  qu'il  se  fût  ado* 
entièrement  à  la  peinturedes  portraits.  Dans; 
désir  d'assurer  la  durée  de  ses  ouvrages,  il  | 
pliqua  à  rechercher  des  couleurs  et  des  pré 
rations  inaltérables;  on  dit  qu'il  observait  h; 
tuellêment  les  enseignes  des  boutiques  afini 
discerner  les  couleurs  que  le  temps  et  le  jour  î 
pectaient.  Il  arriva  à  n'en  employer  que  cin« 
faisait  en  outre  sécher  ses  tableaux  au  soleil 
ne  les  vernissait  qu'après  plusieurs  années.  Gi 
peut-être  à  ces  procédés,  ses  ouvrages  ont  e 
serve  une  pureté  et  une  fraîcheur  de  tons  < 
est  juste  de  reconnaître.  L'originalité  de  S 
terre  ne  s'arrêta  pas  seulement  à  des  systè 
dans  la  pratique  de  son  art.  Fatigué,  dit-on,  T 
exigences  des  personnes  qui  posaient  devant  \, 
il  alla  jusqu'à  déclarer  publiquement  qu'il  [e 
s'astreindrait  plus  à  reproduire  les  traits  es 
de  ses  modèles  et  qu'il  ferait  seulement  des 
traits  de  fantaisie.  Il  ne  paraît  pas  que  cette 
gulière  annonce  ait  beaucoup  éloigné  la  cïier. 
de  son  atelier  (1).  L'Académie  de  peinture  ai 


(1)  Il  avait  formé  un  atelier  de  jeunes  filles  auxqi 
il    enseignait  la    peinture,    et  qui  lui  servaient  le  p 
souvent  de  modèles.  Une  seule  de   ces   élèves,   C 
viève  Blanchot,  plus  connue  sous  le  nom  de  Codon 
quit  quelque  renom,  bien  qu'elle  employât  presque  c 


1309 

'  Santerre  au  nombre  de  ses  membres  le  18  octobre 
;  i7oi,  sur  la  présentation  d'un  portrait  de  Coypel 
i et  d'une  Suzanne  au  bain,  qui  est  au  musée  du 
Louvre.  Un  tableau  de  Sainte  Thérèse  en  mé- 
:  dilution,  qu'il  fit  pour  la  chapelle  du  palais  de 
,  Versailles,  valut  à  Santerre  une  pension  et  un  lo- 
fgenicnt  au  Louvre.  H.  H— N. 

I     Fontcnay,  Dict.  des  artistes.  —  F.  Villot,  Notice  des 
{tableaux  du  Louvre. 

sa.vtiîrke  (1)  (Antoine-Joseph),  général 
français,  né  le  16  mars  1752,  à  Paris,  où  il  est 
mort,  le  6  février  1809.  Fils  d'un  brasseur  de  Cam- 
[  brai  qui  était  venu  s'établir  au  faubourg  Saiut- 
I  Antoine  à  Paris,  il  continua  l'état  de  son  père. 
[Sa  fortune,  sa  réputation  de  probité  et  de  gé- 
nérosité, sa  conduite  envers  les  nombreux  ou- 
Bwierï  qu'il  employait,  lui  attirèrent  une  grande 
'influence  dans  son  quartier  au  début  delà  révolu- 
jtion.  Il  fut  en  1789  un  des  électeurs  de  Paris  qui 
se  réunirent  à  l'hôtel  de  ville  Je  14  juillet,  et  devint 
commandant  de  la  garde  nationale  du  district  des 
Enfants-Trouvés.  Décrété  de  prise  de  corps,  après 
[l'émeute  du  Champ-de-Mars  (1791),  à  laquelle  il 
[eut  un-1  part  active,  il  se  cacha  jusqu'à  l'amnistie 
qui  suivit  le  vote  de  la  constitution.  Dans  l'année 
\  1792,  les  agitateurs  des  faubourgs  se  réunissaient 
\  souvent  dans  la  brasserie  de  Santerre,  et  c'est 
I  là  que  fut  préparée  de  longue  main  l'émeute  du 
htf  juin.  Dans  cette  journée,  Santerre  marcha, 
(avec  Saint-Huruge,  à  la  tête  de  la  foule  qui  en- 
1  valut  l'Assemblée  nationale  et,  placé  au  pied,  de  la 
tribune,  il  dirigea  le  défilé.  Ensuite,  il  remercia 
les  députés  des  marques  d'amitié  qu'ils  avaient 
données  aux  habitants  du  faubourg  Saint-Antoine, 
;  les  pria  d'accepter  un  drapeau  en  témoignage 
1  de  leur  reconnaissance ,  et  alla  rejoindre  ses 
1  hommes  sur  la  place  du  Carrousel,  pour  les  me- 
ner aux  Tuileries.  Le  25  juin,  il  écrivit  au  prési- 
dent de  l'Assemblée  une  lettre  qui  marque  bien 
la  certitude  où  il  était  de  sa  popularité  et  de  son 
pouvoir  sur  la  foule.  «  Monsieur  le  président,  lui 
disait-il,  j'ai  l'honneur  de  vous  donner  avis  que 
la  tranquillité  est  complète  au  faubourg  Saint- 
Antoine,  et  que,  comme  j'apprends  que  l'on  dé- 
sire à  Paris  avoir  du  mouvement,  d'après  les 
bruits  que  l'on  répand,  je  m'empresse  de  pré- 
venir l'Assemblée  nationale  que  le  faubourg  Saint- 
Antoine  ne  marchera  jamais    que  contre    les 
ennemis  de  l'Assemblée,  pour  laquelle  le  peuple 
versera  toujours  son  sang.  »  Dans  la  journée  du 
10  août,  a  laquelle  il  prit  une  grande  part,  la 
commune  le  fit  commandant  général  de  la  garde 
nationale  de  Paris.  Ce  fut  en  cette  qualité  qu'il 
conduisit  Louis  XVI  à  la  prison  du  Temple.  Il 
fut  nommé  le  11  octobre  maréchal   de  camp. 
Le  21  janvier  1793,  il  commanda  avec  le  général 
Berroyer  les  troupes  chargées  d'entourer  l'écha- 
faud,  et  c'est  sur  son  signal  que  les  tambours 


«îvement  son  talent  à  faire  des  copies  d'après  les  ta- 
bleaux île  son  maître. 

(0  Dans  le  titre  de  commandant  de  la  garde  natio- 
nale de  Paris,  almanach  de  1791  ,  11  porte  le  nom  de 
Oalt.et  de  Santerre. 


SANTERRE  310 

battirent  pour  étouffer  la  voix  de  Louis  XVI. 
Le  17  avril  179;i,  il  obtint  décharge  d'une  somme 
de  49,003  livres  qu'il  devait  à  la  ferme  générale 
pour  les  droits  qui  auraient  du  être  perçus  sur 
la  bière  par  lui  fabriquée  dans  les  années  précé- 
dentes. Le  rapport  du  ministre  des  finances  dé- 
clarait que  cette  bière  ayant  été  consommée  en 
très-grande  partie  dans  un  but  patriotique,  il  y 
avait  lieu  de  faire  au  brasseur  remise  de  sa 
dette.  Santerre,  élevé,  le  30  juillet  1793,  au  grade 
de  général  de  division,  voulut  acquérir  quelque 
réputation  militaire  qui  justifiât  ce  titre,  et  ac- 
cepta un  emploi  à  l'armée  de  Vendée.  Il  y  joua 
un  rôle  peu  brillant,  et  n'y  éprouva  que  des 
échecs:  le  plus  considérable  fut  la  déroute  de 
Coron  (18  septembre),  due  surtout  au  mauvais 
choix  de  la  positiou  sur  laquelle  il  avait  placé, 
en  l'ace  des  royalistes,  l'armée  républicaine  (1). 
Rappelé  par  le  comité  de  salut  public  et  bientôt 
arrêté,  il  ne  fut  mis  en  liberté  qu'après  la  mort 
de  Robespierre.  Le  13  thermidor  (31  juillet  1794), 
il  se  démit  du  grade  de  général,  et  rentra  dans  la 
vie  privée  ;  mais  ses  jours  de  fortune  étaient  passés, 
comme  sa  popularité;  il  vit  péricliter  ses  affaires, 
et  adressa  une  lettre  au  ministre  de  l'intérieur 
pour  obtenir  un  prêt  de  25,000  francs,  lui  ex- 
posant «  qu'ayant  été  l'agent  de  la  loi  dans  les 
temps  orageux,  cela  lui  a  retiré  toutes  ses  con- 
naissances riches  et  ôté  toute  ressource  ».  Plus 
tard  (5  juillet  1800),  il  adressa  au  premier  consul 
la  lettre  suivante,  qui  ne  manque  pas  de  dignité, 
bien  qu'elle  soit  la  lettre  d'un  solliciteur  : 

•i  Santerre,  général  divisionnaire,  au  général 
Bonaparte,  premier  consul  de  ia  république. 

i  J'ai  eu  l'honneur  de  vous  demander  d'aler  à 
l'armée  de  réserve  partager  vos  dangers  ;  vous  avez 
eu  ia  bonté  de  renvoyer  ma  demande  au  général 
Berthier,  alors  ministre;  son  départ  précipité  m'a 
privé  de  cet  avantage.  J'ai  demandé  au  ministre 
actuel  k  être  employé;  sans  votre  ordre,  il  n'a  put 
probablement^  faire  ;  il  s'ïst  cependant  trouvé  des 
places  dans  les  directoires  près  les  hôpitau?  raili- 
taires  et  dans  les  villes  fortes.  Je  vous  ai  offert,  en 
vendémiaire  an  ïv.  mes  services;  vous  ne  les  dé- 
daignâtes pas.  J'ai  presque  tout  perdu  au  service  de 
1s  république,  je  ne  puis  maintenant  me  passer  de 
vous  demander  une  place.  I-'on  m'a  offert  le  traite- 
ment de  réforme.  J'avais  alors  de  la  fortune,  .je  n'ai 
pas  au  devoir  être  payé  sans  servir.  Depuis  l'on 
m'a  interdit  politiquement  mon  habitation  au  fau- 
bourg Jntoine,  ce  qui  m'a  ôté  mes  resources 
commerciales.  Couséquemment,  si  le  gouvernement 
ne  m'emploie  pas,  malgré  mon  désir  de  servir,  ayant 
déjà  servi  avec  succès  au  \i  juillet,  au  10  août  et 
dans  plusieurs  batailles  que  j'ai  commandées  en  Ven- 
dée, je  vous  demande  le  traitement  de  réforme,  sans 
pour  cela  cesser  d'être  au  service  de  notre  patrie. 
«  Salut,  respect  et  admiration.  Santerbe.» 

«  Enclos  du  Temple,  à  Paris,  ce  16  messklor  an  vin. 

«  P.  S.  Je  ne  joins  à  cette  lettre  aucun  compli- 
ment ni  éloge,  je  ne  pourrais  rien  ajouter  à  celui 
de  dire  :  Bonaparte  était  à  Blarengo.  » 


(!)  On  lui  lit  alors  cette  épitaphe  anticipée  ; 
Cl-git  !e  penéral  Santerre, 
Qui  n'eut  de  Mars  que  la  bière. 


311 


SANTERRE  —  SANTEUL 


31! 


Le  premier  consul  n'employa  pas  activement 
le  général  Santerre  ;  mais,  par  un  arrêté  du  9 
thermidor  an  vm  (28  juillet  1800),  il  le  réintégra 
dans  les  cadres  et  l'admit  à  jouir  du  traitement 
de  réforme  affecté  à  son  grade.  La  réputation  de 
férocité  qui  s'est  attachée  au  nom  de  Santerre 
est  certainement  imméritée;  sans  doute  il  eut 
cette  exagération  de  gestes  et  de  paroles  qui 
servent  aux  chefs  populaires  à  entraîner  les 
masses  dans  les  jours  d'émeute,  mais  on  le  vit 
plus  d'une  fois  chercher  à  modérer  l'ardeur  de  ses 
partisans  et  sauver  les  jours  même  de  citoyens 
qui  lui  étaient  opposés.  Son  rôle  dans  l'exécution 
du  21  janvier  a  surtout  soulevé  contre  lui  la  haine 
des  écrivains  royalistes,  et  les  a  amenés  à  faire  un 
chef  brutal  et  cruel  d'un  homme  faible  et  nul  qui, 
par  conviction  ou  par  vanité,  s'est  mêlé  aux  luttes 
politiques. 

Mort-imer  Ternaux,  Hist.  de  la  Terreur,  t.  1er.  —  Re- 
vue rétrospective,  Ie  série,  t.  Ier.  —  Carro,  Santerre,  sa 
vie  piiblique'et  privée  ;  Paris,  1847,  in-8°. 

SANTES  PAGNINUS.  Voy.  PAGNINO- 

santeul  (Jean  (1)DE),le  plus  célèbre  des 
poètes  latins  modernes,  né  à  Paris,  le  12  mai 
1630,  mort  à  Dijon,  le  5  août  1697.  Il  était  d'une 
ancienne  famille  marchande  (2),  et  son  père  fut 
échevin.  Du  collège  Sainte-Barbe  ,  où  il  com- 
mença ses  études,  il  passa  au  collège  Louis-le- 
Grand,  et  fit  sa  rhétorique  sous  le  P.  Cossart,qui 
développa  ses  dispositions  pour  la  poésie  et 
jugea  de  ses  succès  futurs  par  l'ingénieux  poëme 
sur  La  Bulle  de  savon.  A  l'âge  de  vingt  ans, 
Santeul  entra  chez  les  chanoines  réguliers  de 
Saint-Yictor,  et  reçut  le  sous-diaconat,  sans 
vouloir  jamais  s'élever  à  un  plus  haut  rang  dans 
les  ordres  ecclésiastiques.  L'étude,  la  culture 
des  lettres  et  surtout  des  Muses  latines  le  re- 
tinrent plusieurs  années  dans  l'obscurité  et  la 
solitude.  Ses  premières  pièces  de  vers,  adressées 
à  Lamoignon,  Le  Tellier,  Louvois,  Pellisson, 
Rossuet,  etc.,  furent  trouvées  dignes  de  ces  hauts 
personnages.  11  devint  le  poète  favori  de  la  ville 
de  Paris,  et  illustra  de  ses  distiques  les  édifices, 
les  fontaines,  les  arcs  de  triomphe.  La  ville  lui 
fit  une  pension  et  le  roi  lui  en  accorda  une  autre. 
En  1670,  l'archevêque  Harlay  de  Champvallon 
ayant  institué  une  commission  pour  réformer  le 
bréviaire  de  son  diocèse,  et  substituer  aux  an- 
ciennes hymnes  des  hymnes  nouvelles  écrites  en 
un  style  plus  élégant,  la  commission  s'adressa  à 
Claude  de  Santeul  (voy.  le  suivant),  qui  engagea 
son  frère  à  entreprendre  ce  travail.  Le  premier 
recueil  parut  en  1685,  et  le  succès  en  fut  très- 
grand.  L'ordre  de  Cluni  demanda  aussi  au  poète 
de  nouvelles  hymnes  pour  son  bréviaire.  Il  fit  le 
même  travail  pour  plusieurs  autres  églises  de  la 
capitale  et  des  provinces.  On  peut  dire  que  dans 
ces  chants  sacrés  il  est  vraiment  poète  :  ses  vers 

(1)  D'après  l'abbé  Dinouart,  il  signait  Jean,  et  le  re- 
gistre de  sa  paroisse  ne  porte  que  ce  prénom;  cependant, 
sur  sa  tombe,  on  a  inscrit  Jean-ïïaptiste. 

(2)  Elle  avait  pour  armes  parlantes  une  tétc  d'argus. 
On  doit  prononcer  Santeuil. 


ont  de  la  noblesse  et  de  l'éclat,  ses  expression 
de  la  force,  ses  sentiments  de  l'élévation.  Ce 
pendant,  il  est  loin  de  la  pureté  latine,  et  surtou 
de  la  simplicité  chrétienne;  des  gallicismes,  d  j 
l'enflure,  beaucoup  d'antithèses,  des  expression 
et  des  rhythmes  empruntés  aux  poètes  de  l'an  . 
tïquité,  donnent  trop  souvent  à  ses  hymnes  un 
élégance  fausse  ou  du    moins  hors  de  place 
Aussi  les  membres  du  clergé  qui  depuis  ving 
ans  ont  travaillé,  dans  l'intérêt  de  l'unité  litur 
gique,  à  substituer  le  bréviaire  romain  aux  an  i 
ciens  bréviaires  des  diocèses  de    France,  si 
sont-ils  élevés  avec  force  contre  les  hymnes  d> 
Santeul,   quoique  des   hommes  de  goût  aieni 
réclamé  en  faveur  de  celles  qui  passent  pour  se 
chefs-d'œuvre,  comme  le  Stupete  gentes.  11  es 
certain  que  l'étude  de  Virgile  et  d'Horace  avaid 
donné  à  Santeul  un  amour  de  la  poésie  païenn 
dont  il  ne  put  se  départir  malgré  les  sollicita  ■ 
tions  de  son  frère,  de  Pellisson  et  de  Bosswet  I 
C'est  ainsi  qull  dédia  à  La  Quintinie  un  poëra 
intitulé  Pomona  in  agro  Versaliensi;  Bossue 
lui  en  fit  des  reproches;  Santeul   en  composi 
un  autre  pour  s'excuser,  et  l'envoya  à  l'évêqui  j 
de  Meaux,  avec  une  vignette  où  il  se  montrait 
genoux,  la  corde  au  cou,  un  flambeau  à  la  main 
faisant  amende  honorable.  Le  poète  eut  avec  le  j 
Jésuites,  vers  la  fin  de  sa  vie,  une  querelle  qu 
ne  s'apaisa  pas  aussi  facilement.  Antoine  Arnauli  | 
étant  mort  en  1694,  Santeul  composa  uns  ins 
cription  destinée  à  être  mise  au-dessus  de  soi 
cœur  à  Port-Royal;  les  Jésuites  furent  irrités  d| 
éloges  qu'il  y  donnait  à  leur  ennemi  ;  Santeul  fi  I 
une  nouvelle  inscription,  qui  parut  encore  am- 
biguë ,  et  plusieurs  écrits  furent  lancés  con-tn 
lui,  Santolius  pœnitens,  Linguarium,  etc.  L; 
dernière  pièce  de  Santeul  eut  pour  titre  Santo  \ 
lins  Burgundus ;  il  la  composa  à  Dijon,  où  i  j 
avait  été  emmené  par  M.  le  Duc,  qui  y  tenait  le 
états  de  Bourgogne  en  1697.  A  la  veille  de  som 
départ  pour  retourner  à  Paris ,  il  fut  attaqu»  ! 
d'une  colique  violente  dont  il  mourut  après  qua 
torze  heures  de  souffrances  intolérables  (1).  I 
était  âgé  de  soixante-  sept  ans .  Son  corps  fut  trans 
porté  à  Paris,  dans  l'abbaye  de  S'iint-Vic-tor,  e 
Rollin  lui  fil  une  épitaphe  en  trois  distiques  latins 
«  Santeul,  dit  Saint-Simon,  était  plein  d'es- 
prit, de  feu,  de  caprices  les  plus  plaisants,  qu  | 
le  rendaient  d'excellente  compagnie;  bon  con- 
vive surtout,  aimant  le  vin  et  la  bonne  chère. 

(l)5C'est  ce  que  l'on  voit  dans  une  lettre  écrite,  quelque; 
jours  après  cette  mort,  par  le  comte  de  Hautoys  à  M.  d( 
La  Garde,  trésorier  de  M.  le  Prince.  Saint-Simon  présent* 
cet  événement  d'une  manière  bien  différente;  sans  ac- 
corder une  foi  entière  au  récit  de  Saint-Simon,  qui  s( 
montre  en  plus  d'une  circonstance  l'ennemi  des  Coad* 
nous  ne  pouvons  nous  dispenser  de  le  reproduire  :  «  Un 
soir  que  M.  le  Ducsoupait  chez  lui,  il  se  divertit  à  poGS- 
ser  Santeul  de  vin  de  Champagne  ;  et  de  gaieté  en  gaieté, 
Il  trouva  plaisant  de  verser  sa  tabatière  pleine  de  tabac 
d'Espagne  dans  un  grand  verre  de  vin,  et  de  le  faire 
boire  à  Santeul  pour  voir  ce  qui  en  arriverait.  II  ne  fui 
pas  longtemps  à  en  être  éclairci.  Les  vomissements  et  la 
fièvre  le  prirent,  et  en  deux  fois  vingt-quatre  heures  te 
malheureux  mourut,  dans  des  douleurs  de  damné.  » 


313  SANTEUL 

mais  sans  débauche,  et  qui,  avec  un  esprit  et  des 
talents  peu  propres  au  cloître,  était  pourtant  au 
fond  aussi  bon  religieux  qu'avec  un  tel  esprit  il 
!  pouvait  l'être.  »  La  Bruyère  en  a  tracé  le  por- 
;  i  trait  suivant,  sous  le  nom  de  Théodas  :  «  Con- 
cevez un  homme  facile,  doux,  complaisant,  trai- 
;  table,  et  tout  d'un  coup  violent,  colère,  fougueux, 
[capricieux;  imaginez-vous  un  homme  simple, 
} ingénu,  crédule,  badin,  volage,  un  enfant  à  che- 
;veux  gris;  mais  permettez-lui  de  se  recueillir, 
)U  plutôt  de  se  livrer  à  un  génie  qui  agit  en  lui, 
'ose  dire  sans  qu'il  y  prenne  part,  et  comme  à 
Non  insu,  quelle  verve!  quelle  élévation!  quelles 
!  mages  !  quelle  latinité  !  etc.  » 
|    Les  Hymnes  sacrées  de  Santeul,  publiées  en 
heux  parties  (Paris,  1685  et  1694,  1698,  in-12), 
i    Hit  été  réunies  dans  l'édit.  de  Paris,  1723,  in-8o 
\  M  in-12,  et  traduites  deux  fois  en  français.  Il  a 
i  iaru  trois  éditions  de  ses  Œuvres  :  la  première, 
|[lite  Opéra  poetica  (hymnis  exceptis),  Paris, 
L!i694,  in-8°  ;  et  les  deux  autres  sous  le  titre  d'O- 
i  fera  omnia,  ibid.,  1698,  in-12,  et  1729,  3  vol. 
lfn-12  :  celle-ci  est  la  plus  complète. 
I    Santeul  {Claude  de),  frère  aîné  du  précé- 
If lent,  né  le  3  février  1628,  à  Paris,  où  il  est 
Wnort,  le  29  septembre  1684.  Il  prit  l'habit  ecclé- 
■  dastique,  mais  n'entra  pas  dans  les  ordres,  et 
■esta  longtemps  comme  pensionnaire  au  sémi- 
Jff  uaire  de  Saint-Magloire.  C'était  un  homme  calme, 
ifmodeste,  pieux,  d'une  grande  érudition,  et  d'un 
T  fiaient  poétique  remarquable.  Il  fournit  au  bré- 
jviaire  de  Paris  plusieurs  hymnes  de  sa  compo- 
;  sition  ;  il  en  fit  aussi  pour  des  offices  particuliers. 
On  trouve  de    lui  parmi  les  Œuvres  de  son 
'frère  une  pièce  de  vers  dans  laquelle  il  l'engage 
à  renoncer  aux  divinités  païennes.  On  lui  at- 
tribue la  traduction  des  lettres  de  saint  Paulin 
de  Noie  (Paris,  1703, 1724,  in-8°).  Il  a  laissé  ma- 
nuscrits deux  volumes  d'Hymnes.     Ach.  G. 
t    Fie  et  bons  mots  de  Santeul;  Cologne,  1735,  2  vol. 
fin-12.  —  Dinouart,  Santoliatia;  Paris,  1764,  in-12.  —  His- 
toire du  différend  entre  les  Jésuites  et  M.  de  Santeul; 
[Liège,  1697,  in-12.  —  Moréri,  Grand  Dict.  hist.  —  Monta- 
3ant-Rougleux,    Santeul,    ou    la   poésie   latine  sous 
(Louis  XI F  ;  l'aris,  1854.  —  Bonnetty,  Études  sur  la  vie 
ieCles  écrits  de  Santeul,  dans  les  annales  de  philoso- 
phie (1854).—  Sainte-Beuve,  dans  V Athenœum  français 
fdu  ie*  et  8  sept.  1855. 

I  santi  ou  sanzio  (  Giovanni  ),  poète  et 
peintre,  né  à  Colbordolo  (duché  d'Urbin),  mort 
le  1er  août  1494.  De  son  mariage  avec  Magia 
!  Ciarla  (1),  fille  de  Battista,  naquit,  le  6  avril  1483, 
l'immortel  Raphaël  (voy.  ce  nom),  dont  il  fut  le 
premier  maître.  Passavant  pense  qu'il  put  être, 
mais  assez  tard,  élève  du  Mantegna.  Son  dessin, 
sans  être  d'une  extrême  finesse,  est  consciencieu- 
sement étudié;  ses  figures,  élancées,  sont  gra- 
cieuses, principalement  celles  d'enfants.  Ses  pein- 
tures à  la  détrempe  sont  comme  cernées  par  une 
ligne  noire,  procédé  qui  à  dislance  fait  ressortir 
les  contours,  mais  qui  de  près  leur  donne  quelque 
dureté.  Ses  Madones  ont  une  physionomie  sé- 

(1)  Elle  mourut  en  1491,  et  Giovanni  se  remaria  quel- 
ques mois  après,  avec  Bemardina  di  Parte. 


—  SANTI 


314 


rieuse  qui  va  jusqu'à  la  roideur;  d'ordinaire 
elles  lèvent  un  bras  en  laissant  voir  l'intérieur 
de  la  main.  A  ce  geste  l'artiste  attachait  sans 
doute  quelque  pensée  mystique.  «  Giovanni, 
dit  Passavant,  nous  apparaît  comme  un  artiste 
encore  fermement  attaché  à  la  symétrie  tradi- 
tionnelle, telle  qu'elle  s'était  propagée  par  l'é- 
cole du  Giotto,  mais  déjà  néanmoins  recher- 
chant la  nature  avec  plus  de  fidélité  et  de  pré- 
cision, aspirant  à  rendre  chaque  figure  plus  in- 
dividuelle et  plus  caractérisée.  »  Beaucoup  de  ses 
ouvrages  ont  malheureusement  disparu.  Son  pre- 
mier tableau  authentique  est  une  Visitation, dans 
l'église  de  Santa-Maria-Nuova  de  Fano.  Un  autre 
tableau  d'autel,  bien  plus  parfait  et  d'une  époque 
postérieure,  se  voit  également  à  Fano,  dans  l'é- 
glise de  l'hôpital  de  Santa-Croce;  il  représente  La 
Madone  avec  l'enfant  Jésus  bénissant,  sainte- 
Hélène,  saint  Zacharie,  saint  Roch  et  saint  Sé- 
bastien. Indiquons  encore  un  Saint  Jérôme,  à 
S.-Bartolo  près  Pesaro;  une  Annonciation  à 
Milan,  dans  le  Musée  de  Brera;  à  l'église  des 
Franciscains  d'Urbin,  Raphaël  et  le  jeune 
Tobie  ;  au  musée  de  Berlin,  une  Vierge  soute- 
nant Jésus  posé  sur  une  balustrade,  et  une 
Madone  avec  saint  Thomas  oVAquin  et  sainte 
Catherine.  Le  dernier  ouvrage  de  Giovanni 
Santi  paraît  avoir  été  une  petite  composition,  le 
Christ  mort  soutenu  par  deux  anges,  qu'il 
peignit  sur  la  chaire  de  S.-Bernardino  près 
Urbin  (1).  Passavant  ne  cite  que  deux  portraits 
peints  par  Giovanni  Santi,  l'un  au  palais  Colonna  à 
Rome,  l'autre  appartenant  à  M.  Dennistoun,  et 
qu'une  inscription  apocryphe  dit  être  Raphaël  à  six 
ans.  Le  Musée  Napoléon  III  en  possède  un  troi- 
sième, que  l'on  a  prétendu  aussi  représenter  le 
jeune  Raphaël  ;  mais  l'original  de  ce  portrait  ne 
nous  paraît  pas  avoir  moins  de  quinze  à  seize  ans, 
et  Raphaël  n'avait  pas  accompli  sa  douzième  année 
quand  il  perdit  son  père  (2).  Giovanni  Santi  a 
également  peint  des  fresques,  et  on  peut  compter 
au  nombre  de  ses  meilleurs  ouvrages  celles 
qu'il  a  laissées  à  Cagli,  dans  l'église  des  Domi- 
nicains. Cet  artiste  se  fit  connaître  aussi  par  des 
poésies,  et  par  une  chronique  rimée  en  l'hon- 
neur de  Federico  de  Moiitefeltro,  duc  d'Urbin. 
Il  la  composa  en  1489;  elle  est  conservée  sous 
le  n°  1305  à  la  bibliothèque  du  Vatican,  parmi 
les  mss.  Ottoboniani.  Le  style  en  est  fort  né- 
gligé ;  «  mais,  dit  Passavant,  les  poètes  italiens 
de  cette  époque  ne  sont  eux-mêmes  ni  plus 
corrects  ni  plus  brillants.  »  E.  B— n. 

(1)  «  A  cette  époque,  dit  Vasari,  le  jeune  Raphaël  com- 
mençait déjà  à  aider  son  père.  »  Le  fait  n'est  pas  in- 
croyable, puisque  le  Musée  Napoléon  III  possède  une  pe- 
tits Madone  sur  fond  d'or,  peinte  par  Rjphael  à  douze 
ans,  c'est-à-dire  vers  le  temps  où  il  perdit  son  père. 

(2)  La  date  de  la  mort  de  Giovanni  Santi  nous  paraît 
hors  de  doute,  bien  que  quelques  auteurs  le  fassent 
vivre  jusqu'en  130G  et  même  1508.  Si  cette  supposition 
était  vraie,  comment  expliquer  les  mauvais  traitements 
qu'aurait  eu  à  subir  de  la  part  de  sa  belle-mère  Ra- 
phaël, qui,  déjà  célèbre  et  âgé  de  vingt-trois  ou  vingt- 
cinq  ans,  n'eût  pas  eu  besoin  d'être  protégé  par  son  oncle 
Simone  Ciarla? 


315 


SANTI 


Vasari,  file.  —  Passavant,  PMfae-l  von  Vrbino  und 
sein  voter  Giovanni  Santi.  -  L.  rungileoni,  Elogio 
storico  cli  Giovanni  Santi;  traduit  en  français  par  Lun- 
teschutz-  1822.  —  Kugler,  Handbuch  der  Gcschichte  der 
Malereiin  Italien.  —  Lanù,  .ïtoria  vittorica,  —  Cata- 
logues des  musées  de  Berlin  et  Milan. 

santi  »i  tito.  Voy.  Tito  {Santi  cli). 

SANTILLANE.  Voy.  MENDOZA. 

santorëlm  {Antonio),  médecin  italien, 
né  en  1581,  à  Nola,  mort  le  1er  octobre  1G53, 
à  Naples.  Tour  à  tour  recherché  par  les  uni- 
versités de  Pise,  de  Padoue  et  de  Bologne,  il 
fut  rappelé  en  1648  à  Naples  parle  comte  d'O- 
uate, vice-roi,  et  nommé  premier  médecin  du 
royaume.  On  a  de  lui  :  Antepraxis  medica 
lib.  XXI;  Naples,  1622,  1633,  in-4° ,  et  1651, 
in-fol.  ;  —  Postpraxis  medica,  seu  de  medi- 
cando  defuncto  lib.  I;  ibid.,  1629,_in-4°-,  — 
De  sanitatis  natura  lib.  J07F;  ibid.,  1<643, 
in-fol.  :  le  style  en  est  rebutant,  par  les  syllogismes 
et  les  enthymèmes  que  l'auteur  y  a  entassés 
pour  se  conformer  à  l'usage  de  l'école. 

Toppi,  DM.  napolitana.  —  Crasso,  Elogj,  II.  —  Élqy, 
Dict.  ïiist.  de  lamed. 

santorini  {Giovanni-Domenico),  anato- 
miste  italien,  né  en  1681,  à  Venise,  où  il  est 
mort,  le  7  mai  1736.  Il  était  fils  d'un  pharma- 
cien, qui  lui  fit  donner  chez  les  jésuites  une 
bonne  éducation,  alla  suivre  à  Pise  les  cours 
de  Maipighi,  de  Bellini  et  de  Delfini,  et  revint, 
après  avoir  été  reçu  docteur,  pratiquer  la  mé- 
decine dans  sa  ville  natale.  Nommé  en  1703  pro- 
fesseur d'anatomie,  il  remplit  cette  tâche  avec 
un  zèle  infatigable,  et  compta  souvent  parmi  ses 
auditeurs  les  magistrats  qui  présidaient  à  l'ins- 
truction publique.  Ses  ouvrages  ne  firent  qu'a- 
jouter à  sa  réputation  :  Boerhaave,  Morgagni  et 
Albini  en  recommandèrent  la  leeture  ;  enfin 
Haiier  a  fait  de  lui  cet  éloge  :  Insignts  p>otis~ 
simum  incisor,  manu  et  consiliis  medicinam 
fecii;  vir  in  disserendo  acutus  et  inventor. 
On  a  de  Santorini  :  Opuscula  medica;  Ve- 
nise, 1705,  1740,  in-S°;  Rotterdam,  1719,  in-8°, 
et  à  la  suite  des  éditions  complètes  de  Baglivi;  — 
Observationes  anatomicas ;  Venise,  1724,  in-4°, 
fig.  :  Haller  les  qualifie  de  minutas,  doctss  et 
dïv'ites;  elles  ont  trait  aux  muscles  de  la  face, 
à  la  couleur  des  nègres,  au  nez,  au  larynx, 
aux  viscères  de  la  poitrine  et  du  bas-ventre, 
aux  organes  de  la  génération,  etc.  ;  —  Istoria 
d'an  felo  estratto  délie  parti  deretane  ;  Ve- 
nise, 1727,in-4°  :1e  fœtus  dont  il  s'agit  séjourna 
vingt-six  mois  dans  l'utérus,  sortit  en  frag- 
ments par  le  rectum,  et  coexista  avec  un  fœtus 
régulièrement  développé  ;  —  Istruzione  aile 
febbre;  Venise,  1735,  1751,  in-4°  ;  —  'Anato- 
micx  XVII  tabula;  ;  Parme,  1775,  in-fol.  :  pu- 
bliées parMich.  Girardi,  qui  y  a  ajouté  une  vie 

en  latin. 

Girardi,  Notice.  —  Êphêmèridcs  de  médecine  de 
Venise,  t.  V.  —  Bioor.  mcd.  -  Haller,  Bibl.  anatotn. 

santorio  (Santorio),  cnMmSanctorius, 
célèbre  médecin  italien,  né  en  1561,  à  Capo 
d'istria,  mort  le  24  février  1636,  à  Venise.  Il  fit 


AKTORIO  316 

ses   études  à  Padoue  et  y  prit  le  diplôme  de 
docteur  ;  après  avoir  exercé  quelque  temps  la 
médecine   à  Venise,  il  fut  rappelé  à  Padoue 
(1611),  et  pourvu  dans  l'université  de  la  chaire 
de  médecine  théorique  aux  gages  de  800.  puis 
de  1,500  florins.  Comme  on  le  demandait  fort  ri 
souvent  à  Venise  pour  y  traiter  des  malades  de 
distinction  et  que  la   fréquence  de  ces  déplace-  ; 
ments.  altérait  sa  santé,  il  résigna  sa  chaire  pour 
s'attacher  uniquement  à  la  pratique  (  1624  )  ;  oe 
reçut  sa  démission,  mais  on  lui  continua  ses 
honoraires,  et  ce  fut,    suivant   la   remarque   , 
d'Éloy ,  avec  cette  marque  de  l'estime  publique 
qu'il  alla  se  fixer  pour  toujours  à  Venise.  lit 
fut  inhumé  dans  le  cloître  des  Servîtes,  et  on 
lui  éleva,  dans  leur  église,  une  statue  de  marbre 
blanc.  Sanctorius  fut  un  des  médecins  les  plus 
illustres  de  son  siècle,  par  ses  lumières  autant 
que  par  son  génie  observateur  et  sagace.  «  Il 
s'est  acquis,  dit  Boisseau,  une  réputation  mé- 
ritée par  ses  recherches  expérimentales  sur  la 
transpiration  cutanée  ;  il  introduisit  le  premier 
l'usage  du  thermomètre    et    de    l'hygromètre 
dans  l'étude  des  phénomènes  de  la  vie,  et  ima- 
gina un  instrument  pour  déterminer  les  varia' 
lions  du  pouls.  Ses  aphorismes  sur  la   trans- 
piration ont  été  modifiés  profondément  par'  les 
progrès  de  la  science.  Ses  expériences  furent 
incomplètes,    et   faites    seulement    sur     1 
môme  (1);  ses  calculs  furent  tous  fautifs,  parce 
qu'il  ne  songea  point  à  la  perspiratiou  pulmo- 
naire, non  plus  qu'à   la  salive  et  à  diverses 
autres  excrétions.  Il  prépara  en  quelque  sorti 
les  abus  de  la  méthode  sudorifique,  quoique 
d'ailleurs  on  lui  doive  la  distinction  de  la  trans- 
piration insensible  et  de  la  sueur.  On  a  de  lui 
Methodus    vitandorum    err&rum    omnium 
qui  in  arte  medica  contingunt  lib.  XV;  Ve- 
nise, 1602,  1603,  1630,  in-fol.;  ouvrage  impor 
tant  et  trop  rarement  cité  selon  Haller,  et  oi< 
l'auteur  se  montre    l'ennemi  juré  des   empi 
riques  et  des  remèdes  inutiles  ;  —  Comm.  i) 
artem  medicin.  Galeni;  Venise,  1612,  in-fol. 
Lyon,  1632,  in-4°  ;  —  Ars  de  statica  medi 
cina  section.  apJwrismorum   VII   compre 
hensa;  Venise,  1614,  in-12;  la   dernière  de 
nombreuses  éditions  de  ce  livre  célèbre  est  cell 
qu'a  donnée.  Lorry  à  Paris,  1770,  in-12,  avec  u 
commentaire;  il  a  été  traduit  en  anglais  (167' 
et  1712),  en  italien  (1704,  1707  et  1723),  en 
français    (i722),   en    allemand   (1736),    etc 
Obizzi  le  critiqua  avec  amertume,  dans  sa  Sla 

(1)  Ce  fut  à  Padoue  qn'Ll  se  livra  à  toute  une  sôri 
d'expériences ,  où  Ton  ne  sait  ce  qu'il  faut  le  pfol 
admirer,  de  sa  patience  ou  de  sa  scrupuleuse  exactitude, 
avait  fait  fabriquer  un  stége  mécanique  suspendu  e 
l'air  et  mu  par  des  rouages  si  parfaits  qu'il  tenait  lie 
de  la  balance  la  plus  exacte  :  c'est  là  qu'il  se  plaça 
chaque  Jour  et  plusieurs  fois  par  jour,  et  en  pesant  toc 
les  aliments  qu'il  prenait  ainsi  que  tout  ce  qui  sorta 
sensiblement  de  son  corps,  il  parvint,  au  moyen  d'un 
observation  attentive,  à  déterminer  le  poids  et  la  quan 
tité  de  la  transpiration,  et  son  rapport  avec  les  allinen 
qui  l'augmentent  ou  qui  la  diminuent. 


17  SANTORIO 

icomaslix  (Ferrare,  1615,  in-12),  et  accusa 
auteur  d'avoir  emprunté  l'idée  tic  sa  balance 
u  cardinal  de  Cusa;  —  Comm.  in  I  fen.  I 
■bri  Avicennte;  Venise,  1626,  in-fol.  :  cu- 
rage original  et  intéressant  par  les  inventions 
onmie  par  les  idées;  on  y  trouve  l'emploi  du 
îermomètre  et  de  l'hygromètre,  la  description 
e  plusieurs  instruments  nouveaux  de  chirurgie, 
'un  lit  suspendu,  d'un  pulsiloge  indiquant 
■ut  trente-trois  variations,  etc.  ;  —  Comm.  in 
sectionem  Aphorismorum  Hippocraiis ;Ye- 
isc,  1629,  in- 8°; —  De  remediorum  inven- 
one  ;  Venise,  1629,  in-8"  :  ce  traité  n'est 
irienx  que  par  le  récit  de  quelques  ouvertures 
e  cadavres.  Le  recueil  des  écrits  de  Sanctorius 
«ne  4  vol.  in-4°;  Venise,  1G60.  P. 

Cogrossi,' Sftfjgi  délia  medicina  itaïiana,  nelle  quali 
invenziove  dcl  Santorio  s'illitstrano  ;  fadone,  1724, 
-4o_  _  \,  Capelli,  De  vita  Sanctorii';,  Venise,  1750, 
-4».  —  Haller,  Bibl.  médira.  —  Éloy,  Dict.  hist.  delà 
éiecine  —  Papnclopoli,  Hist.  gtjmn.  patavini.  —  Agos- 
)',  Se rittori  reneziani.  —  Boisseau,  dans  la  Eiogr.  mcd. 

santos  (Jean  dos),  missionnaire  'porta- 
ai  s,  né  à  Evora,  mort  en  1622,  à  Goa.  Entré 
une. encore  dans  l'ordre  de  Saint-Dominique, 

obtint  en  1596  l'autorisation  d'aller  porter 
Évangile  dans  l'Afrique  orientale.  Il  parcourut 

Cafrerie  proprement  dite,  la  côte  de  Natal,  So- 
da, Mozambique,  et  pénétra  dans  les  terres 
sarines,  à  deux  cents  lieaes  au  delà  de  cette 
ille.  Après  avoir  passé  onze  ans  au  milieu  de 
es  contrées  à  répandre  la  foi  chrétienne  et  à 
riger  quelques  colonies  nouvelles,  il  revint  en 
:urope(1607),  et  y  publia  XEthiopia  oriental 
varia  historia  de  ceusas  notaveis  do 
)rien/e  (Evora,  1609,  in-fol.),  mis  en  français 
ar  le  ■  théatin  Charpy  (Paris,  16S4,  i'68'8, 
il2).  Malgré  la  crédulité  dont  il  fait  preuve, 
jantos  a  fait  longtemps  autorité  sur  plusieurs 
cints  de  géographie,  et  personne  avant  lui 
'avait  décrit  avec  plus  de  détails  les  mœurs 
ies  pays  qu'il  avait  habités.  En  1617  il  fut  en- 
oyé  dans  les  Indes  et  attaché  à  la  mission  de 
'iOâ,  Ses  Commenlarios  da  regiaô  dos  rios 
\t  Cuama  sont  inédits. 

Échard  et  Quétif,  Script,  ord.  Prsedicat.,  II.  —  t. 
oaza,  fJist.  prov.  portug. 

sanîtdo  (Marco),  duc  de  l'Archipel,  né 
ts  115.3,  mort  à  Naxos,  en  1220.  Lorsque 
a  ville  de  Constantinople  eut  été  prise  par  les 
mises  français  et  vénitiens  (12  avril  1204)  et 
uc  Baudouin  eut  été  élu  empereur,  le  traité 
le  partage  attribua  à  Venise  un  quart. et  demi  de 
'empire.  Ces  nouvelles  possessions,  presque 
|o«tes  maritimes,  présentaient  une  suite  de 
Mrts  et  d'îles,  depuis  le  golfe  Adriatique  jus- 
m'au  Bosphore.  Le  gouvernement  dé  la  répu- 
blique, se  voyant  dans  l'impossibilité  d'occuper 
i  la  fois  un  si  grand  nombre  de  points  isolés, 
jecorda,  en  1207,  à  tous  les  citoyens  vénitiens 
'a  permission  d'armer  pour  conquérir  les  îles 
île  l'Archipel  et  les  ports  de  la  côte  non  encore 
soumis,  à  condition  qu'ils  les  tiendraient  comme 


—  SAJNUïO  31g 

liefs  de  la  république,  ne  réservant  que  Candie 
et  les  îles  de  la  mer  Ionienne.  En  vertu  de  cette 
concession ,  Marco  Sanudo ,  qui  descendait 
d'une  des  plus  anciennes  familles  de  Venise,  et 
qui  s'était  distingué  dans  la  prise  de  Constanti- 
nople, s'empara  de  l'île  de  Naxos,  à  laquelle  il 
ajouta  bientôt  Paros,  Mélos  el  Horinée.  Créé 
prince  de  l'empire  et  duc  de  l'Archipel  par 
Henri,  frère  et  successenr  de  l'empereur  Bau- 
douin, il  devint  ambitieux  au  point  de  vouloir 
enlever  Candie  à  ses  compatriotes.  Profilant 
des  troubles  que  les  Génois  excitaient  parmi 
les  Candiotes,  il  battit  d'abord  le  général  véni- 
tien; mais,  battu  à  son  tour,  il  fut  contraint  de 
s'enfuir  à  Naxos,  d'où  il  fit  parvenir  une  expli- 
cation de  sa  conduite  au  sénat  de  la  république, 
qui  l'agréa,  pour  éviter  des  troubles  nouveaux. 
Il  mourut  peu  d'années  après,  à  l'âge  de  soixante- 
sept  ans,  laissant  un  fils  Angelo,  qui  lui  succéda. 

Les  descendants  de  Marco  Sanudo  conser- 
vèrent pendant  près  de  quatre  cents  ans  la 
principauté  qu'il  avait  conquise  et  le  titre  de 
ducs  de  l'Archipel. 

Daru.  flist.  de  Venise.  —  Slsmondi,  Hist.  des  rèpub. 
italiennes,  II,  en.  xiv. 

sanuto  (Marino),  dit  Torsello  (1),  ou 
V Ancien,  chroniqueur  italien,  né  à  Venise, 
mort  après  1330.  11  était  fils  du  sénateur  Marco 
Sanuto,  et  ses  ancêtres  avaient  cinq  fois,  sous 
le  nom  de  Candiani,  occupé  la  première  place 
de  la  république.  Dès  sa  jeunesse,  possédé  de 
l'esprit  des  croisades  et  d'un  ardent  désir  de 
concourir  à  la  délivrance  de  la  Terre  Sainte,  il 
fit  cinq  fois  le  voyage  d'Orient ,  explora  Chy- 
pre, Rhodes,  l'Egypte,  l'Arménie  et  d'autres 
contrées.  Revenu  de  son  dernier  voyage  (1306), 
il  composa  le  Liber  secreiorum  fidelinm  super 
Terrée,  Sanctse  recuperalione ,  où  il  décrit 
exactement  les  pays  qu'il  a  vus  et  les  mœurs 
des  habitants,  ainsi  que  les  guerres  entreprises 
pour  les  enlever  aux  infidèles.  «  Le  premier 
livre,  selon  Foscarini,  peut  être  regardé  comme 
un  traité  complet  sur  le  commerce  et  la  navi- 
gation de  cette  époque,  et  même  de  temps  plus 
anciens.  ■»  Sanuto  ajouta  à  son  ouvrage  quatre 
cartes  pour  la  Méditerranée,  la  mer  et  le  conti- 
nent réunis,  la  Terre  Sainte  et  l'Egypte.  Son  tra- 
vail achevé,  il  voyagea  à  travers  l'Europe,  se 
présenta  à  plusieurs  princes,  pour  les  exciter  h 
une  nouvelle  croisade,  vit  le  pape  Jean  XXII  à 
Avignon  (1321)  et  lui  offrit  son  livre,  écrivit 
ensuite  à  plusieurs  personnes  importantes  :  tout 
fut  Inutile.  L'abbé  Fleury  attribue  le  zèle  de 
Sanuto  à  des  motifs  politiques.  Foscarini  a 
combattu  victorieusement  cette  opinion.  L'ou- 
vrage et  les  lettres  de  Sanuto  ont  été  publiés, 
en  1611,  par  Bongars,  dans  Gesta  Dei  per 
Francos  (Hanau,  t.  II,  in-fol.). 

(t)  On  a  donné  du  surnom  de  Torsello  plusieurs  ex- 
plications, que  Tlraboschl  démontre  fausses,  après  avoir 
prouvé  qu'il  appartenait  depuis  plusieurs  siècles  à  la 
même  famille,  sans  qu'on  en  sache  la  cause. 


319 


SANUTO  —  SAPOR 


Foscarini,  Letteratura  venczianu.  -  Tiraboschi,  Storia 
délia  letter.  ital,  t.  V.  -  Zeno,  Mcmorie  de'  scrittorl 
veneti.  —  Agostiui,  Scrittori  veneziani.  —  Postansque, 
De  Marino  Sanuto;  Montpellier,  1856,  in-8°. 

sancto  {Marino),  dit  le  jeune,  historien 
italien,  né  le  22  mai  1466,  à  Venise,  où  il  est 
mort ,  en  1535.  Il  paraît  être  de  la  même  fa- 
mille que  le  précédent,  et  avait  pour  père  le 
sénateur  Leonardo  Sanuto.  Celait  un  homme 
de" talent  remarquable,  d'érudition  singulière, 
de  rare  modestie,  qui  ne  cessait  de  cultiver  l'é- 
tude et  d'accroître  de  plus  en  plus  sa  belle  bi- 
bliothèque. Il  fut  membre  de  l'académie  fondée 
par  Aide  l'ancien.  Il  a  écrit  en  italien  une  ample 
chronique  de  la  république  de  Venise  (421- 
1493),  publiée,  en  1733,  dans  les  Ital.  script. 
de  Muratori,  t.  XXII,  avec  le  titre  suivant  : 
Vitse  ducum  venetorum,  ab  origine  urbis. 
Un  autre  petit  ouvrage,  Chronicon  Vene- 
torum, qui  raconte  l'histoire  de  Venise  pen- 
dant les  six  dernières  années  du  quinzième 
siècle,  et  que  Muratori  a  publié  (t.  XXIV),  en 
l'attribuant  à  Sanuto,  n'est  probablement  pas 
de  cet  éciiivain.  Le  Catalogue  des  manuscrits 
de  la  bibliothèque  Nani  cite  de  lui  :  Vite  de1 
sommi  pontifia,  fino  a  Pio  III ,  et  celui  de  la 
bibliothèque  Farsetti  :  Storia  délia  guerra  di 
Ferrara  che  ebbe  la  repubblica  di  Vene&ia 
col  duca  Ercole  d'Esté. 

Filippo  de  Bergame,  Suppl.  Ckronicor.  —  Fra  Mo- 
desto ,  Fenetiados,  1.  XI.:—  Tiraboschi,  Storia  délia 
letter.  ital.;  t.  VI,  partie  II. 

sanuto  (Livio),  géographe  italien  du  sei- 
zième siècle,  mort  avant  1588.  Il  était  fils  du 
sénateur  vénitien  Francesco  Sanuto,  qui  lui  fit 
donner  une  solide  instruction  et  l'envoya  étu- 
dier les  mathématiques  dans  les  plus  célèbres 
universités  d'Allemagne.  Il  ne  s'en  tint  pas  aux 
spéculations  de  la  science,  et  appliqua  les  prin- 
cipes de  la  théorie  à  la  solution  des  problèmes 
d'astronomie  et  de  géographie.  De  ce  travail  sor- 
tit un  ouvrage  fort  remarquable  pour  l'époque, 
bien  que  l'auteur,  mort  à  cinquante-six  ans,  n'ait 
pas  eu  le  temps  de  l'achever.  Il  ne  fut  publié 
qu'après  sa  mort,  sous  le  titre  de  Geografia  di 
Livio  Sanuto  (Venise,  1588,  in-fol.).  Il  est  di- 
visé en  douze  livres.  Le  premier  contient  l'exposé 
des  moyens  d'observation  et  une  suite  d'expli- 
cations sur  la  boussole  et  l'inclinaison  de  l'ai- 
guille aimantée.  Dans  le  second,  après  avoir 
éclairci  plusieurs  passages  de  Ptolémée,  l'auteur 
établit  les  grandes  divisions  de  son  propre  ou- 
vrage, en  Ptolémaïque  (Europe,  Asie,  Afrique), 
en  Atlantique  (Amérique),  et  en  Australie, 
c'est-à-dire  les  parties  découvertes  alors  des  îles 
australes  et  de  la  Nouvelle- Hollande,  ou  celles 
qu'imaginait  le  géographe  et  prévoyait  le  calcul 
du  mathématicien.  Les  dix  livres  suivants  sont 
entièrement  consacrés  à  la  description  de  l'A- 
frique. «  Et  vraiment,  dit  Tiraboschi,  s'il  avait 
donné  une  géographie  entière  écrite  avec  un  soin 
égal,  peu  d'autres  œuvres  pourraient  lui  être 
comparées.  »  L'ouvrage  fut  enrichi  de  douze 


S20 

cartes  dessinées  par  Livio  et  gravées  par  son 
frère  Giulio,  et  de  tables  de  matières  ainsi  que 
d'un  avertissement  sur  la  vie  de  l'auteur  par  son 
ami  Saraceni.  D'après  Agostini,  Livio  fit  aussi 
un  planisphère  céleste  ;  d'après  Tiraboschi,  il  ne 
fut  pas  exclusivement  adonné  aux  sciences,  et 
trouva  le  temps  de  s'occuper  de  poésie  :  outre 
quelques  vers  dans  le  Tempio  di  D.  Giovanna 
d'Aragona  et  un  épithalame  imprimé  â  Venise 
en  1548,  il  publia  la  traduction  en  vers  libres  de 
Y  Enlèvement  de  Proserpine  par  C!andien 
(  Venise,  1551  ). 

Tiraboschi,  Storia  délia  letter.  ital.,   t.  VII,  p.  11.  - 

Walekenaër,  Fies  de  plusieurs  personnages  célèbres. 

sanzio.  Voy.  Raphaël  et  Santi. 

sapor  ier  ou  Chapour  (1),  roi  de  Perse,  de 
la  dynastie  des  Sassanides ,  mort  en  273.  Il  était 
fils  d'Ardechir  et  d'une  esclave  que  l'on  croyail 
sortie  de  la  race  des  Arsacides.  Il  succéda  à  sod 
père  en  240.  Dès  le  commencement  de  son  règne, 
sa  conduite  hostile  envers  l'Arménie  le  mit  er 
guerre  avec  les  Romains.  Ceux-ci  furent  d'aborc 
vainqueurs,  sous  la  conduite  de  l'empereur  Gor 
dien  III;  mais  après  la  mort  de  ce  prince  I; 
fortune  changea ,  et  l'e  roi  d'Arménie  Chosroèi 
fut  assassiné  à  l'instigation  de  Sapor,  laissan 
son  fils  Tiridate,  encore  enfant;  1-es  Perses  s'em- 
parèrent de  l'Arménie.  Après  ce  premier  succès 
Sapor  conquit  la  Mésopotamie  (258).  L'empereu: 
Valérien  se  mit  alors  à  la  tête  de  son  armée,  e 
atteignit  Sapor  auprès  d'Edesse.  La  victoire  rest; 
aux  Perses.  Valérien  se  réfugia  dans  son  camp 
qui  était  fortifié  ;  mais  il  fut  obligé  de  se  rendr 
avec  son  armée.  Sapor  refusa  d'accepter  l'é 
norme  rançon  qu'il  lui  offrait  (260).  Ce  vain 
queur  se  montra  cruel  envers  le  malheureu 
empereur.  Les  insultes  auxquelles  celui-ci  fu 
en  butte,  et  que  le  lâche  Gallien  ne  sut  pas  venge 
ni  même  adoucir,  le  conduisirent  au  tombea 
(voy.  Valérien).  Sapor,  n'épargnant  pas  mêm 
la  victime  après  la  mort,  fit  écorcher  so 
cadavre  et  recouvrir  de  sa  peau  teinte  en  roug 
un  mannequin  qui  fut  suspendu  dans  un  templ 
comme  un  monument  de  la  honte  des  Romains 
Sapor,  ayant  ensuite  poussé  un  misérable  fi 
gitif  d'Antioche  nommé  Cyriade  à  seproelarmj 
empereur,  le  reconnut  en  cette  quatfté,  dans  l'ei 
poir  de  lui  faire  signer  une  paix  avantageuse  poi 
les  Perses  et  de  légitimer  la  possession  des  pre 
vinces  conquises  par  ses  armes.  Il  détruisit  Arj 
tioche,  envahit  la  Syrie,  prit  les  passages  d 
Taurus,  mit  Tarse  en  cendres  et  s'empara  de  C( 
sarée  enCappadoce;maisilneconservapas  long  j 
temps  ses  conquêtes.  Odenath  et  Zénobie,  for 
dateurs  de  l'empire  de  Palmyre,  le  repoussera 
au  delà  de  l'Eupnrate.  Sapor  périt  assassiné  p; 
les  grands  de  la  cour.  C'est  sous  ce  prince  qu 
se  répandit  en  Orient  le  manichéisme ,  hérési 
formée  de  l'amalgame  du  christianisme  avec  I 
religion  de  Zoroastre. 

Sapor  II,  dit  le  Grand,  roi  de  Perse,  de  1 

(1)  Knzend,  fils  de  roi. 


S2I  SAPOR  - 

dynastie  des  Sassanides,  né  en  310,  mort  en  381, 
Il  était  fils  d'Hormisdas  II  (1).  Comme  les  autres 
!  princes  de  la  famille  royale  voulaient  usurper  le 
\  trône  avant  sa  naissance,  les  mages  firent  placer 
>  a  couronne  sur  le  ventre  de  la  reine  enceinte, 
i  econnaissant  par  là  l'enfant  auquel  elle  devait 
i  tonner  le  jour,  comme  leur  roi  futur.  Pendant  sa 
;  ninorité,  les  Arabes  ravagèrent  la  Perse;  mais 
i  peine  âgé  de  seize  ans  il  envahit  l'Yemen,  et 
poussa  la  cruauté  jusqu'à  faire  briser  les  omo- 
plates de  tous  les   prisonniers.  Il   publia  des 
j  dits  de  persécution  contre  les  chrétiens.  Ceux-ci 
nvoquèrent  l'appui  de  l'empereur  Constantin, 
papor,  irrité,  les  soumit  à  un  tribut,  et  Siméon, 
vêque  de  Séleucie,  ayant  réclamé,  il  le  fit  mettre 
mort.  Les  biens  de  l'Église  fuient  confisqués,  et 
îs  chrétiens  n'eurent  bientôt  le  choix  qu'entre 
i  mort  et  l'apostasie  (344).  Deux  ans  auparavant 
apor  avait  conquis  l'Arménie  après  la  mort  de 
iridate,  et  il  s'était  montré  cruel  contre  les 
^retiens  de  ce  pays..  L'état  d'hostilité  qui  avait 
ujours  existé  entre  la  Perse  et  les  Romains  se 
langea  alors  en   une   guerre  d'extermination 
<oy.  Constance  11).  Sapor  fut  vainqueur  à  Sin- 
ire,  mais  il  fut  obligé  de  lever  le  siège  de  Nisibe, 
avement  défendue  par  son  évêque  après  quatre 
ois  d'efforts  et  une  perte  de  20  000  hommes, 
an  fils   étant  tombé  au  pouvoir  des  Romains 
it  mis  à  mort  par  l'ordre  de  Constance  II. 
iporfit  massacrer,  par  représailles,  les  chrétiens 
;  l'Arménie  qui  étaient  restés  entre  ses  mains. 
|ii  358,  Constance  demanda  la  paix.  Narsès,  am- 
issadeur  de  Sapor,  réclama  la  Mésopotamie, 
Arménie  et  les  provinces  au  delà  du  Tigre, 
onstance  ayant  refusé,  la  guerre  continua.  En 
39,  Sapor  prit  Amide  et  d'autres  places  fortes. 

Ïrsque  Julien  monta  sur  le  trône,  Sapor  lui  fit 
s  ouvertures  de  paix  qui  furent  rejetées.  Julien 
it  l'offensive,  mais  il  fut  défait  et  blessé  à  mort 

l|uin  363).  Son  successeur  Jovien  fut  obligé  de 

l'ider  au  roi  de  Perse  les  cinq  provinces  au  delà 
i  Tigre  et  les  forteresses  de  Nisibe,  de  Singare,  etc. 

îfrArménie,  l'Ibérie,  abandonnées  à  leurs  propres 
rces,  furent  réduites  par  Sapor,  en  365  et  les 
inées  suivantes.  Une  guerre  avec  les  peuples 
Li  Caucase,  une  autre  avec  les  Arsacides  de  la 
actriane,  causées  par  la  conquête  de  l'Arménie, 
[ïcupèrent  les  dernières  années  du  règne  de 
ipor.  Il  mourut  à  ctésiphon,  après  un  règne  de 

,  /ixante-dix  ans. 

S.U'or  III,  roi  de  Perse,  de  la  dynastie  des 
issanides,  régna  de  385  à  390.  Agathias  le  fait 
s  de  Sapor  le  Grand;  mais,  selon  les  historiens 
.îrsans,  il  avait  pour  père  un  Sapor  Zulaklof, 
rince  du  sang  royal.  Sapor  III,  désireux  de  vivre 
j  paix  avec  Théodose  le  Grand,  lui  envoya  à 
Jnstantinople  une  ambassade  solennelle  avec  de 
phes  présents.  L'empereur  en  envoya  une  à  son 
!  ur  en  Perse  sous  la  conduite  de  Stilicon.  Ces  re- 

1)  O'après  le  récit  des  historiens  persans  qui  nous  sont 
1  nous,  et  d' Agathias,  qui  a  puisé  aux  sources  orientales, 
s  autres  écrivains  byzantins  le  font  frère  d'Hormisdas. 

NODV.   BIOGR.   GÉNÉR.   —  T.   XLUI. 


SAPPHO  322 

lations  amenèrent  la  conclusion  d'un  traité  de  paix 
(384),  en  vertu  duquel  l'Arménie  et  l'Ibérie  re- 
couvrèrent leur  indépendance ,  qu'elles  avaient 
perdue  vers  le  règne  précédent.  Sapor  laissa  en 
mourant  son  trône  à  Bahram  ou  Varanes.  G.  R. 
Agathias,  IV.  —  Zozimc,  II.  -  Le  Beau,  Hist.  du  Bas- 
Enpire.  —  Malcolm,  Hist.  of  Persia.  —  Richter,  Hist. 
Krisischer  ffersucht  iiber  Axe,  Arsacxden  uni  Sassani- 
de.n  dynastie;  Lelps..  1804.  —  S.  de  Sacy,  Hist.  des  Sas- 
sanides, lrad.de  Mlrkhond.—  Beausobre,  Hist.deMani- 
chèe  et  des  manichéens. 

sappiio  (Sa^çco  ou,  dans  le  dialecte  éolien 
\FaTC9a),  célèbre  poétesse  grecque,  vivait  dans 
le  sixième  siècle  av.  J.-C.  L'immense  répula- 
tlon  dont  elle  jouissait  chez  les  anciens  favorisa 
la  naissance  et  le  développement  d'une  foule  de 
légendes  qui  dénaturèrent  complètement  son 
histoire.  C'est  dans  les  fragments,  trop  peu  nom- 
breux, de  ses  poésies  et  dans  les  récits  d'Héro- 
dote que  l'on  peut  trouver  quelques  renseigne- 
ments authentiques  sur  sa  vie.  Hérodote  nous 
apprend  que  Rhodopis,  esclave  grecque  amenée 
en  Egypte  et  depuis  courtisane  fameuse,  fut  ra- 
chetée moyennant  une  forte  somme  et  affranchie 
par  CharaxusdeMytilène,  fils  de  Scamandronyme 
et  frère  de  Sappho.  Hérodote  ajoute  que  Cha- 
raxus  retourna  à  Mytilène,  et  que  sa  sœur  lui 
fit  dans  une  chanson  de  vifs  reproches  au  sujet 
de  cette  prodigalité.  Rhodopis,  suivant  le  même 
historien,  vivait  sous  Amasis,  roi  d'Egypte,  en 
570  avant  J.-C  Ces  indications,  confirmées  par 
les  scholiastes  et  les  biographes  anciens,  établis- 
sent que  Sappho  était  fille  de  Scamandronyme, 
qu'elle  habitait  dans  l'île  de  Lesbos  à  Mytilène, 
où  selon  toute  apparence  elle  était  née.  Elle  était 
de  famille  noble;  on  l'induit  de  ce  fait,  consigné 
dans  ses  poésies,  que  son  frère  Larichus  servait 
d'échanson  dans  les  repas  du  prytanée.  La  fa- 
meuse inscription  connue  sous  le  nom  de  Mar- 
bre de  Paras  contient  sur  la  vie  de  Sappho 
un  renseignement  curieux.  A  une  date  effacée 
sur  le  marbre,  et  qui  ne  peut  tomber  qu'entre 
604  et  592  avant  J.-C,  il  est  dit  qu'elle  se  ré- 
fugia de  Mytilène  en  Sicile.  On  ignore  quelles 
furent  la  cause  et  la  durée  de  cet  exil;  mais  il 
est  certain  que  Sappho  revint  de  Sicile ,  puis- 
qu'on la  retrouve  dans  sa  ville  natale  vers  570. 
En  supposant  qu'elle  avait  vingt-cinq  ans  à  l'é- 
poque de  son  exil,  vers  595,  elle  en  avait  cin- 
quante lorsqu'elle  écrivit  sa  chanson  contre  Cha- 
raxus,  le  dernier  fait  connu  de  sa  vie.  Rien  que 
par  ses  poésies  d'ailleurs  on  sait  qu'elle  dépassa 
la  maturité,  de  l'âge.  Elle  dit  à  un  jeune  homme 
qui  sollicitait  son  amour  :  «  Mais  toi,  si  tu  es 
mon  ami,  cherche  une  couche  plus  jeune,  car  je 
ne  supporterais  pas  de  vivre  avec  toi,  moi  qui 
suis  plus  vieille.  »  Sa  fin,  qui  nous  est  tout  à  fait 
inconnue,  n'offrit  sans  doute  rien  d'extraordi- 
naire, puisque  Hérodote,  si  curieux  des  détails 
de  ce  genre,  n'en  parle  pas.  Si  quelques-uns  des 
faits  qui  composèrent  plus  tard  la  légende  de 
Sappho,  son  amour  pour  Phaon,  son  suicide  au 
cap  de  Leucade  eussent  été  en  circulation,  l'his- 

11 


323 

torien  n'eût  pas  manqué  d'y  faire  allusion;  mais 
cette  légende  n'existait  pas  encore.  Elle  se  forma 
un  peu  plus  tard  (cinquième  et  quatrième  siècles), 
grâce  surtout  aux  comiques  athéniens,  qui  mi- 
rent six  ou  sept  fois  en  scène  la  poétesse  de 
Lesbos  et  lui  attribuèrent  des  aventures  imagi- 
naires (1).  L'histoire  de  son  amour  malheureux 
pour  Phaon  paraît  remonter  au  poète  comique 
Platon,  contemporain  d'Hérodote.  La  tradition 
d'après  laquelle  Sappho,  dédaignée  par  Phaon,  se 
précipita  dans  la  mer  du  haut  du  promontoire 
de  Leucade  est  probablement  plus  récente.  Ce 
promontoire  était  célèbre  par  son  temple  d'A- 
pollon et  par  une  cérémonie  expiatoire  qui  faisait 
parlie  du  culte  de  ce  dieu.  A  certaines  époques 
on  précipitait  du  haut  du  rocher  dans  la  mer 
des  criminels  condamnés  à  mort,  et  s'ils  survi- 
vaient à  leur  chute,  on  les  mettait  en  liberté.  Ce 
lieu  tragique  devait  une  célébrité  poétique  à  l'a- 
venture de  Calycé,  chantée  par  Stésichore.  Ca- 
lycé,  disait  on,  jeune  fille  belle  et  sage,  éprise 
d'un  jeune  homme,  et  n'ayant  pu  s'en  faire 
aimer,  mit  fin  à  ses  jours.  Par  une  association 
d'idées  qui  nous  échappe,  les  rites  expiatoires 
de  Leucade,  la  passion  et  la  fin  tragique  de  Ca- 
lycé, se  groupèrent  autour  du  nom  de  Sappho 
et  formèrent  le  dénoûment  de  sa  légende,  dé- 
noûment  incertain  d'ailleurs,  car  on  ne  disait  pas 
si  elle  avait  péri  dans  les  (lots  ou  si  elle  en  avait 
été  retirée  vivante  et  guérie.  On  lui  avait  donné 
pour  amant  Phaon,  personnage  fabuleux  appar- 
tenant à  la  mythologie  de  Lesbos  ;  on  lui  donna 
pour  mari  un  certain  Cercolas,  natif  de  l'île  d'An- 
dros.  La  grossière  équivoque  qui  se  cache  sous 
cet  étrange  nom  de  Cercolas  atteste  l'invention 
de  quelque  poète  comique  athénien.  Cercolas  et 
Phaon  doivent  être  relégués  ensemble  dans  le 
pays  de  la  fantaisie.  Peut-être  Sappho  ne  fut-elle 
jamais  mariée.  On  veut,  il  est  vrai,  qu'elle  ait  eu 
une  fille,  et  on  s'autorise  des  vers  suivants  : 
«  J'ai  une  belle  enfant,  dont  la  beauté  ressemble 
aux  chrysanthèmes,  mon  aimable  Claïs,  que  je 
n'échangerais  pas  contre  loute  la  Lydie.  »  Ces 
vers  sont  cités  par  le  grammairien  Héphestion, 
sans  nom  d'auteur;  il  reste  à  prouver  qu'ils 
sont  bien  de  Sappho,  qu'elle  y  parle  en  son  nom 
et  que  le  mot  enfant  ne  s'applique  pas  à  une  de 
ses  élèves.  Nous  laissons  la  question  indécise. 
Une  biographie  ne  se  construit  pas  avec  des  don- 
nées aussi  incertaines.  La  légende  n'en  resta 
pas  là;  aux  inventions  des  comiques  athéniens 
les  beaux  esprits  d'Alexandrie  et  de  Rome  ajou- 
tèrent les  leurs.  Ovide,  entreautres,  composa  une 


(l|  Ameipsias,  Amphis,  Antiphanes,  Dlphile,  Ephippus 
ctTtmoclès  Orcnt  des  comédies  de  Sappho.  Voy.  Fiagm. 
corn,  grœcor.,  édit.  Dldot.  Platon  avait  fait  une  comédie 
de  Phaon.  Pliaon  est  un  des  nombreux  personnages  que 
les  traditions  mythiques  rattachaient  à  Aphrodite;  il 
offre,  comme  Adonis,  le  type,  cher  à  l'imagination  grec- 
que, d'un  beau  Jeune  homme  périssant  à  la  fleur  de  l';lge 
et  amèrement  pleuré  de  la  déesse.  La  légende  de  Phaon 
aurait  pu  fournir  un  sujet  de  tragédie,  mais  elle  prêtait 
aussi  à  la  parodie,  et  c'est  par  ce  côté  que  la  traite  le 
poëte  comique  Platon. 


SAPPHO  '  32! 

héroïde,  ou  lettre  de  Sappho  à  Phaon,  oeuvre 
impure  et  fade,  qu'on  ne  peut  lire  sans  dégoût. 
Ainsi  se  forma  une  image  de  Sappho  tout  à  fait 
fausse,  et  qui  s'est  transmise  jusqu'à  nous.  C'est 
de  nos  jours  seulement,  à  partir  de  Welcker,  que 
la  critique  est  parvenue  à  rétablir  dans  sa  vérité 
cette  noble  et  belle  figure,  si  odieusement  tra- 
vestie. Un  savant  antiquaire,  Visconti,  dans  ut 
zèle  louable  pour  la  mémoire  de  Sappho,  a  ima- 
giné de  reproduire  une  opinion  d'Athénée,  d'A 
postolius,  de  Suidas,  d'après  laquelle  il  avai 
existé  deux  Sappho  :  l'une  de  Mytiiène,  poëtess* 
célèbre  et  honnête  femme;  l'autre,  courtisan 
d'Eresos,  qui  avait  commis  toutes  les  fautes  ira 
putées  à  tort  à  son  homonyme  :  c'est  une  hypo 
thèse  gratuite.  On  renonce  aujourd'hui  à  ci 
procédé  puéril  de  l'ancienne  critique  qui  consisf 
à  dédoubler  un  personnage  pour  expliquer  1< 
incohérences  de  sa  légende,  au  lieu  de  recoi 
naître  franchement  qu'une  légende  n'est  pas  c 
l'histoire.  Ce  qu'il  faut  dans  le  cas  présent,  c'e  { 
s'en  tenir  aux  témoignages  des  auteurs  les  pli  i 
voisins  du  temps  de  Sappho  et  aux  fragmen  ; 
de  ses  ouvrages.  Nous  avons  résumé  les  un: 
il  nous  reste  à  parler  des  autres. 

D'après  Suidas,  les  poèmes  lyriques  de  Sa 
pho  formaient  neuf  livres;  elle  avait  aussi  con 
posé  des  épigrammes,  des  élégies,  des  ïambes 
des  monodies.  Il  y  a  quelques  erreurs  dans  cel 
énumération.  Les  monodies,  ou  chansons  à  u 
voix,  désignaient  la  plupart  des  odes  éolienni 
par  opposition  aux  odes  dorrennes,  faites  po 
être  chantées  par  des  chœurs.  11  devait  se  tre 
ver  des  vers  ïambiques  parmi  les  poésies 
Sappho  ;  mais  il  n'est  pas  vraisemblable  qu'e 
eût  composé  des  ïambes  à  l'imitation  d'Arc 
loque;  on  connaissait  aussi  d'elle  des  épigramn 
sans  doute  en  vers  élégiaques;  Méléagie,  qui 
avait  recueilli  quelques-unes  dans  sa  Couronr\ 
les  appelle  des  roses.  Les  trois  épigrammes 
figurent  sous  le  nom  de  Sappho  dans  VAnti 
logie  grecque  sont  d'une  authenticité  douteu 
quoique,  suivant  Jacobs,  elles  «  sentent  i'antii 
simplicité  »  (Ant'hologia  gracca,  vol.  1  et  XI 
Les  fragments  qui  nous  restent  des  neuf  liv 
des  poésies  lyriques  de  Sappho  sont  peu  n< 
breux,  et  bien  que  plusieurs  soient  d'une  ad 
rable  beauté,  ils  peuvent  à  peine  nous  donner 
idée  de  son  génie.  Le  plus  célèbre  cité  par  L 
gin,  et  très-souvent  traduit  et  imité,  est  une  <  L 
malheureusement  incomplète,  où  le  poëte I 
proie  à  l'amour  exprime  le  trouble  profond£p 
émotions  accablantes  que  suscite  en  lui  la  jp 
sence  de  l'objet  aimé.  Jamais  la  passion  n'a  t 


été  [feinte  de  couleurs  à  la  fois  plus  vive 
plus  simples  ;  mais  il  faut  remarquer  que  c 
passion,  tout  en  se  traduisant  par  des  im; 
physiques,  n'a  rien  de  sensuel.  Une  autre 
splendide  et  peut-être  entière  nous  montre  ; 
pho  implorant  l'aide  d'Aphrodite.  Ces  c 
odes  ardentes  étaient  selon  toute  probal 
adressées  à  des  femmes.  Il  est  difficile  auj 


I 

e 
s 

e 


325 

d'hui  de  comprendre  une  pareille  exaltation. 
Nous  croyons  qu'elle  s'explique  par  la  condition 
sociale  et  la  culture  intellectuelle  des   femmes 
:  de  Mytilène.  Les  femmes  chez  les  Doriens  et 
j  les  Éoliens  jouissaient  de  bien  plus  de  liberté 
|  qu'à  Athènes;  elles  formaient  des  Métairies  ou 
'  sociétés  musicales  et  chantantes,  rivales  decelles 
|  des  hommes.  Sappho  présidait  une  de  ces  so- 
\  ciétés;  nul  doute  qu'elle  n'eut  un  attachement 
|  passionné  pour  ses  élèves ,  parmi  lesquelles  on 
cite  Anactoria  de  Milet,  Gongyla  de  Colophon, 
Eunica  de  Salamine,  Gyrinna,  Athis,  Mnasidica 
1  et  surtout  Damophila  et  Erinna.  Que  cet  atta- 
chement eût  quelque  chose  d'équivoque,  c'est 
ce  que  démentent  tous  les  témoignages  des  vé- 
ritables anciens.   On  raconte  (Stobée,  Serm., 
'XXIX,  58)  que  Solon  ayant  entendu  réciter  des 
vers  de  Sappho  en  fut  si  charmé  qu'il  déclara 
qn'avant  de  mourir  il  voulait  les  apprendre  par 
cœur.  Quelque  facilité  de  mœurs  que  l'on  attri- 
bue aux  anciens,  on  ne  saurait  les  accuser  d'a- 
voir toléré  ce  qui  portait  directement  atteinte  à 
la  famille.  Solon  se  serait  indigné  de  vers  com- 
posés dans  le  but  de  corrompre  des  jeunes  filles, 
et  à  Lesbos  comme  à  Athènes  la  femme  coupable 
'l'un  pareil  crime  aurait  été  punie  de  mort. 

Sappho,  que  l'on  représente  comme  consacrant 
par  d'immortels  accents  le  plus  indigne  outrage 
'aux  mœurs  domestiques,  est  précisément  le  poète 
de  l'antiquité  qui  a  célébré  avec  le  plus  de  grâce 
Et  d'éclat  les  joies  légitimes  du  mariage.  Ses  épi- 
'  tnalames,  ou  chants  de  noces,  passaient  pour  ses 
1 chefs-d'œuvre.  I!  en  reste  quelques  vers  d'une 
I] grande  beauté,  et  l'on  peut  se  faire  une  idée 
jf [d'une  de  ces  pièces  par  l'imitation  de  Catulle. 
[Toutes  ces  poésies  étaient  dans  le  dialecte  éolien. 
[Comme- Alcée  et  les  autres  lyriques,  Sappho 
[joignait  la  musique  à  la  poésie.  Son  principal 
l'mode  musical  était  le  mixolydien,  dont  le  carac- 
tère tendre  et  plaintif  convenait  admirablement 
]  h  ses  compositions  amoureuses  ;  elle  chantait  en 
j  ^'accompagnant  non  de  la  lyre,  qu'on  touchait 
\  avec  un  archet,  mais  d'une  harpe  (le  barbiton 
1  éolien,  oulapectis  lydienne),  dont  on  jouait  avec 
'les  doigts.  On  lui  attribue  l'invention  d'un  mètre 
:  [qui  porte  son  nom,  qu'elle  employait  de  préfé- 
'  'rence  et  qui  a  été  adopté  par  Catulle  et  surtout 
'  'par  Horace  (1).  Les  fragments  qui  restent  d'elle 


I  (1)  Le  vers  saphtque  ne  diffère  du  vers  alcaïque  que  par 
>ine  syllabe  brève  qui  le  termine,  tandis  qu'elle  commence 
je  vers  alcaïque;  Il  se  compose  d'un  double  trochée,  d'un 
j:horiambe,  et  d'un  double  ïambe  tronqué  d'une  syllabe  : 

çaivsxai  jxoi  x-rivo;  ta&ç  6eoiatv 

llle  mi  par  esse  diis  videtur 
M  strophe  saphique  se  compose  de  trois  vers  saphlques, 
Mont  le  troisième  est  allongé  d'un  choriambe  suivi  d'une 
|iyllabe  non  accentuée. 

i  IffÔavEi  y.at  w^aaiov  aèu  cpwvEiaa;  UTiaxouei. 
i)n  sépare  généralement  cette  addition  du  troisième 
j  ers,  et  on  en  forme  un  quatrième  vers,  que  l'on  S'-andc 
i  oœrae  un  dnctyle  et  un  spondée.  C'est  ainsi  que  Horace 
remploie  le  plus  souvent,  quoiqu'il  conserve  quelquefois 
ta  vieille  forme  éolienne. 
Labitur  ripa  Jove  non  probante  uxorius  amnis. 


SAPPHO  —  SARASA  326 

offrent  des  mètres  assez  variés.  De  toutes  les 
pertes  qu'a  éprouvées  la  littérature  grecque,  la 
plus  considérableest  celle  des  œuvres  de  Sappho. 
Parmi  les  poètes  lyriques,  elle  n'eut  de  rival 
qu'Alcée,  et  elle  semble  avoir  été  supérieure  à 
Pindare  lui-même.  Elle  eut  pour  commentateurs 
chez  les  anciens  les  grammairiens  Chamœleon, 
Callias,  Dracon  de  Stratonica.  Les  fragments 
de  ses  poésies  ont  été,  à  partir  de  l'édition  d'A- 
nacréon  de  Henri  Estienne,  1554,  recueillis, 
plus  on  moins  complètement,  à  la  suite  de  ce 
poète;  dans  les  Carmin  a  novem  illustrium 
faeminarum  de  Fulvius  Ursinus;  Anvers,  1568, 
in-8°,  dans  les  Novem  illustrium  feminarum 
fragmenta  de  J.-Ch.  Wolf.  Volger,  Leipzig, 
1810,  in- 8°;  A.  Mœbius,  Hanovre,  1815,  in-8° 
(avec  une  traduction  allemande),  en  ont  donné 
des  éditions  séparées,  surpassées  par  celle  de 
Neue  :  Sappkonis  Mytileneas  fragmenta  ;  Ber- 
lin, 1827,  in-4°.  Les  fragments  de  Sappho  ont 
été  publiés  par  Blomfiekl,  dans  le  Muséum  cri- 
ticum;  par  Gaisford,  dans  ses  Poetse  minores 
grœci;  par  Schneidewin ,  dans  son  Delectus 
poeseos  Grascorum;  parBergk,  dans  ses  Poetse 
lyrici  grseci;  par  Ahrens,  dans  son  traité  De 
Grsecise  linguse  dialectis,  vol.  I.        L.  J. 

Hérodote,  II,  135.  —  Strabon,  XIII,  p.  617,  618;  XVII, 
p.  808.  —  Marbre  de  Paros,  dans  les  Fragmenta  histor. 
çrœc,  édit.  Didot.  1. 1.  —  Athénée,  X11I,  596,  599,  etc.  — 
Élien,  Farix  historiée,  XII,  19.  —  Maxime  de  Tyr,  Dis- 
sert. XXIV.  —  Suidas,   au   mots  Stmftô  et  4>cxcov.  

l'hotius,  aux  mots  Aeux(£tï]j;  et  $àwv.  —  Apostollus, 
Proverb.,  XX,  15.  —  "Welcker,  Sappho  von  einem  kerr- 
schenden  Farurtheil  befreyt ;  Gœttingue,  1816,  et  dans 
ses  Kleine  Schrijlen,  vol.  II,  p.  80.  —  Ot.  i\l  iiller,  Lite- 
rature  of  ancient  Greece,  p.  172, etc.  —  Plehn,  Lesbiaca. 

—  Bode ,  Gesc/i.  d.  Hellen  Dichth.  —  Ulrici,  Gesch.  d. 
Hell.  Dich  —  Bernhardy,  Gesch.  d.  Griech.  I.itt.,  vol.  II. 

—  Smith,  Dict.  of  greek  and  roman  biography .  — 
L.  Joubert,  Essais  de  critique  et  d'histoire. 

sakasa  (Alphonse- Antoine  de),  jésuite,  né 
en  1618,  àNieuport  (Flandre),  de  parents  espa- 
gnols, mort  le  5  juillet  1667,  à  Anvers.  Admis  à 
quinze  ans  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  il  pro- 
fessa d'abord  les  humanités  au  collège  de  Gand, 
se  livra  ensuite  à  son  goût  pour  les  mathéma- 
tiques, qu'il  étudia  avec  le  fameux  Grégoire  de 
Saint-Vincent,  et  passa  le  reste  de  sa  vie  dans 
les  exercices  de  la  chaire  et  du  confessionnal , 
soit  à  Gand,  soit  à  Bruxelles,  et  en  dernier  lieu 
à  Anvers.  11  mourut  d'une  pleurésie.  On  a  de  lui  ; 
Ars  semper  gaudendi,  demonstrata  ex  sola 
consideratione  divinse  Providentiw  etper  ad- 
ventuales  conciones  exposita;  Anvers,  1664- 
67,2tom.  in-4°;  réimpr.  à  Cologne ,11676,  à 
Vienne,  1683,  et  à  Francfort,  1741,  en  un  seul 
vol.  in-4°  ;  abrégé  en  allemand  par  Weigel  (1687, 
in-12),  et  trad.  en  français,  sous  le  titre  deYArt 
de  se  tranquilliser  dans  les  événements  de 
la  vie  (Strasbourg,  1752,  1782,  2  vol.  iu-8o). 
Leibniz,  Wolf  et  d'autres  savants  faisaient  le 
plus  grand  cas  de  cet  ouvrage,  où  l'auteur  s'est 
efforcé  de  prouver  que  pour  être  heureux  il 
faut  s'abandonner  à  la  Providence. 

Paquot,  Mémoires,  IV. 

il. 


327 

sarasin  (1)  (Jean-Francois) ,  écrivain  et 
poète  français,  né  à  Hermanville,  près  Caen, 
en  1605,  mort  à  Pézenas,  en  décembre  1654. 
Suivant  le  Segraisiana ,  il  était  fils  naturel  de 
M.  Fauconnier,  de  Caen,  trésorier  de  France, 
dont  la  maîtresse,  devenue  grosse  et  mariée  par 
lui  à  un  époux  complaisant,  accoucha  de  Sa- 
rasin après  son  mariage.  11  fit  ses  études  à  Caen, 
et  vint  ensuite  à  Paris,  où  il  trouva  un  protec- 
teur dans  M.  de  Chavigny,  secrétaire  d'État,  et 
ne  tarda  pas  à  faire  partie  de  sa  maison.  Celui-ci 
voulut  l'envoyer  à  Rome  auprès  d'Urbain  VIII, 
']ui  aimait  les  lettres  :  il  lui  fit  donner  4,000 
livres  pour  se  mettre  en  équipage  ;  mais  Sarasin 
les  mangea  avec  sa  maîtresse.  A  la  place  de  ce 
voyage  en  Italie,  il  en  fit  un  en  Allemagne,  où 
il  s'acquit  l'amitié  de  la  princesse  Sophie,  fille  du 
roi  de  Bohême.  Comme  il  était  pauvre  et  qu'il 
cherchait  la  fortune  par  tous  les  moyens ,  il  se 
maria  avec  une  femme  riche,  mais  vieille,  laide, 
et,  qui  plus  est ,  d'une  humeur  tellement  cha- 
grine qu'il  ne  put  plus  longtemps  s'accommoder 
de  sa  compagnie,  et  qu'il  la  quitta  pour  entrer 
au  service  du  prince  de  Conti,  en  qualité  de  se- 
crétaire de  ses  commandements  (1648  ou  1649). 
Ce  fut  surtout  dans  cette  charge  qu'il  déploya 
tous  ses  talents  et  toute  sa  souplesse  de  courti- 
san bouffon,  dansant,  chantant,  jouant  des  ins- 
truments, disant  de  bons  mots  et  de  bons  contes, 
n'épargnant  rien  pour  se  rendre  agréable  et 
nécessaire,  faisant  bon  marché  de  sa  dignité 
lorsqu'il  s'agissait  d'amuser  son  maître  :  «  Il  fai- 
sait de  son  esprit  tout  ce  qu'il  voulait ,  écrit  Se- 
grais.  Quand  MmedeLongueville  lui  disait:  Sar- 
rasin, prêchez  comme  un  cordelier,  il  prêchait 
comme  un  cordelier  :  Prêchez  comme  un  .  ca- 
pucin, il  prêchait  comme  un  capucin.  »  Un  jour 
qu'il  accompagnait  le  prince  dans  un  voyage,  le 
maire  et  les  échevins  d'une  ville  vinrent  haran- 
guer celui-ci  à  la  portière  de  son  carrosse; 
l'orateur  étant  demeuré  court  à  la  seconde  pé- 
riode, Sarasin  sauta  aussitôt  de  voiture,  et 
acheva  la  harangue  d'une  manière  si  bouffonne 
sous  sa  gravité  apparente  que  le  prince  en  écla- 
tait de  rire.  Le  maire  et  les  échevins,  trans- 
portés d'enthousiasme,  lui  offrirent  le  vin  de 
la  ville  comme  à  son  maître.  La  vie  de  Sa- 
rasin est  pleine  de  ces  anecdotes  burlesques 
et  de  ces  plaisanteries  de  page.  Il  alliait  l'im- 
pertinence à  la  bassesse,  et  Tallemant  des 
Réaux  raconte  que  souvent  le  prince,  après 
l'avoir  menacé  de  le  jeter  par  les  fenêtres,  se 
laissait  désarmer  par  ses  grimaces.  Il  était  de 
la  société  de  Pellisson  et  de  Mlle  de  Scndery; 
mais  vers  la  fin  celle  ci  s'était  refroidie  pour 
lui,  et  elle  resta,  dit-on,  dix  ans  sans  le  voir. 
Il  était  aussi  l'ami  de  Scarron,  qui  lui  a  adressé 
l'une  de  ses  plus  jolies  pièces  de  vers;  de  Mé- 
nage, de  Conrart ,  de  Charleval ,  etc.  Il  figure 
dans  la  littérature  précieuse  de  l'époque  sous  le 

(1)  On  trouve  aussi  sou  nom  écrit  Sarrasin ,  Sarruzin, 
Sarazin. 


SARASIN  328 

nom  d'Amilcar,   sans  doute  par  allusion  à  son 
caractère  enjoué  ;  car  Amilcar  est  le  personnage 
badin  du  roman  de  Clélie.  La  cause  de  sa  mort 
prématurée  n'est  pas  bien  éclaircie  :    suivant 
plusieurs  auteurs,  ce  fut  le  chagrin  qu'il  conçut 
d'être  tombé  dans  la  disgrâce  de  son  maître  ;  mais 
ni  Pellisson  ni   Ménage  ne  nous  ont  appris   la 
cause  de  cette  disgrâce.  Suivant  Segrais,  dont  le 
récit  a  été  généralement  adopté,  il  mourut  d'une 
fièvre  chaude,  causée  par  un  coup  de  pincettes 
que  le  prince  lui  donna  sur   la  tempe  dans  un 
moment  de  colère  :  «  Le  sujet  de  son  méconten- 
tement, dit  Segrais,  était  que  l'abbé  deCosnac, 
depuis  archevêque  d'Aix,  et  lui   (Sarasin)  l'a- 
vaient fait  condescendre  à  épouser  la  nièce  du 
cardinal  Mazarin  et  abandonner  quarante  milU 
écus  de  bénéfices   pour  n'avoir  que  vingt-ciiw 
mille  écus  de  rente.  De  sorte  que  l'argent  lu 
manquait  souvent,  et  alors  il  était  dans  des  cha> 
grins  contre  ceux  qui  lui  avaient  fait  faire  cett 
bassesse,    comme  il  l'appelait,  à   cause  de   1; 
haine  universelle  qu'on   avait   en  ce  temps-1. 
contre  le  cardinal  Mazarin.  »  L'abbé  d'Olivetdi 
aussi  que  sa  mort  fut  violente,  a  à  oe  qu'on 
toujours  oru  ».  Il  est  vrai  que  Daniel  de  Cosnac 
dans   ses   Mémoires,   récemment    publiés,   e 
Tallemant  des  Réaux  nient  le  fait  ;  mais  on  coi 
naît  la  légèreté  des  assertions  du  dernier,  et  1 
démenti  de  l'autre  est  suspect;  car  il  y  avait  e 
quelque  sorte  un  intérêt  personnel.  Sarasin  fi 
enterré  à  Pézenas.  Quatre  ans  après,  son  an 
Pellisson,  passant  par  cette  ville,  alla  pleun 
sur  sa  tombe  >  et,  tout  protestant  qu'il  était,  I 
célébrer  un   service   pour  le  repos  de  son  an 
et  lui  fonda  un  anniversaire. 

Sarasin  n'avait  publié  qu'un  assez  petit  nombi 
d'ouvrages  de  son  vivant,  et  sous  son  nom.  Comn 
Voiture ,  dont  il  fut  le  rival,  puis  le  succcsseu 
c'était  surtout  un  écrivain  de  salon ,  prodigua 
son  esprit  dans  les  ruelles,  en  madrigaux,  <| 
sonnets ,  en  épîtres ,  en  petites  pièces  de  ci 
constance.  Lorsqu'il  mourut,  il  ordonna  qu'i 
remît  tous  ses  papiers  à  Ménage,  pour  qu'il 
disposât  comme  il  le  jugerait  à  propos.  Ménaf 
les  fit  imprimer  en  1656,  avec  un  discours  pi 
liminaire  de  Pellisson.  Les  principaux  ouvrag 
de  Sarasin  sont  :  Histoire  du  siège  de  Du  [ 
kerque;  1649;  —  le  Discours  de  la  trogéc\ 
(sous  le  nom  de  Sillac  d'Arbois)  :  œuvre 
complaisance,  où  son  amitié  pour  Scudéry  l'e| 
traîne  beaucoup  trop  loin  ;  —  Le  Testament 
Goulu,  en  vers  français,  et  Atlici  Seconf 
G.  Orbilius  Musca ,  sive  belium  paras  itict] 
(1644,  in-4°)  :  satires  ingénieuses  contre 
parasite  Montmaur;  —  la  Conspiration 
Walstein,  petit  chef-d'œuvre,  écrit  dans 
goût  de  Salhiste,  malheureusement  inache^ 
—  Vie  de  Pomponius  Atticus,  trad.  de  Co 
Nepos; — La  Pompe  funèbre  de  Voiture,  ai 
les  Miscellanea  de  Ménage  (1652,  in-4°)  : 
dinage  spirituel,  mêlé  de  prose  et  de  vers, 
l'éloge  se  relève  d'un  persiflage  malin,  et 


I  32U  SARASIN  — 

servit   de   modèle  à  plusieurs  autres  composi- 

!  lions  du  même  genre,  qui  ne  l'ont  pas  égalée; 

j  —  opinants  du  nom  et  du  jeu  des  Échecs, 
dissertation   savante    et    curieuse;   —     Dulot 

.  vaincu,  ou  la  Défaite  des  bouls-rïmés,  poëme 

.  héroï-comique  en  quatre  chants,  qu'il  composa, 
dit  on,  en  quatre  ou  cinq  jours  :  la  versification 

ion  est  facile;  il  y  a  de  la  verve  et  de  l'esprit  de 

I  détail ,  môme  quelques  passages  d'un  style  élevé, 
■mais  l'invention  et  le  plan  en  sont  très-faibles  et 
fies  personnifications  en  paraissent  généralement 

■  froides  et  forcées;  —  Ode  de  Calliope  sur  la 
}  bataille  de  Lens,  fort  belle,  et  dont  Voltaire  s'est 

approprié  un  passage  dans  La  Henriade  ;  —  des 
•  Poésies,  qui  ont  en  général  de  l'aisance,de  l'esprit, 
[un  tour  agréable  et  vif,  mais  peu  de  correction  ; 
j|  1  faudrait  citer  surtout  bon  nombre  de  ses  stances, 
[l'un  tour  coquet,  d'une  allure  vive  et  preste,  où 

I I  tire  même  parfois  des  effets  assez  piquants  de 

■  'a^sonnance  et  de  l'allitération  ;  sa  glose  en  faveur 
I  le  Wranie  de  Voiture  contre  le  Job  de  Bense- 
l-ade,  son  églogue  d'Orphée,  belle  imitation  de 
S  Firgile ,  que  déparent  quelques  négligences;  son 
|  lélicieux  sonnet  sur  Eve,  si  souvent  cité  ;  un 
|  oug  dialogue  sur  la  question  :  S'il  faut  qu'un 
ï'eune  homme  soit  amoureux.  Toutes  ces  pièces 
1  ont  partie  de  la  ire  édition  des  Œuvres  de 
\sarasin  (Paris,  1656,  in  4°),  reproduite, 
livec  des  augmentations,  en  1658  (Paris), 
[tet  1694  (  Amsterdam  ).  En  1675  parurent 
îles  Nouvelles  Œuvres  de  Sarasin  (Paris, 
il  vol.  in-12  )  ,  composées  généralement  de 
I morceaux  inachevés  et  de  productions  de  sa  jeu- 
liesse,  que  Ménage  avait  exclus  dans  son  édition: 
bn  des  ouvrages  les  plus  importants  de  ces  deux 
Volumes,  c'est  V Apologie  de  la  morale  d'Épi* 
"Aire,  qui  a  été  attribuée  à  Saint-Évremond.  On 
floit  aussi  à  Sarasin  une  Lettre  du  marguiller 
h  son  curé  sur  la  conduite  de  M.  le.  coadju- 
'eur  (  Paris,  1651,  in-4°  ),  à  laquelle  Patrice  ré- 
pondit par  une  Lettre  du  curé  au  marguiller. 

V.  Fournel. 

'  Pellisson,  Discours  en  tête  des  OEuvres  de  Sarrasin, 
-lOBfi.  -  Huetiana.  —  Menaglana.  —  Baillée,  Jugem. 
,ies  savants,  t.  V|ij,p.  i-i6.  -Segrais ,  Mémoires  anec- 
dotes —  Vigneul-Marville,  Mélanges.  —  Niceron,  Mé- 
moires, VI.-  l'ellisson  et  d'Olivet,  JHst.  de  l'Académie, 
fiassiiu.  —  Daniel  de  Cosnac,  Mémoires. 

I  sarasin.  Voy.  Sarrasin. 
;  sakayia  (Adrien  de],  théologien  belge,  né 
m  1531,  à  Hesdin  (Artois)  ,  mort  le  15  janvier 
|16I3,  à  Canterbury.  Sa  famille  était  originaire 
ii'Espagne.  De  bonne  heure  il  embrassa  la  ré- 
j'orme.et  alla  prendre  à  Oxford  le  diplôme  de 
porteur  en  théologie.  Après  avoir  exercé  le 
ministère  évangélique  à  Londres  (1561)  et  à 
Bruxelles  (1562),  il  reçut  vocation  de  l'église 
l'Anvers,  et  travailla  l'un  des  premiers  à  la  con- 
fession de  foi  des  nouvelles  églises  belgiques  ; 
!  1  en  fit  répandre  parmi  la  noblesse  un  grand 
«ombre  d'exemplaires.  Il  enseignait  depuis  1582 
la  théologie  à  Leyde  lorsqu'il  entra  dans  lecom- 
uot  formé  par  quelques  bourgeois  de  livrer  la 


SARBIEVSKl 


330 


ville  à  Leicester,  qui  visait  secrètement,  malgré 
les  inlruclions  d'Elisabeth,  à  fonder  en  Hollande 
une  sorte  de  principauté;  le  complot  fut  décou- 
vert, on  exécuta  quelques  coupables,  et  Saravia, 
averti  à  temps,  s'enfuit  à  La  Haye  (oct.  1586), 
d'où  il  passa  en  1587  en  Angleterre.  Après  avoir 
tenu  école  à  Jersey  et  à  Southamplon,  il  finit  par 
obtenir  un  cauonicat  à  Canterbury  et  un  autre  à 
Westminster;  la  cour  récompensait  en  lui  ses 
attaques  contre  la  discipline  austère  des  presby- 
tériens ainsi  que  la  part  qu'il  avait  prise  à  la 
nouvelle  traduction  de  la  Bible.  Il  vécut  en 
grande  intimité  avec  le  fameux  Hôoker.  D'après 
Burroan,  c'était  un  homme  avare,  ambitieux,  in- 
constant et  brouillon.  Ses  écrits  ont  été  rassem- 
blés sous  le  titre  :  Diversi  tractatus  theolo- 
gici;  ^ Londres,  1611,  in-fol.  Deux  lettres  de 
Saravia  à  Juste  Lipse  se  trouvent  dans  le  Syl- 
loge  epist.  de  P.  Burman,  t.  I,  p.  333-365. 

Strype.  Life  of   TVhHg\fl,  p.  422  et  441.   -  Meursius, 
Athenx  Batavie.  —  Paquot,  Mémoires,  XI. 

sarbievski  (Matthias-Casimir),  en  latin 
Sarbievius,  poète  polonais,  né  en  1595,  dans 
Masovie,  mort  le  2  avril  1640,  à  Varsovie.  Sa 
famille  était  originaire  d'Italie.  Après  avoir  fait 
ses  études-  au  collège  de  Pultov,  il  embrassa  à 
dix-sept  ans  la  règle  de  Saint-Ignace  (1612),  et 
enseigna  d'abord  la  rhétorique  à  Vilna.  Envoyé  à 
Borne  (1623),  il  se  livra  à  l'étude  des  antiquités 
et  de  la  poésie.  Quelques  odes  latines  qu'il  pré- 
senta à  Urbain  VIII  lui  méritèrent  l'honneur 
d'être  choisi  pour  corriger  les  hymnes  du  nou- 
veau bréviaire  romain.  Il  ne  fut  pas  honoré, 
comme  on  l'a  prétendu,  du  laurier  poétique; 
mais  en  prenant  congé  du  pape  il  reçut  de  lui 
une  médaille  d'or  d'un  grand  prix.  Bappelé  à 
Vilna,  il  fut  chargé  de  professer  la  philosophie, 
puis,  la  théologie;  mais  avant  d'aborder  cette 
dernière  chaire,  il  voulut  être  reçu  docteur  (1 636)  : 
la  cérémonie  eut  lieu  avec  beaucoup  d'éclat,  et 
Vladislas  IV,  qui  était  présent,  se  montra  si  sa- 
tisfait des  réponses  du  candidat  qu'il  lui  passa 
au  doigt  son  anneau  royal.  Ce  prince  le  choisit 
pour  aumônier,  lui  donna  un  logement  au  palais, 
et  il  prenait  tant  de  plaisir  dans  sa  conversation, 
qu'il  l'invitait  même  à  ses  parties  de  chasse.  Sar- 
bievski,  accablé  d'infirmités  précoces,  mourut  à 
l'âge  de  quarante-cinq  ans.  Son  extérieur  n'avait 
rien  d'agréable;  mais  il  rachetait  sa  laideur  par- 
la fermeté  de  l'âme  et  les  qualités  brillantes  de 
l'esprit.  Bien  ne  pouvait  ralentir  son  ardeur  au 
travail  :  il  avait,  dit-on,  lu  Virgile  soixante  fois, 
et  les  autres  poètes  contemporains  chacun  au 
moins  dix  fois.  Ce  fut  à  ses  poésies  latines  qu'il 
dut  sa  renommée;  sans  le  mettre  au-dessus  de 
Coffin  et  de  Santeul,  il  les  égale  souvent  pour  le 
génie  et  l'enthousiasme ,  bien  qu'on  lui  ait  avec 
justesse  reproché  des  incorrections  et  des  écarts 
déplacés  ;  mais  ses  épigrammes  sont  fades  et  ses 
dithyrambes  manquent  de  goût.  On  a  de  lui  : 
Obsequium  gratitudinis  ;  Vilna,  1619,  in-4°; —  ' 
Sacra  lithotesis;  ibid.,  1621,  in-4°;  —  Lyrico- 


331  SARBIEVSKI  — 

rumlib.IIJ;  Epigrammatumlib.  I;  Cologne, 
1625,  in- 12  :  cette  première  édition  est  rarissime; 
les  quatre  .suivantes  ont  été  augmentées  par  l'au- 
teur: Vilna,  1628,  in-12,  etAnvers,  1630,  in-12, 
1632,  in-4°,  et  1634,  in-32  ;  il  s'en  est  fait  encore 
seize  autres,  parmi  lesquelles  on  recherche  celle 
de  Cologne,  1721,  in-8°  (très-fautive,  mais  avec 
des  pièces  nouvelles)  ;  de  Vilna,  1757,  in-4°;  de 
Paris,  Barbou,  1729,  pet.  in-8°;  de  Strasbourg, 
1805,  in-8".  Quelques-unes  des  poésies  de  Sar- 
bievski  ont  été  trad  ujtes  en  allemand ,  et  en  français 
par  fragments  dans  les  Soirées  littér.  de  Coupé, 
t.  XIV;  —  Honor  sanclorum  Vilnx  reliqaiis 
exhibitus;  Vilna,  1631,  in-4°  ;  —  Oratio  pa- 
negyrica  habita  in  prxsentia  Vladislai  IV ; 
ibid.,  1636,in-4°;  —  Elegia  ilineraria;  Dresde, 
1754,  in-4°  :  pièce  publiée  par  Langbein;  —  plu- 
sieurs ouvrages  en  manuscrit,  notamment  un 
poème,  La  Lechiade,  en  XII  livres.  K. 

G.  Langbein,  Commentatio  de  M.-C.  Sarbievii  vita; 
Dresde,  1753,  in-8°,  et  17S4, in-4". 

sardanapale,  nom  de  plusieurs  rois  d'As- 
syrie et  qui  est  l'abrégé  de  Assur-iddana- 
pallu,  c'est-à-dire  Âssour  (le  dieu  tutélaire  du 
pays)  a  donné  un  fils,  ou  de  Assar-adon  pal, 
grand  seigneur  d'Assyrie. 

Sardanapale  Ier  régnait  vers  1209  av.  J.-C.  ;  il 
était  fils  de  Tiglatpileser  Ier  ;  son  nom  se  trouve 
sur  le  piédestal  d'une  statue  trouvée  dans  les 
ruines  de  Ninive. 

Sardanapale  II  régnait  vers  1020;  il  était 
arrière-petit- fils  de  l'usurpateur  Bélitaros ,  fon- 
dateur delà  seconde  dynastie. 

Sardanapale  III  régna  de  922  environ  à  898. 
Il  fut  un  conquérant  célèbre,  et  c'est  lui  qu'ont 
en  vue  les  historiens  grecs  quand  ils  parlent 
du  grand  Sardanapale.  il  restaura  à  Calach 
(auj.  Nimroud)  le  palais  bâti  par  Salmanas- 
sar  1er,  et  y  établit  sa  résidence  (1).  Ses  expé- 
ditions avaient  pour  but  de  faire  rentrer  les 
tributs  en  nature  imposés  aux  populations  de 
l'Asie  centrale;  comme  ses  prédécesseurs,  il  usa 
de  la  plus  grande  cruauté  contre  ceux  qui  es- 
sayaient de  se  soustraire  à  sa  domination.  Parmi 
les  pays  qui  lui  étaient  soumis,  on  remarque  la 
Commagène,  l'Arménie,  ia  Chaldée,  la  Syrie,  le 
Liban  et  la  Phénicie.  Il  construisit  plusieurs 
vùles;  selon  Hellanicus  ,  il  aurait  fondé  Tarsus 
et  Anchialé  en  Cilicie. 

Saudanapale  IV,  dernier  roi  de  la  seconde 
dynastie,  régna  de  795  à  798.  C'est  lui  que  Ctésias 
représente  comme  un  prince  efféminé,  adonné  à 
à  la  mollesse  et  à  la  luxure.  Il  y  a  beaucoup 
d'exagération  dans  le  tableau  que  cet  historien 

(1)  Les  restes  considérables  de  ce  monument  ont  été 
décrits  dans  Nineveh  de  Layard.  Dans  le  grand  temple 
découvert  au  môme  endroit  on  a  trouvé  une  slèle  de 
Sardanapale  DI  remplie  d'inscriptions,  et  un  énorme 
monolithe  portant  une  très  longue  Inscription  concer- 
nant ce  même  roi,  et  qui  a  été  insérée  dans  les  West- 
ùssyrian  inscriptions,  pi.  17-26.  Ces  divers  textes,  tra- 
duits par  M.  Oppcrt,  se  rapportent  aux  campagnes  rie 
Sardanapale  pendant  les  neuf  premières  années  de  son 
règne. 


SARDANAPALE 


332 


si  peu  sûr  fait  de  la  cour  de  Ninive  sous  ce  roi, 
qui,  sans  être  aussi  guerrier  que  ses  prédéces- 
seurs, ne  menait  pas  une  vie  plus  voluptueuse 
que  les  princes  orientaux  de  cette  époque.  Les 
tribus  dont  l'agrégation  formait  l'empire  d'Assy- 
rie avaient  besoin  pour  rester  dans  l'obéissance 
de  sentir  sans  cesse  le  bras  puissant  du  maître; 
aussi  dès  que  Sardanapale  négligea  de  leur  ins 
pirer  par  des  expéditions  fréquentes  une  craint 
salutaire,  sa  chute  était  facile  à  prévoir.  Bêle 
sis,  grand-prêtre  de  Babylone,  s'unit  à  Arba& 
pour  renverser  le  roi.  Arbace  excita  les  Mèdes  i 
la  révolte  (785)  et  marcha  sur  Ninive;  battu  ei 
trois  rencontres  par  Sardanapale ,  chez  qui  s'é 
tait  réveillée  la  vaillance  de  sa  race,  et  repouss 
au  delà  des  montagnes,  il  séduisit  plusieurs  chef 
des  contingents  tributaires,  et  les  décida  à  fair 
cause  commune  avec  lui  ;  puis  il  attaqua  le 
Assyriens  la  nuit  par  surprise,  et  les  rejeta  dan 
Ninive,  qu'il  investit  complètement  après  avd 
repoussé  deux  sorties  dirigées  par  Salaïmanèi 
frère  du  roi.  Le  siège  dura  deux  ans;  c'éta 
plutôt  un  blocus,  car  les  énormes  remparts  c 
Ninive  ne  pouvaient  être  entamés  par  1< 
engins  de  siège  employés  alors.  Au  printemps  c 
la  troisième  année  une  inondation  du  Tigre ayai 
détruit  une  grande  partie  des  fortification! 
Sardanapale,  reconnaissant  l'inutilité  d'une  pli 
longe  résistance,  réunit  sur  un  bûcher  constn 
dans  son  palais  ses  trésors  les  plus  précieu 
s'y  plaça  avec  toutes  ses  femmes,  et  fit  mettre, 
feu  (1).  L'incendie  se  communiqua  au  reste  de  i 
ville.  Arbace  fut  reconnu  roi,  et  détacha  de  s 
États  la  Babylonie,  qu'il  donna  à  Belesis. 

Sardanapale  V  régna  de  647  à  625.  1 
royaume  d'Assyrie ,  si  brillamment  restauré  p  < 
son  aïeul  Sargon  et  son  grand -père  Sennach 
rib,  commençait  à  tomber  en  décadence.  Psai- 
métique,  roi  d'Egypte,  s'empara  en  639  de  I 
Syrie,  et  Phraortes,  roi  des  Mèdes,  déjà  mail! 
de  plusieurs  provinces,  marcha  en  633  si 
Ninive;  mais  il  fut  entièrement  défait  et  per  R 
la  vie  dans  la  bataille.  Son  fils  Cyaxaresval 
quit  à  son  tour  les  Assyriens,  et  vint  assU 
ger  Ninive.  Forcé  de  protéger  ses  États  conl 
l'invasion  des  Scythes  ,  il  ajourna  ses  dess|M 
contre  Sardanapale.  Ce  dernier  avait,  en  vue  I 
l'attaque  des  Scythes,  préposé  aux  principa 
provinces  des  vice-rois  chargés  d'y  organiser  ; 
résistance;  c'est  ainsi  qu'il  confia  la  BabylonV 
Nabopolassar,  qui  ne  tarda  pas  à  se  rendre  inc 

(1)  Le  genre   de  mort  de  Sardanapale  a  fait  mêler  il 
vie  des  détails  empruntés  à  ce  qu'on  racontait  du  df 
Sandan,  l'Hercule  assyrien  et  phénicien,  et  qui,  selor, 
tradition,  avait   également  péri  sur  un   bûcher,  ento 
de  ses  concubines.  Voy.  Otfr.  Millier,  Sandon  und  S4' 
danapal,  et   Movers,  Das  pkœnizische  Alteithum  , 
458.  Si  ces  deux  savants  se  sont  trompés  en  dénian 
Sardanapale  tonte  existence  réelle,  Niebnhr  [Ccscliic\ 
Jssursvnd    Babels)  a  commis  une  autre   erreur  en 
voulant  reconnaître  qu'une  seule  destruction  de  Nin:| 
en  r,96,   sous  le  roi  Sarak.  Il  est  impossible  d'expliq 
dans  cette  hypothèse  comment  les  fouilles  opérées  d 
les  ruines  de  cette   ville  n'ont  amené  la  découverte 
d'un  seul  monument  antérieur  à  Scnnachérib. 


333 


SARDAlNAPALE  —  SARGON 


334 


pondant.   On  ignore  si  les  Scythes  dévastèrent 
l'Assyrie  ou  s'ils  se  bornèrent  à  y  prélever  un 
tribut;  néanmoins  leur  invasion  ébranla  telle 
ment  cet  empire  que  vers  la  fin  du  règne  de  Sar 
danapale  les  pays  de  Samarie,  de  Damas,  de 
Hamath   avaient  recouvré  leur   indépendance. 
Kn  revanche  il  réussit  à  maintenir  sous  le  joug 
le  pays  d'Elam  ;  plusieurs  bas-reliefs  du  palais 
qu'il  construisit  à  Ninive  se  rapportent  à  ces 
victoires.  Dans  les  décombres  de  ce  même  palais 
on  a  découvert  une  foule  de  tablettes  en  argile, 
couvertes  d'inscriptions  cunéiformes,  malheureu- 
sement la  plupart  fracturées;  on  n'a  pas  tardé  à 
reconnaître  que  c'étaient  les  débris  d'une  immense 
bibliothèque,   où  Sardanapale   avait  réuni  des 
[traités  sur  toutes  les  sciences  connues  des  Assy- 
1  riens;  quelques-unes  de  ces  tablettes  paraissent 
[être  des  grammaires,  des  dictionnaires;  quand  le 
'  léchiffrement  en  sera  plus  avancé,  elles  offriront 
[  es  renseignements  les  plus  précieux  sur  l'an- 
cienne civilisation  de  l'Asie.  E.  G. 

|  Diorfore  de  Sicile.  —  Justin.  —  Niebuhr,  Ge&chichte 
.  issuts  und  Babels,  Berlin,  1857.  —  Saulcy,  Chrono- 
\  ogie  assyrienne. 

I  sardi  (  G asparo),  historien  italien,  né  en 
[1480,  à  Ferrare,  où  il  est  mort,  en  1564.  Sa  vie 
n'écoula  tout  entière  dans  sa  ville  natale.  11  vé- 
rutà  l'écart,  et  n'occupa  aucun  emploi  public;  il 
Consacrait  tout  son  temps  à  lire  et  à  noter  ce 
mi  lui  paraissait  utile,  et  ce  fut  ainsi,  par  un 
(travail  continu,  mais  sans  esprit  de  critique, 
BÉ'il  se  rendit  habile  dans  l'histoire,  les  belles- 
fiettres  et  la  philosophie.  Son  choix  n'était 
j>as  toujours  raisonné,  ni  son  style  élégant, 
•niais  c'était,  suivant  Tiraboschi ,  un  laborieux 
(moissonneur  dans  le  champ  de  l'érudition.  Nous 
citerons  de  G.  Sardi  :  Epistolarum  liber,  varia 
reconditaque  historiarum  cognilione  refer- 
ons'; De  triplici  philosophia  commentario- 
llui  ;  Florence,  1549,  in-8°  :  il  traite  dans  ses 
Sépîtres  de  différents  points  d'érudition,  et  ilrend 
[compte  de  la  dispute  qu'il  avait  engagée  avec 
tRicci  pour  savoir  si  l'on  devait  dire  Atestinus 
pu  Estensis,  comme  il  le  supposait,  plutôt 
[qu'Aies tilts;  cette  forme,  proposée  par  son  ri- 
|val,  n'a  point  prévalu.  Le  traité  De  philosophia 
[est  adressé  à  Olimpia  Morata,  avec  qui  Sardi 
jetait  en  commerce  de  lettres;  —  Lïbro  délie 
'Storie  Ferraresi;  Ferrare,  1556,  in-4°  :  cet 
ouvrage  embrasse  un  espace  de  onze  siècles  et 
Is'arrête  à  l'année  1497;  il  a  été  continué,  avec 
jdeux  livres  inédits  de  l'auteur,  jusqu'en  1598  par 
[Agostino  Faustini  (  Ferrare,  1646,  in-4°),  et  jus- 
qu'en 1700  par  Baruffaldi  (ibid.  5  1700,  in  4°); 
[on  y  trouve  beaucoup  de  laits  intéressants  pre- 
ssentes sans  méthode  et  déparés  par  un  style 
ilourd,  un  penchant  à  la  crédulité  et  de  nom- 
breuses inexactitudes.  Pendant  plusieurs  années 
Sardi  avait  travaillé  à  recueillir  des  matériaux 
pour  une  Histoire  de  la  maison  d'Esté;  mais 
elle  est  restée  en  manuscrit,  ainsi  que  beaucoup 
Vautres  du  même  auteur,  notamment  un  voca- 


bulaire de   la  géographie  ancienne,  intitulé  To- 
ponomasia,  en  dix-huit  livres. 

Sardi  (Alessandro),  érudil,  fils  du  précédent, 
né  vers  1520,  à  Ferrare,  où  il  est  mort,  le  26 
mars  1588.  Comme  son  père,  il  mena  une  vie 
laborieuse  et  retirée,  et  le  seul  emploi  qu'il  ait 
rempli  est  celui  de  conservateur  adjoint  des  ar- 
chives de  Ferrare;  le  duc  Alfonse  11  le  lui  accorda 
en  1570,  à  la  condition  de  travailler  a  la  rédaction 
des  annales  de  sa  maison.  Sardi  n'avait  qu'une 
passion,  l'étude;  mais  s'il  ajoutait  sans  cesse  à 
la  somme  de  ses  connaissances,  il  se  préoccupait 
bien  plus  aussi  d'en  faire  étalage  que  d'y  puiser 
avec  discernement.  Nous  citerons  de  lui  :  De 
rilibus  ac  moribus  gentium  lib.  III ;  Venise, 
1557,  in-8°;  réimpr.en  1577  avec  deux  livres  de 
plus  :  De  rerwn  inventoribus  ;Ma\ence,  in-4°; 
—  De  numis  traclatus ;  Mayence,  1579,  iu-4°; 
Padoue,  1648,  in-80';  Londres,  1675,  in-4",  sous  le 
nom  de  John  Selden  ;  —  De  Chrisli  humani- 
tate;  Bologne,  15S6,  in-8°;  —  Délia  poesia  di 
Dante;  Venise,  1586,  in-8*;  c'est  une  suite  de 
six  discours;  —  Anliquorum  numinum  et  he- 
roum  origines;  Rome,  1775,  in-4°  :  ouvrage 
estimé,  dû  aux  soins  de  l'évêque  Riminaldi.  On 
conserve  de  cet  auteur  un  grand  nombre  d'ou- 
viages  inédits,  dans  la  bibliothèque  de  Modène, 
tels  que  la  suite  de  l'histoire  de  Pigna,  sept 
livres  de  l'histoire  d'Italie  (1534-1559),  cinq  de 
l'histoire  d'Esté  (1476-1505),  et  quarante  de 
l'histoire  ancienne. 

Barolti,  Memorie  de'  letterati  ferraresi.  —  G.  Ferrl, 
Vita  di  Mess.  Sardi,  à  la  tête  des  Numinum  origines.  — 
Tiraboschi,  mblioth.  modenese. 

sargon,  roi  d'Assyrie,  mort  en  704  av.  J.  C. 
Il  succéda  en  721  à  un  prince  qui  avait  régné 
pendant  cinq  ans  après  Tiglat-Pileser  IV,  et 
qu'on  croit  avoir  été  Salmanassar  V;  très-pro- 
bablement il  n'était  pas  de  la  famille  royale; 
car  dans  ses  inscriptions  il  ne  parle  d'aucun  de 
ses  ancêtres.  Ces  documents  fort  nombreux 
donnent  de  Sargon  l'idée  d'un  conquérant  qui 
étendit  au  loin  sa  puissance.  Après  avoir  en  721 
vaincu  le  roi  d'Elam  et  soumis  la  Chaldée,  il 
s'empara  de  Samarie  (720) ,  et  imposa  aux  ha- 
bitants d'Israël,  dont  il  transporta  une  trentaine 
de  mille  en  Assyrie,  les  tributs  que  Tiglat- 
L-i!eser  IV  avait  exigés  d'eux  (1).  Il  étouffa 
ensuite  la  révolte  du  roi  de  Hamath  Ilonbid, 
qu'il  fit  écorcher  vif,  et  remporta  peu  de  temps 
après  une  grande  victoire  à  Raphia  sur  Hanon, 
roi  de  Gaza,  et  Sebecb,  prince  égyptien.  Les  ha- 
bitants de  Chypre,  impatients  du  joug  des  Ty- 
riens,  invoquèrent  la  protection  de  Sargon,  qui 
occupa  deux  fois  la  Phénicie.  Sidon  et  d'autres 
villes  reconnurent  sa  suzeraineté;  mais  Tyr  ne 
se  soumit  qu'après  un  siège  de  cinq  ans  (2).  Vers 

(1)  On  a  presque  généralement  confondu  cette  première 
transportation  avec  la  grande  captivité,  qui  ne  fut  or- 
donnée par  Sargon  que  vers  709.  (Voy.  un  article  de  sir 
H   Rawlinson  dans  VAthenxum  anglais  du  22  août  1863.) 

(2)  Tous  ces  démêlés  avec  les  Phéniciens  racontés  par 
Ménandrc  et  l'historien  Josèphc  ont  été  à  tort  rapportés 


S35  SARGON 

715,  Sargon  imposa  tribut  aux  Égyptiens  et  aux 
Arabes;  puis  il  fit  une  expédition  victorieuse 
contre  la  Médie  et  l'Arménie,  dont  le  roi  Ursa, 
battu  en  713  de  nouveau,  se  tua  de  désespoir. 
Dans  les  années  suivantes,  il  fit  sentir  la  puis- 
sance de  ses  armes  à  diverses  populations  du 
nord  et  de  l'est;  il  marcha  en  710  contre  la  Syrie, 
qui  avait  secoué  le  joug  assyrien;  il  prit  Asdod, 
dont  il  emmena  les  habitants  en  captivité  (1),  et 
obligea  à  une  paix  humiliante  le  roi  éthiopien 
de  Meroë.  C'est  à  cette  époque  aussi  qu'il  mit 
fin  au  royaume  d'Israël,  après  avoir  pris  une  se- 
conde fois  Samarie  au  bout  d'un  siège  de  trois  ans; 
la  plupart  des  indigènes  furent  emmenés  en  As- 
syrie. Il  avait  ainsi  détruit  la  coalition  menaçante 
que  les  princes  de  Syrie  et  d'Egypte  ainsi  que 
le  roi  d'Israël  Osée  avaient  formée  contre  lui.  Il 
futégalement  heureux  contreMézodach-Baladan, 
qui  avait  insurgé  toute  la  Chaldée,  et  reprit 
Babylone.  En  711,  il  commença  la  construction 
d'un  magnifique  palais  à  Korsabad,  lieu  qu'on 
appelait  encore  au  moyen  âge  Sar'oun  ;  la  dé- 
couverte faite  dans  ces  derniers  temps  des  restes 
considérables  de  cet  édifice  a  amené  la  mise  au 
jour  d'une  vingtaine  d'inscriptions  rapportant  les 
hauts  faits  de  Sargon,  qubeut  pour  successeur 
son  fils  Sennachérib.  E.  G. 

Layard,  Inscriptions  of  the  Assyrian  monvments.  — 
Flandln  et  Botta,  monuments  de  Ninir.e.  —  Opperl,  Ex- 
pédit.  en  Mésopotamie,  t.  I,  Paris,  1863,  in-4°,  Inscrip- 
tions des  Sargonides.  —  Opperl  et  Menant,  Fastes  du  roi 
Sargon;  Paris.1863,  in-t°. 

sarisbery.  Voy.  Jean  de  Salisbury. 

sarmiento  (Martin),  érudit  espagnol,  né 
en  1692,  à  Ségovie,  mort  en  1770,  à  Madrid.  H 
entra  de  bonne  heure  chez  les  bénédictins  de 
Madrid,  alla  terminer  ses  études  à  Alcala,  où  il 
prit  le  grade  de  docteur  en  droit,  et  revint  dans 
la  capitale  pour  y  enseigner  successivement  la 
philosophie,  la  morale  et  la  théologie.  Il  se  fît 
connaître  par  une  immense  érudition  et  par  au- 
tant de  sincérité  que  de  modestie.  Désigné  par 
ses  supérieurs  pour  examiner  les  ouvrages  du 
P.  Feyjoo,  son  confrère,  et  surtout  les  premières 
parties  du  Teotro  critico,  où  certains  préjugés 
étaient  combattus  avec  vigueur,  il  eut  le  courage 
de  leur  donner  son  approbation;  cette  circons- 
tance le  mit  en  butte  aux  attaques  d'une  fouie 
d'auteurs,  dont  les  écrits  étaient  pleins  de  satires 
injurieuses  à  la  mémoire  de  ces  deux  hommes 
éminents.  Les  Œuvres  du  P.  Sarmiento,  publiées 
par  le  couvent  de  Saint-Martin,  forment  4  vol. 
in-4°  (Madrid,  1775J;  le  t.  Ier  est  entièrement 
consacré  aux  Memorias  para  la  hisloria  de  La 
poesia  y  poetas  espaiioles,  excellent  recueil 
entrepris  sur  le  même  sujet  que  celui  de  San- 
chez  et  concluant  en  beaucoup  d'endroits  aux 
mêmes  résultats. 


par  eux  a  Salmannssar  ;  on  a  trouvé  en  Chypre  une  stèle 
île  Sargon,  conservée  ;m  musée  de  Berlin. 

(l)Celle  piise  d'Asdori,  rapportée  par  le  prophète  Isaïe 
(cli.  xx,  1  .était  la  seule  action  de  Sargon  qui  fût  connue 
avant  la  découverte  des  Inscriptions  cunéiformes. 


—  SARNELLI 


338 


Courrier  littér.  de  l'Europe,  1770.  —  Ticknor,  liist.  of 
spanish  literature,  III. 

sarnelli  (Pompeo),  littérateur  italien,  né 
le  28  janvier  1649.  à  Polignano  (roy.  de  Naples), 
mort  en  juillet  1724.  Envoyé  à  Naples  pour  y 
achever  ses  études,  il  composa  dès  l'âge  de  dix- 
neuf  ans  un  poème  italien  en  1  honneur  de  sainte 
Anne  ;  ce  début  attira  sur  lui  l'attention  dans  une 
époque  où  les  lettres  étaient  en  honneur;  il  lui 
valut  le  litre  honorifique  de  protonotaire  apos- 
tolique, et  peu  de  temps  après  la  protection  du 
cardinal  V.-M.  Orsini.  Après  s'être  engagé  dans 
les  ordres,  il  continua  de  cultiver  les  lettres,  el 
ajouta  au  renom  de  pcëte  et  de  savant  celui  d( 
prédicateur.  Pendant  treize  ans  (1679-1692),  i 
vécut  près  de  son  généreux  patron,  le  seconde 
en  qualité  de  grand  vicaire  dans  l'administratioi 
des  églises  de  Manlïedonia  et  de  Benevento,  e 
reçut  de  lui,  en  168-8,  la  riche  abbaye  du  Saint 
Esprit,  dans  cette  dernière  ville.  En  1692,  il  fu  I 
pourvu  de  l'évèché  de  Biseglia,  dans  la  terre  d  U 
Bari.  Ses principauxouvrages  sont  -.Santa  Anna  i 
poema;  Naples,   1668,    in-16;    —  Parufras'\ 
elegiaca  de  Salmi  penitenziali  ;  ibid.,   1672  I 
in-4°;   —  Donato   distrutto  nnovato;  ibid,  j 
1675,  1690,  in-12  :  c'est  le  premier  livre  d'un   ' 
grammaire  qui  devait  en  avoir  neuf;  —  Diari  I 
napoletano ;    ibid.,   in- 12,    espèce  d'almanac  a 
publié  plusieurs  années  sous  l'anagramme  de  Su   ! 
lomone  Lipper  ,•  il  s'est  servi  du  même  détou  i 
(tels  que  les  noms  de  Jîsopus  Primnellius ,  Me 
sillo  Reppone),  quand  les  écrits  qu'il  mettait  a    i 
jour  semblaient  déroger  à  la  gravité  de  son  état 

—  Specchio  del  ciero  sccolare,  ovvero  vitfl 
de' SS.ohericisecolarijMd.,  1678,3vol.  in-4c.B 

—  Bestiarum  schola,  ad  hommes  erudiendc 
provide  ïnslituta ;  Cesena,  1680,  in-12;  -M 
Cronologia  de'  vescovi  sipontirti  ;  Manfredoni; 
1680,  in  4°;  —  Scaola  delï  anima;  Cesen; 
1682,  in-12;  —  Posillicheata;  Naples,  168' 
in-12  ;  —  Guida  de1  forastieri  nella  città  i  j 
Napoli;  ibid.,  1685,  1692,  in- 1-2  :  l'auteur 
donné  un  autre  Guida  nelle  luoghi  conviciml 
ibid.,  1685,  1688,  in-12,  et  on  a  réuni  les  dei 
dans  la  traduction  française;  ibid.,  1706,  in-l!| 

—  Antica  basilicografia ;  ibid.,  1686,  in-4" 
c'est  un  résumé  de  tout  ce  qui  est  relatif  à 
disposition  des  anciennes  basiliques  ;  —  Lette; 
ecclesias  fiche;  Naples  et  Venise,  1686  171 
9  vol.  in-4°  :  elles  roulent  sur  différents  poin 
de  la  discipline  de  l'Eglise;  —  Il  Clcro  secolm 
nel  suo  splendore;  Rome,  1688,  in-4°  :  l'autei 
souhaitait  de  voir  rétablir  la  vie  commune  d 
clercs  ;  —  Memorie  cronotogiche  de'  vescovi  i 
Benevento;  Bénévent,  1691,  in  4°;  —  Memori 
de'  vescovi  di  'Biseglia;  Naples,  1693,  in-4' 

—  Annotazioni  sopra  il  librodegti  Egregol 
diHenoch;  Venise,  1710. in-12. Sarnelli  atradij 
divers  ouvrages  de  littérature,  et  il  a  publié  d 
éditions  des  Antiquités  de  Pouzzoles  de  Loffr 
do,  de  \' Histoire  de  Naples  de  Summonte,  et 

Elogx  acad.  delta  soc,  degli  Spensierati  di  Rossar, 


337  SARNELLl 

t.  1er,  p.  î83.  —  Ughelll,  Italia  sacra.  —  Toppl,  Bibl. 
napolitana.  —  Niceron,  Mémoires,  XL1I. 

SAKON.    Voy.  BOCHART. 

$arpi  (Pietro),  en  religion  fra  Paolo,  pu- 
liliciste  et  historien  italien,  né  le  14  août  1552,  à 
Venise,  où  il  est  mort,  le  15  janvier  1623.  Fils 
d'un  négociant  qui  avait  perdu  sa  fortune,  il  fut 
I  élevé  par  les  soins  de  sa  mère,  et  reçut  sa  pre- 
I  inièrc  instruction  dans  l'école  que  tenait  son  oncle 
!  maternel,  fra  Ambrosio  Morelli.  D'une  constitu- 
I:  tion   frêle,  d'un  caractère  réfléchi  et  taciturne, 
[  sobre,  appliqué  à  l'étude,  d'une  pénétration  rare 
et  possédant  en  même  temps  une  mémoire  pro- 
,  !  digieuse,  il  passa  à  douze  ans  sous  la  direction 
i  I  du  servite  J.-M.  Capella,  qui  le  décida  à  entrer, 
'en   15C5,  dans  sa  congrégation.  C'est  alors  qu'il 
•  échangea  son  prénom  de  Pierre  contre  celui  de 
■  Paul.  Il  alla  continuer  ses  études  àMantoue,  et 
(jy  soutint  en  1570  plus  de  trois  cents  thèses  avec 
i  I  le  plus  grand  éclat.  Le  duc  de  Mantoue  le  nomma 
h  alors  son  théologien,  et  l'évêque  de  cette  ville 
\\  l'appela  à  une  chaire  de  théologie.  Sans  se  laisser 
[  i  éblouir  par  ces  succès  précoces,  il  ne  cessa  pas 
\\  de  compléter  ses  connaissances  dans  les  langues 
K  anciennes    et  orientales,  et  s'adonna  avec  une 
If  ardeur    croissante    aux    mathématiques,     aux 
fi  sciences  naturelles,  à  l'astronomie  et  à  la  phy- 
|!  sique.  C'est  à  cette  époque  aussi  qu'il  écrivit  une 
Bhistoire  générale  des  conciles  d'après  les  actes. 
■f  Après  avoir  fait  sa  profession  solennelle  (1572), 
L>il  fut  rappelé  à  Venise,  où  il  enseigna  chez  les 
3  1  servîtes   la  philosophie  (1575)  et   la  théologie 
■1(1578).  Élu  provincial  en  1579,  malgré  sa  jeu- 
I  jlnesse,  il  se  rendit  à  Rome,  et  travailla  à  la  ré- 
..  [dadion  de  nouveaux  statuts  de  son  ordre.  En 
;  1588  il  y  retourna,  en  qualité  de  procureur;  ac- 
r  cueilli  avec  faveur  par  Sixte  V,  il  se  lia  avec 
i  [Bellarmin  et  Navarro,  ainsi  qu'avec  le  cardinal 
»  sCastagna,  plus  tard  Urbain  Vil,  et  lit  un  voyage 
■  à  Naples,  où  il   fréquenta  beaucoup  le  célèbre 
I  s  Porta,  qui  avoue  avoir  beaucoup  appris  de  Sarpi. 
il     Ce  dernier  consacrait  tous  ses  loisirs  à  l'étude 
•   des  sciences  naturelles,  lorsqu'un  ordre  de  ses 
li  1  supérieurs  le  manda  en  1589  à  Venise.  Il  con- 
!  [  signa  les  résultats  de  ses  observations  dans  divers 
i  ;  recueils  manuscrits,  aujourd'hui  perdus,  mais 
i .  |  dont  Grisellini  a   laissé  une  analyse,   souvent 
i  i  inexacte  ou  exagérée.  Voici  le  résumé  des  dé- 
couvertes importantes  qu'on  peut  avec  certitude 
i  attribuer  à  Sarpi.   Dès   1580  il  était  parvenu  à 
i  I'  deviner  le  secret  de  la  circulation  du  sang,  trente 
ans  avant  Harvey  ;   il   remarqua  le  premier  la 
'f  dilatation  et  la  contraction  de  l'uvée  dans  l'œil 
■i  |  de  tous  les  animaux  ;  il  connut  aussi  l'effet  de 
}  l'air  insufflé  dans  les  poumons  en  cas  de  mort 
il  !  apparente,  idée  reprise  plus  tard  par  Hunier;  il 
i  j:  avait  posé  les  fondements  d'un  système  général 
;  i  pour  tous   les  phénomènes  magnétiques,  et  il 
i  j  précéda  Gilbert  au  sujet  de  la  déclinaison  et  des 
i  variations  de  l'aiguille  aimantée.  L'algèbre  l'oc- 
;  cupa  beaucoup  :  sur  plusieurs  points  il  corrigea 
et  dépassa  Vieta.  Uni  d'uhe  étroite  amitié  avec 


—  SARPI  338 

Galilée,  qui  l'appelle  son  père  et  son  maître,  il 
l'assista  dans  ses  observations  astronomiques.  Il 
est  encore  à  remarquer  que  la  précision  de  son 
esprit  l'empêcha  de  tomber  dans  les  rêveries 
alchimiques  et  théurgiques  alors  si  en  vogue. 
Vers  1591,  il  aborda  sérieusement  la  philoso- 
phie. Porlé  par  son  caractère  auslère  vers  le 
stoïcisme,  il  adopta  le  fatalisme,  qui  est  la  hase 
de  cette  doctrine.  Tout  en  observant  scrupuleu- 
sement tous  ses  devoirs  religieux  et  en  consa- 
crant par  jour  huit  heures  à  l'étude,  il  trouvait 
encore  le  temps  d'entretenir  une  vaste  correspon- 
dance avec  les  principaux  savants  de  l'Europe, 
tels  que  Casaubon,  deThou,  Saumaise,  Vossins, 
les  frères  du  Puy,  Barclay,  Bacon,  Grotius,  etc. 
Son  seul  délassement  était  de  fréquenter  les 
cercles  littéraires  de  Venise;  il  aimait  à  y  inter- 
roger les  voyageurs  qui  avaient,  parcouru  les 
contrées  lointaines.  Le  désir  d'avoir  plus  de 
temps  à  donner  à  l'étude  lui  lit  solliciter  l'évêché, 
du  reste  peu  lucratif,  de  Caorle,  et  en  1601  celui 
de  Nona;  mais  il  éprouva  chaque  fois  un  refus 
à  Rome,  parce  qu'il  avait  fourni  au  sénat  des 
notes  relatives  au  différend  qui  s'était  produit 
entre  Venise  et  la  cour  pontificale.  Nommé  en 
1606,  au  plus  fort  de  la  lutte,  théologien  cano- 
niste  de  la  république,  il  publia  en  italien  pour 
répondre  à  l'excommunicalion  lancée  par  Paul  V 
contre  sa  patrie,  le  Traité  de  V Interdit  et 
d'autres  écrits  polémiques,  où,  dans  un  style  clair, 
incisif  et  plein  d'énergie,  il  s'appliquait  à  dé- 
montrer la  nullité  des  mesures  pontificales.  En- 
couragé par  l'inflexible  moine,  le  sénat  se  refusa 
à  faire  la  moindre  concession  au  pape,  qui,  après 
deux  ans  d'efforts  inutiles,  fut  obligé  d'accepter 
les  conditions  qu'on  lui  offrait.  Sarpi,  dont  les 
gages  avaient  été  portés  à  quatre  cents  ducats, 
reçut  encore  en  récompense  l'office  de  consul- 
teur  en  droit,  et  l'entrée  des  archives  secrètes  lui 
fut  ouverte. 

Le  rôle  important  que  Sarpi  avait  joué  dans 
la  lutte  contre  la  cour  pontificale  avait  excité 
chez  cette  dernière  un  ressentiment  profond, 
auquel  il  répondit  par  une  haine  aussi  intense, 
mais  beaucoup  plus  calme.  Ses  vertus  éclatantes 
furent  taxées  d'hypocrisie,  et  il  se  vit  accusé 
d'être  calviniste  ou  même  athée  (1).  Cependant 
ces  calomnies  ne  lui  ôtèrent  rien  de  son  crédit 
et  de  sa  popularité,  et  il  continua  d'exercer  jus- 
ci)  Quoique  partageant  les  sentiments  des  calvinistes 
sur  la  prédestination,  il  était  loin  d'avoir  embrassé 
tontes  leurs  doctrines.  Les  faits  rapportés  par  Burnet, 
le  P.  Daniel  et  antres,  sur  la  foi  desquels  Bayle,  Bossuet 
et  Voltaire  n'ont  pas  hésité  à  le  présenter  comme 
attaché  à  la  religion  réformée,  sont  ou  contronvés  ou 
remplis  d'exagérations.  Ses  sympathies  pour  les  pro- 
testants tenaient  en  grande  partie  à  des  causes  politi- 
ques ;  il  aurait  voulu  que  Venise  conclût  avec  eux  une 
alliance  intime  contre  l'Espagne.  Si  d'un  côté  Sarpi  ne 
désirait  pas  l'abolition  des  cérémonies  catholiques, 
d'un  autre  il  caressa  l  idée  de  devenir  en  Italie  le  réfor- 
mateur delà  religion;  et  il  faut  reconnaître  qu  il  pré- 
tendait substituer  au  catholicisme  orthodoxe  des  doc- 
trines à  peu  près  analogues  à  ce  que  fut  plus  tard  le  jan- 
sénisme. 


339 


qu'à  ia  fin  de  sa  vie  la  plus  grande  influence   i 
sur  !es  affaires  de  l'État.  Remplissant  seul  une  be- 
sogne répartie  entre  trois  personnes,  il  rédigea   ; 
sur  les  questions  courantes  de  politique,  de  reli-   j 
gion  et  d'administration  un  très-grand  nombre 
de  consultes  ou  avis,  où  l'on  admire  des  con- 
naissances étendues  et  un  grand  esprit  de  dis- 
cernement. Après   avoir  été  le  promoteur  de 
l'alliance  entre  Venise  et  la  nouvelle  république 
de  Hollande,  il  continua  d'entretenir  chez  ses 
compatriotes  un  esprit  d'opposition  contre  ce 
qu'il  appelait  les  empiétements  de  la  cour  pon- 
tificale, avec  laquelle  la  république  ne  cessait 
d'avoir  des  démêlés.  Averti  parBoccalini,  Sciop- 
pius  et  Bellarmin  de  se  tenir  sur  ses  gardes,  il 
évita  plusieurs  attentats  médités  contre  sa  vie. 
Mais  le  5  octobre   1607  il  fut,  vers  le  soir,  as- 
sailli par  une  bande  de  spadassins  qui,  déses- 
pérant de  l'enlever  vivant,  lui   portèrent  une 
quinzaine  de  coups  de  poignard.  Dans  les  der- 
niers temps  de  sa  vie,  Sarpi  s'appliqua  à  l'as- 
tronomie et  à  la  mécanique  ;  le  premier  il  conçut 
alors  le  plan  d'une  carte  lunaire.  Il  venait  déter- 
miner en  1615  V Histoire  du  concile  de  Trente, 
lorsqu'il  en  communiqua  le  manuscrit  à  Dominis, 
archevêque  de  Spalatro,  qui  à  son  insu  en  prit 
une  copie  et  la  fit,  en  1619,  imprimer  à  Lon- 
dres. Ce  livre,  écrit  dans  le  but  constant  de  pré- 
senter l'œuvre  du  concile  comme  entachée  d'in- 
trigues et  de  toutes  les  misères  humaines,  eut 
un    immense  retentissement,  et  raviva  contre 
l'auteur  l'inimitié  de  la  cour  romaine.  Voici  le 
jugement  qu'a  porté  sur  cet  ouvrage  célèbre 
M.  Ranke  (  Hist.  des  papes  )  :  «  Les  sources 
sont  recueillies  avec  soin,  consultées  avec  une 
grande    supériorité,  mais   remaniées  dans  un 
esprit  d'opposition  systématique.   A  tout  propos 
Sarpi  blâme  et  condamne  ;  son  ouvrage  est  le 
premier  exemple  d'une  histoire  écrite  dans  un 
parti  pris  de  dénigrement,  qui  s'applique  à  tous 
les  faits  qu'il  cite.  L'arrangement  de  son  tra- 
vail, plein  d'esprit  et  de  malice,  est  des  plus 
habiles  ;  son  style  est  pur,  clair  et  simple  ;  et 
quoique  la  Crusca  n'ait  pas  voulu  l'admettre 
parmi  les  classiques,  probablement  à  cause  de 
quelques  expressions  provinciales,   il  n'en  est 
pas  moins  agréable.  Sous  le  rapport  du  talent 
d'exposition,  Sarpi  occupe  sans  contredit  la  fé- 
conde place  parmi  les   historiens  modernes  de 
l'Italie,  immédiatement  après  Machiavel.  »  Sarpi 
ne  quitta  plus  guère  sa  cellule;  la  prétendue 
conspiration  des  Espagnols  (16(8)  avait  fait  re- 
mettre en  vigueur  la  défense  pour  tout  citoyen 
de  Venise  de  communiquer  avec  les  ambas- 
sades que  Sarpi  fréquentait  beaucoup.  11  avait 
cependant  convaincu  son  gouvernement  du  peu 
de  gravité  de  cette  affaire  (1).  Averti  de  sa  fin 
prochaine  par  les  infirmités  et  les  maladies,  son 
âme  resta  sereine,  et  son  esprit  lucide;  sur  son 

(1)  Loin  d'avoir  été  chargé  d'en  faire  la  relation,  ce  fut 
sur  son  avis  que  le  conseil  des  Dix  décida  de  garder  un 
complet  silence  sur  cet  événement. 


SARPI  310 

lit  de  mort  il  donna  encore,  à  propos  d'une  af- 


faire importante,  un  avis  nettement  motivé  et  qui 
fut  suivi  par  le  sénat.  Ses  funérailles  furent  célé- 
brées avec  beaucoup  de  pompe,  aux  frais  de  l'É- 
lat,qui  fit  notifier  aux  cours  étrangères  la  mort  de 
son  illustre  serviteur  comme  une  perte  publique. 
On   a  de  Sarpi  :  Traltalo  dell'  lnterdetto  ; 
Venise,  1606,  in-4°;  trad.  en  français,  dans  le 
Gouvernement  de    Venise  d'Amelot   de   La 
Houssaye;  —  Istoria   del  concil'to   Triden- 
tino  ;  Londres,    1619,  in-fol.  ;   Genève,  i629, 
in-4°  ;  s.  1.,  1757,  2  vol.  in-4°,  et  1656,  1660, 
in-4°;  Mendrisio  (  Tessin  ),   1835-1836,  7  vol. 
in-8°;  Florence,  1858,  4  vol.  in-8°;  traduite  en 
latin  (Londres,  1620,    et  quatre  autres  édit.  ), 
en  allemand    (1620),  en  anglais   (1629)  et  en 
français,  par  Diodati  (Genève,  1621),  par  Ame- 
lot  de  la    Houssaye  (  Paris ,    1 683  ) ,    et   par 
Le  Courayer,  qui  y  a  ajouté  beaucoup  de  notes 
(Londres,  1736,   2  vol.   in-fol.);    —    Istoria 
dell'  lnterdetto;  Venise,  1624,  in-4°;  traduit 
en  latin  et  en  français;  —  Istoria   deglï  Us-^ 
cocchi,  suite  de  l'ouvrage  deMinuccio,  avec  le- 
quel  elle   a  été  imprimée;   Venise;  1676;  — 
Tractatus  de  beneficiis;  Iéna,   1681,  in-12; 
traduit  en  français  (Amst.,  1685,  in-12);  l'ori- 
ginal italien  n'a  paru  que  dans  les  recueils  des 
Œuvres  complètes  de  Sarpi  publiées  à  Helm- 
stsedt  (Vérone),  1750,  2  vol.  in-fol.  ;  ibid.,  1761- 
1768,  8  vol.  in-4°  ;  Naples,  17-89-1790,  24  vol. 
in-8°;  d'autres  recueils  du  même  genre,  mais 
moins  complets,   avaient  paru  à  Venise  (  Ge-i 
nève),  1687,  6  vol.  in-12;  Helmstsedt  (Venise). 
1718,   2  vol.   in-4°;  ils  contiennent,  outre  les 
ouvrages  précités,  plus  de  cinquante  pièces  suit 
des  matières  de  droit  canon  et  de  politique,  no 
tamment  un  Discorso  sulV  inquisizione,  qu 
avait  aussi  paru  à  part  (Serravalle,  1638,  in-4°) 
Dans  aucun  de  ces  recueils  ne  se  trouvent  1er 
Lettres  de  Sarpi  ;   elles  ont  paru  par  parties 
mais  généralement  dans  un  état  de  grande  a! 
tération,  soit  parce  que  les  originaux  étaient  ei 
chiffres,  soit  parce  qu'elles  avaient  été  remaniée 
dans  un  intérêt  politique  :  1°  celles  adressées 
Groslot,  seigneur  de   l'Isle,  et  autres  Français 
Genève,  1673,  in-12  ;  trad.  en  latin  ,  Londres 
1693,  in-8°  ;  2°  celles  écrites  à  Lechassier, 
Gillot,  à  Casaubon  et  à  Priuli,  dans  la  Slori 
arcana  de  Fontanini;  3°  celles  à  Foscarini  < 
àCastrino,Capolago,  1833.  On  aattribué  à  Sarp 
mais  sans  -preuves  convaincantes,   une  dizain f 
d'écrits,    notamment  la    Consolazione    delli 
mente  nel  preteso  interdetto  (La  Haye,  2  vo 
in-12),  et  Corne  debba  governarsi  la  reput 
Mica  veneziana  per  havere  il  perpeluo  dt 
minio,  pamphlet  rempli  de  maximes  odieusi 
qui,  d'après  une  note  d'Agostini,  est  d'un  bi 
tard  des  Gradenigo.  E.  G. 

Micanzio,  Vda   di  Sarpi  ;  Leyde,  1616,  in-12  ;  Mi  la 
1824,  in- 16:    cette  notice,  reproduite  entête  des  01 
vres  de  Sarpi,  n'<  tant  qu'une  ébauche   Inaclv 
tient  beaucoup  d'erreurs  et  d'omissions. 


l'ami  Intime   de   fra    Paolo. 


evéi  . 

î/auteur  et. 

—   Griselini,    Memer. 


NI 


SARPI  —  SARRAZIN 


342 


peltanti  al, a  vita  dt  Sirpt;  1,'iisanne,  1760 .  ce  livre, 
tinpM  de  documents  importants  et  écrit  tout  en  faveur 
e  sarpl,  fut  publie  de  nouveau,  sous  le  titre  de  Vel 
ento  dl  Jra  Paoln  ;  Venise,  1785.  S  vol.  ln-4°.  —  Fon- 
lOlnl,  Storiu  arcana  délia  vitu  di  Fra  Paolo  ;  Milan, 
(.1805,  in-8°  .  écrit  dirige  contre  Sarpl.  —  Hlanchi-GIo- 
1  In),  titogrufiti  d\  fra  Paolo  ,  Zurich,  i836,  2  v0|. 
3-8°,  trad.    en  français,    Bruxelles,  1863,2   vol.  ln-12  : 

I  |  uoiqnc  etaut  un  panégyrique,  ce  litre  est  le  plus  rom- 

let'  et  le  meilleur  de  ceux  écrits  sur  le  même  sujet.  — 
■  liinrïi,  Fra  l'aolo  ;  Carlsruhc,  1833.  ln-8°.  —  Bergan- 

ni,  Ira  Paolo  justt/lcato;  Venise,  î"S2.  —  Koscar^iii, 
i  i  etteraJura  veuezlana  :  important  a  consulter,  à  cause 
;   es  pièces,  aujourd'hui  perdues,  que  l'auteur  a  pu  con- 

I I  aitre. 

!   sa riiasin  (  Jean-Antoine),  médecin  fnn- 
I tais,  né  le  25  avril    1547,    à  Lyon,  où  il  est 

I  nort,  le  29  novembre  1593.  Il  était  fils  de  Pin- 
if  bert    Sarrasin ,    médecin    à    l'Iiôtel-Dieu    de 

II  von  (I),  et  qui  se  retira  à  Genève,  afin  de 
Ipuvoir  professer  librement  la  réforme.  C'est 
|[ans  cette  dernière  ville  que  Jean-Antoine  fit 
kj!S  études  médicales,  et  il  s'y  distingua  par 
si  >n  dévouement  durant  la  peste,  qui  la  désola  » 

■  usieurs  reprises.  En  1573,  il  reçut  le  grade 
l[:  docteur   à  l'université   de  Montpellier;  de 

■  •tour  à  Genève,  il  fut  nommé,  en  1574, 
I  embre  du  conseil  des  Deux-Cents  et  appelé,  en 
lp.84,  à  une  chaire  de  médecine.  Vers  la  (in  de 
1  vie  il  revint  à  Lyon.  On  a  de  lui  :  De  peste; 
ïeneve,  1571,  in-8°  ;  Lyon,  1589,  in-8";  — 
wioscoridis  De  matériel  medica  lib.  V  et  ve- 
henis  lib.  Il,  latine  versi;  Francfort,  1598, 
[I  -8°;  —  Dioscoridis   Opéra,  cum   scholiis, 

!  [".  et  lat.;  Francfort  et  Genève,  1598,  in-fol., 
.  iition  encore  estimée. 

i  :  Il  eut  trois  fils  :  V  Jean,  né  le  12  octobre 
j74,  qui  fut  docteur  en  droit,  secrétaire  d'État 

Ei603),  premier  syndic  (  1C26,   1630),   ebargé 

Ifî  missions  soit  auprès  du  duc  de  Savoie,  soit 
riprès  du  roi  de  France,  et  qui  mourut  le  30 

Mars  1632  (2);  2°  Philibert,  né  le  8,  mai 
j77,  qui  fut  docteur  en  médecine,  membre  du 

ijrand  Conseil  (  1600),  et  qui  a  laissé  quelques 
ihlications  médicales;  3°  Jacqzies,  né  en 
;>9i,  chargé  d'affaires  de  la  république  auprès 

[;îla  cour  de  France,  médecin  et  conseiller  de 

i  .ouïs  XIII,  mort  à  Paris,  en  1663. 
t  S\rrasin  (Louise),  sœur  de  Jean-Antoine, 
ée  en  1551,  à  Lyon,  morte  en  1622,  fut  céièbie 
pr  sa  connaissance  des  langues  anciennes  et 
jirtout  par  l'étonnante  précocité  de  son  inteUi- 
in.ee;  on  la  regarda  de  son  lemps  comme  une 
t  pèce  de  prodige  :  elle  savait  à  huit  ans  le 
tin,  le  grec  et  l'hébreu.  Elle  se  maria  trois 
is,  d'abord  avec  David  Larchevêque,  conseiller 
(État  de  Genève,  puis  avec  Etienne  Le  Du- 
pât, médecin  réfugié,  enfin  avec  Marc  Offredi, 
lédccin,  d'une  famille  illustre  de  Crémone.  Elle 


|1|  Philibert,  ne  à  Saint-Aubin  (  Charolais),  embrassa 
|  réforme  pendant  qu'il  faisait  ses  études  à  Paris.  Ii 
fait  ouvert  à  Agen  nne  école,  où  il  ent  nour  élève  Se 
j  s  aîné  de  Jules-César  Scaliger.   En   quittant   Lyon,  il 

I?  se  fixer  à  Genève  (  1550),   et  v  mourut,  le  5  mal 

T3. 

j(2)  Sa  postérité  occupa  à  Genève  des  postes  importants 
ns  l'Etat,  l'Église  et  l'Académie. 


i  garda  jusqu'à  la  Gn  de  ses  jours  son  goût  pour 
les  langues  savantes,  et  elle  lisait  à  son  dernier 
mari,  devenu  aveugle,  ies  livres  de  médecine  grecs 
et  latins. 

Ilaag,    France  protestante.  —    Pcrnettl ,   lyonnais 
dignes  de  mémoire.  —  Eloy,  DM.  hist.  de  la  médecine. 

SAHRASIK.  Voy.    Sarasin. 
sarrazin  (Jacques),  peintre  et  sculpteur 
français,  né  «  Noyon,  en  1588,  mort  à  Paris,  le 
3  décembre  1060.  Issu  d'une  famille  aisée,  il  fut 
encore  enfant  envoyé  à  Paris  ,  où  il   reçut  les 
leçons  de  Guillain  père,  qui  lui  apprit  à  dessiner 
et  à  modeler.  Il  partit  ensuite  pour  Rome,  et  y 
passa   dix-huit  années ,    étudiant   surtout  les 
œuvres  de  Michel-Ange,  dont  il  aimait  à  se  dire 
le  disciple.  Pendant  ce  séjour,  il  fut  employé  à 
Frascati  par  le  cardinal  Aldobrandini,  pour  le- 
quel il  exécuta  deux  figures  colossales  d'Atlas 
et  de  Polyphême  (villa  du  Belvédère).  Il  se  lia 
d'amitié  avec  le  Dominiquin,  qui  y  travaillait  en 
même  temps,  et  le  retrouva  encore  à  S.-Andrea 
délia  Valle,  où  il  sculpta  les  statues  du  portail. 
Vers  1628  il  était  revenu  à  Paris,  ayant  chemin 
faisant  exécuté  quelques  travaux  à  Florence  et  à 
Lyon.  Ses  premiers  ouvrages  dans  la  capitale  se 
ressentirent  de  la  bonne  et  Jorte  nourriture 
qu'il  avait  reçue  à  l'école  des  maîtres  ilaliens; 
malheureusement  plus  tard  il  subit  l'influence  de 
Simon  Vouet,  dont   il  épousa  la   nièce  (16  mai 
1631),  et  son  style  fut  loin  d'y  gagner.  Sarrazin 
débuta    par    quatre  Anges  de   stuc    destinés 
au  maître  autel  de  Saint-Nicolas  des  Champs. 
On  lui  confia  presque  aussitôt  la  décoration  du 
grand  pavillon  du  Louvre  (  côté  de  la  cour)  ;  il  y 
cemposa    ces  fameuses  cariatides,  son   chef- 
d'œuvre,  auxquelles  il  n'y  a  qu'un  reproche  à 
faire,  celui  d'être  hors  de  proportion  avec  les 
détails  d'architecture   qui   les   entourent.    Ces 
belles  figures  valurent  à  leur  auteur  une  pen- 
sion du  roi  et  un  logement  au  Louvre,  et  de  ce 
jour  les  commandes  lui   arrivèrent    de  toutes 
parts.  On  cite  de  iui  de  nombreux  travaux,  tels 
que  le  Tombeau  du  cardinal  de  Berullefaux 
carmélites  de  la  rue  Saint-Jacques),  deux  beaux 
Crucifix  (au  noviciat   des  Jésuites  et  à    Saint- 
Jacques-la-Boucherie),  le  Tombeau  de  Jacques 
de   Souvray   (à   Saint- Jean-de-Latran ) ,  etc. 
Anne  d'Autriche  lui  confia  l'exécution  de  l'En- 
fant d'or  qu'elle  avait  voué  à  Notre-Dame  de 
Lorette  pendant  sa  première  grossesse  ;  elle  lui 
demanda  plus    tard  un  buste  en   bronze  de 
Louis  XIV  enfant,  et  en  1643  deux  Anges 
(en   argent)    portant    au  ciel   le    cœur  de 
Louis  XIII,  placés  à   Saiut-Paul.  Le  dernier 
ouvrage  de  Sarrazin  fut  le  Mausolée  (destiné  à 
Saint-Paul)  de  Henri  de  Bourbon-Condè,  mort 
en  1646.  Le  musée  du  Louvre  possède  de  Sar- 
razin trois  statues  de  marbre,  Saint  Pierre,  la 
Madeleine,  et  la  Douleur,  cette  dernière  ayant 
appartenu  au  tombeau  de  l'abbé  Hennequin ,  mort 
en  1651,  et  le  buste  en  bronze  du   chancelier 
Seguier.  On  ne  possède  aucune  peinture  de  Sar- 


343  SARRAZIN 

razin,  mais  seulement  plusieurs  gravures  de 
Daret  d'après  quelques-unes  de  ses  Vierges.  On 
citait  de  lui  une  Sainte  Famille  et  quatre  mé- 
daillons aux  Minimes  de  Paris,  *  peintures  d'une 
si  grande  beauté,  dit  d'Argenville,  qu'on  les 
cioirait  de  Le  Sueur  ,>. 

Sarrazin  fut  un  des  fondateurs  de  l'Académie 
royale  de  peinture  et  sculpture;  dans  la  pre- 
mière assemblée  (1648),  il  fut  choisi  pour  l'un 
des  douze  professeurs,  et  obtint  en  1654  le  titre 
de  recteur  Le  14  septembre  1851,  la  ville  de 
Noyon  a  inauguré  sur  l'un  de  ses  Boulevards 
une  statue  en  bronze  de  son  illustre  enfant,  par 
Malknecht. 

Sarrazin  {Bénigne),  son  fils  et  son  élève, 
fut  un  peintre  de  quelque  talent ,  auquel 
Louis  XIV  accorda  une  pension  pour  aller  étu- 
dier à  Rome  et  qui  eut  la  survivance  du  loge- 
ment de  son  père  au  Louvre.  Il  mourut  à  Paris, 
en  1692. 

Sarrazin  {Pierre),  frère  cadet  de  Jacques  et 
sans  doute  son  élève,  fut  un  habile  sculpteur,  qui 
devint  en  1665  membre  de  l'Académie,  et  mou- 
rut à  Paris,  le  9  avril  1679,  à  l'âge  de  soixante- 
dix-huit  ans.  On  n'a  point  de  renseignements  sur 
ses  travaux;  mais  on  sait  qu'il  forma  un  grand 
nombre  d'élèves,  dont  les  plus  connus  sont  Le- 
rambert,  Legros,  Jacques  Buirette  et  Etienne  le 
Hongre.  £.  B— N. 

Cicognara,  Storia  délia  seulttira,  —  Sauvai,  Antiquités 
de  Paris.  —  D'Argenville,  f'oyages  en  France.  —  mé- 
moires inédits  de  l'Acad.  de.  peinture.  —  liarbet  de  Jouy, 
Descript.  des  sculptures  du  Louvre.  —  Magasin  pitto- 
resque, XX. 

*  sakrut  {Germain),  publiciste  français, 
né  à  Toulouse,  le  20  avril  1800.  Sa  famille  est 
originaire  de  l'Ariége.  Placé  comme  boursier 
au  lycée  de  Toulouse,  il  avait  à  peine  seize 
ans  quand  il  fixa  l'attention  sur  lui  par  une 
thèse  où  il  s'efforçait  de  démontrer  la  supério- 
rité de  la  poésie  sacrée  des  Hébreux  sur  îa  poésie 
profane  des  Grecs.  Il  renonça  à  la  carrière  du 
droit  pour  étudier  la  médecine  à  Paris,  et  fut 
prosecteur  au  Yal-de-Grâce;  mais  en  1822  il  en- 
tra dans  l'enseignement,  et  accepta  la  place  de 
censeur  au  collège  de  Pont-le-Voy;  deux  ans 
après  il  en  prenait  la  direction.  L'indépendance 
de  son  caractère  lui  suscita  de  la  part  du  clergé 
des  persécutions  qui  l'amenèrent  à  donner  sa 
démission  (1827)  ;  il  publia  à  cette  occasion  une 
lettre  qui  fut  reproduite  dans  le  cinquième  cahier 
des  Rognures  de  M.  de  Salvandy.  Nommé  après 
la  révolution  de  juillet  1830  président  de  la 
commission  départementale  de  l'Ariége,  il  pu- 
blia une  série  de  proclamations  remarquables 
par  l'ardeur  de  ses  convictions  démocratiques. 
Refusant'.es  offres  du  nouveau  pouvoir  (13  sep- 
tembre 1830),  il  devint  principal  propriétaire  et 
rédacteur  en  chef  de  La  Tribune;  en  moins  de 
quatre  ans,  cent-quatorze  procès  lui  furent  in- 
tentés ;  il  prit  soixante-sept  fois  la  parole  pour  se 
défendre,  soit  devant  le  jury,  soit  devant  la 
chambre  des  députés  ou  la  cour  des  pairs,  et  il 


—  SARTI  344 

fut  condamné  quatre  fois  à  la  prison.  Pendant 
toute  cette  période,  il  exprimait   les  plus  vives 
sympathies  pour  les  hommes  et  les  choses  de 
l'empire,  espérant  trouver  dans  une  cause  popu- 
laire des    auxiliaires  au   parti  républicain.    En 
1830,  ses  relations  avec  le  parti  du  prince  Louis 
lui  valurent,  à  l'occasion   du  procès   de  Stras- 
bourg,  une  visite  domiciliaire  qui  n'amena  au- 
cune découverte.  Ce  fui  alors  que  pour  mieux 
servir  la  cause  démocratique   il  entreprit  avec 
Saint-Edme  la   Biographie   des   hommes  dit 
jour  (1835-42,  12  part,  en  6  vol.  gr.  in-8°) 
dont  beaucoup  de  notices  tournèrent,  selon  li 
gré  des  auteurs/en  panégyriques  ou  en  libelles 
Élu  en  1848   représentant  du  Loir-et-Cher,  i 
vota  avec  le  parti  démocratique  dans  les  deu: 
assemblées  républicaines,  et  combattit  la  coati 
tion  monarchique  et  la  politique  de  l'Elysée.  De 
puis  le  coup  d'État,  il  est  rentré  dans  la  vie  pri 
vée.  On  a  encore  de  lui  :  Procès  à  l'histoire 
Paris,  1832,   in-8°;  — Second  procès  à  fhis 
toire;  Paris,  1833,  in-8°  :  brochure  tirée  à  cir 
quante  mille  exemplaires,  épuisée  en  trois  jour,1 
et  qui  donna  lieu  à  la  présentation  de  la  loi  si 
leserreurs  publiques; — Discours  sur  la  Gloire 
Foix,  1830,  in-8°;  —  Quelques  mots  au-ma 
réchal  Clausel;  Paris,  18.37,  in-8°;  —  Étudt  l 
rétrospectives  sur  l'état  de  la  scène  tragiqv  j 
de  1815  à  1830;  Paris,    1842,  in-8°;  —  Pan' 
pittoresque  ;  Paris,  1842,   2  vol.  in-8°  :  av< 
Saint-Edme  ;  —  Mémoire  à  consulter  sur  U 
chemins  de  fer  et  sur  le  système  Jouffroi 
Paris,  1844,  in-4°  :  système  auquel  M.  G.  Sa 
rut  a  sacrifié  toute  sa  fortune  ;  —  Histoire  t 
France  depuis  1792  jusqu'à  nos  jouis  ;  Pari 
1848,  in-4°,  illustré;  —  des  brochures  de  circon  ; 
tance,  des  articles  dans  le  Patriote,  la  r\ 
volution  de  1830,  etc. 

Vapereau,  Dict.  unie,  des  contemp:  —  Docnm.  pa 
sarti   {Mauro),  érudit  italien,  né  le  4d| 
cembre  1709,  à  Bologne,  mort  le  23  août  1766, 
Rome.  Il  revêtit  en  1728,  à  Ravenne,  l'habit  dj 
Camaldules.    Doué    d*un    esprit  vif  et    d'ui 
mémoire  prodigieuse,  il  fit  dans  les  sciences 
rapides  progrès,  et  se   rendit  non  moins  hab  j 
dans  la  théologie,  le  droit  canon,  les  langu 
classiques  et  ies  antiquités.  S'étant  voué  à  Tel 
seignement ,  il  professa  la  philosophie  dans  p.I:| 
sieurs  monastères  de  son  ordre,  à  Fabriano 
Avellana  et  à  Ravenne,  et  obtint  en    1749 
chaire  de  théologie  dans  cette  dernière  ville.  il 
pelé  en  1755  à  Rome,  il  devint  abbé  du  couvrj 
de  Saint-Grégoire,  et  fut  chargé  par  Benoît  XI 
d'écrire  l'histoire  de  l'université  de  Bologr 
mission  dont  il  s'acquitta,  au  jugement  de  Til 
boschi ,  avec  autant  d'érudition   que  d'exa< 
tude.  En    1765  il  lut  choisi  comme  procun 
général  de  sa  congrégation.  On  a  de  lui  :  Oi\ 
zione  délie  lodi  del  card.  Raniero  Simonet  | 
Pesaro,  1747,  in-4°;  —  Vita  di  S.  Giovanni 
Lodi;  Jesi,  1748,  in-4°  :  trad.   d'après  un  aj 
cien  manuscrit;  —  De  aniiqua  Picentum 


Î45 


SARTI 


346 


i/afe  Cupra  Montana;  Jesi,  1748,  in-8°  :  cette 
ncienne  ville  serait  Massaccio  de  Iesi;  —  De 
eteri  Casula  diptycha  ;  Faenza,  1753,  in-8°  : 
xplication  d'une  chasuble  possédée  par  le  mo- 
lastère  de  Classe,  à  Ravenne  ;  —  De  episcopis 
ïugubinis  ;  Pesaro,  1755,  in-4",  fig.  :  la  série 
es  évoques  de  Gubbio  y  est  complétée;  —  De 
laris  archigymnasii  bononiensis  professo- 
ibus,  a  sxc.  XI  ad  sac  XIV ;  Bologne,  1769- 
1,  2  vol.  in-fol.  fig.;  l'auteur  étant  mort  pendant 
impression  de  l'ouvrage,  le  P.  Fattorini ,  autre 
loine  camaldule,  fut  chargé  par  Clément  Xlllde 
:  continuer. 

Fnntuzzi,  Scrittori  bolognesi.  —  Novelle  letter.  di 
irenze,  t.  XXVII. 

sarti  (Giuseppe),  compositeur  italien,  né  à 
aenza,  le  28  décembre  1729,  mort  à  Berlin,  le 
}  juillet  1802.  Il  fit  ses  premières  études  musi- 
iles  à  la  cathédrale  de  Faenza,  et  se  rendit  eii- 
|  ;ite  à  Bologne  pour  apprendre  lecontrepoint  sous 
direction  du  P.  Martini.  Il  avait  à  peine  vingt- 
;  ux  ans  lorsqu'il  écrivit  son  premier  opéra,  Pom- 
i  o  in  Armenia,  représenté  pendant,  le  carnaval 
(:  1752.  En  1756,  il  accepta  la  place  de  maître 
[  chapelle  du  roi  de  Danemark  et  de  professeur 
fi  prince  héréditaire,    séjourna   pendant   neuf 
[  nées  à  Copenhague,  et  y  composa  quelques 
[éras,  qui  obtinrent  peu  de  succès.  En  1765  il 
hit  de  retour  en  Italie.  Après  y  avoir  fait  re- 
Jésenter  plusieurs  ouvrages,  il  lit  un  voyage  à 
Lndres  en  1769,  et  revint  en  1770  à  Venise,  où 
i  succéda,  comme  maître  du  conservatoire  de 
)spedaletlo,  à  Sacchini,  qui  venait  de  passer 
Angleterre.  Les  treize  années  qui  s'écoulèrent 
•  1771  à  1784  forment  la  période  la  plus  bril- 
nte  du  talent  de  Sarti.  Parmi  les  opéras  qu'il 
rivit  pendant  cette  période,  on  cite  particuliè- 
tment  le  Gelosie  villane,  Achille  in  Sciro, 
\iulio  Sabino,  le  Nozze  di  Dorina.  A  la  mort  de 
loroni,  en  1779,  il  remporta  au  concours  la 
lace  de  maître  de  chapelle  du  Dôme  de  Milan, 
[s  nouvelles  fonctions  lui  fournirent  l'occasion 
Récrire  un  grand  nombre  d'ouvrages  pour  l'É- 
se,  notamment  les  trois  belles  messes  qui  lui 
[rent  demandées,  en  1781,  par  le  duc  Serhel- 
!jii.  Au  mois  de  juillet  1784,  Sarti  se  rendit  à 
[int-Pétersbourg,  et  prit  la  direction  delà  mu- 
hue  de  l'impératrice  Catherine  II.  Une  de  ses 
jemières  productions  fut  un  psaume  en  langue 
sse,  en  chœur  avec  orchestre,  auquel  il  adjoi- 
nt un  second  orchestre  de  cors  russes,   sem- 
ble à  celui  que  Maresch  avait   formé  trente 
[s  auparavant.  Nous  mentionnerons  aussi  le  Te 
hum,  également  en  langue  russe,  exécuté  à 
iccasion   de   la   prise   d'Oczakow.   En   1786, 
fi'ti  fit  représenter  sur  le  théâtre   de  la  cour 
mida  e  Rinaldo;  cet  ouvrage,  dans  lequel 
n  cantatrice    Todi    remplissait    le    principal 
I  e,    obtint  un  succès   d'enthou>iasme.  Une 
i  [constance   vint   malheureusement  arrêter  le 
I  npositeur  au  milieu  de  ses  triomphes.  II  avait 
i  -pelé  auprès  de  lui  Marchesi,  l'un  des  meil- 


leurs chanteurs  qu'il  y  ent  alors.  Une  concur- 
rence redoutable  pour  Mn,e  Todi  s'établit  entre 
cette  cantatrice  et  Marchesi.  Irritée  de  l'appui 
que  Sarti  prêtait  à  son  rival,  Mrae  Todi,  profitant 
de  la  faveur  dont  elle  jouissait  auprès  de  Cathe- 
rine II,  mit  en  œuvre  tous  les  moyens  que  sa 
haine  lui  inspirait,  et  finit  par  obtenir  de  l'impé- 
ratrice le  renvoi  de  son  maître  de  chapelle.  Le 
prince  Potemkin.qui  protégeait  Sarti,  vint  à  son 
aide  en  établissant  dans  un  village  de  l'Ukraine  une 
école  de  chant  dont  l'artiste  disgracié  fut  nommé 
directeur,  avec  le  titre  de  lieutenant-major  de 
l'armée  impériale  (1).  Mais  à  la  mort  de,  Potemkin 
(1791)  Sarti  prit  le  parti  de  retourner  à  Péters- 
bourg,  où  il  parvint  à  se  justifier  auprès  de  l'im- 
pératrice, qui  lui  rendit  sa  place,  avec  un  traite- 
ment annuel  de  35,000  roubles.  Catherine  II  le 
chargea  aussi  d'établir  à  Katerinaslowun  conser- 
vatoire de  musique  à  l'instar  de  ceux  d'Italie; 
elle  fut  tellement  satisfaite  de  la  manière  dont 
Sarti  remplit  cette  mission  qu'elle  lui  accorda  des 
titres  de  noblesse  et  lui  donna  des  terres  d'un 
revenu  considérable,  afin  de  le  retenir  en  Rus- 
sie. L'âge,  le  travail  et  la  rigueur  du  climat 
eurent  bientôt  usé  les  forces  du  musicien.  Dans 
l'espoir  de  rétablir  sa  santé  en  Italie,  il  se  mit 
en  route  au  mois  d'avril  1802;  mais  obligé  de 
s'arrêter  à  Berlin,  il  y  mourut,  à  l'âge  de  soixante- 
treize  ans. 

Disciple  de  Martini,  auprès  duquel  il  avait 
puisé  les  excellentes  traditions  de  l'ancienne 
école  romaine,  Sarti  n'était  pas  seulement  l'un 
des  plus  habiles  contrapuntistes  de  son  temps  ; 
ses  mélodies  sont  pleines  de  grâce  et  de  sua- 
vité; elles  ont,  dans  la  plupart  des  œuvres  dra- 
matiques du  compositeur,  une  justesse  d'expres- 
sion qui  révèle  l'instinct  des  effets  de  scène. 
Parmi  les  élèves  que  Sarti  a  formés,  Cherubini 
était  un  de  ceux  qu'il  affectionnait  le  plus. 

On  connaît  de  Sarti  trente-neuf  opéras,  dont 
voici  les  titres  :  en  1752,  Pompeo  in  Armenia, 
à  Faenza  ,  et  II  Repaslore;  —  Medonte,  à  Flo- 
rence; Demofoonte ;  VOlimpiade;  —  en  1756, 
Cïro  riconosciuto ,  à  Copenhague;  —  La  Fi- 
glia  recuperata;  —  La  Giardiniera  bril- 
lante, 1758;  —en  1765,  Mitridate,  Il  Volo- 
geso,  et  la  Nilelti;  —  en  1766,  Ipermeslra, 
à  Rome;  —  en  1767,  /  Contratempi ,  à  Ve- 
nise, et  Didone;  —  en  1764,  Sentiramide  ri- 
conosciuta ,  et/  Pretendenti  delusi; —  / 
Calzolajo  di  Strasburgo;  Modène,  1769;  — 
Cleomene,  1770;  — en  1771,  La  Clemenza 
di  Tilo,  à  Padoue,  et  La  Contadina  fedele;  — 
I finti  Eredi,  1773;  —  en  1776,  Le  Gelosie 
villane ,  et  Farnace;  — en  1777,  L'Avaro, 
Ifigenia  in  Aulide,  et  Epponhna,  à  Turin;  — 
Il  Militare  bizzarro,  1778;  —  Gli  Amanti 
consolati,  1779;  —  en  1780,  Fra  due  liti- 
ganli  il  terzo  gode  et  Scipione;  —  en  1781, 
Achille  in  Sciro,  à  Florence;  —  V Incognito, 

(1)  On  sait  qu'en  Russie  toute  fonction  civile  corres- 
pond à  un  grade  militaire. 


I 


347 


SARTI  — 


à  Bologne;  et  Gïulio  Sabino,  à  Venise;  —  en 
1782,  Alessandro  e  Timoteo ,  et  Le  Nozze 
di  Donna;  —  en  1783,  Siroe,  à  Turin,  et  Ida- 
Ude,  à  Milan;  —  Armida  e  Rinaldo ,  à  Péters- 
bourg,  1786;  —  La  Gloire  du  Nord,  op.  en 
langue  russe,  à  Pétersbourg,  1794.  —  On  a  de 
Sarti  trois  cantates  :  Amore  timido  (1773),  / 
Dei  del  mare,  à  trois  voix  (1776),  et  La  Par- 
tanza  d'U  lisse  da  Calipso  (1776).  Ce  compo- 
siteur a  écrit  on  grand  nombre  d'ouvrages  pour 
l'église,  entre  autres  quatre  messes  à  quatre  voix 
et  orchestre,  qu'il  a  laissées  à  Milan.  La  biblio- 
thèque du  Conservatoire  dePariset  celle  du  con- 
servatoire de  Naples  renferment  de  lui  plusieurs 
volumes  de  morceaux  manuscrits.  Ce  savant  mu- 
sicien s'était  livré  aussi  à  des  travaux  sur  l'a- 
coustique, qui  en  1794  lui  avaient  valu  le  titre 
de  membre  de  l'Académie  des  sciences  de  Saint- 
Pétersbourg.  On  lui  doit  l'invention  d'un  instru- 
ment propre  à  déterminer  le  nombre  de  vibra- 
tions qu'un  son  quelconque  fait  par  seconde. 
.  Dieudonné  Denne-Baron. 

Gerber,  Lexicon  der  Tonkunstler.— Choron  et  Fayolle, 
Dict.  hist.  des  musiciens.  —  Félis,  Biogr.  des  musiciens. 

sartine  (  Antoine- Raymond- Jean- Gual- 
bert-Gabriel  de),  comte  d'Alby,  homme  d'État 
français,  né  à  Barcelone,  le  12  juillet  1729,  mort 
à  Tarragone,  le  7  septembre  1801.  D'abord  con- 
seiller au  Chàtelet  (15  avril  1752),  puis  lieutenant- 
criminel  au  même  siège  (12  avril  1755),  il  fut 
nommé  lieutenant  général  de  police  le  le'' dé- 
cembre 1759.  Ilexerça  cette  charge  jusqu'en  1774, 
où  il  fut  remplacé  parLenoir  ;  et  signala  son  ad- 
ministration par  une  activité ,  un  zèle,  un  tact, 
une  habileté,  dont  peu  de  magistrats  avaient  fait 
preuve  avant  lui.  Il  veilla  soigneusement  à  la 
propreté  des  rues  et  à  la  sécurité  des  habitants, 
et  remplaça  par  des  lanternes  à  réverbère  les 
anciennes  lanternes  qui  éclairaient  si  mal  Paris  ; 
il  coopéra  à  la  construction  de  la  halle  au  blé, 
et  ouvrit  une  école  gratuite  de  dessin  pour  les 
ouvriers.  C'est  de  lui  que  date  l'établissement 
des  maisons  de  jeu,  mesure  depuis  .longtemps 
réclamée,  qui  amena  la  fermeture  d'un  très-grand 
nombre  de  tripots  clandestins,  et  qu'il  ne  faut 
pas  juger  avec  les  idées  que  des  mœurs  diffé- 
rentes ont  données  à  notre  époque.  Sartine  or- 
ganisa la  lieutenance  générale  de  police  de  telle 
façon  que  rien  ne  lui  échappait;  il  tirait  de  la 
surveillance  secrète,  exercée  avec  une  extrême, 
adresse ,  des  lumières  sur  les  choses  les  plus 
cachées;  on  citait,  de  son  temps,  des  exemples 
nombreux  de  sa  perspicacité  et  de  sa  pré- 
voyance (1);  aussi,  les  Parisiens  avaient-ils  en 

(1)  Le  trait  suivant  est  resté  célèbre.  Pupil  de  Myons, 
premier  présidente  Lyon,  fort  lié  avec  Sartine,  prétendit 
devant  lui  qu'il  pourrrait_venir  ù  Paris  et  y  séjourner  plu- 
sieurs. Jours,  sans  qu'on  en  fût  informé.  Le  lieutenant 
général  soutint  le  contraire  ,  et  offrit  une  gageure  qui  fut 
acceptée.  Quelques  mois  plus  tard,  Pupil  de  Myons  parlit 
précipitamment  de  Lyon,  courut  jour  et  nuit,  arriva  à 
Paris  à  onze  heures  du  matin ,  et  alla  loger  dans  un  quar- 
tier fort  éloigné  de  celui  qu'il  habitait  ordinairement.  A 
midi  précis,  il  reçut  un  billet  de  la  pari  de  Sartin--,  qui 


SARTINE  84 

lui  une  confiance  entière,  et  plus  d'une  fois  de 
ministres  de  souverains  étrangers  lui  demandé 
rent-ils  de  les  aider  dans  des  recherches  diff 
ciles.  Manuel,  dans  sa  Police  dévoilée,  lui  r< 
proche  d'avoir  abusé  de  sa  situation  pour  faii 
espionner  l'intérieur  des  familles  et  ré  olter  ain 
de  petits  scandales,  dont  il  régalait  le  roi  et  s 
maîtresse;  mais  cette  accusation ,  très-conforrr 
d'ailleurs  aux  mœurs  de  la  cour  de  Louis  X^ 
est  appuyée  sur  des  documents  dont  la  véraci 
est  loin  d'être  prouvée. Sartine,  conseiller  d'Ét 
depuis  le  5  octobre  1767,  fut  appelé  au  ministè 
de  la  marine  le  24  août  1774,  et  entra  au  coi 
seil  comme  ministre  d'État  en  1775.  A  défaut  i 
connaissances  spéciales  ,  il  avait  la  connaissan 
des  hommes,  de  la  vigilance  et  une  applicatii 
suivie  à  son  œuvre;  en  un  mot,  il  était  admini 
trateur.  Nonobstant  les  soins  vigilants  donn 
depuis  la  paix  de  1763,  sous  les^  ministères 
Choiseul  et  de  Praslin,  au  rétablissement  de 
marine,  il  restait  beaucoup  à  faire.  Bientôt  l'a 
proche  des  hostilités  en  Amérique,  qui  éci 
tèrent  en  1778,  rendit  plus  urgent  l'accrois; 
ment  de  la  flotte.  Les  constructions  fure 
poussées  avec  une  vigueur  dont  il  y  avait  eu.ji 
qu'alors  peu  d'exemples  dans  la  marine  français 
en  une  seule  année  on  construisit  et  l'on  mit 
état  de  naviguer  neuf  vaisseaux  de  ligne.  Mai 
Sartine  fut  utile  pour  relever  nos  forces  naval 
il  ne  sut  pas  les  diriger;  il  avait  créé  un  hist 
ment  dont  il  ne  pouvait  se  servir.  Ce  n'est  po 
tant  pas  cette  raison  qui  amena  sa  disgrâce,  m 
la  haine  qu'il  portait  à  son  collègue  Necker, 
qu'il  poussait  à  outrance,  l'accusant  d'être  ver 
à  l'Angleterre.  Necker,  craignant  la  faiblesse 
roi,  profita  de  ce  que,  Sartine  avait,  par  une 
ticipation  constituant  une  irrégularité  de  comp 
bilité,  dépassé  de  vingt  million»  de  francs  les  foii 
extraordinaires  accordés  au  département  dm 
marine  ;  il  demanda  et  obtint  son  renvoi,  le' 
octobre  1780.  Sartine  écrivit  sa  défense,  w| 
table  pamphlet,  qui  ne  parvint  pas  à  le  justif 
On  fit  alors  courir  contre  lui  de  nombreuses 
grammes,  parmi  lesquelles  on  a  distingué  celle 

J'ai  balayé  Paris  avec  un  soin  extrême, 
Et  voulant  sur  les  mers  balayer  les  Anglais, 
J'ai  vendu  si  cher  mes  balais, 
Que  l'on  m'a  balayé  moi-môme. 

1  Cependant  Sartine  putse  rire  des  méchanci 
du  public,  puisqu'il  eut,  en  se  retirant,  une  { 
tificalion  de  150,000  francs  et  une  pension 
70,000.  Au  commencement  de  la  révoluti 
cédant  aux  instances  de  ses  amis,  quicraigna 
pour  sa  sûreté,  il  se  retira  en  Espagne,  et  y 
mina  ses  jours.  Vigie  a  peint  son  portrait  ■  c 
une  physionomie  sévère,  où  l'on  devine  quel 
violence  sous  la  gravité  du  magistrat. 

Sartine  {Char les- Marie- Antoine  m),  fils 
précédent,  né  le  27  octobre  1760,  maître  des 
quêtes  de  1780  à  1791,  fut  condamné  à  mort 


'l'engageait  à  vejiir  dîner  ce  jour-là  chez  lui.  Il  s'y  rei  | 
et  convint  qu'il  avait  perdu  la  gageure. 


Î349  SARÏINE  — 

|ie  tribunal  révolutionnaire,  le  17  juin  1794,  etexé- 
hulé  le  môme  jour.  Sa  femme  et  sa  belle-mère 
■partagèrent  son  sort. 

|    saint-Ediiie,  Biogr.  de  la  police.  —  mémoires  du  temps. 

j.  sarto  (Andréa  del).  Voy.  Vannucchi. 
\  sarzane  (Le).  Voy.  Fiasefxa. 
1  sassi  (Pan/do),  poète  italien,  né  vers  1455, 
ii  Modène,  mort  en  1527,  à  Lonzano  (Romagne). 
i  1  avait  ouvert  un  cours  de  littérature  italienne, 
l 't  il  consacrait  la  plupart  de  ses  leçons  à  expli- 
;  nier  Dante  et  Pétrarque  à  ses  compatriotes;  ac- 
pusé  d'hérésie,  il  se  réfugia  auprès  d'un  comte 
foinagnol,  qui  lui  procura  un  petit  emploi  à 
|  .onzano.  Les  contemporains  de  ce  poète  l'ont 
I  our  à  tour  porté  aux  nues  et  couvert  de  mépris; 
|  assoni  avait  eu  le  projet  de  donner  une  édition 
hoisie  de  ses  œuvres  ,  où  l'on  rencontre  beau- 
coup de  feu  et  d'imagination.  Il  improvisait  fa- 
I  ilement  en  latin  et  en  italien.  «  Il  était  doué 
I i'une  mémoire  si  prodigieuse,  dit  Ginguené, 
iru'un  antre  poète  3yant  un  jour  récité  devant  lui 
rine  épigramme  à  la  louange  du  podestat  de 
hrescia,  il  le  traita  de  plagiaire,  et  pour  prouver 
le  fait  récita  rapidement  l'épigramme  tout  en- 
tière. Le  poète,  qui  était  certain  de  l'avoir  faite, 
i  vait  beau  se  défendre,  tout  le  monde  était  con- 
|  aincu  du  plagiat;  mais  Sassi  le  tira  d'embarras 
In  répétant  la  même  épreuve  sur  d'autres  épi- 
hrammes,  et  sur  tous  les  vers  qu'on  voulut  ré- 
liler  devant  lui.  »  On  a  de  Sassi  :  Brixia  illus- 
liata,  poème  latin;  Brescia,  1498,  in-4°;  — 
mpigrammatum  lib.  IV;  Dislichorwn  lib.H; 
\De  bello  gallico  ;  De.  laudibiis  Veronœ;  EU- 
hictrum  lib.  7;  ibid.,  1500,  in-4°;  —  Sonnet H  e 
\:apiloli;  ibid.,  1500,  in-4°  ;  Venise,  1504, 1519, 
i'n-40  ;  —  plusieurs  opuscules. 

f  Tirsboschi,  Ilibliot.  rnodenese.—  Ginguené,  Hist.  littér. 
\ï  Italie,  III. 

|  sassi  (Gmseppe-Anlonio),  en  latin  Saxius, 
[érudit  italien,  né  le  28  février  1675,  à  Milan,  où 
lil  est  mort,  le  21  avril  1751.  Issu  d'une  famille 
[patricienne ,  il  embrassa  la  vie  monastique,  et 
j'entra  dans  la  congrégation  des  Oblats.  Après 
lavoir  enseigné  les  belles-lettres,  il  fut  reçu  en 
'1703  docteur  du  collège  ambroisien,  et  en  devint 
jdirecteur  huit  ans  plus  tard  ainsi  que  conserva- 
teur de  la  célèbre  bibliothèque  qui  en  dépend 
1(1711).  Ce  fut  un  des  savants  les  plus  laborieux 
de  son  temps  :  passionné  pour  l'élude  de  l'his- 
itoire,  il  s'attacha  principalement  à  éclaircir  les 
annales  du  Milanais ,  et  concourut  d'une  façon 
active  aux  entreprises  littéraires  les  plus  considé- 
rables; ami  de  Muratori,  il  lui  remit,  pour  le 
vaste  recueil  des  Rerum  ital.  scriplores,  un 
grand  nombre  de  notes  et  de  renseignements  et 
des  copies  soigneusement  collationnées  de  Jor- 
nandès,  de  Landolphe,de  Romuald ,  de  Fiam- 
nia,  clc.  Ses  principaux  ouvrages  sont  :  De 
studio;  literariis  Mediolanensium  antiquis 
et  noms;  Milan,  1729,  in'8°  :  dans  cette  his- 
toire, fort  savante,  de  tous  les  établissements  lit- 
téraires de.  Milan,  l'auteur,  aveuglé  par  son  pa 


SATURNINUS 


350 


triotisme,  va  jusqu'à  placer  dans  sa  ville  natale 
la  bibliothèque  fondée  par  Pline  le  jeune;  les 
preuves  qu'il  fournit  à  l'appui  de  cette  assertion 
ne  sont  nullement  concluantes;  —  Hisloria  lit- 
terario-typographica  mediolanensis  ;  Milan, 
1745,  in-fol.  :  insérée  en  guise  d'introduction  à 
la  tôle  de  la  Bibl.  mediol.  d'Argellati  ;  c'est  par 
erreur  qu'il  fait  remonter  jusqu'à  1465  l'établis- 
sement de  l'imprimerie  à  Milan  :  le  premier  livre 
sorti  des  presses  de  cette  ville  porte  la  dale  de 
1469;—  De  adventu  MediolanumS.  Barnabx 
apostolï  vindiciœjihld.,  1748,  in-4°;  —  Archie- 
piscoporummediolanensium  séries  kistorico- 
chronologica  ;  ibid.,  1755,  3  tom.  in-4°.  On  doit 
à  Sassi  une  bonne  édition  des  Flomiliee  de  saint 
Charles  Borromée  (Milan,  1747,5  vol.  in-fol.) 

Sassi  (  Francesco-Girolamo),  frère  aîné  du 
précédent,  né  en  1673,  à  Milan,  où  il  est  mort,  le 
2  novembre  1731,  fit  profession  dans  la  même 
congrégation,  et  en  fut  élu  général  en  1700. 11  se 
voua  à  la  carrière  de  l'enseignement  religieux,  et 
eut  pour  élève  dans  la  prédication  le  cardinal 
Gilbert  Borromée.  Outre  quelques  ouvrages  de 
dévotion,  il  a  publié  en  vers  latins  :  C'hristi  lau- 
des (Milan,  1712,  in-4°  )  et  Mariée  laudes 
(ibid.,  1719-24,  2  part.  in-4°  ). 

Oltrocehi,  Notice  à  la  tête  des  Archiepisc.  séries.  — 
Tiraboschi,  Storia  délia  letter.  ital.  —  Argellatl,  Bibl. 
mediolanensis. 

SASSOFERRATO.  Voy.   SALV1. 

sassoke(II).  Voy.  Hasse. 

saturnjkus  (L.  Appuleius),  tribun  ro- 
main, mis  à  mort,  en  100  av.  J.-C*  Questeur  en 
104  et  chargé  de  l'administration  d'Ostie,  il  fut 
remplacé  dans  ces  fonctions  parce  qu'il  ne  s'oc- 
cupait pas  assez  activement  des  approvisionne- 
ments de  Rome.  Cette  disgrâce  l'irrita  contre  le 
sénat,  et  lejeta  dans  le  parti  démocratique,  dont 
il  devint  un  des  chefs  les  plus  violents.  Son  pre- 
mier tribunat,  en  102,  le  mit  en  lutte  avec  le  cen- 
seur Metellus  le  Numidique,  qui  tenta  vainement 
de  l'exclure  du  sénat,  sous  prétexte  de  mauvaises 
mœurs.  En  101  il  sollicita  une  seconde  fois  le 
tribunat.  Le  parti  aristocratique  essaya  d'em- 
pêcher sa  réélection,  en  lui  intentant  une  accu- 
sation pour  fait  d'outrages  adressés  aux  ambas- 
sadeurs de  Mithridate.  Il  fut  absous,  et  obtint 
le  tribunat  après  des  scènes  de  violence  qui  coû- 
tèrent la  vie  à  son  compétiteur  Nonius.  Glaucia 
obtint  en  même  temps  la  préture  et  Marius  le 
consulat.  Le  parti  démocratique  triomphait. 
Saturninus,  dès  son  entrée  en  charge  (100),  pro- 
posa une  loi  agraire  pour  le  partage  des  terres 
récemment  reconquises  sur  les  Cimbres,  avec 
cette  clause  que  si  la  loi  était  votée  par  le  peuple, 
tout  sénateur  qui  refuserait  de  prêter  serment 
d'y  obéir  serait  expulsé  du  sénat  et  condamné 
à  une  amende  de  20  talents.  Après  le  vote,  Me- 
tellus refusa  le  serment  et  encourut  la  pénalité, 
qui  fut  même  aggravée  par  la  proposition  de 
Saturninus,  demandant  l'exil  du  coupable.  Cette 
proposition  faillit  amener  ia  guerre  civile;  Me- 


351 


tellus  la  prévint  en  s'exilant  volontairement.  Le 
tribun,  poursuivant  sa  victoire,  fit  passer  plu- 
sieurs lois  populaires;  enfin,  il  obtint  sa  réélec- 
tion pour  l'année  suivante.  Glaucia,  de  son  côté, 
demanda  le  consulat,  et  pour  se  débarrasser  de 
son  compétiteur  Memmius ,  il  le  fit  assassiner 
en  pleins  comices.  Ce  meurtre,  dont  Saturninus 
avait  été  complice,  produisit  une  indignation  gé- 
nérale dans  Rome.  Le  sénat  profita  de  eette 
disposition  des  esprits  pour  prendre  des  me- 
sures rigoureuses  contre  les  coupables.  Satur- 
ninus, Glaucia  et  le  questeur  Saufeius  se  réfu- 
gièrent dans  leCapitole;  ils  furent  assiégés  et 
bientôt  forcés  de  se  rendre.  Marins,  qui  n'avait 
pu  se  dispenser  de  les  combattre,  essaya  de  les 
sauver  en  les  plaçant  dans  la  Curia  Hostilia,  qui 
servait  aux  délibérations  du  sénat.  Mais  la  foule 
ne  respecta  pas  cet  asile,  et,  pénétrant  dans  la 
salle  par  le  toit,  elle  assomma  les  prisonniers 
à  coups  de  tuiles.  Le  sénat  sanctionna  cet  acte 
de  justice  sauvage  en  donnant  la  liberté  à  l'es- 
clave Scœva,  qui  se  vantait  d'avoir  tué  Saturni- 
nus. Près  de  quarante  ans  plus  tard  le  parti  dé- 
mocratique, redevenu  puissant,  mit  en  cause  un 
vieux  sénateur  nommé  Rabirius,  comme  meur- 
trier de  Saturninus.  (Voy.  César,  Cicéron, 
Rabirius).  L.  J. 

Appien,  Bel.  Civ.,  I,  28-32.  —  Plutarque,  Marius,  28- 
30.  —  Tite  Live,  Epit.,  69.  —  Orose,  V,  17.  —  Fiorus,  III, 
16.  —  Velleius  l'aterculus,  II,  12.  -  Valère  Maxime,  IX, 
7.  —  Cicéron,  Brutus,  pro  Sestio,  pro  C.  Rabirio. 

saturninus,  un  des  trente  tyrans,  tué  vers 
262.  Il  était  un  des  meilleurs  généraux  de  son 
temps  et  très-estime  de  l'empereur  Valérien. 
Dégoûté  des  vices  de  Gallien,  fils  et  successeur 
de  Valérien,  il  accepta  la  pourpre  impériale  que 
lui  offraient  ses  soldats;  mais  il  s'attira  bientôt 
leur  haine  pour  avoir  voulu  les  ramener  à  une 
sévère  discipline,  et  fut  massacré  par  eux.  L.  J. 

Treb.  l'ollio,  dans  VHist.  Auguste. 

saucerotte  (Nicolas  (1)),  chirurgien  fran- 
çais, né  le  10  juin  1741,  a  Lunéville,  où  i!  est 
mort,  le  15  janvier  1814.  Il  avait  à  peine  terminé 
ses  études  qu'il  entra  à  dix-neuf  ans  dans  la 
chirurgie  militaire,  et  fit  la  guerre  de  Sept  ans; 
mais  sentant  le  besoin  de  compléter  ses  études, 
il  se  rendit  à  Paris,  où  il  puisa  à  l'école  de  Le- 
vret  une  instruction  solide.  Muni  dès  1761  du 
grade  de  maître  en  chirurgie,  il  vint  se  fixer 
dans  sa  ville  natale,  où  le  roi  Stanislas,  habile 
appréciateur  du  mérite,  se  l'attacha  bientôt, 
malgré  sa  grande  jeunesse,  en  qualité  de  chi- 
rurgien ordinaire.  Quelques  années  plus  tard 
Saucerotte  trouvait,  grâce  à  une  fondation  cha- 
ritable de  cet  excellent  prince,  l'occasion  de  dé- 
ployer sa  haute  habileté  chirurgicale  dans  l'opé- 
ration de  la  taille,  où  i!  obtint,  avec  la  méthode 
d'Hawkins  perfectionnée,  des  succès  qui  n'ont 
été  surpassés   depuis  par  aucun  lithotomiste. 

(1)  Les  prénoms  de  l.ouis-Sêbastien ,  sous  lequel  II  a 
été  désigné  par  erreur,  appartiennent  à  l'un  de  ses  Dis, 
mort  en  1797,  médecin  en  chef  de  l'hôpital  militaire  de 
Gand,  alors  occupé  par  les  Français. 


SATURNINUS  —  SAUCEROTTE  352 

(Voir  ses  Mélanges  de  chirurgie,  tome  II).  At-  ! 
taché  ensuite  aux  gendarmes  de  la  reine  en 
qualité  de  chirurgien  major,  puis  à  l'époque  du 
licenciement  de  ce  corps  aux  carabiniers-grena- 
diers, Saucerotte  fut  appelé  en  1794  à  titre  de 
chirurgien  en  chef  à  l'armée  de  Sambre  et  Meuse. 
En  1795  il  venait  siéger  au  conseil  de  santé  des 
armées.  En  1798  il  demanda  sa  retraite.  L'A.-* 
cadémie  royale  de  chirurgie  l'admit  au  nombre 
de  ses  associés  (1775)  après  l'avoir  couronné 
plusieurs  fois,  et  en  1796  l'Institut  lui  ouvrit  ses 
portes.  Les  Mélanges  de  chirurgie  (Paris,  1801, 
2  vol.  in-8°)  contiennent,  outre,  des  faits  intéres- 
sants tirés  de  sa  vaste  pratique,  des  travaux  très- 
estimés,  notamment  le  mémoire  fréquemment! 
cité  Sur  les  contre-coups  (1669),  où  l'auteur, 
élargissant  le  cercle  de  la  question,  ouvrait  pat 
des  expériences  encore  entièrement  neuves  la  voie 
aux  physiologistes  qui  ont  depuis  dirigé  leurs 
recherches  vers  la  localisation  des  différentes  fa- 
cultés du  cerveau.  Saucerotte  laissa  en  mourant 
six  fils,  dont  quatre  avaient  servi  sous  sa  direc- 
tion dans  le  service  de  santé  des  armées.      S. 

Son  Éloge  fut  prononcé  en  1814  à  l'Acad.  de  Stanislas 
par  M.  de  Kaidat,  et  à  la  Sociélé  de  méd.  de  Paris  par  Vic- 
tor Saucerotte,  son  fils.—  Bégln,  dans  la  Biogr.  médicale. 

*  saucerotte  (Antoine- Constant ),  méde- 
cin, petit- fils  du  précédent,  né  à  Moscou,  em 
1805. 11  fit  ses  études  en  France,  et  fut  reçu  doc- 
teur en  médecine,  à  Paris,  en  1828;  sa  thèse 
Sur  les  altérations  des  liquides  de  l'écono- 
mie animale  mérita  une  médaille  de  la  Société 
de  médecine  de  Paris.  Il  se  fixa  dès  lors  à  Lu- 
néville, où  l'attachaient  de  nombreux  liens  de 
famille,  et  malgré  les  offres  qui  lui  ont  été  faites 
à  plusieurs  reprises,  il  n'a  jamais  voulu  quitter 
cette  résidence.  La  pratique  de  la  médecine,  les 
travaux  du  cabinet,  l'enseignement  des  sciences 
philosophiques  et  naturelles  y  partagèrent  son 
temps.  11  devint  médecin  en  chef  de  l'hôpital 
civil  et  militaire  (1838),  et  professeur  d'his- 
toire naturelle  au  collège.  En  1836,  l'Académie 
de  médecine  lui  décerna  une  grande  médaille 
pour  son  mémoire  intitulé  :  De  l'influence  dt 
l'anatomie  pathologique  sur  les  progrès  de 
la  médecine,  depuis  Morgagni  jusqu'à  ?io& 
jours.  Il  lut  encore  couronné  dans  plusieurs  con- 
cours par  diverses  sociétés  savantes.  M.  Sau- 
cerotte est  correspondant  de  l'Académie  de  mé- 
decine depuis  1834.  Il  a  composé  de  nombreux 
écrits,  les  uns  sur  l'enseignement,  la  philosophie 
et  l'histoire,  les  autres  sur  la  médecine;  nous 
citerons  :  Éléments  d'histoire  naturelle} 
Paris,  1833-34,  in  4°;  1839,  in  8°,  avec  pi.;  — 
Guide  auprès  des  malades,  ou  Précis  des\ 
connaissances  nécessaires  aux  garde-ma-\ 
lades;  Paris,  1843,  1844,  1863,  in-18;  —  Avant  \ 
d'entrer  dans  le  monde;  Paris,  1844,  1847, 
in- 12  :  conseils  adressés  à  la  jeunesse;  —  Aperçu 
de  la  réorganisation  de  lu  médecine  en\ 
France;  Paris,  1845,  in-8°  ;  —  Histoire  cri- 
tique de  la  doctrine  physiologique;  Paris, 


53  SAUCEROTTE  —  SAULCY 

(47,  in -8°;  —  De  V Influence  des  sciences 
hysiques  et  chimiques  sur  les  progrès  récents 
;  la  médecine,  dans  les  Mém.  de  l'Acad.  de 
I  cd.  de  Belgique,  1852  ;—  Études  sur  Bichat 

Pinel;  Nancy,  1853-1854;  —  L'Histoire  et 
i  philosophie  dans  leurs  rapports  avec  la 
édecine;  Paris,  1864,  in-18  ;  —  articles  dans  la 
lazette  médicale,  les  Mémoires  de  l'Académie 
\s  Nancy,  l'Encyclopédie  des  gens  du  monde, 

Dictionnaire  de  la  conversation,  la  Nou- 
'lle  Biographie  générale,  etc.  M.  C.  Sauce- 
>tte  a  refondu  et  augmenté  la  3e  édition  de 
ivis  aux  mères  de  famille  (1838,  in-18),  de 
n  grand-père. 

Doeum.  partie.  —  Ca\Hseu,'Medicin.Schriftsteller-Léx. 
saûl  (  nom  qui  en  hébreu  signifie  de- 
andé),  roi  d'Israël,  mort  en  1055  avant  J.-C. 

■  ls  de  Cis,  riche  habitant  de  Gabaa  (tribu  de 

■  ;njamin),  il  fut  sacré  roi  d'Israël  par  le  prophète 
unuel  (1095).  Un  mois  après,  il  attaqua  les 
nmonites,  qui  assiégeaient  Sabès  de  Galaad,  et 
5  tailla  en  pièces.  Son  élection  fut  ensuite  coa- 
mée  dans  une  assemblée  réunie  à  Galgala. 
îux  arts  après  il  triompha  des  Philistins,  dont 

défaite  fut  suivie  de  celle  des  Amalécites. 
ais  ayant,  dit  la  Bible,  «  contre  l'ordre  exprès 
ii  Seigneur  »,  accordé  la  vie  au  roi  Agag  et 
mservé  le  meilleur  du  bétail  des  Amalécites, 

fut  tourmenté  par  un  esprit  malin,  et  son 
eptre-passa  dans  les  mains  de  David,  que  Sa- 
uel  sacra  roi,  et  qui  épousa  plus  tard  Michol, 
le  de  Saiil.  Le  roi  tombait  dans  de  fréquents 
;cès  de  fureur;  mais  le  son  de  la  harpe  avait 

pouvoir  de  le  calmer.  Poussé  contre  son 
îndre  par  une  animosité  implacable,  H  chercha 
tus  les  moyens  de  le  perdre.  David  échappa 
lujours  à  Ramatha  et  à  Nobé,  à  Céila,  à  Engaddi 
t  à  Ziph.  Au  moment  où  il  allait  livrer  bataille 
nx  Philistins,  il  voulut  consulter  à  Endor  une 
ythonisse,  qui  évoqua  l'ombre  de  Samuel; 
ombre  apparut,  et  prédit  au  roi  la  perte  de  la 
ataille  prochaine,  sa  propre  mort  et  celleide  ses 
•ois  fils.  Dès  le  lendemain  la  prédiction  du 
rophète  s'accomplit.  Vaincu  à  Gelboé  par  les 
hilistins,  Saiil  vit  périr  ses  trois  fils,  et  se 
erça  de  son  épée.  Soumet  a  écrit  une  tragédie 
e  Saùl,  représentée  en  1821  avec  succès. 

Bois,  iiv.  1.  —  Calmet,  Dict.  de  la  Bible.  —  Schultz, 
Hss.  Saulisregimen  antecedentiaexhibens  ;  Strasbourg, 
674.  ln-4°.  —  Georgi,  Diss.  deSaule;  Leipzig,  1690,iB-4° 

■  Abarbanel,  De  Saulis  autocheiria  et  fatïs  extremis. 

■  Trendelenburg,  Hist.  mortis  Saulis  ;  Gœttingue,  in-4°. 

*  saulcy  (Louis-Félicien-Joseph  Caignart 
e),  antiquaire  français,  né  le  19  mars  1807,  à 
iille.  Admis  en  1826  à  l'École  polytechnique,  il 
!ntra  dans  l'artillerie,  et  alla  suivre  les  cours 
e  l'École  d'application  de  Metz.  Ses  progrès 
ans  l'étude  de  l'arme  spéciale  qu'il  avait  choisie 
ï  rangèrent  parmi  les  officiers  les  plus  distin- 
ués-,  il  eut  cependant  le  loisir  de  se  livrer  à 
on  goût  pour  la  numismatique  et  l'archéologie, 
-n  1836,  l'Institut  lui  décerna  un  prix  pour  un 
issai  de  classification  des  suites  monétaires 


354 


NOUV.   BIOGR.   GÉiNÉR.   —   T.   XL1U. 


byzantines.  Il  devint  en  1838  professeur  de  mé- 
canique à  l'école  de  Metz,  et  en  1840  conser- 
vateur du  musée  d'artillerie  de  Paris.  Il  fut  élu 
le  11  juin  1842  membre  de  l'Académie  des 
inscriptions,  dont  il  était  correspondant  depuis 
le  8  mars  1839.  Les  plus  difficiles  problèmes  de 
l'épigraphie  orientale  exercèrent  alors  la  sagacité 
de  son  esprit  et  provoquèrent  la  vivacité  de  soa 
imagination  ;  s'il  ne  parvint  pas  à  en  donner  la 
solution,  il  eut  du  moins  le  mérite  d'avoir  sou- 
levé et  éclairé  des  questions  intéressantes.  En 
1850  il  partit  avec  M.  Edouard  Delessert  pour 
la  Palestine,  et  explora  principalement  les  rives 
de  la  mer  Morte.  Il  crut  reconnaître  les  ruines 
de  Sodome  et  de  Ségor  dans  les  décombres  que 
les  Arabes  appellent  Kharbet  -  Esdoum  et 
Zouera-ef-Tahtah  ;  Gomorrhe,  dans  Kharbet- 
Goumram,  Séboïm ,  dans  Telaa-Sebâan  ; 
Adama,  dans  Souq-cf'Thaemeh.  11  pensa  aussi 
avoir  retrouvé  les  tombeaux  des  rois  de  Juda 
dans  les  monuments  appelés  Tombeaux  des 
rois,  et  à  son  retour  il  offrit  au  musée  du  Louvre 
un  sarcophage  qu'il  regardait  comme  celui  du 
roi  David.  De  nombreuses  et  vives  discussions 
s'élevèrent  au  sujet  des  résultats  de  ce  voyage 
en  Palestine;  M.  de  Saulcy  répondit  avec  esprit 
à  ses  contradicteurs ,  dans  les  Mémoires  de  l'A- 
cadémie, la  Revue  archéologique  et  l'Athe- 
nseum  français,  qu'H  contribua  à  fonder  en 
1852.  En  1859  il  est  entré  au  sénat.  M.  de  Saulcy 
est  membre  de  la  Société  des  antiquaires  et  de 
plusieurs  autres  Sociétés  savantes.  Ses  princi- 
paux écrits  sont  :  Recherches  sur  les  monnaies 
des  évêques  de  Metz;  Metz,  1835,  in-8°,  pi.; 
—  Recherches  sur  les  monnaies  de  la  cité  de 
Metz;  Metz,  1836,  in-8o,  pi.;  —  Monnaies  des 
ducs  de  Normandie;  Paris,  1836,  in-8°;  — 
Essai  de  classification  des  suites  monétaires 
byzantines;  Metz,  1838,  in-8°,  pi.;  —Essai 
de  classification  des  monnaies  autonomes  de 
l'Espagne;  ibid.,  1840,  in-8°,  pi.;  —  Recher- 
ches sur  les  monnaies  des  ducs  héréditaires 
de  Lorraine;  ibid.,  1841,  in-4°,  pi.;  —  Re- 
cherches sur  les  monnaies  des  comtes  et  ducs 
de  Bar;  Paris,  1843,  in-8°,  pi.;  —  Analyse 
grammaticale  du  texte  démotique  du  décret 
de  Rosette;  Paris,  1845,  t.  I,  part.  I,  in-4c;  — 
Numismatique  des  croisades;  Paris,  1847, 
in-4°  pi.;  —  Recherches  sur  l'écriture  cu- 
néiforme assyrienne.  Inscriptions  de  Van; 
Paris,  1848,  in-4°;  —  Voyage  autour  de  la 
mer  Morte  et  dans  les  terres  bibliques;  Pa- 
ris, 1852-54,  2  vol.  in- 4°,  avec  cartes  et  pi.  ;  — 
Histoire  de  l'art  judaïque,  tirée  des  textes 
sacrés  et  profanes;  Paris,  1858,  in-8°.  On  a 
de  lui  des  articles  dans  le  Journal  asiatique, 
la  Revue  de  numismatique,  le  Courrier  de 
Paris  (1857),  la  Bibliothèque  de  l'École  des 
chartes,  etc.  Il  a  donné  avec  MM.  Piobert  et 
Didion  :  Cours  d'artillerie  de  l'École  d'appli- 
cation (1841,  in-4°). 
Mmî  de  Saulcy,  fille  de  M.  de  Bîlling,  diplo- 

12 


355 


SAULCY 


mate  suédois,  est  dame  du  palais  de  l'impéra- 
trice Eugénie. 
Vapereau,  Dict.  univ.  des  contemp.  —  Docum.  part. 

saïtilx  de  tavaknes  (  Gaspard  de),  ma- 
réchal de  France,  né  à  Dijon,  en  mars  1509,  mort 
au  château  de  Sully  (Bourgogne),  le  19  juin  1573. 
Il  était  fils  de  Jean  de  Saulx,  grand  gruyer  hé- 
réditaire de  Bourgogne,  et  de  Marguerite  de  Ta- 
vannes  (1).  En  1522,  il  fut  conduit  à  la  eour  par 
son  oncle,  Jean  de  Tavannes,  dernier  représentant 
d'une  antique  race  alsacienne,  qui  le  fit  admettre 
aussitôt  parmi  les  pages  de  la  grande  écurie,  et 
dont  il  porta  le  nom,  en  reconnaissance  de  son  utile 
protection.  Ayant  accompagné  le  roi  en  Italie,  il 
fut  fait  prisonnier  à  Pavie  et  renvoyé  sans  payer 
de  rançon.  De  retour  en  France,  il  entra  dans  la 
compagnie  du  grand  écuyer,  et  repassa  aussitôt  en 
Italie,  où  il  gagna  le  grade  de  guidon.  En  1537,  de- 
venu lieutenant  de  la  compagnie  des  ordonnances 
de  Charles  duc  d'Orléans,  il  fit  à  la  cour  quelque 
séjour,  dont  les  chroniqueurs  du  temps  ont  noté  les 
joyeux  et  galants  épisodes  (2).  Il  suivit  ensuite  le 
duc  d'Orléans  dans  le  Luxembourg  (1542);  il  y 
était  encore  lorsqu  il  apprit  que  le  duc  d'Enghien 
s'apprêtait  à  livrer  un  combat  décisif  en  Piémont  ; 
il  partit  avec  quelques  volontaires,  et  arriva 
assez  à  temps  pour  assister  à  la  bataille  de  Ce- 
risaies (1544)  ;  puis  il  reprit  le  chemin  du  Luxem- 
bourg, et  accompagna  le  duc  d'Orléans  à  Crépy 
pour  la  signature  de  la  paix.  En  1545,  à  la  suite 
d'un  brillant  avantage  sur  des  bandes  d'Anglais  qui 
dévastaient  la  Picardie,  il  eu!  la  charge  de  cham- 
bellan du  roi. 

Nommé  maréchal  de  camp  en  1552,  il  suivit 
Henri  H  dans  ta  Lorraine,  s'empara  de  Metz  par 
une  ruse  habile,  contribua  à  la  prise  de  Verdun, 
de  Dinant  et  de  plusieurs  autres  places,  et  dé- 
ploya surtout  son  bouillant  courage  au  combat 
de  Renti  (13  août  1554);  il  y  commanda  l'aile 
gauche,  et  décida  la  victoire  en  jetant  le  désordre 
au  milieu  des  reitres  par  la  vivacité  de  son  at- 
taque. Le  duc  François  de  Guise  voulut  lui  dis- 
puter l'honneur  de  la  journée ,  et  il  en  résulta 
entre  eux  une  discussion  des  plus  vives,  à  laquelle 
le  roi  coupa  court  en  venant  au-devant  de  Ta- 
vannes,  le  remerciant,  l'embrassant  et  lui  met- 
tant au  cou  le  collier  de  l'ordre  qu'il  portait  lui- 
même  (3).  La  lieutenance  générale  de  Bourgogne 
compléta  cette  récompense.  Malgré  cette  bien- 
veillance, fort  méritée,  de  Henri  II,  Tavannes 
fréquenta  peu  la  cour  à  cette  époque;  il  s'était 


(1)  La  maison  de  Saulx,  une  des  plus  illustres  de  la  no- 
blesse bourguignonne,  tire  son  nom  d'un  château  qui 
était  situé  à  cinq  lieues  de  Dijon.  Elle  a  pour  premier 
auteur  connu  Gui,  sire  de  Saulx,  qui  vendit  en  1090  le 
comté  de  Langres  au  roi. 

(2)  Compagnon  des  folies  périlleuses  du  jeune  prince,  il 
courait  avec  lui  les  aventures  pendanl  la  nuit,  s'exposant, 
pour  l'amour  des  dames  ou  pour  la  seule  vanité,  à  des 
combats  singuliers  et  à  des  actes  téméraires  :  ils  pas- 
saient à  cheval  à  travers  des  bûchers  ardents,  se  pro- 
menaient sur  les  toils  des  malsons  et  sautaient  quelque- 
fols  d'un  côté  de  la  rue  à  l'autre. 

i3)  Un  tableau  des  galeries  de  Versailles  représente  cet 
épisode  de  la  vie  du  maréchal. 


SAULX  DE  TAVANNES  356 

attiré  l'inimitié  de  Diane  de  Poitiers,  en  ne  lui 
ménageant  ni  les  railleries  ni  les  insultes,  et  ab 
lant  jusqu'à  dire  publiquement  que  «  si  on  vou 
loit  se  débarrasser  d'eHe,  il  ne  falloit  que  trouve) 
homme  assez  hardy  pour  lui  couper  le  nez 
Il   passait  à  Dijon  les  loisirs  que  lui  laissait  I; 
guerre,  et  s'ooeupait  à  mettre  en  état  de  défensi 
les  fortifications  de  la  ville  :  il  employa  même  se 
deniers  à  relever  un  boulevard  qui  a  porté  long 
temps  le  nom  de  boulevard  de  Saulx.  Le 
janvier  1558,  il  assista  à  la  prise  de  Calais  (1),< 
au  mois  de  juin  1559,   M  fut  un  des  juges  d1 
tournoi  où  périt  le  roi  Henri  H.  Nommé,  e 
1560,  lieutenant  général  commandant  en  Dau 
phiné,  Provence  et  Lyonnais,  pendant  l'absenc 
du  duc  d'Aumale  et  du  maréchal  de.  Saint-Andn 
il  parcourut  ces  provinces  pour  y  réprimer  k 
mouvements  séditieux.  A  Valense  1-a  municipalii 
montra  une  grande  animation,  et  mi  des  consu 
s'exprima  devant  Tavannes  (Fuiie  manière  assi 
irrespectueuse.   «  Il  ne  répondit  à  ce  coinpi 
ment  que  par  un  soufflet,  en  1-e  menaçant  de 
faire  pendre  pour  servir  d'exemple.à  quiconqi 
serait  assez  téméraire  pour  fair-e  des  uropos 
tions  peu   conformes  à  ta  déférence  due  ai 
ordres  du  roi.  »  La  Bourgogne  commençait  alo 
à  s'agiter  sous  l'influence  de  la  réforme  ;  la  co 
voulut  conserver  au  début  une  attitude  dont  T 
vannes  supportait  avec  peine  l'ambiguïté,  s' 
exprimant  même  avec  une  énergie  que  Cath 
rine  de  Médicis  voulut  toujours  tourner  en  pJ; 
santerie,  disant  :  «  Ne  connoissez-vous  pas  T 
vannes  ?  Je  scay  quel  il  est,  nous  avons  esté  nour 
pages  ensemble  !  »  Ces  tergiversations  îi'cmj 
citèrent  pas  l'insurrection  protestante  d'éclal 
à  Dijon,  à  Auxerre  et  à  Beaune,  au  printein 
de  1-562.    Tavannes  réprima  énergïquement  i 
premier  mouvement;  mais  bientôt  les  réform 
prirent  leur  revanche,  en  s'emparant  de  Lyon, 
,  Mâconet  de  Châlon  sur  Saéne.  Tavannes  r-eiii 
aisément  à  GMlon,  enleva  Mâcon  après  un  pi 
mier  insuccès,  et  il   allait  réduire  pareiWem. 
Lyon  quand,  le  duc  de  Nemours  arrivant  pu 
prendre  le  oommandement  de  l'armée,  il  préfr 
retourner  à  Dijon  que  de  se  trouver  en  sous  ord 
H  blâma  l'édit  de  pacification  de  1563,  tout 
continuant  à  correspondre  avec  la  reine  mf 
qui  l'encourageait  secrètement  à  persévérer  d 
une  opposition  qu'elle  approuvait  :  c'est  ah 
qu'il  amena  même  les  états  de  Bourgogne  à 
fuser  la  publication  de  l'édit  et  à  envoyer  ver; 
roi  une  députation  changée  de  respectueuses 
.  montrances.  Le  roi  répondit  par  un.e  lettre  l 
jussion  pure  et  simple.  Tavannes  proposa  d'opi 
ser  aux  progrès  des  réformés  une  confrérie  r 
Saint-Esprit,  sorte  de  ligue  dans  laquelle  se 
entrée  toute  la  noblesse  catholique.  Catherin* 


(1)  Leduc  de  Guise  donna  lord  Grey,  gouverneur  <| 
place,  à  M.  de  Tavannes,   qui  exigea  10,00  écus  de 
çon.  Tavannes  semble  avoir  toujours  trop  ardemi 
recherché  le  coté  matériel  des  avantages  que  proci] 
alors  la  guerre. 


SAULX  DE  TAVANNES 


358 


[édicis  approuva  ce  plan ,  mais  le  roi  ne  vou- 
it  pas  y  consentir.  Pendant  les  années  qui  sui- 
irent,  il  eut  constamment  à  guerroyer,  tantôt  en 
ourgogne,  tantôt  jusque  dans  le  Vendômois 

le  pays  Messin;  en  1568,  la  reine  mère  le 
îargea  de  s'emparer  du  prince  de  Condé,  qui 
i  trouvait  à  Noyers,  château  voisin  de  Tonnerre; 
ais  M.  de  Saulx  ne  voulut  jamais  se  prêter  à 

guet-apens,  malgré  la  menaçante  insistance  de 
itlierine,  et  il  ne  se  mit  en  devoir  d'attaquer 
>yers  qu'après  avoir  laissé  à  Condé  le  temps  de 

retirer.  Cette  action  hardie,  qui  me  semble 
cuser  nettement  le  caractère  de  son  auteur,  ne 
i  causa  aucun  préjudice  à  la  cour  :  c'est  même 
dater  de  ce  moment  que  nous  le  voyons  y 
eiidie  une  influence  décisive.  De  nombreux 
Demis  cherchèrent  à  lui  nuire,  mais  il  triom- 
a  de  tous  les  obstacles  ;  il  commanda  dans  l'ar- 
;e  de  Poitou,  et  prit  une  part  considérable  à  la  ba- 
lle de  Jarnac  (13  mars  1569)  ;  il  répara  en  partie 
:hec  éprouvé  par  le  duc  d'Anjou  près  de  Saint- 
ieix  et  décida  le  succès  de  la  journée  de  ÎVlont- 
litour  (3  octobre).  Il  reçut  les  félicitations  du 
'  à  Tours  et  une  véritable  ovation  à  Paris,  où 
r  échevins  lui  offrirent  un  vase  et  un  bassin  en- 
•  aux  armes  de  la  ville;  puis,  le  28  novembre, 
iQt  créé  maréchal  de  France,  dignité  qu'il  ambi- 
nnait  ardemment.  Dès  lors  il  ne  quitta  presque 
is  la  cour,  dont  il  fut  un  des  principaux  con- 
illers  et  où  il  prit  l'attitude  la'  plus  énergique- 
hnt  hostile  contre  les  réformés.  Les  historiens 

ont  attribué  une  part  décisive  dans  le  mas- 
t;re  de  la  Saint-Barthélemi.  La  récente  publi- 

iion  des  dépêches  des  ambassadeurs  vénitiens 
nontre  que  Catherine  de  Médicis  était  résolue 
mis  longues  années  à  cet  attentat,  et  diminue 

isi  la  part  de  responsabilité  qui  pèse  sur  la 
•IfrnoiredeTavanues;  le  maréchal  était  du  reste 
-»p  ardent  ennemi  des  huguenots  pour  n'avoir 
*  approuvé  la  reine  mère.  Nous  savons  cepen- 
ijfat  qu'il  ne  contribua  pas  peu  à  sauver  le  roi 
•Navarre  et  le  prince  de  Condé;  ce  fut  lui  qui 
■rima  autant  qu'il  put  le  pillage  et  enfin  qui 
■cesser  le  carnage  en  apportant  Tordre  aux 
*'  fj'upes  de  rentrer  dans  leurs  quartiers.  Il  y  a 
■l'i  delà  aux  sanglantes  plaisanteries  dont  Bran- 
la fie  embellit  son  récit  (1).  Une  grave  indisposi- 

fi  empêcha  le  maréchal  de  prendre  le  com- 
'jndement  de  l'expédition  dirigée  contre  La 
'•'<  Jphelle  (1572)  ;  sa  santé  se  rétablit  à  l'automne, 
1  <il  reçut  le  gouvernement  de  la  Provence,  fa- 

L  j)  M.  l'etitot,  dans  sa  notice  sur  Gaspard  de  Tavanncs, 

Stage  en  grande  partie  notre  opinion  :  il  nie  compléte- 

i  lui  la  vérité  du  récit  de  Brantôme,  en  faisant  remarquer 

■■  <t  M.  de  Thon  ni  aucun  des  auteurs  protestants  ne  men- 

Jji  nent  ci  s  odieuses  allégations  qui  auraient  certainement 

W relevées  si  elles  eussent  eu  quelque  fondement.  «  On 

■Jt  observer,  dit-il,  que  Tavanncs  détesta  toujours  le 

Ri  de  traître;  qu'au  moment  où  la  cour  caressait  les 

K  estants,  qu'elle  était  résolue  de  perdre,  Il  leur  té- 

Wgna  constamment  la  plus  violente  aversion,  et  qu'il 

'j entraîné  dans  le  complot  le  plus  odieux-,  moins  par 

'  &l  inclination  opposée  à  toute  espèce  d'intrigue  ou  de 

vidie  que  par  les  circunstances  funestes  où  il  se  trouva 

(  é.  « 


veur  qui  le  toucha  peu  :  «  On  lui  donnait,  di- 
sait-il, du  pain,  lorsqu'il  n'avait  plus  de  dents 
pour  le  manger.  »  Il  se  montra  plus  satisfait 
quand  on  y  ajouta  la  charge  d'amiral  des  mers  du 
Levant.  L'année  suivante ,  au  printemps,  on 
reprit  les  opérations  du  siège  de  La  Rochelle,  où 
le  duc  d'Anjou  se  rendit  :  comme  elles  traînaient 
démesurément  en  longueur,  le  maréchal,  assez 
affaibli  cependant,  se  résolut  à  s'y  rendre  de  sa 
personne  ;  mais  ses  forces  le  trahirent  :  il  fut  obligé 
de  s'arrêter  à  Montlhéry,  d'où  on  l'emmena  à 
Chanteloup;  le  roi  et  la  reine  mère  vinrent  l'y 
visiter.  Dès  qu'il  fut  un  peu  mieux,  il  se  fit  trans- 
porter à  Sully,  et  il  y  mourut  au  bout  de  quinze 
jours  (1).  Il  fut  enseveli,  suivant  son  désir,  à  la 
Sainte-Chapelle  de  Dijon,  où  son  tombeau  subsista 
jusqu'en  1793.  —  Le  maréchal  a  laissé  quatre 
Advis  au  roi,  qui  sont  toujours  insérés  à  la  suite 
des  Mémoires  de  sa  vie,  publiés  par  son  fils.  11  a 
laissé  un  certain  nombre  de  lettres  autographes, 
conservées  à  la  bibliothèque  Richelieu  et  dont 
nous  préparons  la  publication.  De  sa  femme, 
Françoise  de  la  Baume  de  Montrevel,  il  eut  trois 
fils,  Henri-Char  les -Antoine,  qui  mourut  en 
1 563,  Guillaume  et  Jean ,  dont  les  articles 
viennent  ci-après.  E.  de  Barthélémy. 

Mémoires  de  Jean  de  Saulx-Tavannes.  —  Brantôme.  — 
Éloge  de  Gaspard  de  Saulx-Tavannes,  par  Fr.  de  Eabutin. 
—  Vie  du  même,  par  Perrot.  —  Lettres  de  Languet.—  Le 
Gendre,  Hist.  de  France,  tome  111.  —  Le  P.  Anselme.  — 
U.  Planchet.  —  Courlépée.  —  La  Cuisine  (de),  Hist,  du 
parlement  de  Dijon.  —  Mémoires  du  temps. 

saitlx  (  Guillaume  de  ),  comte  de  Ta- 
vannes,  fils  aîné  du  précédent,  né  en  1553, 
mort  en  1633.  Enfant  d'honneur  de  Charles  IX, 
puis  gentilhomme  de  sa  chambre,  il  fit  ses  pre- 
mières armes  à  la  bataille  de  Jarnac,  et  succéda 
à  son  père  en  qualité  de  lieutenant  général  en 
Bourgogne.  Il  se  prononça  énergiquement  contre 
la  Ligue,  et  conserva  au  roi  les  places  de  Flavi- 
gny,  de  Semur,  où  il  installa  le  parlement,  de 
Saint- Jean-de-Losne  et  de  Saulieu  ;  il  combattit 
à  Fontaine-Française;  mais  à  la  paix  il  se  re- 
tira dans  ses  terres.  On  a  de  lui  :  des  Mé- 
moires de  plusieurs  choses  advenues  en 
France,  es  guerres  civiles  depuis  1560  jus- 
qu'en 1596  (Lyon,  s.  d.,  in-4°  de  86  p.; 
Paris,  1625,  in-8°).  De  sa  première  femme, 
Catherine  Chabot,  il  eut  cinq  enfants,  dont 
Claude  et  Joachim,  qui  furent  lieutenants  gé- 
néraux, et  de  la  seconde,  Jeanne  de  Pontallier, 
qu'il  épousa  à  près  de  quatre-vingts  ans,  il  eut 

(1)  On  cite  de  lui  deux  paroles  authentiques,  et  qui 
comme  le  remarque  son  plus  récent  biographe,  M.  Ca- 
boche, prouvent  singulièrement  en  faveur  de  son  esprit. 
«  L'une  est  d'une  délicatesse  malicieuse,  l'autre  d'une 
beauté  sévère  et  tendre.  »  La  reine  mère  lui  demandait 
un  Jour  comment  elle  pourrait  connaître  le  caractère  de 
la',  reine  de  Navarre,  qui  devenait  la  belle-mère  de  sa 
fille  :  «  Entre  femmes,  dit— Jl  en  souriant,  commencez  par 
la  mettre  en  colère  et  ne  vous  y  mettez  point.  Vous  ap- 
prendrez d'elle,  et  non  elle  de  vous.  »  —  A  sa  dernière 
heure,  il  fit  appeler  sa  femme,  et  lui  adressa  ces  mots  : 
«  Que  te  diraHe?  sinon  que  tu  es  des  plus  femmes  de 
bien  du  monde;  ce  n'est  point  pour  l'admonester,  mais 
pour  te  dire  adieu  que  je  t'appelle.  » 

12. 


359 


SAULX  DE  TAVANNES  —  SAUMAISE 


36( 


Jean,  qui  fonda  la  branche  des  marquis  de  Ta- 
vannes.  E.  de  B. 

Courtépée,  Hist.  de  Bourgogne.  —  Moréri,  Dici.  hist. 

saclx  (Jean  de),  vicomte  de  Tavannes, 
frère  du  précédent,  né  à  Paris,  en  1555,  mort 
en  octobre  1629,  au  château  de  Sully.  Dès 
l'âge  de  onze  ans,  on  le  voit  figurer  parmi  les 
membres  de  la  confrérie  du  Saint-Esprit  en 
Bourgogne,  et  montrer  une  grande  ardeur  à  de- 
meurer fidèle  aux  sentiments  que  son  père  lui 
inspirait  contre  la  réforme;  il  assista  au  mas- 
sacre de  la  Saint-Barthélemi,  et  y  sauva  la  vie, 
à  ce  qu'il  assure,  à  trois  seigneurs  protestants.  Il 
accompagna  ensuite  le  duc  d'Anjou  au  siège  de 
La  Rochelle,  puis  en  Pologne,  se  distingua  dans 
quelques  combats  contre  les  Turcs,  et  passa  en 
1574  en  Moldavie;  il  y  guerroyait  depuis  quel- 
ques mois,  lorsqu'il  tomba  aux  mains  d'une 
troupe  de  partisans  qui  l'emmenèrent  à  Cons- 
tantinople,  où  il  recouvra,  on  ne  sait  comment, 
la  liberté.  De  retour  en  France  au  commence- 
ment de  1575,  il  obtint  une  compagnie  de  gen- 
darmes, avec  laquelle,  à  Dormans,  il  dégagea  le 
duc  de  Guise,  blessé,  et  ramena  1,500  reitres 
prisonniers.  Henri  III  lui  témoigna  la  plus 
grande  faveur,  et  prenait  souvent  ses  conseils  ; 
mais  Tavannes  refusa  d'adhérer  à  la  paix  de 
1577,  et  se  jeta  dans  le  parti  des  catholiques  ar- 
dents. Lorsque  les  huguenots  eurent  été  dé- 
clarés ennemis  de  l'État,  il  accepta  le  gouver- 
nement d'Auxonne,  et  exaspéra  les  réformés  par 
ses  rigueurs  ;  dans  une  émeute,  il  fut  blessé  griè- 
vement, pris  et  enfermé  dans  le  château  de 
Pagny  :  il  trouva  moyen  de  s'échapper  en  des- 
cendant une  muraille  haute  de  plus  de  cent 
pieds.  Plus  furieux  ligueur  que  jamais,  il  se 
déclara  contre  Henri  III  et  contre  Henri  IV, 
proposa  d'armer  le  peuple  avec  des  piques 
(  conseil  qui  fut  rejeté,  par  crainte  «  de  faire 
naître  dans  les  esprits  des  idées  de  républi- 
que »  ),  et  servit  dans  l'armée  rebelle  avec  le 
litre  de  maréchal  de  camp.  11  combattit  à  Ar- 
ques, disputa  vaillamment  la  Normandie  aux 
troupes  royales,  et  fut  pris  en  portant  du  se- 
cours à  Noyon  (1591).  Ayant  refusé  d'acheter 
sa  liberté  à  la  condition  d'indiquer  le  côté  faible 
des  fortifications  de  Rouen,  dont  il  était  gou- 
verneur, il  fut  échangé  contre  la  mère',  la 
femme  et  les  deux  sœurs  du  duc  de  Longue- 
ville.  Mayenne  lui  donna  alors  le  bâton  de  ma- 
réchal de  France  et  le  gouvernement  de  la 
Bourgogne  (1592),  où  il  alla  pendant  trois  ans 
lutter  contre  son  frère  Guillaume,  demeuré 
fidèle  au  roi.  Il  ne  se  soumit  que  le  dernier, 
bien  après  la  bataille  de  Fontaine- Française  et  la 
reddition  de  Dijon  ;  le  roi  le  reconnut  dans  la 
dignité  de  maréchal  de  France,  lui  promettant 
la  première  vacance.  En  1597,  il  refusa  de 
l'accompagner  au  siège  d'Amiens,  et  fut  enfermé 
à  la  Bastille;  mais  il  trouva  encore  moyen  de 
s'échapper.  Henri  IV  l'oublia  dans  son  château 
de  Sully,  se    vengeant  seulement  en   ne  lui 


donnant  pas  le  bâton  que  laissa  vacant  la  mor 
de  Biron.  Il  vécut  dès  lors  complètement  dan 
la  retraite  :  le  4  mars  1614,  la  reine  mère  le 
délivra  de  nouvelles  lettres  confirmatives  de  s 
dignité  de  maréchal;  mais  cette  promesse  n'eu 
pas  plus  d'effet,  et  il  ne  paraît  même  pas  que  1 
vicomte  ait  quitté  Sully.  Sa  descendance  s'é 
teignit  à  la  seconde  génération,  quoiqu'il  ait  e 
dix  enfants,  entre  autres  :  Henri ,  marquis  6 
Mirebel,  maréchal  de  camp  et  gouverneur  c 
Montferrat  (1595-1659).  Il  est  le  véritable  ai 
teur  des  Mémoires  sur  le  maréchal  de   Ti 
vannes,    si    improprement    dénommés    Mi 
moires  de  Tavannes.  Il  y  travailla  de  1601 
1621,  et  les  fit  imprimer  à  Sully  même,  en  lei 
attribuant  deux  titres  différents,  pour  miei 
tromper  les  curieux  (1).  Unelettre  de  Gui  Pati 
du  13  juillet  1657,  constate  que  ces  ouvrag 
avaient   reçu  très-peu  de   publicité;  et  ce 
fut  effectivement  qu'en    cette  année   qu'on 
donna  à  Lyon    une    première  édition  pour 
public.  On  les  a  reproduits  dans  les  collectio 
de  Petitot,  de  Michaud  et  de  Buchon.  Ces  ni 
moires    se    continuent  par  la  vie -de   l'aute 
jusqu'au  moment  où  il  rentra  dans  l'inactio 
Tavannes  y  montre  une  grande  irritation ,  v; 
nement  dissimulée  sous  un  apparent  dédain,  < 
ne  trompe  aucun  lecteur  sérieux .       E.  de 

Voir  les  mêmes  auteurs  que  pour  son  père, 

saumaise  (Bénigne  de),  érudit  frança 
né  à  Semur,  vers  1560,  mort  le  15  janvier  le 
à  Dijon.  Il  étudia  dans  sa  jeunesse  l'histoire, 
géographie,  le  droit,  la  poésie  latine  et  la  p< 
sie  française.  Son  principal  ouvrage  est  :  1 
nys  Alexandrin,  De  la  Situation  du  mon« 
nouv.  trad.  du  grec  en  (vers)  françois 
illustrée  de  commentaires  (Paris ,  1597,  f. 
in-12),  ouvrage  qui  n'a  de  remarquable  < 
ses  notes,  où  l'on  trouve  une  érudition  soli 
11  avait,  en  1587,  succédé  à  son  père  dans 
charge  de  lieutenant  au  bailliage  de  Semur.  P 
dant  la  Ligue,  il  prit  parti  pour  Henri  IV,  qui 
nomma  conseiller  au  parlement  de  BourJffl 

Ach.  G. 
Papillon ,  Bibl.  de  Bourgogne. 

saumaise  (  Claude  de  ),  en  latin  Sait 
sius,  célèbre  critique,  fils  du  précédent,  n 
Semur,  le  15  avril  1588,  mort  à  Spa,  le  6  s 
tembre  1658.  Il  eut  son  père  pour  pren 
maître.  A  dix  ans,  il  traduisait  Pindare  et  ci 
posait  des  vers  grecs  et  latins.  Il  fit  sa  phi'lc 
phie  à  Paris,  et  s'y  lia  avec  Casaubon,  qu^ 
plut  à  le  guider  dans  l'étude  des  lettres.  De 
ris  il  alla  à  Heidelberg,  où  il  étudia  la  ju 
prudence  sous  le  savant  Denis  Godefroy;  t\ 
professa  publiquement  le  protestantisme,  <l 
avait  déjà  embrassé  secrètement  plusieurs  anip 
auparavant.  Son  ardeur  au  travail  était  sigrap: 
à  cette  époque,  qu'il  consacrait  régulièrenfr 
deux  nuits  sur  trois  à  l'étude.   Ce  régim  fi 

(1)  Il  y  en  a   une  excellente  copie  dans  le  t.  Il  s 
manucrits  de  Conrart,  ln-fol  io.  à  la  Bibl.  de  l'Ars  II' 


nit  à  deux  doigts  de  la  mort,  et  il  se  crut  lui- 
nêmo  si  bien  en  danger  de  mourir  qu'il  fit  son 
pitaphe  en  grec  et  en  latin;  le  Journal  des 
lavants,  ann.  1695,  p.  251,  l'a  conservée.  Le 
anger  disparu ,  Saumaise  se  hâta  de  reprendre 
es  habitudes  ;  il  s'occupa  entre  autres  de  col- 
fitionner  les  précieux  manuscrits  de  la  biblio- 
hèque  palatine.  Peu  après  (1608)  il  publiait  les 
|i  eux  traités  du  sectaire  Nilus,  archevêque  de 
hessalonique ,  et  un  ouvrage  du  moine  Bar- 
i  |iam  sur  la  primauté  du  pape.  En  1609  il  don- 
ait  une  nouvelle  édition  de  Florus.  De  retour 
Dijon  en  cette  même  année,  il  se  fit  recevoir 
vocat  au  parlement  de  cette  ville;  mais  ce  ne 
it  que  par  condescendance  pour  son  père, 
i  il  n'exerça  jamais  la  profession.  Il  se  livra 
>ut  entier  à  ses  travaux  d'érudition ,  qui  lui 
reut  faire  plusieurs  voyages  à  Paris.  Il  épousa 
i  1623  la  fille  d'un  sieur  Des  Bordes,  zélé 
rotestant  français.  Le  mariage  ne  ralentit  point 
i  passion  pour  l'étude.  Bientôt  son  ouvrage 
ipital  paraissait  :  Plinianœ  exerciialiones  in 
ait  Juin  Solimi  Polyhistora,  etc.;  Paris, 
329,  2  vol.  in-fol.  Son  père  vouiut  alors  lui  ré- 
gner sa  charge  de  conseiller  au  parlement  de 
ijon  ;  mais  le  garde  des  sceaux  Marillac,  en- 
iemi  déclaré  des  protestants ,  s'y  opposa.  Sau- 
naise  se  consola  de  cet  échec  en  étudiant 
ans  maître  l'hébreu,  l'arabe,  le  cophte  et  autres 
mgues  orientales.  En  1631,  il  reçut  une  lettre 
es  curateurs  de  l'Académie. de  Leyde  :  ceux-ci 
îi  offraient  la  place  qu'avait  occupée  Joseph  Sca- 
ger.  Les  appointements  considérables  attachés 
cette  place,  qui  n'engageait  qu'à  résider  à 
eyde,  décidèrent  Saumaise  à  partir.  C'est  à 
jartir  de  cette  époque  que  date  réellement  la 
[éputation  européenne  du  critique.  Si  son  amour 
ropre  était  satisfait  du  succès  de  ses  ouvrages, 
in  revanche  il  avait  beaucoup  à  souffrir  des 
tracasseries  incessantes  que  lui  suscitait  son  col- 
lègue Daniel  Heinsius.  De  passage  en  France, 
n  1635,  le  roi  et  le  prince  de  Condé  cherchèrent 
p  l'y  retenir.  Saumaise  parut  prêter  l'oreille  aux 
promesses  qui  lui  furent  prodiguées  ;  mais  il  finit 
:>ar  refuser.  «  J'ai  l'esprit  trop  libre  pour  mon 
pays,  »  écrivait-il  alors.  En  1640,  le  cardinal  de 
[tichelieu  fit  une  autre  tentative  pour  retenir 
Saumaise  en  France  ;  elle  n'aboutit  pas  mieux 
'lue  la  précédente.  Le  cardinal  mettait  pour 
Condition  à  ses  faveurs  que  Saumaise  écrirait 
''histoire  de  son  ministère  :  «  Ma  plume  n'est 
pas  à  vendre,  répondit-il,  et  je  ne  sais  pas 
'latter.  »  11  revint  à  Leyde.  Christine,  reine  de 
(Suède,  fut  plus  heureuse  que  Richelieu  et  que 
•ila/.arin,  qui,  lui  aussi,  avait  essayé  de  le  faire 
■evenir  en  France  :  elle  réussit  à  fixer  quelque 
[emps  auprès  d'elle  l'érudit  professeur  de  Leyde. 
[>a  tactique  fut  plus  habile  que  celle  du  cardi- 
nal, il  faut  le  dire  :  «  Je  ne  puis  vivre  contente 
[ians  vous,  »  lui  écrivait-elle.  Après  un  séjour 
[l'un  an  à  Stockholm  (1650-1651)  il  retourna  en 
jîollande.  Il  mourut  assez  singulièrement.  Sa 


SAUMAISE  362 

femme  prenait  les  eaux  à  Spa.  Il  s'imagina  que  ces 
eaux,  recommandées  à  sa  femme,  devaient  pareil- 
lement être  bonnes  pour  lui;  il  avait  la  goutie. 
Une  fièvre  très-forte  suivit  celte  imprudence,  et 
lui  enleva  la  vie.  On  l'enterra  à  Maestricht. 

La  flatterie  ne  contribua  pas  peu  à  gâter  Sau- 
maise. La  reine  de  Suède  fut  le  plus  illustre  de 
ses  adulateurs,  mais  non  pas  le  seul  :  Ca- 
saubon,  Gronovius,  Grotius,  Vossius,  en  un 
mot  la  plupart  des  savants  de  l'époque  l'eni- 
vrèrent de  leur  encens.  Balzac  lui-même,  le 
perspicace  Balzac,  osa  un  jour  lui  décerner  le 
titre  d'infaillible.  A  la  vérité,  l'auteur  du  So. 
craie  chrestien  corrigea  plus  tard  cette  épi- 
thète  en  ajoutant  :  Infaillible,  oui...  mais  à  la 
façon  des  vieux  oracles  de  Delphes.  »  Le  coup 
n'en  était  pas  moins  porté.  Les  curateurs  de 
l'Académie  de  Leyde  allèrent  plus  loin  encore. 
Pendant  le  séjour  de  Saumaise  en  Suède,  ils 
lui  écrivirent  pour  l'engager  à  revenir  parmi 
eux.  «  Notre  Académie,  lui  disaient-ils  entre 
autres  choses,  ne  peut  pas  plus  se  passer  de 
Saumaise  que  le  monde  ne  peut  se  passer  du 
soleil.  »  Aujourd'hui,  on  ne  connaît  plus  guère  Cl. 
de  Saumaise  que  par  certaines  discussions  beau- 
coup trop  retentissantes  qu'il  eut  avec  plusieurs 
de  ses  contemporains,  l'avocat  Didier  Hérauld , 
le  P.  Petau,  Daniel  Heinsius,  etc.  Celle  qu'il 
eut.  avec  Milton,  à  propos  de  la  Défense  de 
Charles  J«'',  pamphlet  auquel  le  poëte  répliqua 
par  la  Défense  du  peuple  anglais,  fut  sur- 
tout remarquée  :  Saumaise  y  défendit  fort  mal 
une  fort  bonne  cause,  et  le  poëte  anglais  eut 
raison  du  critique.  En  général,  ce  qui  distingue 
Saumaise,  ce  n'est  pas  la  logique,  c'est  l'érudi- 
tion, l'énergie  et  spécialement  l'acrimonie,  quel- 
quefois même  la  grossièreté.  Le  gros  mol  ne 
lui  fait  pas  peur.  Les  épithètes  â'asinus,  de 
pecus,  etc.,  lui  sont  familières. 

«  Hoc  mihi  plerumque  vitium  est,  dit-il 
lui-même,  ut  proutque  scribendi  impetus  me 
cœpit,  animœ  sensa  in  chartas  effundam. 
Qui  me  norunt  facile  mihi  i&ta  condonant, 
quia  sciunt  nihil  intus  latere  occulti  veneni.  » 
En  effet  les  injures  qu'il  prodigue  à  ses  adver- 
saires, et  qui  étaient  du  reste  reçues  dans  la  po- 
lémique d'alors,  ne  sont  que  l'effusion  naturelle 
de  son  amour  extrême  pour  ce  qu'il  croyait  être 
la  vérité.  «  Avec  cette  liberté  de  juger,  qui  m'a 
toujours  été  fort  familière ,  écrit-il ,  je  n'espar- 
gnerois  pas  mon  père  propre,  s'il  avoit  dit  ou  fait 
chose  où  ma  censure  peust  mordre  avec  raison.  ■» 
S'il  partageait  amplement  l'humeur  batailleuse 
des  savants  de  son  temps ,  il  était  en  revanche 
plus  exempt  qu'on  ne  croit  généralement  de  leur 
obstination  et  de  leur  présomption.  «  Quant  à 
ce  qui  est  de  mes  opinions,  écrit-il  à  Dupuy, 
elles  ne  me  tiennent  jamais.  Je  leur  fais  prou 
l'amour  à  toutes  et  n'en  épouse  pas  une;  telle- 
ment qu'il  m'est  toujours  libre  de  m'en  séparer 
quand  je  veux,  et  je  le  veux  toutes  et  quantes  fois 
que  je  trouve  un  meilleur  parti  ailleurs.  » 


3G3 


La  plupart  des  cinquante  et  quelques  ouvrages 
et  opuscules  de  Saumaise  n'étaient  pas  laits  pour 
vivre  ;  ils  pèchent  surtout  par  la.  Corme  et  l'or- 
donnance ;  le  style  en  est  en  général  très-négligé. 
Cela  tient  surtout  à  la  précipitation  de  l'auteur. 
Il  mettait  moins  de  temps  à  composer  un  de  ses 
livres  les  plus  savants  que  d'autres  n'en  met- 
taient à  les  transcrire.  Qu'un  de  ses  nombreux 
correspondants  vînt  à  lui  demander  quelques 
éclaircissements  sur  une  question,  il  lui  répon- 
dait de  suite  par  un  volume.  D'après  Sorbière, 
qui  avait  vécu  dans  son  intimité,  il  travaillait 
le  plus  souvent  au  milieu  d'un  grand  bruit  qui 
se  faisait  autour  de  lui  et  dans  des  distractions 
continuelles  ;  il  écrivait  toujours  sans  méditation, 
sans  avoir  dressé  de  plan;  il  ne  relisait  pas  ce 
qu'il  avait  écrit.  Gronovius,  autre  ami  de  Sau- 
maise,  attribue  l'imperfection  de  ses  ouvrages  à 
ce  qu'il  était  entraîné  par  l'abondance  de  son 
érudition,  dont  il  ne  savait  modérer  le  cours.  On 
a  de  lui  :  Duarum  inscriptiomim  explication 
Paris,  1619,  in-4°;  et  dans  le  Musxum  de  Cre- 
nius;  —  De  suburbicariis  regionibus;  1619, 
in-8°;  contre  Si rmond  ;  —  De  usuris;  Leyde, 
1638,  in-8°  :  ce  savant  traité  et  les  deux  sui- 
vants De  modo  usurarum,  Leyde,  1639,  in-12, 
et  De  Fumore  trapezitico ,  Leyde,  1640,  in-12, 
entraînèrent  Saumaise  dans  une  vive  polémique 
avec  divers  théologiens,  qui  lui  reprochaient 
d'avoir  proclamé  la  légitimité  du  prêt  à  intérêt; 

—  De  episcopis  et  presbyteris  ;  Leyde,  1641, 
in-8°;  sous  le  pseudonyme  de  Wallo  Messalinus, 
et  dirigé  contre  Je  P.  Petau  ;  —  De  hellenis- 
tica  commentarkes,  pertractans  origines  et 
dialectos  Unguse  grsecx;  Leyde,  1643,  in-12; 

—  Funiis  Unguse  hellenisticx ;  Leyde,  1643, 
in-12  ;  —  De  exsarie  virorum  et  mulierum; 
Leyde,  1644,  in-12;  —  De  coma  dialogus; 
Leyde,  1645,  in-12  :  traité  badin  sur  les  longues 
chevelures,  que  certains  théologiens  hollandais 
voulaient  proscrire  ;  —  De  primatu  papse; 
Leyde,  1645,  iu-4°;  —  Miscellx  De/ensiones 
de  variis  observationibus  ad  jus  atticum  et 
romanum;  Leyde,  1645,  in-12;  —  De  mutuo; 
Leyde,  1645,  in-12;  —  Juclicium  de  Ubro 
posthumo  Grotii;  1646,  in-8°;  Strasbourg, 
1654,  in-12; —  Tractatus  de  subscribendis 
et  signnndis  testamentis  ;  Leyde,  1648,  in-12; 

—  De  annis  climatericis  et  antiqua  aslro- 
logia;  Leyde,  1648,  in-8°;  —  Defensio  regia 
pro  Carolo  I;  1649,  in-24  ;  réimprimé  neuf  fois 
dans  l'espace  de  trois  ans  ,  entre  autres ,  Paris, 
1650,  in-12  ;  —  Ëpistolx  ;  Leyde,  1656,  in-4°; 
d'autres  lettres  de  Saumaise  sont  imprimées  dans 
les  recueils  de  celles  de  Casaubon,  Sarrau,  etc.; 
un  grand  nombre  d'inédites  se  trouvent  aux  ar- 
chives de  La  Haye  et  à  la  bibliothèque  impériale 
de  Paris;  —  De  re  militari  Romanorum; 
Leyde,  1657,  in-4°;  —  Ad  Miltonem  respon- 
sio;  Londres,  t66ft,  in-12;  —  De  hnmonijmis 
hyles  iairicx,  de  manna  et  saccharo; 
Utrecht,  1689,  in-fol.  Comme  éditeurSaumaise  à 


SAUMAISE  —  SAXJRIN  364 

publié   :  les    Historiée  Augustx   scriptores 


[   (Paris,  1620,  in-fol.);  le  traité  de  Tertullien  Dt 
|  pallia  (Paris,  1622,  in-8°;   Leyde,   1656);  1< 
Commentaire   sur    Epictète    de    Simpliciu: 
(Leyde,  1640,  in -4°);  Clitophon  et  Leucippi    I 
d'Achille  Tatius  (Leyde,  1640,  in-12);  \eDeur 
bibus  d'Élienne  de  lîyzance.  —   Saumaise  ;  U 
laissé  en  manuscrit  près  d'une  centaine  d'écrits 
Ph.  de  la  Mare  a  hérité  d'une  partie  d'entre  eux    j 
une  douzaine  ont    pas-sé  dans  la  bibliothèqu 
impériale  de  Paris.  On  trouvera  ies  indication 
bibliographiques  les  plus  détaillées  sur  Saumais  i . 
dans  Papillon.  Ach.  G. 

Papillon,  BibUoîh.  des  auteurs  de  Bourgogne.  —  Goi 
Jet,  Bibliothèque  française,  t.  IV '.  —  Ba\Uet,Jugem.  dt  fl 
sav.,  t.  I,  n°  511  ;  t.  III,  p.  72.  —  Clément,  Fie  c  IJ 
Saumaise.  —  Morérl.  —  Vorst ,  Oralio  in  excessvh  \\ 
Cl.  Salmasii.  —  Arnrl  (losua  ),  Exercitatio  deerroribi  M 
Cl.  Salmasii  in  thcologia.  —  Haag  frères,  France  pn  m 
testante.  —  l'aquot,  Mémoires,  t.  XV. 

sauniers.  Voy.  Saniïek. 

saitrïn  (Élie),  théologien  protestant,  né 
28  août  1639,  à  Usseau  (Dauphiné),  mort! 
jour  de  Pâques  1703,  à  Utrecht.  Sa  famille  «ta 
ancienne  dans  la  Provence,  et  deux  de  si 
branches  avaient  embrassé  le  calvinisme, 
était  fils  d'un  pasteur  de  village,  Pierre  Saurii 
qui  prit  soin  lui-même  de  sou  éducation  et  q 
l'envoya  ensuite  étudier  la  théologie  à  Genèv 
Admis  en  16-61  au  ministère,  il  exerça  d'aboi 
à  Venterol,  et  fut  appelé  en  1662  par  l'égli: 
d'Embrun  ;  ayant  refusé  de  se  découvrir  d 
vant  un  prêtre  catholique  qui  portait  le  viatiqi 
à  un  malade,  il  fut  condamné  à  l'amende  hon< 
rable  et  au  bannissement  perpétuel  (1664)* 
échappa  à  ce  jugement  par  la  fuite ,  et  se  reti  i 
en  Hollande ,  où  il  devint  ministre  de  l'égli  j 
wallonne  de  Delft  (1665).  Le  procès  du  i 
meux  Labadie  lui  donna  occasion  de  déploy 
son  zèle  :  chargé  d'examin-er  les  opinions  re 
gieuses  de  ce  pasteur  mystique,  il  offrit  de  le  i 
futer  publiquement,  et  s'employa  contre  luiav 
tant  de  diligence,  qu'il  parvint  à  le  faire  dépos 
(1669)  ;  toutefois  il  ne  put  se  résoudre  à  le  su 
pléer  à  Middelbourg,  pour  éloigner  de  lui 
soupçon  d'avoir  agi  dans  un  intérêt  particule 
Eu  1671  Saurin  accepta  la  place  de  Wolzog 
à  Utrecht;  mais  outre  l'occupation  françai 
qui  lui  causa  beaucoup  d'inquiétude,  il  y  xéçk 
pendant  plus  de  deux  ans  au  milieu  d'agitatio 
continuelles,  causées  par  les  différends  qu'il  e 
à  soutenir  contre  Jurieu.  Ce  fut  lui,  il  est  vr; 
qui  engagea  la  lutte  en  présentant  plusieu 
points  de  la  doctrine  de  Jurieu  comme  hétér 
doxes  et  d'une  très-dangereuse  conséquenc 
Plusieurs  synodes  firent  de  vains  efforts  po 
apaiser,  sinon  rapprocher,  les  deux  adversaire 
celui  de  Leeuwarden  alla  même  jusqu'à  le 
défendre  d'écrire  l'un  contre  l'autre,  sous  pei 
d'excommunication,  ee  dont  ils  ne  tinrent  r 
co?ripte.  H  consacra  ses  dernières  années  à 
publication  d'ouvrages  de  théologie.  H  ava 
suivant  Chaufepié,  «  un  génie  vaste  et  profor 


J65 


SAURIN 


366 


m  discernement  exquis,  le  jugement  net  et  so- 
ide  »  ;  constant  dans  sa  conduite,  «  il  était  in- 
:apable  d'accommoder  ses  sentiments  aux 
emps,  aux  lieux  et  aux  personnes  ».  On  a  d'É- 
ie  Saurin  :  Examen  de  la  théologie  de  Ju- 
ieu;  La  Haye,  1694,  2  vol.  in-8°  :  ce  fut  à 
'appui  de  cet  ouvrage  qu'il  publia  ensuite 
Défense  de  la  véritable  doctrine  de  l'Église 
éjormée  sur  le  principe  de  la  foi;  Utrecht, 
697,  in-8°;  et  Justification  de  sa  doctrine; 
bid.,  1697,  2  vol.  in-8°,  avec  une  Suite  ;MA., 
:697,  in-8°;  —  Réflexions  sur  les  droits  de 
a  conscience;  Utrecht,  1697,  in-8°  :  il  s'y 
>rononce  avec  force  pour  la  tolérance;  ~ 
Traité  de  Vamour  de  Dieu;  ibid.,  1701,2  vol. 
n-8o-,  —  Traité  de  Vamour  du  prochain  ; 
bid. ,  1704,  in-8°,  ouvrage  posthume. 
Sa  Vie,  à  la  suite  du  Traité  de  l'amour  du  prochain. 
-  Chaulepic,  DM,  hist.  —  Haag  ,  France  protest. 

SAUitiN  (Joseph),  géomètre  français,  frère 
lu  précédent,  né  le  1er  septembre  1659,  à 
jourtaison  (Comtat  Venaissin),  mort  à  Paris, 
e  29  décembre  1737.  Élevé  dans  la  religion  ré- 
armée, il  fut,  à  vingt-cinq  ans,  ministre  à  Eure, 
cri  Dauphiné.  La  violence  avec  laquelle  il  atta- 
qua, dans  un  de  ses  sermons,  les  actes  du  gou- 
vernement contre  les  protestants  le  força, 
pour  échapper  aux  poursuites,  de  quitter  la 
France.  11  alla  en  Suisse,  où  on  lui  donna  la  cure 
le  Bercher,  dans  le  bailliage  d'Yverdun.  Un 
idécret  du  sénal  de  Berne  ayant  ordonné,  en 
1685,  de  signer  le  Consensus  de  Genève,  qui 
condamnait  certaines  doctrines  des  réformés 
français,  Saurin,  après  avoir  hésité  près  d'un 
an,  donna  sa  signature,  le  8  février  1686;  mais 
peu  après  il  prétendit  que  ce  consentement  lui 
avait  été  imposé  par  une  contrainte  morale,  et 
manifesta  l'intention  de  se  rétracter.  Ces  ter- 
giversations lui  suscitèrent  des  inimitiés  et  des 
querelles,  qui  auraient  peut-être  suffi  à  lui  faire 
abandonner  la  Suisse,  et  c'est  en  effet  la  rai- 
son que  dans  la  suite  il  donna  de  son  départ  ; 
mais  il  s'y  joignit  une  cause  plus  grave,  une 
accusation  de  vol.  Les  actes  de  la  procédure 
criminelle  commencée  à  ce  sujet  ont  été  pu- 
bliés, en  1741,  par  d'Olivet,  dans  la  Biblio- 
thèque raisonnée,  d'après  les  pièces  de  la 
chancellerie  de  Berne  ;  déjà,  au  mois  d'avril 
1736,  le  Mercure  suisse  avait  imprimé  une 
lettre  de  Saurin,  adressée,  le  l3.juillet  1689,  à 
son  ami  le  ministre  Gonon,  dans  laquelle  il 
faisait  l'aveu  de  sa  faute.  Saurin,  qui  vivait  en- 
core au  moment  de  cette  publication,  ne  ré- 
pondit pas.  La  vérité  de  l'accusation  portée 
contre  lui  paraît  donc  démontrée.  Saurin  re- 
tourna en  France  avec  un  sauf-conduit  qu'il 
avait  obtenu  de  Bossuet;  il  abjura,  en  i6S0,  et 
reçut  du  roi  une  pensiou  de  1,500  livres.  «  L'é- 
vêque  de  Meaux,  dit  à  ce  sujet  Voltaire,  crut 
avoir  converti  un  ministre,  et  il  ne  fit  que  servir 
à  la  petite  fortune  d'un  philosophe.  »  Saurin 
abandonna  les  discussions  théologiques  pour  la 


géométrie,  se  fit  remarquer  dans  dos  polémi- 
ques contre  Huygens  et  Rolle,  et  fut  admis,  en 
1707,  dans  l'Académie  des  sciences.  Accusé  par 
J.-B.  Rousseau  d'être  l'auteur  des  fameux 
couplets  qui  amenèrent  l'exil  du  poêle,  il  fut 
acquitté,  en  1712,  après  six  mois  de  prison. 
Les  recherches  faites  plus  tard  par  les  critiques 
donnent  à  penser  qu'il  ne  fut  pour  rien  dans 
la  composition  des  vers  incriminés  ;  mais  il 
joua  dans  cetie  triste  affaire  un  rôle  peu  ho- 
norable, et  c'est  dechez  lui  que  sortaitcet  exem- 
plaire qui,  envoyé  chez  Boindin,  produisit  tout 
le  mal.  Mélange  de  talents  et  de  vices,  Joseph 
Saurin  a  été  jugé  par  Fonteneile,  comme  il  suit, 
avec  quelque  partialité  :  «  D'un  côté,  un  esprit 
élevé,  lumineux,  qui  pensait  en  grand,  et  ajou- 
tait du  sien  à  toutes  les  lumières  acquises,  un 
grand  talent  pour  toutes  les  opérations  d'es- 
prit, et  qui  n'attendait  que  son  choix  pour  se 
déterminer  entre  elles  ;  d'un  autre  côté,  du  cou- 
rage, de  la  vigueur  d'âme,  qui  devaient  rendre 
aussi  les  passions  plus  difficiles  à  maîtriser...  Il 
ne  cherchait  pas  à  se  faire  beaucoup  de  liai- 
sons, et  jusqu'à  sa  forme  de  vie  tout  s'y  oppo- 
sait. Il  travaillait  toute  la  nuit,  et  dormait  le 
jour...  »  Les  écrits  de  Saurin  sont,  dans  le 
Journal  des  Savants  (1702-1708),  des  disser- 
tations scientifiques,  et  un  Éloge  historique  de 
Bossuet,  et  dans  le  Recueil  de  l'Académie  des 
sciences ,  plusieurs  Mémoires  sur  la  géo- 
métrie. 

Fonteneile,  Hist.de  l'Acad.  des  sciences.  -  Chaufepié, 
Nouveau  Dict.  hist.  —  Haag  frères,  La  France  protes- 
tante. 

saurin  (Bernard-Joseph),  poète  dramatique 
français,  fils  du  précédent,  né  en  1706,  à  Paris, 
où  il  est  mort,  le  17  novembre  1781.  Il  puisa  de 
bonne  heure  le  goût  de  ia  poésie  dans  le  com- 
merce des  -hôtes  ordinaires  de  son  père ,  qui 
avait  fait.de  sa  maison  le  rendez- vous  des  gens  de 
lettres;  mais  le  besoin  de  se  créer  des  ressources 
l'obligeant  de  maîtriser  son  penchant,  il  étudia  le 
droit,  et  fut  reçu  avocat  au  parlement.  Il  pratiqua 
le  barreau  avec  quelque  distinction,  et  devint 
ensuite  secrétaire  du  duc  d'Orléans.  Une  pension 
de  mille  écus  que  lui  accorda  généreusement  Hel- 
vétius,  depuis  longtemps  son  ami,  le  laissa  tout 
à  fait  libre  de  s'engager  dans  la  carrière  des  let- 
tres ;  il  choisit  le  théâtre,  et  donna  à  trente-sept 
ansZes  Trois  rivaux  (1743),  comédie  eu  cinq 
actes  et  en  vers.  Cette  première  pièce  n'eut  au- 
cun succès,  non  plus  que  ia  seconde,  Aménophis 
(1752)  ,  tragédie  romanesque,  dont  Le  Mierre 
appliqua  le  dénoûment  à  son  Hypermnestre. 
Cette  double  chute  ne  découragea  pas  Saurin,  et 
bien  qu'il  approchât  de  la  soixantaine,  il  se  re- 
mit avec  ardeur  au  travail  et  fit  jouer  en  1760 
Spartacus.  Cette  tragédie  est  à  peu  près  sou 
seul  titre  de  gloire  :  malgré  le  défaut  de  vérité 
historique,  malgré  des  invraisemblances  de  si- 
tuation et  de  caractère,  elle  plut  par  la  har- 
diesse même  du  principal  rôle  et  par  quelques 


367 


SAURIN 


3? 


tirades  énergiques  où  l'on  rencontre  des  vers 
frappés,  comme  disait  Voltaire ,  à  l'enclume  de 
Corneille.  La  louange  est  exagérée,  et  il  est  plus 
vrai  de  dire  que  les  vers  prosaïques  de  Saurin 
sentent  uu  peu  trop  l'enclume.  Blanche  et  Guis- 
card,  représentée  en  1763,  et  imitée  de  Thom- 
son, renferme  des  situations  plus  touchantes; 
mais  la  versification  a  les  mêmes  défauts,  et  les 
événements  s'y  succèdent  avec  trop  de  précipi- 
tation. La  tragédie  bourgeoise  de  Beverlei 
(1768)  est  un  autre  emprunt  à  la  scène  anglaise 
(voy.  Lillo)  :  elle  dut  son  grand  succès  à  la 
nouveauté  du  genre  ainsi  qu'au  talent  sublime 
déployé  par  Mole.  Tel  est,  avec  quelques  comé- 
dies agréables ,  le  bagage  littéraire  de  Saurin.  Il 
remplaça  en  1761  du  Resnel  dans  l'Académie 
française,  et  y  eut  Condorcel  pour  successeur. 
Il  vivait  dans  le  grand  monde,  et  savait  se  faire 
estimer.  Parmi  les  lettrés  il  avait  pour  ami  Mon- 
tesquieu, Voltaire,  Saint-Lambert,  le  duc  de  Ni- 
vemois;  ce  dernier  prétend,  avec  plus  de  malice 
peut-être  que  de  vérité,  que  «  ses  vers  étaient 
sans  faste ,  son  commerce  sans  épines  » .  Quoi- 
qu'il fût  pétulant  et  orgueilleux,  un  peu  brutal 
même,  suivant  Grimm  ,  il  savait  allier  à  J'énergie 
la  circonspection  et  la  mesure.  La  crainte  de  la 
mort,  qu'il  ne  put  jamais  vaincre,  troubla  les 
derniers  temps  de  sa  vigoureuse  vieillesse.  Il 
s'était  marié  tard,  à  uneifemme  jeune  et  jolie,  qui, 
avait-il  coutume  de  dire,  l'avait  rattaché  à  la 
■vie.  Nous  citerons  encore  de  Saurin  :  Les  Mœurs 
dutemps  (1761),  un  acte  en  prose;  et  V Orphe- 
line léguée  (1765),  trois  actes  en  vers,  réduits 
en  un  seul,  sous  le  titre  de  L 'Anglomanie  (1772), 
comédies;  — Mirza  et  Fatmé,  conte  indien; 
Paris,  1764,in-12;  —  Épltres  sur  la  Vieillesse 
et  sur  la  Vérité,  suivies  de  Pièces  fugitives 
et  d'une  comédie  en  un  acte  en  prose,  intitulée 
Le  Mariage  de  Julien;  Paris,  1772,  in-8°;  — 
Épîtrèî  oVHéloïse  à  Abeilard ,  imitées  de 
Pope;  s.  1.,  1774,  in-8°.  Oïl  a  réuni  ces  diffé- 
rents ouvrages  dans  les  Œuvres  complètes  de 
Saurin  (Paris,  1783,  2  vol.  in-8°),  sans  y  com- 
prendre néanmoins  ceux  qui  lui  sont  attribués 
comme  Les. trois  Rivaux  (1743), comédie;  So- 
phie de  Francourt  (1769,  in~8°),  roman,  et 
YÉloged'Helvélius  (1774,  in-8°),  non  plus  que 
ses  Lettres  et  des  Chansons,  qu'on  dit  être  d'un 
goût  excellent.  Son  Théâtre  (Paris,  1773,  in-8°) 
à  été  réimpr.   SQ"s  le  titre  VŒuvres  choisies 

(Paris,  1812,  in- 18).  ,,,.•■ 

Notice,  à  la  tète  des  OEuvres  compl  et  chômes.  - 
Nivernois  (  Duc  de),  OEuvres. 

saurin  (Jacques),  célèbre  prédicateur  pro- 
testant, né  le  6  janvier  1677,  à  Nîmes,  mort  le 
30  décembre  1730,  à  La  Haye.  Il  était  de  la 
famille  des  précédents,  mais  d'une  branche  éta- 
blie clans  le  Languedoc  (1).   La  révocation  de 

(1)  Celte  branche  compta  des  hommes  distingués.  Le 
trisaïeul  de  Jacques  Saurin,  Jean,  fut  colonel  d'infan- 
terie et  gouverneur  de  Sommière  et  mourut  en  1601; 
son  aïeul,  Jean,  sieur  de  la  Blaquières,  servit  en  1622 
sous  les  ordres  du  duc  de  Rohan  ;  son  père  enfin,  qui 


l'édit  de  Nantes  l'ayant  obligé  de  quitter 
France,  il  suivit  son  père  à  Genève,  et  y  con 
mença  ses  études  avec  succès.  Il  céda  à  flii 
pétuosité  de  son  caractère  en  prenant  à  sei; 
ans  le  parti  des  armes,  où  ses  aïeux  avaiei 
acquis  quelque  renom,  et  s'enrôla  dans  le  rég 
ment  de  Galloway,  entièrement  composé  de  r< 
fugiés  français,  et  qui  se  trouvait  alors  au  sei 
vice  du  duc  de  Savoie.  Il  lit  une  campagne,  < 
obtint  le  grade  d'enseigne.  La  paix  ayant  é 
conclue  entre  la  France  et  la  Savoie  (  septembi 
1696),  il  retourna  à  Genève  pour  y  achever  se 
éducation.  Admis  au  ministère  en  1700,  il  se  rend 
en  Hollande  et  de  là  en  Angleterre;  l'église  wa 
lonne  de  Londres  l'ayant  appelé  au  nombre  c 
ses  pasteurs  (mars  1701),  il  s'établit  dans  cetî 
ville,  et  y  épousa  une  jeune  Française.  S 
santé,  naturellement  délicate,  souffrit  bienti 
de  l'humidité  du  climat;  en  1705  il  fit  un  secon 
voyage  à  La  Haye,  et  prêcha,  dit  Chaufepii 
avec  un  applaudissement  prodigieux  ;  afin  i 
retenir  dans  le  pays  un  si  rare  orateur,  c 
créa  alors  pour  lui  une  place  de  ministre  e> 
traordinaire  des  nobles,  qu'il  remplit  pendai 
vingt-cinq  ans.  On  n'aurait  plus  rien  à  ajoutt 
à  la  vie  de  cet  homme  célèbre  si  la  jalousie  c 
ses  collègues  n'avait  pris  soin  de  lui  suscih 
plus  d'une  affaire  désagréable  et  de  le  poui 
suivre,  au  nom  de  l'orthodoxie,  jusqu'à  son  1 
de  mort.  Impuissants  à  lui  disputer  la  pain: 
de  l'éloquence,  ils  se  jetèrent  sur  ses  livre 
comme  sur' une  proie.  La  Chapelle,  entre  autrei 
joua  ce  triste  rôle  d'accusateur  :  au  nom  de  la  f< 
et  de  la  morale,  il  dénonça  Saurin  comme  ayai 
prétendu  que  «  Dieu  n'est  pas  assez  heureux 
ou  assez  puissant  ou  assez  vrai  pour  éviter  toi 
jours  le  mensonge  ».  Dans  cette  querelle  sur  ] 
mensonge,  à  laquelle  avait  donné  lieu  une  dis 
sertation  de  Saurin,  ce  ne  furent  pas  les  pr< 
tendus  défenseurs  de  la  vraie  doctrine  qui  mei 
tirent  le  moins.  Saurin  avait  pris  pour  sujet  c 
thèse  l'ordre  que,  dans  la  Bible,  Dieu  donna 
Samuel  d'aller  joindre  David  en  déguisant  1 
sujet  de  son  voyage.  «  Il  est  clair,  ajoutait-i 
que  la  précaution  que  Dieu  inspire  à  Samu< 
avait  pour  but  d'induire  Satil  dans  l'erreur  i 
de  lui  persuader  que  le  sacrifice  de  cette  vi' 
time  (  une  génisse  )  était  le  principal ,  mêir 
l'unique  dessein  de  son  voyage.  Cette  actio 
avait  donc  ce  qu'on  prétend  être  toujours  cr 
minel  dans  le  mensonge,  à  savoir  de  jeter  le  pre 
chain  dans  l'erreur;  mais  elle  n'était  pascrimi 
nelle  en  elle-même  puisqu'elle  était  faile  p£ 
l'ordre  de  Dieu,  il  implique  contradiction  qii 
Dieu  commande  une  action  criminelle  par  elli 
même,  d'où  l'on  conclut  que  le  mensonge  ei 
quelquefois  innocent.  »  La  dispute  s'envenira 
à  un  tel  point  qu'elle  fut  portée  dans  le  synod 

se  nommait  aussi  Jean,  eut  la  réputation  d'un  bon  avi 
cat  à  Nimes,  où  il  remplit  les  fonctions  de  secrétaire  i 
l'Académie.  Dès  le  seizième  siècle  cette  famille  s'éta 
convertie  aux  prédications  de  Calvin. 


369 


,  j  de  La  Haye  (1730).  Saurin  écrivit  une  lettre 
!  fort  digne,  où  il  reproduisit  ses  conclusions  en 
ajoutant  qu'il  n'avait  pas  voulu  «   donner  la 
moindre  atteinte  à  l'éminence  des  perfections 
il  de  Dieu;  »  et  on  s'en  contenta,  bien  qu'on  eut 
tout  préparé  pour  lui  faire  essuyer  de  la  part  du 
i  synode    quelque   éclatante    mortification.    Ces 
i  tracasseries   abrégèrent  les  jours    de    Saurin, 
,  j  qui  mourut  à  la  fin  de  cette  année,  en  protes- 
tant une  dernière  fois  au  fougueux  pasteur  Huet 
[de  la  pureté  de  ses  intentions  et  de  sa  doc- 
1  trine.  «  L'orgueil,  disent  MM.  Haag,  fut  le  dé- 
faut le  plus  saillant  du  caractère  de  Saurin,  qui 
.  était  d'ailleurs  généreux  et  bon.  Gracieux  et  ai- 
i  :  mable  pour  ses  amis,  il  se  montrait  froid  et 
j  réservé  avec  les  personnes  qui  lui  étaient  étran- 
gères ou  indifférentes,  et  il  prenait  avec  elles  un 
H'tOQ  de  supériorité  très-propre  à  blesser  leur 
p|  imour-propre.   »   Tl  se  tenait  à  l'écart,  menant 
liane  vie    douce  et  tranquille;  il    était  désin- 
I  :éressé  à  ce  point  qu'ayant  hérité  des  biens  de 
[i^ouis  Lambert,   un  de  ses  compatriotes,  il  se 
;  làta  de  les  restituer  aux  parents   du  défunt, 
h  sans  en  rien  garder  pour  lui-même  ;  sa  charité 
[était  inépuisable,  et  il  mourut  pauvre. 
!    Comme  on  l'a  fait  remarquer  plus  d'une  fois, 
fcmcun  prédicateur  n'offre   avec  Bossuet  plus 
j ,  3'analogies  que  Saurin.  «   Le   protestant,   dit 
IVI.  Sayous,  a  tout  ce  qui  est  force  chez  le  ca- 
tholique; il  manque  de  tout  ce  qui  y  est  grâce  et 
fcnajesté  calme;  il  a  le  regard  perçant  et  vaste; 
:;  J  embrasse  les  masses  et  démêle  les  résultats; 
tson  œil  n'a  pas  la  fine  pénétration  ni  sa  main 
iila  souplesse  qui  saisissent  les  délicatesses  de  la 
iionscience  ;  mais  son  imagination  est  puissante 
au  milieu  des  terreurs  et  des  ruines...  Saurin, 
(a  dit  le  cardinal  Maury,  n'est  presque  jamais 
^un  grand  écrivain.   Il  le  serait  toujours  sans 
^'impatience  et  la  facilité   abondante  qui    font 
,  [déborder  sa  parole  et   ne  lui  laissent  pas  le 
.  itemps  de  serrer  le  sens  dans  la  phrase.  11  est 
,  sujet  aux  négligences,  aux  expressions  suran- 
nées, enfin  à  la  gaucherie  du  style  réfugié.  En 
revanche  il  a  des  coups  de  burin  d'un  bonheur 
admirable  ;  il  a  le  mot  lumineux  et  inattendu  ; 
l  avec  lui  on  se  sent  tout  à  coup  secoué  et  ter- 
rassé, avant  d'avoir  prévu  l'attaque.  .Nul  ora- 
teur sacré  n'a  plus  de  ces  traits  imprévus.  »  Sa 
j  prédication  est  très-variée  ;  il  y  aborde   sans 
;  hésiter  les  plus  graves  questions  ;  il  en  écarte 
^avec  soin  la  controverse,  et  loin  d'y  poursuivre 
la  cour  de  Rome  d'imprécations,  il  garde  avec 
.elle  une  réserve  dédaigneuse.  On  a  de  cet  émi- 
!  nent  prédicateur:  Sermons  sur  divers  textes  de 
[l'Écriture  sainte;  La  Haye,  1708-1725,  1721- 
î  1725,  5  vol.  in-8°  ;  Genève,  1725,5  vol.  in-12  ;  ce 
,sont  les  seuls  que  l'auteur  ait  jugés  dignes  de  sa 
jrenommée.Ceux  que  son  fils  Philippe  ajouta,  après 
|  sa  mort,  à  ce  recueil  sont  estimés  bien  au-des- 
;  sous  des  premiers  :  Sermons  sur  divers  textes 
[de  l'Écriture  sainte;  La  Haye,  1732,  2  vol. 
in-8°  ;  et  Nouveaux  Sermons  sur  la  passion  ; 


SAURIN  —  SATJSSAY  370 

Rotterdam,  1732,  2  vol.  in-8°.  On  connaît  de  ces 
trois  recueils  plusieurs  éditions ,  entre  autres 
celles  de  La  Haye,  1749,  12  vol.  in-8°  ;  de  Lau- 
sanne, 1759-1761,  12  vol.  in-8o,  et  de  Paris, 
1829-1835,  9  vol.  in-8°.  On  a  une  traduction 
allemande  presque  complète  des  sermons  de 
Saurin  par  Rosemberg  (  Leipzig,  10  vol.  in  8°  ), 
et  une  traduction  abrégée  en  anglais  (Cambridge, 
1775-1776,  6  vol.  in-8°).  En  français  on  a 
réimprimé  ce  qu'il  y  a  de  plus  excellent  dans 
ses  écrits,  sous  les  titres  suivants  :  L'Esprit 
de  Saurin  (Lausanne,  1767,  2  vol.  in-12),  par 
J.-F.  Durand  ;  Principes  de  lareligion  et  de  la 
morale  (Paris,  1768,  2  vol.  in-12),  par  l'abbé 
Pichon;  Extraits  de  la  morale  de  Saurin 
(Paris,  1769,  2  vol.  in-12  ),  par  l'abbé  Gauchat  ; 
Chefs-d'œuvre  de  Saurin  (Genève,  1824, 
4  vol.  in-8o),  par  Chenevière  ;  Sermons  choi- 
sis (Paris,  1854,  in-12),  par  Weiss.  Saurin  a 
encore  écrit  :  Discours  sur  les  événements  les 
plus  mémorables  du  V.  et  du  N.  T.  ;  Amst., 
1720-28,  2  vol.  in-fol.,  fig.  ;  les  t.  III  à  VI 
de  ces  discours ,  connus  sous  le  nom  de 
Bible  de  Saurin ,  sont  l'œuvre  des  continua- 
teurs Beausobre  et  Roques;  —  Abrégé  de  la 
théologie  et  de  la  morale  chrétiennes,  en  forme 
de  catéchisme;  Amsterdam,  1722,  in-8°;  trad^ 
en  allemand;  —  Catéchisme;  Amsterdam, 
1724,  in-8°  :  c'est  un  extrait  élémentaire  de 
l'ouvrage  précédent;  —  État  du  Christia- 
nisme en  France;  La  Haye,  1725,  in-8°; 
La  Rochelle,  1846,  in-8°;  —  Réponse  au  fac- 
tum  de  Vincent  Lambert  ;  Rotterdam,  1726, 
in-8°.  p.  L. 

Chaufepié,  Nouveau  Dict.  hist.  —  Biblioth.  fran- 
çaise, t.  XXII,  2e  partie.  —  Haag  frères,  France  pro- 
test. —  Notice  de  l'édit.  des  Sermons  ;  Paris,  1829.  — 
Weiss,  Notice,  à  la  tête  des  Sermons  choisis.  —  Sayous, 
Hist.  de  la  liltér.  fr.  à  l'étranger  pendant  le  dix-sep- 
tième siècle,  t.  II,  p.  105-124. 

saubus.  Voy.  Batrachus. 

sacssay  (André  du),  savant  prélat  français, 
né  en  1589,  à  Paris,  mort  le  9  septembre  1675,  à 
Toul.  Ses  parents  étaient  si  pauvres  qu'ils  fu- 
rent obligés  de  le  faire  élever  dans  l'hôpital  du 
Saint-Esprit  ;  de  là  on  l'envoya  étudier  chez  les 
jésuites.  Un  jour,  dit-on,  en  allant  à  l'école  avec 
ses  camarades ,  il  trouva  dans  les  restes  d'une 
paillasse  qu'on  avait  brûlée  une  somme  assez 
considérable ,  et  du  partage  de  ce  trésor  il  eut 
environ  cent  écus ,  qu'il  employa  à  acheter  des 
livres.  Ayant  achevé  ses  études  avec  succès,  il 
entra  dans  les  ordres,  et  s'appliqua  en  même 
temps  à  la  prédication  et  à  la  controverse.  11 
fut  bientôt  en  faveur  à  la  cour,  et  devint  succes- 
sivement curé  de  Saint-Leu,  protonotaire  apos- 
tolique, aumônier  du  roi,  grand  vicaire  et  officiai 
de  l'église  de  Paris.  Nommé  en  1649  à  l'évêché 
de  Toul,  il  n'obtint  que  six  ans  plus  tard  (11  oct. 
1655)  l'expédition  de  ses  bulles,  à  cause  des  em- 
barras suscités  par  le  chapitre  de  Toul,  qui  pré- 
tendait, avec  l'agrément  de  la  cour  de  Rome, 
avoir  seul  le  droit  d'élection  épiscopale.  Il  prit 


371 


SAUSSAT  — 


possession  de  son  diocèse  en  1657,  et  le  gou- 
verna jusqu'à  sa  mort,  avec  beaucoup  de  zèle 
et  de  sagesse.  Ce  prélat  avait,  d'après  Niceron, 
«  beaucoup  d'érudition  et  de  lecture,  mais  peu  de 
jugement  et  de  critique  ».  On  cite  de  lui  :  Généa- 
logie des  hérétiques  sacramentaires ,  ou  ca- 
talogue des  sectes  qui  ont  oppugné  le  sacre- 
ment de  l'Eucharistie;  Paris,  1614,  in-8°; 
réimpr.  sous  le  titre  d'Histoire  chronologique 
du  combat  eucharistique;  Paris,  1617,  in-8°, 
avec  des  additions  considérables;  —  Le  Métro- 
pole parisien,  ou  traité  des  causes  légitimes 
de  V érection  de  l'évêché  de  Paris  en  arche- 
vêché; Paris,  1625,  in-8°;  trad,  en  latin  par 
l'auteur;  —  De  sacro  ritu  prœferendi crucem 
major  ibus  prœlatis  Ecclesiee;  Paris,  1628, 
in-4°  :  apologie  écrite  pour  l'archevêque  de 
Paris  ;  —  Opusculomm  miscellaneorum  fas- 
cïculus;  Paris,  1629,  in-4°  :  il  y  a  trois  opus- 
cules et  la  version  du  Métropole  en  latin;  — 
Notée,  in  Breviarium  parisiense;  Paris,  1631, 
in-4°  ;  —  De  episcopali  monogamia  et  uni- 
iate  ecclesiastica;  Paris,  1632,  in-4°;  — Nul- 
lité delà  religion  réformée;  Paris,  1633,  in-8o  ; 
—  Martyr ologium  gallicanum  ;  Paris,  1638, 
2  vol.  in-fol.  :  plusieurs  critiques  ont  formulé 
un  jugement  d?s  plus  sévères  contre  cet  ouvrage, 
rempli  de  fables  et  de  bévues  puériles,  et  qui 
mérita  d'être  qualifié  de  plaustrum  mendacio- 
rutn  ;  —  De  mysticis  Gallise  scriptoribus  ; 
Paris,  1639,  in-4°  :  il  n'y  est  question  que  des 
premiers  apôtres  des  Gaules  ;  —  Panoplia  epis- 
copalis ,  clericalis,  sacerdotalis  ;  Paris,  1646- 
49-53, 3  vol.  in-fol. ;  —  Andréas  frater  Simonis 
Pétri  lib.  XII;  Paris,  1656,  in-fol.;  —  Di- 
vina  doxologia,  seu  glorificandi  Deum  in 
hymnis  et  canticis  methodus;  Tout,  1657, 
in-12;  —  De  gloria  S.  Remigii;  Toul,  1661, 
in-fol.;  —  Libri  De  scriptoribus  ecclesiasticis 
card.  Bellarmini  continuatio;  1500-1600; 
Toul,  1665,  in-4°  :  cette  suite  est  superficielle  et 
peu  exacte. 

Gallia  christiana.  —  Bénoist,  Hist.  des  évêques  de 
Joui,  p.  701.  —  Baillet,  Jugem.  des  savants,  —Niceron, 
iWàmoires,  XL 

SAUSSAYE  (La).  Voy.  L\  Saussave. 

SAUSSURE  (Nicolas  de),  agronome  suisse, 
né  le  28  septembre  1709,  à  Genève,  où  il  est 
mort,  en  1790.  Sa  famille  était  originaire  de 
Lorraine  ;  au  commencement  du  seizième  siècle, 
Mengin  Schouel,  dit  de  Saulxures,  exerçait  dans 
ce  duché  les  charges  de  conseiller  d'État  et  de 
grand  fauconnier.  Le.  fils  de  Mengin,  Antoine, 
fut, comme  son  père, grand  fauconnier;  mais,  en 
1550,  la  régente  Christine  le  fit  emprisonner, 
sous  l'accusation  d'avoir  donné  quelque  connais- 
sance de  la  religion  réformée  au  duc  mineur 
Charles.  Le  prisonnier  s'évada,  et  se  réfugia  en 
Suisse.  Le  père  de  Nicolas,  Théodore,  mort  en 
1737  ,  occupa  différents  emplois  à  Genève.  Quant 
à  Nicolas,  il  siégea  en  1745  au  conseil  des  Deux 
cents,  mais  il  se  livra  surtout  à  l'étude  de  l'agri- 


SAUSSURE  372 

culture.  Il  publia  plusieurs  ouvrages  utiles,  entra 
autres  Essai  sur  la  disette  du  blé  (Gm.,  1776, 
in-12],  Essai  sur  ta  taille  de  la  vigne  (  ibid., 
1780,  in-8°),  et  Le  Feu,  principe  de  la  fécon- 
dité des  plantes  (ibid.,  1783,  in-8°  )  ;  il  écrivit  des 
articles  édités  par  Y  Encyclopédie  de  Diderot, 
et  mit  tous  ses  soins  à  cultiver  l'intelligence  d( 
son  fils,  qui  devait  si  hautement  illustrer  sot 
nom. 

Senebier,  Hist.  Utter.  de  Genève. 

Saussure  (Horace- Bénédict  de),  géologu 
et  physicien  suisse,  fils  du  précédent,  né  à  Con 
ches,  près  Genève,  le  17  février  1740,  mort 
Genève,  le  22  janvier  1799.  11  fut  initié  par  so 
père  aux  principes  de  la  science,  et  dirigé  pf  j 
son  oncle,  Charles  Bonnet,  dans  ses  premiers  tr:  i 
vaux  sur  l'histoire  naturelle.  L'université  deGi 
nève  lui  confia,  en  1762  ,  une  chaire  de  philo& 
phie;  il  n'avait  que  vingt-deux  ans,  et  dès  s< | 
premières  leçons  il  montra  cet  esprit  de  métlioi 
qui  contribua  si  puissamment  plus  tard  à  assur  j 
les  résultats  de   ses  découvertes   scientifique  i 
Les  nombreux   voyages  que  Saussure  entrep 
pour  étudier  la  structure  du  globe  terrestre,  \ 
surtout  les  hautes   montagnes,  commencera 
en  1768;  il  visita  la  Suisse,  la  France,  l'Ang 
ferre,  l'Allemagne,  l'Italie,  et  traversa  qualor 
fois  les  Alpes  par  huit  passages  différents. 
3  août  1787,  il  s'éleva  jusqu'au  sommet  du  me 
Blanc-,  où  n'étaient  encore  parvenus  que  del 
habitants  de  Chamounix,  Balmat   et  Paccai 
dont  l'ascension  s'était  effectuée  le  8  août 
l'année  précédente.   Sa  dernière  course  fut  c< 
du  mont  Rose,   en  1789.  Les   observations 
Saussure  portèrent  principalement  sur  les  i 
néraux,   dont  il  découvrit   plus   de  quinze 
pèces;  il  étudia  leur  formation,  l'ordre  dans 
quel  ils  sont  disposés,  leur  degré  de  fusibilii 
ies  causes  des  diverses  inclinaisons  de  le 
couches  et  celles  de  leurs  dégradations.  A 
recherches  sur  la  géologie,  but  définitif  de  j 
travaux,  il  unît  les  sciences  qui  s'y  lient  née  • 
sairement,  la  physique,  la  météorologie  et  la 
tanique.  Après  tant  d'études  et  d'observatio 
on  pouvait  s'attendre  à  voir  Saussure  édifier 
système,  selon  un  exemple  trop  fréquent  cfc 
les  savants;  mais  il  se  garda  des  vastes  lui 
thèses,  plus  souvent  brillantes  qu  utiles,    el  c 
contenta  de  donner  une  suite  d'observatioiB 
peine  reliées  par  un  lien  grammatical.  Il  résje 
de  cet  isolement  de  chaque  partie  que,  les  lp 
n'étant  pas  logiquement  enchaînés  l'un  àl'auî, 
ce  qui  est  vrai  en  soi-même  reste  vrai,  bien  p 
la  première  découverte  dont  Cuvier  lui  fait  p 
titre  de  gloire  soit  regardée  aujourd'hui  cou 
une  erreur  bien  constatée  :  «  Il  a  détruit,  dit 
vier,  l'idée  que  l'on  s'était  faite  jusqu'à  lui 
feu  central,  d'une  source  de  chaleur  placée  <p 
l'intérieur  de  la  terre  (?).,.  H  a  constaté  que 
granit  est  la  roche  primitive  par  excellence,  M 
qui  sert  de  base  à  toutes  les  autres;  il  a  t- 
rnontré  qu'elle  s'est  formée  par   couches, »' 


373 


SAUSSURE 


374 


cristallisation  dans  un  liquide,  et  que  si  les  cou- 
ches sont  aujourd'hui  presque  toutes  redressées, 
s'est  à  une  révolution  postérieure  qu'elles  doi- 
vent leur  position.  Il  a  montré  que  les  couches 
tes  montagnes  latérales  sont  toujours  inclinées 
rers  la  chaîne  centrale,  vers  la  chaîne  de  gra- 
îit;  qu'elles  lui  présentent  leurs  escarpements, 
■omme  si  leurs  couches  se  fussent  brisées  sur 
-Ile.  Il  a  reconnu  que  les  montagnes  sont  d'au- 
ant  plus  bouleversées,  et  que  leurs  couches  s'é- 
oignent  d'autant  plus  de  la  ligne  horizontale , 
qu'elles  remontent  à  une  formation  plus  ancienne. 
I  a  fait  voir  qu'entre  les  montagnes  de  diffé- 
rents ordres  il  y  a  toujours  des  amas  de  frag- 
nents,  de  pierres  roulées,    et  tous  les  indices 
le  mouvements  violents.  Enfin,  il  a  développé 
'ordre  admirable  qui  entretient  et  renouvelle 
lans  les  glaces  des  hautes  montagnes  les  réser- 
■oirs  nécessaires    à  la  production   des  grands 
leuves.    »   Saussure  a  aussi  étudié  avec   soin 
'action  des  eaux  courantes  sur  les  montagnes; 
I  a  cherché  à  mesurer  leur  vitesse,  leur  tempé- 
ature,  et  à  constater  la  quantité  et  l'espèce  des 
natières  qu'elles  charrient.  Pour  la  plupart  de 
es    recherches  il   manquait  d'instruments  ou 
'avait  d'abord  que  des  instruments  imparfaits; 
il  perfectionna  le  thermomètre,  pour  mesurer 
Et  température  de  l'eau  à  toutes  les  profondeurs; 
'hygromètre,  pour  indiquer  l'abondance  plus  ou 
noins  grande  des  vapeurs  aqueuses;  l'eudiomè- 
re ,  pour  déterminer  la  pureté  de  l'air,  et  savoir 
Ml  n'y  a  point  autre  chose  que  les  vapeurs  dans 
es  causes  de  la  pluie  ;  l'électromètre ,  pour  co  - 
laîtie  l'état  de  l'électricité,  qui  influe  si  puis- 
samment sur  les  météores  aqueux;   l'anémo- 
i  nètre ,  pour  donner  à  la  fois  la  direction ,  la  vi- 
,  '.esse  et  la  force  des  courants  d'air,  et  inventa 
pnfin  le  cyanomètre  et  le  diaphanomètre  pour 
Comparer  les  degrés  de  la  transparence  de  l'air 
i'iux   différentes  hauteurs.  »  Saussure  garda  sa 
■chaire  de  philosophie  à  Genève  jusqu'en  1786; 
[il  fut  nommé,  en  1798,  professeur  d'histoire  na- 
turelle à  l'école  centrale   du   département  du 
■Léman,  formé  lors  de  la  réunion  de  Genève  à  la 
[France.  Cette  nomination  était  un  hommage,  rendu 
rau  savant  que  l'Europe  entière  honorait,  mais  qui 
[ne  pouvait  plus  se  faire  entendre  en  public  :  en 
1794,  il  avait  été  frappé  de  trois  attaques  succes- 
sives de  paralysie.  Les  bains  de  Plombières  lui 
furent  ordonnés,  et  ne  le  rendirent  pas  à  la  santé  ; 
après  quatre  années  de  souffrances,  il  mourut,  à 
fl'age  de  cinquante-neuf  ans.  Il  était  membre  de 
lia  Société  médicale  de  Paris,  des  académies  de 
I  Stockholm,  Lyon,  Naples,  etc.  C'est  dans  sa  mai- 
son que  prit  naissance ,  vers  1772,  la  Société  des 
arts  de  Genève,  dont  il  fut  nommé  président.  Il 
[laissa  deux  fils,  dont  l'aîné,  Théodore ,  fut  un 
savant  illustre  (voy.  ci-après),  et  une  fille,  Alber- 
tine-Andrienne  (voy.  Necrer). 

On  a  de  Bénédict  de  Saussure  :  Diss.  de  igné; 
Genève,  1759,  in-4<>;  —  Observations  sur  Vé- 
corce  des  feuilles  et  des  pétales;  ibid.,  1762, 


in-8°;  —  De  prxcipuis  errorum  noslrorum 
causis,  ex  mentis  facullatibus  oriundis  ;  ibid., 
1762,  in-4°;  —  De  clectricitate;  ibid.,  1766, 
in-4°;  —  De  aqua;  ibid.,  1771,  in-8°; —  Expo- 
sition abrégée  de  l'utilité  des  conducteurs 
électriques;  ibid.,  1771,in-4°; —  Essai  sur 
l'hygrométrie;  Neuchàtel,  1783,  in-4°  et  in-8°, 
fig.  :  «  un  des  plus  beaux  ouvrages ,  dit  Cuvier, 
dont  la  science  se  soit  enrichie  à  la  fin  du  dix- 
huitième  siècle.  »  C'est  là  que  Saussure  fit  con- 
naître son  importante  découverte  que  l'air  se 
dilate  et  devient  spécifiquement  plus  léger  à 
mesure  qu'il  se  charge  d'humidité;  —  Voyages 
dans  les  Alpes,  précédés  d'un  Essai  sur  l'his- 
toire naturelle  des  environs  de  Genève;  Neu- 
chàtel, Genève  et  Paris,  1779-96,  4  vol.  in-4°, 
fig.  :  le  titre  est  trop  restreint,  puisque  l'auteur 
parcourt  aussi  dans  cet  ouvrage  le  Jura,  les 
Vosges,  les  montagnes  de  la  Suisse,  de  l'Alle- 
magne, de  l'Italie,  de  la  Sicile  et  des  îles  adja- 
centes, et  les  volcans  éteints  de  la  France  et 
des  bords  du  Rhin.  On  a  publié  en  1834  : 
Voyages  dans  les  Alpes,  partie  pittoresque 
des  ouvrages  de  H.-B.  de  Saussure;  Genève 
et  Paris,  in-8°;  —  Éloge  de  Seigneux;  Londres 
(Genève),  1787,  in-8°;  —Éloge  historique  de 
Ch.  Bonnet;  ibid.,  1787,  in-8";  —  Éloge  his- 
torique du  roi  de  Prusse;  ibid.,  1787,  in-8°; 
—  Relation  abrégée  d'un  voyage  à  la  cime  du 
mont  Blanc,  en  août  1787;  Genève,  1787, 
in-8°;  —  plusieurs  Mémoires  sur  divers  sujets 
de  physique  et  d'histoire  naturelle,  dans  le  Jour- 
nal de  physique  (1773  et  suiv.  ),  le  Journal 
de  Paris  (1783  et  s.),  le  Voyage  en  Italie  de 
Lalande,  les  Opuscules  de  physiologie  animale 
de  Spallanzani,  la  Bibliothèque  britannique, 
le  Journal  des  Mines  (1796),  etc. 

Cuvier,  Éloge  de  Saussure.  —  Senebier,  Mémoires 
hist.  sur  la  vis  et  les  écrits  de  Saussure;  Genève,  an  ix, 
in-8°.  —  Haag  frères,  France  protestante. 

sacssure  (Nicolas- Théodore  de),  natura- 
liste et  chimiste  suisse ,  fils  du  précédent,  né  le 
14  octobre  1767,  à  Genève,  où  il  est  mort,  à  la 
fin  d'avril  1845.  Associé  dès  sa  jeunesse  aux 
travaux  de  son  père,  il  l'accompagna  dans  plu- 
sieurs deses  voyages,  et  s'occupa  d'abord  d'expé- 
riences relatives  aux  sciences  physiques;  la  plus 
remarquable  est  celle  qui  confirma  la  loi  de  Ma- 
riotte  sur  la  densité  de  l'air  proportionnelle  au 
poids  qu'il  support*1.  On  s'était  servi  jusque-là 
pour  la  vérifier  des  oscillations  du  pendule;  il 
employa  un  ballon  de  verre  exactement  fermé, 
qu'il  pesa  à  vingt- cinq  hauteurs  différentes.  Mais 
les  découvertes  de  Lavoisier  et  des  autres  chi- 
mistes ne  tardèrent  pas  à  attirer  son  esprit,  en 
même  temps  que  la  science  nouvelle  créée  par 
Priestley,  Bonnet  et  Senebier;  il  se  livra  donc  à 
la  chimie  et  à  la  physiologie  végétale.  De  1797 
à  1804,  il  publia  dans  les  journaux  une  suite  de 
Mémoires,  qu'il  réunit  sous  ce  titre  :  Recher- 
ches chimiques  sur  la  végétation  (Paris, 
1804,  in-8°,  fig.),  véritable  monument  de  la 


375 


SAUSSURE  —  SAUVAGES 


37( 


science  expérimentale.  Plus  tard,  il  étudia  l'in- 
fluence des  fleurs  et  des  fruits  sur  l'air  atmos- 
phérique, la  quantité  d'oxygène  que  les  plantes 
absorbent  et  la  quantité  d'acide  carbonique 
qu'elles  émettent,  les  effets  de  l'air  et  de  la 
lumière  sur  la  germination;  il  analysa  l'alcool, 
l'éther  sulfurique,  le  gaz  oléfiant,  et  fit  des  ob- 
servations sur  la  combustion  du  gaz  hydrogène 
et  de  plusieurs  espèces  de  charbons  ;  il  concourut 
aussi,  avec  MM.  Boussingault  et  Dumas,  à  dé- 
terminer les  constantes  de  la  nature.  En  1810, 
il  fut  élu  correspondant  de  l'Institut.  En  1814, 
1824  et  1825,  il  siégea  dans  le  conseil  représen- 
tatif de  Genève  (1).  Il  faisait  partie  de  la  So- 
ciété royale  de  Londres,  de  celles  de  Naples,  de 
Munich,  et  d'Amsterdam,  de  la  Société  linnéenne 
de  Paris,  etc.  En  1841,  il  présida  le  congrès 
scientifique  réuni  à  Lyon.  Il  a  laissé,  outre  les 
Recherches  chimiques,  un  grand  nombre  de 
Mémoires  sur  la  physiologie  végétale  et  sur  la 
chimie;  ils  ont  paru  dans  le  Journal  de  phy- 
sique (1806),  le  Journal  des  mines  (1806),  la 
Bibliothèque  britannique.  (1806,  1812,  1813 
et  1814),  les  Annales  de  chimie  (1808,  1809 
et  1811),  la  Bibliothèque  universelle  de  Ge- 
nève (1816, 1817,  1820),  les  Annales  de  chimie 
et  de  physique  (1819  et  1822),  et  les  Mé- 
moires de  la  Société  de  physique  de  Genève 
(1821,  1832,  1833  et  1836). 

Haag  frères,  France  protestante.  —  Rabbe,  Vieilh^de 
Boisjolin  et  Sainte-Preuve,  Biogr.  univ.  et  portât,  des 
contemp. 

sautreau.  Voy.  Marsy. 

sauvage  (Denis),  sieur  du  Parc,  littéra- 
teur français,  né  vers  1520,  à  Fontenailles  en 
Brie,  mort  vers  1587*  On  ne  connaît  presque 
rien  des  événements  de  sa  vie,  sinon  qu'il  eut, 
on  ne  sait  à  quelle  époque,  la  charge  d'histo- 
riographe de  Henri  II;  on  ajoute  même  qu'à  la 
mort  de  ce  prince  il  ressentit  une  douleur  si  vive 
que  pendant  plus  de  deux  années  il  fut  obligé 
d'interrompre  le  cours  de  ses  travaux.  Il  était  de 
bonne  noblesse ,  mais  peu  pourvu  de  biens,  puis- 
qu'il s'adonna  de  bonne  heure  à  l'étude  des  let- 
tres et  surtout  de  l'histoire.  Ce  fut  probablement 
dans  un  des  collèges  de  Paris  qu'il  lia  connais- 
sance avec  Jacques  Peletier,  alors  élève  en  mé- 
decine; à  l'exemple  de  son  ami,  il  s'enflamma 
d'un  beau  zèle  pour  la  réforme  de  la  langue, 
écrivit  un  traité  particulier,  qui  n'a  pas  vu  le 
jour,  intitulé  De  VOrtografie  et  autres  parties 
de  grammaire  française,  et  tenta  d'introduire 
l'usage  de  deux  nouveaux  signes  de  ponctuation, 
la  parenthèsine  et  Ventrejet,  qui  ne  pouvaient, 
disait-il,  être  remplacés  par  la  virgule  et  le  point; 
le  premier  des  deux  est  assez  fréquent  aujour- 
d'hui, sous  le  nom  de  tiret.  On  doit  la  connais- 

(1)  On  assure  que,  dans  une  des  séances  du  conseil, 
il  s'opposa  à  ce  que  l'étude  des  sciences  naturelles  fût 
introduite  dans  les  classes  du  collège;  il  craignait  que 
l'attention  des  élèves  ne  fût  détournée  des  études  litté- 
raires, et  disait  que  cet  enseignement  ne  ferait  que  «  des 
coureurs  de  papillons». 


sance  de  ces  efforts  manques  à  Peletier,  qui  ; 
rangé  Sauvage  parmi  les  interlocuteurs  du  Dia 
logue  de  l'Ortografe  (l'550,  in-8°>.  Comm 
traducteur,  Sauvage  a  fait  passer  en  fiançais 
Des  vertus  et  notables  faits  des  femme 
(Lyon,  1546,  in-8°),  de  Plutarque;  Sommair 
des  histoires  du  royaume  de  Naples  (ibid, 
1546,  in-8o)  de  Colenuccio  ;  la  Circé  (ibid, 
1550,  jn-8°),  de  Gel'li;  la  Philosophie  aVamou 
(ibid.,  1551,in-8°),de  Léon  Hébreu;  et  Histoir 
de  son  temps  (ibid.,  1552,  in-fol.),  de  Pau 
Jiovio.  Les  éditions  qu'il  a  données  d'ancien  ; 
chroniqueurs,  tels  que  Nicole  Gille  (Paris,  156C 
in-fol.  ),  Comines  (1552),  Froissart  (Lyon,  155i 
61,  2  vol.  in-fol.),  la  Chronique  de  Flandri 
(1562,  in-fol.),  Monstrelet  (1572,  in-fol.),  or  | 
été  longtemps  recherchées,  malgré  les  altéré 
tions  et  les  corrections  qu'on  lui  reproche. 

Sorel,  Biblioth.  française. 

SAUVA GÈRE  (La).  Voy.  LA  SaBVAGÈRE. 

sauvages  de  la  croix  (  François  Bois 
sier  de),  médecin  et  botaniste  français,  né 
Alais  (Gard),  le  1-2  mai  1706,  mort  à  Montpeltie: 
le  19  février  1767.  Il  était  fils  d'un  ancien  cap 
taine  au  régiment  de  Flandre,  qui  lui  fit  donm 
une  excellente  éducation.  11  alla  en  1722  étudi< 
la  médecine  à  Montpellier,  et  fut  reçu  docteur  c 
1726,  sur  une  thèse  où  il  agitait  cette  questic 
singulière:  L'amour  peut-il  être  guéri' pc 
des  remèdes  tirés  des  plantes  ?  Vers  1730, 
se  rendit  à  Paris,  et  s'y  fit  connaître  par  la  pi 
bîication  d'un  traité  où  les  maladies ,  distingué*' 
par  leurs  genres  et  leurs  espèces ,  se  trouvei 
distribuées  en  différentes  classes,  suivant  la  m> 
thode  employée  en  botanique.  En  1740, il  fi 
désigné  pour  faire  les  démonstrations  des  plant 
au  Jardin  de  Montpellier,  et  en  1751  il  devin 
professeur  de  botanique.  Comme  médecin, 
était  consulté  de  toutes  parts  :  cependant  s 
vues  eussent  été  plus  sûres  s'il  avait  eu  moin 
de  penchant  pour  certains  systèmes,  en  pari 
culier  pour  celui  de  Stalil,  touchant  le  pouvo 
de  l'âme  sur  le  corps  :  c'est  ce  système  qui,  sel< 
Zimmermann ,  a  entraîné  Sauvages  dans  les  0] 
nions  singulières  qu'il  a  soutenues  avee  béai 
coup  de  feu.  Linné,  qui  entretenait  une  eorr* 
pondance  suivie  avec  Sauvages,  adonné  le  no 
de  Sauvagesia  à  une  plante  de  Cayenne.  On 
de  Sauvages  :  Traité  des  classes  des  malt 
dies;  Paris,  1731,  in-12;  —  Theoria  febri 
Montpellier,  1738,  in-12.  Il  y  prétend  que 
cause  de  la  fièvre  consiste  dans  les  efforts  qi  | 
fait  l'âme  pour  lever  les  obstacles  qui  s'opp| 
sent  à  la  liberté  des  mouvements  du  cœur.Pr; 
fond  dans  les  mathématiques,  il  en  fit  un  usage) 
dicule  et  dangereux  en  médecine ,  en  soumetta 
l'art  de  guérir  aux  calculs  d'algèbre  les  plus  ) 
goureuxet  aux  démonstrations  de  la  plus  sublir 
géométrie  ;  —  Theoria  inflammationis  ;  Bour 
Saint- Andéol,  1743,  in-12,  avec  la  traducti« 
française  de  Y  Hémostatique  de  Haies;  —  Soin 
theoria;  Montpellier,  1740,  in-4°j—  Moiuu 


377  SAUVAGES 

vitalium  causa;  ibid.,  1741,  in-4°;  —  Adno- 
lationes    ad    Hemostaticam  St-Hales;    Ge- 
aève,  1744,  in-4°  :  trad.  en  italien  par  Angé- 
ique  Ardinghelli,  et  en  allemand  ;  —  De  hemi- 
\olegia  per   electricitatem  curanda;    1749, 
tn-4°;  —  Sur  la  nature  et  la  cause  de  la  rage; 
i Toulouse,  1749,  in-4°  ;  —  Conspectus  physio- 
'ogicus; Montpellier,  1751,  in-4°;  —  Pulsus  et 
•irculationis  theoria;  ibid.,  1752,  in-12;  — 
pur  les  médicaments  qui  affectent  certaines 
parties  du  corps  humain;  Bordeaux,  1752, 
\  n-4°  ;  trad.  en  italien  et  en  latin  ;  —  Embryolo- 
'uia;  Montpellier,  1753,  in-4°; —  Methodus  /o- 
l'iorum;  La  Haye,  1751,  in-8°; —  Theoria  tumo- 
t{  'm»i  ;  Montpellier,   1753,  in-4«;    —Synopsis 
tlnorborum  oculis  insidenlium;  ibid.,   1753, 
ln-4°;  —  Sur   les  mouvements  des  muscles  ; 
îerlin,  1753,  in-4°;  —  Comment  l'air,  suivant 
U  es  diverses  qualités,  agit  sur  le  corps  hu- 
nain  ;  Bordeaux,  1754,  in-4o;trad.  en  italien; 
h—  Physiologiee  mechanicœ  elementa;  Amst., 
I  755,  in-12;  —  Theoria  doloris;  Montpellier, 
[j  757,  in-4°  ;  —  De  astrorum  influxu  in  homi- 
iem;  Montpellier,  1757,  in-4°;  —  Theoria  con- 
hulsionis;  ibid.,  1759,  in-4°;  —  Medicinx  si- 
\\\ensis    conspectus;  ibid.,   1759,    in-4°;    — 
fi°athologia  methodica;   Lyon,    1759,  in-8°  : 
Perfectionné  par  Sauvages,  cet  ouvrage  devint 
Isous  sa  plume  un  recueil  très-riche  en  faits,  et 
|*eparut  sous  ce  titre  :  Nosologia  methodica 
ïiuxia  Sydenhami  mentem  et  botanicorum 
wrûïnem;  Amst.  [Genève],  1763,  5  vol.  in-8°; 
[h'x  classes  comprennent  295  genres,  sous  les- 
quels viennent  se  ranger  environ  2,400  espèces 
kie  maladies  jusqu'alors  observées.  Cet  ouvrage, 
que  Linné  prenait  pour  base  de  ses  leçons  de 
médecine  à  Upsal,  a  été  réimprimé  avec  additions 
par  Cramer  (  Lyon,  1768,  2.  vol.  in-4°  ),  et  par 
&.-F.  Daniel  (Leipzig,  1797,  5  vol.  in-8°);  trad. 
ien  français,  par  Nicolas  (Paris,  1771,  3  vol. 
!in-8°),  et  par  Gouvion  (Lyon,  1772,  10  vol. 
Lin- 12),  version  supérieure  à  la  première;  —  De 
\natura  rediviva;  Montpellier,  1760,  in-4°  :il  y 
(a  rassemblé  tout  ce  qu'il  avait  dit  ailleurs  de 
jiplus  fort  pour  établir  son  système  de  l'action  de 
trame,  comme  principe  des   mouvements  du 
icœur  ;  —  De  su/focatione  ;  ibid.,  1760,  in-4"  ; 
►bien  d'autres  observations  et  articles  dissémi- 
nés dans  les  Mémoires  de  la  Société  des  sciences 
\de  Montpellier  (1743  et  1745), de  V Académie  des 
I seiences  de  Suède  (t.  XII),  de  V Académie  de 
[Berlin  (t.  XI),  les  Actes  des  curieux  de  la  na- 
ture, et  l'ancien  Journal  de  médecine  (t.  II  et 
ïlll).  Gilibert  a  réuni  plusieurs  de  ces  écrits, 
jsous  le  titre  de  :  Chefs-d'œuvre  de  Sauvages  ; 
|Xyon,  1771,2  vol.  in-12.  H.  F. 

I  De  Ratte,  Éloge  de  Sauvages  ;  Lyon,  1768,  ln-4°.-Bar- 
[baste,  Etude  sur  Boissier  de  Sauvages  ;  Montpellier, 
H91,  in-8°.  —  Desgeneltes,  Éloges  des  académiciens  de 
Montpellier.  —  Biogr.  médic. 

sauval  (Henri),  historien  français,  né  vers 
1620,  à  Paris,  où  il  est  mort,  en  1669  ou  1670.  11 
était  avocat  au  parlement  de  Paris;  mais,  doué 


—  SAUVÉ  3*8 

d'un  esprit  curieux  et  ayant  à  un  degré  médiocre 
le  don  de  l'éloquence,  il  négligea  le  barreau  pour 
les  recherches  historiques.  Pendant  vingt  années 
il  étudia  les  archives  de  la  ville  de  Paris,  celles 
de  Notre-Dame,  de  la  Saintc-Cbapelle,  de  Sainte- 
Geneviève,  les  comptes  de  la  prévôté,  les  ma- 
nuscrits de  Saint-Victor,  les  registres  du  parle- 
ment, les  chartes  royales.  Il  en  tira  les  maté- 
riaux d'un  livre  où  sont  décrits  les  monuments 
et  les  agrandissements  de  la  ville,  les  anciens 
usages,  les  cérémonies  publiques,  et  il  obtint  en 
1654  un  privilège  pour  le  faire  imprimer,  sous  le 
titre  :  Paris  ancien  et  moderne,  contenant 
une  description  exacte  et  particulière  de  la 
ville  de  Paris.  «  Il  y  a  ici,  dit  Gui  Patin  (  lettre 
du  16  novembre  1655),  un  jeune  homme,  nommé 
M.  Sauvai,  Parisien,  qui  travaille  avec  beau- 
coup de  soin  et  de  peine  à  nous  faire  une  pleine 
histoire  de  la  ville  de  Paris....  Il  espère  de  com- 
mencer à  Pâques  l'édition  du  premier  tome.  » 
La  mort  prévint  Sauvai,  et  l'empêcha  de  termi- 
ner son  ouvrage.  Un  de  ses  amis,  Bousseau,  au- 
diteur des  comptes,  entreprit  d'y  mettre  la  der- 
nière main,  corrigea  des  erreurs  et  fit  des  ad- 
ditions ;  mais  il  mourut  avant  d'avoir  pu  le  donner 
au  public.  On  ne  l'imprima  qu'en  1724,  sous  le 
titre  A' Histoire  et  recherches  des  antiquités 
de  la  ville  de  Paris  (Paris,  3  vol.  in-fol.). 
Lenglet-Dufresnoy  dit  de  cet  ouvrage  que  le  pre- 
mier volume  est  bon ,  le  second  médiocre ,  et  le 
troisième  détestable*  D'après  Brossette  (Notes 
sur  les  Œuvres  de  Bouleau,  t.  I  ),  Sauvai  a  tra- 
vaillé sur  d'assez  bons  mémoires  ;  mais  il  a  gâté 
tout  par  son  style,  chargé  d'expressions  am- 
poulées et  de  figures  extravagantes.  «  Sauvai, 
dit  Costar  (Mémoire  des  gens  de  lettres  )  est 
un  écrivain  d'un  grand  travail...  Il  n'a  pas  un 
style  formé  ;  parfois  il  l'enfle  pour  l'orner  en  des 
lieux  où  la  simplicité  du  style  est  requise.  Ainsi 
il  y  a  encore  quelque  distance  de  lui  à  un  écri- 
vain parfait,  quelque  chose  qu'il  en  croie.  » 

Lelong,  Bibl.  hist.  de  la  France,  n°  34427.  —  Moréri, 
Grand  Dict.  hist.  —  Journal  des  savants,  nov.  1724. 

sauvé  dit  La  Noue  (Jean-Baptiste),  co- 
médien et  littérateur  français,  né  à  Meaux,  le  20 
octobre  1701,  d'une  famille  d'artisans,  mort  à 
Paris,  le  15  novembre  1761.  Le  cardinal  de  Bissy, 
qui  l'avait  pris  sous  sa  protection,  lui  fit  faire  ses 
études  au  collège  d'Harcourt.  Est-ce  par  dépit 
de  s'être  vu  enlever  une  place  de  précepteur  sur 
laquelle  il  comptait,  que  le  jeune  Sauvé  se  fit 
comédien  ?  Tout  invraisemblable  que  ce  fait  pa- 
raisse, il  est  certain  qu'à  peine  âgé  de  vingt  ans 
il  débutait  à  Lyon  par  les  premiers  rôles.  Après 
avoir  longtemps  parcouru  les  provinces  et  di- 
rigé pendant  cinq  années  le  théâtre  de  Bouen,  il 
se  rendit  à  Berlin,  où  Frédéric  II  lui  promettait 
de  grands  avantages;  mais  la  guerre  de  17-41 
ayant  empêché  le  roi  de  tenir  ses  engagements, 
La  Noue  paya  de  ses  propres  deniers  les  acteurs 
éconduits,et  vint  à  Paris.  Il  débuta,  le  14  mai 
1742,  parle  rôle  du  comte  d'Essex,  et  fut  admis 


379 


SAUVÉ 


dan»  la  Comédie-Française  sur  le  désir  qu'en 
exprima  la  reine.  On  doit  attribuer  la  bienveil- 
lance que  lui  témoigna  le  public,  moins  à  son 
talent  de  comédien  qu'à  sa  réputation  d'homme 
d'esprit.  J.-J.  Rousseau,  avec  lequel  il  fut  en 
rapport  à  propos  de  Narcisse  (I),  a  dit  que  c'é- 
tait un  homme  de  mérite.  «  Figure ,  voix, 
rapporte  Grimm,  il  avait  tout  contre  lui.  »  Vol- 
taire écrit  en  1742  :  «  La  Noue,  avec  sa  physio- 
nomie de  singe,  a  joué  Mahomet  (2),  bien  mieux 
que  n'eût  fait  Dufresne.  »  Malgré  son  extérieur 
ingrat,  les  rôles  froids  et  qui  n'exigeaient  que 
de  la  finesse  et  du  raisonnement,  tels  que  ceux 
du  Distrait,d'AristedansLe  Philosophe  marié 
et  celui  d'Ésope  à  la  cour,  convenaient  à  ce  co- 
médien. 

Les  soins  de  son  état  ne  l'empêchèrent  pas  de 
se  livrer  aux  travaux  du  cabinet.  11  fit  représen- 
tera Strasbourg  Les  deux  Bals  (1734),  comédie 
en  un  acte  et  en  vers,  et  à  Paris  Le  Retour  de 
Mars  (1735),  épisode,  et  Mahomet  II  (1739), 
tragédie.  Zelisca,  comédie-ballet  en  trois  actes, 
représentée  à  la  cour,  le  3  mars  1746,  valut  à 
son  auteur  la  place  de  répétiteur  des  spectacles 
des  petits  appartements,  avec  mille  livres  de 
pension.  Leduc  d'Orléans,  qui  honorait  aussi  La 
Noue  de  sa  protection,  le  chargea  de  la  direction 
de  son  spectacle  de  Saint-Cloud.  La  Coquette 
corrigée,  comédie  en  cinq  actes  et  en  vers,  jouée, 
le  23  février  1756,  ajouta  encore  à  sa  réputation, 
et  demeura  au  théâtre;  elle  renferme  quelques 
jolis  vers,  entre  autres  ceux-ci,  à  propos  de  maris 
trompés  : 

Le  bruit  est  pour  le  fat,  Ja  plainte  est  pour  le  sot  -. 
L'honnête  homme  trompé  s'éloigne  et  ne  dit  mot. 

Cet  acteur  fit  ses  adieux  au  public  le  26  mars 
1757,  par  le  rôle  de  Polyeucte.  Les  pièces  de 
La  Noue,  an  nombre  de  six,  ont  été  réunies  (Pa- 
ris, 1765,  in-12),  avec  des  poésies  fugitives  et 
deux  discours  prononcés  en  public. 

Ed.  De  Manne. 
Mercure  de  France.  —   Almanach  des  spectacles.  — 
Lemazuriér,    Galerie    hist,  du    Théâtre- Finançais.   — 
Renseign.  part. 

sauteur  (Joseph  ),  géomètre  français,  né  à 
La  Flèche,  le  24  mars  1653,  mort  à  Paris,  le 
9  juillet  1716.  Il  était  fils  d'un  notaire.  Il  fut  muet 
jusqu'à  l'âge  de  sept  ans,  époque  à  laquelle  se  dé- 
veloppa lentement  chez  lui  l'organe  de  la  parole , 
qui  resta  longtemps  encore  imparfait  ainsi  que  ce- 
lui de  l'ouïe.  «  Cette  impossibilité  de  parler,  dit 
Fontenelle ,  lui  épargna  tous  les  petits  discours 
inutiles  à  l'enfance;  mais  peut-être  l'obligea-t-elle 
à  penser  davantage.  Il  était  déjà  machiniste  ;  il 
construisait  de  petits  moulins;  il  faisait  des 
siphons  avec  des  chalumeaux  de  paille,  des  jets 
d'eau,  et  il  était  l'ingénieur  des  autres  enfants.  » 
Il  apprit  à  peu  près  seul  les  mathématiques ,  se 

(1)  Il  avait  dû  à  La  Noue  la  réception  de  cette  pièce  à 
la  Comédie-Française. 

(2)  Ou  le  Fanatisme,  représenté  à  Paris,  le  9  août  1742. 
Cette  tragédie  avait  été  jouée  pour  la  première  fois  â 
Lille,  en  1741. 


SATJZET  38: 

rendit  à  pied  à  Paris,  où  il  vécut  en  donnant  de: 
leçons,  et  fut  nommé  en  1680  professeur  de 
pages  de  la  Dauphine.  On  compte  le  prince  Eu 
gène  au  nombre  de  ses  élèves.  En  1681,  ayan 
accompagné  Mariette  à  Chantilly,  pour  l'aide 
dans  ses  expériences  hydrostatiques ,  il  se  trouv, 
en  relation  avec  le  prince  de  Condé,  qui  lui  té 
moigna  par  la  suite  une  grande  affection 
Ayant  entrepris  d'écrire  un  traité  sur  la  fortifica 
tion  des  placés,  il  voulut  joindre  la  pratique  à  1 
théorie,  se  rendit  au  siège  de  Mons  (1691),  « 
prit  part  aux  opérations  les  plus  périlleuses 
Sauveur  obtint  en  1686  la  chaire  de  mathéma 
tiques  du  Collège  royal,  et  en  1696  il  entra  dan 
l'Académie  des  sciences.  Quoiqu'il  fût  déjà  dign 
de  cette  distinction ,  ce  n'est  qu'alors  qu'il  corn 
mença  à  s'occuper  des  recherches  qui  former, 
la  part  la  plus  solide  de  sa  gloire  :  nous  voulon 
parler  de  la  nouvelle  branche  de  physique  m; 
thématique  qu'il  créa  sous  le  nom  d'acoustiqu 
musicale.  Malgré  la  nature,  qui  semblait  intei 
dire  des  travaux  de  ce  genre  à  un  homme  dot 
la  voix  et  l'oreille  étaient  fausses,  Sauveur  n 
recula  pas  devant  la  difficulté  du  but  qu'il  voi 
lait  atteindre.  S'eutourant  de  musiciens  exercé; 
d'expérimentateurs  habiles, il  parvint  à  déterre) 
ner,  soit  dans  un  tuyau  d'orgue,  soit  dans  un 
corde  sonore,  le  nombre  de  vibrations  corres 
pondant  à  un  son  fixe  pris  arbitrairement  pot 
terme  de  comparaison.  Cette  donnée  expérimei 
taie  une  fois  établie,  le  reste  n'était  plus  poi 
lui  qu'une  application  de  l'analyse  mathémat 
que.  C'est  ce  qu'il  exposa  dans  une  suite  de  Mi 
moires  insérés  dans  le  recueil  de  l'Académie  d< 
sciences,  sous  les  titres  suivants  :  Détermini 
tion  d'un  son  fixe  (1702),  Application  dt 
sons  harmoniques  à  la  composition  des  jeu 
d'orgues  (1707),  Méthode  générale  pour  foi 
mer  les  systèmes  tempérés  de  musique,  t 
choix  de  celui  qu'on  doit  suivre  (1711),  Te 
Me  générale  des  systèmes  tempérés  de  mi 
sique  (1713)  et  Rapport  des  sons  des  cord< 
d'instruments  de  musique  aux  flèches  dt 
courbes,  et  nouvelle  détermination  de  sor 
fixes  (1713).  Sauveur  avait  dicté  en  1697  « 
Traité  de  musique  spéculative  dans  ses  li 
çons  au  Collège  royal;  mais  il  se  refusa  à  la  pi 
blication  de  ce  traité,  par  des  motifs  qu'il  a  exp 
ses  dans  son  Mémoire  sur  le  système  génén 
des  intervalles  des  sons.  On  a  encore  de  li 
une  Géométrie  élémentaire  (Paris,  16..,  175;  ] 
in-4°),  et  il  a  publié  le  Traité  de  la  manœuvi 
des  vaisseaux  de  Renau  (1689,  in-8°).  E.  ft 
Fontenelle,  Éloges.  —  Montucla,  Hist.  des  matkémt' 
tiques.  -  Prony,  Leçons  de  mécanique  analytique.  • 
Montferrier,  D'ut,  des  sciences  mathémat.  —  Fétis,  Bio 
univ.  des  musiciens 

SAUVIGNV.   Voy.  BlLLA-RBON. 

*  sacjzet  {Jean- Pierre- Paul),  homme  p< 
litique  et  jurisconsulte  français,  né  le  23  mai 
1800,  à  Lyon.  A  quinze  ans  il  fut  reçu  bâche 
lier  es  lettres,  avec  dispense  d'âge.  Son  père 
médecin  en  chef  de  l'hôpital  de  la  Charité  c 


581 


.yon ,  qui  le  destinait  au  barreau ,  l'envoya  à 
'aris,  où  il  se  fit  remarquer  à  l'école  de  Paris  par 

i  facilité  à  porter  la  parole.  Ses  études  terminées, 

choisit  le  barreau  de  Lyon,  où  il  ne  tarda  pas  à 
e  signaler.  11  plaidait  avec  le  même  succès  les 
randes  causes  criminelles,  les  questions  d'é- 
it  civil,  d'administration  ou  de  procédure  les 
lus  compliquées,  les  affaires  de  commerce  les 
lus  hérissées  de  chiffres,  sans  jamais  se  servir 
'une-note,  et  avec  une  clarté  d'exposition ,  une 
sience  du  droit,  une  finesse  d'esprit  et  une  fa- 
ilité  d'improvisation  merveilleuses.  M.  Cour- 
oisier,  ancien  procureur  général  à  Lyon,  devenu 
arde  des  sceaux,  lui  offrit  de  le  faire  entrer  au 
arquet  de  la  cour  royale  de  Paris  et  au  con- 
:il  d'État  comme  maître  des  requêtes.  11  re- 
tsa.  La  révolution  de  1830  éclata  :  M.  Sauzet, 
ui  n'avait  pas  conspiré,  accueillit  avec  empres- 
:nient  le  gouvernement  nouveau.  C'est  alors 
ae  M.  de  Chantelauze,  ancien  garde  des  sceaux 
3  Charles  X,  choisit  M.  Sauzet,  alors  âgé  de 
enle  ans,  pour  défendre  sa  cause  devant  la 
mr  des  pairs.  La  plaidoirie  de  M.  Sauzet  fut  un 
'énement  II  s'attacha  à  démontrer  que  la  res- 
msabilité  des  ministres  n'ayant  été  introduite 
ins  la  charte  que  pour  sauvegarder  l'inviola- 

lité  du  roi ,  cette  responsabilité  cessait  le  jour 
i  la  monarchie  était  frappée.  «  M.  Sauzet,  dé- 
nseur  de  M.  de  Chantelauze,  dit  M.  Guizot, 
appa  la  cour  et  le  public  par  une  éloquence 
levée,  abondante,  pleine  d'idées,  d'émotions  et 
'images,  et  qui  révélait  dans  l'orateur  beaucoup 
'intelligence  et  d'équité  politique...  »  «  L'effet 
roduit  fut  immense,  dit  de  son  côté  M.  Louis 
lanc  ;  les  pairs  quittaient  leur  place  et  se  pré- 
ipitaient  au-devant  de  l'orateur  pour  le  félici- 
;r.  *  Ce  discours  fixa  la  renommée  de  M.  Sau- 
et.  Fidèle  à  ce  principe  que  le  barreau  doit  tou- 
mrs  être  le  défenseur  impartial  de  toutes  les 
auses  vaincues,  sans  acception  de  parti,  il  se 
liargea  en  1833,  de  la  défense  du  général  de 
aint-Priest,  impliqué  dans  l'affaire  du  Carlo- 
dberlo,  et  s'étant  appuyé  surtout  avec  force 
ur  le  principe  de  l'inviolabilité  des  naufragés, 

obtint  son  acquittement  et  celui  de  ses  coac- 
usés.  À  la  même  époque,  ayant  été  choisi  par 
I.  Jules  Favre,  qui  était  poursuivi  par  la  cour 
e  Lyon  pour  avoir  publié  dans  Le  Précurseur 
n  compte  rendu  inexact  de  l'une  de  ses  au- 
iences,  il  réussit  à  le  faire  renvoyer  des  pour- 
nites. 

En  1834,  M.  Sauzet  céda  enfin  aux  instances 
ui  lui  furent  faites  pour  entrer  dans  la  carrière 
olitique.  Élu  par  deux  collèges  du  Rhône ,  il 
pta  pour  celui  de  Lyon.  Conservateur  libéral 
t  indépendant,  il  choisit  sa  place  sur  les  bancs 
u  centre  gauche.  Dans  la  session  de  1834-1835, 

prit  la  parole  contre  l'ordre  du  jour  motive 
emandéen  faveur  du  cabinet  du  U  octobre,  et, 
ans  une  autre  discussion  importante,  en  faveur 
d'amnistie.  Son  désir  était  d'empêcher  le  procès 
'avril  en  le  prévenant  par  une  amnistie;  mais  les 


SAUZET  382 

débats  une  fois  engagés,  il  fut  d'avis  que  la  jus- 
tice devait  avoir  son  cours.  Lors  de  la  présen- 
tation des  lois,  de  septembre,  il  combattit  l'une 
de  ces  lois,  qui  réduisait  de  huit  à  sept  la  majo- 
rité du  jury,  en  toute  matière;  et  fit  adopter  sur 
son  rapport  l'autre  loi,  qui  aggravait,  contre  la 
presse ,  les  garanties  de  cautionnement ,  de  pé- 
nalité, et  étendait  la  juridiction  de  la  chambre 
des  pairs  à  certains  délits  de  la  presse  qualifiés 
d'attentats.  M.  Sauzet  se  distinguait  par  ses  dis* 
cours,  ses  rapports  politiques  et  ses  rapports 
d'affaires.  Aussi,  à  l'ouverture  de  la  session 
de  1836,  fut-il  choisi  comme  vice-président.  11 
défendit  alors  le  principe  de  la  conversion  des 
rentes  contre  le  ministère  du  11  octobre.  Le 
cabinet,  ayant  succombé  dans  cette  question, 
fut  remplacé  par  celui  du  22  février  1836. 
M.  Sauzet  fut  appelé  à  en  faire  partie  en  qualité 
de  ministre  delà  justice  et  des  cultes.  Il  sou- 
tint, dans  la  question  des  fonds  secrets,  la  po- 
litique du  ministère,  et  posa  un  programme 
d'ordre  et  de  conciliation,  qui,  jusqu'à  la  fin  de 
la  session,  concourut  à  rallier  la  majorité  au 
nouveau  cabinet.  Il  défendit,  à  la  chambre  des 
pairs ,  le  projet  de  loi  organique  sur  la  respon- 
sabilité ministérielle  qu'il  avait  déjà  fait  adopter 
comme  rapporteur  par  la  chambre  des  députés. 
Enfin,  le  25  août  1836,  il  organisa  et  forma, 
comme  garde  des  sceaux ,  la  grande  commission 
chargée  de  préluder  à  la  réforme  hypothécaire 
par  la  révision  de  l'expropriation  forcée.  Peu  de 
jours  après,  le  roi  se  sépara  de  son  cabinet  sur 
la  question  de  l'intervention  en  Espagne;  le  mi  - 
nistère,  qui  l'avait  proposée,  aima  mieux  se  re- 
tirer que  de  céder,  et  fut  remplacé,  le  6  sep- 
tembre 1836,  par  le  cabinet  Molé-Guizot,  qui 
adopta  la  politique  du  roi.  M.  Sauzet  rentra  dans 
les  rangs  de  l'opposition.  Il  parla  dans  la  session 
de  1837  pour  l'intervention  en  Espagne  et  contre 
la  loi  de  disjonction.  Sous  le  ministère  du  15  avril, 
pendant  la  session  de  1838,  il  resta  opposant 
avec  ses  anciens  collègues  sur  la  question  po- 
litique extérieure,  mais  il  donna  son  concours  au 
gouvernement  pour  les  lois  d'affaires,  et  sur  son 
remarquable  rapport  sur  les  mines  fut  votée  la 
loi  du  27  avril  1838. 

Pendant  la  session  de  1839  se  forma  la  coa- 
lition. M.  Sauzet  parla  contre  le  ministère  Mole 
dans  la  discussion  de  l'adresse.  Celui-ci  pro- 
nonça la  dissolution  de  la  chambre  (2  février). 
La  coalition  conquit  la  majorité.  M.  Sauzet  fut 
réélu  député.  Pendant  deux  mois,  un  grand 
nombre  de  combinaisons  ministérielles  furent 
tentées;  le  nom  de  M.  Sauzet  figurait  dans  pres- 
que toutes.  Ces  tentatives  avortèrent.  L'émeute 
du  12  mai  hâta  la  formation  d'un  cabinet  présidé 
par  le  maréchal  Soult.  M.  Passy,  qui  depuis 
trois  semaines  présidait  la  chambre,  entrait 
dans  le  nouveau  cabinet.  M.  Sauzet  fut  appelé  à 
le  remplacer.  La  durée  de  sa  présidence  fut  la 
plus  longue  qui  ait  eu  lieu  sous  la  monarchie 
constitutionnelle  :   elle  ne  finit  qu'avec  elle. 


383  SAUZET  - 

M.  Sauzet  fut  élu  dix  fois  pendant  neuf  ans,  tan- 
tôt contre  M.  Thiers,  tantôt  contre  MM.  Odilon 
Barrot,  Dupin  et  de  Lamartine.  Pendant  tout  le 
cours  de  sa  présidence ,  il  s'attacha  à  être  cons- 
tamment impartial.  Il  posait  les  questions  avec 
clarté  et  sincérité,  et  permettait  à  toutes  les  opi- 
nions de  se  produire,  en  ne  se  mêlant  jamais  lui- 
même  aux  débats.  Sa  bienveillance  envers  ses 
collègues,  surtout  envers  les  débutants,  lui  avait 
conquis  la  confiance  de  tous,  tl  avait  l'art  d'apaiser 
les  conflits  personnels,  de  prévoir  et  de  prévenir 
les  orages ,  et  d'entretenir  l'harmonie  entre  les 
pouvoirs.  «  M.  le  président  Sauzet,  dit  M.  Dupin; 
est  essentiellement  un  homme  de  bien;  il  est 
doué  d'éminentes  qualités  :  une  noble  prestance, 
une  voix  sonore,  une  élocution  brillante;  il  était 
aussi  capable  de  bien  exposer  que  de  bien  résu- 
mer les  questions  dans  une  cour  de  justice  ou 
dans  un  conseil  d'État.  Il  a  été  excellent  avocat, 
orateur  habile  en  maintes  occasions,  bon  garde 
des  sceaux,  homme  foncièrement  moral  et  reli- 
gieux... Ajoutons  des  dons  particuliers  :  une 
grande  affabilité  de  manières,  des  paroles  ca- 
ressantes pour  le  plus  grand  nombre,  courtoises 
pour  tous,  un  soin  infini  de  ménageries  amours- 
propres  et  le  bonheur  de  n'en  blesser  aucun.  » 
La  révolution  de  février  mit  un  terme  à  ses 
travaux.  On  sait  les  orages  de  la  discussion  de 
l'adresse,  les  journées  des  22,  23  et  24  février,  la 
retraite  du  ministère  Guizot,  enfin  l'abdication 
du  roi  et  son  départ.  Avant  que  ces  derniers 
événements  se  fussent  accomplis,  M.  Sauzet,  afin, 
de  prêter  un  dernier  appui  à  la  couronne, 
avança  l'ouverture  de  la  séance  de  la  chambre , 
et  pendant  deux  heures,  isolé  du  pouvoir,  qui  ne 
lui  envoya  aucune  notification  et  aucun  secours, 
il  tenta  vainement  de  rétablir  l'ordre  dans  l'en- 
ceinte envahie.  «  Il  annonce  d'une  voix  ferme 
mais  émue,  dit  M.  de  Lamartine,  que  la  du- 
chesse et  ses  enfants  vont  entrer  dans  la  salle. 
L'enthousiasme  n'a  qu'un  éclair  comme  la  fou- 
dre; si  on  se  relève,  on  y  a  échappé.  M.  Sauzet 
essaye  de  le  ressaisir  :  '<  Messieurs,  dit-il,  il  me 
semble  que  la  chambre  par  ses  acclamations  una- 
nimes  »  Les  envahisseurs,  qui  se  succèdent 

sans  relâche ,  après  avoir  forcé  la  garde  de  la 
chambre,  étouffent  par  leurs  cris  la  voix  du  pré- 
sident. La  princesse  et  ses  enfants  sont  forcés 
de  chercher  un  abri  au  palais  de  la  Présidence. 
Malgré  le  tumulte  et  les  menaces,  M.  Sauzet 
reste  au  fauteuil.  Mais  l'armée,  paralysée  par 
des  ordres  contradictoires,  avait  laissé  passer  l'é- 
meute, et  M.  de  Lamartine  demandait  du  haut  de 
la  tribune  un  gouvernement  provisoire  et  la  ré- 
publique. Des  cris  frénétiques  appuient  cette  mo- 
tion ;  les  vainqueurs  des  Tuileries  demandent 
ladéchéancedes  Bourbons,  des  fusils  sont  dirigés 
contre  le  bureau.  Le  président,  ainsi  que  le 
constate  Le  Moniteur,  demeure  encore  au  fau- 
teuil, et  tente  de  nouveaux  efforts;  mais,  com- 
prenant toute  la  gravité  de  la  situation,  et  la 
responsabilité  qui  dans  l'avenir  pèserait  sur  la 


SAVAGE 


384 


chambre  s'il  laisse  proclamer  la  république  en  sa 
présence,  il  fait  une  dernière  sommation  pour  ré- 
tablir l'ordre.  Le  tumulte  ayant  redoublé,  il  dé- 
clare que  ne  pouvant  obtenir  le  silence,  il  lève  la 
séance.  Alors  seulement  M.  Sauzet  quitta  le  fau- 
teuil. La  république  proclamée,  il  partit  poui 
Lyon,  et  s'enferma  dans  la  retraite,  partageant' 
son  temps  entre  le  culte  des  lettres  et  l'étudf 
des  questions  religieuses  et  politiques.  Il  ht  plu 
sieurs  voyages  en  Italie  et  de  longs  séjours  ï 
Rome.  L'académie  de  Lyon  l'a  élu  trois  foi: 
président. 

Les  principaux  ouvrages  de  M.  Sauzet  sont 
La  Chambre  des  députés  et  la  révolution 
de  Février  ;  Paris,  1851,  in-8°.  Dans  la  der 
nière  partie ,  il  fait  un  appel  à  la  fusion  e 
à  la  réconciliation  des  partis  par  l'union  de 
deux  branches  de  la  maison  de  Bourbon; 
Réflexions  sur  le  mariage  civil  et  reli 
gieux  en  France  et  en  Italie;  Lyon,  1853 
in-8°;  —  Considérations  sur  les  retraite 
forcées  de  la  magistrature  ;  Lyon,  1854,  broel 
in-8°;  —  Discours  sur  l'Éloquence  acadè 
inique;  Lyon,  1-859,  in-80;  —  Éloge  de  M.  à 
Chantelauze ;  Lyon,  1860,  in-8°;  —  Rome  dt 
vant  l'Europe;  Paris,  1860,  in-8°  :  trois  éditior 
dans  la  même  année  ;  l'auteur  défend  avec  ur 
grande  habileté  le  pouvoir  temporel  du  pape; 
Les  deux  politiques  de  la  France  et  le  partaç 
deRome;Lyon,  1862,  broch.  in-S°  :  deux  éditioi 
de  cet  écrit  ont  paru  en  France  et  deux  tradu< 
tions  en  Italie.  Il  a  eu  un  grand  retentissemei 
à  Rome.  R.  de  Chantelauze. 

Le  Biographe  et  le  nécrologe.  —  L.  Blanc,  Hi.\ 
dé  dix  ans.  —  Moniteur  univ.  —  Procès  des  ministr  I 
de  Charles  X-  —  Procès  du  Carlo-Alberto.  —  Cormeni  I 
Livre  des  orateurs.  — ^Rittiez,  Hist.  du  règne  de  Louil 
Philippe.  —  Dupin,  Guizot ,  Mémoires.  —  Lamartin  | 
Hist.  de  la  révolution  de  Février.  —  Daniel  Stem,  1 

savage  (Richar'd),  poète  anglais,  né  le  II 
janvier  1697,  à  Londres,  mort  le  31  juillet  1743.1 
Bristol.  La  comtesse  de  Macclesfield,  mère  de  Si 
vage,  ayant  avoué  dans  sa  grossesse  qu'elle  ava 
été  infidèle  à  son  mari,  ce  dernier  obtint  un  a 
rêt  du  parlement  qui  annula  le  mariage.  Lo:|l 
Rivers,  que  lady  Macclesfield  avait  déclaré  et 
le  père  de  l'enfant  adultérin,  consentit  d'abord 
servir  de  parrain  à  son  fils,  et  lui  permit 
porter  son  nom  ;  mais  il  cessa  bientôt  de  s' 
occuper.  La  comtesse,  à  son  tour,  refusa  de  ï 
connaître  Savage,  et  abandonna  l'infortuné,  qui  I 
élevé  par  des  étrangers.  Après  avoir  passé  qui 
ques  années  dans  une  pension  près  de  Saint-Alba 
il  fut  placé  par  sa  mère  chez  un  cordonnier 
Londres,  dont  il  devint  l'apprenti.  Ce  fut  alo 
qu'il  découvrit  par  hasard  le  secret  de  sa  nai 
sance;  mais  il  fit  de  vaines  tentatives  pour  o 
tenir  une  entrevue  avec  sa  mère.  II  se  mit  aie 
à  écrire,  et  après  avoir  lancé  une  satire  conl 
Hoadly,  évêque  de  Bangor,  il  donna  au  théâl 
deux  pièces,  Woman's  a  riddle(ilio)  et  Lo 
in  a  veil  (H17),  imbroglios  imités  de  l'anci 
théâtre  espagnol.Ce  début  lui  valut  la  protection 


385 


SAVAGE 


Richard  Steeleetde  l'acteur  Wilks,  alors  célèbre. 
La  tragédie  de  Sir  Thomas  Overbury  (où  Savage, 
malgré  son  peu  d'usage,  remplit  lui-même  le  rôle 
principal),  fut  mieux  accueillie,  et  produisit  à 
'auteur  plus  de  5,000  livres.  Le  recueil  de  ses  ou- 
vrages, qu'il  publia  par  souscription  avec  une  tou- 
hante  préface  de  Hill,  lui  rapporta  en  moins  de 
leu\  jours  2,000  livres;  mais  ardent  et  prodi- 
ue ,  il  ne  sut  pas  les  ménager  en  temps  utile.  En 
727,  s'étant  enivré  dans  une  taverne,  il  eut  une 
uerelle  et  tua  son  adversaire  d'un  coup  d'épée. 
I  fut  arrêté,  jugé  et  condamné  à  mort;  mais  les 
étails  de  la  dispute  et  la  mauvaise  réputation  des 
imoins  à  charge  laissèrent  substituer  des  doutes 
ar  la  justicede  cette  sentence.  La  comtesse  de 
ertford  obtint  de  la  reine  Caroline  la  grâce  du 
pëte.  Lady  Macclesfield,  qui  déjà  avait  empêché 
rd  Ri  vers  de  lui  léguer  une  partie  de  sa  fortune, 
îerchaà  contrecarrer  l'effet  de  la  clémence  royale 
i  répandant  le  bruit  que  son  fils  avait  voulu 
assassiner.  Il  s'opéra  dès  lors  une  violente  réac- 
m  dans  l'opinion  publique,  et  Savage  trouva 
>n-seulement  des  protecteurs  haut  placés,  mais 
i  vit  courtisé  et  devint  même  un  des  arbitres  de 
mode.  Comme  il  réussit  vers  la  même  époque 
btenir  une  pension  de  5,000  livres  de  la  fa- 
ite de  sa  mère,  en  menaçant  de  se  venger  par 
I  violentes  satires  de  la  persécution  imméri- 
|8  dont  il  avait  été  l'objet,  il  put  faire  une  cer- 
iine  figure  dans  la  haute  société,  qui  paraissait 
puloir  le  protéger.  De  cette  époque  date  le  plus 

Kig  de  ses  ouvrages,  The  Wanderer  (1729), 
ëme  qui,  grâce  à  l'incohérence  du  plan,  aplu- 
t  l'air  d'un  amas  de  matériaux  rassemblés  au 
Hisard  que  d'une  œuvre  sérieuse.  Cependant,  le 
muveuir  de  sa  misère  passée  ne  suffit  pas  à  le 
j  [ndre  prévoyant  à  l'heure  de  la  prospérité.  «  Ses 
Manières  étaient  si  avenantes,  dit  Johnson,  et  sa 
Ijinversation  captivait  tellement  qu'il  ne  tardait 
>ière  à  se  faire  un  ami  d'un  étranger;  mais  ses 
;  agences  contraignaient  bientôt  l'ami  à  redeve- 
hrun  étranger.  »  Enfin,  une  querelle  qu'il  eut 
ïec  lord  Tyrconnel,  qui  lui  avait  accordé  une 
)  séreuse  hospitalité  et  qui  le  chassa  en  l'accu- 
lîut  d'ingratitude ,  lui  aliéna  le  grand  monde. 
,  ,vage  d'ailleurs  s'était  fait  de  nombreux  enne- 
jlU  en  prenant  le  parti  de  Pope  dans  la  polé- 
mique littéraire  soulevée  par  la  Dunciade,  et 
1  ,ux-ci  ne  manquèrent  pas  de  mettre  tous  les 
Jps  de  son  côté.  Abandonné  de  tout  le  monde, 
Retomba  dans  la  misère  aussi  rapidement  qu'il 
;  1  était  sorti.  Le  reste  de  son  existence  se  passa 
l  jus  d'inutiles  efforts  pour  regagner  la  position 
}  j'il  avait  perdue  :  il  employa  dans  ce  but  des 
\  +>yens  peu  louables,  attaquant  et  flattant  tour 
■tour  les  personnes  dont  il  croyait  avoir  quel- 
W3  chose  à  craindre  ou  à  espérer.  Renonçant  à 
riiais  se  concilier  sa  mère,  il  publia  le  morceau 
M  passe  ajuste  titre  pour  son  chef-d'œuvre, 
W't-à-dire  le  Bâtard,  dont  l'amertume  sou- 
'  '[a  une  vive  indignation  contre  lady  Maccles- 
Pjl,  mais  qui  ne  semble  pas  avoir  réveillé  la 

rOUV.    RIOGR.    OF.NFR.    —    T.    XLIII. 


SAVAKON  oS6 

sympathie  publique  en  faveur  de  l'auteur.  On 
trouvera  une  fidèle  traductiou  de  ce  poëme  dans 
la  Poétique  anglaise  de  Hennet  (Paris,  lt>06). 
Après  avoir  en  vain  brigué  la  place  de  poëte  lau- 
réat, Savage  réussit  à  obtenirdela  reine  Caroline 
une  pension  de  1,250  livres,  en  récompense  d'une 
ode  composée  pour  l'anniversaire  de  la  naissance 
de  cette  princesse  et  qu'il  renouvela  chaque  année 
jusqu'à  la  mort  de  sa  protectrice.  11  retomba  alors 
dans  le  déuûment  le  plus  complet,  se  relira  à 
Bristol,  puis  à  Swansea,  où  il  vécut  du  produit 
d'une  nouvelle  souscription  ouverte  en  sa  faveur. 
Au  mois  de  janvier  1742,  de  retour  à  Bristol,  il 
fut  arrêté  pour  dettes,  et  mourut  dans  la  prison 
de  celte  ville. 

Savage  doit  sa  renommée  bien  moins  à  son 
mérite  littéraire  qu'à  ses  malheurs  et  à  la  notice 
que  lui  a  consacrée  son  ami  Johnson.  Au  dire 
de  Boswell ,  les  deux  jeunes  amis  auraient  erré 
la  nuit  plus  d'une  fois ,  à  travers  les  rues  de 
Londres,  causant  littérature,  parce  que  l'un 
d'eux  au  moins  ne  savait  où  aller  coucher.  Les 
Œuvres  de  Savage  ont  été  imprimées  en  177-5 
(Londres,  2  vol.  in-12).      William  L.  Hughes. 

S.  Johnson,  Life  of  Uichard  Savage;  Londres,  1744, 
in-8°.  —  Boswell,  Life  of  Johnson.  —  Bentley's  Misccl- 
luny,  nov.  1862. 

savaron  {Jean),  historien  français,  né  en 
1550,  à  Clermont,où  il  est  mort,  en  162-2.  Il  fut 
d'abord  conseiller  au  siège  présidial  de  Riom, 
puis  conseiller  à  lacourdes  aides  de Montferrand, 
enfin  lieutenant  général  de  la  sénéchaussée  d'Au- 
vergne. Lorsqu'en  1614  les  états  généraux  furent 
convoqués,  il  fut  nommé  député  parle  tiers  état 
de  la  sénéchaussée  qu'il  administrait.  Ses  fonc- 
tions ne  détournèrent  pas  de  lui  la  confiance  det 
électeurs,  et  elles  ne  le  rendirent  pas  non  plus 
moins  zélé  à  remplir  ses  devoirs  de  député.  Il  se 
distingua  dans  l'assemblée  par  la  fermeté  de  ses 
opinions  et  la  franchise  de  son  langage.  Pour 
être  dévoué  à  la  monarchie,  il  n'en  signala  pas 
moins  les  abus  qu'il  y  avait  dans  le  gouverne- 
ment. Choisi  pour  l'orateur  du  tiers,  il  prononça 
un  discours  qui  fut  fort  remarqué  pour  ses  at- 
taques pleines  d'adresse  et  de  malignité  contre 
les  nobles  ;  il  dit,  entre  autres  choses,  que  dans 
l'État  l'ordre  des  nobles  était  le  frère  aîné  et  le 
tiers  état  le  frère  cadet.  La  noblesse  protesta 
contre  cette  phrase,  qui  pouvait  passer  alors  pour 
hardie;  elle  déclara  qu'il  n'y  avait  aucune  fra- 
ternité entre  elle  et  la  roture,  et  que  les  deux 
ordres  étaient  entre  eux  dans  le  même  rapport 
que  le  maître  et  le  valet.  Il  y  eut  un  échange  de 
paroles  fort  vives;  un  gentilhomme  s'emporta 
jusqu'à  dire  qu'il  fallait  abandonner  Savaron  aux 
laquais.  Savaron  releva  fièrement  l'insulte  :  «  J'ai 
porté  les  armes,  dit-il,  et  j'ai  le  moyen  de  ré- 
pon  Ire  à  tout  le  monde.  »  Tout  le  tiers  état  prit 
parti  pour  lui,  et  il  s'en  suivit  une  grande  que- 
relle, qui  ne  fut  apaisée  que  par  l'intervention  de 
l'ordre  du  clergé.  De  retour  dans  sa  province 
après  la  dissolution   de  l'assemblée,  Savaron 

13 


387  SAVARON 

voulut  être  encore  utile  au  tiers  état  en  écrivant 
une  histoire,  ou  Chronologie,  des  états  géné- 
raux (Paris,  1615,  in-8°;  Rouen,  1788,  in-8°). 
Dans  son  livre  il  faisait  remonter  l'origine  de 
cette  institution  aux  premiers  temps  de  la  mo- 
narchie; il  trouvait  les  états  généraux  sous  Pha- 
ramond  lui-même,  et,  les  suivant  de  règne  en 
règne,  il  s'attachait  à  prouver  que  la  représenta- 
tion nationale  n'avait  jamais  cessé  dans  notre 
pays,  et  que  le  tiers  état  avait  toujours  tenu  sa 
place  dans  ces  assemblées.  Il  appuyait  ces  théo- 
ries sur  une  certaine  érudition  et  sur  un  assez 
grand  nombre  de  recherches.  D'ailleurs,  le  livre 
est  surtout  curieux  comme  témoignage  de  l'o- 
pinion de  l'époque  où  il  a  été  écrit.  Savaron  a 
composé  d'autres  ouvrages,  tels  que  :  Origines 
de  Clermont,  ville  capitale  de  -l'Auvergne; 
Clermont,  1607,  in-8°;  Paris,  1662, in-fol., avec 
de  nouvelles  pièces;  —  Traité  contre  les  mas- 
ques ;  Paris,  1608,  1611,  in  8°;—  Traité  contre 
les  duels  ;  Paris,  1610,  in-8°  :  traité  rare  et 
curieux,  où  l'on  voit  que  la  rage  des  duels  était 
alors  si  grande  qu'il  avait  été  délivré  dans  les 
vingt  précédentes  années  huit  mille  lettres  de 
grâce  à  des  gentilshommes  qui  avaient  tué  leurs 
adversaires  en  charnp-clos;  —  Traité  de  l'è- 
pée  française;  Paris,  1610,  in-8°;  —  Traités 
de  la  souveraineté  du  roi  et  de  son  royaume; 
Paris,  1615,  in-8°,  dans  lesquels  il  combat  la 
doctrine,  fort  répandue  depuis  la  Ligue,  d'après 
laquelle  les  peuples  et  les  papes  auraient  le  droit 
de  déposer  un  roi  qui  ne  défendrait  pas  avec 
assez  de  zèle  la  religion  ;  —  Traité  de  l'annuel 
et  vénalité  des  charges;  Paris,  1615,  in-8°;  — 
De  la  sainteté  du  roi  Clovis;  Paris,  1622, 
in-4°,  et  dans  les  Annales  de  Belleforest.  Sa- 
varon travaillait  à  l'ancienne  histoire  de  la  France, 
et  en  mourant  il  laissa  des  notes  sur  Grégoire 
de  Tours  et  sur  les  capitulaires  de  Charlemagne. 
Comme  toute  la  magistrature  d'alors,  il  aimait 
les  auteurs  classiques  de  l'antiquité  ;  il  a  donné 
une  édition  do  Cornélius  Nepos  et  «ne  do  Sidoine 
Apollinaire.  F.  de  C. 

Moréri,  Grand  Diet.  hist.  —  Nieeron,  Mémoires,  XVII. 
—  P.  Durand,  Éloge  de  Savaron,  dans  son  édition  des 
Origines  de  Clermont.  -  Bazin,  Hist.  de  Louis  XIII.  — 
Aigueperse,  Hommes  illustres  de  V Auvergne. 

savart  (  Félix) ,  physicien  fi  ançais ,  né  à 
Mézières,  le  30  juin  1791,  mort  à  Paris,  le  16 
mars  1841.  C'est  à  Metz  qu'il  commença  ses 
études;  son  père,  Gérard  (1),  y  dirigeait  alors 
les  ateliers  de  l'École  d'artillerie.  Il  ne  pouvait 
être  mieux  placé  pour  acquérir  le  goût  des  arts 
mécaniques  portés  à  ce  degré  de  précision  que  la 
science  leur  imprime.  Cependant  il  embrassa  la 
carrière  médicale;  et  après  avoir  été  élève  à 
l'hôpital  de  Metz,  il  s'enrôla  en  1810  dans  le 
premier  bataillon  des  mineurs,  et  ne  tarda  pas  à 
être  nommé  chirurgien  de  ce  corps.  Libéré  du 
service  en  1814,   il  alla  à  Strasbourg  pour  y 

(1)  On  lui  doit  quelques  inventions  utiles,  entre  autres 
une  machine  très-ingénieuse  pour  diviser  les  cereles. 


—  SAVART  & 

prendre  le  grade  de  docteur,  mais  les  évéi! 
méats  retardèrent  sa  réception  jusqu'en  1816.  j 
retour  à  Metz,  il  se  retrouva  au  milieu  des  a 
liers  de  l'École,  et  dès  lors  il  se  livra  avec  ard< 
à  l'étude  des  questions  les  plus  ardues  de  la  p 
sique  moléculaire.  En  1819,  il  se  rendit  à  P, 
pour  y  publier  une  traduction  de  Celse,  et  p< 
présenter  à  l'Académie  des  sciences  un  Mè 
sur  la  construction  des  instruments  à  con 
et  à  archets  (Paris,  1819,  in-8°) ,  qu'il  voi 
d'abord  soumettre  à  Biot,  auprès  duquel  il  r. 
vait  du  reste  aucune  autre  recommandation 
savant  l'engagea  à  persévérer  dans  ses  recherefc 
et  lui  procura  en  1820  dans  une  institution  p 
ticulière  une  place  de  professeur  de  physiq 
qu'il  conserva  pendant  sept  ans.  Le  5  novem 
1827  Savart  fut  élu  membre  de  l'Académie 
sciences.  En  1828  il  devint  conservateur  du  ci 
net  de  physique  du  Collège  de  France,  où  il 
nommé  professeur  de  physique  expériment 
en  remplacement  d'Ampère 

Il  étudia  les  lois  de  la  communication  des 
brations  entre  les  corps,  lois  qui  devaient  se 
de  base  à  la  théorie  des  instruments  à  corde 
fournir  l'explication  du  mécanisme  de  l'audil 
et  il  publia  dans  les  Annales  de  physique 
série  de  mémoires,  dont  voici  les  principal 
Sur  la  communication  des  mouvements 
aratoires  entre  les  corps  solides  (1820), 
cherches  sur  les  vibrations  de  Vair  (if. 
Sur  les  vibrations  des  corps  solides  cons 
rés   en  général  (1823),  Recherches  sur 
usages  de  la  membrane  du   tympan  ei 
l'oreille  externe  (1824),  Nouvelles  recher  s 
sur  les  vibrations  de   l'air  (1825),  SmiI 
voix  humaine  (1825),  Sur  la  voix  des  oise  I 
(1826),  Notes  sur  les  modes  de  division  'M 
corps  en  vibration  (1829),   Recherches  tfj 
l'élasticité  des  corps  qui  cristallisent  ri- 
lièrement  (1829),  etc.  Par  ses  derniers  tra* 
Savart  était  arrivé  à  trouver  dans  les  vibra 
des  corps  un  moyen  d'étudier  leur  struc 
résultat  consigné  dans  plusieurs  notes ,  do  U 
plus  importante  est  intitulée  :  Recherches  si  ti 
structure  des  métaux.  En  outre,  il  a  ap 
plusieurs  perfectionnements  à  ;nos  instrur 
d'optique,  notamment  à  l'appareil  de  poli 
lion  de  Malus.  La  roue  dentée  de  SavarJ 
vait  .à  déterminer  le  nombre  absolu  de  vibra 
correspondant  à  un  son  déterminé.  «  Observ  H 
dévoué,  dit  M.  Fétis,  il  n'accordait  sa  conlrç 
aux  faits  les  moins  contestés  qu'après  les  W 
soumis  à   l'examen  le  plus  scrupuleux.  Iwk 
étaient  même  ses  précautions  à  cet  égard  1% 
contestait  les  rigoureuses  déductions  du  «ifl 
lorsqu'elles  lui  paraissaient  contredire  les  fa  dft 
l'expérience;  disant  qu'il  y  avait  souvent  p* 
les  opérations  du  mathématicien  le  plus  Ififàr 
un  point  de  départ  vicieux,  en  ce  que  qu  "" 


I 

■ 

ns 


circonstance  inobservée  n'était  point  entré* 
les  éléments  du  calcul.  C'est  ainsi  qu'il  a  toi 
nié  la  possibilité  d'une  bonne  théorie  mat! 


D! 


kl 


389 


SAVART  — 


tique  îles  surfaces  vibrantes  avant  que  l'observa- 
tion en  ait  constaté  tous  les  phénomènes.  »  E.  M. 

Rabbc,  Biogr.  univ.  et  portât,  des  contemp.  -    Fétis, 
Btogr.  univ.  des  miisic.  —  Boulllot,  Bingr.  ardennaise. 

sAïMiV  (Jacques),  négociant  français,  né 

le  22  septembre  1622,  à  Doué  en  Anjou,  mort 

le  12  octobre  1690,  à  Paris.  D'origine  noble,  mais 

l'une  brandie  cadette  qui   avait  embrassé  le 

îommerce  depuis  le  milieu  du  seizième  siècle,  il 

•ut  à  peine  terminé  ses  études  à  Paris  qu'il  entra 

;hez  un  procureur  pour  apprendre  la  pratique 

les  affaires,  puis  il  se  fit  agréger  au  corps  des 

nerciers.  Sa  fortune  fut  rapide,  et  en   1658  il 

|  [uitta  le  commerce  pour  la  finance.  Fouquet,  son 

sirotecteur,  le  mit  à  la  tête  de  l'affaire  des  do- 

r  naines  du  roi  ;  mais  la  disgrâce  du  surintendant 

I  1661)  lui  fit  perdre  cette  place,  et  il  ne  recouvra 

|iiême  pas  les  sommes  qu'il  avait  avancées.  Ce- 

|  endantla  maison deMantoue,  qui  l'avait  nommé, 

in  1G60,  son  agent  d'affaires  en  France,  continua 

l'employer  en  cette  qualité.  «  Le  roi,  dit  Nice- 

!  m,  ayant  donné,  en  1667,  une  déclaration  pour 

t  ccorder  des  privilèges  et  des  pensions  à  ceux 

e  ses  sujets  qui  auraient  douze  enfants  vivants, 

|l  I.  de  Savary  fut  un  des  premiers  à  présenter 

î  requête,  et  il  fut  commis  par  M.  le  chancelier 

ieguier)  pour  l'examen  de  cellesdes  autres.  Mais 

déclaration  de  1667  n'ayant  point  été  exécutée, 

n'en  tira  d'autre  avantage  que  de  se  faire  con- 

aîtredu  cliancelier.il  fut  ensuite  admis  en  1670 

ans  le  conseil  de  la  réforme  pour  le  commerce, 

;  ses  mémoires  y  parurent  si   solides,  que  la 

upart   des  articles   de   l'ordonnance  de   1673 

urent  dressés  suivant  les  avis  qu'il  avait  donnés. 

l>'où  vient  que  M.  Pussort,  président  de  la  com- 

liission,  appelait  ordinairement  cette  ordonnance 

i  Code  Savary.  »  Dans  ses  dernières  années, 

acques  Savary  fut  chargé  par  le  contrôleur  gé- 

jéral  Le  Peletier  de  l'examen  des  comptes  des 

lomaines  d'occident, avec  un  traitement  de 4, 000 

vres.  De  sa  femme,  Catherine  Thomas,  qui 

»ourut  en  1685,  il  eut  dix-sept  enfants.  Les 

lembres  du  conseil  de  1670  pour  la  réforme  du 

pmnieree  pressèrent  Savary  de  mettre  au  jour 

pS  vues  sur  ce  sujet;  c'est  pourquoi  il  publia  : 

\e  Parfait  négociant,  ou  Instruction  gêné- 

aie  pour  ce  qui  regarde  le  commerce  des 

farchandises  de  France  et  des  pays  étran- 
rs;  Paris,  1675,  in  4°;  ibid.,  1679,  avec  un 
raité  du  commerce  qui  se  fait  par  la  mer 
Méditerranée.  Savary  donna,  comme  suite  au 
marjait  négociant,  les  Parères  ou  Avis  et 
\\mseils  sur  les  plus  importantes  matières 
\u  commerce;  Paris,  1688,  in-4°.  Les  deux  ou- 
'i  j rages  furent  réunis  dans  les  éditions  suivantes; 
m  septième  fut  publiée,  avec  corrections  et  addi- 
•tons,  par  Jacques  Savary  des  Brûlons  (Paris, 
■j'13,  2  vol.  in-4°);  la  huitième  fut  revue  et 
>  |igmentée  de  la  vie  de  l'auteur  par  Philémon- 
Mouis  Savary  (Paris,   1721,  2  vol.  in-4°);   les 
i  litres  sont  de  1749,  1763,  1777,  1800,  2  vol. 
'Blf-40.  On  a  traduit  le  Par/ait  négociant  et  les 


SAVARY  390 

Parères  en  allemand ,  hollandais,  anglais  et 
italien. 

Nlceron,  Mémoires,  t.  IX.  —Sa  Vie,  à  la  tôle  du  l'ar- 
fait  négociant,  cdit.  de  1721. 

savary  des  Brûlons  (Jacques),  sixième 
fils  du  précédent,  né  en  1657,  mort  le  22  avril 
1716.  Louvois  ayant  formé  le  dessein  d'établir 
à  la  douane  de  Paris  un  inspecteur  général  des 
manufactures,  choisit  en  1686  Savary  des  Bru- 
Ions,  qui  n'avait  que  vingt-neuf  ans.  «  Celui-ci, 
dit  Niceron,  voulant  se  mettre  au  fait  de  toutes 
les  espèces  de  marchandises  qui  passent  par  la 
douane,  rangea  par  ordre  alphabétique  tous  les 
mots  qui  avaient  rapport  au  commerce  et  aux 
manufactures,  à  mesure  qu'il  les  apprenait.  De- 
venu plus  habile,  il  y  ajouta  quelques  définitions 
ou  explications...  Il  y  joignit  dans  la  suite  un 
extrait  des  livres  de  commerce  imprimés  en 
France  ou  dans  les  pays  étrangers,  des  ordon- 
nances, des  arrêts  et  des  règlements  qui  regardent 
cette  matière.  «  Ce  plan  était  trop  vaste  pour  un 
homme  dont  la  santé  était  débile  et  les  occupa- 
tions nombreuses;  il  s'adjoignit  donc  son  frère 
Phiiémon-Louis,  et  il  crut  pouvoir  faire  annoncer 
son  ouvrage  dans  le  Journal  des  savants  de 
17 13  ;  mais,  accablé  jusqu'à  sa  mort  par  une  suite 
de  maladies,  il  ne  put  tenir  sa  parole.  Son  frère 
le  suppléa  et  publia  l'ouvrage  sous  ce  titre  : 
Dictionnaire  universel  de  commerce,  d'his- 
toire naturelle,  d'arts  et  métiers;  Paris,  1723- 
1730,  3  vol.  in-fol.;  Amst.,  1726-1732,  4  vol. 
in-4°;  Paris,  1748-1750,  3  vol.  in-fol.;  Genève 
et  Paris,  1750-1752,  5  vol.  in-fol.;  Copenhague 
(Genève),  1759-1766,  5  vol.  in-fol.,  édition  revue 
et  augmentée  par  Cl.  Philibert  et  bien  préférable 
aux  précédentes.  Le-  Dictionnaire  de  commerce 
a  été  traduit  en  anglais,  avec  quelques  change- 
ments et  additions  (1774,  2  vol.  in-fol.). 

Savary  (PMlémon-Louis) ,  frère  aîné  du  pré- 
cédent, né  en  1654,  mort  le  20  septembre  1727. 
Il  embrassa  l'état  ecclésiastique,  s'avança  dans 
la  connaissance  de  l'Écriture  et  des  Pères,  et 
montra  du  talent  pour  la  prédication.  Il  rem- 
porta, en  1679,  le  prix  à  l'Académie  française 
pour  un  Discours  sur  la  vraie  et  la  fausse 
humilité,  qui  a  été  imprimé  dans  un  recueil  de 
pièces  d'éloquence  (Rotterdam,  1707).  La  fai- 
blesse de  sa  santé  le  força  de  renoncer  à  la  pré- 
dication, et  il  obtint  un  canonicat  au  chapitre  de 
Saint-Maur-les-Fossés,  près  Paris.  II  travailla 
dans  celte  retraite,  pendant  trente  ans,  au  Dic- 
tionnaire de  commerce  de  son  frère,  qu'il  pu- 
blia en  1724.  Il  avait  donné,  en  1721,  une  édi- 
tion du  Parfait  négociant  de  Jacques  Savary 
(voy.  ci-dessus).  Depuis  la  mort  de  son  père 
(1690),  il  était  chargé  des  affaires  en  France  de 
la  maison  de  Mantoue. 

Niceron,  Mémoires,  t.  IX.  —  Journal  des  savants, 
mars  1731.  —  Moreri,  Grand  Dict.  Iiist. 

savary  (Anne-Jean- Marie- René),  duc  de 
Rovigo,  général  et  homme  d'État  français,  né  à 
Marcq,   canton  de    Grandpré  (Ardennes),  le 

13. 


391 


SAVARY 


39! 


26  avril  1774,  mort  à  Paris,  te  2  juin  1833. 
Troisième  fils  d'un  major  du  château  de  Sedan, 
il  obtint  une  bourse  au  collège  de  Saint-Louis 
à  Metz,  et  entra,  en  1790,  comme  volontaire 
dans  Royal-Normandie  (  cavalerie  ).  Il  servit 
d'abord  sous  Cnstine,  à  l'armée  du  Rhin,  passa 
ensuite  sous  les  ordres  de  Pichegru,  puis  de 
Moreau,  dans  le  grade  de  capitaine,  et  devint 
aide  de  camp  du  général  Ferino.  Sa  belle  con- 
duite au  combat  de  Friedberg  lui  mérita  les  fé- 
licitations du  Directoire;  lors  de  la  célèbre  re- 
traite de  Moreau,  il  commanda  une  compagnie 
d'arrière-garde ,  et  au  second  passage  du  Rhin 
il  dirigea  les  troupes  de  débarquement.  Nommé 
chef  d'escadron  (22  avril  1797),  il  suivit  De- 
saix  en  Egypte,  et  ne  le  quitta  plus  qu'à  Ma- 
rengo.  Le  premier  consul  le  retint  auprès  de 
lui  comme  aide  de  camp,  et  pendant  plusieurs 
années  ne  l'employa  qu'à  des  voyages  politiques, 
à  des  missions  délicates ,  dans  lesquelles  il 
montra  beaucoup  d'adresse  et  de  perspicacité  (1). 
Bonaparte,  qui  le  prenait  de  plus  en  plus  en 
affection,  le  nomma  en  1800  colonel  et  comman- 
dant la  légion  de  gendarmerie  d'élite,  destinée  à 
la  garde  de  sa  personne,  puis  général  de  bri- 
gade (29  août  1803).  En  1804,  Savary,  chargé 
du  commandement  des  troupes  réunies  à  Vin- 
cennes,  présida  à  l'exécution  du  duc  d'En- 
gbien  ;  il  fut  accusé  plus  tard  par  le  général 
Hullin,  qui  présidait  la  commission  militaire, 
d'avoir  hâté  l'exécution  pour  empêcher  le  re- 
cours en  grâce,  et  ses  dénégations  n'ont  pu  par- 
venir à  le  justifier  (2).  Le  1er  février  1805,  il 
fut  élevé  au  grade  de  général  de  division,  et  il 
remplit,  avant  et  après  Austerlitz,  une  mission 
auprès  de  l'empereur  Alexandre  :  avant,  il  alla  le 
complimenter,  c'est-à-dire  il  reconnut  la  force  de 
son  armée,  et  après  il  lui  porta,  afin  d'assurer  sa 
fuite  un  sauf-conduit  écrit  au  crayon  parNapoléon. 
En  1806,  à  la  tête  d'une  brigade  de  cavalerie  légère, 
il  poursuivit  les  corps  prussiens  qui  battaient  en 
retraiteaprès  la  bataille  d'Iéna,  et  prit  un  régiment 

(1)  On  voit  dans  ses  Mémoires  qu'il  fut  chargé  de 
découvrir  les  auteurs  de  l'enlèvement  du  sénateur  Clé- 
ment de  Ris,  de  surveiller  les  armements  de  Brest  et 
de  Lorient,  et  qu'il  alla  dans  la  Vendée,  sous  divers  dé- 
guisements, pour  pénétrer  les  desseins  des  hommes  que 
l'on  présumait  complices  deCadouttal. 

(2)  Dans  l'écrit  intitulé  Explication  offerte  aux  hom- 
mes impartiaux,  Hullin  s'exprime  ainsi  :  «  A  peine  le 
jugement  fut-il  signé,  que  Je  me  mis  à  écrire  une  lettre 
au  premier  consul  pour  lui  faire  part  du  désir  qu'avait 
témoigné  le  prince  d'avoir  une  entrevue  avec  lui,  et 
aussi  pour  le  conjurer  de  remettre  une  peine  que  la  ri- 
gueur de  notre  position  ne  nous  avait  pas  permis  d'é- 
luder. C'est  à  cet  instant  qu'un  homme  qui  s'était 
constamment  tenu  dans  la  salle  du  conseil  me  dit  en 
.n'approchant  de  moi  :  «  Que  faites-vous  là  ?  —  J'é- 
cris au  premier  consul  pour  lui  exprimer  le  vœu  du 
conseil  et  celui  du  condamné.  —  Votre  affaire  est  finie, 
me  dit-il  ;  maintenant  cela  me  regarde.  »  J'avoue  que 
je  crus,  et  plusieurs  de  mes  collègues  avec  moi,  qu'il 
voulait  dire  :  «  Cela  me  regarde  d'averllr  le  premier  con- 
sul... »  Savary,  qui  avait  provoqué  ces  récriminations 
en  publiant  un  Extrait  de  ses  Mémoires  (1S23),  reconnut 
qu'il  était  l'homme  désigné  par  Hullin,  et  se  borna  A 
nier  positivement  tous  les  faits  allégués  contre  lui. 


de  hussards  ainsi  que  deux  pièces  d'artillerie 
Il  dirigea  le   siège  de  Hameln  ,  place  qui  ca 
pitula  le    20    novembre   1806.   Ayant    reçu  1 
commandement    du    cinquième    corps ,    à   1 
place  de  Lannes ,  il  eut  mission,  après  la  ba 
taille  d'Eylau  ,  de  couvrir  Varsovie  contre  le 
Russes,  et  remporta  sur  eux  une  brillante  vi( 
toire  à  Ostrolenka  (16  février  1807)  ;  ce  fai 
d'armes  lui  valut  lé    grand  aigle  de  la  Légio: 
d'honneur  et  une  pension  de  20,000  francs.  Aprt 
Friedland,  il  gouverna  pendant  quelque  temr. 
la  vieille  Prusse,  et  fut,  à  la  suite  de  la  paix  d 
Tilsitf,  envoyé  en  ambassade  à  Saint-Peter; 
bourg.  Napoléon,  qui  avait  besoin  en  Espagn 
d'un  agent  habile  et  dévoué,  le  rappela  à  la  fi 
de    1807,  et  le  créa  duc  de   Rovigo  (févrii 
1808)," avec  une  dotation  de  15,000  fr.  sur 
Hanovre.   Savary   partit    immédiatement  poi 
Madrid,  où   il  décida  le  roi  Charles   IV  et  l 
prince  Ferdinand  à  se  rendre  à  Bayonne,  poi 
accepter  de  l'empereur  cet  arbitrage  mensong 
qui  devait  leur  enlever  la  couronne.  Après  l'él 
vation  de  Joseph  au  trône  d'Espagne,  il  résïgi 
le  commandement  des  troupes  françaises  à  M 
drid ,  et  rejoignit  Napoléon   à  Erfurt  (octob 
1808).  Pendant  deux  années  il  ne  le  quilfap 
un  instant,  fit  avec  lui  la  seconde  guerre  d'Ail 
magne,  et  l'accompagna  dans  ses  voyages  en  E 
pagne,  en  Fiance  et  dans  les  Pays-Bas.  Le 
juin  1810,  il  remplaça  Fouché  au  ministère 
la  police.  Cette  nomination  excita  la  terreur 
la  surprise.  «   J'eus  un  véritable  chagrin,  < 
Savary  dans  ses  Mémoires,  de  voir  la  ma 
vaise   disposition   avec  laquelle  on  parut 
cueillir  un  officier  général  au  ministère  de 
police...  J'inspirais  la  frayeur  à  tout  le  mond 
chacun  faisait  ses  paquets,  on  n'entendait  par: 
que  d'exils,  d'emprisonnements,  et  pis  encor. 
enfin,  je  crois  que  la  nouvelle  d'une  peste  rî'a 
rait  pas  plus  effrayé.  Dans  l'armée,  on  trou 
ma  nomination  d'autant  moins   extraordina 
que  tout  le  monde  croyait  que  j'y  exerçais  d 
quelque  surveillance  ;  cependant,  j-e  puis 
surer,   sur  l'honneur,  qu'avant  d'être  minis 
l'empereur  ne  m'a  jamais  chargé  d'aucune  m 
sion  de  cette  espèce,  hors  dans  les  deux  oo 
sions  que  j'ai  citées  (en  Vendée  et  lors  de  l'e 
lèvement  de  M.  Clémentde  Ris)...  J'étais  d< 
la  confiance  que  mon  prédécesseur  me  ;{a 
serait  quelques  documents   propres  à  dirij 
mes  pas;  il    me  demanda  de  rester  dans 
même  hôtel  que  moi,  sous  prétexte  de  rasse 
bîer  les  papiers  qu'il  avait  à  me  communiqué 
j'eus  la  simplicité  de  le  laisser  trois  semaii 
entières  dans   son  ancien  appartement;  et 
jour  qu'il  en  sortit  il  me  rendit  jour  tout  | 
pier  un  mémoire  contre  la  maison  de  Bourbe 
il  avait  brûlé  le  reste.  »  L'activité  et  la  fine 
du  duc  de  Rovigo  lui  donnèrent  bientôt  les  i 
formations  et  les  hommes  dont  il  avait  beso  J 
et  que  Fouché,  pour  des  motifs  de  jalousie 
d'intérêt  personnel,  n'avait  pas  voulu  lui  fa 


I 


193 


SAVARY 


1 


onnaîlre.  Cependant  sa  vigilance  fut  mise  en 
éfaut  par  la  conspiration  Malet  (voy.  ce  nom)  ; 

l'ut  arrêté,  le  23  octobre  1812,  à  sept  heures 
u  matin,  dans  son  lit  par  Lahorie  et  Guidai,  et 
onduit  à  la  Force.  Sa  détention  ne  dura  que 
uelques  heures;  mais  cet  événement  attira  le 
idicule  sur  l'administration  de  la  police.  Napo- 
'on  lui  conserva  néanmoins  toute  sa  confiance. 
'  Savary  fut  du  nombre  des  ministres  qui,  lors 
;e  la  reddition  de  Paris  en  1814  ,  accompa- 
nèrent  à  Blois  Marie- Louise.  Pendant  lescent- 
.  nirs  il  fut  nommé,  le  20  mars,  inspecteur  gè- 
lerai de  la  gendarmerie,  et  le  2  juin  pair  de 
:  rance.  Toujours  fidèle  à  l'empereur,  il  voulut 
accompagner  à  Sainte-Hélène;    mais,  enlevé 
(ar  les  Anglais  sur  le  Bellérophon ,  il  futeon- 
uit  à  Malte  avec  le  général  Lallemand  et  quel- 
ues  autres,  et  enfermé  pendant  sept  mois  au 
[  »rt    Emmanuel.  C'est  là  qu'il  prépara  la  pu- 
'licationde  ses  Mémoires.   Étant  parvenu  à 
évader,  dans  la  nuit  du  7  au  8  avril  1816,  il 
embarqua  sur  une  chaloupe  qui  allait  à  Odessa, 
;  débarqua  à  Smyrne,  où  il  s'engagea  dans  des 
léculalions  commerciales  qui  engloutirent  une 
irtie  de  sa  fortune.  De  là  il  se  rendit  à  Trieste, 
it  arrêté  et  conduit  à  Gi  aetz  ;  il  y  vécut  libre, 
|iais  dans  un  grand  dénûment.  Ayant  obtenu 
i  permission  de  retourner  à  Smyrne,  il  y  prit 
âssage  sur  un  navire  qui   faisait  voile  pour 
[Angleterre,  et  arriva  dans  ce  pays  en  juin  1819. 

se  rendit  à  Paris  pour  purger  le  jugement 
ui,  le  25  décembre  1816,  l'avait  condamné  à 
nort,  par  contumace.  Défendu  par  M.  Dupin 
îné,  il  fut  acquitté  le  27  décembre  1819,  et  ré- 
jabli  dans  ses  grades  et  honneurs ,  mais  sans 
Ire  employé.  V Extrait  de  ses  Mémoires 
u'il  publia  en  1823,  sur  la  mort  du  duc  d'En- 
hien,  et  dans  lequel  il  cherchait  à  se  justifier 

attaquant  le  prince  de  Talleyrand ,  faillit 
jompromettre  le  calme  de  sa  retraite.  Il  vivait 
Rome  avec  sa  famille  lorsqu'il  fut  rappelé  à 
activité,  le  7  février  1831.  Nommé,  le  16  dé- 
cembre suivant,  commandant  en  cbef  de  l'ar- 
mée d'Afrique,  il  déploya,  pendant  sa  courte 
dministration  en  Algérie,  une  grande  énergie, 
t  lit  exécuter  par  les  troupes  de  belles  routes 
traiégiques.  Le  mauvais  état  de  sa  santé  le 
)rça  de  repasser  en  France  (mars  1833),  où  il 
ion  rut  trois  mois  plus  tard,  à  l'âge  de  cin- 
, uante-neuf  ans.  De  MiÎ!'  de  Faudoas ,  sa 
jsmme,  il  avait  eu  sept  enfants. 
Le  duc  de  Rovigo  se  montra,  dans  l'armée, 
ur  à  la  fatigue,  sobre,  ferme  et  courageux, 
•ans  ses  missions  diverses  et  dans  l'adminis- 
ration,  il  fut  actif,  habile,  et  d'une  finesse  qui 
Ha  jusqu'à  la  ruse.  Son  dévouement  sans 
ornes  à  l'empereur  l'entraîna  à  des  actes  au 
îoins  regrettables  pour  sa  mémoire.  Quand  le 

taître  avait  parlé,  aucune  considération  ne  pou- 
lit  l'empêcher  d'accomplir  ses  ordres.  Son 
illmité  avec  Napoléon,  le  bruit  généralement 
ipàndu  qu'il  dirigeait  pour  lui  une  contre-po- 


SAVERIEN  394 

lice,  les  missions  secrètes  dont  il  fut  chargé, 
les  hautes  récompenses  qui  payèrent  son  zèle, 
excitèrent  contre  lui  bien  des  ressentiments,  et 
lui  firent  des  ennemis  dont  sa  rudesse  augmen- 
tait encore  le  nombre.  Il  eut  du  moins  le  mérite 
d'être,  dans  toutes  les  circonstances,  fidèle  à 
l'homme  et  à  la  cause  qu'il  avait  servis.  Ses 
Mémoires  sont  un  des  documents  les  plus  cu- 
rieux à  consulter  sur  la  période  impériale  :  ils 
ont  été  publiés  à  Paris,  en  1828,  8  vol.  in-8°. 
On  en  a  attribué  la  rédaction  soit  à  M.  Buloz, 
soit  à  M.  Saint-Germain-Leduc,  soit  à  M.  Adol- 
phe Bossange,  bien  que  le  duc  de  Rovigo  assure, 
dans  sa  préface,  en  être  seul  l'auteur. 

Saint-Edroe,  Biogr.  de  la  police.  —  Rabbc,  Vieilh  de 
Boisjolln  et  Sainte-Preuve,  lliogr.  univ.  et  portât,  des 
contemp.  (suppl.).  —  Tliiers,  Hist.  du  consulat  et  de 
l'empire.  —  Moniteur  univ.,  il  juin  1833.  —  Boulliot, 
Biogr.  ardennaise. 

savary.  Voy.  Brèves. 

savastano  (Francesco-Eulalia),  poète 
latin  moderne,  né  en  1657,  à  Naples,  où  il  est 
mort,  le  23  octobre  1717.  Il  était  jésuite,  prêcha 
avec  succès,  et  enseigna  dans  le  collège  de  Na- 
ples la  rhétorique,  la  philosophie  et  la  théologie- 
scolastique.  Il  est  auteur  d'un  poème  latin,  in- 
titulé Botanicorum  lib.  7F;Naples,  1712,  in-8°, 
et  féinipr.  à  Venise,  1749,  in-8°,  avec  une  tra- 
duction en  vers  italiens  par  Bergamini;  c'est 
une  production  agréable,  écrite  avec  élégance  et 
accompagnée  de  notes  instructives. 

Toppl,  Bibl.  napolitana. 

SAVELLI.    Voy.  HON'ORIUS  III  et  IV. 

SAVERfEN  (Alexandre),  savant  littérateur 
français,  né  le  16  juillet  1720  (  1),  à  Arles,  mort 
le  28  mai  1805,  à  Paris.  Admis  fort  jeune  dans 
les  gardes  de  l'étendard  à  Marseille,  il  obtint  à 
vingt  ans  le  brevet  d'ingénieur  de  marine,  et 
s'appliqua  avec  ardeur  à  perfectionner  les  mé- 
thodes de  construction  navale.  Il  vint  s'établir  à 
Paris,  et  dès  son  premier  ouvrage  attira  l'atten- 
tion sur  lui  par  la  dispute  qu'il  fut  obligé  de  sou- 
tenir contre  Bouguer,  qui  lui  reprochait  d'avoir 
préféré  pour  la  manœuvre  des  vaisseaux  les 
principes  de  J.  Bernoulli  à  ceux  qu'il  avait  posés 
lui-même.  Saverien,  encouragé  par  quelques 
amis,  poursuivit  le  cours  de  ses  études  en  ma- 
thématiques et  en  physique  :  en  1750  il  proposa 
deux  machines  de  son  invention  pour  détermi- 
ner la  marche  d'un  vaisseau,  et  il  démontra  l'u- 
tilité d'une,  académie  de  marine  et  d'un  journal 
particulièrement  consacré  à  la  navigation;  en 
1752,  il  fit  adopter  au  gouvernement  un  octant 
à  simple  réflection  et  à  lunette  pour  observer 
sur  mer.  Malgré  ses  talents,  son  savoir,  ses 
nombreux  écrits,  il  ne  réussit  point  à  triompher 
de  la  gêne  et  de  l'obscurité,  et  finit  par  se  dé- 
mettre des  simples  fonctions  d'ingénieur  qu'il 
exerça  pendant  trente  ans  au  moins.  En  1780 
il  avait  complètement  cessé  d'écrire;  en  1795  il 
fut  compris  pour  une  somme  de  1,500  fr.  dans 

(1)  Le  23  juillet  1723,  d'après  Achard. 


395  SAVERIEN 

la  répartition  des  secours  accordés  aux  savants 
parla  Convention;  il  arriva  jusqu'à  l'extrême 
vieillesse,  et  mourut  presque  inconnu.  L'Acadé- 
mie de  Lyon  était  le  seul  corps  savant  dont  il 
fit  partie.  On  a  de  Saverien  :  Discours  sur  la 
manœuvre  des  vaisseaux;  s.  1.,  1744,  in-4°; 

—  Discours  sur  la  navigation  et  la  physique 
expérimentale;  s.  L,  1744,  in-4°; —  Nouvelle 
Théorie  de  la  manœuvre  des  vaisseaux,  à  la 
portée  des  pilotes;  Paris,  1746,  in-S°;  —  Re- 
cherches historiques  sur  l'origine  et  les  pro- 
grès de  la  construction  des  navires  des  an- 
ciens ;  Paris,  l747,in-4°; —  Nouvelle  Théorie 
de  la  mâture  ;  Paris,  1747,  in-4°  ;  suivie  de  la 
Mâture  discutée,  même  année;  — Art  de  me- 
surer sur  mer  le  sillage  du  vaisseau  ;  Paris, 
1750,  in-8°,  pi.;  —  Dictionnaire  universel  de 
mathématiques  et  de  physique;  Paris,  1752, 
2  vol.  in-4°,  avec  101  pi.  ;  —  Traité  des  instru- 
ments propres  à  observer  les  astres  sur  mer; 
Paris,  1752,  in-12; —  Histoire  critique  du 
calcul  des  infiniment  petits  ;  s.  1.,  1753,  in-4°; 

—  Dictionnaire  historique,  théorique  et  pra- 
tique de  marine;  Paris,  1758,  in-8°,  et  1781, 
2  vol.  in-8°;  l'auteur  reconnaît  avoir  beaucoup 
profité  des  travaux  de  Le  Gentil,  mais  il  reproche 
à  Bourde  de  Villehuet  d'avoir  reproduit  dans  le 
Manuel  des  marins  un  grand  nombre  des  ar- 
ticles de  son  Dict.  de  marine,  sans  en  indiquer 
la  source;  —  Histoire  des  philosophes  mo- 
dernes; Paris,  1760-73,  4  vol.  in-4°  ou  8  vol. 
in-12,  avec  des  portraits  par  François  :  ouvrage 
estimable,  dont  le  style  manque  d'élégance  et  de 
précision,  mais  qui  prouve  des  recherches  éten- 
dues et  des  connaissances  variées;  —  Histoire 
des  progrès  de  Vesprit  humain  dans  les 
sciences  exactes,  naturelles,  intellectuelles 
et  dans  les  arts  qui  en  dépendent;  Paris, 
1766-78,  4  vol.  in-8°:  d'après  Sabatier,  le  style 
en  est  plus  soigné,  et  l'érudition  mieux  digérée; 

—  Histoire  des  philosophes  anciens;  Paris, 
1770,  1783,  5  vol.  in-12,  fig.  ;  —  quelques  opus- 
cules, et  une  comédie  en  trois  actes  et  en  prose, 
l'Heureux  (1754,  in-12),  non  représentée,  et 
qualifiée  par  l'auteur  de  pièce  philosophique. 
Il  a  aussi  édité  le  Traité  des  fluxions  (1749} 
de  Maclaurin,  et  le  Dictionnaire  d'architec- 
ture (1755)  de  Daviler. 

Aclinrd,  Dict.  hist.  de  la  Provence,  II.  —  Sabatier, 
Trois  siècles. 

saveky  (Roland),  peintre  flamand ,  né  à 
Courtray,  en  1576,  mort  à  Utrecht,  en  1639. 
Après  avoir  appris  les  éléments  de  la  peinture 
dans  l'atelier  de  son  père,  paysagiste  médiocre, 
Savery  étudia  les  œuvres  de  Paul  Bril,  dont  il 
imita  les  procédés  patients  et  la  coloration  vi- 
goureuse. L'empereur  Rodolphe  II,  ayant  vu  ses 
premiers  ouvrages,  l'appela  en  Allemagne  et  le 
prit  à  son  service.  Un  voyage  dans  le  Tyrol  dé- 
veloppa chez  Savery  le  goût  du  paysage,  et, 
après  avoir  passé  deux  années  à  dessiner  et  à 
peindre  d'après  nature,  il  revint  à  Prague,  où 


-  SA  VIGNY  396 

son  protecteur  le  chargea  de  travaux  importants. 
Rodolphe  II  étant  mort  en  1612,  Roland  Savery 
alla  s'établir  à  Utrecht,  et  il  mourut  dans  cette 
ville,  à  l'âge  de  soixante-trois  ans,  laissant  plu- 
sieurs élèves  distingués,  parmi  lesquels  il  faut 
citer  A.  van  Everdingen.  Les  paysages  de  Savery 
sont  peints  avec  un  soin  extrême  et  dans  un 
sentiment  naïf  qui  rappelle  parfois  l'école  du 
seizième  siècle;  la  précision  rigoureuse  du  dé- 
tail, le  dessin  minutieux  des  branches,  des 
feuilles  et  des  brins  d'herbe  nuisent  à  l'effet  de 
l'ensemble.  Ses  arbres  et  ses  gazons  sont  d'un 
vert  sombre  qui  fait  songer  à  Paul  Bril;  par  ses 
lointains  bleuâtres,  il  se  rapproche  de  Jean 
Breughel.  Le  Louvre  ne  possède  aucune  peinture 
de  Savery,  mais  on  peut  voir  quelques-uns  de 
ses  tableaux  à  Munich,  à  Dresde,  à  La  Haye  et  à 
Vienne.  P.  Mantz. 

Van  Eynden  et  van  der  Immerzeel,  Levens  der  ■ 
Kunstsch.  —  Willigen,  Gesch.  der  Faderl.  Schilderlu 
savsgny  (Christophe  de),  érudit  français, 
né  vers  1530,  à  Savigny-sur-Aisne  (  Ardennes), 
mort  en  1608,  dans  le  même  lieu.  Il  appartenait 
à  une  famille  des  plus  anciennes  du  Rethelois, 
où  il  possédait  les  seigneuries  de  Savigny  et  de 
Priman.  Les  rares  auteurs  qui  ont  parlé  de  lui 
ne  citent  que  les  titres  de  ses  ouvrages,  et  c'est 
dans  l'un  d'eux,  le  seul  qui  soit  parvenu  jus- 
qu'à nous,  qu'on  doit  puiser  quelques  particu- 
larités de  sa  vie.  11  fut  élevé  «  par  des  précep- 
teurs très-vertueux,  très-doctes  et  très- savants 
personnages  »,  apprit  l'hébreu  et  le  grec,  et  par- 
courut ensuite  la  carrière  des  sciences  alors  cul- 
tivées. Vers  1565  il  entra  comme  grand  maître 
de  la  garde-robe  dans  la  maison  de  Louis  de  I 
Gonzague,  duc  de  Nevers  et  de  Rethel.  Bien 
qu'il  eût  embrassé  le  métier  des  armes,  il  évita 
de  prendre  part  aux  querelles  civiles  et  reli-i] 
gieuses,  «  se  récréant  l'esprit,  lorsqu'il  lui  res- 
toit  quelgue  peu  de  loisir,  et  se  repaissant  de 
cette  pasture  de  la  connoissance  des  bonnes 
lettres  >-.  On  ignore  à  quelle  époque  il  se  ren- 
ferma dans  la  vie  privée.  L'ouvrage  qui  a  recom- 
mandé son  nom  à  la  postérité  a  pour  titre  :  Ta- 
bleaux accomplis  de  tous  les  arts  libéraux, 
contenant  brièvement  et  clèrement,  par  sin- 
gulière méthode  de  doctrine,  une  générale  et  I 
sommaire  partition  des  dicts  arts,  amassez 
et  reduiets  en  ordre  pour  le  soulagement  et 
profit  de  la  jeunesse;  Paris,  1587,  in-fol. 
atlant.,  avec  figures  en  bois,  dessinées,  selon 
Papillon,  par  Jean  Cousin.  Ce  tableau  systéma- 
tique des  connaissances  humaines  est  dédié  au 
duc  de  Nevers  ;  les  arts  y  sont  rangés  dans 
l'ordre  suivant  :  grammaire,  rhétorique,  dialec- 
tique, arithmétique,  géométrie,  optique,  mu- 
sique, cosmographie,  astrologie,  géographie, 
physique,  médecine,  éthique,  jurisprudence,  his- 
toire et  théologie  (1).  Chaque  partition  com- 

(1)  Cette  partie  est  de  l'avocat  Bergeron,  mort  en  ISM; 
ce  dernier  avait  été  chargé  par  les  libraires  de  revoir 
l'ouvrage  entier  de  Savigny  en  manuscrit. 


97  SAVIGNY 

I  rend  un  plus  ou  moins  grand  nombre  de  divi- 
sions,  soixante-dix  -huit   pour  la  grammaire, 
i  jixante-six  pour  l'éthique,  etc.  Cet  ouvrage  fut 
aduit  en  portugais,  sous  le  titre  à'Enciclope 
ia,  par  Manoel  Pinto  Villalobos,  qui  l'attribua 
lar  erreur  à  Bergeron;  il  était  devenu  fort  rare 
irsque  le  libraire  Jean  Libert  en  publia  une 
'■impression  (Paris,   1619,  in- fol.),  augmentée 
les  parties  de  la  poésie  et  de  la  chronologie, 
■ipillon,  et  après  lui  Delisle  de  Sales  et  Boul- 
jot,  a  revendiqué  en  faveur  de  Savigny  la  gloire 
ravoir  conçu  un  système  encyclopédique  anté- 
ou r  à  celui  de  Bacon  ;  mais  si  Bacon  a  mérité, 
imme  on  l'a  fait  remarquer  avec  raison,  d'être 
'  -gardé  comme  le  restaurateur  des  véritables 
udes  philosophiques ,  c'est  surtout  pour  avoir 
:  diqué  le  premier  l'ordre  et  la  génération  des 
nnnaissances  humaines.  P.  L — y. 

1  La  Trolx  du  Maine,  Bibl.  fr.  —  Papillon,  Traité  de  la 
,  avurc  en  bois,  II,  279-235.  —  Brunet,  Manuel  dtc  li- 
I  mire.  —  Doulliot,  Biogr.  ardennaise. 

1  savigny  (Frédéric- Charles  de),  célèbre 
j  riseonsulte  allemand,  né  à  Francfort,  le  21 

vrier  1779,  mort  le  25  octobre  1861,  à  Berlin. 
I  était  d'une  famille  calviniste  originaire  de 
|»etz,  et  qui  avait  en  1622  émigré  en  Alle- 
magne, pour  éviter  les  persécutions  religieuses; 
lui  aïeul  avait   été  à  la  tête  de  la  régence  de 

eux-Ponts,  et  son  père  était  représentant  à 
,  rancfort  des  princes  du  cercle  du  Haut-Rhin. 

rphelin  à  treize  ans,  il  fut  élevé  chez  un  ami 
K>  son  père,  à  Wetzlar.  En  1795  il  alla  étudier 
droit  à  Marbourg,  où  il  eut  Weis  pour  prin- 
;  pal  maître  (i).  Reçu  docteur  en  1800  avec 
Ine  excellente  thèse  De  concursu  delictorum 
hrmaliy  il  ouvrit  à  Marbourg  des  cours  libres 
■àt  diverses  matières  juridiques,  et  attira  au- 

)ur    de    sa   chaire   un    nombreux    auditoire. 

rappé,  dans  l'explication  du  Digeste,  de  la  di- 
[ergence  qui  existait  touchant  la  théorie  de  la 
;ossession  entre  le  texte  et  les  commentaires, 
1  composa  en  1803  son  traité  De  la  Posses- 

io»,  chef-d'œuvre  de  méthode  et  où  le  droit 
:5main  est  dégagé  des  éléments  étrangers  que  le 

roit  germanique,  la  pratique  et  les  commenta- 
pws  y  avaient  introduits.  Savigny  reçut  de  di- 

erses  universités  les  offres  les  plus  avanta- 
Beoses;  il  les  déclina  afin  de  se  livrer  dans  les 
jibliothèques  d'Allemagne  et  de  France  à  des 

echerches  pour  une  histoire  des  glossateurs, 

ont  Weis  lui  avait  inspiré  l'idée.  Il  fut  aidé 
[ans  ce  travail  par  son  élève  Jacob  Grimm  et 
jussi  par  sa  jeune  femme,  sœur  du  poète  Cl. 
jirentauo  et  de  Bettina  d'Arnim.  Nommé  en 
|S08  professeur  à  Landshut,  il  fut  appelé,  en 
;810,  dans  la  nouvelle  université  de  Berlin,  à 
jne  chaire  qu'il  remplit  pendant  trente-deux  ans 
'vec  un  succès  non  interrompu.  Il  s'appliqua 

1  (li  Ce  professeur  appartenait  a  l'école  de  ia  jurispru- 
dence élégante,  qui,  gardant  ies  traditions  de  la  grande 
|)t!)le  trançaise  du  seizième  siècle,  ne  se  soumettait  pas 
1  I»  lourde  et  fausse  métaphysique  introduite  dans  la 
pn^iirtcnccpar  Wolffet  Tlioroasins. 


398 


avec  un  zèle  infatigable  à  régénérer  la  science 
du  droit  ;  tous  ceux  qui  s'y  consacraient  pou- 
vaient compter  sur  ses  conseils.  Lorsqu'en  1814 
Tbibaut,  pour  répondre  au  besoin  d'unité  qui 
travaillait  alors  l'Allemagne,  proposa  l'élabora- 
tion d'un  code  uniforme,  ce  projet,  qui  en  peu 
de  temps  avait  gagné  beaucoup  de  partisans, 
fut  combattu  par  Savigny ,  dans  une  brochure 
restée  célèbre,  De  la  vocation  de  notre  époque 
p-jur  la  législation  et  la  jurisprudence.  Ce 
n'était  rien  moins  que  la  profession  de  foi  d'une 
nouvelle  école  qui  rompait  avec  les  méthodes  du 
siècle  dernier.  «  Aussi  loin  que  nous  remon> 
Ions  dans  l'histoire,  disait  Savigny,  nous  voyons 
que  le  droit  civil  de  chaque  peuple  a  toujours 
son  caractère  déterminé  et  particulier,  comme 
les  habitudes,  les  mœurs,  la  constitution  poli- 
tique. Le  droit  n'est  donc  point  une  règle  ab- 
solue, comme  la  morale,  qu'on  puisse  appliquer 
indifféremment  dans  n'importe  quel  pays  ; 
c'est  une  des  forces  du  corps  social,  avec  lequel 
il  change  et  se  développe,  d'après  des  lois  qui 
sont  au-dessus  des  caprices  du  jour.  C'est  par 
une  action  lente  et  un  développement  orga- 
nique que  se  produit  le  droit;  il  se  crée  spon- 
tanément par  la  coutume,  par  la  jurispru- 
dence, par  les  actes  particuliers  de  l'autorité, 
sous  l'empire  d'une  raison  plus  haute  que  la 
raison  humaine  et  que  celle-ci  tendrait  vaine- 
ment à  plier  à  ses  vues  et  ses  opinions  du  mo- 
ment. Aujourd'hui,  ajoutait  Savigny,  ni  les 
hommes,  ni  l'a  science,  ni  même  la  langue  ju- 
ridique ne  sont  en  mesure  de  suffire  à  l'œuvre 
laborieuse  d'un  code  unique  pour  l'Allemagne; 
il  faut  attendre.  »  Si  depuis  diverses  matières 
ont  été  en  Allemagne  l'objet  d'une  réglementa- 
tion générale,  si  le  besoin  de  codification  y  re- 
cevra bientôt  une  entière  satisfaction,  cela  tient 
à  ce  que  l'intelligence  du  droit  a  fait  des  pro- 
grès rapides  grâce  aux  travaux  admirables  de 
Savigny  lui-même  et  de  ses  nombreux  disci- 
ples. Le  droit  romain ,  le  droit  germanique 
ainsi  que  le  droit  canonique  ont  été  l'objet  des 
investigations  les  plus  patientes  et  qui  ont  eu 
les  résultats  les  plus  féconds,  guidées  qu'elles 
étaient  par  ce  principe  établi  par  Savigny,  qu'il 
faut  poursuivre  jusqu'à  sa  première  racine  toute 
institution  et  doctrine  juridique,  en  rechercher 
le  principe  organique  de  façon  à  découvrir  ce 
qui  en  survit  encore. 

L'école  historique,  fondée  par  Savigny,  n'a 
pas  seulement  rendu  de  très-grands  services 
dans  le  domaine  de  la  jurisprudence;  ses  doc- 
trines ont  aussi  été  transportées  dans  la  poli- 
tique, et  ont  servi  de  contre-poids  à  ia  tendance 
vers  les  utopies.  La  constitution  d'un  peuple, 
enseigne-t-elle ,  se  produit  par  une  évolution 
naturelle  et  instinctive,  qui  la  met  en  har- 
monie avec  les  besoins,  les  mœurs  et  les  idées 
de  ce  peuple;  elle  ne  peut  être  décrétée  par  une 
volonté  arbitraire  et  instantanée  qui  les  froisse, 
qu'elle  émane  d'un  despote  ou  des  masses.  Ce 


(1)  Il  fut  é'u  en  1837  membre  libre  de  l'Académie  fran- 
çaise des  sciences  morales  et  politiques .  à  la  place  de 
Livlngstnn. 


399  SAVIGNY 

système  essentiellement  national  a  été  compris 
par  les  disciples  intimement  initiés  à  la  pensée 
de  Savigny  ;  mais  la  plupart,  en  le  travestissant, 
ont  fait  croire  qu'il  était  favorable  au  despo- 
tisme. «  Les  idées  de  Savigny,  dit  M.  Laboulaye, 
ont  ainsi  une  portée  plus  grande  qu'on  ne  le 
suppose  ordinairement  en  France  ;  elles  se  rap- 
prochent de  celles  des  excellents  esprits  qui 
chez  nous  ont  régénéré  l'histoire  et  la  philoso- 
phie. Reconnaître  en  toute  science  morale  l'é- 
lément que  les  siècles  se  passent  de  main  en 
main,  discuter  cet  élément  et,  la  critique  faite, 
lui  assurer  sa  légitime  part  d'influence,  consi- 
dérer le  présent  comme  une  arche  jetée  entre  le 
passé  et  l'avenir,  et  ne  jamais  oublier  qu'on  ne 
peut  rompre  d'un  côté  sans  tomber  dans  l'a- 
bîme; ce  sont  là,  ce  semble,  des  données  irré- 
prochables et  cependant  toutes  nouvelles.  » 
Pour  proclamer  et  défendre  les  principes  de  son 
école,  Savigny  fonda  avec  Eichhorn  et  Gœschen 
une  revue  (Zeitschrift  fur  kistorische  Rechts- 
wissenschajt  ;  Berlin,  1815  à  1847,  14  vol. 
in-8°  ),  où  il  a  publié  un  grand  nombre  de  dis- 
sertations sur  des  points  intéressants  d'anti- 
quités; quelques-unes  passent  pour  de  petits 
chefs-d'œuvre,  comme  celles  sur  le  Droit  de 
latinité,  le  Jus  iialicum,  le  Colonat,  les  Im- 
pôts romains,  la  Noblesse  dans  C  Europe 
moderne ,  le  Droit  des  créanciers  dans 
l'ancien  droit  romain,  etc.  «  La  question  y 
est  si  nettement  posée,  les  preuves  si  naturelle- 
ment amenées,  la  déduction  si  puissante  et  si 
facile,  qu'on  a  peine  à  résister  et  au  charme  de 
ce  style  d'une  clarté  toute  française  et  à  la 
force  de-cette  logique  serrée.  »  Les  mêmes  qua- 
lités distinguent  également  V Histoire  du  droit 
romain  au  moyen  âge,  pour  laquelle  il  a  fallu 
lire  un  nombre  incroyable  de  manuscrits,  de  di- 
plômes et  de  livres  plus  rares  que  les  manus- 
crits mêmes.  Savigny  fait  d'abord  justice  de 
cette  fable  d'après  laquelle  le  droit  romain 
aurait  disparu  avec  l'invasion  des  barbares  pour 
renaître  tout  à  coup  au  onzième  siècle  ;  puis  il 
présente  un  tableau  complet  de  l'enseignement 
de  ce  droit  dans  les  universités  du  moyen  âge, 
et  il  termine  par  une  série  de  notices  consacrées 
aux  glossateurs  du  moyen  âge. 

Au  milieu  de  ces  travaux,  interrompus  seu- 
lement par  un  séjour  de  trois  ans  en  Italie  pour 
rétablir  sa  santé,  Savigny  remplit  encore  des 
fonctions  multipliées.  Membre  du  tribunal  su- 
périeur (SpruchColleghim  )  que  forment  en 
certaines  circonstances  les  universités  alle- 
mandes, du  conseil  d'État  prussien  depuis 
1807,  de  la  cour  de  cassation  de  Berlin  depuis 
1819,  professeur  infatigable  et  donnant  tous 
les  jours  deux  ou  trois  leçons,  associé  actif  de 
toutes  les  Académies  de  l'Europe  (1),  en  corres- 
pondance avec   tout    ce  que  l'Allemagne,    la 


400 


France,  l'Italie,  la  Belgique  comptent  de  juris- 
consultes distingués,  Savigny,  grâce  à  la  mo- 
dération de  sa  vie  et  à  l'ordre  qui  présidait  à 
toutes  ses  actions,  a  pu  suffire  à  des  occupa- 
tions si  multipliées.  Après  son  retour  d'Italie 
(1829),  il  prit  une  part  plus  active  aux  déli. 
bérations  du  conseil  d'État,  et  devint  en  1842 
ministre  de  la  justice.  L'expérience  des  affaires 
lui  fit  alors  reconnaître  ce  qu'il  y  avait  pour 
I  époque  actuelle  de  trop  absolu  dans  sa  théorie 
sur  le  rôle  du  législateur,  qui  doit  abandonner  la 
science  pure  pour  aboutir  à  des  résultats  utiles. 
Dans  cette  nouvelle  voie,  il  rédigea  son  Sys- 
tème du  droit  romain  actuel,  autre  monu- 
ment d'un  labeur  immense,  où  il  a  exposé  avec 
sa  clarté  habituelle  ce  fonds  commun  d'em- 
prunts de  théories  et  d'usages  qui  forme  depuis 
plusieurs  siècles  la  législation  principale  de 
l'Allemagne.  Prenant  une  à  une  toutes  les  ins- 
titutions à  leur  origine,  il  a  déterminé  exacte- 
tement  la  valeur  pratique  des  doctrines  alléguées 
devant  les  tribunaux  ,  et  qu'on  croyait  em- 
pruntées aux  lois  romaines,  tandis  qu'elles 
proviennent  souvent  d'une  source  moins  pure. 
Rentré  en  1848  dans  la  vie  privée,  Savigny  vit 
en  1850  saluer  d'une  voix  unanime  le  jubilé  de 
son  doctorat;  toute  l'Allemagne  fêta  son  plus 
grand  jurisconsulte.  Une  plus  belle  récompense 
l'attendait  encore,  c'était  d'assister  au  triomphe 
de  la  cause  qu'il  avait  défendue.  «  Ses  idées  onl 
fait  le  tour  du  monde,  dit  M.  Laboulaye;  elle 
ont  transformé  la  science.  » 

On  a  de  Savigny  :  Das  Recht  des  Besitzes 
(  Le  Droit  de  possession)  ;  Giessen,  1803,  in-8°; 
6e  édit.,  1837  ;  trad.  en  français,  Paris,  1841 , 
in-8°;  —  Vom  Berufe  unserer  Zeit  fur' (M 
setzgebung  und  Rechtswissenschaft  (  De  la 
Vocation,  etc.);  Heidelberg,  1815,  1840,  in-8°f 
—  Geschichte  des  rœmischen  Rechts  in 
Mittelalter  (  Histoire  du  droit  romain  au 
moyen  âge);  Heidelberg,  1826-1831,  6  vol. 
in-8°;  1850-1852,  7  vol.  in-8° ;  trad.  en  frau^l 
çais,  Paris,  1839,  4  vol.  in-8°  ;  —  System  de% 
heutigen  -  rœmischen  Rechts  (  Système  de 
droit  romain  d'aujourd'hui);  Berlin,  1840- 
1848,  8  vol.  in-8°:  une  labié  des  matières  a  été 
donnée  par  Heuser,  Berlin,  1851,  in -8°;  trad, 
en  français  par  Guénoux,  Paris,  1840-1849, 
6  vol.  in-8°  ;  1855,  8  vol.  in-8°  ;  —  Das  Obli- 
gationen  recht  (Le  Droit  des  obligations); 
Berlin,  1851-1853,  2  vol.  inr8°;  faisant  suite  à 
l'ouvrage  précédent; —  Vermischle  Schriften 
(Mélanges  );  Berlin,  1850,  5  vol.  in-8°;  mé 
moires  et  dissertations,  impr.  dans  Zeitschrift 
fur  historische  Rechtswissenschaft,  et  dans  le 
recueil  de  l'Académie  de' Berlin.  E.  G. 

Laboulaye,  F. -C/i.  de  Savigny  ,  Paris,  1842,  in  8°,  ex- 
cellente notice,  à  laquelle  cet  article  est  en  grande 
partie  emprunté.  —  Rudorff,  Erinnerung  an  Sa- 
vigny; Weirnar,  1862,  in-8°.  —  Stinzinpr,  Fr.-C.  von 
Savigny;  Berlin,  1862,  iu-8°.  —  Reinlinld  Schroid,  dans 
la  Deutsche  Fierteljahrssrhrift,  n°  97,  p.  139185.- 
liluntschli.  Die  neueren  Rechtsschulen  der  deiiisclw1 
Juristen  ;  Zurich,  1841,  in-8°. 


savii.f.  (Sir  Henry),  érudit  anglais,  né  le 
I.IO  novembre  1549,  à  Bradley  (Yorkshire),  mort 
i  le  19  février  1C22,  à  Eton.  Après  avoir  pris  ses 
brades  à  0\ford  ,  il  fut  agrégé  dans  l'un  des  col- 
lèges de  cette  université,  celui  de  Merlon,  dont 
>il  devint  principal  en  1585,  et  y  donna  des  leçons 
l  le  grec  et  de  mathématiques.  Élu  avec  Underhill, 
l'on  (les  procureurs  d'Oxford,  il  remplit  ces  fonc- 
tions pour  les  années  1576 et  1577  ;  puis  ilparcou- 
|  ut  la  France  et  divers  autres  pays,  et  fut  choisi  à 
hon  retour  pour  enseigner  la  langue  grecque  à  la 
eine  Elisabeth.  Sans  cesser  de  diriger  le  collège 
le  Merton,  il  fut  nommé  en  1590  prévôt  de  celui 
■'Eton,  et  son  principal  soin  fut  de  ne  laisser 
Igréger  à  l'un  et  à  l'autre  de  ces  deux  établis- 
sements que  des  sujets  qui   pussent  leur  faire 
honneur.  Jacques  1er  aurait  voulu  marquer  l'es- 
Ime  qu'il  faisait  de   lui  en  l'élevant  à  quelque 
?|  ignité  considérable  ;    mais  Savile  se   contenta 
[{'accepter  de  ce   prince   le  titre  de  chevalier 
Iflfi04).  Ayant  perdu  un  fils,  l'unique  héritier  de 
■  on  nom,  il  employa  une  partie  de  ses  biens  à 
)niier  en  1619     deux  chaires,  l'une  de    géo- 
Hiétrie,   l'autre  d'astronomie   dans  l'université 
» 'Oxford,  et  il  en  désigna  les  premiers  profes- 
3nr>,  qui  furent  Briggs  etBainbridge.  Il  mourut 
plus   que  septuagénaire,  et  fut  inhumé  dans  la 
hhapelle  de  Merton,  où  on  lui  dressa  un  mau- 
lolée  magnifique.  Les  savants  de  son  temps  lui 
hnt  donné  les  plus  grands  éloges.  Nous  citerons 
ie  lui  :  Rerum  anglicarum  scriptores  post 
lerfam    prxcipui  ;    Londres,     1596,   in-fol.; 
Yancfort,  1601,  in-fol.;  on  y  trouve  les  chroni- 
;  nos  de  Guillaume  de  Malmesbury,  de  Henri  de 
r  iluntingdon,  d'Ethelwerd,  d'ingulf ,  et  de  Roger  de 
idoveden;  —  View  oj  certain  military  mat- 
yprs;  Londres,  1598,   in-fol.  :  ce  commentaire 
e  la  tactique  des  Romains  a  été  traduit  en  latin 
arMarquard  Freher  (  Heidelberg,  1601,  in-8°), 
ta  la  suite  des  Notes  de  Gruter;  Amst.,  1649, 
i-l2;  —   Prselectiones  XII l  in  principium 
ïlementorum  Euclidis;  Oxford,  1621,  in-4°; 
-  Oralio  coram  reg.   Elizabetha,   Oxonix 
abita,ann.  1592;  ibid.,  1658,  in-4°.  Savile  a 
,rad.  en  anglais  les  Histoires  de  Tacite  (Londres, 
£581,  1598,  1612,  in-fol.),  et  il  a  publié  le  traité 
)e  causa  Dei  contra  Pelagium  (1618,  in-fol.) 
o  Th.    Bradwardin,  ainsi  que  les  Œtivres  de 
aint  Jean   Chrysostôme   (Eton,    1613,  8  voi. 
î-fol.)  :  cette  magnifique  édition,  qui  est  toute 
.recque,  lui  coûta,  dit-on,  8,000  liv.  st.  (plus  de 
,00,000   h-.  ).  «  Bien  qu'elle  soit  exempte  des 
:,autes  grossières  qui  sont  dans  les  éditions  de 
érone  et  de  Heidelberg.  elle  n'est  pas  si  exacte 
ne  quelques-uns  le  prétendent;  elle  peut  être 
j  edressée  en  plusieurs  endroits  sur  les  éditions 
t  je  Paris  et  de  Commelin.  » 

,  i  Wood,  Athenx  oxon.  —  Fuller,   irorthics   —  Chal- 
iers,  Ceneral  biogr.  dict. 

savile  (  George  ),  marquis  de  Halifax, 
{  icrivain  politique  et  homme  d'État,  de  la  famille 
*:  u  précédent,  né  en  1630,  mort  à  Londres,  ie 


SAVILE  40:* 

20  avril  1695.  Héritier  du  titre  de  baronet  à  la 
mort  de  son  père,  il  prit  une  part  active  aux 
événements  qui  amenèrent  la  restauration  des 
Stuarts,  fut  créé  pair  en  1068,  sous  le  titre  de 
vicomte  de  Halifax  ,  et  entra  en  1672  au  conseil 
privé.  Dès  cette  époque  il  s'était  placé  à  la  tête 
des  trimmers  (  balanceurs  ),  c'est  à-dire  de  ce 
parti  qui  cherchait  à  modérer  les  emportements 
des  torys  et  des  whigs.  Il  parla  avec  force  dans 
la  chambre hautecontre le  bill  de  non-résistance, 
qui  excluait  des  fonctions  publiques  tout  oppo- 
sant au  pouvoir  royal,  et  contre  le  bill  dit  de  to- 
lérance, et  qui  n'en  avait  que  le  nom.  Un  mo- 
ment exclu  du  conseil  privé,  il  y  rentra  en  1 679,  et 
eut  entre  les  mains,  ainsi  que  Temple  et  lord  Sun- 
derland,  la  direction  des  affaires.  Une  fois  reve- 
nu à  la  cour,  le  charme  de  ses  manières  et  sa  con- 
versation ne  tardèrent  pas  à  faire  de  lui  un  favori. 
D'un  autre  côté,  sérieusement  alarmé  du  mécon- 
tentement public,  il  pensa  que  pour  le  moment  la 
liberté  était  sauve  et  qu'il  n'y  avait  de  danger 
que  pour  l'autorité  légitime.  Selon  son  habitude , 
il  se  jeta  du  côté  le  plus  faible.  C'est  ainsi  qu'il 
combattit  le  bill  d'exclusion,  dont  le  but  était 
d'enlever  au  duc  d'York,  comme  catholique,  ses 
droits  éventuels  au  trône;  c'est  ainsi  qu'il  ne 
craignit  pas  de  proclamer  l'innocence  du  mal- 
heureux Stafford,et  qu'il  luttait  à  la  cour  contre 
l'influence  du  duc  d'York.  Créé  marquis  de  Ha- 
lifax (avril  1682)  et  bientôt  après  lord  du  sceau 
privé,  ces  nouvelles  dignités  ne  le  firent  pas  re- 
noncer à  son  rôle  de  modérateur  ;  et  à  peine  ie 
torysme,  par  son  aide,  était-il  prépondérant, 
que  lui-même  redevenait  whig  par  crainte  des 
excès  auxquels  se  portaient  déjà  les  torys.  En 
1682,  il  s'opposa  à  l'alliance  française,  prit  la 
défense  de  Russell ,  lors  du  complot  du  Rye- 
House,  et  ne  craignitpas,  lorsqu'il  futquestionde 
priver  de  sa  charte  la  province  insoumise  du 
Massachusetts,  de  prononcer  ces  paroles  :  «  Quel 
prix  pourrait-on  attacher  à  la  vie  dans  un  pays 
où  la  liberté  et  la  propriété  seraient  à  la  merci 
d'un  maître  absolu?»  Appuyé  par  Francis  North, 
il  avait  pour  adversaire,  outre  le  duc  d'York,  le 
comte  de  Rochester,  le  plus  intolérant  des  torys. 
Forcé  de  se  défendre  contre  lui,  il  l'accusa  de 
malversation ,  et  une  enquête  découvrit  un  déficit 
de  40,000  liv.  ste.rl.  Rochester  quitta  la  tréso- 
rerie, mais  il  fut  promu  lord  président;  ce  qui  fit 
dire  à  Halifax  :  «  J'ai  vu  bien  des  gens  à  qui 
on  faisait  descendre  les  degrés  à  coups  de  pied; 
mais  Rochester  est  le  premier  que  j'aie  vu  les 
monter  de  la  même  manière.  »  Sous  Jacques  II, 
Halifax  ne  fut  pas  renvoyé;  mais  on  chercha  à 
l'humilier  en  lui  enlevant  le  sceau  privé  pour  le 
donner  à  Clarendon,  frère,  de  Rochester,  et  en 
le  nommant  lord  président ,  poste  sans  in- 
fluence. Ayant  refusé  de  promettre  au  roi  soc 
vote  en  faveur  du  rappel  projeté  des  actes  du 
lest  et  de  Vhabeas  corpus,  il  fut  rayé  du  livre 
du  conseil  (21  octobre  1685).  Rentré  dans  l'op- 
position, il  lutta  contre  l'influence  de  Rome  et  de 


403 


SAVII/E  —  SAVOIE 


404 


la  France,  et  contre  les  empiétements  du  pou- 
voir royal.  Placé  à  la  tête  du  parti  whig,  son  op- 
position fut  strictement  légale,  et  il  refusa  de 
rien  savoir  du  projet  d'invasion  de  Guillaume 
d'Orange,  bien  qu'il  assistât  souvent  aux  confé- 
rences tenues  chez  un  agent  du  prince.  Lorsque 
Guillaume  eut  débarqué  à  Torbay  (5  nov.  1688), 
Halifax,  plein  de  déférence  et  de  sympathie  pour 
le  roi  menacé,  lui  conseilla  trois  concessions  : 
destituer  tous  les  catholiques,  rompre  avec  la 
France,  accorder  une  amnistie  générale.  U  fat  un. 
des  trois  commissaires  que  désigna  Jacques  pour 
traiter  avec  Guillaume  à  Hungerford,  et  proposa 
que  les  points  en  discussion  fussent  soumis  au 
Parlement,  et  que  lés  troupes  hollandaises  res- 
tassent à  cinquante  milles  de  Londres.  La  fuite- 
du  roi  mit  fin  à  sa  mission.  Placé  à  la  tête  du 
gouvernement  provisoire,  il  présida  à  Windsor 
la  réunion  des  pairs  qui  se  prononça  (17  déc.  ) 
pour  l'éloignement  de- Jacques  II  de  la  capitale  et 
sa  relégation  à  Ham,  et  qui  avec  Shrewsbury  et 
Delamere,  fut  choisie  par  Guillaume,  avec  ironie 
peut-être,  pour  annoncer  au  roi  cette  décision. 
Président  de  la  chambre  des  lords  quand  elle 
vota  l'adresse  qui  priait  Guillaume  de  se  charger 
de  l'administration  (  24  déc.  ),  il  joua  le  plus, 
grand  rôle  daiîs  l'établissement  de  la  nouvelle 
dynastie  :  il  se  prononça  énergiquement  contre 
une  régence  et  contre  un  partage  de  la  couronne 
entre  Guillaume  et  la;  princesse  Marie*  Sous  le 
nouveau  règne,  Halifax  reprit  le  sceau  privé. 
Mais  déjà  la  vivacité  de  son  esprit  s'accordait 
mal  avec  le  flegme  de  Guillaume,  et  d'anciennes 
inimitiés  reparaissaient  entre  lui  et  Danby,  de- 
venu président  du  conseil.  Bientôt  la  retraite 
volontaire  etégoïste  de  celui-ci  le  laissa  aux  prises 
avec  tontes  les  difficultés  de  la  situation.  Le  peu 
de  succès  de  l'expédition  d'Irlande  souleva-  les 
chambres  contre  lui;  Guillaume  autorisa,  contre 
lui,  l'inspection  des  minutes. du  conseil  privé  : 
il  sortit  pur  de  cette  enquête  (juin-août  1689). 
Cette  animosité,  jointe  à  la  mort  de  ses  deux 
plus  jeunes  fils,  l'avait  profondément  découragé: 
il  résigna,  ses  fonctions  de  lord  président,  et 
rendit  le  sceauprivé.  Ses  adversaires  triomphants 
lui  firent  de  nouveau  son  procès,  relativement 
à  la  mort  de  Russell;  mais  l'intègre  Tillofson 
vint  déposer  en  sa  faveur,  et  il  fut  complètement 
absous.  Retiré  dans  sa  résidence  de  Rufford,  il 
continua  jusqu'à  sa  mort  à  faire  parte  de  l'oppo- 
sition. Sa  descendance  mâle  s'éteignit  bientôt; 
mais  tout  son  esprit  reparut  dans  le  célèbre 
Philippe  Stanhope ,  comte  de  Chesterfield ,  son 
petit-fils.  Henri  Carey,  l'auteur  dramatique,  était 
son  fils  naturel ,  et  de  lui  descendait  l'illustre 
acteur  Edmond  Kcan. 

Son  portrait,  qu'on  trouve  dans  Burnet ,  a  été 
ainsi  tracé  par  Macauiay  :  «■  Halifax  était  sans 
contredit ,  par  le  génie,  le  premier  des  hommes 
d'État  anglais  de  son  temps.  Son  intelligence 
était  fertile,  délicate,  étendue;  son  éloquence 
brillante  et  passionnée,  sa  voix  claire  et  harmo- 


nieuse, faisaient  les  délices  de  la  chambre  des 
lords;  sa  conversation  abondait  en  pensées,  en 
images ,  en  traits  d'esprit.  Le  mérite  littéraire 
de  ses  pamphlets  politiques  suffisait  seul  pour 
les  faire  lire,  et  le  place  parmi  les  classiques  de 
l'Angleterre...  Par  caractère  il  était  conserva- 
teur, mais  ses  théories-  étaient  républicaines,  >* 
Ses  principaux  ouvrages  en  politique  sont  r 
Character  of  a  trimmer,  Anatomy  of  an 
équivalent,  Letters  k>  a  dissenler,  Misceila- 
nies  ,  et  Maxinxs  of  State.  Il  avait  laissé  de» 
Mémoires  inédite  ,  qui  furent  détruits  par  ses 
descendants,  parce  qu'il  étaient  défavorables  au 
parti  catholique.  Eug.  Asse. 

English  Cyclop  (biogr.  ).  —  Macauiay,  Hitt.  d'jwjlet, 

savoie.  Nous  donnons  ici  la-  liste  des  pre- 
miers princes  de  la  maison  de  Savoie,  dont  les 
notices  particulières  n'ont  pas  trouvé  place  au 
prénom  qui  les  distingue. 

Humbert  I«r,  aux  blayiches  mains ,  mort 
vers  1048.  Son  père,  Ëerihold,  fut  comte  d« 
Maurienne  dès  l'an  1000,  puis  comte  de  Gene- 
vois. Plusieurs  documents  établissent  que  ce 
Berthold  était  petit- fils  de  l'empereur  Otbon  ffî 
et  qu'il  descendait  de  l'illustre  maison  de  Saxe. 
ce  qui  est  confirmé  par  d'autres  actes  et  par  une 
tradition  constante.  Ayant  succédé,  vers  1020, 
aux  États  de  son  père ,  Humbert  obtint  encore 
la  Savoie  de  son  suzerain  Rodolphe  M,  roi  d( 
Bourgogne;  Lorsque  les  États  de  Rodolphe  pas 
sèrent  à  l'empereur  Conrad  le  Salique,  il  prêta 
ce  prince  un  secours  actif  pour  combattre.  Eude: 
de  Champagne^  qui  élevait  des  prétentions  su 
la  Bourgogne.  Récompensé  par  Le  don  de  Saint 
Maurice,  du  Chablais  et  du  Valais,  il  acconii 
pagna  en  1032  Conrad  à  Rome.  Aussi  brave  qu 
sage  et  habile,  il  fut  plus  tard  promu  au  vies 
riait  sur  le  royaume  d'Arles.  Il  fut  un  zélé  pro 
tecteur  de  l'Église,  à  laquelle  il  fit  de  nombreuse- 
donations.  U  épousa  Hanchille  ou  Ancihe,  don 
on  ne  connaît  pas  la  famille. 

Ame  ou  Amédée  l9r,  fils  du  précédent,  lui  sm 
céda  en  1048,  et  mourut  vers  1078,  laissant  so 
petit  État  à  Humbert  II,  son  petit  neveu.  Onn 
connaît  de  lui  avec  certitude  que  deux  donafioe 
qu'il  fit  en  1030  au  prieuré  du  Boiirget.  Il  fi 
surnommé  la  Queue,  sobriquet  étrange,  dont 
raison  n'est  pas  connue 

©don  (marquis),  frère  du  p recèdent,. rafij 
avant  1060.  Il  possédait  des  domaines  sur  \i 
frontières ,  d'où  lui  vint  le  titre  bénéficiaire  I 
marquis,  et  y  réunit  l'héritage  de  sa  femme,Aki 
ou  Adélaïde,  fille  unique  du  dernier  marqtt 
de  Suze.  11  devint  ainsi  maître  des  vallées  eon 
prises  entre  la  Doire  Baltée  et  le  Pesio ,  et  d'ut 
grande  partie  de  l'ancien  marquisat  d'Iv# 
Quant  au  comté  de  Maurienne,  c'est  à  tort  q.a'( 
lui  en  a  attribué  la  possession,  ainsi  qu'il  | 
suite  de  nombreux  actes  de  donations  fait 
aux  églises  ou  abbayes  d'Oulx  ,  de  Novalèse, 
Suze,  de  Turin  ,  etc.  C'est  de  lui  que  desce 
,   dent  les  comtes,  ducs  et  rois  de  la  maison  * 


JJ)ie.  Ses  enfants  connus  sont  le  marquis 
p  Tt(i), "le  comte  Amédêe  II,  Berthe,  mariée 
il  inpereur  Henri  IV,  et  Odon,  évêque  d'Asti, 
n    en  1103. 

iiiédék  M,  fils  du  précédent,  mort  vers  1075, 
xi  a  le  titre  de  comte,  mais  sans  posséder, 
»me  on  l'a  prétendu,  ni  la  Maurienne,  ni  la 
■  lie.  Il  reçut  de  l'empereur  Henri  IV  l'inves- 
S^e  du  Bugey,  lorsque  celui-ci  traversa,  en 
I ,  le  mont  Saint-Bernard  pour  obtenir  de 
}  oire  VII  le  retrait  de  l'aoathème  lancé  contre 
De  Jeanne,  fille  de  Géraud,  comte  de  Ge- 
,  il  eut  Humbert  II,  Constance,  marquise 
fontferrat ,  et  Lucrèce,  comtesse  de  Milan. 
|imbert  II,  le  Renforcé,  fils  du  précédent, 
le  14  novembre  1103,  àMoutiers.  Il  suc- 
vers  1078  à  Amédée  1er,  son  grand-oncle, 
I  ignit  le  comté  de  Maurienne  et  les   autres 
|  des  aînés  (Chablais,  Valais,  Bugey  )  à  ceux 
I  arquis  Odon  ainsi  qu'aux  États  italiens  de 
lïeule  Adélaïde,  héritière  du  marquisat  de 
morte  en  1091.  11  avait  en  1082   soumis 
Jirentaise  en  forçant  le  seigneur  de  Brian- 
i  l'évacuer.   Ces  agrandissements  sticces- 
|i  rent  de  lui  un  des  plus  grands  feudataires 
Empire.   Il  ne   portait  d'autres  titres  que 
de  comte   de   Maurienne  el  de  mar- 
en  Italie.  Il  prit  la  croix  en  10% ,  et 
ur  le  point  île  suivre  le  frère  du  roi  Phi- 
•Auguste  en   Palestine;  mais  il  n'exécuta 
e  dessein ,   et  ce  qui  !e  prouve ,  c'est  la 
e  qu'il  donna  en  1097  à  Ienne  en  Thuringe. 
iisle  ou  Gisèle  de  Bourgogne  il  laissa  de 

3"  ireux  enfants,  notamment  Amédée  III,  son 
:'sseur  ;  Guillaume ,  évêque  de  Liège ,  et 
|,  mariée  à  Louis  VI,  roi  de  France,  puis  à 
«lieu  de  Montmorenci.  Sa  veuve  épousa  en 
ij'ides  noces  Guillaume  III,  marquis  de  Mont- 

r  . 

JjtEDEE  111,  premier  comte  de  Savoie,  né  vers 

!'  ,  moitié  1er  avril  1149,  à  Nicosie  (Chypre). 
lit  encore  mineur  lorsqu'il  succéda,  en  1103, 
.nëert  II,  son  père.  Après  avoir  accompagné, 
IM,  Henri  V  à  Rome,  il  vit  ses  États  érigés  en 

Bédé  l'Empire,  et  prit  alors  le  titre  de  comte  j 
.  ivoie.  Cette  condition  de  vassalité  ne  l'em- 
tji  point  plus  tard  de  profiter  d'une  vacance 
It-Smpire  pour  envahir  le  Chablais  et  la  vallée 
U\  et  en  chasser  le  lieutenant-  impérial  qui 
li'uvernait.  Son  mariage  avec  Mathilde  d'AI- 
N'esta  longtemps  stérile  ;  en  vain  pour  obtenir 
pjnfants  fatiguait-il  le  ciel  de  ses  prières  et  fon- 
1*1  des  monastères.  Alix,  sa  sœur,  excita  le  roi 
Wi  VI,  son  époux,  à  s'emparer  par  avance 
p  succession  qui  ne  pouvait  manquer  de  lui 
Pj'ir;  la  guerre  éclata,  et  les  Français  occu- 
pt  déjà  plusieurs  places  fortes  lorsqu'un  fils 
i't  au  comte  (1136).  Le  roi  de  France  étant 

flJne  de  ses  filles,  Alix,  épousa  Boniface  de  Saluées. 
R:ffet  de  ce  mariage,  les  fiefs  qu'elle  avait  apportés    ' 
l.-  placèrent  les  seigneurs  de  Saluées  dans  la  dépen- 
Ifl  féodale  de  la  maison  de  Savoie. 


SAVOIE  40G 

mort  peu  après,  le  comte  chassa  les  envahis- 
seurs, et  il  aurait  tiré  d'eux  de  sanglantes  repré- 
sailles sans  l'intervention  de  Pierre  le  Vénérable, 
son  ami  particulier,  qui  écrivit  pour  négocier  la 
paix  (1137).  Après  avoir  soutenu  différentes 
guerres  avec  son  voisin  Guigues  IV,  dauphin 
de  Viennois,  Amédée,  entraîné  par  l'éloquent 
appel  de  saint  Bernard,  prit  la  croix,  et  se  ren- 
dit en  Palestine  en  compagnie  de  Louis  VII 
(1147);  aussi  brave  soldat  que  mauvais  capi- 
taine,  il  attira  par  son  imprudence  un  tel  dé- 
sastre sur  l'armée  chrétienne  que,  sans  sa 
proche  parenté  avec  le  roi  de  France ,  on  l'eût 
condamné  au  gibet.  Si  le  récit  d'Odon  de  Deuil 
est  vrai,  on  peut  attribuer  à  cet  événement  le 
retour  précipité  du  comte;  il  mourut  de  la  peste, 
en  Chypre.  De  Mahaut  d'Albon,  sa  femme,  i-1  eut 
Humbert  II f,  son  successeur,  Mathilde,  qui 
épousa  Alfonse  Ier,  roi  de  Portugal,  etc. 

Humbert  III  le  Saint,  comte  de  Savoie,  né 
le  1er  août  1136,  au  château  de  Veillane  (Pié- 
mont), mort  le  4  mars  1188,  à  Chambéry.  Élevé 
par  saint  Amédée,  évêque  de  Lausanne,il  revêtit 
de  bonne  heure  l'habit  des  moines  de  Cîteaux,  et 
ne  ceignit  l'épée  qu'avec  répugnance,  à  la  mort  de 
son  père  (1149).  Malgré  ses  goûts  pacifiques,  il 
fut  contraint  à  la  guerre,  et  il  y  donna  des  preu- 
ves de  valeur.  En  1153  il  attaqua  le  dauphin  de 
Viennois,  Guigues  VII,  et  le  battit  devant  Mont- 
mélian.  Après  avoir  embrassé  à  contre-cœur  le 
parti  de  Frédéric  Barberousse,  il  s'en  détacha 
pour  se  rallier  à  celui  du  pape  Alexandre  III. 
L'empereur  le  punit  en  accordant  aux  évèques  de 
Turin,  de  Maurienne  et  de  Tarentaise  la  plus 
grande  partie  de  leurs  diocèses  en  fiefs,  et  en 
H74  il  brûla  Suze  avec  ses  archives;  son  succes- 
seur, Henri  VI,  ravagea  de  nouveau  le  Piémont 
en  1187,  et  ru>r-a -l^c'iâteau  de  Veillane.  Ce  der- 
nier malheur  accéléra,  dit-on,  la  fin  du  comte 
Humbert,  qui  mourut  l'année  suivante,  laissant 
de  ses  quatre  femmes  plusieurs  filles  et  un  seul 
lils ,  Thomas ,  qui  lui  succéda.  L'attachement 
d'Humbert  pour  Cîteaux  l'a  fait  placer  parmi  les 
saints  de  cet  ordre. 

Thomas  ,  comte  de  Savoie ,  né  le  20  mars 
1177,  à  Charbonnières  (Savoie),  mort  le  20  jan- 
vier 1233,  à  Aoste.  En  succédant  à  son  père ,  il  eut 
pour  tuteur  Boniface,  marquis  de  Moût  ferrât  ; 
ce  fut  à  lui  qu'il  fut  redevable  de  son  rétablisse- 
ment dans  les  bonnes  grâces  de  l'empereur  Fré- 
déric I!,  qui  lui  accorda  en  1207  l'investiture  de 
ses  États  sans  en  excepter  le  Chablais  ni  la  vallée 
d'Asti.  Son  règne,  long  et  orageux,  troublé  par 
des  guerres  et  des  révoltes  presque  continuelles, 
fut  pourtant  l'un  des  plus  propicesà  la  grandeur  de 
la  maison  de  Savoie.  Outre  plusieurs  seigneuries 
dans  le  pays  de  Vaud,  le  Bugey  et  le  Valais,  il 
acquit  la  ville  de  Chambéry  et  celle  de  Turin  ; 
il  se  mêla  d'une  façon  active  à  la  politique  ita- 
lienne en  s'alliant  aux  Génois  et  en  combattant 
contre  les  Milanais.  «  Il  semble  avoir  été,  dit  un 
historien,    l'initiateur  de    la  double  politique 


40: 


suivie  depuis  par  ses  descendants  jusqu'au  règne 
d'Henri  IV  :  cette  politique  se  composait  à  la  fois 
d'une  neutralité  armée  entre  les  empereurs 
d'Allemagne  et  les  rois  de  France,  et  d'une  ten- 
dance à  appuyer  le  parti  impérial  dans  toutes 
les  contestations  qui  survenaient  entre  l'Empire 
et  le  pontificat,  et  par  conséquent  entre  les  divers 
Élats  italiens.  »  Les  alliances  pour  ainsi  dire  per- 
manentes de  Thomas  avec  Frédéric  II  lui  valurent 
la  dignité ,  devenue  héréditaire  dans  sa  maison, 
de  vicaire  impérial  pour  les  pays  placés  entre 
les  Alpes  et  les  Apennins.  Il  n'oublia  pas  néan- 
moins de  faire  sa  cour  au  roi  de  France,  Philippe- 
Auguste,  et  l'aida  de  ses  armes  contre  les  Albi- 
geois et  les  Vaudois.  Sa  seconde  femme,  Mar- 
guerite de  Faucigny,  lui  donna  neuf  fils  et  cinq 
filles,  entre  autres  Amédée  IV,  Thomas,  comte 
de  Flandre,  Pierre  Ier  et  Philippe  Ier,  qui  lui 
succédèrent  ;  Boni  face,  archevêque  de  Canter- 
bury,  et  Béatrix  (1),  mariée  à  Raymond  Béren- 
ger  IV,  comte  de  Provence. 

Amédée  IV,  comte  de  Savoie,  né  en  1197,  à 
Montmélian,  où  il  est  mort,  le  24  juin  1253.  A 
part  la  soumission  définitive  de  Turin  et  la  con- 
quête du  Valais,  il  eut  un  règne  paisible  et  que 
la  protection  de  l'empereur  rendit  prospère  :il 
reçut  de  Frédéric  II,  en  1238,  l'érection  en  duché 
du  Chablais  et  de  la  vallée  d'Aoste,  ce  qui  ne 
l'empêcha  pas,  lui  et  ses  successeurs,  de  se  con- 
tenter encore  pendant  deux  siècles  du  modeste 
titre  de  comte.  Marié  deux  fois,  il  eut  un  fils, 
Boniface,  qui  lui  succéda,  et  cinq  filles. 

Bomface,  comte  de  Savoie,  né  le  1er  décembre 
1244,  à  Chambéry,mort  en  1263,  à  Turin.  Son 
caractère  aventureux  et  chevaleresque  lui  fit 
donner  le  surnom  de  Roland.  Fidèle  à  la  cause 
impériale,  H  se  prononça  pour  Mainfroi,  son 
beau-frère,  qui  disputait  à  Charles  d'Anjou  la 
possession  du  royaume  de  Sicile.  Il  attira  sur  le 
Piémont  les  armes  de  ce  prince,  qui,  entre  au- 
tres places,  s'empara  de  Turin  (1202).  Après 
avoir  battu  Charles  à  Rivoli ,  il  voulut  châtier 
la  cité  orgueilleuse  qui  saisissait  avec  ardeur 
chaque  occasion  de  regagner  son  indépendance  ; 
il  l'assiégea,  fut  pris  dans  une  sortie,  et  y  mourut 
d'une  blessure  qu'il  avait  reçue.  Il  n'avait  pas 
été  marié,  et  son  oncle  Pierre  hérita  de  ses  États, 
au  préjudice  de  ses  sœurs  et  de  la  descendance 
de  son  oncle  Thomas. 

Pierre,  comte  de  Savoie  {voy.  ce  nom). 

Philippe  Ier,  frère  de  Pierre,  comte  de  Savoie 
{voy.  ce  nom). 

Amédée  V,  le  Grand,  comte  de  Savoie,  né  le 
4  septembre  1249,  auBourget,  mort  le  10  octobre 
1323,  à  Avignon.  Petit-fils  du  comte  Thomas  et 
second  fils  de  Thomas,  comte  de  Flandre,  il  fut 
élevé  auprès  de  Philippe  Ier,  qui  le  prit  en  grande 
affection,  lui  donna  pour  femme  Sibylle  de  Baugé, 
héritière  d'une   moitié  de  la  Bresse,   et  remit 

(i)  Cetce  princesse  fut  mère  de  quatre  filles,  qui  épou- 
sèrent les  roi'  de  France,  d'Angleterre,  des  Romains  et 
de  Naples. 


SAVOIR  4( 

en  mourant  entre  ses  mains  l'administration  < 
la  Savoie  (1).  Le  règne  d'Amédée  fut  long 
glorieux ,  bien  que  sans  cesse  troublé  par 
guerre  avec  ses  voisins,  les  dauphins  de  Viei 
nois,  les  comtes  de  Genevois,  les  marquis» 
Montferrat  et  de  Saluées.  Suivant  la  coutume  i 
ses  aïeux,  il  demeura  étranger  aux  querell 
entre  les  villes  et  les  seigneurs  du  voisinag 
excepté  quand  il  était  pour  ainsi  dire  assuré  • 
tirer  de  son  intervention  quelque  avantage.  Ce 
ainsi  que,  docile  à  l'appel  des  villes  dlAsti 
d'Alexandrie,  il  déclara  la  guerre  à  Guillaume 
de  Montferrat  (1290),  et  le  laissa  périr  ignon 
nieusement  dans  la  cage  de  fer  où  les  Astesa 
l'avaient  enfermé;  puis,  se  tournant  contre  Tl) 
mas  de  Saluées,  il  le  contraignit  de  lui  rend 
hommage  pour  plusieurs  terres.  La  nécessité 
se  défendre  contre  un  ennemi  commun  rci 
procha  dans  la  suite  le  comte  et  les  deux  mal 
quis  :  l'ennemi,  c'était  la  maison  d'Anjou ,  pi 
tectrice  du  parti  guelfe.  Après  l'espèce  de  voya 
triomphal  que  fit  Robert,  roi  deNaples,  dans 
États  de  la  haute  Italie,  Amédée  n'eut  point 
peine  à  former  une  ligue  contre  ce  prince,  doi 
les  vexations  de  tous  genres  avaient  provoq 
des  inquiétudes  universelles.  Le  premier  s< 
des  alliés  fut  d'appeler  Henri  VII  à  leur 
(1310).  Si  la  présence  de  l'empereur  accrut  la  à 
corde  qui  déchirait  déjà  l'Italie  ,  elle  affaiblit 
maison  d'Anjou  en  lui  suscitant  des  ennei) 
nouveaux.  Quant  à  Amédée,  il  n'en  tira  gui 
que  de  vains  honneurs,  plus  propres  à  satisfa 
la  vanité  d'un  courtisan  que  l'ambition  d' 
prince;  il  reçut  aussi  la  seigneurie  d'Asti, 
Brescia,  de  Crémone,  de  Gênes;  mais  ces  vil 
turbulentes  lui  échappèrent  bientôt,  et  il  ne  ci 
serva  de  ces  conquêtes  passagères  que  celle  d 
vrée.  Ses  liens  de  parenté  avec  les  rois 
France  lui  permirent  de  prendre  une  part  act 
aux  affaires  de  ce  pays.  Dès  1299  il  avait  r 
gocié  le  double  mariage  qui  devait  unir  de 
princesses  françaises,  Marguerite  et  Isabelle, 
roi  d'Angleterre  Edouard  1er  et  à  son  fils.  C' 
à  lui  qu'en  1303  revint  tout  l'honneur  de 
paix  conclue  entre  les  deux  contrées  rival 
Après  avoir  conduit  des  troupes  à  Philippe 
Bel  dans  sa  guerre  contre  les  Flamands,  ilpaJ 
le  premier  d'accommodement  et  détermina 
vieux  comte  Gui  de  Dampierre  à  se  remet! 
entre  les  mains  du  roi  victorieux  qui  l'envoya 
la  confusion  du  médiateur,  en  prison  avec  i 
fils  (2).  En  1310  il  joua  un  rôle  influent  dans  I*«  | 


(1)  la  succession  de  Philippe  I"  aurait  dû  retourner  <  | 
branche  aînée  de  la  maison  de  Savoie  ;  branche  formée  ] 
Thomas,  comte  de  Flandre,  et  dont  le  chef  était  un  arrlé 
petii-fils,  nommé  Philippe,  alors  en  bas  âge.  Lorsque  p 
tard  celui-ci  fit  valoir  ses  droits,  il  obtict  d'Amédée 
grâce  à  la  médiation  du  roi  d'Angleterre,  la  principa 
du  Piémont,  sous  la  réserve  de  foi  et  hommage,  pour 
et  ses  descendants.  Ce  partage  des  États  de  Savoie  di 
Jusqu'en  1418,  époque  de  la  mort  de  Louis,  le  dern 
de  cette  branche. 

(2|  A  cette  époque,  c'est-à-dire  en  1305,  \médée  reces 
du  roi  dix   livres  tournois  par  jour  (  environ  100  fr.  ' 


19 


SAVOIE 


410 


lisition  de  Lyon ,  dont  le  siège  était  alors  oc- 
ipé  par  l'archevêque  Pierre  de  Savoie,  son  pa- 
nt.  Enfin,  en  131  G,  il  conseilla  à  Philippe  le  Long 
•  s'emparer  du  gouvernement  parle  droit  de  sa 
issance,  en  attendant  les  couches  de  la  reine 
(■menée,  veuve  de  Louis  X  (voy.  Jean  Ier,).  Ce 
nseilfut  suivi,  et  Philippe récompensale comte 
r  le  don  de  la  terre  de  Maulevrier,  en  Nor- 
mdie,  dont  la  maison  de  Savoie  a  joui  long- 
nps.  Il  s'était  rendu  à  Avignon  afin  d'amener 
pape  Jean  XXH  à  publier  une  croisade  en  fa- 
ur  de  son  gendre,  Andronic  II,  empereur  de 
nstantinople,  lorsque  la  mort  l'y  surprit,  à 
jjedesoixante-quatorzeans(l).  Marié  deux  fois, 
1272  à  Sibylle  de  Baugé,  et  en  1304  à  Marie 
Brabant,  il  eut  de  la  première  sept  enfants, 
rmi  lesquels  Edouard  et  Aimon,  qui  régnè- 
' ît  après  lui,  et  delà  seconde  quatre  filles. 
'  Édouakd,  comte  de  Savoie,  fils  du  précédent 
[~>y.  Edouard). 

\imon  le  Pacifique,   comte  de  Savoie,  frère 
>  précédent,  né  le  15  décembre  1294,  mort  le 

I  juin  1343,  à  Montmélian.  En  1329  il  succéda, 
vant  l'usage  du  pays,  à  son  frère  Edouard,. 

[  Igré  les  réclamations  de  la  fille  de  ce  der- 
r,  Jeanne,  duchesse  de  Bretagne.  La  guerre 
ata  aussitôt  avec  Guigues  VIII,  dauphin  de 
'mnois,  et  les  prétentions  des  deux  adversaires 
|ient  si  embrouillées,  que  le  roi  de  France  avait 
,  après  de  longs  efforts,  renoncer  à  les  accom- 
der.  Le  dauphin  ayant  été  tué    d'un  coup 
rbalète  pendant  le  siège  de  La  Ferrière  (1333), 
!non  accorda  la  paix  à  son  fils,  et  pour  cou- 
court  à  toute  querelle,  ils  s'avisèrent  enfin 
procéder  à  une  délimitation  exacte  de  leurs 
litières  limitrophes.  Au  moment  d'entrer  en 
te  avec  la  France,  Edouard  III  s'efforça  d'en- 
iner  la  Savoie  dans  son  alliance;  mais  Aimon, 
oique  proche  parent  du  prince  anglais,  se 
Bpprocha  de  Philippe  de  Valois,  dont  il  avait 
Pit  à  craindre,  et  lui  envoya  deux  fois  des 
Hopes  (1337,  1340).  Il  avait  épousé,  en  1330, 
j*  Mande  de  Montferrat,  à  la  condition  qu'au  de- 
nt d'héritiers  mâles  les   descendants  de  cette 
BJnçesse  seraient  aptes  à  posséder  le  Montferrat; 
■eut  d'elle  Amédée  VI,  qui  suit,  et  Blanche, 
fctnme  de  Galéas  Visconti. 
■Amédée  VI,  dit  le  Comte  Vert  (2),  fils  du 
Il  ^cèdent,  né  le  4  janvier  1334,  à  Chambéry, 
■P>rtle2  mars  1383,  près  San-Stefano  (Pouille). 
i[  minorité,  paisible  d'ailleurs,  fut  troublée  par 

II  réclamations  du  duc  d'Orléans,  Philippe,  à 
li  Jeanne  de  Savoie,  duchesse  de  Bretagne, 

K)0  livres  de  pension  viagère  à  là  charge  de  l'hommage 
;  ['.  (Ord.  du  25  mars  1305.) 

t  li  On  doit  mettre  au  rang  des  fables  l'expédition  en- 
■tprise  par  Amédée  dans  l'île  do  Rhodes  en  1315.  Telle 
■L  dit-on,  l'origine  de  la  croix  d'argent  et  de  la  devise 
:  [Savoie  :  F.  E.  R.  T.  Mais  on  voit  et  la  croix  et  la  de- 
u[i  sur  les  tombeaux  de  princes  plus  anciens  qu' Amédée. 
■]!)  Il  fut  ainsi  nommé  soit  à  cause  des  vêtements  qu'il 
priait  toujours  de  couleur  verte,  soit  depuis  un  tournoi 
Wlil  donna  en  1348.  à  Chambéry,  et  où  il  parut  revêtu 
■  'ne  armure  verte  et  suivi  d'un  éeuyer  en  livrée  verte. 


avait  légué  par  testament  ses  droits  sur  l'héri- 
tage de  son  neveu  ;  on  ne  put  apaiser  ce  rival 
menaçant  qu'en  lui  abandonnant  une  rente  de 
2,000  livres  et  la  propriété  de  deux  châteaux. 
Le  traité  de  transaction  est  en  date  de  février 
1346.  A  peine  hors  de  tutelle  (1347),  Amédée 
manifesta  son  humeur  batailleuse  en  envahis- 
sant le  Piémont,  qui  appartenait  alors  à  Jeanne  de 
Naples  ;  mais  Jeanne  était  alors  en  fuite,  et  sans 
autre  motif  que  leur  cupidité  et  l'occasion  favo- 
rable, les  seigneurs  voisins  du  Piémont,  ceux 
de  Milan,  de  Savoie,  de  Mo.itferrat  et  de  Sa- 
luées, se  jetèrent  à  l'envi  sur  cette  province 
comme  sur  une  proie  à  dévorer.  Avec  l'aide  de 
Jacques  de  Savoie,  prince  d'Achaïe,  son  cousin, 
le  jeune  comte  prit  rapidement  Chieri,  Chivasso, 
Mondovi,  Savigliano  et  Coni.  Ces  conquêtes  lui 
furent  bientôt  enlevées  par  Luchino  Visconti; 
pour  l'arrêter  dans  ses  progrès,  il  se  ligua  avec 
le  comte  de  Genevois  et  le  duc  de  Bourgogne, 
et  lui  livra  une  bataille  sanglante,  d'où  il  sortit 
vainqueur  (juillet  1347).  Deux  ans  plus  tard  le 
dernier  dauphin  de  Viennois,  Humbert  (  voy. 
ce  nom),  signait  la  cession  définitive  de  ses  États 
au  roi  de  France,  mais  en  ayant  soin  d'en  exclure 
le  Faucigny,  qu'il  déclara  appartenir  exclusive- 
ment à  la  maison  de  Savoie.  Malgré  cette  pré- 
caution, le  nouveau  dauphin,  Charles  de  Fiance 
(depuis  Charles  V),  excité  par  la  haine  de  ses 
sujets ,  n'en  prétendit  pas  moins  à  la  posses- 
sion de  cette  seigneurie.  La  guerre  éclata 
(1353),  et  grâce  à  sa  bravoure  et  à  sa  diligence, 
Amédée  y  fut  heureux,  surtout  dans  le  combat 
d'Abres  (1354),  où  les  Genevois,  alliés  des 
Dauphinois,  essuyèrent  un  échec  si  complet  qu'il 
ne  resta  personne  de  leur  côté,  dit  Guichenon, 
pour  en  porter  la  nouvelle.  Le  roi  Jean,  qui  ne 
se  souciait  point  de  pousser  Amédée  dans  une 
alliance  avec  l'Anglais,  se  porta  pour  médiateur 
entre  son  fils  et  lui,  et  leur  fit  signer,  le  5  jan- 
vier 1355,  un  traité  par  lequel  le  comte  de  Sa- 
voie acquérait  les  terres  de  Faucigny  et  de  Gex 
et  acceptait  le  cours  du  Guier  pour  limite  de  ses 
États.  Cette  paix,  cimentée  au  mois  d'août  sui- 
vant par  le  mariage  d'Amédée  VI  avec  Bonne  de 
Bourbon  (1),  l'attacha  aux  intérêts  de  la  France, 
qu'il  servit  utilement  contre  les  Anglais.  Le  prince 
d'Achaïe  gouvernait  une  partie  du  Piémont  :  c'é- 
tait un  prince  brutal,  avide  et  cruel,  qui  jusque- 
là  était  demeuré  fidèle  au  chef  de  sa  maison .  En 
1358,  il  osa  lever  des  impôts  sur  les  marchan- 
dises qui  venaient  de  Savoie,  et  punit  de  mort 
les  officiers  envoyés  pour  demander  réparation 
de  cette  insulte.  Le  comte  Vert  tomba  à  l'im- 
proviste  sur  ce  parent  infidèle,  prit  Turin  et 
toutes  les  places  qu'il  tenait  de  lui  en  Piéinont, 
s'empara  même  de  sa  personne,  et  humilia  le 
marquis  de  Saluées,  Frédéric,  qui  avait  épousé 
la  querelle  de  Jacques.  Cependant,  aussi  modéré 
dans  ses  ressentiments  que  politique  dans  sa 

|l)  Elle  était  sœur  de  Jeanne,  femme  du  roi  Chartes  V, 
et  de  Blanche,  femme  du  roi  Pierre  de  Caslille. 


411 


SAVOIE 


conduite,  il  pardonna  à  tous  deux;  à  l'un  il  res-  i 
titua  ce  qu'il  avait  conquis  (1363),  à  l'autre,  qui 
s'était  remis  entre  ses  mains,  il  fit  grâce  de  la  ' 
vie  et  n'exigea  que  l'hommage  du  marquisat 
tout  entier  (1364).  Frédéric  attaqua  en  1365  son 
généreux  ennemi,  et  fut.  battu  par  le  prince  d'A- 
chaïe  (1).  Amédée  se  déclara  satisfait,  et  profita 
du  passage  de  l'empereur  Charles  IV  à  Cham- 
béry  pour  obtenir  de  lui  des  lettres  patentes  qui 
l'établissaient  son  vicaire  sur  un  grand  nombre 
de  villes  de  la  haute  Italie. 

A  la  sollicitation  du  pape  Urbain  V,  il  passa 
en  Grèce  (1366)  pour  porter  secours  à  l'empe- 
reur d'Orient,  Jean  Paléologue,  attaqué  vive- 
ment par  les  Turcs  et  par  les  Bulgares.  Non- 
seulement  il  reprit  Gallipoli  sur  les  premiers  et 
sur  les  seconds  Varna  et  d'autres  places,  mais 
il  parvint  à  rétablir  la  paix  entre  les  combat- 
tants (1367).  Depuis  il  devint  l'arbitre  des  diffé- 
rends qui  divisaient  les  États  italiens,  et  en  ter- 
mina plusieurs,  soit  par  sa  médiation,  soit  par  la 
force  des  armes.  L'insolence  et  la  perfidie  des 
Visconti  avaient  amassé  sur  eux  des  haines  vio- 
lentes, qui  aboutirent  en  1372  à  la  ligue  formée 
entre  le  pape  Grégoire  XI,  l'empereur  et  Jeanne 
de  Naples  :  Amédée  fut  choisi  pour  la  comman- 
der. On  arrêta  que  les  villes  conquises  sur  l'en- 
nemi seraient  rendues  à  leurs  anciens  maîlres, 
et  que  celles  qui  avaient  appartenu  à  l'Empire 
seraient  la  récompense  de  ses  services.  Il  fatigua 
tellement  les  Visconti  qu'au  bout  de  deux  cam- 
pagnes ils  se  déterminèrent  aux  plus  grands 
sacrifices  pour  conclure  la  paix,  qui  fut  signée 
en  1375  ;  mais  il  ne  put  empêcher  le  marquis  de 
Saluces  de  s'affranchir  de  toute  dépendance  en- 
vers lui  en  s'assuraut  un  puissant  protecteur 
dans  le  roi  de  France.  Dans  le  grand  schisme 
d'occident,  il  avait  pris  parti  pour  son  parent, 
le  pape  Clément  VII,  et  ce  fut  pour  céder  à  ses 
vœux  qu'il  entreprit  en  1382  de  venir  en  aide  à 
Louis  d'Anjou,  qui  aspirait  au  trône  de  Naples  ; 
Louis,  de  son  côté,  acheta  son  alliance  au  prix 
des  droits  de  sa  famille  à  la  souveraineté  du 
Piémont.  Amédée  se  mit  en  campagne  avec  sa 
vigueur  accoutumée,  et  remporta  quelques  avan- 
tages; atteint  de  la  peste  dans  les  environs  de 
Bitonto,  il  laissa  son  œuvre  inachevée,  et  périt 
à  l'âge  de  quarante-neuf  ans.  Il  fut  un  grand 
prince,  et  se  distingua  des  souverains  de  son 
temps  par  la  sagesse,  la  justice,  la  fermeté  et  la 
modération.  Il  recula  les  frontières  de  ses  États,  et 
sut  en  éloigner  la  guerre,  bien  qu'il  eût  souvent  eu 
les  armes  à  la  main.  De  son  mariage  avec  Bonne 
de  Bourbon ,  il  n'eut  qu'un  fils,  Amédée  VIL 
Amédée  VII,  dit  le  comte  Rouge  (2),  fils  et 

fi)  Ce  vassal  remuant  mourut  en  1366,  en  disposant  de 
ses  États  en  faveur  d'Amédée,  fils  de  sa  seconde  femme. 
Le  fils  aîné,  Philippe,  issu  d'un  premier  lit,  déclara  la 
guerre  à  son  frère;  surpris  àFossano  et  livré  au  Comte 
vert,  tuti  ur  du  Jeune  Amédée,  il  fut  étranglé  et  jeté 
dans  le  lac  d'Avigliano. 

(2)  !.a  couleur  de  ses  cheveux  lui  avait  fait  donner  ce 
surnom. 


successeur  du  précédent,  né  le  24  février  lî 
à  Veillane,  mort  le  ter  novembre  1391,  à 
paille.  Divers  faits  d'armes  l'avaient  rendu 
lèbre  :  en  1380,  il  avait  forcé  le  sire  de  Be 
jolais,  après  l'avoir  battu,  à  lui  rendre  nomma 
en  1382,  il  s'était  signalé  dans  la  bataille 
Bosebecque.  Les  démêlés  qu'il  eut  avec  les  1 
bulents  seigneurs  de  Saluces  et  de  Montfe 
tournèrent  à  son  avantage.  Il  réunit  en  138 
la  Savoie  les  villes  de  Barcelonnette,  de  Vi 
mille  et  de  Nice,  qui  se  donnèrent  à  lui  p 
échapper  aux  vexations  qui  résultaient  pour* 
de  la  lutte  entre  le  comte  de  Provence,  Loui 
d'Anjou,  et  le  roi  de  Naples.  De  Bonne  de  B*; 
qu'il  avait  épousée  en  1376,  il  laissa  un  fils,  A; 
dée  Vlll,  qui  suit,  et  deux  filles. 

Amédée  VIII ,  fils  du  précédent,  premier 
de  Savoie,  et  pape  sous  le  nom  de  Félix  V 
à  Chambéry,  le  4  septembre  1383,  mort  le  7 
vier  1451,  à  Genève.  La  régence  fut  confén 
sa  grand 'mère  Bonne  de  Bourbon  (1),  qui 
gnala  son  administration  par  la  réunion  du  co 
de  Genève  à  la  Savoie,  en  1395.  En  1401  Ami 
acquit  d'Eudes  de  Villars  le  comté  de  Genev 
dans  les  années  suivantes  il  augmenta  son 
fluenee  au  dehors  par  son  alliance  avec  Bern 
Fribourg,  par  l'hommage  du  marquis  de  Sain 
par  son  accord  avec  les  marquis  de  Montfe 
et  par  la  soumission  de  Verceil  et  de  Nova 
Il  s'appliqua  à  faire  régner  dans  ses  Étati 
tranquillité,  la  justice  et  la  prospérité.  «  I 
gouverna,  dit  Olivier  de  la  Marche,  si  sagen 
au  temps  des  divisions  de  la  France,  que  son  | 
était  le  plus  riche,  le  plus  sûr  et  le  plus  plai 
reux  de  ses  voisins.  »  Après  avoir  par  une 
marquable  ordonnance  abrégé  les  fonmes  d 
procédure,  il  assura  la  marche  régulière  è 
justice  et  de  l'administration  par  l'instita 
d'un  conseil  d'État  et  d'une  cour  d'appel  à  Gh 
béry,  et  par  une  meilleure  organisation  <J 
cour  des  comptes.  Son  amour  de  la  paix  l'an 
à  s'entremettre  activement  dans  les  dén? 
entre  la  maison  d'Orléans  et  celle  de  Bourgoi 
à  laquelle  il  était  allié  par  son  mariage 
Marie,  sœur  de  Jean  sans  Peur.  Dès  1405  i 
dans  ce  but  des  séjours  prolongés  en  Frano 
ce  fut  lui  qui  négocia  entre  les  partis  enm 
les  traités  de  Bicêtre  et  de  Bourges.  11  |S 
même  beaucoup  de  démarches  pour  l'extinï 
du  grand  schisme,  et  envoya  au  concile  de  C 
tance,  convoqué  à  cet  effet,  une  nombreuse 
bassade.  Il  eut  aussi  à  ce  sujet  plusieurs  p 
parlers  avec  l'empereur  Sigismond,  auqify 
avança  à  diverses  reprises  des  sommes  im)i 
tantes.  L'empereur,  reconnaissant,  le  créa 
par  un  acte  signé  à  Cbambéry,  le  19  février  1' 
Après  avoir  envoyé  des  troupes  à  Sigism 
pour  la  guerre  contre  les  Hussiles,  ainsi  q 
duc  de  Bourgogne,  qu'il  essaya  en  vain  de  ré 

(1)  Cette  princesse ,  une  des  femmes  les  plus  rei 
mandables  de  son  siècle  par  sa  sagesse  et  son  hab 
mourut  le  19  janvier  1W>2,  à  Mâcon. 


413 

cilier  avec  Charles  VII,  il  se  ligua  en  1426  avec 
Venise  et  Florence  contre  le  duc  de  Milan.  Dans 
l'intervalle  il  avait  réuni  à  ses  États  les  posses- 
sions de  la  branche  aînée  de  sa  maison,  dite  de 
Piémont  ou  d'Achaïc,  et  qui  s'était  éteinte  en 
1418.  Il  n'avait  pas  voulu  à  ce  propos  invoquer 
son  droit  de  succession  incontesté,  mais  il  avait 
autorisé  les  habitants  de  ces  contrées  à  élire 
i comme  souverain  qui  ils  voudraient;  la  douceur 
de  son  gouvernement  l'avait  fait  choisir  à  l'una- 
nimité. Lorsqu'on  14 32 le  marquis  de  Montfer- 
!  rat,  pressé  par  les  armes  de  Philippe  Visconti,  fut 
venu  implorer  la  médiation  d'Amédée,  celui-ci 
i  y  consentit  sous  la  condition  que  la  partie  du 
raontferrat  située  sur  la  gauche  du  Pô  devien- 
drait dépendante  de  la  Savoie.  Le  danger  passé, 
le  marquis  voulut  se  soustraire  à  cette  conven- 
tion ;  mais  son  fils  aîné,  se  trouvant  alors  à  Tu- 
rin (janvier  1435),fut  contraint  de  confirmer  le 
traité  de  ïhonon,  qui  devint  par  la  suite  le  titre 
au  moyen  duquel  les  ducs  de  Savoie  s'empa- 
rèrent de  la  plus  grande  partie  du  Montferrat. 

A  cette  époque  Amédée  prit  la  soudaine  réso- 
lution de  vivre  dans  la  solitude.  Plusieurs  mal- 
heurs l'avaient  frappé  vivement  :  la  peste  avait 
dépeuplé  ses  États  et  lui  avait  enlevé  son  épouse 
i  chérie;  un  gentilhomme  de  la  Bresse  avait  ourdi 
un  complot  contre  sa  vie.  Il  s'établit  à  Ripaille  (  1  ), 
i  sur  les  bords  du  lac  de  Genève,  dans  une  des 
nombreuses  maisons  religieuses  qu'il  avait  fon- 
dées; sa  société  était  composée  de  six  de  ses 
anciens  compagnons  d'armes,  qui  prirent  comme 
lui  l'habit  d'ermite,  et  constituèrent  avec  lui  le 
(nouvel  ordre  des  chevaliers  de  S. -Maurice.  Ils 
ne  firent  vœu  que  de  chasteté,  et  tout  en  se 
plaçant  sous  la  direction  des  ermites  augustins 
qui  habitaient  dans  le  voisinage,  ils  ne  s'astrei- 
gnirent à  aucune  règle  déterminée.  Habitant  une 
demeure  princière,  entourée  d'un  magnifique 
parc,  ils  assistaient  Amédée  dans  la  direction  du 
i  gouvernement  de  ses  États,  qu'il  avait  conservée 
après  avoir  nommé  son  filsXouis  lieutenant  gé- 
i  néral  du  duché.  Amédée,  qui  en  1435  contribua 
beaucoup  à  la  conclusion  du  traité  d'Arras ,  qui 
pacifia  la  France,  commença  dès  lors  à  porter 
|  ses  visées  vers  la  tiare  ;  sa  réputation  de  sagesse, 

3    bonnes    relations   avec  presque  tous   les 

I  princes  de  l'Europe,  et  ses  grandes  richesses  lui 
faisaient  espérer  qu'il  pourrait  profiter  des  dis- 
sidences croissantes  entre  le  concile  de  Bàle  et 
'  le  pape  Eugène  IV.  Lorsqu'en  1439  cette  assem- 
blée eut  déposé  Eugène,  il  fut  en  effet  élu  à  sa 
place  après  cinq  scrutins  (5  novembre).  On 
aurait  tort  d'expliquer  ce  choix  par  des  ma- 
nœuvres de  corruption ,  bien  que  parmi  les 
onze  évêques  qui  prirent  part  au  vote  sept  ap- 
partinssent à  la  Savoie.  Amédée  prit  le  nom 
de  Félix  V,  et  après  avoir  abdiqué  la  dignité 


0)  Il  est  de  pure  invention  qu'Amédée  ait  mené  dans 
oo  lieu  une  vie  de  bonne  c hère  et  de  volupté,  ce  qui  au- 
rait donné  lieu  à  la  locution  faire  ripaille;  ce  dernier 
mot  vient  de  ripuaille  pour  repuaille. 


SAVOIE  414 

ducale  (6  janvier  1440),  il  établit  sa  cour  pon- 
tifical* à  ïhonon.  Il  fut  reconnu  par  la  Savoie, 
la  Suisse,  le  duc  d'Autriche,  la  Bohême,  la  Hon- 
grie, la  Lithuanie,  et  l'ordre  teutonique  de 
Prusse.  L'Allemagne  presque  tout  entière  se 
déclara  neutre  entre  les  deux  papes;  la  France 
et  l'Italie  demeurèrent  avec  quelques  restrictions 
attachées  à  Eugène  IV;  cependant  Amédée  eut 
pour  lui  presque  toutes  les  universités,  celle  de 
Paris  en  tête.  Couronné  à  Bàle,  le  24  juin  1440, 
il  y  demeura  plus  de  trois  ans,  après  lesquels  il 
transporta  sa  cour  à  Lausanne.  Des  discussions 
pécuniaires  ne  tardèrent  pas  à  s'engager  entre 
lui  et  le  concile,  qui  ne  voulait  lui  .accorder 
qu'une  minime  partie  des  revenus  ecclésiastiques 
dont  il  disposait,  et  qui  lui  enleva  la  collation 
à  presque  tous  les  offices  ecclésiastiques.  Ces 
démêlés  dégénérèrent,  plusieurs  fois  en  scènes 
scandaleuses.  Après  avoir  en  vain  fait  plaider  sa 
cause  devant  différentes  diètes  de  l'Allemagne, 
il  s'aliéna  même  l'empereur  Frédéric  III ,  par 
suite  de  l'obstination  du  concile  à  refuser  l'év£- 
ché  de  Freisingen  au  frère  du  chancelier  impé- 
rial, le  tout  puissant  Schlick.  Le  roi  de  Naples 
et  le  duc  de  Milan  se  détachèrent  de  lui  lors- 
qu'ils eurent  arraché  à  Eugène  IV  les  concessions 
qu'ils  n'auraient  pas  obtenues  en  lui  demeurant 
fidèles  (1443).  En  revanche  des  mobiles ,  égale- 
ment intéressés,  décidèrent  les  électeurs  de 
Trêves  et  de  Cologne  à  se  rapprocher  d'Amédée, 
à  la  cause  duquel  ils  gagnèrent  l'électeur  de 
Saxe  et  le  palatin,  qui  épousa  Marguerite,  fille 
de  l'antipape.  Eugène,  qui  avait  acheté  pour 
210,000  ducats  sa  reconnaissance  par  l'empe- 
reur, déposa  par  une  bulle  les  électeurs  de  Trêves 
et  de  Cologne;  cette  mesure  impolitique  faillit 
entraîner  le  collège  entier  des  électeurs  dans  le 
parti  d'Amédée.  L'habile  intervention  d'Eneas 
Sylvius  changea  ces  dispositions  hostiles;  il 
.gagna  au  parti  d'Eugène  l'électeur  deMayence;  la 
majorité  fut  déplacée,  et  la  cause  d'Amédée  en- 
tièrement perdue.  .A  la  fin  de  1447  le  concile 
reçut  du  magistral  de  Bâle  Tordre>de  se  séparer; 
après  des  négociations  conduites  par  l'intermé- 
diaire des  princes  réunis  en  congrès  à  Bourges, 
et  notamment  du  roi  de  France,  Amédée  renonça, 
en  avril  1449,  au  pontificat  en  faveur  de  Nico- 
las V,  qui  avait  succédé  à  Eugène;  il  fut  en 
compensation  nommé  cardinal,  légat  perpétue! 
dans  la  haute  Italie,  et  reconnu  dans  sa  qualité 
d'évêque  de  Genève.  Il  vécut  encore  deux  ans 
dans  la  retraite.  Les  bulles  et  autres  actes  de 
son  pontificat  sont  conservés  en  huit  volumes 
manuscrits  dans  la  bibliothèque  de  Milan;  une 
partie  en  est  transcrite  dans  un  volume  in-fbl. 
qui  se  trouve  aux  archives  de  Genève. 

Guichenon ,  Hist  de  la  .Savoie.  —  Costa  de  Beaurr- 
gard,  Mêm.  hisl.  rie  la  maison  roy.  de  Savoie.  —  Art 
de  vérifier  les  dates.  —  Belgiojoso  (  Mme  de),  Hist.  de 
la  maison  de  Savoie.  —  Monod,  Amadseus  pacificus, 
Turin,  162V,  in-4°.  —  Raynaldi,  annales.  —  Mansi,  Con- 
cilia, t.  XXIX  et  suiv.  —  Patritius,  Summa  concilio- 
rwm.  — Chacone,  Fitos  pontifleum,  t.  11.  —  Wessenberg, 
Gssch.  der  Grossen  Kirclienversannnlungen  desfûnf- 


415 


SAVOIE  —  SA.VONAROLA 


4:( 


zcJmten  Jahrhunderts:  —  G.  Voigt,  Enea  Silvio  und 
sein  Zeitalter;  Berlin,  1856,  t.  I.  —  J.  de  Mùller,  His- 
toire de  la  Suisse.  —  Verdeil,  Ilist.  du  canton  de  Faud; 
Lausanne,  1855,3  vol.,  in-8°.  —  Archivio  storico  ita- 
liano;  Florence,  t.  XIII,  p.  250  et  suiv. 

savonarola  (Giovanni-Michele) ,  méde- 
cin italien,  né  à  Padoue,  en  i384,mort  à  Ferrare, 
en  1461  (1).  D'une  famille  illustre,  il  fut  reçu 
dans  l'ordre  de  Saint- Jean  de  Jérusalem;  mais 
il  préféra  la  science  aux  armes,  et  prit  le  grade 
de  docteur  en  médecine  dans  sa  ville  natale,  où 
il  devint  professeur.  Après  1436,  appelé  par  le 
marquis  Nicolas  III  à  Ferrare,  il  y  exerça  la  mé- 
decine et  y  occupa  une  chaire  à  l'université.  Ce 
fut  lui  qui  commença  l'éducation  de  son  neveu, 
le  célèbre  dominicain  (voy.  ci-après).  On  a  de 
lui  :  Practica  de  œgritudinibas,a  capite  us- 
que  ad  pedes;  Colli,  1479,  in-fol.  goth.,  très- 
rare;— Z)e  Balneis  omnibus  llalix  sicque 
totïus  orbis;  Ferrare,  1485,  in-fol.  goth.;  -- 
Practica  canonica  defebribus,  de  pulsibus, 
de  urinis,  etc.;  Venise,  1498,  in-fol.;  Lyon, 
1560,  in-8°;  —De  tutle  le  cosechese  manzano 
communamcntepi.il  che  comune,  ovvero  trat- 
tati  de  i  grani,  délie  erbe,  radici,  etc.;  Ve- 
nise, 1508,  1515,  in-4°,  goth.  —  De  aite  confi- 
eiendi  aquam  vitas  simplicem  et  compositam; 
La  Haye,  1532,  in-8°;  —  De  compositione  me- 
dicinarum;  Strasbourg,  1533,  in-4°.  Ces  ou- 
vrages, plusieurs  fois  réimprimés,  n'échappent 
pas  aux  idées  superstitieuses  de  l'époque,  et  sont 
remplis  des  subtilités  de  la  scolastique;  mais 
ils  marquent  l'état  de  la  science  au  quinzième 
siècle,  et  l'on  y  trouve  quelques  bons  préceptes, 
notamment  pour  bien  examiner  le  pouls ,  ainsi 
que  de  curieux  phénomènes  observés  par  Mi- 
chèle Savonarola  (2).  Il  a  laissé  d'autres  écrits, 
qui  n'ont  point  de  rapport  à  la  médecine  :  Mu- 
ratori  a  inséré  de  lui  De  magnifias  ornamentis 
Paduœ,  dans  le  t.  XX  des  Scriptores  rerum 
italicarum.  Tiraboschi  a  vu  du  même  auteur 
parmi  les  manuscrits  de  la  bibliothèque  d'Esté 
un  traité  De  vera  republica. 

Tiraboschi,  Sloria  délia  letter.  ital,  t.  VI,  lre  partie. 
—  Éloy,  Dict.  hist.  de  la  médecine.  —  Mogr.  méd. 

savonarola  ( Girolamo  -  Maria  -  Fran  - 
cesco-Matleo),  en  français  Sayonauole,  célèbre 
réformateur  italien,  né  à  Ferrare,  le  21  septembre 
1452,  d'une  famille  qui  existe  encore,  mort  à 
Florence,  le  23  mai  1498.  Il  était  petit-neveu  du 
précédent.  Son  père,  Niccolô,  paraît  avoir  vécu 
dans  une  position  aisée  et  indépendante.  Troi- 
sième de  cinq  garçons,  et  destiné  à  la  méde- 
cine, il  reçut  une  éducation  littéraire  distinguée; 
de  bonne  heure  il  faisait  des  vers  (3)  ;  il  aimait 

(1)  D'après  Pic  de  la  Mirandole. 

(S)  H  assure  que  les  enfants  qui  vinrent  au  monde,  pen- 
dant toute  une  génération,  après  la  pesle  de  1348,  n'eurent 
que  vingt-deux  ou  vingt-quatre  dents  au  lieu  de  trente- 
deux  ;  il  dit  aussi  avoir  entendu  chanter  un  homme  doué 
d'une  fort  belle  voix,  quoiqu'il  fût  né  avec  la  luette 
double,  etc. 

(3)  On  conserve  de  lui  dans  la  bibl.  Magliabechiana  à 
Florence  deux  belles  eu» zone  italiennes,  qu'il  composa  à 
vingt  ans,  avec  ces  titres  latins  :  De  ruina  mundi,  et 
De.  ruina  Eccteiise, 


la  solitude  et  la  prière  secrète,  et  il  dit  quelqu.' 
part  que  dès  sa  plus  tendre  jeunesse  il  avait  e> : 
plusieurs  signes  de  la  vérité  par  une  illumi  , 
nation  spirituelle.  Ayant  entendu,  à  Faenza,  ui 
prédicateur  augustin,  son  imagination  fut  frap 
pée.  Il  se  voua  à  la  vie  monastique,  par  amou 
de  la  liberté  et  du  repos.  Le  23  avril  1475,  i 
s'enfuit  de  la  maison  paternelle,  laissant  sur  si 
table  un  traité  Du  mépris  du  monde,  et  entr; 
chez  les  dominicains  de  Bologne.  D'abord  sirnpl 
frère  convers,  jardinier,  tailleur,  il  céda  au: 
ordres  de  ses  supérieurs,  fit  profession  en  147c  i 
et  depuis  ce  temps,  étudiant  tour  à  tour  1; 
philosophie    naturelle,  la  métaphysique   et  le  J 
Pères,  annotant  les  livres  sacrés,  il  se  destina  , 
l'enseignement,  et  fut  employé  à  confesser,  pui 
à  prêcher.  Après  quelque  séjour  dans  plusieur 
villes  de  Lombardie,  il  fut  envoyé  au  couvent  d 
Saint-Marc  à  Florence.  A  peine  arrivé,  il  eut  I 
charge  de  lecteur,  et  instruisit  les  novices  de  1 48  l 
à  1486.  Il   prêcha  le  carême  à  l'église  Saint 
Laurent  (1483),   puis  au  bourg  de  San- Gémi 
niano  (1484-1485)  ;  mais  sa  voix  était  rauque 
sa  tenue  gauche  et  roide;  sa  prédication,  sui 
vant  son  propre  aveu,  était  fatigante  et  fasti 
dieuse  ;  il  se  voua  uniquement  à  l'explicatioi 
des  Écritures.  Souffrant  des  malheureuses  divi 
sions  de  l'Italie,  déjà  mystique  et  patriote,  il  rc 
gardait  son  pays  comme  une  terre  consacrée 
la  corruption  des  mœurs,  l'incrédulité,  les  exa 
gérations  païennes  de  l'érudition  et  des  arts  lu 
semblaient  un  outrage  au  christianisme.  Bientô 
il  ne  put  résister  à  l'impulsion  qui  l'excitait 
remonter  en  chaire,  et  en  1486,  à  Brescia,  il  si 
mit  à  expliquer  l'Apocalypse.  Ce  fut  là  que  pou 
la  première  fois  il  annonça  que  de  la  France  de- 
vait venir  la  révolution  qui  frapperait  et  régéné 
rerait  l'Italie.  Après  avoir  prêché  à  B.ologne« 
Brescia,  Pavie,  Gênes,  il  fut  rappelé  par  ses  su 
périeurs  à  Florence  (1490),  et  reprit  ses  leçon-: 
aux  novices.  Sa  parole  éloquente,  mêlée  de  ci 
tations  bibliques,  attira  la  foule;  il  fut  obligé  d 
prêcher   dans  le  jardin  du  cloître,  à  l'abri  d> 
quelques  arbres,  et  comme  le  jardin  ne  sulfisai 
bientôt  plus  à  la  foule  des  auditeurs,  il  obtint  di 
donner  ses  cours  dans  l'église  de  Saint-Marc 
Pendant  toute  une  année,  il  annonça,  en  prenan 
l'explication  de  l'Apocalypse  pour  texte,  que  Diei 
châtierait  bientôt  (fiito  et  velociter)  l'Italie,  e 
qu'il  réformerait  l'Eglise.  En  1491,  il  prêcha  Ii 
carême  à  la  cathédrale,  et  son  succès  fut  encon 
plus  grand;  il  s'abandonnait  de  plus  en  plus  i 
l'inspiration  divine,  mais  il  n'osait  encore  parler 
de  ses  visions  que  sous  forme  de  paraboles 
Nommé  prieur  (1491),  il  ne  voulut  pas  aller  rendre 
hommage,  comme  ses  prédécesseurs,  a  Lauren 
de  Médicis,  résista  à  ses  avances  et  triompha  d< 
son  mécontentement;  appelé  à  son  lit  de  moi'l 
(1492),  il  s'éloigna  sans  avoir  reçu  sa  confession, 
parce  que  Laurent  s'était  refusé,  ainsi  qu'il  pré- 
tendait l'exiger  de  lui,  à  rendre  à  Florence  l'an- 
cienne liberté  républicaine. 


17 


SAVON  AROLA. 


418 


La  mort  de  Laurent  et  celle  d'Innocent  VIII, 
i'il  avait  annoncée,  lui  fournirent  l'occasion 
une  éloquence  plus  énergique  «  Peuple  italien, 
l 'as-tu  fait  P  disait-il  à  la  fin  de  son  sermon 
ir  l'arche  de  Noé.  La  mesure  de  l'iniquité  est 
imble;  prépare-foi  à  quelque  grand  fléau.  Le 
oment  est  venu.  Un  homme  va  venir  qui  en- 
liira  l'Italie  en  quelques  semaines,  sans  tirer 
pée.  Il  passera  les  monts  et  les  rochers,  et  les 
leresses  tomberont  devant  lui.  »  Pierre  deMé- 
îis  l'invita  à  cesser  ses  prédications,  s'il  ne 
niait  être  exilé;  Savonarole  alla  prêcher  le 
réme  à  Bologne  (1493)  ;  et  de  retour,  il  s'oc- 

Ipa  plus  que  jamais  de  la  réforme  des  mœurs; 
tait  au  clergé,  dont  il  attaquait  hardiment  les 

f:es,  de  donner  l'exemple;  il  commença  par  le 
jventde  Saint-Marc.  11  essaya  vainement  de 
nsftrer  les  frères,  loin  du  luxe  de  Florence, 
•  les  hauteurs  de  Carreggia;  mais  il  fit  vendre 
biens  delà  communauté  ;  il  soumit  les  moines 
travail  ;  il  établit  des  chaires  de  théologie  et 
5  école  de  langues  orientales  pour  les  préparer 
la  prédication  chez  les  peuples  infidèles;  il 
dut  surtout  que  la  vie  du  cloître  eût  pour  but 
nourde  Dieu  et  du  prochain.  Malgré  la  grande 
stérile  qu'il  avait  établie,  le  nombre  des  reli- 
ux  s'accrut  rapidement  dans  sa  communauté; 
sieurs  couvents  de  la  Toscane  s'y  réunirent 
acceptèrent  sa  règle,  et  il  en  fut  élu  en  1494 
vicaire  général.  Alexandre  VI,  plusieurs  fois 
aqué  par  lui ,  chercha  à  le  gagner,  et  lui  fit 
rir,  dit-on,  l'archevêché  de  Florence  et  le  cha- 
iu  de  cardinal;  Savonarole  refusa  en  disant  : 
e  ne  veux  d'autre  chapeau  que  celui  de  mar- 
,  rougi  de  mon  propre  sang.  » 
Dharles  VI II  allait  commencer  son  expédition 
[Italie  ;  les  temps  prédits  par  Savonarole  étaient 

tivés.  Ses  sermons  étaient  étranges  ;  il  trou- 
ât sans  cesse  dans  lÉcriture  des  rapproche- 
lits  avec  les  hommes  et  les  événements  de  son 
|ique;  il  se  laissait  de  plus  en  plus  emporter 
son  imagination  passionnée  et  déréglée,  par- 
it  de  salut  et  de  damnation,  mais  aussi  des  af- 
rés  politiques  de  Florence.  Le  peuple  était  ir- 
i  contre  Pierre  deMédicis,  qui  avait  vendu  Flo- 
ceà.beaux  deniers  comptants  à  Charles  VIII; 
suite  d'un  soulèvement  général,  les  Médicis 
ent  chassés.  On  envoya  une  ambassade  au  roi 
France  pour  apaiser  sa  colère;  Savonarole  en 
partie,  et  fut  ainsi  amené,  par  la  force  des 
Ë>ses,  à  implorer  la  clémence  du  prince  qu'il 
rionçait  comme  le  fléau  de  Dieu  ;  aussi,  mal  à 
Il  aise,  il  ne  fit  que  de  la  rhétorique  devant 
parles  VIII.  Un  traité  de  paix  fut  signé  à  des 
IPiditions  honorables  ;  les  Médicis  restèrent  ban- 
I  et  Florence  ne  fut  pas  pillée.  Ce  succès  enga- 
|i  Savonarole  dans  une  voie  périlleuse  :  ses 
ïnpatriotes  le  prirent  pour  un  homme  politique, 
Ile  chargèrent  de  leur  donner  une  constitution, 
■mme  les  théologiens  du  moyen  âge,  il  ne  com- 
Ipnait  qu'une  forme  de  gouvernement,  la  mo- 
l'chie,  et  ce  fut  à  regret  sans  doute  qu'il  se 

KOCV.   EÏOGU.    CÉNÉR.    —   T.    XMII. 


résigna  à  organiser  un  pouvoir  quasi  démocra- 
tique. La  Seigneurie  fut  conservée;  le  grand 
conseil  fut  composé  de  tous  les  citoyens  nobles, 
âgés  de  trente  ans  (3,200  personnes  sur  400,000). 
Le  tiers  des  3,200,  tiré  au  sort,  devait  former 
le  conseil  pour  six  mois,  nommer  les  magistrats, 
adopter  ou  rejeter  les  lois  proposées,  juger  les 
appels  des  jugements  de  la  Seigneurie  ;  un  conseil 
particulier  de  80  membres  devait  éclairer  et 
surveiller  les  seigneurs;  une  large  amnistie  était 
accordée  (23  déc.  1494).  Savonarole  fit  plus;  il 
s'avisa  de  faire  proclamer  Jésus  roi  de  Florence. 
«  Le  Christ  veut  régner  ici,  s'écriait-il;  qui  fait 
de  l'opposition  contre  ce  gouvernement  se  dé- 
clare contre  le  Christ.  »  Quiconque  manifestait  son 
mécontentement  était  frappé  d'une  amende  de 
50  ducats.  Bien  qu'il  prétendît  rester  à  l'écart 
des  affaires  publiques,  ce  fut  lui,  le  principal  au- 
teur de  la  réforme,  qui  la  soutint,  qui  chercha 
à  l'améliorer,  sans  autre  titre  que  celui  de  con- 
seille)' de  Florence,  sans  autre  droit  que  celui 
de  régner  sous  le  nom  d'un  monarque  irrespon- 
sable et  sacré.  Ce  n'était  pas  une  théocratie,  c'é- 
tait plutôt  la  domination  d'un  prêtre  substituée 
à  celle  du  clergé.  Aussi  le  clergé,  qui  ne  se  sen- 
tait pas  de  moitié  dans  le  triomphe,  en  était-ii 
profondément  jaloux. 

La  constitution  réformée,  Savonarole  s'appli- 
qua à  réformer  les  mœurs.  Florence,  la  ville  vo- 
luptueuse et  païenne,  qui  menait  «  une  vie  de 
pourceaux  »,  sembla  métamorphosée  ,•  les  hommes 
abandonnèrent  le  jeu  pour  la  prière,  les  masca- 
rades pour  les  processions  ;  les  femmes  renon- 
cèrent, à  leurs  parures,  aux  danses,  aux  joyeuses 
canzones,  pour  les  soins  de  la  famille  et  léchant 
des  psaumes  ;  le  jeûne  remplaça  les  banquets  li- 
cencieux; on  ne  voyait  plus  de  viande  les  jours 
prohibés,  et  il  fallut  réduire  la  taxe  que  payaient 
les  bouchers.  Virgile  et  Cicéron,  rendus  respon- 
sables de  la  dépravation  publique,  furent  aban- 
donnés pour  l'étude  des  Pères.  De  toutes  les 
réformes  de  fra  Hieronimo,  la  plus  bizarre  sans 
contredit  et  la  plus  extraordinaire,  ce  fut  la  ré- 
forme des  enfants,  enrégimentés  par  lui,  au 
nombre  de  quinze  mille,  dans  une  sorte  de  sainte 
milice,  préposée  à  la  garde  des  mœurs  publiques. 
Divisés  en  paciaires,  correcteurs,  aumôniers, 
inquisiteurs,  ils  maintenaient  l'ordre  dans  les 
rues,  appliquaient  les  punitions,  quêtaient  pour 
les  pauvres,  dénonçaient  les  scandales  privés  et 
enlevaient  des  maisons  les  cartes,  les  instruments 
de  musique  et  les  objets  de  toilette.  Partout  ils 
étaient  obéis.  «  C'était  une  véritable  tyrannie, 
fait  observer  M.  Perrens,  et  la  pire  de  toutes,  car 
les  tyrans  n'avaient  pas  l'âge  de  raison.  »  Le 
jeudi  gras,  Savonarole  fit  amonceler  par  eux,  au 
milieu  de  Florence,  une  vaste  pyramide  de  toutes 
les  vanités  mondaines,  parures,  tapis  aux  figures 
lascives,  jeux,  tableaux,  statues,  œuvres  de 
Boccace  et  de  Pétrarque  ;  puis  on  y  mit  le  feu  (1). 

(1)  Un  marchand  vénitien  offrit  20,000  écus  de  ces  objets 
de  prix  qui  en  valaient  peut-être  dix  fois  autant.  Dans 

14 


419  SAVONAROLA 

Mais  les  réformes  étaient  trop  radicales  pour  être 
franchement  acceptées  ;  la  ville  se  trouva  bientôt 
partagée  entre  les  blancs,  partisans  de  la  liberté, 
et  les  gris,  partisans  des  Médicis;  entre  les 
pleureurs  (piagnoni),  disciples  de  Savonarole, 
et  les  enragés  (arrabiati),  ses  adversaires  en 
général. 

La  Seigneurie  s'émut  de  cette  agitation,  et  fit 
comparaître  Savonarole  devant  une  assemblée 
de  théologiens.  De  son  côté,  Alexandre  VI,  irrité 
des  paroles  du  réformateur,  qui  n'avait  pas  épar- 
gné les  vices  du  clergé  et  de  son  chef,  excité 
d'ailleurs  par  Pierre  dé  Médicis  et  par  Ludovic 
le  More,  invita  Savonarole  à  se  rendre  à  Rome 
pour  se  justifier  (21  juillet  1495);  Savonarole 
demanda  un  délai ,  puis  refusa  d'obéir.  Le  pape 
ordonna  impérieusement,  le  8  septembre,  puis 
lui  ôta  le  droit  de  prêcher  (novembre),  en  me- 
naçant Florence  de  l'interdit  ;  Savonarole  se  re- 
tira alors  à  Saint-Marc,  et  se  fit  remplacer  par 
son  disciple  Buonvicini.  Cependant  la  Seigneurie, 
encore  favorable  au  réformateur,  obtint  pour  lui 
un  nouveau  sursis  ;  celui-ci  reparut  dans  la 
chaire,  et  prêcha,  en  1496,  son  fameux  carême  sur 
Amos  (1).  Les  Français  revenaient  alors  de  leur 
expédition  de  Naples;  les  Florentins,  indécis,  ef- 
frayés, après  avoir  mis  leur  ville  sous  la  protec- 
tion de  la  Vierge,  envoyèrent  Savonarole  au- 
devant  de  Charles  VIII  (juin  1495),  qu'il  effraya 
par  la  prédiction  de  quelque  grave  malheur. 
Attaqué  comme  prophète,  il  résistait  à  .toutes 
les  menaces  ;  les  jeûnes,  les  pratiques  religieuses 
redoublèrent.  «  Florence  a  pris  le  froc ,  disait 
Savonarole,  ce  peuple  s'est  fait  moine.  »  Il 
voulut  terminer  le  carême  de  1496  par  une 
fête  des  Rameaux  qui  devait  frapper  l'imagina- 
tion d'un  peuple  impressionnable;  huit  mille  en- 
fants ouvraient  la  marche ,  portant  chacun  une 
croix  rouge  et  conduisant  au  milieu  d'eux  un  âne 
entouré  de  bandelettes  ;  la  Seigneurie,  le  clergé, 
les  moines,  les  hommes  et  les  femmes  suivaient, 
vêtus  de  blanc  et  couronnés  de  guirlandes;  au 
retour  de  la  solennelle  procession ,  sur  la  place 
Saint-Marc,  les  dominicains  commencèrent  en 
dansant  une  ronde  mystique  autour  des  enfants; 
c'était  là  les  divines  folies  dont  Savonarole  se 
glorifiait-,  ce  fut  son  dernier  triomphe.  Il  faiblis- 
sait en  effet;  l'enthousiasme  mystique  ne  peut 
longtemps  durer;  et  ses  ennemis  redoublaient 
d'efforts  au  dedans  et  au  dehors.  Pierre  de  Mé- 
dicis fit  une  tentative  pour  rentrer  dans  Flo- 
rence :  elle  échoua ,  et  cinq  conjurés  furent  con- 
damnés à  mort  (août  1497).  Un  mot  du  prieur 


cet  autodafé  un  magnifique  Christ  de  Donateilo  fut 
consumé  avec  une  frtule  d'autres  chefs-d'œuvre  de  l'art 
florentin.  Le  27  février  de  l'année  suivante  de  nouveaux 
trésors  périrent  encore  dans  les  flammes  par  ordre  de 
l'impitoyable  iconoclaste. 

(1)  Sa  renommée  s'était  étendue  loin  de  Florence;  Ba- 
jazet  II  se  fit  traduire  quelques-uns  de  ses  sermons,  et 
Comlnes,  passant  par  Florence,  vint  demander  au  saint 
homme  si  Charles  VIII  reviendrait  heureusement  en 
France  :  «  Il  aura  affaire  en  chemin,  répondit  Savona- 
role, mais  l'honneur  lui  restera,  » 


4: 

de  Saint-Marc  eût  pu  leur  sauver  la  vie  :  il  en 
gnit  d'engager  sa  popularité,  et  le  sang  qu'il  la 
verser  retomba  sur  sa  tête.  Alexandre  VI  s'éf 
décidé,  le  12  mai  précédent,  à  fulminer  l'excoi 
munication  contre  le  moins  hérétique  et  rebel 
11  le  condamna  de  nouveau,  par  un  bref  du 
octobre ,  et  l'invita  à  venir  à  Rome  sans  escor 
«  On  sait  ce  que  valent  les  excommunicaii 
disait  Savonarole;  pour  quelques  deniers,  on  1 
excommunier  par  la  cour  de  Rome  qui  Y 
veut.  »  11  osa  même  s'écrier  :  «  Pour  moi,  je 
parle  que  sous  la  dictée  du  Christ;  si  je  me 
c'est  celui  qui  me  dicte  qui  a  menti.  »  La  S 
gneurie  le  défendit,  l'excusa  ;  mais  le  pape  b 
naça  la  république  de  l'interdit.  Alors  le  réfi 
mateur  écrivit  aux  rois  pour  leur  demander 
réunion  d'un  concile  général,  afin  de  dépo 
Alexandre  VI,  qui  n'était  pas  même  chrétk 
le  duc  de  Milan  arrêta  un  courrier  florentin, 
allait  en  France,  et  livra  ses  lettres  au  pape, 
nouveau  bref  fut  lancé  contre  Savonarole,  «t 
riva  à  Florence  le  13  mars  1498;  la  Seigneu 
après  avoir  consulté  le  conseil  des  quatre-vinj 
lui  enjoignit  de  ne  plus  prêcher.  Savonarole  c 
à  la  force,  et  se  retira  dans  son  couvent.  Un  n 
vel  incident  vint  le  perdre  tout  à  fait.  Le  peup 
qui  commençait  à  douter  du  prophète,  lui 
manda  des  signes;  l'enthousiasme,  pour  serm 
tenir,  avait  besoin  de  miracles.  Un  religieux  fr 
ciscain,  Francesco  de  Puglia,  prêchant  contr 
réformateur,  avait  offert  de  prouver,  en  tvm 
sant  impunément  un  bûcher,  la  légitimité» 
l'excommunication  prononcée  contre  lui,  si 
vonarole  consentait  à  subir  la  même  épre 
pour  la  vérité  de  sa  doctrine.  Celui-ci  hésit 
mais  l'un  de  ses  disciples  les  plus  fervents,, 
menico  Buonvicini,  se  dévoua  pour  lui. 
outre ,  un  grand  nombre  de  laïques ,  de  i 
gieuses,  d'enfants  même  s'offrirent  pour  en 
dans  le  feu  et  soutenir  les  doctrines  du  { 
phèfe.  La  Seigneurie,  après  avoir  hésité  k 
temps,  décida  quel'épreuve  aurait  lieu .  Savoaa 
l'accepta  enfin,  mais  à  la  condition  que  totu 
ambassadeurs  de  tous  les  princes  chréti 
fussent  présents,  et  qu'on  l'autorisât,  si  son  cl) 
pion  sortait  intact  du  bûcher,  à  commencer 
médiatemenl  la  réforme  de  l'Église.  Frère  Fi1 
cesco  ne  voulut  entrer  dans  le  feu  qu'avec  Si 
narole.  Ce  fut  un  autre  franciscain,  nommé  ï 
dinetti,  qui  s'offrit  pour  soutenir  l'épreuve  < 
Buonvicini.  Le  7  avril,  veille  du  dimanche 
Rameaux,  on  dressa  sur  la  grande  place  un 
cher  long  de  quarante  brasses,  au  milieu  dm 
se  trouvait  un  étroit  sentier  ;  tous  deux  se  ) 
sentèreut.  La  foule  était  immense  et  si 
cieuse;  mais  les  formes  de  l'épreuve  se 
vèrent  des  discussions  interminables  :  les  en 
pions  devaient-ils  entreï  dans  les  flammes  i 
ou  sans  froc,  avec  le  corps  ou  sans  le  corp 
Jésus-Christ?  La  journée  se  passa  dans  ces 
bats  ;  enfin  une  pluie  violente  éteignit  le  bûe 
et  fournit  aux  deux  partis  le  prétexte  qu'ils  c 


:. 


121 


SAVONAROLA 


422 


dire  que  Dieu  ne  permettait  pas 


•liaient  poui 
'épreuve. 

Dès  ce  moment  le  prestige  de  Savonarole  fut 
tèrdu;  le  prophète  avait  reculé  devant  le  naï- 
ade. Le  lendemain,  la  foule  se  précipita  vers 
e  couvent  de  Saint-Marc  ;  on  voulait  le  sang 
le  l'imposteur.  Les    partisans  de  Savonarole, 
es  moines  armés,    se  défendirent  longtemps  ; 
lais  il  fallut  céder  au  nombre,  et  la  Seigneurie 
nit  fin  au  combat  en  ordonnant  de  lui  livrer 
>  prieur  et  deux  de  ses  disciples,  Buonviciniet 
laruffi.  Savonarole,  les  mains  liées  derrière  le 
os,  sortit  du  couvent  ;  le  peuple  l'assaillit  d'in- 
îres  et  de  pierres.  On  nomma  pour  le  juger  une 
ammission  de  seize  membres  choisis  parmi  ses 
onemis;    deux  commissaires  du  pape,  Tur- 
|  ano,  général  des  dominicains,  et  un  docteur 
spagnol,  leur  furent  adjoints.  Pendant  près  de 
,eux  mois,  Savonarole  l'ut  interrogé  tous  les 
,  urs  et  soumis  plusieurs  fois  à  la  torture  pour 
[kilarer  la  fausseté  de  ses  révélations;  la  dou- 
[  ur  lui  arrachait  des  réponses  qu'il  rétractait 
issitôt;  on  falsifia  les  interrogatoires  ;  enfin,  il 
t  condamné  au  dernier  supplice  avec  ses  deux 
impagnons.  Le  23  mai  1498,  il  fut  conduit 
ir  la  grande  place,  où  s'élevait  un  immense 
ïcher.    Avant  de  le  livrer  au  bourreau,  l'é- 
kpie  de  Vaison,  délégué  par  le  pape,  lui  dit  : 
Je  te  sépare  de  l'Eglise  militante  et  de  l'É- 
ise  triomphante.    »  —    «  De  l'Église  triom- 
îante,  jamais,  »  répondit  Savonarole.  Comme 
montait  au  bûcher,  des  enfants  s'approchèrent 
lui  piquèrent  les  pieds  avec  des  bâtons  poin- 
s;  puis  le  bourreau  l'attacha  au  gibet,  et  les 
uls  mots  qu'il  prononça    furent    ceux-ci  : 
Ah  !    Florence  !   Florence  !    que   fais-tu  ?  » 
uand  il  fut  étranglé,  on  alluma  le  feu;  quel- 
les-uns  de  ses  partisans  dévoués  voulurent  re- 
leillir  ses  restes  ;  mais  la  Seigneurie  ordonna 
les  jeter  dans  l'Arno.  Buonvicini  et  Maruffi 
raient  péri  dans  les  mêmes  flammes. 
Les  ennemis  de  Savonarole  persécutèrent  sa 
éwoire  et  ses  partisans  ;  le  nom  de  piagnone 
imnt  un  outrage  ;  les  Ferrarais ,  ses  compa- 
ctes, étaient  insultés  dans  les  rues,  et  l'on  vit 
î  libéralisme  dans  la  débauche  qu'il  avait  com- 
ttue.  Puis  Florence,  éclairée  sans  doute  par 
3  malheurs  dont  elle  fut  la  victime,  s'altendrit 
r  le  martyr,  et  la  foule  vint  chaque  année , 
jour  anniversaire  de  son  supplice,  prier  et 
er  des  fleurs  sur  la  place  où  il  avait  péri. 
«Savonarole  ne  fut  ni  un  fourbe  ni  un  ambi- 
ux;    ce  fut  un  illuminé,   sincèrement  con- 
jiacu,  qui  se  laissa  égarer  par  son  imagina- 
it et  par  sa  foi;  c'est  à  tort  que  Luther  et 
rès  lui  beaucoup  de  protestants  l'ont  réclamé 
mme   un    précurseur;    Savonarole    est   un 
>mme  du  moyen  âge  et  même  un  ennemi  de 
,  renaissance;  il  n'a  jamais  demandé  que  la 
(brme  des  mœurs  ;  sa  plus  grande  hardiesse 
;été  de  soutenir  qu'un  excommunié  peut  prê- 
r.  II  n'a  pas  été  non  plus  un  grand  démo- 


» 


b 


crate;  son  idéal  était  la  monarchie,  et  il  vou- 
lait surtout  fonder  la  constitution  de  l'État  sur 
la  vertu.  Aussi  sa  mémoire  est-elle  restée  chère 
aux  mystiques,  comme  Catherine  de'  Ricci  et 
Philippe  Neri  ;  et  l'Église  ne  l'a  pas  proscrite. 
Déjà  Raphaël  le  peignait  au  Vatican,  parmi  les 
docteurs  ;  on  vendit  à  Rome  des  médailles  où 
il  était  appelé  bienheureux  martyr  ;  sous  le 
pontificat  de  Paul  IV,  une  commission  nommée 
par  le  pape  déclara  ses  œuvres  irréprochables, 
et  Benoît  XIV,  en  1751,  le  plaça  au  nombre 
des  serviteurs  de  Dieu,  dans  son  livre  De  Ser- 
vorum  Del  beatificatione. 

«  Savonarole,  dit  M.  Perrens,  a,  comme  ora- 
teur, une  valeur  réelle  et  une  rare  originalité. 
Mais  l'art  lui  manqua  trop  souvent,  ainsi  que 
la  méthode.  Jl  n'a  pas  de  style,  et  ne  rencontre 
pas  toujours  la  véritable  éloquence...  La  passion 
fut  sa  principale  force,  parce  qu  elle  était  par- 
tout :  dans  ses  pensées,  dans  ses  expressions, 
dans  son  geste,  dans  sa  voix.  »  Ses  écrits  ne 
valent  pas  sa  parole  ;  cependant  ils  sont  de- 
venus rapidement  dans  toute  l'Europe,  surtout 
depuis  un  demi-siècle,  l'objet  d'études  sérieuses 
chez  les  théologiens  comme  chez  les  lettrés.  Ces 
écrits,  en  assez  grand  nombre,  n'ont  pas  encore 
été  tous  mis  au  jour  ;  nous  citerons  les  princi- 
paux :  Compendium  logice  ;  Pise  ,  1492 , 
in-4°,goth.;  Florence,  1497,  in-fol.  ;  Venise, 
1542,  in-S°;  —  De  divisione  omnium  scien- 
tiarum;  s.  1.  n.  d.,  pet.  in-4°,  goth.  :  opuscule 
curieux  et  très-rare  ;  —  Tractato  circa  el 
reggïmento  e  governo  délia  clttà  di  Fi- 
renze;  Florence,  s.  d.  (vers  1494),  in-4°; 
ibid.,  1847,  in-8°;  —  La  Examina  de'  pec- 
cati  d'ogjii  peccatore  ;  Florence,  1495,  in-4°  ; 
—  Tractato  del  sacramento  et  de'  myslerii 
délia  messa;  s.  1.  n.  d.,  in-4°,  goth.  ;  —  Délia 
oratione  mentale;  s.  1.  n.  d.  (Florence), 
in-4°;  --  Trattati  due  diversi  delV  ora- 
zione  ;  dieci  regole  convenïenti  da  orare 
nel  tempo  delta  tribulatione  ;  Florence, 
1495,  1497,  in-4°;  —  De  simplicitate  vitse 
christianœ  ;  ibid.,  1495,  1496,  in-4°;  Paris, 
1511,  pet.  in-8°,  goth.  ;  trad.  en  italien  (1496, 
in-4°),  et  en  français  ( Douai,  1588,  in-8°),  par 
P.  Dumont;  —  Délia  humilité;  quatre  édit., 
s.  1.  n.  d.,  in-4°;  trad.  en  latin;  —  Loquï 
prohibeor  et  tacere  non  possum,  etc.  ;  s.  1. 
n.  d.,  in-4°  :  pièce  rare  et  curieuse  sur  la  cor- 
rection des  mœurs;  —  Delta  vita  viduale  ; 
Florence,  s.  d.,et  1496,  in-4°;  —  Del  amore 
di  Jesu  ;  s.  1.  n.  d.,  in-4°  ;  —  Compendio  di 
revelatione ;  Florence,  1495,  1496,  in-4°,  fig. 
sur  bois;  —  Tractato  contra  li  aslrologi  ■ 
ibid.,  s.  d.  (1495),  in-4°  ;  réimpr.  en  1536  à  Ve- 
nise et  en  1581  à  Florence,  in-8°;  —  Révélât io 
de  tribulationibus  nostrorum  temporum,  de 
reformatione  Ecclesiœ  et  de  conversione  Tur- 
carum  ;  Paris,  1496,  in-4°  ;  —  Expositio  ps. 
LXXIX,  Qui  régis  Israël;  Florence,1496,  in-4°  ; 
trad.  en  italien  dans  la  même  année  ;  —  Trium- 

14 


\\ 


423  SAVONAROLA 

phus  crucis  de  veritate  fidei;  s.  1.  n.  d. 
(Florence,  1497  ),  in-4°  :  cet  abrégé  de  la  phi- 
losophie catholique  obtint  dans  sa  nouveauté 
un  succès  qui  s'est  soutenu  jusqu'à  nos  jours; 
trad.  en  italien,  puis  en  français  (  1588,  pet. 
in-8°)  par  Dumont  ;  —  De  veritate  prophe- 
tica  lib.  IX;  Florence,  s.  d.  (  1497),  in-4°; 
—  Expositione  sopra  il  ps.  XXX  :  In  te  spe- 
ravi;  ibid.,  1498,  pet.  in-4°;  trad.  en  latin 
peu  après,  en  anglais  et  en  allemand;  —  Ex- 
pasitio  in  ps.  L  :  Miserere  mei,  Deus  ;  plusieurs 
édit.  in-4°,goth.  de  la  fin  du  quinzième  siècle; 
trad.  en  italien,  en  anglais  et  en  allemand;  — 
Sopra  la  oratione  de  la  Vergine;  s.  1.  n.  d., 
in-4°;  —  Expositio  orationis  dominicse;  s.  1. 
n.  d.,  pet.  in-4°;  Paris,  1510,  1514,  in-S°  ;  — 
Eruditorium  confessorum;  s.  1.,  1510,  in-8°, 
goth.  ;  Plaisance,  1598,  in-8°;  —  Prediche  so- 
pra ilps.  :  Quam  bonus  Israël;  Venise,  1528, 
1544,  in-8°  ;  —  Solatium  itineris  mei,  dia- 
logus  ;  Venise,  1535,  1537,  in-12.  Les  écrits  de 
Savonarole  ont  donné  lieu  à  différents  recueils, 
notamment  à  ceux  de  Balesdens  (Leyde,  1633, 
6  vol.  pet.  in-1 2  ), et  de Quétif  (Epistolx,  ex  ital. 
in  latinum  versx;  Paris,  1674,  in-12).  Dans  ces 
derniers  temps,  on  a  publié  de  lui  :  Prediche; 
Florence,  1845,  in-8°.  On  imprimait  à  Florence  les 
prédications  du  réformateur  aussitôt  après  qu'elles 
avaient  été  prononcées,  et  toujours  dans  le 
format  in-4°  ;  on  en  trouvera  la  liste  dans  l'excel- 
lente notice  que  M.  Brunet  a  consacrée  dans  son 
Manuel  à  Savonarole;  —  Poésie,  traite  dall' 
autografo;  Florence,  1862,  in-8°  ;  M.  Audin 
en  avait  le  premier  donné  un  choix  ,  ibid.,  1847, 
in-8°.  Louis  Grégoire. 


Apologia  del  P.  Neri  in  difesa  délia  dottrina  di 
G.  Savonarola;  Florence,  1564,  in-8°.  —  Pic  de  la  Mi- 
randole,  Fila  Hier.  Savonurolse  ;  Paris,  1674,  2  vol. 
in-8°  ;  trad.  fr.  par  Quétif.  —  Spangenberg,  Historié 
von  Leben,  Lehre  vnd  Tod  Hier.  Savonarola  ;  Witten- 
berg,  1557,  in-8°.  —  P.  Burlamacchi,  Vita  di  G.  Savo- 
narola ;  Florence,  1764,  in-8°.  —  V.  Barsanti,  Délia 
storia  del  P.-G.  Savonarola  ;  Livourne,  1782,  in-4°.  — 
Rudelbach,  Hier.  Savonarola  und  seine  Zeit;  Ham- 
bourg, 1833,  in  8°  ;  trad.  fr.  par  Recordon.  —  Fn-Ch. 
Mêler,  G.  Savonarola  ;  Berlin,  1836,  in-8°.  —  Em. 
Marin  ,  Vie  de  J.  Savonarole  ;  Strasbourg,  1839,  in-4°,  — 
P.-J.  Carie,  Histoire  de  Savonarola  ;  Paris,  1842,  in-8°.  — 
Life  and  Urnes  of  Savonarola  ;  Londres,  1843,  in-12.  — 
Maddcn,  Life  and  martyrdom  of  Suvonarola;  Lon- 
dres, 1853,  2  vol.  in-8°.  —  Perrens,  J.  Savonarole,  sa 
vie,  ses  écrits  ;  Montpellier,  1854,  2  vol.  in-8°;  3e  edit. , 
Paris,  1839,  gr.  in-18.  —  Th.  Paul,  /.  Savonarole,  pré- 
curseur de  la  Iléforme  ;  Genève,  1856,  In- 8°.  —  P.  Viiiari, 
Storia  di  G.  Savonarola  ;  Florence,  1860,  in-8°;  tr.  en 
anglais  parHorner,  Lond.,  1863,2  vol.  in-8°.  —  Hase,  Neve 
Propheten.  —  Roscoe,  Vie  de  Laurent  de  Médicis.  — 
Tiraboschi,  Storia  délia  letter.  —  Gulcciardini,  Délia 
storia  d'italia.  —  Nardi,  Storie  di  Firenzé.  —  Tournon, 
Hist.  des  hommes  illustres  de  l'ordre  de  Saint-Domi- 
nique. —  Quétif  et  Échard,  Scriptores  ord.  Prœdica- 
torum.  —  Sismondi,  Républ.  italiennes.  —  Lenau,  Sa- 
vonarola, poKme  allemand  ;  Sluttgard,  1831,  in-8°.  — 
Miclielet,  La  Jienaissance.  —  Franck,  Publicistes  et  ré- 
formateurs ;  Paris,  1863,  in-18. 

savot  (  Louis  ),  savant  médecin  français, 
né  en  1579,  à  Saulieu  (Bourgogne),  mort  en 
1640,  à  Paris.  Il  s'était  rendu  dans  cette  ville 
pour  y  étudier  la  chirurgie,  puis  il  donna  la 


SAXE 

préférence  à  la  médecine,  et  paraît  n'avoii 
pratiqué  ni  l'une  ni  l'autre.  Bien  qu'il  n'eût  pas 
pris  le  bonnet  de  docteur,  il  n'en  obtint  pas 
moins  un  brevet  de  médecin  du  roi  Louis  XIII 
Laborieux  et  d'un  caractère  indépendant,  il  rc 
fusa  plusieurs  places  avantageuses,  afin  de  s< 
livrer  tout  entier  à  la  culture  des  sciences.  I 
s'occupa  particulièrement  de  minéralogie  et  d< 
métallurgie,  ce  qui  le  conduisit  à  l'étude 
l'architecture,  où  il  devint  fort  habile,  puis  àcell' 
des  monnaies  et  des  médailles.  Il  mourut  pauvre 
laissant  pour  héritage  la  réputation  d'un  hommi 
de  bien,  des  collections  d'histoire  naturelle  e 
les  écrits  suivants  :  L'Art  de  guérir  par  i 
saignée,  trad.  de  Galien,  ensemble  un  dis 
cours  sur  les  causes  pour  lesquelles  on  n 
saigne  pas  encore,  tant  ailleurs  qu'à  Paris 
Paris,  1603,  in-12;  inséré  in  extenso  dans  L 
Médecin  charitable  de  Guybert,  publié  ei 
latin  ;  —  Nova  de  causis  colorum  sentent^ 
Ejusdem  de  Tetragoni  Hippocratici  signij 
catione;  Paris,  1609,  in-8°  ;  —  Discours  su 
le  sujet  du  colosse  du  grand  roi  Henr 
posé  sur  le  milieu  du  Pont-Neuf  de  Pari 
où  il  est  traité  de  Voriyine  des  statues 
Paris,  s.  d.  (vers  1610),  in-8°;  —  L'Arch 
tecture  française  des  bastimens  partiel 
liers;  Paris,  1624,  1642,  1673,  1685,  in-8°;  l 
deux  dernières  édit.  avec  figures  et  des  not 
de  Blondel;  —  Discours  sur  les  médaill 
antiques,  de  leur  matière,  de  leur  poid, 
de  leur  prix  ;  Paris,  1627,  in-4°.  Cet  ouvrag 
fort  estimé  jadis,  a  été  abrégé,  puis  trad.  en  1 
tin,  par  Lud.  Kuster,  dont  la  version  a  été  im 
dans  le  t.  XI  du  Thésaurus  antiq.  grade. 
Graevius.  J.-P.  Abel  Jeanuet. 

Blondel,  Notice,  à  la  tête  de  son  Architecture.  —  Él< 
Dict.  hist.  de  la  médecine.  —  Papillon,  liibl.  des  a 
teurs  de  Bourgogne.  —  Courtépée,  Descript.  de  Bob 
gogne.  —  Benauldin,  Médecins  numismatistes. 

saxe  (  Hermann-Maurice ,  comte  de  ) ,  û\ 
réchal  de  France,  né  le  28  octobre  1696,. 
Gotzlar  (Saxe),  mort  le  30  novembre  1750, 
Chambord.  Il  était  l'unique  fruit  des  amoi 
d'Auguste  II,  électeur  de  Saxe,  roi  de  Pologr 
et  de  la  comtesse  Aurore  de  Kœnigsmark  (  1 
ce  nom).  Dès  ses  plus  jeunes  ans  il  se  dist 
gua  dans  les  exercices  du  corps.  Il  n'avait 
douze  ans  (1708)  que,  sans  rien  dire  à  sa  mèi 
il  alla  rejoindre,  à  pied,  l'armée  des  alliés  dev; 
Lille.  Auguste ,  roi  de  Pologne ,  qui  y  avait  < 
voyé  des  troupes  auxiliaires ,  confia  son  fils 
comte  de  Schulembourg ,  son  général.  Maur 
fit  donc  ses  premières  armes  contre  la  Franc 
il  fut  employé  au  siège  de  Tournay  en  qua.> 
d'adjudant  général,  et  eut  son  cheval  tué  s< 
lui,  et  son  chapeau  percé  d'une  balle.  11  n'assi 
point,  comme  on  l'a  prétendu,  à  la  bataille 
Malplaquet.  En  1710  c'est  contre  les  Suédoi 
à  l'école  de  Pierre  le  Grand ,  qu'il  apprit  1' 
de  la  guerre.  On  trouva  même  qu'il  s'y  ex| 
sait  trop.  La  prise  de  Riga  termina  la  campag 
et  il  retourna  à  Dresde.  En  1711  il  accompai 


/' 


SAXE 

la  prise  de 
le   feu  fies 


426 


m  père  en  Poméranie ,  assista  à 
reptov/  et  passa  à  la  nage  sous 
itteries  de  Stralsund.  Le  roi  Auguste  donna 
i  comte  de  Saxe  l'agrément  de  lever  un  régi- 
ent  de  cavalerie  et  d'en  choisir  lui-môme  les 
liciers.  Ce  régiment,  composé  d'hommes  dé- 
mîmes, fut  presque  totalement  détruit  à  Sa- 
■lbush.  Aurore  profita  de  cet  intermède  de  îoi- 
:  forcé  pour  faire  épouser  à  son  fils,  le  12  mars 

14,  Jeanne-Victoire  de  Lœben,  fille  de  condi- 
>n,  aimable  et  riche,  âgée  de  seize  ans.  «  11  n'a- 
it pas,  dit  son  historien  ,  de  penchant  pour 

mariage  :  le  nom  de  Victoire  que  portait  sa 
ture,  le  décida.  » 

La  guerre  civile,  qui  se  faisait  en  Pologne,  ap- 
|  la  Maurice  dans  ce  royaume  pour  y  soutenir 
s  droits  d'Auguste  II  contre  les  confédérés. 
isiégé  au  village  de  Crachnitz  dans  un  car- 
emar,  espèce  de  bâiiment  à  peu  près  sern- 
ible  à  ceux  qu'on  appelle  caravansérails  en 
irquie ,  il  soutint  victorieusement  avec  dix- 
lit  hommes  l'assaut  de  huit  cents  ennemis, 

réussit  à  leur  échapper,  après  des  épisodes 
:  valeur  homérique  (1716).  Le  21  janvier  1715, 

femme  était  accouchée  d'un  fils,  qui  ne  vécut 
te  quelques  jours.  C'est  le  seul  fruit  de  ce  ma- 

Kge.  11  s'attira  alors  avec  le  comte  de  Fleming, 
nistre  favori  d'Auguste,  une  querelle  qui  dégé- 
ira  en  une  passagère  disgrâce.  La  plupart  de  ses 
ographes  ont  avancé  qu'il  mit  cette  occasion  à 
l'ofit  pour  aller  guerroyer  en  Hongrie,  et  qu'il 

uva  même  la  vie  au  prince  Eugène,  qui  assié- 
rait Belgrade.  Ce  récit  est  complétementerroné, 
Mnine  on  l'a  prouvé  par  des  recherches  plus  sé- 
euses.  Maurice  menait  à  Dresde  la  vie  du  monde 

plus  désagréable  pour  un  héros  ;  il  était  ga- 
|nt  autant  que  brave,  et  la  comtesse  de  Saxe 
Ictrêmement  jalouse.  Les  reproches  sans  fin  de 
i  femme  lui  donnaient  de  l'humeur;  celte  mé- 
ntelligence  continuelle  lui  fit  détester  sa  mai- 
Mi.  La  France  lui  apparut  comme  la  seconde 
îtrie.  Il  partit.  A  son  arrivée  à  Paris,  il  fut 
•résenté  au  régent,  qui  lui  proposa  le  grade  de 
laréchal  de  camp  (7  août  1720).  Il  accepta  avec 
»ie;  le  roi  Auguste  ratifia  ses  démarches,  et 

la  suite  du  voyage  fait  en  Saxe  dans  ce  but 
ar  Maurice,  lui  accorda  une  augmentation  de 
ension  et  la  cession  de  quelques  biens  con- 
squés.  Mais  la  faveur  dont  Maurice  lui  fut  le 
lus  reconnaissant,  c'est  de  le  délivrer  d'une 
nion  hérissée  d'incompatibilités.  Le  mariage 
vec  M1'6  de  Lœben  fut  annulé  régulièrement. 
e  comte  de  Saxe,  de  retour  à  Paris,  obtint 
agrément  du  régiment  d'infanterie  allemande 
e  Sparre.  Il  employa  les  loisirs  que  lui  laissait 
•  paix  générale  de  l'Europe  à  étudier  l'art  de 
éfendre  les  places  fortes.  Il  apporta  dans  ses 
ludes  militaires  une  grande  originalité  de  vues. 

étonna  Folard,  qui,  dans  son  Commentaire  sur 
'olybe,  prédisait,  vingt  ans  avant  Fontenoy,  que 
:>n  élève  serait  à  son  tour  un  grand  capitaine. 

Les   occasions  manquant  à  son  impatience, 


il  songea  à  aider  les  événements,  et  en  1725 
oii  le  vit,  s'arrachant  à  l'amour,  prendre  la 
route  du  Nord  ,  où  allait  s'accomplir  un  des 
épisodes  les  plus  caractéristiques  de  cette  in- 
quiète destinée.  Ferdinand  de  Kettler,  duc  de 
Courlande,  brouillé  avec  ses  sujets,  s'était  retiré 
à  Dant/.ig;  il  fut  attaqué  d'une  maladie  sé- 
rieuse en  1725  (décembre).  La  Pologne  n'atten- 
dait que  sa  mort  pour  réunir  ce  duché  à  la  cou- 
ronne. Les  Courlandais,  alarmés  sur  l'avenir  de 
leur  indépendance,  choisirent  Maurice  de  Saxe 
pour  la  défendre.  Celui-ci  s'étant  prêté  aux  pre- 
mières négociations,  dès  le  commencement  de 
1726  il  était  à  Millau  ,  préparant  sa  candidature 
auprès  d'Anne  Ivanowna,  veuve,  sans  enfants, 
de  Frédéric  -  Guillaume  ,  duc  de  Courlande, 
oncle  du  duemoribond.  Elle  ne  vit  pas  impuné- 
ment un  prétendant  de  si  belle  mine,  et,  contre 
sa  promesse  de  l'épouser,  lui  promit  son  con- 
cours. L'élection  eut  lieu  en  effet.  La  tsarine  Ca- 
therine Ire,  qui  préférait  un  de  ses  concurrents,  se 
déclara  contre  lui,  et  donna  l'ordre  à  Menchikoff 
de  l'attaquer  dans  Mittau.  Le  comte  de  Saxe 
s'y  défendit  avec  autant  d'opiniâtreté  que  de 
bonheur,  et  ajouta  à  la  liste  de  ses  exploits  un 
autre  siège  à  la  Charles  XII.  Si  l'amour  le  trahis- 
sait à  Mittau,  il  lui  demeurait  fidèle  à  Paris  dans 
la  personne  d'Adrienne  Lecouvrenr,  qui  vendit 
ses  pierreries  pour  secourir  l'infidèle,  auquel  elle 
s'éfait  dévouée.  La  diète  de  Pologne  le  cita  à 
comparaître  devant  elle.  Maurice  refusa.  On  ré- 
pondit par  une  proscription.  Il  répliqua  par  un 
appel  aux  armes.  Le  roi  Auguste,  justement  in- 
quiet de  tout  ce  bruit,  invita  son  (ils  à  renoncer  à 
une  prétention  désespérée.  Maurice  s'obstina,  et 
ajouta  la  disgrâce  paternelle,  provoquée  par  son 
refus,  à  tant  d'obstacles  conjurés  contre  son 
succès.  Enfin  il  dut  céder  au  nombre  et  rentrer 
en  France,  n'emportant  de  son  expédition  qu'un 
peu  de  gloire  inutile.  A  peine  de  retour  à  Paris  , 
la  duchesse  de  Courlande  le  rappela  auprès 
d'elle  (1728).  Maurice  revient  et  recouvre  peu 
à  peu  ses  avantages.  Une  infidélité,  constatée 
par  une  ironie  du  hasard ,  avec  toutes  les 
circonstances  aggravantes  de  scandale  qui  ren- 
dent une  faute  irréparable  ,  le  précipite  de 
nouveau  du  haut  du  succès,  et  il  perd  en  même 
temps  que  le  cœur  d'Anne  Ivanowna ,  bientôt 
impératrice  de  Russie  (1730),  l'occasion  qui 
s'offrait  à  lui  de  partager  un  trône  avec  elle.  La 
même  année,  il  perdit  la  comtesse  de  Kœnigs- 
mark,  sa  mère.  A  Paris,  il  essaya  d'échapper  à 
l'oisiveté  d'une  cour  plus  occupée  d'intrigue  que 
d'affaires.  On  le  vit  avec  surprise  s'occuper  de 
la  construction  d'une  machine  qui  devait  faire 
remonter  les  bateaux  de  Rouen  à  Paris.  Puis 
il  alla  en  Saxe  achever,  avec  le  chevalier  Folard, 
les  fortifications  de  Dresde. 

La  mort  de  son  père  Auguste  II  fit  diversion 
pour  lui  à  ces  travaux  militaires  (1733).  La 
France  s'apprêtait  à  combattre  l'Autriche  liguée 
avec  la  Prusse  contre  son  prétendant  au  trône 


427 


SAXE 


28 


de  Pologne.  Maurice  préféra  son   service  aux 
offres    brillantes  de   son  frère  consanguin,  le 
nouvel  électeur  de  Saxe.  Envoyé  à  l'année  du 
Rhin ,  il  se  signala  au  siège  de  Philipsbourg  par 
plusieurs  actions  d'éclat  (1734).   Quoique,   re- 
vêtu du  grade  de  maréchal  de  camp,  quand  son 
régiment  était  de  tranchée,  il  l'y  commandait.  Il 
faillit    payer  cher   cette  incroyable  témérité  : 
dans  une  escarmouche,  il  aurait  eu  le  eràne  fendu 
d'un  coup  de    sabre,  sans  la  résistance  d'une 
calotte    de  fer  qu'il   s'était  résigné  à   porter. 
Nommé  lieutenant  général  le  1er  août  1734,  il  fit 
la  guerre  sur  le  Rhin  jusqu'à  la  paix  de  1736,  et 
retourna  en  Saxe.  Le  duché  de  Courlande  l'at- 
tirait toujours.   Une  nouvelle  et  définitive  dé- 
ception  le  rendit  aux  études  et  aux  médita- 
tions sur  la  guerre.  C'est  à  cette  époque  (173S) 
qu'il    retoucha,  augmenta  et  acheva  l'ouvrage 
modestement  intitulé:  Mes  Rêveries,  dont,  six 
années  auparavant,  il  avait  jeté  l'ébauche  en 
treize  nuits.  La  mort  de  l'empereur  Charles  VI 
ralluma  la  guerre.  Louis  XV  envoya  en  Bohême 
une  armée    commandée    par   le  maréchal   de 
Belle-Isle.    L'aile  gauche  fut  confiée  au  comte 
de  Saxe.  Chargé  de  l'investissement  de  Prague, 
il  s'en  rendit  maître  au  bout  de  quelques  jours 
(nov.  1741)  par  un  assaut  qui  est  un  chef-d'œuvre 
de  combinaison  et  d'habileté.  Il  fit  respecter  la 
discipline  à  ses  troupes,  et  reçut,  en  reconnais- 
sance de  l'ordre  maintenu  et  des  propriétés  sau- 
vées, un  diamant  de  40,000  écus  que  lui  offrirent 
les  magistrats  de  la  ville  conquise.  C'est  à  Egra, 
qu'il  enleva  comme    Prague,  avec  une   mer- 
veilleuse dextérité,  qu'arriva  au  comte  dé  Saxe 
la  nouvelle  que  des  collatéraux  avides,  profi- 
tant de  son  absence,  cherchaient  à  usurper  des 
biens  considérables,  situés   en   Livonie,  qui  lui 
revenaient   du  chef  de  sa  mère.  Avec  la  [ter- 
mission  du   roi,  Maurice  vole  à  Saint-Péters- 
bourg,   demande  justice  à  l'impératrice    Eli- 
sabeth', en  obtient  la  promesse,  et  rejoint  l'ar- 
mée de  Bavière.  Il  fit  la  guerre  défensive  avec 
autant  de   supériorité  que  la  guerre  offensive. 
Ses  marches  et  ses  retraites  valent  ses  assauts. 
En   1743  ,  Maurice   reçut  la  permission   de 
lever  un  régiment  de  hulans  de  mille  chevaux. 
Cependant  le  prince  Charles   de  Lorraine  avait 
obtenu  en  Bavière  des  avantages  si  décisifs  que 
l'armée  française  dut  rétrograder  jusqu'en  deçà 
du  Rhin.  Le  comte  de  Saxe  venait  d'être  chargé 
de  couvrir  l'Alsace  lorsqu'il  fut  appelé  à  diriger 
l'expédition  qui  devait  remettre  le  prince  Charles- 
Edouard  sur  le  trône  (février  1744).  Le  projet 
était  hardi,  l'homme  digne  du  projet.  11  avait 
compté  sans  la  tempête,  qui  une  fois  encore 
sauva  l'Angleterre.  L'escadre  française  fut  dis- 
persée  par  un  horrible  ouragan;  les  débris  en 
furent  bloqués  par  une  flotte  anglaise.  Louis  XV 
n'en  donna  pas  moins  au  comte  de  Saxe  le  bâton 
de  maréchal  de  France,  qu'il  lui  réservait  à  son 
retour  (26  mars  1744).  Durant  la  campagne  de 
1744,  Maurice,  libre  de  donner  en  pratique  à  ce 


1  qu'il  appelait  les  partis  volants  l'importance 
qu'il  leur   avait  attribuée    dans    ses  théories, 
donne  à  l'attaque  la  rapidité  des  charges  de  ca- 
valerie.   Trente-neuf  jours    lui  suffisent  pour 
soumettre  les  places  de  Menin,  Ypres,  etFurneSi 
Pendant    l'invasion  de    l'Alsace  par  le  prince 
Charles,  il  se  retranche  derrière  la  Lys,  et  se 
maintient   à  Courtray,  malgré  le  nombre  de  ses 
ennemis.  En  1745,  le  commandement  de  l'armée 
de  Flandre  fut  donné  au  maréchal,  faveur  tar- 
dive de  la  fortune,  qui  lui  souriait  lorsque,  déjà 
minée  par  les  fatigues  de  toutes  sortes.,  sa  santé 
rebelle  le  forçait  aux  ménagements.   Voltaire  le 
vit  au  moment  du  départ,  et  le  maréchal  ré- 
pondit à  ses  conseils  par  cette  phrase,  qui  le  peint 
à  merveille  :  «  Il  ne  s'agit  pas  de  vivre,  mais  de 
partir.  »  Arrivé  à  Valenciennes,  le  15  avril  1745, 
il  dut  se  soumettre  le  ïS  à  la  douloureuse  opé- 
ration de  la  ponction,  nécessitée  par  son  hydro- 
pisie.  Le  30  la  tranchée   était  ouverte  devant 
Tournay.  Maurice  malade  se  vit  obligé  de  se  faire 
traîner  dans  une  carriole  d'osier.  Il  ne  monta  à 
cheval  qu'au  bruit  du  canon  des  alliés  qui  s"ap- 
prochaient   pour  faire    lever  le  siège.  Dans  la 
journée   de  Fontenoy,  il   demeura  égal  à  lui- 
même.  Sa  prédilection  pour  les  combats  de  ca- 
valerie retarda  le  succès  de  nos  efforts.  Le  canon 
seul  put  enfoncei;  les  masses  de  l'infanterie  an- 
glaise, en  vain  chargée  par  la  maison  du  roi.  El - 
ces  quatre  canons  dont  le  feu  fut  si  décisif,  ils 
furent  mis  en  batterie,  d'après   l'avis  de  Lally, 
saisi  au  vol  par  Richelieu.  Quoi  qu'il  en  soit, 
il  est  hors  de  doute  que  la  victoire  de  Fontenoy 
fut  décidée  par  des  causes  qui  tiennent  plus  aux 
circonstances  qu'au  génie  du  maréchal.  Raucous 
et  Laufeld,  succès  moins  vantés,  lui  restent  en 
entier  et  suffisent  à  immortaliser  sa  mémoire. 
Louis  XV  fit  mille  compliments  au  maréchal  et 
l'embrassa  devant  toute  l'armée    en  le  pres- 
sant d'aller  se  reposer  sur  ses  lauriers.  Mau- 
rice en  avait  besoin.  Il  avait  atrocement  souffert 
de  la  soif  dont  il  trompait,  en  mâchant  une  balle 
de  plomb,  les  implacables  ardeurs.  Le  roi  lui 
avait  donné,  en  récompense  de  ses  services, 
la  jouissance  du  château  de  Chambord,   avec 
40,000  francs  de  revenu  sur  le  domaine.  Malgré 
son  état  de  touffrance,  le  maréchal  s'empare 
d'Ath,    et  pendant  qu'on  le  croyait  occupé  à 
prendre  ses  quartiers  d'hiver  à  Gand,  il  fondil 
comme  la  foudre  sur  Bruxelles  et  l'obligea  l 
se  rendre.  Son  retour  fut  une  ovation    perpé-t 
tuelle.  Partout  salué  par  le  son  des  cloches,  k 
bruit  du  canon,  les  harangues  solennelles,  et  les 
députations  de  magistrats  et  de  jeunes  filles ,  il 
fut  comblé  d'éloges  et  d'égards  par  le  roi  et  sa 
famille,  couronné  à  l'Opéra,  et  proclamé  Fran- 
çais pardes  lettres  de  naturalisation  (avril  1746), 
qui  ressemblent  à  un  panégyrique. 

Le  roi  étant  arrivé  à  Bruxelles,  le  4  mai  1 746, 
le  maréchal  ouvrit  aussitôt  la  campagne.  Il  par- 
vint par  une  suite  d'habiles  manœuvres  à  rejeter 
l'ennemi  sur  la  rive  droite  de  la  Meuse.  Le  ft 


:>  SAXE 

ohrc  1740,  la  brillante  victoire  de  Raucoux, 
l'ciiiu'ini  perdit  huit  mille  hommes  et  cin- 
inte  pièces  de  canon,  consacra  ses  prévisions, 
roi  songea  a  le  faire  connétable.  A  défaut  de 
■Mineur  unique,  qu'il  jugea  inopportun  de 
ablir,  il  donna  à  Maurice  le  titre  de  maréchal 
téral  (12  janvier  1747),  porté  avant  lui  par  Tu- 
ne. La  bataille  de  Laufeld  (2  juillet  1747),  qui 
encore  une  vie'toire,  consacra  pour  la  troi- 
ne  fois  sa  supériorité  sur  le  duc  de  Cum- 
land ,  tacticien  renommé.  C'est  à  ce  moment 
il  adressa  à  Frédéric  une  sorte  de  mémoire 
slilicatif  de  ses  campagnes  :  il  y  prônait  son 
lème   favori  des  charges  en  fourrageurs , 
técutées  avec  succès  à  Laufeld ,  pour  enfoncer 
nfimterie,   moyen  hasardeux  toutefois  et  dont 
rédéric  ne  faisait  pas  le  même  cas  que  lui.  La 
illante  prise  de  Berg-op-Zoom  commença  de 
ire  sentir  aux  ennemis  de  la  France  la  nécessité 
ila  paix.  Sourd  à  leurs  ouvertures,  le  maré- 
al   y  répondit  par  la  prise  de  Maestricht.  La 
iiix  d'Aix  la-Chapelle  l'arrêta  dans  cette  série 
;  victorieuses  démonstrations  (18  octobre  1747). 
•  Le  roi  ajouta  à  ses  faveurs  la  propriété  de  l'île 
Tahago.   L'opposition  de  la  Hollande  et  de 
ngleterre  l'obligea   de  rétracter   ce  don,  au 
iment  où  le  concessionnaire  s'occupait  de  l'en- 
>i  d'un  personnel  et  d'un  matériel  de  coloni- 
tion.  Maurice  résolut  alors  de   satisfaire  un 
îs  vœux  favoris  de  sa  vie'  en  allant  voir  de 
•es  le  grand  Frédéric.  11  fut  accueilli  à  Berlin 
rec  des  déférences    exceptionnelles.  Frédéric 
i  fit  rendre  les  honneurs  de  prince  souverain, 
es  deux  grands  capitaines  eurent  de  fréquents 
familiers   entretiens.  «  J'ai  vu,  écrivait  Fré- 
.;ric  à  Voltaire,  le  héros  de  la  France,  le  Tu- 
;nne  du  siècle  de  Louis  XV.  Je  me  suis  instruit 
a  ses  discours  dans  l'art  de  la  guerre.  Ce 
inéral  pourrait  êtie  le  professeur  de  tous  les 
linéraux  de  l'Europe.  »  Frédéric  ne  s'est  pas 
È.orné  à  ces  éloges,  Y  Histoire  de  mon  temps 
)nfieut  plus  d'un  témoignage  de  son  admiration 
;  pur  le  héros  de  Prague,  de  Raucoux  et  de  Lau- 
».ld.  A  Chambord ,  entouré  de  son  régiment  de 
ulans,  qui  y  faisait  le  service   régulier  d'une 
,iace  de  guerre,  le  comte  de  Saxe  partageait  son 
laops  entre  les  manœuvres ,  la  chasse,  la  mu- 
squé, des  expériences  et  essais  mécaniques, 
t  la  conversation  de  tous  les  hommes  illustres 
e  son  temps.  Il  allait  de  temps  en  temps  à  La 
range  et  aux  Pipes,  deux  terres  qu'il  possé- 
àit  aux  enviions  de  Paris.  Il  semblait  destiné 
jouir  longtemps  de  cette   glorieuse  retraite, 
uand,  le  30  novembre  1750,  une  fièvre  putride 
'enleva,   à   l'âge  de  cinquante-quatre  ans.  Il 
lourut  avec  une  résignation  pleine  de  simpli- 
ste. C'est  à  peine  s'il  laissa  échapper  un  regret. 
Docteur,  disait-il  à  Seuac,  son  médecin,  lavie 
est  qu'un  songe  ;  le  mien  a  été  beau,  mais  il  est 
Jurt.  »  Cette  mort  si  subite,  sans  avoir  été 
Mystérieuse,  fut  controversée.  Il  courut  plusieurs 
usions.  Les  uns  le  dirent  mort  des  suites  d'un 


430 

duel  secret  avec  le  prince  de  Conti.  Les  autres 
expliquèrent  cette  rencontre  par  le  ressentiment 
que  leprince  avait  gardéde  la  campagne  de  1740, 
où  son  commandement  lui  avait  été  enlevé  par 
le  roi  pour  être  remis  au  maréchal.  On  parla 
aussi  d'une  querelle  galante,  de  lettres  surprises, 
d'insulte  à  la  princesse  de  Conti.  La  qualité  de 
protestant,  qui  avait  empêché  le  marécbal  de 
Saxe  d'être  décoré  de  l'ordre  du  Saint-Esprit, 
s'opposa  aussi  à  son  inhumation  à  Saint-Denis. 
Un  magnifique  monument  funéraire,  œuvre  du 
ciseau  de  Pigalle,  lui  est  consacré  dans  le  temple 
de  Saint-Thomas  à  Strasbourg. 

Maurice  de  Saxe  était  grand  et  vigoureux.  De 
grands  yeux  bleus  pleins  de  feu  éclairaient 
son  visage  basané  et  en  tempéraient  l'énergie , 
adoucie  encore  par  un  sourire  cordial.  Sa  force 
musculaire  était  proverbiale  et  a  fait  un  des  cô- 
tés de  sa  popularité.  La  légende  raconte  qu'il 
tordait  entre  ses  doigts  un  fer  à  cheval  ou  un 
écu  de  six  francs  et  faisait  un  tire-bouchon  d'un 
clou.  Un  jour,  à  Londres,  insulté  par  un  charre- 
tier dans  la  rue,  il  le  saisit  et  le  jeta  dans  un 
tombereau  de  boue  qui  passait.  Il  avait  de  l'es- 
prit, et  ses  mots  heureux,  d'une  franche  saveur, 
faisaient  les  délices  du  bivouac.  Il  aimait  le  sol- 
dat et  en  était  aimé.  Un  jour,  un  officier  général 
lui  proposant  un  coup  de  main  dans  lequel  il 
faudrait,  disait-il,  sacrifier  la  vie  d'une  vingtaine 
de  grenadiers,  le  maréchal  indigné  lui  répondit  : 
«  Une  vingtaine  de  grenadiers!  Passe  encore,  si 
c'était  une  vingtaine  de  lieutenants  généraux!» 

Rien  n'avait  manqué  à  sa  gloire  que  d'être  de 
l'Académie  française.  On  le  lui  offrit.  Il  déclina 
modestement  cet  honneur,  par  un  billet  qui  justi- 
fiait son  abstention.  Le  voici ,  dans  sa  bonhomie 
narquoise  et  son  orthographe  indépendante  :  «  Ils 
veule  mefereia  la  cademie;  sela  m'iret  corne 
une  bage  à  on  chas.  » 

Une  fille  naturelle  de  Maurice,  née  en  1748, 
fut  la  grand'-mère  de  Mme  Sand  (voy.  Dupin). 

L'ouvrage  unique  du  maréchal,  Mes  Rêveries, 
fut  publié  à  Paris,  1757,  5  vol.  in-4°.Ony  trouve 
beaucoup  d'assertions  téméraires ,  des  idées 
originales  et  l'amour  du  soldat.  Maurice  avait 
prévu  les  avantages  du  recrutement  légal,  et  il 
recommandait  ce  mode  d'enrôlement  comme  le 
t,eul  moyen  d'avoir  une  armée  homogène  et  fi- 
dèle. Il  existe  à  la  bibliothèque  de  Strasbourg 
et  aux  archives  de  Dresde  des  lettres  du  maréchal 
de  Saxe.  Grimoard  a  publié,  en  1794,  des  Mé- 
langes tirés  de  ses  papiers;  Paris,  5  vol.  in-8°. 
M.  DE  Lescure. 


Histoire  du  maréchal  de  Saxe,  par  le  baron  d'Espo- 
gnac.  —  Éloge  par  Thomas.—  Mémoires  de  d'Argenson, 
du  duc  de  Luynes,  de  Barbier.  —  Mémoires  du  ruarquis  de 
Vallons.  —  Les  Kœnigsmark,  par  H.  Blaze  de  Bury,  1855. 

—  Mémoires  inédits  du  dix-huitième  siècle,  par  Ch.  Ni- 
sard.—  Caractères  et  Portraits,  par  Scnac  de  Meilhan. 

—  Ranft,  Leben  des  Grafcn  von  Sachsen;  Leipzig,  1746, 
in-8°.  —  Lalandc,  Eloge;  Paris,  1760,  in-12.  —  La  Barre  du 
Parcq,  Biographie  et  maximes  du  maréchal  de  Saxe; 
Paris,  1851,  in-S°. -  Ch.  de  Weber,  Moritz  von  Sachsen; 
Dresde,  1863,  in-S°.-  Revue  des  deux  mondes,  1er  mai  1864. 


431 


SAXE  —  SAXE-WEIMAR 


43 


SAXE  (Christophe),  en  latin  Saxius,  éru- 
dit  allemand,  né  le  13  janvier  1714,  à  Eppen- 
dorf  (Saxe),  mort  le  3  mai  1806,  à  Utrecht. 
Fils  d'un  ministre  protestant  du  nom  de  Sachse, 
il  fréquenta  l'université  de  Leipzig,  eut  pour 
maîtres  Wolf  et  Mencken,  et  s'appliqua  aux 
belles-lettres,  sous  la  direction  des  deux  Er- 
nesti.  Reçu  maître  es  arts  en  1738,  il  dirigea 
l'éducation  du  jeune  comte  de  Bunau,  puis  celle 
d'un  autre  gentilhomme.  Dans  le  même  temps, 
il  fournit  un  grand  nombre  d'articles  dans  les 
Nova  acta  eruditorum  et  dans  les  Miscel- 
lanea  lipsiensia  nova.  Après  avoir,  en  1745, 
parcouru  une  grande  partie  de  l'Allemagne  et 
de  la  Hollande,  il  fut,  en  1748,  appelé  à  La  Haye 
comme  précepteur  du  fils  de  Jean  de  Back,  se- 
crétaire d'État,  et  la  protection  de  ce  dernier 
lui  valut,  en  1752,  la  chaire  d'antiquités  et  d'é- 
loquence à  l'université  d'Utrecht,  emploi  qu'il 
exerça  jusqu'à  sa  mort  avec  beaucoup  d'hon- 
neur. Saxe  a  donné  lui-même,  dans  le  supplé- 
ment de  V  Onomasticon,  la  liste  de  ses  écrits, 
au  nombre  de  quarante-six.  Nous  citerons  les 
suivants  :  Vindicias  pro  Maronis  Mneide  ; 
Leipzig,  1737,  in-4°  :  une  des  meilleures  réfu- 
tations des  paradoxes  du  P.  Hardouin  ;  —  De 
Henrico  Eppendorfio  ;  ibid.,  1745,  in  4°  ;  no- 
tice quirenferme  des  détails  curieux  sur  Érasme; 
—  Lapidum  vetustorum  epigrammata ;  ibid., 
1746,  in-4°  :  ouvrage  cité  avec  éloges  par  Ou- 
dendorp  et  d'Orville;  —  Diptychon  Magni 
consulis;  La  Haye,  1757,  in-fol.  ;  travail  re- 
marquable sur  ce  monument,  jusqu'alors  in- 
connu, et  qui  appartenait  à  l'auteur;  -  De 
dea  Angerona;  Utrecht,  1766,  in-4°;  — 
Quxstiones  literarix;  ibid.,  17C7,  in-8°;  — 
Onomasticon  literarium,  sive  nomenclator 
historico-criticus  prœstantissimorum  omnls 
œtatis  scriptorum;  Utrecht,  1775  1790,  7  vol. 
in-8°,  suivis  d'un  huitième,  ou  supplément,  publié 
sous  le  nom  deMantissa;  ibid.,  1803,  in-8°.  Cet 
ouvrage,  dont  une  partie,  consacrée  aux  auteurs 
anciens,  avait  paru  sous  le  même  litre  (1759, 
in-8°  ),  contient  par  ordre  chronologique  en- 
viron dix  mille  notices  biographiques,  la  plu- 
part très-sommaires  sur  les  auteurs  de  tous  les 
pays  ;  le  premier  nom  est  Adam,  le  dernier  G. 
Hermann,  né  en  1772  ;  ce  qui  a  rendu  ce  livre 
si  utile,  c'est  l'indication  des  sources  à  con- 
sulter sur  chaque  auteur  ;  la  table  générale  des 
matières  des  tomes  I-V1I  est  imprimée  dans 
le  septième  volume.  Saxe  adonné  lui-même  un 
abrégé  des  deux  premiers  volumes,  sous  le  titre 
de  Onomastici  literarii  epilome;  Utrecht, 
1792,  in-8°  ,•  —  Tabulx  genealogicse  Deorum, 
regum,  virorum  iltustrium,  qui  per  tempus 
mythkum  viocis.se  creduntur  ;  Utrecht,  1783, 
in-fol.;  —  Monogrammala  historix  Ba- 
tavx;  ibid.,  1784,  in- 8°;  —  Scholia  lite- 
rario-critica  in  Muratorii  Thesaurum  in- 
scriplionam,(];ms\es  t.  I-1V  des  Acta  literaria 
de  la  Société  savante  d'Utrecht.  11  a  édile  Dyo- 


nisiï  Catonis  Disficha  (1778),  et  il  a  eu  pa  j 
à  la  rédaction  du  Muséum  numarium  Milanc 
VisconUanum  (1782,  in-8°). 

Saxe,  Onomasticon,  t.  VIH  (autobiographie).  —  Ha 
less,  yitse  philologornm,  t.  I.  —  Hirsching,  Hundbuc 
—,Nenes  Gelehrtes  Europa,  t.  XV,  p.  709-730. 

saxk-weimar  (  Bernard,  duc  de),  illusti 
capitaine  allemand,  né  à  Weimar,  le  6  août  160' 
mort  le  8  juillet  1639,  à  Neubo'urg.  Il  était  le  ph 
jeune  des  sept  fils  de  Jean  JH,  duc  de  Saxe-W< 
mar;  il  perdit  son  père  à  l'âge  d'un  an,  et  fi 
élevé  sous  la  direction  de  sa  mère.  La  pédanter 
de  ses  précepteurs  (il  eut  entre  autres  le  fatnei 
Nihus),  antipathique  à  son  caractère,  vif  et  ga 
lui  ôta  le  goût  de  l'étude ,  ce  qu'il  regretta  pli 
tard  amèrement.  En  revanche,  il  acquit  unetrè 
grande  habileté  à  tous  les  exercices  du  corps, 
dix-huit  ans  il  fit  ses  premières  armes  dai 
l'armée-  de  Mansfeld  (1622),  et  se  signala  par  m 
brillante  valeur.  En  1623  il  commanda  un  \é{ 
ment  dans  l'armée  du  duc  de  Brunswick;  après 
défaite  de  Stadtlohe,  il  gagna  la  Hollande  et  ï 
çut  le  meilleur  accueil  de  Maurice,  prince  d'i 
range,  qui  lui  confia  le  commandement  de  D 
venter  ;  il  fit  aussi  des  séjours  prolongés  da 
le  camp  de  ce  célèbre  capitaine,  où  affluais 
les  officiers  de  toute  l'Europe;  il  étudia  notan 
ment  l'art  des  fortifications  et  des  sièges,  où  1 
Hollandais  excellaient  alors.  Étant  entré  au  s( 
vice  du  roi  de  Danemark  Chrétien  IV  (1625), 
prit  une  part  active  aux  opérations  mal  coml 
nées  de  ce  prince  contre  Wallenstein  et  Tilly, 
commanda  lors  de  la  retraite  (1627),  avec  lenu 
grave  de  Bade-Dourlach,  un  corps  de  dix  mi 
hommes,  qui  fut  dirigé  sur  l'Oldenbourg.  Attaq 
le  14  septembre  par  des  forces  supérieures, 
s'exposa  aux  plus  grands  dangers  pour  ranim 
ses  soldats  découragés;  mais  il  ne  put  arrêt 
leur  complète  déroute.  Bien  qu'il  eût  fait  sapa 
avec  l'empereur,  par  l'entremise  de  Wallenstei 
qui  l'estimait  beaucoup,  malgré  les  revers  qui 
n'avait  cessé  d'éprouver  depuis  six  ans  qu'il  coi 
battait  pour  la  cause  qu'il  croyait  juste,  il 
prépara  à  une  lutte  nouvelle  en  suivant  av 
attention  les  opérations  du  fameux  siège 
Bois-le-Duc.  Pendant  deux  années  il  fit  de  vai 
efforts  pour  former  une  ligue  entre  les  princ 
protestants.  La  pusillanimité  de  l'électeur  de  Sa 
fit  échouer  ce  projet.  Il  se  rendit  alors  au  car 
de  Gustave-Adolphe,  qui  le  reçut  avec  distincts 
et  le  nomma  colonel  de  la  cavalerie  de  sa  gar 
(juillet  1631).  Puis  il  signa  avec  lui  un  tra; 
d'alliance,  dont  plusieurs  clauses  importantes*] 
meurèrent  verbales,  ce  qui  donna  lieu  plus  ta 
à  des  difficultés.  Détaché  en  1632  vers  le  b 
Palatinat,  il  prit  Spire,  et  un  heureux  sti 
tagème  lui  livra  la  forte  place  de  Mannlieir 
puis  il  fit  rentrer  dans  l'obéissance  les  paysa 
révoltés  de  la  haute  Souahe,  et  s'avança  jusq 
dans  le  Tyrol  ;  au  milieu  des  avantages  qn 
remporta,  il  fut  soudain  rappelé  parle  roi 
employé  à  l'attaque  du  camp  retranché  de  W 


433  SAXE-WEIMAR 

lenstein,  près  de  Nuremberg.  Après  la  retraite,  il 
fut  laissé  en  Franconic  pour  observer  Wallen- 
stein,  qu'il  empêcha  de  pénétrer  en  Thuringe,  et 
s'opposa  à  la  jonction  de  Pappenheim  et  de  Holk. 
Gustave,  jaloux  de  la  gloire  naissante  de  son 
jeune  élève,  lui  ordonna  de  ne  rien  entreprendre  ; 
presque  en  même  temps  il  le  rejoignit  à  A  rnstadt; 
à  la  suite  d'une  explication  très-vive,  Bernard 
i donna  sa  démission  de  général  suédois.  Il  la  re- 
lira bientôt,  et  dégagea  Nuremberg.  Le  6  no- 
vembre suivant  il  était  à  Lutzen  et  commandait 
l'aile  gauche;  il  allait   prendre  l'ennemi  entre 
peux  feux,  lorsqu'il  fut  appelé  à  la  droite,  qui 
litait  en  pleine  confusion  à  la  suite  de  la  mort  du 
(l'oi;  il  y  rétablit  l'ordre,  prend   le  commande- 
(  rient  en  chef,  et  malgré   l'arrivée  soudaine  de 
Ifappenbeim,  qui  rend  un  instant  la  victoire  in- 
jllécise,  il  la  fixe  sous  ses  drapeaux  en  massant 
,|;es  troupes  en  huit  colonnes  d'attaque. 
|    Appelé  par    la   voix  unanime  des  soldats  à 
remplacer  Gustave,  Bernard  débarrassa  la  Saxe 
ni   s'empara  de   Bamberg.  Dans  les   premiers 
nois   de    1C33,  il    rejoignit   le    feld- maréchal 
S  loin,  avec  lequel  il  battit  Altringer.  Dans  l'in- 
Hervalle  de  graves  difficultés  étaient  survenues 
I  Dire  lui  et  le  chancelier  Oxenstierna,  qui  avaient 
Lu   pour  résultat  de  faire  partager  l'armée  en 
Mieux  corps  placés  l'un  sous  Horn,  l'autre   sous 
i'ernard.  Cependant  ce  dernier  obtint  du  chan- 
celier deux  choses  importantes,  le  payement  de 
ta  solde  arriérée  et  la  propriété  des  duchés  de 
Oambergetde  Wurtzbourg,  réunis  sous  le  titre  de 
duclië  de  Franconie.  Cette  acquisition  lui  était 
Fautant  plus  précieuse  qu'elle  lui  donnait  les 
moyens    de   s'attacher  davantage   ses    soldats 
par  des  largesses  et  des  distributions  de  terres. 
Pendant  dix-huit  mois,  il   opéra    tantôt    avec 
florn,  tantôt  seul.   Trop  faible  d'un  côté,  mal 
pecondé  de    l'autre,  il  ne  put  presque  jamais 
récolter  le  fruit   de   ses    avantages.    Son  plan 
jd'isoler  l'Autriche  de  la  Bavière  et  de  l'envahir 
sur  deux  points  à  la  fois  était  hardi  :  il  avait 
ipris  Ratisbonne  et  tout  le  haut  Palatinal  ;  mais 
lOxenstierna  refusa  de  donner  de  l'argent ,  Horn 
jdes  soldats.  Bernard,  découragé,  prêta  l'oreilleaux 
[propositions  de  Wallenstein,  et  il  allait  s'y  rendre 
lorsqu'il  apprit  la  nouvelle  de  sa  mort  (février 
>1634).  Trop  faible  pour  tirer  parti  du  désordre 
joù  cet  événement  jeta  les  Impériaux ,  réduits 
jàla  défensive,  il  fut  bientôt  chassé  du  haut  Pa- 
jlatinat.  Il  se  réunit  alors  à  Horn  pour  aller  sau- 
ver Ratisbonne,  menacé  par   des  forces  supé- 
rieures; des  retards  causés  par  le  général  sué- 
dois, qui   était  presque  toujours  en  mésintelli- 
jgence  avec  Bernard,  empêchèrent  ce  dernier  de 
prévenir  la  chute  de  Ratisbonne(16  juillet  1634). 
[Un  mois  plus  tard  ils  marchèrent  tous  deux  au 
[secours  de  Nordlingen,  assiégé   par  trente-trois 
pille  Impériaux.  Le  26  août  au  soir,  il  arriva 
javec  vingt  deux  mille  hommes  en  vue  de  l'en- 
jDemi,  et  fit  décider  l'attaque  immédiate;  mais 
Horn,  chargé  de  déloger  pendant  la  nuit  quatre 


434 
cents  espagnols  d'une  hauteur  qui  dominait  le 
camp  de  l'ennemi,  agit  avec  sa  lenteur  accoutu- 
mée, et  n'opéra  que  le  lendemain  matin.  Les 
espagnols  s'étaient  retranchés;  il  fallut  de  grands 
efforts  pour  les  chasser,  et  au  moment  d'eu  ve- 
nir à  bout,  l'explosion  d'une  poudrière  causa  la 
mort  d'un  millier  de  Suédois.  Tout  l'avantage 
gagné  fut  reperdu.  Bernard,  de  son  côté,  tenait  en 
écbec  les  Impériaux  ;  il  envoya  des  renforts  à  son 
collègue,  qui,  dans  la  crainte  d'être  coupé, 
commença  vers  midi  abattre  en  retraite.  Pour 
couvrirce mouvement,  Bernard  attira  surlui  pres- 
que toutes  les  forces  ennemies  ;  mais  sa  cavalerie, 
repoussée  par  Jean  de  Werth,  ayant  culbuté  les 
rangs  de  l'infanterie,  il  en  résulta  une  confusion 
inexprimable,  qui  se  changea  en  complète  dé- 
route. Bernard,  auquel  ce  désastre  ne  peut  êlre 
attribué,  faillit  être  pris  comme  Horn,  et  perdit 
tous  ses  bagages.  Il  rallia  les  fuyards  ,  les  ren- 
força par  quelques  levées ,  et  eut  bientôt  une 
dixaine  de  mille  hommes,  qu'il  conduisit  aux  en- 
virons de  Mayence  et  ensuite  au  delà  du  Rhin. 
Ces  soldats,  pour  lesquels  il  réclama  en  vain  de 
la  ligue  protestante  les  arriérés  de  solde  et  des 
vivres,  se  mirent  à  exercer  des  brigandages  et 
des  excès  de  toutes  sortes.  Ce  fut  alors  qu'il  entama 
(fin  1634)  les  premières  négociations  sérieuses 
avec  l'envoyé  français,  le  marquis  de  Feuquières, 
à  la  demande  duquel  il  rétablit  enfin  l'ordre  et 
la  discipline  parmi  ses  troupes. 

Après  de  longs  pourparlers  ,  il  obtint  le  con- 
cours de  six  mille  Français  pour  faire  lever  le 
siège  de  Heidelberg.  Le  1er  janvier  1635  il 
passa  le  Rhin  pour  se  joindre  aux  autres  troupes 
protestantes  ;  mais  son  projet  échoua,  par  les  in- 
trigues de  l'électeur  de  Saxe.  Il  venait  d'être 
investi  par  la  ligue  de  Heilbronn  du  titre  de  gé- 
néral en  chef,  ce  qui  lui  permettait  de  garder  en 
partie  son  indépendance  vis-à-vis  de  la  cour  de 
France,  lorsqu'il  fut  obligé  par  l'entrée  de  Gallas 
dans  le  bas  Palatinat  de  se  retirer  jusqu'à  Sarre- 
bruck.  11  reçut  alors  les  secours  que  le  cardinal 
de  Richelieu  lui  promettait  depuis  longtemps 
(juillet  1635).  Disposant  de  vingt  mille  hommes, 
il  dégagea  Mayence,  passa  leRhin  et  livra  une  suite 
d'engagements  heureux.  Le  manque  de  vivres,  les 
épidémies,  la  désertion  affaiblirent  bientôt  son  ar- 
mée au  point  de  le  forcer  à  opérer  sa  retraite 
sous  le  feu  de  l'ennemi  :  il  le  fit  après  avoir  dé- 
ployé une  activité,  une  présence  d'esprit,  un 
génie  militaire,  qui  fit  dire  à  Gallas  que  cette 
retraite  était  le  plus  beau  fait  d'armes  auquel  il 
eût  encore  assisté.  Au  mois  d'octobre  il  se  porta 
avec  trente  mille  hommes  à  Dieuze  au  devant  de 
Gallas  et  du  duc  de  Lorraine,  qui  n'acceptèrent 
pas  la  bataille;  il  tenta  de  surprendre  leur  camp, 
mais  ne  remporta  qu'un  succès  partiel,  parce  que 
les  généraux  français  refusèrent  d'exécuter  ses 
ordres.  Dans  l'intervalle  la  paix  de  Prague  lui 
avait  enlevé  tout  espoir  de  secours  à  tirer  d"Al- 
lemagne.  Il  n'hésita  plus  à  se  mettre  tout  à  fait 
au  service  de  la  France,  et  conclut  avec  Riche- 


435 

lieu  un  traité  secret  dont  les  principales  clauses 
étaient  qu'il  recevrait  par  an  quatre  millions  de 
francs  pour  l'entretien  de  dix-huit  mille  hommes, 
que  ses  intérêts  et  ceux  de  ses  officiers  seraient 
sauvegardés  lors  de  la  paix  future,  et  qu'il  per- 
cevrait pour  sa  personne  les  revenus  de  l'Al- 
sace. Dès  l'abord  la  cour  de  France  se  montra 
très-négligente  dans  l'accomplissement  des  obli- 
gations qu'elle  venait  de  contracter.  Pour  la 
presser,  Bernard  se  rendit  à  Paris  (mars  1636), 
où  ii  reçut  le  plus  brillant  accueil ,  mais  sans  ob- 
tenir entière  satisfaction.  Dans  l'été  de  cette  an- 
née il  entreprit  avec  La  Valette  une  campagne 
en  Lorraine,  d  où  il  chassa  complètement  l'en- 
nemi, et  prit  Sarrebourg,  Pfalzbourg  et  Saverne. 
Il  arrêta  ensuite  victorieusement  l'invasion  en 
Bourgogne  entreprise  par  l'armée  impériale  tout 
entière,  qu'il  repoussa  au  delà  de  la  Saône  après 
lui  avoir  fait  éprouver  de  grosses  pertes.  En  1637 
il  se  dirigea  sur  la  Franche-Comté  ;  après  avoir 
emporté  le  passage  de  Gray,  malgré  la  vive  ré- 
sistance du  duc  de  Lorraine  et  de  Mercy,  qu'il 
poursuivit  jusqu'à  Besançon,  il  remonta  subite- 
ment vers  le  Rhin  :  prenant  les  devants  avec 
quinze  cents  hommes,  il  arrive  le  26  juillet  à 
Rheinau  près  de  Benfeld  ;  il  occupe  et  fortifie  à 
la  hâte  les  deux  îles  placées  à  côté  l'une  de  l'autre 
qui  s'y  trouvent,  et  facilite  ainsi  au  reste  de  son 
armée  le  passage  du  fleuve.  Il  remporta  sur  Jean 
de  Werth  une  victoire  signalée  dans  les  environs 
d'Ettenheim;  mais  l'insuffisance  de  ses  troupes, 
l'absence  des  chevaux  l'empêchèrent  d'aller  don- 


SAXE-WEIMAR  436 

deux  mille  prisonniers,  dont  les  deux  généraux 
en  chef  et  presque  tous  les  officiers.  Aprèsavoir 
ensuite  pris  Rheinfelden  et  Fribourg ,  il  fit  oc- 
cuper le  Brisgau,  par  ses    lieutenants;  il  tenta 
d'exécuter  le  projet,  conçu  de  longue  date,  de 
s'emparer  de  Brisach,  la  clé  de  l'Alsace.  A 
peine  cette  place  fut-elle  menacée  que  l'empe- 
reur ordonna  à  ses  généraux  de  mettre  tout  en 
œuvre   pour   la  sauver.    Renforcé   par   quatre 
mille  Français,  sous  Guébriand  et  Turenne,  ce 
qui  porta  son  armée  à    seize  mille  hommes, 
Bernard  résolut  de  prévenir  l'attaque  de  Savelli 
et  de  Gœlz  qui  disposaient  de  20,000  hommes, 
et  il  les  assaillit  devant  Schuttern  (29  juillet). 
N'ayant  pas  réussi  à  les  déloger,  il  se   relira;  , 
mais  ayantappris  qu'ils  avaient  aussi  rétrogradé, 
il  les  poursuivit  à  marches  forcées,  les  atteignit 
près  de  Kappel,  et  les  défit,  après  cinq  heures  d'un 
combat  acharné  (1er  août).   Un  immense  bu- 
tin et  plus  de  quatre-vingts  drapeaux  tombèrent 
entre  ses   mains.   Maître  du   pays,  il  investit I 
Brisach,    place  que  la  nature  et  l'art  avaienlJ 
rendue  presque  imprenable.    Les  travaux   de  j 
siège   terminés ,  il  s'empara   à  la  fin  de  sep-  h 
tembre  de  quelques  ouvrages  importants  ;  mais  ; 
une  fièvre  violente,  augmentée  par  l'irritatior II 
où  le  jetait  l'incurie  de  la  cour  de  France. ,  qu 
ne  lui  expédiait  que  des  secours  insuffisants,  I<  j 
réduisit  pendant  quelque  temps  à  l'impuissance 
Les  Impériaux  étaient  revenus  en  force,  com  | 
mandés  par  le  duc  de  Lorraine,  Gœtz  et  Savelli 
A  peine  convalescent,  Bernard  courut  au-devan 


ner  la  main  aux  Suédois  sur  le  Danube,  et  il  i  du  duc,  le  rencontra  à  Thann  (5  octobre),  et  lu 


repassa  le  Rhin.  Cette  fois  il  alla  ravitailler  son 
armée  dans  les  riches  'domaines  de  l'évêque  de 
Bâle,  sous  prétexte  qu'il  avait  violé  Ja  neutralité, 
et  il  y  leva  de  fortes  contributions.  Au  commence- 
ment de  i638,iIobtintunmilionetdemi  poursolde 
des  subsides  arriérés  et  deux  millions  et  demi 
pour  l'année  courante;  de  plus  on  lui  promit  qu'un 
corps  français  occuperait  dans  la  Franche-Comté 
l'armée  du  duc  de  Lorraine. 

Déjà  avant  la  signature  de  cet  accommode- 
ment, il  avait  commencé  une  campagne  d'hiver. 
A  la  nouvelle  de  la  mésintelligence  entre  les  chefs 
impériaux,il  se  hâta  de  profiter  du  peu  de  soin  qu'ils 
mettaient  à  garderies  passages  du  Rhin  du  côté 
du  Brisgau  ;  il  part  le  17  janvier  1638,  par  le  plus 
grand  froid,  traverse  le  19  le  fleuve,  ets'empare  le 
20  de  Laufenbourg,  puis  il  mel  le  siège  devant 
Rheinfelden.  II  était  encore  occupé  lorsque  Jean 
de  Werth  et  Savelli,  ayant  enfin  réuni  leurs  régi- 
ments dipersés,  vinrent  lui  présenter  la  bataille; 
elle  fut  longue  et  acharnée,  et  resta  indécise 
(18  février).  Bernard  se  retira  sur  Laufenbourg. 
Trois  jours  après,  le  21,  il  vint  à  son  tour  sur- 
prendre les  Impériaux  restés  devant  Rheinfelden. 
Faisant  soutenir  sa  marche  en  avant  par  les 
feux  de  l'artillerie,  moyen  de  son  invention  qu'il 
employa  alors  pour  la  première  fois,  il  mit  après 
une  heure  de  combat  les  ennemis  dans  une  com- 
plète déroute;  ils  curent  quinze  cents  morts  et 


fit  perdre  plus  de  la  moitié  de  ses  hommes  e 
(outesonartillerie.  Maislei4octobre,danslanuif 
son  camp  fut  assailli  par  quatorze  mille  Impériaux 
qui  faillirent  mettre  le  feu  aux  magasins;  les  effort 
qu'ils  renouvelèrent  ne  réussirent  pas  mieux 
Exténuée  de  famine,  la  garnison  de  Brisach  capi 
tula,  le  7  décembre.  Bernard  prit  en  son  propr 
nom  possession  de  la  ville,  où  il  trouva  un  im 
mense  matériel  et  une  quantité  d'objets  pré 
cieux. 

Pour  dédommager  les  Français,  qui  avaien 
espéré  qu'il  leur  céderait  sa  conquête,  Bernai/ 
résolut  de  délivrer  la  Franche-Comté.  A  la  find 
décembre,  il  se  mit  avec  onze  mille  hommes  e 
marche  vers  ce  pays,  dont  il  trouva  les  entrée 
fort  mal  gardées.  Sans  avoir  rencontré  d'obs 
lacles  sérieux ,  il  pénétra  jusqu'à  Pontarlier,  6 
se  rendit  maître  en  six  semaines  de  la  partie  1 
plus  riche  de  la  province.  Il  revint  en  Alsace,  qu'i 
regardait  selon  les  promesses  françaises  comm 
devant  bientôt  lui  appartenir  complètement,  e 
dont  il  prit  en  main  l'administration.  Il  préparai 
pour  cette  année  de  vastes  opérations  dans  l'Ai 
lemagne  du  sud,  où  les  Impériaux  ne  pouvaien 
plus  lui  tenir  tête.  Aussi  la  cour  de  Vienne  cher 
cha-t-elle  de  nouveau  à  le  gagner  par  les  propo 


sitions  les  plus  avantageuses  ;  il  resta  sourd  à  ce 
ouvertures,de  même  qu'il  résista  avec  fermeté  au 
instances  de  Guébriant  pour  qu'il  adhérât  à  1 


SAXE-WEIMAR  —  SAXO 


438 


■mention  de  garder  Brisach,  mais  au  nom  du 
i.  Sans  attendre  les  secours  qu'on  ne  cessait  de 
i  promettre,  il  franchit  le  Rhin  avec  quelques 
ailiers  de  soldats.  Ce  fut  à  ce  moment  qu'il  fut 
ris,  le  3  juillet,  d'une  grave  maladie;  il  se  fit 
ansporter  à  Neubourg,  où  il  succomba  quel- 
les jours  après  (1).  Il  mourut  dans  les  senti- 
ments de  sincère  piété  qui  ne  l'avaient  jamais 
lutté.  Par  son  testament  il  confia  le  commande- 
ment de  l'armée  à  ses  quatre  lieutenants:  Erlach, 
\  comte  de  Nassau,  Ehm  et  Rosen,  et  laissa  à  ses 
lères  outre  sa  fortune  mobilière,  ses  conquêtes 
[i  Allemagne;  mais  la  France  s'en  empara  im- 
1  édiatement  par  la  connivence  d'Erlach,  qu'elle 
i  ait  gagné  à  ses  intérêts  par  une  pension  de 
|:,000  livres,  et  qui  s'appropria  la  plus  grande 
rlie  de  l'argent  et  des  objets  précieux  que  pos- 
[dait  son  maître. 

;  Ainsi  disparut  au  milieu  des  plus  brillants 
fomphes,  au  moment  où  il  allait  donner  une 
Uivclle  face  à  la  lutte  dont  dépendaient  les 
I  stinées  de  l'Europe,  le  duc  Bernard  de  Saxe- 
r'eimar,  qui  fut  après  Gustave-Adolphe  le  plus 
pnd  homme  de  guerre  de  son  temps.  D'une 
Savoure  téméraire,  il  ne  perdait  pas  de  vue  au 
\  lieu  de  la  mêlée  la  plus  confuse  tous  les  in- 
jlents  du  combat,  et  remédiait  aux  fautes  avec 
[tant  de  bonheur  que  de  promptitude. 
(Il  méditait  profondément  ses  plans  et  les  exé- 
Itait  avec  une  parfaite  sûreté  de  coup  d'œil, 
liliant  à  ce  que  l'ordre  le  plus  régulier  présidât 
|f  service,  dont  aucun  détail  ne  lui  échappait.  Il 
-lit  d'unejaille  élancée  et  bien  proportionnée; 
(avait  le  tein  brun,  le  visage  agréable,  bien  qu'un 
m  allongé.  Sa  simplicité  était  remarquable;  et 
jse  distinguait  de  presque  tous  les  capitaines  de 
m  temps ,  de  ses  compatriotes  surtout,  par  sa 
•briété  et  sa  chasteté  exemplaires.  Il  était  d'un 
rCiieil  bienveillant,  plein  de  libéralité,  et  très- 
imiain;  il  n'y  eut  guère  que  deux  occasions  où 
se  laissa  entraîner  par  sa  grande  vivacité  à 
;s  rigueurs  excessives;  encore  n'éteient-elles 
is  contraires  à  la  justice,  vertu  qu'il  cultivait  à 
•■gai  de  l'intégrité.  Ernest  Grégoire. 

sluitf  Herzoçi  Bernhards  ;  Gotha,  1639,  in-i°.  — 
r,  Trauerprcdigt  ûber  Herzog  Bernhard;  Col- 
»,  1639,  in-4c.  —  Freinsheim,  Tcutscher  Tugens-ùpie- 
l.  —  Hellfeld,  Ceschickle  Bsrnhards  des  Grossen; 
l|  elg,  1797,  in-8°.  —  Rœse,  Herzog  Bernhard  des  Gros- 
si Weimar,  1828,  2  vol.  ln-8°  (excellent  travail  rédigé 
iprts  les  papiers  de  Bernard  et  autres  documents  iiié- 
w'-s).  —  Bazin,  Hist-  de  Louis  XIII.  —  Richelieu,  Mé- 
ioires. 

saxius.  Voy.  Sassi  et  Saxe. 
■saxo,  surnommé  Grammalicus,  historien 
mois,  né  probablement  dans  une  des  îles  da- 
ises,  mort  peu  après  1203  (2).  Il  était  de  ia 

i|  D'après  des  bruits  publics  souvent  accueillis,  Ber- 

rd  serait  mort,   empoisonné,  crime  attribué  tantôt  à 

iitrichc,  tantôt   à  la  France.  Dans  les  derniers  temps 

M  vie,  le  duc  eut,  il  est  vrai,  à  prendre  des  mesures 

Ifiir  se  garder  de  diverses  tentatives  d'assassinat;  mais 

Rant  à  sa  mort,  elle  est  due,  d'après  l'examen  appro- 

■l-idi  de  Rœse,  à  des  causes  toutes  naturelles. 

Comme  Sperling  l'a   depuis   longtemps  établi,  ii  ne 


l 


famille  noble  des  Lange;  son  père  et  son 
grand-père  servaient  dans  l'armée  de  Walde- 
mar  Ier.  Entré  dans  les  ordres,  il  passa  la  plus 
grande  partie  de  sa  vie  dans  un  monastère  siltié 
en  Scanie,  comme  on  le  présume  avec  beau- 
coup de  vraisemblance.  D'un  esprit  vif  et  plein 
d'ardeur,  il  parvint  sans  maître  -à  posséder  la 
langue  latine  à  un  degré  d'excellence  qu'aucun 
de  ses  compatriotes  n'avait  encore  atteint.  Ce 
fait,  d'autant  plus  remarquable  qu'une  petite 
partie  seulement  des  classiques  latins  était 
connue  en  Danemark,  lui  valut  le  surnom  de 
Grammaticus.  Absalon,  archevêque  de  Lund, 
devint  son  protecteur,  et  le  chargea  d'écrire,  de 
concert  avec  Aggeson,  les  hauts  faits  de  la  na- 
tion danoise.  Une  trentaine  d'années  aupara- 
vant un  moine  de  Roëskilde  avait  fait  dans  ce 
genre  un  premier  essai,  consistant  en  récits 
d'une  extrême  sécheresse.  Le  travail  d'Aggeson 
ne  valait  guère  mieux.  L'Historia  danica  de 
Saxo,  au  contraire,  est  un  des  documents  les 
plus  curieux  du  moyen  âge;  plus  de  la  première 
moitié  est  empruntée  uniquement  aux  tradi- 
tions populaires  et  aux  chants  des  scaldes,  que 
Saxo  traduit  souvent  à  la  lettre.  Puisée  à  cette 
source,  que  presque  tous  les  auteurs  du  moyen 
âge  s'obstinèrent  à  dédaigner,  cette  partie  de 
Y  Histoire  de  Saxo  est  du  plus  haut  intérêt 
touchant  les  mœurs  et  coutumes  des  anciens 
Scandinaves.  Mais  on  ne  peut  rien  en  tirer  pour 
l'histoire  proprement  dite  ;  c'est  un  tissu  de  ré- 
cits fabuleux,  où  l'on  aurait  beaucoup  de  peine 
à  démêler  un  seul  fait  certain.  Arrivé  au 
dixième  siècle  de  notre  ère  (à  partir  du  dixième 
des  XVI  livres  de  son  ouvrage),  Saxo  entre 
enfin  dans  le  domaine  de  la  réalité  ;  mais  il  ne 
suit  pas  d'ordre  chronologique  ;  et  l'on  voit  fa- 
cilement qu'il  n'a  pas  consulté  les  archives  de 
Lund  et  de  Roëskilde  et  qu'il  n'avait  qu'une  con- 
naissance superficielle  des  annalistes  francs  et 
anglais  (1).  Son  récit  faiblit  et  devient  terne; 
sur  le  règne  de  Waldemar  Ier  il  fournit  les  dé- 
tails les  plus  précieux  et  les  plus  authentiques, 
puisés  dans  les  communications  de  l'arche- 
vêque Absalon,  qui  avait  pris  alors  une  si 
grande  part  aux  affaires  du  pays.  L'ouvrage  de 
Saxo  fut  considéré  longtemps  comme  la  base  de 
l'histoire  danoise;  son  autorité,  combattue  pour 
la  première  fois  au  dix-septième  siècle  par  Tor- 
fa;us ,  fut  encore  prédominante  jusqu'à  ce  que 
Dahlmann  en  eut  fait  une  analyse  critique,  La 
première  édition  a  pour  titre  :  Danorum  re- 
gum  heroumque  historiée  (Paris,  1514,  in-fol.); 
eile  a  été  réimprimée  à  Bàle,  1534,  in-fol.;  à 
Francfort,  1576,  in-fol.  ;  à  Soroë,  1644,  in-fôl., 

faut  pas  le  confondre  avec  un  autre  Saxo,  son  contem- 
porain, prévôt  de  Roëskilde,  et  rien  ne  prouve  que  l'his- 
torien lui-même  ait  vécu  et  ait  été  enterré  à  Roëskilde. 
(Langebeck,  Scriptorcs,  t.  V,  p.  430  et  430.  ) 

(1)  Quoiqu'il  en  dise,  Saxo  n'a  pas  plus  puisé  ses  ren- 
seignements ■il.'.ns  les  inscriptions  coniques,  qui  n'offrent 
i   du  reste  pas  de  matériaux  pour  l'histoire,  qu'il  n'a  con- 
I    suite  les  travaux  historiques  des  Islandais. 


439  SAXO 

avec  une  introduction  et  un  bon  commentaire 
de  Stephanius  ;  à  Leipzig,  177l,in-4°.  La  meil- 
leure édition  a  été  donnée  par  P.-E.  Millier  et 
Velschow  ;  Copenhague,  1839-1858,  2  vol.  gr. 
in-S°.  Une  traduction  danoise  dans  un  style 
plein  d'énergie  et  de  naïveté,  autant  que  celui  de 
Saxo  est  fleuri  et  recherché,  a  été  publiée  par 
Vedel  (Copenhague,  1575,  in-fol.  et  1845-1851, 
gr.  in-8°);  elle  est  devenue  en  Danemark  un 
livre  populaire;  une  autre  traduction  danoise  a 
été  donnée  par  Grundtvig  (Copenhague,  1818- 
1822,  2  vol.  in-40),  E.  G. 

Reimcr,  De  vita  Saxonis  Crammatici  ;  Hclmstfedt, 
17ii2,  in-4°.  —  P. -T.  Miiller,  Kritisk  Undersogelse  af 
Saxos  Historié;  Copenhague,  1823,  in-8°.  —  Suhm,  His- 
torié af  Danmurk,  t.  IX,  p.  104.  —  Nyerup  ,  Histo- 
risli-statistish  Skildring ,t.  Il,  p.  2G7  —  Dahlmar.n,  For- 
schungen  auf  dem  Gebiete  der   Geschichte,  p.   149-403. 

say  (  Jean-Baptiste  ),  économiste  français, 
né  à  Lyon,  le  5  janvier  1767,  mort  à  Paris,  le 
15  novembre  1832.  Son  père,  Jean-Etienne 
Say,  issu  d'une  famille  protestante,  originaire 
de  Nîmes,  mais  établie  à  Genève  après  la  révo- 
cation de  l'Édit  de  Nantes,  était  venu,  à  la  fin 
du  dix-huitième  siècle,  apprendre  le  commerce 
à  Lyon,  chez  un  riche  négociant,  M.  Castenet, 
dont  il  avait  épousé  la  fille.  J.-B.  Say  naquit 
de  cette  union,  et  n'interrompit  des  études  bril- 
lamment commencées  que  pour  suivre  ses  pa- 
rents à  Paris,  où  les  conduisaient  ies  nécessités 
d'une  fortune  compromise.  Destiné  alors  au  né- 
goce, il  passa,  avec  son  frère  Horace,  en  Angle- 
terre, où  il  habita  le  village  de  Croydon,  près 
Londres,  chez  un  négociant  dont  il  se  fit  le  com- 
mis. La  mort  de  son  patron  l'ayant  fait  revenir  en 
France,  il  entra  comme  employé  dans  une  com- 
pagnie d'assurances  sur  la  vie,  dont  le  gérant 
était  Clavière,  le  futuT  ministre  des  finances  de 
la  république.  C'est  par  lui  qu'il  connut  les  œu- 
vres d'Adam  Smith,  et  que,  trouvant  dès  lors 
sa  vocation,  il  en  devint  d'abord  le  divulgateur 
et  bientôt  le  continuateur.  Tout  en  annotant 
les  œuvres  de  Smith,  il  publiait,  dans  ÏAlma- 
nach  des  Muses,  quelques  poésies  fugitives, 
et  travaillait,  avec  Mirabeau,  au  Courrier  de 
Provence.  Notre  grande  révolution  ne  le  laissa 
pas  indifférent;  en  1792  il  partit  comme  volon- 
taire, et  fit  la  campagne  de  Champagne;  en  1793 
il  prit  le  nom  A'Atticus,  et  devint  secrétaire 
de  Clavière,  nommé  ministre.  Il  venait  d'é- 
pouser M"e  Deloche,  fille  d'un  ancien  avocat 
au  conseil  (  25  mai  1793)  ;  la  dépréciation  des 
assignats  réduisit  les  jeunes  époux  à  une  gêne 
extrême  :  il  leur  fallut  quitter  Paris,  et,  placés 
tous  deux  à  la  campagne,  ils  songeaient  à  ou- 
vrir une  maison  d'éducation,  lorsque  les  amis 
de  Say,  Chamfort  et  Ginguené,  lui  offrirent  de 
fonder  avec  eux  un  journal,  La  Décade  (avril 
1794  ),  qui  devait  mettre  les  lettres  en  harmonie 
aver,  l'esprit  politique  du  temps.  Resté  seul  à  la 
tête  de  ce  recueil  par  la  mort  de  Chamfort  et 
l'emprisonnement  de  Ginguené,  il  s'adjoignit 
Andrieux,  Amaury  Duval,  et  son  propre  frère 


-  SAY  44C 

Horace,  qui  professait  l'art  de  la  fortification  è 
l'École  polytechnique.  Cette  collaboration  cesss 
seulement  en  1800.  Sa  réputation  dès  lors  étail 
assez  grande  pour  que  Bonaparte,  partant  poui 
l'Egypte,  lui  confiât  le  soin  de  choisir  lès  livres 
qui  devaient  composer  la  petite  bibliothèque 
dont  il  voulait  se  faire  suivre.  Nommé  tribur 
en  novembre  1799,  il  ne  tarda  pas  à  désap 
prouver  les  tendances  absolutistes  du  nouveai 
gouvernement.  «Trop  faible,  a-t-il  dit,  pou 
m'opposer  à  l'usurpation  et  ne  voulant  pas  1; 
servir,  je  dus  m'interdire  la  tribune,  et  revêtan 
mes  idées  de  formules  générales,  j'écrivis  de 
vérités  qui  pussent  être  utiles  en  tout  temps  e 
dans  tous  les  pays.  »  Telle  fut  l'origine  de 
écrits  économiques  qui  allaient  le  rendre  si  ce 
lèbre  et  où  la  haine  de  l'arbitraire  et  des  ei 
traves  gouvernementales  devait  se  marquer  : 
profondément.  Dès  1789  il  avait  publié  un  ess: 
sur  la  Liberté  de  la  Presse  (Paris,  in-b°  );  e 
1800  il  fit  paraître  :  Olbie,  ou  essai  sur  U 
moyens  de  réformer  les  mœurs  d'une  no 
tion  (  Paris,  in-8°  ).  Ce  livre  fut  comme  la  pn 
face  de  son  célèbre  Traité  d'économie  pol, 
tique,  ou  simple  exposé  de  la  manière  doi 
se  forment,  se  distribuent  et  se  consomme) 
les  richesses  (Paris,  1803,  2  vol.  in-8°  ;  6eédii 
1841,  gr.  in-8°).  De  ce  livre  seulement  datée 
Europe  l'existence  d'une  méthode  simple  et  s; 
vante  pour  étudier  l'économie  politique  :  Say  en 
définitivement  cette  science  en  l'isolant,  en  lad 
gageant  de  la  politique  et  de  l'administratio 
Smith  avait  merveilleusement  analysé  laprodu 
tion  des  richesses;  Say  nous  initia  aux  mystèr 
de  leur  distribution,  et  nous  fit  connaître  I 
phénomènes  de  la  consommation  des  produil 
Pour  lui  toute  valeur  est  fondée  sur  l'utilij 
Mais  ce  qui  le  rendra  à  jamais  célèbre,  c'est,  < 
Blanqui,  sa  théorie  des  débouchés  fondée  s 
cet  axiome  :  «  On  ne  paye  les  produits  qu'av 
des  produits  ;  toute  loi  qui  défend  aux  peupl 
d'acheter  ies  empêche  de  vendre.  »  C'était  d 
lors  la  condamnation  de  la  guerre,  .comme  pi 
tard  celle  du  blocus  continental,  et  comme  a 
jourd'hui  celle  du  système  prohibitionniste. 
Traité  venait  de  paraître  lorsque,  dans  un  dû 
à  la  Malmaison,  Bonaparte,  prenant  Say  à  l'éca 
chercha  en  vain  à  le  convertir  à  ses  théor 
de  succès  pratique,  de  raison  d'État  et  d'interve 
tion  gouvernementale.  Son  opposition  était  b; 
marquée  :  il  fut  classé  en  septembre  1802  par 
les  membres  du  Tribunat  qui  durent  sortir 
l'an  xii  (1804).  A  celte  époque  on  le  nomi 
directeur  des  contributions  indirectes  de  l'Alli 
(  26  mars  1804);  il  refusa  «  ne  voulant  p 
dit-il,  aider  à  dépouiller  la  France  •>. 

Éloigné  par  principe  des  fonctions  publiqui 
frappé  comme  auteur  par  la  défense  de  publ 
une  troisième  édition  de  son  Traité  d'Éconon 
politique,  Say  se  réfugia  dans  l'industrie.  S'i 
truisant  lui-même,  avec  son  fils,  dans  la  sô 
du  Conservatoire,  à  l'emploi  des  machines; 


141  SAY  — 

laises,  il  alla,  en  1805,  établir  à  Auchy,  près 
'Ih'Silin,  dans  un  ancien  couvent,  une  vaste  fi- 
iture,  qui  bientôt  n'occupa  pas  moins  de  cinq 
ents  ouvriers.  Au  bout  de  huit  ans,  il  se  relira 
Paris  (18 13).  La  cliufe  de  l'empire  le  plaça  à 
tête  du  mouvement  économique  et  corn- 
levcial  de  cette  époque.   Dès   1814  il  parut  la 

Ieux  ième  édition  de  son  traité,  dédiée  à  l'empereur 
lexandre,  qui  depuis  longtemps  se  disait  son 
lève;  le  gouvernement  français  le  chargea  de  vi- 
ter  l'Angleterre  pour  en  étudier  l'état  économi- 
ne  :  ce  voyage  fut  pour  lui  un  vrai  triomphe.  En 
815  il  professa  à  l'Athénée  de  Paris.  Quoique 
ivant  à  l'écart  des  événements,  son  influence 
olilique  fut  grande;  ses  théories  furent  étudiées 
mime  un  instrument  d'opposition  et  bien  sou- 
■nt  invoquées  ou  combattues  parles  orateurs  de 
Me  époque.  Le  gouvernement  créa  pour  lui, 
i  1819,  au  Conservatoire  des  arts  et  métiers, 
ne  chaire  nouvelle,  mais  sous  la  dénomination 
étreinte    d'Économie    industrielle.   Comme 
•ofesseur  J.-B.  Say  était  particulièrement  re- 
larquable  par  sa  lucidité,  sa  grâce  et  sa  cha- 
ur  de  conviction.  Il  écrivait  cependant  ses  le- 
ons  et  ne  les   improvisait  jamais.  Nommé  en 
>30  membre  du  conseil  général  de  la  Seine,  il 
!  démit  de  ses  fonctions  pour  se  consacrer  en- 
èrement  à  la  chaire  d'économie  politique  qui, 
ï  1831,  fut  créée  pour  lui  au  Collège  de  France, 
tais  déjà  ses  forces  étaient  brisées  par  plusieurs 
laques  d'apoplexie  nerveuse,  et  il  mourut,  le 
5  novembre  1832,  âgé  de  soixante-six  ans. 
Le   temps,   sans     amoindrir   la     gloire    de 
.-B.  Say,  a  cependant  amené   la  critique  de 
iuelques  parties  de  sa  doctrine  économique  : 
n  lui  reproche  aujourd'hui  d'avoir  fait  la  part 
op  belle  aux  capitaux;  d'avoir  considéré  le  sa- 
lure comme  suffisant,  non  point  parce  qu'il  fait 
ivre,  mais  parce  qu'il  empêche  de  mourir;  d'a- 
oir  accueilli  enfin  le  triste  système  de  Malthus 
ur  la  population.  Les  économistes  spiritualistes 
accusent    d'avoir ,   en    se    préoccupant    trop 
Inclusivement  de  l'augmentation  des  produits, 
fxcité  et  multiplié  indéfiniment  les  besoins  et  les 
Puissances  physiques  des  classes  ouvrières,  tout 
lu  s'efforçanl  d'obtenir  le  produit  au  plus  bas 
mx  possible.  Mais  s'il  lui  a  manqué  d'envisager 
l'un  point   de  vue  plus  social  les  questions  de 
[aupérisme  et  de  salaire,  il  reste  sans  rival  dans 
M  ce  qui  concerne  les  douanes ,  les  monnaies, 
p  crédit  public,  les  colonies ,  et  ce  qu'il  appelle 
'es  fléaux  de  la  guerre  et  des  impôts.  On  a  en- 
iorede  lui  :  De  l'Angleterre  et  des  Anglais; 
Maris,  1812,  in  8°;  —  Catéchisme  d'économie 
bolUique;  Paris,  1815,    1822,  1834,  in-12;  — 
fetit  volume  contenant  quelques  aperçus  des 
tommes  et  de  la  société;  Paris,  1818,  in-18,  et 
!839,  in-32;    —  Lettres  à  Malthus  ;  Paris, 
J820,  in-8°;  —   Cours  complet  d'Économie 
politique;  Paris,  1828-30,6  vol.  in-8°,  trad.  en 
Mlomand;  —  Epitomé  des  principes  de  l'é- 
conomie politique;  Paris,  1831,  in- 8°;—  Mé- 


SCACCIU 


442 


langes  et  correspondance  ;  Paris,  1833,  1844, 
in-8°,  publiés  par  Charles  Comte,  gendre  de 
l'auteur.  Les  principaux  écrits  de  Say  forment 
les  tomes  IX  à  XII  de  la  Collection  des  Econo- 
mistes de  Guillaumin.  H  a  traduit  de  l'anglais 
le  Voyage  en  Suisse  de  Williams  (1798),  et  il  a 
annoté  les  Principes  de  Ricardo  (trad.  fr.,  1818), 
et  le  Cours  d'Économie  de  Storch  (édit.  de, 
Paris).  Il  a  fourni  des  articles  à  la  Revue  en- 
cyclopédique et  au  Dictionnaire  de  la  Conver- 
sation. Eug.  Asse. 

Dict.  d'Économie  politique,  II.  —  Blanqul,  Notice  sur 
la  vie  et  les  ouvrages  de  J.-B.  Say,  lue  on  i8'<0  i  l'Acad. 
des  se.  morales.  —  Annales  de  la  Soc.  acad.  de  Nantes, 
déc.  18S2.  —  Cil.   Dupin,  Disc,  prononce    sur  sa  tombe. 

—  C,h.  Comte,  Notice,  à  la  tôle  des  Mélanges.  —  Jour- 
nal des  Débats,  n  nov.  1832. 

*  sayods  (  Pierre- André  ) ,  littérateur  fran- 
çais, né  à  Genève,  le  9novembre  1808,  appartient 
à  une  famille  de  réfugiés  protestants .  Après 
avoir  étudié  les  belles-lettres  et  la  philosophie  à 
l'académie  de  Genève ,  il  devint  principal  du 
collège  de  cette  ville,  puis  succéda,  en  1816,  à 
M.Topfer,  son  parent,  dans  la  chaire  des  belles- 
lettres,  qui  fut  supprimée  en  1848,  comme  toutes 
celles  de  la  faculté  des  lettres.  Fixé  à  Paris  de- 
puis 1852,  et  employé  dans  les  bureaux  du  mi- 
nistère de  l'instruction  publique,  il  y  devint  en 
1859  sous-directeur  des  cultes  non  catholiques. 
On  a  de  lui  :  Voyage  dans  les  Alpes.  Partie 
pittoresque  des  voyages  de  De  Saussure  ;  Ge- 
nève, 1834,  in-8°;  —  Étude  littéraire  sur 
Calvin;  Genève,  1838,  in-8°,  travail  reproduit, 
avec  des  modifications,  dans  l'ouvrage  suivant; 

—  Études  littéraires  sur  les  écrivains  fran- 
çais de  la  Réformation;  Paris,  1841,  2  vol. 
in-8°  :  Faret,  Viret,  François  Hotman,  La  Noue, 
Duplessis-Mornay  y  sont  mentionnés  avec  dé- 
tails;—  Histoire  de  la  littérature  française 
à  l'étranger',  dix-septième  siècle  ;  Paris,  1852, 
2  vol.  in-8°,  couronnée  par  l'Académie  fran- 
çaise; —  Le  Dix-huitième  siècle  à  l'étranger; 
Paris,  1861,  2  vol.  in-8°:  suite  de  l'ouvrage  pré- 
cédent. Il  a  publié  les  Mémoires  et  correspon- 
dance de  Mallet  du  Pan  (Paris,  1851,  2  vol. 
in-8°),  et  il  a  collaboré  à  la  Bibliothèque  uni- 
verselle de  Genève,  au  Semeur  et  à  la  Revue 
des  deux  mondes.  E.  R. 

Documents  particuliers. 

scaccoi( For tunato),  antiquaire  italien,  né 
vers  1573, à  Ancône,mortle  1er  août  1643,àFano. 
Issu  du  commerce  illégitime  d'un  gentilhomme 
d'Ancône  avec  sa  servante,  il  fut  élevé  jusqu'à 
cinq  ans  dans  l'hôpital  de  l'Annonciad-e,  puis 
reconnu  par  son  père,  qui  se  repentait  de  l'avoir 
abandonné.  Ayant  pris  l'habit  des  ermites  de 
Saint-Augustin  sous  le  nom  de  Fortunalo,  il 
acheva  son  éducation  religieuse  à  Fano  et  à  Ri- 
mini,  et  obtint  en  1594  la  permission  de  passer  en 
Espagne.  C'était  l'amour  de  l'étude  qui  le  poussait 
vers  ce  pays  :  dénué  de  ressources,  il  fut  obligé 
sur  mer  de  servir  de  cuisinier  à  quelques  passa- 
gers, et  dans  le  reste  du  voyage  de  mendier  son 


443 


SCACCHI  —  SGALA 


pain  jusqu'à  Tolède.  Ses  confrères  l'envoyèrent  à 
l'université  d'Alcala,  et  il  n'y  employa  pas  moins 
de  sept  années  à  étudier  la  théologie  ;  aussi  l'en- 
seigna-t-il  avec  quelque  succès  à  Vérone ,  à 
Perugia,  à  Recanati  et  à  Macerata ,  comme  il  fit 
ensuite  de  l'hébreu  à  Rome,  et  à  Padoue.  En  1618, 
comme  il  se  trouvait  à  Rome  où  s'était  assemblé 
le  chapitre  général  de  son  ordre,  il  reçut  un  bon 
accueil  des  savants,  et  en  particulier  du  cardinal 
Cobellucci,  qui  lui  procura  la  chaire  d'Écriture 
sainte.  Urbain  YIII,  qui  avait  de  l'estime  pour 
lui,  le  revêtit  en  1624  de  la  charge  de  sacristain; 
mais  il  la  lui  ôta  en  1639,  et  Scacchi,  contraint 
pour  vivre  de  vendre  sa  bibliothèque,  se  retira  à 
Fano,  où  bientôt  il  perdit  la  vie.  Ce  religieux 
n'avait  point  d'ordre  dans  ses  affaires;  il  s'expri- 
mait avec  une  vivacité  maligne  sur  le  compte 
d'autrui;  il  oubliaitle  bien  qu'on  lui  faisait,  comme 
il  arriva  avec  son  frère  Oliviero,  qui  le  tira  d'un 
mauvais  pas;  enfin  «  il  n'était  pas,  dit  Kiceron, 
irréprochable  dans  sa  conduite,  et  sa  trop  grande 
familiarité  avec  le  sexe  ne  donnait  que  trop  lieu 
défaire  douter  de  sa  sagesse  ».  On  a  de  lui  : 
Sacrorum  eleeochrismatum  myrothecia  111; 
Rome,  1625-37,  3  vol.  in-4°  ;  Amst.,  1701, 
in-fol.;  La  Haye,  1725,  in-foh,  sous  le  titre  de 
Thésaurus  antiq.  sacro-profanarum  :  l'auteur 
a  répandu  l'érudition  à  pleines  mains  dans  ce 
recueil,  mais  il  l'a  rempli  de  digressions  étran- 
gères à  son  sujet;  —  Precliche  e  discorsi; 
Rome,  1636,  in-4°;  —  De  cidlu  et  venera- 
tione  servorum  Dei  liber,  qui  est  de  notis 
et  signis  sanctitatis  ;  Rome,  1639,  in-4°:  traité 
inachevé.  Il  a  aussi  publié  une  édit.  de  la  Bible 
(Venise,  1609,  2  vol.  in-fol.). 

Kossi,  Pinacotheca.  —  Du  Pin,  Bibliolh.  des  auteurs 
ecclés.  —  Niceron,  Mémoires,  XXI. 

scala  (Mastino  I"'  de  La),  seigneur  de 
Vérone,  né  au  commencement  du  treizième 
siècle,  mort  à  Vérone,  le  17  octobre  1277.  Issu 
d'une  des  plus  nobles  et  des  plus  anciennes  fa- 
milles de  Vérone,  si  l'on  en  croit  la  généalogie 
qui  fut  composée  sous  ses  successeurs,  sorti 
d'une  famille  récemment  anoblie  et  qui  remon- 
tait à  des  marchands  d'huile,  si  l'on  s'en  rap- 
porte à  ses  ennemis,  Mastino  de  La  Scala  était 
entièremeut  dévoué  au  parti  gibelin.  Nommé,  en 
1259,  seigneur  de  Vérone,  il  fit  de  celte  ville 
l'asile  des  gibelins  qui  fuyaient  devant  les 
guelfes,  devenus  maîtres  de  tout  le  reste  de  la 
Lombardie.  Appuyé  sureux  et  sur  le  bas  peuple, 
qu'il  flattait  pour  dominer  la  noblesse,  il  fit  dé- 
créter, en  1262,  que  son  pouvoir  serait  perpétuel. 
Une  révolte  éclata,  en  1269,  contre  sa  tyrannie; 
il  en  triompha ,  mais  huit  ans  plus  tard  ses 
ennemis,  qui  n'avaient  pas  cessé  de  conspirer, 
parvinrent  à  le  faire  assassiner  dans  son  palais. 

Scala  (Alberto  de  La),  seigneur  de  Vérone, 
frère  du  précédent,  mort  en  1301.  Il  était  sei- 
gneur de  Mantoue  lorsqu'il  apprit  le  meurtre 
de  Mastino.  Arrivant  en  toute  hâte,  à  la  lête 
d'un  corps  de  troupes,  il  déconcerta  les  conju- 


rés, les  fit  arrêter  et  mettre  à  mort.  Il  eut  tn  ! 
fils,  qui  gouvernèrent  successivement. 

Scala  (Bartolomeo  1er  de  La),  seigneur 
Vérone,  fils  aîné  du  précédent,  mort  le  7  m; 
1304,  succéda  à  son  père ,  et  ne  régna  que  de 
ans  et  demi. 

Scala  (Alboino  1er  de  La),  seigneur  de  \ 
rone,  frère  puîné  du  précédent,  mort  le  28  < 
tobre    1311,   succéda  à   son   frère,    et  achi  j 
à  prix  d'argent  de  l'empereur  Henri  VII  le  ti  i 
de  vicaire  impérial  à  Vérone.    Il  eut  deux  fi 
qui  régnèrent  conjointement  après  leur  onc  j 
Cane  Ier  le  Grand. 

Scala  (Cane  1er  de  La),  surnommé  le  Grar 
seigneur  de  Vérone,  frère  puîné  du  précède 
né  en  1291,  mort  à  Trévise,  le  22  juillet  13 
Il  participait  déjà  aux  affaires,  et,  à  la  tête  < 
troupes,  il  avait  enlevé  à  la  république  guelfe 
Padoue  la  seigneurie  de  Vicence,  lorsqu'il  s 
céda  à  son  frère,  le  1er  janvier  1312.  Les  '. 
douans  firent  tous  leurs  efforts  pour  repren 
Vicence;  mais,  après   les  avoir  complétem 
battus,  Cane  les  força  à  renoncer  à  toutes  le 
prétentions  sur  cette  ville,  par  un  traité  signé  I 
20  octobre  1314.   Ils  violèrent  ce  traité  le 
mai  1317  ,  espérant  s'emparer   de  Vicence 
surprise;  Cane  rassembla  ses  troupes  avec  1 1 
grande  activité,  se  présenta  devant  ses  ennecj 
les  obligea  de  se  retirer,  et  prit  la  plus  consi-l 
rable  de  leurs  forteresses.  Sa  bravoure  et  I 
talents  attiraient  tous  les  yeux  sur  lui  :1e  1^1 
cembre  1318,  la  ligue  des  Gibelins  de  Loml  I 
die  le  nomma  capitaine  général.  Sans  s'inquii  I 
de  l'excommunication  que  le  pape   Jean  X I 
lança  contre  lui,  en  1320,  il  mena  vivemenl  I 
guerre,  s'empara  de  Feltre,  de  Cividale,  f(l 
Padoue  à  se  rendre,  le  13  septembre  1328,1 
entra,  le  18  juillet  1329,  dans  Trévise,  qui  n'a  J 
pu  lui  résister.  Au  moment  même  où  il  parcou  t 
triomphalement  cette  ville,  il  fut  subitement  il 
d'une  maladie  si  grave  que,  ne  pouvant  pluil 
tenir  debout,  il  se  fit  porter  à  l'église  cathédri 
il  y  mourut  après  quatre  jours.  Cane  le  Gri 
était  brave,  magnanime  et  généreux.  Sa  couil 
le  refuge   de  tous  les  hommes  qu'illustra  | 
leur  naissance,  leurs  actions  ou  leur  savoir  ft 
les  y  traitait  magnifiquement.   Les  plus  gril 
poètes  et  les  plus  grands  artistes  de  l'itali  à 
cette  époque  s'y  rencontrèrent.  Pendant  jl 
sieurs  années  Dante  y  trouva  un  asile.  Ce  r  I 
donc  point  par  flatterie,  mais  pour  exprime)  n 
sentiment  vrai  que  Pétrarque  appelle  Can>p 
Grand  l'aide  et  le  recours  de  tous  les  affli  f. 
Ce  prince  cultiva  lui-même  la  poésie,  et  Qua  P 
parle  des  sonnets  qu'il  a  composés. 

Scala  (  Mastino  II  de  La),  seigneur  de  p 
rone,  neveu  du  précédent,  né  en  1308,  moi 
3  juin  1351.  Il  succéda,  le  23  juillet  1329,  à 
oncle  Cane  1er  avec  SOn  frère  Albert  HH)  ;  i 


(I)  Né  en  1306,  il  mourut  le  13  septembre  1352.  Apr 
mort  de  son  frère  il  ne  s'opposa  pas  à  la  proclam;  « 
de  ses  neveux. 


M5 


SCALA  —  SCALIGER 


44G 


;elui-ci,  plus  porté  aux  plaisirs  qu'aux  affaires, 
e  laissa  seul  chargé  du  gouvernement.  Mastino 
e  ligua,  en  1331,  avec  le  marquis  d'Esté,  les 
ïonzague,  les  Visconti  et  les  Florentins  contre  le 
loiJean  de  Bohême,  à  qui  venaient  de  se  sou- 
|  mettre  plusieurs  provinces  de  la  Lombardie.  Il 
jorit  Brescia  (1332)  et  Parme  (1335);  il  s'empara 
Ensuite  de  Lucques,  et  voulut  la  conserver  au 
préjudice    des  Florentins.  Ceux-ci,    soutenus 
par  les  Vénitiens  et  les  Visconti,  reyendiquèrent 
[eurs  droits  les  armes  à  la  main,  et  prirent  Pa- 
poue (1337).  Mastino ,  battu  à  Montagnano,  le 
|  9  septembre  1338,  rentra  à  Vérone  plein  de  fu- 
j  car,  et  tua  de  sa  propre  main ,  au  milieu  de  la 
ue,  l'évoque  de  la  ville,  qu'il  accusait  de  lui 
tre  opposé.  Cependant,  après  avoir  fait  la  paix 
1  vec  ses  adversaires,  il  restait  maître  de  Vérone, 
|  e  Vicence,  de  Parme  et  de  Lucques.  Mais  les 
jeigneurs  de    Corregio    lui  enlevèrent   Parme 
(1341);  il  fut  ensuite  obligé  de  vendre  Lucques 
i  ux  Florentins,  pour  se  procurer  de  l'argent,  et 
le  possédait  plus  à  sa  mort  que  Vérone  et  Vi- 
lence.  Il  laissait  trois  fils,  qui  lui  succédèrent 
[nsemble.. 

[  Scala  (Can-Grande  II  de  La),  seigneur  de 
'érone,  fils  de  Mastino  H,  né  en  1332,  mort 
Vérone,  le  14  décembre  1359.  Il  partagea  le 
louvoir  avec  ses  deux  frères,  Can-Signore  et 
l'aolo-Alboino.  Ambitieux,  cruel  et  débauché, 
i  profila  de  leur  jeunesse  pour  gouverner  seul; 
tendant  son  absence,  son  frère  naturel,  Fre- 
[nano,  s'empara  de  Vérone  (1354).  A  cette  nou- 
velle, Can-Grande  revient  subitement,  triomphe 
[es  révoltés  et  tue  Fregnano.  Il  ne  profita  de  sa 
jictoire  que  pour  satisfaire  ses  passions  et  ses 
lices,  La  grâce  et  la  jeunesse  de  son  épouse,  fille 
lie  l'empereur  Louis  V,  ne  l'arrêtèrent  pas;  il 
I  leva  ses  bâtards  dans  son  palais.  Son  avarice  lui 
Lit  accabler  le  peuple  d'impôts.  Son  ambition  le 
jiorta  contre  ses  frères  à  des  menaces  de  mort, 
ju'aîné,  Can-Signore,  craignant  d'être  sa  victime, 
je  prévint,  et  le  perça  de  son  épée,  comme  il 
passait  à  cheval  dans  une  ruede  Vérone. 
|  Scaia  (Can-Signore  de  La),  seigneur  de 
j/érone,  frère  puîné  du  précédent,  mort  le  18  oc- 
tobre 1375.  Il  voulait  d'abord  exclure  son  frère 
[le  tout  pouvoir.  Paolo-Alboino  ne  céda  pas  sans 
j'ésistance;  vaincu  et  fait  prisonnier,  il  fut  en- 
|,ermé,  le  20  janvier  1365,  dans  la  forteresse  de 
Peschiera.  Can-Signore  passa  son  temps  dans 
jes  plaisirs,  et,  aussi  cruel  que  débauché,  i!  fit 
[trangler  son  frère  dans  sa  prison,  en  1375,  pour 
jaisser  le  gouvernement  à  ses  deux  fils  naturels, 
partolommeo  et  Antonio. 
i  Scala  (Antonio  de  La),  seigneur  de  Vérone, 
jils  naturel  du  précédent,  né  vers  1360,  mort  le 
ti  septembre  1388.  Jaloux  de  son  frère  Bartolom- 
\neo  II,  il  le  fit  assassiner,  le  13  juillet  1381.  En 
j  385,  il  déclara  la  guerre  à  François  de  Carrare, 
eigneur  dePadoue;  celui-ci  eut  pour  allié  Jean 
llaléas  Visconti,  qui  s'empara  de  Vérone,  le 
[8  octobre  1387.  —    Can-Francesco    de  La 


Scala,  lils  d.i  j.iéc.é'lcnt,  se  réconcilia  avec 
François  de  Carrare,  qui  était  jaloux  de  Vis- 
conti; il  tenta  de  rentrer  à  Vérone,  mais  Visconti 
le  lit  empoisonner. 
Scala  (Guglielmo  de  La),  fils  naturel  de 
I  Can-Grande  II,  fut  établi  dans  le  gouvernement 
i  de  Vérone,  le  8  avril  1404,  par  François  de  Car- 
rare, et  mourut  peu  de  jours  après.  Ses  fils, 
par  leurs  discordes  et  leur  inhabileté,  perdirent 
la  protection  de  François  de  Carrare  ;  les  Véni- 
tiens, profitant  de  leur  faiblesse,  s'emparèrent 
de  Vérone.  —  L'un  des  fils  du  précédent,  Bru- 
noro,  se  retira  auprès  de  l'empereur  Sigismond, 
qui  le  fit  prince  de  l'Empire  ;  il  mourut  à  Vienne, 
sans  enfants,  le  21  novembre  1434.  —Un  autre 
fils  de  Guglielmo,  Paolo,  s'établit  en  Bavière, 
où  sa  postérité  exista  pendant  un  siècle. 

Scala  (Giovanna  de  La),  fut  le  dernierrejeton 
de  cette  famille  ;  elle  porta  les  biens  qui  lui  res- 
taient dans  la  maison  des  barons  de  Lamberg. 

Muratori,  Annali  d'Italia.  —  Parisio  de  Ccreta, 
Chronicon  veronensé.  —  Cortusi ,  Storia  di  Padua.  — 
Gattaro,  Historia  padovana.  —  Maurisio,  Vicentini 
Historia.  —  Sismondi,  Hist.  des  républ.  ital,  —  Tirabos- 
chi,  Storia  délia  lelt.  italiana,  t.  V. 

scala  (Bartolommeo),  littérateur  italien, 
né  en  1430,  à  Colle  de  Valdelsa  (Toscane),  mort 
en  1497,  à  Florence.  Fils  d'un  meunier,  il  ne  dut 
qu'à  son  propre  mérite  de  parvenir  aux  pre- 
mières charges  de  la  république.  Ses  heureuses 
dispositions  frappèrent  Cosme  deMédicis,  qui  le 
prit  sous  son  patronage  et  lui  fit  étudier  le  droit 
avec  Jacopo  Ammanati;  plus  tard  il  lui  ouvrit 
le  chemin  des  honneurs,  et  son  fils  Pierre,  qui 
lui  témoigna  aussi  de  l'affection,  l'employa  au 
dehors  dans  la  négociation  d'affaires  difficiles. 
Il  occupait  depuis  longtemps  le  poste  de  chan- 
celier à  Florence  lorsqu'on  lui  accorda,  en  1471, 
le  droit  de  bourgeoisie  et,  en  1472,  des  lettres  de 
noblesse.  En  4484  il  fit  partie  de  l'ambassade 
chargée  de  complimenter  Innocent  VIII  sur  son 
exaltation  au  pontificat.  En  1486  il  fut  élu  gon- 
falonier,  et,  son  temps  fini,  rétabli  dans  la  chan- 
cellerie. Sa  fille,  Alessandra,  s'est  rendue  cé- 
lèbre par  son  érudition  (voij,  Marulli).  Jaloux 
du  mérite  de  Politien,  Scala  eut  avec  lui  des  dis- 
putes très-vives  sur  la  langue  latine,  et  on  lui 
reprocha  d'écrire  dans  un  style  barbare  (  ce  qui 
était  le  comble  de  l'offense  à  cette  époque ,  et 
de  n'avoir  pas  le  sens  commun;  décision  un  peu 
trop  dure.  On  a  de  Scala  :  Apologia  contra 
vituperatores  civ.  Florentise;  Florence,  1496, 
in-fol.;  — Vita  Vitaliani  Borromœi ;  Rome , 
1677,  in-4°  ;  —  De  historia  florentina;  Rome, 
1677,  in-4°  :  cet  ouvrage,  réimpr.  dans  le  t.  VIII 
des  Hist.  Ital.  de  Burmann,  s'arrête  en  1268; 
—  quatorze  lettres ,  deux  harangues,  etc. 

Zeno,  Dissert.  Foss.,  II,  253.  —  Manni,  Uomini  illustri 
Toscani.  —  Niceron,  mémoires,  IX. 

scaliger  (Jules-César),  célèbre  philologue 
et  médecin  italien,  né  probablement  à  Padoue,  le 
23  avril  1484,  mort  àAgen,  le  21  octobre  1558. 
11  était  fils  de  Benedetto  Bordoni,  peintre  en  mi- 


447 

niature,  géographe  et  astronome  de  quelque  mé- 
rite '1).  Après  avoir  fait  ses  humanités  à  Padoue 
sous  Rhodiginus  et  avoir  fréquenté  l'université 
de  cette  ville,  il  demeura  pendant  une  vingtaine 
d'années  dans  divers  lieux  de  la  haute  Italie.  On 
n'a  sur  cette  époque  de  sa  vie  que  les  détails 
qu'il  a  donnés  lui-même ,  et  qui  ne  méritent 
qu'une  créance  très-limitée.  Il  est  cependant 
assez  vraisemblable,  vu  son  humeur  batailleuse 
et  sa  force  herculéenne,  qu'il  entra,  comme  il 
le  dit,  dans  l'armée  de  l'empereur  Maximihen, 
puis  dans  celle  du  roi  de  France,  et  qu'il  se  distin- 
gua dans  les  campagnes  d'Italie.  Forcé  par  des 
accès  de  goutte  réitérés  de  quitter  le  métier  des 
armes,  il  étudia  la  médecine,  et  il  pratiquait  cet 
art  à  Vérone,  lorsqu'il  fut,  en  1525,  emmené  à 
Agen  par  Antoine  de  La  Rovère,  évêque  de  cette 
viïle,  auquel  il  donnait  ses  soins.  Il  fut  retenu 
à  Agen  pour  le  reste  de  sa  vie  par  les  charmes 
d'une  toute  jeune  fille  ,  Andiette  de  Roques-Lo- 
bejac,  qu'il  épousa  trois  ans  après,  et  dont  il  eut 
quinze  enfants.  Il  partagea  son  temps  entre 
l'exercice  de  son  art,  l'étude  et  la  composition 
d'un  grand  nombre  d'ouvrages,  qui  lui  valurent 
une  réputation  telle  que  de  Thou  le  plaça  au- 
dessus  des  hommes  les  plus  remarquables  de 
son  siècle.  Pour  arriver  à  ce  degré  de  célébrité, 
Scaliger,  qui  à  quarante  ans  passés  n'avait  pas 
encore  fait  imprimer  une  ligne  (2),  avait  com- 

(1)  Ce  fait,  établi  avec  une  presque  complète  certitude 
par  Maffei  et  Tiraboschi ,  est  confirmé  par  le  témoignage 
de  Giraldi,  par  les  lettres  de  naturalisation  que  Scaliger 
reçut  en  1528  en  France,  et  où  il  est  appelé  Lescalle.  de 
Bordoms  {au  Heu  de  Bnrdonis  par  une  faute  de  copiste), 
ainsi  que  par  son  propre  aveu  d'avoir  dans  sa  jeunesse 
porté  le  nom  de  Burden.  Cependant  dès  1529  Scaliger 
se  mit  a  prétendre  à  une  tout  autre  généalogie ,  qui  fut 
longtemps  acceptée  sur  son  dire.  Tirant  parti  du  surnom 
délia  Scala,  qu'il  tenait  de  son  père,  qui  avait  enseigné  à 
Venise  sous  l'enseigne  de  l'Échelle  ou  dans  la  rue  de 
l'Échelle,  il  prétendit  être  fils  de  Benedetto  délia  scala , 
descendant  de  la  maison  princière  de  ce  nom,  et  qui  au- 
rait commandé  les  troupes  du  roi  de  Hongrie  Matthias 
Corvin  mais  dont  aucun  historien  ne  parle.  11  raconta 
ensuite  sur  la  première  partie  de  sa  vie  le  roman  suivant. 
Né  au  château  délia  Ripa,  près  du  lac  de  Garde,  il  aurait 
eu  pour  précepteur  Giovanni  Giocondo  ;  mais  les  détails 
inexacts  qu'il  donne  sur  ce  célèbre  religieux  prouvent 
qu'il  n'eut  jamais  aucun  rapport  avec  lui.  A  douze  ans, 
il  était,  disait-il,  entré  comme  page  à  la  cour  de  l'empe- 
reur Maximilien,  dans  l'armée  duquel  il  aurait  quelques 
années  plus  tard  pris  du  service.  Après  avoir  à  la  bataille 
de  P.avenne  (1512)  perdu  son  père  et  son  frère  et  peu  de 
temps  après  sa  mère,  il  eut  le  projet  de  se  faire  moine, 
et  alla  étudier  à  Bologne  la  théologie  et  la  philosophie;  il 
fut  d'abord  confirmé  dans  son  idée  par  l'espoir  qu'il  avait 
de  devenir  pape  et  de  pouvoir  alors  reprendre  aux  Vénitiens 
les  possessions  des  princes  délia  Scala,  ses  ancêtres.  Mais 
il  en  fut  détourné  par  les  pratiques  minutieuses  des  fran- 
ciscains, chez  lesquels  il  était  entré  ,  et  quitta  le  cloître 
pour  se  mettre  au  service  du  roi  de  France.  Mis  à  la  tète 
d'une  compagnie  ,  il  enleva  par  un  coup  de  main  hardi 
les  trésors  et  la  maîtresse  du  duc  de  Savoie.  Se  trouvant 
plus  lard  à  Turin  (une  lettre  de  son  ami  Barth  Bicei 
prouve  qu'il  était  à  cette  époque  à  Venise),  il  aurait  fait 
la  connaissance  d'un  apothicaire  qui  l'aurait  décidé  à  étu- 
dier la  médecine,  lorsque  la  goutte  l'obligea  de  re- 
noncer à  la  carrière  mllilaire. 

(2j  Cependant  Ap.Zeno  lui  attribue  avec  vraisemblance 
une  traduction  Italienne  du  second  volume  de  Plùtarque, 
imprimée  à  Venise,  en  1525,  et  qui  porte  sur  le  titre  Giulio 
Bordonc  da  l'adova  ;  Giraldi,  ami  de  Scaliger,  déclare  que 


SCALIGER  448  j 

mencé  par  attirer  violemment  l'attention  du  pu- 1 
blic  par  la  brutalité  injurieuse  avec  laquelle  il  at- 1 
taquaÉrasme.  Celui-ci  venait,  en  1 528,  de  publier 
son  spirituel  dialogue  Ciceronianus ,  où  il  per- 
siflait les  fanatiques  imitateurs  du  style  de  Ci- 
céron.  Voyant  que  la  majorité  des  lettrés  de 
France  et  d'Italie  accueillaient  assez  mal  ce  rnor-  \ 
dant  pamphlet,  Scaliger  écrivit  en  réponse  une! 
véhémente  diatribe,  où  il  traile  Érasme  de  parri  j 
cide  et  l'appelle  plus  de   cent  fois  ivrogne. 
Érasme  ne  répliqua  pas  ;   il  déclara  seulemenl 
qu'un  semblable  fatras  de  mensonges  ne  pouvail  | 
être  de  Scaliger.   Blessé   au  vif,  celui-ci  écrivit! 
contre  Érasme  un  second  Discours,  qui  est  ur  I 
monument  curieux  d'une    vanité  pompeuse  e' 
naïve  à  la  fois,  où  l'auteur  s'adresse  à  lui-mêmi  1 
les  compliments  les  plus  audacieux.  Ce  moyen  di 
sortir  de  l'obscurité  en  attaquant  un  homme  d'uni 
réputation  établie  réussit  à  Scaliger.   Dans  & 
moment,  Érasme  était  mort;  Scaliger  témoign. 
dans  une  pièce  de  vers  ses  regrets  sur  la  mort  d 
son  adversaire,  qu'il  continua  cependant  à  censure 
durementquand  il  en  trouvait  l'occasion.  Il  com 
posa  dans  la  suite  des  commentaires  estimable 
sur  les  écrits  botaniques  et  zoologiques  d'Aristot 
et  de  Théophraste;  il  avait  réuni  un  riebe  her 
bier,  et  ce  fut  lui   qui    le  premier   proposa  d 
classer  les  plantes  d'après  leurs  formes  caracté 
ristiques   et   non  d'après  leurs  propriétés.  E 
1540  il  publia  ses  Causes  de  la  langue  la  Unit 
qui,  quoique  remplies  d'idées  fausses,  contienne! 
aussi  beaucoup  de  vues  ingénieuses  qui  exerci 
rent  une  heureuse  influence  sur  l'étude  des  pai 
ticularités  de  la  langue  latine.  Sa  Poétique  m  \ 
son   meilleur   ouvrage,  bien  que  les  vers  qu 
nous  avons  de  lui  soient  informes  ,  souvent  in 
compréhensibles  et  qu'ils  déshonorent  le  Pan 
nasse,  suivant  l'expression  de  Huet.  «On  y  r< 
marque,  dit  M.  Nisard,  de  l'ordre,  delaméthod 
un  style  vif,  moins  obscur  qu'ailleurs  etpresqt 
sans  emphase;  une  érudition  riche,  variée  <l 
très-étendue.  Mais  on  n'y  trouve  rien  qui  dont 
une  autre  idée  de  la  poésie  que  celle  d'un  m< 
canisme  phonétique  plus  ou  moins  harmonieu: 
Son  goût  aussi  laisse  beaucoup  à  désirer;  Hi 
mère  est  sacrifié  non-seulement  à  Virgile,  ma 
à  Musée.  »  Vers  la  fin  de  sa  vie  Scaliger  écriv 
contre  le  livre  De  subtilitate  de  Cardan  m 
énorme   réfutation,  rédigée   dans  un  esprit  < 
dénigrement  insupportable,   et  dans   un  sty 
tantôt  inégal  et  barbare,  tantôt  affecté  et  boufi 
quoiqu'il  ait  mis  sept  ans  à  la  préparer.  Lorsqu  ' 
la  fit  imprimer,  il  ne   tint   aucun   compte  di 
nombreuses  corrections  que  Cardan  avait  dai 
l'intervalle  introduites  dans  une  seconde  éditio 
de  son  ouvrage,  et  signala  comme  des  erreu  ; 
monstrueuses  jusqu'à  des  fautes  typographiqu 
qui  avaient  disparu  dans  cette  deuxième  éditio 
Bien  plus  :  il  feignit  de  croire  que  Cardan  et; 
mort  de  chagrin  à  la  suite  de  cette  critique, 

ce  dernier   publia  encore  en  Italie  un  poème  latin  in 
tulé  Elysius. 


9 


exprima  ses  regrets  d'avoir  causé  à  la  répli- 
que des  lettres  une  perte  aussi  sensible.  La 
jpart  de  ses  ouvrages  sont  restés  inédits,  tels 
un  traité  Des  origines  de  la  langue  latine, 
ntil  parle  sans  cesse  commed'un  chef-d'œuvre. 
I  était  d'une  vanité  excessive,  qui  allait  jusqu'à 
forfanterie  la  plus  grotesque,  il  était,  d'un  autre 
é,  très-bienfaisant,  soignait  gratuitement  les 
ivres  et  les  installait  même  dans  sa  maison. 
1  aimait  la  chasse,  les  chevaux,  les  tournois,  dit 
[  Nisard,  toutes  choses  qu'on  tient  pour  une 
rque  de  naissance,  et  qui  l'étaient  alors  en 
>t.  Celui-là  eût  été  mal  reçu  qui  lui  eût  con- 
té en  face  sa  noblesse  ;  mais  l'acquiescement 
[son  entourage  le  laissait  en  repos  là-dessus. 
|  conduite,  et  c'est  son  éloge,  était  conforme  à 
prétention;  elle  était  grave  et  digne,  de  cette 
;nité  qui  se  révèle  à  l'extérieur,  et  dont  il  était 
i  modèle  d'autant  plus  imposant  qu'elle  s'ac- 
•dait  à  merveille  avec  sa  haute  taille,  son  grand 
f  naturel  et  sa  constitution  vigoureuse.  Il  avait 
[démarche  d'un  demi-dieu,  et  quand  il  passait 
lis  les  rues  d'Agen,  tout  le  monde  le  regardait 
;c  autant  de  respect  qu'il  se  fût  regardé  soit- 
|  me  (1).  L'impression  qu'il  fit  sur  ses  contem- 
[  rains  a  été  si  profonde  qu'elle  s'est  prolongée 
[qu'à  la  (indu  dix-septième  siècle.  Juste Lipse 
lifondait  dans  une  égale  admiration  Homère, 
hpocrate,  Avistote  et  Scaliger;  il  disait  que  ce 
(nier  avait  dépassé  la  mesure  du  commun  des 
(mmes  et  qu'il  était  le  miracle  de  son  siècle. 
Thou,  Naudé,  Richard  Simon  et  vingt  autres 
|  sont  servis  à  peu  près  des  mêmes  termes, 
fut  avait  de  force  le  préjugé  qui  consacrait  le 
[nie  de  Scaliger.  » 

(On  a  de  lui  :  Adversus  D.  Erasmum  oraiio  ; 

Iris,  1531,  in-8°;  réimpr.  à  Toulouse,  1621, 

•4°,  avec  la  seconde  Oratio,  qui  parut  à  part; 

jiris,  1536,  in-8°;  —  Commentant  in  Hip- 

cratis  librum  de  Insomniis;  Lyon,  1538, 

f-8";  —  De  comicis  dimensionibus  ;  Lyon, 

39,  in  S0;  dans  le  t.  VII  du  Thésaurus  de 

onovius;  —  Heroes;  Lyon,    1539,  in-4<>  : 

jcueil  d'épigrammes  sur  divers  personnages  de 

antiquité;    —    De    causis    linguse    latinee 

ip.  XIII;  Lyon,   1540,  in- 4°;  Genève,  1580, 

-8°;  —  In  Tkeophrasti  de  causis  planla- 

v.m    commenlarii ;   Genève,    ;566,    in-fol.; 

non,  1566,  1586,  in-fol.;  —  In  libr.  II  Aris- 

[telis   inscriptos  De  plantis ;  Paris,  1556, 

•63,  in-4°  ;  —  Exotericarum  exercitationum 

ber  XV  De  subtilitate,  ad  Hier.  Cardanum; 

pis,  1557,  in-4°;  Bâle,  1560,  in-fol.;  Franc- 

rt,  1576,  1592,  in-8°  ;  Hauau,  1634,  in-8°  :  cet 

iivrage  est  qualifié  délivre  quinzième,  parce  que 

uteur  voulait  faire  croire  qu'il  avait  déjà  écrit 

1 1)  L'Idolâtrie  qa'il  professait  pour  sa  personne  ne  se 
ontrc  nulle  part  mieux  que  dans  le  portrait  de  lul- 
jime  qu'il  traça  quelques  jours  avant  sa  mort  (voy. 
oncle,  Annales,  t.  III,  p.  B77  )  et  où  il  dit:  •  Réunissez 
semble  les  figures  de  Masinissa  et  de  Xénophon,  afin 
composer  la  mienne  ;  mais  ce  portrait  ne  donnera  tou- 
Jrs  qu'une  très-faible  idée  de  ce  que  Je  suis.» 

NOUV.  BIOGR.   GÉNÉR.  —  T.  XL1II. 


SCALIGER  450 

quatorze  traités  aussi  volumineux;  — Poelices 
lib.  VII;  Lyon,  1561,  in-fol.;  cet  ouvrage  con- 
tribua à  faire  adopter  les  trois  unités  dramati- 
ques; —  Poemala;  Genève,  1574,  in-8°;  — 
Animadversioncs  in  Theophrasli  Historias 
plantarum;  Lyon,  1584,  in  8°;  —  Epistolx; 
Leyde,  1600,  in-8°;  Hanau,  1612,  in-12;  d'autres 
lettres  de  Scaliger  se  trouvent  dans  les  Amœni- 
tates  litterariee  de  Schelhorn,  t.  VI  et  VIII;  — 
Aristotelis  Historia  animalium  gr.  et  lat-, 
cum  commentariis ;  Toulouse,  1619,  in-fol.; 

—  De  analogia  sermonis  latini,  à  la  suite  de 
l'ouvrage  d'Henri  Estienne  sur  le  même  sujet; 

—  Départit  cujusdam  infantulx  Agenensis, 
an  sit  seplimestris  an  novem  mensium,  dans 
le  t.  Vides  Opéra  de  Sylvius.    E.  Grégoire. 

Jos.  Scaliger,  De  vetustate  et  splendore  sentis  Scali- 
gerœ  et  vita  J.-C.  Scaligeri.  —  Teissier,  Éloges.  — 
Baylc,  Dict.  —  Coupé,  Soirées  littéraires,  t.  XV.  —  Nl- 
ceron.  Mémoires,  XXIII.  —  Ch.  Nisard,  Les  Gladiateurs 
de  la  république  des  lettres. 

scaliger  (Joseph-Juste),  le  plus  grand 
philologue  français,  fils  du  précédent,  né  le 
4  août  1540,  à  Âgen,  mort  le  21  janvier  1609,  à 
Leyde.  H  était  le  dixième  de  quinze  enfants.  A 
onze  ans  il  entra  au  collège  de  Bordeaux,  et  y 
eut  Muret  pour  principal  maitre.  A  quatorze 
ans  il  continua  ses  études  sous  la  direction  de 
son  père,  qui  tous  les  jours  lui  faisait  rédiger  un 
discours  latin.  Il  se  familiarisa  ainsi  tellement 
avec  le  latin,  que  de  très-bonne  heure  il  le  mania 
comme  une  langue  vivante;  le  style  de  ses  pre- 
miers écrits  est  déjà  remarquable  par  une  richesse 
d'expressions  que  personne  après  lui  n'a  possé- 
dée à  un  égal  degré.  Il  sut  éviter  l'enflure  et  le 
pathos,  défaut  où  son  père  tombe  sans  cesse,  et 
se  distingua  par  la  brièveté  et  par  l'extrême  lé- 
gèreté des  tournures  dans  une  époque  où  la 
redondance  et  la  recherche  étaient  de  mode, 
Ses  poésies  latines,  pleines  de  chaleur  et  d'expres- 
sion, sont  versifiées  avec  une  élégance  exquise. 
Il  s'adonna  aussi ,  avec  son  père ,  aux  sciences 
naturelles ,  surtout  à  l'anatomie  et  à  la  bota- 
nique. Son  caractère  était,  chose  rare ,  eu  har- 
monie avec  ses  talents  ;  s'il  adopta  les  préten- 
tions nobiliaires  de  son  père,  il  ne  s'en  prévalut 
que  pour  donner  plus  de  dignité  à  sa  vie  si  pure, 
si  intègre,  si  exempte  de  toute  faiblesse.  A  la 
mort  de  son  père  (1558),  il  se  rendit  à  Paris.  Iï 
consacra  deux  années  à  étudier  seul  le  grec,  dont 


il  ne  connaissait  que  les  rudiments,  et  à  lire  la 
plupart  des  historiens  et  des  poètes  d  e  cette  langue. 
Il  aborda  avec  la  même  ardeur  l'hébreu,  l'arabe, 
le  persan  et  les  langues  de  l'Europe  moderne,  et 
ne  reçut  que  quelques  conseils  de  Postel.  «  Si 
peu  que  je  comprenne  d'une  langue,  dit-il  avee 
un  légitime  orgueil,  j'en  connais  aussitôt  la 
grammaire,  les  règles  et  les  analogies  (1).  »  Cepen- 
dant il  est  exagéré  de  prétendre  avec  plusieurs 
biographes  qu'il   parlait   couramment    jusqu'à 

(1)  On  conserve  à  la  bibliothèque  de  Gœttinguc  le 
manuscrit  d'un  dictionnaire  arabe  uu'il  composa  pour 
son  usage  particulier, 

15 


451  SCALIGER 

treize  langues*  Jamais  il  ne  posséda,  malgré  une 
application  constante,  les  difficultés  de  l'hébreu. 
Du  reste,  il  ne  recherchait  pas  le  vain  honneur 
d'être  un  polyglotte;  l'étude  des  langues  n'était  à 
ses  yeux  qu'un  moyen  d'augmenter  et  de  varier  la 
somme  de  ses  connaissances.  A  vingt-deux  ans  il 
embrassa  en  secret  les  doctrines  de  Calvin  (1562), 
et  quand  tous  ses  doutes  furent  levés,  il  les  con- 
fessa ouvertement  sans  renoncer  à  sa  liberté 
d'appréciation  sur  les  écarts  de  ses  coreligion- 
naires, dont  il  censura  plusieurs  fois  l'intolé- 
rance. La  fréquente  lecture  de  la  Bible  le  con- 
duisit un  des  premiers  à  la  connaissance  générale 
des  antiquités  profane  et  sacrée,  qui  formaient 
jusque  là  deux  domaines  séparés.  En  1563  il  se 
lia  d'amitié  avec  Louis  Chasteigner,  seigneur  de 
la  Rocheposay,  auprès  duquel  il  passa  une  grande 
partiedesavie(l).  Il  l'accompagna  en  1565  en  Ita- 
lie, dont  il  visita  les  principales  villes  ;  à  Rome, 
il  retrouva  Muret,  qui  l'introduisit  auprès  des 
principaux  érudits.  Mais  il  ne  goûta  pas  l'esprit 
des  savants  italiens,  dont  le  dilettantisme  frivole 
répugnait  à  son  culte  sincère  pour  la  vérité.  A 
-son  retour,  il  s'arrêta  quelque  temps  en  Angle- 
terre et  en  Ecosse  (1566).  La  seconde  guerre  de 
religion  venait  d'éclater  :  Scaliger  y  prit  une 
part  active  comme  volontaire;  la  plupart  de  ses 
amis  y  furent  tués  :  ce  malheur  le  plongea  dans 
un  état  d'accablement,  qu'il  parvint  à  surmonter 
en  1570,  après  s'être  rendu  à  Valence,  auprès  de 
Cujas,pour  étudier  le  droit  romain.  Honoré  de 
l'estime  du  maître,  quilui  offrit  en  1578d'êtreson 
collègue,  il  fit  des  progrès  rapides  dans  la  juris- 
prudence,sans  pouvoir  néanmoins  y  prendre  goût. 
11  allait  à  la  rencontre  de  Pévêque  Montluc,  qui 
voulait  l'emmener  avec  lui  en  Pologne,  lorsqu'à  la 
nouvelle  du  massacre  de  la  Saint-Barthélémy  il  re- 
broussa chemin,  et  se  réfugia  à  Genève;  on  lui  of- 
frit une  chaire  de  philosophie;  il  refusa,  par  anti- 
pathie pour  cette  science  et  parce  qu'il  n'avait  pas 
ledondeparler  en  public;  mais  il  consentit  à  com- 
menter Y  Organon  d'Aristote  et  le  De  finibus 
de  Cicéron.  De  retour  en  France  (1574),  il  de- 
meura pendant  vingt  ans  dans  les  terres  de  son 
ami  La  Rocheposay,  en  Poitou  et  en  Touraine , 
sauf  de  fréquentes  excursions  dans  le  midi  delà 
France,  pour  lequel  il  eut  l'attachement  le  plus 
vif.  Dans  cette  position  indépendante,  il  se  livra 
à  une  suite  de  travaux  qui  lui  firent  accorder 
la  première  place  parmi  les  savants  de  son 
temps.  Il  commença  par  réformer  la  méthode  à 
suivre  pour  la  critique  des  textes,  dont  les  Ita- 
liens avaient  fait  un  amusement  futile  à  l'usage 
des  beaux  esprits.  Ses  éditions  des    Catalecta 


\\)  Quoique  le  modique  héritage  qu'il  tenait  de  sa  mère 
l'eût  mis  à  l'abri  du  besoin  ,  il  prétend,  par  allusion  à 
cette  hospitalité,  que  depuis  la  mort  de  son  père  il  n'a- 
vait vécu  que  d'aumûnes.  A  ce  propos  notons  que  Sca- 
iiger  ne  Dt  jamais,  comme  tant  d'erudits  de  son  temps, 
iralic  des  dédicaces  de  ses  ouvrages.  Henri  III  lui  accorda 
spontanément  une  pension  de  2,000  livres  pour  l'édition 
{le  Munilius,  que  lui  avait  dédiée  Scaliger;  mais  ce 
dernier  n'en  toucha  jamais  une  obole. 


4ÔÏ 
de  Virgile,  des  poètes  élégiaques  latins,  et  sur-  ! 
tout  celle  de  Festus,  chef-d'œuvre  unique  d( 
sagacité  et  d'érudition,  fixèrent  les  principes  di 
la  saine  philologie.  Ses  commentaires  sont  rem- 
plis de  conjectures  hardies  ou  ingénieuses,  quel- 
quefois hasardées.  On  regrette  d'y  trouver  tro| 
d'injures  contre  ceux  qui  selon  le  sens  de  Sca- 
liger s'étaient  trompés  dans  l'explication  des  au 
teurs  qu'il  annotait  ;  mais  outre  que  c'était  1 
ton  de  la  polémique  d'alors,  il  faut  noter  qu> 
son  caractère  franc,  tout  d'une  pièce  et  qu 
n'admettait  pas  d'accommodement  avec  l'erreur 
l'entraînait  à  s'exprimer  avec  violence. 

Après  avoir  ainsi  tracé  de  main  de  maître  1 
route  à  suivre  pour  le  rétablissement  des  texte 
des  auteurs  anciens,  Scaliger  entreprit  des  tra 
vaux  d'un  ordre  plus  élevé  :  il  tenta  de  pose 
les  fondements  de  la  chronologie  et  de  l'histoir 
universelle,  pour  laquelle   il  n'existait  encor 
que  des  matériaux  bruts  et  épars.  Il  conçut  I G 
premier  et  exécuta  en  grande  partie  l'idée  grai  I 
chose  d'un  tableau   de  l'histoire  de  l'humanité 
complète!  de  la   plus  scrupuleuse  exactitude 
Son  De  emendatione  temporum  et  son  Thit 
sauras  temporum  ouvrirent  aux  âges  futur  j 
un  nouvel  et  immense  horizon.  11  fut  heureust  i 
ment  servi  dans  son  entreprise  et  par  son  inaltt 
rable  vigueur  d'esprit  et  par  les   circonstanct  i 
de  sa  vie.  Sollicité  en  1591  par  les  curateurs  (I 
l'université  de  Leyde  de  prendre  la  place  quel 
départ  de  Juste  Lipse  avait  laissée  vacante,  I 
répondit  d'abord  par  un  refus.  Duplessis-MornfJ 
s'efforça  de  le  retenir  en  France  en  lui  offraw 
l'emploi  de  précepteur  auprès  du  jeune  prince  m 
Condé.    Il  n'accepta  pas  davantage,  détesta* 
trop  la  dépendance,  et  peu  fait  d'ailleurs  poil 
demeurer  à  la  cour ,  auprès  d'un  souveraf» 
Henri  IV,  dont  la  versatilité  lui  répugnait  ami 
que  son  insouciance  des  belles-lettres.  En  lôtfl 
les   Hollandais  revinrent  à  la  charge,  ne  il 
demandant  que  de  rehausser  par  sa   présent 
l'éclat  de  leur  université;  il  céda  cette  foi! 
et  partit  pour  Leyde,  où  il  reçut  un  accueil  e  f 
thousiaste.   Une  préséance  incontestée  lui  il 
accordée  sur  tous  ses  collègues.  Les  plus  liai  M 
personnages    de  l'État,  Maurice   de  NassauH 
Barnevcld ,  recherchaient  son  commerce.  11  M 
solut  de  terminer  ses  jours  en  Hollande,  et» 
sisla  à  toute  proposition  de  revenir  dans  sa  cl 
trie.  Dispensé  de  professer,  il  guida  par  ses  col 
seils   les  étudiants  de  talent,  comme  Grotii 
Meursius,  Rutgers,   Douza  et  surtout  Darij 
Heinsius,  dont  il  prépara  la  carrière  et  qui  I 
en    garda  une  reconnaissance    portée   jusqu 
l'idolâtrie.  Par  une  correspondance  active,  il  II 
rigeait  les  travaux  d'un  grand  nombre  d'érud  J 
français  et  allemands,  le  jeune  Saumaise, 
Lind'enbrog,   Elmenhorst,   etc.  Dans  son  z 
pour  donner  une  puissante  impulsion  à  l'étt 
de  l'antiquité,  il  consacra  dix  mois  entiers  à 
diger  les  notes,  Yindex  énorme  et  tout  le  t 
vail  critique  du  Corpus  inscr.  lat.  de  Grut 


li  Ce  qui  contribua  à  faire  obscurcir  sa  mémoire,  ce 
P'tles  indiscrétions  des  Scaligerana,  où  il  distribue 
Pi-  amis  comme  à  ses  ennemis  des  coups  de  boutoir 
■Von  esprit  à  remporte-pièce  rendit  terribles. 


53  SCALIGER 

îais  il  ne  put  décider  ce  savant  a  rédiger  un 
•aité  des  antiquités  fondé  sur  les  documents 
Soutenus  dans  ce  recueil,  ce  qui  aurait  dès  lors 
i  lit  accorder  à  l'épigraphie  l'importance  qu'elle 
a  acquise  que    de   nos  jours.    Les  dernières 
[  :uiées  de  Scaliger  furent  troublées  par  les  at- 
uiues  des  jésuites.  Il  s'était  attiré  leur  aver- 
on  par  sa  gloire  littéraire,   dont  l'éclat  re- 
illissait  sur  le  protestantisme  tout  entier,  et  par 
tendance  de  ses  derniers  ouvrages,  où  il  por- 
it  sur  la  Bible,  les  Pères  et  les  origines  du 
iristianisme  un  examen  basé  uniquement  sur 
s  règles  de  la  critique  pbilologique,  rejetant 
t  initie  apocryphe  ce  qui  ne  résistait  pas  à  ce 
',  ntrôle.  N'osant  se  mesurer  avec  lui  sur  le  ter- 
;  in  scientifique,  ses   ennemis  diffamèrent  son 
ractère  et  sa  vie  privée.  Scribani  l'insulta  dans 
dégoûtant  pamphlet  de  V  Amphitheatruin  ho- 
Iris;  Scioppius  lui  contesta  son  origine  dans 
[i  fameux     Scaliger  hypobolimœus ,   et  le 
ita  d'athée  et  de  débauché.  Scaliger,  si  fier,  si 
utain  surtout  en  face  des  puissants  de  la  terre, 
\  umiliait  devant  Dieu  avec  l'abandon  et  la  sim- 
pité  d'un  enfant;  ses  mœurs  étaient  irrépro- 
{ ibles  :  même  dans  son  commentaire  sur  les 
1  tapées  la  pudeur  enchaîne  sa  plume;  jamais  il 
Lntre  dans  ces  digressions  cyniques  où  se  com- 
]  isaient  ses  contemporains.  Pourtant  l'ignoble 
ïtribe  de  Scioppius  eut  du  retentissement;  les 
I  ternis  de  Scaliger,  ses  envieux  non  moins  nom- 
Lux,  triomphèrent  ;  ses  amis  gardaient  un  silence 
Lbarrassé.  La  Confutatio  fabulce  Eurdonum, 
ul  chercha  à  défendre  son  origine  première,  n'eut 
|>  d'effet  sur  l'opinion.  Préparé  depuis  long- 
jUips  à  la  mort,  il  fut  pris  dans  l'automne  de 
1)8  d'une  hydropisie  qui  l'enleva  en  quelques 
Lis;  jusqu'à  son  dernier   soupir  il   garda  un 
<me  et  une  lucidité  d'esprit  parfaits, 
jjuoique   infiniment  supérieur  à   son   siècle, 
i.liger  ne  se  renferma  pas  dans  un  égoïsme 
ler,  comme  l'ont  fait  la  plupart  des  esprits  de 
ilreinpe;  il  prit  toujours  la  part  la  plus  cha- 
Ipeuse  à  tout  ce  qui  intéressait  ses  contempo- 
rains. Sa  vie  entière  fut  consacrée  aux  études 
li  plus  élevées  de  la  science  humaine;  pourtant 
<|ae  craignit  pas  de  le  confondre  avec  les  faux 
Sants  qui  ne  s'occupent  que  de  questions  oi- 
Ises  (1).  Bentley    et  Buhneken  protestèrent 
Ijtrece  jugement,que  Niebuhr  et  Bœkh  sont  par- 
"(us  à  faire  casser  de  nos  jours.  Scaliger  était 
<iie  taille  moyenne,  mais  élancée;  il  avait  le 
fit  vaste  et  large,  le  nez  fort  et  presque  droit, 
ljyeux  d'une  vivacité  extrême.  Il  était  d'une 
Sj t-iété  exemplaire;  son  seul  luxe  était  une 
■e  toujours  propre,  presque  recherchée;  son 
■que  distraction  la  chasse.  On  a  de  lui  :  Con- 
Manea  in  Varronem.De  lingua  latina;  Paris, 
i,5,in-8°;réimpr.àla  suite  des  édit.  de  Varron, 


■i:>4 


données  par  Scaliger;  Paris,  1573,  1581,  in-8°; 

—  Lycophronis  Cassandra,  cum  annololio- 
nibus;  Haie,  1566,  in-k°  ;  —  Virgilii  Calalecla, 
cum  commentants;  Lyon,  1573,  et  Lcyde, 
1595,  in-8°;  —  Ausonianse  lectiones ;  Lyon, 
1574,  in-12;  Heidelberg,  1588,  in-8";  Bor- 
deaux, 159Q,in-4°;  —  Festus  DeYerborum  si- 
gnifications ;ï>ms,  1576,in-8°;on  cite  une  édit. 
de  1575 qui  est  peu  connue;  —  Catulli,  Tibulli, 
Propertii  poemata;  Paris,  1577,  lcoo,  in-8°; 

—  Manilii  Aslronomicon  ;  Paris,  1579,  in-8°; 
Leyde,  1600,  in-4°;  Strasbourg,  1655,  in-4°;  — 
De  emendatione  temporum;  Paris,  1583, 
in-fol.;  Leyde,  1598,  Genève,  1629,  in-fol.;  — 
In  locos  animadversos  Roberli  Titii  Animad- 
versorum;  Paris,  1586,  in-8°,  sous  le  pseudo- 
nyme d'Y vo  Villiomarus,  chef-d'œuvre  d'ironie 
incisive,  ainsi  qu'un  autre  pamphlet  de  Scaliger, 
qui  s'est  caché  sous  le  nom  de  Nicolaus  Vincen- 
tius  :  Epistola  ad  Naudinum  ;  Genève,  1578, 
in-8°,  et  où  il  persifle  les  ridicules  prétentions 
d'un  médecin  de  Paris,  Jean  Martin,  qui  avait 
trouvé  mauvais  que  Scaliger  eût  fourni  des  notes 
à  l'édition  d'Hippocrate  donnée  par  Vertunianus; 

—  Cyclometrica  elementa;  Leyde,  1594, 
in-fol.; il  en  parut  une  nouvelle  édition  corrigée 
dans  la  même  année:  cet  essai  sur  la  quadrature 
du  cercle  fut  réfuté  victorieusement  par  Viète; 

—  De  Vetustale  et  splendore  gentis  Sca- 
ligerœ;  Leyde,  1594,  in-4°,  et  dans  les 
Epistolas  de  Scaliger;  —  Proverbiales  grœ- 
corum  versus;  Paris,  1594,  in-8°;  —  Hip- 
polyti  Canon  paschalis  cum  commentario ; 
Leyde,  1595,  in-4°;  —  Publii  Syri  Sententiœ; 
Calonis  Disticha;  Leyde,  1598,  in-8°;  avec 
une  traduction  en  grec;  —  Apuleii  Opéra; 
Leyde,  1600,  in-12:  le  travail  pour  cette  édition, 
attribuée  sur  le  titre  à  Bongars,  est  presque  en 
entier  dû  à  Scaliger;  —  Elenchus  Tricharesii 
Serrarii,  à  la  suite  de  Responsio  ad  Serra- 
rium  de  Drusius;  Franeker,  1605,.ia-8o;  •*- 
Opuscula  diversa;  Paris,  1605,  in-8°,  suivi 
d'un  nouveau  recueil  de  ce  genre;  Paris,  1 6l0,in-4°; 

—  Thésaurus  temporum  :  Eusebii  Chronico- 
rum  lib.  II ;  Isagogici  chronologie  canones  ; 
Leyde,  1606,  in -foi.;  Amsterdam,  1658,  in  fol.  : 
résultat  de  recherches  immenses,  où  Scaliger,  en 
réunissant  une  foule  de  fragments  de  l'antiquité 
jusqu'alors  dédaignés,, est  arrivé  à  restituer  eu 
grande  partie  le  livre  1er  delà  Chronique  d'Eu- 
sèbe,  qui  est  perdu;  —  Csesaris  opéra; Leyde, 
1606;  —  Florilegium  epigrammatum  Martia- 
lis.grxce;  Paris,  1607,  in-80;—  Elenchus  ora- 
tionis  chronologies  D.  Parei;  Leyde,  1607, 
in-4°;  —  Confutatio  fabulez  Eurdonum; 
Leyde,  1608,  1609,  inl2;  —De  aequinoctio- 
rum  anticipatione ;  Paris,  1613,  in-4°; —  Pro- 
verbiorum  arabicorum  centuriee  II,  cum 
interpr.  latina  et scholiis;  Leyde,  1614,  in-4"; 

—  Poemata  omnia,  Leyde,  1615,  in-12;  — 
De  re  nummaria;  Leyde,  1616,  in-8°;  et  dans 
le  t.  IX  du  Thésaurus  de  Gronovius;  —Epis- 

15. 


I 


455  SCAL1GER  — 

iolœ  ;Leyde,  1627,  in-8°;  une  trentaine  d'autres 
lettres  sont  disséminées  dans  divers  recueils  ;  — 
Scaligerana;  Arost.,  1740,  in-8°;  il  se  compose  de 
deux  parties  :  les  conversations  recueillies  par 
Vertunien,  de  1574  à  1593,  publiées  à  part,  Gro- 
ningue(Saumur),  1669,  in-8°,  et  celles  recueillies 
de  1603  à  16Ô6  parles  frères  Vassau,  impr.  à 
part,  La  Haye,  1666,et  Rouen,  1667,  in-8°.  Dans 
ï'édit.  des  Scaligerana  ;  Amst.,  1695,in-8°  :  ces 
deux  parties  ont  été  fondues  ensemble.  E.  G. 
Bauditis,  Orationes.  —  l).  Heinsius,  Orationes.  —  Ba- 
leslus,  Vitx.  —  Niceron,  Mémoires,  t.  S XIII.  —  Colo- 
mies,  Gallia  orientalis.  —  Crenius ,  Animadversiones. 
—  Chaufepié,  Dict.  —  Saxe,  Onomasticon,  t.  III,  p.  351.— 
Bcrnays,  J.-J  Scaliger;~Snlin,  1855,  in-8°  ;  quoique  un  peu 
trop  louangeuse,  cette  notice,  très-complète,  est  plus  près 
de  la  vérité  que  celle  de  M.  Gh.Nisard  dans  son  Trium- 
virat littéraire.  —  Quarterly  revietv,  Juillet  1860.  — 
Haag,  La  France  protestante. 

scamozzi  (  Vincenzo),  architecte,  né  à  Vi- 
cence,  en  1552,  mort  à  Venise,  le  7  août  1616. 
De  son  père,  Giovanni-Domenico,  habile  ingé- 
nieur, il  reçut  les  premiers  principes  de  son  art. 
A  dix-sept  ans  il  composa  pour  les  comtes 
Oddi  le  dessin  d'un  palais  qui ,  bien  que  non 
exécuté,  commença  sa  réputation.  Il  continua 
ses  études  à  Venise  par  l'examen  attentif  des 
édifices  de  Palladio  et  de  Sansovino.  Il  avait 
vingt  ans  à  peine  lorsqu'il  fut  chargé  d'ouvrirdes 
jours  aux  trois  coupoles  fermées  de  l'église  du 
Sauveur,  entreprise  d'une  grande  difficulté,  et 
dont  il  se  tira  en  surmontant  chaque  coupole 
d'une  lanterne.  De  retour  à  Vicence,  il  s'appliqua 
à  la  lecture  de  Vitruve  et  à  l'étude  de  la  pers- 
pective, et  composa  en  dix  livres  un  traité  inédit 
De'  teatri  e  délie  scène.  Il  passa  en  1579  à 
Rome,  apprit  les  mathématiques  avec  le  P.  Cla- 
vio,  et  dessina  avec  grand  soin  les  principaux 
restes  de  l'antiquité,  tels  que  le  Colysée,  les 
Thermes  de  Dioclétien  et  ceux  d'Antonin,  qu'il 
publia  en  détail.  Il  entreprit  jusqu'à  quatre 
voyages  dans  cette  ville  pour  achever  cette 
étude.  Après  une  visite  à  Naples,  il  se  fixa,  en 
1580,  à  Venise,  où  il  espérait  de  recueillir  l'hé- 
ritage de  Palladio.  En  effet  il  fut  chargé  de  tra- 
vaux importants,  tels  que  les  mausolées  du 
doge  Niccolô  da  Ponte  (à  la  Carità  ),  et  du  doge 
Marino  Grimani  (à  S.-Giuseppe),  les  palais 
Cornaro  sur  le  grand  canal,  le  vestibule  de  la 
Zecca,  et  l'hôpital  des  Mendicanti.  Après  avoir 
achevé  la  bibliothèque  de  Saint-Marc,  com- 
mencée par  Sansovino,  il  entreprit,  en  1584,  les 
Procuratie  nuove,  ces  magnifiques  bâtiments 
qui  bordent  tout  un  côté  de  la  place  Saint-Marc, 
et  dont  l'architecture  est  à  la  fois  si  simple  et 
si  variée.  Après  ce  chef-d'œuvre  du  Scamozzi, 
on  peut  citer  encore  à  Venise  la  noble  église 
des  Talentini  (1595  ),  déshonorée  dans  le  siècle 
suivant  par  une  (açade  de  mauvais  goût.  Mais  , 
en  1587,  il  ne  réussit  pas  à  faire  adopter  les 
deux  projets  qu'il  avait  donnés  pour  le  pont  de 
Rialto,  et  plus  tard  il  fut  obligé,  par  suite  d'une 
intrigue,  d'abandonner  l'église  de  la  Celestia, 
commencée  sous  le  modèle   du   Panthéon  de 


SCANDERBEG  45 

Rome  (1).  Il  entreprit  un  grand  nombre  d'at 
très  travaux  dans  les  États  de  la  république. 
Vicence,  il  commença  le  palazzo  del  Con 
mune,  qui  resta  inachevé,  et  il  termina,  ( 
1595,  le  théâtre  olympique,  commencé  par  Pa 
iadio  ;  en  1593,  il  fonda  la  forteresse  de  Pain 
dans  le  Frioul  ;  à  Rergame  il  construisit  le  p 
lais  du  gouvernement,  et  à  Padoue  l'église  Sain 
Gaétan. 

Scamozzi  entreprit  avec  divers  seigneurs  |. 
ambassadeurs  des  voyages  à  Rome,  en  Franc 
en  Allemagne,  en  Hongrie.  Pendant  un  nouve 
séjour  à  Rome  (1592),  il  envoya  à  Vicence  1( 
dessins  du  palais  Trissino,  édifice  plein  de  gra 
deur,  où  l'on  admire  la  belle  fenêtre  qui  si  I 
monte  la  porte  d'entrée.  A  la  demande  du  prir 
évêque,   il  éleva  à  Salzbourg  une   cathedra  I 
dont  les  plans  ne  l'occupèrent  pas  moins  de  tr  I 
années.  Outre  les  Discorsi  sopra  le  antick.m 
di  Roma  (Venise,  1583,  in-fol.  fig),  on  a  I 
cet  artiste  un  grand  ouvrage  intitulé  :  Idea  d(  I 
architettura  universale  ;  Venise,  1615,  2  \\ 
in-fol.,fig.,  réimprimé  à  Piazzola,  1687,  in-fol. 
à  Venise,  1694,   et  trad.  en  français  par  d  I 
viler  et  du  Ry  (Leyde,  1713,  in-fol).   Distrill 
d'abord  en  douze  livres,  puis  annoncé  en  4  I 
il  n'en  a  en  réalité  que  six.  Milizia  regarde! 
sixième,   traitant    des    ordres   d'architecteT 
comme  un  chef-d'œuvre,  qui  prouve  comtj 
l'auteur  possédait  à  fond  la  science  de  son 
Scamozzi  a  laissé  une  restauration   de  la  ^l 
de  Pline  à  Laurentum,  tirée  de  la  lettre  dans 
quelle  il  l'a  décrite.  On  a  perdu  son  Traitél 
perspective,  et  un  opuscule  sur  un  passage  t 
obscur  de  Vitruve  (  1.  III,  c.  4  ).  Il  a  aussi  (I 
le  Sommario   del  viaggio  fatto    da  Pam 
sinoin  Italia  en  1600,  mais  cette  relation^ 
point  vu  le  jour. 

Rien  que  Cicognara  lui  reproche  d'avoir  c  | 
mencé  à  dévier  de  la  noble  simplicité  de  ses 
décesseurs,  on  doit  reconnaître  en  lui  uni 
plus  grands  artistes  de  la  fin  du  grand  siècli 
on  comprend  que  Blondel  ait  salué  en  lui» 
des  trois  architectes  (2)  qui  parleur  scienf 
leurs  exemples  ont  rendu  à  leur  art  les 
grands  services,  E.  B — m 

Temanza,  T'ite  de'  più  eclebri  architetti    vencsi 

—  Milizia,  Memorie  deçli  architetti.  —  C.icogl 
Storia  délia  scultura.  —  Ticozzi.  Dizionario.  —  Qi[ 
Otto  giorni  in  P'enezia.  —  Berti,  Guida  per   Vic\ 

—  Quatreraère  de  Quincy,  Hist.  des  plus  célèbres  a\ 
tectes.  —  Scolari,  Fitadi  Scamozzi  ,■  Trévise,  1837, 

scamozzi.  Voy.  Bertozzi. 

scanderbcg  (Georges  Castriot\),  céïj 
capitaine  albanais ,  né  en  14.14,  mort  le  17 
vier  1467,  à  Alessio.  Il  était  le  quatrième  fi 
Jean  Castriota,  puissant  seigneur  d'Albani 
de  Voïzava ,  fille  d'un  prince  serbe  voisi 
s'illustra  dans  sa  résistance  contre  les  Turos 


(1)  A  Venise,  on  lui  attribue  encore,  mais  sans 
tude,  deux  magnifiques  mausolées  de  la  famille 
(,a  S.-Krancesco  délia  Vigna),  et  le  palais  Cantaril 
le  grand  canal. 

(2)  Vignole  et  Palladio  sont  les  deux  autres 


•tl- 
ittl 


457 


SCANDERBEG 


458 


ie  nom  de  Scanderbeg  ou  mieux  Iskender- 
\)ey  (  chef  Alexandre  ),  qu'il  reçut  à  !a  cour  de 
ÏVIourad  II,  à  cause  de  sa  vaillance.  Vers  1423, 
Mourad  II,  maître  de  la  Thrace  et  d'une  partie 
jle  la  Grèce,  envahit  l'Albanie  et  la  soumit  ra- 
pidement à  ses  armes.  Jean  Castriota,  un  des 
uïneipaux  chefs  du  pays,  subit  la  loi  du  vain- 
lueur  et  livra  ses  quatre  (ils  en  otage.  Georges 
j  bivit  ses  frères  dans  l'exil,  et,  comme  eux,  il  fut 
!  ontraint  d'embrasser  l'islamisme.  Mais  le  sultan 
jie  tarda  pas  à  remarquer  les  brillantes  qualités 
|  e  son  jeune  prisonnier  ;  charmé  de  son  audace, 
[le  son  habileté,  de  sa  force  dans  tous  les  exer- 
cices du  corps,  il  lui  donna  des  précepteurs  qui 
lui  enseignèrent  l'arabe,  le  turc,  le  slave  et  l'ita- 
en.  Nommé  sandjak  à  dix-huit  ans,  et  mis  à  la 
•ptede  cinq  mille  cavaliers,  il  déploya  en  Asie 
[  i  plus  brillante  valeur.  A  la  mort  de  Jean  Cas- 
(U'iota  (1442),  le  sultan,  se  considérant  comme 
\  héritier  légitime  de  ses  États,  envoya  un  de  ses 
•  eutenants  prendre  prossession  du  pays.  Quant 
i[  Scanderbeg,  soit  que  Mourad  eût  trop  de  géné- 
>psité  pour  craindre  un  homme  dont  il  avait 
it  la  fortune,  soit  qu'il  voulût  éprouver  sa 
i(  délité,  il  lui  donna  une  armée  de  vingt  mille 
ijjammes  pour  envahir  la  Servie.  Depuis  la  mort 
|3  son  père,  Scanderbeg  avait  été,  à  plusieurs 
Ijprises,  vivement  sollicité  par  la  noblesse  d'Al- 
anie  pour  prendre  en  main  la  cause  de  l'indé- 
lendance  de  sa  patrie;  il  jugea  alors  le  moment 
ijivorahle  pour  céder  aux  vœux  de  ses  compa- 
triotes. Dans  la  première  bataille  de  la  longue 
fimpagne  (voy.  Hunia.de),  perdue  par  les 
jures  (  nov.  1443),  il  rassembla  autour  de  lui 
fois  cents  compatriotes,  et  déserta  les  drapeaux 
[uxquels  il  avait  juré  d'être  fidèle.  En  menaçant 
lie  mort  le  secrétaire  de  Mourad,  il  le  contrai- 
[nit  à  délivrer  au  commandant  de  Croïa  un  ordre 
■  ui  lui  enjoignit  de  remettre  la  place  au  porteur 
ju  message  comme  à  son  successeur.  L'ordre 
[édigé,  le  secrétaire  fut  aussitôt  massacré  sans 
'jitié.  Après  avoir  posté  sa  troupe  dans  les  bois, 
pénétra  avec  son  neveu  Hamza  dans  la  ville, 
jue  le  gouverneur  lui  livra  sans  défiance.  La 

■  ;uit  venue,  il  ouvrit  les  portes  à  ses  partisans , 
loi  passèrent  la  garnison  presque  entière  au  fil 

je  l'épée.  L'insurrection  s'étendit  à  toute  la 
jontrée.  Sans  perdre  de  temps,  Scanderbeg 
jéunità  Croïa  les  principaux  seigneurs  chrétiens, 

■  -it  concerta  avec  eux  la  prise  des  villes  encore 

u  pouvoir  des  musulmans.  Petrella,  Petralba, 
tellusio,  bien  que  fortement  situées,  se  rendirent 
.ans  résistance.  Il  avait  suffi  d'un  mois  au  héros 
libanais  pour  devenir  maître,  à  l'exception  de 
(fetigrad ,  de  toute  l'Épire ,  comme  au  consul 
|>main,  Anicius,  qui  dans  le  même  espace  de 
raps  avait  jadis  fait  la  même  conquête.  Pour 
.icroître  ses  ressources ,  il  réunit  à  Alessio  les 
rinces  voisins  dans  une  assemblée  où  Venise 
lit  représentée;  on  y  voyait  aussi  Moïse,  Go- 
»to  ,  Anianites  et  André  Thopia,  de  la  famille 
oranène,  Etienne  Czernovich,  seigneur  de  Mon- 


ténégro. Tous  reconnurent  Georges  Castriota 
pour  leur  chef,  et  lui  rendirent  hommage  en 
promettant  un  tribut  annuel.  Les  troupes  qu'ils 
placèrent  sous  ses  ordres  s'élevèrent  à  huit  mille 
cavaliers  et  à  sept  mille  fantassins.  Ce  fut  avec 
cette  petite  armée  qu'il  tailla  en  pièces,  au  prin- 
temps de  l'année  suivante  (1444),  les  quarante 
mille  Ottomans  qui  envahissaient  l'Albanie  sous 
le  commandement  du  pacha  Ali.  Vingt-deux 
mille  hommes  seraient  restés  sur  le  champ 
de  bataille,  deux  mille  auraient  été  pris,  vingt- 
quatre  étendards  enlevés,  tandis  que  les  Alba- 
nais n'auraient  perdu  qu'une  centaine  de  soldats; 
c'est  là  une  exagération  évidente,  qu'il  faut  ranger 
avec  mille  autres  détails  erronés  dont  l'histoire 
de  Scanderbeg  est  remplie. 

Afin  de  se  fortifier  dans  son  pouvoir,  Scan- 
derbeg rechercha  au  dehors  l'alliance  de  la 
Hongrie  et  de  la  Transylvanie.  Il  accéda  au 
plan  de  croisade  formé  par  le  pape  Eugène  IV, 
et  qui  aboutit  si  malheureusement  à  la  journée 
de  Varna  (  10  nov.  1444);  il  marchait  au  secours 
du  roi  Vladislas  et  de  Huniade  lorsque  la  nou- 
velle de  leur  défaite  le  força  de  rebrousser  che- 
min. Malgré  ce  désastre,  il  rejeta  l'offre  d'ac- 
commodement que  Mourad ,  dans  une  lettre  du 
15  juin  1445,  ne  dédaigna  pas  de  lui  faire.  Ré- 
duit alors  à  la  défensive,  il  attendit  au  milieu 
des  montagnes  les  généraux  du  sultan,  et  les 
battit  l'un  après  l'autre;  il  massacra  l'armée 
presque  entière  de  Firouz ,  et  fit  essuyer  un 
sort  pareil  à  celle  de  Moustapha ,  beaucoup  plus 
nombreuse.  Des  querelles  au  sujet  d'une  question 
de  territoire  l'amenèrent  à  tourner  malgré  lui 
ses  armes  contre  la  république  de  Venise  :  l'ap- 
proche d'une  nouvelle,  armée  turque  mit  fin  à 
cette  guerre  inutile,  et  Scanderbeg  la  termina  par 
la  cession  de  Dayna  aux  Vénitiens  ;  ceux-ci  con- 
clurent avec  lui  une  nouvelle  alliance  et  inscrivi- 
rent son  nom  sur  le  Livre  d'or.  C'était  le  pacha 
Moustapha  qui  revenait  à  la  charge  (1448); 
bien  qu'instruit  par  l'expérience  et  malgré  la 
prudence  de  ses  opérations,  il  fut  encore  surpris 
par  son  vigilant  ennemi,  et  laissa,  suivant  les 
chroniqueurs,  dix-neuf  mille  morts  sur  la  place. 
On  ne  fit  que  soixante-douze  prisonniers,  entre 
autres  le  pacha  lui-même  avec  douze  officiers 
supérieurs,  pour  lesquels  on  exigea  une  rançon 
de  25,000  ducats. 

Pour  venger  tant  de  défaites,  qu'il  attribuait  à 
l'impéritie  de  ses  lieutenants,  Mourad  II  prit  le 
commandement  d'une  expédition,  qui  comptait, 
dit-on,  plus  de  cent  mille  hommes,  et  envahit 
l'Albanie,  dans  l'intention  d'occuper  Sfetigrad  et 
Croïa,  les  deux  plus  fortes  places  du  pays 
(mai  1449).  Au  bout  de  deux  mois,  la  trahison 
lui  livra  la  première.  Au  printemps  de  1450  il 
parul  sous  les  murailles  de  la  seconde.  «  Il 
tenta,  dit  Hammer,  la  fidélité  d'Uraconte,  com- 
mandant de  Croïa,  par  l'offre  de  200,000  aspres 
et  d'un  sandjak  ;  il  adressa  aussi  un  envoyé  à 
Scanderbeg,  ne  lui  demandant  que  la  soumission 


459  SCANDERBEG 

avec  un  tribut  annuel.  »  L'un  et  l'autre  rejetè- 
rent les  propositions  du  sultan,  qui,  malade  et 
humilié,  leva  le  siège  et  revint  mourir  à  Andri- 
nople. 

Rentré  dans  Croïa,  Scanderbeg  y  reçut  les  fé- 
licitations de  plusieurs  souverains  chrétiens,  du 
pape  Nicolas  V  et  d'Alphonse  V,  roi  d'Aragon  , 


46 
dit-on,  trente  mille  hommes;  Hamza  lui-mêm 
fut  fait  prisonnier  et  envoyé  comme  esclave  a 
roi  Alphonse.  Sur  ces  entrefaites  Medzi,  charg 
par  Mahomet  II  de  racheter  un  sandjali  rest 
entre  les  mains  des  vainqueurs,  arriva  à  Croï; 
Le  but  secret  de  sa  mission  était  d'obtenir  m 
trêve  avec  l'Albanie;  il  ne  put  y  réussir  (145'j 


de  Naples  et  de  Sicile.  Puis,  cédant  aux  vœux   !  Alors,  vers  la  fin  de  l'automne,  on  vit  s'avanci 


de  ses  amis,  il  épousa,  en  mai  1451,  Donica, 
fille  d'Arrianites,  l'un  des  plus  puissants  seigneurs 
de  l'Albanie  méridionale.  Le  nouveau  sultan , 
Mahomet  II,  ne  lui  laissa  guère  de  répit,  et  pré- 
para contre  lui  de  nouveaux  armements.  Malgré 
l'affaiblissement  de  sa  petite  armée  (elle  ne 
comptait  plus  que  li,000  hommes)  et  la  perte 
de  quelques  vaillants  compagnons  d'armes,  Scan- 
derbeg n'opposa  pas  moins  à  l'invasion  de  l'is- 
lamisme une  inflexible  résistance.  Invincible 
parmi  les  défilés  de  sa  terre  natale,  il  entreprit 
de  conquérir  Belgrad  (aujourd'hui  Eerat) ,  :  Al- 
phonse V,  roi  de  Naples,  lui  avait  en  cette  cir- 
constance envoyé  10,000  soldats  et  de  l'artillerie, 
et  la  place  était  sur  le  point,  de  capituler  lors- 
qu'elle fut  secourue  à  temps  par  les  Ottomans, 
qui  remportèrent  sur  les  assiégeants  une  victoire 
sanglante.  Humilié  de  sa  défaite  et  affligé  plus 
encore  de  la  défection  de  Moïse  de  Dibra,  l'un 
de  ses  meilleurs  lieutenants,  Scanderbeg  par- 
courut les  tribus  de  l'Albanie  et  les  prépara  à 
de  nouveaux  combats. 

Dans  la  même  année  (1453),  Constantinople 
venait  de  tomber  au  pouvoir  des  Ottomans.  La 
chrétienté,  sourde  à  la  voix  du  dernier  Paléo- 
logue  lorsqu'il  réclamait  son  aide,  sembla  com- 
prendre sa  faute  lorsque  tout  fut  consommé.  La 
terreur  se  répandit  au  sein  des  peuples  de  l'Eu- 
rope; l'Albanie  surtout,  menacée  d'une  invasion 
terrible,  était  en  émoi.  Contre  toutes  les  prévi- 
sions, Mahomet  II,  qui  ne  laissait  échapper  au- 
cune occasion  d'exprimer  son  admiration  pour 
Scanderbeg,  lui  fit  offrir  la  paix.  Un  refus  éner- 
gique répondit  à  cette  démarche.  Presque  aussitôt 
Moïse  obtint  du  sultan  le  commandement  d'une 
expédition  contre  ses  compatriotes.  A  peine 
arrivé  dans  la  basse  Dibra,  il  n'osa  affronter  son 
ancien  chef,  et  laissa  surprendre  sa  petite  armée, 
qui  périt  presque  entière  sous  le  fer  des  Alba- 
nais. Reçu  avec  indignation  par  le  sultan,  il  re- 
vint dans  sa  patrie  sous  un  déguisement,  et  se 
jeta  aux  pieds  de  Scanderbeg  qui  lui  pardonna 
le  passé  et  le  rétablit  dans  ses  biens.  Un  coup 
plus  pénible  pour  le  chef  albanais,  ce  fut  la  dé- 
fection de  son  propre  neveu,  Hamza,  qui  offrit 
non-seulement  son  épée  au  sultan,  mais  renia 
son  pays  et  sa  foi.  Hamza  ne  tarda  pas  à  repa- 
raître en  Albanie  accompagnant  Isa,  que  le  sul- 
tan avait  mis  à  la  tête  de  quarante  mille  hommes 
et  qui  devait  suivre  les  conseils  du  transfuge. 
Scanderbeg,  par  une  fuite  simulée,  parvint  à 
tromper  son  neveu.  Puis,  tandis  qu'on  le  croyait 
dans  les  murs  d'Alessio,  il  fondit  sur  les  Turcs, 
pris  à  l'improviste ,  les  dispersa  et  leur  tua , 


sur  les  frontières  de  l'Épire  deux  généraux  turc 
Oumour  et  Sinan ,  chacun  à  la  tête  de  quaton 
mille  hommes;   ils  avaient  reçu  l'ordre  de  s 
porter  sur  des  points  différents  et  de  tenir  l'A 
banie  dans  une  alarme  continuelle  sans  engagi 
jamais  le  combat.  Scanderbeg  ne  put  vainci 
leur  fidélité  scrupuleuse  à  suivre  de  point  e 
point  les  prescriptions  du  sultan.  Une  année  ei 
tière  se  passa  sans  rencontre,  sans  luttes.  Pei 
dant  cette  sorte  de  trêve,  la  mort  d'Alphonse 
vint  affliger  Scanderbeg  (27   juin  1458).  A 
suite  de  cet  événement,  Hamza  retourna  dans  ; 
patrie,  se  réconcilia  même  avec  son  oncle, 
mourut  peu  après,  à  Constantinople,  empoisoni 
à  ce  qu'on  croit  par  Mahomet  II  lui-même. 

Profitant  de  la  paix  armée  qu'il  entretenu 
avec  l'empire  ottoman,  Scanderbeg,  cédant  ai 
sollicitations  du  pape  Pie  II,  porta  secours  au  fi 
d'Alphonse  V,  Ferdinand, dépossédé  du  royaun 
de  Naples  par  Jean  d'Anjou.  Dès  son  arrivée  < 
Italie  la  fortune  de  son  allié  se  releva.  11  délivi 
Bari,  où  Ferdinand  se  voyait  près  de  capitule 
parvint  à  rejoindre  les  troupes  amenées  par 
duc  de  Milan,  et  livra  enfin  à  Ursara,  le  18  ac 
1462,  une  bataille  décisive,  dans  laquelle  les  pa 
tisans  de  Jean  d'Anjou  furent  complétemei 
battus.  Ferdinand,  replacé  sur  le  trône  de  Naple 
témoigna  sa  reconnaissance  au  fidèle  ami  de  s( 
père  en  lui  donnant,  en  toute  propriété ,  Tran 
Monte-Gargano  et  San-Giovanni-Rotondo.  i\ 
pape,  de  son  côté,  le  combla  de  titres  et  de  bén 
dictions,  et  lui  promit  de  passer  bientôt  en  A 
banie  avec  une  armée  de  croisés,  beau  proj 
que  la  mort  du  pontife  vint  briser  au  ruome: 
de  son  exécution 

Depuis  dix-neuf  ans  l'Albanie  résistait  à  tou 
la  puissance  des  sultans.  Mahomet  il  avait  réso 
d'en  finir  avec  son  infatigable  ennemi,  en  er 
voyant  contre  lui  généraux  sur  généraux.  Sina 
qui  entra  le  premier  en  campagne  à  la  tète  < 
vingt  mille  hommes,  fut  écrasé  dans  d'étroi 
défilés.  Puis  Hossein  subit  un  désastre  sec 
blable  à  son  entrée  dans  le  pays.  Un  troisièm 
Joussoun,  vit  ses  troupes  dispersées  avant  d'an 
ver  même  jusqu'à  la  frontière.  Un  vieil  Asiatiqu 
le  bey  Karaza,  demanda  quarante  mille  homiw 
au  sultan,  et  promit  de  revenir  v-ainqueur  ;  il  fl 
aussi  battu  après  une  sanglante  bataille.  A 
suite  de  ces  défaites ,  Mahomet  II  se  décida 
demander  la  paix.  Les  conditions  en  furent  p(| 
sées  par  Scanderbeg  lui-même  et  acceptées  pi 
le  sultan  (juin  1461).  Deux  années  s'écoulèrei 
dans  une  entière  sécurité.  Malheureusemei 
Scanderbeg,  cédant  aux  sollicitations  du  pa| 


4GI 


SCANDERBEG 


Pie  II,  qui  s'épuisait  en  efforts  pour  soulever 
l'Europe  entière  contre  les  Turcs ,  avait  repris 
les  hostilités  (14fi3),  espérant  se  trouver  bientôt 
à  la  tête  de  la  croisade.    L'expédition  ayant 
échoué,  il  se  vit  réduit  à  ses  seules  ressources 
jpour  continuer  la  guerre.  Vainqueur  de  Schere- 
met  et  de  Balaban-Badera,  il  voyait  cependant 
j  ses  troupes  décimées  dans  cette  lutte  sans  fin. 
Jlluit  de  ses  lieutenants,  emportés  par  leur  cou- 
jrage,  étaient  tombés  au  pouvoir  des  Turcs  et 
:  moururent  en  martyrs;  parmi  eux  se  trouvait 
[Moïse.  Deux  fois  vaincu,  Balaban  revint  encore 
t  ienter  la  fortune;  Albanais  de  naissance,  ennemi 
!  implacable  de  Scanderbeg,  il  rêvait  le  pachalik 
l'Albanie.  A  la  tête  de  vingt  mille  soldais,  il  re- 
)arut  dans  les  environs  de  Sfetigiad.  La  bataille 
l'engagea  avec  un  acharnement  sans  pareil,  et 
'honneur  en  resta  à  Scanderbeg,  qui  eut  un  cheval 
ué  sous  lui.  Pour  la  quatrième  fois,  Balaban  se 
résenta  avec  une  nouvelle  armée   :  son  plan 
i  onsistait  à  envahir  l'Albanie  sur  deux   points 
pposés  et  à   forcer  Scanderbeg  à  diviser  ses 
hrces.  Informé  de  ce  projet,  le  capitaine  alba- 
nais comprit  que  la  promptitude  pouvait  seule 
|  sauver,  et  grâce  à  la  rapidité  de  ses  mouve- 
ments, il  détruisit  eu  quelques  jours  les  deux  ar- 
lliées  ennemies.  Cependant  Mahomet  II  ne  pou- 
vait se  résigner  à  de  tels  revers.  «  Cet  angle  de 
KÉpire,  dit  Sismondi,  lui  semblait  menacer  la 
(loinination  musulmane  tout  entière.  »  Il  se  mit 
lii-même  à  la  tête  d'une  expédition  formidable 
1 466  ).  Tandis  que  Balaban  investit  Croïa  avec 
uatre-yingt  mille  cavaliers,  le  sultan  s'avança  à 
ii  tête  de  cent  vingt  mille  fantassins.  Scanderbeg, 
lîtiré  au  cœur  des  montagnes,  tombant  sur  les 
jartis  détachés,  interceptant  les  vivres,  ne  lais- 
i  lit  aux  Turcs  aucun  repos.  Bientôt  l'armée 
nque  se  démoralisa,  et  le  sultan  regagna  sa  ca- 
bale en  laissant  devant  Croïa  Balaban  avec 
ï  bixante-dix-ueuf  mille  hommes.  Dans  cette  cir- 
Mïstance  critique,  Scanderbeg  se  rendit  à  Rome 
|L)ur  réclamer  l'assistance  du  pape.  Les  plus 
rands  honneurs  lui  furent  rendus,  mais  aucun 
bcours  accordé.  La  république  de  Venise  seule 
mit  un  contingent  de  treize  mille  hommes  en- 
kiron.  Avec  cet  auxiliaire  Scanderbeg  se  porta 
paédiatement  sur  Croïa,  triompha  de  Jonyma, 
l  .ère  de  Balaban,  tandis  que  les  assiégés  opéraient 
lie  vigoureuse  sortie,  dans  laquelle  ce  dernier 
4  tué.  La  mort  de  Balaban  détermina  la  re- 
aite  de  l'armée  turque.  Les  Albanais  voulaient 
poursuivre  ;  Scanderbeg  s'y  opposa.  Il  s'éleva 
ême  à  ce  sujet  une  sédition  dans  le  camp,  qui 
!  fut  qu'à  grand'peine  apaisée.  A   cette  nou- 
i "lie  on  prétend  que  Mahomet  II  fit  de  nouveau 
jruption  en  Épire;  mais  ce  fait  ne  paraît  pas 
rtain.  Scanderbeg,  épuisé  par  les  travaux  d'une 
f  [terre  qui  durait  depuis  vingt-quatre  ans,  futat- 
■  int,  dans  Alessio,  d'une  fièvre  ardente,  qui  l'em- 
i  rta  le  17  janvier  1467,  à  cinquante-trois  ans  (I). 

'  M)  11  fut  enterré  dans  l'église  Saint-Nicolas  d' Alessio. 
i  i  1*78  son  tombeau  fut  profané,  et  les  Turcs  se  parta- 


—  SGAPINFXLI  462 

Avec  lui  se  termine  l'épopée  albanaise.  Onze 
ans  plus  tard  l'étendard  de  Mahomet  flottait  sur 
toute  l'Épi re.  Scanderbeg  apparaît  sur  la  'in  du 
moyen  âge  comme  le  représentant  de  l'héroïsme 
antique  et  chevaleresque ,  comme  le  glorieux 
précurseur  des  héros  de  la  Grèce  moderne.  11 
rassemblait  en  lui  les  qualités  les  plus  oppo- 
sées :  à  la  grandeur  d'àme,  à  la  loyauté,  à  une 
foi  sincère,  il  joignait  une  intelligence  excep- 
tionnelle, une  pénétration  sûre,  un  esprit  de 
ruses  sans  cesse  renouvelées  par  une  imagina- 
tion féconde.  Les  vingt-deux  combats  où  il  eut 
l'avantage  attestent  ses  talents  militaires.  Chari- 
table et  humain,  généreux  et  accessible  à  tous, 
il  n'était  plus  le  même  homme  à  la  guerre  :  fou- 
gueux alors,  violent,  parfois  impitoyable,  il 
épouvantait  les  plus  braves,  tant  l'exaltaient  sa 
haine  contre  les  Turcs  et  son  amour  de  l'indépen- 
dance. Habile  d'ailleurs  à  ménager  ses  troupes, 
Scanderbeg  n'eut  jamais  à  se  reprocher  de  les  avoir 
inutilement  exposées.  Sa  vue  seule  inspirait  le 
respect  et  l'admiration.  Sa  taille  élevée,  son  re- 
gard ardent  et  fascinateur,  sa  force  athlétique 
firent  l'étonnement  des  Italiens  lorsqu'il  passa 
chez  eux  pour  défendre  le  fils  dAlphonse  V 
d'Aragon.  Jamais,  dans  sa  vie  publique  et  privée, 
il  ne  donna  que  de  salutaires  exemples.  La  con- 
tinence fut  au  nombre  de  ses  vertus,  et  il  ne  se 
résigna  au  mariage  que  pour  accomplir  un  de- 
voir politique.  «  Dans  un  coin  de  l'Europe,  dit 
M.  Paganel,  avec  de  faibles  ressources,  en  face 
d'un  péril  immense  et  permanent,  Scanderbeg 
fut  un  grand  prince,  un  grand  guerrier.  »  On 
raconte  qu'à  la  nouvelle  de  sa  mort  Mahomet  II 
s'écria  :  «  Malheur  au  christianisme  !  il  a  perdu 
son  épée  et  son  bouclier.  »       Henri  Thiers. 

Barlesio,  De  vita  et  ?noribus  ac  rébus  prsecipue  ad- 
venus Turcas  gestis  Geo.  Castrioti  ;  Strasbourg,  1S37, 
in-fol.  ;  trad.  en  français,  par  J.  Lavardin.  —  Jlonardo, 
VitadiG.  Cnstriotto  ;  Venise,  1591,  in-4°.  —  Cronica 
del  principe  Jorge  Castrioto  ;  Madrid,  1597,  in-fol.  — 
G.-B.  Pontanus,  Historia  G.  Castrioti;  Francfort. 
1609,  in-8».  —  Franco ,  Illustri  gesti  e  /atti  contro  i 
Turchi  da  G.  Caslriotto  ;  Venise,  1610,  in-8".  —  Fr. 
Bianco,  Vita  G.  Castrioti  ;  Venise,  1636,  in-4°.  —  Du- 
poncet,  Hist.  de  Scanderbeg  ;  l'arls,  1709,  in-12.  —  Le 
grand  Castriotto ,  roi  d' Albanie-,  Francfort,  1779, 
in-8°.  —  Paganel,  Hist.  de  Scanderbeg  ;  Paris,  1855, 
in-8».  —  Sismondi,  Uist.  des  républiques  italiennes. 
~  Hammer,  Hist.  des  Ottomans.  —  Pouqucvilie  (de  ), 
Voyage  en  Grèce. 

scapikeixi  (Lodovico),  littérateur  ita- 
lien, né  en  1585,  à  Modène,  où  il  est  mort,  le 
3  janvier  1634.  Aveugle  de  naissance  (1),  il  reçut 
cependant  une  solide  instruction,  et  mérita,  par 
ses  talents  et  l'étendue  de  ses  connaissances, 
d'être  nommé  à  vingt-quatre  ans  professeur 
d'éloquence  à  l'université  de  Bologne,  où  il  ve- 
nait d'être  reçu  docteur  (1609).  Il  revint  à  Mo- 

gèrent  ses  ossements  pour  en  faire  de  précieux  talis- 
mans de  gloire  et  d'invulnérabilité.  On  conserve  encore,, 
dans  le  musée  du  Belvédère,*  Vienne,  une  grande  cuirasse 
dorée,  couverte  de  figures  asiatiques,  et  que  l'on  dit  avoir 
appartenu  à  Scanderbeg. 

(1)  Le  rhapsode  aveugle  de  la  Secchia  rapita,  nommé 
Scarpinel,  et  même,  dans  la  première  édition  Sca— 
pinet,  parait  avoir  eu  pour  modèle   le  poëte  !.oduvice;. 


463  SCAPINELLI 

dène  en  (617,  et  y  occupa  la  chaire  de  belles- 
tettres,  jusqu'à  l'époque  où  il  fut  appelé  à  l'uni- 
versité de  Pise  (1621).  Celle  de  Bologne  ré- 
compensa dignement  ses  travaux,  et  honora  la 
fin  de  sa  vie  en  le  nommant  premier  profes- 
seur (  1628  ).  Scapinelli  était  mort  depuis  près 
de  deux  siècles  lorsque  ses  écrits  ont  été  pu- 
bliés sous  ce  titre  :  Opère  del  dottore  Lodo- 
vico  Scapinelli;  Parme,  1801,  2  vol.  in-8°. 
C'est  un  recueil  de  poésies  italiennes  et  latines, 
suivi  de  quinze  dissertations  sur  Tite  Live.  Ses 
poésies  ont  moins  de  mauvais  goût,  de  pointes 
et  de  faux  brillants  que  celles  de  ses  contem- 
porains ;  les  dissertations,  trop  étendues  dans 
leur  objet,  qui  embrasse  l'histoire,  les  coutumes 
et  les  lois  des  Romains,  sont  un  utile  commen- 
taire à  l'introduction  et  aux  premiers  chapitres 
de  l'œuvre  de  Tite  Live.  Scapinelli  a  aussi  laissé 
sur  Horace,  Justin,  Sénèque  et  Virgile,  des  an- 
notations qui  sont  encore  inédites. 

Cœnotaphium  Ludovici  Scapinelli  ;  Bologne,  1634, 
in-i°.  _  Éloge,  en  tête  des  OEuvres  de  Scapinelli,  par 
Je  P.  Pozzetti,  qui  l'avait  prononcé,  le  25  novembre  1794, 
à  l'université  de  Modène. 

scapula  (Jean  ),  philologue  allemand,  né 
vers  le  milieu  du  seizième  siècle.  Il  se  rendit  à 
Genève,  où  il  entra  dans  l'imprimerie  de  Henri 
Estienne ,  qui  le  chargea  de  mettre  au  net  le 
manuscrit  de  son  Thésaurus  linguee  greecas  et 
d'en  revoir  les  épreuves.  Sept  ans  après  la  pu- 
blication de  cet  ouvrage,  qui  avait  coûté  à  son 
auteur  tant  d'années  de  labeur,  il  en  fit  paraître 
un  abrégé,  qu'il  présenta  comme  un  produit  ori- 
ginal de  son  travail,  en  s'attribuant  même  l'idée 
d'avoir  placé  les  dérivés  et  les  composés  à  la 
suite  des  mots  radicaux.  Estienne  réclama  vive- 
ment (De  Lipsii  latinitate,  pars  I,  p.  51-55  ) 
contre  ce  plagiat,  qui  allait  lui  porter  un  si  grave 
préjudice.  «  En  effet,  dit  M.  Renouard,  la  com- 
pilation écourtée  de  Scapula  eut  la  fortune  de 
beaucoup  d'abrégé3  ;  bien  moins  chère  et  en 
apparence  d'usage  plus  facile,  elle  se  vendit,  se 
réimprima,  tandis  que  le  Thésaurus  restait 
dans  le  magasin  de  son  auteur.  »  Le  Lexicon 
grseco-latimim  de  Scapula  parut  à  Bàle,  1579, 
in-fol.  ;  il  y  fut  réimprimé  huit  ou  dix  fois;  les 
Elseviers  en  publièrent  une  belle  édition ,  aug- 
mentée de  plusieurs  morceaux;  Leyde,  1652, 
in-fol.  ;  elle  a  été  avantageusement  remplacée 
par  celles  d'Oxford,  1820,  in-fol.,  et  de  Lon- 
dres, 1820,  in-4°.  —  Scapula  est  encore  l'au- 
teur des  Primogenice  voces  seu  radiées  lin- 
gual grsecse  ;  Paris,  1612,  in-8°. 

Morhof ,  Polytiistor.  —  J.  Fabrlcius,  Hist.  bibliothecae, 
part.  III,  p.  249.  —  J.-A.  Fabrlcius,  Bibl.  grœca,  t.  X. 

scarlatti  (Alessandro),  compositeur  an- 
glais, né  en  1659,  à  Naples  (1),  où  il  est  mort,  le 
24  octobre  1725.  On  ignore  quel  fut  son  premier 
maître,  car  il  faut  reléguer  parmi  les  fables  l'a- 

(1)  Nous  suivons  la  date  rectifiée  par  M.  Fétls,  qui, 
suivant  un  document  manuscrit,  donne  à  Scarlatti  Tra- 
pani  pour  patrie  au  lieu  de  Napies.  Ce  dernier  point  ne 
parait  pas  aussi  sûr  que  le  premier. 


SCARLATTI 


46- 


necdote  qui  le  fait  aller  à  Rome  pour  prendr 
des  leçons  de  Carissimi.  Il  est  plus  probabl 
qu'il  fréquenta  l'un  des  conservatoires  de  sa  vill 
natale.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  reçut  une  bonne  édu 
cation  musicale,  et  acquit  un  rare  talent  sur  1 
clavecin  et  sur  la  harpe.  Bien  d'autres  parties  d 
la  vie  de  ce  grand  artiste  sont  encore  obscures 
À  vingt  et  un  ans  il  composa  son  premier  opér; 
VOnestà  nelV  amore;  sans  doute  il  résida 
alors  à  Rome ,  puisque  cette  œuvre  y  fut  repr< 
sentée  en  1680,  dans  le  palais  de  Christine,  reir 
de  Suède.  Il  eut  de  cette  princesse  le  titre  à  pe 
près  honorifique  de  maître  de  sa  chapelle ,  i 
jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  1688,  il  n'écrivit  pli 
rien  pour  elle.  11  paraît  que  peu  de  lemps  apn 
il  accepta  la  maîtrise  de  la  chapelle  royale 
Naples;  de  1703  à  1709  il  remplit  le  même  ei: 
ploi  à  Sainte-Marie-Majeure  de  Rome,  et  r 
tourna  ensuite  dans  sa  patrie,  où  il  fut  réintég 
dans  ses  fonctions  ;  il  y  ajouta  des  cours  fr 
quents  dans  les  conservatoires  de  S.-Onofri 
des  Poveri  di  Gesù-Cristo  et  de  Loreto,  et 
forma  ainsi  quelques-uns  des  artistes  qui  fc 
dèrent  la  gloire  de  l'école  de  Naples,  tels  q 
Logroscino ,  Durante  et  Hasse.  Son  mér 
comme  professeur  se  montra  d'une  façon  é  | 
dente  dans  un  écrit  non  imprimé,  mais  dont  il 
plusieurs  copies  manuscrites  :  Discorso  di  m 
sica  sopra  un  caso  particolare  in  arte;  171 
in-fol.  «  Audacieux  génie,  dit  Fétis,  il  unissail 
la  richesse ,  à  la  hardiesse  de  l'imagination, 
savoir  étendu  ,  la  pureté  de  style  de  l'école  î 
maine,  et  l'expérience  acquise  par  d'immensest 
vaux.  Sa  modulation ,  souvent  inattendue,  n'of 
jamais  de  succession  dont  l'oreille  soit  bïil 
sée...  «Ildonna  lepremierl'exempledu  retour 
motif  principal  des  airs  après  la  seconde  part 
il  introduisit  l'orchestre  dans  le  récitatif,  coi 
les  transitions  par  des  ritournelles,  et  don 
naissance  à  ce  qu'on  appelle  le  récitatif  oblii 
enfin,  à  l'égard  de  l'accompagnement  des  airs 
leur  donna  un  dessein  particulier,  au  lieu 
leur  faire  suivre  le  chant  en  harmonie  plaqn 
Un  des  caractères  du  talent  de  Scarlatti  fut  i 
fécondité  inépuisable;  des  cent  quinze  ou  vr 
opéras  qu'il  a  écrits ,  on  n'en  connaît  qu'i 
trentaine,  comme  VOnestà  nelV  amore  (Roi 
1680),  Pompeo  ( Naples,  1684),  Teodora  (Roi 
1693),  Pirro  e  Demetrio  (Naples,  i 697) , 
Prigioniero  fortunato,  et  II  Prigioniero  . 
perbo  (Naples,  1698  et  1699),  Gli  Eqiivo 
(Rome,  1700),  Leodicea  e  Bérénice  (Naplt 
1701),  Il  Figlio  délie  Selve  (1702),  il  TrioM 
délia  libertà  (Venise,  1707),  il  Medo  (17( 
il  Martirio  di  S.  Cecilia  (Rome,  1709),  Ci 
riconosciuto  (Rome,  1712),  Scipione  ni 
Spagne,  V Amore  generoso  et  Arminio  (Nap! 
1714),  il  Tigrane  (MA.,  1715),  Telema 
(Rome,  1718),  Attilio  Regolo  (ibid.,  1719), 2 
Sempronio  Gracco  (ibid.,  1720),  la  Prit 
pessa  fidèle  et  Griselda  (ibid.,  1721),  la  Cad; 
dei  Decemviri  (Naples,  1723),  etc.  On  sait' 


U65  SCARLATTI 

Scarlutti  a  composé  une  immense  quantité  de 
'morceaux  de  chambre  et  de  musique  d'église, 
[genres  dans  lesquels  il  excella;  Jomelli  Consi- 
dérait ses  messes  et  motets  comme  les  meilleurs 
Iqu'on  eût  faits  dans  le  style  concerté.  Mais  le 
[■plus  grand  nombre  de  ces  productions  est  au- 
jourd'hui perdu,  et  l'on  ne  cite  guère  que  les 
:;uivantes  :  /  Dolori  di  Maria  (1693),  il  Sa- 
rrifizio  d'Abramo  (1703),  il  Martirio  di 
)S.  Teodosia  (1705),  la  Concezzione  délia 
Wergine,  la  Sposa  de'  sagri  cantici  (1710), 
J5.  Filippo  iVeri(1718),  la  Vergine  addolorata, 
|;i722),  oratorios;  deux  Stabat  Mater,  une 
\ Passion,  six  Messes  solennelles;  enfin  vingt 
\\nadrigaux  à  plusieurs  voix,  des  duos,  et  un 
nombre  infini  de  cantates  à  voix  seule. 
|  Scarlatti  (Domenico),  compositeur,  fils  du 
Précèdent,  né  en  1683,  à  Naples,  mort  en  1757, 
ii  Madrid.  11  eut  son  père  pour  premier  maître; 
[nais  il  s'appliqua  moins  à  écrire  qu'à  perfec- 
ionner  son  talent  pour  le  clavecin.  Il  devint  sur 
ï.et  instrument  le  plus  habile  virtuose  de  l'Eu- 
rope, et  ceux  qui  l'entendirent,  comme  Hasseet 
i  Juanz,  parlaient  de  lui  avec  enthousiasme.  Après 
jivoir  été  de  1715  à  1719  maître  de  chapelle  à 
l|  Saint-Pierre  de  Rome,  il  se  rendit  à  Londres 
pour  y  faire  jouer  l'opéra  de  Narcisso  (1720),  et 
|>assa  quelques  années  à  la  cour  de  Portugal. 
|i£u  1729  il  fut  choisi  pour  donner  des  leçons  de 
ihlavecin  à  la  princesse  des  Astuiïes,  et  jouit  à 
iVIadrid  du  sort  le  plus  heureux.  La  fécondité  de 
fecarlaltr  dans  la  composition  des  sonates  égala 
•celle  de  son  père  :  on  en  connaît  plus  de  350. 
Une  prodigieuse  variété  dans  les  idées,  une 
kràce  charmante  dans  les  mélodies ,  et  un  grand 
(mérite  de  facture  en  sont  les  qualités  distinc- 
[tives. 

\  Scariatti  (Giuseppe),  neveu  du  précédent , 
Inéen  1718,  à  Naples,  mort  en  1796,  à  Vienne, 
fest  auteur  d'une  quinzaine  d'opéras  représentés 
|(à  Venise,  à  Naples  et  à  Vienne,  tels  que  Pom- 
jpeo  in  Arminia,  Adriano ,  Merope,  il  Mer- 
\cato  di  Malmantile,  la  Moglie padrona.  On 
lignore  quel  fut  son  maître ,  et  les  événements  de 
Isa  vie  ne  sont  pas  mieux  connus. 

Biogr.   degli   Uomini    illustri  di    Napoli,  t.  VI.  — 
■fFétis,  Biogr.  univ.  des  music. 

>  scarpa  (Antonio),  célèbre  chirurgien  ita- 
;  lien,  né  le  13  juin  1747,  à  la  Motta  (  Frioul  ), 
mort  le  31  octobre  1832,  à  Pavie.  Sa  famille 
[était  dans  le  commerce.  Un  de  ses  oncles,  ec- 
clésiastique instruit,  charmé  de  trouver  en  lui  j 
un  esprit  vif  et  pénétrant,  lui  apprit  les  huma- 
■  nités  et  les  mathématiques.  Comme  un  goût  dé- 
cidé le  portait  vers  la  médecine,  il  partit  à 
[quinze  ans  pour  Padoue,  et  commença  ses  étu- 
!des  sous  les  auspices  de  Morgagni,  qui  le  prit 
j'en  affection  et  le  choisit  à  la  fois  pour  lecteur 
jet  pour  secrétaire.  Il  passa  deux  années  à  Bo- 
ulogne, et  suivit  la  clinique  des  hôpitaux.  De  re- 
tour à  Padoue,  il  reçut  de  son  illustre  maître  les 
insignes  du  doctorat,  et  peu  de  temps  après  ce 


SCARPA 


466 


dernier  mourut,  entre  ses  bras  (1771  ),  après 
l'avoir  nommé  son  exécuteur  testamentaire. 
Scarpa  songeait  à  se  fixer  à  Venise  lorsque,  par 
l'intermédiaire  du  professeur  Vandelli,  il  fut  ap- 
pelé à  la  chaire  d'anatomie  et  de  chirurgie  dans 
l'université  nouvellement  restaurée  de  Modène 
(1772  ).  Bien  qu'il  n'eût  pas  vingt-cinq  ans,  il 
s'atlira  les  suffrages  unanimes  par  la  clarté  de 
ses  idées,  la  pureté  de  son  langage  et  la  beauté 
de  ses  préparations.  Bientôt  nommé  premier 
chirurgien  de  l'hôpital  militaire,  il  fit  succéder 
chaque  année  à  ses  leçons  un  cours  d'opérations 
sur  le  cadavre.  De  cette  époque  date  la  publica- 
tion de  ses  premiers  ouvrages  :  il  s'appliqua 
d'abord  à  l'organe  de  l'ouïe,  ce  qui  l'entraîna 
dans  de  longs  débats  avec  Galvani,  qui  poursui- 
vait la  même  étude,  puis  aux  ganglions  et  aux 
plexus  nerveux,  questions  difficiles,  qu'il  éclaira, 
sans  les  résoudre,  de  la  richesse  de  son  érudi- 
tion et  de  la  délicatesse  de  ses  expériences.  A 
la  mort  du  duc  François  III,  sa  situation  changea 
tout  à  coup  ••  Hercule  III  entreprit  des  réformes, 
et  les  étendit  jusque  sur  les  écoles  ;  Scarpa  ob- 
tint alors  la  permission  de  s'éloigner  avec  l'ap- 
parente mission  d'étudier  à  l'étranger  l'organi- 
sation de  l'enseignement  médical  (  1780).  Ses 
voyages  durèrent  trois  ans  :  il  les  employa  à 
visiter  seulement  la  France  et  l'Angleterre.  A 
Paris  il  s'attacha  d'une  étroite  amitié  à  Vicq 
d'Azyr,  qui  lui  donna  un  libre  accès  dans  l'am- 
phithéâtre de  la  Charité,  vit  opérer  l'oculiste 
VVenzel  et  le  frère  Côme,  et  prépara  ses  travaux 
sur  l'odorat  et  les  anévrismes.  A  Londres  il  se 
fit  l'élève  de  Pott,  des  deux  Hunter,  de  Cruik- 
shank  et  de  Sheldon,  et  écouta  leurs  leçons  sur  la 
chirurgie,  les  accouchements  et  l'anatomie.  11 
revint  en  Italie  par  Montpellier,  et  arriva  à 
Modène  à  la  fin  de  1782.  Il  venait  de  reprendre 
son  cours  lorsqu'une  lettre  du  docteur  Bram- 
billa  lui  apprit  que,  sur  sa  proposition,  l'em- 
pereur Joseph  II,  ayant  créé  à  Pavie  une  chaire 
d'anatomie,  de  clinique  chirurgicale  et  d'opéra- 
tions, la  lui  offrait  avec  un  traitement  de  400 
sequins  (  1783).  Scarpa,  craignant  d'être  ingrat 
envers  le  duc,  ne  se  décida  à  l'accepter  que  sur 
l'ordre  exprès  de  ce  prince.  Il  débuta  par  un 
discours  nourri  de  faits.  «  Il  y  donnait,  dit 
Pariset,  l'image  de  ce  qu'il  était  lui-même,  soit 
dans  ses  délicates  recherches  sur  l'homme,  soit 
dans  ses  expériences  sur  les  animaux.  De  la 
patience,  de  l'adresse,  des  yeux  excellents,  de 
grandes  ressources  d'esprit,  un  art  tout  parti- 
culier d'observer  et  de  conclure ,  voilà  quels 
étaient  ses  instruments,  voilà  d'où  sortaient  les 
leçons  qu'il  donnait  à  ses  élèves;  non  moins 
éloquent  par  l'action  que  par  la  parole.  »  En 
1784  Scarpa  fit  en  compagnie  de  Vol  ta  le  voyage  de 
Vienne,  et  fut  comblé  de  présents  par  Joseph  II, 
Ce  fut  aux  frais  de  la  cassette  impériale  qu'il 
visita  les  principales  universités  de  l'Allemagne, 
s'occupant  partout  des  intérêts  de  la  science  ;  et 
cette   longue  excursion  ajouta    beaucoup  à  la 


467 


SCARPA 


468 


prodigieuse  expérience  qui  le  rendit  un  des  plus 
grands  praticiens  des  temps  modernes.  A  Pavie 
rien  ne  lui  coûta  pour  instruire  ses  élèves.  En 
même  temps  qu'il  achevait  ses  annotations  sur 
l'odorat  et  les  nerfs  de  la  cinquième  paire,  il 
faisait  à  l'hôpital  civil  des  leçons  de  chirurgie 
pratique,  et  il  meublait  le  musée  anatomique 
d'un  grand  nombre  de  préparations,  entre  autres 
sur  le  système  nerveux  et  les  organes  des  sens. 
La  guerre,  en  bouleversant  l'Italie,  vint  donner 
une  autre  direction  aux  travaux  de  Scarpa.  Les 
batailles  sanglantes  de  Bassignana,  de  Novi,  de 
la  Trebbia  renvoyèrent  jusqu'à  Pavie  une  foule 
de  blessés,  et  lui  fournirent  l'occasion  de  prati- 
quer de  nombreuses  opérations  el  d'augmenter 
à  la  fois  la  somme  de  ses  connaissances.  En 
1796  fut  fondée  la  république  transpadane. 
Scarpa,  dévoué  à  la  monarchie,  refusa  de  siéger 
dans  le  conseil  des  Juniori  et  de  prêter  ser- 
ment; on  ne  l'inquiéta  point.  Les  Autrichiens,  en 
rentrant  dans  le  Milanais,  fermèrent  l'université 
de  Pavie;  la  France  la  rouvrit  en  1799.  P.endu 
à  l'enseignement,  l'éminent  professeur  profita  de 
la  paix  pour  mettre  au  jour  le  fruit  de  ses  der- 
nières recherches  sur  les  maladies  des  yeux,  les 
pieds-bots  et  les  anévrismes.  En  1804  i!  sentit 
que  sa  vue  fléchissait,  et  prit  sa  retraite.  L'année 
suivante  Napoléon  visita  l'université,  et  s'é- 
tonna de  l'absence  de  Scarpa.  «  Je  ne  puis  souf- 
frir, lui  dit-il  peu  après,  que  vous  restiez  sé- 
paré d'une  institution  dont  vous  étiez  l'orne- 
ment. Un  homme  tel  que  vous  doit,  comme  un 
brave  soldat,  mourir  au  champ  d'honneur.  »  Il 
le  nomma  son  chirurgien  avec  un  traitement  de 
4,000  fr.  et  lui  donna  la  croix  d'Honneur  (1805). 
Scarpa  fut  aussi  médecin  du  roi  d'Italie.  En 
1812  la  mort  prématurée  de  son  plus  cher  élève, 
celui  qu'il  nommait  l'héritier  de  ses  doctrines, 
le  docteur  Jacopi,  le  plongea  dans  un  profond 
abattement  :  il  quitta  l'enseignement  public.  Il 
dut  pourtant  en  1814  se  résigner  à  prendre  la 
suprême  direction  des  études  médicales,  et,  ce  qui 
lui  fut  plus  pénible,  à  conserver  malgré  lui  ce 
poste  honorifique,  où  il  ne  put  rendre  aucun 
service.  Ses  beaux  Mémoires  Sîir  les  hernies 
avaient  mis  le  comble  à  sa  réputation;  il  devint 
l'oracle  de  la  chirurgie,  et  de  toutes  les  con- 
trées de  l'Europe  on  le  consultait.  La  collection 
des  Opuscules  de  chirurgie  occupa  son  active 
vieillesse.  A  la  faiblesse  de  ses  yeux  près ,  il 
conserva  jusqu'au  delà  de  quatre-vingts  ans  une 
singulière  vigueur  de  corps  et  d'esprit.  «  Pas- 
sionné pour  la  peinture,  pour  les  arts,  pour  les 
antiquités,  dit  Pariset,  il  avait  rassemblé  des 
chefs-d'oeuvre  dans  plus  d'un  genre,  et  soit  pour 
enrichir  encore  sa  collection,  soit  pour  satisfaire 
une  juste  curiosité,  il  fit  en  1820  dans  toute  l'Ita- 
lie un  voyage  qui  fut  pour  lui  comme  un  long 
triomphe.  »  Tite  Live,  Cicéron,  Virgile  étaient 
ses  auteurs  favoris,  et  il  atteignait  souvent  en 
écrivant  à  l'harmonie  de  ses  modèles.  D'une  ha- 
bileté rare  dans  l'art  du  dessin,  il  ne  partageait 


qu'avec  son  frère  Domenico  le  soin  de  composer 
les  planches  anatomiques  qui  accompagnent  ses 
ouvrages.  A  une  âme  ferme,  loyale  et  prompte, 
il  joignait  un  corps  robuste,  une  haute  taille, 
une  physionomie  imposante  et  solennelle.  Il  ne 
se  maria  point,  et  ne  ressentit  jamais  d'autre  af- 
fection que  celle  qu'il  avait  vouée  à  Jacopi.  On 
lui  a  reproché  d'être  d'une  avarice  sordide,  et 
bien  qu'il  eût  acquis  une  fortune  considérable,  il 
ne  fit  pas  à  sa  mort  le  moindre  legs  de  bien- 
faisance. Il  appartenait  à  beaucoup  de  sociétés 
savantes ,  notamment  à  l'Institut  de  France,  qui 
l'avait  choisi  en  1803  pour  correspondant. 

On  a  de  Scarpa  :  De  structura  feneslrs. 
rotundx   auris  et  de  tympano  seeundario; 
Modène,   1772,  in- 4°,  pi.  :  il  s'efforce  de  dé- 
montrer, en  tirant  ses  arguments  de  l'anatomu 
comparée,  que  la  fenêtre  ronde  concourt  singu 
fièrement  à  la  perfection  de  l'ouïe;  —  De  gan 
gliis  et  plexubus  nervorum;   Modène,   1779 
in-4°  :  reprenant   les  travaux  de  Meckel  et  è 
Zinn,  il  adopta,  avec  des  faits  et  des  détails  nou 
veaux,  leur  conclusion,  à  savoir  que  l'usage  des 
ganglions  est  de  disjoindre,  démêler,  de  recom- 
poser les  nerfs  pour  le-s  multiplier,  les  nourrir 
les  diviser;  toutefois  il  varia  sur  ces  points  déli 
cats,    surtout    sur  l'origine   du  grand    sympa 
thique;   —  De  promovendis  anatomicarun 
administrationum  rationibus  oratio;  Pavie 
1783,in-4°;  —  Sopra  un  toro-vacca,  dans  ie: 
Mèm.  de  la  Société  ital.,  t.  II,  1784;  —  De  or 
gano  olfactus  preecipuo  deque  nervis  nasali 
bus  e  pari  quinlo  nervorum  cerebri;  Pavie 
1785,  1792,  in-4°,  fig.  :  il  continua  les  études  d. 
Sœrnmering,  décrivit  exactement  les  nerfs  qu 
viennent  du  trifacial  et  indiqua  le  premier  l'exis 
tence  du  nerf  naso-palatin  ;  —  De  nervo  spi 
nali  ad  octavum    cerebri  accessorio,  insér 
dans  les  Acta  med.-chir.de  Vienne,  t.  Ier,  1788 
—   Anatomicx  disquisitiones  de  audilu   e 
olfactu;  Pavie,  1789,  1792,  in-fol.,  fig.;  trad.  ei 
allemand  :  il  a  étendu,  dans  une  suite  de  décou 
vertes  ingénieuses,  ce  qu'on  savait  sur  l'ouïe;  - 
Tabulas  nevrologicss  ad  illustrandam  iiisto 
riam  anatomicam  cardiacorum  nervorum 
noni  nervorum  cerebri ,  glosso-pharyngei,  e 
pharyngei  ex  octavo  cerebri  ;  Pavie,  1794,  gv 
in-fol-,  fig.  :  dans  ce  traité,  qui  détruisit  les  théo 
ries  de  Haller  et  de  Behrens,  il  prouva  que  !< 
coeur  est  sensible  et  qu'il  a  des  nerfs ,  et  mi 
au  jour,  avec  une  industrie  merveilleuse,  tontli 
système  nerveux  des  viscères  de  la  poitrine  ;- 
De penitiori ossium  structura;  Plaisance,  s.d 
(1799),  in-4°;  trad.  en  allemand,  en  anglais  e 
en  français  dans  les  Mèm.  de  physiol.  et  d<\ 
cliïr.  de  Léveillé,  Paris,  1804,  in-8°;  et  réimpr 
par  l'auteur,  avec  addit.  d'un  mémoire,  sons  l 
titre  :  De  analomia   et  pathologia  ossium 
Pavie,  1827,  in-4°,  pi.  ;  —  Saggio  di  osserva 
zioni  e  di  esperienze  sulle  principali  ma 
lattie  degli  occhi;  Pavie,   1801,   in-4°,   fig. 
5e  édit.,  ibid.,  1816,  2  vol.  in-8°,  fig.,  Florence 


60 


SCARPA 


830,1838,  in-8°;  trad.  en  plusieurs  langues  et 
lois  fois  en  français,  par  Léveillé  (1802),  par 
Idlanger  et  Bousquet  (  1 82 1  ),  par  Begin  et  Four- 
iier-Pescay  (1821)  :  excellent  livre,  où  Scarpa 
3  traite  une  maladie  de  l'œil  que  pour  en 
lieux  marquer  et  la  nature  et  le  traitement: 
[:  qu'il  a  dit  de  la  fistule  lacrymale,  de  la  phlo- 
)se,  des  ulcères  de  la  cornée,  de  l'amaurose, 
liait  neuf  alors,  et  presque  toutes  ses  idées  ont 
tisse  dans  l'enseignement  ou  dans  la  pratique; 
■  Memoria  sui  piedi  torti  congeniti;  Pavie, 
j!03,  1800,in-4°,  fig.;trad.  en  français  dans  les 
.'ém.  de  Léveillé;  —  SulC  aneurisma ;  Pavie, 
j.04,  gi\  in-fol.,  fig.;  trad.  en  anglais  (IS08, 1819), 
en  français  par  Delpech  (1809)  et  par  OUivier 
J82I,  in- 8°)  :  en  démontrant  à  combien  de  con- 
fiions variables  est  assujetti  le  traitement  de 
névrisme,  il  l'éclaira  dans  toutes  ses  parties  de 
lies  et  de  préceptes  pleins  de  justesse  et  de 
«veauté;  —  SuW  ernie,memorie  anatemico- 
,  irurgiche;  Mîtan,  1809-10,  gr.  in-fol.,  fig.; 
i  ni.  en  français  par  Cayol  (1812,  in  8°  );  réimpr. 
pavie,  1819,  gr.  in-fol.,  avec  de  nombreuses 
tîilions,  par  exemple  le  mémoire  sur  la  lier- 
\î  fémorale;  ces  additions  ont  été  traduites  par 
|  livier  (1823,  in-8°)  :  c'est  un  des  meilleurs 
I  îvrages  de  l'auteur  ;  —  Elogio  storico  di 
'.-/?.  Carcano  Leone;  Milan,  1813,  in-4°; 
-  Opuscoli  di  chirurgie;  Pavie,  1825-1832, 
(vol.  gr.  in-4",  fig.  :  ce  recueil  contient  un  grand 
>mbrc  de  dissertations ,  dont  la  plupart  ont  été 
ibliées  à  part  et  trad.  en  français.  Les  œuvres 
empiètes  de  Scarpa  ont  été  recueillies  par  Van- 
mi,  trad.  en  italien  pour  les  parties  latines  et 
'inclues  de  notes  de  divers  auteurs  ;  Florence , 
130-39,  5  part.  in-4°,  avec"  atlas  gr.  in-fol.  On  a 
issi  de  ce  savant  anatomiste  quelques  écrits 
îi  attestent  une  profonde  connaissance  dans  les 
paux-arts,  dont  le  culte  fut  le  délassement  fa- 
pri  de  ses  pénibles  travaux.  P. 

Tipaldo,  Biogr.  degli  Ital.  Uiustri,  t.  III.  —  Tagliaferri, 
'oticc  à  la  tête  des  QEuvres  complètes.  —  Bégin.  dans  la 
ogr.  mcd.  —  h.  Augustin,  dans  Iiust  ffandbueh  der 
}ir.,  t.  XIV,  183»..  —  Archives  génèr.  de  med.,  mal 
33.—  Pariset,  Éloge'!.  -  Callisen,  illedicin.  Schri/t- 
'.ller-Lexikon,  t.  XXXII,  suppl. 

j I  scarron  (1)  (Paul  ),  écrivain  français,  né 
(Paris,  en  1610,  mort  dans  la  même  ville,  en 
ptobre  1600  (2).  Son  père,  conseiller  au  par- 
iment,  était,  dit-on,  d'ancienne  noblesse,  et 
l?ssédait  un  revenu  d'au  moins  vingt  mille  li- 
ires.  Le  poète  n'avait  que  deux  sœurs,  et  il 
buvait  espérer  de  jouir  un  jour  d'une  raison- 
nable fortune,  mais  les  événements  vinrent  se 
jterà  la  traverse.  D'abord,  après  la  mort  de  sa 
jremière  femme,  le  conseiller  se  remaria,  et  il 
■it  de  cette  seconde  union  trois  enfants  ;  puis 
)n  indépendance  finit  par  déplaire  au  cardinal 
p  Richelieu,  qui  le  priva  de  sa  charge  et  l'exila 

i(l)  On  trouve  souvent  son  nom  écrit  Scaron  dans  les 
''cmncnts  de  l'époque,  en  particulier  dans  les  anciens 
MStrea  manuscrits  du  Mans,  contemporains  de  son 

jatir  en  cette  ville. 

S)  Il  fut  inlmnié  le  7  à  Sainl-Gcrvajs. 


SCARRON  470 

en  Touraine  (1641).  Scarron  n'aimait  pas  sa 
belle-mère;  il  s'aperçut  de  ses  manèges  et  de 
ses  intrigues  pour  faire  avantager  ses  enfants 
aux  dépens  de  ceux  du  premier  lit  ;  il  se  plai- 
gnit et  tempêta  si  bien  que  son  père  dut  l'éloi- 
gner pour  avoir  la  paix.  Il  alla  passer  deux  ans 
à  Charleville,  chez  un  parent,  et  fut  admis  enlin  à 
résipiscence  à  condition  qu'il  prendrait  le  petit 
collet.  Vers  1634,  il  fît  un  voyage  en  Italie,  et 
lia  connaissance  avec  Poussin  (1).  De  retour  à 
Paris,  Scarron  continua  la  même  vie  d'insou- 
ciance et  de  plaisirs.  C'est  vers  1638,  comme 
on  le  voit  par  divers  passages  de  ses  œu- 
vres (2),  qu'il  faut  reporter  l'origine  de  la 
cruelle  infirmité  qui  allait  faire  de  lui  un  rac- 
courci de  la  misère  humaine.  Cette  origine 
est  restée  jusqu'à  présent  environnée  de  mys- 
tère. Suivant  Tallemant  des  Réaux,  il  fut  victime 
d'une  drogue  de  charlatan  qui  Te  rendit  per- 
clus «  en  voulant  le  guérir  d'une  maladie  de 
garçon  ».  Suivant  La  Beaumelle,  dont  le  récit 
peu  vraisemblable  a  été  suivi  par  presque  tous 
les  biographes,  il  faudrait  chercher  la  cause  de 
son  mal  dans  une  farce  de  carnaval  :  se  trou- 
vant au  Mans  avec  quelques  amis,  il  se  serait 
déguisé  comme  eux  en  se  couvrant  tout  le  corps 
de  plumes,  et,  poursuivi  par  les  huées  de  la  po- 
pulace, il  se  serait  réfugié  dans  la  rivière,  et 
tenu  blotti  par  un  grand  froid  sous  les  roseaux. 
Il  semble  que  Scarron  n'était  pas  homme  à  ca- 
cher cette  origine  de  sa  maladie,  mais  il  n'a  rien 
dit  d'analogue,  et  il  fait  même  entendre,  dans 
sa  Requête  au  cardinal  de  Richelieu,  qu'il  en 
ignore  la  nature  et  la  cause. 

Scarron  avait  vingt-sept  ou  vingt-huit  ans, 
quand  cette  aventure  lui  arriva.  Pour  comble  de 
malheur,  il  fut  frustré  de  la  partie  de  l'héritage 
paternel  qu'il  espérait  encore ,  et  perdit  le  long 
procès,  qu'il  soutint  à  ce  sujet  avec  sa  belle-mère 
et  ses  frères  et  sœurs  du  second  lit.  Cependant 
il  fallait  vivre  :  Scarron  eut  recours  à  un  triple 
moyen,  d'abord  à  la  poésie,  dont  il  fit  un  gagne- 
pain,  puis  aux  dédicaces,  aux  requêtes,  enfin  à 
son  titre  d'abbé,  qui  lui  permettait  d'espérer  un 
bénéfice,  comme  il  en  demandait,  si  simple  qu'il 
suffit  de  croire  en  Pieu  pour  le  remplir.  Ce  fut 
en  1643  qu'il  obtint  ce  bénéfice  au  Mans,  par  les 
soins  de  l'abbé  de  Lavardin,  qui  allait  bientôt 
devenir  évêque  de  cette  ville.  On  ne  sait  au  juste 
de  quelle  nature  était  son  bénéfice  et  comment 
il  en  jouit.  Quoi  qu'il  en  soit ,  il  demeura  au 
Mans  plusieurs  années  consécutives,  et  habita 
même,  contrairement  aux  statuts  disciplinaires, 
une  maison  canonicale,  qu'il  abandonna  seulement 
dans  lecourantde l'année  1646. Revenu  àParis, il 
y  reprit  des  occupations  et  un  genre  de  vie  plus 
conformes  à    son  caractère.   A  partir    de    ce 

(1)  H  resta  toujours  en  relations  avec  lui,  car  on  lit 
dans  la  correspondance  de  celui-ci  qu'il  lui  envoya  son 
Typhon  (12  janvier  164S  ),  et  qu'il  loi  commanda  plu- 
sieurs fois  des  tableaux  (~  février  16W,  29  mai  165C). 

18)  Dédicace  du  2e  livre  du  Virgile  travesti,  début  de 
Typhon,  L'Infante  d'Escars,  Lettre  ù  Marigny,  etc. 


471 


SCARRON 


472 


moment  il  multiplia  ses  productions,  et  tira 
d'assez  larges  revenus  de  ce  qu'il  appelait  son 
marquisat  de  Quinet,  du  nom  de  son  libraire. 
Il  était  parvenu  à  obtenir  plusieurs  pensions.  La 
protection  de  Mrae  deHautefort  lui  avait  procuré 
une  audience  de  la  reine,  à  qui  il  avait  demandé 
la  permission  d'être  son  ynalade  en  titre  d'of- 
fice ;  cette  charge  d'un  nouveau  genre,  dont  il 
s'acquittait  avec  intégrité,  lui  valut  une  pen- 
sion qui  ne  dura  pas  longtemps.  Il  eut  aussi  de 
Mazarin  une  pension  de  500  écus  ;  mais  en 
1644  il  voulut  dédier  son  Typhon  au  cardinal, 
qui,  moins  sans  doute  par  mépris  de  ce  poëme 
burlesque  que  par  avarice,  se  montra  peu  dis- 
posé à  accueillir  cette  offre.  Scarron  en  fut  piqué 
au  vif  :  de  là  l'origine  de  cette  haine  qu'il  exhala 
avec  tant  de  violence  dans  la  Mazarinade,  si 
toutefois,  ce  qui  est  douteux,  cette  pièce  est  bien 
de  lui.  Mais  ce  qui  n'est  pas  douteux,  c'est  la 
part-  que  Scarron  prit  par  sa  parole  et  par  ses 
écrits  à  la  guerre  contre  Mazarin.  Il  fut  un  des 
frondeurs  les  plus  acharnés.  Quand  il  vit  le 
triomphe  de  Mazarin,  il  se  remit  à  célébrer 

Jule,  autrefois  l'objet  de  l'injuste  satire. 

Mais  le  mal  était  fait  :  il  avait  perdu  sa  double 
pension  de  la  reine  et  du  cardinal,  et  il  ne  put 
la  reconquérir.  Heureusement,  Fouquet  lui  en 
accorda  une  de  1,600  livres.  Les  lettres,  pièces  de 
vers  et  dédicaces  de  Scarron  montrent  en  lui  le 
plus  infatigable  quémandeur  qui  fut  jamais.  Il 
demande  de  tout,  de  l'argent,  une  abbaye,  un  lo- 
gement à  la  cour,  du  bois  de  chauffage,  des  li- 
vres, une  voiture,  des  pâtés,  des  chapons,  des 
fromages,  de  petits  chiens,  etc.  ;  on  lui  envoie 
de  tout,  et  il  accepte  tout  avec  une  reconnais- 
sance qui  s'épanche  en  amples  remerciements. 
C'est  cependant  le  même  homme  qui  s'est  sou- 
vent moqué  avec  verve  de  l'avidité  de  ses  con- 
frères et  de  la  spéculation  si  répandue  des  épî- 
tres  dédicatoires;  Il  sollicite  du  moins  sur  un 
ton  de  plaisanterie  et  de  belle  humeur  qui  en- 
lève généralement  toute  apparence  de  bassesse 
à  ses  requêtes,  rendues  encore  plus  excusables 
par  sa  cruelle  infirmité. 

Scarron  a  tracé  à  nombreuses  reprises  le  ta- 
bleau de  sa  maladie,  entre  autres  dans  la  dédi- 
cace de  sa  Relation  du  Combat  des  Parques 
et  des  poètes,  et  il  s'est  fait  représenter  au 
frontispice  d'un  de  ses  livres  accroupi  sur  la 
chaise  basse  où  il  passait  tous  ses  jours  sans 
pouvoir  bouger,  et  présentant  de  dos  le  plan  ir- 
régulier de  sa  personne.  On  connaît  sonépîtreà 
Sarasin,  où  il  se  peint  comme 

Un  pauvret 
Très-maigret, 
Au  col  tors, 
Dont  le  corps 
Tout  tortu. 
Tout  bossu, 

Suranné, 

Décharné, 
Fut  réduit, 
Jour  et  nuit, 


A  souffrir 
Sans  guérir 
Des  lourmeus 
Véhémens. 

Son  corps  avait  pris  la  forme  d'un  Z.  Une  pa- 
ralysie  complète   l'avait  envahi  :  il  n'avait  d< 
libre  que  le    mouvement  des   mains.    Il  pari* 
j  presque  toujours  de  ses  maux  avec  une  gaieté  in 
j  croyable  ;  en  deux  ou  trois  circonstances  pour 
tant  la  patience  lui  échappe  :  «  Si  tous  les  dia 
blés  me  vouloient  venir  emporter,  écrit-il  à  Ma 
rigny,  je  crois  que  je  ferois  la  moitié  du  che 
min.  »  Et  dans  une  autre  lettre,  plus  sérieuse 
ment  :  «  Je  vous  jure,  mon  cher  ami,  que  s' 
m'étoit  permis  de  me  supprimer  moi-même, 
y  a  longtemps  que  je  me  serois  empoisonné. 
Les  souffrances  de  Scarron  ne  le  tirent  pas  re 
noncer  à  son  épicuréisme  pratique  (1).    Lors 
qu'il  ne  put  aller  trouver  ses  anciens  compa 
gnons  de  joie,  il  leur  donna  rendez -vous  chez  lu 
Les   logements  qu'il  habita  successivement  ru 
des  Douze-Portes,  au  Marais,  puis  rue  des  Sainti 
Pères  et  rue  de   la  Tixeranderie,  devinrent  u 
centre  de  réunions  joyeuses,  non-seulement  pou 
une  foule  de  littérateurs  ses  amis,  comme  Si 
rasin,   Boisrobert,   Tristan  l'Hermite,   Segrai 
Scudery,  Marigny,  Pellisson,  Ménage,  mais  aus 
pour  beaucoup  de  hauts  personnages,  comme 
maréchal  d'Albret,  le  duc  de "Vivonne,  de  Souvrt 
les  comtes  du  Lude  et  de  Villarceaux,  La  Sa 
blière,  d'Elbène,    Grammont,  Chàtillon.  Que 
quefois  même  de  grandes  dames,  Mmes  de  La  Se 
blière,  de  Sévigné,  de  La  Suze,  la  duchesse  c 
Lesdiguières,  ne  dédaignaient  pas  de  semontn 
chez  le  cul-de-jatte  ;  mais  il  y  recevait  pli 
souvent  des  femmes  auteurs,  comme  Mme  di 
Houlières  et    Mlle  de  Scudéry,  ou   Ninon 
l'Enclos  et  Marion  Déforme.  On  y  organisait  ( 
joyeux  repas,  où  chacun  apportait  sa  part,  etc 
Scarron  prouvait  de  son  mieux  que  la  paralys 
n'avait  atteint  ni  sa  langue  ni  son  estomac.  I 
plus,  il  avait  avec  lui,  dans  son  logis  de  la  ri 
des  Douze-Portes,  ses  deux  sœurs,  dont  l'ui 
aimait  le  vin,  disait-il,  et  l'autre  les  homme 
et  il  élevait  un  petit  enfant,  qui  était  son  nevi 
»  à  la  mode  du  Marais  ».  C'était  sans  doute 
fils  de  Françoise  Scarron,  la  maîtresse  du  di 
de  Tresmes  (2),  que  Somaize  range  au  nomb 
des  précieuses  sous  le  nom  de  Stratonice,  en  t 
sant  qu'elle  a    beaucoup  d'esprit   et  l'hume 
agréable.   Scarron  parlait   toujours  sur  ce  t( 
léger  de  ses  sœurs,  et  Ménage  raconte  qu'apr 
avoir  composé  une  dédicace  burlesque  à  Gu\ 
lemette,  chienne  de  ma  sœur,  il  fit  mett 
dans  Yerrata  «  au  lieu  de  chienne  de  ma  sœui 
lisez  :  ma  chienne  de  sœur  ».  Malgré  la  1 
gèreté   de  son  caractère,  il  était  charitable 
bon,  comme  le  prouve  l'histoire  de  Céleste  P 
laiseau,  qu'il  avait  aimée  dans  sa  jeunesse;  s 

(1)  «  J'ay  toujours  esté  un   peu  colère,  un  peu  got 
matid  et  un  peu  paresseux,  »  dit-Il  dans  son  portrait, 

(2)  Quelques-uns  l'ont  crue  mariée  secrètement  ai 


173  SCARRON 

ant  retirée  au  couvent  de  la  Conception  à 
'aiis,  elle  fut  recueillie  par  lui  avec  une  de  ses 
ooipagnes,  lors  de  la  banqueroute  du  couvent, 


474 


t  demeura  assez  longtemps  dans  sa  maison 
iii  fit  avoir  ensuite  le  prieuré  d'Argenteuil. 
|  En  1652,  la  baronne  de  Neuillant,  sa  voisine, 
mena  chez  lui  Françoise  d'Aubigné,  dont  elle 
tait  la  tutrice,  et  qui  était  anivée  d'Amérique 
icpuis  quelques  mois  à  peine.  A  ce  moment, 
[carron  projetait  lui-même  un  voyage  dans  le 
fouveau-Monde,  dont  le  climat,  espérait-il, 
ourrait  le  guérir  (1).  Il  fut  ému  de  compassion 
lu  récit  des  malheurs  de  la  jeune  fille;  et  pour 
1 1  tirer  de  la  situation  précaire  où  elle  se  trou- 
ait chez  Mme  de  Neuillant,  femme  acariâtre  et 
vare,  il  lui  offrit  sa  main,  qu'elle  accepta 
'sec  reconnaissance  après  quelque  hésitation  : 

J'ai  mieux  aimé  l'épouser  qu'un  couvent,  » 
lisait-elle.    Scarron  lui    reconnut  par  contrat 

deux  grands  yeux  fort  mutins,  un  très-beau 
prsage,  une  paire  de  belles  mains  et  beaucoup 
esprit  »,  et  lui  assura  pour  douaire,  outre  uue 
[imme  de  vingt-trois  mille  francs,  «  l'immorta- 
[té  ».  Il  ne  se  savait  pas  si  bon  prophète,  et  à 
\  >up  sur  jamais  son  imaginatiou,  dans  ses  fan- 
(  isies  les  plus  burlesques,  n'eût  osé  rêver  qu'il 
[jrait  Louis  XIV  pour  successeur.  Mlle  d'Au- 
gué  avait  de  seize  à  dix-sept  ans.  Le  ma- 
age  eut  lieu  en  1652  (2). 
\  La  présence  de  Mme  Scarron  apporta  un 
fiarme  de  plus  aux  réunions  habituelles  de  la 
mison  du  cul-de-jatte,  qui  devinrent  à  la  fois 
lus  brillantes  et  plus  décentes.  A  partir  de  ce 
loment,  il  y  eut  plus  de  tenue  et  de  dignité 
ans  son  logis,  et  lé  talent  même  de  Scarron, 
omme  son  caractère  et  son  genre  de  vie,  subit 
i  patiente  et  douce  influence  de  la  femme  su- 
érieure.  Le  ménage  ne  vivait  pas  largement, 
|ialgré  l'intarissable  fécondité  de  Scarron  et  le 
oût  du  public  pour  le  burlesque  :  cinq  cents 
.ancs  par  an  devaient  suffire  aux  dépenses, 
carron ,  pour  accroître  ses  ressources ,  eut 
idée  assez  plaisante,  mais  qui  ne  réussit  pas, 
;le  solliciter  une  place  d'historiographe;  il  obtint 
ju  moins  le  privilège  d'une  entreprise  de  dé- 
harge  et  de  transport,  dont  le  revenu  lui  ap- 
porta quelque  aisance.  En  outre,  ses  parents 
ii  rendirent  alors  son  bien,  dont  il  leur  avait 
îiit  donation,  et  il  le  vendit  à  l'avocat  Nublé 
our  vingt-quatre  mille  livres  (3). 
1  Scarron  vécut  encore  huit  ans  après  son  ma- 


I  (1)  Il  s'était  intéressé  pour  la  somme  de  raille  écus 
i'ans  la  compagnie  pour  la  colonisation  des  terres  de  l'O- 
tenoque. 

!  |îï  Dlém.  de  Mme  de  Sévigné,  II,  p. 447,  note. 
'  (3)  Une  lettre  de  Mra«  Scarron  et  un  doenroent  publié 
ians  le  Bulletin  de  la  Société  de  l'Histoire  de  France 
pe  série,  t.  111,  p.  316  )  nous  apprennent  qu'il  s'effor- 
!?it  d'y  Joindre  d'autres  revenus  chimériques  en  cher- 
chant la  pierre  philosophale,  et  qu'il  avait  même  ob- 
icnu  en  1657  la  permission  d'établir  un  laboratoire  de 
jhiniie  spagirique  pour  y  préparer  l'or  potable  et  d'au- 
]res  secrets  merveilleux  du  même  genre.  Qui  eût  cru  à 
;es  fantaisies  de  la  part  d'un  poète  burlesque? 


riage.  Sa  dernière  maladie  fut  un  événement.  Jl 
garda  jusqu'à  la  fin  tout  son  enjouement ,  et 
avant  de  rendre  l'esprit  il  recommanda  chaleu- 
reusement sa  femme  à  M.  d'FJbène,  son  exécu- 
teur testamentaire.  11  avait  composé  lui-même 
son  épitaphe,   qui  est  fort  belle  : 

Cc'.uy  qui  cy  maintenant  dort 
Fit' plus  de  pitié  que  d'envie, 
Et  souffrit  mille  fois  la  mort 
Avant  que  de  perdre  la  vie. 
Passant,  ne  fais  iry  d2  bruit. 
Et  garde  bien  qu'il  ne  s'éveille, 
Carvoicy  la  première  nuit 
Que  le  pauvre  Scarron  sommeille. 

Scarron  peut  être  considéré  comme  le  créateur 
et  le  type  du  burlesque  ;  il  l'a  incarné  en  lui,  et 
son  nom  est  devenu  inséparable  du  genre  ;  il  le 
mit  à  la  mode,  et  tout  un  troupeau  d'imitateurs, 
à  la  suite  du  Typhon  et  surtout  du  Virgile 
travesti,  se  précipita  sur  ses  traces,  surtout 
jusqu'en  1660,  où  l'on  vit  tout  à  coup  cette  épi- 
démie tomber  comme  elle  était  venue.  Seul  il  a 
su  mettre  du  goût  dans  un  genre  antipathique 
au  goût,  et  le  relever  même  aux  yeux  de  beau- 
coup de  juges  sévères.  Pour  l'apprécier  juste- 
ment, il  faut  considérer  le  style  de  Scarron 
dans  ses  rapports  avec  sa  personne,  ses  souf- 
frances et  sa  difformité  ;  à  ce  point  de  vue,  on 
peut  dire  que  le  genre  lui  est  propre  et  comme 
réservé.  Son  talent  est  à  l'image  de  son  corps. 
Il  ne  faut  pas  croire,  d'ailleurs,  qu'il  ne  s'élève 
jamais  au-dessus  de  la  bouffonnerie.  On  trouve 
dans  ses  Œuvres  mêlées  deux  ou  trois  pièces 
d'un  ton  noble,  d'autres  qui  offrent  de  la  délica- 
tesse et  du  sentiment  autant  que  de  l'esprit.  Il 
y  a  de  la  fermeté  et  de  l'élévation  dans  quel- 
ques passages  de  ses  œuvres  de  théâtre,  de  ses 
Nouvelles  et  de  son  Roman  comique.  Enfin 
il  a  prouvé,  en  cinq  ou  six  rencontres,  qu'il 
avait  le  sentiment  du  beau.  Voici  quelles  sont 
les  principales  œuvres  de  Scarron  :  Le  Typhon, 
ou  la  Giganlomachie  (1644),  poème  bouffon  en 
cinq  chants,  que  Boileau,  dans  l'Art  poétique, 
renvoie  à  l'admiration  des  provinces,  bien  qu'il 
convînt,  au  rapport  de  Brossette,queIes  premiers 
vers  en  sont  d'une  plaisanterie  assez  fine  ;  —  Le 
Virgile  travesti;  Paris,  1648-1652,  in-4°;  con- 
tinué par  Moreau  de  Brasei(  1706),  Le  Tellier 
d'Orville  (1733)  et  plusieurs  autres,  et  traduit  en 
anglais  par  Ch.  Colton  (1678,  liv.  I  et  IV,  in-8°). 
C'est  une  espièglerie  trop  longue ,  mais  pleine 
de  verve  bourgeoise  et  triviale,  de  naïveté,  de 
naturel,  d'un  comique  irrésistible  dans  certains 
passages ,  et  cachant  souvent  une  critique  lit- 
téraire assez  fine  sous  la  parodie.  Ce  poème 
servit  de  modèle  à  une  foule  de  travestisse- 
ments qui  s'en  prirent  à  Homère,  Horace,  Ovide, 
Lucain,  etc.  ;  —  La  MGzarinade ;  1649  ;  —  La 
Baronade,  ou  la  Baronéide ,  satire  très-vio- 
lente;—  Léandre  et  Héro,  ode  burlesque, 
qui  est  un  véritable  poème  ;  —  La  Relation 
du  combat  des  Parques  et  des  poêles  siw  la 
mort  de  Voilure;  — des  Poésies  diverses. 


475 


SCARRON 


(Paris,  1643-50-51,  in-4°,etl648,in-4°)  compre- 
nant des  sonnets,  madrigaux,  épîtres,  satires, 
chansons,  etc.  Nous  y  signalerons  seulement  des 
vers  à  boire  de  13  à  14  syllabes,  dont  le  rliytlime 
ne  manque  pas  d'entrain  dans  sa  bizarrerie;  —  Le 
Roman  comique;  Paris,  1651,  2  vol.  in-8°.  On 
sait  que  c'est  le  récit  des  aventures  et  en  même 
temps  le  tableau  du  genre  de  vie  d'une  troupe  de 
comédiens  nomades,  que  Scarron  avait  rencon- 
trée au  Mans,  et  qui,  d'après  certains  indices, 
pourrait  bien  être  celle  à  la  tète  de  laquelle  Mo- 
lière courait  alors  la  province.  C'est,  avec  le  Vir- 
gile travesti,  l'ouvrage  le  plus  connu  de  Scarron, 
et  c'est  aussi  incontestablement  son  chef-d'œuvre. 
Plusieurs  de  ses  traits  et  ses  types  sont  devenus 
proverbes.  Il  a  laissé  cet  ouvrage  également  ina- 
chevé, et  il  a  eu  plusieurs  continuateurs,  comme 
pour  le  Virgile  travesti;  —  les  Nouvelles 
tragi-comiques,  la  plupart  traduites  librement, 
ou  du  moins  imitées  de  l'espagnol.  Elles  sont 
intéressantes,  et  Molière  a  tiré  grand  parti  de 
l'une  d'elles  (Les  Hîjpocrites)  pour  son  Tar- 
tufe, comme  Sedaine  de  La  Précaution  inutile 
pour  sa  Gageure  imprévue.  Dans  ses  œuvres 
mêlées,  on  a  recueilli ,  mais  sans  ordre  et  sans 
dates,  sa  correspondance,  qui  est  curieuse. 
N'oublions  pas  sa  Gazette  burlesque,  où  son 
libraire  dut  le  faire  plusieurs  fois  suppléer  par 
d'autres,  pendant  ses  maladies.  En  outre, 
Scarron  a  donné  au  théâtre  les  pièces  suivantes  : 
Jodelet ,  eu  le  Maître  valet,  comédie  en 
5  actes  et  en  vers,  jouée  en  1645,  tirée  de  l'es- 
pagnol ,  comme  presque  toutes  ses  autres  co- 
médies, mais  sans  préjudice  de  l'originalité  per- 
sonnelle de  l'auteur;  elle  obtint  un  grand  succès, 
et  mit  à  la  mode  le  type  des  Jodelets  ;  —  Les 
Boutades  du  Capitan  Matamore  et  ses  Co- 
médies, qui  se  composent  d'abord  des  Boutades 
(1646),  assemblage  de  pièces  de  vers,  stances, 
élégies,  odes,  entrées,  où  le  capitan  parle  seul, 
puis  des  Scènes  du  capitan  Matamore  et  de 
Boniface  pédant,  enfin  de  l'abrégé  de  co- 
médie en  ridicule  du  Mariage  de  Matamore, 
sur  la  seule  rime  en  ment  (  1647)  ;  —  Les  trois 
Dorothées,  ou  Jodelet  souffleté,  comédie  en 
5  actes  et  eu  vers,  jouée  en  1645,  reprise  sous  le 
titre  de  Jodelet  duelliste,  en  1651  ;  —  L'Hé- 
ritier ridicule,  ou  la  Dame  intéressée,  co- 
médie en  5  actes  et  en  vers  (1649),  que 
Louis  XIV  voulut  voir  représenter,  dit-on,  deux 
fois  on  un  jour  ;  —  Don  Japhet  d'Arménie,  co- 
médieen  5  actes  et  en  vers(  1653),  la  plusconnue 
et  la  plus  comique  des  pièces  de  Scarron.  Elle  est 
restée  au  répertoire;  mais  il  serait  difficile  de  la 
jouer  aujourd'hui  sans  changements,  à  canse  de  sa 
licence  et  de  la  grossièreté  de  quelques  scènes  ; 
—  V Écolier  de  Salamanque,  ou  les  Généreux 
ennemis,  tragédie-comédie,  en  5  actes  et  en  vers 
(1654)  :  la  première  pièce  où  ait  paru  le  rôle 
du  valet  Crispin,  tel  que  Raimond  Poisson  allait 
le  développer  et  l'affermir  au  théâtre.  Boisro- 
bert  et  Th.  Corneille  ont  traité  la  même  année 


-  SCAURUS  4; 

le  même  sujet,  sous  les  titres  des  Généreux  en 
nemis  et  des  Illustres  ennemis  ;  —  Le  Gar 
dien  de  soi-même,  com.  en  5  actes  et  en  vers 
jouée  en  1055  ;  —  Le  Marquis  ridicule,  ou  l 
Comtesse  faite  à  la  hâte,  comédie  en  5  actes  ( 
en  vers  (1656),  que  Scarron  trouvait  la  mieu 
écrite  de  ses  pièces.  On  a  encore  de  lui  des  com< 
dies  posthumes  :  La  fausse  apparence,  en  5  actf 
et  en  vers;  —  Le  Prince  corsaire,  en  5  acte 
et  en  vers,  imprimée  seulement,  comme  la  pièce 
dente,  en  1662;  —  des  Fragments  de  diverst 
comédies  (1668).  Tout  cela  a  paru  in-4°. 

Les  éditions  des  œuvres  de  Scarron  sont  foi 
nombreuses.  Parmi  les    principales  nous   c 
ferons  celles  de  1645  (Paris,  2  vol.  in-4°),  dl 
1695  (  Amst.,  8  vol.  in-12)  ;  de  1697,  1700,  17C  l 
(Paris,  10  vol.  in-12).  Bruzen  de  la  Martinièi 
a  donné  la  meilleure  édition  de  ses  œuvres  con 
plètes  (Amst.,  1737,  10  vol.  in-12,  réimprimée 
Paris,  1786, 7  vol.  in-8°).  L'auteur  de  cet  articl 
a  publié,  en  1857,  Le  Roman  comique  avec 
Suite  anonyme,  faussement  attribuée  à  Offra 
revu ,  annoté    et    précédé  d'une   introductk 
(Bibl.  elzevir.,  2  vol.  in-16  ),  et  en  1858 
Virgile  travesti ,  avec  la  Suite  (Bibl.  gai 
loise,  in-18).  Victor  Fournel. 

Segrais,  Mémoires  anecdot.  —  Talieraant  des  Réai 
et  Loret,  passim.  —  Sorel,  Bibl.  franc.  —  Baillet,  J 
gem.  des  savants,  t.  VIII.  —  Lettres  et  pièces  de  ve 
de  Scarron.  —  Bruzen  de  la  Martinière,  Notice  en  tê 
de  l'édit.  de  1737.  —  Guizot,  dans  Corneille  et  si 
temps,  —  Th.  Gautier,  Les  Grotesques.  —  Gerusez,  i 
sais  d'hist.  littéraire.  —  Cousin  d'Avalon, Scarronian 

scaurus    (  Marcus  Mmilius   ) ,   homn 
d'État  romain,  né  en   163  avant  J.-C,  mo 
en  89.  D'une  famille  patricienne  ancienne,  ma 
déchue,  et  fils   d'un  marchand  de  charbon, 
s'appliqua  à  l'étude  de  l'éloquence ,  et  fit  ensui 
les  campagnes  d'Espagne  et  de  Sardaigne.  É 
édile  curuie  en  123,  il  obtint  bientôt,  malgré  s< 
peu  de  fortune,  une  grande  autorité  dans  le  sén 
Nommé  consul  en  115,  il  conduisit  une  armi 
contre  diverses  populations  des  Alpes,  et  obti) 
les  honneurs  du  triomphe.  En  112  il  fit  partiel 
l'ambassade  envoyée  auprès  deJugurtha;  l'annu 
suivante,  lorsque  la  guerre  fut  déclarée  contre  < 
prince,  il  fut  le  légat  du  consul  Bestia;  l'un 
l'autre  reçurent  de  fortes  sommes  de  Jugurlh 
et  lui  assurèrent  en  revanche  des  conditions  ( 
paix  favorables.  Lorsqu'une  commission  eut  é 
instituée  pour  punir  cette  trahison,  Scaurus  réu 
sit  à  en  faire  partie  :  il  échappa  ainsi  au  châtimeo" 
de  même  qu'il  obtint  dans  les  années  suivantes** 
faire  repousser  plusieurs  accusations  publiqutj 
portées  contre  lui.  En  107  il  remplit  pour  la  sil 
coude  fois  le   consulat.    Quoique  fort   attael 
au  parti  aristocratique,  ce  qui    lui  a  valu  dm 
éloges  réitérés  de  la  part  de  Cicéron  ,  il  aval 
su  par  ses  manières  graves  et  sévères  se  co'rl 
cilier  la  faveur  du  peuple.  «   C'était,   dit  Sa-| 
luste,  un  homme  actif,  factieux,  avide  de  poi 
voir,  d'honneurs,  de  richesses,  mais  habile 
cacher  ses   vices.  »  Pauvre  au  commencemei 


177  SCAURUS  - 

le  sa  carrière,  il  laissa  d'immenses  richesses. 

la  parole,  qui  était  d'un  grand  poids  au  sénat, 

■tait  mesurée  et  grave;  mais  elle  manquait  de 

eu ,  ce  qui  l'a  fait  placer  par  Cicéron  parmi  les 

[dateurs  stoïques.  Il  reste  quelques  fragments 

lèses  discours,  réunis  dans  le  recueil  deMeyer, 

Ile  même  que  plusieurs  extraits  des  mémoires 

jur  sa  vie,  qu'il  avait  écrits  en  trois  livres  et 

Lui  ont  été  insérés  dans  les  Vitx  et  fragmenta 

liistoricorum  romanorum  de  Krause.  De  sa 

iemme,  Caecilia,  qui  épousa  Sylla  en  secondes 

iioces,  il  laissa  deux,  lils   et  une  fille,  qui  se 

Jnaria  avec  Pompée. 

Cicéron,  passim.  —  Aurelius  Victor.  —  Valère  Maxime. 

-  Salluste,  Jugvrtha.  —  Asconius,  In  Scaurum.  — 
!  inllh,  Diclionary.  —  Drumann,  GeschicUte  Rotns. 
\  scai'îh  s  (Marcus  Mmilius),  homme  d'État 
iomain,  fils  aîué  du  précédent,  vivait  dans  le 
nremier  siècle  avant  notre  ère.  Dans  la  troisième 
fuerre  contre  Mithridate,  il  servit  sous  Pompée 
tomme  questeur;  envoyé  en  Palestine,  il  en 

lonna  le  gouvernement  à  Aristobule,  qui  lui 
\  vait  donné  une  somme  d'argent  considérable. 

I  commanda  ensuite  en  Syrie  jusqu'en  59;  il  fit 

lors  une  invasion  dans  l'Arabie  pélrée,  et  ne 
|e  relira  qu'après  avoir  reçu  trois  cents  talents 
ru  roi  de  ce  pays.  Élu  en  58  édile  curule,  il 
tlonna  sur  un  théâtre  splendide,  qu'il  fit  élever 
Il  ses  frais  et  qui  contenait  plus  de  quatre- vingt 
mille  spectateurs ,  des  jeux  scéniques,  où  pa- 
I  urent,  outre  cent  cinquante  panthères,  cinqcro- 
lodiles  et  un   hippopotame,  genre  d'animaux 

[non  n'avait  pas  encore  vus  à  Rome  Cl).  Ruiné 
»ar  les  dépenses  énormes  qu'il  venait  de  faire, 

1  répara  les  brèches  faites  à  sa  fortune  en  pil- 
lant sans  merci  la  province  de  Sardaigne,  qu'il 
lof  chargé  de  gouverner  en  55.  Accusé  à  son  re- 
four à  Rome  pour  ses  déprédations  (54),  il  fut 
iléfendu  par  Hortensius  et  Cicéron;  le  plaidoyer 
île  ce  dernier  a  été  conservé  en  partie.  Acquitté 

nalgré  les  preuves  évidentes  de  sa  culpabilité, 
1  fut  accusé  en  52  pour  fait  de  brigues  et  con- 
damné à  l'exil. 

f  Cicéron,  passim.  —  Asconius,  In  Scaurum.  —  Josèphe, 
ftntiqttitatcs  judaicœ.  —  Drumann  ,  Geschichte  Homs. 

j  scève  (Maurice),  poëte  français,  né  à 
[Lyon,  où  il  est  mort,  en  (564.  Sa  famille  était 
issue  des  marquis  piémontais  de  Seva,  et  s'était 
établie  à  Lyon  au  quinzième  siècle  ;  son  père  fut 
jlocteur  es  lois,  et  échevin  en  1504.  Il  exerça 
(ui-même  la  profession  d'avocat,  et  devint  con- 
seiller échevin.  «  Ilétoit,  dit  La  Croix  du  Maine, 
l^rand  rechercheur  de  l'antiquité,  doué  d'un  es- 
brit  esmerveillable,  de  grand  jugement  et  sin- 
gulière invention.  »  Sa  curiosité  pour  les  scien- 
ces ,  son  goût  de  tous  les  arts ,  principalement 
de  l'architecture  et  de  la  musique,  et  surtout 
[ion  talent  de  poëte,  lui  valurent  les  louanges 
exagérées  de  Dolet,  de  Du  Bellay  et  d'autres  con- 
,emporains.  Marot,  faisant  séjour  à  Lyon,  se  lia 

(1)  Entre  les  3,6«0  colonnes  magnIGques  qui  soutenaient 
:c  théâtre,  Scaurus  avait  fait  placer  jusqu'à  3,000  statues 
le  marbre  et  de  bronze. 


SCHADOW  4?a 

avec  lui  d'une  amitié  vive  et  durable.  Louise  Labe. 
fut  son  élève.  Ce  poëte  n'a  point  la  naïveté  de  ses 
devanciers,  et  il  est  loin  d'égaler  pour  l'érudition 
et  l'éclat  l'école  de  Ronsard  ;  souvent  il  se  jette 
dans  la  recherche,  et  arrive  à  de  telles  obs- 
curités qu'Ét.  Pasquier,  son  admirateur,  avoue 
ne  pas  le  comprendre.  On  a  de  lui  :  Arion,  églo- 
gue;  Lyon,  1536,  pet.  in-8°  :  elle  a  pour  sujet 
la  mort  du  dauphin  François;  —  Délie,  object  de 
plus  haultc  vertu,  avec  figures  et  emblèmes  ; 
Lyon,  1544,  1862,  in-8°  :  recueil  composé  de 
458  dizains  à  la  louange  de  sa  maîtresse;  c'est 
la  plus  inintelligible  de  ses  œuvres;  —La  Saul- 
saye-;  Lyon,  1547,  1549,  in-8°,  fig.;  Aix,  1829, 
in-8°,  églogue  d'un  style  élégant,  presque  tou- 
jours simple,  et  où  l'on  trouve  d'heureux  traits  de 
sentiment;  —  Le  Microcosme,  ou  petit  monde; 
Lyon,  1562,  in-4°  :  c'est  un  poème  en  trois  li- 
vres, où  l'auteur  raconte  la  création,  la  chute 
de  l'homme,  l'invention  des  arts  et  des  sciences, 
letriomphe  de  l'Évangile,  etc.  Scève  a  encore  écrit 
les  Blasons  du  front,  du  sourcil,  du  soupir  et 
de  la  gorge,  réimpr.  avec  les  Blasons  de  Méon 
(1809,  in-8°)  ;  il  a  traduit  de  l'espagnol  la  Dëplo- 
rablefin  de  Flamme tte  (Lyon,  1535,  pet.  in-8"). 
Les  deux  sœurs  de  Maurice,  Claudine  et  Si- 
bylle ,  ont  été  renommées  de  leur  temps  peur 
la  poésie;  mais  on  n'a  imprimé  aucun  de  leurs 
ouvrages.  Un  de  ses  parents,  Jean  Scève,  prieur 
de  Montrotier,  a  publié  le  Tresbuchement  de 
Mars,  dieu  des  guerres,  aux  enfers,  poëme 
en  vers  alexandrins  (1559),  et  un  livre  de  prières 
adressé  aux  nobles  dames  lyonnaises. 

Peructti,  Lyonnais  dignes  de  mémoire,  t.  I,  —  Goujet, 
Bibl.  française,  t.  XI.  —  Breghot  du  Lut  et  Pericaud, 
Catalogue  des  Lyonnais,  275-78. 

schadow  (  Jean-Godefroi),  sculpteur  alle- 
mand, né  le  20  mai  1764,  à  Berlin,  où  il  est  mort,  le 
28  janvier  1850.  Fils  d'un  pauvre  tailleur,il  n'aurait 
pu  suivre  sa  vocation  pour  les  arts  s'il  n'avait  eu 
le  bonheur  d'être  recommandé  à  Tassaert,  sculp- 
teur du  roi,  qui  se  plut  à  cultiver  ses  dispositions 
naturelles.  A  vingt  et  un  ansil  devint  éperdûment 
amoureux  d'une  jeune  fille,  et,  ne  trouvant  pas 
les  parents  favorables  à  sa  demande,  il  l'enleva 
et  la  conduisit  à  Vienne,  où  il  l'épousa;  récon- 
cilié bientôt  après  avec  son  beau-père ,  il  reçut 
de  lui  les  moyens  d'aller  en  Italie  étudier  la 
statuaire  antique.  Étranger  et  inconnu,  il  rem- 
porta à  Rome  le  prix  proposé  par  le  marquis  de 
Balestra,  et  dont  le  sujet  était  un  groupe  de  Persée 
et  Andromède.  Rappelé  en  1788  à  Berlin  comme 
sculpteur  du  roi  à  la  place  de  Tassaert,  et  se- 
crétaire de  l'Académie  des  beaux-arts ,  il  en  de- 
vint en  1816  directeur.  En  1790  il  entreprit  un 
long  voyage  dans  les  pays  Scandinaves  et  en 
Russie  pour  s'instruire  dans  les  procédés  de  la 
fonte  des  statues  en  bronze;  dans  la  suite  il  fit  à 
différentes  reprises  des  séjours  prolongés  à 
Rome.  Il  exécuta  dans  le  cours  de  sa  longue  vie 
un  très-grand  nombre  de  statues  et  de  bustes, 
œuvres  où  il  s'affranchit  le  premier  de  la  ma- 


4:9 


SCHADOW 


48( 


nière  affectée  et  conventionnelle  à  la  mode  dans 
le  siècle  dernier  ;  en  donnant  ainsi  aux  attitudes 
du  naturel  et  une  noble  simplicité,  il  ouvrit  la 
voie  suivie  plus  tard  par  Rauch.  Ses  principales 
productions  sont  :  le  Tombeau  du  jeune  comte 
de  LaMarck,  église  Sainte-Dorothée  à  Berlin;  les 
statues  colossales  de  Luther,  à  Wittemberg,  et 
de  Frédéric  II,  à  Stettin  ;  les  statues  des  géné- 
raux Ziethen  et  Dessau ,  à  Berlin  ;  les  Monu- 
ments du  comtede  Tauenzien,  du  comted'Arnirn 
à  Boizenbourg ,  du  prince  Frédéric- Alexandre  de 
Prusse,  à  Sinzenich,  du  comte  de  Hoym,  en  Si- 
lésie,  de  Blùcher,  à  Rostock  ;  le  groupe  de  La  reine 
Louise  de  Prusse  et  sa  sœur,  au  château  de  Ber- 
lin; une  Nymphe  au  repos,  qui  a  figuré,  ainsi  que 
le  fameux  Quadrige  de  la  porte  de  Brandebourg, 
du  même  artiste,  dans  le  Musée  Napoléon,  sous 
le  premier  empire;  le  Réveil  d'une  jeune  fille; 
beaucoup  de  bustes,  dont  quinze  à  la  Walhalla; 
plusieurs  bas-reliefs,  etc.  Schadow,  qui  également 
agravé  à  l'eau-forte  une  quarantaine  de  planches, 
a  aussi  publié  les  ouvrages  suivants  :  Wilten- 
bergs  Denhmxler  der  Bildnerei,  Baukunst 
und  Malerei  (  Les  Monuments  conservés  à 
Wittemberg);  Wittemberg,  1825,  in-4°;  — 
Lehre  von  den  Knochen  und  Muslteln  (Traité 
des  os  et  des  muscles ,  des  proportions  du  corps 
humain  et  des  raccourcis);  Berlin,  1830,  in-4°; 
—  Polyklet  (  Polyclète ,  ou  des  Proportions  de 
l'homme  selon  le  sexe  et  l'âge)  ;  Berlin,  1834-35, 
in-4°,  fig.;  texte  allemand  et  français;  —  Na- 
tional Physionomien  (  Physionomies  natio- 
nales ,  ou  Observations  sur  la  différence  des 
traits  du  visage);  Berlin,  1835,  fig.;  —  Kunst- 
werke  und  Kunstansichten  (Œuvres  d'art  et 
idées  sur  l'art)  ;  Berlin,  1849,  in-8°. 

Schadow  (Zeno-Ridolfo),  sculpteur,  fils  aine 
du  précédent,  né  le  9  juillet  1786,  à  Rome,  où 
il  est  mort,  le  3 1  janvier  1822.  Élève  de  son  père, 
il  exécuta  jusqu'en  1810  à  Berlin  une  série  d'œu- 
vres  remarquables,  telles  que  les  statues  de  Paris, 
d'une  Porteuse  de  lampe;  des  groupes  en 
plâtre,  Electre  et  Oreste,  Paris  et  Hélène,  Ju- 
lius  Mansuetus  mourant  dans  les  bras  de  son 
fils  ;  deux  bas-reliefs  représentant  Socrate  chez 
Theodota,  et  un  Épisode  du  déluge.  En  1810 
iî  reçut,  par  l'intermédiaire  du  chancelier  de 
Hardenberg,  une  pension  pour  se  rendre  à  Rome, 
où  il  alla  se  fixer,  en  compagnie  de  son  frère 
Guillaume.  Là  son  talent,  dirigé  par  Canova  et 
Thorwaldsen ,  prit  un  puissant  essor;  devenu 
presque  l'égal  de  ses  maîtres ,  il  se  vit  bientôt 
accablé  de  commandes  par  les  souverains  et  les 
principaux  amateurs  de  l'Europe.  Les  oeuvres 
qu'il  exécuta  alors,  et  où  il  fit  preuve  d'un  génie 
transcendant,  se  distinguent  par  la  grâce  et  la 
naïveté  des  attitudes,  par  une  ravissante  har- 
monie dans  les  proportions,  par  une  poésie 
exquise  et  par  une  rare  perfection  dans  l'exécution 
technique.  Ce  sont:  une  Jeune  fille  attachant 
ses  sandales;  une  Fileuse;  plusieurs  copies, 
faites  par  le  maître  lui-môme,  de  ces  deux  chefs- 


d'œuvre  acquis  par  le  roi  de  Prusse,  existent  ei 
Allemagne  et  en  Angleterre;  la  Jeune  fille  an: 
pigeons,  appartenant  au  roi  de  Prusse;  l'A 
mour,  dans  la  galerie  Esterhazy  ;  Paris  devan 
les  trois  Déesses,  un  petit  Bacchus,  S.  Jean 
Baptiste,  Diane,  une  Vierge  tenant  l'en/an 
Jésus,  un  Discobole,  morceau  de  premie 
ordre,  qui  est  en  Angleterre;  un  groupe  de  Dan 
seuses;  les  bustes  de  Hœndel  à  la  Walhalla,  i 
celui  d'une  jeune  Albanaise,  à  la  glyptothèqu 
de  Munich;  quatre  magnifiques  bas-reliefs 
Y  Enlèvement  des  filles  de  Leucippe,  \eCom 
bat  des  Dioscures  avec  Idas  et  Lyncée ,  1 
Tombeau  de  la  mère  du  général  Koller,  (  | 
celui  du  marquis  de  Lansdowne.  En  182 
enfin  Schadow  venait  de  terminer  le  modèle  d'u 
groupe  colossal  d'Achille  protégeant  le  corp 
de  Penthésilée  ;  pour  l'exécution  en  marbre  d 
cette  œuvre,  d'un  caractère  grandiose ,  il  reçi 
du  roi  de  Prusse  seize  mille  francs,  le  quart  d 
prix  fixé  pour  ce  groupe  quand  il  serait  te: 
miné  ;  mais  les  fatigues  de  ce  travail  ruinèrer 
entièrement  la  santé,  déjà  affaiblie,  de  l'artisti 
qui  fut  enlevé  l'année  suivante  par  une  mo: 
prématurée.  Son  groupe,  achevé  par  son  cousir 
Wolf,  se  trouve  au  palais  royal  de  Berlin. 

Aulobiogr.  de  J.-G.  Schadow,  dansses  Kunstwerke." ■ 
Nagler,  Allgem.  Kùnstler-Lexikon. 

*    schadow   (Frédéric -Guillaume  vu.) 
peintre  allemand ,  fils  puiné  de  Jean-Gcdefro 
né  à  Berlin,  le  6  septembre  1789.  Dirigé   d't 
bord  par  son   père,  et  ensuite   par  le  peinti 
Weilscb,  il  fut  en   1806  appelé  au  service  m 
Htaire  et  ne  put  reprendre  les  pinceaux  qu'en  18K 
Ayant  en  cette  année  accompagné  à  Rome  so 
frère  Rodolphe,  ilse  joignit  à  ce  groupe  déjeune 
gens  de  talent,  Cornélius,  Veit,  Schncrr,  etc 
qui,  s'inspirant  des  principes  de  leur  ami  Ove: 
beck,  ne  voyaient,  comme  l'école  romantique  e 
littérature,  de  salut  pour  les  arts  que  dans  le  ni 
tour  aux  idées  du  moyen  âge.  Schadow,  qui  s 
convertit  alors  au  catholicisme,  concourut  av( 
eux  à  la  décoration   de  la  villa  du  consul  c 
Prusse  Mendelssohn-Bartholdi  ;  il  y  exécuta  deu 
fresques,  Le  Songe  de  Joseph  et  Jacob  recevai 
la  robe  sanglante  de  son  fils  ;  elles  déeèlei 
encore  une  certaine  inexpérience.  Les  tableau 
qu'il  peignit  à  Rome,  dans  les  années  suivante: 
sont   très-remarquables;    les   principaux  son 
outre  plusieurs  beaux  portraits  :  la  Reine  di 
deux,  la  Sainte  Famille,  l'Alliance  de  i 
peinture  et  de  la  sculpture,  représentée,  pil 
un  groupe  où  figurent  Thorwaldsen,  Rodolptj 
Schadow  et  le  peintre  lui-même.  De  retour 
Berlin  en  1 S 19, il  devint  membre  de  l'Académie  d< 
beaux-arts;  ii  exécuta  à  cette  époque  plusien: 
tableaux  d'autel  pour  l'église  de  !a  garnison 
Potsnam,  la  cathédrale  d'Ambach,  et  l'église  ( 
Schulpforta;  puis  un  Saint  Luc,  une  Viergi 
la  Poésie  s'élevant  dans   les  airs ,  le  portra 
du  poète  hnmermann.  En  1827  Schadow  al 
prendre  à  Dusseidovf  la  direction  de  l'Académ 


481  SCHADOW  —  SCHIFFER. 

à  la  place  de  Cornélius  :  il  y  fonda  une  nouvelle 

école  de  peinture,  d'où  sortirent  une  foule  d'ar- 
I  listes  de  talent  (1),  et  qui  l'emporta  bientôt  sur 
i  l'école  rivale  de  Munich,  à  laquelle  elle  cèdece- 
!  pendant  pour  la  peinture  d'histoire  ;  en  revan- 
j  che,  Schadow   sut  développer  chez  ses  élèves, 

auxquels  il  était  tout  dévoué,  une  grande  habi- 
leté à  traiter  le  genre  et  le  paysage;  il  leur  pro- 
loura  en  même  temps  de  nombreuses  commandes 
(en  propageant  le  goût  des  arts  par  la  fondation 
[d'une  société  artistique  pour  les  provinces  rhé- 
|  nanes  et  la  Weslplialie.  Dans  la  suite  cependant 
|  Schadow  entra  de  plus  en  plus  dans  la  voie  du 
[mysticisme,  ce  qui  amena  dans  son  école  une 
I  scission  complète  ;  à  la  tête  des  opposants,  qui 

s'attachent  à  un  réalisme  prononcé ,  se  trouve 
RLessing  (voy.  ce  nom).  Parmi  les  tableaux  qu'il 
[exécuta  depuis  1827  nous  citerons  :  les  Quatre 

Évangélistes,  dans  l'église  de  Werder  à  Ber- 
flin  ;.les  Vierges  sages  et  les  Vierges  folles,  au 
ImuséeStaedelà  Francfort;  une  Carità;  le  Christ 
httr  le  mont  des  Oliviers;  1er  Christ  à  Em- 
\maiis;  Sainte  Véronique;  une  Pietà  dans  l'é- 
glise de  Dulmen;  la  Source  de  la  vie,  au  roi 
lia  Prusse;  Sainte  Hedwige,  le  Paradis ,  le 
{Purgatoire  et  l'Enfer,  suite  de  tableaux  ailé- 
boriques  d'après  Dante;  Mignon,  sujet  plein  de 
[poésie,  reproduit  souvent  par  la  gravure;  plu- 
sieurs excellents  portraits ,  dont  ceux  du  prince 
JFrédéricde  Prusse,  du  prince  de  Solms,  delà  fa- 
tinille  du  banquier  Beudemann,  etc.  Schadow 
la  été  anobli  en  1843.  11  a  publié,  outre  divers 
[articles  dans  le  Kunstblatt,  une  brochure  Sur 
{l'influence  du    christianisme  sur   les   arts 

(Dusseldorf,  1842),  et  Der  moderne  Vasari 
[(Berlin,  1854)  :  ce  dernier  ouvrage,  où  l'auteur 
idonne  ses  jugements  sur  les  principaux  artistes 
jqui  avec  lui  ont  régénéré  la  peinture  en  Alle- 
gne,  est  un  extrait  de  ses  Mémoires,  encore 
[manuscrits,  qu'il  a  dictés  pendant  le  temps,  assez 
pong,  où  il  fut  privé  de  la  vue,  infirmité  dont  il 
a  été  guéri  par  une  habile  opération. 
[  .Roczynski ,  Slist.  de  l'art  moderne  en  Allemagne.  — 
jîutmaiit),  Die  Diisseldor/er  Malerscfmle ,-  Leipzig,  1839. 
;-Uechlriz,  Bllcke  in  das  Dusseldorf er  Tiilnstler  Lebcn; 
jllusseldorf,  1839.  -  Nagler,  Allqem.  Kunstlerlexihon.  - 
mmnner  der  Zeit,  t. I.  —  Unsere  Zeit,  t,  VIL 
|  Schiffer  (Jacques-  Chrétien) ,  natura- 
liste allemand,  né  à  Querfurt  (Prusse), le  30  mai 

1718,  mort  à  Batisbonne,  le  5  janvier  1 790.  Ayant 
à  l'âge  de  dix  ans  perdu  son  père,  qui  était  un 
toasteur  sans  fortune,  il  ne  put  terminer  ses  hu 
Nanités  qu'en  s'im  posant  les  plus  grandes  pri- 
vations. Son  amour  pour  la  science  lui  donna  le 
jsourage  de  se  rendre  à  l'université  de  Halle,  bien 
[ïu'il  fût  presque  entièrement  dénué  de  res- 
sources ;  pendant  les  six  premiers  mois,  il  ne  se 
pourrit  guère  qu'avec  des  fruits  et  un  peu  de 
.égumes  cuits  à  l'eau ,  et  il  passa  tout  un  hiver 
wos  feu.  Cette  rude  abstinence,  jointe  à  un  zèle 

t  (1)  Les  noms  des  trente  plus  célèbres  peintres  de  cette 
ji-cole  se  trouvent,  encadrés  de  dessins  de  chacun  d'eux, 
l'ans  V Album  de  Reinick  (Dusseldorf,  1838). 

KOUV.  BIOGR.   GBKÉR.    —  T.    XLIII. 


482 


trop  vif  pour  l'étude,  faillit  le  faire  périr  de  con- 
somption. Il  se  procura  quelque  soulagement  en 
donnant  des  leçons  dans   une  maison  d'orphe- 
lins, et  en  1738  il  entra  comme  précepteur  chez 
un  riche  négociant  de  Batisbonne;  mais  celui-ci 
étant  mort  au  bout  d'une  année,    Schœffer  re- 
tourna à  Halle,  et  fut  admis  au  sacerdoce.  En 
1741  il  fut  rappelé  à  Batisbonne  pour  y  occuper 
une  des  places  de  prédicateur,  bonheur  inespéré 
qu'il   devait  à  quelques  sermons   qu'il  y  avait 
prononcés  pendant  son  premier  séjour,  et  dont 
l'éloquenceavait produit  une  impression  favorable. 
Dès  ce  moment  son  sort  fut  fixé.  Tout  entier  à 
ses  devoirs,  il  ne   se  lassait  pas  de  venir  en 
aide  à  l'infortune;  c'est  ainsi  qu'il   fonda  une 
caisse  de  prêt  sans  intérêts  en  faveur  des  ou- 
vriers pauvres.  En  reconnaissance  de  son  zèle 
et  de  son  dévouement,  il  fut  en  1779  promu  d'un 
consentement  unanime  à  l'office  de  surintendant 
ecclésiastique,  qu'il  conserva  jusqu'à  sa  mort. 
Habile  à  tous  les  travaux  de  main ,  il  fabriqua 
plusieurs  instruments  d'optique  et  de  phjsique, 
remarquables  par  leur  précision  et  qu'on   lui 
paya  un  grand  prix;  de  magnifiques  tables  de 
marqueterie,  une  représentation  anatomique  de 
l'œil  humain,  exécutée  en  ivoire,  des  oiseaux 
sculptés  en  bois,  etc.  Il  perfectionna  les  miroirs 
ardents,  les  microscopes,  une  machine  à  laver 
le  linge.  Le  premier  il  songea  à  faire  du  papier 
avec  des  substances  végétales,  tels  que  copeaux, 
sciure  de   bois,  mousses,  tiges  du  houblon, 
de  la  vigne   et  du  chanvre,  feuilles,  etc.   (1). 
Mais  son   principal  mérite   consiste    dans  les 
travaux   qu'il    entreprit  sur    diverses   parties 
de   l'histoire  naturelle,  notamment  les  plantes 
et  les  insectes,  et  qui  lui  valurent  d'être  nommé 
membre  des  Académies  de  Londres ,  de  Ber- 
lin, d'Upsal   et  de   plusieurs    autres  sociétés 
savantes;  il  était  correspondant  de  l'Académie 
des  sciences  de  Paris.  Les  ouvrages  qu'il  a  pu- 
bliés sur  les  diverses  branches  de  la  mycologie 
et  de    l'entomologie   se   font    remarquer    par 
l'exactitude  des  descriptions  et  par  la   beauté 
ainsi  que  par  la  fidélité  des  figures.  On  a  de  lui  : 
Apus  piseiformis  insecti,  species  noviter  dé- 
tecta;  Nuremberg,    1752,  1757,  in-4°; —  De 
musca  cerambyce;  ibid.,  1753,  in-4°;  —  Die 
Arm-Polypen  (Les  Polypes  à  bras  des  environs 
de  Batisbonne);  Batisbonne,  1754,  1763,  in-4o; 
—  Die  Blumenpolypen  des  sûssen    Wassers 
(Les  Polypes  d'eau  douce);  ibid.,  1755,  1703, 
in-4°;  —  Isagoge  in  botanicam;  ibid.,  1759, 
in-8°;   —    Erleichlerte    Arzneykrseuterwis- 
senschaft  (  La  Connaissance  des  plantes  mé- 
dicinales rendue  plus  facile);  ibid.,  1759,  1773, 
in -4°;  —  Desludii  ichthyologici  faciliorime- 
thodo;  ibid.,  1760,  in-4°;  —  Piscium  bava- 
rico-ralisbonensium  penias; ibid.,  1761,  in-4°, 
fig.  ;  —  Fungorum  qui  in  Bavaria  et  Palali- 

(1)  La  2°  édlt.  de  l'ouvrage  qu'il  publia  sur  ce  sujet  (Ra- 
tisb.,  1772,  in-4°)  contient  81  échantillons  de  ces  diffé- 
rents papiers,  avec  treize  planches, 

16 


43; 


SCHiEFFER  —  SCHALL 


■iS4 


nalu  superiore  circa  Ratisbonam  nascuntur 
icônes;  ibid.,  1762-1775,  4  tom.  in-4°;une  édit. 
augmentée  de  ce  magnifique  ouvrage,  avec  trois 
cent  trente  planches,  a  été  donnée  par  Per- 
soon;  Erlangen,  1800,  m-40;  —  Vorschlasge 
zur  Fœrderung  der  Nuturwissenschaft  (Avis 
sur  la  manière  de  faire  avancer  les  sciences  na- 
turelles); Ratisbonne,  1763,  in-4°; —  Opuscirfa 
entomologie  a;  ibid.,  1764,  in-4°;  trad.  en  alle- 
mand,ibid.,  1764-1779, 3  vol.  m- k°;— Elément  a 
entomologica ;  ibid.,  1766,  1780,  in-4°,  pi.  col.; 
suivi  à'un  Appendix,  ibid.  ,1777,in-4°; — Icônes 
insectorum  circa  Ratisbonam  indigenorum; 
ibid.,  1766  79,  3  vol.  gr.  in-4o;  Erlangen,  1804, 
3  vol.  in-4°,  avec  de  nombreuses  et  excellentes 
planches  coloriées  ; — Elemen  ta  ornithologica  ; 
Ratisbonne,  1774,  in-4°;  —  Muséum  ornitho- 
logieum  ;  ibid.,  1778,  in-4°,  avec  51  pi.  col. 

Schlichtegrol!,  NeJcroloç,  .  790,  1. 1,  p.  65.  —  Hirsching, 
Handbnch.  —  Meusel,  LexiJcon.  —  Biogr.  méd. 

"  schalcken  (Gode  f roi),  peintre  hollandais, 
né  à  Dordrecht,  en  1643,  mort  à  La  Haye,  le  16 
novembre  1706.  Fils  du  directeur  des  écoles  la- 
tines de  Dordrecht,  Schalcken  reçut  une  éduca- 
tion littéraire;  mais  son  père  ayant  voulu  le  faire 
entrer  dans  la  carrière  de  l'enseignement,  il  ma- 
nifesta alors  un  goût  si  vif  pour  la  peinture  que 
sa  famille  consentit  à  le  placer  chez  Samuel  van 
Hoogstraeten,  où  il  fit  de  rapides  progrès.  Puis 
il  étudia  quelque  temps  chez  Gérard  Dov,  et  c'est 
en  le  voyant  à  l'œuvre  qu'il  apprit  à  peindre  les 
portraits  de  petite  dimension,  les  scènes  d'in- 
térieur et  surtout  les  effets  de  lumière  qui  lui  va- 
lurent une  précoce  renommée.  Bien  que  le  succès 
eût  répondu  à  ses  premières  tentatives,  il  par- 
tit pour  l'Angleterre ,  où  il  fit  un  assez  grand 
nombre  de  portraits,  notamment  celui  de  Guil- 
laume IÎI.  ïoufefois,  il  avait  trouvé  à  Londres 
un  rival  redoutable  dans  la  personne  de  Kneller  ; 
et  reconnaissant  l'impossibilé  de  lutter  avec  lui, 
il  revint  dans  sa  patrie  et  se  fixa  à  La  Haye. 
Les  œuvres  de  Schalcken  ne  sont  pas  très-rares, 
et  elles  sont  moins  recherchées  aujourd'hui 
qu'elles  ne  l'étaient  jadis.  Ses  tableaux  sont  pour 
la  plupart  éclairés  par  la  lumière  artificielle 
d'une  lampe  ou  d'un  (lambeau,  et  dans  ce  genre 
de  peinture  il  a  montré  de  la  patience  et  une 
étude  attentive  de  la  nature.  Mais  il  y  a  quelque 
puérilité  et  de  la  monotonie  dans  le  choix  de  ses 
sujets  et  dans  la  manière  dont  ils  sont  traités. 
Schalcken  appartient  à  l'école  de  la  décadence  ; 
le  dessin  chez  lui  est  sans  caractère;  l'exécution 
est  molle,  le  pinceau  sans  esprit.     P  Mawt-z. 

Van  Eynden  et  van  tler  Willigen,  Cesckied.  der 
Vaderl,  Schilderftunst.  —  Immerzeel,  Jjeven. 

schalïj  (Jean-Adam) ,  missionnaire  alle- 
mand, né  à  Cologne,  en  1591,  mort  à  Pékin,  le 
15  août  16G9.  Issu  de  famille  patricienne,  il 
entra  en  1611  à  Rome  dans  la  Société  de  Jésus, 
et  i  :udia  pendant  plusieurs  années  la  théologie 
et  les  mathématiques.  Envoyé  en  Chine  en  1622, 
il   fut    attaché  à   la  mission  de  Si-ngan-Fou; 


tout  en  se  dévouant  à  la  propagation  de  l'Évan- 
gile ,  il  s'occupa  d'observations  et  de  calculs  as- 
tronomiques   Sa  réputation  de  savant,  plus  en- 
core que  son  zèle  de  missionnaire  le  fit  mander 
en  1631  à  Pékin,  et  il  fut  avec  le  P.  Rho  chargé, 
dans  le  bureau  des  affaires  célestes  (sorte  de 
bureau    des   longitudes  ),    de  la    révision  du 
calendrier   impérial,   alors   dans  un    désordre 
complet.  Les  astronomes  officiels ,  jaloux  de  la 
préférence  accordée  à    des    étrangers,    lancè- 
rent  contre  les   deux  missionnaires    de  vira 
lents  pamphlets  et  multiplièrent  les  intrigues  poui 
les  discréditer  auprès  de  l'empereur.  Mais  leui 
complète   ignorance    ayant  éclaté  à   l'occasioi 
d'une  éclipse  qui  survint  alors,  tandis  que  le: 
calculs  du  P.  Schall  avaient  été  trouvés  exacts 
ils  furent  réduits  à   exhaler  leur  fureur  en  d 
vaines  calomnies.  Schall  jouit  de  toute  la  bien 
veillance  de  l'empereur  Tchoung-Tehing ,  pou 
lequel  il  répara  l'épinette  apportée  à  Pékin  pa 
le  P.  Ricci  ;  il  fabriqua  ensuite  un  clavecin  neu; 
et  l'envoya  à  la  cour  avec  un  magnifique  albur 
représentant  les  principaux  traits  de  la  vie  de  Jf 
sus-Christ.  Lors  de  l'invasion  des  Tartares  (1626, 
Schall  fut  chargé,  bien  malgré  lui,  de  diriger  un 
fonderie  de  canons,  et  l'empereur  voulut  recorj 
naître  les  services  du  missionnaire  en  rédigeai 
de  sa  propre  main  une  inscription,  où  il  loua 
en  termes  pompeux  sa  science  et  ses  vertu 
Lorsque  la  bande  d'insurgés  commandée   p* 
Li-Eoung  se  fut  emparée  de  Pékin,  qu'ils  mirei 
à  feu  et  à  sang,  Schali  fut    la  providence  di 
nombreux  chrétiens  de  cette  ville,  qu'il  protégi 
avec  un  dévouement  admirable,  quoique  expo: 
continuellement   aux  plus  grands   dangers.  ( 
fut  sous  le  règne  de  Chun-Tché,  le  fondateur  de 
dynastie  tartare  (1645)  qu'il  obtint  le  plus  ha 
degré  de  faveur  à  la  cour  :  il  fut  confirmé  dai 
la  présidence  du  bureau  des  affaires  céleste 
qu'il  occupait  seul  depuis  la  mort  du  P.  Rho(l 
Plusieurs  fois   par   an  l'empereur  venait  sa) 
apparat  dans  le  cabinet  de  Schall,  qu'il  appeli 
maffa  (vénérable  vieillard  ) ,  s'entretenait  fàïa 
fièrement  avec  lui,  écoutait  ses  conseils,  et  s'j 
formait  avec  intérêt  des  travaux,  des  études," 
des    exercices     religieux     des     missionnaire 
Schall    profita    de   cette  bienveillance  pou| 
cause  de  la  religion,  et  il  obtint  en  1650  la 
mission  de  bâtir  à  Pékin  même  une  grande 
catholique,  et  bientôt  après  la  libre  prédic: 
du  christianisme  dans  toute  la  Chine ,  ce 
porta  en  l'espace  de  quatorze  ans  le  nombn 
néophytes  à  cent  mille.    I!  empêcha  aussi  1 
Portugais  d'être  chassés  de  Macao,  mesure  ( 
avait  été  ordonnée  pour  ne  laisser  aux  pin 
aucun  lieu  de  refuge.   Mais  en  1664  les  régi 
qui  gouvernaient  pendant  la  minorité  d'.'  Kh 


(l)  Non  seulement  Chun-Tché  ennféra  au  P.  Schal ■ 
dignité  de  Ta-C/ian-Sse  du  grand  tribunal,  ce  qui  H 
faisait  entrer  dans  la  première  aristocratie  de  i'emp  ^ 
mais  il  anoblit  aussi  ses  parents  défunts  jusqu'au  ti  L 
sième  degré. 


iff  SC HALL  - 

li,  destituèrent  Scliall,  qui  venait  d'êlre  atteint 
'une  paralysie  soudaine,  et  proscrivirent  sous 
>s  peines  les  plus  sévères  l'exercice  de  la  reli- 
ion  chrétienne.  En  même  temps  un  procès  fut 
istruit  contre  les  missionnaires,  qui  le  15  avril 
8G5  furent  condamnés  à  être  fustigés  et  exilés 
n  Tv.rlarie;  quant  au  P.  Scliall  la  sentence  poi- 
nt que  son  corps  serait  coupé  en  dix  mille  mor- 
jeaux  en  commençant  par  les  extrémités.  Cette 
artence  inique  eut  peut-être  reçu  son  exécution 
i  plusieurs  catastrophes  subites,  telles  que  l'ap- 
jarition  d'une  comète,  un  tremblement  de  terre, 
i  n  incendie  qui  consuma  une  partie  du  palais  im- 
érial,  n'eussent  jeté  la  capitale  dans  la  conster- 
j  stion  ;  on  y  vit  des  signes  du  courroux  céleste, 
\  on  s'empressa  de  rendre  le  P.  Schall  à  la  li- 
irté.  11  souffrit  encore  des  tribulations  nouvelles, 
;  t  condamné  au  supplice  de  la  cangue,  et  mourut 
!  très  une  longue  carrière ,  toute  consacrée  au 
i  en.  En  1671  le  P.  Verbiest,  son  ami,  obtint  de 
i'inpereur  Kbang-Hi  un  décret  qui  réhabilitait  sa 
lémoire;  un  superbe  mausolée  lui  fut   élevé 
fins    les  environs  de  Pékin.   Il   avait  écrit  en 
u'nois ,  sous  le   nom   de  Thang-io-wang ,  un 
and  nombre  de  traités  astronomiques  et  ma- 
ématiques,  dont  la   collection  est  à  la  biblio- 
èque  du  Vatican.  On  a  extrait  de  ses  lettres 
Histoire  des  progrès  des  7nissions  des  jé- 
dtes  en  Chine,  en  latin;  Vienne,  1655,in-8°. 
Mailla,  Hist.  générale  de  la  Chine,   t.  X  et  XI.  —  Le 
rote,  Mémoires  de  la  Chine.  —  D'Orléans,  Hist.  des 
u t  conquérants  tarlares.  —  Hue,  Le  Christianisme 
Chine,  t.  II  et  III. 

schammaï,  célèbre  docteur  juif,  vivait  un 
Scie  avant  J.-C.  Il  fut  à  Jérusalem  le  Père  de 
i  maison  du  jugement,  c'est-à-dire  président 
i  tribunal  établi  pour  décider  les  questions  lé- 
les.  La  considération  qu'il  s'acquit  dans  ces 
utes  fonctions  l'engagea  à  ouvrir  une  école  à 
té  de  celle  d'Hillel.  Son  enseignement  eut  un 
and  retentissement.  Il  ne  tarda  pas  à  être  en- 
uré  d'un  plus  grand  nombre  de  disciples  que 
n  rival.  La  tradition  a  voulu  opposer  en  tout 
s  deux  docteurs  :  elle  représente  Schammaï 
hume  un  homme  opulent ,  tandis  qu'Hillel , 
fès  avoir  vécu  dans  sa  jeunesse  du  travail  de 
s  mains,  serait  toujours  resté  pauvre.  Celui-ci 
lit  d'une  humilité  édifiante,  d'une  insigne  dou- 
ur  de  caractère,  d'une  bonté  sans  pareille; 
lui-làau  contraire  était  hautain,  dur  envers  ses 
idples,  tranchant  dans  ses  décisions.  Scham- 
»,  facilement  emporté  par  la  colère,  se  servait 
'rfois  de  la  verge  pour  corriger  ses  élèves; 
lfel,  plein  de  bienveillance,  partageait  avec  les 
ns  le  peu  qu'il  possédait.  Ces  deux  écoles 
parent  d'abord  en  paix;  l'opposition  de  l'en- 
gnement  et  peut-être  aussi  du  caractère  des 
iltres  finit  par  faire  naître  la  discorde.  Il  n'y  eut, 
-on ,  presque  aucun  point  de  la  loi  qui  ne  de- 
it  entre  elles  un  sujet  de  débats  orageux.  La 
idition  assure  que  les  discussions  entre  les 
ux  écoles  amenèrent  plus  d'une  fois  des  ren- 
tres à  main  armée  et  ensanglantèrent  les  rues 


SCHAMYL 


486 


de  Jérusalem.  Ce  fut  un  proverbe  en  Israël  que 
même  Elie  le  Thesbitc,  le  pacificateur  universel, 
ne  pourrait  mettre  fin  aux  querelles  ries  dis- 
ciples de  Schammaï  et  des  disciples  d'Hillel  (voy. 
Hillel  l'ancien).  M.  N. 

G. -F..  Geiger  et  H.  Gcissmann,  ISrcvis  commentatio  do 
Hillila  et  Schammai;  Alttlorf,  1707,  in-i°. 

*  sciiamyl,  chef  circassien,  né  en  juin  1797, 
à  Himry,  village  du  Daghestan  septentrional, 
en  Circassie,  dans  une  riche  famille,  qui  appar- 
tenait à  la  classe  la  plus  honorée  du  pays. 
Son  tempérament  était  ehétif,  mais  il  prit  bien- 
tôt le  dessus,  et  au  milieu  des  exercices  et  de 
la  vie  rude  des  montagnards  il  acquit  une 
vigueur  et  une  agilité  qui  lui  furent  d'un  grand 
secours  plus  tard.  11  annonçait  déjà  dans  la 
maison  paternelle  une  rare  énergie  de  caractère. 
Ne  pouvant  détourner  son  père  de  l'habitude 
de  l'ivresse,  il  jura  qu'il  s'ôterait  la  vie  s'il  le 
voyait  encore  troublé  par  la  boisson,  et  celui-ci, 
qui  le  savait  capable  de  tenir  proie ,  prit  l'en- 
gagement de  ne  plus  goûter  de  vin;  jusqu'à  sa 
mort,  qui  arriva  vingt  ans  après,  il  y  fut  fidèle, 
Schamyl  (équivalent  du  mot  Samuel)  se  plaça 
sous  la  discipline  de  son  ami  le  savant  Ghazy- 
Môllah.  A  son  école  et  à  celle  des  oulémas  les 
plus  distingués  du  Daghestan,  il  acquit  bientôt 
un  profond  savoir,  qu'il  alliait  à  une  piété  exaltée. 

Les  peuples  du  Caucase  étaient  depuis  long- 
temps gagnés  à  l'islamisme;  mais  la  division  en 
sunnites  et  en  schyites  était  pour  eux  un  élément 
de  faiblesse.  Le  muridisme  eut  pour  objet  de 
faire  cesser  ces  divergences,  en  donnant  aux 
montagnards  une  religion  commune  puisée  aux 
plus  pures  doctrines  des  temps  primitifs  de  l'is- 
lam. D'après  ce  nouveau  dogme  les  croyants 
passaient  par  une  série  de  degrés,  dont  le  dernier 
amenait  l'âme  an  détachement  absolu  des  choses 
de  la  terre  et  l'anéantissait  en  quelque  sorte  en 
Dieu.  Cette  doctrine  mystique  reposait  sur  des 
principes  d'égalité  républicaine  qui  l'aidèrent  à 
se  propager  parmi  les  tribus  montagnardes,  et 
bientôt  elle  les  eut  ralliés  dans  une  haine  com- 
mune contre  les  Russes.  En  1828  Schamyl  figurait 
parmi  les  murides  les  plus  renommés,  sous  les 
ordres  de  Ghazy-Mollah.  Celui-ci,  assailli  dans 
Himry  par  le  général  russe  de  Rosen ,  succomba 
après  avoir  fait  essuyer  des  pertes  terribles  à  l'en- 
nemi. Schamyl  se  précipita  au  milieu  des  Russes, 
qui  gardaient  toutes  les  issues,  tua  trois  soldats; 
un  quatrième  le  traversa  de  part  en  part  d'un  coup 
de  baïonnette;  il  eut  cependant  assez  de  force  et 
d'énergie  pour  faire  partager  à  celui-ci  le  sort  des 
premiers,  se  débarrassa  de  ses  autres  adversaires, 
et  échappa  comme  par  miracle  à  la  mort  (1831). 
Cette  terrible  blessure  empêcha  Schamyl  de  suc- 
céder à  Ghazy-Mollah  dans  la  dignité  d'iman,  à 
laquelle  l'appelait  le  vœu  public.  Lorsqu'il  fut 
rétabli, il  seconda  avec  une  abnégation  qui  éloigne 
de  lui  tout  soupçon  d'ambition  égoïste  le  nouvel 
iman  Hamzat-Bey.  Celui-ci,  à  la  suite  d'une  expé- 
dition, sanglante  dirigée  contre  l'Avarie,   partie 

16. 


487 

Daghestan,  qui  penchait  vers  les  Russes,  fut 
égorgé  avec  une  partie  de  ses  murides  (1834). 
Schamyl  pouvait  sans  peine  s'emparer  alors  de 
l'autorité,  que  nul  n'était  en  mesure  de  lui  dispu- 
ter; il  préféra  convoquer  tous  les  chefs  de  tribu 
et  les  hommes  marquants  à  quelque  titre.  L'ima- 
nat  lui  fut  offert  à  l'unanimité  (2  octobre  1834). 

Schamyl  fut  à  la  fois  un  héroïque  défenseur 
de  l'indépendance,  un  profond  politique  et  un 
habile  administrateur.  Son  ardente  dévotion  ne 
l'empêcha  pas  de  porter  un  sens  très-droit  dans 
la  pratique  des  affaires.  Ayant  consacré  son  in- 
fluence par  d'éclatantes  victoires  ,  il  fit  adopter 
une  série  d'innovations  qui  lui  permirent  de 
soutenir  pendant  vingt-cinq  ans  une  lutte  dispro- 
portionnée contre  les  Russes.  Prêtre  autant  que 
guerrier,  il  fit  de  la  religion  la  base  de  son 
pouvoir.  Il  s'entoura  d'un  conseil  suprême,  qui 
devait  le  seconder  dans  la  direction  des  affaires, 
et  prit  pour  le  garder  une  troupe  d'élite  qui  de- 
vait bannir  toute  autre  préoccupation  qu'un  dé- 
vouement sans  réserve  à  son  chef.  Il  partagea  le 
territoire  en  subdivisions  (naïbats  )  renfermant 
un  certain  nombre  d'aoïcls  ou  villages;  les  lieute- 
nants de  l'iman  ou  naïbs  réunissaient  les  fonctions 
religieuses,  patriotiques,  militaires,  administra- 
tives ;  ils  devaient  au  premier  signal  amener  une 
troupe  de  guerriers,  qui  s'entretenaient  à  leurs 
frais.  Schamyl  réunit  ainsi  cinq  mille  cavaliers, 
et  eut  à  la  fois  sous  les  armes  cinquante  mille 
hommes.  Il  fit  des  efforts  constants  pour  intro- 
duire parmi  ces  tribus  une  administration  régu- 
lière, active  et  probe.  Mais  il  ne  réussit  pas  à  accli- 
mater chez  elle  les  ressources  de  la  civilisation 
européenne;  la  fonderie  de  canons  qu'il  établit  ne 
donna  que  de  mauvaises  pièces,  et  les  armes  des 
montagnards  furent  toujours  défectueuses.  Il 
chercha  à  stimuler  le  courage  par  des  peines  in- 
famantes et  des  décorations.  D'une  générosité 
disproportionnée  avec  ses  faibles  revenus,  quand 
il  s'agissait  de  servir  sa  cause  il  recourait,  pour 
faire  triompher  la  mission  politique  et  religieuse 
qu'il  s'était  imposée,  aux  châtiments  lés  plus 
terribles,  et  sa  justice  expéditive  inspirait  une 
épouvante  superstitieuse.  On  le  voyait  à  laporte 
des  mosquées  recommander  aux  siens  la  pra- 
tique de  la  religion,  les  bonnes  mœurs  et  la 
haine  des  Russes. 

Le  régime  violent  de  cette  dictature  religieuse 
provoqua  contre  l'iman  des  inimitiés  nom- 
breuses, et  pour  s'y  dérober  il  fut  obligé  de 
prendre  des  précautions  multipliées.  C'était 
parmi  les  Tchetchenses,  autrefois  la  nation  pré- 
pondérante du  Daghestan,  qu'il  avait  ses  princi- 
paux adversaires;  il  les  abaissa  au  profit  des 
Lesghis,  ses  compatriotes,  dont  il  ne  se  séparait 
pas.  Schamyl  constitua  aux  Circassiensune  forée 
imposante,  mais  il  renonça  à  soutenir  contre  les 
Russes  une  lutte  régulière;  il  leur  fit  une  guerre 
d'embuscades,  de  surprises,  et  entendit  à  mer- 
veille le  métier  de  partisan.  Tombant  sur  les 
Russes  à  l'improviste,  leur  tendant  des  pièges, 


SCHAMYL  —  SCHANNAT  48! 

il  détruisait  en  détail  leurs  armées.  Les  gêné 
raux  du  czar  s'usèrent  dans  celte  guerre  in 
grate.  L'iman,  inépuisable  en  ruses,  se  jouait  ai 
milieu  de  ses  ennemis,  et  poussait  des  pointe 
jusqu'aux  abords  de  Stavropol  et  de  Tauris.  S 
réputation  s'étendait  au  loin,  et  à  l'époque  de  1 
guerre  de  Crimée  les  alliés  comptaient  sur  so: 
concours  (  1 854)  ;  il  le  promit  en  effet,  mais,  rebut 
par  le  langage  insolent  des  autorités  turques,  : 
se  tint  à  l'écart.  A  cette  époque  la  puissance  d 
l'iman  était  sur  son  déclin  ;  en  concentrant  en  h 
toute  l'autorité,  il  avait  brisé  le  plus  puissar 
ressort  des  populations   montagnardes,  l'initia 
tive  individuelle;  toute  personnalité  s'effaçai 
devant  le  dictateur,  on  pouvait  prévoir  que  li 
disparu  la  cause  de  l'indépendance  ne  se  relt 
verait  pas.  Les  Russes  avaient  déjà   gagné  d 
terrain,  grâce  au  système  introduit  vers  1845  pi 
le  prince  Woronzoff,  en  entourant  le  pays  par  ut 
ligne  de  postes  fortifiés,  en  traçant  des  routes  8 
milieu  des  forêts  et  des  montagnes,  en  jetai 
des  ponts ,  en  substituant  une  occupation  pe 
manente  à  leurs  courses  périodiques.  En  d. 
cembre  1859,  il  fut  surplis   sur  le   plateau  < 
Gounib  par  des  forces  supérieures;  il  sedéfenc 
longtemps  avec  un  héroïsme  furieux.  Des  quai 
cents  hommes  qui  l'accompagnaient,   quaranl 
sept  seulement   survivaient;  acculé   dans  ui 
maison  taillée  dans  le  roc,  l'iman  se  rendit  i 
prince  Bariatinsky,  commandant  en  chef,  qui  1 
garantit  la    vie -sauve  et  l'envoya   à   SainS^ 
tersbourg.  Alexandre  II  traita  avec  générosw 
l'illustre  prisonnier;  dans   une  entrevue  qui 
eut  avec  lui,  il  voulut  qu'il  conservât  ses  armêil 
et  lui  assigna  pour  résidence  la  ville  de  Kaloug  I 
avec  une  pension  de  10,000  roubles.  C'est  là  qui 
vit  avec  son  harem  et  les  jeunes  ménages  de  si 
deux  fils.  Il  est  resté  fidèle  à  ses  habitudes  m 
simplicité  et  de  sobriété  ;  sa  charité  est  inép» 
sable  et  sa  résignation  celle  d'un  parfait  croyail 
La  douceur  du  captif  contraste  avec  le  passée 
chef  de  guerre,  si  terrible  pour  ses  adversairil 
et   qui    ne  reculait  pas   devant  les    actes   I 
cruauté  lorsque  les  besoins  de  sa  cause  lui  se  il 
blaient  les  réclamer.  Sa  conversation  n'est  { I 
sans  charme,  et  révèle  une  intelligence  cultiv1  m 
Sa  tête  est- encore  belle  et  expressive;  malj  n 
ses  dix-neuf  blessures  à  l'arme  blanche,  il  ce 
serve  un  tempérament  robuste,  un  maintien  i 
posant,  un  aspect  calme  et  austère;  c'est  le  ty 
du  musulman  spiritual iste.  Rien  ne  trahit  cl) 
lui  l'amertume  ou  de  vaines  espérances;  il  coi 
prend  que  l'indépendance  de  la  Circassie  a  si 
combé  avec  lui,  et  se  résigne.       L.  Coixas, 

Merlieux,  Souvenirs  d'une  Française  captive  de  Se) 
myl;  1857,  in-18.  —  Faddef,  Soixante  années  de  gue 
dans  le  Caucase.  —  Rounovski,  Schamyl.  —  Revue 
deux  inondes  du  15  mai  1861.  —  Bodcnstedt,  Les  Peu} 
du  Caucase  ;  Paris,  1859. 

schannat  (Jean- Frédéric),  historien  al 
mand,  né  à  Luxembourg,  le  23  juillet  1683,  m 
à  Heidelberg,  le  6  mars  1739.  Fils  d'un  médec 
il  reçut  une  éducation  soignée,  étudia  le  droi 


§9  SCHANNAT  — 

ouvain,  et  se  fit  recevoir  avocat  au  conseil  sou- 
Tain  de  Malines  ;  mais  le  succès  de  son  pre- 
ier  ouvrage  historique  le  fit  renoncer  au  bar- 
au   et  embrasser    l'état   ecclésiastique,   qui 
■initiait  favoriser  mieux  ses  goûts  pour  l'étude. 
ir  l'invitation  de  l'archevêque  de  Prague,  il  se 
•ndit,  en  1735,  en  Italie ,  y  demeura  pendant 
ois  années,  et  recueillit  sur  l'histoire  d'Alle- 
agne  de  nombreux  documents,  dont  une  mort 
ématurée  l'empêcha  de  tirer  parti.  Ses  prin- 
paux  ouvrages  sont  :  Histoire  du  comte  de 
ansfeld;  Luxembourg,  1707,  in-12,  en-  fran- 
Js;  _  Vindemix  littéraux,  h.  e.  veterum 
nnumentorumad  Germaniam  sacram  prx- 
'  pue  spectanthim  colleclio;  Fulde et  Leipzig, 
23-24,  2  vol.  in-fol.,  fig.;  —  Corpus  tradi- 
ïonnm  fuldensium,  sive  donationum  ad  ec- 
esiam  fuldensem  collatarum   (744-1323); 
lipzig,  1724,  in-fol.,  fig.;  —  Sammlung  aller 
[  slorischer  Schriften  archiven  (Recueil  d'é- 
lits historiques  et  de  documents-anciens);  Fulde, 
I  25,  in-4°;  —  Fuldischer  Lehnhof,  sive  de 
mentela  fuldensi;  Francfort,  1726,  in-fol.  : 
Istor  essaya,  dans  les  Analecta  fuldensïa, 
1>  réfuter  cet  ouvrage;  —  Diœcesis  fulden- 
ls;  Francfort,  1727,  in-fol.;  —  Vindicix  quo- 
mimdam    archivi    fuldensis    diplomatum; 
Kancfort,   1728,   in-fol.  :  réponse   aux   Ani- 
[f  adversiones  d'Eckhart  contre  l'ouvrage  pré- 
iident;  —  Historia  fuldensis;  Wurtzbourg, 
iT29,    in-fol.  :    l'auteur    répond    à  l'ouvrage 
lEstor  cité  plus  haut;   —    Historia,  episco- 
Watus  Wormatiensïs ;  Francfort,  1734,  2  vol. 
B-fôl .  :  ouvrage  estimé;  —  Histoire  abrégée  de 
li  maison  palatine;  Francfort,  2e  éd.,  1740, 
ii-12;  elle  est  écrite  en  français;  —  Concilia 
mermanix;  Cologne,  1759-75,41  vol.  in-fol.; 
Ibllection  continuée  par  J.  Hartzheim,  parNeissen 
I:  par  Hermann   Schœll;   les   tables   sont  de 
Ifesselmann.  Les  auteurs  de  la  Bibliothèque 
W\siorique  de  la  France  attribuent  à  Schannat 
rouvrage  anonyme  intitulé  :  Lettre  de  M.  V  abbé 
II.  à  mademoiselle  G...  béguine   d'Anvers, 
\\\ir  l'origine   et  le  progrès  de  son  institut; 
Paris  (Hollande),  173 1,  in-12.  E.  R. 

«  i  De  la  Uarre  de  Beaumarchais,  Eloge  de  Schannat,  à  la 
\:lc  àcVHist.  de  la  maison  palatine.  —  D.  Calmet,  Bibl. 
•■  yrraine.  —  Ebert ,  Allgem.  bibliograph.   Lexicon.   — 
Kirscliing,  Handbuch. 

scharï»  (Simon),  érudit  allemand,  né  en 
i  535,  en  Saxe,  mort  le  26  mai  1573,  à  Spire. 
i  près  avoir  été  conseiller  du  duc  de  Deux- 
j'onts,  il  fut  nommé,  en  1566,  assesseur  à  la 
'  hambre  impériale  de  Spire.  Il  s'était  rendu  fort 
labile  dans  le  droit,  l'histoire  et  les  langues  an- 
'ienne?.  On  a  de  lui  :  Orationes  et  elegix  fu- 
ebres  in  exsequiis  Germanix,principum,  ab 
bitu  Maximiliani  l;  Francfort,  1566,  2  vol. 
i-8°  ;  —De  jurisdictione,  autoritate  et  prxe- 
ùnentia  imperiali  ac  potestate  ecclesias- 
icà,  variorum  authorum  script  a  ,Bâle,  1566, 
Mol.  ;  Strasbourg,  1608,  in-fol.  ;  —  Opus  his- 
oricum  de  rébus  Germanicis;  Bàle,   1574, 


SCMARNHORST 


490 


4  tom.  in-fol.;  Giessen,  1673,  4  vol.  in-fol.;  re- 
cueil de   pièces  et  d'opuscules  sur   l'histoire 

d'Allemagne,  terminé  par  un  abrégé  des  événe- 
ments qui  se  sont  passés  de  1558  à  1572;  — 
Lexicon  juridicum;  Bàle,  1582,  in-fol.  ;  — 
De  clectione  germanorum  principum;  Stras- 
bourg, 1609,  in-8°.  Comme  éditeur  il  a  pu- 
blié les  Lettres  de  Pierre  des  Vignes,  ainsi  que 
les  Germanicarum  rerum  quatuor  vêtus- 
tiores  chronographi  (Francfort,  1556,  in-fol.), 
recueil  qui  contient  les  Chroniques  de  Turpin, 
de  Réginon,  de  Sigebert  de  Gemblours  et  de 
Lambert  d'Aschaffembourg. 

Pantaleo,  Prosopograpkia.  —  Ad.im,  VUse  jurecon- 
sultorum.  —  Thésaurus  eruditionis  varias,  février  1705. 

scsiARNHORST  (Gérard-David  ne),  géné- 
ral prussien,  né  le  12  novembre  1755,  à  Bor- 
denau  (Hanovre),  mort  le  28  juin  1813,  à  Prague. 
D'une  famille  peu  aisée,  il  fut  destiné  à  l'éco- 
nomie rurale;  mais  son  père  ayant,  par  le  gain 
d'un  procès,  été  mis  en  possession  d'une  assez 
belle  propriété,  il  put  suivre  son  goût  pour  l'é- 
tat militaire,  et  entra  en  1776  dans  l'armée 
hanovrienne.  Nommé  en  1780  lieutenant  d'artil- 
lerie, il  devint  peu  de  temps  après  professeur  à 
une  école  de  cette  arme.  Capitaine  d'état-major 
en  1792,  il  prit  part  aux  campagnes  contre  la 
France;  sa  conduite  lors  de  la  retraite  de  Menin 
lui  valut  d'être,  en  1796,  promu  au  grade  de 
lieutenant-colonel.  Pour  profiter  des  recomman- 
dations qu'il  avait  obtenues  auprès  du  duc  de 
Brunswick,  il  passa  en  1801  dans  l'armée  prus- 
sienne, servit  d'abord  dans  l'artillerie,  et  fut  en 
1803  attaché  à  l'état-major  et  nommé  lieutenant 
quartier-maître.  C'est  à  cette  époque  qu'il  exposa 
dans  des  cours  suivis  par  l'élite  des  officiers  les 
nouveaux  principes  de  tactique,  nécessaires  pour 
combattre  les  armées  françaises,  et  qu'il  déve- 
loppa aussi  dans  divers  écrits,  ce  qui  attira  sur 
lui  l'attention  du  roi,  qui  lui  donna  en  1804  le 
grade  de  colonel  et  des  lettres  de  noblesse  et  le 
chargea  de  l'éducation  militaire  du  prince  hé- 
réditaire. En  1806  il  assista  comme  second  lieu- 
tenant quartier  -  maître  général  à  la  bataille 
d'Auersteedt,  et  contribua  à  diriger  en  qualité 
de  chef  d'état-major  la  belle  retraite  du  corps  de 
Blucber  sur  Lubeck.  Après  avoir  ensuite  pris 
part  à  la  bataille  d'Eylau,  il  fut  après  la  paix  de 
Tilsit  nommé  général  major  directeur  du  dépar- 
tement de  la  guerre  et  chef  du  corps  des  ingé- 
nieurs. En  1810  il  fut  obligé  de  donner  sa  dé- 
mission pour  complaire  aux  exigences  de  Napo- 
léon ;  mais  il  n'en  resta  pas  moins  en  secret  à 
la  tête  du  ministère  de  la  guerre.  C'est  grâce  à 
ses  mesures  habiles  que  l'armée  prussienne  se 
trouva  en  1813  réorganisée  entièrement  et  prête 
à  venger  les  échecs  qu'elle  avait  éprouvés  depuis 
vingt  ans.  Il  fut  aussi  le  premier  qui  mit  en 
pratique  l'idée  de  Knesebeck  de  l'établissement 
de  la  landivehr.  Nommé  alors  chef  d'état-ma- 
jor du  corps  de  Blucher,  il  fut  atteint  d'un  coup 
de  feu  à  la  bataille  de  Grossgœrschen  :  trans- 


491 


SCHARKHORST 


porté  à  Prague,  i!  succomba  bientôt  aux  suites 
de  sa  blessure.  On  a  de  lui  :  Handbuch  fur 
Offiziere  (Manuel  des  officiers,  contenant  les 
applications  de  la  stratégie);  Hanovre,  1787-90, 
1804-14,  3  vol.  in-8°  ;  Hue  édition  augmentée 
par  Hoyer  a  paru  à  Hanovre,  1815-29,  4  vol. 
in-s°;  —  Taschenbuch  fur  Offiziere  (Vade-me- 
-cum  de  l'officier);  ibid.,  1793,  1794,  1810, 
in-8°;  —  Mititseriscke  Denkwùrdigkeilen 
(Faits  militaires  mémorables)  ;  ibid.,  1797-1805, 
5  vol.  Scbarahorst  a  aussi  publié  en  1788  le 
Nettes  miittxrisches  Journal. 

Boycn,  Beitrsege  zur  Kerintriiss  bon  Schamkorst;  Ber- 
lin, 1 833.  —  Cla usewitz,  Ueber dus  Leben von Scharnhorst  ; 
Hambourg,  1332.  —  Ranke,  Hist.  politische  Zeitschrift,  t. 

SCSÏACt'LEIMOUSCHAUFELEïIS  (HanS-Lêo- 

na>rd),  peintreet  graveur  allemand,  né  avant  1490, 
à  Nuremberg,  où  son  père  était  négociant,  mort 
en  1539,  à  Nordlingen;  cette  dernière  date  est 
la  plus  exacte ,  puisque  sa  femme  s'est  remariée 
en  1540  avec  Hans  Schwarz.  Il  habitait  la 
propre  maison  d'Albert  Durer,  dont  il  devint 
l'élève  favori.  En  1515  il  quitta  Nuremberg 
pour  s'établira  Nordlingen,  et  y  présida  pendant 
plusieurs  années  la  corporation  des  peintres. 
Comme  son  maître,  il  s'adonna  à  la  peinture, et 
on  lui  attribue  certaines  estampes  qui  sans  doute 
ont  été  gravées  sur  bois  d'après  les  dessins  qu'il 
fit  pour  des  libraires  de  1510  à  1535;  ces  es- 
tampes sont  marquées  de  ses  initiales,  en  forme 
de  monogramme,  et  accompagnées  de  deux  pelles 
(scJiau/fel,  pelle.)  On  lui  attribue  générale- 
ment le  dessin  des  planches  des  Aventures  de 
Tkeverdanck  (1517),  poème  composé  par  l'em- 
pereur Maximilien  et  son  secrétaire  Melchior 
Pfintzing  ;  sa  marque  ne  figure  cependant  que  sur 
un  petit  nombre  des  planches  de  ce  livre.  Elle 
se  voit  aussi  sur  queiques-uns  des  bois  des 
Triomphes  de  Maximilien.  Schaullein  est  au- 
teur de  la  suite  de  la  Passion  qui  se  trouve 
dans  le  Spéculum  de  passione  Domina  (Nu- 
remberg, 1507,  in-fol.  ) .  Nagler  a  donné  la  liste 
d'une  vingtaine  de  tableaux,  où  l'on  remarque 
des  détails  bizarres,  et  qui  se  trouvent  dans  les 
églises  de  Nordlingen  et  à  la  Pinacothèque  de 
Munich.  Plusieurs  des  gravures  attribuées  à 
Hans  Schauflein  et  portant  un  millésime  pos- 
térieur à  1539,  sont  l'œuvre  d'un  fils  de  cet  ar- 
tiste, peintre  aussi  et  qui  fournissait  également 
aux  libraires  d'Augsbourg  et  de  Nuremberg  des 
dessins,  inférieurs  à  ceux  de  son  père. 

H.  H— n. 

J.  Renouvier,  Des  types  et  des  manières  des  maîtres 
graveurs  —  Brulliot,  Dict.  des  monogrammes.  —  Ma- 
riette, Abcdar io.  —  Heinecke,  Idée  générale  d'une  collec- 
tion d'estampes.  —  Sandrart,  Academia  artis  pictoriœ. 
—  A  -F.  Didoi.  Essai  sur  la  gravure  en  bois.  —  Nagler. 

SCHATJM BOURG.  Voy.  LlPPE. 

scheele  (Charles- Guillaume),  célèbre 
chimiste  suédois,  né  le  29  décembre  1742,  à 
Stralsund,  mort  le  24  mai  1786,  à  Kœping.  Son 
père,  chargé  d'une  nombreuse  famille,  ne  pouvant 
subvenir  aux  frais  d'une  longue  éducation,  le 


—  SCHEELE  49:: 

plaça  chez  l'apothicaire  Bauch,  à  Gothembourg 

Dès  les   premières  années  sa  vocation  se  des 

sina.  «  Il  était  silencieux  et  sérieux,  dit  de  lu  | 

Griinberg,  son  compatriote  ;  il  aimait  passionné 

ment  l'étude;  souvent  il  réfléchissait  pendant  I  I 

nuit  à  ce  qu'il  avait  vu  et  observé   pendant  1 

jour,  et  lisait  les  ouvrages  de  Neumann,  Lérnery  I 

Kunkel  et  Stahl.   »  En   1765  il  fut  employé   I 

Malmoë,  en  Scanie,  dans  la  pharmacie  de  Ka  I 

strœm.  En  1767,  il  alla  diriger  celle  de  Scharec 

berg,   à    Stockholm,  où  il  entra,  et  en  1770  il 

occupa  la  même  place  chez  l'apothicaire  Look  1 

Upsal,  où  Bergmann  professait  la  chimie  avej 

beaucoup  d'éclat.  Les  premiers  rapports  qu'eu  : 

rent  ensemble  ces  deux  hommes,  qu'une  étroit 

amitié  devait  bientôt  réunir,  faillirent  les  sépare 

pour  toujours.  Scheele  avait  adressé  à  Bergman 

un  mémoire  sur  l'acide  tartrique;  Bergmann  l'a 

vait   renvoyé  sans  le  lire.  Un  ami   commun 

Gahn,  depuis  célèbre,  s'interposa  et  parvint  à  ra^ 

proeher  les  deux  savants.  Si  Bergmann  put  faii 

obtenir  à  Scheele  des  secours  pour  subvenir  au 

frais  de  ses  expériences,  s'il  le  fil  nommer  ass<J 

cié  de  l'Académie  de  Stockholm,  Scheele,  psJ 

les  progrès  qu'il  imprima  "à  la  science,  fourn 

souvent  à  Bergmann  les  matériaux  de  ses  bri 

lanies  leçons.  La  réputation  de  Scheele  grand 

rapidement  :   on   lui   offrit  non-seulement  ej 

Suède,  mais  en  Angleterre,  plusieurs  positior 

élevées;  Scheele  refusa.  Mais  lorsqu'il  apprit  i 

mort  d'un  pharmacien  à  Kœping  sur  le  lac  M; 

larela,  il  partit,  s'établit  chez  la  veuve,  et  partagt 

ses  soins  entre  les  travaux  de  son  officine  et  1< 

recherches  scientifiques.  Une  fièvre  aiguë  l'a 

teignit  et  l'emporta  à  quarante-trois  ans,  lui  laii 

sant  à  peine  le  temps  d'assurer  à  la  veuve  chfJ 

laquelle  il  vivait  son  nom  et  sa  modeste  épargni 

S'il  est  difficile  de  rencontrer  une  vie   pli 

pauvre  en  incidents  que  celle  de  Scheele,  l'eiH 

semble  de   ses  travaux  est   tellement  imposai 

qu'ils  doivent  à  cette  courte  existence  si  bid 

remplie  un  plus  grand  intérêt  que  ne  l'auraiei 

pu    faire  les   accidents  les  plus  dramatique 

Scheele  débuta  dans  la  carrière  par  des  rechei 

ches  sur  l'acide  tartrique  et  sur  le  spath  fluor 

son  acide.  Le  mémoire  le  plus  remarquable  < 

Scheele  est  peut-être  celui  qu'il  publia,  en  177d 

sur  le  manganèse.  ïl  est  très-probable  que  di 

cette  époque  il  obtint  l'air  déphlogistiqué.  Toi 

tefois  cette  découverte  ne  fut  publiée  qu'en  177  I 

de  telle  sorte  que  la  priorité  appartient  sans  u 

doute  à  Priestley.  En  traitant  le  manganèse  p; 

l'acide  muriatique  il  en  dégage  le  chlore,  qu 

désigne  avec  tant  de  rais  on  sous  le  nom  d  'aci( 

muriatique  déphlogistiqué.  Dans  ce  premier  ex 

men  il  observe  presque  toutes  les  propriétés  « 

chlore;  il  le  reconnaît  comme  décolorant  ;  il  r< 

marque  qu'il  amène  au  maximum  plusieurs  con 

binaisons,  notamment  celle  de  fer  (1).  Maist| 

(1)  Quand  un  métal  présente  deux  degrés  d'oxvdatii 
ou  de  chloruralion,  on  dit  souvent  que  la  moins  oxyd 
est  au  minimum,  ta  plus  oxydée  au  maximum. 


93 

>int  important  lui  échappe;  il  écrit  :  «  Dans  cet 
r,  le  l'eu  s'éteint  sur-le-champ  »  ;  ce  qui  n'a  lieu 
ne  dans  un  petit  nomhre  de  cas  :  on  est  d'au- 
mt  plus  étonné  de  voir  Scheelene  pas  examiner 
lus  profondément  les  propriétés  comburantes 
,1  chlore  qu'il  lui  a  donné  un  nom  qui  devait 
>.n  ainsi  dire  le  lui  faire  considérer  forcément 
mune  comburant.  Si  Scheele  ne  cherche  pas  si 
•  chlore  est  simple  ou  composé,  il  faut  recon- 
fattre  que  du  premier  coup  il  arrive  très-près 
ê  la  vérité;  il  considère,  en  effet,  le  nouveau 
a   comme  étant   de   l'acide   muriatique    dé- 
, ouille  de  son  phlogistique,  et  si  on  se  rappelle 
n'a  cette  époque  on  discuta  souvent  si    l'air 
feammable,  l'hydrogène,  n'est  pas  le  véritable 
lilogistique,  on  peut  conclure  que  Scheele  a  eu 
îr  la  nature  du  chlore  une  idée  plus  juste  que 
>us  les  chimistes  qui  ont  étudié  cette  question 
«qu'à  Gay-Lussac  et  Thenard.  Le  travail  sur 
manganèse  devait  encore  le  conduire  à  deux 
itfcs  découvertes  remarquables;   il  distingua 
premier  cette  matière  des  combinaisons  fer- 
igineuses  avec  lesquelles  elle,  était  confondue 
«qu'alors  ;  enfin,  la  baryte,  qui  se  trouve  pres- 
ue  toujours  mélangée  au  manganèse,  fut  ca- 
ictérisée  par  Scheele  comme  une  espèce  dis- 
BCte  de  la  chaux.  Ainsi,  et  c'est  là  un  exemple 
nique  dans  ce  seul  travail,  Scheele  découvre 
u  caractérise  trois  corps  simples,   chlore,  Y<fl- 
yum  et  manganèse,  et  on  peut  même  soupçonner 
uc  c'est  dès  cette  époque  qu'il  tira  de  l'oxyde 
c  manganèse  l'oxygène  ;  ce  qui  rendrait  son  fia- 
ail  encore  plus  remarquable,  puisqu'il  y  aurait 
écouvert  les  deux  corps  comburants  les  plus 
ctifs  que  possède  la  chimie. 
^  1775  Scheele  tira  du  benjoin  l'acide  ben- 
ioïque  en  agissant  par  voie  humide;  et  traitant 
acide  arseuieux   par  l'acide  azotique,  le  sur- 
pxyda  et  prépara  ainsi  à  l'état  de  pureté  l'acide 
^rsenique.  Si  nous  passons  sous  silence  les  mé- 
moires importants  sur  l'acide  urique,  qu'il  tira 
lies  calculs  de  la  vessie,  sur  le  quartz,  l'argile, 
!U'H  étudia  avec  soin  en  1776,  rions  arrivons 
l'ouvrage  le  plus   considérable  qu'ait  publié 
jàcheele,  au  Traité  chimique  de  Voir  et  du  feu 
tUpsal,   1777,  in-8°),  trad.   en   français  par  le 
ifûaron  de  Dietrich;  Paris,  1785,  in-8°  (1). 
il   C'est  un  singulier  mélange  d'expériences  ad- 
mirables, de  conclusions  justes,  puis  de  raison- 
faements  compliqués,  insoutenables  quand,  neser- 
jjrant  plus  d'aussi  près  les  faits,  Scheele  invente 
au    lieu    d'observer.   Il   donne   dans   ce  traité 
pne  excellente  définition  d'une  espèce  chimique 
rau'il  caractérise  par  l'ensemble  de  ses  propriétés  ; 
[bien  appuyé  sur  cette  base  solide,  il  soumet  l'air 
atmosphérique  à  l'action  de  divers  agents,  no- 
[tamment  des  sulfures  alcalins  ;  il  enferme  dans 
mile  bouteille  un  volume  déterminé  d'air  et  le 


SCHEELE  494 

laisse  séjourner  pendant  un  certain  temps  avec  du 
foie  de  soufre; quand  la  bouteille  est  débouchée 
sous  l'eau,  il  voitcelle-ci  mouler  dans  l'appareil, 
remplaçant  une  portion  du  fluide  élastique;  l'air 
examiné  n'est  plus  propre  à  entretenir  la  com- 
bustion ni  la  vie,  de  sorte  que,  comme  Priestley, 
il  démontre  dans  l'air  l'existence  de  deux  fluides 
différents.  Malheureusement  Scheele  ne  sait 
comment  expliquer  la  disparition  d'une  portion 
de  l'air  enfermé  ;  il  est  fort  empoché  pour  re- 
trouver Vair  perdu,  et  à  bout  d'explications  il 
ajoute  :  «  Je  vais  démontrer  que  la  combinai- 
son de  l'air  avec  le  phlogistique  est  un  composé 
si  subtil  qu'il  e4  susceptible  de  pénétrer  les 
pores  imperceptibles  du  verre  et  de  se  disperser 
en  tous  sens  dans  l'air.  »  On  voit  que  la  dis- 
tinction entre  un  fluide  impondérable  comme  la 
chaleur  et  les  gaz  n'est  pas  faite.  Scheele  croit 
que  le  gaz  manquant  a  passé  à  travers  le  verre, 
tandis  qu'il  s'est  combiné  avec  les  matières  qui 
sont  restées  en  contact  avec  lui  (1).  Ce  qui  rend 
l'erreur  de  Scheele  encore  plus  singulière,  c'est 
qu'il  indique  quelques  pages  plus  loin  comment 
on  peut  obtenir  l'air  déphlogistiqué,  et  i'oxygène 
qui  existe,  aussi  dans  l'air,  et  dont  il  n'a  pu  cons- 
tater la  combinaison  avec  le  foie  du  soufre  em- 
ployé pour  faire  l'analyse  de  l'air  atmosphérique. 

Malgré  l'importance  de  quelques-unes  des 
expériences  fcsérées  dans  le  Traité  de  Vair  et  du 
feu,  cet  ouvrage  laisse  beaucoup  à  désirer.  Il  est 
encore  imbu  de  la  théorie  du  phlogistique,  et 
Lavoisier  n'a  point  de  peine  à  montrer  les  nom- 
breuses erreurs  qu'a  commises  le  chimiste  sué- 
dois dans  l'article  inséré  aux  Mémoires  de  VA  - 
cadèmie  en  1781,  p.  396,  sous  le  titre  :  Ré- 
flexions  sur  la  calcination  et  la  combustion 
à  Voccasion  d'un  ouvrage  intitulé  :  Traité 
chimique  de  l'air  et  du  feu. 

Dans  ses  mémoires  sur  l'examen  du  lait  et  de 
son  acide  (1780),  Scheele  caractérise  l'acide  lac- 
tique, qu'il  reconnaît  incapable  de  cristalliser,  et 
obtient  le  sucre  de  lait. 

En  1781  il  examine  l'acide  tungstique.  En 
1782  il  publie  Y  Essai  sur  la  matière  colo- 
rante du  bleu  de  Prusse,  sujet  éminemment 
délicat,  dans  lequel  il  arrive  à  obtenir  l'acide 
prussique;  il  établit  que  ce  corps  est  formé  d'al- 
cali volatil,  d'air  inflammable  et  d'une  matière 
charbonneuse.  En  1784  il  découvre  le  principe 
doux  des  huiles,  la  glycérine.  Un  mémoire  sur 
l'acide  citronien  cristallisé,  sur  l'éther  acétique, 
sur  la  couleur  noire  de  Ja  pierre  infernale  sont 
les  derniers  tributs  qu'il  paye  à  la  science. 

Si  l'on  réfléchit  au  nombre  considérable  de 
travaux  publiés  par  le  chimiste  Suédois,  à  la 
faiblesse  des  moyens  dont  il  disposait,  quand 
on  se  rappelle  que  ses  nombreuses  observations 


(1)  Les  travaux  isoles  de  Scheele,  reunis  sous  le  titre 
i'Opnscula,  ont  été  trad.  en  français  par  la  femme  de 
Goytoii-Morvcau,  alors  Mllc  Picardet  (  Mémoires  de  chi- 
mie; Paris,  1185,  2  vol.  in-12  ). 


(1)  Nous  ne  connaissons  pas  de  gaz  qui  passent  au 
travers  du  verre,  mais  à  une  température  élevée  les  vases 
de  terre  et  les  tubes  métalliques  se  laissent  très-bien 
traverser  par  l'hydrogène  et  les  gaz  combustibles,  et 
SI.  H.  Sainle-Claire-Deville  a  publié  en  1S63  sur  ce  sujet 
plusieurs  expériences  dignes  d'intérêt. 


495  SCHEELE  — 

ont  été  faites  dans  une  modeste  officine,  avec 
dss  pots  à  bière  et  des  vessies  ;  quand  on  sait  que, 
sans  nulle  ambition ,  Scheele  n'a  jamais  songé 
à  tiier  parti  de  ses  travaux  autrement  que 
pour  contribuer,  dans  la  mesure  de  ses  forces, 
à  la  connaissance  plus  complète  de  la  nature,  il 
faut  reconnaître  en  lui  un  des  types  les  plus 
parfaits  de  l'homme  de  science.  Il  avait  à  coup 
sûr  au  plus  haut  degré  le  génie  de  l'observation, 
c'était  un  expérimentateur  des  plus  habiles; 
mais  il  était  moins  heureux  quand  il  fallait  passer 
de  l'expérience  à  l'interprétation  et  déduire  des 
faits  leurs  conséquences.  Ce  qui  lui  manque, 
c'est  un  esprit  moins  soumis  aux  idées  reçues, 
plus  confiant  en  lui-même  ;  peut-être  sa  pauvreté 
influa-t-elle  beaucoup  sur  sa  disposition  aune  ti-  ! 
midité  exagérée,  qu'on  remarque  dans  ses  tra- 
vaux comme  dans  sa  vie. 

Si  Scheele  ne  peut  être  comparé  à  Lavoisier 
pour  la  rigueur  de  la  méthode  employée ,  si  son 
éducation  incomplète ,  son  génie  moins  large , 
moins  ouvert  ne  le  place  pas  au  premier  rang , 
il  restera  cependant  comme  une  des  étoiles  les 
plus  brillantes  du  ciel  Scandinave  à  côté  de  Linné 
et  de  Berzelius.  P. -P.  Deherain. 

Gezelius,  BiograftsU  Lexieon.  —  Vicq  d'Azyr,  Éloge  de 
Scheele,  dans  les  Mém.  de  la  Soc.  roy.  de  méd.,  1785.  — 
F.  Hœrer,  Hist.  de  la  chimie,  II. 

scheels  (Eabode-  Hermann),  en  latin 
Schelhis,  érudit  hollandais ,  né  en  162-2,  mort 
en  1662.  Il  était  d'une  famille  noble  de  l'Over- 
Yssel.  Après  avoir  fait  ses  études  à  Leyde  et 
voyagé  en  France  et  en  Italie,  il  entra  au  service 
de  la  Toscane  ;  mais  il  quitta  bientôt  l'épée  pour 
se  livrer  entièrement  à  l'étude.  Deux  mois  avant 
de  mourir,  il  fut  nommé  gouverneur  d'Yssel- 
monde.  On  a  de  lui  :  De  liber  tate  publica; 
Amst.,  1666,  in-12  ;— •  Depace  et  causis  belli 
anglici  primi;  Deventer,  1668,  in-12;—  De 
jure  Imper ii;  Amst.,  1671,  in-16;  — une  bonne 
édit.  des  opuscules  d'Hygin  et  de  Polybe  D- 
castrametatione  (Amst.,  1660,  in-4°),  et  dans 
le  t.  IX  des  Antiq.  rom.  de  Grœvius. 

Grœvius,  Orationes.  —  Notice  de  Hogers,  à  la  fin  du 
traité  De  jure  Imperii.  —  Paquot,  Mémoires,  III. 

SCE8EÉLSTRATE  (Emmanuel  de),  anti- 
quaire et  théologien  belge,  né  en  1649,  à  Anvers, 
mort  le  6  avril  1692,  à  Rome.  Dès  sa  jeunesse  il 
s'appliqua  à  l'histoire  ecclésiastique,  et  visita  la 
France  et  l'Italie  dans  le  but  de  s'instruire  et 
de  conférer  avec  les  savants.  Son  premier  ou- 
vrage, où  il  se  déclarait  le  champion  de  la  pré- 
rogative pontificale,  lui  valut,  avec  un  canonicat, 
la  dignité  de  chantre  de  la  cathédrale  d'Anvers. 
Appelé  à  Rome  par  Innocent  XI,  il  fut  nommé 
garde  de  la  bibliothèque  du  Vatican  et  chanoine 
de  Saint-Jean  de  Latran.  C'était  un  érudit  véri- 
table, et  qui  a  éclairci  plusieurs  points  des  an- 
tiquités ecclésiastiques.  Il  est  un  de  ceux  qui 
ont  le  plus  écrit  pour  relever  la  dignité  du  pape 
et  pour  étendre  sa  juridiction.  Nous  citerons  de 
lui  :  Antiquitas  illuslrala  circa  concilia  gc- 
neralia  et  provincialia,  décréta  etgestapon- 


SCHEÏTER  496  j 

tificum,  et  preecipua  totius  hislorix  eccle- 
siaslicse  capita;  Anvers,   1678,   in-4°;    plus  I 
tard  il  donna  une  nouvelle  forme  à  cet  ouvrage, 
sous  le  titre  A' Antiquitas  ecclesix  disserta- 
tionibus,   monumentis    ac  notis   illustrata 
(Rome,  1692-1697,  2  vol.  in-fol.);  mais  il  ne 
put  en  composer  que  les  t.  I  et  JI,  traitant  les 
questions  relatives  à  la  chronologie  et  à  la  géo- 
graphie, au  lieu  des  six  qu'il  avait  eu  dessein 
de  publier  ;  —  Ecclesia  Africana  sub  primate 
carthaglniensi ;  Paris  (Anvers),  1679,  in-4°  : 
son  but  est  de  prouver  que  cette  Église  recon- 
naissait le  pape  en  qualité  de  patriarche;  — 
Sacrum  antiochenum  concilium  pro    aria- 
norum  conciliabule- ;  Anvers,  1681,  in-4°,  avec 
cinq   dissertations;    —   Acta   Constantiensii\ 
concilii;  ibid.,  1683,  in-4°  ;  —  De  disciplina 
arcani;    Rome,     1685,  in-4°  :    en   réponse  J 
Tentzel,  qui  avait  combattu  l'opinion  déjà  expri- 
mée par  l'auteur  touchant  le  secret  que  l'Égliss 
gardait  dans  les  premiers  siècles  à  l'égard  des 
mystères  ;  —  De  s-ensu  et  auetoritate  decre- 
lorum    conoïliï  constantiensis   circa  poies-\ 
tatem  ecclesiasticam ;  ibid.,  1686,  in-4°  :  traits 
destiné  à  réfuter  celui  De  l'Église  de  Borne  di 
P.  JVlaimbourg  ;  —  De  auetoritate patriar chah 
et  metropol'itica  ;  ibid.,  1687,  in-4°  :  écrit  contn 
Ed.  Stillingfleet ;  —  De   lugendis  actis   cler 
gallicani  congregati  anno  1682;  2e  éd.,  1740 
in-4°,  et  à  la  suite  du  livre  de  Veith  De  pri 
matu  rom.  pontif.;  Malines,  1824,  in-12. 
Du  fin,  Auteurs  eeelêsiast.  —  Niceron, Mémoires,  XXI 
SCHEFFER(4n/),  peintre  français,  né  à  Dor 
drecht,  le  10  février  1795,mortà  Argenteuil,  prè: 
Paris,  le  15  juin  1858.  Son  père,  peintre  assez  ha 
bile,  assure-t-on,  mourut  très-jeune,  laissante» 
veuve  et  trois  enfants  en  bas  âge  ;  Ary  était  l'aîné 
Dès  sa  plus  tendre  enfance  il  avait  montré  ut 
goût  véritable  pour  l'art,  et  il  aurait,  rapporten 
les  biographes,  exposé  à  Amsterdam,  à  l'âge  d< 
douze  ans,  une  toile  qui  obtint  un  certain  succès 
Devenue  veuve  (1811  ),  sa  mère  (1)  le  conduisi 
à  Paris,  et  le  plaça  sou-s  la  tutelle  de  Guérin,  L 
jeune  Ary  se  distinguaient  d'abord  par  une  grand 
application.  Il  débuta  au  salon  de  1812  avec  ni 
sujet  religieux,  puis  il  exposa  la  Mort  de  Saint 
Loîiis  (1817),  le  Dévouement  des  bourgeois  d 
Calais  (1819),  et  plusieurs  sujets  de  genre  quel 
gravure  a  popularisés  ;  tels  sont  la  Veuve  du  soi 
dat,  le  Retour  du  conscrit,  la  Sœur  de  charit 
et  la  .Scène  d'invasion.  Ces  petites  toiles  d'u: 
genre  anecdotique  tirent  leur  véritable  mérit 
de  la  facilité  avec  laquelle  elles  sont  composées 
A  l'époque  où  Scheffer  quittait  la  discipline,  d'un 
école,  un  mouvement  romantique  s'opérait  ;  il  n 

(1]  C'était  une  femme  d'un  haut  mérite  et  du  pli 
noble  caractère.  Artiste  elle-même  et  capable,  si  ell 
l'eût  voulu,  d'atteindre  à  la  célébrité,  elle  devint  pou 
l'aîné  de  ses  fils  et  pour  Henri,  le  plus  jeune,  un  con 
seillcr  de  toutes  les  heures;  on  peut  rapporter  à  se 
premiers  enseignements,  a  ses  avis  ce  que  tous  les  deu 
ont  d'élevé  et  de  recueilli  dans  leur  talent.  MmC  Sche 
fer,  Hollandaise  de  naissance,  est  morte  en  juillet  1839, 
Paris. 


97  SCHEFFER 

ut  y  rester  indifférent,  mais  son  début  ne  fut  pas 
eureux.  Gaston  de  Foix  trouvé  mort  après  la 
a/aille  de  Ravenne  (1824)  fut  mal  accueilli  par 
public  et  par  la  critique  ;  il  voulut  cependant 
>nter  une  nouvelle  épreuve,  et  les  Femmes  sou- 
oies  (1827)  semblèrent  un  instant  donner  tort 
l'opinion  précédemment  émise.  Ary  Scbeffér 
;ntit  lui-môme  qu'il  ferait  mieux  de  tourner 
es  vues  d'un  autre  côté,  et  c'est  alors  qu'il  de- 
ianda  à  Gcethe  et  à  Byron  ses  inspirations. 
ihacun  s'empressa  de  louer  le  sentiment,  tou- 
!  urs  poétique,  exprimé  dans  les  nombreux  ta- 
eaux  empruntés  à  ces  poètes,  et  Ary  Scbeffér, 
ai  n'avait  trouvé  jusque-là  des  admirateurs  que 
arnii  quelques  hommes  initiés  aux  secrets  de 
irt,  acquit  tout  à  coup  une  réputation  qui  lui 
irvivra.  Dire  le  succès  qu'obtinrent  la  Mar- 
mite au  rouet,  Faust  tourmenté  par  le 
mte ,  la  Marguerite  à  l'église,  la  Margue- 
te  au  Sabbat,   la   Sortie  de  l'église,    la 
romenade  au  jardin  et  la  Marguerite  à  la 
ntaine,  c'est  répéter  ce  que  tout  le  monde 
it  ;  le  public  ne  ménageait  pas  ses  éloges,  et 
':passa  quelquefois  même  les  limites  du  vrai. 
C'est  encore  à  cette  période  du  talent  de  Schef- 
•  qu'il  faut  rattacher  les  Mignons  (1836),  le 
irmoyeur,  et  le  tableau  le  plus  complet  peut- 
re  qu'il  ait  peint,  la  Francesca  de  Rimini 
835)  (1).  «  N'eût-il  jamais  fait  autre  chose,  dit 
.  Vitet,  l'auteur  d'un  tel  tableau  échapperait  à 
mbli.  Scbeffér  a  pu  trouver  quelquefois  des 
;autés  d'un  ordre  supérieur;  il  n'a  rien  produit 
aussi  harmonieux,  d'aussi  complet.  Sans  perdre 
s  qualités  propres,  il  semble  en  emprunter  ici 
n  lui  sont  étrangères.  C'est  une  ampleur  de 
yle,  une  souplesse,  une  pureté  de  lignes ,  une 
ndeur  de  modelé  que  ses  poètes  du  Nord  ne  lui 
spiraient  pas.  »  Ce  fut  la  dernière  manifestation 
s  tendances  purement  poétiques  du  talent  d'Ary 
îbeffer.  Il  ne  traita  plus,  à  peu  d'exceptions  près, 
îe  des  tableaux  religieux,  et  ici  encore  ce  ne 
nt  pas  les  premiers  qui  sont  les  plus  habile- 
ent  réussis.  Le  Christ  consolateur  (1836),  et 
m  pendant  le  Christ  rémunérateur  se  ressen- 
tit encore  de  l'influence  poétique  que  Scbeffér 
''ait  subie.  Il  y  a  au  contraire  un  véritable  sen- 
pont  religieux  dans  les  Bergers  conduits  par 
linge  (  1 837),  les  Rois  Mages  déposant  leurs  tré- 
ns,  le  Christ  au  Jardin  des  Oliviers,  le  Christ 
hrtant  sa  croix,  le  Christ  enseveli  (1845),  et 
kint  Augustin  et  sa  mère  sainte  Monique 
[846)  :  ce  tableau  résumait  à  lui  seul  les  qualités 
fevées  quiavaient  assuré  aux  récentes  œuvres  de 
pheffer  la  renommée  qui  les  entourait  ;  et  comme 
fil  eut  craint  d'affronter  de  nouveau  la  critique 
lires  cette  épreuve  favorable,  il  n'envoya  plus 
|?n  au  Salon.  Depuis  cette  époque  il  ne  cessa 
h  travailler,  mais  peu  de  personnes  furent  ad- 
mises à  voir  ce  qu'il  faisait  jusqu'au  jour  où 
fis  amis  dévoués  organisèrent  une  exposition 

l;i)  I,e  sujet  en  avait  été  donné  par  M.  Hyacinthe  Didot, 
n  en  possède  une  répétition  de  la  main  môme  de  l'artiste. 


—  SCI1EIDT  493 

de  toutes  les  oeuvres  de  cet  artiste  qu'ils  purent 
réunir.  On  y  vit  pour  la  première  fois  les  Dou- 
leurs de  la  terre  et  l'Ange  annonçant  la 
Résurrection,  tableaux  que  la  mort  empocha 
Ary  Scbeffor  de  terminer.  Il  a  fait  aussi  des 
portraits  remarquables,  entre  autres  ceux  de  La 
Fayette,  de  Béranger,  de;  Lamartine,  et  en  der- 
nier lieu  de  la  reine  Marie- Amélie.  En  1821  il 
avatt  été  choisi  pour  donner  des  leçons  de  pein- 
ture aux  enfantsdela  famillcd'Orléans,àlaquelie 
il  resta  fort  attacbé,  et  la  princesse  Marie  lui  légua 
par  testament  tous  ses  dessins.  Il  était  marié 
avec  la  veuve  du  général  Baudrand,  qu'il  avait 
connue  en  1832,  au  siège  d'Anvers,  où  il  était 
allé  prendre  quelques  esquisses.  Ary  Scbeffér 
avait  été,  le  23  août  1848,  nommé  commandant 
de  la  Légion  d'honneur.  Il  ne  s'est  jamais  porté 
candidat  à  l'Académie  des  beaux-arts. 

Jamais  existence  n'avait  été  mieux  et  plus  uti- 
lement remplie;  Ary  Scheffer  accueillait  avec  bien- 
veillance tous  les  artistes  qui  avaientrecours  à  lui, 
et  il  n'est  pas  d'exemple  qu'il  ait  refusé  des  con- 
seils aux  jeunes  peintres  qui  allaient  le  consulter; 
il  sut  souvent  mieux  qu'avec  un  avis  soulagerl'in- 
fortune,  et  s'il  était  permis  de  dévoiler  les  secrets 
de  la  vie  privée,  on  pourrait  montrer  à  côlé  du 
peintre  célèbre  un  parfait  honnête  bomme.  G.  D. 

Vitet,  Notice,  à  la  télé  de  l'OEuvre  d'Ary  Scheffer, 
reproduit  en  photographie  par  Bingham;  Paris,  «86o' 
in-fol.  —  Étex,  Ary  Scheffer;  1859.  —  Magasin  pitto- 
resque, marsl8G3.  —  Mrae  Grote,  Life  of  Ary  Scheffer; 
Londres,  1860,  in-S". 

*  scheifee  (  Henri),  peintre,  frère  du  pré- 
cédent, né  le  27  septembre  1798,  à  La  Haye. 
En  1811  il  suivit  sa  mère  à  Paris,  et  entra, 
comme  son  frère  aîné,  dans  l'atelier  de  Pierre 
Guérin.  Son  début  au  salon  date  de  1824;  après 
avoir  cultivé  l'histoire,  il  s'attacha  au  genre 
anecdotique,  mis  à  la  mode  par  le  mouvement 
romantique,  et  excella  surtout  dans  le  portrait. 
C'est  un  artiste  fécond ,  et  dont  les  nombreux 
envois  aux  expositions  de  peinture  ont  été  ho- 
norés des  plus  hautes  distinctions;  il  a  eu  la 
croix  d'Honneur  en  1837.  Parmi  ses  tableaux  nous 
citerons  :  Don  Juan  endormi  sur  les  genoux 
d'Haydée  (1825),  Charlotte  Corday  protégée 
par  les  membres  de  la  section  contre  la 
fureur  du  peuple  (  1830),  qui  passe  pour  un 
des  chefs-d'œuvre  de  l'école  moderne  ;un  Prêche 
protestant  (1838),  Mme  scheffer  et  ses  en- 
fants (1847),  la  Vision  de  Charles  IX  (  1855), 
la  Bataille  de  Cassel  et  Jeanne  Darc  en- 
trant à  Orléans,  au  musée  de  Versailles.  Une 
fille  de  ce  peintre  a  épousé  M.  Emest  Renan. 

Scheffer  (Arnold),  frère  des  deux  précé- 
dents, né  en  1796,  a  collaboré  au  Globe  et  au 
National,  et  il  a  publié  des  traductions  de  l'anglais 
et  quelques  ouvrages  historiques  sous  la  Res- 
tauration. Il  a  reçu  en  1847  la  croix  d'Honneur. 
Livrets  des  Salons.  —  Quérard,  France  littér. 

sgheidt  (  Chrétien- Louis),  historien  alle- 
mand, né  le  26  septembre  1709,  à  Waldenbourg 
(pays  de  Hohenlohe  \  mort  le  25  octobre  1761, 


439  SCHEIDT  —  SCHEINER 

à  Hanovre.  Sa  famille  était  noble  et  son  père 
exerçait  la  charge  de  bailli.  Après  avoir  étudié 
la  jurisprudence  à  \ltdorf  et  à  Strasbourg,  il 
préféra  à  une  place  d'archiviste,  que  lui  offrait 
le  comte  palatin  Chrétien  III,  celle,  plus  modeste, 
de  précepteur  de  trois  jeunes  gentilshommes,  et 
ies  conduisit  en  Suisse,  en  France  et  en  Hollande. 
En  1734  il  accompagna  à  l'université  de  Halle 
le  comte  héréditaire  d'Œftingen,  dont  il  sur- 
veilla l'éducation.  En  1730  il  conduisit  à  Gcet- 
tingue  le  comte  de  Donnersmark,  et  après  la  mort 
de  ce  jeune  homme,  qui  se  tua  d'un  coup  de 
pistolet,  il  se  fit  recevoir  docteur  et  accepta  en 
1738  une  chaire  de  droit.  Appelé  en  1739  à  Co- 
penhague, il  y  professa  le  droit  public,  et  fut 
traité  avec  beaucoup  de  faveur  par  Christian  VI, 
qui  le  nomma  instituteur  du  prince  héréditaire. 
En  1748,  il  s'établit  à  Hanovre  comme  historio- 
graphe et  bibliothécaire  roya1,  emplois  qu'il  rem- 
plit jusqu'à  sa  mort  avec  un  zèle  apprécié  par 
l'Allemagne  savante  autant  que  l'était  sa  connais- 
sance approfondie  des  antiquités  germaniques.  Il 
se  consolait  par  un  travail  assidu  des  chagrins  que 
lui  causa  sa  première  femme,  une  fille  de  J.-J. 
Schmauss,  personne  impérieuse  et  libertine, 
d'avec  laquelle  il  obtint  d'être  séparé  en  1758. 
On  a  de  lui  :  In  argumenta  nonnulla  novel- 
larum  imper.  Leonis  Philosophi ;  Gœtlingue, 
1737,  in-4°;  —  De  cauponarum  origine  et 
jure;  ibid.,  1738,  1739,  2  part.,  in-40;—  De 
buccellariis  et  isauris;  Copenhague,  1745, 
ia-4°;  —  Historische  Nachrichten  von  dem 
hohen  uncl  niederen  Adel  in  Teatschland 
(  Notices  historiques  sur  la  noblesse  haute  et 
basse  de  l'Allemagne);  Hanovre,  1754,  iu-4", 
suivi  d'une  iïlantissa  documenlorum ;  ibid., 
1755,  in-4°  :  savant  ouvrage,  écrit  contre  Pauli , 
qui  avait  rabaissé  l'origine  de  la  noblesse  infé- 
rieure  de  l'Allemagne  ;  —  Anmerkungen  und 
Zusœlzezu  Mosers  Einleitung,  etc.  (Notes et 
supplément  à  l'Introduction  de  Moser  au  droit 
public  du  Brunswick-Lunebourg)  ;  Goettingue, 
17  57,  in-8°;  suivi  d'un  Codex  diplomatictis , 
ibid.,  1759,  in-8";  —  Bibliotheca  historica 
Gottingensis  ;  ibid.,  1758,  in-4°  :  recueil  de  do- 
cuments inédits  sur  le  moyen  âge.  Scheidt, 
auquel  on  doit  encore  plusieurs  dissertations  et 
beaucoup  d'articles  dans  les  Gœttingische  An- 
zci  yen,  a  aussi  édité  la  Protogeade  Leibniz  (1749, 
in-4°)  ;  enfin  il  a  publié,  en  y  ajoutant  des  notes 
et  de  savantes  préfaces,  les  Origines  guelficœ 
(Hanovre,  1750-53,  4  vol.  in-fol.)  :  ouvrage  im- 
portant, compilé  par  Leibniz,  Eccard  etGruber,  et 
auquel  Jung  ajouta  en  17 80  un  cinquième  volume. 
liuscliing,  BeUrœcje  zur  Lebensgesc/iic'de  dcnkwilr- 
diger  Personen,  t.  III.  —  Hirsching,  tJandbuch. 

scheiner  {Christophe  ),  astronome  alle- 
mand, né  en  1575,  à  Wald,  près  Mundclheim 
(Souabe),  mort  le  18  juillet  1650,  à  Neiss  (Silé- 
slc).  Il  entra  chez  les  jésuites  en  1595,  et  fut 
longtemps  professeur  de  mathématiques  à  Ingol- 
sladt,  à  Graetz  et  à  Rome.  Il  résidait  encore  à 


50( 


I    Ingolstadt lorsqu'il  écrivit, le  12  novembre  1611 
i   à  son  ami  Marc  Velser,  sénateur  d'Augsbourg 
j   que  regardant,  sept  à  huit  mois  auparavant,  1 
j   soleil  au  travers  d'un  télescope ,  il  avait  aperçi 
!   sur  le  disque  quelques   taches  noirâtres;  qu 
j   d'abord    il  y  avait  fait   peu  d'attention,  mai 
qu'au    mois  d'octobre  ces  taches   l'avaient  d 
nouveau  frappe  lui  et  son  compagnon  d'obser 
!  vation,  et  qu'après  bien  des  raisonnements  et  de 
i  examens  ils  avaient  conclu  qu'elles  étaient  su 
le  corps  du  soleil  ou  aux  environs.  Le  P.  Busét 
j  provincial  du  P.  Scheiner,  à  qui  celui-ci  cora 
!  muniqua  sa  découverte,  ne  voulut  pas  lui  per 
mettre  de  la  divulguer  sous  son  nom  (l);il  1( 
laissa  seulement  la  liberté  d'en  informer  Mai 
Velser,  ce  que  Scheiner  fit  par  trois  lettres,  qi 
furent  imprimées  (Augsbourg,  I6l2,in-4°),et 
il  se  cacha  sous  le  pseudonyme  cVApelles  pot 
tabidam  latens.  Velser,  aussitôt  qu'il  eut  réç 
la  communication  de  Scheiner,  en  écrivit  à  Gj 
lilée ,  dans  des  termes  qui  le  montrent  presqi 
convaincu   que  celui-ci  avait  déjà  fait  une  d< 
couverte  semblable.  «  Si,  comme  je  crois,  disait 
ce  n'est  pas  pour  vous  une  chose  entièremei 
nouvelle,  j'espère   du  moins  que  vous   verr 
avec   plaisir  qu'il  y  a  ici  deçà  les  monts  c 
personnes  qui  marchent  sur  vos  traces.  »  Gali 
lui  répondit  qu'en  effet  ce  phénomène  n'éta 
pas  nouveau  pour  lui,  et  qu'il  le  connaissait  d 
puis  environ  dix-huit  mois,  ce  qui,  vu  la  date 
cette  réponse ,  semble  remonter  vers  les  premie 
mois  de  Tannée  1611  (2).  «  Nous  passerons  a 
ce  fait  difficile  à  avérer,  dit  Montucla;  mais 
qu'on  ne  peut  refuser  à  Galilée ,  c'est  de  di?coi 
rir  bien   plus  judicieusement  sur  ce  sujet  qi 
le  P.  Scheiner.  Ce  père  en  effet  prend  les  tadj 
du  soleil  pour  de  petites     planètes  qui  tourne 
autour  de  cet  astre ,  qui  s'accrochent  et  s^ 
massent  ensemble,  et  ensuite  se  séparent.  G, 
lilée  établit  que  les  taches  du  soleil  sont  cent 
gués  à  sa  surface,  ou  fort,  voisines...»  Onj| 
reconnaître  toutefois   que  par  le  grand  nornb 
de  ses  observations  le  P.  Scheiner  a  contrito 
plus  que  personne  à  la  théorie  des  mouvemec 
de  ces  taches.  A  la  fin  de  sa  vie,  il  quitta  l'« 
seignement  public ,  et  se  retira  à  Neiss  en  Silési 
où    il   fut   recteur,    confesseur    de   l'archid 
Charles,  et  professeur  de   mathématiques  ■ 
l'archiduc  Maximilien.   On  a  de  lui   :    De  m 
cutis  solaribus   très  epistolse  ;  de  iisdem 
steltis   circa  Jovem  errantibus   disquisiti 
Rome,   1613,  in  4°  ;  —  De  controversiis  etn 
vitatibus    mathematicis ;    Ingolstadt,     161 

(1  )  On  raconte  que  le  I'.  Busée  lui  dit  :  «  J'ai  1»  plusiei 
fois  mon  Aristote  tout  entier,  et  je  puis  vous  assurer  q 
je  n'y  ai  rien  trouve  de  semblable.  Allez,  mon  (ils,  tri 
quilliscz -vous,  et  soyez  certain  que  ce  sont  des  défauts 
vos  verres  ou  de  vos  yeux  que  vous  prenez  pour  des 
ches  dans  le  soleil.  »  Ces  paroles  n'ont  rien  d'invraise 
blabie,  mais  elles  peuvent  avoir  élé  inventées  à  plaii 
pour  tourner  en  ridicule  les  disciples aveugles   l'Arislr 

(2)  C'est  au  mois  de  juin  1611  que  Jean  Fabricl 
autre  concurrent  à  la  g'oire  de  cette  découverte,  fit  1 
raitre  à  Wittembergson  livre  :  De  Maculis  in  sole  vi. 


1)1  SCHEINER  — 

-4°  •.  défense  de  l'immobilité  de  la  terre  contre 

système  de  Kopernik  et  de  Galilée;  —  Novnm 

liselliplicipfiscnomenum;  Augsbourg,  1615, 

-4°;  ot    Refractiones   cœlesles;   Fngolstadt, 

17,  in-4°  :  ces  deux  écrits  sont  relatifs  à  la 

me  elliptique  que  prend  le  soleil  en  approchant 

i|  l'horizon,  et  que  le  premier  il  remarqua;  — 

vegesis  fundamenlorum  gnomonices ;    In- 

istadt,    1616,   in-4°;   —  Oculus,   sive  fun- 

mentum  opticum;  Deux-Ponts,  1G19,  in-4°; 

[■mires,  1692,  in-4°  :  excellent  traité  d'optique 

[itérielle  ;  —  Rosa  ursina,  sive  sol  ex  aiï- 

ttrando  facularum  et  macularum  suarum 

Yxnomeno  varius  ;  Braceiano ,  1626  ou  1630, 

[■fol.,  fit;.  :  c'est  le  recueil  des  observations  de 

uleur  sur  les  mouvements  des  taches  du  so- 

ll;i.l  est  dédié  au  duc  Orsini,  d'où  lui  vient  ce 

fre  bizarre; —  Pantographice,  seu  ars  deli- 

\andi  ;  Rome,  1631,  in-4°,  fig.  :  «Dans  cet 

rowge,  dit  Montucla,  il  décrit  la  construction 

[montre  les  usages  du  panlographe ,  instru- 

[•nt  des  plus  ingénieux,  et  depuis  fort  connu, 

lut  on  se  sert  pour  copier  de  grand  en  petit, 

■  au  contraire,  un  dessin  quelconque,  sans  sa- 
ir  même  dessiner.  Cet  instrument  seu!  méri- 
rait  l'immortalité  de  son  inventeur»  ;  —  Pro- 
oinus  de  sole  mobiliet  stabili  terra,  contra 
lilcum;  1651,in-fol.  :  ouvrage  posthume. 
Ycidlcr,  liist.  astronomie,  p.  433.  —  Montucla,  Hist. 

■  mathémat.,  t.  II,  p.  312.  —  Lalantie,  Bibliogr.astron. 
schelhammer.  (  Gonthier-Chrislopkc) , 
turaliste  allemand,  né  le  13  mars  1649,  à 
îa,  moitié  11  janvier  1716,  à  Kiel.  A  l'âge  de 
nx  ans  il  perdit  son  père,  qui  professait  la 
idecine  à  léna;  mais  grâce  à  sa  mère  (1),  qui 
Itiva  avec  soin  ses  heureuses  dispositions ,  il 

d'excellentes  études  à  Leipzig,  et  il  acheva 
a  éducation. médicale  à  Leyde,  où  il  séjourna 
ux  années,  puis  en  Angleterre,  en  France  et 
lie.  A  la  fin  de  1677  il  prit  le  grade  de  doc- 
ir,  dans  sa  patrie.  Après  avoir  professé  depuis 
79  ia  botanique  à  He'mstœdt.  il  fut  appelé 

1690  à  léna  pour  y  occuper  la  chaire  d'ana- 
rdie  et  de  chirurgie,  et  en  1695  il  l'échangea 
otre  celle  de  médecine  pratique  à  Kiel.  Il 
lait  épousé  la  fille  d'Hermana  Conring.  La  re- 
lation de  Schelhammer,  qui  s'était  répandue 
ns  les  pays  étrangers,  l'avait  fait  agrégera 
cadémie  des  Ricovrati  de  Padoue  et  à  celle 
s  Curieux  de  la  nature.  Ennemi  déclaré  des 
rtisans  de  van  Helmont,  de  Descartes,  de 
[hius  et  de  Stahl,  il  adopta  le  système  des  pé- 
iatéticiens,  et  s'en  servit  pour  poser  les  fonde- 
pats  de  sa  thérapeutique.  Il  est  auteur  de 
Mjuante-deux  ouvrages  et  de  nombreux  opus- 
les,  parmi  lesquels  nous  citerons  :  De  voce 
usque  effectibus ;  léna,  1677,  in-4°;  —  De 
pitis  dolore;  ibid.,  1678,  in-4°;  — Intro- 
ictio  in  physiologiam;  Helmst^dt,  1681, 
•4°;  —  De  auditu  ;  Leyde,  1684,  m-8°;  —  De 

1)  Elle  se  remaria  au  théologien  Jean- Ernest  Gerhard, 
Iraourut  en  1671. 


SCHKLHOIVN 


5(1-2 


genuina  febris  curandx  methodo;  léna, 
1693,  in-4°;  —  Qncologia  pnrrn,  seu  de  Tu- 
morilnts  humant  corporis;  ibid.,  1695,  in-4°; 
—  Naturel  sibi  et  medicis  vindicata;  Kiel, 
1697,  in-8°  :  le  but  de  l'auteur  est  de  venger  la 
nature  des  outrages  qui  lui  ont  été  faits  par  les 
philosophes,  Boyle  et  J.-C.  Stiirra  en  particu- 
lier ;  —  De  corporum  per  ignem  résolutions 
chemipa;  ibid.,  1701-1703,  3  part  in-4°;  —  De 
morbis  magicis ;  ibid.,  1704,  in-4°;  —  Ana~ 
lecta  anatomico-phijsiologica  ;  ibid.,  1704, 
in-4°  :  recueil  de  treize  opuscules,  qui  avaient 
déjà  paru  isolément;  —  Via  regia  ad  a  item 
medendi  ;  ibid.,  1709,  in-4°  ; —  De  humant 
animi  affectibus  ;  ibid.,  1713,  in-4°  :  cet  ou- 
vrage, ainsi  que  le  précédent,  est  encore  un 
recueil  de  dissertations  médicales,  il  a  édité 
In  univers'am  arteni  medicam  introduclio 
d'Iïerm.  Conring  (Helmstsedt,  1687,  in -4°),  et  il 
a  traduit  de  l'anglais  :  Voyages  d'Henry  Bloiint 
(  1687,  in-4°),  et  du  français  la  tragédie  d'A- 
lexandre de  Racine.  Scheffel  a  donné  un  re- 
cueil des  lettres  choisies  de  Schelhammer  (Wis- 
mar,  1727,  in-8°). 

Scheffel,  Notice  à  la  tôle  des  Epislolœ  selectiores.  — 
Mangct,  Bibl.  medica.  —  Niccron,  Mémoires,  XXXIII.  — 
Biogr.  mèd. 

schelhorn  (Jean-Georges),  bibliographe 
allemand,  né  le  8  décembre  1694,  àMemmingen, 
où  il  est  mort,  le  31  mars  1773.  Fils  d'un  né- 
gociant aisé,  il  étudia  la  philosophie,  les  belles- 
lettres  et  la  théologie  à  léna  et  à  Altdorf,  sous  la 
direction  de  Stolle,  de  Buddeus  et  de  Zeltner. 
De  retour  dans  sa  ville  natale  (1718),  il  y  devint 
bibliothécaire,  puis  co-recteur  de  l'académie, 
pasteur  d'une  des  principales  églises  (1734  ),  et 
surintendant  ecclésiastique  (  1753).  Il  contracta 
de  bonne  heure  le  goût  des  recherches  litté- 
raires, et  fit  dos  voyages  en  Suisse  et  en  Alle- 
magne, tant  pour  augmenter  ses  connaissances 
que  pour  recueillir  des  livres  rares  et  curieuse. 
Ses  ouvrages  sont  une  mine  de  renseignements 
précieux  à  l'usage  des  amateurs  de  la  bibliogra- 
phie, à  laquelle  il  fit  faire  des  progrès.  On  a  de 
lui  :  Amœnitates  litterarise ;  Francfort  et  Leip- 
zig (Ulm),  1725-31,  14tom.  en  7  ou4  vol.  pet. 
in-8°;  une  analyse  des  nombreuses  pièces  qui 
composent  cet  intéressant  recueil  a  été  donnée 
par  Hirsching  ;  —  Reformations  historié  der 
Memmingen  (  Histoire  de  la  réforme  à  Memmin- 
gen)  ;  Memmingen,  1730,  m-S°;  —  Dereligionis 
evangelicas  in  provincia  Satisburgensi  ortu 
et  fatis  ;  Leipzig,  1732,  in-4°;  trad.  en  alle- 
mand; —  Amœnitates  historiée  ecclesias/icse 
et  litterarise;  Francfort  et  Leipzig,  1737-1746, 
4tom.net.  in-8°;  trad.  en  allemand,  Ulm,  1762- 
1764,  4  vol.  in-8°  :  ce  recueil  est  moins  recherché 
que  celui  auquel  il  fait  suite;  —  Acta  histo- 
rico-ecclesiastica  ssecul.  XV  et  XV  l;  Ulm, 
1738,  in-8°;  —  De  vila  Ph.  Camerarii;  Nu- 
remberg, 1740,  in-4°;  —  De  Mino  Crise  In- 
quisitionis  de  hxreticis  coercendis  autore- 


503  SCHELHORN 

Ulm,  1748,  in-4°;  —  De  Consilio  de  emen- 
danda  ecclesia  Paulï  III,  a  quatuor  cardi- 
nalibus  conscripto  ac  a  Paulo  IVdamnato; 
Zurich,  174S,  in-4"  :  opuscule  adressé  sous 
forme  de  deux  lettres  au  cardinal  Quirini  ;  — 
De  antiquissima  latinorum  Bibliorum  edi- 
tione;  Ulm,  1760,  pet.  in-4°  :  dissertation  sur  la 
Bible  imprimée  à  Bamberg  par  Pfister.  Schelhorn 
a  publié  comme  éditeur  :  Commerça  episto- 
laris  Uffenbachiani  selecta,  observationibus 
illustrata  (Ulm,  1753-1756,  5  vol.  in-S°), 
avec  une  Vie  d'Uffenbach,  qui  l'avait  chargé  de 
faire  ce  choix  de  lettres  parmi  sa  correspon- 
dance; et  De  optimorum  scriptorum  editioni- 
bus  qux  Romas  prodierunt,  de  Quirini  (Lindau, 
1761  in-4°),  avec  une  dissertation  étendue  sur 
les  origines  de  l'imprimerie.  Plusieurs  disserta- 
tions et  articles  intéressants  de  Schelhern  se 
trouvent  dans  la  Bibliotheca  bremensis,  t.  V, 
VI  et  VII,  dans  le  t.  XII  des  Miscellanea  lip- 
siensia,  dans  le  t.  IV  des  Miscellanea  lip- 
siensia  nova,  dans  le  t.  IV  des  Scliwœbische 
Beytrœrje,  où  il  a  inséré  un  Mémoire  sur  l'im- 
primeur Marc  Velser. 

Brucker,  Pinacotheea.  —  Hirschlng,  Handbuch.  — 
Beijtrœcje  zur  Historié  der  Gclahrtheit  ;  Hambourg, 
1748,  t.  I,  p.  17S-239. 

SCHEL.1-ÎNG  [Frédéric-Guillaume- Joseph 
de),  philosophe  allemand,  né  le  27  janvier  1775, 
à  Leonberg  (Wurtemberg),  mort  le  20  août 
1854,  aux  bains  de  Ragatz  (Suisse).  Son  père 
était  un  prélat  distingué.  Il  étudia  d'abord  la  phi- 
losophie et  la  théologie  à  Tubingue,  où  il  eut 
Hegel  pour  camarade,  puis  les  sciences  physi- 
ques et  naturelles  et  les  mathématiques  à  Leip- 
zig. Ayant  fixé  de  très-bonne  heure  par  des 
écrits  remarquables  l'attention  du  public  sa- 
vant ,  de  Goethe  et  de  Schiller  en  particulier,  il 
fut  nommé  à-vingt-trois  ans  professeur  extraor- 
dinaire à  Iéna  (1798),  et  son  enseignement  eut  un 
grand  succès.  Il  poursuivait  en  même  temps  ses 
études  scientifiques,  et  prit  le  grade  de  docteur 
en  médecine  à  l'université  de  Landshut.  Ap- 
pelé à  l'université  de  Wurtzbourg ,  il  y  professa 
quatre  ans  les  diverses  branches  de  la  philoso- 
phie, et  en  particulier  l'esthétique.  De  1807  à 
1820,  il  vécut  à  Munich.  Il  entra  à  l'Académie 
des  sciences,  et  fut  élu  secrétaire  général  de  la 
section  des  beaux-arts.  Une  querelle  avec  Ja- 
cobi  l'engagea  à  se  retirer  à  Erlangen,  où  il  re- 
prit ses  leçons  publiques.  De  retour  à  Mu- 
nich eomme  professeur,  quand  l'université  de 
Landshut  futtransférée  dans  cette  ville  (1827),  il 
y  fut  bientôt  comblé  d'honneurs.  Il  fut  succes- 
sivement nommé,  président  de  l'Académie,  con- 
servateur général  des  collections  publiques,  con- 
seiller intime ,  anobli  enfin  par  le  roi  de  Bavière. 
Son  nom  était  célèbre  dans  toute  l'Europe,  et  on 
accourait  de  tous  les  points  de  l'Allemagne  pour 
l'entendre.  L'Académie  des  sciences  morales  et 
politiques  de  France  le  nomma  son  associé.  Schel- 
ling passa  les  dernières  années  de  sa  vie  à  Berlin, 


—  SCHELLING 


50 


où,  sur  l'invitation  du  roi  de  Prusse,  il  éta: 
venu  en  1841  remplir  la  chaire  qu'avaient  occu 
péeFichte  et  Hegel.  11  est  mor  taux  bains  de  Re 
gatz,  dans  le  canton  de  Saint-Gali,   ea  Suisst 

Schelling  est  un  des  quatre  g'rands  penseur 
de  l'Allemagne  au  dix-neuvième  siècle.  Form 
sous  l'influence  de  l'école  de  Kaut,  auditeur  < 
disciple  de  Fichte,  il  s'est  inspiré  des  néoplatc 
niciens,  de  Jordano  Bruno,  de  Spinosa  surtou 
Son  système  est  un   panthéisme  idéaliste  : 
porte  le  nom  de  philosophie  de  Y  absolu  ou  c 
l'identité.  Sa  conception  première  est  une  r 
duction  des  deux  termes   établis  par  Kant 
Fichte,  le  moi  et  le  non- moi,  le  subjectif  et  l'ol 
jectif,  en  un  principe  unique  etsupérieur,  l'absoli 
qui  identifie  les  contraires ,  et  supprime  tou 
contradiction.  Ainsi  ce  principe  se  développe  < 
une  série  d'oppositions  où  les  deux  termes  de 
pensée  et  de  l'être,  le  fini  et  l'infini,  le  réel  etli 
déal,  le  subjectif  et  l'objectif,  en  se  conciliai 
passent  à  une  plus  haute  puissance.  Cette  do 
trine  implique  donc  l'idée  du  progrès.  Un  p 
rallélisme  constant  s'établit   entre    toutes  1 
formes  de  la  pensée  et  de  l'existence,  entre 
monde  moral  et  le  monde  physique,  qui  obéisse 
à  des  lois  identiques,  et  il  se  continue  dans 
science,  la  politique,  la  philosophie,  la  reiigio 
l'art,  c'est-à-diredans  toutes  les  sphères  du  mon 
moral.  Schelling  appliqua  d'abord  ses  princip 
aux  sciences  physiques  :  de  là  le  nom  de  Philos 
phie  de  la  nature,  que  prit  son  système.  Il  f 
saya   de  résoudre  de  même  les   problèmes 
l'ordre  moral  dans  la  Philosophie  de  l'espri 
l'art  est  ce   qu'il  y   a  de  plus  élevé  dans  s 
théories.  A  la  fin  de  sa  vie,  préoccupé  du  côté  i 
ligieux    et   désireux  de   protéger  le  christ* 
nisme  contre  les  hégéliens,  il  a  cherché  à  coi 
cilier   la  philosophie  et  la  religion  :  il  admet  ■; 
révélation,  mais  en  l'universalisant,  et  ilned 
fend  le  christianisme  qu'en  l'interprétant  à 
manière.  Le  système  de  Schelling  offre  un  i\ 
pect  imposant,  mais  il  n'est  au  fond  qu'une  n 
gnifique  illusion.  Forme  particulière   du  ps 
théisme,  il  soulève  toutes  les  objections  que 
rai?on,  le  sentiment  et  le  bon  sens  ont  toujours* 
posées  à  cette  antique  erreur.  Schelling  a  dé' 
loppé  plus  tard  l'idée  d'une  philosophie  ré< 
et  positive  ;  mais  il  ne  fit  guère  que  confirn 
les  doctrines  de  sa  jeunesse  en  les  expliquanl 
en  les  complétant. 

Il  a  été  le  chef  d'une  école  nombreuse.  Oki 
Steffens ,    G.-H.    Schubert  ont    appliqué 
théories  aux  sciences  naturelles  et  à  la  psycl 
logie  ;  elles  ont  été   professées  par  des  espi  I 
religieux  comme  Gœrres,  T.  Baader,  Windisn 
mann  ;   quelques  autres,  comme   Bloschc,  s 
autorisèrent  pour  proclamer  le  panthéisme 
plus  formel  ;  Eschenmayer  et  J.-J.  Wagner 
abandonnèrent,  parce  qu'elles  choquaient  :I<  I 
conscience   religieuse.   Hegel,  quoique  plus  ; 
que  Schelling,  adopta  ses  idées,  et  son  systè  | 
a  de  grandes  analogies  avec  celui  de  l'identité 


! 


05  SCHELLING 

a  guère  fait,  au  début,  que  donneraux  théories 
a  peu  vagues  de  Schelling  une  forme  vraiment 
:ientifique,  en  substituant  aux  formes  poétiques 
'une  brillante  imagination  les  déductions  rigou- 
;uses  que  demande  la  froide  raison.  L'hégélia- 
isme  triompha  du  vivant  môme  de  Schelling,  qui 
rotesta  inutilement  contre  ses  envahissements, 
iais  vécut  assez  pour  assister  à  son  premier  dé- 
liu.  Le  roi  Maximilien  Ier ,  élève  de  Schelling, 
i  a  élevé  un  monument  à  Ragatz,  en  1856. 
i  Les  œuvres  de  Schelling  se  partagent  entre 
ois  époques,  jusqu'en  1800,  de  1800  à  1809,  et 
î  1809  à  1815;  en  voici  les  titres  français  : 
iées  sur  la  philosophie  de  la  nature,  1797  ; 
j-  De  Vàme  du  monde,  1798;  —  Première 
fquisse  d'un  système  de  la  philosophie  de 
nature,  1799;—  Introduction  à  l'esquisse 
i  système  de  la  nature,  1799;  —  Système 
e  l'idéalisme  transcendental,  1800;  —  Ex- 
osé  de  mon  système  de  philosophie,  dans  le 
ournal  de  physique  spéculative,  1800-1803; 
Bruno,  dialogue  sur  le  principe  divin  et 
principe  naturel  des  choses,  1802;  —  Le- 
ns  sur  la  méthode  des  éludes  académi- 
es, 1803;—  Philosophie  et  Religion,  1804; 
-  Aphorismes  pour  servir  d'introduction  à 
philosophie  de  la  nature,  1806  ;  —  Bu  rap- 
ort  de  la  réalité  et  de  l'idéal  dans  la  na- 
ire,  1806;  —  Du  rapport  des  arts  plasli- 
ues  et   de  la  nature,  1807;  —  Recherches 
hilosophiques  sur  l'essence  de  la  liberté  hu- 
aine,  1809;  —  Monument  élevé  aux  choses 
ivines  (réponse  à  Jacobi  sur  le  reproche  d'a- 
olhéisme),  1812;  —  Sur  les  divinités  de  Sa- 
^wthrace,   1815.  Depuis  lors  Schelling  cessa 
:  récrire.  A  l'exception  d'un  petit  écrit  intitulé  : 
'jugement  sur  la  philosophie  de  M.  Cousin 
|1834),  où  il  critique  la  méthode  psychologique, 
ikmdamne  la  philosophie  de  Hegel,  et  annonce 
une  nouvelle  face  de  son  système,  il  n'a  plus 
jrien  publié  de  lui  jusqu'à  sa  mort.  Ses  Œuvres 
complètes  (Stuttgard,  1856-61,  14  vol.  in-8°  ) 
l'enferment  deux  parties  :  1°  les  écrits  ou  pu- 
bliés ouinédits  de  la  jeunesse  de  l'auteur  ;  2°  l'ex- 
position  longtemps  attendue    du  système  re- 
ligieux de  Schelling.  Les  ouvrages  de  Schelling 
traduits  en  français  sont  l'Idéalisme  transcen- 
mntal,  par  M.  Grimblot  (Paris,  1843,  in-S<>), 
\Bruno,  par  M.  Husson  (ibid.,   1845,  in-8<>), 
pt  Écrits  philosophiques,  par  M.  Bénard  (ibid., 
[1847,  in-8°).  On  vient  de  publier  à  Munich  (1863) 
'  .Correspondance  de  Schelling.        G.  R. 

Revue  des  deux  mondes,  15  février  1833  et  juillet  1846. 

■  Wilm,  Hist.  de  la  philosophie  allemande.  —  Mattcr, 
Schelling,  ou  la  philosophie  de  la  nature  et  la  philoso- 
phie de  la  Révélation;  Paris,  1845,  in-8°.  —  De  Rcmusat, 
La  Philosophie  allemande,  dans  les  Mémoires  de 
l'Acad.  des  sciences  morales.  —  Sehelling,  Beitrasg  zur 
Ceschichte  des  Teges;  Leipzig,  1843,  ln-8°.  -  Roseukranz, 
Schelling  Forlesungen,  gehalten  im  Sommer  1842  an 
der  Vniversitât  zu  Konigsberg;  Kœnig.,  1843,  in-8».  — 
C'ber  Schelling  und  Hegel;  Kœnigsb.,  1843,  in-8». 

SCHELSTRATE.For/.  SCEEELSTIUTE. 


-  SCHENKELS  506 

schenkels    (  Lamber -l-Thomas  ) ,  gram  ■ 
mairien  hollandais,  né  le  7  mars  1547,  à  Bois- 
le-Duc,  mort  vers  1030,  en  Allemagne.  Il  était 
fils  d'un  médecin,  Dominique  Schenkels ,  pen- 
sionnaire de  Bois-le-Duc  et  régent  au  collège  de 
cette  ville,  à  qui  l'on  doit  des  poésies  latines  et 
une  version  flamande  des  harangues  de  Cicéron 
(1557,  in-8°).  Après  avoir  achevé  ses  études  à 
Louvain  et  à  Cologne,  il  prit  le  parti  de  l'en- 
seignement, professa  tes  humanités  à  Tirlemont 
et  à  Anvers,  et  devint  en  1576  recteur  de  l'école 
publique  à  Malines.  Dès  ce  temps-là  «  il  se  mit, 
dit  Paquot,  à  enseigner  l'Art  de  la  mémoire, 
ce  qu'il  continua  de  faire  pendant  plus  de  qua- 
rante ans,  d'abord  dans  les  Pays-Bas,  puis  en 
Allemagne,  en  France,  en  Bourgogne,  et  jusqu'en 
Bohême  ».  11  mena  jusque  dans  une  vieillesse 
avancée  cette  vie  errante,  réunissant  partout  au- 
tour de   lui  un  grand  concours  d'auditeurs  , 
ayant  l'art  de  faire  approuver  sa  mnémonique 
par  les  prélats  et  par  les  universités.  En  France, 
où  il  demeura  douze  ans,  il  fut  agrégé  à  la  Sor- 
bonne  et  obtint  un  privilège  exclusif  pour  tout  le 
royaume.  Son  cours,  composé  de  dix  à  douze  le- 
çons,  coûtait  vingt  écus  et  quelquefois  davan- 
tage. Après  avoir  exigé  de  ses  disciples  un  se- 
cret inviolable,  il  leur  dictait  un  cahier  dont 
chacun  d'eux  gardait  copie.  On  ajoute  qu'il  se 
vantait  aussi  de  faire  de  tête  les  calculs  les  plus 
compliqués,  d'enseigner  le  latin  dans  moins  de 
six  mois,  de  mettre  ses  écoliers  en  état  de  dicter 
en  même  temps  à  vingt,  secrétaires  sur  des  ma- 
tières différentes,  etc.  Si  tout  cela  est  vrai,  il 
est  difficile  de  n'y  pas  voir  beaucoup  de  charla- 
tanisme. On  a  de  Schenkels  une  quinzaine  d'é- 
crits en  latin.,  notamment  :  Tabula  publicx 
scholee  Mechliniensis  summam  rei  scholas- 
tiese  complectens ;   Anvers,  1576,  in-12;  — 
Grammaticgs    latinse    prxceptiones  ;    ibid., 
1582,    1592,  in-4o;  —  De  memoria  lib.  II; 
Douai,  1593,  in-8°;  réimprimé  sous  le  titre  de 
Gazophylacium  arlis  mémorise  ;  Strasbourg, 
1610,  in-12;  Rostock,   1619,   in-12;  Francfort, 
1678,  _in-8°,  avec  cinq  petits  traités  de   mné- 
monique; trad.  deux  fois  en  français  (Traité 
de  la  mémoire;  Douai,  1593,  in-12  ;  et  Le  Ma- 
gazin  des  sciences;  Paris,  1623,  in-12),  et  en 
allemand  (Erlangen,  1804  ).  Dans  le  liv.  Ier,  l'au- 
teur traite  des  avantages  de  la  mémoire  et  des 
moyens  de  la  fortifier;  dans  le  liv.  Il,  des  prin- 
cipes de  la  mémoire  artificielle  d'après  Aristote, 
Quintilien,  Cicéron  et  Thomas  d'Aquin.  Un  de 
ses  partisans,  qu'on  croit  se  nommer  Jean  Paëp, 
présenta  de  nouveau  ce  système  au  public  en  le 
dégageant,  dit-il,  de  presque  toutes    ses  obs- 
curités ,    et  l'intitula   Schenckelius    detectus 
(Lyon,    1617,  in-16)  et   Crisis  Jani  Phaos- 
phori  (ibid.,  1629,  in-12).  Ce  système  ne  diffère 
guère  en  somme  de  celui  du  P.  Rosselli  ou  du 
P.   Gesvaldo;  —    Flores  et  sententix  insi- 
gniores  ex  Ph.  Cominœo,  J.  Froissardo,Lip- 
sio  et  Cicérone  selecti;  Paris,  1606,  in-12  ;  — 


507 


SCHliKKELS  —  SCHEEtER 


Elcgianuii  et  epigrammatum  lib.  I ;  Tou- 
louse, 1609,  in- 12  ;  —  Jovimanus  imperator, 
sive  historia  fortunx  adoersse  ;  Prague,  1617  ; 
—  Methodim  quomodo  latina  lingua  sex 
mensium  spatio  doceri  posset;  Strasbourg, 
1619,  in-12.  K. 

Foppens,  Bibl.  belgica.  —  Paquoî,  Mémoires,  XV. 

schereu  (  Barthélemï-  Louis- Joseph),  gé- 
néral français,  né  le  18  décembre  1747,  à  Délie 
(Haut-Rhin),  mort  le  19  août  1804,  à  Chauny 
(Aisne).  Appartenant  à  une  bonne  famille  de  la 
bourgeoisie,  il  fit  ses  études,  et,  attiré  de  bonne 
heure  vers  la  vie  militaire,  il  prit  du  service  dans 
les  armées  de  l'Autriche.  Il  y  devint  aide-major 
au  bout  de  onze  ans,  et  rentra  alors  en  France, 
espérant  un  grade  équivalent,  conformément  à 
la  convention  passée  en  1756  entre  les  cours  de 
Vienne  et  de  Versailles,  d'après  laquelle  les  ser- 
vices rendus  à  l'une  des  deux  puissances  seraient 
regardés  comme  rendus  à  l'autre.  Nommé  en  \  780 
capitaine  au  régiment  d'artillerie  provincial  de 
Strasbourg,  il  passa  en  1785  avec  le  grade  de 
major  dans  la  légion  que  M.  de  Maillebois  levait 
pour  le  service  de  la  Hollande.  11  était  aide  ma- 
réchal des  logis  de  l'armée  lorsqu'on  1791  il 
rentra  en  France  ;  il  fut  placé  comme  capitaine 
au  82e  de  ligne,  le  12  janvier  1792.  Habitué  à  la 
guerre,  il  fut  choisi  pour  aide  de  camp  par  le 
général  Despretz-Crassier,  auprès  duquel  il  se 
distingua  à  Valmy,  puis  à  l'armée  du  Rhin  par 
Beauharnais.  I!  franchit  rapidement  tous  les 
grades,  et  devint  général  de  division  le  23  jan- 
vier 1794.  Envoyé  à  l'armée  de  Sambre  et 
Meuse,  il  reçut  de  Pichegru  le  commandement 
d'un  corps  d'armée,  et  prit  Landrecies  (16  juillet), 
Le  Quesnoy,  Condé  et  Valenciennes  (t  2-29  août). 
Ayant  ensuite  joint  ses  troupes  à  celles  de  Jour- 
dan,  il  contribua,  le  18  septembre,  au  succès  du 
combat  de  la  Chartreuse,  et  le  20  octobre  à  la 
victoire  d'Aldenhoven.  Nommé,  en  brumaire 
an  m  (1794),  général  en  chef  de  l'armée  des  Alpes, 
il  s'occupait  à  la  réorganiser  pour  entrer  en  cam- 
pagne, lorsqu'il  reçut  l'ordre  d'aller  pi'endre  le 
commandement  de  l'armée  des  Pyrénées  orien- 
tales (1795).  La  république  n'avait  là  guère  plus 
de  vingt- six  mille  hommes  contre  soixante  mille 
Espagnols,  et  les  soldats,  décimés  par  les  ma- 
ladies, manquaient  d'hôpitaux,  même  de  vivres; 
le  premier  soin  de  Scherer  fut  de  pourvoir  aux 
besoins  des  troupes;  puis,  malgré  la  dispropor- 
tion des  deux  armées,  il  tenta  de  forcer  le  pas- 
sage de  la  Fluvia,  et  soutint  trois  combats  opi- 
niâtres, qui  n'eurent  pas  de  résultats  décisifs.  La 
paix  ayant  été  conclue  avec  l'Espagne  (  1er  août 
1795  ),  Scherer  fut  de  nouveau  appelé,  en  sep- 
tembre ,  au  commandement  de  l'armée  d'Italie. 
Adoptant  les  projets  de  Kellermann ,  son  prédé- 
cesseur, il  résolut  de  prendre  l'offensive  pour 
rétablir  les  communications  avec  Gênes,  le  seul 
endroit  d'où  il  pût  tirer  les  vivres,  les  vêtements 
et  les  munitions  pour  ses  troupes,  qui  manquaient 
de  tout.  L'armée  ennemie,  fortement  retranchée 


sur  les  hauteurs  près  de  Loano,  comptait  cii  I 
quantecinq  mille  combattants,  auxquels  il  i  M 
pouvait  opposer  que  trente  mille  hommes,  sai  I 
habits,  sans  souliers,  sans  pain.  Il  eut  la  sages:  I 
de  consulter  les  généraux  qui  servaient  depu  ■ 
longtemps  dans  cette  partie  des  Alpes ,  et  écou  I 
surtout  les  avis  de  Massena .  La  bataille  de  Loai  I 
fut  livrée  le  24  novembre  1795  :  les  Austr*  I 
Sardes  perdirent  quatre  mille  hommes  tués  I 
cinq  mille  prisonniers,  avec  la  plus  granofl 
partie  de  leur  artillerie,  et  furent  mis  dans  ui  I 
déroute  complète.  Cette  victoire  ouvrit  le  M  I 
lanais  aux  troupes  françaises.  Scherer  mit-if  I 
profit,  autant  qu'il  le  pouvait,  le  succès  siguaiB 
qu'il  venait  de  remporter?  C'est  une  questk  ■ 
qui  fut  résolue  en  sens  opposés  à  l'époque  mêm  I 
et  Scherer  eut  pour  lui  le  parti  des  hommes  q  I 
se  croyaient  prudents  parce  qu'ils  temporisaieu  |:i 
comme  il  eut  pour  adversaire  le  parti  des  in  I 
patients,  auxquels  Bonaparte  vint  bientôt  donn  I 
raison  d'une  manière  si  éclatante.  Ne  pouva  I 
supporter  plus  longtemps  l'opposition  qui  1 1 
était  faite, et  sentant  sa  santé  s'altérer,  SchenB 
envoya  sa  démission  au  Directoire.  Bonaparti  I 
qui  le  remplaça  en  mars  1796,  écrivit  à  Carnoi  11 
«  Il  m'a  paru  voir  en  Scherer  un  homme  pur 
éclairé  :  ne  pourriez-vous  pas  l'employer  comn 
ambassadeur?  Il  a  la  connaissance  des  hou 
mes...  » 

Après  quelques  mois  de  repos,  Scherer  fi 
chargé  d'inspecter  l'armée  de  l'intérieur,  pu 
celle  du  Rhin,  et  nommé,  le  23  juillet  179! 
ministre  de  la  guerre.  Son  administration  actr 
lui  mérita  de  plus  en  plus  la  confiance  du  goi 
vernement,  mais  lui  attira  l'inimitié  de  bien  d 
gens, dont  il  froissait  les  intérêts.  En  février  179" 
lorsque  Bonaparte  était  en  Egypte,  il  accepta  < 
nouveau  le  commandement  de  l'armée  d'Iialii 
qu'avaient  refusé  Bernadotte  et  Jouberf,  à  eau: 
de  la  trop  grande  infériorité  numérique  de  l'ai 
mée  française.  Il  attaqua,  le  26  mars,  l'enner 
qui  était  retranché  sur  les  hauteurs  de  Pastreng' 
près  de  Vérone,  et  après  des  efforts  opiniâtres 
resta  maître  du  champ  de  bataille.  Il  espéra 
alors  avoir  bientôt  le  concours  des  divisions  < 
l'Helvétie  et  de  la  Valteline  ;  mais  ayant  appr 
qu'elles  étaient  l'une  et  l'autre  forcées  de  se  ccn< 
centrer  dans  leurs  positions,  parce  que  l'armi 
du  Danube  venait  de  se  replier  sur  le  Rhin,  il  i 
conclut  qu'il  ne  pouvait  avec  ses  seules  forces 
de  beaucoup  plus  faibles  que  celles  de  l'ennem 
tenir  l'offensive ,  et  que  la  prudence  lui  corr 
mandait  de  faire  retraite  sur  le  Mincio.  11  essaj 
donc  de  passer  l'Adige  ,  en  masquant  son  moi 
vement  par  une  attaque  du  général  Seruri< 
contre  Vérone,  d'isoler  les  ailes  de  l'armée  in 
périale  et  d'écraser  la  plus  faible.  Ce  plan  iî 
réussit  pas;  les  Autrichiens  débordèrent  notr 
droite,  et  restèrent  maîtres  du  champ  de  de 
taille  de  Magnano,  d'où  nous  fîmes  retrait 
d'abord  sur  le  Mincio,  puis  sur  l'Adda.  L'armé 
française  était  couverte  par  cette  rivière  lorsqu 


9  SCHERER  — 

Directoire  rappela  Scherer  et  le  remplaça  par 

j  reeu.  Les  ennemis  du  Directoire  soulevèrent 

utre  le  vaincu  l'opinion  publique  •.  ou  l'accusa 

1 i  seulement  d'incapacité  ,  mais  de  lâcbeté  ;  on 

I  se  contenta  pas  de  l'attaquer  comme  général, 

ij  l'attaqua  aussi  dans  les  corps  législatifs  comme 

Lustre;  on  prétendit  qu'il  avait  exagéré  les 

(  ctil's  dans  un  but  d'intérêt  personnel ,  qu'il 

j  il  laissé  les  armées  dans  le  dénûment,  qu'il 

lit  fait  des  ventes  à  bas  prix  dans  les  maga- 

iide  l'État,  enfin  qu'il  avait  ordonné  la  con- 

I  ion  de  gargousses  et  de  cariouclies  «  ne  ren- 

Inant  qu'un  tiers  de  poudre  et  un  tiers  de 

Buvais  poussier  ».  Scherer  répondit  à  ces  der- 

Ires  accusations  en  publiant  le  compte-rendu 

Isa  gestion  ministérielle  (1799);  cependant,  ne 

liant  pas  accepter  pour  juges  des  ennemis,  il 

lâcha,  et  ne  reparut  qu'après  le  18  brumaire, 

|iandant  alors,  par  une  lettre  adressée  au  pre- 

r  consul,  à  se  justifier  des  imputations  por- 

contrelui.  Bonaparte  lui  répondit  qu'il  avait 

né  l'ordre  de  mettre  toute  cette  affaire  à 

nt.  A  ceux  qui  l'accusaient  comme  général , 

erer  avait  répondu  par  le   Précis  des  opé- 

ions  militaires  de  l'armée  d'Italie  depuis 

l   ventôse  jusqu'au  7  floréal  de  l'an  vu 

(iris,  1799,  in-8°).  Il  se  retira  à  Chauny,  où 

ourut,  à  cinquante-six  ans  passés.  Son  nom 

té  inscrit  sur  l'Arc  de  triomphe  de  l'Étoile. 

urcdlcs,  Dict.  hist.  des  généraux  français.  —  Eabbe, 

h  drBoisjolinet  Sainte-Preuve,  Biofjr.univ.et  portât. 

contemp.  —   nionileur  universel.   —  Tlilers,  Hist. 

i  rëvolut. 

jcheuchzer  (Jean-Jacques  ),  naturaliste 
(ise,  né  le  4  août  1672,  à  Zurich,  où  il  est 
t,  le  25  juin  1733.  Après  avoir  étudié  la  mè- 
ne à  Altdorf  et  à  Utrecht,  il  fut,  en  1702, 
imé  médecin  de  sa  ville  natale  et  professeur 
mathématiques,  En  1712,  il  fut,  sur  la  recom- 
îdation  de  Leibniz,  appelé  à  Saint-Péters- 
rg  par  Pierre  le  Grand  ;  mais  ses  concitoyens 
stinrent  au  milieu  d'eux,  en  lui  donnant  une 
ire  de  physique  et  un  canonicat.  Il  devint 
la  suite  membre  de  l'Académie  des  Curieux 
ia  nature  ainsi  que  des  Académies  de  Berlin  et 
Londres.  Il  a  le  premier  éveillé  en  Suisse 
fMie  de  l'histoire  naturelle  ;  il  y  a  propagé  les 
fsde  Newton,  etil  abeaucoup  contribué  à  faire 
ser  à  Zurich  les  condamnations  à  mort  pour 
pèllerie,  qui  y  étaient  fréquentes  jusqu'au 
pmencement  du  siècle  dernier.  Il  fut  encore 
fies  premiers  à  recueillir  systématiquement 
pétrifications,  à  établir  que  ce  n'étaient  pas 
jeux  de  la  nature,  mais  des  restes  d'êtres 
refois  animés  et  ayant  reçu  leur  forme  actuelle 
suite  d'un  cataclysme,  qu'il  déclarait,  con- 
inément  aux  idées  deWoodward,  n'avoir  été 
'^que  le  déluge.  Si  ses  explications  ne  peu- 
t  plus  aujourd'hui  soutenir  l'examen ,  si  son 
Jème  de  géologie  ne  vaut  pas  mieux  que 
x  émis  par  ses  contemporains,  il  n'en  a  pas 
ns  rendu  de  très-grands  services  à  la  science 
onstatant  avec  soin  et  e\acti!ude,el  au  moyen 


SCHEUCHZER  510 

i   d'excellentes  planches,  une  foule  de  faits,  ob- 
|  serves  par  lui,  entre  autres  dans  les  excursions 
|  qu'il  faisait  presque  fous  les  ans  dans  les  Alpes. 
I   On  a  de  lui  :  Surdus  loquens  ;  Utrecht,  169Ï, 
!  in-4°;  — Stocheiologia  ad  Ilelvetiam  appli- 
:  cala;  Zurich,  1700,  in-4°;  —  Spécimen  lit  ho- 
I  logix  helveticœ  curiosoc,  quo  lapides  exfigu- 
ratis  seleclissimi  describuntur, Zurich,  1702; 
j  Bantzig,    1740,  in-4°  ;  —  Physica,  oder  jVa- 
iurioissenschafl ;  Zurich,  1703,    1711,   1729, 
in-8°  ;  —  Beschreibung  (1er  Naturgeschichte 
des  Schweilzerlandcs  (Histoire  naturelle  delà 
Suisse);  Zurich,  1706-1708,  3  vol.  in-4°  :  ou- 
vrage qui  traite  des  montagnes ,  des  eaux,  des 
météores  et  des  minéraux  ;  —  Piscium  vindicix 
etquerelx;  Zurich,  1708,  in-4°;  trad.  en  alle- 
mand :  l'auteur  y  prouve  que  les  poissons  pé- 
trifiés sont  non  des  jeux  de  la  nature,  mais  des 
restesde  vrais  poissons  qui  ont  eu  vie  ;  —  'Gupscu- 
çoityi;  helveticus,  seu  itinera  alpina   tria; 
Londres,  1708,  in-4°  :  dans  un  ouvrage  sem- 
blable (Itinera  per  HelvetiJS  alpinas  regiones; 
Leyde,  1723,  4  tom.  in-4°,  fig.),  Scheuchzer  a  dé- 
crit les  voyages  qu'il  fit  en  Suisse  de  1702  à  1711  ; 

—  Herbarhim  diluvian  uni  ;  Zurich,  1709,  in- 
fol.;  l'édit.  de.  Leyde,  1723,  est  fort  augmentée;  — 
Bibliotheca  scripterum  historiée  naturalis; 
Zurich,  1716,  !75l,in-8°;  —  Muséum  dilu- 
viaîium;  Zurich,  1716,  in-8°:  catalogue  des  pé- 
trifications et  des  fossiles  qu'il  possédait  dans 
son  cabinet; —  Helvetice  stocheiographia ,  oro- 
graphia  et  oreographia;  Zurich,  1716,  in-4°; 

—  Eelvetiœ  hydrographia  ;  Zurich,  1716,in-4°; 

—  Meteorologia  et  oryclographia  Helveliœ; 
Zurich,  1718,  in-4°:  ces  trois  derniers  ouvrages, 
écrits  en  allemand,  ont  été  réunis  deux  fois  à 
Zurich,  174fi,2vol.in-4°,  et  1753,  3  vol.  in-4°;  — 
Physica  sacra  Jobi  ;  Zurich,  1721,  1740,  in-4°: 
explication  des  matières  de  physique  et  d'histoire 
naturelle  mentionnées  dans  les  premiers  livres  de 
l'Ancien  Testament;  —  Homo  dilîivii  testis; 
Zurich,  1726,  in-4c  :  le  squelette  fossile  ici  dé- 
crit, que  Scheuchzer  croyait  avoir  appartenu  à 
un  homme,  et  qui  se  trouve  maintenant  à  Harlem, 
a  été  reconnu  par  Cuvier  provenir  d'une  sala- 
mandre gigantesque  antédiluvienne;  —  Bîblia 
ex  physicis  illustrât  a ,  quibus  res  natu rates 
inScriptura  sacra  occurrentes  exhibentur ; 
Augsbourg,  1731-35,  4  vol.  in-fo!.,  avec  750 
belles  planches;  trad.  en  allemand ,  sous  le  titre 
de  Kupjer-Bibel.  (ibid.,  1731-35,  4  vol.  :'n- 
fol.);  en  français,  sous  le  titre  de  Physique 
sacrée  (Amst,  1732-37,  S  vol.  infol.)  ;  en  hol- 
landais (ibid.,  1735,  S  vol.  in-fol. );  l'auteur  a 
profité  de.  la  meniion  la  plus  succincte  faite  dans 
la  Bible  d'objets  d'histoire  naturelle  pour  les 
expliquer  longuement  et  y  joindre  des  détails 
souvent  intéressants,  mais  qui  ne  s'y  rattachent 
que  très-faiblement  ;  il  a  choisi  cette  manière 
singulière  d'exposer  ainsi  ses  idées  sur  l'histoire 
naturelle,  afin  d'empêcher  ses  collègues  de  la 
faculté  de  théologie  de  les  incriminer,  comme 


5ti  SCHEUCHZER  — 

ils  l'avaient  déjà  fait  plusieurs  fois  auparavant; 
son  ouvrage  est  encore  recherché,  à  cause  des 
planches.  Scheuchzer,  qui  a  aussi  publié  à  Zu- 
rich, de  1703  à  1715,  un  recueil  périodique  in- 
titulé Nova  litteraria  helvelica ,  a  encore  in- 
séré plusieurs  mémoires  et  articles  dans  les  Mis- 
cellanea  lipsiensia,  les  Ephemerides  naturse 
curiosorum,  les  Philos,  transactions,  etc. 

Mercure  suisse,  août  1733.  -  Meister,  Beruhmle 
Schweitzer,  t.  II.  -  Hirsching,  Handbiich.  —  Actae.ru- 
ditorum  germanica.  part.  119,  t.  II,  p.  761. 

scheuchzer  (Jean),  botaniste  suisse, 
frère  du  précédent,  né  en  1684,  à  Zurich,  où  il 
est  mort,  le  8  mars  1738.  Après  avoir  servi 
quelque  temps  dans  l'armé  hollandaise ,  il  ac- 
compagna le  comte  de  Marsigli  en  Italie  comme 
secrétaire.  A  son  retour  à  Zurich  il  s'occupa  de 
mathématiques  et  de  l'art  des  fortifications,  et  fut 
nommé  en  1712  ingénieur  de  son  canton.  Il  vi- 
sita par  la  suite  la  Hollande ,  la  France ,  l'Italie 
et  l'Allemagne,  et  devint  en  1732  secrétaire  des 
états  du  comté  de  Baden  ;  l'année  suivante  enfin 
il  fut  appelé  à  occuper,  à  Zurich,  les  divers  em- 
plois que  la  mort  de  son  frère  laissait  vacants. 
Il  s'occupa  spécialement  des  graminées ,  famille 
jusqu'alors  si  négligée,  même  par  Tournefort,  et 
fit  connaître  les  caractères  génériques  deleurs  di- 
verses espèces  dans  un  ouvrage  intitulé  :  Agros- 
tographia,  sive  graminum ,  juncorum ,  cype- 
rorum,  cyperoidum  eisque  affinïum  histo- 
ria;  Zurich,  1719,  pet.  in-4<>,  fig.;  une  édition 
très-augmentée  en  fut  donnée  par  Haller,  Zurich, 
1775,  in-4°.  «  On  vit  alors,  ditCuvier,  qu'il  y  avait 
aussi  une  distribution  possible  pour  ces  plantes, 
qui  avaient  l'air  de  se  ressembler,  et  que  leurs 
moyens  de  division  étaient  semblables  à  ceux 
dont  on  s'était  servi  pour  les  autres  classes.  » 
On  a  encore  de  Scheuchzer  :  Alphabeti  ex  di- 
plomatibus  spécimen  ;  Zurich,  1730,  in-fol. 
Meyer,   Geschichte  der  Botanih.  —  Lutz,  Ifekrolog 

denlcwûrdiger  Schioeitzer. 

schiavone  (Andréa  Medula  ou  Medola  , 
dit  le),  peintre  et  graveur,  né  en  1522,  à  Sebe- 
nico  (Dalmatie),  mort  en  1582,  à  Venise.  Ses 
parents,  fort  pauvres,  étaient  venus  chercher 
fortune  à  Venise.  Il  apprit  à  dessiner  d'après 
des  estampes  et  à  peindre  en  copiant  les  ta- 
bleaux du  Giorgione  et  du  Titien.  Pour  vivre, 
il  se  vit  forcé  de  fabriquer  de  petits  tableaux, 
de  peindre  des  bahuts,  des  meubles,  et  même 
des  façades  de  maison.  Le  Titien  lui  donna 
quelques  conseils,  et  le  fit  comprendre  au 
nombre  des  artistes  appelés  à  décorer  la  grande 
salle  de  la  bibliothèque  de  Saint-Marc.  Là  il  se 
montra  dessinateur  plus  correct  que  partout  ail- 
leurs. En  effet  ses  compositions  sont  heureuses, 
son  coloris  est  excellent,  sa  touche  facile  et  gra- 
cieuse, ses  mouvements  vrais  et  variés;  mais  il 
pèche  par  la  correction  du  dessin.  Malgré  tant 
de  qualités,  auxquelles  il  joignait  l'amour  du  tra- 
vail ,  cet  artiste  vécut  dans  la  misère  et  ne  laissa 
pas  de  quoi  l'enterrer.  Ce  ne  fut  qu'après  sa  mort 
que  ses  œuvres  furent  appréciées  à  leur  juste  va- 


SCHIAVONETTI  51Ï 

leur.  Ses  principales  œuvres  sont  :  à  Venise,  h 
Père  éternel  au  milieu  des  anges,  Jean-Bap 
liste  dans  le  désert;  àRimini,  la  Nativités 
l'Assomption  ;  à  Florence,  Mercure  assis,  l'A 
dorationde  l'enfant  Jésus,  la  Mort  d'Abel,  Ti 
tye  et  le  Vautour  ;  à  Pistoja,  une  Nativité;  ai 
Musée  de  Dresde ,  le  Christ  mort ,  une  Ma 
donc;  à  Berlin,  le  portrait  de  Schiavone  lui 
même;  à  Vienne,  un  autre  portrait  de  l'artiste 
une  Adoration  des  bergers ,  une  Sainte  Fa 
mille ,  Apollon  poursuivant  Daphné ,  l 
Présentât;,.,  au  temple,  Curius  Dentatus 
au  Musée  du  Louvre,  un  Saint  Jean- Bai 
liste. 

Le  Schiavone  a  gravé  à  l'eau-forte  plusieurs  ( 
ses  compositions.  E.  B — n. 

Vasari,  Oriandi,   Lanzi,  Ticozzi.  —  Ridolfi,  Vite  dei 
pitturi  veneti.  —  Winckelmann,  Neues  Mahlerlexiko 

schiavonett!  (Luigi) ,  graveur  italiei 
né  le  1er  avril  1705,  à  Bassano,  mort  le  7  ju 
1810,  à  Brompton  (Angleterre).  Il  montra  d 
l'enfance  le  goût  des  arts,  et  son  père,  marchai 
d'estampes  et  de  livres  peu  fortuné,  le  mit  à  I 
cote  de  dessin  du  Golinetto,  puis  le  fit  ento 
chez  Amhroise  Orio,  homme  excellent,  mi 
très-médiocre  graveur.  L'élève  eut  bientôt  si 
passé  le  maître  dans  le  maniement  du  but 
C'était  l'époque  où  les  estampes  à  l'aqua-tinta 
Bartolozzi  avaient  leur  grand  succès.  Luigi  s' 
I  procura,  s'appliqua  à  les  étudier,  et  après 
|  travail  ardent,  auquel  il  employait,  même  les  nui 
I  parvint  à  faire  de  l'estampe  A' Hector  et  And: 
maque,  d'après  le  tableau  de  Cipriani,  une  co 
si  exacte  que  Bartolozzi,  à  qui  elle  fut  présent 
put  à  peine  la  distinguer  de  son  propre  travi 
Ce  maître  ayant  appris  que  le  jeune  artiste  n 
vait  encore  que  dix-huit  ans  conçut  pour  lui  i 
grande  estime,  et  l'appela  à  Londres,  où  il  g 
établi.  Schiavonetti  acquit  bientôt  en  Anglete 
une  grande  réputation  par  ses  talents,  en  mè 
temps  qu'il  gagnait  par  son  caractère  douxi 
modeste  l'affection  de  tous  ceux  qui  l'appl 
chaient.  Il  n'oublia  pas  son  père,  et  partagea  a  I 
lui  les  bénéfices  de  son  travail.  Tous  les  artiil 
de  Londres  regrettèrent  sa  perte  prématurée  I 
se  réunirent  pour  lui  faire  de  riches  obsèqij 
Les  œuvres  de  Schiavonetti,  au  burin,  à  l'aql 
tinta  ou  à  l'eau- forte,  présentent  toutes  les  mêil 
qualités  :  exactitude  dans   les  contours,  gi| 
dans  l'expression,  vérité  dans  les  draperies,  1 1 
admirable  dans  l'ensemble.  Ses  principales! 
vures  sont  :  Derniers  moments  de  T^ouis  X 
de  Benazech;  Elisabeth  recevant  la  nouv 
de  la  mort  de  Marie  Stuart,  de  Westall 
Reine  de  Prusse  et  sa  sœur,  de  Tischbi 
Pèlerinage  de  Canterbury,  de  Stothard  ; 
taille  d'Aboukir,  de  Loutherbourg  ;  le  Corn^ 
Tippo-Saïb  reconnu  par  sa  famille,  de  I 
gleton  ;  les  Noces  de  Cana,  de  Pellegnni  ;  Mt 
dolorosa.  de  van  Dyck;   portrait  de  Nki 
Berghen,  de  Rembrandt;  eaux-fortes,  d'à 
Blake,  pour  le  Tombeau,  poëme  de  Blair, 


SCHIAVONETTI 

!Son  frère  Niccolo  travaillait  avec  lui  ;  il  ne  lui 
guère  survécu. 

illpaldo,  ISiogr.  degli  Italiuni  illustri,  t.  IV.  —Gentle- 
m's  magazine,  t.  LXXX. 

j  schickard  (Guillaume),  savant  orientaliste 
!  astronome  distingué,  né  à  Herrenberg,  près 
\  bingue,  le  22  arvril  1592,  mort  de  la  peste,  à  Tu- 
ligue,  le  23  octobre  1635.  Après  avoir  étudié 
j  théologie,  il  remplit  pendant  quelques  mois 

I  fonctions  de  vicaire  dans  le  lieu  de  sa  nais- 
|ace  et  à  Kirchheim.  En  1613,  il  retourna  à 
Ibingue,  où  il  commença  à  donner  des  leçons 
Ibliques  sur  la  langue  hébraïque,  à  IV  de  de 
huelle  il  s'était  livré  avec  ardeur,  riientôt 
1res,  il  fut  appelé  comme  diacre  à  Nurtingen  ; 

II  1616,  il  y  fut  nommé  pasteur.  Il  eut  occasion, 
I  1617,  de  faire  connaissance  avec  Kepler,  et 
I  rapports  qu'il  eut  avec  cet  homme  célèbre 
l'eillèreut  en  lui  le  goût  pour  les  mathéma- 
fcues,  qu'il  avait  d'abord  cultivées  avec  quelque 
Ixès.  Pour  occuper  l'activité  dévorante  de  son 
prit,  il  s'était  exercé  à  la  gravure  en  bois  et  en 
Hle-douce;  il  profita  de  l'habileté  qu'il  avait 
liquise  dans  cet  art  pour  composer  un  globe 
■este  et  pour  dresser  plus  tard  quelques  cartes 
■ronomiques.  Nommé  professeur  d'hébreu  à 
pbingue  (1619),  il  se  mit  à  l'étude  de  la  langue 
Ides  écrits  des  rabbins;  et  en  même  temps  il 
lidia  le  syriaque,  le  chaldéen  et  l'arabe.  Pour 
[te  dernière  langue,  il  n'eut  pas  d'autre  secours 
l'un  exemplaire  du  Coran,  apporté  à  Tubingue 
[r  Grutcr.  Pour  pouvoir  donner  à  ses  élèves 
[s  leçons  d'arabe ,  il  fut  obligé  de  graver  lui- 
fcme  les  poinçons  qui  servirent  à  fondre  les 
Jractères  avec  lesquels  on  imprima  quelques 
Jutes  arabes  à  l'usage  de  ses  auditeurs.  Schi- 
■ard  apprit  également  sans  maître  le  turc  et  le 
jrsan.  En  1628,  il  fut  admis  au  nombre  des 
pmbres  du  collège  des  arts,  et  en  1629  nommé 
j-ipecteur  des  écoles  de  Stuttgard.  L'exercice 
\  ces'  dernières  fonctions,  qui  l'obligeaient  de 
ircourir  le  duché  de  Wurtemberg,  le  mit  en 
lit  de  traeer  une  carte  de  ce  duché,  carte  qui 
ilheurcusement  s'est  perdue.  Après  la  mort  de 

fesllin  (20  octobre  1631),  il  fut  chargé  de  la 
,aire  d'astronomie,  sans  cesser  cependant  d'en- 
ligner  l'hébreu.  Il  parait  qu'il  ouvrit  ses  leçons 
lîstronomie  par  un  discours  remarquable,  qui 
iî  pas  été  imprimé.  Après  la  batailledeTubingue, 
[se  retira  avec  sa  famille  sur  le  territoire  au- 
chien.  11  retourna  à  Tubingue,  quand  le  dan- 
r  fut  passé.  Il  accommoda  alors  une  maison 
j'il  avait  achetée,  de  manière  à  y  avoir  un  ob- 
rvatoire ,  et  il  comptait  couler  désormais  des 
Jrs  tranquilles,  consacrés  à  ses  études  de  pré- 
lection,  quand  après  la  journée  de  Nordlingen, 
[  1634,  les  armées  catholiques  envahirent  ïu- 
sogue  et  y  apportèrent  la  peste.  Schickard  vit 
jourir  successivement  toute  sa  famille,  à  l'ex- 
ption  d'un  enfant,  âgé  de  neuf  ans,  avec  lequel 
jsorlit  de  la  ville,  pour  fuir  la  contagion.  Il  y 
Dira  cependant  quelques  mois  après,  et  il  ne 

NOUV.   BiOCR.   GÉiSÉR.  —  T.  XLIII. 


—  SCHIHNEH  514 

tarda  pas  à  être  victimedu  fléau.  Il  laissa  en  mou- 
rant bien  des  travaux  inachevés.  «  Combien  je 
regrette,  écrivait-il,  à  la  fin  de  1634,  mes  nom- 
breuses recherches,  mes  méditations  à  demi 
achevées  !  Si  du  moins  j'avais  parmi  mes  élèves 
quelqu'un  en  état  de  les  publier  après  ma  mort!  » 
On  a  cependant  de  lui  un  grand  nombre  d'ou- 
vrages, tous  relatifs  aux  langues  orientales  ou  à 
l'astronomie.  Parmi  les  premiers  il  faut  citer  : 
Bechinat  happeruschim,  hoc  est  interpréta- 
tif) hebraica  in  Genesin; Tubingue,  l621,ia-4°; 

—  Biurhaophan,  hoc  est  declaralio  rotxpro 
conjugationibus  hebrxis  noviter  excogilalx; 
ibid.,  1621,  in-8°;  plus.édit.;  —  Horologium  fie- 
braeum,  sive  consilium  quomodo  sancta  lin- 
gua  spatio  24  horarum  a  sex  collegis  suffi- 
cienter  addisci  possil;  ibid.,  1623,  in-12; 
beaucoup  d'éditions,  dont  la  meilleure  est  celle 
de  Tubingue,  1731,  in-8°,  avec  une  vie  de  l'au- 
teur par  Speidel  :  cet  ouvrage  est  le  plus  connu 
de  tous  ceux  de  Schickard  ;  —  Bechinat  happe- 
ruschim, hoc  est  examinis  commentationum 
rabbinicarum  in  Mosen  prodromus;  ibid., 
1624,  in-4°  :  ouvrage  estimé;  —  Paradisus 
saraceno-judaicus ,  e  genuinis  auctoribus 
suis;  ibid.,  1625,  in-4°;  —  Jus  reghim  He- 
brxorum  e  tenebris  rabbinïcis  erutum; 
Strasbourg,  1625,  in-4°  ;  réédité  avec  des  notes 
par  J.-B.  Carpzow,  Leipz.,  1674;  —  Taarich, 
hoc  est  séries  regum  Persix  per  annos  fere 
400;  Tubingue,  1628,  in-4°  :  traduction,  avec  des 
notes,  d'une  partie  d'un  manuscrit  arabe  de  la 
bibliothèque  de  Wolfenbiiltel  ;  —  Purim,  sive 
bachanalia  Judxorum;  ibid.,  1634,  in-12,  el 
dans  les  Critici  de  Londres.  La  plupart  de  ces 
ouvrages  ont  été.réunis  sous  ce  titre  :  Exerci- 
tationes  ebraicx  ;  Tubingue,  1655,  in-4°.  Des 
ouvrages  relatifs  aux  sciences,  on  peut  citer  : 
Astrocopium  pro  facillima  stellarum  cogni- 
tione  noviter  excogitatum;  Tubingue,  1623, 
in-12;  plusieurs  autres  éditions,  et  dans  Ele- 
menta  astronomise  de  Chr.  Cellarius.  Schickard 
avait  donné  le  nom  d' astrocopium  à  une  carte 
disposée  en  globe,  et  dans  l'intérieur  de  laquelle 
on  voyait  les  astres  tels  qu'ils  nous  apparaissent 
dans  le  ciel;  —  Ephemeris  lunaris;  ibid., 
1631,  in-8°;  —  Anemographia,  seu  discursus 
philosophicus  de  ventis;  ibid.,  1631,  in-8e  ; 

—  Disputationes  dux  de  rébus  astronomieis  ; 
ibid.,  1632,  in-8°;  —  De  mercurio  in  sole  viso, 
seu  responsum  ad  duas  Gassendi  episiolas; 
ibid.,  1632,  in-8°;  —Modus  ratioque  tabulas 
geographicas  conficiendi ;  ibid.,  1633,  in-8°. 

Schickard  laissa  en  mourant  plusieurs  ou- 
vrages inédits,  entre  autres  une  traduction  latine 
des  canons  géographiques  d'Abulféda,  avec  des 
notes;  une  grammaire  arabe;  quelques  écrits 
sur  l'optique,  etc.  M.  Nicolas. 

fila  SctticKardi,  à  la  tête  de  l'édition  de  Tubingue, 
1731,  de  Horologium  hebrœum.  —  Joe^her,  Allg.  Celehr- 
tea-Lexicon.  —  Balth.  Viassius,  .-Ipotheosis  Schickardi. 

—  Sclinurrer,  Schiekard's  Leben  ;  Ulm,  1792,  in-8°. 

schihneh.  Voy.  Ib.\-as-Schihneh. 
17 


Si  5  SGH-LLL  — 

schill  (Frédéric  de),  patriote  allemand,  né 
en  1773,  à  Sothof,  près  de  Pless,  tué  à  Stralsund, 
le  31  mai  1809.  Entré  de  bonne  heure  dans  l'ar- 
mée prussienne,  il  assista  comme  lieutenant  à 
la  bataille  d'Auerstsedt.  Se  trouvantpeu  de  temps 
après  à  Colberg,  alors  assiégé  par  les  Français, 
il  y  organisa  en  quelques  semaines  un  corps 
franc  d'un  millier  de  cavaliers,  avec  lequel  il  fit 
d'abord  plusieurs  sorties  heureuses  ;  ensuite  il  alla 
se  retrancher  dans  un  petit  bois  (la  Maikuhlé), 
sous  le  canon  de  la  forteresse ,  et  il  s'y  défendit 
pendant  quatre  mois,  ce  qui  ne  contribua  pas 
peu  à  empêcher  la  chute  de  Colberg.  Après  la 
paix  de  Tilsit,  il  fut  nommé  major  du  nouveau 
régiment  des  hussards  de  la  garde,  qui  venait 
d'être  formé  avec  le  corps  qu'il  avait  levé.  En 
1809,  lorsque  la  guerre  recommença  entre  l'Au- 
triche et  la  France,  il  eut  l'espoir  que  toute  l'Alle- 
magne allait  se  soulever  contre  Napoléon.  Vou- 
lant donner  le  signal  de  l'affranchissement  de 
sa  patrie,  il  conduisit  son  régiment  par  Wittem- 
berg  en  Saxe,  dans  le  but  de  le  faire  servir  de 
centre  de  ralliement.  Mais  apprenant  les  succès 
rapides  de  Napoléon,  qui  retenaient  l'Allemagne 
sous  la  crainte,  il  essaya  d'abord  de  gagner  la 
Frise,  afin  de  s'embarquer  pour  l'Angleterre; 
arrêté  le  5  mai  dans  sa  marche  par  la  garnison 
de  Magdebourg,  il  se  dirigea  vers  la  Vieille- 
Marche;  poursuivi  par  un  corps  de  Hollandais 
et  un  autre  de  Danois,  il  se  retira  successive- 
ment sur  Wismar,  Rostock  et  enfin  Stralsund  , 
dont  il  rétablit  à  la  hâte  les  fortifications  et  où  il 
réunit  environ  deux  mille  hommes  de  troupes. 
Attaqué  le  31  mai,  il  ne  put,  malgré  le  courage 
désespéré  qu'il  montra  ainsi  que  les  siens,  em- 
pêcher l'ennemi,  trois  fois  supérieur  en  nombre, 
de  pénétrer  dans  la  ville.  Atteint  de  plusieurs 
blessures,  il  continua  le  combat  dans  les  rues, 
jusqu'à  ce- qu'il  fut  tué  d'un  coup  de  fusil.  Les 
officiers  de  son  corps  qui  furent  faits  prisonniers 
furent  passés  par  les  armes. 

Schilliana;  Hambourg,  1810-1819,  2  part.  in-8°.  — 
"AAaa,  Ferd.  von  Sefiill;  Leipzig,  1824,  2  vol.  —  Dsering, 
Leben  SchiWs,  liarmen,  1838. 

sceî  i  ixEii  (  Jean  -  Christophe  -  Frédéric  ) , 
poêle  allemand,  né  le  10  novembre  1759,  à  Mar- 
bach en  Wurtemberg,  mort  le  9  mai  1 805,  à  Wei- 
mar.  L'aïeul  et  le  bisaïeul  de  Schiller  furent, 
l'un*  après  l'autre,  boulangers  dans  le  village  de 
Bittenfeld.  Son  père,  Jean-Gaspard,  après  avoir 
fait  son  apprentissage  chez  un  chirurgien  barbier, 
partit,  en  1745,  pour  les  Pays-Bas,  avec  un  ré- 
giment de  hussards  bavarois,  en  qualité  de  chi- 
rurgien ,  ou ,  comme  l'on  dit  en  allemand ,  de 
«  barbier  de  campagne  ».  A  la  paix  d'Aix-la- 
Ohapelle,  il  s'établit  à  Marbach,  où  il  épousa  Eli- 
sabeth-Dorothée Kodweiss,  fille  d'un  aubergiste. 
Au  bout  de  huit  ans  de  mariage,  il  eut  une  pre- 
mière fille,  et,  pour  assurer  l'avenir  de  sa  fa- 
mille, il  prit  du  service  dans  les  troupes  que  le 
-hic  de  Wurtemberg  levait  comme  allié  de  l'Au- 
triche. Préférant  l'épée  à  la  lancette,  il  obtint  le 


SCHILLER  5 

grade  d'enseigne,  et  gagna  peu  après  celui  delii 
tenant.  Sa  femme  alla  le  voir,  vers  les  premis 
jours  de  novembre  1759,  au  camp  de  manœuvi 
du  major  général  Romann  ;  elle  était  dans 
état  avancé  de  grossesse,  et  fut  saisie,  au  mil 
de  ces  hommes  de  guerre,  des  douleurs  de  l\ 
fantement;  elle  n'eut  que  le  temps  de  regagi 
Marbach,  où  elle  donna  le  jour  à  un  enfant  . 
devint  a-vec  Gœthe  le   plus  grand   écrivain 
l'Allemagne.  La  mère  de  Schiller  aimait  la  p 
sie.  et  même  faisait  des  vers;  c'est  par  elle  < 
l'enfant  studieux  fut  initié  à  la  lecture  des  pot  II 
allemands  et  aux  naïfs  récits  de  l'histoire 
blique.  En  même  temps,  il  trouva  dans  le  past  j 
Moser  un  premier  maître,  qui  lui  enseigna  |; 
éléments  du  latin  et  du  grec.  Son  père,  devt  II 
capitaine  et  envoyé  comme  officier  de  reert 
ment  à  Gmtind,  en  Souabe,  avait  obtenu  la  r  \ 
mission  de  s'établir  avec  sa  famille  dans  le  1 
lage  de  Lorch,  sur  la  frontière  du  Wurtemt  J 
proprement  dit.  Lorch  est  sMué  en  face  du  StM 
ten,  dans   une  vallée  mélancolique,   couroni 
de  sombres  sapins    Le  futor  peëte  aimait  il 
perdre  dans  ces  belles  forêts  et  à  rêver  dansil 
glise  d'architecture  romane,  près  des  pierres  1 
pulcrales  des  Hohenstauffen.  Les  souvenirs  !  i 
l'histoire  nationale  enrichissaient   ainsi  sa 
moire;  une  nature  romantique  ouvrait  son  I 
aux  impressions  de  la  solitude,  et  la  vie  moral 
la  famille  ne  laissait  arriver  à  son  cœur  que 
impressions  pures  et  bienfaisantes. 

Vers  1768,  le  père  de  Schiller  vint  s'établil 
Ludwigsbourg ,  où  il  fit  suivre  à  son  fils  les  c( 
de  l'école  latine,  et  le  17  janvier   1773  il  1 
voya  à  l'académie  de  la  Solitude,  connue  soi  J 
nom  de  Kartsschule  (l'école  de  Charles) 
établissement,  fondé  en  1770,  par  le  duc  de  V| 
temberg  Charles-Eugène,  était  placé  au  mil 
des  bois,  dans  un  château  isolé;  on  y  adme 
particulièrement  des  fils  de  soldat   Le  due  a;| 
connu  les  espérances  que  donnait  le  jeune  Sr 
1er,  offrit  à  son  père  de  le  recevoir  gratuiterj 
à  la  Solitude  et  de  fournir  à  tous  les  frais  de  j 
éducation.  Les  parents,  et  surtout  la  mère,  i 
sitèrent  d'abord,  parce  qu'ils  destinaient  | 
fils  à  la  théologie  ;  ils  ne  cédèrent  qu'à  la 
sième  demande.  Frédéric  fut  littéralement  di\ 
au  duc  Charles-Eugène,  car  son  entrée  à  IVj 
eut  pour  condition  qu'il  se  consacrerait  enti 
ment  à   la  maison  de  Wurtemberg.  Le  tej 
vint  où  il  parut  au  poète  qu'on  avait,  par 
clause,  payé  trop  cher  sa  pension.  Il  choisit 
bord  pour  objet  d'étude  et  pour  carrière  la  j 
prudence  ;  plus  tard  il  se  décida  pour  la  médec 
il  devait  traverser  toutes  les  facultés  sans 
rêter  dans  aucune.   La  discipline  pédante 
régnait  dans  l'académie  de  Charles  ne  poi 
guère  convenir  à  un  esprit  aussi  indépen 
que  l'était  celui  de  Schiller;  mais  ce  qui  le 
voltait  plus  que  le  régime  du  bâton  et  du 
bour,  c'était  le  joug  d'une  censure  intellect  W 
qui  proscrivait,  même  pendant  les  heure  I 


517 


j  récréation,  tout  ouvrage  étranger  aux  leçons  de 

[la  journée.  Il  parait  que  de  fréquents  conflits 

i  eurent  lieu  entre  le  jeune  élève  en  médecine  et 

quelques-uns  de  ses  maîtres.  Les  premiers  essais 

'poétiques  (L'Etudiant  de  Nassau,  Côme  de 

i  Médicis),  dont  il  donnait  lecture  en  cachette  à 

ses  amis,  loin  de  porter  le  caractère  sentimental 

de  l'époque,  respiraient  la  haine  de  l'arbitraire 

et  des  convenances  sociales.  «  Je  ferai  un  livre 

'qui  sera  brûlé  par  le   bourreau!   »  disait-il  en 

priant ,  et  il  tint  en  quelque  sorte  parole;  car  les 

Brigands,  conçus  et  écrits  à  l'infirmerie  de  l'a- 

■adriiiie  de  Charles,   répondaient  un  peu  à  ce 

:  i  programme.  Nous  croyons  avoir  indiqué  déjà  la 

source  de  cette  inspiration  révolutionnaire.  La 

serre  chaude  pédagogique  dans  laquelle  Schiller 

Ue  trouvait  renfermé  contre  son  gré  devait  lui 

nspirer  un  insurmontable  dégoût.  Nourri  de  la 

(lurede  Rousseau  et  de  Shakespeare»  surexcité 

par  Gœtz  et  Werther,  qui  avaient  paru  en  t773 

Ipt  1774,  irrité  à  toute  heure  du  jour  par  le  monde 

ijrannique  et  factice  du  collège,  qui  devenait 

'  »ur  lui  l'image  du  monde  réel,  il  exhala  sa  co- 

Bre  dans  le  drame  informe  qui  allait  révéler  à 

l 'Allemagne  qu'elle  nourrissait  dans  son  sein  un 

■faraud  mécontent  et  un  grand  poëte. 

En  1779,  Schiller  remporta  quatre  prix,  et  en 
1780,  après  avoir  fait  ses  thèses,  il  fut  attaché 
m  régiment  de  grenadiers  du  général  Auge,  en 
qualité  de  chirurgien,  avec  un  traitement  de 
18  florins,  environ  40  francs,  par  mois.  Mais  un 
Objet  plus  important  devint  le  but  de  tous  ses 
lésirs  :  c'était  la  publication  des  Brigands. 
\près   s'être  adressé  vainement  aux    libraires 

Ce  Stuttgard  et  de  Mannheim,  il  se  décida  à 
mprunter,  sous  la  caution  d'un  ami,  une  somme 
H'argeut,  qu'il  remboursa  plus  tard  avec  beau- 
coup de  peine,  et  il  fit  imprimer   sa  pièce  à 
ses  frais  (Francfort  et   Leipzig,    1781).   11  en 
envoya  quelques  feuilles   d'épreuve  à  Schwan, 
ibraire  a  Mannheim.  Celui-ci ,   enthousiasmé, 
^'empressa  de  -porter  l'œuvre  au  baron  de  Dal- 
berg, intendant  du  théâtre  électoral  ;  et  en  même 
'  enips  il  conseilla  à  Schiller  de  se  mettre  en  rap- 
i  |»ort  avec  ce  grand  seigneur.  Sur  les  observa- 
tions de  Schwan ,  le  poëte   docile  refondit  son 
Iraroe,  qui  fut  représenté  le  13  janvier  1782, 
ur  le   théâtre  de   Mannheim.  La    renommée 
I  itvait  précédé  la  mise  en  scène  des  Brigands  : 
He  quinze  et  vingt  lieues  à  la  ronde  les  specta- 
eurs  avaient  afflué ,  et  un  succès  immense  ré- 
■ondit  à  ces  bruits  avant-coureurs  de  la  vic- 
1}  ioire.  Le  pauvre  chirurgien  militaire,  qui  pour 
assister  a  la  première    représentation  de    son 
œuvre  avait  dû  emprunter  de  l'argent  et  quit- 
er  furtivement  Stuttgard,  y  revint  transformé  en 
ne  célèbre.  Le  drame  des  Brigands,  c'est 
e  cri  d'un  prisonnier  qui  réclame  la  liberté;  or, 
n  17S0,  l'ordre  social  était  ruiné  partout.  A 
entendre  cette  fanfare,  qui  sonnait  le  jugement 
lernier  d'une  société  décrépite,  on  oubliait  les 
\agerations  du  langage,  des    caractères,  de 


SCHILLER 

l'action 


518 


Schiller,  en  écrivant  les  Brigands, 
avait  pressenti  la  révolution  française.  Après 
quelques  représentations  la  police  intervint  :  les 
Brigands  furent  misa  l'index,  et,  en  raison 
même  de  cette  défense,  la  pièce  imprimée  se  ré- 
pandit comme  une  maladie  épidémique.  Une  es- 
pèce de  vertige  s'empara  de  la  tête  des  jeunes 
gens,  et  les  gouvernements  durent  s'alarmer  et 
voir  dans  ce  drame  excentrique  une  déclaration 
de  guerre  contre  l'état  social.  Encouragé  par  le 
succès,  Schiller  fit  paraître  ses  premiers  essais 
lyriques,  joints  aux  poésies  de  quelques  amis, 
sous  le  titre  d'Anthologie  pour  l'an  1782,  et  dé- 
diés à  la  Mort,  «  tsar  tout-puissant  de  toute 
chair  ».  L'auteur  fut  mandé  devant  le  duc  de 
Wurtemberg,  et  reçut  l'ordre  de  lui  soumettre  a 
l'avenir  chacune  de  ses  productions  avant  de  les 
publier.  La  haute  société  de  Stuttgard  avait 
voué  l'impertinent  roturier  à  l'exécration  pu- 
blique. Pour  échapper  à  cette  curatelle  tyran- 
nique,  Schiller,  après  avoir  vainement  supplié 
le  baron  de  Dalberg  de  lui  trouver  de  l'occu- 
pation à  Mannheim,  fit  en  secret  les  préparatifs 
d'un  départ  qui  ne  ressemblait  pas  mal  à  une 
fuite;  il  était  criblé  de  dettes,  et  sans  l'assistance 
de  Streicher,  son  ami  dévoué,  il  n'aurait  pu  réa- 
liser ses  projets.  Le  17  septembre  1782,  au  mo- 
ment où  l'arrivée  du  grand-duc  Paul  de  Russie 
était  fêtée  à  Stuttgard,  il  se  mit  en  route  de  nuit. 
Dans  le  lointain,  le  château  de  la  Solitude  bril- 
lait illuminé  en  l'honneur  du  prince  moscovite. 
Schiller,  au  moyen  de  cette  clarté,  reconnut  la 
demeure  paternelle  :  «  O  ma  mère  !  »  s'écria-t-il, 
et  il  se  rejeta  au  fond  de  la  voiture  en  versant  un 
torrent  de  larmes. 

L'accueil  qu'il  reçut  à  Mannheim  ne  répondit 
pas  à  son  attente.  Les  acteurs  du  théâtre, 
auxquels  ri  lut  sa  tragédie  de  Fiesque,  la  trou- 
vèrent de  la  plus  grande  médiocrité.  Schiller, 
désespéré  et  craignant  une  demande  d'extradi- 
tion, partit  à  pied  pour  Francfort,  et  essaya  de 
s'y  procurer  quelques  ressources  par  la  vente 
d'un  assez  long  poëme,  intitulé  :  Le  démon 
Amour,  que  nous  n'avons  pas.  Le  libraire  à  qui 
il  demandait  vingt-cinq  florins  n'en  voulut  donner 
que  dix  huit,  et  Schiller  garda  son  manuscrit. 
En  compagnie  de  Streicher,  qui  ne  l'avait  point 
quitté,  H  se  rendit  àMayence,  puis  •  Oggersheim, 
petite  ville  voisine  de  Mannheim.  Ayant  mis  la 
dernière  main  au  drame  de  Fiesque ,  il  l'envoya 
à  Dalberg.  Un  refus  ayant  accueilli  sa  nouvelle 
tentative,  il  fit  imprimer  sa  pièce  par  le  libraire 
Schwan,  et  en  reçut  un  louis  par  feuille.  La 
petite  somme  qu'il  retira  de  ce  marché  lui  per- 
mit de  payer  son  aubergiste  et  d'entreprendre 
le  voyage  de  Thuringe,  où  la  mère  de  deux  de 
ses  camarades  de  l'Académie,  Mrae  de  Wolzo- 
gen,  lui  avait  offert  un  asile,  dans  sa  maison  de 
Bauerbach,  près  Meiningen.  Il  séjourna  sept 
mois  dans  cette  demeure  écartée,  au  milieu  des 
forêts  et  des  montagnes,  donnant  tout  son  temps 
à  l'étude  et  à  l'amitié.  Sur  l'invitation  de  Dal- 

17. 


519 


berg,  il  revint  à  Mannheim  le  27  juillet  1783,  et 
accepta  un  engagement  d'un  an  comme  poëte 
du  théâtre,  avec  300  florins  d'honoraires.  Les 
Brigands  furent  repris  avec  un  succès  pareil 
à  celui  des  premières  représentations  ;  Fiesque, 
remanié  à  nouveau,  et  joué  le  11  janvier  1784, 
fut  peu  goûté  du  public;  mais  Intrigue  et 
amour,  donnée  lé  15  avril  suivant,  fit  éclater 
des  applaudissements  unanimes.  Au  milieu  de 
novembre,  n'ayant  pu  obtenir  de  Dalberg  un 
congé  qu'il  demandait  pour  se  livrer  plus  com- 
plètement au  travail,  Schiller  donna  sa  démis- 
sion, et  se  trouva  de  nouveau  sans  ressources. 
Il  se  remit  à  Don  Carlos,  qu'il  avait  commencé 
au  printemps,  et  il  entreprit  en  mars  1785  la 
publication  d'une  revue  littéraire  et  esthétique, 
la  Thalie  rhénane.  Quelques  mois  auparavant, 
il  avait  été  présenté  au  duc  de  Weimar,  Charles- 
Auguste,  qui  était  venu  àDarmstadt;  cette  en- 
trevue lui  valut  le  titre  de  conseiller.  Au  com- 
mencement d'avril  1785,  il  fit  ses  adieux  à  Strei- 
cher  (1)  et  s'éloigna  de  Mannheim.  Il  était  las  de 
son  séjour  dans  cette  ville,  et  dégoûté  de  la  car- 
rière dramatique.  Les  exigences  mesquines  des 
acteurs  exaspéraient  son  génie  irascible;  il  était 
d'ailleurs  peu  flatté  des  succès  que  lui  avaient 
valus  des  pièces  révolutionnaires,  et  il  sentait 
la  nécessité  de  se  régénérer  par  de  longues  médi- 
tations, par  des  études  philosophiques  et  his- 
toriques. 11  s'était  lié  avec  le  père  de  Théodore 
Kœrner  ;  il  alla  le  rejoindre  à  Leipzig  et  l'ac- 
compagna ensuite  à  Dresde.  Dans  les  pittores- 
ques environs  de  cette  ville,  il  acheva  Don 
Carlos,  qui  parut  en  1787;  mais  ce  drame  date 
de  la  rédaction  définitive  de  1804. 

An  mois  d'août  1787,  Schiller  alla  se  fixer  à 
Weimar,  au  centre  du  mouvement  intellectuel  ; 
il  n'y  fut  pas  reçu  d'abord  comme  il  l'espérait. 
On  paraissait  nourrir  quelque  méfiance  contre 
l'écrivain  dont  la  verve  révolutionnaire  avait 
failli  incendier  l'Allemagne.  Dans  le  monde  in- 
tellectuel ,  les  fautes  s'expient  aussi  bien  que 
dans  le  monde  moral.  Il  se  sentait  lui-même 
dans  un  état  de  pénible  transition,  et  il  sem- 
bla renoncer,  pendant  une  série  d'années,  à 
l'emploi  de  ses  puissantes  facultés  poétiques, 
pour  se  plonger  dans  l'étude  de  ia  philosophie 
de  Kant,  et  pour  chercher  dans  l'histoire  le  se- 
cret des  grands  caractères  tragiques.  Un  événe- 
ment heureux  vint  interrompre  l'existence  re- 
tirée et  monotone  du  poëte.  Passant  par  Ru- 
dolstadt,  il  fut  présenté  à  Mme  de  Lengenfeld 
et  à  ses  deux  filles;  la  plus  jeune,  Charlotte,  réu- 
nissait toutes  les  qualités  qui  pouvaient  donner 
le  bonheur  à  un  époux  tel  que  Schiller  :  elle 
était  simple,  pieuse,  aimante  ;  à  la  faculté  de 
comprendre  un  homme  de  génie  elle  unissait 
une  puissance  de  dévouement  qui  dut  être  inap- 
préciable pour  Schiller  durant  ses  fréquentes 
maladies,  et  qui  a  sans  contredit  prolongé  de 

(1,  Il  est  mort  à  Vienne,  en  1833,  fabricant  de  pianos. 


SCHILLER  520 

dix  ans  cette  existence  à  la  fois  frêle  et  pré- 
cieuse.   Le  mariage  fut  conclu  le  20  février 
1790,  quelques   mois  après  que  le  duc  de  Wei- 
mar eut  nommé  Schiller  professeur  à  Iéna,  dans 
la  chaire  d'histoire  que  venait  de  quitter  Eichhorn. 
Les  leçons  du   nouveau  professeur  eurent  ue 
succès  dû  plutôt  à  son  éloquence  et  à  son  ima- 
gination  brillante  qu'à  son  érudition,  quoiqu'il 
fût  un  travailleur  infatigable.  Les  ressources  du 
jeune  ménage  étaient  fort  médiocres ,  et  Schillei 
mettait   une  grande  activité  à   les  augmenter, 
Outre  ses  cours   d'histoire,  il  fit,  en  1790,  m  ! 
cours  privé  d'esthétique  sur  la  tragédie,  et  achev; 
la  première  partie  de  VBistoire  de  la  guerrt 
de  trente  ans  (1).  Ces  travaux  contribuèrent; 
miner  sa  santé.  Au  mois  de  janvier  1791  il  (u 
saisi  à  Erfurt  d'un  violent  accès  de  fièvre.  Le  len 
demain  de  son  retour  à  Iéna,  le  mal  éclata,  e  S 
une  maladie  de  poitrine  le  mit  à  deux  doigts  di  j, 
tombeau  ;  on  répandit  même  la  nouvelle ,  heu  I 
reusement  fausse,  de  sa  mort.  Du  fond  du  Da 
nemark,  le  duc  de  Holstein-Angustenbourg  et  [  I 
comte  de  Schimmelmann  écrivirent  au  poëte  e  i" 
lui   offrirent  une  pension   pour  lui   donner  1 1 
temps  de  réparer  ses  forces  délabrées.  Schille 
refusa.  Une  récompense,- qu'il  était  loin  d'at  | 
tendre  et  qu'il  ne  connut  que  bien  plus  tard,  h; 
arriva  de  l'autre  côté  du  Rhin;  la  Conventio 
adopta,  le  26  août  1792,  un  décret  qui  donnai 
le  titre  de  citoyen  français  à  dix-sept  étrangers 
parmi  lesquels  se  trouvait  Schiller  (2). 

Au  printemps  de  1793,  Schiller,  qui  avai 
déjà  renoncé  à  l'enseignement  public,  fut  encor 
contraint  par  sa  mauvaise  santé  de  cesser 
cours  qu'il  faisait  chez  lui.  Il  partit  pour  so 
pays  natal,  qu'il  n'avait  pas  vu  depuis  onze  ans 
Le  duc  de  Wurtemberg,  auquel  il  avait  écr 
une  lettre  respectueuse,  ne  lui  avait  pas  rt 
pondu  ;  mais  il  avait  dit  :  «  S'il  entre  en  Wu 
temberg,  je  l'ignorerai.  »  Schiller  passa  neuf  moi 
dans  sa  famille  avec  sa  femme,  qui,  le  14  ser 
tembre  1793,  accoucha  d'un  fils*  (3).  A  son  r< 
tour  à  Iéna,  il  se  lia  avec  Guillaume  de  Huit 
boldt,  et  bientôt  avec  Gœthe,  qui  exercèrent  toi 
deux  sur  son  développement  poétique  une  sali 
taire  influence.  II  avait  eu  en  1788,  à  Rudolstad 
sa  première  entrevue  avec  Goethe,  qui  l'ava 
présenté  à  la  duchesse  Amélie,  douairière  c 
Weimar;  mais  il  ne  s'était  pas  senti  d'abord  a 
tiré  vers  le  grand  écrivain,  qui  jugeait  le  monc 

(1)  Cette  histoire  parut  d'abord  dans  l' Ahnanaçh  â 
Dames  (1790-1793).  En  17S8  il  avait  publié  l'Histoire  t 
soulèvement  des  Pays-Rus  imis  (Leipzig |. 

(2)  «  Le  procès-verbal  delà  séance  métamorphosa  Seli 
1er  en  Giller;  le  Moniteur  allongea  Giller  en  Gillcers; 
Bulletin  des  lois  imprima  tout  bonnement  Gille,  etc'ej 
à  M.  Gille, publiciste  allemand,  en  Allemagne,  que  le  m 
nistre  Roland  adressa,  le  10  octobre  1792,  te  diplôrao  i 
citoyen  français.  Cet  imprimé  n'arriva  qu'au  bout  de  ciil 
ans  à  sa  destination.  On  le  conserve  à  la  Bibliothèqq 
publique  de  Weimar.  »  (  A.  Régnier.) 

(3)  Cfiarles-Frëdéric-r.ouis  Schiller,  qui  a  élé  co  i 
servateur  des  forêts  et  est  mort  à  Stuttgard,  le  21  ju 
1857.  Son  01s,  Frédcric-Louis-Ernest,  né  en  1826,  este | 
licier  dans  l'armée  autrichienne. 


521 


SCHILLER 


522 


autrement  que  lui.  Chargé  par  le  libraire  Cotla 
de  diriger  le  journal  mensuel  intitulé  les  Heures, 
il  demanda,  le  13  juin  1794,  le  concours  de 
Goethe;  celui-ci  lui  répondit,  le  24  juin,  qu'il  fe- 
rai! de  tout  cœur  partie  de  la  société,  et  dans 
une  visite  à  léna,  qui  suivit  de  près  cette  lettre, 
il  vit  Schiller  et  s'entretint  avec  lui  sur  divers 
sujets.  Bientôt  de  ces  relations  naquit  entre  eux 
une  douce  et  confiante  amitié.  C'est  ici  que  finit 
dans  la  vie  de  Schiller  l'époque  de  transition 
dans  laquelle  il  était  entré  lors  de  la  composi- 
tion de  Don  Carlos.  La  philosophie,  qui  pen- 
dant dix  années  avait  subjugué  son  imagination 
créatrice,  cède  maintenant  le  pas  à  celte  noble 
faculté,  désormais  réglée  et  mise  au  service  des 
grandes  idées  de  liberté  légale,  des  droits  im- 
prescriptibles de  l'homme,  de  la  civilisation  du 
génie  humain  par  l'art.  Le  poëte  confie  aux 
Heures  et  à  YAlmanach  des  Muses  ses  belles 
inspirations  lyriques,  ses  ballades,  ses  traduc- 
tions libres  de  Virgile  et  d'Euripide,  ses  beaux 
traités  sur  les  questions  d'esthétique  ou  de  phi- 
losophie ,  traités  qui  ont ,  à  vrai  dire,  popularisé 
en  Allemagne  les  théories  de  Kant  sur  le  beau.  Il 
suffira  de  citer  le  traité  Sur  la  grâce  et  la 
dignité  (1793);  les  Lettres  sur  l'éducation  es- 
thétique de  V homme  (1795);  le  traité  Stir  la 
poésie  naïve  et  sentimentale  ;  celui  Sur  le  su- 
blime; c'est  aussi  dans  YAlmanach  des  Muses 
que  parurent,  en  1796,  les  Xénies,  mordantes 
épigrammes  qu'il  composa  avec  Gcethe,  «  re- 
nards enflammés,  dit-il,  dans  le  camp  des  phi- 
listins ».  Ce  fut  dans  toute  l'Allemagne  un  scan- 
dale et  un  tumulte  sans  pareil.  Les  deux  poètes 
laissèrent  gronder  l'orage,  résolus  à  ne  pas  lan- 
cer de  nouveaux  traits.  En  même  temps,  Schil- 
ler composait  sa  vaste  trilogie  de  Wallenstein , 
résumé  poélique  de  ses  longues  études  sur  la 
guerre  de  Trente  ans  (  les  trois  pièoes  ne  furent 
pas  représentées  simultanément,  mais  dans  le 
courant  d'une  année,  1799  à  1800).  Enfin,  de  1800 
à  1805,  ce  fut  le  tour  de  Marie  Stuart  (1800), 
de  la  Pucelle  d'Orléans  (1801),  de.la  Fiancée 
de  Messine  (1803),  de  Guillaume  Tell  (1804), 
de  la  traduction  de  Phèdre  (1805),  et  d'une  sé- 
rie d'ébauches  dramatiques,  qui  toutes  promet- 
taient des  chefs-d'œuvre ,  lorsqu'une  mort  pré- 
coce vint  arrêter  les  battements  de  ce  noble 
cœur. 

C'est  à  la  fois  un  triste  et  beau  tableau  que 
celui  des  dernières  années  de  Schiller,  à  voir 
cette  haute  intelligence  emprisonnée  dans  un 
corps  rebelle  et  faisant  des  efforts  surhumains 
pour  imposer  à  de  frêles  organes  le  pesant  far- 
deau du  travail  nocturne,  les  ébranlements  de 
l'inspiration,  les  soucis  rongeurs  de  l'amour  pa- 
ternel. II  faudrait,  pour  donner  un  récit  fidèle  de 
cette  lente  agonie,  grouper  autour  de  Schiller 
tous  les  noms  célèbres  de  Weimar,  où  il  était 
établi  depuis  le  4  décembre  1799;  montrer  l'af- 
fection tendre  de  Gcethe  pour  cet  ami  plus  jeune, 
mais  marqué  du  sceau  fatal  de  la  destruction; 


peindre  la  touchante  amitié  de  sa  belle-sœur, 
Mme  de  Wolzogen  (1),  femme  dévouée,  qui  re- 
cueillit le  dernier  soupir  du  poêle ,  et  raconta 
avec  une  inimitable  simplicité  ses  derniers  mo- 
ments. 

Le  29  avril  1805,  Schiller,  qui  avait  été  déjà 
alité  à  plusieurs  reprises  par  la  maladie,  alla  pour 
la  dernière  fois  au  théâtre.  A  la  fin  delà  repré- 
sentation, il  rentra  chez  lui  agité  d'une  fièvre  ar- 
dente. Le  surlendemain,  il  fut  obligé  de  rester 
couché.  Le  6  mai ,  il  commença  à  parler  avec 
moins  de  suite;  le  9,  vers  dix  heures  du  matin,  il 
perdit  connaissance  et  délira  ;  vers  trois  heures 
du  soir,  sa  respiration  commença  à  s'embar- 
rasser; à  six  heures  il  rendit  le  dernier  soupir. 
Après  l'autopsie,  on  vit  que  s'il  eût  guéri  de 
cette  fièvre,  il  n'aurait  pu  vivre  que  quelques 
mois.  Il  ne  respirait  plus  qu'avec  le  poumon 
droit,  qui  lui-même  était  en  partie  adhérent. 
Schiller  était  âgé  de  quarante-cinq  ans  cinq 
mois  et  vingt-neuf  jours.  Lorsque  le  bruit  de  sa 
mort  se  fut  répandu  dans  la  ville  de  Weimar, 
ce  fut  un  deuil  public  ;  le  théâtre  ferma  ses  portes; 
on  n'apercevait  dans  les  rues  que  des  physiono- 
mies attristées  ;  et  lorsque  Gcethe,  malade  lui- 
même,  eut  deviné  au  silence  de  ses  amis  la  fa- 
tale nouvelle,  les  sanglots  de  cet  homme,  qui 
ordinairement  maîtrisait  toutes  ses  impressions 
et  toutes  ses  douleurs,  éclatèrent  avec  force  (2). 

Schiller  est  à  la  fois  poëte,  historien,  philosophe 
et  critique.  Nous  avons  déjà  signalé  une  partie 
de  ses  travaux  ;  mais  quoique  Y  Histoire  de  la 
guerre  de  Trente  ans  et  celle  du  Soulèvement 
des  Pays-Bas  conservent  une  haute  valeur  dans 
le  monde  littéraire,  quoique  les  nombreuses  com- 
positions philosophiques,  esthétiques,  critiques 
de  Schiller  montrent  avec  quelle  facilité  ce 
brillant  génie  savait  se  plier  aux  exigences  de  la 
spéculation,  à  laquelle  il  prêtait  le  secours  de  son 
imagination  riante  et  de  son  langage  coloré, 
nous  ne  saurions,  dans  une  esquisse  rapide,  nous 
arrêter  au  développement  de  cette  portion  de 
son  activité  intellectuelle.  Il  faut  avant  tout  en- 
visager le  poëte  lyrique  et  le  poëte  dramatique: 
car  c'est  par  les  deux  volumes  de  poésies,  im- 
proprement appelées  fugitives,  et  par  ses  tra- 
gédies, qui  sont  dans  toutes  les  mémoires ,  qu* 
Schiller  a  agi  sur  ses  contemporains  et  qu' 
agira  sur  la  postérité.  Depuis  Kant  et  son  poé- 
tique disciple  de  Weimar,  la  philosophie  alle- 
mande a  déjà  traversé  quatre  ou  cinq  révolu- 
tions nouvelles.  L'étude  plus  approfondie,  des 
sources  a  éclairci,  mieux  que  ne  pouvait  le  faire. 
Schiller,  plusieurs  points  des  guerres  religieuses 
d'Allemagne;  mais  ses  œuvres  poétiques  brillent 

(1)  C'était  la  sœur  aînée  de  Charlotte;  elle  avait  épousé 
le  fils  de  la  protectrice  de  Schiller. 

(2)  Le  s  mai  18S9  fut  inaugurée  à  Stuttgard  la  statue  en 
bronze  de  Schiller,  due  à  Thorwaldsen.  En  novembre 
1859  le  centième  anniversaire  de  la  naissance  de  Schiller 
a  été  célébré  dans  toutes  les  villes  importantes  d'Allema- 
gne, par  les  fêtes  d'un  jubilé  où  les  princes  et  les  peuples 
ont  montre  de  véritables  transports  d'enthousiis.ue. 


623  SCHILLER 

aujourd'hui,  à  quarante  ans  de  distance,  du 
même  éclat  que  le  jonr  où  un  public  enthou- 
siaste applaudissait  à  leur  première  apparition. 
C'est  un  poète  idéaliste;  il  transforme  tout  ce 
qu'il  touche  de  sa  baguette  magique;  il  enno- 
blit les  passions,  même  celles  qui  tiennent 
du  crime  ou  qui  y  conduisent;  il  purifie  l'amour 
et  lui  rend  son  innocence  première;  il  jette 
jusque  sur  la  laideur  morale  un  vernis  qui, 
sans  l'excuser,  la  rend  supportable  à  la  vue. 
Le  secret  de  ces  métamorphoses ,  il  le  trouve 
dans  son  propre  cœur.  Schiller  a  été  anobli  par 
l'empereur  d'Allemagne  (7  sept.  1802),  et  cer- 
tes jamais  titres  de  noblesse  n'ont  été  mieux 
mérités;  car  Schiller  est  le  noble  créateur  de 
pensées  pures  et  consolatrices.  Il  a  découvert, 
comme  Raphaël ,  le  secret  du  beau  dans  l'art. 
La  tendance  idéaliste  de  Schiller  n'expliquerait 
cependant  pas  à  elle  seule  eet  assentiment  uni- 
versel que  son  œuvre  a  rencontré  dans  tous  les 
pays  du  monde  civilisé;  car,  à  l'exception  de 
Walter  Scott  et  de  lord  Byron,  il  n'existe,  que 
nous  sachions,  pas  un  seul  auteur  moderne  qui 
ait  trouvé  autant  de  traducteurs  et  d'imitateurs. 
Nous  croyons  voir  le  motif  de  cette  prédilec- 
tion instinctive  dans  le  cosmopolitisme  ou  le  ca- 
ractère humanitaire  de  l'auteur  de  Don  Car- 
los. Schiller  a  fait  avant  tout  vibrer  toutes  les 
fibres  de  la  nature  allemande;  mais  par  son  atta- 
chement exalté  aux  droits  du  genre  humain  il 
sympathise  avec  toutes  les  nations.  Si  nous  ne 
devions  craindre  d'éveiller  de  pénibles  souvenirs 
et  de  donner  lieu  à  de  fausses  interprétations, 
nous  dirions  qu'il  est  le  prêtre  de  la  raison  et  de 
la  vérité;  poète  philosophe  dans  la  plus  pure 
acception  du  mot,  il  parle  un  langage  qui  a  dû 
être  compris  par  tous  les  cœurs  généreux,  sans 
acception  de  nationalité.  Ce  langage,  on  peut 
souvent  y  reprocher  un  peu  de  déclamation 
oiseuse;  mais  par  combien  de  beautés  Schiller  ne 
rachète-t-il  pas  ces  hors-d'œuvre  lyriques  épars 
dans  ses  tragédies  ! 

Examinez  une  à  une  ses  tragédies  :  vous 
trouverez  dans  chacune  d'elles  une  idée  géné- 
rale, qui  doit  intéresser  l'habitant  des  rives  de 
la  Seine  au  môme  titre  que  l'habitant  des  bords 
de  l'Elbe.  Dans  les  Brigands,  c'est  la  haine  de 
l'arbitraire;  dans  Fiesque,  la  lutte  du  républi- 
canisme et  de  l'usurpation  monarchique;  dans 
Intrigue  et  Amour,  la  haine  de  la  bourgeoisie 
contre  l'aristocratie  d'une  petite  cour,  la  lutte  de 
l'amour  avec  les  combinaisons  machiavéliques. 
Dans  Don  Carlos,  c'est,  par  un  heureux  ana- 
chronisme, le  dix-huitièmé  siècle  avec  ses  idées 
de  réforme  en  présence  du  despotisme  royal  et 
des  traditions  tyranniques  du  vieux  monde,  c'est 
l'illuminisme  ou  la  franc-maçonnerie  en  face  de 
l'inquisition,  la  philosophie  en  face  de  l'Église; 
dans  Wallensteïn,  c'est  la  haute  ambition  d'une 
individualité  puissante,  qui  veut  exploiter  à  son 
protit  exclusif  et  égoïste  les  embarras  d'une 
guerre  civile,  allumée  pour  de  graves  intérêts 


524 
politiques  et  religieux  ;  Wallenstein,  c'est  Bona- 
parte en  miniature.  Dans  Marie  Stuart,  vous 
vous  trouverez  encore  une  fois  en  présence  de 
deux  cultes  hostiles,  symbolisés  par  deux  reines 
rivales.  Dans  Jeanne  d'Arc,  dans  Guillaume 
Tell  et  dans  le  beau  fragment  du  Faux  D6- 
métrius,  c'est  l'amour  du  sol  natal  qui  se  dresse 
contre  l'invasion  étrangère-  La  moins  acceptée 
des  pièces  de  Schiller,  la  Fiancée  de  Messine 
(avee  des  chœurs  d'une  facture  admirable),  est 
précisément  celle  qui  ne  met  point  en  relief  une 
de  ces  idées  eosmopolifes  qui  depuis  la  révolu- 
tion de  1789  sont  en  quelque  sorte  dans  l'air 
que  nous  respirons.  Enfin,  dans  tous  ces  drames 
apparaissent  des  caractères  d'une  angélique 
pureté,  tels  que  la  comtesse  de  Fiesque,  Fer- 
dinand et  Louise,  Max  et  Thecla,  Elisabeth 
de  France,  la  vierge  de  Domremy,  la  prisonnière 
de  Fotheringhay,  Béatrice  de  Sicile,  Marfa;  enfin 
ce  noble  et  brave  Guillaume  Tell,  à  la  main  si 
pure,  que  le  meurtre  même  ne  parvient  pas  à  la 
souiller,  à  l'intelligence  si  droite,  à  la  conscience 
si  haute,  que  la  torture  morale  la  plus  violente 
que  puisse  subir  un  père  ne  parvient  pas  à  la 
courber. 

Nous  ne  donnerions  qu'une  idée  imparfaite  de 
l'influence  exercée  par  Schiller,  si  nous  ne  je- 
tions un  coup  d'œil  sur  l'ensemble  de  ses  poésies 
romantiques  et  lyriques  (1).  Les  premières ,  ses 
ballades  et  romances,  ont  été  presque  toutes 
composées  à  lénaet  à  Weimar,  c'est-à-dire  dans 
la  dernière  partie  de  sa  trop  courte  carrière; 
aussi  portent-elles  toutes,  dans  la  facture  ei  dans 
l'idée  mère,  le  cachet  de  la  perfection.  Comme 
dans  les  drames,  la  tendance  idéale  du  poète  pré- 
domine dans  ces  compositions  plus  restreintes. 
Dans  la  ballade  du  Chevalier  de  Toggenbourg, 
c'est  l'amour  désintéressé,  l'abnégation  chrétienne 
qui  est  mise  en  relief;  dans  Fridolin ,  c'est  la 
naïve  piété,  l'innocence  d'un  cœur  pur;  dans  le 
Chevalier  de  Rhodes  ^  l'obéissance  passive 
à  la  règle;  dans  Héro  et  Léandre,  la  fidélité 
jusqu'à  la  mort.  Le  Plongeur  symbolise  la  lutte  i 
de  l'amour  héroïque  avec  les  monstres  de  l'a-  j 
bîme;  la  Caution  rajeunit  le  lieu  commun  de 
l'amitié;  Polycrate  prêche  l'humilité  dans  la 
grandeur  et  la  fortune.  Dans  un  seul  de  ces  ta- 
bleaux de  genre,  Schiller  déroge  à  ses  habitudes 
sérieuses,  et  se  donne  le  passe-temps  de  l'ironie  ; 
(le  Chevalier  Delorges,  ou  le  Gant). 

Parmi  ses  poésies  lyriques,  nous  rejetons 
celles  qui  émanent  de  la  première  période  ;  ce . 
sont,  pour  la  plupart ,  des  morceaux  emphati-j 
ques.  11  faut  excepter  toutefois  de  cette  condam-  j 
nation  un  tableau  plein  de  mouvement,  la  Ba-  j 
taille,  et  le  chant  sauvage  des  Brigands,  cette 
marseillaise  de  la  populace  allemande  et  des 
étudiants  tapageurs.  La  passion  qui  avait  inspiré 

(1)  L'espace  nous  manque  pour  parler  en  détail  de 
Schiller  romancier.  Son  risioiinaire  (17S6-89)  n'est  d'ail- 
leurs qu'un  beau  fragment  ;  l'aubergiste  au  soleil  est 
une  curieuse  étude  psychologique. 


15 


SCHILLER  —  SCHIMMELPhÎMMiNCK 


i>2G 


Vers  à  Laure  n'était  ni  pure  ni  sincère; 
ism  les  chants  erotiques  de  cette  première 
riode  ont-ils  dû  s'en  ressentir.  A  l'époque  de 
însilion  appartiennent  :  1°  l'ode  sublime  A  la 
te  (1786),  qui  a  valu  peut-être  autant  départo- 
ns à  Schiller  que  sa  plus  belle  tragédie  ;  2°  Re- 
lation (1780),  cette  élégie  du  désespoir,  où 
poète  flotte  indécis  entre  la  foi  et  le  néant  ; 
Les  Dieux  de  la  Grèce  (1788),  protestation 
étique,  mais  impie,  contre  le  monothéisme 
lionalistc.  Il  faut  bien  dire  toute  la  vérité  : 
liiller  pendant  une  dizaine  d'années  (1780- 
90)  a  été,  comme  tous  les  hommes  à  forte 
agination,  en  proie  à  des  doutes  cruels.  L'é- 
le  de  la  philosophie  ne  l'avait  jeté  que  plus 
antdans  cette  voie  fatale.  Plus  tard,  le  bonheur 
utestique,  les  souvenirs  vivaces  de  l'enfance  et 
I.  épreuves  de  la  vie  le  ramenèrent,  sinon  aux 
nances  dogmatiques  de  ses  premières  années, 
moins  à  la  foi  inébranlable  dans  un  avenir  au 
[là  des  tombeaux. 

{Beaucoup  de  poésies  de  la  dernière  époque  de 
liiller  ont  un  caractère  philosophique  et  di- 
!  clique.  Le  poète,  fort  de  la  régénération  qui 
•st  opérée  en  lui,  sait  condenser  en  quelques 
irs  sublimes,  en  quelques  images  frappantes 
vérité ,  les  convictions  qu'il  a  conquises, 
pis  sont  les  Paroles  de  foi,  les  Paroles 
fi  l'illusion,  les  Artistes  (1789)  la  Cloche 
300) ,  cette  revue  poétique  des  principales 
mses  de  la  vie  humaine;  l'incomparable  pièce 
titulée  :  V Idéal  et  la  vie,  ou  le  Royaume 
\'s  ombres  (1795),  parallélisme  ingénieux  et 
fofond  entre  l'existence  terrestre  et  cette  vie 
int  désirée,  «  où  résident  les  formes  pures,  où 
mragan  de  la  douleur  necourbeplus  les  âmes». 
'autres  pièces  de  ce  recueil  sont  du  domaine 
pgiaque.  Nous  ne  citerons,  dans  cette  catégo- 
[e,  que  la  belle  épître  A  un  ami  à  l'entrée 
u  nouveau  siècle,  où  le  poète  retrace  en 
uelques  vers  l'état  de  l'Europe  en  1800, 
pis  les  Illusions,  élégie  ou  ode  pleine  de 
[ei've,  de  candeur  et  de  tristes  vérités.  Bon 
■ombre  de  ces  vers  de  la  troisième  période  ont 
f;  caractère  épigrammatique  ou  gnomique;  ce 
\M  les  produits  des  conférences  de  Schil- 
pr  avec  le  créateur  de  Méphistophélès  et  de 
jaust  Dans  beaucoup  de  pièces,  l'auteur  ra- 
fiunit  les  sujets  usés  de  la  mythologie  et  de  1  âge 
éroïque  des  Grecs  (Cassandre,la  Plainte  de 
l'érès,  les  Grecs  après  la  prise  de  Troie,  etc.). 
i  nous  ajoutons  que  d'autres  vers  chantent  l'a- 
lour,  mais  un  amour  qui  n'a  plus  rien  de  com- 
mun avec  les  inspirations  dues  à  une  Laure 
jmrtembergeoise ,  nous  aurons  indiqué  les 
irineipales  rubriques  sous  lesquelles  peuvent  se 
[épartir  les  productions  lyriques  de  Schiller. 
i  Nous  ne  pouvons  entrer  ici  dans  le  détail  des 
Citions  particulières  des  écrits  de  Schiller  ; 
;ious  renvoyons  pour  cette  bibliographie  au 
f  cailler- Literalur  in  Deutschland  (  Cassel, 
|85l,  in-8°),  au  Schillerbibliotek  (Leipzig, 


1855,  in-8°),au  Grundriss  zur  Geschichte  der 
deulschen  Dichtung  de  Godeke  (Dresde,  1862, 
in-8"),  au  Serapeum  (t.  II  et  III,  1841-1842). 
La  meilleure  édition  de  ses  Q-luvres  complètes 
est  celle  de  Stuttgard,  1802,  12  vol.  in-8°.  Nous 
citerons  parmi  le*  éditions  précédentes  celles 
de  Tubingue  et  Stuttgard,  1812-1815,  l'2  vol. 
in-8°;  de  Vienne,  1816,  20  vol.  iu-12  ;  deCarls- 
ruhc,   1816-1817,    18  vol.    in-18  ;    de   Leipzig, 

1824,  18  vol.  in-13;  de  Stuttgard,  1830,  1834, 

1840,  un  vol.  gr.  in-8°;  de  Paris,  1835,  1837, 
2  vol.  gr.  in-8°  à  2  col.  Les  Œuvres  complètes 
ont  été  traduites  en  français  par  Ad.  Régnier; 
Paris,  1859-1861,  S  vol.  gr.  in-8°.  Plusieurs 
parties  des  œuvres  de  Schiller  avaient  été  tra- 
duites auparavant  :  V Histoire  de  la  guerre  de 
Trente  ans,  par  d'Arnay  (1794,  2  vol.  in-80): 
par  M.  Ch.  [Chamfeu]  (Paris,  1803,  2  vol. 
in-8°),  par  Mailher  de  Chassât  (  Paris,  1820, 
2  vol.  in-8°);  —  V Histoire  du  soulèvement 
des  Pays-Bas,  par  J.-J.  Cloet  (Bruxelles,  1821, 
in-8°),  par  le  marquis  de  Châteaugiron  (Paris, 
1827,  2  vol.  in-S°),  par  L'Héritier  (Paris,  1833); 
—  les  Œuvres  dramatiques,  par  M.  de  Ba- 
rante  (Paris,  1821.6  vol.  in-8°;  1844  et  1863, 
1  vol.  in-8°),  par  M.  Mayer  (  Paris,  1835,  gr. 
in-8°  à  2  col.  ),   par   M.  X.  Marmier  (Paris, 

1841,  1849,  2  vol.  in-18  ;  1855,  3  vol.  in-18). 
On  sait  que  la  Marie  Stuart  de  M.  Lebrun 
(  1820  )  est  une  imitation  de  celle  de  Schiller,  et 
que  Benjamin  Constant  a  imité  le  drame  de 
Walstein  (Paris,  1809,  in-8°)  ;  —  les  Poé- 
sies, en  partie  par  X.  Marmier  (Paris,  1840), 
et  plus  complètement  par  P.-F.  Mùller  (  Mont- 
pellier et  Paris,  185S,  in-12);  —  les  Mélanges 
philosophiques,  esthétiques  et  littéraires,  pa; 
F.  Wege  (Paris,  1840,  in-8°).        L.  Spach. 

A.  Régnier,  Vie  de  Schiller,  à  la  têle  de  la  trad.  des 
OEuvres  complètes.  —  Barante  (  De),  Notice  à  la  tète  de 
la  trad.  des  OEuvres  dramatiques.  —  X  Marmier,  Vie 
de  Schiller,  dans  la  Revue  des  deux  mondes  (1er  oct. 
1840).  —  VJana,  Schiller's  rtnd  Gœthe's  Leben,  nebst 
kritischer  fViirdigung  ihrer  Scfiriften  ;  1826,  2  vol. 
in-8".  —  Th.  Carlyle,  Life  of  Schiller  ;  Londres,  1830, 
in-8".  —  Caroline  de  Wolzogen,  Schiller's  Leben, ver- 
fasst  aus  Erinnerungen  der  Famille;  Stuttgard,  1830- 
1843,  2  vol.  in-8°.  —  Gust.  Schwab,  Uriunden  ûber 
Schiller  und  seine  Familie  ;  Stuttgard,  1840.  in-8°.  — 
Cari  Hoffmeister,  Schiller's  Leben,  Geistes  entwicke- 
limg  und  ÏVerke  im  Zusammenhang  ;  Stuttgard,  1836- 

1842,  5  vol.  rn-8°.  —  Ëd.-Lytton  Bulwer,  Life  and  tcor&t 
of  Schiller  ;  Londres,  1847,  in-8°. --  Schiller  und  Lotte, 
1788-1789,  par  Mme  Emilie  de  Gleichen-Russwnrm.  fille  de 
Schiller;  Stuttgard  ,1856.  in-8°.  —  Parmi  les  nombreux 
écrits  qui  on!  paru  en  Allemagne  à  l'occasion  du  pre- 
mier jubilé  séculaire  de  Schiller,  et  donl  le  Scfii/ler-I.i- 
teratur  in  Deutschland  contient  la  liste,  nous  remar- 
querons :  Das  Schiller- Buch,  par  Wurzlach  de  Tannen- 
berg  (Vienne,  1859,  in-4°).  et  Schiller-Galerie,  par 
Fr.    Pecht  et   A.   de  Ramberg   (Leipzig,   1859,111-8°). 

schimmelpenninck  (Roger- Jean,  comte);, 
homme  d'État  hollandais,  né  à  Deventer,  le  31 
octobre  1761,  mort  à  Amsterdam,  le  15  février 

1825.  D'une  famille  riche  efr  considérée,  il  reçut 
une  excellente  éducation,  et  fit  son  droit  à  l'uni- 
versité de  Leyde.  Il  y  obtint  l'attachement  et 
la  confiance  de  ses  camarades,  qui  en  1784  le 


527 


SCHIMMELPENNINCK  —  SCHINNER 


choisirent  pour  leur  chef,  au  moment  de  prendre 
les  armes  pour  réprimer  une  émeute  populaire. 
11  se  conduisit  avec  le  courage  et  la  prudence 
exigés  par  la  circonstance,  et  reçut  de  la  régence 
de  Leyde  une  médaille  d'honneur  en  témoignage 
de  la  reconnaissance  publique.  Fixé  à  Amster- 
dam, il  y  jouit  bientôt,  comme  avocat,  de  "es- 
time générale.  Lors  des  troubles  politiques  de 
1735  et  1786,  il  se  prononça  pour  diverses  ré- 
formes, tout  en  s'opposant  à  l'exagération  des 
principes  qu'il  avait  adoptés.  Le  parti  du  sta- 
îhouder  triompha,  par  suite  de  l'intervention 
d'une  armée  prussienne.  Après  la  révolution  de 
1 795,  et  la  fuite  du  stathouder  en  Angleterre, 
Schimmelpenninck,  placé  par  ses  concitoyens  à 
la  tête  de  la  municipalité  d'Amsterdam,  parvint 
à  maintenir  l'ordre,  et  grâce  à  ses  efforts  cette 
révolution  conserva  un  grand  caractère  de  mo- 
dération. Membre  de  la  première  convention 
nationale,  il  y  fit  également  preuve  de  patriotisme 
et  de  talent.  Envoyé  à  la  deuxième  convention, 
qui  fut  bientôt  dominée  par  un  parti  violent,  ii 
refusa  d'y  siéger;  mais  quand,le  12  mai  1798,  ce 
parti  fut  renversé,  Schimmelpenninck  fut  chargé 
de  démontrer  au  Directoire  français  la  nécessité 
de  la  révolution  qui  venait  de  s'accomplir.  Sa 
mission  ayant  eu  le  succès  désirable,  il  fut  nommé 
ambassadeur  à  Paris.  Il  assista  comme  ministre 
plénipotentiaire  au  congrès  où  fut  conclue  la  paix 
d'Amiens  (1802),  puis  il  fut  appelé  à  l'ambassade 
de  Londres.  La  guerre  ayant  éclaté  de  nouveau 
entre  la  France  et  l'Angleterre ,  il  fit  tous  ses 
efforts  pour  que  la  république  batave  pût  rester 
neutre;  mais  elle  fut  forcée  de  prendre  part  à 
une  lutte  sanglante,  qui  acheva  de  ruiner  son 
commerce  et  sa  marine.  Rappelé  de  Londres , 
il  se  retira  dans  ses  terres,  et  s'y  occupa  de  tra- 
vaux littéraires  et  agricoles  ;  mais  il  fut  bientôt 
obligé  d'aller  représenter  son  gouvernement  à 
Paris.  A  peine  était-il  dans  cette  ville,  que  Na- 
poléon, proclamé  empereur,  lui  déclara  que  la 
Hollande  devait  se  choisir  un  chef  unique,  ou 
être  réunie  à  l'empire  français.  Le  gouverne- 
ment batave  chargea  son  ambassadeur  de  con- 
sentir à  tout,  excepté  à  la  réunion.  Un  projet 
de  constitution,  arrêté  à  Paris  par  Napoléon,  et 
qui.  nommait  Schimmelpenninck  chef  inamovible 
de  l'État,  avec  le  titre  de  grand-pensionnaire,  fut 
ensuite  soumis  à  l'acceptation  de  la  nation  hol- 
landaise, et  il  prit  en  mars  1805  les  rênes  du 
nouveau  gouvernement  qu'il  dirigea  avec  sa- 
gesse; mais  l'année  suivante  Napoléon,  vainqueur 
de>  l'Autriche,  érigea  la  Hollande  en  royaume,  et 
mit  à  la  tête  Louis  Bonaparte,  son  frère.  Loin 
d'approuver  ces  actes,  le  grand-pensionnaire  re- 
fusa la  place  de  président  à  vie  de  l'assemblée 
.législative,  et  se  condamna  à  une  retraite  absolue 
pendant  tout  le  règne  du  nouveau  monarque, 
qui  lit  de  vains  elforts  pour  l'attirer  près  de  lui. 
Après  la  réunion  de  la  Hollande  à  la  France, 
Schimmelpenninck,  devenu  sujet  français,  fut 
nommé  comte,  et  appelé  au  sénat  le  30  décembre 


1810.  Son  fils  allait  être  atteint  par  la  conscri 
tion,  et  dans  la  crainte  que  le  pouvoir  ne 
vengeât  sur  ce  fils  de  sa  résistance,  il  vinl  si 
ger  au  sénat  ;  mais  dès  que  sa  patrie  eut  reco; 
vré  l'indépendance,  il  donna  sa  démission, 
14  avril  1814,  et  se  retira  dans  ses  terres.  1 
1815  il  devint  membre  de  la  première  chamb 
des  états  généraux.  Ses  dernières  années  fure 
affligées  par  une  cécité  complète.  On  n'a  de  1 
qu'une  thèse  de  droit  De  imperio  populari  ri 
temperato;  Leyde,  1784,  in-8°.      E.  Regnar 

Moniteur  univ.  —  Rabbe,  Biog.  univ.  et  port,  des  Cq 
temp.  —  La  Cour  de  Hollande  sous  Louis  Bonapar. 

sciiiNNER  {Matthieu),  surnommé  le  ca 
dinal  de  Sion  (1),  né  vers  1470,  à  Mùhlibacl 
petit  village  du  "Valais,  mort  à  Rome,  le  2  octob 
1522.  Fils  d'un  pauvre  paysan,  il  fut  dans  si 
enfance  obligé ,  pour  pouvoir  fréquenter  l'écol 
de  gagner  quelque  argent  en  chantant  dans  l 
rues;  il  étudia  les  belles-lettres  à  Zurich,  et  si 
vit  à  Côme  les  leçons  de  Théodore  Lucino.  1 
retour  dans  son  pays  il  reçut  les  ordres,  et  f 
chargé  d'une  cure  de  village.  Son  éloquence  pe 
suasive,    son  esprit  de  charité,  son  zèle  po 
l'étude  attirèrent  sur  lui  l'attention  de  l'évêqu 
qui  l'attira  à  Sion,  et  lui  donna  un  canonica 
ii  était  administrateur  du  diocèse  lorsqu'on  15i 
il  ceignit  la  mitre  épiscopale,  ce  qui  le  renc 
en  même  temps  suzerain  de  tout,  le  Valais.  Bie 
tôt  il  fut  appelé  à  jouer  dans  les  affaires  del'E 
rope  unrôle  considérable.  Tout  dévoué  aux  int 
rets  de  la  cour  de  Rome,  il  se  rendit  en  15* 
auprès  de  Jules   11 ,  qui    n'eut  pas  de  peii  j 
à  lui  faire  partager  sa  haine  contre  la  Franct  i 
contribua    à    entraîner    les    cantons     suiss 
dans  une  ligue  avec  le  pape,  et  conduisit  li 
même  un  corps  de  huit  mille  confédérés  dai 
le  Milanais  pour  attaquer  le  duc  de   Ferrai  i 
en  apparence,  et  en  réalité  les  Français,  avn 
lesquels  Jules  II  était  sur  le  point  de  rompr  j 
L'expédition  ayant  échoué,  les  mécontents  s'i 
nirent  au  parti  français,  et  chassèrent  l'évêqu 
qui  chercha  un  asile  à  Rome.  Ce  fut  ta  qu 
reçut  le  chapeau  de  cardinal  (20  mars  15-1  f). 
revint  alors  en  Suisse,  et,  profitant  ad roiteme:i 
de  l'irritation    des    habitants    du    canton    < 
Schwytz  contre  les  Français,  qui  avaient  insul 
leur  drapeau,  il  recruta  dix  mille  soldats,  qu 
amena  dans  le  Milanais.  L'habileté  de  Gaston  i 
Foix  lui  fit  essuyer  un  nouvel  échec.  Néanmoiii 
il  négocia  en  1512  à  Venise  au  nom  du  pape  ui  j 
troisième  alliance  avec  les  Suisses.  Vingt  mil 
hommes  passèrent  les  Alpes;  il  les  harangua  | 
Vérone  (2)  et  après  leur  jonction  avec  les  Vén  j 

(1)  Les  Français  lui   avaient   par  dérision  donné  le  si 
briquet  de  Soldat  tondit. 

(2)  «  Les  historiens  disent  oue  Jamais  depuis  saint  Be  | 
nard,  dit  M.  Audin  ,  parole  sacerdotale  n'avait  été  ei 
(rainante  comme  celle  de  l'évèque  de  Sion.  Les  solda 
l'aimaient  et  l'admiraient  ;  il  savait  les  fasciner  de 
voix,  de  la  parole  et  du  regard.  On  le  trouve  aux  avait 
postes,  au  centre,  à  ['arrière-garde,  partout  où  il  y 
l'âme  d'un  soldat  mourant  à  recommander  à  tëicu,  i 
fuyard  à  ramener,  un  rocher  à   rouler  sur  l'ennemi. 


529 


SCFIINNER.  —  SCHLEGEL 


530 


iens,  i!  les  conduisit  contre  les  Français,  qui 
urent  en  quelques  semaines  obligés  d'évacuer 
eurs  possessions  d'Italie.  Après  avoir  contribué 
i  faire  donner  le  duché  à  Maximilien  Sforza,  il 
l'établit  à  Milan  comme  légat  et  lieutenant  gé- 
léral  du  pape.  De  manières  rudes ,  d'un  carac- 
ère  dur,  il  fit  souvent  sentir  sans  ménagement 
mx  ministres  du  jeune  duc  que,  représentant  et 
e  pape  et  les  Suisses,  il  était  le  véritable  maître 
lu  Milanais.  En  1515,  à  l'approche  de  Fsan- 
I  ois  Ier,  il  s'efforça  de  l'arrêter  *dans  les  mon- 
tagnes; mais  il  arriva  trop  tard,  et  faillit  tom- 
|  ier  entre  ses  mains.  Il  revint  alors  à  Monza,  où 
j  ampaient  vingt  mille  de  ses  compatriotes ,  et 
res  emmena  à  Milan.  Une  partie  d'entre  eux  vê- 
laient de  s'entendre  avec  Lautrec;  beaucoup 
l 'autres  élevaient  des  réclamations  au  sujet  de  la 
jolde  arriérée,  et  leur  chef  même,  nommé  Roust, 
1  tait  d'avis  d'accepter  les  propositions  de  paix  que 
:  J  prince  français  avait  renouvelées.  Dans  cette 
pnjoncture  critique,  Schinner,  au  lieu  de  se  dé- 
jourager,  résolut  de  brusquer  l'attaque,  pour 
f  ngager  par  le  sentiment  de  l'honneur  tous  les 
Confédérés  à  combattre  ensemble.  Après  une 
fcrtie,  il  fit  annoncer  (la  nouvelle  était  fausse) 
[ue  l'ennemi  s'avançait  en  ordre  de  bataille.  Ce 
j  u'il  avait  prévu  arriva  :  les  milices,  qui  lui 
ftaient  dévouées,  marchèrent  les  premières,  le 
reste  suivit,  par  esprit  de  corps  et  par  patrio- 
tisme. A  .cheval ,  revêtu  de  la  pourpre  et  pré- 
cédé de  la  croix,  il  les  conduisit  dans  la  plaine 
fe  Marignan ,  où  ils  aperçurent  les  Français  re« 
ranchés  dans  leur  camp.  De  nouveaux  reproches 
[datèrent  contre  lui  :  il  y  mit  un  terme  en  don- 
nant, bien  que  le  soir  approchât,  le  signal  de 
(•attaque.  Dans  le  combat  qui  s'engagea  alors,  il 
lit  sans  cesse  aux  premiers  rangs,  et  tomba  entre 
bs  mains  des  lansquenets;  mais  il  sut  leur 
chapper.  Lorsque  les  Suisses  commencèrent  le 
pdemain  à  battre  en  retraite  (14  sept.  1515), 
|  prouva  par  sa  bravoure  et  son  sang-froid  qu'il 
furait  été  digne,  s'il  n'avait  été  prêtre ,  de  com- 
mander de  pareils  soldats  (1).  Sans  perdre  de 
emps,  il  courut  à  Inspruck  auprès  de  l'empereur 
kour  hâter  l'envoi  des  troupes  qu'il  avait  pro- 
iiis  ;  n'ayant  rien  pu  en  obtenir,  il  mit  tout  en 
teuvre  pour  empêcher  les  Suisses  de  conclure  le 
raité  de  paix  perpétuelle  avec  la  France,  qui  fut 
éanmoins  signé  en  février  1516  par  la  majorité 
es  cantons.  11  s'était  auparavant  rendu  en 
Angleterre  pour  décider  Henri  VIII  à  se  joindre 
ux  ennemis  de  la  France;  le  discours  véhé- 

louchaitsur  la  neige,  comme  le  dernier  goujat;  il  esca- 
lidalt  les  pics  de  glace  comme  un  chasseur  de  chamois  et 
livait  au  camp  comme  un  ascète,  jeûnant  plusieurs  fois 
,i  semaine,  ne  buvant  que  de  l'eau.  » 
i  (1)  Sur  un  des  bas-reliefs  du  tombeau  de  François  Ie*1, 
|  Primatice  a  figuré  le  cardinal  de  Sion  s'élançant 
bntre  les  Français  à  la  tête  des  siens;  d'après  des  por- 
tait? authentiques  qui  nous  restent  de  Schinner,  nous 
oyons  qu'il  était  maigre,  d'une  haute  stature,  qu'il 
Uait  le  front  haut ,  le  nez  proéminent,  le  menton  sil- 
i>onéde  rides;  il  avait  l'habitude  de  garder  l'œilgauehc 
| moitié  fermé. 


ment  qu'il  adressa  à  ce  sujet  au  roi  a  été  publié 
(Londres,  1707,  in-8°)par  Toland,  qui  l'a  aussi 
recueilli  dans  son  Gallus  arclalogus.  Avec  l'ar- 
gent qu'il  avait  rapporté  d'Angleterre  (150,000  flo- 
rins du  Rhin),  il  leva  dans  le  Valais  un  corps  de 
6,000  hommes,  à  la  tête  duquel  il  rejoignit  au 
printemps  de  1516  l'armée  impériale  en  Lom- 
bardie.  Mais  au  lieu  de  marcher  droit  sur  Milan, 
d'après  le  conseil  du  cardinal,  Maximilien  perdit 
un  temps  précieux  en  sièges  inutiles,  ce  qui  fit 
avorter  la  campagne.  Ce  revers  porta  un  coup 
sensible  au  crédit  de  Schinner  auprès  de  ses 
compatriotes;  malgré  ses  efforts,  le  traité  de  paix 
perpétuelle  avec  la  France  fut  accepté  par 
les  cantons  qui  l'avaient  jusque  alors  repoussé 
(novembre  1516).  Dans  l'intervalle  Georges  de 
Flûh,  le  chef  du  parti  hostile  au  cardinal,  et  qui 
avait  presque  toujours  vécu  dans  l'exil,  s'étant 
emparé  du  pouvoir  dans  le  Valais,  exila  Schin- 
ner à  son  tour,  et  brûla  en  1516  son  château  de 
Martigni.  Schinner  réclama  auprès  de  la  diète, 
qui  cita  Georges  devant  son  tribunal  ;  mais  il  se 
forma  dans  le  Valais  un  tiers  parti ,  qui  devenu 
le  plus  fort  fit  bannir  Georges  ainsi  que  Schinner; 
celui-ci  se  retira  alors  à  Rome,  et  ne  prit  plus 
qu'une  part  secondaire  aux  affaires  politiques. 

Si  les  éloges  pompeux  qu'Érasme,  son  protégé, 
lui  a  décernés  sont  évidemment  exagérés,  le 
cardinal  de  Sion  n'en  fut  pas  moins  un  des  per- 
sonnages les  plus  remarquables  de  son  époque. 
François  Ier  savait  l'apprécier  à  sa  juste  valeur 
lorsqu'  il  disait  :  «  Rude  homme  que  ce  Schinner, 
dont  la  parole  m'a  fait  plus  de  mal  que  toutes 
les  lances  de  ses  montagnards.  »  E.-  G. 

P.  Giovio,  Elogia.  —  Anshelm,  Bullinger,  Schodeler, 
Stumpf,  Chroniques.  —  Guicciardlni.  —  B.  Arluni,  Bel- 
lum  veneUun.  —  Bayard,  Fleuranges,  du  Bellay,  Mé- 
moires. —  Glutz-Blozheim,  Geschichte  der  Eidgenossen- 
schaft.  —  Ranke.,  Geschichte  der  romanise/ien  and  ger- 
mariischen  Fœlkerschaften  von  1494  bis  158S. 

schlegel  (Jean-Élie),  poète  allemand,  né 
Ie28  janvier  1718,  àMeissen(Saxe),  mort  le  13  août 
1749,  à  Soroë.  Son  bisaïeul,  Christophe,  avait  été 
prédicateur  à  Leutschau  en  Hongrie  ;  son  grand- 
père  remplit  les  fonctions  de  surintendant  ecclé- 
siastique. Élevé  avec  soin  par  son  père,  qui  était 
conseiller  à  la  cour  d'appel  de  Meissen,  il  acheva 
son  éducation  classique  à  l'école  de  Pforte,  où  il 
composa,  en  1737,  deux  tragédies  envers,  imitées 
d'Euripide,  Hécube  et  lphigénie  en  Tauride; 
elles  furent  jouées  par  ses  camarades,  et  on  pro- 
duisit même  la  seconde  en  1739  au  théâtre  de 
Leipzig.  Le  jeune  poète  venait  alors  d'arriver 
dans  cette  ville  ;  il.  y  étudia  l'histoire  et  la  jurispru- 
dence ,  tout  en  continuant  à  s'essayer  dans  di- 
vers genres  de  littérature.  Il  publia  divers  mor- 
ceaux remarquables  de  critique  et  de  morale 
dans  Critische  Beitrxge,  dans  Belustigungen 
des  Verstandes  und  Witzes,  et  autres  recueils 
dirigés  par  Gottsched;  loin  d'être  un  partisan 
aveugle  de  l'école  de  ce  dernier,  il  la  délaissa 
dans  la  suite,  pour  se  rapprocher  de  Hagedorn  et 
de  Gsertner.  En  1743  il  suivit  à  Copenhague 


531  SCHLEGEL 

l'ambassadeur  Spener,  qui  avait  épousé  une  de 
ses  tantes;  plusieurs  de  ses  comédies,  où  il  pei- 
gnit avec  finesse  la  société  danoise,  furent  tra- 
duites en  danois  et  jouées  sur  le  théâtre  de  la 
cour.  Nommé  en  1748  professeur  d'histoire  à 
l'académie  de  Soroë,  il  mourut  l'année  suivante, 
par  excès  de  travail.  Schlegel  est  sans  contredit 
le  meilleur  auteur  dramatique  que  l'Allemagne 
ait  produit  pendant  la  première  moitié  du  dix- 
huitième  siècle.  Ses  tragédies ,  dont  les  princi- 
pales sont  Canut,  Hermann  et  les  Troijennes, 
se  distinguent  par  une  versification  élégante, 
des  situations  attachantes,  des  caractères  bien 
tracés  ;  mais  elles  manquent  d'animation  et  sont 
inférieures  à  ses  comédies,  surtout  à  celle  intitu- 
lée la  Beauté  muette  y  que  Lessing  déclarait 
être  la  meilleure  pièce  qui  eût  été  écrite  en  Alle- 
magne. Les  poésies  détachées  de  Schlegel  ne 
manquent  ni  de  naïveté  ni  de  grâce.  On  a  de 
lui  :  Der  Freinde  (l'Étranger);  Copenhague, 
i746,  in-8°;  recueil  hebdomadaire,  contenant  des 
remarques,  la  plupart  très-justes,  sur  le  Dane- 
mark, ses  habitants  et  ses  écrivains;—  Thealra- 
lische  Werlte  (Œuvres dramatiques);  ibid.,  1747, 
m-8°  ;— Conjectura  pro  concinanda  veterum 
Danorum  historia  cum  Germanorum  rébus 
gestis;  ibid.,  1749,  in-4°.  Ses  Œuvres  com- 
plètes ont  été  recueillies  par  son  frère  Henri; 
Copenhague  et  Leipzig,  1761-78,  5  vol.  in-8°. 

Hirsching,  Handbuck.  —  Jœrdens,  Lexïkon.—  Schniidt, 
Nekrolog.  -  Cramer,  Gellerts  LeOen,  p.  39  et  suiv.  - 
Literarische  Briefe,  pars  XXI,  p.  107-138.  -  Goethe, 
Œuvres,  t.  XXIV  et  XXV.-  Gervinus,  Geschichte  der 
deutsclien  National-literatur . 

schlegel  (Jean- Adolphe),  prédicateur  et 
poëte  allemand,  frère  du  précédent,  né  le  18  sep- 
tembre 1721,  à  Meissen ,  mort  le  16  septembre 
1793,  à  Hanovre.  De  l'école  de  Pforte,  il  passa 
en  1741  dans  l'université  de  Leipzig,  où  son  frère 
aîné  l'introduisit  auprès  de  Gellert,  Rabener, 
Gsertner,  Cramer  et  autres  écrivains  de  talent. 
Admis  dans  la  petite  académie  qu'ils  fondèrent 
en  1744,  il  rédigea  de  concert  avec  eux  deux  re- 
cueils, Bremische  Beitreege,  et  Vermischte 
Schriften  (1744  à  1757),  qui  contribuèrent  à 
épurer  en  Allemagne  le  goût  littéraire.  Nommé 
en  1751  professeur  à  l'école  de  Pforte,  il  fut  en 
1754  appelé  à  Zerbstpour  enseigner  la  théologie. 
Il  s'y  fit  une  réputation  méritée  par  ses  sermons, 
d'une  éloquence  élevée,  bien  qu'un  peu  décla- 
matoire, mais  auxquels  son  excellent  débit  don- 
nait un  grand  effet.  Eh  1759  il  devint  pasteur 
à  Hanovre,  où  il  fut  promu  vers  1780  à  l'office 
de  surintendant  ecclésiastique.  Ses  poésies  sont 
tombées  dans  l'oubli,  à  l'exception  de  ses 
cantiques ,  dont  plusieurs  sont  encore  chantés 
dans  les  églises  protestantes  de  l'Allemagne.  On 
a  de  lui  :  Sammhmg  einiger  Prediglen  (Re- 
cueil de  sermons);  Leipzig,  1754-64,  3  vol. 
in-8°,  suivis  d'un  nouveau  recueil;  ibid.,  1778- 
86,4  vol.  in-8°;  —  Sammlung  geistlicher 
Gesœnge  (Recueil  de  chants  sacrés);  ibid., 
1766-72,  3  part.in-8°;  —  Fabeln  undErzœh- 


582 

lungen  (Fables  et  contes);  ibid.,  1769,  in-8" 
—   Predigten    ùber   die    Leidensgescluchtt 
Jesu  -  Christi  ;    Leipzig,    1773-1774,   3    vol 
in-8o; —  Vermischte   Gedichte  (Poésies  mêJ 
lées);  Hanovre,  1787-89,  2  vol.  in-8°;  —  De;  j 
Unzufriedene  (Le  Mécontent);    ibid.,    1789 
in-8° ,   poëme   didactique.   On   doit   encore  . 
Schlegel  une  traduction  allemande  annotée  de  1 
Réduction  des  beaux-arts  à  un  seul  prin 
cipe  de   Le   Batteux  (Leipzig,  1770,  in-8°).  1, 
laissa  deux  fils,-  Guillaume  et  Frédéric  (tfoj 
ci-après),  qui  ont  acquis  une  grande  célébrité 
Schlichtegroll,  Nekrolog.  —  Hirsching,  Handbuch. 

schlegel  (  Jean-Henri  ) ,  historien  aile  ; 
mandj  frère  des  précédents,  né  à  Meissen,  I 
24  novembre  1724,  mort  le  18  octobre  1780, 
Copenhague.  Après  avoir  étudié  le  droit  et  l'hi;  I 
toire  à  Leipzig,  il  fut  précepteur  chez  le  coml  I 
de  Rantzau,  et  devint  successivement    secrtj 
taire  de  la  chancellerie,  professeur  d'histoire I 
bibliothécaire    du    roi  et  conseiller  de  justic  j 
à  Copenhague.  On  a  de  Ini  :   Geschichte  de  I 
Kœnige    von    Dœnemark    aus   dern  Oldei  I 
burgschen  Stamme  (  Histoire  des  rois  de  Dam  I 
mark  de  la  maison  d'Oldembourg)  ;  Copenhagu  I 
1769-77,  2  vol.  in  foi»;  le  t.  Ier  fut  traduit  <  I 
français,  Amsterdam,  1776,  in-4°;  —  Samn 
lungen    zur  dsenischen    Geschichte,  Muni 
Jtenntniss  und  Sprache  (Mélanges  concerna 
l'histoire,  la  numismatique  et  la  langue  du  D; 
nemark);  ibid.,  1771-76,2  vol.  in-8°;  — 0 
servationes    in    Cornelium    Nepoteni;  ibic 
1778,  in-4°;  —   De  statu  rei  litterarise  i 
Daniasub  Christiano  V et  Frederico  IV,  da; 
les  Acta  univers.  Havniensis ,  année  1778.' 
atraduit  en  allemand  la  Vie  de  Chrétien  IV  p 
Slange  (Copenhague,  1757-71,  3  part.  in-4° 
ainsi  que  des  tragédies  anglaises ,  et  il  a  pub 
les  Œuvres  de  Jean-Élie ,  son  frère  aîné. 

Nyerup,  Liiteratur-Lexikon.    —    Men.sel,  Lexikon. 
Tnarup.  Genealogig  og  biographig  Arch'm,  t.  I. 

schlegel  (  Auguste- Guillaume  «e),  c 
lèbre  critique  allemand,  fils  de  Jean-Adolph' 
né  à  Hanovre,  le  5  septembre  1 767,  mort  à  Bon 
le  12  mai  1845.  Il  acheva  sa  première  éd< 
cation  dans  la  maison  paternelle  et  dans  J 
écoles  de  sa  ville  natale;  il  montra  de  bo$i 
heure  les  qualités  qui  devaient  le  distinguer 
jour,  et  surtout  une  aptitude  remarquable  po. 
l'étude  des  langues.  Il  se  familiarisa  avec  la  lang 
i'rançaise,  et  s'appropria  la  clarté,  la  concisic 
la  pureté  de  nos  écrivains.  Au  sortir  du  collée 
il  fut  envoyé  à  Gœttingue  pour  apprendre  latlif 
Iogie.  Heyne  y  renouvelait  alors  avec  fem 
l'étude  de  l'antiquité  :  ses  leçons,  où  le  gc 
se  joignait  à  l'érudition, tournèrent  promptemn 
le  jeune  Guillaume  vers  l'amour  des  lettres 
le  culte  des  anciens.  Son  premier  travail  tutu 
dissertation  latine  sur  la  géométrie  d'Bomèu 
couronnée  en  1787  par  la  Société  de  philolog 
Presqu'en  même  temps  il  prépara  pour  l'édili 
de  Virgile  que  publiait  son  maître  un  index,  < 


H 


SCHLEGEL 


534 


^•e  un  tableau  complet  de  la  poésie  latine  au 
|  ips  d'Auguste.  Doué  d'une  vive  imagination,  il 
«pouvait  manquer  de  prendre  part  au  grand 
Inventent  littéraire  qui  se  faisait  alors  en  Alle- 
l^ne.  La  réaction  contre  la  gallomanie  avait 
limencé  vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle  : 
1  sing ,  repoussant  les  invasions  étrangères , 
lit  frayé  la  voie  aux  écrivains  originaux.  A 
t  Itingue  même  s'était  formée  une  école  poétique, 

■  sein  de  laquelle  brillaient  les  deux  Stolberg, 
■ert  Leisewitz,  Voss,  Bùrger.  Sclilegel,  don- 

■  t  essor  au  côté  poétique  de  sa  nature,  fit 
Irer  dans  YAlmanach  des  Muses  et  dans 
l.yce'e  des  beaux- arts  ses  premiers  essais. 
■•attirèrent  l'attention  de  Bûrger,  qui  encou- 
I  ;a  le  jeune  poète  à  naturaliser  en  Allemagne 
Sonnet  italien.  Au  sortir  de  l'université  (1793), 
Hegel  accepta,  pour  vivre,  la  tâche  de  diriger 
location  des  fils  d'un  banquier  d'Amsterdam  : 
licut  trois  ans  en  Hollande,  consacrant  ses  loi- 
1  à  des  recherches  sur  Dante  et  à  la  composi- 
i  de  quelques  poésies.  L'invasion  française  le 
la  de  retourner  en  Allemagne  (1797);  il  alla 
pkblir  à  léna.  Ici  commence  pour  lui  une  pé- 

;  de  fécondité,  de  polémique  et  de  célébrité, 
est  près  de  Weimar.  Wieland ,  Novalis, 
er,  son  frère  Frédéric  y  vivaient  sous  la  pré- 
ce  de  Gœthe,  et  y  recevaient  les  visites  de 
.  et  de  G.  de  Humboldt.  L'éclat  de  la  cour 
llétait  sur  l'université  voisine,  où  enseignait 
Guillaume  Schlegel,  d'abord  enrôié  par 


ailleurs,  il  consacrait  ses  loisirs  à  des  traductions 
poétiques  et  à  des  poésies  originales.  L'année 
môme  de  son  arrivée  à  léna  (1797),  il  publia  plu- 
sieurs fragments  de  (a  Divine  Comédie  /deux  ans 
après  il  commença  sa  traduction  de  Shakespeare, 
continuée  en  1810  (Berlin,  1799  1810,  11  vol« 
in-8°).  Il  regardait  en  effet  celui-ci  comme  le  poète 
quiavait  réalisé  les  plus  grands  effets  dramatiques, 
et  le  proposait  à  sa  nation  comme  une  source 
d'inspiration.  Cette  œuvre,  où  il  vainquit  d'in- 
nombrables difficultés  avec  un  art  infini ,  fut 
achevée  parTieck,  seulement  en  1825.  Un  grand 
nombre  de  poésies  détachées  datent  de  la  même 
époque  ;  quelques-unes  sont  des  souvenirs  de  l'an- 
tiquité, la  plupart  respirent  des  sentiments  ca- 
tholiques; recueillies  pour  la  première  fois  (en 
1800)  à  Tubingue,  elles  lurent  réimprimées  à  Hei- 
delberg  en  1811.  Il  dirigea  la  même  année  contre 
l'immoralité  frivole  et  sentimentale  de  Kotzebue 
une  satire  en  vers  du  genre  aristophanesque  (l'Arc 
de  triomphe  en  l'honneur  de  Kotzebue)  qui  se 
compose  d'une  série  de  sonnets  et  d'épigrammes, 
où  règne  une  plaisanterie  plus  acérée  que  dé- 
licate (1).  Il  consacra  l'épître  de  Néoptolème  à 
Dioclès  au  souvenir  d'un  de  ses  frères,  mort  dans 
les  ïndes,  en  1799 ,  et  une  suite  de  sonnets  à 
celui  d'Augusta  Bœhmer,  jeune  fille  qui  lui  était 
doublement  unie  par  des  liens  de  famille  et 
d'une  tendre  affection.  La  perte  prématurée  de 
Novalis,  son  confident ,  augmenta  sa  tristesse.  Il 
quitta  léna  à  la  fin  de  1802  :  peut-être  l'indiffé- 


Bi-ci  dans  la  rédaction  des  Heures,  puis  de  !  rence  railleuse  de  Gœthe,  les  exigences  et  la  se 


mmanach  des  Muses,  fonda  avec  son  frère  \'A- 
mixum  (1798),  revue  littéraire,  qui  exerça  bien- 
lune  influence  très  grande.  Lesauteurs  mêlaient 
■nouveauté  des  idées,  à  la  vivacité  des  critiques 
Barcasme  et  l'ironie.  Arracher  le  talent  qui , 
Ë's  avoir  abandonné  la  noblesse  pompeuse  du 
■  septième  siècle  ,  s'affaiblissait  dans  une  re- 
Brçhe  vaine  du  naturel,  aux  hasards  de  l'inspira- 
it; prêcher  l'égalité  de  toutes  les  manifestations 
Ha  pensée  humaine,  ctPimitationdel'impartia- 
B  du  cosmopolitisme  de  Gœthe;  donner  pour- 
m  la  préférence  aux  mœurs  chevaleresques  et 
■merveilleux  chrétien  du  moyen  âge; pousser 
Bersion  pour  la  France  jusqu'à  l'injustice:  tels 
fi-nt  les  principes  du  romantisme.  C'est  le  nom, 
Bprmais  fameux,  de  la  nouvelle  école  (1).  Les 
Bx  Schlegel  en  furent  les  champions.  Chacun 
Bix  possédait  un  sens  critique  supérieur;  mais 
BUaume  avait  le  jugement  plus  sûr,  et  était 
m  pressé  de  répandre  ses  idées.  Non  content 
«"blâmer  les  défauts,  il  relevait  les  beautés  et 
Btmuniquait  son  enthousiasme  à  ses  nombreux 
Beurs.  Une  partiede  ses  articles  a  été  recueillie 
Bsle  nom  de  Charakteristiken  und  Kriliken 

(01). 

1  Cependant  l'activité  de  G.  Schlegel  se  répandait 

mt  Le  romantisme  allemand,  plus  radical  que  le  ro- 
>»  Usine  français,  n'a  pis  eu  Je  mérite  de  l'originalité. 
Bpénie  du  christianisme  est  antérieur  aux  théories 
Rh  œuvres  romantiques  d'outre  Rhin. 


vérité  de  Schiller  (2),  en  blessant   son  amour- 
propre,  contribuèrent- elles  à  ce  changement. 

Schlegel  se  rendit  à  Berlin  :  il  avait  alors  trente- 
cinq  ans.  Dans  les  premiers  temps  de  son  sé- 
jour, il  fut  chargé  de  faire  un  cours  sur  la  litté- 
rature et  les  arts,  et  acheva  une  tragédie  à' Ion, 
en  cinq  actes,  imitée  d'Euripide  (3).  Il  étudiait 
l'art  espagnol ,  et  traduisit  plusieurs  pièces  de 
Calderon  (4).  Cette  traduction  parut  à  Berlin  en 
2  volumes.  Enfin,  il  publia  (1803-1809),  sous  le 
nom  de  B lumens treeusse  (Bouquet  de  (leurs) 
un  choix  de  poésies  italiennes,  espagnoles,  portu- 
gaises, qui  se  distingue  par  l'élégance  et  la  flexi- 
bilité de  la  forme.  Ce  fut  au  milieu  de  ces  tra- 
vaux qu'il  rencontra  Mme  de  Staël  :  elle  futchar- 
mée  par  cet  esprit  abondant,  éclairé ,  ingénieux  ; 
Schlegel,  de  son  côté,  fut  heureux  d'être  si  bien 
compris  et  apprécié  Elle  lui  demanda  de  surveiller 
l'éducation  de  ses  enfants.  Il  accepta  ;  il  partit  avec 
elle  en  1804  pour  la  Suisse.  Elle  reconnut  noble- 
ment les  sacrifices  qu'il  s'imposait  en  lui  faisant 

(1)  Kotzebue  avait  grossièrement  insulté  Mme  de  Staël 
dans  la  comédie  de  l'Ame  hyperborée.  Schlegel  vengea 
ainsi  cette  femme  illustre  avant  de  la  connaître. 

(2;  La  correspondance  de  ces  deux  écrivains  laisse  voir 
les  traces  de  ces  dissentiments. 

(3'  Ce  drame  donna  lieu,  dans  la  Gazette  du  monde  élé- 
gant, à  une  intéressante  polémique  entre  Bunshardr, 
Schiller  et  l'auteur. 

\k)  Schiller  avouait,  en  lisant  cette  traduction  ,  que 
la  connaissance  du  poëte  espagnol  lui  eût  fait  éviter  bien 
des  fautes. 


535 


SCHLEGEL 


un  traitement  annuel  de  12,000  fr.  Schlegel  vécut 
douze  ans  auprès  d'elle,  mêlé  à  la  société  spiri- 
tuelle et  distinguée  dont  elle  était  le  centre  (Ben- 
jamin Constant,  de  Barante,  Matthieu  et  Adrien  de 
Montmorency,  Sismondi,  Mme  Récamier,  etc.)  ;  il 
y  exerça  par  son  savoir  et  son  esprit  une  notable 
influence;  mais  sa  susceptibilité  eut  beaucoup  à 
souffrir  des  inégalités  sociales,  dont  il  exagérait  les 
effets  (1).  Benjamin  Constant,  dont  il  était,  dit- 
on,  le  rival  malheureux,  lui  inspira  toujours  une 
vive  répugnance.  Parmi  les  amis  de  Mme  de  Staël, 
Fauriel  fut  celui  avec  lequel  il  contracta  la  liaison 
la  plus  douce  et  la  plus  suivie,  due  à  la  commu- 
nauté des  mêmes  études.  Il  avait  éprouvé  pour 
Mnie  de  Staël  des  sentiments  qu'elle  découragea, 
mais  dont  elle  le  dédommagea  par  une  amitié  qui 
ne  cessa  qu'avec  la  vie.  Il  exerça  incontestable- 
ment une  grave  influence  sur  les  travaux  et  les 
idées  de  cette  femme  de  génie,  et  cette  influence  se 
manifesta  plus  particulièrement  dans  le  livre  De 
V Allemagne.  On  a  cru  toutefois  à  tort  que  ce 
livre  était-en  partie  l'ouvrage  de  Schlegel.  Mmcde 
Staël  él ait  même  restée  en  un  grand  nombre  de 
points  en  dissentiment  avec  lui  ;  du  reste  elle  lisait 
et  possédai  t  parfaitement  l'allemand  (2; .  Seulement 
elle  «  faisait  causer  Schlegel  »,  et  tirait  de  ces  dis- 
cussions de  nouvelles  lumières.  Partageant  la  vie 
errante  de  Mme  de  Staël,  il  l'accompagna  en  Italie. 
11  est  resté  de  ce  voyage  une  longue  lettre  adressée 
à  Goethe,  sur  les  artistes  contemporains  et  une 
élégie  célèbre  sur  Rome,  imitée  de  Properce  (3). 
Venu  en  France  en  1 808 ,  il  publia  en  fiançais ,  après 
avoir  suivi  le  Théâtre-Français  et  entendu  ïalma, 
une  brochure  fameuse,  intitulée  :  Comparaison 
entre  la  Phèdre  de  Racine  et  celle  d'Euripide. 
Cette  brochure,  écrite  avec  science  et  esprit,  mais 
trop  passionnée  en  faveur  du  poëte  grec  et  très-in- 
juste pour  la  tragédie  française,  fil  un  grand  scan- 
dale parmi  les  littérateurs  classiques  de  l'empire  ; 
elle  nous  paraît  encore,  malgré  le  progrès  des 
idées,  une  injure  faite  au  génie  de  Racine  et  au  bon 
goût.  —  La  police  impériale  ayant  éloigné  Mme 
de  Staël,  elle  fit  une  nouvelle  tournée  en  Alle- 
magne. Schlegel,  qui  l'y  suivit,  ouvrit  à  Vienne 
en  1808,  au  milieu  d'une  affluence  considérable, 
un  cours  de  littérature  dramatique,  publié  de- 
puis en  trois  volumes  et  traduit  dans  toutes  les 
langues  (4),  qui  mérite  en  partie  son  immense 
réputation.  11  contient  l'examen  des  théâtres 
grec,  latin,  italien,  français,  anglais ,  espagnol  et 
allemand.  L'auteur  ne  reconnaît  que  trois  théâ- 
tres originaux,  le  théâtre  grec  et  les  deux  théâ- 
tres romantiques,  l'espagnol  et  l'anglais.  Indul- 
gent pour  Corneille,  il  se  montre  toujours  sévère 


(1)  Lorsqu'il  se  trouvait  en  société  avec  Mme  rie  StaCl , 
Une  manquait  pas  de  lui  dire  toujours  :«  Ma  chère  amie». 
Mme  de  Staiil,  tout  en  trouvant  ce  langage  inconvenant, 
ne  lui  en  témoigna  Jamais  de  mécontentement. 

(2)  la  correspondance  de  Sismondi  a  mis  ce  point  hors 
de  doute. 

(3)  M.  Sainte-neuve  en  a  donné  une  belle  imitation. 

(4)  La  première  traduction  française  est  celle  lit 
M1"6  Necker  de  Saussure  (1814). 


à  l'égard  de  Racine,  et  ne  voit  dans  Molière  qu  I 
comique  burlesque.  Le  premier  volume,  et  I 
sacré  au  théâtre  grec,  est  le  plus  remarquab 
le  critique  comprend  la  Grèce  en  poëte,  et 
parle  avec  élévation  et  enthousiasme.  La  ha 
contre  le  despotisme  de  Napoléon ,  dont  l'A  f 
magne  n'avait  pas  moins  à  souffrir  que  la  i 
berté,  contribua  à  aigrir  ses  préventions  cor  | 
notre  littérature.  On  peut  dire  quec'étaitl'emi 
qu'il  attaquait  derrière  la  tragédie.  A  sondépar 
Vienne,  Schlegel  recommença  à  parcourir  1'.  a 
rope  avec  Mme  de  Staël.  Les  distractions  u 
monde  prirent  à  cette  époque  une  plus  gra  I 
part  dans  sa  vie,  sans  nuire  à  ses  travaux  | 
publia  une  traduction  de  Richard  III,  un  e  | 
critique  sur  les  travaux  de  Niebuhr  (1),  un  e  I 
sur  les  Niebelungen,  dans  le  Musée  allema  \ 
!  que  dirigeait  son  frère  ;  cette  épopée  était  ton  il 
dans  l'oubli  ;  la  faveur  qui  n'a  cessé  de  s'y  a  I 
cherdatede  cette  réhabilitation.  En  1812,pas!il 
par   Stockholm ,  où   Bernadotte,  qui   venaM 
rompre  avec  Napoléon,  lui  fit  un  accueil  pi 
;  de  confiance,  il  écrivit  son  pamphlet  Bu  :  I 
terne  continental  (janvier  1813),  où  il  aball 
le  génie  de  l'empereur  et  lance  i'anathème  co  I 
son  ambition  effrénée.  Cette  brochure  fut  su  I 
d'une  autre,  intitulée  :  Tableau  de  l'empire  fi  I 
çais  en  1813,  où  il  publie  des  dépêches  sai  H 
par  l'étranger,  avec  un  commentaire  médian  1 
perfide,  qu'excusent  l'exil  de  sa  protectrice  | 
le  sien.  Dans  la   campagne  de  1813,  Sch!> 
suivit  le  prince  royal  de  Suède  en  qualité  de) 
crétaire.  Ce  fut  lui,  dit-on,  qui  rédigea  les  | 
clamations  de  ce  prince.  Ces  services  rendu 
la  coalition  lui  valurent  des  lettres  de  nobl  | 
et  la  décoration  de  plusieurs  ordres. 

Après  les  événements  de  1814,  Schlegel  put 
trer  en  France  :  il  se  fixa  à  Paris  avec  M"l| 
Staël.  La  mort  lui  enleva  cette  illustre  amie  1 
juillet  4817,  et  ce  coup  le  frappa  d'autant 
cruellement  qu'il  perdait  en  elle  une  amie  fil 
et  puissante,  dans  un  moment  où  il  était  ex|| 
à  souffrir  de  la  critique  de  ses  adversaires, 
Hoffmann  et  les  Dussault,  et  des  prévention! 
l'esprit  français,  alors  animé  d'une  défiancl 
d'une  rancune  assez  légitimes  contre  les  if 
mands.  Ce  mauvais  vouloir,  dont  il  fut  l'ol 
amena   des  épigrammes   oubliées   aujourd' 
mais  son  nom  ne  s'est  jamais  relevé  chez  i 
de  l'impopularité  dont  il  fut  alors  frappé.  A'| 
de  quitter  la  France,  il  publia, de  concert 
M.  le  duc  de  Broglie  et  M.  Auguste  de  Staël  I 
Considérations  sur  la  révolution  française 
1818  parurent  ses  Observations  sur  la  lar\ 
et  la  littérature  provençale-  Il  loua  les  trai 
de  M.  Raynouard,  mais  combattit  ses  assert  | 
snxVuniversalilé  primitive  du  provençal. 

(1)   Les  idées  de  son  premier  travail  sur  Homère  I 
virent  de  base  à  cet  essai. 

(ï)  Dénoncé  par  M.  Capelle,  préfet  de  Genève,  qui   M 
l'ordre  d'éloigner  un  certain  Chelèguc,  11  avait  été -o  j 
de  se  retirer  à  Berne,  jusqu'au  moment  où  Mme  de 
elle-même  partit  pour  l'Allemagne. 


SCHLEGEL 


538 


I  on  de  Schlegel,  confirmée  par  Fauriel,  aétépo- 
I  irisée  par  M.  Villcmain  (Leçons  sur  lemoyen 
4  )  (1).  Dans  cette  discussion ,  SchlegeKjcfa 
i  les  langues,  leur  origine,  leurs  caractères  une 
Je  d'aperçus  ingénieux;  il  pensait  justement 
<j.  lus  troubadours  n'avaient  pas  dû  rester  étran- 
B;h  l'épopée,  el  revint  sur  cette  question  dans 

suite  d'articles  écrits  au  Journal  des  Débats 
1833  et  1834)  avec  une  clarté  élégante. 

e  reste  de  la  vie  de  Schlegel  devait  se  passer 
rjs  le  calme  et  le  travail  solitaire  :  en  1818,  le 

3  de  Prusse  réorganisait  les  universités  de  ses 
j  [s  :  on  donna  une  chaire  à  Schlegel  dans  celle 
jfionn,àcôtédeNiebuhr,  d'Arndt,  de  Welcker, 
\  .assen,  de  Nake,  etc.  Il  se  lia  surtout  avec  les 
I  x  derniers,  mais  préférait  la  compagnie  de  la 

4  velle  génération  à  celle  de  ses  contemporains. 
T  jouis  avide  d'étendre  le  domaine  des  lettres , 
il  ippliqua  à  cinquante  ans  aux  études  orien- 
ta 11  avait  appris  à  Paris  en  1 8 14  les  langues  de 
l*Ie;  en  1818  il  reçut  du  gouvernement  prussien 
I  ission  de  fonder  une  imprimerie  sanscrite.  11 
I  nt  à  Paris,  et  y  passa  huit  mois  à  faire  fondre 
I  caractères  devanagaris.  De  retour  à  Bonn, 
lnda;la  Bibliothèque  indienne  et  l'entretint 
|  que  seul.  Une  traduction  latine  du  Bagha- 

Gita,  épisode  du  Mahabahrata,  des  frag- 

ts  du   Ramayana  furent  les  fruits  de  ces 

velles  recherches.  Le  besoin  de  collationner 

manuscrits ,  de  conférer  avec  les  savants  le 

da  à  faire  plusieurs  voyages  à  Paris,  à  Lon- 

I  à  Berlin.  Il  fit  dans  cette  ville  en  1827  un 

s  sur  l'Histoire  des  beaux-arts,  traduit  en 

çais  (Leçons  sur  l'histoire  et  la  théorie  des 

Mux-arts  ;  Paris,  1831  ).  Ces  leçons,  où  les 

V;  hautes  considérations  aboutissent  à  des  pré- 

■tes  pratiques,  n'étaient  que  l'esquisse  d'un 

Rid  ouvrage,  qui   resta  toujours  à  l'état  de 

j[iet.  Schlegel  composa  encore  en  français  ses 

iexions  sur  l'étude  des  langues  asiatiques 

.essées  à  M.  Mackintosh  (1832),  et  VEssai  sur 

(igine  des  Indous  (1834).  Dans  un  article 

i-sérieux,    demi-plaisant  de  la  Revue  des 

x  mondes  (15  août  1836),  il  défendit  l'inter- 

ïtation  vulgaire  de  la  Divine  Comédie  et  du 

|p»ze>'o?i  contre  les  prétendues  découvertes  de 

■  Rosetti ,  professeur  à  l'université  de  Lon- 
'1;  (2),  qu'il  traite  de  rêveries  d'un  cerveau 
Bade.  L'existence  de  Schlegel  depuis  son  retour 
m  sa  patrie,  d'abord  douce  et  honorée,  rentra 

■  à  peu  dans  le  demi-jour  et  l'abandon.  Le 
Bps  avait  consacré  ses  idées;  on  oublia  celui 
Ifles  avait  répandues.  La  nouvelle  génération  le 
W:onnut  presque.  En  1843,  il  réimprima  la  plu- 
pt  des  ouvrages  qu'il  avait  composés  dans  notre 

Vf  Raynouard  répondit  à  son  adversaire  dans  le  Jour- 
ilides  savants. 

è  ;  Ce  dernier  avait  affirmé  qu'il  existait  au  quatorzième 
l*|u  quinzième  siècle  dans  toute  l'Italie  une  association 
Pète,  se  rattachant  à  la  secte  des  Albigeois,  à  laquelle 
Rie,  Pétrarque,  Boecace  étaient  affiliés,  que  leurs  écrits 
B'nt  composés  dans  un  style  à  double  entente,  dont  lui, 
R'ttl,  avait  trouvé  la  clef. 


langue  (  Essais  littéraires  et  historiques  ; 
Bonn,  1842).  Ce  livre  fut  froidement  accueilli. 
Schlegel  conserva  jusqu'au  dernier  moment  cette 
vigueur  du  corps  qui  tient  à  l'état  de  l'esprit.  11 
s'éteignit  à  l'âge  de  soixante  dix-huit  ans,  lais- 
sant encore  des  travaux  incomplets  (1). 
,  G.  Schlegel  a  été  un  écrivain  d'une  intelligence 
aussi  active  que  puissante,  et  son  nom  restera 
parmi  ceux  des  grands  critiques,  après  celui  de 
Lessinget  àcôtédecelui  deWinckelmann.  Poêle, 
critique,  philologue,  orientaliste,  traducteur,  il 
a  beaucoup  fait  pour  affranchir  le  génie  de  l'Alle- 
magne et  accroître  les  richesses  de  sa  littérature  ; 
il  a  exercé  même  en  France  un  empire  salutaire 
par  ses  vues  élevées  et  étendues.  S'il ,a  péché,  c'est 
par  un  effort  trop  ambitieux  vers  l'universalité , 
et  par  une  dissémination  trop  grande  de  ses 
forces.  Il  avouait  lui-même  qu'il  avait  beaucoup 
entrepris  et  achevé  peu  de  chose.  Il  avait  plus 
d'un  défaut  de  caractère.  Sa  vanité  affectait  des 
formes  naïves  (2)  ;  elle  le  rendit  morose,  blessant 
et  parfois  ridicule.  Ce  travers,  qui  s'augmenta  avec 
l'âge,  multiplia  le  nombre  de  ses  ennemis.  Il  avait 
paru  pencher  longtemps  vers  l'Église  romaine; 
mais  il  ne  prit  point  de  résolution  fixe,  croyant  que 
«  chacun  doit  chercher  ce  qui  est  le  plus  analogue 
à  sa  manière  d'être  et  ce  qu'il  s'approprie  le 
mieux  ».  Accusé  d'être  un  crypto-catholique, et 
menacé  pour  ce  niotif  de  révocation,  il  répondit 
à  ces  attaques  par  une  profession  de  foi'protestante 
(Explication  de  quelques  malentendus  ;  Ber- 
lin, 1828).  La  conversion  de  son  frère  le  ramena 
sur  ses  pas.  «J'en  vins,  dit-il,  à  expier  mon  indul- 
gence par  un  des  plus  amers  chagrins  de  ma  vie.  » 
Révolté  du  rôle  que  son  frère  Frédéric  joua  de- 
puis 1819,  il  lui  avait  dénoncé  son  inimitié  à  la 
manière  des  anciens  Romains.  En  politique,  il 
avait  réclamé  l'indépendance  de  la  pensée  et  fait 
ses  preuves  contre  la  tyrannie  ;  mais  il  craignait 
les  écarts  de  la  liberté,  et  accepta  sans  opposition 
le  régime  «  paternel  »  des  gouvernements  absolus 
après  1815.  G.  de  Schlegel  se  maria  deux  fois  : 
sa  première  femme  était  fille  du  professeur  Mi- 
chaëlis  deGœttingue;  une  courte  maladie  enleva 
celle-ci  en  1802.  Il  épousa  étant  à  Bonn ,  en  se- 
condes noces ,  Mlle  Paulus,  fille  du  célèbre  con- 
seiller ecclésiastique  d'Heidelberg.  Cette  union  ne 
fut  pas  plus  heureuse  que  la  première  ;  elle  fut 
suivie  d'un  divorce. 

Le  jurisconsulte  Bœcking  a  publié  une  listedes 
ouvrages  de  G.  de  Schlegel  :  les  titres  seuls  rem- 
plissent dix-huit  pages;  les  principaux  sont  déjà 
connus;  nous  citerons  encore  les  suivants  : 
Mémoire  sur  quelques  médailles  bactriennes 
(Journal  de  la  Société  asiatique,  2e  série,  t.  H); 
Lettre  à  M.  de  Sacy  sur  les  contes  des  Mille  et 
une  Nuits  (  3e  série,  t.  I.).  Les  ouvrages  écrits 

(1|  On  avait  annoncé  qu'il  laissait  des  Mémoires  ;  rien 
n'est"  venu  confirmer  ce  bruit  depuis  sa  mort. 

(2)  On  lui  demandait  un  jour  quels  étaient  les  écrivains 
contemporains  dont  le  style  pouvait  servir  de  modèle? 
Il  répondit  :  Tieck  et  moi. 


539 

en  français  ont  été  réunis  par 
3  vol.  in-8°;  Leipzig, 


M.  Bœcking  en 

1846.  G.  R. 

J.  Schmidt,  Die  RomanWt,  et  Gesch.  der   Deutscken 

Nationalliteratur.  —  Revue  des  deux  mondes,  1er  fév. 

1846.   —   Loménie,   Galerie  des   contemp,   illustres.  — 

Mme  de  Slaël  à  Coppet. 

schlegel  (  Charles  -  Guillaume  -  Fré- 
déric de  ),  orientaliste,  frère  du  précédent,  né 
le  10  mars  1772,  à  Hanovre,  mort  à  Dresde,  le 
12  janvier  1829.  Il  passa  son  enfance  auprès  de 
son  oncle  et  de  son  frère  aîné  (1),  qui  étaient 
tous  deux  pasteurs  protestants ,  vivant  alors 
à  la  campagne.  Avec  un  esprit  naturel  et  une 
intelligence  vive ,  il  n'annonçait  pas  de  grands 
talents.  Son  père  le  destinait  au  commerce  :  il 
le  plaça  chez  le  banquier  Sclilemm  de  Leipzig; 
mais  le  jeune  commis  éprouvait  tant  de  répu- 
gnance pour  le  négoce  et  les  chiffres,  qu'il  ob- 
tint à  seize  ans  la  permission  de  tenter  la  car- 
rière des  lettres.  Il  suivit  pendant  plusieurs  an- 
nées à  l'université  de  Leipzig  et  à  celle  de  Gœi- 
tingue  les  cours  de  philologie,  d'histoire  et  de 
philosophie.  Il  prit  le  grade  de  docteur  en  phi- 
losophie. Il  étudia  les  langues  anciennes  avec 
tant  de  zèle,  qu'il  connaissait  tous  les  auteurs 
grecs  et  latins  de  quelque  valeur.  La  lecture  des 
tragiques  grecs  et  des  œuvres  de  Winckelmann, 
la  vue  des  chefs-d'œuvre  de  la  galerie  de  Dresde 
et  parmi  eux  des  tableaux  de  Raphaël  Mengs  dé- 
veloppèrent son  goût.  A  vingt-un  ans,  il  publia  un 
premier  essai  sur  VÉcole  poétique  grecque, 
dans  le  Monalschrift  de  Berlin  (1793),  puis  un 
second  sur  la  Valeur  esthétique  de  la  comédie 
grecque  (1794  La  mort  de  son  père  avait  rendu 
sa  situation  précaire;  il  parcourut  différentes 
villes  du  nord  de  l'Allemagne.  Fixé  à  Berlin,  il 
publia  de  1795  à  1797  des  articles  dans  le  Lycée 
des  beaux-arts  et  dans  V Allemagne  de  Ri- 
chard, des  essais  sur  Lessing  et  Forster,  et 
fonda  avec  son  frère  Guillaume  et  Tieck  l'Athe- 
nœum  (  3  vol.  en  quatre  ans  ).  Son  premier  grand 
ouvrage  parut  sous  le  titre  :  Griecken  und  Rcc- 
mer  (  Grecs  et  Romains;  Hambourg,  1797)  (2). 
L'année  suivante  il  publia  Geschicnte  der  Grie- 
cken und  Rœmer  (Berlin,  1798,  t.  Ier),  où  il 
expose  les  évolutions  politiques  de  ces  peuples; 
mais  ce  qui  devait  comprendre  la  philosophie  et 
l'art  n'a  jamais  paru.  Celte  introduction  est  re- 
marquable par  la  profondeur  de  l'érudition,  l'ori- 
ginalité des  pensées  et  la  force  de  la  critique. 
Schlegel  avait  commencé  avec  Schleiermacher 
une  traduction  de  Platon  :  une  partie  en  parut  en 
1798;  Schleiermacher  se  chargea  de  l'achever. 
Schlegel  s'était  épris  d'une  violente  passion  pour 
Mme  Veit,  fille  de  Mendelsohn.  Celle  ci,  ayant 
divorcé,  IVpousa.  Le  scandale  que  causa  ce 
mariage  l'obligea  à  quitter  Berlin.  Il  se  retira  à 
ïéna,  où  il  donna  des  cours  particuliers  pour 
vivre  (1800).  L'année  précédente  il  avait  publié 
un  roman:  Lucindeoula  Maudite  (Berlin,  1799, 

(1)  vioct  en  182B. 

|î]  Le   mut   de  romantique   paraît  avoir  été  employé 
p  iur  la  première  fois  dans  cet  ouvrage. 


SCHLEGEL 

t.  Ier).  L'auteur  y  retrace ,  dit- on,  l'histoire 
ses  amours  en  l'idéalisant,  exalte  la  sensib 
comme  la  source  unique  du  bonheur  et  de  Y 
piration,  et  met  en  relief  les  liens  secrets 
unissent  l'exagération  des  jouissances  physic 
et  des  opinions  paradoxales  à  la  folie.  Ce  roi 
fit  beaucoup  de  bruit,  mais  excita  peu  d'il 
rêt  (1).  Schlegel  n'osa  pas  ou  ne  voulut  pa 
terminer.  C'est  vers  cette  époque  qu'il  o 
mença  à  se  livrer  à  la  poésie  :  en  1801  paru 
poème  d'Hercule  Musagète,  et  en  1802  la 
gédie  A'Alarcos,  pièce  romantique  dans  le  g( 
d'Eschyle  :  elle  ne  fut  jouée  qu'une  seule  I 
Ces  tentatives  poétiques  révèlent  un  proi 
dans  les  principes  de  Schlegel.  En  même  tei 
qu'il  réagit  contre  le  goût  français,  il  s'aff 
chit  de  théories  conventionnelles  ;  il  empn 
ses  inspirations  à  une  vue  intellectuelle  d 
nature,  reconnaît  les  Grecs  comme  les  mod 
par  excellence,  admet  implicitement  la  loi 
devoir,  et  rejette  la  sensibilité  à  l'arrière-p 
Dans  un  séjour  qu'il  fit  à  Cologne  (1802] 
se  convertit  avec  sa  femme  au  catholicisn 
cette  conversion  fut  amenée  par  les  idées  ai 
rieures  de  Schlegel  sur  les  arts,  dont  il  pis 
le  principe  dans  une  révélation  antérieure.  I 
sonne  n'a  révoqué  en  doute  la  sincérité  de  c 
conversion,  mais  elle  le  brouilla  avec  ses  ai 
Après  avoir  séjourné  quelque  temps  à  Dre: 
chez  une  de  ses  sœurs  qui  s'y  était  marié 
partit  pour  Paris,  et  y  vécut  trois  ans.  Il  don 
des  leçons,  et  étudiait  en  même  temps  les  lang 
du  midi  de  l'Europe  et  le  sanscrit.  L'Inde  £ 
son  panthéisme,  ses  symboles,  son  quiéti 
fascinait  son  imagination  religieuse.  Schleg* 
de  notables  progrès  dans  la  connaissance 
sanscrit,  pour  l'étude  duquel  il  n'y  avait  que' 
de  ressources  en  Occident;  il  lut  tout  ce i 
avait  été  écrit  sur  l'Inde  en  Europe  ou  à 
ctrtta  ;  il  entra  en  relation  avec  les  oriental! 
Al.  Hamilton  et  Langlès.  Il  parvint  ainsi  à 
sembler  les  matériaux  de  l'Essai  sur  la  lan\ 
et  la  philosophie  des  Indiens  (  Uber  die  S 
che  und  Weisheit  der  Indier;  Heidelberg,  1! 
in-8°),  où  il  traite  de  la  langue,  de  la  phil< 
phie,  de  l'histoire  et  de  la  poésie  de  l'Inde 
Malgré  des  erreurs,  du  vague,  des  hypothèj 
cet  essai  a  rendu  de  grands  services  à  la  scie* 
Pour  répandre  ses  idées  sur  le  catholicis 
Schlegel  fonda  un  recueil,  l'Europe,  qui  vi 
trois  ans.  Après  avoir  été  visiter  son  frèr 
Coppet,  il  se  rendit  avec  lui  et  Mme  de  St» 
Dresde.  L'espoir  de  trouver  à  Vienne  des  son 
pour  un  drame  historique  de  Charles-Quil 
dont  il  avait  formé  le  plan ,  l'attira  dans  c 
ville  en  1808.  Le  ministre  Metternich,  auqa 
avait  été  présenté  à  Paris,  le  fit  secrétaire 


(1)  Schleiermacher  fit  paraître  dans  V.-Jtlicuxum 
lettres  intimes  sur  le  roman  de  Lucinde,  où  il  se  mo 
favorable  à   cei  ouvrage. 

(2)  Cet  Essai  a  été  trad.  en  français  par  Mazure  ;  P 

1837,  in-S°. 


541 


tique.  Ayant  suivi  l'archiduc  Charles  dans  la 
guerre  de  1609,  il  rédigea  d'énergiques  procla- 
mations contre  la  France,  et  prédit,  dans  des 
sonnets  patriotiques,  auxquels  il  dut  le  nom  de 
\Tyrtce  de.  l'Allemagne,  la  victoire  de  l'Autriche. 
;\pres  Wagram,  il  adressa  à  Marie-Louise,  en 
,;uise  d'adieux,  des  souhaits  qui  furent  aussi 
leu  réalisés  que  ses  promesses  (1).  Rédacteur 
iivec  Pilât,  Gentz,  et  J.  de  Muller,  de  V  Obser- 
vateur autrichien  ,  il  servit  contre  la  France 
[es  rancunes  et  la  haine  de  la  chancellerie  de 
tVienne.  En  1811  il  cessa  de  collaborer  à  ce 
ournal,  et  fit  un  cours  dont  Mme  de  Staël,  qui 
if  assistait ,  loua  la  (orme  originale  et  le  savoir 
[  mmense.  11  publiait  en  même  temps  le  Musée 
hllemand  (Vienne,  1812-1813,  2  vol.).  Ces 
[icrits  avaient  préparé  l'opinion  au  revirement 
[le  l'Autriche  contre  la  France  :  il  fut  anobli  en 
•écompense,  et  lorsque,  après  la  chute  de  l'em- 
l  tire  français,  la  diète  fut  constituée,  il  fut  envoyé 
[i  Francfort  comme  premier  secrétaire.  Schlegel 
:  tait  favorable  à  l'absolutisme.  Il  accorde  à  l'intel- 
[igence  le  droit  de  diriger  les  choses  humaines, 
nais  il  croit  qu'elle  est  en  général  associée  avec 
[e  pouvoir,  et  doit  l'être  chaque  jour  davantage. 
[Antipathique  par  ses  opinions  au  public  et  peu 
[ipte  aux  affaires,  il  fut  obligé  de  résigner  ses 
onctions  en  1818  II  retourna  à  Vienne,  et  con- 
icrva  comme  retraite  une  pension  de  3,000  flo- 
ins.  Sa  vie  devint  depuis  exclusivement  liné- 
aire. De  1820  à  1821,  il  rédigea  sous  le  titre  de 
Çoncordia  un  journal  destiné  à  concilier  les 
opinions  divergentes  sur  l'Église  et  sur  l'État,  et 
en  même  temps  s'occupa  de  la  publication  de 
ses  œuvres  complètes.  Il  s'appliqua  à  combattre 
l'esprit  raisonneur  du  siècle  au  nom  de  l'histoire 
et  de  la  philosophie,  et  fit  des  leçons  en  1827 
pour  avancer  le  règne  de  la  vérité.  En  1828 
parurent  les  Leçons  sur  la  philosophie  de  la 
pie,  et  en  1827  les  Leçons  sur  la  philosophie 
de  l'histoire.  Dans  le  premier  de  ces  ouvrages 
'auteur  s'est  proposé  de  prédisposer  les  esprits 
ji  la  recherche  et  à  la  connaissance  de  la  vérité; 
jlans  le  second ,  il  entreprit  de  régénérer  dans 
l'homme  l'image  de  Dieu.  Ces  livres  sont  remplis 
l'un  mysticisme  exalté  :  l'auteur  y  admet  la  lu- 
mière magnétique ,  la  doctrine  des  nombres, 
Je  progrès  de  l'âme  par  l'illuminisme,  etc. 
Venu  à  Dresde,  chez  sa  mère,  en  1828,  il  y  ou- 
vrit un  cours  public  pour  développer  les  mêmes 
idées  ;  mais  il  ue  put  l'achever.  Une  attaque 
l'apoplexie,  qu'il  avait  prévue  du  reste ,  l'en- 
leva subitement,  au  sortir  de  table»  On  peut 
dire  qu'il  avait  parcouru  toutes  les  phases 
de  son  orbite  :  après  avoir  adopté,  au  départ, 
'art  grec  comme  l'expression  intellectuelle  de 
a  nature,  il  s'était  incliné  vers  le  côté  matériel 
de  cette  même  nature  et  vers  la  sensibilité; 
mais,  frappé  des  variations  de  cette  faculté,  il 
avait  cherché  une  loi  pour  l'esprit  dans  l'autorité 


SCHLEGEL  542 

de  l'Église,  et  avait  admirablement  compris  les 
beautés  de  l'art  chrétien  du  moyen  âge  cheva- 
leresque et  romantique.  Faisant  tout  dériver  de 
cette  source,  et  transportant  ces  idées  en  poli- 
tique, il  avait  abouti  à  {'absolutisme  et  au  mys- 
ticisme. On  l'a  rapproché  de  son  frère  Guil- 
laume, et  on  les  a  surnommés  les  Dioscures 
littéraires.  Tousdeux  ont  été  de  grands  critiques 
en  même  temps  qu'ils  se  distinguaient  par  leurs 
créations  poétiques.  Ils  ont  proclamé  la  légiti- 
mité de  toutes  les  formes  littéraires  des  diffé- 
rents peuples,  et  ont  imprimé  l'élan  et  la  vogue 
à  l'histoire  littéraire  en  payant  les  premiers 
d'exemple.  Ils  ont  préconisé  la  nature  comme 
source  de  l'art  et  de  l'inspiration,  contribué  au 
triomphe  du  romantisme,  exalté  Gœthe,  ca- 
lomnié le  goût  et  le  théâtre  français,  initié 
l'Europe  aux  langues  de  l'Inde  et  à  la  civilisation 
de  l'Orient.  Frédéric  est  pourtant  inférieur  à  son 
frère  en  originalité  comme  en  célébrité.  Il  a  suivi 
le  mouvement  dont  celui-ci  avait  été  le  promo- 
teur, et  est  tombé  dans  des  excès  plus  fâcheux. 
Ne  voyant  qu'un  seul  côté  à  la  fois,  il  changeait 
ensuite  d'avis;  il  exposait  ses  idées  avec  chaleur 
et  véhémence  ;  mais  comme  il  ne  les  avait  pas 
mûries ,  elles  restaient  enveloppées  de  nuages. 
Il  manquait  aussi  de  persévérance,  et  on  a 
vu  qu'il  avait  laissé  la  plupart  de  ses  travaux 
inachevés. 

Nous  citerons  encore  de  Frédéric  de  Schlegel  : 
Geschichte  der  Jungfrau  von  Orléans  (His- 
toire de  la  puce'.le  d'Orléans);  Berlin,  1802:  — 
Philosophische  Vorlesungen,  publiés  par 
fragments  de  1804  à  1806,  et  réimpr.  à  Bonn, 
1836-37,  2  vol.  in-8°  ;  — Sammlung  romantis- 
cher  Dichlungen  des  Mittelalters  (Recueil 
des  poésies  romantiques  du  moyen  âge);  Paris. 
1804,  2  vol.  in-8°;  —  Lotherund  Mal  1er  ;  Ber- 
lin, 1805,  iu-12  ;  trad.  en  français,  Genève,  1807, 
in-12;  —  Gedtchte  (Poésies);  Berlin,  1809, 
in-8°;  —  Uber  die  neuere  Geschichte;  Vienne, 
1811,  2  vol.;  trad.  fr.  de  Cherbuliez  (  Tableau 
de  l'histoire  moderne,  Paris,  1830,  2  vol. 
in-8°);  —  Geschichte  der  alten  und  neuen 
Literatur  (Histoire  de  la  littérature  ancienne 
et  moderne);  Vienne,  1815,  2  vol.  in-8°;  tra- 
duit par  W.  Duckett;  Paris,  1829,  2  vol. 
in-8°  (1).  C'est  le  plus  connu  en  France  des 
ouvrages  de  Schlegel.  Il  est  remarquable  par  la 
clarté  de  l'exposition  et  la  pureté  du  style.  On 
y  regrette  des  omissions  (  ainsi  Démosthènes  y 
est  passé  sous  silence),  des  sophismes  (par 
exemple  l'éducation  du  genre  humain  attribuée 
à  la  noblesse)  ;  mais  les  idées  qui  y  sont  déve 
loppées  sur  le  rôle  du  christianisme  dans  les 
invasions,  son  alliance  avec  le  génie  du  Nord,  la 
chevalerie,  les  trouvères,  les  cycles  et  les  lé- 
gendes épiques,  le  culte  de  la  femme  par  l'amour 
sont  maintenant  acquises  à  l'histoire.  Juste  en- 
vers Luther,  Schlegel  est  sévère  pour  Descartes 


(t)  «  Ayez,  Madame,  disait-il,  la  tête  et  le  cœur  de 
Marie-Thérèse.  » 


(i)  Schlegel  a  désavoué  cette  traduction,  qui  et   du 
reste  extrêmement  défectueuse. 


543 


SGHLEGEL 


et  Kant;  il  préfère  Werner  à  Schiller;  Calderon 
est  pour  lui  le  type  du  poêle  dramatique;  il  met 
Camoens  au-dessus  de  Tasse  et  celui-ci  au- 
dessus  de  Dante.  11  distribue  les  places  d'après 
les  tendances  religieuses  des  écrivains  ;  —  Phi- 
losophie des  Lebens  (Philosophie  de  la  vie); 
Vienne,  1827  ;  traduction  de  l'abbé  Guénot ,  Pa- 
ris, 1838,  2  vol.  in-8°;  —  Philosophie  des  Ge- 
schichte  (Philosophie  de  l'histoire);  Vienne, 
1829,  2  vol.;  traduction  de  l'abbé  Lechat,  1836, 
Paris,  2  vol.  in-8°.  —  Schlegel  a  encore  écrit  des 
articles  dans  YAthenaeum,  l'Europe,  l'Alle- 
magne de  Richard  (1796),  le  Musée  (4  vol. 
in-8°),  la  Concordia,  VAlmanach  patriotique 
(1806),  le  Musée  allemand  (i8l0-l$i3)  ;  âes  poé- 
sies diverses,  la  plupart  lyriques,  des  sonnets, 
des  tercets  d'une  forme  trop  recherchée  et  où 
le  symbole  surabonde ,  des  traductions  des  poé- 
sies latines  de  Luther  et  de  Malge,  et  des  poé- 
sies romanes  de  Marguerite,  comtesse  de  Vau- 
demont.  La  seconde  édition  de  ses  œuvres 
(Sœmmlliche  Werke;  Vienne,  1845-46,  15  vol. 
in-8")  est  plus  complète  que  celle  qu'il  avait 
donnée  lui-même  (ibid.,  1821-25,  10  vol.  in-8°). 

Schlegel  (Dorothée  Mendelssofinne),  femme 
du  précédent,  née  en  1770,  à  Berlin,  morte  en 
août  1839,  à  Francfort.  On  a  vu  dans  quelles 
circonstances  elle  épousa  en  secondes  noces  Fré- 
déric de  Schlegel.  Sa  beauté  n'avait  rien  de  re- 
marquable, mais  elle  plaisait  par  le  charme  de  sa 
physionomie.  Quand  Schlegel  la  connut  (vers 
1708),  elle  avait  près  de  trente  ans  et  était  déjà 
mère  de  plusieurs  enfants.  Son  esprit  était  cultivé, 
et  elle  avait  l'habitude  et  les  manières  du  monde. 
Elle  rendit  à  Schlegel  l'affection  qu'elle  lui  avait 
inspirée,  et  se  montra  constamment  dévouée 
pour  son  bonheur.  C'est  pour  faire  l'apologie 
de  cet  amour  que  Schlegel  écrivit  Lucinde. 
Mme  de  Schlegel,  fatiguée  du  séjour  d'Iéna,  en- 
traîna son  mari  à  Pans,  qui  offrait  un  théâtre 
plus  vaste  à  ses  succès.  Elle  y  reçut  dans  son 
salon,  à  ses  thés  du  dimanche,  une  société  dis- 
tinguée ;  et  c'est  surtout  par  là  que  l'influence 
de  la  nouvelle  littérature  allemande  se  répandit 
en  France.  Mme  de  Schlegel  écrivait;  elle  fit 
quelques  lectures  de  ses  ouvrages,  mais  elle 
s'effaçait  devant  son  mari,  et  se  réduisait  au 
rôle  modeste  de  copiste.  Elle  est  l'auteur  de  la 
traduction  De  l'Allemagne  de  Mme  de  Staël, 
qui  a  été  à  tort  attribuée  à  son  mari,  traduction 
faite  avant  la  publication  du  livre  original;  elle 
traduisit  aussi  des  morceaux  choisis  de  Merlin, 
et  fit  les  articles  de  l'Europe  signés  D.  On  lui 
doit  encore  un  roman,  le  Florentin  (Leipzig , 
1801,  in-12).  G.  R. 

Hormayr,  Archiv,  1829,  n°  21.  —  Rabbe,  Boisjolin 
et  Sainte-Preuve,  Bioor.  univ.  et  portât,  des  contemp., 
snppl.  —  M.  Driïhl,  C.esch.  der  Katholischen  Literatur 
Dcutschlands.  -H.  de  Chczy,  Unvergessenes  ;  Berlin,  1858. 

schlichteuroll  (Adolphe- Henri-Fré- 
déric de),  biographe  et  numismate  allemand , 
né  le  8  décembre  1765,  à  Waltershausen  (duché 
de  Gotha) ,  mort  le  4  décembre  1822, à  Munich. 


-  SCHMAUSS  544 

Fils  d'un  magistrat,  il  fit  ses  études  à  Iéna  et  è 
Gœttingue,  et  devint  en  1797  professeur  au 
gymnase  de  Gotha,  emploi  auquel  il  joignit  en 
1801  ceux  de  conservateur  de  la  bibliothèque  el 
du  riche  cabinet  des  médailles  du  duc  Ernest  II, 
Nommé  en  1807  secrétaire  général  de  l'Académie 
de  Munich,  il  dirigea  la  publication  des  huit 
premiers  volumes  de  la  nouvelle  série  des  Mé- 
moires de  cette  compagnie.  Il  devint  plus  tard 
conservateur  de  la  bibliothèque  royale  et  direc- 
teur de  l'Académie.  On  a  de  lui  :  TJeber  den  ' 
Schild  des  Herkules  nach  Hesiod  (Sur  le 
bouclier  d'Hercule  décrit  par  Hésiode);  Gotha, 
1788; —  Daclyliotheca  Stoschiana ;  Nurem- 
berg, 1792-1805,6  part,  in-fol.  :  explication  en 
allemand  et  en  français  d'une  partie  de  cette 
célèbre,  collection  de  pierres  gravées  ; —  Nekrolog 
der  Deutschen  in  den  Jahren  1790-1800; 
Gotha,  1791-1801,  22  vol.  in-80,  avec  supplé- 
ments et  tables;  ibid.,  1798,  in-8°;  suivi  d'une 
seconde  partie,  qui  s'arrête  à  1806  (ibid.,  1802- 
1806, 5  vol.  in-8°)  ;  les  notices  contenues  dans  ce 
recueil,  en  présentant  toute  l'exactitude  désirable , 
ne  sont  pas  écrites  avec  la  liberté  d'apprécia- 
tion qu'on  réclame  d'une  biographie  parfaite , 
circonstance  suffisamment  expliquée  par  les 
convenances  que  l'auteur  était  obligé  de  garder 
vis-à-vis  des  familles  des  personnages  dont  il 
écrivait  la  vie,  à  peine  éteinte.  Son  idée  fui  ! 
plus  tard  reprise  par  Schmidt,  qui  depuis  1823  L 
jusqu'en  1852  a  fait  paraître  tous  les  ans  à  IIJ 
menau  un  volume  de  son  Neuer  Nekrolog  der 
Deutschen;  —  Historia  numotheese  Go- 
thanœ;  Gotha,  1799,  in-8°; —  Annalen  der 
gesammten  Numismatik  (Annales  de  l'en- 
semble delà  numismatique);  Leipzig,  1806, 
in-4°;  suivi  du  premier  fascicule  du  t.  II,  qui 
n'a  pas  été  terminé;  —  TJeber  die  bei  Rosette 
in  Mgijplen  gefundene  dreifache  Inschrifl 
(Sur  les  inscriptions  de  Rosette);  Munich,  1818, 
in-4°.  On  doit  encore  à  Schlichtegroll  la  publi- 
cation du  curieux  Livre  de  tournois  de  Guil- 
laume IV,  duc  de  Bavière  (Munich,  1817-29, 
gr.  in-fol.,  avec  31  planches). 

C.  de  Weiller,  Schlichtegrolls  Leben;  Munich,  1823, 
in-8°.  —  T/eue  Nekrol.dtr  Deutschen,  t.  Ier. 

schmausss  (Jean-Jacques),  historien  ef 
publiciste  allemand ,  né  le  10  mars  1690,  à  Lan- 
dau, mort  le  8  avril  1757,  à  Gœttingue  Après 
avoir  étudiéà  Halle  sousChr.  Thomasius,  Gund- 
ling  et  Ludewig,  il  y  fit  depuis  1712  des  cours 
publics  d'histoire.  Nommé  conseiller  auliquedu 
margrave  de  Bade-Dourlach  (1721),  puis  con- 
seiller intime  de  la  chambre  domaniale  (1728),  il 
continua  de  consacrer  tous  ses  loisirs  à  l'étude 
de  l'histoire  et  du  droit  public.  Lorsqu'on  1734 
le  roi  Georges  II  érigea  l'université  de  Gœt- 
tingue, Schmauss  fut  appelé  à  en  faire  partie,  et 
il  y  professa  d'abord  l'histoire,  puis  le  droit 
des  gens.  En  1743  il  accepta  la  chaire  de  droit 
à  Halle,  mis  il  s'y  déplut  au  point  qu'avant  la 
fin  de  l'année  il  sollicita  son  rappel  à  Gœttingue; 


545 


SCHMAUSS  —  SCHMIDT 


6  46 


en  y  rentrant  il  dut  se  résigner  à  reprendre  le 
modeste  titre  de  conseiller  anlique  qu'il  avait  ob- 

enu  du  Hanovre  en  1737.  Selon  Schœll.on  doit  le 
Regarder  comme  le  créateur  de  la  science  poli- 
tique; ses  cours  se  distinguaient  par  une  mé- 
thode claire,  précise  et  philosophique.  Il  avait  des 
façons  grossières  et  des  mœurs  déréglées;  aussi 
|m  éprouva-t-il  de  fâcheuses  conséquences  dans 
Plusieurs  de  ses  enfants,  qui  lui  causèrent  beau- 
Loup  de  chagrin.  On  a  de  lui  :  Staat  des  Erzbis- 
\hums  Salzburg  (Description  de  l'archevêché 
JieSalzbourg);  Halle,  1712,  in-8°;  —  Berneueste 
htaatdes  Kœnigreichs  Portugal  (L'État  acluel 
]  u  Portugal)  ;  Halle,  1714, 1759,  2  vol.  in-8° ;  — 

'uvieuses  Bûcher-und  Staals- Cabinet  (Ca- 

inet  de  curiosité  littéraire  et  politique);  Halle, 

713-21,  18  vol.  in-8°  :  revue  périodique,  pu- 
[  liée  sous  le  nom  d'Antoine  Paullinus;—  Hislo- 
\isches  Staats-und  Helden- Cabinet  (Cabinet 

istorico- politique  et  héroïque);  Halle,  1718-21, 
ri  part.  in-8°  :  recueil  de  notices  biographiques, 
itù  l'on  trouve  aussi  une  Histoire  généalogique 
tte  la  maison  de  Gramont;  —  Leben  Kœfîigs 
Uarl  XI 1  von  Schweden;  Halle,  1720,  2  vol. 
|t-8°; — Kurzer  Begriff  der  Reichshistorie 

Précis  de  l'histoire  de  l'Empire)  ;  Leipzig,  1720, 
|(  1-8»  :  excellent  ouvrage,  qui  a  eu  cinq  édi- 
tons ;  —  Corpus  juris  publia  Romani  Im- 
merii  academicum  ;  Leipzig,  1722,  in-8°;  six 
litres  éditions,  dont  la  dernière  (1794)  a  été  soi- 

pée  pas  Braun;  —  Corpus  juris  gentium  aca- 
ïlemicum;  Leipzig,  1730-31,  3  part.  in-8°  :  cette 
Ipllection  des  traités  conclus  en  Europe  depuis 
|  euK  siècles  fut  suivie  d'un  commentaire  étendu, 
Btitulé  :  Einleitung  zu  der  Staatswissenschaft 
■introduction  à  la  science  politique);  ibid., 
■741-47,  2  vol.  in-8°  ;  —  Compendium  juris 
wublici  Imperii;  Leipzig,  1746,  in-8°;trad. 
Ifn  français  par  du  Buat,  sous  le  titre  de  Ta- 
Weaw'du  gouvernement  actuel  de  l'Empire 
W  Allemagne;  Paris,  1755,  in-8°;  —  Neues 
wustem  des  Rechts  der  Natur  (Nouveau  sys- 
Ijme  du  droit  naturel);  Gœttingue,  1754,  in-8°; 
Image  qui  avait  été  précédé  de  Bisser  tationes 
mris  naturalis;  ibid.,  1740,  in-8°,  et  qui  fut 
liiivi  d'une  Kurze  Vertheidigung  (Brève  dé- 
mise); ibid.,  1755, in-8o;  —  Vorlesungen  ûber 
mps  deutsche  Staatsrecht  (Cours  sur  le  droit 
>  ,iblic  de  l'Allemagne);  Lemgo,  1766,  in-8<>;  — 
■usieurs  opuscules  historiques  et  politiques. 

I  tfirsching,  Handbueh.  — Putter,  Gœttinyische  Gelehr- 
\i  ^geschichte,  et  Lilteratur  des  teutschen  Staatsrechts. 

t  'Schmidt  (Michel-Ignace),  historien  alle- 
»  ,and,  né  le  30  janvier  1736,  à  Arnstein(  Bavière), 
■ort  le  1er  novembre  1794,  à  Vienne.  Fils  d'un 
s  !iployé  forestier,  il  fut  élevé  au  séminaire  ca- 
6  olique  de  Wurtzbourg,  où  il  étudia  l'histoire , 
!f  '  philosophie  et  la  littérature  française.  Après 
Woir  été  quelque  temps  vicaire  à  Hassfurt,  il 
■[vint  précepteur  chez  le  grand-maître  de  la 
•fur  de  Bamberg,  M.  de  Rothenhan,  qu'il  ac- 
ftjinpagna  plus  tard  à  Stutfgard»  où,  admis  aux 

NOUV.  BI0GR.  GÉNÉR.  —  T.   XLII1. 


!  brillantes  fêtes  de  la  cour,  il  apprit  à  connaître 
J  les  hommes  et  la  société.  Nommé  en  1771 
I  bibliothécaire  à  Wurtzbourg,  il  obtint  bientôt 
après  à  l'université  de  cette  ville  la  chaire  de. 
l'histoire  de  l'Empire;  en  1774  le  prince  évèque., 
qui  lui  avait  confié  en  grande  partie  la  réorga- 
,  nisation  de  l'instruction  dans  ses  États ,  le  fit  en- 
I  trer  dans  la  commission  des  affaires  ceclésias- 
;  tiques,  et  lui  donna  en  1778  une  prébende  à  la  ca- 
,  thédrale;  ce  fut  sur  l'avis  de  Schmidt  qu'il  fonda, 
I  le  premier  en  Allemagne,  un  séminaire  pour  l'ins- 
|  truction  des  maîtres  d'école.  En  1778  Schmidt 
fit  paraître  le  premier  volume  de  V Histoire  des 
Allemands,  qui  eut  un  succès  universel,  et  à 
l'achèvement  de  laquelle  il  consacra  le  reste  de 
|  sa  vie.  Appelé  en  1780  à  Vienne  par  Maiïe-Tlic- 
rèse,  il  fut  mis  à  la  tête  des  archives  de  l'État, 
avec  le  titre  de  conseiller  aulique,et  chargé  d'en- 
seigner l'histoire  à  l'archiduc  François.  Dans 
l' Histoire  des  Allemands,  Schmidt  présenta 
le  premier  dans  un  tableau  d'ensemble  les  pro- 
grès de  la  civilisation  en  Allemagne  ;  le  premier 
il  initia  le  public  aux  changements  que  les  insti- 
tutions politiques  avaient  éprouvés  dans  ce  pays. 
Avant  lui  les  historiens  allemands  ne  s'adres- 
saient qu'aux  savants;  de  plus,  Mascov  excepté, 
ils  ne  traitaient  que  des  particularités  plus  ou 
moins  arides,  qui  ne  sont  que  les  prémices  de 
l'histoire.  Le  livre  de  Schmidt,  écrit  dans  un 
style  simple,  clair  et  sobre,  est  rédigé  avec  mé- 
thode et  impartialité;  l'auteur  amis  à  profit  pour 
les  trois  derniers  siècles  un  grand  nombre  de 
documents  inconnus  avant  lui  et  qu'il  trouva 
dans  les  archives  de  Vienne.  Il  a  joint  au  récit 
des  événements  des  détails  intéressants,  et  alors 
entièrement  nouveaux,  sur  Tétât  des  mœurs  et 
des  lettres  à  différentes  époques.  Bien  que  son 
ouvrage  soit  maintenant  dépassé  de  beaucoup 
parles  travaux  des  historiens  modernes,  ii  lui 
reste  la  gloire  d'avoir  été  pour  les  Allemands 
ce  que  Mezeray  fut  pour  nous,  le  véritable  père 
de  leur  histoire.  La  Geschichte  der  Deulscken 
bis  au/  das  Jahr  1544  parut  en  deux  séries  : 
Mltere  Geschichte  (Ulm,  1778-85,  5  vol.  in-8°; 
Vienne,  1783-93,  8  vol.  in-8°),  et  Neuere  Ge- 
schichte (Ulm,  1785-1808,  17  vol.  in-8°);  pen- 
dant ces  mêmes  années  il  en  parut  une  autre  édi- 
tion à  Vienne  (1).  La  première  série  a  été  trad. 
en  français  par  Laveaux  (Liège  et  Reims,  1784- 
89,  8  vol.  in-8o).  On  doit  encore  à  Schmidt  : 
Methodus  catechisandi  ;  Bamberg,  1769,  in-8°; 


(1)  Cette  particularité  de  deux  éditions  identiques  pu- 
bliées à  la  fois  en  deux  endroits  différents  tient  à  ce  que 
l'auteur  retira  pendant  quelque  temps  l'impression  de  son 
ouvrage  à  son  premier  éditeur  d'Ulm  :  celui-ci  avait 
communiqué  les  épreuves  du  tome  V,  où  il  est  question 
de  la  réformation,  à  un  théologien  protestant,  qui 
écrivit  aussitôt  une  attaque  contre  les  vues  expri- 
mées par  Schmidt  sur  Luther,  laquelle  parut  chez  le 
même  libraire  en  même  temps  que  le  t.  V.  Choqué  de 
ce  procédé,  Schmidt  remit  le  manuscrit  dut.  VI  à  un  édi- 
teur de  Vienne;  cependant,  avec  sa^bienvelllance  habi- 
tuelle, il  consenUt  bientôt  à  ce  que  l'éditeur  d'Ului  conti- 
nuât de  son  côté  à  publier  le  reste  de  l'ouvrage. 


18 


ô«7  SCHMIDT  — 

—  Geschichte  des  Selbslgefuhls  (  L'Histoire  de 
l'amour-propre);  Leipzig,  1772,  in-8o. 

Oberthiir,  Lebensgeschichte  Ifl.-J.  Sckmidts;  Hanovre, 
1803,  in-8°.  ~  Hirsclling,  Handbuch. 

schneideii  (Jean-Gottlob),  célèbre  philo- 
logue et  naturaliste  allemand,  né  le  18  janvier 
1750,  à  Collmen,  près  de  Warzen,  en  Sa\e,  mort 
le  12  janvier  1822,  à  Breslau.  Fils  d'un  maçon, 
il  fut  élevé  par  les  soins  d'un  de  ses  oncles,  qui 
était  administrateur  du  bailliage  d'Elsterwerda; 
après  avoir  étudié  les  langues  et  littératures  an- 
ciennes à  Leipzig  sous  Reiske  et  Reiz,  il  vécut 
quelque  temps  à  Gœttingue,ilans  une  position  pré- 
caire. En  1774  il  devint  le  secrétaire  de  Brunck,  au- 
quel il  avait  été  recommandé  par  Heyne,  et  l'ac- 
compagnaà  Strasbourg,oùtouten  complétant  ses 
connaissances  philologiques  il  étudia  les  di- 
verses branches  de  l'histoire  naturelle.  Nommé 
en  1776  professeur  des  langues  anciennes  et  d'é- 
loquence à  Francfort- sur- l'Oder,  il  passa  en  1811 
à  Breslau  en  cette  même  qualité;  en  1 8 16  il  y  devint 
principal  bibliothécaire-  Pendant  tout  ce  temps 
il  avait  continué  l'étude  des  sciences  naturelles, 
et  avait  visité  dans  ce  but  plusieurs  collections 
célèbres  de  l'Allemagne,  de  même  qu'il  avait 
aussi  appris  à  dessiner.  «  De  tous  les  écrivains  de 
ces  derniers  temps,  ditCuvier,  Schneider  est 
celui  qui  a  le  mieux  réuni  les  connaissances  de 
l'histoire  naturelle  et  l'érudition.  Malheureuse- 
ment il  avait  besoin  de  vendre  ses  ouvrages  pour 
vivre  ;  écrits  trop  vite,  ils  ne  présentent  pas  cette 
mélhode,  cette  clarté  qu'ils  auraient  eues  s'il 
avait  pu  y  consacrer  plus  de  temps.  «On  peut  aussi 
lui  reprocher  d'avoir,  à  l'imitation  de  Brunck, 
corrigé  les  auteurs  anciens  trop  témérairement 
et  sans  tenir  assez  de  compte  des  leçons  fournies 
par  les  manuscrits.  D'après  Schœll,  ce  fut  un 
homme  simple,  désintéressé  et  franc  jusqu'à 
la  rudesse;  sa  vivacité  naturelle  dégénérait  sou- 
vsnt  en  brusquerie;  mais  il  fut  sans  prétention 
et  «ans  orgueil,  et  se  mettait  toujours  au  service 
de  ceux  qui  cherchaient  à  s'instruire.  On  a  de 
lui  :  Persuch  iiber  Pindars  Leben  und  Schrif- 
ten  (Essai  sur  Pindare);  Strasbourg,  1774, 
in-8°; —  Periculum  criticum  in  Anthologiam 
Céphalée;  Leipzig,  1776,  in-8°;  —  Analecta 
critica;  Francfort-sur-l'Oder,  1777,  in-8°;  — 
Specimina  aiiquot  zoologias  veterum;  ibid., 
1782,  in-4";  —  Ichthyologise  veterum  speci- 
mina; ibid.,  1782,  in-4n;  — Allgemeine  Na- 
tur geschichte  der  Schildltrœten  (  Histoire  na- 
turelle des  tortues)-.  Leipzig,  1783-89,  2  part. 
in-8°;  —  Literarische  Beitrxge  zu  der  Na- 
turg.eschichte  aus  den  allen  Schriftstellern 
vorzûglich  des  13  Jahrhunderts  (Mélanges 
littéraires  d'histoire  naturelle  tirés  des  anciens 
auteurs,  principalement  de  ceux  du  treizième 
siècle);  Leipzig,  1786,  in-8o;  —  Analecta  ad 
historiam  rei  melallicee  veterum;  Franc- 
fort-sur-l'Oder, 1788,  in-4°;  —  Amphibiorum 
physiologie  specimina;  ibid.,  1790-97,  3  part. 
in-4o;  —  Grosses  kriliscJiejs  griechisch-deul- 


SCHNEIDER  â< 

sches  Wœrterbuch  (Grand  dictionnaire  criliqi: 
grec-allemand);  Zullich,  1797  98,  2  vol.  in-8' 
Leipzig,  1 8 1 9  2 1 , 2  vol  gr.  in-4"  :  excellent  travai 
qui  a  servi  de  base  au  Lexique  manuel  de  Pa 
sow  ;  —  Historia  amphibiorum  naturalis  i 
literuria;  léna,  1798-1801,  2  pari,  in  8°;  - 
Eclogas  physicae,  historiam  rerum  natur, 
lium  continentes,  ex  scriptoribus,  przserli 
graecis,  excerptse;  léna,  180i,  2  vol.  in-8°:  pr. 
cieux  recueil,  où  sont  exposées  les  idées  d 
anciens   sur  l'histoire  naturelle  et  la  physiqui 

—  Beitrage  zur  Klassification  der  Riesen. 
chlangen  (  Matériaux  pour  servir  à  la  classific 
tion  des  serpents  boas)  ;  Munich,  1820,in-8°;  ■ 
De  onginibus  tragœdiee  greecx;  Breslau,  181 
in-8o  ;  —  Sammlung  vermischter  Abhandlu 
gen  zur  Aujklœrung  der  Zoologie  und  Han 
lungsgeschichte  (  Recueil  de  mélanges  conce 
nant  la  zoologie  et  l'histoire  naturelle);  Berli 
1824,  in  8°.  On   doit   à  Schneider  les  éditio 
suivantes,  la  plupart  excellentes  :  Halieutica 
Cynegetica  d  Oppien  (Francfort,  1776,  in-8' (! 
ce  travail,  fait  en  commun  avec  Brunck,  fut  1 1 
pris  plus  tard  par  Schneider,  qui,  dans  sanci 
velleédition  decetauteur  (Leipzig,  1813,  in-8'l 
se   permit   moins   de    changements   arbitrait 
dans  le  texte;   De  Elocutione,   de  Demetri  j 
de  Phalère  (Altembourg,   1779,  in-8<>);  Dent 
tura  animalium,  d'Elien  (  Leipzig,  1784,  2  v  I 
in-8°);  Reliqua  librorum  Friderici  II  imm 
ratoriset Alberli Magni  de  arte venandicuî 
avibus,  cum  cotnmentariis  (Leipzig,  1788-é>| 
2   vol.   in-8°) ;    Alexipharmaca ,   de  Nicand 
(Halle,  1792,  in-8°),  suivis  en  1816  des  TtM 
riaca,  du  même  ;  Scriplores  rei  rusticx  i>e] 
res   latini  (Leipzig,  1794-97,    4  vol.  in-81 1 
Characteres,  de  Théophraste(  léna,  1799,  in-8 1 
suivis  de  deux  Auctaria  animadversionuim 
Orphei  Argonautica  (léna,  1803,  in-8") ;  M 
architectura,  de  Vitruve   (Leipzig,  1807-ii 
4  vol.  in -8°);  Polilica,  d'Aristote  (France» 
1809,    2  vol.    in-8°);    Historia  animalhl 
(Leipzig,    1811,  4  vol.  in-8°);  JEsopi  Fabul 
(Breslau,      1812,    in-8Q;  Epicurï     Phys\\ 
(Leipzig,  1813,  in-8»);   Xenophontis   Opt\ 
(Leipzig,    1815,   6  vol.    in-8o),    avec  l'aide1 
Bornemann  :  précédemment  Schneider  avait  J 
diverses  époques   publié  séparément  les  prin 
paux  ouvrages  de  Xénophon;  Œconomica,  d  i 
ristote     (Leipzig,    1815,  in-8");   Theophral 
Opéra  (  Leipzig ,  1818-21,    5  vol.  in-8")    Ou 
un  grand  nombre  de  mémoires  disséminés  d; 
divers  recueils  et  plusieurs  traductions,  telles  c 
celle  du  traité  de  MonroSwr  la  structure  < 
poissons,  Schneider  a   encore  publié  une  é<| 
très-augmentée  du  Systema  ichthyologise 
Bloch  (Berlin,  1801,  in-8o). 

Manso,  dans  Berliner    SUtats-zeïtung ,   19  fév.   81 

—  Gazette   d' Augsbourg ,  1822,  n°  26  du  suppl.  — 
\ier,  Hist.  des  sciences  naturelles. 

Schneider   (  Jean  -Georges ,  dit  Eulog<\ 
agent  révolutionnaire,  né  le  20  octobre  175i 


! 

- 
1 


49 

ftpfeld,  (Franconie),  guillotine  le  10  avril 
i;94,  à  Paris.  Ses  parents  étaient  de  pauvres 
iltivateurs.  Il  dut  aux  heureuses  dispositions 
l'il  montra  dès  l'enfance  la  protection  du  cha- 
•lain  de  son  village,  Valentin  Fahrmann,  qui 
i  enseigna  les  éléments  de  la  langue  latine. 
•s  progrès  rapides  permirent  de  l'envoyer  à 
"urtzbourg  suivre  les  cours  du  gymnase 
1e  dirigeaient  les  jésuites.  Ce  fut  alors  qu'il 
!opta  le  prénom  A'Eiiloge.  Au  bout  de  trois 
.nées   il    fut    admis   dans    l'académie;   mais 

mauvaise  compagnie  qu'il  fréquenta  le  fit 
asser  de  l'hôpital  de  Jules,  où  on  l'hébergeait 
ïtuitement;  il  tomba  dans  une  misère  extrême, 

changeant  tout  à  coup  de  conduite,  il  entra 
tos  le  couvent  des  Franciscains  à  Bamberg 
777).  Ses  études  terminées,  il  fut  chargé  d'al- 

professer  l'hébreu  à  Augsbourg.  En  1785  il 
oroiionça  sur  la  tolérance  un  sermon  qui  lui 
scita  beaucoup  d'ennemis  dans  le  clergé;  mais 
BJivues  libérales  et  sentaient  oratoire  atti- 
jent  sur  lui  la  bienveillance  du  duc  Charles 
«Wurtemberg  :  ce  prince  l'appela  à  sa  cour  en 
filitéde  prédicateur  (1786),  et  lui  fit  obtenir  la 
Ipense  papale.  Schneider  continua  de  prêcher 
rc  succès,  et  consacra  au  soutien  de  sa  famille 
Imeilleure  part  des  appointements  de  sa  place. 

■  reporte  à  ce  séjour  de  Stuttgard  son  initiation 
lis  la  secte  des  illuminés,  organisée  par  le  fa- 
tfux  AYeisshaupt;  ces  relations,  dont  on  ne  four- 
t  aucune  preuve,  ne  sont  pas  nécessaires  pour 
ipliquer  la  chaleur  avec  laquelle  Schneider  sa- 
it la  révolution  française.  «  Maudire  le  fana- 
ftne,  écrivait-il  avant  qu'elle  éclatât,  briser  le 
^■ptre  de  la  stupidité,  combattre  pour  les 
Inits  de  l'homme,  ah!  ce  ne  sont  pas  les  cour- 
Wins  qui  sont  en  état  de  le  faire!  «Ambitieux, 

roatient  du  joug,  dévoré  de  passions  ardentes, 
iï.e  contint  encore  par  nécessité,  et  accepta  à  la 

«de  1789  la  chaire  de  grec  et  d'humanités  à 
■nn.  La  publication  de  son  Catéchisme  (1790) 

teréa  de  nouveaux  embarras  :  plusieurs  facultés 

■  théologie  le  désapprouvèrent,  et  défense  fut 
féaux  libraires  de  le  vendre.  Forcé  de  donner 
démission,  Schneider  passa  le  Rhin  et  s'éta- 
it, à  Strasbourg  (12  juin  1791).  Le  28  il  fut 
[ramé  vicaire  épiscopal  et  doyen  de  la  faculté 

^théologie.  Non-seulement  il  prêta  le  serment 
tique,  mais  il  prêcha  à  la  cathédrale,  mêlant 
«l'C  beaucoup  de  fougue  et  de  singularité  les 
ii'îdents  politiques  aux  enseignements  religieux, 
^1  annonça  un  cours  sur  ia  jurisprudence  pas- 
Ifole  d'après  la  nouvelle  constitution.  Le  11  no- 
mbre il  fut  admis  dans  le  conseil  municipal,  et 
\  sa  parole  ardente,  par  ses  nombreux  écrits , 
{ son  affiliation  aux  sociétés  populaires,)"!  se  posa 
«adversaire,  souvent  redouté,  de  Dietrich,  le 
Tire  de  la  ville.  Jusqu'au  10  août  il  se  défendit 

l"!  re  républicain  ;  les  événements  l'entraînèrent, 
cime  tant  d'autres  :  avant  le  10  août  il  dé- 
cidait la  déchéance  de  Louis  XVI ,  ensuite   il 

lliit  sur  les  massacres  de  septembre.  La  pu- 


SCUNEIDER  5Ô0 

bîication  du  journal  allemand  l'Anjux,  fondé  le 
3  juillet  1792,  n'avait  fait  qu'ajouter  à  son  in- 
fluence ;  comme  dans  ses  sermons  et  dans  ses 
discours  ,  il  mêla  dans  sa  polémique  la  religion  et 
la  politique,  et  fit,  d'un  style  ampoulé,  souvent 
grotesque,  et  de  la  façon  la  plus  étrange,  des 
applications  continuelles  du  texte  sacré  aux 
hommes  et  aux  passions  du  jour.  Jamais  en  effet 
Schneider  ne  dépouilla  entièrement  le  vieil  homme, 
et  la  révolution  ,  en  le  mettant  en  évidence,  ne 
parvint  pas  à  effacer  en  lui  le  caractère  in- 
disciplinable  du  moine  réfractaire.  Dans  le  prin- 
cipe il  lutta  avec  courage  contre  le  parti  royaliste, 
qui  avait  à  Strasbourg  et  dans  les  campagnes  de 
l'Alsace  des  attaches  très -puissantes.  Aussi  fut-il 
choisi  pour  remplir,  durant  les  trois  der- 
niers mois  de  1792,  les  fonctions  de  maire 
provisoire  à  Haguenau  ,  où  sa  présence  affermit 
le  nouvel  ordre  de  choses.  Nommé,  le  19  février 
1793,  accusateur  public  près  le  tribunal  criminel 
du  Bas  Rhin  par  les  représentants  Dentzel  et 
Couturier,  Schneider  fut,  le  5  mai  suivant, 
investi  du  même  titre  près  le  tribunal  révolu- 
tionnaire. Dans  l'exercice  de  ces  fonctions  re- 
doutables, il  se  laissa  entraîner  à  sa  violence  na- 
turelle, et  fit  de  la  loi  un  instrument  de  terreur 
plutôt  que  de  justice.  La  coalition  étrangère  et 
les  troubles  de  l'intérieur  l'exaltèrent  jusqu'au 
fanatisme.  Tout  lui  devint  suspect;  ses  que- 
relles avec  le  maire  Monet  faillirent  à  ensanglan- 
ter plus  d'une  fois  les  rues  de  Strasbourg.  Em- 
porté par  une  aclivité  fébrile,  il  parcourait  sou- 
vent les  campagnes,  transportant  avec  lui  le 
bourreau  et  la  guillotine,  «  faisant,  comme 
il  disait,  l'impossible  pour  déterrer  et  punir 
les  coupables  »  ;  il  ramena  au  pair  les  assignats, 
qui  perdaient  85  pour  100,  et  fournit  à  l'armée, 
qui  manquait  de  tout,  plus  de  grains  que  n'en 
amassèrent  tous  les  commissaires  du  district 
réunis.  De  riches  marchands  furent  exposés  au 
carcan  et  subirent  d'énormes  amendes;  un 
grand  nombre  de  fonctionnaires  publics,  accusés 
de  modérantisme,  furent  destitués;  du  5  no- 
vembre au  13  décembre,  il  envoya  à  la  mort 
trente  et  une  personnes ,  tant  à  Strasbourg  qu'à 
Mutzig,  Barr,  Obernai,  Epfiget  Schelestadt;  les 
prisons  regorgeaient  de  ses  victimes.  Il  s'ani- 
mait de  plus  en  plus  à  sa  tâche  sanglante;  à  la 
veille  de  sa  mort  même,  il  s'en  faisait  un  titre 
d'honneur.  «  On  m'appela,  écrivait-il  alors  aux 
Jacobins,  le  Marat  de  Strasbourg,  et  je  m'en 
glorifiai.  » 

L'arrivée  de  Saint-Just  et  de  Le  Bas  mit  fin  à 
la  dictature  de  ce  sectaire  furieux.  Sur  leur  in- 
jonction Schneider  adressa,  le  7  décembre  1793, 
au  comité  de  sûreté  générale  le  compte  rendu 
de  sa  gestion  avec  toutes  les  pièces  justificatives. 
Sa  punition  fut  résolue  aussitôt,  et  le  14  dé- 
cembre un  arrêté  des  représentants  le  condamna 
à  être  conduit  de  brigade  en  brigade  à  Paris, 
après  avoir  subi  l'exposition  sur  l'échafaud  de  la 
guillotine.  On  prit  pour  prétexte  sa  rentrée  en 

18. 


&51 


•ville  «  avec  un  faste  insolent,  traîné  par  six 
chevaux  et  environné  de  gardes,  le  sabre  nu  »  ; 
ce  qui  était  exact  du  reste,  mais  on  voulait 
punir  en  lui  le  chef  du  parti  ultra-révolution- 
naire ,  qui  tendait  à  exagérer  la  terreur  même , 
et  ce  fut  dans  ce  sens  que  Fouquier-Tinville  fut 
chargé  de  dresser  son  réquisitoire.  Schneider 
venait  de  se  marier  à  Barr  avec  la  fille  d'un 
bourgeois  (14  décembre);  quelques  jours  aupa- 
ravant il  avait  abjuré  publiquement  l'état  sa- 
cerdotal. Enfermé  dans  la  prison  de  l'Abbaye, 
puis  dans  celle  de  la  Force,  il  comparut  quatre 
mois  plus  tard  devant  le  tribunal  révolution- 
naire (10  avril  1794),  qui  le  condamna  à  mort. 
On  l'exécuta  le  même  jour.  Ses  dernières  pa- 
roles furent  :  «  Il  est  impossible  d'êire  plus 
complaisant  envers  les  ennemis  de  la  république 
qu'en  me  faisant  mourir.  »  Il  ne  manquait  pas 
d'instruction ,  bien  qu'en  théologie  par  exemple 
son  savoir  fut  assez  borné.  Ses  ouvrages  sont 
écrits  en  allemand,  d'un  style  correct,  mais  dé- 
clamatoire; nous  citerons  dans  le  nombre  :  To- 
leranz  Predigt  (Sermon  sur  la  tolérance); 
Augsbourg,  1785,  in-8°;  —  une  traduction  des 
Homélies  de  saint  Jean-Chrysostôme  sur  l'É- 
vangile de  saint  Jean  ;ibid.,  1787-89,  3  vol.in-80: 
il  eut  aussi  part  à  la  traduction  des  Homélies  du 
même  Père  sur  saint  Matthieu,  publiée  en  1786 
par  Fedor;  —  Gedichte  (Poésies);  Francfort, 
1790,  in-12,  avec  portr.  :  il  y  confesse  qu'il  n'a 
pu  faire  dix  pièces  de  vers  sans  qu'il  y  en  eût  au 
moins  une  qui  exprimât  l'amour;  —  Predig- 
ien  (Sermons);  Breslau,  1790,  in-8°;  —  Ka- 
iechetischer  Unterricht;  Bonn,  1790,  in-12  : 
c'est  plutôt  un  manuel,  où  l'existence  de  Dieu, 
l'immortalité  de  l'âme  et  la  Providence  sont  re- 
gardés comme  les  bases  de  toute  morale;  —  Die 
ersten  Grundssetze  der  schœnen  Kûnste 
(Premiers  principes  des  beaux-arts  en  général); 
Bonn,  1790,  in-12;  —  Discours  sur  le  ma- 
riage des  prêtres;  Strasbourg,  1791,in-8°,  en 
français;  —  L'Argus,  journal  bi-hebdomadaire ; 
ibid.',  3  juillet  1792  au  16  juin  1794,  4  vol.  in-8°  : 
il  n'eut  jamais,  d'après  Schneider  lui-même,  plus 
de  cent  cinquante  abonnés  ;  la  collection  com- 
plète en  est  fort  rare  ;  —  Kriegslied  der  Mar- 
seiiler;  ibid.,  octobre,  1792,  in-8°,  trad.  de  la 
Marseillaise ;  —  Der  Guckkasten  (La Chambre 
obscure),  poème  héroï-comique;  Francfort,  1796, 
in-12.  P-  L-y. 

E.  Schneider's  Leben  und  Schicksale  in  Vaterlandc  ; 
Krancfort,  1790,  in-12.  —  E.  Schneider*  ernste  Betrach- 
tungen;  Leipzig,  1794,  in-12  :  ectte  pièce  est  apocryphe.  — 
Hcitz,  Notes  sur  la  vie  et  les  écrits  d'Euloge  Schneider ; 
Strasbourg,  1862,  in-8°  :  on  y  trouve  de  nombreux  ex- 
traits des  articles,  discours,  rapports,  etc.  de  Schneider 
ainsi  que  beaucoup  de  lettres  écrites  pendant  sa  prison. 
—  K\up!e\,  Necrologium,  p.  95-103.  —  Gazette  d'Jugs- 
bourg,  déc.  1815  et  févr.  1848.  —  Le  Blanc,  Hist.  de  la 
rév.,  t.  X. 

Schneider  (  Antoine -  Virgile),  général 
français ,  né  le  22  mars  1780,  à  Bouguenon, 
commune  de  Saar-Union  (Bas-Rhin),  mort  le 
1 1  juillet  1847,  à  Paris.  Il  était  fils  d'un  médecin 


SCHNEIDER  —  SCHNETZ  5; 

sans  fortune.  En  1799  il  suivait  les  cours  de  1'  ' 
cole  polytechnique,  lorsqu'il  adressa  au  prem: 
consul  un  mémoire  sur  l'île  de  Corfou,  mémo 
qui  lui  valut  d'être  nommé  surnuméraire 
génie.  Capitaine  dans  la  première  campa^ 
d'Espagne  (nov.  1808),  il  se  distingua  par  | 
suite  aux  sièges  de  Saragosse  et  de  Figuières.  \\ 
ministre  de  la  guerre  Clarke  se  l'attacha  en  18  jj 
et  le  chargea  de  diverses  missions,  notammi 
dans  les  îles  Ioniennes.  Il  fit  la  campagne  |] 
Russie,  et  prit  part  avec  le  général  Rapp  à 
défense  de  Dantzig.  Prisonnier  de  guerre,  ]  |j 
suite  de  la  rupture  de  la  capitulation,  il  ne  rex  I 
en  France  qu'avec  la  paix.  Pendant  les  ce  | 
jours,  il  fut  nommé  colonel  et  chef  d'état-nu  I 
du  général  Rapp  commandant  le  5e  corps,  des)  1 
à  couvrir  le  Rhin.  Rappelé  à  l'activité  en  181!  I 
fit  avec  le  20e  léger  la  campagne  d'Espagne.  I 
contribua  à  la  prise  de  Pampelune.  Promu  1 1 
réchal  de  camp  le  22  mai  1825,  Schneider  I 
envoyé  en  1828  en  Morée,  enleva  Patras  I 
Turcs,  et  ouvrit  la  tranchée  du  château  de  Mo  I 
après  la  prise  duquel  il  obtint  la  croix  de  gra  I 
officier  de  la  Légion  d'honneur  (22  février  18  I 
Il  succéda  au  maréchal  Maison  dans  le  c  I 
mandement  des  troupes  d'occupation;  et  lors  I 
des  raisons  de  santé  lui  firent  en  1831  demar  I 
son  rappel,  le  gouvernement  grec  lui  offrit  I 
épée  d'honneur.  Le  grade  de  lieutenant  gén  I 
lui  fut  conféré  le  12  août  de  cette  année, il 
fut  chargé  des  fonctions  de  directeur  du  penB 
nel  et  des  opérations  militaires  au  ministèr  I 
la  guerre  (20  novembre  1832).  L'arrondisser  I 
de  Sarreguemines  l'envoya  en  1834  à  la  chat)  H 
des  députés,  et  lui  renouvela  son  mandat  jus  I 
sa  mort.  Le  12  mai  1839,  après  que  l'éml 
avait  éclaté  dans  Paris,  Louis-Philippe  lui  il 
fia  le  portefeuille  de  la  guerre,  qu'il  garda  M 
qu'au  1er  mars  1840;  il  améliora  le  sort  des  H 
ficiers  par  diverses  ordonnances  sur  la  sol<  H 
la  remonte,  et  donna  une  meilleure  organisa 
à  l'état-major  général  de  l'armée.  Enfin,  le  2  I 
vembre  1840,  il  fut  investi  du  commande;  I 
supérieur  des  troupes  de  la  division  hors  P  H 
qui  coopérèrent  puissamment  aux  travauxH 
fortifications  de  la  capitale,  et  devint  en  H 
président  du  comité  de  l'infanterie.  Au  mo  pi 
de  sa  mort,  il  était  depuis  le  14  avril  I 
grand-croix  de  la  Légion  d'honneur.  On  a>H 
général  :  Histoire  et  description  des  île.*r- 
niennés,  depuis  les  temps  fabuleux  etm 
roïques  jusqu'à  ce  jour  (anonyme);  ïB 
1823,  in-8°,  avec  atlas;  —  Résumé  des  ap 
butions  et  devoirs  de  l 'infanterie  légtoftA 
campagne;  P aùs,  1823,  in-32;  —  plus 
Mémoires  sur  différentes  branches  des  scii 
militaires;  — divers  articles  de  critique  da 
Spectateur  militaire. 

Moniteur  univ.,  15  juillet  1847.  -  Victoires  et  |Ȃ 
quêtes,  t.  XXIV.—  Bégin  ,  liiogr.  de  la  Moselle,  — 
des  hommes  du  jour,  t.  IV.  part.  II. 

*  schnetz  (Jean-Victor),  peintre  frai I 


SCHNETZ  —  SCHOEFFER 


554 


à  Versailles,  le  14  avril  1787.  Son  premier 
lire  fut  David;  il  passa  ensuite  dans  l'atelier 
Regnault,  puis  dans  ceux  de  Gros  et  de  Gé- 
■d.  Il  commença  à  se  faire  connaître  du  pu- 
:  au  salon  de  1819;  cedébut  fut  un  triomphe, 
|  I  reçut  la  grande  médaille  d'or  pour  la  pein- 
e  historique.  Sa  réputation  s'établit  solide- 
jint  aux  expositions  suivantes,  et  il  fut  bientôt 
irgé  de  travaux  importants  pour  les  musées 
lies  monuments  publics.  Élu  en  1837  membre 
I  l'Académie  des  beaux-arts,  à  la  place  de 
Irard,  il  fut  de  1840  à  1847,  directeur  de 
«cadémie  de  France  à  Rome,  et  reprit  en 
1)2  ce  poste,  qu'il  occupe  encore.  Il  envoya 
I l'exposition  universelle  de  tS55  un  Christ 
mpelant  à  lui  les  petits  enfants,  qui  lui  a 
lu  une  médaille  de  première  classe.  Nommé 
livalier  de  la  Légion  d'honneur  en  1825,  il 
■reçu  la  croix  d'officier  en  1843.  Parmi  les 
1res  peintres  qui  cultivent  encore  la  pein- 
te d'histoire,  M.. Schnetz  se  distingue  par 
I  style  et  la  correction  ;  s'il  y  a  un  peu  de 
wdeur  dans  sa  manière,  il  rachète  ce  défaut 
I  l'harmonie  de  la  composition.  Ses  œuvres 
If  Irès-nombreuses ;  nous  citerons  :  au  musée. 
■  Luxembourg  :  Bohémienne  prédisant  l'a- 
mùr  de  Sixte-Quint;  Scène  d'inondation; 
uinne  d'Arc  revêtant  ses  armes;  —  dans 
licienne  galerie  d'Orléans  :  Pâtre  clans  la 
wnpagne  de  Rome;  Femme  de  brigand 
niant  avec  son  enfant;  —  au  musée  de  Ver- 
Idles  :  Levée  du  siège  de  Paris  en  886;  Pro- 
vision des  croisés  autour  de  Jérusalem  ; 
Vise  d'Ascalon;  Bataille  de  Cérisolles;  le 
wànd  Condé  à  la  bataille  de  Senef;  —  au 
Inseil  d'État  :  Mazarin  au  lit  de  mort; 
mëliîts  prisonnier  dans  Pavie  faisant  ses 
mieux  à  sa  famille;  —  à  l'église  Saint- 
lenne  du  Mont  :  des  Malheureux  implorant 
msecours  de  la  Vierge  ;  —  à  Notre-Dame  de 
Inne-Nouvelle  :  Sainte  Geneviève  distribuant 
|s  vivres  pendant  le  siège  de  Paris;  —  à 
îôtel  de  ville  de  Paris  :  Funérailles  d'une 
pne  martyre  aux  catacombes  ;  Épisode  du 
tige  d'Aquiléepar  Attila;  Alcuin  présenté  à 
marlemagne  ;  Combat  du  29 juillet  à  l'hôtel 
Iville;  —  à  la  cathédrale  de  Tours  :  Saint 
wwtin  coupant  son  manteau.  Il  a  décoré  des 
ppelles  à  la  Madeleine,  à  Notre-Dame-de- 
Iretteet  dans  plusieurs  autres  églises. 
ff.ii'rcfi  des  Salons. 

K  schnitzlèr  (Jean-Henri),  littérateur 
■içais,  né  à  Strasbourg,  le  1er  juin  1802.  Il 
bait  de  terminer  ses  études  théologiques  au 
Ininaire  protestant  de  sa  ville  natale,  lors- 
l'en  1823  il  fut  appelé  en  Courlande  pour  y 
Ire  une  éducation  particulière.  Il  prêcha  quel- 
jefois  dans  la  ville  de  Talsen,et  attira  toujours 
I  nombreux  auditoire.  A  deux  reprises,  en 
1 25  et  1826,  il  visita  la  Russie,  sans  cesser  de 
tnner  des  leçons.  En  1828  il  s'établit  à  Paris, 
H  il  se  livra  pendant  près  de  neuf  ans  à  de 


nombreux  et  importants  travaux  littéraires.  De 
1840  à  1844  il  avait  été  professeur  d'allemand 
des  princes  de  la  famille  royale,  notamment  <).es 
ducs  de  Nemours  et  d'Aumale  et  de  la  princesse 
Clémentine.  Enfinen  1847  il  revint  à  Strasbourg, 
où  il  fut  nommé  d'abord'  sous-inspecteur  des 
écoles  primaires ,  puis  chef  de  la  division  de 
l'instruction  publique  à  la  mairie,  fondions  qu'il 
exerce  encore.  M.  Schnitzlèr  s'est  acquis  une 
juste  réputation  par  ses  travaux  historiques  et 
statistiques  ;  il  a  été  collaborateur  de  la  Revue 
encijclopédique,  du  Journal  de  Saint-Péters- 
bourg, des  Berliner  Jahrbùcher  ,  de  l'Uni- 
versel (  alors  journal  littéraire),  des  Allgemeine 
politische  Annalen  de  Rotteck,de  la  iVoM- 
velle  Revue  germanique ,  du  National,  du 
Journal  d'Augsbour  g  etc.  11  a  dirigé,  de  1831  à 
1845, l' Encyclopédie  dès  gens  du  monde,  vaste 
entreprise  en  44  vol.  in-8°,  publiée  à  Paris  par  la 
librairie  Treuttel  et  Wùrtz,  et  à  laquelle  il  a  fourni 
de  nombreux  articles.  Il  a  publié  :  Notice  sur 
le  Mxisée  de  l'Ermitage  de  Saint-Pétersbourg  ; 
Paris,  1828,  in-8°;  —  Essai  d'une  statistique 
générale  de  la  Russie,  Pasis ,  1820,  in-12; 
—  Bericht  eines  Augenzengeniiber  die  Ré- 
volution von  1830  (Relation  de  la  révolution  de 
1830)  ;  1830,  in-8°;  —  De  l'Unité  germanique, 
ou  de  la  régénération  de  V  Allemagne  ;  Paris, 
1832,  in-8°;  —  La  Russie,  la  Pologne  et  la 
Finlande,  tableau  statistique,  géographique; 
Paris,  1835,in-8°;  — De  la  création  de  la 
richesse,  ou  des  Intérêts  matériels  en  France; 
Paris,  1842,  2  vol.  in-8°,  qui  ont  formé  pins 
tard  les  t.  III  et  IV  de  la  Statistique  générale, 
méthodique  et  complète  de  la  France,  com- 
parée aux  autres  grandes  puissances  de 
l'Europe;  Paris,  1846,  4  vol.  in-8°,  ouvrage 
qui  a  été  couronné  par  l'Académie  des  sciences 
en  1848;  -r-  Histoire  intime  de  la  Russie  sous 
les  empereurs  Alexandre  et  Nicolas;  Paris, 
1845,  2  vol.  in-8°;  — La  Russie  et  son  agran- 
dissement territorial  depuis  quatre  siècles; 
Paris,  1854,  in-8°; —  La  Russie  ancienne  et 
moderne;  Paris,  1854,  1855,  édition  illustrée, 
gr.  in-4°.  M.  Schnitzlèr  a  reçu  en  1835  la  croix 
de,l'ordre  de  Stanislas  de  Russie,  et  en  1847 
celle  de  la  Légion  d'honneur.     G.  Silbermann. 

Documents  communiques. 

schoeffer  (Pierre)  (1),  imprimeur  allemand, 
né  de  1420  à  1430,  à  Gernsheim,  près  Darmstadt 
(électorat  deMayence),  mort  vers  1505  (2).  On 
voit  dans  un  document  écrit  de  sa  main  qu'il 
était  venu  faire  ses  études  dans  la  célèbre  uni- 

(1)  Dans  les  souscriptions  Schoyfer,  Schoyffer,  Schoif- 
fer,  Schoef/er,  Schiffer,  Schof/er,  et  dans  l'ordonnance 
de  Louis  XI  Scheffer;  en  latin  Opilio,  traduction  de  ce 
nom,  qui  en  allemand  signifie  berger. 

(2)  Le  20  décembre  1502  est  la  date  du  dernier  ouvrage 
où  le  nom  de  Jacques  Fust  figure  à  côté  de  celui  de  Pierre 
Schceffer,  dans  la  4e  édition  du  Psautier.  Postérieure- 
ment à  cette  date  le  nom  de  Pierre  Schœffer  ne  paraît 
plus,  et  la  souscription  du  Mercure  Trismérjiste,  imprimé 
par  son  fils  à  la  vigile  des  Rameaux  (8  avril)  15:3, 
annonce  que  ce  livre  est  le  premier  qu'il  imprime. 


SCHOEFFER 


versilé  de  Paris,  où  en  1449  il  exerçait  !a  profes- 
sion rie  copiste  et  de  caliigraphe  fi).  On  ne  saurait 
fixer  l'époque  de  son  retour  à  Mayence;  mais  au 
mois  de  novembre  1455  on  le  voit  figurerai]  procès 
in  tenté  contre  Gutenberg  par  Jean  FustouFaust,et 
son  nom  (Pierre  de  Gernsheim)  se  trouve  immé- 
diatement accolé  à  celui  de  Jacques  Fust,  frère  de 
Jean  Fust.  Deux  seuls  serviteurs  de  Gutenberg 
figurent  aussi  dans  ce  procès  ;  ce  sont  Henri  Keffer 
etBechtliold.  Quanta  Pierre  Schccffer,  s'il  contri- 
buait dès  cette  époque  aux  travaux  de  l'atelier 
de  Gutenberg  et  de  Fust,  ce  ne  pouvait  être  que 
comme  l'agent  de  Fust,  et  depuis  peu  de  temps, 
puisqu'en  1449  il  était  encore  à  Paris. 

Schœffer  occupe  une  place  importante  dès 
l'origine  de  l'imprimerie,  qui  lui  doit  plusieurs 
perfectionnements;  mais  son  grand  tort  est  d'a- 
voir voulu  substituer  son  nom  et  celui  de  Jean 
Fust  au  nom  du  véritable  inventeur,  Jean  Guten- 
berg (2),  tandis  que  les  plus  anciens  témoignages 
contemporains,  celui  d'Ulrich  Zell  à  Cologne  et 
celui  de  Wempheliug,  n'ont  fait  aucune  mention 
de  Pierre  Schœffer  non  plus  que  de  Fust  et  ont 
proclamé  Gutenberg  l'inventeur  de  l'imprimerie. 
Cependant  le  fils  de  Schœffer,  qui  dans  tous  ses 
ouvrages,  à  l'exception  d'un  seul,  acontinuélesys- 
tème  défaire  ou  de  dissimuler  le  nom  célèbre  de 
Gutenberg,  imprimait  en  1505,  deux  ans  après 
la  mort  de  son  père,  probablement  sous  l'empire 
de  quelque  circonstance  qui  le  forçait  à  dire  la 
vérité,  «  que  l'art  admirable  de  l'imprimerie  fut 
invenlé  à  Mayence  surtout  par  l'ingénieux  Jean 
Gutenberg,  l'an  1450,  et  postérieurement  amé- 
lioré et  propagé  pour  la  postérité  par  les  capi- 
taux et  les  travaux  de  Jean  Fust  et  de  Pierre 
Schœffer  (3).» 

C'est  dans  cet  endroit  seul  que  le  fils  de  Schœf- 
fer a  dit  toute  la  vérité ,  mais  cela  suffit  pour  la 
gloire  de  Gutenberg. 

Quelle  part  revient-il  réellement  à  Pierre  Schœf- 
fer dans  les  perfectionnements  qu'on  lui  attribue? 
C'est  ce  qu'il  est  difficile  de  déterminer.  Jusqu'en 
1455,  époque  on  la  séparation  entre  J.  Guten- 
berg et  J.  Fust  fut  prononcée,  rien  ne  prouve 
que  Pierre  Schœffer  ait  été  employé  dans  l'éta- 
blissement des  deux  associés;  il  n'y  a  que  des 
présomptions  à  cet  égard  ;  or,  il  est  constant 
qu'en  1454,  antérieurement  à  la  dissolution  de 
la  société  formée  entre  Gutenberg  et  Faust ,  la 
première  des  Lettres  d'indulgence ,  où  le  petit 
caractère  qui  sert  au  texte  est  admirablement 
bien  gravé  et  bien  fondu ,  a  été  imprimée  par 
ces  deux  prototypographes  ;  et  comme  on  y 
voit  employés  les  deux  gros  caractères,  dits  de 


!1)  C'est  ce  que  constate  un  manuscrit  maintenant  à 
la  bibliothèque  de  Strasbourg,  où  on  lit  celte  souscrip- 
tion :  Hic  est  finis  omnium  librorvm  lam  veteris  quam 
noie  looire  compleli.  per  me  Pelrum  de  Gernslieim , 
alias  de  Moijuntia.  anno  mccccxhx  in  ytoriosissima 
Univemitale  Parisieusi. 

(ï)  foy,  Gutenberg,   t.  XXII,  col.  892  et  sulv. 

|3)  Dans  la  préface  en  langue  allemande  qui  est  en  tête 
de  la  traduction  de  Tite  Live. 


forme,  qui  ont  servi  à  l'impression  des  grande 
Bibles  in-fol.,  l'une  de  36  lignes  à  la  page,  l'auti 
de  ni  lignes,  il  est  donc  certain  que  dès  14£ 
ces  trois  remarquables  caractères  avaient  é 
gravés  et  fondus. 

C'est  seulement  trois  ans  après  cette  sépar 
lion,  en  1457,  qu'on  voit  se  produire  le  noi 
de  Pierre  Schœffer  avec  celui  de  Fust  sur 
Psalmorum  codex,  daté  du  14  août  et  rein 
primé  par  eux  le  29  août  1459.  Ces  deux  nom 
qui  apparaissent  pour  la  première  fois  sur  celivi 
imprimé,  figurent  aussi  au  Durandi  rational 
le  6  octobre  1459,.  aux  Constitutiones  pap 
démentis  F,  le25juin  1460,  à  la  Bible  latine  ( 
première  avec  date)  du  14  août  1462;  et  en  14( 
on  lit  à  la  fin  des  Offices  de  Cicéron  (1)  cet 
indication  :  Presens  Marci  Tullii  clarissimu 
opus  Johannes  Fust  Moguntinus  civis,  no 
atramento,  plumait  canna,  neque  serea,  st 
artequadam  perpulcra  Pétri  manu  pueri  m 
féliciter  effeci.  Anno  mccclxv.  Ce  qui  prou 
que  de  1462  à  1465  Jean  Fust  avait  donné 
fille  Christine  en  mariage  à  Pierre  Schœ.ffe 
comme  récompense  de  sa  coopération  aux  tr 
vaux  de  l'imprimerie. 

Tous  ces  livres ,  remarquables  par  leur  be 
impression,  la  précision  de  la  gravure  et  larég 
laritéde  la  fonte  des  caractères;  tous,  excepté 
Psautier  (Psalmorum  Codex),  qui  par  sa  natu 
exigeait  un  gros  caractère  carré  et  anguleux,  i 
de  forme,  sont  imprimés  avec  un  caractère,  ron 
plus  lisible  et  se  rapprochant  de  l'écriture  cursi 
du  temps  :  caractère  dont  on  est  très-probabl 
ment  redevable  à  Pierre  Schœffer  et  que  peut-êl 
aussi  son  beau-père  Jean  Fust  aura  voulu  coi 
prendre  dans  ces  mots  artequadam  per pulchr 

Le  Psalmorum  codex  et  le  Durandi  rati 
nale  sont  les  seuls  ouvrages  où  Pierre  Schœfi 
a  signalé  à  la  fin  des  volumes  (2),  une  particu 
rite  qui  constituerait  une  invention  ou  perf 
tionnement  dont  on  lui  serait  aussi  redevable, 
qui  consiste  dans  une  impression  simulianéeel 
deux  couleurs  des  ornements  qui  décorent  I 
grandes  lettres  initiales  dans  ces  volumes  in-f 
Mais  je  remarque  que  ce  procédé,  qui  exige  bea 
coup  de  soins,  cessa  d'être  employé  par  P.  Schd 
fer  dans  ses  autres  impressions,  probablemt 
en  raison  des  difficultés  de  son  exécution  ;  aus 
après  avoir  signalé  dans  la  souscription  à 
fin  de  ces  deux  volumes,  la  venustas  capii 
Hum,  n'en  a-t-ii  plus  fait  mention  dans  ses  auti 
impressions. 

Est-ce  à  cela  que  se  borne  le  progrès  i 
porté  à  l'imprimerie  par  Pierre  Schœffer?  T 
theim,  d'après  les  renseignements  que  lui  «Ion 
Schœffer,  parle,  il  est  vrai,  d'un  moyen  plus  parf 

(1)  C'est  le  premier  ouvrage  imprimé  dans  le  forn 
in-4°  ;  Jusqu'alors  tous  les  livres  imprimés  l'avaient  > 
dans  le  format  in-fol. 

(2)  Vemistate  capitalium  decoratus  rubricationibl 
que  distinctus.  Dans  mon  Rapport  sur  l'Expositi 
tiniverselle  de  Londres  de  1851,  p.  84,  j'ai  fait  connai 
ce  procédé  d'emboîtement  inventé  par  Schœffer. 


7  SCHOEFFER 

[fur  la  fonte  des  caractères  dont  on  lui  serait 

I  I  levable.  Et,  en  effet,  le  moule  en  acier,  (orme 
If  deux  parties  où  s'adapte  une  matrice  mobile, 
I,  un  instrument  compliqué,  mais  d'une  grande 

II  cision ;  cependant,  si  l'on  compare  les  Lettres 
[■!,  ndulgence  de  1454  et  1455,  qui  parurent  an- 
1 1  ieurement  à  la  dissolution  de  la  société  de  Gu- 
Rberg  et  de  Fust,  aux  impressions  postérieures 
||i  portent  le  nom  de  Schœffer,  on  ne  découvre 

ns  celles-ci  aucun  progrès  sensible  en  ce  qui 
icerne  la  fonte  des  caractères.  11  faudrait  donc 
nettre  que  vers  les  derniers  temps  de  l'associa- 
n  entre  Jean  Gutenberg  et  Jean  Fust,  ce  serait 
■rre  Schœffer  qui  aurait  pu,  au  moyen  de  ce 
«cédé  du  moule  tel  que  nous  le  connaissons, 
diser,  comme  quelques  documents  émanés  de 
nœffer  l'affirment,  l'invention  de  l'imprimerie, 
exécutant  ainsi  la  fonte  du  petit  caractère  des 
ttres  d'indulgence  et  celle  des  deux  gros 
•actères  dits  de  forme  qui  y  figurent;  mais 
ît-on  admettre  un  tel  résultat  sur  les  dires  de 
ix  qui,  en  traitant  cette  question,  ont  été  plus 
moins  influencés  par  Pierre  Scbœffer  ?  Je  crois 
voir  néanmoins  les  reproduire, 
rrétbeim,  dans  la  Chronique  d' Hirschaw,  ré- 
;ée  en  1514,  après  avoir,  conformément  à 
rich  Zell  et  à  Wempheling,  attribué  l'inven- 
>n  de  l'imprimerie  à  Gutenberg  et  au  concours 
cuniaire  de  Jean  Fust,  ajoute  :  «  J'ai  entendu 
•e,  il  y  a  environ  trente  ans,  à  Pierre  Schœf- 
•  de  Gernsheim,  citoyen  de  Mayence,  qui 
lit  gendre  du  premier  inventeur  (  c'est  ainsi 
e,  mettant  en  oubli  Gutenberg,  il  déclare  Fust 
premier  inventeur),  que  ce  procédé  d'im- 
ession  offrait  de  grandes  difficultés  à  son  dé- 
.t  et  que  4,000  florins  avaient  été  dépensés 
ant  d'avoir  imprimé  12  feuillets  ;  mais  P.  Schœf- 
alors  ouvrier  et  ensuite  gendre  (1)  de  Jean 
;isl,  unissant  l'habileté  à  l'intelligence,  inventa 
ie  manière  plus  facile  de  fondre  les  carac- 
es  et  amena  l'art  au  point  où  il  est  au- 
urd'hui.  » 

Dans  la  souscription  placée  à  la  fin  d'un  Bre- 
ïarhim  à  l'usage  de  l'église  de  Mayence  en  1 505, 
Lan,  fils  de  Pierre  Schœffer,  déclare  que  ce  livre 
[été  imprimé  aux  frais  et  par  le  labeur  de  l'hon- 
lète  et  vigilant  Jean  Schœffer,  dont  l'aïeul  in  venta 
\  premier  Vart  de  l'imprimerie  et  le  mit  à 
\técution.  Ce  mensonge  il  le  répète  en  1515,  dans 
i  souscription  à  la  fin  de  son  édition  du  livre  de 
[ritheim  :  Compendium  sive  Breviarium... 
l'.gum  et  gentis  Francorum ,  et  dans  le  Bre- 
\iarium  à  l'usage  de  Mende,  imprimé  en  1516. 
j;ulle  part  il  ne  fait  mention  de  Gutenberg;  ce- 
pendant,  à  la  fin  des  Institules  de  Justinien, 
nprirnées  en  1468  on  voit  maître  François,  qui 
irait  avoir  rempli  l'office  de  prote  chez  Jean 


558 
Schœffer,  indiquer,  dans  une  pièce  de  vers  d'un 
latin  très-barbare  et  très-obscur,  les  premiers 
imprimeurs  en  caractères ,  prol  hocaragma- 
tici,  deux  Jean  de  Mayence  (c'est-à-dire  Jean 
Gutenberg  et  Jean  Fust  )  ;  puis  il  ajoute  que 
«  Pierre  (Schœffer),  bien  que  venu  le  dernier, 
a  dépassé  ses  deux  devanciers»  ;  faisant  ainsi  allu- 
sion au  passage  de  l'Évangile  de  saint  Jean  où 
il  est  dit  que  saint  Pierre,  bien  que  saint  Jean 
l'eût  précédé  ,  entra  cependant  le  premier  au 
sépulcre   du  Christ. 

Mais,  dira-t  on,  comment  expliquer  que  quand 
partout  ailleurs  Pierre  et  son  fils  Jean  Schœf- 
fer déclarent  Fust  l'inventeur  de  l'imprimerie 
sans  mentionner  Gutenberg,  ce  même  Jean  Schœf- 
fer s'exprime  tout  autrement  dans  la  dédicace 
adressée  en  1505  à  l'empereur  Maximilien,  et 
placée  en  tête  de  la  traduction  de  Tite  Live,  où 
nous  avons  vu  qu'il  reconnaissait  Gutenberg 
comme  l'inventeur  de  l'imprimerie? 

La  date  de  1505  rapprochée  d'un  temps  où 
Gutenberg  laissait  des  souvenirs  encore  pré- 
sents,  surtout  parmi  les  ouvriers  imprimeurs, 
qui  auraient  pu  réclamer  ses  droits, -me  paraît 
le  seul  moyen  d'expliquer  cette  contradiction  ;  en 
effet  dans  cette  dédicace,  imprimée  en  allemand, 
il  était  difficile  de  leur  cacher  un  mensongeque 
plus  tard,  dans  ses  autres  publications,  Schœffer 
reproduisit  toujours  en  langue  latine. 

Dernièrement  M.  Auguste  Bernard,  se  fondant 
sur  une  pièce  trouvée  dans  les  papiers  d'Oberlin 
(de  Strasbourg)  (1),  et  relative  à  une  demande 
faite  par  Conrad  Fust,  citoyen  de  Mayence,  de 
lui  prêter,  ainsi  qu'à  Pierre  Schœffer,  Cépoux 
de  sa  fille ,  un  volume  de  saint  Thomas  d'Aquin, 
en  a  conclu,  contrairement  aux  documents  qui 
font  de  Pierre  Scbœffer  le  gendre  de  Jean  Fust, 
que  ce  serait  Conrad,  fils  de  Jean  Fust,  qui  au- 
rait donné  sa  fille  Christine  à  Pierre  Schœffer, 
lequel  se  trouverait  ainsi  avoir  épousé  la  petite- 
fille,  et  non  la  fille  de  Jean  Fust.  MM.  Helbig, 
Wetter,  Schaab  et  autres  historiens  de  l'impri- 
merie, n'ont  point  adhéré  à  cette  opinion,  et 
j'avais  moi-même  quelque  soupçon  que  ce  do- 
cument pouvait  être  un  faux  fabriqué  par  le  fa- 
meux archiviste  de  Mayence  Bodman,  aussi  éradit 
qu'habile  calligraphe  en  paléographie,  qui,  après 
s'être  joué  si  longtemps  des  écrivains  del'histoire 
des  origines  de  l'imprimerie  (2),  aurait- donné  en- 
core cette  preuve  de  son  savoir-faire  en  ce  genre 
de  supercherie.  On  sait  en  effet  que  Bodman, 
sur  les  instances  de  Fischer  et  d'Oberlin,  qui  lui 
demandaient  sanscesse  de  leur  découvrir  quelques 
documents  concernant  Gutenberg ,  s'avisa  d'en 
inventer  plusieurs,  ce  qui  porta  un  grand  trouble 
dans  l'histoire  de  l'invention  de  l'imprimerie,  jus- 
qu'à ce  que  la  fraude  fut  découverte.  On  pouvait 


(1)  Petrus  autem ,  memoratus  Opilio,  tune  faoulus, 
>steà  gêner,  sicut  diximus,  inventons  primi,  Joannis 
"si,  homo  ingeniosus  et  prudens,  faciliorem  modum 
mdendi  caractères  excogitavit,  et  arttm,  ut  nunc  est, 
Mplevit 


(l)KUeest  maintenant  à  la  bibliothèque  impériale, 
parmi  les  manuscrits  de  la  Correspondance  d'Oberlin, 
t.  II,  folio  1*5. 

"  (2)  Voy.  art.  Giitenberc,  col.  893,  mon  Essai  sur  la 
typographie,  et  Ang.  Bernard,  De  l'origine  et  des  débuts 
de  l'imprimerie  ;  Paris,  impr.  Imp  ,  1S53,  2  vol.  i!i-8°. 


559 


SCHOEFFER 


56( 


donc  croire  que  ce  document,  sur  lequel  se  fonde 
l'opinionémise  par  M.  A.  Bernard  pour  donner  en 
mariage  à  Pierre  Schceffer  la  petite-fille  de  Jean 
Fust,  était  aussi  l'œuvre  de  cet  habile  faussaire; 
car  voici  ce  que  répond  l'archiviste  Bodman  à 
Oberlin  qui  demande  à  voir  le  document  qu'il 
lui  annonce  :  «  Si  vous  voulez  avoir  l'original,  je 
l'enlèverai  du  livre  pour  vous  l'envoyer,  et  je  le 
recollerai  ensuite.  »  Oberlin  insistant  pour  avoir 
cet  original,  qui  lui  était  offert  d'une  manière  si 
peu  ordinaire  de  la  part  du  conservateur  d'une 
bibliothèque  publique ,  Bodman  le  lui  adresse 
le  5  octobre  1805,  avec  cette  lettre  : 

«  Je  ne  comprends  pas  bien  votre  desiderium 
au  sujet  de  Fust.  C'est  pourquoi  j'ai  coupé  le 
passage;  je  vousl'envoie.  Veuillez  me  le  renvoyer, 
afin  que  je  puisse  le  recoller  dans  le  livre. 
De  Conrad  Fust  on  sait  peu  de  chose;  il  était 
frère  de  Jean  et  demeuraifrchez  lui.  Son  fils  était 
Jean  Fust,  juge  au  tribunal  de  cette  ville  (1).  » 

Ainsi  Bodman,  après  s'être  permis  d'arracher 
un  feuillet  du  livre  d'une  bibliothèque  confiée 
à  ses  soins,  et  en  avoir  envoyé  à  Paris  le  frag- 
ment qu'il  y  avait  découpé,  ne  songerait  plus  à 
l'y  faire  rentrer  pour  réparer  sa  faute.  Et  ce 
qui  est  plus  extraordinaire  encore,  c'est  que  ce 
registre  de  l'église  de  Saint-Pierre  ne  s'est  ja- 
mais retrouvé  dans  la  bibliothèque  deMayence,' 
où  on  l'a  vainement  cherché,  et  qu'on  n'en  voit 
même  aucune  trace  sur  les  catalogues.  Et  cepen- 
dant l'examen  que  j'ai  fait  de  ce  document  à 
la  Bibliothèque  impériale  me  porte  à  le  croire 
authentique. 

Quoi  qu'il  en  soit,  Schceffer  accompagna  Jean 
Fust  à  Paris  en  1463,  pour  y  organiser  la  vente 
des  Bibles  (2);  car  il  ne  suffisait  pas  d'imprimer 
de  beaux  livres,  il  fallait  encore  songer  à  leur 
débit,  et  Paris,  le  centre  des  lumières  alors,  était 
de  toutes  les  villes  celle  qui  convenait  le  mieux 
à  ces  spéculations  de  la  librairie  naissante.  Aussi 
Pierre  Schœffer  et  son  beau-frère  Conrad  Hanne- 
quis  y  établirent-ils  peu  de  temps  après  un  dépôt. 

D'après  un  témoignage  qui  paraît  authen- 
tique (3),  Fust  fit  d'abord  passer  pour  des  ma- 
nuscrits les  Bibles  imprimées;  elles  faisaient  l'ad- 
miration générale,  et  se  vendaient  40  et  50  cou- 
ronnes; mais  lorsqu'on,reconnut  qu'elles  étaient 
le  résultat  d'un  procédé  mécanique,  on  réclama 
des  restitutions  ou  diminutions  de  prix.  Tour- 
menté par  ces  réclamations,  Fust  s'enfuit  à 
Strasbourg,  et  Walchius  dit  qu'il  y  enseigna  l'art 

(1)  Ces  derniers  renseignements  sur  Jean  Fust  fils  de 
Conrad  ont  paru  complètement  erronés,  môme  à  M.  A. 
fiernard,  p.  181. 

(2)  Voy.  Bernard ,  De  l'origine  de  l'imprimerie,  t.  I, 
p.  237.  Van  Praët  (Catal.  in-fol.  p.  69)  nous  apprend  que 
dès  le  5  avril  1462  (U6l  nouveau  style)  une  de  ces 
Bibles  était  vendue  pour  la  somme  de  40  écus  par  un  li- 
braire deParis,  l'honnête  et  discret  maître  Jean  Guyinier, 
à  l'archiprètre  cl  chanoine  d'Angers  [ib„  p.  239). 

(3)  Jean  "Walchius,  Decas  fabularum  generis  humant; 
Strasb.,lC09,  in-4°.  —  Wolf,  Monumenta  typoar.  —  Mar- 
chand, Dict.  hist.,  t.  II,  p.  192.—  Mon  Essai  sur  la  Typo- 
porjraphie,  col.  625. 


de  l'imprimerie  à  Mentelin.  Plus  tard,  cependant 
nous  voyons  Fust  revenir  à  Paris,  en  1466,  aus 
'  sitôt  l'achèvement  de  sa  seconde  impression  de: 
Offices  de  Cicéron,  format  in -4°,  et  en  juillet  di 
cette  année  en  donner  à  Paris  un  exemplair! 
à  Lavernade,  chancelier  du  duc  de  Bourbon  . 
ce  que  constate  la  note  écrite  de  la  main  menu 
de  Lavernade  sur  cet  exemplaire,  maintenan 
déposé  dans  la  Bibliothèque  de  Genève. 

Fust  étant  mort  à   Paris  dans  le  cours  di 
cette  année,  lors  de  la  grande  épidémie  qui  j 
causa  tant  de  ravages,  Pierre  Schœffer  s'y  rendi 
en  1468,  comme  le  prouve  la   quittance-,  don 
née  par  lui,  à  Paris  le  '20  juillet  de  cette  année 
aux  pensionnaires  du  collège  d'Autun ,  de  li  J 
somme  de  15  écus  d'or,  prix  d'un  exemplair.  ! 
en  vélin  de  la  Secunda  secunclse  de  saint  Tho  j 
mas,  imprimée  par  lui  en  1467;  et  il  s'y  trouvai 
encore   avec  son  beau-frère  Conrad  en  1471 
c'est  en  effet  sous  la  date  du  3  novembre  147 
qu'est    inscrit  au   nécrologe   de    l'abbaye  d 
Saint-Victor    «    l'anniversaire    des  honorable 
Pierre  Schœffer,  Conrad  Henlif  (ou  Hennequis 
associé  de  Pierre  Schœffer,  et  Jean  Fust,  ci 
toyens  de  Mayence,  imprimeurs  en  livres,  et  di 
leurs  épouses,  fils  et  parents;  lesquels  Piern  j 
et  Conrad  nous  ont  donné  les  Épîtres  de  sain 
Jérôme  (publiées  en    1470),- imprimées  su 
parchemin ,  pour  la  somme  de  douze  écus  d'or 
que  les  dits  imprimeurs  ont  reçus  des  main: 
de  dom  Jean  (Nicolaï),  abbé  de  cette  église. 
Cet  anniversaire  fondé  à  l'abbaye  de  Saint-Victo 
fait  avec  raison  supposer  que  Fust  y  fut  enterré 

En  1473,  un  obituaire  des  Dominicains 
Mayence  constate  qu'un  semblable  anniversain 
fut  fondé  par  Pierre  Schœffer  pour  Jean  Fus 
et  sa  femme  Marguerite  (1),»  et  que  pour  prij 
de  cet  anniversaire  il  donna  à  ce  couvent  de 
Dominicains  un  exemplaire  des  Épîtres  de  sain 
Jérôme  et  un  exemplaire  des  Clémentines.  1 
est  probable  que  ces  exemplaires  étaient  im 
primés  sur  papier  et  non  sur  vélin ,  car  il  n'es 
fait  mention  d'aucune  somme  payée  en  retour 
Ce  qui  indiquerait  combien  était  grande  la  diffé- 
rence de  prix  entre  les  livres  imprimés  sur  véiir 
et  ceux  imprimés  sur  papier. 

Nous  avons  vu  que  Conrad  Heinlif,  Hennequis 
ou  Heineckis ,  c'est-à-dire  le  fils  de  Jean,  don 
ces  noms  sont  le  diminutif,  était  l'associé  d( 
P.  Schœffer  pour  le  débit  des  livres  de  h 
grande  imprimerie  de  Mayence  ;  et  une  ordon- 
nance de  Louis  XI,  en  date  du  21  avril  1475. 
prouve  qu'ils  avaient  confié  le  dépôt  de  leurs 
livres  à  Paris  à  un  agent  du  nom  de  Stat- 
teren  ou  Statthoen ,  lequel  mourut  au  commen- 
cement de  cette  année.  Or,  par  droit  d'aubaine, 
le  fisc  s'était  emparé  des  livres  qui  se  trou- 
vaient alors  dans  les  magasins  de  cet  agent,  et  il 
les  avait  fait  vendre.  -Mais  sur  la  réclamation 
de  Pierre  Schœffer  et  de  Conrad  Hennequis, 

(1)  Probablement  à  l'époque  de  la  mort  de  sa  belle- 
mère,  sept  ans  après  la  mort  de  Jean  Fust. 


1  SCHOEFFER 

puyéc  de  la  protection  de  l'archevêque  de 
liyencc,  le  montant  de  la  vente,  qui  avait  pro- 
fit la  somme  de  2,425  écus  tournois,  leur  fut 
i;titué,  ainsi  que  le  constate  ce  document,  ho- 
frable  pour  Louis  XI  et  pour  la  typographie  : 

«  Considérant  que  nos  chers  et  amés  Conrart 
f  nnequis  et  Pierre  Schœffer,  marchands  bour- 
l)is  de  la  cité  de  Mayence  en  Allemagne,  ont 
jpupé  grant  partie  de  leur  temps  à  l'industrie, 
■I  et  usaige  de  l'impression  d'escriture,  de  la- 
Balle,  par  leur  cure  et  diligence,  ilz  ontfait  faire 
nsieurs  baulx  livres  singuliers  et  exquiz,  tant 
listoires  que  de  diverses  sciences  dont  ilz"  ont 
■r/oyé  en  plusieurs  et  divers  lieux,  et  mesme- 
wnt  en  nostre  ville  et  cité  de  Paris ,  tant  à  cause 

I  la  notable  université  qui  y  est,  que  aussi 
kreeque  c'est  la  ville  capitale  de  notre  royaume, 
tont  commis  plusieurs  gens  pour  iceux  livres 
kdre  et  distribuer,  et  entre  autres  à  un  nommé 
Erman  de  Stathoen  (1),  etc.,  et  est  icelui  Sta- 
len  allé  de  vie  à  trépas  en  nostre  dite  ville  de 
lis.  Et  pource  que,  par  la  loi  générale  de  nostre 
taume,  toutes  fois  que  aulcun  estrangier,  et 
li  natif  d'icelui  notre  royaume,  va  de  vie  à  tré- 
Isement,  sans  lettre  denaturalité  et  habilitation 
Ipuissance  de  nous  de  tester,  tous  les  biens 

II  a  en  notre  dit  royaume,  à  l'eure  de  son  tré- 
I,  nous  compétent  et  appartiennent  par  droit 
labainage,  et  que  le  dit  Stathoen  estoit  de  ;la 
llité-des  sus  dits  et  n'avoit  aulcune  lettre  de 
luralité  ne  puissance  de  tester,  nostre  procu- 
|r  ou  aultres  nos  officiers  ou  commissaires 
Ent  prendre ,  saisir  et  arrêter  tous  livres  et  aul- 
|>  biens  qu'il  avoit  en  ce  lieu ,  et  depuis  et 
|nt  que  personne  se  soit  venu  comparoir  pour 
■demander,  iceux  livres  et  biens  la  plupart  ont 
■  vendus  et  adenerez,  et  les  deniers  qui  en  sont 
Lus  distribuez,  etc.;  attendu  que  Conrad  Han- 
Bjuis  et  Pierre  Schœffer  ont  fait  remonstrer 
ij',  combien  que  les  ditz  livres  fussent  en  pos- 
SBion  du  dit  Stathoen  à  l'eure  de  son  dit 
«pas,  toutes  fois  ils  ne  luy  appartenoient  pas , 
Es  véritablement  compectoient  et  apparte- 
nant ans  ditz  exposans,  etc.,  pour  quoy  nous, 
Ichoses  des  sus  ditz  considérées ,  et  mesme- 
Intpoui-  considération  de  ce  que  le  très  haut 
1res  puissant  prince  nostre  très  chier  et  très 
|é  frère ,  cousin  et  allié  le  roi  des  Romains 
lis  a  escriptde  cette  matière,  aussi  que  les  ditz 
Hnequis  et  Scheffer  sont  subjects  et  des  pays 
■nostre  très  chier  et  très  amé  cousin  l'arce- 
v.que  de  Mayence,  qui  est  nostre  parens,  amy 
■ci  fédéré  et  allié,  qui  pareillement  sur  ce  nous 
JUcrit  et  requis,  etc.,  ayant  aussi  considération 
«t  peine  et  labeur  que  les  ditz  exposans  ont 
tfispour  le  dit  art  et  industrie  de  impression, 
*au  proufit  et  utilité  qui  en  vient  et  peut  en 
Kir  à  toute  la  chose  publique,  tant  pour  l'aug- 
i-itation  de  la  science  qu'aultrement,  etc.,  nous 
s«nes  libéralement  condescendu  de  faire  resti- 


■  Mon  Essai  sur  T histoire  de  la  typographie,  col.  625. 


5G2 
tuer  aux  ditz  Conrad  Hennequis  et  Pierre  Scheffer 
la  dite  somme  de  2,425  escus  et  3  sols  tournois.  » 

Comme  la  vie  des  savants  et  des  gens  de 
lettres  se  renferme  presque  entièrement  dans  leurs 
ouvrages, ce  n'est  que  par  la  dateet  le  nombredes 
publications  de  Pierre  Schœffer  qu'on  peut  ap- 
précier ses  travaux,  qui  l'occupèrent  jusqu'en 
1502,  où  parut  le  dernier  livre  sorti  de  ses 
presses.  Sa  vie  fut  honorable  ;  il  se  fit  recevoir  bour- 
geois de  Francfort-sur-Meinen  1479,  et  dès  1489 
il  était  juge  séculier  de  lajustice  de  Mayence,  ainsi 
qu'on  le  voit  par  les  actes  signés  de  son  sceau. 

Schoeffer  (Jean),  son  fils,  lui  succéda,  et  le 
premier  livre  qu'il  a  imprimé  est  le  Mercurius 
Trismegislus,  qui  parut  le  8  avril  1503.  Fendant 
trente  années  il  exerça  avec  activité  son  hono- 
rable profession.  Son  dernier  livre  est  daté  de 

1531.  Fidèle  au  système  adopté  par  son  père, 
il  a  imprimé  à  la  fin  de  son  édition  d'Appien 
en  1519  et  de  saint  Prosper  en  1521 ,  que  son 
aïeul  était  l'inventeur  de  la  chalcographie  à 
Mayence.  Dans  quelques-unes  de  ses  impres- 
sions le  double  écusson  de  son  père  est  remplacé 
par  un  fleuron  représentant  un  berger,  pat- 
allusion  à  son  nom  de  Schœffer.  La  plupart  des 
livres  imprimés  par  lui  sont  relatifs  à  la  religion. 

Schoeffer  (Pierre),  frère  puîné  de  Jean,  reçut 
en  partage  dans  la  succession  paternelle  la  maison 
Zum  Korb,  où  il  imprima  quatre  ou  cinq  ou- 
vrages (1).  Sa  fortune  paraît  s'être  dérangée, 
puisqu'il  emprunta,  en  15 1 1 ,  cinquante  florins  d'or 
sur  la  maison  Zum  Korb,  qu'il  vendit  l'année 
suivante.  Il  commença  alors  la  vie  nomade  dont 
on  voit  tant  d'exemples  dans  l'imprimerie  à  cette 
époque,  et  de  1513  à  1520  il  imprima  à  Worms 
cinq  ouvrages,  parmi  lesquels  est  une  Bible  en 
allemand,  MDXXIX,  et  en  septembre  de  la  même 
année  :  Tredecim  articidi  fidei  Judseorum,  en 
hébreu  et  en  latin  ;  les  caractères  en  sont  très- 
beaux  et  l'on  y  voit  figurer  la  marque  du  berger 
avec  ses  brebis.  L'année  suivante,  à  Strasbourg, 
il  imprima  onze  ouvrages,  dont  le  plus  important 
est  intitulé  Syria  ad  Ptolemœi  operis  ratio- 
nem,  Palestina,  avec  des  cartes  géograpliiques, 

1532,  in-fol.  Puis  en  1541  il  vint  à  Venise,  où 
probablement  il  mourut,  postérieurement  à  1542, 
date  de  sa  dernière  impression.  Parmi  les  trois 
ouvrages  qu'il  y  a  exécutés,  une  Bible  en  latin 
in-fol.  ornée  de  gravures  sur  bois  est  impri- 
mée en  fort  beaux  caractères.  lia  été  rangé  par 
les  inquisiteurs  au  nombre  des  imprimeurs  héré- 
tiques. «  Pierre  Schœffer,  en  quittant  Mayence,  sa 
ville  natale,laissa  auprès  de  son  frère  Jean  Schœf- 
fer son  fils  unique  Ives,  qui  succéda  à  son  oncle 
et  fit  sortir  de  son  imprimerie  beaucoup  de  bons 
ouvrages  de  1531  à  1552,  époque  de  sa  mort  (2). 

Jean  Schœffer,  fils  de  Jean  Schœffer  et  peîit- 


(1)  M.  Helbig,  auquel  on  doit  tant  de  renseignements 
précieux  sur  l'origine  de  l'Imprimerie,  donne  dans  sa  no- 
tice sur  Pierre  Schœffer  le  fils    la  liste  de  ses  ouvrage1:. 

(2)  Quelques  livres  ont  été  publiés  après  sa  mort  par 
les  héritiers  d'Ives  Schœffer.  Voy.  Hclbig,  p.  48. 


563  SCHOEFFER 

fils  de  Jean  Schœffer,  l'associé  de  Fusl,  qui  était 
encore  mineur  lors  de  la  mort  de  son  père,  alla 
plus  tard  s'établir  à  Bois-le-Duc  «Ses  descen- 
dants continuèrent  à  y  exercer  l'imprimerie  jus- 
qu'à la  fin  de  1796,  où  cette  famille  s'éteignit 
dans  la  personne  de  Jacques  Scheffers  ou 
Schœffers  >-  (1).  A.-Firmin  Didot. 

Wurdtwein,  Bibliothecamoguntina,\n-k°;  Augsbourg, 
1587.  —  \.  Bernard,  Histoire  de  l'imprimerie  en  Europe. 
—  -Helbig,  Notes  et  dissertations  sur  l'histoire  de  l'im- 
primerie; Bruxelles.  —  Le  môme,  Notice  sur  Pierre 
Schœffer  le  fils  ;  Garid,  1848,  in-8°. 

schœll  (  Maximilien-Samson-Frédéric  ), 
historien  et  publiciste  allemand,  né  le  8  mai 
1766,  dans  un  bourg  du  duché  de  Saarbrùck, 
mort  le  6  août  1833,  à  Paris.  Son  père,  origi- 
naire de  Strasbourg,  remplissait  des  fonctions 
administratives.  A  quinze  ans  il  se  rendit  à  Stras- 
bourg, fréquenta  ies  cours  de  l'université  et  eut 
le  bonheur  d'attirer  l'attention  de  Koch,  qui  lui 
procura  un  emploi  de  précepteur  dans  la  maison 
d'une  Livonienne,  Mme  de  Krook.  Dans  la 
compagnie  de  cette  dame,  aussi  instruite  que 
spirituelle,  il  visita  l'Italie  et  le  midi  de  la 
France.  Son  zèle  pour  les  principes  que  la  ré- 
volution venait  de  proclamer  lui  fit  décliner  les 
offres  de  plusieurs  familles  russes,  et  en  1790 
il  revint  à  Strasbourg,  où  il  s'appliqua  à  l'é- 
tude du  droit.  En  1791  il  usa  de  son  influence 
sur  l'assemblée  des  électeurs,  dont  il  était  se- 
crétaire, pour  faire  élire  Koch  comme  député, 
vl  il  entra  dans  le  conseil  général  du  dépar- 
tement. Survinrent  les  événements  du  10  août. 
Après  avoir  protesté  avec  plusieurs  de  ses  col- 
lègues contre  les  derniers  actes  de  l'Assemblée 
législative,  il  accepta  les  fonctions  de  substitut 
du  procureur  de  la  commune  (nov.  1792);  mais 
après  l'exécution  du  roi  il  donna  sa  démission. 
Quelques  mois  après,  il  fut  décrété  d'arrestation 
comme  fédéraliste.  Il  parvint  d'abord  à  se  dé- 
rober aux  poursuites  ;  forcé  de  passer  la  fron- 
tière, il  résida  à  Bàle ,  puis  à  Weimar,  où  il  se 
lia  avec  Herder,  Wieland,  Bœttiger,  etc.  Par 
l'intermédiaire  d'amis  influents,  il-obtint  à  Po- 
sen  la  direction  d'une  imprimerie  et  la  rédac- 
tion du  Sùdpreussische  Zeitung ,  où  il  inséra 
sur  la  révolution  française  des  articles  qui  furent 
très-remarques.  Bien  que  son  nom  eût  été  rayé 
de  la  liste  des  émigrés ,  Schœll  s'établit  à  Bàle, 
et  y  dirigea  pendant  sept  ans  la  librairie  et  l'im- 
primerie de  Decker.  Dans  cette  ville,  qui  était 
alors  le  centre  du  commerce  littéraire  entre  la 
France  et  l'Allemagne,  il  fut  en  rapport  avec 
une  foule  de  personnes  de  marque  des  partis  les 
plus  opposés.  En  1803  Schœll  se  rendit  à  Paris,  et 
s'y  associa  avec  Levrault  pour  la  fondation  d'une 
maison  de  librairie.  Ses  relations  avec  l'Allemagne 
lui  donnèrent  l'idée  de  composer  un  fonds  des 
meilleurs  ouvrages  de  philologie  et  d'érudition 
publiés  par  les  savants  de  ce  pays;  cette  entreprise 
réussit  à  merveille.  Il  publia  alors  son  Réper- 
toire de  littérature  ancienne  (Paris,    1808, 

(i]  Hclbip,  p.  ISO. 


—  SCHOELL  60. 

2  vol.  in-8°),  catalogue  raisonné  d'auteurs  clas 
siques  grecs  et  latins  d'histoire  et  de  géographi 
ancienne  imprimés  depuis  1750;  V Histoire  d 
la  littérature  grecque  jusqu'à  laprisede  Coni 
tantinople  (Paris,  1813,  2  vol.  in-8°,  et  1832 
in-8°) ,  et  V Histoire  de  la  littérature  romain 
(Paris,  1815,  4  vol.in-8<>),  ouvrages  pour  la  ré 
daction  desquels  il  profita  des  meilleurs  et  des  plu 
récents  travaux  de  l'Allemagne.  L'extension  de  so 
commerce  lui  avait  permis  de  se  charger  de  l'in 
pression  si  coûteuse  du  Voyage  en  Amérique  d 
Humboldt  et  Bonpland  ;  mais  la  crise  financièi 
déterminée  par  la  chute  de  l'empire  l'obligea,  e 
décembre  1S14,  à  déposer  son  bilan  ;  grâce  au  coi 
cours  généreux  de  la  marquise  de  la  Ferté  Senei 
tère,  il  put  entièrement  satisfaire  ses  créancier 
Ayant  renoncé  aux  affaires,  il  reçut  en  181' 
sur  la  recommandation  de  Humboldt,  un  empl 
dans  le  cabinet  du  roi  de  Prusse,  qui  à  son  dt 
part  l'attacha  à  l'ambassade  de  Paris.  En  1815 
fut  employé  par  Hardenberg  aux  travaux  d 
congrès  de  Vienne.  De  retour  à  Paris ,  il  di 
meuradeux  ans  comme  secrétaire  de  légation 
l'ambassade  prussienne,  à  laquelle  il  rendit  d< 
services  signalés  pour  le  règlement  de  I'inden 
nité  réclamée  par  les  Allemands  dépouillés  pi 
Napoléon.  Appelé  en  1819  auprès  de  Hardei 
berg  à  Berlin,  où  il  reçut  l'emploi  de  conseill 
intime,  il  accompagna  ce  ministre  aux  congr 
de  Tœplitz,  de  Troppan,de  Laybach,et  plus  tai 
(1822)  en  Italie.  Après  la  mort  de  son  protectei 
il  continua  de  rester  au  service  de  la  Pru<& 
mais  il  ne  prit  plus  qu'une  part  indirecte  ai 
affaires,  se  livrant  presque  exclusivement  à  d' 
travaux  littéraires  et  historiques.  Ses  dernier 
années  furent  consacrées  à  écrire  son  Cours  d'ki 
toire  des  États  européens  jusqu'en  1789  (Parii 
1830-34,46  vo!.in-8°),  si  justement  estimé  peu 
l'exactitude  des  faits ,  la  profondeur  des  vuesg 
l'impartialité  ;  c'est  dans  le  but  de  publier  e 
excellent  recueil  qu'il  vint  en  1830  à  Paris, éÉi 
résida  depuis  constamment.  D'un  caractère  intègt 
et  ferme,  d'un  esprit  vif  et  pénétrant,  Schoi 
joignait  aux  connaissances  les  plus  variées 
les  plus  solides  les  agréments  de  l'homme 
monde;  aussi  goûtait-on  sa  conversation,  pars 
mée  d'anecdotes  piquantes  sur  les  temps  qu 
avait  traversés  et  les  gens  illustres  qu'il  aw 
connus.  Outre  les  ouvrages  cités,  on  a  de  lu 
j  Voyage  pittoresque  en  Allemagne;  Stra 
i  bourg,  1790,  in-4°:  en  collaboration  avec  l'ab 
Grandidier;  —  Tagebuch  der  zweeiten  Ni 
j  tionalversammlung  (Journal  de  la  deuxièr 
■  assemblée  nationale);  ibid.,  1792,4  vol.  in- 
j  —  UcberDietrich  (Sur  Dietrich,  ancien  mai 
;  de  Strasbourg  et  ses  accusateurs);  ibu 
I  1793;  _  Précis  de  la  révolution  françai 
et  des  événements  politiques  et  militaires  q 
Vont  suivie;  Paris,  1809,  1810,  in-18;  —  1 
'  bleau  des  peuples  qui  habitent  l'Etirof 
'  classés  d'après  les  langues  de  l'Europ 
!  Paris,  1809,  in-18,  et  1812,  in-80;--  Désert, 


5  SCHOELL  —  SGHOKMJNG 

n  abrégée  de  Rome  ancienne;  Paris,  1811, 

12;  —  Éléments  de  chronologie  hislo- 
\fue;  Paris,  1812,  2  vol.  in-18;  —  Recueil  de 

•ces  officielles  destinées  à  détromper  les 
[ançais  sur  les  événements  qui  se  sont  pas- 
iL  depuis  quelques  années;  Paris,  1814-16, 
ff/ol.  in-8o  :  cet  ouvrage  fit  beaucoup  de  sensa- 
Kn;  il  apprit  pour  la  première  fois  aux  Fran- 
cs une  foule  de  faits  notoires  dans  le  reste  de 
[urope,  mais  dont  la  divulgation  avait  été  enfi- 
chée par  la  police  impériale;  —  Recueil  des 
mces  officielles  relatives  a?<  congrès  de 
wpnne;  Paris,  1816-18,  6  vol.  in-8°;  —  His- 
wre  abrégée  des  traités  de  paix  entre  les 
missances  de  VEurope  depuis  la  paix  de 
msiphalie;  Paris,  1817-18,  15  vol.  in-8<>;  àla 
I;  du  premier  volume  se  trouve  une  Notice 
mgraphique  sur  Koch,  dont  l'ouvrage  sur 
■  sujet  servit  de  base  à  celui  de  Schœll  ;  — 
|:Atoe5  historiques  et  politiques  :  recueil 
■morceaux  relatifs  à  l'histoire  contemporaine; 
lis,  1818-19,  3  vol.  in-8°;  —  Annuaire  gé- 
milo/jique  et  historique  renfermant  des 
mails  sur  toutes  les  maisons  souveraines  ; 
|is,  1819-22,  4  vol.  in-18;  —  Esquisse 
histoire  de  ce  qui  s'est  passé  en  Eu- 

\>e    depuis   la   révolution   française  jus- 

\au  renversement  de  Buonaparte;   Paris, 

3,  in-8";  — Histoire  de  la  littérature  grecque 

\>fùnc  depuis  son  origine  jusqu'à  la  prise 
Constantinople ;    Paris,    1823-25,   8    vol. 

o;  trad.  en  italien,  à  Venise.  On  doit  encore 

'.hœll  une  nouvelle  édition ,  entièrement  re- 

due,  du  Tableau  des  révolutions  de  VEu- 

e  de  Koch  (Paris,  1823,  3  vol.);  plusieurs 

des  dans  la  Biographie  universelle  de  Mi- 
nu",   etc.  Il  avait  préparé   la  rédaction   des 

moires  de  flardenberg,  et  se  disposait  à  les 

er  à   l'impression  lorsque   le  gouvernement 

[ssien  lui  ordonna  d'en  réintégrer  le  manus- 

j,  dans  les  archives. 

\otice,   à  la  tête   de  la  2e  part  du   t.  XLVI  du  Cours 

fstoire  moderne. —  Zeitgenossen ,  n°  XXVI.  —  Pihan 

Jl  Forest,  Essaisur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Schœll; 
lis,  1$ ■'/.,  in-8°. 

■CiiŒ\GAlTER(Afa?7J«),dit  Martin  Schœn, 
fctre  et  graveur  allemand,  né  vers  1420,  mort 
■Colmar,  le  2  février  1488.  Le  lieu  de  sa 
tssance  n'est  pas  connu  ;  on  le  fait  naître  à 
Igsbonrg,  à  Colmar,  à  Ulm  ;  il  n'est  pas  dou- 
Ix  qu'il  est  Allemand  d'origine,  etil  est  probable 
■il  appartient  aux  provinces  du  Rhin.  Les 
■istres  de  Colmar  ne  font  pas  mention  de  lui 
iint  1469,  dateà  laquelle  il  ligure  comme  payant 
fyrix  d'une  maison  qu'il  possédait  rue  des  Augus- 
Ijs, et  l'opinion  deceux  qui  pensent  que  Schœn- 

Îier  naquit  à  Colmar  s'appuiesur  Largkmair,au- 
;l  on  attribue  un  portrait  du  maître,  aujourd'hui 
Muséede  Munich,  et  sur  le  fond  duquel  on  lit  : 
laître  Martin  Schœngauer,  peintre,  dit  le  beau 
mrtin  à  cause  de  son  art,  né  à  Colmar,  par  ses 

3ents ,  bourgeois  d'Augsbourg.  Noble  d'ori- 
e....,  mort  à  Colmar  1  an  1499,  le  2  février. 


;66 


Dieu  lui  fasse  grâce.  Et  moi,  Jean  Largkmair,  je 
fus  son  élève  en  l'année  1488.  »  Les  tableaux 
connus  de  Schœngauer  sont  fort  peu  nom- 
breux; tous  ceux  que  les  rédacteursde  catalogues 
mettent  sous  le  nom  de  cet  artiste  sont  au  moins 
fort  contestables,  et  le  seul  panneau  peut-être 
que  nous  oserions  lui  donner  d'une  façon  certaine 
existe  à  Colmar,  dans  l'église  Saint-Martin;  il 
représente  la  Vierge  de  grandeur  naturelle,  ayant 
l'enfant  Jésus  sur  ses  genoux.  Quant  à  la  Mort 
de  la  Vierge,  petit  tableau  qui,  après  avoir  ap- 
partenu à  Charles  Ier,  roi  d'Angleterre,  et  à  Louis 
Bonaparte,  figure  aujourd'hui  dans  la  National 
Gallery  de  Londres,  nous  sommes  fort  peu  d'avis 
de  le  mettre  au  nombre  des  peintures  authen- 
tiques de  Schœngauer  ;  on  ne  reconnaît  pas  en  lui 
l'accent  germanique  que  révèlent  toutes  les  pro- 
ductions sorties  du  burin  de  ce  maître.  îl  faut  en 
effet,  pour  arriver  à  se  former  une  idée  juste  du 
talent -de  Schœngauer,  examiner  avec  soin  les  es- 
j  tampes,  assez  nombreuses,  qu'il  mit  au  jour.  C'est 
,  là  d'ailleurs  qu'il  apparaît  sous  le  jour  le  plus 
|  favorable  ;  personne  mieux  que  lui  ne  s'entend  à 
agencer  une  composition ,  à  faire  agir  les  per- 
sonnages qu'il  met  en  scène  et  à  exprimer  une 
action.  A  côté  de  typos  presque  grotesques, — l'art 
allemand  semble  n'avoir  jamais  connu  le  beau 
proprement  dit,  —  on  trouve  des  têtes  pleines  de 
sentiment,  qui  font  oublier  les  figures  qui  les  avoi- 
sinent.  Pour  ne  citer  qu'un  exemple,  il  suffira  de 
dire  que  le  Portement  de  la  Croix  est  une 
œuvre  véritablement  magistrale,  et  peut-être 
la  plus  belle  production  de  l'art  allemand.  Cette 
estampe  dénote  en  tous  cas  une  recherche  du 
style  élevé  que  l'on  aurait  grand'peine  à  trou- 
ver dans  la  plupart  des  maîtres  d'outre-Rhin- 
Les  estampes  de  Schœngauer  atteignent  dans 
les  ventes  publiques  un  prix  fort  élevé,  qui 
témoigne  de  la  haute  estime  dont  elles  sont 
l'objet,  et  parmi  les  planches  que  les  ama- 
teurs semblent  particulièrement  affectionner, 
on  doit  mentionner  la  Tentation  de  saint 
Antoine,  qui  a  été  vendue  en  1862  la  somme 
énorme  de  2,500  francs.  G.  D. 

Bartsch,  Le  Peintre  crâneur,  t.  VI,  p.  103.  —  Galïchon, 
Martin  Schouçauer,  1859.  —  Hrinolcen,  A'eue  Nacli- 
richten  von  Kunstlern  und  Kuntsaeàen. 

schœning  (Gérard),  historien  danois,  né 
ie  2  mai  1722,  dans  le  district  de  Lofoden  (Nor- 
vège ),  mort  le  18  juillet  1780,  à  Copenhague.  De 
l'école  de  Dronthein,oùil  eut  pour  maître  le  pas- 
teur Dass,  il  se  rendit  en  1742  à  l'université  de 
Copenhague;  il  y  donna  des  leçons  particulières 
en  même  temps  qu'il  s'appliquait  à  l'étude  de  la 
philosophie,  de  la  théologie,  et  surtout  des  anti- 
quités et  des  langues  Scandinaves.  En  1751,  il 
retourna  à  Drontheim,et  remplaça  son  bienfaiteur, 
qui  s  était  démis  en  sa  faveur  des  fonctions  de 
recteur  de  l'école.  Pendant  le  long  séjour  qu'il 
fit  dans  cette  ville,  il  travailla  avec  beaucoup 
d'ardeur  à  éclaircir  les  annales  de  la  Norvège, 
et  ce  fut  lui  qui,  de  concert  avec  Suhm ,  son  ami 


507  SCHOENING  - 

intime,  commença  dans  les  États  danois  la  ré- 
forme des  études  historiques,  non-seulement  par 
ses  conseils  et  par  ses  propres  écrits ,  mais  aussi 
par  la  fondation,  à  laquelle  il  eut  grande  part, 
de  la  société  savante  de  Drontheim  (1760)  con- 
vertie en  1767  en  académie  royale.  En  1765  il 
fut  envoyé  à  Soroë  pour  y  enseigner  l'histoire  et 
l'éloquence,  et  en  1775  il  s'établit  à  Copenhague, 
et  y  succéda  à  Langebeck  dans  le  poste  de  con- 
servateur des  archives  (  Gehejmearchivariits  ). 
Il  était  depuis  1768  membre  de  l'Académie 
royale.  On  a  de  lui  :  Disp.  IV  de  origine  phi- 
losophise  orientalis;    Copenhague,     1744-47, 

jn-4°; Forsœg  til  de  nordiste  Landes  isœr 

Norges  garnie  Géographie  (  Essai  sur  la  géo- 
graphie ancienne  de  la  Norvège);  ibid.,  1751, 
in-4°  ;  —  (  avec  Suhrn)  Forbedrïnger  til  den 
garnie  danske  og  norske  Historié  (Morceaux 
destinés  à  corriger  l'ancienne  histoire  de  Dane- 
mark et  de  Norvège  )  ;  ibid.,  1757,  in-4°  :  c'est  un 
recueil  de  notices  biographiques,  écrites  pour  un 
dictionnaire  danois;  celles  d'Harald  Hardraade 
et  de  l'archevêque  Eisten  appartiennent  à  notre 
auteur  ;  —  Beskrivelse  over  Domkirkèn  i  Tron- 
dhjem  (  Description  de  la  cathédrale  de  Dron- 
theim); Drontheim,  1762,  h>4° ;  —  Om  de 
Norskes  Oprindelser  (  De  l'origine  des  Norvé- 
giens); Soroë,  1769,  in-4°;  —Norges  Riges 
Historié  (Histoire  de  la  Norvège)  ;  ibid.,  1771- 

81,  3  vol.  in-4°  :  ouvrage  fort  estimé,  écrit  d'un 
style  clair  et  simple ,  rédigé  avec  méthode  et 
critique;  il  n'a  pas  été  achevé,  et  le  t.  III,  publié 
par  Suhrn,  s'arrête  à  la  fin  du  dixième  siècle  ;  — 
Reise  igjennem  en  Del  af  Norge  (Voyages  ar- 
chéologiques en  Norvège);  Copenhague, 1778- 

82,  2  part.  in-4°  :  le  reste,  qui  formerait  encore 
sept  ou  huit  parties ,  n'a  pas  vu  le  jour.  Schœ- 
ning  a  encore  publié  plusieurs  dissertations  la- 
tines sur  des  points  de  l'histoire  Scandinave ,  et 
il  a  préparé  l'édition  nouvelle  de  l'historien  islan- 
dais Snorro  Sturleson  (  Copenhague,  1777-78, 
t.  I  et  il,  in-fol.),  complétée  après  sa  mort  par 
Thorlacius  et  Werlauff.  Il  a  laissé  plusieurs  ou- 
vrages manuscrits  et  beaucoup  de  plans  et  cartes 
dessinés  par  lui-même. 

Suhrn,  Notice  à  la  tète  du  t.  III  de  l'IHst.  de  Norvège  de 
son  ami.  —  Nyerup  et  Kraft,  Àlmindeligt  JAtteratur-lexic. 

schœpflin  (Jean-Daniel),  historien  alle- 
mand, né  le  8  septembre  1694,  à  Salzbourg 
(pays  de  Bade),  mort  le  7  août  1771,  à  Stras- 
bourg. Fils  d'un  bailli,  il  étudia  d'abord  à  Bâle, 
sous  Iselin  et  Jean  Bernoulli,  et  ensuite  à  Stras- 
bourg; il  s'y  appliqua  surtout  à  l'histoire,  qui  lui 
fut  enseignée  parKubn;  il  passa  huit  ans  dans 
la  maison  de  ce  savant,  auquel  il  succéda  en  nov. 
1720.  Ses  leçons  attirèrent  bientôt  à  Strasbourg 
une  foule  de  jeunes  gens  des  contrées  du  Nord  ; 
aussi  lorsqu'il  allait,  en  1725,  se  rendre  aux  offres 
de  la  tsarine,  qui  l'appelait  à  Saint-Pétersbourg, 
la  ville  de  Strasbourg,  pour  le  retenir,  augmenta 
son  traitement  et  lui  fournit  les  moyens  de  vi- 
siter pendant  deux  ans  les  principaux   pays  de 


SCHOEPFJLIN  SCS 

l'Europe.  Il  se  rendit  au  printemps  de  1720  £ 
Paris,  vécut  cinq   mois   dans  le  commerce  dt  I 
Montfaucon,    Martène,    Bignon,    Hardouin    cl 
autres   savants  distingués ,    parcourut  ensuite 
toute  l'Italie  et  le  midi  de  la  France,  et  passa  er 
Angleterre,  où  il  fit  la  connaissance  de  Maittairt 
et  de  Bentley;  il  y  étudia  aussi  la  situation  poli 
tique  du  pays,  et  réunit  ses  observations  à  c<  ■ 
sujet  dans  un  mémoire  qu'il  remit  au  gouverne  ; 
ment  français,  qui  le  lui  avait  demandé.  De  retou 
à  Strasbourg  en  1728,  il  y  reprit  ses  cours  ainsi 
que  la  publication  de  ses  recherches  historiques  \ 
dont  la  solide  érudition  lui  valut  d'être,  en  1730  I 
nommé  membre  associé  de  l'Académie  des  ins  I 
criptions.    Malgré  les  offres  d'emploi  les  plu  I 
brillantes  qui  lui  fuient  faites  de  divers  côtés,  i  I 
ne    quitta    Strasbourg  que  pour   entreprendr  | 
quelques  voyages  dans  les  Pays-Bas,  l'Allemagn  | 
et  la  Suisse.  Depuis  longtemps  il  méditait  so  I 
grand  ouvrage  sur  l'Alsace;  il  le  compléta  dan  i 
ses  nombreuses  excursions,  et  en  présenta  en  175 1 
!e  t.  1er  au  roi  Louis  XV,  qui  dès  1740  aval 
nommé  Schœpflin  historiographe  et  conseiller  e 
ses  conseils.  Schœpflin,  qui  avait  aussi   été  él 
membre  de  la  Société  royale  de  Londres  et  de 
Académies  de  Florence  et  de  Pétersboui-g,  fi 
en  1763  choisi  par  l'électeur  palatin  pour  pn 
sîder  à  la  fondation  de  l'Académie  de  Manhein 
Il  avait  réuni  une  précieuse  bibliothèque,  qu' 
légua  à  la  ville  de  Strasbourg  ainsi  que  son  ce 
binet  d'objets  d'antiquité,  dont  la  description 
été  publiée  en  1785  par  Oberlin.  Doué  des  pli 
belles  qualités  morales,  Schœpflin  unissait  au 
mérites  que  nous  avons  déjà  mentionnés  cek 
d'écrire  un  latin  pur,  élégant  et  plein  de  fore» 
On  a  de  lui  :  Diss.  qua  antiquus  lapis  Tergei 
tinus  declaratur;  Bâle,  1711,  in-4°;  —  1 
origine,  fatis  et  successione  regni  Navarrx  a 
nostra   iempora  ;  Strasbourg ,   1720,  in-40;- 
Panegyrici  Ludovico  XVregiisnatalibusdicti 
ibid.,  1722  à  1766,  in-fol.;  suite  de  vingt-un  élogn 
de  Louis  XV,  que  Schœpflin  eut  à  prononcer» 
sa  qualité  d'orateur  en  titre  de  l'Académie  i 
Strasbourg;  —  Miscellanea  historica;  ibic 
1723,  in-4°;  —  De  Alemannicis  antiquitai 
bus;  ibid.,  1723,  in-4°;  —  Observationes  hist 
rico-critiese ;  ibid.,  1723,  in-4o,-  —  Selecta  M 
fonça;  ibid.,  1723,  in-4o  ;  —  Illustres  ex  hi 
toria    hispanica   controversise ;  ibid.,  172 
in-4o  ;  —  Illustres  ex  Chlodovsei  Magni  hi 
toria  controversise  ;  ibid.,  1725,  in-4°;  —  0 
servationes  hisloricse  quibus  origines  rom< 
nx  discutiuntur  ;  ibid.,  1725,  in-4°;  —  Var 
critica  ex  historia  sacra  et  profana;  Mi 
\11h,  in-4°;    —    Analecla    historica;  ibid 
1725,  in-4°  ;  —  De  Apotheosi  imperatorum  r 
manorum;  ibid.,  1729,  1730,  in-4° ;  —  De Bic 
gundia  cis  et  transjurana ;  ibid.,  1731,  in-4 
—  Illustres  ex  Britannica  historia  contr 
versiœ;  ibid.,   1731,  in-4°;  —  Les  Armes  i 
roi  justifiées  contre  Vapologie  de  la  cour 
Vienne;  ibid.,  1734,   in-4o;  —  Illustres 


59  SCHOEPFLIN 

rancica  historia  controversiœ ;  ibid.,  1737, 
-4"  ;  —  Commentationcs  historicx  et  criticx, 
ilo,  174l,in-4°:  recueil  de  dissertations  déjà  énu- 
I  érées  et  qui  est  augmenté  de  quelques  autres  ; 
■  Alaalia  ilhistrala ;Co\mav,  1751-1761,  2  vol. 
{ -fol.,  fig.;  trad.  en  français,  Mulhouse,  1849- 
153,  5  vol.  in-8°  ;  suivi  de  VAlsatia  diploma- 
;ûi,  Manheim,  1772-1775,  2  vol.  in-fol.;  —  Vin- 
\  cix  celticx  :  Strasbourg,  i754,in-4°  :  ouvrage 
marquable,  écrit  pour  réfuter  les  hypothèses 
hPelloutier;  —  Vindiciee  typographies; ;  ibid., 
'60,  in~4°  :  cet  écrit  contient  quelques  opi- 
ions  hasardées,  mais  aussi  plusieurs  pièces  cu- 
feoses  sur  l'origine  de   l'imprimerie;  —  His- 
'  ria  Zœringo-Badensis ;  Carlsruhe,  1763-66, 
1  vol.  in-4°:  excellent  travail  fait  avec  la  coîla- 
Iration  de  Koch;—  Opéra  aratoria;  Augs- 
'mrg,  1769, 2  vol.  in-4°,  avec  une  Vie  de  Schœp- 
n  écrite  par  Ring  ;  —  une  édition  des  Alsati- 
rum   rerwn  scriptores;  Bâle,  1768,  in-fol.; 
-cinq  mémoires  dans  le  recueil  de  l'Académie 
's  inscriptions,  un  Sur  V origine  de  l'impri- 
èrie  à  Strasbourg  et  un  autre  Sur  les  mon- 
lies  bractéates  ;—  huit  mémoires  daas  le  re- 
leil  de  l'Académie  de  Manheim,  etc.      E.  G. 
l".-D.  Ring,  Vita  Schœpflini;  Car'sruhe  ,  176V,  1768. 
-8°.  —  J.-M.  Lobsteln,  Leben  Schœpflins;  Giessen,  1776, 
!  8°  -  Le  Beau,  Éloge  de  Schœpflin,  dans  le  t.  XXXVIII 
:  l'Hist.  del'Acad.  des  inscr.  —  Brucker,  Bildersàal.  — 
;u-U's-i,  VUx philologorum.t.  111.  —  Hlrsching,  Hand- 
ich.  —  Leben  Schœpflins  ;  Schwabacb,  1773,  in-4°.  — 
uog,  l.a  France  protestante. 
scholari.  Voy.  Clément  III. 
sciiolarius.  Voy.  Gennadius. 
schomberg  (1)  (  Gaspard  de),  capitaine  ai- 
:mand,  né  en  1540,  en  Saxe,  mort  le  17  mars 
599,  à  Paris.  II  reçut  une  éducation  soignée,  et 
rendit  en  1561  à  l'université  d'Angers.  Son 
umeur  guerrière,  signalée  dès  lors  par  de  nom- 
lieux  duels,  le  poussa  à  se  mettre  à  la  tête  des 
juguenots  qui  en   1562  défendirent  cette  ville 
pntre  les  catholiques.  Vaincu  après  une  cou- 
ageuse  résistance ,  il  alla  rejoindre  à  .Orléans  le 
rince  de  Condé.  Mais  dès  l'année  suivante  il  se 
allia  au  parti  royal,  et  devint  capitaine  dans  le 
jorps  de  reîtres  allemands.  Après  avoir  en  1566 
juerroyé  contre  les  Turcs  avec  le  duc  Henri  de 
[luise,  il  fut  à  son  retour  nommé  chambellan  et 
fchargé,  lors  de  la  seconde  guerre  de  religion,  de 
pver  un  corps  de  six  mille  reîtres.  Député  en  1 568 
[uprès  des  troupes  allemandes   que  Guillaume 
ji'Orange  amenait  au  secours  des  huguenots ,  il 
ps  décida,  par  d'habiles  représentations  et  par 
les  distributions  d'argent,  à  se  retirer.  Son  bril- 
ant  courage  à  la  bataille  de  Montcontour  lui 
'alut  le  grade  de  colonel  général  de  la  cavalerie 
illemande,  ou  des  bandes  noires,  et  des  lettres 
le  naturalisation.  En  1575  il  combattit  en  Cham- 
>agne,  et  se  signala  à  la  bataille  de  Dormans.  Dé- 
fi) Cette    famille  portait   en  Allemagne  le  nom   de 
"•icliœnberg,  qui   est.  tiientique  à  celui  de  Beàvmont  en 
rançais;  originaire  de  Tburinge,  elle  était  allée  s'établir 
iu  quinzième  siècle  en  Misnie  ;  beaucoup  de  ses  membres 
e  distinguèrent  dans  l'Église,  l'armée  et  la  diplomatie. 


—  SCHOMBERG  570 

voué  au  roi,  qui  du  reste  le  comblait  de  bienfaits, 
il  lui  resta  lidèle  au  milieu  des  intrigues  de  la 
cour,  et  ne  s'appliqua  pendant  la  Ligue  qu'à  raf- 
fermir son  autorité.  Lorsque  Sixte  V  proposa  à 
Henri  III  de  reconnaître  pour  son  successeur  le 
marquis  du  Pont,  prince  de  Lorraine,  son  neveu 
par  les  femmes,  ce  fut  Schomberg  qui,  par  ses 
représentations  et  par  un  Mémoire  (  inséré  dans 
le  Dictionnaire  de  Bayle,  art.  Heniu  lit),  con- 
tribua le  plus  à  ruiner  ce  projet.  Confirmé,  sous 
Henri  IV,  dans  sa  charge  de  colonel  général ,  il 
fut  obligé,  à  cause  de  sa  corpulence  et  d'un 
asthme  violent ,  d'interrompre  sa  carrière  mili- 
taire. 11  détermina  Henri  à  rentrer  dans  la  reli- 
gion catholique,  fait  affirmé  par  de  Thon  et  Da- 
vila,  qu'il  faut  croire  plutôt  que  Sully,  qui 
s'attribua  à  lui-même  le  mérite  d'avoir  décidé  le 
roi  à  faire  le  saut  périlleux.  Après  la  reddition 
de  Paris,  il  fut  un  des  huit  conseillers  chargés  de 
diriger  l'administration  des  finances.  Souvent 
quand  il  était  malade  le  conseil  se  réunissait 
dans  son  magnifique  hôtel  de  la  rue  Bailleul. 
Mais  les  finances  ne  se  rétablirent  pas,  et  Sully  fut 
en  1597  chargé  seul  de  les  gérer.  Dans  l'inter- 
valle Schomberg  était  allé  s'établir  en  Touraine 
pour  y  négocier  avec  le  duc  de  Mercœur  la  sou- 
mission de  la  Bretagne;  mais  ce  ne  fut  qu'en 
1598  qu'il  parvint  à  vaincre  les  nombreuses 
difficultés)  que  le  duc,  appuyé  par  l'Espagne,  n'a- 
vait cessé  de  susciter.  En  1597  il  avait  encore 
reçu  !a  mission  de  préparer  avec  l'aide  du  pré- 
sident de  Thou  ,  son  ami,  les  bases  de  l'édit  de 
Nantes,  dont  il  eut  à  discuter  les  clauses  avec 
les  députés  des  protestants;  négociation  pénible, 
qui  lui  attira  de  la  part,  du  roi  d'injustes  repro- 
ches sur  les  trop  grandes  concessions  qu'il  avait 
faites  aux  huguenots ,  au  dire  du  clergé  catho- 
lique. L'édit  enregistré,  Schomberg  fut  encore 
consulté  sur  la  mise  à  exécution;  le  17  mars  il 
revenait  en  voiture  des  conférences  qui  se  te- 
naient à  ce  sujet  à  Conflans,  lorsqu'arrivé  à  la 
porte  Saint- Antoine,  il  mourut  subitement,  étouffé 
par  l'asthme  dont  il  souffrait. 

Son  frère,  Georges ,  devint  fort  lié  avec  les 
mignons  de  Henri  III  ;  il  prit  part  comme  témoin 
au  fameux  duel  de  Quelus,  l'un  d'eux,  et  y  fut  tué, 
à  l'âge  de  dix -huit  ans,  le  27  avril  1578. 

Son  fils  cadet,  Annibal  de  Schomberg,  accom- 
pagna en  1601  Bassompierre  en  Hongrie,  dans  la 
guerre  contre  les  Turcs;  il  mourut  en  1604,  à 
Prague,  des  nombreuses  blessures  qu'il  avait  re- 
çues, en  prenant  part  à  une  mascarade,  dans 
une  lutte  contre  des  agents  de  la  police.  E.  G. 
De  Thou,  Hist.  univ.  et  Mémoires.  —  A.  de  Sainte- 
Marthe,  Elogium  gentis Schomberg ix.  —  Négociations  du 
sieur  de  Schomberg  avec  les  princes  protestants  de  l'Al- 
lemagne, clans  le  t.  III  des  Beitrœge  de  Moser.  —  Da- 
vila,  Hist.  délie  guerre  civili.  —  Aubigné,  Mémoires  et 
Uist.  —  L'Estoile,  Journal.  —  Bassompierre,  Sully,  Mé- 
moires. —  Barthold,  Kaspar  von  Schœnberg,  dans  His- 
torisches  Taschenbuch,  année  1849,  p.  165-363. 

schomberg  (Henri,  comte  de),  maréchal 
de  France,  fils  du  précédent,  né  le  14  août  1575, 
àParis,  mort  le  17  novembre  1632,  à  Bordeaux. 


571 

Il  porta  d'abord  le  titre  de  comte  de  Nantenil  (l), 
et  fit  ses  premières  armes  au  siège  d'Amiens 
(1597).  A  la  mort  de  son  père,  il  lui  succéda 
dans  le  gouvernement  de  la  Marche,  ainsi  qu'à 
la  têtedes  deux  régiments  de  reîtres  et  de  lansque- 
nets (mars  1599),  qui  furent  bientôt  licenciés. 
A  la  fin  de  l'année  il  suivit  en  Hongrie  le  duc  de 
Mercœur,  servit  en  volontaire  avec  une  foule 
d'antres  jeunes  seigneurs  contre  les  Oltomans, 
et  fit  éclater  sa  bravoure  dans  la  prise  d'Albe 
royale  (1601  ).  Nommé  lieutenant  général  du 
Limousin  (1608),  il  ramena  la  tranquillité  dans 
cette  province  en  apaisant  les  querelles  de  re- 
ligion. Après  avoir  passé  une  année  en  ambas- 
sade à  la  cour  d'Angleterre,  il  reçut  en  1616  le 
titre  de  maréchal  de  camp,  et  fut  envoyé  en  1617 
auprès  de  différents  princes  d'Allemagne  (2); 
dès  que  la  paix  fut  rompue,  il  leva  par  commis- 
sion un  corps  de  quatre  mille  lansquenets.  Pen- 
dant les  troubles  qui  suivirent  la  mort  de  Con- 
cini,  Schomberg  demeura  fidèle  au  roi;  il  suc- 
céda, le  20  juin  1619,  au  président  Jeannin  dans 
la  surintendance  des  finances;  malgré  les  de- 
voirs de  cette  charge,  où  il  se  conduisit  du 
reste  avec  désintéressement,  il  ne  renonça  point 
à  la  carrière  des  armes,  prit  part  à  la  campagne 
de  l'armée  royale  en  Normandie  et  en  Anjou,  et 
commanda  l'artillerie  aux  sièges  de  Clérac,  de 
Montpellier  et  d'autres  places  que  les  huguenots 
possédaient  en  Languedoc;  dans  l'espace  de  cinq 
semaines  il  fit  rentrer  la  Guienne  sous  l'obéis- 
sance du  roi.  Des  services  si  éclatants  lui  va- 
lurent le  gouvernement  du  Limousin  et  de  l'An- 
goumois,  dont  le  duc  d'Épernon  venait  de  se 
démettre  (1622).  Avec  le  cardinal  de  Retz  et 
Puisieux,  Schomberg  formait  une  espèce  de 
triumvirat, qui  se  croyait  assez  fort  pour  diriger 
les  affaires  et  surtout  le  roi,  à  qui  il  conseillait 
de  régner  par  lui-même  et  de  poursuivre  la 
guerre  contre  les  huguenots.  Ses  collègues  par- 
vinrent, à  la  suite  d'une  intrigue,  à  l'éloigner  (28 
janvier  1623);  on  lui  reprit  les  finances,  sous 
prétexte  qu'il  les  avait  mises  dans  un  désordre 
extrême,  et  cependant  on  convenait  qu'il  avait 
«  gardé  les  mains  nettes.  »  Devenu  tout  puissant, 
Richelieu  demanda  son  rappel  au  roi  ainsi 
que  sa  rentrée  au  conseil  (août  1624),  et  lui 
fit  donner  le  bâton  de  maréchal  (  16  juin  1625). 
Après  avoir  négocié  de  concert  avec  Bassom- 
pierre  la  restitution  de  la  Valteline,  il  fut  chargé 
de  chasser  les  Anglais  de  l'île  de  Ré  (1627), 
battit  Buckingham  au  moment  où  il  regagnait 
ses  vaisseaux,  et  conduisit  ensuite,  sous  le  car- 
dinal, les  travaux  du  siège  de  La  Rochelle,  où  il 
entra  le  premier,  à  la  tête  des  gardes  françaises. 
En  1629  il  joignit  l'armée  d'Italie,  et  reçut  un 
coup  de  feu  dans  les  reins  à  l'attaque  du  pas  de 

(1)  Ce  comté  avait  été  acquis  en  1577  par  son  père. 

(8)  Richelieu  avait  dressé  lui-même  l'instruction  de 
Schomberg.  «  La  fin  de  son  voyage  il' Allemagne,  dit-Il, 
est  de  dissiper  les  factions  qu'on  y  pourrait  faire  au  pré- 
judice de  la  France,  et  d'y  porter  le  nom  du  roi  le  plus 
avant  que  faire  se  pourra.  » 


SCHOMBERG  5; 

Suze  ;  l'année  suivante  il  prit  part  à  la  conque 
de  la  Savoie,  s'empara  deVeillane,etconcour 
à  l'investissement    de  Casai ,  qui   fut  du  res 
rendu  au  duc  de  Mantoue.  Il  venait,  avec  I 
maréchal  de  La    Force ,  de  soumettre  la  Lo 
raine  (1631),  lorsqu'il  fut  envoyé  dans  le  mi 
pour  y  combattre  l'armée  des  rebelles,  cumma 
dée  par  le  frère  du  roi  et  le  duc  de  Montmorenc; 
il  rencontra  ce   dernier   à  Castelnaudary  ;    j 
promptitude  et  l'habileté  de  ses  manœuvres  d 
cidèrent   en  quelques  instants  du  succès  de  « 
journée  (1er  septembre  1632).  Le  gouverneme 
du  Languedoc,  que  l'on  ôta  à  son  adversair 
fut  le  prix  de  sa  victoire.  Bientôt  après  il  mo 
rait  d'apoplexie,  a  Bordeaux.  Le  chagrin  très-' 
que  lui  inspira    la  condamnation  de  Montre 
rency,  dont  il  avait  imploré  la  grâce,  abrège 
dit-on,  ses  jours.   Schomberg  passait  pour  l'i 
des  plus  savants  hommes  de  son  temps;  il 
montra   habile   dans  la   politique   et    dans    ! 
guerre ,  et  protégea  les  gens  de  lettres.  On  a  > 
lui  une  Relation  de  la  guerre  d'Italie  (Pari, 
1630,  in-4°  ).  «  C'étoit,   rapporte  Richelieu,  1 1 
gentilhomme  qui  faisoit  profession  d'être  fidèl 
Il  avait  moins  de  pointe  d'esprit  que  de  solidi 
de  jugement;  il  étoit  homme  de  grand   cœu 
de  générosité  et  de  bonne  foi.   Dieu  l'a  signa 
en  l'exécution  de  trois  grandes  actions  à  l'Été 
des  plus  importantes  de  notre  siècle.  »    P.  L.  I 

P.  Berthier,  Oraison  funèbre  de  Henri  de  Schoi 
berg  ;  Paris,  1633,  in-V.  —  Bachot,  Tombeau  du  mu  \ 
de  Schomberg  ;  Paris,  1633,  in-8°.  —  Manifeste  à  \ 
bons  François  sur  la  mort  de  Schomberg ,  s.  1.,  16î 
in-4°.  —  Richelieu,  Mémoires.  —  Bazin,  Hist. 
Louis  XIII.  -  Courcelles,  Dict.  des  généraux. 

schomberg  {Charles  de),  duc  d'Halluii 
pair  et  maréchal  de  France ,  fils  du  précéder 
né  le  16  février  1601,  à  Nanteuil-le-Haudou 
mort  le  6  juin  1656,  à  Paris.  11  fut  élevé  enfai 
d'honneur  de  Louis  XIII,  qui  lui  témoigna  pli 
sieurs  fois  dans  la  suite  son  estime  et  son  affel 
tion.  Le  26  février  1619  il  eut  par  commissk- 
un  régiment  d'infanterie,  et  le  22  février  161» 
ie  parlement  le  reçut  comme  pair  du  royaurm 
par  suite  de  son  mariage  avecia  duchesse  d'il; 
luin.  Il  fit  ses  premières  armes  en  Languedc 
où  il  fut  blessé,  au  siège  de  Sommières  (162Î 
De  retour  à  la  cour,  il  reprit  ses  relations  av 
les  jeunes  gens  qui  élevés  près  du  roi  étaie 
devenus  ses  favoris,  et  il  paraît  avoir  eu  pa 
avec  Baradas  au  complot  de  Chalais  contre 
cardinal  (1626).  Il  n'encourut  cependant 
châtiment  ni  disgrâce,  prit  part  à  la  camnagi 
du  pas  de  Suse,  et  se  distingua  au  siège 
Privas  (1629)  et  dans  l'expédition  de  Savo 
(1630).  En  1632,  il  hérita  de  son  père  legouve 
nement  du  Languedoc  et  la  charge  de  maréch 
de  camp  général  des  troupes  allemandes.  Bit 
qu'il  eût  fait  en  toute  occasion  son  devoi 
ces  dignités  semblaient  lui  venir  de  la  favei 
plutôt  que  de  son  mérite  personnel  ;  sa  victoi 
devant  Leucate,  enRoussillon,  lui  valut  Festin 
générale.   Les  Espagnols  s'étaient  retrancha 


;3 


feCHOMBERG 


.74 


ir  une  montagne,  derrière  des  murs  épais  de 
x  pieds  et  flanqués  de  redoutes.  Le  duc  d'Hal- 
in   les  attaqua  en  personne,  le  28  septembre 
537,  et  malgré  plusieurs  blessures  revint  dix 
is  à  la  charge;  l'ennemi,  enfin  mis  en  dé- 
dite, leva  le  siège  de  Leucate,  abandonnant  ses 
igages  et  perdant  trente-sept  canons.  A  la  nou- 
elle  de  cette    brillante  affaire,  le  roi  le  créa 
.aréchal  de  France  (  26  octobre  ),  et  lui   crivit 
lecomme  il  avait  si  à  propos  su  se  servir  de  son 
>ée,  il  lui  envoyait  un  bâton,  afin  qu'une  autre 
is  il  eût  à  choisir  les  armes,  si  les  ennemis  le 
iettaient  encore  à  portée  de  leur  faire  connaître 
qu'il  valait.  Depuis  cette  époque  leducd'Hal- 
in  fut  connu  sous  le  nom  de  maréchal  de 
momberg.  Il  remporta  encore  des  succès  dans 
Koussillon,  et  s'empara  de  Perpignan,  en  1642. 
i  mort  de  Louis  XIII  vint  lui  enlever  le  fruit 
I  ses  services;  il  fut,  comme  les  autres  favo- 
i.  du  roi,  éloigné  par  la  régente  et  par  le  car- 
iai Mazarin.  On  le  força  même  à  se  démettre 
[  gouvernement  de  Languedoc,  qui  fut  donné  à 
iistoii  d'Orléans,  et  il  reçut  en  échange  celui 
t  pays  Messin  et  de  l'évêché  de  Verdun  (1644). 
venu  veuf  en   1641,  il  se  remaria  en  1646,  à 
nie  de  Hautefort   (voy.  ci-après).  A  la  mort 
!  Bassompierre ,  il  eut  la  charge  de  colonel  gé- 
Aral  des  Suisses  (1647),  et  fut  envoyé,  le  4  mai 
48,  en  Catalogne   pour  commander  l'armée, 
lec  le  titre  de  vice-roi.  Le  6  juillet  il  prit  Tor- 
Jse  d'assaut.  Il  se  démit  en  novembre  1649,  et 
vint  à  Paris ,  où  il  vécut  dans  un  repos  néces- 
é  par  la  maladie  de  la  pierre,  dont  il  souffrit 
bgtemps  et  dont  il  mourut.  Il  n'eut  point  d'en- 
uits  de  ses  deux  mariages. 

y.  Anselme,  Hist.  des  grands  officiers  de  la  cou- 
mne.  —  Moréri,  Grand  dict.  hist.  —  Tallemant,  His- 
iriettes.  —  Courcelles,  Dict.  hist.  des  généraux. 

schomrerg  (Marie  de  Hatjtefort,  du- 
esse  de),  femme  du  précédent,  née  le  5  février 
16,  au  château  de  Hautefort  près  Périgueux, 
t)rte  le  1er  août  1691 ,  à  Paris.  Presque  au  ber- 
au,  elle  perdit  son  père,  le  marquis  Charles  de 
jiutefort,  maréchal  de  camp,  et  sa  mère,  Renée 
\  Bellay.  Sa  grand'  mère  maternelle,  Mme  de 
|i  Flotte.-Hauterive,  l 'éleva  et  l'amena  très-jeune 
|Paris.  A  douze  ans  (1628)  ,  elle  entra  parmi 
(s  filles  d'honneur  de  Marie  de  Médicis  ;  on  i'ap- 
jla  l'Aurore,  pour  marquer  son  extrême  jeu- 
|sse  et  l'éclat  de  ses  grâces  précoces.  En  1630, 
je  suivit  la  reine  mère  à  Lyon ,  où  le  roi  était 
imbé  malade;  c'est  là  que  Louis  XIII  la  vit  pour 
}  première  fois.  «  Ce  cœur  mélancolique  et 
aste,  dit  M.  Cousin,  avait  besoin  d'une  affection 
\  du  moins  d'une  habitude  particulière  qui  lui 
)t  lieu  de  tout  le  reste  et  le  consolât  des  en- 
tiis  de  la  royauté.  La  modestie  aussi  bien  que 
I  beauté  de  Ml'e  de  Hautefort  le  touchèrent; 
u  à  peu  il  ne  put  se  passer  du  plaisir  de  la  voir 
de  s'entretenir  avec  elle.  «  Après  \à  journée 
's  dupes ,  il  donna  Mlle  de  Hautefort  à  Anne 
Autriche.  Bientôt  la  favorite  du  roi  devint  aussi 


celle  de  la  reine  (I).  Mme  de  Molteville  dit  que 
MHl-  ,)e  Hautefort  était  sensible  aux  hommages 
de  Louis  XIII,  mais  qu'elle  n'avait  aucun  goût 
pour  lui  ;  il  la  fatiguait  par  ses  humeurs  et  ses 
querelles  constantes.  Vers  1635,  après  une  vive 
discussion,  il  resta  plusieurs  jours  sans  lui  parler, 
etRiehelieu,  qui  la  haïssait,  parce  qu'il  n'avait  pu 
la  gagner  à  son  parti,  fit  d'un  dépit  passager  unr; 
brouille  de  deux  ans.  Mllede  La  Fayette  remplaça 
Mlle  de  Hautefort.  En  1637,  Louis  XIII  redevint 
plus  amoureux  que  jamais  de  cette  dernière, 
lorsque MUe  de  La  Fayette  se  fut  retirée  au  cou- 
vent. Ces  secondes  amours  ne  furent  ni  moins 
chastes  ni  moins  agitées  que  les  premières;  et 
la  jeune  maîtresse  n'en  retira  pas  plus  de  profit 
pour  sa  fortune,  si  ce  n'est  qu'elle  accepta  la  sur- 
vivance delà  charge  de  dame  d'atours.  Devenue, 
par  ce  titre,  Mrae  de  Hautefort,  et  douée  d'une 
grande  raison  unie  à  une  véritable  force  de  ca- 
ractère, bien  qu'elle  eût  à  peine  vingt  deux  ans, 
elle  lutta  au  bénéfice  de  la  reine  contre  l'influence 
du  cardinal  ;  celui-ci  trouva  un  auxiliaire  habile 
dans  Cinq-Mars,  qu'il  plaça  auprès  du  roi.  Le 
favori  fit  si  bien  par  ses  scènes  de  jalousie,  que 
Louis  XIII  exila  pour  quinze  jours  M'"c  de  Haute- 
fort  de  la  cour  (1640);  elle  ne  consentit  à  y  re* 
venir  que  sur  l'ordre  de  la  reine  (mai  1643).  Sa 
faveur  ne  fut  pas  de  longue  durée  :  trop  franche 
dans  l'expression  de  ses  sentiments,  trop  amère 
dans  les  plaintes  que  lui  inspirait  son  dévoue- 
ment, elle  finit  par  censurer  constamment  la  reine 
sur  ses  relations  avec  Mazarin.  Anne  d'Autriche, 
fatiguée  de  ses  réprimandes,  la  renvoya  le  15  ou 
le  1 6  avril  1 644.  Mme  de  Hautefort  se  fit  conduire 
au  couvent  des  Filles  de  Sainte  Marie  de  la  rue 
Saint-Antoine,  dans  l'intention  d'y  devenir  reli- 
gieuse; mais  la  cour  de  ses  adorateurs,  les  mar- 
quis de  Noirmoutiers  et  de  Gesvres,  les  ducs  de 
Liancourt  et  de  Ventadour,  le  maréchal  Gassion, 
ne  l'y  laissa  pas  dans  l'oubli.  Après  avoir  refuec 
de  nombreux  partis,  elle  épousa,  à  trente  ans 
(23  sept.  1646),  le  maréchal  de  Schomberg(yoy\ 
ci-dessus),  qui  en  avait  quarante-cinq  Elle  vécut 
dès  lors  dans  une  retraite  paisible.  Louis  XIV 
estimait  au-dessus  de  toutes  les  femmes  la  maré- 
chale de  Schomberg,  et  la  proposait  comme  le 
modèle  de  la  vertu  ;  il  voulut  en  vain  l'attirer  à 
la  cour  :  elle  continua  à  habiter,  rue  de  Charonne, 
une  maison  modeste,  et  se  fit  aimer  dans  tout  le 
faubourg  Saint  Antoine,  sous  le  nom  de  mère  des 
pauvres.  Parmi  ses  amies,  il  faut  mettre  au 


(1)  «  On  raconte  qu'un  jour  le  roi  étant  entré  à  l'im- 
proviste  chez  la  reine,  et  ayant  trouvé  M"e  de  Hautefort 
tenant  un  billet  qu'on  venait  de  lui  remettre,  il  la  pria 
de  lui  laisser  voir  ce  billet.  Elle  n'eut  garde  de  le  faire, 
parce  qu'il  contenait  quelque  plaisanterie  sur  sa  faveur 
nouvelle;  et  pour  le  cacher,,  elle  le  mit  dans  son  sein.  La 
reine  en  badinant  lui  prit  les  deux  mains,  et  dit  au  roi 
de  le  prendre  où  il  était.  Louis  X!ll  n'osa  se  servir  de  sa 
main,  et  prit  les  pincettes  d'argent  qui  étaient  auprès  du 
feu  pour  essayer  s'il  pourrait  avoir  ce  billet;  mais  elle 
l'avait  mis  trop  avant, et  il  ne  put  l'atteindre.  La  reine  la 
laissa  aller,  en  riant  de  sa  peur  et  de  celle  du  roi.  » 
(V.  cousin,  Mme  de  Hautefort.) 


575 


premier  rang  M^cs  de  Sévigné  et  de  La  Fayette  ; 
le  plus  illustre  de  ses  protégés  fut  Bossuet  ;  elle 
■vint  plusieurs  fois  au  secours  de  Scarron  et  de 
Loret.  Les  Mémoires  du  temps  ne  se  lassent  pas 
de  louer  son  esprit,  son  caractère,  sa  vertu,  et  sa 
merveilleuse  beauté,  qu'elle  conserva  longtemps. 

Cousin,  Madame  de  Hautefort.  —  Vie  de  Mme  de 
Hautefort;  Paris,  1799,  in  4°,  el  1807,  in-12.  —  Mémoires 
de  Mademoiselle,  de  La  Rochefoucauld,  de  Mme  de 
Motteville,  de  Saint-Simon,  etc. 

schomberg    (Frédéric  -  Armand ,  comte 
de),  homme  de  guerre  célèbre,  né  en  1618,  en 
Allemagne,  tué  le  11  juillet  1690,  à  la  Boy  ne,  était  J 
issu  d'une  famille  du  Palatinat,  les  Schœnberg,   j 
différente  de  celle  des  précédents.  Son  père,  ! 
Hans-Meynard  ,  qui  joua  un  rôle  important  à 
la  cour  de  l'électeur  Frédéric  V,  dont  il  .avait 
dirigé  l'éducation  et  négocié  le  mariage  avec  Eli- 
sabeth d'Angleterre,  était  maréchal  du  Palatinat 
et  gouverneur  de  Clèves  et  de  Juliers  ;  mais  il 
mourut  peu  de  temps  après  la  naissance  de  son 
fils.  Sa  mère,  Anne,  était  fille  d'Edward  Dudley, 
pair  d'Angleterre.  La  tutelle  de  l'électeur,  sous 
laquelle  fut  placé  le  jeune  Schomberg ,  semble 
lui  avoir  été  plus  honorable  qu'efficace,  car  il  ne 
put  jamais    obtenir  aucun  compte  des   quatre 
administrateurs  chargés  de  la  gestion  de  ses  biens. 
Bien  jeune  encore,  il  fit  ses  premières  armes  dans 
l'armée  suédoise,  cette  grande  école  de  guerre, 
assista  à  la  bataille  de  Nordlingen  (1634),  et  à  la 
belle  retraite  des  Suédois  vers  Mayence  (1635). 
C'est  l'époque  où  commençait  la  période  française 
de  la  guerre  de  Trente  ans  et  où  Richelieu  pre- 
nait à  sa  solde  le  duc  Bernard  et  les  meilleurs 
lieutenants  de  Gustave- Adolphe.  Scbomberg,  venu 
en  France,  reçut  une  compagnie  dans  le  régiment 
de  Rantzau,  et  prit  part  à  la  campagne  de  1636 
en  Franche-Comté.  Plus  tard  il  suivit  Rantzau 
en  Allemagne,  où  il  s'empara  de  Nordhausen; 
ayant  vu,  à  la  suite  même  de  cet  exploit,  ses  biens 
confisqués  par  l'empereur,  il  fut  obligé  d'aller 
prendre  du  service  sous  Frédéric-Henri  de  Nassau, 
dont  il  devint  le  plus  habile  lieutenant  et  bientôt 
l'ami.  A  la  mort  Guillaume  II  de  Nassau,  fils  de 
ce  grand  capitaine  (1650),  il  rentra  dans  l'armée 
française.  Après  avoir  fait  en  volontaire  deux 
campagnes  en  Flandre,  il  acheta  la  compagnie  des 
gendarmes  écossais ,  et  fut  nommé  maréchal  de 
camp  (28  octobre  1652).  Les  campagnes  de  1653 
et  1654,  où  il  assista  à  la  prise  de  Rethel  et  de 
Sainte-Menehould ,  au  siège  d'Arras  et  à  la  re- 
traite du  Quesnoy,  lui  valurent  le  brevet  de  lieu- 
tenant général  (16  juin  1655).  C'est  en  cette  qua- 
lité qu'il  participa,  sous  Turenne,  à  la  prise  de 
Landrecies,  de  Confié,  puis  de  Saint-Guislain , 
dont  il  fut  gouverneur.  En  1656,  au  siège  de  Va- 
lenciennes,  il  vit  son  fils  tué  sous  ses  yeux,  sans 
que  sa  douleur  pût  troubler  le  calme  et  la  sûreté 
de   ses  ordres,    et  après  l'échec  de  l'armée  il 
montra  les  talents  d'un  grand  capitaine  dans  la 
retraite.  La  bataille  des  Dunes,  au  succès  de  la- 
quelle il  eut  une  grande  part  (14  juin  1658),  la 
prise  de  Bergues,  qui  suivit  (2  juillet),  avaient  mis 


SCHOMBERG  57i 

le  sceau  à  sa  réputation  militaire  lorsque  fut  cor 
clue  la  paix  des  Pyrénées  (1659). 

L'activité  de  Schomberg  se  tourna  alors  ver 
le  Portugal,  en  guerre  avec  l'Espagne  depuis  1 
révolution  de  1640,  qui  avait  élevé  au  trône  1 
maison  de  Bragance.  Il  entrait  dans  la  politiqu 
de  la  France  d'entretenir  cette  plaie,  par  où  s'É : 
chappaient  les  dernières  forces  de  l'Espagne 
aussi  Louis  XIV  engagea  sous  main  Schomber 
à  entrer  au  service  ;de  la  reine  régente ,  moyer 
nant  une  pension  de  12,000  écus  et  le  grade  d 
mestre  de  camp.  Afin  que  l'influence  de  la  Franc 
restât  plus  secrète,  Scbomberg  fut  dépouillé  pî 
le  roi  de  toutes  ses  charges,  et  se  rendit  d'abor 
en  Allemagne,  en  Hollande,  en  Angleterre,  et  c 
là  à  Lisbonne.  Il  y  débarqua,  le  13  novembi 
1660,  avec  cent  officiers  français  réformés,  cei  j 
sous-ofticiers  d'artillerie,  et  quatre  cents/vieuxci 
valiers.  Enfin  600,000  livres,  envoyées  secret 
ment  par  Louis  XIV,  servirent  à  lever  quati 
mille  hommes  (janv.  1662).  Mais  l'armée  porti 
gaise  était  indisciplinée,  dépourvue  de  tout;  1! 
gnorance  et  la  jalousie  des  nationaux  multipliaie 
devant  lui  les  difficultés;  aussi,  en  1661  et  1er 
Schomberg  resta-t-il  sur  la  défensive, tenant  se 
lement  en  échec  don  Juan  d'Autriche.  En  16( 
il  le  poussa  sur  Badajoz,  lui  livra  bataille 
Ameixial,  et  le  battit  complètement  (S  juin).  P 
nétrant  alors  dans  l'Estramadoure,  il  s'empara  i  ! 
plusieurs  places,  défit  le  duc  d'Ossuna  à  Cast<  I 
Rodrigo,  et  au  moment  où  il  menaçait  la  Vieill 
Castille,  revint  sur  ses  pas  à  la  rencontre  de  di 
Caracena,  qui  venait  de  mettre  le  siège  deva 
Villa-Viciosa  avec  vingt-deux  mille  hommes.  1 
bataille  fut  sanglante.  Plusdequatremiile  homm  ; 
'tués  ou  blessés,  quatre-vingt-six  drapeaux,  dil 
vhuit  étendards,  toute  l'artillerie,  tous  les  bagau 


pris ,  une  retraite  précipitée  vers  Badajoz ,  ti  | 
furent  pour  Schomberg  les  résultats  de  cel 
journée,  qui  achevait  la  ruine  militaire  de  l'E 
pagne  et  consommait  l'indépendance  du  Pi 
tugal.  Quant  au  vainqueur,  il  fut  créé  grand 
Portugal,  comte  de  Mertola  et  gouverneur  géi) 
rai  de  l'Alemtejo.  La  singulière  révolution  de  | 
lais  qui  enleva  le  pouvoir  à  Alphonse  VI  pour 
faire  passer  à  son  frère  Pedro,  amena  tout 
coup,  et  contrairement  aux  désirs  de  la  Frann 
le  traité  de  paix  du  12  février  1668,  entre  l'I 
pagne  et  le  Portugal. 

Schomberg  revint  alors  en  France,  et  y  rem 
dans  toutes  ses  charges.  Cependant ,  mal  sal 
fait  de  n'avoir  pas  été  compris  dans  la  promoti 
des  maréchaux  en  1668,  il  passa  en  Angleter 
Peut-être  aussi  faut-il  croire  que  ce  voyage  n 
tait  pas  étranger  aux  desseins  que  Louis  X 
avait  sur  son  alliée.  Quoi  qu'il  ensoit,Schomb< 
fut  assez  froidement  reçu.  Dans  l'automne 
1673  il  reprit  ses  fonctions  de  lieutenant  génér 
et  aida,  en  janvier  1674,  le  duc  deLuxemboui'i 
rentrer  en  France,  en  marchant  au-devant  de 
sur  la  grande  chaussée  de  Maastricht  à  Charle 
et  en  forçant  ainsi  le  prince  d'Orange  et  le  cor 


Monterey  à  faire  retraite.  Un  mois  après  il 
lit  placé  à  la  tête  de  l'armée  de  Roussillon,  qui 
nait  de  perdre  Bellegarde.  Aux  mauvaises  mi- 
es qu'il  avait  il  ajouta  quinze  bataillons  de 
unes  troupes,  leva  douze  compagnies  de  mi- 
elets  dans  les  montagnes  et  fit  garder  les  places 
r  quinze  cents  bourgeois  du  Languedoc.  Alors, 
scendant  dans  le  Lampourdan ,  il  s'empara, 
us  les  yeux  de  l'ennemi,  de  Figuières,  c l'Am- 
rias  et  d'un  fort  qui  dominait  Girone ,  puis , 
rès  avoir  fait  vivre  son  armée  sur  le  territoire 
pagnol,  se  rabattit  sur  Bellegarde,  qui  capitula 
[rès  dix  jours  de  siège  (29  juillet  1675).  La 
pompeuse  suivit  de  près  ce  succès  de  Schom- 
trg  :  elle  l'avait  même  devancé  dans  la  pensée 
[  Louis  XIV,  qui  le  nomma  maréchal  dans 
tte  promotion  du  30  juillet  appelée  la  mon- 
\iic  de  Turenne. 

[En  lf>76,  il  passa  à  l'armée  de  Flandre.  Après 
[prise  de Condé,  l'armée  royale  s'était  établie  à 
[bourg  pour  couvrir  le  siège  de  Bouchain,  entré- 
es par  le  ducd'Orléans,  lorsque,  le  10  mai,  tout 
rnbla  se  préparer  pour  une  grande  bataille.  De 
ind  matin  Schoniberg  avertit  le  roi  que  le 
lince  d'Orange  s'était  placé,  près  de  Valen- 
Unnes,  entre  Bouchait)  et  Sebourg;  à  huit 
nires  il  est  à  Bouchain  pour  rallier  le  duc  d'Or- 
|tns,  et  à  onze,  avec  vingt  escadrons,  il  rejoint 
[mis  XIV,  dont  les  troupes  sont  concentrées  en 
Le  de  l'ennemi.  Après  avoir  ainsi  tout  préparé 
|tur  une  victoire  presque  certaine,  Schomberg 
t  la  faiblesse  de  se  ranger,  avec  Créqui  et  La 
huillade,  à  l'avis  de  Louvois,  opposé  à  toute 
[.taille  générale,  partageant  ainsi  une  faute  dont 
h  se  consola  jamais  Louis  XIV.  Placé  à  la  tête 
h  l'armée,  lors  du  départ  du  roi  (4  juillet), 
rchomberg  contraignit  Guillaume  à  lever  le  siège 
h  Maëstricht  et  le  battit  à  Gembloux.  Pour 
rix  de  cette  belle  campagne,  il  reçut,  outre  plu- 
feurs  biens  confisqués,  quatre  pièces  de  canon 
pur  décorer  son  château  deCoubert  (1),  acquis 
nnnée  précédente  des  deniers  du  roi.  Ce  fut 
Picore  sous  les  ordres  de  Louis  XIV  qu'il  coopéra 
fi  1677  à  la  prise  de  Valenciennes  et  de  Cam- 
•ai,  et  en  1678  à  celle  de  Gand  et  d'Ypres. 
toujours  sous  les  ordres  du  roi,  il  rouvrit  le 
|ége  de  Luxembourg,  qui  se  rendit  le  4  juin  1683. 
f  Ce  fut  le  dernier  service  rendu  par  Schomberg 
[la  France  :  très-attaché  à  la  religion  protes- 
Ute,  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes  (22  oc- 
nbre  1685)  le  força  de  demander  au  roi  la  per- 
mission de  sortir  du  royaume;  il  ne  l'obtint 
p'en  mars  1686,  et  à  la  condition  d'aller  en 
fortugal.  «  Ce  départ,  dit  Sourches,  fut  accom- 
îgné  des  regrelsde  toute  la  France,  qui  perdait 
!)  lui  le  meilleur  et  le  plus  expérimenté  de  ses 
tènéraux.  »  La  foi  pour  Schomberg  remplaçait 
f;  patrie  :  pour  elle  à  près  de  soixante-dix  ans 
|  redevenait  soldat  de  fortune.  Les  défiances  de 
inquisition,  et  surtout  les  projets  du  prince  d'O- 


(1)  Situé  dans  tes  environs  de  Brie-Conitc-Robert. 
NOUY.  BIOGR    GÉNÉR.  —   T.  XL1II. 


SCHOMBERG  578 

range,  le  décidèrent  bientôt  à  quitter  le  Porlu- 
gal.  Il  passa  d'abord  en  Angleterre,  où,  malgré 
les  avances  de  Jacques  II,  il  se  lia  avec  les  mé- 
contents et  prépara  les  voies  au  prétendant. 
En  1678,  il  revint  sur  le  continent,  assista  à  une 
entrevue  de  l'électeur  de  Brandebourg  et  du 
prince  d'Orange,  où  fut  arrêté  le  dessein  de  sa 
descente  en  Angleterre,  et,  pour  ne  pas  exciter 
les  soupçons,  se  mit  au  service  de  l'électeur, 
qui  le  nomma  gouverneur  de  la  Prusse  ducale. 
En  1687,  il  fut  chargé  de  s'opposer  à  l'envahis- 
sement de  l'élcctorat  de  Cologne  par  les  Fran- 
çais. Quand  tout  fut  préparé  pour  la  descente  de 
Guillaume  d'Orange  en  Angleterre ,  Schomberg 
se  rendit  en  Hollande,  où  le  prince  lui  donna, 
sous  lui,  le  commandement  des  troupes  :  choix 
très-habile  et  très-politique,  qu'approuvèrent  les 
Anglais  aussi  bien  que  les  Hollandais,  les  wbigs 
aussi  bien  que  les  torys.  La  fuite  précipitée  de 
Jacques  II  livra  sans  combat  le  trône  à  son  ri- 
val. Schomberg  fut  créé  duc  deTelfott,  chevalier 
de  la  Jarretière,  grand-maître  de  l'artillerie.  Loin 
d'être  envié,  comme  l'étaient  Bentinck  et  d'autres 
étrangers,  il  plaisait  aux  Anglais  par  sa  facilité  à 
parler  leur  langue,  la  vivacité  de  son  esprit  et  ses 
habitudes  à  la  fois  élégantes  et  militaires.  Choisi, 
en  1689,  pour  réprimer  le  soulèvement  jacobite 
de  l'Irlande,  il  reçut  avant  son  départ  les  com- 
pliments delà  chambre  des  communes,  dans 
une  séance  solennelle,  honneur  extraordinaire 
qui  ne  se  reproduisit  plus  que,  le  lt  juillet  1814, 
pour  le  duc  de  Wellington.  Débarqué  à  Àntrim 
avec  10,000  hommes,  il  marcha  sur  Carrickfer- 
gus,  qui  capitula  après  quinze  jours  de  siège» 
Marchant  vers  Dublin,  il  entra  dans  plusieurs 
villes;  mais  au  lieu  de  livrer  à  Jacques  II,  qui 
attendait  à  Drogheda,  une  bataille  que  l'infé- 
riorité du  nombre  eût  rendue  trop  incertaine, 
il  se  retrancha  dans  le  camp  de  Dundalk,  et 
exerça  ses  troupes.  En  1690  le  roi  lui  amena 
des  renforts  et  marcha  en  avant.  Dans  la  san- 
glante journée  de  la  Boyne  (11  juillet  1690), 
Schomberg,  qui  commandait  le  centre,  supporta 
tout  l'effort  de  l'attaque.  Voyant  ses  soldats 
ébranlés,  il  ne  prit  pas  le  temps  de  revêtir  sa 
cuirasse,  traversa  la  rivière,  et  rallia  autour  de 
lui  le  corps  des  réfugiés  français  en  leur  disant  : 
«  Allons,  messieurs,  voilà  vos  persécuteurs.  » 
Ce  furent  ses  dernières  paroles.  Entouré  par 
un  gros  de  cavaliers,  il  fut  atteint  de  trois  bles- 
sures mortelles,  deux  coups  de  sabre  à  la  tète  et 
une  balle  de  carabine  dans  la  gorge.  La  victoire 
était  assurée,  et  le  corps  de  Schomberg  fut  triom- 
phalement déposé  dansJa  cathédrale  de  Saint- 
Patrick.  Voici  le  portrait  qu'a  fait  de  lui  Rapin 
de  Tboiras  :  «  C'était  un  homme  posé,  appliqué, 
d'une  grande  conduite,  qui  pensait  mieux  qu'il 
ne  parlait,  intègre,  modeste,  obligeant,  civil.  On 
le  considérait  comme  le  premier  capitaine  de 
son  siècle  après  le  prince  de  Condé  et  le  maré- 
chal de  Turenne.  Il  connaissait  à  fond  les 
hommes  et  les  affaires.  11  était  de  moyenne  taille, 


19 


579  SCHOMBEB.G  — 

bien  fait,  le  teint  beau,  une  santé  robuste,  un 
air  de  grandeur  qui  imposait  du  respect,  se  te- 
nant à  cheval  avec  une  grâce  peu  commune.  Il 
aimait  beaucoup  la  propreté  dans  ses  habits,  et 
conservait  au  milieu  de  la  vieillesse  ta  gaieté  de 
ses  premières  années.  »  De  son  union  avec 
Jeanne-Elisabeth  de  Schomberg,  sa  cousine,  il 
avait  eu  cinq  fils  :  Frédéric,  brigadier  en  1675 
et  mestre  de  camp  en  1677;  il  mourut  sans  en- 
fants; Meinhurdt,  créé  duc  de  Leinster  en  1691, 
mort  en  1719;  Othon,  tué  au  siège  de  Valen- 
ciennes  (1656);  Henri,  mort  de  ses  blessures  à 
Bruxelles;  et  Charles,  duc  de  Telford,  mort  en 
1693.  Marié  en  secondes  noces  à  Suzanne  d'Au- 
male  (  14  a\ril  1669),  il  n'en  eut  point  d'enfants. 

Il  existe  du  maréchal  de  Schomberg  une  cu- 
rieuse correspondance  relative  à  la  guerre  d'Ir- 
lande, qui  a  été  imprimée  dans  les  Mémoires  de 
Datrymple.  Eugène  Asse. 

Beauchateau ,  Abrégé  de  la  vie  de  Fréd.  de  Schom- 
berg; Amst.,  1690,  in-12.  —  Razner,  Leben  Fried  von 
Schomberg;  Manheim,  1789,  2  vol  in-o°.  —  Mémoires 
du  comte  de  Doh.ua.  —  Journal  de  Dangeau ,  juillet 
1690  —  Mignet,  Success.  d'Espagne.  —  Rousset,  Hist. 
de  J.oucois.  —  Macaulay,  Hist.  de  Jacques  II  et  de 
Guillaume  III. 

SCHOSiEUS.  Voy.   SCH0ON. 

SCHOKCAITER.   Voy.  SCHOENGAIER. 

schoock  (  Martin  ),  en  latin  Schockius, 
érudit  hollandais,  né  le  1er  avril  1614,  à  Utrecht, 
mort  en  1665,  à  Francfort-sur-lOder.  Après 
avoir  achevé  ses  études  à  Fi  aneker  et  à  Leyde, 
il  surveilla  l'éducation  de  quelques  jeunes  gens, 
et  embrassa  la  carrière  de  l'enseignement.  A 
l'exception  de  la  théologie  et  des  sciences  natu- 
relles, il  enseigna  un  peu  de  tout,  et  résida  suc- 
cessivement à  Utrecht,  à  Deventer  (163S)  et  à 
Groningue  (1640)  ;  sur  la  fin  de  sa  vie,  il  quitta 
la  Hollande,  pour  se  soustraire  soit  aux  persé- 
cutions des  cartésiens,  soit  aux  poursuites  de 
ses  créanciers ,  et  alla  professer  l'histoire  à 
Francfort-sur-POder.  Il  devint  historiographe  et 
conseiller  de  l'électeur  de  Brandebourg.  Peu  de 
savants  ont  égalé  l'ardeur  de  Schockius  à  faire 
des  livres  (on  en  connaît  une  cinquantaine); 
peu  aussi  ont  plus  que  lui  abusé  de  l'érudition. 
Il  se  plaisait  à  traiter  les  questions  singulières  et 
les  plus  étrangères  aux  lettres,  et  loin  de  se 
renfermer  dans  son  sujet,  il  s'abandonne  à  des 
digressions  continuelles,  qui  le  lui  font  perdre  de 
vue.  C'est  le  plus  sérieusement  du  monde  qu'il 
a  écrit  en  latin  des  traités  en  règle  sur  les  ha- 
rengs (1649,  in-8°),  l'élermiement  (1GÏ9,  1664, 
in-12),  les  truffes  (1658,  in-12),  le  beurre  et 
l'aversion  du  fromage  (1658,  in-12),  les  ci- 
gognes (  1660,  in-12),  la  cervoise  (1661,  in-12), 
la  fermentation  (1603,  in  12  ),  les  tulipes,  etc. 
Il  eut  des  querelles  assez  vives  avec  Descartes, 
Voet,  Saumaise,  et  Vossius.  Parmi  ses  autres 
ouvrages,  nous  citerons  :  De  hellenistis  et,  lin- 
gua  hellenislica;  Utrecht,  1641,  in-8°  :  il  s'a- 
git du  grec  avec  les  tours  de  l'hébreu,  tel  qu'on 
le  voit  dans  la  version  des  Si  ptante  et  dans  le 


SCHOOJNHAVEN  58 

Nouveau  Testament;  —  De  ovo  et  pidlo;  ibid 
1643,  in-12;  —  Philosophia  carlesiana  ;  ibid 
1643,  in-i 2  :  Descartes  assigna  l'auteur  devar 
l'université  de  Groningue  pour  réparation  df 
injures  débitées  contre  lui;  —  De pace  qux  fa 
deratis  Belgis  contigit  ;  Amst.,  1650,  in-12  ;  - 
Oraiiones ;  Deventer,  1650,  in-8°,  —  Statu 
reip.  fœderati  Belgii  diss.  IX;  Groningue 

1651,  in-8°;  —   Exercitationes  sacrée  Xlm 
ibid.,  1651,  in-8°;  —  De  inund  ationibus  ;  ibid  | 

1652,  in-8°;  —  Belgium  fœderatum;  Amst 
1652,  in-16;  —  De  anima  belluarum  ;  Gronii 
gue,  1658,  in-4°;  —  Fabula  Hanielensis,  sti 
Disquisitio  historica,  etc.  ;  ibid.,  1659,  166  \ 
in-12  :  il  cherche  à  réfuter  la  légende  de  l'invj 
sion  des  rats  qui  avaient  en  1284  infesté  H; 
meln,  ville  de  la  basse  Saxe,  et  de  l'enlèvemei 
des  enfants  qui  en  avait  été  la  suite;  —  Physk 
generalis  ;  ibid.,  1660,  in  8°;  —  Physica  ct\ 
lestis;  Amst.,  1663,  in-8°;  —  Exercitalioni 
varia?;  Utrecht,  1663,  in-4°  :  la  ire  édition,  moi  I 
ample  que  celle-ci,  est  de  1657  ;  la  plupart  d  I 
33  pièces  qui  composent  ce  recueil  roulent  surd  I 
sujets  bizarres,  dont  le  P.  Niceron  a  donné  le  d  I 
tail  ;  —  Observationes  practiese  de  sacris  sen  I 
turis ;  Amst.,  1664,  in-12;  —  Politicus  pin  I 
Groningue,  1664,  in  4°;  —  De  quadrupliez  tel 
regia  ;    Francfort-sur-1'Oder,  1668,   in-8°;  I 
Exercitationes  XII  ;  s.  1.,  1668,  in-12. Toutes]  I 
œuvres  de  Schockius  ont  été  prohibées  à  Ronl 

Frelier.  Theatrmn.  —  Revins  ,  naventria  illnslruta.  I 
Niceron,  Mémoires,  XII  et  XX.  —  Paquot,  Mémoires,    I 
schoom   (Corneille  van),   en   Latin  ScA I 
meus,  poète  latin,  né  vers  1540,  à  Gouda  (III 
lande),  mort  le  23  novembre  1611,  à  Harle  I 
Il  lit  ses  études  à  Louvain,  et  fut  appelé,  en  15'  I 
à  diriger  l'école  latine  de  Harlem;  il  exerça  il 
emploi  pendant  vingt  cinq  ans,  avec  beaucol 
de  succès.  C'était  un  habile  humaniste  et  l'| 
des  excellents  poêles  de  son  pays,  où  les  lett 
latines  ont  été  si  florissantes  ;  aussi  a  t-il 
loué  par  les  meilleurs  esprits  de  son  temps, 
l'un  d'eux  nous  apprend  même  dans  une  pii 
de  vers  que  tout  en  lui  répondait  à  son  nom  ( 
qu'il  avait  un  beau  génie,  une  belle  femme, 
beaux  enfants.  Outre  une  Grammaire  lath 
on  a  de  Schonseus  :   Carminum  libellus  ;  I 
vers,  1570,  in-8°;  et  dix-sept  comédies  sacr 
impr.  successivement  et  réunies   sous  le  ti 
profane  de   Teientius  chrislianus  (Colog' 
1614,   1652,  in-8°;  Amst.,   1629,  in-8°;  Frai 
fort,  1712,  2  vol.  in-8°),  titre  qui  avait  été  I 
bord  donné  à  un  recueil  des  six  premières  piè 
(Anvers,  1598,  in  8°).  Au  jugement  de  Paqi 
il  a  imité  d'assez  près  son  modèle  pour  la  pui 
du  style,  le  naturel  et  la  précision. 

Paquot,  Mémoires,  11. 

schoonhaven  (Florent),  poêle  latin, 
en  159 i,  à  Gouda  (  Hollande),  où  il  est  mort. 
1648.  Il  étudia  le  droit  à  Leyde,  et  se  fit  reee's 
docteur  ;  le  spectacle  des  déchirements  car 

(1)  De  Schoon  signiOe  en  flamand  le  Beau. 


SCHOONHAVRN  —  SCHOPP 


582 


■k 


les  querelles  religieuses  le  décida  à  embras- 
s  la  foi  catholique,  et  s'étant  ainsi  exclu  lui- 
me  des  fonctions  publiques,  il  passa  sa  vie  à 
ïiver  la  poésie  latine.  S'il  y  montre  assez  peu 
goût  et  de  délicatesse,  il  est  en  revanche  fa- 
,  vif  et  parfois  élégant.  On  a  de  lui  :  Poe- 
ta;Leyde,  1613,  in- 1 G  ;  —  Emblemata  ; 
ida,  1618,  in-4°,  tîg.,  trois  éditions;  — des 
«8  dans  Delicix  poel.  belg.^W"  partie. 

,i|ui>t,  Mémoires,  XV. 

cuopp (Gaspard),  en  latin  Scioppius,  célèbre 
ologue  allemand,  né  le 27  mai  1576,  à  Neu- 
(  haut  Palatinat),  mort  le  19  novembre 
*9  ,  à  Padoue.  Il  prétendait  être  d'une  famille 
le,  mais  déchue;  ses  ennemis  le  disaient 
d'un  brasseur,  qui  avait  fait  presque  tous  les 
iers  depuis  celui  de  fossoyeur  jusqu'à  celui 
ioldat(l).  Depuis  1593  il  étudia  aux  frais  de 
cleur  palatin  les  belles-lettres  et  la  jurispru- 
«e  à  Heidelberg,  Altdorf  et  Ingolsladt.  Après 
r  écrit  des  poésies  latines  ,  il  débuta  dans  la 
ique  par  deux  recueils  de  notes  sur  divers  au- 
Is latins  ;  elles  témo;gnent  d'une  maturitédeju- 
ent  rare  chez  un  jeune  homme  ;  aussi  fut-il  ac- 
d'en  avoir  pris  la  substance  dans  les  Obser- 
tones  de  Gifanius,  son  maître,  ce  qui  n'est  vrai 
n  partie  (2).  En  1597  il  visita  l'Italie,  la 
iême,  la  Pologne  et  la  Hollande  ;  en  1598  il  re- 
ina  à  Rome,  et  y  abjura  le  protestantisme,  con- 
ion  sincère,  mais  qu'il  ne  manqua  pas  d'exploi- 
lans  son  intérêt.  Décoré  aussitôt  par  le  pape 
litres  de  chevalier  de  Saint- Pierre  et  de  comte 
iacré  Palais ,  il  reçut  une  pension  de  six 
s  florins  et  un  logement  au  Vatican.  Afin 
itenir  davantage,  il  écrivit  livre  sur  livre 
certifier  de  son  dévouement  au  saint-siége, 
raitant  d'abord  avec  ménagement  ses  an- 
s  coreligionnaires.  Comme  les  grâces  qn'on 
accordait  n'étaient  pas  au  niveau  de  ses  pré- 
ions  ,  il  lança  dans  le  public  cette  longue 
î  de  libelles  qui  ont  rendu  son  nom  si  fà- 
x  :  il  attaqua  les  réformés,  puis,  selon  son 
"et,  les  piinces,  les  savants,  les  congréga- 
»  religieuses,  bref  tout  ce  qui  avait  une  puis- 
;e  ou  une  notoriété  quelconque.  Sa  première 
ime  fut  Joseph  Scaliger  (voy.  ce  nom).  En- 
i  en  1608  par  la  cour  de  Rome  à  la  diète  de 
abonne,  avec  la  mission  d'observer  l'état 
;ieux  de  l'Allemagne,  il  publia  en  cette  année 
jre  les  protestants  une  série  de  vingt  et 
ques  pamphlet»,  où  il  conseillait  contre  eux 
■mesures  les  plus  violentes  d'extermination. 
Il;  mit  aussi  à  bafouer  Jacques  1er,  roi  d'An- 
■"rre,  dans  plusieurs  libelles,  qui  sont  peut- 
\  les  plus  satiiiques  et  les  plus  venimeux  qui 

Voy.  f'ita  et  parentes  Scioppii,  une  des  Satires  de 
'I  lfi>.sins 

'C'est  à  ceite  époque  aussi  qu'il  aurait  publié  un  Corn- 
aire  liciin.ieiix  sur  les  Pruipées,  dont  la  première 
'il  certaine  est  dr  uofi;  mais  -i  la  plus  grande  pariie 
(  livre  scandaleux  émane  en  effet  de  sa  plume,  il  ne 
>t  avoir  été  mis  au  jour  qu'à  son  insu,  et  par  L'fait 
'"Idast. 


existent  dans  aucune  langue;  aussi  ne  le  plai- 
gnit-on pas  trop,  lorsque,  se  trouvant  en  1G 14  à 
à  Madrid,  il  fut  bàtonné   par  les  gens  de  lord 
Digby,  ambassadeur   d'Angleterre.    Dans   tous 
ces  écrits,  dont  plusieurs  sont  farcis  d'obscénités 
monstrueuses,  Scioppius  montre  une  rare  con- 
naissance, théorique  ou  pratique,  de  toutes  les 
infamies  qui  peuvent  dégrader  l'homme.  Cepen- 
dant les  protestants  ne  lui  répliquèrent  qu'une 
seule  fois,  et  les  catholiques  étaient  loin  de  le 
récompenser  comme  il  l'espérait.  Il  s'occupa  alors 
pendantson  séjouràMilan(16l8-l630)  àréformer 
la  grammaire  latine;'mais  sa  méthode,  remplie 
de  vues  ingénieuses  et  utiles  ,  n'en  fut  pas  moins 
reconnue  impraticable  en  grand.  Les  professeurs 
et  les  jésuites,  dont  il  avait  dénigré  l'enseignement, 
se  déchaînèrent  alors  avec  violence  contre  ses  in- 
novations et  aussi  contre  sa  personne.  En  1630  il 
demanda  à  la  diète  de  Ratisbonne  une  pension  en 
rapport  avec  les  services  éminents  qu'il  croyait 
avoir  rendus  en  attaquant  les  protestants.  Sa  ré- 
clamation n'obtint  aucune  réponse.  Attribuant 
cet  échec  à  l'influence  des  jésuites,  confesseurs 
de  l'empereur  et  des  princes ,  il  se  mit  à  lancer 
contre  leur  ordre  plusieurs  libelles  diffamatoires, 
où   il   vilipende    leurs   doctrines,    leur   savoir 
et  leurs  mœurs  ;  ce  qu'il  inventa  de  formes  et  de 
titres  pour  échapper  aux  répétitions  et  réveiller 
la  curiosité,  est  aussi   singulier  qu'incroyable. 
«  On  est  confondu,  dit  M.  Nisard  ,  de  la  quantité 
de  méchancetés  noires ,  de  turpitudes  et  d'hor- 
reurs dont  Scioppius  a  rempli  ses  libelles  contre 
les  jésuites.  »  Mais  cela  ne  suffisait  pas  encore 
à  sa  rage  enfiellée;   abandonné  de  tous  ses  pa- 
trons, il  résolut  de  ne  plus  ménager  personne, 
et  de  porter  ses  coups  à  l'aventure.  Il  alla  jus- 
qu'à critiquer  amèrement  les  papes  et  les  cardi- 
naux et  à   fronder  certains  dogmes  de  l'Église 
catholique.   En  revanche  il  reprit  vis-à-vis  des 
protestants  un  langage  réservé,  presque  amical, 
ce  qui  a  fait  supposer  qu'il  avait  l'intention  de  se 
ménager  un  refuge  en   Hollande.  Pousuivi   par 
la  haine  générale  ,  il  se  retira  en  1.636  à  Padoue, 
et  fut  réduit,  pour  avoir  quelque  sécurité,  de  se 
tenir  enfermé  dans  sa  maison.  Il  n'en  apporta  que 
plus  d'ardeur  à  écrire  ;  un  nombre  vraiment  in- 
croyable d'ouvrages  sortit  de  sa  plume;  mais  les 
libraires,  craignant  de  se  compromettre,  refusè- 
rent d'en  publier  la  plupart.  Ayant  voulu  réaliser 
sa  fortune,  consistant  surtout  en  biens-fonds,  il  ne 
trouva  pas  d'acquéreur  pour  son  fief  de  Goïto  et 
son  marquisat  de  Cavatorre.  à  cause  de  la  guerre 
qui    désolait  la  haute  Italie.  Ses  embarras  pé- 
cuniaires n'affaiblissaient  pas  la  vigueur  de  son 
esprit;  il  étudiait  ou   écrivait  comme  autrefois 
quinze  et  même  dix-huit  heures  par  jour,  n'ayant 
d'autre  délassement  que  les  conversations  des 
érudits  qui  venaient  le  visiter  quelquefois  dans 
sa  solitude.    11    rédigea   à    cetîe    époque  une 
quinzaine  de  traités  de  politique,  où  il  préconi- 
sait le  système  de  Machiavel ,  dont  il  exagéra 
encore   les    principes    immoraux.    Sa  Pxdia 

!9. 


583  SCHOPP  - 

Ht  ter  arum  date  de  la  même  époque;  il  pu- 
blia une  apologie  effrontée  de  ses  vertus,  de 
ses  mœurs,  deses  talents  et  de  sa  piété.  A  l'appui 
des  compliments  qu'il  se  prodigue  à  lui-même, 
comme  il  l'avait  déjà  fait  dans  ses  Amphotides, 
dans  ses  Elogia  Scioppiana ,  il  rapporte  une 
foule  de  certificats  et  de  lettres  de  recomman- 
dation émanés  de  presque  tous  les  princes  et  sa- 
vants de  l'Europe.  Avant  de  citer  les  princi- 
paux des  cent  et  quelques  écrits  de  Scioppius, 
nous  dirons  un  mot  de  son  style,  qui  est  loin 
d'être  irréprochable ,  bien  que  personne  ne  con- 
nût mieux  que  lui  les  finesses  de  la  langue  la- 
tine. Ses  expressions  sonl.  souvent  incorrectes, 
ses  phrases  d'une  longueur  démesurée;  les  in- 
cidences ,  les  parenthèses  s'accumulent  les  unes 
sur  les  autres.  Il  demande  des  efforts  pour  être 
compris,  et  le  moderne,  l'allemand  surtout,  se 
trahit  à  chaque  instant  par  son  labeur  et  sa  pro- 
lixité. On  a  de  Scioppius  (1)  :  Poemata  varia  ; 
Heidelberg,  1593,  in-4o;  —  Versimilium 
lib.IV,  in  quïbus  multa  veterum  scriptorum 
loca  emendantur  ;  Nuremberg,  i596,  in-8°  ;  — 
Suspectas  lectiones  ;  ibid.,  1597,  in-8°;Amst., 
1664,  in-8°  ;  —  De  arte  critica  ;  Nuremberg, 

1 597,  in-8°  ;  —  Pro  autoritate  Ecclesix  ;  Rome, 

1598,  in-8°  ;  —  De  veritate  interprétai ionis 
catholicx  in  ambiguis  Scripturarum  locis  ; 
Rome,  1599;  Ingolstadt,  1600,in-8°;—  De  in- 
dulgentiis;  Munich,  1601,  in-4°  ;  —  De  Anti- 
chrislo  ;  Ingolstadt ,  1605,  in-4°;  —  Symbola 
critica  in  Apuleii  opéra;  Augsbourg,  1605, 
in-12;  —  Elementa  philosophix  stoicx  mo- 
mfts,\Mayence,  1606,in-8°;  —  De  cultuet  ho- 
nore , ''Rome,  1606,  in-8°;  —  Scaliger  hypobo- 
hjmseus;  Mayence,  1607,  in-4°;  —  Humiliatio 
protestantium  ;  Grselz,  1609,  in-4°,  en  alle- 
mand;—  Examen  spiritus  Lutheri;  Grsetz, 
1609,  in-4°,  en  allemand  ;  —  Observationes 
lin  guee  latin  se;  Francfort,  1609,  in-8°;  —  Ec- 
clesiasticus  ;  Meiteingen,  1611,  in-4°  :  contre 
Jacques  Ier,  roi  d'Angleterre,  ainsi  que  le  Col- 
lyrium  regium;  1611,  in-8°;  —  Amphotides 
Scioppianx  ;  1611,  in-8°  ;_  —  Alexipharma- 
cum  regium;  Mayence,  1612,  in-4°  :  contre 
Jacques  Ier  et  Duplessis-Mornay  ;  —  Scorpiacum, 
novum  adversus  protestantium  hasreses  re- 
medium;  ibid.,  1612,  in-4<»;—  Legatus  latro; 
Ingolstadt,  1615,  in-12  :  contre  lord  Digby;  — 
Responsio  ad  epistolam  Isaaci  Casoboni; 
ibid  ,  1615,  in-8°;  —  Corona  regia;  1615, 
in-12  :  sanglante  satire  contre  Jacques  Ier; 
réïmpr.  dans  VHist.  sapientix  et  stultitige  de 
Thomasius;  —  De  calvinistarum  dolo ;  In- 
golstadt, 1616,  in-4°,  en  allemand;  —  Elogia 
Scioppiana  ;  Pavie,  1617,  in-40;—  Classicum 
belli  sacri,  hoc  est  de  christiani  Cxsaris  erga 

(1)  Un  grand  nombre  de  ses  écrits  ont  été  publiés  sous 
des  pseudonyme*,  d  int  voici  les  principaux  :  Nicodemus 
Nacer,  Operinvs  f.rtibinins,  Jspasius  Crosippus,  flo- 
/ofernes  Krigsoederus ,  Sanctius  Galindus,  Alph.  de 
forças,  Renatus  i-'erdœus,  Juniperusde  Ancona,  Ma- 
riangélus  a  Fano  Benedicti,  etc. 


SCHOREEL  58 

principes    ecclesix  rebelles    officio;   Pavit 
1619,  in-4o  :  l'auteur  y  conseille  l'exterminatk 
complète  des  hérétiques; —  Pxdia  polilice: 
Rome,  1623,  in-4»;  —  De  rhetoricarum  exerc 
tationum  generibus;  Milan,   1628,  in-8°;  ■ 
Grammatica  philosophica  ,  sive  institution! 
grammaticx  latinx;  Milan,  1628,in-8"  ;Ams1 
1659,  1664,  in-8°;   —  Paradoxa  litteraru 
Milan,   1628,  in-8°;  —  Mercurius  bilingui 
nova  facilisque  ratio  latinx  lingux   addi 
cendx;  ibid.,    1628,    in-8°  ;    —    Rudimen, 
grammaticx  philosophïcx ;  ibid.,  1629,  in-8 
—  Actio  perduellionis  injesuitas  ;  1632,  in-4 
en  allemand  ;  —  Flagellum  jesuiticum ;  1631 
in-4°,  en  allemand; — Mysteria  Patrumjesuit 
rum;  1633,  in-12;  —  AnatomiaSocietatis Jes\\ 
Lyon,  1633,  in-4°;  —  Astrologia  ecelesiastw  V 
1634,  in-4°;  —  Arcana  Societatis  Jesu;  16«:l 
in-8°  ; —  De  stratagematis  et  sophismatisp  I 
liticis  Societatis  Jesu;  1636,  in-12;  Cologr 
1648,  in-12;  —  Descholarum  et  studiorum 
ratione  ;Padoue,  1636, in-12;  —  Depxdiah§ 
manarum  ac  divinarum  litterarum  ;  ibii 
1636,   in-12  ;  —    Mercurius  quadrilingu 
Bâle,  1637,  in-8°;  —  In  Vossii  libros  De  vit 
sermonis    animadversiones ;  Ravenne,  16' 
in-12;  —  Infamia    Famiani;  cui  adjui 
tum  de  stili   historici  ac   vitiis  judiciw 
1658,  in-12.  Comme  éditeur  Scioppius  a  put 
Vairon,  Symmaque,  et  la  Minerva  deSanch 
Plusieurs  lettres  de  Scioppius  très-intéressan 
se   trouvent    dans   les    Monumenta   pieta 
(  Francfort,  1701,  in-4°  )  ;  d'autres  dans  les  Ai 
litleraria  de  Struve  et  dans  la  Sylloge  de  B 
mann.  Plusieurs  de  ses  ouvrages  inédits  s< 
dans  diverses  bibliothèques  d'Italie.        E.  6 
Bayle,  Dict.  —  Niceron,  Mémoires,   t.   XXXV.  — 
Nisard,  Les  Gladiateurs  de  la  réptiblique  deslettres,  I 

schoreel  {Jean  ),  peintre  nollandais,  ndi 
1495,  à  Schoreel,  village  des  environs  d'Alkrai 
mort  à  Utrecht,  en  1562.  D'abord  élève  ded 
maîtres   obscurs,    Willem  et  Jacob  Cornei 
Schoreel  se  rendit  à  Utrecht,  où  demeurait  a) 
Jean    de    Mabuse,    et    après    avoir  travi 
quelque   temps    dans    l'atelier    de    cet   ha 
peintre,  il  alla,  dit- on,  achever  son  éducatif. 
Nuremberg,  sous  la  discipline  d'Albert  Du 
Mais,  dominé  par  le  goût  des  voyages  et  des  I' 
taines  aventures  ,  il  le  quitta  bientôt  pour  f 
une    excursion    en     Orient.     Schoreel     vi 
Chypre,  Rhodes  et  les  îles  de  l'Archipel;  il  s 
rêta  sur  les  côtes  de  l'Asie  Mineure,  et  poussa 
voyage  jusqu'à  Jérusalem,  où  il  fit  de  nombi 
ses  études  de  paysages,  et  des  dessins  d'a| 
les  types  et  les  costumes  des  Levantins,  lîev 
en  Europe,  il  séjourna  quelque  temps  à  Ro 
où  il  connut  les  grands  artistes  de  la  renaiss; 
italienne  et  où  il  eut  l'honneur  de  peindnl 
portrait  d'Adrien  VI.  A  son  retour  en  Hollai  % 
Schoreel  se  fixa  à  Utrecht,  et  il  fut  un  des  p 
miers  à  enseigner  aux  artistes  de  son  pays 
pratiques  et  le  style  de  l'école  romaine.  Ses 


■s 


SCIIOREEL 

>lcaux ,  d'ailleurs  très-rares ,  offrent  une  sorte 
le  compromis  entre  le  goût  italien  et  la  manière 
tollandaise  du  seizième  siècle.  Ses  plus  beaux 
lùvrages  sont  conservés  à  l'hôtel  de  ville  d'U- 
recht,  à  Cologne,  à  Munich  et  au  musée  de 
îotterdam ,  qui  a  de  lui  une  importante  compo- 
ition,  le  Baptême  de  Jésus- Christ.  P.  M. 
IromiTZL'el,  Leven.  —  Burger,  Musées  de  la  Hollande. 
scaoTAxrs  (  Christian  ),  érudit  et  historien 
lOllandais,  né  le  1C  août  1603,  à  Scheng,  près 
franeker,  mort  le  12  novembre  1671,àFraneker. 
a  famille  était  ancienne  dans  la  Frise  et  comp- 
rit plusieurs  savants.  Destiné  à  l'Église,  il  fut 
lit,  en  1627,  ministre  de  son  village  natal,  d'où 
passa  en  1629  dans  celui  de  Cornjum,  où  il 
:emeura  dix  ans.  En  t639,  il  fut  appelé  dans 
Académie  de  Franeker,  qui  l'avait  eu  pourétu- 
iant,  et  y  professa  la  langue  grecque,  puis  l'his- 
>ire  ecclésiastique.  Il  desservit  aussi  l'église  de 
fstte  ville,  et  fut  député  quelquefois  au  synode, 
mourut  d'une  léthargie  causée  par  le  froid. 
es  principaux,  écrits  sont  :  Notx  ad  Euange- 
fa  et  Epistolas;  Leeuwarden,  1647,  in-12;  — 
\atechesis;  Franeker,  1653,  in-12;—  Colle- 
Mim  miscellaneorwn  theologicorum  ;  ibid., 
554,  in-12;  —  Beschryving  van  Friesland 
Description  de  la  Frise);  Leeuwarden,  1656, 
B64,  in-4°,  avec  plans  et  cartes;  —  Kerkelyke 
\i  Wereld/yke  Geschiedenissen  van  Oost-en 
West-Friesland  (  Histoire  ecclés.  et  civile  de 
.  Frise  jusqu'en  1558);  Franeker,  1658,  in-fol.; 
J-  Bibliotheca  historiée  sacrx  V.  T.;  ibid., 
h(S2  1664,  2  vol.  in-fol  :  c'est  une  espèce  de 
pmmentaire,  qui  sent  le  fatras,  touchant  l'Ins- 
pire de  Sulpice  Sévère  et  celle  de  Josèphe;  — 
îlectas  disputationum  theologicarum  ;  ibid., 
664,  in-4°  ;  —  Partitiones  theologicx  ;  ibid., 
JB85  in-12.  Ces  ouvrages  montrent  que  cet  au- 
Ipur  avait  un  savoir  assez  étendu,  mais  mal  di* 
•pré.  Très-vif  dans  ses  sentiments  religieux,  il 
le  s'attacha  à  aucune  secte  en  philosophie. 
'|  Schotanus  (Jean),  fils  du  précédent,  né  en 
543,  à  Franeker,  où  il  est  mort,  le  5  mai  1699. 
J'vant  d'exercer  le  ministère  évangélique,  il  di- 
f'gea  le  collège  de  Franeker;  depuis  1678,  il  en- 
bigna  la  philosophie  dans  l'université,  dont  il 
lit  élu  recteur.  Partisan  de  Descartes,  il  poussa 

I  zèle  jusqu'à  paraphraser  en  vers  les  six  Mé- 
mtations  de  ce  philosophe  (Franeker,  1688, 
1 1-4°).  On  a  encore  de  lui  -.  Exercitationes  ad 
mrtmamgenesimrerum ;  Franeker,  I687„in-12; 

-  Physica  cœlestis  et  terrestris  ;  ibid.,  1700, 
|ji-t2;  — des  discours,  des  pièces  de  vers, etc. 

htPaqnot,  Mémoires,  VI. 

il  schott  (André),  philologue  belge,  né  le 
i  ^septembre  1552,  à  Anvers,  où  il  est  mort,  le  23 
invier  1629.  Il  étudia  à  l'université  deLouvain, 
Ifi  il  eut  Juste  Lipse  pour  condisciple,  puis  en- 
'  Mgna  la  rhétorique  dans  cette  ville,  au  collège 

II  Château.  Par  suite  des  troubles  des  Pays-Bas, 
If  se  réfugia  en  1576  à  Douai,  où  il  devint  se- 
•  îélaire  d'un  jeune  noble  fort  instruit,  Philippe 


—  SCHOTT  586 

de  Lannoy.  Après  la  mort  de  ce  dernier,  il  se 
rendit  à  Paris  comme  secrétaire  de  Rusbecq, 
alors  ambassadeur  de  l'empereur  auprès  de  la 
cour  de  France,  et  qui  avait  adressé  à  Schott  la 
célèbre  inscription  désignée  sous  le  nom  de  mo- 
nument d'Ancyre.  Après  deux  années  de  séjour 
à  Paris,  pendant  lesquelles  il  se  lia  avec  les  frères 
Pithou,  Passerat,  Joseph  Scaliger  et  Papire 
Masson,  il  fut  envoyé  par  son  père  à  Madrid, 
où  il  obtint  aussitôt  au  concours  une  chaire  de 
langue  grecque,  qu'il  échangea,  en  1584,  contre 
unechaire  à  l'université  naissante  de  Saragosse, 
où  il  enseigna  la  rhétorique,  le  grec  et  l'histoire. 
Là,  pendant  le  siège  d'Anvers  par  le  duc  de 
Parme,  il  fit  vœu  d'entrer  dans  la  société  de  Jésus 
si  sa  ville  natale  rentrait  sous  la  domination  du 
roi  d'Espagne.  Les  événements  ayant  répondu  à 
ses  désirs,  il  accomplit  son  vœu  en  1586,  et  alla 
faire  ses  études  thëôlogiques  à  Valence.  Ensuite 
il  enseigna  la  théologie  à  Gandia,  puis,  pendant 
trois  ans,  la  rhétorique  à  Rome,  qu'il  quitta  pour 
revenir  à  Anvers.  Schott  est  auteur  d'un  grand 
nombre  d'ouvrages,  dont  quarante-sept  sont  cités 
dans  les  Mémoires  de  Niceron.  Les  principaux 
sont  :  Vitx  comparatx  Aristotelis  ac  Demos- 
thenis;  Augsbourg,  1603,  in-4°  ;  —  Bispania 
illustrata,  s  eu  rerum  urbiumque  Bispanix, 
Lusitanix,  jEthiopix  et  Indix  scriptores 
varii;  Francfort,  1603-1608,  4  vol.  in-fol.  :  cette 
collection  estimée  a  été  publiée  les  1. 1  et  II  par 
Schott,  le  t.  IV  par  son  frère ,  et  le  t.  III  par 
Pistorius;  —  Thésaurus  exemplorum  ac  sert- 
tentiarum  ex  auctoribus  optimis,  in  cen~ 
turias  IV;  Anvers,  1607,  in-8°;  —  Bispanix 
bibliotheca,  seu  de  academiis  et  bibliothecis  ; 
item  elogia  et  nomenclator  clarorum  Bis- 
panix  scriptorum,  qui  latine  disciplinas  om- 
nes  illustrarunt ;  Francfort,  1608,  in-4°:  ou- 
vrage anonyme,  mais  dont  la  dédicace  est  sous- 
crite :  A.  S.  Peregrinus.  Prosper  Marchand 
doute  que  cet  ouvrage  soit  de  Schott,  l'article 
Mariana  n'y  étant  pas  d'une  suffisante  exacti- 
tude; —  Adagia  Grxcorum;  Anvers,  1612, 
in-4°;  —  Observationum  humanarum  lib.  V, 
quibus  grxci  latin ique scriptores  emendantur 
et  illustrantur ;  Anvers,  1615,  in-4°,  rare;  — 
Tabulx  rei  nummarix  Romanorum  Grxco~ 
rumque  ad  Belgicam,  Gallicam,  Bispanicam 
et  Italicammonetam  revocatx  ;  Anvers,  1615, 
in-8°;  —  Selecta  variorum  commenlaria  in 
orationes  Ciceronis;  Cologne,  1621,  3  vol. 
in-8°:  il  a  joint  à  ce  choix  de  commentaires  plu- 
sieurs de  ses  propres  notes.  Il  a  été  le  premier 
éditeur  d'Aurelius  Victor  (Anvers,  1579,  in-8°), 
et  il  a  donné  des  éditions  de  Cornélius  Nepos, 
de  Pomponius  Mêla,  de  Paul  Orose,  de  Vltiné- 
faire  d'Antonin,  des  Controverses  de  Sénèque, 
de  la  Bibliothèque  de  Photins,  de  la  Sicilia  et 
Magna  Grxcia  de  Goltzius,  etc.  Enfin,  il  a  ajouté 
trois  chapitres  importants  à  YAntiquitatum 
romanarum  corpus  deRoszfeld  (Trêves,  1704, 
in-4°).  On  trouve  dans  le  Sylloge  epistolarum 


I 


587  SCHOTT  —  SCHOUVALOF 

de  Burman  neuf  lettres  de  Schott  à  Juste  Lipse. 
La  bibliothèque  royale,  rie  Belgique  possède  plu- 
sieurs manuscrits  d'auteurs  grecs  copiés  à  Sa- 
lamanque  pour  Scliott,  et  sur  lesquels  se  trouvent 
des  notes  écrites  de  sa  main.        E.  Regnard. 

Alegainbe,  Bib  ioth  scripturum  Societatis  Jesu,  An- 
vers. 16*3,  p.  29.  —  Niceron,  /Mémoires,  XXVI.  —  Sweer- 
tius,  Athevœ  belgicœ.  —  Foppens,  Hibliotheca  belgica.  — 
M.  Bagnet,  Nonce  sur  André  Schott,  dans  les  Mémoires 
de  l'Acad.  royale  de  Belgique,  t.  XXIII. 

schott  (  Gaspard),  physicien  allemand,  né 
en  1608,  à  Kœnigshofen,  mort  le  22  mars  1666, 
à  Wurtzbourg.  Entré  à  dix-neuf  ans  chez  les 
jésuites,  il  fut  à  la  suite  de  la  guerre  de  Trente 
ans  obligé  de  quitter  l'Allemagne;  il  alla  passer 
quelques  années  à  Palerme,  où  il  enseigna  la 
théologie  morale  et  les  mathématiques  dans  le 
collège  de  son  ordre.  Après  avoir  aussi  fait  un 
séjour  à  Rome,  où  il  se  lia  avec  le  célèbre  Kircher, 
il  retourna  vers  la  fin  de  sa  vie  en  Allemagne,  et 
se  fixa  à  Wurtzbourg,  où  il  professa  la  physique 
et  les  mathématiques.  «  Ses  excellents  ouvrages, 
qui  ont  beaucoup  contribué  aux  progrès  des 
sciences  physiques,  contiennent,  dit  Mercier 
Saint-Léger,  des  faits  curieux  des  observations 
précieuses,  des  expériences  dignes  d'attention  et 
pouvant  mettre  sur  la  voie  de  plusieurs  décou- 
vertes; il  est  vrai  qu'ils  sont  aussi  chargés  d'une 
foule  de  choses  inutiles,  hasardées,  et  même 
ridicules.  »  Les  principaux  sont  :  Mechanica 
fiydraulico-pneumatica;  Wurtzbourg,  1657, 
in-4°;  on  y  trouve  la  première  relation  des 
expériences  d'Otto  Guericke;  —  Magia  uni- 
versalis  naturse  et  artis,  sive  rccondita  na- 
turalium  et  artifi.cia.lium  rerum  scientia; 
ibid.,  1657-1659,  4  vol.  in  4°  :  cet  ouvrage  est  le 
meilleur  exposé  des  connaissances  physiques  au 
dix  septième  siècle;  il  est  divisé  en  quatre  par- 
ties :  optique,  acoustique  ,  mécanique  et  statis- 
tique ,  et  enfin  magnétisme  et  autres  matières 
alors  considérées  comme  étant  du  domaine  des 
sciences,  telles  que  chiromancie,  physionomie, 
artdivinatoire,  etc. Ces  différentes  parties  furent 
réimprimées  à  Bamberg,  la  première  en  1677,1a 
seconde  en  1674,  I*  troisième  en  1672  et  la  qua- 
trième en  1674;  l'optique  fut  traduite  en  alle- 
mand; Bamberg,  1671  :  Francfort,  1677,  in-4°; 

—  Pantome/rum  Kircherianum,  hoc  est  ins- 
fiumen/uin  geometricum  novum,  quo  quic- 
quid  ad  geometricam  practicam  spectans 
summa  facili/ate  et  brevitale  petficilur; 
Wurtzbourg  1660,  1669,  in-4°;  —  Cursus  ma- 
thematicus,  sive  omnium  mathemalicarum 
disciplinai' uni  encyclopedia  ;  ibid.,  1661, 
iu-fol.;  Francfort,  1674;  Bamberg,  1677,  in-fol.; 

—  Physica  curiosa,  quitus  pleraque  qiuc  de 
angelis,  deemonibus,  spectris,  energumcnis, 
monstris,  portentis,  meteoris  rara  circum- 
feruhtur. ad verîtat.is  trutinam  excutiunlur; 
ibid.,  1662,  in-4°;  il  en  parut  deux  autres  édi- 
tions, beaucoup  plus  complètes,  en  1667  et  1697  ; 

—  Anatomia  physico-hydros/alica  fonlium 
acjluminum;  in  qua  eorum  liistoria princi- 


S? 
pium  ac  variée  proprietates  discuthtntur 
ibid.,  1663,  in-8°; —  Technica  curiosa,  sic 
mirabilia  artis,  qua  varia  expérimenta  pnex 
matica,  hydraulica,  mechanica,  graphici 
chronomelrica,  aulomatica,  cabalistica  pn 
ponuntur ;  ibid.,  1664,  1687,  2  vol.  in-40;- 
Schola  stenographica:  ibid.,  1665;  Nuremben 
1680,  in-4°  :  traité  curieux  sur  l'art  d'écrire  t 
chiffres;  —  Joco-seriorum  naturse  et  artis 
sive  magiee  naturalis  centuriar.  III;  Wurtî 
bourg,  1666,  in-4°;  —  Organum  mathemat 
cum,  quo  per  paucas  tabellas  plereeque  nu 
thematicee  disciplinée  modo  novo  ac  faci 
traduntur;  ibid.,  1668,  1668,  in-4°;  Nuren 
berg,  1670,  in-4°.  Schott  a  aussi  donné  d 
éditions  augmentées  de  Yltinerarium  extx 
ticum  de  Kircher,  et  de  YAmussis  Ferdina: 
dea,  du  P.  Curtz. 

l!e  l'aeckrr,  Bibliothèque  des  écrivains  de  la  Société 
Jésus.  —  Mercier  de  Saint-Léger,  Notice  des  ouvrages^ 
P.  Schott. 

schopvailof  (  Pierre- TvanoJ ,  comte  de 
mort  le  9  janvier  1762.  Il  appartenait  à  l'ar.m 
russe  en  174 1,  et  joua  un  rôle  actif  dans  !a  rév 
lution  qui  donna  le  trône  à  Elisabeth.  Cette  pri 
cesse  paya  ses  services  en  le  nommant  maj 
général,  et  quelques  années  plus  tard  en  lui  co 
férant  le  titre  de  comte.  Adroit,  insinuant,  j< 
gnant  les  avantages  physiques  à  ceux  de  l'intel 
gence,  il  fit  une  brillante  fortune  à  la  cour; 
justifiait  la  faveur  dont  il  jouissait  par  un  mér 
réel,  surfout  comme  officier  d'artillerie;  il  profil 
de  sa  dignité  de  feld  maréchal  pour  apporli 
dans  cette  arme  d'importants  perfectionnement 
c'est  à  lui  qu'on  dut  l'invention  des  nouvea 
obus  qui  portèrent  son  nom  et  jouèrent  un  gra 
rôle  dans  la  guerre  de  Prusse.  Rompu  au  u 
tier  de  courtisan ,  il  sut  conserver  sa  faveur  i 
tacte  auprès  dÉlisabeth,  malgré  la  jalousie  à 
chaînée  contre  lui. 

Sciiouvalot1  (André,  comte  de),  fils  du  pré( 
dent.néen  l727,morten  17S9.  La  fortune  qu'av> 
acquise  son  père  lui  permit  de  se  livrer  à  s 
amour  pour  les  lettres  et  les  arts.  Il  apparten 
à  cette  partie  de  l'aristocratie  russe  qui  affeci 
un  culte  delà  civilisation  française;  Élisanet 
auprès  de  laquelle  il  partageait  le  crédit  de 
père,  lui  confia,  avec  le  titre  de  chambellan, 
mission  de  répandre  la  lumière  dans  ses  Éta 
Schouvalof  n'eut  pas  l'ambition  de  jouer 
rôle  politique;  il  se  voua  complètement  àl 
tude  et  aux  travaux  de  l'esprit.  Il  parcourut 
touriste  intelligent  presque  tous  les  pays  de  l'ï 
rope,  mais  vécut  de  préférence  à  Paris,  où  il  rei 
les  encouragements  et  les  éloges  d'un  grji 
nombre  de  littérateurs  français;  ils  n'étaient 
seulement  le  résultat  de  la  flatterie;  ScIiouve 
parlait  et  écrivait  notre  langue  avec  une  grar 
pureté;  les  vers  qu'il  composait  ne  trahissai 
pas  la  plume  d'un  étranger,  et  l'on  attribua  mô 
à  Voltaire  son  ÉpUre  à  Ninon.  Son  Épiln 
Voltaire  n'est  pas  non  plus  sans  mérite  ;  il  ent 


9  SCHOUVALOF 

lit  avec  !e  philosophe  une  correspondance  suivie, 
|:f  ui  transmit  de  nombreux  renseignements  pour 
iji  Histoire  de  Pierre  le  Grand.  L'impéra- 
tfce  Catherine,  tenant  le  comte  en  grande  consi- 
ration,   utilisa  en  plusieurs  circonstances  ses 
I  stesconnaissanc.es,  et  s'en  servit  comme  d'in- 
médiane  avec  les  écrivains  français;  c'est  ainsi 
'il  offrit  de  sa  part  a  D'Alemherl  l'éducation  de 
éritier  présomptif  du  trône  de  Russie.  Schou- 
lof,  qui,  outre  ses  services  littéraires  et  diplo- 
itiques,  rendit  à  Catherine  celui  d'organiser 
banques  publiques,  fut  comble  d'honneurs, 
mmé  granit  cordon  de  Saint-André,  sénateur 
membre  du  conseil  suprême.  Il  laissa  un  fils, 
i  fut  aide  de  camp  d'Alexandre  et  fut  chargé  , 
1814,  d'accompagner  Napoléon  à  l'Ile  d'Elbe. 
Correspondance  de  Voltaire,  passiro.  —  Correspon- 
de de  Scliouvulof  avec  La  Harpe. 

schramm  {Jean- Adam,    baron),   général 
jiçais,  né  le  24  décembre  1760,  à  Beinlieim 
as-Rhin),  où  il  est  mort,  le  12  mars  1826.  Entré 
mine   soldat  au  régiment  suisse  de  Diesbach 
i  février  1777),  il  était  sergent-major  au  mo- 
»nt  de  la  révolution,  et  devint  le  21  août  1792 
pitaine  dans  le  premier  hataiilon  franc,  avec 
piel  ii  fit  la  campagne  du  nord.  Il  passa  peu 
rès  à  l'armée  de  Sambre  et  Meuse,  puisa  Tar- 
ée d'Italie.  Après  avoir  assisté  à  la  prise  de  Fri- 
>urg  (Suisse)  (2  mars  1 798),  il  rejoignit  Texpédi- 
»n d'Orient.  Son  nom  fut  honorablement  cité  à  la 
ise  d'Alexaud.  ie,  au  siège  de  Saint-Jean-d'Acre, 
i  combat  de  Nazareth,  et  la  part  qu'il  prit  à  la 
'îfaite  des  Turcs  au  Boghar  de  Lesbeh  (1er  no- 
mbre 1799)  le  fit  nommer  chef  de  brigade  (colo- 
kl)le  même  jour.  A  Austerlitzilfit,  à  la  tête  d'un 
giment  de  grenadiers,  mettre  bas  les  armes  à 
1  corps  de  huit  mille  hommes,  et  fut  nommé 
inéral  de  brigade  (24  décembre  1805).  Il  servit 
iras  le  maréchal  Lefebvre  pendant  le  siège  de 
/anlzig,  et  seconda  avec  succès  ses  opérations, 
uis  il  porta  les  armes  en  Espagne  et  en  Aile- 
lagne,  et  fut  grièvement  blessé  à  1  assaut  de  Ra- 
sbonne.  Employé  à  l'intérieur,  il  fut  mis  par  la 
remière  restauration  à  la  retraite,  avec  le  titre 
e  lieutenant  généra!  honoraire.  Dans  les  cent- 
»nrs  il  reçut  ce  grade  effectif,  qui  ne  fut  pas  i  e- 
jnnu,  et  rentra  dans  l'obscurité.  Il  était  depuis 
808  baron  de  l'empire. 
Fastes  de  la  Ijeuion  d'honneur,  t.  UI. 
I  Jschramm  (  Jean- Paul- Adam,  baron,  puis 
bmte),  général,  fils  du  précédent,  né  à  Arras,  le 
■•"  décembre  1789.  Entré  au   service  en  1804, 
omme  sous- lieutenant  d'infanterie    légère,   il 
>assa  en  1805  dans  les  grenadiers,  et  se  signala 
Werlingen,oùil  s'empara  d'une  pièce  de  canon, 
t  à  Hollabriinn ,  où  il  lit  un  officier  russe  pri- 
onnier,  faits  d'armes  qui  lui  méritèrent  la  croix 
l'honneur  (14  mars  1806).  Aide  de  camp  de  son 
•ère,  il  prit  part  au  siège  de  Dantzig;  un  acte 
le  courage  le  fit  entrer  dans  la  garde  avec  le 
;raile  de  capitaine  1 1807).  En  Espagne,  il  se  dis 
!ingua  à  la  prise  de  Madrid,  puis  à  Essling  et  à 


—  SCHRKVEL  590 

Wagram.  Renvoyé  à  la  fin  de  1809  en  Espagne, 
il  combattit  jusqu'en  1812  dans  les  provinces  du 
nord,  et  mit  en  déroute  avec  cent  hommes  deux 
mille  partisans.  A  Lutzen,  sous  le  feu  d'une  nom- 
breuse mousqueterie,  il  enleva,  au  pas  de  charge 
et  à  la  baïonnette,  les  retranchements  prussiens, 
ce  qui  décida  le  gain  de  la  bataille;  ce  coup  hardi 
lui  mérita  le  litre  de  baron  de  l'empire.  Deux 
blessures  au  bras  et  à  la  poitrine  firent  craindre 
pour  sa  vie;  cependant,  bien  que  dans  le  plus 
grand  état  de  faiblesse,  il  suivit  les  mouvements 
de  la  jeune  garde,  et  ne  déploya  pas  moins  de 
courage  dans  la  première  journée  de  la  bataille 
de  Dresde.  Napoléon  le  nomma  général  de  bri- 
gade (26  septembre  1813);  il  n'avait  pas  vingt- 
quatre  ans.  Attaché  au  corps  d'armée  de  Gou- 
vion-Saint-Cyr,  il  fut  obligé,  par  suite  d'une 
capitulation  violée  par  1  ennemi ,  de  se  rendre 
comme  prisonnier  de  guerre  en  Hongrie.  Rentré 
en  France  le  1er  juillet  1814,  il  commanda  dans 
les  cent-jours  le  département  de  Maine  et-Loire, 
puis  il  vécut  de  1816  à  1828  dans  la  retraite,  et 
rentra  en  activité  à  cette  dernière  date.  Appelé 
le  10  août  1830  au  commandement  du  Bas-Rhin, 
il  prit  sous  ses  ordres,  le  31  décembre  1831,  une 
brigade  de  ia  garnison  de  Paris.  Dans  l'exercice 
de  ces  fonctions,  il  contribua  dans  les  journées 
des  5  et  6  juin  au  rétablissement  de  l'ordre,  ce 
qui  leiit  nommer  lieutenant  général  (30  septembre 
1832).  Pendant  le  siège  d'Anvers,  aux  premières 
opérations  duquel  il  prit  une  part  active  (1832), 
il  fut  placé  à  la  tète  de  la  réserve  de  l'armée 
du  nord,  et  fut  ensuite  envoyé  à  Lyon  contre 
les  insurgés  de  cette  ville  (12  avril  1834).  En- 
voyé en  Algérie  (1840),  il  lit,  comme  chef 
d'état-major  général,  l'expédition  de  Milianah, 
et  fut  blessé  d'un  coup  de  feu  à  l'assaut  du  col 
de  Mouzaïah.  Du  19  janvier  au  mois  de  mars 
1841,  il  remplit  par  intérim  les  fonctions  dégé- 
nérai en  chef  et  de  gouverneur  général  de  l'Al- 
gérie. A  son  retour  le  roi  lui  conféra  le  titre  de 
comte  (1841).  Aux  fonctions  militaires,  Schramm 
ajouia  des  fonctions  politiques  et  des  services 
importants  dans  l 'administration.  Conseiller 
d'Etat,  député  de  Weissembourg  (1834),  inspec- 
teur général  d'infanterie,  directeur  général  du 
personnel  et  des  opérations  militaires  au  minis- 
tère de  la  guerre  (1834  à  1837),  par  de  France 
(7  mars  18  :9),  il  présida  en  outre  diverses  com- 
missions,  notamment  celle  qui  a  préparé  l'or- 
donnance du  10  mai  1844  sur  l'administration  des 
Corps  de  troupes.  Il  se  tenait  à  l'écart  des  affaires 
lorsque  le  22  octobre  1850,  Louis-Napoléon  lui 
confia  le  portefeuille  de  la  guerre,  dont  il  se  démit 
le  9  janvier  1 8 5 1 ,  pour  ne  pas  contresigner  la  ré- 
vocation du  général  Changai  nier.  Après  le  coup 
d'État,  il  a  été  nommé  sénateur  (26  janvier  1852). 

Brahaiit,  Notice,  à  la  tète  de  l'album  de  manœuvre* 
d' infanterie,  185*.  —  Le  Sénat  de  l'empire.  —  Sarrut 
et  Saint-Ediue,  Bioyr.  des  hommes  du  jour. 

sr.iiKEVEL  (T/iierri  ),  en  latin  Sclirevelkts, 
humaniste  hollandais,  né  en  1572,  à  Harlem,,. 


591  SCHREVEL  - 

où  il  est  mort,  vers  1654.  L'un  des  meilleurs 
élèves  du  docte  Schonseus,  il  lui  succéda  en 
1600  dans  la  direction  du  collège  de  Harlem, 
d'où  il  passa  en  1625  au  rectorat  du  collège  de 
Leyde;  en  1642  il  résigna  cet  emploi,  et  se  mit 
à  étudier  les  annales  de  son  pays  natal.  On  con- 
naît de  lui  :  Alexicacon,  sive  de  patientia 
lib.  IV;  Leyde,  1623,  in-18;  —  Palxmon, 
sive  diatriba:  scholasticx  ;  ibid.,  1626,  in-12; 
—  Earlemum;  ibid.,  1647,  in-4°  ■.  il  y  a  de 
cette  histoire  de  Harlem  une  version  hollandaise 
faite  par  l'auteur;  Harlem,  1648,  in-4°. 

Schrevel  (Corneille),  ouSchrevelius,  gram- 
mairien, fils  du  précédent,  né  en  1615,  à  Har- 
lem, mort  le  11  septembre  1664,  à  Leyde.  Il  y 
a  tout  lieu  de  croire  qu'il  compta  son  père  pour 
principal  maître  ;  on  ne  sait  s'il  étudia  en  méde- 
cine, mais  il  est  certain  qu'il  fut  honoré  du 
grade  de  docteur  en  cette  faculté.  En  1642  il 
remplaça  son  père  à  la  tête  du  collège  de  Leyde. 
«  C'était,  au  jugement  de  Paquot,  un  homme 
fort  laborieux,  mais  d'assez  petit  jugement.  » 
On  a  de  lui  :  Lexicon  manuale  grsccolati- 
num  et  latino-grsecum  ;  Leyde,  1654,  1657, 
1664,  in-8°  ;  on  en  cite  après  la  mort  de  l'au- 
teur plus  de  vingt  éditions,  dont  celles  d'Ams- 
terdam, 1710,  et  de  Paris,  1752,  in-8°,  sont  les 
plus  complètes  :  cette  compilation  a  été  d'une 
grande  utilité,  ce  qu'atteste  le  long  succès  qui 
l'a  accueilli;  mais  on  lui  a  reproché  avec  jus- 
tesse de  se  borner  à  un  choix  de  mots  arbi- 
traire, de  n'en  avoir  pas  suffisamment  expliqué  la 
valeur,  et  d'avoir  adopté  beaucoup  d'étymolo- 
gies  futiles.  Schrevelius  s'est  employé  plus 
qu'aucun  autre  aux  éditions  d'auteurs  classi- 
ques dites  variorum,  éditions  fort  belles  pour 
la  correction,  le  papier  et  le  caractère,  mais 
dont  les  notes  manquent  de  goût  et  de  discer- 
nement; il  a  donné  Juvénal  (1648),  Hésiode 
(1650),  Térence  (  1651  ),  Virgile  (1652),  Ho- 
race (1653),  Homère  (1656,  2  vol.  in-4°  ), 
Martial  (  1656),  Lucain  (1658,),  Quinte-Curce 
(  1658  ),  Justin  (  1659  ),  Cicéron  (  1661,  2  vol. 
în-4°),  Ovide  (1662,  3  vol.),  Claudien  (  1665), 
le  Lexique    d'Hesychius    (  1668  ,  in-4°),  etc. 

l'aquot,  Mérnoirei,  XVI. 
SCHREVELUTS.    FoiJ.  SCHREVEL. 

schrœckh  (Jean-Matthias),  historien  alle- 
mand, né  à  Vienne,  le  26  juillet  1733,  mort  à 
Wittemberg,  le  2  août  1808.  Fils  d'un  négo- 
ciant, il  étudia  les  belles-lettres,  la  théologie  et 
l'histoire  à  Gœttingue  et  à  Leipzig,  où  il  avait 
été  attiré  par  son  oncle  maternel  M.  Bel,  le  ré- 
dacteur en  chef  des  Acta  eruditorum  et  des 
Leipziger  gelehrte  Zeitungen.  Pendant  plu- 
sieurs années  il  eut  à  fournir  régulièrement 
pour  ces  deux  recueils  des  comptes-rendus  d'ou- 
vrages nouveaux.  Après  avoir  fait  depuis  1754 
des  cours  libres  à  l'université  de  Leipzig,  où  il 
fut  nommé  en  1762  professeur  adjoint,  il  obtint, 
en  ! 767,  la  chaire  de  poésie  à  Wittemberg,  et 
en  1775  celle  d'histoire.  Plein  d'amour  pour  la 


SCHRYVER  59 

vérité  et  possédant  une  érudition  suffisante,  il 
écrit,  dans  un  style  clair  et  facile,  plusieurs  ou 
vrages  d'histoire,  qui  ont  eu  un  grand  succè 
dans  l'Allemagne  protestante.  On  a  de  lui  :  Lt 
bensbeschreibungen  beruhmter  Mœnner  (Vif 
d'hommes  célèbres)  ;  Leipzig,  1764-1769,  3  vo 
in-8°;  une  édition  refondue  parut  sous  le  titi 
de  Vies  de  savants  célèbres  ;  Leipzig,  179( 
2  vol.  in-8°;  — Allgemeine  Biographie  (Bit 
graphie  universelle  )  ;  Berlin,  1767-1791,  8  vo 
in-8°;  ce  recueil,  dont  plusieurs  volumes  ei 
rent  une  seconde  édition,  contient  les  vies  ( 
quinze  princes  et  autres  grands  personnages  i 
l'antiquité  et  des  temps  modernes  ainsi  qi 
celles  de  Chr.  Thomasius  et  de  Spener;  • 
Christliche  Kirchengeschichte  (Histoire  «iel'J 
glise  chrétienne);  Leipzig,  1768-1803,  35  vo 
in-8°  ;  les  t.  1  à  XI  de  cet  ouvrage,  qui  a  perc 
beaucoup  de  sa  valeur,  ont  été  réimpr.  de  17' 
à  1794.  Comme  suite  à  son  travail,  Schrœcl 
publia  sa  Christliche  Kirchengeschichte  si 
der  Reformation  (Histoire  de  l'Église  chr 
tienne  depuis  la  Réforme)  ;  Leipzig,  1804  181 
10  vol.  in-8°  ;  les  deux  derniers  tomes  sont 
Tzschirner,  qui  dans  le  Xe  a  donné  une  Vie  i 
Schrœckh,  remplie  de  détails  intéressants; 
Historia  religionis  et  ecclesiaz  christiar, 
adumbrata  ;  Berlin,  1777,  in-8°;  ce  manuel 
été  encore  impr.  six  fois,  la  dernière  en  183 
—  Allgemeine  Wel/geschichte  fur  Kind 
(  Histoire  universelle  à  l'usage  de  la  jeunesse 
Leipzig,  1779-1784,  4  vol.  in-8°,  réimp.  s^ 
ment  à  plusieurs  reprises,  et  trad.  en  franc; 
(Leipzig,  1784-1791,  6  vol.  in-8°)  :  c'était 
meilleur  résumé  de  l'histoire  naturelle  qui  e 
encore,  paru  en  Allemagne. 

Pœliti,  Le.ben  Schrœckhs  ;  Wittemberg,  1808,  in-S°.' 
Tzschirner,  Schrœckhs  Leben  ;  Leipzig,  1812,  in-$* 

scHRYVEit  (Corneille),  surnommé  Gr. 
pheus,  poète  latin,  né  vers  1482,  à  Alost  (  Fia 
dre),  mort  le  19  décembre  1558,  à  Anvers, 
s'était  rendu  habile  dans  les  poésies  et  la  rfe 
torique,  et  tenait  probablement  école  publiq 
lorsque  la  régence  d'Anvers  lui  accorda,  en  153 
l'emploi  de  greffier  ou  secrétaire  de  la  ville; 
continua  pourtant  de  s'appliquer  avec  succès 
la  musique  et  aux  belles-lettres,  qui  furent  s 
délassement  favori.  Il  se  laissa  surprendre  a 
réformes  prêchées  par  Luther;  mais  la  chd 
étant  connue,  il  fut  obligé  à  un  désaveu  pnbH 
ce  qu'il  fit  le  6  mai  1522,  en  montant  sun 
jubé  de  Notre-Dame ,  en  présence  d'un  gra 
concours  d'assistants.  Ses  principaux  écr< 
sont:  Ex  Terentii  comcediis  Jlosculi  ;  Par 
1533,  in-12;  —  Monstrum  anabaptislicuiv 
carmen;  Anvers,  1535,  in-12;  —  Sacra  bui> 
lica;  ibid.,  1536,  in-12; —  Enchiridionp.ru 
cipis  ac  magistratus  christiani  ;  Cologn> 
1541,  in-4°  :  composé  avec  Pierre  Gilles; 
Spectaculorum  in  susceptione  Philippi  a 
paratus,  etc.  ;  Anvers,  1550,  in-fol.  :  la  d( 
cription  de  cette  entrée  solennelle  de  Finit 


93  SCHRYVER  • 

hilippe  à  Anvers  en  1549  fut  en  même  temps 
Mbliéeen  français  et  flamand  avec  des  vignettes 
n  bois  ;  —  une  édition  abrégée  de  VHistoria  de 
.éfltibus  septenlrionalibus  d'Olaus  Magnus  ; 
3Îd.,  1562,  in-12,fig.,  et  aussi  en  flamand. 
I  Schryver  {Alexandre  ) ,  ou  Graphens,  fils 
u  précédent,  fut  aussi  greffier  d'Anvers,  et  cul- 
tiva la  poésie  latine.  [1  y  a  un  -poème  de  sa  fa- 
on à  la  tête  des  Civitates  orbis  terrarum  de 
|i.  Bruin  (  Cologne,  1572,  in-fol.). 
Valère  André,  Biblioth.  belgica.  —  Niceron.  Mémoires, 

Ll 

schryver  (Pierre),  en  latin  Scriverius 
loëte  et  philologue  hollandais,  né  le  12  janvier 
J 576 ,  à  Harlem,  mort  le  30  avril  1660,  à 
jeyde.  11  appartenait  à  une  famille  aisée,  qui 
ii  imposa  l'étude  de  la  jurisprudence,  afin  de 
li  ouvrir  la  carrière  des  emplois  publics.  11 
fréquenta  par  obéissance  les  cours  de  l'aca- 
témie  de  Leyde ,  mais  dès  qu'il  fut  maître  de  ses 
lîtions,  il  renonça  au  barreau ,  qui  lui  ins- 
lirait  une  répugnance  invincible,  et  se  mit  à 
pltiver  la  littérature  latine,  dont  il  avait  puisé 
l  goût  dans  les  leçons  du  poète  Schoon,  son 
Iremier  maître.  Ses  ouvrages  le  firent  bientôt 
I  innaître,  ainsi  que  les  éditions  d'auteurs  clas- 
siques dont  il  surveilla  l'impression,  et  il  prit  un 
lang  distingué  parmi  les  nombreux  érudits  de 
on  pays.  Le  séjour  de  Leyde  lui  paraissant 
treférable  à  celui  de  Harlem,  il  s'établit  dans 
Otte  ville,  et,  sans  avoir  de  titre  ni  d'emploi, 
L  y  jouit  de  cette  considération  particulière  qui 
l'attache  plutôt  aux  dons  de  l'intelligence 
iu'aux  biens  de  la  fortune.  Sans  autre  ambition 
lue  celle  de  l'étude,  il  avait  choisi  pour  devise  : 
\xgendo  et  scribendo;  il  avait  noué  avec  les 
Principaux  lettrés  un  commerce  d'amitié;  il 
' pur  ouvrait  sa  maison  et  les  aidait  de  ses  con- 
teils  ou  de  sa  bourse.  Bien  qu'étranger  à  l'uni- 
Jersité,  il  suivait  souvent  les  cours  comme  un 
ieune  homme  et  se  faisait  un  plaisir  de  suppléer 
(tas  professeurs.  Doué  d'une  constitution  vi- 
goureuse, il  parvint  à  une  vieillesse  avancée,  et 
|a  cécité  dont  il  fut  affligé  pendant  les  douze  ou 
Buinze  dernières  années  de  sa  vie  ne  Tempe- 
(ha  point  de  poursuivre  ses  recherches  habi- 
tuelles et  surtout  de  cultiver,  comme  il  l'avait 
jjoujours  fait,  les  muses  latines.  Ami  des  libertés 
|j,e  son  pays,  Scriverius  partagea  les  persécu- 
tons qui  atteignirent  ses  amis  Barneveldt,  Gro- 
1U8  et  Hogerbeets,  et  fut,  pour  quelques  vers 
j  la  louange  de  ce  dernier,  condamné  à  200  flo- 
fins  d'amende.  On  a  de  lui  :  Des  anciens  Ba- 
pves  (en  hollandais  );  Leyde,  1606,  in-8°  :  il 
I  publié  ce  livre  sous  le  nom  de  Saxo  Gramma- 
|^cus; —  Batavia  illustrata  :  ibid. ,  1609, 
|i-4°  :  ce  recueil  des  anciens  historiens  de  la 
hollande  a  été  réimprimé  en  1611,  sous  ce  titre  : 
mferioris  Germanise  provinciarum  unita- 
«im  antiquitates,  avec  des  additions  ;  —  An- 
quitatum  Batavicarum  tabularium,  in- 
l'riptiones  monumentaque  antiqua  reprx- 


SCHUBART  594 

sentons  omnia;  ibid.,  1609,  in-4°;  —  Mânes 
Erpcniani,  cum  epicediis  variorum  ;  ibid., 
1625,  in-4°;  —  Saturnalia ,  sive  de  usu  et 
abusu  tabaci;  Harlem,  1628,  in-8°; —  Enco- 
mium  L.  Coster,primi  inventons  arlis  typo- 
graphies (en  hollandais  );  ibid.,  1628,  in-4° , 
et  dans  les  Monum.  typogr.  de  Wolf  ;  — Do- 
minici  Baudii  amores  ;  ibid.,  1638,  in-8"  : 
collection  de  différentes  pièces  écrites,  à  l'ex- 
ception d'une  demi-douzaine,  pour  dénigrer  ou 
railler  Baudius;  —  Principes  Hollandix  et 
Westfrisix,  ab  anno  863  usque  ad  ultimum 
Philippum  Hispanix  regem  ;  ibid.,  1650,  gr. 
in-fol.,  portr.,  rare  :  on  en  a  extrait  en  partie 
une  Histoire  (  française  )  des  comtes  de  Hol- 
lande ;  La  Haye,  1684,  in-12  ;  —  Commenta- 
riolus  de  statu  confederatarum  Belgii  pro- 
vinciarum; La  Haye,  1 650, 1 657,  in- 1 2  ;  —  Chro  ■ 
nicon  Hollandix,  Zelandix,  Frisixet  Ultra- 
jecti  (en  hollandais);  Amsterdam,  1663,  in-4°. 
Enfin  on  doit  aux  soins  de  Westerhuis  les  Opéra 
anecdota,  philologica  et  poetica;  Utrecht, 
1738,  in-4°  :  recueil  où  Burman  trouve  bien 
du  mélange.  Comme  philologue,  Scriverius  a  an- 
noté Martial  et  Ausone,  et  il  a  publié  de  bonnes 
éditions,  reproduites  plusieurs  fois,  de  Végèce 
(Leyde,  1607,  in-4°),  des  poésies  de  J.  Douza 
(  1609),  de  Jos.  Scaliger  (1615),  et  de  Jean 
Second  (  1619  ),  de  Martial  (  1619),  de  Sénèque 
le  tragique  (  1620),  et  des  Veteres  tragici 
d'Apulée  (  1629)  et  des  Lettres  choisies  d'É- 
rasme (1649).  II  est  le  premier  qui  ait  avancé 
que  Phèdre  n'était  pas  l'auteur  des  fables  qui 
portent  son  nom. 

Frehcr,  T/ieatrum.  —  Peerlkarop,  Fita  Belgarum.  — 
J.-H.  Hœufft,  Parnassus  latino-belgicus. 

schcbart  de  kleefeld  (Jean-Chré- 
tien ),  agronome  allemand,  né  le  24  février  1734, 
à  Zeitz,  sur  l'Elster  (  Prusse),  mort  le  24  avril 
1787,  à  Saalfeld  Cobourg.  Avant  de  s'occuper 
d'agriculture,  il  se  consacra  au  développement 
de  la  franc-maçonnerie  en  Allemagne.  Étant 
maître  d'hôtel  de  l'ambassadeur  de  Saxe  près  la 
cour  de  Vienne,  il  se  lia  intimement  avec  le  ba- 
ron de  Hundt ,  conseiller  impérial,  et  tous  deux 
ensemble  visitèrent  un  grand  nombre  des  loges 
de  l'Autriche,  de  la  Saxe  et  de  la  Prusse,  dans 
le  but  de  les  réorganiser  conformément  au  sys- 
tème de  la  stricte  observance.  Pendant  la  guerre 
de  Sept  ans,  il  fut  commissaire  des  guerres 
dans  l'armée  du  Hanovre,  et  devint  ensuite 
conseiller  auiique  dans  la  Hesse  Darmstadt.  Il 
s'adonna  alors  à  l'étude  et  à  la  pratique  de  la 
science  agricole.  11  proposa  et  essaya  des  ré- 
formes très-utiles,  améliora  la  culture  de  la 
gaude,  de  la  betterave  et  du  tabac,  et  recom- 
manda surtout,  ce  que  recommandent  encore 
aujourd'hui  les  plus  habiles  agronomes,  de  faire 
le  plus  de  fourrages  possible,  afin  de  nourrir  un 
grand  nombre  de  bestiaux  et  d'obtenir  ainsi  une 
grande  quantité  d'engrais.  De  tous  les  fourrages, 
c'est  le  trèfle  qu'il  préférait,  comme  amendant 


595 


SCHUBART 


le  sol  en  même  temps  qu'il  donne  un  excellent 
pâturage  Bien  que  ses  conseils  tussent  généra- 
lement mal  compris,  il  acquit,  de  son  vivant 
même,  une  assez  grande  réputation,  et  l'Aca- 
démie de  Berlin  lui  donna,  en  1782,  un  prix 
pour  un  Mémoire  sur  la  culture  des  plantes 
fourragères.  Mais  ce  n'est  que  depuis  sa  mort, 
et  principalement  de  notre  temps,  que  l'on  a 
estimé  à  leur  juste  valeur  les  idées  de  Schubart. 
Il  mourut  conseiller  intime  de  Saalfeld-Cobourg. 
On  a  publié  de  lui  :  Écrits  d'économie  rurale 
et  publique;  Leipzig,  1786,  6  vol.  in-8°;  — 
Correspondance  économique;  ibid.,  1786, 
4  cah.  in-8°,  fig. 

Rockstron,  J.-C.  Schubart  von  Kleefeld;  Dresde;  1846, 
in  8°.  —Bibliotli.  allemande  universelle,  t.  CXI1I,  p.  537. 

Schubert  (  Franz  ) ,  compositeur  allemand, 
né  le  31  janvier  1797,  à  Vienne,  où  il  est  mort, 
le  19  novembre  1828.  Il  était  fils  d'un  maître  d'é- 
cole, qui  lui  enseigna  les  premiers  éléments  de 
la  musique;  il  fut  admis  à  onze  ans,  comme 
enfant  de  chœur,  dans  la  chapelle  impériale,  où 
il  se  fit  remarquer  par  la  beauté  de  sa  voix.  Il 
se  livra  en  même  temps  à  l'étude  du  piano  et 
s'exerça  à  jouer  de  plusieurs  instruments  à 
corder.  Son  intelligence  musicale  était  telle  qu'à 
quatorze  ans  on  lui  confiait  la  partie  de  premier 
violon  dans  les  répétitions  d'orchestre.  Nature 
douce  et  rêveuse,  la  musique  seule  parvenait  à 
le  distraire  de  sa  mélancolie  habituelle  ;  ses  mo- 
ments les  pins  heureux  étaient  ceux  qu'il  pas- 
sait au  milieu  de  sa  famille,  dont  tous  les  membres, 
également  passionnés  pour  cet  art,  se  réunis- 
saient souvent  le  soir  pour  exécuter  quelques 
quatuors  de  Haydn,  de  Mozart  ou  de  Beethoven. 
Ruziczka,  organiste  de  la  cour,  et  Salieri,  se- 
condèrent ses  heureuses  dispositions ,  le  pre- 
mier en  lui  apprenant  l'harmonie,  le  second  en 
lui  enseignant  l'art  du  chant  et  de  la  composition. 
L'époque  de  la  mue  étant  arrivée,  il  perdit  sa 
voix  de  soprano,  et  fut  obligé  de  quitter  la  cha- 
pelle impériale.  Livré  à  lui  même,  il  continua 
seul  ses  études  musicales ,  et  chercha  à  se  créer 
des  ressources  en  donnant  des  leçons.  Schubert 
mena  à  Vienne,  où  il  est  presque  constamment 
resté,  une  existence  obscure  et  retirée.  Toute 
l'histoire  de  sa  vie  se  trouve  dans  ses  ouvrages, 
dont  le  nombre  atteste  une  prodigieuse  fécon- 
dité. Il  s'est  exercé  dans  tous  les  genres,  et  y  a 
fait  preuve  d'un  remarquable  talent;  mais  c'est 
surtout  dans  ses  ballades  que  son  génie  s'est  ré- 
vélé: l'Ave  Maria ,  les  Astres ,  la  Berceuse,  le 
Roi  des  Aulnes,  la  Sérénade,  la  Religieuse, 
le  Départ,  et  plusieurs  autres,  sont  devenues  cé- 
lèbres. Sous  son  souille  inspirateur,chacunedeces 
petites  pièces  devient  un  drame  où  la  nouveauté 
de  la  mélodie ,  la  justesse  de  l'expression,  les  dé- 
tails de  l'accompagnement  s'unissent  pour  former 
un  ensemble  parfait.  Créateur  en  ce  genre,  Schu- 
bert a  eu  beaucoup  d'imitateurs,  mais  point  de 
rivaux.  Ses  compositions  instrumentales  con- 
tiennent de  belles  pages,  entre  autres  un  quin- 


SCHULTENS  59; 

tette  et  un  trio  pour  piano  qui  sont  très-asti 
mes,  mais  elles  ne  portent  pas  le  cachet  m 
création  qui  distingue  ses  pièces  de  chant  sépa 
rées.  Il  en  est  de  même  de  sa  musique  religieuse 
à  laquelle  on  pourrait  d'ailleurs  reprocher  de  m 
pas  avoir  assez  le  caractère  qui  convient  à  l'é 
glise.  Il  a  travaillé  aussi  pour  le  théâtre,  mai 
ses  opéras  y  ont  obtenu  peu  de  succès.  Schuber 
s'éteignit  à  Vienne  ,  le  19  novembre  1828,  à  1, 
suite  d'une  maladie  de  langueur;  il  n'avait  p 
encore  atteint  sa  trente  deuxième  année 
connu  pour  ainsi  dire  pendant  sa  vie,  ileutap 
sa  mort  d'ardents  admirateurs.  .Ses  balla 
furent  redites  d'un  bout  de  l'Europe  à  l'autre 
ces  charmantes  productions,  dont  le  pauvre 
tiste  avait  à  peine  tiré  quelque  profil,  devinrei 
un  élément  de  fortune  pour  les  éditeurs 

Son  frère  aîné,  Ferdinand  Schube-kt  ,  né 
Vienne,  le  18  octobre  1794,  et  professeur  à 
cole  normale  de  cette  ville,  s'est  fait  une  réput 
tion  comme  organiste.  Op.  a  de  lui  plusieu 
compositions  pour  l'église,  notamment  un 
quïem  à  la  mémoire  de  son  frère  Franco 
Schubert.  D.  Denise-Baron 

Fetis,  Biographie  univ.  des  musiciens.    —  Bévue 
Gazette  musicale,  de  Paris.  —  Hormayr,  Archiv.,  18! 

sckui.eb.  Voy.  Sabincs, 

schitltkks  (Albert),  orientaliste  hollà 
dais,  né  en  1686,  à  Groningue,  mort  le  26  ja 
vier  1750,  à  Leyde.  Destiné  au  ministère  3m 
gélique ,  il  y  fut  appelé  en  1708,  prit  en  1709 
degrés  en  théologie,  et  devint  en  1711  paste 
de  l'église  de  Wassenaer;  mais  sa  vocation 
portait  vers  la  carrière  de  l'enseignement,  qi 
devait  parcourir  avec  éclat.  De  bonne  heure, 
s'était  appliqué  avec  une  sorte  de  passion  ai 
idiomes  de  l'Orient;  au  lieu  de  s'en  tenir  art 
breu,  que  l'on  croyait  alors  la  seule  langue 
cessaire  à  l'étude  de  la  théologie,  il  apprit  1' 
rabe  avec  l'unique  secours  de  la  grammai 
d'Erpenius  ;  puis  il  suivit  à  Leyde  les  leçons,:*» 
professeurs  les  plus  en  renom,  et  se  rendi1 
Utrecht  pour  soumettre  ses  Remarques  sur, 


l'i 


' 


livre  de  Job  à  Ryland ,  qui  voulut  s'en  fa 
l'éditeur  (1).  En  1713  il  renonça  à  sa  cure  p( 
accepter  la  chaire  des  langues  orientales  à  Fi 
neker,  et  il  s'efforça  de  ruiner  le  système 
Gousset,  qui  prévalait  alors  dans  les  acadérw 
protestantes  et  d'après  lequel  l'hébreu  étant  i 
langue  toute  divine,  il  ne  fallait  pas  en  éclair 
les  difficultés  à  l'aide  de  dialectes  purement! 
mains.  C'est  pour  combattre  ce  paradoxe  ( 
Schultens  composa  son  traité  des  Origines  I 
brese.  Celte  lutte  avec  Gousset  remontait  d 
loin  puisqu'à  l'âge  de  dix-huit  ans  il  avait  souk 
publiquement  contre  lui  que  l'élude  de  l'arc 
était  indispensable  pour  la  connaissance  compl 
de  l'hébreu.  Appelé  en  1729  à  Leyde,  il  y 
d'abord  la  direction  du  séminaire  de  théolo 

(!)  Il  le  publia  en  1703  ( Utrecht.  in-S0;,  et  Herosterh 
en  lit  autant  en  1709  (Amst,  in-5°),  pour  les O'oser 
lions  sur  l'Ancien  Testament,  autre  écrit  de  Schullen 


97  SCHllLTKNS 

Vec  !a  garde  des  manuscrits  orientaux  de  la  bi- 
iliothèque,  et  après  y  avoir  enseigné  pendant 
rois  ans  sans  titre  et  sans  appointements,  il  fut 
iourvu  d'une  chaire  d'arabe  créée  en  sa  faveur. 
)évone  à  ses  élèves,  il  s'occupa  de  faciliter  leurs 
rogrès,  et  fut  douloureusement  affecté,  dans  ses 
Ornières  années,  par  les  critiques  sans  mesure 
e  Reiske,  celui  qui  avait  reçu  de  lui  le  plus  de 
émoignages  d'affection.  Schultens  possédait  une 
rudilion  profonde  et  variée;  mais  de  Sacy  lui  a 
eoroclié  de  n'avoir  pas  exactement  rendu  les 
lées  des  écrivains  orientaux  et  d'avoir  dépassé 
ans  ses  observations  le  but  d'une  sage  cri- 
que. On  a  de  lui  :  Origines  hebraese,  ex  Arabise 
ieaetralibus  r evoca tse;  Franeker,  1724-1738, 
'  vol.  in-4"  :  cet  ouvrage  fut  vivement  attaqué 
|ar  les  disciples  de  Gousset;  —  Le  défections 
odiernae  linguse  hebraese;  ibid.,  1731,  in-4°; 
Ëimpr.  avec  le  traité  qui  précède,  Leyde,  1761, 
'  vol.  in-4";  —  lnstitutiones  ad  fundamenta 
"igtt.T.  hebraicse;  Leyde,  1737,  1756,  in-4°;  — 
,omm.  in  lib.  Job,  cum  versione;  ibid.,  1737, 
'  vol.  in-4°  :  la  version  de  Schultens  a  été  mise 
il  français,  ibid. ,1748,  in-4°j  —  Excursus  lit, 
ontinentes  stricturas  ad  dissertationem 
listoricam  de  lingua  piimoeva;  ibid.,  1739, 
,1-4"  :  c'est  un  ensemble  de  nouvelles  preu- 
es  à  l'appui  de  son  opinion  que  ia  langue  pri- 
mitive avait  dû  s'altérer  après  la  dispersion 
'es  races;  —  Monument  a  vetustiora  Arabise; 
jid..  1740,  in-4°  :  choix  de  poésies  arabes  dont 
ehultens  a  le  tort  de  faire  remonter  l'origine 
'jsqu'à  Salomon  et  à  Moïse;  —  Proverbia  Sa- 
pmonis,  cum  versione  et  commentario  ;  ibid  , 
'748,  in-4°  ;  la  version  a  été  mise  en  français 
'ibid.,  1752,  in-4°),  et  le  commentaire  abrégé 
|ar  Voge!  (Halle,  1769,  in-8°);  —  Opéra  mi- 
lora  ;  ibid.,  1769,  in-4u  :  recueil  qui  ne  contient 
|iie  des  opuscules  déjà  imprimés  ;  —  Sylloge 
msertatiojium  pfiilologico-exegelicarum; 
aid.,  1772-75,  2  vol.  in  4°  :  recueil  de  thèses 
outenues  sous  sa  présidence.  Schultens  a  en- 
are  édité  les  Rudiments,  puis  la  Grammaire 
irabe  (1733)  d'Erpenius;  il  a  prononcé  VOrai- 
oii  funèbre  de  Boerhaave,  son  ami,  et  il  a 
rad.  en  latin  les  Séances  d'Hariri  et  la  Vie  de 
laladin.  Outre  des  Commentaires  sur  la  Bi- 
lle, il  a  laissé  en  manuscrit  une  Grammaire 
iraméenne  et  un  Dictionnaire  hébreu. 
'  Vriemoet,  Élor/e,  dans  Athenxfrisiacee,  p. 762-771. 

SCHULTEXS  (Jean-Jacques),  orientaliste, 
ils  du  précédent,  né  en  1716,  à  Franeker,  mort 
n  1778,  à  Leyde.  11  eut  son  père  pour  maître 
lans  l'étude  des  langues  orientales,  et  lui  suc- 
céda, en  1750  dans  l'université  de  Leyde,  après 
ivoir  professé  depuis  1742  à  Herborn.  On  a  de 
ni  deux  harangues  latines  et  de  nouvelles  édi- 
ions  de  quelques  ouvrages  de  son  père. 

Schultens  (  Henri-Albert),  orientaliste,  fds 
lu  précédent,  né  le  15  février  1749,  à  Herborn, 
diort  le  12  août  1793,  à  Leyde.  Tout  jeune  il  lit 
le  la  philologie  son  occupation  principale,  et  y 


-  SCHULTING  598 

acquit  sous  les  professeurs  renommés  de  Leyde 
des  connaissances  très-étendues.  A  l'élude  du 
grec  et  du  latin  il  lit  succéder  celle  de  l'arabe, 
qui  lui  facilita  l'intelligence  de  l'hébreu  et  de  ses 
dérivés,  et  il  consacra  ses  loisirs  à  se  rendre 
familier  avec  les  littératures  anglaise,  française 
et  allemande.  11  avait  choisi  Éverard  Scheid 
pour  compagnons  de  ses  travaux.  Au  retour  d'un 
voyage  en  Angleterre,  où  l'université  d'Oxford 
lui  conféra  le  diplôme  de  maître  es  arts,  il  fut 
appelé  à  la  chaire  des  langues  orientales  à  Ams- 
terdam (1773),  puis  à  celle  que  son  aïeul  et  son 
père  avaient  si  dignement  occupée  à  Leyde  (dé- 
cembre 1778).  L'ardeur  qu'il  apporta  dans  la 
version  des  Proverbes  de  Meidani  dérangea  sa 
santé;  il  gagna  une  lièvre  lente,  qui  le  conduisit 
au  tombeau  à  quarante-quatre  ans.  On  a  de  lui  : 
Anthologiasententiarumarabicarum;  Leyde, 
1772,  in-4J  :  ce  recueil,  extrait  d'un  manu-crit  de 
la  bibliothèque  de  Leyde,  contient  285  sentences 
réunies  parZamaschari  au  douzième  siècle;  il  est 
accompagné  d'un  commentaire  et  d'une  traduc- 
tion latine;  —  Spécimen  proverbiorum  Mei- 
dani i  ;  Londres,  1773,  in-4°  :  c'est  une  partie  du 
travail  laissé  en  manuscrit  par  Pococke  ;  —  Le 
finibus  litterarum  orientalium  proferendis; 
Amst.,  1774,  in-4°  ;  —  De  studio  Bel  g  arum  in 
litteris  arabicis  excolendis ;  Leyde,  1 779 , 
in  4";  —  Pars  versionis  arabica;  libri  Colei- 
lah  wa  Dimnah,  sive  Fabularum  Bidpay ; 
ibid.,  1786,  in  4°  :  cette  édition  fourmille  de 
fautes;  —  De  ingenio  Arabum;  ibid.,  1788, 
in-4°;  —  Meidanii  proverbiorum  arabirorum 
pars,  lat.  cum  notis  ;  ibid.,  1795,  in-4°  :  l'au- 
teur avait  pris  l'engagement  de  donner  une  ver- 
sion complète  de  Meidani,  mais  il  n'a  pu  en  tra- 
duire que  le  dixième;  l'ouvrage,  peu  exact  du 
reste,  est  dû  aux  soins  de  Schneder.  On  a  en- 
core de  H.- A.  Schultens  des  iSoles  sur  la  Bibl. 
orient,  de  d'Herbelot,  des  articles  dans  la  Bibl. 
critica  de  Wyttenbach,  ,et  un  grand  nombre 
d'épîtres  littéraires  qui  n'ont  pis  été  réunies. 

J.  Kaiilcliier,  Éloue  de  H.- A.  Schultens  (en  hnll.); 
Amst.,  1794,  in-8°.  —  l.e  Magasin  encyclop.,  1797.  — 
W;ip:en:ier,  Séries  continuata  histor.  Batav.,  IIe  part., 

p.  36i-SR0. 

schitlting  (Corneille),  savant  ecclésias- 
tique hollandais,  né  vers  1540,  à  Steenwyck 
(Over-Yssel  ),  mort  le  23  avril  1604,  à  Cologne, 
Sa  famille  était  distinguée  et  ancienne.  Il  termina 
ses  études  à  Cologne,  où  sa  vie  s'écoida  presque 
entière.  Après  avoir  revêtu  l'habit  ecclésiastique, 
il  enseigna  pendant  vingt-cinq  ans  les  humanités 
et  la  philosophie  au  collège  Laurentianum,  et 
en  devint  ensuite  principal.  Il  avait  été  doyen 
de  la  faculté  des  arts  à  Cologne,  et  y  possédait 
un  canonicat,  à  la  cathédrale.  Dans  ses  nom- 
breux ouvrages,  il  a  fait  preuve  de  beaucoup  de 
savoir  et  de  lecture,  mais  on  y  souhaiterait  plus 
d'ordre  et  de  critique;  nous  citerons  les  sui- 
vants :  Confessio  hierontjmiann,  ex  omnibus 
B.  Hieronymi  operibus  collecta;  Cologne, 
1585,  in-l'ol.;  —   Bibliotheca   ecclesiastica, 


599 


SCELTJLTING 


seu  commentaria  sacra  de  expositione  et  il- 
lustratione  missalis  et  breviarii  ;  ibid.,  1599, 
4  vol.  in-fol.  :  les  cérémonies  de  l'Église  font  le 
principal  objet  de  ce  recueil  ;  si  l'auteur  n'a  pu 
s'y  dégager  entièrement  des  erreurs  populaires , 
il  a  saisi  la  vérité  en  beaucoup  de  choses ,  et  il 
fait  paraître  un  grand  fonds  de  bon  sens  et  d'é- 
rudition; prenant  à  partie  les  sectes  du  protes- 
tantisme, il  fait  de  curieuses  remarques  sur  plu- 
sieurs points  de  leur  liturgie;  —  Ecclesiasticse 
disciplinée  lib.  VI  de  canonica  et  monastica 
disciplina;  ibid.,  1599,  in-8°  ;  —  Thésaurus 
antiquitatum  ecclesiasticarum;  ibid.,  1601, 
7  vol.  in-12  :  recueil  tiré  en  grande  partie  des 
Annales  deBaronius;  —  Bibliotheca  catho- 
lica,  contra  theologiam  calvinianam  ;  ibid., 
1602,  2  vol.  in-4°;  —  Hierarchica  anacrisis, 
seu  animadversionumet variarum lectionum 
lib.  XVI,  advenus  calvinistas ;  ibid.,  1604, 
in-fol.  -.  on  y  trouve  une  liste  raisonnée  des 
synodes  et  des  colloques  où  les  protestants  ont 
figuré. 

Son  frère  aîné,  Conrad,  fut  député  des  états 
de  l'Over-Yssel  et  employé  dans  des  négocia- 
tions politiques  à  l'étranger. 

Sweert,  Athense  belgicse.  —  Le  Mire,  Script,  sxc.  XVII. 
—  Hartzheim,  Bïbl.  colon.  —  R.  Simon,  Biblioth.  cri- 
tique, II,  263-83.  —  Paquot,  Mémoires,  t.  xvui. 

schitltz  (Barthélemi),  en  latin  Scultetus, 
astronome  allemand,  né  en  1540,  à  Gœrlitz,  où  il 
est  mort,  le  21  juin  1614.  Après  avoir  fréquenté 
différentes  universités,  il  vint  faire  des  cours 
particuliers  à  Leipzig,  et  compta  Tycho  Brahé 
parmi  ses  élèves.  Appelé  en  1570  dans  sa  ville 
natale,  il  ne  la  quitta  plus  jusqu'à  sa  mort,  et  y 
remplit  pendant  seize  ans  le  modeste  emploi  de 
maître  d'arithmétique  et  de  sphère.  Sa  réputation, 
qui  s'était  répandue  au  loin,  lui  fit  confier  des 
fonctions  municipales,  comme  celles  de  juge, 
d'échevin,  d'administrateur  des  églises  et  de 
bourgmestre,  et  il  s'en  acquitta  avec  beaucoup 
de  sagesse,  mettant  partout  de  l'ordre  et  mainte- 
nant une  bonne  police.  A  différentes  reprises,  il 
fut  chargé  de  dresser  des  cartes  géographiques, 
et  l'on  a  conservé  les  planches  de  bois  sur  les- 
quelles il  les  avait  gravées;  on  cite  notamment 
celles  de  la  haute  Lusace  et  de  la  Misnie;  la  pre- 
mière, mise  au  jour  par  P.  Schenk,  à  Amsterdam, 
fut  reproduite  dans  le  Theatrum  d'Ortelius  et 
dans  les  Curiosités  de  Lusace  de  Grosser. 
Schultz  avait  aussi  des  connaissances  profondes 
en  astronomie,  et  il  en  donna  des  preuves  par  ses 
travaux  sur  le  calendrier;  mais  il  ne  sut  pas  s'af- 
franchir des  préjugés  de  son  temps,  et  mêla  à  ses 
savants  calculs  la  plupart  des  erreurs  de  l'astro- 
logie. Sa  renommée  lui  attira  un  grand  concours 
de  visiteurs,  et  des  plus  illustres;  Possevino, 
Peucer  et  Kepler  allèrent  l'entretenir;  le  pape 
Grégoire  XIII  le  consulta  pour  la  réforme  du 
calendrier,  et  l'empereur  Rodolphe  II  l'anoblit. 
D'après  l'ordre  de  ce  prince,  il  dressa  un  calen- 
drier réformé  (Gœrlitz,  1601,  7  feuilles  in-4°), 


—  SCHULZE  60 

qui  fut  mis  en  usage  dans  plusieurs  villes  de  l'Alk 
magne.  11  mourut  plus  que  septuagénaire,  et  I 
graver  sur  sa  tombe  l'épitaphe  suivante  :  Qui 
agam  requiris  ?  Tabesco.  Scire  quis  sim  cupis 
Fui  ut  es,  eris  ut  sum  Ses  ouvrages,  rnalgi 
leurs  titres  latins,  sont  écrits  la  plupart  en  ail* 
mand  ;  ce  sont  :  Jnventuris  non  obstant  h 
venta;  Gœrlitz,  1572,in-4°;  —  Gnomonice  c 
solariis;  ibid.,  1572,  in-fol., avec  84  fig.  en  bois 
trad.  en  hollandais;  Amst.,  1670,  in-4°  ;  —  Di 
scriptio  cometœ  anno  1577  apparentis ;  ibid 
l578,in-4°; —  Curriculum  humanitalis  Jes\ 
Chrïsti  in  terris,  conlinens  historiam  r 
demptionis,  Evangelium,  etc.;  ibid.,  158 
in-fol.;  Francfort-surJ'Oder,  1600,  in-4°.  Schul 
ne  paraît  pas  être  l'auteur  de  quelques  ouvrag 
qui  lui  ont  été  attribués;  mais  il  a  laissé  d 
Annales  manuscrites  de  sa  ville  natale. 

Nouveau  magasin  lusacien,  t.  III,  1824. 

schulze  (Jean-Henri),  médecin  et  phil 
logue  allemand,  né  le  12  mai  1687,  à  Colbi 
(Prusse),  mort  le  10  octobre  1744,  à  Hal 
Fils  d'un  pauvre  tailleur,  il  fut  élevé  par  1 
soins  du  pasteur  de  son  village,  Corvinus,  q 
lui  fit  obtenir  une  bourse  au  pœdagogium 
Halle,  puis  à  la  maison  des  orphelins.  Frank 
qui  dirigeait  le  premier  établissement,  ne  ces 
pendant  toute  sa  vie  de  le  combler  de  bienfai 
Après  avoir  étudié  à  l'université  la  médeci 
sous  Stahl,  les  antiquités  sous  Ceilarius,  et 
langues  orientales  sous  Michaelis,  Schulze 
depuis  1 708  instituteur  au  pœdagogium,  et  enl 
en  17 1 5  comme  secrétaire  chez  le  célèbre  méc 
cin  Fr.  Hoffmann.  Reçu  docteur  en  1717,  il 
la  permission  de  faire  des  cours  de  médecini 
l'université,  jusqu'à  ce  qu'il  fut  appelé  en  17 
comme  professeur  d'anatomie  à  Altdorf,  où 
fut  aussi  par  la  suite  chargé  d'enseigner  le  g! 
et  l'arabe.  En  1732  il  retourna  à  Halle,  où 
lui  offrait  la  chaire  d'éloquence  et  d'antiquité 
il  y  fut  en  même  temps  attaché  à  la  faculté 
médecine.  Schulze  possédait  des  connaissant 
aussi  étendues  que  variées  ;  il  avait  réuni  u 
collection  de  plusieurs  milliers  de  médaill» 
dont  le  catalogue  raisonné  fut  publié  par  Agi 
ther  sous  le  titre  de  Numophylacium  Sch; 
zianum  (Leipzig,  1746,  in-4°).  On  a  de  a 
De  athletis  veterum  ;  Halle,  1717,  in-4°; 
De  elleborismis  veterum;  Halle,  1717,  in-4 
—  Historiée  anatomicé  specimina II  ;  Altdo 
1721-23,  in-4°;  —  Historia  medicinae  ad  an 
Romx  535;  Leipzig,  1728,  in-4°,  fig.;  Haï 
1741,  in-8°  :  très-bon  ouvrage,  qui  a  servi 
base  aux  travaux  de  Sprengel  ;  —  De  servi  n 
dici  apud  Grœcos  et  Romanos  condition 
Halle,  1733,  in-4°;  —  Observaliones  ad  ri 
athleticam  pertinentes;  ibid.,  1737,  in-4°; 
Therapia  generalis ;  ibid.,  1746 ,  in-4°; 
Chymisclie  Versuche  (Expériences  de  chimfc 
ibid.,  1746,  1757,  1778,  in-8°  ;  —  Physiolot 
medica;  ibid.,  1746,  in-8°;  —  Anleitung  s 
alten  Mûnzwissenschafl  (Instruction  sur 


31  SCHULZE  — 

jmismatiquc  ancienne);  Halle,  1767,  in-8°; 
-  plus  de  cent  cinquante  dissertations,  dont 
îe  partie  a  été  recueillie  en  un  volume  (  Halle, 
'45,  in-4°),  sous  le  titre  de  Bisser lationes 
i  medicinam  ejusque  historiam. 
Brucker,  Bildversal.  —  Saxe,  Onomasticon,  t.  IV, 
W2  et  691.  —  Hirschlng,  flandbuclt.  —  Renauldin, 
ëdecins  numismatistes. 

schitppen  (  Pierre  van ) ,  dessinateur  et 
aveur,  né  vers  1627,  à  Anvers,  mort  le  7  mars 
02,  à  Paris.  Il  avait  étudié  la  peinture  avant 
i  se  livrer  entièrement  à  la  gravure.  A  l'exemple 
un  grand  nombre  de  ses  compatriotes,  attirés 
r  les  encouragements  accordés  par  Louis  XIV 
ix  artistes,  il  vint  se  fixer  en  France  vers  1660. 
i  mode  était  alors  aux  portraits  gravés  ;  on  en 
nait  tous  les  livres,  et  jusqu'aux  thèses.  Ro- 
rt  Nanteuil ,  en  s'adonnant  à  ce  genre  d'ou- 
ages,  avait  acquis  tout  à  la  fois  la  fortune  et 
ie  juste  réputation.  Van  Schuppen  s'attacha  à 
t  artiste;  «  il  se  mit  comme  lui  à  faire  des 
rtraits,  dit  Mariette,  et  comme  il  avait  pour 
moins  une  aussi  belle  couleur  de  burin,  ce 
'il  grava  dans  ce  genre  fut  reçu  avec  le  même 
plaudissement.  On  ne  l'appela  plus  que  le  pe- 
'  Nanleuil.  »  Quoique  très-laborieux,  il  n'a 
ssé  qu'un  nombre  peu  considérable  d'ou- 
age.s;  soigneux  à  l'excès,  il  passait  beaucoup 
temps  sur  chacune  de  ses  planches.  En  ache*"- 
nt  avec  le  même  soin  les  moindres  détails,  il 
irépandu  sur  son  travail  une  monotonie  qui  en 
clul  le  charme  et  l'esprit.  Aussi  ne  recherche- 
>n  aujourd'hui  qu'un  petit  nombre  des  por- 
i»its  qu'il  a  laissés  ;  on  en  trouve  quelques-uns 
ns  les  Hommes  illustres  de  Perrault,  Van 
huppen  fut  admis  dans  l'Académie  royale  de 
inture,  le  7  août  1663. 
Schuppen  (Jacques  van),  peintre,  fils  du 
jécédent,  né  à  Paris,  le  25  janvier  1670,  mort 
Vienne,  le  28  janvier  1751.  Bien  qu'il  eût  le 
[ssein  d'en  faire  un  graveur,  son  père  le  plaça 
ins  l'atelier  de  Largillière,  où  il  prit  un  goût 
ononcé  pour  la  peinture;  il  se  consacra  entiè- 
ment  au  genre  du  portrait,  et  se  fit  recevoir 
ps  l'Académie  de  peinture,  le  26  juillet  1704, 
r  la  présentation  d'un  tableau  de  la  Chasse 
Méléagre.  Quelques  années  plus  tard  il  en- 
i  au  service  du  duc  de  Lorraine,  dont  il  devint 
premier  peintre.  En  1716  il  passa  en  Autriche, 
devint  en  1725  directeur  de  l'Académie  fondée 
Vienne,  d'après  ses  conseils,  à  l'instar  de  celle 
ffiaris.  «Je  l'ai  fort  connu  dans  le  séjour  que 
ù  fait  à  Vienne,  dit  Mariette.  C'était  un  esprit 
isant,  et  son  pinceau  n'était  pas  plus  léger.  Il 
usinait  mal,  et  c'est  ce  qui  faisait  que  ses  por- 
I  aits  n'étaient  presque  jamais  ensemble.  » 
Àbcdario  de  Mariette.—  Fontenay,  Dict  des  artistes.  — 
neric  David  ,  Hist.  de  la  gravure  en  France.  —  Fé- 
;  fils,  dans  le  Bulletin  de  Bruxelles,  1864. 

schurmann  (Anne-Marie  de),  femme  cé- 
bre  par  son  savoir,  née  le  5  novembre  1607,  à 
ologne,  morte  le  5  mai  1678,  à  Wiewert  (  Frise). 
?s  parents  étaient  nobles  et  professaient  la  re- 


SCTTURMANN 


602 


ligion  réformée.  Elle  les  suivit  d'abord  à  Utrecht, 
puis  à  Francker,  où  ses  deux  frères  (1)  ache- 
vèrent leur  éducation  académique,  et  après  la 
mort  de  son  père  (1623)  elle  revint  s'établir  à 
Utrecht.  Ce  fut  dans  cette  ville  que  s'écoula  la 
plus  grande  partie  de  sa  vie.  Tout  enfant  elle 
manifesta  des  dispositions  extraordinaires  et  un 
génie  universel,  dont  les  auteurs  contemporains, 
surtout  Baillet,  ont  tracé  un  tableau  exagéré.  Fort 
adroite  de  ses  mains,  d'une  conception  prompte, 
aidée  par  une  mémoire  des  plus  heureuses,  elle 
réussit  à  la  fois  dans  les  arls  et  dans  les  ou- 
vrages de  son  sexe  :  à  huit  ans,  elle  apprit,  dit- 
on,  en  peu  de  jours  à  dessiner  des  fleurs  d'une 
manière  fort  agréable;  elle  devint  habile  musi- 
cienne, joua  de  plusieurs  instruments,  et  cultiva 
avec  un  égal  succès  la  peinture,  la  sculpture  et 
la  gravure  (2).  Tout  ce  qu'on  rapporte  d'elle  en 
ce  genre  marque  de  l'adresse,  de  la  patience 
ou  une  invention  fertile  plutôt  qu'un  véritable 
talent.  On  ne  pouvait  manquer  de  lui  décerner  le 
surnom  de  Sapho,  qui  semble  être  l'attribut 
obligé  de  toute  femme  savante.  Elle  fit,  comme  en 
se  jouant,  ses  humanités;  le  latin,  le  grec,  l'hé- 
breu lui  devinrent  familiers;  elle  apprit  même  le 
syriaque  et  l'arabe,  et  composa  une  grammaire 
éthiopienne  (3)  ;  enfin,  elle  entendait  sans  peine  le 
français,  l'anglais  et  l'italien.  A  quatorze  ans  elle 
se  fit  connaître  par  une  pièce  de  vers  qu'elle 
adressa  au  poète  Cats.  Là  ne  s'était  point  arrêtée 
sa  soif  de  savoir  :  elle  avait  étudié  assez  de  géo- 
graphie, d'astronomie,  de  philosophie  et  des 
autres  sciences  pour  pouvoir  en  parler  avec  dis- 
cernement. «  Tant  d'excellentes  connaissances, 
dit  Baillet,  étaient  soutenues  par  une  modestie 
incomparable  et  par  un  amour  extraordinaire 
pour  la  retraite,  l'étude  et  la  prière.  Elle  s'était 
retranché  les  plaisirs  les  plus  innocents;  elle 
pratiquait  une  abstinence  extraordinaire.  »  Elle 
refusa  de  se  marier,  et  garda  jusqu'à  la  fin  le 
célibat,  soit  pour  obéir  aux  dernières  volontés  de 
son  père,  soit  qu'elle  eût  fait  le  vœu  de  chas- 
teté. Malgré  elle  son  mérite  perça  au  dehors,  et 
lui  attira  en  foule  les  admirateurs  et  les  curieux; 
pendant  quinze  ans  elle  fut  obligée  de  paraître  sur 
la  scène  du  monde,  et  ce  rôle  public  lui  inspirait 
autant  de  répugnance  qu'il  avait  d'attrait  pour 
Milede  Gournay,  contemporaine.  Rivet,  Vorst  et 
Spanheim,  ses  amis,  la  présentèrent  au  monde 
savant.  Bientôt  elle  entra  en  correspondance  avec 
les  lettrés  les  plus  illustres,  tels  que  Saumaise, 
Huygens,  Balzac,  Gassendi,  Mersenne,  Bochart, 
Cats,  Conrart,  Voet,  Heinsius;  elle  reçut  des 
marques  d'estime  du  cardinal  de  Richelieu ,  et 

(1)  L'un  d'eux,  Jean-Cottschallt,  est  qualifié  de  très, 
savant  par  Barlaeus,  qui  dit  avoir  vu  un  poëme  français 
de  sa  façon.  H  mourut  en  1664. 

(2|  On  cite  comme  un  de  ses  meilleurs  portraits  celui 
qu'elle  a  gravé  elle-même  sur  cuivre  en  se  regardant  au 
miroir,  et  qui  se  trouve  à  la  tête  de  V Anneau  nuptial 
de  Cats  (Dordrecht,  1637,  in-4°). 

(3)  J.-F.  Mayer  en  possédait  le  manuscrit.  Voy.  Nova 
liter.  Hamburgensia,  nos,  p.  245. 


603  SCHURMANN 

l'on  cite  an  nombre  des  personnages  qui  la  vi- 
sitèrent dans  sa  retraite  Marie  de  Gonzague , 
Christine  de  Suède  etMmedeLonguevil!e.  Au  re- 
tour d'un  voyage  qu'elle  avait  fait  en  1653  à  Co- 
logne, M'ie  rfe  Schurmann  alla  vivre  à  la  cam- 
pagne, dans  les  environs  de  Vianen  ;  un  grand 
changement  eut  lieu  dans  ses  habitudes  :  réduite 
à  se  charger  des  embarras  domestiques,  elle 
cessa  tout  commerce  épistolaire,  et  substitua  à 
l'étude  des  sciences  les  pratiques  d'une  dévotion 
exaltée.  En  1699  elle  s'attacha  au  mystique  La- 
badie,  et  le  suivit  dans  ses  courses  à  Hervorden 
et  à  Allona;  après  l'avoir  vu  mourir  (1673),  elle 
rassembla  plusieurs  de  ses  disciples  ,  et  les  con- 
duisit dans  un  village  de  la  Frise  ;  ce  fut  là  qu'elle 
mourut,  à  soixante-dix  ans,  ayant  disposé  en  leur 
faveur  de  tout  ce  qu'elle  possédait.  On  prétend 
■qu'elle  aimait  beaucoup  à  manger  des  araignées. 
Cette  daine  a  été  parmi  soii  sexe  un  prodige,  de 
savoir;  mais  on  ne  peut  s'empêcher  de  faire  re- 
marquer, avec  l'abbé  Paquot,  que  ses  talents 
trop  vantés  n'ont  guère  servi  au  public,  puis- 
qu'on ne  trouve  presque  rien  à  apprendre  dans 
ce  qu'elle  a  écrit.  Ses  ouvrages  sont  :  De  vitee 
humanœ  termino  epistola  ;  Leyde,  1639,  in-4°, 
impr.  par  les  soins  de  J.  van  Beverwyck  ;  —  De 
ingenii  muliebris  ad  doctrinam  et  meliores 
litteras  aptitudine;  Leyde,  1641,  in-8°;  trad. 
en  français  par  Guill.  Colletet,  Paris,  1646,in-8°  : 
la  conclusion  est  qu'une  femme  qui  a  de  l'esprit, 
du  bien  et  de  bonnes  vues  peut  s'appliquer  à 
tout,  même  à  la  chaire  et  à  la  politique; —  Opus- 
cida  hebreea,  grœca,  latina  ,  gallica;  Leyde, 
1648,  1650,  pet.  in- 12;  Utrecht,  1652,  in-8=  : 
Leipzig,  1794,in-4°  (par  les  soins  de  Dorothée 
Lœber)  ;  l'éditeur  de  ces  lettres  et  de  ces  poésies 
est  Fréd.  Spanheim; —  EwÂYjpîa,  seu  Melioris 
partis  electio  brevem  religionis  ac  vitee  ejas 
delineationem  exhibens;  Allona,  1673,  in-8°  : 
cette  défense  des  opinions  de  Labadie  fut  atta- 
quée de  cinq  côtés  à  la  fois,  et  l'auteur,  peu  de 
jours  avant  sa  mort,  tenta  de  réfuter  ses  adver- 
saires; cette  réplique  parut  en  flamand  (1684, 
in-12),  et  en  latin  (Amst,  1685,  in-12);  les 
deux  parlies  ont  été  réimpr.  à  Dessau,  en  latin 
(1782,2  vol.  in-8°)  et  en  allemand  (1783,  in-8°). 
On  a  encore  de  M"e  de  Schurmann  quelques 
lettres  et  opuscules.  p.  L. 

Niceron,  Mémoires,  XXX 111.  —  Mon'ri,  Dict.  hist.  — 
ïiaillet,  Vie  de  Descartes,  lib.  V.  —  Burman,  Trajcctum 
erutlitum,  p.  348-355.  —  Paquot,  mémoires,  XVlli.  _ 
Lhaufepié,  Nouveau  Dict.  Iiist.  —  Coupé,  Soirées  litté- 
raires, IX. 

schitt  (Corneille),  peintre  flamand ,  né  à 
Anvers,  en  1597,  mort  en  1655.  Élève  deRubens, 
Corneille  Schut  reçut  vers  1619  son  brevet  de 
mailrise,  et  il  commença  dès  lors  à  travailler 
pour  les  églises  et  les  couvents  avec  une  activité 
qui  ne  se  démentit  jamais.  La  coupole  de  la  ca- 
thédrale d'Anvers,  où  il  représenta  V Assomp- 
tion de  la  Vierge,  et  le  Martyre  de  saint 
Georges  ,  conservé  au  musée  de  la  même  ville, 
peuvent    être    considérés    comme   ses    chefs-  I 


SCHWARTZ 


G0< 


d'oeuvre.  En  1635,  Corneille  Schut,  associé  i 
Rombouts  et  à  G.  de  Craejer,  prit  une  grand: 
part  aux  décorations  allégoriques  élevées  par  1, 
ville  de  Gand  à  l'occasion  de  l'entrée  du  car 
dinal-infant,  et  il  fut  chargé  peu  après  de  four 
nir  les  dessins  qui  accompagnent  la  relation  d. 
cette  cérémonie  publiée  à  Anvers  en  1636.C.Schu 
était  lui  même  un  fort  habile  graveur  à  l'eau 
forte;  son  dessin  est  sans  style,  mais  ses  planche 
ont  de  l'effet  et  de  la  couleur.  Doué  d'une  ima 
gination  brillante  et  d'une  singulière  facilit 
d'exécution,  Corneille  Schut  doit,  malgré  la  fai 
blesse  de  son  dessin,  être  considéré  comme  ui 
des  meilleurs  peintres  sortis  de  l'atelier  de  Ru 
bens.  P.  M. 

Catalogue  du  Musée  d'Anvers,  1857. 

schwartz  (Pierre),  en  latin  Niger,  théo 
logien  allemand,  né  dans  la  première  moitié  d 
quinzième  siècle,  mort  vers  1481,  à  Balde.  0; 
ignore  quelle  était  sa  famille,  dans  quel  lieu  i 
prit  naissance,  et  à  quelle  époque  il  embrassa  1 
règle  de  Saint-Dominique.  Il  reçut  une  fort 
éducation,  et  se  rendit  habile  dans  la  plupart  de 
connaissances  humaines  :  ainsi  il  fréquenta  le 
universités  de  Montpellier,  de  Salamanque,  d 
Fribourg  et  d'Ingolstadt;  en  Espagne  il  s'ins 
truisit  à  fond  des  lois  et  des  coutumes  des  Juifs 
et  apprit  à  parler  l'hébreu  à  un  tel  degré  d'excel 
lence  qu'il  fut  en  1474  en  état  de  discuter 
Ralisbonneavec  quelques  rabbins  sur  les  dogme 
de  la  religion.  A  cette  date  il  professait  la  théc 
logie  à  Wurtzbourg.  Appelé  en  Hongrie ,  par  I 
roi  Matthias  Corvin ,  il  fut  placé  à  la  tête  d 
collège  de  Bude.  Plusieurs  des  ouvrages  de  Ni 
ger  sont  perdus;  on  n'en  connaît  plus  quedeux 
Tractatus  ad  Judseorum  perftdiam  extir 
pendam  confectus  ;  Essling,  1475,  in-fol. 
Nuremberg,  1477,  in-fol.;  trad.  enallemand,sou 
le  titre  de  Stella  Messiae  (Essling,  1477,  in  4°) 
c'est  le  premier  livre  où  on  ait  trouvé  des  cal 
raclères  hébreux  ;  il  est  consacré  à  la  discussion 
théologique,  laquelle  dura  sept  jours  de  suite 
de  Niger  avec  les  rabbins  de  Ratisbonne;  - 
Clypcus  thomistarum;  Venise,  14H2,  in-fol. 
traité  composé  à  la  demande  du  roi  Matthias. 

Échard  et  Quelif,  Script,  ord.  Prsedic,  I,  Sfil-863. 

schwartz  (  Ber/hold),  moine  allemand 
né  probablement  à  Fribourg  en  Brisgau,  mor| 
à  Venise,  vers  1 384.  Longtemps  ce  religieux 
sur  lequel  on  ne  possède  presque  aucun  ren 
seignernent ,  a  été  considéré  comme  l'inven 
teurde  la  poudre.  Un  jour,  disait-on,  il  broyai 
du  salpêtre  et  du  soufre  dans  un  mortier 
lorsqu'une  étincelle  qui  tomba  par  hasard  su 
ce  mélange  ,  détermina  une  lorte  explosion 
Schwarlz  aurait  renouvelé  plusieurs  fois  eetti 
expérience,  et  serait  arrivé,  après  beancouj 
d'essais,  à  fabriquer  la  poudre  à  canon.  Les  re 
cherches  modernes  ont  entièrement  dénient 
cette  légende;  il  a  été  établi  que  la  pointa 
était  connue  bien  avant  le  milieu  du  quatorzièmi 
siècle,  date  assignée  à  la  prétendue  découverte  ù"< 


SCHWARTZ 

i.liwarfz  (().  Pendant  quelque  temps  alors  on 
regardé  ce  dernier  comme  un  personnage  apo- 
\plie,  lorsque  son  existence  a  été  prouvée 
h  un  document  découvert  en  1838  par  M.  La- 
i!);uie  Dans  le  Registre  Lot  hier  (  manusc.  de  la 
bl.imp.de Paris;,  ontrouveaufol.72  le  passage 
livanl  :  «  Le  17  mai  1354  le  sieur  Roy  estant 
crlt'iié  de  l'invention  de  taire  artillerie  trouvée 

l[i  Allemagne  par  un  moine  nommé  Berlhold 
Jrwartz,  ordonna  aux  généraux  des  monnoies 
ire  diligence  d'entendre  quelles  quantités  de 
livre  estoientau  dit  royaume  de  France,  tant 

Houradviser  des  moyens  d'iceux  faire  artillerie, 

Lie  semblaiilement  pour  empesclier  la  vente 
iceu  \  à  estrangers  et  transport  hors  le  royaume.  » 

H  es    1338    l'arsenal   de  Rouen    possédait   des 

B  niches  à  feu;  en  1324  même  on  se  servit  de 
s  engins  au  siège  de  Metz.  Dans  les  années 
ivantes  les  canons,  coulevrines  et  semblables 
_|nes  devinrent  en  France  d'un  usage  de  plus 
|  plus  fréquent.  «  Pendant  que  la  France  mul- 
iliait  ainsi  ses  bouches  à  feu,  dit  M.  Lacabane 
&  ns  sa  notice  De  la  Poudre  à  canon,  un  grand 
'  ogres  s'accomplissait  en  Allemagne  dans 
ir  fabrication.  Un  moine,  nommé  Berthotd 
Uhwartz,  parvenait  à  donner  aux  canons  une 
|ce  et  une  dimension  qu'ils  n'avaient  pas  eues 
iqu'alors.  Il  est  incontestable  qu'un  perfec- 
nnement  dans  la  fabrication  de  l'artillerie  a  été 
porté  d'Allemagne  en  France  vers  1354.  A  la 
ijire  qu'on  avait  faussement  attribuée  à 
liwarlz  d'avoir  inventé  la  poudre  à  canon 
iccédera  le  mérite  réel  d'être  l'invenleurde  la 
psse  artillerie.  »  Ces  conclusions  sont  encore 
infirmées  par  un  passage  de  Polydore  Virgile, 
>  l'on  attribue  à  un  Allemand  de  basse  naissance 
[îvetition  des  bombardes.  En  1380  Schwartz 
nt  à  Venise,  et  fit  fondre  pour  le  compte  du  la 
publique  d'énormes  canons,  qui  lançaient,  selon 
Chronique  de  Daniel  Chinazzo,  des  boulets  de 
arbre  de  cent  quarante  et  même  de  deux  cents 
'res,  et  qui  furent  employés  au  siège  de  Chioz- 
.  Lorsqu'il  réclama  le  prix  convenu  pour  ses 
rvices,  il  éprouva  un  refus,  et  on  répondit  à  ses 
stances  en  le  jetant  en  prison ,  où  il  mourut, 
oit-on,  en  1384.  Ce  qui  explique  cette  façon 
agir  du  gouvernement  vénitien,  c'est  que,  par 
iexpérience,  on  avait  augmenté  démesurément 
inutilement  la  charge  de  poudre  de  ces  bom- 
rdes,  ce  qui  avait  rendu  la  dépense  très  forte, 
que  de  plus  le  tir  avait  été  trouvé  très-incer- 
W-  E.  G. 

lalofsky.  De  inventore  pnlveris  pjjrii  et  bombardée  ; 
'"t  i"02,  in-4°.  —  Lacabane,  De  ta  Poudre  à  canon 
iieson  introduction  en  France.  -  Lalanne,  Curiosités 
titanes.  —  L  Figuier,  Hist.  des  découvertes  scienti- 
«M  modernes,  t.  lii.  —  Kave,  Hist.  des  progrès  de 

l)  Celte  tradition  remonte  au  moins  au  quinzième 
■Cle,  à  [a  lin  duquel  Crespi  peignit  un  tableau  conservé 
1  musée  des  Dfli/.i  à  Florence,  et  où  Schwartz  est  re- 
ssente travaillant  avec  des  ouvriers  a  la  fabrication  de 
poudre.  Un  mortier  porte  celte  Inscription  :  Pulvn 
cogitaliis  1354,  Daniâ  (sic),  Bert/iotdn  Schwartz. 


SCHWARZ 


606 


l'artil/erin.  —  I.orédan  Larchey,  Des  Origines  de  VAr- 
titterle;  l'aris,  1862,  ln-18. 

SCHWAltz  (Chrè/ien-Goltlieb),  érudit  alle- 
mand, né  le  4  septembre  lG75,à  Leissnig,  en  Mis- 
nie,  mort   le  24  février  1751,  à  Altorf   Fils  du 
recteur  de  l'école  de  Leissnig,  il  fut,  après  avoir 
terminé  ses  études  de   collège,  forte  par   son 
manque  de  fortune  d'accepter  une  place  de  pré- 
cepteur auprès  des  petits-fils  du  maréchal  de  la 
cour  de  Saxe,  M.   de  Wolframsdorf,  qui  deux 
ans  après  lui  fournit  généreusement  les  moyens 
d'aller  à   Leipzig  étudier    principalement  sous 
G.  Olearius  les   belles-lettres,  les  antiquités,  et 
plus  tard  la  philosophie  et  la  théologie.  Il  passa 
ensuite  à  Wittemberg,où  il  suivit  l'enseignement 
de  Schurzfleisch  ;  s'étant  fait  recevoir  maître    es 
arts,  il  fut  en  1704  nommé  professeur  à  l'école 
Saint-Nicolas  de  Leipzig;  cinq  ansaprès,  il  fut  ap- 
pelé à  la  place  d'Omeis  comme  professeur  d'élo- 
quence, de  morale  et  de  poétique  à  l'université 
d'Altorf  (1709);  il  remplit  ces  fonctions  avec  le 
plus  grand  succès  jusqu'à  sa   mort ,  sauf  qu'il 
échangea  plus  tard  la  chaire  de  poétique  contre 
celle  d'histoire.   En  1723  il  reçut  la  dignité   de 
comte  palatin.  Il  avait  réuni  une  précieuse  biblio- 
thèque, dont  le  Catalogue  parut  à  Altorf,  17G9, 
in-s°.  11  possédait  une  vaste  érudition  ;  sesconnais- 
sances  en  bibliographie  notamment  étaient  très- 
étendues.  On  a  de  lui  :  De  ornamentis  libro- 
rum  apud  veteres  usilatis;  Leipzig,  1705-1706, 
Altorf,  t/lt-1717,4  parties,  in-4° ,—  De  libris 
plicalilibus  veterum  ;  ibid.,  1707,in-4°;  —  De 
varia  supellectile  rei  librarise  veterum  ;\hid.} 
1725,  in-4";  réimprimé  avec  les  deux  ouvrages 
précédents,  Leipzig,  1756,  in-4°  ;  —  De  quibus- 
dam  doctrinx  antiquariœ  capitibits ;  Altorf, 
1719,  in-4°;  —  Miscellanea politioris  humani- 
tatisin  quibus  vêtus  ta  quœdam  monumenia 
et  variorum  scriptorum   loca  illustrantur  ; 
Nuremberg,  1721,   in-4°;  —    Carmina;  Franc- 
fort, 1728; —  Primaria  quœdam  documenta 
de  origine  typographiœ;  Altorf,  1740,  in-4°; — 
Observationes  ad  A'ieuport  Compendtum  an- 
tiquitatum  romanarum ;  ibid.,  1757,in-4°;  — 
Compendium   institutionum    oratoriarum ; 
ibid.,  1758,  in-4°.    Schwarz,  auquel  nous  de- 
vons   aussi  une  très-bonne   édition  du    Pané- 
gyrique de  Trajan  par  Pline  le  jeune  (Nurem- 
berg, 1746,  in-4°),  a  encore  fait  paraître  un  très- 
grand  nombre  de  dissertations  curieuses,  dont 
la  majeure  partie  a  été  recueillie  dans  les  trois 
ouvrages  suivants,  dûs  aux  soins   de  Harless  : 
Dissertationes  sélect*  quibus  antiquitalis  et 
juris  romani  capila  explicantur  ■  Erlangen, 
1778,    in-4°;   —    Exercitationes    academiese 
quibus  antiquitates  explicantur; ibid.,  1783, 
in-4°;  —  Opttscula    academica  varii  argu- 
ment; ibid.,  1793,  in-4°. 

Harless,  V itie  pliilolooorum,  1. 1.  —  Wlll,  Aurnber- 
gisch.es  Celehrlcn  Lcxikon  et  Ceschichte  der  Vnirersi- 
txt  Altorf.  —  Biuckcr,  Billersaat.  —  Saxe,  Onomas- 
ticon,t.  VI,  p.  31.—  Hirscliing,  Handbuch.  —  Meusel, 
Lexihon. 


607 

SCHWARZENBERG  (1)  (Les  princes  de), 
branche  de  la  maison  de  Seinsheim ,  une  des 
plus  anciennes  familles  de  la  Frdnconie,  doivent 
leur  origine  à  Erkinger  de  Seinsheim,  qui,  en 
1420,  acheta  la  seigneurie  de  Schwarzenberg,  en 
Bavière,  dont  il  prit  le  nom,  et  fut  élevé,  en 
1429,  par  Sigismond  à  la  dignité  de  baron  de 
l'Empire,  avec  voix  et  séance  parmi  les  comtes 
de  la  Franconie.  La  baronnie  de  Schwarzenberg 
passa  après  lui  à  son  second  fils,  Sigismond; 
mais  à  l'extinction  de  cette  ligne  cadette  (1046), 
elle  retourna  à  la  branche  aînée,  fondée  par 
Michel  Ier,  fils  aîné  du  baron  Erkinger.  Cette 
branche  s'était  déjà  divisée,  en  1510,  dans  les 
arrière  petits-fils  de  Michel ,  Edmond  et  Guil- 
laume. Le  premier  fonda  la  ligne  des  Schwar- 
zenberg de  Liège,  éteinte  en  1674.  Guillaume  fut 
la  souche  de  la  ligne  de  Franconie,  qui  subsiste 

encore. Son  fils ,  Guillaume  II,  mourut  des 

blessures  qu'il  reçut  à  la  bataille  de  Saint-Quen- 
tin (1557),  laissant  pour  héritier  un  enfant  de 
dix  ans,  Adolphe,  que  Rodolphe  II  créa  plus 
tard  comte,  en  récompense  des  services  qu'il 
avait  rendus  dans  la  guerre  contre  les  Turcs.  — 
Son  petit- fils,  Jean-Adolphe,  agrandit  considé- 
rablement les  possessions  de  sa  famille,  et  ob- 
tint de  l'empereur  Léopold  1er,  en  1670,  pour 
lui  et  les  aînés  de  ses  descendants,  la  dignité 
princière,  qui  en  1746  fut  étendue  à  toute  la 
maison.  Après  la  dissolution  de  l'Empire  d'Alle- 
magne (1806),  le  comté  princier  de  Schwarzen- 
berg fut  médiatisé  et  soumis  à  la  souveraineté 
de  la  Bavière. 

La  famille  de  Schwarzenberg  compte  encore 
deux  de  ses  membres  dont  la  réputation  est  de- 
venue européenne.  L'un,  Adam,  né  en  1587, 
ministre  de  l'électeur  de  Brandebourg  Georges- 
Guillaume,  fut  tout- puissant  pendant  la  guerre 
de  Trente  ans,  et  attira  de  grands  malheurs  sur 
les  États  de  ce  prince,  en  le  détournant  de  l'al- 
liance suédoise  pour  le  pousser  dans  le  parti  de 
l'Autriche.  Lorsque  le  grand  électeur  prit  les 
rênes  du  gouvernement,  il  dépouilla  le  ministre 
de  son  père  de  tout  son  pouvoir,  et  ne  tarda  pas 
à  le  faire  emprisonner  dans  la  forteresse  de 
Spandau,  où  il  mourut,  le  17  mars  1641,  d'une 
attaque  d'apoplexie. 

L'autre  membre  de.  cette  famille  mérite  une 
place  à  part. 

Schwarzenberg  (Charles-Philippe,  prince 
DE),feld-marécbal,néle  15  avril  1771,  à  Vienne, 
mort  le  15  octobre  1820,  à  Leipzig.  11  fit  ses 
premières  armes  sous  les  ordres  de  Laudon,  dans 
la  guerre  contre  les  Turcs,  et  déploya  un  cou- 
rage qui  ne  se  démentit  pas  dans  les  premières 
campagnes  delà  révolution.  Il  se  distingua  par- 
ticulièrement, le  26  avril  1794,  à  l'affaire  de 
Cateau-Cambrésis,  où,  à  la  tête  d'un  régiment 
de  cuirassiers  et  de  dix  escadrons  anglais,  il  en- 
fonça l'armée  française,  forte  de  vingt-sept  mille 


(1)  On  écrit  quelquefois  Schwarlzenberg,   à   caus 
la  prononciation ,  toujours  dure,  du  s  allemand. 


SCHWARZENBERG  60 

hommes.  La  part  décisive  qu'il  prit  à  la  bataili 
de  Wurtzbourg,  en  1796,  lui  valut  le  grade  d 
major  général.   En   1799  il    fut    nommé  feld 
maréchal-lieutenant,  et  devint    propriétaire  d 
régiment  de  hulans  qui  porte  encore  son  non 
Dans  la  guerre  de  1805,  il  commanda   une  d 
vision  sous  les   ordres  du  général  Mack.  A  ; 
bataille  d'Ulm,  lorsqu'il  vit  que  tout  était  perdi 
il   passa  avec  l'archiduc    Ferdinand  à  travei 
l'armée  française,  et  se  retira  à  la  tête  de  que 
ques  régiments  à  Egra,  en  Bohême.  Ce  fut  conti 
son  avis  que   la   bataille  d'Austerlifz  fut  livr< 
avant  l'arrivée  de  Benningsen  et  de  l'archidi 
Charles.  Chargé   de  l'ambassade    de  Saint-Pi 
tersbourg,  à  la  demande  de  l'empereur  Alexand 
lui-même,  Schwarzenberg  dut  quitter  cette  ci 
pitale  en  1809,  lorsque  la  guerre  éclata  denoi 
veau  entre  la  France  et  l'Autriche.  Il  prit  ui 
part  brillante  à  la  bataille  de  Wagram,  et  cor 
manda  l'arrière-garde  dans  la  retraite  de  Znaïr 
Après  la  paix  devienne,  ce  fut  à  lui  que  l'on  conl 
les  négociations  qui  précédèrent  le  mariage  i 
l'archiduchesse  Marie- Louise    avec   Tempère 
des  Français.  Ambassadeur  à  Paris  ,  il  sut  g. 
gner  à  tel  point  l'estime  et  la  confiance  de  N 
poléon,que,  sur  la  demande  expresse  de  ce  de 
nier,  le  gouvernement  autrichien  le  nomma  (181 
général  en    chef  de   l'armée   de   trente  nu 
hommes  qui  devait  coopérer  à  la  campagne  i 
Russie.  Ces  forces  se  rassemblèrent  dans  la  Gî 
licie,   passèrent  le   Bug,  remportèrent  d'abo 
quelques  avantages,  mais  se  virent  bientôt  fo 
cées  de  se  replier  sur  le  duché  de   Varsovi 
Schwarzenberg  prit  position  à  Pultusk,  et  co 
clut    avec   les   Russes  un    armistice    qui   a 
sura  la  retraite  des  Français.  A  la  demande  i 
Napoléon,  cette  campagne  lui  valut  le  bâton  < 
feld-maréchal  général.  Le  prince  se  rendit  àcelj 
époque  à  Paris,  et  y  fit  un  court  séjour  (181c 
A  son  retour  il  fut  chargé   du  commandeme 
de  l'armée  d'observation  qui  se  concentraiula  i 
les   montagnes   de   la  Bohême;   puis  après 
jonction  des  Autrichiens   avec  les  Prussiens 
les  Russes,  il  fut  nommé  généralissime  des  a 
mées  coalisées.  Nous  ne  reviendrons  pas  ici  s 
cette  célèbre  campagne,  qui  commença  sous  I 
murs  de  Dresde  et  finit  sous  les  murs  de  Pari 
nous  nous  bornerons  à  dire  que  rien  ne  sed 
cida,  rien  ne  s'exécuta,  sans    l'intervention 
Schwarzenberg.  Après  le  retour  de  Napoléon 
l'île  d'Elbe,  le  feld-maréchal  repassa  le  Rhin  à 
tête  des  Russes  et  des  Autrichiens,  et  déjà 
avait  pénétré  en  Alsace  et  en  Lorraine,  lorsq 
les  événements  de  Paris  vinrent   suspendre 
marche.    A  son  retour  à  Vienne,  il  reçut 
présidence  du  conseil  supérieur  de   la  guen 
qu'il  garda  jusqu'à  sa  mort.  Ce  fut  peu  de  tem 
après,  le    13  juin    1817,  qu'il   éprouva  les  pr 
miers  symptômes  de  l'apoplexie  dont  il  dev, 
mourir  à  Leipzig,  le  15  octobre  1820,  à  la  vei 
même  du  jour  où,  sept  ans  auparavant,  il  avait  ce 
duit  les  alliés  sur  les  hauteurs  environnantes, 


09  SCHWARZENBliRG 

xpira  dans  la  môme  chambre  où  le  roi  de  Saxe 
vail  été  fait  prisonnier;  son  cercueil  sortit  de 

I  eipzig  le  19,  anniversaire  de  son  entrée  dans 
ette  ville. 

i  Le  frère  du  feld-maréchal ,  prince  Joseph- 
ean  de  Schwarzenberg,  se  distingua  surtout 

pmme  membre  d'un  grand  nombre  de  commis- 
ons  ou  d'institutions  de  bienfaisance.  Pendant 
m  séjour  à  Paris,  en  1810,  il  eut  la  douleur 
e  perdre  sa  femme,  Pauline,  née  princesse 
Aremberg,  dans  l'incendie  de  la  salle  en  bois 
)nstruite  pour  la  fête  que  donnait,  en  l'honneur 
i  mariage    de   Marie- Louise,  son  frère  l'ara- 

assadeur.  Lui  même    mourut    à  Frauenberg 

fôohême),  le  19  décembre  1833. 

■acliller,  Vniversal  Lexicon.  —  Cosmar,  Beitrag  zur 
Ida/»  zu  Schwarzenberg ,  Berlin,  1826,  iti-8°.  —  Pro- 
[  sdi  d'Osten ,  Lcben  des  Feldmarscâalls  Cari  zu 
hhw.;  Vienne,  1822,  in-8°. 

|  SCHWE1DEL  (  Georges  -  Jacques  ) ,  biblio- 
!  aphe  allemand,  né  vers  1690,  à  Nuremberg,  où 
|  est  mort,  en  1752.  Il  fut  pasteur  de  sa  ville 
;  itale,  et  partagea  son  temps  entre  les  devoirs 

clésiastiques  et  la  recherche  des  livres  rares  et 
liguliers.  Parmi  les  recueils  qu'il  a  publiés 
'ses  frai?,  et  dont  il  tirait  les  éléments  soit  des 
jUtériaux  qu'il  avait  rassemblés,  soit  des  ren- 
lignements  qu'on  lui  adressait,  nous  citerons  : 
Ubliotheca  exegetico  -  biblica  ;  Nuremberg , 
J21,  in-4°; —  Description  de  livres  rares  et 
mieux,  en  allemand;  Francfort,  1731-32, 
nart.  in-8°; — Nouveau  Recueil  de  livres  rares 
|  singuliers,  en  allem.;  ibid.,  1733-34,  6  part. 
[-8°;  —  Bibliolheca  historicocritica  libro- 
uni;  ibid.,  1736,  in-8°;  —  Thésaurus  biblio- 
V.ecalis,  en  allem.;  ibid.,  1738-39,  4  vol.  in-4°; 
I-  Librorum  nonnisi  veterum  rariorumque 
\ititia;  Nuremberg,  1747,'  in-4°,  sous  le  nom 
a  Theophilus  Sincerus  ;  ouvrage  recherché,  et 
|édité  en  1753  avec  un  nouveau  titre. 
iCataloyue  de  la  Bibl.  de  Schweidel;  Nur„  1753,  in-8». 
'  SCHWEIGHJUUSER  (Jean),_  philologue 
lançais,  né  le  26  juin  1742,  à  Strasbourg,  où  il 
tt  mort,  le  19  janvier  1830.  Fils  d'un  pasteur, 
i  montra  des  dispositions  extraordinaires  pour 

îtude,  et  suivit  avec  fruit  la  plupart  des  cours 
[ï  l'université  de  sa  ville  natale.  Reçu  maître 
f.  arts  en  1767,  il  alla  passer  dix  mois  à 
jaris,  et  s'y  perfectionna,  sous  la  direction  de 
luignes,  dans  la  connaissance  de  l'arabe  et  du 

riaque,  qu'il  étudia  ensuite  avec  Michaelis  et 
i.ec  Reiske,  qui  l'initia  aussi  aux  finesses  de  la 
'ngue  grecque.  En  1769  il  visita  les  principales 
[Iles  de  l'Allemagne,  et  noua  des  relations  avec 
jellert,  Rabener,  Sulzer,  Mendelssohn,  Les- 
jng,  etc.,  et  en  1770  il  passa  en  Angleterre,  dans 
>  butd'y  approfondir,  sous  Voide,  Kennicot,  Hunt 
jtautres  philologues,  les  langues  de  l'Orient.  De 
[tour à  Strasbourg  à  la  fin  de  1770,  il  fut  aussi- 

I I  nommé  professeur  adjoint  ;  pendant  huit  ans  il 
îiseigna  les  principes,  alors  peu  connus  sur  le  con- 
sent, de  Hutchinson,  de  Ferguson  et  des  philo- 
:,phes  écossais,  et  fit  dans  l'intervalle  des  cours 


—  schweigha;tjser 


610 


N0UV.   BIOGR.   GENER. 


T.   XLIH. 


particuliers.  En  1775  il  obtint  la  chaire  de  grec 
et  de  langues  orientales.  Brunck,  dont  le  com- 
merce était  difficile,  le  prit  en  amitié,  et  l'associa 
à  l'édition  qu'il  préparait  de  Sophocle  ;  en  outre, 
il  le  recommanda  à  Musgrave,  qui,  après  avoir 
éprouvé  ses  talents,  le  désigna  avant  de  mourir, 
pour  achever  et  mettre  au  jour  l'édition  d'.lp- 
pien  à  laquelle  il  travaillait.  Schweigliœuser  en 
fit  paraître  le  texte  (  Leipzig,  1785,  3  vol.  in-8°), 
épuré  avec  une  sagacité  critique  remarquable,  et 
il  l'accompagna  d'une  excellente  traduction  la- 
tine et  d'un  commentaire  qui  témoignait  de  l'é- 
tendue de  ses  connaissances  historiques  et  lin- 
guistiques. Il  publia  ensuite  Polybe  (  Leipzig, 
1789-95,  9  vol.  in-8")  ,  sur  une  révision  com- 
plète des  meilleurs  manuscrits.  Il  n'avait  pas 
terminé  ce  travail  lorsque  éclata  la  révolution , 
dont  il  se  montra  d'abord  grand  partisan.  Élu 
membre  du  conseil  de  la  commune  de  Stras- 
bourg, il  se  signala  par  ses  efforts  pour  le 
maintien  du  régime  constitutionnel  ;  jeté  «n  pri- 
son en  1793,  il  dut  à  l'adresse  de  son  épouse, 
qui  était  une  femme  supérieure,  d'être  relégué 
à  Baccarat  en  Lorraine.  Comme  il  veillait  sou- 
vent très-tard  dans  la  nuit,  il  fut  dénoncé  comme 
suspect,  et  on  allait  le  mettre  en  arrestation  si 
une  lettre  du  comité  de  salut  public,  où  on  le 
remerciait  de  l'envoi  des  premiers  volumes  de 
Polybe,  n'était  venue  à  propos  pour  lui  consti- 
tuer un  certificat  de  civisme.  Il  retourna  à 
Strasbourg,  et  prépara,  avec  l'aide  de  son  fils 
Geolfroi,  l'édition  d'Epictèle  (Leipzig,  1798, 
in- 12).  Nommé  en  1796  professeur  des  langues 
anciennes  à  l'école  centrale,  il  fut  en  même 
temps  élu  correspondant  de  l'Institut.  Quelque 
temps  après  il  entreprit  pour  la  collection  Bi- 
pontine  une  magnifique  édition  d'Athénée 
(Strasbourg,  1801-07,  14  vol.  in-8°),  avec  une 
version  latine  et  des  notes.  L'école  centrale 
ayant  été,  en  1802,  remplacée  par  un  simple 
lycée,  il  se  trouva  dans  une  situation  assez  gê- 
née; les  émoluments  de  sa  chaire  au  séminaire 
protestant  ne  suffisaient  pas  à  l'entretien  de  sa 
nombreuse  famille.  Cependant  il  refusa  les  offres 
brillantes  qui  lui  furentfaitesd'Angleterre.Ildevint 
en  1806  conservateur  de  la  bibliothèque  de  Stras- 
bourg, eten  1809  professeur  de  littératuregrecque 
à  l'Académie  nouvellement  établie  et  doyen  de  la 
faculté  des  lettres.  L'année  suivante  Schweig- 
haeuser,  qui  venait  de  publier  les  Lettres  de 
Sénèque  (Strasbourg,  1809,  2  vol.  in-8°),  ne 
recula  pas,  malgré  son  grand  âge,  devant  l'é- 
norme tâche  d'entreprendre  une  nouvelle  édi- 
tion d'Hérodote  ;  prenant  pour  base  celle  de  Wes- 
seling ,  il  y  introduisit  des  améliorations  impor- 
tantes par  la  comparaison  attentive  d'une  dizaine 
d'excellents  manuscrits,  ainsi  que  par  les  obser- 
vations de  Creuzer  et  de  Boissonade.  En  faisant 
paraître  ce  beau  travail  fStrasb.,  1816, 6  vol.  in-8°, 
avec  un  Lexicon  herodoteum  ;  ibid. ,  1824,  2  vol. 
in-8°),  il  mit  dignement  le  sceau  à  sa  réputation 
d'helléniste.  La  perte  de  la  vue,  causée  par  une 

20 


611 


SCHWEIG1LEUSER  —  SCHWERIN 


Gl 


fatigue  excessive,  l'obligea  en  1824  à  se  démettre 
de  ses  chaires,  qui  passèrent  à  son  fils  Geoffroi. 
En  1821  il  avait  été  élu  membre  libre  de  l'Aca- 
démie des  insciipîions,  et  il  reçut  en  1826  une 
des  deux  grandes  médailles  distribuées  par  la 
Société  royale  de  Londres  pour  la  littérature 
classique.  D'une  modestie  à  toute  épreuve  mal- 
gré son  mérite  éminent,  Schweigheeuser  mon- 
trait dans  sa  vie  privée  cette  même  conscience 
sévère  qui  le  guidait  dans  ses  travaux  ;  à  ee 
sujet  nous  ferons  remarquer  qu'il  fut  toujours,  à 
l'inverse  de  Brunck,  très-sobre  de  conjectures 
tendant  à  modifier  contrairement  aux  manuscrits 
les  leçons  des  auteurs  anciens.  Outre  les  tra- 
vaux cités,  on  a  de  lui  :  De  sensu  morali; 
Strasbourg,  1775,  in-8°;  —  Sententise  philoso- 
pkiese;  ibid.,  1775,  3  part.  in-8o;—  Sophoclis 
Electra  et  Etiripidis  Andromache;  ibid., 
1779,  in-8o;  —  Sophoclis  (Edipus  et  Euri- 
pldis  Orestes;  ibid.,  1779,  in-8°;  —  Emen- 
daiiones  et  observationes  in  Suidam;  ibid., 
1789,  in-8o;  —  Epictetse  philosophie  monu- 
mental; Leipzig,  1799,  in-8°;  —  Opuscula 
academica;  Strasbourg,  1806,  hv80;  —  Me- 
maria  Oberlini;  ibid.,  1806,  in-8°. 

Cuvier,É/oye  de  Schiveighseuser;  SIrasbourg,1830,  in-8°. 
—  Dohler,  itlemoria  Sckiveig/ixuseri;  ibid.,  1830,  in-8°=  — 
Stiévenard,  Éloge  de  Scfnceiqhseuser.  —  Zeitgenossen, 
n°s  LXIet  LXflll.—  Haag,  France  protestante. 

schyveighjecser  (Jean- Geo ff?'oi  ) ,  ar- 
chéologue, fils  du  précédent,  né  le  2  janvier 
1776,  à  Strasbourg,  où  il  est  mort,  le  14  mars 
1844.  Il  n'acheva  pas  ses  études  :  la  révolution 
l'entraîna  sous  les  drapeaux,  et  il  s'enrôla  dans 
l'armée  du  Rhin,  en  1792.  Cependant,  dès  1796 
il  put  venir  à  Paris,  où  il  collationna  des  ma- 
nuscrits grecs  pour  son  père,  et  traduisit  un 
fragment  des  commentaires  de  Simplicius  sur  le 
Manuel  d'Épictète.  Il  dirigea  l'éducation  des  fils 
de  Voyer  d'Argenson,  écrivit  dans  lePubliciste, 
et  composa  des  vers  pour  divers  recueils  alle- 
mands -,  puis  il  fut  chargé,  en  1802,  par  le  comte 
de  Schlaberndorf,  de  publier  une  édition  des  Ca- 
ractères de  La  Bruyère  joints  à  ceux  de  Théo- 
phraste (Paris,  3  vol.  in-12).  Il  rédigea  pour  Vis- 
conti  le  texte  du  Musée  Napoléon,  et  prit  part 
à  la  rédaction  des  Archives  littéraires.  Lors  de 
la  formation  de  l'université  de  France,  en  1810, 
il  fut  nommé  professeur  adjoint  à  la  faculté 
des  lettres  de  Strasbourg.  En  1812,  il  devint 
professeur  de  littérature  latine  au  sémi- 
naire protestant.  Lorsque  son  père  prit  sa  re- 
traite (1824),  il  lui  succéda  à  l'académie  ainsi  que 
dans  les  fonctions  de  bibliothécaire  de  la  ville  et 
du  séminaire.  Une  maladie  nerveuse,  qui  tourna 
en  paralysie,  vint  enchaîner  son  activité  et  affai- 
blir ses  facultés  :  pendant  environ  douze  ans,  il 
ne  quitta  plus  son  cabinet,  et  rien  n'égale  le  dé- 
vouement que  lui  prodigua  une  épouse  chérie, 
fille  du  célèbre  anatomiste  Thomas  Lauth,  pen- 
dant toute  cette  triste  période.  Il  nous  reste 
à  mentionner  les  titres  de  J.-G  Schweighacu- 
ser  comme  archéologue.  L'Institut   ayant  de- 


mandé, en  1819,  aux  départements  des  ne 
tices  sur  leurs  antiquités  locales,  le  savant  pre 
fesseur,  depuis  longtemps  livré  à  ces  études,  s 
mit  à  l'œuvre,  et  obtint  la  première  médail 
que  l'Académie  des  inscriptions  décerna  pour  c 
objet;  en  1823  elle  l'inscrivit  parmi  ses  corre; 
pondants.  A  la  même  époque,  il  commença,  e 
concert  avec  son  ami  M.  de  Golbery,  la  publ 
cation  des  Antiquités  d'Alsace  (  Mulbousi 
1825-28,  20  livr.  in-fol.  avec  lithbgr.).  Mên 
pendant  le  cours  de  sa  maladie,  son  zèle  se  r 
veilla  à  plusieurs  reprises  :  ayant  fait,  en  183 
l'acquisition  d'une  collection  d'antiquités  gall< 
romaines  et  de  poteries  trouvées  à  Rheinzabe 
(  Bavière  rhénane  ) ,  il  fut  constamment  oectt 
de  leur  étude,  et  en  fit  dessiner  et  lithographi 
les  pièces  les  plus  curieuses. 

Golbery,  Notice  sur  J.-G.  Schweigheeuser  ;  1848,  In- 

schwekin  (Court-Christophe,  comte  de 
général  prussien,  né  le  26  octobre  16S4,  dans 
Poméranie  suédoise,  tué   le  3   mai   1757,  (S 
vant  Prague.  Sa  famille  était  une  des  plus  a 
ciennes  de  la  Poméranie,  et   comptait  au  di 
septième  siècle  vingt-quatre  branches  dissér 
nées  dans  l'Allemagne  du  nord,  en  Suède,  jj 
Pologne,  en  Courlande,  etc.  (1).  Fils  d'un  rie 
seigneur,  il  reçut  une  éducation  soignée,  etenl  : 
en  1700  dans  un  régiment  hollandais  comman 
par  un  de  ses  oncles  et  par  son  frère  aîné,  c  ta 
lui  suscita  mille  difficultés.  Il  fit   ses  premièi 
armes  dans  les  campagnes  de  Flandre,  et  (I 
ainsi  l'occasion  de  se  former  sous  Eugène  I 
Marlborough  ;  en  1704  il   se  trouvait  à   la  .  I. 
taille  de  Donawerth,  où  son  frère  fut  tué.   1 

1705  il  reçut  un  brevet  de  capitaine;  mais  I 

1706  il  retourna  en  Allemagne  avec  son  oncle,  i 
prit  du  service  dans  les  troupes   du    duc  i 
Mecklembourg-Schwerin.  Pourvu  en  1707  d'fc 
régiment,  il  fut  en  1711  envoyé  auprès  de  Ch<i| 
les  XII,  alors  à  Bender,  et  y  demeura  une  anr  ; 
entière,  s'attachant,  par  de   nombreux  entn», 
tiens  avec  ce  prince,  à  perfectionner  ses  conna  ' 
sances  dans  l'art  de  la  guerre.  Nommé  en  17  H 
général  major,  il   commanda   en  1719  l'arn tel 
mecklembourgeoise.fortede  douze  mille  homm  ; 
que  le  duc  opposa  au  corps  de  treize  mille  l  Ira 
novriens  qui  venait  d'entrer  dans  le  pays  p< 
mettre  à  exécution    la  sentence  rendue  par 
conseil  aulique  contre  ce  prince  en  faveur  d« 
noblesse  du  duché.   Il  battit  l'ennemi  à  W«H 
mœhlen,  et  termina  par  des  négociations  habi 

le  différend  à  l'avantage  du  duc.  Ce  dern 
ayant  alors  réduit  son  armée,  Schwerin  pai 
au  service  de  la  Prusse;  envoyé  aussitôt  conv 
ambasadeur  à  Varsovie,  il  s'éleva  à  son  ret< 
jusqu'aux  plus  hauts  grades  militaires;  sa  i 
meté,  son  caractère  franc  et  ouvert,  la  discipl 
qu'il  maintenait  parmi  ses  troupes,  qui  se 

(1)  Il  n'en  subsiste  plus  aujourd'hui  que  qui 
branches,  qui  ont  toutes  la  dignité  de  comte.  Cell 
laquelle  appartenait  Christophe,  est  aujourd'hui  re| 
sentée  par  Maximilim  de  Schwerin,  ministre  de  G 
laume  1er,  roi  de  Prusse. 


13  SCHWERIN  - 

lient  remarquer  par  leur  promptitude  dans  les 
manœuvres,  toutes  ces  qualités  lui   valurent  la 
!  veur  du   roi   Frédéric-Guillaume  1er,  dont  ii 
;vint  un  des  familiers,  et  qui  le  plaça  en  1739  à 
[  tête  de  toute  l'infanterie  prussienne.  En  1740, 
|  l'avènement   de   Frédéric   II,   il  fut  nommé 
Id-maréchal  et  comte.  A  la  fin  de  l'année,  lors 
[ .  la   première   campagne  de  Silésie,   dont  il 
i  ait  en  grande  partie  préparé  le  plan,  il  couvrit 
|i  côté  de  la  Bohême  la  marche  de  l'armée  sur 
[eslau.En  1741,  après  avoir  rejeté  en  Moravie 
f  général  autrichien  Browne,  il  rejoignit  le  roi, 
[  marcha  avec  lui  contre  Neuperg,  qui  avait  re- 
j  is  une  partie  de  la  Silésie.  A  Molwitz,  il  com- 
!  inda  le  centre  ;  quoique  ayant  reçu  deux  bles- 
res  graves,  il  ne  quitta  pas  le  champ  de  ba- 
lle, et  enfonça  les  lignes  ennemies,  ce  qui  dé- 
i  a  le  sort  de  ia  journée.  Après  être  entré  dans 
eslau   par  ruse,  il  fut    nommé  gouverneur 
Es  forts  de  Brieg  et  de  Ncisse.  En  1744,  il  di- 
lea  le  siège  de  Prague,  qui  capitula  le  16  sep- 
Ihbre.et  il  contribua  par  sa  prudence  à  assurer 
•retraite  périlleuse  des   Prussiens  poursuivis 
I  ■  le  prince  de  Lorraine.  En  1756,  au  début  de 
Iguerre  de  Sept  ans,  il  pénétra  en  Bohême,  et 
|oporta  plusieurs  avantages  sur  le  général  Pic- 
omini,  dont  il   empêcha  la    jonction    avec 
»wne.  Puis  il  s'avança  jusqu'à  Prague  (1757), 
vinrent  se  réunir  à  lui  le  roi  et  le  prince 
Lnhalt.  Frédéric  II  ayant  résolu  d'engager  la 
lille  (6  août),  Schwerin  commença  l'attaque  ; 
pis  ses  troupes,  décimées  par  un  feu  terrible, 
lulèrent   en  désordre;   le  vieux    maréchal, 
lissant  alors  un  drapeau,  les  ramena  contre 
Autrichiens;   atteint  par  une  décharge  de 
i  .raille,  il  retomba  sans  vie.  A  cette  vue  ses 
Mats,  qui  le  chérissaient  comme  un  père,  ne 
msentplus  qu'à  le  venger;  ils  s'élancent  contre 
I positions  de  l'ennemi,  qu'ils  culbutent;  tout 
ïreste  de  l'armée  se  précipite  derrière  eux,  et 
fatôt  la  victoire  est  complète.  Mais  elle  avait 
I  chèrement  achetée  ;  «  la  perte  de  Schwerin 
ait  celle  de  dix  mille  hommes ,  »  disait  Fré- 
qui,  àansi' Histoire  de  mon  temps,  ajoute 
qu'à  son  arrivée  au  trône  il  n'y  avait  dans 
on  armée  que  Schwerin  qui  fût  un  homme 
et  un  général   expérimenté.   En  effet 
in  avait  été  presque  de  moitié  avec  le  roi 
création  de  cette  formidable  armée  prus- 
dont  les  exploits  excitaient  l'admiration 
e.  Ce  capitaine,  dont  le  souvenir,  perpétué 
chants  populaires,  vit  encore  aujour- 
n  Prusse,   était  dans  sa  vie  privée  un 
de  toutes  les  vertus.  Il  était  d'une  piété 
et  a  laissé  plusieurs  poésies  religieuses 
composition.  Il  consacrait  la  plus  grande 
Se  de  ses  loisirs  à  la  culture  des  lettres  et 
sciences;  il  recherchait  le  commerce  des 
its;  et  son  instruction  solide  le  mettait  à 
e  d'en  profiter. 

iuU,  Lebea  grosser]  Uelden,  1. 1.  —  Der  Biographe 
H  -  Hlrschlng,  Handbuck.  -  ArchcnholU,  Gesch.  der 


SCHWILGUE 


614 


siebenjxhrigen  Krieges.—  Stenzcl,  Gesch.  des  preussis- 
c/ien  Folkss.  —  Prcuss ,  Friedrich  der  Crosse.  — 
Schrcning,  Die  ersten  Jahre  der  Regierung  Friedrich 
des  Grossen,  Berlin,  1858,  et  Der  siebcnjsckriije  Krieg, 
l'otsdam,  1851.—  Preussens  Helden,-  Leip/.lg,  1862. 

schwilguÉ  (Jean-Baptiste),  mécanicien 
français,  né  le  18  décembre  1776,  à  Strasbourg, 
où  il  est  mort,  le  5  décembre  1856.  Dès  ses  plus 
jeunes  années  il  montra  un  goût  si  décidé  pour 
les  arts  mécaniques  que,  sans  autre  guide  que 
son  intelligence  et  son  adresse  manuelle,  il  par- 
vint à  confectionner  les  outils  nécessaires  à  l'é- 
tablissement d'un  petit  atelier.  L'horlogerie  lui 
semblait  surtout  le  chef-d'œuvre  de  l'invention 
humaine.  Son  père,  attaché  à  l'intendance  d'Al- 
sace, perdit  son  emploi  aux  premiers  jours  de 
la  révolution,  et  alla  se  fixer  à  Schelestadt. 
Jean-Baptiste  en  se  mariant  (25  avril  1796)  prit 
la  direction  d'un  petit  atelier  d'horlogerie,  et  con- 
sacrait à  l'étude  le  temps  que  ne  lui  prenait  point 
son  industrie;  aussi,  bien  qu'il  n'eût  aucun 
maître,  il  acquit  assez  de  connaissances  pour  être 
nommé  en  1808  vérificateur  des  poids  et  me- 
sures de  Schelestadt,  et  régent  de  mathématiques 
au  collège  de  cette  ville.  C'est  vers  ce  temps  que, 
songeant  plus  que  jamais  à  la  reconstruction  de 
l'horloge  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  il  eut 
l'idée  de  remplacer  par  un  calendrier  méca- 
nique et  mobile  l'ancien  calendrier  de  cette 
horloge,  qui  n'indiquait  qu'en  peinture,  sur  son 
disque  de  bois,  et  seulement  pour  l'espace  d'un 
siècle,  les  jours  de  Pâques  de  chaque  année,  avec 
quelques-unes  des  principales  fêtes  mobiles.  Le 
6  décembre  1815  Selrwilgué  avait  terminé  son 
comput  ecclésiastique,  et  le  30  octobre  1821  il 
soumettait  à  Louis  XVIII  ses  plans,  ses  calculs 
et  la  pièce  mécanique  qui  indiquait  à  perpétuité 
les  éléments  du  calendrier  de  l'Église.  A  partir 
de  1822  il  s'occupa  de  mécanique  industrielle, 
et  la  balance-bascule  portative  à  l'usage  du  com- 
merce, les  ponts  à  bascule  fixés  sur  une  maçon- 
nerie servant  à  peser  les  voitures  chargées,  tels 
furent  les  principaux  produits  de  son  atelier, 
pour  la  fabrication  desquels  il  s'associa,  le  24 
mars  1827,  avec  Frédéric  Bollé  de  Strasbourg,  et 
depuis  lors  il  devint  l'inventeur  d'une  foule 
d'instruments  de  précision,  tels  que  le  pèse-stère, 
les  balances  d'essai,  les  pompes  portatives  à  in- 
cendie sans  piston,  le  toposcope,  le  marqueur 
fixe,  le  pèse-lettres,  etc.  Ses  appareils  lui  va- 
lurent une  médaille  d'argent  à  l'exposition  de- 
1827,  et  la  croix  d'Honneur  en  1835.  Schwil- 
gué  commença  vers  la  fin  de  juin  1838  les 
travaux  de  restauration  de  l'horloge  de  la  ca- 
thédrale, pour  laquelle  le  conseil  municipal  de 
Strasbourg  avait,  le  7  septembre  1836,  voté  ua 
crédit,  et  le  dimanche  2  octobre  1842  l'admirable 
mécanisme,  tout  entier  reconstruit  par  lui,  marche 
pour  la  première  fois  devant  le  congrès  scienti- 
fique assemblé  à  Strasbourg.  Sans  parler  de», 
nombreuses  figures  allégoriques  qui  se  meuvent 
et  marquent  les  heures,  les  jours,  les  mois,  les  - 
années,  les  siècles,  on  doit  rappeler  qu'un  poids- 

20. 


615  SCHWILGUÉ  —  SCIPION 

d'un  kilogramme  seulement,  remonté  une  seule 
fois  dans  l'année,  met  en  mouvement  les  innom- 
brables rouages  de  cette  horloge,  qui  indique  en- 
core le  jour  vrai,  le  jour  sidéral  et  le  jour  moyen, 
la  marche  des  planètes  et  de  leurs  satellites ,  le 
comput  ecclésiastique,  les  équations  solaires  et 
lunaires,  etc.  La  partie  vraiment  scientifique  de 
l'horloge  est  l'œuvre  de  Schwilgué,  qui  pour  ce 
merveilleux  travail  refusa  toute  rémunération 
pécuniaire.  Son  nom  sera  donc  désormais  insé- 
parable dans  les  fastes  de  la  cathédrale  de 
Strasbourg  de  ceux,  de  Werner  et  d'Erwin. 
Schwilgué  fut  promu  officiel'  de  la  Légion 
d'honneur  le  13  novembre  1853.  On  a  de  lui  une 
Description  abrégée  de  l'horloge  de  Stras- 
bourg (1843,  in-I8). 

Ch.  Schwilgué,  Notice  sur  mon  père,J.-B.  Schwilgué, 
sa  vie,  ses  travaux;  Strasoourg,  1857,  in-8°. 

SCHTRLE.    Voy.    RlIEITA. 

sciarpelloni.  Voy.  Credi  (  Lorenzo  di). 

scipions  (Famille  des).  C'était  une  branche 
de  la  maison  patricienne  de  la  gens  Cornelia; 
elle  était  unie  par  la  naissance  et  par  la  com- 
munauté de  certains  rites  religieux  aux  Cossus, 
aux  Lentulus,  aux  Sylla,  aux  Cethegus,  aux 
Merula.  Le  mot  Scipio  signifie  bâton;  selon 
Macrobe,  il  aurait  été  donné  à  cette  famille  de- 
puis qu'un  de  ses  membres  avait  servi  de  bâton 
de  vieillesse  à  son  père  ;  touchante  histoire,  qui 
semble  avoir  été  inventée  tout  exprès  pour  le  be- 
soin de  l'étymologie.  Les  Scipions  possédaient  pour 
leur  famille,  près  de  la  porte  Capena,  un  lieu  de 
sépulture  découvert  en  1780,etqui  est un  des  restes 
les  plus  intéressants  de  la  période  républicaine. 
°*  Le  premier  Scipion  (  P.  Cornélius)  que  l'on 
trouve  dans  l'histoire  est  celui  que  le  dictateur 
Camille  choisit  en  396  avant  J.-C  pour  maître 
de  la  cavalerie.  Pour  les  deux  années  suivant.es> 
il  fut  tribun  militaire  avec  pouvoir  de  consul,  et 
à  deux  reprises  (391  et  369)  il  exerça  les  fonc- 
tions d'interroi. 

Scipion  (  C.  Cornélius  )  fut  édile  curule  en 
366,   l'année  où  cette  magistrature  fut  instituée. 

Scipion  (L.  Cornélius  )  fut  le  premier  de  sa 
famille  qui  eût  été  élu  consul  (350). 

Scipion  (P.  Corn.),  consul  en  328,  remplit 
en  306  la  charge  de  dictateur,  mais  quelques 
jours  seulement. 

Scipion  (  L.  Corn,  Barbatus  ),  fils  de  Cnseus, 
fut  successivement  édile,  consul  et  censeur; 
dans  la  guerre  contre  les  Samnites,  il  s'empara 
de  plusieurs  villes  et  soumit  toute  la  Lucanie.  I! 
est  difficile  de  dire  si  c'est  le  môme  personnage 
qui  dans  les  fastes  consulaires  est  nommé  à  l'an 
300,  qui,  d'après  le  récit  de  Tite  Live,  vainquit 
les  Étrusques  dans  une  grande  bataille,  et  qui, 
trois  années  après,  placé  comme  propréteur  à  la 
tète  d'une  légion,  fut  enveloppé  par  une  armée  de 
Gaulois  cisalpins  et  massacré  avec  toute  sa  troupe. 

C'est  avec  les  guerres  puniques  que  commence 
la  grandeur  des  Scipions. 

Scipion  Asina  (  Cneius  Corn.),  fils  de  Bar- 


6li 
batus,  fut  consul  en  260,  et  commanda  la  pre 
mière  Hotte  de  guerre  que  les  Romains  eusser 
construite;  mais  tandis  qu'il  s'avançait  impri 
demment  avec  quelques  vaisseaux ,  h  se  trouv 
en  présence  de  toute  la  flotte  carthaginoise,  < 
fut  fait  prisonnier;  son  collègue  Duillius  : 
vengea,  et  plus  tard  Regulus  le  tira  de  captiviti 
Réélu  consul  (254),  il  construisit  en  trois  rno 
une  flotte  de  cent  vingt  quinquérèmes,  et  repr 
presque  toute  la  Sicile  aux  Carthaginois.  Il  rei 
tra  à  Rome  en  triomphe. 

Scipion  (Lucius  Corn.),  frère  du  précéden 
fut  consul  en  259.  Chargé  par  le  sénat  d'enlev. 
aux  Carthaginois  la  Corse  et  la  Sardaigne, 
chassa  les  ennemis  de  ces  deux  îles  après  1 
avoir  battus  sur  mer.  C'est  lui  qui  est  signa 
dans  la  deuxième  inscription  du  tombeau  d  ;j 
Scipions,  comme  étant  «  de  l'aveu  de  tous,  il 
meilleur  entre  les  hommes  de  bien  », 

Scipion  Calvos  {Cneius  Corn.),  fils  > 
précédent,  mort  en  211,  (ut  consul  en  2:1 
Chargé  avec  son  collègue  Marcellus  de  continj 
la  guerre  contre  les  Insubres,  il  assiégea  et  p 
leur  ville  d'Acerree  (voy.  Marcellus).  En 
il  servait  dans  l'armée  de  son  frère  Publius, 
se  dirigeait  avec  lui  vers  l'Espagne,  lorsqu 
apprit,  à  Marseille,  qu'Annibal  franchissait  d 
les  Alpes.  Pendant  que  Publius  revenait  en  te 
hâte  en  Italie,  Cneius  prit  le  commandement  i 
iégions,  et  occupa  une  partie  du  littoral  au  m 
de  TÈbre.  Il  s'attacha  par  sa  douceur  les  Est 
gnols,  que  Carthage  avait  traités  durement;  i 
fit  des  alliés  parmi  eux,  et  y  trouva  d'excellé 
soldats.  Deux  armées  carthaginoises  occupai 
lepays  ;  il  battit  en  2l8,prèsdeCissa,celled'H 
non  et  s'empara  de  Tarragone.  En  217,  il  rr.o 
sur  ses  vaisseaux,  et  détruisit  près  des  bouche.1 
l'Ebro  la  flotte  carthaginoise.  Celte  victoire» 
pécha  Asdrubai  de  passer  en  Italie,  où  sa  j 
sence,  après  la  bataille  de  Cannes,  aurait  dé 
du  sort  de  Rome.  Cneius  promena  sa  flotte 
torieuse  tout  le  long  du  littoral,  et  cent  v| 
peuplades  de  l'Espagne  se  soumirent  à  lui; (s. 
îles  Baléares  elles-mêmes  se  détachèrenl 
parti  de  Carthage.  Peu  après  Publius  ar 
avec  quelques  renforts;  tous  deux  se 
tèrent  sur  Sagonte,  y  nouèrent  des  intelligen 
ot  réussirent  à  se  faire  livrer  une  foule  d'ot 
espagnols,  qui  furent  renvoyés  libres  ches 
différents  peuples.  En  216,  Asdrubai  es 
de  sortir  d'Espagne  pour  passer  en  Italie: 
deux  Scipions  lui  barrèrent  le  chemin  au  pas  jp 
de  l'Èbre,  et  dans  une  grande  bataille  ils  dé  ji- 
sirent  cette  armée  qu'Annibal  attendait.  1 
la  campagne  de  215,  trois  armées  cartl 
noises  assiégeaient  ensemble  la  ville  d'Ulit 
alliée  des  Romains;  les  Scipions  accourent, 
versent  le  camp  de  l'ennemi,  pénètrent  dai 
ville,  raniment  les  habitants,  font  une  sorti 
avec  seize  mille  hommes  ils  mettent  en  p 
déroute  soixante  mille  Carthaginois.  La  vïll< 
i  délivrée.  La  même  année  ils  remportent  er 


la      [; 

et 
ic 

st     .. 


17 


SCIPION 


613 


ie  grande  victoire,  et  presque  toute  l'Espagne 
t   pour  eux.  En  214,  ils  sont  vainqueurs  dans 
lis  batailles,  et  prennent  Sagonte.  En  212,  ils 
feraient  d'en  finir  avec  cette  guerre.  Deux  ar- 
ecs  carthaginoises ,  commandées,    l'une   par 
sdrubal  Barca  et  l'autre  par  Magon,  se  (rou- 
lient  à  cinq  journées  de    marche   l'une    de 
mire.  Les  deux  généraux  romains  conçoivent 
projet  hardi  de  les  écraser  séparément;  mais 
mr  empêcher  leur  jonction,  ilsse  séparent eux- 
êmes;   Cneius  se  porte  contre  Asdrubal  avec 
i  tiers  seulement  des  légionnaires  et  tous  ses 
ipagnols.  Ce  n'était  pas  la  coutume  de  Rome 
[avoir  des  mercenaires  étrangers;  mais  à  cette 
ot|ue  le  sang  romain  devenait  précieux,  et  l'I- 
I  lie  ne  pouvait  pas  envoyer  beaucoup  de  sol- 
its  :  les  Scipions  avaient  donc  enrôlé  moyen- 
nt  une  solde   20,000  Celtibères;  ils  croyaient 
uvoir  se  fier  à  eux.  Mais  Asdrubal  fit  offrir  à 
lis  indigènes  autant  d'argent  pour    poser  les 
(mes  que  les  Romains  leur  en  donnaient  pour 
imbattre  :  ils  acceptèrent,  et  quittèrent  Scipion 
Jême  en  présence  de  l'ennemi.  Cneius,  réduit  à 
jielques  milliers  d'Italiens,  fit  retraite  en  évitant 
|  livrer  bataille.  Bientôt  l'arrivée  de  l'armée  de 
lagon  lui  apprit  que  son  frère  avait  été  vaincu. 
il  recula   pendant  plusieurs  jours,  poursuivi  de 
lès   par   les  deux    armées  carthaginoises.    II 
puva  enfin  une  colline  où  il  essaya  de  se  re- 
fancher;  mais  il  ne  put  pas  creuser  un  fossé 
!ms  le  roc,  et  le  terrain  n'offrait  pas  de   bois 
jpur  faire  la  palissade.  Il  se  fit  un  rempart  avec 
!S  bagages;  cette  faible  barrière  fut  bientôt  en- 
•ncée  et  la  petite  armée  romaine  périt  presque 
Jnit  entière  avec  son  général. 
Scipion  (  Publius  Corn.),  frère  du  précédent, 
ort.en  211,  fut  consul  en  219.  Ce  fut  lui  qui 
Itroiiuisitdans  le  sénat  les  députés  de  Sagonte 
jii  réclamaient  de  prompts  secours;   mais  le 
mat  s'étant  contenté  d'envoyer  une  ambassade 
I  Carthage,  Sagonte  fut  prise.  A  cette  nouvelle 
sénat  décréta  la  levée  de  trois  armées,  et  char- 
;a  Scipion,  avec  l'une  d'elles,  de  se  rendre  en 
jspagne  pour  y  enfermer  Annibal.  Scipion  ap- 
frcnd  à  Marseille  qu'Annibal  a  franchi  les  Py- 
linées  et  qu'il  va  traverser  le  Rhône.  Il  envoie 
î  avant  un. corps  de  cavalerie,  qui  a  le  dessus 
tir  un  corps  de  cavaliers  numides;  lui-même 
h  met  en   marche    pour  atteindre  l'envahis- 
:ur;  mais  à   la   nouvelle  qu'il   doit   être   ar- 
(vé  aux  Alpes ,  il  laisse  la  plus  grande   partie 
lasses  troupes  à  son  frère  Cneius,  qui  doit  se 
''tidre  en  Espagne  ;  puis  il  gagne  Gênes  par  mer, 
ii  chercher  à  Pise  l'armée  du  préteur  Manlius, 
f  prend  sous  ses  ordres  en  qualité  de  consul,  et 
i  ramène  sur  le  Pô.  Il  lutte  de  rapidité  avec 
jnnibal.  C'est  seulement  un  peu  en  avant  du 
feasin  qu'il  peut  l'atteindre  (218).  A  la  suite  d'un 
jrnibat   désavantageux   où  il   est  blessé,  Sci- 
[ on  repasse  le  Pô,  veut  défendre  au  moins  la 
Jve  droite   du  fleuve;  mais  les  Gaulois  l'aban- 
mnent  en  égorgeant  quelques  cohortes.  Il  re- 


cule vers  la  Trébie;  là,  des  rives  boisées  et  cou- 
vertes de  collines  doivent  mettre  son  armée  à 
l'abri  des  cavaliers  numides.  Il  veut  s'y  établir 
dans  un  camp  retranché,  traîner  la  guerre  en 
longueur  et  laisser  les  Carthaginois  s'épuiser 
sans  combattre.  Son  collègue  Sempronius,  qui 
l'a  rejoint,  ne  comprend  rien  à  ce  plan,  et  il  livre 
bataille.  Les  deux  armées  consulaires  sont  vain- 
cues par  la  cavalerie,  par  les  éléphants,  et  sur- 
tout par  la  tactique  d'Annibal;  trente  mille  Ro- 
mains restent  sur  le  champ  de  bataille,  et  la 
Cispadane  est  aux  Carthaginois.  Même  après  ce 
ce  désastre,  le  sénat  jugea  la  présence  de  Scipion 
plus  utile  encore  en  Espagne  qu'en  Italie,  et  il 
l'envoya  dans  cette  province  avec  le  titre  de 
proconsul.  Il  y  rejoignit  son  frère  Cneius,  et  pen- 
dant cinq  ans  il  dirigea  la  guerre  avec  lui  dans 
un  accord  parfait.  Leurs  brillants  succès  (voy. 
l'articlequi  précède)  eurent  pour  principal  effet  de 
retenir  dans  la  Péninsule  les  armées  carthagi- 
noises qu'Annibal  appelait  en  Italie.  En  212  les 
deux  frères  se  séparèrent,  pour  tenir  tête  à  la 
fois  à  Asdrubal  et  à  Magon.  C'est  contre  Ma- 
gon que  se  dirigeait  Publius;  dans  sa  marche,  il 
rencontra  un  ennemi  sur  lequel  il  ne  comptait 
pas  ;  c'était  Massinissa,  alors  allié  de  Carthage. 
Ses  nombreux  cavaliers  le  harcelaient  sans  com- 
battre. Ayant  appris  qu'un  petit  corps  espagnol 
est  à  peu  de  distance,  il  se  porte  contre  lui; 
mais  il  est  surpris  par  Massinissa,  atteint  par 
Magon.  En  se  portant  au  plus  fort  du  danger,  il 
tombe  percé  d'un  javelot;  l'armée  romaine  est 
mise  en  déroute  et  presque  entièrement  exter- 
minée. Publius  avait  laissé  à  Rome  un  fils,  qui 
fut  Scipion  l'Africain  (1).  F.  de  C. 

Polybc,  liv.  I-X Tite  Live,  passim.  —  Cicéron,  pro 

Ptancio,  23;  pro  Ilalbo,  15.  —  Egger,  P'eteris  sermonis 
latini  rehquise,  p.  100,  104,  13't.  —  Smith,  Uictionury . 

scipion  l'Africain  (  Publius  Cornélius 
Scipio  Africanas  major), fils  du  précédent, né 
vers  234,  mort  vers  183.  Il  se  distingua,  n'ayant 
encore  qu'environ  dix-sept  ans,  à  la  bataille  du 
Tessin;  il  paraît  même  que  ce  fut  lui  qui  dé- 
gagea le  consul,  son  père,  entouré  par  l'ennemi, 
et  qui  le  sauva.  11  prit  part  comme  tribun  lé- 
gionnaire à  la  bataille  de  Cannes  (216);  ce  fut 
lui  qui  dirigea  la  retraite  de  quelques  milliers 
d'hommes  échappés  au  désastre,  et  qui  les  con- 
duisit à  Canusium.  Une  foule  d'officiers  décou- 
ragés avaient  formé  le  complot  de  quitter  l'I- 
talie :  il  se  rendit  au  milieu  d'eux,  et  les  força 
de  jurer,  avec  lui,  de  ne  pas  abandonner  la  répu- 
blique. En  212  il  demanda  Pédilité  curule;  les 
tribuns  s'opposant  à  sa  candidature,  parce  qu'il 
n'avait  pas  l'âge   légal,  il  répliqua   :  «  J'aurai 

(1)  Publius  et  Cneius,  tués  tous  deux  en  Espagne, 
avaient  un  frère,  Lucius,  qui  prit  quelque  part  à  leurs 
succès.  Le  ûls  de  Lucius,  Cneius,  surnommé  Hispalus, 
fut  consul  en  171  et  mourut  d'une  attaque  de  paralysie,  à 
Cannes,  dans  le  cours  de  sa  magistrature.  —  Celui-ci  eut 
aussi  r.n  fils,  qui  porta  les  mêmes  nom  et  surnom;  il 
occupa  les  charges  de  questeur  (149)  et  de  préteur  (139).  — 
Il  laissa  un  fils,  en  qui  s'éteignit  cette  branche,  assez 
obscure,  de  la  famille  des  Scipions. 


619  SCIPION 

assez  d'années  si  j'obtiens  assez  de  suffrages.  » 
El  tous  les  suffrages  furent  pour  lui.  Jeune  en- 
core, i!  exerçait  un  grand  ascendant  sur  la  foule. 
Tite-Live  dit  qu'il  n'était  pas  plus  admirable 
pour  ses  véritables  qualités  que  pour  l'art  qu'il 
possédait  de  les  faire  valoir.  C'était  un  carac- 
tère merveilleusement  maître  de  lui-même; 
plein  de  passions,  il  n'en  avait  aucune  qui  ne 
cédât  à  sa  volonté  ou  à  son  intérêt.  Il  était  ap- 
pliqué et  laborieux  sous  les  dehors  d'un  ami  du 
plaisir.  Mais  ces  qualités  n'étaient  connues  que  de 
ceux  qui  vivaient  dans  son  intimité.  A  la  mul- 
titude il  présentait  un  autre  genre  de  vertus;  il 
était  généreux,  prodigue,  ami  des  fêtes,  indul- 
gent à  (ous  et  accessible  ;  la  qualité  qu'il  voulait 
qu'on  lui  attribuât  de  préférence  à  tonte  autre, 
c'était  le  bonheur,  qualité  fort  estimée  du  vul- 
gaire dans  tous  les  temps,  et  surtout  des  Ro- 
mains, qui  croyaient  le  bonheur  inhérent  à  la 
nature  d'un  homme,  comme  un  don  que  les  dieux 
y  avaient  attaché  en  récompense  de  ses  vertus. 
Scipion  aimait  à  parler  de  ses  songes  ;  dans  le 
sommeil,  même  dans  la  veille,  il  avait  des  en- 
tretiens avec  les  dieux.  Il  n'entreprit  jamais  au- 
cun acte  important  de  sa  vie  publique  ou  privée 
sans  avoir  passé  quelques  heures  dans  le  temple 
du  Capitole  et  sans  avoir  eu  une  conférence  se- 
crète avec  la  divinité.  Il  ne  démentait  pas  ceux 
qui  disaient  qu'il  était  fils  de  Jupiter  et  que  sa 
ïnèreavail  eu  commerce  avec  ce  dieu  sous  la  figure 
d'un  serpent.  Par  tous  ces  moyens  ii  rendait  le 
peuple  et  les  soldats  empressés  à  servir  ses  des- 
seins; tous  le  suivaient  à  l'aveugle;  lui  seul 
consultait  la  calme  et  froide  raison. 

En  211  son  père  et  son  oncle  périrent  en  Es- 
pagne, et  Rome,  qui  avait  envoyé  à  leur  place 
le  propréteur  C.  Nero,  résolut  d'accroître  le 
nombre  de  ses  troupes  et  de  les  confier  à  un 
proconsul  (210).  Le  jour  des  comices,  personne 
ne  se  présenta  pour  recevoir  ce  dangereux  héri- 
tage des  deux  généraux  vaincus  ;  Scipion  seul 
sollicita  les  suffrages  des  centuries;  il  n'avait 
que  vingt-quatre  ans,  mais  le  peuple  l'élut  à 
l'unanimité.  Dès  qu'il  fut  en  Espagne,  il  com- 
prit quel  était  l'unique  moyen  de  vaincre  les 
Carthaginois;  il  fallait  s'attacher  les  Espagnols  et 
se  présenter  à  eux  comme  un  libérateur  qui 
venait  les  arracher  à  la  domination  oppressive 
de  Carthage.  Il  affecta  donc  un  grand  esprit  de 
justice,  et  se  fit  des  alliés  par  sa  modération. 
Voulant  frapper  les  imaginations  par  un  coup 
hardi,  i!  traverse  une  grande  partie  de  l'Es- 
pagne et  se  porte  rapidement  sur  Carthagène. 
«  Neptune,  disait-il,  lui  avait  inspiré  cette  ré- 
solution »;en  réalité,  il  savait  qu'aucune  des 
armées  carthaginoises  n'était  à  portée  de  dé- 
fendre la  ville,  qui  n'avait  qu'une  faible  garnison. 
Carthagène  fut  prise  en  un  jour;  or,  c'était  le 
chef-lieu  de  la  domination  des  Carthaginois;  là 
étaient  leurs  arsenaux,  leur  trésor  public,  et  les 
bagages  de  leurs  trois  arméees;  là  étaient  aussi 
les  otages  des  peuples  soumis.  Ces  otages  dans 


62( 

les  mains  de  Scipion  étaient  un  gage  de  l'aliiano 
des  Espagnols  ;  il  les  traita  donc  en  amis,  leu 
prodigua  les  caresses  et  les  présents,  et  leur  pro 
mit  de  les  renvoyer  dans  leurs  familles,  du  jou 
où    leurs  familles    voudraient   être  amies  d 
Rome.  Parmi  ces  otages  il  y  avait  des  femmes 
le  droit  de  la  guerre  les  mettait  à  la  discrétio 
du  vainqueur;  mais  Scipion,  qui  n'était  pas  u 
modèle  de  continence,  voulut  étonner  les  Espa 
gnols  par  un  grand  exemple  de  vertu,  et  il  rer 
voya  ces  femmes  à  leurs  pères  ou  à  leurs  mari: 
La  plupart  des  peuples  espagnols  ne  tardèrei 
pas  à  lui  faire  savoir  qu'ils  abandonnaient 
parti  de  Carthage;  Mandonius  et   Indibilis  s'o 
frirent  à  lui  avec  leurs  excellents  soldats.  Ca  a 
thage  avait  trois  armées  en  Espagne,  commai 
dées  parAsdrubal  Barca,  Asdrubal  fils  de  Gisco 
et  Magon.   Le  plan  des  généraux  était  que  1 1 
deux   derniers  gardassent   l'Espagne  et  que  | 
premier  passât  en  Italie,  où  sa  présence  était  pi 
nécessaire   que   jamais    à  Annibal ,   sou  frèi  i 
Asdrubal  livra  bataille  près  de  Baeculà,  fut  vain 
et  perdit  vingt  mille  hommes  (209)  ;  mais  la  1 
sant  là  ses  morts  et  ses  bagages,  il  courut  I 
toute  hâte  vers  les  Pyrénées;  on  sait  d'aillei 
qu'il  ne  rejoignit  pas  son  frère.  Scipion  resl 
encore  en  présence  de  trois  armées  ;  car  un  ne 
veau  général,  Hannon,  était  arrivé  d'Afrique 
est  vrai  qu'i".  se  laissa  surprendre  et  battre  par 
lieutenant  de  Scipion  (208).  L'année   d'apri 
Magon  et  Asdrubal,  fils  deGiscon,  réunirent  lei 
forces;    Scipion   les   vainquit  ensemble   (20 
Dès  lors,  à  l'exception  de  Gadès,  il  ne  resta  p 
lien   à  Carthage  dans   toute  la   péninsule.  I| 
que  Scipion  fut  maître  de  l'Espagne,  il  songe; 
l'Afrique;  pour  cela  l'alliance  des  Numides 
était  nécessaire.  Il  se  rendit  en  personne  aup 
de  Syphax,  qui  régnait  sur  la  Numidie  occid< 
taie.  On  dit  qu'il   se  rencontra  à  sa  cour  a 
Asdrubal,  fils  de  Giscon;  les  deux  généraux 
passèrent  plusieurs  jours  dans  l'intimité.  M 
Scipion  fut  le  plus  adroit,  et  s'assura  l'allia 
du  chef  numide.  Pendant  son  absence  une  for 
dable  insurrection  avait  éclaté  en   Espagne 
la  réprima  en  la  frappant  de  terreur  :  la  \ 
d'Iiiiturgi,  dont  la  population  entière  comtwi 
sur  les  murailles,  fut  prise  d'assaut  et  rasée.  ] 
après  Scipion  tomba  malade,  et  le  bruit  de 
mort  se  répandit;  il  n'enfallut  pas  davantagep 
que  de  nouvelles  défections  se  produisissent 
même  temps,  un  corps  de  huit  mille  Romain 
révolta  et  déposa  ses  chefs.  A  peine  convalesct 
il  appela  à  lui  les  légionnaires  révoltés  en  leur  c 
mettant  de  faire  droit  à  leurs  plaintes  ;  il  les 
envelopper  par  ses  soldats   restés   fidèles ,  p  | 
donna  à  la  foule  et  mit  à  mort  les  meneurs.  En 
il  mena  ces  mêmes   légions  battre  Mandoniu 
Indibilis.  Les  Carthaginois    occupaient  enc 
Gadès,  grâce  à  Massinissa  et   à   ses  Numid 
Scipion  attira  Massinissa  à  une  entrevue,  et  a  t 
un  allié  de  Rome;  la  prise  de  Gadès  achev 
soumission  de  l'Espagne. 


21 

[  Dès  que  Scipion   put  quitter  sa  province  pa- 
|  fiée  (206),  il  revint  à  Rome  pour  rendre  compte 
3  ce  qu'il  avait  fait.  Introduit  au  sénat,  iJ  énu- 
i  iéra  les  armées  vaincues,  les  villes  prises ,  les 
tapies  soumis.  Il   espérait  qu'on  lui  décerne- 
nt le  triomphe;  mais  la  loi  défendait  de  l'ac- 
!)rder  à  quiconque  n'était  pas  revêtu  d'une  ma- 
strature  régulière;  or,  Scipion  n'était  ni  pré- 
urni  consul,  et  il  avait  fait  ses  campagnes  avec 
ta  simple  commandement  militaire.  Survinrent 
n  comices  consulaires  ;  tous  les  suffrages  se 
unirent  sur  lui  (205)  ;  encore  lui  donna-t-on  un 
f)llègue  peu  gênant  qui,  se  trouvant  en  même 
;  mps  pontife,  ne  pouvait  pas  sortir  d'Italie  et 
pvait  par  conséquent   laisser  à   Scipion  la  di- 
ction de  la  guerre.  L'Espagne  étant  soumise  et 
tombai  étant   compté   pour  rien   au   fond  du 
ruttkim,  c'était  en  Afrique  qu'il  fallait  corn- 
i  ittre  Carthage.  Scipion ,  en  dépit  de  l'opposi- 
[on  de  Fabius ,  se  fit  donner  pour  province  la 
?  cile  avec  l'autorisation  de  passer  en  Afrique, 
Eil  le  jugeait  utile  à  l'État.  Il  est  vrai  que  le 
t  nat  lui  donna  fort  peu  de  troupes  et  encore 
foins   d'argent;  mais  Scipion  trouva  de  Par- 
fait dans  tes  villes  d'Étrurie,  des  bois  de  cons- 
•[ action  dan9  la  Campanie,  des  soldats  chez  les 
ibins  et  chez  les  Marses;  la  Sicile  fournit  les 
ïievaux;    une  flotte   fut  construite  en  six  se- 
[  aines.  Dans  son  quartier  général  de  Syracuse, 
[prépara  une  formidable  expédition.  Caton,qui 
i  servait  de  questeur,  se  plaignit  de  l'argent 
li'il  dépensait»  Scipion  répondit  qu'il  n'avait  pas 
ipsoin  d'un  questeur  si  exact,  et  Caton  alla  por- 
ta ses  plaintes  au  sénat.  Il   ne  s'en  fallut  pas 
a  beaucoup  qu'on  ne  lui  retirât  son  comman- 
»  ?ment.  Quand  fous  ses  préparatifs  furent  ache- 
Ités,  il  s'embarqua  (204),  quitta  la  Sicile  en  grand 
ppareil,  et  aborda  sur  la  côte  d'Afrique,  dans 
\  voisinage  d'Utique.   Deux  combats  de  cava- 
lerie lui  permirent  de  prendre  pied  sur  le  tern- 
aire carthaginois.  11  comptait  sur  le  concours 
fes  Numides;  mais  des  deux  rois,  Syphax  était 
levenu  l'ennemi  de  Rome,  et  Massinissa ,  son 
feri  allié,  était  chassé  de  son  royaume.  Il  ne  se 
écouragea  pas.  Syphax  et  Asdrubal  réunirent 
jne  armée  de  cinquante  mille  hommes;   une 
-ait,  Scipion  mit  le  feu  à  leur  camp  et  fit  périr 
;resque  toute   cette  armée  dans  les   flammes 
'W3).  C'était  à  la  faveur  d'une  trêve  qu'il  avait 
'u  S'approcher  du  camp  et  y  porter  l'incendie, 
'arthage  et  la  Numidie  formèrent  une  nouvelle 
rnnée;  Scipion  la   détruisit  dans  la  bataille  des 
grandes  Plaines.   Puis  pendant  qu'il  prenait 
une  après  l'autre  les  villes  qui  entouraient 
[arthage,   Massinissa   se    lança  en    Numidie, 
'ainquit  Syphax  et  le  fit  prisonnier.  Scipion  ré- 
oinpensa  Massinissa  en  lui  donnant  le  nom  de 
:oi  et  en  lui  promettant  la  Numidie  entière,  mai* 
ne  lui  permit  pas  d'épouser  la  Carthaginoise 
ojihonisbe  {voy.  ce  nom).  Annibal,  qui  était 
evenu  d'Italie,  jugea  Carthage  sans  ressource  et 
eïnanda  la  paix;  mais  Scipion  ne  voulait  traiter 


SCIPION  639 

qu'après  une  victoire.  Les  deux  généraux  se 
préparèrent  à  une  suprême  bataille,  qui  eut  lieu 
dans  une  grande  plaine  découverte  près  de  Zama. 
Annibal  avait  rangé  son  armée  sur  trois  lignes, 
et  s'était  placé  à  la  troisième  avec  ses  vétérans 
d'Italie;  Scipion  fit  enfoncer  les  deux  pre- 
mières lignes  par  ses  légions,  et  fit  tourner  la 
troisième  par  la  cavalerie  numide  (19  octobre 
202).  Le  vainqueur 'pouvait  mettre  le  siège  de- 
vant Carthage;  mais  la  ville  n'aurait  pas  man- 
qué de  résister  quelques  semaines; 'or  Scipion 
savait  que  le  sénat  lui  avait  désigné  un  succes- 
seur, et  que  ce  serait  ce  successeur  qui  aurait  la 
gloire  de  prendre  Carthage.  Se  hâtant  donc  de 
traiter,  il  dicta  des  conditions  de  paix  que  Car- 
thage accepta  et  qui  furent  assez  avantageuses  à 
Rome  pour  que  le  sénat  dût  les  ratifier.  La  se- 
conde guerre  punique  fut  ainsi  terminée  par  Sci- 
pion ;  de  retour  à  Rome  (201),  il  triompha  avec 
un  éclat  inusité ,  et  prit  ou  se  laissa  donner  le 
surnom  d'Africain. 

Pendant  quelques  années  sa  popularité  fut 
immense.  On  lenommacenseur  (199),  puis  prince 
du  sénat;  on  parla  de  lui  conférer  le  consulat  à 
vie,  et  l'on  proposa  que  sa  statue  fût  portée 
dans  les  pompes  religieuses  avec  les  statues  des 
dieux.  Scipion  repoussa  des  honneurs  qu'on 
n'eût  pas  manqué  de  trouver  excessifs  du  jour  où 
il  les  aurait  acceptés.  Il  fut  consul  en  194; 
mais  ce  second  consulat  n'ajouta  rien  à  sa  gloire; 
le  seul  de  ses  actes  de  cette  année  qui  ait  mé- 
rité l'attention ,  ce  fut  d'avoir  établi  que  dans 
les  spectacles  publics  les  sénateurs  auraient  des 
places  réservées  :  innovation  qui  ne  laissa  pas 
de  mécontenter  le  peuple.  En  190,  son  frère 
aîné,  Lucius  Scipion,  demandait  le  commande- 
ment de  la  guerre  contre  Antiochus;  l'Africain 
détermina  le  sénat  à  le  lui  accorder,  en  promet- 
tant de  faire  la  campagne  en  qualité  de  lieute- 
nant. Sous  ce  nom,  il  dirigea  en  réalité  l'expé- 
dition. L'alliance  du  roi  Philippe  lui  permit  de 
traverser  heureusement  la  Macédoine  et  la 
Thrace;  en  Asie  Mineure  il  attira  au  parti  de 
Rome  le  roi  de  Bithynie.  Sur  les  ruines  de  Troie, 
il  fit  un  sacrifice  solennel  suivant  les  traditions 
grecques,  et  proclama,  au  dire  dt*  Tite  Live, 
l'origine  troyenne  de  Rome.  Il  ne  put  pas  suivre 
l'armée,  et  il  laissa  son  frère  s'avancer  seul 
contre  Antiochus.  Ce  n'est  pas  qu'il  fût  tombé 
malade ,  comme  le  répètent  les  biographes  ;  mais 
Scipion  était  l'un  des  prêtres  sahens;  or,  il  y 
avait  un  mois  de  l'année  pendant  lequel  la  loi 
religieuse  ordonnait  à  ces  prêtres,  en  quelque 
endroit  qu'ils  pussent  être,  d'y  demeurer  en 
quelque  sorte  immobiles.  Mais  tout  en  restant  à 
Elée,  il  semblait  encore  le  chef  de  l'expédilion. 
C'est  à  lui  qu' Antiochus  s'adressa  pour  obtenir 
la  paix,  après    lui  avoir  renvoyé   son  fils,  qui 


avait  été  fait  prisonnier  au  début  de  la  cam- 
pagne. Scipion  prétendit  reconnaître  ce  service 
en  conseillant  au  roi  de  ne  pas  combattre  tant 
que  lui  -même  n'aurait  pas1  rejoint  l'armée.  II 


623  SCIPION 

adressa  la  même  recommandation  au  consul. 
Lucius  Scipion  livra  pourtant  bataille,  et  fut 
vainqueur.  Ce  n'en  fut  pas  moins  l'Africain  qui 
fixa  les  conditions  de  la  paix  :  Antiochus  dut 
abandonner  toute  l'Asie  Mineure  et  payer  15,000 
talents. 

Lorsqu'il  revint  à  Rome  (189),  il  y  trouva  des 
haines  qui  s'étaient  accumulées  dès  longtemps 
contre  lui.  Sa  grandeur  lui  avait  fait  des  en- 
vieux, et  son  orgueil  des  ennemis:  on  voyait 
avec  peine  cet  arc  de  triomphe  qu'il  s'était 
élevé  à  lui-même  au  Capitole.  Beaucoup  de 
bons  citoyens  lui  reprochaient  son  ambition  et 
son  mépris  delà  loi.  Un  jour,  les  questeurs  re- 
fusaient de  lui  ouvrir  le  trésor  public,  alléguant 
une  loi  formelle;  Scipion  leur  prit  les  clefs  des 
mains,  et  ouvrit.  Un  autre  jour,  en  plein  sénat, 
on  lui  demandait  de  rendra  compte,  suivant 
l'usage  et  la  loi,  de  l'argent  livré  par  Antiochus 
(187);  Scipion  se  lève,  et  montre  dans -ses 
mains  le  registre  où  les  comptes  sont  écrits; 
«  mais,  ajoute-t-il,  on  ne  les  lira  pas;  je  neveux 
pas  avoir  la  honte  de  paraître  me  justifier  ».  Il 
déchire  le  registre  et  le  foule  aux  pieds.  De  tels 
actes  parurent  condamnables  dans  une  répu- 
blique qui  avait  encore  le  respect  de  la  loi. 
Le  tribun  M.  Nœvius  cita  Scipion  à  comparaître 
devant  lui  (185)  :  il  lui  reprocha  les  désordres 
de  son  séjour  en  Sicile,  les  excès  de  son  lieute- 
nant Flaminius,  la  discipline  altérée  par  lui, 
l'argent  de  l'État  dépensé  sans  compter,  et  en- 
fin ses  relations  secrètes  avec  Antiochus.  A 
tous  ces  griefs  Scipion  répondit  avec  l'au- 
dacieuse fierté  qu'on  lui  avait  toujours  vue  et 
qui  lui  avait  toujours  réussi.  «  Romains,  dit-il, 
c'est  à  pareil  jour  que  j'ai  remporté  en  Afrique 
une  victoire  sur  le  plus  redoutable  ennemi  de 
votre  empire,  ce  qui  vous  procura  une  paix 
aussi  avantageuse  qu'inespérée.  Ne  soyons  pas 
ingrats  envers  les  dieux;  laissons  crier  ce  vau- 
rien (il  parlait  du  tribun),  et  montons  au  Capi- 
tole pour  remercier  le  souverain  des  dieux.  » 
Cet  excès  de  mépris  pour  la  magistrature  et 
pour  la  loi  fascina  la  foule.  Scipion  monta  au 
Capitole,  entraînant  à  sa  suite  le  peuple  romain. 
Pourtant  les  tribuns  n'abandonnèrent  pas  l'accu- 
sation ;  ils  se  contentèrent  de  remettre  le  juge- 
ment à  un  autre  jour.  Ce  jour  venu,  Scipion  ne 
se  présenta  pas.  Alors  un  des  tribuns,  Sempro- 
nius  Gracchus,  qui  avait  été  jusqu'alors  son  en- 
nemi ,  intercéda  en  sa  faveur,  et  déclara  qu'ii 
s'opposait  à  ce  que  le  jugement  fût  prononcé 
tant  que  Scipion  ne  serait  pas  présent.  Scipion 
s'était  retiré  dans  sa  terre  de  Liternum  en  Cam- 
panie,  et  s'élait  condamné  lui-même  à  l'exil.  H  ne 
rentra  plus  dans  Rome,  et  il  ne  paraît  pas  qu'il 
ait  élé  enterré  dans  le  tombeau  de  sa  famille.  Il 
laissait  deux  fils  (  voy.  ci-après  )  et  deux  filles, 
dont  l'aînée,  Cornelia,  épousa  SemproniusGrac- 
chus  et  fut  la  mère  des  Gracques.  L'autre  fut  ma- 
riée à  Scipion  Nasica  Corculum  (voy.  ci-après). 
Scipion  fut  l'un  des  premiers  à  Rome  qui  aima 


62< 
les  lettres  et  qui  apprécia  les  arts  de  la  Grèce 
il  attira  près  de  lui  le  poète  Ennius,  et  lui   fi  j 
écrire  le  poème  de  la  seconde  guerre  punique 
c'est-à-dire  le  récit  de  ses  propres  exploits  (t; 

F.  DE  C. 
Polybe,  X-XXIV.    -    Tite  Live,   liv.  XX1-XXXIX.  • 

Valère  Maxime,  III,  7;  VIII,  15.  —  Aulu-Gelle,  IV,  15  j 
VII,  I.  —  Pline,  passim.  —  Gerlach,  dans  Sctiweizt  i 
Mvseum,  1837. 

scipion (Publius  Corn.),  fils  aînédeScipio 
l'Africain,  ne  remplit  que  la  charge  d'augure;  s  j 
mauvaise  santé  l'éloigna  des  affaires  publique 
Cicérondit  de  lui  qu'il  était  instruit  et  éloquen 
Il  écrivit  un  Traité  d'histoire  en  grec,  et  d<  I 
discours  que  l'on  conservait  encore  au  temps  < 
Cicéron.  Il  adopta  pour  fils  Scipion  Émilien.    I 

Scipion  (L.  ou  Cn.  Corn.),  frère  du  préc  Pi 
dent,  ne  fit  rien  qui  fût  digne  du  nom  de  sil 
père.  Dans  la  guerre  d'Antiochus,  il  fut  fait  pif 
sonnier,  et    renvoyé  sans   rançon  (190).  Apr 
avoir  eu  beaucoup  de  peine  à  parvenir  à  la  pr 
ture  (174),  il  fut  exclu   du  sénat  par  les  ce 
seurs,  el  sa  famille,  honteuse  pour  lui,  l'oblig 
à  se  démettre  de  ses  fonctions. 

Cicéron,  Brut.,  19 ,  Cat.  ma}.,  11  ;  de  Off.  1,33.  —  T  I 
Live,  XL,  42;  XL1,  27.  —  Valère  Maxime,  III,  5;  1V,S 

scipion   V Asiatique  (  Lucilius   Corneli  ! 
Scipio  Asia/icus),  frère  aîné  de  Scipion  l'Af 
cain.  Les  historiens  nous  apprennent  qu'il  n 
tait  pas  aimé  du  peuple,  sans  faire  connaître 
motif  de  cette  impopularité.  Il  suivit  son  fr< 
en  Espagne,  et  lui  rendit  des  services;   il  pi 
en  208  l'importante  ville  d'Oringis,  dans  la  E 
tique.  Il  fit  les  campagnes  d'Afrique,  mais  se) 
les  ordres  de  son  frère.  Il  ne  fut  préteur  qu  f 
193;  le  consulat  lui  fut  accordé  en  190.  Le 
Antiochus,  déjà   vaincu   aux  Thermopyles , 
vaincu  encore  sur  mer,  ne  paraissait  pas  un 
nemi  bien  redoutable  ;  le  sénat  ne  voulait  poi| 
tant  pas  charger  Lucius    Scipion  duïoinde< 
combattre;  on   ne  se    décida  à  lui  confier  I 
commandement   que  parce  que  son  frère  pj 
mettait   de  faire  la  campagne  avec  lui.  Ce 
l'Africain  qui   dirigea  toutes   les  opérations 
n'élait    pourtant   pas    présent    lorsque   Luc] 
Scipion  livra  bataille   à  Magnésie   du  Sipyle 
avec  vingt  mille  Romains  mit  en  déroute  quall 


(i)  Nous  avons  essayé  de  tracer  la  vie  et  le  carac 
de  Scipion  l'Africain;  il  faut  ajouter  que  l'histoire  d 
remarquable  personnage  est  pleine  d'incertitude  et 
contradictions.  Polybe  et  Tite  Live  ne  sont  d'accon 
sur  la  date  de  sa  naissance  ni  sur  celle  de  sa  mort, 
lybe  et  après  lui  Tite  Live  disent  qu'il  sauva  son  pè 
la  bataille  du  Tessin,  et  ce  fait  est  démenli  par  plusi 
annalistes.  L'histoire  de  la  belle  jeune  fille  pris 
Carthugène  et  rendue  à  son  fiancé  est  racontée  d 
tout  autre  façon  par  Aulu-Gelle.  Suivant  Valerius  d 
tium,  Scipion  aurait  au  contraire  gardé  cette  jeune 
pour  la  faire  servir  à  ses  plaisirs.  IMen  de  plus  incet 
que  l'accusation  qui  fut  portée  contre  lui;  Tite  Livi 
connaît  que  les  annalistes  n  étaient  pas  d'accord  si 
nom  des  accusateurs.  Cet  historien  cite  un  dise 
de  Scipion  répondant  aux  tribuns,  et  Aulu-Gijlf 
cite  un  autre  fort  différent.  On  raconte  une  entrevu  e 
Scipion  avec  Annibal  à  Éphèse,  et  cette  intrevue  p.J' 
impossible.  Il  est  évident  que  la  légende  s'est  glissée 
l'histoire  de  Scipion,  et  l'on  ne  saurait  dire  au  j 
quelle  part  elle  s'y  est  faite. 


,25  SC1PI0N 

ingt  mille  Asiatiques.  On  peut  remarquer  d  ail- 

urs  dans  les  historiens  que  ce  ne  fut  pas  le  consul, 

iais  son  lieutenant,  qui  dicta  ai'  roi  de  Syrie  1rs 

mditions  de  la  paix.  Lucius  rentra  à  Rome  en 

ïomplie;il  garda  de  son  expédition  le  surnom 

'Asiatique.  Il  fut  enveloppé  dans  la  même  ac- 

îsation  que  son  frère;  on  voulait  qu'il  rendît 

jmpte  de  l'argent  qu'il  avait  reçu  d'Antioclms 

jur  le    trésor   public.    Il    parait    qu'il  y  eut 

lelques  millions  de  sesterces  dont  il  ne   put 

tpiiquer    l'emploi;   iî  fut     condamné   à    une 

nende.  Déjà  même  on  le  conduisait  en  prison , 

|rsqu'un  tribun  s'interposa  en  déclarant  qu'il 

Milait  bien  qu'on  procédât  contre  la  fortune 

i  Scipion  ,  mais  non   pas  contre  sa  personne. 

|:ipion  resta  donc  libre,  mais  ses  biens  furent 

ndus  à  l'encan.  L'histoire  ajoute,  à  l'éloge  du 

liinqueur  d'Antioclms,  que  la  vente  de  tous  ses 

[«ns  ne  produisit  pas  une  somme  égale  à  celle 

■  l'on  lui  reprochait  de  s'être  illégitimement  ac- 

liise.  Cicéron  rend  hommage  à  son  désintéres- 

sment,  et  il  vante  son  éloquence.  Il  passa  dans 

Tbscurité  la   lin  de  sa  vie,  et  l'on  ignore  en 

1  elle  année  il  mourut. 

jSon  fils,  L.  Cornélius,  exerçait  la  questure 
liand  Prusias  visita,  en  167,  l'Italie. 
|  Scipion  (  L.  Corn.),  son  petit-fils  ou  arrière- 
!tit-fils,  se  prononça  contre  Saturninus  (100),  et 
mbattit  dans  la  guerre  sociale.  Il  fut  consul  avec 
prbanus,  en  83.  Partisan  de  Marius,  il  s'efforça 
arrêter  Sylla  lors  de  son  retour  en  Italie;  mais 
dernier  gagna  l'armée  consulaire,  et  fit  lecon- 
il  prisonnier;  il  lui  fit  grâce  de  la  vie,  et  le  ren- 
tya  même  en  liberté,  ce  qui  permet  de  croire 
ie  ce  Scipion  n'était  pas  fort  à  craindre.  H 
va  pourtant  de  nouvelles  troupes,  qui  l'aban- 
Minèrent  dès  qu'il  fut  en  présense  du  jeune 
bmpée.  Proscrit  par  Sylla  (82),  il  se  réfugia  à 
iarseille,  et  y  passa  le  reste  de  sa  vie. 

Polybe,  X,  XXI,  XXII  -  Tite  Live,  XXVII,  XXXIV  à 
XXIX.  —  Appien,  B.  C,  I,  82,  85,  86.  —  Cicéron,  De 
yvinc.  consul.,  8;  Phil.,  XII,  XIII. 

scipion  émilien (  Publius  Cornélius  Sci- 
:o^Emilianus,  Africanus  minor),  le  second  Afri- 
iin,  né  en  185,  mort  en  129,  à  Rome.  Le  plus 
mne  des  quatre  fils  de  Paul-Émile,  il  fut  adopté 
îrson  oncle,  le  fils  aîné  de  Scipion  l'Africain, 
ont  la  famille  était  près  de  s'éteindre;  il  en  prit 

nom,  et  ne  garda  de  sa  propre  famille  que  le 
irnomd'Éinilien.  Son  éducation  se  fit  parmi  des 
recs  ;  le  premier  maître  qu'on  lui  donna,  ce  fut 

philosopheMétrodore.  Il  vit,  soit  dans  la  maison 
esonpère,  soit  dans  celle  des  Scipions,  un  autre 
frec  qui  vivait  à  Rome  comme  otage,  l'habile  et 
onnête  Polybe;  le  prêt  de  quelques  livres,  sans 
outedes  livres  grecs,  fut  l'occasion  des  rapports 
itimes  qui  s'établirent  entre  eux.  Contrairement 
iux  usages  des  jeunes  nobles.il  évitait  le  forum,  ne 
tlaidait  pas,  ne  courtisait  ni  les  grands  ni  le 
euple;  aussi  le  regarda-t-on  d'abord  comme  un 
lOinnie  inutile.  Il  se  distinguait  encore  par  satem- 
érance  et  son  aversion  pour  les  mœurs  licen- 


626 
|  cieuses ,  par  une  générosité  et  une  répugnance 
!   pour  les  calculs  d'intérêt ,  qui  étaient  des  i  ci  lus 
|   fort  rares  à  Rome  (1).  Scipion  avait  lait  l'appren- 
|   tissage  des  armes  auprès  de  son  père,  en  Grèce, 
;   à  la  bataille  de  Pydna  (168).  C'est  en    Espagne 
|   qu'il  commença  sa  brillante  carrière,  et  il   s'y 
j   rendit  dans  les   mêmes  circonstances  que  son 
i   aïeul  adoptif.  Cette   guerre  d'Espagne  était  fort 
;   redoutée  de  la  jeunesse  romaine;  les  soldats  ne 
I  se  laissaient   enrôler  que  malgré  eux,  et  per- 
j   sonne  ne  demandait  les  commandements.    Un 
jour  que   le  peuple  tenait  les  comices  pour  l'é- 
lection des  tribuns  militaires,  aucun  candidat  ne 
se  présentait;  Scipion  se  leva,  et  demanda  à  être 
envoyé  en  Espagne  à  quelque  titre  que  ce  fût  ; 
son  exemple  en  entraîna  d'autres,  et  le  nombre 
des  tribuns  fut  complété  (151).  Il  resta  deux  ans 
en  Espagne  comme  tribun  légionnaire.  Un  jour 
il  tua  en  combat  singulier  un  chef  barbare,  un 
autre  jour  il  monta  le  premier  à  l'assaut  d'une 
ville;  on  cite  encore  en  son  honneur  qu'une  ville 
refusant  de  se  rendre    au  consul   Lucullus  se 
rendit  à  Scipion,  qui  portait  un  nom  respecté  des 
Espagnols.  A  cette  époque  Massinissa  préludait 
à  la  troisième  guerre  punique  en  attaquant  Car- 
tilage. Scipion  envoyé  en  Numidie(lâO)  eut  la 
singulière    fortune   d'arriver  à  la    veille  d'une 
grande  bataille   entre  Massinissa  et  Asdrubal; 
du  haut  d'une  éminence  il  assista,  comme  .spec- 
tateur paisible,  mais  non  désintéressé,  à  la  ruine 
d'une  armée  carthaginoise. 

Lorsque  le  sénat  se  décida  à  la  guerre,  Sci- 
pion Émilien  retourna  en  Afrique,  encore  comme 
simple  tribun  (149).  Il  eut  l'honneur  de  sauver 
deux  fois  l'armée  romaine  et  de  réparer  les 
fautes  du  consul  Manilius.  Sa  renommée  avait 
grandi.  Caton,  en  plein  sénat,  lui  appliquait  ce 
qu'Homère  dit  de  Tiresias  :  «  Lui  seul  est  dans 
son  bon  sens,  les  autres  ne  sont  que  de  vaines 
ombres.  »  Il  exerçait  un  singulier  prestige  sur 
les  natures  africaines  :  Massinissa  le  choisit 
pour  son  exécuteur  testamentaire  et  presque 
pour  tuteur  de  ses  fils;  il  détermina  Gulussa  et 
Phameas  à  s'attacher  à  l'alliance  de  Rome.  Vers 
le  temps  des  comices,  il  revint  à  Rome  pour  y 
briguer  l'édilité;  on  le  nomma  consul  (147).  Il 
fallut,comme  pour  l'Africain, violer  la  loi,  puisqu'il 
n'avait  pas  l'âge  requis.  La  guerre  d'Afrique  lui 
était  naturellement  réservée.  Il  se  rembarqua,  en 
compagniede  ses  amis  Laelius  et  Polybe,  et  arriva 
juste  à  temps  pour  sauver  l'armée  d'un  mauvais  pas 

(l)  Une  fortune  lui  venait-elle  en  héritage,  il  en  faisait 
don  à  sa  mère.  Son  père  laissait  tous  ses  biens  a  son 
frère  et  à  lui;  il  renonçait  à  sa  part  de  !a  succession, 
parce  que  son  frère  était  inoins  riche  que  lui.  Le  fait 
suivant  montre  a  la  fois  le  désintéressement  de  Scipion 
et  les  habitudes  des  Romains  :  il  avait  à  payer  la  dot  de 
deux  sœurs  de  son  père,  mariées  à  Tib.  Gracchu?  et  à 
Scipion  INasica  ;  la  loi  lui  accordait  un  délai  de  trois  ans  ; 
il  paya  sans  tarder;  Tiberius  et  Nasina  .  fort  surpris, 
crurent  qu'il  so  trompait  :  sans  doute  il  Ignorait  qu'il 
avait  le  droit  de  faire  valoir  la  somme  pendant  trois  ans; 
jamais  on  ne  voyait  un  Romain  ne  pas  profiter  du  béné- 
fice de  cette  loi.  Scipion  refusa  de  se  faire  spéculateur, 
l'olybe  ajoute  que  fiome.entière  en  fut  surprise. 


627 


SCIPION 


621 


où  le  proconsul  Mancinus  l'avait  engagée.  Car- 
thage  était  une  ville  de  huit  cent  mille  habi- 
tants? située  sur  une  presqu'île.  Le  consul  coupa 
l'isthme  par  un  fossé,  et  isola  Carthage  du 
continent  ;  en  même  temps  il  ferma  son  port  par 
une  énorme  digue.  Les  Carthaginois  tentèrent 
un  puissant  effort  :  ils  construisirent  une  Hotte 
avec  les  charpentes  de  leurs  maisons,  et  se  creu- 
sèrent dans  le  roc  une  sortie  vers  la  mer;  mais 
Scipion  les  repoussa,  et  les  renferma  dans  leur 
ville,  qui  fut  bloquée  et  qui  sentit  bientôt  la  faim. 
Il  laissa  passer  l'hiver;  au  retour  du  printemps, 
il- prit  dans  un  assaut  de  nuit  un  quartier  de  la 
ville.  Restait  la  citadelle,  l'antique  Byrsa;  pour 
y  arriver,  il  fallut  traverser  des  rues  étroites,  où 
chaque  maison  fut  l'objet  d'un  siège.  L'armée 
romaine  mit  six  jours  et  six  nuits  à  atteindre 
fa  citadelle.  Asdrubal,  qui  la  gardait,  se  livra 
aux  vainqueurs  ;  mais  des  femmes  ,  des  en- 
fants aimèrent  mieux  se  jeter  dans  les  flammes 
que  de'  se  rendre  (146).  Carthage  n'était  plus 
qu'une  ruine  fumante.  Polybe  raconte  qu'à  ce 
spectacle  Scipion  versa  des  larmes.  11  ne  pleurait 
pas  sur  l'épouvantable  désastre  qui  anéantissait 
un  antique  empire,  une  ville  longtemps  puis- 
sante et  heureuse;  c'est  sur  Rome  qu'il  pleurait. 
Sa  pensée  se  portait  vers  l'avenir;  il  craignait 
que  sa  patrie  n'eût  un  jour  affaire  à  un  vain- 
queur impitoyable  comme  lui  ;  et  il  prononça  un 
vers  d'I-ïomère  :  «  Un  jour  aussi  verra  tomber 
Troie,  la  cité  sainte,  et  son  peuple  guerrier.  » 
Il  rentra  à  Rome  en  triomphe;  il  conserva  de 
sa  victoire  le  surnom  A"1  Africain,  et  ne  garda 
rien  des  dépouilles  de  Carthage. 

Pendant  plusieurs  années  Scipion  Émilien 
resta  étranger  aux  affaires.  Sauf  la  censure  qu'il 
exerça  en  142  et  un  voyage  pompeux  qu'il  fit  en 
Orient  vers  138,  comme  ambassadeur  de  la  ré- 
publique, on  le  perd  de  vue.  Sans  doute  il  vécut 
dans  la  retraite,  s'occupant  des  lettres,  dispu- 
tant avec  Panaetius,  philosophe  stoïcien,  dont  la 
présence  lui  était  chère.  11  n'avait  plus  Térence, 
qu'il  avait  traité  en  ami  jusqu'à  l'aider  peut-être; 
il  a%rait  encore  Lselius,  aimable  sage,  avec  qui  il 
passait  les  jours  à  deviser  et  à  se  promener  au 
bord  de  la  mer,  à  jouer  aux  osselets.  Il  étudiait 
les  livres  grecs,  et  formait  à  l'élégance  sa  parole, 
naturellement  grave  et  sévère.  Il  exerça  la  cen- 
sure avec  la  rigueur  dont  les  mœurs  de  Rome 
avaient  alors  besoin.  Sans  pitié  pour  les  séna- 
teurs infâmes  ou  les  chevaliers  débauchés,  il  les 
chassait  de  la  curie  ou  de  l'ordre  équestre.  Près 
de  sortir  de  charge,  au  moment  où  il  terminait 
les  cérémonies  religieuses  du  lustre,  au  lieu  de 
prononcer  la  formule  accoutumée  :  «  Que  les 
dieux  agrandissent  la  république  »,  il  dit  «:  Que 
les  dieux  la  conservent!  »  Ce  sage  esprit  trouvait 
la  fortune  de  Rome  assez  grande. 

L'Espagne  après  soixante  ans  de  guerres  n'é- 
tait pas  encore  domptée,  et  la  petite  ville  de 
Numance  tenait  en  échec  les  armées  romaines. 
Scipion  fut  réélu   consul  en  134.  En  Espagne 


comme  en  Afrique  son  premier  soin  fut  de  réta 
blir  la  discipline,  et  d'endurcir  ses  troupes  ei 
leur  faisant  creuser  des  fossés  et  élever  des  mu 
railles.  Il  refoula  peu  à  peu  les  Numantins  dan 
leur  ville,  et  les  y  enferma  par  une  triple  lign 
de  retranchements.  Les  assiégés  demandèreu 
une  bataille  ;  mais  Scipion  ne  voulut  pas  corn 
battre  contre  des  hommes  désespérés  ;  il  vain 
quit  Numance  lentement,  mais  à  coup  sûr,  pari 
famine.  Les  assiégés  s'étaient  entr'égorgés  eux 
mêmes  ;  il  ne  put  faire  que  cinquante  prison 
niers.  Numance,  cette  seconde  terreur  des  Ro 
mains,  disparut  (133). 

Au  moment  où  il  assiégeait  Numance,  la  dis 
corde  avait  éclaté  dans  Rome,  et  Tiberius  Grac 
chus  avait  soulevé  le  peuple  au  nom  de  la  1< 
agraire.  Scipion  avait   horreur  des  guerres  ci 
viles.  Lui  qui  n'avait  jamais  quitté  ses  paisible 
études  que  pour  combattre  l'ennemi  étranger, 
détestait  instinctivement  l'œuvre  des  Gracquci 
Lorsqu'il  apprit  la  mort  de  Tiberius,  il  s'écria 
«  Ainsi  périsse  quiconque  fera  comme  lui  !  »  L 
retour  à  Rome  (132),  le  tribun  Carbon  lui  d< 
manda  en  pleine  assemblée  ce  qu'il  pensait  c 
cette  mort.  «  Elle  a  été  juste ,  »  répondit-il. 
ces  mots,  le  peuple  murmura;  alors  Scipion 
«  Silence!  vous  que  l'Italie  ne  reconnaît  pas  poi 
ses  fils,  »  II  s'adressait  à   cette  populace  r< 
maine   qui   n'était    guère   alors  qu'un    ram< 
d'affranchis  de  toutes  nations.  A  cette  rude  apo  [ 
trophe,  le  tumulte  redoubla;  et  Scipion,  repri, 
nant  avec  hauteur  :  «  Croyez-vous  m'effraya 
parce  que  vous  n'avez  plus  les  fers  aux  maini 
vous  que  j'ai  amenés  à  Rome  enchaînés?  »  I 
le  peuple  se  tut.  Quelles  étaient  les  vues  véij 
tables  de  Scipion  Émilien,  il  est  difficile  de  I 
dire.  S'il  ne  prisait  guère  cette  populace  dépr;l 
vée,  paresseuse,  cupide ,  il  est  certain  que  Tari,  ' 
tocratie  ne  lui  plaisait  pas  davantage.  On  a  co: 
serve  ce  fragment  d'un  de  ses  discours  :  «  C 
fils    de   patriciens    fréquentent  les  écoles  d| 
histrions;  ils  apprennent  à  chanter,  ils  danse 
parmi  des  baladins.  J'ai  été  longtemps  sans  po  ; 
voir  me  persuader  que  des  patriciens  donnasse  ' 
une  pareille  éducation  à  leurs  enfants;  mais,  rai 
tant  fait  conduire  un  jour  dans  une  école  i 
danse,  j'y  ai  vu  plus  de  cinq  cents  jeunes  ge 
et  jeunes    filles,  et  dans  le  nombre  le  fils  d'i 
candidat  au  consulat,  qui  dansait  aux  cymbalt 
exercice  qui  n'est  pas  même  digne  d'un  affra 
cbi.  »  Ce  fragment,  où  il  attaque  l'aristocrati 
appartient  à  un  discours  contre  C.  Gracchus(l 
Il  n'aimait  aucune  des  deux  factions.  Forcé 
prendre  parti,  il  passa  du  côté  des  grands,  sa 
se  faire  illusion  sur  leurs  vices  comme  sur  le 
faiblesse-A  la  populace  et  au  patriciat,  égaleme 
corrompus,  il  préférait  la  saine  et  robuste  ra 
des   Italiens;  il  les    avait    appréciés   dans  I 
camps;  il  se  fit  leur  patron  au  forum.  II  attaq 
la  loi  agraire  au  nom  des  Italiens,  qu'elle  déposs 

(1)  Ce  qui  reste  de  ses  discours  a  été  inséré  par  Mej 
dans  les  Orat.  roman  fragmenta. 


29  SCIP10N 

lit.  Le  peuple  ne  manqua  pas  de  l'accuser  de  sa- 
ifier  les  citoyens  aux  étrangers.  Du  reste,  comme 
ins  ses  attaques  contre  la  loi  agraire  il  se  rencon- 
aitavec  le  parti  des  nobles  sans  avoir  pourtant 
i  mêmes  vues,  ce  parti  crut  pouvoir  le  prendre 
mrchef,  et  songea  même  à  lui  donner  la  dicta- 
re.  De  son  côté  la  faction  populaire  le  regar- 
iit  comme  le  plus  grand  obstacle  à  ses  projets. 
isoir  il  était  rentré  dans  sa  maison,  méditant 
discours  qu'il  devait  prononcer  le  lendemain 
mtre  les  tribuns;  le  matin  venu,  on  le  trouva 
ort  dans  son  lit  (129).  Peu  d'hommes  vou- 
rent  croire  que  sa  mort  fût  naturelle;  il  n'a- 
it que  cinquante-six  ans,  et  sa  constitution 
lit  vigoureuse.  Quelques-uns  prétendirent  qu'il 
rtait  donné  la  mort,  soit  que  la  vue  desguerres 
viles  lui  fut  insupportable ,  soit  qu'il  eût  fait 
\  Italiens  des  promesses  qu'il  ne  pouvait  pas 
kir.  La  voix  publique  parla  d'un  assassinat; 
en  accusa  sa  femme  Sempronia,  sœur  des 
i  aeques;  on  dit  que  des  esclaves  mis  à  la  tor- 
•e  avouèrent  que  des  hommes  armés  s'étaient  in- 
duits pendant  la  nuit  dans  la  chambre  où  Sci- 
n  reposait.  On  dit  même  que  sa  tête  portait 
>  traces  visibles  de  violence,  et  c'est  pour  cela 
:  ^  dans  le  convoi  funèbre  son  visage  ne  fut  pas 
puverl  suivant  l'usage.  Le  sénat  ne  fit  au- 
ne enquête  et  ne  chercha  pas  à  venger  un 
pinie  dont  il  se  défiait  peut-être.  Le  peuple  se 
uuit  de  sa  mort.  Quelques  bons  citoyens  le 
Mirèrent.  «  Allez,  disait  Metellus  à  ses  fils, 
pompagnez  la  pompe  funèbre;  jamais  il  ne 
is  arrivera  de  suivre  le  convoi  d'un  plus  grand 
oyen.  »  Scipion  Émilien  ne  laissa  point  d'en- 
Ms.  F.  de  C. 

'olybc,  XXXII-XXXIX.  —  Appieu.  —  Tite  Live,  Epi- 
fie.  —  Cicéron,  De  légions,  De  republica.  —  Valére 
[ïiine,  passim.  —  Plutarque,  Vie  de  Cracehus, — 
filendinclli,  Scipionis  yEmiliani  vita:  Florence,  1549, 
J8°.  —  C.  Sigonio,  De  vita  P.  Scipionis  jEmiliani; 
logne,  1569,  in-4°.  —  F.-D.  Gerlach,  Tod  des  P.  C. 
ipio  sEmilianus ;  Bâle,  1839,  in-8°.  —  Nltzsh,  Die 
[acchen;  Berlin,  1847. 

scipion  nasica  (Publius  Cornélius  Sci- 
p  Nasica),  fils  de  Cneius  Scipjon,  tué  en  211  en 
[pagne,  et  cousin  de  Scipion  l'Africain ,  naquit 
frt  230. 11  n'avait  pas  encore  atteint  l'âge  de  la 
iiesture  lorsqu'il  lui  échut  un  honneur  inusité  : 
h  prêtres  disaient  avoir  lu  dans  les  livres  si- 
filins  que  la  république  ne  pourrait  chasser 
franger  de  l'Italie  (  Annibal  y  était  encore)  que 
elle  faisait  apporter  de  Pessinunte  à  Rome  l'i- 
, âge  de  la  mère  des  dieux  {Mater  Idsea)',  il 
ilait  de  plus  que  cette  image  fût  introduite  dans 
urne  par  les  mains  du  plus  homme  de  bien  de 
J  cité.  Ce  fut  le  jeune  Scipion  Nasica  qui  fut 
'loisi.  A  ce  titre,  et  en  vertu  d'un  sénatus-con- 
'Ite,  il  alla  chercher  à  Ostie  la  statue  et  l'a- 
ena  dans  Rome  en  grand  appareil  (204).  II  pa- 
'ît  d'ailleurs  avoir  été  peu  populaire.  Il  ne  par- 
Jnt  à  l'édilité  qu'en  196.  Préteur  en  194,  il 
t  envoyé  en  Espagne;  il  remporta  plusieurs 
ctoires,  notamment  près  d'Ilipa,  où  il  iua  douze 
ille  Lusitaniens.  Il  fut  consul  en  191.  Chargé  de 


630 


la  guerre  en  Cisalpine  contre  les  Boïons,  il  les 
vainquit  dans  une  grande  bataille,  et  leur  en- 
leva la  moitié  de  leur  territoire.  On  lui  décerna 
le  triomphe,  malgré  quelque  opposition.  Il  ne 
réussit  pas  à  obtenir  la  censure,  mais  il  futgrand 
pontife.  Il  se  fit  un  nom  comme  jurisconsulte  ;  Cicé- 
ron le  place  parmi  ceux  qui  ont  le  mieux  connu 
le  droit  privé  et  public  aussi  bien  que  le  droit 
religieux.  Comme  toute  sa  famille,  il  aimait  les 
lettres.  p,  de  C. 

Tite  Live,   XXIX,    XXXIV,    XXXIX.  -   rline,    Htst. 

natiir.,\ll,  34.  —  Cicéron  ;  De  arusp.  respons.,  13;  De 
oratore,  III,  33. 

scipion  Nasica  Corculum  (Publ.  Corn.), 
fils  du  précédent  et  gendre  de  Scipion  l'Africain. 
Le  surnom  de  Corculum  indiquait,  suivant  Ci- 
céron (  Tuscul.,  I,  9),  la  sagesse  de  cet  homme, 
que  les  historiens  représentent  comme  aussi  ver- 
tueux et  aussi  instruit  que  son  père.  Il  accom- 
pagna en  168  Paul-Émile  dans  la  guerre  contre 
Persée,  et  contribua  à  la  réduction  de  la  Macé- 
doine. Il  fut  consul  en  162;  mais  le  sénat  s'a- 
perçut qu'un  rite  religieux  avait  été  négligé  dans 
son  élection,  et  lui  demanda  d'abdiquer;  Scipion 
obéit.  Après  avoir  été  censeur  (159),  il  fut  de 
nouveau  consul  en  155;  il  fit  avec  succès  la 
guerre  contre  les  Dalmates,  et  donna  à  cette 
occasion  un  rare  exemple  de  modestie  en  refu- 
sant le  triomphe,  qu'il  ne  croyait  pas  avoir  suf- 
samment  mérité.  Lorsque  Cavthage,  attaquée 
par  Massinissa,  adressa  ses  réclamations  au  sé- 
nat, beaucoup  de  sénateurs  opinaient  pour  qu'on 
les  rejetât;  ils  avaient  l'espoir  que  Carthage 
poussée  à  bout  prendrait  les  armes  et  fournirait 
ainsi  aux  Romains  un  prétexte  pour  l'accabler. 
Scipion  fut  d'un  avis  différent  ;  il  se  fit  envoyer 
en  ambassade  à  Carthage,  et  il  détermina  Mas- 
sinissa à  cesser  ses  attaques  et  à  rendre  ce  qu'il 
avait  pris.  Cette  médiation  loyale  retarda  la 
troisième  guerre  punique.  11  continua  à  soutenir 
cette  politique  de  modération.  Lorsqu'on  apprit 
qu'Audriscus  soulevait  la  Macédoine ,  il  y  fut 
envoyé.  N'ayant  pas  d'armée,  il  leva  quel- 
ques troupes  chez  les  Grecs,  chassa  les  Macé- 
doniens de  la  Thessalie,  où  ils  avaient  pénétré,  et 
renferma  ainsi  la  révolte  dans  la  Macédoine, 
rendant  la  tâche  plus  facile  à  Metellus,  qui  vint 
le  remplacer.  Cicéron  parle  de  lui  comme  d'un 
habile  orateur.  F.  de  C. 

Tite  Live,  XLIV,  35,  36-46.  -  Cicéron,  Brutus,  20,  58; 
De  nat.  deor.,  II,  4.  —  Valère  Maxime,  II,  8. 

scipion  Nasica  Serapio  ( Publ.  Corn.),  fils 
du  précédent,  mort  en  132,  à  Pergame.  Questeur 
en  149,  il  fut  envoyé  avec  Hispalus  à  Carthage 
pour  recevoir  les  armes  que  cette  ville  livrait  aux 
Romains.  11  fut  consul  en  138.  Il  crut  devoir 
refuser  aux  tribuns  du  peuple  le  droit  que  ceux- 
ci  réclamaient  d'exempter  du  service  militaire 
chacun  des  citoyens  à  leur  choix.  Pour  se 
venger,  un  tribun  le  fit  arrêter  par  son  v  lai  or 
et  conduire  en  prison;  Scipion  était  pourtant  le 
premier  magistrat  de  la  république;  mais  un 
consul   n'avait  pas  l'inviolabilité  d'un   tribun. 


631 

Une  autre  fois,  le  même  tribun  traîna  le  consul 
au  forum ,  et  prétendit  l'obliger  à  proposer  une 
loi  pour  l'achat  du  blé.  Nasica  tint  bon;  on 
murmurait  autour  de  lui  :  «  Taisez-vous,  dit-il, 
je  sais  mieux  que  vous  ce  qu'il  faut  à  la  répu- 
blique. »  On  écouta  Scipion  en  silence,  et  l'on 
finit  par  trouver  qu'il  avait  raison.  Plus  tard  il 
fut  nommé  grand  pontife.  Il  se  montra  l'en- 
nemi déclaré  du  parti  populaire.  En  133,  lors- 
que Tiberius  Graccbus,  pour  se  faire  porter  à 
un  second  tribunat,  occupait  le  Capitole  avec  le 
peuple,  le  sénat,  inquiet,  délibérait;  Nasica 
somma  les  consuls  de  sauver  la  république  ; 
l'un  d'eux  ayant  répondu  qu'il  ne  voulait  pas 
violer  les  lois  :  «  Le  consul  trahit  la  pairie, 
s'écria  Nasica;  que  ceux  qui  veulent  la  sauver 
me  suivent.  «  A  la  tête  des  sénateurs,  des 
nobles,  des  riches,  il  se  porta  contre  la  petite 
troupe  qui  entourait  Tiberius  et  qui  s'enfuit.  Ti- 
berius  fut  tué,  quelques-uns  disent  de  la  main  de 
Scipion.  Devenu  l'objet  de  la  haine  du  peuple, 
il  ne  put  depuis  paraître  en  public  sans  êtreinsullé 
et  menacé.  Le  sénat  fut  obligé  de  l'éloigner  de 
Rome  :  on  l'envoya  en  Asie  avec  une  prétendue 
mission,  et  il  y  mourut  bientôt  après.  F.  de  C. 
Tite  l.ive,  Epitome.  —  Cicéron,  De  legib.,  III,  9.  — 
Pline,  VU,  12.  —  Valère  Maxime,  VII,  5;  VIII,  15.  — 
Plutarque.  Tiberius  Gracchus. 

scipion  Nasica  (Publ.  Corn.),  fils  du  pré- 
cédent ,  fut  consul  en  1 1 1 ,  et  mourut  dans  l'exer- 
cice de  sa  charge.  Il  se  distingua  par  son  inté- 
grité. Cicéron  vante  la  délicatesse  de  son  esprit 
et  son  éloquence.  F.  de  C. 

Cicéron,  De  off.,  I,  30;  Brut.,  34. 

scipion  Nasica  [Publ.  Corn.),  petit-fils  du 
précédent,  mort  en  46,  est  plus  connu  sous  le  nom 
de  Metellus  Scipion,  parce  qu'il  fut  adopté  par 
le  consul  Q.  Caeciiius  Metellus  Pius  (voy.  Me- 
tellus ).  Contemporain  de  César  et  de  Pom- 
pée, il  joua  dans  les  guerres  civiles  un  rôle  assez 
important ,  mais  plutôt  à  cause  de  ses  richesses 
et  de  son  nom  que  de  ses  talents  ou  de  son  ca- 
ractère. Ses  vices  et  ses  habitudes  de  débauche 
étaient  notoires.  Dans  sa  jeunesse,  il  avait  été 
l'un  des  avocats  de  Verres.  Pour  obtenir  le 
consulat,  il  voulut  employer  la  force  :  en  52,  il 
arma  une  troupe  de  satellites  et  s'empara  du  fo- 
rum; le  courage  de  l'interroi  Lepidus  l'empêcha 
de  réussir.  Le  sénat,  désespérant  d'avoir  des 
élections  régulières,  décréta  que  Pompée  serait 
seul  consul,  et  qu'il  aurait  le  droit  de  se  choisir 
lui-même  son  collègue.  Scipion  donna  alors 
sa  fille  Cornelia  en  mariage  à  Pompée,  et  fut 
choisi  comme  collègue  par  son  gendre.  Dans 
l'intervalle  on  l'avait  accusé  de  brigue;  Pompée 
était  intervenu  et  avait  contraint  les  juges  non- 
seulement  à  l'acquitter,  mais  même  à  le  recon- 
duire, en  signe  d'honneur,  de  sa  place  d'accusé 
jusqu'à  sa  maison.  Ce  fut  Scipion  qui  détermina 
le  sénat  à  repousser  les  offres  pacifiques  de  Cé- 
sar et  à  le  déclarer  ennemi  public.  En  cela  il 
parut  être  l'instrument  de  Pompée;  pourtant, 
suivant  César,  il  avait  un  intérêt  personnel  à 


SCIPION  —  SCO  LA  RI  ,  03 

faire  éclater  une  guerre  civile,  dont  il  avait  hc 
soin  pour  éviter  une  mise  en  accusation.  l'en 
dant  cette  guerre,  il  reçut  la  mission  d'aller  recn 
ter  une  armée  en  Syrie;  il  pilla  la  province,  < 
avec  l'argent  qu'il  se  procura  il  leva  des  soldat: 
A  leur  tête  il  se  rendit  en  Macédoine  et  e 
Thessalie;  surpris  par  la  brusque  anivée  d 
César,  il  éprouva  un  échec,  et  se  laissa  enfei 
mer  dans  Larissa.  Il  fut  délivré  par  l'approcl; 
de  Pompée,  dont  il  ne  se  sépara  plus,  et  dont 
partagea  la  défaite  près  de  Pharsale.  Scipio 
gagna  la  mer,  s'embarqua,  et  fit  voile  vers  l'A 
frique,  où  il  fut  reconnu  comme  le  princip; 
chef  de  l'ancien  parti  pompéien.  Ses  res 
sources  étaient  grandes  encore  :  Caton  et  Jut 
étaient  avec  lui  ;  il  avait  huit  légions.  Ses  solda 
étaient  pleins  de  confiance;  ils  croyaient,  sur^ 
foi  d'un  oracle,  que  le  nom  de  Scipion  éta 
prédestiné  à  vaincre  toujours  en  Afrique.  Cési 
arriva  avec  une  faible  partie  de  ses  troupes 
Scipion  ne  put  pas  le  forcer  à  combattre,  et  le  laisi 
attendre  ses  renforts.  Quand  César  eut  reçu  si 
légions,  il  attira  Scipion  à  une  bataille  près  ( 
Thapsus,  et  le  vainquit.  Scipion  s'embarqua  poi 
gagner  l'Espagne  et  y  relever  encore  son  part 
mais  la  tempête  le  rejeta  vers  Hippone.  Pour  i 
pas  tomber  aux  mains  de  César,  il  se  perça  de  se 
épée.  Il  est  juste  de  dire  que  nous  ne  connai; 
sons  ce  personnage  que  par  les  commentaires  < 
César  ou  par  les  écrivains  de  l'empire  :  ils  i 
lui  sont  pas  favorables;  mais  Tite  Live,  dai 
des  livresque  nous  n'avons  plus,  rendait  pli 
de  justice  à  sa  mémoire,  et  il  l'appelait  i 
homme  remarquable  (1).  F.  de  C 

César,  Guerres  civiles.  —  Plutarque,  Pompée.  —  V 
1ère  Maxime.  —  Tacite,  Annales,  IV,  34. 

La  famille  des  Scipions  disparaît,  pour  ain 
dire,  avec  la  république.  On  trouve  encore  1 
Scipion  Nasica,  consul  sous  Auguste;  il  n'e 
connu  que  pour  le  commerce  incestueux  qu 
entretint  avec  Julia,  sa  sœur  utérine;  il  fi 
exilé.  —  Un  autre  Scipion  paraît  comme  si 
nateur  sous  les  règnes  de  Claude  et  de  Néron 
Tacite  le  présente  comme  un  zélé  courtisan, 
rapporte  plusieurs  exemples  de  sa  servilité. 

FUSTEL  DE  COLLANGES. 
Auteurs  cités.   —  Real- Ency clopœdie  der  classich 
Altertlmmswissensckajt.  —  Smith,  Dict   of  greek  m 
roman  binçrap/iy. 

scolari  (Fiiippo),  comte  d'Ozora, 
Pippo  Spano,  capitaine  italien,  né  à  Florenc 
en  1369,  mort  à  Lippa,  le  27  décembre  1426 
était  d'une  famille  noble,  branche  des  Buondt 
monti.  Emmené  en  Allemagne  par  des  marchai» 
florentins,  il  s'arrêta  à  Trêves,  et  mit  en  ordre! 
finances,  très-embrouillées,  de  l'archevêque  (5 
Sur  la  recommandation  de  ce  prélat,  il  fut  adm 
au  service  de  l'empereur  Sigismond ,  et  gagi 

(1]  Ce  Scipion  avait  un  frère  aine,  qui  fut  adopté  p 
L.  Llcinius  Crassus  l'orateur,  son  grand-père  maternel 

(2)  Le  séjour  de  Scolari  à  Trêves  n'est  mentionné  q 
par  l'auteur  anonyme  qui  a  écrit  sa  vie;  il  y  a  peut-èi 
là  quelque  confusion  avec  Trevanla  ,  la  première  vl 
hongroise  où  Scolari  s'arrêta. 


33  SCOLARI 

ientôt  la  faveur  de  ce  prince,  qui  lui  fit  présent 
u  château  d'Ozora,  avec  de  grandes  richesses, 
lui  donna,  du  reste,  de  nombreuses  preuves 
'attachement;  ainsi  en  1392  il  le  sauva  de  la 
hreur  des  Hongrois,  le  cacha  dans  son  château 
•ï  lui  fournit  les  moyens  de  comprimer  la  ré- 
olle;  en   1401,   lors  d'une  nouvelle  insurrec- 
on,    il   partagea  la  captivité  de    Sigismond. 
ommé  peu  après  capitaine  général ,  comte  et 
espann  (juge  suprême)  de  Temeswar  (1),  il 
jiontra  de  grands  talents  et  remporta  plusieurs 
notoires  sur  les  Turcs,  de  même  qu'en  Dalma- 
[e  sur  Ladislas  de  Naples.  Après  avoir  été  gou- 
icrneur  de  la  Servie,  il  fut  en  1411  envoyé  avec 
jix  mille  hommes  contre  les  Vénitiens,  auxquels 
enleva  le  Frioul  en  quelques  semaines;  il  défit 
nsuite  entre  Conegliano  et  Sacile  les  troupes 
je  Carlo   Malatesta,  et   s'empara,   en  janvier 
H12,  de  Bellune,  de  Feltre  et  de  soixante-dix 
îutres  villes  et  châteaux.  Arrêté  dans  sa  marche 
fictorieu.se  par  une  grave  maladie,  il  se  contenta 
[e  laisser  des  garnisons  dans  quelques   forte- 
esses,  et  retourna  en  Hongrie.  Ses  ennemis  pré- 
pndirent  qu'il  s'était  laissé  gagner  par  l'or  des 
'énitiens  ;  leurs  calomnies  ont  été  accueillies 
ar  Sabellico,  P.  Giustiniani,  Bonfinius  et  autres 
'istoriens,  qui  lui  reprochent  aussi  à  tort  d'a- 
voir exercé  des  cruautés  sur  les  prisonniers, 
'vprès  avoir  encore  guerroyé  contre  les  Turcs,  il 
int  à  Constance  lors  de  la  tenue  du  concile, 
tour  y  rendre  compte  de  ses  succès  à  Sigismond, 
irai  lui  accorda  de  nouvelles  faveurs.  En  1421 
1  accompagna  l'empereur  en  Bohême;  mais  l'ar- 
née  se  débanda,  et  pendant  qu'il  couvrait  la 
Retraite  avec  la  cavalerie,  il  fut  atteint  et  battu 
par  Ziska  (8  janvier  1422).  En  1426  il  négocia 
ja  paix  avec  Venise  et  Florence  ;  puis  il  retourna 
sur  la  frontière,  pour  repousser  les  invasions  in- 
pessantes  des  Turcs,  avec  lesquels  il  avait  déjà 
Soutenu  dix- huit  engagements.  Ce  fut  sur  eux 
qu'il  remporta  sa  dernière  victoire  :  il  lès  tailla 
en  pièces  à  Taubembourg,  sur  le^Danube;  mais, 
épuisé  par  des  fatigues  continuelles,  il  expira 
[quelques  jours  après.  Il  fut  enterré  avec  la  plus 
jgrande  pompe,  à  Albe  Royale.  Ayant  perdu  ses 
(enfants,  il  légua    à  l'empereur  ses  immenses 
Jrichesses,  qui  avaient  fait  autrefois  dire  à  Sigis- 
imond  :  «  Si  Pippo  voulait  être  infidèle  envers 
[moi,  il  n'aurait  qu'à  me  mettre  un  bâton  à  la 
main,  et  je  serais  forcé  de  m'en  aller  de  mon 
I  royaume  comme  un  mendiant.  »  E.  G. 

Mellini,  Vita  di  Fil.  Scolari;  Florence,  1570.  —  Gad- 
[dio,  Etogiograpfius;  Florence,  1637.  —  fila  di  Pippo 
iSpano;  cette  notice,  écrite  par  un  auteur  contemporain 
j  anonyme,  a  été  impr.  dans  VArchivio  storico,  1843, 
i  p.  117,  où  se  trouve  aussi  une  Vie  de  Scolari  par  J.  Pog- 
\  glo.  —  Aschbach,  Gescà.  kaiser  Sigmunds,  t.  IV,  p.  411. 
|  scopas  (Exottok;),  célèbre  sculpteur  grec, 
!  vivait  dans  la  première  moitié  du  quatrième 
I  siècle  av.  J.-C.  Il  était  né  dans  l'île  de  Paros, 
dans  une  famille  où  la  profession  d'artiste  s'exer- 
çait de  père  en  fils.  On  ne  sait  guère  de  sa  vie 

U)  C'est  depuis  lors  qu'il  porta  le  surnom  de  Spano. 


—  SCOPAS 


631 


que  ce  que  nous  en  apprend  Pline,  et  les  ren- 
seignements de  cet  auteur  ne  sont  ni  nombreux 
ni  exacts.  Ainsi  il  nous  dit  que  Scopas  florissait 
avec  Polyclète,  Phradmon,  Myron,  Pylhagoras, 
Perelius,  dans  la  90e  olymp.,  420  avant  J.-C. 
Cette  date  conviendrait  tout  au  plus  à  la  nais- 
sance de  l'artiste,  car  on  sait  qu'il  était  encore 
dans  la  force  du  talent  soixante-dix  ans  plus 
tard.  Mais  si  la  vie  de  Scopas  est  inconnue,  il 
n'en  est  pas  de  même  de  ses  œuvres,  signalées 
à  notre  admiration  par  de  nombreux  témoignages 
des  anciens,  et  dont  quelques-unes  subsistent 
encore,  sinon  en  original,  du  moins  dans  des  co- 
pies. Comme  plusieurs  autres  sculpteurs  grecs, 
Scopas  était  en  même  temps  architecte.  Il  diri- 
gea la  reconstruction  du  temple  d'Athéné  à  Té- 
gée  en  Arcadie,  incendié  en  394.  Ce  temple,  le 
plus  grand  et  le  plus  magnifique  du  Péloponèse, 
offrait  dans  l'arrangement  de  ses  colonnes  la 
réunion  des  trois  ordres  :  dorique,  ionique,  co- 
rinthien. Les  sculptures  qui  décoraient  l'édifice 
étaient  probablement  toutes  de  sa  main,  puisque 
Pausanias,  qui  nous  en  fait  connaître  les  sujets, 
ne  cite  point  d'autre  artiste  comme  y  ayant  tra- 
vaillé. Sur  le  fronton  de  la  façade  était  repré- 
sentée la  chasse  du  sanglier  de  Caiydon.  La 
bête  sauvage  occupait  le  centre  de  la  composi- 
tion-, elle  était  poursuivie  d'un  côté  par  Atalante, 
Méléagre,  Thésée,  Télamon,  Pelée,  Pollux,  lo- 
laiis,  Prothous  et  Comètes.  De  l'autre  côté,  An- 
cée,  mortellement  blessé,  était  soutenu  dans  les 
bras  d'Épochus.,  tandis  que  près  de  lui  se  tenaient 
Castor,  Amphiaraùs,  Hippothoûs  et  Pirithoùs. 
Sur  le  fronton  de  derrière  était  sculpté  le  com- 
bat de  Thélèphe  avec  Achille  dans  la  plaine  du 
Caïque.  Il  ne  reste  de  ce  temple  que  des  débris 
informes.  D'après  un  passage  douteux  de  Pline, 
on  suppose  que  Scopas  fut  un  des  architectes 
employés  à  la  reconstruction  du  temple  de  Diane 
brûlé  par  Érostrate.  Il  prit  une  part  plus  cer- 
taine au  fameux  monument  qu'Artémise,  reine  de 
Carie,  fit  élèvera  son  mari,  Mausole, mort  en  352. 
Trois  autres  sculpteurs ,  Bryaxis ,  Léocharès , 
Timothée  (ou  peut-être  Praxitèle)  lui  furent  as- 
sociés pour  ce  travail  d'ornementation,  qui  con- 
sistait principalement  en  un  bas-relief  représen 
tant  la  bataille  des  Amazones,  et  dont  on  a  ré- 
cemment exhumé  quelques  restes.  Scopas  n'était 
pas  moins  célèbre  par  ses  statues  que  par  ses 
bas-reliefs.  Il  se  servait  généralement  du  marbre 
pour  ses  œuvres  ;  on  ne  mentionne  de  lui  qu'une 
statue  en  bronze.  Rival  de  Praxitèle  et  de  Ce- 
phisodote,  il  empruntait  de  préférence  ses  sujets 
à  la  mythologie.  Il  avait  fait  pour  un  temple  do 
Samothrace  des  statues  de  Vénus,  ou  Désir,  de 
Phaéton .  Ses  autres  statues,  citées  par  Pline  ou 
Pausanias,  sont  une  Vénus  nue  placée  dans  le 
temple  de  Brutus  Callaicus  à  Rome  et  égalant 
celle  de  Praxitèle;  un  groupe  de  bronze  repré- 
sentant Aphrodite  Pandémos  assise  sur  une 
chèvre,  placé  à  Élis,  dans  le  même  temple  que 
l'Aphrodite  Uranie  de  Phidias;  un  groupe  de. 


(>3â 

marbre  d'Éros,  Ilimeros  et  Potkos,  dans  le 
temple  d'Aphrodite  à  Mégare  ;  un  Bacchus  et 
une  Ménade;  un  Apollon  jouant  d-e  la  lyre, 
qui  fut  placé  dans  le  temple  élevé  par  Auguste 
sur  le  Palatin,  en  mémoire  de  la  bataille  d'Ac- 
tium  ;  une  statue  d'Apollon  Sminthée  à  Chrysa 
dans  laTroade;  deux  statues  d'Artémis  ;  enfin, 
la  célèbre  suite  de  statues  représentant  la  Mort 
des  fils  et  des  filles  de  Niobé.  Ces  statues  du 
temps  de  Pline  étaient  dans  le  temple  d'Apollon 
Sosianus;  on  disputait  si  elles  appartenaient  à 
Scopas  ou  à  Praxitèle.  Des  statues  qui  semblent 
avoir  fait  partie  de  ce  groupe  célèbre,  ou  qui  sont 
des  copies  de  statues  originales,  se  trouvent  au- 
jourd'hui dans  la  galerie  de  Florence.  Pline  cite 
encore  :  une  Vesta  assise,  dans  les  jardins  ser- 
viliens;  un  Mars  assis,  dans  le  temple  de  Brutus 
Gallaicus;  une  Minerve,  à  Cnide,  et  un  groupe 
dans  le  cirque  de  Flaminius.  Ce  groupe,  le  plus 
estimé  des  ouvrages  de  Scopas ,  si  l'on  en  croit 
Pline, représentait  Achille  conduit  dans  Vile  de 
Leucé  parles  divinités  marines  :  Neptune , 
Thétis,  des  Néréides  assises  sur  des  dauphins 
et  des  Hippocampes,  des  Tritons.  Pour  complé- 
ter l'énumération  des  ouvrages  de  Scopas,  il  reste 
à  mentionner  une  Canéphore,  dans  la  collection 
d'Asinius  Pollion;  un  Hermès,  dont  il  est  ques- 
tion dans  Y  Anthologie;  un  Hercule,  à  Sicyone; 
un  Esculape  et  une  Hygieia,  à  Gortyne  en  Ar- 
cadie;  une  Minerve,  à  l'entrée  du  temple  d'A- 
pollon Isménien  à  Thèbes  ;  une  Hécate,  à  Argos  ; 
et  deux  Furies,  à  Athènes.  Quelques  antiquaires 
pensent  que  la  Vénus  victorieuse  ou  Vénus  de 
Milo,  du  Musée  du  Louvre,  est  l'œuvre  de  Sco- 
pas ;  mais  cette  opinion  nous  paraît  peu  fondée, 
quoique  cette  admirable  statue  soit  digne  du 
ciseau  de  Scopas.  Ce  grand  artiste  porta  dans 
la  statuaire  une  vivacité,  une  variété,  un  mou- 
vement, une  préoccupation  de  la  réalité  qui  le 
distinguèrent  profondément  des  artistes  du  siècle 
précédent.  Il  donna  ainsi  à  ses  œuvres  tout  l'at- 
trait de  la  nouveauté;  mais  en  s'attachant  plus 
à  l'expression  qu'à  la  grandeur  et  à  la  beauté 
idéale  il  prépara  la  décadence  d'un  art  qu'il 
avait  porté  à  la  perfection.  L.  J. 

Pline,  Hist.  Nat.,  XXXIV,  XXXVI.  —  Pausanias,  VI, 
SB-,  VIII,  28,  45;  IX,  10,  etc.  —  Sillig,  Catalogus  artift- 
cum.  —  Ot.  Miiller,  Ârchxol.  d.  Kunst,  édit.  deWelcker. 
—  "Waagen,  Kimtswerhe  u.  Kunstler  in  Paris.  —  Na- 
gler,  Kunstler- Lexicon.  —  Uhrlichs,  Das  leben  Scopas; 
Grlefswald,  1863,  in-8°.  —  C.-T.  Newton,  A  history  ofthe 
discuveries  at  Halicunassus,  Cnidus  and  Branchida ; 
Londres,  1862.  —  J.  Fergnsson,  The  Mausolcum  of  Ha- 
licarnassus  ;  Londres,  1S62.  —  Edinburgh  review,  oc- 
tobre 186S. 

sco poli  (Giovanni-Antonio),  naturaliste 
italien,  né  le  13  juin  1723,  à  Cavallese,  près  de 
Trente,  mort  le  8  mai  1788,  à  Pavie.  A  vingt  ans 
il  fut  reçu  docteur  en  médecine  àlnspruck  (1743). 
La  passion  de  l'histoire  naturelle  l'éloigna  de 
l'exercice  de  son  art,  et  il  mit  à  profit  son  séjour 
dans  son  pays  natal  pour  parcourir  les  monta- 
gnes du  Tyrol  et  y  recueillir  un  grand  nombre 
de  plantes;  puis  il  se  rendit  à  Venise  et  compléta 


SCOPAS  —  SCOTT  63 

ses  études  par  les  fructueuses  observatioi 
auxquelles  il  se  livra  dans  les  jardins  de  la  f; 
mille  Morosini  et  du  botaniste  Sesler.  En  1754 
suivit  à  Vienne  le  prince-évêque  de  Trente,  i 
obtint  par  l'intermédiaire  de  van  Swieten, 
après  avoir  subi  un  nouvel  examen,  l'humb 
emploi  de  premier  médecin  à  ldria,en  Carnio 
(1755).  Ses  goûts  dominants  lui  suscitèrei 
beaucoup  de  tribulations,  qu'il  s'efforça  d'oublii 
en  dotant  cette  ingrate  province  d'ouvrages  e 
timés,  tels  qu'une  Flore,  une  Entomologie. 
des  mémoires  sur  les  mines  de  mercure.  Notnn 
en  1766  professeur  de  minéralogie  à  Chemnih 
il  put  enfin  se  livrer  sans  contrainte  aux  expi 
riences  de  chimie  qu'il  n'avait  pu  jusqu'alo 
suivre  qu'à  la  dérobée.  En  1777  il  alla  rempl 
à  Pavie  la  chaire  de  chimie  et  de  botaniqu 
«  Toutes  les  branches  de  l'histoire  naturelle 
la  chimie  lui  étaient  également  familières,  à 
Jourdan;  mais  quoiqu'il  ait  enrichi  ces  dei 
sciences  d'une  foule  d'observations  de  détail, 
ne  s'est  placé  au  premier  rang  ni  dans  l'une 
dans  l'autre.  Une  bonhomie  excessive  lui  insp 
rait  une  crédulité  dont  la  malice  de  Spallanza 
profita  plus  d'une  fois  pour  lui  attirer  des  mo 
tifications  sanglantes  ,  qui  troublèrent  son  rep< 
et  peut-être  même  abrégèrent  ses  jours.  En  bot. 
nique  il  resta  fidèle  au  système  des  corolliste,' 
et  donna  une  critique  du  système  de  Linné,  q 
est  remplie  d'excellentes  remarques.  »  Plu^ieu 
botanistes,  Linné,  Adanson,  "Wildenow,  Jacquie 
Forster  et  Smith,  ont  nommé  des  plantes  < 
son  honneur.  Les  principaux  ouvrages  de  Se 
poli  sont  :  Methodus  plantaram  ;  Vienne,  175 
in-4°;  —  Flora  carniolica ;  Vienne,  176i 
in-8°;  Inspruck,  1772,  in-8°;  —  Tentamin 
physico-chymico-medica  ;  Vienne,  1761,  in-8' 
trad.  en  allemand  :  recueil  de  trois  mémoires  si 
les  mines  de  mercure  d'idria;  —  Entomologi 
carniolica;  "Vienne,  1763,  in-8°  ;  —  Intr* 
ductio  ad  usum  fossïUum ;  Vienne,  176; 
in~8°;  trad.  en  allemand;  —  Annus  historié* 
medicus  ;  Leipzig,  1769-72,  5  vol.  in-8°  ;  trai 
en  allemand  ;  —  Diss.  III  ad  historiam  ni 
turalem  pertinentes  ;  Prague,  1772,  in- 8°;  - 
Principia  mineralogiœ  ;  Prague,  1772,  in-8' 
trad.  en  1778  en  italien,  par  Arduini;  —  Cry, 
tallographia  hungarica  ;  Prague,  1776,  in-4 
pi.;  —  lntroductio  ad  historiam  naturalem 
Prague,  1.777,  in-8°;  — Fundamenta  chemia. 
Prague,  1777,  in-8°;  —  Fundamenta  bote 
nicx;  Pavie,  1783,  in-8°;  —  Delicise  florset 
faunseinsubriese  ;Pavie,  1786-88,3  vol.  in-fol 
fig.;  —  Rudimenta  metallurgix  ;  Pavie,  178! 
in-4°.  Ce  savant  a  publié  une  excellente  versic 
italienne  du  Dictionnaire  dechimie  deMacqui 
(Pavie,  1783-84,  9  vol.  in-8°). 

Tipaldo,  Blogr.  degli  Ital.  illustri,  n  IX.  —  Jonrdai 
dans  la  fiiogr.  médicale. 

SCOT.  Voy.  Duns  et  Érigène. 
scott  (Daniel),  érudit anglais,  néàLondrei 
mort  près  de  cette  ville,  le  29  mars  1759.  Dac 


37 


SCOTT 


63S 


>s  premières  études,  à  Tewkesbury,  il  eut  Butler 
Secker  pour  condisciples  ;  puis  il  se  rendit  à 
Ireclil  et  s'y  lit  recevoir  docteur  en  droit.  Pen- 
mt  qu'il  habitait  cette  ville ,  il  embrassa  les 
unions  des  anabaptistes;  mais  son  caractère 
dépendant  l'empêcha  d'adhérer  complètement 
aucune  commfrnion  religieuse.  Il  exerça  le 
inistère  évangélique  soit  à  Colchester,  soit  à 
jndres,  où  il  résidait  tour  à  tour,  et  partagea 
vie  entre  la  prière  et  l'étude.  Ses  principaux 
ivrages  sont  :  Essay  totvards  a  demonstra- 
on  of  the  Scripture  Trinity  ;  Londres,  1725, 
-8°  ;  réimprimé  en  1738  et  1778,  in-4°  ;  —  New 
rsion  of  S.  Ma  tt  heu?  s  Gospel,  wilh  critical 
\)tes ,-  Londres,  1741,  in-8°;  —  Appendix ad 
'itsaurum  lingxiœ  greecx  ab  H.  Stephano 
nstructum;  Londres,  1745-46,  2  vol.  in-fol.  : 
vrage  estimé,  imprimé  avec  luxe,  et  qui  an- 
née une  grande  connaissance  du  grec,  de  la 
écision  et  du  sens  critique.  L'excès  de  travail 
'il  lui  coûta  ruina  sa  santé  et  le  conduisit  pré- 
Purement  au  tombeau. 
Ihaliners,  General  biogr.  dictionary. 
Scott  (Sir  Walter),  célèbre  romancier  écos- 
»,  né  à  Edimbourg,  le  15  août  1771,  mort  à 
■.botsford,  le  2 1  septembre  1832.  Il  était  le  troi- 

Ime  lils  de  Walter  Scott,  écrivain  du  sceau  (1), 
d'Anne  Rutherford ,  lille  d'un  professeur  de 
decine  très-distingué  de  l'université  d'Édim- 
urg.  Les  Scott  de  Harden  étaient  une  ancienne 
nille  du  Teviotdale,  dont  le  nom  avait  été 
i\è  aux  vieilles  luttes  du  border  et  aux  guerres 
files  des  derniers  temps.  Envoyé  à  la  carn- 
gne,  par  suite  d'un  accident  à  la  jambe  droite, 
|nt  il  resta  boiteux,  le  jeune  Walter  respira 
s  son  enfance  la  poésie  des  sites  et  des  sou- 
nirs.  Sa  bonne  tante  Janet  le  berçait  avec  des 
ansons   jacobites  ;  les  fermiers  des  environs 
Elisaient  encore  avec  terreur  les  cruautés  de 
Mimée  de  Cumberland  ;  enfin,  une  notoriété  po- 
Ilaire  s'attacbait  à  la  mémoire  du  vieux  Bear- 
|i,    son    arrière-grand -père,  qui  avait  laissé 
Ijrttre  sa  barbe  en  signe  de  regret  de  la  chute 
fis  Stuarts.  Son  infirmité  avait  développé  chez 
li  le  goût  de  la  lecture  et  des  promenades  soli- 
wm,  goût  qui  le  suivit  soit  à  la  ville,  où  il  re- 
luma  à  l'âge  de  huit  ans,  soit  à  Kelso,  où  il 
ssait  ordinairement  ses  vacances.  Pendant  une 
■s  retraites  auxquelles  cette  infirmité  le  con- 
f  !mnait,  il  eut  à  sa  disposition  une  bibliothèque 
k  îbulante  (  circîdaling  library  ),  fondée  par 
l  lan  Ramsay,  où  se  heurtaient  pêle-mêle  les 
feux  romans  de  chevalerie,  les  volumineux  re- 
ii  (eils  de  Cyrus  et  de  Cassandre,  les  nouveautés 
i  jour.  «  Je  crois,  dit-il,  pouvoir  affirmer  que 
lu  lu  à  peu  près  tous  les  poèmes  épiques,  les 
mans,   les  vieilles  pièces  de  théâtre  de  cette 
!  "midable  collection.  »  11  étudia  à  l'école  supé- 
1  nired'Édimbourg,  puisau  collège,  où,  comme  il 
:  dit  lui-même,  il  ne  fit  pas  grande  figure  et  brilla 

•  fi)  Ce  sont  des  hommes  de  loi  ayant  seuls  le  droit  de 
Hger  les  actes  soumis  au  sceau  royal. 


I  plutôt  (ce  sont  ses  expressions)  à  la  cour  qu'à 
la  classe.  A  l'exception  du  docteur  Adam,  exccl- 
j  lent  humaniste,  qui  sut  reconnaître  el  cultiver 
en  lui  quelques  dispositions  heureuses,  ses 
maîtres  n'avaient  pas  une  très-haute  opinion  de 
;  sa  capacité.  Son  professeur  de  grec  le  déclara 
i  stupide  un  jour  qu'il  l'entendit  mettre  l'Arioste 
j  au-dessus  d'Homère.  Mais  son  talent  pour  le 
j  récit  l'avait  rendu  populaire  parmi  ses  cama- 
|  rades,  qui  en  hiver,  pendant  les  heures  de  récréa- 
i  tion,  faisaient  cercle  autour  de  lui  pour  l'écouter. 
J  L'auteur  a  donné  lui-même  sur  ce  talent  de  sa 
jeunesse,  qui  devait  faire  un  jour  sa  gloire,  des 
détails  pleins  de  charme.  Au  sortir  du  collège ,  il 
mena  de  front  la  cléricature  et  lestage.  11  n'opta 
définitivement  pour  le  barreau  qu'en  1792.  Tantôt 
grossoyant  des  actes  dont  le  produit  lui  servait 
à  acheter  des  livres,  tantôt,  comme  ce  jeune 
légiste  qu'il  a  peint  dans  son  roman  de  Redgaunt- 
let,  balayant  de  sa  robe  le  parquet  du  tribunal , 
médiocre  avocat,  mais  bon  vivant  et  joyeux  con- 
frère, il  semble  n'avoir  pris  de  la  vie  judiciaire 
que  ce  qu'il  lui  en  fallait  pour  tracer  d'après  na- 
ture ses  types  d'hommes  de  loi.  Le  théâtre,  les 
clubs,  les  sociétés  littéraires,  la  lecture,  absor- 
baient une  bonne  parlie  de  son  temps.  Vers  la 
même  époque ,  il  suivait  les  cours  du  professeur 
Dugald  Stewart  ;  mais,  laissant  à  ses  camarades 
les  sujets  philosophiques,  économiques  et  poli- 
tiques alors  en  faveur  auprès  de  la  jeunesse  écos- 
saise ,  il  choisissait  comme  textes  des  lectures 
faites  par  lui  à  la  Société  spéculative,  de  1790 
à  1793,  les  Mœurs  des  peuples  du  Nord,  VO- 
rigine  du  système  féodal,  la  Mythologie  scari' 
dinave,  l'Authenticité  des  poèmes  d'Ossian. 
Ainsi,  de  même  qu'en  histoire  il  goûtait  sur- 
tout les  souvenirs  des  siècles  passés ,  de  même 
en  littérature  il  s'attachait  avec  une  prédilection 
marquée  aux  œuvres  d'imagination  en  tous 
genres,  et  quand  il  eut  épuisé  le  répertoire  roma- 
nesque de  l'Angleterre,  ce  fut  pour  connaître 
ceux  des  autres  pays  qu'il  étudia  les  littératures 
étrangères,  surtout  le  français  et  l'allemand. 
Bien  que  parlant  assez  mal  notre  langue  (1),  il 
connaissait  bien  nos  auteurs ,  notamment  nos 
historiens  et  nos  romanciers.  La  muse  roman- 
tique de  Bùrger  et  de  Gœthe  fut  le  premier  at- 
trait qui  lui  inspira  l'envie  d'écrire.  Ces  essais, 
consistant  en  une  traduction  de  Lénore,  de  Gœtz 
de  Berlichingen  (1799),  en  imitation  de  bal- 
lades allemandes,  reçurent  une  publicité  res- 
treinte ou  furent  envoyés  à  Lewis  pour  être  in- 
sérés dans  ses  Taies  of  wonder  (  1796-99). 
Pendant  les  vacances,  voyageur  infatigable,  le 
jeune  Walter  Scott  parcourait  les  hautes  et  les 
basses  terres,  le  border,  poussait  même  par- 
fois jusqu'aux  comtés  du  nord  de  l'Angleterre. 

(i)  «  Mon  Dieu,  comme  il  estropiait  entre  deux  Tins 
le  français  du  bon  sire  de  Joinville  I  »  disait  à  ce  sujet 
un  des  gentilhomme*  de  Charles  X,  avec  lequel  il  essaya 
de  converser  dans  notre  langue,  lors  du  séjour  de  celui-ci 
à  Edimbourg  en  1830. 


639 


SCOTT 


G4( 


Chez  son  grand-père ,  qui  était  fermier,  il  avait 
occasion  d'observer  les  mœurs  et  de  gagner  la 
confiance  des  paysans.  11  rencontrait  sur  son 
passage  plus  d'un  de  ces  types  aujourd'hui  dis- 
parus qui  reportaient  le  jeune  observateur  à  des 
époques  déjà  éloignées  et  formaient  pour  lui  un 
lien  entre  le  monde  réel  où  il  vivait  et  ce  monde 
d'autrefois  qu'habitait  sa  pensée.  Ici  c'était  un 
laird  montagnard  qui  «  s'était  absenté  en  1745  »  ; 
là  le  vieux  constable  de  Dundee  posait  pour  Y  An- 
tiquaire ,  et  Mme  Margaret  Swinton  pour  Ma 
tante  Marguerite.  11  s'en  allait  ainsi,  observant 
les  caractères  et  les  localités,  dont  les  moindres 
détails  se  gravaient  dans  sa  mémoire  avec  une 
fidélité  merveilleuse,  recueillant  des  traditions, 
des  ballades  ,  des  physionomies ,  des  traits  de 
mœurs  qui  devaient  défrayer  ses  vers  et  sa  prose. 
C'est  dans  une  excursion  de  ce  genre  aux  lacs  du 
Cumberland  qu'il  connut  Marguerite-Charlotte 
Carpenter,  fille  d'un  protestant  royaliste  de  Lyon, 
réfugiée  avec  sa  mère  en  Ecosse,  à  la  suite  de  la 
révolution  française.  Il  l'épousa  en  décembre 
1797,  et  en  eut  quatre  enfants,  deux  fils  et  deux 
filles  (1).  Cependant  les  faibles  revenus  de  sa  pro- 
fession d'avocat  n'auraient  pas  longtemps  suffi 
aux  charges  du  ménage  s'il  n'y  avait  joint  ceux 
d'une  place  de  sheriff  du  comté  de  Selkirk  (1799), 
et  de  clerc  de  session  (1806),  doubles  fonctions 
qu'il  remplit  l'une  pendant  vingt  ans,  l'autre 
jusqu'à  sa  mort,  avec  une  régularité  exemplaire. 
Mais  la  littérature  devait  bientôt  devenir  pour 
lui  une  source  bien  autrement  féconde  de  fortune 
et  de  gloire.  La  vie  littéraire  de  Walter  Scott 
peut  se  diviser  en  trois  périodes  :  i°  celle  où  il 
fonda  sa  réputation  de  poète,  s'étendant  depuis 
ses  traductions  deBiirger,  en  1796,  jusqu'à  la  pu- 
blication de  Waverley,  en  1814;  2°  l'époque  qui 
de  cette  dernière  année  à  la  faillite  de  Comptable, 
en  1826,  comprend  la  brillante  et  rapide  succes- 
sion de  ses  romans  ;  3°  enfin  celle  des  travaux 
herculéens  auxquels  il  se  livra  pour  rétablir  ses 
affaires,  compromises  par  la  crise  de  1826,  jus- 
qu'au moment  où  il  mourut  à  la  tâche,  en  1832. 
Sans  insister  ici  sur  Glenfinlas ,  la  Maison 
d'Asper,  Sir  Tristram,  et  d'autres  publications, 
qui  n'eurent  pas  de  retentissement,  les  Chansons 
du  border  écossais  (Border  minstrelsy;  1800- 
1803),  œuvre  à  la  fois  d'antiquaire  et  de  poète, 
furent  remarquées,  grâce  à  ce  mélange  de  science 
et  d'imagination  qui  devait  rester  le  principal  ca- 
ractère du  talent  de  l'auteur.  «  Ce  fut  ainsi,  dit-il, 
que  le  succès  de  quelques  ballades  eut  pour 
effet  de  changer  le  plan  et  l'avenir  de  ma  vie , 
et  de  métamorphoser  un  laborieux  légiste  de 
quelques  années  de  stage  en  un  poursuivant  lit- 
téraire. »  Bientôt  les  trois  grands  poèmes,  t/ie 
Lay  of  the  last  minstrel  (1805),  Marmion 
(1808),  et  the  Lady  of  the  lake  (1809),  suivis 
d'autres  de  moindre  importance,  Don  Roderick 
(1811),  Rokeby  (1813),  the  Lord  of  the  isles 

(1)  Lady  W.  Scott  mourut  le  1S  mai  1826. 


(1814),  auxquels  il  faut  ajouter  the  Bridai  o, 
Triermain  (1814)  et  Harold  the  Dauntles. 
(1816),  vinrent  placer  le  nom  de  Walter  Scott 
comme  poète,  immédiatement  après  celui  d> 
Byron,  et  leur  succès  prodigieux  ne  put  êtr. 
surpassé  plus  tard  que  par  celui  des  romans  sorti 
de  la  même  plume.  Tout  en  donnant  à  ces  corn 
positions  poétiques  la  plus  grande  partie  di 
loisir  que  lui  laissaient  ses  fonctions ,  il  s'occu 
pait  d'articles  pour  YEdinburgh  review  et  1, 
Quarterly  review,  de  publications  historique 
et  littéraires,  telles  que  d'excellentes  éditions  de 
Œuvres  de  Dryden  (1808,  18  vol.  in-8°),  d 
Miss  Seward  (1810,  3  vol.  in-8°)  et  de  SwiJ 
(1814,  19  vol.  in-8°),  avec  notes  et  introductions 
les  Somers's  Tracts  (1809-12,  3  vol.  in-4°) 
les  State  Papers  de  B.  Sadler  (1810,  2  vo 
in-4°),  etc.;  il  enrichissait  la  Novelists'  librar 
d'ingénieuses  notices  qui  ont  été  réunies  en  Irai 
çais  sous  le  titre  de  Biographies  des  romande1) 
célèbres,  depuis  Fielding  jusqu'à  nos  joui 
(Paris,  1825,  4  vol.  in-12).  A  cette  prodigieus 
activité  littéraire  le  démon  de  la  propriété  ava 
ajouté  un  nouveau  stimulant  depuis  l'acquisitic 
d'Abbotsford  (1811),  château  romantique  siti 
sur  les  bords  de  la  Tweed,  auprès  des  ruines  c 
l'abbaye  de  Melrose ,  où  Scott  à  partir  de  cet 
année  passa  l'intervalle  des  sessions,  et  dont 
produit  considérable  de  ses  ouvrages  suffisait 
peine  à  payer  les  bâtisses,  les  plantations,  l'ho 
pitalité  somptueuse  (1). 

Cependant  l'auteur,  malgré  le  mérite  de  s 
poèmes,  n'avait  pas  encore  rencontré  la  forn 
qui  convenait  le  mieux  à  son  talent.  Il  a  racon 
lui-même  comment  il  fut  amené  à  choisir  cel 
du  roman.  «Mes  peintures  des  sites  et  des  mœu 
des  highlands,  dit-il,  tracées  d'après  mes  soui 
nirs  de  jeunesse,  avaient  été  accueillies  si  fav 
rablement,  dans  mon  poëme  de  la  Dame  du  la 
que  je  dus  songer  à  essayer  quelque  chose 
semblable  en  prose.  J'avais  fait  de  nombreus 
excursions  dans  nos  montagnes ,  à  une  époq 
où  elles  étaient  beaucoup  moins  accessibles 
moins  explorées  qu'elles  ne  l'ont  été  depuis  qu« 
ques  années.  J'y  avais  connu   plusieurs  viei 
combattants  de    1745,  qui,  comme   la  plupj 
des  vétérans ,  se  laissaient  facilement  persuad 
de  recommencer  leurs  batailles  pour  le  plaii 
d'auditeurs  bénévoles  tels  que  moi.   L'idée  i 
vint  naturellement  que  les  anciennes  traditio 
et  l'esprit  exalté  d'un  peuple  qui  portait  dans 
siècle  et  dans  un  pays  civilisés  une  si  forte  ei 
preinte  des  mœurs  primitives  devaient  offrit- 
sujet  favorable   pour  le  roman ,  si  le  conl 
comme  on  dit,  n'était  pas  gâté  par  le  conteur. 
C'est  dans  cette  pensée  que  dès  1805  il  av 
esquissé  le  commencement  de  Waverley;  m 
détourné  de  son  entreprise  par  un  ami,  il  av 
relégué  cet  essai  dans  le  tiroir  d'un  vieux  nu 
ble,  où  le  hasard  le  lui  fit  retrouver  en  1814. 

(i)  Voy.  Abbotsford  (Lond.  1835,  ln-8»),  par  Wash.  IrTi  I 


Il 


SCOTT 


C42 


remit    à  l'ouvrage;  Le  roman  parut  cette 

iée,  sous  le  voile  de  l'anonyme  (Waverley, 

,7  is  sixty  years  since,  3  vol.  in-12),  mais 

c  un  immense  succès.  La  veine  était  re- 

^,uvée;  on  sait  avec  quel  bonheur  l'autour  la 

vit  d'abord.  C'est  ainsi  qu'on  vit  se  succéder 

i  idement  Guy  Mannering  (1815)  (1)  et  (fie 

tiquary  (1816);  la  lre  série  des  Taies  ofmy 

\dlord  (Contes  de  mon    hôte),  renfermant 

ick  dwarf  (le  Nain  noir,  1816)  et  Old  mor- 

tjity  (les  Puritains  d'Ecosse,  1817);  Rob  Roy 

(Us),  et  la2«  série  des  Contes,  qui  contient  the 

fart  of  Mid-Lothian  (la  Prison  d'Edimbourg, 

ji8);  enfin  la 3e  série, comprenant  the  Bride  of 

çnmermoor  (la  Fiancée  de  Lammermoor,  1818) 

Il  Legend  of  Montrose  (l'Officier  de  fortune, 

|9);  puis,  pour  couronner  cette  suite  de  cliefe- 

nuvre,  Ivanhoe  (1820),   à  qui  il  faut  faire 

I  place  à  part  entre  l'épopée ,  dont  il  a  l'in- 

Ht  grandiose ,  et  l'histoire,  qu'il  a  inspirée  si 

■reusement  sous  la  plume  d'un  de  nos  plus 

liants   écrivains.  Tous  ces  romans,  qui  ne 

baient  pour  la  plupart  d'autre  indication  que 

«mots  magiques,  par  l'auteur  de  Waverley, 

lurent  au  grand  inconnu  (  the  great  un- 

mwn)  (2),  c'est  ainsi  qu'on  l'appelait,  une  repu- 

nu  plus  qu'européenne.  Contrefaits,  traduits 

s  toutes  les  langues ,  reproduits  par  la  pein- 

,  par  le  théâtre,  embellis  du  prestige  de  la 

;ique,  ils  semblèrent  pendant  quelque  temps 

possession  de   défrayer  seuls  la  littérature 

mie  les  beaux-arts  de  tous  les  pays  civilisés. 

Itout  on  s'intéressa  aux  scènes  et  aux  mœurs 

pays  presque  inconnu  jusqu'alors,  parce 

!  sous  l'étrangeté  de  la  couleur  locale  on 

Hinut   bientôt  les  traits  généraux  et  saisis- 

ts  qui  caractérisent  le  genre  humain. 

lette  époque  marqua  pour  l'auteur  l'apogée 

Éa  fortune  et  de  sa  réputation.  Ses  ouvrages 

lassuraient  un  revenu  de  10,000  liv.  st.  par 

I  Accueilli  dans  un   voyage   à  Londres ,   à 

Ëxelles  et  à  Paris,  en  1815,  par  les  têtes  cou- 

inées  et  parles  notabilités  de  tous  genres,  créé 

IBt  en  1819,  visité  à  Abbotsford  par  une 

Me  de  pèlerins  littéraires  et  par  des  altesses 

IRs,  sir  Walter  Scott  vit  ses  traits  repro- 

Bts  par  le  pinceau  de  Lawrence  et  par  le  ciseau 

[Ghantrey.  Parmi  les  ouvrages  qui  suivirent 

■41-1824),  quelques-uns  soutinrent  au  moins, 

■  Ceroman  de  Walter  Scott  fut  le  premier  qu'on  tra- 
18  tt  en  français  ;  il  parut  en  1816,  traduit  par  M.  Joseph 
lUn,  et  fut  suivi,  à  un  an  d'intervalle,  tel  Antiquaire, 
Huit  par  Mn,e  Maraise.  A  partir  de  1818  le  traducteur 
Binaire  du  romancier  fut  Defauconpret,  qui  nous  fit  con- 
Rre  successivement  toutes  se3  productions  et  les  publia 
sîent  en  mémo  temps  que  paraissait  l'original  anglais. 
If  Cet  anonyme,  qui  dura  douze  ans,  et  sous  le   voile 
Buei  plus  de  quarante  volumes  de  romans  furent  pu- 
R%  avait  été  pénétré  de  bonne  heure  par  quelques  es- 
Pi  sagaoes,  tels  que  G.-L.  Adolphus,  qui,  dans  ses  Let- 
H  «  Richard  Heber,  publiées   en  1821,  arrivait   par 
génieuses  inductions,   par   des  comparaisons  frap- 
pes, à   cette  conclusion  que    l'auteur  inconnu    de 
vierley  n'était  autre   que  l'auteur  déjà  célèbre    de 
f'mion. 

NOUV.  BIOGR.   GÉNÉR.  —  T.   XLIU. 


s'ils  ne  l'augmentèrent  pas,  la  réputation  de 
l'auteur;  tels  furent  the  Abbol  (l'Abbé,  1820), 
proclamé  par  un  ingénieux  critique  «  plus  vrai 
que  l'histoire  »,  Kenilworth  (1821),  Quentin 
Durward  (1823),  heureuse  excursion  dans  les 
chroniques  étrangères  ;  d'autres ,  (he  Monastery 
(1820),  the  Pirate  (1822),  the  Fortunes  of  Ni- 
gel  (  Aventures  de  Nigel,  1822),  Peveril  o/the 
Peak  (Péverildu  Pic,  1823),  Saint-Ronan's 
well  (les  Eaux  de  Saint-Ronan,  1824  ),  enfin 
Redgauntlel  (1824),  accusaient  une  décadence 
plus  sensible.  Vers  le  même  temps,  les  embarras 
toujours  croissants  des  maisons  d'imprimerie  et 
de  librairie  Ballantyne  et  Constable,  avec  les- 
quelles Walter  Scott  avait  depuis  longtemps 
contracté  des  liaisons  d'intérêt  plus  étroites  qu'il 
ne  convenait  à  la  prudence  du  père  de  famille  et 
à  la  dignité  de  l'homme  de  lettres ,  aboutirent, 
par  suite  de  la  crise  du  commerce  anglais  en  1826, 
à  une  ruine  complète.  «  L'auteur  de  Waverley 
ruiné  !  s'écria  à  cette  nouvelle  le  comte  de  Dud- 
ley  ;  que  chaque  homme  à  qui  il  a  procuré  des 
mois  de  plaisir  lui  donne  seulement  six  pence, 
et  demain  matin  il  se  lèvera  plus  riche  que  Roth- 
schild. »  Pour  lui ,  avec  une  résolution  qui  ho- 
nore l'homme ,  mais  qui  malheureusement  en- 
chaînait la  liberté  de  l'écrivain,  il  songea  aussitôt 
à  dévouer  le  reste  de  sa  vie  au  service  de  ses 
créanciers  (1).  Malgré  des  infirmités  douloureu- 
ses, malgré  des  chagrins  domestiques,  la  mort 
de  sa  femme  et  d'un  petit-fils,  il  se  remit  au 
travail  avec  une  activité  fébrile.  C'est  à  cette 
période  que  se  rapportent  les  Contes  du  temps 
des  croisades  (Taies  of  the  crusaders,  1825),  la 
lre  série  des  Chroniques  de  la  Canongate 
(1827)  et  des  Con(es  d'un  grand-père  à  son 
petit-fils  sur  l'histoire  d'Ecosse  (  Taies  of  a 
grand  fatber,  1828),  cadre  familier-où  il  retrouva 
son  talent  gracieux  et  facile;  enfin,  les  travaux 
préparatoires  de  YHistoire  de  Napoléon.  Il  se 
rendit  à  Londres  pour  consulter  les  archives  des 
ministères,  qui  lui  furent  ouvertes,  et  à  Paris,  où 
la  conversation  de  quelques  personnages  émi- 
nents  du  temps  de  l'empire,  notamment  des 
maréchaux  Macdonald  et  Marmont,  devait  lui 
fournir  des  renseignements  pour  la  partie  anec- 
dotique  de  son  ouvrage.  La  réception  flatteuse 
qu'il  reçut  dans  les  deux  capitales,  et  la  solennité 
littéraire  où  pour  la  première  fois,  à  son  retour 
en  Ecosse  (23  février  1827),  il  se  reconnut  offi- 
ciellement pour  l'unique  auteur  des  romans  pu- 
bliés sous  le  nom  de  Y  auteur  de  Waverley, 
tempérèrent  quelque  peu  la  tristesse  de  ces  mau- 
vais jours.  La  Vie  de  Napoléon  (Life  of  N.  Buo- 
naparte;Edimb.,  1827,  9  vol.  in-8°)  fut  accueil- 
lie, même  en  Angleterre,  avec  peu  défaveur; 
la  France  y  retrouva  la  plume  hostile  des  Let- 

(1)  Ses  dettes,  tant  personnelles  que  résultant  de  sa 
solidarité  avec  les  maisons  Constable  et  Ballantyne,  se 
montaient  à  environ  147,000  1.  st.  Ce  passif,  déjà  consi- 
dérablement diminué  avant  la  mort  de  l'auteur,  a  été 
depuis  complètement  éteint  par  le  produit  des  éditions 
successives  de  ses  œuvres. 

21 


643 


SCOTT 


très  de  Paul  (Paul's  Letters  to  his  kinsfolk; 
eEdirab.j  1815,  in-S*5)  et  toutes  les  préventions 
de  1815.  Cette  publication  attira  à  l'auteur  des 
critiques  et  des  réfutations  fort  vives,  surtout  de 
la  part  du  général  Gourgaud  et  de  Louis  Bona- 
parte. De  1828  à  1830,  il  publia  encore  the  Fait 
maidof  Perth,  la  suite  des  Contes  d'un  grand- 
père  (1829-30)  ,  la  suite  des  Chroniques  de  la 
Canongate  (1828);  Anne  of  Geierstein  (Charles 
le  Téméraire,  1829),  la  4e  série  des  Contes  de 
mon  hôte  (1831),  renfermant  Count  Robert  of 
Paris  et  Caslle  dangerous  (le  Château  péril- 
leux 1,  Hislory  of  Scotland  (Histoire  d'Ecosse; 
Édimb.,  1830,  2  vol.  in-8°),  Letters  ondemo- 
nology  and  witchcraft  (  Lettres  sur  la  démo- 
nologie,  1830),  et  ne  cessa  de  donner  des  soins 
jusqu'à  sa  mort  à  ce  qu'il  appelait  son  opas 
magnum,  c'est-à-dire  la  réimpression  généralede 
ses  romans  avec  introductions,  préfaces  et  noies, 
qui  parut  de  1829  à  1834,  48  vol.  in-12.  On  l'a 
reproduite  en  1837,  et  plusieurs  fois  depuis,  dans 
différentes  formats  et  toujours  avec  succès. 

L'année  1830  fut  triste  pour  sir  Walter  Scott. 
Deux  attaques  d'apoplexie  et  de  paralysie  le 
frappèrent  dans  sa  constitution  physique,  et  la 
révolution  de  Juillet  dans  ses  sympathies  poli- 
tiques. Une  'seconde  fois  il  revit  à  Holyrood, 
comme  aux  jours  de  sa  jeunesse,  les  Bourbons 
exilés,  et  fit  en  leur  faveur  un  touchant  appel  à 
la  générosité  de  ses  compatriotes.  Il  fut  moins 
heureux  lorsqu'il  voulut  opposer  au  grand  mou- 
vement de  la  réforme  parlementaire  les  derniers 
efforts  d'une  voix  éteinte  et  d'une  plume  affai- 
blie. Habitué  à  vivre  par  l'imagination  dans  les 
régions  du  passé,  le  grand  romancier  n'avait  pas 
compris  les  nécessités  politiques  de  son  époque. 
L'insuccès  d'un  pamphlet  pseudonyme  et  d'in- 
dignes outrages,  à  l'occasion  d'un  discours  anti- 
réformiste prononcé  par  lui  à  Jedburgh  dans  ses 
fonctions  de  sheriff,  répandirent  l'amertume  sur 
la  fin  de  cette  carrière,  entourée  jadis  de  si  écla- 
tantes sympathies.  En  même  temps  Robert  de 
Paris  et  le  Château  périlleux,  les  derniers 
et  les  plus  faibles  de  ses  romans ,  révélaient  dans 
son  talent  un  déclin  semblable  à  celui  de  sa  po- 
pularité et  de  sa  santé.  Effrayés  des  progrès  du 
mal,  les  médecins  conseillèrent  un  voyage  dans 
le  midi  de  l'Europe.  Sur  la  demande  du  capi- 
taine Basil  Hall,  une  frégate  de  l'État  fut  mise 
à  la  disposition  de  l'illustre  malade,  vers  la  fin 
de  1831.  Il  s'arrêta  successivement  à  Malte,  à 
Naples,  à  Rome,  etc.,  presque  insensible  à  ce 
qui  l'entourait.  Une  nouvelle  attaque  d'apo- 
plexie vint  le  frapper  à  Nimègue  et  hâter  son 
retour.  Le  11  juillet  1832  il  revit  son  château, 
ses  arbres,  ses  livres  clréris;  mais  ce  fut  pour 
leur  dire  bientôt  un  éternel  adieu  :  le  21  sep- 
tembre suivant,  il  rendit  le  dernier  soupir,  en 
présence  de  tous  ses  enfants,  réunis  autour  de 
lui.  De  ses  quatre  enfants,  deux  fils  et  deux 
filles,  l'aînée  avait  épousé  M.  Lockhart  (voy.  ce 
nom  ) ,  auteur  de  Mémoires  sur  la  vie  de  sir 


Walter  Scott  (1839-42,  10  vol.  in-8°).  Le 
fille ,    Chariotte-Henrielte-Jeanne  ,  épouse 
J.-R.  Hope,est  aujourd'hui  la  seule  survivar 
de  la  postérité  de  l'illustre  romancier. 

Les  œuvres  de  Walter  Scott  peuvent  se  i 
viser  en  quatre  séries  distinctes  :  1°  Romai 
2°  Œuvres    poétiques,   3°  Œuvres  histo'i 
ques,  4°  Mélanges.  Les  traductions  de  ces  a 
vres  n'ont  guère  fait  connaître  au  public  fr; 
çais,  plus  ou  moins  complètement,  que  les  tr 
premières;  celle  de  Defauconpret  a  été  le  p 
souvent  réimprimée  sous  tous;  les  formats  : 
assure  qu'en  1830  il  s'en  était  déjà  débité  p 
de    1,400,000  exemplaires.    La  traduction 
M.  Albert  Montémont,  14  vol.  in-8%  à  2 
lonnes,   est   moins   recherchée.   M.   Léon  i 
Wailly  a  traduit  les  romans  pour  l'éditeur  Ch 
pentier,1848-1849, 25  vol.  in-18.  M.  Louis  Yrôl 
entreprit  en  1837  de  donner  une  traduction  p 
exacte  et  plus  complète  qui  devait  compren  I 
en  24  vol.  gr.  in-8°  les  ouvrages  de  l'auteui 
tous  genres  ;  mais  il  n'a  paru  qu'une  partie 
romans.  E.-J.-B.  Rathery, 

Mémoires  de  Lockhart;  Paris,  1821,  in-12.  —  Amid 
Pichot,  Essai  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Jf.sA 
1821,  en  tête  de  la  traduction  des  OEuvres  poétique,  i 
Allan  Cunningham  ,  Notice  biographique  et  littérc  | 
1833,  in  8°  ;tratl.en  français  dans  l'édition  de  Furne  et 
selin ,  Paris,  1834,  30  vol.  in-8°.  —  James  Hogg,  Pri  I 
life  and  domestic  manners  of  sir  IV.  Scott;  Lon 
1833,  in-8°.  —  Jf  aller  Scott  et  les  Écossais,  par  h  | 
Ritcbie,  trad.  de  l'anglais-;  Paris,  1835,  in -S0. 

*  scott  de  Martinville  (Édouard-Létl 
correcteur  d'imprimerie,   né  le  24  avril  il| 
à  Paris.  Seul  descendant  d'une   famille 
ginaire  d'Ecosse  et  fixée  à  Rennes  depuis 
ques  II,  il  entra  en  1834  dans  Pimprimerii  I 
Bachelier,  alors  dirigée  par   son  père.  En 
de  temps  il  y  devint  un  correcteur  habile  [ 
la  lecture  des  ouvrages  rie  science.  Dans  l'e 
cice  de  ces  modestes  fonctions,  il  eut  le  bonlj 
d'être  distingué  par  Etienne  Geoffroy  Saint  [ 
laire,  qui,  découvrant  en  lui  des  aptitudes 
ordinaires  et  un  esprit  ingénieux,  voulut 
l'associer  à  la  préparation  de  quelques-uni 
ses  travaux.  En  1859  il  entra  dans  l'imprin| 
de  MM.  Didot,  où  il  est  encore.  Nous  ne 
lerons    pas  de  diverses  tentatives    auxqul 
il  se  livra;  à  travers  les  vicissitudes  d'un»! 
laborieuse,  i!  est  toujours  resté  correcteur.  <  f 
en  lisant  une  épreuve  delà  première  édifia  | 
Traité  de  physiologie  de  M.  Longet,  qu'il 
çut  l'idée  première  de  l'invention  qui  a  ni 
son  nom  au  monde  savant.  On  se  demai 
alors  si  l'on  pourrait  faire  pour  le  son  que 


chose  d'analogue  à  ce  que  Daguerre  avai 
pour  la  lumière.  M.  Scott  imagina  d'appli 
les  moyens  acoustiques  employés  par  la  n< 
dans  la  structure  du  sens  de  l'ouïe  à  la  fix; 
graphique  du  chant,  des  instruments  de  mu: 
et  des  différents  sons  produits  par  la  voix 
maine.  Cet  art  nouveau  fut  appelé  par  soi 
venteur  la  phonaulographie.  Quand,  en  i 
M.  Pouillet  apprit  les  tentatives,  si  import; 


345  SCOTT  — 

tour  la  science,  auxquelles  se  livrait  l'ouvrier 
ypographe,  il  alla  le  voir,  et  à  sa  recommandation 
i  Société  d'encouragement  s'empressa  de  faire 
es  frais  de  la  première  annuité  d'un  brevet  d'in- 
iention  (25   mars).  L'année  suivante  M.  Ro- 
lolplic  Kœnig,  fabricant  d'instruments  d'acous- 
Ique  à  Paris,  offrit  de  construire  pour  les  ca- 
iinets    de   physique    un   appareil    simplement 
|émonstratii  du  principe  découvert  par  M.  Scott, 
n  1859  une  série  d'épreuves  de  sons  de  tuyaux 
l'orgue  reproduits  automatiquement  à  travers 
air  au  moyen  de  cet  appareil  fut  présentée  par 
Abbé  Moigno  à  la  réunion  tenue  à  Aberdeen  de 
Association  pour  l'avancement  des  sciences. 
ette  sténographie  naturelle  des  accords  y  excita 
îe  surprise  telle,  que  le  soir  même  le  prince 
[ibert,  qui  présidait  la  réunion,  voulut  porter 
i-même  ces  planches  à  la  reine,  qui  se  trouvait 
■ji  Ecosse.  En  peu  d'années  M.   Kœnig  a  pu 
prer  l'appareil  qu'il  construit,  bien  que  rudi- 
ffentaire  toutefois,  aux  principaux  cabinets  de 
ffiysique  de  l'Europe.  M.  Scott,  ayant  résilié  en 
Irtie  le  contrat  qui  l'enchaînait  à  M.  Kœnig, 
|ursuit  seul  en  ce  moment,  avec  un  appareil 
|rfectionné  construit  par  ses  soins,  la  solution 
|fégrale  du  problème  de  l'inscription  automa- 
te du  chant,  de  la  déclamation,  des  articula- 
ns  et  des  bruits.  Il  est  en  outre  auteur  d'une 
ide  historique  et  philologique  intitulée  :  Les 
mis  de  baptême  et  prénoms;  Paris,  1857, 
59,  in- 16. 

documents  communiqués. 

Scotti  (Giirfio-Clemente),  jésuite  italien, né 
1602,  à  Plaisance,  mort  le  9  octobre  1669,  à 
idoue.  Il  descendait  d'une  famille  patricienne. 
très  avoir  achevé  à  Rome  ses  humanités, 
fat  admis  à  quinze  ans  dans  le  noviciat  des 
jattes  et  prononça  en  1628  ses  quatre  vœux, 
le  représente  comme  ayant  étudié  à  cette 
aque  avec  un  succès  fort  inférieur  à  ses  préten- 
ds.  Une  manquait  ni  d'intelligence  ni  de  zèle, 
ïsson  intelligence  était  lourdeet  peu  nette;  son 
6  inopportun,  et  soutenu  par  une  vanité  ex- 
irtve ,  l'emportait  à  se  remplir  la  tête  d'idées 
Wresou  mal  conçues.  On  l'envoya  professer  la 
tesophie  à  Parme  (1631)  etàFerrare(1634); 
se  tira  fort  mal  de  ses  cours,  et  essuya  des 
Wifications  dans  les  disputes  publiques.  On 
loi  laissa  de  1639  à  1641  que  le  titre  de 
isulteur,  c'est-à-dire  une  sinécure.  Une  chaire 
Wléologie  scolastique,  tel  était  l'objet  de  son 
ibition.  Trompé  dans  son  attente,  il  allait 
ttter  l'ordre  et  passer  dans  celui  des  Hiéro- 
liites  lorsqu'il  revint  tout  à  coup  à  résipis- 
ke  (mai  1641).  Nommé  recteur  de  la  maison 
ICarpi  (1642),  il  perdit  cet  emploi  pour  avoir 
I  va  voyage  à  Yenise  sans  le  congé  de  ses  su- 
jfieurs.  On  le  relégua  à  Rome  (1644),  et  cette 
IHtion  s'aggrava,  pour  un  homme  aussi  actif 
I'  Scotti,  de  l'inaction  forcée  où  on  le  con- 
loaa  près  de  deux  années.  Ses  dégoûts  aug- 
«alèreut,  son   imagination  s'échauffa,  et  il 


SCRIBAM 


G4G 


exhala  sa  bile  dans  un  livre  qu'il  composa  contre 
la  Société.  Des  lettres  anonymes  l'avertirent  que 
cette  attaque,  dont  il  n'avait  confié  le  se- 
cret à  personne,  était  connue  de  ses  supé- 
rieurs; aussi,  dans  la  crainte  de  tribulations 
nouvelles,  il  profita  d'un  ordre  qui  l'exilait  dans 
sa  province  pour  s'échapper  en  route  (  février 
1645);  il  se  rendit  à  Venise,  revêtit  l'habit  sécu- 
lier et  porta  le  titre  de  comte  (1).  Aucune  dé- 
marche ne  put  le  résoudre  à  rentrer  chez  les 
jésuites  ou  même  à  choisir  un  autre  ordre.  De- 
venu indépendant,  il  obtint  en  1650  une  chaire 
de  philosophie  à  Padoue,  et  eu  1653  une  autre 
de  droit  canon;  forcé  de  la  résigner,  sur  les 
plaintes  de  ses  anciens  confrères  (165S),  il  se 
relira  avec  une  pension.  C'était,  selon  Pallavi- 
cini,  un  homme  de  mœurs  pures,  assez  labo- 
rieux, mais  d'une  capacité  médiocre.  Nous  cite- 
rons parmi  ses  écrits  :  Monita  philosophix  ; 
Feirare,  1636,  in-16;—  Lucii  Cornelii  Enro- 
pœi  Monarchia  solipsorum ,  ad  Léon.  Alla- 
£w/n;  Venise,  1645,  in-12;  réimpr.  à  Arnst., 
1648,  in- 12;  à  Venise,  1652,  in-12,  sous  le  nom 
deMelchior  Inchofer;  à  Helmstadt,  1665,  in-4°, 
avec  des  écrits  de  Scioppius;  trad.  en  italien,  en 
allemand  (1663)  et  en  français  par  Restaut(  1721, 
1754,  in-12,  et  1824,  in-8°).Le  nom  allégorique 
de  Solipses  est  donné  aux  jésuites  parce  qu'on 
les  accuse  de  ne  songer  qu'à  eux-mêmes.  Une 
discussion  s'est  élevée  parmi  les  bibliographes 
pour  savoir  à  qui  appartient  ce  livre;  plusieurs 
se  sont  prononcés  pour  le  P.  Inchofer;  Kne- 
schke,  qui  a  écrit  sur  ce  point  une  dissertation 
entière,  n'ose  se  prononcer;  pourtant  le  P.  Ou- 
din  a  démontré  ,  par  des  preuves  suffisantes, 
qu'on  ne  pouvait  l'attribuer  qu'à  Scotti ,  et  de 
leur  côté  les  jésuites  n'ont  pas  fait,  dans  leur 
réponse,  une  seule  allusion  à  Inchofer.  Peu  de 
lecteurs  sout  en  état  d'entendre  le  style  obscur, 
plein  d'allusions  et  de  réticences,  de  cet  ouvrage, 
qui ,  à  part  quelques  endroits  curieux,  n'est 
qu'une  satire  dictée  par  le  dépit;  Pallavicini  et 
Raynaud  ont  réfuté  Scotti;  —  De  potestate 
pontificïa  ;  Paris  (Venise),  1646,  in-4°:  traité  qui 
fut  condamné  par  le  pape  Innocent  X  ;  —  De 
obligatione  regularis  ;  Cologne  (Venise)  1647, 
in-4°  :  c'est  une  justification  du  parti  que  l'au- 
teur avait  prisde  ne  point  rentrer  dans  la  Société; 
—  Animadversionum  opuscula  III;  Padoue, 
1650,  3  vol.  in-4°;  —Notée  LXV ad  Historiam 
concilii  tridentini  P.  Pallavicinii;  Cologne 
(Padoue),  1664,  in-4°,etc.  P.  L. 

Sohvel,  Bibl.  Soc.  Jesu.  —  Papadopoli,  Hist.  gymn. 
patavini.  —  Oudin,  dans  les  Mémoires  de  Niceron, 
XXXIX.  —  Kneschke,  De  auctoritate  Hbelli  de  Monar- 
chie solipsorum  ;  1812,  in-4°. 

scribani  (  Charles),  jésuite  belge,  né  en 
1561,  à  Rrnxelles,  mort  lé  24  juin  1629,  à  An- 
vers. Il  était  fils  d'un  gentilhomme  de  Plaisance, 
qui  avait  suivi  le  prince  Farnèse  dans  les  Pays- 
Bas  et  s'y  était  marie.  Après  avoir  achevé  ses 

(1)  II  ajouta  aussi  à  son  prénom  ic  Giulio  celui  de 
Clémente. 

21. 


647  SCRIBANI 

études  à  Cologne,  il  embrassa  la  règle  de  Saint- 
Ignace  (1 582),  et  se  rendit  au  noviciat  de  Trêves. 
L'un  des  douze  jésuites  choisis  par  Fr.  deCoster, 
.  et  qu'on  surnommâmes  Apôtres  de  la  Flandre, 
il  fut  peut-être  celui  qui  travailla  le  plus,  avec 
l'appui  du  gouvernement  espagnol,  à  l'établisse- 
ment de  sa  Société  ;  il  s'y  dévoua  avec  un  zèle 
infatigable,  et  obtint,  par  l'autorité  de  sa  parole 
et  de  ses  écrits,  non  moins  que  par  son  esprit 
conciliateur,  une  influence  presque  sans  limites. 
Après  avoir  professé  à  Anvers  et  à  Douai ,  il 
passa  dans  la  carrière  des  charges ,  et  devint  à 
Anvers  préfet  des  classes  (1591)  et  recteur  du 
collège  (1598)  ;  élu  provincial ,  il  fit  deux  fois  le 
voyage  de  Rome,  et  toujours  préoccupé  des  in- 
térêts de  sa  Compagnie,  il  lui  procura  la  maison 
professe  d'Anvers,  avec  une  magnifique  église , 
le  collège  de  Malines,  le  noviciat  de  Lyre,  et  plu- 
sieurs autres  établissements.  Après  avoir  été 
recteur  à  Bruxelles,  il  retourna  en  1625  à  An- 
vers, où  à  différentes  reprises  il  vécut  près  de 
quarante  ans.  De  toutes  parts  on  avait  recours  à 
ses  lumières;  les  princes  (1)  Philippe  IV,  Ur- 
bain VIII,  l'archiduc  Albert,  et  un  grand  nombre 
de  personnages  lui  donnèrent  des  marques  de 
leur  estime.  On  a  de  lui  :  Ars  mentiendi  cal- 
vinistica  ;  Mayence,  1602,  pet.  in-12; —  Am- 
phitheatrum  honoris  lib.  III ;  Namur,  1605, 
in-4°;  ibid.,  1605,  avec  un  4e  livre,  et  1606, 
avec  un  5e;  Anvers,  1607,  in-4°  :  ce  livre  pa- 
rut sous  l'anagramme  de  Clarius  Bonarchis  ; 
c'est  un  arsenal  de  toutes  les  sottises,  in- 
jures et  infamies  dont  la  Société  de  Loyola  avait 
été  jusque-là  l'objet;  l'auteur  ne  s'est  pas  con- 
tenté de  les  ramasser  pour  en  couronner  ses  con- 
frères comme  d'un  trophée  de  victoire,  il  a  pris 
l'offensive  à  son  tour,  mais  en  renchérissant  de 
violence  sur  ses  adversaires.  Son  livre,  que  Ca- 
saubon  appelait  V Amphithéâtre  d'horreur, 
causa  tant  de  scandale  que  la  Compagnie  fut 
forcée  de  le  désavouer,  pour  un  temps  du  moins  ; 

—  Dominici  Baudei  Gnomœ  comment ario 
illustratœ ;  Leyde  (Anvers),  1607,  in-12  :  il 
s'attache  à  corriger  dans  Baudius  ce  qu'il  a  dit 
contre  le  pape  et  les  jésuites;  —  J.  Lipsii  de- 
fensio  posthuma;  Anvers,  1607,  in-4°;  —  Or- 
thodoxx  fidei  controversa,lib.  VI ;  ibid.,  1G09- 
12,  3  part.  in-3°;  —  Antverpia ;  ibid.,  1610, 
in-4°  :  éloge  des  habitants  d'Anvers;  —  Ori- 
gines Antverpiensium;  ibid.,  1610,  in-4°,  fig.; 

—  Chvystelycke  meditatien;  ibid.,  1613, 
2  vol.  in-12;  trad.  en  latin  par  Brissel  (ibid., 
1615,  in-8°),  en  français  par  Dinet  (  Paris,  1619, 
in-16),  et  en  allemand;  —  Philosophus  chris- 
tianus;  ibid.,  1614,  in-12;  —  Amor  divinus; 
ibid.,  1615,  in-8°  ;  trad ,  en  français;—  Den 
gheslelycken  Wyngaerdt  (la  Vigne  spirituelle); 


(1)  Henri  IV  lui  envoya,  dit-on,  des  lettres  de  natura- 
lisation pour  lui  témoigner  le  contentement  qu'il  avait 
tiré  de  la  lecture  de  V Amphitheatrum  honoris,  l'ouvrage. 
le  plus  décrié  de  Scribani.  Cette  historiette,  mise  en  avant 
par  les  Jésuites,  n'a  aucun  fondement. 


—  SCRIBE  61 

ibid.,  1616,  in-12;  —  Medicus  religiosus  (ibid 
1618,  in-8°);  Superior  religiosus  (l619,in-8° 
et  Cœnobiarcha  religiosus  (  1624,  in-8°  )  :  tro  j 
traités  relatifs  aux  devoirs  de  la  vie  religieuse 
—  Politicus  christianus;\b\d.,  1624,  I62i 
in-4°,  dédiéau  roi  Philippe  IV  ;  —  Veridicus  Be 
gicus;  ibid.,  1624,1627,  in-8°  :  histoire  abrégi 
des  guerres  civiles  en  Flandre;  —  Christi 
paiiens;  ibid.,  1629,  in-4°.  On  lui  attribue  u 
Commentaire  sur  le  Cantique  des  Cant 
ques. 

Sweert,  Athenee  belgicœ,  p.   170.  —  Sanders,  Chorc 
brabant.,\.  111,22.—  Imago  privai  sœculi  Soc.Jesu,^,i1  , 
79.—  Alegambe,  Sotwel.  —  Paquot,  Mémoires,  111. 

scribe   (Augustin-Eugène) ,  auteur  dr. j 
matique  français,  né  le  24  décembre   1791,  i 
Paris,  où  il  est  mort,  le  20  février  1861.  S  ; 
parents  tenaient,  dans  la  rue  Saint-Denis ,  1 1 
magasin  de  soieries  à  l'enseigne  du  Chat  noii 
Déjà  orphelin  de  père,  il  vit  mourir  sa  mère  1 1 
1807.  Destiné  au  barreau,  il  entra  fort  jeune.  I 
collège  Sainte-Barbe,  et  suivit  ses  classes  av| 
honneur  et  profit.  Puis  il  commença  l'étude 
droit.  Son  tuteur,  qui  était  en  même  temps 
avocat  célèbre,  Bonnet,  le  défenseur  du  généi 
Moreau,   le  surveillait  avec  la   vigilance  d'>« 
parent  dévoué;  néanmoins,  il  s'y  dérobait  se  I 
vent,  allant  fort  peu  aux  cours  de  l'École,  e 
core  moins  chez  l'avoué  où  on  l'avait  mis  po  | 
apprendre  la  pratique,  mais  en  revanche  assi  I 
aux  spectacles  et  ne  manquant  pas  une  piè 
nouvelle.  M.  Dupin  aîné  se  plaignait  aussi 
l'inattention  du  jeune  et  distrait  écolier,  dont) 
essayait  de  faire  un  apprenti  légiste,  pour  ê 
agréable  à  Bonnet.  La  première  pièce  de  Scrill 
lesDerviches,  faite  en  collaboration  avecGerm.| 
Delavigne  et  jouée  au  Vaudeville  (1811),  fut. 
échec.  U  ne  réussit  pas  davantage  avec  les  v£ 
devilles  des  Brigands  sans  le  savoir  (1812)^ 
deThibault,  comte  de  Champagne  (1813), 
avec  le  mélodrame  de  Koulikan  (1813),  ou  1| 
péra-comique  de  la  Chambre  à  coucher  (181 
En   1815  il  prit  sa  revanche  du  silence  q| 
avait  gardé  en  1814,  et  prit  part  à  la  rédact 
de  cinq  vaudevilles  ;  il  y  en  eut  un  fait  avec  1 
lestre-Poirson,  Une  Nuit  de  la  garde  nal 
note  (4  novembre  1815),  qui  eut  un  succès  j 
vogue,  et  qui  émancipa  son  jeune  auteur.  Il 
nonça  à  M.   Bonnet  qu'il  renonçait  au  droill 
au  barreau,  et  depuis  ce  moment  il  signa  t 
ses  ouvrages.  —  La  critique  a  distingué  tij 
phases  successives  dans  l'œuvre  si  diverse 
Scribe.  A  ia  première,  celle  qui  s'étend  de  1 
jusqu'à  la  création  du  théâtre  deMadame  (18:| 
aujourd'hui  le  Gymnase,   se   rattache  ce 
j'appellerais  volontiers  le  vaudeville  classicl 
Scribe  l'a  rajeuni  au  contact  des  circonstai 
et  des  idées  du  jour  ;  il  y  a  glissé  discrètes 
l'allusion  politique;  il  l'a  élevé  un  jour,   d 
VOurs  et  le  Pacha  (1820),  jusqu'à  la  plus  d< 
pilante  bouffonnerie.  Farinelli  (1816);  le  C\ 
des  Variétés,  les  Deux  précepteurs,  le  Cc\ 


19 

■u  des  montagnes,  le  Solliciteur  (1),  Encore 
h    Pourceaugnac  (  1817);    la    Volière   du 
ire  Philippe,  Une  Visite  à  Bedlam  (1818); 
troline  (1819)  ;le  Vampire,  V Ennui  (1820), 
fat  en  quelque  sorte   les  liens  par  lesquels 
[ribe  tient  à  la  tradition. 
IScribe  entra  dans  la  seconde  phase  de  son  ta- 
|it,  en  ccssantd'écrire  pour  les  scènes  du  Vaude- 
Sfle  et  des  Variétés.  Delestre-Poirson,  qui  venait 
bbtenir  le  privilège  du  Gymnase,  s'empressa 
[ittacher   son  collaborateur  à  ce  théâtre  par 
|   traité  qui   ne  lui  permettait  plus  de  tra- 
fciller,  en  dehors   du  Gymnase,  que  pour  la 
[wnédie-Françaiseet  pour  l'Opéra-Comique.  Des 
nantages  considérables  lui  étaient  faits,  et  entre 
litres  la  prime,  c'est-à-dire  un  bénéfice  prélevé 
■droit  par  l'auteur  sur  chaque  pièce  et  antérieur 
I  jugement  du  public.  C'est  pour  le  Gymnase 
le  Scribe  a  donné,  en  société,  le  plus  grand 
mmbre  d'oeuvres,  cent  cinquante,  dit-on,  et  il 
ï:  pour  les  interpréter  une  troupe  intelligente, 
Imposée  d'acteurs  fins  et  charmants.  Parmi  les 
Itilleurs  vaudevilles  de  cette    période,   qu'il 
lus  suffise  de  mentionner  -.en  1821,  le  Co- 
\iel,  le  Gastronome  sans  argent,  V Artiste, 
§Mariage  enfantin,  le  Ménage  de  garçon, 
Secrétaire  et  le  Cuisinier,  Frontin  mari 
rçon,    Michel  et  Christine;  —  en   1822, 
carte,    Mémoires   d'un,  colonel   de  hits- 
ds;~  en  1823,  les  Grisettes,  l'Intérieur 
m  bureau,  la  Maîtresse  du  logis,  la  Pen- 
n   bourgeoise  ;  —  en  1824,    le  Baiser  au 
•teur,  le  Coiffeur  et  le  Perruquier,   la 
ine  d'une  femme,  l'Héritière,  la  Man- 
rde  des  artistes;  —  en  1825,  le  Charlata- 
ïme,  le  plus  beau  jour  de  la  vie,  les  Prê- 
tres amours,  la  Quarantaine,   Vatel;  — 
1826,  le  Confident,  la  Demoiselle  à  ma- 
\r,  le  Mariage  de  raison,  Simple  histoire; 
en  1827,  le  Diplomate,  la  Marraine;  — 
1828,  Malvina,  le   Vieux  mari;  —  en 
Ï9,  Louise  ou  la  Réparation  ;  —  en  1830, 
ilippe,  la  Seconde  année,  Une  Faute.  On 
it  due  que  les  meilleures  inspirations   de 
4be  sont  dans  ce  genre  délicat  et  modéré  où 
H  été  créateur.  Ni  optimiste  ni  pessimiste,  il 
Irait  les  choses  en  homme  sensé  et  fin,  et 
bique  les  mœurs  qu'il  a  peintes  se  modifient 
ta  les  jours,  les  tableaux  qu'il  a  tracés  res- 
bnt,  car  le  dessin  en  est  élégant;  il  y  a  de 
tactitude  et  de  la  grâce  ;  ses  cadres  sont  pro- 
rtionnés  à   ses  personnages  :  il  est  le  co- 
:pie  des  classes  moyennes  :  ce  sont  ses  mœurs, 
sentiments,  ses  idées  qui  l'inspirent.  On  lui 
eproché  ses  veuves,  ses  ingénues  et  ses  co- 
ûtes bourgeoises  :  il  a  copié  ce  qu'il  a  eu 
is les  yeux;  ce  qui  prouve  combien  il  a  été 


)  On  sait  que  Guillaume  Schlegel  préférait  celte 
<;e  au  M isanthrope.  Le  philosophe  Jouffroy  était 
'is  que  deux  autres  pièces  de  Scribe,  l'Héritière  et 
Haine  d'une  femme  étaient  de  celles  qui  ouvrent  des 
ipectives  sur  le  cœur  humain. 


SCRIBE  650 

dans  le  vrai,  c'est  le  suffrage  unanime  des  fem- 
mes qui  lui  ont  su  gré  de  ne  pas  les  avoir  défi- 
gurées, soit  par  trop  d'enluminure,  soit  par  ex- 
cès de  raillerie.  M.  Sainte-Beuve,  quoique  un 
peu  sévère  pour  les  défauts  de  Scribe,  les  ex- 
plique et  s'en  rend  assez  bien  compte  dans  ce 
jugement  prononcé  en  1840. «La  naturehumaine 
prise  du  boulevard  Bonne-Nouvelle  n'est  peut- 
être  pas  très-large,  très-profonde,  très-géné- 
reuse en  pathétique  ou  en  ridicule,  mais  elle  est 
très-fine,  très-variée  et  très-jolie.  Je  la  main- 
tiens même  fort  ressemblante  à  titre  de  nature 
parisienne  :  en  somme,  cette  comédie  est  l'idéal 
pas  trop  invraisemblable  d'une  époq»e  sans 
idéal;  c'est  bien  là  le  roman  à  hauteur  d'appui 
de  toute  notre  vie  de  balcon,  d'entresol,  de 
comptoir  :  toute  la  classe  moyenne  et  assez  dis- 
tinguée de  la  société  ne  rêve  rien  de  mieux. 
Nul  aussi  bien  que  M.  Scribe  n'en  a  saisi  et  re- 
produit les  traits  distinctifs  tout  en  nuances, 
l'assortiment  de  positif,  d'intrigue  et  de  jouis- 
sance, l'industrialisme  orné,  élégant Il  y  a 

dans  les  situations  qu'il  offre  une  gentillesse 
d'esprit,  et  le  dirai-je,  de  sensualité  honnête  qui 
ravissent  le  public...  » 

La  popularité  de  Scribe  arriva  à  son  comble  pen- 
dant la  Restauration.  En  1827  il  était  nommé  che- 
valier de  la  Légion  d'honneur.  En  même  temps 
paraissait  la  première  édition  de  son  Théâtre 
(Paris,  1827  et  suiv.,  10  vol.  in-8°),  qu'il  dédiait  à 
ses  collaborateurs,  dédicace  qui  n'a  pas  été  repro- 
duite dans  les  éditions  plus  complètes.  On  y  li- 
sait :  «  Mes  chers  amis,  on  m'a  souvent  re- 
proché le  nombre  de  mes  collaborateurs  ;  pour 
moi,  qui  aile  bonheur  de  ne  compter  parmi  eux 
que  des  amis,  je  regrette  au  contraire  de  ne  pas 
en  avoir  davantage.  Souvent  aussi  on  m'a  de- 
mandé pourquoi  je  ne  travaillais  pas  seul  :  à 
cela  je  répondrai  que  je  n'en  avais  probablement 
ni  l'esprit  ni  le  talent  ;  mais  je  les  aurais  eus, 
que  j'aurais  encore  préféré  notre  alliance  et 
notre  fraternité  littéraires.  » 

Cette  heureuse  transformation  que  le  Vaude- 
ville avait  due  à  Scribe,  l'Opéra-Comique  lui 
aussi  allait  l'éprouver,  grâce  à  son  actif  et  ha- 
bile talent.  Notre  vaudevilliste,  au  lieu  de  suivre 
les  errements  de  Sedaine,  de  Marmontel  et  de 
Hoffmann,  comprit  qu'il  fallait  faire  une  plus 
large  place  à  la  musique,  et  il  ne  craignit  pas 
de  développer  les  grands  airs  selon  toutes  les 
exigences  lyriques.  Seulement  il  eut  soin  de 
rendre  l'action  plus  animée  et  au  besoin  plus 
pathétique.  Ses  sujets  étaient  bien  choisis  ;  l'in- 
trigue était  piquante,  le  dialogue  naturel  et  sou- 
ventheureux.  L'opéra-comique  renouvelé  devint 
en  quelque  sorte  une  succursale,  un  complé- 
ment de  cette  jolie  comédie  qu'il  avait  inaugurée 
au  Gymnase.  Le  prestige  de  la  belle  musique 
s'y  joignait  :  car  Scribe  ne  mit  jamais  sa  rare 
entente  dramatique  qu'au  service  des  composi- 
teurs éminents.  C'est  pour  Auber  qu'il  écrivit 
la  Neige  (1823),  leMaçon  (1825),  la  Fiancée 


65  î 


SCRIBE 


6i 


(1829),  Fra  Diavolo  (1830),  Lestocq  (1834), 
le  Cheval  de  bronze  (1835),  V Ambassadrice 
(1836),  le  Domino  noir  (1837),  les  Diamants 
de  la  couronne  (1841),  la  Part  du  Diable 
(1843),  la  Sirène  (1844),  Haydée  (1847), 
Marco  Spada,  la  Circassienne  (février 
1861),  la  Fiancée  du  roi  de  Garbe  (janvier 
1864),  etc.  Adam  lui  dut  une  part  dans  le  succès 
de  Chalet  (1834)  et  du  Fidèle  Berger  (1837). 
Il  lit  pour  Halévy  les  paroles  de  la  Fée  aux 
Roses  (1849),  pour  Meyerbeer  celles  de  V Étoile 
du. Nord  (1854).  Massé,  Clapisson  eurent  éga- 
lement recours  à  lui.  Mais  son  chef-d'œuvre  en 
ce  genre  nous  semble  la  Dame  Blanche  (1825), 
dont  la  longue  et  brillante  carrière  est  loin  d'être 
épuisée.  Les  opéras  de  Scribe  n'ont  pas  eu  un 
moindre  succès  que  ses  opéras-comiques  :  Le 
Comte  Or  y  (1828),  la  Muette  (1828),  le  Dieu  et 
laBayadère  (1830),  le  Philtre (1831),  Robert  le 
Diable  (1831),  le  Serment  (1832),  Gustave  III 
(1833),  la  Juive  (1835),  les  Huguenots  (1836), 
le  Prophète  (1849),  la  Nonne  sanglante 
(18  )  partie5 pent  au  succès  de  la  musique,  à 
laquelle  ils  fournissent  un  thème  tantôt  pas- 
sionné, tantôt  ingénieux.  Cependant  Scribe  a 
fait  dans  ses  opéras  trop  de  concessions  à  la 
musique;  il  s'est  soumis  avec  trop  de  complai- 
sance aux  exigences  du  compositeur;  il  a 
laissé  voir  cette  incurie  de  la  correction  qui  a  été 
la  lacune  la  plus  regrettable  de  son  œuvre. 

C'est  surtout  dans  les  œuvres  destinées  au 
Théâtre-Français  que  ce  défaut  se  fait  surtout 
sentir.  Chose  singulière  !  les  vaudevilles  an- 
térieurs à  1830  ainsi  que  les  comédies  de  Valérie 
et  le  Mariage  d'avgenty'jouées  aux  Français  en 
1822  et  en  1827,  sont  en  général  agréablement 
écrits  et  avec  une  élégance  réelle.  Au  moment  où 
il  travailla  sérieusement  pour  notre  grande  scène 
littéraire,  on  dirait  que  ces  précieuses  qualités 
s'éloignent  de  lui.  Je  sais  bien  que  l'on  s'est  plu 
à  grossir  ce  tort ,  beaucoup  trop  fréquent  chez 
Scribe  ;  je  sais  bien  que  dans  un  grand  nombre 
de  ses  vaudevilles  les  incorrections  doivent  être 
mises  à  l'avoir  de  ses  collaborateurs;  je  sais 
qu'il  n'a  jamais  revu  les  éditions  de  ses  œu- 
vres ;  je  sais  enfin  qu'au  moment  où  il  écrivait 
la  langue  traversait  une  de  ces  crises  violentes 
auxquelles  elle  est  exposée  le  lendemain  de 
chacune  de  nos  révolutions.  Le  style  ajoute  une 
valeur  singulière  à  toute  œuvre  d'art  ;  seulement, 
il  faut  reconnaître  qu'au  théâtre  la  forme  n'est 
pas  tout  :  une  idée  vraie,  une  donnée  heureuse, 
des  caractères  bien  compris  et  bien  rendus  doi- 
vent passer  avant  tout.  C'est  en  cela  que  con- 
siste surtout  le  génie  dramatique.  D'ailleurs  la 
diction  de  Scribe,  qui  manque  peut-être  de  relief 
et  de  profondeur,ne  pèche  jamais  contre  la  clarté, 
c'est-à-dire  contre  la  loi  suprême  ;  jamais  elle  ne 
ressemble  à  cet  argot  que  trop  de  pièces  con- 
temporaines popularisent  tous  les  jours  sur  la 
scène.  Bertrand  et  Ralon  (1833)  et  la  Camara- 
derie (1837)  avaient  couronné  la  popularité  de 


Scribe.  En  1835  l'Académie  française  s'ouvi 
pour  lui.  Il  fut  reçu,  le  28  janvier  1836,  p 
M.  Villemain,  qui  ne  lui  ménagea  point  les  é[ 
grammes,  mais  rendit  pleine  et  entière  justi 
au  talent  fécond  et  varié  du  récipiendaire.  1 
discours  de  ce  dernier  réussit  comme  une  t 
ses  comédies,  selon  l'ingénieuse  expression  < 
directeur  de  l'Académie,  et  cependant  il  av; 
développé  ce  paradoxe,  que  son  propre  exemp 
démentait  si  bien,  à  saVoir  que  la  comédie  po 
réussir  n'a  pas  besoin  d'être  ressemblant 
comme  si  son  œuvre  du  Gymnase  n'avait  pas  ( 
le  portrait  légèrement  flatté  de  la  société  sous 
Restauration ,  comme  si  Bertrand  et  Rato 
la  Caiî).nraderie  ,  Une  Chaîne  (1841),  la  C 
lomnie  (1841),  le  Verre  d'eau  (1842),  ne  à 
vaient  pas  être  un  reflet  des  mœurs  publiqc 
entre  1830 et  1 848  !  Advienne  Lecouvreur(18k' 
les  Contes  de  la  veine  de  Navarre  (188 
Bataille  de  Dames  (1851),  la  Czarine  (185,. 
qu'il  fit  pour  Rachel,  les  Doigts  de  fée  (185« 
Feu  Lionel  (1858)  et  Rêve  d'amour  sont 
dernières  comédies  qu'il  fit  jouer. 

Scribe  ne  s'était  jamais  beaucoup  occupé 
politique;  mais  toutes  ses  sympathies  étain 
pour  le  régime  qui  lui  avait  suggéré  ses  m< 
leures  œuvres.  En  1860  Napoléon  III  l'inscri 
sur  la  liste  des  membres  du  conseil  munici 
de  Paris.  Scribe  ne*crut  pas  devoir  refuser 
fonctions  purement  gratuites;  11  les  prit  mê 
fort  au  sérieux,  et  y  porta  ce  zèle  actif  et  bi 
veillant  qui  lui  valaient  l'estime  de  ceux  qui 
connaissaient  à  fond  et  l'amitié  de  presque  t 
ses  collègues  à  l'Académie  française,  où  il 
montra  toujours  le  plus  conciliant  et  le  plus  r 
deste  des  hommes.  —  Sa  vie  était  fort  occupe 
il  est  peu  d'écrivains  qui  aient  été  aussi 
borieux  que  lui.  Pendant  plus  de  quarante  a 
de  181 5  à  1860,  il  alimenta  les  principales  scè 
de  Paris  et  de  la  province.  Il  y  a  fait  plus 
quatre  cents  ouvrages  dramatiques,  sans  corn] 
des  romans,  genre  où  il  ne  réussit  pas  du  re 
Tant  de  succès  menèrent  notre  auteur  à 
grande  fortune.  Il  était  plusieurs  fois  milli 
naire,  et  se  faisait  gloire  de  tout  devoir  à  i 
travail.  Ses  armoiries  consistaient  en  une  pli 
avec  cette  devise  :  Inde  fortuna  et  liber, 
Sur  le  frontispice  d'un  chalet  dans  l'intérieur 
joli  domaine  de  Sericourt  (Seine-et-Marne), 
lisait,  dit-on,  cette  modeste  inscription  : 

Le  théâtre  a  payé  cet  asile  champêtre  ; 

Vous  qui  passez,  merci  ;  je  vous  le  dois  peut-êtr 

Scribe  se  maria  tard,  à  l'âge  de  cinquante  i 
avec  Mrae  Biollay,  qui  l'aida  à  faire  le  bi 
encourageant  son  inépuisable  générosité  i 
répandre  sur  tous  ceux  qui  y  faisaient  ap 
Plusieurs  fois  l'Association  des  auteurs  dra 
tiques,  à  la  fondation  de  laquelle  il  avait  b< 
coup  contribué,  le  nomma  son  président  t 
poraire;  en  1852  ,  il  en  devint  président  à 
Scribe  vivait  beaucoup  en  famille,  l'été  à  IV 
talais  près  Meudon  ou  à  Sericourt,  et  l'iûv 


\  « 


;5S  SCRIBE  — 

l'avis;  il  allait  s'installer  définitivement  dans  un 
ôtel  qu'il    faisait  bâtir  rue  Pigalle ,   quand  la 
îort  le  frappa  soudainement,  le  20  février  1861. 
Tel  fut  Scribe.  Ses  qualités  sont  à  lui  seul  ; 
?s  défauts  viennent  du  temps  où  il  a  vécu  ;  ii 
aurait  de  l'ingratitude  à  ne  pas  reconnaître 
u'jl  a  été  après  tout  le  plus  puissant,  le  plus 
(•cond  des  auteurs  dramatiques  de  notre  épo- 
que :  c'est  à   lui  qu'elle  aura  dû  ses  délasse- 
ments les  plus  honnêtes.  A  ce  titre,  il  a  bien 
fiéritédes  lettres  françaises,  et  toutes  les  objec- 
ons  que  l'on  pourra  faire  à  Scribe  n'empô- 
1  leront  pas  qu'il  n'ait  fait  par  centaines  de  pe- 
ftes  pièces  sans  prétention,    amusantes,  lè- 
pres et  remplies  de  l'esprit  français  :  elles  n'em- 
[îclieront  pas   le  Théâtre-Français  lui-même, 
longtemps  encore  avec  succès,  de  donner  telle 
j-uvre  qui  à  la  lecture  laisse  apercevoir  des  dé- 
|  uts  plus  ou  moins  graves,  mais  qui  à  la  repré- 
rntation  surprend  le  spectateur,  l'émeut,  1  en- 
jaîne  et  triomphe  ainsi  de  toutes  les  critiques 
lissées  et  à   venir  que  les  théoriciens  de  l'art 
ruvent  adresser  à  l'un  des  plus   vifs  et  des 
[us  heureux  beaux-esprits  de  ce  temps  et  peut- 
re  même  de  toute  littérature  dramatique. 
Scribe  n'a  jamais  procuré  lui-même  aucune 
iition  complète  de    ses  œuvres.   Parmi    les 
oins  fautives   nous  citerons    celles  de  1827 
rliédtre   d'Eugène  Scribe;   Paris,    10  vol. 
•8'),  de  1833-1837  (  Théâtre  complet,  20  vol. 
i-8°,  fig.),  de  1840-1S42  (5  vol    gr.  in-8°  à 
j  col.  ),  de  1345   (Œuvres  choisies,  6  vol. 
-12),  et  de  1851-1856  (5  vol.  iu-8°).  La  moins 
complète  est  celle  de  1855  et  suiv.  (  25  vol. 
•18)  ;  encore  nedonne-t-elle  rien  de  ce  que  l'au- 

Iur  a  publié  depuis  1852.  Outre  les  ouvrages 
tés,  Scribe  a  encore  publié:  Chansons;  Paris, 

29,  gr.  in-32  :  elles  sont  tirées  de  ses  pièces  ; 

un  grand  nombre  de  romances  et  de  chan- 
îns  qui  n'ont  pas  été  recueillies  ;  —  Discours 
je  réception  à  l'Académie  française;  Paris, 
p6,  in-4°  ;  —  Nouvelles  et  proverbes  ;  Paris, 
i38,  2  vol.  in-8°,  et  1840,  in-12;  —  Carlo 
roschi;  La  Maîtresse  anonyme;  Paris,  1840, 

vol,  in-8°;  — Piquillo  Alliaga,  ou  les 
Jaurès  sous  Philippe  III;  Paris,  1847, 
V.toI.  in-8°;  roman  inséré  d'abord  dans  le 
mie  et  dont  la  propriété  fut  achetée  60,000  fr. 
l'auteur.  Il  a  travaillé  à  quelques  recueils  lit— 
iraires  et  a  fait  précéder  le  Théâtre  d'Alberto 
ota  et  de  Giraud  (  1839)  d'un  Précis  histo- 
ique  sur  la  comédie  en  Italie  et  en  France. 
F.  Colincamp. 

la  France,  13  février  183".  —  Sainte-Beuve,  Por- 
aits  contemp.  —  G.  Planche,  Portraits  littér.,  t.  I. 
•  Loménie,  Galerie  des  contemp.  illustres ,  t.  Iir.  — 
ng.  de'  Mirecourt,  Scribe.  —  Discours  prononcés  sur 
tembe  par  MM.  Vitet,  Maquet  et  Paillard  de  Ville- 
uve.  —  Bévue  contemporaine,  février  1863.  —  Oct. 
Juillet, Discours  derécept.  à  l'.Jcad.fr..S6  mars  1863. 

,  scribonianus  (M.  Furius  Camillus), 
înéral  romain  et  prétendant  à  l'empire,  mort 
i  53.  Il  fut  consul  sous  Tibère  (32)  avec  Cn. 


SCUDERY  054 

Domitius.  Lôgat  de  Daimatie  au  commenoi ment 
du  règne  de  Claude,  il  se  révolta  avec  ses  lésions 
(42);  mais  ce  mouveiivnt  fut  promplcmcnt  ré- 
primé, et  l'empereur,  avec  une  modération  rare, 
se  contenta  d'envoyer  Scriboniamis  en  exil;  il  y 
mourut,  dix  ans  plus  tard,  empoisonné  suivant 
la  rumeur  commune,  mais  plus  probablement 
de  sa  mort  naturelle.  y. 

Tacite,  Annales,  VI,  1  ;  XII,  52;   Uislor  ,  I,  83;  11,75. 

—  Suétone,  Claudius,  13. 

sckikonianus  lakgus,  médecin  romain,, 
vivait  dans  le  premier  siècle  après  J.-C.  Il  était 
médecin  de  l'empereur  Claude,  et  l'on  raconte 
qu'il  l'accompagna  dans  l'expédition  de  Bretagne, 
Il  reste  de  lui  un  traité  Sur  la  composition  des 
médicaments,  dédié  à  C.  Julius  Callistus,.  à  la 
demande  duquel  il  avait  été  rédigé.  Il  contient 
près  de  trois  cents  formules  médicales,  dont  plu- 
sieurs ont  été  reproduites  par  Galien.  On  a  sup- 
posé que  Scribonianus  l'avait  écrit  en  grec,  et 
que  nous  n'en  avions  que  la  traduction  latine. 
Cet  ouvrage  fut  publié  pour  la  première  fois  à 
Paris,  1529,  in-fol.,  à  la  suite  du  Celse  de 
J.  Ruel;  il  en  parut  la  même  année  une  autre 
édition,  à  Bàle.  Celle  de  J.  Rhodius  (Padoue,. 
1655,  in-4°  )  n'a  pas  été  surpassée.  On  trouve 
aussi  le  traité  de  Scribonianus  dans  les  recueils- 
des  auteurs  médicaux  d'Aide  (Venise,  1547,. 
in-fol.),  et  d'Henri  Estienne  (  Paris,  1567,  in-fol.) 
Sprengel,  Bist.  de  laméd.  —  Fabricius,  Dibl.  latina. 

—  Clioulant,  Handbuch. 

SCRÏBONICS.    Voy.  GEAPU,EtIS. 

Scisïverius.  Voy.  Grapileus  et  Schrvvér^ 
SCUDERY  (Georges  de),  écrivain  français, 
né  au  Havre,  en  1601,  mort  à  Paris,  le  14' mai 
1667.  Il  était  d'une  famille  noble  et  surtout  qui 
se  piquait  fort  de  l'être.  Son  aïeul  et  son  père 
avaient  suivi  la  carrière  des  armes,  et  celui-ci 
avait  rempli  la  charge  de  lieutenant  du  roi  au 
Havre,  Resté  orphelin  et  presque  sans  for- 
tune (1),  vers  l'âge  de  douze  ans,  il  fut  recueilli 
avec  sa  sœur  Madeleine  par  un  oncle  riche. 
Après  avoir  achevé  ses  études,  il  entra  au  ser- 
vice, fit  partie  de  l'armée  d'Italie,  et  se  signala, 
à  l'en  croire  du  moins,  sur  terre  et  sur  mer.  À 
l'âge  de  trente  ans,  il  avait  un  régiment.  Il  quitta 
l'état  militaire  pour  se  livrer  tout  entier  à  la 
littérature.  Pendant  un  séjour  qu'il  lit  dans  le 
midi,  il  avait  connu  le  poète  Théophile  :  en  1632, 
il  publia  une  édition  de  ses  Œuvres,  avec  une 
préface  pleine  de  rodomontades,  où  il  prend  sa 
défense  contre  ses  ennemis.  Dès  ses  premiers 
écrits  Scudery  se  révéla  comme  un  matamore- 
littéraire,  d'une  vanité  puérile  et  d'une  réjouis- 
sante outrecuidance;  il  y  fait  sans  cesse  allusion 
à  la  noblesse  de  sa  maison,  à  ses  exploits  mili- 
taires, et  se  pose  sans  cesse  en  gentilhomme  éfe 
en  capitaine  qui  déroge  en  consentant  à  écrire  :- 
«  S'il  se  rencontre  quelque  extravagant,  dit-il 

(1)  Bien  que  le  roman  du  Grand  Cyrus,  dans  un  pas- 
sage, probablement  composé  p:ir  lui,  le  présente  comme 
«  alors  extrèmement-riche  »,  parce  que  son  père  lui  avait 
laissé  plus  qu'à  sa  sœur. 


655  SCUDERY 

dans  la  préface  de  Théophile,  qui  juge  que  j'of- 
fence  sa  gloire  imaginaire,  pour  luy  montrer  que 
je  le  crains  autant  comme  je  l'estime,  je  veux 
qu'il  sçache  que  je  m'apelle  —  De  Scudery.  » 
Dans  la  préface  de  Lygdamon  et  Lydias,  son 
premier  ouvrage  dramatique  :  «  Ces  vers  que  je 
t'offre  sont  sinon  bien  faits,  du  moins  composez 
avec  peu  de  peine...  J'ay  passé  plus  d'années 
parmy  les  armes  que  dans  mon  cabinet  et  beau- 
coup plus  usé  de  mèches  en  harquebuse  qu'en 
chandelle,  de  sorte  que  je  sçay  mieux  ranger  les 
soldats  que  les  paroles,  et  mieux  quarrer  les 
bataillons  que  les  périodes.  »  11  gâte  ses  meil- 
leures qualités  par  ce  ton  avantageux  et  solda- 
tesque, qui  le  rend  ridicule.  La  présomption  de 
Scudery,  jointe  à  cette  fertilité  que  Boileau  a  si 
cruellement  raillée  dans  des  vers  célèbres,  sti- 
mulée par  le  besoin  et  aussi  par  les  succès  qu'il 
obtenait,  le  poussèrent  à  une  production  inces- 
sante, surtout  au  théâtre.  Il  avait  soin  de  dédier 
ses  œuvres  aux  personnages  les  plus  considé- 
rables, particulièrement  à  Richelieu.  Ce  fut  lui 
qui  donna  le  signal  de  la  levée  de  boucliers  contre 
Corneille  après  la  représentation  du  Cid.  Bien 
que  lié  d'amitié  avec  le  poète,  il  publia,  sous  le 
voile  de  l'anonyme,  des  Observations  (1637), 
auxquelles  Corneille  répondit  par  l'Examen  à 
Ariste ,  puis  par  une  Lettre  apologétique. 
Scudery,  piqué  au  vif,  provoqua,  dans  sa  Lettre 
à  l'illustre  Académie,  ce  corps  savant  a  l'exa- 
men de  la  tragédie  attaquée.  Non  content  d'a- 
voir réussi  dans  son  projet,  il  essaya  d'opposer 
au  Cid  une  de  ses  propres  pièces,  l'Amour 
tyrannique,  et  son  ami  Sarasin  supplia  vaine- 
ment l'Académie  de  prouver  que  c'était  le  chef- 
d'œuvre  de  la  scène  française. 

En  1643,  Richelieu  lui  donna  le  gouvernement 
de  Notre-Dame  de  la  Garde,  forteresse  située 
près  de  Marseille.  Il  partit  pour  son  poste  avec 
sa  sœur,  et  n'eut  rien  de  plus  pressé  que  de 
chanter  sa  forteresse  en  vers  ampoulés,  qui  con- 
trastent singulièrement  avec  la  description  rail- 
leuse qu'en  firent  Chapelle  et  Bachaumont.  Mais 
il  la  quitta  quelques  années  plus  tard,  faute  de 
ressources  suffisantes  pour  entretenir  et  payer 
ses  soldats.  Revenu  à  Paris,  au  moment  de  la 
Fronde,  il  s'attacha  au  parti  du  prince  de  Condé, 
publia  des  Poésies  diverses  (Paris,  1649,  in-4°), 
puis  à  la  mort  de  Vaugelas  il  parvint,  grâce  à  ses 
protecteurs,  à  se  faire  élire  à  l'Académie  (1650). 
C'est  surtout  à  partir  de  ce  moment  que  pa- 
rurent sous  son  nom  ces  grands  romans  qui 
firent  les  délices  des  ruelles  et  lui  valurent  la 
meilleure  part  de  sa  réputation,  bien  que  ces 
romans  eussent  été  écrits  par  sa  sœur  Made- 
leine, et  qu'il  n'y  fût  lui-même  que  pour  fort  peu 
de  chose.  En  1654  il  épousa  Mlie  de  Martin- 
Vast,  belle  personne  et  d'esprit  distingué.  Ce  fut 
alors  qu'il  publia  le  poème  d'Alaric  (Paris,  1654, 
in-fol.  ou  1656,  in-12).  La  reine  Christine  lui 
avait  promis  pour  la  dédicace  du  livre  une  chaîne 
d'or  de  mille  pistoles;  mais  elle  lui  demanda  de 


65 
rayer  les  vers  où  il  parlait  du  comte  de  La  Gai 
die,  qui  était  tombé  dans  sa  disgrâce  :  «  Quan 
la  chaîne  d'or,  répondit  Scudery  ,  serait  aus 
grosse  que  celle  dont  il  est  question  dans  l'hii 
toire  des  Incas,  je  ne  détruirai  jamais  l'autel  o 
j'ai  sacrifié.  »  Sa  pauvreté  le  força  d'aller  pas 
ser  plusieurs  années  en  Normandie.  Il  finit  p; 
obtenir  du  roi  une  pension  de  quatre  cents  écu: 
par  l'intermédiaire  du  duc  de  Saint-Aignan,  qi 
voulut,  avec  Mlle  de  Montpensier,  présenter  se 
premier  enfant  au  baptême  (1662).  A  cette  da' 
il  avait  perdu  son  gouvernement  de  Notre-Dan 
de  la  Garde  depuis  environ  quatre  ans.  Sur 
fin  de  sa  vie,  Scudery  devint  dévot.  11  moun 
d'apoplexie  en  1667,  à  l'âge  de  soixante-six  an 
et  fut  enterré  à  Saint-Nicolas  des  Champs. 

Outre  les  ouvrages  cités ,  on  a  de  Scudery 
seize  pièces  de  théâtre,  sous  le  titre  de  tra{ 
comédies,  écrites  en  vers  et  la  plupart  imprimée:  [; 
Lygdamon  et  Lydias  (jouée  en  1629),  le  Trot 
peur  puni  (1631),  le  Vassal  généreux  (1632 
la   Comédie   des  comédiens  (1634),    dont 
prologue  et  les  deux  premiers  actes  sont  en  pro 
et  les  trois  derniers  en  vers;  Orante  (1635), 
Prince  déguisé  (1635),  le  Fils  supposé  (163( 
la  Mort  de   César  (1636),  Bidon  (1637), 
mant   libéral    (1638),    V Amour   tyranniqi\ 
(1638),  Eudoxe   (1639),   Andromire  (1641 
Ibrahim,  ou  l'Illustre  Bassa  (1642),  où  1 
trouve  quelques  scènes  remarquables;   Arm 
nius  (1643),  une  de  ses  meilleures  pièces,  pr 
cédée  d'une  préface  apologétique  ;  Ax ian e  (  1 64 
en  prose.  Scudery  a  aussi  publié  :  Le  Tempi 
poëme;  Paris,  1633,  in-fol.;  — L'Apologie 
théâtre;  Paris,  1639,  in-4°;  —  Le  Cabinet 
M.  de  Scudery  ;  Paris,  1646,in-4°;  —  Discou 
politique  des  rois  ;  Paris,  1648,  in-4°.  Il  a  ti 
duit  de  l'italien  les  Harangues  de  J.-B.  Manz 
(I640,in-8o),  et  le  Caloandre  fidèle  de  Mar 
(1658,  3  vol.  in-8°).  V.  Fournel. 

Préfaces  et  œuvres  diverses  de  Scudery.  —  Chevrœm 
—  PeUisson,  Hist.  de  V Acad.  française.  --  Nicerc 
Mémoires,  t.  XVI.  —  Les  frères  Parfaict,  Hist.  du  T 
Franc.,  t.  IV.  —  Tallemant  des  Réaux.  Historiettes. i| 
Cousin,  La  Société  franc,  au  dix-septième  siècle,  t. 
p.  12î  et  suiv.  —  Livet,  Précieux  et  précieuses. 

scudery  (Madeleine  de),  femme  autei 
sœur  du  précédent,  née  en  1607,  au  Havre,  moi 
le  2  juin  1701,  à  Paris.  Les  particularités  de 
première  jeunesse  sont  décrites  dans  le  Grai 
Cyrus  (t.  X,  1.  II)  :  «  Sapho  n'avoit  que  six  a 
lorsque  ses  parents  moururent.  Il  est  vrai  qui 
la  laissèrent  sous  la  conduite  d'une  parente  ( 
avoit  toutes  les  qualités  nécessaires  pour  bi1 
conduire  une  jeune  personne...  Je  ne  m'an 
terai  point  à  vous  dire  quelle  fut  son  enfance,  < 
elle  fut  si  peu  enfant  qu'à  douze  ans  on  coi 
mença  de  parler  d'elle  comme  d'une  persori 
dont  l'esprit  et  le  jugement  étoient  déjà  forn 
et  donnoient  de  l'admiration  à  tout  le  monde 
Suivant  Conrart,  ce  fut  un  de  ses  oncles  qui 
recueillit  après  la  mort  de  sa  mère,  et  lui 
donner  une  éducation  très-soignée.  A  la  mort 


57 


SCUDERY 


658 


I  incle ,  elle  quitta  la  Normandie  pour  venir  à 
paris,  chez  son  frère  Georges.  Admise  à  l'hôtel 
Rambouillet,  elle  ne  tarda  pas  à  en  devenir  l'un 
jes  oracles.  Pour  payer  son  écot  dans  les  dé- 
fenses communes  et  suppléer  à  l'insuffisance  de 
i fortune,  elle  s'associa   aux  travaux  de  son 
'ère,  et  en  publia  même  un  grand  nombre,  dus 
elle  seule,  sous  le  nom  de  celui-ci,  tant  par 
jne  sorte  de  modestie,  qui  s'accordait  pourtant 
ès-bien  avec  la  bonne  opinion  qu'elle  avait 
['elle,  que  parce  que  les  ouvrages  de  Georges 
raient  la  vogue  et  se  vendaient  à  merveille. 
Ile  fit  une  partie   des  Femmes  illustres,  et 
tmt  V Illustre  Bassa,  dit  Tallemant  des  Reaux, 
■ui  assure  que  son  frère  la  tenait,  pour  ainsi 
ire, à  la  tâche.  Quant  h  Cyrus,  k  la  Clélie,  etc., 
!  s  contemporains   même   les  lui    attribuaient 
•nanimement.  Si  l'on  ne  veut  pas  admettre,  avec 
kllemant  des  Reaux,  que  Georges  ne  compo- 
lit  que  les  préfaces  et  les  épîtres  dédicaloires, 
[  est  certain  que  sa  part  de  collaboration  ne  dé- 
|»ssa  jamais  les  combinaisons  romanesques  de 
Intrigue,  ce  qui  est  le  côté  le  plus  médiocre  de 
es  ouvrages ,  et  qu'il  laissait  à  Madeleine  le  soin 
«remplir  à  peu  près  en  entier  ce  canevas  banal, 
hnsi  le  style,  les  portraits,  les  longues  conversa- 
bns  subtiles  et  sentimentales,  les  lettres,  les 
îalyses  raffinées,  en  un  mot  tout  ce  qui  constitue 
t>it  le  principal  mérite  de  ces  romans,  soit  leur 
hractère  distinctif  et  essentiel,  tout  cela  est  de 
If'ie  de  Scudery.  Elle  avait  la  fécondité  et  la  fa- 
ilité  de  son  frère.    Malgré  son  penchant  pour 
monde,  elle  trouvait  le   temps   d'accomplir 
tiaque  jour  sa   tâche,  sans  qu'on  pût    savoir 
taand  ni  comment  elle  s'y  prenait.  On  le  com- 
rend  mieux  en  se  rendant  compte  de  la  manière 
ont  Cyrus  et  la  Clélie  sont  composés  :  on  s'a- 
erçoit  alors,  en  effet,  qu'elle  trouvait  chaque 
>ur  dans  ses  relations  avec  la*  société  polie  les 
KSments ,  sans  cesse  renouvelés,  de  son  récit  ; 
lie  y  prenait    un  portrait,  une  conversation, 
ne  lettre  ingénieuse  et<galante,  qu'elle  trans- 
brtàit  dans  son  livre  en  changeant  les  noms, 
tainsi  les  volumes  succédaient  aux  volumes,  et 
eu  à  peu  le  roman  se  trouvait  terminé  sans 
rand  effort  d'invention  ni  de  disposition. 
On  sait  le  succès  qu'obtinrent  ces  volumineux 
uvrages ,  si  bien  en  rapport ,  par  leurs  défauts 
bême,  avec  les  goûts  et  les  besoins  des  lecteurs 
u  temps  ,  et  où  toute  la  bonne  cabale  aimait  à 
e  retrouver  sous   des  déguisements  dont  elle 
vait  le  secret.  Si  l'on  en  excepte  les  solitaires 
e  Port-Royal ,  Bossuet  et  un  très-petit  nombre 
'esprits  sévères ,  les  personnages  les  plus  illus- 
jres  professaient  pour  ces  romans  une  admira- 
tion hautement  avouée,  qui  rejaillissait  en  respect 
fur  MUe  de  Scudery  :  c'étaient,  par  exemple, 
jï  duc  de  Montausier,  Mmede  Sévigné,  La  Fon- 
taine,   Boileau   lui-même,  dans  sa  jeunesse, 
lonime  il  l'avoue  dans  la  préface  de  ses  Héros 
l'e  roman ,  où  il  déclare  n'avoir  pas  eu  le  cou- 
'age  de  publier  cette  satire  du  vivant  de  Sapho, 


qu'il  aimait  etestimait  beaucoup;  c'étaient  même 
des  évoques,  comme  Camus,  Mascaron ,  Huet, 
Godeau,  Fléchier,  Massillon,  etc.,  qui  se  lais- 
saient gagner  à  l'extrême  pureté  de  sentiment 
de  ces  ouvrages,  où  pourtant  il  n'est  question 
que  d'amour  et  de  galanterie,  mais  d'amour  élevé 
et  de  galanterie  platonique.  Godeau  adressa  à 
Conrart,  le  22  janvier  1655,  une  épître  en  vers 
sur  l'admirable  Clélie;  Huet  l'a  louée  en  termes 
enthousiastes  dans  son  Discours  sur  l'origine 
du  roman  ;  Mascaron,  allant  plus  loin,  écrivait 
à  MUe  de  Scudery,  le  t2  octobre  1672  :  «  L'oc- 
cupation de  mon  automne  est  la  lecture  de 
Cyrus,  de  Clélie  et  d'Ibrahim.  J'y  trouve  tant 
de  choses  propres  pour  réformer  le  monde  que 
je  ne  fais  point  de  difficulté  de  vous  avouer  que, 
dans  les  sermons  que  je  prépare  pour  la  cour, 
vous  serez  très-souvent  à  côté  de  saint  Augustin 
et  de  saint  Bernard.  »  Sa  gloire  s'étendait  même 
en  dehors  de  la  France  :  l'Académie  des  Rico- 
vrati  de  Padoue l'appela  dans  son  sein;  la  reine 
Christine  fut  en  correspondance  avec  elle,  ainsi 
que  le  duc  de  Brunswick ,  la  duchesse  de  Hol- 
stein,  etc.  Elle  eut  des  pensions  de  Mazarin,  du 
chancelier  Boucherat,  et  du  roi.  Mlle  de 
Scudery  s'était  fait  aussi  beaucoup  d'amis  par 
l'aménité  de  son  caractère  et  par  ses  vertus  pri- 
vées. Quoiqu'elle  fût  loin  d'être  belle,  surtout 
à  eause  de  son  teint  presque  noir  et  de  ses  traits 
épais  et  lourds ,  elle  n'en  eut  pas  moins  ses  soupi- 
rants en  titre,  avec  qui  elle  fila  le  parfait  amour, 
suivant  les  théories  de  ses  romans.  On  ne  voit 
pas  qu'elle  se  soit  jamais  laissée  glisser  sur  la 
pente  dangereuse  de  ces  tendres  attachements. 
Sa  principale  liaison  de  coeur  eut  surtout  pour 
objeUPellisson,  qui  était  encore  plus  laid  qu'elle; 
et  elle  resta  fidèle  à  son  affection ,  même  pen- 
dant la  captivité  de  celui-ci  à  la  Bastille,  où  elle 
trouva  moyen  d'entretenir  avec  lui  une  corres- 
pondance suivie,  en  employant  les  artifices  les 
plus  ingénieux  pour  adoucir  son  malheur.  Elle 
l'a  peint  sous  le.nom  d'Herminius,  dansla  Clélie, 
et  elle  en  parle  toujours  avec  tendresse. 

Lorsque  les  troubles  de  la  Fronde  eurent  dis- 
persé le  salon  de  l'hôtel  Rambouillet,  elle  ré- 
solut de  le  reformer  autour  d'elle,  dans  sa  mai- 
son de  la  rue  de  Beauce,  au  Marais.  Parmi  les 
sociétés  littéraires  qui  recueillirent  l'héritage  du 
petit  salon  bleu,  les  samedis  de  M'ie  de  Scudery 
méritent  d'être  mis  au  premier  rang.  Au  nombre 
des  habitués,  nous  citerons  Chapelain,  Conrart, 
Pellisson,  Sarasin,  Ménage,  Ysain,  les  ducs 
de  Montausier  et  de  Saint-Aignan  ;  parmi  les 
femmes ,  quelques  auteurs,  Mme  de  La  Suze , 
Mlle6  Lhéritier,  Chéron,  de  La  Vigne,  et  un  plus 
grand  nombre  de  bourgeoises  spirituelles, 
comme  MmPS  Gornuel,  Legendre,.Arragonais, 
Miles  Boquet  et  Robineau,  sans  oublier  quelques 
grandes  dames ,  Mtues  de  Sablé ,  de  Rohan ,  de 
Sévigné ,  etc.  Ces  assemblées  se  passaient  en 
conversations  raffinées  et  galantes ,  en  lectures 
de  petites  pièces ,  en  commentaires  sur  un  son- 


659 


net,  une  élégie ,  etc.  Les  dames  ne  dédaignaient 
pas  non  plus,  tout  en  causant,  de  travailler  à 
l'aiustementde  deux  poupées,  destinées  à  servir 
de  types  à  la  mode,  et  qui  donna  naissance  à 
mille  badinages  et  petits  vers.  La  fameuse  Carte 
de  Tendre,  que.  M1^  de  Scudery  devait  avoir 
la  malencontreuse  idée  de  transporter  dans  la 
Clèlie,  fut  un  des  jeux  d'esprit  les  plus  fameux 
des  samedis.  Mais  le  20  décembre  1653  marque 
sa  date  historique  la  plus  célèbre,  connue  sous  le 
nom  de  journée  des  madrigaux.  Conrart 
ayant  donné  à  Sapho  un  joli  cachet  de  cristal , 
avec  un  madrigal  d'envoi,  celle-ci  répondit  par 
un  autre  madrigal  des  plus  fins  et  des  plus  ga- 
lants, si  bien  que  toute  l'assemblée,  transportée 
d'enthousiasme  et  prise  d'une  noble  émulation, 
se  mit  à  improviser  madrigaux  sur  madrigaux 
à  propos  du  même  sujet.  La  Journée  des  ma- 
drigaux ,  conservée  dans  les  manuscrits  de 
Conrart,  a  été  publiée  dernièrement. 

En  1671,  M»e  de  Scudery  remporta  à  l'Aca- 
démie, par  son  discours  De  la  Gloire,  le  prix 
d'éloquence  française  décerné  pour  la  première 
fois.  Les  samedis  finirent,  à  ce  qu'il  semble,  par 
dégénérer  beaucoup.  Tallemant  raconte  que 
Chapelain  et  quelques  autres  en  faisaient  une 
coterie.  Cette  décadence  se  précipita  davantage 
encore  quand  !e  siège  des  samedis  eût-été  trans- 
porté chez  une  amie  de  Sapho ,  Mi'e  Boquet. 
Jusqu'au  terme  de  sa  longue  vie,  elle  resta  ho- 
norée et  aimée  de  tous.  Les  qualités  de  son  cœur 
valaient  au  moins  celles  de  son  esprit  :  elle  était 
honnête,  dévouée,  fidèle  à  ses  affections,  d'un 
commerce  aussi  aimable  que  sûr,  pleine  de  mo- 
destie dans  sa  conduite  et  son  langage ,  malgré 
la  haute  opinion  qu'elle  avait,  d'elle-même.  Elle 
vécut  jusqu'à  l'âge  de  près  de  cent  ans,  ayant 
conservé  toutes  les  facultés  de  son  esprit  ;  eîle 
fut  inhumée  à  Saint-Nicolas  des  Champs(1701)- 

Les  meilleurs  ouvrages  de  Mi'c  de  Scudery 
sont  justement  ceux  qui  n'ont  pas  été  réunis , 
ses  Lettres  d'abord ,  où  il  y  a  plus  de  naturel 
et  d'aisance  que  dans  ses  romans ,  puis  ses  poé- 
sies légères,  dont  plusieurs  sont  tout  à  fait  char- 
mantes, par  exemple  son  quatrain  si  connu  sur  le 
grand  Condé  cultivant  des  oeillets  à  Vincennes, 
son  madrigal  à  Conrart,  sur  le  cachet  de  cristal,  et 
les  vers  à  Nanteuil  qui  avait  fait  son  portrait  : 

NanteuUcn  faisant  mon  image, 
A  de  son  art  divin  signalé  le  pouvoir  : 
Je  hais  mes  yeux  dans  mon  miroir, 
Je  les  aime  dans  son  ouvrage. 

Toutes  ces  pièces  sont  dispersées  dans  les  re- 
cueilsdu  temps.  Lesprincipaux  ouvrages  deMlle  de 
Scudery  sont  :  Ibrahim,  ou  V Illustre  Bassa; 
Paris,  1641,  4  vol.  in-8° ,  celui  où  il  y  a  le 
plus  de  couleur  locale;  —  Artamène,  ou  le 
Grand  Cyrus;  Paris,  1649-53,  10  vol.  in-8°: 
c'est  son  meilleur  roman  :  Artamène  n'est  autre 
que  le  grand  Condé  :  on  y  trouve  toute  une  ga- 
lerie fort  curieuse  des  habitués  de  l'hôtel  Ram- 
bouillet et  des  princioaux  noms  du  monde  pré- 


SCUDERY  —  SCYLAX  CG 

cieux  et  de  la  bonne  cabale,  à  l'aide  de  îaquel 
M.  Cousin  a  pu  reconstituer  une  Histoire  de  l 
société  française,  au  dix-septième  siècle;  - 
Clèlie,  histoire  romaine;  Paris,  1656,  10  vo 
in-8°  :  publiée  sous  le  nom  de  son  frère,  Cumu- 
les ouvrages  précédents;  c'est  en  quelque  sor 
l'histoire  de  la  Fronde  sous  un  accoutremei 
romain,  qui  nous  choque  plus  que  dans  Cyrus,  a 
il  s'agit  d'une  époque  plus  rapprochée,  de  non 
classiques  ;  et  ce  qui  rend  le  contraste  plus  di 
cordant  encore,  c'est  que  tout  en  défigurant  i< 
personnages  l'auteur  reste  à  peu  près  fidèle 
l'histoire  dans  l'exposition  des  faits.  C'est  daj 
Clèlie  qu'on  trouve  la  description  et  la  carte  < 
Tendre,  qui  a  contribué,  plus  que  tout  lerest 
à  jeter  sur  les  romans  de  Mll«  de  Scudery  i 
ridicule  qui  n'est  pas  toujours  justifié;  mais  oa 
trouve  aussi  des  conversations  et  des  aperçi 
d'un  assez  haut  intérêt,  particulièrement  s 
toutes  les  questions  qui  tiennent  à  la  conditii 
sociale  des  femmes;  — Almahide,  ou  l'a 
clave  reine  ;  Paris,  1660,  8  vol.  in-8°;  —L 
Femmes  illustres,  ou  les  Harangues  héri 
ques;-  Paris,  1665,  in-12;  —  Mathilde  d\ 
guilar,  histoire  espagnole;  Paris,  1669,  in-8 

—  Celanire,  ou  la  Promenade  de  Versaille 
Paris,  1669,in-8°;  —  Conversations  sur  dive 

I»  sujets;  Paris,    1680,  2  vol.   in-12;  elle  pub! 

I  de  1680  à  1692,  diverses  suites  à  ce  recueil,  so 

j  les  titres  de  Conversations  nouvelles,  Convi 

j-  sations  morales,   Entretiens  de  morale, 

tout  10   vol.  in-12  :  ce  sont  des  causeries, 

dominent  les  ressouvenirs  de  la  société   poli 

mais  où  il  y  a  pourtant  quelques  pages  dethéo 

et  de  critique  littéraires;  —  Fa  b  les  ;  Paris,  168- 

—  et  quelques  ouvrages  peu  importants. 
Victor  Fournel. 


Conrart,  Mémoires,  et  ses  Manuscrits,  t.  V.  —  l'ai 
mant  des  Réaux,  ffistoriettes.—  Somaize,  Dict.desp 
cieuses,  art,_SorHiE.  —  Titon  du  Tillct,  Le  Parna 
français.  —  Niceron,  Mémoires,  t.  XV.  —  Cousin,  La  ; 
ciétè  française  au  dix-septième  siècle,  surtout  le  t. 
—   Revue  des  deux  mondes,  1"  mars  1846. 


SCCLTETUS.  Voy.  Schultz. 

sctxax  (Sxu),a|),  géographe  grec,  d'n 
époque  incertaine.  On  a  sous  son  nom  une  coi* 
description  de  certaines  contrées  de  l'Europe, 
l'Asie  et  de  l'Afrique,  intitulée  :  Iïe&îtcXqu;  • 
6a),a<TiTYK  oîxo«(isv>iç  Eùûunrïiç  xai  'A  a-tac  1 
Atëûïiç.  Hérodote  mentionne  un  certain  Scyl 
de  Caryanda  en  Carie  qui ,  sous  le  règne 
Darius,  fils  d'Hystaspe,  descendit  l'Indus  jusqi 
son  embouchure,  et  explora  le  littoral  depuis 
bouches  de  ce  fleuve  jusqu'à  la  mer  Rouge.  L 
puscule  que  nous  possédons  n'est  nullement 
récit  de  ce  voyage,  et  il  a  dû  être  composé  lot 
temps  après  Hérodote  ;  mais  il  est  antérieur 
Alexandre,  d'abord  parce  qu'il  n'y  est  pas  i 
mention  des  conquêtes  de  ce  prince,  ens» 
parce  qu'il  est  cité  par  Aristote  (Polit.,  III,  I 
Il  remonte  donc  au  milieu  du  quatrième  siè 
avant  J.-C,  ce  qui  constitue  une  antiquité  r 
pectable.  Son  auteur  pouvait  s'appeler  Scyla 


51  SCYLAX  — 

•pendant  il  est  probable  qu'un  compilateur  obs- 
ir  aura  mis  sous  le  nom  d'un  célèbre  voya- 
>ur  comme  Scylax  des  notions  géographiques  ré- 
silies dans  divers  écrivains.  Du  reste  le  pelit 
aité  nue  nous  avons  n'est  que  l'abrégé  de  l'ou- 
■age  original.  Le  Périple  de  Scylax,  publié  pour 
première  par  Hœschel,  avec  d'autres  petits 
■ogra plies  grecs  (Augsbourg,  1600,  in-8°),  et 
ir  Vossius  (Amst.,  1639,  in-4°),  se  trouve 
■rapris  dans  les  Geographi  grseci  minores 
Hudson,  dans  ceux  de  Gail,  et  dans  ceux  de 
.  Mùller,  collection  Didot.  Klausen  l'a  publié 
m  les  fragments  d'Hécatée  (Berlin,  1831),  et 
.  Fabricius  en  a  donné  une  édition  séparée 
)resde,  1848,  in-8°).  Suidas  confond  le  Scylax 
î  temps  de  Darius  fds  d'Hystaspe  avec  l'auteur 
i  Périple,  et  il  a  attribué  à  celui-ci  divers  ou- 
•ages,  entre  autres  une  réfutation  de  l'historien 
îlybe.  L.  J. 

Fabricius,  Bibl.  grxca.  —  Vossius ,  De  historicis  grse- 
ç,  p.  166,  éd.  Westermann.  —  Sainte-Croix,  dans  les 
emoircs  de   VAcad.  des  inscr.,  t.  XLII.  —  Nicbuhr, 
'eine  Schriften,  t.  I,  p.  103.  —  TJkcrt,'  Géographie 
r  Gricchen  vnd  Ramer,  1. 1. 
scylitzès  (Jean),  surnommé  Curopalate, 
storien   byzantin,  né  probablement  dans  le 
\ème  des  Thracésiens,  mort  à  Constantinople, 
brès  1081.  Venu  de  bonne,  heure  à  Constanti- 
i>ple,  il  y  exerça  les  charges  de  capitaine  des 
lirdes,  de  gouverneur  du  palais  (curopalate), 
de  maître  de  la  garde-robe.  On  ne  connaît 
icun  autre  détail  de  sa  vie.  Il  est  auteur  d'une 
«portante  Histoire  de  l'empire  grec  (  SuvoOyt? 
rroptwv),  depuis  811  jusqu'en  1081.  Fabrot  et 
«uschen,  ayant  remarqué  une  conformité  frap- 
ante  entre  cet  ouvrage  et  celui  de  Cedrenus , 
ui  porte   le  même  titre,   en  conclurent  que 
cylitzès  avait  pillé  Cedrenus  ;  mais  Vossius , 
abbe   et  d'autres  érudits   ont  prouvé  que  de 
aveu  même  de  Cedrenus  ,   c'était  lui  le  pla- 
iaire.  Malgré  cela  on  n'a  imprimé  dans  les  col- 
letions byzantines  du  Louvre  et  de  Venise  que 
(fi  dernière  partie  de  Scylitzès,  de  1057  à  1180. 
ijiekker  l'a  insérée  dans  son  recueil  ;  mais  il  ne 
[•'est  pas  servi  du  meilleur  manuscrit  de  Scy- 
i[tzès,  qui  est  à  la  bibliothèque  de  Vienne.  Une 
flraduction  latine  du  texte  presque  entier  a  été 
•ionnée  parGabio  (Venise,  1570,in-fol.).  Dans  le 
'[.  Ierdu/î<s  grseco-romanum  de  Leunclavius,  il 
i  a  un  opuscule  de  Scylitzès  :  Suggestio  prin- 
\ipi  Alexio  oblata  de   ambiguitate  quadam 
ifwper  novella  de  sponsalibus. 
\  Lambecius,  De  bibliotheca  Cœsaraa,  t.  H,  et  le  Sup- 
\\ementum  de  Kollar.  —Fabricius,  Bibl.  grseca.—  Labbe, 
Vatalogus  scriptor.  hist.  byzantinœ.  —Smith,  Dictio- 
(tary. 

I  SCYLLIS.  Voy.  Dipène. 
»  scymxts  (2y.up.voc)  de  Chios,  géographe 
j;rec,  d'une  époque  incertaine.  Il  avait  composé 
fine  description  delà  terre  (Periegesis),  citée 
!>ar  Etienne  de  Byzance  et  quelques  autres  au- 
teurs anciens.  Cet  ouvrage  était  en  prose,  mais 
'jucas  Holstenius  et  Isaac  Vossius  lui  ont  attri- 
bué une  Periegesis  en  vers^ïambiques  composée 


SEBASTIANI  662 

dans  le  premier  ou  dans  le  second  siècle  avant 
J.-C.  Bien  que  celte  conjecture  ne  paraisse  pas 
fondée,  elle  a  été  admise  par  Hudson  et  par 
Gail,  qui  dans  leurs  collections  des  Petits  géo- 
graphes grecs  ont  placé  cette  description  sous  le 
nom  de  Scymnus.  La  Periegesis  deScymnus  fut 
publiée  pour  la  première  fois  par  Iln-schel,  sous 
le  nom  de  Marcien  d'Héraclée(  Augsbourg,  1000, 
in-8°),  fausse  attribution,  maintenue  dans  l'édi- 
tion de  Morelli.  Cet  opuscule  géographique  a  été 
l'objet  des  observations  de  Letronne,  et  le  texte 
en  a  été  donné  avec  beaucoup  de  soin  parMeineke 
(Berlin,  1846).  La  meilleure  édition  est  celle  qui 
fait  partie  des  Geographi  grseci  minores  de 
C.  Miiller,  collection  Didot.  I.  j. 

Dodwell,  De  Scymno  CAio,  dans  les  Geographi  de 
Gail.  —  Letronne,  Scymnus  et  Dicéarque ;  Paris,  1840. 

SEBA  (Albert),  voyageur  hollandais,  né  le 
2  mai  1665,  à  Eetzel  (Frise),  mort  le  3  mai 
1736,  à  Amsterdam.  Fils  d'un  paysan,  il  fut  mis 
en  apprentissage  chez  un  pharmacien  de  village. 
Après  avoir  été  employé  dans  plusieurs  officines 
d'Amsterdam,  il  entra  au  service  de  la  Com- 
pagnie des  Indes  hollandaises,  et  fit  plusieurs 
voyages,  pendant  lesquels  il  se  livra  au  com- 
merce des  drogueries.  Il  acquit  une  belle  fortune, 
qu'il  consacra  à  former  un  cabinet  des  produc- 
tions les  plus  rares  de  la  nature;  l'ayant  vendu 
en  1716  à  Pierre  le  Grand,  il  se  mit  à  en  former 
un  autre,  qui  surpassa  tous  ceux  que  l'on  con- 
naissait alors  en  Europe.  Après  sa  mort,  cette 
riche  collection  fut  vendue  aux  enchères.  De 
son  vivant,  Seba  avait  fait  décrire  et  graver  son 
cabinet,  qui  fut  publié  en  latin,  en  français  et  en 
hollandais,  sous  le  titre  de  :  Locupletissimi  re- 
rum  naturalium  thesauri  accurata  descrip- 
tio;  Amst.,  1734-61,  4  vol.  in-fol.,  avec  450 
planches;  réimpr.  par  les  soins  d'une  com- 
mission de  savants  français ,  tels  que  Cuvier, 
Geoffroy  Saint-Hilaire,  Valenciennes,  etc.;  Pa- 
ris, 1827  etann.  suiv.,  in-4°.  Le  principal  nié- 
rite  du  recueil  de  Seba  est  dans  les  figures;  et 
on  s'explique  ainsi  comment  il  a  fait  autorité 
dans  le  dernier  siècle.  Quant  au  texte ,  bien  que 
Gaubius,Musschenbroek,  Artediy  aient  travaillé, 
il  manque  en  trop  d'endroits  d'exactitude  et  de 
critique. 

Biogr.  médic.  —  Jeta  Acad.  nat.  curios.,  t  VI. 

sebastiani  (François- Horace-  Bastie/i, 
comte),  maréchal  de  France,  né  le  10  novembre 
1772,  à  la  Porta  d'Ampugnano,  village  près  de 
Bastia  (Corse),  mort  le  20  juillet  1851,  à  Paris. 
Il  se  disait  issu  de  famille  noble  et  parent  des 
Bonaparte;  mais  rien  n'est  moins  prouvé, et  cer- 
tains auteurs  prétendent  même  que  son  origine 
est  fort  obscure.  N'ayant  pas  de  titre  à  joindre 
à  son  nom,  il  y  ajouta  celui  de  son  lieu  natal, 
et  se  fit  appeler  Sebasiiani  de  la  Porta.  On  le 
destinait  à  l'étatecclésiastique;la  révolution  vint 
changer  ce  projet.  Les  troubles  de  la  Corse  obli- 
gèrent sa  famille  à  passer  en  France ,  et  il  ob- 
tint  un    brevet  de  sous-lieutenant  d'infanterie 


663 


(27  août  1789).  En  1793  il  rejoignit  comme  lieu- 
tenant son  bataillon,  qui  servait  en  Corse,  et 
remplit  les  fonctions  d'agent  militaire  près  des 
représentants  du  peuple  en  mission.  Il  passa  en 
1794  à  l'armée  des  Alpes,  devint  aide  de  camp 
du  général  Casabianca,  et  fut  incorporé  avec  le 
grade  de  capitaine  dans  le  9e  dragons.  Il  se  dis- 
tingua dans  les  guerres  d'Italie,  et  fut  nommé 
chef  d'escadrbn  (22  sept.  1797),  pour  sa  belle 
conduite  à  Arcole,  puis  chef  de  brigade  (20  avril 
1799)  après  la  bataille  de  Vérone.  La  divi- 
sion Serurier,  à  laquelle  appartenait  son  régi- 
ment, ayant  été  surprise  à  Verderio,  il  fit  de 
vaillants  mais  inutiles  efforts  pour  s'ouvrir  un 
passage  à  travers  l'armée  russe,  et  fut  obligé  de 
se  rendre.  Bonaparte ,  à  son  retour  d'Egypte, 
trouva  dans  Sebastiani  un  auxiliaire  actif,  qui 
seconda  de  toutes  ses  forces  le  coup  d'État  du 
18  brumaire.  Le  20,  on  lut  au  Moniteur  une 
adresse  du  9e  de  dragons  et  de  son  colonel  aux 
consuls,  pour  les  féliciter  des  «  changements  sa- 
lutaires qui  venaient  de  s'opérer  ».  Sebastiani  ne 
cessa  plus  dès  lors  d'être  dans  la  faveur  de  Bo- 
naparte. Après  avoir  combattu  à  Marengo,  il 
négocia  avec  Marmont  l'armistice  de  Trévise.  A 
la  fin  de  1802,  il  fut  chargé  d'une  mission  im- 
portante en  Orient,  Parti  le  16  septembre,  le 
jeune  colonel  porta  d'abord  à  Constantinople  des 
propositions  d'alliance,  et  de  là  se  rendit  en 
Egypte,  où  i!  somma  le  général  anglais  Stuart  d'é- 
vacuer Alexandrie,  conformément  au  traité  d'A- 
miens, puis  auprès  des  pachas  de  Syrie  et  des 
États  barbaresques,  qu'il  essaya  de  nous  attacher, 
dans  la  prévision  d'une  attaque  contre  les  Indes 
anglaises.  Revenu  en  France,  il  devint  général 
de  brigade  (29  août  1803),  et  surveilla  pendant 
quelque  temps  les  côtes  de  Bretagne.  Blessé  à 
Austerlitz  et  nommé  général  de  division  (21  déc. 
1805),  il  vit  encore  ses  progrès  dans  la  carrière 
militaire  suspendus  par  une  nouvelle  mission  di- 
plomatique. Napoléon  l'envoya,  le  2  mai  1806,  à 
Constantinople  en  qualité  d'ambassadeur,  pour 
chercher  à  rompre  l'alliance  de  la  Turquie  avec 
la  Russie  et  l'Angleterre.  Sebastiani  s'acquitta  de 
cette  difficile  tâche  avec  habileté,  courage  et  dé- 
cision :  dès  le  7  décembre,  les  hostilités  écla- 
taient entre  les  Turcs  et  les  Russes,  et  au  mois 
de  janvier  1807  une  flotte  anglaise  se  présen- 
tait à  l'entrée  des  Dardanelles.  Elle  força  le 
passage,  et  vint  jeter  l'ancre  dans  le  Bosphore, 
devant  le  sérail.  La  terreur  du  divan  fut  extrême;, 
et  le  sultan  ne  voyait  de  salut  que  dans  un 
changement  immédiat  de  politique;  mais  son 
courage  fut  relevé  par  la  fermeté  de  l'envoyé 
français,  qui  s'occupa  aussitôt  d'armer  les  bat- 
teries de  la  côte  :  le  peuple,  les  janissaires ,  les 
Grecs,  les  Arméniens,  les  Juifs,  excités  par 
l'exemple,  travaillèrent  avec  ardeur  (1),  et  en 

(1)  C'était  un  curieux  spectacle  :  les  secrétaires  de  l'am- 
bassade de  France,  affublés  du  sac  de  cuir,  faisaient  le 
service  de  simples  canonniers;  le  comte  de  Pontécoulant, 
sénateur,  dirigeait  les  hommes  qui  traînaient  les  canons; 


SEBASTIANI  66- 

moins  de  cinq  jours  600  bouches  à  feu,  cent  cha 
loupes  canonnières,  une  ligne  de  vaisseaux  rasé 
et  embossés  menacèrent  l'escadre  anglaise,  qr 
se  hâta  de  repasser  le  détroit,  en  perdant  néan 
moins  deux  corvettes  et  sept  cents  homme 
(février  1807).  La  belle  conduite  de  Sébastian 
en  cette  circonstance  n'eut  pas  les  résultats  qu'a 
en  pouvait  attendre;  Selim  III ayant  été  déposa 
et  Napoléon  s'étantmême,  par  un  article  secret  d 
traité  de  Tilsitt,  retourné  contre  la  Turquie,  I 
prépondérance  russe  et  anglaise  finit  par  l'en; 
porter.  Le  général  demanda  son  rappel,  et  re.vir 
en  France  (juin  1807).  Le  7  avril  il  avait  reçu  1 
grand  cordon  de  la  Légion  d'honneur.  Envoy 
le  22  août  1808  en  Espagne,  il  concourut  au 
opérations  du  quatrième  corps  d'armée  sous  I 
maréchal  Lefebvre,  qu'il  remplaça  en  janvie 
1809  dans  son  commandement.  Après  avoir  batt 
le  duc  de  l'Infantado  à  Ciudad-Real  (27  mars), 
s'empara  des  dépôts  d'armes  que  les  Espagno! 
avaient  formés  au  pied  de  la  Sierra-Morena,  t 
revenant  en  arrière,  sur  l'ordre  du  roi  Joseph 
il  eut  part  à  la  bataille  indécise  de  Talaveira.  Et 
voyé  ensuite  sur  la  rive  gauche  du  Tage,  il  reir 
porta  en  1810  les  victoires  d'Almonacid  et  o 
Rio  d'Almanzor,  qui  lui  livrèrent  les  province 
de  Grenade  et  de  Murcie  (janvier  1810).  Mais 
perdit  bientôt  une  grande  partie  du  territoii 
conquis,  et  il  se  trouvait  bloqué  dans  Grenao 
lorsque,  le  10  mai,  il  demanda  son  rappel  e 
France  pour  cause  de  maladie  (1).  Après  avo 
subi  une  sorte  de  disgrâce,  Sebastiani  fut  attache 
l'expédition  de  Russie; il  montra  une  valeur  bri 
lanteàSmolensk,  àlaMoskowa,  et  dansplusieui 
autres  occasions,  et  pendant  la  retraite  il  dirigi 
l'avant-garde.  A  Leipzig,  il  opéra  avec  sa  cavaler 
des  charges  heureuses,  et  à  Hanau  il  arrêj 
l'ennemi,  pendant  que  nos  troupes  se  retirai» 
sur  le  Rhin.  Sa  conduite  ne  fut  pas  moins  digt, 
d'éloges  dans  la  campagne  de  France,  aux  coni 
bats  de  Reims,  d'Arcis  et  de  Saint-Dizier.  Lor 
que  l'empereur  eut  abdiqué,  Sebastiani  adhé: 
au  nouveau  gouvernement  et  reçut  la  croix  < 
Saint-Louis.  Le  retour  de  l'île  d'Elbe  réveilla  s< 
zèle  pour  Napoléon,  qu'il  soutint  vivement  à 
chambre  des  représentants ,  où  l'envoya  le  ce 
lége  de  Vervins.  Après  la  seconde  abdication, 
fut   un  des  six   commissaires  députés  par 


le  brillant  marquis  d'Almenara,  ambassadeur  d'Espagr 
faisait  faction,  l'écouvillou  sur  l'épaule  ;  le  chargé  d's 
faires  de  Hollande,  en  souliers  à  boucle  et  en  bas  i 
soie,  était  assis  flegmatiquement  sur  le  quai  du  sérail, 
jetait  des  ducats  aux  Grecs  et  aux  Juifs  pour  les  enco 
rager  au  travail. 

(1)  La  vanité  de  Sebastiani  et  la  jactance  de  ses  bull 
tins  avaient  Indisposé  l'empereur  contre  lui.  Il  n'avi 
pas  parlé  de  deux  pièces  de  canon  qu'il  avait  été  obli. 
de  laisser  sur  le  champ  de  bataille  de  Talaveira  ;  Napoléo 
qui  en  fut  instruit,  adressa  au  major  général  l'ordre  si 
vant  :  «  Mon  cousin,  vous  ferez  savoir  au  général  Seba 
tlani  qu'il  résulte  de  toutes  les  victoires  qu'il  rempoi 
en  Espagne,  et  dont  il  vous  transmet  les  récits,  qu'il 
perdu  deux  pièces  de  canon,  au  lieu  d'en  avoir  pris  p 
trentaine,  ta  valeur  de  ces  deux  bouches  à  feu  lui  se 
retenue  sur  ses  appointements.  » 


55  SEBASTIANI 

ïambre  à  Haguenau,  pour  obtenir  des  alliés 
le  la  France  restât  libre  dans  le  choix  de  son 
uvernement. 

f  Après  le  retour  des  Bourbons,  le  général  crut 
fudent  de  passer  en  Angleterre,  bien  qu'il  n'eût 
;  s  été  porté  sur  la  liste  de  proscription.  11  revint 
1816,etfutadmis  au  traitement  de  demi-solde. 
i  1819,  la  Corse  le  choisit  pour  député.  Il  prit 
e  part  active  aux  discussions,  et  compla  bien- 
;  parmi   les    chefs  de    la  gauclie.   En   1824 
ministère  parvint  à  empêcher  sa  réélection  ; 
pis  en  1826  les  électeurs  de  Vervins  l'appe- 
pent  à  remplacer  Foy.  La  révolution  de  1830 
porta  au  pouvoir  :  il  reçut  dès  le  1 1  août  le 
rtefeuille  de  la  marine,  qu'il   échangea,  le 
{  novembre  suivant,  contre  celui  des  affaires 
angères.  Instrument  passif  du  roi  Louis-Phi- 
pe,  et  partisan  comme  lui  de  la  paix  à  tout  prix, 
Ise  vit  attaqué  violemment  par  l'opposition, 
ifrtout  par  le  général  Lamarque  (1).  Il  remit  son 
ifrtefeuille  à  M.  deBroglie,  en  octobre  1832,  et 
ilîtra  au  conseil  le  22  mars  1833,  comme  mi- 
itresansdépartement.En  1834  la  chambre  ayant 
fêté  le  traité  provisoire  qu'il  avait  signé  avec 
|  États-Unis  pour  le  payement  d'une  indemnité 
I  25  millions,  il  se  retira  tout  à  fait  du  cabinet 
■r  avril),  et  accepta,   le  4,  l'ambassade  de 
pies;   il  la  quitta  au   mois  d'août,  et  prit,  ie 
anvier  1835,  celle  de  Londres.  Dans  ce  der- 
r  poste  il  suivit  les  négociations  relatives  à  la 
istitution  du  royaume  de  Belgique,  au  droit 
Ti'site,  à  la  question  d'Orient.  Remplacé,  le 
evfier  1840,  par  M.  Guizot,  il  fut  nommé  mâ- 
chai de  France  le  21  octobre  suivant,  et  re- 
t  sa  place  à   la  chambre ,  où  il  fut  jusqu'en 
i8  constamment  réélu  par  la  Corse.  On  l'y 
;endit  rarement,  et  ses  discours  ne  furent  pas 
hauteur  de    son  ancienne  réputation,  plu- 
rs  attaques  d'apoplexie  ayant  affaibli  ses  fa- 
tés.  La  mort  de  sa  fille  unique,  la  duchesse  de 
slin  (voy.  ce  nom),  qui  périt  assassinée  par 
mari,  le  17  août  1847,  porta  un  coup  fatal 
santé  de  Sebastiani.  Il  passa  ses  derniers 
1rs  dans  le  deuil,  et  mourut  à  soixante-seize 
B  le   20  juillet  1851.  Son   corps  frit  inhumé 
!s  l'église  des  Invalides.  Sebasliani  s'était  marié 
Bl805,  avec  M"e  de  Coigny,  morte  en  couches, 
[> mai  1 807 ,  à  Constantinople  ;  sa  seconde  femme, 
ic  de  Gramont,  mourut  le  21  février  1842  à 
Iris.  Il  avait  reçu  en  1808  le  titre  de  comte.  Son 
pi  est  inscrit  sur  l'arc  de  triomphe  de  l'Étoile. 

I)  On  a  plus  d'une  fois  reproché  à  Scbastfani  d'avoir 
|>noncé  ce  mot  cruellement  fameux,  qui  fut  comme 
.?ttaphe  de  la  Pologne  vaincue  :  L'ordre  régne  à  Far~ 
wie.  Voici  le  teste  même  de  sa  courte  réponse  aux  ora- 
Mrs  de  l'opposition,  le  1B  septembre  1831  :  «Le  gou- 
i  rnement  a  communiqué  tous  les  renseignements  qui 
fiaient  parvenus  sur  les  événements  de  la  Pologne.  Il 
jppris  qu'une  capitulation  avait  mis  au  pouvoir  des 
■sses  la  ville  et  la  place  de  Varsovie  ;  que  l'armée  pu- 
naise s'était  retirée  dans  les  environs  de  Modlin  ;  que 
000  hommes  se  trouvaient  en  Podlaqule,  et  qu'en- 
Ijî,  au  moment  où  l'on  écrivait,  la.  tranquillité 
'.Isnait  a  Varsovie.  »  {Moniteur}  1831,  p.  1691  ), 
;  '2oI.  ) 


G66 

Nous  n'avons  vu  Sebastiani  qu'à  l'époque  où, 
vieux,  cassé ,  goutteux, les  traits  affaissés,  les 
yeux  éteints,  la  parole  lourde,  il  n'éveillait  pas 
même  un  souvenir  de  son  brillant  passé.  Il  avait 
été  cependant  distingué  par  sa  beauté,  son  élé- 
gance et  son  esprit  plus  encore  que  par  sa  bra- 
voure. L'abbé  de  Pradt  l'appelait  le  Cupidon  de 
l'empire.  «  11  a  reçu  de  la  nature,  dit  Loëve- 
Weimars,  un  physique  des  plus  séduisants,  une 
de  ces  allures  qui  font  insurrection  dans  les  sa- 
lons et  dans  les  boudoirs;  il  est  d'une  taille 
moyenne,  mais  bien  prise;  tous  ses  gestes  sont 
gracieux...  Sa  figure  ronde  et  pleine  a  quelque 
chose  d'angélique  et  de  chérubin  ;  de  longs  che- 
veux bouclés  encadrent  merveilleusement  sa 
tête  harmonieuse ,  qui  semble  une  conception 
raphaélique.  »  Les  Souvenirs  de  la  comtesse 
Merlin  complètent  ce  portrait  ;  «  Il  causait,  dit- 
elle,  avec  une  grâce  à  nulle  autre  pareille,  car, 
même  lorsqu'il  s'écoutait  trop,  ce  qui  lui  arri- 
vait souvent ,  on  se  sentait  porté  à  lui  pardon- 
ner en  faveur  de  sa  physionomie  fière  et  sympa- 
thique. »  Il  ne  faut  pas  que  cette  réputation,  un 
peu  ridicule,  fasse  oublier  les  services  ren- 
dus par  Sebastiani  à  la  France,  ses  succès  mi- 
litaires ,  son  ambassade  de  Constantinople,  ses 
luttes  politiques  de  la  restauration  et  ses  tra- 
vaux sous  le  gouvernement  de  Juillet.  Il  n'avait 
pas ,  à  proprement  parler  de  l'éloquence ,  mais 
une  grande  facilité  ^d'argumentation,  qui,  malgré 
l'emphase  de  sa  diction  compassée,  embarrassait 
souvent  ses  adversaires.  On  a  imprimé  de  lui 
quelques  discours,  et  on  lui  attribue  l'ouvrage 
intitulé  :  État  actuel  de  la  Corse  (Paris ,  1821, 
in-8°),  et  qui  porte  le  nom  de  P.-S.  Pompei. 

Loménie ,  Galerie  des  contemp.  illustres,  t.  VIS.  — 
Sarrut  et  Saint-Edme,  Hommes  du  jour,  t.  I.  lre  part. — 
Mémoires  tirés  des  papiers  d'un  homme  d'État.  — 
Rabbe,  Viellh  de  Boisjolin  et  Sainte-Preuve,  Biogr.  univ. 
et  port,  dès  contemp.  —  Loéve-Weimars,  dans  la 
Revue  des  deux  mondes,  15  déc.  1833.  —  Moniteur  de 
l'armée,  juillet  1851. 

*  sebastiani  (Jean-Atidré-Tiburce  ,  vi- 
comte), général,  frère  du  précédent,  né  le  31 
mars  1786,  à  la  Porta  d'Ampugnano  (Corse). 
Du  prytanée  de  Paris  il  passa  à  l'école  mili- 
taire de  Fontainebleau,  et  fut  nommé  en  1806 
sous-lieutenant  de  dragons.  Il  servit  d'abord 
en  Portugal ,  puis  en  Espagne,  sous  son  frère 
(1809  àl811),etpritpartauN  batailles  de  Ciudad- 
Real,  de  Talaveira  et  d'Almonacid.  Appelé,  en 
1812,  à  la  grande  armée,  il  fit  la  campagne  de 
Russie ,  et  se  distingua  surtout  à  la  Moskowa. 
Colonel  en  1813,  il  combattit  à  Leipzig  et  à  Ha- 
nau;  sa  conduite  fut  très-brillante  pendant  la 
campagne  de  1814  ainsi  qu'à  Waterloo  Placé 
en  1818  à  la  tête  de  la  légion  corse  (depuis 
10e  léger),  et  nommé  en  1823  maréchal  de 
camp  à  l'ancienneté,  ses  idées  personnelles  et  la 
conduite  politique  de  son  frère  ne  tardèrent  pas 
à  le  faire  mettre  en  non-activité;  ses  compatriotes 
l'élurent  en  1828  membre  de  la  chambre  des 
députés.  A   la  fin  de  l'année  il  fut  attaché  à 


C67 


SEBASTIAN! 


SÉBASTIEN 


66: 


l'expédition  de  Grèce,  et  s'empara  de  Coron.  Le 
gouvernement  de  Juillet  lui  donna  le  grade  de 
lieutenant  général,  et  l'envoya  au  siège  d'Anvers 
(1832).  Élevé  à  la  pairie  "en  1837,  il  eut  le  29  oct. 
1842  le  commandement  de  la  division  militaire 
de  Paris,  et  fut  nommé  grand-croix  de  la  Légion 
d'honneur  (5  janvier  1845).  Remplacé  dans  le 
commandement  de  Paris  par  le  maréchal  Bu- 
geaud,  le  23  février  1848,  il  resta  fidèle  à  la 
monarchie  qui  tombait,  et  se  retira  en  Corse,  pour 
y  vivre  loin  des  agitations  politiques. 

Vapereau,  Dict.  univ.  des  contemp. 

SE3AST5AN0  DEL   PlOMBO.  Voy.  LUCIANO. 

Sébastien,  roi  de  Portugal,  né  ci  Lisbonne, 
le  20  janvier  1554,  mort  en  Afrique,  le  5  août 
1578. 11  était  petit-fils  de  JoâoIH,  etfilsdu  prince 
Joâo  (1)  et  de  Juana,  fille  de  Charles-Quint.  Or- 
phelin dès  l'enlance,  il  fut  appelé  en  juin  1557  à 
succéder  à  son  grand-pèrè.  On  lui  choisit  pour 
précepteur  Luiz-Gonçalvez  de  Camara,  jésuite, 
qui  devait  continuer  durant  cette  minorité  la- 
borieuse la  politique  malheureuse  suivie  par 
Joâo  III.  La  régence  fut  confiée  à  la  vieille 
reine  Catharina,  dont  l'intelligente  administra- 
tion sut  maintenir  le  royaume  dans  une  appa- 
rente prospérité.  Sébastien  eut  une  jeunesse  fou- 
gueuse :  d'un  caractère  violent,  d'un  courage  té- 
méraire, il  se  plaisait  à  dompter  les  chevaux,  à 
braver  la  fureur  des  éléments,  à  s'aventurer  sur 
une  frêle  barque  au  milieu  d'une  tempête,  à 
éprouver  son  adresse  ou  sa  force  herculéenne  , 
à  s'exercer  dans  les  tournois  et  dans  les  combats 
de  taureaux.  A  quatorze  ans  on  l'appelait  un 
autre  Alexandre,  et  on  le  poussait  à  réclamer 
le  pouvoir.  La  régente,  lasse  de  lutter  contre  les 
sourdes  intrigues  du  P.  Camara,  se  retira,  et 
remit  au  cardinal  infant  la  direction  des  affaires 
(1562).  Quelques  années  après  on  s'occupa  de 
marier  le  jeune  roi  :  en  1571  on  entama  des 
négociations,  qui  n'aboutirent  pas,  pour  de- 
mander Marguerite  de  Valois ,  sœur  de  Char- 
les IX.  Peut-être  cette  alliance  eût- elle  im- 
primé un  cours  différent  aux  destinées  du 
Portugal.  Mais  s'il  faut  laver  Philippe  II  du 
crime  politique  qu'on  lui  a  imputé,  s'il  ne  fut 
pour  rien  dans  la  journée  où  l'imprudent  mo- 
narque joua  son  royaume  contre  une  heure  de 
vaine  gloire,  on  peut  l'accuser  d'avoir  perdu  son 
propre  neveu  en  s'opposant  à  cette  alliance  pour 
se  la  réserver.  Ce  fui  le  P.  Camara  qui  conduisit 
les  négociations,  dont  la  rupture  amena  sa  dis- 
grâce (2).  Sébastien  ne  se  maria  point. 

Le  fait  qui  domine  le  règne  de  Sébastien, 
c'est  sa  double  expédition  en  Afrique.  La  foi  re- 
ligieuse l'y  entraîna  :  il  voulait  continuer  les 
croisades,  reprendre  le  tombeau  du  Christ,  de- 
venir   maître  de  la  Terre-Sainte;    l'idée  était 

(ij  Né  à  Evora,  en  1537,  et  mort  en  1534. 

(2)  Ces  fails,  sur  lesquels  les  historiens  passent  d'wdl- 
nai:<î  si  rapidement ,  sont  éclaircis  par  les  documents 
diplomatiques  insérés  dans  le  Quadro  clemmtar  dus 
Rùîaçoes  politicas,  etc.,  de  m.  de  Saatanera ,  t.  III, 
in-8". 


grandiose,  mais  le  génie  manqua  à  l'exécution 
Au  temps  où  Sébastien  devint  maître  de  se 
volontés,  le  Maroc  était  en  proie  aux  déchire 
ments  de  la  guerre  civile.  Deux  compétiteur.' 
l'oncle  et  le  neveu,  se  disputaient  avec  acharne 
ment  l'empire  ;  le  premier,  Muley  Abd-el-Melefc 
était  parvenue  refouler  le  second,  Muley  Mo 
hammed,  jusque  dans  le  royaume  de  Sous.  C 
dernier,  en  réclamant  ie  concours  de  Sébastier 
s'était  engagé  à  lui  livrer  les  ports  les  plus  in 
portants  du  territoire,  qu'il  convoitait.  Cetf 
proposition  inattendue  s'accordait  trop  avec  le 
secrètes  espérances  du  jeune  prince  pour  qu' 
ne  l'accueillît  pas  avec  empressement.  On  sa 
aujourd'hui,  contrairement  à  ce  qu'on  ava 
avancé,  que  Philippe  II  ne  poussa  pas  so 
neveu  dans  cette  entreprise,  et  que  même,  dat 
une  entrevue  qu'il  eut  avec  lui  à  Guadalu[ 
(  1577  ),  il  l'en  dissuada  par  les  raisons  les  plt 
fortes  et  refusa  de  lui  accorder  le  moindre  sul 
side  (1).  Lorsqu'il  prit  le  parti  d'opérer  une  de; 
cente  dans  le  Maroc,  Sébastien  n'en  était  pas 
son  premier  voyage  dans  cette  contrée.  Déjà,  e 
1574,  malgré  les  prudents  conseils  de  la  vieil 
reine,  il  avait  entrepris  une  sorte  de  recoi 
naissance  sur  les  côtes  d'Afrique,  sans  qu'il  e 
résultât  pourtant  rien  de  notable.  Pour  l'expéd 
tion  de  1578,  il  eut  recours  aux  mesures  l< 
plus  arbitraires ,  et  ne  voulut  prendre  couse 
que  de  lui-même.  En  s'adressant  au  pape,  i 
grand-duc  de  Toscane  et  au  duc  de  Nassau ,, 
parvint  à  réunir  treize  mille  hommes  d'ini'ai 
terie,  dix-huit  cents  cavaliers,  onze  à  douï 
pièces  de  canon.  Cette  petite  armée  (2),  ni 
pourvue  de  vivres,  devait  en  débarquant  rallii 
Muley-Mohammed,  dont  le  contingent  ne  s'éle\ 
en  réalité  qu'à  quatre  cents  Arabes.  Le  duc  d'A 
veiro  fut  nommé  capitaine  général  ;  mais  l'a 
dente  activité  du  roi  lui  laissa  peu  de  chose 
faire;  Diego  de  Souza  commanda  la  flotte,  for 
de  900  navires.  Sébastien  s'embarqua  queiqu< 
jours  avant  le  départ  des  troupes  (3),  qui  ei 
lieu  le  25  juin  1578. 

Sébastien  recueillit  quelques  troupes  à  Lag» 
dans  l'Algarve,  puis  à  Cadix,  où  il  fut  splend 
dément  reçu  par  le  duc  de  Medina-Sidonia ,  fi 
taie  relâche  qui  fit  multiplier  les  dépenses  outi 
mesure  et  jeta  l'armée  dans  un  incroyable  di 
sordre.  A  Tanger,  le  roi  trouva  le  prétendai 
maure  et  sa  petite  troupe  ;  de  là  il  se  rendit  a 
fort  d'Arcila,  où  s'opéra  le  débarquement  g< 

(t)  Foy.,  à  ce  sujet,  Hlstoria  de  Portugal  (Madm» 
1581),  d'Antonio  de  Herrcra.  Philippe  II  négociait  al» 
avec  le  souverain  régnant  du  Maroc  un  traité  d'allian 
et  de  commerce. 

(2)  On  y  comptait  8,000  Portugais,  3,000  Allemand 
600  Italiens,  et  une  suite  nombreuse  de  femmes  et  ■ 
valets.  Grégoire  XIII  avait  accordé  a  cette  petite  arm 
ce  qu'on  appelait  la  concession  de  la  croisade:  il  av< 
de  plus  recruté  pour  elle  quelques  hommes  en  Espag 
et  en  Irlande. 

(3)  Plusieurs  jours  auparavant,  i!  avait  reçu  u: 
lettre ,  où  Muley  Abd-el-Melek  lui  faisait  connaît 
avec  simplicité  l'état  réel  des  choses  et  le  sort  qui  l'a 
tendait. 


0<j  SÉBASTIEN  - 

■léral.   Quinze  jours  s'écoulèrent  sans  qu'il  fit 

1  iucun  mouvement  offensif.  Pendant  ce  temps , 

I  Îbdel-Melek,  quoique  atteint  déjà  du  mal  qui 

levait  l'emporter,  agissait  avec  une  diligence 

è  ktrème  ;  il   se    porta  au-devant  des  envahis- 

Bburs  avec  une  nombreuse  année,  qui  comptait 

Ks,000  cavaliers,  7,000  gens  de  pied  et  34  ca- 

I  (uns,  sans  parler  des  hordes  indisciplinées  qu'il 

1  itrainait  à  sa  suite.  La   rencontre  eut  lieu  le 

■  août  1578.au  milieu  d'une  plaine  qui  s'éten- 

Kjait  entre  l'Oued  Mkhâzen  et  l'Oued  Loukkos. 

Se  fut  Abd-el-Melek  qui  commença  l'attaque;  il 

Brait  disposé  sa  cavalerie  en   un  vaste  demi- 

Jprcle  afin  d'entourer  de  toutes  parts  l'armée 

netienne.  Sébastien,  s'élançant  avec  impétuo- 

té  à  la  tète  de  l'avant-garde,  remporta  unpre- 

ùer  avantage  ;  mais  de  fausses  manœuvres,  la 

jpériorité  des  forces  de  l'ennemi,  l'insuffisance 

t    l'inhabileté    de    l'artillerie   portugaise,   lui 

tent  perdre  en  quelques  instants  ce  qu'il  avait 

lagné.  Tavora,  le  duc  d'Aveiro,  et  beaucoup  de 

[apitaines  donnèrent  en  vain  des  preuves  du 

plus  brillant  courage  ;  avant  la  fin  de  la  journée, 

i  bataille  était  perdue  complètement.  Abd-el- 

[elek  ne  jouit  pas  de  son  triomphe.  Épuisé  par  la 

îaladie,  il  était  mort  dans  sa  litière,  en  posant 

n  doigt  sur  ses  lèvres  pour  ordonner  un  silence 

Ibsolu.    Sébastien    combattait    toujours  ;    son 

heval  avait  été  tué  sous  lui  ;  un  sujet  dévoué 

ai  donna  le  sien ,  et  il  se  jeta  au  fort  de  la 

îêlée.  Ce  fut  là  qu'il  succomba,  frappé  de  sept 

lessures.  Le  lendemain  son  corps  fut  décou- 

Rert  parmi  les  morts  ;  son  page  le  reconnut,  le 
laça  sur  un  cheval,  et  le  conduisit  à  Fez,  où  on 
ni  donna  une  sépulture  provisoire.  L'infant 
ardinal,  qui  s'était  fait  sacrer  roi  le  28  août, 
ntama  aussitôt  des  négociations,  pour  qu'on  lui 
tendît  le  corps  de  son  neveu  :  le  nouvel  em- 
pereur de  Maroc,  Moula-Ahmed,  le  fit  remettre 
fans  Ceutamême,  le  4  décembre  1578,  à  Diniz 
le  Pereira,  gouverneur  de  la  ville.  De  là  il  fut 
tansporté  en  Europe  et  enterré  sans  pompe  au 
ouvent  de  Belem  (1).        Ferdinand  Dents. 

Barbosa  Machado,  Memorias.  —  Manuel  dos  Santos, 
Hittoria  Sebastica.  —  Bernardo  da  Cruz,  Lhronica  de 
Dom  Sebastiâo  ;  Lisbonne,  1837,  in-8°.  —  Ieronymo  de 
4endonça,  Jornada  de  Africa,  ein  que  se  responde  a 
eronymo  tranqui  et  se  tracta  do  successo  da  batalha 
ïaptiveiro,  etc.  ;  Lisbonne,  1G07,  in- 4°,  et  1783,  in-S°.  — 
Ibras  ïneditas  de  J.  Osorio  ;  Lisbonne,  1818.  —  Te- 
•eira   Bayam,  Portugal  cuidadoso  e  tastimoso  em  a 

(1)  Comme   nulle  mort   de   prince-   souverain'  ne  fut 
lus  mystérieuse  que  celle  de  Sébastien  ,  il  n'y  en  a 
as  eu  non  plus  qui  ait  suscité  tant  de  faux  préten- 
ants à  l'héritage  d'une  couronne  dont  Philippe  II  avait 
Mu  s'emparer.  Il  est  certain  que  si  les  pseudo-Sébasliens, 
Pfiui  se  succédèrent  durant  toute  la  seconde  partie  du  sei- 
zième siècle,  se  servirent  de  moyens  bien  grossiers  et 
V  Surtout  bien  audacieux  pour  obtenir  une  couronne,  il  y 
pfsn  eut  quelques-uns  qui  furent  si  prodigieusement  ser- 
I" Irts  par  une  ressemblance  fortuite  et  par  les  renseigne- 
ments qu'ils  avaient  su  se  procurer,  que  leurs  préten- 
l  Kions  excitèrent  les   plus    vives   sympathies  et  produi- 
sirent les  plus  absolus  dévouements.  Il  faudrait  un  vo- 
|  |lume  pour  les  citertous,  depuis  le  pastelcro  da  Madrigal 
I  jlusqu'à  celui  qui  vint  à  l'aris  loger  dans  une  maison  de 
la  rue  de  La  Harpe. 


SECKENDORF 


G  70 


vida  e  perda  do  D.  Sebastiûo;  Lisbonne,  1837,  in  fol. 
—  Manuel  de  Menezes,  Chronicado  I).  Sebastiûo;  Lis- 
bonne, i7:io,  in-fol.  —  i.citao  de  Andrade,  Miscellanea, 
p.  72  et  suiv.;  Lisbonne,  1629,  ln-4°.  —  Rebello  da  Sylva, 
Historia  de  Portugal  nos  secvlos  XFll  e  X^lll;  Lis- 
bonne, isr,2,  ln-8°.  —  1".  Denis,  Portugal. 

seconde  (Raimond  de  Sabdnde  ou),  philo- 
sophe espagnol,  né  à  Barcelone,  au  quatorzième 
siècle.  Sa  vie  est  à  peine  connue.  Il  professait  en 
1430  la  médecine  à  Toulouse  ;  on  place  sa  mort  en 
1432. 11  a  composé,  outre  plusieurs  ouvrages  restés 
manuscrits,  une  Theologia  naturalis,  sive  Liber 
creaturarum  (Deventer,  1487,  in-fol.),  dont  on 
a  plus  de  dix  éditions.  Ce  traité,  dont  le  prologue 
fut  mis  à  l'index,  contient  330  chapitres.  L'auteur 
expose  la  doctrine  de  saint  Thomas  avec  la  mé- 
thode de  Raimond  Lulle.  Quelques-uns  de  ses 
arguments  sont  faibles,  et  des  subtilités  se  mêlent 
à  ses  explications.  Ce  qui  a  donné  de  la  célébrité 
à  cet  ouvrage,  c'est  la  traduction  qu'en  a  faite  Mon- 
taigne (  Paris,  1569,  in-8°).  Il  trouve  la  fin  que 
Sebonde  se  propose  «  par  raisons  humaines  et 
naturelles  d'eslablir  et  vérifier  contre  les  athéistes 
tous  les  articles  de  la  religion  chrestienne,  » 
hardie  et  courageuse,  et  il  ajoute  qu'il  l'a  atteinte 
avec  bonheur.  Aussi  consacre-t-il  un  long  cha- 
pitre des  Essais  àfaire  l'apologie  de  Sebonde.  Il 
reste encorede  ce  dernier  :  Denaturahominis; 
Cologue,  1501,  in-4°  :  c'est  un  abrégé  de  la 
Theologia  naturalis,  qui  a  été  traduit  deux  fois 
en  français  (Arras,  1600,  in-16,  et  Paris,  1566, 
in-8"  ).  Amos  Comenius  a  abrégé  aussi  le  livre  de 
Sebonde,  sous  ce  titre  :  Oculus  %dei,  Theologia 
naturalis  (Amst,  1661,  in-8°),  pour  en  rendre 
la  lecture  accessible  et  aux  protestants  que  l'ori- 
ginal condamnait,  et  aux  hommes  de  goût,  que 
la  barbarie  du  style  repoussait.  G.  IL 

Montaigne,  Essais,  liv.  II,  ch.  xn.  —  Bayle,  Dict  — 
Tieflemann  ,  Esprit  de  la  philosophie  spéculative.  — 
Sainte-Beuve,  Port-Royal,  t.  IL  —  J.  Holberg,  De  theo- 
logia naturali  II.  de  Sebonde  ;  I8't6,  in-S°. 

secchi  (  Giovanni-Batlista  ),  dit  le  Cara- 
vaggino,  peintre,  né  à  Caravaggio,  florissait  en 
1619.  Il  a  laissé  à  Milan  plusieurs  œuvres  im- 
portantes, telles  qu'une  Adoration  des  mages, 
et  une  Piété. 

Lanzi,  Sioria.  —  Pirovano,  Guida  di  Milano. 
SECHEELES.  Voy.  HERAULT. 

seckendorf  (Gui-Louis  de),  homme  d'É- 
tat et  historien  allemand,  né  le  26  décembre 
1626,  à  Herzagenaurach  (Bavière),  mort  le  18 
décembre  1692,  à  Halle.  Sa  famille  était  une  des 
plus  anciennes  de  laFranconie.  Fils  d'un  colonel, 
il  fut  élevé  sous  la  surveillance  d'Ernest  le  Pieux, 
duc  de  Gotha,  qui,  après  lui  avoir  fait  étudier  à 
Strasbourg  la  philosophie,  l'histoire  et  le  droit, 
prit  soin  de  l'instruire  lui-même  sur  les  points 
les  plus  difficiles  de  la  politique  et  du  droit 
public.  A  vingt-deux  ans  il  était  son  chambellan, 
et  à  trente  conseiller  intime.  Nommé  chancelier 
en  1664,  il  quitta  la  cour  en  1665,  on  ne  sait  pour 
quel  motif,  et  entra  au  service  de  Maurice ,  duc 
de  Saxe-Zeitz ,  qui  le  prit  aussi  pour  chancelier 
et  le  mit  à  la  tète  du  consistoire.  Après  la  mort  de 


671 


SECKENDORF 


67Î 


Maurice  (1681),  il  se  retira  dans  ses  domaines,  à 
Meuselwitz  près  d'A'ltembourg,  et  partagea  son 
temps  entre  l'étude  et  l'éducation  de  deux  de  ses 
neveux,  dont  l'un  devint  feld-maréchal.  En  1692 
il  fut  nommé  chancelier  de  l'université  de  Halle, 
nouvellement  fondée,  et  dont  il  réconcilia  les 
professeurs ,  pour  la  plupart  partisans  de  Spener, 
avec  les  pasteurs  orthodoxes  de  la  ville.  Modèle 
de  toutes  les  vertus ,  Seckendorf  possédait  des 
connaissances  aussi  étendues  que  variées.  On  a 
de  lui  :  Der  deutsche  Fûrstenstaat  (La  Prin- 
cipauté allemande);  Gotha,  1665;  Iéna,  1720, 
1754,  in-8°  :  exposé  de  la  meilleure  manière  de 
gouverner  les  États  de  l'Allemagne  ;  —  Chris- 
tensiaat  (L'État  chrétien)  ;  Leipzig,  1685, 1716, 
in-8°  :  défense  du  christianisme  contre  les  libres 
penseurs;  —  Reden  (Discours);  Leipzig,  1686, 
in-8°  ;  —  Comm.  historicus  et  apologeticus  de 
Luthéranisme;  Leipzig,  1686-1692,  1694, 
5  vol.  in-fol.;trad.  en  allemand,  Leipzig,  1714, 
3  vol.  in-4o,  un  abrégé  fait  par  Junius  etRoos  a 
ététrad.  en  français,  Bâle,  1784,  5  vol.  in-8°  : 
cet  ouvrage,  dirigé  contre  V Histoire  du  Luthé- 
ranisme du  P.Maimbourg,  est  précieux,  surtout 
par  les  nombreux  documents  inédits,  concer- 
nant la  réforme  et  que  Seckendorf  a  tirés  des 
archives  saxonnes  ;  —  Jus  publicum  romano- 
germanicum ;  Francfort,  1687,  in-8°.  Secken- 
dorf a  collaboré  aux  Acia  eruditorum  et  i!  a 
mis  la  Pharsale  en  vers  blancs  (Leipzig,  1695). 

Chr.  Thomasius,  Oratio  in  Seckendorftum  ;  Halle,  1692, 
in- 4°.  —  Schreber,  Vita  Sechendorfii;  Leipzig,  17S3, 
in-'<-°.  —  Schrœckh,  Lebensbeschrcibungen  beriihmter 
Celehrten  —  Pipping,  Mémorise  theologorum. 

seckendorf  (Frédéric- Henri,  comte  de), 
capitaine  et  diplomate,  neveu  du  précédent,  né  le 
16  juillet  1673,  à  Kœnigsberg  en  Franconie,  mort 
le  23  novembre  1763,  à  Meuselwitz.  Il  fut  élevé 
chez  son  oncle  et  instruit  dans  les  belles-lettres 
par  Cellarius.  Il  abandonna  l'étude  du  droit  pour 
s'engager  dans  l'armée  hollandaise.  En  1697  i! 
reçut  un  brevet  de  capitaine  dans  les  troupes  du 
margrave  d'Anspach  ;  il  se  distingua  dans  les 
campagnes  du  Rhin,  de  Hongrie  et  des  Pays- 
Bas.  A  la  bataille  deHochstedt,  où  il  commandait 
un  régiment  de  dragons,  sa  bravoure  lui  valut 
les  félicitations  de  Marlborough  et  du  prince 
Eugène.  Placé  à  la  tête  d'un  régiment  d'infan- 
terie ,  il  prit  une  part  active  aux  guerres  de 
Flandre  jusqu'en  1709.  A  cette  date  il  passa  au 
service  d'Auguste,  roi  de  Pologne,  qui  l'envoya  en 
1712  en  ambassade  à  La  Haye  et  qui  le  chargea 
en  1713  de  réprimer  une  insurrection  qui  avait 
éclaté  dans  ses  États.  En  1716  Seckendorf  rentra 
dans  l'armée  impériale  avec  le  grade  de  feld- 
maréchal  lieutenant,  et  seconda  habilement  les 
opérations  du  prince  Eugène  contre  les  Turcs. 
En  1719  il  alla  s'enfermer  dans  la  place  de  Mi- 
lazzo  en  Sicile,  assiégée  par  trente  mille  Espa- 
gnols, parvint  à  les  faire  battre  en  retraite, 
et  s'empara  avec  une  rare  audace  de  l'île  de  Li- 
pari.  Nommé  en  1726  ambassadeur  d'Autriche 
auprès  du  roi  Frédéric-Guillaume  1er,  il  s'in- 


?inua  avec  tant  d'adresse  dans  ses  bonnes  g'-âess 
qu'il  lui  fit  signer,  contre  l'intérêt  manifeste  d< 
la  Prusse,  un  traité  d'alliance  avec  l'empereur 
Ce  fut  encore  lui  qui  négocia  le  maiiage  di 
prince  royal  (  plus  tard  Frédéric  II  )  avec  uni 
princesse  de  Brunswick,  contre  le  gré  duprino 
et  des  parents  eux-mêmes,  qui  avaient  en  vni 
d'autres  alliances.  En  revanche,  il  sauva  la  vii 
au  jeune  Frédéric ,  que  son  père  voulait  fain 
condamner  à  mort  après  sa  tentative  de  fuite 
En  1732,  il  fut  attaché  à  l'armée  du  Rhin  pou 
seconder  le  prince  Eugène  ;  en  1735,  à  la  têted 
quarante  mille  hommes,  il  défit  à  Clausen  l'ar 
mée  française,  ce  qui  détermina  la  conclusio 
de  la  paix.  En  1737  il  prit  le  commandemeii 
en  chef  des  troupes  impériales  envoyées  contr 
les  Turcs.  Mais  le  déplorable  état  de  l'armée  « 
des  forteresses,  le  mauvais  vouloir  de  plusieur 
de  ses  généraux  et  diverses  circonstances  ma! 
heureuses  lui  firent  éprouver  revers  sur  reven 
et  [il  fut  forcé  de  se  retirer  derrière  la  Save.  Le 
nombreux  ennemis  qu'il  s'était  faits  à  Ja  corj 
de  Vienne ,  en  dénonçant  les  dilapidations  d( 
fonctionnaires  chargés  du  matériel  de  guerre  < 
des  approvisionnements  ,  s'empressèrent  d'e) 
citer  contre  lui  la  haine  populaire,  arrachèrent 
l'empereur  sa  destitution  et  le  firent  mettre  « 
jugement  pour  trahison.  Quoique  la  commii 
sion  nommée  à  ce  sujet  l'eût  déclaré  innocen 
il  fut  retenu  en  prison  pendant  trois  ans.  A  se 
avènement  Marie-Thérèse  lui  rendit  sa  liber 
et  tous  ses  emplois  (1740);  mais  l'époux  ( 
cette  princesse  lui  fit  supprimer  son  traitemei 
de  feld-maréchal.  Avide  de  vengeance,  Seckei 
dorf  se  mit  au  service  de  l'électeur  de  Bavièr 
qui  venait  d'être  proclamé  empereur  et  qui  1 
confia  la  direction  presque  entière  de  la  guerr 
Il  fit  preuve  de  grands  talents  militaires  ;  ma 
l'insuffisance  de  son  armée,  qui  fut  mal 
condée  par  les  Français,  paralysa  ses  opén 
lions.  En  revanche  il  fut  très-utile  à  i'étectei 
en  négociant  en  sa  faveur  l'union  de  Francfo 
(1744  ).  Après  avoir,  peu  de  temps  après,  recoi 
quis  la  Bavière  sur  les  Impériaux  dans  ui 
brillante  campagne,  il  résigna  son  command 
ment,  et  négocia  l'année  suivante,  entre  le  fi 
de  Charles  Vil  et  la  cour  d'Autriche,  le  traité  i 
Fussen,  que  Frédéric  H,  toujours  partial  quai 
il  parle  de  Seckendorf,  lui  a  si  injustement  r 
proche.  Rétabli  à  cette  époque  dans  toutes  l 
charges  qu'il  avait  exercées  en  Autriche,  il  allai 
fixer  dans  ses  terres,  à  Meuselwitz.  Il  se  vit  en  1  il 
arraché  de  sa  retraite  et  transféré  dans  la  fo 
teresse  de  Magdebourg,  par  ordre  de  Frédéric] 
qui  le  soupçonnait  d'entretenir  une  correspoi 
dance  avec  les  ministres  autrichiens  ;  il  ne  f 
relâché  que  six  mois  après,  contre  le  payeme 
d'une  rançon  de  dix  mille  écus.  De  manier 
simples,  ouvertes,  et  empreintes  d'une  certaii 
gravité,  Seckendorf  savait  effacer  l'effet  disgr 
cicuv  de  sa  physionomie  par  une  habileté  coi 
sommée,  par  une  conversation  appropriée 


k 


3  SECKENDORF 

ractère  de  ses  interlocuteurs,  et  où  il  savait 
ns  l'occasion  faire  valoir  son  instruction  solide. 

■  tichmettau,  Mémoires  de  la  guerre  de  Hongrie.  — 
H  llnltz,  Mémoires.  —  Frédéric  II,  OEuvres.  —  La  mar- 
1  ivc  de  liayreuth,  mémoires.  —  Thereslus  de  Sccken- 
mtrt,  Lebensbeschrcibung  de  Grafen  von  Seckendorf  ,• 
H  pîlg,  1792-1794,  tn-8°.  —  Woltiuann,  Geschichte  und 
Mlitik,  année  1801.  —  Fœrster,  Die  Cabinette  Europas 
1  y.er  dem  Kuiser  Karl  VI. 

sf.com»  (Jean  EvEiUERTS,dit  Jean),  en  la 


Secundus  (1),  poëte  latin  moderne,  né  à  La 
ye,  le  10  novembre  1511,  mort  à  Tournai,  le 
>clpbre  1536.  Il  était  fils  d'un  magistrat  dis- 
gué,  Nicolas  Everaerts,  qui  mourut  en  1532. 
Kit  d'excellentes  études ,  et  se  passionna  de 
ane  heure  pour  la  poésie  latine.  Son  père  l'en- 
ya  faire  son  droit  à  Bourges,  sous  Alciat;  et 
!  reçut  le  bonnet  de  docteur,  en  1533.  De  re- 
iràMalines,  où  résidait  sa  famille,  il  accepta, 
ur  voyager,  les  fonctions  de  secrétaire  intime 

l'archevêque  de  Tolède.  Charles-Quint  l'at- 
bha  à  sa  personne,  et  l'emmena  dans  son  expé- 
'ion  contre  Tunis,  en  1534.  Le  climat  de  l'A- 
pie  ayant  altéré  sa  santé,  il  fut  obligé  de  re- 
lair  dans  son  pays  natal.  L'évêque  d'Otrecht, 
orges  d'Egmond,  qui  résidait  à  Tournai,  le  prit 
rs  à  son  service;  mais  la  maladie  dont  il  avait 
jporté  le  germe  de  Tunis  le  conduisit  préma- 
ément  au  tombeau.  Il  mourut  à  l'âge  de  vingt- 
q  ans.  J.  Second  doit  sa  célébrité  à  ses  poésies 
ines  :  les  Baisers  (Basia),  au  nombre  dedix- 
uf,  y  tiennent  le  premier  rang.  Il  faut  y  joindre 
bis  livres  d'Élégies,  des  Épigrammes,  des 
fies,  des  Épîtres,  etc.  Du  feu,  de  la  grâce  et  de  la 
luceur,  des  accents  tendres,  voluptueux,  joints 
beaucoup  de  naturel,  ont  assuré  à  J.  Second , 
ïlgré  quelque  afféterie  et  un  abus  de  facilité, 
des  premiers  rangs  parmi  les  poètes  de  la 
naissance.  On  peut  le  comparer  à  Catulle  chez 
anciens.  La  première  édition  de  ces  poésies 
ide  1541  (Utrecht,  in-12)  ;  elles  ont  été  sou- 
nt  réimprimées,  soit  séparément,   soit  avec 
Iles  des  frères  de  l'auteur.  Bosscha  les  a  pu- 
ées  avec  des  commentaires  (Leyde,    1821, 
ol.  in-8°).  Elles  ont  été  traduites  en  tout  ou  en 
[rtie  par  Dorât,  E.-T.  Simon  (1786),  Mirabeau 
790),  le  poëte  Tissot  (1806)  et  Loraux  (1812). 
Deux  frères  de  J.  Second ,  Adrien- Marius  et 
colas-  Grudius  Everearts,  ont  cultivé  comme 
la  poésie  latine  et  s'y  sont  fait  un  nom. 
eerlkamp,  ntx  Belgarum.  —  Van  der  Aa,  Biogr. 
oordenboek  der  Nederlanden. 
secondât  (Jean-BaptisteMronDE),  agro- 
me  français,  né  en  1716,  à  Martillac  (Gironde), 
Ort  le  17  juin  1796,  à  Bordeaux.  Il  fit  de  bonnes 
odes  sous  la  directionde  Montesquieu,  son  père, 
l'accompagna  dans  quelques-uns  de  ses  voya- 
is. Il  demeura  toute  sa  vie  simple  conseiller 

parlement  de  Bordeaux.  Il  adopta  avec  sa  - 

.1)  Selon  Burmann ,  il  prit  le  nom  de  Second  pour  se 
Hjtlnguer  d'un  oncle  nommé  aussi  Jean.  Selon  Bosscha, 
jle  reçut  de  son  père,  qui,  ayant  perdu  l'un  de  ses  dix- 
lut  enfants,  rebaptisa  celui-ci  du  nom  de  celui  qui  était 
3rt  auparavant. 

NOUV.   BIOGR.    GÉNÉR.   —   T.    XLIU. 


—  SECOUSSE  674 

gesse  les  principes  de  1789  et,  protégé  à  la  fois 
par  la  simplicité  de  sa  vie,  par  ses  vertus  mo- 
destes et  par  la  gloire  de  son  père,  il  échappa 
aux  persécutions.  Il  consacra  aux  lettres  tous  scè 
loisirs.  On  a  de  lui  :  Mémoire  sur  V électricité  ; 
Paris,  1750,  in-8»  :  réfutation  de  la  théorie  que 
l'abbé  Nollet  venait  de  donner  de  cette  décou- 
verte, alors  récente  ;  —  Observations  de  phy- 
sique et  d'histoire  naturelle  sur  les  eaux  mi- 
nérales de  Dax,  de  Bagnères  et  de  Baréges  ; 
Paris,  1750,  in-12;  —  Considérations  sur  la 
constitution  de  la  marine  militaire  de  la 
France  ;  Londres,  1756,  in-8°;  —Mémoires 
sur  l'histoire  naturelle  du  chêne,  sur  la  ré- 
sistance des  bois,  sur  la  maladie  des  bœufs 
en  1774,  sur  laculture  de  la  vigne;  etc.;  Paris. 
1785,  in-fol.  lia  aussi  traduit  de  l'anglais  de  Gee 
Considérations  sur  le  commerce  et  la  naviga- 
tion de  la  Grande-Bretagne  (Paris,  1 750,  in-12). 
Son  ;ieveu,  Secondât-Montesquieu  {Jean- 
François  de  Paule,  chevalier  de),  né  en  1752, 
fut  capitaine  au  régiment  de  Jarnac,  et  mourut 
le  21  juillet  1821,  à  Auch. 

Bernadau,  Hist.  de  Bordeaux. 

second©  (Giuseppe-Maria),  littérateur  ita- 
lien, né  en  1715,  à  Lucera  (royaume  de  Naples), 
mort  en  février  1798,  à  Naples.  Il  fit  de  bonnes 
études  à  Naples ,  fréquenta  le  barreau  et  entra 
dans  la  magistrature;  la  dernière  charge  qu'il 
remplit  fut  celle  de  conseiller  de  la  cour  su- 
prême de  justice.  Il  avait  été  gouverneur  civil  de 
l'île  de  Caprée.  C'était  un  véritable  érudit,  aussi 
versé  dans  l'antiquité  latine  que  dans  la  littéra- 
ture de  la  France  et  de  l'Angleterre.  On  a  de 
lui  :  Belazione  storica  dell'  isola  di  Capri; 
Naples,  1750,  in-8°,  et  dans  le  t.  III  des  Sym- 
bolse  litterariœ  de  Gori;  —  Storia  delta 
vita  di  C.  Giulio  Cesare;  ibid.,  1776-77,  3  vol. 
in-8°,fig.;  Venise,  1782,  5  vol.  in-12  :  c'est  l'ou- 
vrage le  plus  étendu  auquel  César  ait  donné 
lieu;  il  a  été  écrit  d'après  les  sources  originales. 
Secondoatrad.  del'anglais:  Vita  di  Cicérone  de 
Middleton  (Naples,  1744,  1762,  5vol.  in-8°),  et 
Ciclopedia,  o  Dizionario  universale  de  Cham- 
bers(ibid.,  1747,9  vol.  in-4°),  avec  des  additions. 

Dizionario  storico  italiano. 

secousse  (Denis-François),  historien  fran- 
çais, né  le  8  janvier  1691,  à  Paris,  où  il  est  mort, 
le  15  mars  1754.  Sa  famille  était  de  robe  et  son 
père,  Jean-Léonard,  mort  en  1711,  avait  plaidé 
avec  un  certain  éclat.  Il  avait  un  frère  cadet,  qui 
mourut  eu  1770,curéde  l'église  Saint  Eustache(l). 
Ayant  achevé  sous  la  discipline  de  Rollin  de 
fortes  études,  il  se  fit  recevoir  avocat  au  parle- 
ment de  Paris  (1710).  Peu  de  temps  après  la 
mort  de  son  père,  ;il  se  consacra  tout  entier  à 
l'investigation  scrupuleuse  des  annales  grecques, 
romaines  et  françaises ,  se  proposant  sur  toute 
matière,  suivant  la  méthode  des  Ducange,  des 
Duchesne,  des  Montfaucon,  des  problèmes  his- 

(i)'U  s'appelait  Jean- François- Robert,  et  il  est  auteur 
de  deux  brochures  anonymes,  et  d'un  éloge  de  son  frère. 

22 


675  SECOUSSE 

toriques  ,  littéraires  ou  politiques,  qu'il  s'effor- 
çait ensuite  de  résoudre  avec  une  entière  indé- 
pendance. Admis  en  1722  à  l'Académie  des  ins- 
criptions, il  en  fut  un  des  membres  les  plus 
laborieux.  La  liste  des  mémoires  qu'il  lui  com- 
muniqua est  considérable.   En  1728,   après  la 
mort  d'Eusèbe  de  Laurière,  il  fut  chargé  par 
D'Aguesseau  de  continuer  le  vaste  recueil  des 
Ordonnances.  En  1746  il  fut  préposé  par  le 
roi  à  l'examen  des  pièces  conservées  dans  les 
archives  des  villes  des  Pays-Bas  nouvellement 
annexées    au  territoire    français,    et  il  reçut 
ordre  de  dresser  une.  Table  chronologique  des 
chartes    et  diplômes   concernant   l'histoire  de 
France  et  disséminés  dans  divers  recueils.  Une 
affreuse  infirmité  vintinterrompre  les  travaux  de 
Secousse  quelques  années  avant  sa  mort  :  sa  vue, 
insensiblement  affaiblie  par  des  lectures  trop 
assidues,  se  perdit  tout  à  fait  ;  il  finit  ses  jours 
dans  une  cécité  complète  ,  après  s'être  soumis 
vainement,  en  1751,  à  l'opération  de  la  cataracte. 
Il  légua  par  son  testament  à  la  Bibliothèque  du 
roi  un  recueil  d'extraits  faits  par  lui-même  en  di- 
vers dépôts,  et  se  rapportant  tous  à  l'histoire 
de  France.  N'oublions  pas  de  rappeler  qu'il  sut 
exercer  avec  une  modération  constante  les  fonc- 
tions de  censeur  royal,  et  qu'il  refusa  toujours 
les  émoluments  de  cette  charge.  On  a  de  ce  sa- 
vant :  Ordonnances  des  rois  de  France;  Paris, 
1723  et  suiv.,  t.  II  à  IX,  in-fol.  :  il  mourut  avant 
la  publication  de  ce  t.  IX,  qui  tout  entier  est 
son   ouvrage;  les  excellentes  préfaces  qu'il  a 
mises  en  tête  des  volumes  sont  d'un  philosophe 
et  d'un  homme  d'État;  —  Mémoires  de  Condé; 
Londres  (Paris),  1743,  5  vol.  in-4°;  l'édition  de 
Rouen,  1740,  in-12,  ne  peut  être  comparée  à 
celle-ci;  -—    Table  chronologique  des  Diplô- 
mes ,in-foh;  l'ouvrage  ne  commença  de  paraître 
qu'en  1769,  parles  soins  de  Bréquigny;  c'est 
pourtant  à  Secousse  qu'on  doit  les  matériaux 
des  premiers  volumes;  —  Mémoires  pour  ser- 
vir à  l'histoire  deCharles  H,  roi  de  Navarre; 
Paris,  1755-58,  2  vol.  in-4°  ;  —  Mémoire  sur 
les  principales  circonstances  de  la  vie  de 
Roger  de  Saint-Lary  de  Bellegardé ,  maré- 
chal de  France;  Paris,  1764,  in-12.  Outre  ces 
ouvrages,  Secousse  a  communiqué  à  l'Académie 
des   inscriptions  plusieurs   dissertations,  dont 
quelques-unes  ont  été  analysées,  quelques  autres 
intégralement  imprimées  dans  l'ancienne  collec- 
tion académique.  On  remarque  parmi  ces  der- 
nières :  Sîtr  V expédition  d'Alexandre  contre 
les  Perses  ;  Histoire   de  Sabinus  et  d'Epo- 
nina;Sur  l'union  de  la  Champagne  et  de  la 
Brie  à  la  couronne  de  France  ;  Paul  de  Foix, 
archevêque  de  Toulouse;  Sur  l'attentat  com- 
mis par  une  partie  des  chevaliers  de  Malle 
contre  le  grand-maître  de  La  Cassière,  etc. 
B.  Haijréau. 

Mss.  de  Blanchard  ,  à  la  Biblloth.  des  Avocats.  —  Éloye 
de  Secousse,  par  Bougalnvllle  (  Htst.  de  l'Jcad.  des 
inscript.,  t.  XX V),  par  Vilcvault,  a  la  tête  du  t.  IX  des 
Ordonnances,  et  dans  la  Biblioth.  historique  de  Fcvret 


-  SEDAINE 

de  Fontette,  t.  III;  par  son  frère,  François  Robert,  à  ' ,\ 
tête  du  Catalogue  des  livres  de  D.-F.  Secousse,  17!  '  i 
in-8°.  —  Préface  du  t.  I  de  la  Table  chronol.  des  < 
•plûmes,  par  Bréquigny. 

SECRETAIS  (  Louis),  homme  politique  suiss 

né  en  1758,  à  Lausanne,  où  il  est  mort,  le  21  m 

1839.  Il  s'était  déjà  fait  connaître  comme  pub 

ciste  quand  éclata  en  1798  la  révolution  suiss 

Nommé    député  au    corps    législatif,  il   pr 

posa  de  rendre  aux  Israélites  les  droits  de  ( 

toyen  dont  ils  avaient  autrefois  joui  dans  1 

cantons.  Devenu    avec    La  Harpe  et   Oberl 

membre  du  Directoire  exécutif,  il  essaya  de  r 

péter  à  Berne  le  coup  d'État  qui  s'était  accor 

pli  en  France  le  18  brumaire.   Les  triumvi 

suisses  ne  réussirent  pas  dans  leur  tentativ 

Secretan  perdit  sa  popularité,  et  fut  soumis  da 

sa  commune  à  une  surveillance  rigoureuse.  C 

pendant  sa  conduite  modérée  le  rétablit  da 

l'opinion,  et  il  rentra  dans  l'administration  * 

son  pays,  où  il  ne  tarda  pas  à  reprendre  de  l'il 

fluence.  11  siégea  en  1803  à  la  consultedes canfol 

suisses  convoquée  à  Paris,  et  en  juin  même  anc 

à  la  diète  de  Fribourg,  où  il  approuva  toutes 

mesures  prises  par  Napoléon  comme  médiate 

de  la  Confédération  helvétique.  Les  événemei 

de  1814  et  de  1815,  en  mettant  fin  à  ses  rappo 

avec  la  France,  ne  changèrent  rien  à  sa  po 

tion,  et  il  continua  de  représenter  le  canton 

Vaud  à  la  diète,  tout  en  occupant  les  fonctio 

de  vice-président  de  la  cour  des  appels  suprên 

de  ce  canton.  On  a  de  lui  :  Réflexions  sur  , 

gouvernements;  Londres,  1792,  in-8°;  —  C 

sei'vations  sur  la  constitution   helvétiqn 

Lausanne,  1798,  in-8°;  —  Réflexions  sue 

fédéralisme  en  Helvétie;  Berne,  1800,  in-î 

—  Mycograpkie  suisse,  ou  Description  c 

champignons  qui  croissent  aux  environs 

Lausanne;  Genève,  1833,  3  vol.  in-8°.  lia  | 

biié  les  Mémoires  de  Falchenskiokl  (Pas 

1826,  in-8°),  avec  une  vie  de  l'auteur. 

Moniteur  universel,  an  vin.  —  Jay,  Jouy,  etc.,  Bit 
nouv.  des  contemp. 

sedaine  {Michel-Jean),  poète  dramatiq 
français,  né  à  Paris,  le  4  juillet  1719,  mort 
17  mai  1797,  dans  la  même  ville.  Son  père,  < 
était  architecte,  lui  fit  commencer  ses  étudt 
mais  ayant  dissipé  sa  fortune,  il  l'emmena  ai 
lui  dans  le  Berry,  où  on  lui  avait  procuré 
emploi  dans  les  forges.  Il  ne  tarda  pas  à  y  mû 
rir  de  chagrin,  et  le  jeune  Sedaine  revint  à  Par 
Se  trouvant,  très-jeune  encore,  l'unique  sout 
de  sa  famille,  il  prit  résolument  son  parti,  et 
fit  maçon.  Mais  il  avait  gardé  le  goût  des  Ieitr» 
et  tout  en  travaillant  de  son  rude  métier  de  ta 
leur  de  pierres,  il  continuait  à  lire  et  à  étiidi 
Un  jour,  l'architecte  Buron  le  surprit  un  lii 
à  la  main,  dans  l'intervalle  des  travaux  :  il  l'i 
terroge,  il  s'informe;  bref,  il  le  reçoit  au  noml 
de  ses  élèves,  et  finit  par  se  l'associer.  Plus  ta 
Sedaine  reconnut  ce  bienfait  en  élevant  cornu 
son  enfant  le  petit-fils  de  Buron,  qui  fut  le  peint 
David.  Des  pièces  de  vers  d'un  caractère  fra 


I 


m 


SEDAINE  —  SEDANO 


678 


■t  enjoué  le  firent  peu  à  peu  connaître,  notam- 
I  nent  YÉpitre  à  mon  habit,  qui  lui  valut  la 
[(iroteclion  efficace  d'un  magistrat,  M.  Lecomle. 
Après  avoir  débuté  en  1752  par  un  Recueil  de 
riùccs  fugitives  (Pms,m-12;  réimpr.  enl760), 
aujourd'hui  très-justement  oublié,  il  aborda  en 
[  11756  le  théâtre  par  le  Diable  à  quatre,  ou  la 
double  métamorphose,  opéra-comique  en  trois 
Jetés,  donné  à  la  foire  Saint-Laurent  avec  beau- 
coup de  succès  ;  Philidor  en  avait  fait  la  musique. 
.  la  findel'année,  il  éprouva  un  échec  au  Théâtre- 
talien  avec  la  petite  comédie  d'.4ttac/'eoH;mais 
se  releva,  en  1759,  avec  le  charmant  opéra- 
omique  de  Biaise  le  Savetier.  Puis  vinrent  suc- 
gssivement  l'Huître  et  les  Plaideurs  (17 59), 
°,s  Troqueurs  dupés  (17G0),  qui  ne  réussit  pas  ; 
î  Jardinier  et  son  seigneur  (1761),  On  ne 
■avise  jamais  de  tout  (1761),  musique  de  Mon- 
gny;  le  Roi  et  le  fermier  (1762),  tiré,  comme 
?  Diable  à  quatre,  du  théâtre  anglais;  Rose 
?  Colas,  qui  couronna,  le  8  mars  1764,  cette 
lite  déjà  longue  de  succès  par  un  triomphe 
Jus  éclatant  que  les  autres.  Tous  ces  ouvrages, 
:  spécialement  les  derniers,  peuvent  faire  con- 
dérer  Sedaine  comme  un  de  ceux  qui  ont  le 
^us  contribué  à  donner  à  notre  opéra-comique 
caractère  et  la  forme  qu'il  a  gardé,  jusqu'à  ces 
erniers  temps. 

Encouragé  par  ces  succès,  il  voulut  s'élever 
isqu'à  la  Comédie  française.  Il  n'y  donna  que 
eux  pièces,  mais  toutes  deux  sont  restées  au 
jpertoire  :  le  Philosophe  sans  le  savoir  (  2  dé- 
ambre  1765),  et  la  Gageure  imprévue {17 68). 
a  première  surtout  n'est  pas  loin  d'être  unchef- 
'œuvre  (1).  Sedaine  fit  encore  jouer  à  l'Opéra - 
lomique  de  nombreux  ouvrages  avec  un  bon- 
eur  qui  se  démentit  rarement  et  auquel  la  col- 
iboration  musicale  de  Grétry  ne  fut  sans  doute 
as  étrangère.  Ilsuffirade  citer  les  Sabots  (1768), 
î  Déserteur  (6  mars  1769),  Aucassin  et  M- 
olette  (1780),  et  Richard  Cœur  de  lion 
21  octobre  1784),  qui  est  peut-être  de  toutes 
es  pièces  celle  qui  obtint  le  succès  le  plus  ex- 
aordinaire.  Il  donna  à  l'Opéra  Aline,  reine  de 
oleonde,  avec  Monsigny  (1766),  Amphytrion 
t  Guillaume  Tell.  En  1786  il  entra  daDs  l'A- 
àdémie  française  à  la  place  de  Watelet.  Il  était 
Èjà  secrétaire  de  l'Académie  d'architecture,  quoi- 
Iie,  suivantLaHarpe,  dont  il  ne  faut  pas  prendre 
i  boutade  à  la  lettre,  il  eût  à  peine  quelques  no- 
ons  d'architecture  et  n'en  eût  aucune  de  gram- 
maire. La  révolution  ruina  Sedaine,  et  le  priva  du 
ftrequi  lui  était  le  plus  cher,  celui  d'académicien. 
I!  se  dédommagea,  en  se  créant  pour  ainsi  dire 
i  ne  autre  académie  dans  le  Lycée  des  arts,  où, 
•près  sa  mort,  son  éloge  fut  prononcé.  La  vie  de 
fedaine  se  prolongea  jusqu'à  soixante-dix-huit 

MA  On  raconte  que,  avant  de  la  soumettre  au  jugement 
jji  public,  il  la  lut  à  Diderot,  et  que  l'enthousiaste  cri- 
jioe,  transporté  d'admiration,  se  jeta  dans  ses  bris  en 
it-criant  :  a  Mon  ami,  si  tu  n'étais  pas  si  vieux,  je  te 
ruinerais  la  main  de  ma  fille.  » 


ans  ;  mais  les  infirmités  vinrent  avec  la  vieillesse. 

11  tomba  gravement  malade,  et  sa  mort  ayant 
été  faussement  annoncée,  les  journaux  reten- 
tirent d'éloges  en  son  honneur.  Il  s'éteignit  entre 
les  bras  de  sa  femme  et  de  ses  enfants  (  un  fils 
et  deux  filles),  auxquels  il  ne  laissait  guère  que 
son  nom  pour  fortune. 

Malgré  sa  causticité  naturelle,  sa  vivacité  et 
sa  susceptibilité,  le  caractère  de  Sedaine  était 
bon,  et  surtout  foncièrement  honnête.  Il  s'était 
fait  un  grand  nombre  d'amis,  non-seulement  parmi 
les  gens  de  lettres,  mais  parmi  les  artistes, 
comme  Houdon,  Pajou  et  David.  Avec  son  style 
abrupt  et  son  ignorance  absolue  de  toutes  les 
finesses  de  la  langue,  il  réussit,  par  l'irrésistible 
attrait  de  la  nature,  à  charmer  cette  société  raf- 
finée du  temps  de  Louis  XV,  qui  se  reconnais- 
sait dans  les  œuvres  de  Marivaux,  Crébillon  fils 
et  Dorât.  Quelquefois ,  il  est  vrai,  l'étonnement 
de  l'auditoire ,  dépaysé  dans  des  parages  nou- 
veaux pour  lui,  se  manifestait  aux  premières 
représentations  par  un  silence  de  mauvais  pré- 
sage, ou  même  par  des  murmures;  mais,  le  pre- 
mier moment  de  surprise  passé,  on  applaudis- 
sait à  cette  gaieté  simple  et  vive,  à  ce  dialogue 
naïf  et  vrai,  à  ce  sentiment  toujours  juste,  à  ces 
situations  claires  et  émouvantes,  à  cet  art  d'ao- 
croitre  l'intérêt  et  de  le  faire  progresser  jusqu'au 
dénoûment.  Sedaine  était  original,  novateur 
même  à  sa  manière  :  il  devait  tout  à  l'instinct 
de  son  génie,  rien  à  l'imitation  :  il  ne  lui  a  peut- 
être  manqué,  à  cause  des  lacunes  de  sa  première 
éducation,  que  l'étude  de  la  grammaire,  le  soin 
et  le  sentiment  du  style,  pour  s'élever  aux  pre- 
miers rangs.  Indépendamment  des  œuvres  citées, 
on  doit  aussi  à  Sedaine  :  L'Impromptu  de  Tha- 
lie,  comédie  impr.  à  la  fin  du  Recueil  de  pièces 
fugitives;  —  Maillard,  ou  Paris  sauvé,  tra- 
gédie en  prose,  qui  n'a  pas  été  jouée;  —  Le 
Vaudeville ,  poëme  didactique  en  IV  chants; 
Paris,  1756,  in-8°.  Beaucoup  de  ses  pièces  de 
théâtre  figurent  dans  les  répertoires  de  Petitot, 
Lepeintre,  etc.  On  a  plusieurs  fois  réuni  séparé- 
ment ses  OEuvres  choisies,  par  exemple  dans 
la  Collection  des  classiques  français  stéréo- 
types (  3  vol.  ) ,  dans  la  collection  Lahure 
(1  vol.  ),  etc.  V.  Fourwei.. 

Grimm,  Correspondance.  —  Fréron,  Année  littéraire. 
—  La  Harpe,  Cours  de  littérature.  —  Vie  de  Sedaine, 
dans  les  OEuvres  de  Ducis.  —  Mme  de  Salm ,  Éloge  de 
Sedaine;  Paris,  1797,  in-8°. 

sedano  (Juan-Jose-Lopez  de),  littérateur 
espagnol,  né  en  janvier  1729,  à  Alcala  de  Hena- 
rès,  mort  en  1801,  à  Madrid.  Après  avoir  fré- 
quenté les  universités  d' Alcala  et  de  Salamanque, 
il  alla  s'établir  à  Madrid ,  où  la  protection  du 
marquis  de  Squillace,  alors  ministre  de  Char- 
les III,  lui  fit  obtenir  la  direction  du  cabinet  des 
médailles.  Il  eut  aussi  la  charge  d'interprète  des 
langues  orientales.  Ses  travaux  littéraires  l'ont 
placé  au  second  rang  des  écrivains  de  cette 
époque;  ils  témoignent  plus  d'érudition  que  de 
talent  original.  Ami  de  LaHuerla,  et,  comme  lui, 

22. 


I 


679 


SEDANO 


dévoué  à  la  littérature  nationale,  il  combattit  les 
partisans  des  idées  françaises,  et  publia,  outre 
le  drame  de  Jahel,  une  collection  des  meilleures 
poésies,  sous  le  titre  de  Parnaso  espanol  (Ma- 
drid, 1768-78,  9  vol.  in-12).  Cet  ouvrage,  bien 
que  mal  conçu  et  où  l'on  souhaiterait  plus  de 
choix  et  de  critique,  est  encore  un  monument 
précieux  pour  la  littérature  espagnole  depuis 
Boscan  et  Garcilaso.  Néanmoins  Moratin  et  ses 
amis  en  furent  très-mécontents,et  Yriarte,  colla- 
borateur de  Sedano  dans  la  feuille  littéraire  El 
Balianisliterario,  l'attaqua  en  1778  dans  un  dia- 
logue plein  de  sévérité.  Sedano  se  justifia  dans 
une  longue  réplique,  intitulée  Colozquis  de  Es- 
pina  (Malaga,  1785,  4  vol.  in-12),  et  signée 
Juan-Maria  Chavero  y  Eslava  de  Ronda.  On  a 
encore  de  lui  :  Dissertation  sur  les  médailles 
et  les  monuments  anciens  trouvés  en  Espa- 
gne; Madrid,  1789,  in-4°  ;  —  Explication  des 
inscriptions  et  des  médailles  trouvées  en 
Catalogne;  Madrid,  1794,  in-8°;  —  plusieurs 
Mémoires  communiqués  à  l'Académie  d'histoire, 
dont  il  était  membre. 
Ticknor,  Hist.  of  spanish  literature,  III. 
sedecias,  dernier  roi  de  Juda,  né  en  619 
av.  J.-C,  mort  vers  585,  à  Babylone.  Il  n'avait 
que  vingt  et  un  ans  quand  Nabuchodonosor  le 
plaça  sur  le  trône  de  Juda,  à  la  place  de  Jecho- 
nias.  Son  règne,  qui  dura  onze  ans,  ne  fut  qu'une 
suite  de  débauches  et  d'impiétés.  Méprisant  les 
conseils  du  prophète  Jérémie,  il  refusa  de  payer 
tribut  à  Nabuchodonosor,  qui,  pour  le  punir  de 
sa  mauvaise  foi,  envahit  la  Judée.  Après  avoir 
repoussé  le  roi  d'Egypte,  que  Sedecias  avait  ap- 
pelé à  son  secours,  ce  prince  assiégea  Jérusalem, 
et  s'en  empara  au  bout  de  dix-huit  mois  d'un 
siège  pendant  lequel  la  ville  eut  à  supporter  les 
horreurs  de  la  famine  et  de  la  peste.  Quant  au 
roi  de  Juda;  il  fut  pris  près  de  Jéricho(  et  con- 
duit, chargé  de  fers,  à  Nabuchodonosor;  on 
massacra  ses  fils  et  ses  amis  ;  on  lui  creva  les 
yeux  et  on  le  mena  en  captivité  à  Babylone,  où 
il  mourut  peu  après.  En  lui  finit  le  royaume  de 
Juda  (587)  ;  il  avait  duré  trois  cent  soixante- 
quinze  ans  sous  vingt  et  un  rois. 

Les  Rois.  —  Jérémie.  —  Éiéchiel.  — Josèphe,  Hist. 
anc.  des  Juifs,  liv.  x,  ch.  10  et  il. 

sedi j.lot  (Joseph),  médecin  français,  né 
en  1738,  à  Lyre  (diocèse  d'Évreux),  mort  le 
15  février  1825,  à  Paris.  Il  fut  d'abord  chef  du 
service  médical  de  l'hospice  de  la  Salpétrière. 
Il  prit  à  Reims  le  grade  de  docteur,  pratiqua  à 
Paris  l'art  des  accouchements,  et  devint  membre 
de  l'Académie  de  chirurgie.  On  a  de  lui  deux 
observations  dans  le  t.  Ier  du  Journal  général 
de  médecine.  Il  a  le  premier  fait  usage  de  l'on- 
guent mercuriel  à  l'intérieur  dans  tous  les  cas 
de  maladie  vénérienne. 

Sedillot  (  Jean  ) ,  médecin ,  frère  du  précé- 
dent, né  aux  Vaux  de  Cernay,  près  Rambouil- 
let, le  13  janvier  1757,  mort  aux  Batignolles 
(Seine),  le  5  août  1840.  Il  étudia  la  médecine  à 


SEDILLOT  C80 

Paris,  fut  élève  des  hospices  de  la  Salpétrière 
et  de  la  Pitié,  puis  entra  à  l'hôtel  des  Invalides, 
dont  Sabatier  était  alors  chirurgien  en  chef.  H 
obtint  à  Reims,  en  1784,  le  grade  de  docteur, 
et  devint  bientôt  médecin  de  la  maison  de  Condé 
Il  fut  le  fondateur  de  la  Société  de  médecine  de 
la  Seine,  qui  le  choisit  pour  secrétaire  général 
On  a  de  lui  :  Réflexions  sur  Vétat  présent  de 
la  chirurgie  dans  la  capitale  et  sur  ses  rap- 
ports militaires;  Paris,  1791,  in-8°;  —  Ré 
flexions  historiques  et  physiologiques  sur  U 
supplice  de  la  guillotine;  Paris,  1795,  in-8° 
l'auteur  combat  les  idées  de  survie  et  d'arrièn 
douleur  dans  la  tête  après  la  décapitation 
créa  en  1797  le  Journal  général  de  médecine 
de  chirurgie  et  de  pharmacie,  qu'il  rédige; 
pendant  vingt  ans,  et  dont  il  fit  paraître  63  vol 
in-8°.  Il  a  collaboré  à  l'ancien  Jotirnal  de  mé- 
decine et  au  Dictionnaire  des  sciences  médi 
cales,  et  il  a  publié  les  Mémoires  et  observa 
tions  de  B.  Pelletier,  son  beau-frère  (1798 
2  vol.  in-8°  ),  avec  l'éloge  de  l'auteur.      E.  R 

Biogr.  univ.  et  portât,   des  eontemp.  —  Biogr.  met 
—  Docum.  partie. 

sedillot  (Jean  -  Jacques  -  Emmanuel) 
orientaliste  français,  delà  famille  des  précédents 
né  à  Montmorency,  le  26  avril  1777,  mort 
Paris,  le  9  août  1832.  Il  était  fils  d'un  notaitt 
En  sortant  de  l'École  polytechnique,  il  fut  l'a 
des  premiers  élèves  de  l'école  des  langues  orier 
taies  vivantes,  dont  il  devint  secrétaire  apri 
y  avoir  été  attaché  comme  professeur  adjoii 
pour  la  langue  turque,  place  supprimée  en  1  SU 
Il  était  depuis  1814  adjoint  au  bureau  des  loi 
gitudes  pour  l'histoire  de  l'astronomie  chez  Ii 
Orientaux.  On  a  de  lui  :  Traité  des  instn 
ments  astronomiques  des  Arabes,  trad.  t 
Varabea" Aboul-Hassan-Ali,  de  Maroc;  Pari: 
1834-35,  2  vol.  in-4°,  ouvrage  posthume  mis  3 
jour  par  le  fils  cadet  de  l'auteur.  Il  a  donné  d< 
articles  aux  Recherches  asiatiques,  au  Mage 
sin  encyclopédique,  et  au  Moniteur  univers* 
(1807  et  1810).  Tout  ce  qui  est  relatif  aux  Arab 
et  aux  Orientaux  dans  VHist.  de  Vastronom 
au  moyen  âge  de  Delambre  est  dû  à  Sedilfijl 
que  l'auteur  cite  fort  souvent.  E.  R. 

Notice  en  tête  du  Traité  ci-dessus.  —  Rapport  d 
travaux  de  VAcad.  des  sciences,  par  Delambre,  1817 

*sedillot  (Charles- Emmanuel),  chin 
gien  français,  fils  du  précédent,  né  à  Paris, 
14  septembre  1804.  D'abord  élève  interne  d 
hôpitaux,  il  embrassa  la  carrière  de  la  m 
decine  militaire,  et  devint  chirurgien  sous-ai 
en  1825i  Dans  la  campagne  de  Pologne,  qu 
fit  avec  les  insurgés  (1831),  ses  services  lui  v 
lurent  la  croix  du  mérite  militaire.  Chirurgi 
aide-major  en  1832,  il  fut  nommé  en  18 
agrégé  de  la  faculté  de  Paris,  et  en  1836  cl 
rurgien-major  et  professeur  à  l'hôpital  militai 
du  Val -de-Grâce.  Envoyé  en  1837  en  Afriqu 
il  fit  la  campagne  de  Constantine.  Professe 
de  clinique  chirurgicale  à  la-  faculté  de  Stra 


:■ 


81  SEDILLOT  • 

>urg  (1841),  et  professeur  à  l'hôpital  militaire 

•  celte  ville,  il  a  obtenu  en  1850  le  grade 
a  médecin  principal  de  première  classe.  11  est 
irrespondant  de  l'Académie  des  sciences  et  de 
académie  de  médecine.  Ses  principaux  ouvrages 
>nt  :  Manuel  de  médecine  légale;  Paris,  1830, 
336,  in-18;  trad.  en  italien  et  en  portugais;  — 
ie  la  clique  polonaise  ;  Paris,  1832,  in-8°;  — 
dation  de  la  campagne  de  Conslantine  de 
i37;  Paris,  1838,  in-8°;  —  Recherches  sur  le 
meer;  Strasb.,  1846,  in-8°;  —  Traité  de  mé- 
ecine  opératoire,  bandages  et  appareils; 
aris,  1839,2  vol.  in-8°;  ibid. ,  1853-55,  4  vol. 
-18,  ouvrage  dans  lequel  sont  décrits  la  plupart 
îs  procédés  inventés  par  l'auteur  ;  —  De  l'in- 
msibiiité  produite  par  le  chloroforme  et  par 
éther;  Paris,  1848,  in-8°;  —  De  Vinfection 
urulente,  oupyoémie;  Paris,  1849,  in-8°;  — 
ouvelles  considérations  sur  remploi  du 
Uorojorme  ;  Strasbourg,  1850,  in-8°;  —  Des 
ïgles  de  l'application  du  chloroforme  aux 
aérations  chirurgicales  ;  Paris,  1852,  in-8°. 
es  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences,  ceux 
3  l'Académie  de  médecine,  et  les  journaux  de 
lédecine  et  de  chirurgie  de  Paris  et  de  Stras- 
ourg  contiennent  de  nombreux  travaux  de  cet 
ibile  chirurgien. 

*  Semllot  (  Louis-Pierre-Eugène- Amélie  ), 
rientaliste,  frère  du  précédent,  né  à  Paris ,  le 
3  juin  1808.  Licencié  es  lettres  et  en  droit,  il 
evint  en  1831  agrégé  d'histoire,  puis  successi- 
lement  professeur  d'histoire  aux  collèges  Bour- 
ion  et  Henri  IV  et  au  lycée  Saint-Louis,  auquel 

est  encore  attaché.  Il  est  en  outre  secrétaire 
i  Collège  de  France  et  de  l'école  des  langues 
rientales  vivantes.  Nous  citerons  de  lui  :  Lettre 
ur  quelques  points  de  l'astronomie  orien- 
île;  Paris,  1834,  in-8°;  —  Manuel  de  chro- 
ologie  universelle  ;  Paris,  1834,  in-18  ;  4e  édit., 
)id.,  1850,  2  vol.  in-18;  —  Recherches  nou- 
illes pour  servir  à  l'histoire  des  sciences 
lathématiques  chez  les  Orientaux;  Paris, 
1837,  in-4°  ;  —  Mémoire  sur  un  sceau  du 
ktltan  Schah-Rokb,  fils  de  Tamerlan,  et  sur 
'uelques  médailles  des  Timourides  de  la 
Yansoxiane  ;  Paris,  1840,  in-8°;  —  Mémoire 
ur  les  instruments  astronomiques  des  Arabes; 
aris,  1841-45,  in-4°  :  inséré  d'abord  dans  le 
Ier  des  Mém.  étrangers  de  l'Acad.  des  inscr.  ; 
'est  le  complément  du  Traité  arabe  trad.  par 
on  père,  et  qu'il  a  édité;  —  Mémoire  sur  les 
ystèmes  géographiques  des  Grecs  et  des 
\lrabes;  Paris,  1842,  in-4°;  —  Matériaux  pour 
fcrvir  à  l'histoire  comparée  des  sciences  ma- 
thématiques chez  les  Grecs  et  les  Orientaux; 
'aris,  1845-49,  2  vol.  in-8°;  —  Prolégomènes 
tes  Tables  astronomiques  d'Oloug-Beg,  texte, 
iraduction  et  commentaire;  Paris,  1847-53, 
[  vol.  in-8°;  —  Histoire  des  Arabes;  Paris, 
b854,  in-12.  Il  a  publié  les  Mélanges  de  litté- 
rature orientale  (Paris,  1861,  in-8°)  de  Sil- 
estre  de  Sacy.  On  trouve  des  articles  de  lui 


SKDULIUS 


6s: 


dans  la  Revue  encyclopédique,  la  Revue  bri- 
tannique, le  Journal  asiatique,  le  Diction- 
naire de  la  Conversation,  le  Bulletin  de  la 
Société  de  géographie,  etc.  E.  R. 

Renseignements  particuliers. 

SEDL.EY  (Sir  Charles),  poète  anglais,  né  en 
1639,  à  Aylesford  (Kent),  mort  le  20  août-1701. 
Il  quitta  Oxford  sans  prendre  aucun  grade  uni- 
versitaire, et  vécut  dans  sa  province  natale  jus- 
qu'à la  restauration.  A  cette  époque  il  se  fit  une 
réputation  de  bel  esprit.  Adonné  à  la  débauche, 
il  encourut  en  1663  une  très-forte  amende  à  la 
suite  d'une  escapade  que  son  état  d'ivresse  n'excu- 
sait pas,  ce  qui  ne  l'empêcha  point,  peu  de  temps 
après,  d'être  élu  membre  du  parlement,  où  il 
représenta  le  bourg  de  New-Romney  (comté  de 
Kent).  Plusieurs  de  ses  discours  comme  dé- 
puté ont  été  reproduits  dans  le  recueil  de  ses 
œuvres  ;  ils  ne  sont  pas  de  nature  à  donner  une 
haute  idée  des  talents  politiques  de  l'orateur. 
Sous  Jacques  II,  Sedley,  dont  la  fille  était  de- 
venue une  des  maîtresses  de  ce  prince,  parait 
s'être  retiré  de  la  cour,  qu'il  avait  fréquentée 
assidûment  du  temps  de  Charles  II.  Lors  de  la 
révolution,  il  embrassa  le  parti  de  Guillaume 
d'Orange.  Ses  œuvres,  publiées  en  1702,  1707, 
1722etl776,2  vol.  in-12,  se  composent  de  poésies 
amoureuses,  de  discours  parlementaires,  de  tra- 
ductions tirées  de  divers  poètes  latins,  de  deux 
comédies,  le  Mûrier  thJBellainira,  et  d'une  tra- 
gédie, Antoine  et  Cléopâtre,  imitée  de  Shakes- 
peare. On  lui  attribue  d'autres  pièces.  Ses  meil- 
leures pièces  de  vers  se  trouvent  dans  les  Spé- 
cimens d'Ellis.  W.-L.  H — s. 

Fie  de  Sedley,  en  tête  des  JforliS  in  prose  and  verse. 
—  Knight,  Cyclopcedia  of  biography. 

sedulius  (  Caius  Cœlius) ,  poète  latin ,  du 
cinquième  siècle.  La  plus  grande  incertitude  règne 
sur  ce  personnage;  on  ignore  même  s'il  a  été 
prêtre,  comme  le  prétend  Isidore  de  Séville. 
Ses  écrits  ont  été  réunis  après  sa  mort  par  le 
consul  R.  Asterius,  c'est-à-dire  vers  496.  Le 
plus  connu  est  un  poème  en  vers  hexamètres 
intitulé  :  Carmen  Paschale,  id  est  de  Christi 
miraculis.  Ce  poème  est  divisé  tantôt  en  cinq 
livres,  tantôt  en  quatre  seulement  :  il  était  dédié 
à  l'empereur  Théodose  IL  Bayle  a  loué  le  génie, 
le  cœur  noble  et  grand,  les  pensées  poétiques 
du  Carmen  Paschale ,  mais  il  l'a  fait  sur  l'au- 
torité de  Dupin ,  de  Baillet ,  c'est-à-dire  d'écri- 
vains qui  avaient  plus  d'érudition  que  de  goût. 
M.  Ampère  a  porté  sur  l'œuvre  de  Sedulius  un 
jugement  moins  favorable,  mais  qui  parait  plus 
vrai  ;  en  voici  le  résumé  :  Sedulius,  sans  être 
éloquent,  est  plus  orateur  que  poète;  on  re- 
trouve chez  lui  les  traits  d'affectation  et  de  sub- 
tilité habituels  aux  rhéteurs  du  temps.  11  aime 
à  moraliser,  et  il  puise  ses  leçons  dans  les  homé- 
lies des  pères  de  l'Église.  L'Évangile  et  la  vie  de 
Jésus  sous  sa  plume  commencent  à  devenir  une 
de  ces  allégories  devenues  depuis  familières  au 
moyen  âge.  S'il  renonce  à  invoquer  les  dieux  du 


683 


SEDULIUS 


paganisme,  il  calque  ses  vers  sur  ceux  de  Virgile, 
par  une  imitation  mécanique  et  maladroite  ;  de 
sorte  que  toute  son  inspiration  est  dans  sa  mé- 
moire. La  langue  latine  est  chez  lui,  comme  chez 
les  poètes  chrétiens  ses  contemporains,  encore 
belle  et  même  élégante,  mais  morte.  Sedulius  a 
mis  son  poëme  en  prose  sous  le  titre  A'Opus 
Paschale,  à  la  demande  du  prêtre  Macedonius. 
Le  Carmen  Paschale  a  été  imprimé  probable- 
ment dès  1473,  in-fol.  goth.;  les  éditions  les 
plus  connues  sont  celles  de  Leipzig,  1499,  in-4° 
goth.; de  Milan,  1501,  in-3°  ;  de  Saragosse,  1515, 
in-4°;  de  Paris,  1585;  de  Halle,  1704,  in-8<>;  de 
Louvain,  1761,  in-4°;  de  Rome,  1794,  in-4° 
{c'est  là  meilleure).  On  trouve  quelquefois  réunies 
au  Carmen  deux  hymnes  du  même  auteur,  dont 
l'une  en  acrostiches. 

Bayle,  Dict.  —  Smith,  Pict.  of  roman  and  greek  biogr. 
—  Ampère,  dans  la  Revue  des  deux  mondes. 

sefï,  sultan  de  Perse,  mort  en  1642.  Il  était 
le  petit-fils  d'Abbas  le  Grand,  qui  l'avait  désigné 
pour  lui  succéder,  à  la  place  de  ses  propres  en- 
fants; il  se  fit  proclamer  avant  que  la  mort  de 
son  aïeul  fût  encore  connue  (1628).  Son  véritable 
nom  était  Sam-Mirza  ;  il  le  changea  en  celui  de 
Sefi,  en  mémoire  de  son  père,  qui  était  mort  tra- 
giquement sous  le  dernier  règne.  La  politique 
des  sophis  était  de  répandre  la  terreur  autour 
d'eux,  d'étouffer  dans  le  sang  tout  semblant  de 
résistance  à  leurs  caprices  et  de  faire  disparaître 
tous  ceux  qui  leur  portaient  ombrage  ;  Sefi  y  fut 
fidèle,  et  surpassa  en  cruauté  tous  ses  prédé- 
cesseurs. Les  appétits  sanguinaires  se  joignaient 
chez  ce  monstre  à  l'habitude  de  l'ivresse  et  à 
une  lubricité  éhontée.  Nul  ne  trouvait  grâce  de- 
vant sa  férocité  ;  la  mort  était  le  sort  inévitable 
de  ceux  à  qui  il  confiait  quelque  mission  im- 
portante ;  il  égorgea  ses  ministres,  ses  généraux, 
ses  parents,  sa  mère  elle-même.  Iman-Kouli- 
Khan,  dont  les  victoires  avaient  tant  contribué 
à 'affermir  son  trône,  ne  fut  pas  épargné,  et  toute 
sa  famille  fut  enveloppée  dans  sa  proscription. 
Sefi  eut  à  soutenir  des  guerres  contre  les  Uzbecks, 
contre  l'empereur  mogol,  qui  lui  enleva  Candahar  ; 
mais  celle  que  lui  avait  transmise  Abbas  le  Grand 
avec  les  Ottomans  fut  bien  plus  sérieuse.  Le 
sultan  Mourad  IV,  après  diverses  vicissitudes  , 
s'empara  d'Erivan  et  de  Bagdad  ;  la  première  de 
ces  places  fut  reprise  par  Sefi,  mais  Bagdad  resta 
aux  Turcs,  et  le  schah  se  résigna  en  1638  à  signer 
la  paix  qui  assigna  aux  deux  empires  les  limites 
qu'ils  ont  aujourd'hui.  Malgré  les  cruautés  de  cet 
odieux  monarque,  il  faut  reconnaître  qu'il  main- 
tint en  Perse  une  police  sévère  et  que  le  peuple 
jouit  sous  lui  d'une  tranquillité  et  d'une  sécu- 
rité auxquelles  il  n'était  pas  habitué;  sa  férocité 
ne  s'étendit  pas  jusqu'aux  chrétiens,  qui  furent 
même  traités  par  lui  avec  quelque  bienveillance. 
Sefi  mourut  en  1642,  à  Kachan,  après  un  règne 
de  quatorze  ans. 
Malçolra,  Uist.  of  Persia. 

segaud  (  Guillaume  de),  prédicateur  fran- 


-  SEGHERS  684 

çais,  né  en  1G74,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le  19  dé- 
cembre 1748.  A  seize  ans,  il  entra  chez  les  Jé- 
suites. Ses    supérieurs   ie   chargèrent  d'abord 
d'enseigner  les  humanités  au  collège  Louis-le- 
Grand,  la  rhétorique  à  Rennes  et  à  Rouen,  puis 
il  futdestiné-à  la  chaire.  C'est  à  Rouen  qu'il  fit 
l'essai  de  son  talent.  Appelé  à  Paris  en  1729,  il 
ne  tarda  pas  à  y  être  goûté,  et  prêcha  un  Avent 
et  trois  Carêmes  devant  le  roi,  qui  lui  donna  une 
pension  de  1,200  livres.  Sous  un  extérieur  simple 
il  cachait  des  mérites  éminents,  et  ses  sermons 
renferment  un  grand  fonds  d'instruction,  beau-    I 
coup  d'élégance  et  d'énergie  et  surtout  cette 
onction  qui  pénètre  l'âme  et  la  dispose  à  profiter    I 
des  vérités  évangéliques.  On  a  du  P.  Segaud  :   a 
Sermons,  mystères  et  panégyriques,    publiés    ' 
par  le  P.  Berruyer;  Paris,  1750,  6  vol.  in-12.  Il  I 
avait  aussi  composé  plusieurs  pièces   de  vers  ■ 
latins,  entre  autres  un  poème  sur  le  camp  de 
Compiègne,  Castra  Compendiensia.  Il  a  édité 
les  Sermons  du  P.  Martin  Pallu  (Paris,  1744, 
6  vol.  in-12). 

Dict.  des  prédicateurs.  —  Catalogi  Societatis  Jesu 
—  Richard  cl  Giraud  ,  Biblioth.  sacrée. 

seghers  (Daniel),  peintre  flamand,  né  en  | 

1590,  à  Anvers,  mort  en  1661.  Ce  remarquable 
artiste,  qu'on  désigne  quelquefois  sous  le  nom  du 
Jésuite  d'Anvers,  fut  élève  de  Breughel  de  Ve- 
lours, et  obtint  la  maîtrise  en  1611.  Trois  ans 
après,  il  entra  au  noviciat  de  la  Compagnie  d< 
Jésus  à  Malines ,  et  après  avoir  prononcé  se.1 
vœux  il  vint  habiter  à  Anvers  la  maison  pro 
fesse  de  son  ordre.  Un  voyage  à  Rome  est  1< 
seul  fait  important  de  sa  vie.  Les  jésuites ,  qa 
eurent  en  mainte  circonstance  besoin  de  soi 
pinceau ,  le  laissèrent  cultiver  librement  l'ar 
qu'il  aimait  :  les  tableaux  de  fleurs  qu'il  pei 
gnait  avec  un  rare  talent  étaient  envoyés  par  II 
Compagnie  aux  souverains  et  aux  princes  étran. 
gers  dont  elle  voulait  acquérir  les  bonnes  giâ 
ces.  Seghers  a  été  lié  avec  tous  les  artistes  di 
son  temps  :  Corneille  Schut,  Diepenbeke,  Érasmi 
Quellin  ont  été  ses  collaborateurs  habituels.  Ai 
centre  des  guirlandes  de  fleurs  que  le  jésuife 
peignait  d'un  pinceau  si  large  et  si  fin,  ces  mai 
très  plaçaient  des  portraits  ou  des  sujets  reli 
gieux.  Les  églises  de  la  Flandre  et  les  palais  de 
princes  d'Allemagne  s'enrichirent  des  produc 
tions  de  Seghers ,  dont  le  dessin  est  exact  san 
être  sec,  et  dont  le  coloris  brille  de  toutes  le 
qualités  de  l'école  flamande.  Le  musée  du  Louvn 
possède  de  sa  main  une  guirlande  de  fleurs  qui 
entoure  un  sujet  peint  par  Dominiquin.  P.  M. 

Catalogue  du  Musée  d'Anvers,  1857. 

seghers  (Gérard),  peintre  flamand  ,  né  ei 

1591,  à  Anvers,  mort  en  1651.  D'après  une  tra 
dition  dont  la  critique  moderne  a  fait  justice 
il  a  longtemps  passé  pour  le  frère  du  jésuite  Da 
niel  (voy.  ci-dessus);  mais  il  est  constant  au 
jourd'hui  qu'il  n'y  eut  entre  eux  qu'une  commi 
nauté  de  nom  et  de  patrie.  Quoi  qu'il  en  soif 
Gérard  fut  initié  à  la  peinture  par  H.  van  Balai 


SEGHERS  —  SEGNl 


G86 


par  Abraham  Janssens,  et  il  fut  reçu  maître 
1608.  Il  voyagea  en  Italie,  en  Espagne,  et 
is  tard  en  Hollande,  et  il  paraît  avoir  joui 
me  réputation  qui  s'est  quelque  peu  affaiblie. 
;st  cependant  un  peintre  habile  :  il  a  traité 
préférence  des  sujets  religieux,  mais  il  reste 
jsi  de  lui  un  certain  nombre  de  tableaux  où, 
1  manière  de  son  maître  Janssens,  de  Man- 
di  et  de  Valentin,  il  a  réuni  des  musiciens, 
>  joueurs,  des  buveurs,  représentés  à  mi  corps 
is  dos  intérieurs  sombres  ou  éclairés  par  des 
nières  artificielles.  Seghers,  qui  devint  riche 
qui  se  fit  bâtir  à  Anvers  une  maison  somp- 
iwe,  resta  d'abord  fidèle  au  souvenir  de  son 
yage  en  Italie  et  peignit .  longtemps  dans  nue 
nière  un  peu  sèche ,  mais  pleine  de  vigueur  ; 
idant  la  seconde  période  de  sa  vie,  il  se  con- 
rtit  aux  doctrines  de  Rubens,  et  il  adopta  des 
•cédés  plus  larges  et  plus  lumineux.  Ses  meil- 
rs  tableaux  décorent  les  églises  et  les  musées 
la  Belgique.  P.  M. 

h-  Blanc,  Histoire  des  peintres.  —  J.  Sandrart,  Aca- 
lia  nobilissimse  artis  picloriee. 

jegneui  (Paolo),  prédicateur  italien,  né  à 
jttuno,  le  21  mars  1624,  mort  à  Rome,  le 
lécembre  1694.  D'une  famille  originaire  de 
Imc,  il  entra  en  1638  dans  la  Compagnie  de 
nus,  et  eut  pour  principal  maître  dans  le  coi- 
te de  Saint-André ,  à  Rome,  le  P.  Sforza  Pal- 
(icini,  depuis  cardinal,  qui  s'appliqua  à  le 
imer  à  l'éloquence.  Tout  en  professant  une 
sse  degrammaire,  il  étudia  avec  tant  d'ardeur 
■pure,  les  Pères,  les  ouvrages  de  Cicéron  et 
Démoslliènes  qu'il  en  contracta  une  surdité 
ji  lui  dura  toute  sa  vie.  N'ayant  pu  obtenir 
utorisation  d'aller  aux  Indes  travailler  à  la 
aversion  des  infidèles,  il  parcourut  comme 
hple  missionnaire  les  principales  villes  de  l'I- 
^e,  et  pendant  vingt-sept  ans  (  1665  à  1692), 
jcontinua  ces  fonctions,  marchant  toujours  à 
fd,  vêtu  d'une  soutane  usée ,  un  bréviaire  sous 
iras  et  un  crucifix  sur  la  poitrine.  Pérouse 
iMantoue  furent  le  premier  théâtre  de  son 
le.  Depuis  Savonarole,  drt-on,  nul  homme  n'a- 
it jamais  exercé  en  Italie  une  plus  grande  in- 
ence  sur  la  multitude.  Innocent  XII  l'appela  à 
me  pour  y  remplir  en  1692  la  place  de  son 
Èdicateur  ordinaire.  On  l'entendit  sans  doute. 
EC  plaisir,  mais  sa  voix  n'excita  pas  autant 
tdmiration  au  Vatican  qu'au  sein  des  campa- 
BS.  Toutefois ,  il  fut  nommé  théologien  de  la 
Bitencerie  et  examinateur  desévêques;  mais  à 
jse  de  sa  surdité ,  il  demanda  bientôt  à  être 
chargé  de  ce  dernier  emploi.  Usé  par  ses  tra- 
vaux apostoliques  et  par  de  continuelles  aus- 
ités ,  il  succomba  à  une  maladie  de  langueur. 
\  a  de  lui:  II  Quaresimale;  Florence,  1679, 
fol.;  Rome,  1752,  in-4°  ;  Padoue,  1826,  3  vol. 
8°-,  —  La  Concordia  ira  la  fatica  e  la 
iete;  Venise,  1680,  in-4°  ;  trad.  en  latin,  Mu- 
ïh,  1706,  in-4°  :  ce  livre  contre  la  doctrine  de 
j'inos  faillit  lui  coûter  la  vie,  tant  cemystique 


avait  séduit  de  dévots  à  Rome;  il  fut  censuré, 
et  l'on  ne  rendit  qu'une  tardive  justice  à  son 
auteur;  —  Il  Cristiano  istruito;  Florence, 
1680,  3  vol.  in-4o  ;  ces  sermons  ont  été  trad.  en 
français,  Avignon,  1836,  5  vol.  in-12;  —llln- 
credulo  senza  senso;  Florence,  1690,  in-8°  ; 
—  Il  Pénitente  isl*  uito;  Venise,  1691,  in-12; 
trad.  en  français,  Paris,  1802,  in-12;  —  Pane- 
girici  sagri;  Venise,  1692,  in-12,  —  Il  Paro- 
cho  istruito  ;  Florence,  1692,  in-12;  trad.  par 
Buffier  (Pratique  des  devoirs  des  curés  ;  Lyon, 
1701,  in-12);  —  La  Manna  delV  anima;  Ve- 
nise, 1693,  3  vol.  in-12;  trad.  sous  ce  titre  : 
Méditations  sur  des  passages  de  l'Écriture; 
Paris,  1713;  Avignon,  1843,  5  vol.  in-12  ;  — 
Prediche  dette  ncl  palazzo  apostolico ;Rome, 
1694,  in-4°.  Les  ouvrages  du  P.  Segneri  l'ont 
fait  considérer  comme  l'un  des  écrivains  les  plus 
purs  et  les  plus  corrects  du  dix-septième  siècle, 
et  les  académiciens  de  la  Crusca  en  ont  recom- 
mandé la  lecture.  Les  ouvrages  du  P.  Segneri 
ont  été  réunis  à  Venise  (Opère;  1712,  1758, 
4  vol.  in-4°);à  Parme  (1714,  3  vol.  in-fol.  pré- 
cédés de  sa  Vie  par  Massei)  ;  et  à  Milan  (1837- 
1838,  3  vol.  gr.  in-8°).  H.  F. 

G.  Massei,  Vitadel  P.  Segneri;  Venise,  1717,  in-12; 
trad.  en  latin  par  Ant.  Mayr;  lugolstadt,  1741,  in-8°.  — 
Meneghelli,  Elogio  storico  di  P.  Segneri  ;  Padoue,  ISIS, 
ln-8°.  —  Dell'  eloquenza  del  P .  Segneri;  Venise  ,  1845, 
in-8°.  —  Tiraboscïii,  Storia  délia  letter.  italiana,  t.  VIII, 
p.  418.  —  Niceron,  Mémoires,  t.  I. 

segneri  (Paolo),  dit  le  jeune,  jésuite,  ne- 
veu du  précédent,  né  à  Rome,  le  18  octobre  1673, 
mort  à  Sinigaglia,  le  15  juin  1713.  A  l'exemple  de 
son  oncle,  il  entra  chez  les  Jésuites,  et  se  livra, 
comme  lui,  aux  missions.  Après  les  tremblements 
de  terre  de  1703,  il  fit  entendre  sa  voix  aux 
Romains  consternés,  et  ce  début  l'encouragea  à 
continuer  la  carrière  apostolique.  A  la  demande 
du  grand-duc  Corne  III,  il  occupa  la  chaire  des 
principales  églises  de  Florence,  de  Modène,  de 
Bologne,  et  la  cour  et  la  ville  formèrent  son  au- 
ditoire. C'est  à  la  suite  d'un  de  ses  sermons  que 
le  prince  Frédéric,  fils  aîné  d'Auguste  Ier,  roi  de 
Pologne,  abjura  le  luthéranisme.  Il  mourut  d'une 
inflammation  de  gorge,  avant  sa  quarantième 
année.  On  a  de  lui  :  Isiruzione  sopra  leconver- 
sazioni  moderne  (anonyme);  Florence,  1711, 
in-8°  ;  — Esercizi  spirituali;  Modène,  1720, 

2  vol.  in-8°,  publiés  par  Muratori,  avec  la  vie  de 
l'auteur.  Ses  ouvrages  ont  paru  tous  ensemble, 
sous  le  titre  à' Opère  posthume  (Bassano,  1795, 

3  vol.  in-S°). 

Galluzzi,  Vita  del  P.  Segneri  juniore ;  Rome,  1716, 
ln-S--.  _  Muratori.  Fie  cilée  ci-dessus. 

segni  (Bemardo),  historien  italien,  né  à 
Florence,  où  il  est  mort,  le  13  avril  1558.  Sa  fa- 
mille était  ancienne  et  s'occupait  de  négoce.  Après 
avoir  appris  le  latin  et  le  grec  dans  l'université 
de  Padoue,  il  fut  obligé  d'interrompre  le  cours 
de  ses  études  pour  céder  au  v<>  u  de  son  père, 
qui  l'envoya  chez  un  commerçant  d'Aquila,  dans 
les  Abruzzes.  Il  n'y  fit  pas  un  long  séjour;  de 


687  StGïSt  - 

retour  en  1520  dans  sa  patrie,  il  fut  en  1527 
mêlé  à  la  révolution  qui  chassa  les  Médicis.  Par 
l'influence  du  gonfalonier  Niccolo  Capponi,  son 
oncle  maternel,  il  entra  dans  les  charges  publi- 
ques. Mais  son  zèle  pour  la  liberté  n'alla  point 
jusqu'à  lui  sacrifier  son  repos,  et  il  fut  en  1537 
des  premiers  à  saluer  le  retour  de  la  famille 
qu'il  avait  contribué  à  faire  proscrire.  Afin  de  ne 
pas  se  compromettre,  il  avait  soigneusement 
caché,  il  est  vrai,  l'éloge  enthousiaste  qu'il  avait 
consacré  à  la  mémoire  de  Capponi  ;  on  ne  con- 
naissait pas  davantage  sa  grande  Histoire  des 
troubles  de  Florence,  et  ce  ne  fut  qu'un  siècle  et 
demi  après  sa  mort  que  l'on  put  porter  un  blâme 
sur  ses  tergiversations  politiques.  Citoyen  pai- 
sible et  obscur,  il  parut  durant  sa  vie  unique- 
ment adonné  à  des  recherches  d'érudition  ou 
à  des  controverses  philosophiques;  aussi  eut-il 
la  réputation  d'un  homme  sage  et  éclairé,  et  mé- 
rita-t-il  par  l'élégance  de  ses  écrits  d'être  compté 
parmi  les  plus  honorables  membres  de  l'Aca- 
démie délia  Crusca,  dont  il  fut  en  1542  élu  consul 
à  la  place  de  Vettori.  Le  grand-duc  Cosme  Ier 
apprécia  ses  talents ,  et  lui  confia  plusieurs  mis- 
sions, celle  entre  autres  de  traiter  en  1541  avec 
Ferdinand ,  roi  des  Romains.  Segni  a  publié  : 
Rettoricae  Poetica  (Florence,  1549,  in-4°); 
Trattato  dei  governi  (ibid.,  1 549,  in-4°)  ;  et  Etica 
(ibid.,  1550,  in-4°),  ouvrages  trad.  d'Aristote  et 
réimpr.  tous  trois  séparément,  à  Venise,  1551, 
in-8°.  Après  sa  mori  on  a  mis  au  jour  :  Trat- 
tato sopra  i  lïbri  delV  anima  di  Aristotlle; 
Florence,  1583,  in-4°,  qui  est,  non  une  version 
d'un  traité  d'Aristote,  comme  le  ferait  supposer 
la  réimpr.  de  1607  avec  un  changement  de  titre, 
mais  bien  un  ouvrage  original  ;  —  Storie  floren- 
tine (1527-1555), con la  VitadiNicc.  Capponi; 
Augsbourg,  1723,  in-fol.;  Païenne,  1778,  2  vol. 
m-4°,  et  dans  les  Classiei  italiani  de  Milan, 
3  vol.  in-8°.  Cet  ouvrage  estimé,  dû  aux  soins 
de  Settimani,  est  moins  une  histoire  qu'une 
chronique,  où  l'abondance  des  détails  embar- 
rasse souvent  le  récit.  Cependant  il  faut  rendre 
justice  à  l'esprit  prudent  et  réservé  de  l'auteur. 
«  Partout,  dit  Ginguené  ,  il  se  montre  ami  du  bien 
public  et  des  intérêts  populaires,  ennemi  des 
nouveautés  dangereuses,  franc  et  véridique;  >• 

—  L'Edipo  principe,  ir.  da  Sofocle;  Florence, 
1811,  in-8°  :  cette  tragédie  avait  déjà  paru  à  la 
suite  du  Trattato  delV  anima  et  des  Storie. 
Segni  est  un  des  auteurs  classiques  reconnus  par 
l'Académie  délia  Crusca.  P. 

Cavalcanti,  P'ita  dei  Segni,  à  la  tfite  des  Storie.  —  Sal- 
vini,  Fast.i  consolari.  —  Notizie  delV  Accad.  florentina. 

—  Ginguené,  Hist.  liltér.  de  l'Italie,  t.  "VIII. 

segni.  Voy.  Innocent III. 

segrais  (  Jean  Regnauld  de),  poète  fran- 
çais, né  le  22  août  1624,  à  Caen,  où  il  est  mort, 
le  9.5  mars  1701.  D'abord  destiné  à  l'état  ecclé- 
siastique, il  fit  ses  études  chez  les  jésuites  de 
Caen,  s'y  livra  de  bonne  heure  à  son  goût  pour 
la  poésie ,  et,  après  avoir  hésité  pendant  quel- 


SEGRAIS 


ques  années  sur  le  choix  d'une  profession ,  ei 
brassa  celle  d'homme  de  lettres.  11  y  cherc 
surtout  des  ressources  pour  venir  en  aide  à 
famille,  composée  de  quatre  frères  et  de  dei 
sœurs,  réduites  à  l'indigence  par  un  père  dis: 
pateur.Ses  premières  productions,  odes,  cha 
sons  et  pièces  galantes,  furent  accueillies  fav  ' 
rablement  du  public.  Il  composa  ensuite  u 
tragédie,  la  Mort  d'Hippolyte,  et  les  dâ 
premières  parties  d'un  roman  de  Béréni 
Il  avait  atteint  sa  vingtième  année,  écrit 
P.  Martin  (1),  lorsque  le  comte  de  Fiesq 
le  rencontra ,  et  se  lia  d'amitié  avec  lui  ;  il 
présenta  en  1647  à  MUe  de  Montpensier,  c 
se  l'attacha  en  qualité  de  gentilhomme  9 
naire  et  de  secrétaire  de  ses  commandemen 
Segrais  subit  toutes  les  vicissitudes  de 
Fronde;  mais  peu  s'en  fallut qu'ilne  suivîtle  ci 
seil  qu'il  donnait  à  Ménage  lorsque ,  dans  « 
de  ses  odes,  il  l'engageait  à  se  retirer  en  Suè< 
Scarron  lui  proposa  de  prendre  la  direcl 
d'une  compagnie  qu'il  voulait  envoyer  en  A» 
rique,  dans  l'espoir  d'y  faire  fortune;  le  proi 
fut  abandonné.  Segrais  suivit  Mademoiselle  d£ 
son  exil  de  Saint-Fargeau ,  et  en  1657,  au  Luxe 
bourg,  où  se  réunit  l'élite  des  beaux-espri' 
Sous  les  inspirations  de  la  princesse,  dever 
elle-même  auteur,  furent  composés  un  grgi 
nombre  de  portraits  ;  Segrais,  qui  y  trava 
probablement,  les  réunit  de  concert  avec  Hu 
et  les  publia.  Il  donna  aussi  sous  son  nom, 
1659,  deux  écrits  nouveaux  de  Mademoiselle, 
Relation  de  l'Ile  imaginaire ,  et  la  Pr 
cesse  de  Paphlagonie ,  roman  allégorique, 
second  exil  de  Mademoiselle  l'obligea  de  s'él 
gner  de  Paris  (  1669),  ce  qui  n'empêcha  ; 
qu'il  ne  fût,  en  1662,  reçu  dans  l'Acadéi 
française,  à  la  place  de  Boisrobert.  Il  avait 
dès  1645  conduit  par  M.  de  Montausier  à  l'W 
Rambouillet.  Là,  il  acquit  cette  noble  aisance 
cet  air  de  bon  ton  qui  distinguèrent  ses  ouvra 
et  lui  firent  donner  par  ses  compatriotes  le  n 
de  Voiture  caennais.  La  comtesse  de  Fies* 
le  présenta  au  duc  d'Enghien,  qui,  reconnaiss 
des  vers  consacrés  à  ses  exploits,  lui  acco 
son  amitié. 

Après  avoir  été  pendant  vingt-quatre  ans 
service  de  MUe  de  Montpensier,  Segrais  sesép 
de  cette  princesse.  Il  avait  encouru  sa  disgrâ 
pour  lui  avoir  conseillé  de  ne  plus  admet 
Lauzun  dans  son  intimité,  après  la  rupture 
son  mariage.  Accueilli  par  Mme  de  La  Fayp 
(1671),  chez  laquelle  il  trouva  de  nouveaux  ai 
dans  La  Rochefoucauld ,  de  Pomponne,  Mines 
Sévigné  et  de  Thianges,  il  publia  sous  son  n 
Zaïde  et  la  Princesse  de  C  lèves,  rorn 
pleins  de  charmes,  auxquels  il  mit  certai 
ment  la  main.  En  1676  il  se  retira  dans  sa  v 
natale,  et  y  épousa  une  riche  héritière,  sa  1 
sine.  Il  put  désormais  jouir  d'une  brillante  e? 

(1)  Cordelier,  auteur  de  VAlhenx  Normannorum,  ras 
la  bibliothèque  de  Caen. 


ii 


389 


SEGRAIS  —  SEGUIER 


G90 


ence,  et  il  refusa  la  place  de  gouverneur  du  duc 
lu  Maine,  que  lui  offrit  Mme  de  Maintenon.  Le 
Segraisiana,  recueil  dans  lequel  sont  consignés 
in  grand  nombre  de  détails  sur  notre  poëte  et 
;on  temps,  fut  composé  d'après  ses  conversations 
jîcrites  sur  le  moment  môme  où  le  spirituel  cau- 
seur charmait  la  société  polie  de  la  ville  de 
Jaen.  L'intendant  de  la  généralité,  Foucault,  lui 
lonnait  dans  son  salon  une  place  réservée,  der- 
rière laquelle  était  caché  un  homme  de  con- 
iance,  chargé  d'écrire  tout  ce  qu'il  disait.  Nous 
r  apprenons  que  Segrais  remplit  à  Caen ,  de 
683  à  1686,  les  fonctions  de  premier  échevin. 
1  avait  fait  construire  l'église  des  Jésuites,  au- 
jourd'hui Notre-Dame  de  la  Gloriette.  C'est  à 
lui  que  l'Académie  de  Caen ,  désorganisée  en 
1674,  dut  sa  reconstitution.  Dès  1676  il  fit  dis- 
poser dans  son  hôtel  une  salle  destinée  à  ses 
éances;  il  y  avait  fait  placer  les  portraits 
le  ses  principaux  membres  :  Vauquelin  de  La 
'resnaye,  Huet,  Daléchamps,  Antoine  Halley, 
ailles  Macé,  Bertaut,   Sarasin  (1).   Plein  d'ad- 

iniration  pour  Malherbe,  il  avait  fait  placer  sa 
tatue  en  pierre ,  plus  grande  que  nature,  dans 
ne  niche  préparée  pour  la  recevoir  et  au- 
jlessous  de  laquelle  il  avait  fait  graver  des  vers 
n  son  honneur,  sur  une  table,  de  marbre  noir, 
vprès  avoir  été  très-longtemps  lié  d'amitié  avec 
Tuet,  il  se  brouilla  avec  l'irascible  évêque  d'A- 
ranches  au  sujet  d'un  passage  de  Virgile.  Une 
lydropisie  l'enleva  en  1701,  à  l'âge  de  soixante- 
■lix-sept  ans. 

I  Les  ouvrages  de  Segrais  sont  :  Athis,  poème 
jastoral  ;s.  d.,in-8°; —  Bérénice,  roman;  Paris, 
Ï648,  1651,  4  vol.  in-8°;  —  Nouvelles  fran- 
çaises, ou  les  Divertissements  de  la  princesse 
"wurèlie; Paris,  1656-1657, 2  vol.  in-8°  ;  LaHaye, 
W742,  2  vol.  in-12,  fig.  ;  —  Poésies   diverses; 
faris,  1658,  in-4°  ;  —  Le   Tolédan,  ou  His- 
toire romanesque  de  don  Juan  d'Autriche; 
>aris,  1659,  5  vol.  in-8°;  —  L'Enéide  de  Vir- 
ale, trad.  en  vers;  Paris,  1668-81,2  vol.  in-4°; 
!  a  aussi  traduit  les  Géorgiques ,  ouvrage  post- 
lume;   Paris,   1712,   2  vol.  in-8°;  —  Seyre- 
Ï4ana,  ou  Mélange  d'histoire  et  de  littérature  ; 
i'l.aHaye(  Paris),  1721, 1722,2  vol.  in-12:  à  la  re- 
piéteduduc  deNoailles,qui  trouvait  que  Mrae  de 
i>|ïaintenon  n'y  était  pas  traitée  avec  assez  de  res- 
ect,  le  chancelier  Daguesseau  fit  saisir  la  plus 
rande  partie  de  l'ouvrage.  Les  Œuvres  diverses 
e  Segrais  (Amst.,  1723,  2  vol.  pet.  in-8°,  et 
'aris,  1755,  2  vol.  in-12) ne  sont  qu'une  réim- 
pression des  matières  contenues  dans  le  Segre- 
iana.  Citons  aussi  l'édition  des  Poésies  (Caen, 
823,  in-8°).  Ses  églogues  obtinrent  un  grand 
IJuccès  :  les  savants  le  comblèrent  d'éloges,  par- 
fais exagérés,  mais  confirmés  par  le  jugement  de 
jftoileau  en  ce  qui  concerne  la  grâce  et  l'aisance 
jje  la    versification  et  l'élégance  du  style.  Il 
jféussit  moins  dans   sa  traduction  de  VÉnéide 

'  j  (1)  Ces  portraits  ornent  la  bibliothèque  de  Caen. 


que  dans  celle  des  Géorgiques.  Il  y  a  plus  de 
verve  et  de  poésie  dans  les  odes  adressées  à  Cha- 
pelain, à  Ménage,  et  au  comte  de  Kiosque. 

C.   HlIM'EAU. 
Hucl,  Origines  de  Caen.—  Mcerçn,Mimoires,  t.  XVI.  - 
Segrcslana.  —  Les   Poètes  normands.   —  Hredif,  Se- 
grais, sa  vie  et  ses  œuvres  ;  Paris,  1863,  ln-8°. 

seguier  (Pierre),  magistrat  français,  né 
en  août  1504,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le  25  oc- 
tobre 1580.  D'abord  avocat  au  parlement  de 
Paris,  il  s'y  distingua  autant  par  son  savoir 
que  par  l'énergique  concision  de  sa  parole  : 
on  l'y  avait  surnommé  multa  paucis,  et  il  y 
eut  Christophe  de  Thou  pour  contemporain  et 
pour  émule.  François  Ier  le  fit,  en  1535,  avocat 
général  à  la  cour  des  aides  et  chancelier  de  la  reine 
Éléonore  d'Autriche,  et  il  devint  en  1550  avocat 
général  au  parlement  de  Paris.  Lors  du  différend 
qui  s'éleva,  en  1551,  entre  Henri  II  et  le  pape 
Jules  III,  au  sujet  d'Octave  Farnèse,  à  qui  le  roi  de 
France  venait  de  garantir  la  possession  du  du- 
ché de  Parme,  fief  relevant  alors  du  saint-siége, 
Seguier,  répondant  à  des  menaces  d'excommuni- 
cation, requit  l'enregistrement  de  l'édit  qui  dé- 
fendait, sous  peine  de  punition  corporelle,  «  d'en- 
voyer à  Rome  ni  or  ni  argent  ».  Il  était  président 
à  mortier  depuis  1554  lorsqu'il  se  rendit,  avec 
sa  compagnie,  près  du  roi  à  Villers-Cotterets 
pour  lui  faire  les  célèbres  remontrances  contre 
l'introduction  de  l'inquisition  en  France  (1555). 
Au  moment  d'entrer  dans  le  cabinet  du  roi  on  l'a- 
vertit qu'il  fallait  avoir  l'oreille  basse,  et  Guise, 
Montmorency  et  le  cardinal  de  Lorraine  étaient 
là  pour  défendre  l'édit  qu'ils  avaient  inspiré.  Le 
courage  de  Seguier  n'en  fut  pas  ébranlé ,  et  il 
parla  si  haut  et  si  ferme  que  l'édit  fut  retiré. 
Lorsque  les  procès  de  religion  commencèrent  et 
que  les  protestants  furent  traduits  devant  le 
parlement,  il  se  distingua  par  sax  modération. 
Ce  fut  lui  qui  défendit  encore  le  parlement 
contre  la  chambre  des  comptes,  au  sujet  des 
gages,.et  le  succès  'Suivit  ses  paroles.  Après  la 
Saint-Barthélémy,  il  ne  parut  plus  devant  le  roi, 
a  dit  Le  Maistre  «  que  pour  émouvoir  son  cœur 
par  des  conseils  pleins  de  douceur  et  de  sagesse». 
Il  mourut  à  l'âge  de  soixante-seize  ans.  De  son 
mariage  avec  Louise  Boudet,  petite-nièce  de  l'é- 
vêque  de  Langres ,  il  avait  eu  seize  enfants,  entre 
autres  François,  mort  en  1 572,  président  aux  en- 
quêtes ;  Pierre  II,  président  à  mortier  ;  Jérôme, 
grand  maître  des  eaux  et  forêts ,  dont  le  fils , 
Tanneguy,  présida,  en  1634,  les  grands  jours 
de  Poitiers,  et  mourut  en  1642;  Antoine,  qui 
suit;  et  Jean,  père  du  chancelier. 

Il  existe  de  Pierre  Seguier  un  ouvrage  latin, 
De  cognitione  Dei  et  sui;  1636,  in-12,  traduit 
en  français,  par  Colletet. 
Moréri,   Dict.  hist. 

seguier  (Antoine),  magistrat,. fils  du  pré- 
cédent, né  le  22  juillet  1552,  à  Paris,  où  il  est 
mort,  le  15  novembre  1624.  D'abord  maître 
des  requêtes,  il  fut,  en  1576,  avec  le  prési- 
dent de  Mesmes,  envoyé  en  Provence,  comme 


691  SEGUIER 

surintendant  de  justice.  11  y  revint  avec  le  titre 
de  conseiller  d'État  et  en  compagnie  du  bouil- 
lant d'Épemon,  et  se  fit  remarquer  par  son 
courage  au  milieu  de  la  peste  qui  ravagea  la  ville 
d'Aix.  Nommé  avocat  général  (1587),  il  fut  le 
premier  qui  porta  le  titre  de  premier  avocat 
général.  Fidèle  au  roi  pendant  la  Ligue,  il  suivit 
le  parlement  à  Tours.  Défenseur  des  libertés  de 
l'Église  gallicane,  il  fit  sur  ses  conclusions  con- 
damner la  bulle  de  Grégoire  XIV,  «  se  disant 
pape»  (5  août  1591).  Henri  IV  lui  dit  un  jour  : 
«  Vous  êtes  entré  dans  mon  affection  comme 
moi  dans  mon  royaume,  malgré  la  résistance  et 
les  calomnies  de  mes  ennemis  et  envieux.  »  Il 
était  président  à  mortier  depuis  1597  lorsqu'il 
fut,  en  1598,  envoyé  en  ambassade  à  Venise  : 
il  sut  détacber  la  république  du  parti  du  duc  de 
Savoie,  dont  la  perfidie  allait  forcer  la  France  à 
reprendre  les  armes.  Lorsque  Henri  IV,  pressé 
par  Sully,  résolut  de  poursuivre  et  de  punir  les 
traitants  qui  pendant  la  guerre  civile  s'étaient 
enrichis  aux  dépens  de  l'État,  ce  fut  Seguier  qu'il 
■chargea  de  présider  la  chambre  créée  à  cet  effet 
par  l'édit  de  mars  1607.  La  chambre,  dirigée  ac- 
tivement par  Seguier  et  Nicolaï,  procéda  à  de  sé- 
vères enquêtes,  et  lança  contre  les  financiers  des 
décrets  de  prise  de  corps,  auxquels  n'échap- 
pèrent pas  même  Claude  Paget,  trésorier  de 
l'épargne,  et  Ant.  Mural,  trésorier  de  l'extraor- 
dinaire des  guerres.  Fondateur  de  l'hospice  de 
la  Miséricorde  pour  les  jeunes  orphelins,  pas- 
sionné pour  l'étude,  à  laquelle  il  consacrait  une 
partie  de  ses  nuits,  on  ne  regrette  dans  sa  belle 
existence  que  de  voir  son  nom  parmi  les  juges 
de  la  maréchale  d'Ancre. 

Morérij  Dict.  hist. 

SEGUiER  (  Pierre  III),  chancelier  de  France, 
neveu  du  précédent,  né  le  28  mai  1588,  à  Paris, 
mort  le  28  janvier  167  2, à  Samt-Germain-en-Laye. 
Le  9  avril  1596  il  perdit  son  père,  Jean  Seguier, 
lieutenant  civil  de  Paris,  qui  n'avait  pas  voulu 
fuir  celte  ville,  que  la  contagion  ravageait.  Une 
tradition,  Irès-répandue  au  dix-septième  siècle , 
nous  le  représente  tourné  d'abord  vers  les  aus- 
térités de  la  vie  monastique.  Confiné  au  couvent 
des  Chartreux  de  Paris,  il  en  est  rappelé  trois 
fois  par  son  oncle ,  le  président  Antoine,  qui  le 
destinait  à  la  magistrature ,  et  trois  fois  il  y  re- 
tourne. Il  prit  même  l'habit,  et  ne  rentra  dans  le 
monde  qu'après  un  temps  assez  considérable 
passé  dans  le  cloître.  Successivement  conseiller 
au  parlement,  maître  des  requêtes,  intendant  de 
Guienne,  il  devint  président  à  mortier  en  survi- 
vance de  son  oncle  Antoine ,  qui ,  au  retour  de 
son  ambassade  à  Venise,  se  démit  de  cette 
charge  (17  avril  1624).  Pendant  neuf  années,  il 
exerça  ces  fonctions  avec  éclat,  «entendant  mer- 
veilleusement ses  devoirs,  comprenant  avec  une 
facilité  admirable  les  affaires  les  plus  embrouil- 
lées, infatigable  au  travail  ».  Ces  grandes  qua- 
lités et  peut-être  aussi,  comme  le  dit  l'auteur  des 
Mémoires  pour  servir  à  Vhistoire  du  dix- 


692 
septième  siècle ,  «cette  complaisance  aveugle 
pour  le  premier  ministre,  »  le  désignèrent  au 
choix  de  Richelieu,  qui  lui  confia  les  sceaux  qui 
venaient  d'être  enlevés  à  Châleauneuf  (25  fé- 
vrier 1633).  Chancelier  de  France,  le  11  dé- 
cembre 1635,  à  la  mort  d'Etienne  d'Aligre,  {].] 
apporta  dans  cette  dignité  la  vigueur,  l'applica- 
tion, le  zèle,  plus  peut-être  que  cette  inaltérable 
équité  qui  pour  tous  doit  être  un  refuge  assuré. 
Comme  chef  suprême  des  cours  de  justice,  il 
rappela  le  parlement  aux  usages  antiques,  tom- 
bés en  désuétude.  On  lui  dut  des  règlements 
sur  la  préséance  et  les  honneurs  dûs  aux  chance- 
liers, sur  l'âge  requis  des  juges  et  l'absence  de 
parenté  qui  est  exigée  entre  eux,  sur  l'usage  des 
mercuriales  qu'il  remit  en  vigueur  «  afin  que  \i 
crainte  d'être  blâmés  et  repris  retînt  les  magis- 
trats dans  le  devoir  »  (1638).  Toutefois,  on  peui 
croire  qu'il  eut  le  tort  de  montrer  dans  ces  ré-  j 
formes  un  peu  de  vanité  puérile,  puisque  Talle- 
mant  des  Réaux  l'accuse  «  d'être  l'homme  di 
monde  le  plus  avide  de  louanges ,  de  s'être  avis< 
le  premier  d'être  traité  de  grandeur,  et  de  ni 
vouloir  faire  un  pas  sans  exempts  et  sans  ar 
chers  ».  Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  travers,  il  étai 
fort  apprécié  du  cardinal,  qui  lui  confia  plus  d'un* 
de  ces  missions  où  son  intérêt  n'était  pas  moin! 
enjeu  que  celui  de  l'État.  En  1637,  quand  Riche 
lieu  soupçonna  Anne  d'Autriche  de  correspondn 
avec  l'Espagne,  Seguier  fut  chargé  de  visiter  le! 
papiers  de  la  reine.  Le  23  août,  accompagné  d< 
l'archevêque  de  Paris,  il  se  fait  ouvrir  les  porta 
du  Val-de  Grâce,  pénètre  dans  la  cellule  royale 
et  interroge  la  supérieure.  Il  n'est  pas  vrai 
comme  l'a  dit  La  Rochefoucauld ,  démenti  pai 
les  Mémoires  de  Richelieu,  que  le  chanceliei 
ait  interrogé  Anne  d'Autriche  «  ainsi  qu'une  cri- 
minelle »,  ni  davantage"  visité  ses  poches  e 
fouillé  jusque  dans  son  sein  »,  comme  l'affirmi 
Montglat  ;  et  cela  parce  que  la  reine  était  alon 
à  Chantilly,  avec  le  roi  et  Richelieu,  entre  les 
quels  la  grande  scène  tragique  se  passa.  Mais  c< 
qui  est  probable,  c'est  que  Seguier,  habile  à  mé- 
nager tout  le  monde,  avait  fait  prévenir  la  reine, 
par  l'intermédiaire  de  son  gendre,  le  marquis  de 
Coislin.  On  ne  trouva  aucun  papier,  et  le  chan- 
celier ne  put  rien  tirer  de  la  supérieure ,  non 
plus  que  de  La  Porte,  qui  n'avoua  que  ce  qu'ii 
voulut.  «  Par  sa  politique  conduite,  fait  observei 
Saint-Simon,  Seguier  s'assura  pour  toujours  h 
faveur  de  la  reine,  sans  se  commettre  avec  le  roi 
ni  avec  le  cardinal.  »  Celui-ci  lui  confia  la  mis- 
sion, plus  grave,  de  réprimer  la  révolte  des  nu- 
pieds  de  Normandie  (1639).  Envoyé,  comme  «  la 
justice  armée  »  du  roi,  chancelier  et  connétable 
tout  ensemble,  Seguier  était  chargé  «  d'exécuter 
les  séditieux  sans  jugement  et  par  ordre  ver- 
bal ».  «  Je  viens  à  Rouen,  disait-il  lui-même  en 
interdisant  au  clergé  et  aux  magistrats  toute  in- 
tervention miséricordieuse,  je  viens  non  pour 
délibérer,  mais  pour  prononcer  et  exécuter  les 
choses  dont  j'ai  été  d'avis.  »  Pour  auxiliaire  de 


r 


Lie  justice,  il  avait  sous  ses  ordres  directs 
Esion  et  une  armée  de  sept  mille  hommes  :  le 
kjétaire  d'État  Phelypeaux  le  suivait  pour 
lier,  en  commandement,  ses  ordres,  re- 
lias par  là  émaner  du  monarque  lui-môme.  Son 
Bée  militaire  à  Rouen  (2  janvier  1640)  fut 
fcftitot  suivie  de  l'interdiction  et  de  l'exil  du 
Bernent ,  de  la  cour  des  aides  et  du  bureau 
Bfinauces;  du  désarmement  des  habitants,  et 
Biombreuses  exécutions,  la  plupart  sur  sen- 
Bc  verbale,  que  Seguier  ne  voulait  point  faire 
B/e.  «  L'arrêt  est  au  bout  de  mon  bâton  », 
Bmdait-il  au  capitaine  des  gardes  Picot,  qui 
Bandait  à  voir  l'arrêt  avant  de  l'exécuter. 
Bes  avoir  établi  à  Rouen  une  chambre  de  jus- 
Bjtemporaire,  il  passa  en  basse  Normandie,  et 
■les  mêmes  moyens  comprima  la  révolte  à 
Bi,  à  Bayeux  et  à  Coutances.  De  retour  en 
Bpl640,  il  reçut  le  cordon  du  Saint-Esprit, 
B  il  ne  voulut  pas  garder  la  donation  que 
Bs  XIII  lui  avait  faite  de  toutes  les  terres 
Bios  comprises  dans  les  pays  qu'il  venait  de 
H/Zer.  Ce  désintéressement  fut  uni  dans  Se- 
Br  à  une  haine  vigoureuse  contre  fes  pillages 
il  fut  témoin  dans  sa  mission  de  Normandie  : 
;  sont  des  voleurs  et  non  pas  des  soldats  », 
it-il  écrié,  dans  une  violente  colère,  en  ap- 

|~ant  que  Rouen  n'avait  pas  été  imposé  à 
îs  de  1,085,000  livres.  Aussi  regrette-t-on 
tant  plus  de  le  voir  siéger  dans  presque 
is  les  commissions  qui  eurent  à  condamner 
encore  qu'à*  juger  les  ennemis  de  Riche- 
j  II  avait  fait  partie,  en  1639,  de  celle  qui 
iamna,  par  contumace,  le  duc  de  La  Valette 
ort  ;  il  fut  encore  de  celle  qui  prononça  sur 
irt  de  Cinq-Mars  et  de  Thou.  Le  P.  Griffet 
;use  d'avoir,  en  leurrant  Cinq-Mars  de  vaines 
rances ,  surpris  de  lui  des  confidences  acca- 
Ites  pour  de  Thou. 

k  mort  de  Richelieu  aurait  pu  être  fatale  à 
àveur,car  il  avait  été  trop  des  amis  du  car- 
"l  pour  ne  pas  craindre  les  représailles  de  la 
nte.  Il  fut  question  de  mettre  Châteauneuf 
place;  mais  Châteauneuf  donnait  par  son 
«tion  trop  d'ombrage  à  Mazarin'.  11  fut  donc 
ntenu;  lord  Montaigu,  son  ami,  et  sa  sœur, 
lélite  et  fort  avant  dans  l'amitié  de  la  reine, 
irent  pas  étrangers  à  ce  résultat.  Non  moins 
>ué  à  Mazarin  qu'il  l'avait  été  à  Richelieu , 
«ta  constamment,  durant  la  Fronde,  attaché 
fortune,  justifiant  ainsi  cet  éloge  que  lui  a 
né  Voltaire  :  «  Toujours  fidèle  dans  un  temps 
s'était  un  mérite  de  ne  pas  l'être.  »  Les  Fron- 
rs  l'appelaient  le  chien  aie  grand  collier. 
premier  acte  fut  de  demander  l'annulation 
testament  de  Louis  XIII.  Le  26  août  1648, 
le  de  la  fameuse  journée  des  barricades, 
'}  rendait  au  parlement  pour  lui  intimer  les 
res  de  la  régente,  lorsqu'il  fut,  sur  le  Pont- 
if,  assailli  par  la  populace.  «  Le  chancelier, 
Retz,  se  sauva  à  toute  peine  dans  l'hôtel  d'O, 
le  quai  des  Augustins...  Le  peuple  rompit 


SEGUIER 


G94 


tn- 


les  portes,  y  entra  avec  fureur;  et  il  n'y  eut  que 
Dieu  qui  sauva  le  chancelier  en  empeschant  que 
cette  canaille  ne  s'advisast  pas  de  forcer  une  pe- 
tite chambre  dans  laquelle  il  s'estoit  caclié.  » 
Dégagé  par  le  maréchal  de  La  Mcilleraie,  il  vit 
la  reine  ériger  en  duché- pairie  ses  terres  de  Saint- 
Liebaultet  de  Villemor  (janvier  16;>0)  ;  mais,  soit 
par  suite  d'une  irrégularité,  les  lettres  patentes 
n'ayant  pas  été  enregistrées,  soil  par  une  noble 
répugnance  pour  un  souvenir  des  guerres  civiles, 
Seguier  n'en  prit  jamais  publiquement  le  titre, 
et  on  ne  le  rencontre  que  sur  quelques-uns  de 
ses  portraits.  Lorsque  la  reine  fut  obligée  de  faire 
quelques  concessions  aux  frondeurs,  il  remit  les 
sceaux  à  Châteauneuf  (2  mars  1650),  qui  les 
garda  jusqu'au  3  avril  1C51.  Garde  des  sceaux 
du  3  au  13  avril,  Mole  les  rendit  alors  à  Seguier 
pour  les  reprendre,  le  9  septembre  1651,  et  les 
conserver  jusqu'à  sa  mort  (3  janvier  1656).  A 
cette  époque ,  les  sceaux  sont  de  nouveau  remis 
à  Seguier,  qui  ne  les  quittera  plus  désormais. 

Quand  s'ouvrit,  à  la  mort  de  Mazarin,  le  vé- 
ritable règne  de  Louis  XIV,  Seguier,  par  son  âge, 
par  ses  longs  et  fidèles  services,  était  en  posses- 
sion d'une  véritable  autorité  :  malheureusement 
il  ne  sut  pas  en  user,  même  au  profit  de  la  jus- 
tice, pour  maintenir  le  pouvoir  royal  dans  de 
justes  bornes.  «  Le  plus  grand  homme  de  son 
siècle,  a  dit  de  lui  Mme  de  Motteville,  si,  avec  sa 
science  et  sa  grande  capacité,  il  eût  eu  une  âme 
assez  élevée  pour  préférer  sa  gloire  à  sa  fortune,  a 
Le  procès  de  Fouquet  (1661-1664)  est  la  page  la 
plus  triste  de  la  vie  du  chancelier.  Le  7  septembre 
1661,  il  nomma  quatre  commissaires  à  l'inven- 
taire des  papiers  de  Fouquet;  le  23,  sur  l'ordre  de 
Colbert,  des  mousquetaires  enlevèrent,  à  Saint- 
Mandé,  une  partie  de  ces  mêmes  papiers.  La 
première  pensée  de  faire  juger  Fouquet  par  une 
commission  ayant  été  abandonnée,  ce  grand  pro- 
cès s'ouvrit,  au  parlement,  le  3  décembre.  Se- 
guier présida  cette  première  audience;  son  dis- 
cours montra  «le roi,  non  content  d'avoir  donné 
la  paix  à  ses  peuples ,  voulant  les  affranchir  de 
la  guerre  intestine  dont  l'avidité  des  financiers 
les  affligeait  depuis  longtemps  ».  Deux  partis  di- 
visèrent presque  aussitôt  le  parlement  :  l'un, 
celui  de  Seguier,  suivi  par  Poncet,  Voysin,  Pus- 
sort,  voulait  que  l'affaire  fût  menée  rapidement; 
l'autre,  ayant  à  sa  tête  le  ferme  et  intègre  La- 
moignon,  tenait  à  respecter  les  formes  établies. 
On  connaît  les  longueurs  de  ce  procès.  En  dé- 
cembre 1662  Lamoignon  s'étant  retiré  peu  à  peu, 
ce  fut  le  chancelier  qui  vint  présider  lui-même. 
Agé  alors  de  soixante-quatorze  ans ,  tantôt  «  il 
sommeillait  doucement  »  ,  tantôt  il  se  plaignait, 
avec  impatience,  delà  longueur  de  ce  procès  «  qui, 
disait-il,  durerait  plus  que  lui  »#.  Souvent  il  allait, 
dans  ses  accès  d'humeur,  jusqu'à  malmener  les 
magistrats  qui  siégeaient  à  ses  côtés.  Ceux-ci 
pensaient  eux-mêmes  que  le  chancelier  «  faisait 
ainsi  connaître  son  empressement  pour  plaire  a 
la  cour  ».  Dans  le  public,  les  hommes  les  plus 


C95 


SEGUIER 


6 


graves  lui  devenaient  injurieux  :  «  Ce  Pierrot  dé- 
guisé en  Tartufe  »,  disait  de  lui  Arnaud  d'Andilly. 
Quand  vint  le  jour  delà  sentence,  Seguier,  que  Fou- 
quet  avait  vainement  récusé,  opinait  pour  la  mort 
ainsi  que  Voysin,  Poncet  et  Sainte-Hélène.  Heu- 
reusement pour  sa  mémoire,  le  chancelier  allait 
clore  sa  longue  carrière  par  une  participation 
glorieuse  aux  célèbres  ordonnances  de  1669  et 
1670  qui  réformèrent  la  justice  civile  et  crimi- 
nelle. Peut-être  contribua-t-il,  avec  Pussort,  à 
imprimer  à  l'ordonnance  criminelle  ce  caractère 
de  rigueur  contre  lequel  luttait  déjà  l'équitable 
Lamoignon  ;  mais  ce  défaut,  plus  des  temps  encore 
que  des  hommes,  ne  doit  pas  amoindrir  le  mérite 
de  cette  œuvre  suprême  du  chancelier.  Il  mourut 
à  Saint-Germain,  le  28  janvier  1672,  et  fut  en- 
terré aux  Carmélites  de  Pontoise,  dont  sa  sœur 
Jeanne  était  prieure.  De  son  mariage  avec  Made- 
leine Fabri,  morte  le  6  février  1683,  il  n'avait  eu 
que  deux  filles,  Madeleine,  mariée  au  marquis  de 
Coislin,  puis  au  marquis  de  Laval  ;  et  Charlotte, 
d'abord  duchesse  de  Sully,  puis  femme  du  duc 
de  Verneuil,  fils  naturel  de  Henri  IV  et  de  Hen- 
riette d'Entraigues. 

Si  le  chancelier  Seguier,  comme  politique  et 
surtout  comme  chef  de  la  justice,  peut  être 
sévèrement  jugé ,  il  est  en  lui  une  gloire  à  l'abri 
de  toute  atteinte,  c'est  celle  d'ami  et  de  protec- 
teur des  lettres.  La  France  lui  doit  l'Académie 
française  au  moins  autant  qu'à  Richelieu  :  il  en 
proposa  le  plan  et  voulut  en  être  membre;  ii  en 
devint  protecteur  à  la  mort  du  cardinal,  et,  après 
lui,  ce  titre  n'appartint  plus  qu'au  roi  lui-même. 
A  la  mort  de  Richelieu ,  il  rendit  sédentaire 
l'Académie,  jusque-là  ambulatoire,  en  la  réunis- 
sant dans  son  hôtel  de  la  rue  de  Grenelle-Saint- 
Honoré.  Ce  fut  lui  qui  proposa  de  s'assembler 
deux  fois  par  semaine  pour  avancer  le  diction- 
naire. Les  abbés  de  Cerisy,  de  La  Chambre  et 
Esprit  durent  à  leur  seul  titre  d'écrivains  d'avoir 
sa  maison  pour  demeure.  Lui-même,  d'après  le 
témoignage  de  l'abbé  de  La  Chambre ,  «  s'était 
appliqué  soigneusement  aux  belles  -  lettres ,  et 
avait  pénétré  dans  les  parties  les  plus  curieuses 
de  la  philosophie  et  de  la  théologie  ».  Sa  biblio- 
thèque, qu'il  légua  à  l'abbaye  de  Saint-Germain- 
des-Prés,  était  une  des  plus  précieuses  du  temps. 
Il  coopéra  à  la  fondation  de  l'Académie  des  ins- 
criptions et  médailles  (1663),  et  de  l'Académie 
de  peinture  (1664).  Il  construisit  la  moitié  de 
l'église  Saint-Eustache.  Comme  orateur,  l'abbé 
Tallemant  l'a  appelé  «  l'homme  le  plus  éloquent 
du  monde,  »  et  Mascaron  a  dit  de  lui  «  que  sa 
parole  était  facile,  claire,  énergique  et  grave,  et 
portait  le  caractère  de  son  esprit  et  de  sa  di- 
gnité ».  Parmi  les  portraits  qui  existent  de  lui, 
on  remarque  ceux  de  Moncornet  (1633),  deMel- 
lan  (1639),  de  Lasne(1643),  de  Nanteuil,  d'après 
Lebrun  (1657), etde  van  Schuppen  (1668). 

Eugène  Asse. 

Oraisons  funèbres  de  P.  Seguier  par  Mascaron,  Laisne, 
Tallemant,  de  La    Chambre.  —  Barère,  Éloges  acadé- 


miques; Paris,  1806,  in-8°.  —  Bazin,  Hisl.  de  Louis  XI 
—  Cousin,  y)/™e  de  C/tcvreuse.  —  Barante,  Vie 
M.  Mole.  —  Floquet,  Diuire  du  chancelier  Seguii 
Rouen,  1842.  —  Sapey,  Les  Seguier,  discours  de  rentr 
1860. 

seguier  (Antoine-Louis),  magistrat  fre 
çais,  né  à  Paris,  le  1er  décembre  1726,  mor 
Tournay,  le  26  janvier  1792.  Fils  de  Louis-Ac 
Seguier,  conseiller,   il    descendait    de  Claui 
Alexandre,  chef  delà  branche  des  Seguier  d'Auc. 
Avocat  du  roi  au  Chàtelet  en  1741,  avocat  gêné 
au  grand   conseil  en  1751,  il  fut  appelé  le 
mars   1755  à  remplir  cette  dernière  charge 
parlement.  La  sollicitation  du  président  Mo 
son  parent,  n'avait  pas  été  étrangère  à  son 
vation.  Toutefois  on  aimerait  à  rencontrer  di  i 
le   futur    adversaire   des   encyclopédistes  <  j 
mœurs  plus  graves  et  un  autre  début  qu'i 
aventure  qui  fit  alors  scandale  et  où  il  se  tro 
mêlé  avec  une  dame  Deschamps ,  femmej 
auteur  de  l'Opéra-Comique  et  un  procureur  nom 
Roger.  Mais  ce  serait  beaucoup  demander  à, 
temps,  et  il  convient  d'appuyer  sur  le  savoir 
sur  l'éloquence  dont  il  fit  preuve  dans  l'affs 
du  juif  Levy,  où  il  défendit  l'indissolubilité 
vile  du  mariage,  quelle  que  soit  la  loi  religie 
des  époux  ;  dans  celle  de  Fezensac ,  où  il 
débrouiller  un  vrai  chaos  généalogique,  en l 
dans  celle  de  la  Rosière  de  Salency.  Son  n  j 
le  fit  élire,  le  21  mars  1757,  membre  de  l'A  j 
demie  française,  à  la  place  de  Fontenelle.  Ap 
l'apparition  du  célèbre  article  Autorité,  il  i 
fera   l'Encyclopédie    au     parlement    (févi 
1759)  ;  il  prétendait  dans  son  réquisitoire  «  q 
existait  un  complot  formé  par  plusieurs  écriva 
pour  renverser  la  religion  et  l'État  » .  Aprèi 
suppression  de  l'ordre  des  Jésuites  (  6  août  17< 
il  dénonça  l'Histoire  impartiale  des  Jésuiv 
apologie  très-peu  impartiale  de  la  congrégati 
et  en  prit  matière  pour  réprouver  «  une  soci 
dont  la  passion  jalouse  était  de  dominer  l'Ég 
et  l'État  ».  En  1768,  à  l'occasion  d'un  bref 
Clément  XIII,  il  soutint  l'indépendance  des  s 
verains  temporels  en  face  de  la  papauté.  L 
du  procès  de  Lally  (1766),  Seguier  tint  une  ne 
conduite.  Après  avoir  lu  toutes  les  pièces  a 
une  attention  infatigable,  et  s'être  pleinem 
convaincu  de  l'innocence  de  l'accusé,  «  il  ne  ci 
gnit  pas  de  le  dire  hautement  devant  les  juges 
dans  tout  Paris». 

Le  nombre  toujours  croissant  des  livres  ai 
religieux  avait  motivé  une  lettre  pressante 
pape  à  Louis  XV  (mars  1770);  l'assemblée 
clergé  l'avait  appuyée  d'un  mémoire  Sur 
suites  funestes  de  la  liberté  de  penser 
d'imprimer.  C'est  alors  que  Seguier  lança 
fameux  réquisitoire  (20  août  1770)  qui  comme 
par  ces  mots  de  Cicéron  :  «  Jusques  à  qui 
abusera-ton  de  notre  patience?  »  Il  demano 
dans  cette  nouvelle  catilinaiie  la  condamnât 
de  sept  ouvrages,  au  nombre  desquels  se  trou* 
le  Système  de  la  nature  de  d'Holbach.  Le  p 
lement,  tout  en  rendant  un  arrêt  de  condam 


\ 


1 

■  ' 
ri 


|  SKGU 

,  n'autorisa  pas,  en  haine  des  gens 'du  roi, 
tression  .ie  ce  réquisitoire,  qui  fut  pourtant 
fih'mé  de  l'exprès  commandement  du  roi. 
«ni  les  philosophes,  il  y  eut  grand  émoi.  Tho- 
M  devint  l'interprète  de  leurs  sentiments.  Le  26 
;u  ,  en  pleine  Académie,  il  flétrit  dans  son 
Mje  de  Marc-Aurèle,  «  ces  hommes  en  place 
<|i.  par  amour-propre  ayant  désiré  d'être  admis 
(I; .  le  sein  de  l'Académie,  la  trahissent  ensuite 
■plonmiant  les  lettres  et  leurs  sectateurs  ». 
L  septembre,  de  semblables  allusions  se  pro- 
mirent dans  le  discours  du  même  écrivain  re- 
niant à  Loménie  de  Brienne,  nouvellement 

■  Le  scandale  lut  tel  que  Seguier,  d'abord 

■  décontenancé,  crut  ensuite  devoir  se  plaindre 
[chancelier.  Celui-ci  défend  l'impression  du 
■ours  de  Thomas;  sur  quoi,  Brienne  déclare 
q- 1  ne  fera  pas  davantage  paraître  le  sien ,  et 

«demie  décide  que  «  ce  n'est  que  par  respect 
'  le  nom  de  Seguier  qu'on  ne  prendra  contre 
aucune  délibération,  mais  qu'on  ne  commu- 
era plus  avec  lui  ».  Alors  coururent  ces  vers  : 


C98 


Entre  Seguier  et  Fréron; 
Jésus  disait  à  sa  mère  : 
«  Enseignez-moi  donc,  ma  chère, 
Lequel  est  le  bon  larron.  » 

t  le  bruit  qui  environna  cette  affaire  donne 

le  ton  des  esprits  à  cette  époque.  Aussi 

aire  ne  fut-il  pas  peu  surpris  de  recevoir,  à 

ney,  la  visite  de  Seguier  (octobre  1770).  D'A- 

bert  et  Condorcet  l'avaient  quitté  le  jour 

|ne  où  Seguier  y  arrivait,  ce  qui  faisait  dire 

malin  vieillard  :  «  J'aurais  bien  voulu  qu'ils 

ent  dîné  ensemble  :  Dieu  n'a  pas  permis 

e  plaisante  scène  ;  mais  quoiqu'il  n'y  eût  que 

ix  acteurs,  elle  n'a  pas  été  sans  agréments.  » 

en  peut  juger  en  sachant  que  Seguier  dit  à 

hôte  qu'on  le  pressait  de  dénoncer  YHis- 

e  du  Parlement,  et  que  cela  pourrait  aller 

loin.  Voltaire  nous  apprend  l'issue  de  cette 

tire,  dans  cette  phrase,  aussi  courte  qu'acérée  : 

in  requit  autre  chose  de  ces  Messieurs.  »  En 

ft,  en  1771,  les  parlements  furent  dissous,  et 

,oup  d'État  Maupeou  fut  accompli.  Seguier,  qui 

vait  pas  eu  plus  à  se  louer  des  parlementaires 

des  philosophes,  et  que  Louis  XV  aimait 

ticulièrement,  se  montra  dans  cette  lutte  plein 

idépendance.  Dans  le  lit  de  justice  où  fut  pro- 

Iguél'édit  de  création  d'un  nouveau  parlement, 

sa  dire  en  face  du  roi  que  «  l'interversion  des 

a  été  plus  d'une  fois  la  cause  ou  le  prétexte 

révolutions  ».  Lé  lendemain  (14  avril  1771), 

e  démit  de  ses  fonctions.  Il  ne  les  reprit  qu'en 

4,  lors  du  rappel  des  parlements  par  Louis  XVI. 

isprit  parlementaire  devint  de  plus  en  plus 

rqué  dans  Seguier  :  c'est  ainsi  qu'il  s'opposa 

enregistrement  des  édits  sur  l'abolition  de  la 

vée,  des  maîtrises  et  jurandes,  et  sur  la  li- 

du  commerce  des  grains.  On  le  voit  suc- 

ssivement  demander  la  condamnation  de  l'JBfis- 

re philosophique  des  Indes  de  Baynal  (1780), 

servir  d'organe  au  parlement  dans  ses  remon- 


trances contre  la'  refonte  des  monnaies  d'or  ef- 
fectuée par  Calonne  (1785)  (1).  Plus  impartial 
lorsque  les  intérêts  de  la  politique  ou  de  la  reli- 
gion n'étaient  pas  en  jeu,  il  constitue  ainsi  la  vé- 
ritable propriété  littéraire,  dans  un  compte  so- 
lennel qu'il  rendit  aux  chambres  assemblées 
(1779)  :  «  Le  droit,  dit-il,  qu'a  un  auteur  de  faire 
imprimer  et  réimprimer  est  aussi  sacré  dans  sou 
principe  qu'illimité  dans  sa  durée;  et  ses  héri- 
tiers ,  jusqu'à  la  dernière  génération,  doivent  jouir 
du  fruit  de  ses  veilles  et  de  la  production  de  son 
génie.  » 

Trop  attaché  au  passé  pour  se  plier  au  nouvel 
ordre  de  choses,  Seguier  fut  un  des  premiers  du 
parti  de  l'émigration,  et  mourut  à  Tournai,  le 
2  janvier  1792  ;  ilavaitsoixante-cinqans.  Bien  que 
l'homme  politique  domine  en  lui,  cependant  l'ami 
des  lettres  se  révèle  aussi  par  le  choix  des  sujets 
comme  par  la  forme  de  ses  mercuriales  devant 
le  parlement  ;  citons  celles  sur  V Amour  des 
lettres  (1770),  V Amour  de  la  gloire  (1774), 
V Esprit  du  siècle,  la  Stabilité  de  la  ma- 
gistrature (vers  1785).  Il  reçut  Chamfort  à 
l'Académie,  et  prononça  dans  sa  réponse  l'Éloge 
de  La  Curne  de  Sainte-Palaye.       Eug.  Asse. 

Grimm,  Corresp.  —  Voltaire,  Lettres.  —  Bachaumont, 
Mémoires.  —  Portalis,  Éloge  iïAnt.-L.  Seguier;  Paris, 
1806,  in-8°.  —  Sapey,  Les  Seguier. 

seguier  (Armand- Louis- Maurice,  baron), 
diplomate,  fils  cadet  du  précédent,  né  le  3  mars 
1770,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le  14  mai  1831. 
Page  du  roi  en  la  grande  écurie  (  1785),  il  fut 
nommé,  le  22  janvier  1788,  sous-lieutenant  des 
dragons  de  Lorraine.  Il  suivit  sa  famille  dans 
l'émigration.  Après  avoir  fait  les  campagnes  de 
l'armée  de  Condé ,  il  rentra  en  France  après  le 
18  brumaire,  et  fut  envoyé  comme  consul  à  Patna, 
puis  à  Pondichéry.  Fait,  en  1802,  prisonnier  par 
les  Anglais,  il  ne  recouvra  sa  liberté  qu'en  1806,  et 
devint  alors  consul  à  Trieste,  titre  qu'il  échangea 
quelques  années  après  contre  celui  de  consul  gé- 
néral dans  les  provinces  illyriennes.  Louis  XVIII 
le  chargea  en  1816  des  mêmes  fonctions  à  Lon- 
dres, et  lui  conféra  en  1821  le  titre  de  baron. 
Outre  un  petit  poëme,  la  Naissance  de  la  mode 
(Paris,  1819,  in-8°),  on  a  de  lui  plusieurs  vau- 
devilles joués  sur  les  théâtres  de  Paris ,  et  des 
mémoires  étendus  restés  en  manuscrit  au  minis- 
tère des  affaires  étrangères. 
Jay,  Jouy,  Biogr.  nouv.  des  contemporains. 
seguier  (Antoine- Jean-Matthieu,  baron), 
magistrat,  frère  aîné  du  précédent,  né  le  21  sep- 
tembre 1768,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le  3  août 
1848.  Il  fut,  en  1789,  présenté  par  son  père  au 
serment  d'avocat.  Il  venait  d'être  nommé  con- 

(1|  11  n'eut  pas,  comme  Servan,  l'honneur  de  préparer 
la  réforme  du  droit  criminel,  et  fut,  dans  l'affaire  des 
trois  roués  Simarre,  Bradier  et  Lardoise,  le  défenseur 
de  la  théorie  des  preuves  légales ,  suivant  laquelle  les 
témoignages  se  comptent  plus  qu'ils  ne  se  pèsent,  et  où 
condamner  sur  la  foi  d'un  témoin  qui  peut  être  suspect, 
mais  qai  n'est  pas  reproché,  ce  n'est  pas  condamner 
sans  preuve  (1786). Triste  théorie,  que  Dupaty  eut  l'hon- 
neur de  combattre  dans  un  mémoire  resté  célèbre  ! 


699  SEGUIER 

seiller  du  roi  et  substitut  du  procureur  général, 
lorsque.  la  suppression  des  parlements  (6  sep- 
tembre 1790)  l'arracha  brusquement  à  ses  fonc- 
tions judiciaires.  Émigré  avec  sa  famille  (  mars 
1791),  il  revint  en  France  après  le  9  thermidor, 
et  résida  quelque  temps  à  Montpellier.  Le  nouvel 
ordre  de  choses  qui  fut  la  conséquence  du  18  bru- 
maire lui  rouvrit  les  rangs  de  la  magistrature. 
Particulièrement  protégé  par  Cambacérès,  dont 
il  était  l'allié  par  sa  mère,  Seguier  devint  en  1802 
commissaire  près  le  tribunal  de  la  Seine,  et  par- 
ticipa à  la  rédaction  du  nouveau  code  de  procé- 
dure. A  trente-quatre  ans,  il  succéda  à  Treilhard 
dans  la  présidence  de  la  cour  d'appel  de  Paris 
(8  décembre  1802).  Créé,  en  1804,  commandeur 
de  la  Légion  d'honneur  et  baron  en  1808,  il  devait 
trop  à  l'empire  pour  ne  pas  être  particulièrement 
touché  des  grandes  choses  qui  s'accomplis- 
saient sous  ses  yeux.  Mais,  manquant  de  mesure, 
il  porta  une  exagération  adulatoire  jusque  dans 
les  harangues  qu'il  adressa  à  Napoléon  Ier  à 
la  tête  de  sa  compagnie;  c'est  ainsi  qu'il  disait 
après  Tilsitt  :  «  Napoléon  est  au  delà  de  l'his- 
toire humaine,  il  appartient  aux  temps  héroï- 
ques :il  est  au-dessus  de  l'admiration;  il  n'y  a 
que  l'amour  qui  puisse  s'élever  jusqu'à  lui  »  ; 
qu'il  parlait,  pendant  la  guerre  d'Espagne,  «  de 
la  personne  sacrée  de  l'empereur  »  ;  ou  bien  en- 
core, après  la  retraite  de  Russie,  qu'il  s'écriait  : 
«  Nous  sommes  prêts  à  tout  sacrifier  pour  votre 
personne  sacrée,  pour  la  perpétuité  de  votre 
dynastie  (1).  »  Nobles  paroles,  à  une  époque  où 
on  ne  séparait  pas  le  souverain  de  la  patrie,  et 
auxquelles  il  ne  manqua  que  l'assentiment  de  la 
fortune  et  la  constance  politique  de  l'orateur. 
Le  6  avril  1814,  la  cour  impériale,  sur  la  propo- 
sition de  Seguier,  rendait  un  arrêt  solennel, 
dans  lequel  «  sentant  tout  le  prix  des  efforts  qui 
ont  enfin  délivré  la  France  d'un  joug  tyran- 
nique  ,  >>  elle  adhérait  à  la  déchéance  de  l'em- 
pereur. Lui-même  complimentait  le  comte  d'Ar- 
tois (  18  avril  ),  puis  Louis  XVIII,  à  Saint-Ouen 
(2  mai  1814),  dans  des  paroles  où  l'on  peut 
regretter  encore  le  même  défaut  de  mesure.  Des- 
titué et  exilé  pendant  les  cent-jours,  il  fut  réin- 
tégré dans  ses  fonctions  de  premier  président  en 
1815  (17  août),  et  nommé  pair  de  France  (18  sep- 
tembre). Délégué  par  le  chancelier  pour  procéder 
•  à  l'instruction  du  maréchal  Ney,  il  en  fit  le  rap- 
port. Un  discours  de  rentrée,  qu'il  prononça  en 
novembre  1816,  et  qui  fut  un  véritable  réquisi- 
toire, souvent  un  peu  puéril,  contre  les  mœurs, 
l'esprit,  la  législation  du  temps  et  «  la  manie  de 
s'envelopper  des  laines  de  l'Orient  >>,  devint 
l'occasion  d'une  des  chansons  les  plus  finement 
ironiques  de  Déranger.  Lors  du  funeste  attentat  de 
Louvel,  il  prononça  ces  paroles,  qui  frappèrent 
alors  de  stupeur  :  «  Si  Votre  Majesté  pensait  que 
les  magistrats  pussent  la  servir  encore  efficace- 
ment, rendez-leur  des  moyens  dont  l'utilité  n'est 
:  ianv.  1806,  28  juin.  1C07, 


(1)  Voy.  les  discours  des 
lanv.  1809  ci  28dcc.   1812. 


pas  oubliée.  »  La  prudence  de  Louis  XVIII  e 
pécha  la  reproduction  de  ce  discours  au  Mo 
leur.  11  fut  un  des  commissaires  chargés 
procéder  à  l'instruction  contre  Louvel  (  févi 
1820).  Cependant  le  royalisme  exalté  de  M.  ; 
guier  sembla  se. modérer  dans  les  dernières  ; 
nées  de  la  restauration  :  son  attitude  corc 
président  dans  les  procès  du  Constitutionnel 
du  Courrier  français  lui  concilia  même  bi 
tôt  la  presse  libérale,  tandis  que  ses  sentime 
de  gallicanisme  et  de  libéralisme  modéré  é 
gnèrent  un  peu  de  lui  les  bonnes  grâces  dt 
cour.  La  révolution  de  1830  ne  changea  rie 
sa  situation.  Conservé  par  son  inamovibilité , 
tête  de  la  cour  de  Paris,  il  se  renferma  de  plus 
plus  dans  l'exercice  de  ses  fonctions  judiciair 
mais  ce  n'était  pas,  toutefois,  sans  faire  quelque 
d'assez  vives  sorties  contre  certaines  tendaii 
sociales  ou  politiques.  Me  Marie,  dans  l'affi 
du  Barrois  mouvant,  ayant  dit  :  «  Le  tiers  < 
s'étant  mis  à  côté  de  la  royauté  après  avoir 
longtemps  à  ses  genoux.  »  —  «  Non  pas  à  côté, 
terrompit-il,  mais  plus  bas,  bien  plus  bas.  »  C 
dans  ces  fonctions,  qu'il  exerçait  depuis  prèsd 
demi-siècle,  que  la  mort  le  prit,  le  3  août  18 
Il  avait  reçu  en  1834  la  grand'eroix  de  laLég 
d'honneur.  Comme  magistrat ,  si  on  a  pui 
reprocher  d'aimer  trop  à  se  laisser  aller  à 
saillies,  souvent  spirituelles,  mais  quelque 
assez  étranges  dans  la  bouche  d'un  magist 
on  peut  cependant  répéter  ce  qu'a  dit  de 
M.  Sapey  :  «  Magistrat  intègre  jusqu'au  se 
pule,  esprit  vif,  ouvert  aux  affaires,  habile  à 
saisir,  prompt  à  les  décider  »,  il  sut,  par  le 
ractère  et  l'esprit,  plus  peut-être  que  pai 
science  du  jurisconsulte,  se  mettre  à  la  haut 
des  devoirs  qu'il  eut,  comme  magistrat,  si  lo 
temps  à  remplir.  Eug.  Asse. 

Sapey,  Les  Seguier. 

*  seguier  (Armand- Pierre,  cheval 
puis  baron),  membre  de  l'Institut,  fils  du  f 
cèdent,  né  à  Montpellier,  le  3  juillet  1803.  R 
avocat  en  1824,  il  devint  conseiller  auditeur  i 
cour  royale  de  Paris  (décembre  1826),  et  c 
seiller  après  1 830.  Il  se  démit  de  ses  foncti 
en  février  1848,  et  se  consacra  dès  lors  à 
travaux  de  mécanique.  Doué  d'une  grai 
adresse  et  d'une  aptitude  fort  rare  en  ce  ge 
chez  un  homme  du  monde,  M.  Seguier  est 
des  hommes  les  plus  versés  dans  la  connaissa 
des  machines  et  des  procédés  mécaniques 
l'industrie.  L'Académie  des  sciences  l'admit 
21  janvier  1833,  comme  membre  libre.  Il 
depuis  1851  officier  de  la  Légion  d'honne 
Outre  de  nombreux  Rapports  et  Mémoires 
géant  ou  indiquant  divers  perfectionnements 
traduits  dans  la  science  ou  dans  l'industrie, 
a  de  lui  :  Sur  les  appareils  producteurs 
la  vapeur;  Paris,  1832,  in-8°;  —  Péri 
Uonnements  dans  la  navigation  à  vapei 
Paris,  1848,  in-4°;  il  s'agit  d'un  mode  de  co 
truclion  navale  en  fer  et  en  bois  combinés  ai 


01  SEGUIER 

uo  d'une  mâture  mobile  et  d'une  roue  à  pa- 
ttes pivotantes  suivant  le  rayon,  appropriées  à 
i navigation  mixte  par  le  vent  et  la  vapeur;  ce 
ouveau  système  a  été  réalisé  à  bord  de  la 
oëlette  à  vapeur  la  Persévérance. 

Docum.  part. 

SEGVIRR  (Sidoine-C harles-François) ,  mar- 
uis  de  SajiNt-Brisson,  littérateur  français,  né  le 
novembre  1738, moitié  20  avril  1773, à  Sainl- 
risson  (Loiret).  De  la  môme  famille  que  les  pré' 
îdents,  il  descendait  du  frère  puîné  de  Pierre  Ier 
icolas,  qui  fonda  la  branche  des  seigneurs 
5  Saint-Cyr  et  de  Saint-Brisson.  Le  titre  de 
kirquis  avait  été  donné  à  son  trisaïeul.  Destiné 
l'état  militaire,  il  devint  en  1647  capitaine  au 
giment  de  Limousin.  S'étant  passionné  pour 
s  doctrines  des  philosophes  ,  celles  surtout 
;  J.-J.  Rousseau ,  il  voulut  rompre  avec 
;  mère  et  apprendre  l'état  de  menuisier,  «  le 
ut  pour  faire  !e  petit  Emile  ».  Rousseau,  à 
ù  il  avait  confié  ce  beau  projet,  lui  écrivit  le 
:  juillet  1766  une  lettre  fort  remarquable,  et 
rvint  à  le  faire  rentrer  dans  le  devoir.  «  Saint- 
isson,  revenu  de  ses  folies,  dit-il  dans  ses 
mfessions,  en  fit  une  un  peu  moins  cho- 
lante,  mais  qui  n'était  guère  plus  de  mon 
lût  ••  ce  fut  de  se  faire  auteur.  Il  donna  coup 
r  coup  deux  ou  trois  brochures,  qui  n'annon- 
ient  pas  un  homme  sans  talents,  mais  sur  les-, 
celles  je  n'aurai  pas  à  me  reprocher  de  lui 
oir  donné  des  éloges  bien  encourageants.  »  En 
pit  de  cette  déconvenue,  Seguier  resta  fidèle 
nx  principes  qu'il  avait  embrassés,  et  ce  fut  à 
;  propager  qu'il  consacra  les  travaux  d'une 
urne  facile,  mais  peu  exercée.  On  a  de  lui  : 
riste,  ou  les  Charmes  de  V  honnêteté  ; 
iris,  1764,  in-12;  —  Lettre  à  Philopeménès, 

Réflexions  sur  le  régime  des  pauvres; 
ans,  1764,  in-12;  —  Traité  des  droits  du 
Inie;  Carlsruhe,  1769,  in-S°,où  il  examine  si  la 
^naissance  de  la  vérité  est  utile  aux  hommes. 

écrits  sont  anonymes. 
J.-J.  Rousseau,    Confessions.   Jiv.   XII.  —  Docum. 
irtic. 

seguier  (  Nicolas- Maximilien- Sidoine) , 
ftfquis  de  Saint-Brisson,  érudit  français,  fils 
».  précédent ,  né  à  Beauvais  ,  le  7  décembre 
f73,  mort  à  Paris,  le  22  mai  1854.  Né  post- 
Mue,  il  fut  élevé  par  sa  mère;  à  dix-sept  ans 
ifaiigra,  entra  dans  l'armée  de  Condé,  et  ne 
i  quitta  qu'après  son  licenciement.  Le  désir 
achever  ses  études  le  conduisit  à  Leyde,  où 
itude  des  langues  anciennes  eut  pour  lui  un 
trait  particulier.  De  retour  en  France,  il  figura 
lelque  temps  dans  le  génie  militaire,  voyagea 
'Suite  en  Allemagne,  en  Pologne  et  en  Russie. 
»us  l'empire  il  s'occupa  de  ses  études  fa- 
ites. Le  3  novembre  1814  il  fut  appelé  à 
préfecture  du  Calvados,  qu'il  ne  put  retenir, 
'ndant  les  cent-jours,  sous  l'obéissance  du  roi. 
administra  successivement  la  Somme  (12  juil- 
t  1815),  la  Meurthe  (1816),  la  Côte-d'Or 


702 
(1821),  l'Orne  (1823),  et  lu  Nièvre  (  1830);  le 
14  août  de  cette  année  il  donna  sa  démission, 
et  se  retira  à  la  campagne.  Déjà  membre  de  plu- 
sieurs sociétés  savantes,  il  fut  élu  en  1832 
membre  libre  de  l'Académie  des  inscriptions. 
On  a  de  lui  :  De  l'emploi  des  conjonctions 
dans  la  langue  grecque;  Paris,  1814,  in-8°; 
—  La  Philosophie  du  langage  exposée  d'a- 
près Aristote;  Paris,  1838,  in-8°;  —  Sur  le 
fragment  de  Longin  contenu  dans  la  rhé- 
torique d'Apsine;  Paris ,  1838,  in-8°  ;  ~  Es- 
sai sur  le  pokjthéisme;  Paris,  1840,  2  vol. 
in-12  ;  —  Mémoire  sur  Miltiade  et  les  au- 
teurs de  sa  race;  Paris,  1841,  in-40;—  La 
Préparation  évangélique,  d'Eusèbe  Pam- 
phile,  traduite  du  grec  avec  des  notes  ;  Paris, 
1846,  2  vol.  in-8°;  —  Examen  des  IX  livres 
de  Sanchoniaton  ;  Paris,  18  ,  in-8°,  suivi 
d'une  Dissertation  sur  l'authenticité  des 
fragments  de  l'histoire  phénicienne.  Il  a 
fourni  des  articles  philologiques  au  Journal 
des  Savants  (1810),  à  l'Institut  (i836),  au 
Journal  asiatique,  et  aux  Annales  de  la  phi- 
losophie chrétienne. 

Biogr.  univ.  et  portât,  des  contemp.  —  Docum. 
partie. 

seguier  (Jean-François),  antiquaire  et 
botaniste  français,  né  le  25  novembre  1703,  à 
Nîmes,  où  il  est  mort,  le  1er  septembre  1784. 
Issu  d'une  famille  qui  n'a  aucun  lien  de  parenté 
avec  celle  des  précédents,  il  était  fils  d'un  con- 
seiller au  présidial,  qui  le  destinait  à  la  magis- 
trature. Il  fut  élevé  chez  les  jésuites,  et  se  lit  re- 
marquai' par  un  goût  peu  ordinaire  pour  la  nu- 
mismatique, à  ce  point  qu'apprenant  un  jour 
qu'on  avait  trouvé  quelques  médailles  dans  un 
puits  du  collège,  il  s'y  fit  descendre  la  nuit  par 
un  de  ses  camarades  au  péril  de  sa  vie.  En- 
voyé à  Montpellier  pour  suivre  les  cours  de 
droit,  il  y  fréquenta  moins  l'école  que  le  jardin 
royal  où  Chicoyneau  faisait  la  démonstration 
des  plantes.  Sur  les  pressantes  sollicitations 
de  son  père,  il  allait  se  résoudre  à  entrer  au 
présidial  de  Nîmes,  lorsqu'en  1732  l'arrivée 
du  célèbre  Maffei  décida  de  son  avenir  :  ce 
savant  sut  bientôt  apprécier  son  mérite,  et 
persuada  ses  parents  de  lui  laisser  suivre  sa 
vocation.  Seguier,  pénétré  de  reconnaissance, 
voua  à  Maffei  la  plus  tendre  amitié,  et  parcourut 
avec  lui  la  plus  grande  partie  de  l'Europe,  exa- 
minant les  productions  de  l'art,  les  monuments 
antiques,  les  curiosités  naturelles,  A  Paris,  l'abbé 
Bignon  le  chargea  de  mettreen  ordre  au  cabinet  du 
roi  un  herbier  de  plus  de  vingt-deux  mille  plantes. 
A  Vienne,  il  observa  l'éclipsé  de  soleil  du  3  mai 
1734,  en  présence  du  prince  Eugène,  qui  le  pria 
d'accepter  le  télescope  dont  il  s'était  servi. 
Après  avoir  visité  Rome  et  les  principales  villes 
de  l'Italie,  il  se  fixa  auprès  de  Maffei  à  Vérone, 
où  il  s'appliqua  plus  particulièrement  à  la  bo- 
tanique et  à  l'histoire  naturelle.  Après  la  mort 
de  son  ami,  Seguier  revint  à  Nîmes  (1755),  ap- 


703 


SEGUIER  —  SEGUR 


70 


portant  avec  lui  l'ample  moisson  de  livres ,  de 
plantes,  de  médailles,  de  minéraux,  etc.,  faite 
pendant  ses  vingt-trois  années  d'absence.  Par  les 
vestiges  des  lettres  de  l'inscription  de  la  Maison 
Carrée,  par  quelques  trous  qu'ont  formés,  entre 
la  frise  et  l'architrave,  les  clous  qui  avaient  servi 
à  fixer  ces  lettres.,  il  parvint  à  découvrir  que 
ce  monument  avait  été  consacré  en  l'honneur  de 
Caïus  et  de  Lucius,  fils  d'Agrippa  et  petits- fils 
d'Auguste,  princes  de  la  jeunesse.  Seguier,  déjà 
membre  de  plusieurs  académies  de  France  et  d'I- 
talie, fut  admis  en  1772  à  l'Académie  des  inscrip- 
tions en  qualité  d'associé.  Une  violente  attaque 
d'apoplexie  l'enleva  subitement  à  plus  de  quatre- 
vingts  ans  ;  par  testament,  il  avait  légué  à  l'A- 
cadémie de  Nîmes  son  cabinet  d'histoire  na- 
turelle, sa  bibliothèque,  ses  médailles,  ses  ma- 
nuscrits et  sa  maison,  qu'il  avait  ornée  d'un 
grand  nombre  d'inscriptions  et  monuments  an- 
tiques. Lors  de  la  destruction  des  sociétés  sa- 
vantes, le  legs  Seguier  fut  réuni  à  la  bibliothèque 
de  la  ville.  On  a  de  Seguier  :  BiUiotheca  bota- 
nica;  La  Haye,  1 740,  in-4°  ;  réimpr.  à  Leyde,  1 760, 
in-4°,  par  les  soins  de  Gronovius,  qui  y  a  joint 
un  supplément:  recueil  bien  fait,  mais  que  celui 
de  Haller  a  fait  oublier  ;  —  Osservazioni  sopra 
la  cometa  di  1744  e  di  due  eclissi  lunari 
faite  in  Verona  ;  Vérone,  1744,  in-8°,  publiées 
en  société  avec  J.-P.  Guglienzi;  —  Plantée  Ve- 
ronenses;  Vérone,  1745-1754,  3  vol.  in-8°,  pi.  : 
dans  ces  deux  ouvrages,  il  suivit  une  méthode 
qui  lui  était  particulière,  et  qui  tient  beaucoup 
cependant  de  celle  de  Tournefort  ;  il  n'avait  point 
adopté,  au  moins  alors,  la  méthode  sexuelle  ;  — 
Viridariiim  lusitanum  ;  s.  1.,  1749,  in-12;  — 
Dissertation  sur  V inscription  de  la  Maison 
Carrée;  Paris  et  Nîmes,  1759  et  1776,  in-8°. 
On  lui  doit  aussi  la  traduction  des  Mémoires  du 
feld-maréchal  Alexandre  Maffei,  frère  deson 
ami  (La  Haye,  1740,  2  vol.  in-12).  Parmi  ies  ou- 
vrages manuscrits  qu'il  a  laissés,  nous  citerons  : 
Inscriptionum  antiquarum  index  absolutus, 
2  vol.  in-fol.  ;  une  Histoire  critique  de  tous  les 
écrits  publiés  sur  cette  matière  jusqu'en  1764, 
2  vol.  in-fol.,  servant  d'introduction  à  l'ouvrage 
précédent,  et  4  autres  vol.  in-4°  et  in-fol.,  con- 
tenant des  suppléments,  des  notes  et  des  tables; 
une  Histoire  de  V astrologie  judiciaire;  un 
Recueil  des  inscriptions  trouvées  à  Nîmes  et 
dans  les  environs,  et  une  collection  de  17  vol. 
in-fôl.  de  lettres  qui  lui  avaient  été  adressées 
par  les  savants  avec  lesquels  il  entretenait  une 
correspondance  suivie,  tels  que  les  présidents 
Bouhier  et  d'Orbessan ,  J.-J.  Rousseau,  deBoze, 
Barthélémy,  etc.  H.  Fisquet. 

Dacier,  Éloge  de  Seguier,  dans  le  t.  XLVII  des  Mé- 
moires de  l'Académie  des  inscript.  —  Desgenettes,  Élo- 
ges des  académiciens  de  Montpellier.  —  De  Ratte, 
Éloge  de  Seguier.  —  Journal  de  Paris,  178i,  n°  284.  — 
Magasin  encyclopéd,,  décembre  1805. 

segur  (Henri-François,  comte  de),  géné- 
ral français,  né  Je  1er  juin  1689,  mort  le 
18  juin  1751,  à  Metz.  Sa  famille  était  connue 


dès  le  neuvième  siècle  dans  le  Limousin ,  * 
forma  plusieurs  branches ,  la  plupart  éteintes 
et  dont  une,  les  Segur-Bouzely,  embrassa  1 
religion  réformée.  Celle  à  laquelle  il  apparte 
nait  a  jeté  le  plus  d'éclat;  il  était  fils  de  Henr 
Joseph,  marquis  de  Segur-Ponchat,  mort  ej 
1737.  En  sortant  des  pages  de.  la  chambre  d 
roi,  il  fit  ses  premières  armes  en  Flandre,  dans  h 
mousquetaires,  joignit  en  Aragon  le  régimei 
de  son  nom ,  et  en  devint  colonel  à  dix-sej 
ans  (1706),  sur  la  démission  de  son  père, 
servit  avec  le  rang  de  mestre  de  camp  aux  siégt 
de  Denain,  de  Douai  et  du  Quesnoi.  Pourvu  e 
1718  de  la  lieutenance  générale  des  provinces  d 
Champagne  et  de  Brie,  il  conserva  cet  office  jus 
qu'en  1748.  Lorsque  la  guerre  éclata,  il  fut  e:; 
voyé  en  Italie  (1733),  et  y  remplit  les  fonctioi 
de  maréchal  des  logis  de  la  cavalerie.  Nomtr 
maréchal  de  camp  (février  1734),  il  eutpartau 
victoires  de  Parme  et  de  Guastalla.  En  1737 
négocia  le  mariage  du  roi  de  Sardaigne  avec 
princesse  Elisabeth  de  Lorraine.  Promu  e 
grade  de  lieutenant  général  (1er  mars  1738),  , 
attaché  en  cette  qualité  à  l'armée  de  Bohên  j 
(1741),  il  fut  chargé,  avec  dix  mille  Français  i 
Bavarois,  de  défendre  la  haute  Autriche;  assail 
par  près  de  trente  mille  Impériaux  et  coupé  (  i 
ses  communications  avec  Belle-Isle,  il  se  je 
dans  Lintz,  ville  sans  défense ,  et  capitula 
23  janvier  1743.  Après  avoir  servi  en  Fland 
sous  les  ordres  du  roi  (1744) ,  il  conduisit  i 
petit  corps  d'armée  en  Bavière,  et  battit  les  Ai 
trichiens  à  Lichtenau  (28  janvier  1745)  ;  mais  ei 
taure  par  des  forces  supérieures,  il  prit  positi» 
sur  les  hauteurs  de  Pfaffenhofen,  livra  trois  cor 
bats  meurtriers  dans  le  même  jour,  et  opéra 
retraite  en  bon  ordre.  En  1746  il  ouvrit  la  trai 
chée  au  siège  de  Charleroi,  investit  Narnur  et 
trouva  à  la  bataille  de  Raucoux;  en  1747  il  ca 
duisit  vingt-trois  escadrons  à  celle  de  Laufelc 
A  sa  mort  il  commandait  la  place  de  Metz.  De  si 
mariage  avec  Angélique  de  Froissy  (1718),  fil 
naturelle  du  régent,  il  eut  un  fils,  qui  suit. 

Pinard,  Chronologie  milit.,  V.  —  De  Courcelles,  Di 
hist.  des  génér.  français.  —  De  Luynes,  31émoires. 

segur (  Philippe- Henri,  marquis  de),  m 
réchal  de  France,  fils  du  précédent,  né  le  20ja 
vier  1724,  moitié  3  octobre  1801,  à  Paris, 
quinze  ans  il  entra  au  service  ;  à  seize  ans  il  étf 
capitaine  de  cavalerie,  et  à  dix-huit  color 
d'un  régiment  d'infanterie.  De  bonne  heure 
essuya  l'épreuve  du  feu,  et  sa  conduite  dans 
guerre  de  Bohême  fut  très-brillante  ainsi  qu'< 
Italie ,  où  il  combattit  sous  les  auspices  de  & 
père.  Après  avoir  servi  aux  sièges  de  Mons,' 
Charleroi  et  de  Namur,  il  fut  atteint  à  Raucoi 
d'un  coup  de  feu  qui  lui  traversa  la  poitrin 
et  à  Laufeldt  d'un  coup  de  canon  qui  lui  fr 
cassa  un  bras; il  commanda  encore  une  de 
nière  charge  et  ne  se  soumit  à  l'amputation  qu' 
près  la  victoire.  Dans  la  même  année  (174; 
il  obtint  la  croix  de  Saint-Louis  et  la  lieut 


)  Pendant  qu'il  commandait  le  camp  de  manœuvres 
emblé  à  Corapiègne  (1767),  un  déserteur  fut  con- 
inê  à  mort;  la  marquise  de  Segur  alla  se  jeter  aux 
Istlu  roi,  qui  lui  accorda  la  grâce  du  coupable.  Ce  fut 
*te  occasion  que  Scdaine  écrivit,  dit-on,  l'opéra  du 
erteur. 


|r05  SFGUR 

jiance  générale  de  Champagne  et  de  Drie  sur 

u  démission   de  son   père.  Maréchal  de  carnp 

In  1749,  il  rendit  de, brillants  services  durant  la 

iuerre  de  Sept  ans;  sa  conduite  à  Hastemheck,  à 

:revelt  et  à  iMinden  fut  récompensée  par  le  grade 

e  lieutenant  général  (18mai  17C0).  Au  combat  de 

1  Varbourg  il  sauva  un  corps  d'armée,  à  celui  de 

lostercamp  il  fut  forcé  de  se  rendre  à  l'ennemi, 

iprès  avoir  été  frappé  de  deux  coups  de  sabre  et 

[un  coup  de  baïonnette  (i).  Après  la  paix  il  fut 

mimé  chevalier  du  Saint-Esprit,  et  dès  1753 

;  était  gouverneur  du  comté  de  Foix.  Pourvu  en 

!  ?75  du  commandement  temporaire  de  la  Franche- 

|omté,  il  s'efforça,  par  sa  franchise  et  son  es- 

i  it  conciliant,   d'y  faire  régner  la  tranquillité, 

j  enacée  par  les  divisions  politiques.  Le  23  dé- 

tmbre  1780  il  remplaça  le  prince  de  Montbarey 

lins  le  ministère  de  la  guerre,  sur  la  proposition 

| ;  Necker,  qui,  en  l'appelant  à  ce  poste,  désirait 

[en  faire  un  appui  pour  son  crédit.  Tout  en- 

I  r  aux  affaires  de  son  département,  doué  d'un 

1ns  droit  et  d'une  franchise  un  peu  rude,  Segur 

Jpugna  toujours  à  se  mêler  aux  intrigues  de  la 

}ur,  el  s'appliqua  avec  un  zèle  souvent  heu- 

!  ix  à  réformer  les  vices  de  l'administration  et 

introduire  autant  qu'il  lui  fut  possible  de  l'ordre 

1ns  les  dépenses.  Il  fut  dans  le  conseil  un  des 

I  is  chauds  partisans  de  la  guerre  d'Amérique. 

[i  lui  dut,  en  1783,1a  création  d'un  corps  per- 

inent  d'officiers  d'état-major,  destinés  à  aider 

officiers  généraux  dans  le  service  de  cam- 

Igne;  l'ordonnance  sur  le  régime  des  casernes 

des  hôpitaux  militaires  fit  honneur  à  son  hu- 

anité.  Mais  on  regrette  de  voir  son  nom  au  bas 

me  autre  ordonnance,  plus  fameuse,  qui  attri- 

ait  à  la  noblesse  seule  les  emplois  d'officiers 

ns  l'armée;  d'après  les  Mémoires  de  son  fils 

ié,  cette  mesure  impolitiqueauraitété  proposée 

r  un  comité  spécial,  et  contre  l'avis  du  ministre 

la  guerre,  qui  en  aurait  au  contraire  signalé 

funestes  résultats.  La  dignité  de  maréchal  de 

ance  avait  récompensé  ses  services  (13  juin 

83).  A  peine  le  cardinal  de  Loménie  eut-il  pris 

ns  le  cabinet  la  première  place,  que  Segur  s'em- 

ssa  de  résigner  son  portefeuille  (29  août  1787); 

je  retira  dans  sa  famille,  et  assista  en  spectateur 

le  aux  mouvements  tumultueux  d'une  révo- 

ïon  qu'il  avait  accueillie  avec  peu  de  sympathie, 

jqni  lui  enleva  avec  ses  dignités  la  pension  qu'il 

tait  du  roi.  Sous  la  terreur  il  subit  une  détention 

iquelques  mois,  d'autant  plus  cruelle  que,  privé 

in  bras  et  tourmenté  de  la  goutte,  il  lui  fut  interdit 

voir  recours  aux  soins  de  ses  enfants  ou  même 

mdomestique. Informé  de  sa  position  précaire, 

naparte,  premier  consul,  lui  fit,  en  1800,  comme 

.ïoehambeau ,  un  traitement  de  4,000  francs. 

sa  femme,  M'ie   de  Vernon,  riche  créole  de 


70G 
Saint-Domingue,  morte  en  1778,  à  Paris,  il  eut 
deux  (ils,  Louis- Philippe  et  Alexandre ,  qui 
suivent. 

De  Courcelléi,  Dict.  hitt.  des  uénèr.  français.  —  L.-l'h. 
de  Segur,  Mémoires,  et  Notice  sur  le  maréchal,  dan.? 
son  Recueil  de  famille;  182G,  in-8°.  —  Durozoir,  dans  le 
Dict.  de  la  Conversation,  t.  XLVlii. 

SfiGUR  {Louis- Philippe,  comte  de),  diplo- 
mate et  historien  français,  fils  aîné  du  précédent, 
né  le  10  décembre  1753,  à  Paris,  où  il  est  mort, 
le  27  août  1830.11  reçut,  sous  les  yeux  de  son 
père,  une  éducation  soignée,  et  la  compléta  à 
Strasbourg,  où  il  suivit  même  le  cours  de  droit 
public  professé   par  Koch.  A  quinze  ans  il  fut 
attaché  comme  sous-lieutenant  au  régiment  de 
Mestre-de-camp  cavalerie  (1769);  à  dix-huit  ans 
il  y  était  capitaine,  et  à  vingt-trois  il  commandait 
en   qualité  de  colonel    en  second  le  régiment 
d'Orléans  (1776).    «  Né   avec   une  imagination 
vive,  dit-il  dans  ses  curieux  Mémoires,  au  mi- 
lieu d'une  cour  et  d'un  siècle  où  l'on  s'occupait  plus 
des  plaisirs  que  des  affaires,  des  lettres  que  de  la 
politique;  aimant  avec  passion  la  poésie  et  cette 
philosophie  nouvelle  qui  semblait  devoir  assu- 
rer le  triomphe  de  la  raison,  »  il  se  laissa  aisé- 
ment entraîner  dans  le  tourbillon  d'un  monde 
léger,  vain,  spirituelet  galant;  quelques  duels  et 
de  jolis  vers  le  mirent  en  peu  de  temps  à  la  mode. 
Il  fréquenta  les  salons  de  M«ies  du  Deffand  et 
Geoffrin ,  il    rechercha  l'amitié    des    écrivains 
spirituels   et  hardis;  La  Harpe  et  Marmontel 
louèrent  ses  premiers  essais  ;  Voltaire  lui-même, 
lors  de  son  retour  à  Paris,  l'encouragea  par  quel- 
ques conseils  et  lui  prédit  «  d'heureux  destins  (  1  )  » . 
Ami  enthousiaste  des  idées  nouvelles,  il  exprima 
vivement  le  désir  d'aller  combattre  pour  l'indé- 
pendance des  colonies  américaines  à  côté  de  La 
Fayette,  son  parent;  mais  il  ne  put  obtenir  cette 
faveurqu'en  1782;  la  guerre  alors  tirait  à  salin,  et 
il  assista  à  des  engagements  sans  importance.  A  son 
retour,  il  fut  nommé  colonel  des  dragons  de  Se- 
gur (5  décembre  1783).  Après  avoir  travaillé  pen 
dant  plusieurs  mois  auprès  de  son  père,  qui  diri- 
geait le  département  de  la  guerre,  il  fut  désigné 
à  la  fin  de  1784  pour  l'ambassade  de  Russie;  ce 
ne  fui  pas  sans  une  vive  répugnance  qu'il  ento-a 
dans   une  carrière  où  il  devait  déployer  autant 
d'énergie  que  d'habileté.  A  la  cour  de  Péters- 
bourg  il  réussit  à  merveille  :  Catherine  II  l'ad- 
mit presque  aussitôt  dans  son  intimité,  le  combla 
de  présents  et  l'invita  à  toutes  les  fêtes.  A  voir 
la  faveur  constante  dont  il  jouit  près  d'elle,  on 
pourrait  penser  qu'il  fut  le  rival  heureux  d'Oiiof 
et  de  Potemkin.  Il  lui  adressa  des  vers  louan- 
geurs, et  composa  des  pièces  pour  son  théâtre 
particulier.  Quelquefois  il  cessait  de  se  montrer 
au  palais  et  ne  correspondait  plus  avec  lalzarinc 
que  par  intermédiaire.  Il  l'accompagna  dans  le 
fameux  voyage  de  1787  en  Crimée;  il  y  tint  une 
des  premières  places,  et  il  en  a  écrit  une  relation 


NOUV.    EIOGR.    GÉNÉR. 


T.   XLIII. 


(1!  Voltaire  avait  eu  dans  sa  jeunesse  des  liaisons  assez 
intimes  avec  les  parents  de  Louis  de  Segur;  il  alla  en 
1778  les  visiter  deux  ou  trois  fols  dans  leur  hôtel. 

23 


707  SEGUR 

des  plus  intéressantes.  Mais  en  vain  chercha- t-il, 
sur  les  conseils  de  son  père,  à  former  avec  le 
concours  de  la  France,  de  l'Autriche,  de  l'Es- 
pagne et  de  la  Russie,  une  quadruple  alliance, 
qui  eût  consacré  probablement  la  chute  de  la 
Turquie  et  le  partage  de  la  Pologne;  ce  projet, 
caressépar  Catherine  et  Joseph  II,  échoua  devant 
les  répugnances  de  Louis  XVI,  et  Segur,  dont  la 
position  devenait  fort  délicate  depuis  que  la  ré- 
volution avait  éclaté,  n'eut  plus  qu'à  revenir  à 
Paris  (nov.  1789).  Il  retrouva  la  France  tout 
enfiévrée  :  lié  d'amitié  avec  les  principaux  chefs 
de  l'Assemblée  constituante,  il  soutint,  dans  les 
journaux  et  dans  des  brochures,  le  parti  de  la 
liberté;  cependant  il  n'agit  qu'avec  réserve,  et 
jusqu'à  la  chute  de  la  monarchie  il  lui  demeura 
dévoué.  Désigné,  en  mars  1791,  pour  remplacer 
le  cardinal  de  Bernis  dans  l'ambassade  de  Piome,  il 
n'alla  pas  plus  loin  que  Florence  :  le  pape  Pie  VI 
refusa  de  laisser  pénétrer  dans  ses  États  l'envoyé 
de  la  révolution.  Le  grade  de  maréchal  de  camp 
dédommagea  Segur  de  cet  affront;  toutefois  il 
refusa  le  ministère  des  affaires  étrangères,  qu'il 
avait  d'abord  accepté,  en  remplacement  de 
Montmorin.  Envoyé  à  Berlin  avec  la  mission 
de  détacher  la  Prusse  de  la  ligue  qui  venait 
d'être  conclue  à  Pilnitz,  il  reçut  des  pouvoirs 
étendus  ainsi  qu'une  somme  de  trois  millions 
de  francs,  dit-on  ,  destinée  à  corrompre  les  mi- 
nistres et  les  favoris  du  roi.  Le  secret  de  sesins- 
truclions  fut  mal  gardé  :  Frédéric-Guillaume  II 
en  eut  connaissance,  et  en  témoigna  tant  d'irrita- 
tion que  le  jour  où  l'ambassadeur  lui  présenta  ses 
lettres  de  créance  (12  janvier  1792),  il  lui  tourna 
le  clos  sans  répondre.  A  quelques  jours  de  là 
Segur,  atteint  par  une  insulte  encore  plus 
grave,  fut  trouvé  tout  sanglant  dans  sa  chambre; 
le  bruit  courut  d'un  suicide.  Ce  fut  une  am- 
bassade manquée,  et  aussitôt  rétabli  Segur  sol- 
liciia  son  rappel,  et  revint  en  France  (mars  1792). 
Après  le  10  août,  il  se  retira  avec  sa  famille  au 
village  tic  Cbâtenay,  près  de  Sceaux,  et  vécut 
là  paisible  et  oublié,  voyant  peu  de  monde,  et 
n'ayant  conservé  de  relations  suivies  qu'avec 
Boissy  d'Anglas.  La  révolution  du  9  thermidor 
ne  le  fit  pas  sortir  d'une  retraite  où  il  se  plai- 
sait et  où  le  condamnait  d'ailleurs  le  peu  de  for- 
tune qui  lui  était  resté.  Se  reprenant  au  goût  de 
sa  jeunesse  pour  les  lettres,  il  composa  pendant 
le  Directoire  quelques-uns  de  ses  plus  impor- 
tants ouvrages,  comme  l'Histoire  de  Frédéric- 
Guillaume  II,  et  les  rédigea  dans  un  esprit  de 
modération  auquel  on  n'était  plus  accoutumé.  En 
même  temps  il  se  montrait  assidu  aux  séances 
des  Dîners  du  Vaudeville  et  du  Portique  ré- 
publicain. Sous  l'empire  il  ne  confia  rien  à  la 
presse,  autant  par  prudence  que  pour  faire  sa 
cour  au  nouveau  maître  qu'il  s'était  donné.  On 
raconte  en  effet  que  Bonaparte,  qui  n'aimait  pas 
les  fonctionnaires  publicistes,  lui  avait  demandé 
un  jour,  d'un  ton  dédaigneux,  «  s'il  était  parent 
■  lu  Segur  qui  faisait  des  livres  », 


70J 

Après  le  18  brumaire,  Segur  rentra  dans  la  vit  | 
publique.  Il  appartint  d'abord  comme  député  di 
la  Seine  au  Corps  législatif  (27  février  1801);  il  fi  j 
décréteren juillet  1802  l'ouvertureimmédiated'ui  | 
registre  pour  le  vote  individuel  des  députés  su 
le  consulat  à  vie.  Le  25  décembre  suivant,  il  de 
vint  conseiller  d'État,  et  rédigea  en  cette  qualit 
un  grand  nombre  de  rapports  sur  des  matière 
d'administration.   Les   plus  hautes  distinction 
furent  la  récompense  de  son  zèle  :  Napoléon  le  fi 
grand  maître  des  cérémonies  (18  juillet  1804' 
grand'croix  de  la  Légion  d'honneur  (1er  févrie 
1805),   comte  de  l'empire  (1810)  et   sénateu 
(5  avril  1813);  niais  il  est  assez  remarquabl 
qu'en   le   confinant  dans   les  emplois  de  coi 
il  ne  lui  accorda  jamais  ni  pouvoir  réel  ni  il 
fluence.  Durant  la  campagne  de  France,  il  l'eiJ 
voya  avec  de  grands  pouvoirs  dans  la  18e  div  1 
sion  militaire  (Haute-Marne  et  Côte-d'Or);  I 
était  déjà  trop  tard  pour  organiser  une  défen:  I 
sérieuse,  et  Segur  fut  aussi  impuissant  que  si  I 
collègues  en  mission  à  rien  exécuter.   11  vota  | 
déchéance  de  l'empereur,  et  se  rendit  au-diva; 
de  Louis  XVIII  à  Compiègne;  il  fut  compris  p; 
l'ordonnance  du  4  juin  1814  dans  la  Chamb 
des  pairs.  La  restauration  éphémère  de  Napt 
léon  le  rétablit  dans  sa  charge  de  grand  maîtr 
et  il  fut  appelé  à  la  nouvelle  chambre  haut 
Après  Waterloo  il  soutint  avec  beaucoup  d'< 
nergieles  droits  de  Napoléon  II  ;  il  offrit  même 
suivre  l'empereur   partout   où   il  devrait  alk 
Ainsi  que  tous  les  pairs  de  1814  qui  avaient  s 
cepté  la  pairie  des  cent-jours,  il  fut  éloigné 
Luxembourg  par  l'ordonnance  du"24  juillet  18 
mais  on  lui  en  rouvrit  les  portes  le  21  novei 
bre  1819,  et  il  y  siégea  jusqu'à  sa  mort  avec  j 
siduité,  prenant  souvent  la  parole  et  votant  to 
jours  avec  le  parti  libéral.  Il  salua  la  révoluti 
de    1830     avec  l'enthousiasme    de  ses  jeuE 
années.  «  11  est   temps,  écrivait-il  le   5  ac 
au  président  de  la  chambre,  que  la  nation  frai 
çaise  se  voie,  par  de  fortes  garanties,  à  VU 
de  toute  tentative  tyrannique,  et  qu'elle  joui! 
dans  une  pleine  sécurité  de  la  liberté  politique 
individuelle,  et  delà  liberté  de  la  presse,  qui 
défend  toutes.  »  Peu  de  temps  après  il  s'él 
gnait,  dans  sa  soixante-dix-septième  année,  i 
suite  d'une  longue  et  douloureuse  maladie 

Segur  consacra  à  la  culture  des  lettres  lad* 
nière  moitié  de    sa  vie;  il  y  déploya  les 
beaux  dons  de  l'esprit  et  du  cœur,  «  cette  ar 
nité  de  formes,  de  caractère  et  de  langaj 
cette  délicatesse  de  style,  cette  finesse  de  pi 
santerie,  ce  mélange  de  bonhomie  et  de  n 
lice,  cet  esprit  varié  qui  passait  avec  tant  d 
sance  de  la  chanson   à  la  politique,  des  p 
hautes  questions  d'Élat  aux    passe-temps 
plus  frivoles  de  la  littérature  (1)  ».   Admis 
1803  dans  l'Académie  française,  il  en  était  I 
des  doyens,  et  y  représenta,  avec  l'autorité 


(1)  Viennet,  Disc,  de  récept.  à  V Académie. 


'09 


SEGUR 


710 


'ang  cl  les  grâces  de  l'esprit,  cette  forte  généra- 
ion  d'écrivains  qui  avaient  préparé  la  révolution 
1 1  à  l'école  desquels  il  avait  appris  à  penser  et  à 
icrire.  Ses  ouvrages,  accueillis  au  moment  de 
■ur  apparition  avec  beaucoup  de  faveur,  n'ont 
[as  mérité  l'oubli  auquel  ils  semblent  déjà  con- 
'anwés;  on  y  trouve,  surtout  dans  ceux  qui 
[feignent  les  événements  où  il  a  pris  part,  des 
jîtails  neufs    et  piquants,    des    pensées  ingé- 
euses,  des  portraits   finement  observés,  et  la 
ain  qui  les  a  tracés  possédait  le  secret,  qui  se 
; Ttl  de  plus  en  plus,  d'une  langue  claire,  élé- 
liinte,  aisée  et  agréable  jusque  dans  ses  défail- 
WQces.  Nous  citerons  de  Louis  de  Segur  :  Pen- 
tes politiques;  Paris,  1795,in-8°; —  Théâtre 
:l  H  ermitage;  Paris,  1798,  2  vol.  in-8°:  sous 
r(  titre  il  a  réuni  les  pièces   qu'il  avait  écrites 
fur  le  Ihéâtrede  la  tzarineà  Saint-Pétersbourg, 
H les  que   Crispin    duègne,   V Enlèvement, 
Homme  inconsidéré,   comédies;  Coriolan, 
jgédie,    etc.;    —    Tableau    historique   et 
iitique    de  V Europe    (1786-1796) ,  conte- 
nt l'histoire  des  principaux  ^événements 
\règne  de  Frédéric- Guillaume  II,  roi  de 
russe,  et  un   Précis  des  révolutions  du 
\abant,  de    Hollande,  de  Pologne  et  de 
tance;  Paris,  1801,  3  vol.  in-s°,  publié  en 
)0  sous  le  titre  d'Histoire  de  Frédéric-Guil- 
•tme  II,  et  en  189.8  sous  celui  de  Décade  his- 
fiqiie;  le  Mémoire  sur  la  révolution  de  Hol- 
fide,  qui  embrasse  tout  le  dernier  volume,  est 
Lièrementdû  à  Caillard,  archivistedes relations 
Eérieures;  —  Politique  de  tous  les  cabinets 
l'Europe  pendant  les  règnes  de  Louis  XV 
de  Louis  XVI;  Paris,  1801,  1822,  3  vol. 
8°  :  Segur  n'est  à  vrai  dire  que  l'éditeur  de 
ouvrage,  composé  en  grande  partie  des  écrits 
Favier,  imprimé  en  1792,  et  qu'il  a  enrichi 
potes,  mémoires  et  commentaires;  —  Contes, 
fies,  chansons  et  vers;  Paris,  1801,   1809, 
(8o;  _  Galerie  morale  et  politique;  Paris, 
:7-23,  3  vol.  in-8°  :  la  Galerie  morale  a  été 
popr.  seule  en  1843,  in-18;  —  Abrégé  de  l'his- 
se universelle  ;  Paris ,  1817   et  ann.  suiv., 
|bl.  in-18,  fig.  et  cartes  ;  ibid.,  1823  et  suiv., 
I.  in-18;  ibid.,  1835,  12  vol.    in-8°,  fig.; 
ibid.,  1847-48,  6  vol.  in-12  :  plusieurs 
s  de  cette  collection  ont  paru  isolément, 
des  titres  particuliers; —  Les  Quatre  âges 
ia  vie;  Paris,  1819,  in-8°;  —  Romances  et 
msons ;  Paris,  1819,  in-S°;  —  Histoire  de 
ce;  Paris,  1824-30,  9  vol.  in- 8°  :  elles'ar- 
la  mort  de  Louis  XI;  —  Mémoires  ou 
nirs  et  anecdotes;  Paris,  1824,   3  vol. 
}°,et  1842,2  vol.  in-12  :  ces  mémoires présen- 
beaucoup  d'intérêt  et  d'agrément; —  Recueil 
Me;  Paris,  1826,  in-8°  :  il  est  composé 
:es  de  vers,  de  notices  et  de  comédies,  et 
pas  été  mis  dans  le  commerce.  —  M.  de 
w  est  encore  l'auteur  d'un  grand  nombre 
ticles  insérés  dans  les  Nouvelles  politiques, 
istorien,  le  Publiciste,  les  Archives  litté- 


raires de  l'Europe,  la  Bibliothèque  française, 
le  Mercure,  le  Journal  de  Paris,  la  Revue 
encyclopédique ,  etc.,  articles  qu'il  n'a  pas  juge 
à  propos  de  recueillir  dans  ses  Œuvres  com- 
plètes (1824  et  suiv.,  34  vol.  in-8°  et  atlas),  dont 
il  a  surveillé  lui-même  la  publication. 

Segur  {Antoinette- Elisabeth  Marie  D'A- 
guesseau,  comtesse  de),  femme  du  précédent, 
née  en  1756,  à  Paris,  où  elle  est  morte,  le  5  mars 
1828,  était  petite  fille  du  célèbre  chancelier 
•  D'Agucsseau.  Elle  épousa,  le  3  avril  1777,  M.  de 
Segur,  et  se  fit  remarquer  par  l'élévation  de  son 
âme,  la  force  de  son  esprit  et  la  bonté  de  son 
caractère.  Afin  de  ménager  la  vue,  très-afl'aiblie, 
de  son  mari ,  elle  lui  évita  la  fatigue  d'écrire 
lui-même,  et  c'est  à  elle  qu'est  dû  tout  le  ma- 
nuscrit de  Y  Histoire  ïiniverselle.  Elle  eut  de 
son  mariage  deux  fils,  Octave  et  Paul-Philippe 
(voy.  ci-après).  P.  L. 

L.-Ph.  de  Segur,  Mémoires.—  Viennet,  Disc,  de  récept. 
à  VAcad.fr.,  1830.  —  Arnault,  Disc,  prononcé  sur  la 
tombe  de  Segur.  —  Sainle-Beuve,  dans  la  Bévue  des 
deux  mondes,  15  mai  1843.  —  Biogr.  univ.  et  port,  des 
contemp. 

segur  (Joseph- Alexandre- Pierre,  vicomte 
de),  littérateur  et  poète  français,  frère  du  précé- 
dent, né  à  Paris  en  1756,  mort  à  Bagnères,  le  27 
juillet  1805.  Successivement  colonel  des  régi- 
ments de  Noailles,  de  Lorraine  et  des  dragons 
de  son  nom,  il  fut  nommé  maréchal  de  camp 
le  19  mars  1788.  A  l'époque  de  la  révolution  il 
quitta  le  service,  et  ne  s'occupa  plus  que  de  lit- 
térature. Homme  du  monde,  d'un  esprit  léger, 
d'une  conversation  agréable,  d'une  aménité  char- 
mante, il  brillait  dans  la  société  par  ses  bons 
mots,  ses  couplets  et  ses  malices  sans  fiel.  Aux 
dîners  du  Vaudeville,  dont  il  était  un  convive 
assidu,  ses  chansons  gracieuses  et  faciles  eurent 
un  grand  succès,  le  Déluge  et  le  Temps  et  l'A- 
mour ,  par  exemple.  On  lui  a  reproché  la  pu- 
blication des  Mémoires  de  Besenval  ;  voici  sa 
défense  :  poursuivi  en  1795 ,  il  déposa  ces  Mé- 
moires, peu  de  jours  avant  d'être  emprisonné, 
chez  un  conventionnel  estimé  ;  transcrit  par  une 
main  infidèle,  le  manuscrit  arriva  en  1805  entre 
les  mains  du  libraire  Buisson,  qui  allait  l'im- 
primer lorsqu'il  apprit  que  les  Mémoires  appar- 
tenaient à  M.  de  Ségur  ;  il  lui  conseilla  alors, 
puisque  la  publication  en  devenait  inévitable,  de 
donner  lui  même  au  public  le  texte  authentique, 
en  supprimant  ce  qu'il  jugerait  à  propos  de  ne 
pas  livrer  à  la  curiosité  des  lecteurs.  Segur  sui- 
vit ce  conseil  ;  mais  les  personnes  intéressées 
trouvèrent  qu'il  n'avait  pas  assez  supprimé  et 
crièrent  au  scandale.  Avant  de  s'occuper  de 
théâtre,  Segur  avait  publié  :  Correspondance 
secrète  entre  Ninon  de  Lenclos,  le  marquis 
de  Villarceaux  et  Mme  de  M...  (Maintenon); 
Paris,  1789,-  in-8°;  roman  épistolaire,  où  il 
glissa,  dit-on,  plus  d'une  lettre  que  ses  lectrices 
ont  pu  reconnaître,  car  il  avait  à  un  rare  degré 
le  don  de  plaire  aux  femmes;  —  La  Femme 
,  jalouse;  Paris,  1790,  in-8°  :  médiocre  imita- 


711 


SEGUR 


tion  des  Liaisons  dangereuse  de  Laclos;  — 
Réflexions  sur  Vannée  et  sur  les  rapports 
à  établir  entre  elle  et  les  troupes  nationales  ; 
Paris,  1789,  in-8°;  --  Essai  sur  l'opinion 
considérée  comme  une  des  principales  cûtises 
de  la  révolution  de  1789;  ibid.,  1790,  in-8°. 
On  trouve  cette  note  à  la  page  46  :  «  La  véri- 
table cause  de  nos  malheurs  actuels  est  l'éton- 
nante médiocrité  qui  égalise  tous  les  individus. 
Si  un  homme  de  génie  paraissait,  il  serait  le 
maître.  »  Il  a  donné  au  Théâtre-Français  :  Ro- 
salinde  et  Floricourt,  comédie  en  deux  actes, 
en  vers  libres,  1790;  le  Fou  par  amour,  drame, 
un  acte,  en  vers,  1791  ;  le  Retour  du  mari, 
comédie  en  un  acte,  en  vers  libres,  1792;  —  a 
l'Odéon  :  Saint- Elmont  et  Verseuil,  drame  en 
cinq  actes,  en  vers  libres,  1797;  et  l'Amant 
arbitre,  comédie  en  un  acte,  en  vers,  1799; 

—  à  l'Opéra-Comique  :  les  Vieux  fous,  1796; 
la  Dame  voilée,  1800;  et  le  Cabriolet 
jaune,  1800;  —  à  l'Opéra  :  la  Création  du 
monde,  oratorio  trad.  de  l'allemand,  musique 
d'Haydn,  1801  ;  —  au  Vaudeville  et  au  théâtre 
Montansier,  plusieurs  petites  pièces,  soit  seul, 
soit  en  collaboration.  On  a  encore  du  vicomte  de 
Segur  :  Ma  prison  depuis  le.  23  vendémiaire 
jusqu'au  10  thermidor  ;  Paris,  1795,  in- 8°;  — 
Les  Femmes,  leurs  mœurs,  leurs  passions, 
leur  influence,  etc.;  Paris,  1803,  3  vol. 
in-12,  fig.  :  ouvrage  fort  agréable,  plusieurs  fois 
réimpr.,  et  augmenté  par  Barginet  (1819),  par 
S.  Ratier  (1828)  avec  des  notes  de  Ch.  Nodier, 
par  H.  Raisson  (1835),  etc.  On  a  fait,  sous  le 
titre  A' Œuvres  diverses  (  Paris,  1819,  in-8°  ), 
un  choix  des  articles  littéraires,  de  la  Corres- 
pondance secrète  et  des  Chansons  de  M.  de 
Segur.  L'auteur  avait  publié  lui-même  un  sem- 
blable travail  en  donnant  au  public  ses  meil- 
leures Comédies,  chansons  et  proverbes  (  Pa- 
ris, 1802,  in-8°). 

Fayolle,  Notice,  à  la  tête  des  OEuvres  diverses.  — 
Rabbe,  Vieilh  de  Boisjolinet  Sainte-Preuve,  Biographie 
univ.  des  contemp.   —  Querard,  La  France  littéraire. 

—  Courcelles,  Dict.  hist.  des  généraux. 

segur  {Octave- Henri-Gabriel  de),  fils 
aîné  de  Louis  de  Ségur,  né  en  1778,  à  Paris, 
où  il  est  mort,  le  15  août  1818.  Élève  distingué 
de  l'École  polytechnique,  il  s'appliqua  d'abord 
à  l'étude  des  sciences  physiques  et  naturelles.  A 
viiigl-deux  ans  il  fut  nommé  sous-préfet  à  Soissons; 
bientôt  après  (vers  1803)  il  disparut  decette  ville, 
et  alla  s'engager  dans  un  régiment  de  l'armée  d'I- 
talie. Il  tomba  aux  mains  des  Autrichiens,  et  fut 
envoyé  comme  prisonnier  de  guerre  en  Hongrie. 
En  1811  il  servait  en  Espagne  avec  le  grade  de 
capitaine;  en  1812  il  devint  chef  d'escadron,  et 
fit  la  campagne  de  Russie.  En  18 1 7  il  entra  dans 
l'état-major  de  la  garde  royale.  Des  chagrins  do- 
mestiques troublèrent  sa  vie,  et  le  poussèrent 
plus  d'une  fois  à  chercher  la  mort  sur  les  champs 
de  bataille  ;  il  finit  par  se  détruire  lui-même  en 
se  jetant  dans  la  Seine.  On  a  de  lui  des  Lettres 
élémentaires  sur    la  chimie   (Paris,   1803 


2  vol.  in-12),  et  quelques  traductions  de  l'a 
glais.  De  M"e  Félicité  d'Aguesseau,  sa  femm 
il  eut  trois  fils  : 

1°  Segur  (Eugène,  comte  de),  né  le  15  févri 
1798,  à  Paris,  et  qui  avait  hérité  en  1830  de 
pairie  de  son  grand-père;  il  s'est  marié  avecu 
des  filles  du  général  russe  Rostopchine,  femr 
d'un  esprit  aimable  et   cultivé,   à  qui  l'on  d  I 
plusieurs  livres  agréables  à  l'usage  de  la  je  I 
nesse.  Son  fils  aîné,  Anatole- h  enri-Philipi 
né  en  1827,  est  entré  en  1846  au  conseil  d'Ét 
où  il    a   rang  de   maître   des  requêtes   dep  1 
1852;  en  1851  il  a  administré  les  préfectures  I 
l'Ariége  et  de  la  Haute-Marne.  On  a  de  lui  <  [ 
Fables  ( Paris,  1848,  in-12),  et  d'autres  écri 

2°  Segur-  Lamoignon  [Adolphe-  Louis-  Mar 
comte  de),  né  à  Paris,  le  31  août  1800,  a  epoi  j 
M"e  de  Lamoignon,  et  avait  hérité  de  la  paj 
de_son  beau-père',  dont  il  prit  les  nom  et  tij 
par  ordonnance  du  23  décembre  1823. 

3°  Segur  d'Aguesseau  (voy.  ci-après). 

Biogr.  univ.  et  portât,  des  contemp. 

*segur<   d'Aguesseau     (Raymond- 
seph-Paul,  comte  de  ),  sénateur,  troisième 
du  précédent,  né  à  Paris,  le  18  février  18031 
a  joint  à  son  nom  celui  de  sa  mère,  dont  la 
mille  s'est  éteinte  en  1826.  Après  avoir  tern 
à  Aix  l'étude  du  droit  qu'il  avait  commence  | 
Paris,  il  devint  auditeur  au   conseil  d'État 
décembre  1828  ),  substitut  du  procureur  du  I 
à  Rambouillet  (15  octobre  1829  )  et  substitut 
procureur  général  à  Amiens   (25  mars  183 
en  cette  dernière  qualité  il  présenta  sur  la  qi 
tion  de  permanence  des  listes  électorales 
conclusions  favorables  au  parti  libéral.  Norl 
substitut  à  la  cour  royale  de  Paris  (août  18 
il  fit  condamner  plusieurs  journaux  démoc  f 
ques  qui  n'avaient  pas  voulu  se  soumettre 
lois  sur  la  presse,  remises  en  vigueur  peu  a| 
la  révolution.  Appelé,  le  14  juillet  1833,  à  la 
lecture  des  Hautes-Pyrénées,  il   fut  oblige  ■ 
prendre,  dans  l'intérêt  de  l'autorité  méconT 
quelques  mesures  de  rigueur;  en  juillet  18 
passa  à  la  préfecture  du  Lot,  et  reprit  en  1 
sur  sa  demande,  possession  de  celle  des  Haï 
Pyrénées  ;  son  indépendance  aux  élections 
nérales  de  cette  année  amena   sa  destitu  f 
Après  avoir  échoué  plusieurs  fois  comme 
didat  à  la  députation,  il  représenta  en  184i| 
Hautes- Pyrénées  à  l'Assemblée  législative, 
s'attacha  à  la  politique  du  prince  Louis-K| 
léon.  Aussi  devint-il  en  décembre  1851  meil 
de  la  commission  consultative  et  le   26  jail 
1852  .membre  du  nouveau  sénat.  Vice-prés  f 
du  conseil  général  des  Hautes-Pyrénées,  il 
23  août  1852  émettre  le  vœu  qu'usant  de 
tiative  à  lui  confiée  par  la  constitution,  le 
proposât  au  peuple  français  le  rétablisseme  I 
la  dignité  impériale.  En  août  1858,  un  grav< 
sentiment  qui  s'éleva  entre  lui  et  le  prêt 
département,  lui  fit  donner  avec  éclat  sa  d( 
sion  des  fonctions  de  membre  du  conseil 


13 


SEGUR 


714 


al.  L  empereur  examina  personnellement  les  faits 
e  cet  incident,  et  le  préfet  reçut  une  autre  des- 
ination  M.  de  Segur  d'Aguesseau  est  officier  de 
1  Légion  d'honneur  depuis  1855.  Il  a  épousé  en 
825,  à  Rome,  Nadine-Espérance  de  Swetchine, 
^lle-lille  de  Mme  de  Swetchine;  elle  est  morte 
;  15  juillet  1836,  aux  eaux  de  Saint-Sauveur. 
Le  Sénat  de  l'empire,  t.  II.  —  Docum.  partie. 
Jsegiir  (Philippe- Paul,  comte  de),  gé- 
éral  et  historien,  second  tils  de  Louis  de  Segur, 
é  à  Paris,  le  4  novembre  1780.  11  n'eut  pas 
'autre  instituteur  que  son  père.  A  peine  âgé  de 
ix-sept  ans,  il  fréquentait  la  réunion  chantante 
BS  Dîners  du  Vaudevillle,  où  il  fit  entendre 
aelques  bluettes  de  sa  composition.  Après  le 
J  brumaire,  il  s'enrôla  comme  simple  hussard 
février  1800)  dans  la  légion  qui  forma  depuis 
garde  des  consuls.  Nommé  sous-lieutenant  et 
rvoyé  au  corps  d'armée  commandé  par  Moreau, 
lit  la  campagne  de  Bavière  et  combattit  à  Ho- 
;nlinden.  Après  avoir  été  aide  de  camp  de 
acdonald  dans  les  Grisons,  il  l'accompagna  en 
memark,  où  il  fixa  l'attention  du  colonel 
aroc,  qui  remplissait  une  mission  dans  ce 
ys.  L'appui  de  ce  dernier  lui  facilita  les 
oyens  d'être  appelé  comme  officier  de  son 
it-major  auprès  de  Bonaparte,  à  la  fortune 
quel  il  demeura  depuis  attaché  jusqu'en  1814. 
usieurs  fois  il  fut  chargé  de  missions  délicates 
l'étranger,  et  il  occupa  longtemps  auprès  du 
emier  consul  un  poste  de  confiance  relatif  à 
sûreté  et  à  la  garde  de  sa  personne.  Il  fut  aussi 
iuverneur  de  ses  pages,  vers  la  fin  de  l'empire.  Il 
était  que  capitaine  (1804)  lorsqu'il  reçut  l'ordre 
Inspecter  tous  les  ouvrages  militaires  des  côtes 
la  Manche,  de  la  Belgique  et  des  frontières  du 
tin.  En  1805,  il  fut  deux  fois  envoyé  commie 
rlementairedans  Ulm,  décida  le  général  Mack 
fendre  cette  piace,  et  assista  ensuiteà  la  bataille 
iVusterlitz.  Attaché,  sur  sa  demande,  au  service 
Joseph,  roideNaples,  il  se  distingua  au  siège  de 
[ële  et  rentra  en  France  avec  le  grade  de  chef 
fcècadron.  Aussitôt  après  son  mariage  avec  la 
le  du  comte  de  Luçay,  premier  préfet  du  pa- 
is, il  repartit  pour  faire  avec  la  grande  armée 
campagne  de  Prusse,  et  fut  cité  honorable- 
nt  à  Iéna.  11  prit  comme  aide  de  camp  de  Na- 
éon  une  part  brillante  à  la  guerre  de  Pologne; 
ssé  deux  fois  à  Nazielsk,  il  tomba  aux  mains 
Cosaques.  On  l'interna  à  Vologda,  au  delà 
Moscou,  et  il  ne  put  être  échangé  qu'après 
paix  de  Tilsitt  (7  juillet  1807).  En  1808,  il 
ssa  comme  major  en  Espagne  :  au  combat  de 
mo-Sierra  (30  novembre),  à  la  tête  de  80  che- 
n-légers  polonais,  il  attaqua  1,400  Espagnols, 
itenus  par  quinze  pièces  d'artillerie,  les  chassa 
leurs  retranchements,  et  enleva  leurs  ca- 
iis.  Ce  beau  fait  d'armes  lui  valut  le  grade  de 
onel  ;  mais  criblé  de  blessures,  il  lui  fallut 
ftrer  en  France,  et  l'empereur  le  chargea  de 
senter  au  corps  législatif  soixante-quatre 
peaux  pris  à  l'ennemi.  Après  avoir  été  em  ■ 


ployé,  en  1810  à  plusieurs  missions  difficiles, 
M.  de  Segur  fui,  le  20  juin  1811,  nommé  général 
de  brigade,  et  toujours  attaché  à  l'état-major  de 
Napoléon,  il  le  suivit  dans  cette  désastreuse  cam- 
pagne de  Russie,  dont  il  se  fit  plus  tard  l'his- 
torien. Placé  en  1813  à  la  tête  du  5e  régiment 
des  gardes  d'honneur,  il  contribua  avec  ce  corps 
à  sauver  l'armée  à  Hanau,  et  défendit  la  ligne 
du  Rhin,  de  Landau  à  Strasbourg.  11  ne  se  dis- 
tingua pas  moins  pendant  la  campagne  de  France 
à  Montmirail,  à  Château-Thierry  et  à  Meaux. 
A  l'affaire  de  Reims  (14  mars  1814),  suivi  d'une 
centaine  de  cavaliers,  il  attaqua  l'ennemi  avec 
tant  d'à-propos  qu'il  lui  détruisit  six  cents  che- 
vaux, lui  prit  quatorze  pièces  de  canon  et  em- 
porta un  des  faubourgs  ;  malgré  deux  blessures 
graves,  il  alla  rendre  compte  de  cette  affaire  à 
Napoléon  ,  qui  n'apprit  ses  blessures  qu'en  le 
voyant  tomber  sans  connaissance.  Après  la  ca- 
pitulation de  Paris,  M.  de  Segur  offrit  ses  ser- 
vices à  Louis  XVIII,  qui  l'appela  à  l'activité 
comme  chef  d'état-major  des  corps  royaux  de 
cavalerie  formés  de  la  garde  impériale.  Pendant 
les  cent-jours,  il  resta  sans  emploi  jusqu'au 
siège  de  Paris,  où  il  fut  chargé  de  la  défense  de 
la  rive  gauche  de  la  Seine.  Mis  en  disponibilité 
pour  avoir  accepté  ce  commandement,  il  fut  de 
nouveau  porté  au  cadre  d'activité  en  1818,  mais 
sans  être  employé.  Pendant  la  Restauration,  il 
s'occupa  presque  exclusivement  de  travaux  lit- 
téraires. L'Académie  française  lui  ouvrit  ses 
portes  le  25  mars  1830,  en  remplacement  de 
M.  deLevis. 

Après  la  révolution  de  1830,  M.  de  Segur  re- 
parut sur  la  scène  politique;  le  27  février  1831, 
il  fut  nommé  lieutenant  général,  et  le  19  no- 
vembre suivant,  pair -de  France.  On  cite  de  lui 
plusieurs  discours  remarquables  prononcés  au 
Luxembourg,  entre  autres  celui  du  21  février 
1832,  où,  en  demandant  la  suppression  de  !a  dé- 
nomination ex-roi  donnée  à  Charles  X  dans  une 
loi  qui  fut  amendée,  il  s'éleva  vivement  contre 
la  commémoration  du  21  janvier;  c'est  à  ce  su- 
jet que  Royer-Collard  lui  dit  alors  :  «  Mon- 
sieur, ce  n'est  pas  seulement  un  beau  discours, 
c'est  une  courageuse  et  bonne  action.  »  Depuis 
1848  il  est  rentré  dans  la  vie  privée.  On  a  de 
lui  :  Lettre  sur  la  campagne  du  générai  Mac- 
donald  dans  les  Grisons;  Paris,  1802,  in-8"; 
—  Histoire  de  Napoléon  et  de  la  grande 
armée  pendant  l'année  1812;  Paris,  1824, 
2  vol.  in-8°.  Cet  ouvrage  eut  dès  son  appari- 
tion un  succès  immense ,  et  en  est  aujourd'hui 
à  sa  15e  édition;  il  a  été  traduit  dans  pres- 
que toutes  les  langues  de  l'Europe.  L'auteur 
raconte  les  scènes  qu'il  a  vues,  et  dont  il  était 
lui-même  acteur;  il  dévoile  en  homme  d'État 
les  vues  et  les  desseins  de  l'expédition;  il  trace 
en  tacticien  le  plan  de  la  campagne.  Les  discours 
qu'il  met  dans  la  bouche  de  ses  héros,  les 
rumeurs  qu'il  recueille  dans  l'armée,  à  la  ma- 
nière de  Thucydide  et  de  Tite  Live,  donnent  a 


71& 


ses  récits  une  physionomie  particulière  et  un 
mouvement  continuel.  Cependant,  on  a  reproché 
à  cet  ouvrage  trop  de  pompe  et  d'apparat  dans 
le  style.  Il  donna  lieu  à  de  nombreuses  réfuta- 
tions, une  entre  autres,  du  général  Gourgaud, 
laquelle  était  conçue  en  termes  si  énergiques 
qu'elle  amena  un  duel  où  M.  de  Segur  fut 
blessé;  —  Histoire  de  Russie  et  de  Pierre  le 
Grand;  Paris,  1829,  in-8°;  —  Histoire  de 
Charles  VIII,  roi  de  France;  Paris,  1834, 
1842,  2  vol.  in-8°  :  c'est  la  première  partie  de 
la  continuation  de  Y  Histoire  de  France  de  son 
père,  restée  suspendue  au  règne  de  Louis  XI. 
Nous  ajouterons  encore  :  Éloge  historique  du 
maréchal  Lobau;  Paris,  1839,  in-8°;  des 
discours  à  la  chambre  des  pairs,  des  articles 
dans  le  Journal  des  sciences  militaires,  dans 
le  Dictionnaire  de  la  Conversation,  etc. 
Chevalier  de  la  Légion  d'honneuren  1804,  M.  de 
Segur  est  devenu  grand  officier  (23  mai  1825),  et 
grand'-croix  (28  avril  1847). 

Bioijr.  univ.  et  portât,  des  contemp.  —  Moniteur 
universel,  passim.  —  Vapereau,  Dict.  univ.  des  con- 
temp. —  Annuaire  hist.  des  souverains,  etc.,  184t.  — 
Documents  particuliers. 

segsjy  (Joseph),  prédicateur  français,  né  à 
Rodez, eu  1689,  mort  à  Meaux,  le  12marsl761. 
A  peine  eut-il  embrassé  l'état  ecclésiastique, 
qu'il  se  fit  remarquer  par  son  éloquence.  On  le 
chargea,  en  1729,  de  prêcher  devant  l'Académie 
française  le  panégyrique  de  saint  Louis;  son 
succès  fut  très-grand,  et  le  cardinal  de  Fleury  le 
récompensa  en  lui  donnant  l'abbaye  de  Genlis. 
L'oraison  funèbre  du  maréchal  de  Villars,  qu'il 
prononça  dans  l'église  Saint-Sulpice,  le  27  jan- 
vier 1733,  augmenta  encore  sa  réputation.  Il  se 
présenta  à  l'Académie  française,  qui  le  connais- 
sait non-seulement  pour  ses  discours,  mais  aussi 
pour  le  prix  de  poésie  qu'elle  lui  avait  donné  en 
1732,  et  il  y  fut  reçu  le  15  mars  1736.  L'abbé 
Seguy  eut  le  titre  de  prédicateur  du  roi,  et 
continua  le  ministère  de  la  prédication  jusqu'à 
un  âge  avancé  ;  il  passa  ses  dernières  années  dans 
la  retraite,  à  Meaux,  où  il  avait  un  canonicat. 
Les  caractères  de  son  éloquence  sont  l'onction , 
l'élégance  et  la  correction  ;  elle  manque  de  force, 
de  mouvement  et  de  grandeur.  11  a  laissé  :  les 
Oraisons  funèbres  de  Villars  (1735),  du  car- 
dinal de  Bissy  (1737  ),  et  d'Elisabeth,  reine  de 
Sardaigne  (1741)  ;— Panégyriques  des  saints; 
Paris,  1736,  2  vol.  in-12;  —  Discours  acadé- 
miques et  poésies;  La  Haye,  1736,  in-12;  — 
Sermons  pour  le  carême  ;  Paris,  1744,  2  vol. 
in-12  ;  —  Nouvel  Essai  de  poésies  sacrées  ; 
Meaux,  1756,  in-12. 

Son  frère,  qui  était  ami  de  J.-B.  Rousseau,  a 
donné  une  édition  des  OEuvres  de  ce  poète 
(  1743, 3  vol.  in-4°  et4  vol.  in-12  ),  avec  umpré- 
face  qui  a  été  réimpr.  à  part  à  Paris,  1 825,  in-8°. 
Il  était  gouverneur  du  prince  de  Wurtemberg. 

Haramiucs  prononcées  par  les  académiciens,  t.  V  et 
VI.  —  Goujet,  Uiblioth.  française,  t.  II. 

SEHiKF.t.AY.    Voy.  COLBERT. 


SEGUR  —  SEÏSSEL  7li 

sejslas  ou  ciaslas,  chef  dalmate,  vivai 
au  milieu  du  neuvième  siècle.  Il  était  fils  d 
Rodoslas,  petit  cbefesclavon  qui  s'était  renrîi 
indépendant.  Après  avoir  battu  les  Croates,  i 
permit  à  ses  soldats  de  vendre  comme  esclave 
les  prisonniers  de  guerre.  Rodoslas  voulut  garde 
pour  lui  le  produit  de  ce  trafic;  il  en  résulta  u 
grand  mécontentement  dans  l'armée,  qui  à  Fins 
tigation  de  Sejslas  se  souleva  et  le  plaça  sur  1 
trône.  On  prétend  que  Seislas  fut  ensuite,  ver 
860,  fait  prisonnier  par  les  Hongrois,  qui  l'auraier 
massacre  ;  mais  ce  n'est  que  trente  ans  plu 
tard  que  ce  peuple  envahit  les  contrées  voisin* 
de  la  Dalmatie. 

Cattalinicli,   Storia  di  Dalmazia  ;  Zara,  183»,  t.  II. 
SEISSEL  (Claude  de),  historien  françai 
né  vers  1450,  à  Aix  en  Savoie,  mort  le  31  m 
1520,  à  Turin.  Il  était   fils  naturel  d'un  genti 
homme  savoyard,  qui  veilla  à  ce  qu'il  reçût  ui 
bonne  éducation.  Après  avoir  étudié  le  droit 
Pavie  sous  Jason  Maino,  il  alla  l'enseigner 
Turin  avec  beaucoup  de  succès  (  1487  ).  L'inv 
sion  des  Français  ayant  fait  fermer  l'universi 
de  cette  ville,  il  vint  à  Paris,  où  Louis  XI 
à  la  sollicitation  du  cardinal  d'Amboise,  l'avî 
invité  à  se  rendre.  Ce  prince  le  nomma  coi 
seiller  d'État,  puis  maître  des  requêtes,  et 
députa  en   1508  en  ambassade  auprès  d'Hen 
VII,  roi  d'Angleterre.  On  place  vers  cette  ép 
que  de  sa  vie  son  entrée  dans  les  ordres,  sa 
que  l'on  connaisse  du  reste  aucun  détail 
éclaircisse  un  changement  si  brusque  el  à  i 
âge  déjà  avancé.  Il  administrait  le  diocèse  de  La 
lorsqu'il  fut,  à  la  recommandation  expresse  d  u  r 
élu  évêque  de  Marseille  (  1509  )  ;  mais  retent 
la  cour  par  des  affaires  importantes,  il  ne  p 
possession    de    son   siège    qu'à    la    mort 
Louis  XII  (  1515),  et  après  avoir  assisté  eh  q 
lité  d'ambassadeur  de  France  à   la   diète 
Trêves  (1512)  et  au  concile  de  Latran  (1514); 
n'y  fit  pas  long  séjour,  et  permuta  en  1517  l'« 
chevêche  de  Turin  avec  Innocent  Cibo,  I 
prit  sa  place  à  Marseille.  Avant  de  mourir 
maria  sa  fille  naturelle  avec  une  dot  de  5,000  éc 
d'or.  Ce  prélat  n'avait   pas  des  connaissan* 
étendues  ;  il  ne  s'était  pas  beaucoup  appliq 
aux  humanités,  à  l'éloquence  et  à  la  théolog 
mais  il  brillait  par  la  sagacité  et  le  jugemei 
et  eut  la  réputation  d'un  habile  jurisconsulte, 
écrivait  avec  facilité  ;  toutefois  ce  serait  le  loi 
à  faux  que  de  prétendre,  comme  on  l'a  fa 
qu'il  est  le  premier  qui  ait  commencé  à  écr 
notre  langue  avec   quelque  pureté.  On  a 
Claude  de  Seissel  :   Les  Louanges   du  H 
Louis  XII,  translatées  par  l 'auteur  du  lai 
en  français;  Paris,  1508,  in-4°,  goth.  :cetc 
vrage  a  reparu,  avec  quelques  corrections 
style,  sous  le  titre  d'Histoire  singulière 
roy  Louis  XII;  ibid.,  1558,  pet.  in-8°;  réim 
à  Paris,   1587,  in-8o,  et   avec  1; 'Histoire 
Louis  XII  par  J.   d'Auton,  ibid.,  1615,  16 
in-4°  ;  —  La  Victoire  de  Louis  XII  contre 


7 1 7  SEISSEL 

Vénitiens  ;  Paris,  1510,  in-4°  :  il  s'agit  de  la  vic- 
toire d'Aignadel  ;  on  trouve  ce  poème  à  la  suite 
des  Louanges  de  Louis  XII;  —  Moraiis  expli- 
catio  Icap.  Evangelii  Lucx ;  Paris,  15l4,in-4°, 
dédié  à  LéonX  ;  —  In  III  priora  Lucx  cap.  de 
triplici  statu  viatoris  ;  Turin,  1518,  in-4°  ;  — 
De'divina providentia ;  Paris,  1518,  in-4°;trad. 
par  l'auteur  en  français; —  La  Grande  Monar- 
cfiit  de  France;  Paris,  1519,  1540,  1557,  in-8°; 
traii.  en  latin  par  Sleidan,  Strasbourg,  1548,in-8°: 
cet  ouvrage,  encore  recherché,  traite  de  la  reli- 
gion et  de  la  justice,  de  l'organisation  militaire, 
ides  alliances  et  des  conquêtes; —  Disputationes 
adversus  errores  Valdensium  ;  Paris,  1520, 
fim-b0;  trad.  en  français  par  l'auteur; Lyon,  s.d., 
■-fol.;  — La  Loi  salique  des  François;  Paris, 
s.  <).,  in-8°,  et  dans  les  édit.  de  1540  et  de  l'ou- 
vragé précédent  ; —  Ecpetitiones  in  jure  civili; 
Lyon,  1553,  in-fol.  ;  —  Spéculum  feudorum; 
Bâle,  1566,  in-8°.  Les  traductions  de  Cl.  de 
jSeissel  n'ont  paru  qu'après  sa  mort;  outre  celle 
je  Justin  (1559,  in-fol.),  il  avait  rédigé,  mais 
i'après  des  versions  latines,  celles  de  Thucydide 
'  1527  ),  de  la  Cyropédie  (  1529  ),  de  l'Histoire 
,jfcs  successeurs  d'Alexandre  de  Diodoie  de 
Sicile  (1530),  d'Appien  (1544),  et  d'Eusèbe  et  de 
ses  continuateurs  (1553-1554,  2  vol.). 

La  Croix  du  Maine,  Biblioth.  —  Panciroli,  De  Claris 
'egum  interpretibus,  lib.  Il,  c.  137.  —  Du  Pin,  Bibl.  des 
ivtcurs  ecclés.  —  La  Monnoye,  Notes  sur  Baillet.  — 
Rallia  christ.  —  Niceron,  Mémoires,  XXIV. 

séjan  (slSlius  Sejainus),  favori  et  ministre 
le  Tibère ,  né  à  Vulsinies  en  Étrurie ,  mis  à  mort 
pn  31  après  J.-C.  Son  père,  Seius  Strabo,  che- 
i/alier  romain,  commanda  les  prétoriens  à  la  lin 
ihi  règne  d'Auguste  et  au  commencement  de  celui 
je  Tibère.  Dès  l'avènement  de  ce  dernier  (14) 
flLIius  Séjan  fut  associé  à  ce  commandement,  et  il 
?n  resta  seul  chargé  lorsque  son  père  eut  été 
îommé  gouverneur  de  l'Egypte.  Son  courage  phy- 
sique, son  audace  mêlée  de  ruse,  son  apparence 
dévouement  absolu  lui  valurent  une  influence 
sans  bornes  sur  l'esprit  de  Tibère.  La  faveur  im- 
lériale  lui  permit  de  tout  espérer,  et  le  poussa 
i  tout  entreprendre.  Il  osa  aspirer  à  l'empire. 
Snlre  lui  et  le  pouvoir  suprême  se  trouvaient  d'a- 
)ord  Drusus,  fils  de  Tibère,  puis  les  enfants  de 
Jermanicus  II  parvint  à  corrompre  Livia,  sœur 
le  Germanicus  et  femme  de  Drusus,  et  la  décida 
f  devenir  complice  de  l'empoisonnement  de  son 
Knari.  Il  ne  lui  fut  pas  plus  difficile  de  ruiner  la 
amille  de  Germanicus.  Il  touchait  donc  au  trône, 
nais  dès  ce  moment  son  ambition  devint  trop 
ipparente  pour  que  le  défiant  empereur  pût  s'y 
pomper.  Tibère,  craignant  d'avoir  un  compétiteur 
ilans  ce  ministre  qui  disposait  des  prétoriens  et 
Comptait  parmi  ses  adhérents  quelques-uns  des 
[tremiers  personnages  de  l'État,  se  mit  à  préparer 
ja  ruine  avec  une  ruse  profonde.  Il  redoubla  de 
jiienveillance  à  son  égard,  le  choisit  pour  col- 
lègue dans  le  consulat,  en  31,  lui  donna  une  place 
|!e  ponlife,  et  lui  fit  entrevoir  comme  prochaine 
on  association   à  la  puissance  tribuni tienne, 


H 


—  SÉJAN  718 

c'est-à-dire  à  l'empire.  Séjan  soupçonnai!  bien  la 
duplicité  de  cette  conduite,  mais  il  n'osait  prendre 
l'initiative  d'une,  rupture;  il  espérait  d'ailleurs 
que  Tibère  ne  se  déciderait  jamais  à  frapper  le 
chef  des  prétoriens.  Il  se  trompait.  Les  mesures 
prises  par  le  vieil  empereur  contre  son  tout-puis- 
sant ministre  ont  été  racontées  à  l'article  Mackon, 
qui  en  fut  le  principal  agent.  Séjan  assistait  au 
sénat  à  la  lecture  d'une  lettre  de  Tibère,  tandis 
que  Macron  achevait  les  derniers  arrangements 
pour  son  arrestation.  La  lettre  longue  et  équi- 
voque se  terminait  par  une  dénonciation  formelle 
contre  le  ministre.  Ce  fut  assez  ;  le  sénat  comprit 
les  intentions  du  maître,  et  les  réalisa  avec  un 
empressement  inspiré  par  la  haine.  Au  milieu 
d'insultes  et  d'outrages  de  toutes  sortes,  Séjan 
fut  arrêté  et  conduit  en  prison.  Le  même  jour  le 
sénat  le  condamna  à  mort  et  le  fil  exécuter.  Le 
peuple  montra  de  sa  chute  une  joie  furieuse  et 
sans  doute  sincère ,  car  Séjan  avait  été  le  grand 
persécuteur  de  la  famille  de  Germanicus,  si  chère 
aux  Romains.  On  abattit  ses  statues ,  on  traîna 
son  cadavre  dans  les  rues,  et  on  en  jeta  les  lam- 
beaux dans  le  Tibre.  Nous  n'avons  plus  les  pages 
où  Tacite  racontait  la  déchéance  et  le  supplice 
de  Séjan  ,  mais  l'admirable  tableau  que  Ju vénal 
a  tracé  de  cet  événement  peut  en  tenir  lieu.  La 
mort  de  Séjan  fut  suivie  de  la  proscription  de  ses 
amis  et  de  ses  parents.  Son  fils  et  sa  fille,  encore 
enfants,  périrent,  et  le  supplice  de  la  jeune  fille 
nous  a  été  transmis  avec  des  détails  si  horribles 
qu'on  aime  à  les  croire  calomnieux.  La  révélation 
du  crime  qui  avait  coûté  la  vie  à  Drusus  ,  révé- 
lation faite  par  Apicata,  femme  de  Séjan,  ranima 
des  rigueurs  qui  commençaient  à  s'adoucir,  et 
toute  la  fin  du  règne  de  Tibère  ne  fut  plus  qu'une 
suite  d'exécutions,  de  sorte  qu'après  avoir  été 
funeste  aux  Romains  par  sa  vie,  Séjan  le  fut  encore 
plus  par  sa  mort.  De  son  passage  au  pouvoir,  il 
resta  une  disposition  durable  •.  la  réunion  dans  un 
seul  camp  des  cohortes  prétoriennes,  qui  jusque- 
là  avaient  été  stationnées  dans  divers  quartiers 
de  la  ville  ;  il  les  plaça  aux  portes  de  Rome.  Cette 
mesure  eut  de  graves  conséquences  :  en  donnant 
aux  prétoriens  plus  de  cohésion  et  plus  d'esprit 
de  corps,  elle  les  rendit  redoutables  aux  empe- 
reurs même.  L.  J. 

Tacite,  Annales,  III,  IV,  V,  VI.  —  Velleius  Paterculus, 
II,  127.  —  Suétone,  Tiberius.  —  Dion  Cassius,  LVII, 
LV1I1.  —  Juvenal,  Satir.  X.  —  Tillemont,  Hist.  des 
empereurs,  t.  I.  —  Merivale,  The  Romans  under  t/ie 
Empire,  t.  V. 

séjan  (Nicolas),  musicien  français,  né  le  19 
mars  1745,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le  16  mars 
1819.  Il  lit  quelques  études  au  collège  d'Har- 
court,  et  s'adonna  à  la  musique  contre  le  gré^de 
son  père ,  qui  le  destinait  au  commerce.  Il  eut 
pour  maître  Forqueray,  son  oncle;  ses  progrès 
furent  si  rapides  qu'à  treize  ans  il  improvisa, 
dit-on,  à  S.-Merry  un  Te  Deum  que  l'on  admira- 
beaucoup.  A  quinze  ans  il  obtint  l'orgue  de  Saint- 
André-des-Arts  (1760),  et  à  vingt-sept  il  devint,, 
en  entrant  à  Notre  Dame  (1772),  le  collègue  des- 


719 


SEJAN  —  SELDEN 


72( 


plus  célèbres  organistes  du  temps,  Daquin,  Cou- 
perin  et  Balbâtre.  En  1783  il  passa  à  Saint- 
Sulpice,  dont  la  place,  rendue  vacante,  lui  fut 
offerte  sans  coucours.  La  révolution  lui  fit  perdre 
ses  emplois;  mais  il  fut,  en  1807,  attaché  à  l'é- 
glise des  Invalides,  et  en  1814  à  la  chapelle  du 
roi,  où  il  avait  été  nommé  en  1789.  «  Séjan,  dit 
M.  Fétis,  avait  l'instinct  d'un  meilleur  style  de 
musique  d'orgue  que  celui  de  ses  contemporains 
français,  et  l'on  peut  dire  qu'il  fut  le  seul  orga- 
niste de  talent  qu'il  y  ait  eu  à  Paris  dans  la  se- 
conde moitié  du  dix-huitième  siècle.  »  Delille  a 
parlé  de  lui  avec  enthousiasme  dans  les  Trois 
règnes  de  la  Nature.  On  a  de  Séjan  :  6  so- 
nates pour  piano  et  violon,  des  rondeaux  et 
airs,  3  trios,  et  de» fugues  et  noëls. 

Fétis,  Diogr.  univ.  des  musiciens. 

selden  (John),  célèbre  jurisconsulte  etpu- 
bliciste  anglais,  né  le  16  décembre  1584,  à  Sal- 
vington  (  comté  de  Sussex),  mort  le  30  novembre 
1654,  à  Londres.  Il  appartenait  à  une  famille  ho- 
norable. A  quatorze  ans  il  fut  admis  dans  l'u- 
niversité d'Oxford,  à  dix-huit  il  vint  étudier  le 
droit  à  Londres,  et  à  vingt  il  exerçait  la  profes- 
sion d'avocat.  S'étant  lié  avec  Spelman,  Cotton 
et  Carnden,  il  se  livra,  en  même  temps  qu'aux 
devoirs  de  son  état,  à  des  recherches  sur  les 
antiquités  anglaises,  et  composa,  en  1606,  un 
Ânalecton  Anglo-Britannicon,  dont ii  reconnut 
lui-même  la  faiblesse.  Sa  réputation  s'accrut 
beaucoup  lorsqu'il  fit  paraître,  en  1614,  les 
Titres  d'honneur,  ouvrage  qui  prouve  une 
grande  connaissance  de  l'histoire  constitution- 
nelle de  l'Angleterre.  En  1617  il  fit  insérer  dans 
le  Pilgrimage  de  Purchas  un  article  sur  l'exis- 
tence des  juifs  en  Angleterre,  qui,  ainsi  que  son 
célèbre  livre  De  Diis  Syris,  révéla  en  lui  un 
profond  savoir  de  l'histoire  et  des  antiquités 
bibliques.  Un  traité  que  Selden  fit  paraître  en 
1618,  et  qui  était  consacré  à  l'Histoire  des  dîmes, 
blessa  singulièrement  le  clergé  anglican,  car  il 
avait  pour  objet  de  démontrer  que  cette  nature 
d'impôt  ne  provenait  d'aucune  origine  divine, 
mais  rementait  seulement  à  Charlemagne.  Les 
chefs  de  ce  clergé  voulurent  s'en  venger.  Us  ob- 
tinrent, au  mois  de  décembre  1618,  que  l'auteur 
serait  appelé  à  comparaître  devant  une  commis- 
sion nommée  par  le  roi  Jacques  Ier.  Il  se  pré- 
senta devant  elle  accompagné  de  ses  amis  Ben 
Jonson  et  Edouard  Heyward.  Les  théologiens 
royaux  se  complurent  à  lui  signaler  les  passages 
les  plus  blâmables  de  son  livre.  Selden  reconnut 
ses  erreurs,  et  souscrivit  une  rétractation  qui 
lui  a  été  reprochée.  Une  querelle  s'éleva,  en 
1621,  entre  Jacques  Ier  et  la  chambre  des  com- 
munes, à  laquelle  la  couronne  contestait  ses 
prérogatives.  Selden,  consulté  sur  cette  grave 
question,  rédigea  une  savante  dissertation  qui 
eut  pour  effet  de  porter  la  chambre  à  résister. 
Le  roi  en  ressentit  un  tel  mécontentement  qu'il 
fit  emprisonner  Selden  et  sir  Edward  Sandys, 
membre  très-actif  du  parti  parlementaire.  Mais 


cet  emprisonnement  dura  peu.  Nommé  en  162^ 
membre  de  la  chambre  des  communes,  il  siège* 
dans  le  parti  populaire,  et  y  montra  du  courage 
et  les  qualités  qui  caractérisent  le  bon  citoyen 
Il  eut  une  grande  part  au  bill  des  droits,  et  dé- 
fendit avec  chaleur  la  liberté  de  la  presse  contn 
les  décrets  de  la  chambre  étoilée.  Il  s'opposa  i 
la  levée  d'impôts  illégaux,  particulièrement  à  ui 
droit  de  tonnage  qui  avait  été  établi  sans  l'au 
torisation  du  parlement.  Ces  résistances  ame 
nèrent,  en  1628,  la  dissolution  de  la  chambre  de 
communes.  Selden  fut  arrêté  avec  Hollis,  Elliof 
Stroud  et  d'autres  membres  éminents  de  cett 
chambre  (janv.  1629),  et  ils  furent  conduits  pa 
ordre  du  conseil  du  roi  à  la  tour  de  Londres.  J 
fut  ensuite  renfermé  dans  d'autres  prisons  d 
Londres,  et  ne  fut  rendu  qu'en  1634  à  la  liberté 
Ce  fut  en  1636  que  Selden  fit  paraître  son  plu 
célèbre  ouvrage,  sous  le  titre  de  Mare  clausum 
C'était  uneréponseau  Mare  liberumàe.  Grotius 
qui,  dans  l'intérêt  de  la  Hollande,  avait  soutenu  I 
doctrine  de  la  liberté  des  mers.  Selden,  au  con 
traire ,  se  fondant  sur  les  principes  favorables 
l'Angleterre,  prétendit  que  la  mer,  par  le  dro 
delà  nature  et  des  gens,  n'est  pas  commune 
tous  les  hommes,  mais  qu'elle  peut  être  possé 
dée  en  souveraineté  particulière  et  en  propriéh 
et  il  allait  jusqu'à  dire  que  le  roi  d'Angleterre  ei 
maître  absolu  de  l'Océan  britannique  et  que  dé 
lors  ses  sujets  ont  sur  cette  mer  la  propriété  d 
la  pêche.    Charles  Ier  fut  si  satisfait  de  l'oi 
vrage  de  Selden  qu'il  ordonna  qu'il  en  serait  d< 
posé  un  exemplaire  dans  les  archives  de  la  cou 
un  autre  dans  celles  de  l'échiquier  et  un  tro 
sième  dans  celles  de  l'amirauté.  Sarpi,  Puffer 
dorf ,  Wolff  et  Heineccius  se  rangèrent  du  cà 
du  publiciste  anglais.  Azuni  a  résumé  ainsi  se 
opinion  sur  cette  grande  controverse  :  «  La  po « 
térité  adû  juger  que  Grotius  soutintmal  uneexce 
lente  cause,  et  que  Selden  en  défendit  bien  ur 
très-mauvaise.  »  Selden  reparut  dans  la  vie  pi 
blique,  en  1640,  lorsqu'il  fut  choisi  par  l'unive 
site  d'Oxford  pour  la  représenter  au  long  parli 
ment.  Il  y  joua  un  rôle  très-modéré,  et  membi 
d'une  commission  chargée  de  préparer  l'accusatic 
((•contre  Strafford,  il  s'opposa  vivement  à  cet 
accusation  ,  ce  qui  lui  valut  d'être  considéré  pi 
le  parti  populaire  comme  un  des  ennemis  de  t 
justice.  Son  nom  se  trouve  aussi  mêlé  à  des  qii 
relies  relatives  au  clergé.   Il  fit  à  cette  époqn 
avec  d'autres  membres  des  deux  chambres 
partie  d'une  assemblée  de  théologiens  dans  h 
quelle,  dit  Wtu'telocke,  dans  ses  Mémoires, 
parlait  admirablement  et  confondait  la  fausi 
science  de  plusieurs  d'entre  eux.  Quelquefois] 
lorsque,  pour  prouver  leur  assertion ,  contint 
ce  diplomate,  ils  citaient  un  texte  de  i'Écriffl 
il  leur  disait  :  «  Peut-être  est-ce  traduit  ain 
dans  votre  petite  bible  de  poche  dorée  surtranch< 
mais  le  grec  ou  l'hébreu  signifie  telle  ou  teli 
chose»,  et  il  les  réduisait  iinsi  au  silence.  La  coi 
duite  modérée  de  Selden  le  rendit  suspect  i 


n  SELDEN  — 

rti  violent,  et  lui  fit.  supposer  qu'il  avait  trempé 
[lins  le  complot  de  Waller,  avec  Wliitelocke  et 
erpoint;  mais  il  dissipa  ces  soupçons,  et  il  fut 
1613  nommé  garde  des  archives  de  la  Tour. 
Eh  chambre  des  communes  lui  accorda  en  1646 
■qe  somme  de  5.000  liv.  st,  on  récompense  de 
s  services  publics.  Selden  resta  très-attaché 
l'université  d'0\ford,  à  laquelle  il  avait  voulu 
sser  sa  précieuse  bibliothèque.  Mais  comme  on 
i  avait  refusé  de  lui  prêter  un  manuscrit  appar- 
aanl  à  la  bibliothèque  Bodleyenne,  il  en  fut 
rt  mécontent ,  et  ne  réalisa  pas  son  projet;  toute- 
s,  ses  exécuteurs  testamentaires  se  crurent, 
rès  sa  mort,  autorisés  à  accomplir  ce  dessein. 
On  ne  peut  ni  trop  louer  le  caractère  de  Sel- 
o,  dit  Clarendon,  ni  trouver  d'expressions 
i  donnent  une  juste  idée  de  son  mérite  et  de 
vertu.  Il  était  d'un  si  prodigieux  savoir  en 
ijtes  choses  et  dans  toutes  les  langues,  ce  que 
Duve  la  supériorité  de  ses  excellents  écrits, 
'on  aurait  cru  qu'il  n'avait  jamais  vécu  qu'a- 
c  les  livres  ni  employé  une  seule  heure  de 
p  temps  à  autre  chose  qu'à  étudier  et  à  com- 
■ser;  cependant  sa  douceur,  sa  .courtoisie ,  son 
àbilité  étaient  telles  qu'on  aurait  pensé  qu'il 
ait  été  élevé  au  milieu  des  cours  les  plus  polies  ; 
ris  l'excellence  de  sa  nature,  son  humanité, 
n  plaisir  à  faire  le  bien  et  à  communiquer  tout 
qu'il  savait  étaient  encore  au-dessus  de  sa 
rfaite  éducation.  » 

■Les  principaux  ouvrages  de  Selden  sont  :  Jani 
ngloram  faciès  altéra;  Londres,  1610,  1681, 
;-8°;  trad.  en  anglais  (  1683,  in-fol.)  par  Adam 
ttleton;  —The  Duello,  or  single  combat; 
pndres,  1610,  1706,  in-4°;  —  Tilles  of  ho- 
mr;  Londres,  1614,  in-4°,  et  1631,  1671,  in- 
I.;  trad.  en  latin,  Francfort,  1696;  —  Ana- 
ctôn  anglo  britannicôn  Mb.  Il  ;  Francfort, 

K15,  in-8°  :  édit.  très-défectueuse;  —  De  diis 
ris  syntagmata  11;  Londres,  1617,  in-8°; 
byde,  1629,  in-8°,  avec  des  addit.  de  l'auteur; 
feipzig,  1668,  1672,  in- 8°;  —  History  of  tythes  ; 
ondres,  1618,  1680,  in-4°;  —  Spicilegium  in 
admeri  VIlib.  H istoriarum;  Londres,  1623, 
-fol  ;  —  De  successionibus  in  bona  de- 
mcti  secundum  leges  Hebrxorum;  Londres, 
531,  in  4°  :  ce  traité  a  été  réimpr.,  avec  celui 
ai  l'accompagne  De  successione  in  pontifica- 
«m,  à  Leyde,  1633,  in-4o;  — Mare  clausum, 
m  De  dominio  maris;  Londres,  1636,  in-8°; 
iad.  deux  fois  en  anglais,  Londres,  1652,  1663, 
i-fol.; — De  jure  naturali  et  gentiumjuxta 
isciplinam  Hebrseorum;  Londres,  1640,  in- 
il.;  —  De  annocivili  et  calendario  judaico; 
ondres,  1644,  in-4°; —  Vxor  hebraica,  sive 
e  nuptiis  et  divortiis,  etc.;  Londres,  1646, 
k»°;  —  Fleta,  seu  Commentarius  juris  an- 
ftcani;  Londres,  1647,  in-4°;  —  De  syne- 
riis  et  prarfecturis  Hebrxortun  lib.  lit; 
ondres,  1650-55,  in-4°  ;  —  Eut  y  chu  Mgyptii 
Scclesias  suas  origines,  cum  versione  et  com- 
lentario;  Oxford,  1656,  in-8°,  impr.  avec  les 


SELEUCUS 


722 


Annales  du  même  auteur.  On  a  imprimé  après 
sa  mort  plusieurs  écrits  de  Selden;  ils  ont  été 
tous  réunis  par  D.  Wilkins  dans  une  belle  édi- 
tion (Opéra  omnia;  Londres,  1726.  3  vol.  in- 
fol.).  Il  a  aussi  travaillé  aux  Marmara  arun- 
dclliana  (  1629,  in-4°)  ;  il  a  composé  des  vers 
grecs,  latins  et  anglais.  Un  de  ses  secrélaires, 
Rîch.  Milward,  a  publié  ses  pensées  sur  divevs 
sujets  .(  Table-talk,  being  the  Discourses  of 
J.  Selden,  etc.;  Lond.,  1689,  in-4°);  mais  ce 
recueil  n'a  pas  grande  autorité.  A.  Taillandier. 

Notice,  à  la  tôle  de  l'édlt.  Ae.  Wilkins.  —  J.  Aikin  , 
Life  of  J.  Selden;  Lond.,  1812,  in-8°.  —  G.  Johnson  , 
Memoirs  of  the  life  and  times  of  J.  Selden  ;  Ibid  ,  1835, 
ln-8°.  —  Ebert,  Eloçiia.  —  Morhof,  Poli/hislor.  —  Uibl. 
britttnnica.  —  Chaufepié,  Nouveau  Dict.  Iiisr.  —  Koscoc, 
Uves  of  eminent  british  lawyers.  —  Lowmles,  Biblio- 
çrapher's  manual,  t.  VIII.  —  Lodge,  l'ortraits. 

SULEUCUS  1er,  JSicator  (  2s),euxo:  ),  roi  de 
Syrie,  né  vers  358  av.  J.-C,  mort  en  280.  Son 
long  règne  ne  fut  guère  qu'une  longue  lutte  pour 
se  conquérir  un  royaume  Son  père,  Antiochus, 
était  un  des  généraux  de  Philippe  ;  sa  mère  s'ap- 
pelait LaodiCe.  Officier  dans  la  garde  (ê-coûpoe) 
d'Alexandre  le  Grand,  il  le  suivit  dans  son  expé- 
dition, et  le  conquérant  estima  assez  sa  valeur 
pour  en  être  jaloux.  Lorsqu'il  épousa  Barsine, 
fille  de  Darius ,  il  fit  épouser  à  Seleucus  A  pâmé, 
l'une  des  filles  du  satrape  Artabaze  (ses  deux 
sœurs  épousèrent  l'une  Ptolémée,  l'autre  Eu- 
mène).  A  la  mort  d'Alexandre  (323),  Seleucus 
remplaça  Perdiccas,  devenu  régent,  dans  le  com- 
mandement des  hétaïres,  et  le  seconda  dans  ses 
entreprises;  mais  lors  des  désastres  qui  signa- 
lèrent l'invasion  de  l'Egypte ,  il  se  joignit  aux 
soldats  mutinés,  et  les  conduisit  dans  la  tente  du 
régent,  qui  périt  sous  leurs  coups  (321).  Dans  le 
second  partage,  qui  eut  lieu  peu  après ,  il  eut 
pour  lot  la  satrapie  de  Babylone.  Il  sut  se  rendre 
indépendant,  à  l'exemple  des  autres  généraux 
d'Alexandre,  et  résista  aux  efforts  que  tentait 
Eumène  pour  le  faire  rentrer  dans  le  devoir.  Battu 
d'abord,  il  appela  Antigone  à  son  secours  ;  leurs 
armées  réunies  soumirent  la  Susiane,  et  tandis 
qu'Antigone  poursuivait  Eumène  dans  la  haute 
Asie,  Seleucus  mit  le  siège  devant  Suse,  dont  il 
s'empara.  Antigone,  débarrassé  d' Eumène  ,  vint 
lui  demander  compte  des  revenus  de  sa  pro- 
vince, espérant  se  défaire  d'un  allié  devenu  son 
rival.  Seleucus,  incapable  de  lui  résister  ouver- 
tement, s'enfuit  de  nuit  avec  50  cavaliers,  et  se 
retira  près  de  Ptolémée,  gouverneur  d'Egypte 
(316).  tl  entraîna  ce  dernier,  ainsi  que  Lysimaque 
et  Cassandre ,  à  former  une  ligue  contre  leur 
ennemi  commun,  et  prit  à  la  guerre  qui  s'ensui- 
vit (voy.  Ptolémée  I)  une  part  active.  Après 
avoir  commandé  la  flotte  égyptienne,  qui  opéra 
sur  les  côtes  de  l'Asie  et  dans  la  mer  Egée,  il 
décida  Ptolémée  à  entrer  lui-même  en  cam- 
pagne (312).  Ils  rencontrèrent  à  Gaza  Demetrius, 
le  fils  d'Antigone,  et  la  victoire,  longtemps  dis- 
putée, leur  resta.  Seleucus,  avec  un  millier 
d'hommes,  parvint  à  recouvrer  la  Syrie,  et  Ba- 


723  SELEUCUS 

bylone  lui  ouvrit  elle-même  ses  portes.  De  ce 
retour  de  Seleucus  à  Babylone  date  l'ère  des 
Séleucides,  appelée  aussi  ère  des  Grecs  ou  d'A- 
lexandre, encore  en  usage  chez  les  chrétiens 
d'Orient;  elle  part  du  1er  octobre  312.  Nicanor, 
gouverneur  de  Médie  pour  Antigone,  vint  l'atta- 
quer avec  dix  mille  fantassins  et  sept  mille  cava- 
liers; Seleucus  n'avait  que  trois  mille  quatre 
cents  hommes  :  il  le  défit  pourtant,  et  le  tua 
de  sa  main.  Cette  victoire  augmentant  ses  forces, 
il  soumit  la  Susiane  et  la  Médie.  Pendant 
qu'il  était  retenu  dans  la  haute  Asie  ,  Antigone, 
qui  avait  réuni  de  nouvelles  forces,  envoya  son 
fils  Demetrius  contre  lui,  pendant  qu'il  se  diri- 
geait sur  l'Egypte  ;  Demetrius  entra  dans  Baby- 
lone, mais  ne  put  s'y  maintenir.  Seleucus,  resté 
paisible  possesseur  de  son  vaste  empire,  prit  le 
titre  de  roi  (306).  Ses  possessions  s'étendaient 
de  l'Euphrate  à  l'Indus,  et  tous  les  princes  de 
l'Orient  reconnurent  sa  domination.  Il  résolut 
de  soumettre  l'Inde;  Sandrocottus,qui  avait  dé- 
livré ce  pays  du  joug  des  Grecs,  régnait  alors 
sur  les  Gangarides  ou  Prasiens.  Seleucus,  s'a- 
percevant  qu'il  ne  pourrait  se  maintenir  dans  ces 
régions,  traita  avec  lui,  épousa  sa  fille,  et  lui  céda 
les  provinces  au  delà  de  l'Indus,  moyennant 
un  secours  de  cinq  cents  éléphants  de  guerre. 
C'est  pour  cela  que  Demetrius  appelait  Seleucus 
le  surintendant  des  éléphants. 

Antigone  n'avait  pas  renoncé  à  réunir  tout 
l'héritage  d'Alexandre.  Seleucus  s'allia  une  se- 
conde fois  contre  lui  à  Cassandre,  à  Lysimaque 
et  à  Ptolémée  (302).  Les  quatre  rois  rencon- 
trèrent Antigone  et  sou  fils  Demetrius  dans  les 
plaines  d'Ipsus  (301).  La  bataille  fut  sanglante  : 
Antigone  y  perdit  la  vie.  Les  vainqueurs  ayant 
partagé  ses  États ,  Seleucus  réunit  la  Syrie  au 
reste  de  l'Asie,  qu'il  possédait  déjà.  C'est  alors 
qu'il  fonda  sur  l'Oronte ,  au  pied  du  mont  Sil- 
pium,  une  ville  qu'il  nomma  Antioche,  en  l'hon- 
neur de  son  père,  et  qu'il  peupla  avec  une  colonie 
de  Grecs,  de  Macédoniens  et  de  Juifs  (299). 
I!  avait  fondé  auparavant  Séleucie,  destinée  à 
servir  de  port  à  Antioche,  et  agrandi  ou  embelli 
plusieurs  autres  ciiés,  auxquelles  il  donna  les 
noms  de  Laodicée,  d'Apamée,  de  Stratonice, 
qui  rappelaient  ceux  de  sa  mèreou  de  sesépouses. 
Sa  puissance  effraya  ses  anciens  alliés  Lysi- 
maque et  Plolémée  :  ils  s'allièrent  contre  lui. 
Seleucus  chercha  à  se  rattacher  Demetrius, 
resté  maître  des  côtes  de  l'Asie,  en  épousant  la 
belle  Stratonice,  fille  de  ce  prince.  La  mésintel- 
ligence les  ayant  désunis,  Seleucus  se  rapprocha 
de  Plolémée,  et  de  concert  avec  lui  dépouilla  son 
beau-pèredes  provinces  qui  lui  restaient.  Pendant 
que  ce  dernier  était  occupé  à  enlever  la  Macé- 
doine aux  fils  de  Cassandre,  et  à  se  défendre 
contre  Lysimaque,  Seleucus  mit  à  profit  la  paix 
qui  suivit  pour  fonder,  sur  la  rive  droite  du 
Tigre,  en  face  de  Ctésiphon,  la  grande  Séleucie, 
qui,  devenue  bientôt  la  rivale  de  Babylone, 
dont  elle  amena  la  ruine,  ouvrit  au  commerce 


71 

une  nouvelle  voie  par  le  fleuve  Cyrus,  la  Ca 
pienne,  le  Phase  et  la  Colchide.  C'est  à  cet 
époque  de  sa  vie  qu'il  faut  placer  un  épiso 
qui  tient  plus  du  roman  que  de  l'histoire.  A 
tiochus,  son  fils,  aimait  en  secret  sa  belle-mèi 
Stratonice,  et  la  violence  de  cet  amour  lui  av; 
causé  une  maladie  mortelle.  Son  père,  averti . 
cette  passion  par  le  médecin  Erasistrate,  I 
céda  Stratonice,  avec  la  souveraineté  de  la  hat 
Asie  (293).  Il  trouva  bientôt  l'occasion  de  donn 
une  autre  preuve  de  sa  générosité.  Demetri 
.  l'avait  encore  une  fois  attaqué  en  290.  Seleuci 
Ptolémée,  Lysimaque  et  Pyrrhus,  roi  d'Épir 
réunis,  l'ayant  forcé  à  fuir  après  une  longue 
valeureuserésistance,  Demetrius  vint  se  remett 
aux  mains  de,  son  gendre  (28G).  Seleucus,  loin  . 
consentir  à  le  faire  mourir,  comme  le  propos: 
Lysimaque,  se  contenta  de  le  garder  prisonni 
dans  Apamée.  Il  fut  entraîné  dans  une  lutte  av 
Lysimaque  par  Ptolémée  Ceraunus,  qui  déshéri 
du  trône  d'Egypte  avait  trouvé  un  asile  à; 
cour;  après  avoir  déclaré  roi  son  fils  Antiochu 
il  s'avança  contre  Lysimaque.  La  bataille  fut  livr 
à  Cyropédion  en  Phrygie(281).  Lysimaque  y  pé 
avec  tous  ses  fils.  Seleucus,  victorieux  et  màît 
des  États  de  Lysimaque ,  partit  pour  la  Mac 
doine;  mais  Ptolémée,  auquel  il  refusait  l'ex 
cution  de  ses  promesses,  le  fit  assassiner  au  n 
lieu  d'un  sacrifice  à  Lysimachia  enïhrace  (280 
Anliochus  Ier,  son  fils,  lui  succéda.  11  avait  régi 
trente-deux  ans.  Seleucus  Ier  a  mérité  en  partie 
gloire  par  ses  grandes  qualités.  Généreux  ju 
qu'à  la  faiblesse,  il  devint  le  bienfaiteur  de  s 
peuples.  Il  protégea  les  sciences  et  les  arts, 
laissa  un  grand  nombre  de  fondations  utiles.  1 
dynastie  dont  il  est  le  chef  devait  pendant  pr 
de  trois  siècles  gouverner  presque  tout  l'Orier. 

G.  R 
Appien,  Syr,,  53  à  62.  —  Diodore   de  Sicile,  XVIII 
XXI.  —  Strabon,  XV,  XVI.  —  Plutarque,  Demetrius. 
Frœlich,  Annales  regvm  Syrix.  —  Eckhel,  I.  III,  p. 21 
211.  —  Droysen,  Bellenismus,  t.  Il,  p.  651,  eso-^O. 

seleucus  il,  Callinicus,  roi  de  Syrie,  mo 
en  226.  Fils  d'Antiochus  II,  il  devint  roi  en  24' 
Son  premier  acte  fut  d'ordonner  la  mort  de  : 
belle-mère  Bérénice.  Le  roi  d'Egypte,  Ptolémi 
Évergète,  frère  de  Bérénice,  entreprit  de  la  vç 
ger  :  il  envahit  les  États  de  Seleucus,  ets'avam 
jusqu'au  delà  de  l'Euphrate  (  voy.  Ptolémée  III 
Après  une  lutte  sanglante,  dont  les  événemen 
sont  mal  connus ,  Ptolémée  conclut  une  trêve  I 
dix  ans  avec  son  ennemi,  et  se  retira.  Seleuci 
eut  alors  à  combattre  son  frère  Antiochus  Hi( 
rax,  Tiridate,  roi  des  Parthes,  puis  Ptolémée,  qi 
rompit  la  trêve;  il  passa  le  reste  de  son  règne < 
se  défendre  contre  ses  adversaires,  et  ses  vit 
toiles  furent  si  nombreuses  qu'elles  lui  valurei 
le  nom  de  Callinicus  (beau  vainqueur).  C'ei 
à  la  suite  d'une  de  ces  victoires  qu'il  fonda  si 
l'Euphrate  la  ville  de  Callinicopolis  (maintenai 
Raldtals).  La  guerre  se  ralluma  entre  les  deu 
frères;  mais  Seleucus  remporta  en  Mésopotam 
une  victoire  décisive  sur  Antiochus,  qui  fut  I 


i 


25  SELEUCUS 

uit  à  s'enfuir  en  Cappadoce.  Il  entreprit  aus.si 
ne  grande  expédition  contre  les  Partîtes,  on 
e  sait  à  quelle  époque,  et  fut  battu  par  Arsace. 
>n  a  prétendu  que  Seleucus  fut  fait  prisonnier 
es  Parthes  dans  une  nouvelle  expédition  contre 
ux;  mais  ce  fait  n'est  pas  prouvé.  11  mourut 
'une  chute  de  cheval ,  après  vingt  ans  de  règne. 
es  deux  fils,  Seleucus  111  et  Antiochus  III, 
ii  succédèrent  l'un  après  l'autre.  G.  R. 
Appicn,  Syr.,  66.  —  Justin.  XXVII.  -  Niebuhr,  Kl. 
:hrift.,  t.  1er,  p.  276-286.  —  Droysen,  Hellen.,  t.  II. 

seleucus  m,  Ceraunus  {Alexandre),  roi 
3  Syrie,  mort  en  223  av.  J.-C.  11  succéda  très- 
une  à  Seleucus  II,  son  père  (226>.  D'un  tcmpé- 
iment  maladif,  mais  d'un  caractère  résolu ,  il 
itreprit  de  repousser  les  envahissements  d'At- 
de,  roi  de  Pergame,  en  Asie  Mineure,  et  se  mit 
a  route  avec  son  cousin  Achseus  pour  franchir 

Taurus  ;  mais  le  manque  d'argent  mécontenta 
ts  troupes,  et  un  de  ses  généraux  Nicanor, 
impoisonna  (223).  Antiochus  III,  son  frère,  lui 
iccérla.  G.  R. 

Polybe,  IV,  48.  -  Appien,  Syr.,  66. 

seleucus  iv,  Philopalor,vo\die  Syrie,  mort 
î  175  av.  J.-C.  11  succéda  en  186  à  Antiochus  III, 
>n  père.  La  guerre  qu'Antiochus  avait  soutenue 
«tre  les  Romains  avait  affaibli  la  Syrie  ;  Se- 
ucus  eut  en  outre  à  payer  aux  vainqueurs  des 
)mmes  immenses.  Contraint  à  une  politique 
mide,  il  s'attira  le  mépris  de  l'Orient.  Quelques 
întatives  de  vexations  contre  les  Juifs  et  une 
Itaque  contre  Eumène,  roi  de  Pergame ,  pour 
éfendre  Pharnace,  roi  de  Pont,  attaque  à  la- 
melle s'opposaient  les  Romains,  signalent  seules 
je  règne.  Seleucus  périt  empoisonné  par  son 
iiinistre  Héliodore,  après  avoir  régné  douze  ans. 
►on  frère,  Antiochus  IV,  lui  succéda.  11  eut  un 
Is,  DemetriusJer,  qui  régna  en  150,  et  une  fille, 
.aodice,  femme  de  Persée ,  dernier  roi  de  Macé- 
oine. 

Tite  Live ,  XXXII  ,  XXXV  à  XXXVII.  —  Polybe  , 
IviII,  XXI.  -  Appien,  Syr.,  66.  -  Frœlicb.,  Annal,  syr. 
SELEUCUS  V ,  fiis  de  Demetrius  II  Nicator, 
e  fit  proclamer  roi  après  le  meurtre  de  celui-ci 
124  av.  J.-C.  );  mais  sa  mère,  Cléopâtre,  qui 
vait  fait  périr  son  mari  pour  s'emparer  du  pou- 
oir,  se  débarrassa  aussitôt  d'un  fils  dont  la  har- 
iesse  avait  trompé  ses  espérances.  Elle  lui  donna 
our  successeur  un  autre  fils,  Antiochus  VIII. 

Appien,  Syr.,  68,  69. 

seleucus  VI,  Épiphane,ii\s,  aîné  d'Àntio- 
ims  VIII,  devint  en  96  roi  de  la  portion  de  la 
yrie  qui  était  restée  à  son  père.  Il  chassa  d'a- 
ord  d'Antioche ,  sa  capitale ,  l'usurpateur  Hé- 
acléon,  mais  en  fut  chassé,  à  son  tour,  par  son 
ompétiteur  Antiochus  de  Cyzique,  son  oncle. 
iîelui-ci  s'étant  tué  au  moment  où  ils  allaient  en 
enir  aux  mains,  son  fils  disputa  Antioche  à  Se- 
sucus,  qui,  forcé  de  se  retirer  en  Cilicie,  périt  à 
lopsueste,  dans  une  révolte  des  habitants  (94  av. 
.-C.  ).  Son  frère  Antiochus  XI  lui  succéda. 
Josèphe,  Ant„  XIII.  —  Appien,  Syr. 

seleucus  Cybiosactes  (  marchand  de  pois- 


—  SELIM  726 

son  salé  ) ,  roi  d'Egypte  pendant  quelques  mois 
de  l'an  58  av.  J.-C.  Quelques  historiens  l'ont 
regardé  comme  un  aventurier  d'une  origine 
inconnue;  maison  le  croit  plus  généralement  fils 
d'Antiochus  X,  roi  de  Syrie,  et  de  Cléopâtre 
Séléné.  En  58,  les  Alexandrins,  qui  avaient 
chassé  Ptolemée  XI  Aulètes,  et  donné  la  cou- 
ronne à  deux  de  ses  filles,  Cléopâtre  Tryphène 
et  Bérénice ,  appelèrent  Antiochus  à  régner  avec 
elles  ;  mais  il  mourut  subitement.  Son  cousin 
Philippe,  désigné  comme  son  successeur,  périt 
presque  aussitôt.  Seleucus,  proclamé  roi  à  son 
tour,  partit  pour  l'Egypte,  et  épousa  Bérénice,  la 
seule  survivante  des  deux  reines.  Sa  laideur  et  ses 
débauches  répugnaient  à  cette  princesse  ;  elle  le 
fit  étrangler.  Ptolemée  XI,  rétabli  en  55  par  Aulus 
Gabinius,  la  fit  périr.  G.  R. 

Dion  Cassius,  XXXIX.  -  Strabon,  XVII.  —  Vaillant, 
Bist.  des  rois  de  Syrie. 

selim  1er,  sultan  ottoman,  né  en  1467,  rnortle 
22  septembre  1520.  Son  caractère  belliqueux 
lui  concilia  debonne heure  la  sympathie  des  janis- 
saires, qui  résolurent  de  l'élever  au  trône  à  la  place 
de  son  père,  Bajazet  II,  qui  leur  paraissait  trop 
pacifique.  Une  première  tentative  échoua,  et  il  fut 
exilé  en  Crimée;  une  seconde  fut  plus  heureuse, 
en  1512.  Selim  proposa  à  Bajazet  de  partager  le 
pouvoir  ;  mais  celui-ci  répondit  que  le  même  four- 
reau ne  pouvait  contenir  deux  épées,  et  il  prit  le 
chemin  de  l'exil.  Toutefois,  comme  il  paraissait 
se  retirer  trop  lentement ,  le  poison  débarrassa 
l'ambition  du  nouveau  sultan  de  toute  inquié- 
tude. Selim  inaugura  son  règne  par  le  meurtre 
des  deux  frères  d'Ahmed ,  de  Korchud  et  de  ses 
neveux;  il  fut  toujours  fidèle  à  cette  politique 
inflexible  et  ombrageuse  qui  renversait  sans 
scrupule  tout  ce  qui  lui  faisait  obstacle  et  bri- 
sait au  moindre  soupçon  les  instruments  dont  il 
s'était  servi.  Un  poète  turc  a  dit  :  «  Tu  ne  saurais 
te  délivrer  J'un  rival,  à  moins  qu'il  ne  devienne 
le  vizir  de  Selim.  »  L'honneur  d'être  son  ministre 
était  en  effet  presque  toujours  payé  du  dernier 
supplice.  Un  ambassadeur  vénitien  écrivait  en 
1512  :  «  Ce  prince  est  le  plus  cruel  des  hommes; 
il  ne  rêve  que  conquêtes,  et  s'occupe  unique- 
ment de  ce  qui  a  rapport  à  la  guerre.  »  Il  ne 
tarda  pas  à  donner  aliment  à  sa  passion  domi- 
nante et  au  fanatisme  guerrier  des  janissaires. 
Ajournant  la  continuation  des  conquêtes  otto- 
manes sur  les  chrétiens,  il  porta  en  1514  ses 
armes  contre  la  Perse,  où  les  sophis  venaient  de 
commencer  leur  grandeur.  Il  voulait  se  venger 
de  l'appui  prêté  par  Ismael  à  son  frère  Ahmed  et 
satisfaire  sa  haine  contre  les  schiites  ;  après 
avoir  commencé  par  massacrer  40,000  de  ces 
sectaires  dans  ses  propres  États,  il  prit  la  route 
de  Perse,  et  rencontra  les  ennemis  à  Tsclialde- 
ran;  il  y  remporta  une  victoire  chèrement 
achetée.  Mais  les  pertes  qu'il  avait  faites,  la  di- 
sette et  les  murmures  des  janissaires  le  forcè- 
rent de  retourner  sur  ses  pas,  en  se  contentant 
de  la  conquête  du  Diarbekir  et  du  Kurdistan. 


727  SEL1M 

Selim  avait  laissé  à  ses  lieutenants  le  soin  de  ché  vif  (1571) 
poursuivre  cette  guerre  après  son  départ  de  la 
capitale  de  la  Perse  ;  mais  il  dirigea  en  personne 
celle  contre  les  Mamelouks  d'Egypte.  11  rem- 
porta en  1516  à  Mardjdabik  une  première  vic- 
toire sur  le  sultan  Kansson-Ghawri,  et,  devenu 
par  là  maître  de  la  Syrie,  s'avança  contre  son 
successeur,  Touman-Bey;  puis,  ayant  encore 
écrasé  les  Mamelouks  dans  les  plaines  de  Gaza  et 
de  Rudania  (1517),  il  entra  au  Caire.  L'exécution 
de  Touman-Bey  et  la  mort  de  nombreuses  vic- 
times accompagna  la  chute  de  l'empire  guer- 
rier qui  datait  de  la  croisade  de  saint  Louis. 
La  fortune  accorda  alors  à  Selim  une  nouvelle 
faveur.  Le  dernier  descendant  des  Abassides  sé- 
journait en  Egypte  entouré  des  respects  des  mu- 
sulmans; il  mit  au  service  du  fils  de  Bajazet  le 
prestige  religieux  qui  s'attachait  à  sa  naissance  : 
il  lui  transmit  le  titre  d'iman  et  l'étendard  du 
prophète.  Par  cette  concession  importante,  les 
sultans  de  Constantinople  devenaient  les  chefs 
de  l'islamisme,  les  représentants  de  Mahomet,  in- 
vestis d'une  suprématie  incontestée  sur  tous  les 
princes  musulmans;  la  soumission  de  l'Arabie 
en  était  la  conséquence.  De  retour  à  Constanti- 
nople, Selim  nourrissait  bien  d'autres  projets  :  il 
se  proposait  de  rompre  la  paix  qu'il  avait  entre- 
tenue avec  les  princes  chrétiens  et  de  conquérir 
Rhodes,  lorsque  la  mort  le  surprit,  le  22  sep- 
tembre 1520.  Ce  prince  terrible,  qui  avait  versé 
à  flots  le  sang  de  ses  ennemis  et  de  ses  servi- 
teurs, connaissait  cependant  le  prix  des  lettres 
et  protégeait  les  littérateurs  ;  lui-même  cultivait 
la  poésie.  Malgré  sa  cruauté,  sa  mémoire  est 
pourles  Ottomans  l'objet  d'un  culte  respectueux. 
Soliman  1er  lui  succéda.  L.  Collas. 

De  Hanxner,  Hist.  de  l'Empire  ottoman. 

selim  il,  sultan  ottoman,  fils  de  Soliman  le 
Magnifique  et  de  Roxelane,  né  en  1524,  moitié 
12  décembre  1574,  à  Constantinople.  11  succéda  à 
son  père,  en  1566  ;  mais  il  n'en  eut  ni  les  qualités 
ni  les  talents.  Ce  prince  «  intempérant,  l'un  des 
sultans  qui  ont  le  plus  souillé  le  trône  d'Osman  par 
de  honteuses  débauches  »  (de  Hammer),  ouvrit 
une  période  de  décadence.  Malgré  l'indignité  du 
monarque,  son  règne,  grâce  à  l'impulsion  donnée 
par  Soliman  Ier,  ne  fut  pas  sans  gloire.  Des  incur- 
sions dans  la  Carniole  précédèrent  la  conclusion 
d'un  traité  avec  l'empereur  Maximilien  IL  Après 
avoir  renouvelé  la  paix  signée  avec  la  Pologne 
et  envoyé  une  ambassade  en  France,  il  tourna 
ses  armes  vers  l'Orient,  et  s'empara  de  l'Yémen 
(1 569 - 1 570)  ;  mais  cette  province  ne  fut  guère  plus 
soumise  qu'elle  ne  l'avait  été  après  une  première 
occupation.  En  1570  une  guerre  plus  importante 
éclata  contre  Venise.  L'île  de  Chypre  avait  sur- 
tout, à  cause  de  ses  vins,  un  grand  prix  pour  ce 
prince,  passionné  pour  la  boisson.  Nicosie, 
Famagouste,  et  bientôt  le  pays  tout  entier  tom- 
bèrent aux  mains  des  Turcs,  qui  souillèrent 
leur  victoire  par  d'affreuses  cruautés;  le  gou- 
verneur de  Famagouste,  Bragadino,  fut  écor- 


728  i 
Cette  conquête  effraya  la  chré-  ! 
tienté,  et  Venise  signa  avec  le  pape  et  le  roi 
d'Espagne  une  ligue  contre  les  Ottomans.  Le 
commandement  de  la  flotte  confédérée  fut  donne 
à  don  Juan  d'Autriche,  qui  remporta,* le  7  octobre 
1571,  la  mémorable  victoire  de  Lépante.  Les 
Turcs  perdirent  224  vaisseaux  et  30,000  hommes; 
15,000  prisonniers  furent  délivrés.  Mais  les  vain 
queursne  surent  pas  tirer  parti  de  leur  triomphe: 
les  Turcs  réparèrent  leurs  pertes,  et  le  grand  visii 
put  répondre  à  l'envoyé  vénitien  :  «  En  vous 
arrachant  un  royaume,  c'est  un  bras  que  nous 
vous  avons  coupé;  et  vous,  en  battant  notre ) 
flotte,  vous  n'avez  fait  que  nous  raser  la  barbe,  i 
En  effet  les  Vénitiens,  lassés  d'une  guerre  don 
ils  portaient  tout  le  poids,  signèrent  en  1573  1; 
paix  à  des  conditions  humiliantes.  Les  Espa 
gnols  s'emparèrent,  il  est  vrai,  de  Tunis  cett 
même  année,  mais  perdirent  leur  conquête  dix 
huit  mois  après.  Une  guerre  heureuse  contre  le 
Moldaves,  qui  s'étaient  insurgés  et  furent  obligé 
de  se  soumettre,  couronna  les  événements  mili 
taires  de  ce  règne.  Selim  n'eut  pas  le  temps  d 
poursuivre  sérieusement  le  plan  qu'il  avait  fonn 
de  joindre  par  un  canal  le  Don  au  Volga;  ui 
premier  essai  ne  réussit  pas.  Le  12  décerner 
1574  Selim  mourut,  d'une  chute  causée  par  l'i 
vresse.  Ce  prince,  livré  aux  débauches  de  toute 
sortes,  ne  se  montra  pas  à  la  tête  des  armées,  et 
malgré  les  victoires  de  ses  généraux,  activa  pa 
son  exemple  la  décadence  morale  des  Ottomans 
Mourad  III,  son  fils,  lui  succéda.      L.  Collas 

De  Hammer,  Hist.  de  l'Empire  ottoman. 

selim  m,  sultan  ottoman,  né  le  14  décembr 
1761,  mort  le  29  juillet  1808,  était  fils  de  Mus 
tapha  III,  qui  fut  remplacé  (,1774)  par  son  frère 
Abdul-Hamed.  Celui-ci,  ne  paraissant  pas  des 
tiné  à  avoir  de  postérité  (conjecture  qui  ne  s 
réalisa  point),  traita  avec  sollicitude  son  neve 
qu'attendait  le  trône  des  Ottomans.  Du  fond  c! 
sérail ,  où  il  était  renfermé ,  Selim  méditait  su 
les  causes  de  la  décadence  de  l'empire  et  sur  le 
remèdes  qui  pouvaient  la  conjurer.  Il  s'entoi 
rait  de  quelques  conseillers  qui,  imbus  de 
mêmes  idées  que  lui,  l'entretenaient  dans  se 
projets  de  rénovation  ;  il  se  mit  même  en  rela 
tion  avec  le  gouvernement  français ,  et  réclam 
son  appui  pour  la  haute  mission  qu'il  s'attri 
buait.  La  mort  d'Abdul-Hamed,  arrivée  le  7  avri 
1789,  lui  permit  de  faire  passer  dans  la  réalit 
les  rêves  dont  il  avait  entretenu  son  esprit  dan 
la  retraite. 

Il  se  trouva  bientôt  aux  prises  avec  de  grande 
difficultés;  après  l'enthousiasme  provoqué  pa 
l'avènement  de  Selim  111,  les  Turcs  s'effrayèren 
bientôt  des  projets  d'un  prince  qui  voulait  lou 
voir  par  lui-même,  voulait  partout  introduire  de 
réformes,  sans  toujours  s'inquiéter  si  elles  étaien 
heureuses  et  opportunes;  quelques  exécution 
sommaires  répandirent  la  terreur.  La  guerr 
continuait  avec  les  Russes  et  les  Autrichiens 
Malgré  la  perte  d'Oczakow,  prise  par  les  pie 


729 


SELIM 


730 


iniers  en  1788,  Selim  s'obstina  à  continuer  la 
lutte,  sans  toutefois  oser  suivre  son  propre  désir, 
contraire  aux  avis  de  ses  ministres,  qui  le  dé- 
tournèrent de  prendre  le  commandement  de 
'armée.  De  nouveaux  désastres  humilièrent  les 
Turcs;  ils  furent  battus  à  Focziani,  (1789),  pér- 
iment la  Moldavie,  la  Servie,  la  Bessarabie.  Enfin 
5elim,  pressé  par  les  puissances  amies,  signa  le 
août  1791  la  paix  deScistowa  avec  l'Autriche, 
;>]ui  rendit  toutes  ses  conquêtes,  sauf  Choczim. 
Vprès  de  nouvelles  victoires  des  Russes,  notam- 
ment celle  de  Rimnick,  le  sultan,  que  la  paix,  de 
Verela,  entre  Catherine  II  et  les  Suédois,  privait 
l'une  diversion  précieuse,  signa,  le  9  janvier 
1792,  la  paix  de  Jassi  :  aux  concessions  du  traité 
"le  Kaïnardji  la  Porte  joignait  l'abandon  d'Oc- 
/akow,  de  la  Crimée,  des  embouchures  du  Bug 
».t  du  Dniester. 

Aux  humiliations  de  la  politique  extérieure 
e  joignaient  pour  les  Turcs  des  maux  de  toutes 
lalures;  le  trésor  était  vide,  l'administration  li- 
vrée à  l'anarchie;  les  provinces  se  soulevaient; 
es  troupes,  mal  payées,  menaçaient  de  se  révol- 
-er;  l'empire  semblait  tomber  en  dissolution. 
»elim  cherchait  les  moyens  de  combattre  tous 
.es  fléaux  et  d'opérer  la  régénération  projetée, 
ies  sympathies  et  les  traditions  ottomanes  le 
lortaient  à  s'appuyer  sur  la  France;  la  forme 
■épnblicaine  de  son  gouvernement  l'en  éloignait. 
;1  se  décida  cependant  à  s'adresser  à  elle  pour 
élever  la  puissance  d'une  vieille  alliée;  en  effet, 
l'après  sa  prière,  une  colonie  d'ouvriers,  d'ar- 
istes,  d'ingénieurs,  d'officiers  de  terre  et  de  mer 
ut  envoyée  à  Constantinople  pour  travailler 
;ous  ses  ordres  aux  réformes  qui  devaient  élever 

Ba  Turquie  au  niveau  des  puissances  chrétiennes. 
Mais  les  désordres  de  l'empire,  alors  troublé  par 
ia révolte  victorieuse  du  fameux  Passwan-Oglou, 
étaient  le  principal  obstacle  à  la  prospérité  du 
pays.  L'expédition  de  Bonaparte  en  Egypte  (1798) 
froubla  la  bonne  harmonie  de  la  France  et  de 
a  Turquie;  celle-ci  se  jeta  dans  les  bras  de 
'Angleterre,  à  qui  elle  laissa  prendre  pied  dans 
es  îles  Ioniennes.  Le  premier  consul  renoua  les 
■dations  d'amitié,  et  parvint  à  signer  un  traité 
le  paix  en  1802.  La  reconnaissance  de  l'empire 
tançais  fut  un  nouveau  sujet  de  contestation; 
iprès  la  bataille  d'Austerlitz,  Selim  s'y  résigna, 
îi  fiit  dès  lors  l'allié  fidèle  de  Napoléon.  La  po- 
itique  française  étant  victorieuse  à  Constanli- 
■lople,  l'Angleterre  et  la  Russie  proférèrent  des 
menaces,  qui  furent  bientôt  suivies  d'effet.  Pen- 
dant que  les  Russes  envahissaient  la  Moldavie  et 
a  Valachie,  la  révolte  était  en  Servie,  en  Alba- 
nie, en  Arabie,  presque  partout  ;  enfin,  le  20  avril 
1807,  l'amiral  anglais  Duckworth  franchissait  les 
Dardanelles  avec  neuf  vaisseaux.  Heureuse- 
ment le  général  Sebastiani  releva  le  courage  du 
îivan;  les  Turcs  montrèrent  une  activité  inac- 
coutumée, et  repoussèrent  les  Anglais,  qui  firent 
les  pertes  sensibles. 
Selim  111  avait  montré  dans  cette  circonstance 


i 


critique  une  remarquable  énergie;  il  apporta 
toujours  la  môme  ardeur  dans  ses  réformes, 
mais  il  ne  sut  pas  les  accomplir  avec  le  tact  et 
les  ménagements  qui  seuls  pouvaient  en  assurer 
le  succès.  Guidé  par  des  officiers  français,  il  éta- 
blit une  fonderie  de  canons,  et  organisa  un  corps 
de  troupes  qu'il  arma,  habilla  et  disciplina  à 
l'européenne;  ce  devait  être  le  point  de  départ 
d'une  transformation  complète  de  l'armée  otto- 
mane ;  ce  projet,  ayant  transpiré,  provoqua  une 
violente  irritation,  et  l'on  accusa  Selim  de  rompre 
avec  toutes  les  traditions  de  lïslamisme  :  aussi, 
lorsque  en  1805  il  ordonna  de  prendre  partout 
des  hommes  d'élite  pour  les  incorporer  dans  les 
nizam-djedid  (on  appelait  ainsi  les  nouveaux 
soldats)  l'opposition  fut  telle  qu'il  dut  ajourner 
l'exécution  de  son  projet.  D'autres  tentatives 
de  réformes  aigrirent  encore  les  esprits,  et  de 
farouches  derviches  prêchèrent  la  résistance  aux 
ordres  du  sultan;  les  malheurs  qui  fondaient  sur 
l'empire,  les  révoltes  sans  cesse  renaissantes 
semblaient  des  châtiments  de  ses  crimes.  En 
1807  un  incident  peu  important  provoqua  la 
révolte  préparée  depuis  longtemps.  Les  troupes 
ayant  été  disséminées  dans  les  châteaux  du  Bos- 
phore et  des  Dardanelles,  Selim  voulut  leur  im- 
poser un  nouveau  costume.  On  avait  adjoint 
aux  nizam-djedid  2,000  soldats  appelés  yamak- 
tabialis  (servants  de  batteries).  Comme  ils 
avaient  la  même  solde  et  une  destination  ana- 
logue, il  était  à  croire  que  les  deux  troupes  sou- 
tiendraient de  concert  la  réforme.  Mais  -autour 
de  Selim  quelques  conseillers  perfides  cher- 
chaient à  entretenir  les  divisions.  L'ordre  donné 
aux  yamaks  de  revêtir  le  nouvel  uniforme  fut 
le  signal  de  l'insurrection.  Us  massacrèrent  Mah- 
moud-Elfendi,  plusieurs  de  leurs  officiers,  s'exci- 
tèrent à  détruire  le  corps  des  nizam  et  à  arrêter 
l'État  sur  la  pente  où  l'entraînaient  les  partisans 
des  réformes,  et  marchèrent  sur  Constantinople. 
Là  ils  donnèrent  la  main  aux  janissaires  et  égor- 
gèrent plusieurs  des  principaux  personnages  de 
l'État.  Selim  en  livrant  la  têle  de  ses  serviteurs 
crut  sauver  son  pouvoir.  Mais  les  chefs  de  la 
révolte, encouragés  parleur  succès,  demandèrent 
au  muphti,  interprète  de  la  religion,  si  un  prince 
violateur  du  Koran  devait  continuer  à  régner. 
La  réponse  fut  négative,  et  Selim  alla  remplacer 
dans  le  sérail  son  cousin  Mustapha,  qui  fut  in- 
vesti du  pouvoir.  Ainsi  tomba  ce  prince,  victime 
de  ses  efforts  pour  arracher  l'empire  à  ses  ha- 
bitudes stationnaires  Au  reste,  Mustapha  IV,  qui 
servait  de  jouet  à  la  réaction,  ne  resta  pas  long- 
temps sur  le  trône. 

Un  partisan  dévoué  de  Selim,  Mustapha-Ba- 
raïktar,  pacha  deRoustchouk,  profitant  des  fautes 
de  ses  ennemis,  fit  appel  aux  adversaires  des 
ulémas  et  des  janissaires,  et  marcha  sur  Cons- 
tantinople avec  4,000  hommes  d'élite  que  sui- 
vait une  petite  armée.  Il  dissimula  ses  vérita- 
bles projets,  massacra  les  yamaks ,  et  parut  se 
contenter  de  quelques  concessions  que  le  nou- 


731  SELIM 

veau  sultan  s'empressa  de  faire.  Mais  Baraïktar 
attendait  l'occasion  de  rétablir  Selim  111. 

Un  jour  que  Mustapha,  endoi  mi  dans  une  trom- 
peuse sécurité,  était  allé  passer  la  journée  au 
Kiosque  de  Guenk-Soué ,  Baraïktar  fit  empri- 
sonner le  grand-vizir,  et  avec  les  conjurés  as- 
saillit le  palais;  là  il  fut  arrêté  par  la  résistance 
des  serviteurs  du  sultan,  qui  était  venu  les  en- 
courager par  sa  présence.  Pendant  que  Baraïk- 
tar essayait  de  renverser  ces  obstacles,  l'ordre 
était  donné  de  massacrer  Selim.  Lorsque  les 
bourreaux  pénétrèrent  dans  son  appartement,  il 
réciiait  sa  prière  tourné  vers  la  Mecque.  Doué 
d'une  force  athlétique,  il  ne  succomba  qu'après 
une  longue  résistance  (28  juillet  1808).  Son  cou- 
sin Mahmoud  II  devait  le  venger  et  reprendre 
ses  réformes.  L.  Colias. 

Lavallée,  Hist.  de  l'Empire  otloman.  —  Lamartine, 
liist.  de  la  Turquie. 

selis  (Nicolas- Joseph),  littérateur  français, 
né  le  27  avril  1737,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le 
9  février  1802.  Après  avoir  fait  ses  études  comme 
boursier  au  collège  de  Montaigu,  il  fut  envoyé 
comme  professeur  au  collège  d'Amiens,  lors  de 
la  suppression  des  Jésuites.  Il  épousa  dans  cette 
ville  la  nièce  du  poète  Gresset.  Il  s'y  lia  intime- 
ment avec  Delille,  professeur  au  même  collège  ; 
tous  deux  furent  rappelés  à  Paris  pour  occuper 
des  chaires  de  l'université,  et  plus  tard,  Delille, 
devenu    célèbre,  lui   fit  obtenir  celle  de  rhé- 
torique au  collège  Louis -le    Grand,   à  Paris. 
Membre  de  l'Institut  en  1795,  il  devint  en  même 
temps  professeur  de  belles-lettres  à  l'école  cen- 
trale du  Panthéon  (plus  tard  lycée  Napoléon), 
et  examinateur  des  élèves  du  Prytanée.  L'ab- 
sence de  Delille  le  fit  nommer,  le  3  octobre  1796, 
professeur  de  poésie  latine  au  Collège  de  France; 
mais  Selis  déclara,  par  une  lettre  rendue  pu- 
blique, qu'il  ne  se  considérait  que  comme  pro- 
fesseur suppléant  et  que  dès  le  retour  de  l'an- 
cien titulaire  il  lui  rendrait  sa  chaire,  ses  titres 
et  ses  droits.  Cette  déclaration  demeura  sans 
effet,  car  Delille  ne  revint  à  Paris  que  cinq  mois 
après  la  mort  de  Selis.  Les  ouvrages  qu'on  a 
de  lui  sont  :  L'Armée  romaine  sauvée  par  les 
prières  de  la  légion  fulminante,  poème;  Pa- 
ris, 1760,in-l2;—  V Inoculation  du  bon  sens; 
Londres,  1761,  in-12;  —  Relation  de  la  ma- 
ladie, de  la  confession  et  de  la  mort  de  Vol- 
taire ;  Genève,  1781,  in-12:  brochure  pleine  de 
sel  et  de  finesse,  qui  eut  trois  éditions  la  même 
année;  —  Épîtres  en  vers  sur  différents  su- 
jets; Paris,  1776,  in-8°  :  elles  ont  de  la  facilité 
et  offrent  une  douce  philosophie;  —  Disserta- 
tion sur  Perse;  Paris,  1783,  in-8°;  —  Lettre 
àun  père,  de  famille  sur  les  petits  spectacles 
de  Paris;  Paris,  1789,  in-8°;  —  Lettres  écrites 
de  la  T.rappe  par  un  novice;  Paris,  1790,  in-12. 
Selis  a  traduit   les  Satires  de  Perse,  avec  des 
remarques  (  Paris,  1776,  in-8°),  traduction  fort 
estimée,  et  l'épisode  de  Narcisse,  des  Métamor- 
phoses d'Ovide,  impr.  à  la  suite  de  Narcisse  dans 


SELVE  73! 

l'île  de  Vénus  de  Maïfilâtre  (1795,  in-12).  On 
encore  de  lui  plusieurs  Mémoires  dans  le  recuei 
de  l'Institut,  et  Barbier  lui  attribue  Bien  ne 
nouvelles  et  anecdotes  ;  Apologie  delà  flalteri 
(1788,  in-8°).  Enfin,  il  a  révisé  une  partie  del 
6e  édit.  du  Dictionnaire  de  l'Académie  (1798) 
Le  style  de  Selis  est  pur  et  élégant,  et  ses  ver 
ont  autant  de  grâce  que  d'harmonie.  Comrn 
professeur,  il  s'était  distingué  par  son  esprit  e 
la  pureté  de  son  goût. 

Moniteur  universel,  1802.  —  Journal  de  Paris,  180S 
—  Biogr.  univ.  et  port  des  contemp. 

selve  (Jean  de),  seigneur  de  Cromières 
de  Villiers  et  de  Duyson,  magistrat  et  ambassa 
deur,  né  en  Limousin  (1),  de  Fabien  de  Selve 
lieutenant  de  la  compagnie  des  gendarmes  di 
comte  de  La  Marck,  gouverneur  d'Auvergne 
mort  à  Paris,  en  décembre  1529  (2).  Il  était  ei 
1507  premier  président  au  parlement  de  Roue 
et  en  1514  à  celui  de  Bordeaux.  Lors  de  la  cou 
quête  du  Milanais,  il  s'y  rendit  comme  vice 
chancelier  (1515),  suivit  les  Français  dans  leu 
retraite,  et  fut  placé  à  la  tête  du  parlement  d 
Paris  (1521).  Après  la  bataille  de  Pavie,  la  du 
chesse  d'Angoulême,mèredu  roi,  le  chargea,  ain; 
que  l'archevêque  d'Embrun  et  Philippe  Chabot,  d 
traiter  à  Madrid  de  la  délivrance  de  François  Ie 
(1525).  Ce  fut  Selvequi  harangua  Charles-Quint 
Après  avoir  fait  appel  à  sa  magnanimité  et  à  s; 
clémence  ,  il  proposa  que  François  Ier  fût  mis 
rançon;  mais  il  repoussa  toute  demande  déj 
faite  sur  le  domaine  de  la  couronne.  Il  invoqu. 
les  liens  du  sang,  et  après  un  grand  nombr 
d'exemples  tirés  de  l'Écriture,  des  histoire 
grecque  et  romaine,  selon  l'habitude  des  ora 
teurs  de  l'époque ,  il  dit  «  qu'il  y  avait  plus  d 
gloire  et  plus  d'honneur  à  faire  régner  un  roi 
après  sa  prison,  qu'il  n'y  en  avait  à  l'avoi 
vaincu  par  guerre.»  Charles  renvoya  les  am 
bassadeurs  discuter  avec  ses  ministres.  Le, 
conférences  s'ouvrirent  à  Tolède.  Le  chancelie: 
Gattinara  revendiqua,  au  nom  de  son  maître,  li 
duché  de  Bourgogne,  comme  ayant  été  usurp» 
par  Louis  XI  sur  la  fille  de  Charles  le  Téméraire 
puis  comme  il  avançait  que  François  Ier  avai 
offert  de  restituer  le  duché,  Selve  répondit  «  qui 
le  roi  n'en  aurait  pas  le  pouvoir,  étant  en  li 
berté,  à  plus  forte  raison,  étant  en  prison,  c 
que  cela  devait  être  vidé  devant  le  parlement.» 
Ces  conférences,  commencées  le  20  juillet,  si 
prolongèrent  durant  tout  le  mois  d'août  el 
n'eurent  pour  résultat,  dit  Champollion-Figeac, 
que  de  montrer  que  le  chancelier  Gattinara  el 
le  premier  président  de  Selve  étaient  «  gens  d( 
grande  littérature  et  que  les  disputations  ne  sonl 
pas  bonnes  pour  arriver  à  paix.»  La  paix  con' 
due  (14  janvier  1526),  Selve  revint  à  Paris.  A 
l'assemblée  générale  des  états  tenus  en  présence 
du  roi,  pour  traiter  de  la  délivrance  des  enfants 

(1)  Probablement  à  Tulle. 

(2)  Bcriand,  qui  a  fait  une  épilaphe  de  Jean  de  Selve, 
dit  qu'il  fut  inhumé  dans  l'église  de  Saint-Nlcolas-dU- 
Chardonnet,  le  il  décembre  1529. 


33  SELVE  - 

e  Fiance,  donnés  en  otage  à  Charles-Quint,  il 
orla  la  parole  pour  les  cours  souveraines.  Il  a 
té  beaucoup  loué  par  ses  contemporains,  tant 
atome  négociateur  habile  que  comme  magistrat 
jvant  et  intègre.  La  bibliothèque  impériale  pos- 
^le  eu  manuscrit  ses  Négociations  et  discours, 
m  lui  a  attribué  le  traité  De  bénéficia  com- 
lenté  par  Dumoulin  et  Joly;  mais  il  paraît  que 
m  frère,  conseiller  au  parlement  de  Paris,  et 
ni  signait  aussi  Jean  de  Selve,  en  est  l'auteur. 

Selve  (Georges  de),  prélat,  (ils  du  précé- 
dent, né  en  1506,  mort  en  1541.  Dès  1524  il 
lait  évêque  de  Lavaur,  et  fut  ambassadeur  à 
enise,  en  Angleterre  et  en  Espagne.  On  a  de 
i  :  Huit  Vies  des  hommes  illustres  de  Plu- 
irque,  trad.  en  français  par  ordre  de 
tançais  1er  ;  Paris,  1547,  in-8°,  et  1548,  in- 
11.;  et  plusieurs  écrits  réunis  en  un  volume; 
iris,  1559,  in-fol. 

Parmi  ses  frères  étaient:  1°  Selve  (Jean- 
ïul  de),  ambassadeur  à  Rome,  en  1557,  mort 
êque  de  Saint-Flour,  en  1570,  et  qui  a  laissé 
i  manuscrit  ses  Négociations,  et  des  Lettres; 

Selve  (Odet  de),  sieur  de  Marignan,  prê- 
tent au  grand  conseil,  mort  à  Rome,  où  il  fut 

ambassade.  Martial  Audoin. 

Je  Lurbe,  De  illustrions  Aquitaniie  viris.  —  L'her- 
be de  Souliers,  Éloges  des  premiers  présidents  de  Pa- 
r,  p.  6t.  —  Bayle  Dict.  kist.  —  Lelong,  Biblioth.  Iiist. 

Chanipollion-Figeac,  Captivité  du  roi  François  Ier 

sémiramis,  reine  d'Assyrie,  vivait  dans  la 
Bonde  moitié  du  treizième  siècle  avant  J--C. 
s  historiens  grecs  ont  laissé  à  son  sujet  des 
|cits  entremêlés  de  divers  mythes  et  faussés 
r  plusieurs  confusions  ;  nous  allons  en  donner 
substance,  pour  en  élaguer  ensuite,  à  l'aide  de 
critique  moderne,  ce  qui  doit  êlre  réellement 
pporté  à  Sémiramis.  Celle-ci,  dit  Ctesias,  qui 
répandu  sur  elle  le  plus  de  fables,  était  fille 

Derketo  ou  Atergatis,  déesse  de  la  nature 
nératrice,  dont  le  culte  avait  son  siège  prin- 
>al  à  Ascalon.  Derketo  exposa  le  fruit  de  son 
lour  clandestin  pour  un  beau  jeune  homme  ; 
ufant  fut  recueillie  par  un  berger  du  nom  de 
.nas,  d'où  celui  de  Sémiramis.  Oannès  ou  Anu, 
uverneur  de  Syrie,  l'épousa  pour  sa  beauté 
Jatante.  Accompagnant  son  mari  au  siège  de 
ictra,  dirigé  par  le  roi  d'Assyrie  Ninus,  elle 
:liqua  le  moyen  de  réduire  la  forteresse,  et 

signala  par  sa  bravoure  lors  de  l'assaut, 
nerveillé,  le  roi  la  prit  pour  épouse;  après  sa 
f>rt  elle  lui  succéda  (1).  Par  une  suite  de  bril- 
iites  victoires  elle  étendit  au  loin  en  Asie  la 
mination  assyrienne  ;  elle  porta  ses  armes  jus- 
'en  Egypte    et  en    Ethiopie;  elle  conduisit 

l)  Selon  une  antre  tradition,  rapportée  par  Athénée  et 
adore,  Sémiramis  aurait  été  vendu.:  comme  esclave 
iir  le  harem  de  Ninus.  Un  caprice  du  roi  lui  permit 
jouer  le  rôle  de  reine  pendant  cinq  jours.  Lors  des 
es  qu'elle  organisa  alors,  et  en  commémoration  des- 
elles  on  institua  pius tard  les  sacées,  elle  gagna  les 
ncipaux  chefs  de  l'armée,  et  se  fit  attribuer  la  cou- 
ple; sur  ses  ordres  Ninus  fut  mis  en  prison  ou,  selon 
lattes,  massacré. 


SEMLER 


734 


même  une  expédition  contre  le  royaume  de 
l'Inde;  mais  elle  éprouva  une  complète  défaile. 
Elle  construisit  un  grand  nombre  de  puissantes 
cités,  Babylone  entre  autres,  et  éleva  plusieurs 
magnifiques  monuments,  tels  que  les  jardins 
suspendus  en  Médie,  une  des  sept  merveilles 
du  monde.  Après  un  règne  «le  quarante-deux 
ans,  elle  abdiqua  en  faveur  de  son  lils,  Ninias, 
disparut  de  la  terre  sous  forme  d'une  colombe,  et 
fut  depuis  adorée  comme  déesse.  En  cette  qua- 
lité elle  représente  l'amalgame  entre  la  chaste 
déesse  de  la  guerre  Tarais,  ayant  pour  emblème 
la  lune,  et  l'impure  Mylittaou  Astarté,  à  laquelle 
étaient  consacrées  les  colombes.  La  plupa'rt  des 
traits  de  sa  vie,  son  humeur  belliqueuse,  sa  vo- 
lupté effrénée  s'expliquent  par  ce  mélange  de 
mythes.  D'autres  faits  qui  lui  sont  attribués 
sont  de  pures  inventions;  quelques-uns  ont  été 
misa  tort  sur  son  compte  par  Ctesias,  parce  qu'il 
rapporta  à  cette  princesse  des  événements  qu'il  vit 
représentés  par  des  bas-reliefs  des  palais  assy- 
riens. Enfin,  il  faut  encore  noter  qu'elle  a  été 
confondue  avec  une  autre  Sémiramis  (Semmou- 
ranoth  sur  les  monuments  ),  également  reine 
d'Assyrie,  femme  de  Bélochus  IV;  cette  der- 
nière, qui  porte  aussi  le  nom  d'Atossa,  vivait  au 
huitième  siècle;  c'est  la  seule  que  connaisse  Hé- 
rodote. 

Malgré  l'obscurité,  presque  inextricable,  qui 
existe  au  sujet  de  la  grande  Sémiramis,  il  serait 
néanmoins  téméraire  de  lui  dénier  toute  existence 
historique  et  de  ne  voir  en  elle  par  exemple  que 
l'expression  de  ce  fait  que  des  tribus  sémitiques 
(  Simas,  Sémiramis)  fondèrent  le  second  empire 
assyrien,  qui  remplaça  le  royaume  kouschite 
établi  par  Nemrod.  E.  G. 

Movers  ,  Die  Phœnizier.  —  Niebuhr,  Geschichte  As- 
surs  uni  Babels,  Berlin,  1S57.  —G.  Rawlinson,  Iheftve 
great  monarchies,  t.  II,  Londres,  1863. 

semler  (Jean-Salomon),  théologien  alle- 
mand, né  le  18  décembre  1721,  à  Saalfeld  ,  où 
son  père  était  pasteur,  mort  le  14  mars  1791,  à 
Halle.  Élevé  au  milieu  du  piétisme,  il  modifia 
se?  tendances  religieuses  à  l'université  de  Halle. 
Pendant  ses  études  ,  il  s'attacha  à  S.-J.  Baum- 
garten,  qu'il  aida  dans  la  publication  de  son  His- 
toire universelle.  En  1749  il  fut  appelé  à  Co- 
bourg,  en  qualité  de  professeur,  et  il  y  rédigea 
la  Gazette.  Après  avoir  enseigné  l'histoire  et  la 
littérature  à  Altdorf  (1751),  il  obtint  à  la  fin  de 
celte  annnée  une  chaire  de  théologie  à  Halle. 
En  1757,  il  succéda  à  Baumgarten  dans  la  di- 
rection du  séminaire  théologique.  Semler  était 
doué  d'une  merveilleuse  aptitude  pour  saisir  les 
rapports  des  faits  les  uns  avec  les  autres ,  poul- 
ies apprécier  à  leur  juste  valeur,  pour  en  dé- 
mêler avec  une  finesse  remarquable  les  plus 
minces  détails.  Il  manquait,  il  est  vrai,  de  cet 
esprit  philosophique  qui  voit  les  choses  engrand 
et  dans  leur  ensemble;  mais  dans  les  choses 
d'érudition  et  de  critique  il  était  doué  des  fa- 
cultés les  plus  heureuses.  C'est  dans  ce  genre 


735  SEMLER  — 

qu'il  a  surtout  brillé.  Un  des  services  qu'il  a 
rendus,  c'est  d'avoir  fait  sentir  que  pour  inter- 
préter les  livres  bibliques  qui  ont  été  écrits  à  des 
époques  très-diverses,  il  faut  tenir  compte  de 
toutes  les  circonstances  se  rapportant  à  l'his- 
toire du  temps  auquel  chacun  d'eux  a  été  com- 
posé. Semler  a  été  le  père  de  l'herméneutique 
historique,  comme  Ernesti  celui  de  l'herméneu- 
tique grammaticale.  Le  premier,  il  soumit  à  une 
étude  approfondie  et  impartiale  la  question  du 
canon.  Il  signala  ce  fait  remarquable  que  le 
canon  dans  les  premiers  siècles  de  l'Église  n'é- 
tait pas  tout  à  fait  identique  à  celui  qui  est  de- 
venu '  définitif.  Il  montra  encore  que  tous  les 
livres  saints  ne  peuvent  pas  avoir  la  même  va- 
leur au  point  de  vue  de  la  doctrine;  que  l'Apo- 
calypse et  le  Cantique  des  cantiques  ,  par 
exemple,  ne  sauraient  être  mis  sur  la  même 
ligne,  sous  ce  rapport,  avec  des  écrits  didac- 
tiques. On  ne  peut  pas  passer  sous  silence  les 
services  qu'il  rendit  à  l'histoire  des  dogmes.  Ap- 
portant dans  ce  champ  d'études  le  même  esprit 
critique  qui  l'avait  dirigé  dans  ses  autres  tra- 
vaux, il  suivit  le  développement  des  doctrines 
admises  dans  l'Église  chrétienne,  signalant  la 
formation  de  celles-ci  et  les  modifications  de 
celles-là,  et  indiquant  sous  quelles  influences 
ces  changements  successifs  se  sont  produits. 
Grégoire  dans  son  Histoire  des  sectes  et  la 
Biographie  universelle  accusent  Semler  d'avoir 
réduit  le  christianisme  à  n'être  qu'une  doctrine 
purement  humaine  :  cette  accusation  est  injuste. 
Il  est  possible  que  la  voie  dans  laquelle  il 
a  marché  conduise  en  définitive  à  ne  voir 
dans  le  christianisme  qu'une  religion  analogue, 
sous  beaucoup  de  rapports ,  à  toutes  les  autres , 
quoique  les  dépassant  toutes  en  grandeur  et  en 
pureté;  mais  ce  n'est  pas  certainement  ainsi 
que  le  considérait  Semler.  S'il  a  sacrifié,  s'il  a 
combattu  certaines  doctrines  communément  re- 
gardées comme  parties  constitutives  de  la  religion 
chrétienne,  c'est,  d'un  côté,  parce  qu'il  ne  re- 
gardait les  doctrines  que  comme  des  superféta- 
tions  illégitimes  dont  elle  s'était  chargée  dans  les 
différents  milieux  qu'elle  a  traversés,  et  il  a 
cherché,  l'histoire  à  la  main ,  à  en  donner  la 
preuve;  c'est,  d'un  autre  côté,  parce  qu'il  pensait 
que  le  christianisme  ramené  à  sa  pureté  primi- 
tive échapperait  aux  attaques  dont  il  était  l'objet 
et  qui  portaient  précisément  sur  ces  doctrines 
parasites  qu'il  en  retranchait.  Il  ne  faut  pas  ou- 
blier que  s'il  s'éleva  contre  la  manière  dont 
l'orthodoxie  de  son  temps  entendait  la  religion 
chrétienne ,  il  ne  s'opposa  pas  avec  moins  de 
force  aux  théories  contenues  dans  les  Frag- 
ments de  Wolfenbultel  et  aux  systèmes  de  l'é- 
cole de  Basedow  et  de  Bahrdt,  qui  allaient  à 
enlever  au  christianisme  toute  origine  surnatu- 
relle et  à  le  transformer  en  une  pure  philoso- 
phie. 

Des  nombreux  écrits  de  Semler  les  pricipaux 
sont  :  De  dsemoniacis  quorum  inNovo  Testam. 


SEMONVILLE  73? 

fit  wiew^o,- Halle,  1760,  in-8°,  trois  autres  édit. 
—  Umsteendliche  Vntersuchung  der  dgemoni 
schen  Laute  (Recherche  circonstanciée  sur  li 
son  que  font  entendre  les  démoniaques  )  ;  Halle 
1762,  in-8°;  —  Sammlungen  von  Brie/en um 
Anfragenûber  die  Gassnerischenund  Schrsep 
ferischen  Geislerbeschwasrungen  (Recueils  d 
lettres  et  de  questions  sur  les  conjurations  d'es 
prits  faites  par  Gassner  et  Schraepfer  )  ;  Franc 
fort,  1775-1776,  2  vol.  in-8°;  —  Versuch  eine, 
Mblischen  Dœmonologie  (Essai  d'une  démono 
logie  biblique);  Halle,  1776,  in-8°;  onaencor 
quelques  autres  écrits  de  Semler  sur  le  mêm 
sujet,  qu'il  considère  à  un  point  de  vue  rationm 
ne  voyant  dans  les  possessions  de  démons  qi 
des  maladies  mentales  ; —  De  mysticarum  inie 
preta/ionum  studio, hodie parum  ittili;  Hali 
1760,in-8°; —  Vorbereilung  zurtheologisch 
Hermeneutik  (Préparation  à  l'herméneutiqi 
biblique);  Halle,  1760-69,  4  part.  in-8°;  —  Âp 
parafas  ad  liber am  Novi  Testamenti  inter 
pretationem  ;  Halle,  1767,  in-8°;  —  Apparatu 
ad  liberam  Veteris  Testamenti  interpre 
tationem;  Halle,  1773,  in-8°;  —  Abhanà 
lung  von  fréter  Vntersuchung  des  kanon 
(Traité  d'une  libre  recherche  du  canon);  Hallt 
1771  et  suiv.,  4  vol.  in-8°  :  un  des  ouvrages  k 
plus  remarquables  de  Semler;  —  De  discrimin 
notionum  vulgarium  et  chrislianarum  i 
libris  Novi  Testamenti  observando  ;  Halle 
1770,  in-4°;  —  Christ,  freye  Untersuchun 
ueber  die  sogenante  OJfenbarung  Johanm 
(Recherches  libres  sur  la  soi-disant  révélatio 
de  Jean);  Halle,  1769,  in-8°;  —  Commente 
tiones  historix  de  antiquo  chrislianorm 
statu;  Halle,  1771-1772,  2  vol.  in-8°;—  Vet 
such  eines  fruchtbaren  Auszugsder  Kirchei 
geschichte  (Essaid'un  précis  substantiel  de  l'hi 
toire  de  l'Église);  Halle,  1778,  3  vol.  in-S0;- 
Observationes  novse  quibus  historia  christic 
norum  usque  ad  Consiantinum  Magnumi 
lustratur;  Halle,  1784,  in-8°;  —  Institua 
ad  doctrinam  christianam  liberaliter  discei 
dam;  Halle,  1774,  in-8°.  Michel  Nicolas. 
Semler's  Lebensbeschreibung  von  ihm  selbst  versjass 
Halle,  1781-82,  2  vol.  in-8°.  —  Eicnorn,  Allg.  Bibliott 
t.  V,  p.  1-202  —  Fr.-A.  Wolf,  Ueber  Semler's  lezte  t 
benstage;  Halle,  1791,  in-8°.  —  H.  Schrold,  Theoloq 
Semler's;  Nordlingen,  1858,  i'n-8*. 

semolei.  Voy.  Franco  (Battista). 

semon  ville  (Charles-Louis  Huguet,  nj§ 
quis  de),  diplomate,  né  à  Paris,  le  9  mars  175! 
mort  dans  cette  ville,  le  11  août  1839,  était  fils  (■ 
Huguet  de  Montaran ,  secrétaire  du  roi  et  à 
conseil .  Reçu  avant  l'âge  de  dix-neuf  ans  coi 
seiller  aux  enquêtes  du  parlement  de  Paris,  ils 
fit  bientôt  remarquer  par  la  finesse  et  la  distin 
tion  de  son  esprit;  mais  il  fixa  surtout  l'attei 
tion  publique  par  un  discours  prononcé  dai 
l'assemblée  générale  des  chambres  du  parlemei 
(1788),  où  il  proposait  la  convocation  des  éta 
généraux,  comme  le  .seul  moyen  de  franchir  I' 
embarras  de  la  situation.   11  n'obtint  pourta; 


•A 

il 

il 


SEMONVILLE 


788 


!  'une  élection  de  suppléant  aux  états  généraux, 
il  ne  fut  pas  appelé  à  siéger;  mais  son  ta- 
|it  inné  pour  l'intrigue  en  fit  un  auxiliaire  très- 
le  au  lieutenant  civil  Talon ,  dans  les  négo- 
tions  qui  préparèrent  la  défection  de  Mira- 
111  et  dans  celles   qui  eurent  pour  objet  de 
I  tacher  aux  intérêts  de  la  cour  quelques-uns 
h  chefs  du  parti  patriote.  Le  ministre  Mont- 
|»rin  l'envoya  à  Bruxelles,   pour  étudier  la 
hrche  du  mouvement  insurrectionnel  qui  ren- 
[  la  Belgique  indépendante  de  l'Autriche  pen- 
[tit  une  année  (1790).  Au  mois  d'août   1791, 
[nonville  fut  nommé   envoyé  extraordinaire 
Its    la    république    de   Gênes.    Dumouriez, 
1rs  ministre  des  affaires  étrangères,  tenta,  par 
[»pât  de  quelque  extension  territoriale,  de  dé- 
[!ier  le  roi  de  Sardaigne  de  la  politique  autri- 
jînne;  mais  ce  prince,  avant  d'avoir  reçu  la  no- 
liation  de   Semonville  au  poste  d'envoyé  à 
lin,  donna  ordre  de  ne  pas  lui  laisser  franchir 
■  frontière  piémontaise  (avril  1792).   Semon- 
|e  fut  alors  appelé  à  l'ambassade  de  Cons- 
tinople  ;  mais  le  sultan  Selim ,  influencé  par 
représentations  des  puissances  coalisées,  re- 
i  de  le  recevoir.  Bien  qu'engagé  secrètement 
c  certains  membres  du  gouvernement  répu- 
ain,   il  jugea  prudent  d'abriter  sa  position 
tonnelle  sous  le  couvert  d'une  mission  d'ob- 
ration,  qui  lui  fut  donnée  pour  la  Corse;  il 
lia  d'amitié  avec  Paoli,  et  y  fit  la  connais- 
3e  du  jeune  Napoléon  Bonaparte.  Destiné  de 
veau  à  l'ambassade  de  Constantinople  (  mai 
3),  il  reçut  ordre  de  s'entendre  avec  Maret 
I  maintenir  les  principautés  italiennes  dans 
•alliance  avec  la  république  française.IIs  par- 
jnt  ensemble  de  Genève;  mais  à  leur  arrivée 
[ovale,  sur  le  territoire  neutre  des  Grisons, 
5  juillet  1793,  les  deux  négociateurs  furent 
vés  par  l'ordre  du  gouverneur  de  Milan,  et 
rluits  dans  la  forteresse  de  Mantoue,  puis  à 
ïstein ,  dans  le  Tyrol ,  où  ils  subirent  trente 
s  d'une  étroite  captivité.  En  décembre  1795, 
.  suite  de  l'échange  qui  eut  lieu  de  la  fille  de 
lis  XVI  contre  les  députés  Camus,  Quinette, 
[cal   et  Lamarque,  les  deux  captifs  furent 
lis  en  liberté.  Semonville  ne  prit  aucune  part 
coup  d'État  du  18  brumaire;  mais  il  rap- 
au  premier  consul  les  rapports  qu'il  avait 
fetenus    précédemment  avec    lui ,    et  fut 
■"gé,  le  30  décembre  1799,  sous  le  titre  de 
Bistre  plénipotentiaire ,  du  soin  important  de 
Bsolider  l'alliance  existant  entre  le  gouverne- 
Bit  français  et  la  république  batave.  Il  partit 
Pfr  La  Haye,  et  réussit  pleinement  dans  sa  né- 
gtation.  Le  département  des  Ardennes  l'élut, 
■803,  candidat  au  sénat  conservateur.  Il  y  entra 
B6' février  1805,  en  vertu  d'une  nomination 
aMbre  choix  de  l'empereur,  et  par  les  qualités 
éjnentes  de  son  esprit  il  parvint  à  obtenir  une 
Graine  influence  sous  le  régime  impérial.  D'a- 
P|>  Mounier,   ce  fut  sur  une  insinuation  de  Se- 
Hiville  que  la  famille  souveraine  d'Autriche  se 

NOCVi  BIOGR.   GÉNÉR.   —  T.    XL1H. 


décida  à  contracter  avec  Napoléon  cette  étroite 
alliance  qui  ajouta  plus  à  la  splendeur  de  son 
trône  qu'à  sa  puissance  et  à  sa  solidité.  Semon- 
ville servit  d'organe  aux  commissions  sénato- 
riales chargées  en  1809  et  en  1810  de  préparer 
l'enregistrement  des  décrets  de  réunion  du  Va- 
lais ,  de  la  Hollande  et  de  la  Toscane  à  l'empire. 
II  s'empressa  d'adhérer  à  la  délibération  de  dé- 
chéance de  Napoléon;  mais  il  combattit  éner- 
giquement  la  proposition  faite  au  sénat  par 
l'empereur  de  Bussie  pour  la  réhabilitation  du 
général  Moreau.  Uni  par  une  ancienne  amitié  à 
MM.  Dambray  et  Ferrand,  Semonville  fit  partie 
de  la  commission  chargée  de  préparer  la  charte 
constitutionnelle.  Il  fut  compris  avec  le  titre  de 
grand  référendaire  dans  la  première  promotion 
des  pairs  (5  juin  1814).  Trop  clairvoyant  pour 
croire  au  succès  durable  de  l'entreprise  du  20 
mars,  il  se  retira  pendant  les  cent  jours  dans 
une  de  ses  terres,  et  ne  reparut  à  Paris  qu'a- 
près le  retour  du  roi.  Mais,  fidèle  à  la  tactique 
de  toute  sa  vie,  il  avait  pris  soin  de  se  ména- 
ger un  appui  éventuel  dans  le  général  Mon- 
tholon,  son  beau-fils,  que  Napoléon  venait  d'atta- 
cher à  sa  personne  en  qualité  d'aide  de  camp; 
en  même  temps  il  exhortait  le  frère  de  ce  mili- 
taire à  suivre  Louis  XVIII  dans  son  exil. 

La  seconde  restauration  rendit  à  Semonville 
toute lafaveur  dont  il  avait  joui  sous  la  première, 
et  il  faut  reconnaître  qu'il  la  justifia  par  l'intel- 
ligente fidélité  avec  laquelle  il  se  dévoua  à  ce 
gouvernement,  qui  lui  fut  redevable  de  quel- 
ques conquêtes  précieuses.  Personne  enfin  n'était 
mieux  placé ,  soit  par  ses  antécédents ,  soit  par 
la  souplesse  et  la  conciliation  de  son  caractère, 
pour  opérer  d'utiles  rapprochements  entre  les 
hommes  de  l'ancien  et  ceux  du  nouveau  régime. 
Louis  XVIII  lui  fit  à  plusieurs  reprises  l'honneur, 
fort  peu  prodigué,  de  le  visiter  dans  ses  somptueux 
appartementsduLuxembourg.  Semonville  occupa 
d'ailleurs  rarement  la  tribune ,  et  semblait  ré- 
server pour  les  discussions  particulières  les 
ressources  d'un  esprit  éminemment  propre  à  la 
conversation.  Doué  d'une  certaine  indépendance 
de  langage,  malgré  la  souplesse  habituelle  de 
ses  attachements  et  de  ses  principes,  il  faisait 
entendre  parfois  aux  dépositaires  du  pouvoir 
quelques  vérités  incommodes ,  et  n'épargna  rien 
pour  combattre  les  tendances  politiques  qui  se 
traduisirent,  au  25  juillet  1830,  en  un  coup  d'État 
sans  rapport  avec  la  gravité  réelle  delà  situation. 
Le  29  il  résolut  de  conjurer  par  un  suprême 
effort  les  dangers  de  la  monarchie.  Après  avoir 
vainement  exhorté  les  ministres,  réunis  aux 
Tuileries,  d'abdiquer  un  pouvoir  impopulaire, 
il  se  rendit  à  Saint-CIoud  accompagné  de  M.  d'Ar- 
gout,  et  eut  avec  Charles  X  un  long  et  pathétique 
entretien,  dont  le  résultat,  péniblement  obtenu,  fut 
la  convocation  du  conseil  et  le  retrait  des  funestes 
ordonnances.  L'évacuation  inopinée  du  Louvre 
et  la  retraite  de  l'armée  royale  firent  avorter 
ces  généreux  efforts,  que  Semonville  accom- 

24 


739 

pagna  de  démarches  plus  intimes  destinées  à 
sauvegarder  le  principe  de  l'hérédité  monar- 
chique. Moins  d'un  an  après,  le  25  juillet  1831, 
le  vieux  courtisan  faisait  pavoiser  la  salle  des 
séances  de  la  chambredes  pairs  de  quarante  dra- 
peaux autrichiensenvoyésen  1805  par  Napoléon  au 
sénat  conservateur,  et  ménageait  ainsi  au  jeune 
duc  d'Orléans  l'occasion  d'une  allocution  belli- 
queuse et  populaire.  Le  21  septembre  1834,  il  fut 
remplacé  dans  ses  fonctions  de  grand  référen- 
daire par  le  duc  Decazes,  et  il  alla  abriter  à  Ver- 
sailles, dans  une  habitation  qu'il  avait  récemment 
acquise,  le  dépit  mal  dissimulé  que  lui  fit  éprouver 
sa  disgrâce.  Il  mourut  dans  sa  quatre- vingt-et- 
unième  année,  des  suites  d'une  chute  dont  la 
violence  défia  toutes  les  ressources  de  l'art,  II 
avait  épousé  Mi'e  de  Rostaing,  veuve  en  pre- 
mières noces  du  comte  de  Montholon ,  belle- 
mère  des  généraux  Joubert  et  de  Sparre  et  du 
maréchal  Macdonald*  Ii  tenait  de  Napoléon  le 
titre  de  comte  (1808)  et  de  Louis  XVIII  celui  de 
marquis  (1819).  En  lui  s'éteignit  un  des  der- 
niers types  de  i'ancienne  urbanité  française  mo- 
difiée parles  épreuves  du  régime  révolutionnaire. 
Il  est  juste  de  dire  à  sa  louange  que  peu 
d'hommes  se  sont  montrés  plus  obligeants  et 
ont  rendu  plus  de  services.  Né  dans  des  jours 
tranquilles,  Semonville,  doué  de  mœurs  douces, 
d'un  sens  exquis,  d'un  esprit  conciliant,  d'une 
nature  éminemment  généreuse, u'eût  point  porté 
dans  sa  vie  extérieure  ces  habitudes  cauteleuses, 
cette  incroyable  souplesse  de  caractère  et  de 
maximes  à  la  faveur  desquelles  il  cherchait  à  se 
faire  accepter  sous  tous  les  régimes,  et  dont  le 
succès,  chez  lui  comme  chez  tant  d'autres,  a  si 
activement  contribué  parmi  nous  à  la  décadence 
progressive  des  mœurs  politiques.  A.  Boullée. 

Mémoires  tirés  des  papiers  d'un  homme  d'État.  — 
Mouaier,  Éloge  de  Semonville.  —  Polignac  (  De) ,  Études 
historiques.  —  Moniteur  du  14  avril  1839. 

sempronius  longus,  général  romain, 
vivait  à  la  fin  du  troisième  siècle  avant  J.-C. 
Consul  avec  P.  Cornélius  Scipion  en  218,  dans  la 
première  année  de  la  seconde  guerre  punique,  il 
eut  la  Sicile  pour  province.  Il  y  poussait  les  hos- 
tilités avec  vigueur  et  même  avec  succès,  lorsque 
le  sénat  le  rappela  en  toute  hâte  dans  le  nord 
de  l'Italie,  pour  l'opposer  à  Annibal.  Au  cœur  de 
l'hiver  Sempronius  traversa  en  quarante  jours  la 
péninsule  dans  sa  longueur  du  détroit  de  Mes- 
sine à  Rimini.  Il  opéra  ensuite  sa  jonction  avec 
son  collègue  sur  les  bords  de  la  Trebia,  et  tous 
deux  livrèrent  bataille  à  Annibal.  Ils  furent  com- 
plètement vaincus  et  forcés  de  se  réfugier  der- 
rière les  murs  de  Placentia.  En  215,  Sempronius 
ent  un  commandement  dans  l'Italie  méridionale, 
et  défit  Hannon  près  de  Grumentum  en  Lucanie. 
1!  mourut  en  2t0.  Y. 

Tite  I.ive,  XXI,  6,  17,  Kl -56.  -  l'olybe,  III,  40,  41,  CO, 
75.  —  Appien,  Annib.,  6,  7. 

sempronius  (  C.  Tuditanus  ) ,  homme  po- 
litique et  historien  romain,  vivait  dans  le  second 
siècle  avant  J.-C.  Il  appartenait  à  une  maison 


SEMONVILLE  -~  SENAC  74 

(.gens  Sempronia)  que  les  Gracques  rendirei 

illustre;  les  Tuditam,  quoique  moins  cél.èbn 

que  les  Graccbi,  comptent  cependant  plusieu 

personnages  importants  :  P.  Sempronius  Tud 

tanus,trïb\m militaire  àlabataille  de  Cannes  (21€ 

censeur   en  209,  consul  en  204;  Sempronh 

Tuditanus,  tribun  du  peuple  en  193,  consul  i 

185.  Le  C.  Tuditanus  qui  fait  le  sujet  de  cet  a 

ticle  était  le  fils  d'un  personnage  du  même  no 

connu  seulement  pour  avoir  été  un  des  dix  cor 

missaires  chargés  en  146  d'organiser  la  Grè' 

méridionale  en  province  romaine.  Il  fut  prête 

en  132  et  corisul  en  129.  Pendant  qu'il  était 

charge,  Scipion  l'Africain  lui  fit  conférer  la  in; 

sion  de  résoudre  les  difficultés  sans  nombre  <j 

naissaient  de  l'application  de  la  loi  agraire  i 

Tiberius.  S.  Tuditanus,  voyant  qu'il  ne  pourc 

la  remplir  sans  se  brouiller  soit  avec  le  sén/i 

soit  avec  le  parti  de  Gracchus ,  trouva  moyen 

i  quitter  Rome,  sous  prétexte  d'aller  faire  la  guei 

aux  Illyriens.  Cette  expédition  fut  heureuse, 

I  Tuditanus  à   son  retour  eut  les  honneurs 

!  triomphe.  Cicéron  fait  un  vif  éloge  de  la  polites 

de  ses  mœurs  et  de  l'élégance  de  ses  discoui 

!  Denys  d'Halicarnasse  le  compte  avec  Caton 

Censeur  parmi  les  plus  savants  chroniqueurs  i 

j  mains,  et  son  histoire,  dont  nous  ne  connaisse 

I  pas  le  sujet  précis  et  dont  ii  ne  reste  rien,  i 

I  plusieurs  fois  citée  par  les  anciens.         L.  J, 

Cicéron,  Ad  Attic,  XIII,  30;  32;  De  natura  deon 

j    II,  S  ;  Brutus,  25.  —  Velleius  Palerculus,  II,  4.  —  Appi 

j    Bel.  civ.,  I,  19;Illyr,,  10.  —  Tite  Live,  Ëpit.  —  Krav. 

j    faites  et  fragm.  hist.  romanorum.  —  Smitn,  Dictiont 

of  greek  and  roman  bionr.,  art.  Tuditanus. 

sempronius.  Voy.  Gracchus. 

senac  (Jean-Baptiste) ,  médecin  frança 

I  né  en  1693,  près  de  Lombez  (Gers),  mort 

j  20  décembre  1770,  à  Paris.  On  ne  sait  rien 

{  certain  sur  la  première  moitié  de  sa  vie.  S'il  f< 

j  en  croire  un  bruit  répandu  par  Jes  ennemis 

sa  fortune,  il  se  fit  de  protestant,  catholique, 

devint  d'aspirant  au  ministère  de  l'Évangile,  afi 

à  la  compagnie  de  Jésus.  Mais  les  faits  pW 

sont  inconnus;  on  ne  peut  même  affirmer  d. 

quelle  Arille  ni  à  quelle  époque  il  prit  ses  grad 

D'après  Y  État  de  la  médecine  en  Europe  pi 

1777,  il  était  docteur  de  la  faculté  de  Reir 

d'après  la  Biographie  médicale,  il  était  bacl 

lier  de  celle  de  Paris  ;  d'après  d'autres ,  il  9 

tous  ses  examens  à  Montpellier.  Quoi  qu'il 

soit,  nous   le  voyons  en  1745  attaché  com 

médecin  à  la  personne  du  maréchal  de  Saxe 

le  suivre  dès  lors  dans  ses  campagnes.  Le  s 

réchal  étant  mort,  Senac  s'établit  à  Versaill 

il  y  obtint  d'abord  une  charge  de  médecin  a 

sultant  de  Louis  XV,  et  devint  premier  méJe 

du  roi  à  la  mort  de  Chicoyneau  (avril  1752) 

eut,  en  cette  qualité,  le  titre  de  conseiller  d'É 

puis  celui  de  surintendant  des  eaux  minérales 

royaume,  et  fut  membre  del'Académie  des  scien 

ainsi  que  de  la  Société  royale  de  Nancy.  Grin 

qui  ne  l'aimait  pas  et  qui  lui  reproche  un  car 

tère  difficile  et  jaloux,  fait  néanmoins  l'éloge 


tl 


SENAC 


742 


•n  talent  et  de  son  esprit.  La  réputation  de 
sûac,  très-grande  de  son  vivant,  lui  a  survécu 
i  partie.  Ses  ouvrages  sont  écrits  d'un  style 
air  et  pur.  On  a  de  lui  :  Discours  sur  la  mè- 
.ode  de  Franco  et  sur  celle  de  M.  Rau  lou- 
tant  l'opération  de  la  taille;  Paris,  1727, 
1-12;  —  Lettres  de  Julien  Morisson  sur  le 
\oix  des  saignées;  Paris,  1730,  in- 12  :  ces 
très,  dans  lesquelles,  sous  le  voile  d'un  pseu- 
nyme,  Senac  attaquait  vivement  Silva,  furent 
tribuées  à  La  Mettrie ,  et  contribuèrent  à  son 
il;  —  Traité  des  causes,  des  accidents  et 
la  cure  de  la  peste,  avec  un  recueil  d'ob- 
rvations  sur  la  peste  de  Marseille;  Paris, 
M,  in-4°;  —  Traité  de  la  structure  du 
pur,  de  son  action  et  de  ses  maladies; 
'ris,  1749,  2  vol.  in-4°;  2e  édjt.,  augmentée 
t Porta) ,  ibid.,  1774, 2  vol.  in-4°,  fig.  :  ouvrage 
oital  de  l'auteur,  première  bonne  monographie 
foliée  en  France  sur  l'organisme;  —  De  Re- 
ndita  febrium  intermittentium  tum  re- 
Utentium  natura;  Paris,  1759,  in-8°  ;  — 
aité  des  maladies  du  cœur;  Paris,  1774, 
78,2  vol.  in- 1 2;  —  des  Mémoires  dans  le  Jour- 
l  des  savants  et  dans  le  Recueil  de  l'Aca- 
mie  des  sciences,  entre  autres  Sur  les  Noyés 
Sur  le  Diaphragme.  Il  avait  publié  dans  sa 
ftnesse  une  traduction  de  YAnatomie  d'Heister, 
te  des  Essais  de  physique  sur  l'usage  des 
rties  du  corps  humain  ;  Paris,  1724,  in-8°, 
1753,  3  vol.  in-12,  fig. 

Senac  eut  deux  fils  :  l'un  fut  fermier  général  ; 

utre  est  connu  dans  la  littérature  sous  le  nom 

Senac  de  Meilhan  {voy.  l'art,  suivant). 

!loy,  Diet.  hist.  de  la  méd.  —  Biogr.  mèd. 

senâc  dê  meilhan  (  Gabriel),  publiciste, 
du  précédent,  né  à  Paris,  en  1736,  mort  à 
enne,  le  5  avril  1803.  11  reçut  une  éducation 
perficielle.  A  peine  frotté  d'humanités,  il  entra 
ns  la  carrière  administrative.  Il  débuta  comme 
»ître  des  requêtes  (1764),  et  fut  ensuite  intendant 
s  provinces  d'Aunis  (1766),  de  Provence  (1773) 
3eHainaut(1775).  Cette  carrière  ne  fut  pas  pour 
sans  honneur,  si  l'on  en  croit  le  souvenir  que 
allées  de  Meilhan  ont  conservé  de  lui  à 
irseille,  et  surtout  ce  beau  portrait  de  sous- 
ption,  peint  par  Duplessis,  gravé  par  Bervic, 
e  la  ville  de  Valenciennes  reconnaissante  fit 
icer  dans  son  hôtel  de  ville  (1783).  En  1776 
int-Germain,  alors  ministre,  l'appela  à  une 
ice  de  création  extraordinaire ,  celle  d'inten- 
nt  général  de  la  guerre.  Mais  il  ne  fut  pas 
ureux  dans  cette  mission  difficile  de  régir  le 
tftentieux  et  de  soumettre  le  désordre  des 
irnitures  à  la  régularité  nécessaire  ;  sa  ma- 
ire d'agir  déplut  bientôt  au  prince  de  Mont- 
rey,  secrétaire  d'État  adjoint  au  ministre ,  qui 
igea  et  obtint  son  renvoi.  Senac  avait  de 
une  heure  eu  beaucoup  de  goût  pour  les 
très  :  à  dix-neuf  ans,  il  avait  envoyé  une 
tee  de  vers  à  Voltaire,  qui  l'avait  appelé  «  fa- 
n  d'Apollon  m.  Mais  il  eut  la  sagesse  de  re- 


noncer à  la  poésie  et  d'ajourner  jusqu'à  l'âge  mûr 
son  véritable  début  littéraire.  Il  passa  sa  vie 
dans  le  monde,  se  dépensant  en  conversations, 
en  mémoires,  en  intrigues  et  en  succès  de  toutes 
les  sortes.  Tour  à  tour  assidu  auprès  de  Mme  de 
Pompadour,  des  Noailles  et  des  Choiseul,  il  eut 
la  bonne  fortune  d'obtenir  l'amitié  de  la  mar- 
quise de  Créqui.  Il  lui  dut  plus  d'un  encoura- 
gement et  plus  d'un  bon  conseil;  il  lui  dut  d'ar- 
river par  une  pente  insensible  à  la  dure  réalité 
de  la  vieillesse.  Celte  liaison  plaide  encore,  par- 
tout où  l'estime  hésite,  en  l'honneur  de  sa  mé- 
moire (1).  Tous  deux  se  rencontrèrent  vers 
1781;  la  sympathie  qui  les  porta  l'un  vers 
l'autre  fut  une  pure  attraction  d'esprit.  Nous 
pouvons  juger  de  ce  que  fut  cette  amitié,  dont 
l'influence  fut  doublement  féconde  et  salutaire 
pour  Senac,  par  les  Lettres  publiées  récem- 
ment (2).  C'est  là  qu'on  apprend  à  connaître 
dans  ses  moindres  replis  l'homme  capable 
d'inspirer  un  si  beau  sentiment,  en  dépit  du 
scepticisme  qui  le  tourmente  et  de  l'ambition 
qui  l'agite  ;  homme  complètement  aimable  s'il 
l'eût  été  sans  le  savoir,  homme  complètement 
estimable  s'il  eût  pu  estimer  les  autres  et  s'es- 
timer lui-même. 

C'est  par  un  travail  d'ingénieuse marquetterie, 
par  une  mosaïque  de  renseignements  empruntés 
aux  mémoires  du  dix-septième  siècle  mis  en 
œuvre  avec  un  art  raffiné ,  que  Senac  débuta 
dans  les  Lettres,  c'est-à-dire  par  les  Mémoires 
(supposés)  d'Anne  de  Gonzague,  princesse 
palatine  (Paris,  1786,  in-8°).  Le  nom  de  l'au- 
teur et  la  question  de  savoir  si  son  livre  était 
authentique  occupèrent  beaucoup  le  public.  On 
peut  lire  les  pièces  de  ce  débat  dans  le  Journal 
de  Paris  et  dans  les  Correspondances  de 
La  Harpe  et  de  Grimm.  Senac  ne  se  fit  pas  con- 
naître dans  la  réimpression  qu'il  donna  en  1789 
des  Mémoires,  en  y  ajoutant  des  morceaux 
nouveaux.  Singulière  recommandation  auprès 
de  l'Académie,  à  laquelle  il  aspirait,  qu'un  premier 
succès  équivoque  et  désavoué  comme  tous  ceux  de 
ce  genre  (3).  Dans  ses  Considérations  sur  le 
luxe  et  les  richesses  (Paris,  1787,  in-8°),  il  se 
posa  en  rival  de  Necker,  qu'il  eût  remplacé  sans 
répugnance.  C'est  un  travail  hâtif  el  écourté,  où 
l'on  rencontre  d'ingénieux  raisonnements  et  quel- 
ques vues  fines.  L'ouvrage  le  plus  remarquable 
de  Senac  de  Meilhan  a  pour  titre  :  Considéra- 
tions sur  l'esprit  et  les  mœurs  (Paris,  1787, 

(1)  Ce  qui  pourrait  faire  hésiter  l'estime,  ce  sont  les 
mœurs  de  Senac,  qui  furent  des  plus  mauvaises  en  un 
siècle  où  il  n'y  en  eut  guère  de  bonnes.  On  peut  voir  là- 
dessus  les  Mémoires  de  Tilly  et  Monsieur  Nicolas,  par 
Rétif  de  la  Bretonne. 

(2)  Lettres  inédites  de  la  marquise  de  Créqui  à  Senac 
de  Meilhan  ;  Paris,  1856,  in-12. 

(3)  M.  Salgues  (  note  du  t.  II]  de  la  Se  partie  de  la  Cor- 
respondance de  Grimm  )  regarde  Senac  comme  l'au- 
teur d'un  poïme  lubrique  dont  le  titre  même  ne  peut 
être  cité,  et  qui  fut  imprimé  en  1173,  in-8°.  Il  y  a  dans 
les  œuvres  et  dans  la  vie  de  Senac  quelques-uns  de  ces 
péchés  par  où  l'homme  s'échappe  et  qui  rendent  le  mo- 
raliste suspect. 

24. 


743 


SENAC  —  SENANCOUR 


74 


in-8°  )  ;  réimpr.  en  1789,  sans  certains  passages 
libres  et  d'une  crudité  parfois  insolente.  Précieux 
comme  mine  de  renseignements  historiques  et 
d'observations  morales,,  il  pèche  surtout  par  ce 
défaut  de  réserve,  défaut  caractéristique  du 
temps,  et  par  la  hardiesse  des  détails.  On  y 
trouve  plus  d'esprit  que  de  goût,  plus  de  talent 
que  de  profondeur. 

Dans  l'année  1789  les  dernières  chances  de 
succès  et  de  pouvoir  échappent  à  la  fois  à  Senac  : 
il  a  des  démêlés  désagréables  avec  le  duc  de 
Croy,  président  des  états  du  Hainault;  il  perd 
sa  femme,  qui  l'adorait,  dit  Mme  de  Créqui;  il 
perd  sa  dernière  occasion  d'être  de  l'Académie 
française ,  à  la  mort  de  Richelieu.  En  vain  le 
comte  de  la  Marck  le  fit  dîner  avec  Mirabeau  : 
ils  ne  purent  ni  s'entendre  ni  s'estimer.  Retiré  à 
la  campagne,  Senac  publia,  comme  un  manifeste 
de  cette  opinion  conservatrice  qui  avait  tant  de 
peine  à  se  former  un  parti ,  une  brochure  inti- 
tulée :  Des  Principes  et  des  causes  de  la  ré- 
volution (Paris,  1790,  in-8°),  et  qui  passa 
presque  inaperçue.  Il  se  décida  à  émigrer,  et 
pour  adieux  à  la  France,  il  lui  laissa  les  Deux 
cousins,  conte  philosophique  «  très-spirituel, 
dit  M.  Sainte-Beuve,  et  des  plus  distingués  par 
l'idée  »,  et  la  traduction  des  deux  premiers  li- 
vres des  Annales  de  Tacite.  11  était  à  Aix-la- 
Cbapelle  en  1791.  11  séjourna  un  moment  à 
Brunswick,  où  l'on  avait,  dès  1789,  imprimé  des 
Mélanges  de  philosophie  et  de  littérature 
qui  réunissaient  ce  qu'il  avait  déjà  publié.  «Bientôt 
il  passa  en  Russie,  dit  M.  de  Levis,  où  l'im- 
pératrice Catherine,  qui  avait  lu  avec  plaisir  ses 
ouvrages,  l'invitait  à  se  rendre.  Elle  voulait  lui 
faire  écrire  les  annales  de  son  empire  et  sa 
propre  histoire.  Dans  ce  dessein,  elle  l'accueillit 
avec  une  grande  bonté,  et  s'empressa  de  l'ad- 
mettre dans  sa  société  intime  ;  mais  elle  ne  fut 
pas,  à  beaucoup  près,  aussi  contente  de  l'homme 
que  de  l'auteur.  Elle  trouvait  que  tout  son  esprit 
ne  rachetait  pas  de  graves  inconvénients  :  une  plai- 
santerie de  mauvais  goût,  quelquefois  peu  de  sou- 
plesse et  souvent  trop  peu  de  retenue;  enfin, une 
teinte  de  pédanterie  mal  déguisée  sous  une  légèreté 
•  d'emprunt.  »  Toutefois  l'impératrice  ne  lui  enleva 
pas  sa  pension  de  six  mille  roubles,  et  il  la  con- 
serva jusqu'à  l'avènement  de  Paul  Ier.  C'est  à 
Pétersbourg  que  Senac  donna  une  Lettre  à 
Mme  de  ***  (  1792,  in-8°),  récit  de  sa  première 
entrevue  avec  Catherine  II  ;  il  l'y  comparait, 
pour  la  louer  sans  doute  comme  elle  voulait 
l'être,  à  la  basilique  de  Saint-Pierre  de  Rome. 
En  sortant  de  Russie,  il  s'établit  à  Hambourg, 
centre  de  l'émigration  intelligente  et  littéraire.  Il 
s'y  répandit  peu  ;  mais  il  y  publia  l'ouvrage  par 
lequel  il  nous  demeure  le  plus  sympathique  et  le 
plus  utile  :  Du  gouvernement,  des  mœurs  et 
des  conditions  en  France  avant  la  révolu- 
tion (1795,  in-8°),  ouvrage  suivi  d'une  pre- 
mière galerie  de  Caractères  et  Portraits.  C'est 
moins  une  histoire  des  causes  de  la  révolution 


que  de  ses  effets  ;  il  est  excellent  dans  sa  parti 
restreinte,  d'une  instructive  et  attrayante  lec 
•ture.  A  Hambourg  parut  aussi  une  sorte  de  n. 
man ,  moitié  historique,  moitié  familier,  intitul 
l'Émigré  (1797,4  vol.  in-8°).  Il  est  curieu 
d'y  voir  les  préjugés  et  les  fautes  de  l'émigratio 
jugés  par  un  émigré  avec  une  inexorable  ind( 
pendance.  Malheureusement  l'ouvrage  est  trèi 
rare.  Et  il  faut  encore  le  regretter  au  point  c 
vue  même  purement  historique;  car  il  a  i 
importance  pour  l'appréciation  de  l'influei 
de  la  révolution  française  en  Allemagne,  et  sui 
tout,  ainsi  qu'il  a  été  dit  d'abord ,  des  idées  c 
l'émigration,  de  ses  souvenirs,  de  ses  espéranci 
et  de  ses  regrets.  De  Hambourg  Senac  vint 
Vienne,  où  il  vécut  dans  l'intimité  du  prince 
Ligne  ;  il  y  mourut,  âgé  de  soixante-sept  ans. 
avait  laissé  un  assez  grand  nombre  de  manu 
crits ,  d'où  le  duc  de  Levis  a  tiré  la  galerie  i 
Portraits  et  Caractères  du  dix-huitièn 
siècle  (Paris,  1813,  in-8°),  avec  uneiVo^ceq 
ne  pèche  point  par  l'indulgence,  quoiqu'il  fût  si 
élève.  Les  Œuvres  choisies  de  Senac  ont  é 
publiées  par  l'auteur  de  cet  article  (Paris,  186 
in-18).  M.  de  Lescuee 

Grimm,  La  Harpe,  Voltaire,  Corresp.  —  Journal 
Paris,  1786.  —  Année  littéraire,  1787.  —  Craufur 
Essai  biographique  sur  Senac  de  Meilhan  ;  Par 
1803.  —  Mémoires  du  prince  de  Ligne,  de  Besenval, 
Tilry.  —  Clia infort,  Caractères  et  Pensées.  —  Notice 
duc  de  Levis.  —  Lettres  inédites  de  M"e  de  Créqui. 
Sainte-Beuve,   Causeries  du    lundi,  t.  X. 

senancour  (Etienne  Pivert  de  ),  écrivs 
français,  né  à  Paris,  en  novembre  1770,  ni( 
à  Saint-Cloud,  près  Paris ,  en  janvier  184G.> 
appartenait  à  une  famille  lorraine  (1)  ;  son  pi 
était  contrôleur  des  rentes.  Il  eut  une  enfas 
maladive ,  casanière ,  ennuyée.  Placé  d'aboi 
chez  un  curé  de  campagne,  près  d'Ermenonvil 
il  commença,  les  souvenirs  de  Rousseau  l'aidai 
à  sentir  et  à  aimer  la  solitude.  Puis  il  entra 
collège  de  la  Marche  pour  achever  ses  éttic 
classiques.  En  sortant  de  cette  maison  (1785 
il  devait  passer  dans  le  séminaire  de  Saii 
Sulpice;  mais  il  avait  en  aversion  la  prêtrise, 
d'ailleurs  ses  instincts  de  vie  contemplati 
s'étaient  déjà  révélés  dans  des  promenades  s< 
taires  et  des  excursions  de  vacances  au  mit 
des  rochers  et  des  futaies  de  Fontainebleî 
Soutenu  en  secret  par  sa  mère,  il  prit  la  fuite, 
se  rendit  en  Suisse.  Il  résida  quelque  teiï1 
dans  le  Valais,  au  hameau  de  Charrière, 
consacra  ses  loisirs  à  peindre  le  paysage  (< 
lassement  qu'il  ne  tarda  pas  à  abandonner  tou 
fait  )  et  surtout  à  errer  au  hasard  dans  les  m 
tagnes.  Puis  il  s'établit  chez  une  famille  no 
du  canton  de  Fribourg.  «  Une  demoiselle  de 
maison,  qui  s'y  trouvait  peu  heureuse,  coni 
le  jeune  étranger,  s'attacha  à  lui;  des  cor 
dences  et  quelque  intimité  s'ensuivirent.  »  Ce 
jeune  fille  ayant  refusé  l'alliance  qu'on  lui  d 


)i 


l; 

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(1)  Le  village  de  Scnancour  est  situé  dans  le  dép:i 
ment  de  la  Meuse. 


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,IS 
;. 

Il 


SENANCOUR  —  SENAR 


746 


ait,  une  explication  eut  lieu ,  et  Senancour 
Itausa,  plutôt  par  scrupule  de  conscience  que 
|r  affection,  celle  qu'il  craignait  d'avoir  com- 
jmise  (1790).  Ce  mariage  ne  fut  point  heureux; 
l'léfraya  plus  tard  l'histoire  de  Fonsalbe,  dans 
l''ermann.  Ici  commencent  les  mécomptes  de 
I  lancour.  Quoique  déclaré  émigré,  il  osait,  de 
rnps  à  autre,  rentrer  en  France  ;  une  fois  il 
I  arrêté,  dit-on,  mais  relâché  presque  aussitôt. 
a  père  et  sa  mère  moururent  vers  1796,  puis 
femme,  qui  avait  donné  le  jour  à  deux  en- 
its,  fut  emportée  par  une  maladie  lente.  Enfin 
-même,  privé  des  ressources  sur  lesquelles  il 
ait  compté,  se  vit  contraint  par  une  dure  né- 
»sité  de  renoncer  à  la  retraite  et  d'embrasser 
genre  de  vie  qui  répugnait  invinciblement  à 
habitudes  et  à  ses   penchants.  Ajoutons  à 
i  de  précoces  infirmités,  provenues,  dit-on,  de 
sage  du  vin  blanc  trop  alcoolique  du  Valais, 
surtout  d'une  chute  et  d'un  séjour  trop  pro- 
igé  dans  un  torrent  glacé,  par  lequel  il  s'était 
<sé  entraîner  de  la  montagne  au  fond  de  la 
lée.  Bref,  revenu  à  Paris,  où  il  habitait  rue  de 
Cerisaie,  il  fut  réduit  à  demander  à  sa  plume 
.moyens  d'existence,  et  fit  bon  gré  mal  gré  cer- 
tes besognes  indignes  d'un  talent  qui  a  une 
dente  parenté  avec  ceux  de  Rousseau,  de 
âteaubriand  et  de  Mme  de  Staël.  Vers  la  fin 
sa  vie,  il  reçut  une  pension  de  M.  Thiers, 
rs  ministre  de  l'intérieur,  et  M.  Villemain  lui 
[fit  donner  une  autre  sur  les  fonds  de  l'ins- 
iction  publique.  Il  a  laissé  un  fils,  qui  suivit 
carrière  des  armes,  et  une  fille,  auteur  de 
)ductions  morales  pour  la  jeunesse.    L'ou- 
lage  principal  de  Senancour  est  Obermann, 
re  étrange,  désolant,  où  l'auteur  semble  avoir 
int  l'état  de  son  âme  dans  ce  personnage  «  qui 
sait  ce  qu'il  est ,   ce  qu'il  aime ,  ce  qu'il 
ut;  qui  gémit  sans  cause,  qui  désire  sans  ob- 
et  qui  ne  voit  rien  sinon  qu'il  n'est  pas  à  sa 
Ice;  enfin,  qui  se  traîne  dans  le  vide  et  dans 
infini  désordre  d'ennuis  ».  Cet  ouvrage  est, 
urne  les  autres,  un  tissu  de  pensées  bizarres, 
traits  profonds,  de  tableaux  pittoresques,  le  tout 
é  sans  lien  et  sans  art.  Le  traité  De  V amour 
!  trop  parsemé  de  paradoxes  ;  l'individualité  y 
poussée  jusqu'aux  conséquences  les  plus 
pures.  Les  Libres  méditations  offrent  une 
plus  consolante  à  méditer,  et  échappent  au 
me,  grâce  à  l'esprit  de  mansuétude  qui  les 
lénétrées.  Avant  de  donner  la  liste  des  ou- 
iges  de  Senancour,  nous  devons  faire  remar- 
gr  que  dans  ceux  qui  ont  été  réimprimés  il 
pratiqué  d'importants  changements  à  chaque 
Ition  nouvelle  ;  en  voici  les  titres  :  Rêveries 
<"  la  nature  primitive  de  l'homme  ;  Paris, 
K8-1799,  1802,  1833,  in-8°;  —  Obermann, 
très;  Paris,  1804,  2  Toi.  in-8°;ibid.,  1833, 
roi.  in-8°,  avec  préface  de  Sainte-Beuve,  et 
40,  I847,in-12,  avec  introduction  de  Georges 
id;  —  De  l'amour  considéré  dans  les  lois 
\lles  et  dans  les  formes  sociales  de  l'union 


des  deux  sexes;  Paris,  1805,  1828,  in-8°; 
1833,  in- 18,  et  1834,  2  vol.  in-8°;  —  Lettres 
(  deux)  d'un  habitant  des  Vosges  sur  Buona- 
parte,  Chateaubriand,  etc.;  Paris,  1814, 
2  broch.  in-8°  ;  —  Simples  observations  sou- 
mises au  congrès  de  Vienne;  Paris,  1 814, 
in-8°;  —  De  Napoléon  ;  Paris,  1815,  in  8»;  — 
14  juillet  1815  ;  Paris,  1815,  broch.  in-8o;  — 
Observations  sur  le  Génie  du  Christianisme 
et  les  écrits  de  M.  de  B  (onald  )  ;  Paris,  1816, 
in-8o;  —  Libres  méditations  d'un  solitaire 
inconnu;  Paris,   1819,  in-8°,  et  1830,  in-18; 

—  Résumé  de  l'histoire  de  la  Chine;  Paris, 
1824,  in-18;  —  Résumé  de  l'histoire  des  tra- 
ditions morales  et  religieuses  chez  tous  les 
peuples;  Paris,  1825,  1827,  in-18  :  ce  livre  fut 
déféré  aux  tribunaux,  parce  que  l'auteur  y  avait 
outragé  la  religion  catholique  en  appelant  Jésus 
un  jeune  sage;  condamné  le  14  août  1827  à 
neuf  mois  de  prison  et  300  fr.  d'amende  par  le 
tribunal  de  police  correctionnelle,  il  fut  acquitté, 
le  22  janvier  1828,  par  la  cour  royale  de  Paris; 

—  Petit  Vocabulaire  de  simples  vérités  ;  Paris, 
f833,  1834,  in-18  ;  —  Isabelle,  roman  ;  Paris, 
1833,  in-8°.  L'héroïne  de  cette  bizarre  fiction  est 
une  sorte  d'Obermann  en  jupons,  mais  qui  n'a 
rien  de  la  femme,  et  qui  se  borne  à  végéter  en 
dehors  des  sentiments  humains;  pas  d'action, 
pas  d'intérêt,  nulle  intrigue  dans  ce  livre  in- 
compréhensible, terminé  par  une  dissertation  sur 
les  fleurs  qui  vient  là  on  ne  sait  pourquoi.  — 
Senancour  était  un  des  rédacteurs  anonymes  de 
la  Biogr.  univ.  des  contemp.  de  Rabbe.  11  a 
participé  à  plusieurs  recueils  et  journaux,  tels 
que  le  Constitutionnel  (1818  à  1828  j,  l'Ob- 
servateur, la  Minerve,  le  Mercure,  la  Revue 
encyclopédique,  etc.  A.  de  B — y. 

Sainte-Beuve,  Portraits  contemp.,  t.  Ier.  —  G.  Sand, 
Préface  de  l'Amour.  —  Quérard,  France  littéraire. 

senar  (Gabriel-Jérôme),  agent  révolution- 
naire, né  en  1760,  à  Chàtellerault,  mort  le 
10  mars  1796,  à  Tours.  Il  était  avocat  à  l'Ile- 
Bouchard  quand  la  révolution  éclata;  on  le 
nomma  officier  municipal  ;  mais  à  la  suite  de 
quelques  différends  il  vint  exercer  sa  profession 
à  Tours.  A  la  fin  de  1791  il  devint  procureur  de 
la  commune  ;  c'était  alors  un  fougueux  patriote, 
«  révolutionnaire  par  principes ,  »  d'après  son 
propre  aveu,  et  qui  ne  reculait  pas  devant  l'em- 
ploi des  mesures  énergiques.  On  trouva  son  zèle 
déplacé,  et  on  le  destitua,  ce  qui  le  laissa  sans 
ressources.  Par  l'entremise  des  conventionnels 
en  mission  dans  son  département,  il  entra  dans 
le  comité  de  sûreté  générale;  il  y  servit  à  la  fois 
de  secrétaire  et  d'agent  secret  ;  il  fut  chargé 
d'interroger  les  suspects  comme  de  diriger  les 
arrestations.  Bientôt  on  ne  le  laissa  plus  sortir 
de  l'enceinte  du  comité  sans  être  accompagné 
d'un  gendarme.  Cette  mesure  fut-elle  prise  afin 
de  le  protéger  contre  ses  ennemis  ou  pour  s'as- 
surer de  sa  discrétion  ?  On  a  prétendu  qu'en  le 
voyant  revenir  à  des  sentiments  modérés,  on 


747 


SENAR  —  SENARMONT 


74 


avait  craint  qu'il  ne  révélât  les  faits  dont  il  était 
chaque  jour  témoin,  comme  s'il  n'eût  pas  été 
plus  simple  de  l'expulser  au  iieu  de  le  garder  à 
vue.  Après  le  9  thermidor,  il  fut  jeté  en  prison 
comme  terroriste,  et  troubla  plusieurs  fois  de  ses 
dénonciations  le  triomphe  deTallien  et  de  sa  fac- 
tion, qu'il  accusait  de  n'avoir  renversé  Robes- 
pierre que  pour  s'emparer  du  pouvoir.  Sa  déten- 
tion dura  une  année.  Il  mourut  à  trente-six  ans, 
d'une  maladie  de  langueur  (il  se  croyait  empoi- 
sonné par  le  comité),  et  fit  devant  ses  conci- 
toyens amende  honorabie  de  sa  conduite  passée. 
On  a  de  lui  :  Les  Brigands  de  la  Vendée  en 
évidence;  Paris,  1794,  in-8°;  —  Révélations 
puisées  dans  les  cartons  des  comités  de  sa- 
lut public  et  de  sûreté  générale;  Paris,  1824, 
in- 8°;  publiées  par  Dumesnil  dans  la  Collec- 
tion des  mémoires  relatifs  à  la  révolution  : 
c'est  un  abrégé  fait  par  l'auteur  d'un  ouvrage 
volumineux  qu'il  avait  composé  sur  le  même 
sujet  ei  qui  a  été  perdu.  Grand  terroriste,  op- 
presseur de  Tours,  ce  fut  au  plus  fort  de  la 
réaction  contre  Robespierre,  avec  l'échafaud  en 
perspective,  qu'il  rédigea  ce  livre,  rempli  d'er- 
reurs, d'absurdités  et  de  calomnies.  «  C'est  un 
arsenal,  dit  L.  Bianc,  où  les  ennemis  systéma- 
tiques de  la  révolution  ont  beaucoup  puisé.  » 
Aussi  ne  doit-on  le  lire  qu'avec  beaucoup  de 
précaution. 

Rabbe,  Bioçr.  univ.  et  port,  des  contemp.  —  Notice  à 
la  tête  des  Révélations.  —  L.  Blanc,  Hist.  de  la  rév., 
t.  X,  p.  10,  li. 

senarmont  (Alexandre- Antoine  Hureau, 
baron  de  ),  général  français,  né  à  Strasbourg,  le 
21  avril  1769,  mort  devant  Cadix,  le  20  octobre 
1810.  D'une  famille  dont  plusieurs  membres  se 
sont  distingués  dans  nos  fastes  militaires ,  il  fut 
admis  en  1784  à  l'école  d'artillerie  de  Metz,  ser- 
vit dans  le  régiment  de  Besançon ,  devint  capi- 
taine en  1792,  et  fut  attaché  aux  armées  des  Ar- 
dennes  et  de  Sambre  et  Meuse.  Sa  valeureuse 
défense  du  pont  de  Monceaux ,  près  Charleroi 
(13  juin  1794),  luivalut  les  félicitations  du  comité 
de  salut  public,  qui,  te  13  novembre  suivant,  le 
nomma  chef  de  bataillon.  Une  maladie  le  força 
à  cette  époque  de  demeurer  plusieurs  mois  à 
Givet  et  d'accepter  la  sous-direction  de  Douai; 
mais  à  peine  guéri,  il  concourut  au  siège  de 
Luxembourg.  Il  siégeait  au  comité  d'artillerie 
lorsqu'en  mars  1800  il  fut  appelé  comme  chef 
d'état-major  à  l'armée  de  réserve;  ce  fut  lui  qui, 
le  24  mai,  fit  passer  la  première  pièce  d'artillerie 
sur  le  mont  Saint-Bernard  et  sous  le  feu  meurtrier 
du  fort  de  Bard,  qui  fermaitle  chemin  de  Milan.  La 
façon  dont  il  dirigea  à  Marengo  ses  batteries  fut 
remarquée  du  premier  consul,  qui,  le  6  septembre 
1800,  le  nomma  chef  de  brigade  et  lui  donna,  le 
17  décembre  1801,  le  commandement  du  6e  ré- 
giment d'artillerie.  Après  avoir  servi  à  l'armée 
des  côtes  de  l'Océan,  Senarmont  passa,  le  3  mai 
1805,  à  la  grande  armée  comme  sous-chef  de 
de  l'état-major  général  d'artillerie ,  assista  à  la 


bataille  d'Austerlitz ,  et  fut  nommé  général  ( 
brigade  (  10  juillet  1806).  Les  batailles  d'Iéna,  c 
Golymin,  d'Eyiau  ,  de  Friedland  furent  témoii 
de  son  intrépidité ,  et  dans  cette  dernière 
donna  à  l'artillerie  une  impulsion  dont  Napoléc 
lui-même  fut  étonné.  Un  décret  du  26  août  18C 
le  nomma  au  commandement  de  l'artillerie  d 
1er  corps  de  l'armée  d'Espagne.  Une  action  d'écL 
au  passage  du  défilé  de  Sommo-Sierra  où,  avt 
six  bouches  à  feu ,  il  délogea  l'ennemi  des  pos 
lions  qu'il  occupait,  lui  valut  le  grade  de  génér 
de  division  (7  décembre  1808).  La  bonne  directic 
qu'il  sut  donner,  le  19  novembre  1809,  à  son  ai 
tillerie  contribua  au  succès  de  la  bataille  d'( 
caria.  Chargé  de  l'artillerie  au  siège  de  Cadix, 
avait  déjà  fait  établir  plusieurs  batteries ,  et  e 
sayait  la  portée  de  ses  pièces  lorsqu'un  obi 
tiré  des  batteries  de  la  place  le  frappa  mortell 
ment,  le  26  octobre  1810.  L'armée  porta  pendai 
un  mois  le  deuil  de  Senarmont,  et  par  ordre  ( 
l'empereur  son  cœur  fut  déposé  dans  l'église  ( 
Sainte-Geneviève.  Ce  général  avait  reçu  dès  18( 
le  titre  de  baron;  son  nom  est  inscrit  sur  l'a: 
de  triomphe  de  l'Étoile. 

Marion,  Mémoires  sur  le  gén.  d'artill,  de  Senarmon 
Paris,  1846,  ïn-8°.  —  Fastes  de  la  Légion  d'honn.,  t.  III. 

SJïNARMONT  (Henri  Hureau  de),  miner: 
logiste,  neveu  du  précédent,  né  à  Broué  (  Eun 
et-Loir),  le  6  septembre  1808,  mort  à  Paris, 
30  juin  1862.  Après  avoir  été  élevé  aux  collég 
Rollin  et  Charlemagne ,  à  Paris,  il  fut  admis 
l'École  polytechnique,  d'où  il  sortit  le  premi 
comme  élève  ingénieur  des  mines  (1829).  C 
l'envoya  à  Rive  de  Gier,  puis  au  Creusot ,  où 
se  rendit  si  utile  qu'on  lui  confia  la  direction  < 
ces  importantes  usines.  Ingénieur  de  2e. classe» 
1835,  il  passa  dans  la  lre  en  1841,  et  fut  pron 
ingénieur  en  chef,  le  22  mars  1848.  Dans  i'inte 
valle,  il  fut  choisi  comme  examinateur  à  l'Éco 
polytechnique ,  membre  de  la  commission  i< 
machines  à  vapeur,  professeur  de  minéralogie 
directeur  des  études  à  l'École  des  mines, 'où 
fut  aussi  conservateur  de  la  bibliothèque  et  Si 
crétaire  du  conseil.  Après  la  mort  de  Beudan 
il  fut  élu,  le  5  janvier  1852,  pour  lui  succéder  dai 
l'Académie  des  sciences.  Les  travaux  de  Sena 
mont  consistent  en  divers  mémoires  sur  laiorii 
taliographie ,  la  physique  et  la  géologie,  inséïi 
dans  le  recueil  de  l'Académie,  dans  les  Annal 
des  mines,  et  les  Annales  de  physique  ei  c 
chimie.  Le  premier  mémoire  qui  ait  altirési 
lui  l'attention  traite  Des  modifications  que  l 
réflexion  à  la  surface  des  cristaux  imprin 
à  la  lumière  polarisée  (  Paris,  1840,  in-8°). 
démontra  que  les  substances  cristallines  douéi 
de  l'opacité  métallique  impriment  à  la  lumièi 
des  modifications  tout  autres  que  les  miroi 
homogènes  métalliques.  Dans  un  second  mémoii 
(1847),  il  étudia  la  polarisation  elliptique 
émit  l'opinion  que  les  cristaux  opaques  réfrai 
tenl  la  lumière  suivant  les  mêmes  lois  que  I' 
autres  et  sont  doués  comme  eux  de  la  double  r 


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149 


SENARMONT  —  SENEBIER 


750 


raction.  11  écrivit  ensuite  avec  la  môme  justesse 
l'observation  Sur  la  conductibilité  des  substan- 
:escristaUisésparlachaleur(iM7,m-8°);Sur 
'es  propriétés  optiques  des  corps  isomorphes,  où 
1  prouva  que  les  corps  isomorphes  géométrique- 
ment et  chimiquement  présentent  souvent  des 
tropriétés  optiques  très-différentes,  et  que  lorsque 
les  sels  sont  unis  par  cristallisation  en  rapports 
livers ,  ils  modifient  leurs  propriétés  opposées 
iar  une  sorte  de  concession  réciproque,  en  for- 
mant des  cristaux  mixtes  doués  de  propriétés 
intermédiaires;  enfin,  Sur  la  fabrication  arti- 
ficielle des  minéraux.  On  a  encore  de  lui  :  un 
yssai  de  description  géologique  du  dép.  de 
'ieine-et-Marne  (Paris,  1844,  in-S°)  et  un  autre 
'le  Seine-et-Oise(1844,  jn-8°),  ainsi  qu'une  tra- 
lluctiondu  Traiiéde  cristallographie  de  W.-H. 
Miller  (Paris,  1842,in-8°). 

Bertrand,  Éloge  de  Senarmont,  lu  à  la  Société  des 
imis  des  sciences ,  ig  avril  1863.  —  Docum.  partie. 

senault  (Jean-François),  hagiographe  et 
prédicateur  français,  né  en  1601,-à  Auvers,  près 
Pontoise ,  mort  le  3  août  1672,  à  Paris.  Son  père, 
Merre  Senault,  était  commis  greffier  au  parle- 
ment de  Paris  et  l'un  des  seize  sous  la  Ligue.  Il 
it  ses  études  à  Douai,  et  entra  en  1618  dans  la 
ongrégation  naissante  de  l'Oratoire.  Destiné  au 
ninistère  de  la  prédication ,  il  s'y  prépara  par 
jne  étude  sérieuse  de  l'Écriture,  des  Pères  et  des 
meilleurs  écrivains  français.  Pendant  quarante 
binées ,  il  prêcha  avec  succès  à  Paris,  à  la  cour 
jst  dans  les  provinces,  contribua  à  purger  la 
Chaire  de  ce  vain  étalage  d'érudition  et  de  ce  lan- 
gage malséant  qui  la  déshonoraient  et  remplaça 
ices  faux  ornements  par  une  éloquence  douce, 
(naturelle  et  digne.  C'est  le  témoignage  que  lui 
(rendit  surtout  le  P.  de  Lingendes,  son  émule 
(dans  l'éloquence  de  la  chaire.  Supérieur  du  sé- 
minaire de  Saint-Magloire  à  Paris,  il  forma  de 
jeunes  ecclésiastiques  dans  la  carrière  qu'il  avait 
parcourue,  et  Mascaron,  Fromentières,  Hu- 
bert, etc.,  furent  ses  principaux  élèves.  A  la 
imort.du  P.  Bourgoing  (22  octobre  1662),  ses 
Icon frères  l'élurent  supérieur  général  de  l'Ora- 
Itoire ,  qu'il  administra  jusqu'à  sa  mort  avec  au- 
tant de  douceur  que  de  prudence.  Sa  modestie 
lui  fît  toujours  refuser  des  pensions,  des  bénéfices, 
quelque  peu  considérables  qu'ils  fussent ,  et  la 
reine  Anne  d'Autriche  ne  put  le  faire  consentir  à 
recevoir  la  dignité  épiscopale. 

On  a  de  lui  :  Paraphrases  sur  Job  ;  Paris, 
1637,  in-8°;  9e  édit.,  Rouen,  1667,  in-8°  ;  — 
De  Vusage  des  passions;  Paris,  1641,  in-4°: 
plus,  éditions,  et  quatre  traduct.  différentes  :  il 
y  a  dans  ce  traité  plus  d'élégance  que  de  profon- 
deur, et  le  style  n'est  pas  exempt  d'afféterie; 
l  —  Harangues  funèbres  de  Louis  XIII  et  de 
\  Marie  de  Médicis  ;  Paris,  1643-44,  in-4°  ;  — 
I  L'Homme  criminel;  Paris,  1644,  in-4°;  — 
j  Vie  de  Madeleine  de  Saint-Joseph,  carmélite; 
I  Paris,  1645,  in-4°;  —  Vie  de  Regnauld  de 
i  Saint- Gilles,  doyen  d'Orléans;  Paris,  1645, 


in-4";  —  Vie  de  J.-Ii.  Gault,oralorien  ;  Pa- 
ris, 1647,  in-4°;  —  L'Honneur  chrétien;  Pa- 
ris, 1648,  in-40;—  Vie  de  Catherine  de  Mon- 
tholon,  fondatrice  des  ursulines  de  Dijon; 
Paris,  1653,  in-4°  ;  —  Panégyriques  des  saints; 
Paris,  1655-58,  3  vol.  in  4°  :  on  en  compte  envi- 
ron quatre-vingts;  quoique  supérieurs  à  tout  ce 
qui  avait  été  composé  jusqu'alors  en  ce  genre,  ils 
manquent  d'élévation  et  de  mouvement.  Les 
sermons  du  P.  Senault  n'ont  jamais  été  im- 
primés. 

Le  Long,  liibl.  Iiist.—Du  Pin,  Auteurs  ecclés.  du  dix- 
septième  siècle.  —  De  Fromentières,  Oraison  funèbre  du 
P.  Senault,  dans  ses  OEuvres  mêlées.  —  Mien,  de  Ma- 
rlilac,  Vie  (manuscrite  )  du  P.  Senault. 

senebier  (Jean),  naturaliste  et  littérateur 
suisse,  né  le  6  mai  1742,  à  Genève,  où  il  est 
mort,  le  22  juillet  1809.  Sa  famille,  protestante 
et  d'origine  française ,  s'était  réfugiée  à  Genève, 
dans  le  seizième  siècle.  Il  était  fils  unique  d'un 
négociant,  qui  siégea  dans  le  conseil  des  Deux- 
cents.  N'ayant  point  de  goût  pour  le  commerce 
et  obligé  de  choisir  un  état,  il  se  décida  pour  le 
ministère  évangélique,  et  fut  reçu  pasteur  en 
1792.  Appelé  en  1769  à  Chancy,  il  administra 
cette  petite  église  avec  beaucoup  de  zèle  jusqu'en 
1773,  époque  où  on  lui  donna  la  place  de  bi- 
bliothécaire à  Genève.  Malgré  les  services  qu'il 
avait  rendus ,  il  fut  forcé,  lors  des  troubles  de 
1792,  de  quitter  la  ville,  et  trouva  un  refugechez 
les  parents  de  sa  femme ,  à  Rolle  (  canton  de 
Vaud)';  cette  espèce  d'exil  cessa  en  1799,  et  il 
mourut  dix  ans  plus  tard,  à  la  suite  d'une  cruelle 
maladie.  Tels  sont  les  faits,  peu  nombreux,  qui 
ont  marqué  la  vie  d'un  des  hommes  qui,  dans 
le  dernier  siècle ,  ont  le  plus  honoré  leur  patrie. 
Doué  d'une  intelligence  vive,  d'une  mémoire 
tenace,  assidu  au  travail  et  se  délassant  de 
l'étude  par  l'étude  même,  Senebier  s'appliqua 
avec  un  zèle  égal  à  des  recherches  fort  diffé- 
rentes; on  le  vit  passer  sans  effort  comme  sans 
lassitude  de  la  théologie  à  la  botanique,  du  clas- 
sement des  livres  à  l'observation  microscopique, 
de  la  physique  à  l'histoire.  Chacun  de  ses  tra- 
vaux dénote  de  l'exactitude,  delà  méthode,  un 
talent  sérieux  et  réfléchi.  Il  venait  de  s'essayer 
dans  la  littérature  légère  lorsque,  sut  le  conseil 
deCh.  Bonnet,  son  ami,  il  traita  ce  difficile  sujet, 
l'Art  d'observer,  que  l'Académie  de  Harlem  ve- 
nait de  mettre  au  concours.  La  science  en  effet 
était  sa  véritable  voie.  S'il  n'eut  pas  le  prix,  il  sut, 
dans  la  suite,  en  en  élargissant  le  cadre,  faire  de 
son  mémoire  la  base  de  son  plus  utile  ouvrage. 
Ce  fut  encore  à  la  prière  de  Bonnet  qu'il  tra- 
duisit les  Opuscules  de  Spallanzani  ;  ce  travail  le 
mit  en  rapport  avec  ce  savant,  et  devint  entre  eux 
l'origine  d'une  amitié  durable.  Mû  par  une  cu- 
riosité'louable,  il  répétait  souvent  les  expériences 
qui  en  chimie  excitaient  vivement  son  intérêt.  Il 
publia  sur  l'influence  de  la  lumière  solaire  des 
mémoires  dans  lesquels  il  démontra  qu'elle  agis- 
sait sur  la  décomposition  de  l'acide  carbonique 
par  les  végétaux.  Il  jeta  un  grand  jour  sur  la 


751 


SENEBIER  —  SENEFELDER 


75. 


respiration  animale,  et  découvrit  l'emploi  du 
suc  gastrique  dans  le  traitement  des  maladies 
chroniques.  Pendant  huit  ans  il  se  livra  à  une 
série  d'observations  sur  l'état  de  l'atmosphère 
pour  la  Société  météorologique  de  Manheim. 
Enfin ,  il  méditait  sur  une  théorie  des  causes 
finales  et  il  donnait  beaucoup  de  temps  à  la  cri- 
tique sacrée,  lorsqu'il  mourut.  Senebier  appar- 
tenait à  la  plupart  des  académies  de  l'Europe. 
Decandolle  a  donné  le  nom  de  ce  savant  au  Lepi- 
dum  didymum  de  Linné.  On  a  de  Senebier  : 
De  polyyamia;  Genève,  1765,  in-4°;  —  Mé- 
moire sur  cette  question  :  En  quoi  consiste 
l'art  d'observer?  dans  les  Mémoires  de  la 
Soc.  de  Harlem,  1769,  et  Harlem,  1772,  in-8°; 
réimpr.  sous  le  titre  d'Essai  sur  l'art  d'ob- 
server et  défaire  des  expériences  ;  Genève, 
1775,  2  vol.  in-8°,  et  1802,  3  vol.  in-8°  :  ou- 
vrage utile,  où  l'on  voit  que  l'auteur  s'était  ob- 
servé lui-même  avant  d'enseigner  cet  art  aux 
autres  ;  les  pensées  en  sont  fortes,  et  il  ne  leur 
manque  que  d'être  exprimées  avec  une  éloquence 
plus  entraînante;  —  Éloge  historique  d'Albert 
de  Haller;  Genève,  1778,in-8o; —  Catalogue 
raisonné  des  manuscrits  conservés  dans  la 
bibliothèque  de  Genève;  ibid.,  1779,  in-8°  : 
excellent  travail ,  qu'on  peut  regarder  comme  un 
modèle  en  ce  genre  ;  Senebier  a  aussi  rédigé , 
de  concert  avec  Diodati,  un  Catalogue  des 
livres  imprimés  du  même  établissement;  — 
Mémoires  physico-chimiques  sur  l'influence 
de  la  lumière  solaire;  ibid.,  1782,  3  vol. 
in-8°;  suivis,  en  1785,  de  Recherches  sur  l'in- 
fluence de  la  lumière  solaire  pour  méta- 
morphoser l'air  fixe  en  air  pur  par  la  végé- 
tation, in-8°  ;  —  Almanach  météorologique , 
ou  les  prognostics  du  temps; ibid.,  1784, 1785, 
1810,  in-16;  —  Recherches  sur  la  nature  de 
l'air  inflammable;  ibid.,  1784,  in-8°;  — Ob- 
servation sur  Vusage  du  suc  gastrique  dans 
la  chirurgie  ;  ibid.,  1785,  in-8°;  — Histoire 
littéraire  de  Genève;  ibid.,  1786,  3  vol.  in-8°  : 
recueil  estimé  malgré  des  erreurs ,  des  préten- 
tions et  des  citations  trop  fréquentes  ;  —  Physio- 
logie végétale;  ibid.,  1800,  5  vol.  in-8°  :  il  exa- 
mine les  divers  systèmes  de  botanique,  et  en  si- 
gnale avec  sagacité  les  lacunes  et  les  défauts  ;  il 
a  refondu  dans  cet  ouvrage  les  articles  qu'il  a 
écrits  là-dessus  pour  l'Encyclopédie  métho- 
dique; —  Mémoire  sur  la  vie  de  H.-B.  de 
Saussure;  ibid.,  1801,  in-8°;  —  Rapports  de 
Vair  avec  les  êtres  organisés;  ibid.,  1807, 
3  vol.  in-8°  :  extrait  en  grande  partie  des  ma- 
nuscrits de  Spallanzani.  Senebier  a  traduit  de  ce 
dernier  savant  :  Opuscules  de  physique  ani- 
male et  végétale  {Mil,  2  vol.  in-8°),  Expé- 
riences sur  la  digestion  (1783,  in-8°),  et  Ex- 
périences pour  servir  à  l'histoire  de  la  géné- 
ration (  1785,  in-8°).  En  outre,  il  a  fourni  des 
articles  au  Journal  de  Genève,  au  Journal  de 
physique,  aux  Annales  de  chimie,  au  Magasin 
encyclopédique,  et  il  a  laissé  entre  autres  ou- 


vrages inédits  :  Observations  sur  la  vie  de  Ji  J 
sus,  in-4°,  et  Essai  de  téléologie,  ou  Théori 
des  causes  finales  ;  2  vol.  in-4°. 

Maunolr,  Éloge  de  J.  Senebier.  —  Le  Magasin  encycl, 
t.  VI,  p.  106.  —  Haag  frères,  France  protestante. 

senecé.  Voy.  Bauderon. 

sexecio  (Herennius),  homme  politique ro| 
main ,  vivait  dans  le  premier  siècle  après  J.-C  !  i 
Il  était  natif  de  la  Bétique  en  Espagne.  Apre   i 
avoir  été  questeur  dans  son  pays  natal,  il  aban    i 
donna  les  affaires  publiques,  et  devint  un  dei  I 
chefs  du  parti  qui,  sous  la  dynastie  flavienne 
continuait,  en  les  exagérant,  les  traditions  d< m 
Thraseas.  Ce  parti  professait  les  doctrines  stoï- 
ciennes, et  il  devait  voir  triompher  ses  idéen 
dans  le  siècle  suivant;  mais  sous  Vespasien  e 
Domitien  il  traversa  une  période  de  persécu- 
tion.  Non  content  de  refuser  les  emplois,  Seneck 
écrivit  une  Vie  d'Helvidius  Priscus,  une  de; 
plus  nobles  victimes  de  la  politique  de  Vespasien 
Ces   actes  d'opposition  ouverte  ne  pouvaien 
rester  impunis  sous  un  tyran  ombrageux  commi 
Domitien.  Senecio  fut  condamné  et  mis  à  morl 
sur  l'accusation  de  Metius  Carus.  Tacite  et  Plin< 
le  jeune,  qui  appartenaient  au  même  parti,  quoi- 
qu'ils n'eussent  ni  l'un  ni  l'autre  refusé  de  ser 
vir  Domitien,  ont  illustré  sa  mémoire.  L.  J. 

Dion  Cassius,  LXV1I,  13.  —  Tacite,  Agricola,  II,  45.  - 
Pline,  Epist.,  I,  5  ;  IV,  7,  11  ;  VII,  19,  33. 

senefelder  (  Aloïs) ,  inventeur  allemand, 
né  à  Prague,  le  6  novembre  1771,  mort  à  Mu- 
nich, le  26  février  1834.  Il  commençait  ses  études 
en  droit  à  Gœttingue  quand  il  perdit  son  père 
acteur  estimé ,  et  qui  ne  lui  laissa  aucune  for- 
tune. Abandonnant  aussitôt  une  carrière  qui  lu: 
répugnait,  il  débuta  en  1791  sur  le  théâtre  d( 
Munich ,  et  fut  accueilli  avec  tant  de  froideui 
qu'on  ne  voulut  l'engager  que  comme  com- 
parse. Sans  renoncer  à  cet  humble  emploi,  il  se 
mit  à  écrire  quelques  pièces,  qui  eurent  du  suc< 
ces.  Ses  devoirs  d'auteur  lui  ayant  fourni  sou- 
vent l'occasion  d'observer  le  travail  des  ouvriers 
de  l'imprimerie,  il  finit  par.  acquérir  une  connais- 
sance complète  des  procédés  de  cet  art,  ce  qui 
lui  inspira  le  désir  d'imprimer  lui-même  ses 
ouvrages.  Il  songea  d'abord  à  imprimer  ses  ou- 
vrages par  la  gravure  à  l'eau-forte.  Un  premiei 
essai  lui  procura  une  sorte  de  stéréotypage  sui 
la  cire  à  cacheter  et  sur  le  bois.  Ayant  aban- 
donné cette  entreprise,  il  se  mit  à  écrire  à  re- 
bours sur  une  planche  de  cuivre  polie,  enduite 
du  vernis  ordinaire  à  l'usage  des  graveurs. 
Après  avoir  acquis  assez  d'habileté  pour  co- 
pier à  la  main  la  forme  approchée  des  carac- 
tères typographiques  ,  il  comprit  combien  il 
était  difficile  d'écrire  une  page  entière  sans  faire 
de  fautes  ;  pour  les  corriger,  avant  de  répandre 
le  mordant ,  il  imagina  un  vernis  composé  de 
cire  et  de  savon  mêlés  avec  du  noir  de  fumée,  et 
délayé  dans  l'eau  ;  en  en  recouvrant  les  passages  à 
corriger  poul  écrire  de  nouveau  dessus,  il  par- 
vint à  obtenir  quelques  épreuves  qui  fortifièrenl 


753  SENEFELDER 

ses  espérances.  Mais  sa  planche  s'usait;  d'ail- 
leurs il  la  trouvait  trop  grossière,  et  il  y  substi- 
tua des  pierres  calcaires,  qu'il  alla  ramasser  sur 
es  bancs  de  sable  de  l'Inn.  Toutefois,  ses  essais 
le  gravure  en  creux  sur  la  pierre  ne  donnèrent 
!  jue  de  faibles  résultats ,  et  Senefelder  avoue 
pi'il  serait  revenu  aux  planches  de  cuivre  dès 
jue  ses  ressources  le  lui  auraient  permis,  lors- 
|ue  la  chose  la  plus  simple  lui  procura  la  plus 
donnante  découverte.  Il  venait  de  dégrossir  une 
ilanche  de  pierre  pour  y  passer  ensuite  le  mas- 
ic  et  continuer  ses  essais  d'écriture  à  rebours, 
jrsque  sa  mère  le  pria  d'écrire  le  mémoire  du 
nge  qu'elle  allait  donner  à  laver.  La  blanchis- 
reuse  attendait  avec  impatience,  tandis    qu'il 
therchait  inutilement  un    morceau  de    papier 
lanc.  Sa  provision  se  trouvait  épuisée  par  ses 
ipreuves  et  son  encre  ordinaire  desséchée.  Il 
lavisa  alors  d'écrire  le  mémoire  sur  la  pierre  qu'i  1 
lenait  de  débrutir  en  se  servant  à  cet  effet  de  son 
(acre  composée  de  cire,  de  savon  et  de  noir  de 
*mée;  puis  il  lui  vint  à  l'idée  de  voir  ce  que  dé- 
pendraient les  lettres  tracées  avec  son  encre  à 
i    cire,  en  enduisant  la  planche  d'eau-forte  et 
issi  d'essayer  s'il  ne  pourrait  pas  les  noircir 
iimme-on  noircit  les  caractères  de  l'imprimerie 
1  de  ;la  taille  des  bois  pour  ensuite  les  impri- 
er. Les  essais  qu'il  avait  déjà  faits  pour  gra- 
;r  à  l'eau-forte  lui  avaient  fait  connaître  l'ac- 
pn  de  ce  mordant,  relativement  à  la  profon- 
Hir  et  à  l'épaisseur  des  traits,  ce  qui  lui  fit 
résumer  qu'il  ne  pourrait  pas  donner  beaucoup 
;  relief 'à  ces  lettres.  Cependant,  comme  il  avait 
«rit  assez  gros  pour  que  l'eau- forte  ne  rongeât 
is  à  l'instant  les  caractères,  il  se  mit  vite  à 
Essai.  Il  mêla  une  partie  d'eau- forte  avec  dix 
orties  d'eau  et  versa  ce  mélange  sur  la  planche 
trite ,  où  il  resta  cinq  minutes  à  la  hauteur  de 
Mix  pouces.  Examinant  l'effet  opéré  par  l'eau- 
rte,  il  trouva  que  les  lettres  avaient  acquis  un 
Jief  à  peu  près  d'un  quart  de  ligne.  11  ne  lui 
istait  plus   qu'à  trouver  les  moyens  d'encrer 
itte  planche  sans  le  secours  des  outils  ordi- 
pres  :  pour  y  parvenir,  il  se  servit  d'un  tam- 
m  de  crin  recouvert  d'une  peau  fine;  ce  tam- 
m  ayant  l'inconvénient  de  mal  distribuer  l'encre 
i  de  la  faire  prendre  aussi  dans  les  interlignes, 
en  forma  un  autre ,  au  moyen  d'une  petite 
anche  unie,  recouverte  d'un  drap  très  fin  à  une 
laisseur  d'un  pouce.  Cette  opération  terminée, 
obtint  facilement  des  épreuves.  La  lithographie 
ait  inventée. 

i  Senefelder  ne  put  immédiatement  tirer  au- 
ra parti  de  son  importante  découverte.  Re- 
lit presque  à  l'indigence ,  il  consentit  à  rem- 
acer  un  artilleur,  qui  lui;;offrit  deux  cents  flo- 
(is;  mais  l'autorité  militaire  d'ingolstadt ,  à 
flfaelleil  se  présenta,  le  refusa  comme  étran- 
ï".  De  retour  à  Munich ,  il  eut  la  pensée  que  sa 
£thode  pourrait  servir  utilement  à  la  repro- 
tetionde  la  musique.  Il  fit  des  propositions  au 
facteur  de  la  musique  de  la  cour,  Gleissner, 


—  SÉNÈQUE  754 

avec  lequel  il  fonda  en  1796  une  imprimerie 
musicale.  A  cet  effet ,  il  inventa  plusieurs  sortes 
de  presses  qui  diffèrent  peu  de  celles  dont  on 
se  sert  actuellement.  Malgré  la  modicité  de  leurs 
bénéfices  et  le  peu  d'encouragement  qu'ils  trou- 
vaient (  l'Académie  de  Munich  fit  l'effort  de  leur 
accorder  un  secours  de  douze  florins  ),  les  deux 
associés  ne  se  découragèrent  pourtant  pas,  et  pu- 
blièrent un  bon  nombre  d'ouvrages.  Après  de 
nombreuses  péripéties,  en  1799,  le  palatin  de 
Bavière,  Maximilien-Joseph,  accorda  un  privi- 
lège exclusif  pour  quinze  ans  à  Senefelder  et  à 
son  associé  Gleissner,  qui  prirent  également  des 
brevets  à  Londres  et  à  Paris,  et  bientôt  l'inven- 
tion nouvelle  fut  connue  du  monde  entier.  En 
1809,  le  gouvernement  bavarois  ayant  établi  nn 
atelier  de  lithographie  près  des  bureaux  du  ca- 
dastre, Senefelder  en  fut  nommé  directeur  l'an- 
née suivante,  et  remplit  ces  fonctions  jusqu'à 
sa  mort.  On  a  de  lui  :  L'Art  de  la  lithographie, 
ou  instruction  pratique,  etc.,  précédée  d'une 
Histoire  de  la  lithographie  et  de  ses  divers 
progrès  (traduit  de.  l'allemand  par  Nicolas 
Ponce);  Paris,  1819,  in-4°;—  Portefeuille  li- 
thographique; Paris  1823,  in-fol.;  —  Recueil 
papyrographique ;  in-4°;  —  VAqua-tinta  li- 
thographique; Paris,  1824,  gr.  in-4°.  H.  F» 
Biogr.  univ. .  et  port,  des  contemp.  —  Encycl.  des 
gens  du  monde.  —  Hist.  de  la  lithogr.,  dans  le  principal 
ouvrage  de  Senefelder. 

sénèque  (Marcus  Annœus  Senega),  rhé- 
teur latin,  né  à  Cordoue,  vers  61  av.  J.-C.  Sa 
famille  était  sans  illustration  politique.  Il  appar- 
tenait à  l'ordre  équestre,  et  possédait  une  fortune 
considérable.  Il  se  trouvait  à  Rome  dans  les  pre- 
mières années  du  règne  d'Auguste;  il  eut  pour 
maître  le  rhéteur  Marillius  et  pour  intime  ami 
le  rhéteur  Porcius  Latro.  Étant  retourné  à  Cor- 
doue, il  épousa  une  dame  espagnole  du  nom 
d'Helvia,  qui  lui  donna  trois  fils,  Marcus  Nova- 
tîts(l),  Lucius  Annœus  Seneca  (voy.  ci-après), 
et  Lucius  Annœus  Mêla,  dont  le  plus  grand 
honneur  fut ,  suivant  Tacite ,  d'être  le  père  de 
Lucain.  La  date  de  sa  mort  n'est  pas  connue  ; 
mais  il  est  probable  qu'il  prolongea  sa  vie  jusque 
yers  la  fin  du  règne  de  Tibère,  et  qu'il  mourut 
soit  à  Rome,  soit  en  Italie.  Sénèque  avait  une  mé- 
moire prodigieuse.  C'était  un  homme  de  lettres 
à  la  mode  de  son  temps,  où  la  fausse  éloquence 
était  en  vogue.  Les  deux  recueils  qu'il  a  laissés 
sont  l'œuvre  de  sa  vieillesse;  l'un,  Controver- 
siarum  lib.  X,  ne  se  compose  que  de  cinq  livres 
et  de  fragments;  l'autre,  Suasoriarum  liber, 
paraît  également  mutilé  ou  incomplet.  On  les 
trouve  d'ordinaire  ensemble,  à  la  suite  des  œuvres 
de  Sénèque  le  philosophe.  L'édition  particulière 
qu'en  a  faite  Schott  (Heidelberg,  1603,  in-8°)  a 


(1)  11  prit  le  nom  de  Jnnius  Gallio,  et  devint  proconsul 
d'Achaïe.  C'est  à  son  tribunal  que  les  juifs  traînèrent 
saint  Paul,  l'accusant  d'innover  en  matière  de  religion. 
C'était,  dit  la  Chronique  d'Eusèbe,  un  rhéteur  distingué, 
et,  au  témoignage  de  son  frère  le  plus  tolérant  des 
hommes. 


755 

été  effacée  par  celle  des  Elseviers  (1672,  in-8°). 
Ces  deux  ouvrages  ne  sont  qu'un  ramas  de  lieux 
communs  et  de  puérilités,  et  le  mérite  du  style 
est  loin  d'y  racheter  le  vide  des  idées. 

Juste  Lipse,  Electorum  lib.  I,  c.  I. 

sénèque  (Lucius  Annarns  Seneca),  cé- 
lèbre philosophe  stoïcien,  fils  du  précédent,  né  à 
Cordoue,  l'an  2  ou  3  de  l'ère  chrétienne,  mort 
à  Rome,  en  65.  Il  vint  à  Rome  au  sortir  de  la 
première  enfance.  I!  joignait  à  un  tempérament 
délicat  et  maladif  une  sensibilité  vive,  une  faci- 
lité d'enthousiasme  et  une  ardeur  d'imagination 
singulières  ;  les  soins  assidus  de  sa  tante  réta- 
blirent sa  santé,  qui  du  reste  ne  fut  jamais  bien 
solide.  Son  père  fut  son  premier  maître;  il  apprit 
à  son  école  les  éléments  de  l'art  oratoire,  et  y 
puisa  sans  doute  ce  goût  des  antithèses,  des  faux- 
brillants  alors  à  la  mode  et  qui  caractérise  les 
périodes  de  décadence  littéraire.  L'amour  de  la 
philosophie  s'éveilla  de  bonne  heure  dans  cet 
esprit  naturellement  curieux.  «  Encore  enfant, 
dit-il,  je  m'assis  à  l'école  de  Sotion.  »  Il  entendit 
aussi  Sextius,  Attale,  et  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  il 
goûta  les  austères  leçons  de  Metronax,  de  Fabia- 
nus  Papirius  et  de  Démétrius  le  Cynique.  La  pa- 
role de  ces  divers  maîtres  fit  sur  l'âme  du  jeune 
Sénèque  une  profonde  impression;  il  recueillait 
avidement  et  tendait  à  appliquer  les  préceptes 
qu'on  développait  devant  lui.  Il  était  le  premier 
arrivé  à  l'école  d'Attale,  il  se  retirait  le  dernier. 
Le  rencontrait-il  par  hasard ,  il  le  provoquait  à 
parler,  et  s'imprégnait  tout  entier  de  ses  ensei- 
gnements. De  même  les  leçons  du  pythagoricien 
Sotion  frappaient  si  fortement  son  imagination , 
qu'après  l'avoir  entendu  il  s'abstenait  volontaire- 
ment de  la  chair  des  animaux.  «  Mon  âme,  dit-il, 
en  devenait  plus  légère  et  plus  agile  (1).  »  Ainsi  la 
philosophie  n'était  pas  pour  Sénèque  adolescent 
une  lettre  morte,  un  exercice  oratoire,  mais  une 
règle  pratique  d'après  laquelle  il  s'efforçait  de 
conduire  sa  vie. 

Le  père  de  Sénèque  blâmait  dans  son  fils  ces 
exagérations  et  ces  pratiques  ascétiques,  qui  sen- 
taient le  sectaire.  Aussi  lorsque  Tibère  expulsa 
de  Rome  par  un  décret  du  sénat  les  cuites  juifs 
et  égyptiens,  le  vieux  Sénèque,  qui  craignait 
moins  les  délateurs  qu'il  ne  haïssait  les  philo- 
sophes ,  remontra  à  son  fils  que  l'abstinence  de 
certaines  viandes  était  un  des  caractères  com- 
muns des  cultes  proscrits ,  fit  sonner  à  ses 
oreilles  la  raison  d'État,  et  le  ramena  de  la  sorte 
aux  usages  ordinaires.  Sénèque  cependant  con- 
serva, au  sein  même  des  richesses,  et  jusqu'au 
déclin  de  l'âge,  l'habitude  d'une  vie  frugale  jus- 
qu'à l'austérité. 

L'influence  paternelle  et  peut-être  aussi  la  voix 
secrète  de  l'ambition  jetèrent  bientôt  Sénèque 
dans  une  autre  route.  Il  laissa  la  philosophie  poul- 
ie barreau.  Il  plaida  longtemps  et  avec  éclat.  Il 
se  fit  un  nom  au  forum,  et  eut  l'honneur  d'ex- 


SENÈQUE  75e 

citer  la  jalousie  de  Caligula,  qui  se  piquait  d'é-  i 
loquence.  Selon  Suétone ,  cet  empereur  n'aurai  ! 
cherché  contre  son  rival  d'autre  arme  qu!un< 
dédaigneuse  raillerie  :  «  Ses  harangues,  disait-il  i 
sont  des  morceaux  académiques  ;  c'est  du  sabli 
sans  chaux.  »  Mais  Dion  rapporte  que  l'envie  di 
rhéteur  couronné  l'emporta  bien  plus  loin,  el 
qu'après  l'avoir  entendu  plaider  une  affaire  dan 
le  sénat,  il  voulut  le  faire  mourir,  et  ne  l'épargn.  I 
que  sur  le  conseil  d'une  de  ses  concubines,  qui 
lui  représenta  que  la  phthisie  lui  rendrait  bientâ  li 
le  service  de  l'en  débarrasser  (1).  Tourmenté  de  [,i 
son  enfance  par  la  maladie,  rétabli  par  les  soin  i) 
de  sa  famille,  Sénèque  était  retombé.  La  fièvris 
le  minait.  Il  était  d'une  maigreur  effrayante  i  I 
souffrait  cruellement.  «  Plus  d'une  fois,  dit-il  i 
j'eus  la  tentation  de  mettre  fin  à  mes  jours.  l| 
pensée  de  mon  vieux  père,  qui  n'aurait  pu  sup 
porter  un  tel  coup,  me  retint.  Je  me  command; 
de  vivre.  Quelquefois  il  y  a  du  courage  à  sup 
porter  même  la  \ie  (2).  «  Est-ce  sous  Caligul 
ou  sous  le  règne  précédent  qu'il  obtint  la  ques 
ture  ?  On  ne  saurait  le  dire  précisément.  Not 
savons  seulement  que  sa  tante  s'entremit  à  ( 
sujet,  et  brigua  fort  activement  pour  son  neve 
des  suffrages  que  ses  talents  et  sa  réputatic 
d'orateur  ne  suffisaient  pas  alors  à  lui  concilier  (3 
Sénèque  demanda  de  bonne  heure  aux  voyag< 
le  supplément  de  lumières  et  d'expérience  qu'c 
en  retire.  Son  oncle  maternel  était  préfet  d'I 
gypte.  Il  alla  visiter  ce  pays,  qui  présentait  t 
si   vaste    champ   aux    observations    d'un 
prit  curieux  et  enthousiaste.   Peut-être  men 
poussa-t-il  jusqu'à  l'Inde  (4).  C'est    dans  ci 
courses  qu'il  put  recueillir  les  matériaux  de  se 
traité  De  la  superstition,  que  nous  ne  conuai, 
sons  que  par  une  mention  de  Tertullien  et  pi 
les  citations  de  saint  Augustin  (5).  C'est  là  peu 
être  qu'il  composa  un  autre  livre  perdu  et  qu 
désigna  lui-même    comme  un  ouvrage  de  i 
jeunesse  (6) ,  le  traité  Sur  les   Tremblemen 
'  de  terre.  C'est  là  assurément  qu'il  ramassa 
faits  sur  l'Égypie  et  sur  le  Nil  qu'il  fit  entr 
plus  tard  dans  ses  Questions  naturelles.  C 
voit  que  Sénèque ,  suivant  en  cela  les  traees  ( 
Varron,  aspirait  à  embrasser  le  cercle  entier  d 
connaissances  humaines. 

Dans  la  première  année  du  règne  de  Ciaudt 
Sénèque  fut  frappé  d'un  arrêt  d'exil  et  relégué  < 
Corse  (41).  Était-ce  comme  complice  de  Jul 
fille  de  Germanicus,  accusée  d'adultère  par  Mei 


k 


H 

a 


(1)  Ep.  ad  Lucil ,  CViu. 


(t)  £p.,LXXVIIl. 

(2)  Cons.  ad.  Helviam,  XVH, 

(3)  Ibid. 
[<t)  Pline  le  naturaliste  fait  entendre  que  Sénèque  a?; 

écrit  un  mémoire  sur  l'Inde.  «  Seneca  cliam  apud  m 
dit-il,  tentata  Indix  commentatione ,  septuaginta  omn 
ejus  prodidit  gentes  duodeviglnta  centumque.  »  (//i. 
natur.f  vi,  n.j 

(S)  Tertullien,  Apologet.;  Saint  Augustin,  De  Civit.  D- 
VI,  10.  Cet  ouvrage  est  sans  doute  le  môme  que  m© 
tionne  Servius  (  Vje  livre  de  V  Enéide)  ■  sons  le  titre  , 

|    litu  et  sacris  jEgyptionvm. 

1      (6)  Quœst.  natur.,  VI,  4. 


7Ô7 


tl  saline?  Dion  l'insinue,  et  c'est  de  cette  source, 
1 1  qui  n'est  pas  toujours  pure,  que  ce  fait  a  passé 
dans  nos  histoires.  S'il  y  a  quelque  relation  entre 
|)  l'exil  de  Julie  et  la  condamnation  de  Sénèque, 
on  peut  en  conclure  que  le  crédit  de  ce  dernier 
s'était  accru ,  et  qu'il  était  devenu  un  person- 
nage, appelé  ou  accueilli  auprès  des  grands. 
Quoi  qu'il  en  soit,  on  ne  peut  s'empêcher  d'es- 
timer comme  un  honneur  pour  le  philosophe 
d'avoir  encouru  l'inimitié  de  Messaline  et  d'avoir 
été  frappé  dans  un  temps  où  la  vertu  risquait 
de  passer  pour  une  satire  des  mœurs  impériales. 
Il  passa  à  peu  près  huit  ans  en  Corse,  calme  et 
heureux  d'avoir  retrouvé  sa  liberté,  de  s'être 
'retrouvé  lui-même,  heureux  d'être  rendu  à  ses 
travaux  et  à  ses  méditations,  demandant  aux  sé- 
'fieuses  études  de  remplir  et  d'occuper  sa  vie. 
Woilà  le  Sénèque  de  la  Consolation  à  Helvia,  le 
Sénèque  de  la  première  année  d'exil.  On  ne  s'a- 
loerçoit  de  la  secrète  blessure  qu'il  a  reçue  qu'au 
isoin  qu'il  prend  de  la  cacher,  qu'à  la  peine  qu'il  se 
idonne  pour  démontrer  à  sa  mère  qu'il  n'a  rien 
oerdu ,  que  la  disgrâce  l'a  renversé  sans  l'a- 
battre ,  que  l'exil,  la  pauvreté,  lignominie  ne 
sont  pas  des  maux.  Il  y  a  dans  ce  petit  traité, 
malgré  l'accent  du  rhéteur  qui  y  perce  quelque- 
fois, de  nobles  paroles  et  des  sentiments  éle- 
vés. Mais  combien  différent  est  le  Sénèque  de  la 
'Consolation  à  Polijbe,  le  Sénèque  de  la  troisième 
année  d'exil  !  Énervé,  abattu,  avili,  se  répandant 
en  misérables  flatteries,  en  basses  adulations, 
:3e  prosternant  aux  pieds  d'un  affranchi  de  l'em- 
ipereur,  épuisant  à  l'endroit  de  Claude  les  plus 
emphatiques  protestations  d'admiration ,  de  dé- 
nouement et  d'humble  respect,  baisant  et  ado- 
Irant  dans  la  poussière  la  main  qui  l'a  frappé, 
invoquant  sa  divine  clémence!  Est-ce  donc  la 
même  plume  qui  a  écrit  ces  deux  morceaux? 
Les  panégyristes  de  Sénèque  voudraient  en 
douter.  Juste  Lipse  a  imaginé  que  la  Conso- 
lation à  Polybe  n'avait  vu  le  jour  que  par  une 
indiscrétion.  A  quoi  eût-il  servi  à  Sénèque  de 
S'abaisser  de  la  sorte,  si  ses  supplications  eussent 
dû  rester  ignorées  et  ses  flatteries  inédites? 
Non,  celle  Consolation  adressée  au  courtisan  a 
Été  écrite  pour  être  mise  sous  les  yeux  de  l'empe- 
reur, ou  tout  au  moins  pour  que  l'écho  en  vînt 
jusqu'à  lui  et  que  le  pardon  en  fût  le  prix. 
C'est  que  dans  le  même  Sénèque  il  y  a  deux 
hommes  qui  ont  passé  leur  vie  à  s'infliger  les 
lus  tristes  démentis.  L'un  c'est  le  pythagori- 
cien exalté,  qui  se  refuse  presque  le  nécessaire 
et  incline  à  l'ascétisme;  l'autre  l'avocat,  l'ambi- 
tieux qui  recherche  les  succès  du  barreau ,  la 
réputation,  les  honneurs  publics ,  les  richesses, 
'"'amitié  des  grands  :  l'un  qui  remplit  tant  d'ou- 
(éaircs  de  si  pures  maximes;  l'autre  qui  écrit 
'apologie  du  parricide  :  l'un  qui  enseigne  le  mé- 
pris des  biens  de  la  fortune;  l'autre  qui  possède 
une  fortune  énorme ,  des  maisons  de  campagne 
flans  toutes  les  parties  de  l'Italie,  et  qui,  dit-on, 
prête  à  usure  :  l'un  est  enthousiaste  de  la  vertu  : 


SÉNÈQUK  7.58 

il  n'y  a  pas  un  sentiment  pur  ou  élevé  qui  lui 
soit  étranger;  l'autre  vit  pendant  plus  de  quinze 
ans  dans  une  cour  où  tous  les  vices,  tous  les 
crimes,  toutes  les  infamies  s'étalent  au  grand 
jour  :  chez  l'un  toutes  les  grandeurs  de  la 
pensée,  toutes  les  élévations  de  l'âme  trouvent, 
leur  expression;  chez  l'autre  se  rencontrent 
tontes  les  faiblesses  d'une  vie  mal  ordonnée  et 
mal  conduite.  Ame  élevée,  imagination  grande  el 
enthousiaste,  cœur  rempli  des  plus  nobles  sen- 
timents, avec  un  caractère  faible,  vulgaire  el 
sans  assiette,  voilà  tout  Sénèque.  Il  lui  manqua 
toujours  de  savoir  mettre  d'accord  ses  principes 
et  sa  conduite.  Il  eut  toute  sa  vie  l'amour  du 
bien ,  mais  cet  amour  fut  trop  platonique.  Lui- 
même  sentait  bien  les  défauts  et  les  contradic- 
tions de  sa  nature,  quand  se  défendant  d'être 
autre  dans  sa  vie ,  autre  dans  ses  paroles  et  ses 
leçons,  il  écrivait  :  «  Je  ne  suis  pas  un  sage  et 

même  je  ne  le  serai  jamais Ce  n'est  pas  de 

moi  que  je  parle ,  c'est  de  la  vertu  ;  et  lorsque 
je  fais  le  procès  aux  vices,  je  commence  par 
les  miens.  Quand  je  le  pourrai,  je  vivrai  comme 
il  faut  vivre  (1).  » 

Une  sorte  de  révolution  du  sérail  ramena  Sé- 
nèque sur  la  scène,  et  recommença  sa  fortune. 
Agrippine  venait  d'épouser  Claude  ;  elle  songea 
dès  lors  à  frayer  le  chemin  du  trône  à  son  fils 
Néron.  Grâce  à  son  tout-puissant  crédit,  Sé- 
nèque fut  rappelé  (49) ,  nommé  préteur,  admis 
dans  le  sénat  et  chargé  de  plus  de  l'éducation  du 
jeune  Néron  (2). 

C'est  ici  que  commence  pour  notre  philosophe 
cette  misérable  vie  de  transactions,  d'actes  équi- 
voques, pour  ne  pas  dire  plus,  où  se  traîna  sa 
conscience  et  qui  lui  ont  mérité  les  justes  sévé- 
rités de  l'histoire.  Agrippine  empoisonne  à  la 
fin  Claude,  trop  lent  à  mourir  au  gré  de  son  am- 
bition (54).  Claude  mort,  on  joue  dans  le  palais 
je  ne  sais  quelle  triste  comédie  pour  évincer 
Britannicus  et  faire  proclamer  Néron.  Sénèque 
ne  pouvait  rien  empêcher  sans  doute  ;  mais  on  a 
le  droit  de  lui  demander  ce  qu'il  faisait  à  la  cour 
au  milieu  de  ces  scènes  odieuses  ou  ignobles,  et 
si  c'était  bien  là  la  place  d'un  pur  disciple  de 
Zenon.  Le  jour  des  funérailles  de  Claude,  l'o- 
raison funèbre  du  dieu  nouveau  que  Néron  pro- 
nonça, et  qu'on  n'entendit  pas  sans  rire,  tant 
l'éloge  allait  loin ,  avait  été  composée  par  Sé- 
nèque (3).  Agrippine  espérait  trouver  dans  Sé- 
nèque et  Burrhus,  ses  créatures,  des  complaisants 
tout  prêts  à  laisser  glisser  dans  ses  mains  l'au- 
torité impériale.  Il  n'en  fut  rien.  Ces  deux  mi- 
nistres honnêtes  gens ,  plus  unis,  comme  ;Ie  re- 
marque Tacite,  qu'on  ne  l'est  d'ordinaire  quand 
on  partage  le  pouvoir,  parurent  se  liguer  pour 
contenir  d'une  part  l'ambition  envahissante  de  la 
mère,  et  les  appétits  impatients  du  fils.  Les  vio- 


(1)  De  F'itabeata,  xvin;  voy.  aussi  les  cliap.  xvn 
six  et  xx. 

(2)  Tacite,  Annales,  XII,  S. 

(3)  Idem,  ibid.,  XIII,  3. 


759  SÉNÈQUE 

lences  d'Agrippine  et  les  mauvaises  passions  de 
Néron  traversèrent  bientôt  les  efforts  de  Sénèque, 
et  ce  qu'on  a  appelé  récemment  les  difficultés 
de  famille  ne  tardèrent  pas  à  éclater  sous  la 
forme  de  sanglantes  tragédies.  Néron  s'était  épris 
d'un  violent  amour  pour  Acte,  une  jeune  affran- 
chie. Sénèque  se  prêta  avec  un  peu  trop  de 
complaisance  à  celte  intrigue  (1).  Agrippine,  ja- 
louse de  toute  influence  qui  l'écartait  de  son  fils, 
osa  menacer  Néron  de  défaire  ce  qu'elle  avait 
fait  et  nommer  Britannicus.  Ce  fut  pour  celui-ci 
un  arrêt  de  mort,  et  Néron  le  fit  empoisonner 
à  sa  table  (55).  La  disgrâce  complète  d'Agrip- 
pine suivit  :  une  accusation  fut  même  essayée, 
et  dans  cette  circonstance  Sénèque  et  Burrhus 
firent  subir,  par  ordre  de  l'empereur,  un  inter- 
rogatoire à  leur  ancienne  bienfaitrice  (2). 

Sénèque,  dans  la  haute  fortune  où  l'impératrice 
mère  l'avait  placé ,  entendait  monter  jusqu'à  lui 
des  insinuations  que  ses  ennemis  ont  recueillies 
trop  avidement,  sans  tenir  compte  de  quelle 
bouche  elles  sortaient.  Un  P.  Suilius,  accusé  et 
coupable  sous  le  dernier  règne  de  plus  d'une  in- 
famie, poursuivait  de  ses  invectives  le  ministre 
philosophe.  «  Par  quelle  philosophie,  disait-il, 
par  quelle  sagesse,  par  quels  préceptes,  Sé- 
nèque, pendant  quatre  ans  de  faveur,  a-t-il 
amassé  trois  cent  millions  de  sesterces?  Les 
testaments  et  les  citoyens  sans  héritiers  sont  pris 
comme  dans  ses  filets;  l'Italie  et  les  provinces 
épuisées  par  l'énormité  de  son  usure  (3).  »  Une 
sentence  d'exil,  prononcée  contre  Suilius  et  mille 
fois  méritée  (58),  fut  la  réponse  du  ministre, 
qui  ne  souffrit  pas  que  le  fils  du  condamné  por- 
tât, comme  quelques-uns  le  voulaient,  la  peine 
d'une  prétendue  complicité.  C'est  l'époque  où  le 
crédit  de  Sénèque  est  à  son  apogée.  Il  fut  ins- 
crit sur  la  liste  des  consuls  dans  la  seconde  moi- 
tié de  l'an  58  (consuls  substitués). 

On  connaît  l'histoire  de  la  mort  d'Agrippine. 
Après  l'avortement  du  naufrage  artificiel,  Néron, 
qui  connaît  sa  mère,  se  croit  perdu;  Il  mande 
Sénèque  et  Burrhus.  «  On  ne  saurait  dire,  ajoute 
Tacite,  s'ils  étaient  déjà  dans  le  secret  du  crime. 
Tous  deux  demeurent  longtemps  silencieux. 
Enfin,  Sénèque  se  tourne  vers  Burrhus,  et  lui 
demande  si  l'on  ordonnerait  aux  soldats  le 
meurtre  d'Agrippine;  Burrhus  fait  entendre  que 
les  prétoriens  hésiteront  à  rien  oser  contre  la  fille 
de  Germanicus.  Anicetus,  moins  scrupuleux,  se 
charge  de  la  besogne.  »  Le  crime  consommé  (60), 
Néron  adressa  au  sénat  une  lettre  apologétique  où 
il  énumérait  les  attentats  d'Agrippine  et  concluait 
que  sa  mort  était  un  bienfait  pour  l'État.  Sé- 
nèque était  l'auteur  de  cette  lettre;  Tacite  ledit 
expressément  :  «  Ce  n'était  plus  contre  Néron 
que  se  tournaient  les  murmures  accusateurs, 
l'indignation  n'avait  plus  de  mots  pour  tant  de 
barbarie,  mais  contre  Sénèque,  qui  avait  écrit 

.  (1)  Tacite,  Annales,  XIII,  13. 

(2)  Idem,  Md.,  20,  21. 

(3)  Idem,  ibid.,  42. 


7G0 


dans  un  pareil  discours  l'aveu  du  crime  (1).  » 
Voilà  la  grande  bassesse  de  Sénèque,  la  grande 
tache  qui  demeure  sur  sa   vie  malgré  toute  la 
peine  que  Diderot  a  prise  pour  l'en  laver  (2).    : 
Papinien,  lorsque  Car.acal'la  lui  demanda  d'écrire 
l'apologie  du  meurtre  de  Geta,  son  frère ,  qu'il 
avait  tué,  n'hésita  pas  à  répondre  «  qu'un  par- 
ricide était  plus  difficile  à  justifier  qu'à  com- 
mettre ».  Pour  trouver  ce  mot  (qu'il  ait  été  dit 
ou  non ,  peu  importe)  il  n'était  pas  besoin  d'être 
stoïcien ,  il  suffisait  d'être  un  honnête  homme. 
Au  reste,  Sénèque  s'abusait  étrangement  s'il  es- 
pérait, après  un  tel  excès  de  complaisance,  pou- 
voir conserver  quelque  autorité  sur  Néron.  Après 
la  mort  de  Burrhus,  peut-être  empoisonné  par  son 
maître  (63),  il  demanda  à  l'empereur  qu'il  lui 
fût  permis  de  quitter  la  cour  et  tous  les  biens 
dont  il  l'avait  comblé.  Néron  se  récria ,  joua  les    i 
beaux  sentiments,  et  protesta  qu'il  ne  pouvait  i 
se  priver  des  conseils  d'un  ami  tel  que  lui.  Le  \  I 
philosophe  céda;  mais  de  ce  jour  il  parut  plus 
rarement  au  palais,  prétextant  la  maladie  ou    > 
l'étude,  et  vécut  avec  une  simplicité  vraiment    c 
stoïque,  occupé  d'agriculture,  se  nourrissant  de    i 
fruits  sauvages  et  ne  buvant  que  de  l'eau  cou-  1 
rante.  Tacite  fait  entendre  à  deux  reprises  que 
Néron  essaya  de  lui  faire  donner  du  poison  (3), 
mais  la  tentative   échoua.  Au  commencement    I 
de  l'année  65  éclata  la  conspiration  de  Pison.  '  f 
Sénèque  y  fut  impliqué.  II  était  dans  une  de  ses 
maisons  de  campagne  à  quatre  milles  de  Rome,   ;i 
à  table  avec  Pauline,  sa  femme  (4)  et  deux  amis 
lorsqu'un  tribun  vint  l'interroger.  Il  répondit  !  i 
avec  une  noble  assurance,  se  défendit  simple- |<l 
ment,  et  rappela  que  Néron  avait  plus  souvent  [>1 
fait  l'épreuve  de  sou  indépendance  que  de  sa  i  5 
servilité.  On  lui  fit  annoncer  qu'il  fallait  mourir,  i  : 
Il  faut  lire  dans  Tacite  cette  scène  touchante  j  I 
des  derniers  moments  de  Sénèque.  Plusieurs 
traits  rappellent  la  fin  du  Phédon  :  «  Les  amis  I 
qui  l'entouraient  fondaient  en  larmes,  et  lui  les    ! 
rappelait  à  la  fermeté,  tantôt  avec  douceur,  tan- 
tôt avec  le  ton  d'un  maître  qui  répii mande.  Que 
sont  devenus,  disait-il,  les  préceptes  de  la  sa- 
gesse? Était-il  un  seul  homme  à  qui  la  cruauté 
de  Néron  ne  fût  connue?  Et  que  restait-il  au 
prince,  après  avoir  tué  sa  mère  et  son  frère,  si  ce 
n'est  de  tuer  son  gouverneur  et  son  maître  (5)  ?  » 
Pauline  voulut  mourir  avec  son  époux,  et  le 
même  fer  leur  ouvrit  les  veines  des  bras.  La 
mort  était  lente  à  venir  ;  Sénèque  avala  de  la 
ciguë,  mais  le  poison  fut  sans  effet.  Enfin  on  le 
porta  dans  une  étuve  dont  la  vapeur  l'étouffa. 
Pauline,  sauvée  par  l'ordre  de  Néron,  survécut 
quelques  années,  et  garda  diguement  son  sou- 
venir.  Tacite  rapporte,  comme  un  bruit  qui 

(1)  Tacite,  Jnn.,  XIV,  il. 

(2)  Essai  sur  la  vie  de  Sénèque ,  chap.  xliv  et  cvn. 

(3)  Tacite,  Ann.,XV,  45,  60. 

(4)  Sénèque  avait  épousé  Pompeia  Paulina  après  son 
exil.  11  avait  perdu  une  première  femme.  H  parle  en  effet 
de  son  fils  Marcus  dans  sa  Consolation  à  Helvia. 

(5)  Tacite,  Jnn.,  XV,  62. 


761 

couru  alors,  que  les  conjurés  avaient  songé  à 
donner  l'empire  à  Sénèque  comme  à  un  homme 
irréprochable,  et  vraiment  appelé  au  trône  par  le 
seul  éclat  de  ses  vertus  (1). 

Telle  est  la  vie  de  Sénèque.  On  voudrait  en 
effacer  plus  d'un  trait  indigne,  non  pas  seule- 
ment d'un  philosophe,  mais  d'un  cœur  droit  et 
bien  situé.  On  voudrait  que  Sénèque  n'eût  pas 
I  vécu  à  la  cour  d'Agrippine  et  de  Néron,  ou  tout 
1  au  moins  qu'il  eût  quitté  le  palais,  comme  un 
>i  repaire,  quand  il  vit  quels  hôtes  l'habitaient  et 
ce  qu'il  y  fallait  souffrir.  Il  y  resta,  combattu 
sans  doute  par  une  conscience  qui  valait  mieux 
que  ses  actes;  l'ambition  le  retint  d'abord,  puis 
l'habitude.  Tacite,  juge  assez  sévère,  comme  on 
sait,  lui  est  d'ordinaire  favorable,  il  est  vrai. 
Mais  il  s'en  faut  qu'il  le  place  au  nombre  de  ses 
héros,  les  Thraseas,  les  Boranus,  les  Helvidius 
jiPriscus.  C'est  à  ses  yeux  un  homme  d'une  vertu 
moyenne,  une  âme  honnête  mais  mal  trempée, 
un  esprit  plus  agréable  que  vigoureux  et  bien  fait 
I  pour  parler  à  la  mollesse  de  ses  contemporains  (2). 
Il  est  temps  de  laisser  de  côté  l'homme  pu- 
blic pour  considérer  le  philosophe  et  l'écrivain. 
Sénèque  est  stoïcien,  mais  non  pas  stoïcien 
orthodoxe.  On  chercherait  vainement  dans  ses 

B écrits  un  système  rigoureux  et  bien  lié  dans 
toutes  ses  parties.  Il  professe  une  grande  liberté 
en  face  des  maîtres  qu'il  aime  d'ordinaire  à 
suivre,  et  ne  veut  subir  en  esclave  l'autorité  de 
personne  (3).  Son  éducation  lui  avait  donné  une 
assez  grande  largeur  d'esprit.  Adolescent,  il 
goûta  les  leçons  d'un  pythagoricien;  plus  tard 
il  prit  plaisir  à  lire  Platon,  à  converser  avec 
Démétrius  le  Cynique,  à  feuilleter  les  livres 
d'Épicure.  Il  s'inquiète  moins  de  l'origine  des 
pensées  qu'il  rencontre  que  de  leur  justesse  et 
de  leur  valeur  morale,  et  ne  se  fait  nul  scrupule 
de  s'approprier  et  de  déclarer  sien  tout  ce  qu'il 
rencontre  de  bon,  où  que  ce  soit  (4).  Cette  li- 
berté n'a  rien  qui  surprenne  quand  on  songe 
que  Sénèque  n'est  pas  un  sectaire  retiré  à  l'ombre 
d l'une  école,  mais  un  homme  mêlé  aux  choses 
du  monde.  De  plus ,  la  doctrine  stoïcienne  su- 
bissait alors  une  nouvelle  transformation  :  elle 
prenait  chaque  jour  de  plus  en  plus  le  caractère 
d'une  discipline  morale  aspirant  à  donner  aux 
âmes  les  règles  pratiques  qu'elles  demandent 
chez  nous  à  la  religion,  et  que  les  ministres 
d'un  culte  discrédité  ne  s'inquiétaient  guère  de 
fournir.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  vivant  et  de  plus  sain 
dans  la  philosophie  de  Sénèque  vient  de  son 

(1)  Tacite,  ^n».,XV,  65. 

(S)  «  Fuit  ilii  viro  ingenium  amœnum  et  temporis  ejus 
'  auribus  accommodatum  (Jnn.,  XIII,  3).  »  Qui  ne  voit  que 
|  cet  éloge  est  une  amère  critique  ?  Chacune  des*  expres- 
sions de  ce  jugement  est  comme  imprégnée  de  dédain. 

(3)  Non  me  cuiquara  mancipavi,  nullius  nomen  fero 
(  Ep.  45  ).  —  Soleo  et  in  aliéna  castra  transire  (  Ep.  2  ). 
—  Non  ergo  sequor  priores  ?  Facio,  sed  perœitto  mibi 
otinvenire  aliquid  et  mùtare  et  relinquere.  Non  servio 

1  Hlls,  sed  assentio  (  Ep.  80  ). 

(4)  Quidquid  bene  dictum  est  ab  ullo  meum  est  (Ep. 
t6).  —  Quod  verum  est  meum  est  (Ep,  12  ). 


SÉNÈQUE  762 

âme  même  plus  que  de  la  vieille  doctrine  de 
Zenon.  Les  principes  et  les  préceptes  généraux 
ne  manquent  pas  sans  doute  ;  mais  Sénèque  les 
donne  pour  ainsi  dire  par  acquit  de  conscience, 
comme  s'il  doutait  de  leur  efficacité.  Il  sait  qu'ils 
ne  suffisent  pas  pour  le  but  qu'il  s'est  proposé 
et  qu'il  poursuit  avec  un  zèle,  ajoutons  avec 
une  ardeur  de  prosélytisme  fort  rare  dans  l'an- 
tiquité, où  la  sagesse  est  en  général  égoïste.  Il 
enseigne  non  pour  amuser  les  oisifs  ou  se  faire 
un  nom,  mais  pour  former  les  mœurs.  C'est  là, 
suivant  lui,  l'office  du  vrai  philosophe  :  il  doit 
être  le  médecin  des  âmes  ;  son  œuvre  est  de 
les  fortifier,  de  ramener  à  la  santé  celles  qui 
sont  malades,  de  soutenir  celles  qui  sont  chance- 
lantes, d'offrir  enfin  à  toutes  les  infirmités  et  à 
toutes  les  faiblesses  morales  des  remèdes  ou  des 
palliatifs  convenables.  «  Si  on  m'offrait  la  sa- 
gesse, dit-il,  à  cette  condition  de  la  posséder 
pour  moi  tout  seul,  je  n'en  voudrais  pas  (1).  » 
Et  il  ne  s'adressera  pas  seulement  à  quelques 
âmes  de  choix ,  mais  à  toutes  celles  qui  ont 
besoin  de  secours.  «  La  philosophie  luit  pour 
tout  le  monde,  »  selon  son  expression  (2).  Elle 
doit  aller  vers  tous  ceux  qui  souffrent ,  leur 
tendre  la  main,  les  éclairer,  les  guider,  les  re- 
lever, les  consoler,  et  ne  désespérer  de  leur 
salut  que  quand  elles  sont  tellement  endurcies 
et  enfoncées  dans  le  mal  que  son  ministère  serait 
inutile  et  ses  efforts  perdus  (3). 

Il  faut  voir  aussi  comme  Sénèque  s'élève  contre 
ceux  qui  perdent  leur  temps  en  vaines  arguties 
et  en  chicanes  de  mots.  «  Qu'importe,  dit-il, 
que  vos  discours  plaisent,  il  faut  qu'ils  portent 
fruit.  L'intérêt  des  âmes  est  ici  en  jeu.  Le  ma- 
lade n'a  que  faire  d'un  médecin  beau  parleur;  il 
en  veut  un  qui  sache  guérir...  Qu'est-ce  que 
tous  ces  jeux  puérils  ?  dit-il  en  parlant  des  logi- 
ciens raffinés  et  des  faiseurs  de  sophismes  inex- 
tricables, vous  êtes  au  chevet  de  malheureux 
qu'il  faut  soigner  (4).  »  Il  ne  laisse  pas  aussi 
d'être  sévère  contre  ceux  qui  n'ont  leurs  con- 
seils que  sur  les  lèvres,  enseignent  bien  et  vi- 
vent maL  II  veut  (que  ne  l'a-t-il  voulu  toujours 
pour  lui-même!  )  qu'on  enseigne  par  l'exemple 
et  la  pratique  (5).  Il  sait  quelle  autorité  une  vie 

(1)  In  hoc  gaudeo  aliquid  discere  ut  doceam  :  nec  me 
ulla  res  delectabit ,  licet  eximia  sit  et  salutaris,  quam 
raihi  uni  sciturus  sim.  Si  cum  hac  exceptione  detur  sa- 
pientia,  ut  illam  inclusaœ  teneam,  rejiciam  (  Ep.  6).  — 
On  attribue  à  Fontenelle  la  pensée  opposée.  Laquelle  des 
deux  est  la  plus  chrétienne? 

(2)  Non  rejicit  quemquam  philosophia  nec  eUgit:  om- 
nibus Iucet  [Ep.  44). 

(3)  Ep.  112. 

(4)  Non  délectent  verba  nostra  sed  prosint...  Alise 
aries  ad  ingenium  iota;  perlluent,  hic  animi  negotium 
agitur.  Non  quaerit  aeger  medicum  eloquentem  sed  sa- 
nantem  (  Ep.  75  ).  Quld  mihi  lusoria  ista  proponis  : 
Non  est  jocandi  locus  :  ad  miserosadvocatus  es  (Ep.  49, 
Ep.  117). 

(5)  Non  est  beatus  qui  scit  ista  sed  qui  faclt  (  Ep.  75  ). 
Eligamus  non  eos  qui  verba  magna  celeritate  précipi- 
tant et  communes  locos  volvunt,  et  in  privato  circulan- 
tur,  sed  cos  qui  vltam  docent;  qui  quum  dixerint  quid 
faciendum  sit,  probant  faciendo  (  Ep.  52  ). 


763 


bien  réglée  donne  à  de  bonnes  leçons.  Il  veut, 
qu'on*fasse  entendre  le  langage  de  la  vérité,  non- 
seulement  en  public,  mais  dans  le  particulier; 
les  bons  conseils  s'insinuent  mieux  dans  les 
âmes  par  une  familière  causerie  qu'au  milieu  du 
fracas  de  l'enseignement  public.  Ce  n'est  pas 
assez  ;  il  voit  au  delà  de  son  temps,  et  espère 
que  la  postérité  pourra  profiter  de  ses  avertis- 
sements et  des  expériences  qu'il  a  faites  sur 
lui-même  (i).  Et  en  effet ,  comme  on  l'a  montré 
dans  un  travail  ingénieux  (2),  que  de  pages 
dans  les  traités  et  surtout  dans  les  lettres  de 
Sénèque  qui  seraient  d'une  lecture  utile  pour  un 
directeur  de  consciences!  Quelle  connaissance 
profonde  du  cœur  humain  et  de  ses  plus  in- 
times faiblesses  !  Quel  tact  délicat  pour  manier 
les  âmes  ! 

On  trouve  aussi  dans  Sénèque  des  thèses  de 
stoïcisme  classique,  si  je  puis  dire  :  l'éloge  de 
l'impassibilité  absolue;  des  invectives  contre 
les  passions  en  général  et  contre  la  pitié  en  par- 
ticulier; le  portrait  du  sage,  c'est-à-dire  de  cet 
être  de  raison  à  qui  il  ne  manque  pour  être 
homme  que  l'humanité,  etc.  Mais  ce  sont  là  des 
lieux  communs  d'école.  Ces  souvenirs  du  stoï- 
cisme primitif  ont  assurément  échauffé  l'imagi- 
nation de  Sénèque  ;  mais  ils  ne  sont  pas  descen- 
dus de  sa  tête  à  son  cœur  ni  à  sa  raison  de  tous 
les  jours.  Il  a  beau  nous  montrer  avec  une 
emphatique  admiration  son  Caton  impertur- 
bable au  milieu  des  ruines  de  l'Etat,  et  se  déro- 
bant par  une  mort  volontaire  à  la  servitude  pu- 
blique :  il  est  certain  que  ce  n'est  pas  là  son 
idéal.  La  pensée  de  son  vieux  père  n'a-t-el!e 
pas  suffi  à  le  retenir  dans  la  vie?  Il  a  beau  nous 
dire  que  le  sage  ne  doit  pas  s'émouvoir,  que  son 
âme  doit  être  aussi  exempte  de  troubles  et 
d'orages  que  l'air  qui  est  au-dessus  des  nua- 
ges (3)  ;  qu'il  doit  ignorer  la  pitié,  ce  défaut  des 
petites  âmes,  selon  son  expression  (4)  ;  qu'il  ne 
doit  être  ému  ni  de  la  perte  de  ses  parents  ni 
de  la  mort  de  ses  amis.  Il  proteste  lui-même 
contre  ces  exagérations  quand  il  avoue  qu'on  ne 
peut  défendre  à  la  nature  de  sentir  (5)  ;  quand 
il  écrit  :  «  11  y  a  des  mouvements  dont  nous  ne 
sommes  pas  les  maîtres  :  nos  larmes  jaillissent 
souvent  malgré  nous,  et  ces  larmes  nous  sou- 
lagent... On  peut  obéir  à  la  nature  sans  compro- 
mettre sa  dignité  (6).  »  Quelle  délicate  critique 
du  stoïcisme  de  Zenon  dans  ce  dernier  mot! 
Dans  le  stoïcisme  de  Sénèque,  la  nature  reprend 
ses  droits,  et  tous  les  battements  du  cœur  humain 
ne  sont  ni  étouffés  ni  proscrits,  comme  on  voit. 

Dans  la  philosophie  naturelle  (7)  Sénèque  se 

(1)  Ep.  38.  Posterorura  negotiura  ago  :  Mis  aliqua  quae 
possint  prodesse  conscrlbo. 

(2)  De  la  Morale  pratiqtte  dans  les  Lettres  de  Sénè- 
que, par  Martha;  Strasbourg,  1854,  In -8°. 

13)  Talis   est   saplentis  anlmus  ,  qualis   mundi  status 
super  lunara.  Semper  Mie.  serenura  est  {Ep.  B9). 
(4)  ne  Clementia,  II,  15. 
(8)  Sensum  hominis  nulla  exult  virtus  (  Ep:  88  ). 
(«)Ep.  89. 
(7)  Sénèque  divise  la  philosophie  en  trois  parties  :  la 


SÉNÈQUE  1Q 

complaît  bien  souvent  à  exposer  la  pure  théori  | 
stoïcienne  des    deux   principes   dont   l'intim 
union  compose  le  monde  vivant  et  harmonieux 
un  Dieu  qui  pris  isolément  est  une  pure  abi 
traction;  une  matière  qui,  destituée  de  la  fore 
divine,  est  indéterminée,  sans  forme  et  sans  vii  I 
Dans  cette  théorie  la  personnalité  divine  e:  ! 
absolument  niée.    Et  cependant  que  de  pas 
sages  dans  les  traités  et  dans  les  épîtres  à  Lv.  j 
cilius  où  il  est  parlé  de  la  Providence,  de  ne 
espérances  d'une  vie  à  venir  et  de  la  prière  avt  | 
un  accent  religieux.!   Ceux   qui  enseignent  ûi 
Dieu  insensible  et  indifférent  au  sort  des  bon  j 
mes,  «  n'entendent  donc  pas,  dit-il,  les  voi 
suppliantes  des  mortels,  ni  cette  multitude  c 
vœux  publics  et  particuliers  qu'on  adresse  au  ; 
dieux  de  toutes  parts,  les  mains  étendues  vei 
le  ciel  (1)  »  ?  Et  encore  :  «  Le  premier  hoinmaç 
qu'on  doit  aux  dieux,  c'est  de  croire  en  eux; 
second  de  reconnaître  leur  majesté  et  surtoi 
leur  bonté,  sans  laquelle  il  n'y  a  pas  de  majestc 
de  savoir  qui  ce  sont  eux  qui    président  a 
monde,  qui  gouvernent  l'univers  comme  lei 
domaine  propre,   qui  veillent  à  la  conservatio 
du  genre  humain  en  général  et  quelquefois  d< 
individus  en  particulier  :  ils  ne  peuvent  envoy< 
le  mal,  il  n'est  pas  en  eux  ;  au  reste,  ils  répri 
ment,  ils  punissent,  et  quelquefois  ces  punition 
sont  des  biens  apparents  (2).  »  Là  et  ailleun 
car  on  ne  peut  tout  citer,  n'entendons-nous  pas  1 
cri  d'une  conscience  qui  se  révolte  contre  un  sys 
tème  trop  étroit  ?  Que  reste-t-il  donc  du  sioïcism 


dans  Sénèque?  Il  reste  entier,  mais  c'est  un  sto 
cisme  tempéré  et  mieux  accommodé  à  la  faibless 
humaine,  bien  qu'il  soit  toujours  destiné  à  nou 
armer  contre  cette  faiblesse  même  et  ne  la  ca 
resse  jamais.  C'est  au  nom  même  du  princip 
stoïcien  de  la  vie  conforme  à  la  nature  qu 
Sénèque,  suivant  en  cela  la  voie  de  Diogène  d 
Babylone  et  de  Pansetius,  adoucit  sans  tes  énerve 
les  préceptes  du  stoïcisme.  Il  ne  fléchit  pas  su 
ce  peint  ,qui  est  l'arche  sainte  du  système,  à  s; 
voir  que  le  seul  mal  véritable  est  le  vice  et  1 
péché  et  tout  ce  qui  porte  atteinte  à  la  dignit 
de  l'homme  ;  le  seul  bien  l'honnête ,  la  vertu 
mais,  avec  l'opinion,  disons  mieux,  avec  le  bo 
sens,  il  admet  des  biens  secondaires,  accessoires 
qui  ont  par  eux-mêmes  une  certaine  valeui 
comme  la  santé  et  la  richesse.  Il  reconnaît  qu' 
ne  faut  pas  laisser  prise  sur  nous  aux  passion 
qui  bientôt  nous  envahissent  et  nous  renden 
esclaves  ;  mais  il  admet  les  sentiments  modéré 
et  honnêtes  ;  il  ne  refuse  pas  à  l'homme  d'êtn 
touché  de  ce  qui  arrive  de  bon  ou  de  mauvai 
à  ses  proches,  à  ses  amis,  à  son  pays.  11  aime  i 
dire  que  le  sage  est  parfait,  qu'il  est  souverai 
nement  heureux,  qu'arrivé  au  sommet  où  il  as 

philosophie  morale,  la  philosophie  naturelle,  et  la  philo 
sophie  rationnelle.  Cette  dernière  comprend  selon  lui  l 
dialectique  et  la  rhétorique  (  Bp  .  89  ). 

(1)  De  benef.,  IV,  t. 

(2)  Ep.  95.  Voir  aussi   De  Providentia,  passim. 


1765 

pire  il  ne  peut  plus  monter;  mais  il  avoue  que 
dans  la  réalité  les  plus  purs  et  les  plus  sages  ont 
encore  et  toujours  des  progrès  à  faire,  et  pour 
ce  qui  le  regarde,  il  sait  ce  qui  lui  manque  et  ne 
craint  pas  de  s'accuser.  Il  se  plaît  à  donner  des 
[préceptes  austères,  mais  c'est  parce  qu'il  sait 
[qu'il  faut  demander  à  l'homme  plus  que  son 
j  devoir  pour  obtenir  qu'il  le  fasse  à  moitié,  et 
iqne,  vu  ses  défaillances  et  les  concessions  qu'il 
io  fait  à  lui-même,  ne  pas  exiger  trop,  c'est 
l'exiger  pas  assez. 

La  morale  de  Sénèque,  nous  pouvons  le  dire 
après  Lactance,  qui  aime  à  la  citer,  est  douce, 
luimaine,  élevée,  religieuse;  la  tendresse  de 
'accent  lui  manque  seule.  Sénèque  résume 
quelque  part  cette  morale  en  une  phrase  qu'on 
uut  répéter  en  tout  temps  et  écrire  sans  pres- 
que y  rien  changer  dans  le  catéchisme  des  en- 
fants,  car  c'est  l'abrégé  de  la  vraie  et  univer- 
selle morale  :  «  La  philosophie  nous  apprend,  à 
idorer  Dieu  et  à  aimer  les  hommes,  à  penser 
lue  les  dieux  sont  les  maîtres  de  toutes  choses 
■t  que  les  hommes  forment  une  seule  fa- 
nille  (1).  »  Il  s'en  faut,selonSénèque,que  la  morale 
oit  tout  entière  renfermée  dans  les  prescriptions 
le  la  loi  positive.  «  Que  c'est  peu,  dit-il,  d'être 
iiommc  de  bien  selon  la  loi  !  Que  de  devoirs 
obligent  l'homme  qui  ne  sont  pas  écrits  dans  les 
;odes  (2)  !  »  La  loi  du  temps  de  Sénèque  consa- 
rait  l'esclavage  :  le  philosophe  le  condamne  au 
nom  de  la  raison,  qui  proclame  l'égalité  naturelle 
Je  tous  les  hommes  (3).  La  loi  autorise  à  ré- 
clamer vengeance  de  l'injure  :  le  philosophe  ne 
tfeut  pas  qu'on  rende  le  mal  pour  le  mal  ;  il  veut 
iju'on  pardonne  à  son  ennemi  (4).  La  loi  se  tait 
sur  la  bienfaisance  et  la  charité  :  le  philosophe 
Écrit  que  tous  les  hommes  sont  an  monde  pour 
li'entr'aider  mutuellement,  «  homo  inadjutorium 
inutuum  generatus  est  »  (De3  ira,  I,  5)  ;  qu'il  faut 
faire  du  bien  même  aux  inconnus,  même  aux 
Méchants,  même  à  ses  ennemis  (5).  La  loi  et 
'opinion  autorisent  les  combats  de  gladiateurs; 
;e  sont  fêtes  officielles  :  le  philosophe  proteste 
sontre  ces  jeux  sanglants  et  leur  pernicieuse 
nfluence  sur  les  mœurs  publiques.  Il  n'y  a 
«resque  pas  une  vertu  chrétienne  dont  il  n'impose 
A  pratique.  Qu'on  lise  le  De  Ira  ou  le  De  Dene- 
Hciis,  et  à  travers  des  redites  un  peu  fatigantes 
»n  trouvera  les  plus  purs  et  les  plus  excel- 
ents  préceptes  de  la  morale  la  plus  saine  et 

plus  élevée.  Quelles  règles  de  conduite  que 
Celles-ci,  par  exemple  :  «  Agissez  avec  vos  in- 
férieurs comme  vous  voudriez    que   vos  su- 

(1)  IIeec    (philosophia)  docet    colère   divina  ,  humana 
llligere,   et  pênes   Deos  iraperiura  esse,  inter  horaincs 
(fonsortium  [Ep.  90). 
:  (2)  De  Ira,  II,  27. 

(3)  Ornnes  si  ad  primam  origincm  revocentur  a  Diis 
tint...  liona  mens  omnibus  patet  (Ep.  44).  Servi  sunt? 

'imo  homines.  Servi  sunt?  Imo  contubernales.  Servi  sunt? 
mo  humiles  amici.  Servi  sunt?  Imo  conservl. 

(4)  De  Ira,  11,32-34.  De  Constantia  Sap. ,i6{  Ep:  47). 
15)  De  F'ita  beata,  20.  De  Const.  Sap.,  28.  De  Ira,  1,  5. 

4.  De  Benef,,  passim.. 


SÉNÈQUE  7GG 

1  péricurs  agissent  avec  vous.....  Ne  vous  per- 
mettez rien  que  vous  ne  puissiez  faire  devant 
votre  ennemi  (1)...  Montrez  à  ceux  qui  font  le  mal 
des  sentiments  doux  et  paternels,  et  vous  sou- 
venez que  nul  n'a  le  droit  de  s'absoudre  soi- 
même  et  de  se  déclarer  innocent  »  (2).  Enfin  Sé- 
nèque par  son  exemple  semble  conseiller  à  cha- 
cun de  faire  tous  les  soirs  son  examen  de  cons- 
cience, de  repasser  sa  journée  et  de  se  juger 
soi-même  au  tribunal  de  son  for  intérieur  (3). 

Tout  cela  est  profondément  ehrétien.  Ceux 
qui  refusent  à  la  raison  humaine  la  capacité 
naturelle  de  s'élever  par  ses  seules  forces,  et  sans 
le  secours  de  la  révélation,  à  une  morale  digne 
de  ce  nom,  trouveraient  ici  de  quoi  s'étonner 
s'ils  n'avaient  sous -la  main  une  vieille  légende 
avec  laquelle  tout,  paraît-il,  s'explique  fort  ai- 
sément. Saint  Paul,  vers  l'an  62,  était  à  Rome, 
dans  une  captivité  très-douce,  comme  on  sait. 
Il  pouvait  voir  et  recevoir  qui  il  voulait.  Or  Sé- 
nèque n'a  pas  pu  ne  pas  connaître  et  ses  aven- 
tures et  ies  motifs  de  son  appel  à  César.  Il  est 
donc  entré  en  relation  avec  lui  ;  H  a  conversé 
avec  lui;  il  a  appris  de  lui  la  morale  qu'il  a  en- 
seignée. Rien  donc  de  surprenant  si  cette  morale 
ressemble  à  la  morale  chrétienne.  C'est  saint 
Paul  lui-même  qui  parle  par  la  bouche  du  stoï- 
cien Sénèque.  Et  comme  preuve  nouvelle  de  ces 
rapports  de  l'apôtre  et  du  philosophe,  on  allègue 
une  correspondance  composée  de  quatorze  lettres 
qu'ils  auraient  échangées,  et  le  témoignage  de 
saint  Jérôme,  qui  parle  de  ces  lettres  sans  s'ex- 
pliquer sur  leur  authenticité  (4-).  Il  n'est  pas 
besoin  d'être  très-versé  dans  la  langue  latine  ni 
Irès-familiarisé  avec  le  style  de  Sénèque  pour 
s'assurer  que  cette  correspondance  n'est  pas  de 
l'époque  de  Lucain  et  que  Sénèque  n'a  jamais 
écrit  les  huit  lettres  demi-barbares  qu'on  lui  attri- 
bue. La  plus  simple  lecture  démontre  une  pieuse 
fraude  commise  entre  le  troisième  et  le  cinquième 
siècle,  comme  il  s'en  commettait  tant  alors  à 
Alexandrie  ou  à  Antioche.  Que  reste-t-il  de  celte 
tradition,  si  la  correspondance  est  apocryphe  ? 
Une  hypothèse  ou  plutôt  plusieurs  hypothèses  : 
que  saint  Paul  a  dû  faire  grand  bruit  à  Rome; 
que  Sénèque  ne  put  manquer  d'en  entendre 
parler;  qu'il  eut  sans  doute  la  curiosité  de  le 
voir;  qu'il  le  vit  donc  et  s'entretint  avec  lui; 
qu'il  fut  inévitablement  touché  de  ses  discours, 
en  garda  la  vive  empreinte,  et  la  fit  passer  dans 
ses  écrits.  On  ne  discute  pas  des  hypothèses  aussi 
hasardeuses,  et  elles  ne  valent  guère  la  peine 
d'être  réfutées  (5).  Il  suffit  peut-être  de  faire  re- 
marquer que  Sénèque  est  mort  au  commence- 
ment de  l'an  65,  et  qu'avant  62,  avant  même 
60 ,  date  très-probable  de  YÉpître  aux  Ro- 

(1)  Ep.  3. 

(2)  De  Ira ,  I. 
(S)  De  Ira,  111,  36. 

(4)  Saint  Jérôme,  De  Vir.  ill.,  XII. 

(5)  Voy.  Étude  critique  sur  les  rapports  supposés 
entre  Sénèque  et  saint  Paul,  par  Aubcrtin;  Paris,  1857, 
in  8°. 


767 


mains  (de  laquelle,  du  reste,  Sénèqueeût  pu  très- 
malaisément  tirer" la  morale  qu'il  enseigne),  le 
philosophe  avait  écrit  presque  tous  ses  ouvrages 
et  quelques-unes  même  des  lettres  à  Luci- 
lius  (1).  Or,  comment  aurait-il  pu  empruntera 
saint  Paul  des  idées  qu'il  déposait  dans  son  De 
ira  vers  l'an  44  au  plus  tard,  ajors  que  saint 
Paul  n'avait  pas  encore  écrit  sa  première  épître 
et  qu'aucun  livre  du  Nouveau  Testament  n'a- 
vait probablement  vu  le  jour?  La  morale  de 
Sénèque  appartient  tout  entière  aux  stoïciens, 
à  Cicéron,  à  Platon  et  à  Pythagore,  à  ces  divers 
maîtres  qu'il  aimait  à  consulter,  à  lui-même 
enfin,  qui  arrive  dans  l'histoire  après  un  mou- 
vement philosophique  de  plus  de  six  siècles  et 
le  continue  selon  ses  forces.  Il  n'y  a  ni  emprunt 
ni  plagiat.  C'est  le  produit  de  la  raison  humaine 
éclairée  par  tout  le  travail  du  passé.  C'est  aussi, 
si  l'on  veut,  le  témoignage  d'une  âme  natu- 
rellement chrétienne,  comme  la  morale  de  So- 
crate  et  celle  de  Platon. 

Ne  pouvant  nous  dispenser  de  dire  un  mot  du 
style  de  Sénèque,  nous  laisserons  parler  sur  ce 
point  un  critique  classique  dans  un  temps  de 
décadence  littéraire,  Quintilien,  dont  le  jugement, 
quoique  un  peu  sévère ,  ne  saurait  guère  être 
cassé.  «  11  est  plein  de  pensées  brillantes,  et  par 
rapport  aux  moeurs  la  lecture  de  ses  écrits  ne 
peut  qu'être  utile  ;  mais  son  style  est  générale- 
ment corrompu  et  d'autant  plus  dangereux  qu'il 
abonde  en  défauts  séduisants  (dulcibus  vitiis). 
On  voudrait  qu'il  eût  écrit  avec  son  esprit  et 
avec  le  goût  d'un  autre  :  car  s'il  eût  dédaigné 
certains  faux  brillants,  s'il  eût  été  moins  ambi- 
tieux, s'il  n'eût  pas  été  épris  de  tout  ce  qu'il 
produisait,  s'il  n'eût  pas  affaibli  la  gravité  des 
sujets  en  morcelant  ses  pensées,  le  suffrage  des 
hommes  de  goût  bien  plus  que  l'engouement  de 
la  jeunesse  ferait  aujourd'hui  son  éloge.  Toute- 
fois, tel  qu'il  est,  on  pourra  le  lire  quand  on 
aura  le  goût  déjà  sûr  et  suffisamment  formé  par 
un  genre  d'élocution  plus  sévère;  car,  je  le  ré- 
pète, il  y  a  en  lui  beaucoup  à  louer,  beaucoup 
même  à  admirer,  pourvu  qu'on  sache  choisir. 
Que  ne  l'a-t-il  fait  lui-même!  Un  tel  génie  était 
digne  d'aspirer  à  la  perfection,  lui  qui  réussissait 
dans  tout  ce  qu'il  essayait  (2).  » 

Ouvrages  de  Sénèque.  Les  ouvrages  de  Sé- 
nèque qui  sont  venus  jusqu'à  nous  sont  :  De 
Ira;  Consolatio  ad  Helviam;  Consolatio  ad 
Polybium;  Consolatio  ad  Marciam  ;  De  Pro- 
videnlia;  De  Constantia  sapientis;  De  Otio 
sapientis;  De  Tranquillitate  animi  ;  De  Cle- 
mentia;De  Vita  beata  ;  De  Brevitate  vïtae; 
De  Beneficiis;  Epistolec  ad  Lucilium,  au 

(1)  Dans  l'Ep.  91,  Sénèque  parle  de  l'incendie  qui  dé- 
truisit Lyon  en  62. 

(2)  Quintilien,  Inst.  Orat.,  1.  X.  Sénèque  avait  le  sen- 
timent de  sa  valeur  personnelle.  Ce  sentiment  éclate 
bien  vivement  dans  ce  mot  adressé  à  Lucàllus  :  «  Habebo 
apud  posteros  gratlam,  possum  mecum  duratura  noirrina 
educere  »  (Ep.  20).  C'est  l'accent  sincère  de  Vexegi  mo- 
numentum  d'Horace. 


SÉNÈQUE  71 

nombre  de   124;    Quxstionum    naturaliu 
libri  VII. 

Enfin,  on  lui  attribue  généralement  une  sali 
sur  la  mort  de  Claude,  qui  a  pour  titre  Clam 
Cccsaris  A7toxoXoxuvra><TK;. 

Et  on  met  quelquefois  sous  son  nom  dix  ti 
gédies  ;  plusieurs   critiques  les  donnent  à 
autre  Sénèque,  qu'on  désigne  sous  le  nom 
Sénèque  le  Tragique.  Juste  Lipse  de  ces  dix  t: 
gédies  n'attribue  au  philosophe  que  Médée  (: 
Plusieurs  écrits  de  Sénèque  ne  sont  pas  ven  ! 
jusqu'à  nous  :  les  vers  et  les  pièces  de  poéi 
qu'il  a    composés;  ses  plaidoyers  ;  le  tra  i 
De  Terrsemotu;  celui  De  Matrïmonio,  cité  r. 
saint  Jérôme  (  Adv.  Jovinian.,  lib.  1);  Hi 
toria,  citée  par  Lactance  (7>!s£.  div.,  VII,  15); 
traité  De  Super stitione,  cité  par  saint  Augusti 
Dialogi,  mentionnés  par  Quintilien  ;  Moraliv 
libri,  cités  par  Lactance,  II,  2  ;  Exhortations 
libri ,  cités  par  Lactance.  Nous  ne  mentionno 
pas  la  correspondance  avec  saint  Paul,  de 
Juste  Lipse  dit  qu'elle  a  été  écrite  pour  se  jou 
de  nous,  in  ludibrium  nostrum. 

Éditions  de  Sénèque.  La  première  en  d; 
est  celle  de  Naples,  1475,  in-fol.  Les  suivanl 
méritent  d'être  citées  :  Bâle,  1515-29,  d'Érasm 
Rome,  1585,  in-fol.,  de  Muret;  Paris,  1C( 
1619, 1627,  in-fol.  avec  de  longues  notes;  Leyc 
1640,  3  vol.  pet.  in-12;  Anvers,  1652,  in-fo 
de  Juste  Lipse;  Amst.,  Elsevier,  1672,  3 
in-12;  Paris,  1827-32,  6  vol.  in-8°,  collecti 
Lemaire.  Il  existe  en  fiançais  plusieurs  tradi 
tions  complètes  de  Sénèque  :  celles  de  Chah 
(1604,  in-fol.),  de  Malherbe,  du  Ryer  et  Bc 
douin  (1649,  2  vol.  in-fol.),  de  Lagrange  (171 
6  vol.  in-12,  et  1819,  13  vol.  in-12),  de  la  1 
blioth.  Panckoucke  (1832,  8  vol.  in-8°)  et 
la  Collection  Nisard  (  1838,  gr.  in-8°  ). 

B.  Aube. 


Ouvrages  cités.  —  Suétone,  Caligula  et  Néron. 
Dion  Cassius,  Caligula,  Claude  et  Néron.  —  Quintilii 
VIII,  315;  IX,  2;  X.  —  Aulu-Gelle,  XII,  5,  Nuits 
tiques.—  Lactance,  [nst.  Div.,  làVII.  —  Saint  A 
gustin,  De  Civ.  Dei,  VI,  10.  —  Érasme,  Commi 
taires  de  son  édition.  —  Juste  Lipse,  Vie  de  Sénèq\ 

—  Ritter ,  Hist.    de  la  philosophie  ancienne ,  t. 

—  J.  de  Maistre,  IXe  entretien  des  Soirées  de  Sai 
Pétersbourg.  —  Gelpke ,  Tractatiuncula  de  fat. 
liaritate  quss  Paulo  Apostolo  cum  Seneca  philo, 
pfio  intercessisse  traditur  verisimillima  ;  Leipzig,  18 
in-4°.  —  c.  de  Rosmini,  Délia  vita  di  L.  A.  Senec 
Roveredo,  1793,  in-8°.  —  Klotzsch,  Seneca;  Wittembe: 
1799-1802,  2  vol.  in-8°.  —  Reinhardt,  De  Senecse  vita 
scriptis;  Iéna,  1817,  in-8°.  -  Vernier,  Abrégé  de  la  i 
et  des  œuvres  de  Sénèque  ;  Paris,  1812,  in-8°.  —  J.  Simc 
dans  la  Liberté  de  penser,  déc.  1848  et  janvier  1849. 
Am.  Fleury,  Sénèque  et  saint  Paul  ;  Paris,  1853,  2  v 
in-8°.  —  Baur,  dans  le  Journal  de  théol.  scientif.,  18 

(1)  Quintilien  et  d'autres  auteurs  latins  les  donnent 
Sénèque.  En  voici  les  titres  :  Hercules  furent,  Thyest 
Thebais  ou  Phœnissss,  Hippolytus,  OEdipus,  Iroadt 
Medea,  Agamemnon,  Hercules  OEtœus,  et  Octavs 
Elles  ont  été  traduites  en  français  par  Coupé  (1795, 
in-8°),et  par  Levée  (1822,3  vol.  in-8°).  et  ont  donné  li 
à  plusieurs  imitations  sur  notre  scène  classique, 
meilleures  éditions  du  texte  latin  sont  celles  d'Arm 
1672,  in  8°;  de  Leyde,  1707,  in-8°;  de  Délit,  1782,  ln-4 
deLeVpzig,  1819, 2  vol,  In-8°. 


'69  SENNACHERIB  —  SENNERT 

SENNACHERIB,  roi  d'Assyrie ,  assassiné  en 
;80  av.  J.-C.  Il  succéda  en  702  à  son  père,  Sar- 
;on  (voy.  ce  nom).  Une  partie  de  ses  nom- 
breux exploits  est  rapportée  dans  deux  inscrip- 
ions  cunéiformes,  dites  cylindre  de  Bellino 
;t  prisme  de  Sennacherib .  Ce  sont  presque 
oujours  des  expéditions,  qui  se  terminaient  par 
es  levées  de  tributs  ;  nous  signalerons  les  sui- 
antes,  qui  offrent  de  l'intérêt.  Dès  son  avéne- 
nent  Sennacherib  marcha  contre  la  Chaldée,  et 
i  fit  en  peu  de  temps  rentrer  sous  le  jong  as- 
,yrien,  qu'elle  avait  secoué  quarante-cinq  ans 
uparavant.  Après  avoir  établi  a  Babylone  comme 
ice-roi  Bel-ipni  (  le  Belibus  des  Grecs),  il  se 
irigea  vers  la  Médie.  Il  prétend  dans  ses  ins- 
riptions  y  avoir  fait  des  conquêtes  considé- 
Ubles  ;  mais  nous  savons  par  d'autres  documents 
tue  les  Mèdes ,  s'affranchissant  alors  de  la  do- 
mination assyrienne,  remirent  toute  l'auto- 
té  à  un  seul  chef,  qui  fut  Déjorès.  En  701 
Bnnacherib,  apprenant  qu'une  coalition  se  far- 
tait contre  lui  entre  les  souverains  d'Egypte, 
B  Judée,  de  Syrie  et  de  Phénicie,  envahit  ce 
îrnier  pays,  qui  se  soumit  aussitôt,  sauf  Asca- 
•n,  qui  fut  pris  d'assaut  :  après  avoir  battu  le 
>i  deMeroë,  il  se  tourna  contre  Ézéchias,  roi  de 
jda,  s'empara  de  quarante-quatre  villes  de  la 
alestine ,  força  Ézéchias  à  lui  payer  un  tribut 
'Misidérable  et  le  dépouilla  d'une  partie  de  son 
>yaume.  La  quatrième  campagne  de  Sennache- 
b  fut  dirigée  contre  l'ancien  roi  de  Chaldée,  qui 
Wut  trouvé  des  partisans  chez  les  Élamites. 
ians  sa  septième  et  huitième  campagne,  il  étouffa 
près  une  longue  résistance  la  révolte  des  Sou- 
jiirs  et  des  Anads,  qui  furent  aidés  par  les  Éla- 
ites  et  les  Bahyloniens.  Le  conquérant  raconte 
lans  une  inscription  comment  il  employa  la  ruse 
;  le  fer  pour  les  vaincre.  «  Sur  la  terre  mouillée, 
ts  harnais,  les  armes  nageaient  dans  le  sang 
es  ennemis  comme  dans  un  fleuve.  J'entassai 
}S  cadavres  de  leurs  soldats  comme  des  tro- 
hées,  et  je  leur  coupai  les  extrémités.  Je  mu- 
lai  ceux  que  je  pris  vivants  comme  des  brins 

paille,  et  pour  châtiment  je  leur  coupai  les 
îains.  »  Sennacherib  paraît  avoir  été  heureux 
ans  ses  entreprises  jusqu'en  689,  année  où  il 
prouva  une  catastrophe,  d'où  date  la  décadence 
i  l'empire  assyrien.  Une  nouvelle  coalition  des 
jgyptiens  et  des  Juifs  lui  remit  les  armes  à  la 
»ain.  Avec  sa  rapidité  accoutumée ,  il  envahit 
basse  Egypte  et  commença  le  siège  de  Péluse  ; 
ùis  il  entra  en  Judée,  et  occupa  les  principales 
_ >rteresses.  Ézéchias  offrit  alors  de  se  soumettre 
la  loi  du  vainqueur,  qui  exigea  de  lui  une 
Mnme  de  30  talents  d'or  et  de  300  talents  d'ar- 
Ent.  Mais  cette  contribution  énorme  ne  satisfit 
as  le  prince  assyrien;  il  continua  de  ravager 
i  pays,  de  rançonner  les  "villes,  et  assiégea  Jé- 
îsalem.  Les  éloquentes  exhortations  d'Isaïesou- 
inrent  le  courage  des  habitants,  qui  résistèrent 
vec  d'autant  plus  d'ardeur  lorsqu'ils  apprirent 
u'une  armée  égyptienne  s'avançait  à  leur  se- 

NOUV.    BIOGR.   GÉNÉR.    —   T.   XLII1. 


770 


.' 


cours.  Tout  à  coup  on  vit  Sennacherib  lever  le 
camp  et  s'enfuir  avec  précipitation  :  une  épidé- 
mie cruelle  avait  éclaté  parmi  ses  soldats,  et  dans 
l'espace  de  quelques  jours  elle  avait  fait  tant  de 
victimes  qu'il  ne  restait  aux  gens  survivants 
d'autre  salut  que  dans  une  prompte  retraite.  La 
Bible  prétend  que  180,000  hommes  furent  frap- 
pés à  mort  par  l'ange  du  Seigneur.  De  leur  côté, 
les  Égyptiens  racontaient  à  Hérodote  qu'il  fallait 
attribuer  le  désastre  des  Assyriens  à  une  armée 
innombrable  de  rats  envoyés  par  Vnlcain  et  qui 
avaient  rongé  leurs  armes.  Ce  fut  Sennacherib 
qui  restaura  Ninive,  qui  était  restée  en  ruines 
depuis  la  prise  de  la  ville  sous  Sardanapale  V-, 
il  y  fit  exécuter  des  travaux  gigantesques,  par  la 
multitude  de  captifs  qu'il  avait  ramenés,  entre 
autres  un  magnifique  palais,  dont  les  restes  con- 
sidérables ont  été  récemment  découverts.  E.  G. 

Oppert,  Expédition  en  Mésopotamie,  t.  I,  et  Inscrip- 
tions des  Sargonides.  —  Hérodote,  édit.  Rawlinson.  — 
Layard,  Ninevefi.  —  Niebuhr,  Gesch.  Assurs  une  liabels. 
—  Ewald,  Gesch.  des  Folkes  Israël,  t.  111. 

sennectère.  Voy.  Ferté  (La). 

sexnert  (Daniel),  médecin  allemand,  né 
le  25  novembre  1572,  à  Breslau,  mort  lé  21  juil- 
let 1637,  à  "Wittemberg.  11  était  fils  d'un  cor- 
donnier, qui,  malgré  son  humble  condition,  ne 
négligea  rien  pour  le  bien  élever.  Après  avoir 
étudié  la  philosophie  et  la  médecine  à  Wittem- 
berg, il  y  prit  le  grade  de  docteur  (1601),  et  fut 
pourvu  en  1602  d'une  chaire,  qu'il  occupa  jus- 
qu'à sa  mort.  II  fut  élu  six  fois  recteur  de  l'uni- 
versité, ce  qui  était  sans  exemple,  et  l'électeur 
de  Saxe,  qu'il  avait  guéri  en  1628  d'une  maladie 
grave,  l'admit  au  nombre  de  ses  médecins.  Sen- 
nert  jouit  d'une  réputation  étendue,  qu'il  devait 
à  ses  écrits  et  à  son  habileté  dans  la  pratique. 
Jamais  il  ne  refusait  son  assistance,  n'exigeant 
rien  pour  ses  peines  ou  se  contentant  de  ce  qu'on 
lui  offrait.  Les  épidémies  qui  désolèrent  Wit- 
temberg pendant  la  guerre  de  Trente  ans  lui 
donnèrent  de  nombreuses  occasions  de  faire 
éclater  son  zèle;  mais  après  avoir  si  souvent 
bravé  la  contagion,  il  en  devint  la  victime,  et 
mourut,  à  l'âge  de  soixante-cinq  ans.  Dans  l'en- 
seignement de  la  médecine,  il  s'écarta  sur  quel- 
ques points  importants  des  routes  battues  ;  ainsi 
il  fit  preuve  d'indépendance  en  combattant  l'au- 
torité d'Aristote  et  en  préconisant  l'étude  de  la 
chimie,  qu'il  introduisit  le  premier  dans  l'Aca- 
démie de  Wittemberg.  A  ce  double  titre,  il  peut 
être  regardé  comme  un  novateur,  qualité  qui 
lui  suscita  bien  des  ennemis.  On  ne  doit  pas 
moins  lui  savoir  gré  de  s'être  élevé  contre  le 
faux  spiritualisme  des  scolastiques  ;  mais  ses 
théories  sur  l'origine  des  âmes  peuvent  paraître 
hasardées,  bien  qu'elles  ne  méritassent  point 
d'être  taxées  de  blasphème  et  d'impiété,  comme 
le  firent  les  théologiens.  Portai  a  parlé  avec  trop 
de  dédain  des  ouvrages  de  Sennert,  à  qui  il  ac- 
corde pourtant  du  jugement  et  de  l'érudition  ; 
Halier  les  regardait  comme  une  sorte  d'encyclo- 
pédie médicale  indispensable  au  médecin,  et 

25 


771 


SENNERT  —  SEPULVEDA 


T, 


Éloy  en  recommandait  la  lecture,  même  après 
les  modernes.  Ils  ont  eu,  dans  le  siècle  où  ils 
ont  paru,  de  fréquentes  réimpressions;  nous  ci- 
terons les  suivants  :  Questionum  medicarum 
controversarum  liber;  Wittemberg,  1609, 
in-8°;  —  Institutionum  medicinee  lib.  V  ; 
ibid.,  1611,  1628,  1667,  in-4°  :  Christ.  Winc- 
kelmann  a  réduit  cet  ouvrage  en  tables  (ibid., 
1636,  in-fol.),  et  l'auteur  en  a  fait  un  abrégé; 
—  Epitome  naturalis  scientise;  ibid.,  1618, 
in-8°;  —  De  chymicorum  cum  Aristotelicis 
et  Galenicis  consensu;  ibid.,  1619,  in-8°;  — 
De  febribus  lib.  IV;  ibid.,  1619,  in-8°;  —  De 
scorbuto  ;  ibid.,  1624,  in-8°  ;  —  Medicinœ  prac- 
UCcS  lib.  VI  ;  ibid.,  1628-35,  6  part.  in-4°;  — 
Uypomnemata  physica;  Francfort,  1635, 
1636,  in-8°.  C'est  dans  ce  recueil  que  Sennert 
donna  carrière  à  sa  verve  paradoxale.  D'après 
lui,  l'âme  était  dans  la  semeuce  avant  l'organi- 
sation, et  c'est  elle  qui  formait  le  corps;  les 
métaux  devaient  leur  création  à  des  esprits  in- 
telligents, et  l'âme  des  bêtes  n'était  point  maté- 
rielle. Ces  rêveries,  attaquées  avec  emportement 
par  J.  Freytag  et  le  P.  Fabri,  trouvèrent  un 
défenseur  chaleureux  dans  Sperlingen,  disciple 
de  Sennert;  —  Paraliponiena;  Wittemberg, 
1642,  in- 12.  Tous  les  écrits  de  ce  médecin  ont 
été  réunis  plusieurs  fois;  la  dernière  et  la  plus 
ample  édit.  est  celle  de  Lyon,  1676,  6  vol.  in-fol. 

Sa  Fie,  à  la  tète  de  ses  OEuvres.  —  Freher,  Tfiea- 
trum.  —  Bayle,  Dict.  —  Niceron,  Mémoires,  t.  XIV.  — 
Halter,  Bibl.  medica.  —  Portai,  Hist.  de  VAnaiomie, 
t.  II.  —  Biogr.  mëd. 

sennert  (André),  orientaliste,  fils  du  pré- 
cédent, né  en  1606,  à  Wittemberg,  où  il  est  mort, 
le  22  décembre  1689.  II  s'appliqua  dès  l'âge  de 
dix  ans  à  l'étude  des  langues  sémitiques,  sous 
la  direction  de  Martin  Trostius.  Selon  l'usage,  il 
compléta  son  éducation  en  visitant  les  princi- 
pales universités  de  l'Allemagne  et  de  la  Hol- 
lande. En  1638  il  fut  appelé  à  la  chaire  d'hébreu 
dans  sa  patrie,  et  la  conserva  jusqu'à  sa  mort. 
Une  de  ses  filles  épousa  le  médecin  Daniel  Ma- 
jor. Ses  principaux  ouvrages  sont  :  Tabulas  in 
grammalicam  hebrœam  M.  Trostii;  Wittem- 
berg, 1637,  in-4°;  —  Chaldaismus  et  Syrias- 
mus,  h.  e.  prsecepta  utriusque  lingux;  ibid., 
1651,  1666,  in-4°;  sous  les  titres  d'Arabismus 
(1658)  et  de  Rabbinismus  (1666),  il  a  publié 
aussi  des  grammaires  arabe  et  rabbinique  ;  Po- 
cccke  en  parle  avec  éloge;  —  Exercitationes 
in  VII  psalmos  pœnitentiales ;  ibid.,  1654, 
in-4°;  —  De  Cabbala;  ibid.,  1655,  in-4°;  — 
Athenx  et  inscriptiones  Wittembergenses ; 
ibid.,  1655,  1678,  1699,  in-4°  :  on  y  trouve  l'his- 
toire de  l'Académie  depuis  sa  fondation,  en  1502; 
—  Centuria  canonum  philologicorum  de 
idiotismis  linguarum  orientalium;  ibid., 
1657,  in-8°;  —  Compendium  lexici  arabici  ; 
ibid.,  1657,  in-4°;  —  Compendium  lexici 
ebrœi;  ibid.,  1663,  in-4°,  d'après  les  travaux 
de  J.  Buxtorf  ;  —  Ilypotyposis  harmonica  lin- 
guarum orientalium  cfialdeœ,  stjrx,  arabi- 


casque  cum  matre  hebrsea;  ibid.,  1665,  in-4 
—    Exercitationes   philologicas  XXI;  ibic 
1675-81,  3  vol.  in-4°;  plusieurs  autres  disserl 
fions  philologiques  de  Sennert  remplissent 
t.  VII  du  Catalogus  disputationum  de  l'Ac 
demie  de  Wittemberg;  il  a  réuni  ses  1bès 
théologiques  sous  le  titre  de  Christianus  i 
dictus;  1688,  in-4°;  —  E'ibliotheca  academ 
Wittembergensis ;  ibid.,  1678,  in-4°  :  c'est 
catalogue  assez  succinct;  —  Schediasma 
linguis  orientalibus  ;   adamxa,   noachic 
phœnicea,  canansea,  etc.  ;  ibid.,  1681,  in-4 
recueil  intéressant  et  rare.  Sennert  a  édité 
Grammatica  hebrœa  de  Trostius  (1643,  16( 
in-4°),  avec  additions. 

G. -H.  Goez,  Elogla  philologorum.  —  lîagen,  Mémo: 
philosophorurn,  II,  367.  —  Niceron,  Mémoires,  t.  XX X 

septchènes  (N....  Le  Clerc  de),  littéi 
teur  français ,  né  à  Paris,  mort  à  Plombières, 
9  juin  1788.  Fils  d'un   premier  commis  d 
finances,  il  se  passionna  pour  l'étude,  et  voj 
gea  en  Angleterre,  en  Hollande,  en  Italie  et 
Suisse.  A  son  retour,  il  devint  secrétaire 
cabinet  de  Louis  XVf.  Tous  les  loisirs  de 
charge  furent  donnés  à  des  recherches  sur  l'a 
tiquité  grecque  et  latine.  Son  intelligence  et 
ouverte  aux  idées  de  progrès;  ses  mœurs  était 
aimables,  son  caractère  doux,  avec  un  pendu 
à  la  mélancolie.  Après  quelques  années  de  rr 
riage,  il  perdit  sa  femme,  qui  mourut  d'une  n 
ladie  de  poitrine.  Rongé  du  même  mal,  il  sec 
peu  à  peu  décroître  ses  forces ,  partit  pour  i 
talie  et  s'arrêta  à  Plombières,  où  il  s'éteign 
«  Combien  il  est  rare,  écrivait  à  ce  sujet  I 
lande,  et  combien  il  est  beau ,  quand  on  | 
jeune,  riche  et  libre,  de  se  livrer  à  l'étude, 
point  de  lui  faire  le  sacrifice  de  sa  vie  !  ■» 
principal  ouvrage  de  Le  Clerc  de  Septchènes  i 
l'Essai  sur  la  religion   des  anciens  Grt 
(Lausanne,  1787,  2  vol.  in-8°);  la  distributi 
en  est  assez  méthodique,  et  la  forme,  un  p 
sèche,  a  de  la  netteté.  On  a  encore  de  lui  :  Élc 
de  M.  (Métra);  Londres  (Paris),  1786,  in-) 
Il  a  traduit  une  partie  de  Y  Histoire  de  Vempi 
romain  par  Gibbon  (Paris,  1777,  3  vol.  in-8 
travail  qu'on  a  parfois  attribué  à  Louis  X\ 
L'édition  des  Œuvres  de  Fréret,  publiée  so 
son  nom  en  1796  (Paris,  20  vol.  in-12),  est  i 
complète  et  défectueuse;  il  avait  en  effet  pi 
paré  ce  travail,  mais  ce  n'est  pas  lui  qui  y  a  n 
la  dernière  main. 

Journal  de  Paris,  24  juin  1788.  —  Lalande,  dans 
Journal  des  Savants,  déc.  1788. 

SEPTÏME  SÉVÈRE.    VolJ.  SÉVÈRE. 

SEPTiKiivs.  Voy.  Serenos. 

sepclveda  (Juan-Ginès  de),  théologi 
ethistorien  espagnol,  né  vers  1490,  à  PozoBIam 
près  Cordoue,  mort  en  1573,  à  Mariano,  près 
même  ville.  D'une  famille  noble  mais  pauvr 
il  suivit  son  goût  pour  l'étude,  et  fréquenta  pe 
dant  trois  ans  l'université  d'Alcala;  puis  comi 
il  voulait  s'appliquer  à  la  théologie  sans  être 


i 


lil 

■ 


73 


SEPULVEDA 


liargc  à  ses  parents,  il  passa  en  Italie  (1515),  et 
btint  une  place  dans  le  collège  d'Albornoz  à 
iologne.  Pomponazzi  fut  un  de  ses  maîtres,  mais 
ne  partagea  pas  sa  doctrine,  comme  on  le  voit 
ans  une  de  ses  lettres,  où  il  prétend  qu'Aris- 
ite  s'est  prononcé  pour  l'immortalité  de  l'âme 
i  termes  irréprochables.  S'étant  rendu  à  Rome, 
trouva  dans  Alberto  Pio ,  prince  de  Carpi,  un 
ligne  appréciateur  de  ses  talents,  logeadans  son 
alais,  et  prit  part  aux  réunions  littéraires  qu'il 
:nait  souvent  chez  lui.  Ce  fut  alors,  dit-on,  que 
désir  de  lire  Aristote  dans  sa  langue,  au  lieu 
avoir  recours  à  des  traductions  défectueuses, 
i  fit  approfondir  l'étude  du  grec  avec  Musufus 
Tryphon  de  Byzance;  il  entreprit  même  de 
Indre  en  latin  quelques  ouvrages  de  cet  auteur, 
j|il  le  fit  avec  un  grand  succès.  Après  le  sac  de 
orne  (1527)  il  s'attacha  au  cardinal  Cajetani, 
■  l'il  suivit  à  Naples,  et  en  1529  au  cardinal 
fjinones.  II  commençait  à  se  lasser  d'un  genre 
vie  où  il  n'avait  récolté  que  de  maigres  profits, 
sque  Charles  V  le  choisit  pour  historiographe 
i36)  et  le  mit  en  qualité  de  précepteur  au  ser- 
^e  de  son  fils  Philippe.  Dès  lors  il  vécut  à  la 
5  ur;  on  voit  par  ses  écrits  qu'il  n'y  apprit  pas 
traiter  les  affaires  ni  les  gens  avec  beaucoup 
scrupule.  II  avait  justifié  l'absolutisme  et  la 
erre,  d'un  ton  véhément  et  dogmatique  à  la 
s,  «  déclarant  aux  princes,  dit  M.  Hauréau, 
'il  leur  était  ordonné  par  les  saintes  Écritures 
combattre  les  hérétiques,  d'anéantir  les  infi- 
les, et  qu'ils  avaient  même,  suivant  les  lois  di- 
îes  et  humaines,  le  droit  de  tirer  l'épée  sim- 
,«ment  pour  accroître  leurs  États  ».  Cette  doc- 
ne  paradoxale ,  appuyée  du  reste  par  les  con- 
Ulers  de  la  couronne ,  rencontra  pour  adver- 
ses Melchior  Cano,  Antonio  Ramirez,  évêque 
Ségovie,  et  Las  Casas,  qui  ne  cessait  de  plai- 
I  à  la  cour  la  cause  des  malheureux  Indiens, 
.traité  que  Sepulveda  écrivit  sous  le  titre  de 
tnocrates  secundus ,   seu  De  juslis  belli 
usis  (1),  porta  la  querelle  au  plus  haut  degré 
inimation  :  il  y  concluait  à  la  justice  et  à  la 
jessité  de  la  guerre  des  Indes,  et  sans  pré- 
dre  justifier  les  actes  de  cruauté  envers  les 
meus,  il  les  déclarait  justement  punis  par  la 
ifiscation  de  leurs  biens  et  par  l'esclavage. 
pte  l'Espagne  se  partagea  sur  ces  brûlantes 
stions.  Le  clergé  tint  plusieurs  assemblées, 
afen  1547  les  académies  d'Alcala  et  de  Sala- 
nque  condamnèrent  l'ouvrage.  Une.  réunion 
docteurs,  convoquée  en  1550  par  Charles  V, 
endit  tour  à  tour  Las  Casas  et  Sepulveda,  et 
sa  se  prononcer  entre  les  deux  champions.  Un 
re  exprès  leur  ferma  la  bouche,  et  la  dispute 
eiguit  faute  d'aliment.  En  1557,   Sepulveda 
tta  la  cour  pour  aller  vivre  dans  une  maison 
campagne  qu'il  avait  à  Mariano.  Il  y  mourut, 
ogénaire.  Quoiqu'il  fût  engagé  dans  le  sacer- 
>e,  il  ne  remplit  jamais  de  fonctions  ecclésias- 


Ce  traité,  qui  a  fait  tant  de  bruit,  n'a  jamais  été 
Mme;  on  en  connaît  plusieurs  copies. 


—  SEUAO  774 

tiques.  C'est  un  érudit  et  un  écrivain  à  la  fois, 
et  qui  par  la  belle  ordonnance  de  son  style,  loué 
d'ailleurs  par  Erasme,  a  mérité  d'être  appelé  le 
Tite  IJve  espagnol.  On  a  de  lui  :  Jierum  ges- 
tarum  AZgidii  Albornolii  cardinalis  lib.  III  ; 
Rome,  1521,  in-fol.;  Bologne,  1522,  1628,  in-fol.; 
trad.  en  1566  en  espagnol  et  en  1590  en  italien  : 
cette  vie  du  cardinal  Albornoz  commença  sa 
réputation;  il  a  mis  à  profit  celle  de  Garzoni, 
écrite  sans  ordre  et  d'un  mauvais  style;  —  De 
fato  et  libero  arbitrio  lib.  III  ;  Rome,  1526, 
in-4°;  Paris,  1541,  in-8°  ••  réfutation  des  prin- 
cipes de  Luther;  —  Pro  Alberto  Pio  antapo- 
logia  in  Erasmum;  Paris,  1531,  in-4°  ;  Rome, 
1532,  in-4°;  —  De  ritu  nuptiarum  et  dispen- 
salione;  Rome,  1531,  in-4°;  —  Démocrates 
primus,  seu  De  convenientia  militaris  dis- 
ciplinas; Rome,  1535,  in-S°;  trad.  en  espagnol  : 
dialogue  dédié  au  duc  d'Albe,  et  dont  le  but  est 
de  montrer  que  le  métier  des  armes  n'est  point 
contraire  aux  maximes  du  christianisme;  — 
Theophilus ,  seu  De  ratione  dicendi  testi- 
monium  in  causis  occultorum  criminum, 
dialogus  ;  Valladolid,  1 538,  in-4°  ;  —  De  cor- 
rectione  anni  mensiumque  romanorurn; 
Venise,  1546,  in-8°;  —  Apologia  pro  libro  De 
justis  belli  causis;  Rome,  1550,  in-8°  :  il  y  ré- 
pond à  la  fois  à  l'évêque  Antonio  Ramirez ,  à 
l'université  d'Alcala  et  à  celle  de  Salamanque; 
—  Epistolarum  libi  VII;  Salamanque,  1557, 
in-8o;  —  De  regno  et  officio  régis;  Lerida, 
1571,  in-8°.  Ces  différents  écrits  de  Sepulveda  ont 
été  réunis  ensemble;  Cologne,  1602,  in-4°. L'édi- 
tion publiée  par  l'Académie  d'histoire  (Madrid , 
1780,  4  vol.  in-4°)  est  de  beaucoup  préférable, 
puisqu'elle  renferme  en  outre  des  ouvrages  iné- 
dits, tels  que  De  rébus  gestis  Caroli  V  (t.  I  et 
II),  De  rébus  Hispanorum  gestis  ad  novum 
orbem  Mexicumque  (t.  III),  et  De  rébus  gestis 
Philippi  II  (ibid.).  On  n'y  a  pas  compris  toute- 
fois les  traductions  du  grec,  et  c'est  peut-être 
la  meilleure  part  de  ses  travaux  :  Aristotelis 
Meteori  (Paris,  1532,  in-fol.,  avec  plusieurs 
opuscules)  et  Politica  (Paris,  1548,  in-4°;  Ma- 
drid, 1775,  in-fol.),  et  Alexandri  Aphrodisxi 
Commentaria  (Rome,  1527,  in-fol.).  P. 

André  Schott,  VUa  Sepulvedse.  à  la  tête  du  recueil  de 
1603.  —  De  P'ita  et  scriptis  Sepulvedse,  à  la  tète  del'édit. 
de  1780.  —  N.  Antonio,  Bibl.  hispana  nova.^  —  Niceron, 
Mémoires,  t.  XXIII.  —  Hauréau,  dans  "le  Dict.  des 
sciences  philos. 

serao  (Francesco),  médecin  italien,  né  le 
11  octobre  1702,  à  San-Cipriano,  près  d'Aversa, 
mort  le  5  août  1783,  à  Naples  Envoyé  à  douze 
ans  dans  cette  dernière  ville ,  il  y  fréquenta  les 
écoles  des  jésuites,  et  s'appliqua  ensuite  à  l'é- 
tude de  la  médecine,  sous  la  direction  de  Cirillo, 
qui  pratiquait  alors  avec  succès.  Après  avoir  été 
reçu  docteur,  il  ouvrit,  en  1725,  des  cours  par- 
ticuliers sur  différentes  branches  de  son  art;  la 
clarté  de  ses  leçons,  son  érudition  précoce  et  la 
nouveauté  des  théories  qu'il  exposait  lui  conci- 
lièrent d'honorables  suffrages.  En  1732,  il   fut 

25. 


775  SERAO  - 

admis  par  voie  de  concours  au  nombre  des  pro- 
fesseurs de  l'université  :  il  y  enseigna  d'abord 
l'anatomie,  puis  la  pathologie  (1733)  et  la  cli- 
nique (1740),  et  fut  des  premiers  à  introduire  les 
doctrines  de  Boerhaave.  En  1755,  il  y  prit  pos- 
session de  la  première  chaire  de  médecine.  A  la 
suite  d'un  voyage  qu'il  avait  fait  dans  la  haute 
Italie,  il  fut  nommé  premier  médecin  du  royaume 
et  attaché  au  service  du  roi  Ferdinand  IV  (1778). 
Serao,  attaqué  d'une  maladie  chronique  qui  l'a- 
vait rendu  incapable  de  travailler,  mourut  plus 
qu'octogénaire.  On  a  de  lui  :  Storia  delV  in- 
cendiodel  Vesuvionel  1737;  Naples,  1738,  in-8° 
et  in-4°  :  publié  en  1737  en  latin,  ce  traité  fut 
trad.  en  italien  par  l'auteur,  et  en  français  par 
Duperron  de  Castera;  Paris,  1741,  in-12;  — 
Vita  Nicolai  Cirilli ,  à  la  tête  des  Consulti 
medici  de  Cirillo;  Naples,  1738;  —  Lezioni  ac- 
cademiche  sulla  tarantola;Md.,  1742,  in-4°  : 
les  recherches  curieuses  de  Serao  offrent  un 
excellent  antidote  de  tout  ce  que  de  grossiers 
préjugés  avaient  fait  débitenjusqu'alors  sur  les 
dangereux  effets  de  la  morsure  de  cette  espèce 
d'araignée,"  appelée  par  les  naturalistes  phalan- 
gium  apulum  et  par  le  peuple  tarentule;  — 
Osservazioni  sopra  le  malattie  delV  armate; 
Bassano,  1781,  in-4°,  trad.  de  l'anglais  de  Pringle; 
—  plusieurs  dissertations  de  moindre  importance. 

Lupoli,  Vita  Serai,  dans  le  t.  XIV  des  Fitse  Italorurn 
de  Fabroni.  •-  Fasano,  De  vita  et  scriptis  Serai  ;  Naples, 
1784,  in-8°.  —  Vicq  d'Azyr,  Éloges.  —  Uomini  illustri 
del  regno  di  Napoli,  t.  III. 

serao.  Voy.  Serrao. 

serapion  (Saint),  dit  le  Scolastique,  mort 
au  quatrième  siècle.  Ami  particulier  de  saint 
Antoine,  il  devint  le.  supérieur  de  plusieurs  mo- 
nastères répandus  dans  les  solitudes  d'Arsinoé 
(haute  Egypte).  Il  avait  sous  sa  conduite  plus 
de|dix  mille  solitaires,  qui  partageaient  leur  temps 
entre  les  exercices  de  la  prière  et  le  travail  des 
mains.  Vers  340,  il  fut  ordonné  par  Athanase , 
évêqne  de  Thmuis,  dans  la  basse  Egypte.  L'un 
des  défenseurs  de  la  divinité  de  Jésus-Christ,  il 
assista  au  concile  de  Sardique  (347),  et  ce  fut  à 
sa  prière  que  le  patriarche  d'Alexandrie  composa 
la  plupart  de  ses  écrits  contre  les  ariens.  Député 
auprès  de  l'empereur;  Constance,  afin  d'apaiser 
son  courroux  contre  Athanase,  il  n'obtint  proba- 
blement aucun  bon  résultat,  puisque  peu  de 
temps  après  il  partagea  l'exil  de  plusieurs  évêques 
égyptiens  orthodoxes  comme  lui.  Il  avait  com- 
posé un  traité  Sur  les  titres  des  psaumes,  di- 
verses lettres  et  un  traité  Contre  les  mani- 
chéens ;  il  ne  reste  de  lui  que  ce  dernier  ouvrage, 
inséré  dans  la  Bibliothèque  des  Pères. 

Saint  JérOme,  In  Catal.,  cap.  99.  —  'Saint  Atlianase, 
Ep.  ad  Dracon.,  p.  267.  —  Sozomène,  Hist.,  lib.  4.  — 
Baillet,  fies  des  Saints.  —  Ceillier,  Hist.  des  aut.  ceci., 
t.  6.  —  fies  des  SS.  Pères  d'Orient,  t.  I. 

serâssi  (Pier- Antonio),  biographe  italien, 
né  le  17  février  1721,  à  Bergame,  mort  le  19  fé- 
vrier 1791,  à  Rome.  Il  alla  terminer  ses  études  à 
Milan,  sous  la  direction  des  jésuites,  et  embrassa 


SERASSI 


77 


l'état  ecclésiastique.  Son  goût  pour  l'étude,  si 
talents  précoces,  un  esprit  vif  et  agréable  1 
firent  ouvrir  les  portes  de  l'académie  des  Tra. 
format^  où  il  reçut  les  encouragements  de  Pi 
rini  et  de  Passeroni.  De  retour  dans  sa  patri 
il  y  professa  les  belles-lettres.  Au  bout  de  que 
ques  années  il  quitta  l'enseignement  pour  s' 
donner  tout  entier  aux  travaux  historiques  q 
ont  honoré  son  nom  ;  il  y  apporta  du  soin  et  i 
la  méthode,  et  sut  faire  un  emploi  judicieux  d 
matériaux  qu'il  consulta.  A  une  vaste  éruditi 
il  joignait  un  style  abondant  et  facile,  et  d'u 
élégance  toute  classique;  deux  qualités  qui 
désignèrent  au  choix  de  la  Crusca  quand  ce' 
académie  résolut  de  remanier  son  Dictionnaii 
La  Vie  du  Tasse  passe  à  bon  droit  pour  s 
meilleur  ouvrage,  et  ce  qui  le  rend  encore  uti 
c'est  qu'il  présente  moins  la  vie  du  grand  poi 
qu'un  tableau  animé  de  l'histoire  littéraire  de  s 
temps.  Appelé  en  1754  à  Rome  par  Furietti,  s 
compatriote,  l'abbé  Serassi  administra  d'abc 
le  collège  Ceresoli  ;  puis  il  fut  secrétaire  de  l 
rietti,  devenu  cardinal  (1759),  place  qu'il  reni| 
aussi  auprès  du  cardinal  Calini.  Un  autre  meml 
du  sacré  collège,  Gius.  Spinelli,  le  fit  admettre 
1760  dans  les  bureaux  de  la  Propagande.  ( 
différents  emplois,  peu  fatigants  du  reste, 
laissèrent  le  loisir  de  poursuivre  ses  recherch 
il  travaillait  même  à  une  Histoire  littéraire 
Bergame  lorsque  la  mort  termina,  à  l'âge 
soixante-dix  ans,  sa  laborieuse  existence. 
1790,  sa  patrie  fit  frapper  en  son  honneur  i 
médaille  avec  cette  légende  :  Propugnatori  \ 
trise  taudis.  On  a  de  lui  :  Parère  intorno  a 
patria  di  Bern.  Tasso  e  di  Torquato  ;  I 
game,  1742,  in-8°;  —  Vita  di  P.  Spino,  d; 
le  recueil  de  Calogera,  t.  XXXI;  — Diss.  soj 
Prudente  qrammatico,  même  recueil,  XL1, 
Parme,  1787,  in-12;  —  Vita  del  P.  G.-P.  M 
fei,  écrite  en  latin  pour  les  Œuvres  de  ce  jési 
(1746),  puis  trad.  en  italien  par  l'auteur; 
Vita  di  T.  Tasso;  Rome,  1785,  in-4°;  B 
game,  1791,  2  vol.  in-4°,  avec  addit.;  —  Vita 
Jacopo  Mazzoni;  Rome,  1-790,  in-4°;  —  l 
qionamenlo  sopra  le  controversie  del  Tas. 
delP  Arioslo;  Parme,  1791,  in-fol.  —  Ser; 
a  publié  les  éditions  ou  les  recueils  suivants, 
sont  estimés,  et  en  les  enrichissant  de  remarq 
critiques  et  de  notices  détaillées  sur  chaque  é 
vain  :  Canzoniero  di  Petrarca;  Bergame,  17 

1752,  in-12;  —  Basilii  Zanchi  Poemata ;  ib 
1747,  in-8°;  —  Rime  di  il/oZsa;  ibid.,  1747^ 
in-8°;  —  Stanze  di  Poliziano;  ibid.,  13 
jn-4°; —  Rime  di  Bern.  Tasso;  ibid.,  1-7 
2  vol.  in-12;  —  Rime  di  Dom.  Veniero;  ibi 
1751,  in-8°;  —  LaDivina  Commediadi  Dan 
ibid.,  1752,  in-12;  —  Rimedi P.  Bembo; ib. 

1753,  in-8o;  —  Rime  di  Bern.  Cappello;  ib 
1753,  2  vol.  in-8°;  —  Carmina  quinque  ill 
trhim  poetarum  (Bembo,  Navagero ,  Ca 
glione,  Casa  et , Poliziano);  ibid.,  1753,  in. 
avec  quelques  autres  pièces  inédites;  —  Pot 


N 


77  SERASSI  —  SERGARDI 

i  Lorenzo  de  Medici;  ibid.,  1763,  in-S°;  — 
\\.ettere  di  Ann.  Caro;  Padoue,  1760,  3  vol. 
l)-8°; —  Poésie  volgari  di  B.   Casliglione; 


778 


j;ome,  1760,  in-12;  il  a  aussi  édité  les  Leltere 
| Padoue,  1769-71,  2  vol.  in-4°)  et  écrit  la  Vie  de 
|et  auteur  pour  ses  Œuvres;  —  L'Avarchide 
'Alamanni;  Bergame,  1761,  2  vol.  in-12;  — 
'oesic  d'alcuni  antichi  rimatori  toscani; 
oitie,  1774,  in-4°; —  La  Gerusalemme  libe- 
lla; Parme,  1789,  in-4°;  —  Lettere  inédite 
iT.Tasso;P\se,  1827,  in-8°,  ouvrage  posthume, 
erassi  a  laissé  plusieurs  écrits  qui  n'ont  pas  vu 
i  jour.  P. 

'Diiionario  degliuomini  illustri,  èà.Bassano,  t.  XVIII. 
Loinbardi,   Continituzione  al   Tiraboacki,  t.  IV.    — 
Hpaldo,  Diogr.  degli  llaliani  illustri,  t.  X. 

se  rce  y  (  Pierre-  César-Charles-  Guillaume, 
arquis  de),  marin  français,  né  au  château  du 
su,  près  d'Aulun,  le  26  avril  1753,  mort  à  Paris, 
10  août  1836.  D'une  famille  de  la  Bourgogne, 
lentra  dans  la  marine  à  treize  ans,  et  prit  part 
des  expéditions  dans  l'Inde  ainsi  qu'aux  voyages 
ki  amenèrent,  en  1772,  la  découverte  des  terres 
strales.  Nommé  enseigne  (mai  1779),  il  servit 
us  les  ordres  du  comte  de  Guichen,  et  se  dis- 
igua  dans  le  combat  livré,  le  17  avril  1780,  au 
;e-amiral  anglais  Hyde  Parker,  en  vue  de  la 
iminique.  Les  diverses  missions  périlleuses 
'il  remplit  pendant  le  siège  de  Pensacola  lui 
Sritèrent,  le  9  mai  1781,  le  grade  de  lieutenant 
vaisseau,  puis  la  croix  de  Saint-Louis.  Après 
•e  demeuré  en  station  aux  îles  du  Vent,  il  rentra 
Fiance,  où  la  révolution  venait  d'éclater,  et  s'y 
antra  tout  d'abord  favorable.  Commandant  en 
90  la  frégate  la  Surveillante,  il  fit  partie 
:  l'escadre  destinée  à  réprimer  l'insurrection 
la  Martinique ,  et  nommé  capitaine  en  1792, 
«e  trouvait  à  Saint-Domingue  lors  des  premiers 
Dubles  de  cette  colonie,  dont  il  protégea  et  se- 
lurut  les  habitants  de  tous  ses  moyens.  Élevé 
|  grade  de  contre-amiral  (1er  janvier  1793),  il 
ul  l'ordre  de  prendre  le  commandement  de  la 
Msion  en  rade  du  Cap  et  d'escorter  jusqu'en 
ance  tous  les  bâtiments  de  commerce  qui  se 
•uvaient  dans  ces  parages;  il  en  avait  réuni 
is  de  cinquante  richement  chargés  lorsque 
lata  la  révolte  des  noirs.  Forcé  d'évacuer  la 
le,  Sercey  ne  mit  à  la  voile  qu'après  avoir  reçu 
r  ses  bâtiments  six  mille  colons,  qui,  échappés 
in  flammes  et  au  massacre,  étaient  venus  im- 
>rer  sa  générosité.  L'état  de  ses  approvision- 
nent^, la  guerre  avec  les  Anglais,  et  la  fai- 
isse  de  sa  division  navale,  ne  lui  permettant 
I»  de  gagner  les  côtes  de  France,  il  dirigea  son 
fivoi  sur  la  Nouvelle-Angleterre,  où  il  arriva 
i»s  avoir  perdu  un  seul  bâtiment.  De  retour  à 
est  (décembre  1793),  il  fut  destitué,  comme 
ble,  arrêté  et  conduit  à  Paris,  où  on  l'incarcéra 
(Luxembourg.  Le  9  thermidor  le  rendit  à  la 
srté.En  décembre  1795,  le  Directoire  lui  confia 
'commandement  des  forces  navales  destinées 
cansporter  aux  îles  de  France  et  de  la  Réuniûn 


deux  commissaires  civils,  BacoetBurnel,  chargés 
d'y  mettre  à  exécution  le  décret  de  la  liberté  des 
noirs.  Sercey,  redoutant  pour  ces  colonies  le 
bouleversement  qui  avait  ruiné  Saint-Domingue, 
s'empressa  de  dénoncer  aux  colons  les  instruc- 
tions des  commissaires,  qui  ne  purent  mettre 
pied  à  terre.  Cette  révolte  contre  le  Directoire 
n'eut  aucune  suite,  malgré  les  réclamations  éner- 
giques des  commissaires.  Boissy  d'Anglas  et 
Siméon  approuvèrent  au  conseil  des  Cinq  cents  la 
conduite  de  Sercey,  et  firent  décréter  qu'il  avait 
bien  mérité  de  la  patrie.  Pendant  ce  temps, en 
effet,  il  soutenait  dans  l'Inde  la  gloire  du  pavillon 
français  :  il  battit  près  de  Sumatra  le  Victo- 
rieux et  V Arrogant  (8  sept  1796),  et  dis- 
persa en  1799  la  croisière  qui  bloquait  l'Ile 
de  France.  Après  la  paix  d'Amiens,  il  demanda 
sa  retraite,  qu'il  n'obtint  qu'en  septembre  1804, 
et  se  retira  à  l'Ile  de  France,  dont  il  défen- 
dit vigoureusement  contre  les  Anglais,  en  1810, 
la  partie  méridionale.  A  la  paix  de  1814,  le 
gouvernement  des  Bourbons  le  nomma  prési- 
dent de  la  commission  chargée  de  traiter  en  An- 
gleterre de  l'échange  des  prisonniers  français  sur 
les  pontons;  à  son  retour,  il  fut  nommé  vice- 
amiral  (28  mai  1814).  Admis  à  la  retraite  en 
avril  1832,  il  fut  appelé,  le  7  novembre  suivant, 
dans  la  chambre  des  pairs. 

Fastes  de  la  Légion  d'honneur,  t.  III.  -  Biogr.  miiv. 
et  port,  des  contemp.  —  Moniteur  universel. 

seRext.  Voy.  Mathias  de  Saint-Bernard. 

SERENUS  (Aldus  Septimius),  poète  lyrique 
latin,  vivait  vers  la  fin  du  premier  siècle  après 
J.-C.  Une  nous  est  connu  que  par  les  citations  de 
quelques  grammairiens.  Son  principal  ouvrage, 
intitulé  Opuscula  ruralia,  était,  comme  le  titre 
l'indique ,  consacré  à  la  vie  rurale.  Il  est  impos- 
sible de  juger  par  le  petit  nombre  de  vers  qui 
nous  restent  de  lui,  s'il  avait  mis  dans  ses  tableaux 
rustiques  de  la  vérité  et  du  sentiment;  mais  il 
avait  apporté  dans  ses  mètres  assez  de  variété 
et  de  soin  pour  être  souvent  cité  par  les  scho- 
liastes.  Il  inventa  un  mètre  que  l'on  appela  fa- 
lisque,  du  nom  de  sa  principale  pièce  de  vers, 
laquelle  était  une  description  de  sa  ferme  dans 
le  pays  des  Falisques.  Les  fragments  de' Serenus 
ont  été  recueillis  par  Wernsdorf  (Poetœ  lati- 
ni  minores,  t.  II,  p.  279),  qui,  sans  aucun  motif 
plausible,  lui  attribue  le  Moretum,  inséré  parmi 
les  œuvres  de  Virgile.  L.  J. 

Terentianus  Maurus,p.  2421-27,  édit.  de  Putsch.  —  Bur 
mann,  Anthol.  lat.,  1,  27;  III,  67. 

serenus.  Voy.  Sammomicus. 

sergardi  (Lodovico),  poète  italien,  né  le 
27  mars  1660,  à  Sienne,  mort  le  7  novembre  1726, 
à  Spoleto.  Ses  parents  étaient  de  noblesse  an- 
cienne ;  il  fut  élevé  sous  leurs  yeux,  et  rien  ne 
fut  négligé  pour  développer  ses  heureuses  dis- 
positions. Outre  les  lettres,  il  cultiva  même  la 
peinture,  non  sans  quelque  succès.  La  poésie, 
pour  laquelle  il  avait  un  goût  marqué ,  fit  son 
occupation   favorite  et  sa  célébrité;  envoyé  à 


779 


SERGARDI —  SERGE 


78 


Rome ,  il  délaissa  la  jurisprudence,  qu'il  devait 
étudier,  pour  la  lecture  des  poètes  latins,  l'entre- 
tien des  beaux-esprits  et  l'applaudissement  des 
gens  du  monde.  Le  prince  Chigi  avait  été  son 
premier  Mécène  ;  il  s'attacha  ensuite  au  cardinal 
Ottoboni,  qui  durant  son  court  pontificat,  sous 
le  nom  d'Alexandre  VIII  (1689-91),  lui  confia 
une  parlie  de  la  correspondance  latine  avec 
l'Église  de  France.  Vers  la  fin  de  sa  vie  il  reçut, 
avec  le  titre  de  monseigneur,  la  charge  élective 
de  préfet  de  la  basilique  vaticane  (curatore 
délia  fabbrica  di  S.  Pietro);  mais  s'étant  per- 
mis d'apporter  à  la  décoration  extérieure  quel- 
ques changements  d'un  goût  douteux,  il  s'attira 
un  grand  nombre  de  plaisanteries;  dégoûté  du 
séjour  de  Rome,  il  résigna  ses  fonctions,  et  se 
retira  à  Spoleto  ;  on  prétend  qu'il  y_.mourut,  de 
chagrin.  Cette  fin  a  tout  lieu  de  surprendre  chez 
un  homme  qui  avait  poussé  jusqu'à  la  licence  le 
droit  de  médire  des  autres.  Nul  n'avait  manié 
avec  autant  de  force  l'arme  du  ridicule.  Son 
principal  titre  à  la  renommée  littéraire,  il  le  doit 
au  recueil  de  satires  sous  lequel  il  écrasa  le  sa- 
vant Gravina,  qui  avait  critiqué  ses  vers.  Cette 
querelle  s'envenima  au  point  que  les  deux  poètes 
en  vinrent  un  jour  aux  mains  en  sortant  de 
table;  ils  remplirent  Rome  de  leurs  récrimina- 
tions ,  et  obligèrent  l'Académie  des  Arcades  à  se 
partager  en  deux  camps.  Au  reste  Sergardi ,  ins- 
piré par  l'orgueil  blessé ,  a  écrit  presque  un 
chef-d'œuvre],  tant  pour  l'élégance  du  style  que 
pour  la  finesse  des  traits  et  la  richesse  des  ima- 
ges. On  a  de  lui  :  Oraiio  pro  eligendo  summo 
pontifice  post  obitmn  Innocenta  XI;  Rome, 
1689,  in-4°;  —  Quinti  Sectani  Satijrœ  (XIV) 
in  Philodemum  ;Naples  (Rome),  1694,  in-8°  :  le 
nom  de  Sectanus  cache  l'auteur,  celui  de  Phi- 
lodème  Gravina;  réimpr.  à  Cologne  (Rome), 
1698,  in-S°,  avec  quatre  satires  de  plus,  et  trad. 
en  tercets  par  Settimio  (  Palerme,  1707,  in-8o), 
par  l'auteur  lui-même  (Zurich  [Florence],  1760, 
in-S°),et,par  Missirini  (Pise,  1820,  2  voh  in-8°); 
on  a  une  bonne  édition  de  ces  satires,  ainsi  que 
des  différents  écrits  en  prose  de  Sergardi,  la- 
quelle est  due  aux  soins  du  P.  Giannelli-,  Luc- 
ques,  1783,  4  vol.  in-8°. 

Notice  à  la  tête  des  Satyrx,  éd.  de  Lucques.  —  Fa- 
broni,  Vitx  Italorum,  t.  X.  —  Tipaldo,  Biogr.  deyli  Ita- 
liani  illustri,  t.  X. 

serge  ou  sergius  1er  (  Saint),  pape,  né 
à  Palerme,  vers  635,  mort  à  Rome,  le  8  sep- 
tembre,.701.  Tibère,  son  père,  originaire  de 
Syrie,  leifit  élever  à  Rome,  où  le  pape  Adéodat 
l'admit,  vers  672,  dans  le  clergé.  Léon  II  le  fit 
prêtre  en  683.  Élevé  sur  le  siège  pontifical,  le 
15  décembre  687,  après  la  mort  de  Conon,  il 
eut  pour  compétiteur  l'archidiacre  Pascal;  ce 
dernier  lui  fit  souffrir  une  longue  persécution, 
par  le  moyen  de  Jean  Platys ,  exarque  de  Ra- 
venne,  qui  l'obligea  de  demeurer  pendant  près 
de  sept  ans  absent  de  son  église.  Serge  refusa 
d'approuver  les  canons  du  concile  tenu  en  692  à 


Constantinople,  et  où  les  prélats  grecs  avaiei 
décidé  qu'il  serait  permis  aux  prêtres  mari*  9 
avant  l'ordination  de  garder  leurs  femmes.  Irri  jî 
du  refus  du  pape,  Justinien  II  envoya  Zacharii 
son  protospataire,  avec  son  ordre  de  le  cor  il 
daire  à  Constantinople.  Le  peuple  romain  .'9 
souleva  pour  défendre  son  pasteur,  et  chas;9 
Zacharie  delà  ville.  Serge  institua  quelques  pr< 9 
cessionset  admit  au  baptême  un  roi  du  Westse:9 
Son  culte  est  lixé  dans  le  martyrologe  romain  é  9 
9  septembre.  On  a  de  lui  une  Lettre  à  GéçM 
fride,  abbé  en  Angleterre ,  et  quelques .  décret  9 
Jean  VI  lui  succéda. 

Serge  II,  pape,  né  à  Rome,  où  il  est  mort,  J 
27  janvier  847.  Orphelin  à  douze  ans,  il  f 
élevé  par  les  soins  du  pape  Léon  III,  et  ordon 
prêtre  par  Pascal  Ier.  A  la  mort  de  Grégoire  I 
il  fut  appelé  à  lui  succéder  (10  février  844 
malgré  un  diacre  appelé  Jean,  qui,  à  la  tête 
quelques  mutins ,  s'était  emparé  de  vive  force 
palais  de  Latran.  L'empereur  Lothaire  ordon 
à  son  fils  Louis  II,  roi  d'Italie,  d'examiner  1' 
lection  de  Serge  ;  après  en  avoir  reconnu  la  r 
gularité ,  Louis  régla  avec  le  clergé  et  le  peur 
que  les  papes  ne  pourraient  à  l'avenir  et 
couronnés  sans  le  consentement  de  l'empereu 
Serge  donna  à  l'évèque  Drogon ,  fils  de  Charl 
magne,  des  lettres  de  vicaire  apostolique  da 
toutes  les  provinces  au  delà  des  Alpes.  Léon  1 
fut  son  successeur. 

Serge  III,  pape,  né  à  Rome,  où  il  est  mort, 
août  911. 11  appartenait,  dit-on,  à  la  maison 
Conti.  Ayant  aspiré  en  898  au  pontificat,  il  écho 
et  fut  chassé  de  Rome.  L'influence  d'Adalbei 
marquis  de  Toscane,  le  fit  élire,  le  9  juin  904, 
la  place  de  Christophe,  qu'il  fit  emprisonn 
dans  un  monastère,  où  il  mourut  misérablemei 
C'était,  dit  Baronius,  «  le  plus  méchant  de  to 
les  hommes  et  livré  à  toutes  sortes  de  vices 
Ennemi  déclaré  de  Formose,  il  approuva  !a  pi 
cédnre  d'Etienne  VI  contre  ce  pape,  et  annulai 
actes  de  Théodoric  II  et  de  Jean  IX  qui  avaie 
réhabilité  sa  mémoire.  S'il  faut  en  croire  Lu 
prand,  il  ne  tint  cette  conduite  qaepar  les  oo 
seils  de  l'intrigante  Marosia,  avec  laquelle  il  e 
tretenait  un  commerce  criminel  et  dont  il  e 
même  un  fils,  qui  ceignit  la  tiare  sous  le  no 
de  Jean  XI,  en  931.  Toutefois,  il  redoubla  de  zi 
pour  détruire  les  doctrines  de  Photius,  quicoru 
taient  en  Orient  un  grand  nombre  de  partisan 
Il  eut  dans  son  pontificat,  ajoute  Baronius,  i 
cattivo  ingresso,  un  peggiore  progresso,  < 
un  pessimo  egresso.  Anastase  III  lui  succéd 

Serge  IV,  pape,  né  à  Rome,  où  il  est  moi 
le  13  juillet  1012.  Il  portait  le  nom  à&Pier, 
Bocca  di  Porco  (groin  de  porc).  Évêque  d'A 
bano  depuis  cinq  ans,  il  fut  élu,  le  11  octob 
1009,  pour  remplacer  Jean  XVII  ou  XVIII,  q 
avait  abdiqué  le  pontificat.  Platina  fait  l'éloge  i 
ses  vertus.  Son  règne  ne  fut  signalé  par  auci 
événement  important.  Il  eut  Benoît  VIII  po> 
successeur.  H.  F. 


s 


1 


781  SERGE  - 

Anastase,  Liber  Pontiflcalis.  —  Baronius,  annales.  — 
k[  Sigebert  de  Gemblours,  Clironicon. —  Platina,  Vitx  l'a- 
j  j  parum.  —  Fleury,  Uist.  ccclés.  —  Artaud  de  Montor, 
|    Hist.  des  souverains  pontifes. 

■  serge  (Saint),  un  des  patrons  de  la  Russie, 
i  i.  né  à  Rostof,  en  1314,  mort  à  Troitza,  le  25  sep- 
|[  tembre  1392,  était  fils  d'un  boyard.  A  vingt-deux 
\\  ans,  il  résolut  d'embrasser  la  vie  cénobitique,  et 

!1 se  construisit  une  cellule  dans  une  épaisse  forêt  à 
l  soixante verstes  de  Moscou.  D'abord,  il  n'y  eut 
I  pour  compagnon  qu'un  ours,  avec  lequel  il  parta- 
geait ses  repas  ;  mais  bientôt  quelques  jeunes  gens 
vinrent  imiter  ses  austérités ,  et  la  réputation 
de  ses  vertus  se  répandit  rapidement  dans  toute 
la  Russie.  Le  métropolitain  de  Moscou,  Alexis, 
*voulut  en  vain  l'avoir  pour  successeur;  le  grand- 
prince  Dmitri  Donskoi  l'employa  utilement  à  la 
pacification  de  ses  peuples,  et  lui  attribua  l'hon- 
neur de  la  victoire  qu'il  avait  remportée  sur  les 
Mongols  à  Koulikovo.  L'histoire  du  monastère 
que  Serge  a  fondé  se  confond  avec  celle  de  la 
Russie,  comme  il  en  est  le  sanctuaire  le  plus  vé- 
néré et  le  plus  fréquenté.  Les  Grecs  unis  et  non 
unis  s'accordent  à  célébrer  sa  fêtele  25  septembre, 
;e  qui  prouve  qu'il  ne  prit  point  part  aux  dissen- 
sions qui  les  divisent.  A.  G — n. 

Histoire  de  Russie,  par  Karamzin  et  Solovief.  —  Hist. 
ie  la  Hiérarchie  russe.  —  Dict.  biogr.  de  Bantich-Ka- 
iienski.  —  Kulc/.ynski,  Spécimen  ecclesise  Ruthenicce. 

sergent  (Antoine- François),  convention- 
nel, néle  9  septembre  1751,  à  Chartres,  mort  en 
uillet  1847,  à  Nice.  D'une  famille  obscure  et 
ipauvre,  il  reçut  peu  d'instruction,  vint  jeune  à 
Paris,  et  s'adonna  à  la  gravure,  où  il  eut  pour 
maître  Augustin  de  Saint-Aubin.  Malgré  la  mé- 
ïiocrité  de  son  talent,  il  parvint  à  suffire  à  ses 
jaesoins  en  travaillant  pour  la  librairie,;  car  on 
'a  accusé,  sans  preuve  aucune,  d'avoir  rendu  à  la 
jolice  des  services  qu'elle  paya  grassement.  Sorti 
lu  peuple,  il  vivait  au  milieu  du  peuple;  il  en 
Irvait  les  façons  un  peu  rudes,  les  mœurs  simples, 
jst  aussi  les  préjugés  comme  les  passions  vio- 
entes.  La  gravure  en  couleur  était  alors  démode: 
ly  acquit  quelque  réputation  et  fournit  plu- 
ieurs  planches  de  ce  genre  aux  Portraits  des 
irands  hommes  (  Paris,  1787-89, 25  livr.  in-fol.). 
I  avait  gravé  d'après  ses  dessins  des  scènes  fa- 
nilières,  telles  que  V Enlèvement  de  mon  oncle, 
'l  est  trop  tard  et  la  Foire  des  barricades 
ï  Chartres, et  les  portraits  à&Necker  et  du  pa- 
riote  Van  der  Noot,  remarquables  par  la  res- 
semblance; il  fit  aussi  ceux  de  Haùy,  d'après  Fa- 
■art,  et  de  Monsieur,  d'après  Duplessis;  et 
B  lus  tard  celui  de  Marceau.  Dès  que  la  révolution 
data  Sergent  s'en  montra  lechaud  partisan  :  il  se 
nêla  aux  mouvements  populaires,  présida  en 
790  le  district  de  Saint- Jacques  de  l'Hôpital,  et 
ut  élu  secrétaire  du  club  des  Jacobins.  Dans 
'exercice  de  ces  fonctions,  il  donna  le  premier 
idée  de  comités  de  bienveillance,  demanda  la 
hre  publication  des  ouvrages  d'art,  et  s'érigea 
u  protecteur  des  soixante  sous-officiers  et  sol- 
atsqui  le  15  septembre  1791  avaient  été  ren- 


SERGENT 


782 


voyés  pour  insubordination  du  régiment  de 
Royal-Champagne;  il  s'employa  môme  à  les  faire 
rentrer  dans  l'armée,  où  sept  d'entre  eux  de- 
vinrent généraux  et  un,  Davout,  maréchal.  Plus 
tard  il  arracha  à  la  mort  un  assez  grand  nombre 
de  victimes ,  parmi  lesquelles  on  cite  Gosscc, 
Hubert  Robert,  l'abbé  Barthélémy,  Larive, 
Barré,  le  marquis  de  Chàteaugiron,  etc.  Officier 
municipal  en  1792,  il  fut  chargé  de  l'adminis- 
tration de  la  police.  On  le  vit  figurer,  mais  à 
l'arrière-plan,  dans  les  journées  du  20  juin  et 
du  10  août.  Après  la  prise  des  Tuileries,  il  s'oe- 
cupa,  avec  son  collègue  Panis  et  en  présence 
dejquelques  agents,  de  dresser  l'inventaire  des 
appartements,  parce  que  ce  devoir  rentrait  dans 
ses  attributions  (1).  Son  rôle  dans  les  journées 
de  septembre  est  odieux  :  ce  fut  lui ,  Panis  et 
deux  autres  membres  que  la  Commune  chargea 
d'organiser  les  massacres  des  prisons.  S'il  ne 
fut  pas  l'instigateur  du  meurtre,  il  le  disciplina  en 
quelque  sorte,  il  en  tint  l'épouvantable  compta- 
bilité. Enfin  il  signa  avec  Marat  la  circulaire  où  l'on 
proposait  aux  départements  l'exemple  de  Paris 
afin  de  «  purger  la  nation  d'un  million  de  traîtres  »  ; 
mais  cette  circulaire  est  l'œuvre  de  Marat. 

Dans  la  Convention  nationale  Sergent  fit  partie 
de  la  députation  parisienne.  Il  siégea  à  la  mon- 
tagne, et  vota  la  mort  de  Louis  XVI.  11  parut 
peu  à  la  tribune,  et  rendit  d'utiles  services,  soit 
comme  inspecteur  de  la  salle,  soit  comme 
membre  du  comité  des  arts  et  de  l'instruction 
publique.  En  cette  dernière  qualité,  il  embellit 
les  Tuileries  (2),  fonda  le  Musée  français  (27  juil- 
let 1793),  et  provoqua  l'érection  d'une  statue  à 
J.-J.  Rousseau;  il  se  joignit  à  Chénier  pour 
créer  l'Institut  national  de  musique  (le  Conser- 
vatoire), et  pour  faire  assurer  aux  auteurs  la 
propriété  de  leurs  œuvres.  Après  le  9  thermidor, 
personne  ne  songea  à  l'inquiéter;  il  n'en  fut  pas 
de  même  après  le  1er  prairial  :  accusé  d'avoir 
excité  les  sections  à  la  révolte  et  décrété  d'ar- 
restation, il  prit  la  fuite,  et  demeura  en  Suisse 
jusqu'à  l'amnistie  du  4  brumaire  (26  oct.  1795). 
C'est  vers  ce  temps  qu'il  épousa  la  sœur  aînée  de 

(1)  On  lui  imputa  plus  tard  le  vol  d'un  camée  antique, 
d'une  agate  tricolore  valant,  dit-on  ,  plus  de  cent  mille 
livres.  C'était  une  épave  des  Tuileries  ,  suivant  les  uns, 
ou  l'une  des  sanglantes  dépouilles  arrachées  aux  vic- 
times de  septembre,  suivant  les  autres.  Voici  comment, 
cinquante  ans  plus  tard.  Sergent  s'est  justifié  de  cette- 
accusation  :  «  Lorsque  les  membres  [du  Comité  de  sur- 
veillance ]  décidèrent  sans  moi  la  vente  des  bijoux,  j'a- 
chetai une  agate,  assez  mal  montée  en  or...  Les  bijou- 
tiers présents  l'avalent  estimée  deux  louis.  Le  conseil 
général  de  la  Commune  ayant  désapprouvé  cette  vente, 
ainsi  que  toutes  les  autres,  j'ai  remis  ma  bague  comme 
tous  les  autres  acheteurs.  »  Cette  remise  eut  lieu  à  la 
Convention,  dans  la  séance  du  22  brumaire  an  11.  Cepen- 
dant, malgré  des  preuves  répétées  de  désintéressement, 
malgré  l'honneur  d'avoir  été  l'époux  librement  choisi  par- 
la sœur  de  Marceau,  malgré  un  long  exil,  noblement 
supporté,  le  surnom  de  Sergent  Agate  l'a  suivi  Jusqua 
dans  la  tombe. 

(2)  Il  y  fit  apporter  les  chevaux  de  Marly,  les  orangers- 
et  plusieurs  statues  de  Versailles,  remplaça  par  des  fleurs 
et  des  arbustes  les  plantes  de  pommes  de  terre,  cl  con- 
fia la  garde  du  jardin  à  une  compagnie  d'invalides.- 


783  SERGENT 

Marceau,  et  qu'il  ajouta  ce  nom,  déjà  illustre,  au 
sien.  Sous  le  ministère  de  Bernadotte,  il  fut 
nommé  inspecteur  général  des  hôpitaux  mili- 
taires; quelques  mois  après,  la  révolution  du 
18  brumaire  lui  fit  perdre  cet  emploi,  et  pour 
échapper  aux  tracasseries  de  la  police  consu- 
laire, il  quitta  la  France.  11  vécut  successive- 
ment à  Turin,  à  Brescia,  à  Milan,  à  Venise,  et 
à  Nice,  dans  une  honorable  pauvreté ,  occupé  de 
travaux  d'art  et  dévoué  jusqu'à  la  dernière 
heure  au  souvenir  d'une  révolution  à  laquelle  il 
avait  tout  sacrifié.  Depuis  1830  il  recevait  du 
roi  Louis-Philippe,  jadis  son  collègue  au  club 
des  Jacobins,  une  pension  de  1,800  fr.  Sergent 
mourut  presque  centenaire.  Il  a  publié  quelques 
ouvrages,  tels  que  :  Costumi  dei  popoli  antichi 
e  moderni;  Brescia  et  Milan,  18..,  in-4°  pi.;  — 
Notice  historique  sur  Marceau;  Milan,  1820, 
in-8°  et  in-12,  fig.;  —  Fragments  de  mon 
album  et  nigruni;  Brignolles,  1837,  in-8°  :  ils 
contiennent  des  détails  minutieux  sur  sa  femme; 
—  Lettre  à  M.  Didron,  secrétaire  du  comité 
des  arts;  Chartres,  1839,  in-8°.  Il  a  en  outre 
fourni  cinq  notices  à  la  Revue  rétrospective  de 
1830,  et  il  a  trad.  ïlconologie  dePistrucci  (1821) 
et  le  Musée  Chiaramonti  de  Visconti  (1822). 
Sa  femme,  Marie  Desgraviers-Marceau,  née 
en  1754,  à  Chartres,  morte  le  6  mai  1834,  à  Nice, 
n'était  dépourvue  ni  d'instruction  ni  de  talents; 
elle  gravait  et  dessinait  avec  goût.  Ce  fut  elle 
qui  veilla  sur  la  première  éducation  de  son  jeune 
frère,  qui  devait  illustrer  le  nom  de  Marceau.  La 
conformité  des  goûts ,  le  même  zèle  patriotique 
la  rapprochèrent  de  bonne  heure  de  Sergent,  et 
après  la  mort  de  son  premier  mari,  Champion 
de  Cernel ,  procureur  à  Chartres ,  elle  n'hésita 
point  à  lui  donner  sa  main.  D'un  caractère  éner- 
gique et  tendre  à  la  fois,  elle  partagea  son  exil  et 
l'aida  dans  ses  travaux.  Outre  un  grand  nombre 
de  planches  gravées,  elle  a  laissé  en  manuscrit, 
sous  le  titre  de  Glanures  dans  le  champ  de  la 
vérité  (6  vol.  in-4°),  des  extraits  commentés  de 
ses  lectures.  Sergent  la  nommait  Emira,  ana- 
gramme de  Marie.  P.  L — y. 

Noël  Parfait,  Notice  bioa*.  sur  A.  -F.  Sergent  ;  Chartres, 
184S,  in-8e  —  L.  Blanc,  Hist.  de  la  révolut  fr.  —  Vil- 
liaumé,  Idem.  —M.  Ternaux,  Hist.  de  la  terreur,  t.  III. 

serieys  (Antoine),  littérateur  français,  né 
en  1755,  à  Pont  de  Cyran  (Rouergue),  mort  le 
7  août  1829,  à  Paris.  Destiné  au  barreau  ,  il  vint, 
en  1779,  à  Paris  et  fut  placé  par  Marmontel,  à 
qui  ii  était  recommandé ,  chez  un  procureur.  En 
1780  il  obtint,  par  l'intermédiaire  de  D'Alembert, 
un  emploi  de  répétiteur  de  mathématiques  à 
Passy.  Cet  état  lui  déplut  bientôt,  et  il  alla  faire 
un  voyage  en  Italie.  A  son  retour  il  fonda  à 
Paris  une  maison  d'éducation,  qui  ne  prospéra 
pas.  Bailly,  qui  le  connaissait,  le  fit  admettre  en 
1791  dans  les  bureaux  du  comité  chargé  de  re- 
cueillir les  livres  et  manuscrits  qui  provenaient 
des  établissements  religieux.  Malgré  son  incon- 
duite et  l'inconsistance  de  son  caractère ,  il  rentra 


-  SERIEYS  784 

dans  l'instruction  publique ,  et  devint  successi- 
vement professeur  d'histoire  à  l'institut  des 
Boursiers  (depuis  le  Prytanée),  puis  au  collég< 
de  Douai  (1804).  Envoyé  en  1805  à  Canon 
comme  censeur  des  études,  il  ne  tarda  pas  à  êtr< 
destitué,  et  revint  à  Paris,  où  il  demanda  à  s; 
plume  des  moyens  d'existence.  11  avait  de  l'es- 
prit et  des  connaissances  ;  mais  les  production.' 
multipliées  de  sa  plume  lui  ôtèrent  tout  crédi 
auprès  du  public.  Il  eut  alors  recours,  pour  s< 
procurer  des  ressources,  à  des  supercheries  qu 
ne  lui  réussirent  guère,  comme  de  publier  sou: 
son  nom  des  manuscrits  d'auteurs  connus  oi 
de  mettre  ses  propres  écrits  sousle  patronage  d< 
noms  célèbres;  l'abbé  Sicard,  à  qui  il  avait  rendi 
des  services  dans  la  révolution,  eut  la  faibless> 
de  se  prêter  à  ce  dernier  trafic.  Serieys  habitai 
sous  l'empire  à  Montsouris ,  hameau  voisin  d 
Paris  ;  il  mourut  la  plume  à  la  main,  comme  i 
avait  vécu.  Nous  citerons  de  lui  :  L 'Amour  e 
Psyché,  poëme   en  VI   chants;  Paris,    1789 

1804,  in-12;  —  Lettres  originales  de  Patkul 
général  de  Pierre  le  Grand;  Paris,  1790 
2  vol.  in-12;  —  Les  Révolutions  de  France,  oi 
la  liberté,  poëme  en  X  chants;  Paris,  1790 
in-8°;  —  Les  Décades  républicaines;  Paris 
1795,  7  vol.  in-18  :  histoire  abrégée  de  la  repu 
blique  française;  —  Mémoires  pour  servir  c 
l'histoire  secrète  de  la  révolution;  Paris 
1798,  2  vol.  in-S°;  —  (  avec  J.-F.  André)  Zi 
comte  d'A**"  (d'Artois),  ou  les  Aventures  d'ut 
jeunevoyageur  sorti  de  France  en  1789;  Paris 
1800,  2  vol.  in-12;  —(avec  le  même)  Anec 
dotes  inédites  de  la  fin  du  dix-huitième  siè 
cle;  Paris,  1801, 1805, 1807,  in-8°  :ony  trouvi 
quelques  particularités  intéressantes  ;  —  LaMor, 
de  Robespierre,  trag.  en  trois  actes  et  en  vers 
Paris,  1801,  l802,in-8°,  accompaguéede  14  Dia 
logues  sur  les  personnages  marquants  de  cetti 
époque  ;  —  Histoire  de  l'État  de  Liège,  par  h 
comte  de  B.;  Paris,  1802,  in-8°;  --  Tablette, 
chronologiques  de  l'histoire  ancienne,  et  mo- 
derne; Paris,  1803,  in-12: chacune  des  cinq  édit 
de  ce  livre  (la  5e  est  de  1817  )  a  été  continuel 
jusqu'à  l'année  de  sa  publication;  —  Éléments 
de  l'histoire  des  Gaules;  Paris,   1804,  in-12 

—  Dictionnaire  généalogique  et  critique  dt 
l'Écriture  sainte,  par  l'abbé  ***,  revu  et  cor- 
rigé par  l'abbé  Sicard;  Paris,  1804,  in-8°; 
dans  la  dédicace  à  Portalis,  Sicard  a  poussé  lé 
complaisance  envers  Seiieys  jusquà  prétende 
que  l'auteur  de  cet  ouvrage  avait  été  massacré 
en  septembre  1792;  —  Souvenirs  du  comte  dt 
Caylus,  sur   ses  originaux  inédits;  Paris 

1805,  in-8°  ou  2  vol.  in-12  :  c'est  un  ramassis 
d'histoires  apocryphes;  — Napoléon  au  Salon 
poëme  en  IX  chants;  Paris,  1811,  in-18,  (ig.;  — 
Romulus  second,  en  vers  latins  et  français: 
Paris,  1811,  in-4°  :  on  trouve  dans  les  Hom- 
mages poétiques  trois  autres  pièces  de  lui  éga 
lement  relatives  à  la  naissance  du  roi  de  Rome; 

—  Epitome  de   l'histoire  ancienne;  Paris. 


I 


Jay,  Jouy,  etc.,  Biogr.  noiw.  des  contemp.  —  Journal 
\ela  librairie,  1825.  —  Barbier,  Dict.  des  anonymes 
-  Quiirard,  France  litiér. 

serionne  {Joseph  Accarias  de),  littéra- 
eur  fiançais,  né  en  1709,  à  Châtillon-Saint- 
fean,  près  Romans,  mort  en  1792,  à  Vienne,  en 
Autriche.  Il  fit  ses  études  au  collège  de  Die, 
embrassa  la  carrière  du  barreau,  devint  avocat 
ni  grand  conseil,  et  acheta  une  charge  de  secré- 
taire du  roi.  Il  avait,  dit-on,  ce  dernier  titre 
wrsqu'il  mourut,  à  Vienne,  où  il  s'était  établi  on 
|ae  sait  pour  quel  motif  ni  à  quelle  époque.  C'é- 
tait un  érudit  et  un  publiciste  à  la  fois,  qui  a 
(laissé,  sous  le  voile  de  l'anonyme,  des  écrits  es- 
timés et  d'une  lecture  agréable  ;  il  n'était  point 
favorable  aux  idées  nouvelles,  et  prétendit  que 
(&  liberté  de  penser  ou  d'écrire  ne  pouvait  con- 
duire qu'aux  plus  fâcheuses  conséquences.  On 
la  de  lui  :  L'Etna  de  P.  Corn.  Severus,  et  les 
Sentences  de  P.  Syrus,  avec  des  remarques; 
Paris,  1736,  in-12,  avec  un  plan  et  une  carte; 
Mémoire  concernant  l'exécution  du  Con- 
cordat germanique;  1747,  in-12;  —  Le  Com- 
merce de  la  Hollande;  Amst.,  1765,  3  vol. 
in-12;  —  Les  Intérêts  des  nations  de  l'Eu* 
tope  développés  relativement  au  commerce; 
Leyde,  1766,  2  vol.  in-4°;  Amst,  1767,4  vol. 
in-12  :  il  présente  cet  ouvrage  comme  le  fruit  de 
(plusieurs  années  de  pratique,  de  voyages  et  d'ob- 
servations'; — •  La  Richesse  de  la  Hollande; 
1768,  3  vol.  in-12;  Leyde,  1778,  2  vol.  in-4°  ou 
5  vol.  in-12  :  ouvrage  qu'il  a,  dit-on,  écrit  en 
société  avec  Luzac;  —  La  Richesse  de  l'Angle- 
terre; Vienne,  1771,  in-4°;  —  La  Liberté  de 
penser  et  d'écrire;  Vienne,  1775,  2  vol.  in-8°, 
[avec  dédicace  à  l'impératrice  Marie-Thérèse  ;  — 
IX'Ordrc  moral,  ou  le  Développement  des 
\iprincipales  lois  de  la  nature,  etc.;  Augs- 
i [bourg,  1780,  in-8°; —  Situation, politique  ac- 
htuelle  de  l'Europe,  considérée  relativement 
là  l'ordre  moral;  Augsbourg,  1781,  in-8°.  Cet 


SERIPANDI  786 

auteur  a  encore  trad.  la  Vie  de  Laurent  le 
Magnifique  de  Fabroni  (Berlin,  1791,  in-8"1), 
et  Du  Commerce  des  peuples  neutres  en  temps 
de  guerre  de  Lampredi  (La  Haye,  1793,  in-80;. 

Ersch ,  France  littér.  —  Descssarts ,  Siècles  littèr. 

seripandi  (Girolamo),  théologien  italien, 
né  le  6  mai  1493,  à  Naples  (1),  mort  le  17  mars 
1563,  à  Trente.  Il  était  destiné  au  barreau;  la 
mort  de  ses  parents  le  laissa  libre  de  renoncer 
à  une  carrière  qu'il  n'aimait  pas,  et  à  quatorze 
ans,  cédant  à  sa  vocation  pour  la  vie  monas- 
tique, il  entra  dans  l'ordre  des  Augustins  (1507). 
Ses  progrès  dans  l'étude  furent  rapides ,  et  en 
peu  de  temps  il  fut  en  état  de  servir  d'instituteur 
à  ses  condisciples.  Lecteur  à  Sienne  en  1515, 
professeur  de  théologie  à  Bologne  en  1517,  vi- 
caire général  en  1523,  il  s'adonna  en  même  temps 
à  l'éloquence  de  la  chaire,  et  prêcha  avec  succès 
à  Cesena,  à  Ravenne,  à  Venise,  à  Naples,  à  Vé- 
rone. Au  retour  d'une  ambassade  dont  ses  com- 
patriotes l'avaient  chargé  auprès  de  Charles  V, 
il  fut  élu  général  de  son  ordre  (1539),  distinction 
qu'on  lui  décerna  en  1547  pour  la  seconde  fois. 
Désigné  pour  occuper  l'évêché  d'Aquila  (1551), 
il  déclina  cet  honneur  pour  se  retirer  dans  un 
humble  couvent  du  mont  Pausilippe ,  où  il  se 
livra  avec  la  rigueur  d'un  ascète  à  la  vie  contem- 
plative. La  ville  de  Naples  lui  ayant  confié  une 
seconde  mission  pour  l'empereur  (1554),  il  alla 
le  rejoindre  à  Belgrade,  et  reçut  de  lui  sa  nomi- 
nation à  l'archevêché  de  Salerne.  H  gouverna 
ce  diocèse  avec  une  douceur  exemplaire.  Pie  IV 
le  décora  en  1561  de  la  pourpre  romaine,  et  le 
choisit  pour  un  de  ses  légats  au  concile  de 
Trente.  Seripandi  se  distingua  dans  cette  assem- 
blée par  ses  connaissances  non  moins  que  par 
son  esprit  de  modération.  L'excès  du  travail, 
les  fatigues  et  les  privations  qu'il  s'imposait 
abrégèrent  sa  vie  :  il  mourut  à  Trente,  où  l'on 
célébra  ses  funérailles  avec  une  pompe  extraor- 
dinaire. Les  contemporains  de  ce  prélat  en  ont 
parlé  avec  de  grands  éloges;  mais  s'il  mérita 
sa  réputation  sous  le  rapport  du  savoir  et  de  la 
piété,  on  ne  peut  lui  accorder  le  talent  oratoire. 
Ami  des  lettres,  il  favorisa  de  tout  son  crédit 
l'établissement  de  l'imprimerie  à  Rome,  et  il  mit 
fin  aux  longues  disputes  de  Sigonio  et  de  Rober- 
tello  en  réconciliant  les  deux  adversaires.  On 
a  de  lui  :  Novae  constitutiones  ordinis  S.  Au- 
gustini;  Venise,  1549,  in-fol.;  —  Oratio  in 
funere  Caroli  V  imp.;  Naples,  1559,  in-4°; 

—  Prediche  sopra  il  simbolo  degli  Apostoli; 
Venise,  1567,  in-4°;  Rome,  1586,  in-8°;  le  traité 
De  arte  orandi  (Louvain,  1681,  in-12)  n'est 
peut  être  qu'une  version  latine  de  ces  sermons  ; 

—  Commenlaria  in  epist.  Pauli  ad  Eomanos 
et  Galatas;  Naples,  1601,  in-4°,  avec  une  vie 
de  l'auteur;  —  plusieurs  lettres,  insérées  dans 
Poggiani  Epist.  et  orationes,  recueil  publié 
par  Lagomarsini.  P. 

(1)  Quelques-uns  le  font  naître  à  Troja,  dans  la  Capita- 
nate  ;  nous  avons  suivi  les  auteurs  napolitains. 


787 


SERIPANDÏ  —  SEÏUIAO 


Tafuri,  Scrittorl  Napolitani,  t.  III.  —  Ossinger,  Pibl. 
jtugustiniana.  —  Ughelli,  Ilalia  sacra. 

serizay  (Jacques  de),  poète  français,  Dé 
vers  1590,  à  Paris,  mort  en  novembre  1653,  à 
La  Rochefoucauld  (Charente).  Bien  qu'il  ait 
vécu  à  la  cour,  qu'il  ait  fréquenté  les  gens  du 
monde  et  les  poètes,  et  qu'il  ait  joué  un  certain 
rôle  dans  la  fondation  de  l'Académie  française, 
il  est  presque  inconnu,  et  son  nom  est  absent  de 
la  plupart  des  recueils  historiques.  On  connaît 
mal  sa  vie,  qui  paraît  s'être  écoulée  sans  tri- 
hulation  ni  secousse.  11  était  d'une  famille  aisée 
et  de  petite  noblesse.  On  ne  sait  comment  il  en- 
tra dans  la  maison  de  La  Rochefoucauld  ;  mais 
il  y  remplit  jusqu'à  sa  mort  la  charge  d'inten- 
dant, et  il  lui  était  fort  attaché.  Comme  plusieurs 
gentilshommes  de  son  temps,  il  aimait  les  let- 
tres, recherchait  ceux  qui  les  cultivent,  et  rimait 
à  l'occasion  pour  son  plaisir.  Son  nom  figure 
pour  la  première  fois,  croyons-nous,  dans  le 
Tombeau  d'honneur  du  baron  d'Ardres  (Pa- 
ris, 1623),  en  compagnie  des  noms  de  Chape- 
lain, Garnier,  Colletet  et  Boisrobert.  Il  faisait 
partie  dès  1630  de  l'assemblée  des  beaux-esprits 
qui  se  réunissait  chaque  semaine  chez  Conrart. 
Lorsque  Richelieu  voulut  la  constituer  en  corps 
littéraire,  la  plupart  des  habitués  en  témoignèrent 
du  déplaisir,  et  Serizay  ne  fut  pas  des  derniers, 
au  dire  de  Pellisson,  à  regretter  qu'un  tel  excès 
d'honneur  ne  troublât  la  douceur  et  la  familiarité 
de  leurs  conférences.  La  volonté  du  cardinal 
l'emporta;  l'Académie  française  fut  fondée,  et 
le  choix  des  nouveaux  élus  désigna,  conformé- 
ment aux  statuts,  l'adversaire  le  plus  constant 
de  cette  fondation,  Serizay,  pour  remplir  les 
fonctions  délicates  de  directeur  (janvier  1635); 
il  y  fut  continué  pendant  quatre  années  de  suite. 
Le  principal  motif  de  cette  faveur  fut  le  talent 
qu'il  avait  à  un  rare  degré  de  parler  aux  grands 
et  de  tourner  une  harangue  publique  avec  con- 
venance. Souvent  il  porta  la  parole,  et  il  s'en 
acquittait  merveilleusement  bien,  dit  Pellisson. 
Comme  il  parlait  d'abondance,  ses  discours, 
«  qui  satisfaisaient  tout  le  monde  au  dernier 
point  »,  ne  se  retrouvent  plus.  Il  fut  adjoint  à 
quatre  de  ses  confrères  pour  revoir  définitive- 
ment l'examen  critique  de  l'Académie  sur  la  tra- 
gédie du  Ciel,  et  l'on  prétend  que,  dans  un  es- 
prit de  modération,  il  en  enleva  ce  qui  pouvait 
offenser  Corneille.  La  part  qu'il  prit  au  Dic- 
tionnaire est  beaucoup  plus  certaine.  Serizay 
était,  à  ce  qu'il  paraît,  un  raffiné  de  langage;  il 
poussait  la  délicatesse  à  l'extrême,  et  s'efforçait 
de  proscrire  les  locutions  vieillies  ou  certains 
mots,  comme  d'autant,  cependant,  toutefois, 
or,  encore,  néanmoins,  etc.  C'est  ce  qui  (it  dire 
à  Ménage  dans  sa  Requête  des  Dictionnaires  : 

Bref  ce  délicat  Serizay 
Eust  chaque  mot  féminisé, 
Sans  respect  ny  d'analogie, 
Ny  d'aulcune  élymologle. 

On  trouve  quelques  pièces  de  vers  de  Serizay 
dans  les  recueils  poétiques  publiés  par  Sercy  et 


Crarnoisy,  mais  saus  nom  d'auteur.  C'est  lui  qu 
l'Académie  chargea  de  composer  l'épitaphe  e 
l'honneur  de  Richelieu.  11  eut  pour  successeu 
Pellisson.  p.  l. 

Pellisson,  Hist.  de  l'académie  française,  t.  !«■-. 

serlio  (Sebastiano ),  dit  Basliano  da  Bt 
logna  ou  Sebastiano  Bolognese,  peintre,  ar 
chitecteet  graveur,  né  à  Bologne,  en  1475,  moi 
à  Fontainebleau,  en  1552.  Élève  de  son  père,  ; 
fut  d'abord  comme  lui  peintre  de  perspective 
On  sait  que  de  1511  à  1514  il  habitait  Pesarc 
Le  genre  de  peinture  qu'il  pratiquait  le  condui 
sit  naturellement  à  l'étude  de  l'architecture.  ] 
se  rendit  à  Rome,  et  choisit  Peruzzi  pour  maître 
il  se  perfectionna  surtout  par  l'étude  particu 
lière  qu'il  fit  des  monuments  antiques.  Toutefoi 
il  a  mieux  mérité  de  l'art  par  les  règles  qu'i 
posées  que  par  les  exemples  qu'il  a  laissés.  Ser 
lio  fut  employé  à  Bologne,  ainsi  qu'à  Venise,  o 
il  bâtit  l'église  Saint-Sébastien. 

En  1541,  il  fut  appelé  en  France  par  Fran 
çois  Ier,  qui  lui  demanda  des  dessins  pour 
Louvre;  il  fut,  dit-on,  le  premier  à  préférer 
son  propre  projet  celui  de  Pierre  Lescot.  Nommi 
surintendant  des  bâtiments  du  roi  et  architect 
de  Fontainebleau,  il  éleva  dans  ce  château  1; 
façade  orientale  de  la  cour,  de  la  fontaine  et  1; 
grotte  du  jardin,  soutenue  par  quatre  cariatide.1 
colossales.  Serlio  fut  aussi  graveur,  et  il  exéeut; 
lui-même,  tant  sur  cuivre  que  sur  bois,  une  suitt 
de  cinquante  portes  qui  trouva  place  dans  ce 
ouvrage,  son  plus  beau  titre  de  gloire,  intitulé 
Architetlura  (Venise,  1584,  gr.  in-4°,  et  1619, 
1663,  in-fol.,  avec  une  trad.  latine).  Les  si> 
premiers  livres  furent  publiés  par  lui  de  1537  à 
1551,  in-fol.;  le  septième  et  dernier  ne  parut 
qu'en  1575,  à  Francfort.  La  version  française 
de  J.  Martin  (Paris,  1545-50,  in-fo!.)  n'est  pas 
complète.  Il  a  su  réunir  dans  cette  œuvre,  de- 
venue classique,  tous  les  préceptes  donnés  par 
Vitruve,  en  joignant  à  l'appui  des  exemples  ju- 
dicieusement choisis  parmi  les  monuments  an- 
tiques. E.  B— n. 

Vasarl,  Vite.  —  Milizia,  Memorie  deyli  arclUleiti.  — 
Lanzi:  Storia.  —  Ticozzi,  Dizionario.  —  Gualandi ,  Me- 
morie originali  di  belle  urti.  —  Quatremére  de  Qnincy, 
Fies  des  architectes.  —  Atuorini,  Elogio  di  S.  Serlio; 
Bologne,  1823,  in-fol. 

serna  (  La).  Voy.  La  Seknà. 

SEROUX.  VOIJ.  ACINCOURT. 
SERRANUS.    VOîj.  LAMBERT  et  SERRES. 

serrao  (  Giovan-Andrea  ),  prélat  italien, 
né  le  4  février  1731,  à  Castel  Monardo  (au- 
jourd'hui Filadelfia),  dans  la  Calabre  ultérieure, 
massacré,  le  24  février  1799,  à  Polenza.  Destiné 
au  sacerdoce,  il  termina  ses  études  à  Rome,  y 
consacra  douze  années,  et  eut  pour  maîtres  Bot- 
tari,  Foggini,  Catalano,  Jacquier  et  Vez-zosi. 
Après  avoir  réorganisé  en  1759  le  séminaire  de 
Tropea,  il  vint  s'établir  à  Naples,  et  se  lia  d'a- 
mitié avec  le  marquis  Fraggianni,  dont  il  écrivit 
la  vie,  et  avec  l'abbé  Genovesi,  qui  lui  prêta  à 
différentes  fois  le  secours  de  ses  lumières.  Ce 


: 


78'J 


SERRAO  —  SERRE 


790 


fut  à  ce  dernier  qu'il  dut,  après  l'expulsion  des 
Jésuites,  son  admission  dans  l'université  royale 
comme  professeur  d'histoire  sacrée  et  profane, 
puis  la  chaire  de  théologie  morale  au  collège  du 
Sauveur  (1768).  Nommé,  le  5  juin  1782,  évêque 
de  Potenza,  il  ne  fut  sacré  que  plus  d'un  an 
après,  délai  dont  il  faut  attribuer  le  motif  réel  à 
la  chaleur  qu'il  avait  apportée  à  défendre  la  cour 
de  Naples  dans  ses  récents  démêlés  avec  le 
saint-siége.  On  incrimina  ses  écrits  ;  mis  en  de- 
meure de  se  justifier  par  devant  un  auditeur  dé- 
signé, il  refusa  de  le  faire;  le  roi  l'approuva,  et 
Ja  commission  nommée  pour  examiner  l'affaire 
déclara  l'interrogatoire  inadmissible.  A  la  suite 
id'une  longue  négociation,  la  cour  romaine  se 
contenta  d'une  lettre  de  Serrao,  protestant  de  sa 
soumission  pleine  et  entière.  Il  reçut  la  consé- 
cration à  Rome,  et  quand  on  réclama  de  lui  le 
serment  d'obéissance  absolue,  il  répondit  : 
«  Oui,  sauf  celle  que  je  dois  à  mon  souverain.  » 
A  son  retour  on  l'accueillit  avec  les  témoignages 
de  la  plus  haute  estime.  A  une  piété  active  et 
éclairée  il  joignait  une  vaste  érudition,  et  culti- 
vait avec  un  égal  succès  plusieurs  branches  de 
Ja  littérature  ;  aussi  l'Académie  royale  de  Naples 
l'avait-elle,  lors  de  sa  réorganisation  (1778), 
choisi  pour  l'un  de  ses  secrétaires  perpétuels. 
Lorsque  la  révolution  envahit  l'Italie  à  la  suite 
des  armées  françaises,  Serrao,  qui  depuis  long- 
temps favorisait  le  progrès  des  idées  de  liberté 
<et  d'égalité,  devint  suspect,  et  il  paya  de  sa  vie 
le  triste  privilège  d'avoir  devancé  la  civilisation 
de  son  pays.  L'invasion  du  cardinal  Ruffo  et  de 
ises  bandes  avait  mis  les  Calabres  en  feu  :  une 
jtroupe  de  scélérats  pénétra  un  matin  dans  le 
palais  du  prélat,  l'égorgea  dans  son  lit,  et  lui 
coupa  la  tête,  qui  fut  portée  dans  les  rues  au 
Ibout  d'une  pique.  On  a  de  Serrao  :  De  vita  et 
scriptis  J.-V.   Gravinse;  Rome,  1758,  in-4°; 

—  De  Sacris  Scripluris  liber,  qui  est  loco- 
rum  moralium  primais  ;  Naples,  1763,  in-4°; 

—  De  Claris  çatechislis  ;  Naples,  1769,  in-8°  : 
ouvrage  attaqué  par  Mamachio  et  défendu  par 
l'auteur  dans  son  Apolog e tiens  ;  ibid.,  1771, 
in-8°  ;  —  De  rébus  gest'ts  Marise-Theresix 
Aiistriacx;  Naples,  1781,  in-8°;  —  La  Pram- 
matica  sanzione  di  S.  Luigi,  re  di  Francia, 
proposta  ai  re/ormatori  delU  ecclesiastica 
disciplina;  Naples,  1788,  in-12.  Il  a  publié 
deux  traités  de  Patrizio ,  et  a  traduit  en  ita- 
lien l'Economia  de  Xénophon  (Naples,  1774, 
m-8°). 

Davanzati,  Fie  d'André  Serrao;  Paris,  1806,  in-8°.  — 
Nouvelles  ecclésiast.,  1782  et  1783.  —  Biogr.  degli  uo- 
mini  illustri  del  regno  di  Napoli,  t.  XIII.  —  J.  Lamou- 
reux ,  Notice  sur  A.  Serrao;  Paris,  1806,  in-8°. 

serrao.  Voy.  Seiuo. 

serre  (Pierre-François-Hercule,  comte 
de  ),  homme  d'État  et  orateur  français,  né  le 
12  mars  1776,  à  Pagny -sur -Moselle,  près  de 
Pont-à-Mousson,  mort  le  21  juillet  1824,  à  Cas- 
tellamare.  Sa  famille,  originaire  du  comtat  Ve- 
naissin,  était  depuis  longtemps  établie  en  Lor- 


raine (1).  Fils  d'un  oflicierde  cavalerie,  il  se  des- 
tinait à  la  carrière  des  armes  ;  la  révolution  le 
trouva  à  l'école  d'artillerie  de  Cliâlons-sur-Marne. 
A  quinze  ans  il  émigra,  et  servit  dans  l'armée  de 
Condé.  Rentré  en  France  après  l'amnistie  de  1802, 
il  recommença  son  éducation,  étudia  le  droit  et 
fut  admis  au  barreau  de  Metz.  Déjà  il  y  avait 
acquis  une  réputation  méritée  d'éloquence  lors- 
que, en  1811,  lors  de  la  réorganisation  des  tri- 
bunaux, Napoléon  le  nomma  d'abord  avocatgéné- 
ral  à  Metz  (23  février),  puis  premier  président  de 
la  cour  impériale  de  Hambourg  (  14  juillet).  Ses 
sympathies  bien  connues  pour  le  gouvernement 
des  Bourbons  le  firent  nommer  premier  prési- 
dent de  la  cour  de  Colmar  (janvier  i815  ).  En 
apprenant  le  retour  de  l'empereur,  il  harangua 
sa  cour,  lui  fit  renouveler  le  serment  de  fidélité 
au  roi  au  moment  même  où  sa  ville  arborait  le 
drapeau  tricolore,  et  alla  rejoindre  Louis  XVIII 
à  Gand.  La  seconde  restauration  le  réintégra 
dans  ses  fonctions.  Élu  député  du  Haut-Rhin  , 
il  prit  place  parmi  cette  minorité  qui  servit 
de  point  d'appui  à  la  royauté  pour  résister  aux 
emportements  réactionnaires  de  la  chambre 
introuvable.  Durant  la  session  de  1815-1816, 
il  proposa,  sans  succès,  un  amendement  au 
projet  de  loi  suspensif  de  la  liberté  individuelle, 
et  se  prononça,  à  l'égard  des  cours  prévôtales, 
pour  la  restriction  la  plus  étroite  de  celte  juri-' 
diction  exceptionnelle.  Défenseur  de  Massena, 
contre  lequel  une  pétition  demandait  que  des 
poursuites  fussent  commencées,  il  se  prononça 
encore  fortement  contre  le  l'apport  de  M.  de 
Kergorlay  sur  la  restitution  des  biens  non  vendus 
au  clergé.  C'est  dans  cette  dernière  discussion 
qu'il  fut  rappelé  à  l'ordre  pour  s'être  écrié,  étant 
violemment  interrompu  :  «  Messieurs ,  je  suis 
dans  la  question,  veuillez  m'écouter;  je  réclame 
la  liberté  de  la  discussion,  cette  liberté  qui  a  sou- 
vent été  violée  et  détruite  dans  celte  enceinte.  »  De 
cetempsdatela  liaison  étroite  deM.  de  Serre  avec 
Royer-Collard,qui, formée  d'abord  par  la  politique, 
devint  bientôt  un  besoin  de  l'esprit  et  du  cœur, 
et  qui  ne  se  rompit,  non  sans  de  grands  déchire- 
ments de  l'âme,  qu'en  1820.  Réélu  en  1816,  M.  de 
Serre  siégea  dans  la  nouvelle  chambre  avec  la 
majorité  ministérielle.  Désigné  comme  président 
par  112  suffrages,  il  succéda,  en  janvier  1817,  à 
M.  Pasquier,  et  resta  dans  ce  poste  jusqu'à  la  fin 
de  1818,  où  il  fut  remplacé  par  M.  Ravez.  Dans 
le  cours  de  ces  deux  sessions  on  le  vit  se  pro- 
noncer, dans  la  discussion  de  l_a  loi  électorale, 
pour  l'électoral  direct,  mais  en  même  temps  es- 
sayer d'en  amoindrir  la  portée  démocratique  en 
proposant  l'établissement  dans  chaque  départe- 
ment d'un  collège  des  villes  et  d'un  collège  des 
campagnes;  on  le  vit  s'opposer  à  la  réélection 
des  députés  nommés  à  des  fonctions  amovibles, 
et  approuver  la  suspension  de  la  liberté  indivi- 
duelle, comme  un  mal  nécessaire  et  passager. 

(1)  Son  bisaïeul  était  conseiller  au  parlement  de  Nancy. 


791 


SERBE  —  SERRES 


792 


M.  de  Serre  entra  comme  garde  des  sceaux 
dans  le  ministère  Decazes  (30  décembre  1818), 
et  présenta  trois  lois  sur  la  presse  (i)  qui  ré- 
glèrent complètement,  en  cette  matière,  la  péna- 
lité, le  mode  d'instruction  et  les  conditions  de 
publicité.  Affranchissement  de  toute  censure 
préalable,  compétence  du  jury  même  pour  les 
délits  correctionnels,  admission  de  la  preuve 
testimoniale  contre  les  fonctionnaires ,  telles 
étaient  les  bases  de  cette  nouvelle  législation,  et 
on  peut  dire  que  ce  régime  fut  le  plus  libéral 
que  la  presse  ait  jamais  connu  sous  la  monar- 
chie. Attaqué  par  les  royalistes,  accablé  des 
éloges  intéressés  des  journaux  de  l'opposition, 
M.  de  Serre  s'efforça  vainement  de  rallier  la 
chambre  à  ses  opinions  modérées.  Dans  la  séance 
du  21  juin  1819,  à  l'occasion  d'une  pétition  qui 
réclamait  le  rappel  des  bannis,  il  se  sépara  avec 
éclat  de  la  gauche  :  non-seulement  il  demanda 
l'ordre  du  jour,  mais  il  prononça  ces  paroles 
violentés  :  «  Les  exilés  temporaires  peuvent  en- 
core espérer  de  revoir  le  sol  de  la  patrie  ;  les 
régicides,  jamais  !  »  Ces  derniers  mots  (2)  pro- 
duisirent un  revirement  subit  de  l'opinion  li- 
bérale contre  l'orateur.  Décidé  à  changer  la  loi 
des  élections,  M.  Decazes  s'était  vu  abandonné  par 
MM.  Dessoles,  Gonvion  Saint-Cyr,  Louis.  M.  de 
Serre  resta,  égaré  peut-être  par  le  mirage  trom- 
peur d'une  grande  réforme  constitutionnelle, 
monarchique  et  libérale  à  la  fois,  qui  devait  se 
lier  au  changement  de  la  loi  électorale  et  dans 
laquelle  il  se  promettait  d'affermir  la  royauté  en 
développant  le  gouvernement  représentatif  (3). 
Après  la  mort  du  duc  de  Berri,  M.  de  Serre  ne 
suivit  pas  ses  collègues  dans  leur  retraite  ;  soit 
qu'il  crût  la  monarchie  en  danger,  soit  que  le  dé- 
sir de  plaire  à  sa  jeune.femme  lui  rendît  nécessaire 
l'éclat  de  ses  hautes  fondions,  il  conserva,  dans 
le  cabinet  Richelieu,  le  portefeuille  de  la  justice. 
Revenu,  à  la  fin  d'avril  1820,  de  Nice,  où  l'a- 
vaient conduit  les  premières  atteintes  d'une  ma- 
ladie de  poitrine  à  laquelle  il  devait  succomber, 
il  engagea  aussitôt  la  lutte  avec  une  ardeur  et 
une  éloquence  incomparables.  Pour  faire  triom- 
pher la  nouvelle  loi  électorale,  présentée  le  17 
avril  1820,  il  lui  fallut  combattre  les  doctri- 
naires, dont  il  était  autrefois  le  chef,  et  rompre 
avec  Royer-Collard.  En  même  temps  l'esprit  de 
parti ,  qu'il  avait  jusque-là  si  sagement  écarté 
de  l'administration  -de  la  justice,  commença  à 
reparaître  autant  dans  les  circulaires  minis- 
térielles que  dans  le  choix  des  magistrats.  C'est 
alors  que,  pour  épurer  le  conseil  d'État,  M.  de 
Serre  écrivit  à  MM.  Royer-Collard,  C.  Jordan,  de 
Barante  et  Guizot,  qu'ils  avaient  cessé  d'en  faire 

(1)  OEuvre  collective  de  MM.  de  Serre,  Royer-Collard, 
Guizot  et  des  principaux  doctrinaires. 

(2)  L'effet  eu  fut  si  profond  que  le  ministère  fit 
ajouter  après  le  mot  jamais  dans  le  Moniteur  ■'  «  Sauf 
la  tolérance  accordée  par  la  clémence  du  roi  a  l'âge  etaux 
infirmités.  » 

(S)  Ce  projet  a  été  conservé  par  M.  Guizol  [Mémoires, 
1. 1,  p.  MO  ). 


partie.  Lors  des  élections  de  1821,  il  favorisa  de 
tout  son  pouvoir  l'élection  des  anciens  membres 
de  la  chambre  de  1816  ;  en  espérant  se  ménager 
de  nouveaux  auxiliaires,  il  ne  fit  qu'augmenter  le 
nombre  de  ceux  qui  voyaient  en  lui  un  révolu- 
tionnaire dangereux.  Ayant  refusé  de  faire  partie 
du  cabinet  Villèle,  il  remit  les  sceaux  à  M.  de  Pey- 
ronnet  (15  décembre  1821  ).  Cordon  bleu  depuis 
le  29  septembre  1820,  il  reçut  alors  le  titre  de 
comte  et  celui  de  ministre  d'État. 

Rentré  dans  le  centre  droit,  M.  de  Serre  eut  la 
bonne  fortune  de  défendre,  contre  le  nouveau 
cabinet,  la  compétence  du  jury  en  matière  de  dé- 
lits de  presse.  Ce  fut  le  dernier  éclat  de  son  élo- 
quence ;  le  gouvernement ,  qui  redoutait  sans 
doute  la  puissance  de  sa  parole,  l'éloigna  de  la 
chambre  en  le  nommant  à  l'ambassade  de  Naples 
à  la  place  du  duc  de  Narbonne-Pelet  (9  janvier 
1822  ).  II  ne  quitta  la  cour  de  Naples  que  pour 
paraître  un  instant  au  congrès  de  Vérone.  Pro- 
fondément attristé  de  son  inaction  parlementaire, 
il  tenta  en  vain  de  se  faire  réélire  lors  des  élec- 
tions en  1824.  Il  mourut  près  de  Naples,  à  Cas- 
tellamare,  dans  la  nuit  du  20  au  21  juillet  1824, 
des  suites  de  la  maladie  de  poitrine  dont  il  était 
atteint.  Il  avait  épousé  la  fille  du  baron  d'Huart, 
célèbre  par  sa  grâce  et  sa  beauté;  sa  veuve  re- 
çut de  Charles  X  une  pension  de  15,000  fr. 
M.  Guizot,  qui  fut  un  moment  l'allié  politique  et 
l'ami  de  M.  de  Serre,  a  tracé  de  lui  dans  ses 
Mémoires,  un  portrait  qui  est  le  type  du  véri- 
table orateur.  Eug.  Asse. 

Guizot,  Mémoires,  t.  I.  —  Vieil-Caste],  Ilist.  de  la 
Restauration,  t.  IV  et  V.  —  Le  Drapeau  blanc,  du  3  août 
i82i.  —  Mahui,  Annuaire  nécrologique,  1824. 

serre  (la).  Voy.  La  Serre. 

serres  (Olivier  de),  seigneur  du  Pradel, 
célèbre  agronome  français,  né  vers  1539,  au 
domaine  du  Pradel ,  près  Villeneuve  de  Berg 
(Ardèche),mort  le  2  juillet  1619,  dans  le  même 
lieu.  Sa  famille  était  du  Languedoc  et  comptait 
parmi  la  petite  noblesse;  son  père,  Jean  de 
Serres,  avait  embrassé  la  communion  protes- 
tante, et  s'était  réfugié  à  Genève,  où  il  exerça 
le  ministère  évangélique.  Les  détails  ne  sont  pas 
nombreux  sur  sa  vie,  et  c'est  surtout  dans  son 
Théâtre  d'Agriculture  qu'il  faut  les  puiser.  Il  fut 
l'aîné  de  quatre  frères,  et  calviniste  comme  tous 
les  siens.  On  a  conjecturé,  non  sans  raison,  qu'il 
avait  dû  s'expatrier  dans  sa  jeunesse  en  même 
temps  que  son  frère  Jean  ;  il  parle  de  l'orangerie 
d'Heidelberg  en  homme  qui  l'a  visitée  et  étudiée 
dans  tous  ses  détails  En  1559  il  épousa  Mar- 
guerite d'Harcous,  de  Villeneuve  de  Berg.  En 
1561  on  le  voit  diacre  de  l'église  de  Berg,  et  à 
ce  titre  député  à  Genève  par  ses  coreligionnaires, 
à  l'effet  d'obtenir  de  Calvin  un  ministre  de  l'É- 
vangile; il  réussit,  et  les  registres  de  sa  ville  na- 
(ale  donnent  à  ce  propos  de  curieux  détails  sur 
l'installation  matérielle  de  Jean  Béton,  le  mi- 
nistre baillé  par  Calvin  à  la  requête  d'Olivier  de 
Serres.  Quelle  part  prit-il  dans  les  luîtes  san- 


: 


793  SERRES 

glantes  qui  désolèrent  le  Vivarais?  Probablement 
aucune.  «  Une  certaine  analogie  de  nom,  disent 
MM.  Haag,  a  fait  attribuer  par  quelques-uns  à 
notre  pacifique  agriculteur  ce  que  d'Aubigné  et 
de  Thou  rapportent  d'un  capitaine  Pradelles  ou 
La  Pradelle,  qui  avait  facilité  la  reprise  de  Vil- 
leneuve sur  les  catholiques,  en  1573,  en  indi- 
quant le  moyen  de  pénétrer  dans  la  place  par 
un  égout.  »  Au  reste,  il  suffit  de  lire  la  préface 
de  son  livre  pour  se  convaincre  de  la  fausseté 
de  cette  assertion.  «  Mon  inclination  et  Pestât  de 
mes  affaires,  dit  Olivier,  m'ont  retenu  aux 
champs  en  ma  maison  et  faict  passer  une  bonne 
partie  de  mes  meilleurs  ans,  durant  les  guerres 
civiles  de  ce  royaume,  cultivant  ma  terre  par 
'mes  serviteurs....  Soit  que  la  paix  nous  donnast 
quelque  relasche,  soit  que  la  guerre,  par  di- 
verses recheutes,  m'imposast  la  nécessité  de 
garder  ma  maison,  j'ai  treuvé  un  singulier  con- 
tentement en  la  lecture  des  livres  de  l'agricul- 
ture, à  laquelle  j'ai  de  surcroist  adjousté  le  juge- 
ment de  ma  propre  expérience.  »  Le  seigneur  du 
Pradel  ne  quitta  plus  son  domaine  qu'à  la  voix 
de  Henri  iV  :  celui-ci  fit  appel  à  son  expérience 
au  moment  où,  malgré  Sully,  il  voulut  introduire 
en  Fiance  la  soie  et  les  industries  qui  s'y  rat- 
tachent. L'agronome  répondit  aux  vues  du  roi 
en  publiant  la  Cueillette  de  la  soye  par  la 
nourriture  des  vers  qui  la  font;  Paris,  f599, 
in-8°  de  ils  p.,  traité  trad.  en  allemand  (  1603)  et 
en  anglais  (1007),  puis  la  Seconde  richesse  du 
meurier  blanc;  Paris,  1603,  in-8°  de  28  pages. 
Henri  IV  trouva  si  convaincantes  les  raisons  dé- 
veloppées dans  le  premier  mémoire  qu'à  partir 
de  1600  les  jardins  de  ses  maisons  de  plaisance 
furent  plantés  de  mûriers;  il  écrivit  lui-même 
une  lettre  datée' de  Grenoble,  le  27  septembre 
1600,  afin  qu'Olivier  de  Serres  s'entendît  avec 
aie  surintendant  général  des  jardins  du  royaume 
de  manière  à  introduire  la  soie  jusqu'au  cœur 
de  la  France.  Quant  au  grand  ouvrage  qui 
avait  été  le  travail  et  la  distraction  de  toute  sa 
vie,  Olivier  de  Serres  le  fit  paraître  avec  ce 
titre  :  Le  Théâtre  d' 'Agriculture  et  mesnage 
des  champs;  Paris,  1600,  in-fol.  Ce  livre,  dé- 
dié au  roi,  eut  un  grand  succès  (1).  L'auteur 
n'y  fait  pas  fi  de  ses  prédécesseurs;  mais  il 
n'adopte  leurs  idées  que  sous  bénéfice  d'inven- 
taire, c'est-à-dire  quand  elles  sont  conformes  à 
l'expérience  et  aux  meilleures  habitudes  de  la 
science  rurale.  Le  seul  avec  lequel  il  ait  plus 
d'une  ressemblance  est  Bernard  Palissy  qui,  à  la 
suite  de  ses  leçons  publiques,  avait  donné  en 
1580  le  Moyen  de  devenir  riche  par  l'agricul- 
ture. Comme  Palissy,  il  se  fit  le  champion  de 
[l'agriculture  rationnelle  et  méthodique.  On  le  voit 
î  bien  au  plan  de  son  ouvrage ,  qui  rappelle  celui 
des  Géorgiques  et  de  Varron.  Il  est  divisé  en 


791 


(1)  Voy.  p.  xxi  du  t.  II  du  Théâtre  d'Agriculture, 
i  réédité  en  1804,  la  description  détaillée  de  l'édition  prin- 
ceps  et  des  dix-neuf  qui  l'ont  suivie,  donnée  par  Huzard 
dans  la  Notice  bibliographique  de  ce  livre. 


huit  lieux  ou  livres  ;  chaque  lieu  contient  un 
certain  nombre  de  chapitres.  Toutes  les  matières 
d'agriculture  y  sont  traitées  en  détail  :  le  do- 
maine, le  blé,  le  vin,  le  bétail,  la  basse-cour,  le 
jardin,  l'eau  et  le  bois,  les  recettes  domestiques. 
L'auteur  a  rempli,  sans  jamais  rester  au-dessous 
de  sa  tâche ,  chacune  des  parties  de  ce  vaste 
programme.  C'est  ce  qu'a  constaté  un  juge  com- 
pétent, François  de  Neufchàteau,  qui  ajoute  : 
«  Le  Théâtre  d' Agriculture  réunit  trois  avan- 
tages :  le  sujet  en  est  bien  saisi ,  l'ordonnance 
en  est  simple  et  grande  ;  quant  au  langage  de 
l'auteur,  on  voit  qu'il  avait  fait  d'excellentes 
études,  et  que  les  formes  de  son  style  sont  celles 
des  auteurs  classiques.  11  jette  dans  ce  moule 
des  notions  si  justes ,  des  idées  si  précises  et 
des  conceptions  si  nettes  qu'une  sorte  de  charme 
est  encore  attachée  à  sa  manière  de  les  rendre.  » 
On  peut  voir  toutes  les  innovations  que  cet  ou- 
vrage devait  vulgariser,  entre  autres  la  produc- 
tion de  la  soie,  la  culture  du  houblon,  du  maïs, 
de  la  betterave ,  et  même  de  la  pomme  de  terre, 
s'il  fallait  en  croire  Haller.  Olivier  de  Serres  est 
au  courant  de  tout  ce  qui  se  tente  autour  de  lui  ; 
il  entreprend  des  voyages  pour  se  rendre  compte 
des  procédés  nouveaux.  S'il  dédaigne  tout  le  fa- 
tras de  recettes  puériles  qui,  depuis  le  vieux 
Caton,  encombre  les  traités  agronomiques,  il  ne 
sépare  jamais  en  revanche  l'utile  de  l'agréable, 
et  il  s'intéresse  autant  à  ce  qui  peut  rendre  la 
vie  plantureuse  qu'à  ce  qui  peut  la  rendre  douce 
et  agréable.  Pour  s'en  convaincre,  on  n'a  qu'à 
lire  ce  qu'il  dit  du  jardin  bouquetier  et  ses  con- 
seils au  jardinier  qu'il  appelle  l'orfèvre  de  la 
terre.  Par  ce  sentiment  de  ce  qu'on  pourrait 
appeler  la  beauté  rurale,  il  se  distingue  éminem- 
ment des  agronomes  de  l'antiquité.  Olivier  de 
Serres  met  une  sollicitude  touchante  à  suivre 
d'un  bout  à  l'autre  la  vie  de  son  mesnager  dans 
tous  ses  détails  :  il  aime  l'homme  encore  plus 
qu'il  n'aime  la  terre  et  les  résultats  qu'elle  pro- 
cure. Aussi,  outre  le  Théâtre  d'Agriculture,  il 
se  proposait,  dit-il  au  lieu  V,  chap.  xn,  de  don- 
ner un  traité  exprès  sur  les  parcs  et  sur  la  chasse 
en  grand ,  ainsi  qu'un  Traité  de  V architecture 
rustique,  afin  d'apprendre  au  père  de  famille  à 
se  bien  bâtir  aux  champs,  selon  le  vrai  art, 
la  vraie  beauté,  avec  commodité  et  espar gne. 
Aucun  de  ces  ouvrages  n'a  paru. 

Olivier  de  Serres  put  jouir  de  sa  gloire  :  de 
son  vivant  huit  éditions  de  son  livre  se  succé- 
dèrent rapidement.  Dans  le  dix-septième  siècle, 
de  1629  à  1661,  il  y  en  eut  quatre  éditions  à  Ge- 
nève; cinq  parurent  à  Rouen,  et  une  à  Lyon,  en 
1675.  Depuis  ce  moment  Olivier  de  Serres  cessa 
tout  à  coup  d'être  réimprimé  ;  et  à  son  œuvre,  si 
originale,  on  préféra  la  médiocre  Maison  rus- 
tique, de  Ch.  Estienne,  complétée  par  Liébaut. 
Il  est  probable  que  le  calviniste  fit  tort  à  l'agro- 
nome; de  même  que  son  frère  Jean  de  Serres 
l'historien,  il  fut  une  des  victimes  posthumes 
de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes.  On  sait 


795  SERRES 

{jue  les  privilèges  de  tous  les  livres  composés 
par  des  protestants  furent  retirés,  et  celaexplique 
comment  pendant  cent  vingt-sept  ans  le  Théâtre 
cV Agriculture  ne  fut  pas  reproduit  chez  nous, 
la  presse  appartenant  exclusivement  aux  œuvres 
catholiques.  Les  étrangers  vengèrent  notre  plus 
grand  agronome  de  l'injuste  oubli  où  il  était 
tombé  dans  sa  patrie.  L'Écossais  Patullo,  Hal- 
ler,  Arthur  Young  le  proclamèrent  «  l'un  des 
premiers  qui  eussent  paru  dans  le  monde  ». 
Enfin  Rozier,  Parmentier,  Chaptal  remirent  son 
nom  et  son  livre  en  honneur.  Deux  ministres  de 
l'intérieur,  Benezechen  1796,  François  de  Neuf- 
château  en  1799,  invitèrent  et  encouragèrent  la 
Société  d'agriculture  de  Paris  à  préparer  une 
nouvelle  édition  du  Théâtre  d'Agriculture;  elle 
parut  à  Paris,  1804-1805,  2  vol.  in-4°,  fig.  En 
1804  le  préfet  de  l'Àrdèche ,  Cafarelli,  fit  élever  à 
la  mémoire  d'Olivier  de  Serres  un  petit  obélisque 
sur  une  place  de  Villeneuve  de  Berg;  enfin,  en 
1856  une  statue  en  bronze  lui  fut  érigée  dans  la 
même  ville. 

"La  diction  d'Olivier  de  Serres  mérite  de  faire 
époque  dans  l'histoire  de  notre  langue.  Placé  par 
sa  date  entre  les  Essais  de  Montaigne  et  Vln- 
troduction  à  la  vie  dévote  de  François  de 
Sales,  le  Théâtre  d'Agriculture  est  un  des 
premiers  ouvrages  didactiques  qui  réunisse  les 
qualités  qui  seront  l'honneur  de  la  prose  fran- 
çaise au  dix-septième  siècle,  c'est-à-dire  la  mé- 
thode et  le  naturel,  l'art  et  jusqu'à  un  certain 
point  l'inspiration.  Olivier  de  Serres  est  vérita- 
blement inspiré  par  un  sujet  qu'il  aime,  qu'il 
connaît  bien  et  qu'il  explique  avec  une  parfaite 
clarté.  En  un  mot,  c'est  avant  le  Discours  de 
la  méthode  de  Descartes  une  des  deux  ou  trois 
œuvres  dans  lesquelles  on  trouve  une  parfaite 
convenance  entre  le  style  et  le  sujet.  La  langue 
un  peu  périodique  de  l'auteur,  chez  qui  les  lati- 
nismes ne  sont  pas  plus  rares  que  les  expres- 
sions créées  pour  le  besoin  de  l'idée,  est  devenue 
pour  les  philologues  une  étude  aussi  utile  qu'at- 
trayante. F.  C — l— p. 

Dans  redit,  de  1804  ,  on  trouvera  l'indicition  la  plus 
complète  et  la  plus  méthodique  de  tous  les  travaux  re- 
latifs a  Olivier  de  Serres.  —  Haag  frères,  France  protest. 


FS6 


SERRES  (  Jea)inE  ),  en  latin  Serranus,  his- 
torien et  théologien,  frère  cadet  du  précédent,  né 
à  Villeneuve  de  Berg,  vers  1540,  mort  à  Genève, 
le  31  mai  1598.  A  Lausanne,  où  il  fut  envoyé 
peur  faire  ses  études,  il  s'appliqua  particulière- 
ment aux  langues  anciennes  et  à  la  philosophie. 
La  Saint-Barthélémy  le  ramena  dans  cette  ville, 
où  il  se  réfugia  avec  toute  sa  famille.  A  cette 
époque  il  s'était  déjà  fait  connaître  par  plusieurs 
ouvrages  d'érudition  et  d'histoire.  En  157S,  il 
fut  appelé  à  Nîmes  en  qualilé  dé  recteur  de  l'A- 
ie et  de  principal  du  collège  des  arts. 
L'année  suivante  il  concourut  à  l'établissement 
de  l'imprimerie  dans  cette  ville.  Il  assista  aux 
assemblées    calvinistes   de  Sommières    et  de 


et  aux  états  du  Languedoc  (1587).  Il  accepta  en 
1591  vocation  de  l'église  de  Moniéiimar,  et 
passa  bientôt  après  à  Orange.  Il  représenta,  cette 
ville  au  synode  de  Saumur.  On  y  profita ,  à  ce 
qu'il  paraît,  de  quelques  difficultés  qu'il  éprouva  à 
rendre  publiquement  compte  de  certaines  sommes 
qu'il  avait  recueillies  pour  les  besoins  de  la  cause 
protestante,  pour  mettre  sa  probité  en  suspicion. 
Duplessis-Mornay  chercha  à  le  consoler  de  ces 
tracasseries ,  qui  s'expliquent  aisément.  Jean  de 
Serres  était  un  de  ces  hommes  qui,  dans  le 
parti  protestant,  croyaient  la  modération  plus 
avantageuse  que  les  violences.  Plus  d'une  fois 
il  s'était  opposé  à  ceux  qui  voulaient  recourir  aux  ■ 
armes.  Aussi  les  hommes  ardents  l'accusèrent 
de  trahir  la  cause.  A  la  suite  des  désagréments 
que  lui  attira  cette  affaire,  il  se  retira  à  Genève. 
Cayet  et  après  lui  la  pluplart  des  historiens  ca- 
tholiques prétendent ,  sans  en  donner  de  preuve, 
qu'il  voulait  se  convertir  au  catholicisme,  et  que 
les  Genevois,  pour  empocher  cette  démarche, 
qui  aurait  pu  être  d'un  mauvais  exemple,  l'em- 
poisonnèrent. Ces  assertions  se  réfutent  d'elles- 
mêmes.  Ce  n'est  certes  pas  à  Genève  que  se  se- 
rait retiré  un  homme  décidé  à  passer  au  catho- 
licisme. Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  J.  de  Serres 
se  berçait  de  la  trompeuse  espérance  de  réunir 
les  protestants  et  les  catholiques.  Il  avait  même 
composé  un  livre  dans  lequel  il  prouvait  par  les 
anciens  docteurs  que  la  religion  protestante  était 
conforme  à  l'ancien  catholicisme,  et  que  l'Église 
romaine  en  avait  au  contraire  dévié.  L'appari- 
tion de  cet  opuscule  fit  beaucoup  de  bruit;  les 
églises  de  la  Suisse  et  du  Palatinat  le  dénoncè- 
rent au  synode  de  Montpellier,  qui  recommanda 
aux  églises  de  France  de  s'en  délier  ;  celui  de 
Gergeau,  en  1601,  revint  cependant  sur  cette 
condamnation,  prononcée  un  peu  à  la  légère,  et 
chargea  l'église  de  Paris  (  qui  n'en  fit  rien  da  i 
reste  )  d'examiner  si  les  propositions  censurées 
étaient  réellement  dans  ce  livre.  Mais  si  le  désir, 
fort  aventuré,  de  J.  de  Serres  de  réconcilier  les 
deux  églises  lui  attira  la  haine  des  hommes  ardents 
de  son  parti ,  il  lui  gagna  d'un  autre  côté  la  bien- 
veillance de  Henri  IV,  qui  lui  donna,  en  1597, 
le  titre  d'historiographe  de  France.  On  a  de 
J.  de  Serres  :  Mémoires  de  la  troisième  guerre 
civile,  1568-1569;  s.  1.,  1570,  in-8°;  réimpr. 
en  1571,  in-8°,  enquatrelivies; —  Commentant 
de  statu  religionis  et  reipublicse  in  regno 
Galliœ;  Genève,  1571-72-73-77,  et Leyde,  1580, 
5  vol.  in-8°  :  ouvrage  devenu  excessivement 
rare;  chacune  des  cinq  parties  est  divisée  en 
trois  livres ,  et  a  été  l'objet  de  fréquentes  réim- 
pressions, soit  isolée,  soit  réunie  à  d'autres.  C'est 
une  histoire  détaillée  des  guerres  de  religion  de- 
puis 1557  jusqu'en  1576.  Ce  livre  est,  suivant 
MM.  Haag,  un  des  plus  curieux  et  des  plus 
importants  sur  cette  période  de  notre  histoire* 
De  Thou,  qui  le  tenait  en  grande  estime,  y  a  fait 
de  nombreux  emprunts  ;  —  Psalmorum  Da 


M'uitauban.  ainsi  qu'au  synode  de  Vitré  (1583)  l  vidis  aliquot  melaphrasis  grxca;  s.  1.  (Go 


1 97  SERRES 

Pève),  1575,  in-16;  —  Platonis  opéra  qux  Paris  faire 
\\xstant  omnia,ex  nova  J.  Serrant  inlerpre- 
mtione,  perpetuis  ejusdem  nolis  illustrata; 
[1. 1.  (Genève),  1573,  3  vol.  in- fol..:  cette  traduc- 
on  a  été  sévèrement  jugée  par  Dacier;  mais 
I ■!  P.  Lami  estd'avis  que  les  sommaires  de  Serres 
1  îffisent  à  l'intelligence  de  la  doctrine  de  Platon  ; 


Commontarias  in  Salomonls  Ecclesiasten  ; 
enève,  1580,  in-8°;  trad.  en  anglais;  —  Doc- 
inx  Jesuilarum  prxcipux  capila  retexta 

confutata;  La  Rochelle,  1584-88,  6  vol. 

1°  :  recueil  de  quatre  ouvrages  de  controverse, 
l'on  trouve  aussi  imprimés  séparément;  — 
éfense  de  la  vérité  catholique  et  troisième 
xti-jêsuite  contre  les  calomnies  de  Jean 
ay  ;  Nîmes,  1584,  in-8°  ;  —  Discours  de  Imm- 
ortalité de  l'âtne ;  Lyon,  1590,  in-8°;  — 
?cueil  des  choses  mémorables  advenues  en 
•ance  sous  le  règne  de  Henri  II,  Fran- 
is  II,  Charles  IX  et  Henri  III ;  s.  1.  (Ge- 
ivc),  1595,  in-8°;  réimpr.  en  1598  et  1603, 
os  le  titre  d'Histoire  des  cinq  rois,  in-8°, 
ec  le  règne  de  Henri  IV  en  plus;  —  In- 
ntaire  général  de  l'histoire  de  France,  il- 
stré  par  la  conjérence  de  l'Église  et  de 
mpire;  Paris,  1597,  in-16  de  1,202  pages, 
os  les  pièces  liminaires.  Le  volume  finit 
a  mort  de  Charles  VI.  «  La  mort  ayant  em- 
ché  l'auteur,  disent  MM.  Haag,  de  mettre  en 
ivre  les  nombreux  matériaux  qu'il  avait  re- 
eillis  pour  la  continuation  de  cette  histoire, 
an  de  Montlyard  s'en  chargea,  et  après  lui,  di- 
rs  auteurs  catholiques,  d'où  résulte  une  bi- 
rrure  très-désagréable.  »  Cet  ouvrage  a  été 
imprimé  avec  des  suppléments  successifs  un 
and  nombre  de  fois.  On  en  a  une  19e  édit., 
iris,  1660, 2  vol.  in-fol.  Cassiodore  deReinal'a 
id.  en  latin  sous  le  titre  :  /.  Serrani  Syl- 
bus  annalium  Gallix ,  a  Pharamundo  ad 
mricum  IV  (Francfort,  1612,  in-4°);  cette 
iduction,  continuée  jusqu'à  Louis  XIII,  a  été 
mpr.  en  1625  et  mise  en  anglais;  —  Appa- 
tus  ad  ftdem  catholicam;  Paris,  1597, 
fol.;  réimpr.  sous  le  titre  :  Defide  catholica 
paratus,  sive  de  principiis  religionis  chris- 
mx,  communi  omnium  christianorum  con- 
nsu,  semper  et  ubique  ratis  ;  Paris,  1607, 
c'est  l'ouvrage  qui  causa  de  si  nombreux 
«agréments  à  l'auteur;  —  L'Usage  de  l'im- 
irlalité  de  l'âme  pour  bien  vivre;  Rouen, 
97,  in-12.  La  bibliothèque  de  Bàle  possède  un 

rage  inédit  de  Jean  de  Serres  :  Dialogus 

institutione  rhetorica,  et  la  bibliothèque 
périale  des  Lettres  de  lui,  dans  le  t.  104  de 

collection  Dupuy.  M.  Nicolas. 

rosper  Marchand,  Dict.  hist.  —  Niceron,  Mémoires, 

)Vet  X.  —  Haag,  La  France  protest.  —  Aymon,  Syno- 

nationaux.  —  Senebicr,  flist.  litlêr.de  Genève,  t.  II. 

;  serres  (Etienne-Renaud- Augustin), 
ysiologiste  français,  né  le  28  décembre  1787,  à 
Wrac  (Lot-et-Garonne).  Fils  d'un  médecin, 
i  le  destinait  à  la  même  profession ,  il  vint  à 


798 
ses  études  ,  fut  nommé  interne  au 
concours  de  1808,  et  reçut  en  1810  le  diplôme  de 
docteur.  L'un  des  inspecteurs  de  l'hotel-Dieu 
(  1812  )  et  chef  des  travaux  anatomiques  de 
l'amphithéâtre  central  (1814),  il  se  distingua 
durant  les  deux  invasions  étrangères  par  son 
zèle  et  par  son  courage  à  soigner  les  blessés, 
soit  à  Paris,  soit  dans  les  environs.  Les  ser- 
vices qu'il  avait  rendus  contribuèrent  non  moins 
que  ses  travaux  de  physiologie  et  d'embryogénie 
à  lui  faire  donner  en  1822  les  fonctions  de  mé- 
decin en  chef  de  la  Pitié  ;  il  ne  cessa  de  remplir 
ces  fonctions  actives  et  ne  renonça  à  la  pratique 
de  son  art  qu'en  venant  remplacer  M.  Flourcns 
dans  la  chaire  d'anatomie  comparée  (janvier 
1839),  dont  irest  encore  en  possession  au  Jardin 
des  plantes.  Après  avoir  été  agrégé  à  l'Académie 
de  médecine,  où  du  reste  il  se  montra  rarement, 
il  fut  élu  le  28  juillet  1828  membre  de  l'Académie 
des  sciences  à  la  place  de  Chaussier;  appelé  en 
1841  à  présider  ce  corps  savant,  il  reçut  à  cette 
occasion  la  croix  d'officier  de  la  Légion  d'hon- 
neur, et  celle  de  commandeur  en  1846.  Parmi 
les  commissions  dont  il  a  fait  partie  à  diffé- 
rentes époques,  nous  citerons  celles  des  hautes 
études  scientifiques  et  littéraires  en  1848.  La 
plupart  des  travaux  de  M.  Serres  se  rapportent  à 
trois  objets  principaux  :  1°  l'anatomie  et  la  phy- 
siologie du  cerveau  et  des  autres  parties  du  sys- 
tème nerveux,  considérés ,  chez  l'homme  et  les 
animaux,  soit  à  l'état  d'adulte,  soit  à  l'état  du 
jeune  âge ,  de  fœtus  ou  d'embryon ,  soit  à  l'état 
normal,  soit  dans  leurs  monstruosités  ;  2°  les  ma- 
ladies du  cerveau  et  dé  la  moelle  épinière,  au 
traitement  desquelles  ce  savant  a  rapporté  les 
connaissances  nouvelles  qui  sont  le  résultat  de 
ses  nombreuses  découvertes  anatomiques  et  phy- 
siologiques; 3°  les  lois  de  l'organisation  ani- 
male. «  Les  recherches  que  M.  Serres  a  entre- 
prises sur  ce  dernier  objet,  a  dit  un  écrivain,  et  qui 
ont  opéré  une  grande  révolution  dans  la  science, 
l'ont  conduit  à  établir  que  le  développement 
des  animaux  et  de  leurs  divers  organes  se  fait 
de  la  circonférence  au  centre,  et  non  du  centre  à 
la  circonférence,  comme  on  l'avait  toujours  pensé. 
C'est  la  découverte  de  ce  fait  capital  qui  a  ou- 
vert à  M.  Serres  une  voie  si  féconde  en  beaux 
résultats,  en  l'obligeant  à  envisager  sous  un  nou- 
veau point  de  vue  la  plupart  des  théories  ana- 
tomiques. »  Ses  principaux  ouvrages  sont  : 
Traité  de  la  fièvre  entéro-mésentérique;  Pa- 
ris, 1813,  in-8°,  composé  avec  A.  Petit;  —  Des 
lois  de  l'ostéogénie;  Paris,  1815,  in-fol.  et 
atlas  :  ouvrage  qui  a  remporté  en  1820  le  prix 
de  physiologie  expérimentale  proposé  par  l'Aca- 
démie des  sciences;  —  Essai  sur  l'anatomie  et 
la  physiologie  des  dents;  Paris,  1S17,  in-S°; 

Anatomie  comparée  du  cerveau  dans  les 

quatre  classes  des  animaux  vertébrés;  Pa- 
ris, 1824-26,  2  vol.  in-8°  et  atlas,  in-4°  :  ou- 
vrage quia  obtenu  le  grand  prix.  del'Acad.  dos 
sciences  en  1821  ;  —  Anatomie  comparée  des 


799 


monstruosités,  in-fol.  pi.,  ouvrage  manuscrit 
présenté  en  1825  à  l'Académie;  —  Traité  des 
maladies  organiques  de  V  axe  cérébro-spinal 
du  système  nerveux,  in-fol.  inanusc,  commu- 
niqué en  1828  à  l'Académie;  —  Théorie  des 
formations  et  des  déformations  organiques 
appliquée  à  l'anatomie  de  Rita-Chrislinaet 
de  la  Duplicité  monstrueuse;  Paris,  1832, 
in-4o  et  atlas;  —  Principes  d'organogénie  ; 
Paris,  1842,  gr.  in-S°.  M.  Serres  a  rédigé  un 
très-grand  nombre  de  mémoires  ou  d'articles 
pour  les  recueils  de,  l'Académie  des  sciences 
et  du  Muséum  d'histoire  naturelle,  les  Ar- 
chives générales  de  médecine,  V Encyclopédie 
des  sciences  Médicales,  la  Bévue  médicale, 
les  Annales  des  sciences  naturelles,  etc. 

Lachaise,  Médecins  de  Paris.  —  Sarrut  et  Saint- 
Edme,  Hommes  du  jour,  t.  VI,  lre  part.  —  Callisen, 
jVedicin.  Schri/tsteller-Lexicon. 

serrurier.  Voy.  Serueuer. 

serry  ( François  -  Jacques  -  Hyacinthe  ), 
théologien  français,  né  en  1659,  à  Toulon ,  mort 
le  12  mars  1738,  à  Padoue.  Il  était  fils  d'un 
médecin  de  la  marine.  Admis  de  bonne  heure 
dans  Tordre  de  Saint-Dominique ,  il  fut  envoyé 
à  Paris  pour  y  achever  ses  études,  puis  il  y  en- 
seigna la  philosophie  et  se  livra  à  la  prédication 
avec  quelque  succès.  En  1690  il  se  rendit  à 
Rome,  et  devint  théologien  du  cardinal  Altieri 
et  consulteur  de  l'index.  De  retour  à  Paris  en 
1696,  il  y  prit  en  1697  le  bonnet  de  docteur; 
dans  la  même  année,  il  fut  appelé  à  Padoue 
comme  professeur  de  théologie,  et  il  occupa  cette 
chaire  jusqu'à  sa  mort.  Serry  était  un  zélé  tho- 
miste ;  il  avait  de  l'érudition ,  mais  ses  nom- 
breux écrits,  fort  appréciés  dans  un  temps  où 
les  controverses  religieuses  étaient  à  la  mode, 
ne  trouvent  plus  de  lecteurs  ;  nous  citerons  les 
principaux  :  Historiée  congregationum  de 
Auxiliis  divinse  gratise  lib  IV;  Louvain 
(Bruxelles),  1700,  in-fol.;  Anvers,  1709,  in-fol. 
avec  un  5e  livre  :  une  polémique  s'engagea  entre 
lui  et  les  jésuites,  et  il  répondit  à  ses  adver- 
saires, le  P.  Germon  entre  autres ,  par  l'His- 
toire des  congrégations  De  Auxiliis,  justifiée; 
Louvain,  1702,  in-8°,  et  par  le  Correcteur  cor- 
rigé; Liège,  1704,  in-fol.;  —  D.  Augustinus 
a  calumnia  vindicatus;  Cologne,  1704,  in-12; 
—  Schola  thomistica  vindicata,;  Cologne, 
1706,  in-8°  ;  —  Le  Mahométisme  toléré  par- 
les jésuites  dans  Vile  de  Chio;  s.  ).,  1711, 
in-12;  —  Exercitationes  de  Chrislo  ejusque 
mettre  ;  Venise,  1719,  in-4°; —  Theologia  sup- 
plex;  s.  1.,  1736,  in-12;  trad.  en  français  en 
1756,  in-12  :  Il  y  demande  une  intelligence 
plus  explicite  de  la  bulle  Unigenitus. 

Échard  et  Quétif,  Bibl.  scriptorum  ord.  Prœdicato- 
rum,  t.  Ier.  —  Achard,  Dict.  hist.  de  la  Provence. 

sertorius  (Qtiintus),  général  romain, 
d'une  famille  obscure ,  né  à  Nursia,  village  de  la 
Sabine,  tué  en  72  av.  J.-C.  en  Espagne.  Son 
corps  robuste  s'endurcit  de  bonne  heure  à  la 
fatigue.  11  fit  sa  première  campagne  contre  les 


SERRES  —  SERTOR1US  80u 

Cimbres,  sous  Q.  Serv.  Caepio,  et  il  échappa 


presque   seul  au  massacre  de  l'armée  (105  av. 
J.-C).  Tout  blessé  qu'il  était,  il  traversa  le 
Rhône  à  la  nage,  couvert  de  sa  cuirasse  et  sans 
abandonner  son  bouclier.  Il  revit  en  102  les  mêmes 
ennemis,  sous  Marius.  Un  jour  que  les  armées 
étaient  en  présence ,  il  offrit  au  consul  d'aller  re- 
connaître le  camp  des  Teutons  ;  il  avait  appris 
leur  langue  ;  il  se  mêla  parmi  eux,  s'informa  de 
tout  ce  qu'il  lui   importait  de  savoir,  et  revint 
i  vers   son   général,  qui  ne  manqua  pas  de  lui 
décerner  les  récompenses  honorifiques  en  usage 
dans  l'armée.  En  97,  il  servit  en  Espagne  comme 
tribun  légionnaire,  et  il  se  signala  par  plusieurs 
traits  d'heureuse  audace.  De  retour  à  Rome,  il  j 
fut  nommé  questeur  (91)  et  on  lui  assigna  pour 
province  la  Gaule  Cispadane.  C'était  le  temps  de 
la  guerre  des  Italiens  ;  Sertorius  montra  une  ac- 
tivité extraordinaire  à  réunir  des  troupes,  d«  I 
l'argent,  des  vivres,  et  il  prit  part  à  plusieurs  r^ 
combats  contre  les  Marses.  Salluste  dit  qu'il  s< 
distingua  par  des  exploits  que  l'obscurité  de  Sel 
naissance  et  la  malveillance  des  écrivains  oni 
laissés  dans  l'oubli;  c'est  dans  celte  campagne 
qu'il  perdit  un  œil;  mais,  ajoute  Salluste,  ilti 
rait  orgueil  de  cet  œil  crevé  et  de  son  visage 
couvert  de  cicatrices.  Lorsqu'il  revint  à  Rome 
et  qu'il  parut  au  théâtre,  le  peuple  entier  l'ap- 
plaudit. Il  appartenait  à  la  faction  populaire  ei 
était  l'ami  de  Marius,  qu'il  contribua  à  rappelei 
de  son   exil  d'Afrique.   Marius ,  Cinna  et   Ser 
torius,  à  la  tête  des  trois  armées,  se  rendiieir 
maîtres  de  Rome  (87);  mais,  des  trois,  Serto 
rius  fut  le  seul  qui  ne  marqua  pas  sa  Yictoiri 
par  des  proscriptions.  Il  fit  même  massacrer  uni 
troupe  d'esclaves  que  Marius  avait  armés  et  qu 
avaient  commencé   par    égorger  leurs  ancien: 
maîtres.  Quand  Sylla  revint  d'Orient,  Sertorius 
devinant  aux  mauvaises  dispositions  des  soldat: 
qu'on  ne  pourrait  pas  lui  résister,  quitta  l'Italii 
et  se  porta  en  Espagne  (83).   Il  y  trouva  uni 
population  belliqueuse,  indocile  à  la  dominatioi 
romaine  ,  et  qui  était  lasse  d'être  maltraitée  e 
pillée  par  les  proconsuls;  il  se  l'attacha  par  li 
diminution  des  impôts ,  par  son  esprit  de  justice 
par  la  douceur  de  son  commandement.  Avan 
qu'il  eût  eu  le  temps  d'organiser  une  armée,  i 
lut  surpris  par  les  troupes  syllaniennes  et  fora 
de  sortir  d'Espagne.  Pendant' quelque  temps  i 
erra,  sur  sa  flotte,  de  l'Afrique  aux  Baléares  I 
cherchant    un  asile,    et   partout  repoussé,  il 
pensa,  dit-on,  à  aller  s'établir,  au  delà  de  ïo 
céan  Atlantique,  dans  les  régions  inconnues  e 
mystérieuses  que  les  anciens  désignaient  sou; 
le  nom  d'Iles  Fortunées.  Ses  marins  refusèren 
de  l'y  conduire,  et  le  déposèrent  en  Afrique,  oi 
il  prit  part  aux  petites  guerres  des  princes  de  I. 
Mauritanie. 

C'est  là  que  Sertorius  reçut  les  députés  de 
Lusitaniens,  qui  le  conjuraient  de  venir  semettr 
à  leur  tête  pour  les  affranchir  de  la  duredomi 
nation  du  proconsul  Annius.  11  accepta  leur  offre 


> 


; 


SOI 


SERTORIUS  —  SERUELAS 


802 


ît  fut  investi  par  eux  d'une  autorité  absolue,  i 
Ses  forces,  à  l'origine,  ne  comprenaient  que 
leux  mille  Romains,  sept  cents  Africains,  et  cinq 
aille  Espagnols;  avec  cette  petite  armée  il  bât- 
it trois  généraux  romains ,  Cotta  sur  mer,  et 
lur  terre  Fufidius  et  Thoranius  (80).  De  proche 
n  pioche  il  fit  reconnaître  son  autorité  aux 
îlifférents  peuples  espagnols;  la  plus  grande 
i>artie  de  la  péninsule  lui  obéissait.  Il  agissait 
I  ur  l'esprit  de  ces  peuples  par  la  superstition, 
par  faisant  croire  qu'il  avait  des  relations 
•>vec  les  dieux  par  l'intermédiaire  d'une  biche 
il  lanche.  Il  parvint  ainsi  à  se  faire  obéir,  et 
i  -.ïompha  de  la  défiance  et  de  la  versatilité  nalu- 
a  ailes  à  ces  barbares.  Sylla  envoya  contre  lui  Me- 
iillus  (79),  dont  les  talents  militaires  étaient 
I  )nnus  ;  mais  Metellus  ne  réussit  en  rien.  Ser- 
!  trius  avait  soin  d'éviter  les  batailles  en  plaine  ; 
I  s'attachait  au  contraire  à  mettre  l'ennemi  dans 
I  mpuissance  de  combattre,  le  harcelant  dans 
Ls  marches,  ou,  chaque  fois  qu'il  s'arrêtait , 
I  i  coupant  l'eau  et  les  fourrages.  Avec  ses  sol- 
1  its  agiles  eUiabitués  aux  montagnes,  il  dérou- 
I  it  la  tactique  prudente  des  Romains,  fatiguait 

■  s  légions,  usait  etruinaitten  détailles  grandes 
lemées,  qu'il. né  pouvait  pas  aborder  de  front.  Il 

■  ait  la  ruse,  l'audace,  l'à-propos,  tous  les  mé- 
rn.es,  enfin  qui  conviennent  à  la  guerre  de  parti- 
|n  sur  le  sol  de  l'Espagne.  Metellus ,  comme 

■  rnièreressource,  mit  sa  tête  à  prix,  et  estima 
A  la  valeur  de  cent  talents  l'assassinat  de  Ser- 
■rius  ;  mais  il  ne  se  trouva  pas  encore  de  meur- 
■ter.  En  77,  Perpenna  arriva  d'Italie  avec  12,000 
fcmmes;  il  comptait  faire  la  guerre  pour  son 
■opre-*,  compte ,  mais  ses  soldats  le  contraigni- 
Bntà  se  joindre  à  Sertorius.  Le  sénat,  inquiet  de 
■tte.jguerre,  qui  sevprolongeait,  envoya  Pompée 
Bec  unenouvëlle  armée  (76).  Sertorius  tint-tête 
■la  fois  à  Metellus  et  à  Pompée,  vainquit  ce 
■jrnier  près  du  fleuve  Sucrone ,  et  le  repoussa 
«qu'au  delà  des  Pyrénées.  Pompée  était  aux 
Kois,  et  réclamait  à  grands  cris  des  renforts, 
JJplarant  que  s'il  n'en  recevait  pas,  Sertorius 

rait  bientôt  en  Italie.  En  réalité,  malgré  Pom- 
\î  et  Metellus,  Sertorius  resta  maître  de  l'Es- 
;ne  pendant  huit  années,  de  80  à  72.  Les  Es- 
»nols  lui  fournissaient  de  l'argent  et  des  sol- 
|s  ;  avec  les  Romains  qu'il  avait  près  de  lui,  il 
lit  composé  un  sénat,  qui  siégeait  dans  Osca, 
;apitale.  C'était  parmi  les  Romains  qu'il  choi- 
sait  ses  questeurs  et  ses  lieutenants ,  ne  don- 
it  aucun  grade  élevé  aux  Espagnols.  Ce  qu'il 
rait  de  remarquable  en  lui,  c'est  que  dans  sa 
ie  contre  les  armées  romaines  il  ne  perdait  pas 
me  la  domination  de  Rome.  C'était  au  nom 
tome  et  de  son  sénat  qu'il  prétendait  com- 
îder,  et  il  ne  traita  jamais  les  Espagnols  au- 
vent que  comme  des  barbares.   Plutarque 
qu'il  ne  songea  jamais  à  s'établir  définitive- 
it  en  Espagne  et  qu'il  eut  toujours  le  plus 
i  désir  de  retourner  dans  sa  patrie;  il   offrit 
\e  plusieurs  fois  de  traiter  avec  les  généraux 

KO'JV.    BIOGR.    GÉNÉR.   —   T.    XLIir. 


ennemis,  à  la  condition  qu'on  le  laissât  vivre  à 
Rome  en  simple  particulier.  «  Je  préfère,  dirait- 
il,  la  vie  la  plus  obscure  dans  Rome  à  l'empire 
du  monde  entier  dans  l'exil.  »  Mithridate  solli- 
cita son  alliance,  lui  promettant  tout  ce  qu'il 
voudrait  d'argent  et  de  vaisseaux,  et  demandant 
en  retour  qu'il  lui  reconnût  la  possession' de 
toute  l'Asie  Mineure.  Sertorius  refusa  de  céder 
un  seul  canton  de  la  province  romaine,  et 
l'alliance  fut  conclue  dans  les  conditions  qu'il 
voulut.  Les  événements  militaires  des  an- 
nées 73  et  72  sont  inconnus.  11  est  certain  que 
cette  domination  que  Sertorius  savait  exer- 
cer, soit  sur  les  Romains  bannis ,  soit  sur  les 
barbares,  n'avait  pas  de  racines  et  ne  pou- 
vait pas  durer.  Un  temps  vint  où  les  séna- 
teurs romains  laissèrent  voir  leur  jalousie 
et  les  villes  espagnoles  leur  mécontentement.  A 
mesure  que  Sertorius  se  sentit  moins  obéi,  il  de- 
vint plus  cruel;  son  caractère  s'aigrit;  il  ne  sut 
plus  ni  modérer  ni  dissimuler  ses  ressentiments. 
Ses  rigueurs  augmentèrent  les  haines  ;  le  mas- 
sacre de  plusieurs  enfants  de  noble  famille  qui 
étaient  élevés  par  lui  comme  otages ,  indigna 
toute  l'Espagne.  Ce  fut  pourtant  des  Romains 
que  partit  le  'coup  qui  tua  Sertorius.  Perpenna 
et  quelques  complices  l'égorgèrent  dans  un  repas 
(72).  Cette  sorte  de  république  romaine  qu'il 
avait  fondée  à  six  cents  lieues  de  Rome  périt 
avec  lui;  les  Espagnols  firent  leur  soumission; 
Perpenna  tomba  aux  mains  de  Pompée ,  et  fut 
mis  à  mort.  F.  be  C. 

Plutarque,  Sertorius  et  Marins.  —  Applen,  passim.  — 
Valère  Maxime.  —  Salluste,  Fragments.  —  Drumann, 
Gesch.  des  Rœms. 

sercllas  (Georges- Simon) ,  pharmacien 
français,  né  à  Poncin  (Ain),  le  21  novembre 
1774,  mort  à  Paris,  le  25  mai  1332.  Fils  d'un  no- 
taire, qui  le  destinait  à  lui  succéder,  il  fit  à  cet 
effet  de  bonnes  études;  mais  en  1793  il  s'en- 
rôla, suivit  à  Rourg  un  cours  de  pharmacie,  et 
fut  nommé  pharmacien  militaire.  Une  cam- 
pagne dans  les  Alpes  lui  permit  d'apprendre 
avec  Lambert  la  botanique,  la  physique  et  la 
chimie.  Pharmacien  major  à  vingt  ans ,  H  passa 
plusieurs  années  en  Italie,  et  fut  chargé,  après  la 
publication  du  blocus  continental ,  de  préparer 
pour  la  consommation  des  hôpitaux  de  l'armée 
une  énorme  quantité  de  sirop  de  raisin  destiné 
à  remplacer  le  Tsucre.  Il  fit  comme  pharmacien 
principal  dans  le  corps  d'armée  du  maréchal  Ney 
toutes  les  guerres  d'Italie  et  d'Allemagne,  et  en 
18121a  campagne  de  Russie.  En  sortant  de  Tor- 
gau,  où  il  était  demeuré  longtemps  bloqué,  Se- 
rullas  devint  pharmacien  en  chef,  puis  premier 
professeur  de  l'hôpital  militaire  de  Metz.  Dès 
lors  il  se  livra  avec  ardeur  au  genre  de  spécu- 
lations vers  lesquelles  il  s'était  toujours  senti  en- 
traîné, et  on  le  vit,  à  quarante-deux  ans,  com- 
mencer l'étude  du  grec  et  des  mathématiques. 
En  1825,  il  fut  appelé  au  même  titre  à  l'hôpital 
du  Val  de  Grâce  à  Paris,  et  entra  à  l'Académie 

20 


803 


SERTJIXAS 


des  sciences  (28  décembre  1829)  comme  suc- 
cesseur de  Vauquelin  ;  il  venait  d'être  nommé 
professeur  de  chimie  au  Jardin  des  plantes,  lors- 
qu'il fut  enlevé  par  le  choléra,  dont  il  ressen- 
tit les  premières  atteintes  aux  funérailles  de  Cu- 
xier.  L'énumération  des  découvertes  queluidoit 
la  chimie  prouve  combien  y  ont  été  rapides  ses 
succès;  ses  premiers  travaux  sont  :  deux  Mé- 
moires pour  le  perfectionnement  des  moyens 
d'obtenir  la  matière  sucrée  des  végétaux  in- 
digènes, couronnés  en  1810  et  en  1813;  deux 
autres  Mémoires,  le  premier  Sur  la  conversion 
de  la  matière  sucrée  en  alcool,  le  second,  Sui- 
tes fumigations  chloriques,  dans  les  Mém.  de 
méd.  et  de  ckir.,  1817;  Observations  phy- 
sico-chimiques sur  les  alliages  du  potassium 
et  du  sodium  avec  d'autres  métaux;  Metz, 
1821,  2  part.  in-8°;  Moyen  d'enflammer  la 
poudre  sous  l'eau;  Metz,  1822,  in-8°;  Notes 
sur  l'hydhodate  dépotasse  et  l'acide  hydrio- 
dique;  Metz,  1822,  in-8°.  Serullas  entreprit  sur 
l'iode,  découvert  en  1813,  une  série  d'expé- 
riences d'un  grand  intérêt  :  en  1823,  il  dé- 
couvrit le  proto-iodxire  de  carbone,  et  en 
en  1824  l'iodure  de  cyanogène,  et  il  donna  un 
moyen  économique  d'obtenir  le  per-iodure  de 
carbone.  Serullas  mit  autant  de  persévérance 
dans  ses  recherches  sur  le  brome ,  découvert 
en  1826  par  Balard  ;  il  a  ajouté  à  ce  que  ce  chi- 
miste avait  fait  connaître  un  bromure  de  cyano- 
gène, un  bromure  de  sélénium,  diverses  com- 
binaisons du  brome  avec  l'arsenic,  le  bismuth  et 
l'antimoine,  et  un  éther  hydrobromique.  Con- 
trairement aux  expériences  de  M.  Balard,  il 
constata  que  le  brome  se  solidifie  à  la  tempéra- 
ture de  18  degrés,  et  que  l'hydrocarbure  de 
brome  reste  concret  à  7  degrés,  ce  qu'on  avait  jus- 
qu'alors ignoré. 11  fitdebons  travaux  sur  le  chlore, 
et  trouva  un  de  ses  composés ,  le  perchlorure 
de  cyanogène  (1828).  On  doit  encore  à  Serul- 
las :  Sur  Vacide  cyanique  (1828),  une  Ana- 
lyse de  tous  les  travaux  que  les  chimistes 
ont  faits  relativement  à  l'action  de  l'acide 
sulfurique  sur  l'alcool  et  les  produits  qui 
en  résultent  (1828);  Mémoire  sur  l'action 
des  différents  acides,  sur  Viodate  neutre  de 
potasse ,  les  iodates  acides  de  celle  base,  etc. 
(1829),  dans  les  Mém.  de  VAcad.  des  se; 
—  dans  les  Annales  de  chimie,  ses  re- 
cherches Stir  quelques  composés  d'iode,  tels 
que  le  chlorure  d'iode,  sur  faction  mu- 
tuelle de  Vacide  iodique  et  de  la  morphine 
ou  de  ses  sels,  sur  l'acide  iodique  cristallisé 
(1830)  :  la  partie  de  ce  mémoire  qui  traite  de 
l'action  mutuelle  de  Vacide  iodique  et  de  la 
morphine  est  d'une  grande  importance  sous  le 
rapport  de  la  médecine  légale;  trois  Mémoires 
sur  la  cristallisation  de  l'acide  oxychlo- 
rique  perchlorique  (chlorique  oxygéné)  et 
sur  quelques  propriétés  nouvelles  de  cet 
acide  (1831);  Moyen  propre  à  obtenir  la  sé- 
paration du  chlorure  et  du  brome  contenus 


SERTJÏUER  8M 

dans  un  mélange  de  chlorure  et  de  bromure 
alcalins  (1S31). 

Lodibert,  Éloge  hist.  da Serullas;  Paris,  183",  in-8".  —  , 
Bioçr.  tmiv.  et  port,  des  contemp.  —  Moniteur  univ., 
mal  1S32.  —  virey,  Notice  sur  Serullas  ;  Paris,  l332,-in-8». 

sekitriek    (  Jean  -Matthieu  -  Philibert. 
comte),   maréchal  de  France,  né  à  Laon,  h 
8  septembre  1742,  mort  à  Paris,  le  21  décembre 
!819.  Fils  d'un  officier  de  la  maison  du  roi,  i 
obtint  à  treize  ans  un  brevet  de  lieutenant  au? 
grenadiers  royaux  de   Laon.  En  1759,  il  de 
vint  enseigne  dans  le  régiment  de  Mazarin,  et  ail; 
servir  à  l'armée  de  Hanovre.  Il  eut  la  mâchoiii 
fracassée  à  l'affaire  de  Warbourg  (31  juille 
1760),  fit  la  campagne  de  Portugal  en  1762,  e 
celle  de  Corse  en  1768.  Il  n'obtint  qu'en  17S1  ! 
croix  de  Saint-Louis  pour  ses  utiles  services.  ,  I 
cinquante  ans  il  fut  promu  au  grade  de  colont 
(1792).  Envoyé  à  l'armée  du  Vai,  il  s'y  rit  el 
butte  à  d'absurdes  dénonciations  ;  on  le  traita  à  | 
suspect  et  on  le  raya  des  cadres.  «  Je  servirai 
dit-il,  comme  grenadier  tant  que  l'ennemi  m<  | 
nacerala  France.  »  En  effet,  il  prit  un  fusil,  il 
se  mêla  dans  les  rangs  comme  un  simple  solda  I 
Le  commandement  de  son  régiment  lui  fut  rendi  • 
Chargé,  le  28  février  1793,  d'attaquer  Utello,  I 
trouve  le  pont  coupé,  se  jette  le  premier  dai| 
la  Vesubia,  au  milieu  de  la  fusillade ,  et  entraîr  I 
sa  colonne.  Le  22  août  suivant,  il  fut  nomn 
général  de  brigade,  et  devint  général  de  dh 
sion  le  13  juin    1795.  Il  concourut,  le  23  n 
vembre,  à  la  victoire  de  Loano,  en  tourna 
l'aile  droite  des  Autrichiens.  Dans  la  campag) 
de  1796,  la  division  Serurier  forma  la  réservi 
.elle  s'empara  le  16  avril  des  postes  deBatïfob 
Bagnasco  et  Nocetto;  le  19,  elle  enleva  la  pos 
tion  de  Saint-Miche!  ;  le  22,  c'est  à  elleque  revi 
la  meilleure  part  de  la  victoirede  Mondovi.  Apr 
avoir  également  contribué  à  la  victoire  de  Ca 
tiglione,  Serurier  reprit  le  siège  de  Mantoue, 
en  signa  la  capitulation,  le  2  février  1797.  Il  si 
vit  alors  la  marche  offensive  de  l'armée,  par 
cipa  à  la  bataille  du  Tagliamento,  traversa  l 
sonzo,   et  s'empara  de  Gorizia  dans  les  Alp 
Carniques.  Les  préliminaires  de   Leobcn  an 
tèrent  sa    marche.  Bonaparte   le  chargea, 
3  juin  1797,  d'apporter  à  Paris  vingt-deux  di 
peaux  pris  dans  les  dernières  affaires;  il  disi 
dans  sa  lettre  au  Directoire  :  «  Le  général  S 
rurier  a,   dans  ces  deux  dernières  campagne 
déployé  autant  de  talent  que  de  bravoure  et 
civisme...  II  est  extrêmement  sévère  pour  h 
même;  il  l'est  quelquefois  pour  les  autres.  A 
rigide  de  l'ordre,  de  la  discipline  et  des  vert 
les  plus  nécessaires  au  maintien  de  la  sociéf 
il  dédaigne  les  intrigues  et  les  intrigants,  ce  ç 
lui  a  quelquefois  fait  des  ennemis.  »  De  retc 
à  l'armée,  il  gouverna  Venise,  et  mérita  pars 
désintéressement  absolu  le  singulier  surnom 
Vierge  d'Italie.  A  la  fin  de  1798  il  obtint  d'ê 
employé  sous  les  ordres  de  Jonbert,  sans  ci 
cevoir  de  jalousie  contre  un  général  qui  co 


i 


SOS  SERUUIER 

(  mençait  à  peine  sa  carrière  militaire.  Il  s'em- 
para  de  la  principauté  de  Lucques,  puis  fut 
appelé  à  la  gauche  de  l'armée,  que  commandait 
Scherer.  Sa  belle  conduite  sur  l'Adige  et  à  Ma- 
«nano  ne  put  empêcher  la  défaite  de  l'armée  fran- 
çaise, qui  se  relira  jusque  sur  l'Adda.  Moreau 
emplaça  Scherer,  et  les  Russes  entrèrcnten  ligne 
ivec  Souvorof.  Serurier  fut  attaqué,  le  20  avril, 
\  Lecco,  chercha  à  se  rapprocher  du  centre  de 
l'armée;  mais  isolé  et  cerné  au  village  de  Ver- 
ierio,  il  se  battit  pendant  toute  la  journée  du 
27,  prit  quinze  cents  hommes ,  et  se  servit  des 
nunitions  des  prisonniers   pour   continuer    le 
;ombat,  espérant,  d'après  les  ordres  qu'il  avait 
ireçus,  que  le  général  en  chef  viendrait  le  déga- 
ger; accablé  par  dix-sept  mille  hommes,  n'ayant 
)lus  une  cartouche,  coupé  de  toutes  communi- 
'eations,  il  se  rendit,  le  28,  par  une  capitulation 
honorable.  Ce  fut  la  dernière  campagne  de  Seru- 
rier, qui  retourna  en  France.  Pendant  les  jour- 
nées des  18  et  19  brumaire,  il  commanda  à  Saint- 
]Ioud,  et  prêta  à  Bonaparte  une  coopération  ac- 
ive.  11  fut  nommé  sénateur  le  24  décembre  1799. 
le  24  avril  1804,  Napoléon  1er  l'appela  au  gou- 
vernement des  Invalides,  et  le  créa,  le  19  mai, 
maréchal  de  France.  Il  reçut  en  1805  le  grand 
ordon  de  la  Légion  d'honneur,  et  en  1808  le 
ïtre  de  comte.  Lors  de  la  première  invasion,  Se- 
urier,  ne  voulant  pas  voir  enlever  les  drapeaux 
onfiés  à  la  garde  des  Invalides ,  fit  brûler,  le 
îO  mars ,  dans  la  principale  cour  de  l'hôtel,  les 
Quatorze  cent  dix-sept  drapeaux  et  étendards 
lui  étaient  suspendus  sous  les  voûtes  du  dôme. 
Cependant,  il  adhéra  à  la  déchéance  de  l'empe- 
beur,  et  accepta  le  4  juin  un  siège  à  la  chambre 
les  pairs.  Au  retour  de  l'île  d'Elbe,  il  présenta  à 
fapoléon  une  adresse  contenant  l'expression  du 
lévouement  et  de  la  fidélité  des  Invalides,  ce 
jui  lui  fit  ôter  le  gouvernement  de  l'hôtel'  le 
!7  décembre  1815.  Il  vécut  depuis  dans  la  re- 
raite.  En  1864  on  lui  a  élevé  une  statue  en 
»ronze  dans  sa  ville  natale.  La  vie  de  Serurier, 
:omme  militaire,  est  digne  de  tout  éloge,  et  le 
haréchal  Snchet  a  pu  dire  justement  de  lui  : 
Serurier  s'était  proposé  Catjnat  pour  modèle; 
omme  lui ,  il  fut  brave ,  loyal  et  modeste.  » 
Moniteur  universel,  1819,  p.  1625.  —  Courcelles,  Dict. 
ist.  des  généraux  français.  -    Fastes  de   la  Légion 
'honneur,  t.  II.  —  Suchet,  Éloge  de  Serurier,  prononcé 
la  chambre  des  pairs,  le  9  mars  1820. 

servan  (  Antoine-  Joseph-  Mie  fiel) ,  magis- 
rat  et  publiciste  français,  né  à  Romans,  le  3  no- 
embre  1737,  mort  à  Saint-Remi,  près  Tarascon, 
b4  novembre  1S07.  Il  commença  ses  études  à 
.yon,  et  les  termina  à  Paris,  où,  conformément 
*x  désirs  de  son  père,  et  malgré  un  goût  très- 
j'if  pour  la  poésie,  il  apprit  la  jurisprudence, 
femme  avocat  général  au  parlement  de  Gre- 
noble à  vingt-sept  ans  (1764),  le  premier  dis- 
ours de  rentrée  qu'il  prononça,  en  1765,  Sur 
es  avantages  de  la  vraie  philosophie,  fit 
■ressentir  ce  que  serait  bientôt  le  jeune  orateur. 
)elui  de  1766,  Sur  V administra  lion  de  la  jus- 


—  SERVAN 


806 


lice  criminelle  eut  un  succès  immense;  il  dé- 
nonçait les  abus  de  la  législation  existante,  et 
appelait  les  réformes  que  la  révolution  a  réalisées. 
Voltaire  et  les  philosophes    applaudirent  aux 
idées  qu'il  développait.  Dans  le  Discours  pour 
une  protestante  (1767),    abandonnée  de  son 
époux  catholique,  qui   invoquait  la  nullité  du 
mariage  aux  termes  des  édits  de  Louis  XIV, 
Servan  plaida  la  cause  du   mariage,  avec  une 
fermeté,  une  netteté  et  une  hauteur  de  vues,  qui 
font  de  ce  discours  son  chef-d'œuvre  oratoire. 
La  même  année,  il  fut  député  auprès  du  roi  avec 
deux  autres  magistrats,  pour  lui  présenter  des 
remontrances;  comme   il  sortait   de  l'audience 
royale,  M.  de  Choiseul  lui  annonça  que  le  roi 
l'appelait  à  son  conseil,  en  qualité  de  maître  des 
requêtes  ;  mais  l'avocat  général  refusa,  et  retourna 
à  Grenoble.  En  1769,  son  Discours  de  rentrée  sui- 
tes mœurs  produisit  un  tel  enthousiasme,  qu'il 
se  hâta  de  se  renfermer  chez  lui  pour  échapper 
à  l'ovation  dont  il  était  l'objet;  mais  les  membres 
du  parlement,  les  nombreux  étrangers  qui  étaient 
venus  l'entendre  et  la  ville  entière  se  pressèrent 
devant  sa  maison',  en  forcèrent  la  porte  et  obli- 
gèrent Servan  à  se  présenter  pour  recevoir  de 
nouveau  les  témoignages  de  l'admiration  uni- 
verselle. Cette  brillante  carrière  du  jeune  magis- 
trat fut  brisée  par  une  opposition  consciencieuse 
aux  tyranniques  partis  pris  de  l'opinion  publique, 
et  qui  ne  l'honore  pas  moins  que  ses  plus  grands 
triomphes.  Le  comte  de  Suze,  qui  avait  sous- 
crit une  obligation  de  50,000  francs  au  profit  de 
la  demoiselle  Boh,chanteuse  de  l'Opéra,  dont  il 
avait  été  l'amant ,  en  demandait  l'annulation  as 
parlement;  le  public   était  contraire  à  cette  de- 
mande; Servan  la  soutint,  en  se  plaçant  sur  le 
terrain  de  la  moralité;  le  public,  selon  sa  varia- 
bilité ordinaire,  poursuivit  d'épigrammes  et  de 
calomnies  celui  qu'il  avait  naguère   si  haute- 
ment honoré.  Servan  resta  calme  et  ferme  de- 
vant ce  caprice  de  la   popularité;  seulement, 
ayant  appris  que  ses  conclusions  devaient  être 
siftlées,  il   supprima  la  dernière  partie  de  son 
réquisitoire,  et  annonça  qu'il  terminait  son  dis- 
cours et  sa  carrière  publique  (1772).  Depuis  cette 
époque  il  ne  voulut  accepter  aucune  fonction,  et 
refusa,  en  1789,  de  siéger  aux  états  généraux, 
et,  plus  tard ,  au  Corps  législatif.  Ses  loisirs  en 
France  et  en  Suisse,  où  il  vécut  de  1792  à  1802, 
furent  employés  à  la  rédaction  de  mémoires  sur 
les  abus  de  notre  ancienne  législation,  et  d'opus- 
cules sur  la  nécessité  des  réformes  dans  toutes 
les  branches  de  l'administration  publique.  Dans 
les  années  1788  et  1789  seulemenl,il  publia  dix- 
sept  brochures.  Mais,  bien  que  l'activité  de  son 
esprit  ait  produit  des  écrits  utiles,  surtout  à 
la  restauration  de  l'ordre  judiciaire,  ce  n'est  pas- 
comme  publiciste,   c'est    comme  orateur  que 
Servan  est  resté  illustre.  Il  paraît  que  sa  voix 
et  son   geste  avaient  quelque  chose  d'impé- 
tueux ,  d'entraînant ,  et  que  la  chaleur  de  son 
éloquence  excitait  les  plus  vives  émotions  dans 

26. 


807 


SERVAN 


808 


l'âme  des  spectateurs.  Cependant,  la  lecture 
de  ses  plaidoyers  laisse  froid  et  fatigue  ;  tout  y 
est  tendu,  cherché,  embelli  de  figures  qui  de 
son  temps  peut-être  se  faisaient  applaudir,  mais 
qui  nous  paraissent  aujourd'hui  bizarres  et  par- 
fois ridicujgs.  On  voudrait  une  élégance  moins 
constante  et]  plus  d'abandon,  moins  de  préten- 
dus mouvements  oratoires  et  plus  de  cette  sim- 
plicité qui  laisse  les  idées  paraître  dans  toute 
leur  force.  Outre  les  Discours  cités  et  quelques 
autres  moins  importants,  il  reste  de  Servan  de 
nombreux  écrits  sur  la  législation ,  la  politique 
et  la  morale,  entre  autres  :  Réflexions  sur  les 
Confessions  de  J.-J.  Rousseau;  Paris,  1783, 
in-12;  —  Essai  sur  la  formation  des  assem- 
blées nationales,  provinciales  et  municipales  ; 
Paris,  1789,  in-8°;  —  Adresse  à  MM.  les  cu- 
rés; Paris,  1789,  in-8°;  —  Adresse  aux  amis 
de  lapaix  ;  Paris,  1789,  in-8°  ;  —  Aux  grands  ; 
Paris,  1789,  in-8°  ;  —  Entretien  de  M.  Nec- 
ker  avec  la  comtesse  de  Polignac,  le  ba- 
ron de  Breteuil  et  l'abbé  de  Vermont; 
Londres,  1789,  in-S°;  —  Essai  sur  la  conci- 
liation de  l'intérêt  et  de  la  justice,  ou  Ré- 
flexions sur  la  liquidation  du  papier-mon- 
naie en  France;  Paris,  1795,  in-12.  M.  de 
Portets  a  publié  les  Œuvres  choisies  de  Servan 
(Paris*  1823-25,  3  vol.  in-8°),  et  un  Choix 
d'oeuvres  médites  du  même  (1825,  2  vol.  in-8°). 
X.  de  Portets,  Notice,  à  la  tète  des  OEuvres  choisies. 

—  Rabbe,  vieilh  de  Boisjolin  et  Sainte-Preuve,  Biog.  univ. 
et  portât,  des  contemp.  —  Querard,  France  littéraire. 

—  Correspondance  de  Voltaire,  1767  et  1768. 
servan  de  Gerbe  y  (Joseph),  homme  d'État, 

frère  du  précédent,  né  à  Romans,  le  14  février 
1741,  mort  à  Paris,  le  10  mai  1808.  Engagé  vo- 
lontaire dans  le  régiment  de  Guienne  (1760),  il 
passa  dans  celui  du  dauphin  (1762),  y  fit  la 
campagne  de  1769  en  Corse,  et  s'éleva  au  grade 
de  capitaine  (7  juin  1772).  Il  fut  nommé  en  1779 
major  des  grenadiers  royaux  à  l'Ile  de  France.  Il 
fut  aussi  pendant  quelques  années  sous-gouver- 
neur des  pages  de  Louis  XVI.  Il  employa  ses 
loisirs  à  l'étude  des  questions  sociales,  dont  se 
préoccupaient  alors  les  esprits.  Les  principes 
qui  triomphèrent  en  1789  lui  parurent  dès  sa 
jeunesse  la  seule  base  solide  du  bonheur  des 
hommes;  c'est  en  ne  perdant  pas  ce  but  de 
vue  qu'il  écrivit  pour  l' Encyclopédie  des  ar- 
ticles sur  l'art  militaire,  et  qu'il  publia  le  Sol- 
dat citoyen  (Paris,  1781 ,  in-8°).  Lieutenant- 
colonel  dans  le  Vermandois  infanterie  (1791), 
colonel  du  104e  régiment,  le '7  mars  1792,  il  fut 
promu,  le  8  mai  suivant,  au  grade  de  maréchal 
de  camp.  Le  lendemain  9  le  parti  de  la  Gironde, 
où  il  comptait  de  nombreux  amis,  le  fit  accepter 
à  Louis  XYI  comme  ministre  de  la  guerre.  Ce 
fût  lui  qui,  à  l'insu  de  ses  collègues,  proposa  de 
former  sous  Paris  un  camp  de  vingt  mille  fédérés, 
qui  serait  destiné  à  protéger  l'assemblée  et  la 
capitale.  Ce  projet  fut  accueilli  avec  empresse- 
ment par  la  majorité  de  l'Assemblée,  composée 
de  girondins;  mais  Dumouriez  demanda  en  plein 


conseil  à  Servan,  et  avec  une  grande  vivacité,  à 
quel  titre  il  avait  fait  une  proposition  pareille.  Il 
répondit  que  c'était  à  titre  d'individu.  «  En  ce  cas,  i 
répliqua  Dumouriez,  il  ne  fallait  pas  mettre  à  î 
côté  du  nom  de  Servan  le  litre  de  ministre  delà 
guerre.  »  La  dispute  fut  si  vive,  que  sans  la  pré-  j 
sence  du  roi,  le  sang  aurait  pu  couler  dans  le 
conseil.  Quelques  jours  après  (12  juin  1792),  Ro- 
land ,  Clavière  et  Servan  recevaient  leur  démis- 
sion. Mais  dans  la  journée  du  10  août,  l'Assem-  j 
blée ,  à  l'unanimité,  les  réintégra  chacun  dans 
leur  département.  Bientôt  les  Prussiens  mena-  ! 
cèrent   la   frontière   et   même  Paris.  Servan,; 
quoique  maladif,  veilla  sans  relâche  à  l'appro-  i 
visionnement  des  armées,  au  transport  des  effets  | 
et  munitions,  et  à  la  réunion  de  nouvelles  levées.  I 
Il  partait  tous  les  jours  de  Paris  quinze  cents  à  I 
deux  mille  volontaires.  Cependant  Dumouriez 
victorieux  n'oublia  pas  son  inimitié  contre 
ministre  de  la  guerre;  il  l'accusa  d'obéir  ave< 
une  servilité  qui  ressemblait  à  l'amour  plus  qu'É 
la  complaisance,  aux  influences  de Mme Roland 
et  de  faire  échouer  tout  le  plan   d'invasion  ei 
Belgique.  Servan  donna  sa  démission  (3  octobr* 
1792),  et  fut  remplacé  parPache.  Le  conseil  exé- 
cutif l'avait  nommé ,  le  25  septembre  précédent 
lieutenant  général,  et  le  6  octobre  il  lui  remit  1< 
commandement  en  chef  de  l'armée  des  Pyrénées 
occidentales.  Servan  s'occupa  avec  activité  de  1; 
reconstituer,  et  remporta  même  quelques  avan- 
tages sur  l'ennemi.  La  chute  de  la  Gironde  en- 
traîna la  sienne.  Dénoncé  par  Robespierre,  il  fu 
destitué  (mai  1793),  conduit  à  Paris,  et  enferrm 
dans  la  prison  de  l'Abbaye ,  où  il  fut  oublié  jus 
qu'au  coup  d'État  du  9  thermidor.  Cependant  oi 
ne  lui  rendit  ses  biens  et  son  grade  que  le  23  sep 
tembre  1795.  Après  avoir  été  chargé,  en  juille 
1796,  d'inspecter  les  troupes  des  deux  armée: 
du  midi,  il  fut  admis  à  la  réforme,  et  ne  ren 
tra  en  service  actif  que  sous  le  consulat,  où  i 
commanda  la  division  militaire  de  Périgucm 
(déc.  1799),  celle  de  Toulouse  (mai   1800),  e 
devint  inspecteur  en  chef  aux  revues  (10  mar, 
1803)  Il  reçut  la  croix  d'officier  de  la  Légioi 
d'honneur,  et  fut  mis,  le  3  mai  1807,  àla  retraite 
Son  nom  figure  sur  l'arc  de  triomphe  de  l'Étoile 
Servan  a  laissé  la  réputation   d'un  homme  di 
bien,  d'un  administrateur  habile  et  d'un  généra 
médiocre.  Il  a  encore   publié  :   Projet   d'un 
constitution  pour  l'armée  des  Français;  Pa- 
ris, 1789,  in-8°,  avec  avec  Lacuée  de  Cessac 
—  Notes  sur  les  Mémoires  de  Dumouriez  et  se 
Correspondance  avec  le   général  Miranda 
Paris ,  1795,  in-8°  ;  —  Supplément  à  l'art  mi- 
litaire  de  /'Encyclopédie   méthodique;  Paris 
1802,  in-4°;  avec  Lacuée  de  Cessac  ;  —  His 
toire  des  guerres  des  Gaulois  et  des  Fran^ 
cais  en  Italie;  Paris,  1805,  7  vol.  in-8°,  atlas 
îe  t.  Ier  est  de  Jubé  de  La  Perelle;  —  Tableai 
historique  de  la  guerre  de  la  révolution  d> 
France;  Paris,  1807,  3  vol.  in-4°;  les  t.  I  et  I 
sont  de  Grimoard. 


:. 


•; 


l 


809 


SERVAN  —  SERVANDONI 


810 


Thicrs,  IUst.  de  larëv.  franc.,  t.  II.  —  Lamartine,  [Jist. 
des  Girondins,  t. 1.  —  Fastesde  la  Légion  d' honneur, l.  IV. 

servan  de Sugny  (  Pierre-François- Jules), 
poète  français,  né  le  24  novembre  1796,  à  Lyon, 
mort  le  12  octobre  1831,  près  d'Orléans.  Il  était 
le  la  famille  des  précédents  ;  sa  mère  s'appelait 
\nne  Royer  de  Sugny.  En  sortant  du  lycée  de 
Lyon,  il  alla  étudier  le  droit  à  Grenoble,  puis  à 
Paris ,  et  se  fit  inscrire  en  1824  au  barreau  de  sa 
fille  natale  ;  il  y  plaida  non  sans  succès  ;  mais  la 
rentable  vocation  de  son  talent  l'entraînait  vers 
es  lettres.  Des  études  solides  l'avaient  initié  à 
ous  les  secrets  de  la  langue  d'Horace  et  de 
/irgile,  et  elle  lui  était  devenue  à  ce  point  fa- 
nilière  qu'il  rédigeait  presque  seul,  dit-on, 
'Hermès  romanus  de  Barbier-Vémars  et  qu'il 
e  fit  connaître  par  la  publication  d'un  Alma- 
xach  des  muses  latines  (Grenoble  et  Paris, 
817-18,  2  vol.  in-12),  où  il  fournit  la  plupart 
les  pièces.  Outre  les  auteurs  anciens,  il  connais- 
ait  à  fond  les  meilleurs  d'entre  les  modernes,  et 
il  sut  tirer  des  fruits  précieux  de  la  lecture  et  de 
^comparaison  de  tant  de  modèles.  N'ayant  pas 
outefois  choisi  sa  place  dans  l'une  ou  l'autre 

f:ole  qui  se  disputait  alors  le  domaine  poétique, 
lercliant  à  réconcilier  les  novateurs  avec  les 
assiques ,  il  passa  presque  inaperçu  ;  on  ne 
endit  pointa  ses  vers  gracieux  et  faciles  Iajus- 
ice  qui  leur  était  due,  et  le  découragement  qui 
'empara  du  poète, joint  aux  cruelles  souffrances 
'un  mal  de  poitrine,  le^conduisit  rapidement  au 
ambeau.  On  a  prétendu  même  que,. par  dégoût 
)e  la  vie  et  de  ses  propres  efforts,  il  avait  lui- 
|ûême  abrégé  ses  jours.  On  a  encore  de  Jules  Ser- 

Ian:  Idylles  de  Théocrite,en  vers;  Paris,  1822, 
820,  in-8°;  —  La  Famille  grecque,  poëme, 
ffuivi  de  poésies  diverses;  Paris,  1824,  in-18; 
-  Les  JSoces  de  Pelée  et  de  Thétis,  trad.  de 
àtulle;  Paris,  1829,  in-8o;  —  Clovis  à  Tol- 
iac ,  tableau  historique  en  vers;  Paris,  1830, 
i-8o;  —  La  Chaumière  d'Oullins,  roman; 
'aris,  1830,  in-S°;  —  Le  Neveu  du  chanoine, 
u  Confessions  de  Vabbé  Guignard,  écrites 
ar  lui-même;  Paris,  1831,  4  vol.  in-12;  — 
e  Réveil  de  la  liberté,  ode;  Paris,  1831,in-8°; 
Satires  contemporaines  et  mélanges;  Pa- 
is, 1832,  in-8°  :  ce  recueil  est  dû  aux  soins 
e  Bignan,  ami  de  l'auteur,  qui  y  a  inséré,  outre 
es  écrits  imprimés,  des  fragments  drama- 
ques  et  des  morceaux  inédits;  —  Le  Suicide, 
oman;  Paris,  1832,  in-8°.  On  trouve  encore  de 
et  écrivain  des  articles  littéraires  dans  le  Mer- 
«re,la  Revue  encyclopédique,  la  Gazette  de 
,yon,\e&  Archives  du  Rhône,  etc. 

Bignan,  Notice,  à  la  tfete  des  Satires  contemp.  de  l'au- 
-  Boissieu  (A.  de),  Éloge  de  Servan  de  Sugny  ; 
1832,  in-8°.  —  Beucbot,  dans  le  Journal  de  la  li- 

rairie,  oct.  1831.  —  Nécrologe  lyonnais,  1826-1835.— 

irille,  Lettres  à  Paul  Lacroix,  1846. 

servandoni  (Jean- Jérôme) ,  architecte  et 
cintre,  né  à  Florence,  le  22  mai  1695,  mort  à 
(aris,  le  29  janvier  1766.  Il  se  livra  d'abord  à  la 
einture ,  sous  un  maître  dont  le  nom  est  resté 


yo 


inconnu  ,  puis  il  alla  à  Rome,  où  il  fréquenta  l'a- 
telier de  G.-P.  Panini.  Afin  de  mettre  plus  de 
correction  dans  ses  paysages,  accompagnés  de 
ruines,  il  prit  de  G.-G.  de'  Rossi  des  leçons  d'ar- 
chitecture. Entraîné  par  le  goût  des  voyages ,  il 
partit  pour  le  Portugal,  où  on  lui  demanda  des 
décorations  pour  les  fêtes  publiques  et  pour  le 
Théâtre- Italien  de  Lisbonne.  Cette  nouvelle 
branche  de  l'art  convenait  à  son  imagination,  riche 
et  féconde,  et  le  succès  qu'il  obtint  lui  mérita 
l'ordre  du  Christ.  De  là  vient  le  titre  de  chevalier, 
qu'on  ajoute  souvent  à  son  nom.  En  1724  il  vint 
en  France,  et  fut  attaché  à  l'Opéra,  pour  lequel  il 
peignit,  en  1728,  les  décorations,  si  pittoresques, 
à'Orion.  En  1731,  il  se  présenta  à  l'Académie  de 
peinture,  et  fut  reçu  par  acclamation  ;  son  tableau 
représentant  un  Temple  et  des  ruines  est  au 
musée  du  Louvre.  En  1732,  il  fut  nommé  archi- 
tecte du  roi  et  chargé  de  la  construction  du  por- 
tail de  l'église  de  Saint-Sulpice  (1733-1745).  La 
beauté  de  cet  édifice,  son  caractère  noble  et  impo- 
sant, qui  résulte  de  l'harmonie  qui  règne  dans 
toutes  ses  parties,  attestent  le  goût  et  le  génie  de 
l'architecte  (1).  Cette  église  lui  doit  aussi  la  ma- 
gnifique chapelle  de  la  Vierge  et  les  tribunes  de 
l'orgue.  On  peut  encore  citer  de  lui  le  portail  de 
l'Enfant  Jésus,  à  Paris,  le  maître  autel  des  Char- 
treux de  Lyon  et  celui  de  la  cathédrale  de  Sens,  et 
l'église  de  Coulanges  en  Bourgogne.  Quant  aux 
projets  dont  il  est  auteur,  le  nombre  en  est  incal- 
culable. On  lui  en  demandait  de  tous  côtés,  «"t.  il 
les  concevait  avec  une  promptitude  et  une  variété 
d'invention  peu  ordinaires.  Son  projet  pour  la 
décoration  de  la  place  Louis  XV  est  un  de  ceux 
qui  attestent  le  mieux  sa  préoccupation  constante 
des  effets,  son  goût  pour  les  choses  d'apparat,  qui 
souvent  l'entraîna  dans  l'oubli  des  règles  :  il  vou- 
lait disposer  cette  place  pour  les  fêtes  publiques, 
et  il  l'ornait  de  360  colonnes  et  d'une  double  ga- 
lerie et  de  péristyles.  En  1738,  Servandoni  avait 
obtenu  la  jouissance  de  la  salle  dite  des  Ma-: 
chines  aux  Tuileries,  et  il  y  donna  de  nombreuses 
représentations  de  scènes  dramatiques  qui  n'é- 
taient que  le  prétexte  de  décorations  magnifiques. 
En  1739,  il  avait  dirigé  les  fêtes  splendides  qui 
eurent  lieu  à  l'occasion  de  la  paix  et  du  mariage 
d'Elisabeth  de  France  avec  l'infant  d!Espagne  Phi- 
lippe. Parmi  les  scènes  qu'il  produisit  sur  son 
théâtre,  les  plus  remarquables  furent  la  Descente 
d'Énée  aux  enfers  (1740),  le  Retour  d'Ulysse 
à  Ithaque  (1741),  Héro  et  Léandre  (1742),  la 
Forêt  enchantée  du  Tasse  (1745),  etc.  Eu  1749, 
il  fut  appelé  à  Londres  pour  présider  à  un  pro- 
digieux feu  d'artifice,  qui  coûta,  dit-on,  cent  mille 

(1)  Les  tours  étalent  dans  l'origine  fort  basses  ,  et  en 
quelque  sorte  réunies  par  un  fronton  qui,  dégradé  en 
1770,  a  été  remplacé  par  une  balustrade.  Plus  tard  Je  curé 
les  fit  démolir,  et  un  architecte  médiocre,  Maclaurin, 
éleva  des  tours,  pires  que  celles  de  Servandoni/  à  en 
juger  d'après  celle  qui  existe  encore  au  midi;  celle  du 
nord  a  été  refaite  par  Chalgrln  en]i777,  et  il  serait  bien  à 
désirer  que  la  seconde  fût  à  son  tour  reconstruite  sur  le 
même  modèle. 


821 


SERVANDONI —  SERVEÏ 


8!2 


guinées;  en  1755,  il  fît  pour  Auguste  III,  roi  de 
Pologne,  la  place  du  théâtre  de  Dresde  et  les  dé- 
corations de  l'opéra  d'Aétius,  qui  lui  valurent 
une  pension  et  le  titre  d'architecte  décorateur  de 
ce  prince;  à  Vienne,  en  1760,  il  fut  chargé  de  la 
direction  des  fêtes  du  mariage  de  Joseph  II  avec 
l'infante  Isabelle;  il  donna  au  duc  de  Wurtem- 
berg des  spectacles  qui  n'encoururent  d'autre 
reproche  que  celui  d'avoir  nécessité  des  dépenses 
hors  de  proportion  avec  les  finances  d'un  si 
petit  État. 

Servandoni  s'était  marié  à  Londres;  il  mourut 
à  Paris,  laissant  la  réputation  d'un  homme  géné- 
reux, prodigue  même,  ayant  moins  travaillé  pour 
le  gain  que  pour  la  gloire.  Son  style  en  archi- 
tecture fut  grandiose  et  de  meilleur  goût  géné- 
ralement que  celui  de  ses  contemporains.  Son 
nom  a  été  donné  à  la  rue  qu'il  habitait  derrière 
Saint-Sulpice.  E.  B— n. 

Quatremère  de  Quincy,  Vies  des  architectes.  —  Ticozzi, 
Dizionario.  —  Winckelmann.  Neues  Mahlerlexihon. 
—  Magasin  pittoresque,  t.  I  et  XVIII. 

seîivèt  (Michel),  médecin  et  philosophe 
espagnol,  né  en  1509,  à  Villanueva  (Aragon), 
brûlé  à  Genève,  le  27  octobre  1553.  Il  quitta  l'Es- 
pagne à  dix-neuf  ans.  Ayant  commencé  l'étude 
du  droit  à  Toulouse,  il  l'abandonna  bientôt  pour 
.se  livrer  avec  passion  à  celle  des  questions  reli- 
gieuses soulevées  par  la  réforme  naissante.  En 
1530,  il  se  rendit  à  Bâle  auprès  d'Œcolampade 
et  à  Strasbourg  près  de  Bucer  et  de  Capito.  Ses 
audacieuses  négations  épouvantèrent  ceux-ci  : 
ils  s'unirent  pour  maudire  «  le  méchant  et  scé- 
lérat Espagnol  ».  Servet  en  appela  de  cet  ana- 
thèmeau  public  par  son  livre  De  Trinitatis  er- 
roribus  lib.  VII  (Haguenau,  1531,  in-8°;  Nu- 
remberg, 1791,  ia-12)  et  des  Dialogues  sur  le 
même  sujet  (ibid.,  1532,in-8°).  La  doctrine 
de  Servet  fit  un  tel  scandale  en  Allemagne  qu'il 
changea  son  nom  en  celui  de  Michel  de  Ville- 
neuve, et  gagna  la  France.  En  1533,  il  vivait  à 
Paris,  étudiant  la  médecine  sous  Sylvius  etFernel. 
Il  y  prit  le  bonnet  de  docteur,  et  professa  avec 
éclat  au  collège  des  Lombards.  Ii  donnait  dans 
les  visions  de  l'astrologie  judiciaire  ;  il  devinait 
la  circulation  du  sang ,  que  Harley  démontra 
soixante  ans  plus  tard  (1).  Il  attaqua  même  vio- 
lemment Gallien  et  la  Faculté  dans  son  traité  sur 
les  sirops  (Syruporum  universa  ratio;  Paris, 
1537,  in-8°  ;  Lyon,  1546,  in-8°  ).  C'est  alors  que 

(1)  Voici  comment  s'exprime  M.  Flourens  à  cet  égard  : 
«  Comment  une  découverte  de  pure  et  profonde  physio- 
logie se  trouve-t-clle  dans  un  livre  sur  la  Restitution  du 
christianisme?  Quand  on  jette  un  coup  d'oeil  sur  les 
écrits  de  Servet,  on  s'aperçoit  bien  vite  du  parti  qu'il  a 
pris,  en  théologie,  de  s'attacher  uniquement  et  obstiné- 
ment au  sens  littéral....  L'ÉcFiture  dit  que  l'âme  est 
dans  le  sang,  que  l'âme  est  le  sang  môme.  Alors,  dit 
Servet,  pour  savoir  comment  se  forme  l'âme,  il  faut 
voir  comment  se  forme  le  sang;  pour  savoir  comment 
il  se  forme,  il  faut  voir  comment  il  se  meut,  et  c'est 
ainsi  que,  à  propos  de  la  Restitution  du  christianisme, 
il  est  conduit  à  la  formation  de  l'âme,  de  la  formation 
de  l'âme  à  celle  du  sang,  et  de  la  formation  du  sang  à 
la  circulation  pulmonaire.  »  Voy.  le  Journal  des  sa- 
vants, avril  185*. 


Servet  rencontra  Calvin  pour  la  première  fois. 
Après  plusieurs  conférences,  ils  avaient  pris  jour 
pour  un  cartel  théologique  ;  mais  Servet  man- 
qua à  sa  parole.  Il  sortit  de  Paris  en  1538,  et 
s'établit  successivement  à  Lyon ,  à  Charlieu,  à 
Avignon,  peut-être  en  Italie.  Obligé  pour  vivre 
de  se  mettre  aux  gages  des  libraires,  il  publia 
une  édition  delà  Géographie  de  Ptolémée  (  Lyon, 
1535,  in-fol.,  fig. ;  Vienne  en  Dauphiné,  1541, 
in-fol.,  très-rare),  une  Bible  annotée  (Lyon. 
1542,  in-fol.  )  et  des  arguments  pour  une  Sommi 
espagnole  de  saint  Thomas.  Un  ami  des  lettres. 
Pierre  Paulmier,  archevêque  de  Vienne,  lui 
donna,  en  1541,  un  asile  honorable  dans  soi 
palais,  Servet  avait  formé  le  projet  de  converti] 
Calvin  à  ses  doctrines  :  mis  en  communicatior 
avec  lui  par  le  libraire  lyonnais  Frellon ,  il  ni 
fit  qu'irriter  son  ancien  antagoniste.  Le  prO' 
sélytisme  et  aussi  l'orgueil  le  poussèrent  alor; 
à  publier  son  grand  ouvrage  de  la  Reslitutioj 
du  christianisme  (1).  L'obscurité  des  idées 
les  incorrections  du  style,  la  rareté  du  livre  lui- 
même  ont  fait  porter  sur  la  doctrine  de  Serve 
des  jugements  contradictoires.  Voici  en  quo 
elle  consiste  :  Luther  et  Calvin  ont  attaqué  I< 
dogme  catholique  en  un  point,  la  rédemption 
mais  d'autres  points  du  christianisme  primiti 
ont  été  corrompus  par  Rome;  il  faut  une  révo 
lution.  Servet  aspirait  donc  à  refondre  l'cnsemhli 
de  tous  les  mystères;  comme  le  théologien  es 
doublé  chez  lui  d'un  philosophe ,  il  explique  l 
dogme  religieux  à  l'aide  d'un  système  de  la  mé 
taphysique  avec  le  panthéisme  néo-platonicien 
en  faveur  depuis  la  renaissance;  il  admet  l'indi 
visibilité  absolue  de  Dieu,  et  nie  par  conséquen 
toute  diversité  nécessaire,  toute  distinction  d< 
personnes  en  lui.  Dieu,  un,  simple,  entre  en  rap 
port  avec  le  monde  par  les  idées,  à  la  fois  type 
éternels  et  principes  substantiels  et  actifs  des  être: 
qui  sont  contenus  en  elles.  Dieu  est  tout,  ton 
est  Dieu.  Servet  refuse  ainsi  de  reconnaître  deu: 
natures  en  Jésus-Christ,  et  soutient  que  c'est  1 
fils  de  Marie  qui  est  consubstantiel  à  Dieu.  Il  es 
un  intermédiaire  entre  Dieu  et  l'homme,  en  c 
sens  que  Dieu  se  manifeste  par  lui  et  que  tous  le 
êtres  émanent  de  lui.  Servet  admet  l'incarnation 
mais  l'explication  rationaliste  qu'il  en  donni 
détruit  ce  dogme.  Il  attaque  même  la  moral 
chrétienne  en  niant  la  transmission  du  péch 

(1)  En  voici  le  titre  :  Christianisme  restilutio.  Totiu 
ecclesise  apostolicœ  ad  sua  limina  vocatio ,  in  inte 
gntm  restituta  cognitione  Dei,  fldei  Christi,  justiflea 
tionis  nostrse,  regenerationis  baptismi  et  cœuœ  Domin 
manducationis ;  s.  1.  (Vienne  en  Dauphiné),  1653, in  8 
de  734  p.  :  cet  ouvrage,  signé  in  fine  des  initiales  M.  S.  V 
fut  tiré  à  800  exemplaires  ;  il  n'en  existe  plus  que  dem 
l'un  dans  la  Bibl.  luip.  de  Paris,  l'autre  dans  celle  d 
Vienne.  L'exemplaire  de  Paris  avait  appartenu  à  Colla 
don,  un  des  accusateurs  de  Servet,  et  fut  placé  sur  1 
bûcher;  quelques  pages  portent  les  traces  des  flamme: 
Ce  livre  si  célèbre  a  donné  lieu  à  deux  réimpression 
seulement;  encore  celle  qu'avait  entreprise  le  doîLeu 
Mead  ù  Londres  n'a  pas  été  achevée;  l'autre  est  de  Mui 
(Nuremberg,  1790,  in-8°),  et  reproduit  fidèlement  l'or! 
glnal. 


813 


SERVET  —  SERV1EN 


811 


originel  et  en  ne  reconnaissant  pas  la  nécessité 
de  la  grâce  ni  celle  de  la  foi  pour  le  salut.  Cette 
doctrine,  dégagéede  ses  principes  philosophiques, 
aboutissait  pratiquement  aux  conséquences  du 
socinianisme  ;  elle",soulevait  les  chrétiens  de  tous 
les  partis.  On  peut  dire  pourtant  avec  Saisset 
«  qu'il  essaya,  non  sans  génie,  une  sorte  de  dé- 
duction rationnelle  des  mystères  du  christia- 
nisme »,  et  qu'il  fut  le  «  précurseur  inattendu 
de  Spinosa  et  de  Strauss.  » 

Calvin  prévit  que  les  excès  de  Servet  feraient 
tort  à  la  cause  commune.  D'ailleurs  ce  dernier 
l'avait  pris  à  partie  personnellement;  l'impla- 
cable sectaire  saisit  avec  empressement  l'occa- 
sion de  venger  son  amour-propre  en  même 
temps  que  de  sauver  sa  foi.  Servet  fut  dénoncé, 
probablement  à  son  instigation ,  à  l'inquisition 
et  au  cardinal  de  Tournon,  archevêque  de 
Lyon,  et  Calvin  se.  laissa  arracher  des  lettres 
confidentielles  qui  servirent  de  témoignage  contre 
l'accusé.  Celui-ci  fut  mis  en  prison.  S'étant 
évadé,  il  eut  la  malheureuse  idée,  pour  se  rendre 
en  Italie,  de  passer  par  la  Suisse,  et  de  s'ar- 
rêter à  Genève  près  d'un  mois  à  l'hôtel  de  la 
Mose.  Calvin,  qui  sans  doute  craignait  de  le 
voir  s'unir  au  parti  puissant  des  libertins,  et 
qui  voyait1  peut-être  aussi  dans  sa  présence  une 
sorte  de  défi  et  de  provocation,  le  dénonça  (août 
1553).  Sept  ans  auparavant  il  avait  prédit  à  Servet 
lui-même  que  s'il  venait  à  Genève,  il  n'en  sor- 
tirait <pas  vivant.  Il  avait  donc  prémédité  la  mort 
de  son  ennemi,  et  cette  vengeance  lui  parut  d'au- 
tant-plus  nécessaire  qu'elle  servait  sa  politique. 
L'hérésie  était  d'ailleurs  un  crime  pour  les  pro- 
testants comme  pour  les  catholiques.  Non  content 
d'avoir  fait  arrêter  Servet,  il  conduisit  les  débats, 
prêcha  contre  lui ,  et  le  réfuta  dans  les  traités 
intitulés  Sentenlix  excerptx  ex  libris  Serveti 
et  Brevis  rejutatio  errorum.  Servet  se  dé- 
fendit avec  énergie.  Le  procès  dura  trois  mois; 
les  débats  y  eurent  le  caractère  d'une  pédanterie 
féroce;  les  souffrances  de  Servet  l'exaspéraient; 
•après  avoir  attaqué  lui-même  Calvin,  il  refusa  de 
lui  répondre;  c'était  courir  à  sa  perte.  Dans  sa 
fureur,  Calvin  alla  jusqu'à  provoquer  les  églises 
des  cantons  à  porter  des  sentences  défavorables 
au  vaincu.  Servet  fut  condamné,  malgré  les  ef- 
forts du  président  du  conseil  de  la  république, 
Amied  Perrin,  à  être  brûlé  vif  (26  octobre).  Ser- 
ve!, resté  inébranlable  dans  sa  foi ,  refusa  de  se 
rétracter  malgré  les  instances  de  Farel,  accouru 
de  Lausanne  pour  l'assister  dans  ses  moments 
suprêmes.  Le  lendemain  27,  il  marcha,  à  la 
mort  d'un  pas  ferme  en  s'écriant  :  «  O  Dieu  ! 
sauve  mon  âme!  ô  Jésus,  lîls  du  Dieu  éternel, 
aie  pitié  de  moi!  »  dernier  témoignage  de  sa  foi. 
En  voyant  s'allumer  le  bûcher,  il  poussa  un  cri 
déchirant,  et  expira  après  une  demi  -  heure 
d'affreux  tourments.  Une  tradition  populaire, 
dénuée  d'authenticité ,  représente  Calvin  caché 
derrière  une  fenêtre  pour  repaître  ses  yeux  du 
-•supplice  de  sa  victime;  c'est  une  erreur.  Il  paraît 


même  que  Calvin  aurait  désiré  que  Servit  ne 
fût  pas  brûlé.  Cependant,  il  n'en  maintint  pas 
moins  avec  énergie,  ainsi  que  Th.  de  Bèze,  le 
droit  qu'il  avait  de  châtier  les  hérétiques. 

Outre  les  ouvrages  cités,  on  a  encore  de  Ser- 
vet :  In  Léon.  Fuclisium  apologia  pro  Symph. 
Campegio;  Paris,  1536,  in-8"  ;  —  Apolugelica 
disceptalio  pro  astrologia  ;  Paris,  1 538,  in-8°  : 
écrit  dirigé  contre  les  médecins  de  Paris  et  sup- 
primé par  arrêt  du  parlement.  On  lui  a  attribué 
sans  fondement  le  Thésaurus  animx  Chris- 
tianx.  G.  R. 

Boysen,  JJistoria  Mich.  Servcti  ;  Wlttcmberg,  1712, 
tn-4°.  —Impartial  history  0/  Midi.  Servetus  ,-  Londres , 
1721,  in-8».  —  Alvvœrden,  Hist.  M.  Serveti;  Helmstseclt, 
1727,  ln-4°.  —  Mosheim,  Geschichte  Midi.  Serveti; 
IU-lmst.,  1748,  in-40.—  Trectisel,  Mich.  Servet  und  seine 
f'orgoenger;  Heldelberg,  1839,  in-8».  —  Drummond, 
Life  of  Mich. Servetus,  Vie  spunisfi  physician  ;  Londres, 
1848,  in-12.  —  Wigand,  De  Servetismo  ;  Ratisbonnc,  1575, 
in-8°.  —  Chaufepié,  Dict.  fiist.  —  Saisset,  dans  la  Revue  des 
deux  mondes,  15  février  et  1er  mars  1848.  —  Bungener, 
Fie  de  Calvin.  —  Audin,  ld.  —  Sand,  Bibl.  antitrini- 
tariorum.  —  Grégoire,  Hist.  des  sectes  religieuses,  t.  II. 
—  Schadé,  Éludes  sur  le  procès  de  Servet;  Strasbourg, 
1853,  in-8°.  —  Dict.  des  sciences  philos.  —  Mém.  de  la 
Soc.  d'hitt.  et  d'archéol.  de  Genève,  t.  III,  p.  158. 

servien  (Abel),  marquis  de  Sablé  et  de 
Boisdauphin,  comte  de  la  Roche-Servien ,  cé- 
lèbre diplomate  français,  né  à  Grenoble,  en  1593, 
mort  au  château  de  Meudon,  le  17  février  J659. 
Fils  d'Antoine  Servien,  procureur  général  des 
états  du  Dauphiné(l),  il  fut  pourvu,  dès  1616, 
de  la  même  charge  près  le  parlement  de  Gre- 
noble. En  1617  il  siégea  dans  l'assemblée  des 
notables  tenue  à  Rouen,  et  reçut  en  1618  le  bre- 
vet de  conseiller  d'État.  Appelé  à  Paris,  le  22 
mars  1624,  comme  maître  des  requêtes  de  l'hô- 
tel, il  prit  part  à  la  délibération  des  affaires,  et 
se  fit  remarquer  de  Richelieu,  qui,  le  (3  avril 
suivant, entra  au  conseil.  Dansées  fonctions,  «  il 
montra  si  haut  ce  qu'il  valait  »,  que  lors  du  bou- 
leversement des  huguenots  dans  le  midi  il  fut 
envoyé  en  Guienne,  en  qualité  d'intendant  de 
justice  (1627).  Le  parlement  de  Bordeaux,  hos- 
tile à  cette  création  nouvelle  des  intendants,  qui 
faisait  échec  au  pouvoir  parlementaire,  lança 
d'abord  des  arrêts  contre  lui;  mais  Servien  sut 
calmer  ces  défiances  en  même  temps  que  servir 
efficacement  le  roi.  En  1628  il  mit  fin  au  diffé- 
rend élevé  entre  la  France  et  l'Espagne  à  l'oc- 
casion des  vallées  de  Baréges  et  Brotto ,  et  fixa 
les  frontières  des  deux  États;  ce  fut  son  début 
dans  la  carrière  diplomatique.  Envoyé  en  1629  à 
Turin  pour  résoudre  les  difficultés  pendantes 
entre  les  ducs  de  Mantoue  et  de  Savoie,  il  ne 
put  y  parvenir,  et  exerça  en  1630  les  fonctions 
de  sous-intendant  dans  l'armée  d'Italie  com- 
mandée par  le  cardinal.  La  même  année  le  vit 
en  outre  président  en  la  justice  souveraine 
de  Pignerol ,  président  du  parlement  de  Bor- 
deaux (26  juin),  et  secrétaire  d'État  de  la  guerre 
(Il  décembre).  Toutefois  son  habileté  diploma- 

(1)  Son  grand-père,  Gérard,  était  conseiller  au  parle- 
ment de  Grenoble,  ou  simple  huissier,  comme  l'assure 
T.illemont  (k-sRêaux. 


815 


SERVIEN 


816 


tique  le  fit  de  nouveau  députer,  avec  le  maré- 
chal de  Toiras,  comme  ambassadeur  extraordi- 
naire en  Italie.  Dans  les  négociations  qui  sui- 
virent, sa  moralité  se  montra  inférieure  à  sa  ca- 
pacité, et  il  manifesta  à  supporter  tout  partage 
dans  l'autorité  cette  impatience  qui  le  porta 
à  desservir  alors  son  collègue  Toiras ,  comme 
plus  tard  le  comte  d'Avaux.  Sa  politique  tendit 
à  éluder  l'imprudent  traité  de  Ratisbonne  et  l'é- 
vacuation du  Piémont,  Par  le  traité  ostensible  de 
Cherasco  (6  avril  1631),  les  ambassadeurs  fran- 
çais, en  compensation  de  l'investiture  du  duché 
de  Mantoue  donnée  par  l'empereur  au  duc  de  Ne- 
vers,  abandonnèrent  à  Victor- Amédée  Ifir  tout  ce 
que  la  France  avait  conquis  en  Savoie  et  en  Pié- 
mont; mais,  par  un  traité  secret  et  antérieur  avec 
Victor- Amédée  lui-même,  ils  avaient  eu  soin  de 
se  faire  céder  Pignerol  et  les  forteresses  vau- 
doises  (3 1  mars  )  ;  cette  dernière  transaction  fut 
rendue  publique  le  19  octobre  1631.  Un  dernier 
traité  (5  mai  1632)  termina  cette  babile  négo 
dation,  en  dispensant  la  France  de  payer  la 
somme  qu'elle  avait  promise  pour  Pignerol.  Mais 
déjà  Servien  était  de  retour  en  France,  non  sans 
s'être  fait  très-apprécier  de  Mazarin,  alors  simple 
médiateur  du  traité  de  Cherasco.  En  1634  l'A- 
cadémie française  l'admit  parmi  ses  membres  (1). 
Ainsi  brillante  et  élevée,  la  situation  de  Servien 
s'écroula  pourtant  deux  ans  plus  tard,  d'une  chute 
soudaine  (16  février  1636).  Quelle  en  fut  la  cause? 
Peut-être  l'esprit  dominateur  et  inflexible  de 
Servien,  qui  fit  ombragea  Richelieu  lui-même; 
mais  certainement  aussi  les  intrigues  de  cour, 
qui  expliquent  tant  de  choses  de  l'ancienne 
France. Servien n'attenditpas  la  disgrâce;  il  remit 
de  lui-même  sa  charge,  et  reçut  de  Sublet  de 
Noyers ,  son  successeur,  cent  mille  écus. 

Jusqu'à  la  mort  de  Louis  XIII,  Servien  vécut 
à  Angers  ou  dans  sa  terre.de  Sablé.  «  Il  y  chassoit 
et  coquettoit  »,dit  Tallemant.  Mais  il  finit  par  se 
prendre  à  ses  propres  appeaux,  et  «  quoiqu'il  ne 
fût  pas  trop  épouseur  »  il  s'y  maria  avec  une 
jeune  femme,  «"jolie  et  coquette  et  qui  eût  été  la 
petite-fille  de  son  mari  »,  Augustine  Le  Roux, 
veuve  du  comte  d'Onzain.  La  toute-puissance 
de  Mazarin  le  rappela  aux  affaires.  Destiné  d'a- 
bord à  l'ambassade  de  Rome  ,-1'influence  de  son 
neveu,  Hugues  de  Lionne,  le  fit  substituer  à 
Chavigny  pour  aller  débattre  à  Munster  les 
conditions  d'une  paix  générale  (1643).  Sans  vou- 
loir entrer  dans  les  détails'des  longues  négocia- 
tions des  traités  de  Westphalie,  où  Servien  ne 
se  rendit  pas  moins  célèbre  par  son  habileté  que 
par  son  humeur  altière,  qui  le  fit  appeler  «  l'ange 
exterminateur  de  la  paix  »,  et  où  ses  querelles 
avec  lé  comte  d'Avaux  n'occupèrent  pas  moins 
la  renommée  que  ses  discussions  diplomatiques 
avec  les  envoyés  des  autres  puissances,  disons 

(1)  «  Le  13  marsM'Académle,  écrit  Pellisson,  se  tenant 
honorée  de  la  priOre  que  M.  Servien  lui  a  fait  faire  d'y 
Être  admis,  a  résolu  qu'il  en  sera  remercié...  Le 
10  avril,  M.  Servien  y  vint,  et  ût  son  compliment.» 


que  l'histoire  n'a  peut-être  pas  encore  dit  la 
vraie  raison  de  cette  attitude  singulière  de 
Servien;  elle  ne  fut  le  plus  souvent  qu'une 
adroite  comédie,  dont  Mazarin  avait  le  mot,  et 
destinée  à  traîner  en  longueur  des  négociations 
que  le  cardinal  voulait  clore  à  son  jour  et  à  son 
heure.  Il  est  en  effet  un  point  certain,  c'est  que 
Servien  eut  seul  le  secret  de  Mazarin,  qui  vou- 
lait continuer  la  guerre.  Servien  et  d'Avaux, 
nommés  plénipotentiaires,  n'arrivèrent  à  Munster 
qu'en  mars  1644,  bien  que  les  conférences  fussent 
ouvertes  depuis  le  mois  de  juillet  précédent. 
Alors  commencèrent  d'interminables  contesta- 
tions de  préséance,  où  Mme  Servien  ne  laissa  pas 
de  jouer  son  rôle;  puis  survinrent  des  débats, 
plus  irritants  et  plus  sérieux,  entre  Servien  et 
d'Avaux  sur  la  rédaction  et  la  signature  des  dé- 
pêches ,  et  qui  aboutirent  à  créer  deux  corres- 
pondances diplomatiques  séparées,  et  où  d'A- 
vaux accusait  son  collègue  de  libelles  diffa- 
matoires ,  tandis  que  Servien  se  disait  menacé 
dans  son  existence  même  par  d'Avaux.  Le  duc 
de  Longueville,  envoyé  en  1645  pour  concilier 
les  deux  ambassadeurs,  rentra  en  France  en 
1647,  fatigué  qu'il  était  de  ces  interminables 
lenteurs  ;  l'inimitié  reparut  plus  vive  que  jamais 
entre  Servien  et  d'Avaux  :  ce  dernier  fut  rap- 
pelé en  1648,  sous  un  prétexte  honorable,  et 
Servien  signa  seul  les  deux  traités  du  24  oc- 
tobre 1648.  Dès  le  30  janvier  la  paix  avait  été 
signée  entre  l'Espagne  et  les  Provinces-Unies, 
par  suite  de  la  conduite  trop  peu  modérée  de 
Servien.  11  s'était  rendu  en  effet  inopinément  à  La 
Haye,  afin  d'engager  les  états  généraux  à  sus- 
pendre leurs  négociations  avec  l'Espagne;  mais  il 
prononça  devant  eux  un  discours  véhément, 
auquel  le  président  ne  répondit  qu'en  termes- 
vagues.  Tout  oe  qu'il  put  obtenir  fut  un  traité  de 
garantie  mutuelle  de  leurs  États  respectifs,  entre 
la  France  et  les  Provinces-Unies  (29  juillet  1647  ). 
De  retour  en  France,  Servien  reçut,  pour  prix 
de  ses  services,  le  titre  de  ministre  d'État  (24  avril 
1649).  Pendant  la  Fronde,  sacrifié  avec  de  Lionne 
et  LeTellier,aux  impérieuses  exigences  de  Condé, 
il  resta  fidèle  à  Mazarin.  Aussi  fut-il  appelé,  con- 
jointement avec  Fouquet,  à  la  surintendance  des 
finances  (2  janvier  1653).  Mais  Mazarin  se  lassa 
bientôt  de  la  roideur,  probe  mais  brusque,  de  Ser- 
vien; il  vit  en  lui  une  sorte  d'épouvantail  pour 
ces  gens  d'affaires,  dont  les  expédients  lui  étaient 
si  commodes.  Fouquet  fut  seul  chargé  des  re- 
cettes (  c'était  la  partie  délicate);  Servien,  de  celle 
des  dépenses.  Heureuse  combinaison,-qui  procura 
à  Mazarin  une  épargne  de  300  millions  et  de 
riches  dots  pour  ses  nièces  !  C'est  d-ans  l'exer- 
cice amoindri  de  ces  fonctions  qu'il  mourut.  Il 
■  fut  enterré,  près  de  sa  femme,  morte  en  1652, 
dans  l'église  des  Ardilliers,  de  Saumur.  Comme 
beaucoup  de  ministres  des  finances,  Servien  fut 
ipeu  regretté,  «pas  même,  dit  Tallemant,  de  ses 
1  valets  de  chambre  ».  Il  laissa  près  de  1,600,000 
livres  de  dettes,  en  partie  contractées  pour  sou- 


fi  817  SERV1EN 

j  tenir  l'éclat  d'une  alliance  illustre,  celle  du  duc 

'  de  Saint-Aignan ,  mari  de  sa  nièce,  Antoinette 

BServien.  Tout  en  tenant  compte  de  cette  «  bile 

>!fière  et  brûlante  »  et  de  cette  hauteur  qui  rendit 

|| son  commerce  si  difficile,  on  peut  reproduire  ce 

portrait  de  Servien,  fait  par  un  contemporain  : 

Bien  qu'il  fût  extrêmement  appliqué  aux  affaires, 

I  ne  laissait  pas  d'aimer  la  musique,  la  chasse, 

a  promenade  et  la  bonne  chère,  qui  faisaient  ses 

)rincipaux  divertissements.  Il  était  encore  ga- 

ant  et  faisait  facilement  des  vers.  11  avait  fort 

)onne  mine,  et  un  œil  qu'il  avait  perdu  par  ac- 

ident  défigurait  peu  son  visage.  »  Le  P.  Bou- 

eant,  l'historien  des  traités  de  Westphalie, 

dit  de  lui  :  «  Il  avait  l'esprit  vif  et  pénétrant.  Il 

tait  prompt  dans  ses  relations  et  ferme  jusqu'à 

opiniâtreté.  Il  écrivait  avec  feu  et  justesse,  et 

'il  n'avait  pas  l'esprit  aussi  orné  que  le  comte 

'Avaux,  il  avait  le  style  plus  serré  et  plus  fort.  » 

De  son  mariage,  il  avait  eu  Marie-Antoinette, 

uchesse  de  Sully,  morte  le  16  janvier  1702; 

■ouis- François,  marquis  de  Sablé,  mort  le  29 

un  1710,  sans  avoir  été  marié;  et  Augustin, 

it  l'abbé  Servien,  mort  le  6  octobre  1716.  On 

ossède  de  Servien  les  ouvrages  suivants  :  Ha- 

angue  faite   à   La     Haye,  en  V Assemblée 

es  États;  Paris,  1647,  in-4°;  —  Lettres  de 

TM.  d" Avaux  et  Servien:  Cologne,  1650;  — 

uelqucs  écrits  dans  les  Divers  Mémoires  con- 

îrnant  les  dernières  guerres  d'Jtalie  (  Paris, 

665,  in-12),  et  dans  les  Négociations  secrètes 

nichant  la  paix  (  La  Haye ,  1725,  in  fol.).  Son 

ortrait  a  été  gravé  par  Lasne,   Moncornet, 

(ellan  et  Bignon.  Eug.  Asse. 

G.  Ménnge,  Ilist.  de  Sablé.  —  Tallemant  des  Réaux, 
iistoriettes.  —  Ch.  Cotin,  Or aison  funèbre  ;  1698,  in-4«. 
Jacques  Bigout,  Idem ,  1659,  in-4°.  —Mémoires  de 
vuquet.  —  Fauvelet  du  Toc,  Hist.  des  conseillers  d'É- 
\t.  —  Moréri,  Grand  Dict.  hist.  —  Rochas  ,  Biogr.  du 
miphiné. 

serviez. (Jacques  Boergas  de),  historien 
i-ançais,  né  le  16  avril  1679,  à  Saint-Gervais 
diocèse  de  Castres),  mort  en  janvier  1727,  à 
aris.  Sous  les  yeux  de  Percin  de  Montgaillard, 
fêque  de  Saint-Pons,  il  reçut  une  éducation 
»ignée;  puis  il  étudia  le  droit  à  Montpellier, 
oyagea  en  Italie,  et  s'arrêta  à  Borne,  où  il 
iaida  avec  succès,  devant  le  sacré  collège,  la 
ause  d'une  vieille  religieuse  qui  réclamait  la 
^solution  de  ses  vœux.  Sous  la  régence,  il  vint 
ibiter  Paris,  et  s'adonna  entièrement  à  la  cui- 
re de  l'histoire.  On  a  de  lui  :  Les  Femmes 
es  douze  premiers  Césars  ;  Paris,  1718,  in-12  ; 
Jmpr.  sous  ce  titre:  les  Impératrices  romai- 
ns, en  1720, 2  vol.,  et  en  1728, 3  vol.  in-12  ;  l'édit. 
i  1744  est  la  plus  correcte  :  c'est  une  histoire 
irieuse  et  bien  écrite,  selon Lenglet-Dufresnoy; 
-  Les  Hommes  illustres  du  Languedoc;  Bé- 
ers;  1723,  in-12  :  ouvrage  qu'il  n'a  pas  continué, 
|>n  plus  que  le  précédent,  qu'il  voulait  conduire 
jsqu'à  la  chute  de  Constantinople  ;  —  Le  Ca- 
riée, roman;  Genève,  1724,  in-12.  On  lui  a 
i  al  à  propos  attribué  V Histoire  secrète  des  fem- 


—  SERVIN 


818 


mes  galantes  de  l'antiquité,  qui  est  de  Dubois. 

Dcscssarts ,  Siècles  littér.,  VI.  —  Magasin encycl.,  t.  V. 

SEiiviLius  (Cneius),  consul  romain,  mort 
en  180  avant  J.-C.  En  212  il  parvint  à  ravi- 
tailler la  citadelle  de  Tarente,  assiégée  par  Anni- 
bal.  Il  fut  élu  pontife  en  210,  édile  plébéien  en 
209,  édile  curule  en  208,  et  dans  cette  dernière 
année  le  dictateur  T.  Manlius  Torquatus  le 
choisit  pour  maître  des  cavaliers.  Préteur  en 
206,  il  eut  pour  province  la  Sicile,  et  consul  en 
203,  avec  l'Étrurie  pour  province,  il  envahit  la 
Gaule  Cisalpine,  où  il  délivra  son  père  d'une  cap- 
tivité qui  durait  depuis  quinze  ans,  En  201  il 
fut  nommé  dictateur  pour  tenir  les  comices; 
l'on  remarque  que  jusqu'à  Sylla  aucun  autre 
Bomain  ne  fut  investi  de  cette  dignité.  En  183 
il  succéda  à  P.  Licinius  Crassus  dans  la  place 
de  souverain  pontife.  Y. 

Tite  Live,  XXV  à  XXXI,  XXXIX,  XL. 

SERViLius.  Voy.  Cépion  et  Geminus. 

servilics.  Voy.  Knaep. 

servin  (Louis),  magistrat  français,  né  vers 
1555,  dans  le  Vendomois,  mort  le  19  mars  1626, 
à  Paris.  Il  dut  à  sa  mère,  Madeleine  Deschamps, 
une  des  femmes  savantes  de  son  temps,  une 
éducation  forte  et  un  goût  très-vif  pour  les  let- 
tres. Sa  jeunesse  fut  laborieuse  :  pendant  qu'il 
s'initiait  avec  Fr.  Baudouin  à  la  jurisprudence, 
il  cultivait  la  poésie  latine  et  française,  et  fit  une 
traduction  de  Denis  le  Périégète;  plus  tard  il 
entreprit  de  mettre  le  Cantique  des  cantiques 
en  vers  phaleuques.  Bien  de  tout  cela  n'a  vu  le 
jour.  Cependant  sa  réputation  d'éiudit  était  si 
grande  que  beaucoup  de  savants,  Scaliger  entre 
autres ,  se  faisaient  gloire  d'entrer  avec  lui  en 
commerce  de  lettres.  Lorsqu'Henri  III  trans- 
porta à  Tours,  par  l'édit  du  24  mars  1589,  le  siège 
du  parlement  parisien,  il  nomma  Servin,  à  la 
recommandation  du  cardinal  de  Vendôme,  avocat 
général  à  la  place  de  Jacques  Faye,  qui  devint 
premier  président.  Dans  l'exercice  de  sa  charge, 
qu'il  remplit  sous  les  règnes  d'Henri  IV  et  de 
Louis  XIII,  il  se  montra  fort  attaché  aux  inté- 
rêts de  la  couronnne.  Son  zèle  pour  les  libertés 
de  l'Église  gallicane  et  contre  les  prétentions  ul- 
tramontaines  lui  fit  des  ennemis ,  et  la  Sorbonne 
fulmina,  le  16  février  1604,  un  arrêt  de  censure 
contre  les  Plaidoyers  qu'il  venait  de  publier.  11 
mourut  victime  de  son  dévouement  à  l'État. 
Louis  XIII  tenait  un  lit  de  justice  pour  faire  en- 
registrer des  édits  bursaux  ;  Servin  en  démontra 
l'illégalité  :  le  roi  l'interrompit  dans  ses  remon- 
trances, et  s'emporta  même  jusqu'à  menacer  ie 
courageux  magistrat,  qui,  ne,pouvanUurmonter 
son  émotion,  s'évanouit  dans-1'assemblée  et  mou- 
rut quelques  heures  après,  chezlui,  d'une  attaque 
d'apoplexie.  Quelques  auteurs  prétendent  qu'il 
tomba  mort  aux  pieds  du  roi.  Ce  tragique  évé- 
nement inspira  au  conseiller  Bouguier  les  vers 
suivants  : 

Scrvlnum  una  dies  pro  Hbertate  loquentem 
Vld.lt,  et  oppressa  pro  libertate  cadeotero. 


819 


SERVIN  —  SERVIUS  TULL1US 


820 


On  cite  de  Servin  :  Vindiciue  secundum  liber- 
tatem  Ecclesïx  gallicanx;  Tours,  1590,  in-8°  ; 
Genève,  1593,  in-8°;  —  Actions  notables  et 
plaidoyers;  Paris,  1603,  1620,  1626,  in- 8°,  et 
1640,  in-fol.  :  la  première  édition  fut  censurée;  il 
y  a,  suivant  le  goût  du  temps,  grand  étalage  d'é- 
rudition et  beaucoup  dehors-d'œuvre  et  de  cita- 
iions  inutiles  ;  —  Pro  libertate  reip.  Vene- 
lorum;  Paris,  1606,  in-4°;  —  Remontrance 
sur  le  livre  de  Bellarmin  De  summo  ponti- 
fice;  Paris,  1610,  in-4°.  La  Bibliothèque  impé- 
riale possède  de  Servin  un  Traité  (ms.)  touchant 
l'origine  de  la  convocation  des  états  géné- 
raux,fonds  Saint-Germain,  n°  249. 

Servin  n'avait  qu'un  fils ,  qui  «  étoit,  dit  Pas- 
quier,  un  prodige  en  vivacité  d'esprit,  facile 
compréhension,  admirable  mémoire,  aptitude  à 
toutes  sortes  de  sciences  et  exercices,  arts,  mé- 
tiers et  fonctions  ».  Mais  il  n'avait  nulle  religion  ; 
il  était  en  outre  «  déloyal,  cauteleux,  menteur, 
sanguinaire,  lâche,  poltron,  pipeur,  ivrogne, 
gourmand,  brelandier,  rufian  »;  il  mourut  à 
Londres,  d'un  vilain  mal  et  dans  un  mauvais 
lieu. 

L.  Servini,  N.  Verduni  et  H.  Haquevillsei  elogia,  ex 
Rod.  Botereio  ;  Paris,  1626,  in-8°.  —  La  Justice  en  dpull 
de  la  mort  de  L.  Servin;  Paris,  1626,  in-8°.  —  Le  Tom- 
beau de  L,  Servin;  Paris,  1626,  in-8°.  —  J.  Grangier, 
Oratio  funebris  in  laudemL.  Servini;  Paris,  1626,  in-4°. 
—  Pasquier,  Recherches  de  la  .France,  lib.  VI,  c.  47.  — 
Scaligcrana.  —  Moréri,  Grand  Dict.  hist. 

servin  (Antoine-Nicolas) ,  historien  fran- 
çais, né  le  14  août  1746,  à  Dieppe,  mort  le 
30  mai  1811,  à  Rouen.  Reçu  avocat  au  parle- 
ment de  Rouen,  il  exerça  cette  profession  avec 
un  parfait  désintéressement.  Ses  ouvrages  mon- 
trent en; lui  un  historien  consciencieux  et  un  lé- 
giste philosophe  ;  en  voici  les  titres  :  Histoire 
de  la  ville  de  Rouen;  Rouen,  1775,  2  vol. 
in-12; —  De  la  Législation  criminelle;  Bàle, 
1782,  gr.  in-8°  :  ce  mémoire  a  été  édité  par  Isaac 
Iselin,  ami  de  l'auteur,  qui  l'a  accompagné  de 
Considérations  générales  sur  les  lois  et  les 
tribunaux  de  judicature ;  l'impression  en 
avait  été  défendue  deux  fois  en  France,  mesure 
qu'on  prétendit  justifier  par  les  articles  où  il  est 
iraité  de  l'inceste  et  des  délits  contre  nature. 
«.  Cet  ouvrage,  dit  Guilbert,  abonde  en  idées 
neuves  (1);  le  jurisconsulte  y  combat  l'usage 
trop  fréquent  de  la  peine  capitale  ;  il  y  plaide  la 
cause  de  l'humanité  »  ;  —  Manuel  de  juris- 
prudence,<nxilurelïe ;  Paris,  1784,  in-12. 
Guilbert,  Jflèmoires  biogr.  et  littér. 

servius  (Maurus  ou  Marius  Honoratus), 

(1)  On  y  trouve  certaines  idées  bizarres  ou  paradoxales, 
coimneje  moyen  de  frapper  le  peuple  d'une  terreur  sa- 
lutaire. 11  propose  en  effet  d'établir  dans  les  endroits  où 
se  rend  la  justice  une  enceinte  présentant  un  aspect  lu- 
gubre, aux  raurailles>noircies  à  l'intérieur,  et  défendue 
par  des  molosses.  «  C'est  là  que,  couverts  de  baillons , 
nourris  de  pain  et  d'eau,  prives  de  l'usage  de  la  parole, 
les  criminels,  attachés  à  des  poteaux,  seraient  forcés 
pendant  le  jour  à  un  travail  opiniâtre.  Chacun  porterait 
sur  son  front  la  marque  de  son  crime,  et  l'atrocité  des 
grands  forfaits  serait  distinguée  par  l'horreur  plus  grande 
dont  on  aurait  soin  d'environner  les  coupables.  » 


grammairien  latin,  vivait  dans  le  quatrième  siècle 
après  J.-C.  On  ne  sait  rien  de  sa  vie,  on  en 
ignorerait  même  l'époque  siMacrobe,  qui  vivait 
vers  la  fin  du  quatrième  siècle,  n'avait  fait  figurer 
dans  ses  Saturnales  un  Servius,  grammairien 
célèbre,  qui  ne  peut  être  que  celui-ci.  Son  plus 
célèbre  ouvrage  était  un  Commentaire  sur  Vir- 
gile, compilé  d'après  un  très-grand  nombre  d'an- 
notateurs précédents.  Ce  commentaire  nous  est 
parvenu  altéré,  abrégé,  interpolé  par  les  copistes 
du  moyen  âge;  mais  même  dans  ce  triste  état 
il  constitue  un  précieux  trésor  d'informations  sur 
l'histoire  et  la  mythologie  des  anciens;  on  le 
trouve  souvent  imprimé,  mais  toujours  d'une 
manière  défectueuse  dans  les  anciennes  éditions 
de  Virgile.  Robert  Estienne,  Masvicius  et  Bur- 
man  ont  beaucoup  fait  pour  en  améliorer  le 
texte;  même  après  leurs  travaux  et  ceux  de 
Lion,  qui  l'a  publié  séparément  (  Gœttingue,  1825 
2  vol.  in-8°),  une  nouvelle  édition  serait  dési- 
rable. On  a  encore  de  Servius  :  In  secundam 
Donati  editionem  interpretalio,  publiée  pai 
J.-Th.  Bellovacus,  dans  ses  Grammatici  illus- 
tres XII ;  Paris,  1516,  in-fol.,  et  inséré  dans 
les  Grammat.  lut.  de  Putsch  ;  —  De  ratiom 
ultimatum  syllabarum,ad  Aquilinum  liber, 
dans  le  recueil  de  Putsch;  —  Ars  de  cenlum 
metris,  seu  centimetmm;  ibid.,  et  dans  Gais 
ford  (Script,  lat.;  Oxford,  1837);  ces  deux  der- 
niers écrits  avaient  été  impr.  en  1476,  in-4".  Y" 

Macrobe,  Satur.,  I,  2,  24;  VI,  6,7;  VII,  il.  —  Heyne 
De  antiquis  Virgiiii  interpret.  —  Smith,  Dict.  of  greei 
and  roman  biographe . 

servius  tullius,  sixième  roi  de  Rome 
de  578  à  534  av.  J.-C.  L'histoire  de  Serviu 
Tullius,  comme  celle  des  autres  rois  de  Rome 
est  légendaire,  c'est-à-dire  qu'elle  repose  sur  de 
traditions  diverses ,  plus  ou  moins  vraisembla 
blés,  mais  toutes  également  dénuées  d'autorité 
Les  rapporter  ici  serait  inutile,  puisqu'elles  n 
peuvent  fournir  à  la  biographie  aucun  fait  au 
thentique;  il  suffira  de  résumer  rapidement  1 
récit  le  plus  accrédité.  Le  père  de  Servius  Tul 
lius  était  un  noble  de  Corniculurn  ;  il  fut  tué  Ior 
de  la  prise  de  cette  ville  par  les  Romains;  & 
mère,Ocrisia,  alors  enceinte,  fut  menée  captive. 
Rome  et  donnée  à  la  reine  Tanaquil,  femme  d 
Tarquin  l'ancien.  Ocrisia  accoucha  dans  le  pa 
lais  d'un  enfant  destiné  à  régner  sur  les  Romains 
Le  jeune  Servius,  élevé  comme  un  enfant  royal 
justifia  cette  éducation  par  son  courage.  Tarquii 
lui  donna  sa  fille  en  mariage,  et  lorsqu'il  péri 
assassiné,  les  Romains,  qui  avaient  déjà  éprouv* 
la  modération  et  la  justice  de  Servius  Tullius,  L 
proclamèrent  roi.  Son  règne  de  quarante-quatr 
ans  fut  paisible,  puisqu'on  n'y  signale  qu'iu* 
seule  expédition,  victorieuse,  contre  les  Véiens 
Ce  qui  le  distingue,  ce  sont  les  œuvres  accom 
plies  à  l'intérieur.  Servius  établit  une  constitu 
tion,  qui  fit  participer  les  plébéiens  au  gouver 
nement;  il  étendit  le  pomœrium  ou  enceinte  d> 
la  cité,  et  agrandit  Rome  par  l'annexion  du  Qui 


tt: 


h 


I    821 


SERVIUS  TULLIUS 


822 


rina!,  du  Viminal  et  de  l'Esquilin,  en  même 

temps  qu'il  l'entourait  d'une  forte  muraille  ;  enfin, 

il  forma  entre  les  Latins  et  les  Romains  une 

j  ligue  qui  eut  pour  centre  le  temple  de  Diane  sur 

If  l'Aventin.  Ces   diverses  mesures  auraient  dû 

\\  rendre  Servius  cher  au  peuple  tout  entier,  mais 


les  patriciens  ne  lui  pardonnaient  point  d'avoir 
Il  favorisé  les  plébéiens.  L.Tarquin,  l'aîné  des  petits- 
I  fils  deTarquin  l'ancien,  protitadece  mécontente- 
■  ment  pourreprendre  le  trône  de  son  aïeul.  Poussé 
I)  par  sa  femme  Tullia,  fille  de  Servius,  il  forma  un 
H  complot  dans  lequel  entrèrent  beaucoup  de  patri- 

E|  ciens  (voij.  Tarquin).  Servius  Tullius  vit  son 
autorité  méconnue  dans  le  sénat,  et  au  sortir  de 
cette  assemblée,  il  fut  tué  par  l'ordre  de  son 
gendre.  Tullia,  revenant  du  sénat,  fit  passer  son 
char  sur  le  cadavre  de  son  père,  jeté  au  milieu 
de  la  rue,  laquelle  reçut  de  cet  acte  abominable 
le  nom  de  rue  du  Crime  (uicus  Sceleralus). 
Les  plébéiens  gardèrent  toujours  la  mémoire  de 
ce  prince;  ils  célébraient  sa  fête  les  nones  de 
chaque  mois,  car  on  disait  qu'il  était  né  au 
temps  de  nones,  sans  pouvoir  indiquer  le  mois. 
Tel  est,  dépouillé  de  ses  détails  les  plus  poéti- 
ques et  les  plus  romanesques ,  le  récit  de  Denys 
dllalicarnasse  et  de  Tite  Live;  c'était  celui  des 
annalistes  romains.  Les  annales  étrusques  en 
contenaient  un  tout  différent.  L'empereur  Clau- 
dius,  grand  amateur  de  curiosités  archéologiques, 
l'avait  rapporté  dans  un  discours  célèbre  que 
Tacite  nous  a  transmis  d'une  manière  si  écourtée 
et  si  peu  fidèle,  mais  dont  on  a  retrouvé  des 
fragments  considérables  sur  deux  tables-  de 
bronze  découvertes  à  Lyon,  au  seizième  siècle  : 
«  Si  nous  suivons  les  Toscans,  dit  Claudius, 
Servius  fut  le  compagnon  le  plus  fidèle  de  Cae- 
lius  Yivenna  et  associé  à  tous  les  hasards  de  sa 
vie;  après  que,  contraint  par  le  changement  de 
fortune,  il  eut  quitté  l'Étrurie  avec  les  restes  de 
l'armée  de  Caelius,  il  occupa  le  mont  Cselius, 
qui  fut  ainsi  appelé  du  nom  de  son  général,  Cee- 
lius.  Lui-même,  ayant  quitté  son  nom  étrusque 
de  Mastarna,  fut  appelé  comme  j'ai  dit,  et  il  ob- 
tint la  royauté  avec  un  très- grand  avantage  pour 
la  chose  publique.  »  Cette  légende  est  intéres- 
sante ;  mais  la  date  des  annales  auxquelles  Clau- 
dius l'empruntait  nous  est  inconnue;  nous  ne 
pouvons  décider  ni  si  elle  est  plus  authentique 
ni  si  elle  est  plus  ancienne  que  la  tradition  suivie 
(par  Tite  Live.  De  ces  légendes  nous  passons  à 
un  sujet  qui  n'offre  guère  plus  de  certitude  :  la 
constitution  de  Servius  Tullius.  Cette  constitu- 
tion était  la  grande  charte  des  Romains,  une 
charte  qui  n'avait  pas  été  écrite,  ou  du  moins 
dont  le  texte  écrit  s'était  perdu.  Les  plébéiens, 
qui  l'invoquaient  sans  cesse  dans  leurs  débats 
contre  les  patriciens,  auraient  été  incapables  de 
préciser  en  quoi  elle  consistait.  Les  notions  que 
l'on  trouve  à  ce  sujet  dans  les  historiens  anciens 
ne  sont  ni  claires  ni  concordantes  ;  cependant 
sur  les  principaux  points  Tite-Live  et  Denys 
4'Hcdicarnasse  sont  d'accord ,  et  ils  nous  ap- 


prennent ce  que  les  Romains  du  temps  d'Au- 
guste entendaient  par  la  constitution  de  Servius 
Tullius. 

Avant  Servius  Tullius,  la  constitution  romaine 
reposait  sur  des  clans,  ou  maisons  patriciennes 
(génies).  Le  chef  du  clan  avait  sous  ses  ordres 
tous  les  hommes  de  son  sang,  et  tous  ceux  qui 
lui  tenaient  par  des  liens  de  clientèle.  Ces 
génies  se  répartissaient  dans  trois  tribus  (çuXal 
y&HKtd  )  :  les  Ramnes,  les  Tities  et  les  Lucères, 
et  exerçaient  le  pouvoir  au  moyen  d'assemblées 
qu'on  appelait  coinicia  curiala,  et  qui  for- 
maient une  sorte  de  chambre  des  pairs.  Tous 
ceux  qui  ne  faisaient  pas  partie  des  maisons  pa- 
triciennes n'avaient  ai  droits  politiques  ni  droits 
civiis  ;  ils  ne  pouvaient  ni  se  porter  candidats 
pour  aucune  fonction  publique,  ni  voter,  ni  être 
admis  dans  la  milice  ;  ils  ne  pouvaient  même 
accomplir  aucun  acte  civil  que  par  l'intermé- 
diaire d'un  patricien  qui  leur  servait  de  patron. 
Servius  modifia  cet  état  de  choses  ;  il  constitua  les 
plébéiens,  qui  formaient  la  grande  majorité  de  la 
population  romaine,  en  un  corps  civil  et  politique. 
Rome  fut  divisée  en  quatre  arrondissements  ur- 
bains (regioiies  urbanx)  et  en  vingt-six  arrondis- 
sement rustiques  (regiones  rusticœ);  les  habi- 
tants de  chaque  région  formèrent  une  tribu,  avec 
un  phylarque,  ou  curator  tribus,  pour  chef,  et 
chaque  région  se  subdivisa  en  communes  (  pagi 
pour  les  régions  rustiques,  vici  pour  les  régions 
urbaines)  ayant  chacune  un  maire  (magister 
pagi  ou  magister  vici).  Cette  organisation 
était  surtout  fiscale,  et  avait  pour  but  principal 
de  faciliter  l'établissement  et  la  perception  des 
impôts.  Les  patriciens  en  faisaient  partie  en  tant 
que  payant  l'impôt,  mais  ils  conservaient  leurs 
privilèges  politiques. 

Après  l'organisation  fiscale  vint  l'organisation 
militaire.  Rome  n'avait  pas  d'armée  permanente, 
elle  n'avait  qu'une  milice.  A  la  milice  féodale  de 
l'ancien  temps  Servius  substitua  une  garde  na- 
tionale ,  fondée  sur  ce  double  principe  que  les 
charges  du  service  militaire  doivent  être  en 
raison  de  la  fortune,  et  qu'on  ne  doit  appeler  à 
défendre  l'Étal  que  ceux  qui  ont  quelque  pro- 
priété. 11  divisa  la  population  en  milice  à  cheval 
(  équités  )  et  milice  à  pied  (pedites)  ;  celle-ci  se 
subdivisa  en  classes,  la  ire  classe  comprenant 
les  citoyens  qui  avaient  100,000  asses  de  for- 
tune ;  la  2e  ceux  qui  en  avaient  75,000  ;  la  3'  ceux 
qui  en  avaient  50,000  ;  la  4e  ceux  qui  en 
avaient 25,000;  la  5e  ceuxqui  en  avaient  10,000. 
Toute  la  milice  se  répartit  d'ailleurs  en  milice 
sédentaire  (seniores,  de  quarante-six  ans  à 
soixante)  et  milice  mobile  (juniores,  de  dix-sept 
ans  à  quarante-cinq). 

Cette  organisation  militaire  servit  de  base  à 
l'organisation  politique.  Servius  ne  donna  pas  le 
droit  de  voter  à  chaque  citoyen  individuellement, 
mais  à  des  collections  de  citoyens,  lesquelles  for- 
maient autant  de  subdivisions  des  classes,  et  que 
l'on  appela  centuries.  Chaque  centurie  eut  un 


81}'. 


SERVIUS  TULLIUS  —  SESOSTRIS 


824 


Tote;  et,  afin  d'assurer  un  plus  grand  nombre  de 
votes  aux  plus  riches,  Servius  forma  18  centuries 
avec  la  milice  à  cheval,  80  avec  la  lre  classe 
de  la  milice  à  pied,  20  avec  la  2e,  20  avec  la  3e, 
20  avec  la  4e,  30  avec  la  5e  ;  5  avec  les  citoyens 
qui  quoique  faisant  partie  de  la  milice  n'y  figu- 
raient que  comme  ouvriers  et  comme  musiciens; 
1  enfin  de  ceux  qui  n'y  figuraient  que  comme 
réserve  (accensi  velatï),  ou  n'y  servaient  que 
dans  les  cas  d'extrême  péril  et  aux  frais  de  l'État 
(proletarii)  ou  qui  en  étaient  absolument  ex- 
clus (capite  censi);  en  tout  194  centuries,  dont 
176  pour  l'infanterie.  Les  centuries  votaient  en 
commençant  par  les  chevaliers,  ou  milice  à  che- 
val, par  ordre  de  classes  ;  et  comme  la  première 
classe  comptait  à  elle  seule  80  centuries,  il  suffi- 
sait qu'elle  fût  d'accord  avec  les  chevaliers  pour 
être  assuré  de  la  majorité.  Quant  aux  citoyens 
pauvres,  relégués  dans  les  dernières  classes  et  ne 
comptant  qu'un  petit  nombre  de  centuries,  leur 
influence  était  nulle.  Cette  constitution  peut  donc 
paraître  très-aristocratique  ;  mais  elle  fut  un  pro- 
grès réel  sur  l'état  antérieur, puisqu'elle  donna  à 
la  fortune,  sans  distinction  de  naissance,  ce  qui 
avait  été  jusque-là  le  privilège  des  patriciens. 
Les  comices  des  centuries  furent  l'assemblée 
souveraine  de  la  nation  ;  mais  les  patriciens  gar- 
dèrent un  droit  de  sanction  et  de  contrôle,  avec 
leurs  comices  par  curies,  chambre  des  iords 
placée  à  côté  de  la  chambre  des  communes. 
Cette  constitution,  qui  n'était  pas  incompatible 
avec  la  royauté,  lui  survécut,  et  fonctionna  avec 
des  modifications  pendant  presque  toute  la  ré- 
publique; les  changements  qu'elle  subit  eurent 
généralement  pour  but  de  favoriser  les  plébéiens, 
que  Servius  avait  laissés  dans  une  infériorité  po- 
litique et  sociale;  il  leur  avait  bien  donné  le  droit 
de  suffrage,  mais  non  le  droit  des  honneurs,  ou 
éligibilité  aux  fonctions  publiques  ;  il  leur  avait 
donné  le  commercium,  ou  droit  de  posséder  et 
d'ester  en  justice,  mais  non  le  connubïum,  ou 
droit  de  mariage  avec  les  patriciens.  Ces  droits, 
les  plébéiens  les  conquirent  par  de  longues  luttes 
qui  remplissent  la  première  partie  de  l'histoire  de 
la  république  romaine.  Léo  Jocbert. 

Tite  Live,  I,  42-47.  —  Denys  d'Halicarnasse,  IV,  9-14. 

—  Cicéron,  De  re.publica,  II.  —  Niebuhr.  Histoire  ro- 
maine, t.  II,  tra.duct.  de  Golbery.  —  Gœttling,  Geschi- 
chte  der  rcemischen  Stuatsverfasmng.  —  Cerlach ,  Die 
Vcrfassung  d,  Kœnig  Servius  Tullius  ;  Bâle,  1837,  in-4°. 

—  Huschkc,  Die  Verjassung  d.  Ser.  Tullius;  Heldel- 
berg,  1838,  ln-8°.  —  Peter,  EpocJien  d.  Ferfassunglder 
rcBmischen  Republ.;  Leipzig.  1841.  —  Walter,  Gesch.  d. 
rœmiscfi.  Rechls.  —  lieckcr,Handbuch  d.  rœmisch.  Al- 
terthûmer.  —  Duruy,  Hist,  des  Romains,  t.  I.—  Morom- 
sen,  Hist.  romaine,  t.  I.  —  R.  de  Raumer,  De  S.  Tullii 
censu;  Erlangen,  1840,  in-8°. 

sesac  1er  ou  shishak,  roi  d'Egypte,  régna 
de  979  à  959  (1).  Sur  les  monuments  il  porte  le 
nom  de  Scheschouk,  adopté  par  Syncelle  etEu- 
sèbe.  Il  succéda  à  Psusennès,  le  dernier  pharaon 
de  la  2  te  dynastie,  et  fonda  la  22e  ;  0n  ignore  par 


(1)  D'après  les  calculs  de  Lepsius  et  de  Bunsen.  Selon 
d'autres  savants,  11  serait  arrive  au  trOne  vers  890. 


quels  moyens  il  usurpa  le  pouvoir  et  en  éloigna 
le  prétendant  légitime,  Hor  Ptukan,  qui  se  con- 
tenta de  l'office  de  grand  prêtre  d'Ammon.  Hos- 
tile au  peuple  d'Israël,  Sesac  donna  protection 
et  appui  à  Jéroboam,  qui  s'était  révolté  contre 
Salomon.  En  974  il  réunit  une  immense  armée, 
et  marcha  contre  Jérusalem,  que  Roboam  ne  sut 
pas  défendre  (1)  ;  il  s'en  rendit  maître,  la  pilla 
et  emporta  les  richesses  accumulées  par  Salomon 
dans  le  temple  et  dans  son  palais.  Il  porta  encore 
ses  armes  dans  d'autres  contrées  de  l'Asie  et  de 
l'Afrique  ;  mais  ces  conquêtes,  les  dernières  que 
firent  les  pharaons  d'Egypte,  furent  bientôt  per- 
dues sous  ses  successeurs. 

Trois  autres  rois  de  la  vingt-deuxième  dy- 
nastie ont  encore  porté  ce  nom ,  à  savoir  :  S  esac  II, 
de  934  à  919;  Sesac  III,  de  918  à  906,  et  Se- 
sac IV,  de  867  à  830. 

Le  Livre  des  Rois  et  la  Chronique,  —Bunsen,  DieStet- 
lung  Egyptens  in  der  Weltgeschichte,  t.  v.  —  Sharpe, 
History  of  Egypt.  —  Lepsius,  Chronologie  der  Egypter. 

sesostrÏs  (2),  nom  que  les  auteurs  grecs 
donnèrent  à  un  puissant  roi  d'Egypte  qui  au- 
rait étendu  ses  conquêtes  en  Asie,  en  Afrique 
et  même  en  Europe.  Quelque  précis  que  soient 
les  longs  détails  qu'ils  nous  ont  laissés  sur  ses 
expéditions,  la  critique  moderne  n'a  pas  tardé  à 
reconnaître  qu'ils  avaient  attribué  à  tort  à  un 
seul  roi  les  actions  de  cinq  rois  au  moins ,  Se- 
sortesen  de  la  troisième  dynastie,  Sesortesen  I 
et  III  de  la  douzième  dynastie,  Kamsès  II  et  III 
de  la  dix-neuvième,  et  que  de  plus  leurs  récits 
étaient  entremêlés  de  fables.  Le  nom  de  Sesostris, 
qui  ne  se  trouve  sur  aucun  monument  égyptien, 
n'est  qu'une  modification  de  Sesortesen  (3).  Cham- 

(1)  Sur  les  monuments  qu'il  Ct  élever  à  Karnak  figure , 
parmi  les  prisonniers,  un  personnage  au  type  juif  très 
prononcé  et  qu'une  inscription  qualifie  de  roi  de  Juda  :  ce 
serait  donc  le  portrait  de  Roboam. 

(2)  Sesoosis  selon  Uiodore. 

(3)  Sesortesen,  troisième  roi  de  la  troisièmedyuastie, 
vivait  vers  2300  avant  J.-C.  Aristote  l'appelle  Sesostris. 
Plein  de  sagesse,  il  s'attacha  pendant  un  règne  pacifique  de 
vingt-cinq  ans  environ  à  hâter  chez  ses  sujets  les  progrès 
de  la  civilisation.  11  fut  législateur,  et  on  lui  attribue  la 
division  des  castes.  Il  s'avisa  le  premier  de  la  taille  des 
pierres,  et  simplifia  les  caractères  hiératiques,  afin  de  les 
rendre  propres  à  l'écriture  cursive. 

Sesortesen  Ier,  second  roi  de  la  douzième  dynastie, 
rt'gna  de  2803  à  2757  selon  Brugsch,  ou  de  2371  à  2325, 
selon  Lepsius.  Pendant  sept  ans,  il  partagea  le  pouvoir 
avec  son  prédécesseur,  Araenhema  Ier.  Les  monuments 
le  représentent  comme  un  prince  puissant  ct  juste;  il  fit 
fleurir  les  arts  et  l'industrie,  comme  le  témoigne  le  tom- 
beau de  Beni-Hassan.  Les  inscriptions  de  ce  monument 
et  d'une  stèle  du  musée  de  Naples  nous  apprennent  que 
Sesortesen  soumit  pour  la  première  fois  à  une  domina- 
tion permanente  les  Éthiopiens,  et  qu'une  famine  désola 
l'Egypte  sous  son  règne.  Bunsen  s'appuie  sur  ce  dernier 
fait  pour  placer  à  cette  époque  l'entrée  des  Israélites  en 
Egypte.  Sesortesen  fu.t  le  fondateur  du  temple  d'Ammon 
à  Karnak  ;  le  plus  ancien  obélisque  connu,  celui  rie  Ma- 
tarleh,  remonte  à  son  époque.  Il  s'associa  au  trône  son 
successeur  Amenhema  II.  On  fait  dater  de  son  règne  le 
plus  ancien  livre  connu,  publié  avec  traduction  et  notes 
par  M.  Chabas  (  Paris,  1864,  ln-8°). 

Sesortesen  II  régnait  de  2719  à  2691  selon  Brugsch. 
On  ne  sait  presque  rien  de  lui. 

Sesortesen  III  régna  de  2691  a  2653  selon  Brugsch. 
Prince  guerrier,  il  envahit  plusieurs  fois  la  Noble,  et  re- 


825 


SESOSTRIS  —  SETTALA 


826 


pollion ,  Salvolini  et  plusieurs  autres  savants  ont 
cru,  sur  l'autorité  d'Hérodote  et  de  Tacite,  que  la 
grande  majorité  des  hauts  faits  racontés  au  su- 
jet de  Sesostris  devaient  être  rapportés  à  Ram- 
sès  II  le  Grand.  Mais  Bunsen  a  combattu  avec 
succès  cette  opinion.  Ramsès  II,  il  est  vrai, 
avait  pour  surnom  populaire  Sestesou-ra  ;  Ma- 
nétlion  l'appelle  Sethosis  (fils  de  Sethos),  Pline 
Sesothis.  Cela  explique  comment  les  Grecs  ont 
pu  reconnaître  en  lui  le  Sesostris  qu'ils  avaient 
inventé.  Mais  on  ne  saurait  lui  attribuer  les  ac- 
tions les  plus  marquantes  que  Diodore  et  Héro- 
dote racontent  sur  ce  conquérant,  telles  que  les 
expéditions  victorieuses  en  Nubie,  en  Thrace, 
l'immense  développement  donné  à  la  marine 
égyptienne,  la  division  exacte  des  terres  et  leur 
assujettissement  à  de  fortes  redevances,  etc. 

Un  plus  grand  nombre  des  hauts  faits  de 
Sesostris  doivent  être  rapportés  à  Ramsès  III, 
qui  fonda  en  1288  la  vingtième  dynastie.  Ses 
exploits  sont  figurés  sur  les  murailles  du  beau 
temple  d'Ammon  de  Medinet-Abou  et  sur  celles 
des  deux  sanctuaires  qu'il  construisit  à  Karnak. 
Il  était  de  sang  royal,  et  s'éleva  sur  le  trône  au 
milieu  des  troubles  qui  marquèrent  le  règne  de 
Siptali  et  de  Thousiris.  Il  inaugura  une  nouvelle 
ère  de  gloire  et  de  puissance  pour  l'Egypte. 
L'organisation  militaire  qu'il  établit  était 'aussi 
remarquable  que  sa  tactique.  11  triompha  des 
confédérations  formées  contre  lui  par  divers 
peuples  de  Libye,  et  anéantit  en  1280,  par  une 
grande  victoire  remportée  dans  la  Syrie  du  nord, 
une  ligue  des  Hethites,  des  Philistins  et  autres 
populations  du  pays  de  Canaan  et  des  îles  de  la 
Méditerranée;  une  puissante  flotte  soutint  alors 
ses  opérations  sur  terre.  Il  soumit  à  sa  domina- 
tion la  Phénicie  et  l'Arabie,  et  noua  des  relations 
de  commerce  avec  l'Asie  intérieure,  avec  laquelle 
l'Egypte  n'avait  eu  jusque-là  aucun  rapport.  Son 
vaste  tombeau,  orné  de  curieuses  représenta- 
tions, se  trouve  dans  la  vallée  de  Biban-el-Mo- 
louk. 

Bunsen,  Egyptens  Stellung ,  t.  II,  III  et  IV.—  Brugsch, 
Histoire  d'Egypte.  —  Smith,  Dictionary. 

sethos  Ier,  roi  d'Egypte,  régnait  au  com- 
mencement du  quatorzième  siècle  avant  notre 
ère,  selon  Brugsch  de  1458  à  1407.  11  était  fils 
de  Ramsès  Ie»".  Dans  les  premières  années  de 
son  règne,  il  entreprit  plusieurs  expéditions  vic- 
torieuses ,  dont  de  nombreuses  scènes  sont  re- 
tracées sur  les  murs  de  la  grande  salle  du  temple 
d'Ammon  à  Karnak.  11  défit  les  Arméniens,  les 
Assyriens,  les  Sasou  du  désert  (les  descendants 
des  Hycsos),  les  Punt  (habitants  de  la  Mauri- 
tanie), les  Mésopotamiens,  les  Arabes,  etc.  Il 

cula  les  frontières  de  l'Egypte  jusqu'au  delà  de  la  se- 
conde cataracte ,  en  les  marquant  par  deux  stèles  qui 
existent  encore  ;  non  loin  de  là,  à  Seuneh  il  éleva  sur  chaque 
rive  du  Nil  une  forteresse.  La  mémoire  de  ce  roi  ne  cessa 
de  grandir,  et  plus  tard  on  lui  éleva  des  temples  comme  à 
un  dieu. 

Bunsen,  Egyptens  Stellung.  —  Brugsch,  Histoire  de 
l'Egypte .■  Berlin,  1860,10-4».  —  Lepsius,  Kœnigsbtuh  et 
Veber  die  zwœlfte  Dynastie. 


eut  surtout  de  longs  et  sanglants  démêlés  avec 
les  Hethites,  peuple  du  pays  de  Canaan,  auxquels 
il  enleva  Rédès  (Édessc).  Les  sculptures  et  ins- 
criptions des  temples  de  Gourna,  de  Redesieh, 
la  stèle  gravée  sur  le  rocher  d'Assouan  prou- 
vent qu'il  maintint  et  agrandit  la  domination 
égyptienne  en  Ethiopie.  Mais  c'est  à  tort  que 
Manétlion  affirme  qu'il  s'empara  aussi  de  la  Phé- 
nicie ftt  de  Chypre.  Il  bâtit  dans  les  pays  con- 
quis de  nombreuses  forteresses  ;  les  gouverneurs 
qu'il  y  plaça  lui  envoyaient  des  rapports  sur 
l'administration  de  leur  province;  quelques-uns 
de  ces  rapports,  écrits  sur  papyrus,  nous  ont  été 
conservés.  Sous  son  règne  une  nouvelle  ère  de 
gloire  et  de  prospérité  s'ouvrit  pour  l'Egypte, 
qu'il  couvrit  de  beaux  monuments,  parmi  les- 
quels nous  citerons  le  temple  d'Osiris  à  Abydos, 
et  dont  l'art  peut  rivaliser  avec  celui  des  épo- 
ques antérieures  à  l'invasion  des  Hycsos.  Il 
commença  le  creusement  du  canal  entre  le  Nil 
et  la  mer  Rouge,  qui  fut  continué  par  son  fils  et 
successeur  Ramsès  le  Grand.  Son  vaste  et  cu- 
rieux tombeau  se  trouve  dans  la  vallée  de  Bi- 
ban-el-Molouk. 

Sethos  h,  arrière-petit-fils  du  précédent, 
régna  pendant  dix-neuf  ans,  vers  la  fin  du  qua- 
torzième siècle  avant  notre  ère.  Il  était  fils  du 
pharaon  Menepthé,  sous  lequel  les  Israélites  émi- 
grèrent  d'Egypte.  Son  règne  fut  insignifiant  ;  il 
a  construit  un  petit  temple  à  Karnak. 

Bunsen ,  Egyptens  Stellung  in  der  TFellgeschichte. 
—  firugscli,  Histoire  de  l'Egypte. 

settala  (Lodovico),  en  latin  Septalius, 
médecin  italien,  né  le  27  février  1552,  à  Milan, 
où  il  est  mort,  le  12  septembre  1633. 11  appar- 
tenait à  une  ancienne  famillermilanaise,  dont 
plusieurs  membres  s'étaient  distingués  dans  le 
barreau  et  dans  l'Église-,  l'un  d'eux,  Henri, 
mort  en  1230.  avait  occupé  avec  éclat  le  siège 
archiépiscopal  de  sa  patrie.  Il  fit  preuve  de  ta- 
lents précoces  :  à  l'âge  de  seize  ans  il  soutint 
ses  thèses  en  philosophie  en  présence  de  Charles 
Borromeo,  qui  lui  adressa,  des  félicitations  pu- 
bliques, puis  il  se  livra  à  l'étude  de  la  médecine 
dans  l'université  de  Pavie,  où  il  eut  Cigalini 
pour  principal  maître.  Reçu  docteur  en  1573,  il 
fut  appelé  en  1575  à  Milan,  et  il  y  enseigna  son 
art.  La  réputation  de  Settala  franchit  rapide- 
ment les  limites  de  la  Lombardie;  des  proposi- 
tions avantageuses  que  lui  adressèrent  des  sou- 
verains et  des  universités  il  ne  voulut  accéder 
qu'à  celle  de  Philippe  IV,  roi 'd'Espagne,  qui  en 
1627  lui  conféra  le  titre  de  premier  médecin  du 
Milanais.  Deux  fois  la  peste  éclata  dans  sa  pa- 
trie; celle  de  1630  y  causa  d'effroyables  ra- 
vages, et  Settala,  qui  s'était  dévoué  au  soulage- 
ment des  malades,  fut  atteint  à  son  tour;  il 
guérit,  mais,  frappé  d'apoplexie,  il  demeura  jus- 
qu'à sa  mort  à  ..moitié  paralysé  et  dans  un  état 
voisin  de  l'imbécillité.  Il  fut  constamment  at- 
taché à  la  doctrine  d'Hippocrate,  et  sut  donner 
du  prix  à  ses  écrits  par  des  remarques  pleines 


827  SETTALA 

de  justesse  et  des  préceptes  excellents.  Nous 
citerons  de  lui  :  In  Wppocratis  librum  De 
aère,  aquis  et  locis,  comm.  V;  Cologne,  1580, 
jn.8°  ;  —  in  Aristotelis  problemata  commen- 
taria;  Francfort,  1602-1607,  2  vol.  in-fol.  ;  — 
De  nxvis;  Milan,  1605,  in-S°  ;  Pacloue,  1628, 
1651,  in-8°  :  il  attribue  les  envies  ou  taches  de 
naissance  à  l'imagination  frappée  des  femmes 
grosses,  et  il  prétend  que  ces  signes,  répandus 
comme  par  hasard  sur  les  diverses  parties  du 
corps,  conservent  pourtant  un  certain  ordre,  qu'il 
explique  par  les  lois  de  l'astrologie.  Par  exemple 
un  signe  placé  au  coin  de  l'œil  en  annonce  un 
autre  à  l'aisselle  du  même  côlé,  etc.  Ce  traité 
de  Settala,  quelque  bizarre  qu'il  soit,  est  le  plus 
répandu  de  ses  ouvrages  ;  —  Animadversionum 
et  cautionum  rnedicarum  lib.  VII;  ibid., 
1614,  in-8°;et  1629,  in-8°,  avec  deux  livres  de 
plus  :•  recueil  estimé,  qui  a  été  revu  par  Perius 
et  réimpr.  à  Dordrecht,  1650,  in-8°,  et  à  Pa- 
doue,  1652,  1659,  in-8°  ;  —  De  margaritis  ; 
Milan,  1618,  in-4°;  —  De  peste  lib.  V ;  ibid., 
1622,  in-4°;  —  De  ratione  instituendes  et  gu- 
bemandse  familiee  lib.  V;  ibid.,  1626,  in-8°; 

—  Délia  ragion  di  Stato  lib.  VII;  ibid., 
1627,  in-4°;  trad.  en  latin,  Francfort,  1679, 
in-4°;  —  De  morbis  ex  mucronata  cartila- 
gine  evenientibus;  Milan,  1632,  in-8°.  Ce  mé- 
decin a  laissé  beaucoup  d'ouvrages  en  ma- 
nuscrit. 

Crasso,  Eïog'xa.  —  Argellati,  Biblioth.  mediolanensis. 

—  Manget,  Biblioth.  script,  med.,  IV.  —  Curtius,  ne 
medicis  mediolan.  scriptoribus.  —  Éloy,  Dict.  hist.  de 
la  méd. 

settala  (Manfredo),  mécanicien  italien, 
l'un  des  dix-huit  enfants  du  précédent,  né  le 
8  mars  1600,  à  Milan,  où  il  est  mort,  le  16  fé- 
vrier 1680.  Après  avoir  fréquenté  les  écoles  de 
Pavie,  de  Sienne  et  de  Pise,  il  prit  ses  degrés 
en  droit,  et  s'adonna  de  bonne  heure  à  l'étude 
de  la  mécanique  et  des  sciences  exactes.  Le 
désir  de  connaître  la  nature  lui  fit  entreprendre 
de  longs  voyages  :  il  visita  la  Sicile,  Chypre, 
Candie,  Constantinople,  l'Asie  Mineure  et  les 
côtes  d'Afrique,  et  revint  en  1630  dans  sa  pa- 
trie. Le  cardinal  Frédéric  Borromeo  l'admit  au 
diaconat  et  le  pourvut  d'une  prébende  à  l'église 
de  Saint-Nazaire.  Settala  fut  un  homme  remar- 
quable, plutôt  un  ami  de  la  science  qu'un  sa- 
vant; il  possédait  plusieurs  langues  modernes; 
philosophe  et  mathématicien,  il  fabriquait  lui- 
même  les  instruments  nécessaires  à  ses  expé- 
riences ;  il  n'était  point  étranger  aux  lettres  et 
aux  arts,  et  il  composa  un  cabinet  très-curieux 
de  médailles,  d'antiquités  et  de  machines  ingé- 
nieuses, toutes  de  son  invention.  Ce  cabinet, 
qui  passait  pour  une  des  merveilles  de  l'Italie, 
fut  dispersé  après  la  mort  de  Settala;  on  en  a 
«ne  description  en  latin  par  Terzago  (Musxum 
septaliamim;  Tortone,  1664,  in-4°),  laquelle 
a  été  mise  en  italien  par  Fr.  Scarabelli  (ibid., 
1666,  1077,  in-4o). 

Settala.  {Carlo),  frère  du  précédent,  mort 


SEUME 


828 


en  mai  1682,  à  Rome,  embrassa  l'état  ecclé- 
siastique, devint  archiprêtre  de  Milan,  et  occupa 
depuis  1653  l'évêché  de  Tortone.  II.  a  écrit  di- 
vers ouvrages,  entre  autres  Misterj  délia  messa 
romana  ed  ambrogiana  (Tortone,  1672, 
in-4°),  et  Nobililas  Septalise  gentis  (s.  1.  n.d., 
in-4<>  ). 

Settala  (Senatore),  frère  des  précédents, 
mort  en  1636,  à  Milan,  fut  reçu  docteur  en  mé- 
decine en  1616,  et  édita  quelques-uns  des  der- 
niers ouvrages  de  son  père. 

Argellati,  Bibl.  mediolanensis.  —  A.-B.  de  Yrissarri, 
Compendio  de.  la  vida  de  Manfredo  Settala  (  eu  espa- 
gnol )  ;  Milan,  iesi,in-4°. 

seume  (Jean-Gottlieb),  poète  et  voyageur 
allemand,  né  le  29  janvier  1763,  à  Posern,  village 
de  Saxe,  mort  le  13  juin  1810,  à  Tœplitz.  Il  était 
fils  d'un  paysan.  Ses  heureuses  dispositions  frap- 
pèrent le  comte  de  Hohenthal-Knauthain,  qui  le 
fit  élever  à  ses  frais,  dans  l'école  de  Borna.  De 
là  il  se  rendit  à  Leipzig,  chez  l'archéologue  Mar- 
tini, recteur  de  l'école  Nicolaï;  admis  dans  l'u- 
niversité, où  il  devait  étudier  la  théologie,  il 
profita  de  la  liberté  qui  lui  était  laissée  pour 
étudier  l'histoire  et  les  langues  anciennes  et  pour 
lire  les  ouvrages  de  Bajle,  de  Bolingbroke  et 
de  Shaftesbury;  cette  lecture  acheva  de  lui  en- 
lever ses  croyances  religieuses.  A  peine  eut-il 
achevé  ses  cours  que,  résolu  à  s'ouvrir  lui-même 
une  earrière,  il  partit  à  pied  pour  Paris.  L'épée 
au  côté ,  quelques  chemises  dans  son  sac,  deux 
ou  trois  livres  classiques  dans  sa  poche,  il  marcha 
jusqu'à  Bach,  où  il  tomba  aux  mains  de  recru- 
teurs hessois,  qui  le  traitèrent  comme  un  prison- 
nier. «  Malgré  toutes  mes  protestations,  dit-il 
lui-même,  le  grand  courtier  d'hommes  de  ce 
temps-là,  le  landgrave  desCassel,  se  chargea 
de  mes  gîtes  ultérieurs ,  depuis  Bach  jusqu'en 
Amérique.  »  Depuis  ce  moment,  la  vie  de  Seume 
est  semée  de  tant  d'incidents  qu'elle  ressemble 
à  un  roman.  Il  en  a  écrit  une  partie  ;  le  reste  est 
"  dû  à  la  plume  de  deux  de  ses  amis,  qui  ont  pu- 
blié cette  intéressante  autobiographie  (  Mein  Le- 
ben;  Leipzig,  1813,  in-8°). 

Après  une  navigation  de  six  mois,  Seume, 
avec  quinze  cents  autres  victimes  de  la  traite 
pratiquée  par  le  landgrave  pour  le  compte  de  l'An- 
gleterre, aniva  dans  la  baie  d'Halifax.  Il  parvint 
au  grade  de  sergent;  mais  la  paix  fut  conclue 
avant  qu'il  eût  pris  part  à  la  guerre  (1783).  Le 
corps  hessois  fut  ramené  en  Europe ,  et  comme 
le  bruit  courait  qu'il  allait  être  vendu  par  le 
landgrave  aux  Prussiens,  Seume,  aussitôt  dé- 
barqué à  Brème,  s'empressa  de  déserter;  n'ayant 
pas  eu  le  temps  d'ôter  son  uniforme',  il  fut  saisi 
par  des  recruteurs  prussiens,  emmené  à  Embden, 
et  incorporé  dans  un  régiment  comme  simple  sol- 
dat. Deux  fois  il  tenta  d'échapper  aux  traitements 
humiliants  que  lui  infligeait  la  discipline  si  rigide 
de  Frédéric  II  :  chaque  fois  un  sort  funeste  le 
ramena  parmi  ceux-là  même  dont  il  pensait 
s'être  débarrassé.  Traduit  devant  un  conseil  de 


S  j;29  SEUME  —  SÉVÈRE 

I  uerre,  il  fut  condamné  à  passer  douze  fois  par 
j  '9  verges;  la  peine  fut  commuée  en  six  semaines 
e  prison  au  pain  et  à  l'eau.  Sa  position  s'amé- 
ora  de  beaucoup;  mais  quel  adoucissement 
cuvait  à  ses  yeux  tenir  lieu  île  la  liberté?  Notre 
oldat  malgré  lui  rêvait  à  une  désertion  nou- 
elle,  lorsqu'un  babitant  d'Embden  lui  en  sug- 
éra  l'occasion  :  il  l'engagea  à  demander  un  congé 
t  fournit  une  caution  de  80  tbalers  (320  fr.). 
ie  retour  à  Leipzig,  Seume  consacra  aussitôt 
u  remboursement  de  cette  somme  la  traduction 
'Henriette,  Warren  (1788),  roman  anglais  ;  en 
îême  temps  il  donna,  pour  vivre,  des  leçons  de 
indues,  et  reprit  avec  plus  de  vigueur  qu'au- 
efois  le  cours  de  ses  études.  En  1792,  il, reçut 
!  diplôme  de  docteur  en  philosophie  avec  une 
lèse  Sur  les  armes  anciennes  et  modernes 
Jeber  Bewaffung ;  Leipzig,  1792,  in-8°).  Admis 
aranie  précepteur  chez  la  comtesse  Igelstrœhm, 
acheva  l'éducation  de  son  fils,  et  devint  en 
79.3  secrétaire  du  générai  Joseph  Igelstrœhm, 
ui  commandait  les  forces  russes  en  Pologne  et 
ui  le  fit  nommer  lieutenant  de  grenadiers.  Ce 
ît  Seume  qui  rédigea,  pour  Catherine  II,  tous 
«  actes  diplomatiques  importants  relatifs  au 
artage  de  la  Pologne ,  quoiqu'il  eût  sur  les  at- 
tires de  ce  pays  une  tout  autre  opinion  que  le 
énéral  et  l'impératrice  elle-même.  Lors  de  l'in- 
unection  polonaise  de  1794,  il  se  trouvait  dans 
rarsovie,  et  prit  part  à  la  défense  de  celte  ville; 
éparé  des  siens,  il  se  consiilua  prisonnier  après 
voir  erré  trois  jours  sans  prendre  de  nourriture. 
ia  reprise  de  Varsovie  par  Souvorof  le  rendit  à 
a  liberté.  Désigné  par  l'impératrice  pour  accom- 
agner  un  jeune  noble  blessé,  il  le  conduisit  à 
ieipzig.  Ce  fut  là  qu'il  mit  au  jour  l'intéressante 
dation  des  événements  de  Pologne  (Wichtige 
fachrichten;  Leipzig,  1796,  in-8°).  Peu  de 
emps  après,  Catherine  II  mourut,  et  Seume 
(erdit  avec  elle  l'espoir  de  s'élever  à  un  grade 
Mus  considérable.  On  le  raya  des  cadres  de 
rarmée  russe,  et,  disant  adieu  à  l'état  militaire, 
jl  recommença  à  donner  des  leçons.  Sa  plume 
lie  resta  pas  oisive,  et  il  composa  un  essai  Sur 
[a  vie  et  le  caractère  de  Catherine  II  (Leipzig, 
[797,  in-8°),  et  des  mélanges  sous  le  titre  d'O- 
ise* (Obolen  ;  ibid.,  1797,  2  vol.in-8°).  A  la  fin 
Je  1799,  il  accepta  l'offre  de  son  ami  Gœschen, 
libraire  à  Grimma,  et  surveilla  l'impression  de 
(es  publications  littéraires.  «  Je  consens,  lui  dit-il 
|.  ce  propos,  à  rester  deux  ans  sur  une  chaise  ; 
laais  après  ce  temps  il  me  faudra  courir  un  peu. 
("'irai  à  Syracuse.  »  Le  lendemain  du  jour  où  ex- 
pirait son  engagement  (décembre  1801),  il  partit, 
lit  revint  au  bout  de  neuf  mois,  au  jour  fixé  par 
jui  à  son  départ.  Il  avait  parcouru,  presque  tou- 
fours  à  pied,  l'Autriche,  l'Italie,  la  Sicile,  la  Suisse 
lit  une  grande  partie  de  la  France.  Le  récit  de 
î;ette  excursion  pédestre  parut  sous  le  titre  de 
ppaziergang  nach  Syrakus  (Promenade  à  Sy- 
racuse; Brunswick  et  Leipzig,  1802,  3  vol.). 
Vers  la  même  époque  il  écrivit  en  latin  ses  Iîe- 


830 

marques  siir  Plutarque,  accompagnées  d'une 
préface  si  bardie,  qu'aucun  éditeur  ne  voulut 
l'imprimer  et  qu'aucun  censeur  n'en  autorisa 
l'impression.  On  ne  sait  ce  qu'est  devenu  ce  ma- 
nuscrit. En  1805  il  fît  encore  un  voyage,  et  visita, 
en  partie  à  pied,  la  Russie,  la  Finlande  et  la 
Suède  (Mein  Sommer  im  lahr  1805;  Ham- 
bourg, 1806,  in-8°).  Les  tendances  de  Seume 
ont  été,  à  plus  d'un  égard,  toutes  françaises. 
Ses  prophéties,  tant  de  fois  réitérées,  se  sont 
accomplies.  Les  Français  devinrent  les  maîtres 
du  continent,  et  du  fond  de  sa  retraite  Seume 
suivait  tranquillement  le  cours  de  leurs  con- 
quêtes. C'est  à  cette  époque  qu'il  composa  la 
tragédie  de  Miltiade  (1808,  in-8°  )  et  les  Apo- 
cryphes, pensées  et  maximes,  qui  ne  furent  pu- 
bliées qu'en  1811  après  sa  mort.  Ses  Poésies,  qui 
dataient  de  1801,  obtenaient  alors  une  troisième 
édition,  bien  qu'elles  ne  se  distinguassent  ni  par 
l'originalité  des  idées ,  ni  par  la  beauté  du  style. 

Au  printemps  de  1810,  Seume  voulut  faire  une 
visiteàWieland,qui  résidait  à  Weimar.  Ce  voyage 
le  fatigua  beaucoup,  et  ajouta  une  intensité  plus 
grande  aux  souffrances  de  la  maladie  d'entrailles 
dont  il  était  attaqué.  On  lui  conseilla  l'usage  des 
eaux  de  Stœplitz  :  il  n'en  éprouva  aucun  bien,  et 
mourut  dans  cette  ville,  à  l'âge  de  quarante-sept 
ans.  Sur  les  instances  de  Wieland,  il  venait  d'ob- 
tenir une  pension  de  l'empereur  Alexandre  Ier. 
«  Une  absence  rare  de  besoins,  rapporte  un  de 
ses  amis,  beaucoup  d'originalité,  de  bizarrerie 
même,  mais  en  même  temps  une  grande  éléva- 
tion de  sentiments  et  le  commerce  le  plus  doux 
semblent  justifier  le  nom  de  noble  cynique,  que 
Wieland  lui  avait  donné.  »  Les  Œuvres  com- 
plètes de  Seume  ont  été  l'objet  de  plusieurs 
éditions  :  celle  de  Wiesbaden,  en  5  vol.  in-8"; 
celle  de  Leipzig,  1826-27,  12  vol.,  et  celle  de 
1835,  gr.  in-8°,  publiée  par  Ad.  Wagner.  H.  W. 

Seume's  SeWstbtographie.  —  Athenseum  français,  12 
juillet  1856. 

sévère  i"  (  Lucius  Sept imius  Severus), 
empereur  romain,  né  le  1 1  avril  146,  près  Leptis 
en  Afrique,  mortle  4  février  211,  àYork  (  Grande- 
Bretagne).  Sa  famille  était  originaire  des  Gaules, 
et  appartenait  à  l'ordre  équestre.  Il  se  rendit 
de  bonne  beurediabile  dans  les  lettres  grecques 
et  latines;  et  dès  l'âge  de  dix-huit  ans  il  dé- 
clamait en  public.  Venu  à  Rome  pour  ac- 
croître ses  connaissances ,  il  fut  présenté  par  son 
oncle  le  consulaire  Septime  Sévère  à  l'empereur 
Marc-Aurèle.  Sous  ce  prince  il  obtint  la  charge 
d'avocat  du  fisc, et  fut  admis  au  sénat. Il  fut  dési- 
gné préteur  dès  l'âge  de  trente-deux  ans.  Le  zèle 
qu'il  mit  à  remplir  ces  diverses  fonctions  ne 
l'empêcha  pas  de  se  livrer  d'abord  à  la  fougue 
d'un  tempérament  violent.  Il  fut  même  accusé 
d'adultère,  et  ne  fut  absous  que  grâce  à  l'inaul- 
j  gence  de  Didius  Julianus ,  son  juge,  celui  même 
qu'il  détrôna  plus  fard.  Mais  une  fois  marié,.il  se 
fit  estimer  par  la  sévérité  de  ses  mœurs  et  par 
son  intégrité.  A  l'avènement  de  Commode,  il  lit 


831 


SÉVÈRE 


83î 


un  voyage  en  Grèce,  où  il  visita  Athènes  et  se  fit 
initier  aux  mystères  d'Eleusis.  Après  avoir  été 
gouverneur  de  la  Gaule  lyonnaise,  légat  de 
Pannonie  et  proconsul  de  Sicile,  il  fut  en  185  au 
nombre  des  vingt-cinq  consuls  créés  par  Cléandre. 
En  186  il  commanda  l'armée  de  Pannonie  et 
d'Illyrie.  Lorsque  Didius  Julianus ,  en  achetant 
l'empire,  mis  à  l'encan  pour  la  première  fois ,  eut 
soulevé  l'indignation  universelle,  les  légions  pro- 
clamèrent Sévère  empereur  (mai  193)  à  Car- 
nutum,  en  Illyrie.  Il  fit  semblant  de  refuser,  mais 
céda  aux  instances  des  soldats,  et  donna  à  chacun 
d'eux  cinquante  mille  sesterces  (9,687  fr.  50  c.)  ; 
avec  une  activité  qu'on  a  comparée  à  celle  de 
César,  il  marcha  droit  sur  Rome,  en  se  présentant 
partout  comme  le  vengeur  de  Pertinax.  Didius 
Julianus  lui  offrit  de  partager  l'empire  en  même 
temps  qu'il  envoyait  des  émissaires  pour  le 
tuer.  Sévère,  pour  toute  réponse,  commanda 
aux  prétoriens  de  massacrer  Didius,  et  ils 
obéirent  (  1er  juin  193).  Le  sénat  s'empressa  de 
décerner  à  Sévère  le  titre  d'empereur.  Afin  d'af- 
fermir son  pouvoir,  il  fit  faire  d'abondantes  distri- 
butions au  peuple,  et  forma  avec  l'élite  de  ses  sol- 
dats d'Illyrie  une  nouvelle  garde  prétorienne.  Ces 
précautions  n'étaient  pas  inutiles,  car  il  avait 
deux  compétiteurs  redoutables,  Pescennius  Niger 
en  Syrie,  et  Clodius  Albinus  en  Bretagne. 
Sévère,  caressant  Albinus  pour  le  moment,  le 
désigna  consul,  et  s'empressa  de  marcher  contre 
Niger,  qu'il  savait  être  aimé  des  Romains.  Ni- 
ger, vaincu  à  Issus  et  à  Nicée ,  fut  tué  par 
ses  soldats  à  Cyzique  (194).  Se  contentant 
d'exiler  la  femme  et  les  enfants  de  son  rival. 
Sévère  punit  de  mort  les  sénateurs,  et  priva 
de  leurs  droits  Byzance  et  les  autres  cités 
qui  avaient  pris  parti  pour  celui-ci  (196). 
Dans  cette  même  campagne  (195),  Sévère  s'a- 
vança jusqu'à  TEuphrate,  soumit  les  Arabes, 
les  Adiabènes  et  vainquit  les  Parthes ,  qui 
avaient  fourni  du  secours  à  Niger.  Restait  Albi- 
nus, qui  venait  de  se  laisser  proclamer  auguste 
par  ses  légions.  Pendant  qu'il  s'avance  vers  l'I- 
talie, où  il  compte  une  foule  d'amis  secrets,  Sé- 
vère le  fait  déclarer  ennemi  public,  quitte  la 
Mésie,  et  l'atteint  en  Gaule.  Il  remporte  sur 
lui  à  Trévoux,  près  de  Lyon  (19  février  197), 
une  victoire  complète.  Dépouillant  alors  la  mo- 
dération qu'il  a  feinte  jusque-là,  il  foule  aux 
pieds  le  cadavre  du  vaincu ,  fait  égorger  sa 
femme  et  ses  enfants,  proscrit  ses  complices 
et  détruit  Lyon  ,  qui  lui  avait  résisté.  Cette 
vengeance  ne  lui  suffit  pas;  il  fait  mettre  à 
mort  vingt-neuf  sénateurs  liés  avec  le  frère 
d'Albinus,  et  impose  au  sénat  l'humiliation  de 
mettre  Commode  au  rang  des  dieux.  En  même 
temps  qu'il  effraye  les  grands  par  ses  rigueurs,  il 
se.concilie.le  peuple.par  des  fêtes  et  des  distri- 
butions, et  achève  de  gagner  les  soldats  en  fa- 
vorisant l'indiscipline.  En  197  éclata  une  guerre 
contre  les  Parthes,  qui,  instruits  par  des  pros- 
crits du  parti  de  Niger  dans  la  tactique  romaine, 


avaient  envahi  la  Mésopotamie  et  assiégeaient 
Nisibe.  Sévère,  obligé  de  retourner  en  Orient, 
entre  dans  la  Syrie,  prend  Babylone,  Séleucie 
et  Ctésiphon,  capitale  des  Parthes.  Ne  pou- 
vant conserver  ces  conquêtes  lointaines,  i 
conclut  une  paix  avantageuse ,  s'alite  ensuitf 
au  roi  d'Arménie,  et  pénètre  jusque  dans  h 
royaume  d'Atra.  Enfin, il  se  rend  en  Egypte,  oî 
il  s'initie  avec  une  avide  curiosité  aux  livres  sa- 
crés de  ce  pays.  II  était  de  retour  à  Rome  en 
202.  C'est  alors  qu'on'lui  éleva  au  pied  du  Ca- 
pitale l'arc  qui  subsiste  encore  aujourd'hui, 
Les  jeux  qu'il  célébra  à  cette  occasion  surpas- 
sèrent en  magnificence  tous  ceux  qui  avaient  été 
donnés  précédemment.  Rome  fut  embellie  pai 
ses  soins;  il  restaura  le  Panthéon,  construisit  le 
Septigonium  et  plusieurs  autres  monuments. 
Sans  pitié  à  l'égard  de  ceux  qui  lui  faisaient  om 
brage,  Sévère  se  montrait  juste  et  clément  poui 
le  reste  de  ses  sujets.  Il  eut  recours  aux  lu- 
mières du  célèbre  jurisconsulte  Papinien ,  qu'i 
nomma  préfet  du  prétoire,  rendait  au  derniei 
des  citoyens  une  justice  rigoureuse  ,  allégea  les 
charges  des  provinces,  et  essaya  d'arrêter  h 
corruption  croissante  des  mœurs.  Son  intérieui 
fut  attristé  par  les  débordements  de  sa  seconde 
femme,  Julia  Domna,  que  sur  la  foi  d'un  horoscope 
il  avait  fait  venir  de  Syrie,  et  par  les  dissensions 
sans  cesse  croissantes  de  ses  deux  fils,  Caracalla 
et  Geta.  Il  avait  fait  épousera  Caracalla  la  fille  de 
Plautien.  Cette  alliance  fut  cause  de  la  perte 
de  ce  favori.  Craignant  pour  sa  fille ,  il  trama 
un  complot  contre  Sévère ,  et  périt  victime  de 
sa  faveur  même  (203). 

En  207,  les  Calédoniens  se  révoltèrent.  Se- 
vère  se  rendit  dans  la  Grande-Bretagne  avec  ses 
deux  fils,  qu'il  voulait  accoutumer  aux  fatigues 
de  la  guerre  (208).  Cette  expédition  lui  coûta 
cinquante  mille  hommes  ;  mais  il  étendit  la 
domination  romaine  jusqu'à  la  Clyde.  Le  mur 
qu'il  fit  construire  pour  empêcher  les  incur- 
sions des  barbares,  plus  au  nord  que  celui 
d'Adrien,  resta  la  limite  de  l'empire  dans  cette  ré- 
gion. Les  infirmités  l'ayant  forcé  depuis  de  confier 
à  Caracalla  le  commandement,  ce  monstre,  dans 
l'espoir  d'exclure  son  frère  Geta  du  trône,  cher- 
cha à  séduire  les  troupes.  Le  vieil  empereur  fit 
mettre  à  mort  ses  complices,  mais  l'épargna  lui- 
même.  Caracalla  ne  recula  pas  devant  la  pensée 
d'un  parricide.  Sévère  souffrait  de  la  goutte 
quand  il  apprit  ce  projet  :  le  chagrin  irrita 
son  mal.  Sentant  sa  fin  approcher,  il  fit  venir 
ses  deux  fils,  les  exhorta  à  se  réconcilier, 
puis,  leur  montrant  l'urne  qui  devait  contenir 
ses  cendres  :  «  Tu  renfermeras  bientôt,  dit-il, 
celui  que  n'a  pu  contenir  l'univers.  »  Le  der- 
nier mot  d'ordre  qu'il  donnafut  :  «  Travaillons  » 
(laboremus).  Il  expira  à  York  (Eboracum)à 
l'âge  de  soixante-cinq  ans  (211).  Ses  restes  furent 
rapportés  à  Rome,  et  il  reçut  les  honneurs  de 
l'apothéose.  Spartien  dit  qu'il  avait  laissé  des 
mémoires.  Caracalla  lui  succéda. 


833 

Machiavel  a  rangé  Sévère  parmi  les  grands 
|  princes ,  «  parce  qu'il  unissait  la  férocité  die 
j  [  lion  à  la  ruse  dît  renard  »,  et  qu'il  sut  se 
*  »  faire  craindre  du  peuple  sans  être  haï  du  sol- 
|  dat  (Le  Prince,  chap.  xjx).  Montesquieu,  tout 
lien  lui  accordant  de  grandes  qualités,  remarque 
j  rque  la  douceur,  cette  première  vertu  des  princes, 
k  1  lui  manquait  ;  il  lui  reproche  d'avoi  r  relâché  par  ses 
l|largesses  la  discipline  militaire.  «  Après  lui.onvit 
ij  régner  toutes  les  horreurs,  »  ajoute-t-il.  Il  ne  faut 
tipasoublier  qu'il tolérad'abord  les  chrétiens, restés 
I  »à  l'écart  des  luttes  politiques  de  son  règne,  et  qu'il 
fcfdonna  même  pour  précepteur  à  son  fils  aîné  le 
Dhrétien  Proculus.  C'est  à  son  retour  de  chez  les 
l  fParthes  qu'irrité  par  une  révolte,  il  renouvela 
ibontre  les  Juifs  les  édits  rigoureux  de  Trajan. 
■Pette  persécution,  rendue   plus  cruelle  par  la 

■  ureur  populaire,  dura  de  197  à  202  et  peut-être 

■  même  «jusqu'à  sa  mort;  elle  sévit  surtout  en 

■  Egypte,  où  Clément  d'Alexandrie  fut  obligé  de 
■quitter  son  école.  C'est  à  Septime  Sévère  que 

■  rertullien  a  dédié  sa  célèbre  Apologie,  qui  doit 
■ivoir  été  écrite  vers  l'an  200.  G.  R. 

■  Histoire  Auguste.  —  JEl\ixs  Spartlea.  —  Hérodien.  — 
)ion  Casslus,  1.  XXIV,  XXV,  XXVI.  -  Eutrope,  VIII.  - 

|j.  urél.  Victor,  De  Cses.,  xx.  —  Orose,  VU,  11.  —  Gibbon; 
Wst.  de  la  décadence  de  l'empire  romain. 

sévère  h  (Flavius   Valerius  Severus), 
mpereur  romain ,  né  en  Illyrie,  d'une  famille 
■bscuré,  mort  en  avril  307.  Il  embrassa  l'état 
mlitaire.  Quoiqu'il  ne  se  distinguât  par  aucune 
ualité,  il  parvint  aux  grades  les  plus  élevés  de 
armée.   II  s'était  voué  corps  et  âme  au  parti 
;e  Galère,  et  fut  l'un  des  césars  que  choisit  ce 
lernier,  devenu  auguste  (305).  On  lui  donna 
lors  le  gouvernement  de  l'Italie  et  de  l'Afrique, 
'onstance  étant  mort,  Galère   s'adjoignit  son 
rotégé  avec  le  titre  d'auguste  (306),  et  lui  or- 
onna  d'étouffer  la  rébellion  de  Maxence  (voy. 
e  nom).  Sévère   l'assiégea    dans  Rome;  mais 
es  troupes  l'abandonnèrent,  et  il  se  jeta  dans  Ra- 
■ennc ,  puis  se  livra  lui-même  à  son  ennemi. 
Kelui-ci  le  mena  captif  à  Rome,  et,  violant  la 
Ëromesse  qu'il  lui  avait  faite  de  le  traiter  hono- 
rablement, il  ne    lui  laissa  que  le  choix  du 
■upplice.   Sévère  se  fit  ouvrir  les  veines  dans 
ne  bourgade  de  la  voie  Appienne. 

■  Victor,  De  Cxsar.,  40;  Epit,,  40.  —  Eutrope,  X,  2.  — 
■mith,  Dict.  of  roman  biogr. 

I  sévère  m  (Libius  Severcs),  empereur  ro- 
■îain,  né  en  Lucanie,  mort  le  1 5  août  465,  à  Rome. 

■  resta  longtemps  obscur.  Son  incapacité  fut  son 
■îul  titre  au  trône.  Ricimer  le  désigna  pour  suc- 
■éder  à  Majorien,  au  meurtre  duquel  il  avait  con- 
■"ibué.  Sévère  fut  proclamé  auguste  à  Ravenne, 
m  19  novembre  461.  Son  règne  dura  quatre  ans. 
■I  n'est  remarquable  que  par  les  ravages  des  bar- 
aares.  Les  Vandales,  sous  la  conduite  de  Genseric, 
«Hlèrent  la  Sicile  et  l'Italie,  et  se  rendirent  maîtres 
le  la  Sardaigne  ;  les  Visigoths  dévastèrent  les 
■rovinces  méridionales  de  la  Gaule;  les  Saxons 
■'établirent  dans  l'Armorique  :  enfin,  les  Ger- 

lains  envahirent  l'Helvétie.  Pendant  ce  temps 

NOCV.  BIOGR.   GÊNER.   —  T.    XLIII. 


SÉVÈRE  —  SEVERINO 


834 

Sévère  vécut  confiné  dans  son  palais.  Ricimer 
lui  donna  pour  successeur  Anthemius. 

Idalius,  Chronicon.—  Ctironicon  Alexandr.  —  Evagr., 
H,  7.—  Tneoph.,  p.  97.— Jornandès,  De  reb.  got/t.,  c.  xlv. 

sévère.  Voy.  Alexandre. 

sévère.  Voy.  Sulpice. 

su  ver  ix  (Severinus),  pape,  né  à  Rome, 
où  il  est  mort,  le  1er  août  640.  II  était  l'ami 
d'Honorius  Ier,  qui  l'employa  dans  plusieurs  né- 
gociations, et  il  lui  succéda,  le  28  mai  640,  après 
un  interrègne  d'environ  dix-huit  mois.  Son  élec- 
tion fut  contestée  par  l'empereur  Heraclius,  qui 
exigeait  de  lui  pleine  adhésion  à  la  profession 
de  foi  qu'il  avait  publiée  en  638  au  sujet  du  mo- 
nothélisme.  Les  légats  de  Severin  promirent  à 
ce  prince  que  le  pape  signerait  cette  formule; 
mais  celui-ci  désavoua  leur  conduite,  et  con- 
damna même  le  décret  impérial.  Heraclius 
donna  l'ordre  à  Isaac,  exarque  de  Ravenne,et  à 
Maurice,  gouverneur  de  Rome,  de  s'emparer  des 
trésors  de  l'Église  et  du  palais  de  Latran.  Sur 
ces  entrefaites  le  pape  tomba  malade,  el  mourut. 
Jean  IV  lui  succéda. 
Artaud  de  Montor,  Hist.  des  souverains  pontifes. 

SEVERINO  ( Marco- Aur elio) ,  médecin  ita- 
lien,  né  le  2  novembre  1580,  à  Tarsia,  en  Ca- 
labre,  mort  le  16  juillet  1656,  à  Naples.  Il  était 
fils  deGiacomo  Severiuo,  jurisconsulte  de  talent. 
Après  avoir  fait  ses  humanités  à  Cosenza,  il  fut 
envoyé  à  Naples  et  remis  entre  les  mains  des 
plus  illustres  maîtres  du  temps;  grâce  à  des  dis- 
positions peu  communes  et  à  un  travail  infati- 
gable, il  s'appliqua  avec  un  égal  bonheur  à  la 
plupart  des  connaissances  humaines  :  Campa- 
nella  l'initia  aux  doctrines  de  Telesio,  qui  en  phi- 
losophie venait  de  secouer  le  joug  d'Aristote; 
Tancredi,  Buongiovanni  et  Jasolino  lui  ensei- 
gnèrent la  médecine;  il  avait  aussi  appris  de 
Stelliola  les  mathématiques  et  de  Scarlato  la 
jurisprudence.  Il  paraît  même  que,  pour  com- 
plaire à  ses  parents,  il  avait  choisi  pour  pro- 
fession cette  dernière  science,  et  qu'il  avait  écrit 
sur  les  Pandectes  un  commentaire,  dont  le  ma- 
nuscrit lui  fut  volé  par  un  puissant  personnage 
et  qui  n'a  pu  être  retrouvé.  Aussitôt  qu'il  eut 
pris  le  diplôme  de  docteur  à  Salerne,  il  s'établit 
à  Naples,  et  obtint' au  concours  la  chaire  d'ana- 
tomie  et  celle  de  .médecine;  il  conserva  ces 
doubles  fonctions  jusqu'à  sa  mort,  et  y  joignit 
plus  tard  celles  de  chirurgien  en  chef  de  l'hô- 
pital des  Incurables.  Severino  s'était  fait,  autant 
par  son  mérite  que  par  la  hardiesse  de  son  ca- 
ractère, un  grand  nombre  d'ennemis  parmi  ses 
confrères;  ils  réussirent  un  moment,  à  force 
d'intrigues,  à  l'éloigner  de  Naples  ;  mais  iltriom- 
pha  de  leur  persécution,  et  fut  rappelé  d'une  voix 
unanime  dans  sa  patrie.  Malgré  son  extrême 
vieillesse,  il  pratiqua  son  art  avec  le  même  zèle, 
et  il  fut  victime  de  son  dévouement  à  soigner 
les  malades  durant  la  peste  qui,  en  1656,  décima 
le  midi  de  l'Italie.  A  un  savoir  des  plus  étendus 
Severino  joignait  une  rare  sagacité,  un  jugement 

27 


835  SEVERINO  - 

prompt  et  ferme;  son  nom  suffit  à  attirer  dans 
l'université  napolitaine  un  grand  concours  d'é- 
trangers. Il  fut  en  Italie  le  principal  restaurateur 
de  la  chirurgie,  et  la  ramena  aux  principes  sé- 
vères des  Grecs.  Il  remit  en  honneur  dans  les 
opérations  l'emploi  du  fer  et  du  feu,  auquel  il 
eut  recours  avec  une  audace  souvent  heureuse; 
et,  malgré  d'assez  nombreuses  erreurs  de  théorie, 
il  laissa  un  certain  nombre  de  préceptes  pra- 
tiques qui  se  sont  transmis  jusqu'à  nous.  Parmi 
ses  écrits  on  remarque  :  Historia  analomica 
observatioque    medica   eviscerati   corporis; 
Naples,  1629,  in-4°;  trad.  en  français  (Enchi- 
ridion  anatomique;  Paris,  1629,  2  vol.  in-12), 
par  J.  Vigier;  —  Derecondita  abscessuum  na- 
turel lib.   VIII;  Naples,   1632,  in-4°  :  c'est  le 
meilleur  ouvrage  de  Severïno  et  le  premier  qui 
ait  traité  spécialement  des  abcès  ;  on  en  connaît 
huit  ou  dix  éditions;  —  Vipera  pythiœ,  seu  de 
viperse  natura ,  etc.;  Padoue,  1643,  in-4°;  — 
La  Querela  delV  et  accorciata;  Naples,  1644, 
m-4°  :  badinage  en  faveur  de  la  conjonction  et, 
que  les  Italiens  modernes  ont  privée  de  sa  der- 
nière lettre;  —  Zoo tomia  democrïtea,  id  est 
anatome  generalis  totius  animanthim  opi- 
ficii;  Nuremberg,  1645,  in-4°,  fig.  :  dans  cet  ou- 
vrage, encore  grossier,  et  qui  est  dû  aux  soins  de 
Wolckamer,  on  trouve  des  généralités  fort  pré- 
cieuses sur  l'anatomie  comparée,  celle-ci, par 
exemple,  que  la  nature  semble  avoir  suivi  un 
plan  commun   dans  les  formes  qu'elle  a  don- 
nées aux  différentes  espèces,  surtout  parmi  les 
vertébrés;     —     Scilophlebotome    castigata; 
Amst.,   1645,  in-4°;  —  De  e/Jîcaci  medicina 
lib.  III;  Francfort,    1646,  1682,  in-fol.;  trad. 
en-sfrançais,  Genève,  1668,  in-4°  :  il  y  exagère 
les  avantages  du  fer  et  du  feu  dans  la  cure  de 
presque  toutes  les  maladies;  —  De  lapide  fun- 
gïfero  epist.  II,  impr.  dans  le  traité  De  cœna 
deB.  Fiera;  Naples,  1649,  in-4°,  et  à  part,  Wol- 
fenbuttel,  1728,  in-4°  :  «  il  s'agit ,  dit  Jourdan, 
d'une  espèce  de  tuf  volcanique  très-poreux  et 
imprégné  de  blanc  de  champignon,  qui  donne  le 
bolet  tuberastre,  qu'on  mange  habituellement  à 
Naples;  ■» —Therapeuta  neapolilanus^aples, 
1653,  in-8°  :  c'est  un  vade-mecum  rédigé  par 
un  élève  de  l'auteur;  —  Trimembris  chirur- 
gia;  Francfort,    1653,  in-4°  ;  —  Qusesliones 
anatomicx  IV;  Hanau,    1654,  in-4°;  —De 
psedanchone  malïgna;  Francfort,  1655,  in-8°  : 
mémoire  écrit  à  l'occasion  d'un  croup  épidé- 
mique  qui  avait  sévi  en  1618  à  Naples;  —  An- 
tiperipatias,  hoc  est  adversus    aristotelicos 
de  respiratione    piscium   diatriba;  Naples, 
1659,  1665,  in-fol.  :  ii  y  prouve  que  les  poissons 
respirent  comme  les   autres  animaux  et  qu'ils 
ont  le  sang  chaud;  sur  la  circulation  du  sang  il 
n'a  point  d'opinion  arrêtée;  —  La  Filosofia  de- 
gli  scacchi  ;  Naples,    1690,  in-4°.  Severino  a 
traduit  de  l'espagnol  en  latin  :  De  chocolata 
d'Ant.  Colmenero  (Nuremberg,  1644,  in-12),  et 
on  a  publié  la  première  partie  de  l'édition  com- 


-  SÉVIGNÉ  836 

•mentée  qu'il  avait  préparée  des  Rime  e  prose 
de  G.  délia  Casa  (Naples,  1694,  in-4°);  le  reste 
de  ses  notes  a  été  inséré  dans  l'édition  du  même 
livre  faite  en  1728,  à  Venise. 

Origlia..ttoHa  dello  studio  di  Napoli,  II,  82.— Zavar- 
roni,  DM.   calabra.    —   Magiiaiï,   Elogio   istorico  di 

■  M.- A.  Severino;  Naples,  1815,  in-i°.    —  Crassi,  Elogi 

■  d'uomini  letterati.  —  Portai,  Hist.  de  l'anatomie,  II, 
493.  —  Jourdan,  dans  la  Biogr.  méd. 

severus  (  Cornélius  ),  poëte  latin,  vivait 
dans  le  premier  siècle  après  J.-C.  Il  était  le 
contemporain  d'Ovide,  qui  lui  adressa  une  de  ses 
Epitres  écrites  du  Pont.  11  composa  un  poëint 
Sur  la  guerre  de  Sicile  (Bellum  siculum): 
Sénèque  nous  en  a  conservé  un  passage  surlï 
mort  de  Cicéron.  Severus  avait  aussi  parlé  di 
l'Etna,  soit  dans  son  poëme  séparé,  soit  plus 
probablement  dans  son  poëme  Sur  la  guern 
de  Sicile.  Si  l'on  en  croit  Quintilien,  Corne 
lius  Severus  était  plus  remarquable  comme  ver 
sificateur  que  comme  poëte.  Le  passage  eit 
par  Sénèque  et  quelques  fragments  insignifiant 
'  ont  été  recueillis  par  Wernsdorf  dans  ses  Poeté 
latini  minores,  tome  IV.  Y. 

Ovide,  Epist.  ex  Ponto,  IV,  2.   —  Sénèque,  Suasoriu 
VII;  Epist.  LXXIX.  -  Quintilien,  X,  I. 

severus  {Julius),  grammairien  latin,  d'unr 
époque  incertaine.  Il  nous  reste  de  lui  un  opus 
cule  sur  la  versification,  intitulé  De  pedibu 
expositio.  Heusinger  le  publia  avec  un  traité  d 
;  !  Flavius  Mallius  Theodorus  sur  le  même  sujt 
(Wolfenhuttel,  1755;  Leyde,  1766);  on  le  trouv 
dans  les  Scriptores  latini  rei  meiricee  de  Gai; 
ford;  Oxford,  1837.  Y. 

Smith,  Dictionary  ofgreek  antiroman  biograpJitj. 

sétigké  (Marie  de  Rabotes -Chantal 
marquise  de),  née  le  6  février  1626,  à  Paris  (1) 
morte  le  18  avril  1696,  à  Grignan  (Drôme 
Elle  était  la  fille  unique  de  Celse-Bénigne  de  R; 
butin ,  baron  de  Chantai,  et  de  Marie  de  Cor 
langes.  Elle  était  encore  an  berceau  lorsqu'el! 
perdit  son  père  :  le  baron  de  Chantai  fut  tué  1 
22  juillet  1627,  en  combattant  sous  les  ordrt 
du  marquis  de  Toiras,  pour  repousser  les  Aï 
glais  de  l'île  de  Rhé.  Sa  veuve  ne  lui  survéci 
que  cinq  ans.  Restée  orpheline  à  l'âge  de  si 
ans,  Marie  de  Rabutin  fut  placée  sous  la  tutel 
de  son  aïeul  maternel  jusqu'en  1636,  où  elle 
perdit.  Elle  demeura  depuis  sous  la  surveillai 
de  l'abbé  de  Coulanges,  son  oncle  (2).  Rien  r 
fut  négligé  pour  qu'elle  reçût  autant  d'instrut 
tion  qu'il  était  permis  alors  aux  femmes  d'e 
avoir  :  Ménage,  qu'on  lui  donna  pour  précepteu 
lui  apprit  le  latin ,  l'italien,  l'espagnol;  Chap< 
lain  contribua  aussi  à  l'instruire.  Aux  sérieusi  « 
leçons  de  ces  deux  maîtres  succédèrent  celli  Ii 
d'une  cour  élégante  et  polie,  la  cour  d'Am  Ss 
d'Autriche,  où  elle  passa  les  plus  belles  annéi 
de  sa  jeunesse.  Elle  se  maria,  à  l'âge  de  dix-lns 

(1)  Ainsi  qu'il  résulte  de  son  acte  de  baptême. 

(î)  C'est  lui  qu'elle  désigne  dans  ses  lettres  sous 
nom  de  Bien  bon,  et  pour  lequel  elle  témoigne  si  so 
vent,  avec  cet  accent  de  sensibilité  qui  lut  appartien 
une  reconnaissance  toute  filiale. 


i 


^él 


837 

ans,  avec  Henri  de  Sévigné,  maréchal  de  camp, 
issu  d'une  ancienne  maison  de  Bretagne  (  1er  août 
1644).  Prodigue,  et  passionné  pour  le  plaisir,  le 
marquis  de  Se  vigne  dissipa  une  lionne  partie  de  son 
bien,  cl  délaissa  sa  femme  pour  des  maîtresses. 
11  était  d'autant  plus  difficile  de  lui  pardonner 
ses  infidélités  et  ses  désordres,  qu'il  joignait  à 
on  goût  pour  la  dissipation  une  humeur  brusque 
t  un  caractère  rude  et  difficile  (i).  Cette  union 
i  mal  assortie  dura  sept  années.  Le  marquis  de 
iévigné  et  le  chevalier  d'Albret  courtisaient  en 
nême  temps  Mmc  de  Gondran.  Cette  rivalité 
unena  une  rencontre,  dans  laquelle  le  premier 
'enferra  sur  l'épée  de  son  adversaire.  La  bles- 
ure  était  mortelle  :  il  expira  peu  de  temps  après 
e  combat  (5  février  1051).  On  n'a  qu'un  très- 
etit  nombre  de  lettres  écrites  par  Mra=  de  Sé- 
kigné  pendant  son  mariage  «t  les  premières  an- 
ses de  son  veuvage;  mais  dans  ces  quelques 
4tres  on  remarque    déjà  cette  facilité,  cette 
ivacité  spirituelle,  cette  grâce  ingénieuse  et  dé- 
cate  qui  l'ont  immortalisée. 
Elle  avait  eu  de  son  mari  un  fils  et  une  fille. 
Ile  renonça  au  monde  tant  que  dura  leur  en- 
wnce,  et  se  réduisit  au  commerce  de  quelques 
mis.  Afin  d'être  tout  entière  à  ses  enfants,  elle 
3  voulut  point,  si  jeune  qu'elle  fût  encore,  pro- 
ter  des  occasions  qui  s'offrirent  plusieurs  fois 
our  elle  de  se  remarier.  Ceux  qui  eussent  voulu 
;  faire  agréer  d'elle  comme  amants  furent  écon- 
.uits.  Turenne,  le  prince  de  Conti  et  Fouquet 
;  parvinrent  pas  à  toucher  son  cœur;  encore 
oins  le  chevalier  de  Méré  et  M.  du  Lude ,  qui 
rent  aussi  au  nombre  des  soupirants;  encore 
oins  le  bonhomme  Ménage,  car  lui  aussi  fat 
iessé  au  cœur,  et  risqua  plus  d'une  fois,  malgré 
[.  timidité  et  sa  gaucherie,  des  déclarations  qui 
iaient  repoussées  avec  de  piquantes  et  inoffen- 
|ves  plaisanteries.  Assurément   sa  résistance 
lavait  point  sa  source  dans  l'indifférence  d'une 
iture  froide;  peu  de  femmes  eurent  une  sensi- 
lité  plus  active,  une  imagination  plus  vive 
f'elle.  Mais  elle  voulait  être  sage,  et  la  perfec- 
>n  de  sa  raison  lui  donnait  la  force  de  l'être. 
me  de  Sévigné  refusait  ceux  qui  sollicitaient 
s  bonnes  grâces,  de  manière  à  les  décourager 
ns  les  fâcher.  «  Il  n'y  a  guère  que  vous  dans 
royaume,  lui  écrivait  Bussy,  qui  puissiez  ré- 
jdi  Jre  un  amant  à  se  contenter  d'amitié;  nous 
sj  în  voyons  presque  point   qui  d'amant  écon- 
,.(i  |it   ne  devienne  ennemi  ;  et  je  suis  persuadé 
^  i'il  faut  qu'une  femme  ait  un  mérite  extraordi- 
1  jre  pour  faire  en  sorte  que  le  dépit  d'un  amant 
m  jiltraité  ne  le  porte  pas  à  rompre  avec  elle.  » 
m   jssy  avait  raison  de  conclure  ainsi, 
m  Mme  de  Sévigné  reparut  dans  le  monde  quand 


1)  «  Le  marquis  de  Sévigné,  dit  Conrart  dans  ses  Mé- 
trés, disait  quelquefois  à  sa  femme  qu'il  croyait  qu'elle 
été  trè^-agréiible  pour  un  autre,  mais  que  pour  lui 
ne  pouvait  lui  plaire.  On  disait  aussi  qu'il  y  avait 
j  aBte  différence  entre  son  mari  et  elle,  qu'il  l'estimait  et 
iltK  l'aimait  point,  au  lieu  qu'elle  l'aimait  et  ne  l'estimait 
ut 


SÉVIGNÉ  83S 

elle  crut  pouvoir  le  faire  sans  que  l'éducation 
de  ses  enfants  en  souffrît  (1654).  Le  beau  temps 
de  l'hôtel  de  Rambouillet  durait  encore.  On  sait 
qu'elle  fut  une  des  dames  les  plus  admirées  du 
cercle  fameux  que  présidait  M'nc  de  Monlausier. 
Son  esprit  gagna  encore  en  légèreté  et  en  déli- 
catesse dans  le  commerce  de  cette  société  ingé- 
nieuse :  elle  s'y  raffina,  sans  s'y  gâter.  On  la 
compta  au  nombre  des  précieuses  (1);  mais  ce 
nom  était  alors  synonyme  de  femme  d'esprit. 
Si  elle  ne  connut  pas  les  tourments  de  l'amour, 
elle  éprouva  bien  vivement  les  peines  de  l'ami- 
tié. Le  premier  coup  lui  fut  porté  par  le  galant 
et  peu  scrupuleux  Bussy,  qui  avait  plus  d'une 
fois  essayé  d'ébranler  les  sages  résolutions  de  sa 
cousine.  En  1€58,  se  trouvant  dans  un  pressant 
besoin  d'argent  pour  faire  la  campagne  de  cette 
année,  il  s'adressa  à  Mme  de  Sévigné  pour  un 
prêt  de  dix  mille  livres.  Certaines  formalités  un 
peu  longues  ayant  retardé  l'envoi  de  la  somme, 
il  se  persuada  qu'on  l'avait  joué  par  une  pro- 
messe vaine.  Il  avait  l'habitude  de  se  venger 
avec  emportement  de  tous  les  torts  dont  il  était 
ou  se  croyait  victime  :  aussi  inséra-t-il  dans  son 
Histoire  amoureuse  des  Gaules  un  portrait  sa- 
tirique de  Mme  de  Sévigné,  où  non-seulement  il 
présentait  sous  un  jour  ridicule  les  qualités  de 
son  cœur  et  de  son  esprit,  mais  lui  prêtait  des 
défauts  et  des  vices  qu'elle  n'avait  jamais  eus. 
Ainsi,  méconnaissant  cette  vertu  si  pure  à  la- 
quelle il  avait  lui-même  rendu  hommage,  il  l'ac- 
cusait de  cacher  sous  lés  dehors  d'une  prude 
les  désordres  d'une  femme  galante.  Cependant 
il  suffit  au  coupable  de  donner,  un  an  après, 
quelques  marques  de  repentir,  ponr  obtenir  un 
pardon  complet.  En  1661 ,  Mme  de  Sévigné  vit  avec 
un  profond  chagrin  la  chute  de  Fouquet,  qu'elle 
comptait  au  nombre  de  ses  amis  les  plus  dévoués. 
Elle  suivit  avec,  anxiété  les  débats  de  son  procès, 
et  en  transmit  les  détails  à  M.  de  Pomponne, 
qui  avait  été  enveloppé  dans  la  disgrâce  du  sur- 
intendant. Dans  toute  la  correspondance  de 
Mme  de  Sévigné,  il  est  peu  de  parties  qui  offrent 
plus  d'émotion  et  d'éloquence.  Tandis  qu'elle  ne 
songe  qu'à  rendre  compte  de  ce  qu'elle  a  vu  et 
de  ce  qu'elle  a  senti,  elle  trace  un  tableau  dra- 
matique et  fout  vivant  de  cette  grande  scène 
judiciaire;  elle  écrit  un  admirable  plaidoyer. 

M,ne  de  Sévigné  se  consolait  du  chagrin  que 
lui  causaient  les  torts  des  amis  ingrats  ou  ies 
malheurs  des  amis  fidèles,  en  voyant  sa  fille 
(voy.  Grignan),  objet  de  tant  de  soins  et  d'a- 
mour, croître  chaque  jour  en  beauté,  en  esprit 
et  en  grâces.  Elle  la  présenta  dans  le  monde  en 
1663,  et  la  vit  avec  orgueil  s'attirer  les  hom- 
mages de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  distingué  à  la 
ville  et  à  la  cour.  En  1669  elle  lui  donna  pour 
époux  le  comte  de  Grignan,  âgé  alors  de  qua- 
rante ans,  et  qui  avait  déjà  été  marié  deux  fois. 
Elle  se  réjouissait  d'une  alliance  qui,  en  lui  fai- 


(1)  Voir  le  Dict  des  précieuses,  parSomaize. 
27. 


839 


SÉVIGNÉ 


sant  attendre  pour  sa  fille  une  haute  fortune, 
lui  laissait  l'espérance  de  la  garder  auprès  d'elle; 
cette  attente  fut  trompée  en  partie.  M.  de  Gri- 
gnan  fut  nommé,  le  29  novembre  1669,  lieute- 
nant général  au  gouvernement  delà  Provence, 
et  il  emmena  sa  femme  avec  lui.  Mme  de 
Sévigné  aimait  sa  fille  avec  idolâtrie  (1).  Cette 
séparation  creusa  dans  sa  vie  un  vide  pro- 
fond et  douloureux,  auquel  elle  ne  put  jamais 
s'accoutumer.  Pour  le  combler,  elle  eut  recours 
à  la  grande  ressource  des  âmes  tendres  contre 
l'absence  :  elle  écrivit  des  lettres ,  et  les  multi- 
plia ,  sans  jamais  se  rassasier  de  cette  douceur. 
Elle  ne  revit  sa  fille  qu'au  moyen  des  voyages 
qu'elle  faisait  en  Provence,  ou  des  visites,  beau- 
coup trop  rares  à  son  gré,  qu'elle  recevait  d'elle 
à  Paris.  Mme  de  Sévigné  avait  eu  de  l'ambition, 
non  pour  elle,  mais  pour  ses  enfants;  aussi  les 
vit-elle  avec  peine  rester  en  chemin.  M.  de  Gri- 
gnan  ne  sortit  pas  de  son  commandement  de  Pro- 
vence ;  quant  au  marquis  de  Sévigné,  auquel  sa 
mère  avait  acheté  la  charge  de  guidon,  puis 
celle  de  sous-lieutenant  des  gendarmes  du  Dau- 
phin, il  n'obtint  aucun  avancement. 

«  Nous  ne  sommes  pas  heureux  »,  ces  mots 
reviennent  plusieurs  fois  dans  les  lettres  écrites 
à  Bussy.  Vers  1678,  Mme  de  Sévigné,  qui  ne  se 
retira  jamais  du  monde,  se  retira  à  peu  près  de 
la  cour;  elle  ne  s'y  fit  plus  présenter  qu'à  de 
longs  intervalles;  elle  était  lasse  d'y  figurer  sans 
titre,  sans  faveurs  pour  elle  ni  pour  les  siens. 
En  1680,  elle  écrit  des  Rochers  à  sa  fille  :  «  Mon 
fils  dit  qu'on  se  divertit  fort  à  Fontainebleau. 
Les  comédies  de  Corneille  charment  toute  la 
cour.  Je  mande  à  mon  fils  que  c'est  un  grand 
plaisir  d'être  obligé  d'y  être ,  et  d'y  avoir  un 
maître,  une  place,  une  contenance;  que  pour 
moi,  si  j'en  avais  eu  une,  j'aurais  fort  aimé  ce 
pays-là  ;  que  ce  n'était  que  pour  n'en  avoir  point 
que  je  m'en  étais  éloignée;  que  cette  espèce  de 
mépris  était  un  chagrin,  et  que  je  me  vengeais 
à  en  médire,  comme  Montaigne  de  la  jeu- 
nesse  J'ai  vu  des  moments  où  il  ne  s'en  fal- 
lait rien  que  la  fortune  ne  me  mît  dans  la  plus 
agréable  situation  du  monde  ;  et  puis  tout  d'un 
coup  c'étaient  des  prisons  et  des  exils.  »  Elle 
veut  sans  doute  ici  parler  de  la  mort  de  Tu- 
renne,  de  l'emprisonnement  du  cardinal  de  Retz, 
de  Fouquet,  de  Bussy,  et  de  l'exil  de  M.  et  de 
Mme  de  Pomponne.  Dans  la  société  d'élite  où 

(1)  L'amour  maternel,  quand  il  déborde  ainsi,  ne  garde 
pas  toujours  toute  la  dignité  qui  lui  convient  et  qu'il 
peut  conserver  même  dans  la  familiarité  de  l'entretien 
le  plus  intime.  M"1*  de  Sévigné  tombe  quelquefois  à  l'é- 
gard de  sa  fille  dans  une  espèce  d'idolâtrie  minutieuse, 
puérile,  indiscrète ,  qu'on  ne  pardonnerait  qu'à  l'amour, 
et  dont  le  lecteur,  même  le  mieux  disposé,  s'étonne,  dont 
Il  se  sent  un  peu  confus  pour  elle.  Il  est  difficile  de  ne 
pas  éprouver  quelque  chose  de  cette  impression  quand 
on  la  voit,  à  soixante  ans,  prodiguer  mille  petits  soins, 
mille  petites  caresses,  mille  petites  flatteries  à  une  fille 
de  quarante,  et,  après  une  séparation  déjà  longue,  s'a- 
larmer de  tout  pour  elle,  et  ne  pas  lui  laisser  faire  un 
pas,  un  mouvement,  sans  l'accabler  de  recommanda- 
lions,  d'avertissements,  de  prières. 


elle  vécut  toujours,  elle  trouva  beaucoup  d'ami 
mais  peu  qui  fussent  en  possession  d'un  grar 
crédit.  Ceux  qu'on  vient  de  nommer  dispari 
rent  de  la  scène  brusquement ,  et  n'eurent  pas 
temps  de  faire  agir  leur  bonne  volonté  pour  ell 
Du  reste,  il  ne  faut  pas  croire  qu'elle  ne  sut  p 
supporter  ces  mécomptes  :  elle  était  trop  sa: 
pour  n'être  pas  capable  de  se  résigner.  Dans  1 
longs  intervalles  qui  s'écoulèrent  entre  les  visit 
de  sa  fille  ou  ses  propres  voyages  en  Provenc 
Mme  de  Sévigné  ne  vécut  point  toujours  à  Pari 
Il  lui  fallait  de  temps  en  temps  aller  passer  m 
saison  dans  sa  terre  des  Rochers,  pour  dema: 
der  des  comptes  à  ses  fermiers,  ou  pour  répar 
par  les  économies  d'un  séjour  en  Bretagne  1 
dépenses  qu'en  bonne  mère  elle  s'était  imposé 
pour  le  prodigue  marquis.  Alors,  du  milieu 
cette  vie  de  conversations  délicates  et  de  fêl 
brillantes  qu'elle  menait  à  Paris,  elle  se  trouv 
tout  à. coup  transportée  dans  la  solitude  d' 
antique  manoir,  à  peine  troublée  par  les  visil 
de  quelques  provinciaux ,  insipides  ou  ridiculi 
Mais  ces  temps  d'exil  n'avaient  rien  de  ru 
pour  elle.  Le  plus  grand  de  ses  plaisirs,  la  co 
solation  inépuisable  de  sa  vie ,  la  suivait  p; 
tout  :  c'était  cette  correspondance  de  tous  ' 
jours  qu'elle  entretenait  avec  sa  fille  adort 
D'ailleurs  elle  avait  des  amis  dont  la  société 
lui  manquait  nulle  part  :  c'étaient  ses  livi 
chéris,  Virgile,  Montaigne,  Molière,  surtout  Pa 
cal,  qu'elle  mettait  de  moitié  à  tout  ce  q 
est  beau;  Arnauld  et  Nicolle,  dont  le  beau  h 
gage  la  séduisait  aux  opinions  de  Port-Roya 
et  Corneille,  qui  la  transportait  d'admiration 
point  de  la  rendre  injuste  pour  Racine.  A 
goût  sérieux  et  passionné  pour  l'étude,  elle  ji 
gnait  un  vif  amour  des  beautés  de  la  natui 
qu'on  a  eu  raison  de  remarquer  comme  un  c 
traits  caractéristiques  de  son  génie.  Dans  le  s 
pittoresque  au  milieu  duquel  s'élevait  sa  c 
meure,  dans  les  bois  séculaires  qui  l'entourai 
elle  trouvait  toujours  de  quoi  charmer  sesye 
et  occuper  sa  pensée.  Elle  en  parle  sans  cesi 
elle  nous  les  représente  sous  tous  les  aspe* 
que  leur  donnaient  les  changements  des  saisc  | 
et  les  diverses  heures  du  jour,  avec  une  adi 
ration  naïve  et  poétique  qui  surprend,  di  ^ 
cette  époque  si  peu*'Soucieuse  des  champs  et  ( 
plaisirs  simples  qu'ils  procurent ,  si  exclusi1 
ment  éblouie  par  l'élégance  de  la  vie  sociale 
le  luxe  des  cours. 

Parvenue  à  la  vieillesse,  Mme  de  Sévigné 
en  Provence,  en  1694,  un  voyage  qui  fut  le  d 
nier.  La  famille  des  Grignan  venait  "de  céléb 
sous  ses  yeux  un  double  mariage,  celui  de  s 
petit-fils  avec  la  fille  d'un  fermier  général  ( 
et  celui  de  sa  petite-fille,  de  cette  charma 
Pauline  dont  elle  avait  commencé  l'éducatii 
avec  le  marquis  de  Simiane;  quand  Mme 
Grignan,  dont  la  santé  donnait  des  craintes  < 

(1)  C'était  une  mésalliance;  mais,  disait  Mm°  de  C 
gnan,  il  faut  bien  qiwlqtief ois  fumer  ses  terres. 


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h 

mis  plusieurs  années,  fut  atteinte  d'une  maladie 
lui  pendant  quelque  temps  mit  ses  jours  en  pé- 
il.  Mme  de  Sévigné,  dans  cette  circonstance, 
essentit  avec  tant  de  force  les  émotions  d'une 
aère  tendre,  et  en  remplit  les  devoirs  avec  tant 

ardeur,  que  sa  santé,  jusque-là  excellente,  en 
Jt  grièvement  altérée.  Dans  l'instant  où  Mme  de 
!;rignan  commençait  à  se  rétablir,  elle  tomba 
angereusement  malade  elle-même,  et  fut  at- 
einte  de  la  petite  vérole;  le  18  avril  1696, 
lie  avait  cessé  de  vivre.  Le  vœu  touchant 
u'elle  avait  exprimé  plusieurs  fois  dans  ses 
îttres  fut  réalisé.  On  a  pu  remarquer  la  lettre 
ni  commence  ainsi  :  «  Si  j'avais  un  cœur  de 
ristal,  où  vous  puissiez  voir  la  douleur  triste 
t  sensible  dont  j'ai  été  pénétrée  en  voyant 
omme  vous  souhaitez  que  ma  vie  soit  composée 
<e  plus  d'années  que  la  vôtre,  vous  connaîtriez 
«ien  clairement  avec  quelle  vérité  et  quelle  ar- 
eur  je  souhaite  aussi  que  la  Providence  ne  dé- 
ange point  l'ordre  de  la  nature,  qui  m'a  fait 
maître  votre  mère  et  venir  en  ce  monde  beau- 
oup  devant  vous.  C'est  la  règle  et  la  raison,  ma 
lie,  que  je  parte  la  première  ;  et  Dieu,  pour  qui 
•os  cœurs  sont  ouverts,  sait  avec  quelle  instance 
i  lui  demande  que  cet  ordre  s'observe  en  moi.  » 

Du  vivant  même  de  Mme  de  Sévigné,  son  ta- 
înt  épistolaire  était  célèbre  à  la  cour  et  dans 
i  grand  monde.  Louis  XIV  avait  lu  avec  intérêt 
îs  lettres  d'elle  qui  s'étaient  trouvées  dans  les 
assettes  du  surintendant  Fouquet,  et  celles  que 
iussy  avait  entremêlées  dans  ses  Mémoires. 
•ouvent,  quand  une  lettre  charmante,  comme 
lie  en  écrivait  tant,  avait  été  lue  par  le  parent 
u  l'ami  auquel  elle  s'adressait,  celui-ci  en  par- 
lit,  la  montrait,  la  prêtait.  Elle  n'ignorait  point 
es  indiscrétions,  et  ne  s'y  opposait  pas.  Il  y 
vait  ainsi  des  lettres  d'elle  qui  couraient  de 
laain  en  main,  et  qu'on  désignait  par  un  nom 
|ré  de  ce  qui  en  faisait  le  sujet  principal  ou  le 
rail  le  plus  saillant.  Mme  de  Coulanges  lui  écri- 
vit en  1673  :  «  Je  ne  veux  pas  oublier  ce  qui 
ta'est  arrivé  ce  matin  ;  on  m'a  dit  :  Madame, 
toilà  un  laquais  de  Mme  de  Thianges.  J'ai  or- 
onné  qu'on  le  fît  entrer.  Voici  ce  qu'il  avait  à 
de  dire  :  Madame,  c'est  de  la  part  de  Mme  de 
Ranges,  qui  vous  prie  de  lui  envoyer  la 
lettre  du  cheval  de  M">e  de  Sévigné  et  celle 
te  la  prairie  (1).  J'ai  dit  au  laquais  que  je 
es  porterais  à  sa  maîtresse,  et  je  m'en  suis  de- 
nte. Vos  lettres  font  tout  le  bruit  qu'elles  me- 
ttent, comme  vous  voyez;  il  est  certain  qu'elles 
ont  délicieuses,et  vous  êtes  comme  vos  lettres.  »  Il 
tait  difficile  que  la  correspondance  de  Mmede  Sé- 
igné  demeurât  ignorée  après  sa  mort.  Le  premier 
ecueil  imprimé  parut  en  1726  (La  Haye,  2  vol. 
n-12),  par  les  soins  de  l'abbé  de  Bussy,  évêque 
le  Luçon,  fils  cadet  du  comte  de  Bussy,  auquel 
iroe  de  Simiane  avait  remis  des  copies  d'un  assez 


(1)  La  lettre  du  cheval  n'a  pas  été  conservée.  On  a  celle 
e  la  prairie,  adressée  à  M.  de  Coulanges  sous  la  date 
u  22  juillet  1671,  lettre  fort  jolie,  mais  un  peu  tournée. 


SÉVIGNÉ  842 

grand  nombre  de  manuscrits  de  son  aïeuie.  En  1734, 
il  en  parut  un  autre  (Paris,  4  vol.  in-12),  dont  l'édi- 
teur fut  le  chevalier  de  Perrin,  ami  de  M"1<;de  Si- 
miane. La  famille  de  M">e  de  Sévigné  n'avait  point 
autorisé  l'édition  de  l'abbé  de  Bussy  ;  elle  donna 
son  autorisation  au  nouvel  éditeur,  entre  les  mains 
duquel  elle  remit  les  originaux  de  toutes  les  lettres 
déjà  connues ,  et  de  celles  qui  ne  l'étaient  pas  en- 
core. Mais  comme  certains  passages  des  pre- 
mières éditions  avaient  soulevé  beaucoup  de 
plaintes  de  la  part  des  familles  sur  lesquelles 
Mme  de  Sévigné  révélait  des  détails  peu  hono- 
rables, Perrin  fut  chargé  d'y  faire  des  modifi- 
cations et  quelques  retranchements ,  et  en 
outre  d'arranger  tous  les  passages  d'où  l'on 
pouvait  tirer  des  conjectures  fâcheuses  sur  le 
caractère  de  Mrae  de  Grignan.  Ce  double  vœu  fut 
docilement  exécuté.  Il  est  résulté  de  là  que  l'é- 
dition de  i754  (Paris,  8  vol.  in-12),  plus  com- 
plète que  les  précédentes,  est  cependant  moins 
fidèle.  C'est  ce  que  n'ont  pas  aperçu  les  édi- 
teurs qui  se  sont  succédé  depuis  1754  jusqu'en 
1806  (Paris,  8  vol.  in-8°  ou  11  vol.  in-12),  et 
qui  tous  ont  reproduit,  sauf  additions,  le  Iravail 
de  Perrin.  M.  de  Monmerqué  publia  le  premier 
un  texte  véritablement  restauré  (Paris,  1818- 
1819, 10vol.in-8°  ou  12  vol.  in-12),  texte  qui  a 
servi  de  base  à  l'excellente  édition  de  M.  Ad.  Ré- 
gnier (1862-64,  12  vol.  gr.  in-8°). 

Un  esprit  fin  ,  délicat,  pénétrant,  enjoué; 
une  raison  droite  et  sûre,  souvent  profonde, 
une  imagination  active,  mobile,  féconde,  qui 
s'intéresse  à  tout,  qui  reproduit  avec  une  vé- 
rité et  une  vivacité  singulières  de  mouvements 
et  de  couleurs  tous  les  objets  qui  l'ont  frappée; 
une  sensibilité  vive  et  douce,  qui  a  sa  source, 
non  dans  la  tête,  mais  dans  le  cœur,  qui  s'é- 
panche aisément,  abondamment,  et  dont  toutes, 
les  émotions  se  communiquent  :  tels  sont  les  élé- 
ments divers  dont  se  compose  le  génie  deMinede 
Sévigné.  Pour  se  révéler  avec  toute  leur  force 
et  tout  leur  éclat  quand  elle  tient  la  plume,  ces 
dons  heureux  de  sa  nature  n'ont  pas  besoin  que 
le  travail  et  l'art  viennent  les  élaborer,  les  com- 
biner, les  transformer.  Pour  être  spirituelle,  ai- 
mable, profonde,  entraînante ,  Mffle  de  Sévigné 
n'a  pas  besoin  de  vouloir  et  de  calculer  ;  il  lui 
suffit  pour  cela  de  se  livrer  à  ses  facultés  :  elle 
n'a  qu'à  être  elle-même.  Le  naturel,  l'abandon, 
l'élan  spontané,  ces  qualités  chez  elle  accom- 
pagnent tontes  les  autres,  pour  en  doubler  le 
prix.  De  là  ce  style  négligé,  naïf,  expressif,  plein 
de  saillies,  pittoresque,  hardi,  varié,  qui  dans  sa 
familiarité  prend  tous  les  tons  et  rassemble  tous 
les  genres  d'éloquence,  même  l'éloquence  su- 
blime. Sans  doute  ces  lettres  reçoivent  un  grand 
prix  des  détails  qui  s'y  trouvent  sur  tant  de  per- 
sonnages et  d'événements  du  grand  siècle  ;  elles 
forment  un  livre  d'histoire  rempli  de  faits  cu- 
rieux ou  instructifs  ;  mais  cet  intérêt  historique 
n'a  contribué  qu'en  second  lieu  à  leur  succès. 
Ce  qui  fait  le  charme  le  plus  puissant  de  ce 


843  SÉV 

recueil,  c'est  la  mise  en  œuvre  de  tant  d'événe- 
ments grands  et  petits ,  par  l'esprit  et  par  l'ima- 
gination de  Mme  de  Sévigné.  Ce  qui  frappe,  ce 
qui  séduit,  c'est  bien  moins  l'importance  ou  la 
nouveauté  des  faits,  que  la  finesse  où  l'élévation 
du  penseur,  que  le  colons  du  peintre.  A  qui  en 
douterait,  il  n'y  aurait  qu'à  faire  lire  les  lettres 
qu'elle  écrit  des  Rochers  ;  là,  elle  est  bien  loin 
de  la  cour,  elle  ignore  toutes  les  nouvelles;  ces 
lettres  ont-elles  moins  d'agrément?  Elle  nous 
attache  alors  seulement  par  la  nature  de  ses  sen- 
timents et  de  ses  pensées,  et  par  la  forme  dont 
elle  les  revêt;  elle  nous  intéresse  aux  plus  petites 
choses,  par  la  manière  vive  dont  elle  les  sent , 
les  conçoit,  les  exprime.  Mme  de  Sévigné  est 
naturelle,  naïve;  mais  il  faut  bien  se  garder,  en 
lui  appliquant  ces  mots,  de  les  prendre  ou  de 
paraître  les  prendre  dans  un  sens  trop  absolu. 
Sa  naïveté  n'est  pas,  ne  peut  pas  être  l'instinct 
aveugle  d'un  talent  qui  s'ignore  lui-même,  comme 
semblent  le  croire  beaucoup  de  ses  admirateurs, 
qui  en  appréciant  son  génie  n'ont  à  la  bouche 
que  les  mots  de  candeur,  ingénuité,  abandon , 
et  retournent  et  commentent  ces  mots  en  tant  de 
façons  et  en  leur  laissant  un  sens  si  étendu , 
qu'ils  font  d'elle,  en  vérité ,  une  sorte  de  phé- 
nomène impossible,  une  femme  d'esprit  et  de 
génie  de  la  société  de  Louis  XIV,  presque  aussi 
naturelle  et  aussi  spontanée  que  l'arbre  qui 
donne  son  fruit.  Formée  à  l'école  des  an- 
ciens par  Ménage;  élevée  dans  l'amour  intelli- 
gent des  choses  délicates  par  la  cour  d'Anne 
d'Autriche;  vivant  au  milieu  d'un  monde  qui 
savait  le  prix  du  bon  goût  et  le  recherchait;  ha- 
bituée des  sa  jeunesse  aux  hommages  les  plus 
flatteurs  (1)  sur  son  esprit  et  son  bien  dire, 
Mme  de  Sévigné  ne  pouvait  répandre  dans  ses 
lettres  tant  de  traits  charmants  ou  profonds 
sans  s'en  douter,  et  par  une  sorte  d'inspiration 
fortuite  et  aveugle.  Sans  doute  elle  ne  travail- 
lait point  ses  lettres  ;  qui  oserait  l'en  accuser  (2)  ? 

(1)  Il  y  en  aurait  long  à  citer  si  l'on  voulait  rassem- 
bler tous  les  éloges  de  son  talent,  toutes  les  définitions 
et  toutes  les  appréciations  adiniratives  de  son  esprit, 
que  ses  amis  lui  adressèrent  à  elle-même.  Corbinelli  al- 
lait jusqu'à  dire,  dans  un  style  entortillé,  «  qu'il  voulait 
lui  donner  envie  de  la  conformité  que  Cicéron  pouvait 
avoir  avec  elle  sur  le  genre  épistolaire  ».  Dès  1668  Bussy 
avait  fait  mettre  au-dessous  du  portrait  de  sa  cousine 
qu'il  avait  dans  son  salon  cette  inscription,  dont  il  lui  fit 
part  :  «  Marie  de  Rabulin,  marquise  de  Sévigné,  fille  du 
baron  de  Chantal,fcromed'un  génie  extraordinaire  et  d'une 
solide  vertu,  compatibles  avec  la  joie  et  les  agréments.» 
Tandis  qu'elle  trouvait  dans  chacun  de  ses  amis  un  cri- 
tique louangeur,  elle  jouait  continuellement  le  même 
rôle  à  l'égard  de  sa  fille.  Elle  ne  cesse  de  célébrer  et  de 
caractériser  le  style  de  Mme  de  Grignan.  non-seulement 
avec  la  complaisance  d'une  mère  tendre,  mais  avec  la 
curiosité  littéraire ,  la  critique  exercée,  Vacumen  d'une 
femme  de  goût,  d'une  connaisseuse  en  fait  de  style 
épistolaire. 

(2)  Il  est  bon  de  remarquer  d'ailleurs  que  cela  lui  eût 
été  matériellement  impossible.  En  effet,  il  lui  arrive  sou- 
vent d'écrire  plus  de  vingt  lettres  par  mois  à  sa  fille; 
et  cela,  non  dans  la  solitude  des  Rochers,  mais  à  Paris, 
au  milieu  des  affaires,  des  visites,  des  fêtes,  sans  compter 
2es  correspondances  avec  d'autres,  qui  allaient  leur 
train. 


IGNÉ  844 

Mais  croyons  que,  sans  y  mettre  aucun  apprêt,, 
sans  se  préoccuper  de  leur  succès  pour  le  pré- 
sent ni  pour  l'avenir ,  elle  avait  conscience  et  se 
sentait  heureuse  d'y  verser  toutes  les  saillies , 
toutes  les  réflexions  fines ,  tous  les  mots  élo- 
quents que  son  fertile  génie  trouvait  sans  peine; 
que,  sachant  très-bien  l'admiration  dont  elles 
étaient  l'objet,  elle  y  souscrivait  sans  en  être 
fière,  sans  en  concevoir  de  hautes  espérances  de 
,gloire,  mais  non  sans  en  être  agréablement  flat- 
tée. Disons  même  qu'il  est  presque  impos- 
sible qu'en  les  écrivant,  malgré  la  rapidité  avec 
laquelle  courait  sa  plume,  elle  ne  se  plût  souvent 
à  exciter  encore,  par  un  léger  et  facile  effort, 
l'enjouement,  la  finesse,  la  verve  de  son  esprit, 
soit  pour  se  divertir  par  cette  épreuve  faite  en 
jouant  sur  elle-même,  soit  pour  mieux  satis- 
faire son  obligeant  désir  d'amuser  sa  fille  ou  ses 
amis,  soit  même  pour  s'attirer  ces  éloges,  cet 
admirations,  dont  elle  ne  croyait,  au  reste  qu'une 
partie,  et  dont  sans  doute  elle  se  fût  passée 
très-aisément.  Cette  espèce  de  calcul  ingénieux 
et  rapide,  qui  n'est  qu'un  léger  coup  de  foueï 
donné  à  l'esprit ,  qu'emporte  assez  sa  propre 
verve,  ne  se  fait-il  pas  sentir  dans  ce  passage  j 
qui,  nous  n'en  doutons  pas,  a  été  écrit  aussi 
vite  que  d'autres  : 

«  Je  ne  vois  pas,  dit-elle  à  sa  fille,  un  momen: 
où  vous  soyez  à  vous  ;  je  vois  un  mari  qui  voui 
adore,  qui  ne  peut  se  lasser  d'être  auprès  de  vous 
et  qui  peut  à  peine  comprendre  son  bonheur.  3< 
vois  des  harangues,  des  infinités  de  compliments 
de  civilités,  de  visites  ;  on  vous  fait  des  honneur 
extrêmes,  it  faut  répondre  à  tout  cela;  vous  ête: 
accablée  :  moi-même,  sur  ma  petite  boule,  je  n'j 
suffirais  pas.  Que  fait  voire  paresse  pendant  tout  ci 
fracas?  Elle  souffre,  elle  se  retire  dans  quelque  pe 
lit  cabinet,  elle  meurt  de  peur  de  ne  plus  retrouvei 
sa  place  ;  elle  vous  attend  dans  quelque  moment 
perdu,  pour  vous  faire  au  moins  souvenir  d'elle,  e1,  *f 
vous  dire  un  mot  en  passant.  «  Hélas  !  dit-elle,  m'a 
vez-vous  oubliée?  Songez  que  je  suis  votre  plut 
ancienne  amie,  celle  qui  ne  vous  a  jamais  abandon- 
née, la  fidèle  compagne  de  vos  plus  beaux  jours  ;  que  lï 
c'est  moi  qui  vous  consolais  de  tous  les  plaisirs,  ei  lie 
qui  même  quelquefois  vous  les  faisais  haïr  ;  qui  vout  jjj, 
ai  empêchée  de  mourir  d'ennui,et  en  Bretagne  et  dan 
votre  grossesse.  Quelquefois  votre  mère  troublai 
nos  plaisirs,  mais  je  savais  bien  où  vous  reprendre 
présentement  je  ne  sais  plus  où  j'en  suis  ;  les  hon 
neurs  et  les  représentations  me  feront  périr,  si  vous 
n'avez  soin  de  moi .»  11  me  semble  que  vous  lui  dites 
en  passant  un  petit  mot  d'amitié,  vous  lui  donnea 
quelque  espérance  de  vous  posséder  à  Grignan; 
mais  vous  passez  vite,  et  vous  n'avez  pas  le  loisii 
d'en  dire  davantage  (I).  Le  devoir  et  la  raison  soni 
autour  de  vous,  et  ne  vous  donnent  pas  un  moment 
de  repos;  moi-même,  qui  les  ai  toujours  tant  hono 

W 
lei 


ï 

a.fc 

il, 


k- 


(1)  La  préciosité  de  ce  passage  est  charmante.  Mais 
quelquefois  Mme  de  Sévigné  tombe  dans  une  autre  es- 
pèce de  préciosité,  plus  apprêtée  et  moins  agréable.  Elti 
écrit  à  Bussy  en  1G80,  à  cinquante-quatre  ans  :  «  Je  sui: 
un  peu  fâchée  que  vous  n'aimiez  pas  les  madrigaux.  N< 
sont-ils  pas  les  maris  des  épigramraes?  Ce  sont  de  si 
jolis  ménages,  quand  ils  sont  bons!»  De  pareils  traits 
sont  rares  heureusement.  Mme  de  Sévigné  n'avait  pi  *. 
traverser  tout  à  fait  impunément  l'hôtel  de  Rambouillet    |jjj 


*i  SÉVIGNÉ  —  SEXTUS 

es,  je  leur  suis  contraire  et  ils  nie  le  sont  :  le  moyen 
lu'ils  vous  laissent  le  temps  de  lire  de  pareilles 
internerics?  » 


846 


On  fait  très-bien,  toutes  les  fois  qu'on  veut  se 
endre  compte  de  la  composition  des  lettres  de 
troc  de  Sévigné,  d'éloigner  toute  idée  d'artifice  et 
'ambition  littéraire.d'immoler  k  la  gloire  de  cette 
jjmme  unique  tous  les  talents  épistolaires  à  la 
'line  le  jeune,  et  de  proclamer  le  naturel  comme 
tant  l'attribut  propre  et  distinctif  de  son  génie. 
lais  pour  la  juger  au  vrai  point  de  vue ,  pour 
lieux  saisir  les  traits  de  cette  délicate  physio- 
omie,  il  faut  reconnaître  que  le  naturel  se  mé- 
nage chez  elle  d'une  douce  et  facile  coquetterie, 
[me  de  Sévigné  unit  fréquemment  à  une  naïveté 
•ès-réelle  des  raffinements  ingénieux,  quelque- 
lis  même  légèrement  subtils.  Elle  est  femme 
tgénue  et  elle  est  artiste  habile;  mais,  ce  qu'il 
î  faut  pas  oublier,  son  art  lui-même  est  tout 
i  premier  mouvement  ;  ses  raffinements  lui 
■Mutent  peu;  ils  sont  improvisés  comme  le  reste, 
'est  une  précieuse  pleine  de  bonhomie,  de  feu 
\  d'abandon;  c'est  un  bel  esprit  qui  improvise 
après  son  âme  et  son  cœur,  et  qui  désirant  de 
.aire  aux  autres ,  y  tient  bien  plus  pour  les 
«très  que  pour  lui-même.  E.  J. 

Sabatier,  Éloge  de  la  marquise  de  Sévigné;  Avignon, 
77,in-12.  —  M»e  de  Brisson,  idem;  Paris,  1778,  in-12. 
J.-A.  Walsh,  Fie  de  Mm*  de  Sévignë;  Paris,  1841, 
-18.  —  W'alckenaër,  Mémoires  touchant  la  vie  et  les 
irits  de  Mm*  de  Sévignë;  Paris,  1842-52,  5  vol.  ln-IS.  — 
abenas,  iiist.  de  Mme  de  Sévigné  ;  Paris,  1842,  iu-8°.  — 
•me  de  Sévignë  and  her  contemporaines;  Londres, 
,41,  2  vol.  in-8".  —  L.  Dubois,  Mme  de  Sévigné-  et  sa 
[rresp.  relative  à  f  itrê  et  aux  Rochers;  Paris,  1838, 
8°.—  J.  Babou,/,es  Âmoureuxde  Mme  de  Sevigné;  Paris,, 
.62,  in-8°.  —  Nutices  dans  les  édlt.  de  Vauxcelles  (1801), 
Il  Grouvelle  (1806),  de  Monmerqué  et  Saint-Surin  (1818)', 
:Gault  de  Saint-Germain  (1822),  de  Carupenon  (1822),  de 
i.  Nodier  (1835),  de  Mme  Tastu  (1841),  de  Silvestre  de 
cy  (1861), de  Régnier  (I862t,etc; — Revue  des  deux  mondes, 
sept.  1843.  —  Sainte-Beuve,  Causeries  du  lundi,  et 
ouveaux  hindis.  —  Bruaet,  Manuel  du  libraire. 

sévigné:  (  Charles,  marquis  de),  fils  delà 
;écédente,  né  en  1647,  à  Paris,  où  il  est  mort, 
I  27  mars  1713.  Il  servit  en  qualité  de  volon- 
lire  dans  la  guerre  de  Candie  (1669),  acheta  la 
targe  de  guidon,  puis  celle  de  sous-lieutenant 
i:s  gendarmes  du  Dauphin,  et  se  distingua  au 
«nbat  de  Semef  (1674)  et  à  Saint-Denis,  près 
•ns  (1678)..  Il  se  dégoûta  de  sa  eharge,  et  la 
«dit.  Après  son  mariage  avec  la  fille  d'un  con- 
fier au  parlement  de  Bretagne  (1684),  il  se 
ftira  aux  Rochers,  et  dans  la  suite  à  Paris,  où 
termina  une  vie  inquiète  et  dissipée  dans  les 
tatiques  de  la  dévotion  et  sous  la  conduite  des 
eilleurs  guides  ecclésiastiques.  C'était  un  brave 
ïïcier,  et  un  homme  de  beaucoup  d'esprit.  Ses 
ganteries,  son  commerce  avec  Ninon  de  l'En- 
et  laChampmeslé,  son  goût  pour  le  plaisir  et 
dépense,  ne  l'empêchaient  pas  de  bien  faire  son 

viee,  mais  lui  étaient  l'esprit  de  suite  et  l'ac- 
uité nécessaires  pour  se  pousser  par  l'intrigue. 

n'eut  point  d'enfants,  et  fut  1e  dernier  de  son 
m.  Il  eut  avec  Dacier  un  différend  littéraire 
i  sujet  d'un  passage  d'Horace;  les  écrits  qu'ils 


ï 


échangèrent  alors  ont  été  publiés  sous  le  titre  de 
Dissertation  critique  sur  l'Art  poétique  d'Ho- 
race (Paris,  1698,  in-16). 

Aubenas,  Hist.  de  Mme  de  Sévigné. 

sevin  (François),  philologue  français,  né 
à  Villeneuve-le-Roi ,  en  1682,  mort  à  Paris,  le 
12  septembre  1741.  Après  avoir  terminé  ses 
études  à  Sens,  chez  les  jésuites,  il  alla  étudier  I» 
théologie  à  Paris,  au  collège  des  Trente-trois. 
Renvoyé  pour  une  infraction  au  règlement,  il 
trouva  un  protecteur  dans  l'abbé  Boileau,  ancien 
grand-vicaire  à  Sens,  qui  lui  fournit  les  moyens 
de  compléter  son  éducation  ecclésiastique,  et  le 
recommanda  à  l'abbé  Bignon.  Celui-ci  le  prit 
pour  secrétaire.  Sous  la  direction  de  ce  guide 
érudit,  Sevin  fit  de  rapides  progrès  et  fut  admis, 
en  1711,  au  nombre  des  élèves  de  l'Académie 
des  inscriptions.  Il  venait  d'en  être  nommé  pen- 
sionnaire, en  1728,  lorsque,  par  ordre  du  roi,  il 
partit  avec  l'abbé  Fourmont  pour  Constanti- 
nople,  afin  d'y  rechercher  des  manuscrits  ;  il  en 
rapporta  plus  de  six  cents,  d'une  conservation 
parfaite,  et  en  reçut  encore  beaucoup  d'autres 
des  correspondants  qu'il  s'était  ménagés  dans  le 
Levant.  Il  obtint,  pour  prix  de  ses  travaux,  une 
pension  sur  un  bénéfice  ecclésiastique;  mais  Une 
quitta  point  Paris,  et  fut  nommé,  en  1737,  garde 
des  manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  roi  ;  il  s'oc- 
cupa d'en  dresser  le  catalogue  avec  Fourmont  et 
Melof  (manuscrits  orientaux  et  grecs).  Son  pre- 
mier ouvrage  avait  été  une  Dissertation  sur  Me- 
nés, premier  roi  d'Egypte  (Paris,  1705),  où  il 
soutenait  que  Menés  ne  différait  pas  deMisraïm, 
fils  de  Cham,  et  qu'il'  fallait  voir  en  lui  le  Mercure 
des  Égyptiens.  Il  a  inséré  dans  le  Recueil  de 
l'Académie  des  inscriptions  un  grand  nombre  de 
remarques  philologiques,  des  corrections  sur  des 
passages  grecs  et  latins,  des  recherches  sur 
les  histoires  d'Assyrie,  de  Lydie,  de  Carie, etc., 
et  des  dissertations  sur  Juba,  roi  de  Mauritanie, 
sur  Hécatée  de  Milet,  sur  Nicolas  de  Damas ,  etc. 
Les  Lettres  sur  Constantinople  de  Vabbé  Se- 
vin au  comte  de  C'aylus  (Paris,  1802,  in-8°), 
ne  contiennent  que  quatre  lettres  de  lui.  Il  a 
laissé  en  manuscrit  un  long  Commentaire  sur 
la  Bibliothèque  d'Apollodore  ;  Clavier  s'en  est 
servi'  pour  la  traduction  de  cet  ouvrage. 

De  Eoze,  dans  les  Mémoires  de  l'Acad.  des  inscr., 
t.  Vf.  —  Journal  des  savants,  1710. 

sextus  de  Chéronée,  philosophe  grec  delà 
secte  stoïcienne ,  vivait  dans  le  second  siècle  après 
J.-C.  Il  était  le  neveu  dePlutarque,  et  fut  l'un 
des  précepteurs  de  l'empereur  Marc-Aurèle. 
Suidas  et  après  lui  beaucoup  de  biographes  l'ont 
confondu  avec  Sextus  Empiricus,  qui  vivait  à 
peu  près  à  la  même  époque.  On  rapporte  qu'il 
tenait  une  place  trèsélevée  dans  la  faveur  de 
Marc-Aurèle,  et  qu'un  jour  ce  prince  l'invita  à 
s'asseoir  sur  le  tribunal  où  il  rendait  la  justice. 
On  raconte  aussi  qu'un  imposteur  qui  lui  res- 
semblait beaucoup  essaya  de  se  faire  passer 
pour  lui,  et  d'obtenir  à  la  faveur  de  cette  fraude 


847 


SEXTUS  EMP1RICUS 


848 


des  honneurs  et  de  l'argent.  Le  pseudo-Sextus 
fut  découvert  à  son  ignorance  de  la  philosophie 
grecque.  Suidas  cite  de  Sextus  de  Chéronée 
deux  ouvrages  qui  ne  sont  pas  venus  jusqu'à 
nous  :  Ethica  et  Episceptica.  On  lui  attribue 
cinq  courtes  dissertations  Sur  le  bien  et  le  mal, 
Sur  l'honnête  et  le  honteux ,  Sur  le  juste  et 
l'injuste,  Sur  la  vérité  et  le  mensonge,  Si  la 
vertu  et  la  sagesse  peuvent  s'enseigner,  pu- 
bliées pour  la  première  fois ,  sans  nom  d'auteur, 
par  H.  Estienne  dans  ses  Fragmenta  Pytha- 
gorxorum,  réimprimés  avec  une  traduction  la- 
tine et  des  notes  par  JohnNorth,  dans  les  Opus- 
cula  mythologica,  physica,  ethica  de  Gale; 
Cambridge,  1670,  et  Amsterdam,  1688,  in-8\  La 
conjecture  qui  attribue  ces  opuscules  à  Sextus 
de  Chéronée  est  très-incertaine.  L.  J. 

Fabricius,  Bibl.  grseca,  t.  V,  p.  528. 

sextcs  empiricus ,  médecin  et  philosophe 
grec,  florissait  vraisemblablement  dans  la  pre- 
mière partie  du  troisième  siècle  de  l'ère  chré- 
tienne. D'après  Diogène  de  Laerte,  il  fut  le  dis- 
ciple d'Hérodote  de  Tarse.  On  est  également 
réduit  à  de  simples  vraisemblances  sur  le  lieu 
de  sa  naissance.  Tennemann  le  fait  natif  de  Mi- 
tylène  :  «  C'est  ce  que  Visconti,  dit-il,  établit 
dans  son  Iconographie,  d'après  le  témoignage 
d'une  médaille  de  cette  ville.  «  C'est  à  tort  qu'on 
l'a  confondu  quelquefois  avec  Sextus  de  Chéro- 
née. Cette  erreur  a  été  démontrée  par  Brucker 
et  par  Kuster.  Son  surnom  d'Empiricus  lui 
vient  de  la  secte  de  médecine  à  laquelle  il  ap- 
partenait. Comme  philosophe  sceptique ,  Sextus 
recueillit  l'héritage  de  Pyrrhus,  de  Timon,  d'M- 
nésidème,  d' Agrippa.  Tout  en  profitant  du  tra- 
vail de  ses  devanciers,  il  sut,  comme  le  fait 
observer  Tennemann,  «  fixer  avec  beaucoup 
d'habileté  l'objet,  le  but  et  la  méthode  du  scep- 
ticisme ».  Avec  lui,  cette  doctrine  dit  son  der- 
nier mot  dans  le  monde  ancien  :  car  Sextus  ne 
laissa  qu'un  assez  obscur  disciple,  Saturninus. 

Des  ouvrages  de  Sextus  Empiricus  sur  la  mé- 
decine il  ne  reste  rien.  On  a  perdu  ses  Mé- 
moires sur  la  médecine  et  ses  Mémoires  em- 
piriques, qui  sont  peut-être  le  même  ouvrage. 
Quant  à  ses  œuvres  philosophiques,  plusieurs 
sont  également  perdues  pour  nous:  de  cenombre, 
son  Traité  de  l'âme,  ses  Mémoires  sceptiques, 
et  un  autre  écrit  encore,  qui  lui  est  attribué 
sous  le  titre  de  Questions  pyrrhoniennes ,  à 
moins  cependant  (ce  que  nous  n'affirmons  pas) 
que,  sous  des  dénominations  différentes,  ces 
deux  derniers  écrits  ne  soient  la  même  chose 
que  ses  Hypotyposes.  Les  seuls  écrits  qui  nous 
restent  de  Sextus  Empiricus  sont  relatifs  à  la 
philosophie  sceptique.  Le  premier  a  pour  titre  : 
IIpo;  toùç  (iaGy)[AaTixouç  (  Contre  les  sa- 
vants),  et  comprend  deux  parties  distinctes  : 
dans  l'une,  composée  de  six  livres,  Sextus 
combat  les  grammairiens,  les  rhéleurs,  les  géo- 
mètres ,  les  arithméticiens ,  les  astrologues,  les 
musiciens;  l'autre  est  dirigée  contre  les  philo- 


sophes logiciens,  naturalistes  et  moralistes. 
Sextus  paraît  avoir  pris  pour  but  de  mettre  aux 
prises  les  unes  avec  les  autres  les  diverses  opi- 
nions des  philosophes,  afin  de  montrer  ainsi  qu'il 
n'y  a  rien  dont  il  soit  possible  de  tomber  d'ac- 
cord, et  que  tout  est  livré  à  une  controverse 
éternelle.  Les  nombreux  documents  que  contient 
cet  ouvrage  sur  les  différents  systèmes  et  sur  les 
diverses  écoles  le  rendent  très-précieux  pour 
l'histoire  de  la  philosophie. 

C'est  surtout  dans  le  second  traité  de  Sextus, 
intitulé  :  IIvp£ «veiai  OTrôTUTtwasi;  (  les  Sypoty- 
poses  pyrr  honiennes),  qu'il  fautchercher  les  prin- 
cipes de  la  philosophie  sceptique  formulés  pai 
Py  rrhon,  Agrippa,  jEnésidème.  Il  se  divise  en  trois 
livres.  Le  livre  Ier  a  pour  objet  l'exposition  des 
principes  généraux  du  scepticisme.  Sextus  com- 
mence par  partager  tous  les  philosophes  en  dog- 
matiques ,  académiciens,  et  sceptiques.  La  phi- 
losophie sceptique  consiste  à  examiner  toutes 
choses,  à  les  comparer  ou  à  les  opposer  entre 
elles ,  et  à  parvenir  ainsi,  à  cause  des  raisons 
égales  et  contraires  qui  s'y  rencontrent,  à  la 
suspension  du  jugement,  ètcox^,  et  de  là  à 
ràTapa|(a ,  c'est-à-dire  à  l'exemption  de  toute 
espèce  de  trouble.  Sur  quels  principes  se  fonde 
Ylnoyfi?  Ces  principes  de  doute  sont  au  nombre 
de  dix,  que  Sextus  réduit  d'abord  à  trois,  en  les 
tirant  1°  de  celui  qui  juge,  2°  de  ce  dont  on 
juge,  3°  de  l'un  et  de  l'autre  à  la  fois, et  qu'enfin 
il  rapporte  au  seul  principe  tiré  de  la  relation, 
A  leur  tour,  les  nouveaux  sceptiques  (  et  par  ce 
mot  nouveaux  Sextus  veut  probablement  dési- 
gner iEnésidème  et  Agrippa),  ont  posé  cinq 
principes  de  doute,  dont  il  donne  renumération 
Cela  posé,  il  conclut  qu'aucune  chose  n'est  plus 
vraie  que  son  contraire.  De  là  le  oû5èv  p.àXXov 
des  sceptiques ,  pas  plus  ceci  que  cela;  de  là 
aussi  leur  aphasie,  àq?a<ua  (de  a  privatif  et  dei 
çy](aé  ,  dire),  c'est-à-dire  cette  situation  d'es' 
prit  en  vertu  de  laquelle  nous  nous  abstenons 
de  prononcer  en  quoi  que  ce  soit.  Le  livre  II  des 
Hypotyposes  a  pour  objet  l'application  de  ces 
principes  à  la  logique.  Sextus  s'attache  à  annu 
1er  toute  espèce  de  critérium,  et  à  essayer  de 
montrer  qu'il  n'y  a  rien  qui  soit  naturellementvrai, 
Le  livre  III  est  une  application  des  principes  du 
doute  à  ce  que  Sextus  appelle  la  physique.  Les 
questions  du  mouvement ,  du  changement,  du 
lieu,  du  temps,  du  nombre,  celle  de  la  cause, 
celle  de  Dieu,  celle  du  bien  en  général,  celle  des 
biens  et  des  maux,  etc.,  deviennent  tour  à  tour 
l'objet  de  son  examen,  et  chacune  d'elles  donne 
lieu,  de  sa  part,  à  la  même  conclusion.  Le 
chapitre  iv  offre,  au  point  de  vue  historique,  un 
intérêt  tout  particulier,  en  ce  que  l'auteur  y  fait 
connaître,  dans  une  rapide  énumération,  les 
opinions  des  philosophes  anciens  sur  la  nature  des 
principes  matériels.  Telles  sont,  dans  leur  en- 
semble, les  Hypotyposes  pyrrhoniennes.  Elles 
renferment  le  dernier  mot,  sincère  ou  affecté,  du 
scepticisme  ancien.  Désormais,  il  faudra  Hume 


849 


I 

■  et  Kant  pour  rajeunir  la  doctrine  du  doute,  pour 
la  revêtir  d'une  nouvelle  forme,  pour  lui  prêter 
un  nouveau  langage. 

Ces  deux  traités  ont  été  imprimés  en  grec,  d'a- 
bord à  Paris,  1621,  in-fol.,  et  d'une  façon  incom- 
plète. Henri  Eslienne  a  traduit  en  latin  les  Hypo- 
\lyposes(  Paris,  1562,  in-8°)  et  Gentien  Hervet 
les  autres  livres  (Paris,  1569,  in-fol.).  Le  texte  grec 
a  été  de  nouveau  édité,  avec  les  versions  ci- 
dessus,par  Fabricius  (Leipzig,  1718,  in-fol. ),etseul 
par  J.-G.  Mund  (Halle,  1796,  t.  1er,  pet.  in-4°) 
tt  par  E.  Bekker  (Leipzig,  1842,  in-8°).  Il  y  a 
fles  Hypotyposes  une  version  française  par 
iHuart  (  Ams'L,  1725,  in-12),  et  une  version  alle- 
mande par  J.-G.  Bnhle  (1801,  in-8°).  Ajoutons 
qu'une  traduction  latine  de  ces  mêmes  Hypoty- 
iposes  avait  été  faite  à  une  époque  antérieure  au 
quatorzième  siècle ,  et  qu'elle  a  été  découverte 
par  M.  Ch.  Jourdain,  en  1858,  dans  les  feuil- 
lets 83-132  d'un  manuscrit  de  la  Bibliothèque 
mpériale,  fonds  de  Saint-Victor,  inscrit  au  nou- 
veau catalogue  sous  le  n°  32.        C.  Mallet. 

Tennemann,  Manuel  de  l'histoire  de  la  philosophie. 
—  Gull.  Laneius,  De  veritatibus  geometricis,  adv. Sexlum 
Vmpiricum  ;  Copenhague,  1636,  in-4°.  —  Gotfr.  Plou- 
]uet,  Examen  rationum  a  Sexto  Empirico  tam  ad 
vropugnandam  quam  impugnandam  Dei  existentiam 
:olleclarum;  Tubingue,  1768,  in-8°.  —  Dict.  des  sciences 
ihilosophigues.  —  Ph.  Le  Bas,  Scepticx  philosophix  se- 
oundum  Sexti  Empirici  l'yrrhonias  hypotyposes,  vel 
institutiones,  expositio ;  Paris,  1829,  in-4°.— C.  Jourdain, 
Sextus  Empiricus  et  la  philosophie  scolastique;  Paris, 
1858,  in-8°. 

SEXTUS  LATERANUS.  Voy.  LATERA.NUS. 

seydlitz  (Frédéric-Guillaume  de), géné- 
ral prussien,  né  le  3  février  1720,  àKalkar  (du- 
ché de  Clèves),  mort  le  3  novembre  1773,  à 
jMinskowsky.  Ayant  perdu  très-jeune  son  père, 
qui  était  capitaine  de  cavalerie ,  il  entra  à 
douze  ans  comme  page  chez  le  margrave  de 
Schwedt,  renommé  par  son  adresse  à  tous  les 
bxercices  (1).  Nommé  en  1738  cornette  de  cui- 
rassiers, il  assista  en  1741  à  la  campagne  de 
Silésie;  fait  prisonnier  en  1742,  il  fut  conduit  à 
Raab ,  et  réussit  à  lever  le  plan  de  cette  forte- 
resse, et  le  communiqua  plus  tard  à  Frédéric  II, 
dont  il  sut  gagner  les  bonnes  grâces.  Appelé  en 
1753  à  commander  un  régiment  de  cuiras- 
siers, il  assistaaux  batailles dePrague (1757)  et  de 
Collin,  et  couvrit  la  retraite  de  l'armée  par  un  mé- 
lange de  prudence,de  ruse  et  d'heureuse  hardiesse. 
Après  avoir,  par  un  habile  stratagème,  fait  aban- 
donner sans  coup  férir  Gotha  au  prince  de  Sou- 
bise,  il  détermina  le  gain  de  la  bataille  de  Rosbach 
'^novembre  1757),oùil  commandait  en  cheftoute  la 
cavalerie  prussienne.  Blessé  assez  grièvement,  il 
testa  néanmoins  à  cheval,  et  lança  en  avant  ses 
escadrons  pour  prendre  à  dos  l'infanterie ,  que 
le  roi  commençait  à  charger;  lorsqu'il  la  vit 
ébranlée ,  il  se  jeta  sur  elle  au  moment  décisif, 
ce  qui  amena  la  déroute  complète  des  alliés. 
Seydlitz  justifia  ainsi  la  confiance  du  roi,  qui  lui 

(1)  H  ne  tarda  pas  à  égaler  son  maître; il  devint  si 
scellent  ècuycr,  qu'il  n'hésitait  pas  à  passer  à  cheval 
lîntre  les  ailes  d'uu  moulin  à  vent  en  mouvement.; 


SEXTUS  EMPIRICUS  —  SEYMOUR 


8»0 


avait  laissé  toute  liberté  d'action,  et  qui  le  récom- 
pensa par  le  grade  de  lieutenant  général.  Après 
avoir,  au  commencement  de  1758,  pris  part  à  la 
campagne  de  Moravie  et  protégé  la  retraite  de  l'ar- 
mée lorsque  Frédéric  marcha  contre  les  Russes, 
il  se  trouva  à  la  bataille  de  Zorndorf  (août  1758), 
et  décida  encore  une  fois  du  gain  de  la  journée 
par  l'habileté  de  ses  mouvements  et  l'impétuosité 
de  ses  attaques.  Deux  mois  plus  tard  ce  fut  lui 
surtout  qui,  par  sa  présence  d'esprit  et  son  ha- 
bileté à  profiter  des  moindres  avantages  du  ter- 
rain, assura  la  retraite  de  l'armée  prussienne,  sur- 
prise à  Hochkirch  par  les  Autrichiens.  En  1759  il 
aida  puissamment  Frédéric  à  suppléer  par  des 
mouvements  hardis  à  l'infériorité  de  ses  forces.  A 
Cunnersdorf,  quelques  moments  avant  le  combat, 
il  eut  la  main  droite  fracassée  par  une  décharge 
de  mitraille  ;  après  avoir  lutté  en  vain  contre  la 
douleur,  ne  voulant  pas  quitter  son  commande- 
ment, il  tomba  évanoui,  et  fut  transporté  à  Ber- 
lin. Ce  fut  à  son  absence  que  Frédéric  attribua 
avec  raison  la  perte  de  la  bataille.  Après  de 
longues  souffrances,  il  était  à  peine  en  conva- 
lescence lorsqu'il  repoussa  par  des  mesures  aussi 
habiles  qu'énergiques  l'attaque  des  Russes  contre 
Berlin  (1760).  En  1761,  il  fut  attaché  à  l'armée 
du  prince  Henri,  et  son  espritplein  de  ressources 
lui  suggéra  les  moyens  de  remporter  avec  des 
forces  inférieures  de  brillants  avantages.  A  la 
journée  de  Freyberg  (octobre  1762),  il  comman- 
dait l'aile  droite,  et  improvisa  sur  le  champ  de 
bataille  un  mouvement  stratégique  qui  causa  la 
défaite  des  Autrichiens.  Nommé  après  la  paix 
inspecteur  général  en  Silésie,  il  y  établit  une 
école  de  cavalerie ,  dont  la  renommée  attira  une 
foule  d'officiers.  Tout  en  l'appréciant  à  sa  valeur, 
Frédéric,  qui  le  nomma  en  1767  général  de  cava- 
lerie, ne  put  se  décider  à  lui  confier  la  direction 
entière  de  cette  arme,  qu'il  aurait  réorganisée 
d'après  ses  vues  particulières.  Peut-être  l'esprit 
frondeur  et  mordant  de  Seydlitz  lui  inspira-t-il 
quelques  reparties  trop  vives,  dont  le  roi  garda 
rancune.  Seydlitz  avait  épousé  en  1760  la  jeune 
et  belle  comtesse  de  Hake,  qui,  quelques  années 
après,  le  força  par  son  inconduite  à  demander  le 
divorce.  Miné  par  une  maladie  de  poitrine,  il 
mourut  prématurément;  lorsque  le  roi  vint  en 
1773  le  visiter  à  Ohlau,  il  dit  en  partant  :  «Seyd- 
litz a  vécu  sans  être  dépassé;  il  meurt  sans 
pouvoir  être  remplacé.  » 

Blankenburg,  Charakter  des  Gênerais  von  Seydlitz; 
Leipzig,  1797,  in-8°.  —  Le  comte  de  Bismark,  Der  Gene- 
ral Fr.  von  Seydlitz;  Carlsruhe,  1837,  ln-12.  —  Varnha- 
gen  d'Ense,  Leben  des  Gênerais  von  Seydlitz;  Berlin, 
1834,  in-8°.  —  Frédéric  II,  Mémoires  sur  la  guerre  de 
Sept  ans.  —  HirschlDg,  Handbuch.  —  Preuss,  Biogr. 
Friedrichs  II  et  Friedrich  II  mit  seinen  Freunden. 

seymour  (Jeanne),  troisième  femme  de 
Henri  VIII,  née  à  Wulf-Hall  (Wiltshire),  morte  Je 
23  octobre  1537  (1),  à  Londres.  Elle  était  l'aînée 
des  quatre  filles  de  sir  John  Seymour,  cham- 

(1)  Cette  date  est  établie  par  une  relation  contempo- 
raine des  funérailles  de  Jeanne  Seymour,  déposée  dans 
le  Collège  of  arms  de  Londres. 


851  SEYMOUR 

bellan  du  roi  et  gouverneur  du  château  de  Bris- 
tol. Sa  naissance  et  ses  talents  l'ayant  appelée 
à  la  cour,  elle  devint  une  des  demoiselles  d'hon- 
neur d'Anne  Boleyn,  et  sa  beauté  fut  la  cause 
innocente  de  la  mort  de  cette  reine.  Henri  VIII 
s'éprit  d'une  violente  passion  pour  elle  :  sa 
femme  lui  inspira  une  telle  aversion,  qu'il  ob- 
tint contre  elle  un  arrêt  de  mort,  et  le  jour 
même  de  l'exécution  selon  les  uns ,  trois  jours 
après  selon  les  autres,  le  17  ou  le  20  mai  1536, 
il  épousa  Jeanne.  Le  parlement  félicita  le  roi 
d'avoir  choisi  pour  compagne  «  la  vertueuse  et 
excellente  lady  Jeanne,  dont  l'âge  convenable,  la 
beauté  et  la  riche  complexion  promettaient,  Dieu 
aidant,  des  héritiers  à  sa  majesté.  »  En  effet,  en- 
viron quinze  mois  après ,  la  reine  accoucha  d'un 
fils  (Edouard  VI);  mais  elle  succomba  quelques 
jours  plus  tard.  L'historien  Haywarde  affirme 
qu'il  avait  été  nécessaire  de  recourir  à  l'opéra- 
tion césarienne.  Les  nombreux  services  religieux 
qui  précédèrent  ses  funérailles  furent  célébrés 
selon  le  rituel  de  l'Église  catholique  romaine,  et 
ce  fut  la  princesse  Marie ,  déshéritée  par  son 
père,  qui  conduisit  le  deuil.  W.  H— s. 

Hume,  History  of  Enijland.  —  Audin,  Hist.  de  Hen- 
ri Vlll.  —  Lodge  ,  Portraits  of  illustrions  personages. 
—  Agnès  Stricfcland,  Lives  ofthe  queens  of  England, 
Jrom  officiai  records,  t.  111. 

seymour  (Edward),  duc  de  Somerset, 
frère  de  la  reine  Jeanne  et  oncle  d'Edouard  VI, 
exécuté  le  22  janvier  1552,  à  Londres.  Ayant 
achevé  ses  études  à  Oxford,  il  rejoignit  son 
père  à  la  cour,  où  ses  goûts  chevaleresques  le 
recommandèrent  au  roi.  Après  avoir  figuré  dans 
la  brillante  ambassade  de  Wol'sey  à  Paris 
(1527)  et  dans  l'entrevue  du  camp  du  Drap  d'or 
(1532),  il  accompagna  le  duc  de  Suffolk  lors  de 
l'expédition  dirigée  contre  la  France  en  1 533.  Le 
mariage  de  sa  sœur  lui  valut  les  titres  de  vi- 
comte Beauchamp  et  de  comte  Hertford.  Il  se 
distingua  en  1542,  dans  la  campagne  d'Ecosse, 
sous  le  duc  de  Norfolk,  et  à  sou  refour  fut  fait 
grand  chambellan.  En  1544  il  repassa  en  Ecosse, 
avec  le  grade  de  lieutenant  général  des  provinces 
du  nord,  ayant  sous  ses  ordres  deux  cents 
vaisseaux.  Les  succès  qu'il  remporta  vengèrent 
l'affront  subi  par  le  prince  Edward,  auquel  les 
Écossais  avaient  refusé  la  main  de  leur  jeune 
reine;  il  revint  parterre,  et  alla  retrouver  le  roi 
au  siège  de  Boulogne.  Désigné  dans  le  testament 
de  Henri  VIII  comme  un  des  seize  gouverneurs 
chargés  de  veiller  sur  les  intérêts  du  roi  mi- 
neur, il  parvint,  malgré  l'opposition  soulevée  par 
le  chancelier  Wriothesley,  à  se  faire  nommer  pro- 
tecteur du  royaume,  puis  duc  de  Somerset,  le 
12  mars  1547.  Contrairement  aux  dernières  vo- 
lontés de  Henri  VIII ,  il  exerça  un  pouvoir 
presque  royal,  dont  il  profita  en  1548  pour  dé- 
clarer la  guerre  à  l'Ecosse.  L'exécution  de  son 
frère  Thomas  diminua  beaucoup  la  popularité 
de  Somerset.  La  partialité  qu'il  témoigna  aux 
membres  de  la  chambre  des  communes  lui  alié- 
na l'aristocratie,  tandis  que  le  palais  qu'il  se  fit 


852 

construire,  à  une  époque  où  régnaient  à  Londres 
la  peste  et  la  famine,  augmenta  encore  le  nombre 
de  ses  ennemis.  Les  catholiques  détestaient  en 
lui  un  partisan  de  la  réforme,  et  les  mercenaires 
italiens  et  allemands  qu'il  entretenait  causaient 
aussi  un  vif  mécontentement.  Effrayé  enfin  du 
parti  formidable  qui  s'élevait  contre  lui,  il  manqua 
d'énergie,  offrit  sa  soumission  au  conseil  avec  une 
précipitation  pusillanime,  et  renonça  au  protec- 
torat. Le  14  octobre  1549,  conduit  à  la  tour  de 
Londres,  il  fut  condamné  à  payer  l'énorme 
amende  de  2,000  livres  sterling  par  an  et  à  se  dé- 
mettre de  tous  ses  emplois.  Cependant  le  16  fé- 
vrier 1550,  il  rentra  en  grâce  auprès  du  roi,  et 
siégea  de  nouveau  dans  le  conseil.  Cette  récon- 
ciliation avec  le  parti  qui  l'avait  renversé  dura 
peu;  car  en  octobre  1551  il  se  vit  arrêté  pour 
la  seconde  fois,  accusé  d'avoir  voulu  pousser  le 
peuple  à  la  révolte  et  formé  le  projet  de  faire 
assassiner  Te  duc  de  Northumberland  et  le  comte 
de  Pembroke.  Déclaré  coupable  de  félonie,  mais 
non  de  haute  trahison,  il  fut  décapité  le  22  janvier 
1552  et  subit  sa  sentence  avec  une  fermeté  peu 
commune.  La  plupart  des  historiens  regardent 
l'accusation  portée  contre  Somerset  comme  une 
invention  de  ses  ennemis ,  qui  siégèrent  comme 
.juges  et  prononcèrent  l'arrêt.  Brave,  pieux,  af- 
fable dans  la  grandeur,  mais  opiniâtre,  meilleur 
général  qu'homme  d'État,  il  n'avait  pas  les  ta- 
lents nécessaires  pour  gouverner  un  royaume. 
Sa  vanité  l'exposait  d'ailleurs  à  devenir  la  dupe 
des  flatteurs,  et  il  a  encouru  le  reproche  de  cu- 
pidité. Il  a  laissé  :  Epistola  exhortataria  missa 
ad  populum  Scotise;  Londres,  1548,  in-4°,  et  la 
traduction  anglaise  d'une  épitre  consolatrice  que-, 
lui  adressa  Calvin;  Londres,  1550,  in-&°. 
W.  H— s. 
Burnel,  History  of  the  Reformation.  —  Birch,  Headt 
of  illustrions  persons  of  Great,  Britain.  —  Chalmers,, 
Riogr.  Dictionary.  —  Lodge,  Portraits  of  illustrions 
personages. 

SETMOtrsi  (  Thomas ) ,  baron  de  Sedelev, 
frère  du  précédent,  exécuté  le  20  mars  1549,  a 
Londres.  Aussi  brave  et  non  moins  ambitieux 
que  son  frère  Edward,  il  était  doué  d'une  grande 
fermeté  de  caractère.  Après  avoir  servi  avec 
distinction  dans  la  guerre  contre  les  Français 
vers  1544,  il  devint  grand  amiral  avec  le  titre 
de  baron  de  Sudeley.  Après  la  mort  d'Hen- 
ri VIII  (1547),  il  offrit  ses  hommages  à  la  reine 
douairière,  Catherine  Parr,  qui  l'épousa  en  qua- 
trièmes noces.  Il  noua  bientôt  une  intimité  sin- 
gulière avec  la  princesse  Elisabeth,  alors  âgée 
de  quatorze  ans,  et  qui  s'amouracha  de  lui.  Les 
intentions  de  Seymour  étaient  faciles  à  deviner: 
si  la  princesse  eût  cédé  à  ses  importunifés,  il 
comptait  l'obliger  à  l'épouser  pour  cacher  sa  faute. 
Il  est  vrai  que  Catherine  vivait  encore;  mais  à 
cette  époque  un  homme  puissant,  ambitieux, 
énergique  et  dénué  de  principes  ne  devait  pas  se 
préoccuper  d'un  pareil  obstacle.  Lady  Sudeley, 
du  reste,  mourut  en  1548.  Instruit  des  dange- 
reuses intrigues  de  son  frère,  le  protecteur  cher- 


8')3 

eha  à  le  ramener  par  de  nouvelles  faveurs; 
mais  sa  propre  sécurité  et  celle  de  l'État  l'obli- 
gèrent à  l'aire  acte  d'autorité;  le  16  janvier  1549 
il  le  fit  arrêter.  Le  procès  du  grand  amiral  (de 
l'avis  de  la  plupart  des  historiens,  dont  Hume 
cependant  ne  partage  pas  l'opinion)  fut  conduit 
avec  impartialité;  il  occupa  le  parlement  du 
24  lévrier  au  5  mars,  et  se  termina  par  une  con- 
damnation à  mort.  W.  II — s. 

■lune,  llist.  of  Eïigland.  —  Lodge,  Portraits. 

sèze  (  Raymond  (1),  comte  de),  magistrat 
français,  né  le  26  septembre  1748,  à  Bordeaux, 
mort  le  2  mai  1828,  à  Paris.  Issu  d'une  ancienne 
famille  de  la  Guienne,  il  était  le  quatrième  des 
neuf  fils  de  Jean  de  Sèze,  avocat  distingué  du 
parlement  de  Bordeaux.  Il  reçut  au  collège  des 
jésuites  une  forte  éducation.  Avocat  à  dix-neuf 
ans,  il  se  fit  remarquer  par  l'éclat  de  son  talent 
et  par  les  grâces  de  sa  diction.  Parmi  Tes  causes 
dont  il  fut  chargé,  une  des  plus  curieuses  fut 
celle  de  la  marquise  d'Anglure  (1782),  qui  ré- 
clamait sa  légitimité,  contestée  par  des  collaté- 
raux ;  les  mémoires  qu'il  publia  pour  la  défense 

e  cette  dame,  à  laquelle  s'intéressait  vivement 

de  Vergennes ,  excitèrent  tellement  l'atten- 

icnde  ce  ministre  qu'il  engagea  Élie  de  Beau- 

ont  à  témoigner  de  sa  part  à  de  Sèze  le  désir 
qu'il  avait  de  le  voir  attaché  au  barreau  de 
Paris.  Celte  invitation  honorable  décida  ce  der- 

ier  à  s'établir  dans  la  capitale.  Target,  qui  se 
retirait  alors  de  la  plaidoirie,  confia  à  son  nou- 
veau confrère  la  dernière  cause  qu'il  avait  ac- 
ceptée, celle  des  filles  dTïeîvefius;  de  Sèze  la 
plaida  (4  août  1784)  avec  un  succès  qui  marqua 
d'un  seul  coup  sa  place  parmi  les  maîtres  de  la 
parole.  Il  ne  fut  pas  moins  heureux  en  1789, 
dans  la  défense  du  baron  de  Besenval,  accusé 
de  haute  trahison,  et  le  fit  acquitter  par  le  Châ- 
telet.  Lorsqu'aux  parlements  détruits  on  substi- 
tua des  juridictions  nouvelles,  il  refusa  d'en  recon- 
naître l'autorité,  et  quitta  le  barreau  pour  n'y 
plus  rentrer  (1790).  En  effet  parlementaire  et 
monarchiste  à  la  fois,  il  ne  pardonna  pas  à  la 
révolution  d'avoir  entrepris  une  réforme  radi- 
cale du  passé;  les  nouveautés  l'étonnèrent  sans 
le  conquérir;  les  bouleversements  l'affligèrent 
sans  l'effrayer.  Le  procès  du  roi  fut  l'occasion 
douloureuse  qui  devait  agrandir  ses  destinées. 
Sur  la  demande  expresse  de  Malesherbes,  il  fut 
choisi  par  Louis  XVI  comme  un  secours  néces- 
saire, et  accepta,  sans  hésiter  (16  décembre 
1792) ,  la  pénible  tâche  de  concourir  à  sa  dé- 
fense. Un  décret  du  17  prononça  son  adjonction, 
et  dans  la  soirée  ses  deux  collègues  le  présen- 
tèrent au  royal  captif.  Depuis  le  18  tons  ses  mo- 
ments furent  consacrés  au  dépouillement  des 
dossiers,  et  tout  en  donnant  ses  dernières  jour- 
nées au  travail  d'examen  et  de  discussion  avec 
le  roi ,  il  composa  son  discours  dans  les  nuits 
du  21  au  24  décembre.  Le  25,  à  midi,  il  le  lut  au 

(J)  Le  prénom  de  Romain,  sous  lerjuel  il  a  été  parfois 
'désigné,  ne  ligure  pas  sur  son  acte  de  baptême. 


SEYMOUR  —  SEZE  854 

Temple.  La  péroraison,  qui  était  des  plus  tou- 
chantes, émut  Tronchet  et  Malesherbes  jus- 
qu'aux larmes;  le  roi  la  fit  supprimer  :  «  Je  ne 
veux  pas  les  attendrir,  »  dit-il.  Il  avait  fallu 
effacer  encore  d'autres  passages.  «  Vous  voulez 
donc,  lui  avait-on  dit,  nous  faire,  massacrer  à  la 
barre?  »  Heureusement  le  conseil  laissa  passer 
ce  morceau,  devenu  si  célèbre  :  «  Citoyens,  je 
vous  parlerai  avec  la  franchise  d'un  homme  libre  : 
je  cherche  parmi  vous  des  juges,  et  je  n'y  vois 
que  des  accusateurs.  Vous  voulez  prononcer  sur 
le  sort  de  Louis ,  et  c'est  vous-mêmes  qui  l'ac- 
cusez! Vous  voulez  prononcer  sur  le  sort  de 
Louis,  et  vous  avez  déjà  émis  votre  vieu  !  Louis 
sera  donc  le  seul  Français  pour  lequel  il  n'exis- 
tera aucune  loi  ni  aucune  forme?  Il  n'aura  ni  les 
droits  de  citoyen  ni  les  prérogatives  de  roi.  Il  ne 
jouira  ni  de  son  ancienne  condition  ni  de  la  nou- 
velle. »  Un  morceau  d'un  caractère  non  moins 
noble,  ce  fut  cette  apostrophe  aux  Français,  ter- 
minée par  un  admirable  portrait  de  Louis  XVI, 
où  chaque  trait  est  à  la  fois  un  éloge  et  une  vé- 
rité :  «  Entendez  d'avance  l'histoire,  qui  redira  à 
la  renommée  :  Louis  était  monté  sur  le  trône  à 
vingt  ans,  et  à  vingt  ans  il  donna  sur  le  trône 
l'exemple  des  mœurs;  il  n'y  porta  aucune  fai- 
blesse coupable,  ni  aucune  passion  corruptrice; 
il  y  fut  économe  ,  juste ,  sévère;  il  s'y  montra 
l'ami  constant  du  peuple  »,  etc.  Le  26  décembre 
de  Sèze  porta  la  parole  devant  la  Convention. 
«  Après  le  discours,  a  écrit  Hue ,  le  roi  et  ses- 
trois  défenseurs  passèrent  dans  nne  pièce  adja- 
cente à  la  salle  de  l'assemblée.  Là,  prenant  entre 
ses  bras  M.  de  Sèze ,  le  roi  le  tint  étroitement 
embrassé,  prit  ensuite  nne  chemise,  la  chauffa 
lui-même  pour  M.  de  Sèze,  et  lui  rendit  tous 
les  soins  d'un  ami.  »  Pendant  les  trois  semaines 
qui  s'écoulèrent  jusqu'à  l'appel  nominal,  de  Sèze 
ne  cessa  de  visiter  chaque  jour  le  roi,  et  vécut 
dans  une  perpétuelle  alternative  d'espoir  et  de 
crainte.  Le  jugement  consommé, il  se  retira  au 
milieu  des  siens,  dans  une  maison  qu'il  possédait 
à  Brevannes,  près  Paris;  ce  fut  là  qu'il  fut  ar- 
rêté, le  20  octobre  1793.  Conduit  à  la  Force,  puis 
dans  l'ancien  couvent  des  Miramiones  de  Picpus, 
il  dut  à  la  protection  efficace  d'un  ami  resté 
inconnu  d'atteindre  en  sécurité  le  jour  de  la  dé- 
livrance; trois  semaines  après  le  9  thermidor,  ii 
fut  rendu  à  la  liberté.  Mais,  fidèle  à  ses  convic- 
tions monarchiques ,  on  ne  le  vit  exercer  aucun 
emploi  public  sous  la  république  et  sous  l'em- 
pire; il  alla  jusqu'à  refuser,  par  amour  de  l'in- 
dépendance, de  siéger  au  conseil  de  discipline 
de  l'ordre  des  avocats  lorsqu'il  eut  été  rétabli.  H 
vécut  à  l'écart,  dans  l'intimité  d'un  petit  nombre 
d'amis,  tout  à  fait  étranger  aux  hommes  et  aux 
affaires  du  temps;  aussi  est-il  impossible  de 
comprendre  à  quel  enchaînement  d'idées  se  rat- 
tachait une  exclamation  violente  de  Napoléon, 
qui  le  1er  janvier  1814  le  dénonça  publiquement 
comme  un  agent  secret  de  l'Angleterre. 
Ayant  survécu  à  Malesherbes  et  à  Tronchet, 


855 


SÈZE  —  SFONDRATI 


85(5 


de  Sèze  fut  destiné  à  recueillir  seul  la  reconnais- 
sance royale.  Nommé  premier  président  de  la 
cour  de  cassation  à  la  place  de  Muraire  (15  fé- 
vrier 1815),  il  lui  succéda  une  seconde  fois  après 
les  cent  jours,  qu'il  pa6sa  auprès  de  Louis  XVIII 
à  Gand.  Le  17  août  1815  il  entra  dans  la  chambre 
des  pairs ,  et  se  mêla  souvent  aux  travaux  des 
commissions  ou  aux  débats  publics.  Lorsqu'il 
fut  créé  comte(31  août  1817),  il  obtint  du  roi  la 
faveur  de  donner  aux  trois  tours  de  son  écusson 
la  forme  du  Temple  et  d'en  changer  le  croissant 
en  des  fleurs  de  lys  sans  nombre.  L'année  précé- 
dente il  avait  été  élu  à  la  place  de  Ducis  membre 
de  l'Académie  française  (23  mai  1816).  Il  fut  en 
outre  trésorier  commandeur  de  l'ordre  du  Saint- 
Esprit  et  chevalier  de  Malte.  Il  succomba,  à 
l'âge  de  quatre-vingts  ans,  aux  suites  d'une 
fluxion  de  poitrine.  Charles  X  ordonna  qu'un 
monument  fût  érigé  à  sa  mémoire  dans  l'église 
de  la  Madeleine;  mais  il  n'a  point  été  exécuté. 
Une  autre  ordonnance  de  Louis  XVIII  a  donné 
son  nom  à  une  rue  de  Paris.  Bordeaux  et  Lyon 
possèdent  aussi  une  rue  de  Sèze.  Cet  éminent  ma- 
gistrat a  laissé  quelques  écrits,  tels  que  :  Défense 
du  roi  Louis  XVI,  prononcée  à  la  barre  de  la 
Convention  ;  Paris,  impr.  nat,  déc.  1792,  in-8°  ; 
la  2e  édit,  1793,  in-8o,  fut  répandue  à  profusion 
dans  Paris  par  les  soins  du  chevalier  O'Caritz, 
ministre  d'Espagne  par  intérim;  3e  édit.,  Paris, 
1824,  in-8\  Ce  plaidoyer,dont  l'original,  écrit  de  la 
main  du  secrétaire  du  défenseur,  fut  déposé  dans 
les  Archives  nationales,  n'a  été  impr.  qu'en  ré- 
sumé dans  le  Moniteur;  —  Discours  de  ré- 
ception à  l'Académie  française;  Paris,  1816, 
in-4°  ;  —  Réponse  au  discours  de  réception  de 
M.  Cuvier  ;  Paris,  1822,  in-4°. 

De  Sèze  a  eu,  outre  deux  filles,  un  fils  Etienne- 
Romain,  né  en  1780,  mort  en  1862,  qui  se  dé- 
mit en  1830  de  la  pairie  par  refus  de  serment. 

Moniteur  du  20  juin  1828.  —  Chateaubriand,  Éloge  du 
comte  de  Sèze  ;  Paris  ,  1861,  in-18.  —  Marmontel,  Mé- 
moires. —  Hue,  Dernières  années  de  Louis  XVI.  —  Ba- 
ramte,  Disc,  de  récept.  du  20  nov.  1828  à  l'Acad.  franc. 
sfondrati  (Francesco),  prélat  italien  ,  né 
le  25  octobre  1493,  à  Crémone,  où  il  est  mort,  le 
31  juillet  1550.  D'une  famille  noble  qui  était  ori- 
ginaire de  Milan,  il  perdit  en  1497  son  père, 
Giovanni-Battista ,  éminent  jurisconsulte,  qui 
avait  dans  plusieurs  ambassades  représenté  le 
duc  Louis  Sforza.  Après  avoir  pris  à  Pavie  le 
grade  de  docteur  en  droit  (1520),  il  enseigna 
cette  science  dans  les  universités  de  Padoue,  Pa- 
vie ,  Bologne  et  Rome.  Le  duc  de  Savoie  Char- 
les III  lui  donna  une  chaire  à  Turin,  le  mit  au 
nombre  de  ses  conseillers  et  de  ses  sénateurs ,  et 
le  chargea  de  diverses  négociations.  Appelé  en- 
suite à  la  cour  du  duc  François  Sforza,  il  y  jouit 
d'un  grand  crédit;  et  il  ne  fut  pas  moins  en  fa- 
veur auprès  de  Charles  Quint,  qui  le  combla  de 
biens  et  de  dignités.  Nommé  gouverneur  de 
Sienne ,  il  se  conduisit  avec  tant  de  douceur  et 
d'équité  que  les  Siennois  lui  décernèrent  à  son 
départ  (1542)  le  titre  de  Père  de  lapatrie.Vea 


après  il  entra  dans  l'Église.  De  nouveaux  hon- 
neurs l'attendaient  dans  cette  carrière.  L'un  des 
conseillers  intimes  de  Paul  111,  il  le  seconda  dans 
ses  entreprises  politiques  et  dans  ses  tentatives 
de  réforme  religieuse ,  et  le  représenta  comme 
légat  auprès  de  l'empereur  et  à  la  cour  d'Angle- 
terre, qu'il  s'efforça  vainement  de  ramener  dans 
le  giron  de  l'Église.  Il  reçut  de  ce  pape  le  cha- 
peau de  cardinal  (1544)  et  l'évêché  de  Crémone 
(1549).  Ce  prélat  est  connu  dans  les  lettres  par 
un  poëme  latin,  De  raptu  Helense,  en  trois 
livres;  Venise,  1559,  in-4°;  réimpr.  dans  Deli- 
cix  poetarum  ital.,  t.  II,  et  dans  Carmina  ill. 
poet.  ital.,  t.  IX.  Sa  correspondance  est  restée 
manuscrite  ainsi  que  les  traités  de  jurisprudence 
qu'il  avait  composés. 

De  sa  femme,  Anna  Visconti,  morte  en  1535, 
il  avait  eu  six  enfants,  dont  deux  fils, 
Paolo,  qui  fut  créé  comte  par  Philippe  II,  et 
Niccolo,  qui  parvint  au  pontificat  sous  le  nom 
de  Grégoire  XIV  (voy.  ce  nom) ,  et  quatre  filles, 
toutes  religieuses  et  qui  se  firent  remarquer  par 
leur  érudition. 

Argelatï,  Bibl.  mediolanensis.  —  Ughelli,  Italia  sacra. 
—  Panciroli,  De  Claris  legum  interpreti-bus. 

sfondrati  (Paolo-Emilio),  cardinal  ita- 
lien, petitfils  du  précédent,  né  le  20  mars  1560, 
àMilan,mort  lel4février  1618,  à  Tripoli. 11  était 
fils  du  comte  Paolo,  et  neveu  du  pape  Gré- 
goire XIV.  Élevé  parmi  les  religieux  oratoriens, 
il  fut  élevé  à  la  fin  de  1590  au  cardinalat  par 
son  oncle,  qui  se  reposa  sur  lui  de  beaucoup  de 
soins;  outre  la  légation  de  Bologne,  il  eut  à  Rome 
le  gouvernement  du  palais  et  la  direction  de  l'in- 
quisition. Il  s'acquitta  de  ces  fonctions  avec  une 
grande  vigilance ,  et  mena  au  milieu  des  gran- 
deurs une  vie  simple  et  modeste.  A  la  mort  de 
Grégoire  XIV  (1591),  il  prit  le  parti  de  la  retraite, 
et  s'occupa  de  restaurer  l'église  de  Sainte-Cécile, 
dont  il  était  titulaire.  11  occupa  en  1607  l'évêché 
de  Crémone,  et  depuis  1611  celui  d'Albano.  Ce 
prélat  a  surveillé  l'impression  du  Rituale  ro- 
manum,  publié  par  ordre  de  Paul  y. 

Son  frère  aîné ,  Ercole ,  duc  de'  Montemar- 
ciano,  fut  envoyé  en  France  par  Grégoire  XIV 
pour  amener  des  troupes  au  secours  de  la  Ligue, 
et  mourut  en  1637. 

Argelali,  Bibl.  mediolanensis. 

sfondrati  (Celestino),  cardinal,  petit- 
neveu  de  Paolo-Emilio, né  à  Milan,  le  11  janvier' 
1644,  mort  à  Rome,  le  4  septembre  1696.  Après 
avoir  fait  ses  études  à  l'abbaye  de  Saint-Gall,  il  y 
prit  l'habit  de  religieux  bénédictin,  et  y  professa 
successivement  la  théologie,  la  philosophie  et  le 
droit  canonique.  Il  venait  d'être  pourvu  d'une 
chaire  de  théologie  à  Saltzbourg  lorsque  parut  la 
fameuse  déclaration  du  clergé  de  France  (1682). 
Sur  l'ordre  de  l'archevêque  de  cette  ville,  il  plaida 
la  cause  du  saint-siége,  et  le  fit  avec  une  rare 
énergie.  L'évêché  de  Novare  le  récompensa  de 
son  zèle  (1684);  mais  il  s'en  démit  en  1687,  pour 
devenir  prince-abbé  de  Saint-Gall.  Il  reçut  la 


857 


SFOISDRATI  —  SFORZA 


858 


pourpre  d'Innocent  XII,  le  12  décembre  1695. 
Voici  ses  principaux  ouvrages  :  De  lege  in 
prxsumptione  Jundata  adversus  probabilis- 
simum;  s.  I.,  1681,  in-4°;  —  Tractatus  rega- 
lia',  contra  clerum  gallicanum;  Saint-Gall , 
16S2,  in-4°;  —  Regale  sacerdotium  romano 
pontifici  assertum  et  quatuor  propositioni- 
bus  gallicani  clcri  explication;  ibid.,  1684, 
in-4°  :  fous  le  nom  d'Eugène  Lombard  ;  —  Gai- 
liavindicata  ;ibid.,  1687,in-4°;Mantoue,  1711, 
in-4°;  —  Legatio  Romam  viarchionis  La- 
vardini,  ejusque  cum  Innocentio  XI  dissi- 
dium;  ibid.,  1688,  in-4<>;  —  Cursus  philoso- 
phons ;  ibid.,  1699,  3  vol.  in-4°;  —  Nodus 
prxdestinationis  dissolutus;  Rome,  1696, 
in-4°  :  des  idées  peu  exactes  sur  la  grâce,  sur 
ie  péché  originel,  sur  l'état  des  enfants  morts 
sans  baptême,  décidèrent  Le  Tellier,  le  cardinal 
de  Noailles ,  Bossuet  et  d'autres  prélats  à  dé- 
férer ce  livre  au  pape  par  une  lettre  du  23  fé- 
vrier 1697;  le  cardinal  Gabrielli  en  prit  la  dé- 
fense, et  les  évêques  de  France  ne  réussirent  pas 
à  en  obtenir  satisfaction. 

Journal  des  savants,  1697, 1708  et  1709.  —  Argelati, 
Jjibl.  mediolanensis.  —  Dict.  hist.  des  auteurs  eccl., 
t.  IV.  —  Auberi,  Dict.  des  cardinaux. 

sforza  (  Giacomuzzo  Attendolo),  en  fran- 
çais Sforce,  capitaine  italien,  né  le  10  juinl369,  â 
Cotignola,village  de  la  Romagne,  mort  le  4  janvier 
1424.  Il  était  fils  d'un  pauvre  paysan.  D'abord  il 
fut  connu  sous  le  nom  de  Giacomo,  dont  Giaco- 
muzzo est  un  diminutif;  quant  à  celui  de  Sforza, 
qu'il  devait  illustrer,  il  le  porta  plus  tard,  l'ayant 
reçu  vraisemblablement  de  ses  compagnons, 
comme  un  hommage  rendu  à  la  force  de  son 
bras  ou  de  ses  armes*  Voyant  un  jour  passer 
une  compagnie  de  soldats,  il  jeta,  dit-on,  sur  un 
arbre  le  coutre  de  sa  charrue,  après  s'être  dit 
que  si  cet  instrument  s'accrochait  à  l'arbre,  ce 
serait  une  marque  de  sa  vocation  militaire  ;  le 
coutre  ne  retomba  point  (1),  et  Jacques  s'enrôla 
sur-le-champ.  Jamais  époque  ne  fut  plus  favo- 
rable aux  officiers  de.  fortune  ;  l'Italie  en  était 
couverte,  et  chacun  d'eux  recrutait  pour  son 
compte  une  bande  de  soldats  mercenaires.  A 
trente  ans  Jacques ,  qui  avait  de  l'ambition,  com- 
mandait cent  cinquante  gendarmes  ;  bientôt  il  réu- 
nit six  cents  cavaliers,  et  sa  réputation  en  attira 
dans  la  suite  jusqu'à  mille  sous  ses  enseignes, 
s.  Il  avait  appelé  auprès  de  lui  tous  ses  parents, 
■  dit  Sismondi,  et  donné  à  tous  quelque  comman- 
dement, trouvant  entre  ces  hommes,  élevés 
comme  lui  dans  la  pauvreté  et,la  fatigue,  un  grand 
nombre  de  braves  guerriers,  d'officiers  intrépides 
et  fidèles,  quin'avaientd'autre  ambition  que  celle 
de  rendre  puissant  le  chef  de  leur  famille,  d'exé- 
cuter les  projets  qu'il  concevait  seul,  et  de  de- 
meurer les  instruments  d'un  génie  supérieur.  »  Son 
armée  se  renouvelait  sans  cesse ,  mais  les  cadres 
ne  changeaient  pas;  il  la  gouvernait  à  la  fois  en 

(il  D'autres  racontent  que  ce  lut  sa  cognée  qu'il  lança 
'  contre  un  chêne. 


roi  et  en  chef  de  famille.  Mettant  son  épée  au 
service  du  maître  le  plus  généreux,  Sforza  se 
distingua  dans  la  guerre  des  Florentins  contre 
Pise  (1405).  Étant  à  la  solde  de  Nicolas  III, 
marquis  d'Esté,  il  fit  assassiner  dans  une  confé- 
rence Ottobone  Terzi,  son  adversaire  (1409).  11 
trahit  Jean  XXIII  pour  passer  dans  l'armée  de 
Ladislas,  l'ennemi  de  ce  pape  (1412).  On  le  dé- 
cora du  titre  de  grand  connétable  du  royaume, 
et  il  conduisit  avec  succès  plusieurs  expéditions. 
Mais  à  la  mort  du  roi  (1414),  il  revint  àNaples, 
épousa  la  sœur  de  Pandolfo  Alopo ,  fdvofi  de 
Jeanne  II,  et  partagea  avec  lui  l'autorité  souve- 
raine. Le  brusque  retour  du  mari  delà  reine, 
Jacques  de  Bourbon,  mit  fin  à  cette  usurpation  : 
Alopo  périt  dans  les  tourments,  et  Sforza,  ar- 
rêté à  Bénévent,  eût  subi  le  même  sort  sans 
l'énergie  de  sa  sœur,  qui  fit  enlever  par  les  con- 
dottieri quatre  ambassadeurs  napolitains  en 
menaçant  d'user  sur  eux  de  représailles.  Un 
an  plus  tard  il  recouvra  la  liberté  (sept.  1416). 
A  la  prière  du  pape  Martin  V,  il  abandonna  en 
1420  le  parti  de  Jeanne  II,  qui  l'avait  comblé 
d'honneurs  et  de  biens,  pour  prendre  la  défense 
de  Louis  III  d'Anjou  ;  puis,  voyant  son  armée 
détruite,  il  rentra  au  service  de  Jeanne (1423), 
qui  l'envoya  combattre  Alfonse  d'Aragon,  son 
fils  adoptif,  avec  lequel  elle  s'était  brouillée. 
Sforza  réussit  à  chasser  ce  prince  de  Naples; 
mais  en  marchant  au  secours  de  la  ville  d'A- 
quila,  il  se  noya  au  passage  du  fleuve  Pes- 
cara.  Il  s'était  marié  trois  fois,  et  avait  eu  six.  en- 
fants, entre  autres  Bosio,  mort  en  1477,  tige  des 
comtes  de  Santa-Fiore  ;  et  Carlo ,  qui,  sous  le 
nom  de  Gabriel,  fut  ermite  de  Saint- Augustin, 
général  de  son  ordre,  et  en  1454  archevêque  de 
Milan;  il  mourut  le  12  septembre  1457.  Sforza 
avait  eu  aussi  six  enfants  naturels,  d'une  maî- 
tresse avec  laquelle  il  avait  longtemps  vécu  avant 
de  se  marier;  le  plus  connu  est  Francesco  Ales- 
sandro,  duc  de  Milan  (  voy.  ci-après  )  ;  un  autre, 
Alessandro,  devint  seigneur  de  Pesaro.     L.  G. 

Minuli,  Vie  (ms.)  de  Muzio  Sforza,  à  la  bibl.  Trlvulzi, 
à  Milan.  —  Giovio,  De  vita  magni  Sfortiœ.  —  Sismondi, 
Hist.  des  républ.  ital.,  t.  VIU.  —  Ratti,  Memorie 
délia  famiglia  Sforza;   Rome,   1794-95,2   vol.  in-4°. 

sforza  {Francesco- Alessandro),  duc  de 
Milan,  fils  naturel  du  précédent,  né  à  San-Mi- 
niato,  le  23  juillet  1401,  mort  le  8  mars  1466. 
De  bonne  heure  il  se  distingua  par  son  courage, 
en  combattant  sous  les  yeux  de  son  père,"  sur- 
tout à  Toscanella;  aussi,  à  sa  mort  (1424), 
garda-t-il  sous  ses  drapeaux^tous  ses  capitaines 
d'aventuriers.  Grand  et  robuste,  habitué  à  tout 
supporter,  à  tout  braver,  il.fut  un  bon  général; 
le  premier  il  sut  se  servir  avec  habileté  de  l'ar- 
tillerie, et  faire  manœuvrer  les  bataillons  par 
masse  ;  ce  fut  la  tactique  des  sforzeschi.  Il  fut 
longtemps  la  ressource  des  États  italiens  dans 
leurs  guerres  continuelles ,  cherchant  partout  à 
gagner  gloire,  butin,  et  surtout  domaines.  On  le 
voit  en  1426  au  service  du  duc  de  Milan ,  Phi- 
lippe-Marie Visconti  ;  puis  à  celui  de  Lucques  en 


859 


SFOIIZA 


SfiO 


1430.  Il  s'empara  de  la  marche  d'Ancône  en 
1434,  et  força  le  pape  Eugène  IV  à  lui  concéder 
■ce  fief  considérable,  avec  le  titre  de  marquis. 
Après  avoir  battu  le  condottiere  Forte-Braccio, 
il  commanda  les  troupes  d'une  ligue  formée  par 
le  pape,  Venise  et  Florence  contre  le  duc  de 
Milan,  et  triompha  de  son  rival,  le  plus  constant 
et  le  plus  redoutable,  Niccolo  Piccinino,  àBarga 
(1437).  Visconti,  pour  le  gagner,  lui  offrit  sa  fille 
naturelle,  Bianca,  avec  Asti  et  Tortone  pour  dot, 
et  l'espoir  de  lui  succéder;  il  le  chargea  de  se- 
courir René  d'Anjou,  qui  luttait  alors  contre  Al- 
fonse  d'Aragon,  pour  la  possession  du  royaume 
de  Naples;  mais,  en  1439,  Sforza,  qui  se  déliait 
de  Visconti,  accepta  de  nouveau  le  commande- 
ment des  troupes  du  pape,  de  Venise,  de  Flo- 
rence et  de  Gênes,  réunis  contre  le  duc  de  Mi- 
lan; il  eut  encore  pour  adversaire  Piccinino,  et 
par  la  paix  de  Cavriana  (1441),  il  obtint  que 
Crémone,  Pontremoli  et  une  partie  du  district 
de  Milan  formeraient  la  dot  de  Bianca-Maria, 
qu'il  épousa  enfin.  Visconti  n'aimait  pas  et  re- 
doutait son  gendre;  il  excita  contre  lui  le  pape 
Eugène  IV,  qui  voulut  reprendre  la  marche  d'An- 
cône avec  l'aide  de  Piccinino.  Sforza  déploya 
beaucoup  de  courage  et  d'habileté  dans  ces  cir- 
constances difficiles;  et,  après  la  mort  de  son 
rival,  il  resta  maître  de  ses  acquisitions,  aux- 
quelles il  ajouta  même  Pesaro  (1443).  Les  répu- 
bliques soutinrent  également  Sforza  dans  une 
nouvelle  guerre  contre  son  gendre  Sigismondo 
Malatesta,  auquel  s'étaient  unis  le  pape,  AlfonseV, 
roi  de  Naples,  et  le  duc  de  Milan.  Il  venait  de  se 
réconcilier  avec  son  beau-père,  quand  le  der- 
nier des  Visconti  mourut,  le  13  août  1447. 

Le  moment  était  décisif:  Fr.  Sforza  aspirait 
depuis  longtemps  à  prendre  rang  parmi  les 
princes  ;  et  c'est  alors  qu'il  déploya  surtout  cette 
habileté  qui  devait  exciter  l'admiration  de 
Louis  XI.  Plusieurs  prétendants,  Alfonse  V, 
Louis  de  Savoie,  Charles  d'Orléans,  réclamaient, 
sans  titres  bien  sérieux,  l'héritage  des  Visconti  ; 
le  peuple  de  Milan,  dirigé  par  plusieurs  fa- 
milles puissantes,  proclama  la  république;  les 
chefs  de  condottieri  la  reconnurent;  mais  les 
anciennes  rivales  de  Milan,  Pavie,  Parme,  Tor- 
tone, etc.  se  constituèrent  aussitôt  en  répu- 
bliques indépendantes.  L'ambitieuse  Venise  crut 
l'instant  favorable  pour  s'agrandir  aux  dépens 
de  la  Lombardie,  et  reçut  l'hommage  de  Plai- 
sance et  de  Lodi.  Dans  ce  danger,  la  république 
ambrosienne  (  Aurea  ambrosiana  )  prit  à  sa 
solde  Fr.  Sforza,  qui  dissimulait  avec  art  ses 
prétentions  et  ses  espérances,  en  lui  promettant 
Brescia  on  Vérone.  Il  repoussa  les  ennemis,  re- 
prit Pavie,  saccagea  horriblement  la  malheu- 
reuse Plaisance  (16  nov.  1447),  brûla  la  flotte 
vénitienne  à  Casal-Maggiore  (17  juillet  1448),  et 
fit  l'armée  prisonnière  à  Caravaggio  (15  sept.). 
Craignant  alors  l'ingratitude  ou  les  défiances  des 
Milanais,  Sforza,  entraînant  avec  lui  tous  les 
condottieri,  s'unit  aux  Vénitiens  (18  oct.  1448), 


et  marcha  contre  Milan.  Cosme  de  Médicis  lui 
envoya  de  l'argent;  toutes  les  villes,  Pavie,  No- 
vare,  Parme,  Plaisance,  Tortone,  Alexandrie, 
Crème ,  Lodi,  Vigevano ,  par  crainte  ou  par  ja- 
lousie de  Milan,  se  donnèrent  à  lui.  Alors  les  Vé- 
nitiens proposèrent  de  partager  la  Lombardie 
entre  leur  allié  et  la  république  ambrosienne  ;  la 
proposition  était  insidieuse  ;  Venise  voulait  divi- 
ser pour  mieux  assurer  sa  domination.  Sforza  i 
feignit  d'accepter,  retira  ses  troupes,  et  quand 
les  Milanais,  trop  confiants,  eurent  épuisé  leurs 
provisions  pour  ensemencer  leurs  terres,  il  revint  | 
rapidement ,  repoussa  les  Vénitiens  et  bloqua 
étroitement  la  ville.  Les  Milanais  n'avaient  plus 
qu'à  se  donner  à  Venise  ou  à  Sforza;  le  peuple 
préféra  le  prince,  s'insurgea,  s:empara  du  palais 
du  gouvernement,  et  reçut  sans  conditions  le 
redoutable  chef  de  condottieri,  qui  allait  le  nour- 
rir et  lui  donner  l'ordre  et  la  paix  (26  février  1450). 

L'empereur  Frédéric  III  et  le  roi  de  France 
refusèrent  de  le  reconnaître  ;  mais  leur  opposi- 
tion était  peu  dangereuse,  et  François  sut  bien- 
tôt, par  son  habileté  et  son  énergie,  se  faire  ad- 
mettre au  nombre  des  princes  d'Italie.  Après  une 
ligue  im  puissante  de  Venise  avec  Alfonse  de  Naples 
et  le  marquis  de  Montferrat  contre  l'usurpateur, 
François  fat  solennellement  reconnu  comme  d  uede 
Milan,  lors  du  traité  de  fédération  générale  contre 
les  Turcs,  signé  à  Lodi,  le  5  avril  1454.  Plus 
tard  la  seigneurie  de  Venise,  excitée  par  Frédé- 
ric III,  échoua  encore  dans  une  nouvelle  ligue 
contre  lui,  et  François  fit  partie  du  congrès  de 
Mantoue,  réuni  contre  les  Turcs  en  1459.  A  l'in- 
térieur il  avait  solidement  établi  sa  domination 
sur  toute  la  Lombardie;  les  princes  d'Italie  re- 
cherchèrent son  alliance  ;  Cosme  de  Médicis  était 
depuis  longtemps  son  ami.  Louis  XI  regardait 
comme  son  guide  le  grand  politique  italien  ;  il 
renouvela,  le  23  décembre  1463,  l'alliance  of- 
fensive et  défensive  qu'il  avait  contractée  avec 
lui,  même  avant  son  avènement;  il  lui  aban- 
donna avec  Savone  les  prétentions  de  la  cou- 
ronne de  France  sur  la  seigneurie  de  Gênes,  et 
les  Génois ,  toujours  affaiblis  par  les  factions, 
menacés  par  les  intrigues  et  les  armes  de  Fr.  Sforza, 
subirent  la  domination  milanaise,  après  un  vain 
simulacre  d'élection  (avril  1464).  Leduc  de  Mi- 
lan reconnaissant  donna  ses  conseils  au  roi  de 
France  pendant  la  ligue  du  bien  public,  et  en- 
voya à  son  secours  son  fils  Galéas,  qui  vint  atta- 
quer avec  quatre  à  cinq  mille  hommes  d'élite  le 
Forez  et  les  domaines  'du  duc  de  Bourbon. 
François  mourut  à  l'âge  de  soixante-cinq  ans, 
après  avoir  gouverné  seise  ans  avec  sagesse. 
Sans  être  un  lettré,  il  accueillit  les  Grecs  chassés 
de  Constantinople;  Philelphe  fut  son  favori,  et 
Simonetta  son  secrétaire  et  son  historien. 

Sa  première  femme,  Polissena  Ruffo,  veuve 
de  Giac.  Marilli,  grand  sénéchal  de  Naples,  ne 
lui  donna  point  d'enfants  ;  mais  il  eut  de  la  se- 
conde, Bianca-Maria,  morte  en  1468,  six  fils  et 
deux  filles,  savoir  :  Galeazzo-Maria,  qui  suit; 


|i 


f 


Et 


.: 


8G1  SFORZA. 

Fi'Jppo-Marîa,  né  en  1447,  fiancé  avec  une  fille 
de  Louis,  duc  de  Savoie;  S  for  za- Maria,  né  en 
i  44'.),  mort  en  1479,  créé  duc  de  Bari  par  Ferdi- 
nand Ier,ToideNaples,  qui  lui  donna  en  mariage  sa 
petite-fille Leonora;  Ludovico-Maria,q\3\  succéda 
à  Jean-Galéas  (voy.  ci-après)  ;  Ascanio- Maria, 
cardinal  [voy.  plus  loin  )  ;  Ottaviano,  qui  se  noya 
en  1470  ;  Jppolita-Maria,  femme  d'Alfonse  II, 
roi  de  Naples;  et  Elïsabetta-Maria,  femme  de 
Guillaume  VI,  marquis  de  Montferrat.  Il  laissa 
aussi  plusieurs  bâtards,  dont  un,  Polidoro, 
mourut  en  1513  archevêque  de  Gênes.      L.  G. 

Slmnnetta,  De  rebus  gestis  Fr.  Sforex,  mediol.  ducis  ; 
Milan,  1480,  146G,  in-»f.ol.;  trad.  en  italien.  —  Gtovlo,  De 
vita  m  unit  i  Sfortiœ- —  Hoyer,  Franz  Sforza  I;  Magtlc- 
jourg,  1846,  2  vol.  in-8°.  —  Sismondi,  Hist.  des  républ. 
tal.,  t.  VIII  et  IX.  —  V.  Urquhard,  Life  and  limes  of 
Fr.  Sforza;  Édimb.,  1832,  2  -vol.  in-S°. 

sforza  [Galeazzo- Maria) ,  duc  de  Milan, 
ils  aine  du  précédent,  né  à  Fermo,  le  14  janvier 
1444,  assassiné  à  Milan,  le  26  décembre  1476.  A 
a  mort  de  son  père,  il  guerroyait  en  France 
ontre  les  seigneurs  de  la  ligue  du  bien  pu- 
blic (1);  il  échappa,  sous  un  déguisement,  aux 
lièges  du  duc  de  Savoie,  et  rentra  à  Milan,  où 
;a  mère,  Blanche,  et  le  ministre  Cecco  Simonetta 
ivaient  maintenu  l'ordre.  Il  soutint  Pierre  de 
tfédicis  et  les  Florentins  contre  les  exilés  que 
/enise  encourageait;  et,  sous  les  auspices  de 
jouis  XI,  il  épousa  Bonne  de  Savoie,  belle-sœur 
lu  roi  de  France ,  qui  lui  apportait  en  dot  la 
lossession  des  pays  disputés  depuis  longtemps 
iar  les  ducs  de  Savoie  au  Milanais  (6  juillet  1468). 
?ils  indigne  de  l'habile  Fr:  Sforza,  Galéas  (2) 
elégua  sa  mère  à  Crémone,  et  on  l'accusa  de 
y  avoir  fait  empoisonner  (24 octobre  1468).  Fas- 
uenx,  comme  on  peut  le  voir  dans  le  voyage 
(u'il  fit  à  Florence,  pour  visiter  son  ami  Lau- 
ent  de  Médicis  (mars  1471),  aimant  les  pa- 
ades  militaires,  sans  avoir  les  talents  du  gé- 
téral,  débauché,  heureux,  des  supplices  et  de 
a  vue  des  tortures,  il  régna  en  véritable  tyran. 
1  établit  de  nouveaux  impôts;  et,  quoiqu'il  par- 
tit avec  facilité,  il  ne  protégea  pas  les  lettres, 
omme  les  princes  ses  contemporains.  Une  cons- 
«ration  se  forma  contre  lui.  Pour  se  venger  de 
on  ancien  précepteur  Cola  de  Montano,  il  l'a- 
ait  fait  fustiger  et  promener  ignominieusement 
lans  les  rues  de  Milan.  Excités  par  les  leçons 
épublicaines  de  leur  maître,  trois  jeunes  nobles, 
.ampugnani,  Carlo  Visconti  et  'Olgiati,  vou- 
èrent venger  leur  patrie  et  les  injures  que  leurs 
îmilles  avaient  reçues.  Galéas  fut  frappé  par 
ux  au  moment  où  il  entrait  dans  l'église  deSaint- 
Itienne  (26  décembre  1476).  Lampugnani  fut 
ué  immédiatement  ;  Olgiati  et  Visconti  périrent 
ur  Téchafaud  ;  Cola  de  Montano,  qui  s'était  en- 
ui,  fut  pris  en  se  rendant  à  Borne,  jugé  etpendu 
n  1483,  à  Florence. 


(1)  Louis  XI  lui  accorda  le  droit  de  porter  les  fleurs  de 

s  ecartelées  avec  la  yuivre  de  Milan. 
I  (2)  H  affectionnait  ce  nom,  qui  rappelait  la  famille  des 
nsconti. 


8C2 

Galéas  eut  deux  femmes  :  l'une,  Doi ul(  a,  filledc 
Louis  III,  marquis  de  Mantoue,  qu'il  empoisonna, 
en  14C8;  l'autre, Bonne deSavoie,morteen  1485, 
et  qui  lui  donna  :  Giovanni- G  aleazzo- Maria, 
qui  suit;  Ermes ,  qui  se  retira  en  Allemagne; 
Bianca-Maria,  femme  de  l'empereur  Maximi- 
lien  1er,  née  le  5  avril  1472,  morte  le  31  dé- 
cembre 1510  ;  et  Anna,  femme  d'Alfonse  Ier,  duc 
de  Ferrare.  Il  eut  aussi  des  enfants  naturels,  entre 
autres  une  fille,  Catarina  [voy.  plus  bas),  qui 
s'est  distinguée  dans  les  lettres-  L.  G. 

Argeiiti,  lsibtioth.  mediolanensis.  —  Ripamonir,  llis- 
toria  mediol.,  1.  VI.  ~  Macchiavelli,  lsloria,  1.  VII.  — 
U.  Corio,  Hist.  mediol. ,  p.  VI.  —  Giovio,  Eloyia.  —  Sis- 
mondi, Hist.  des  républ.  ital.,  t.  X  et  XI. 

sforza  (  Giovanni  -Galeazzo  -  Maria  ), 
duc  de  Milan,  fils  aîné  du  précédent,  né  en  1468, 
mort  le  20  octobre  1494,  à  Pavie.  Il  avait  huit 
ans  lorsqu'il  succéda,  en  1476,  à  son  père,  sous 
la  tutelle  de  sa  mère,  Bonne  de  Savoie.  La  ré- 
gence de  cette  princesse,  secondée  par  le  ministre 
Simonetta,  fut  habile  et  ferme.  Elle  eut  à  lutter 
contre  les  cinq  oncles  du  jeune  duc,  soutenus 
par  les  Gibelins,  contre  Bobert  de  San-Severino 
et  le  roi  de  Naples  ;  et  elle  triompha  de  leurs  ef- 
forts pour  lui  enlever  le  pouvoir.  Elle  secourut 
Florence  contre  Sixte  IV,  et  soumit  les  Génois, 
qui  se  révoltaient.  Mais,  à  l'instigation  de  son 
amant,  Antonio  Tassino,  elle  sacrifia  Simonetta  à 
son  beau-frère,  Ludovic  le  Maure.  «  Vous  y  per- 
drez l'État  et  moi  la  tête  »,  lui  avait  dit  le  mi- 
nistre prévoyant.  En  effet,  l'ambitieux  Ludovic, 
bientôt  tout-puissant,  exila  le  favori,  et  fit  déca- 
piter Simonetta  (30  octobre  1480);  après  avoir 
renvoyé  tous  les  serviteurs  delà  duchesse,  il  la 
força  de  se  retirer  à  Abbiategrasso  (2  novembre), 
et  se  fit  proclamer  régent  le  lendemain.  Dès 
lors  commença  véritablement  le  règne  de  Lu- 
dovic. Il  abandonna  les  Gibelins  et  favorisa  les 
Guelfes;  les  Gibelins  voulurent  l'assassiner  sur 
le  seuil  de  l'église  de  Saint- Ambroise  ;  le  com- 
plot fut  découvert.  Ils  excitèrent  contre  lui  Ve- 
nise, le  pape,  Gênes,  Sienne,  etc.;  Ludovic  fut 
soutenu  par  Florence,  Naples,  Mantoue,  et  força 
les  Vénitiens  à  signer  la  paix  de  Bagnola  (août 
1484);  Gênes  dut  reconnaître  de  nouveau  la 
domination  de  Milan;  et  le  duc  Jean-Galéas 
épousa,  en  1489,  Isabelle,  fille  d'Alfonse,  duc  de 
Calabre.  Les  continuelles  disputes  de  préséance 
entre  cette  princesse  et  Béatrix  d'Esté,  femme 
de  Ludovic,  fournirent  à  ce  dernier  l'occasion 
qu'il  attendait  de  se  débarrasser  de  son  neveu; 
il  le  relégua  avec  Isabelle  dans  le  château  de  Pa- 
vie. C'était  une  véritable  captivité.  Alfonse  de 
Calabre  et  son  père,  le  roi  Ferdinand,  se  décla- 
rèrent les  défenseurs  du  jeune  prince;  Ludovic 
rechercha  l'alliance  d'Alexandre  VI  et  de  Venise; 


puis  il  donna  l'une  de  ses  nièces,  Blanche  Sforza, 
en  mariage  à  Maximilien  1er,  avec  une  dot  de 
400,000  ducats,  pour  obtenir  de  l'empereur  l'in- 
vestiture du  duché  de  Milan.  Enfin,  comme  il 
craignait  de  plus  en  plus  l'attaque  des  Napoli- 
tains, il  pressa  vivement  par  ses  ambassadeurs 


863 


SFORZA. 


£64 


Charles  VIII  de  faire  valoir  ses  droits  sur  le 
royaume  de  Naples,  lui  promit  des  secours,  et 
l'accueillit  quand  les  Français  traversèrent  le 
Milanais.  Le  jeune  roi  cependant  ne  put  se  dis- 
penser d'aller  visiter  à  Pavie  son  cousin  Jean- 
Galéas;  Isabelle  se  jeta  à  ses  pieds  pour  implo- 
rer sa  générosité.  Charles  fut  ému,  mais  conti- 
nua sa  route,  et  quelques  jours  après,  le  duc 
mourut  d'une  fièvre  empoisonnée  (febbre  at- 
tossicata  ) ,  comme  dit  un  chroniqueur.  II  avait 
eu  d'Isabelle  d'Aragon,  qui  mourut  à  Bari,  le 
11  février  1524,  trois  enfants  :  Francesco,  qui 
suit;  Bonna,  née  en  1491,  femme  de  Sigis- 
mond  Ier,  roi  de  Pologne,  et  morte  à  Bari,  le  17 
novembre  1558  ;  et  Ippolita,  morte  en  bas  âge. 

Sforza  (Francesco),  fils  du  précédent,  né 
en  1490,  à  Milan,  fut  emmené  en  France  par 
Louis  XII  (1499),  qui  lui  donna  en  1504  l'ab- 
baye de  Marmoutiers  ;  il  mourut  en  1511,  d'une 
chute  de  cheval  qu'il  fit  à  la  chasse.     L.  G. 

Guicciardini,  Istoria,  1. 1.  —  Sismondi,  Hist.  des  républ. 
ital.,  t.  XI  et  XII. 

sforza  (Ludovico-Maria),  dit  leMaure  (1), 
duc  de  Milan,  né  le  23  août  1451,  mort  le  17  mai 
1 508,àLoches  en  Tou raine. Quatrième  fils  de  Fran- 
çois Sforza,  il  s'empara  du  pouvoir  comme  régent 
de  son  neveu  (voy.  l'art,  précédent),  et  s'em- 
pressa, après  la  mort  du  malheureux  prince 
(1494),  de  revenir  à  Milan,  où  il  fut  proclamé 
duc.  Le  duc  d'Orléans  engageait  vivement  Char- 
les VIII  à  profiter  de  l'indignation  générale  pour 
occuper  le  Milanais  ;  mais  Charles  s'était  engagé 
à  soutenir  Ludovic  contre  tout  ennemi,  en  échange 
de  l'argent,  des  soldats  et  des  vaisseaux  qui 
lui  avaient  été  promis,  et  il  continua  sa  route 
vers  Naples.  «  Ludovic,  dit  Comines,  qui  l'avait 
bien  connu,  estoit  homme  très-saige,  mais  fort 
craintif  et  bien  souple  quand  il  avoit  peur,  et 
homme  sans  foy  s'il  veoit  son  prouffit  pour  la 
rompre.  »  Aussi  ne  resta-t-il  pas  longtemps  l'allié 
des  Français;  il  était  effrayé  des  prétentions  peu 
cachées  du  duc  d'Orléans,  comme  héritier  des 
Yisconti;  il  voyait  auprès  de  Charles  VIII  son  en- 
nemi personnel,  J.-J.  Trivulzio,  banni  de  Milan 
depuis  1483  et  qu'il  avait  fait  pendre  en  effigie; 
on  ne  lui  avait  pas  donné  la  principauté  de  Ta- 
rente,  qui  lui  avait  été  promise  ;  enfin,  on  pouvait 
croire  que  Charles  voulait  dominer  toute  la  pé- 
ninsule. Ludovic  entra  donc  dans  la  ligue  de 
Venise  (31  mars  1495) ,  conclue  en  apparence 
pour  défendre  contre  les  Turcs  la  chrétienté  et  en 
réalité  contre  les  Français.  Il  se  chargea  de  cou- 
per les  convois  venant  de  France  et  de  prendre 
Asti;  pendant  que  Charles  VIII  était  vainqueur 
à  Fornovo,  il  assiégea  le  duc  d'Orléans  dans 
Novare,  et  obtint  des  conditions  avantageuses 
par  le  traité  de  Verceil  (10  oct.  1495)  :  Charles 
lui  céda  Novare  et  lui  laissa  Gênes  comme  fief 
de  la  couronne  de  France;  il  y  avait  amnistie 
pour  tous  ceux  qui  avaient  soutenu  les  Français, 

(1)  On  lui  donna  ce  surnom  à  cause  de  son  teint  ba- 
sane ou  parce  qu'il  avait  un  mûrier  dans  ses  armes.    f_ 


et  Trivulce  rentrait  en  possession  de  ses  biens; 
de  son  côté  Ludovic  s'engagea  à  abandonner  les 
intérêts  du  roi  de  Naples  et  même  à  se  déclarer 
contre  Venise,  si  elle  ne  traitait  pas  dans 
deux  mois.  Néanmoins  la  bonne  intelligence  ne 
fut  pas  complètement  rétablie  entre  Milan  et  la 
France  ;  puis  le  duc  s'attira  de  nouveaux  enne- 
mis en  soutenant  avec  perfidie  Pise  contre  Flo- 
rence, Florence  contre  Venise;  il  avait  excité 
contre  lui  bien  des  haines,  quand  Louis  XII,  en  : 
montant  sur  le  trône  de  France ,  prit  le  titre 
de  duc  de  Milan.  Au  mois  d'août  1499  com- 
mença l'invasion  du  Milanais.  Ludovic  était  sans  i 
alliés  :  mais  il  avait  de  nombreux  mercenaires, , 
et  il  les  mit  sous  les  ordres  de  son  gendre  Galéas 
de  San-Severino.  Rien  ne  put  résister  à  la  furie 
française  :  toutes  les  places  se  rendirent  l'une 
après  l'autre;  San-Severino  abandonna  son  ar- 
mée, qui  se  dispersa;  et,  à  la  nouvelle  de  la  prise 
d'Alexandrie  et  de  Pavie,  les  Milanais,  mécon- 
tents des  impôts,  irrités  de  la  perfidie  cruelle 
du  duc,  et  toujours  mobiles,  se  soulevèrent  et 
massacrèrent  son  ministre  des  finances,  Lan- 
driano.  Ludovic  envoya  en  Allemagne  ses  deux 
fils,  sous  la  garde  de  son  frère  le  cardinal  Ascanio, 
avec  une  partie  de  ses  richesses,  plaça  des  gar- 
nisons à  Gênes,  dans  le  château  de  Milan,  et, 
après  une  nuit  passée  près  de  l'urne  de  sa  femme 
Béatrix,  il  se  rendit  par  la  Valteline  en  Alle- 
magne (2  septembre  1499). 

Louis  XII  fut  reçu  comme  duc  de  Milan ,  et 
reconnu  par  tous  les  États  de  l'Italie,  excepté 
par  le  roi  de  Naples.  Mais  il  avait  fallu  payer 
des  contributions  de  guerre,  et  les  sages  me- 
sures de  Louis  XII  furent  bientôt  oubliées  sous 
l'administration  de  Trivulce,  qui  persécutait  les 
Gibelins  et  satisfaisait  ses  haines  d'exilé.  Ludo- 
vic, avec  l'aide  de  l'empereur,  put  enrôler  des 
Allemands  et  des  Suisses  ;  il  franchit  les  Alpes 
(février  1500),  et  fut  reçu  avec  joie  dans  Milan,  i 
Trivulce  s'était  retiré  par  Novare  jusqu'à  Mor- 
tara;  des  secours  considérables  lui  arrivèrent 
pendant  que  la  citadelle  de  Novare  résistait  en- 
core. Les  cantons  suisses  avaient  rappelé  leurs 
compatriotes  qui  se  trouvaient  à  la  solde  du  duc; 
ils  obéirent,  et  tout  ce  que  Ludovic  put  obtenir 
à  force  de  larmes,  ce  fut  de  pouvoir  se  glisser 
travesti  dans  leurs  rangs,  pour  s'éloigner  avec 
eux  ;  mais,  signalé  par  un  Suisse  à  ses  ennemis,' 
il  fut  pris  avec  trois  frères  San-Severino  (10  avril 
1500).  Mené  en  triomphe  à  Lyon,  il  fut  conduit 
au  château  de  Loches  et  retenu  dans  une  étroite 
captivité.  Ce  fut  seulement  dans  les  derniers  temps 
de  sa  vie  qu'on  lui  donna  tout  le  château  pour 
prison.  Il  mourut  en  1508,  à  cinquante-sept  ans.  s'j" 

Intelligence  active  et  âme  basse.Ludovic  croyait 
que  l'habileté  était  tout;  il  se  vantait  d'avoir,  par 
son  astuce,  appelé  et  chassé  Charles  VIII,  puni 
et  relevé  les  Aragonais ,  en  ajoutant  que  «  le 
Christ  dans  le  ciel  et  le  More  sur  la  terre  sa- 
vaient seuls  le  but  de  cette  guerre  ».  Il  avait 
appelé  les  Français  en  Italie;  il  fut  leur  première 


■il 


SFORZA 


866 


time.  La  dure  expérience  ne  lui  enleva  pas  la 

ine  opinion  qu'il  avait  de  sa  sagacité;  dans 

testament  il  ne  savait  recommander  aux 

nces  italiens  d'autre  expédient  que  la  peur: 

ir  descondottieri,  peur  des  ministres,  peur  des 

ants;  il  les  engageait  à  ne  pas  s'entourer  de 

sonnes  d'un  rang  élevé.  Cependant  il  protégea 

lettres,  et  s'entoura  d'érudits,  de  poètes, 

listes  ;  il  ouvrit  un  théâtre,  forma  une  aca- 

rie,  agrandit  l'université  de  Pavie;  Milan, 

le,  Vigevano,  etc.,  furent  embellis  d'édifices 

erbes,  et  Ludovic  le  More  put  être  considéré 

me  le  digne  rival  de  Laurent  le  Magnifique. 

trouvera  dans  Argellati  la  liste  des  épîtres 

îes,  harangues,  instructions  diplomatiques  et 

ies  italiennes  que  l'on  a  de  ce  prince,  soit  dis- 

inées  dans  divers  recueils,  soit  en  manuscrit. 

e  sa  femme  Béatrix,  morte  le  2  janvier  1497, 

it  Massimiliano  et  Francesco-Maria,  qui 

ent.  Il  laissa  aussi  quelques  enfants  naturels, 

mment  Giovanni- Paolo,  tige  des  marquis 

aravaggio.  L.  G. 

nti,  Vita  di  Lud.  Sforzu;  Rome,  1653,  ln-iî.  — 
:iardinl,  Istoria.  —  Rlpamonte,  Hist.  tirbis  Mediol. 
gellaU,  Bibliotk.  mediol.  —  Saint-Gelais,  Hist.  de 
i  XII.  —  Louis  de  La  Trémoullle,  Mémoires,  ch.  x. 
ire\ini,De  captivitate  Lud.  S/ortix,  in-4°,  trac!,  en 
ais.—  Sismondi,  Hist.  des  républ.  ital.,  t.  XI  à  XIII. 

<orza  ( Massimiliano), duc  de  Milan,  fils 
du  précédent,  né  en  1491,  mort  en  juin 
>,  à  Paris.  Réfugié  en  Allemagne  depuis  1499, 
afita  des  échecs  de  Louis  XII  pour  réclamer 
ilauais.  Les  Suisses  le  proclamèrent  par  tout 
iché,  et  le  cardinal  de  Sion  lui  remit  au  nom 
alliés  les  clefs  de  Milan  (29  déc.  1512); 
.  le  pape ,  les  Suisses ,  les  Grisons  s'étaient 
ares  des  villes  à  leur  convenance,  le  Mila- 
était  démembré.  Louis  XII  voulut  reprendre 
uché,  en  1513;  il  y  envoya  une  armée,  con- 
;  par  La  Trémoille  et  Trivulce.  Maximilien 
'erma  dans  Novare;  les  Suisses,  qui  lui 
jnt  restés  fidèles,  sortirent  hardiment  de  la 
marchèrent  à  l'ennemi  et  remportèrent  sur 
ulce  une  victoire  complète  (6  juin).  Ledu- 
le  Milan  resta  donc  à  Maximilien,  et  les  villes 
ardes,  Milan  surtout,  en  lurent  quittes  pour 
r  de  fortes  amendes  au  duc  et  aux  Suisses, 
ue  François  Ier  envahit  l'Italie  (1515),  les 
es  seuls  défendirent  Maximilien,  qu'ils  re- 
lient comme  leur  avoyer  dans  la  Lombar-. 
Après  la  défaite  de  Marignan ,  il  s'enferma 
la  citadelle  de  Milan;  mais,  effrayé  du  jeu 
nines  que  dirigeait  le  célèbre  Navarro,  il 
nia  le  4  octobre  1515,  abandonnant  tous  ses 
sur  le  duché  et  s'engageant  à  vivre  obscu- 
!nt  en  France;  le  roi  lui  garantissait  le 
nent  de  ses  dettes  et  une  pension  de  30,000 
s.  On  dit  que  ce  prince,  faible  et  sans  ins- 
«on,  se  montra  satisfait  d'être  délivré  de 
lence  des  Suisses,  des  exactions  de  l'ém- 
ir et  des  fourberies  des  Espagnols.  Il  mou- 
tas  avoir  été  marié.  L.  G. 

ondl,  Hist.  des  républ.  ital,  t.  XIV. 
NOUV.  BIOGR.   GÉNÉR T.  XLIII. 


[ji 


sforza  (  Francesco-Maria  ) ,  dernier  doc 
de  Milan,  frère  du  précédent,  né  en  1492,  mort 
le  24  octobre  1535,  à  Milan.  Rentré  à  Milan  avec 
Maximilien,  qu'il  aida  sans  éclat,  il  s'enfuit  en 
1515  avec  le  cardinal  de  Sion ,  et  fit  valoir  ses 
droits  sur  le  Milanais.  Le  8  mai  1521,  Léon  X 
et  Charles  V  firent  alliance  contre  François  Ier 
pour  remettre  sur  le  trône  de  Milan  les  Sforza. 
Après  la  défaite  de  Lautrec  à  La  Bicoque  (avril 
1522),  François  reprit,  avec  six  mille  lansque- 
nets, possession  du  Milanais,  désolé  par  la  guerre 
et  par  une  épidémie,  qui  emporta  soixante  mille 
personnes.  Quand  les  Français  .conduits  par  le 
roi,  rentrèrent  en  Italie,  le  duc  se  réfugia  avec 
son  ministre,  Morone,  au  château  de  Pizzighet- 
tone;  mais  la  bataille  de  Pavie  (24  février  1525) 
délivra  tout  le  duché,  et  Sforza  n'eut  plus  à 
craindre  désormais  que  Charles  V,  son  protec- 
teur trop  puissant.  L'empereur  l'avait  investi  du 
duché,  moyennant  600,000  ducats  et  l'obligation 
de  recevoir  des  garnisons  allemandes;  mais  il 
songeait  à  réunir  le  Milanais  à  ses  possessions 
héréditaires  lorsque  l'occasion  serait  favorable. 
François,  bon,  mais  faible  et  d'une  mauvaise 
santé,  se  laissa  entraîner  par  Morone  dans  une 
ligue  pour  rendre  à  l'Italie  son  indépendance; 
Henri  VIII  d'Angleterre,  la  régente  de  France 
promirent  des  secours;  mais  Pescaire  révéla 
tous  les  détails  du  complot  :  Morone  fut  arrêté 
par  Antoine  de  Leyva,  le  duc  fut  indignement 
traité ,  et  Milan,  assiégé,  bombardé,  fut  forcé  de 
jurer  fidélité  au  roi  d'Espagne.  François  Ier  dé- 
livré sembla  entrer  avec  ardeur  dans  la  Sainte- 
Ligue  ,  dont  Henri  VIII  et  Clément  VII  se  décla- 
raient les  protecteurs  ;  on  devait  rendre  le  Mi- 
lanais aux  Sforza.  Les  Italiens ,  commandés  par 
le  duc  d'Urbin,  ne  surent  pas  agir;  Milan  resta 
livré  à  tous  les  excès  des  soldats  d'Antoine  de 
Leyva  ;  le  duc,  assiégé  dans  le  château,  ne  fut  pas 
secouru  et  dut  capituler  (24  juillet  1526);  puis 
les  bandes  de  Bourbon  vinrent  achever  la  ruine 
de  Milan.  Pendant  plus  de  deux  ans  les  troupes 
impériales,  puis  les  Français  de  Lautrec  et  de 
Saint-Pol,  répandirent  la  dévastation  dans  la 
Lombardie,  désolée  par  la  guerre,  la  famine  et 
la  peste.  Charles  V  resta  victorieux.  François 
implora  alors  sa  générosité;  il  était  malade,  ne 
paraissait  pas  pouvoir  vivre  longtemps  et  n'avait 
pas  d'héritier;  l'empereur  consentit  à  lui  laisser 
le  Milanais,  sauf  Pavie,  dont  il  investit  Leyva; 
il  garda  Côme  et  le  château  de  Milan,  comme 
gage  des  900,000  ducats  qu'on  devait  lui  payer, 
moitié  comptant ,  le  reste  dans  l'espace  de 
neuf  ans  (traité  du  23  décembre  1529).  Fran- 
çois Ier  voulut  l'entraîner  dans  une  nou- 
velle ligue  contre  Charles  V  ;  le  duc  prêtô  d'a- 
bord l'oreille  aux  insinuations  de  Meraviglia, 
agent  secret  du  roi  de  France;  puis,  craignant 
d'être  découvert  et  puni ,  il  le  fit  arrêter  et  dé- 
capiter, sous  le  prétexte  d'un  meurtre.  Char- 
les V,  satisfait,  donna  en  mariage  à  Sforza  sa 
nièce  Christine  de  Danemark  (avril  1534).  L'an- 

28 


867 

née  suivante  le  dernier  des  Sforza  s'éteignit,  sans 
laisser  de  regrets.  Le  duché  de  Milan  cessa  dès 
lors  d'être  indépendant,  et,  malgré  les  réclama- 
tions du  roi  de  France,  tomba  au  pouvoir  de  la 
maison  d'Autriche.  Louis  Grégoire. 

Assaraci,  Trivultius,  seu  historia  rerum  a  Fr.-M. 
gestarum,  poëme  hist.  ;  Milan,  1316,  in-fol.  —  G.  Capella, 
De  bello  mediotanensi  lib.  VI  II;  Milan.  1531,  iii-4°.  — 
Giovio  jeune,  fita  Fr.-HI.  Sforziœ  ducis  ;  Rome,  1539, 
in-4°.  —  Guicciardini,  Istoria.  —  Ratti,  Me.morie  délia 
famiglia  Sforza.  —  Léo  et  Botta,  Hist.  d'Italie.  — 
Canlu,  Hist.  des  Italiens. 


sforza  (Ascanio- Maria),  cardinal,  fils  du 
duc  François,  né  le  23  mars  1455,  à  Crémone, 
mort  le  27  ou  28  mars  1505,  à  Rome.  Destiné  à 
l'Église,  il  fit  de  bonnes  études  à  Rome.  Après 
le  meurtre  duducGaléas-Marie,  son  frère  (1476), 
il  partagea  les  vicissitudes  de  safamille:  proscrit 
par  Simoneta,  il  applaudit  à  la  chute  de  ce  mi- 
nistre; mais  l'usurpation  de  Louis  le  Maure  le 
jeta  parmi  les  mécontents,  et  il  ne  tarda  pas  à 
reprendre  le  chemin  de  l'exil.  Dans  la  suite  les 
deux  frères  se  rapprochèrent,  et  Louis  demanda 
pour  Ascagnele  chapeau  de  cardinal,  que  le  pape 
Sixte  IV  lui  accorda,  en  1484,  en  considération 
du  mariage  de  Jérôme  Riario  et  de  Catherine 
Sforza.  Ascagne  jouit  à  Rome  d'une  grande  fa- 
veur :  outre  l'administration  des  diocèses  de  Pe- 
saro,  de  Crémone  et  de  Novare,  il  eut  à  gouver- 
ner comme  légat  le  patrimoine  de  saint  Pierre. 
Son  crédit  s'augmenta  encore  sous  le  pontilicat 
d'Alexandre  VI  :  ayant  eu  une  part  notable  dans  son 
élection,  il  reçut  en  récompense  l'office  de  vice- 
chancelier,  plusieurs  bénéfices,  quantité  de  terres 
et  de  châteaux,  et  le  palais  Borgia;  mais,  ne  se 
croyant  pas  en  sûreté  dans  Rome ,  non-seule- 
ment à  cause  de  ses  richesses  considérables, 
mais  parce  qu'il  passait  pour  le  chef  du  parti 
français  dans  le  sacré  collège,  il  en  sortit,  et  se 
retira  sur  le  domaine  des  Colonna.  Lors  de  l'in- 
vasion des  Français  en  Italie,  il  fut  l'un  des 
quatre  ambassadeurs  que  Charles  VIII  députa 
auprès  du  pape  (décembre  1494).  Sans  respect 
pour  le  droit  des  gens,  il  fut  arrêté  et  conduit 
au  château  Saint-Ange  ;  mais  on  le  rendit  bientôt 
à  la  liberté,  et  il  figura,  le  31  décembre,  dans 
l'entrée  solennelle  que  fit  Charles  VIII  à  Rome. 
Tant  que  vécut  ce  prince?  il  représenta  auprès  de 
lui  les  intérêts  du  saint-siége.  Il  n'en  pouvait 
être  de  même  avec  Louis  XII,  qui  avait  juré  la 
perte  de  Louis  le  Maure  et  la  ruine  des  Sforza  :  il 
revint  à  Milan,  et  se  joignit  à  son  frère  pour  ar- 
rêter par  tous  les  moyens  l'irruption  des  Fran- 
çais. Ce  ne  fut  qu'au  dernier  moment  qu'il 
chercha  son  salut  dans  la  fuite  :  livré  par  un 
traître  aux  Vénitiens  et  par  ceux-ci  à  Louis  XII 
(1500),  il  fut  enfermé  d'abord  à  Pierre  en  Cise, 
près  Lyon,  puis  dans  la  tour  de  Bourges.  En 
1503  il  lui  fut  permis  de  se  rendre  au  con- 
clave à  la  condition  de  céder  sa  voix  au 
cardinal  d'Amboise;  comme  il  n'en  fit  rien,  il 
eut  ordre  de  rentrer  dans  sa  prison,  ce  que  le 
pape  Jules  II  empêcha.  De  partisan  de  la  France 


SFORZA  86 

Ascagne  était  devenu  son  plus  violent  ennem 
et  il  s'occupait  sans  relâche  à  lui  susciter  df 
embarras,  lorsque  le  poison  ou  la  peste,  on  r 
sait  lequei,  l'arracha  brusquement  à  ses  tén< 
breuses  intrigues  pour  le  conduire  au  tombeai 
Bien  qu'il  eût  du  goût  pour  les  lettres,  il  ne  1 
rien  paraître  des  harangues ,  des  dissertations 
des  vers  et  des  épitres,  qu'on  a  encore  de  lui  « 
en  manuscrit. 

Fedro,  Oratio  funebris  Mc.-M.  Sfortiœ;  Catan 
1522,  in-l°.  —  Arisi,  Cremona  litterata.  —  Ughelli,  Il 
lia  sacra.  —  Sismondi,  Hist.  des  republ.  ital.,  t.  3 
et  XIII. 

sforza  (Catarina),  fille  naturelle  de  G. 
léas-Marie,  née  en  1460,  morte  à  Florence.  El 
épousa,  au  mois  de  mai  1477,  Jérôme  Riari< 
dont  elle  eut  six  enfants.  Aidé  des  secours  | 
Sixte  IV,  son  oncle,  qu'il  avait  compromis  en 
mêlant  à  la  conjuration  des  Pazzi,  son  mari  s' 
tait  emparé  des  villes  d'Imola  et  de  Forli,  où 
vivait  en  prince  indépendant.  Il  s'attira  par  u 
longue  suite  d'actes  tyranniques  la  haine  de  s 
sujets;  trois  d'entre  eux  le  massacrèrent  à  For 
le  14  avril  1488.  Puis  le  peuple  saccagea  le  pal. 
de  fond  en  comble,  se  saisit  de  Catherine,  air 
que  de  son  fils  aîné,  Octavien  Riario,  et  somi 
la  citadelle  de  se  rendre.  Le  commandant  aya 
déclaré  qu'il  ne  la  remettrait  qu'à  la  veuve 
son  maître,  on  permit  à  Catherine  d'y  entrer, 
on  garda  ses  fils  comme  otages.  A  peine  entr 
dans  la  forteresse,  Catherine  monte  sur  les  cr 
neaux  et  ordonne  aux  chefs  de  la  révolte  de  d 
poser  les  armes;  ils  la  menacent  de  faire  pé: 
ses  fils ,  si  elle  ne  tient  pas  sa  promesse.  Aloi 
avec  un  fier  courage  et  un  mépris  public 
toute  pudeur,  elle  soulève  ses  vêtements, 
s'écrie  :  «  Vous  voyez  que  je  puis  en  fai 
d'autres  (1).  »  Les  rebelles,  attaqués  par  les  alli 
de  Catherine,  furent  forcés  de  se  rendre  (29  av 
1488).  Cette  princesse  vengea  cruellement 
mort  de  son  mari  sur  les  assassins  et  Iet 
complices.  Elle  gouverna  ses  États  avec  viguei 
et  déjoua  plusieurs  conspirations  ourdies  conl 
son  autorité  et  contre  sa  vie.  Vers  1496,  elle 
maria  en  secondes  noces,  avec  Jean  de  Médic 
qui  mourut  le  14  septembre  1498.  En  1499, 
pape  Alexandre  VI,  qui  convoitait  les  Romagn. 
déclara  les  Riario  déchus  de  leurs  fiefs,  prête 
dant  qu'ils  n'avaient  pas  payé  le  cens  dû  , 
saint-siége ,  tandis  que  ceux-ci  prouvaient  qu' 
lui  avaient  fait  des  avances  considérables.  ( 
sar  Borgia  se  rendit  maître  d'Imola,  et  le  19  <: 
cembre  1499  la  ville  de  Forli  lui  ouvrit  i 
portes.  Catherine  s'enferma  dans  la  forteres: 
qui  fut  prise  d'assaut,  le  12  janvier  1500,  api 
un  siège  de  vingt-deux  jours.  Faite  prisonnièi 
elle  fut  transférée  au  château  Saint- Ange, 


(l)  Rispose  lore  quelta  lorte  remina  che  se  avess 
fatti  périr  que'  figliuoli,  restavano  a  lel  le  forme 
farncdegllaltri;  e  vi  ha  che  dice  (questa  giunta  fo 
fu  immaginata  e  non  vera  |  aver' ella  anche  alzata 
gonna,  per  chbrirll  che  dicca  la  verita.  (  Crontca-6 
siana,  apud  Muratori,  Ann.,  t.  IX,  p.  556.) 


; 


39 


SFORZA  —  'S  GRAVESANDE 


870 


itexandre  VI  lui  intenta  un  procès  criminel, 
ius  protexte  qu'elle  avait  essayé  de  le  faire  em- 
nsonner.  Mise  en  liberté,  par  l'intercession 
i  roi  de  France  (juillet  1501),  elle  se  réfugia  à 
orence,  où  elle  mourut,  dans  la  retraite. 
Buricl,  Fita  di  Catarina  Sforza;  Bologne,  1785, 
vol.  ln-8.  —  Rattl,  IHemarie  delta  famiqlia  Sforza.  — 
•rll,  Fita  di  Catarina  Sforza  di  Medici  (médite). 

'S  gravesande  (  Guillaume- Jacob  ),  physi- 
en,  algébristeet  philosophe  hollandais  (1),  né  à 
)is-lc-Duc,  le  27  septembre  1688,  mort  à  Leyde, 

2S  février  1742.  Sou  père  descendait  d'une 
eille  famille  patricienne  de  Delft,  et  sa  mère 
ait  petite-lille  du  médecin  Heurnius.  A  seize 
is,  il  fut  envoyé  à  Leyde  pour  y  étudier  le  droit  ; 
;  1707,  il  fut  reçu  docteur  avec  une  thèse  qui 
ait  pour  objet  le  suicide,  De  autochciria.  Il 
la  alors  s'établir  à  La  Haye  pour  s'y  livrer  à 

pratique  du  barreau  ;  l'un  des  principaux 
embres  de  la  société  qui  se  forma  pour  la  pu- 
ication  du  Journal  littéraire  (2),  il  y  fit  in- 
rer  un  grand  nombre  d'articles,  parmi  les- 
lels  il  faut  citer,  d'une  part  ses  Remarques 
x  la  construction  des  machines  pneuma- 
pies(t,  IV),  Essai  a"  une  nouvelle  théorie  sur 

choc  des  corps  (  t.  XII) ,  et  ses  Remarques 
x  la  force  des  corps  (t.  XIII);  d'autre  part 

Lettre  sur  le  mensonge  (t.  V)  et  sa  Lettre 
x  la  liberté  (t.  X).  En  1715,  il  accompagna 

qualité  de  secrétaire  les  deux  ambassadeurs 
oisis   par  les  états  généraux    pour  féliciter 

roi  Georges  1er  sur  son  avènement  au  trône. 
;ndant  son  séjour  à  Londres,  qui  dura  près 
rane  année,  il  se  lia  avec  l'évêque  Burnet  et 
ec  Newton,  qui  le  fit  recevoir  membre  de  la 
iciété  royale.  En  juin  1717,  les  curateurs  de 
miversité  de  Leyde  le  nommèrent  professeur 
dinaire  de  mathématiques  et  d'astronomie. 
Gravesande  y  donna  le  premier  un  cours  corn- 
et d'expériences  physiques.  Ayant  ajouté,  en 
'34,  le  titre  de  professeur  de  philosophie  aux 
res  qn'ij  portait  déjà,  il  fit  des  cours  sur  la 
gique  et  sur  la  métaphysique  ;  et  ce  fut  dans 
itte  occasion  que,  fidèle  à  la  méthode  qu'il  avait 
loptée  déjà  dans  l'enseignement  de  la  physique, 
entreprit  de  composer  un  abrégé  des  deux 
jiences,  destiné  à  être  mis  aux  mains  de  ses 
iditeurs.  Appelé  à  donner  également  des  leçons 
i  morale,  et  très-indécis  sur  le  choix  d'un  au- 
ur  à  suivre,  il  s'était  déterminé  à  écrire  un 
irégé  de  morale,  lorsque  la  mort  vint  mter- 
mpre  ses  travaux. 

Dans  le  cours  de  sa  laborieuse  et  brillante 
tarière ,  "s  Gravesande  était  entré  en  relations 

(1)  Le  nom  de  cette  famille  est  Storm  vah  's  Gra- 
'.SAHDE;  on  Ignore  quelle  est  l'origine  de  ce  dernier 
>m. 

tî)  Le  Journal  littéraire,  fondé  en  mai  1713,  eut  pour 
'dacteurs  's  Gravesande,  Marchand,  van  Effen,  Sal- 
ngre,  Alexandre  et  Saint-Hyacinthe.  Suspendu  en  1722, 
Tut  continué  de  1729  a  Juin  1732,  sous  le  même  titre, 
!ir  les  soins  de  s'  Gravesande  et  de  Marchand,  qui  s'ad- 
ïgnirent  Supervise,  de  Joncourt,  Sacrelaire,  Calan- 
inl  et  Cramer. 


scientifiques  avec  plusieurs  savants  distingués 
et  avec  plusieuis  princes  allemands.  A  diverses 
reprises,  le  landgrave  de  liesse  Cassel  l'invita  à 
venir  passer  quelque  temps  auprès  de  lui  pour 
le  consulter  sur  des  machines  qu'il  avait  à  faire 
construire.  La  publication  de  ses  ouvrages  lui 
valut  des  lettres  de  félicitation,  qui  lui  vinrent 
à  la  fois  de  l'Angleterre,  d'Allemagne,  de  France. 
Enfin ,  il  reste  des  traces  d'une  correspondance 
qu'il  eut  avec  Voltaire.  Ses  œuvres  se  rapportent 
aux  sciences  proprement  dites  ou  à  la  philoso- 
phie. Ce  sont  :  Physices  elementa  mathe- 
matica,  experimentis  confirmata,  sive  in- 
troductio  ad  philosophiam  newtonianam; 
La  Haye,  1720,  2  vol.  in-4°,  fig.;  Leyde,  1725, 
1742,  2  vol.  in-4°;  trad.  en  hollandais  (1721)  et 
en  français  (1746,  2  vol.  in-4°).  Le  mérite  decet 
ouvrage  consiste  principalement  en  ce  qu'il  est 
peut-être  le  premier  dans  lequel  on  ait  vu  les 
expériences  et  les  démonstrations  substituées 
aux  hypothèses.  Il  se  divise  en  quatre  livres  : 
le  premier,  sur  les  corps  et  les  mouvements  des 
corps;  le  second,  sur  les  fluides;  le  troisième, 
sur  la  lumière;  le  quatrième,  sur  l'astronomie. 
Dans  une  excellente  préface,  l'auteur  expose  la 
méthode  qu'il  a  suivie,  méthode  qui  est  celle  de 
Newton; —  Philosophix  newtonianœ institu- 
tiones,  in  usus  academicos ;  Leyde,  1723, 
1728,  1744,  2  vol.  in-8°  :  abrégé  de  l'ouvrage 
précédent.  Les  changements  et  les  développe- 
ments que  l'auteur  y  introduisit  en  firent  un 
livre  nouveau,  bien  que  les  principes  et  la  mé- 
thode fussent  restés  les  mêmes  ;  —  Mathescos 
universalis  elementa,  quibus  accedit  spé- 
cimen commentarii  in  arithmeticam  univer- 
salem  Newtonii;  Leyde  ,  1727,  in-8°  :  traité 
d'arithmétique  et  d'algèbre,  que  's  Gravesande 
publia  également  pour  les  besoins  de  son  ensei- 
gnement; —  Introductio  ad  philosophiam, 
metaphysicam  et  logicam  conlinens;  Leyde, 
1736,  1756,in-8°;  trad.  en  français  (1737,  in-S°) 
et  en  hollandais  (1746).  Dès  son  apparition,  cet 
ouvrage  avait  été  l'objet  d'une  telle  estime,  que 
les  auteurs  du  Journal  des  savants  termi- 
naient un  extrait  qu'ils  en  donnaient  par  l'ap- 
préciation suivante  :  «Nous  ne  connaissons  pas 
de  meilleure  introduction  à  la  philosophie.  »  Ten- 
nemann  dit  «  qa'on  doit  à  's  Gravesande  le  dé- 
veloppement d'excellentes  règles  pour  la  re- 
cherche de  la  vérité  ».  Venu  à  une  époque 
où  Locke  et  Deseartes  se  partageaient  encore 
exclusivement  l'empire  de  la  philosophie,  's  Gra- 
vesande tient  entre  ces  deux  chefs  d'école 
une  aorte  de  milieu,  qu'il  a  su  choisir  en  ré- 
pudiant ce  que  peut  avoir  d'exagéré  la  doc- 
trine de  l'un  et  de  l'autre,  et  en  ne  reconnais- 
sant d'autre  maître  que  le  bon  sens.  D'accord 
avec  Descartes  sur  le  critérium  du  vrai, il  s'en 
sépare  néanmoins  sur  la  question  du  doute  uni- 
versel, pris  comme  point  de  départ  de  la  mé- 
thode, attendu  qu'il  regarde  ce  doute  universel 
comme  intellectuellement  impossible.  D'accord 

28. 


871 


'S  GRAVESANDE  —  SHAKESPEARE 


87: 


avec  Locke,  trop  d'accord  peut-être,  sur  le  pro- 
blème de  l'origine  des  idées ,  il  s'en  sépare  sur 
la  question  de  savoir  si  Dieu  a  pu  donner  à  la 
matière  la  faculté  de  penser,  et  n'hésite  pas  à 
résoudre  hardiment  par  une  négative  toute  spi- 
ritualiste  cette  question,  que  Locke  s'était  plu  à 
maintenir  dans  les  termes  d'un  doute  timide. 
Bien  que  d'accord  sur  la  plupart  des  points 
avec  le  sens  commun,  la  philosophie  de  'sGra- 
vesande  n'est  cependant  pas  exempte  d'erreurs. 
Ainsi,  cet  écrivain  se  trompe  quand  il  soutient 
que  l'âme  ne  pense  pas  toujours  et  quand  il 
introduit  divers  degrés  dans  l'évidence;  il  se 
trompe  gravement  sur  la  question  du  libre 
arbitre,  quand  il  fait  de  nos  actes  la  consé- 
quence d'une  nécessité  morale,  à  laquelle  notre 
âme  obéirait  de  la  même  manière  que  la  balance 
se  laisse  entraîner  par  le  plus  grand  poids. 
Mais  à  côté  de  ces  erreurs  combien  de  ques- 
tions traitées  avec  une  puissance  de  raison  et 
de  bon  sens  qu'on  ne  retrouve  pas  toujours 
à  un  égal  degré  même  chez  des  philosophes 
que  la  renommée  a  mieux  favorisés  :  telles 
que  la  question  de  la  probabilité ,  celle  des 
causes  et  des  remèdes  de  nos  erreurs,  celle  du 
raisonnement,  enfin  celle  de  la  méthode,  notam- 
ment en  ce  qui  concerne  les  moyens  de  perfec-, 
tionner  l'attention,  l'intelligence  et  la  mémoire! 
'S  Gravesande  a  composé  aussi  plusieurs  discours 
écrits  en  latin,  et  il  a  donné  ses  soins  à  l'impres- 
sion des  ouvrages  suivants  :  Opéra  varia  et  re- 
ligua  (  Leyde  et  Amst. ,  1724-28, 4  vol.  in-4°  ),  de 
Huygens;  Introductiones  adveram  physicam 
et  veram  astronomiam  (ibid.,  1725,  in-4o),  de 
J.  Keill,  son  ami;  et  Ouvrages  adoptés  par 
V Académie  royale  des  sciences  (La  Haye,  1729, 
1. 1.  à  VI,  in -4°).  Tous  les  écrits  de  cet  auteur 
ont  été  rassemblés  sous  le  titre  A"  Œuvres  phi- 
losophiques et  mathématiques;  Amst.,  1774, 
2  vol.  in  4°,  mis  en  français,  et  enrichis  de 
remarques  et  d'une  notice  étendue  par  Alla- 
mand ,  l'éditeur.  C.  M. 

Vie  de  's  Gravesande  par  Allamand ,  dans  le  Dict. 
historique  de  Prosper  Marchand.  —  Dictionnaire  des 
sciences  philosophiques.  —  Mémoire  sur  la  vie  et 
les  écrits  de  's  Gravesande,  par  C.  Mallet ,  dans  le 
Compte-rendu  des  séances  et  travaux  de  l'académie 
des  sciences  morales  et  politiques,  année  1858,  t.  Ier. 

shadwell  (Thomas),  poëte  angiais,  né  en 
1640,  dans  le  Norfolk,  mort  en  1692.  Il  commença 
par  étudier  le  droit;  mais  il  y  renonça  bientôt 
pour  voyager  à  l'étranger.  A  son  retour  en  Angle- 
terre, il  se  lia  avec  les  beaux  esprits  du  jour, 
notamment  avec  Dryden,  Otway,  Rochester. 
Peu  de  temps  après,  il  donna  sa  première  comé- 
die, the  Sullen  Lovers  (1668),  dont  le  succès 
fut  assez  grand  pour  le  décider  à  embrasser  la 
carrière  dramatique.  11  ne  tarda  pas  à  devenir 
célèbre,  et  les  whigs  le  posèrent  en  rival  de 
Dryden,  dont  il  avait  cessé  d'être  l'ami  à  la  suite 
d'une  petite  guerre  de  préfaces.  Lorsque  ce  der- 
nier donna  sa  démission  de  poëte  lauréat,  Shad- 
well lui  succéda,  grâce  à  la  protection  de  lord  Ro-  , 


chester.  11  mourut  empoisonné  par  une  dose  d'o 
pium  plus  forte  que  celle  qu'il  prenait  d'habi 
(ude.  Si  le  nom  de  Shadwell  a  surnagé  à  l'oubli 
il  faut  l'attribuer  aux  railleries  dont  Drydei 
l'accabla  dans  Mac  Fleknoe,or  a  Satire  oi 
the  true-blue  Protestant  T.  S.,  publié  ei 
octobre  1682.  Ses  œuvres  se  ressentent  de  1, 
hâte  qu'il  mettait  à  les  composer;  mais  l'accu 
sation  de  sottise  et  de  lourdeur  portée  contr 
lui  est  fort  injuste.  Il  ne  manque  ni  de  tact 
ci  d'esprit  d'observation,  ni  de  vivacité.  Le 
œuvres  de  Shadwell  ont  été  publiées  en  172t 
(Lond.,  4  vol.  in-12).  Il  a  laissé  quelques  tra 
ductions  estimées  des  classiques  latins. 

Shaftesburï.  Voy.  Cooper. 

W.  Scott,  Life  of  Dryden.  —  Knlght,  English  Cycle 
psedia  (biogr.). 

Shakespeare  (i)  (William),  le  plus  gran 
des  poètes  anglais,  né  le... avril  (2)  1564,  a  Strat 
ford-sur-Avon ,  dans  le  comté  de  Warwick 
mort  le  23  avril  1616,  dans  la  même  ville.  J 
était  fils  de  John  Shakespeare  et  de  Mary  Arden 
La  gloire  du  fils  rejaillissant  sur  le  père  a  donn< 
lieu  à  de  minutieuses  recherches  et  à  d'intermi 
nables  discussions  sur  la  position  et  la  vie  de  ce 
obscur  bourgeois  de  Stratford.  Si  l'on  se  borm 
aux  faits  authentiques  recueillis  dans  les  re 
gistres  de  la  ville,  on  trouve  que  dès  1556  Johi 
Shakespeare  était  membre  d'un  jury  à  Stratford 
que  vers  la  fin  de  1557  il  fut  élu  membre  de  li 
corporation  municipale  de  cette  ville;  qu'ei 
1558  et  1559  il  remplit  les  fonctions  de  cons- 
table;  qu'en  1561  il  devint  un  des  chambellan: 
de  la  corporation.  Deux  de  ses  filles  furent  b 
tisées,Jone  (sic)  le  15  septembre  1558,  Margare. 
le  2  décembre  1562.  Margaret  mourut  âgée  dt 
quelques  mois,  et  fut  ensevelie  le  30  avril  1563. 
il  est  probable  que  sa  fille  aînée  mourut  auss 
dans  l'enfance,  puisque  une  autre  de  ses  filles  fui' 
baptisée  en  1569,  sous  ce  même  nom  de  Jone, 


(1)  Les  controverses  an  sujet  de  ce  célèbre  poëte  com- 
mencent avec  l'orthographe  de  son  nom,  que  l'on  trouve 
écrit  Shakspere,  Shakespere,  Shakespeyre,  Shaxper, 
Chacsper,  Shakespeare,  Shakspeare,  etc..  La  forint 
Shakespeare  est  la  plus  conforme  à  l'étymologie  (  qu 
agite,  qui  brandit  la  lance,  hasti-vibrans,  selon  la  tra- 
duction de  Fuller  )  ;  elle  est  consacrée  par  les  première: 
éditions  de  ses  poésies,  faites  sous  ses  yeux,  et  par  1< 
première  édition  de  son  théâtre  complet  (1623)  :  c'esl 
celle  que  nous  avons  adoptée  dans  cet  article;  mais  la 
forme  abrégée  Shakespere  et  Shakspere  était  la  plus 
usitée  dans  son  comté  natal,  et  lui-même  signait  habi- 
tuellement Shakspere,  comme  on  lit  très-distinctement 
sur  son  exemplaire  du  Montaigne  de  Florio,  acquis  par 
le  British  Muséum,  Les  trois  signatures  de  son  testa- 
ment ne  sont  pas  assez  nettes  pour  qu'on  soit  sur  de 
l'orthographe.  Sur  un  autre  acte  authentique  on  trouve 
son  nom  signé  Shaksper. 

|8)  Sur  le  registre  des  baptêmes  de  l'église  paroissiale 
de  Stratford-sur-Avon,  William  Shakespeare  est  inscril 
a  la  date  du  26  avril  1564  (  Gullelmus,  filius  Johannes 
Shakspere);  on  peut  supposer  que  William  était  né  la 
veille  ou  l'avant-veille,  le 25  ou  le  24  avril;  il  se  peut  aussi 
qu'il  fut  né  huit  ou  dix  jours  plus  tôt;  cependant,  tous  les 
biographes  le  font  naître  le  23,  nous  ne  savons  sur  quelle 
autorité ,  peut-être  simplement  pour  faire  concorder 
plus  exactement  la  date  de  sa  naissance  et  celle  de  sa 
mort. 


73 


SHAKESPEARE 


874 


William  (ut  probablement  le  premier  des  enfants 
;  John  qui  dépassa  l'enfance,  de  sorte  qu'il  se 
ouva  l'aîné  de  la  famille. 
Nous  voyons  par  ce  qui  précède  que  John 
iakespeare  était  un  honnête  bourgeois  de 
^ratford;  mais  quelle  profession  exerçait-il?  Ici 
champ  est  ouvert  aux  hypothèses ,  car  les  re- 
stres  de  Stratford  ne  nous  apprennent  rien  de 
récis  sur  ce  point.  Nous  savons  par  des  actes 
ithentiques  que  John  Shakespeare  avant  son 
'ariage  avait  acquis  deux  propriétés  dans  Strat- 
rd,  toutes  deux  avec  jardin,  et  une  avec  un 
Mit  clos  de  champ  (1556);  que  par  son  ma- 
age  avec  Mary  Arden  il  devint  possesseur  de 
propriété  d'Asbies  à  peu  de  distance  de  Strat- 
rd,  et  d'une  petite  propriété  rurale  à  Snitter- 
:ld;  qu'en  1570  il  était  fermier  pour  8  liv.  st., 
mme  assez  considérable  pour  le  temps,  d'une 
airie  de  quatorze  acres  avec  ses  appartenances, 
:uée  à  deux  milles  de  Stratford  et  appelée  In- 
jn.  De  ces  faits  on  peut  conclure  que  John 
flakespeare  vivait  de  ses  propriétés  et  de  ses 
Tmes,  les  exploitant  lui-même,  pour  ne  pas 
oir  à  partager  avec  un  fermier  les  profits  de 
culture.  Il  n'y  aurait  à  cette  conclusion  nulle 
fficulté  si  divers  témoignages  ne  nous  repré- 
ntaient  le  père  du  poète  autrement  que  comme 
î  propriétaire  et  cultivateur  rural.  Ainsi  le 
uieux  et  médisant  antiquaire  Aubrey,  qui  vi- 
iiit.vers  la  fin  du  dix-seplième  siècle,  dit  que  le 
!:re  de  Shakespeare  était  boucher.  Rowe,  sur  la 
i  de  l'acteur  Betterton,  qui  au  commencement 
Il  dix-huitième  siècle  fit  un  voyage  dans  le 
»mté  de  Warwick  pour  recueillir  des  anec- 
rtes  touchant  Shakespeare,  dit  que  son  père 
>hn  était  marchand  de  laine  (woolman).  Ma- 
ine trouva  dans  un  vieux  cahier  de  procédure 
lie  John  Shakespeare  était  glover  (  aujourd'hui 
kntier,  mais  au  seizième  siècle  ce  mot  avait  un 
tos  plus  étendu) .Ces  assertions, en  apparence con. 
(adictoires,  peuvent  facilementse concilier  entre 
les  et  avec  le  fait  que  John  était  un  propriétaire 
lirai.  A  cette  époque  la  division  du  travail  était 
3ii  pratiquée,  et  les  propriétaires  fonciers  même 
ches  ne  se  faisaient  pas  faute  d'exploiter  direc- 
(ment  les  provenances  de  leurs  propriétés;  ils 
;venaient  «  bouchers ,  tanneurs ,  éleveurs  de 
oupeaux,  bûcherons,  et  denique  quid  non,  » 
tome  le  dit  Harrisson,  qui  s'élève  avec  indigna- 
on  contre  ce  monopole.  Nous  n'avons  donc  an- 
tine  peine  à  concevoir  que  John  Shakespeare , 
ropriétaire  à  Stratford  et  à  Asbies,  fermier 
une  prairie  considérable,  ait,  à  l'occasion, 
oattu  lui-même  et  débité  les  veaux  de  son  her- 
îge ,  qu'il  ait  vendu  la  laine  de  ses  moutons  et 
^ême  du  bois  de  charpente  (ce  que  l'on  trouve 
jssi  dans  un  ancien  acte),  et  qu'avant  de  livrer 
j  corroyeur  les  peaux  de  ses  animaux,  il  leur 
t  subir  cette  préparation  qui  consiste  à  séparer 
u  cuir  la  laine  ou  le  poil ,  opération  qui  rentrait 
ans  le  métier  du  glover  ou  fellmonger  (pel- 
Wer).  Si  plus  tard  nous  trouvons  que  William 


aida  son  père  dans  ces  divers  emplois  et  trafics, 
nous  n'aurons  garde  d'en  conclure  qu'il  fut  lui- 
même  boucher,  marchand  de  laine  ou  pelletier 
de  profession. 

Sa  mère,  Mary  Arden,  appartenait  à  une  des 
plus  considérables  et  des  plus  riches  familles  du 
comté  de  Warwick.  Elle  était  petite-fille  d'un 
gentilbomme  ou  valet  (groom)  de  la  chambre 
du  roi  Henri  VII,  et  arrière-petite-nièce  d'un 
écuyer  du  même  prince  (squire  of  the  body). 
Son  père,  Robert  Arden,  de  Wellingcote  ou  Wil- 
mecote,  mourut  en  1550,  lui  léguant,  comme  à  sa 
plus  jeune  fille,  toute  sa  terre  d'Asbies.  La  pro- 
priété de  Mary  Arden  a  été  évaluée  à  1 10  liv.  st. 
environ  de  la  monnaie  du  temps,  ce  qui  équi- 
vaut à  près  de 600 1.  du  nôtre  (1 5,000  fr.  environ). 
Mary  épousa  John  Shakespeare  en  1557;  elle 
survécut  de  sept  ans  à  son  mari  (mort  en  1601), 
et  ne  mourut  qu'en  1608,  lorsque  son  fils  était 
dans  tout  l'éclat  de  la  fortune  et  de  la  gloire. 

On  montre  encore  à  Stratford  ,  dans  la  rue 
Henley,la  maison  où  naquit,  dit-on,  Shakespeare, 
et  où  certainement  il  passa  son  enfance.  C'était 
une  des  plus  belles  de  cetle  petite  ville  rurale, 
qui  comptait  alors  1,200  habitants  environ  et  qui 
était  fort  mal  bâtie.  Tandis  que  le  futur  poète 
grandissait  dans  cette  demeure  à  demi  rustique, 
son  père  s'élevait  aux  honneurs  municipaux  :  en 
1565,  il  fut  élu  alderman;en  1568  il  devint  bai- 
lijf,  c'est-à-dire  premier  magistrat  de  Stratford, 
et  pendant  qu'il  était  en  fonctions  il  obtint  une 
patente  d'armes  ou  titre  de  noblesse ,  de  sorte 
qu'à  partir  de  cette  époque  son  nom  sur  les  re- 
gistres est  précédé  de  la  qualification  de  mas  ter. 
Le  fils  du  bailiff  ne  pouvait  manquer  de  rece- 
voir de  l'éducation,  puisque  Stratford  possé- 
dait une  école  où  les  enfants  des  membres  de  la 
corporation  étaient  élevés  gratuitement.  Cette 
école,  qui  remontait  à  Henri  VI,  et  qui  avait 
reçu  une  charte  d'Edouard  VI,  avait  des  maîtres 
instruits,  gradués  des  universités;  les  deux  qui 
la  tinrent  successivement  pendant  le  temps 
d'études  de  Shakespeare  se  nommaient  Thomas 
Hunt  et  Thomas  Jenkins.  On  a  beaucoup  discuté 
sur  le  degré  précis  d'instruction  qu'il  put  ac- 
quérir à  cette  école  :  ce  fut ,  selon  toute  appa- 
rence, une  bonne  instruction  moyenne,  c'est-à- 
dire  le  latin  et  un  peu  de  grec;  il  n'apprit  sans 
doute  que  plus  tard ,  et  à  Londres,  le  fiançais , 
l'italien,  et  peut-être  l'espagnol.  Son  plus  ancien 
biographe,  Rowe,  prétend  que  son  éducation  resta 
incomplète,  parce  que  son  père  fut  forcé  par  la 
gêne  domestique  de  le  retirer  «le  l'école  avant  le 
temps.  Rowe  ajoute  que  John  Shakespeare  avait 
une  nombreuse  famille,  dix  enfants  en  tout.  Ce 
dernier  fait,  donnécomme  une  cause  ou  du  moins 
une  circonstance  aggravante  de  son  état  de  gêne, 
n'est  pas  exact.  John  Shakespeare  n'eut  jamais 
dix  enfants  à  la  fois;  en  1578  il  n'en  avait  que 
cinq:  William,  âgé  de  quatorze  ans,  Gilbert  de 
douze,  John  de  neuf,  Anne  de  sept,  Richard  de 
quatre.  Il  lui  naquit  un  dernier  fils,  Edmond,  en 


875 


SHAKESPEARE 


1580;  mais  Anne  était  morte  l'année  précédente. 
Quel  que  fût  du  reste  le  nombre  de  ses  enfants, 
John  Shakespeare  pouvait  s'être  trouvé  dans  la 
gêne;  c'est  ce  queMalone  s'est  efforcé  de  prouver. 
Les  faits  qu'il  a  recueillis  à  cet  égard  pourraient 
sans  doute,  pris  isolément,  s'interpréter  dans  un 
autre  sens  ;  mais  nous  croyons  que  considérés 
dans  leur  ensemble  ils  témoignent  en  effet  qu'à 
partir  de  1578  John  Shakespeare  subit  quelque 
revers  de  fortune.  En  1592  encore  il  était  sous 
le  coup  d'une  menace  d'emprisonnement  pour 
dettes  ;  c'est  du  moins  le  prétexte  qu'il  alléguait 
pour  ne  pas  aller  à  l'église.  Depuis  1586  il  avait 
cessé  ses  fonctions  A'alderman.  Peu  après  il  se 
releva,  sans  doute  avec  l'aide  de  son  fils,  alors 
auteur  dramatique  célèbre.  La  patente  d'armes  qui 
lui  fut  donnée  en  1596,  confirmant  celle  de  1568, 
atteste  qu'il  était  dans  un  bon  état  de  fortune. 

Celte  gêne  ou  cette  ruine  passagère  eut  cer- 
tainement de  l'influence  sur  la  destinée  de 
William;  elle  ne  l'obligea  point,  comme  le 
veulent  Rowe  et  Malone,  à  quitter  l'école  avant 
d'avoir  reçu  une  instruction  suffisante  ;  mais  elle 
le  mit  tout  jeune  aux  prises  avec  les  nécessités 
de  la  vie,  et  le  força  à  se  créer  des  moyens 
d'existence.  Il  dut  assister  son  père  dans  les 
diverses  occupations  d'un  propriétaire,  telles  que 
nous  ies  avons  définies  plus  haut,  et  les  récits  qui 
nous  le  représentent  comme  garçon  boucher  et 
marchand  de  laine  n'ont  fait  que  généraliser  des 
circonstances  passagères  de  sa  vie  de  jeunesse. 
On  dit  aussi  qu'il  fut  maître  d'école  et  clerc  chez 
un  procureur  (  attorney)  de  Stratford  ;  on  a  même 
donné  pour  preuve  de  ce  dernier  emploi  les  nom- 
breuses expressions  légales  qui  se  trouvent  dans 
ses  pièces ,  expressions  toujours  appliquées  avec 
une  exactitude  technique.  Ce  ne  sont  là  que.  des 
traditions  ou  des  conjectures;  mais,  à  moins  de 
laisser  un  vide  dans  toute  cette  partie  de  la  vie 
du  poète ,  il  faut  bien  les  admettre.  Le  premier 
fait  authentique  que  nous  rencontrions  est  son  ma- 
riage. Par  acte  du  28  novembre  1582  (découvert 
et  publié  en  1836),  deux  fermiers  de  Stratford  se 
portent  caution,  sous  peine  d'une  amende  de 
40  Hv.  st.,  qu'il  n'existe  pas  d'empêchement  lé- 
gitime à  la  célébration  du  mariage  entre  William 
Shakespeare  et  Anne  Hathaway.  L'acte  était  à 
l'effet  d'obtenir  de  l'évêque  de  Worcester  une 
dispense  pour  que  le  mariage  se  fît  après  une 
seule  publication  de  bans.  Il  est  donc  probable 
que  cetle  union  fut  célébrée  dans  les  premiers 
jours  de  décembre;  mais  comme  on  n'en  a  point 
trouvé  trace  sur  les  registres  de  Stratford,  on 
ignore  si  elle  eut  lieu  dans  cette  paroisse.  Shake- 
speare avait  alors  dix-huitans  et  huit  mois.  Anne 
Hathaway,  née  en  1556,  avait  huit  ans  de  plusque 
lui;  elle  était  d'une  bonne  famille  de  propriétaires 
établis  dans  le  hameau  de  Shottery,  près  de 
Stratford.  La  différence  des  âges  des  deux  con- 
joints ne  fut  pas  la  seule  circonstance  singu- 
lière de  cette  union;  les  registres  de  Stratford  en 
constatent  une  autre  :  le  premier  enfant  de  Wil- 


liam et  d'Anne  Shakespeare,  une  fille,  Suzani 
fut  baptisée  le  26  mai  1583,  cinq  mois  après  U 
mariage.  D'après  ce  fait  il  est  naturel  depenw 
que  cette  union  fut  nécessitée  par  une  faute 
jeune  couple;  mais  des  critiques  anglais,  jalo 
de  la  réputation  morale  de  leur  poète,  ont  I 
observer  que  des  fiançailles  devant  témoins  coi' 
tituaient  alors  un  mariage  valide,  auquel 
ajoutait,  plus  ou  moins  longtemps  après,  la  co 
sécration  religieuse.  L'union  de  William 
d'Anne  n'aurait  donc  rien  offert  d'irrégull 
Quoi  qu'il  en  soit,  si  c'était  là  un  mariage  d 
mour,  il  n'y  parut  guère  par  la  suite.  Shali 
speare  semble  de  tout  temps  s'être  médioc 
ment  occupé  de  sa  femme.  Quelques  vers  de 
Douzième  nuit,  où  il  prescrit  très-nettemi 
à  la  femme  de  choisir  un  époux  plus  âgé  qu'el 
sont  sans  doute  une  allusion  à  son  propre  n 
riage,  précoce  et  mal  assorti.  Cependant  il  n 
faudrait  pas  conclure  que  Shakespeare  fut  m 
heureux  en  ménage;  rien  ne  l'atteste,  et  la  • 
rite  toute  simple  est  que  sa  femme  tint  fort  r 
de  place  dans  sa  vie.  Elle  lui  donna  encore  de 
..  jumeaux,  un  fils  et  une  fille,  baptisés  le  2  févr 
1584  (1585  nouveau  style  ).  Ce  furent  leurs  di 
niers  enfants.  Peu  après  Shakespeare  quii 
Stratford,  et  se  rendit  à  Londres,  où  il  s'associ 
une  troupe  d'acteurs. 

Le  fils  d'un  alderman  se  faire  acteur,  un  pi 
de  famille  quitter  sa  femme  et  ses  enfants , 
sont  des  actes  qui  ont  paru  assez  étranges  pc 
qu'on  leur  ait  cherché  une  cause  extraon 
naire.  Rowe  nous  apprend  que  William,  aya 
eu  le  malheur,  assez  communaux  jeunes  gei 
de  fréquenter  mauvaise  compagnie,  se  lais 
entraîner  par  ses  camarades  à  braconner  av 
eux  dans  le  parc  de  sir  Thomas  Lucy  de  Ché 
lecote,  près  de  Stratford.  Le  gentilhomme 
poursuivit  en  justice  pour  ce  fait,  et  Williai 
irrité,  se  vengea  par  une  ballade  satirique  conli 
sir  Th.  Lucy  ;  celui-ci  redoubla  ses  poursuites, 
le  jeune  homme  n'eut  d'autre  moyen  de  s'y  sot 
traire  que  de  se  réfugier-à  Londres.  On  racor 
cette  historiette  de  deux  ou  trois  manières, 
rien  n'en  garantit  l'authenticité.  Ce  qu'on  pe 
dire  en  sa  faveur,  c'est  qu'elle  était  de  traditioi 
Stratford,  où  longtemps  encore  après  la  mort 
poète  on  citait  quelques  vers  de  la  ballade  qu 
avait  affichée  à  la  porte  du  parc  de  sir  Thom 
Lucy  (1).  On  veut  que  la  tradition  soit  confirm< 

(1)  Oldys,  qui  rapporte  ce  fait,  le  tenait  d'an  M.  Jou 
qui  mourut  en  1703,  à  l'âgé  de  quatre-vingt-dix  ans, 
qui  l'avait  entendu  raconter  à  de  vieilles  gens  de  Stra 
ford.  Un  parent  de  ce  M.  Joncs  communiqua  à  OM* 
qui  nous  l'a  transmis,  un  couplet  de  la  fameuse  ballad 
Ce  couplet,  si  l'on  en  juge  par  certains  anachronlsm 
d'expression,  a  tout  l'air  d'avoir  été  fabriqué  longtem 
après  le  seizième  siècle;  le  voici  : 

A  parliament  member,  a  justice  of  peace, 
Al  home  a  poor  scarescrowe,  at  London  an  asse, 
lf  lowsie  Is  Lucy  as  sonie  volke  mlscnll  it, 
Then  Lucy  is  lowsie,  whatever  befall  it. 
He  thinks  himseir  great, 
Tet  an  asse  In  his  state 
"We  allow  by  his  ears  but  with  asses  to  mate. 


177 


SHAKESPEARE 


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mr  la  première  scène  des  Joyeuses  femmes  de 
Windsor,  où  le  squire  et  juge  de  paix  Robert 
ihallow  se  plaint  que  Falslaff  a  battu  ses  gens, 
ué  son  daim  et  forcé  la  porte  de  son  parc.  Nous 
;royonsen  effet,  d'après  certains  détails  (  l'écus- 
;on  de  Shallow,  le  jeu  de  mot  sur  luce  et  louse) 
m'en  peignant  le  personnage  de  master  Robert 
sliallow  ,  Shakespeare  s'est  rappelé  son  ancien 
voisin  sir  Thomas  Lucy.  Jusque-là  nous  admet- 
ons  la  tradition;  mais  nous  pensons  qu'elle  a 
ort  amplifié  les  suites  de  cette  escapade.  Ni  le 
«t  de  braconnage  (  deer  stealing  ),  délit  des 
)lus  véniels  sous  Elisabeth,  ni  même  la  ballade, 
lélit  plus  grave,  ne  le  forcèrent  à  se  réfugier  à 
londres;  il  s'y  rendit  pour  d'autres  motifs,  qu'il 
jst  facile  de  conjecturer.  A  vingt  et  un  ans,  sans 
brtune,  avec  des  charges  domestiques  déjà 
•ourdes,  il  aurait  pu,  comme  son  père,  chercher 
des  ressources  dans  une  exploitation  rurale; 
mais  il  avait  peu  de  goût  pour  ce  genre  de  vie. 
L'immense  génie  littéraire  qu'il  portait  en  lui  le 
poussait  impérieusement  vers  la  carrière  des 
lettres;  or,  cette  carrière  avait  alors  deux 
principales  issues  :  la  poésie  lyrique  et  épique 
à  la  manière  de  Spenser  et  le  théâtre.  La  pre- 
Imière  ne  pouvait  attendre  sa  rémunération  pré- 
caire et  insuffisante  que  du  patronage  de  la  cour 
et  de  quelques  grands  seigneurs  ;  le  théâtre,  au 
contraire,  extrêmement  goûté  du  public,  promet- 
tait à  ceux  qui  le  pratiquaient,  plutôt  comme 
acteurs  que  comme  auteurs,  des  moyens  de  sub- 
sistance assurés  et  quelquefois  très-larges.  Wil- 
liam avait  d'abord  songé  à  la  poésie,  comme  le 
prouvent  son  Adonis,  sa  Lucrèce,  composés  ou 
du  moins  commencés  à  Stratford;  son  génie, 
«les  nécessités  domestiques,  des  relations  d'a- 
mitié le  portèrent  vers  le  théâtre.  Depuis  1569 
■dès  troupes  d'acteurs  appartenant  aux  comtes 
<1e  Leicester,  de  Warwick ,  de  Worcest  er  et  autres, 
donnaient  presque  tous  les  ans  quelques  repré- 
sentations à  Stratford ,  et  parmi  ces  acteurs  plu- 
sieurs étaient  originaires  du  même  comté  que 
Shakespeare.  James  Burbadge,  père  de  Richard 
Burbadge,  un  des  futurs  camarades  du  poète, 
1  on  était  parti  pour  aller  fonder  à  Londres  le 
théâtre  des  Blackfiiars ;  Heminge,  Slye,  Tooley 
en  étaient  aussi  ;  enfin,  Thomas  Greene  était  de 
Stratford  même.  On  comprend  que  Shakespeare 
assistant  à  des  représentations  qui  éveillaient 
son  génie  dramatique  se  soit  lié  avec  plusieurs 
de  ses  compatriotes  déjà  engagés  au  théâtre, 
qu'il  ait  songé  à  les  accompagner  ou  à  les  re- 
joindre à  Londres;  qu'eux-mêmes,  frappés  de 
ses  talents  naissants,  l'y  aient  encouragé.  Il  quitta 
donc  Stratford  vers  l'âge  de  vingt-deux  ans,  et 
trois  ans  plus  tard  nous  le  trouvons  un  des  co- 
propriétaires de  BlackfriaTs  (skarers  in  the 
JBlacke  Fryers  playehouse).  Dans  une  pétition 
•adressée  en  novembre  1589  aux  lords  du  Con- 
seil privé  «  par  les  pauvres  acteurs  de  Sa  Majesté  » 
(Her  Majesty's  poore  plqyeres),  William  Sha- 
kespeare figure  le  douzième  sur  une  liste  de 


seize  signataires,  parmi  lesquels  on  remarque 
trois  (ou  quatre,  car  on  croit  que  Thomas  Pope 
était  aussi  du  Warwickshire)  de  ses  compa- 
triotes :  James  Burbadge,  Thomas  Greene  et 
Nicholas  Tooley. 

Que  s'était-il  passé  dans  ces  trois  ans  1586- 
1589?  L'histoire  naturellement  n'en  dit  rien,  un 
acteur  n'étant  pas  alors  un  personnage  assez 
important  pour  que  l'histoire  s'occupât  de  ses 
faits  et  gestes.  Les  traditions  recueillies  beau- 
coup plus  tard  sont  sans  autorité  et  sans  vrai- 
semblance. Ainsi  on  prétend  que  William,  arrivé 
à  Londres  et  dépourvu  de  ressources,  se  vit 
réduit  à  garder  à  la  porte  d'un  théâtre  les  che- 
vaux des  curieux.  On  s'est  donné  la  peine  de 
réfuter  ce  conte;  c'était  inutile.  Nous  n'en  sa- 
vons pas  assez,  il  est  vrai,  pour  préciser  ce  que 
fil  Shakespeare  dans  les  trois  premières  années 
de  son  séjour  à  Londres;  mais  nous  en  savons 
assez  pour  affirmer  que  ce  ne  fut  pas  en  gardant 
des  chevaux  à  la  porte  qu'il  obtint  une  part  dans 
la  propriété  du  théâtre.  Il  l'acquit  sans  doute 
en  se  rendant  utile  à  ses  camarades,  d'abord 
comme  acteur,  puis  bientôt  comme  auteur.  Au- 
brey  nous  dit  qu'il  «  jouait  excessivement  bien  ». 
Son  nom  figure,  suivant  l'habitude,  parmi  ceux 
d'autres  acteurs  en  tête  de  quelques  anciennes 
pièces,  mais  sans  indications  particulières.  Rowe, 
qui  a  fait  des  recherches  sur  ce  point,  a  pu  cons- 
tater seulement  que  son  meilleur  rôle  était  le 
fantôme  dans  Hamlet.  Quelque  talent  qu'il  ait 
montré  en  ce  genre,  ce  fut  par  un  aulre  mérite 
qu'il  se  fit  promptement  une  place  distinguée 
parmi  ses  camarades.  Sans  doute  on  n'a  aucune 
preuve  qu'il  ait  rien  écrit  avant  1589;  cependant 
les  probabilités  sont  qu'il  avait  déjà  composé 
Vénus  et  Adonis  et  Lucrèce;  le  premier  de  ces 
poèmes  fut  publié  en  1593,  le  second  en  1594. 
Tous  deux  sout  dédiés  au  comte  de  Southamp- 
ton.  Le  poète  dit,  dans  la  dédicace  de  Vénus 
et  Adonis,  que  c'est  son  premier  ouvrage  ;  mais 
Lucrèce  est  incontestablement  de  la  même 
époque,  et  tous  deux  remontent  à  la  jeunesse 
du  poète  et  à  son  séjour  à  Stratford.  Ils  appar- 
tiennent à  ce  genre  élégiaque  pastoral  et  des- 
criptif que  Surrey,  Wyatt  et  surtout  Philippe 
Sidney  avaient  mis  à  la  mode  et  que  Spenser 
éleva  à  la  hauteur  de  l'épopée-,  ils  attestent,  avec 
l'ardeur  sensuelle  de  la  jeunesse,  une  imagina- 
tion opulente  et  une  force,  une  originalité 
d'expression  étonnantes.  Shakespeare  maniait 
déjà  en  maître  l'idiome  de  son  pays.  En  même 
temps  on  remarque  dans  ces  deux  poèmes  une 
tendance  vers  le  drame;  le  récit  proprement 
dit  y  tient  peu  de  place,  les  discours  au  con- 
traire y  sont  très-longs  et  très-nombreux.  Évi- 
demment l'auteur  de  pareils  ouvrages  ne  pou- 
vait pas  vivre  au  milieu  d'acteurs  et  jouer  des 
pièces  sans  que  l'idée  lui  vînt  d'en  composer  lui- 
même.  Nous  ne  connaissons  pas  ses  premiers 
essais.  A  cette  époque,  les  pièces  de  théâtre  s'im-, 
primaient  rarement;  la  troupe  de  comédiens  qui 


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SHAKESPEARE 


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les  avait  acquises  les  gardait  comme  une  pro- 
priété privée ,  et  ce  n'était  que  subrepticement 
que  quelque  libraire  avide  s'en  procurait  une 
copie  pour  l'impression.  Les  comédiens  trai- 
taient fort  librement  les  pièces  achetées  aux  au- 
teurs; ils  les  corrigeaient,  les  remaniaient,  les 
refaisaient  pour  leur  rendre  l'attrait  de  la  nou- 
veauté; quelquefoisilsencomposaient  eux-mêmes 
au  grand  déplaisir  des  auteurs  de  profession. 
Dans  la  compagnie  deBlackfriars,  où  entra  Sha- 
kespeare, le  sociétaire  habituellement  chargé  de 
ce  travail  de  remanier,  de  refondre  les  pièces 
ou  d'en  faire  de  nouvelles,  était  G.  Peele.  Tant 
qu'il  resta  à  Blackfriars,  Shakespeare  ne  vint 
qu'en  second  ;  mais  on  croit  qu'il  quitta  la  troupe 
en  1590,  et  dès  lors  le  jeune  poète  de  Stratford 
s'employa  de  plus  en  plus  activement  à  compo- 
ser des  pièces  pour  le  théâtre  de  Blackfriars. 

Comme  on  n'a  pas  conservé  les  registres  de 
ce  théâtre,  comme  il  n'existait  alors  ni  journaux 
ni  revues,  pour  rendre  compte  des  pièces  nou- 
velles, et  que  ces  pièces  ne  s'imprimaient  que 
plus  ou  moins  longtemps  après,  et  fort  irrégu- 
lièrement, il  est  impossible  de  donner  une  chro- 
nologie précise  des  compositions  dramatiques 
de  Shakespeare;  mais  on  peut  cependant  les 
classer  par  époques,  et  déterminer  avec  une 
exactitude  suffisante  les  périodes  de  sa  carrière 
théâtrale.  D'abord  on  a  eu  tort  de  prétendre 
qu'il  ne  commença  d'écrire  pour  le  théâtre  que 
vers  1592;  des  témoignages  contemporains  per- 
mettent de  faire  remonter  ses  débuts  à  trois  ou 
quatre  ans  plus  haut.  Nashe,  dans  une  Epître 
aux  étudiants  des  deux  universités,  placée  en 
tête  de  YArcadia  de  Bobert  Greene  (1589),  dit 
ironiquement  que  la  lecture  de  la  traduction  an- 
glaise de  Sénèque  «  peut  fournir  des  Hamlets 
entiers  (c'est-à-dire  des  discours  tragiques)  à 
pleines  mains  ».  Nashe  fait-il  ici  allusion  à  un 
premier  Hamlet  de  Shakespeare,  plus  ancien 
même  que  l'ébauche  que  nous  possédons  au- 
jourd'hui ?  Nous  le  croyons  d'autant  plus  que 
l'allusion  n'est  pas  amicale^  Bobert  Greene,  qu'il 
ne  faut  pas  confondre  avec  Thomas,  en  voulait 
aux  comédiens  de  Blackfriars,  et  particulière- 
ment à  Shakespeare.  Après  cette  allusion  nous 
en  trouvons  une  autre,  toute  différente  et  très- 
amicale,  dans  les  Complainte  de  Spenser,  pu- 
bliées en  1591  ;  une  de  ces  complaintes  est  inti- 
tulée les  Larmes  des  Muses  :  Thalie  se  lamente 
sur  le  déclin  de  la  comédie,  qui  a  tout  perdu  en 
perdant  «  cet  homme  que  la  nature  elle-même 
a  fait  pour  la  contrefaire  et  pour  imiter  la  vé- 
rité, le  plaisant  Willy  ».  Ce  Willy,  mort  récem- 
ment, dit  Spenser  (mais  l'expression  ne  doit  pas 
se  prendre  à  la  lettre),  n'est-ce  pas  William 
Shakespeare,  que  quelque  incident  inconnu  au- 
rait momentanément  éloigné  du  théâtre?  On  ne 
voit  pas  à  quel  autre  auteur  pourraient  s'appliquer 
les  éloges  de  Spenser.  On  est  confirmé  dans  l'i- 
dée qu'il  s'agit  bien  de  lui  par  ce  fait  que  Spen- 
ser en  1 594  donna  une  preuve  non  équivoque 


de  son  admiration  pour  Shakespeare;  il  le  dés  I 
gne  dans  son  Colin  Clout  sous  le  nom  du  bei 
ger  Aétion,  «  dont  la  muse,  pleine  de  hautes  in 
ventions,  chante  héroïquement  ».  Le  témoignas 
d'un  ennemi  s'ajoute  aux  paroles  de  l'ami  poi 
attester  que  Shakespeare  était  déjà  célèbre  à  un 
époque  où   beaucoup  de  biographes  supposer 
qu'il  n'avait  encore  rien  écrit.  Bobert  Green  | 
mourut  en  1592,  laissant  un  ouvrage  que  publi 
peu  après  Chettle,  poète  dramatique.  Ce  livr 
intitulé  :  A  Groatsioorth  of  wit,  bought  voit, 
a  million   of  repentance,  est  précédé  d'un 
adresse  «  à  ceux  qui  dépensent  leur  esprit 
faire  des  pièces  »,  où  Greene  exhale  son  dépi 
contre  les  comédiens  qui  empiètent  sur  le  do 
maine  des  auteurs.  «  Il  y  a,  dit-il,  un  parvenu 
une  corneille  parée  de  vos  plumes,  qui,  ave 
son  cœur  de  tigre  enveloppé  dans  la  pea\ 
d?un  acteur  (1),  suppose  qu'il  est  aussi  capabl 
d'enfler  un  vers  blanc  que  le  meilleur  de  vous 
et  qui,  étant  un  absolu  Johannes  Fac-Totum 
est  dans  sa  propre  idée  le  seul  É branle- Scèn* 
(Shake-scene)  du  pays.  Laissez  ces  singes  imite 
votre  excellence  passée,  et  ne  leur  faites  jamai; 
plus  part  de  vos  inventions  admirées.  »  On  voi 
que  Shakespeare  était  déjà  connu  en  1591,  puis^ 
qu'il  excitait  l'envie.  Mais  quoique  par  ses  ap 
titudes  diverses  il  fît  aux  auteurs  de  professioi 
une  concurrence  assez  redoutable  pour  s'attirer 
leur  haine,  il  savait  aussi  s'en  faire  estimer  el 
respecter.  11  s'émut  de  l'attaque  de  Greene,  el 
Chettle,  qui  avait  eu  le  tort  de  la  publier,  s'excusa 
humblement  de  n'avoir  pas  effacé  le  passage  in- 
jurieux. «  J'en  suis  aussi  fâché,  dit-il  dans  son 
Apologie,  que  si  la  faute  originelle  en  était  à  moi, 
parce  que  j'ai  apprécié  par  moi-même  ses  ma- 
nières, aussi  civiles  qu'il  est  excellent  dans  sa 
profession  ;  en  outre  diverses  personnes  de  qua- 
lité m'ont  rapporté  sa  droiture  de  conduite,  qui 
prouve  son  honnêteté,  et  la  grâce  plaisante  de 
ses  écrits,  qui  prouve  son  art.  »  Six  ans  plus 
tard  nous  trouvons  sur  Shakespeare  un  témoi- 
gnage bien  plus  important  et  le  plus  explicite  qui 
nous  soit  fourni  par  un  contemporain.  Mères, 
maître  es  arts  de  Cambridge,  publia  en  s  598  : 
Palladis  Tamia,  wit's  treasury,  collection  de 
sentences  morales  tirées  des  anciens  à  l'usage 
des  écoles.  En  tête  se  trouve  «  un  discours  com- 
paratif des  poètes  anglais  ».  Or,  voici  comment 
il  y  est  parlé  de  Shakespeare  : 

«Comme  l'âme  d'Euphorbe  était  pensée  vivre  dans 
Pythagore,  ainsi  la  douce,  spirituelle  âme  d'Ovide 
vit  dans  Shakespeare  à  la  langue  de  miel,  témoins 
son  Vénus  et  Adonis,  sa  Lucrèce,  ses  sonnets  su- 
crés parmi  ses  amis  privés.  —  Comme  Plaute  et 
Sénèque  sont  comptés  les  meilleurs  pour  la  comé- 
die et  la  tragédie  parmi  les  Latins,  ainsi  Shake- 
speare parmi  les  Anglais  est  le  plus  excellent  dans 
les  deux  genres  de  théâtre;  pour  la  comédie,  té- 
moins :  ses  Gentilshommes  de  Vérone,  ses  Erreurs, 
ses  Peines  d'amour  perdues,  ses  Peines  d'amour 

(1)  Parodie  d'un  vers  A' fleuri  VI. 


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SHAKESPEARE 


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gagnées,  son  Songe  d'une  nuit  d'été,  et  son  Mar- 
chand de  Fenisc  ;  pour  la  tragédie  :  son  Richard  II, 
Richard  III,  Henri  IF,  le  Roi  Jean,  Titus  An- 
dronicus ,  et  son  Roméo  et  Juliette.  —  De  même 
qu'Épius  Stolon  dit  que  les  Muses  parleraient  avec 
la  langue  de  Plante  si  elles  voulaient  parler  latin, 
je  dis  que  les  Muses  parleraient  avec  le  beau  langage 
de  Shakespeare  si  elles  voulaient  parler  anglais.  » 

A  l'aide  de  ces  témoignages ,  et  en  les  com- 
plétant au  moyen  des  données  fournies  par  les 
pièces  elles-mêmes,  on  peut  se  faire  une  idée 
assez  exacte  de  la  première  partie  de  la  carrière 
dramatique  de  Shakespeare.  Lorsqu'il  arriva  à 
Londres,  il  trouva  les  représentations  théâtrales 
très-aimées  du  public,  mais  peu  estimées  des 
gens  de  goût.  L'art  dramatique  avait  débuté  en 
Angleterre  par  des  mystères ,  c'est-a-dire  par  la 
mise  en  scène  des  livres  saints.  Plus  tard  on 
avait  ajouté  aux  saintes  Écritures  comme  ma- 
tière du  drame  l'histoire  profane ,  ancienne,  mo- 
derne et  même  contemporaine,  et  les  romans 
d&  chevalerie,  mais  sans  y  joindre  aucun  art  de 
composition  et  de  style.  La  renaissance  eut  son 
influence  sur  ce  genre  littéraire  comme  sur  tous 
les  autres;  l'étude  de  Plaute  et  de  Sénèque  ap- 
prit aux  auteurs  à  grouper  les  scènes  dans  un 
certain  ordre,  à  mettre  dans  leur  composition 
plus  de  concentration,  à  donner  à  leurs  carac- 
tères plus  de  suite  et  de  relief.  Sénèque  surtout 
eutiûrie  très-grande  influence  sur  le  théâtre  an- 
glais •  mais  si  on  copia  en  l'exagérant  encore 
son  emphase  et  ses  déclamations,  on  ne  s'avisa 
pas  de  lui  emprunter  les  unités  de  temps  et  de 
lieu.  Ledrame  anglais  jouissait  encore  de  toute 
la  liberté  des  anciens  mystères  lorsque  Shake- 
speare vint  le  féconder  de  son  génie.  Les  divers 
genres  de  ce  drame  n'étaient  pas  séparés  entre 
eux  par  des  lignes  tranchées;  cependant  on  pou- 
vait distinguer  quatre  sortes  de  pièces  :  les 
histoires,  ou  mise  en  scène  de  faits  historiques, 
quelquefois  très-récents  ;  les  tragédies,  mise  en 
scène  de  faits  historiques ,  légendaires  ou  fabu- 
leux, traités  à  la  manière  de  Sénèque,  mais  sans 
égard  aux  unités  de  temps  et  de  lieu  ;  les  comé- 
dies, mise  en  scène  de  faits  fictifs ,  traités  à  la 
manière  de  Plaute ,  mais  avec  la  même  liberté 
quant  au  temps  et  au  lieu;  enfin,  un  quatrième 
genre,  qui  tient  des  trois  précédents,  empruntant 
ses  sujets  à  des  romans,  à  des  recueils  de  nou- 
velles ,  et  mêlant  la  comédie  avec  la  tragédie. 
Les  premières  pièces  de  Shakespeare  correspon- 
dent à  ces  divisions.  Nous  avons  d'abord  l'His- 
toire d'Henri  VI,  en  trois  parties ,  pièce  mé- 
diocre, conduite  sans  aucun  art,  et  dont  quelques 
scènes  seulement  appartiennent  à  Shakespeare; 
Titus  Andronicus,  détestable  tragédie,composée 
en  1588  ou  1589,  à  une  époque  où  Shakespeare 
imitait  deux  auteurs  en  vogue,  Kyd  et  Marlowe; 
la  Comédie  des  erreurs,  imitation  des  Mé- 
nechmes  de  Plaute,  qui  renchérit  encore  sur  les 
invraisemblances  de  l'original  ;  la  Méchante  ap- 
privoisée, comédie  gaie  et  vive,  mais  bien  infé-  | 


rieure  à  ce  que  le  poëfe  fit  depuis  en  ce  genre; 
enfin  Pétioles,  drame  romantique  très-imparfait, 
mais  curieux  comme  premier  essai  du  poëte 
dans  un  genre  qu'il  devait  porter  à  la  perfection. 
Les  Gentilshommes  de    Vérone  marquent 
la  transition  entre  la  première  période  (1587- 
1591),  période  d'imitations  et  de  tâtonnements, 
et  la  seconde  (1591-1600),  où  le  poëte  ayant 
trouvé   sa  voie    s'y   précipite  avec  ardeur  et 
multiplie  des   œuvres   qui  ont  la  vivacité,  le 
charme,  la  force  de  la  jeunesse,  mais  n'ont  pas 
encore  la  profondeur  qu'on  remarquera  dans  les 
chefs-d'œuvre  de  sa   maturité.  Les  voici  dans 
leur  ordre  le  plus  probable;  d'abord  les  pièces 
romantiques  qui  suivent  naturellement  les  Gen- 
tilshommes de  Vérone  :  Peines  d'amour  per- 
dues ;  Tout  est  bien  qui  finit  bien  (Peines 
d'amour  gagnées,   dans  la  liste  de  Mères); 
Roméo  et  Juliette,  délicieuse  et  touchante  com- 
binaison du  drame  romantique  et  de  la  tragédie  ; 
le  Songe  d'une  nuit  d'été,  le  Marchand  de 
Fenise,  compositions  ravissantes  où  le  poëte 
maître  de  lui,  mais  dans  l'heureuse  ferveur  de 
la  jeunesse  et  du  succès,  prodigue  la  poésie  avec 
une  abondance  qui  enchante.  Shakespeare  s'exer- 
çait en  même  temps  dans  des  compositions  plus 
sévères.  Le   succès  de  Henri   VI  l'engagea  à 
clore  le  cycle  des  deux  Roses  par  une  pièce  qui 
montrât  les  Tudors  héritant  des  prétenfions  ri- 
vales et  s'élevant  sur  les  ruines  communes  des 
maisons  de  Lancastre  et  d'York;  il  le  fit  dans 
Richard  III  (écrit  vers  1595),  drame  remar- 
quable, quoique  le  principal  personnage  res- 
semble un  peu  trop  aux  tyrans  de  tragédie.  Ri- 
chard II  (vers  1596)  n'a  pas  grande  impor- 
tance comme  œuvre  dramatique,  mais  il  ouvre 
la  série  des  trois  magnifiques  pièces  sur  l'avéne-, 
ment  et  la  grandeur  de  la  maison  de  Lancastre.  '■ 
C'est  dans  ces  trois  pièces  (les  deux  parties1 
de  Henri  IV  et  Henri  V)  qu'on  admire  com- 
ment le  génie  s'empare  d'éléments  historiques! 
pour  les  modeler  sans  les  déformer,  et  les  fait' 
concourir  à  une  action  dramatique.  Dans  les' 
deux  parties  d'Henri  IV,  un  comique  vigou- 
reux, original  se  mêle  aa  sérieux  et  lui  donne 
un  relief  étonnant.  Dans  Henri  V  (1599),  c'est  le 
lyrique  qui  relève  le  sérieux  et  en  rehausse  l'é- 
clat;  cette  pièce  est    un    véritable  chant  de 
triomphe.  11  y  a  beaucoup  de  comédie  aussi  dans 
le  Roi  Jean,  un  peu  antérieur;  et  il  n'y  a  que 
de  la  comédie  dans  les  Joyeuses  femmes  de 
Windsor  (vers  1599),  où  sont  si  gaiement  expo- 
sées les  mésaventures  désir  John  Falstaff,  le  plus 
amusant  personnage  du  drame  de  Henri  IV. 
Dans  toutes  ces  pièces,  ce  qui  distingue  Sha- 
kespeare, c'est  la  vivacité  des  caractères,  l'abon- 
dance de  la  poésie,  une  humeur  franche  et 
joyeuse,  une  incomparable  fraîcheur  d'imagina- 
tion; mais  à  partir  de  1600  ses  pièces  prennent 
une  teinte  plus  sévère,  revêtent  des  couleurs 
plus  dures ,  et  expriment  des  sentiments  plus 
creusés,  plus  compliqués.   La  distinction  sans 


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SHAKESPEARE 


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doute  ne  se  marque  pas  brusquement,  mais  elle 
est  réelle,  et  il  est  certain  que  les  pièces  de  cette 
troisième  période  (1600-1609)  ont  un  autre  carac- 
tère que  celles  de  la  période  précédente.  Cette  dif- 
férence s'explique  par  le  progrès  de  l'âge  et  par 
certaines  particularités  de  la  vie  de  Shakespeare. 
Nous  avons  vu  ce  poète  dès  1589  co-proprié- 
taire  d'une  entreprise  théâtrale,  à  la  prospérité 
de  laquelle  il  contribua  largement  par  ses  pièces. 
Tel  était,  le  succès  de  cette  troupe  de  comédiens 
qu'ils  bâtirent  un  nouveau  théâtre,celuidu  Globe, 
en  1595,  pour  servir  aux  représentations  dans  la 
belle  saison,  et  qu'ils  agrandirent  leur  ancien 
théâtre;  à  cette  occasion  ils  eurent  à  se  défendre 
contre  l'opposition  de  quelques  voisins,  et  ils 
adressèrent  à  l'autorité  uue  apologie  signée  de 
huit  sociétaires  (1596).  Shakespeare  est  le  cin- 
quième sur  la  liste.  Sa  famille  se  ressentit  de  sa 
fortune.  Chaque  année,  si  l'on  en  croit  Aubrey, 
il  allait  visiter  Stratford.  Là  son  seul  enfant  mâle, 
Hamnet  (sic),  mourut  au  mois  d'août  Ï596;  là 
son  père,  sa  mère,  sa  femme,  ses  filles,  sa  sœur 
vivaient  dans  une  aisance  qui  était  son  œuvre. 
En  1597,  il  acheta  la  plus  belle  maison  de  Strat- 
ford, la  grande  maison  comme  on  l'appelait.  A 
Londres,  il  habitait  dans  Southwark,  près  du 
Bear  Gard  en.  Enfin,  il  semble  que  les  dons  de 
la  fortune  s'unissaient  à  ceux  du  génie  pour  lui 
composer  une  heureuse  existence;  et  cependant 
son  esprit  n'était  pas  parfaitement  à  l'aise,  et  il 
ressentait  quelque  souffrance  de  sa  position  de 
comédien.  Il  existe  un  très-curieux  témoignage 
■de  ses  sentiments  à  cette  époque  ;  c'est  un  recueil 
de  cent  cinquante-quatre  sonnets,  qui  se  rap- 
portent presque  tous  à  la  vie  intime  de  l'auteur. 
L'histoire  de  ce  recueil  est  singulière.  Shake- 
speare avait  publié  avec  beaucoup  de  succès,  en 
1593,  le  poëme  de  Vénus  et  Adonis,  et  en 
1594  le  poëme  de  Lucrèce  (1),  tous  deux  dédiés 
à  lord  Southampton,  jeune  et  brillant  seigneur, 
aimant  passionnément  le  théâtre  et  patron  gé- 
néreux des  acteurs  et  auteurs.  Excité  par  ce 
succès,  un  libraire,  W.  Jaggard,  publia  en  1599, 
sous  le  titre  de  The  passionate  Pilgrime  (2)  et 
sous  le  nom  de  Shakespeare,  un  recueil  de  petits 
poèmes  qui  évidemment  ne  lui  appartenaient  pas 
tous  ;  on  y  trouvait  deux  de  ces  sonnets  signalés 
par  Mères,  et  déjà  presque  célèbres  quoique  en- 
core inédits.  Dix  ans  plus  tard  seulement  (1609) 
un  recueil  de  ces  sonnets  parut  sous  ce  titre  : 
Shakespeare's  Sonnets,  never  before  imprin- 
ted  (3).  11  est  précédé  d'une  inscription  énigma- 

(1)  P^enus  and  Adonis  ;  Londres,  i593,!pet.in-4°  ;  le  seul 
exemplaire  cité  de  cette  édition  esta  la  blb!.  bodlélenne; 
réimpr.  huit  fois,  en  différents  formats,  jusqu'en  1636. 
—  Râpe  of  Lucrèce;  Lond.,  1594,  pet.  in-4°;  réimpr.  six 
fois  Jusqu'en  1655. 

(2)  Cette  publication  (Lond.,  1599,  ln-16)  a  été  repro- 
duite en  1612,  sans  autre  différence  que  l'omission  du 
nom  de  Shakespeare. 

(3)  L'édition  de  1609,  in-4°,  est  unique;  on  l'a  repro- 
duite en  fac-simiie  en  1862,  —  Les  poëmes  et  sonnets  ont 
■été  réimpr.  ensemble  :  Londres,  1709,  pet.  in-8°  ;  1843, 
gr.  in-4",  fig.,  et  1861,  in-fol„  Gg. 


tique  qui  a  prodigieusement  occupé  les  commen- 
tateurs et  que  nous  donnons  textuellement  : 

TO.    THE.    ONLIE.    BEGETTER.    OF. 

THESE.   INSUING.    SONNETS. 

M.  W.   n.  ALL.  HAPP1NESSE. 

AND.    THAT.    ETERNITIE. 

PROMISED. 

BY. 

OLP.»   EVEX.    UVING.   POET. 

W1SHETH. 

THE.    WELL.   WISHING. 

ADVENTtlHER.    IN. 

SETTIKG. 

FORTH. 

T.  T. 

(Au  seul  père  de  ces  sonnets  suivants  M.  W.  H. 
tout  bonheur  et  cette  éternité  promise 
Par  notre  immortel  poète  désire 
Le  bien  désirant  qui  s'aventure  à  les  publier.  T.  T.) 

Cette  inscription  a  été  généralement  regardée 
comme  une  dédicace  adressée  parle  libraire  T.  T. 
(Thomas  Thorpe)  au  seul  père  ou  inspirateur 
de  ces  sonnets,  M.  W.  H.  Quel  nom  désignaient 
ces  initiales  ?  Nous  remplirions  des  pages  en 
énumérant  les  hypothèses  auxquelles  ces  deux 
lettres  ont  donné  lieu.  Devons-nous  croire  avec 
Farmer  que  W.  H.  signifie  William  Harte,  qui 
ne  naquit  qu'après  que  plusieurs  de  ces  sonnets 
eurent  été  composés;  avec  Tyrwhitt,  qu'ils  dési- 
gnent W.  Hughes,  dont  l'existence  même  est  dou- 
teuse; avec  Chalmers,  qu'il  s'agit  de  la  reine  Eli- 
sabeth ;  avec  Barnstorff,  que  W.  H.  c'estWilliam 
Himself,  c'est-à-dire  Shakespeare  lui-même  ?  Ces 
hypothèses  ne  méritent  pas  même  d'être  réfu- 
tées. Mais  il  faut  prêter  plus  d'attention  à  Boaden, 
qui  voit  dans  W.  H.  William  Herbert,  comte  de 
Pembroke,  et  à  Drake,  qui  y  voit  Henri  Wrio- 
thesley,  comte  de  Southampton.  Il  est  vrai  que 
William  Herbert,  né  en  15S0,  n'avait  à  l'époque 
où  ces  sonnets  furent  composés  que  de  quatorze 
à  dix-sept  ans,  et  qu'il  ne  peut  en  avoir  été  le 
seul  inspirateur.  Ce  n'est  point  un  enfant  de  cet 
âge  que  Sbakespeare  aurait  si  vivement  pressé 
de  se  marier.  Mais  s'il  n'inspira  pas  ces  sonnets, 
ne  put-il  pas  plus  tard  en  être  le  confident,  le 
dépositaire  et  enfin  l'éditeur?  Dans  ce  cas  W.  H. 
serait,  suivant  une  conjecture  très-ingénieuse  de 
M.  Philarète  Chasles,  non  pas  le  onlie  begetter 
qui  reçoit  l'offrande  du  recueil,  mais  l'éditeur 
qui  a  recueilli  ces  sonnets  sucrés  parmi  les  amis 
de  l'immortel  poète  et  qui  les  offre  à  l'ami  qui 
les  a  inspirés.  Cette  hypothèse  vraisemblable 
nous  laisse  toujours  dans  le  doute  quant  au  onlie 
begetter.  Ce  doute  cependant  n'est  pas  absolu, 
et  toutes  les  vraisemblances  s'accordent  pour 
nous  faire  reconnaître  l'inspirateur  des  sonnets 
dans  H.  W.,  comtede  Southampton,  ce  généreux 
patron  qui  avait  déjà  reçu  les  dédicaces  de  Vé- 
nus et  Adonis  et  de  Lucrèce.  Le  comtede  Sou- 
thampton, né  en  1573  et  résidant  à  Londres  de- 
puis 1590,  s'était  lié  avec  le  poète  d'une  amitié 


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SHAKESPEARE 


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aussi  intime  qu'elle  pouvait  exister  entre  per- 
sonnes de  rangs  si  différents.  Rovre  rapporte,  sur 
la  foi  de  William  Davcnant,  qu'il  lui  donna  une 
fois  une  somme  de  1,000  liv.  st.,  cadeau  énorme 
si  l'on  songe  que  l'argent  valait  alors  à  peu  pies 
cinq  fois  plus  qu'aujourd'hui.  Cette  libéralité 
passe  la  vraisemblance  ;  mais  il  est  possible  que 
Shakespeare  ait  reçu  de  ce  jeune  lord  des  ser- 
vices d'argent.  Il  lui  portait  une  vive  et  recon- 
naissante affection,  où  le  respect  du  à  une  haute 
naissance  n'excluait  pas  la  familiarité,  comme  le 
prouvent  la  dédicace  de  Lucrèce  et  mieux  en- 
core les  Sonnets.  Là  le  poète,  comptant  que  ses 
vers  ne  sortiront  pas  du  cercle  de  l'amitié, 
exprime  ses  sentiments  avec  une  vivacité  sin- 
gulière, et  on  peut  dire  avec  une  exagération 
qui  conviendrait  mieux  à  la  perspective  du 
théâtre  qu'à  la  familiarité  de  la  poésie  intime; 
car  même  dans  ce  genre  de  poésie  Shakespeare 
ne  pouvait  se  dépouiller  de  son  puissant  génie 
dramatique  ;  c'est  à  quoi  ne  pensent  pas  assez 
ceux  qui  veulent  chercher  dans  ces  sonnets  des 
révélations  autobiographiques.  3e  crois  qu'il 
n'en  faut  attendre  que  des  indications  générales 
sur  l'état  de  l'âme  du  poëte  à  l'époque  où  il  les 
écrivit,  de  1594  à  1597.  Les  cxxvi  premiers  son- 
nets sont  adressés  à  un  ami,  les  xxvm  derniers 
à  une  femme  mariée  que  le  poëte  aimait,  et  qui 
n'était  pas  plus  fidèle  à  son  amant  qu'à  son  mari. 
Dans  la  première  partie  de  la  collection,  le  sen- 
timent est  certainement  plus  passionné  que  dans 
la  seconde,  ce  qui  paraît  étrange  et  a  môme 
donné  lieu  à  des  suppositions  choquantes  ;  mais 
il  faut,  si  on  ne  veut  pas  les  mal  interpréter, 
tenir  compte  de  la  phraséologie  poétique  du 
temps.  Par  exemple  le  mot  love  doit  se  traduire 
par  amitié  ou  attachement.  Le  poëte  l'emploie 
en  ce  sens  dans  sa  dédicace  de  Lucrèce,  où  as- 
surément il  n'aurait  jamais  songé  à  afficher  un 
sentiment  coupable. 

Du  reste,  cet  attachement  de  Shakespeare  pour 
Henri  Wriothesley,  tel  qu'il  s'exprime  dans  les 
Sonnets,  est  essentiel  dans  la  vie  du  poëte  et 
mériterait  d'être  analysé  avec  un  soin  minutieux  ; 
les  bornes  de  cet  article  nous  obligent  à  n'en  in- 
diquer qu'un  des  traits  principaux.  Évidemment 
le  poëte  souffrait  de  l'inégalité  de  condition  qui 
existait  entre  lui  et  son  jeune  ami,  et  devant  le 
noble  comte  il  rougissait  de  son  métier  d'acteur. 
Ce  sentiment  ne  se  trahit  pas  par  d'obscures 
allusions;  il  se  marque  de  la  manière  la  plus 
forte,  par  exemple,  dans  les  sonnets  ex,  exi,  cxti, 
dans  lesquels  il  se  plaint  de  sa  mauvaise  for- 
tune, qui  l'a  forcé  de  gagner  sa  vie  par  un  métier 
public,  d'où  il  résulte  que  son  nom  a  reçu  une 
flétrissure,  et  que  le  scandale  a  gravé  une  marque 
sur  son  front.  Ce  qui  augmentait  encore  l'amer- 
tume de  ce  sentiment,  c'est  que  le  poëte  ne 
pouvait  pas  s'en  prendre  de  ce  scandale  flétris- 
sant uniquement  à  la  mauvaise  fortune.  Ses 
mœurs  irrégulières  y  étaient  pour  quelque  chose. 
On  raconte  à  ce  sujet  diverses  anecdotes.  Dans 


ses  voyages  annuels  à  Sfratford,  il  s'arrêtait  à 
Oxford  à  l'auberge  de  la  Couronne.  L'hôtelier 
John  Davenant  et  sa  femme  lui  faisaient  grand 
accueil;  ils  le  donnèrent  pour  parrain  à  leur  fils, 
le  futur  poëte  William  Davenant.  La  chronique 
de  l'endroit  voulait  qu'il  fût  plus  que  le  parrain 
de  l'enfant,  et  William  Davenant  acceptait  com- 
plaisammcnt  cette  parenté,  aussi  illustre  qu'ir- 
régulière.  L'anecdote  nous  vient  d'Aubrey,  vers 
1680.  En  voici  une  autre,  que  nous  tenons  de 
Manningham,  qui  l'écrivait  du  vivant  du  poëte, 
vers  1602.  Une  bourgeoise  de  Londres,  charmée 
du  jeu  de  l'acteur  Richard  Burbadge,  ami  de  Sha- 
kespeare, lui  donna  un  soir  rendez- vous  dans  sa 
maison,  en  lui  disant  de  frapper  à  la  porte  sous 
le  nom  de  Richard  ni.  Shakespeare,  qui  avait 
entendu  l'invitation,  se  glissa  à  la  faveur  du  mot 
de  passe  dans  la  maison  de  la  dame,  qui  par 
précaution  avait  éteint  les  lumières.  Peu  après 
Burbadge  vient  frapper  à  la  porte;  mais  en  vain 
il  s'annonce  comme  Richard  III,  Shakespeare  le 
renvoie  avec  ces  mots  :  «  Je  suis  Guillaume  le 
Conquérant.  »  L'anecdote  a  l'air  d'un  conte, 
mais  elle  montre  ce  que  les  contemporains  pen- 
saient des  mœurs  du  poëte.  Les  Sonnets  con- 
tiennent à  ce  sujet  une  révélation  plus  sérieuse. 
On  l'y  voit  amoureux  d'une  femme  sans  beauté 
et  indigne  de  lui.  Dans  cette  triste  liaison,  il  eut 
pour  rival  beureux  son  jeune  ami,  sans  que  l'in- 
fidélité de  la  dame  le  détachât  d'elle ,  sans  que 
le  tort  de  l'ami  altérât  le  tendre  attachement  qu'il 
lui  avait  voué.  Ces  mœurs  faciles  s'expliquent 
par  les  habitudes  du  théâtre  et  l'entraînement 
de  la  jeunesse;  mais  à  mesure  que  l'âge  vint 
avec  la  gloire  et  la  fortune,  on  comprend  que  le 
poëte  grand  et  noble  ait  ressenti  quelque  honte 
de  sa  profession  et  de  sa  conduite,  et  que  ce 
sentiment  de  dépit  contre  la  fortune,  contre  les 
autres,  contre  lui-même,  ait  donné  à  un  certain 
nombre  de  ses  pièces  la  teinte  satirique  et  mi- 
santhropique  qui  les  distingue.  C'est  l'opinion 
d'un  critique  froidement  judicieux,  M.  Hallam. 
«.  Il  semble,  dit-il,  qu'il  y  eut  une  période  de  la 
vie  de  Shakespeare  où  son  cœur  était  mal  à  l'aise 
et  mécontent  du  monde  ou  de  sa  propre  cons- 
cience. Le  souvenir  d'heures  mal  employées, 
l'angoisse  d'une  affection  mal  placée,  ou  non 
payée  de  retour,  l'expérience  des  pires  côtés  de 
la  nature  humaine ,  expérience  que  donnent  par- 
ticulièrement les  rapports  avec  des  compagnons 
mal  choisis ,  ces  choses  tombant  dans  les  pro- 
fondeurs d'un  grand  esprit  semblent  l'avoir  ins- 
piré non- seulement  dans  la  conception  de  Lear 
et  de  Timon,  mais  aussi  dans  ce  caractère  de 
censeur  de  l'espèce  humaine  qui  paraît  d'abord 
dans  Jacques.  »  En  effet,  si  nous  exceptons  la 
Douzième  nuit,  jouée  en  1602,  nous  trouvons 
de  1600  à  1607  toute  une  série  de  pièces  mar- 
quées de  cette  empreinte  satirique;  elle  se  re- 
connaît dans  la   mélancolie   philosophique  de 

i  Jacques  {Comme  il  vous  plaira,  vers  1600); 

|  dans  la  malignité  sombre  et  cruelle  du  bâtard 


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SHAKESPEARE 


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Jean  (Beaucoup  de  bruit  pour  rien, vers  1601); 
dans  les  perplexités  et  le  doute  amer  d'Hamlet 
(vers  1603),  dans  la  méchanceté  envieuse  et 
atroce  de  Iago  (  Othello,  vers  1603),  dans  la  sé- 
vère tristesse  du  duc  Vincentio  (Mesure  pour 
mesure,  vers  1604),  dans  la  formidable  intensité 
tragique  de  Macbeth  (vers  1605),  dans  la  dé- 
mence de  Lear  (vers  1606),  et  dans  la  misan- 
thropie furieuse  de  Timon  d'Athènes.  Les  don- 
nées manquent  pour  fixer  même  approximati- 
vement la  date  de  cette  dernière  pièce;  mais 
d'après  la  vraisemblance  intérieure,  nous  la 
croyons  écrite  à  peu  près  vers  le  même  temps 
que  le  Roi  Lear,  quoique  plusieurs  critiques  la 
placent  deux  ou  trois  ans  plus  tard.  Les  autres 
pièces  de  Shakespeare,  composées,  si  l'on  excepte 
peut-être  Jules  César,  après  1607,  présentent 
un  autre  caractère,  plus  calme,  moins  amer,  et 
ce  caractère  concorde  bien  avec  ce  que  l'on  sait 
du  reste  de  la  vie  de  Shakespeare. 

Nous  l'avons  laissé  récent  acquéreur  de  la 
grande  maison  ou  Maison  neuve  (New  place  de 
Stratford),  plaçant  avec  intelligence  ses  profits  de 
théâtre.  Dans  les  années  1601-1603,  il  acheta 
trois  pièces  de  terre  dans  sa  ville  natale,  et  en 
1605  il  acquit  les  dîmes  de  Stratford,  Old  Strat- 
ford, Bishopton  et  Welcom  pour  la  somme  de440 
liv.  st.,  opération  qui  lui  donna  sans  doute  un 
profit  considérable.  On  a  remarqué  qu'en  même 
temps  qu'il  s'enrichîssait  il  voulut  s'anoblir.  Ne 
pouvant,  à  cause  de  sa  profession,  réclamer  le 
droit  d'avoir  des  armoiries,  il  en  fit  donner  à 
son  père  ;  ou  du  moins  il  fit  confirmer  par  les 
patentes  de  1596  et  1599  le  titre  de  noblesse 
que  John  Sbakespeare  aurait  obtenu  vers  1568. 
On  peut  croire  que  cette  faveur  ne  fut  pas  sol- 
licitée par  l'ancien  bailiff,  qui  achevait  tran- 
quillement sa  vie  dans  la  maison  de  son  fils  à 
Stratford.  Il  mourut  en  1601;  sa  veuve  vécut 
jusqu'en  septembre  1608.  A  la  mort  de  son  père, 
Shakespeare  parait  avoir  eu  encore  trois  frères 
vivants  :  Gilbert,  Richard,  Edmond.  Le  premier 
résidait  à  Stratford,  où  il  surveillait  probablement 
les  affaires  de  son  frère, car  en  1602,  quand  Wil- 
liam acquit  107  acres  de  terre,  Gilbert  figura 
dans  le  contrat;  comme  son  nom  ne  se  trouve 
pas  dans  le  testament  du  poète,  on  suppose  qu'il 
mourut  avant  lui.  Edmond,  né  en  1580,  alla  re- 
joindre son  illustre  frère  à  Londres,  et  se  fit 
acteur.  Peut-être  était-il  destiné  à  lui  succéder 
dans  sa  part  de  propriété  théâtrale;  mais  une 
mort  prématurée  l'enleva,  en  1607.  Le  troisième, 
Richard,  mourut  en  1613. 

Le  5  juin  1607  Shakespeare  maria  sa  fille  aînée 
à  John  Hall,  de  Stratford,  médecin.  Il  était  grand- 
père  à  l'âge  de  quarante-quatre  ans.  A  cette 
époque  il  avait  déjà  depuis  trois  ou  quatre  ans 
quitté  la  profession  d'acteur;  mais  il  continuait 
d'être  co-propriétaire  des  théâtres  de  Blackfriars 
et  du  Globe,  dont  la  prospérité  allait  croissant. 
Jacques  Ie',  aussitôt  après  son  avènement,  et  sans 
doute  sur  la  recommandation  du  comte  de  South- 


ampton,  accorda  à  cette  compagnie  de  comé- 
diens, jusque-là  dits  acteurs  du  lord  chambel-' 
lan,  le  titre  de  serviteurs  du  roi.  Sur  la  liste  des 
sociétaires  auxquels  cette  faveur  fut  accordée, 
Shakespeare  figure  le  second.  Laurent  Fletcher 
est  le  premier;  les  autres  sont:  Richard  Bur- 
badge,  Augustin  Philips,  John  Heminge,  Henri 
Condell ,  William  Sly,  Robert  Armyn ,  Richard 
Cowley.  Malgré  leur  titre  de  comédiens  du  roi, 
les  sociétaires  de  Blackfriars  furent  exposés  à 
diverses  tracasseries  de  la  part  de  la  eité  de 
Londres.  En  1608,  le  lord  maire  et  les  alder- 
men  voulurent  faire  démolir  leur  théâtre.  A 
cette  occasion  lord  Southampton  s'employa  utile- 
ment en  leur  faveur.  Il  écrivit  une  lettre  trouvée 
dans  les  papiers  du  lord  chancelier  Ellesmere,  à 
qui  elle  était  probablement  adressée  ;  c'est  un  do- 
cument biographique  d'un  haut  intérêt,  dont  on 
a  sans  motif  contesté  l'authenticité.  Après  avoir 
parlé  deRichard  Burbadge,  «  le Roscius anglais  », 
lord  Southampton  continue  :  «  L'autre  est  un 
homme  qui  ne  mérite  pas  moins  de  faveur,  et 
mon  ami  particulier;  jusqu'à  ces  derniers  temps, 
acteur  distingué  dans  la  compagnie  et  mainte- 
nant co-propriétaire  dans  la  même;  auteur  de 
quelques-unes  de  nos  meilleures  pièces  anglaises, 
qui,  comme  le  sait  votre  seigneurie,  étaient  très- 
particulièrement  aimées  de  la  reine  Elisabeth, 
quand  la  compagnie  était  appelée  à  jouer  devant 
Sa  Majesté  à  la  cour,  à  la  Noël  et  au  carnaval.... 
Cet  autre  a  nom  William  Shakespeare ,  et  ils 
sont  tous  deux  du  même  comté,  et  presque  de  la 
même  ville.  Tous  deux  sont  très-fameux  dans 
leur  genre....  Leur  pétition  a  pour  objet  de  ne 
pas  être  molestés  dans  leur  profession,  par  la- 
quelle ils  se  maintiennent  eux-mêmes,  leurs 
femmes  et  leurs  familles ,  étant  tous  mariés  et 
de  bonne  réputation,  aussi  bien  que  les  veuves 
et  les  orphelins  de  quelques-uns  de  leurs  cama- 
rades morts.  »  Cette  recommandation  produisit 
son  effet,  car  on  voit  la  même  année  les  magis- 
trats, ne  pouvantexpulser  de  force  les  aoteurs  de 
Blackfriars,  tâcher  de  les  exproprier  moyennant 

indemnité.  La  négociation  n'aboutit  pas;  mais 
l'indemnité  réclamée  par  Shakespeare  jette  du 

,  jour  sur  sa  position  de  fortune.  Il  demande  pour 
sa  garde- robe  et  autres  objets  lui  appartenant  dans 
le  théâtre ,  500  liv.  st.,  et  pour  ses  quatre  parts 
dans  la  société  lajnême  somme  que  ses  cama- 
rades Burbadge  et  Fletcher,  933  liv.  6  sh.  8  den., 
en  tout  1,433  liv.  6  sh.  8  d.  Si  l'on  songe  que 
l'argent  valait  alors  près  de  cinq  fois  plus  qu'à 
présent,  on  a  là  une  somme  qui  représente  en- 
viron 170,000  fr.  de  nos  jours.  Ce  n'était  du 
reste  qu'une  partie  de  sa  fortune;  nous  avons 
déjà  parlé  de  ses  acquisitions  à  Stratford  ;  il 
faut  ajouter  que  les  pièces  nouvelles,  qu'il  ne 
cessait  de  donner  au  théâtre,  lui  étaient  bien 
payées.  Dans  le  Journal  du  révérend  John  Ward, 
vicaire (cwra^)deStratfordrSur-Avon, journal  qui 
s'étend  de  1648  à  1679,  on  lit,  entre  autres  dé- 
tails piquants  sur  Shakespeare,  qu'il  avait  un 


889 


SHAKESPEARE 


590 


revenu  de  1,000  liv.  st.  par  an,  c'est-à-dire  en 
valeur  de  notre  temps  à  peu  près  120,000  fr. 
Cette  somme  nous  parait  tout  à  fait  exagérée; 
mais  nous  croyons  qu'en  estimant  de  4  à  500  I.  s., 
c'est-à-dire  à  50,000  fr.  environ,  le  revenu  annuel 
du  poëte,  on  approchera  beaucoup  de  la  vérité. 

Il  semble  que  les  dernières  pièces  de  Shake- 
speare se  ressentent  de  cette  position  indépen- 
dante et  fortunée  qu'il  avait  acquise  par  de  longs 
travaux  et  dont  il  jouissait  à  Stratford;  elles 
sont  écrites  avec  une  facilité,  une  abondance  qui 
ne  dégénèrent  jamais  en  langueur,  mais  qui  ont 
quelque  chose  de  l'abandon  du  génie  satisfait, 
produisant  sans  efforts.  La  maturité  de  l'âge  et 
la  lecture  de  Plutarque ,  qui  semble  avoir  été 
avec  Montaigne  son  auteur  favori,  le  portaient 
vers  les  sujets  antiques,  qu'il  avait  déjà  abordés 
quelques  années  plus  tôt  si,  comme  on  le  croit, 
Jules  César  est  de  1602.  Antoine  et  Cléopâtre 
(composé  vers  1607-8)  est  une  admirable 
mise  en  scène  d'une  biographie  de  Plutarque; 
le  drame  romanesque  de  Troïlus  et  Cressida 
(vers  1608)  est  à  la  fois^une  imitation  et  une  pa- 
rodie d'Homère;  Cymbeline  (1609)  n'a  d'an- 
tique que  quelques  noms,  mais  il  offre  la  per- 
fection du  genre  romanesque ,  comme  Coriolan 
(1610)  offre  la  perfection  de  l'interprétation" 
dramatique  de  l'histoire  ancienne.  Après  cette 
tragédie  sévère  et  vivante,  qui  clôt  par  un  chef- 
d'œuvre  la  série  de  ses  études  sur  l'antiquité, 
Shakespeare  se  plut  à  revenir  à  ce  genre  de 
comédie  fantastique  qui,  vingt  ans  plus  tôt,  lui 
avait  inspiré  le  Songe  d'une  nuit  d'été;  il 
se  surpassa  lui-môme,  non  pour  le  charme  de 
la  poésie ,  car  rien  en  ce  genre  ne  saurait  sur- 
passer le  Songe  dune  nuit  d'été ,  mais  pour 
l'intérêt  dramatique  dans  la  Tempête  (vers 
1611).  Le  Conte  dhiver,  du  même  temps  ou 
même  un  peu  antérieur,  est  une  pastorale  hé- 
roïque, une  tragédie  aboutissant  à  un  délicieux 
roman ,  les  amours  de  Florizel  et  de  Perdita.  Le 
poëte,  comme  pour  mieux  transporter  le  specta- 
teur dans  un  monde  idéal ,  n'a  eu  aucun  souci 
de  la  vraisemblance.  Le  savant  Ben  Jonson  l'en 
reprit,  et  lui  reprocha  entre  autres  choses  d'a- 
voir placé  un  port  de  mer  en  Bohême;  il  alla 
jusqu'à  traiter  le  Conte  dhiver  et  la  Tem- 
pête de  drôleries.  Mais  Shakespeare  montra 
que  s'il  s'abandonnait  parfois  aux  caprices  de 
son  imagination,  il  retrouvait  quand  il  le  fallait 
toute  !a  fermeté  et  tout  le  sérieux  de  son  génie. 
Sa  dernière  pièce,  Henri  VIII,  sans  égaler  comme 
drame  Henri  IV et  Henri  VI,  a  beaucoup  d'am- 
pleur et  d'éclat;  c'est  une  pièce  vraiment  royale, 
qui  clôt  très-bien  la  suite  des  pièces  historiques 
de  Shakespeare.  Ce  fut  aussi  la  fin  de  sa  car- 
rière dramatique.  Par  une  curieuse  coïncidence, 
tandis  qu'on  jouait  Henri  VIII  (29  juin  1613), 
le  théâtre  du  Globe  prit  feu,  et  fut  entièrement 
brûlé. 

Sur  les  trois  années  qui  s'écoulèrent  entre  cette 
dernière  pièce  et  la  mort  de  Shakespeare  on  n'a 


point  de  détails.  Le  grand  poëte  s'enferma  dans 
la  retraite  de  Stratford,  avec  un  dédain  de  sa 
propre  renommée  qui  n'est  pas  un  des  traits  les 
moins  étonnants  de  sa  carrière.  En  février  1616  il 
maria  sa  seconde  fille,  Judith,  avec  Thomas 
Quiney  et  ne  survécut  que  deux  mois  à  ce  mariage. 
Dans  le  journal  déjà  cité  de  J.  Ward  on  lit  : 
«  Shakespeare,  Drayton  et  Ben  Jonson  eurent  une 
joyeuse  réunion,  et  il  semble  qu'ils  huren  t  trop  lar- 
gement, car  Shakespeare  mourut  d'une  fièvre  con- 
tractée à  ce  repas.  »  Cette  assertion  nous  paraît 
fort  exagérée,  quoique  vraisemblablement  Sha- 
kespeare fît  de  temps  en  temps  un  voyage  à  Lon- 
dres et  qu'il  y  vît  ses  anciens  confrères,  les  joyeux 
associés  du  club  de  la  Sirène,  à  propos  duquel 
Faller  nous  dit  dans  ses  Célébrités  (Worthies) 
d'Angleterre,  publiées  en  1662  :  «  Nombreux 
furent  les  combats  d'esprit  entre  lui  et  Ben  Jon- 
son, lesquels  deux  je  compare  à  un  grand  ga- 
lion d'Espagne  et  à  un  vaisseau  de  guerre  anglais. 
Maître  Jonson,  comme  le  premier,  était  bâti 
bien  plus  haut  en  savoir  :  solide,  mais  lent  dans 
ses  manœuvres;  Shakespeare,  comme  levais- 
seau  de  guerre  anglais,  moindre  en  masse,  mais 
plus  léger  à  manœuvrer,  pouvait  tourner  avec 
tous  les  temps ,  virer  de  bord  et  prendre  avan- 
tage de  tous  les  vents,  par  la  vivacité  de  son  es- 
prit et  de  son  imagination.  » 

Le  testament  de  Shakespeare  est  daté  du 
25  mars  1616,  un  mois  avant  sa  mort.  Il  y  règle 
ses  affaires  avec  un  soin  minutieux.  Il  institua 
pour  sa  légataire  principale  sa  fille  aînée,  Suzanne 
Hall,  et  il  mit  pour  conditions  que  ce  legs  cons- 
tituerait un  bien  de  famille  transmissible  de  mâle 
en  mâle,  par  ordre  de  primogéniture.  A  sa  se- 
conde fille  il  légua  150  liv.  st.  pour  sa  dot,  et  150 
payables  sous  diverses  conditions.  Il  n'oublia  ni 
sa  sœur,  ni  ses  neveux,  ni  les  pauvres  de  Strat- 
ford, auxquels  il  légua  10  livres,  ni  ses  vieux 
amis  de  cette  ville,  ni  ses  camarades  de  théâtre 
John  Heminge,  Bichard  Burbadge  et  Henri  Con- 
dell;  enfin,  à  sa  femme  (1)  il  légua  «  son  second 
meilleur  lit,  avec  la  garniture».  Le  legs  est  mo- 
dique, et  il  est  fait  dans  les  termes  les  plus  la- 
coniques. On  s'en  est  étonné,  et  on  a  conclu  que 
le  poëte  n'avait  nul  attachement  pour  sa  femme. 
La  conclusion  n'est  pas  fondée.  Shakespeare,  dans 
ses  dispositions  testamentaires,  n'avait  pas  à 
s'occuper  de  sa  femme  puisque  la  loi  fixait  la  part 
de  celle-ci  dans  la  succe&siori  maritale  ;  et  si  le  legs 
qu'il  lui  fait  n'est  accompagné  d'aucun  terme 
d'affection ,  il  en  est  de  même  de  tous  les  autres 
legs.  On  a  remarqué  que  Shakespeare  mourut  le 
jour  anniversaire  de  sa  naissance,  le  même  jour 
où  expirait  le  grand  romancier  espagnol  Cervan- 
tes. Nous  avons  dit  que  le  premier  de  ces  faits 
est  très-douteux;  le  second  est  faux.  Shake- 
speare et  Cervantes  sont  bien  morts  le  23  avril 
1616;  mais  comme  on  suivait  en  Angleterre  le 
calendrier  julien,  et  en  Espagne  le  calendrier 

(1)  Elle  mourut  le  6  août  1623. 


891  SHAKE 

grégorien,  il  y  a  entre  la  mort  du  poëte  et  celle 
du  romancier  une  distance  de  dix  jours  (1). 

Suzanne  Hall  mourut  en  1649.  Sa  fille  Elisa- 
beth, mariée,  en  1626,  à  Thomas  Nash  et  en  se- 
condes noces  à  John  Bernard,  d'Abingdon,  mou- 
rut sans  enfants,  en  1670.  Sa  seconde  fille,  Judith, 
était  morte  en  1662  ;  elle  avait  eu  trois  (ils,  dont 
aucun  ne  se  maria. 

Shakespeare  (2)  ne  songea  point  à  faire  un 
recueil  de  ses  pièces;  il  est  même  probable  qu'il 
n'en  publia  aucune  séparément;  celles  qui  pa- 
rurent de  son  vivant  furent  publiées  par  quel- 
ques libraires,  qui  non-seulement  se  passaient  de 
l'autorisation  de  l'auteur,  mais  qui  profitaient  de 
sa  réputation  pour  publier  sous  son  nom  des 
pièces  qui  n'étaient  pas  de  lui.  Ces  éditions  ori- 
ginales n'en  sont  pas  moins  précieuses.  Quelque- 
fois elles  servent  à  corriger  l'édition  princeps 
in-folio  de  1623;  plus  souvent  elles  indiquent 
les  remaniements  que  le  poëte  fit  subir  à  ses 
pièces.  Voici  la  liste  des  éditions  originales  : 
Thetroublesome  raigne  of  John,  king  of  En- 
gland  ;  Londres,  1591,  in-4°,  sans  nom  d'auteur; 
ibid.,  16 1 1,  avec  les  initiales  W.Sh.,  et  1622,  avec 
le  nom  de  William  Shakespeare.  On  s'accorde  a 
reconnaître  que  cette  pièce,  quoique  publiée  sous 
le  nom  de  Shakespeare,  n'est  pas  de  lui  ;  mais  elle 
a  servi  de  base  à  celle  du  Roi  Jean;  —  The 
firsl  part  of  the  Contention  betwixi  the 
twofamous  houses  of  Yorke  and  Lancaster  ; 
Londres,  1594,  in-4°  :  c'est  dans  l'in-folio  la  se- 
conde  partie  d'Henri  VI;  —  The  true  tragé- 
die of  Richard  dukeof  Yorke;  Londres,  1595, 
1600,  in-4°  :  c'est  dans  l'in-folio  la  troisième 
partie  d'Henri  VI.  Ces  deux  pièces  ne  portent 
pas  le  nom  de  Shakespeare;  elles  sont  attribuées 
à  Robert  Greene;  mais  Shakespeare  les  remania 
assez  fortement,  comme  on  le  voit  en  comparant 
les  éditions  in-4°  avec  l'in-folio ,  pour  se  les 
approprier  ;  il  n'en  est  pas  de  même  de  la  pre- 
mière partie  d'Henri  VI,  qui  parut  pour  la  pre- 
mière fois  dans  l'in-fol.,  et  à  laquelle  Shake- 
speare n'eut  part  que  pour  quelques  scènes  ;  — 
An  excellent  conceited  tragédie  of  Romeo 
and  Juliet;  Londres,  1597,in-4°;  réimpr.  avec 
des  corrections  et  des  additions,  ibid.,  1599, 

1607,  1609,  in-4°;  —  The  tragédie  of  king 
Richard  the  second;  Londres,  1597,  1598, 
in-4°;  la  même,  with  new  additions  of  the 
parliarnent  sceane  and  the  deposing  of  king 
Richard...,  by  William  S hakespear;  Londres, 

1608,  1615,  in-4°;  —  The  iragedy  ofking  Ri- 
chard the  third;  Londres,  1597,  in-4°;  réim- 
primée quatre  fois  avant  l'in-folio ,  qui  contient 

(1)  EnH"40  un  superbe  mausolée  fut  érigé  à  Shake- 
speare dans  l'église  de  Westminster;  une  souscription 
particulière  de<  dames  anglaises  fit  les  frais  de  C3  monu- 
ment. F.n  1864.  un  Jubilé  en  l'honneur  du  grand  poëte  a 
été  célébré  en  Angleterre  avec  un  certain  éclat.  L'initia- 
tive de  cette  fêle  avait  été  prise  en  1769,  par  Garrlck. 

(2)  H.  Bonn ,  dans  la  réimpression  du  Bïbliographer' s 
Maminl  de  Lowndes,  énumère  deux  cent  soixante-deux 
éditions  de  Shakespeare;  nous  ne  citons  ici  que  celles 
qui  peuvent  servir  à  l'histoire  du  texte  du  poëte. 


5PEAB.E  892 

une  rédaction  très-différente;  —  A  pleasant 
conceited  comédie  called  Love's  labors  lost, 
neuly  corrected  and  augmented  by  W.  Sha- 
kespere;  Londres,  1598,  in-4°;  —  The  History 
of  Hernie  the  fourth....  icith  the  humourous 
conceits  of  sir  John  Falstalfe;  Londres,  1598, 
in-4°  :  on  en  connaît  cinq  autres  éditions  jusqu'à 
l'in-fol.;  —  The  second  part  of  Henrie  the 
fourih,  continuing  to  his  death by  Wil- 
liam Shakspeare;  Londres,  1600,  in-4°;  — 
The  chronicle  history  of  Henry  the  ûft...\ 
Londres,  1600,  1602,  1608,  in-4°;  éditions  très- 
différentes  de  l'in-folio  ;  —  The  most  lamen- 
table romaine  tragédie  of  Titus  Andronicus; 
Londres,  1600,  1611,  in-4°  ;  Langbaine  en  cite 
une  édition  de  1594;  —  A  Midsummer  nighfs 
dream;  Londres,  1600,  in-4°;  —  The  excel- 
lent history  of  the  Merchant  of  Venice; 
Londres,  t600,  in-4c;  —  Much  adoe  aboui  no- 
ihing ;  Londres,  1600,  in-4°;  —  A  most  plea- 
sawnt  and  excellent  conceited  comedy  ofsyr 
John  Falstaffe,  and  the  Merry  wives  of 
Windsor...,  by  W.  Shakespeare  ;  Londres, 
1602,  1619,  in-4°  :  c'est,  la  première  version  de 
Shakespeare,  très-différente  de  la  pièce  de 
l'in-folio  ;  —  The  iragicall  historié  of  Ham- 
let,  prince  of  Denmarke,  by  W.  Shakespeare; 
Londres,  1603,  in-4°;  la  même,  enlarged  to 
almosi  as  much  againe  as  it  was,  according 
to  the  true  and  perfect  coppie;  1604,  1605, 
1609,  1611,  in-4°  :  ou  ne  connaît  de  l'édition  de 
1603  qu'un  seul  exemplaire;  encore  est-il  in- 
complet; —  M.  William  Shakespeare,  his 
true  chronicle  history  of  the  life  and  death 
of  king  Lear  and  his  three  daughlers  ;  Lon- 
dres, 1608,  in-4°;  —  The  famous  historié  of 
Troylus  and  Cresseid;  Londres,  16C9,  in-4°  : 
la  préface  de  cette  édition  porte  que  la  pièce  n'a 
Jamais  été  jouée;  la  même  année  les  mêmes  édi- 
teurs en  donnèrent  une  seconde  édition ,  avec 
l'indication  :  jouée  au  théâtre  du  Globe  ;  —  The 
late  and  much  admired  play  called  Pericles, 
prince  ofTyre.  by  W.  Shakespeare;  Londres, 
1609,  in-4°;  1611,  1619,  1630,  1635,  in-4°  : 
omise  dans  l'in-folio  de  1623,  recueillie  dans 
l'in-folio  de  1664;  —  The  tragœdy  of  Othello, 
the  Moore  of  Venice;  Londres,  1622,  in-4°: 
publiée  lorsque  Othello  de  l'édition  in-folio  était 
déjà  imprimé. 

Sept  ans  après  la  mort  de  Shakespeare,  deux  de 
ses  camarades  de  théâtre,  désignés  dans  son  tes- 
tament, John  Hemingeet  Henri  Condell  publièrent 
le  premier  recueil  de  ses  pièces  sous  ce  titre  :. 
M.  William  Shakespeare's  Comédies,  Histo- 
riés and  Tragédies.  Published  according  tothe 
true  originall  copies  ;  Londres,  1623,in-fol.  Sur 
la  même  page  que  le  titre  se  trouve  un  portrait  de 
Shakespeare  par  Droeshout,  et  au  revei  s  de  la  page 
on  litquelques  vers  de  Ben  Jonson  au  sujet  du  por- 
trait. Sur  la  page  suivante  on  trouve  une  dédicace 
des  deux  éditeurs  aux  «  incomparables  frères  Wil- 
liam, comte  de  Pembroke,  et  Philippe,  comte  de 


893 


SHAKESPEARE 


894 


Montgomery  ».  Celte  dédicace,  écrite  d'un  style 
peu  élevé  et  où  les  pièces  de  Shakespeare  sont 
[  appelées  des  bagatelles  ((rifles)  est  suivie  d'un 
I  avis  aux  lecteurs  (1)  qui  l'ait  médiocrement  hon- 
neur à  Heininge  et  à  Condell,carils  y  promettent 
ce  qu'ils  n'ont  pas  tenu.  Après  avoir  signalé  dans 
les  termes  les  plus  sévères  les  éditions  précé- 
dentes, comme  subreptices,  et  déformées  par 
les  fraudes  des  imposteurs,  ils  déclarent  qu'ils 
donnent  ces  mêmes  pièces  soignées  et  «  par- 
faites dans  leurs  membres  »  ;  quant  aux  autres 
pièces,  ils  les  donnent,  disent-ils,  «absolument 
comme  il  les  avait  conçues;  ce  qui  leur  a  été 
d'autant  plus  facile  que  ses  manuscrits  ont  à 
peine  une  rature  ».  Qui  ne  croirait  qu'une  édi- 
tion faite  sur  les  manuscrits  de  l'auteur,  des  ma- 
nuscrits parfaitement  lisibles,  devait  être  excel- 
lente? Celle-ci  cependant  ne  l'est  pas,  il  s'en 
faut  de  beaucoup.  Heminge  et  Condell  don- 
nèrent les  pièces  déjà  publiées  (excepté  Péri- 
clès)au  nombre  de  dix-huit,  et  en  ajoutèrent 
dix-huit  nouvelles  ;  neuf  comédies  :  the  Tem- 
pest,  the  Two  Gentlemen  of  Verona,  Measure 
formeasure,  the  Comedy  oferrors,  As  you 
Me  it,  the  Taming  of  the  shrew,  All's  well 
thatends  well,  Twelfthnight ,  Winler's  Taie; 
trois  histoires  :  King  John,  Henry  Y 1  (part 
first);  Henry  VIII;  six  tragédies  :  Timon  of 
Athens,  Coriolanus,  Julius  Ceesar,  Anthony 
and  Cleopatra,  Macbeth,  Cymbeline;  trente- 
six  pièces,  en  tout.  Arec  les  manuscrits  parfai- 
tement nets  de  l'auteur,  les  éditeurs  auraient  pu 
donner  un  texte  correct  ;  ils  en  ont  donné  un 
criblé  de  fautes  d'impression  de  toutes  sortes , 
d'omissions  et  de  transpositions  de  mots  ;  la  ponc- 
tuation est  extrêmement  défectueuse;  des  vers 
sont  imprimés  comme  de  la  prose,  et  de  la  prose 
comme  des  vers  ;  mais  arec  tous  ses  défauts  cette 
édition  est  unique;  elle  a  pour  nous  l'autorité 
des  manuscrits,  puisque  ceux-ci  sont  aujourd'hui 
perdus  ;  c'est  elle  seule  qui  doit  servir  de  base 
aux  autres  éditions.  La  seconde  édition  (Londres, 
1632,  in-fol.)  fut  faite  probablement  sans  le  se- 
cours des  manuscrits  ;  elle  n'est  pas  moins  fau- 
tive que  la  première ,  mais  comme  elle  ne  l'est 
pas  toujours  aux  mêmes  endroits,  elle  peut  ser- 
vir à  la  corriger.  Cette  édition  contient  «  une  épi- 
taphe  sur  l'admirable  poète  dramatique  W.  Sha- 
kespeare »,  par  Milton,  digne  de  figurer  à  côté  des 
vers  de  Ben  Jonson.  La  troisième  édition  (Lon- 
dres, 1664,  in-fol.)  reproduit  le  texte  des  deux 
premières,  mais  elle  contient  sept  pièces  de  plus 
que  la  tradition  attribuait  à  Shakespeare  ou  qui 
avaient  déjà  paru  avec  ses  initiales  :  Pericles, 
prince  of  Tyre;  the  London  prodigal;  the 
History  of  Thomas  lord  Cromwell;  Sir  John 
Oldcastle  lord  Cobham;  thePuritan  Widow; 

(1)  L'avis  aux  lecteurs  |  to  the  great  varietg  of  readers) 
est  suivi  d'une  longue  et  belle  pièce  de  vers  de  Ben 
Jonson  «  A  la  mémoire  de  l'auteur,  mon  très-aimé  (my 
beloved\  William  Shakespeare.  »  Cette  pièce  contient  use 
appréciation  de  Shakespeare  enthousiaste,  mais  nulle- 
ment exagérée  et  généralement  très- judicieuse. 


a  Yorlshire  tragedy  ;  the  Tragedy  of  Locrine. 
La  quatrième  édition  (Londres,  1685,  in-fol.) 
est  une  réimpression  de  la  troisième. 

Les  quatre  in-folio  constituent  ks  éditions  an- 
ciennes, la  première  période  du  texte  de  Shake- 
speare, la  période  originale.  La  seconde  période, 
celle  que  l'on  peut  appeler  littéraire,  et  où  les 
éditeurs  s'efforcent  de  corriger  le  texte,  moins 
avec  le  secours  d'une  critique  sévère,  qu'an  nom 
et  avec  les  inspirations  du  goût  littéraire  de  leur 
temps,  commence  avec  l'édition  de  Rowe  (Lon- 
dres, 1709,  7  vol.  rn-8°,  fig.),  et  se  continue 
par  celles  de  Pope  (1725,  6  vol.  in-4°  >,  de  Theo- 
bald  (1733,  7  vol.  in-8",  fig.,  sept  éditions),  de 
Hanmer  (Oxford,  1744-46,  6  vol.  in-4°,  fig.), 
de  Warburton  (Londres,  1747,  8  vol.  in-8°  ), 
de  Blair  (Edimbourg,  1753,  8  vol.  in-12),  et  se 
termine  par  celle  de  Samuel  Johnson  (  Londres, 
1765,  8  vol.  in-8°),  plus  remarquable  par  l'ad- 
mirable préface  de  l'éditeur  et  par  son  commen- 
taire que  par  les  soins  donnés  au  texte. 

Une  troisième  période ,  celle  où  l'on  s'efforce 
de  corriger,  d'éclaircir,  d'interpréter  le  texte  du 
poète,  au  moyen  des  œuvres  des  poètes  ses 
prédécesseurs  et  ses  contemporains,  commence 
avec  l'édition  de  Steevens  (  Londres,  1766,  4  vol. 
in-4°),  et  s'est  continuée  jusqu'à  nos  jours.  Ca- 
pell  (ibid.,  1767-68, 10  vol.  in-8°)  fait  peut-être 
exception,  et  se  rattache  à  la  période  précédente 
•mais  avec  plus  de  critique.  Deux  noms,  ceux 
de  Steevens  et  de  Malone,  caractérisent  cette 
période.  Steevens  avait  bien  mérité  de  Shake- 
speare en  le  réimprimant  en  1766  et  en  se  joi- 
gnant à  Johnson  pour  publier  une  édition  cri- 
tique (1773,  10  vol.  in-8°);  mais  par  l'audace 
et  la  prodigalité  de  ses  conjectures,  il  contribua 
plus  à  corrompre  le  texte  qu'à  l'épurer;  son 
édition  de  1793,  15  vol.  gr.  in-8°,  passe  toute 
mesure;  cependant  elle  a  été  plusieurs  fois  réim- 
primée, et  elle  a  fait  longtemps  autorité.  Malone , 
moins  hardi,  vaut  beaucoup  mieux.  Sa  première 
édition  (Londres,  1790,  10  vol.  in-3°)est  esti- 
mable, et  son  édition  (posthume)  de  1821, 
21  vol.  in-8°,  ouvrait  la  voie  à  un  retour  vers 
le  véritable  texte  de  Shakespeare. 

Ce  retour,  qui  ne  pouvait  se  faire  qu'en  revenant 
aux  éditions  originales,  caractérise  la  quatrième 
période,  la  période  critique.  Les  deux  éditeurs 
qui  jusqu'ici  ont  le  mieux  mérité  de  Shakespeare 
sont  Charles  Knight  et  John  Payne  Collier.  Le 
premier,  dans  son  magnifique  pictoruil  Shaks- 
pere  (Londres,  1838-1843,  8  vol.  gr.  in-S°,  fig.; 
réimpr.  en  1S42-44,  12  vol.  in-8°.  et  en  1847, 
7  vol.  in-8°),  se  distingue  par  un  attachement 
peut-être  superstitieux  à  l'in-folio  de  1623.  Comme 
critique  littéraire,  il  est  supérieur  à  John  Col- 
lier ;  celui-ci  reprend  l'avantage  comme  critique 
philologue  et  antiquaire.  Ses  collations  des  an- 
ciennes éditions,  ses  recueils  de  variantes  don- 
nent beaucoup  de  prix  à  son  édition  (Londres, 
1841-1844,  8  vol.  in-8°).  A  ces  deux  éditions  on 
peut  joindre,  comme  les  corrigeant  quelquefois 


895  SHAKESPEARE 

heureusement,  les  Remarks  d'Alexandre  Dyce 
(  Londres,  1844  et  1852,  in-8°.  ) 

Il  semblait  que  pour  obtenir  un  texte  de 
Shakespeare  aussi  pur  que  possible  on  n'eût  plus 
qu'à  marcher  dans  cette  voie;  c'est  ce  que  firent 
en  effet  Singer  dans  sa  seconde  édition  (la  pre- 
mièreest  de  1826)  ;  Londres,  1856, 10  vol.  in-12), 
Halliwell  (Londres,  1851-53,  4  vol.  gr.  in-8°,  et 
1853-61,  t.  I  à  X,  in-fol.),  Dyce  (1857,  6  vol. 
in-8°),  White  (New-York,  1857-60,  12  vol. 
in-8o),  Staunton  (Londres,  1858-60,  3  vol.  gr. 
in-8°,  fig.),  et  Chambers  (Edimbourg,  1861-62, 
12  vol.  in- 8°).  Mais  M.  Collier  a  eu  l'idée  malheu- 
reuse de  bouleverser  le  texte  qu'il  avait  tant  con- 
tribué à  établir.  Un  hasard  complaisant  lui  avait 
mis  entre  les  mains  un  exemplaire  de  l'in-folio  de 
1632,  couvert  d'innombrables  corrections  (vingt 
mille  à  peu  près),  qui  portent  sur  la  ponctuation, 
sur  des  lettres,  sur  des  mots,  et  s'étendent  parfois 
à  des  passages  entiers  ;  l'écriture  du  correcteur 
semblait  être  du  dix-septième  siècle,  et  M.  Col- 
lier pensa  qu'il  avait  dû  faire  usage  des  manus- 
crits aujourd'hui  perdus.  S'il  en  eût  été  ainsi,  la 
découverte  était  inappréciable.  M.  Collier  se  hâta 
de  publier  ses  Notes  and  emendations  to  the 
text  of  Shakespeare's  Plays  from  early 
ms.  corrections  (  1852,  1853,  in-8°),  et  il  les  fit 
suivre  d'une  nouvelle  édition  de  Shakespeare, 
fondée  sur  son  exemplaire  annoté  (Londres, 
1853,  8  vol.  in-8°  ),  et  reproduite  en  1858.  Cette 
publication  produisit  parmi  les  autres  éditeurs 
un  véritable  soulèvement:  Knight,  Singer, Dyce, 
Staunton  assaillirent  le  correcteur  anonyme  et 
son  éditeur  responsable.  Nous  n'avons  pas  à 
raconter  cette  controverse,  qui  rappelle  les  plus 
furieuses  querelles  déplume  de  la  Renaissance. 
Les  résultats  qui  semblent  acquis  sont  ceux-ci  : 
l'in-folio  annoté  n'a  aucune  autorité  pour  la  res- 
tauration du  texte  de  Shakespeare  ;  le  correcteur, 
loin  d'appartenir  au  dix-septième  siècle,  est  rela- 
tivement récent;  les  trois  quarts  de  ses  correc- 
tions sont  inutiles  ou  mauvaises;  dans  le  dernier 
quart,  plus  de  la  moitié  est  empruntée  aux  pré- 
cédents éditeurs  et  commentateurs  du  poëte.  Que 
reste-t-il  donc  de  cette  découverte  annoncée  avec 
tant  de  fracas  ?  Quelques  bonnes  conjectures, 
dont  les  futurs  éditeurs  de  Shakespeare  feront 
leur  profit  (1).  MM.  W.-G.  Clark,  J.  Glover  et 
W.Wright  ont  commencé  en  1863  (Cambridge 
et  Londres)  la  publication  d'une  édition  critique, 
la  seule  même  vraiment  critique  de  Shakespeare  ; 
elle  doit  former  8  vol.  in-8°. 

Pour  donner  au  lecteur  une  idée  suffisante  du 
génie  de  Shakespeare ,  il  faudrait  analyser  une  à 
à  une  les  trente-six  pièces  qui  nous  restent  .de 
lui,  indiquera  quelles  sources  chacune  d'elles  a  été 
puisée,  et  montrer  comment  le  poëte  a  su  trans- 


896 
former  les  éléments  que  lui  fournissait  l'histoire 
ou  le  roman ,  de  manière  à  en  tirer  les  créa- 
tions les  plus  neuves  ;  ce  travail  serait  intéres- 
sant, mais  il  dépasserait  les  limites  d'un  article 
de  biographie.  Nous  nous  bornerons  donc,  avant 
de  tenter  une  appréciation  générale  de  Shake- 
speare, à  rappeler  les  pièces  que  nous  avons  déjà 
énumérées,  mais  qu'il  ne  sera  pas  inutile  de  ca- 
ractériser brièvement. 

Nous  dirons  d'abord  quelques  mots  d«  ce 
qu'on  peut  appeler  son  théâtre  apocryphe ,  c'est- 
à-dire  des  pièces  qui  lui  ont  été  attribuées ,  et 
dont  six  parurent  dans  l'édition  de  1664.  Les  cri- 
tiques anglais  ont  généralement  fait  peu  de  cas 
de  ces  productions;  Schlegel,  au  contraire,  ne  les 
croit  pas  indignes  du  poëte.  Thomas  lord  Crom- 
well,  Sir  John  Oldcastle  et  la  Tragédie  du 
Yorkshire  (1)  lui  paraissent  non-seulement  ap- 
partenir incontestablement  à  Shakespeare ,  mais 
mériter  d'être  classées  parmi  ses  ouvrages  les 
meilleurs  et  les  plus  mûrs.  Hazlitt  est  d'un  avis 
tout  différent,  et  pense  que  ces  trois  pièces  sont 
fort  insignifiantes.  Quant  aux  trois  autres  pièces, 
elles  ont  encore  moins  d'importance.  Sept  autres 
pièces  ont  été  attribuées  à  Shakespeare  :  the 
Merry  devil  of  Edmonton;  the  Accusation  of 
Paris;  the  Birth  of  Merlin;  Edward  the 
third;  the  Fair  Emma;  Mucedorus;  Arden 
of  Feversham.  De  ces  pièces  la  dernière  seule 
est  remarquable  ;  encore,  suivant  Hazlitt,  elle  est 
bien  plus  dans  la  manière  d'autres  écrivains 
contemporains  que  dans  celle  de  Shakespeare.  Si 
ce  grand  poëte  a  été  pour  quelque  chose  dans 
ces  diverses  pièces ,  c'était  sans  doute  dans  sa 
jeunesse,  lorsqu'il  n'était  pas  encore  en  posses- 
sion de  son  originalité ,  lorsqu'il  imitait  ou  re- 
maniait les  œuvres  des  autres. 

L'imitation  est  sensible  dans  ses  premières 
pièces  authentiques.  Titus  Andronicus  est  une 
tragédie  dans  le  genre  de  celles  de  Kyd  et  de 
Mariowe.  L'auteur,  sans  s'astreindre  à  la  pein- 
ture d'une  période  déterminée  de  l'antiquité,  a 
largement  employé  ses  souvenirs  classiques.  Ti- 
tus Andronicus  s'est  mis  en  état  par  ses  exploits 
militaires  de  disposer  de  l'empire  romain;  il  le 
donne  à  Saturninus  avec  sa  fille  Lavinia,  déjà 
fiancée  à  Bassianus.  Celui-ci  ne  veut  pas  renon- 
cer à  Lavinia,  et  il  est  soutenu  par  les  fils  mêmes 
de  Titus,  qui,  indigné,  tue  l'un  d'eux.  Après  ce 
meurtre  un  accord  intervient  entre  Bassianus  et 
Saturninus;  le  premier  garde  Lavinia;  Saturni- 


(1)  Voir  sur  cette  controverse,  qu'on  a   appelée  plai-  i 

samment  une  nouvelle  affaire  du  Collier  .-   Hamllton,  j 

An  enquiry  into  the  genuineness  of  the  Ms.  corrections  1 

in  Mr  J  -p.  Collier's  unnotated  Shakespeare  folio  1632;  j 

Londres,  1860,  in  8»,  et  Inglebv,  A  complète  view  of  the  \ 

Shakespeare  controversy  ;  Londres ,  1861,  in-8°.  I 


(1|  Cette  pièce  a  pour  sujet  un  crime  qui  avait  vivement 
ému  le  public.  Un  gentilhomme  du  Yorkshire  nommé  Ca- 
verley  avait  tué  sa  femme  et  ses  deux  enfants,  le  83  avril 
1605.  Ce  tragique  événement  fit  tant  de  bruit  à  Londres 
que  les  acteurs  du  Globe  désirèrent  le  mettre  immédia- 
tement au  théâtre;  ris  durent  naturellement  s'adresser  à 
leur  camarade,  auteur  célèbre.  La  pièce  est  très-proba- 
blement de  Shakespeare;  mais  11  est  probable  aussi  qu'il 
se  fit  aider  par  quelques-uns  de  ses  confrères.  E4Ie  est 
très-courte.  On  croit  qu'elle  fut  Jouée  peu  de  jours 
aprèsle  crime,  avant  le  Jugement  et  le  supplice  du  cou- 
pable; la  plus  ancienne  étilion  connue  est  de  1608;  elle 
porte  le  nom  de  Wlll.  Shakespeare. 


897 


SHAKESPEARE 


89S 


nus  épouse  Tamora,  reine  des  Col  lis,  que  Titus 
vient  de  ramener  captive  et  dont  un  des  fils  a  été 
sacrifié  aux  mânes  des  Andronici ,  ce  qui  donne 
pour  un  seul  acte  un  sacrifice  humain  et  le 
meurtre  d'un  fils  par  son  père.  Au  second  acte, 
l'impératrice  Tamora  est  amoureuse  du  Maure 
Aaron.  Dans  une  partie  de  chasse,  au  moment 
où  elle  l'invite  à  entrer  dans  une  grotte,  comme 
firent  Énée  et  Didon ,  elle  est  surprise  par  Bas- 
sianus  et  Lavinia,  qui  ne  lui  épargnent  pas  les 
reproches.  Ses  deux  fils,  Démétrius  et  Chiron, 
viennent  à  son  aide;  ils  tuent  Bassianus,  violent  La- 
vinia et  lui  coupent  la  langue  et  les  mains,  de  ma- 
nière qu'elle  ne  puisse  dénoncer  leurs  crimes;  c'est 
la  fable  de  Térée  et  de  Philomèle.  Deux  des  fils 
de  Titus,  accusés  du  meurtre  de  Bassianus,  sont 
mis  à  mort;  le  troisième ,  Lucius,  se  réfugie  chez 
ies  Goths,  et  revient  bientôt  à  leur  tête,  comme 
un  autre  Coriolan,  pour  venger  les  malheurs  de 
sa  famille.  Dans  l'intervalle  Lavinia  a  pu  avec  un 
bâton  placé  entre  ses  dents,  écrire  sur  du  sable 
les  noms  des  vrais  coupables;  le  vieux  Titus 
joue  alors  le  rôle  de  Brutus,  et  par  une  folie 
feinte,  il  attire  dans  un  piège  Tamora  et  ses  deux 
fils.  Le  moment  de  la  vengeance  est  venu ,  une 
vengeance  digne  de  l'outrage.  Démétrius  et 
Chiron  sont  liés,  bâillonnés.  Titus,  qui  se  sou- 
vient d'Atrée  et  de  Thyeste,  leur  annonce ,  en 
termes  intraduisibles,  que  de  leurs  os  moulus 
pétris  avec  leur*sang  il  fera  une  pâte,  et  que 
Jans  cette  pâte  il  mettra  un  pâté  fait  de  leurs 
têtes,  et  que  de  ce  pâté  il  régalera  leur  mère. 
Après  quoi  il  leur  coupe  la  gorge,  et  Lavinia  re- 
çoit le  sang  de  ses  ravisseurs  dans  un  bassin 
qu'elle  tient. entre  ses  deux  moignons.  Bientôt 
après,  le  banquet  commence.  Titus,  habillé  en 
uisinier,  sert  à  Tamora  et  à  Saturninus  le  pâté 
ju'il  vient  de  préparer.  Puis,  passant  du  rôle 
ie  Brutus  et  d'Atrée  à  celui  de  Yirginius ,  il  tue 
3a  fille;  il  tue  Tamora;  Saturninus  tue  Titus; 
Lucius  tue  Saturninus,  et  est  proclamé  empe- 
reur; son  premier  acte  est  de  faire  exécuter 
Aaron.  Ainsi  finit  la  tragédie.  On  aimerait  à 
roire.que  cet  amas  d'invraisemblables  horreurs 
l'est  pas  de  Shakespeare;  mais  cette  pièce  lui 
st  bien  positivement  attribuée  par  Mères,  et 
ieja  manière  dont  celui-ci  la  cite,  i!  semble 
qu'elle  avait  de  la  réputation.  Il  est  probable  en 
ffekqu'elle  obtint  du  succès;  aujourd'hui  en- 
:ore  elle<est  curieuse,  en  ce  qu'elle  nous  montre 
point  de  départ  de  Shakespeare,  et  nous 
lermet  d'apprécier  l'immense  réforme  qu'il 
)péra  dans  le  théâtre  anglais. 

Cette  réforme  est  encore  peu  sensible  dans 
Périclès,  pièce  qui  ne  lui  appartient  qu'en  par- 
ie ;  les  incidents  n'en  sont  pas  aussi  révoltants 
me  dans  Titus  Andronicus,  mais  la  fable  n'est 
>as  mieux  construite;  et  la  principale  situation, 
:elle  qui  nous  montre  l'héroïne  Marina  dans  un 
ieu  de  prostitution,  est  des  plus  choquantes , 
rien  que  sa  vertu  ne  reçoive  aucune  atteinte, 
e  sujet,  emprunté  directement  à  une  traduc- 

NOUV.   BIOCR.   GÉNÉR.  —  T.   XLW. 


tion  anglaise  des  Gesla  Romanorum  par  Lau- 
rent Twine,  et  à  la  Confessio  amantis  de 
Gower,  poète  anglais  du  quatorzième  siècle,  dé- 
rive d'un  roman  grec  du  cinquième  ou  sixième 
siècle,  Apollonius  de  Tyr,  dont  on  ne  connaît 
qu'une  version  latine.  Il  est  généralement  admis 
que  Shakespeare  n'a  fait  que  remanier  une  pièce 
un  peu  plus  ancienne. 

Les  trois  parties  A' Henri  VI  ne  sont  encore 
que  des  remaniements ,  et  comme  les  originaux 
de  la  2e  et  de  la  3e  partie  existent,  on  peut 
juger  delà  part  qui  revient  à  Shakespeare.  Pour 
la  première,  on  n'a  pas  le  même  moyen  de  com- 
paraison; mais  on  peut  affirmer  qu'il  y  a  peu  de 
chose  de  lui  dans  cette  première  partie,  consacrée 
aux  luttes  malheureuses  des  Anglais  contre  les 
Français.  Il  est  probable  que  Shakespeare,  vou- 
lant compléter  la  série  de  ses  histoires,  adopta 
une  pièce  jouée  avec  succès,  et  se  contenta  d'y 
intercaler  quelques  scènes  qui  servent  de  lien 
entre  cette  partie  et  les  deux  suivantes,  consacrées 
aux  malheurs  de  la  maison  de  Lancastre  et  à  l'a- 
vénement  de  la  maison  d'York.  Il  en  résulta  une 
pièce  sans  unité,  sans  intérêt,  où  brillent  quel- 
ques belles  scènes,  entre  autres  celles  de  la  mort 
des  deuxTalbot,  lesquelles,  selon  toute  apparence, 
ne  sont  pas  de  Shakespeare.  On  a  les  mêmes 
raisons  de  croire  qu'il  n'est  pour  rien  dans  les 
tristes  scènes  où  Jeanne  d'Arc  est  odieusement 
travestie.  Cette  tragédie  historique  est  générale- 
ment fondée  sur  la  Chronique  de  Hall. 

La  2e  et  la  3°  partie  d'Henri  VI  sont  fondées 
sur  la  Chronique  de  Hall  et  sur  celle  d'Holin- 
shed  ;  l'auteur  suit  ses  deux  guides  avec  une  fi- 
délité presque  servile,  bien  différente  de  la  ma- 
nière large  dont  l'histoire  est  traitée  dans  Hen- 
ri IV  et  Henri  V.  La  seule  unité  dramatique 
qu'on  y  puisse  apercevoir  provient  du  sujet  lui- 
même,  éminemment  tragique.  Le  poète  a  peu  fait 
pour  donner  aux  éléments  que  lui  fournissait 
l'histoire  une  concentration  qui  en  eût  augmenté 
l'intérêt;  sur  ce  point  il  a  faiblement  corrigéson 
prédécesseur;  mais  ce  qui  lui  appartient  en  propre, 
ce  sont  de  belles  scènes,  des  passages  d'une  ad- 
mirable poésie  et  par-dessus  tout  le  touchant 
caractère  d'Henri  VI ,  que  Robert  Greene  avait 
faiblement  ébauché.  Au  contraire,  le  caractère 
ambitieux,  féroce  et  rusé  de  Richard  de  Gloster 
avait  été  fortement  indiqué  par  Greene;  Shake- 
speare n'a  fait  à  ce  sombre  portrait  que  quelques 
retouches  excellentes,  il  est  vrai,  et  qui  annoncent 
ie  futur  peintre  de  Richard  III.' 

La  Méchante  apprivoisée  est  un  remaniement 
d'une  pièce  qui  fut  imprimée  en  1594,  et  qui  avait 
été  jouée  quelques  années  auparavant.  Shake- 
speare en  a  gardé  le  titre  et  le  double  cadre, 
car  la  Méchante  apprivoisée  est  censée  se  jouer 
pour  l'amusement  du  chaudronnier  ivrogne  Sly, 
qu'un  lord  a  fait  ramasser  endormi  dans  la  rue 
et  transporter  dans  son  palais,  comme  le  dor- 
meur éveillé  des  Mille  et  une  Nuits.  Sly,  à  qui 
l'on  persuade  qu'il  est  un  grand  seigneur,  d'a- 

29 


899  SHAKESPEARE 

bord  rétif  à  dépouiller  sa  personnalité,  s'habitue 
assez  vite  aux  douceurs  de  son  nouvel  état,  parmi 
lesquelles  figure  la  représentation  d'une  comédie. 
Cette  pièce  préliminaire  est  courte,  mais  excel- 
lente. De  la  grossière  ébauche  de  son  prédéces- 
seur Shakespeare  a  tiré  un  de  ses  meilleurs  per- 
sonnages comiques.  Sly  est  dessiné  en  quelques 
traits  qui  valent  toute  une  pièce.  La  comédie  de 
la  Méchante  n'est  pas  moins  heureusement  re- 
maniée. Ce  que  l'original  renferme  de  trop  brutal 
a  été  adouci  et  embelli  ;  l'intrigue  principale,  celle 
d'unejeunef!lle,Catherine3acariâtreetintraitable; 
qu'un  homme  vaillant,  en  apparence  emporté, 
bon  au  fond  et  de  joyeuse  humeur,  amène  à  la 
douceur  et  à  la  soumission ,  est  variée  par  une 
intrigue  secondaire  empruntée  aux  Supposés  de 
Gascoigne,  traduits,  en  1566,  des  Suppositi  de 
l'Arioste.  L'influence  italienne  est  sensible  dans 
cette  comédie,  comme  dans  plusieurs  des  pre- 
mières pièces  de  Shakespeare. 

Les  Méprises  (  Comedy  oferrors)  avaient  été 
précédées  d'une  pièce  jouée  à  peu  près  sous  le 
même  titre  (  Historié  oferrors),  en  1576  ;  comme 
l'original  est  perdu,  on  ne  sait  jusqu'à  quel  point 
Shakespeare  s'en  est  servi  ;  je  crois  qu'il  en  a 
fait  peu  d'usage  et  qu'il  est  remonté  directement 
aux  Ménechmes  de  Plaute.  11  a  doublé  ou  triplé 
l'invraisemblance  de  la  pièce  latine  en  supposant 
deux  couples  de  jumeaux,  les  deux  Antipholus 
et  les  deux  Dromions.  Mais  dès  qu'on  accepte 
l'impossibilité  radicale  de  la  donnée,  il  est  difficile 
<le  ne  pas  admirer  l'art  avec  lequel  le  poète  a  tiré 
parti  de  cette  source  continuelle  de  méprises  qui 
naît  de  l'étrange  ressemblance  des  deux  frères 
et  de  la  ressemblance  plus  étrange  encore  de  leurs 
deux  valets.  Les  incidents  se  succèdent  sans  con- 
fusion', et  sortent  naturellement  du  su}et;  fort 
amusants  par  eux-mêmes,  ils  se  dessinent  plus 
vivement  sur  l'événement  tragique  qui  fait  le 
fond  du  tableau.  La  tragédie  suspendue  pour 
ainsi  dire  sur  toute  la  comédie  la  relève,  l'em- 
pêche de  dégénérer  en  farce,  et  donne  à  l'heu- 
reux dénoûment  un  caractère  touchant.  Non- 
seulement  les  situations  plaisantes  abondent, 
mais  les  caractères  sont  tracés  avec  une  netteté, 
une  finesse  qui  dépassent  les  figures,  d'ailleurs 
pleines  de  relief  et  de  vie,  du  vieux  poète  latin. 

Les  Deux  Gentilshommes  de  Vérone  sont 
une  pièce  romanesque,toute  de  l'invention  de 
Shakespeare,  car  l'histoire  de  Félix  et  Felis- 
mena  daus  la  Diane  de  Montemayor  ne  lui  a 
guère  fourni  qu'une  idée,  et  c'est  à  peine  si  l'on 
peut  admettre  que  YArcadie  de  Sidney  lui  ait 
fourni  une  situation.  Deux  amis,  Valentinet  Pro- 
lée,  brouillés  par  une  rivalité  d'amour,  une  jeune 
fille  qui  court  après  un  amoureux  infidèle,  la 
iille  d'un  duc  qui  devient  amoureuse'd'un  gentil- 
homme, et  ce  gentilhomme,  le  plus  honnête 
homme  de  la  pièce,  devenant  chef  de  bandits, 
ce  sont  là  des  caractères  et  des  incidents  qui 
n'ont  rien  de  bien  neuf  et  de  bien  intéressant  ; 
de  plus,  l'intrigue  est  conduite  avec  négligence 


900 

et  se  termine  par  un  dénouement  trop  brusque. 
Malgré  tous  ces  défauts,  cette  pièce  est  agréable 
et  abonde  en  passages  de  la  plus  charmante 
poésie.  On  voit  bien  que  le  jeune  auteur  n'étail 
pas  encore  maître  de  son  art;  mais  déjà  il  n'a- 
vait pas  de  rival  comme  poète. 

Un  jeune  roi  de  Navarre  qui  avec  ses  courti- 
sans s'est  voué  à  trois  ans  d'études  et  de  retraite 
une  princesse  de  France  qui  avec  ses  dame! 
essaye  inutilement  de  les  faire  manquer  à  leui 
austère  résolution,  tel  est  le  fond  de  Peines  d'a- 
mour perdîtes,  imitation  et  parodie  des  roman; 
de  chevalerie  et  du  langage  des  euphuisles 
Avec  un  pareil  sujet,  il  était  impossible  de  fair 
une  pièce  animée  et  pathétique ,  et  il  a  fallu  tou 
l'esprit  et  toute  la  poésie  de  Shakespeare  pou 
en  faire  une  gracieuse  et  plaisante  comédie.  «  S* 
nous  devions  sacrifier  une  des  comédies  d 
notre  auteur,  ce  serait  celle-ci,  dit  Hazlitt.  Pour- 
tant nous  aurions  de  la  peine  à  nous  séparer  d 
don  Adriano  de  Armado,  ce  puissant  potenta 
du  non-sens,ou  de  son  page,  qui  a  de  l'esprit 
pleines  mains;  de  Nathaniel  le  curé,  ou  d'Holc 
fernes  le  maître  d'école,  qui  discutent  après  dîne 
sur  les  cadences  d'or  de  la  poésie;  de  Costar 
le  clown  ou  de  Dull  le  constable.  Biron  est  u 
caractère  trop  accompli  pour  en  priver  ] 
monde;  etc.  »  Une  pièce  où  l'on  aurait  tuntd 
choses  à  regretter  n'est  pas  de  celles  que  l'o 
sacrifie. 

Tout  est  bien  qui  finit  bien  est  comm 
la  contre-partie  de  la  pièce  précédente ,  et  c'es 
avec  beaucoup  de  raison  qu'on  l'identifie  ave 
les  Peines  d'amour  gagnées,  dont  parle  Merei  [ei 
C'est  une  histoire ,  romanesque  empruntée  so 
au  Palais  de  plaisir  de  Painter,  soit  directe 
ment  au  Décameron  de  Boccace.  Une  jeune  fill 
est  amoureuse  d'un  jeune  homme  de  conditio 
très -supérieure  ;  elle  le  suit  à  la  cour  de  la  France 
là,  grâce  à  un  secret  qu'elle  tient  de  son  père,  sa 
vant  médecin,  elle  guérit  le  roi  d'une  maladi 
mortelle;  comme  récompense  de  cette  cure,  ell 
demande  et  obtient  la  main  du  jeune  homme 
celui-ci,indigné  d'une  mésalliance  forcée,  s'éloign 
de  sa  femme,  qui  parvient  à  le  reconquérir  pE 
des  marques  redoublées  d'amour  et  de  dévoue 
ment.  Le  caractère  d'Hélène,  l'héroïne,  est  trac 
avec  beaucoup  de  délicatesse;  c'est  un  charmai 
mélange  d'innocence,  de  tendresse  et  de  résoh 
tion.  Bertram,  le  mari  malgré  lui,  est  froid,  va 
niteux,  libertin,  mais  brave  et  capable  de  gêné 
rosité.  Le  poltron,  menteur  et  vantard  Parolles 
est  une  réjouissante  caricature,qui  annonce  Tin 
comparable  Falstaff. 

L'histoire  tragique  qui  fait  le  sujet  de  Rome 
et  Juliette  remonte  à  un  roman  grec  de  Xé 
nophon  d'Éphèse  et  à  une  nouvelle  de  Massue 
cio  (1470);  elle  a  pris  sa  forme  actuelle  dan 
la  Giulietta  de  Luigi  da  Porto  (1535)  et  dan 
une  nouvelle  de  Bandello.  De  celui-ci  elle  pass 
dans  une  nouvelle  française  de  Pierre  Bois  . 
tuau,  et  le  poète  anglais  Arthur  Brooke  en  î  * 

nvra 


f- 


01 

a  Tragique  histoire  de  Roméo  et  Juliette 
1562).  C'est  à  Brooke,  et  peut-être  à  une  pièce 
nglaise,  que  Shakespeare  a  emprunté  directe- 
ment son  sujet  ;  mais  il  a  éclipsé  tous  ses  pré- 
écesseurs.  Sa  tragédie  est  trop  connue  pour 
voir  besoin  d'être  analysée;  elle  est  composée 
vec  un  art,  un  respect  pour  l'unité  de  temps 
aisonnablement  entendue  et  l'unité  d'action  que 
hakespeare  a  rarement  montré.  La  construc- 
on  en  est  harmonieuse  et  presque  symétrique, 
lais  c'est  ià  son  moindre  mérite.  Sa  principale 
eauté  réside  dans  l'heureuse  variété  des  carac- 
:res  si  finement  étudiés,  même  dans  les  person- 
ages  secondaires,  la  nourrice,  Mercutio,  et 
ar  dessus  tout  dans  le  charme  enivrant  d'une 
assion  amoureuse  qui  ileurit  dans  l'intervalle 
e  sanglantes  querelles.  Les  deux  êtres  aimables 
estinés  à  être  les  victimes  expiatoires  des  haines 
e  leurs  familles  s'aiment  du  premier  moment 
vec  un  dévouement  absolu, auquel  aucune  joie 
iirrestre  ne  suffirait,  et  qui  se  trouve  plus  puis- 
mt  que  les  suprêmes  épreuves  de  la  mort.  Ce 
ue  leur  passion  aurait  de  trop  brûlant  et  de 

op  sensuel  est  admirablement  tempéré  par 
ambre  qu'un  destin  tragique  toujours  présent, 
»ême  lorsqu'il  est  invisible ,  étend  sur  ces  deux 
l»urs  ivres  des  ardeurs  de  la  jeunesse,  mais  si 
lénéreux,  si  vaillants,  si  bien  préparés  aux  plus 

doutables  sacrifices.  C'est  la  plus  belle  histoire 
l'amour  qui  ait  été  écrite  dans  aucune  langue. 
•n  a  dit  qu'on  trouve  dans  ce  poëme  «  ce  qu'il 

a  de  plus  enivrant  dans  un  printemps  du  midi, 
je  plus  ravissant  dans  la  chanson  du  rossignol, 
e  plus  voluptueux  dans  !a  première  éclosion  de 
i  rose.  »  Ces  vives  images  sont  encore  insuffl- 
antes. L'amour  pour  Roméo  et  Juliette  n'est  pas 
eulement  le  parfum  qui  les  enivre,  c'est  un 
jrage  qui  les  foudroie.  Mais  l'orage,  rapide  comme 
m  éclair,  épure  l'atmosphère  chargée  de  haines, 
es  innocentes  victimes  triomphent  de  la  féro- 
ité  des  querelles  civiles  :  le  vieux  Capulet  tend 
i  main  au  vieux  Montague  près  de  la  tombe  où 
;s  deux  amants  revivront  en  statues  d'or.  Cette 
éconcilialion  est  la  dot  et  le  douaire  de  la  vraie 
t  tidèle  Juliette  (  true  and  faith/ul  Juliet  ). 

Le  Songe  d'une  nuit  d'été  n'a  pas  l'intérêt 
je  la  tragédie  de  Roméo  et  Juliette,  mais  il  Fé- 
ale en  beauté  poétique  et  la  surpasse  en  origi- 
alité.  J..à  Shakespeare  ne  doit  rien  qu'à  Iui- 
lême.  C'est  à  peine  si  Chaucer  lui  a  fourni  le 


SHAKESPEARE  902 

et  de  Démétrius  pourHermia,  d'Hermia  pour 
Ly sandre,  d'Héléna  pour  Démétrius;  si  réelles 
sont  les  grotesques  figures  des  artisans  athé- 
niens :  Bollom  le  tisserand,  Quince  le  charpen- 
tier, Snug  le  menuisier,  Flûte  le  raccommodeur 
de  soufflets ,  Snout  le  chaudronnier,  Starveling 
le  tailleur,  qui  viennent  répéter  dans  un  bois 
cette  fameuse  tragédie  de  Pyrame  et  Tàisbé 
qu'ils  doivent  jouer  aux  nocesdu  duc  d'Athènes; 
si  délicatement  et  si  distinctement  sont  repré- 
sentés ces  êtres  aériens  :  Oberon,  ïitania,  Puck, 
que  l'esprit  ne  trouve  nulle  invraisemblance  aux 
folies  de  cette  nuit  enchantée;  et  en  même  temps 
tous  les  éléments  de  la  fable  sont  traités  avec 
tant  de  légèreté,  peints  de  couleurs  si  transpa- 
rentes et  si  fines,  que  lorsque  le  soleil  dissipe 
les  illusions  du  crépuscule  et  que  le  son  du  cor 
mêlé  aux  longs  aboiements  de  la  meute  de  Thé- 
sée réveille  la  forêt,  les  aventures  de  la  nuit, 
les  brouilles  des  amants,  les  malices  de  Puck, 
l'illusion  de  Titania,  la  transformation  de  Bot- 
lom,  ce  type  de  la  sottise  contente  d'elle-même 
qui  s'admire  et  qui  trouve  des  admirateurs,  de 
cet  heureux  Bottom  qui  porte  avec  une  calme 
satisfaction  sa  tête  d'âne  et  reçoit  sans  étonne- 
ment  les  déclarations  amoureuses  de  la  reine  des 
fées,  toutes  ces  merveilles  nous  paraissent  un 
rêve,  le  plus  charmant  et  le  plus  plaisant  qu'ait 
jamais  rêvé  un  grand  poëte. 

Le  Marchand  de  Venise  est  fondé  sur  deux 
récits  des  Gesta  Romanorum  et  doit  quelquas 
détails  au  Pecorone  de  Ser  Giovanni  Fiorentino. 
On  ne  peut  trop  admirer  l'habileté  avec  laquelle 
Shakespeare  a  mêlé  ces  deux  histoires  :  celle 
d'un  débiteur  qui  s'engage  à  donner  à  son  créan- 
cier une  livre  de  sa  chair,  s'il  ne  l'a  pas  payé  au 
jour  convenu,  et  celle  d'une  jeune  fille  dont  le 
mariage  est  subordonné  au  choix  que  chacun  de 
ses  prétendants  fera  d'une  des  trois  cassettes 
léguées  par  son  père;  de  sorte  qu'elles  se  forti- 
fient mutuellement.  La  tragédie  dont  le  sinistre 
contrat  de  Shylock  et  d'Antonio  est  le  centre 
fait  ressortir  la  comédie  romanesque  de  Portia 
et  de  Bassanio ,  les  tendres  folies  de  Jessica  et 
de  Lorenzo;  et  le  cinquième  acte  tout  musical 
et  amoureux  repose  délicieusement  de  l'étrange 
tragédie  du  quatrième.  C'est  une  des  pièces  les 
mieux  conduites  de  Shakespeare.  Les  caractères 
sont  très-vivement  tracés.  On  ne  peut  avoir 
plus  de  grâce  légère,  plus  de  charmante  étour- 


adre  des  noces  de  Thésée  et  d'Hippolyte.  La  I   derie  que  Jessica.  Portia,  si  hardie  et  si  pure. 


jélicieuse  féerie  qui  fait  l'âme  de  la  pièce  est  tout 
ntière  une  conception  du  poëte.  Le  monde  de 
t.  passion  avec  ses  troubles ,  ses  contradictions , 
es  erreurs  ;  le  monde  de  la  réalité  vulgaire  avec 
es  petits  intérêts,  ses  petites  vanités  et  ses  ri- 
ibles  sottises  ;  le  monde  de  la  féerie  avec  ses 
|jgères  querelles,  ses  enchantemenls  aériens, 
es  plaisantes  illusions,  s'entre-croisent  dans  le 
Crépuscule  limpide  d'une  nuit  d'été,  au  sein  d'un 
is  magique,  et  se  mêlent  sans  se  confondre, 
i  vraie  est  la  peinture  des  amours  de  Lysandre 


? 


est  un  des  personnages  les  plus  sympathiques  de 
toute  l'œuvre  du  poëte.  Mais  Shylock  surtout 
est  admirable.  Ce  juif  vindicatif,  cet  atroce  usu- 
rier a  tout  ce  qu'il  faut  pour  être  ridicule  et 
odieux;  il  est  raillé,  insulté,  dupé  par  tous;  sa 
fille  le  vole,  son  débiteur  lui  échappe;  ses  pro- 
jets de  vengeance  tournent  à  sa  ruine;  et  cepen- 
dant il  garde  au  milieu  de  ses  mésaventures  une 
sorte  de  grandeur  sombre,  celle  d'une  haine  im- 
placable, et  non  tout  à  fait  injuste,  qui  nous  em- 
pêche de  le  mépriser. 

29. 


903 


SHAKESPEARE 


904 


Les  pièces  historiques  de  Shakespeare  for- 
ment une  chronique  dramatique  de  l'histoire 
d'Angleterre  depuis  le  douzième  siècle  jusqu'au 
seizième;  elles  sont  toutes  fondées  sur  la  Chro- 
nique d'Holinshed,  que  le  poète  complète  quel- 
quefois d'après  d'autres  sources,  mais  dont  il 
s'écarte  rarement. 

Le  Roi  Jean  est  un  tableau  fidèle  et  par  cela 
même  pénible  d'une  des  plus  tristes  périodes  de 
l'histoire  d'Angleterre.  Jean,  aussi  lâche  que  cruel, 
ne  ressemble  guère  aux  autres  tyrans  de  Shake- 
speare, qui  sont  de  Taillants  scélérats,  et  sa  bas- 
sesse est  rendue  d'autant. plus  manifeste  par  le 
contraste  avec  le  bâtard  Faulconbridge,  soldat 
déterminé  et  sans  scrupules,  plein  d'audace  et 
de  bonne  humeur,  franc  jusqu'au  cynisme  et 
aussi  incapable  d'hypocrisie  que  de  peur.  Ar- 
thur, -victime  innocente  de  la  cruauté  de  son 
oncle ,  est  extrêmement  touchant,  soit  que  dans 
une  scène  admirable  il  obtienne  grâce  pour  ses 
yeux,  qui  devaient  être  crevés,  soit  qu'il  expire 
au  pied  de  ia  prison  d'où  il  essayait  de  s'enfuir. 
Constance,  sa  mère,  dans  l'emportement  de  ses 
lamentations,  est  d'un  pathétique  digne  de  la  tra- 
gédie grecque.  En  général  cette  pièce  a  quelque 
chose  de  sentimental,  une  sorte  d'élégance  litté- 
raire qu'on  ne  trouve  pas  dans  les  autres  pièces 
historiques  d'une  touche  plus  franche  ou  plus 
rude. 

La  déposition  et  la  mort  de  Richard  II,  la 
révolte  et  l'avènement  de  Bolinghroke  (Henri  IV), 
chef  de  la  maison  de  Lancastre,  forment  le  sujet 
de  la  pièce  de  Richard  II,  qui,  pour  les  événe- 
ments et  les  caractères,  est  conforme  à  l'histoire. 
C'est  le  meilleur  modèle  de  l'histoire  dramatisée, 
c'est-à-dire  de  la  chronique  mise  en  scène  sans 
le  secours  d'inventions  poétiques. 

Dans  les  deux  parties  d'Henri  IV,  le  poète 
au  contraire  intervient  pour  une  large  part.  Ii 
ne  dénature  pas  les  éléments  qui  lui  sont  four- 
nis par  les  chroniques,  mais  il  n'en  accepte  que 
ce  qui  convient  à  son  sujet,  et  il  les  groupe  au- 
tour d'une  action  que  l'histoire  lui  suggère  plu- 
tôt qu'elle  ne  la  lui  fournit  expressément.  Les 
luttes  que  Henri  IV  eut  à  soutenir  pour  con- 
server un  trône  acquis  par  une  usurpation 
forment  le  fond  du  tableau;  les  personnages 
placés  au  premier  plan,  ceux  sur  qui  se  concentre 
l'intérêt,  sontleprince  de  Galles  (depuis  Henri  V) 
et  son  joyeux  compagnon ,  sir  John  Falstaff.  Le 
prince  de  Galles,  emprunté  à  une  tradition  pro- 
bablement exagérée,  et  qui  est  consignée  dans  la 
vieille  pièce  des  Famous  Victories  of  Henry  V, 
est  un  jeune  prince  plein  d'intelligence  et  de  cou- 
rage, que  la  fougue  de  l'âge  et  un  violent  besoin 
d'excitation  entraînent  dans  les  excès  les  plus 
incompatibles  avec  son  rang.  Mais  au  milieu  des 
folies  qui  semblent  le  posséder  tout  entier  il 
garde  son  sang-froid,  et  se  promet,  dès  qu'il  sera 
roi,  de  rejeter  loin  de  lui,  comme  un  déguise- 
ment, toute  sa  folle  vie  de  jeunesse.  Falstaff 
au  contraire  se  plonge  sincèrement  dans  cette 


existence  de  débauche,  la  seule  où  il  puisse  vivre 
Lui  aussi  a  un  besoin  d'excitation  qui  lui  renc 
le  repos  insupportable.  Le  fonds  inépuisable  d< 
bonne  humeur  qu'il  porte  en  lui  veut  absolumenl 
s'épancher,  et  le  désordre  est  son  élément  natu 
rel.  Ii  semble  qu'il  aime  moins  les  vices  en  eux- 
mêmes  que  comme  un  exercice  turbulent  indis- 
pensable à  sa  santé.  Il  faut  qu'il  vive  au  cabaret, 
parce  que  là  seulement  il  trouve  des  compa- 
gnons  capables  de  lui  fournir  la  réplique.  Il  s( 
brouille  avec  les  magistrats  pour  se  donner  h 
plaisir  de  les  railler,  et  il  fait  des  dettes  pour  s< 
moquer  de  ses  créanciers.  Rien  ne  saurait  le  gué 
rir  de  ses  habitudes  de  désordre,  parce  qu'elles 
sont  devenues  sa  nature  même.  Le  prince  di 
Galles,  qui  le  sait  à  fois  irrésistible  et  incorri- 
gible, sehâte  dès  son  avénementde  le  faire  mettn 
en  prison,  comme  le  seui  moyen  d'échapper  à  sei 
séductions.  La  pièce,  suivante  nous  raconte  la  fil 
du  joyeux  chevalier  qui  meurt,  comme  il  avai 
vécu,  au  cabaret. 

Henri  V  est  la  suite  des  deux  pièces  précé 
deutes.  Le  jeune  débauché  est  devenu  un  gran( 
roi  qui  n'a  gardé  de  sa  jeunesse  que  le  couragi 
et  la  bonne  humeur  du  soldat.  Son  caractèn 
n'est  pas  exempt  de  la  rudesse  du  temps ,  mail 
il  est  noble  et  loyal.  Du  reste  c'est  moins  un  c» 
ractère  que  le  poète  a  voulu  représenter*  que  li 
triomphe  de  l'Angleterre  sur  la  France,  triomphi 
remporté  à  Azincourt  et  consacré  par  le  traiti 
de  Troyes  ;  de  là  la  manière  épique  dont  il 
traité  son  sujet.  Les  choeurs  qui  servent  d'intro- 
duction  au  dialogue  s'élèvent  souvent  à  la  plu! 
haute  poésie.  Il  résulte  de  ce  ton  plus  élevé  qui 
les  scènes  familières  mêlées  à  cette  légendt 
épique  paraissent  déplacées.  Un  autre  défaut 
c'est  le  mépris  que  le  poète  témoigne  pour  le 
adversaires  des  Anglais.  La  plus  folle  jactance' 
l'incapacité, quelquefois  même  la  lâcheté  caracté: 
risent  les  Français  qu'il  met  en  scène.  Ce  n'es 
pas  ainsi  qu'Homère  traite  les  Troyens  et  qu'Es- 
chyle  parle  des  Perses.  Ce  drame  aurait  gagné i 
être,  plus  dégagé  des  préjugés  nationaux. 

Richard  III  raconte  la  ruine  de  la  maisoi 
d'York,  qui  avait  elle-même  détruit  cette  maisoi 
de  Lancastre  dont  Henri  V  célèbre  la  gloire.  Lei 
perfides  intrigues  de  Richard  contre  son  frèn 
Clarence,  dont  il  cause  la  mort,  son  mariage  avei 
lady  Anne,  dont  il  vient  de  faire  tuer  le  mari, 
le  meurtre  de  ses  deux  neveux,  les  enfants  d'E- 
douard IV,  sa  tyrannie  et  sa  mort  à  Boswortt 
sont  exposées  dans  une  suite  de  scènes  animées, 
mais  qui  pourraient  être  plus  fortement  liée! 
entre  elles.  Le  personnage  de  Richard  se  prêt* 
très-bien  à  la  représentation  théâtrale  ;  c'est  un 
caractère  à  effet.  Rusé  et  cruel ,  furieux  de  si 
difformité  physique,  méprisant  les  hommes,  s( 
faisant  un  jeu  du  crime,  brave  d'ailleurs,! 
trouve  dans  l'excès  même  de  sa  perversité  un( 
certaine  grandeur  diabolique,  qui  fascine.  Ce  n'esl 
pas,  il  s'en  faut,  une  des  meilleures  créations  di 
^Shakespeare,  maisc'est  une  des  plus  saisissantes, 


05 

tichard  III  est  une  des  rares  pièces  où  il  ait 
icrifié  la  vérité  humaine  au  désir  de  produire  de 
effet,  et  où  il  ait  donné  non  un  homme  mais  un 
Me. 

Falstaff  reparaît  dans  la  comédie  des  Joyeuses 
îmmes  de  Windsor  ;mais  ce  n'est  plus  ce  co- 
iissede bonne  humeur,  d'effronterie  et  d'entrain, 
imperturbable  dans  les  accidents,  si  plein  d'à- 
ropos  et  d'expédients,  c'est  un  pauvre  diable 
esoigneux,  plus  impudent  que  spirituel,  cher- 
hant  à  capter  l'argent  de  deux  bourgeoises  qui 
moquent  de  lui  et  le  drapent  de  toutes  les  fa- 
ons. Sans  doute  en  nous  montrant  cette  déca- 
ence  de  Falstaff,  Shakespeare  a  voulu  nous  ap- 
rendre  à  quel  degré  d'humiliation  conduit  le  dé- 
ordre. La  pièce  est  d'ailleurs  amusante.  C'est 
seule  comédie  de  Shakespeare  consacrée  à  la 
einture  de  la  vie  commune;  c'est  aussi  la  seule 
ù  l'intrigue  ait  plus  d'importance  que  les  carac- 
tères; en  ces  deux  points  elle  se  rapproche  du 
enre  de  la  comédie  française. 
Un  duc  détrôné  par  son  frère  se  retire  dans  la 
orêtdes  Ardennes,oùil  vit  doucement  occupé  de 
iravaux   champêtres,  avec  quelques  courtisans 
testés  fidèles  à  sa  fortune.  Son  frère,  jaloux  de 
Ion  bonheur,  veut  le  faire  périr;  mais  au  moment 
ll'accomplir  son  projet,  il  en  est  détourné  par  un 
eligieux.  Touché  de  repentir,  il  rend  le  trône  au 
>rince  légitime,  et  se  consacre  lui-même  à  une 
rie  de  solitude  et  de  dévotion.  Dans  l'intervalle 
les  deux  filles  des  deux  princes  courent  de  com- 
pagnie la  forêt  des  Ardennes  et  y  trouvent  deux 
rères  ennemis  qui  se  réconcilient  et  qui  les 
;pousent.  Ce  double  mariage  termine  la  pièce 
le   Comme  il  vous  plaira.  Telle  est  la  fable 
}ue  Shakespeare  a  empruntée  à  Rosalynd,  ro- 
uan pastoral  de  Lodge,  publié  en  1590.  Rosa- 
inde,  hardie  dans  ses  propos ,  honnête  dans  ses 
ictes,  Celia timide,  mais  rendue  courageuse  par 
'amitié  sont  de  charmants  ca  ractères  dont  l'inven- 
tion appartient  en  partie  à  Lodge  et  à  l'auteur 
l'un  vieux  conte  en  vers  intitulé  Taie  of  Ga- 
melyn.  Ce  qui  n'appartient  qu'à  Shakespeare, 
c'est  Jacques ,  ce  contemplateur  morose,  ce  mi- 
santhrope railleur  qui  aime  mieux  voir  la  folie 
humaine  à  l'œuvre  que  d'y  prendre  part,  qui 
reste  fidèle  au  duc  dans  la  disgrâce  parce  que  le 
jspectacle  d'une  disgrâce  est  intéressant ,  et  qui 
(dès  que  le  duc  est  rétabli  sur  le  trône   le  quitte 
ipour  s'attacher  à  l'usurpateur  pénitent ,  parce 
[qu'il  y  a  beaucoup  à  apprendre  d'un  ambitieux 
idevenu  ermite. 

I  Beaucoup  de  bruit  pour  rien  est  tiré  d'une 
jnouvelle  de  Bandello,  Timbreo  de  Cardona;  la 
jDoême  histoire  forme  l'épisode  à'Ariodante  et 
\Cinevra  dans  le  Ve  chant  de  VOrlando  de  l'A- 
rioste;  on  la  trouve  également  dans  le  IIe  chant 
|de  la  Fairie  Queenne  de  Spenser.  Un  accès  de 
jjalousie  causé  par  un  faux  rapport  brouille  deux 
Ifiancés,  Claudio  et  Héro  ;  mais  la  calomnie  se  dé- 
couvre, et  après  beaucoup  de  bruit  pour  rien, 
le  mariage  s'accomplit  heureusement.  Par  J'inté- 


SHAKESPEARE  90G 

rét  de  l'action,  par  la  variété  des  caractères, 
par  l'habile  mélange  du  sérieux  qui  touche  au 
tragique  et  du  plaisant  qui  touche  au  grotesque, 
c'est  une  des  meilleures  comédies  de  Shake- 
speare; elle  a  quelques  rapports  avec  le  sombre 
drame  d'Olhello.  Héro  innocente  et  calomniée 
fait  penser  à  Dcsdemona ,  et  John  le  bâtard  en- 
vieux et  perfide  nous  prépare  à Iago. 

La  Douzième  nuit  (la  nuit  des  Rois),  ou  Ce 
que  vous  voudrez,  est  une  comédie  romanesque, 
dont  on  peut  chercher  la  source  dans  les  In- 
ganni,  pièce  italienne  jouée  en  1547;  dansZe* 
Jumeaux  de  Bandello,  dans  les  EngaTws  de 
Lope  de  Rueda,  enfin  dans  le  conte  d'Apollonius 
et  Silla  de  Barnaby  Rich.  Les  confusions  qui 
naissent  de  la  ressemblance  de  deux  jumeaux, 
frère  et  sœur,  n'avaient  rien  de  neuf,  et  en  re- 
produisant ce  moyen  Shakespeare  faisait  à  peine 
un  emprunt.  Du  reste,  il  ne  doit  qu'à  lui-même 
la  poésie  délicieuse,  les  sentiments  exquis,  la 
plaisanterie  inépuisable  qu'il  a  répandue  sur  un 
sujet  invraisemblable.  La  partie  comique  abonde 
en  caricatures  amusantes  ;  la  partie  romanesque 
offre  deux  figures  charmantes  et  finement  con- 
trastées :  Olivia,  la  jeune  femme  ennuyée  qui  sou- 
pire après  l'amour,  Viola,  la  jeune  fille  hardie  et 
chaste  qui  joue  avec  l'amour. 

Mesure  pour  mesure  est  un  drame  sévère , 
qui,  quoique  habilement  conduit,  intéresse  peu, 
parce  que  le  sujet  en  est  désagréable  et  que  les 
personnages  ne  sont  pas  sympathiques.  Shake- 
speare en  a  pris  l'idée  et  les  principaux  incidents 
au  Promos  et  Cassandra,  pièce  de  George 
Whetstone,  publiée,  non  jouée,  en  1578.  Whet- 
stone  lui-même  avait  imité  une  nouvelle  de  Gi- 
raldi  Cinthio.  Quoique  Shakespeare  ait  corrigé 
ce  que  l'œuvre  de  ses  devanciers  avait  de  plus 
impur  et  de  plus  odieux,  il  a  dû  conserver  la 
donnée  principale ,  celle  d'une  chaste  jeune 
fille,  Isabelle,  qui  pour  sauver  la  vie  de  son 
frère  Claudio,  est  placée  dans  la  nécessité  de 
consentir  à  un  sacrifice  dégradant;  il  est  vrai 
qu'elle  élude  cette  nécessité,  mais  la  supposi- 
tion seule  en  est  choquante.  Le  juge  Angelo,  qui 
condamne  Claudio  pour  une  faute  qu'il  a  com- 
mise lui-même,  est  un  hypocrite  sensuel,  ca- 
pable d'un  crime  pour  assouvir  sa  luxure,  et  de 
tous  les  crimes  pour  sauvegarder  sa  réputation 
usurpée  de  vertu.  Le  duc  Vincentio  est  un  aus- 
tère et  mélancolique  personnage,  qui  en  gouver- 
nant les  hommes  a  reconnu  qu'ils  valent  peu,  et 
qui  trouve  un  amer  plaisir  à  les  mettre  à  l'é- 
preuve. Le  style  de  cette  pièce,  plein  de  pensées 
philosophiques,  est  souvent  très-obscur. 

Le  sujet  d'Othello  est  emprunté  à  Giraldi 
Cinthio.  C'est  une  des  plus  célèbres  tragédies  de 
Shakespeare.  Rien  n'est  plus  émouvant  que  le 
spectacle  de  cette  jeune  et  innocente  femme, 
tombant  victime  de  la  jalousie  insensée  de 
l'homme  pour  lequel  elle  a  commis  sa  seule 
faute,  celle  de  désobéira  son  père.  Desdemona,  si 
pure  qu'elle  ne  comprend  pas  même  l'idée  du 


907  SHAKESPEARE 

mal,  si  aimante  qu'elle  n'a  que  des  paroles  de  pi- 
tié et  de  pardon  pour  le  fou  furieux,  qui  la  tue; 
Othello,  nature  franche,  ouverte,  droite,  avec 
un  fonds  de  barbarie  native,  capable  de  l'acte  de 
la  plus  féroce  vengeance  quand  il  croit  qu'on  a 
violé  le  droit  à  son  égard,  niais  aussi  sévère  pour 
lui-même  que  pour  les  autres,  et  dès  qu'il  se  re- 
connaît coupable,  se  condamnant  et  se  frappant 
avec  une  calme  et  implacable  rigueur  :  ces  deux 
caractères  sont  si  universellement  admirés  qu'il 
suffit  de  les  rappeler.  Il  n'en  est  pas  de  même  de 
Iago.  On  a  souvent  pensé  que  Shakespeare  en 
avait  voulu  faire  un  profond  scélérat ,  calculant 
froidement  ses  avantages,  et  les  poursuivant 
à  travers  tous  les  crimes,  et  on  a  trouvé  que 
ses  motifs  d'action  n'étaient  pas  suffisants,  et 
que  les  moyens  qu'il  emploieétaient  plus  propres 
à  le  perdre  lui-même  qu'à  le  conduire  à  son  but; 
mais  il  nous  semble  que  Shakespeare  n'a  voulu 
donner  à  Iago  aucune  grandeur,  pas  même  celle 
ducrimeetde  l'habileté  dans  le  crime.  Il  en  a  fait 
le  type  de  l'homme  médiocre,envieux,  exaspéré 
de  se  voir  au-dessous  de  gens  qu'il  méprise. 
L'envie  le  corrompt  et  l'empoisonne  si  profondé- 
ment qu'il  ne  peut  sortir  de  lui  que  le  mal. 
Quand  même  il  verrait  son  intérêt  à  faire  le  bien, 
il  en  serait  incapable,  tant  il  trouve  de  jouissance 
naïve  dans  les  souffrances  des  autres.  Qu'il  le 
veuille  ou  non,  il  empoisonne  tout  ce  qu'il  touche. 
Il  n'est  pas  probable  qu'il  ait  médité  et  prévu  le 
le  meurtre  de  Desdemona;  mais  il  est  lui-même 
enveloppé  dans  le  tourbillon  de  furieuses  pas- 
sions qu'il  s'est  amusé  à  déchaîner;  il  est  pris 
dans  le  filet  où  il  lui  plaisait  de  voir  se  débattre 
ses  victimes  ;  pour  en  sortir  il  commet  crime  sur 
crime,  jusqu'à  ce  que  la  justice  le  saisisse,  morne 
et  farouche  comme  une  bête  féroce  prise 
dans  un  piège,  et  le  jette  aux  tortures  du  sup- 
plice. C'est  un  caractère  d'une  vérité  terrible , 
mais  si  absolument  répulsif  qu'on  a  quelque 
peine  à  rendre  justice  au  poëte  qui  l'a  tracé. 

L'histoire  ft  Hamlet  remonte  à  Saxo  Gram- 
maticus,  chroniqueur  danois  du  commencement 
du  treizième  siècle  ;  de  là  elle  passa  dans  les  nou- 
velles françaises  de  Belleforest.  La  nouvelle  de 
Belleforest  fut  traduite  en  anglais.  Rien  ne 
prouve  mieux  le  génie  de  Shakespeare  que  le 
parti  qu'il  a  su  tirer  de  ce  rude  et  informe  récit. 
On  connaît  deux  versions  de  sa  tragédie,  et  on 
a  tout  lieu  de  croire  qu'il  en  existait  une  plus 
ancienne.  Le  premier  Hamlet,  de  1588  ou  1589, 
était  probablement  conçu  dans  le  genre  de  Mar- 
lowe  et  de  Sénèque;il  était  entièrement  consa- 
cré à  la  vengeance  que  le  jeune  prince  danois  tire 
du  meurtre  de  son  père,  et  à  la  feinte  folie  par 
laquelle  il  prépare  et  dissimule  son  projet.  La 
vengeance  et  la  feinte  folie  tiennent  encore  une 
place  prépondérante  dans  l'édition  de  1603  (re- 
produisant une  pièce  antérieure  de  plusieurs  an- 
nées), quoique  le  caractère  méditatifd'Hamlet  s'y 
dessine  nettement.  Dans  la  pièce  définitive,  ce 
caractère  est  développé    pleinement,  au  delà 


I 


90} 

même  de  ce  qu'exige  l'action  dramatique.  Ui 
jeune  prince  d'une  imagination  vive  et  inquiète 
d'un  esprit  pénétrant  et  rêveur,  d'un  cœur  nobli 
et  sensible,  mais  de  cette  sensibilité  maladiv 
qui  tourne  à  l'irritation  et  au  dédain,  promp 
à  penser,  lent  à  agir,  capable  de  résolution; 
brusques,  mais  retombant  aussitôt  dans  se:<  ?; 
doutes  et  ses  perplexités,  ce  jeune  homme  si  pet 
propre  à  l'action  est  mis  dans  la  nécessité  d'ei 
accomplir  une  qui  exigerait  la  nette  décision  d'ui 
caractère  mâle  et  hardi  ;  il  faut,  pour  venger  soi 
père,  qu'il  frappe  le  roi  de  Danemark,  ce  roi  qu 
est  son  oncle  et  le  second  mari  de  sa  mère.  Soi  g 
père  même  est  sorti  du  tombeau  pour  lui  im-  è 
poser  ce  devoir  accablant.  Hamlet  ne  sait  pa; 
accepter  résolument  la  tâche  terrible,  et  le  senti' 
ment  de  sa  faiblesse  augmente  encore  son  amen 
mélancolie.  Il  répand  partout  autour  de  lui  1< 
trouble  de  son  âme;  il  égare  la  raison  d'Ophelia. 
qu'il  aime  pourtant;  il  tue  Polonius  par  un  ha- 
sard qui  lui  cause  à  peine  un  regret;  enfin,  i, 
succombe  lui-même  dans  la  confusion  d'une  tra- 
gédie fortuite  qui  frappe  à  la  fois  le  roi  coupable, 
la  femme  fragile,  elle  jeune  homme  emporté  qui, 
pour  venger  sa  sœur  et  son  père,  s'était  fait  le 
complice  d'une  trahison.  Cependant,  malgré  ses 
défaillances  et  ses  sarcasmes,  Hamlet  reste  pro- 
fondément sympathique;  on  ne  peut  s'empêcher 
d'aimer  ce  rêveur  altier  que  les  vices  indignent, 
que  la  bassesse  dégoûte,  et  qui  agite  si  doulou- 
reusement en  lui-même  le  problème  des  gran- 
deurs et  des  misères  de  l'humanité. 

Le  Roi  Lear  appartient  aux  chroniques  fabu- 
leuses de  la  Bretagne.  Shakespeare  l'a  pris  dans 
Holinshed ,  et  dans  une  pièce  dont  on  ne  con- 
naît qu'une  édition,  de  1605,  mais  qui  était  d'une 
quinzaine  d'années  plus  ancienne.  Au  début  nous 
voyons  deux  pères  qui  pèchent  gravement.  Le 
premier,  Lear,  emporté;  égoïste,  faible,  partage 
ses  États  entre  deux  filles,  Regana  et  Gonerille, 
qui  le  flattent  par  de  feintes  démonstrations  de 
tendresse,  et  déshérite  sa  troisième  fille,  Cordelia, 
qui,  révoltée  de  cette  hypocrisie,  garde  le  silence; 
le  second,  Gloster,  met  une  affectation  immorale  à 
partager  sa  tendresse  de  père  entre  son  fils  lé- 
gitime, Edgard,  et  sou  fils  bâtard,  Edmond  ;  puis 
crédule  aux  calomnies  d'Edmond,  il  provoque 
contre  Edgard  une  sentence  de  mort.  L'expia- 
tion ne  se  fait  pas  attendre.  Gloster  a  les  yeux 
crevés  par  le  fait  de  son  bâtard ,  et  ne  trouve 
de  soutien  que  dans  le  fils  qu'il  a  proscrit.  Lear, 
chassé  par  ses  filles,  en  proie  à  un  furieux  dé-' 
sespoir  qui  le  conduit  à  la  démence,  est  recueilli 
et  consolé  par  Cordelia.  L'indignation  frénétique 
de  Lear,  sa  sombre  démence  traversée  d'éclairs 
de  raison,  son  désespoir  suprême  après  le 
meurtre  de  Cordelia,  sont  peints  avec  une  élo- 
quence prodigieuse.  Nulle  part,  pas  même  dans 
Hamlet,  Shakespeare  n'a  fouillé  plus  profondé- 
ment l'âme  humaine  pour  en  faire  jaillir  ce 
qu'elle  contient  de  bon  et  de  mauvais. 

Macbeth  est  une  tragédie  terrible,  mais  elle 


)09 


SHAKESPEARE 


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st  moins  navrante  et  moins  déchirante  que  le 
loi  Lear.  Dans  cette  pièce,  empruntée,  par  l'in- 
ermédiaire  d'Holinshed,  aux  chroniques  de  l'É- 
osse,  nous  voyons  à  l'œuvre  la  férocité  simple 
'un  âge  barbare.  La  prédiction  de  quelques 
orcières  a  fait  concevoir  à  Macbeth  l'idée  de  pos- 
éderle  trône  qui  appartient  à  Duncan.  Lady  Mac- 
Iteth,  enivrée  de  cette  espérance,  excite  son  mari 
tuer  Duncan  ;  elle  le  pousse  au  meurtre  avec 
n  emportement  aveugle.  Le  crime  est  accom- 
pli. Macbeth  et  sa  femme  régnent  sur  l'Ecosse, 
liais  le  trône  ne  leur  donne  pas  le  bonheur  es- 
éré.  Lady  Macbeth,  dès  qu'elle  n'est  plus  pos- 
édée  par  l'ivresse  de  l'ambition,  est  saisie  par 
î  remords,  qui  ne  la  quitte  plus  et  qui  la  tue 
Mitement.    Macbeth,  au    contraire,  si   hésitant 
vant  le  crime,  semble  y  puiser  une  énergie  inat- 
andue.  11  n'a  pas  le  temps  de  se  livrer  aux 
emords  ;  il  faut  qu'il  se  défende  contre  ses  en- 
emis  ;  il  faut  qu'il  tue  pour  ne  pas  être  tué. 
I  tue  en  effet,  et  ce  n'est  qu'après  une  longue 
mite  de  meurtres  qu'il  succombe  à  son  tour,  à 
heure  prédite  par  les  sorcières. 
Après  les  sombres    tragédies  d'Othello ,  de 
ïamlet,  de  Lear  et  àzMasbeth,  le  conte  drama- 
ique  de  Cymbeline  a  beaucoup  de  charme.  Un 
oman  champêtre  dont  l'invention  appartient  pro- 
bablement au  poète,  un  roman  d'amour  et  de 
alousie  pris  dans  le  Décameron  de  Boccace,  se 
léroule  sur  un  fond   d'histoire  légendaire  era- 
irunté  aux  chroniques  d'Holinshed.  Là  encore 
,ious  voyons  à  l'œuvre  des  passions  violentes  et 
coupables;  mais  elles  se  produisent  dans  un  mi- 
lieu moins  orageux  et  ne  déterminent  pas  de 
Mortelles  explosions.  Un  dénoûment  heureux 
lious  montre  les  deux  fils  de  Cymbeline,  roi  de 
Bretagne,  Guidevius  et  Arviragus,  rendus  à  leur 
bère  après  avoir  longtemps  vécu  dans  une  soli- 
tude champêtre  comme  des  fils  de  berger.  La 
tendre  et  dévouée  Imogène,  !a  plus  parfaite 
figure  de  femme  qu'ait  tracée  Shakespeare,  re- 
trouve l'affection  de  son  mari,  que  la  calomnie 
lui  avait  ravie. 

Troïlus  et  Cressida  est  une  pièce  du  même 
genre  que  Cymbeline,  mais  elle  est  loin  de  l'é- 
galer. Le  sujet  en  est  pris  dans  Chaucer,  qui 
l'avait  pris  dans  Boccace.  C'est  l'histoire  des 
amours  de  Troïlus,  fils  de  Priam,  avec  Cressida, 
Glle  de  Calchas,  prisonnière  des  Troyens.  Cres- 
sida rendue  aux  Grecs  devient  bien  vite  infidèle 
avec  Diomède.  Shakespeare  ne  s'en  est  pas  tenu 
à  la  seule  source  de  Chaucer.  11  a  demandé 
beaucoup  de  détails ,  d'idées  et  d'images  à  la 
Destruction  de  Troie  de  Caxton,  au  Livre  de 
Troie  de  Lydgate,  et  surtout  à  la  traduction 
d'Homère  de  Chapman.  Mais  quoiqu'il  ait  fait  de 
ces  divers  éléments  un  usage  souvent  heureux, 
il  ne  les  a  pas  maîtrisés  et  transformés  avec  sa 
puissance  ordinaire.  Sa  pièce  a  trop  souvent 
l'air  d'une  parodie  de  l'antiquité  homérique.  Ses 
personnages  ne  sont  guère  qu'ébauchés,  et  les 
«lieux  étudiés,  le  complaisant  Pandarus,  la  fra- 


gile et   sensuelle  Cressida,  sont  antipathiques. 

Timon  est  un  Athénien  généreux,  qui  ne  sait 
rien  refuser  aux  nombreux  amis  de  sa  prospérité, 
ou  plutôt  qui  va  au-devant  de  leurs  demandés. 
11  prodigue  ainsi  sa  fortune,  se  souciant  peu 
qu'elle  s'épuise:  n'a-t-il  pas  ses  nombreux  amis 
comblés  de  ses  dons  ?  Mais  quand  il  veut  faire 
appel  à  leur  bourse,  il  n'éprouve  que  des  refus. 
Cettemarqueinattendued'ingratitude  le  jette  dans 
une  véritable  frénésie  ;  il  se  'prend  d'une  haine 
etfroyable  pour  tous  les  hommes;  il  ne  veut  plus 
avoir  de  commerce  avec  eux,  et  il  va  ensevelir 
dans  une  solitude  sauvage  le  reste  de  sa  vie.  Un 
pareil  personnage,  fou  bienfaisant  au  début,  fou 
furieux  au  dénoûment,  n'était  point  dramatique, 
et  la  pièce  de  Timon  d'Athènes  est  moins  une 
tragédie  qu'une  satire  dialoguée. 

Jules  César  est  la  première  des  trois  pièces 
que  Shakespeare  a  empruntées  à  Plutarque,  qu'il 
lisait  dans  la  traduction  de  North.  Cette  tra- 
gédie s'appellerait  mieux  Brutus;  celui-ci  en  est 
le  véritable  héros,  et  sa  mort  termine  l'œuvre. 
Ce  caractère  est  admirablement  tracé,  conforme 
à  l'histoire  et  idéalisé  suivant  les  conditions  de 
la  poésie;  il  est  plein  de  douceur  dans  la  vie 
privée,  et  d'une  parfaite  intégrité  morale;  le 
motif  qui  le  pousse  au  meurtre  est  noble  et  dé- 
sintéressé; mais  le  meurtre  n'en  est  pas  moins 
un  crime,  et  il  imprime  sur  lame  de  Brutus 
une  tache  ineffaçable.  A  partir  des  ides  de 
mars,  une  sombre  mélancolie  le  possède  et  lui 
fait  chercher  la  mort  comme  un  asile.  Le  ca- 
ractère de  César  est  moins  bien  tracé.  Shake- 
speares'en  esttenuà  Plutarque,  et îi  n'enapas  tiré 
tout  le  parti  possible.  Son  César  est  un  tyran 
hautain  et  capricieux  ;  on  ne  voit  que  trop  son 
orgueil ,  on  n'aperçoit  pas  assez  son  génie. 

Antoine  et  Cléopâtre  est  la  mise  en  scène 
d'une  biographie  de  Plutarque.  Antoine  est  bien 
l'homme  que  nous  représente  l'historien,  vail- 
lant et  violent,  plus  capable  de  générosité  que 
le  froid  Octave.  Cléopâtre  est  bien  aussi  la 
femme  que  peint  Plutarque;  mais  Shakespeare 
a  montré  dans  ce  caractère  une  vivacité,  une 
vérité,  une  richesse  de  couleurs,  qui  en  font 
une  de  ses  plus  merveilleuses  créations.  Il  y  a 
bien  des  fautes  dans  cette  pièce;  les  scènes  ne 
sont  pas  assez  fortement  liées;  mais  le  carac- 
tère de  Cléopâtre  compense  tout,  et  donne  à  la 
pièce  une  sorte  d'unité  et  de  centre  d'intérêt. 

L'unité  d'intérêt  de  la  pièce  de  Coriolan  est 
aussi  tout  entière  dans  le  caractère  du  héros, 
que  le  poète  nous  représente  avec  toute  sa 
grandeur  et  sa  rude  fierté.  Corioiau  domine 
tous  ceux  qui  l'entourent,  à  Rome  et  hors  de 
Rome-,  son  orgueil  est  excessif,  et  pour  le 
rendre  supportable  il  faut  sa  droiture  et  sa  fran- 
chise. On  ne  s'étonne  pas  des  calamités  que  cet 
orgueil  attire  sur  lui,  mais  on  ne  cesse  pas  de 
sympathiser  avec  le  héros,  parce  que  ses  vertus 
rachètent  ses  fautes ,  et  que  ce  même  homme, 
si  terrible  dans  la  mêlée ,  si  dur  à  ses  conci- 


611  SHAKESPEARE 

toyens,est  plein  de  douceur  etd'affection  pour  sa 
mère  et  pour  sa  femme. 

Après  la  sévère  grandeur  de  l'histoire,  Shake- 
speare se  plut  à  revenir  à  la  fantaisie,  qui  lui 
avait  si  bien  réussi  seize  ou  dix-huit  ans  plustôt. 
Il  composa  la  Tempête ,  dont  on  ne  connaît 
pas  la  source,  mais  dont  probablement  l'idée 
première  ne  lui  appartient  pas.  Un  duc  de  Milan, 
Prospero,  trop  adonné  à  l'étude,  a  perdu  son 
trône  qu'a  usurpé  son  frère  Antonio,  assisté  par 
Alonzo .  roi  de  Naples.  Il  vit  dans  une  île  dé- 
serte, seul  avec  sa  fille,  la  charmante  Miranda, 
ayant  pour  serviteur,  soumis  à  son  pouvoir 
magique  (car  le  savant  duc  est  magicien),  Ca- 
liban,  fils  d'une  sorcière  et  du  Diable,  monstre 
de  laideur  et  de  brutalité,  stupide  et  féroce  sau- 
vage, avec  une  étincelle  de  sociabilité  et  de 
poésie.  Des  esprits,  entre  autres  le  bienfaisant 
Ariel,  sont  aussi  au  service  de  Prospero.  Avec 
leur  pouvoir  il  soulève  une  tempête,  qui  jette 
sur  le  rivage  de  l'île  un  vaisseau  portant 
Alonzo,  Ferdinand,  son  fils,  Antonio,  et  divers 
courtisans.  le  but  de  Prospero  est  d'amener  un 
mariage  entre  sa  fille  et  le  fils  du  roi  de  Naples. 
Ce  dénouement  prévu  est  habilement  retardé 
par  les  intrigues  d'Antonio  et  de  Sébastien 
contre  Alonzo,  et  délicieusement  préparé  par  les 
naïves  amours  de  Ferdinand  et  de  Miranda. 

Le  Conte  d'hiver  est,  comme  la  Tempête,  un 
drame  de  ce  genre  que  l'on  peut  appeler  des 
opéras  sans  musique,  où  l'éclat  et  l'étrangeté  du 
spectacle,  la  variété  des  incidents  et  des  carac- 
tères tiennent  lieu  du  développement  naturel 
de  l'action  et  de  la  peinture  de  caractères  réels. 
Shakespeare  en  a  pris  le  sujet  dans  une  nou- 
velle de  Robert  Greene,  Pandosio,  ou  l'histoire 
de  Dorastus  et  Faivnia,  qu'il  a  fort  embellie, 
sans  en  atténuer  beaucoup  les  invraisemblances. 
Un  roi  de  Sicile,  Léontès,  qui,  dans  un  accès  de 
jalousie  mal  fondée,  ordonne  de  mettre  à  mort 
sa  femme,  Hermione,  et  la  fille  qui  vient  de  naître 
d'Hermione  ;  une  femme  dévouée,  Pauline,  sau- 
vant Hermione,  qui  passe  pour  morle;  le  mari 
de  Pauline  sauvant  l'enfant  royale,  qui  est  élevée 
par  un  berger;  puis,  au  bout  de  seize  ans,  un 
prince  de  Bohême  devenant  amoureux  delà  jeune 
bergère  et  l'épousant;  Hermione  rendue  à  son 
mari  repentant  :  ce  sont  là  des  événements  pu- 
rement romanesques;  mais  Shakespeare  lésa 
parés  de  tant  de  poésie,  la  peinture  de  la  ja- 
lousie de  Léontès  est  si  vive,  Perdita  a  tant  de 
pureté  et  de  charme,  Florizel  tant  de  fraîche  pas- 
sion, Hermione  est  si  vertueuse  et  si  résigDée,  le 
quatrième  acte  est  si  délicieux,  le  cinquième  est 
si  pathétique,  qu'il  est  impossible  de  condamner 
un  ouvrage  où  brillent  de  pareilles  beautés, 
bien  qu'on  ne  puisse  pas  le  mettre  au  nombre 
des  chefs-d'œuvre  de  l'auteur. 

Henri  VI H  est  une  pièce  de  circonstance,  qui 
doit  une  partie  de  son  intérêt  à  la  pompe  du 
spectacle.  Le  véritable  sujet  en  est  la  naissance 
d'Elisabeth  et  la  prédiction  faite  sur  son  faer- 


912 

ceau.  On  pense  que  Shakespeare  se  contenta 
d'ébaucher  cette  pièce  et  qu'il  laissa  à  quel- 
qu'un de  ses  confrères,  probablement  à  Flet- 
cher,  le  soin  d'y  mettre  la  dernière  main.  Beau- 
coup de  passages  en  effet  sont  dans  la  manière 
de  Fletcher.  Les  caractères  de  Buckingham,  ce 
grand  seigneur  altier,  imprudent  à  la  cour,  fier 
et  calme  devant  la  mort  ;  de  Wolsey,  politique 
rusé,  ministre  hautain,  gardant  sous  la  pourpre 
romaine  l'insolence  d'un  parvenu;  de  Henri  VIII, 
monstre  d'égoïsme  et  de  sensualité,  populaire 
pourtant;  de  la  reine  Catherine  d'Aragon,  si 
grande  dans  sa  vertueuse  résignation;  d'Anne  de 
Boulen,  gracieuse  et  chaste,  mais  laissant  entre- 
voirune  légèreté  qui  fait  pressentir  ses  malheurs: 
tous  ces  caractères  attestent  la  main  du  maître, 
mais  le  fond  sur  lequel  ils  se  meuvent  est  peint 
avec  négligence. 

Cette  analyse   des   œuvres  dramatiques  de 
Shakespeare  nous  dispense  de  donner  une  ap- 
préciation détaillée  de  son  génie.  On  a  vu  par  ce 
qui  précède  quel  grand  nombre  d'êtres  vivants, 
non  des  types  abstraits,  il  a  tirés  de  son  cer- 
veau; avec  quelle  puissance  il  fait  concourir  les 
personnages  les  plus  divers  à  une  vaste  repré- 
sentation de  la  vie  humaine  ;  quelle  richesse  de 
combinaisons  il  déploie  pour  mettre  en  jeu  les 
passions  tragiques  ou  comiques,  tendres  ou  vio- 
lentes, bienfaisantes  ou  mauvaises  de  l'humanité; 
quelle  vérité  profonde,  quelle  réalité  saisissante  et 
en  même  temps  quelle  poésie  colorée  il  apporte 
dans  la  peinture  de  ces  passions  ;  et  par  là  on  a  pu 
juger  qu'il  possède  au  plus  haut  degré  le  don 
suprême  du  poëte,  la  puissance  créatrice.  Après 
avoir  ainsi  montré  son  génie,  il  est  juste  de 
parler  de  ses  défauts.  Tandis  que  les  poètes  dra- 
matiques français  se  préoccupent  presque  uni- 
quement de  l'action ,  Shakespeare  attache  sur- 
tout de  l'importance  aux  caractères,  mais  il  porte 
cette  préférence  si   loin  que  l'action  dans  ses 
pièces  est  parfois  décousue  et  confuse.  11  a  aussi 
trop  peu  de  souci  de  ia  vraisemblance.  Dès 
qu'il  a  besoin  qu'un  de  ses  personnages  soit 
méconnu,  même  de  ceux  avec  qui  il  a  passé  sa 
vie,  un  simple  déguisement  lui  suffit;  ce  com- 
mode artifice  revient  plus  d'une  fois,  et  n'est  pas! 
justifiable,  quoique  le  poëte  en  ait  tiré  de  grands 
effets  dramatiques.  A  ces  deux  défauts,  la  confu- 
sion et  l'invraisemblance,   qui   intéressent   la 
contexture  même  du  drame,  il  faut  ajouter  de 
gravis  défauts  de  style.  Shakespeare,  admirable 
dans  ses  conceptions,  n'est  pas  toujours  heureux 
dans  sa  manière  de  les  exprimer,  et  il  ne  l'est 
jamais  moins  que  lorsqu'il  s'efforce  d'être  beau, 
brillant,  sublime.  Il  manque   souvent  ce  qu'il 
eût  obtenu  sans  peine  s'il  se  fût  contenté  d'être 
simple.  Dans  sa  jeunesse  il  trouva  à  la  mode  un 
détestable  genre  d'écrire,  plein  de  jeux  de  pen- 
sées et  de  jeux  de  mots,  de  rapprochements  im- 
prévus et  d'images  extraordinaires;  il  se  piqua 
de  faire  aussi  bien  en  ce  genre  que  ses  contem- 
porains, et  il  y  réussit,  c'est-à-dire  qu'il  fit  tout 


913 

aussi  mal  ;  cette  recherche  de  style  se  remarque 
fâcheusement  dans  quelques-unes  de  ses  meil- 
leures pièces,  entieautresdansflo;«eoe^y«/ie^e. 
Plus  tard  il  se  délit  de  cette  effervescence  de  lan- 
gage, mais  ce  fut  pour  tomber  dans  le  raffinement 
de  la  pensée  et  l'obscurité  de  la  diction  ;  son  style 
abonde  en  métaphores  et  en  termes  insolites.  Sha- 
kespeare n'a  pas  seulement  la  recherche  et  la  sub- 
tilité de  son  temps,  il  en  a  aussi  la  licence  ;  il  est 
peu  de  ses  pièces  qui  ne  contiennent  des  expres- 
sions choquantes;  ce  défaut  est  relatif,  car  tel 
mot  qui  nous  choque  aujourd'hui  pouvait  n'avoir 
rien  d'offensant  à  la  fin  du  seizième  siècle;  mais 
la  licence  ne  se  borne  pas  à  quelques  mots ,  elle 
s'étend  aux  caractères  mêmes.  Les  jeunes  filles 
que  Shakespeare  met  en  scène  sont  aussi  libres 
dans  leur  langage  qu'honnêtes  dans  leurs  mœurs. 
Ce  contraste,  quoique  piquant,  enlève  quelque 
chose  au  charme  de  ces  délicates  créations. 

Ce  sont  là  des  défauts  réels,  mais  on  leur  a 
attribué  trop  de  gravité  lorsqu'on  a  dit  que  Sha- 
kespeare manquait  d'art,  qu'il  était  ignorant  et 
barbare.  Comme  l'art  n'est  que  l'ensemble  des 
moyens  employés  pour  arriver  à  un  but,  et  que 
Shakespeare,  mieux  qu'aucun  autre  poète,  a  at- 
teint le  but  de  la  poésie  dramatique  :  donner 
une  représentation  vraie  et.  idéale  de  la  vie  hu- 
maine ,  il  serait  absurde  de  prétendre  qu'il 
manque  d'art.  On  a  voulu  dire  qu'il  manquait 
de  cet  art,  plus  ou  moins  renouvelé  des  Grecs, 
que  Racine  porta  à  la  perfection  ;  il  est  vrai  qu'il 
ne  le  connut  pas  ou  plutôt  qu'il  le  dédaigna.  On 
ne  voit  pas  ce  qu'il  eût  gagné  à  le  pratiquer;  on 
voit  trop  ce  qu'il  y  eût  perdu.  Il  n'est  pas  une 
seule  de  ses  pièces,  si  l'on  excepte  les  Joyeuses 
femmes  de  Windsor  et  peut  être  la  Tem- 
pête,  qui  ne  fût  complètement  dénaturée  si  on  lui 
appliquait  les  unités  prétendues  classiques.  Sha- 
|  kespeare,  en  épurant  et  en  perfectionnant  les 
puissantes  ébauches  dramatiques  des  poètes  ses 
prédécesseurs  immédiats,  se  lit  à  lui-même  un  art, 
dont  il  serait  possible  de  découvrir  et  d'exposer 
les  règles.  De  même  qu'Aristote  fit  une  poé- 
tique d'après  Sophocle,  on  ferait  une  poétique 
d'après  Shakespeare  ;  à  quoi  bon  ?  Il  suffit  de 
constater  que  des  œuvres  comme  le  Marchand 
de  Venise,  Roméo  et  Juliette,  Macbeth,  Othello, 
ne  sont  pas  le  produit  d'un  génie  sans  art. 

Le  reproche  d'ignorance  n'est  pas  fondé.  Les 
anachronismes  qu'on  relève  dans  les  œuvres  de 
Shakespeare  né  prouvent  rien  ;  les  uns  sont  des 
inadvertances ,  les  autres  sont  volontaires  et 
tiennent  à  une  idée  très-juste  des  conditions  de 
la  poésie  dramatique.  La  représentation  d'un 
événement  passé,  si  elle  se  faisait  avec  la  minu- 
tieuse exactitude  d'une  restitution  archéologique, 
serait  inintelligible  pour  le  plus  grand  nombre 
des  spectateurs  ;  précisément  pour  conserver  la 
vérité  du  fond,  il  est  indispensable  de  sacrifier 
l'exactitude  des  détails.  Mais  dans  ce  qui  est  es- 
sentiel au  drame,  c'est-à-dire  dans  la  repré- 
sentation des  divers  caractères  et  états  mis  en 


SHAKESPEARE  914 

scène,  Shakespeare  ne  se  trompe  jamais  ;  le  juge 
parle  la  langue  exacte  d'un  juge,  le  marin 
celle  du  marin.  Cette  exactitude  a  été  remar- 
quée avec  raison,  et  témoigne  chez  le  poète  d'un 
savoir  varié.  Bien  d'autres  indices  prouvent 
qu'il  lisait  beaucoup.  Il  possédait  le  latin  et  un 
peu  de  grec,  à  peu  près  ce  qu'en  savaient  Cor- 
neille et  Molière;  comme  eux,  il  connaissait  l'ita- 
lien et  peut-être  l'espagnol,  et  il  avait  sur  eux  l'a- 
vantage de  lire  les  auteurs  français  et  de  pouvoir 
écrire  dans  leur  langue,  tandis  que  Corneille, 
Molière,  P.acine  ne  savaient  pas  un  mot  d'anglais. 
Le  reproche  de  barbarie  n'est  guère  plus 
juste.  Sans  doute  Shakespeare  a  souvent  mis  en 
scène,  sous  les  yeux  des  spectateurs,  ce  que  les 
poètes  classiques  cachent  derrière  le  rideau; 
c'éfait  l'habitude  parmi  les  dramaturges  du  sei- 
zième siècle,  et  loin  de  les  surpasser  par  l'étalage 
des  crimes,  il  adoucit  la  barbarie  très'réelle  du 
théâtre  de  son  temps.  Il  eut  surtout  grand  soin 
de  ne  jamais  choisir  de  ces  sujets  odieux,  chers 
aux  poètes  classiques,  où  les  sentiments  naturels 
sont  méconnus  ou  violés.  On  ne  voit  point  chez 
lui  une  Médée  qui  tue  ses  enfants;  une  Chimène 
qui  près  du  cadavre  encore  chaud  de  son  père 
cause  d'amour  avec  le  meurtrier,  et  l'invite  à 
sortir  vainqueur  d'un  combat  dont  elle  est  le 
prix  ;  il  n'eût  jamais  imaginé  de  prendre  pour 
sujet  d'un  drame  un  sacrifice  humain,  comme 
l'a  fait  Racine;  encore  moins,  comme  d'autres 
poètes,  eût-il  mis  en  scène  un  fils  tuant  sa  mère  ; 
Hamlet  dans  son  plus  sombre  égarement  eût  re- 
poussé avec  horreur  l'idée  de  cet  acte  abomi- 
nable. En  général  Shakespeare  a  pour  les  senti- 
ments de  la  famille  un  respect  admirable  ;  il  n'y 
a  point  chez  lui  de  femme  adultère;  et  s'il  nous 
montre  des  enfants  dénaturés,  c'est  pour  les 
frapper  aussitôt  d'un  châtiment  exemplaire.  Des 
poêles  fort  civilisés  n'ont  pas  eu  le  même  res- 
pect. Ainsi,  à  propos  de  Jules  César,  nous  avons 
l'histoire  qui  nous  apprend  les  motifs  noble- 
ment spécieux  auxquels  obéit  Brutus  en  concou- 
rant au  meurtre  du  dictateur;  elle  nous  apprend 
aussi  quels  rapports  d'amitié  existaient  entre 
César  et  Brutus,  de  quinze  ou  seize  ans  plus 
jeune  que  lui.  Mais  outre  l'histoire,  il  existe  une 
fiction  inventée  pour  servir  de  thème  à  des  con- 
troverses de  rhétorique  :  on  a  supposé  que 
Brutus  était  le  fils  de  César,  et  qu'il  avait  eu  h 
débattre  cette  intéressante  question  :  s'il  tuerait 
son  père  pour  sauver  sa  patrie,  ou  s'il  perdrait 
sa  patrie  pour  sauver  son  père;  il  y  avait  du 
pour,  il  y  avait  du  contre;  et  les  apprentis  rbé- 
toriciens  y  trouvaient  une  admirable  matière  à 
discours.  Shakespeare  et  Voltaire  ont  traité  le 
sujet  du  meurtre  de  Jules  César;  le  premier  a 
suivi  simplement  la  donnée  historique,  à  la  fois 
vraie  et  non  révoltante;  Voltaire  n'a  pas  manqué 
de  choisir  la  donnée  de  rhétorique,  qui  est  à  la 
fois  fausse  et  atroce,  ce  qui  ne  l'empêchait  pas 
de  dire  et  de  croire  que  Shakespeare  était  un 
ignorant  et  un  barbare. 


9!  5 


SHAKESPEARE 


S!6 


Shakespeare  avait  été  justement  apprécié  par 
ses  contemporains,  qui  le  placèrent  au-dessus  de 
tous- ses  rivaux;  si  dans  la  génération  suivante 
sa  renommée  subit  quelque  éclipse,  c'est  que  la 
guerre  civile  et  le  triomphe  des  puritains  ame- 
nèrent l'interruption  des  représentations  drama- 
tiques. Dès  que  la  restauration  eut  rouvert  les 
théâtres,  les  pièces  du  poêle  de  Stralford,  quel- 
quefois remaniées  pour  les  accommoder  au  goût 
du  jour,  attirèrent  de  nouveau  le  public.  L'in- 
fluence de  la  littérature  française,  alors  générale 
en  Europe,  se  reconnaît  sans  doute  dans  les  ju- 
gements qu'on  porta  en  Angleterre  sur  Shake- 
speare; mais  il  ne  fut  jamais  ni  oublié  ni  même 
méconnu.  Les  critiques  dures  et  inintelligentes 
de  Rymer  trouvèrent  peu  d'approbateurs.  Si  dans 
la  première  moitié  du  dix-huitième  siècle  on  joua 
moins  ses  pièces,  ce  fut  faute  d'acteurs  suffisants; 
mais  les  éditeurs  soigneux  et  les  commentateurs 
illustres  ne  lui  manquèrent  pas.  Pope,  tout  clas- 
sique qu'il  était,  parla  de  Shakespeare  avec  une 
vive  admiration;  en  accusant  nettement  ses  dé- 
fauts, en  le  plaignant  d'avoir  écrit  pour  le  peuple 
et  sans  art,  il  constata  pleinement  son  génie. 
Theobald  et  "Warburton  émirent  à  peu  près  la 
même  opinion.  A  partir  de  1741,  Garrick  ranima 
la  popularité  de  Shakespeare  en  jouant  admira- 
blement ses  pièces,  et  en  1765  Johnson  publia, 
en  tête  de  son  édition ,  cette  célèbre  préface  qui 
est  le  dernier  mot  de  la  critique  classique  sur 
l'auteur  à'Hamlet.  Johnson  est  prosaïque  dans 
ses  jugements ,  il  sent  peu  le  côté  poétique  et  idéal 
de  Shakespeare,  il  ne  rend  pas  pleine  justice  à 
son  génie  créateur;  mais  il  comprend  si  bien  son 
génie  d'observation,  le  naturel  de  ses  peintures 
de  moeurs  et  de  ses  caractères,  l'excellence  de  son 
comique,  que  sa  préface  est  une  des  meilleures 
choses  à  lire  sur  Shakespeare.  Si  ce  poëte  avait 
pu  lui-même  lire  lés  jugements  portés  sur  lui,  il 
aurait  certainement  préféré  l'admiration  cordiale, 
le  blâme  honnête  de  Johnson,  aux  brillantes  dé- 
clamations de  Schlegel  et  de  son  école. 

Une  ère  nouvelle  pour  la  critique  de  Shake- 
speare commença  avec  Schlegel  et  Coleridge.  Les 
côtés  que  Johnson  avait  méconnus  furent  pleine- 
ment mis  en  lumière;  mais  à  force  de  vouloir 
pénétrer  dans  les  intentions  du  poète,  on  lui  at- 
tribua assez  souvent  des  idées  qu'il  n'eut  jamais. 
En  somme,  cette  critique  philosophico-poétique 
nous  pareît  souvent  conjecturale  et  artificielle, 
pleine  de  fausses  lueurs  et  d'illusions,  surtout 
chez  Schlegel;  il  faut  en  tenir  compte,  il  ne  faut 
pas  s'y  asservir.  Gervinus  est  le  représentant  le 
plus  judicieux  et  le  plus  éclairé  de  cette  école. 

En  France  la  critique  n'a  rien  produit  de  bien 
neuf  ou  important  sur  Shakespeare.  Voltaire  , 
pendant  son  séjour  en  Angleterre,  avait  eu  occasion 
de  connaître  les  œuvres  de  ce  poëte,  et  il  en  avait 
été  vivement  frappé;  il  le  jugeait  à  peu  près 
comme  Pope,  un  poëte  de  génie  sans  art.  Ce  fut 
ainsi  qu'il  en  parla  à  son  retour,  et  qu'il  con- 
tribua à  le  faire  connaître.  Plus  tard  il  fut  cho- 


qué de  voir  quelques  enlhousiastes  le  placer  au- 
dessus  de  nos  grands  tragiques,  au  nombre  des- 
quels il  se  comptait.  Quand  il  sut  que  ie  traduc- 
teur Le  Tourneur  (1)  l'avait  appelé  «  le  dieu  du 
théâtre  »,  sa  colère  ne  connut  plus  de  bornes,  et 
il  adressa  à  l'Académie  une  lettre  extravagante 
(1776)  où  il  prodigue  les  plus  grotesques  injures 
à  Shakespeare  et  à  son  traducteur.  Ce  fut  peine 
perdue.  «  L'abomination  delà  désolation  était  dans 
le  temple  du  Seigneur.  »  La  traduction  de  ce 
«  misérable,  impudent,  imbécile,  faquin.»  Le 
Tourneur  obtint  un  grand  succès,  et  eut  sur  la  lit- 
térature française  une  influence  telle  qu'aucune 
traduction  n'en  avait  exercé  depuis  la  version  de 
Plutarque  par  Amyot.  Les  prétendues  imitations 
de  Ducis,  qui  n'avaient  de  Shakespeare  que  les 
noms  de  quelques  personnages  et  quelques  si- 
tuations, attestèrent  et  propagèrent  celte  vogue. 
Plus  tard  M.  Guizot, parla  préface  de  sa  révision 
de  Le  Tourneur,  M.  Villemain,  par  un  travail  bio- 
graphique exquis,  M.  Benjamin  Laroche,  par  une 
traduction  plus  fidèle  que  les  précédentes,  et  enfin 
M.  François-Victor  Hugo,  par  une  version  tout  à 
fait  fidèle  et  littérale,  ont  contribué  à  faire  con- 
naître en  France  un  poëte  plus  admiré  que  com- 
pris. L'école  romantique,  en  se  faisant  de  sa 
gloire  une  arme  de  guerre  contre  nos  poètes 
classiques,  avait  compromis  sa  cause  auprès  de 
beaucoup  d'esprits  modérés  ;  mais  cette  manière 
étroite  de  considérer  Shakespeare  n'est  plus  de 
mise  aujourd'hui.  Nous  admirons  Shakespeare  en 

(1)  Trente  années  auparavant,  P.-A.  de  La  Place  avait 
entrepris  de  foire  connaître  Shakespeare  en  France;  il 
lui  avait  consacré  plus  de  la  moitié  de  son  Théâtre 
anglais  (Paris,  1743-1748,  8  vol.  in-12),  el  avait  traduit  ou 
analysé  toutes  ses  pièces.  La  traduction  faite  par  Le 
Tourneur  et  ses  collaborateurs  anonymes  (Paris,  1776-3 
1783,20  vol.  in-8°)  renferme  beaucoup  d'omissions  et 
d'infidélités;  elle  a  été  revue  et  corrigée  par  MM.  Gui- 
zot et  Pichot  (Paris,  1821, 13  vol.  in-8°  ),  ainsi  t|ue  par 
M.  Avenel  (  Paris,  1822,  12  vol.  in-18  [.Citons  encore  les 
traductions  de  Benjamin  Laroche  (  Paris,  1838  et  1339  , 
2  vol.  gr.  în-8°  à  2  col.;  1841-1843,  7  vol.  in-18;  1339, 
6  vol.  iu-18  ),  de  M.  Fr.  Michel  (  Paris,  1839-1840,  3  vol. 
in-8°),  de  M.  Fr.-V.  Hugo  (  Paris,  1859-1862,  12  vol. 
in-8°  ),  et  de  M.  Guizot  (  Paris,  1S60-1862,  8  vol.  in-8°  ). 
Les  Poèmes  et  Sonnets  de  Shakespeare  ont  été  mis  en 
vers  par  Ern.  Lafond  (  Paris,  1836,  in-8"),  et  les  Son- 
nets, en  prose,  pur  F.-V.  Hugo  (  1837,  in-18  ).  —  En  Al- 
Jemagne,  Shakespeare  a  rencontré  autant  d'admirateurs 
que  dans  son  propre  pays.  Ses  œuvres  ont  été  vulgarisées 
par  quinze  ou  vingt  auteurs  différents  :  Wieland  est  le 
premier  en  date  (Zurich,  1762-1766, 8  vol.  in-8°],  puis  vient 
Eschenburg,  quia  corrigé  et  continue  la  version  de  Wic-  ' 
land  (ibid.,  1775-1782,  13  vol.  in-8°).  L'un  et  l'autre  ont 
été  effacés  par  Auguste  de  Schlegel  et  Tieck  (Berlin, 
1797-1811,  11  vol.  pet.  in-3°),dont  la  traduction,  reproduite 
pour  la  septième  fois  en  1856  (  Berlin,  12  vol.  in-8°  ),  s'est 
maintenue  dans  la  faveur  du  public,  malgré  les  traduc- 
tions plus  récentes  des  deux  Voss  (  1818  ),  de  Binda 
(  1825),  de  J.  Meyer  et  Pcering  (1824),  de  Bceiliger  et 
antres  (1836),  d'Oitlepp  (183?),  de  Relier  et  Rapp 
(  1843  ),  etc.  —  En  Italie,  Shakespeare  a  eu  pour  inter-* 
prêtes  un  potîte,  Mich.  Leoni  (Vérone,  1819-1822,  14  vol. 
in-8»),  et  un  prosateur,  Carlo  Rusconi  (  Padoue,  1831, 
2  vol.  in-8°).  —  Il  a  encore  été  traduit  entièrement  en 
hollandais  par  Brunius  et  autres  (  Amsterdam,  1778-1782, 
S  vol.  In-S°  ),  en  danois  (  Copenhague,  1805-1825,  9  vol. 
in-8°),en  hongrois,  en  polonais,  en  russe,  en  suédois;  mais 
une  version  complète  de  Shakespeare  fait  défaut  dans  les 
langues  espagnole  et  portugaise. 


9*17 


SHAKESPEARE  —  SHARP 


918 


lui-même,  et  non  par  opposilion  à  Corneille  et  à 
Racine  ;  nous  trouvons  excellent  le  système  dra- 
matique qui  a  produit  Othello,  Macbeth,  Ham- 
let,  sans  trouver  moins  bon  pour  cela  le  système 
qui  a  produit  Polycucle ,  Athalie,  le  Misan- 
thrope ;  nous  croyons  de  plus  que  ce  système 
appartient  si  bien  au  poêle  qui  l'a  créé  qu'il  est 
impossible  de  le  lui  emprunter.  Shakespeare  est 
un  de  ces  génies  souverains  qu'il  faut  étudier 
comme  on  étudie  la  nature,  dont  il  faut  s'inspirer 
comme  on  s'inspire  de  la  nature,  mais  qu'il  ne 
faut  pas  copier.  Toute  imitation  serait  vaine.  Le 
seul  moyen  par  lequel  on  puisse  approcher  de  lui 
est  aussi  la  seule  chose  qui  ne  s'imite  pas ,  c'est 
l'originalité.  Léo  Jolbert. 

I.a  seule  liste  des  ouvrages  relatifs  à  Shakespeare  rem- 
plit plusieurs  volumes  in-folio  du  catalogue  de  la  biblio- 
thèque du  Brillsh  Muséum  :  c'est  dire  que  le  nombre  en 
est  presque  infini;  nous  ne  citerons  que  ceux  qui  nous 
paraissent  avoir  quelque  importance.  —  Francis  Mères, 
Palladis  Tamia,  or  the  If'its'  commonwealth,  1598.  — 
Fuller,  IVorthies.  —Edward  Philipps,  Theatrum  poeta- 
fum,  1675.  —  Dryden,  The  Ground  of  criticism  in  tra- 
gedy,  1679.  —  Rymer,  A  short  Viewof  Iragedy  ;  ils  ori- 
ginal excellency  and  corruption  ;  with  some  réfections 
on  Shakespeare  and  other  practitioners  for  the  stage, 
1693.  —  Prévost  (abbé),  Le  Pour  et  le  Contre,  1733  1740. 

—  M1"6  Lennox,  Shakespeare  illuslrated ,  or  the  Novets 
and  historiés  on  whicli  the  plays  of  Sh.  are  founded, 
collected  and  translated  from  the  original  authors; 
1753,  3  vol.  in-12.  —  Wai  ton,  History  of  enylish  poetry. 

—  Lessing,  Dramaturgie.  —  Schlegcl,  Cours  de  littéra- 
ture dramatique.  — Stae  1  (  Mn,e  de),  .De  la  Littérature. 

—  Tieck,  Dramaturgisches  Blaetter.  1886.  —  Hallam,  In- 
troduction to  the  Literuture  of  Europe,  t.  11  et  III.  — 
C.  Larob,  Essays.  —  C.  Simrock,  Quellen  des  Sh.  ;  Berlin, 
1831,  3  vol.  in-s°.—  T.  deQuincey,  Biography  of  Sh.,  dans 
VEncyclopsedia  britannica  ,  et  dans  ses  Œuvres,  t.  XV, 

1863.  —  Taine,  Uist.  de  la  Littérature  anglaise  ;  Paris, 

1864,  3  vol.  in-8°.  —  Lowndes,  Bibliographer's  Manual 
(édit.  H.  Buhn),  8*  part.  —  J.  Hennis,  Letters  on  the 
u-ritings  and  genius  of  Shakespeare  ;  Londres,  1712, 
in-8».  —  P.  Whalley,  Enquinj  into  the  learning  of 
Sh.  ;  ibid  ,  1748,  In  -8°.  —  Z.  Grey,  Critical,  historical 
and  explanatory  notes  on  Sh.  ;  ibid.,  1754,  2  vol.  in-8°. 

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Lond.,  1767,  1821,  ln-8*.  —  Elizabcth  Montagu,  Essay  on 
Sh..,  compared  icith  the  greek  and  french  dramatic 
poets;  ibid.,  1769,  18Lo,  in-8°  ;  trad-  en  français  :  Apo- 
logie de  Sakespeart  (sic);  Paris,  1777,  in-8°.  —  Prés- 
ent, Shakspear,  rura  avis  in  terris  ;  s.  1.,    1774,  in-4». 

—  W.  Richardson,  Jnalysis  and  illustration  on  some 
of  Sh.  s  dramatic  characters  ;  Londres,  1774,  1797, 
ln-8".  -  J.  Uhlmann,  Sh.  im  XVl**n  Jahrhundert; 
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Greifswald,  1786,  2  vol.  in-8».  —  J.-J.  Eschenburg,  Vber 
W .  Sh.  ;  Zurich,  17S7,  in-8".  —  Ed.  Seymour,  Remarks 
on  the  plays  of  Sh.;  Londres,  1805,  2  vol  in-8°.  —  R. 
Wheler,  J.ife  of  Sh.  and  copies  of  several  documents 
relative  to  him.  and  his  lamilti  ;  Stratford,  1806,  in-8°. 

—  F.  Douce,  Illustrations  of  Sh.  ;  Londres,  1807,  2  vol. 
in-8».  —  W.  Hazlitt,  Characters  of  Sh.'s  plays  ;  ibid., 
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1817,  2  vol.  in-4»  ;  et  Memorials  of  Sh.  ;  1828,  in-8°.  /— 
J.  Britton,  Remarks  on  the  life  and  writings  of  Sh.  ; 
ibid.,  1818,  in-8°.  —  F.  Horn,  Sh.'s  Schauspieïe  er- 
Ixutert  ;  Leipzig,  1822-1831,  5  vol.  ln-8».  —  Beyle,  Ra- 
cine et  Sh.  ;  Paris,  1823,  in-8».  —  A.  Skottowe,  Life  of 
Sh.  ;  Londres,  1824,  2  vol.  in-8°.  —  J.  Meyer,  Leben 
Sh.'s;  Gotha,  1825,  2  vol.  in-12.  —  Shakespeariana, 
Catalogue  ef  ali  books,  pamphlets,  etc.,  relating  to 
Sh.  ;  Londres,  1827,  in- 18.  —  vuiemain,  Nouveaux  mé- 
langes, 1827.  —  P.  Duport.  Essais  littér.  sur  Sh.,  ou 
Analyse  raisonnèe  de  toutes  les  pièces  de  cet  auteur  ,■ 
Paris,  1828,  2  vol.  ln-8».  —  H.  Dlrici,  Uber  Sh.'s  dra- 
matische  Kunst.;  H3lle,  1839,  in-8°.  —  C. Brown,  Poems 


autobiographical  ;  Londres,  1838,  in-3".  —  Lourtnar, 
('ommentarips  on  histnricul  plays  ;  Ibid.,  1840,  2  vol. 
ln-8».  —  Aysenugli,  Index  to  Sh.  ;  ibid  ,  1842,  in-a".  — 
J.  Colfier,  Sh.'s  library  ;  ibid.,  1843,  1850,  2  vol.  in-3°. 

—  J.  limiter.  Illustrations  of  Sh.  ;  ibid.,  i8'».ï , 
2  vol.  ln-8°.  -  lialllwell,  Life  of  Sh.;  ibid.,  1847,  ln.-P°. 

—  Clarke  (  Mrae  ),  Concordance  to  Sh.';  Ibid.,  1848,  gr. 
in-8°.  —  S.  Coleridgc,  Notes  and  lectures  on  Sh.; 
ibid.,  1840,  2  vol.  in-8».  —  Gervinus,  Shakespeare  ;  Leip- 
zig, 1849-18Ô0,  4  vol.  in-8°  ;  trad.  en  anglais  par  Bun- 
nett  ;  Londres,  1862,  2  vol.  ln-3°.  —  Guizot,  Sh  et  son 
temps;  Paris,  1852,  in-8».  —  Halllwell,  Sh.  retics;  Lon- 
dres, 1852,in-4°.  —  l'h.  (  hasles.  Études  sur  Sh.;  Paris. 
1852,  in-18.  —  J.  Collier,  Notes  and  emendations  to  5A.; 
ibid.,  1853,  in  8".  —  Singer,  ^indication  of  Sh.'s  text 
versus  Collier  ;  ibid.,  1853,  in-8°.  —  A.  Lacroix,  Hist.  de 
l'influence  de  Sh.  sur  le  théâtre  français;  Bruxelles, 
1856,  gr.  in-8°.  —  Ch.  Knight,  Studies  and  illustrations 
of  Sh.;  Londres,  1859,  in-8°.  —  S.  Neil,  Critical  biogra- 
phy of  Sh.  ;  ibid.,  1861,  tn-8».  —  Fullom,  History  of  Sh  ; 
ibid.,  18g2,  2  vol.  in-8°.  —  Notices  et  préfaces  sur  Sh. 
par  les  éditeurs  de  ses  œuvres,  Rowe,  Pope,  Theobald, 
Warburton,  Johnson,  Capell,  Steevens,  Malone.  Singer, 
Knight,  Cowdcn  Clarke,  Collier,  etc.  —  V.  Hugo,  Jfil- 
liam  Shakespeare  ;  Paris,  1864,  in-8». 

Sharp  (John),  prélat  anglais,  né  le  16  février 
1644,  à  Bradford  (Yorkshire),  mort  le  2  février 
1714,  à  Bath.  11  acheva  ses  études  classiques  à 
Cambridge,  et  s'engagea  dans  les  ordres.  A  la  re- 
commandation d'Henry  More,  il  devint  chapelain 
de  sir  Heneage  Finch,  qui  lui  confia  aussi  l'édu- 
cation de  ses  fils;  ce  seigneur  le  prit  en  grande 
amitié,  et  se  chargea  de  sa  fortune  :  ce  fut  grâce 
à  lui  que  Shtrp  s'éleva  jusqu'aux  plus  hautes  di- 
gnités de  l'Église  anglicane.  On  le  vit  successi- 
vement archidiacre  du  Berkshire  (1672),  recteur 
à  Londres  (1677),  doyen  du  chapitre  de  Norwich 
(1681),  aumônier  de  Charles  II  et  de  Jacques  II, 
doyen  de  Canterbury(1689),  et  archevêque  d'York 
(8  mai  1691).  En  1686  il  fut  suspendu  pendant 
quelque  temps  pour  s'être  opposé  dans  un  de  ses 
sermons  aux  envahissements  des  doctrines  ca- 
tholiques. Sous  le  règne  d'Anne,  il  jouit  d'une 
influence,  considérable,  et  empêcha  Swift  d'arri- 
ver à  l'épiscopat;  il  siégea  au  conseil  privé,  et  fut 
depuis  1702  grand  aumônier  de  la  reine.  C'était 
un  prélat  fort  pieux  ;  il  a  laissé  un  bon  recueil 
de  Sermons,  écrits  d'un  style  clair,  aisé,  correct, 
et  publiés  d'abord  en  4  vol.;  l'édit.  de  Londres, 
1740,  a  7  vol.in-80;  on  les  a  réimprimés  en  1840, 
à  Oxford. 

Life  of  archb.  Sharp,  par  Th.  Sharp,  son  fils.  — 
Wood,  Athenœ  Oxon.  —  Burnet,  Own  Urnes. 

shakp  (Thomas),  théologien,  fils  du  précé- 
dent, né  vers  1693,  mort  le  6  mars  1758,  à  Dur- 
ham.  Élève  et  agrégé  de  l'universitéde  Cambridge, 
il  entra  dans  l'Église,  obtint  plusieurs  bénéfices, 
et  devint  archidiacre  (1722),  puis  doyen  du  JNfor- 
thumberland  (1755).  Il  est  auteur  de  différents 
écrits  de  controverse  et  d'archéologie,  qui  ont  été 
réunis  en  1763,  Londres,  6  vol.  in-8°,  et  d'une 
vie  de  son  père,  Life  of  archbishop  Sharp, 
qui  n'a  vu  le  jour  qu'en  1829,  ibid.,  2  vol.  in-8°. 

Il  a  laissé  trois  fils,  John,  archidiacre  du  Nor- 
thumberland,  mort  en  1792;  William,  chirur- 
gien dislingué,  mort  en  1810,  à  Londres;  et 
Granville,  qui  suit. 

Chalmers,  General  biogr.  dict. 


919 


SHARP 


920 


sharp  (Granville),  philanthrope,  fils  du  i 
précédent,  né  en  1734,  à  Bradford  Dale,  mort  le  I 
6  juillet  1813,  à  Londres.  Après  avoir  embrassé  j 
la  carrière  d'avocat,  il  y  renonça  pour  entrer 
dans  les  bureaux  de  la  guerre  '  ordnance  of- 
fice). Lorsque  les  colonies  d'Amérique  reven- 
diquèrent leur  indépendance,  il  donna  sa  dé- 
mission (  1775),  et  refusa  même  des  emplois 
importants,  parce  qu'il  n'approuvait  pas  la  poli- 
tique du  gouvernement.  Grâce  à  sa  position  de 
fortune,  il  put  se  livrera  ses  goûts  et  mener  une 
existence  studieuse  dans  l'Inner  Temple,  une 
de  ces  cités  de  Londres  qui  ne  sont  guère  habi- 
tées que  par  des  avocats  ou  des  lettrés.  Bien 
qu'il  ait  écrit  sur  la  philologie,  le  droit,  la  théo- 
logie et  la  politique,  Sharp  est  surtout  connu 
comme  philanthrope  et  comme  défenseur  de  la 
liberté.  Il  doit  sa  réputation  à  la  hardiesse  et 
au  succès  avec  lesquels  il  attaqua  l'esclavage 
des  nègres.  Après  avoir  lancé  contre  la  traite 
des  noirs  un  livre  qui  produisit  une  certaine 
sensation  (  A  Représentation  of  the  injustice 
of  tolerating  slavery  in  England;  Londres, 
1769,  1772,  in-8°),il  se  signala  par  l'activité 
personnelle  qu'il  déploya  afin  d'empêcher  que 
l'esclavage  fût  reconnu  en  Angleterre.  Un  nègre 
du  nom  de  Somerset  étant  tombé  malade,  son 
maître,  qui  le  croyait  mourant,  le  jeta  à  la 
porte.  Sharp  trouva  ce  malheureux  dans  la  rue, 
le  fit  admettre  dans  un  hospice,  et  lui  procura 
plus  tard  une  place.  Deux  ans  après,  le  maître 
de  Somerset  rencontra  par  hasard  son  esclave, 
et  le  réclama.  L'infortuné  s'adressa  à  son  pro- 
tecteur, qui  se  chargea  de  le  défendre.  La  cause 
fut  plaidée  devant  le  lord  maire,  qui  décida  la 
mise  en  liberté  du  nègre.  Cependant  le  maître 
insista  sur  ses  droits,  et  s'empara  du  nègre  en 
dépit  de  la  sentence  contraire.  Sharp  lui  intenta 
un  procès,  et  la  question,  référée  à  douze  juges, 
occupa  trois  sessions  (  janvier  à  mai  1772  )  et 
eut  un  résultat  mémorable  :  il  fut  déclaré  que 
tout  esclave  devient  libre  dès  qu'il  met  le  pied 
sur  le  sol  anglais.  C'est  à  Sharp  que  revient 
J'honneur  d'avoir  formé  la  Société  pour  l'aboli- 
tion de  la  traite  des  nègres  (1787),  dont  il 
fut  le  premier  président  (1).  Il  fonda  aussi  la 
colonie  de  Sierra  Leone,  où  il  envoyait  à  ses 
frais  les  nègres  abandonnés  dans  les  rues  de  la 
capitale.  Il  ne  se  borna  pas  à  demander  la  li- 
berté pour  ceux  dont  le  seul  crime  était  d'avoir 
une  peau  plus  foncée  que  la  sienne  ;  il  défendit 
également  les  droits  politiques  de  ses  compa- 
triotes. Entre  autres  abus,  il  s'opposa  à  la  presse 
maritime;  un  citoyen  de  Londres  ayant  été 
saisi  et  envoyé  à  bord  d'un  vaisseau  de  guerre, 
Sharp,  invoquant  la  loi  de  Yhabeas  corpus,  fit 
relâcher  la  victime.  Dès  lors  chacun  put  invo- 
quer un  précédent  contre  un  usage  arbitraire, 
qui  menaçait  de  se  perpétuer.  Il  se  posa  aussi 

|1)  Dans  l'origine,  elle  comptait  douze  membres,  tous 
quakers,  à  l'exception  de  Sharp,  zélé  partisan  de  l'Église 
établie,  et  d'un  autre. 


en  avocat  de  la  réforme  parlementaire,  et  publia 
dès  1778  sa  Déclaration  of  the  people's  na- 
tural  rights  to  a  share  in  the  législature 
(Londres,  in-8°).  En  somme,  Sharp  est  un  de 
ces  hommes  qui,  s'ils  ne  jouent  pas  un  rôle 
marqué  dans  l'histoire;  rendent  de  grands  ser- 
vices à  leur  patrie.  Nous  mentionnerons  encore 
parmi  ses  ouvrages  :  Remarks  on  several 
very  important  prophecies ;  Londres,  1768, 
5  part.  in-8°;  —  Remarks  on  the  uses  of  the 
définitive  article  in  the  greek  of  the  New 
Testament;  Durham,  1798,  1804,  in-8°;  — 
Account  of  the  ancient  divisions  of  the  en- 
glish  nation  into  hundreds  and  tithings ; 
Londres,  1784,  in-8°. 

P.  Hoare,  JUemoir  of  Gr.  Sharp  ;  Lond.,  1810,  in-4°,et 
1828,  s  vol.  in-8». 

sharp  (  Abraham),  mathématicien  anglais, 
né  en  1651,  à  Little  Horton,  près  Bradford, 
mort  le  18  juillet  1742,  dans  le  même  lieu.  Sa 
famille  et  celle  de  l'archevêque  d'York  (voy. 
ci-dessus  )  avaient  les  mêmes  origines,  dans  le 
Yorkshire.  Il  céda  à  la  volonté  de  ses  parents 
en  entrant  chez  un  marchand  de  Manchester 
pour  y  apprendre  le  commerce;  mais  il  n'a- 
cheva pas  ses  années  d'apprentissage,  et  alla 
s'établir  à  Liverpool,  où  il  ouvrit  une  école  pour 
les  gens  du  peuple.  Forcé  de  renoncer  à  un  mé- 
tier si  précaire,  il  se  fit  douanier.  Un  petit  hé- 
ritage qui  lui  survint  fort  à  propos  le  mit  à 
même  de  ne  se  livrer  qu'aux  travaux  de  son 
goût.  Aussi  adroit  que  patient,  il  réunissait  en 
lui  les  talents  les  plus  divers;  il  s'était  formé 
lui-même,  et  aucune  des  sciences  mathémati- 
ques ne  lui  était  étrangère.  Lorsqu'il  vint  à  Lon- 
dres, il  avait  dépassé  la  trentaine,  et  tout  en  ne 
cessant  d'ajouter  à  ses  connaissances,  il  jugea 
nécessaire,  afin  d'épargner  son  avoir,  de  tenir 
les  livres  chez  un  négociant.  Ce  fut  dans  cet 
humble  emploi  que  le  connut  un  des  premiers 
savants  de  ce  temps,  Flamsteed,  et  qu'il  le  tira 
de  l'obscurité  pour  l'associer  à  ses  durs  et  nom- 
breux travaux  :  après  l'avoir  placé  dans  l'ar- 
senal de  Chatam,  il  l'appela  auprès  de  lui  à 
Greenwich  (août  1688).  Sharp  était  bien  l'aide 
qu'il  fallait  à  un  pauvre  astronome  qui,  comme 
Flamsteed,  était  réduit  à  faire  lui-même  les  frais 
de  ses  instruments  au  moyen  des  plus  mesquines 
ressources  :  si  le  maître  ne  reculait  devant  au- 
cun sacrifice  pour  l'amour  de  la  science,  l'élève 
montra  un  zèle  infatigable,  une  bonne  volonté 
toujours  prête  et  les  aptitudes  les  plus  variées. 
Non-seulement  il  étudiait  le  ciel,  mais  il  cons- 
truisit et  gradua  pour  l'Observatoire  royal  un 
mural  dont  l'arc  mesurait  140  degrés;  il  observa 
la  longitude  des  étoiles  fixes,  leurs  ascensions 
droites  et  leurs  déclinaisons;  il  eut  une  large  part 
au  fameux  catalogue  d'environ  3,000  étoiles  ;  il 
dressa  la  plupart  des  tables  qui  remplissent  le  t.  H 
de  VHistoria  cœlestis;  enfin  il  dessina  les  belles 
cartes  de  l'atlas  qui  accompagne  la  deuxième 
édition  de  cet  ouvrage.  La  santé  de  Sharp,  déjà 


921 


SHARP  —  SHAW 


922 


délicate,  fut  tellement  ébranlée  par  un  labeur  si 
multiplié,  qu'il  fut,  à  son  vif  regret,  obligé  de  se 
séparer,  au  bout  de  plusieurs  années,  d'un 
maître  qui  demeura  son  meilleur  ami  ;  il  se  re- 
tira dans  son  pays  natal,  et  pour  y  continuer  des 
études  qui  lui  étaient  chères,  il  fit  élever  un  petit 
observatoire,  qu'il  garnit  d'instruments,  tous  exé- 
cutés de  ses  propves  mains.  Jusqu'à  la  fin  de  sa 
vie  (il  mourut  nonagénaire)  cet  ingénieux  sa- 
vant s'adonna  au  travail,  confiné  dans  une  re- 
traite presque  absolue,  n'admettant  auprès  de 
lui  que  deux  voisins,  qui  le  visitaient  de  loin  en 
loin,  n'ayant  pour  compagnie  qu'un  vieux  servi- 
teur; il  entretenait  une  active  correspondance 
'avec  les  principaux  mathématiciens  de  son 
siècle,  qui  avaient  recours  à  son  étonnante  faci- 
lité pour  le  calcul.  Il  mangeait  fort  peu,  et  plus 
d'une  fois  il  oublia,  au  milieu  de  ses  études,  de 
prendre  le  maigre  repas  qui  lui  était  servi  par  un 
guichet  de  son  cabinet.  On  a  de  lui  un  ouvrage  de- 
venu fort  rare,  intitulé  :  Geometry  improved 
(  Londres,  1717,  in-4°  ),  et  signé  de  ses  initiales  ; 
il  contient  une  table  des  segments  du  ceucle,  un 
traité  des  polyèdres,  un  précis  des  meilleures 
méthodes  connues  pour  le  calcul  des  sinus,  des 
sécantes  et  des  tangentes  naturelles,  et  une  table 
de  logarithmes  pour  les  cent  premiers  nombres 
et  des  nombres  premiers  compris  entre  loi  et 
1,100,  tous  calculés  avec  soixante  et  une  figures 
décimales.  P.  L — y. 

Chnlmers,  Général  biograph.  Dict.  —  Hutton,  Die- 
tionary.  —  Gentletnan's  Magazine,  t.  II. 

v sharp  (  William),  graveur  anglais,  né  le 
29  janvier  1749,  à  Londres,  mort  le  25  juillet 
1824,  à  Chiswick.  Il  était  fils  d'un  armurier. 
Après  avoir  appris  chez  un  graveur  du  com- 
merce la  pratique  de  son  art,  il  épousa  une  Fran- 
çaise, et  s'établit  pour  son  propre  compte.  En 
1782,  il  céda  sa  boutique  et  se  mit  à  reproduire 
au  trait  les  tableaux  des  vieux  maîtres.  Bientôt 
après,  il  fut  chargé,  avec  Angus,  Heath  et  Col- 
lyer,  d'illustrer  le  Novelists'  Magazine  d'a- 
près les  dessins  de  Stothard.  Il  termina  vers  la 
même  époque  la  belle  gravure  que  Woolett 
avait  laissée  inachevée  du  Débarquement  de 
Charles  II,  d'après  West.  En  1814,  sa  réputa- 
tion avait  tellement  grandi  qu'il  fut  élu  membre 
des  académies  de  Vienne  et  de  Munich.  Sharp, 
tout  en  faisant  preuve  d'une  grande  originalité, 
s'est  formé  un  genre  qui  réunit  les  mérites  di- 
vers des  plus  habiles  d'entre  ses  prédécesseurs. 
Les  demi-teintes  et  les  ombres  de  ses  composi- 
tions sont  d'un  effet  merveilleux.  Son  dessin  si 
correct  n'a  rien  de  froid.  Parmi  ses  nombreux 
ouvrages,  nous  citerons  :  La  Dispute  des  doc- 
teurs et  VEcce  Homo,  d'après  Guido  Reni- 
Sainte  Cécile,  d'après  leDominiquin;  la  Vierge 
à  V Enfant,  d'après  Carlo  Dolci;  Diogène,  d'a- 
près Salvator  Rosa;  la  Sortie  de  Gibraltar, 
d'après  Trumbull  ;  la  Destruction  delà  batterie 
flottante  devant  Gibraltar,  d'après  Copley, 
et  le  portrait  de  John  Hunter,  d'après  Rey- 


nolds. Cet  artiste  était  d'un  caractère  cré- 
dule et  enclin  au  merveilleux  ;  il  s'enthousiasma 
pour  les  doctrines  de  Mesmer,  de  Jeanne 
Southcott  et  de  Richard  Brothers,  et  se  laissa 
dépouiller  de  la  meilleure  partie  de  ses  écono- 
mies par  ces  deux  derniers  personnages. 

Knight,  EnglishCyclopxdia  (blogr.). 
shaw(  Thomas),  voyageur  anglais,  né  vers 
1692,  à  Kendal  (  Westmoreland  ) ,  mort  le 
15  août  1751,  à  Oxford.  Il  embrassa  l'état  ecclé- 
siastique, et  fut  attaché  comme  chapelain  au 
comptoir  anglais  d'Alger.  11  conserva  ce  poste 
pendant  douze  ans ,  et  ne  revint  en  Angleterre 
qu'en  1734.  Aussitôt  il  fut  admis  dans  la  Société 
royale  de  Londres.  Après  avoir  publié  le  récit  de 
ses  voyages,  il  fit  présent  à  l'université  d'Oxford, 
où  il  avait  pris  ses  degrés,  de  sa  riche  collection 
de  curiosités  naturelles,  de  médailles  et  d'objets 
d'art.  En  1740,  il  remplaça  Felton  dans  le  prin- 
cipal du  collège  de  Saint-Edmund,  et  fut  pourvu 
du  bénéfice  de  Bramley.  Peu  après  il  obtint  la 
chaire  de  gpec.  Shaw  a  visité  toute  l'ancienne 
Numidie,  la  Syrie  et  le  nord  de  l'Egypte,  et  il 
a  laissé,  sur  beaucoup  de  pays  ou  de,  localités 
alors  mal  connus  des  observations  intéressantes 
et  des  renseignements  exacts.  Il  n'a  rien  négligé 
de  ce  qui  pouvait  concourir  à  l'instruction 
comme  à  l'agrément  de  ses  lecteurs;  aussi  a- 
t-il  fait  de  son  ouvrage  un  des  meilleures  que  l'on 
connût  encore  sur  l'Afrique.  Il  a  pour  titre  : 
Travels  or  observations  relatin  gto  several 
parts  of  Barbary  and  the  Levant  ;  Oxford, 
1738,  in-fol.,  fig.  et  cartes  ;  il  a  été  réimpr.  à 
Londres,  1757,  in-4°,  avec  supplément,  et  à 
Edimbourg,  1808,  2  vol.  in-8°,  et  traduit  en 
français  (La  Haye,  1743,  2  vol.  in-4°,  fig.),  en 
allemand  et  en  hollandais.  Les  services  que  ce 
voyageur  a  rendus  à  la  botanique  ont  fait  donner 
le  nom  de  SJiawia  à  une  plante  zélandaise  de  la 
famille  des  corymbifères. 

Notice,  a  la  tête  de  l'cdit.  d'Edimbourg. 
shaw  (  George  ) ,  naturaliste  anglais ,  né  le 
10  décembre  1751,  à  Bierton  (Buckingham- 
shire),  mort  le  22  juillet  1813,  à  Londres.  Fils 
d'un  pasteur  et  destiné  à  l'Église,  il  fit  ses  études 
à  l'université  d'Oxford,  reçut  en  1774  les  or- 
dres mineurs,  et  desservit  deux  chapelles  de  la 
paroisse  de  Bierton.  Il  ne  tarda  pas  cependant  à 
quitter  une  carrière  où  il  n'était  entré  que  par 
obéissance ,  et ,  s'abandonnant  à  son  goût  pour 
l'étude  de  la  nature,  il  se  rendit  à  Edimbourg,  et 
fréquenta  pendant  trois  ans  les  cours  que  pro- 
fessaient Black  et  Cullen  sur  la  chimie  et  la  mé- 
decine. Choisi  en  1784  comme  suppléant  de 
John  Sibthorp,  qui  allait  parcourir  la  Grèce,  il 
enseigna  la  botanique  à  Oxford  pendant  l'ab- 
sence de  ce  savant  ;  mais,  après  avoir  pris  le 
grade  de  docteur,  il  alla  s'établir  à  Londres  (oc- 
tobre 1787), et  y  exerça  la  médecine.  Plus  tard, 
en  1796,  à  la  mort  de  Sibthorp,  il  se  présenta 
pour  lui  succéder  comme  titulaire  ;  les  bons 
souvenirs  qu'il  avait  laissés  dans  l'université, 


923  SHAW  —  SHELBURNE 

son  savoir  étendu,  le  rang  élevé  que  ses  tra- 
vaux lui  avaient  assigné  parmi  les  botanistes 
contemporains,  son  humeur  aimable  et  spiri- 
tuelle, tout  concourait  à  assurer  son  élection  : 
il  fut  en  effet  nommé  professeur  royal  d'une 
voix  unanime,  mais  il  dut  se  retirer  devant  un 
ancien  statut  non  abrogé  et  qui  excluait  du 
professorat  quiconque  s'était  donné  à  l'Église. 
Shaw  n'avait  alors  plus  rien  à  ajouter  à  sa  ré- 
putation ,  comme  praticien  :  il  était  recherché  et 
possédait  une  clientèle  lucrative;  il  dissertait 
avec  beaucoup  d'aisance  et  de  clarté,  et  ses 
cours  (lectures)  attiraient  au  Leverian  mu- 
séum un  auditoire  nombreux  et  éclairé;  il  avait 
concouru  en  1788  à  l'établissement  de  la  So- 
ciété linnéenne,  où  il  figurait  comme  vice- pré- 
sident; il  était  depuis  1789  membre  de  la  So- 
ciété royale;  enfin,  en  1791,  il  avait  renoncé  à 
la  pratique  de  son  art,  qui  assombrissait  son 
humeur,  naturellement  gaie,  pour  entrer  au  Bri- 
tish  muséum  en  qualité  de  conservateur  adjoint. 
Cette  modeste  place,  dont  il  devint  titulaire  eu 
1807,  lui  permit  de  se  livrer  sans  réserve  à  son 
goût  dominant  pour  l'histoire  naturelle.  La 
mort  le  surprit  au  milieu  de  la  publication  de  sa 
Zoologie  générale  ;il  n'avait  pas  soixante-deux 
ans.  «  On  admirait,  dit  Cuvier,  l'étendue  de  ses 
connaissances  et  la  profondeur  de  son  érudi- 
tion. »  Il  écrivait  le  latin  avec  élégance,  et  se 
délassait  de  ses  travaux  sérieux  en  composant 
d'agréables  pièces  de  vers.  Toutefois  il  n'avait 
que  les  talents  d'un  érudit,  et  il  a  contribué  aux 
progrès  de  l'histoire  naturelle  plutôt  en  en  pro- 
pageant le  goût  par  ses  nombreux  écrits  qu'en 
y  introduisant  des  vues  nouvelles.  Nous  citerons 
de  lui  :  The  Naturalises  Miscellany  ;  Lon- 
dres, 1789-1813,  24  vol.  gr.  in-8°,  pi.  col.  :  cette 
revue  mensuelle  se  compose  de  286  numéros  et 
d'un  index  général  ;  —  Musei  Leveriani  expli~ 
catio  anglica  et  latina  ;  Londres,  1792-96, 
2  vol.  in-4°,  fig.  :  description  du  cabinet  de  sir 
A.  Lever;  —  Zoology  of  New  Holland; 
Londres,  1794,  in-4°,  fig.  ;  —  Cimelia  physica; 
figures  of  quadrupeds,  bircls,  etc.,  wlth  inost 
élégant  plants;  Londres,  1796,  in-4°,  fig.  :  ce 
recueil  est,  avec  le  Muséum  Leverianum ,  un 
des  plus  magnifiques  qui  soit  sorti  des  presses 
anglaises; —  General  zoology  ;  Londres,  1800- 
1813,  t.  I  à  VIII,  gr.  in-8°,  fig.  :  ce  n'est,  au  ju- 
gement de  Cuvier,  qu'une  compilation  sans  cri- 
tique; l'ouvrage  a  été  continué  de  1816  à  1819 
par  Stephens,  et  comprend  1 1  vol.  gr.  in-8°;  — 
A  Course  of  zoological  lectures;  Londres, 
1809,  2  vol.  gr.  in-8°,  fig.  Shaw  a  fourni  des 
articles  aux  Mémoires  de  la  Société  linnéenne, 
et  il  a  travaillé, de  concertavec  Hutton  et  Pearson, 
à  la  publication  de  YAbridgement  of  the  Phi- 
losophical  Transactions  (1809,18  vol.  in-4°). 

Centleman's  Magazine,  t.  LXXXIH.  —  Cuvier,  Hist. 
des  sciences  naturelles. 

SHEFF3EILD.    Voy.  BUCKINGHAM. 

sheil  [Richard- Lalor) ,  homme  politique 


924 
anglais,  né  à  Dublin,  en  1793,  mort  à  Florence, 
le  23  mai  1851.  II  était  fils  d'un  négociant  de 
Cadix.  Élevé  dans  la  religion  catholique,  il  acheva 
ses  études  au  collège  de  la  Trinité  à  Dublin;  puis 
il  se  rendit  à  Londres  pour  se  préparer  au  bar- 
reau anglais ,  qui  récemment  avait  été  ouvert  à 
ses  coreligionnaires.  La  ruine  commerciale  de 
son  père  l'obligea  d'aller  faire  son  droit  en  Ir- 
lande, et  il  fut  reçu  avocat  en  1814.  Il  défraya 
ses  frais  d'étude  par  des  travaux  littéraires,  vers 
lesquels  du  reste  l'entraînaient  ses  goûts  et  sa 
vive  imagination,  et  composa  le  drame  d'Adé- 
laïde, qui  eut  du  succès,  et  ceux  de  V Apostat,  de 
Bellamira,  d'Evadné  et  du  Huguenot.  Il 
fournit  aussi  au  New  monthly  magazine  une 
série  d'Esquisses  sur  le  barreau  irlandais. 
Né  orateur  et  écrivain,  il  quitta  la  profession  d'a- 
vocat, qui  lui  inspirait  peu  de  sympathie,  et  parla 
souvent  dans  les  meetings  publics  tenus  en  Ir- 
lande. Membre  actif  de  l'Association  catholique, 
il  fut  choisi  en  1825,  avec  O'Connell,  pour  la 
défendre'devant  la  chambre  des  lords;  mais  le 
hili  présenté  pour  la  dissoudre  fut  adopté,  et 
cet  échec  exalta  à  un  si  haut  degré  le  zèle  reli- 
gieux et  l'éloquence  de  Sheil  que  des  poursuites 
furent  commencées  contre  lui  pour  langage  sédi- 
tieux. Après  avoir  largement  contribué  à  l'élec- 
tion d'O'  Connell  (1828),  il  fut  envoyé  à  son  tour 
au  parlement  pour  le  bourg  de  Milborne  Port 
(1829),  par  suite  de  l'appui  que  lui  donna  le 
marquis  d'Anglesea,  alors  lord-Iteutenant  d'Ir- 
lande, qui  devina  que  l'agitateur  une  fois  élu  se 
calmerait  et  se  rendrait  utile.  Sheil  devint  un 
orateur  des  plus  brillants,  bien  que  les  sujets  ne 
fussent  pas  toujours  au  niveau  de  la  profusion 
orientale  de  ses  images  et  de  son  débit  passionné. 
Lorsque,  en  1832,  O'Connell  recommença  l'agita- 
tion à  l'effet  d'arriver  au  rappel  de  l'acte  d'Union, 
Sheil  ne  consentit  à  le  seconder  qu'avec  une  cer- 
taine répugnance.  Depuis  cette  même  année,  il 
représenta  le  comté  de  Tipperary,  où,  par  son 
mariage  avec  une  riche  veuve,  il  était  devenu 
possesseur  de  biens  considérables.  En  1838,  il 
accepta  du  cabinet  Melbourne  un  des  commissa- 
riats de  l'hôpital  de  Greenwich ,  sinécure  bien 
payée.  En  1839,  il  fut  nommé  vice-president  du 
conseil  de  commerce,  et  membre  du  conseii 
privé.  Il  était  depuis  Jacques  II  le  premier  ca- 
tholique à  qui  eût  été  conféré  cet  honneur.  C'était 
un  témoignage  de  l'esprit  libéral  du  temps  autant 
qu'une  récompense  pour  des  services  rendus  en 
politique.  A  l'avènement  du  ministère  Russell 
(1846),  Sheil  fut  pourvu  de  la  surintendance  de  la 
Monnaie,  place  qu'il  occupa  jusqu'en  novembre 
1850,  où  il  se  rendit  comme  ministre  à  la  cour 
de  Toscane.  Le  suicide  de  son  gendre  lui  porta 
bientôt  un  coup  dont  il  ne  put  se  relever,  et'  il 
succomba  à  une  goutte  remontée.  J.  C. 

M'  Cullagh,  Memoirs  of  B.  Sheil. 

shelbcrne  (William  Petty,  comte  de), 
marquis  de  Lansdowne,  homme  d'État  anglais, 
né  le  2  mai  1737,  mort  le  7  mai  1805.  Son  nom 


I 

|925  SHFXBURNE 

de  famille  (Hait  Fitz-M aurice ,  et  il  descendait 
par  sa  grand'  mère  (1)  de  William  Petty,  l'éco- 
nomiste (votj.  ce  nom).  Il  servit  d'abord  avec 
distinction  dans  la  guerre  de  Sept  ans;  puis 
Georges  III,  qui  l'avait  admis  dans  son  intimité, 
le  prit  pour  aide  de  camp  (1760),  et  le  nomma, 
en  1765,  major  général.  Mais  ses  penchants  et 
ses  relations  de  famille  le  portaient  vers  la  poli- 
Itique.  Il  venait  d'être  élu  député  pour  Wycombe 
lorsqu'il  fut  appelé  dans  la  chambre  haute  par 
suite  de  la  mert  de  son  père  (10  mai  1761).  1! 
soutint  d'abord  avec  zèle  par  ses  votes  et  quel- 
ques discours  remarquables  les  mesures  du  mi- 
nistère et  les  vues  de  la  cour.  Les  dissentiments 
avec  les  colonies  d'Amérique  commençaient. 
Shelburne,  opposé  à  la  politique  impérieuse  que 
les  ministres,  dominés  par  le  souverain,  vou- 
laient suivre  à  l'égard  des  Américains,  combattit 
plusieurs  des  mesures  proposées.  Le  roi  lui  en 
sut  très-mauvais  gré,  et  le  témoigna  par  sa  froi- 
deur. Shelburne  se  rapprocha  alors  de  lord 
Chatam,  dont  il  partageait  les  opinions,  et  ac- 
cepta, dans  son  ministère  (1766),  le  département 
du  sud,  qui  renfermait  les  colonies.  C'était  un 
poste  dont  les  circonstances  relevaient  beaucoup 
l'importance.  Afin  de  prévenir  l'insurrection  ou- 
verte des  colonies,  Shelburne  se  mit  en  rapport 
avec  leurs  agents  en  Angleterre,  et  leur  exposa 
l'intention  du  gouvernement  d'adopter  des  me- 
sures conciliantes.  Mais  la  plupart  de  ses  col- 
lègues ne  partageaient  pas  ses  vues  libérales,  entre 
autres  lord  Grafton  et  le  chancelier  Townshend, 
qui  s'inquiétaient  avant  tout  d'être  agréables  au 
roi.  Chatam ,  dont  la  maladie  nerveuse  se  pro- 
longeait, finit  par  quitter  le  cabinet,  et  Shelburne 
suivit  son  exemple  (1768).  Dès  lors  il  prit  place 
dans  l'opposition,  et  saisit  jusqu'en  1782  toutes 
les  occasions  de  combattre  les  mesures  des  mi- 
nistres concernant  la  guerre  d'Amérique ,  l'abus 
des  prérogatives  de  la  couronne,  l'accroissement 
de  la  dette  publique.  Il  déploya  dans  cette  lutte 
des  talents  supérieurs  d'orateur  et  de  dialecticien. 
Il  succéda  en  1778  à  lord  Chatam  dans  la  con- 
duite du  parti  whig,  redoubla  à  chaque  session 
d'attaques  contre  lord  North  (voy.  ce  nom),  et 
acquit  une  grande  popularité.  Ce  ministère  suc- 
comba enfin  sous  le  poids  de  ses  fautes  (mars 
1782).  Les  partis  dont  Rockingham  et  Shelburne 
étaient  les  chefs  s'entendirent  pour  former  une 
administration  nouvelle  :  Shelburne  y  fut  chargé 
des  affaires  étrangères,  et  Rockingham  choisi 
comme  chef  et  premier  lord  de  la  Trésorerie. 
D'excellentes  réformes,  qui  en  présageaient 
d'autres,  furent  accomplies.  Malheureusement  la 
mort  de  Rockingham  vint,  peu  de  mois  après, 
remettre  en  question  l'existence  du  ministère 
(1er  juillet);  à  la  suite  de  diverses  négociations, 


(î)  Fille  de  W.  Petty,  elle  avait  hérité  des  biens  et 
titres  de  ses  frères,  et  les  avait  portés  dans  la  famille 
de  son  mari  Tuomas  Filz-Maurice,  premier  comte  de 
Kerry.  Leur  fils  John  obtint  en  1753  une  pairie  anglaise, 
■et  mourut  en  17G1.  / 


—  SHELDON 


920 


il  fut  reconstitué,  avec  Shelhurne,  comme  pre- 
mier lord  de  la  Trésorerie.  Sept  mois  plus  tard 
il  était  renversé  par  la  scandaleuse  coalition  de 
Fox  et  de  North,  deux  adversaires  politiques  qui 
avaient  épuisé  l'un  contre  l'autre  l'outrage  des 
invectives  (février  1783).  Shelburne  eut  la  satis- 
faction de  voir  ce  temps  de  son  ministère  illustré 
par  la  fin  du  siège  de  Gibraltar,  par  les  succès 
maritimes  de  Howe  et  de  Rodney,  et  par  la  con- 
clusion des  préliminaires  de  la  paix  avec  l'Amé- 
rique. Le  cabinet  North  et  Fox  succomba  en 
décembre  1783,  sous  les  attaques  des  partis  op- 
posés. On  s'attendait  à  voir  Shelburne  revenir 
aux  affaires;  mais  Georges  111,  qui  ne  l'avait 
accepté  que  sous  le  coup  de  la  nécessité,  préféra 
le  jeune  Pitt.  Shelburne  et  ses  amis  ne  lui  mon- 
trèrent point  d'hostilité.  Le  nouveau  ministre  té- 
moigna autant  d'estime  que  de  déférence  pour 
l'ancien  chef  du  cabinet  dont  il  avait  fait  partie,  et 
il  contribua  à  lui  faire  accorder  le  titre  de  marquis 
de  Lansdowne  (novembre  1784).  Shelburne  dès 
lors  passa  une  grande  partie  de  son  temps  dans 
ses  terres.  Avant  la  révolution,  il  fit  un  voyage 
en  France.  Il  reparut  sur  la  scène  politique  lorsque 
la  révolution  de  1789  eut  éclaté,  et  combattit  avec 
force  les  mesures  qui  devaient  conduire  à  la 
guerre  avec  la  France.  A  l'époque  où  fut  discutée 
l'union  de  l'Irlande  à  l'Angleterre,  il  se  montra 
un  chaud  défenseur  de  cette  mesure,  et  conseilla 
avec  instances  un  esprit  libéral  à  l'égard  des  Ir- 
landais.jMarié  deux  fois,  il  eut  deux  fils  consan- 
guins, qui  portèrent  l'un  après  l'autre  le  titre  de 
marquis  de  Lansdowne  (  voy.  ce  nom). 

Lord  Shelburne  n'est  pas  regardé  en  Angle- 
terre comme  un  grand  homme  d'État,  bien  qu'on 
lui  reconnaisse  une  instruction  fort  étendue,  des 
principes  élevés  et  libéraux,  surtout  une  con- 
naissance des  affaires  étrangères  et  une  intelli- 
gence des  intérêts  du  commerce  supérieures  à 
celles  des  hommes  politiques  de  son  époque.  On 
doit  pourtant  faire  observer  que,  par  suite  des 
circonstances ,  il  n'exerça  pas  longtemps  le  pou- 
voir, dont  la  durée  l'eût  mis  à  même  de  former 
de  grands  plans  et  de  les  exécuter.  On  lui  a  re- 
proché de  manquer  de  sincérité.  Franklin,  qui 
l'avait  beaucoup  vu,  affirme  dans  son  journal 
qu'il  «  ne  lui  a  jamais  donné  de  preuve  de  ce 
défaut  ».  Lord  Rrougham,  qualifiant  cette  accu- 
sation de  mensongère,  en  attribue  la  source  aux 
pamphlets  qui  émanèrent  du  parti  tory.  Lord 
Shelburne  avait  consacré  ses  loisirs  à  former  une 
des  plus  belles  bibliothèques  d'Angleterre  en  po- 
litique et  en  histoire.  A  sa  mort,  les  livres  furent 
vendus  à  l'encan,  et  les  manuscrits  achetés  poul- 
ie British  Muséum,  au  prix  de  4,925  liv.  st., 
somme  qui  fut  votée  par  le  parlement.       J.  C. 

Brougham,  Statesmen  of  the  Unies  of  George  III.  — 
Quarterly  revieti,  janvier  185*.  —  Lodge,  Portraits  of 
illuslrious  personayes,  t.  VIII.  —  Collins,  Peerage. 

sheldon  (  Gilbert),  prélat  anglais,  né  le  19 
juillet  1598,  àStanton  (comté  de  Stafford  ),  mort 
le  9  novembre  1677,  à  Londres.  Il  était  fils  d'un 


927 


SHELDON 


serviteur  de  lord  Gilbert  de  Shrewsbury,  qui  fut 
son  parrain.  Destiné  à  l'Église,  il  prit  ses  degrés 
à  Oxford,  et  fut  agrégé  au  collège  des  Trépassés, 
dont  en  1635  il  fut  élu  principal.  En  même  temps 
qu'il  entrait  dans  les  ordres  (1622),  il  devint 
chapelain  du  garde  des  sceaux  Coventry,  et  non- 
seulement  cet  homme  d'État  le  pourvut  d'une 
prébende  à  Glocester  el  d'autres  bénéfices  ecclé- 
siastiques, mais  encore  il  le  recommanda  à 
Charles  1er  comme  un  homme  habile,  sûr  et 
rompu  aux  affaires.  Lord  Clarendon  portait  de 
lui  un  semblable  jugement.  Aussi  le  roi  l'attacha- 
t-il  à  sa  personne  avec  le  titre  d'aumônier  (1630), 
et  l'admit-il  dans  son  intime  confidence.  Ce  fut 
en  sa  présence  qu'il  fit  à  Oxford  (1646)  un  vœu 
solennel  par  lequel  il  s'obligeait,  si  Dieu  le  res- 
taurait sur  son  trône,  à  rendre  à  l'Église  tous  les 
biens  qui  lui  avaient  été  enlevés  ;  témoin  de  ce 
vœu,  Sheldon  ne  le  rendit  public  qu'au  rétablis- 
sement de  la  monarchie.  Son  dévouement  au  roi 
inspira  des  soupçons  :  pendant  le  procès  on 
l'emprisonna,  puis  on  l'éloigna  de  la  capitale. 
Charles  II  l'accueillit  avec  déférence,  et  lui  donna 
deux  fois  la  succession  ecclésiastique  de  Juxon, 
c'est-à-dire  l'évêché  de  Londres  (9  octobre  1660) 
et  l'archevêché  de  Canterbury  (11  août  1663); 
mais  il  lui  ôta  sa  confiance  quand  le  prélat 
l'exhorta  à  renvoyer  de  la  cour  Barbara  Villiers, 
sa  favorite.  Sheldon  mourut  presque  octogénaire. 
Sa  charité  était  inépuisable,  ainsi  qu'il  en  fit  preuve 
lors  de  la  grande  peste  qui  décima  Londres  en 
1665;  son  extrême  libéralité  se  fit  voir  par  les 
sommes  qu'il  donna  autour  de  lui,  notamment 
pour  l'érection  du  théâtre  d'Oxford.  Mais,  selon 
Burnet,  il  était  plus  honnête  homme  que  bon 
chrétien  et  mettait  la  religion  au  service  de  là 
politique. 

Wood,  Mhenœ  Oxonienses.  —  Parker,  Comm.  de  ré- 
bus sui  temporis.  lib.  I.  -  Burnet,  Oivn  Urnes. 

shelley  (Percy-Bisshe),  poète  anglais,  ne 
le  4  août  1792,  à  Fieldplain  (Sussex),  moit  le 
8  juillet  1822.  Sa  famille  était  riche  et  ancienne. 
Dès  sa  jeunesse,  à  Eton  et  à  Oxford,  il  se  fit  re- 
marquer non-seulement  par  son  penchant  à  la 
mélancolie  et  au  mysticisme,  mais  aussi  par  un 
esprit  de  révolte  qui,  du  régime  universitaire, 
s'étendit  bientôt  à  l'état  social  tout  entier.  Chassé 
de  l'université  pour  un  ouvrage  anonyme  intitulé 
Defence  of  alheism  (Londres,  1811,  in-8°),  il 
apporta  dans  le  monde,  où  le  formalisme  des 
mœurs  anglaises  ne  devait  pas  moins  le  choquer 
que  le  pédantisme  du  collège,  un  cœur  déjà 
froissé  par  la  persécution ,  une  intelligence  bril- 
lante, mais  incomplète,  un  parti  pris  de  déclarer 
la  guerre  à  toutes  les  idées  sociales.  Doué  d'un 
sentiment  religieux  vague  et  profond,  il  transporta 
dans  la  poésie  le  système  de  Spinosa,  el  se  créa 
une  sorte  de  panthéisme  philosophique  et  senti- 
mental, qui  ne  parut  à  la  sévérité  anglicane  que 
de  l'athéisme  et  de  l'immoralité.  La  société  traita 
Shelley  en  ennemi.  Son  père  l'éloigna  de  la 
maison  paternelle,  et,  pour  demeurer  fidèle  à  ses 


SHELLEY  928 

principes,  il  renonça  au  riche  héritage  de  son 
aïeul  (1).  Devenu  père  lui-même  par  suife  d'un 
mariage  irréfléchi  contracté  à  Gretna-Green  en 
août  181 1,  il  devait  se  voir  priver  par  la  loi  des 
droits  et  des  douceurs  de  ia  paternité.  Séparé  de 
sa  première  femme  (2)  par  consentement  mutuel 
dès  1813,  il  visita  le  continent  en  compagnie  de  • 
Marie  Wollstonecraft,  fille  naturelle  de  Godwin, 
qu'il  épousa  plus  tard,  et  dont  le  philosophisme 
hardi,  les  idées  bizarres  s'accordaient  bien  avec 
ses  propres  penchants.  Dès  son  séjour  au  collège, 
où  son  esprit  actif,  bien  qu'ennemi  de  toute 
règle,  s'était  successivement  appliqué  au  grec,  au 
latin,  au  français,  à  l'allemand,  à  la  chimie,  etc., 
Shelley  avait  composé  des  romans,  dont  un  en 
vers,  le  Juif  errant  (3),  en  société  avec  son 
parent,  le  capitaine  Hedwin;  il  avait  même  pu- 
blié en  1810  un  recueil  anonyme,  Posthumous 
poems  of  my  aunt  Margaret  Nickolson,  dont 
l'objet  était  de  ridiculiser  le  sentimentalisme  de 
certains  révolutionnaires  français.  Le  premier  de 
ses  ouvrages,  autour  duquel  il  se  fit  du  bruit  et 
du  scandale,  fut  la  Reine  Mab,  poème  qu'il  ne 
voulait  pas  mettre  au  jour,  et  dont  la  publication 
(Londres,  1813,  in-8°,  avec  des  notes  où  était 
consigné  le  système  politique  et  religieux  de 
Shelley;  réimpr.  en  1821  el  1829,  avec  des  sup- 
pressions), provoqua  des  poursuites  judiciaires. 
Lorsqu'en  1816,  à  la  mort  de  sa  première  femme, 
il  réclama  à  la  famille  de  celle-ci  les  deux  enfants 
nés  de  leur  mariage,  on  les  lui  refusa,  et  la  cour 
de  la  chancellerie  valida  ce  refus  en  se  fondant 
sur  les  opinions  professées  dans  un  ouvrage  paru 
sans  la  participation  de  l'auteur.  11  quitta  alors, 
avec  sa  nouvelle  épouse,  l'Angleterre,  que,  sauf 
un  court  séjour  en  1817,  il  ne  devait  plus  revoir. 
A  Genève,  il  se  lia  intimement  avec  Byron,  qu'il 
retrouva  plus  tard  en  Italie.  Venise,  Rome  et 
Naples  lui  servirent  tour  à  tour  d'asile.  Voué  à 
la  cause  de  toutes  les  insurrections  contre  toutes 
les  tyrannies ,  il  encouragea  de  ses  vers  l'éman- 
cipation de  la  Grèce,  partagea  la  joie  prématurée 
que  la  révolution  napolitaine  avait  inspirée  aux 
amis  de  la  liberté,  et  lui  adressa  une  belle  ode 
qui  offre  de  frappants  rapports  avec  la  Messé- 
nienne  de  C.  Delavignesur  le  même  sujet.  Après 
la  catastrophe,  il  se  retira  en  Toscane,  où  le  reste 
de  sa  courte  carrière  se  passa  au  sein  de  l'étude, 
entre  sa  femme,  un  fils  qu'elle  lui  avait  donné, 
et  un  petit  nombre  d'amis,  parmi  lesquels  il  faut 
compter  Byron,  Keats  et  Leigh  Hunt.  Il  se  noya 
par  accident,  le  8  juillet  1822,  dans  un  trajet  en 
bateau  sur  la  Méditerranée.  L'auteur  de  Childe 
Harold,  d'après  le  vœu  exprimé,  dit-on,  pat 


(1)  En  1813,  Il  entra  en  accommodement  avec  son  père, 
qui  lui  assura  un  revenu  de  800  liv.  par  an  (20,000  fr.). 
Le  vieux  baronet,  sir  Timotbée  Shelley,  mourut  en  184*, 
laissant  pour  héritier  de  son  titre  un  01s  d'un  second  lit, 
né  en  1819. 

(2)  Elle  était  fille  d'un  ancien  maître  d'hôtel  nommé 
Westbrooke. 

(3)  On  en  inséra  quatre  chants  en  1831  dans  le  Frazer't 
Magazine. 


929 


SHELLEY  —  SHERARD 


930 


Shelley,  ou,  suivant  d'autres,  tout  simplement 
pour  se  conformer  aux  lois  de  la  quarantaine, 
léposa  le  corps  sur  un  bûcher  et  le  réduisit  en 
cendres. 

Outre  les  poèmes  d'Alastor  (181c)  et  de  Revolt 
^/s/awi  (181 8),  composésen  Angleterre,  Shelley 
crivit  en  Italie  plusieurs  ouvrages,  parmi  les- 
quels nous  citerons  Prometheus  unbound 
1818)  et  the  Cenci  (1819),  essais  dramatiques 
)ù  l'auteur  a  su  reproduire  tour  à  tour  les  beautés 
évères  de  la  muse  antique  et  les  plus  sombres  ins- 
«rations  de  la  dramaturgie  moderne.  Mme  Shelley 

publié  les  Poésies  posthumes  de  son  mari 
Londres,  1824,  in-8°),  avec  quelques  suppos- 
ions; ses  Œuvres  poétiques  (1839, 4vol.  in-12), 
t  ses  Œuvres  en  prose  et  ses  lettres  (1840, 

vol.  in-8°).  C'est  d'après  ses  papiers  qu'on  a 
ait  paraître  Shelley  Memorials  (1859,  in-12) 
t  Relies  of  Shelley  (1862,  in-12).  Le  nom  de 
helley  a  grandi  depuis  sa  mort;  à  son  ins- 
liration  panthéiste  et  métaphysique  s'est  ratta- 
hée  en  Angleterre  toute  une  école,  qui  l'a  sur- 
lommé  le  poète  des  poètes,  et  son  génie  vigou- 
eux,  quoique  incomplet,  les  persécutions  même 
lont  il  fut  victime  ont  valu  une  célébrité  post- 
îume  à  ce  nom,  très-con  testé  du  vivant  de  l'auteur. 

Shelley  (Mary),  femme  du  précédent,  née 
n  1798,  morte  le  1er  février  1851,  à  Londres. 
£Ile  était  la  fille  naturelle  du  romancier  God- 
vin  et  portait  les  noms  de  sa  mère,  Mary 
jvVollstonecraft,  qui  avait  revendiqué  les  droits 
le  son  sexe.  Elle  avait  seize  ans  lorsqu'elle 
onnut  Shelley,  et  sans  hésiter  elle  le  suivit  en 

llemagne.  Bien  qu'ils  fussent  tous  deux  d'un 
aractère  fantasque  et  bizarre,  ils  vécurent  en 
lonne  intelligence,  et  leur  union  paraît  avoir  été 
leureuse.  A  dix-huit  ans  Mary  Shelley  avait 
onquis  un  renom  littéraire  par  la  publication 
'un  roman  fantastique,  Irankenstein  (Lon- 
Ires,  1816;  traduit  en  français,  1821,  3  vol. 
n-12),  et  pourtant,  malgré  le  prodigieux  succès 
le  ce  début ,  elle  ne  se  pressa  point  de  re- 
prendre la  plume,  et  employa  tous  ses  instants  à 
oigner  son  mari.  Les  romans  qu'elle  écrivit  en- 
uite,  Valperga,  Falkland,  the  Last  man  et 
\he  Fortunes  of  Perkin  Warbeck,  ne  répon- 
lirent  pas  à  l'attente  qu'elle  avait  fait  naître.  On 
ui  doit  aussi  le  récit  des  voyages  qu'elle  a  faits 
;vec  Shelley  (  Rambles  in  Germany  and 
Italy).  E.  Rathery. 

Th.  Mcdwio,  Life  of  Shelley  ;  Londres,  1847,  2  vol. 
[-S».  —  Tb.-J.  Hogg,  Idem  ;  Ibid.,  1858,  2  vol.  in-8°.  — 
:h.   Middleton,    Shelley  and  his   works;    ibid.,   1858, 

vol.  in-S°.  —  Quarterly  revietc,  octobre  1861.  —  Revue 
es  deux  mondes,  5  Janvier  1848. 
shenstone  (  Willïtim),  poète  anglais,  né  en 
lovembre  1714,  aux  Leasowes,  près  Haies  Owen 

Shropshire),  mort  le  11  février  1763,  dans  le 
nême  lieu.  Après  avoir  passé  trois  années  dans 

université  d'Oxford,  où  il  ne  prit  aucun  grade, 
l  débuta  en  1737  par  un  recueil  de  vers  (Poems 
ipon  varions  occasions  ;  Oxford,  pet.  in-8o),dont 
détruisit  plus  tard  un  grand  nombre  d'exem- 

NODV.   BIOGR.   GÉNÉR.   —  T.   XLH1. 


,' 


plaires.  En  1745,  il  renonça  à  la  vie  de  loisir 
élégantequ'il  avait  menée  jusqu'alors,  etretourna 
dans  son  domaine  des  Leasowes,  dont  il  devait 
rendre  le  nom  célèbre.  Il  le  tranforma  avec  tant 
de  goût  que  les  étrangers  accouraient  le  visiter  ; 
le  plaisir  des  yeux  était  tout  pour  lui.  «  En  réa- 
lisant ce  beau  rêve  pastoral  des  Leasowes,  a 
écrit  Disraeli,  il  forma  chez  ses  compatriotes  ce 
goût  pour  les  jardins  pittoresques  qui  ne  tarda 
pas  à  se  répandre  dans  toute  l'Europe.  »  Du 
reste,  ses  plantations,  ses  cascades,  ses  grottes 
et  ses  inscriptions  lui  coûtaient  tant  d'argent 
qu'il  ne  se  trouvait  pas  à  même  de  réparer  le 
toit  de  sa  maison,  où  il  se  voyait  inondé  le» 
jours  de  pluie.  Les  inquiétudes  que  lui  causèrent 
ses  embarras  financiers  abrégèrent  même  sa 
vie.  Dans  ses  poésies  pastorales,  Shenstone  a 
montré,  selon  Johnson ,  de  l'aisance  et  de  la 
simplicité  ;  mais  il  manque  de  variété.  On  relit 
encore  avec  plaisir  sa  Maîtresse  d'École  (1741) 
et  ses  Essais  en  prose,  qui  dénotent  une  grande 
connaissance  du  cœur  humain.  Ses  œuvres,  réu- 
nies par  Dodsley  (1764,  3  vol.  in-8°),  ont  été 
réimprimées  plusieurs  fois  depuis,  et  ses  poésies 
par  le  rév.  Gilfillan  ( Londres,  1854,  in-18),  avec 
une  notice  biographique. 

S.  Johnson,  Fie  de  l'auteur,  à  la  tête  des  Essays  on 
men  and  manners,  —  W.  Seward,  Recollections  ot  the 
life  of  W.  Shenstone  ;  Londres,  1788,  in-8».  -  Dis- 
raeli, Curiosities  of  Literature.  -  Temple  Bar  maga- 
zine, février  1864.     - 

sherard  (  William  ),  botaniste  anglais,  né 
en  1659,  à  Bushby  (  comté  de  Leicester),  mort 
le  12  août  1728,  à  Eltham.  On  ignore  à  quelle 
époque  et  pour  quel  motif  il  changea  son  véri- 
table nom,  qui  était  Sherwood.  Après  avoir 
achevé  ses  études ,  il  devint  agrégé  d'Oxford 
(1683),  et  accompagna  l'un  après  l'autre  deux. 
jeunes  seigneurs  dans  leurs  voyages  sur  le  conti- 
nent. Il  avait  alors  déjà  parcouru  plusieurs  comtés 
anglais,  l'Irlande,  Jersey,  dans  le  but  de  con- 
tribuer aux  progrès  delà  botanique,  dont  l'étude 
était  sa  passion  dominante.  Partout  il  recher- 
chait le  commerce  des  savants,  et  à  l'étranger 
il  se  lia  avec  Boerhaave,  Hermann,  Tournefort, 
Vaillant,  Micheli  ;  en  1694  il  fournissait  au  Syl- 
loge  stirpium  europxarum  de  Ray  un  cata- 
logue des  plantes  jurassiennes;  en  1697  il  pu- 
bliait le  Paradisus  batavus  d'Hermann,  et  eu 
1700  il  communiqua  à  la  Société  royale  un  mé- 
moire sur  les  vernis  du  Japon.  Il  était  commis- 
saire des  marins  malades  à  Portsmouth  lors- 
qu'en  1702  il  fut  nommé  au  consulat  de  Smyrne. 
Sans  négliger  aucune  occasion  d'être  utile  aux 
lettres  ou  à  l'histoire,  il  mit  à  profit  son  séjour 
dans  le  Levant  pour  s'adonner  à  ses  travaux 
favoris  ;  ce  fut  dans  sa  villa  de  Sedekio  qu'il 
I  réunit  ses  richesses  scientifiques  et  qu'il  com- 
j  mença  son  vaste  herbier,  qui  passe  encore  en 
I  Angleterre  pour  un  trésor  national.  A  son  re- 
j  tour  (1718),  Sherard  reçut  d'Oxford  le  diplôme 
de  docteur.  Il  fit  encore  plusieurs  excursions 
1  sur  le  continent;  la  plus  féeonde  assurément  fut 

30 


SIIEP.ARD  —  SHERIDAN 
îl  (lécicia  Vaillant  à  vendre  à 


931 

celle  de  172., 
Boerhaave  la  description  et  les  dessins  des 
plantes  du  jardin  du  roi  (1),  et  où  il  amena  d'Al- 
lemagne Dillenius  (  voij.  ce  nom  ),  pour  le  mettre 
à  la  tête  du  jardin  botanique  de  son  frère.  C'é- 
tait moins  un  savant  de  profession  qu'un  ama- 
teur enthousiaste.  Il  n'avait  aucune  prétention; 
il  aimait  la  science  pour  elle-même.  On  eût  dit 
qu'il  trouvait  à  aider  les  autres  plus  de  plaisir 
qu'à  produire  de  lui-même  :  déjà  collaborateur 
de  Ray  et  de  Boerhaave,  il  travailla  aussi  à  la 
Natural  historij  of  Carolina  de  Catesby  et  à 
YHortus  ÉUhamensis  de  Dillenius.  Pourtant 
ou  a  quelque  raison  de  le  croire  auteur  d'un 
petit  catalogue  du  jardin  du  roi  à  Paris,  et  qui  a 
pour  titre  Schola  botanica  (Amsterdam,  1689, 
1691,  1699,  in-12  )  ;  on  y  voit  les  initiales  S.  W. 
A.,  qui  pourraient,  à  notre  sens,  signifier  She- 
rard  William  Anglus.  En  mourant  il  rendit 
deux  services  signalés  à  la  botanique  :  l'un  de 
léguer  à  l'université  d'Oxford  son  herbier,  riche 
d'environ  12,000  espèces,  et  l'autre  d'y  fonder 
une  chaire  spéciale.  Linné  a  donné  le  nom  de 
Sherardia  à  un  genre  de  plantes  delà  famille  des 
rubiacées. 

Pulteney,  Botany.  —  Rees,  Cyclop.  —  Gentleman's 
Magazine,  t.  LXV1. 

shkrburne  (  Sir  Edward),  poète  anglais, 
né  le  18  septembre  16.18,  à  Londres,  où  il  est 
mort,  le  4  novembre  1702.  Il  était  d'une  bonne 
famille  du  Lancashire.  En  sortant  de  l'école  de 
Thomas  Farnaby,  célèbre  instituteur  du  temps , 
il  voyagea  sur  le  continent,  sous  la  tutelle  d'un 
poète  médiocre,  nommé  Charles  Aleyn.  A  la  fin 
de  1641  il  succéda  à  son  père  dans  la  charge 
d'intendant  de  l'artillerie;  mais  quelques  mois 
plus  tard  il  en  fut  dépouillé  par  ordre  de  la 
chambre  haute,  à  cause  de  son  adhésion  au  parti 
du  roi,  et  subit  un  emprisonnement  rigoureux. 
Aussitôt  qu'il  fut  libre,  il  rejoignit  Charles  Ier, 
et  s'acquitta  de  ses  fonctions  militaires  jusqu'en 
1646,  où  il  vint  se  cacher  à  Londres.  Ayant  vu 
confisquer  ses  biens  et  piller  sa  maison ,  il  se 
consola  de  la  pauvreté  en  cultivant  la  poésie. 
Vers  1651  il  devint  l'intendant  de  sir  George  Sa- 
vile,  et  de  1654  à  1659  il  accompagna  le  jeune 
Jchn  Coventry  dans  ses  longs  voyages.  A  la 
restauration  il  obtint  avec  beaucoup  de  peine 
d'être  rétabli  dans  sa  charge,  parce  qu'en  le 
soupçonnait  d'être  catholique,  et  son  refus  de 
prêter  serment  à  Guillaume  III  la  lui  fit  perdre 
de  nouveau  en  1688.  Il  vécut  depuis  dans  la 
gêne.  On  a  de  lui  :  Medea;  Londres,  1648, 
in-8°  :  tragédie  traduite  en  vers  sur  celle  de  Sé- 
nèque  ;  —  Poems  and  translations  ;  Londres, 
1651 ,  in-8°  ;  —  The  Sphère  of  Manilius,  ruade 
an  english  poem,  ivith  annotations  and  as- 
tronomical  index;  Londres,  1675,  in-fol., 
dédié  à  Charles  II;  le  commentaire  est  estimé  ; 

(1)  Ce  recueil  parut,  en  1727,  sous  le  titre  de  Bota- 
nicon  parisiense;  Sherard  en  soigna  lui-même  la  révi- 
sion. 


932 


Bentley  en  a  parlé  avec  éloge;  —  Troades,  tra- 
gedy ;  Londres,  1679,  in-8°,  trad.  de  Sénèque. 
Chalmers,  General  biogr.  dictionary. 

shersoan  {Thomas),  acteur  et  littérateur 
anglais,  né  en  1721,  à  Quilca,  mort  le  14  août 
1788,  à  Margate.  Il  était  fils  d'un  ecclésiastique 
excentrique  (1),  tombé  en  disgrâce  pour  avoir 
prêché  à  l'occasion  de  l'anniversaire  de  la  nais- 
sance de  Georges  II  un  sermon  sur  ce  texte  : 
A  chaque  jour  suffit  sa  peine.  Après  avoir 
fait  ses  études  à  Dublin,  il  se  trouva  sans  res- 
source à  la  mort  de  sod  père,  et  résolut  de  se 
vouer  à  l'enseignement  de  la  déclamation. 
L'idée  de  régénérer  le  genre  humain  en  général 
et  ses  compatriotes  en  particulier  en  les  ren- 
dant plus  éloquents  le  poursuivit  pendant  le 
reste  de  ses  jours.  Afin  de  se  perfectionner  lui- 
même,  il  débuta,  en  1743,  dans  Richard  III,  et 
fut  engagé  en  1744  à  Covent  Garden,  où  de  ma- 
ladroits amis  le  posèrent  en  rival  de  Garrick.  De 
retour  en  Irlande,  il  dirigea  pendant  huit  ans  le 
théâtre  de  Dublin  ;  mais  à  la  suite  d'une,  émeute 
causée  dans  la  salle  par  son  refus  de  laisser  ré- 
péter certains  vers  du  Mahomet  de  Miller,  où 
l'on  voyait  des  allusions  politiques,  la  salle  fut 
dévastée  parles  spectateurs,  qui  défendirent  au 
directeur  de  reparaître  sur  la  scène  (1754). 
Toujours  poursuivi  de  l'idée  que  l'étude  de  la 
déclamation  suffisait  à  assurer  la  prospérité  du 
pays,  il  prétendit  réformer  le  système  de  l'édu- 
cation (British  éducation,  the  source  of  the 
disorders  in  Great  Britain;  1755,  in-8°),  puis 
il  professa  à  Londres,  en  Ecosse,  à  Oxford  et  à 
Cambridge  des  cours  qui  furent  tres-suiviâ.  A 
l'avènement  de  Georges  III,  on  lui  accorda  une 
pension,  il  cessa  de  jouer  en  1776;  mais  lors- 
que son  fils  devint  propriétaire  de  Drury-Lane, 
Thomas  Sheridan  eut  pendant  trois  ans  la  direc- 
tion de  ce  théâtre,  qu'il  abandonna  de  lui-même, 
mécontent  du  peu  d'autorité  qu'on  lui  laissait. 
Il  publia  alors  :  Dictionary  of  the  english 
language;  Londres,  1780,  2  vol.  in-4°;  4meédit., 
1790,  2  vol.  in-8°  :  ouvrage  estimé;  —  Life  of 
J.  Swift;  ibid.,  1784,  in-8o  :  qui  a  eu  un  succès 
mérité;  —  Course  of  oratorical  lectures. 

Sheridan  (Frances),  femme  du  précédent,  née 
en  Irlande, en  1724,  morteè.Blois,le  17septembre 
1766.  Son  nom  de  fille  était  Chamberlaine.  Des 
troubles  qui  avaient  éclaté  au  théâtre  de  Dublin 
lui  donnèrent  l'occasion  d'écrire  en  faveur  du 
directeur  une  brochure  fort   spirituelle;    cet 

(1)  Thomas  Sheridan,  né  en  1684,  dans  le  comté  de 
Cavan  (Irlande),  fut  un  des  amis  intimes  de  Swift,  qui  lut 
procura  en  1725  un  assez  riche  bénéfice.  L'ayant  perdu 
dans  l'occasion  que  nous  rapportons  plus  haut ,  il  en 
obtint  un  autre  à  Dnnboyne,  et  finit  par  quitter  l'fcglise, 
où  il  n'avait  eu  que  tribulations  et  déboires,  pour  aller 
tenir  école  à  Cavan.  «  Il  ne  se  passait  pas  un  jour,  dit 
lord  Cork,  qu'il  n'enfantât  un  rébus,  une  anagramme  ou 
un  madrigal.  11  était  paresseux,  pauvre  et  gai,  connais- 
sait plus  les  livres  que  les  hommes  et  ignorait  complè- 
tement la  valeur  de  l'argent.  »  11  mourut  le  10  sep- 
tembre 1738,  laissant  une  traduction  de  Perse  (1729  j  et  du 
Pklloctète  de  Sophocle. 


933  SHERIDAN 

acte  de  justice  désintéressée  excita  la  recon- 
i naissance  de  Sheridan,  qui  épousa  celle  qui  l'a- 
vait si  bien  défendu.  On  la  représente  comme  une 
femme  aimable  et  accomplie.  On  admira  beau- 
coup dans  leur  temps  ses  Memoirs  of  Sidney 
Biddulph  (Londres,  1761,  5  vol.  in-8°)  et  son 
History  of  Nourjahad  (  ibid.,  17G7,  in-12), 
romans  traduits  en  français,  le  premier  en  1762 
et  en  1S01,  le  second  en  1769  et  en  1848.  On  lui 
doit  aussi  deux  médiocres  comédies,  the  Dis- 
covery  et  the  Dupe.  W.  H— s. 

Moore,  Memoirs  of  R.-B.  Sheridan.  —  JJiographia 
dramatica.  —  Alicia  Lefanu,  Memoirs  of  the  life  and 
"Writini/s  of  Frances  Sheridan;  Londres,  1824,  in-8°.  — 
Life  of  Th.  Sheridan,  dans  la  4e  edit.  de  son  Dict.,  1790. 

sheridan  (Richard- Brinsley- Butler  (1)), 
auteur  dramatique  et  orateur,  fils  des  précé- 
dents, né  à  Dublin,  le  30  octobre  1751,  mort  à 
Londres,  le  7  juillet  1816.  Il  fit  ses  études  à  Du- 
blin, puis  au  collège  d'Harrow.  Ses  professeurs 
déclarèrent  que  c'était  un  élève  aussi  paresseux 
qu'incapable,  dont  il  n'y  avait  rien  à  espérer.  A 
'époque  où  il  quitta  Harrow,  son  ignorance 
5tait  telle  qu'il  ne  pouvait  épeler  correctement. 
Quoi  qu'il  en  soit,  il  débuta  de  bonne  heure 
dans  la  carrière  littéraire  ;  car  à  dix-huit  ans  il 
publia,  en  collaboration  avec  son  àmi  Halhed, 
plus  savant  que  lui,  une  traduction  des  Épitres 
d'Aristénète.  Il  habitait  Londres  alors,  et  y 
menait  une  vie  oisive  et  décousue.  Il  devint  pas- 
sionnément, épris  d'une  jeune  cantatrice,  qui 
n'avait  pas  plus  de  seize  ans,  M"e  Linley,  et  à 
seine  majeur,  il  l'enleva  et  l'emmena  en  France, 
jù  il  l'épousa  secrètement.  A  son  retour,  son 
union  restant  toujours  cachée,  il  eut  à  peu  d'in- 
tervalle deux  duels  avec  un  capitaine  Mathews, 
jui,  .après  avoir  tenté  de  séduire  RH'e  Linley, 
ivait  eu  la  lâcheté  de  la  calomnier.  On  trouve 
lans  la  biographie  de  Moore  de  longs  détails 
sur  cette  affaire  où  l'adversaire  de  Sheridan  joua 
usqu'au  bout  un  fort  vilain  rôle.  Enfin,  lors- 
qu'il fut  parvenu  à  arracher  le  consentement  de 
M.  Linley ,  il  renouvela  la  cérémonie  du  ma- 
•iage  (1773).  On  raconte  que  tandis  qu'il  se 
:rouvait  séparé  de  sa  femme,  qui  était  rentrée 
lans  sa  famille,  il  s'était  plus  d'une  fois  dé- 
juisé  en  cocher  afin  de  la  conduire  à  la  salle  de 
xmeert  où  elle  devait  chanter.  Par  un  sentiment 
l'orgueil  facile  à  comprendre,  il  ne  voulut  pas 
consentir  à  ce  que  Mme  Sheridan  continuât  à 
îhanter  en  public.  N'ayant  lui-même  aucune 
bofession,  la  nécessité  le  força  bientôt  à  chev- 
iller des  ressources  dans  la  littérature,  et  il 
iborda  le  théâtre.  En  1775,  on  joua  à  Covent 
îarden  sa  première  comédie,  les  Rivaux  (  the 
îivals),  si  pleine  d'incidents,  de  contrastes,  de 
■aillies.  Encouragé  par  le  succès,  il  donna  dans 
a  même  année  la  Saint-Patrick  (St-Patrick's 
lay  )  et  la  Duègne,  œuvre  accomplie,  au  dire 
le  Hazlitt ,  sous  le  rapport  des  couplets.   En 


034 


(1)  Ces  deux  préDoms  lui  avaient  été  donnés  en  sou- 
enir  de  Brinsley  Butler,  comte  de  Lanesborough;  mais 
1  ne  signait  pas  d'ordinaire  le  dernier. 


f  1776,  il  devint  directeur  du  théâtre  de  Drury- 
Lane.  Moore  s'étonne  de  la  facilité  avec  laquelle 
Sheridan  se  procura  la  somme  très-considérable 
qu'il  lui  fallait  pour  désintéresser  les  proprié- 
taires de  la  salle  ;  mais  il  n'y  aurait  certes  pas 
de  quoi  s'étonner  s'il  faut  encroireles  Mémoires 
de  Waltcr  Scott,  par  Lockhart,  où  il  est  dit 
que  l'acquéreur  se  dispensa  de  payer.  En  1777, 
le  nouveau  directeur  remania  pour  son  théâtre 
une  pièce  de  Vanbrugh  (  the  Relapse  ),  et  fit 
représenter  la  meilleure  de  ses  comédies,  l'É- 
cole du  Scandale  (the  School  for  scandai), 
qui  eût  suffi  à  elle  seule  pour  établir  sa  répu- 
tation. Comme  la  traduction  a  popularisé  en 
France  le  chef-d'œuvre  de  Sheridan,  il  semble 
inutile  de  l'analyser  ou  de  le  louer  ici.  En  1779, 
il  donna  le  Critique  (the  Critic),  une  des 
farces  les  plus  amusantes,  sinon  des  plus  origi- 
nales du  répertoire  anglais.  «  Les  passages  les 
plus  admirés  du  Critic,  a  dit  Leigh  Hunt,  ne 
sont  pourtant  qu'une  suite  d'emprunts  aux  sa- 
tiriques qui  avaient  précédé  l'auteur.  » 

En  1780,  Sheridan,  qui  se  trouvait  en  rela- 
tions d'amitié  avec  Fox,  s'aventura  dans  la 
carrière  politique,  sous  les  auspices  du  célèbre 
orateur,  et  vint  représenter  dans  la  chambre  des 
communes  le  bourg  de  Stafford.  Ce  fut  par  dé- 
férence pour  son  ami,  bien  plus  que  par  con- 
viction personnelle,  qu'il  s'attacha  au  parti 
whig,  auquel  il  resta  toujours  fidèle.  Il  parut 
pour  la  première  fois  à  la  tribune  à  l'occasion 
des  mesures  de  répression  adoptées  par  le 
gouvernement  lors  de  l'émeute  provoquée  par  le 
fanatique  lord  George  Gordon,  mesures  qu'il  atta- 
qua avec  un  talent  qu'on  ne  lui  soupçonnait  pas. 
Pendant  la  courte  administration  de  Rockingham 
(mars  à  juillet  1782),  il  remplit  le  poste  de 
sous-secrétaire  d'État.  Il  fonda  ensuite  le  Jé- 
suite, feuille  frondeuse,  qui  ne  tarda  pas  à  s'at- 
tirer des  représailles  judiciaires.  Le  triomphe 
des  whigs  lui  permit  de  figurer,  dans  le  cabinet 
Portland,  parmi  les  secrétaires  du  trésor  (avril 
à  décembre  1783  ).  Rentré  dans  les  rangs  de 
l'opposition,  il  prononça  le  plus  remarquable 
discours  qu'on  ait  entendu  dans  le  mémorable 
procès  de  Warren  Hastings.  «  Aujourd'hui,  a 
écrit  Burke,  Sheridan  a  surpris  des  milliers  d'au- 
diteurs qu'il  tenait  sous  le  charme  de  sa  parole 
par  un  discours  sans  parallèle  dans  nos  annales 
oratoires.  »  Pitt  ajoute  qu'il  «  a  surpassé  l'élo- 
quence des  temps  anciens  et  des  tem  ps  modernes  » . 
En  1795,  Sheridan,  resté  veuf  depuis  trois 
ans,  épousa  en  secondes  noces  la  fille  d'un  ecclé- 
siastique, M'ie  Ogle,  dont  la  fortune  ne  suffit 
pas  à  rétablir  ses  affaires  embarrassées  ;  car  il 
avait  toujours  manqué  d'ordre,  il  avait  poussé 
à  l'excès  la  passion  du  jeu ,  et  dépensé  bien  au 
delà  de  son  revenu.  En  1798,  il  adapta  pour  la 
scène  de  Drury-Lane  deux  pièces  de  Kotzebue, 
Pizarre  et  Misanthropie  et  Repentir  (the 
Stranger).  Il  vendit  alors  la  direction  de  son 
théâtre  au  prix  de  375,000  fr.,  acheta  le  domaine 

30. 


935  SHEPJDAN  —  SHERLOCK 

de  Polesden,  près  Leatherhed,  et  fut  nommé  rece- 
veur général  du  comté  de  Comouailles,  où  il  son- 
geait à  se  retirer.  Fox  ayant  été  chargé  de  former 
un  ministère  s'empressa  de  nommer  son  ami 
membre  du  conseil  privé  et  trésorier  de  la  ma- 
rine (1800  ).  Par  malheur,  la  mort  du  ministre 
suivit  de  près  son  accession  au  pouvoir  ;  des 
dissentiments  au  sujet  du  projet  d'émancipation 
catholique  amenèrent  la  dissolution  du  parle- 
ment, de  sorte  que  la  brillante  position  à  la- 
quelle Sheridan  venait  enfin  d'arriver  fut  trop 
éphémère  pour  ne  pas  ressembler  à  une  ironie 
du  sort.  Les  déboires,  le  manque  de  la  santé, 
l'approche  d'une  vieillesse  précoce  lui  rendirent 
insupportables  les  embarras  qu'autrefois  il 
noyait  dans  le  vin  ou  qu'il  oubliait  dans  la  so- 
ciété de  joyeux  compagnons.  Ses  amis  du  grand 
monde  (  parmi  lesquels  on  comptait  le  prince 
régent,  dont  il  avait  souvent  égayé  par  ses  sail- 
lies les  intimes  réunions  )  disparurent  dès  que 
la  maladie  el  la  gêne  eurent  rendu  sa  conversa- 
tion moins  attrayante.  Les  emprunts  n'étaient 
plus  possibles,  les  créanciers  ne  se  contentaient 
pas  de  vaines  promesses;  la  ruine  approchait,  et 
ce  fut  assailli  par  les  recors  qu'il  expira, le  7 
juillet  1816,  auprès  de  sa  femme  mourante. 
Tout  le  monde  l'avait  abandonné,  sauf  le  Dr 
Bain,  Samuel  Rogers,  Thomas  Moore  et  lord 
Bolland.  il  est  vrai  que  toute  l'aristocratie  du 
pays,  y  compris  les  ministres  et  des  princes  du 
sang,  se  pressa  à  son  enterrement,  et  qu'il  fut 
inhumé  à  Westminster,  contraste  qui  inspira  à 
Moore  une  admirable  pièce  de  vers. 

Les  Œuvres  dramatiques  de  Sheridan,  aug- 
mentées de  quelques  pièces  de  vers ,  ont  été 
recueillies  par  Thomas  Moore  (Londres,  1821, 
2  vol.  gr.  in-8°),  qui  y  a  ajouté  une  notice  fort 
étendue.  Ses  Discours  politiques  ont  eu  deux  édi- 
tions, en  1816,  5  vol.  in-8°,  et  en  1842,  3  vol. 
in-8°.  On  a  aussi  réuni  sous  le  titre  de  Skeri- 
daniana  la  plupart  des  bons  mots;  saillies, 
traits  piquants  dont  il  se  montrait  aussi  pro- 
digue que  de  son  argent,  et  qui  auraient  suffi  à 
lui  assurer  la  réputation  d'un  bel-esprit.  On  a 
fait  passer  en  français  presque  toutes  les  comé- 
dies de  Sheridan ,  et  dès  1784  on  devait  à 
Mme  de  Vasse  une  version  à  peu  près  fidèle  des 
Rivaux  et  de  VËcole  de  la  médisance.  Cette 
dernière  pièce  a  encore  été  traduite  une  dizaine 
de  fois,  et  sous  les  titres  de  l'Homme  à  senti- 
ments,  le  Faux  Usurier,  l'École  du  scan- 
dale, les  Deux  Cousins;  la  meilleure  traduc- 
tion est  celle  de  Merville,  dans  les  Chefs-d'œu- 
vre des  théâtres  étrangers,  que  M.  Ville- 
main  a  accompagnée  d'une  spirituelle  et  fine 
notice.  Le  Théâtre  complet  a  été  traduit  par 
Bonnet  (  Paris,  1836,  2  vol.  in-8°),  et  par  Benj. 
Laroche  (  Paris,  1841,  in-18). 

On  a  quelquefois  attribué  à  cet  écrivain  des 
romans  médiocres  qui  sont  l'œuvre  d'un  homo- 
nyme, William  Sheridan. 

Sheridan    (Charles-Francis) ,   son    frère 


m 

aîné,  siégea  aussi  dans  la  chambre  des  com 
munes,  et  publia  une  Histoire  de  la  révolutioi  > 
de  Suède  du  19  août  1712,  trad.  en  français; 
Lyon,  1783,  iti-8°.  W.  H— s.' 

Memoirs  of  the  life  of  Sheridan;  Londres,  «799 
in-8°.  —  Sheridaniana,  a  biographical  sketch  ;  ibid. 
1816,  in-12.  —  J.  Watkins,  Memoirs  of  Sheridan;  ibid. 
1816,  2  vol.  in-4°.  —  Hazlitt,  Lectures  on  the  cornu 
poets;  ibid.,  1819,  in-8°.  —  Tliom.  Moore,  Memoirs  o, 
Sheridan  ;  ibid.,  1825,  in-4°.  —  Lord  Brougharo,  Bis- 
torical  sketches  of  statesmen.  —  W.  Smyth,  Memoir, 
of  Sheridan;  Lceds,  1840,  in-12.  —  Leigh  Hunt,  Uiogr 
sketch,  à  !a  tète  de  l'édit.  de  1840.  —  Sheridan  anc 
his  Urnes,  by  an  octogenarian ;  Londres,  1859,  2  volt 
in-8°.  —  Vniversal  review,  janvier  1859.  —  Macmil- 
lan's  Magazine,  janvier  1861.  —  Timbs,  l  Anecdotes  oj 
ivits  and  humourists  ;  Londres,  1862,  2  vol.  in-8°. 

SHERIDAN  KNOWLES.  Voy.  KnowleS.] 

sherlock  (William),  théologien  anglais, 
né  en  1641,  à  South wark,  alors  près  de  Londres 
mort  le  19  juin  1707,  à  Hampstead  (Middlesex) 
Après  avoir  fait  ses  études  à  Cambridge,  il  recul 
les  ordres,  et  administra  comme  recleur  la  pa- 
roisse de  Saint-Georges,  àLondres  (1669).Nomm(t 
en  1681  chanoine  de  Saint-Paul,  il  fut  suspende 
en  1689  de  ses  bénéfices,  parce  qu'il  avait  réfiial 
de  prêter  serment  au  nouveau  souverain  ;  dans 
la  suite  il  s'y  détermina,  et  devint  en  1691  doyen 
de  son  chapitre.  Selon  Burnet,  «  c'était  un  écri- 
vain clair,  poli,  bon  logicien,  et  qui  s'était  acquis 
un  grand  renom  sous  le  règne  de  Jacques  II 
par  ses  écrits  contre  les  catholiques;  mais  il  avaii 
du  penchant  à  la  vanité,  et  il  traitait  avec  trôj 
de  mépris  ses  adversaires.  »  II  est  auteur  d'une 
cinquantaine  d'ouvrages  de  piété  ou  de  contro- 
verse, parmi  lesquels  nous  citerons  :  A  Dis- 
course concerning  the  knoivledge  of  Christ; 
Londres,  1674,  in-8°  :  traité  qui  donna  lieu  à 
une  vive  controverse  ;  —  The  Case  of  résis- 
tance to  the  suprême  powers  resolved  accor- 
ding  to  the  holy  Scriptures;  ibid.,  1684,  in-S°; 
en  1690,  il  écrivit  le  Case  of  allegiance,  et  tira 
de  ia  même  source  des  arguments  contraires  ;  il 
eut  au  moins ,  dit-on ,  le  mérite  de  la  bonne  foi 
en  chantant  ainsi  la  palinodie;  —  Preservative 
against  papism ;ib\d.,  1688,2  part.  in-4°;trad. 
en  1721  en  français;  —  On  death  ;  ibid.,  1690, 
in-8°  :  ce  traité,  qui  a  eu  plus  de  quarante  édi- 
tions, est  peut-être  le  seul  de  Sherlock  qui  ait 
encore  des  lecteurs;  —  Vindication  ofthe  doc- 
trine of  the  Trinity;  ibid.,  1691,  in-4°  :  l'ex- 
plication qu'il  essaya  de  donner  excita  beaucoup 
d'émotion  dans  le  clergé,  et  il  fallut  l'interven- 
tion du  roi  pour  y  mettre  un  terme  :  Sherlock 
prétendait  que  la  Trinité  signifiait  l'accord  com- 
plet de  trois  intelligences,  dont  deux  émanaient 
du  Père,  dans  chacune  de  leurs  pensées  ;  —  On 
future  judgment;  ibid.,  1692,  in-8";  nom- 
breuses réimpressions  ;  —  OnProvidence;  ibid., 
1694,  in-4°;  trad.  en  1721,  en  français;  —  Ser- 
mons; ibid.,  1700  et  suiv.,  2  vol.  in-8°;  trad. 
en  1723,  par  Élie  de  Joncourt;  —  On  religioui 
assemblies;  ibid.,  1703,  in-8°;  —  On  the  hap- 
piness  of  the  good  men  and  the  punishment 
o/  the  wickcd;  ibid.,  1704,  in-8»  ;  trad.  sous  le 


937 


SHERLOCK  —  SHIRLEY 


033 


titre  :  Traité  de  V immortalité  de  Vâme  et  de 
la  vie  éternelle  ;  Amst.,  1708,  in-8°. 

Sheklock  (Thomas),  prélat,  fils  du  précé- 
dent, né  en  1G78,  à  Londres,  où  il  est  mort,  le 
18  juillet  1761.  Il  puisa  dans  les  excellentes 
études  qu'il  fit  à  Eton  et  à  Cambridge  le  goût  des 
lettres  et  cette  fleur  d'atticisme  qui  se  fait  re- 
marquer dans  ses  ouvrages.  Comme  son  père,  il 
embrassa  l'état  ecclésiastique.  Reçu  presque  en 
même  temps  maître  es  arts  et  agrégé,  il  fut  promu 
en  1704  à  une  maîtrise  du  Temple,  et  tint  avec 
Ihonneur  cette  chaire,  qui  était  depuis  1682  oc- 
cupée par  son  père.  Ses  talents  précoces  justi- 
fient une  élévation  si  rapide,  et  il  mit  tant  de 
zèle  à  s'en  rendre  digne  qu'en  peu  d'années  il 
compta  parmi  les  premiers  prédicateurs  de  son 
temps.  Ce  fut  dans  la  double  charge  de  principal 
du  collège  de  Sainte-Catherine  et  de  vice-chan- 
celier de  l'université  (1714)  qu'il  fit  briller  sa 
capacité  dans  les  affaires;  aussi  Bentley  lui 
Idonna-t-il,  durant  ses  disputes  avec  Cambridge, 
le  surnom  de  petit  Alberoni.  En  1715  il  devint 
doyen  de  Chichester,  et  se  montra  constamment 
dévoué  à  la  politique  des  tories.  Dans  la  fameuse 
querelle  excitée  par  Hoadly  (Bangorian  contro- 
versy),  il  fut  l'adversaire  le  plus  redoutable  de 
ce  prélat,  qui  avait  avancé  que  le  clergé  ne  pou- 
vait avoir  aucune  juridiction  temporelle.  Il  se  fit 
plus  d'honneur  en  réfutant  Collins,  Woolston  et 
d'autres  libres  penseurs,  qui  rejetaient  la  divinité 
du  Christ  et  l'évidence  des  miracles.  Il  succéda 
deux  fois  à  Hoadly,  dans  l'évêché  de  Bangor  (1727), 
puis  dans  celui  deSalisbury  (1734),  et  après  avoir 
refusé  de  remplacer  Potter  comme  archevêque 
de  Canterbury  (1747),  il  consentit  en  1748  à 
£tre  transféré  à  Londres.  Son  instruction,  sa  pru- 
dence bien  connue  et  son  éloquence  lui  valurent 
dans  la  chambre  haute  un  crédit  considérable. 
Sa  vieillesse  fut  accablée  d'infirmités  ;  mais  bien 
qu'à  peu  près  privé  de  l'usage  de  ses  membres 
«t  de,  l'organe  de  la  parole,  il  n'en  acquitta  pas 
moins  autant  qu'il  lui  fût  possible  ses  devoirs 
episcopaux,  et  il  mit  la  dernière  main  à  ses  ou- 
vrages. Il  légua  par  testament  à  l'université  de 
Cambridge  sa  propre  bibliothèque  et  une  somme 
de  7,000  liv.  st.  pour  en  former  une  autre  à  l'u- 
sage des  étudiants.  Ses  principaux  ouvrages  sont  : 
Vindicaiion  of  the  corporation  and  test  acts  ; 
Londres,  1718,  in-8°:  contre l'évêque  de  Bangor; 
—  The  Use  and  inlent  of  prophecy  in  the 
several  âges  of  the  world;  ibid.,  1725,  in-8o; 
4eédil.,  1744,  in-8°;  trad.  en  1729  en  français  : 
la  controverse  à  laquelle  donna  lieu  cet  écrit  fut 
ravivée,  en  1750,  par  Middleton;  —  The  Trial 
of  theivitnesses  of  the  résurrection  of  Jésus; 
ibid.,  1729,  in-8°;  trad.  en  1732  en  français  :  il 
y  examine  ce  miracle  dans  les  formes  de  la  pro- 
cédure anglaise;  c'est  un  chef-d'œuvre  de  logique, 
qui  a  eu  plus  de  quinze  éditions;  —  Sermons  ; 
ibid.,  1755-1756,  4  vol.  in-8°;  on  y  a  ajouté  en 
1776  un  5e  volume;  le  P.  Houbigant  en  a  publié 
un  choix  en  français  (1768,  in-12).    P.  L—y. 


Chaînera,   General  biogr.  dict.  —  Darlin^.  Cyclop. 
bibliotjrapkica. 

sniRLUY  (James),  poêle  anglais,  né  vers 
1591,  à  Londres,  où  il  est  mort,  en  octobre  1666. 
11  appartenait  à  une  ancienne' famille  du  Sussex. 
Après  avoir  achevé  ses  études  à  Oxford,  il  alla 
prendre  ses  degrés  à  Cambridge,  et  s'engagea 
dans  les  ordres.  Il  était  pourvu  d'un  humble  bé- 
néfice à  Saint-Alban  ou  dans  les  environs  lors- 
qu'il s'en  dépouilla,  par  suite  des  doutes  que  lui 
avait  inspirés  la  vérité  de  la  communion  angli- 
cane; du  même  coup  il  quitta  l'habit  religieux, 
et  se  convertit  à  la  foi  romaine.  Comme  il  n'a- 
vait point  de  fortune,  il  ouvrit  une  école  à  Saint- 
Alban,  mais  celte  occupation  le  lassa  bientôt,  et 
il  vint  à  Londres.  Là,  installé  dans  le  collège  de 
Gray  (Gray's  inn) ,  il  se  mit  à  composer  des 
pièces  de  théâtre,  et  gagna  à  ce  métier  non- 
seulement  de  quoi  vivre,  mais  aussi  les  bonnes 
grâces  des  gens  de  qualité,  de  la  reine  Henriette 
surtout,  qui  le  prit  à  son  service.  Quand  éclata 
la  guerre  civile,  Shirley  cessa  d'écrire,  et  suivit 
à  l'armée  royale  le  duc  de  Newcastle,  son  patron. 
Vers  1646,  il  rejoignit  à  Londres  sa  femme  et 
ses  enfants;  mais,  plus  pauvre  que  jamais  et 
voyant  la  représentation  de  ses  pièces  interdite, 
il  vécut  des  bienfaits  de  Thomas  Stanley,  le  sa- 
vant écrivain,  et  reprit  son  ancien  métier  de 
maître  d'école.  Le  rétablissement  de  la  monar- 
chie lui  rendit  un  peu  d'aisance.  11  n'en  profita 
guère  toutefois ,  et  perdit  tout  ce  qu'il  possédait 
dans  le  grand  incendie  qui  dévora  en  166G  une 
partie  de  Londres;  cette  catastrophe  le  saisit  si 
fort,  lui  et  sa  seconde  femme,  qu'ils  moururent 
tous  deux  dans  l'espace  de  vingt-quatre  heures; 
on  les  enterra  le  29  octobre  1666.  Shirley  tient 
le  premier  rang  parmi  les  poètes  du  second 
ordre;  il  écrit  avec  élégance  et  pureté;  il  pose  et 
définit  bien  les  caractères,  et  s'il  manque  d'in- 
vention, ij  tire  du  contraste  des  passions  un  parti 
convenable.  Depuis  longtemps  on  a  cessé  do  jouer 
son: répertoire,  mais  quelques-unes  de  ses  co- 
médies valent  encore  la  peine  d'être  lues.  Il  té- 
moigne de  la  modestie  dans  ses  ouvrages,  et 
ne  parle  de  ses  confrères  qu'avec  des  sentiments 
de  bienveillance.  Son  Théâtre,  dont  une  édition 
complète  a  été  donnée  par  A.  Dyce  (Londres, 
1833,  6  vol.  in-8°),  comprend  plus  de  quarante 
comédies  et  tragédies,  la  plupart  en  vers,  parmi 
lesquelles  on  remarque  :  the  Wedding  (1629), 
the  Grateful  Servant  (1630),  the  Bird  in  cage 
(1633)  :  dédié  par  ironie  à  W.  Prynne,  le  fameux 
antagoniste  des  spectacles  ;  the  Gamester(wdl), 
la  meilleure  , pièce  de  Shirley,  reprise  en  175S, 
par  Garrick,  avec  quelques  changements;  the 
Bail  (1639) ,  avec  Chapman;  the  Constant 
Maïd  (1640),  the  Sisters  (1652),  trad.  en  fran- 
çais dans  la  Collection  des  théâtres  étrangers 
en  1836,  etc.  On  a  d'autres  écrits  de  Shirley,  à 
savoir  :  Poems;  Londres,  1646,  in-8°;  —  Via 
ad  laiinam  liaguam  complanata  ;  ibid.,  1649, 
in-8°;  —  Grammatica  anglo-latina;  ibid., 


939 


SHIRLEY  —  SIBOUR 


94C 


1651,  in-s°,  en  vers  latins  et  anglais;  —  Ma- 
nuductio;  MA.,  1656,  in-8°,  abrégé  de  l'ouvrage 
précédent. 

Langbaine,  Dramatic  poets.  —  Wood,  Athense  Oxon. 
—  Baker,  Biorjr.  dram.  —  Notice,  à  la  tête  de  redit,  de 
Dyce.  —  Mézières,  Contemp.  de  Shakespeare. 

shore  (Jane),  maîtresse  d'Edouard  IV,  roi 
d'Angleterre,  née  vers  1460,  à  Londres,  morte  en 
1524  ou  1525,  à  Ludgate.  Eiie  appartenait  à  une 
assez  bonne  famille  et  joignait  à  une  grande  beauté 
les  grâces  d'un  esprit  cultivé  par  l'éducation. 
L'intérêt  seul  ayant  présidé  à  l'union  que  ses  pa- 
rents lui  firent  contracler  de  fort  bonne  heure 
avec  un  riche  négociant  nommé  Shore,  elle 
n'aima  jamais  son  mari.  Elle  céda  donc  aisément 
à  la  passion  qu'elle  inspira  à  Edouard  IV,  qui, 
malgré  son  inconstance  habituelle,  lui  demeura 
attaché  tant  qu'il  vécut.  Après  la  mort  du  roi 
(1483),  elle  eut  avec  lord  Hasting  ou  avec  le 
marquis  de  Dorset,  peut-être  avec  l'unet  l'autre, 
une  liaison  qui  excita  la  colère  de  Richard  II], 
dont  ces  deux  seigneurs  étaient  les  ennemis. 
Arrêtée  et  livrée  à  la  cour  ecclésiastique,  comme 
impie  et  adultère,  elle  fut  condamnée  à  faire 
amende  honorable  en  face  de  Saint-Paul;  ce 
qu'elle  fit  le  18  juin  1483,  en  chemise  et  un  cierge 
à  la  main.  Ruinée  par  le  protecteur,  qui  s'était 
approprié  tout  ce  qu'elle  possédait,  elle  fut  exilée 
à  Ludgate,  où  elle  mena  une  existence  des  plus 
misérables;  privée  du  simple  nécessaire,  réduite 
à  contenter  sa  faim  avec  les  plus  vils  aliments , 
elle  arrachait  pour  vivre  quelques  brins  d'herbe 
dans  un  champ  voisin  de  la  cité.  Durant  sa  pros- 
périté éphémère,  elle  avait  obligé  par  pure  bien- 
veillance tous  ceux  qui  approchaient  d'elle  ;  mais 
personne  ne  songea  à  secourir  sa  vieillesse  indi- 
gente. Thomas  More,  qui  écrivait  environ  trente 
ans  après  la  mort  d'Edouard  IV,  dit  que  ceux  qui 
avaient  connu  Jane  Shore  dans  sa  jeunesse  dé- 
claraient qu'elle  était  si  belle  que  personne  ne 
trouvait  rien  à  critiquer  en  elle,  sauf  sa  taille,  qui 
aurait  pu  être  un  peu  plus  élevée.    W.  H — s. 

H.  Walpole,  Règne  de  Richard  III.  —  Hume,  Hist.  of 
England.  —  Lingard,  Idem. 

siagkius.  Voy.  Syacrius. 

sibilet  (Thomas),  littérateur  français ,  né 
vers  1512,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le  28  novembre 
1589.  «  C'était,  ditL'Estoile,  son  ami,  un  homme 
de  bien  et  docte.  »  Avocat  au  parlement  de  Paris, 
il  s'occupa  moins  de  plaidoierie  que  de  l'étude  de 
la  poésie  et  des  langues.  Il  visita  l'Italie,  et  connut 
dans  ce  voyage  Etienne  Pasquier,  à  qui  il  donna 
d'utiles  instructions.  Il  fut  mis  en  prison  avec 
L'Estoile,  comme  ennemi  de  la  Ligue,  et  mourut 
peu  de  temps  après  avoir  été  rendu  à  la  liberté. 
Son  principal  ouvrage  est  Y  Art  poétique  fran- 
çois  ;  Paris,  1548,  1555,  in-12;  Lyon,  1556, 
1576,  in-16.  Il  est  divisé  en  deux  livres, .le  pre- 
mier sur  les  principes  généraux  de  la  poésie 
française,  le  second,  plus  curieux  et  mieux  fait, 
sur  chaque  genre  de  poésie  en  particulier;  les 
définitions  en  sont  claires  et  les  préceptes  bien 
exposés.  Citons  encore  de  Sibilet  :  Iphigénie 


d'Euripide,  tournée  du  grec  en  français^ 
Paris,  1549,  in-8o  :  version  bien  défectueuse,  el- 
surtout  singulière  par  le  parti  pris  d'y  faire  entrer 
des  vers  de  toutes  mesures,  même  des  monosyl. 
labes  :  Traité  du  mépris  de  ce  monde;  Paris, 
1579,  in-16;  —  Paradoxe  contre  l'amour; 
Paris,  1581,in-4°,  à  la  suite  de  YAnteros  deFre» 
gose.  Il  a  aussi  laissé  sans  nom  d'auteur  plusieurs 
traductions  du  latin  et  de  l'italien  mentionnées 
par  La  Croix  du  Maine. 

Du  Verdier  et  La  Croix  du  Maine,  Ilibl.fr.  —  Goujet, 
Bibî.  française,  t.  III.  —  L'Estoile,  Journal. 

siBouit  (Marie-Dominique- Auguste),  pré- 
lat français,  né  à  Saint-  Paul  -Trois- Chat  eaux 
(Drôme),  le  4  avril  1792,  assassiné  à  Paris,  le 
3  janvier  1857.  Fils  d'un  marchand  dauphinois,  qui 
vint  sous  l'empire  se  fixer  à  Pont-Saint-Esprit , 
il  y  commença  ses  études  et  alla  en  1807  faire 
au  séminaire  de  Viviers  ses  cours  de  philosophie 
et  de  théologie,  qu'il  termina  à  Avignon.  Envoyé 
à  Paris,  il  professa  les  humanités  au  séminaire 
de  Saint-Nicolas-du-Chardonnet.  Il  alla  ensuite 
passer  près  d'une  année  à  Rome,  et  y  fut  ordonné 
prêtre  (13  juin  1818).  A  son  retour  à  Paris,  il 
fut  attaché  à  la  paroisse  de  Saint-Sulpice,  puis  à 
la  chapelle  des  Missions  étrangères.  Le  diocèse 
de  Nimes  ayant  été  reconstitué,  M.  de  Chaffoy, 
qui  en  devint  évêque,  désira  s'attacher  l'abbé 
Sibour,  et  lui  obtint,  le  9  novembre  1822,  un  ca- 
nonicat  dans  la  cathédrale.  Ces  fonctions  n'em- 
pêchèrent point  M.  Sibour  de  se  vouer  aux  tra- 
vaux de  la  chaire,  et  sa  réputation  le  fit  désigner 
pour  prêcher  devantCharles  X  le  carême  de  1831. 
La  révolution  de  Juillet  l'en  empêcha  ;  mais,  pour 
occuper  ses  loisirs,  il  entreprit  une  traduction 
de  la  Somme  de  saint  Thomas,  et  prit  part  à  la 
rédaction  de  V Avenir.  Appelé,  le  28  septembre 
1839,  à  succéder  dans  Tévêché  de  Digne  au  vé- 
nérable Miollis,  il  apporta  dans  ce  diocèse  un 
dévouement  sans  bornes  et  une  charité  toufe 
pastorale,  sans  rester  néanmoins  étranger  aux 
grandes  questions  qui  agitaient  alors  le  monde 
religieux.  Il  prit  part  à  la  lutte  pour  la  liberté  de 
l'enseignement,  et  le  Mémoire  qu'il  publia  est  un 
traité  complet  sur  cette  matière  ;  il  se  mêla  aussi 
aux  discussions  relatives  au  rétablissement  des 
officiantes  et  de  la  liturgie  romaine.  En  avril  1848, 
un  grand  nombre  de  fidèles  le  choisirent  pour 
candidat  à  l'Assemblée  constituante  ;  mais  huit 
jours  avant  les  élections ,  il  jugea  à  propos  de  se 
désister.  Le  15  juillet  suivant,  le  général  Cavai- 
gnac,  alors  chef  du  pouvoir  exécutif,  l'appela  à 
remplacer  M.  Affre,  enlevé  par  une  mort  si  déplo- 
rable au  siège  archiépiscopal  de  Paris.  Le  nouveau 
prélat  prit  possession  en  personne  le  17  octobre; 
quelques  jours  après,  il  accomplissait  un  pieux 
pèlerinage  dans  le  faubourg  où  son  prédécesseur 
avait  été  mortellement  frappé  et  apportait  dans 
plusieurs  ateliers  de  la  capitale  des  paroles  de 
paix  et  de  concorde,  conseillant  ù  tous  le  respect 
et  la  défense  des  lois ,  et  enseignant  à  la  popu- 
lation ouvrière  ce  qu'il  appelait  «  la  rédemption 


i 


941  SIBOUR  — 

du  prolétariat  par  le  travail.  »  Le  12  novembre, 
il  présida  à  la  cérémonie  religieuse  qui  eut  lieu 
sur  la  place  de  la  Concorde  pour  la  promulga- 
tion de  la  Constitution.  L'invasion  du  choléra 
redoubla  en  1849  son  zèle.  Du  17  au  28  septembre 
de  cette  année,  il  présida  le  premier  concile 
provincial  tenu  en  France  depuis  plus  d'un 
siècle,  et  du  30  septembre  au  5  octobre  1850 
un  synode  diocésain;  les  actes  de  ees  deux  as- 
semblées ont  été  imprimés.  Par  un  mandement 
du  24  août  précédent,  il  avait  infligé  au  journal 
l'Univers  un  blâme  sévère,  qu'il  renouvela 
le  17  février  1853,  en  défendant  à  tous  les  ec- 
slésiastiqies  de  son  diocèse  la  lecture  de  cette 
feuille.  Le  3  janvier  1852,  il  célébra  à  Notre-Dame 
un  Te  Deum  solennel  en  actions  de  grâces  du 
coup  d'État  de  décembre.  Nommé  sénateur  le 
27  mars  1852,  il  bénil  le  mariage  de  Napoléon  III 
(30  janvier  1853).  Pour  aider  à  l'accord  de  la 
cience  et  de  la  foi,  il  fonda  le  16  novembre  une 
fête  annuelle  qui  devait  avoir  lieu  dans  l'église 
Sainte-Geneviève  sous  le  aomde  fêtedes  Écoles. 
En  1856,  il  établit  une  nouvelle  démarcation  des 
paroisses  de  Paris,  en  créa  six  nouvelles,  et 
attribua  à  chacun  des  trois  archidiaconés  un  res- 
sort territorial  dans  le  dép. de  la  Seine.  M.  Sibour, 
qui  le  30  octobre  1842,  avait,  comme  évêque  de 
Digne,  assisté  à  la  translation  des  reliques  de  saint 
Augustin,  à  Bone,  alla  à  Rome  pour  se  trouver, 
le  8  décembre  1854,  à  la  promulgation  du  nouveau 
dogme  de  l'Immaculée  Conception,  qu'il  fit  à  son 
retour  solemniser  avec  pompe  dans  toutes  les 
paroisses  du  diocèse.  Le  samedi  3  janvier  1857  il 
inaugurait  à  Saint-Etienne  du  Mont  la  neuvaine 
de  Sainte- Geneviève,  lorsqu'il  fut,  à  l'entrée  de  la 
nef,  frappé  au  cœur  d'un  coup  de  couteau  par  Jean 
Verger,  prêtre  interdit,  qui  se  vengeait  ainsi  des 
rigueurs  nécessaires  dont  avaient  usé  à  son  égard 
ïes  ordinaires  de  Meaux  et  de  Paris;  dans  sa 
monomanie,  il  donnait  à  ses  projets  de  meurtre 
le  prétexte  de  venger  la  religion  des  excès  de  dé- 
votion à  la  Vierge  Marie ,  et  s'écriait  :  Pas  de 
déesse!  Outre  de  nombreux  Mandements ,  des 
Discours  plus  ou  moins  politiques  prononcés  de 
t848  à  1851  dans  diverses  circonstances,  et  pu- 
bliés en  brochures  ou  reproduits  par  les  jour- 
naux, on  a  de  M.  Sibour  :  Institutions  diocé- 
j  s aines  ;  Digne  et  Paris,  1845,  2  vol.  in-8°,  où  il 
!  réclame  à  la  fois  plus  d'autorité  pour  les  chapitres 
et  plus  de  liberté  pour  le  clergé  inférieur;  — 
Actes  de  l'Église  de  Paris,  touchant  la  disci- 
pline et  l'administration;  Paris,  1854,  in-4°. 
Chevalier  de  Légion  d'honneur  depuis  le  13  no- 
vembre 1848,  il  fut  promu  commandeur  le 
16   juin  1856.  H.  F. 

Diqgr.  du  Clergé  contemp.,  t.  X.  —  Fisquet,  France 
pontificale,  t.  1er;  Paris,  1864,  ln-S°. 

sibouyah  (Amrou  ben  Osman  Kanbour), 
grammairien  arabe',  né  à  Béidah  (Farsistan), 
vers  le  milieu  du  huitième  siècle,  mort  en  Perse, 
en  796,  selon  d'autres  en  809.  Il  appartenait  à  la 
classe  des  affranchis,  qui  en  Orient  comme  chez 


SIBTHORP  942 

les  Romains,  s'occupaient  alors  de  travaux  lit- 
téraires. Il  fut  élevé  à  Bassora,  où  il  eut  pour 
maîtres  Isa  ben  Orner  et  Chalil,  et  devint  plus 
tard  le  chef  de  l'Académie  de  cette  ville.  Ensuite 
il  se  rendit  à  Bagdad,  et  il  y  discuta  avec  Kisaji 
sur  un  point  grammatical  devant  le  vizir  Yaya 
le  Barmécide,  ou,  selon  d'autres,  en  présence  du 
prince  Enfin,  lils  d'Haroun-al-Raschid.  Ce  serait 
à  la  suite  de  cette  dispute,  dont  la  conclusion 
n'aurait  pas  tourné  à  son  avantage,  qu'il  se  se- 
rait retiré  en  Perse.  S'il  est  inexact  de  dire  que 
Sibouyah  a  établi  la  grammaire  arabe,  mérite 
qui  appartient  à  Eboul-Eswcd-Dueli,  mort  en 
688,  on  doit  convenir  qu'il  a  beaucoup  contribue! 
à  en  fixer  les  règles.  L'ouvrage  qu'il  a  laissé  sur 
cette  matière,  et  auquel  il  ajouta  un  commen- 
taire sur  un  millier  de  distiques,  n'a  jamais  été 
imprimé;  il  se  trouve  en  manuscrit  dans  la  bi- 
bliothèque de  l'Escurial  (  voy.  le  Catalogue  de 
Casiri).  Les  Arabes  l'ont  en  une  telle  estime 
qu'ils  le  nomment  simplement  le  Livre. 

Aboulféda.  —  Ibn  Khallikan.  —  Soyoulhi.  —  Harumer, 
Hist.  de  la  littèr.  arabe,  t.  III,  p.  213. 

SIBÏH-IBJS-'AL-OJAUZÏ.     Voy,    IBN  -  AL- 

Dmuzi. 

sibthorp  (John),  botaniste  anglais,  né  le 
28  octobre  1758,  à  Oxford,  mort  le  28  février 
1796,àBath.  Son  père,  Humphrey  Sibthorp,  pro- 
fessait la  botanique  à  Oxford  ;  il  s'appliqua  de 
bonne  heure  à  l'étude  de  cette  science ,  et  dès 
qu'il  eut  achevé  son  éducation  classique,  il  se 
rendit  à  Edimbourg ,  puis  à  Montpellier,  pour 
suivre  les  cours  de  médecine.  A  son  retour  il 
succéda  à  son  père  (1784)  et  prit  le  diplôme  de 
docteur.  Mais,  laissant  à  Shaw  le  soin  d'occuper 
sa  chaire,  il  repartit  aussitôt,  et  prépara  à  loisir 
soit  à  Gœttingue,  soit  à  Vienne,  l'expédition 
scientifique  dont  il  avait  conçu  le  projet.  La  Grèce 
en  était  te  but,  ainsi  que  les  îles  de  l'Archipel. 
En  compagnie  de  Ferd.  Bauer,  habile  dessina- 
teur, Sibthorp  s'embarqua  à  Naples,  le  6  mars 

1786.  Après  avoir  passé  l'été  à  Candie  et  l'hiver 
à  Constantinople,  il  visita  en  détail  Chypre,  My- 
tilène,  Scio,  Cos,  Rhodes,  une  partie  du  littoral 
de  l'Asie  mineure,  et  les  différentes  provinces  de 
la  Grèce  ;  il  touchait  l'Angleterre  en  décembre 

1787.  On  le  combla  d'honneurs  :  la  Société  !in- 
néenne  en  1788  et  la  Société  royale  en  1789  l'ap- 
pelèrent dans  leur  sein;  il  fut  élevé  au  rang  de 
professeur  royal.  Malgré  la  richesse  de  ses  cata- 
logues (il  avait  rapporté  plus  de  trois  mille  es- 
pèces ),  malgré,  la  nouveauté  de  ses  observa- 
tions, il  se  remit  en  route  (mars  1794)  afin  de 
porter  au  plus  haut  degré  de  perfection  la  des- 
cription qu'il  voulait  faire  de  la  Grèce.  Son  se- 
cond voyage  dura  dix-huit  mois.  Il  revint  par  la 
Morée,  les  îles  Ioniennes  et  Otrante;  mais  sa 
santé,  naturellement  débile,  ne  put  se  relever 
de  fatigues  si  multipliées,  et  il  mourut  d'une  fièvre 
maligne,  à  trente-sept  ans.  Outre  une  Flora 
oxoniensis  (Oxford,  1794,  in-8°),  ce  savant  est 
auteur  d'un  magnifique  recueil,  Flora  grxca, 


943 


SIBÏHORP 


pour  l'impression  duquel  il  légua  à  l'université 
d'Oxford  une  rente  considérable;  il  a  été  publié 
sous  la  direction  de  J.  Smith  et  de  J.  Lindley, 
en  deux  éditions,  l'une  de  trente  exemplaires 
seulement  (Londres,  1806-1840,  10  vol.  gr.  in-fol. 
avec  966  pi.),  l'autre,  moins  chère  (iLid.,  1845- 
46,  10  vol.  in-fol.,  avec  les  mêmes  pi.),  et  pré- 
cédées d'un  Prodromus  annoté  par  Smith  (ibid., 
1806-16,  2  vol.  gr.  in-8°),  et  dont  Sibthorp  avait 
(également  laissé  les  matériaux. 

Kees,  Cyclopsedia. 

SIBYLLE  D'ANJOU.    Voy .  Gui  DE  LUSIGNAN, 

îoi  de  Jérusalem. 

sicard  ( Roc fi-Ambr oise  Cucurro;*-,  abbé), 
instituteur  de  sourds-muets ,  né  au  Fousseret 
(Haute-Garonne),  le  20  septembre  1742,  mort  à 
Paris,  le  10  mai  1822.  Après  avoir  fait  ses  études 
à  Toulouse,  il  entra  dans  la  congrégation  de  la 
doctrine  chrétienne,  puis  dans  les  ordres,  et  ne 
quitta  l'exercice  du  ministère  que  pour  se  mettre 
à  la  disposition  de  M.  Champion  deCicé,  arche- 
vêque de  Bordeaux.  Ce  prélat,  ayant  résolu  d'é- 
tablir une  école  de  sourds-muets,  envoya  l'abbé 
Sicard  à  Paris,  pour  y  apprendre  la  méthode 
de  l'abbé  de  l'Épée.  A  son  retour,  en  1786,  il  le 
plaça  à  la  tête  de  l'établissement  qu'il  avait 
fondé  à  Bordeaux,  et  c'est  à  cette  époque  que 
l'abbé  Sicard  connut  Massieu,  alors  âgé  de  qua- 
torze ans ,  et  dont  les  étonnants  progrès  de- 
vaient tant  ajouter  à  la  réputation  du  maître. 
L'abbé  de  l'Épée  étant  mort  le  23  septembre 
1789,  Sicard  fut  appelé  à  lui  succéder  dans  la 
direction  de  l'établissement  de  Paris,  après  avoir 
été  examiné  par  des  commissaires  dans  les  trois 
académies.  Sicard  avait  adopté  avec  beaucoup  de 
modération  les  principes  de  la  révolution  ;  on  ne 
lui  demanda  point  le  serment  à  la  constitution 
civile  du  clergé,  mais  après  le  10  août  il  prêta 
celui  de  liberté  et  d'égalité.  Arrêté  le  26  de  ce 
mois  comme  suspect,  il  fut  détenu  à  la  mairie. 
Ses  élèves  adressèrent  à  l'Assemblée  nationale  une 
pétition  touchante  pour  redemander  leur  maître, 
et  on  décréta  que  le  ministre  de  l'intérieur  ren- 
drait compte  des  motifs  de  l'arrestation;  mais 
la  Commune  passa  à  l'ordre  du  jour  sur  ce  dé- 
cret et  sur  la  iettiede  Roland.  Le  2  septembre, 
Sicard  fut  transféré  avec  d'autres  prêtres  à 
l'Abbaye.  La  plupart  de  ses  compagnons  furent 
égorgés  en  arrivant.  Lui-même  eût  éprouvé  le 
même  sort,  si  l'horloger  Monnot  ne  l'eût  couvert 
de  son  corps.  Il  demeura  en  prison,  toujours  dans 
les  angoisses  d'une  fin  prochaine.  Après  beaucoup 
de  démarches  faites  en  sa  faveur,  on  vint  le  ti- 
rer de  l'Abbaye  le  4  septembre,  à  sept  heures  du 
soir,  et  on  le  conduisit  à  l'Assemblée  nationale, 
où  il  prononça  un  discours  pour  remercier  ses 
libérateurs.  L'abbé  Sicard  a  donné  lui-même  une 
Relation  détaillée  des  dangers  qu'il  courut  en 
cette  occasion  ;  on  la  trouve  dans  les  Annales 
religieuses,  t.  1er,  p.  $3  et  72.  Rendu  à  ses  élèves 
sur  la  proposition  de  Chabot,  il  traversa  paisi- 
blement l'époque  de  la  terreur.   Lors  de   la  I 


—  SICARD  944 

création  de  l'École  normale  (30  octobre  1794),  il 
fut  nommé  professeur  de  grammaire  générale,  et 
son  cours  eut  un  grand  succès,  qu'il  faut  attri- 
buer surtout  à  la  manière  facile  et  ingénieuse 
avec  laquelle  il  soumettait  les  procédés  de  la. 
grammaire  aux  opérations  de  l'analyse.  Il  faisait 
partie  de  l'Institut  (1)  dès  sa  création  (25  octobre 
1795).  Au  commencement  de  1796,  il  se  joignit 
à  l'abbé  Jauffret,  pour  publier  les  Annales  re- 
ligieuses, mais  ils  n'en  donnèrent  que  les  dix- 
huit  premiers  numéros,  et  abandonnèrent  la  ré- 
daction à  l'abbé  de  Boulogne;  seulement  Sicard 
continua  de  s'intéresser  à  cette  entreprise,  ce  qui 
le  fit  comprendre,  après  le  18  fructidor,  an] 
nombre  des  journalistes  condamnés  à  la  dépor- 
tation. Il  parvint  à  se  cacher  dans  le  faubourg 
Saint-Marceau,  où  la  peur  lui  dicta  des  protesta- 
tions de  soumission  au  gouvernment  établi.  Mais 
ce  n'est  qu'après  le  18  brumaire,  qu'il  fut  rendu 
à  ses  fonctions.  Il  trouva  un  zélé  protecteur  dans 
Chaptal,  alors  ministre,  et  obtint  qu'on  établit  à 
l'usage  des  sourds-muets  une  imprimerie,  qui  fut 
mise  en  activité  eu  décembre  1800,  et  qui  servit 
à  imprimer  la  plupart  des  ouvrages  du  maître. 
Dans  ses  exercices  publics  comme  dans  ses  livres, 
il  s'abandonnait  volontiers  à  son  enthousiasme 
pour  sa  méthode,  et  il  en  parlait  avec  une  effu- 
sion qui  faisait  sourire  quelquefois,  mais  que 
pouvaient  faire  excuser  sa  haute  réputation  et  la 
conscience  des  services  qu'il  avait  rendus.  C'est 
lui  qui  a  inspiré  un  intérêt  général  pour  une 
classe  malheureuse.  Cependant  Napoléon  ne  put 
jamais  le  souffrir,  et  quelle  que  fûtla  cause  de  son 
antipathie,  elle  fut  aussi  constante  que  marquée: 
il  ne  voulut  point  en  1805  ratifier  sa  nomination 
à  un  canonicat  titulaire  de  Notre-Dame  et  lui  re- 
fusa la  croix  d'Honneur.  De  nombreux  chagrins 
vinrent  accabler  la  vieillesse  de  Sicard.  Pour- 
suivi pour  des  dettes  qu'il  n'avait  pas  contractées, 
la  nécessité  de  les  acquitter  le  réduisit  à  un  état 
voisin  de  la  misère.  Il  était  pour  lui-même  sobre 
et  économe;  sa  vie  privée  fut  toujours  celle  d'un 
digne  prêtre,  mais  il  ne  sut  pas  se  garantir  des 
pièges  que  lui  tendaient  des  flatteurs  empressés 
et  d'adroits  intrigants.  Le  nom  du  savant  ins- 
tituteur était  connu  dans  toute  l'Europe;  aussi 
quand  les  souverains  alliés  vinrent  à  Paris  en 
1814  et  1815,  ils  assistèrent  à  ses  exercices.  En 
1817,  il  fit  le  voyage  d'Angleterre  avec  quelques- 
uns  de  ses  élèves.  Plus  heureux  sous  la  Restau- 
ration que  sous  l'Empire,  il  fut  nommé  cheva- 
lier de  la  Légion  d'honneur  (8  avril  1815),  ad- 
ministrateur de  l'hospice  des  Quinze- Vingts  et 
de  l'institution  des  Jeunes  Aveugles,  et  chanoine 
honoraire  de  Notre-Dame  (2).  On  ne  saurait 
mettre  en  doute  que  Sicard  n'ait  ajouté  aux  dé- 
couvertes de  l'abbé  de  l'Épée.  Celui-ci  avait  dé- 
fi) Il  y  fut  rappelé  par  élection  le  22  Juin  1800,  à  la 
place  du  grammairien  de  Wailly,  et  passa  en  1803  dans 
l'Académie  française. 

(2)  II  n'a  jamais  été  chanoine  de   Condom,  ni  vicaire  . 
général  de  Bordeaux.  Son  nom  ne  se  trouve  point  dans  la 
France  ecclésiastique  de  17G3  à  1790. 


945 


SICARD  —  SICINIUS  DENTATUS 


946 


sespéré  d'initier  ses  étèves  aux  objets  intellec- 
tuels, et  sa  méthode  semblait  à  cet  égard  se  ré- 
duire à  un  pur  mécanisme.  Sicard  osa  introduire 
les  sourds-muets  dans  le  champ  de  la  métaphy- 
sique :  on  peut  lire  dans  son  Cours  d'instruc- 
tion d'un  sourd-muet  les  développements  de 
la  marche  qu'il  a  suivie,  et  l'on  jugera  combien 
il  lui  fallut  d'adresse  et  de  patience  avant  de 
faire  arriver  à  l'esprit  de  ses  élèves  des  notions 
qui  ne  semblaient  pas  être  à  leur  portée.  Mais 
cette  méthode,:  tout  ingénieuse  qu'elle  est,  ne 
peut  avoir  de  succès  que  dans  l'enfant  d'une  in- 
telligence peu  ordinaire.  Tous  les  sourds-muets 
ne  sont  pas  des  Massieu,  des  Leclerc,  des  Ber- 
thier;  néanmoins  tous  ont  dû  gagner  plus  ou 
moins  aux  soins  que  leur  instituteur  prenait 
d'eux ,  et  ses  travaux  leur  ont  sans  doute  été 
surtout  utiles  sous  le  rapport  de  la  religion,  dont 
il  leur  faisait  mieux  connaître,  par  ses  procédés, 
l'esprit,  la  doctrine  et  les  préceptes.  On  a  de 
l'abbé  Sicard  :  Mémoire  sur  Vart  d'instruire 
les  sourds-muets  de  naissance;  Bordeaux, 

1789,  h>8°;  il  y  a  un  Second  Mémoire;  Paris, 

1790,  in-8°;  —  Catéchisme  à  l'usage  des 
sourds-muets  ;  Paris',  1796,  in-8°;  —  Manuel 
de  l'enfance;  Paris,  1796,  in-12;  —  Éléments 
degrammaire  générale  appliquée  à  lalangue 
française;  Paris,  1799,  1808,  2  vol.  in-8o;  — 

Cours  d'instruction  d'un  sourd-muet  de 
naissance;  Paris,  1800,  1803,  in-8°,  mentionné 
honorablement  dans  le  concours  des  prix  décen- 
naux; —  Journée  chrétienne  d'un  sourd- 
viuet;  Paris,  1805,  in-12;  —  Relation  histo- 
rique sur  les  journées  des  2  et  3  septembre; 
Paris,  i806,  in-8°  :  l'abondance  des  détails  nuit 
à  l'effet  du  récit  et  jusqu'à  un  certain  point  à  la 
vraisemblance;  —  Théorie  des  signes  pour 
l'instruction  des  sourds-muets  ;  Paris,  1808, 
1823,  2  vol.  in- 8°;  c'est  à  peu  de  chose  près  le 
même  ouvrage  que  les  Éléments  de  gram- 
maire générale;  —  Rapport  lu  à  l'Institut 
sur  le  Génie  du  christianisme  de  Chateaubriand; 
Paris,  1811,  in-8°.  Sicard  a  été  en  outre  l'édi- 
teur de  la  5e  édition  des  Tropes  de  Dumarsais, 
et  il  a  traduitde  l'anglais  De  l'Homme  et  de  ses 
facultés  de  Hartley  (1802,  2  vol.  in-8°).  Il  avait 
imaginé  un  système  de  Pasigraphie  ou  écriture 
universelle,  et  il  l'a  développé  dans  un  livre 
espécial,  qui  est  resté  manuscrit;  on  peut  voir  ce 
qu'il  en  a  dit  dans  les  Annales  religieuses, 
t.  1er,  p.  621.  Nous  n'avons  pas  cru  devoir 
ajouter  à  la  liste  des  ouvrages  de  l'abbé  Sicard 
ceux  auxquels  Serieys(i>oy.  ce  nom),  abusant  du 
caractère  obligeant  de  ce  vieillard,  lui  faisait 
apposer  son  nom,  pour  donner  plus  de  prix  à 
ses  compilations.  H.  F. 

Frayssinous,  Disc,  de  rècept.  à  VAcad.  française.  — 
VAmi  de  la  Religion,  t.  XXXH,  p.  19.  —  Moniteur  uni- 
versel,  1822.   —  Revue  encyclopédique,  t.  XIV,  p.  454. 

*sichel  (Jules),  oculiste  français,  né  en 
1802,  à  Francfort.  ;I1  appartient  à  une  famille 
juive.  Après  avoir  suivi  à  Vienne  la  clinique 


ophthalmologique  de  Jœger  (1825),  et  à  Wur/- 
bourg  celle  de  Schœnlein  à  l'hôpital  Julius,  il 
vint  en  France  (1829)  ;  bien  qu'il  eût  été  déjà  reçu 
docteur  en  médecine  à  Berlin,  il  prit  de  nouveau 
ce  grade  à  Paris  (1833).  L'année  suivante,  il  fut 
naturalisé  français.  Il  a  été  le  premier  à  se  livrer 
à  l'enseignement  clinique  spécial  des  maladies 
des  yeux,  dans  un  établissement  qu'il  a  fondé 
et  qu'il  continue  d'entretenir  de  ses  deniers. 
M.  Sichel  est  l'un  des  oculistes  les  plus  répandus 
de  Paris.  On  a  de  lui  :  Mémoire  sur  la  cho- 
roïdite;  Paris,  1836,in-8°;  —  Traité  de 
l'ophthalmie ,  de  la  cataracte  et  de  Vamau- 
rose;  Paris,  1837,  in-8°,  pi.  col.;  trad.  en  alle- 
mand; —  Cinq  cachets  d'oculistes  romains; 
Paris,  t&45,in-8°;  — Recherches  sur  les  Di- 
valia  et  les  Angeronaliades  Romains,  comme 
culte  secret  de  Vénus  Genilrix  ;  Paris,  1846, 
in- 8°  :  travail  qui  l'a  entraîné  dans  une  polémique 
avec  Letronne;  —  Poème  grec  inédit,  attri- 
bué au  médecin  Aglaias,  publié  d'après  un 
manuscrit  de  la  bibliothèque  royale  de  Paris; 
Paris,  1846,  in-8°  ;  —  Iconographie  ophthal- 
mologique; Paris,  1852-57,  gr.  in-4°,  avec  atlas 
de  80  pi.  col. 
Documents  particuliers. 

sicinics  dentatus,  guerrier  romain,  as- 
sassiné en  450  avant  J  -C.  Il  fut  un  des  héros 
de  la  grande  lutte  des  plébéiens  contre  les  patri- 
ciens, célébrée  par  des  chants  populaires,  qui  ne 
sont  pas  venus  jusqu'à  nous,  et  dont  les  anna- 
listes latins  ne  contiennent  qu'un  sec  résumé. 
Voici  l'histoire  ou  plutôt  la  légende  de  cet 
Achille  romain,  comme  l'appelle  Aulu-Gelle.  Il 
combattit  dans  cent  vingt  batailles,  tua  huit  en- 
nemis en  combat  singulier,  reçut  quarante-cinq 
blessures  ,  dont  il  gardait  les  cicatrices ,  gagna 
d'innombrables  récompenses  honorifiques,  et  sui- 
vit le  triomphe  de  neuf  généraux  pour  des  vic- 
toires principalement  dues  à  sa  valeur.  Tribun 
en  454,  il  traduisit  devant  le  peuple  et  (it  con- 
damner le  consul  T.  Romilius.  En  450,  sous  le 
second  décemvirat,  Sicinius  conseilla  aux  soldats 
de  se  retirer,  à  l'exemple  de  leurs  pères,  sur 
le  mont  sacré.  Les  décemvirs,  redoutant  son  in- 
fluence, résolurent  sa  mort.  Le  consul  Fabius  le 
chargea  d'aller  faire  une  reconnaissance,  en  lui 
donnant  pour  l'accompagner  une  troupe  d'assas- 
sins. Sicinius,  assailli  à  l'improviste,  vendit  chè- 
rement sa  vie;  mais  il  succomba  sons  le  nombre. 
Les  décemvirs  répandirent  le  bruit  qu'il  était 
tombé  sous  les  coups  de  l'ennemi,  et  lui  firent 
faire  de  magnifiques  funérailles.  Cette  fabîe  et 
ces  honneurs  ne  trompèrent  pas  les  soldats  sur 
les  véritables  auteurs  du  meurtre  de  Sicinius 
Dentatus;  l'indignation  qu'ils  éprouvèrent  de 
cette  trahison  fut  une  des  causes  du  soulève- 
ment populaire  qui  mit  fin  à  la  domination  des 
décemvirs.  L.  J. 

Denys  d'Halicarnasse,  X,  48,  52  ;  XI,  25-27.  —  Tive  Live, 
111,43.  —Aulu-Gelle,  II,  11.  — Pline,  Hist.nat.,  VII,  27.— 
Vaiere  Maxime,  II,  3.  —  Niebuur,  Hist.  romaine,  t.  IV, 
trad.  de  Golbery. 


947  SICKINGEN 

sickingex  (Frantz  ce),  célèbre  capitaine 
allemand,  né  en  niais  1481,  au  château  d'E- 
bernbourg,  mort  !e  7  mai  1523,  à  Landstuhl. 
[1  était  d'une  ancienne  famille  de  cbevaliers  qui 
au  quatorzième  siècle  s'était  fixée  dans  le  Pala- 
tinat,  où  elle  possédait  la  ville  de  Landstuhl.  Son 
père  Schweickhard ,  grand  maréchal  du  Pala- 
tinat,  eut  de  longs  et  sanglants  démêlés  avec  les 
villes  du  cercle  du  Rhin,  qu'il  accabla  d'exac- 
tions. Fait  prisonnier  en  1504  dans  la  guerre  de 
la  succession  de  Bavière,  il  fut  exécuté  pour 
avoir  violé  les  ordres  de  l'empereur.  Habile  à 
tous  les  exercices  du  corps,  Frantz  recul  une 
éducation  soignée,  que  dirigèrent  Reuchlin  et 
Geyler  de  Keisersberg;  il  avait  une  connais- 
sance suffisante  du  latin  et  écrivait  avec  facilité 
l'allemand  et  le  français.  Son  caractère,  naturel- 
lement violent,  s'était  adouci  sous  l'influence  de 
sa  femme,  la  belle  Hedwige  de  Flersheim  ;  mais 
il  conserva  une  soif  insatiable  de  grandeur  et 
de  gloire.  De  bonne  heure  il  aspira  à  l'honneur 
d'être  le  défenseur  du  faible.  Lorsqu'on  1515, 
Sloer,  riche  notaire  de  Worms,  fut  dépouillé  de 
ses  biens  à  l'instigation  des  nobles,  Sickingen, 
se  déclarant  le  champion  de  l'opprimé,  leva  une 
armée,  que  sa  réputation  militaire,  établie  par 
sa  brillante  conduite  dans  la  guerre  contre  Ve- 
nise, éleva  au  chiffre  de  huit  mille  hommes. 
Il  occupa  le  territoire  de  Worms,  bloqua  la 
ville,  et  en  fit  le  siège  régulier  ;  mais,  n'ayant  pu 
y  entrer,  il  conclut  avec  elle  une  trêve  de  deux 
ans.  De  concert  avec  le  comte  de  Geroldseck,  il 
déclara  la  guerre  au  duc  de  Lorraine,  et  en- 
vahit ses  États  à  l'improviste  (mai  1516).  La 
déroute  de  son  allié  arrêta  le  cours  de  ses  dé- 
prédations; il  consentit  à  rebrousser  chemin 
moyennant  trente  mille  écus  et  une  grosse  pen- 
sion. Attiré  par  Robert  de  La  Marck  à  la  cour 
de  François  Ier ,  il  entra  au  service  de  ce 
prince  avec  une  pension  de  trois  mille  livres. 
En  1518  il  intervint  dans  la  querelle  entre  le 
comte  Schluchterer  et  la  ville  de  Metz,  qu'il 
vint  assiéger  avec  vingt  et  un  mille  hommes.  Sur 
la  menace  qu'il  fit  de  détruire  toutes  les  vignes 
du  pays,  les  Messins  s'empressèrent  d'acheter  la 
paix  vingt-cinq  mille  florins  d'or.  Continuant  son 
rôle  de  grand-justicier,  il  força  le  landgrave  Phi- 
lippe de  Hesse  à  céder  aux  réclamations  que 
lui  adressaient  plusieurs  seigneurs.  Sur  ces  entre- 
faites il  se  réconcilia  avec  l'empereur,  quitta 
sous  un  prétexte  le  service  de  François  Ier  pour 
celui  de  Charles  d'Autriche.  En  1519  il  com- 
manda l'armée  que  la  ligue  de  Souabe  dirigea 
contre  le  duc  Ulric  de  Wurtemberg,  qui  fut 
dépouillé  de  ses  États.  Après  la  mort  de  Maxi- 
milien,  il  exerça  sur  l'élection  de  son  successeu» 
une  influence  considérable  :  après  avoir  gagné 
à  ses  vues  l'archevêque  de  Mayence,  il  vint  avec 
quinze  mille  soldats  camper  sous  les  murs  de 
Francfort,  où  les  électeurs  étaient  réunis,  et  dé- 
cida ainsi  leur  vote  en  faveur  de  Charles  V,  qui  !e 
nomma  capitaine  de  ses  armées  (1520\  Cédant 


948 

aux  instances  dece  prince,  il  se  joignit  en  1521  au 
comte  de  Nassau,  pour  la  conquête  du  duché  de 
Bouillon,  qui  appartenait  à  Robert  de  La  Marck, 
son  ami.  Lorsque  la  guerre  eut  éclaté  entre 
l'empereur  et  François  itr,  il  alla,  toujours  eu 
compagnie  du  comte  de  Nassau,  assiéger  Mé- 
zières.  L'entreprise,  qu'il  avait  déconseillée  du 
reste,  échoua. 

Après  avoir  rejoint  Charles  V  en  Picardie, 
Sickingen  revint  à  Ebernbourg,  et  licencia  la 
plus  grande  partie  de  ses  bandes  (1).  Son  châ- 
teau était  devenu  dans  l'intervalle  le  refuge  et 
l'arsenal  de  la  réforme  naissante.  Gagné  aux 
idées  nouvelles  par  Ulric  de  Hutten,  il  avait 
établi  chez  lui  une  imprimerie,  d'où  sortaient 
une  foule  d'écrits  contre  l'Église  romaine,  et  ii 
donnait  l'hospitalité  à  Melanchthon,  à  Bucer,  à 
Œcolampade,  dont  il  fit  son  chapelain,  etc:  En 
même  temps  il  protégeait  efficacement  contre 
les  persécutions  des  dominicains  de  Cologne 
Reuchlin,  son  précepteur.  Ce  qui  le  rapprocha 
de  Luther,  ce  fut  sa  sympathie  pour  les  op- 
primés et  aussi  l'espoir  d'acquérir  de  nouveaux 
domaines  par  la  sécularisation  des  biens  du 
clergé.  En  espérant  de  profiter  des  troubles  re- 
ligieux, Sickingen  avait  le  projet  de  les  faire 
servir  à  la  réalisation  d'un  plan  politique  qui 
ne  manque  pas  d'une  certaine  grandeur.  Il  vou- 
lait d'une  part  affranchir  le  peuple  de  la  tyrannie 
qui  pesait  sur  lui  et  de  l'autre  régénérer  la 
noblesse  en  la  rendant  opulente  et  libre  ;  peu- 
ple et  noblesse,  tels  devaient  être  les  seuls  élé- 
ments de  la  société  qu'il  rêvait  de  fonder.  A  ce 
sujet  il  convoqua  à  Landau  une  grande  assem- 
blée de  chevaliers  (  1522),  qui  adopta  ses  idées 
avec  enthousiasme  ;  il  fut  élu  le  chef  absolu  d'une 
vaste  ligue  qui  s'étendait  sur  l'Allemagne  en- 
tière. Ce  premier  succès  lui  fit  entrevoir  l'es- 
pérance de  s'élever  sur  la  ruine  de  tous  les 
pouvoirs  établis  jusqu'à  la  couronne  impériale. 
Avec  l'appui  secret  de  l'électeur^ _  Mayence, 
du  duc  de  Lorraine  et  de  la  plupar?  des  villes 
du  Rhin,  il  rassembla  une  armée  d'environ 
vingt  mille  hommes  et  une  nombreuse  artillerie. 
Il  porta  ses  premiers  coups  contre  Richard,  élec- 
teur de  Trêves,  le  plus  énergique  défenseur  de 
l'Église.  Mais  ce  fut  en  vain  qu'il  l'assiégea 
dans  sa  capitale,  il  recula  devant  Philippe  de 
Hesse  et  l'électeur  palatin,  qui  s'étaient  ligués 
contre  lui.  Cet  échec  découragea  le  parti  des 
chevaliers,  jeta  la  division  parmi  eux.  Sic- 
kingen, quoique  lourmenté  de  la  goutte,  organisa 
la  résistance  avec  un  courage  indomptable  :  as- 
siégé à  son  tour  dans  Landstuhl  par  les  trois 
princes  ses  ennemis,  il  vit  bientôt  tomber  en 
ruines  les  fortifications  qu'il  croyait  avoir  ren- 
(iuesjmprenables.  Le  2  mai  1523,  pendant  qu'il 
se  farSait  porter  en  litière  sur  les  remparts  par 
deux  serviteurs,   ceux-ci,   renversés   par  des 


(1)  II  ne  reçut  en  dédommagement  de  ses  frais  de  guerre 
qu'une  assignation  de  75,000  florins  d'or,  laquelle  ne  lui 
fut  jamais  paye». 


949  SICKINGEN 

éclats  de  maçonnerie,  le  laissèrent  tomber  sur 
îles  palissades  ;  grièvement  blessé,  il  capitula 
trois  jours  plus  tard.  Les  trois  princes  vinrent 
le  trouver  dans  la  caverne  où  on  l'avait  trans- 
porté. 11  était  mourant  lorsque  l'archevêque  de 
Trêves  lui  reprocha  d'avoir  envahi  ses  États  ;  il 
répondit  :  «  J'aurais  bien  des  choses  à  dire  là- 
dessus  ;  mais  je  vais  répondre  à  un  maître  plus 
grand  que  vous.  »  Il  expira,  ayant  reçu  les 
sacrements  des  mains  d'un  prêtre  catholique. 
On  sait  qu'Albert  Durer  a  immortalisé  la  noble 
(igure  de  ce  capitaine  dans  son  fameux  Cheva- 
lier de  la  Mort.  Ses  domaines  et  ses  richesses 
furent  partagés  entre  les  trois  princes;  vingt  ans 
plus  tard,  par  l'entremise  de  Charles-Quint,  ses 
fils  recouvrèrent  la  plus  grande  partie  des  pos- 
sessions de  leur  famille.  Parmi  les  descendants 
de  Sickingen,  dont  le  dernier  mourut  en  1837, 
aucun  ne  montra  les  brillantes  qualités  qui, 
malgré  tous  ses  écarts,  lui  avaient  valu  une  si 
éclatante  renommée.  E.  G. 

Th.  Leodius,  Historia  Fr.  de  Sickingen,  dans  les 
Script,  de  Freher,  t.  III.  —  Fleuranges,  Mémoires.  — 
Wiïrdtwcin,  Kriege  und  P/edschaften  des  edlen  Fr.  von 
Sickingen;  Manheim,  1787,  in-8°.  —  Long,  Historisches 
Taschcnbuch,  t.  1er.  —  Buddeus,  Fr.  von  Sickingen  ;  Go- 
tha, 1794,  in-8°.  —  Munch,  Fr.  von  Sickingen;  Stutt- 
gart!, i827,  3  vol.  in-8°.  —  Boutelller,  JJist.  de  Fr.  de 
Sickingen  ;  Metz,  1860,  in-8°. 

siddons  (Sarah  Kemble,  mistress),  cé- 
lèbre tragédienne  anglaise,  née  à  Brecon  (  pays 
de  Galles),  le  14  juillet  1755,  morte  à  Lon- 
dres, le  8  juin  1831.  Elle  était  de  cette  famille 
Kemble  (voy.  ce  nom)  qui  a  donné  au  théâtre 
anglais  tant  d'artistes  distingués  de  l'un  et 
l'autre  sexe.  Son  père ,  Roger,  dirigeait  une 
troupe  ambulante  où  dès  son  enfance  elle  rem- 
plit toutes  sortes  de  rôles,  chantant  même  l'o- 
péra au  besoin.  Elle  avait  quinze  ans  lorsqu'il 
s'établit  entre  elle  et  un  jeune  acteur  nommé 
Siddons  une  liaison  que  ses  parents  crurent 
rompre  en  plaçant  leur  fille  comme  dame  de 
compagnie  dans  une  famille  du  comté  de  War- 
wick.  Mais  l'affection  du  jeune  couple  résista  à 
cette  épreuve,  et  il  fallut  consentir  à  leur  union, 
qui  eut  lieu  à  Covenlry,  le  26  novembre  1773. 
Rentrée  au  théâtre,  où  elle  ne  tarda  pas  à  con- 
quérir, dans  la  province,  une  assez  grande  cé- 
lébrité, Mme  Siddons  fut  appelée  à  Londres  par 
Garrick  (décembre  1775  ).  Elle  joua  avec  lui 
plusieurs  rôles  sans  grand  succès  :  la  timidité 
paraît  avoir  été  la  principale  cause  de  cette  es- 
pèce d'échec.  Jusqu'en  1782  elle  travailla, 
comme  elle  le  dit  elle-même,  «  à  fortifier  ses 
nerfs  »  et  à  perfectionner  son  jeu,  en  donnant 
des  représentations  dans  plusieurs  villes,  telles 
que  Manchester,  York  et  Bath.  Enfin,  le  10  oc- 
tobre 1782,  elle  reparut  à  Covent-Garden  avec 
une  maturité  de  talent  et  un  éclat  de  succès  qui 
se  soutinrent  dans  les  représentations  qu'elle 
donna  à  Dublin  et  à  Edimbourg,  et  qui  ne  se  dé- 
mentirent point  jusqu'au  moment  où  elle  joua 
pour  la  dernière  fois  sur  la  scène  de  ses  débuts, 
«  9  juin  1818.  La  nature  avait  donné  à  M™e  Sid- 


SIM-MOITAMMED  9.iO 

dons  un  port  de  reine,  des  traits  réguliers,  une 
voix  sympathique.  Elle  perfectionna  ces  dons 
naturels  par  un  travail  soutenu  et  intelligent, 
dont  témoignent  les  remarquables  études  qu'elle 
a  laissées  sur  les  rôles  de  Constance  dans  le  Roi 
Jean  et  de  lady  Macbeth.  Parmi  les  autres  rôles 
auxquels  son  nom  restera  attaché,  on  peut  citer 
Marguerite  d'Anjou  dans  Edouard  IV,  Juliette, 
Ophélia,  Portia  du  Marchand  de  Venise,  Bcl- 
videra  de  Venise  sauvée,  Callista  de  la  Belle 
pénitente,  Jane  Shore,  Lsabella,  et  enfin  lady 
Randolph  du  Douglas  de  Home,  où  elle  lutta 
avec  une  artiste  célèbre  dans  son  temps , 
Mme  Crawford,  et  dans  lequel  plus  tard  elle  fit 
ses  adieux  au  public. 

Mme  Siddons  obtint  de  ses  contemporains  des 
hommages  unanimes,  que  justifiaient  ses  ta- 
lents hors  ligne  et  la  dignité  de  sa  vie  privée.  Le 
vieux  Johnson  trouva  pour  elle  un  mot  galant  : 
comme  elle  était  allée  le  visiter  dans  son  galetas, 
le  docteur  eut  peine  à  trouver  une  chaise  pour 
la  faire  asseoir.  «  Madame,  lui  dit-il,  partout  où 
vous  paraissez,  les  sièges  manquent.  »  Byron 
disait  qu'elleavait  tellement  rempli  l'idée  qu'il  se 
faisait  d'une  grande  actrice  qu'il  refusa  d'aller 
voir  Mile  O' Neil  dans  le  rôle  de  lady  Macbeth, 
pour  ne  pas  déranger  son  idéal.  Mme  Siddons, 
dans  le  souvenir  des  Anglais  ainsi  que  dans  le 
portrait  de  Reynolds,  restera  comme  la  reine  de 
son  art.  On  a  publié  des  lettres  d'elle  dans  Jour- 
nais  and  Corresp.  of  Th.  Whalley  ;  1863,2  vol. 
Son  fils,  Henry  Siddons,  né  en  1774,  a  été  ac- 
teur et  directeur  de  théâtre;  il  a  aussi  fait  re- 
présenter quelques  pièces.  E.  R — y, 

J.  Eoaden,  Memoirs  of  the  Uje  of  Mrs  Siddons  ;  Lon- 
dres, 183?,  2  vol.  in-8°.  —  Th.CainpbeU,  Life  of  Mrs  Sid- 
dons; ibiil.,  1834,2  vol.  in-8°.  —  Biogr.  dramatica. 

SIDI-3JOHASS.MED,  empereur  du  Maroc,  né 
vers  1702,  mort  le  11  avril  1790,  à  Rabat.  11 
était  depuis  longtemps  associé  par  son  père, 
Muley-Abdallah,  aux  soins  du  gouvernement 
lorsqu'à  la  mort  de  celui-ci,  en  1757,  il  fut  appelé 
à  lui  succéder  ;  il  n'avait  pas  de  frères,  ne  ren- 
contra pas  de  compétiteurs,  et  son  avènement 
s'accomplit  sans  troubles.  Prince  moins  violent 
et  brutal  que  ses  prédécesseurs,  il  comprit  les 
bienfaits  de  la  civilisation,  et  chercha  à  la  faire 
pénétrer  dans  ses  États.  Il  voulut  sortir  de  la 
situation  de  guerre  perpétuelle  où  s'était  trouvé 
jusqu'alors  le  Maroc  avec  les  États  chrétiens  ;  il 
conclut  donc  des  traités  de  paix  avec  l'Angle- 
terre, la  Hollande,  le  Danemark,  la  Suède,  Ve- 
nise, la  France,  l'Espagne,  le  Portugal,  l'em- 
pereur d'Allemagne,  la  Toscane  et  les  autres 
États  d'Italie.  Ce  nouveau  mode  de  gouverne- 
ment porta  bientôt  ses  fruits;  les  étrangers 
vinrent  s'établir  au  Maroc  et  l'on  y  vit  régner 
une  activité  commerciale  dont  on  n'avait  pas 
l'idée  auparavant;  les  ouvriers  européens  con- 
tribuèrent à  la  prospérité  et  à  l'embellissement 
de  l'empire.  En  1760  fut  bâtie  la  ville  de  Moga- 
dor  ;  le  palais  de  l'empereur  à  Maroc  fut  Irans- 


951  SIDI-MOHAMMED  —  SIDNEY 

formé  et  les  fondements  de  la  ville  de  Fédali 
jetés  en  1773.  Malheureusement  Sidi -Moham- 
med eut  la  malencontreuse  idée  d'élever  les 
droits  de  douane,  et  celle,  plus  mauvaise  encore, 
d'exercer  ie  monopole  du  commerce.  Les  calculs 
de  l'avarice,  son  vice  favori,  furent  trompés,  et 
le  mouvement  commercial  qui  faisait  la  fortune 
du  Maroc  diminua  dans  des  proportions  consi- 
dérables. Au  milieu  de  ces  préoccupations  po- 
litiques, il  n'oubliait  pas  la  guerre,  et  l'argent 
qui  provenait  des  impôts  et  de  l'exportation  du 
blé  était  en  partie  consacré  à  se  procurer  de 
l'artillerie  et  les  ressources  nécessaires  pour 
engager  la  lutte.  En  1769  il  assiégea  Mazagran, 
qu'il  enleva  aux  Portugais.  Mais  lorsqu'il 
voulut,  en  1774,  prendre  Melilla  aux  Espagnols, 
il  rencontra  une  résistance  qui  le  rebuta  ;  il  se 
décida  à  en  lever  le  siège,  et  demanda  la  paix  au 
roi  Charles  Uï;  elle  ne  fut  cependant  signée 
qu'en  1780;  mais  à  partir  de  ce  moment  Sidi- 
Mohammed  entretint  avec  ce  prince  des  rap- 
ports de  franche  et  cordiale  amitié  ;  lorsque  les 
Espagnols  assiégèrent  Gibraltar,  il  refusa  aux 
Anglais  toute  assistance,  et  ouvrit  au  contraire 
le  port  de  Tanger  à  leurs  adversaires  ;  il  eut  en- 
core d'autres  occasions  de  témoigner  ses  bonnes 
dispositions  au  gouvernement  de  Madrid.  Une 
petite  guerre  de  Sidi-Mohammed  avec  les  Hol- 
landais fut  sans  importance.  Ce  prince  versait 
rarement  le  sang;  il  était  populaire,  et  son  règne 
fut  rarement  troublé  par  des  révoltes.  Eu  1772, 
l'année  même  où  il  perdit  son  parent  et  son  mi- 
nistre sur  lequel  il  se  reposait  presque  entière- 
ment des  soins  du  gouvernement ,  un  marabout 
essaya  de  troubler  le  royaume  par  ses  prédica- 
tions fanatiques;  mais  ses  partisans  furent  faci- 
lement dispersés  et  lui-même  mis  à  mort.  En 
Ï778  une  insurrection  plus  sérieuse  éclata;  les 
troupes  nègres,  qui  formaient  une  armée  de 
cent  mille  hommes  environ,  irritées  d'un  re- 
tard dans  le  payement  de  leur  solde,  se  révol- 
tèrent et  mirent  à  leur  tête  Muley-Yézid,  un  des 
fils  de  l'empereur.  Celui-ci  s'empressa  de  mar- 
cher contre  eux ,  arrêta  par  son  sang-froid  Je 
mouvement,  et  relégua  son  fils  à  La  Mecque. 
Pour  prévenir  de  nouvelles  révoltes,  il  licencia 
une  partie  des  noirs,  et  réduisit  cette  troupe  à 
quinze  mille  hommes.  Les  soupçons  avaient 
aigri  le  caractère  du  vieil  empereur  ;  ii  prit 
bientôt  ombrage  de  l'altitude  de  Muley-Yézid, 
qui  de  retour  au  Maroc  ralliait  autour  de  lui  les 
mécontents  ;  il  employa  en  vain  les  prières  et  les 
menaces  pour  l'amener  à  la  cour.  A  la  fin  il 
marcha  à  la  tête  de  ses  troupes  contre  le  fils 
indocile,  qui,  retiré  dans  un  lieu  sacré  près  de 
Fez,  se  jouait  de  ses  ordres;  mais  il  tomba 
malade  en  route,  et  mourut  en  1790.  Sous 
lui  le  Maroc  avait  joui  d'une  sécurité  bien 
plus  grande  que  sous  ses  prédécesseurs.  11 
témoignait  sa  sollicitude  à  ses  peuples  en  ren- 
dant lui-même  la  justice  trois  fois  par  semaine. 
Son  fils ,  Muley-Yézid ,  lui  succéda. 


952 

Chenier,  Recherches  hist.  sur  les  Maures.  —  Le  Ma- 
roc, dans  l'Univers  pittoresque. 

sidmouth.  Voy.  AnniNGTON. 

sionef  (Sir  Philip),  homme  d'État  et  litté- 
rateur anglais,  né  à  Penshurst  (Kent),  le  29  no- 
vembre 1554,  mort  à  Arnheim,  le  17  octobre. 
1586.  Fils  d'un  seigneur  qui  avait  occupé  des 
emplois  importants  à  la  cour  d'Edouard  Vï,  de 
Marie  et  d'Elisabeth,  il  fit  de  brillantes  études  à 
Shrewsbury,  puis  à  Oxford  et  à  Cambridge ,  et 
dès  l'âge  de  douze  ans  il  écrivait  à  son  père  en 
latin  et  en  français.  En  1572,  il  partit  pour  le 
continent,  et  se  trouvait  à  Paris  lors  du  massacre 
delà  Saint-Barthélémy;  mais  comme  il  habitait 
la  maison  de  l'ambassadeur  d'Angleterre,  sir 
Francis  Walsingham,  auquel  son  oncle,  le  comte 
de  Leicester,  l'avait  recommandé,  il  ne  courut 
aucun  danger,  quoi  qu'on  en  ait  dit.  D'ailleurs  il 
venait  de  recevoir  du  roi  Charles  IX  le  titre 
de  gentilhomme  de  sa  chambre,  dont  le  brevet 
était  conçu  dans  les  termes  les  plus  flat- 
teurs (1).  En  quittant  la  France,  Sidney  visita 
successivement  les  Pays-Bas,  l'Allemagne,  la 
Hongrie  et  l'Italie,  se  perfectionnant  dans  les 
exercices  du  corps  aussi  bien  que  dans  les  tra- 
vaux de  l'esprit,  et  puisant  dans  les  voyages  une 
instruction  à  la  fois  brillante  et  solide.  A  Franc- 
fort, il  se  lia  d'une  amitié  durableavec  le  fameux 
Hubert  Languet,  qui  lui  adressa  des  Epilres 
politiques  et  historiques,  recueillies  en  1633.  On 
assure  qu'il  connut  le  Tasse  à  Padoue.  Son  retour 
en  Angleterre  eut  lieu  en  mai  1575.  C'était  alors 
un  cavalier  accompli.  Il  obtint  la  faveur  de  sa 
souveraine,  et  débuta  dans  la  littérature  par  un 
de  ces  intermèdes  ou  masques  alors  à  la  mode, 
la  Reine  de  mai  (Lady  of  may}-,  qui  fut  repré- 
senté en  1575  devant.  Elisabeth  à  Wanstead. 
Son  crédit,  attesté  par  une  brillante  ambassade 
à  la  cour  de  Vienne  (1576-77).  et  que  n'avait  pas 
même  ébranlé  une  remontrance  publique  contre 
le  projet  d'union  de  la  reine  d'Angleterre  avec  le 
duc  d'Anjou,  souffrit  une  éclipse  à  la  suite  d'une 
querelle  avec  le  comte  d'Oxford  et  d'une  pro- 
vocation en  duel  qui  déplut  à  la  souveraine. 
Obligé  de  s'éloigner  de  la  cour  (1580)  et  retiré  à 
Wilton,  Sidney  y  composa,  à  l'imitation  de 
Sannazar,  sa  pastorale  de  VArcaclie  (2),  dé- 
diée à  sa  sœur,  la  comtesse  de  Pembroke,  et 


(1)  Les  brevet  et  retenue,  dont  nous  avens  trouve  la 
copie  dans  le  recueil  Cangé,  à  la  Bibliothèque  impériale 
(Imprimés),  t.  73,  portent  :  «  Considérant  combien  est 
grand  la  maison  deSidenay  en  Angleterre  et  le  rang  qu'ils 
ont  toujours  tenu  près  la  personne  des  rey.s  et  reynes 
leurs  souverains;  désirant,  en  considération  de  ce,  bien 
et  favorablement  tralcter  le  Jeune  Sr  de  Sidenay,  et, 
pour  les  bonnes  et  louables  vertus  qui  sont  en  luy,  sui- 
vant la  bonne  et  parfalcte  amitié  qui  est  entre  la  reyne 
d'Angleterre,  nostre  bonne  sœur  et  cousine,  sa  souve- 
raine, et  nous,  aimer  ses  subjects  et  les  voir  converser 
avec  les  nostres,  pour  ces  causes,  etc.  >• 

(2)  Ce  roman  célèbre,  écrit  en  prose  et  en  vers  et  in- 
terrompu après  le  troisième  livre,  parut  par  les  soins  de 
lady  l'cmbroke,  sous  le  titre  de  The  countesse.  of  Vem- 
brokës  Arcadia;  Londres,  1590,  in-4°  de  32  ff.,  très- 
rare;  ibid.,9e  édit.,  1638,  in-fol.  II  a  été  mis  en  français 
par  Baudouin  (  Paris,  1624,  3  vol.  in-8°J. 


953 


dont  le  succès  fut  constaté  par  une  quinzaine  d'é- 
ditions et  par  des  traductions  dans  presque  toutes 
les  langues  de  l'Europe.  Malgré  une  aïfectation 
de  style  à  laquelle  on  donnait  alors  le  nom  d'cît- 
phuisme,  ou  peut-être  à  cause  de  cette  affecta- 
tion même,  le  roman  poétique  de  Sidney,  lu  et 
admiré  par  Cowley,  par  Waller,  charma  les 
heures  de  captivité  du  roi  Charles  Ier,  qui  lui  a 
emprunté  l'une  des  prières  de  l'Icon  Basilikè. 
L'Arcadie  est  un  peu  oubliée  aujourd'hui,  mais 
on  goûte  toujours  sa  Defencc  of  poesy,  com- 
posée en  1581,  quoiqu'elle  n'ait  été  publiée  qu'en 
1595,  revue  judicieuse  et  animée  des  poêles  du 
temps,  où  tous  les  genres  sont  appréciés  avec 
une  liberté  d'esprit  remarquable,  sans  en  excepter 
la  poésie  populaire,  alors  peu  remarquée,  et  dont 
on  s'étonne  de  trouver  un  éloge  bien  senti  sous 
cette  plume  aristocratique. 

Vers  cette  époque,  le  mariage  de  lad  y  Pénélope 
Devereux,  qu'il  aimait  et  qu'il  avait  célébrée  sous 
lesnomsde  Philocleaetde  Stella,  fut  pour  Sidney 
la  cause  d'un  désappointement  pénible.  Il  épousa, 
en  1583,  Fiances,  fille  unique  de  son  vieil  ami 
Walsingham  (l).  Au  commencement  de  1585,  il 
songea  à  se  joiudreàla  seconde  expéditiondeDrake 
dans  les  Indes;  mais  la  reine,  craignant  de 
perdre  celui  qu'elle  appelait  «  le  plus  beau  joyau 
de  ses  domaines  »,  opposa  une  défense  formelle 
à  son  départ.  Il  fut  question  aussi  de  l'attirer  en 
Portugal  pour  appuyer  les  prétentions  de  don 
Antonio,  et  en  Pologne,  où  l'on  offrait  de  l'élire 
pour  souverain,  car  cette  renommée  cheva- 
leresque attirait  également  les  rois  et  les 
peuples.  Dévoué  de  tout  temps  à  son  oncle  le 
comte  de  Leicester,  qu'il  défendit  contre  Par- 
sons  {Leicester's  Commonvjealth,  1584),  il  se 
décida  à  servir  sous  ses  ordres  dans  les  Pays-Bas, 
avec  les  titres  de  gouverneur  de  Flessingue  et  de 
général  de  cavalerie  (1585).  Il  sauva  l'armée  an- 
glaise à  Gravelines,  et  combattait  avec  sa  valeur 
ordinaire  à  Zutphen  (22  sept.  1586)  lorsqu'il  reçut 
à  la  cuisse  une  blessure  mortelle.  Transporté  à 
Arnheim ,  il  passait  devant  les  rangs  de  l'armée 
et  venait  de  demander  à  boire,  lorsqu'il  aperçut 
un  pauvre  soldat  blessé  comme  lui  qui  jetait  un 
regard  d'envie  sur  le  breuvage  déjà  approché  de 
ses  lèvres  :  «  Tiens,  dit-il  en  le  lui  tendant,  tu  en 
as  plus  besoin  que  moi.  »  Cette  destinée  si  bril- 
lante, tranchée  à  trente-deux  ans,  excita  les  regrets 
de  l'Angleterre.  Rien  ne  manqua  aux  funérailles 
deSidney,ni les hohneursd'une sépulture  à  Saint- 
Paul,  ni  un  deuil  public,  dont  on  donna  pour  lui 
le  premier  exemple,  ni  les  témoignages  de  regret 
que  lui  prodiguèrent  à  l'envi  les  corps  savants, 
les  littérateurs  et  les  poètes.  Son  nom  a  droit  à 
un  souvenir  spécial  de  la  part  de  la  France  :  il  y 
avait  pour  correspondants  Henri  Estienne,  Hot- 
man ,  Pibrac,  à  qui  il  reprocha  son  apologie  de 

(1)  Elle  eut  encore  deux  autres  maris,  le  comte  d'Es- 
sex,  exécuté  en  1600,  et  le  grand  comte  de  Clanricarde. 
L'unique  enfant  qu'elle  avait  eue  de  Sidney  épousa  le 
comte  de  Rutland. 


S1DJNEY  954 

la  Saint-Barthélémy,  Duplessfc-Mornay,  dont  il 
faisait  traduire  par  Arthur  Golding  le  Traité  sur 
la  vérité  de  la  religion  chrétienne. 

Ph.  Sidney  a  encore  écrit  le  poème  intitulé  : 
Remedy  for  love,  le  recueil  de  sonnets  (Aslro- 
phel  and  Stella;  1591,  in-4°)  adressés  à  la 
belle  lady  Pénélope;  beaucoup  de  vers  insérés 
dans  England's  Heiicon,  England's  Pâmas- 
sus  et  Davidson' s  Rhapsody ;  une  version 
poétique  des  Psaumes,  etc.  Tousses  écrits  ont 
été  réunis  par  W.  Gray  (Miscellaneous  icorks; 
Londres,  1829,  pet.  in-8°),  et  sa  correspondance 
a  été  publiée  par  Collins  (Lelters  and  mémo- 
riais  of  State  writlen  and  collecledbij  Henry, 
Philip  and  Robert  Sidney;  ibid.,  1746,  2  vol. 
in-fol.  ).  E.-J.-B.  Rathep.y. 

Wood,  Athenx  Oxonienses.  —  Naunton,  Fragmenta 
regalia.  —  Fuiler,  TForthies.  —  F.  Greville,  Life  of  sir 
Ph.  Sidney  ;  Londres,  1652,  in-8».  —  Th.  Zouch,  iVe- 
moirs  of  the  life  of  Ph.  Sidney;  York,  1808,  in-;». — 
G.  Whestone,  Sir  Ph.  Sidney;  Lond.,  1816,  in-t°.  — 
Bourne,  3/emoir  of  sir  Ph.  Sidney,  l.ond.,  1862, in-8". 

sidney  (Algernon),  patriote  anglais,  né  vers 
1622,  décapité  à  Londres,  le  7  décembre  1683.  Il 
suivit  son  père,  Robert,  comte  de  Leicester, 
dans  ses  ambassades  de  Danemark  (1632),  et  de 
France  (1636).  Celui-ci  ayant  été  nommé  lord 
lieutenant  d'Irlande  (1641),  le  jeune  Sidney,  à  la 
tête  d'un  corps  de  cavalerie,  prit,  ainsi  que  son 
frère  aîné,  le  vicomte  Lisle,  une  part  active  et 
brillante  à  la  campagne  qui  suivit  la  rébellion  de 
ce  pays.  Au  mois  d'août  1643,  les  deuxi. frères, 
de  retour  en  Angleterre,  allaient  rejoindre 
Charles  Ier  à  Oxford  lorsqu'ils  furent  arrêtés  par 
ordre  du  parlement.  Le  roi  crut  à  une  connivence 
de  leur  part;  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que 
Sidney  finit  par  accepter,  dans  l'armée  parlemen- 
taire, le  grade  de  capitaine,  puis  celui  de  colonel 
de  cavalerie  (1645),  que  lui  donna  Fairfax.  En 
1646,  3  fut  nommé  lieutenant  général  et  gou- 
verneur de  Dublin.  Élu  député  dans  la  même 
année,  il  siégea  parmi  les  juges  de  Charles  Ier, 
mais  ne  prit  point  part  à  la  condamnation  pro- 
noncée contre  lui ,  quoiqu'il  l'ait  plus  tard  dé- 
fendue et  glorifiée.  Pendant  le  protectorat  de 
Cromwell  et  de  son  fils,  il  se  retira  des  affaires 
publiques  pour  n'y  rentrer  qu'au  moment  où  le 
long  parlement  fut  rétabli.  Il  fut  nommé  con- 
seiller d'État  le  13  mai  1659.  Le  5  juin  suivant, 
il  fut  un  des  trois  négociateurs  envoyés  pour  mé- 
nager une  alliance  entre  le  Danemark  et  la  Suède. 
Ce  fut  pendant  son  séjour  dans  ce  premier  pays 
qu'il  écrivit  sur  l'album  de  l'université  de  Copen- 
hague cette  profession  de  foi  républicaine  : 


Manus  haec  inimica  tyrannis 
Ense  petit  placidam  sub  libertale  quictem. 

Au  lieu  de  rentrer  en  Angleterre,  où  la  res- 
tauration venait  de  s'accomplir,  Sidney  préféra 
promener  pendant  dix-sept  ans,  en  Allemagne, 
en  Italie ,  en  Suisse ,  en  France ,  sa  vie  errante 
et  ses  opinions  bruyamment  républicaines.  On 
assure  que  le  roi  Louis  XIV  ayant  eu  envie  d'un 
cheval  qu'il  l'avait  vu  monter  à  la  chasse,  Alger- 


955 


SIDNEY  —  SIDOrsIUS  APOLLINARIS  155 


non,  pressé  de  le  lui  céder,  aima  mieux  tuer  la 
bête  d'un  coup  de  pistolet  (1). 

En  1677,  sur  la  demande  du  vieux  comte  de 
Leicester,  qui  témoigna  le  désir  de  revoir  son  fils 
avant  de  mourir,  demande  appuyée  par  les  am- 
bassadeurs de  France  et  d'Angleterre,  Sidney 
obtint  du  roi  Charles  II  son  pardon  et  la  per- 
mission de  rentrer  dans  sa  patrie.  Mais  bientôt, 
affranchi  par  la  mort  de  son  père  des  ménage- 
ments que  les  opinions  de  celui-ci  lui  imposaient, 
il  devint  le  coryphée  de  l'opposition  et  la  terreur 
des  ministres  dans  le  parlement,  où  les  élections 
générales  de  1678  l'avaient  fait  entrer. 

Les  relations  dont  nous  avons  parlé  à  l'article 
Russell  (voy.  ce  nom),  et  qui  s'établirent  à  cette 
époque  entre  le  gouvernement  français  et  les 
chefs  de  l'opposition  en  Angleterre,  eurent  pour 
principal  moteur  et  agent  Sidney,  qui  figure  pour 
500  guinées  dans  le  compte  des  sommes  distri- 
buées aux  patriotes  par  l'ambassadeur  français 
Barillon.  Du  reste,  dans  ce  fait,  établi  d'une  ma- 
nière authentique,  on  aurait  tort  de  voir  un 
abandon  des  principes  qu'il  avait  hautement  pro- 
clamés toute  sa  vie.  La  correspondance  du  même 
ambassadeur  atteste  que  Sidney,  avec  l'esprit 
énergique  et  un  peu  étroit  qu'on  lui  connaît, 
poursuivait  toujours  son  rêve  du  rétablissement 
de  la  république  en  Angleterre,  auquel  il  avait 
de  tout  temps  cherché  à  intéresser  la  France 
monarchique.  Comme  Mirabeau,  il  accepta  de 
l'argent  pour  professer  des  opinions  qui  étaient 
les  siennes  :  telle  est  la  mesure  de  ses  torts.  Us 
ne  sauraient  justifier  les  moyens  auxquels  le 
gouvernement  anglais  eut  recours  pour  établir 
sa  complicité  dans  le  complot  de  Rye-house  et 
pour  amener  sa  condamnation.  Le  nom  du  juge 
Jefferies,  la  conduite  du  principal  témoin,  lord 
Howard,  l'usage  que  l'on  fit  de  fragments  poli- 
tiques trouvés  dans  les  papiers  de  l'accusé  et 
restés  à  l'état  de  théories  purement  spéculatives, 
imprimeront  éternellement  à  toute  cette  procé- 
dure le  sceau  de  l'illégalité  (2).  Condamné  le 


(1)  Un  honnête  conseiller  au  parlement  de  Bourgogne, 
Pierre  le  Gouz,  a  consigné  dans  des  notes  manuscrites 
l'effet  qu'avaient  produit  sur  lui  la  personne  et  les  uto- 
pies du  républicain  anglais.  «  J'ai  souvent,  dit-il,  mangé 
à  Paris  avec  le  comte  de  Sidney,  en  1677.  J'étais  logé 
dans  la  rue  de  Tournon,  et  j'allais  prendre  mes  repas, 
avec  ce  comte,  à  l'hôtel  d'Antragues.  11  était  homme 
d'esprit,  mais  républicain  outré;  il  regrettait  le  temps  de 
Cromwell,  ou  plutôt  le  temps  qui  avait  précédé  la  domi- 
nation de  cet  usurpateur.  11  disait  que  le  dessein  des 
Anglais  était  de  faire  une  république  sur  le  modèle  de 
celle  des  Hébreux  avant  qu'ils  eussent  des  rois,  et  de 
celles  de  Sparte,  de  Rome,  de  Venise,  prenant  de  chacune 
ce  qu'elle  avait  de  meilleur  pour  en  faire  un  composé 
parfait 11  assurait  que  tandis  que  l'armée  du  parle- 
ment avait  été  sur  pied  jamais  on  n'avait  vu  un  soldat 
'urer  Dieu;  qu'on  n'y  souffrait  point  de  cartes,  ni  de  dés, 
ni  de  filles  ;  que  chaque  soldat  portait  à  sa  poche  une 
llible  en  anglais  ;  que  tous  s'exerçaient  à  la  lutte  ou  à 
des  Jeux  utiles  et  propres  à  fortifier  le  corps,  etc.  » 

(2)  L'annulation  des  sentences  prononcées  contre  Russell 
et  Sidney  fut  un  des  premiers  actes  parlementaires  qui 
suivirent  la  révolution  de  1688.  On  y  releva  en  détail 
toutes  les  illégalités  commises  dans  le  cours  de  L'instruc- 
tion et  du  procès. 


26  novembre  1683,  il  monta  avec  courage  sur 
l'échafaud  qui  avait  vu  périr  son  ami  et  co-accusé 
William  Russell,  et,  malgré  la  différence  de  leurs 
caractères,  ces  deux  noms  resteront  toujours 
unis  dans  la  mémoire  des  hommes  comme  des 
types  de  constance  politique  et  de  martyre  souf- 
fert au  nom  de  la  liberté. 

Sidney,  dit  Burnet,  avait  étudié  à  fond  toutes 
les  branches  de  la  science  politique.  Le  plus 
connu  de  ses  ouvrages,  Discourses  concerning 
government  (Londres,  1698,  in-fol.  )  publié  par 
Toland,  a  eu  un  grand  nombre  d'éditions  ;  celles 
de  1751,  de  1763  et  de  1772  contiennent  les 
lettres  de  l'auteur  à  Henry  Savile,  ambassadeur 
en  France.  Les  Discours  ont  été  traduits  en 
français  par  P.-A.  Samson  (La  Haye,  1702, 
3  vol.  pet.  in-8°).  E.-J.-B.  Rathery. 

G.  Meadley,  Life  of  Algernon  Sidney  ;  Lond.,  1813, 
1816,  in-8°.  —  Bleocowe,  Sidney  Papers;  ibid.,  1S25, 
in-8«.  —  R.-C.  Sidney,  Brief  memoirs  of  A  Sidney  ;  ibid., 
1835,  in-8°.— G.vanSantvoord,  Life  of  A.  Sidney;  New- 
York,  1851,  in-12.  —  State  trials,  t.  IX,  p.  357-1000.  — 
Lord  Grey,  The  secret  History  of  the  Ryehouse  plot; 
Lond.,  1754.  —-Th.  Mollis,  Notice  à  la  tête  des  Discourses, 
édit.  1751.  —  Collins,  Memoirs  of  the  Sydneys ,  à  la  tête 
des  Letters  and  Memorials.  —  Macaulay,  Hist.  of  En- 
gland. 

SIDONIUS   APOLL1KARIS  (CaïUS  Sollius), 

en  français  Sidoine  Apollinaire,  écrivain  latin, 
né  à  Lyon,  le  5  novembre  430  ou  431,  mort  le 
21  août  488.  Il  était  d'une  très-ancienne  famille; 
son  aïeul  et  son  père  avaient  été  préfets  du  pré- 
toire en  Gaule.  Élevé  à  l'école  de  sa  ville  natale, 
il  y  eut  pour  professeurs  Eusèbe  et  Hœnius.  A 
vingt  ans  il  épousa  Papianilla,  fille  d'Avitus. 
Lorsque  son  beau-père  fut  proclamé  empereur 
(456),  il  l'accompagna  à  Rome,  et  y  prononça  le 
panégyrique  du  nouveau  césar  en  vers;  en  ré- 
compense il  eut  le  rang  de  sénateur  et  la  charge 
de  préfetde  laville,  et  sa  statue  fut  placée  sous  le 
portique  deTrajan.  Après  la  chute  d'Avitus  (457), 
il  s'attacha  au  parti  de  Marcellin ,  s'enferma  dans 
Lyon,  et  endura  les  périls  du  siège  ;  mais  la  ville 
prise  il  fit  sa  soumission,  et  célébra  le  nouvel  em- 
pereur, Majorien,  dans  un  panégyrique  où  respire 
la  plus  hyperbolique  flatterie;  aussi  obtint-il 
de  grands  avantages  pour  sa  ville  natale,  et  pour 
lui  le  titre  de  comte  et  divers  emplois  honori- 
fiques. A  l'avènement  de  Sévère  III  (nov.  (461), 
il  quitta  la  cour,  et  se  retira  dans  sa  belle  villa 
d'Avitaticum,en  Auvergne.  Il  y  passa  plusieurs  an- 
nées dans  la  société  de  ses  amis,  et  occupé  surtout 
de  l'étude  des  lettres.  Appelé  en  467  à  Rome  par 
l'empereur  Anthemius,  il  composa  le  panégy- 
rique de  ce  prince,  qui  le  récompensa  par  les  of- 
fices de  chef  du  sénat,  de  patrice  et  de  préfet 
de  Rome.  En  471  il  fut  élu,  malgré  lui,  par 
les  suffrages  unanimes  du  peuple  et  du  clergé 
à  l'évêehé  de  Clermont.  Il  se  sépara  de  sa 
femme,  et,  se  consacrant  tout  entier  aux  fonc- 
tions sacerdotales,  il  abandonna  ses  dignités, 
renonça  à  la  poésie  profane  et  à  ses  goûts 
païens.  «  S'il  écrivit  encore  des  vers,  dit  M.  Ger- 
main, ce  fut  rarement  et  presque  toujours  sur  des 


957  SIDONIUS  APOLT 

sujets  religieux.  Claudien,  son  ami ,  vanle  son 
zèle  pour  l'étude  de  l'Écriture,  et  son  immense 
charité,  dont  Grégoire  de  Tours  a  du  reste  éter- 
nisé le  souvenir.  Il  fut.  constamment  le  père  et 
le  défenssurde  son  peuple,  pour  lequel  il  brava 
toutes  les  persécutions.  »  Sa  sollicitude  s'étendait 
encore  au  delà  de  son  vaste  diocèse  :  on  le  voit 
à  tout  moment  occupé  à  consoler  les  infortunes 
des  nombreux  malheureux  qui  s'adressaient  à  lui; 
Ce  fut  à  lui  que  les  habitants  de  Bourges  con- 
fièrent le  soin  de  leur  choisir  unévêque.  Lorsque, 
malgré  tous  ses  efforts,  sa  chère  Auvergne  fut 
tombée  sous  le  joug  des  Visigolhs,  il  n'en  con- 
tinua pas  moins  à  lutter  courageusement  pour 
préserver  sa  patrie  d'adoption  contre  l'envahisse- 
ment de  l'arianisme,  que  propageaient  les  nou- 
veaux maîtres.  Le  roi  Eurik  le  fit  alors  enfer- 
mer au  château  de  Livia  (entre  Carcassonne  et 
Narbonne);  il  en  sortit  grâce  au  rhéteur  Léon, 
ministre  d'Eurik.  Mandé  à  Ja  cour  de  ce  prince 
barbare,  il  consentit  à  chanter  en  vers  ses 
louanges,  afin  de  pouvoir  rentrer  librement  dans 
son  diocèse.  Depuis  il  se  renferma  dans  l'exer- 
cice de  ses  fonctions  et  dans  la  publication  de 
ses  écrits  en  prose.  Dans  ses  dernières  années , 
il  fut  en  butte  aux  intrigues  de  deux  prêtres, 
qui  essayèrent  en  vain  de  l'expulser  de  son 
siège.  L'église  de  Clermont  l'a,  ainsi  que  celle 
de  Lyon,. placé  au  nombre  de  ses  saints.  Aiméj 
cstiiîifé. des  plus  nobles  prélats,. tels  que  Rémi, 
Mamert,  Loup,  etc.,Sidonius  fut  chanté  par  tous 
les  beaux  esprits  de  son  temps,  qui  reconnais- 
saient en  lui  leur  maître  et  qui  savaient  quels  ef- 
forts il  faisait  pour  arrêter  la  décadence  de  la 
littérature  et  des  études.  Sidonius  possédait  une 
grande  facilité  de  composition;  il  improvisait 
même  en  vers.  Il  a  laissé  un  recueil  de  poésies 
et  un  autre  de  lettres.  Ses  poëmes  se  composent 
des  panégyriques  dont  nous  avons  parlé  et  de 
plusieurs  petites  pièces  de  circonstance.  Ces 
œuvres,  qui  choquent  notre  goût  par  l'emploi 
presque  constant  de  la  mythologie  païenne  ap 
pliquée  à  des  sujets  de  l'époque  même  de  l'au- 
teur, sont  encore  déparées  par  de  froides  allégo- 
ries, de  nombreuses  imitations ,  de  fréquentes 
réminiscences.  Il  n'en  est  pas  moins  un  des 
meilleurs  poètes  de  la  décadence;  on  trouve 
chez  lui  quelques  morceaux,  des  descriptions 
surtout,  inspirés  du  vrai  génie  de  l'antiquité.  Ses 
poésies  contiennent  beaucoup  de  détails  pré- 
cieux sur  les  mœurs  et  les  événements  contem- 
porains, mérite  que  ses  lettres,  ont  encore  à  un 
plus  haut  degré.  Ces  lettres,  au  nombre  de  sent 
quarante-sept,  divisées  en  neuf  livres,  ne  sont 
qu'un  choix  fait  par  lui-même  parmi  sa  vaste 
correspondance,  et  qu'il  a  cherché  à  rendre 
attrayant  par  une  grande  variété.  Elles  nous 
offrent  un  tableau  à  peu  près  complet  de  la  so- 
ciété gallo-romaine.  Malheureusement  le  style  en 
est  affecté,  métaphorique  à  l'excès,  plein  d'allu- 
sions inintelligibles.  Les  Œuvres  de  Sidonius  ont 
été  d'abord  publiées  à  Milan    1498,  in-4o;  puis 


1NARIS  —  S1EGF.N 


9Ô8 


à  Lyon,  1552,  1598,  in-8°;  à  Hanovre,  1617, 
in-s",  etc.;  la  meilleure  édition  est  celle  du 
P.  Lahhe;  Paris,  1052,  in-4°.  Reproduite  dans 
\aBibi,  Pntrum  <le  Galland,et  la  Bibl.maxima 
Pulrum,  elles  ont  été  traduites  avec  le  texte  en 
regard  par  J.-F.  Grégoire  et  Collombet  (Lyon, 
1836,  3  vol.  in-8o).  E.  G. 

I/ist.  litter.de  la  France,  t.  !*>•.  — -  Ampère,  Revue 
des  deux  mondes,  t.  xvm  et  /-Jist.  littér,  do  la  France. 
—  Fauricl,  Hist.  de  la  Caille  méridionale,  t.  I.  —  Patin, 
dans  le  Journal  des  savants ,  année  1838.  —  Germain, 
Essai  sur  .-ipollinaris  Sidonius  :  Montpellier,  1840,in-8°. 
siebenkjes  (1)  (  Jean- Philippe),  hellé- 
niste allemand,  né  à  Nuremberg,  le  14  octobre 
1759,  mort  à  Altdorf,  le  25juin  1796.  Il  était  fils 
d'un  organiste  distingué ,  qui  a  composé  beau- 
coup de  musique  religieuse.  Après  avoir  étudié 
les  belles-lettres  et  la  théologie  à  Altdorf,  il  de- 
vint en  1782  précepteur  chez  un  banquier  alle- 
mand, à  Venise.  Avec  le  secours  de  Morelli,  il 
examina  avec  soin  les  manuscrits  de  Strabon, 
d'Homère  et  d'Héliodore  déposés  dans  la  biblio- 
thèque de  Saint-Marc.  En  1788  il  se  rendit  à 

I  Rome ,  où  il  eut  pour  protecteur  le  cardinal 
Borgia,  et  continua  dans  la  bibliothèque  du  Vatican 

j  ses  recherches  philologiques.  De  retour  en  Al- 
lemagne à  la  fin  de  1790,  il  fut  pourvu  en  1791 

I  de  la  chaire  de  philosophie  à  Altdorf.  On  a  de 
lui  :  Von  der  Religion  der  alten  Teutschen 
und  nordischen  Vœlkern  (De  la  Religion  des 
anciens  Germains  et  des  peuples  du  Nord); 
Altdorf,  1781,  in-8°;  —  Lebensbeschreibung 
der  Bianca  Capello  di  Medici;  Gotha,  17S9, 
in-8°  ;  —  Expositio  tabulée  hospitalis  in  mu- 
seo  Borgiano  asservatœ  ;  Rome,  1789,  in-4°  ;  — 
Versuch  einer  Geschichte  der  venetianischen 
Staats-Inquisition  (  Essai  d'une  histoire  de 
l'inquisition  d'État  à  Venise);  Nuremberg,  1791, 
in-8°; —  Ueber  den  Tempel  und  die  Statue 
des  Jupiter  zu  Ohjmpia  (Sur  le  temple  et  la 
statue  de  Jupiter  à  Olympia)  ;  ibid.,  1795,  in-8°; 

—  Anecdota  grœca,  ex  ltalicarum  biblio- 
thecarum  codicibus;  ibid.,  1798,  in-8°;  — 
Handbuch  der  Archxologie  (Manuel  d'archéo- 
logie); ibid.,  1799,  in-8°.  On  doit  encore  aux 
soins  de  Siebenkses  les  excellentes  éditions  de 
Strabon  (  Leipzig,  1796-1806, 4  vol.in-S°),  et  des 
Caractères  de  Théophraste  (Nuremberg,  1738, 
in-8°). 

Kœoig-,  Memoria  J.-P.  Siebenkees;  Altdorf,  1796,  in-fol. 

—  Schlichtegroli ,  Nekrolog,  ann.  1796.  —  Hirsching, 
Handbuch. 

siegen  (  Louis  de  ),  inventeur  de  la  gravure 

à  la  manière  noire,  né  en  1609,  à  Utrecht,  mort 

vers  1680,  à  Wolfenbtittel.  Sa  famille,  noble  et 

ancienne,  était  originaire  de  Westphalie;  l'un 

de  ses  aïeux,  secrétaire  du  comte  Philippe  de 

j  Nassau  en  1450,   s'établit  dans   les  Pays-Bas. 

!  En  1619  il  perdit  sa  mère,  de  souche  espagnole, 

!  et  peu  après  il  suivit  à  Cassel  son  père,  Jean 

j  de  Siegen,  qui  venait  y  prendre  la  direction  du 

I  collège  récemment  fondé  par  le  landgrave  Mau- 

'      (!)  Et  non  Siebenhees. 


959  S1EGEN  • 

ricedeHesse  pour  l'éducation  des  jeunes  nobles. 
Ce  fut  dans  cet  établissement  qu'il  fut  élevé.  En 
1620  la  peste  qui  ravagea  Cassel  dispersa  de 
tous  côtés  les  jeunes  élèves.  Le  collège  fut 
fermé,  et  Guillaume  V,  qui  succéda  au  savant 
Maurice  (  1627),  ne  jugea  point  utile  de  le  rou- 
vrir. Jean  de  Siegen  se  retira  alors  à  Juliers, 
puis  à  Kampen,  en  Hollande,  où  il  termina  sa 
vie,  en  1655.  Quant  à  son  fils  Louis,  on  perd  ses 
traces  pendant  une  dizaine  d'années;  on  sait 
seulement  qu'il  voyagea  en  France  et  dans  les 
Pays-Bas.  En  1637  il  devint,  grâce  à  la  régente 
Amélie  de  Hanau,  page  du  prince  Guillaume  YI, 
et  de  1639  à  1641  il  remplit  dans  la  petite  cour 
de  Hesse  l'office  de  gentilhomme  de  la  chambre. 
C'est  durant  ce  séjour  à  Cassel  qu'il  inventa 
sa  nouvelle  manière  de  graver;  mais  il  quitta 
cette  ville  sans  faire  connaître  son  secret.  Le 
19  août  1642  il  adressa  d'Amsterdam  une  lettre 
au  jeune  landgrave,  en  y  joignant  quelques 
épreuves  d'un  portrait  de  sa  mère  Amélie;  il  y 
parle  de  ce  portrait,  son  œuvre,  comme  d'une 
estampe  exécutée  d'une  surprenante  et  nouvelle 
manière  inventée  par  lui,  et  qu'aucun  graveur 
ne  serait  en  état  d'imiter  (1).  Toutefois,  il  ne 
publia  sa  découverte  que  l'année  suivante,  et  les 
deux  premières  planches  qui  l'attestent,  repro- 
duisant les  traits  d'Amélie  de  Hanau  et  d'Eli- 
sabeth de  Hongrie,  avec  la  signature  L.  a  S., 
portent  la  date  de  1643.  A  la  paix  de  YVest- 
phalie  (1648),  il  entra  dans  l'armée  du  duc  de 
Wolfenbuttel.  En  1654  on  le  retrouve  en  Hol- 
lande; en  1655  il  rencontra  à  Bruxelles  le  prince 
Rupert  (voy.  ce  nom),  généreux  protecteur  des 
arts,  artiste  lui-même.  Le  prince,  charmé  de  sa 
découverte,  lui  vint  en  aide  pour  exécuter  de 
nouveaux  essais,  et  le  mit  en  rapport  avec  le 
peintre  Vaillant;  chacun  d'eux  grava,  de  1656 
à  1658,  soit  à  Francfort,  soit  à  Bruxelles,  plu- 
sieurs estampes  d'après  la  nouvelle  méthode. 
De  là  est  venue  l'erreur  de  quelques  écrivains 
qui  ont  attribué  au  prince  Rupert  tout  l'honneur 
d'un  procédé  qu'il  n'a  fait  que  propager  (2). 
Siegen  paraît  avoir  renoncé  de  bonne  heure  à 
la  gravure.  Il  revint  à  Wolfenbuttel ,  parvint 
en  1674  au  grade  de  major,  et  mourut  oublié. 

(1)  Cette  curieuse  lettre  existe  encore  dans  la  biblio- 
thèque de  Cassel. 

(2)  Si  une  semblable  erreur  s'est  répandue  du  vivant 
même  de  l'inventeur,  peut-être  convient-il  d'en  imputer 
le  blâme  au  prince  lui-même.  A  son  retour  en  Angle- 
terre, en  1660,  il  fit  connaître  à  son  ami  John  Evelyn  le 
procédé  de  Siegen  ainsi  que  la  part  qu'il  y  avait  eue. 
Evelyn  travaillait  alors  à  une  histoire  de  la  gravure, 
et  par  flatterie  probablement  il  ne  fait  mention  que.  du 
prince  dans  le  ch.  vi  de  cet  ouvrage,  publié  en  1662  ; 
ce  chapitre  a  pour  titre  en  effet  :  Of  the  new  way  of 
engraving,  or  mezzotinto,  invented  and  communi- 
cated  by  his  highness  prince  Rupert.  Pourtant  il  se  cor- 
rige lui-même  à  quelques  pages  de  là  ,  et  il  est  loin 
d'être  aussi  affirmatif  dans  les  extraits  qu'il  insère  d'un 
mémoire  rédigé  sous  les  yeux  du  prince  et  destiné  à 
Être  lu  (  ce  qui  n'eut  pas  lieu  )  devant  la  Société  royale 
de  Londres,  à  peine  établie.  «  Cette  invention,  dit- 
Il,  est  due  à  un  soldat  allemand';  »  mais  11  ne  le  nomme 
pas. 


-  SIEYÈS  960 

Outre  les  portraits  déjà  mentionnés,  et  dus  au 
dessin  même  de  Siegen,  on  cite  encore  de  lui  : 
Eléonore  de  Gonzague,  femme  de  l'empereur 
Ferdinand  111(1643)  et  Guillaume  de  Nas- 
sau (1644),  d'après  Hondthorst;  Augusta- 
Marie,  fille  de  Guillaume  (1644),  Ferdi- 
nand 111  (  1654),  un  Saint  Bruno  (  1654),  un 
Saint  Jérôme,  enfin  une  Sainte  Famille,  dite 
aux  lunettes,  d'après  Ann.  Carrache. 

Evelyn,  Sculptura,  or  Hist.  of  ehalcography.  —  L. 
de  Laborde,  Histoire  de  la  gravure  en  manière  noire  ; 
Paris,  1839,  gr.  in-8°.  —  Nagler,  Neues  ullgem.  Kiinstler- 
l.exicon. 

siexa  (  Giovanni  et  Giorgio  di  Giovanni 
da  ),  dits  Gianella,  peintres  italiens  du  seizième 
siècle,  nés  à  Sienne.  Ils  furent  au  nombre  des 
meilleurs  élèves  de  Beccafumi.  On  doit  à  Gio- 
vanni quelques  fresques,  qui  existent  encore  à 
Sienne  dans  l'église  supprimée  délia  Morte. 

Son  fils  Giorgio,  peintre  et  ingénieur  militaire, 
peignit  à  Sienne ,  dans  la  cour  du  palais  Sara- 
cini,  un  portique,  où  l'on  remarque  les  pendants, 
Junon  et  Cérès,  Neptune  et  Amphitrite.  Il 
travailla  ensuite  à  Rome ,  où  il  devint  l'ami  et 
l'imitateur  de  Jeand'Udine.- 
Romagnoli,  Cenni  storico-artistici  di  Siena. 
si  en  a  (da).  Voy.  Duccio  et  Guido. 
siexa  (da).  Voy.  Memmi  (Simone). 
siëyès  (l)  (Emmanuel-Joseph,  comte),  cé- 
lèbre publiciste  et  homme  d'État  français,  né  à  Fré- 
jus,  le  3  mai  1748,  mort  à  Paris,  le  20  juin  1836. 
Son  père,  qui  avait  sept  enfants,  jouissait  d'une 
modeste  aisance  et  occupait  la  place  de  contrôleur 
des  actes.  Il  commença  ses  études  sous  la  direc- 
tion d'un  précepteur  qui  le  conduisait  au  collège 
des  jésuites  pour  y  suivre  les  cours  ;  il  passa  en- 
suite au  collège  des  doctrinaires  à  Draguignan. 
Lorsqu'il  les  eut  terminées,  il  voulait  suivre  la 
carrière  de  l'artillerie  ou  du  génie;  cependant  les 
instances  de  sa  famille,  secondées  par  celles  de 
l'évêque  de  Fréjus,  le  firent  entrer  dans  l'état  ec- 
clésiastique. A  l'àgede  quatorze  ans,  il  fut  envoyé 
à  Paris,  au  séminaire  de  Saint-Sulpice.  «Dans  une 
position  si  contraire  à  ses  goûts  naturels,  a-t  -il 
dit  lui-même  dans  une  sorte  d'autobiographie,  il 
n'est  pas  extraordinaire  qu'il  ait  contracté  une 
sorte  de  mélancolie  sauvage,  accompagnée  de  la 
plus  stoïque  indifférence  sur.  sa  personne  et  son 
avenir.  »  Il  sortit  du  séminaire  après  avoir  suivi 
en  Sorbonne  ce  que  l'on  appelait  le  cours  de  li- 
cence et  avoir  reçu  la  prêtrise.  On  comprend  fa- 
cilement que  pendant  ces  dix  années  d'une  vie  si 
monotone,  Sieyès  ait  profondément  étudié  la  mé- 
taphysique :  Locke,  Condillac,  Bonnet  étaient  se* 
lectures  favorites.  H  se  délassait  en  cultivant  la 
musique.  En  1775,  il  fut  doté  d'un  canonicat  en 
Bretagne,  à  Treguier,  près  de  l'évêque,  M.  de 
Lubersac,  qui,  transféré  en  1780  à  Chartres, 
l'appela  dans  le  diocèse,  où  il  devint  successive- 
ment vicaire  général,  chanoine  et  chancelier; 
puis  conseiller  commissaire,  à  la  chambre  su- 
it) Ce  nom  se  prononçait  Siès. 


961 


SIEYÈS 


C62 


périeure  du  clergé  de  France  (1787).  Fuyant,  d'a- 
près son  aveu,  «  toutes  les  occasions  qui  eussent 
pu  le  mettre  en  évidence  cléricale,  il  n'avait  ja- 
mais prêché  ni  confessé  ». 

On  approchaitde  l'époque  où  la  révolution  allait 
éclater;  déjà  les  assemblées  provinciales  étaient 
convoquées.  Sieyès  fut  nommé  membre  de  celle 
d'Orléans  (  1787).  Dans  l'été  de  1788,  il  fit  im- 
primer les  Vues  sur  les  moyens  d'exécution 
dont  les  représentants  de  la  France  pourront 
^disposer;  mais  il  crut  devoir  en  suspendre  la  pu- 
blication jusqu'à  l'année  suivante.  Jeté  au  milieu 
des  émotions  profondes  qui  agitaient  toutes  les 
âmes,  il  fit  paraître  l'Essai  sur  les  privilèges 
(nov.  1788,  in-8°),  et  son  célèbre  pamphlet  : 
Qu'est-ce  que  le  tiers-élat  (janvier  1789,  in-8°; 
3e  édition  très-augmentée,  1789).  Ce  dernier  ou- 
vrage plaça  Sieyès  à  la  tête  des  publicistes  qui  se- 
condaient la  révolution.  Les  assemblées  de  bail- 
liage venaient  d'être  convoquées  :   il   rédigea, 
pour  le  duc  d'Orléans,   des  Délibérations  à 
prendre  pour  les  assemblées  de  bailliage ,  qui 
furent  envoyées  par  les  procureurs  fondés  de  ce 
prince  dans  les  nombreux  bailliages  de  son  apa- 
nage. Des  travaux  si  remarquables  et  en  si  grande 
harmonie  avec  l'opinion  publique  appelèrent  sur 
Sieyès  l'attention  des  électeurs  de  Paris  :  il  fut 
nommé,  par  le  tiers  état  de  celte  ville,  le  ving- 
tième de  ses  députés  aux  états  généraux.  Dès 
son  entrée  dans  cette  assemblée ,  il  y  prit  la  place 
que  ses  talents  le  destinaient  à  y  occuper.  Il  fut 
le  principal  promoteur  de  la  réunion  des  ordres 
et  le  rédacteur  du  serment  du  Jeu  de  Paume.  Le 
roi,  dans  la  séance  du  23  juin,  ayant  cassé  tous 
ces  arrêtés,  et  envoyé  son  grand-maître  des  cé- 
rémonies à  l'assemblée  pour  lui  ordonner  de  se 
séparer,  Sieyès,  après  l'apostrophe  célèbre  de 
Mirabeau,  dit  avec  son  flegme  habituel  :  «  Nous 
sommes  aujourd'hui  ce  que  nous  étions  hier..., 
délibérons.  »  Nous  n'entreprendrons  pas  d'analy- 
ser les  grands  travaux  de  Sieyès  à  l'Assemblée 
Constituante  :  nous  nous  contenterons  de  rap- 
peler que,  membre  du  comité  de  constitution,  il 
jeta  les  bases  de  la  déclaration  des  droits,  dans  un 
excellent  écrit  intitulé  :  Reconnaissance  et  ex- 
position des  droits  de  l'homme  et  du  citoyen 
(juillet  1789,  in-8°).  Il  eut  la  plus  grande  part  à 
la  division  de  la  France  par  départements,  et 
publia  un  Aperçu  d'une  nouvelle  organisation 
de  la  justice  et  de  la  police  en  France  (mars 
1790,  in-8°).  Il  ne  put  toutefois  faire  prévaloir 
ses  idées  sur  l'établissement  du  jury  en  matière 
civile,  ni  sur  le  rachat  de  la  dîme  ;  ce  fut  à  l'oc- 
casion de  l'abolition  de  cette  dernière  qu'il  dit 
le  mot  fameux  :  «  Ils  veulent  être  libres,  et  ne 
savent  pas  être  justes.  »  Néanmoins  son  influence 
était  telle  alors  sur  l'Assemblée  que  Mirabeau  le 
désignait  souvent  sous  le  nom  de  Mahomet. 
Quoiqu'élu  président  le  8  juin  1790,  il  joua  un 
rôle  presque  passif  pendant  la  dernière  période 
île  l'Assemblée  constituante.  Administrateur  et 
membre  du  directoire  du  département  de   la 

NOUV.  EIOGR.   CÉNÉR.   —  T.    XI.III. 


Seine  (février  1791),  on  voulut  le  faire  élire 
évêque  de  Paris;  mais  il  s'empressa  d'écrire  au 
corps  électoral  qu'il  n'accepterait  pas. 

Sieyès  s'était  retiré  à  la  campagne  pendant  la 
durée  de  l'Assemblée  législative  (1),  et  il  y  était 
encore  lorsqu'il  apprit  sa  nomination  à  la  Conven- 
tion, où  il  avait  été  élu  par  les  départements  de 
la  Sarthe,  de  l'Orne  et  delà  Gironde  (  1792).  Il 
opta  pour  celui  de  la  Sarthe,  et  fut  placé  au  co- 
mité d'instruction  publique;  mais  il  joua  dans 
cette  orageuse  assemblée  le  rôle  d'un  observa- 
teur plutôt  que  celui  d'un  acteur.  Dans  le  pro- 
cès de  Louis  XVI,  il  se  prononça  pour  la  mort, 
sans  ajouter  un  mot  de  plus  à  son  vote.  Du  reste, 
il  ne  prit  aucune  part  aux  actes  sanguinaires 
qui  signalèrent  cette  époque  ;  il  ne  rappela  son 
nom  au  public  que  par  quelques  travaux  légis- 
latifs, tels  qu'un  Rapport  sur  l'organisation 
provisoire  du  ministère  de  la  guerre,  et  un 
Nouvel  établissement  d'instruction  publique, 
qui  fut  communiqué  à  la  Convention  par  Lakanal. 
Cette  dernière  proposition  fut  rejetée  par  l'in- 
fluence du  parti  montagnard,  et  Sieyès  exclu 
du  comité.  A  l'exception  du  jour  où  il  remit  ses 
lettres  de  prêtrise  (2),  il  ne  prit  jamais  la  parole 
dans  la  Convention,  et  se  contenta  de  voter  en  si- 
lence toutes  les  mesures  révolutionnaires;  ce  qui 
lui  faisait  dire  plus  tard,  comme  on  lui  demandait 
ce  qu'il  avait  fait  sous  la  terreur  :  «  J'ai  vécu.  » 
Après  la  révolution  du  9  thermidor,  il  demeura 
encore  longtemps  silencieux,  et  ne  voulut  pas  faire 
partie  de  la  commission  qui  allait  préparer  la  nou- 
velle constitution  ;  consulté  au  nom  de  cette  com- 
mission sur  son  travail,  il  refusa  de  donner  ses  con- 
seils. Cependant  il  fut  nommé  membre  du  nouveau 
comitédesalut  public(5  mars  1795),  et  fit  adopter 
le  Rapport  sur  une  loi  de  grande  police  (21 
mars).  Élu  président  de  la  Convention  le  21  avril 
suivant,  il  n'accepta  pas  ces  fonctions,  et  partit 
avecRew'ueil  pour  la  Hollande,  où  il  signa  le  traité 
de  paix  (16  mai)  entre  les  deux  républiques. 
C'est  durant  cette  mission  que  naquit  l'aversion 
mutuelle  qui  fut  une  des  causes  du  refus  de 
Sieyès  d'entrer  dans  le  Directoire,  où  il  aurait 

(1)  Sollicité  après  la  fuite  du  roi  de  faire  connaître 
s'il  était  républicain,  il  fit  une  réponse  fort  explicite, 
où  l'on  remarque  ce  passage.  «  Ce  n'est  ni  pour  ca- 
resser d'anciennes  habitudes,  ni  par  aucun  sentiment  su- 
perstitieux de  royalisme,  que  je  préfère  la  monarchie; 
je  la  préfère  parce  qu'il  m'est  démontré  qu'il  y  a  plus 
de  liberté  pour  le  citoyen  dans  la  monarchie  que  dans  la 
république.  Le  meilleur  régime  social, à  mon  avis, est 
celui  où  non  pas  un,  non  pas  quelques-uns  seulement, 
mais  où  tous  jouissent  tranquillement  de  la  plus  grande 
latitude  de  liberté  possible.  » 

(2)  Dans  la  séance  du  10  novembre  1793.  On  célébrait 
alors  les  fêtes  de  la  Raison.  «  Quoique  j'aie  déposé  de- 
puis un  grand  nombre  d'années,  dit-il,  tout  caractère 
ecclésiastique,  et  qu'à  cet  égard  ma  profession  de  foi 
soit  ancienne  et  bien  connue,  qu'il  me  soit  permis  de 
profiter  de  la  nouvelle  occasion  qui  se  présente  pour 
déclarer  encore,  et  cent  fois  s'il  le  faut,  que  je  ne  re- 
connais d'autre  culte  que  celui  de  la  liberté  et  de  l'éga- 
illé, d'autre  religion  que  l'amour  de  l'humanité  et  de'la 
patrie.  »  Il  fit  en  même  temps  l'abandon  de  10,000  livres 
de  rentes  viagères  que  la  loi  lui  avait  conservées  comme 
indemnité  d'anciens  bénéfices. 

31 


9G3 


SIETÈS  — •  SIGALON 


964 


eu  Rewbell  pour  collègue.  Dans  le  conseil  des 
Cinq-cents,  où  il  vint  prendre  place,  Sieyès 
continua,  en  présence  des  partis  en  lutte,  de  se 
renfermer  dans  un  prudent  silence.  Cependant  son 
crédit  grandissait  de  jour  en  jour  :  il  fut  appelé 
dans  le  sein  descomités,  et  on  lui  confia  des  tra- 
vaux importants.  Ce  fut  vers  cette  époque  qu'une 
tentative  d'assassinat  eut  lieu  sur  lui  par  son  com- 
patriote, l'abbé  Poulie  :  une  balle  lui  fracassa  le 
poignet,  une  autre  lui  effleura  la  poitrine(l2  avril 
1797]  ;  l'assassin  fut  condamné  à  vingt  ans  de  fers. 
Le  coup  d'État  du  18  fructidor  le  fit  sortir  de 
sa  réserve,  et,  suivant  son  habitude,  il  s'attacha 
à  la  cause  des  vainqueurs.  Il  eut  part,  avec 
quatre  autres  députés,  à  la  rédaction  du  décret 
qui  frappa  de  proscription  cinquante-deux  de 
ses  collègues.  Ainsi  qu'il  l'avait  déclaré  plu- 
sieurs fois,  c'était  dissoudre  l'assemblée;  il 
continua  néanmoins  d'y  siéger,  et  en  fut  même 
nommé  président  (  22  novembre  1797  ).  Il  ve- 
nait d'être  réélu  membre  des  Cinq-cents  lors- 
qu'il fut  envoyé  en  ambassade  à  Berlin  (  10  mai 
1798  ).  «  Toujours  boudant  et  frondant  le  gou- 
vernement, dit  M.  Thiers,  par  humeur  contre 
une  constitution  qu'il  n'avait  pas  faite,  il  ne 
laissait  pas  d'être  importun.  On  eut  l'idée  de 
lui  donner  une  ambassade.  C'était  une  occasion 
de  l'éloigner,  de  l'utiliser,  et  surtout  de  lui 
fournir  des  moyens  d'existence.  »  Sieyès  fut  ac- 
cueilli à  la  cour  de  Prusse  avec  une  rare  bien- 
veillance, et  y  devint,  pendant  un  séjour  de 
plus  d'une  année ,  l'objet  des  hommages  des 
penseurs  de  l'Allemagne.  Désigné  par  le  sort 
pour  remplacer  Rewbell  dans  le  Directoire 
(  16  mai  1799),  il  revint  à  Paris,  et  ne  tarda 
pas  à  prendre  la  présidence  du  gouvernement 
(19  juin).  Tandis  qu'il  s'écriait  dans  les  ha- 
rangues officielles  que  «  la  royauté  ne  se  relè- 
verait jamais,  »  il  conspirait  le  renversement  de 
la  république  et  s'abouchait  avec  Bonaparte.  Ce 
qu'il  voulait  avant  tout,  c'était  imposer  son 
système  de  constitution  dont  on  parlait  beaucoup 
depuis  longtemps ,  mais  que  l'on  connaissait  à 
peine;  car  Sieyès  semblait  croire  que  bien  peu 
d'esprits  étaient  à  portée  de  le  comprendre.  Bo- 
naparte, de  son  côté,  voulait  aussi  renverser  le 
Directoire  à  son  profit.  Ces  deux  hommes  s'en- 
tendirent, espérant  bien,  chacun  de  son  côté, 
jouer  le  principal  rôle  dans  l'organisation  du  gou- 
vernement nouveau.  Sieyès  agissait  auprès  des 
députés  influents,  appartenant  à  l'opinion  répu- 
blicaine modérée,  pour  les  engager  à  porter  la 
main  avec  lui  sur  la  constitution  de  l'an  ni;  et 
comme  il  éprouvait  de  la  résistance,  il  leur  dit  : 
«  Si  vous  ne  voulez  pas  agir  avec  nous,  je  me 
tournerai  du  côté  des  jacobins.  » 

On  sait  l'histoire  du  18  brumaire  :  Sieyès  y 
montra  beaucoup  de  sang-froid,  et  fut  immédia- 
tement nommé  le  premier  des  trois  consuls 
provisoires.  Mais  là  devait  s'arrêter,  à  propre- 
ment parler,  sa  vie  politique.  Bonaparte,  qui  avait 
son  armée   derrière  lui,  et  qui  était  environné 


du  prestige  de  la  gloire,  n'eut  pas  de  peine  à 
effacer  son  rival.  Sieyès  ne  put  faire  triompher 
son  plan  de  constitution;  sa  politique  métaphy- 
sique ne  pouvait  convenir  à  un  esprit  aussi  po- 
sitif que  celui  de  Napoléon.  La  constitution  de 
l'an  vin  ne  contint  qu'un  pâle  reflet  des  idées  de 
Sieyès.  Napoléon  amortit  tout  à  fait  son  influence 
en  le  faisant  sénateur  et  en  lui  donnant  (31  dé- 
cembre 1799),  comme  récompense  nationale,  le 
beau  domaine  de  Crosne  (Seine-et-Oise),  qui 
montra  que  cet  ambitieux  dupé  savait  se  con- 
soler, au  milieu  de  la  fortune  et  des  honneurs,  de 
l'échec  de  ses  efforts  et  de  la  perte  de  la  liberti 
de  son  pays.  Sieyès  fut  plus  tard  nommé  prési- 
dent du  sénat,  grand -officier  de  la  Légion  d'hon- 
neur  (1804),  et  comte  de  l'empire  (1808),  mais  il 
ne  tarda  pas  à  résigner  la  présidence.  Il  était  men* 
bre  de  l'Institut  (classe  des  sciences  morales  el 
politiques)  depuis  la  création  de  ce  grand  corps: 
il  entra  à  la  classe  de  littérature  (Académie  fran 
çaise)  au  moment  où  Napoléon  supprima  la  class< 
des  sciences  morales  (1804!).  Après  avoir  été 
dans  les  cent-jours,  membre  de  la  Chambre  de; 
pairs,  il  fut  proscrit,  au  second  retour  des 
Bourbons,  par  suite  de  son  vote  sur  la  mort  M 
Louis  XVI  ;  il  se  réfugia  à  Bruxelles  ,  où  il  m 
s'occupa  guère  que  des  soins  de  sa  santé.  Il  rentra 
en  France  après  la  révolution  de  1830,  et  mou- 
rut à  Paris,  à  l'âge  de  quatre-vingt-huit  ans. 

Sieyès  fut  un  des  esprits  les  plus  vastes  de  1; 
révolution.  Son  influence  a  été  immense  pendan: 
le  premier  acte  de  ce  grand  drame.  Sa  constitu) 
tion  n'a  jamais  été  bien  connue  ;  on  en  trouve 
dans  l'Histoire  de  la  révolution  de  M.  Mignei 
un  tableau  qui  a  été  communiqué  par  Daunou, 
Sous  le  titre  de  Théorie  constitutionnelle  de 
Sieyès  et  de  Constitution  de  Van  vin,  Boulaj 
(de  la  Meurthe)  a  publié  deux  chapitres  de 
ses  Mémoires  inédits  (  Paris,  1830,  in-8°  ),  oî 
cette  constitution  est  exposée  avec  détails. 
Outre  les  écrits  de  Sieyès  que  nous  avons  cités, 
on  a  encore  de  lui  :  Quelques  idées  de  consti- 
tution applicables  à  la  ville  de  Paris;  178^. 
in-8°;  —  et  plusieurs  discours,  projets  deç^ 
et  rapports.  Cramer  avait  entrepris  de  publV*, 
la  Collection  des  écrits  de  Sieyès;  il  n'en  i 
donné  qu'un  volume,  1796,  in-8°,  qui  a  été 
traduit  avec  d'autres  ouvrages  en  allemand  pat 
Œlsner  (Paris,  1796,  2  vol.  in-8°).  C'est  à  ce 
dernier  écrivain  qu'on  attribue  généralement  1 
Notice  (1795,  in-8°)  que  Sieyès  passe  pour  avoir 
rédigée  sur  lui-même.        A.  Taillandieb. 

Notice  stir  la  vie  de  Sietjès.  —  OElsner,  Des  opinions 
politiques  de  Sieyès  et  de  sa  vie  comme  homme  public; 
Paris,  1800,  in-8°.  -  Seida  (  De  ),  Sieyès  vnd  Napoléon  ; 
Heidelberg,  1824,  in-8°.  —  Mignet,  Notices  historiques, 
t.  Ier.  —  Edm.  de  Beauverger,  Étude  sur  Sieyès;  Paris, 
1881,  in-8°.  —  Thiers,  L.  Blanc,  Hist.  de  la  révolution 
française.  —  Lamartine,  Les  Constituants.  —  Bertrand 
de  Molevllle,  Mémoires.  —  Bioyr.  du  Clergé  contemp., 
1. 1". 

sigalon  (Xavier),  peintre  français,  né  a 
Uzès  (Gard),  en  1788,  mort  à  Rome,  le  18 
août  1837.  Il  était  fils  d'un  pauvre  maître  d'é- 


f»65  SIGALON 

cole  que  la  nécessité  de  faire  vivre  sa  nom- 
breuse Camille  conduisit  à  Nîmes.  Il  entra  bien- 
tôt à  l'école  centrale  de  dessin,  et  y  fit  des  pro- 
rès  lapides,  qui  le  mirent  en  état  de  donner  à 
son  tour  des  leçons  et  de  crayonner  quelques 
portraits.  Ce  fut  d'un  obscur  élève  de  David, 
établi  à  Nîmes,  le  peintre  Monrose,  frère  du  co- 
médien de  ce  nom,  qu'il  apprit  les  procédés  ma- 
tériels de  la  peinture.  Dès  lors  mettant  à  profit 
ses  études  solitaires,  il  exécuta  plusieurs  ta- 
bleaux religieux ,  entre  autres  :  la  Mort  de 
saint  Louis,  pour  la  cathédrale  de  Nîmes,  et 
la  Descente  du  Saint-Esprit  sur  les  Apô- 
tres, pour  l'église  des  Pénitents  d'Aigues- 
Mortes.  Avide  devoir  et  d'apprendre,  il  parvint, 
ï  force  d'économie,  à  amasser  une  somme  de 
1,500  francs,  et  partit  pour  Paris.  Il  avait  alors 
ringt-neuf  ans.  Après  avoir  fréquenté  quelque 
iemps  l'atelier  de  Guérin,  il  reprit  ses  anciennes 
labitudes  de  travail  solitaire,  passant  ses  jour- 
nées au  musée  du  Louvre,  étudiant  en  silence 
es  chefs-d'œuvre  des  maîtres,  des  Vénitiens  sur- 
tout, ne  les  copiant  pas,  mais  cherchant  à  péné- 
trer leurs  secrets.  Aprèsdeux  années dece travail 
ibstrait,  courageusement  poursuivi  au  milieu  des 
privations  les  plus  dures,  Sigalon  exposa  au  salon 
Je  1822  la  Jeune  courtisane,  tableau  qui  fut 
icheté  2,000  fr.  et  placé  au  Luxembourg.  En 
1824,  on  vit  de  lui  Locuste  essayant  des  poi- 
sons ;  cette  toile,  bien  qu'assez  faible,  fut  acquise 
par  le  banquier  Laffitte  au  prix  de  6,000  fr., 
et  appartient  aujourd'hui  au  musée  de  Nîmes. 
En  1827, il  donna  Athalie  faisant  massacrer 
ses  enfants,  qui  fait  partie  du  musée  de  Nantes. 
L'horreur  du  sujet,  la  violence  de  la  composi- 
tion et  de  l'exécution  excitèrent  la  sévérité  des 
critiques.  Sigalon,  froissé  des  reproches  qu'on 
lui  adressait  et  éclairé  sur  les  défauts  de  son 
œuvre,  ressentit,  dit-on,  un  tel  chagrin  qu'en 
une  nuit  sa  barbe  devint  blanche.  Toutefois,  il 
Bnvoya  au  Salon  de  1831  deux  ouvrages  que 
ui  avait  commandés  la  liste  civile,  la  Vision 
$e  saint  Jérôme  (musée  du  Luxembourg;)  et 
Christ  en  croix.  A  part  un  Sujet  ana- 
wéonliqite  exposé  en  1833  et  donné  à  M.  Laf- 
fitte, Sigalon  n'avait  jamais  traité  que  des  com- 
positions historiques.  Ses  instincts  et  ses  études, 
2n  le  poussant  vers  la  grande  peinture,  le  con- 
damnaient à  ne  travailler  que  pour  le  gouver- 
nement. Aussi  le  jour  où  les  commandes  de 
l'État  vinrent  à  lui  manquer,  il  se  vit  plus  mi- 
sérable que  jamais.  Le  découragement  le  prit 
alors;  il  revint  à  Nîmes,  résolu  à  gagner  sa  vie 
en  faisant  des  portraits.  Bientôt  M.  Thiers,  alors 
ministre  de  l'intérieur,  le  rappela  pour  lui  pro- 
poser d'aller  peindre  à  Rome  l'immense  fresque 
du  Jugement  dernier  de  Michel-Ange.  Si- 
galon partit  en  juillet  1833.  Aidé  de  son  élève, 
Numa  Boucoiran,  il  accomplit  en  trois  ans  et 
demi  le  difficile  travail  dont  il  s'était  chargé.  La 
Copie  terminée  fut  exposée  à  Rome  dans  une 
salle  des  Thermes  de  Dioclétien  :  elle  produisit 


S1GAUD-LAFOND  966 

une  vive  sensation ,  et  le  pape  Grégoire  XVI 
vint  l'y  voir  en  grand  cortège.  Le  prix  de  la 
copie  du  Jugement  dernier  avait  été  fixé  à 
58,000  fr.  ;  le  ministère  ajouta  à  cette  somme 
une  indemnité  de  30,000  fr.  et  une  pension  via- 
gère de  3,000  fr.  Il  ne  restait  plus  à  Sigalon  qu'à 
copier  les  pendentifs  de  la  chapelle  Sixtine. 
Pressé  de  terminer  son  œuvre,  il  repartit  pour 
Rome,  où  le  choléra  venait  d'éclater,  et  y  suc- 
comba dans  la  même  année,  à  l'âge  de  qua- 
rante-neuf ans.  Il  avait  reçu  la  croix  d'Hon- 
neur. Son  buste  a  été  inauguré  en  1839  dans  le 
musée  de  Nîmes.  H.  H — n. 

Ch.  Saint-Maurice,  Éloge  hist.  de  X '.  Sigalon;  1848, 
in-8°.  —  magasin  pittoresque,  183S.  —  Ch.  Eiane,  Ilist. 
des  peintres.  —  Pesquidoux,  foyage  artist.  en  France. 
—  Clément  de  Ris,  Les  Musées  de  province. 

si(;vrii-i,AFOSi)  (  Joseph- Aignan)  (1) , 
moraliste  et  physicien  français,  né  le  5  janvier 
1730,  à  Bourges,  où  il  est  mort,  le  26  janvier 
1810.  ■  Il  était  fils  d'un  horloger  moitié  ar- 
tiste, moitié  homme  de  lettres.  Placé  au  collège 
des  Jésuites  de  Bourges,  il  renonça  à  suivre  la 
carrière  ecclésiastique  pour  étudier  la  médecine; 
puis  il  partit  pour  Paris,  entra  à  l'école  de 
Saint-Côme,  et  fut  reçu  maître  en  1770.  Il  s'a- 
donna à  la  pratique  des  accouchements,  et  y  ac- 
quit de  la  célébrité  en  substituant  à  l'opération 
césarienne  la  section  de  la  symphise  du  pubis. 
Il  l'accomplit  heureusement  en  1777,  sur  une 
femme  difforme  et  rachitique,  et  l'Académie  de 
chirurgie  fit  frapper  une  médaille  en  son  hon- 
neur* Mais  un  goût  très-vif  l'appelait  vers  l'ob- 
servation des  phénomènes  de  la  nature  inorga- 
nique :  après  avoir  été  l'un  des  auditeurs  les 
plus  assidus  du  physicien  Nollet,  il  entra  comme 
répétiteur  de  philosophie  et  de  mathématiques 
au  collège  Louis-le-Grand;  il  y  eut  dès  1759  1e 
titre  de  démonstrateur  de  physique  expérimen- 
tale. L'examen  des  fluides  impondérables  préoc- 
cupait alors  le  monde  savant  ;  l'attention  de  Si- 
gaud  se  porta  de  ce  côté.  Agé  seulement  de 
dix-neuf  ans,  il  s'était  déjà  distingué,  par  une 
amélioration  dans  les  appareils  destinés  à  faci- 
liter ces  expériences;  on  lui  doit  en  effet  la 
substitution  de  l'isoloir  de  verre  aux  anciens 
gâteaux  électriques  de  résine,  et  plus  tard  il 
introduisit  le  plateau  circulaire  de  verre  dans 
les  machines  électriques.  En  1776  il  expérimen- 
tait avec  Maquer.  «  Occupés,  dit  un  de  ses  bio- 
graphes, à  étudier  le  gaz  hydrogène,  qu'on  nom- 
mait alors  air  inflammable,  ils  reconnurent 
que  sa  combustion  produisait  de  l'eau....  Sans 
doute  il  y  a  loin  de  ce  premier  jet  de  lumière 
aux  grands  résultats  produits  par  l'appareil  que 
Lavoisier  imagina  en  1783;  mais  il  n'en  reste 
pas  moins  démontré  que  l'honneur  de  la  décou- 
verte appartient  à  Sigaud-Lafond.  »  En  1760  il 
succéda  à  l'abbé  Nollet  dans  sa  chaire  de  Louis- 
le-Grand,  et  joignit  aux  cours  de  ce  savant  des 


(1)  C'est  à  tort  que  plusieurs  auteurs  lui  ont  donné  les 
prénoms  de  Jean  ou  i'Jndré,  et  qu'ils  l'ont  fait  naître 
à  Dijon. 

81. 


967 


SIGAUD-LAFOND  —  SIGEBERT 


$68 


cours  d'anatomie  et  de  physiologie.  Il  était  de- 
puis quatre  ans  revenu  à  Bourges  lorsqu'il  y  ob- 
tintla  chaire  de  physique  (1786).  La  révolution  en 
fermant  les  collèges  rendit  la  position  de  Sigaud 
difficile  ;  mais  la  réorganisation  de  l'instruction  pu 
blique  lui  permit  en  1795  de  rentrer  comme  pro 
fesseur  de  physique  et  de  chimie  à  l'École  centrale 
qui  remplaçait  l'ancien  collège;  et  lors  de  la  créa 
lion  des  lycées,  Fourcroy,  qui  avait  été  son  élève 
le  fit  nommer  pro  viseur  decelui  de  Bourges  (1799); 
il  résigna  cet  emploi  en  1808,  et  mourut,  à  l'âge 
de  quatre-vingts  ans.  Le  décret  du  16  avril  1795 
l'avait  compris  au  nombre  des  savants  qui  avaient 
reçu  de  la  Convention  un  secours  de  3,000  livres 
chacun.  Depuis  1796  il  faisait  partie  de  l'Institut 
national,  en  qualité  de  membre  associé,  titre  rem- 
placé en  1803  par  celui  de  correspondant,  et  il 
appartenait  aussi  aux  académies  de  Montpellier, 
de  Florence,  de  Pétersbourg,  etc.  La  liste  des  ou- 
vrages de  Sigaud-Lafond  est  assez  longue  ;  nous 
citerons  :  Leçons  de  physique  expérimen- 
tale; Paris,  1767,  2  vol.  in-12;  —  leçons 
sur  l'économie  animale;  Paris,  1767,  2  vol. 
in-12;  >-  Almanach  physico-  économique, 
pour  1770  et  1771  ;  Paris,  in-12  et  in-24;  — 
Traité  de  l'électricité;  Paris,  1771,  1776, 
in-12;  —  Lettre  sur  V  électricité  ;  Paris,  1771, 
in-12; —  Description  et  usage  d'un  cabinet 
de  physique    expérimentale;  Paris,    1776, 

2  vol.  in-8°,  lig.  ;  réimpr.  à  Paris,  1785,  et  à 
Tours,  1796;  —  Récit  de  ce  qui  s'est  passé 
à  la  faculté  de  médecine  de  Paris  au  sujet 
de  la  section  de  la  symphise  des  os  pubis  ; 
Paris,  1777,  in-8°;  —  Essai  sur  différentes 
espèces  d'air  qu'on  désigne  sous  le  nom 
d'air  fixe;  Paris,  1779,  1785,  in-8°;  —Dic- 
tionnaire de  physique;  Paris,  1780-1782, 
5  vol.  in-8°,  fig.  ;  —  Précis  historique  des 
phénomènes  électriques;  Paris,  1781,  1785, 
in-8°;  —  Dictionnaire  des  merveilles  de  la 
nature;  Paris,  1781,  2  vol.  in-8°;ibid.,  1802, 

3  vol.  in-8°;  trad.  en  allemand  par  Webel;  — 
L'École  du  bonheur,  ou  Tableau  des  vertus 
sociales;  Paris,  1782,  in-12,  et  1791,  2  vol. 
in-12;  —  La  Religion  défendue  contre  l'in- 
crédulité du  siècle;  Paris,  1785,6  vol.  in-12; 
—  L'Économie  de  la  Providence  dans  l'éta- 
blissement de  la  religion  ;  Paris ,  1787,  2  vol. 
in-12;  —  Physique  particulière  (faisant 
partie  de  la  Biblinthèque-des  Dames);  Paris, 
1792,  in-12;  —  Examen  de  quelques  prin- 
cipes erronés  en  électricité;  Paris,  1795, 
in-8";  —  De  l'Électricité  médicale;  Paris, 
1803,  in-8°.  Il  a  aussi  traduit  le  Cours  de  phy- 
sique de  Musschenbroek  (Paris,  1769,  3  vol. 
in-4°),  et  a  réimprimé  les  Récréations  physi- 
ques d'Ozanam  (  1778  )  et  la  Statique  des  vé- 
gétaux de  Haies  (1780).  H.  Boyer. 

Méchtn-Desqulns,   Notice    sur    Sigaud-Lafond.    — 
Chevalier,  liioyr.  berruyère  —  Quérard,  France  littër. 

sigebert  ier,  roi  d'Austrasie,  né  en  535, 

assassiné  en  575,  à  Yitry,  près  Douai.  A  la  mort 


de  son  père,  Clotaire  Ier  (561  ),  il  partagea  au 
sort  avec  ses  trois  frères  le  royaume  des  Francs  ; 
ce  fut  l'Austrasie  (  tout  le  nord-est  de  la  Gaule 
et  la  Germanie  entière),  plus  l'Auvergne  et  quel- 
ques villes  comme  Avignon,  qui  lui  échut;  Reims 
était  sa  capitale.  Brave,  éloquent,  habile,  il  réu- 
nissait toutes  les  qualités  convenables  au  chef 
d'un  peuple  guerrier,  sans  les  inclinations  fi 
roces  trop  ordinaires  aux  Mérovingiens.  En 
565  il  courut  au-devant  d'une  horde  d'Avares 
qui  allait  envahir  la  Germanie,  et  les  repoussa. 
A  son  retour  il  trouva  ses  États  presque  en- 
tièrement occupés  par  son  frère  Chilpéric  :  aus- 
sitôt il  marcha  sur  Soissons,  capitale  de  ce  der- 
nier, s'en  empara,  se  retourna  ensuite  contre 
l'armée  de  Chilpéric,  et  la  mit  en  fuite.  La  mé- 
diation de  leurs  autres  frères  Caribert  et  Gon- 
tran  rétablit  la  paix  entre  eux.  En  566  Sigebert 
épousa  la  fille  du  roi  des  Visigoths ,  Brunehaut 
(  voy.  ce  nom  ),  pour  laquelle  il  conserva  toute 
sa  vie  un  attachement  passionné.  A  la  mort 
de  Caribert  (  567  ),  il  hérita  d'une  portion  du 
pays  chartrain,  Meaux,  Avranches  et  le  tiers  du 
territoire  de  Paris.  En  568  il  se  ligua  avec  Con- 
tran pour  punir  Chilpéric  du  meurtre  de  Ga- 
leswïnthe,  sœur  de  Brunehaut.  Vaincu,  Chil- 
péric fut  obligé  de  se  présenter  devant  l'assem- 
blée des  chefs  francs,  et  fut  condamné  à  re- 
mettre à  Brunehaut  comme  prix  du  sang  les 
cités  de  Bordeaux,  Limoges,  Cahors,  le  Béarn  et 
leBigorre.  Dans  la  même  année  Sigebert,  surpris 
par  une  nouvelle  invasion  des  Avares,  éprouva 
des  revers,  et  ne  parvint  à  les  éloigner  qu'à 
force  d'éloquence  et  aussi  par  de  magnifiques 
présents.  Peu  de  temps  après  il  assaillit  Gon- 
tran  à  l'improviste,  sans  autre  motif  que  celui  de 
lui  arracher  la  Provence  ;  il  ne  réussit  pas,  et  se 
déclara  de  nouveau  l'ami  de  son  frère.  La  ri-i 
valité  de  Frédégonde  et  de  Brunehaut  ralluma 
la  guerre  entre  Chilpéric  et  Sigebert  (  573  ); 
le  premier  commença,  le  second  se  défendit  avec 
l'aide  de  Gontran,  puis  il  lança  sur  la  Neustrie 
des  bandes  de  Germains  païens ,  qui  y  com- 
mirent d'affreuses  dévastations.  Avec  une  armée 
formidable,  il  joignit  sur  le  Loir  Chilpéric,  et  le 
défia  ;  mais  Chilpéric,  qui  ne  se  sentait  pas  le 
plus  fort,  demanda  la  paix,  qui  fut  conclue  par  la 
médiation  de  l'évêque  Germain  (574).  Quelques 
mois  plus  tard  il  renouvela  la  lutte  avec  une  cer- 
taine audace  ;  la  diligence  de  Sigebert  confondit 
ses  desseins,  et  bientôt,  abandonné  de  ses  soldats, 
il  fut  réduit  à  s'enfermer  dans  Tournai,  la  seule 
ville  qui  lui  fût  restée  fidèle.  Sigebert  était  sur  le 
point  de  céder  tout  le  pays  entre  Rouen  et  Paris 
à  ses  auxiliaires  germains ,  lorsqu'il  en  fut  dé- 
tourné par  les  Neustriens,  qui  s'engagèrent  à  le 
reconnaître  pour  leur  roi  :  il  convoqua  leurs 
chefs  à  Vitry  sur  la  Scarpe,  et  fut  solennellement 
élevé  par  eux  sur  le  pavois.  En  ce  moment 
deux  jeunes  gens  de  Thérouanne,  gagnés  par 
Frédégonde,  s'approchèrent  de  lui,  et  feignant  de 
vouloir  lui  parler  lui  plongèrent  dans  Je  flanc 


969  SIGEBERT  —  SIGÉE 

fleurs  couteaux  empoisonnés.  II  mourut  quelques 
instants  après  ;  ses  meurtriers  furent  aussitôt 
massacrés.  Son  fils  Childebert  lui  succéda  en 
Austrasie,  sous  la  tutelle  de  Brunehaut. 

Grégoire  de  Tours,  llv.  IV.  —  Aug.  Thierry,  Récits 
mérovingiens. 

sigebert  il,  roi  d'Austrasie,  né  en  601, 
avait  douze  ans  lorsqu'il  succéda  à  Thierri  II, 
son  père  (613).  Peu  de  temps  après  il  fut  enve- 
oppé  dans  la  catastrophe  qui  précipita  Brune- 
laut,  et  tué  par  ordre  de  Clotaire  II. 

sigebert  in  (Saint),  roi  d'Austrasie,  né  en 
530,  mort  en  654.  11  avait  quatre  ans  lorsqu'il 
oartagea  avec  son  frère  Clovis  le  royaume  de  Da- 
;obert  Ier,  son  père.  Le  gouvernement  de  l'Aus- 
rasie  fut  exercé  durant  son  règne,  assez  insi- 
imifiant,  par  Pépin  et  par  Grimoald,  son  fils. 
jkgissî  pieux  que  son  frère  était  débauché,  il  ne 
'occupait  que  d'œuvres  de  dévotion,  et  fonda 
[es  abbayes  de  Stavelo  et  de  Malmedy.  Il  ne 
laissa  en  mourant  qu'un  fils  en  bas  âge,  Dago- 
ert  II,  qui  lui  succéda  dix-huit  ans  après. 

Frédégaire  et  ses  continuateurs.  —  Gesta  reçium  Fran- 
orum,  —  Sigebert  de  Gembloux,  Fit*  sancti  Sigeberti. 

sigebert  de  Gembloux  (1),  chroniqueur 
lelge,  né  vers  1030,  dans  la  Belgique  wallonne, 
Inort  le  5  octobre  1112,  à  Gembloux.  Il  reçut 
fïhez  les  bénédictins  de  Gembloux  une  ins- 
ruction  soignée,  et  il  était  encore  jeune  lorsqu'il 
Ha  remplir  au  couvent  de  Saint-Vincent  à  Metz 
es  fonctions  d'écolàlre.  De  retour  à  Gembloux 
'ers  1070,  il  y  passa  le  reste  de  ses  jours,  dans 
'élude,  refusant  les  dignités  auxquelles  sa 
;rande  réputation  lui  donnait  droit.  Quoique  ob- 
ervateur  fidèle  de  ses  devoirs  monastiques,  il  se 
ignala,  comme  presque  toute  l'église  de  Liège, 
>ar  son  atlachement  à  l'empereur  Henri  IV, 
lont  il  soutint  vivement  la  cause  dans  la  lutte 
le  ce  prince  contre  Grégoire  VII  (2).  Ses  con- 
laissances  étaient  aussi  étendues  que  variées. 
1  ne  manquait  pas  de  talent  poétique,  et  il  ma- 
nait  le  latin  avec  facilité;  son  style  cependant 
st  assez  souvent  incorrect  et  recherché.  Sa 
'hronique  a  pendant  plusieurs  siècles  joui 
'une  grande  autorité;  ce  n'est  que  dans  ces 
erniers  temps  qu'on  y  a  signalé  beaucoup  d'in- 
xactitudes.  Son  but  principal  n'était  pas  de 
apporter  des  faits,  mais  de  poser  des  bases  un 
teu  certaines  pour  la  chronologie  des  légendes 
ui  formaient  alors  une  branche  si  étendue  de 

littérature  historique.  Il  ne  vainquit  qu'en 
artie  les  difficultés  de  son  entreprise ,  bien 
(u'il  possédât  un  sens  critique  remarquable  et 
u'il  eut  dépouillé  avec  soin  les  sources  histori- 
jues  qui  lui  étaient  accessibles.  On  a  de  lui  : 
hronicon  ab  ann.  381  ad  ann.  1111;  Paris 
H.Estienne),  1513, in-4°;  Anvers,  1608, in-4°;  la 


(1)  Gemblours  ou  Gembloux  est  un  bourg  Irés-ancien, 
itué  dans  les  environs  de  Naïuur. 

(2)  Faisons  remarquer  à  ce  sujet  qu'un  écrit  relatif  à 
querelle  des  investitures  et  qui  a  été  impr.  dans  le 
I«r  de  Heinrich  iy  de  Flolo  (  Leipzig,  1859)  a  été  à  tort 

ttribué  à  Sigebert. 


970 

meilleure  édition  de  cette  chronique,  reproduite 
aussi  dans  divers  recueils,  a  été  donnée,  d'après 
le  manuscrit  autographe  de  l'auteur,  dans  le 
t.  VI  des  Monumenta  de  Pertz  par  M.  Beth- 
mann,  qui  a  purgé  le  texte  de  nombreuses 
interpolations,  et  y  a  joint  les  divers  continua- 
teurs de  Sigebert  ;  —  Vila  Theodorici  epis- 
copi  Metensis,  dans  les  Scriplores  Brunswi- 
censes  de  Leibniz  et  dans  le  t.  IV  de  Pertz;  — 
Vila  Wioberti  cœnobii  Gemblacensis  fun- 
datoris ,  dans  Acta  Sanctorum,  23  mai ,  et 
dans  le  t.  VIII  de  Pertz  ;  —  Gesta  abbatum 
Gemblacensium,  dans  le  Spicilége  de  d'A- 
chery;  une  édit.  plus  complète  se  trouve  dans 
le  t.  VIII  de  Pertz  ;  cet  ouvrage,  qui  contient 
des  détails  précieux,  a  été  continué  après  1048 
par  Godescalc,  disciple  de  Sigebert  ;  —  Vila'- 
S.  Maclovii  prologus ,  dans  le  t.  VIII  de 
Perlz;  —  Vita  S.  Theodardi,  episeopi  Leo- 
diensis,  dans  Acta  Sanctorum,  10  sept.  ;  — 
Vita  Sigeberti  Austrasiorum  régis,  dans  le 
t.  II  du  Recueil  de  dom  Bouquet;  trad.  en  fran- 
çais, Nancy,  1616,  in-8°;  —  De  viris  Mus- 
tribus,  sive  scriptoribus  ecclesiasticis  ,  dans 
Bibl.  ecclesiastica  de  Le  Mire  et  dans  celle  de 
Fabricius;  —  Epistola  ad  Leodienses ,  dans 
le  t.  II  du  Corpus  historicorum  d'Eccard  : 
écrit  dirigé  ainsi  que  deux  autres  épîtres 
contre  les  tendances  de  la  papauté;  —  un  poème 
De  passione  Sanctorum  Thebeeorum.    E.  G. 

Histoire  littéraire  de  la  France,  t.  IX.  —  Hirsch,  Di 
vila  Sigeberti;  Berlin,  1841,  in-8°.  —  Wattenbach, 
Deutichlands  geschichlsquellen  ;  Berlin  ,'1858,  in- 8°,  p.  291. 

sigée  (  Louise  ) ,  ou  Aloysia  Sigea ,  femme 
savante,  née  à  Tolède,  morte  le  13  octobre  1560, 
à  Burgos.  Elle  fut  élevée  avec  soin  par  son 
père  (1),  et  reçut  cette  forte  éducation  clas- 
sique qui  était  plus  commune  qu'on  ne  pense 
chez  les  femmes  de  ce  temps.  Emmenée  en  Por- 
tugal, elle  devint  la  compagne  de  la  princesse 
Marie,  la  dernière  fille  du  roi  Manoel;  et  comme 
elle  était  à  peu  près  du  même  âge,  elle  partagea 
les  jeux  et  les  leçons  de  son  enfance.  Elles  ap- 
prirent ensemble  à  connaître  l'antiquité,  son 
histoire  et  ses  écrivains  ;  elles  avaient  le  même 
goût  de  l'étude,  le  même  éloignement  du 
monde.  Un  contemporain,  le  savant  Resende, 
a  tracé  de  Louise  un  portrait  enthousiaste';  il 
nous  la  montre,  à  peine  âgée  de  vingt  et  un  ans 
(vers  1538),  occupée  sans  cesse  à  feuilleter 
des  livres  latins,  grecs,  hébreux,  syriaques  et 
arabes,  linguarum  quinque  perita.  C'était 
probablement  pour  saluer  l'avènement  du  pape 
Paul  III  que  notre  jeune  savante  lui  avait 
adressé  une  épître  en  cinq  langues.  Elle  de- 
vint l'une  des   institutrices  de  Marie  de  Por- 


(1)  Didier  Sigee,  son  père,  était  Français  de  nation. 
Il  s'établit  vers  1520  au  Portugal,  dirigea  l'éducation  des 
fils  de  Jacques,  duc  de  Bragance,  et  fut  ensuite  chargé 
par  le  roi  Jean  III  d'Instruire  les  jeunes  nobles  de  la 
cour.  11  mourut  à  Torresnovas,  et  fut  enterré  chez  les 
carmélites  avec  cette  epitaphe  : 

Jqui  jac  Diogo  Sigeo. 


S7t  SIGÉE  — 

fugal,  fille  de  Jean  III,  et  elle  l'accompagna  à 
Madrid  lorsqu'on  1543  cette  princesse  épousa 
l'infant  Philippe  d'Espagne.  Malgré  le  vœu 
qu'elle  avait  fait  de  se  consacrer  au  célibat,  elle 
céda  aux  prières  d'un  gentilhomme,  Alfonse  de 
Cuevas,  qu'elle  avait  rencontré  à  Burgos,  en 
1556,  à  l'époque  du  retour  en  Espagne  de 
Marie,  gouvernante  des  Pays-Bas.  Elle  se  maria 
^iprès  en  avoir  eu  l'agrément  du  roi  de  Portugal, 
et  mourut  peu  de  temps  après,  âgée  de  qua- 
rante ans  environ.  Cette  femme,  cujus  pudi- 
citia  cum  eruditione  linguarum  ex  œquo 
certabat,  ainsi  que  rapporte  son  épitaphe,  doit 
une  fâcheuse  célébrité  à  un  ouvrage  des  plus 
obscènes  intitulé  :  De  arcanis  Amoris  et  Ve- 
neris,  imprimé  dix  ou  douze  fois  sous  son  nom 
et  dont  l'avocat  Chorier  est  l'auteur.  Quant  à 
ses  propres  écrits,  qui  consislent  en  épitres  et 
poésies  latines,  et  en  un  dialogue  De  diffé- 
rentiel vitas  rusticee  eturbanx,  ils  n'ont  jamais 
vu  le  jour. 

Sa  sœur  Anna   excella  dans  la  musique  et 
dans  les  langues  anciennes. 

Antonio,  Bibl.  hispana.  —  Pericaud,  L.  LabéctL.  Sigée. 
sigeric,   roi   des  Visigoths,   mort  en  no- 
vembre 415,  était  un  chef  goth,  qui  participa  au 
meurtre  d'Ataulphe    pour  venger   la  mort  de 
son  frère,  que  ce  prince  avait  fait  tuer,  en  412. 
Puis  il  se  proclama  le  roi,  et  n'usa  d'un  pou- 
voir  éphémère  que  pour  faire  égorger  les  en- 
fants d'Ataulphe  et  maltraiter  la  reine  Placidie. 
11  périt  dans  une  révolte  de  ses  propres  sujets, 
qui   le  massacrèrent  après  un  règne  de    huit 
jours.  Wallia  lui  succéda. 
Aschbacb,  Geschichte  der  JJ^estgothen,  p.  107. 
SIGIS350SD,  roi  de  Bourgogne,  assassiné  à 
Orléans,  en  524.  Baptisé  de  bonne  heure  par 
Avitus,   il  succéda  en  516  à  Gondebaud,  son 
père,  et  obtint  aussitôt  la  dignité  de  patrice  de 
l'empereur  Anastase,  qu'il  était  allé  voir  à  Cons- 
iantinople  (1).  En   517  il  convoqua  à  Épaone 
(dans  le  Bugey)  un  concile,  où  assistèrent  vingt- 
sept  évêques  bourguignons ,  ce  qui  permet  d'é- 
tablir à  peu  près  les  limites  de  son  royaume.  I! 
gouverna  avec  sagesse;  très-libéral  envers  les 
églises,  il  avait  fondé  en  515  le  monastère  d'A- 
gaune  à  Maurice   (Valais),  qui  devint  célèbre. 
Après  la  mort  de  sa  première  femme,  Amalberge, 
fille  de  Théodoric,  roi  des  Ostrogofhs,  il  se  ma- 
ria avec  une  suivante  de  cette  princesse,  nommée 
Constance.  Ce  fut  d'après  les  instigations  se- 
crètes de  sa  nouvelle  épouse  qu'il  fit  étrangler 
son  fils  Sigeric  (522) ,  qu'elle  avait  accusé  de 
conspirer  la  mort  de  son  père.  Attaqué  en  523 
par  trois  des  fils  de  Clovis  (2)  que  leur  mère 
Clotilde  excitait  contre  lui,  il  fut  impuissant  à 

(1)  Il  existe  dans  le  recueil  des  Lettres  d'Avitus  plu- 
sieurs épitres  de  Sigismond  à  cet  empereur,  pleines  de 
tcrmf«  du  plus  grand  respect,  qui,  bien  qu'exagérés  par 
la  politesse,  témoignent  des  excellents  rapports  entre 
les  deux  cours. 

(î)  Le  quatrième,  Tblerrl,  refusa  de  combattre  Sigis- 
mond, dont  il  avait  épousé  la  fille. 


SIGISMOND 


9J2 


leur  résister,  et  succomba  à  la  supériorité  du 
nombre.  Il  avait  déjà  reçu  la  tonsure  et  pris 
l'habit  religieux,  lorsque  quelques-uns  de  ses 
sujets  le  livrèrent  aux  Francs.  Emmené  à  Or- 
léans, il  y  fut,  en  524,  ainsi  que  sa  femme  et  ses 
deux  enfants,  mis  à  mort  par  ordre  du  roi  Clo- 
domir,  qui  avait  appris  que  Gondemar,  frère  de 
Sigismond ,  s'était  fait  proclamer  roi  de  Bour- 
gogne. Sigismond  fut  bientôt  honoré  comme 
martyr;  sa  fête  est  au  1er  mai. 

D'après  Savigny  (  Hist.  du  droit  romain 
au  moyen  âge,  t.  II),  ce  serait  à  Sigismond,  et 
non  à  son  père,  qu'il  faudrait  attribuer  la  rédac- 
tion du  code  des  Bourguignons,  connu  sous  le 
nom  de  loi  Gambette;  mais  cette  opinion  a  été 
combattue  victorieusement  par  Gaupp  (  Die  ger- 
manischen  Ansiedlungen  ;  Breslau,  1844, 
p.  296-317)1;  il  n'y  a  que  le  titre  52  de  cette  loi 
qui  pourrait  avec  quelque  vraisemblance  être 
rapporté  à  Sigismond  ;  en  revanche,  ce  dernier 
fit  ajouter  au  code  recueilli  par  l'ordre  de  Gon- 
debaud un  Additamenlum  divisé  en  vingt  titres. 
(  Voy.  Davoud-Oghlou,  Législation  des  Ger- , 
mains,  t.  I).  Enfin,  une  ordonnance,  jusqu'ici 
inédite,  de  Sigismond  se  trouve  dans  le  t.  Ier  de 
la  nouvelle  édition  des  Diplomata,  chartes,  etc., 
de  Brequigny. 

Grégoire  de  Tours.  —  Dubos,  Établissement  de  la  mo- 
narchie française.  —  Mascov,  Geschichte  der  Teutschen, 
liv.  XI,  ch.  31-33. 

sigismond,  empereur  d'Allemagne,  né  le  14 
février  1368,  mort  à  Znaïm,  le  9  décembre  1437. 
Il  était  fils  de  l'empereur  Charles  IV  et  d'Anne 
de  Silésie,  sa  troisième  femme.  A  huit  ans  il  fut 
investi  de  la  marche  de  Brandebourg.  Élevé  avec 
beaucoup  de  soin ,  il  devint  habile  à  tous   les 
exercices  du  corps,  et  on  l'accoutuma  de  bonne 
heure  au  maniement  des  affaires  publiques.  Outre 
sa  langue  maternelle,  il  parlait  avec  aisance  le 
français,  le  latin,  le  hongrois  et  le  bohémien. 
Fiancé  en  1380  avec  Marie  de  Hongrie  (il  l'é- 
pousa en  1385),  il  reçut  en   1382  le  gouverne- 
ment de.  la  Pologne,  dont  Louis,  son  beau-père, 
lui  destinait  la  succession;  mais  il  ne  put  em- 
pêcher les  Polonais  d'appeler  au  trône  Hedwige, 
sœur  cadette  de  sa  femme  (1384).  Plus  heureux 
dans  la  Hongrie,  qui  lui  était  échue  en  partage 
par  la  mort  de  Louis, il  en  fut,  en  1387,  proclamé 
l'un  des  régents,  et  s'efforça  d'étouffer  la  révolte 
des  seigneurs  et  de  maintenir  dans  le  respect  les 
nations  environnantes.  La  mort  de  Marie  (1392) 
le  laissa  sans  contestation  seul  maître  du  royaume. 
Ce  fut  pour  refouler  les  Turcs  qu'en  1396  il  prit 
la  direction  d'une  nouvelle  croisade,  et  qu'à  la 
tête  de  plus  de  cent  mille  hommes,  où  brillait  la 
fleur  des  chevaliers  de  France,  d'Allemagne  et  de 
Pologne,  il  alla  mettre  le  siège  devant  Nicopol:s. 
Le  sultan  Bajazet  accourut  au  secours  de  la  ville; 
le  28  septembre  eut  lieu  une  bataille,  qui   se 
termina  par  la  défaite  des  chrétiens.  Sigismond, 
monté  sur  une  barque  qui  descendait  le  Danube, 
atteignit  la  flotte  vénitienne  dans  la  mer  Noire. 


973 

Lorsqu'il  débarqua  en  Dalmatic,  il  apprit  que  la 
Hongrie  presque  entière  avait  choisi  un  nouveau 
souverain  dans  Ladislas  de  Naples.  Sa  prodiga- 
lité excessive,  son  amour  des  plaisirs,  ses  accès 
de  violence  et  ses  actes  de  cruauté  avaient  con- 
tribué à  lui  aliéner  ses  sujets.  Sans  perdre  cou- 
rage, il  rallia  quelques  magnais  fidèles,  et  eut 
en  peu  de  temps  raison  des  rebelles.  Ceux-ci 
exercèrent    sur  lui  d'humiliantes    représailles. 
Le  28  avril   1401,  ils  envahirent  son  palais  à 
Budc,  s'emparèrent  de  sa  personne  et  l'enfer- 
mèrent dans  une  forteresse.  Grâce  à  Venceslas, 
son  frère  aîné,  qui  le  tira  de  ce  mauvais  pas,  tout 
s'arrangea,  et  moyennant  un  pardon  général  il  fut 
de  nouveau  reconnu  roi  à  la  diète  de  Papa.  Si- 
gismond  témoigna  sa  reconnaissance  à  Venceslas 
en  profitant  des  embarras  où  il  se  trouvait  pour 
lui  enlever  la  Bohême,  qu'il  traita  en  pays  con- 
quis, et  même  pour  lui  ravir  la  liberté.  Pendant 
son  absence  la  Hongrie  insurgée  acclama  Ladislas 
(1403);  mais  les  partisans  du  roi  de  Naples  lâ- 
chèrent pied  devant  le  comte  de  Stibor,  hardi  ca- 
pitaine qui  replaça,  dans  une  courte  campagne, 
tout  le  pays,  sauf  la  Dalmatie  et  la  Croatie,  sous 
le  sceptre  de  Sigismond.  Ce  dernier  toutefois  ne 
réussit  pas  à  conserver  la  Bohème,  que  son  frère, 
■devenu  libre,  avait  reconquise;  il  compensa  cet 
échec  en  regagnant  sur  les  Turcs  une  partie  de 
la  Bosnie  (1400),  et  sur  Ladislas  la  Dalmatie, 
Zara  exceptée  (1.412).  Dans  l'intervalle  il  avait 
pris  en  Hongrie  d'excellentes  mesures  ;  avec  le 
concours  de  quelques  magnats,  Hermann  Cilly, 
Stibor,  Scolari,  Gara,  etc.,  il  modéra  le  pouvoir 
excessif  du  clergé,  ajouta  aux  prérogatives  de  la 
petite,  noblesse  et  de  la  bourgeoisie,  et  adoucit  la 
condition  des  paysans.  Ses  dispositions  au  sujet 
du  commerce  et  de  l'industrie,  ainsi  que  de  la 
sécurité  publique,  sont  également  remarquables. 
La  mort  de  Robert  lui  permit,  en  1410,  d'as- 
pirer à  l'Empire.  Après  une  élection  très -dis- 
putée (1),  Sigismond  fut  proclamé  le  21  juillet 
1411.  De  graves  préoccupations  l'empêchèrent  - 
pendant  plusieurs  années  de  prendre  en  main  le  ' 
gouvernement  de  l'Empire.  Après  avoir  laissé  à 
Ladislas  de  Pologne  la  possession  viagère  de  la 
Podolie ,  de  la  Russie  rouge  et  de  la  Moldavie, 
après  avoir  réglé  les  différends  de  la  Pologne  et 
de  l'Ordre  teutonique,  et  apaisé  à  l'amiable  les 
querelles  des  ducs  d'Autriche,  il  fit  la  guerre  à 
Venise,  qui  ne  voulait  pas  restituer  Zara,  rem- 
porta quelques  avantages,  et  conclut,  en  1413, 
une  trêveavec  cette  république,  qui  acheta  la  paix 
moyennant  200,000  ducats.   Il   recruta  ensuite 
deux  mille  soldats  en  Suisse,  et  se  proposait  de 


())  Une  première  élection,  d'où  était  sorti  Josse,  mar- 
grave de  Brandebourg  (1er  octobre  1410),  ne  fut  pas  dé- 
clarée valable.  Le  monde  eut  alors  le  curieux  spectacle 
de  trois  empereurs  vivants,  comme  ii  y  avait  trois  papes, 
et  ce  qui  Était  plus  singulier,  tous  trois  appartenaient  à 
la  même  maison.  Josse  mourut  le  8  janvier  1411;  Sigis- 
mond fut  élu  à  l'unanimité,  et  Venceslas,  qui  n'avait 
cessé,  quoique  déposé,  de  prétendre  à  l'Empire,  acquiesça 
enfin  à  l'élection  de  son  frère. 


SIGISMOND  974 

faire  à  leur  lête  une  sorte  de  reconnaissance  mi- 
litaire dans  la  haute  Italie;  mais  ses  soldats, 
qu'il  ne  payait  pas,  se  débandèrent,  et  ce  fut  à 
peu  près  seul  qu'il  s'avança  jusqu'à  Corne.  L'u- 
nique fruit  qu'il  retira  de  ce  voyage ,  outre  de 
forles  sommes  d'argent  qu'il  préleva  sur  les  cités 
et  abbayes  où  il  passait  pour  renouvellement  de 
privilèges,  fut  la  satisfaction  d'avoir  décidé  le 
pape  Jean  XXIII  à convoquer  à  Constance  un  con- 
cile général,  dans  le  but  de  mettre  lin  au  schisme 
de  l'Église. 

Le  8  novembre  1414,  Sigismond  fut  sacré  roi 
des  Bomains  à  Aix-la-Chapelle.  De  là  il  se,  rendit 
au  concile  de  Constance,  où  il  arriva  la  veille  de 
Noël.  Jean  XXIII,  qu'il  y  retrouva,  avait  fait  ar- 
rêter Jean  Hus  (voy.  ce  nom),  malgré  le  sauf- 
conduit  impérial.  Sigismond  protesta  contre  cette 
infraction  à  ses  ordres;  mais  voyant  que  le  pape 
cherchait  avidement  un  prétexte  pour  dissoudre 
le  concile,  il  n'insista  pas  sur  la  mise  en  liberté 
de  Hus,  qu'il  se  proposait  de  sauver  ;  en  revanche, 
il  résista  à  toutes  les  suggestions,  à  toutes  les 
tentatives  de  corruption  que  lit  le  pape  pour  lui 
persuader  de  ne  rien  changer  à  la  scission  reli- 
gieuse; lui,  d'ordinaire  si  léger,  si  inconstant, 
si  accessible  à  des  offres  d'argent,  se  montra  pen- 
dant toute  l'affaire  du  schisme  au-dessus  de  lui- 
même.  Après  la  fuite  du  pape,  opérée  avec  le 
concours  de  Frédéric,  duc  d'Autriche,  il  força  ce 
dernier  à  lui  remettre  ses  États,  et  s'assura  ainsi 
de  la  personne  de  Jean,  qui,  ramené  prisonnier 
à  Constance,  fut  déposé  le  29  mai  1415.  Ce  ne 
fut  pas  sans  une  vive  répugnance  que  l'empereur 
céda  aux  instances  des  théologiens  qui  le  solli- 
citaient de  reprendre  le  procès  de  Hus  ;  il  ne  se 
rendit  qu'à  la  crainte  d'augmenter  les  maux  de 
l'Église,  lui  qui  avait  attaché  sa  gloire  à  les  guérir 
par  la  fin  du  schisme.  Voyant  qu'il  était  impos- 
sible de  sauver  le  prêtre  bohémien  tant  qu'il  per- 
sisterait dans  ses  sentiments,  il  l'abandonna, 
quoique  avec  regret,  à  lajustice  religieuse.  Quand 
l'œuvre  de  sang  fut  accomplie ,  Sigismond  tra- 
vailla de  nouveau  à  l'œuvre  de  paix,  dont  l'eue- 
cution  devait  lui  mériter  la  reconnaissance  de 
l'Europe.  Après  avoir  persuadé  à  Grégoire  XII 
dtTrésigner  le  pontificat,  il  quitta  Constance,  le 
21  juillet  1415,  et  entreprit,  à  la  seule  fin  d'obtenir 
l'abdication  du  troisième  pape,  Benoît  XIII,  un 
long,  périlleux  et  coûteux  voyage.  Il  alla  à  Per- 
pignan s'aboucher  avec  les  envoyés  de  Benoît  et 
avec  les  princes  espagnols  de  son  obédience.  S'il 
ne  put  rien  gagner  sur  l'esprit  opiniâtre  du  pre- 
mier, il  parvint  à  détacher  les  seconds  de  son 
parti  et  à  leur  faire  signer  le  concordat  de  Nar- 
bonne((4  déc.  1415),  par  lequel  ils  reconnais- 
saient le  concile  de  Constance.  Cette  négociation 
terminée,  il  se  rendit  à  Chambéry  pour  ériger  en 
duché  le  comté  de  Savoie,  et  s'achemina  ensuite 
vers  Paris,  sur  l'invitation  du  roi  Charles  VI, 
qui  l'avait  prié  de  ménager  sa  paix  avec  les  An- 
glais. Il  y  entra  le  1er  mars  1416.  Les  divisions 
qui  régnaient  à  la  cour  paralysèrent  ses  efforts 


975 


SIGISMOND 


976 


pour  amener  une  transaction  acceptable  (1).  Après 
avoir  fait  avec  beaucoup  de  peine  rédiger  des 
propositions  d'accord,  il  passa  en  Angleterre 
pour  les  soumettre  à  Henri  V;  celui-ci  refusa  de 
les  agréer,  tout  en  ménageant  à  Sigismond  l'ac- 
cueil le  plus  brillant.  A  Londres  iî  fut  rejoint 
par  Guillaume  VI,  comte  de  Hollande,  qui  le  pria 
de  sanctionner  la  transmission  de  ses  vastes  États 
à  sa  fille  unique,  Jacqueline;  il  rejeta  cette  de- 
mande, contraireaux  lois  de  l'Empire.  Guillaume, 
irrité,  se  rembarqua  aussitôt  en  emmenant  les 
vaisseaux  qui  devaient  servir  au  retour  de  l'em- 
pereur. Sigismond  se  trouva  alors  à  la  merci  de 
son  hôte,  qui  ne  lui  permit  de  quitter  l'Angleterre 
qu'à  la  condition  de  signer  an  traité  d'alliance 
et  de  commerce.  Ainsi  tombent  les  accusations 
de  perfidie  que  la  cour  de  France  éleva  contre 
lui.  Après  avoir  remonté  le  Rhin,  Sigismond  re- 
vint, le  17  janvier  1417,  à  Constance,  où  le  con- 
cile l'attendait  avec  impatience  pour  mener  à  fin 
l'œuvre  de  la  pacification  religieuse.  Dans  l'inter- 
valle il  n'avait  cessé,  il  est  vrai,  de  s'entretenir 
par  lettres  avec  les  Pères  assemblés  :  même  sur 
les  affaires  purement  ecclésiastiques  ses  avis 
étaient  écoutés  avec  déférence;  mais  après  son 
retour  son  influence  s'amoindrit;  il  échoua  dans 
son  projet  d'abolir,  avant  de  procéder  à  l'élection 
d'un  nouveau  pape,  les  abus  qui  relâchaient  les 
liens  de  la  discipline.  Martin  V  fut  élevé  au  pon- 
tificat, et  s'empressa  d'éluder  une  réforme  géné- 
rale de  l'Église.  Dans  l'intervalle  Sigismond  avait 
multiplié  ses  efforts  pour  faire  admettre  par  les 
états  de  l'Empire  un  édit  de  paix  générale,  qui 
mît  fin  à  l'anarchie  croissante  à  laquelle  il  avait 
en  vain  essayé  de  remédier  par  des  mesures 
particulières;  ses  projets  échouèrent,  à  cause  de 
la  résistance  intéressée  des  princes;  mais  ils  de- 
vinrent la  base  d'un  édit  semblable  décrété  sous 
Maximilien  1er.  t|  ne  réussit  pas  non  plus  à  main- 
tenir les  droits  de  l'Empire  sur  les  Pays  Bas,  qui 
passèrent  à  la  maison  de  Bourgogne.  En  1419, 
il  retourna  en  Hongrie,  et  vengea  ce  pays  des 
incursions  incessantes  dont  il  avait  été  l'objet  de 
la  part  d  es  Turcs  en  rem  portant  sur  eux  une  grande 
victoire  entre  Nissaet  Nicopolis. 

Il  venait  alors  de  succéder,  par  la  mort  de  Ven- 
ceslas  (août  1419),  à  la  couronne  de  Bohême. 
L'insurrection  des  hussites,  guidés  par  Ziska 
(  voy.  ce  nom  ),  avait  livré  ce  royaume  à  la  guerre 
civile.  Si  l'empereur  eût  marché  droit  aux  rebelles, 
il  les  eût  peut-être  aisément  dispersés  ;  en  négli- 
geant de  le  faire,  il  les  laissa  grossir  en-nombre 
et  s'organiser,  et  lorsqu'en  mai  1420  il  entra  en 
Bohême,  il  trouva  partout  de  la  résistance  ;  avec 

(!|  Plusieurs  incidents  curieux  marquèrent  son  séjour 
à  1  aris.  Toujours  galant  envers  les  dames,  il  en  réunit 
cent  vingt  à  un  grand  festin  au  Louvre,  et  leur  fit  distri- 
buer à  chacune  une  belle  bagr.e.  Un  antre  jour,  se  trou- 
vant ù  une  séance  du  parlement  où  l'on  opposait  à  l'un 
des  plaideurs  sa  qualité  de  roturier.  Il  se  leva,  et,  le  tou- 
chant de  son  épée,  le  créa  chevalier.  Cet  acte  tout  spon- 
tané lut  mal  interprété  par  les  légistes  français,  qui 
firent  semblant  de  croire  que  Sigismond  avait  voulu 
s'arroger  un  pouvoir  de  suzeraineté  en  France. 


une  armée  de  plus  de  cent  mille  hommes,  il  s'ou- 
vrit un  chemin  jusqu'à 'Prague;  non-seulement  il 
ne  put  s'emparer  de  cette  ville,  mais  il  essuya 
une  déroute  complète.  La  Bohême  s'affranchit 
presque  tout  entière  de  son  autorité,  et  il  fut 
déclaré  déchu  du  trône  par  la  diète  de  Czaslau. 
En  novembre  1421  il  revint  avec  quatre-vingt 
mille  hommes,  et  ne  put  tenir  tête  à  Ziska.  En 
janvier  1422  il  battit  en  retraite;  atteinte  à 
Deutschbrod,  sa  cavalerie  hongroise  fut  tailléeers 
pièces,  le  reste  de  l'armée  s'enfuit  en  désordre. 
Très-mal  secondé  par  l'Empire,  il  ne  profita  point 
des  profondes  divisions  qui  éclatèrent  parmi  les 
hussites  après  la  mort  de  Ziska  (1424).  Aussi  en 
1426  parut-il  se  résigner  àla  pertedela  Bohême; 
il  ne  s'occupa  plus  que  de  la  Hongrie  et  des  pays 
danubiens,  d'où  il  voulait  entièrement  chasser 
les  Turcs;  mais  ses  ressources  n'étaient  pas  ea 
harmonie  avec  la  grandeur  de  ses  vues ,  et  au 
lieu  de  rejeter  en  Asie  les  musulmans,  il  eut  la 
douleur  de  les  voir,  à  la  suite  de  la  journée  de  Ga- 
lambotz  (mai  1428),  s'établir  en  maîires  dans  la 
Servie  et  la  Valaquie.  Quant  à  l'Allemagne,  il  l'a- 
bandonnait au  gouvernement  des  électeurs,  qui, 
tout  en  se  plaignant  de  son  inaction,  ne  l'avaient 
jamais  aidé  à  rien  tenter  pour  le  bien  général. 
Aussi,  pendant  près  de  dix  ans,  ne  se  mêla-l-il 
guère  que  d'une  seule  affaire  importante  concer- 
nant l'Empire,  la  succession  de  Bavière,  qui  fut 
réglée  selon  ses  dispositions.  Il  laissa  même  aux 
états  de  l'Empire  le  soin  de  prendre  des  mesures 
contre  les  hussites,  qui,  enhardis  parleurs  suc- 
cès, ravageaient  cruellement  une  partie  de  l'Al- 
lemagne; les  expéditions  dirigées  contre  eux 
aboutirent  toutes  à  de  honteuses  déroutes. 
L'imminence  du  danger  finit  par  rapprocher 
l'empereur  et  les  princes  allemands.  Sigis- 
mond consentit  à  présider  en  1431  la  diète  de 
Nuremberg  ;  une  trêve  générale  fut  signée  pour 
un  an;  on  réforma  la  procédure  du  tribunal 
suprême  de  l'Empire,  ainsi  que  l'organisation 
de  la  Vehme,  ou  tribunal  secret  de  Westphalie; 
la  compétence  de  cette  terrible  autorité,  qui  seule 
maintenait  encore  quelques  principes  de  justice 
au  milieu  de  l'anarchie,  fut  réduite  à  la  demande 
des  princes ,  qu'elle  traitait  comme  de  simples 
particuliers.  Sigismond  avait  noué  des  négocia- 
tions avec  les  hussites,  qui  ne  se  refusaient  pas 
à  le  reconnaître  s'il  leur  accordait  le  libre  exer- 
cice de  leur  culte;  les  pourparlers  se  rompirent 
dès  l'approche  de  la  grande  armée  impériale, 
qui,  mal  disciplinée  et  mal  conduite,  fut  forcée, 
après  quinze  jours  de  campagne,  d'évacuer  la 
Bohême  avec  des  pertes  énormes  (août  1431). 
Trois  mois  plus  lard,  Sigismond  passa  en  Italie, 
caressant  de  vastes  projets,  à  l'exécution  desquels 
il  ne  pouvait  fournir  ni  argent  ni  soldats  ;  ainsi 
ii  voulait  se  faire  couronner  à  Rome,  gagner  des 
alliés  contre  Venise,  avec  qui  il  était  encore  une 
fois  en  guerre,  accorder  le  pape  Eugène  IV  et  !e 
concile  de  Bàle,  qui  à  peine  ouvert  était  déjà  en 
lutte  avec  le  pontife;  et  surtout  rétablir  au  delà 


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SIG1SM0MD 


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des  monts  la  suzeraineté  de  l'Empire.  Pendant 
plus  d'une  année  il  résida  successivement  à 
Parme,  à  Lucques,  à  Sienne,  au  milieu  de  conti- 
nuels embarras,  en  butle  aux.  coups  de  ses  en- 
nemis. Il  échappa  à  une  tentative  d'empoison- 
nement; mais  il  s'exposa  à  la  malignité  publique 
en  compromettant  sa  dignité  parmi  d'obscures 
intrigues  amoureuses.  Sans  cesser  d'encourager 
l'opposition  du  concile  à  la  cour  de  Rome,  il 
avait  entamé  avec  ceile-ci  des  négociations  d'où 
sortit  enfin  le  traité  deFcrrare,  qui  pacifia  l'Italie 
(avril  1433).  Un  mois  après  il -fut  couronné  à 
Rome.  Dès  lors  il  prît  le  parti  du  pape  contre 
le  concile  de  Bàlc  (1),  et  par  une  intervention 
énergique  amena  enfin  un  accord  entre  le  saint- 
siége  et  cette  assemblée  (avril  1434).  Dès  le 
30  novembre  1433  il  avait  obtenu  qu'on  accor- 
dât aux  hussites  modérés,  dits  calixtins,  les 
quatre  articles,  connus  sous  le  nom  des  Com- 
pactâtes de  Prague.  Lorsque  ce  parti  eut  écrasé 
tous  les  autres  après  la  bataille  de  Bochmisch- 
brod,  Sigismond  fut  reconnu  roi  et  couronné  à 
Prague  (1436).  Lorsqu'il  vit  son  autorité  recon- 
nue sans  contestation ,  il  commença  à  retirer 
plusieurs  des  concessions  qu'il  avait  faites  aux 
hussites,  ce  qui  provoqua  un  vif  mécontente- 
ment; bientôt  on  vit  partout  renaître  l'esprit  de 
révolte.  Le  comte  Frédéric  de  Cilly,  son  beau- 
frère  ,  qu'il  avait  accablé,  de  bienfaits ,  eut  l'idée 
de  profiter  de  cet  état  de  choses;  il  s'assura  le 
concours  de  sa  sœur,  l'impératrice  Barbe,  femme 
licencieuse,  qui  faisait  profession  d'athéisme  et 
dont  Sigismond  avait  été  obligé  de  réprimer  leà 
débordements,  et  noua  des  intelligences  avec 
les  hussites.  On  résolut  de  s'emparer  de 
l'empereur  et  de  proclamer  Barbe  reine  de  Bo- 
hême. Sigismond  fut  averti  à  temps  :  il  sortit  de 
Prague  (novembre  1437),  et  se  dirigea  vers  la 
Hongrie;  mais  une  maladie,  aggravée  par  le 
chagrin  que  lui  causait  la  perfidie  de  ses  proches, 
le  força  de  s'arrêter  à  Znaïm,  où  il  mourut,  le 
9;décembre,  après  avoir  assuré  la  succession 
dans  ses  États  à  son  gendre  Albert  d'Autriche. 
De  ses  deux  femmes,  l'une,  Marie  de  Hongrie, 
était  morte  en  1392,  sans  enfants;  l'autre,  Barbe 
de  Cilly,  morte  le  il  juillet  1451,  lui  avait  donné 
Elisabeth,  femme  d'Albert. 

D'une  figure  régulière  et  belle,  d'une  taille 
imposante,  Sigismond  avait  un  extérieur  d'une, 
grande  majesté ,  qu'il  savait  tempérer  par  une 
extrême  affabilité.  Il  avait  beaucoup  d'esprit  na- 
turel ,  parlait  bien ,  et  avec  abondance  même , 
sans  préparation  sur  les  affaires  les  plus  impor- 
tantes; Eneas  Sylvius  nous  a  conservé  plusieurs 
de  ses  nombreuses  saillies,  dont  on  avait  fait  un 
recueil  spécial.  A  côté  de  grandes  vertus  morales 
et  d'aptitudes  politiques  remarquables,  il  possé- 
dait tous  les  défauts  de  la  maison  du  Luxem- 
bourg, le  goût  pour  la  dissipation,  une  impétuo- 

(1)  Il  fit  alors  graver  sur  le  grand  sceau  un  aigle  à 
deux  têtes,  pour  marquer  sa  double  qualité  de  roi  des 
Romains  et  d'empereur  couronné. 


site  dont  rien  ne  pouvait  contenir  l'explosion,  et 
avec  cela  une  légèreté  excessive.  Jeté  au  milieu 
d'une  anarchie  déplorable,  s'il  ne  réussit  pas  à  la 
maîtriser,  il  eut  au  moins  le  mérite  d'arrêter  le 
cours  des  maux  qui  désolaient  alors  l'Europe. 
Ernest  Gkécoike. 

Vindeclt,  V ita  Sigismundi,  dans  les  Scriptores  Ac. 
Mcncke.  —  Katona,  ilist.  reçium  llunijarorum.  —  En- 
gel,  Geschichte  von  Ungarn.  —  Palacky,  Cesck.  von 
Bœhmetl,  t.  lll.  —  Lenfant,  Hist.  du  concile  de  Cons- 
istance. —  Wessenberg,  Gesch.  der  grossen  Kirclienvcr- 
ffsummlnngen.  —  Aschbach,  Ccsch.  Siglsmvnds ;  Ham- 
bourg, 1838-45,  4  vol.  in-8°. 

sigismond  Ier,  dit  le  Grand,  roi  de  Po- 
logne, né  à  Koziénicé,  le  1er  janvier  1467,  mort 
à  Cracovie,  le  1er  avril  1548.  11  était  fils  de  Ca- 
simir IV,  et  avait  pour  frères  Wladislas,  roi  de 
Hongrie  et  de  Bohême,  et  Alexandre  1er,  roi 
de  Pologne.  A  la  mort  de  ce  dernier,  il  gouver- 
nait le  duché  de  Silésie,  appartenant  à  la  Polo- 
gne. Ses  vertus  lui  firent  offrir  par  les  Lithua- 
niens la  couronne  ducale  (20  octobre  1506),  et 
les  Polonais  le  proclamèrent  roi  le  8  décembre 
suivant.  Lorsqu'il  fut  couronné,  il  changea  la  for- 
mule du  serment,  et  se  dit  appelé  au  trône  non 
par  la  grâce  de  Dieu  et  du  Sauveur,  mais  «  avec 
le  consentement  des  prélats,  des  grands  et  du 
peuple  ».  Le  royaume  était  alors  dans  un  triste 
état.  Sigismond  redressa  les  abus,  en  améliorant 
les  finances,  dilapidées  par  les  rois  Jean-Albert 
et  Alexandre.  Jean  Boner,  son  trésorier,  racheta 
les  domaines  royaux  qui  se  trouvaient  engagés, 
et  rendit  à  la  couronne  ses  revenus  sans  avoir 
établi  de  nouveaux  impôts.  La  Moscovie  était 
déjà  menaçante.  Les  Russes,  nsatiables  dans 
leurs  conquêtes,  avaient  envahi  plusieurs  des 
provinces  dépendantes  de  la  Lithuanie.  Le  tsar 
Vassili,  sollicité  par  Sigismond  de  restituer  ce 
qu'il  avait  pris  dans  cette  province,  refusa  de 
rien  rendre.  La  guerre  éclata  entre  eux,  par  la 
trahison  du  prince  Michel  Glinski.  Ce  puissant 
feudataire  lithuanien  avait  joui  sous  le  précédent 
règne  d'une  influence  illimitée;  mis  à  l'écart  et 
traité  par  le  nouveau-  roi  avec  une  sévérité  peut- 
être  injuste,  il  jura  de  se  venger  sur  celui  qui 
l'avait  remplacé  auprès  du  trône,  Jean  Zabrze- 
zinski  ;  il  s'introduisit  dans  sa  maison  de  cam- 
pagne, et  l'assassina.  Ce  crime  fut  le  gage  de  son 
alliance  avec  le  tsar;  d'ailleurs  il  avait  sa  parole 
d'être  élevé  au  rang  de  prince  souverain*de  Smo- 
lensk.  Après  avoir  appelé  sur  sa  patrie  l'invasion 
des  ïatars  et  des  Yalaques ,  il  rejoignit  l'armée 
moscovite;  tous  ensemble  ils  ravagèrent  la  Li- 
thuanie et  assiégèrent  Minsk.  Sigismond  Ier 
arrêta  les  progrès  de  l'ennemi  en  remportant 
une  brillante  victoire  à  Orsza,  sur  le  Dnieper 
(14  juillet  1508),  pendant  que  Jean  Firley  et 
Constantin  Ostrogski  s'avançaient  au  delà  de  la 
frontière.  L'insubordination  de  ses  lieutenants 
s'opposa  à  ce  qu'il  retirât  aucun  fruit  de  ses  suc- 
cès :  il  consentit  à  la  paix,  moyennant  laquelle 
tout  rentra  de  chaque  côté  dans  le  même  état 
qu'auparavant;  quant  aux.  adhérents  ou  aux 


S79 


SIGISMOND 


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parents  de  Giinski,  il  pardonna  les  uns  et  per- 
mit aux  autres  de  rejoindre  leur  chef  en  Russie: 
Le  tsar,  vaincu,  suscita  à  son  trop  généreux  en- 
nemi des  embarras  nouveaux  :  ce  fut  par  suite 
de  ses  intrigues  que  Bogdan,  le  chef  des  Mol- 
daves, envahit  la  Pologne  au  midi  (1510).  Battu 
sur  les  bords  du  Dniester,  il  conclut  alors  le 
traité  qui  soumit  la  Moldo-Valachie  à  la  Polo- 
gne, et  d'où  sortirent  plus  tard  de  longues  et 
sanglantes  guerres  avec  les  Ottomans. 

Le  pape  Jules  II  envoya  complimenter  Sigis- 
mond  sur  la  gloire  de  ses  armes,  et  lui  offrit  le 
commandement  d'une  ligue  destinée  à  chasser 
les  Turcs  de  l'Europe.  Sur  ces  entrefaites,  une 
victoire  remportée  par  Lançkoronski  et  Os- 
trogski  sur  les  Tatars,  et  qui  leur  fit  perdre 
37,000  combattants,  assura  pour  longtemps  la 
tranquillité  des  frontières  (1512).  L'influence  de 
la  Pologne  en  Hongrie  et  en  Bohême,  sa  gran- 
deur militaire,  l'alliance  de  son  souverain  avec 
la  fille  du  vaïvode  de  Transylvanie,  portaient 
ombrage  à  l'empereur  Maximilien;  n'ayant  au- 
cun mo'tif  de  rompre  la  paix,  il  excita  le  tsar  à 
se  remettre  en  campagne,  et  lui  promit  de  le  sou- 
tenir. En  1514, les  Moscovites  firent  irruption 
dans  la  Lithuanie,  au  nombre  de  80,000,  et  s'em- 
parèrent par  surprise  de  Smolensk,  dont  la  pos- 
session leur  fut  plus  tard  abandonnée;  mais, 
arrêtés  dans  leurs  déprédations  à  Orsza  par 
l'armée  polonaise,  qui  ne  comptait  que  30,000 
hommes,  ils  furent  taillés  en  pièces  (8  sep- 
tembre 1514),  et  laissèrent  sur  le  champ  de 
bataille  drapeaux,  armes,  canons,  deux  géné- 
raux, 37  princes,  6,000  prisonniers  et  30,000 
morts.  Ces  événements  engagèrent  Maximilien 
à  rechercher  l'amitié  de  Sigismond,  et  il  l'invita 
à  siéger  dans  le  congrès  qui  se  réunit  en  1515  à 
Vienne.  S'il  n'en  résulta  aucun  bien  pour  la  Po 
iogne,  en  revanche  on  y  décida  un  mariage  qui 
eut  pour  conséquence  de  placer  les  couronnes 
de  Hongrie  et  de  Bohême  sur  la  tête  des  mo- 
narques autrichiens.  L'empereur  promit,  il  est 
vrai,  de  forcer  Vassili  à  respecter  la  Pologne  et 
les  chevaliers  teutoniques  à  lui  rendre  hommage, 
mais  il  ne  tint  point  parole.  Pendant  les  négo- 
ciations qu'il  avait  entamées  ouvertement  avec 
Vassili,  les  Moscovites  et  les  Tatars,  obéissant 
à  de  secrètes  incitations  ,  recommencèrent  leurs 
courses  en  Pologne.  Après  les  avoir  refoulés, 
Sigismond  voulut  punir  l'insolence  ■''de  l'Ordre 
teutonique,  qui  avait  envahi  la  Prusse  polonaise  : 
il  battit  le  grand  maître  Albert,  son  propre  ne- 
veu; il  le  battit  encore,  malgré  le  concours  que 
lui  prêtèrent  les  Danois  (1520),  et  lui  accorda 
une  trêve  de  quatre  ans.  En  1525  il  favorisa  son 
ambition  en  lui  conférant  le  titre  de  duc  héré- 
ditaire de  Prusse,  sous  condition  de  foi  et  hom- 
mage. Le  vasselage  de  la  Prusse  dura  jusqu'en 
1657,  époque  où  le  traité  de  Velau  proclama  son 
indépendance.  Sigismond  fut  le  seul  prince  chré- 
tien qui  prêta  aide  à  la  Hongrie  contre  la  for- 
midable invasion  musulmane,  où  le  roi  Louis  II 


trouva  la  mort  (1526),  et  un  corps  nombreux  de 
cavaliers  polonais  lutta  héroïquement  contre  les 
vainqueurs  de  Mohacz. 

Les  dernières  années  de  son  règne  ne  furent 
signalées  que  par  la  rébellion  des  Valaques,  qui 
essuyèrent  plusieurs  défaites,  entre  autres  celle 
d'Obertyn,en  1531.  Ce  prince  mourut  plus  qu'octo- 
génaire,  et  eut  Sigismond  II,  son  fils,  pour  suc- 
cesseur; c'était  l'unique  enfant  de  son  second 
mariage,  avec  Bonne  Sforza,  fille  du  duc  Jean- 
Galéas  (1518),  princesse  aussi  belle  qu'instruite, 
mais  dont  le  désordre,  l'impiété  et  l'effronterie 
ouvrirent  la  porte  à  tous  les  scandales.  Il  laissa 
après  lui  la  réputation  d'un  prince  juste,  sage  et 
magnanime.  La  modération  et  la  loyauté  for- 
maient les  principaux  traits  de  son  caractère. 
Afin  de  se  consacrer  à  son  pays,  il  refusa  la  cou- 
ronne de  Hongrie  et  celle  de  Suède. 

Les  papes  Jules  II,  Léon  X,  Clément  VII  et 
Paul  III  lui  donnèrent  des  marques  de  considé- 
ration. Le  sultan  Selim  1er  le  respecta;  Soliman 
le  craignit.  Il  encouragea  les  arts  et  les  sciences, 
et  ne  se  montra  pas  hostile  à  la  réforme  reli- 
gieuse, malgré  les  édits  qui  frappaient  d'incapa- 
cité ceux  qui  changeraient  de  culte,  ou  qui  dé- 
fendaient à  ses  sujets  de  fréquenter  les  écoles 
de  l'Allemagne.  Il  joignait  à  une  haute  taille  et 
à  une  beauté  mâle  une  vigueur  de  corps  ex- 
traordinaire. Sous  son  règne,  la  Pologne  retrouva 
son  ancienne  prospérité;  et  ce  fut  avec  une  pro- 
fonde conviction  que  Paul  Giovio  écrivit  :  «  Si 
Charles-Quint,  François  Ier  et  Sigismond  1er 
n'avaient  pas  régné  dans  le  même  temps,  chacun 
d'eux  aurait  mérité  de  régner  sur  les  Étais  des 
autres  et  d'avoir  à  lui  seul  l'empire  du  monde 
entier.  »  L.  Ch. 

I.clewel,  Hist.  de  Pologne.  —  Moraczewski,  Idem.  — 
Forstcr,  La  Pologne,  dans  l'Univ.  pitt. 

sigismond  is  Auguste,  roi  de  Pologne, 
fils  et  successeur  du  précédent,  né  à  Cracovie,  le 
1er  août  1520,  mort  à  Knyszyn,  le  18  juillet 
1572.  Déclaré  héritier  du  trône  à  la  fin  de  1529 
et  couronné  en  1530,  il  se  distingua  d'abord  par 
un  goût  très-vif  pour  les  plaisirs.  Après  avoir 
épousé  Elisabeth  d'Autriche,  fille  de  l'empereur 
Ferdinand  Ier  (1543),  il  prit  l'administration 
du  grand-duck-é  de  Lithuanie,  et  alla  tenir  sa 
cour  à  Wilna.  La  mort  prématurée  de  cette 
princesse,  qui  avait  su  le  ramener  à  une  con- 
duite plus  digne  de  lui,  le  laissa  retomber  entre 
les  mains  des  flatteurs.  Séduit  par  les  charmes 
et  les  vertus  de  Barbe  Radziwill  (voy.  ce  nom), 
il  contracta  avec  elle  une  union  (1546)  qui  de- 
meura secrète  jusqu'à  sou  avènement  au  trône; 
mais  alors  elle  rencontra  chez  la  noblesse  une 
opposition  unanime.  A  l'instigation  de  la  reine 
mère,  deux  diètes  déclarèrent  l'une  après  l'autre 
le  mariage  nul,  et  sommèrent  le  roi  de  congédier 
sa  femme  ;  mais  le  roi  repoussa  ces  prétentions 
avec  une  fermeté  qu'on  ne  lui  connaissait  pas, 
et  fit  couronner  Barbe  le  9  décembre  1550.  Le 
bonheur  de  Barbe  fut  son  arrêt  de  mort;  elle 


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SIGISMOND 


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succomba  le  12  mai  1551,  à  un  cancer,  dit-on, 
mais  plus  probablement  aux  suites  du  poison 
administré  par  l'ordre  de  la  reine  mère  (1).  La 
diète  de  Piotrkow,  ouverte  en  1552,  fut  le.lhéàtrc 
de  débats  Irès-vifs  sur  la  tolérance  en  matière 
de  foi;  mais  l'attention  principale  des  esprits  se 
dirigea  vers  les  progrès  de  la  puissance  maho- 
métane,  et  l'on  vota  des  impôts  pour  aider  les 
Hongrois  dans  leur  lutte  contre  l'ennemi  com- 
mun. Cédant  aux  vœux  de  ses  sujets,  Sigismond 
prit  en  1553  une  troisième  alliance,  avec  Cathe- 
rine d'Autriche,  sœur  de  sa  première  femme  et 
veuve  du  duc  de  Mautoue  (2).  A  la  suite  de 
dissensions  civiles,  la  Livonie,  pour  échapper  au 
jougmoscovite, s'était  réunied'elle-mème  à  la  Po- 
logne (1557).  La  Suède,  le  Danemark  et  la  Mos- 
covie  déclarèrent  la  guerre  aux  Polonais.  Ces 
derniers  furent  victorieux  ;  cependant  il  advint 
que  la  Livonie  et  l'Esthonie  se  trouvèrent  par- 
tagées entre  les  puissances  belligérantes.  L'acte 
le  plus  important  du  règne  de  Sigismond  II  fut 
la  réunion  irrévocable  de  la  Lithuanie  à  la  Po- 
logne, réunion  qui  fut  prononcée,  après  de  longs 
débats,  dans  la  diète  de  Lublin  (1569).  A  la 
suite  de  cette  union  intime,  l'élection  des  rois 
devait  se  faire  par  les  suffrages  de  la  noblesse 
entière;  la  convocation  des  diètes  devait  être 
applicable  aux  deux  nations,  et  Varsovie,  ville 
centrale,  devait  en  être  le  siège;  les  sénateurs  re- 
ligieux et  séculiers  furent  confondus;  toutes  les 
dignités  durent  être  dédoublées  et  occupées  dans 
chaque  .province  par  des  nationaux  spéciaux.  Le 
roi  assista  encore  aux  diètes  tenues  à  Varsovie 
en  1570  et  1572;  puis  il  se  dirigea  vers  la  Lithua- 
nie, et  mourut  avant  d'y  arriver,  à  l'âge  de  cin- 
quante-deux ans.  Avec  lui  s'éteignit  la  descen- 
dance mâle  des  Jagellons,  qui  avait  régné  sur  la 
Pologne,  la  Lithuanie  et  la  Ruthénie  pendant 
cent  quatre-vingt-six  ans.  Il  eut  pour  succes- 
seur le  duc  d'Anjou,  depuis  Henri  III.  Il  avait 
l'esprit  cultivé,  et  on  a  publié  de  lui  un  recueil 
intitulé  Epistolas,  legationes  et  responsa  (Leip- 
zig, 1703,  in-8°).  L.  Ch. 
Lelewel.  —  Moraczewski.  —  Forster. 

sigismond  ni,  roi  de  Pologne  et  de  Suède, 
né  à  Stockholm,  le  20  juin  1566,  mort  à  Varsovie, 
le  30  avril  1632.  Il  était  fils  de  Jean  III,  roi  de 
Suède,  et  de  Catherine,  sœur  de  Sigismond  IL 
Après  la  mort  d'Etienne  Batory,  il  dut  son  élec- 
tion à  l'avantage  d'être  issu  du  sang  des  Jagellons 
et  au  concours  de  Jean  Zamoyski  et  de  ses  par- 
tisans (19  août  1587).. L'archiduc  d'Autriche 
Maximilien,  son  compétiteur,  ne  parvint  pas, 
malgré  l'appui  des  Zborowski,  à  réunir  la  ma- 
jorité des  suffrages;  il  en  appela  aux  armes, 

(1)  Ses  désordres  croissants,  ses  intrigues,  la  dilapida- 
tion du  trésor  national  la  firent  exiler,  en  1S56;  elle  s'é- 
tablit à  liari,  dans  la  Fouille,  et  y  périt,  en  1358,  empoi- 
sonnée par  son  favori  Papadoga,  qui  lui  vola  ses  objets 
les  plus  précieux. 

(2)  11  la  renvoya  en  1565  à  l'empereur,  après  avoir 
vainement  sollicité  du  sénat  et  du  pape  l'autorisation 
de  se  séparer  d'elle,  parce  qu'eUe  ne  lui  avait  pas  donné 
d'eofants. 


mais  il  fut  battu  par  Zamoyski  en  Silésie  (24  jan- 
vier 1588)  et  fait  prisonnier;  il  ne  recouvra  la 
liberté  que  plus  d'une  année  après.  Sigismond  III 
subit  par-dessus  tout  l'influence  des  jésuites. 
Après  seize  mois  de  règne,  il  parut  dégoûté  du 
trône.  Il  ne  voulait  se  conformer  ni  aux  mœurs 
ni  aux  lois  polonaises;  il  s'enfermait  avec  l'al- 
chimiste Wolski  pour  chercher  au  fond  d'uu 
creuset  l'or  qui  lui  manquait  toujours;  enfin  son 
aveugle  attachement  à  l'Autriche  porta  l'irrita- 
tion au  comble(159l).  Le  21  mai  1592  il  épousa 
l'archiduchesse  Anne,  mariage  qui  fut  sévère- 
ment blâmé  par  la  diète,  dite  d'inquisition,  de 
Cracovie.  A  la  mort  de  Jean  111,  son  père,  il  se 
rendit  en  Suède  (1593)  en  compagnie  du  nonce 
Malaspina  et  de  plusieurs  jésuites,  déploya  uu 
zèle  intempestif  pour  ramener  ses  sujets  au  ca- 
tholicisme, et  après  avoir  confié  l'administntion 
du  pays  à  son  oncle,  le  duc  de  Sudermanie,  revint 
en  Pologne.  Les  empiétements  successifs  de  ce- 
lui-ci, qui  aspirait  au  pouvoir  suprême,  le  rappe- 
lèrent en  Suède  (1598)  :  il  y  fit  une  campagne 
de  trois  mois,  qui  aboutit  à  une  paix  humiliante. 
En  1600  il  réunit  l'Esthonie  à  la  Pologne  ;  Charles, 
furieux  de  voir  cette  province  perdue  pour  la 
Suède,  s'en  vengea  en  ravageant  la  Livonie,  et 
en  1604  il  exclut  son  neveu  du  trône,  et  se  pro- 
clama roi  sous  le  nom  de  Charles  IX.  La  Moscovie 
était  déchirée  par  la  guerre  civile  et  livrée  aux  usur- 
pations des  imposteurs.  Après  leur  fin  tragique, 
les  Russes  élurent,  le  27  août  1610,  Wladislas, 
filsdeSigismond,poursouverain,etle  13  juin  4611 
la  ville  de  Smolensk  fut  reconquise.  Zolkiewski 
amena  à  Varsovie,  comme  prisonniers,  le  tsar 
Schouïskoï  et  ses  deux  frères.  Sigismond  III  te- 
nait entre  ses  mains  le  sort  de  toute  la  Slavonie; 
mais  son  indolence  et  les  intrigues  de  ses  favoris 
paralysèrent  toute  action  utile  pour  l'avenir  du 
Nord.  Wladislas,  par  sa  lenteur  à  venir  à  Mos- 
cou, lassa  la  patience  des  Russes,  qui  élevèrent 
au  trône  Michel  Romanoff.  En  1620,  une  nou- 
velle guerre  éclata  en  Moldo-Valaquie,  où  périt 
Zolkiewski.  En  1621,  une  formidable  invasion 
des  Ottomans  fut  repoussée  à  Choczim  ;  mais 
là  mourut  le  célèbre  Chodkiewicz.  Depuis  cette 
même  année  jusqu'en  1P29  Gustave- Adolphe 
envahit  la  Livonie,  à  sept  ois  différentes;  mais 
battuàStuhm,  le  28  juin  1629,  il  proposa  la  paix, 
en  promettant  de  céder  la  Livonie  et  l'Esthonie, 
à  condition  que  6igismond  III  renoncerait  à  la 
couronne  de  Suède.  L'Angleterre,  là  France  et  la 
Hollande  conseillèrent  d'agréer  cette  proposi- 
tion, et  les  Polonais  étaient  de  cet  avis;  mais 
l'Autriche,  qui  avait  intérêt  à  susciter  une  guerre 
entre  la  Pologne  et  la  Suède,  en  détourna  Si- 
gismond. 

Il  s'était  remarié  en  1605,  avec  Constance  d'Au- 
triche; ses  fils  Wladislas  VlIetJean-Casimirlui 
succédèrent  successivement.  L.  Chodzko. 

Albertrandy.  —  Waga.  —  Lelewel.  —  Moraczewski.  — 
Niemcewlcz,  Hist.  du  règne  de  Sigismond  III;  Varso- 
vie, 1819,  3  vol. 


983 


S1GMAR1NGEN  —  SIGNORELLI 


984 


SIGMARINGEN  (Saint  Fidèle  de),  martyr, 
né  en  1577,  à  Sigmaringen,  mort  le  24  avril  1622, 
à  Sévis  (pays  des  Grisons).  Son  nom  de  famille 
étaitRei,  et  son  prénom,  Marc.  Après  avoirachevé 
ses  études  à  Fribourg,  il  accompagna,  de  1604 
à  1610,  trois  jeunes  nobles  qui  parcoururent  di- 
verses contrées  de  l'Europe.  A  son  retour  il 
acheta  une  charge  de  conseiller  à  Colmar;  il  se 
dégoûta  bientôt  de  cette  carrière,  et  entra  chez 
les  capucins  de  Fribourg  (1612).  Quelques  jours 
avant  sa  profession,  il  légua  au  séminaire  sa  bi- 
bliothèque et  ses  biens  patrimoniaux.  Ainsi  dé- 
taché des  choses  du  monde,  il  s'adonna  à  la  prière 
et  à  la  prédication.  Après  avoir  été  gardien  du 
couvent  de  son  ordre  à  Feldkirchen,  il  fut  nommé 
par  la  congrégation  de  la  Propagande  chef  de  la 
mission  chargée  d'évangéliser  le  pays  des  Gri- 
sons. Il  s'acquitta  de  ces  fonctions  avec  zèle; 
mais  un  jour  qu'il  allait  à  l'église  de  Sévis  pour  y 
prêcher,  il  rencontra  une  troupe  de  soldats  qui 
le  maltraitèrent,  et  tandis  qu'il  priait  Dieu  de  les 
éclairer,  un  de  ces  furieux  l'étendit  mort  d'un 
coup  de  feu.  Le  pape  Benoît  XIV  le  canonisa  en 
1746,  en  fixant  sa  fête  au  24  avril. 
Godescard,  Vies  des  Pères,  des  martyrs,  etc. 

signorelli  (Luca),  dit  Luca  da  Cortona, 
peintre  italien,  né  à  Cortone,  vers  1440,  mort 
eu  1 525.  Il  était  fils  d'une  arrière-grand'tante  de 
Giorgio  Vasari.  Il  reçut  d'abord  les  leçons  de 
Matteo  da  Siena,  et  entra  ensuite  dans  l'atelier  de 
Pietro  délia  Francesca,  dont  il  saisit  avec  tant 
d'habileté  la  manière  que  souvent  on  a  confondu 
leurs  ouvrages.  Son  talent  plein  de  sentiment  et 
de  correction  joint  à  la  pureté  de  ses  mœurs  lui 
acquirent  une  renommée  à  laquelle  bien  peu  d'ar- 
tistes atteignirent  de  leur  vivant.  Il  a  beaucoup 
travaillé,  tant  à  l'huile  qu'à  fresque ,  et  ses  ou- 
vrages sont  nombreux  dans  l'Italie,  surtout  en 
Toscane.  Ses  premières  fresques,  dont  il  ne  reste 
plus  rien,  furent  peintes  en  1472,  pour  Saint- 
Laurent  d'Arezzo ,  puis  une  belle  Circoncision 
pour  Saint-François,  à  Volterre  ;  plusieurs  sujets 
dans  la  cathédrale  de  Cortone;  et  deux  sujets 
mythologiques ,  la  Découverte  des  oreilles  de 
Midas  et  Enée  emportant  son  père,  qui  du 
palais  de  Pandolfo  Petrucci  ont  été  transportés 
au  musée  de  Sienne.  Appelé  à  Rome  par  Sixte  IV 
(1474),  il  peignit  dans  la  chapelle  Sixtine  le 
Voyage  de  Moïse  et  de  Séphora  en  Egypte  et 
la  Mort  de  Moïse.  Il  suffit  d'indiquer  les  onze 
sujets  de  la  Vie  de  saint  Benoit,  qu'il  exécuta 
pour  le  monastère  de  Chiusuri,  et  qui  sont  infé- 
rieurs à  ce  qu'il  avait  fait  jusqu'alors.  Du  reste 
il  interrompit  cette  décoration  pour  se  rendre  à 
Orvieto  (1499),  où  il  fut  chargé  d'achever  la 
chapelle  de  la  Madonna  di  San-Brizio ,  laissée 
imparfaite  par  frà  Angelico.  Il  déploya  dans  ces 
fresques  une  science  remarquable  de  l'anafomie, 
beaucoup  d'expression  et  une  grande  variété.  La 
plus  célèbre  est  le  Jugement  dernier,  compo- 
sition à  laquelle  Michel-Ange  et  Canova  n'ont 
pas  dédaigné   d'emprunter  le  mouvement   de 


quelques  figures.  Les  autres  sont  la  Chute  de 
l'An  le- Christ  et  la  Résurrection  universelle. 
De  retour  à  Cortone  dans  an  âge  très-avancé, 
Signorelli  ne  travailla  plus  guère  que  par  plaisir. 
Les  principaux  tableaux  de  cet  artiste  sont  :  à 
Rome,  palais  Braschi,  une  Adoration  des  Mages  ; 
—  à  Florence,  à  l'Académie,  la  Vierge,  saint 
Augustin,  et  la  Trinité,  et  un  gradin  d'autel 
représentant  la  Cène,  le  Jardin  des  Oliviers 
et  la  Flagellation;  à  la  galerie  publique,  une 
Sainte  Famille  et  un  autre  gradin  avec  l'An 
nonciation,  la  Nativité  et  l'Adoration  des 
Mages;  —  à  Pérouse,  dans  la  cathédrale,  la 
Vierge  et  plusieurs  saints,  et  une  Madone  au 
palais  Penna;  —  à  Volterre,  V Annonciation  et 
une  Madone,  toutes  deux  datées  de  1491  ;  —  au 
musée  de  Brera,  um  Madone  et  une  Flagella- 
tion; —  au  musée  de  Berlin,  deux  volets  de  trip- 
tyque; —  au  musée  de  Vienne,  une  Sainte  Fa- 
mille;—  au  Louvre,  une  Nativité  de  la  Vierge, 
une,  Annonciation,  et  une  Adoration  des  Mages, 
œuvre  capitale  du  maître,  provenant  de  la  collec- 
tion Campana. 

Signorelli  eut  pour  élèves  Turpino  Zaccagnî  et 
Arcangelo  Bernabei.  Son  fils  Antonio,  mort  en 
1550,  et  son  neveu  Francesco  Signorelli  exer- 
cèrent aussi  la  peinture.  E.  B— n. 

Vasari,  Fite.  —  Délia  Valle,  Lettere  sanesi.  —  Or- 
landi,  Abbccedario.  —  Zani,  Materiall.  —  Ticozzi, 
Dizionario.  —  Lanzl,  Storia  pittorica.  —  Gualandi, 
Memorie  originali  di  belle  arti.  —  Romagnoli,  Cenni 
storico-artistici  di  Siena.  —  Storia  del  duomo  d'Or- 
vieto.  —  Catalogues  des  Musées. 

signorelli  ( Pietro- Napoli),  littérateur 
i  italien,  né  le  28  septembre  1731,  à  Naples,  où  ii 
t  est  mort,  le  1"  avril  1815.  Après  avoir  fait  ses 
■  classes  chez  les  jésuites ,  il  fréquenta  l'université 
{  de  Naples,  et  tout  en  étudiant  le  droit  suivit  les 
cours  deMartorelli  etdeGenovesi.  A  peine  admis 
au  barreau,  il  renonça  à  exercer  une  carrière 
qui  lui  répugnait,  et  se  mit,  selon  un  de  ses  bio- 
graphes, à  cultiver  le  jardin  des  Muses.  Une  pas- 
sion malheureuse  et  des  chagrins  domestiques  le 
décidèrent  à  passer  en  Espagne  (1765)  :  il  obtint 
à  Madrid  une  sorte  de  sinécure,  la  garde  du  sceau 
de  la  loterie  royale,  qui  lui  permit  de  composer 
des  vers  et  des  comédies;  une  entre  autres, 
Faustina,  fut  couronnée  dans  un  concours  à 
Parme.  Comme  auteur  dramatique,  il  était  tout 
acquis  à  l'influence  française  et  la  modifiait , 
comme  l'avait  enseignéMartorelli, par  l'étude  cons- 
tante des  Grecs  ;  il  chercha,  durant  un  séjour  de 
dix-huit  ans,  à  faire  prévaloir  ses  idées  en  Es- 
pagne, et  il  réussit  à  les  exposer  dans  un  drame 
sacré,  Rachel ,  qui  fut  traduit  en  castillan  et 
joué  avec  succès.  Signorelli  était  lié  avec  les 
principaux  écrivains  de  Madrid,  et  fréquentait  le 
club  littéraire  de  la  Fonda  de  San-Sebastian, 
où  se  réunissaient  Moratin,  Cadahalso,  Ayala, 
Yriarte,  etc.  En  1783  il  revint  à  Naples,  et  fut 
nommé,  en  1784,  secrétaire  de  l'Académie  royale. 
Les  révolutions  de  sa  patrie  troublèrent  sa  vieil- 
lesse. Lorsque  la  république  parthénopéenne  fut 


985 


S1GN0RELU  —  SIGONIO 


986 


établie  (1799),  il  fut  appelé  à  6iéger  dans  le  co- 
mité de  législation  ;  lorsqu'elle  tomba ,  il  se  dé- 
roba aux  persécutions  par  la  fuite.  Son  exil  ne 
fut  pas  oisif  :  après  avoir  professé  la  poésie  au 
lycée  de  Brera  (1800),  il  occupa  la  chaire  de  di- 
plomatique et  d'histoire  à  Bologne  (1804).  On  lui 
permit  en  1807  de  retourner  dans  son  pays,  et  il 
obtint  même  une  pension  du  roi  Murât;  il  con- 
sacra ses  dernières  années  à  la  révision  de  ses 
ouvrages  et  aux  travaux  de  l'Académie  ponta- 
nienne,  dont  il  était  secrétaire,  à  défaut  de  l'A- 
cadémie royale,  qui,  dans  sa  réorganisation, 
avait  ;omis  de  le  comprendre  au  nombre  de  ses 
associés.  Ses  principaux  écrits  sont  -.[Satire  VI  ; 
Gênes,  1774,  in-8°;  —  Storia  critic.a  de'  thea- 
tri  antichi  e  moderni;  Naples,  1777,  in-8°; 
ibid.,  1787-1790,  6  vol.  in-8°;  et  1813,  11  vol. 
in-8°  :  il  y  a  de  l'érudition,  mais  le  goût  et  la 
critique  y  font  presque  entièrement  défaut;  — 
Faustina,  comédie;  Lucques  (Naples),  1779, 
in-8°;  Paime,  1783,  in-8°;  —  Tableau  de  l'état 
actuel  des  sciences  et  de  la  littérature  en 
Espagne;  Madrid,  1780,  in-#°;  —  Vicende 
délia  coltura  nelle  Due  Sicilie  ;  Naples,  1784- 
1786,  5  vol.  in-8°,  et  1810-1811,  8  vol.  in-8°; 
le  plan  de  cette  histoire  littéraire,  la  première 
qu'ait  possédée  l'Italie  méridionale,  est  largement 
conçu ,  mais  exécuté  d'une  façon  diffuse  et  avec 
trop  de  partialité;  —  Orazione  funèbre  di 
Carlo  III,  re  délie  Spagne;  Naples,  1789, 
in-4°  ;  —  Opuscoli  varj;  Naples,  1792-1795, 
4  vol.  in-8°  :  la  plupart  des  morceaux  qui  s'y 
trouvent  avaient  déjà  paru  isolément;  —  Regno 
di  Ferdinando  IV;  Naples,  1798,  t.  Ier,  in-8°  : 
l'occupation  française  empêcha  l'auteur  de  con- 
tinuer cet  ouvrage,  dont  il  refondit  les  matériaux 
dans  la  2e  édit.  des  Vicende  délia  coltura  ;  — 
Elementi  di  poesia  rappresentativa ;  Milan, 
1801 ,  in-8°  ;  —  Délie  migliori  tragédie  greche 
efrancesi,  traduzione  ed  analisi  compara- 
tive; Milan,  1804,  3  vol.  in-8<>; —  Elementi  di 
critica  diplomatica,con  istoria  preliminare ; 
Milan,  1805,  4  vol.  in-8°;  —  Lezioni  accade- 
miche;  Naples,  1812,  in-4°. 

Avellino,  Elogio  storico  diP.  Signorelli  ;  Naples,  1815, 
in-4".  —  G.  Boccanera,  dans  Biogr.  degli  uomini  illuslri 
di  Napoli,  t.  IV.  —  Ticknor,  ffist.  of  spanisfi  litera- 
ture,  t.  III. 

sigonio  (Carlo),  en  latin  Sigonius,  célèbre 
érudit  italien,  né  en  1524  (1),  à  Modène,  mort  le 
12  août  1584,  près  de  cette  ville.  Ses  parents 
étaient  d'honnêtes  bourgeois,  qui  ne  négligèrent 
rien  pour  tirer  parti  de  ses  heureuses  disposi- 
tions. Il  fit  de  fortes  études  au  lycée  de  Modène, 
et  apprit  le  grec  d'un  savant  Candiote,  Fr.  Portus, 
qui  venait  d'y  être  appelé;  puis  il  alla  passer 
trois  ans  à  l'université  de  Bologne,  où  il  suivit 
les  cours  de  médecine  et  de  philosophie.  Incer- 
tain sur  l'état  qu'il  devait  embrasser,  il  se  rendit 
à  Pavie,  dans  l'unique  but  d'y  accroître  la  somme 


(1)  Cette  date  est  plus  probable  que  celle  de  1520,  don- 
née par  quelques  auteurs. 


de  ses  connaissances.  En  1545,  le  cardinal  Ma- 
rino  Grimani,  qui  aimait  les  lettres,  l'attacha  à 
son  service;  mais  quelques  mois  après,  ce  prélat, 
sentant  sa  fin  prochaine,  le  céda,  bien  qu'à  re- 
gret, aux  instances  de  ses  compatriotes,  qui  le 
demandaient  pour  remplir  la  chaire  de  Portus, 
son  ancien  maître  (1546).  Sigonio  avait  alors 
vingt-deux  ans.  A  l'enseignement  de  la  langue 
grecque  il  joignit  l'éducation  du  fils  et  du  neveu 
de  la  comtesse  Lucrezia  Rangone.  Soit  qu'il  eût 
achevé  cette  éducation,  soit  que  les  tracasseries 
de  Bandinelli  l'eussent  dégoûté  du  séjour  de 
Modène,  il  accepta  en  1552  la  chaire  de  belles- 
lettres  à  Venise.  Les  huit  années  qu'il  y  professa 
comptèrent  parmi  les  plus  douces  et  les  plus 
fructueuses  de  sa  vie;  ce  fut  alors  qu'il  connut 
Panvinio  et  qu'il  se  lia  avec  son  jeune  émule 
d'une  franche  amitié,  fortifiée  par  un  échange  de 
continuels  services.  A  cette  époque  la  réputation 
de  Sigonio  était  faite  :  il  avait  suffi  pour  l'établir 
de  la  publication  des  Fastes  consulaires ,  le 
premier  ouvrage  où  l'histoire  de  Rome  était  ex- 
posée avec  une  saine  critique.  Plusieurs  des  su- 
jets qu'il  traita  ensuite  appartenaient  au  même 
genre  de  recherches ,  et  dans  tous  il  épuisa  si 
bien  la  matière  qu'on  a  peu  trouvé  depuis  à  y 
reprendre  ou  à  y  ajouter»  excepté  sur  les  objets 
que  des  monuments  nouvellement  découverts 
ont  mieux  éclaircis.  Il  était  le  premier  qui,  à 
proprement  parler,  eût  apporté,  suivant  le  mot 
de  Ginguené,  «  des  lumières  sûres  dans  les  té- 
nèbres de  l'antiquité  romaine  ».  Rome  et  Padoue 
se  disputaient  l'honneur  de  le  posséder  :  il  se 
décida  pour  Padoue,et  y  vint  enseigner  l'éloquence 
(1560).  Les  démêlés  qu'il  eut  avec  l'irascible 
.Robortello  et  l'insulte  grave  qu'il  essuya  l'obli- 
gèrent à  quitter  cette  ville,  vers  la  fin  de  1 563  (  I  ). 
A  Bologne,  où  il  professa  ensuite,  il  se  lit  telle- 
ment aimer  qu'on  lui  donna  le  titre  et  les  droits 
de  citoyen  et  qu'on  éleva  ses  gages  jusqu'à  six 
cents  écus  d'or.  Aussi  demeura-t-il  fidèle  à  l'en- 
gagement qu'il  avait  pris  de  ne  plus  quitter  cette 
ville  hospitalière;  il  ne  s'en  éloigna  que  pour  vi- 
siter les  archives  des  villes  d'Italie,  pour  faire  un 
voyage  à  Rome  (1579),  où  il  reçut  du  pape  Gré- 
goire XIII  l'accueil  le  plus  flatteur , et  pour  aller  pas- 
ser ses  vacances  dans  sa  terre  natale.  La  république 
des  lettres,  comme  le  fait  remarquer  Moréri, 


(1)  Robortello  eut  les  premiers  torts  :  furieux  de  se 
voir  surpasser  dans  une  question  qu'il  avait  traitée  le 
premier  (  De  nominibus  Romanorum),  il  attaqua  Sigonio 
dans  une  lettre  mordante,  et  le  harcela  depuis  dans 
d'autres  ouvrages.  Sigonio  riposta  enfin,  mais." sans  plus 
garder  de  mesure  que  son  adversaire.  Le  cardinal  Seri- 
pandi,  qui  était  envoyé  au  concile  de  Trente,  s'arrêta 
tout  exprès  à  Bologne  pour  mander  auprès  de  lui  les 
deux  savants;  Us  se  réconcilièrent,  du  moins  en  appa- 
rence (1651).  S'étant  retrouvés  à  Padoue,  la  guerre  se 
ralluma  entre  eux,  plus  envenimée  que  jamais.  La  paix 
de  l'université  en  fut  troublée.  On  eut  recours  des  deux 
parts  aux  écrits,  aux  placards,  aux  épigrammes;  c'était 
un  scandale  public,  qui  ne  cessa  que  par  l'ordre  exprès 
du  sénat  de  Venise.  A  quelque  temps  de  là  un  ami  de 
Robortello  poussa  l'insulte  jusqu'à  frapper  Sigonio  en 
pleine  rue  au  visage.' 


987  SIGONIO  - 

gagna  beaucoup  au  long  repos  dont  il  jouit.  Non- 
seulement  il  tenta  d'éclaircir  les  antiquités  de  la 
Grèce  et  d'expliquer  avec  autant  d'ordre  que 
d'exactitude  tout  le  système  religieux  et  politique 
des  Hébreux ,  mais  il  entreprit  et  exécuta  son 
grand  ouvrage  du  règne  des  Lombards  en  Italie, 
c'est-à-dire  d'une  époque  ingrate  et  obscure, 
«  horrible  désert,  dit  Tiraboschi,  où  personne 
n'avait  encore  osé  pénétrer  ».  Des  travaux  si 
considérables,  auxquels  il  faut  ajouter  une  foule 
d'opuscules,  le  firent  regarder  comme  un  érudit 
du  premier  ordre,  et  le  pape  Grégoire  X11I  lui 
donna,  en  1578,  mission  de  continuer  l'histoire 
ecclésiastique  ébauchée  par  Panvinio.  Son  carac- 
tère doux  et  paisible  ne  le  mit  pas  à  l'abri  des 
disputes,  si  fréquentes  parmi  les  savants  de  son 
temps.  Celle  qu'il  soutint  avec  Robortello  l'em- 
porta hors  de  toute  mesure  ;  celle  que  lui  suscita 
Grouchy  sur  les  droits  des  comices  ne  se  termina 
pas  à  son  avantage  ;  une  dernière,  engagée  contre 
Riccoboni ,  son  élève ,  lui  fit  peu  d'honneur,  en 
ce  qu'il  s'obstina  à  donner  comme  étant  de  Cicé- 
ron  le  traité  De  Consolatione,  qu'il  venait  de 
compléter  et  qui  était  son  propre  ouvrage.  Il  sur- 
vécut peu  à  cette  vaine  querelle.  Il  avait  refusé 
de  se  marier,  disant  à  ce  propos  que  Minerve  et 
Vénus  n'avaient  jamais  été  bonnes  amies. 

Sigonio  a  l'un  des  premiers  fait  de  l'érudition 
une  véritable  science;  aucun  savant,  excepté 
Scaliger,  n'avait  encore  déployé  dans  ses  re- 
cherches tant  de  profondeur  et  d'exactitude  à  la 
fois.  lia  ouvert  à  l'histoire  des  routes  nouvelles; 
il  a  éclairci  les  antiquités  de  Rome  et  de  la 
Grèce;  il  a  restauré  la  diplomatique.  Rien  n'éga- 
lait son  ardeur  au  travail ,  et  en  présence  des 
nombreux  écrits  qu'il  a  laissés,  tous  si  instructifs, 
si  pleins  d'efforts- et  de  recherches,  rédigés  d'un 
style  si  élégant  et  dans  une  méthode  si  claire, 
on  éprouve,  fait  observer  Ginguené,  «  un  de  ces 
mouvements  de  surprise  qui  deviennent  plus  forts 
à  mesure  qu'on  s'éloigne  davantage  de  ce  temps 
des  fortes  études  ».  Nous  citerons  les  princi- 
paux :  Regum,  consulum,  dictatorum  ac  cen- 
sorum  romanorum  fasti ,  una  cum  actis 
triumphorum;  Modène,  1550,  in-fol.;  Venise, 
1556,  in-fol.;  réimpr.  sans  le  commentaire,  à 
Venise  (Paul  Manuce),  1550,  1555,  in-fol.,  et  à 
Oxford,  1802,  in-12  ;  —  De  nominibus  Roma- 
norum;  Venise,  1553,  1556,  in-fol.;  —  Frag- 
menta e  libris  deperditis  Cieeronis  collecta 
et  scholiis  illustrata  ;MA.,  1559,  1560,  in-8°; 

—  Orationes  VII  ;  MA.,  1560,  in-8°;  —  De 
antiquo  jure  civium  romanorum ;  de  antiquo 
jure  Italiee;  de  antiquo  jure  provinciarum  ; 
ibid.,  1560,  in-fol.;  l'édition  qu'a  donnée  J.-C. 
Franck  de  ces  traités  (Halle,  1728,  in-fol.)  est 
estimée;  —  De  dialogo  ;  Venise,  1561,  in-8°; 

—  Disputationum  patavinarum  lib.  II; 
Padoue,  1562,  in-8#;  —  De  republica  Athe- 
niensium;  de  Alheniensium  et  Lacedemo- 
niorum  temporibus  ;  Bologne,  1564,  u>4°;  — 
De  vita  et  rébus   geslis  P.  Scipionis  JEmi- 


S1GORGNE  <J8S 

liani;  MA.,  1569,  in-4°;  --  De  judiciis  Ro- 
manorum; MA.,  1574,  in-4°  ;  —  De  reg.no 
llaliae  lib.  XX;  Venise,  1580,  in-fol.;  les  édit. 
précédentes  ne  contiennent  que  quinze  livres. 
Comme  les  matériaux  lui  manauaient  pour  traiter 
cet  aride  sujet,  il  eut  le  coutage  de  visiter  les 
archives  de  toute  l'Italie,  d'en  examiner  par  lui- 
même  ou  par  ses  amis  les  titres  et  les  monu- 
ments, de  recueillir,  même  dans  les  familles,  les 
chroniques  écrites  depuis  le  dixième  siècle;  au 
reste,  il  publia  en  1576  le  catalogue  des  sources 
où  il  avait  puisé;  —  De  occidentali  imperio 
lib.  XX  (281-575)  ;  Bologne,  1577,  in-fol.  :  c'est 
le  premier  ouvrage  sur  cette  période  peu  connue 
avant  Sigonio  qui  soit  digne  du  nom  d'histoire  j 

—  Historiarum  bononiensium  lib.  VI  usque 
ad  ann.  1257;  ibid.,  1578,  in-fol.;  —  De  re- 
publica Hebrseorum ;  ibid.,  1582,in-4°;  — De 
episcopis  bononiensibus ;  ibid.,  1586,  in-4".  I! 
a  encore  traduit  en  latin  la  Rhétorique  d'Aris- 
tote,  et  a  donné  une  édition  de  Tite-Live.  Les 
œuvres  de  Sigonio  ont  été  recueillies  par  Argel- 
lati;  Milan,  1732-1737, 0vol.gr.  in-fol.,  et  accom- 
pagnées de  notes  et  d'observations  de  Muratori, 
de  Stampa,  de  Sassi,  de  L.  Maffei  et  de  plusieurs 
autres  savants  italiens;  P.  L — v. 

Muratori,  Pita  C.  Sigonii,  à  la  tête  de  ses  OEuvres. 

—  Tiraboschi,  Biblioteca  madenese,  t.  V,  p.  76-119,  et 
Storia  délia  letter.  ital.,  t.  VII.  —  Baillet,  Jugements 
des  savants.  —  Ginguené,  Uist.  littér.  d'Italie,  t.  VII. 

sigorgne  (1)  (Pierre),  philosophe  et  physi- 
cien français,  né  le  25  octobre  1719,  à  Rerriber- 
court-aux-Bois  (Lorraine),  mort  le  19  novembre 
1809,  à  Mâcon.  Il  entra  dans  les  ordres,  et  prit 
ses  degrés  en  Sorbonne.  Nommé  en  1740  pro- 
fesseur de  philosophie  au  collège  du  Plessis,  il 
dirigea  son  enseignement  contre  la  doctrine  de 
Descartes,  qui  régnait  alors  dans  toutes  les 
écoles,  l'attaqua  dans  plusieurs  ouvrages,  et 
contribua  beaucoup  au  triomphe  du  système  de 
Newton.  Ces  études  sérieuses  n'enlevèrent  pas 
à  son  esprit  un  penchant  à  la  satire,  qui  s'al- 
liait assez  bien  avec  son  goût  pour  la  polémique  : 
une  chanson ,  dans  laquelle  il  blessa  ses  supé- 
rieurs, lui  fit  interdire  le  séjour  de  Paris.  11  se 
rendit  à  Mâcon,  où  il  fut  bientôt  nommé  vicaire 
général.  Chargé  presque  seul  de  la  direction  du 
diocèse,  il  l'administra  pendant  plus  de  cinquante 
ans  avec  beaucoup  d'habileté  et  de  prudence. 
Les  soins  de  son  ministère  ne  l'empêchèrent  pas 
de  s'occuper  de  lettres ,  de  sciences  et  de  phi- 
losophie. 11  écrivit  contre  les  encyclopédistes  et 
sur  la  querelle  dé  J.-J.  Bousseau  avec  le  conseil 
de  Genève,  abrégea  le  système  de  Leibniz,  et 
fit  de  nombreuses  expériences  de  physique.  11 
vécut  dans  la  retraite,  et  sans  être  inquiété, 
pendant  la  révolution.  En  1803,  on  le  nomma 
correspondant  de  l'Institut;  il  faisait  déjà  partie 
des  académies  de  Nancy  et  de  Mâcon.  Ses  pre- 
miers travaux  avaient  concouru  aux  progrès  de 
la  physique;  dans  les  derniers,  il  s'éleva  contre 

(1|  On  prononçait  Sigognc. 


989 


SHÏORGNE 


les  progrès  de  la  chimie  nouvelle,  ilonl  il  mé- 
connut tout  à  fait  l'immense  portée.  Sigorgne 
s'est  essayé  à  l'éloquence  sacrée,  et  a  prononcé 
l'oraison  funèbre  du  dauphin  en  1766,  et  celle  île 
Louis  XV  en  1774.  Ses  principaux  ouvrages 
sont  :  Examen  et  réfutation  des  leçons  de 
physique  expliquées  au  Collège  royal  par 
Privât  de  Molières;  Paris,  1741,  in- 1 2 ;  — 
Réplique  à  M.  de  Molières,  ou  Démonstration 
physico-mathématique  de  V insuffisance  et 
de  l'impossibilité  des  tourbillons  ;  Paris,  1741, 
in-12;  —  Institutions  newtoniennes ,  ou  In- 
troduction à  la  philosophie  de  Newton  ;  Paris, 
1747,  2  vol.  in-8°,  ouvrage  dont  l'abrégé,  trad. 
en  1748  en  latin,  eut  un  très-grand  succès  en 
Allemagne;  —  Mémoire  sur  la  cause  de  l'as- 
cension et  de  la  suspension  des  liqueurs 
dans  les  tuyaux  capillaires,  qui  eut  le  prix  à 
l'Académie  de  Rouen,  en  1748;  —  Lettres 
écrites  de  la  Plaine,  en  réponse  à  celles  de 
la  Montagne;  Amsterdam,  1765,  in-12;  —  Le 
Philosophe  chrétien;  Avignon,  1765,  in-12; 
Mâcon,  1776,  in-s<>;  —  Institutions  leibni- 
tiennes;  Lyon,  1767,  in-4°  et  in-8tf. 

Chaudon  et  Delundine,  Dict.  hist.univ. 

sigovèse  ,  chef  gaulois,  vivait  au  commen- 
cement du  sixième  siècle  av.  J.-C.  D'après  une 
tradition  fabuleuse  rapportée  par  Tite  Live,  il 
aurait  été  neveu  d'Ambigatus,  roi  des  Bituriges. 
Ce  prince,  trouvant  ses  États  trop  peuplés,  envoya, 
dit-on,  après  avoir  consulté  le  vol  des  oiseaux  , 
Sigovèse  et  Bellovèse,  ses  neveux,  fonder  au 
dehors  des  colonies.  Une  troupe  de  guerriers,  de 
femmes etd'enfants,  sous  laconduitede  Sigovèse, 
sortit  de  la  Gaule,  et  se  dirigea  en  partie  vers  la  fo- 
rêt Hercynie,  en  partie  vers  les  Alpes  illyrienues, 
massacrant  el  dévastant  tout  sur  son  passage. 
Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'à  la  suite  des 
violents  bouleversements  causés  en  Gaule  par 
les  invasions  cimbriques,  les  tribus  du  nord-est, 
de  la  Séquanie  et  de  l'Helvétie  allèrent  occuper 
en  effet,  avec  leur  chef  Sigovèse,  les  contrées 
de  la  forêt  Hercynie. 

Tite  Live,  liv.  V.  -  Justin,  liv.  XXIV.  -  Am.  Thierry, 
Uist.  des  Caiilois,  t.  I. 

sigvekza  (José  de),  historien  espagnol, 
né  vers  1545,  à  Siguenza,  mort  en  1606,  àl'Es- 
curial.  Selon  la  coutume  des  ermites  de  Saint- 
Jérôme,  il  prit,  en  revêtant  leur  habit,  le  nom 
de  sa  ville  natale;  quant  à  celui  de  sa  famille, 
on  ne  le  connaît  pas.  11  fit  d'excellentes  études 
et  eut  pour  maître  dans  le  grec  et  l'hébreu  le 
célèbre  Arias  Montanus;  il  se  rendit  aussi  très- 
habile  dans  la  connaissance  de  l'histoire  et  dans 
l'éloquence  sacrée.  Mais  ses  talents  et  les  témoi- 
gnages d'estime  de  Philippe  II,  qui  écoutait  ses 
sermons  avec  plaisir,  ne  firent  qu'exciter  l'envie 
de  ses  confrères.  Traduit  devant  le  tribunal  de 
l'inquisilioD,  il  resta  près  d'une  année  en  prison 
dans  le  monastère  de  la  Sisla;  son  prétendu 
crime  était  d'avoir  manifesté  des  sentiments  lu- 
thériens dans  un  commentaire  de  l'Ecclésiaste 


—  SIGURD  <)90 

intitulé  Jésus  heri  el  hodie  ipse  et  in  sxcula. 
Enfin,  il  se  justifia  et  obtint  d'être  réintégré  dans 
ses  charges.  Ramené  en  triomphe  au  couvent  de 
Saint-Laurent  de  l'Escurial,  il  devint  supérieur 
de  l'ordre,  et  ce  fut  là  qu'il  finit  ses  jours.  On  a 
de  lui  :  Vida  de  san  Geronimo;  Madrid,  1595, 
in-4°;  —  Historia  de  la  orden  de  San- Gero- 
nimo; ibid.,  1600-1605,  2  vol.  in-4°  :  c'est  un 
«  talent  supérieur,  a  dit  de  lui  M.  de  Puibusque, 
qui  a  su  écrire  l'histoire  de  son  ordre  de  manière 
à  faire  regretter  qu'on  ne  lui  ait  pas  confié  l'his- 
toire générale  de  la  péninsule  ».  Cette  histoire  a 
élé  continuée  en  1680,  par  Francesco  de  los 
Santos. 

N.  Antonio ,  Dibl.  hispana  nova.  —  l'ulbusque  (De), 
Uist.  comparée  des  littèr.  espagnole  et  française,  t.  1er. 
—  LIorente,  Uist.  de  l'Inquisition,  t.  II. 

sigurd  1er,  roi  de  Norvège,  né  vers  1089, 
mort  le  26  mars  1130.  Proclamé  en  1098  roi  des 
îles  Hébrides,  des  Orcades,  de  Man,  d'Anglesea 
et  autres,  il  succéda  en  1 103  à  Magnus  III,  son 
père,  sur  le  trône  de  Norvège  et  partagea  avec 
son  frère  Eystein,  qui  avait  un  an  de  plus  que 
lui,  les  revenus  du  pays.  S' étant  mis  en  1107  à 
la  tête  d'une  flotte  de  soixante  vaisseaux,  il  fit 
voile  pour  la  Palestine,  et  n'y  parvint  qu'en  1110, 
après  avoir  éprouvé  de  nombreuses  aventures; 
il  eut  à  combattre  les  riverains  de  la  Gallicie  et 
du  Portugal,  et  défit  dans  le  détroit  de  Gibral- 
tar une  tlo,tte  sarrasine.  Arrivé  à  Jérusalem,  il 
reçut  le  meilleur  accueil  du  roi  Baudouin,  qu'il 
aida  dans  la  prise  de  Sidon.  Il  se  rendit  en- 
suite à  Constantinople  (1111),  où  beaucoup  de. 
ses  compagnons  le  quittèrent  pour  entrer  au  ser- 
vice de  l'empereur  Alexis,  auquel  il  céda  ses 
vaisseaux;  et  il  regagna  la  Norvège  par  la  Bul- 
garie, la  Hongrie  et  l'Allemagne.  Dans  l'inter- 
valle son  frère  Eystein  (1)  avait  gouverné  le 
pays  avec  beaucoup  de  sagesse.  Sigurd  s'appli- 
qua à  consolider  le  christianisme  par  l'établis- 
sement d'une  hiérarchie  religieuse,  décréta  des 
lois  ecclésiastiques  pour  le  district  deNigen,  qu'on 
possède  encore,  et  convertit  par  la  force  la  pro- 
vince suédoise  de  Smaaland.  Vers  la  fin  de  sa 
vie  il  répudia  sa  femme ,  une  princesse  russe , 
pour  se  marier  avec  une  jeune  Norvégienne.  Il 
eut  pour  successeur  son  fils  illégitime,  Ma- 
gnus IV. 

Sigurd,  dit  aussi  Sigurd  II,  frère  du  précé- 
dent, mort  le  13  novembre  1139.  C'était  un  fils 
naturel  de  Magnus  III.  11  quitta  les  ordres  où  i: 
s'était  engagé,  et  parcourut  l'Europe  en  quête 
d'aventures;  il  vint  aussi  à  Jérusalem.  De  retour 
en  Norvège,  il  forma  un  parti,  complota  la  mort 
de  Harald  IV,  son  frère,  et  le  tua  la  nuit  dans 
son  palais  de  Bergen  (décembre  1136).  Obligé 
de  fuir  devant  la  colère  des  habitants  de  Ber- 
gen, il  fut  reconnu  roi  dans  les  contrées  de 
l'est,  tandis  que  le  district  de  Drontheim  pro- 
clamait Sigurd  III,  fils  de  Harald,  âgé  de  quatre 
ans,  et  le  district  de  Wigen,  Ingon,  autre  fils  de 

(i)  11  mourut  en  1132. 


991 


SIGURD  —  SILHOUETTE 


992 


Harald,  âgé  de  deux  ans.  Sigurd,  pour  renforcer 
son  parti,  tira  du  cloître  le  roi  détrôné  Magnus 
l'Aveugle,  et  annonça  qu'il  partagerait  le  pou- 
voir avec  lui  ;  mais  il  ne  put  se  maintenir  contre 
les  fils  d'Harald  ;  il  alla  alors  recruter  des  sol- 
dats en  Suède  et  en  Danemark,  et  revint  avec 
une  flotte  de  trente  navires  attaquer  dans  la  baie 
de  Wigen  les  vingt  vaisseaux  que  les  deux 
jeunes  rois  lui  opposèrent.  Il  fut  vaincu,  fait 
prisonnier,  et  massacré. 

Sigurd  III,  roi  de  Norvège,  né  en  1132,  tué 
le  10  juin  1155.  Fils  de  Harald  IV,  il  partagea 
le  royaume  avec  6on  frère  Ingon.  Débarrassés 
en  1139  de  l'usurpateur  Sigurd,  ils  furent  obligés 
«n  1142  d'admettre  au  partage  du  pouvoir  Eys- 
tein  II,  leur  frère  illégitime.  Sigurd  II,  qui  était 
d'un  caractère  violent,  et  l'avide  Eystein  se  li- 
guèrent pour  écarter  Ingon,  qui  était  infirme  ; 
mais  Ingon  fut  défendu  par  l'habile  général 
Gregorius,  qui  remporta  une  victoire  où  Sigurd 
périt. 

Snorro  Sturluson ,  Heimskringla.  —  Torfaeus ,  Hist. 
Norvegica,  t.  III.  —  Munch,  De  norske  Folks  Historié. 

silanion  (SiXavîwv),  statuaire  grec,  vivait 
dans  le  quatrième  siècle  avant  J.-C.  Suivant 
Pline,  il  était  contemporain  de  Lysippe;  cepen- 
dant il  semble  avoir  été  un  peu  plus  récent. 
Pausanias  dit  qu'il  était  Athénien.  Silanion  ap- 
partenait à  cette  école  qui  chercha  à  se  rappro- 
cher de  la  réalité  et  voulut  donner  à  la  statuaire 
plus  de  vérité  et  d'expression.  Ainsi  dans  sa  sta- 
tue de  Jocaste  mourante,  il  s'efforça  de  rendre 
la  pâleur  livide  de  la  mort  en  mêlant  l'argent  et 
le  bronze;  ainsi  dans  sa  statue  du  sculpteur 
Apollodore,  qui,  dans  des  accès  de  dépit,  était 
sujet  à  briser  ses  œuvres,  il  rendit  si  vivement 
la  physionomie  du  modèle  qu'il  «  fit  non  pas  un 
homme,  mais  la  Colère  »,  dit  Pline.  Ces  raffine- 
ments et  ces  procédés  étaient  bien  au-dessous 
de  l'art  simple  et  grand  de  Phidias  et  de  Po- 
lyclète,  mais  ils  étaient  faits  pour  plaire.  Plu- 
sieurs de  ses  statues  représentaient  des  vain- 
queurs aux  jeux  olympiques,  entre  autres 
Satyrus  d'Élys,  Telestes,  et  Demaratus  de  Co- 
rinthe.  11  avait  aussi  fait  la  statue  de  Sappho  que 
Verres  enleva  du  Prytanée  de  Syracuse  et  dont 
Cicéron  parle  avec  les  plus  grands  éloges.  L.  J. 

Pline,  Hist.  nat.,  XXXI V,  8.  —Pausanias,  VI,  4.  — 
Cicéron,  Verr.,  IV,  57. 

silhon  (Jean  de),  littérateur  français,  né 
vers  1596,  à  Sos,  près  de  Nérac,  mort  en  février 
1667,  à  Paris.  Vers  1624  il  entra  au  service  de 
Richelieu,  et  fut  employé  dans  les  affaires  poli- 
tiques et  administratives  jusqu'à  la  mort  du 
cardinal,  qui  reconnut  ses  talents  par  le  titre  de 
conseiller  d'État.  Pendant  la  Fronde  son  atta- 
chement à  la  cour  lui  fit  subir  des  pertes  con- 
sidérables ;  sa  maison  fut  pillée  dans  une  émeute. 
L'âge  et  les  infirmités  l'obligèrent  à  la  retraite; 
mais  la  pension  qu'il  retira  de  ses  longs  services 
fut  si  mal  payée  qu'en  1661  il  adressa  au  roi  un 
placer  pour  lui    demander  qu'on  y  mît  plus 


d'exactitude.  II  fut  en  1635  un  des  membres  qui 
composèrent  l'Académie  française,  et  il  en  était 
directeur  (1638)  lorsqu'il  proposa,  dans  la  dis- 
cussion du  Dictionnaire,  de  se  borner  à  corriger 
les  anciens  lexiques.  Ses  ouvrages  lui  avaient 
donné  quelque  droit  de  figurer  parmi  les  fonda- 
teurs de  cette  compagnie.  Bayle  le  regarde 
comme  l'un  des  plus  solides  et  des  plus  judicieux 
auteurs  de  son  temps,  et  Chapelain,  qui  le  loue 
de  son  style  et  de  son  savoir,  ne  trouve  à  re- 
lever en  lui  qu'un  défaut  de  méthode  et  un  excès 
d'amour-propre.  Nous  citerons  de  Silhon  :  Les 
deux  Vérités,  l'une  de  Dieu  et  de  la  Provi- 
dence, Vautre  de  V immortalité  de  Vâme; 
Paris,  1626,  in-8°  :  dans  une  troisième  partie, 
dont  le  plan  seul  a  été  conçu  [voy.  les  Lettres 
de  Faret),  il  devait  démontrer  la  vérité  du  chris- 
tianisme; —  Panégyrique  au  card.  de  Riche- 
lieu sur  ce  qui  s'est  passé  aux  derniers 
troubles  ;  Paris,  1629,  in-4°;  —  Le  Ministre 
d'État,  avec  le  véritable  usage  de  la  poli- 
tique moderne;  Paris,  163 L -43,  2  vol.  in-4°; 
réimpr.  par  les  Elseviers  à  Leyde,  1641,  et  à 
Amst.,  1661,  en  3  vol.  in-12,  y  compris  le  traité 
De  la  Certitude  :  il  combat  d'une  part  les  pré- 
tentions de  la  cour  de  Rome,  et  de  l'autre  l'a- 
grandissement de  la  maison  d'Autriche;  —  De 
l'immortalité  de  l'âme;  Paris,  l634,in-4°,  et 
1662,  in-12;  —  la  préface  du  Parfait  capi- 
taine du  duc  de  Rohan;  Paris,  1638,  in-4o;  — 
Éclaircissement  de  quelques  difficultés  tou- 
chant l'administration  du  cardinal  Maza- 
rin;  Paris,  1650,  in-fol.;  trad.  en  latin;  —De 
la  certitude  des  connaissances  humaines; 
Paris,  1661,  in-4°.  «  En  homme  sensé  et  pra- 
tique ,  dit  M.  Franck,  il  voyait  les  ravages  qu'a- 
vait faits  dans  les  esprits  le  scepticisme  de  Mon- 
taigne et  de  Charron;  mais  il  fallait  pour  les 
combattre  antre  chose  que  des  lieux  communs  »  ; 

—  trois  Traités,  dans  les  Mémoires  concer- 
nant les  guerres  d'Italie;  Paris,  1669,  2  vol. 

in-12. 

Pellisson,  Hist.  de  V Jcad.fr.  -  Chapelain,  Mélanges, 
p.  213.  —  Bayle,  Questions  d'un  provincial,  t.  I,  ch.  67. 

—  Lelong,  Bibl.  Iiist.  de  la  France.  —  Franck,  Dict. 
des  sciences  philos. 

silhouette  (Etienne  de),  contrôleur  gé- 
néral, né  à  Limoges,  le  5  juillet  1709,  mort  à 
Brie-sur-Marne,  le  20  janvier  1767.  Il  était  fils 
d'un  receveur  de  tailles.  Des  voyages  hors  de 
France,  des  traductions  de  l'anglais,  des  écrits 
sur  l'histoire,  la  philosophie  et  la  politique  des 
peuples,  des  études  sur  le  système  financier  de 
l'Angleterre,  lui  acquirent  d'abord  une  certaine 
réputation.  Successivement  conseiller  au  parle- 
ment de  Metz,  maître  des  requêtes,  secrétaire 
des  commandements  du  duc  d'Orléans,  chan- 
celier de  ce  prince,  un  des  trois  commissaires 
chargés  de  régler  les  limites  des  possessions  fran- 
çaises et  britanniques  en  Acadie  (  1749),  com- 
missaire du  roi  près  la  Compagnie  des  Indes, 
il  finît  par  devenir  contrôleur  général  des  fi- 
nances (  4  mars  1759  ).  Un  parti  puissant  ayant 


993 


SILHOUETTE  — 


pour  chef  le  prince  de  Conti  tenta  de  l'éloigner  de 
ce  poste;  mais  ce  parti  échoua  devant  le  crédit  de 
M'"e  de  Pompadour.  On  accueillit  le  nouveau  mi- 
nistre comme  un  libérateur.  Après  avoir  réformé 
quelques  abus  introduits  dans  les  fermes,  il  créa 
soixante-douze  mille  actions  de  mille  livres  cha- 
cune donnant  droit  à  la  moitié  des  bénéfices  dont 
jouissaient  les  soixante  fermiers  généraux  titu- 
laires. Cette  opération  de  finance,  quiproduisiten 
vingt-quatre  heures  soixante-douze  millions,  fut 
fort  applaudie,  en  ce  qu'elle  ne  chargeait  en  rien 
l'État.  La  suspension  de  plusieurs  privilèges  con- 
cernant la  taille  le  fit  bénir  dans  les  campagnes. 
JLa  réduction  des  pensions,  dont  la  multiplicité 
était  devenue  une  charge  énorme  pour  le  royaume, 
prouvait  qu'il  ne  redoutait  pas  de  se  faire  des  en- 
nemis. La  cour  prit  en  lui  une  confiance  aveugle. 
On  lui  fit  l'honneur  sans  exemple  de  l'appeler  au 
conseil  des  ministres  quatre  mois  seulement  après 
sa  nomination.  Tout  cequ'il  proposa  fut  accepté. 
Mais  au  lieu  des  projets  lumineux  qu'on  attendait 
<ie  lui,  on  ne  vit  éclore  que  des  opérations  tyran- 
niques  et  maladroites,  propres  à  faire  perdre  à  la 
France  son  crédit  au  dehors  et  à  la  ruiner  au  de- 
dans. L'édit  de  subvention  rencontra  tant  d'obs- 
tacles qu'il  resta  sans  exécution.  Silhouette  fouilla 
alors  dans  les  caisses  des  particuliers  pour 
étayer  une  banque  nouvelle,  et  suspendit  pen- 
dant un  an  le  payement 'des  billets  des  fermes, 
des  rescriptions,  et  le  remboursement  des  ca- 
pitaux qui  devaient  être  faits  par  le  trésor  royal 
et  par  la  caisse  des  amortissements.  En  même 
temps  il  exhorta  les  sujets  du  roi  à  porter  leur 
vaisselle  à  la  Monnaie,  pour  être  convertie  en 
espèces  applicables  aux  besoins  de  l'État,  et  fit 
<lonner  l'exemple  par  Louis  XV,  qui  y  envoya  la 
sienne.  Bientôt  le  cri  public  s'éleva  contre  lui. 
On  vit  clairement  qu'il  n'avait  ni  plan  ni  vues, 
qu'il  ne  cherchait  qu'à  se  tirer  d'un  embarras 
..iomentané  en  se  replongeant  dans  un  autre.  Son 
nom  fut  une  injure.  On  fit  des  portraits  à  la 
Silhouette  (1),  des  culottes  à  la  Silhouette; 
les  linéaments  des  uns  tracés  sur  l'ombre  et  le 
manque  de  gousset  des  autres  en  formaient  l'é- 
wigramme  :  ils  indiquaient  à  quel  point  le  con- 
trôleur général  avait  réduit  les  individus  et  leur 
fcourse.  Voltaire,  qui  l'avait  appelé  «  un  génie 
calculateur  et  courageux ,  »  et  qui  proposait  de 
lui  «  trouver  une  niche  à  côté  de  Colbert  », 
n'osa  plus  prendre  sa  défense.  Rousseau,  qui  ne 
le  connaissait  pas ,  lui  adressait  un  compliment 
sur  son  renvoi  et  lui  attribuait  «  la  gloire  de 
l'homme  juste  »  ;  mieux  informé  plus  tard,  il 
qualifia  cette  lettre  d'intrépide  étourderie. 

Silhouette  quitta  le  ministère  le  21  novembre 
1 759.  Après  sa  chute,  il  afficha  le  plus  grand  faste. 
Ne  pouvant  alors  résister  aux  sarcasmes  qui 
l'assaillaient  chaque  jour,  ni  aux  injures  ainsi 
qu'au  mépris  des  grands  et  du  peuple,  ayant  en 
outre  perdu  sa  femme,  il  se  retira  à  Brie-sur- 

(I)  On  dit  à  présent  une  silhouette.  L'Académie  fran- 
çaise a  admis  ce  mot  dans  son  Dictionnaire  depuis  1835. 

SOUV.    BIOGK.    CÉNËR.    —    T.    XI.UI. 


SILIUS  ITALICUS  994 

Marne,  où  il  chercha  des  consolations  au  pied 
des  autels.  Il  mourut  à  cinquante-sept  ans,  d'une 
fluxion  de  poitrine.  On  a  de  Silhouette  :  Idée 
générale  du  gouvernement  et  de  la  morale 
des  Chinois;  Paris,  1729,  in-4°,  et  1731,  in-12, 
avec  une  réponse  à  trois  critiques  ;  —  Ré- 
flexions sur  les  plus  grands  princes,  et  no- 
tamment sur  Ferdinand  le  Catholique,  trad. 
de  l'espagnol  de  Gracian  ;  Paris,  1730,  in-4°  et 
in-12;  —  Lettres  sur  les  transactions  publi- 
ques du  règne  d'Elisabeth  ;  Amsterdam  (Lon- 
dres), 1736,  in-12;  —  Essais  sur  la  critique 
et  sur  l'homme,  de  Pope,  trad.  en  prose; 
Paris,  1736,  in-12;  réimpr.  plusieurs  fois  avec 
le  texte  en  regard  :  celte  traduction  est  littérale, 
mais  peu  élégante,  de  l'aveu  même  de  l'auteur; 
—  Essai  d'une  traduction  des  Dissertations 
de  Bolingbroke  sur  les  partis  qui  divisent 
l'Angleterre';  Londres,  1739,  in-12;  —  Traité 
mathématique  sur  le  bonheur,  par  Irénée 
Krantzovius  (pseudonyme),  trad.  de  l'anglais  ; 
1741,  in-12;  —  Mélanges  de  littérature  et  de 
philosophie,  trad.  de  Pope;  Londres,  1742, 
2  vol.  in-12;  —  Dissertation  sur  l'union  de 
la  religion,  de  la  morale  et  de  la  politique, 
trad.  de  Warburton;  Londres,  1742,  2  vol. 
in-12  :  ouvrage  devenu  rare  parce  que,  dit  Vol- 
taire, Silhouette  en  racheta  beaucoup  d'exem- 
plaires ;  —  Mémoires  des  commissaires  du 
roi  et  de  ceux  de  S.  M.  Britannique  sur  les 
possessions  et  les  droits  respectifs  des  deux 
couronnes  en  Amérique  (avec  La  Galisson- 
nière  et  l'abbé  de  La  Ville  )  ;  Paris,  1755-1757, 
4  vol.  in-4°,  et  1776,  8  vol.  in-12; —  Voyage 
de  France,  d'Espagne,  de  Portugal  et  d'I- 
talie en  1729;  Paris,  1770,  2  vol.  in-8"  ou 
4  vol.  in-12.  Il  existe  un  Testament  politique 
de  Silhouette  (  Mil,  in-12),  dont  la  composi- 
tion est  attribuée  à  Le  Seure.  Martial  Atjdoix. 
Voltaire.  Corresp.  —  Moufle  d'Angerville,  Pie  pri- 
vée de  Louis  XV,  t.  III,  p.  22.  —  Grirarri,  Corresp.  — 
Dutens,  Mémoires  d'un  voyageur  qui  se  repose,  t.  II, 
p.  22.  —  Observations  sur  les  écrits  modernes,  t.  V, 
r.  262  et  t.  XIII,  p.  169.  —  Lacretelle,  Hist.  du  dix-hui- 
tième siècle,  liv.  II,  p.  198.  —  Bresson,  Hist.  financière. 

silius  italicus,  poète  romain,  né  en  25 
après  J.-C,  mort  en  100.  Son  surnom  à'Ita- 
licus,  dont  l'origine  nous  est  inconnue,  a  fait  sup- 
poser qu'il  était  né  soit  à  Italica  dans  la  Bé- 
tique,  soit  à  Corfinum  dans  le  pays  des  Péli- 
gniens,  ville  qui  pendant  la  guerre  sociale  avait 
reçu  le  nom  d'Italica  :  deux  conjectures  contra- 
dictoires et  également  dénuées  de  preuves.  Il  ap- 
partenait sans  doute  à  l'illustre  famille  des  Si- 
lius qui  fournit  plusieurs  victimes  à  la  tyrannie 
impériale.  Un  C.  Silius,  consul  en  13,  coupable, 
seulement  d'avoir  été  l'ami  de  Germanicus,  fut 
accusé  de  lèse-majesté  sous  Tibère,  et  prévint 
une  condamnation  capitale  par  une  mort  vo- 
lontaire (  24  après  J.-C.  ).  C.  Silius,  fils  de  ce 
proscrit,  eut  une  fin  encore  plus  déplorable  :  il 
subit  le  dangereux  amour  de  Messaline,  et  pour 
s'être  associé  aux  projets  extravagants  de  cette 

32 


995  SÏL1US  ITALICUS  —  S1LLERY 

princesse,  qui  poussa  la  folie  jusqu'à  l'épouse.'  du 
vivant  de  son  mari,  l'empereur  Claudius,  il  fut 
mis  à  mort,  en  48.  La  carrière  de  Silius  Italiens 
échappa  à  de  pareilles  extrémités.  Modéré  et 
même  timide  de  caractère ,  aimant  les  lettres, 
avocat  disert,  imitateur  assidu  de  Cicéron  et 
de  Virgile,  il  arriva  sans  peine  aux  honneurs, 
et  les  remplit  sans  péril  sous  les  plus  mauvais 
empereurs.  S'il  paya  son  avancement  et  sa  sé- 
curité par  des  complaisances  serviles,  s'il  alla 
jusqu'à  se  faire  accusateur  à  une  époque  où  une 
accusation  était  un  arrêt  de  mort,  la  faute  en 
fut  surtout  aux  circonstances.  Dès  qu'il  n'y  eut 
plus  de  danger  à  être  honnête  homme,  il  se 
montra  irréprochable.  Il  était  consul  en  68,  lors- 
que Néron,  abandonné  par  les  prétoriens,  se 
donna  la  mort  pour  échapper  au  supplice  que 
lui  destinait  le  sénat.  Il  ne  prit  aucune  part  à 
cette  révolution,  et  quelques  mois  plus  tard, 
ami  et  confident  de  Vitellius,  il  ne  fut  pas  en- 
traîné par  la  chute  de  ce  prince.  Sous  la  dy- 
nastie fia  vienne,  il  eut  le  gouvernement  de  l'Asie, 
dont  il  se  tira  à  son  honneur.  Après  avoir  ainsi 
parcouru  les  plus  hautes  dignités  sans  exciter 
ni  l'envie  ni  la  haine,  il  passa  ses  dernières  an- 
néesdans  un  repos  opulent,  partageant  son  temps 
entre  ses  nombreuses  villas,  toutes  fournies  de 
livres  et  peuplées  d'œuvres  d'art.  Ses  deux  ré- 
sidences favorites  étaient  une  maison  près  de 
Puteoli,  qui  avait  appartenu  à  Cicéron,  et  une 
maison  près  de  Naples,  qu'avait  occupée  Virgile. 
Il  employait  son  loisir  à  mettre  en  vers  imités 
de  Virgile  la  prose  de  Tite  Live  et  de  Polybe. 
La  retraite  lui  était  si  chère  qu'il  ne  voulut  pas 
la  quitter  pour  aller  saluer  à  Rome  l'empereur 
Trajan.  Pline  loue  Trajan  d'avoir  permis  cette 
abstention,  et  il  loue  aussi  Silius  de  l'avoir  osée. 
Atteint,  vers  l'âge  de  soixante-quinze  ans,  d'un 
mal  incurable  (insanabilis  clavus),  il  abrégea 
ses  souffrances  en  se  laissant  mourir  de  faim, 
genre  de  suicide  alors  à  la  mode.  Dernier  consul 
nommé  par  Néron,  il  fut  aussi  le  dernier  survi- 
vant des  hommes  politiques  de  ce  règne  ora- 
geux. Silius  Italicus,  avec  ses  faiblesses  et  ses 
qualités,  représente  bien  ce  que  pouvait  être 
sous  Néron  et  ses  successeurs  un  homme  hon- 
nête, modéré,  éclairé,  qui  ne  se  souciait  pas  de 
mourir  comme  Thraséas.  Ses  contemporains 
parlent  de  lui  avec  égards;  Martial  va  jusqu'à 
l'admiration,  mais  ses  éloges  sont  suspects,  ins- 
pirés qu'ils  étaient  sans  doute  par  les  libéralités 
du  riche  consulaire. 

Le  temps  a  respecté  le  poëme  que  Silius  com- 
posa dans  ses  villas  de  Puteoli  et  de  Naples. 
Pline  le  jeune,  qui  en  avait  entendu  ou  lu  quel- 
ques passages,  y  trouvait  plus  de  soin  que  de 
talent.  La  postérité  a  confirmé  ce  jugement,  et 
l'interminable  rhapsodie  de  Silius  passe  pour 
l'œuvre  la  plus  ennuyeuse  que  nous  ait  léguée 
l'antiquité.  C'est  un  poème  en  dix-sept  chants 
sur  la  seconde  guerre  punique.  L'auteur  com- 
mence au  siège  de  Sagonte  et  finit  à  la  bataille 


095 
de  Zama,  n'admettant  aucun  des  événements 
accomplis  dans  l'intervalle,  et  racontant  par  ma- 
nière d'épisodes  beaucoup  d'autres  faits  de 
l'histoire  romaine.  Il  prend  généralement  le  fond 
de  son  récit  dans  Tite  Live  et  Polybe;  mais 
comme  il  était  studieux  et  qu'il  avait  des  livre» 
à  sa  disposition,  il  a  ramassé  et  mis  en  œuvre 
un  assez  grand  nombre  de  renseignements  his- 
toriques, géographiques,  mythologiques  puisés 
à  des  sources  aujourd'hui  perdues,  et  par  consé- 
quent précieux.  On  regrette  seulement  qu'il  ait 
pris  la  peine  de  mettre  en  vers  des  détails  d'é- 
rudition qui  en  prose  seraient  plus  courts  et 
plus  clairs.  Quant  au  poëme  en  lui-même,  c'est 
l'œuvre  d'un  copiste  et  d'un  rhéteur  appliquant 
sans  discernement  et  sans  goût  les  vieilles  for- 
mes du  merveilleux  épique  à  des  événements 
historiques  qui  sous  ce  travestissement  per- 
dent toute  grandeur  et  tout  sérieux.  La  diction 
n'est  pas  mauvaise,  et  il  serait  facile  de  déta- 
cher de  cette  prétendue  épopée  d'assez  beaux 
passages;  il  était  impossible  qu'un  homme  de 
savoir  et  de  patience,  adorateur  de  Virgile, 
composât  plus  de  dix  mille  vers  sans  en  ren- 
contrer beaucoup  de  passables  et  quelques-uns 
de  bons  ;  mais  l'ensemble  est  inanimé,  dénué  de 
chaleur  et  d'invention. 

Le  poëme  de  la  Guerre  punique  (Punica), 
peu  connu  du  vivant  de  son  auteur  et  oublié 
après  sa  mort,  futdécouvert  par  Poggio,  à  Saint- 
Gall,  pendant  le  concile  de  Constance.  Sweyn- 
heim  et  Pannartz  en  donnèrent  la  première  édi- 
tion ;  Rome,  1471,  in-fol.,  réimpr.  en  1471,  et  en 
1481.  Les  meilleures  éditions  sont  celles  de  Cel- 
larius,  Leipzig,  1695,  in-8°;  de  Drakenborch, 
Utrecht,  1717,  in-4°;  de  Th.  Ernesti,  Leipzig, 
1791-1792,  2  vol.  in-8°  ;  deRuperti,  Gœttingue, 
1795-1598,  2  vol.  in-8°,  et  de  Lcmaire,.  1823.  Si- 
lius Italicus  a  été  traduit  en  français  par  Ville-  j 
brune  (Paris,  1781.3  vol.  in-12)  et  dans  les  col- 
lections Panckoucke  et  Nisard.  Non  content  de  tra- 
duire Silius,  Villebrune  en  publia,  1781,  in  8°,  une 
édition  qu'il  appela  operis  integri  editio  prin- 
ceps  ;  il  se  vantait  de  donner  le  premier  le  texte 
complet,  parce  qu'il  avait  ajouté  au  XVIe  chant 
trente-quatre  vers  qui  manquaient  dans  toutes 
les  éditions;  malheureusement  ces  vers  sont  de 
Pétrarque,  qui  a  composé,  lui  aussi,  un  poëme 
sur  la  guerre  punique.  L.  J. 

Pline,  Epist.,  1.  III,  7.  -  Tacite,  Hist.,  III,  65.  — 
Martial,  IV,  14;  VI,  64;  VII,  63;  VIII,  66;  IX,  86;  XI. 
49,  SI.  —  Sidoine  Apollinaire,  Excus.  ad   Felicem,  260. 

silla.  Voy.  Lunghi  (Giacomo  ). 

sillery  (Nicolas  Bruslart,  marquis  de  ), 
chancelier  de  France,  né  en  1544,  à  Sillery,  en 
Champagne,  où  il  est  mort,  le  1er  octobre  1624. 
Sa  famille  était  ancienne  dans  la  robe.  Fils  aîné 
d'un  président  aux  enquêtes,  il  tenait  de  sa 
mère,  Marie  Cauchon,  le  titre  de  Sillery.  Con- 
seiller au  parlementde  Paris,  en  1573,  il  était 
maître  des  requêtes  lorsque  Henri  III  l'envoya, 
en  1585,  traiter  avec  le  roi  de  Navarre,  dont  ii 


997 


SILL 


désirait  alors  l'alliance.  Sillery  fut  deux  fois  am- 
bassadeur en  Suisse,  en  1589  et  en  1595.  Au 
retour  de  sa  seconde  mission ,  il  fut  président 
à  mortier  au  parlement.  Ministre  plénipoten- 
tiaire à  Vervins,  il  conclut  la  paix  avec  l'Es- 
pagne (1598);  puis  il  alla  en  Italie,  et  né- 
gocia, à  Rome,  le  divorce  d'Henri  IV  et  de  Mar- 
guerite de  Valois,  et,  à  Florence,  le  mariage  du 
roi  avec  Marie  de  Médicis  (  1599  ).  En  1602,  il 
fut  envoyé  une  troisième  fois  en  Suisse,  pour  y 
renouveler  l'alliance.  Patient,  souple,  adroit, 
remplaçant  par  un  rare  esprit  d'observation 
l'insuffisance  de  son  éducation  première^  qui 
avait  été  fort  négligée,  il  avait  montré  dans  ses 
nombreuses  négociations  une  grande  expérience 
des  hommes  et  des  choses,  et  les  avait  conduites 
à  la  satisfaction  du  roi.  Ses  services  furent  ré- 
compensés :  il  eut  les  sceaux  à  la  fin  de  1604, 
fut  nommé  chancelier  de  Navarre  en  1605,  et 
chancelier  de  France  le  10  septembre  1607. 
Ligué  avec  Jeannin  et  Villeroy  contre  Sully  et 
les  autres  membres  du  conseil,  il  se  proposait, 
d'accord  avec  la  reine  ,  d'amener  Henii  IV  à 
s'allier  avec  l'Espagne  et  à  exterminer  les  héré- 
tiques. Au  moment  où  se  répandit  au  Louvre  la 
nouvelle  de  l'assassinat  de  Henri  IV,  Sillery, 
Jeannin  et  Villeroy,  qui  tenaient  conseil,  accou- 
rurent auprès  de  la  reine;  celle-ci,  en  les 
voyant ,  s'écria  :  «  Le  roi  est  mort  !»  —  «  Vous 
vous  trompez,  madame,  répondit  Sillery  ;  en 
France  le  roi  ne  meurt  pas.  »  Marie  de  Médicis, 
devenue  régente,  garda  Sillery  auprès  d'elle, 
et  non-seulement  l'appela  au  conseil  qui  se  te- 
nait tous  les  matins,  mais  souvent  elle  le  con- 
sulta en  secret.  Il  avait  alors  soixante-six  ans, 
et,  s'il  conservait  encore  sa  finesse  et  son  habi- 
leté, il  était  devenu  timide,  irrésolu,  et  passait 
pour  un  vieillard  avide  d'argent,  dont  la  cupi- 
dité pouvait  amener  la  corruption.  De  puissants 
ennemis  l'attaquèrent,  et  le  marquis  d'Ancre  le 
fit  éloigner  du  conseil  (1612).  Cependant,  il 
garda  les  sceaux  jusqu'en  mai  1616;  il  fut  rap- 
pelé en  1617,  mais  les  sceaux  ne  lui  furent 
rendus  qu'à  la  mort  de  Caumartin  (23  jan- 
vier 1623).  Richelieu,  qui  redoutait  son  in- 
fluence ainsi  que  celle  de  son  fils ,  Puisieux , 
réussit  bientôt,  avec  l'aide  du  surintendant  La 
Vieuville,  à  les  perdre  dans  l'esprit  du  roi.  Sil- 
lery rendit  les  sceaux  le  2  janvier  1624,  et,  en- 
tièrement disgracié,  avec  son  fils,  il  fut  renvoyé 
le  3  février  suivant  ;  il  se  retira  dans  sa  terre 
de  Sillery,  où  il  mourut,  quelques  mois  plus 
tard.  Son  fils  Pierre  est  plus  connu  comme 
marquis  de  Puisieux  (voy.  ce  nom). 

Sully,  Richelieu,  Bassompierre,  Mémoires.  —  Toumet, 
Discours  funèbre  sur  le  trépas  de  Nie.  Britslart  de 
Sillery  ;  Paris,  1624,  in-8°.  —  Bontrays,  Breviarium 
Vitse  Nie.  Brulartii  ;  Paris,  162i,  in-8°.  —  Polrson,  Hist. 
de  Henri  If'.  —  Bazin,  Hist.  de  Louis  XIII. 

sillery  (Fabio  Brulart  de),  prélat  fran- 
çais, né  le  25  octobre  1655,  au  château  de 
Pressigny  (Touraiue,),  mort  le  20  novembre 
171  't,  à  Paris.  Arrière-peîit-fils  du  précédent,  il 


ttRY  998 

fut  tenu  sur  les  fonts  de  baptême  par  le  car- 
dinal Piccolomini,  qui  lui  donna  le  prénom  du 
pape  régnant,  Alexandre  VII  (Fabio  Chigi;.  Il  fit 
sa  philosophie  au  collège  de  la  Marche ,  et  fut 
reçu  en  1681  docteur  en  Sorbonne.  En  1685  il 
siégea  dans  l'assemblée  du  clergé.  Nommé  en  juin 
1689  évêque  d'Avranches,  il  permuta  en  octobre 
ce  diocèse  avec  celui  de  Soissons,  dont  Huet  était 
titulaire;  mais  il  ne  fut  sacré  que  le  23  mars  1692. 
Il  complaît  que  sa  nouvelle  qualité  lui  faciliterait  sa 
translation  a  l'archevêché  de  Reims;  mais  on  le 
laissa  de  côté  malgré  sou  dévouement  à  la  cour  et 
aux  jésuites,  malgré  tout  ce  qu'il  put  faire  en  fa- 
veur de  la  constitution  Unigenilus.A&onlh  de 
mort  il  témoigna,  dit-on,  le  plus  vif  regret  de 
l'avoir  soutenue  contre  sa  conscience.  Ce  fut 
une  sorte  de  scandale.  «  On  mit  bon  ordre,  dit 
Saint-Simon,  que  le  roi  n'en  sût  rien,  et  avec 
cela  tout  fut  gagné.  »  Il  ajoute  que  ce  prélat 
«  avait  beaucoup  d'esprit  et  du  savoir,  mais 
l'un  et  l'autre  fort  désagréables  par  un  air  de 
hauteur,  de  mépris,  de  transcendance  ;  »  et  qu'il 
«  se  piquait  de  beau  monde,  de  belles- lettres, 
de  beau  langage  ».  Membre  honoraire  de  l'Aca- 
démie des  inscriptions  (1701),  il  remplaça  Pa- 
villon dans  l'Académie  française  (7  mars  1705). 
On  a  de  lui  :  Harangue  Jaite  au  nom  du 
clergé  à  Jacques  II,  roi  d'Angleterre  ;  Paris, 
1695,  in-4°;  —  Réflexions  sur  l'éloquence, 
Paris,  1700,  in-12  :  ce  recueil  contient  deux 
lettres  de  l'auteur  au  P.  Lami,  qui  avait  mal- 
traité la  rhétorique  de  collège,  et  des  morceaux 
d'Arnauld  et  d'autres  sur  la  même  matière;  — 
Statuts  synodaux;  Paris,  1730,  in-12,  publiés 
par  Languet  de  Gergy,  son  successeur  à  Sois- 
sons  ;  —  deux  pièces  de  vers,  insérées  dans  le 
Recueil  de  vers  choisis  du  P.  Bouhours;  — 
des  dissertations  sur  des  points  d'archéologie. 

De  Boze ,  Hist.  de  l'Jcad.  des  inscr.  —  Flsquet, 
France  pontificale.  —  Saint-Simon,  Mémoires. 

sillery  (Charles- Alexis  Brulart,  mar- 
quis de),  comte  de  Genlis,  né  le  20  janvier 
1737,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le  31  octobre 
1793.  Il  était  cousin  du  secrétaire  d'État  mar- 
quis de  Puisieux,  mort  vers  1773.  Orphelin  de 
bonne  heure,  il  entra  dans  un  régiment  qui  par- 
tait pour  les  Indes.  A  quatorze  ans,  il  passa 
dans  la  marine,  où  il  eut  bientôt  le  grade  de 
lieutenant.  A  vingt  ans ,  après  un  combat  au- 
quel il  survécut  presque  seul  parmi  les  offi- 
ciers, mais  couvert  de  blessures,  on  le  nomma 
capitaine  de  vaisseau.  Sa  conduite  au  siège  de 
Pondichéry  fut  digne  d'éloges  ;  blessé,  fait  pri- 
sonnier, et  transporté  en  Angleterre,  il  y  connut 
Ducrest  de  Saint-Aubin ,  qui  était  tombé  aux 
mains  des  Anglais  eu  revenant  de  Saint-Do- 
mingue ;  la  vue  du  portrait  de  Mlle  de  Saint- 
Aubin  lui  inspira  pour  elle  un  amour  passionné, 
et  il  forma  le  projet  de  l'épouser.  Le  mar- 
quis de  Puisieux,  ancien  ministre  des  affaires 
étrangères,  négocia  la  liberté  de  son  parent  ;  à 
son  retour  en  France,  il  lui  fit  quitter  la  ma- 

32. 


f  99  SILLERY  - 

vine,  et  obtint  pour  lui  le  titre  honorifique  de  | 
colonel  des  grenadiers  de  France.  Le  comte  de 
Genlis,  suivant,  malgré  sa  famille,  le  penchant 
de  son  cœur,  épousa  MIIe  de  Saint-Aubin  (1762). 
Celle-ci,  par  la  protection  de  sa  tante,  Mme  de  j 
Montesson,  fut  mise  au  nombre  des  dames  de  la  ; 
duchesse  de  Chartres  (  1770  )  ;  en  même  temps, 
son  mari  eut  la  place  de  capitaine  des  gardes  : 
du  duc  de  Chartres,  dont  il  devint  bientôt  l'ami 
et  le  confident.  A  la  mort  de  la  maréchale  d'Es- 
trées,  fille  du  marquis  de  Puisieux,  il  hérita  de  ! 
la  terre  de  Sillery  et  de  cent  mille  livres  de 
rente  ;  il  prit  alors  le  titre  de  marquis  de  Sil- 
lery, tandis  que  sa    femme  gardait,    dans  le 
monde  et  dans  ses  ouvrages,  le  nom  de  com- 
tesse de  Genlis.  Sillery  était  recherché  dans  les 
salons  les  plus  distingués  ;  on  le  plaçait  parmi 
les  hommes  aimables  et  spirituels  de  l'époque. 
Élu  député  aux  états  généraux  par  la  noblesse 
de  Champagne,  il  se  joignit  aux  membres  de 
son  ordre  qui    se  réunirent  au  tiers  état,  le 
25  juin   1789.    Sa  conduite   dans   l'Assemblée 
constituante  fut  réglée  sur  celle  du   duc  d'Or- 
léans, auprès  duquel  il  siégea.  Il  demanda  la 
permanence  des  assemblées  nationales,  repoussa 
le  veto  absolu ,  vota  pour  une  déclaration  des 
droits,  mais  à  la  condition  qu'elle  serait  com- 
plétée par  une  déclaration  des  devoirs,  et  se 
déclara  contre  les  Bourbons  d'Espagne  dans  le 
cas  où  s'éteindraient  les  Bourbons  de  France.  Il 
fit  partie  de  la  commission  chargée  de  réorga- 
niser la  marine,  et  prit  une  part  active  à  ses  tra- 
vaux. Le  département  de  la  Somme  le  nomma, 
en  1792,  député  à  la  Convention,  et  il  fut  en- 
voyé en  qualité  de  commissaire  près  de  l'armée 
de  Champagne.  Dans  le  procès  de  Louis  XVI,  il 
vota  pour  l'appel  au  peuple,  la  détention  et  le 
bannissement  à  la  paix.  Après  la  fuite  de  Du- 
jnouriez,  il  fut  mis  en  suspicion  ;  compris  d'abord 
dans  l'accusation  portée,  le  4  avril  1793,  contre 
le  duc  d'Orléans,  il  fut  atteint  aussi  par  l'accu- 
sation lancée,  le  3  octobre,  contre  les  députés 
delà  Gironde,  avec  lesquels  cependant  il  n'avait 
jamais  eu  de  relations  particulières.  Condamné 
à  mort,  le  30  octobre,  il  fut  exécuté  le  lende- 
main, avec  vingt  et  un  de  ses  collègues.  11  monta 
sur  l'échafaud  avec  calme  et  assurance,  salua  à 
droite  et  à  gauche  les  spectateurs,  et  mourut  le 

premier. 

ftime  de  Genlis,  Mémoires.  —  Arnault,  Jay,  etc., 
Bionr.  nouvelle  des  Contemp.  —  Guadet,  Hist.  des  Ci- 
rondins. 

silo,  roi  d'Oviedo,  mort  en  783,  succéda  à 
Aurelio.  Ce  fut  un  roi  élu  par  les  nobles  (774), 
à  qui  du  reste  son  courage  et  ses  talents,  non 
moins  que  son  alliance  avec  la  fille  d'Alfonse  le 
Catholique,  donnaient  quelque  droit  de  porter  la 
couronne.  Son  règne  fut  paisible.  Un  fils  naturel 
d'Alfonse,  Mauregat,  lui  succéda. 

Art  de  vérifier  les  dates,  t.  VI. 

silva  {Jean-Baptiste),  médecin  français, 
fté  à  Bordeaux,  le  13  janvier  1682,  mort  à  Paris, 
le  19  août  1742.  Né  d'un  père  juif  qui  exerça  la 


SILVÈRE 


IOOO 


médecine  à  Bordeaux  pendant  soixante-quatre 
ans,  il  embrassa  la  môme  profession  ;  mais  avant 
d'aller  à  Montpellier  faire  ses  études  il  se  con- 
vertit à  la  religion  chrétienne.  Reçu  docteur  en 
171 1,  il  vint  à  Paris,  et  fut  protégé  par  Chirac, 
son  ancien  professeur.  Plusieurs  cures  impor- 
tantes le  mirent  bientôt  en  grande  réputation  et 
le  firent  rechercher  dans  les  maisons  les  plus 
distinguées.  Helvétius  lui  confia  une  partie  de  sa 
clientèle,  et  comme  dès  1721  il  avait  été  plu- 
sieurs fois  appelé  aux  consultations  tenues  lors 
de  la  maladie  de  Louis  XV,  il  eut  en  1724  la 
place  de  médecin  consultant  du  roi.  L'électeur 
de  Bavière  le  manda  auprès  de  lui  à  Munich. 
La  tsarine  Anne  lui  offrit  en  1738  d'être  son  pre- 
mier médecin  avec  des  avantages  considérables. 
La  même  année,  Louis  XV  lui  donna  des  lettres 
de  noblesse.  Les  agréments  du  caractère  de  Silva 
contribuèrent  à  ses  succès  autant  que  son  savoir 
et  sa  sagacité  ;  c'est  de  lui  que  parle  Voltaire  dans 
ces  beaux  vers  sur  la  transformation  du  sang  : 

Demandez  à  Silva  par  quel  secret  mystère 

Ce  pain,  cet  aliment  dans  mon  corps  digéré, 

Se  transforme  en  un  lait  doucement  préparé ,  etc. 

Silva  laissa  à  sa  mort  une  fortune  considérable; 
son  fils,  Adrien- Clément,  était  conseiller  au  grand 
conseil.  On  a  de  lui  :  Traité  de  l'usage  des 
différentes  saignées,  principalement  de  celle 
du  pied;  Paris,  1727,  2  vol.  in-8"  ;  Amst.,  1729, 
2  vol.  in-12  :  ouvrage  dirigé  surtout  contre  Hec- 
quet,  qui  y  répondit  dans  son  Traité  de  la  diges- 
tion; —  Dissertations  et  consultations  mé- 
dicinales de  MM.  Chirac  et  Silva;  Paris, 
1744-55,  3  vol.  in-12. 

Bruhier,  sa  Fie,  à  la  tête  des  Dissertations.  —  Éloy, 
Dict.  de  la  méd.  —  Biogr.  médicale. 

silva  {Garcia  de).  Voy.  Figueroa. 

silvère  (Saint),  Silverius,  pape,  né  a  F  rosi- 
none,  prèsde  Rome,  mortle  20  juin  538,  dans  l'île 
dePalmaria,  vis-à-vis  deTerracine.  Fils  du  pape 
Hormisdas,  qui  avant  d'entrer  dans  les  ordres 
avait  contracté  un  mariage  légitime,  il  était  sous- 
diacre  à  Rome  lorsque  Théodat,  roi  desGolhs,  le 
plaça  par  violence,  le  8  juin  536,  sur  le  siège  ponti- 
fical, vacant  par  la  mort  d'Agapet  Ier.  Peu  de  temps 
après,  Bélisaire  s'empara  de  Rome,  et  Théodora, 
femme  de  Justinien,  demanda  à  Silvère  de  réta- 
blir Anthime  sur  le  siège  de  Constantinople,  de 
recevoir  à  sa  communion  les  hérétiques  de  l'O- 
rient et  de  révoquer  le  concile  de  Chalcédoine. 
Sur  le  refus  de  Silvère,  on  l'accusa  d'avoir  des 
intelligences  avec  les  Goths,  et,  malgré  les  efforts 
du  roi  Vitigès,  qui  était  venu  assiéger  Rome,  Béli- 
saire le  fit  enlever,  le  17  novembre  537,  l'exila 
en  Lycie ,  et  lui  donna  Vigile  pour  successeur. 
Instruit  du  véritable  état  des  choses,  l'empereur 
ordonna  de  rétablir  Silvère;  mais  en  revenant  eu 
Italie,  celui-ci  fut  arrêté  de  nouveau  par  Béli- 
saire et  relégué  dans  l'île  de  Palmaria;  selon 
Liberatus,  on  l'y  laissa  mourir  de  faim,  ou,  sui- 
vant Procope,  il  y  fut  massacré.  Silvère  est  ho- 
noré le  20  juin. 


îoo; 


S1LVERE  —  SILVESTRE 


1002 


Lberatus,  fireviarittm ,  cap.  22.  —  Jeta  smictorvm 
lunil,  t.  IV,  p.  13.  —  Platina,  De  vitis  pontljlcum,  — 
Artaud  de  Montor, //<.«<.  des  sou»,  pontifes  romains,  1. 1. 

SILVESTRE  ier,  Silvesler,p»[>c,  né  vers  270, 
à  Rome,  où  il  est  mort,  le  31  décembre  335.  Fils 
deRufînus  et  de  sainte  Juste,  il  fut,  à  trente  ans, 
ordonné  prêtre  par  le  pape  Marcellin.  Ses  vertus 
le  firent  choisir,  le  31  janvier  314,  pour  succéder 
à  Melchiade.  L'hérésie  d'Arius,  qui  éclata  en  319, 
jeta  la  perturbation  au  sein  de  l'Église.  Pour  l'a- 
batere  d'un  seul  coup,  Constantin  convoqua  lui- 
même,  d'accord  avec  Silvestre,  le  premier  des 
conciles  œcuméniques;  il  se  tint  à  Nieée,  du  19 
juin  au  25  juillet  32;>.  Silvestre,  retenu  à  Rome 
par  des  infirmités,  y  envoya  deux  prêtres  appelés 
Gui  et  Vincent,  et  chargea  Osius,  évêque  de 
Cordoue,  de  le  présider  en  son  nom.  Il  adressa 
au  clergé  divers  règlements,  dont  Rède  et  San- 
gallo  ont  fait  l'éloge.  Il  conserva  leurs  noms  au 
samedi  et  au  dimanche,  mais  il  voulut  que  les 
autres  jours  portassent  le  titre  de  fériés.  Tout 
ce  qu'on  raconte  encore  de  lui  est  complètement 
apocryphe,  par  exemple  la  prétendue,  donation 
que  Constantin  lui  aurait  faite  de  la  ville  de  Rome 
et  de  la  puissance  temporelle.  C'est  le  premier 
pape  qui  ait  été  représenté  coiffé  de  la  tiare,  et 
sa  fête  se  célèbre  le  31  décembre.  Saint  Marc  fut 
son  successeur. 

Ciaconius,  Platina ,  Anastase,  Vilœ  pontifieum.  — 
L.  Jacob,  Biblioth.  pontif.  —  Combcûs ,  Vie  de  saint 
Silvestre,  en  grec  et  en  latia;  Paris,  1660,  in-8°. 

silvestre  il,  pape,  né  à  Aurillac,  en  Au- 
vergne, mort  à  Rome,  le  12  mai  1003.  Il  s'appe- 
lait Gerbert,  ou,  suivant  la  chronique  d'Aurillac, 
Gerlent.  Tous  les  historiens  attestent  l'obscurité 
de  son  origine.  11  fit  ses  premières  études  à  l'é- 
cole claustrale  d'Aurillac,  dans  le  monastère  de 
Samt-Gérauld.  Il  y  avait  ensuite  pris  l'habit  reli- 
gieux, et  il  y  résidait  quand  Borel,  comte  de 
Barcelone,  vint  en  ce  lieu.  «  L'Espagne,  demanda 
l'abbé,  a-t-elle  des  hommes  habiles  dans  les 
sciences?  »  Sur  la  réponse  affirmative  du  comte, 
l'abbé  le  pria  d'emmener  au  delà  des  monts  un 
jeune  moine  indocile,  désireux  de  tout  apprendre, 
qui  par  son  mépris  pour  l'ignorance  de  ses  con- 
frères les  avait  irrités  contre  lui.  C'était  Gerbert. 
Le  comte  Borel  s'empressa  de  condescendre  aux 
désirs  de  l'abbé,  et  Gerbert  le  suivit  en  Espagne. 
A  Barcelone,  et  peut-être  à  Séville,  à  Cordoue, 
il  fréquenta,  dit-on,  sans  trop  de  scrupules,  les 
maîtres  arabes.  Dans  toutes  les  sciences  les 
Arabes  étaient  alors  bien  supérieurs  aux  Latins. 
S'ils  eurent  avant  Gerbert  d'autres  Latins  pour 
disciples,  on  ne  les  connaît  pas;  Gerbert  paraît 
avoir  été  le  premier.  Ses  contemporains,  étonnés 
de  son  prodigieux  savoir,  l'ont  représenté,  dans 
une  légende,  volant  à  travers  l'espace  sur  les 
ailes  du  démon ,  et  transportant  au  delà  des  Py- 
rénées de  gros  livres  dérobés  à  un  infâme  né- 
cromant.  Suivant  Richer,  c'est  Dieu  lui-même 
qui  le  ramène  chez  les  Latins  ;  Dieu,  pris  de  pitié 
pour  l'ignorance  de  son  Église,  inspire  au  comte 
Borel  la  résolution  d'un  voyage  à  Rome,  et  le 


persuade  en  même  temps  de  conduire  Gerbert 
au  pape  Jean  XIII.  Le  pape  voit  Gerbert,  l'in- 
terroge, l'écoute,  l'admire,  et  s'empresse  d'é- 
crire à  l'empereur  Olhon  Ie»  que  l'Espagne  vient 
d'envoyer  en  Italie  un  jeune  moine  qui  sait, 
chose  prodigieuse,  les  mathématiques.  L'empe- 
reur répond  qu'il  faut  le  retenir  à  tout  prix,  et 
lui  donne  l'abbaye  de  Bobbio.  Aussitôt  que  le 
mathématicien  Gerbert  y  eut  ouvert  une  école, 
on  y  accourut  de  toutes  les  régions  de  l'Europe 
chrétienne.  Cependant  il  n'y  séjourna  pas  long- 
temps. Des  seigneurs  voisins  pillèrent  ses  biens; 
des  rivaux  de  sa  gloire  accusèrent  ses  mœurs; 
on  le  dénonça  même  à  l'empereur  comme  un 
sujet  infidèle.  Forcé  de  fuir  ses  ennemis,  Gerbert 
se  retira  d'abord  en  Allemagne. 

Lothaire,  roi  des  Francs,  ayant  envoyé  comme 
ambassadeur  à  Othon  un  archidiacre  de  Reims 
très-habile  en  logique,  Gerbert  obtint  la  permis- 
sion de  le  suivre  à  son  retour  dans  les  Gaules, 
L'église  de  Reims  avait  alors  pour  ponlife  un  pro- 
tecteur zélé  des  savants,  Adalberon,  qui  voulut 
l'avoirpour  secrétaire  et  pour  ami.  Initié  déjà  par 
son  commerce  habituel  avecles  gens  de  la  cour  im- 
périale aux  grandes  affaires  de  l'Europe,  Gerbert 
y  prit,  comme  conseiller  du  puissant  archevêque 
de  Reims,  une  part  active.  Ses  lettres  datées  de 
ce  temps  sont  d'un  politique  et  aussi  d'un  mé- 
content, qui  ne  dissimule  guère  ses  griefs  contre 
les  perturbateurs  du  repos  des  peuples,  c'est-à- 
dire  les  rois.  Mais  il  ne. néglige  pas  ses  études. 
De  tous  côtés  il  fait  venir  des  livres  :  la  géomé- 
trie et  l'histoire,  l'astronomie,  la  physique,  la 
logique  et  la  poésie  l'intéressent  à  la  fois.  II 
compose,  en  outre,  des  instruments  d'astronomie 
et  de  mathématiques;  Richer  décrit  en  détail 
trois  sphères  de  son  invention,  qui  lui  servaient 
à  démontrer  les  mouvements  divers  des  planètes. 
L'école  de  Reims  est  par  lui  restaurée  et  de- 
vient une  pépinière  de  docteurs  ;  il  y  a  pour  élève 
le  fils  d'un  roi  de  France,  le  prince  Robert.  Uu 
passage  curieux  de  Richer  est  celui  où ,  disciple 
et  ami  de  Gerbert,  il  nous  dit  suivant  quelle 
méthode  ce  docteur  enseignait  les  arts,  et  en 
particulier  la  logique.  Il  expliquait  d'abord  17- 
sagoge  de  Porphyre  sur  la  traduction  de  Victo- 
rinus,  puis  faisait  connaître  à  ses  auditeurs  le 
commentaire  de  Boëce  sur  le  même  ouvrage  (1); 
il  abordait  ensuite  les  Catégories  et  Y  Inter- 
prétation d'Aristote,  les  Topiques  de  Cicéron , 
les  quatre  livres  De  Differentiis  topicis  de 
Boëce,  et  ses  traités  sur  les  Syllogismes  caté- 
goriques, sur  les  Syllogismes  hypothétiques, 
sur  la  Division  et  la  Définition.  Ainsi,  dès  la 
fin  du  dixième  siècle  le  trésor  de  l'érudition 
scolastique  se  composait  déjà  de  tous  les  écrits 
péripatéticiens  que  nous  retrouverons,  à  la  fin 


(1)  Boece,  entre  autres  surnoms,  avait  ceux  d'Anicins 
Manlius  Torquatus  ;  Richer  l'appelle  Manlius,  contra 
l'usage.  Ce  qui  a  trompé  le  traducteur  de  Richer,  M.  Gun- 
det,  qui  le  confond  avec  le  consul  Flavius  Mailiu* 
Tlieodorus. 


1003 


SILVESTRE 


1004 


du  douzième,  commentés  par  les  principaux  ré- 
genis  des  écoles  de  Paris.  Les  poètes  latins  avec 
lesquels  Gerbert  familiarisait  ses  élèves  sont 
Virgile,  Lucain,  Stace,  Térence,  Juvénal,  Perse 
et  Horace.  Enfin  Richer  nous  fait  assister  à  une 
controverse  qui  eut  lieu  à  Ravenne,  en  970,  de- 
vant Othon  Ier ,  entre  Gerbert  et  le  Saxon  Otric, 
sur  la  classification  des  sciences,  sur  la  création 
du  monde,  et  divers  autres  problèmes. 

Adalberon  mourut  en  988,  et  eut  pour  succes- 
seur Arnoid,  fils  naturel  de  Lothaire  et  neveu 
du  prince  Charles,  que  l'avènement  de  Hugues 
Capet  avait  éloigné  du  trône,  et  qui  travaillait  à 
le  conquérir.  On  suppose  que  Gerbert  poussa  le 
faible  Arnoul  dans  le  parti  de  ce  prétendant.  11 
est  plus  certain  qu'Arnoul  s'étant  engagé  dans  ce 
parti  sans  aucune  réserve,  Gerbert  l'abandonna, 
et,  d'après  une  lettre  qui  nous  a  été  conservée, 
le  répudia  comme  parjure;  cette  lettre, d'une  sin- 
gulière énergie,  est  de  990.  Dans  le  même  temps, 
le  roi  Hugues  écrit  au  pape  Jean  XV,  l'informe  de 
la  trahison  d'Arnoul,  et  le  prie  de  pourvoir  au 
règlement  de  cette  affaire.  Les  évêques  des  Gaules 
adressent  à  Rome  une  autre  requête,  demandant 
un  concile.  Le  pape  tardant  à  répondre,  un  con- 
cile se  réunit,  mais  par  les  ordres  du  roi,  à  Saint- 
Basle,  près  de  Reims.  Dans  les  circonstances  où 
il  a  été  convoqué,  quel  est  le  principal  accusé? 
C'est  le  pape;  et  ses  accusateurs  sont  les  prélats 
des  Gaules.  On  ne  refusait  pas  à  l'évêque  de 
Rome  l'hommage  de  la  déférence  ;  mais  comment 
interpréter  son  long  silence,  si  ce  n'est  un  déni 
de  justice?  Que  la  cour  de  Rome  en  soit  donc 
avertie  :  l'Église  n'a  pas  besoin  de  son  concours 
pour  juger  les  crimes  d'État  commis  par  des 
clercs.  Que  le  pape  s'abstienne,  s'il  lui  plaît;  l'É- 
glise s'assemble,  et  prononce.  Quant  à  l'arche- 
vêque Arnoul,  ayant  avoué  ses  connivences  avec 
le  prince  Charles,  ii  est  déposé.  Gerbert  avait  été 
le  secrétaire  et  l'âme  du  concile  de  Saint-Basle; 
aussi  reçut-il  du  roi  l'archevêché  vacant  (  991  ). 

Le  pape  Jean  XV,  à  la  nouvelle  de  la  déposition 
d'Arnoul  et  de  l'ordination  de  Gerbert,  casse  l'une 
et  l'autre.  Celui-ci  se  donne  de  grands  mouve- 
ments pour  inspirer  quelque  chose  de  son  énergie 
aux  évêques  interdits  par  le  saint-siége  comme 
complices  de  son  ordination.  Une  de  ses  lettres  à 
l'archevêque  de  Sens  est  remarquable  :  il  y  déve- 
loppe cette  thèse  que  l'évêque  de  Rome  n'est  pas 
plus  infaillible  qu'impeccable;  que  la  sagesse  de 
Dieu  s'est  manifestée  tout  entière  dans  l'Évangile, 
et  qu'observant  la  lettre  de  l'Évangile,  les  évêques 
chrétiens  n'ont  point  à  s'enquérir  des  jugements 
quelepape  rend  sur  leur'conduite;  qu'ilspeuvent 
même  au  besoin ,  lui  citant  l'Évangile ,  le  con- 
damner à  son  tour  comme  infidèle  et  publicain. 
En  995,  un  nouveau  concile  est  convoqué  par 
Jean  XV  dans  la  ville  de  Mouzon.  Gerbert  y  plaide 
sa  cause.  Les  esprits  se  partagent,  et  aucune  dé- 
cision n'est  prise  :  si  le  pape  favorise  Arnoul,  le 
roi  tient  pour  Gerbert;  les  évêques  n'osent  con- 
clure. Mais  en  996  la  mort  enlève  à  Gerbert  son 


puissant  protecteur,  etGrégoire  V,  successeur  de 
Jean  XV,  poursuit  auprès  du  jeune  roi  Robert  la 
réparation  de  l'injure  faite,  dit-il,  à  son  Église. 
Robert  entend  cette  plainte,  et  ne  cède  pas  en- 
core. Mais  bientôt  il  a  besoin  du  pape  pour  épouser 
Berthe,  sa  parente  :  il  attend,  il  sollicite  un  bref 
qui  ratifie  ce  mariage,  et  il  ne  l'obtiendra  pas  tant 
qu'il  soutiendra  Gerbert.  Celui-ci  juge  bien  alors 
que  sa  cause  est  perdue,  et,  avec  une  habileté 
dont  il  a  donné  beaucoup  d'autres  preuves,  il 
change  subitement  de  langage,  s'humilie,  de- 
mande simplement,  dit-il,  une  décision  régulière, 
prêt  à  s'y  conformer  et  à  montrer  toute  sa  dé- 
férence pour  le  prince  des  évêques .  Il  est  dé- 
posé (996).  Il  quitte  Reims,  et  se  rend  à  la  cour 
de  l'empereur  Othon  HI,  qui  l'accueille  avec  bien- 
veillance. Sur  ces  entrefaites  Jean,  archevêque  de 
Ravenne,  abandonne  son  égl i se ,  et  cette  métropole 
réclame  un  nouveau  pasteur.  Othon  propose  Ger- 
bert :  Grégoire  V  s'empresse  de  l'accepter  (997). 
Son  savoir,  sa  grande  expérience  de  toutes  les 
affaires,  la  confiance  qu'il  sait  inspirer  à  tous  les 
princes  et  sa  grande  renommée  dans  l'Église 
font  de  Gerbert  un  personnage  dont  un  pape 
même  doit  être  jaloux  de  gagner  l'affection. 
Nous  le  voyons  alors  occuper  la  première  place, 
après  ie  pape,  dans  les  assemblées  de  l'Église, 
et  quand  Grégoire  V  meurt,  le  18  février  999, 
c'est  Gerbert  qui  est  appelé  à  lui  succéder.  L'É- 
glise aurait-elle  pu  déférer  la  tiare  à  un  évêque 
plus  illustre,  d'un  plus  haut  esprit,  d'un  plus 
ferme  caractère?  Il  est  permis  d'en  douler.  Les 
légendaires  ont  donc  mal  à  propos  fait  inter- 
venir le  diable  dans  cette  élection.  Que  l'empe- 
reur Othon  ait  patronné  Gerbert  comme  le  plus 
grand  philosophe  de  son  temps,  et  que  ce  pa- 
tronage ait  été  d'un  grand  secours  à  sa  candi- 
dature, nous  l'admettrons  volontiers;  mais  il 
n'est  pas  aussi  probable  que  le  diabie  se  soit  em- 
ployé à  faire  pape  le  plus  docte  et  le  plus  émi- 
nent  de  tous  lés  évêques  chrétiens. 

Gerbert  fut  intronisé  pape,  sous  le  nom  de 
Silvestre  II,  le  2  avril  999.  Dès  son  avènement 
il  obtint  de  l'empereur  des  lettres  solennelles 
qui,  terminant  de  longues  contestations,  affer- 
mirent le  domaine  temporel  du  saint-siége,  en  lui 
imposant  des  limites.  Un  de  ses  premiers  actes 
fut  la  confirmation  d'Arnoul  sur  le  siège  de 
Reims  ;  d'autres,  à  sa  place,  eussent  donné  satis- 
faction à  d'anciennes  rancunes.  Que  d'affaires, 
que  de  soucis  pour  un  pape  dans  ces  temps  de 
permanente  discorde!  En  Allemagne  les  évêques 
de  Magdebourg,  de  Mersbourg,  de  Mayence, 
d'Hildesheim  sont  en  guerre  ouverte;  en  Italie, 
les  habitants  de  Tibur  ont  levé  l'étendard  de  la 
révolte,  et  se  sont  déclarés  indépendants  de 
l'Empire;  à  Césène,  c'est  l'autorité  du  saint-siége 
que  l'on  refuse  de  reconnaître  ;  à  Rome  même, 
une  insurrection  redoutable  conteste  à  la  fois 
les  droits  du  pape  et  ceux  de  l'empereur.  Que 
Silvestre  ait  terminé  tous  ces  différends  de  la 
manière  la  plus  équitable,  à  l'avantage  du  meil- 


100.-) 


SILVESTRE 


1006 


leur  parti,  nous  pouvons  en  douter;  nous  loue- 
rons, du  moins,  la  vigilance  dont  il  fit  preuve 
dans  le  règlement  de  ces  nombreuses  et  graves 
affaires.  En  moins  de  cinq  ans,  il  sut,  par  sa 
prudence,  sa  vigueur  et  son  zèle,  en  un  mot  par 
l'habileté  de  toute  sa  conduite,  mériter  le  re- 
nom d'un  des  plus  grands  évoques  qui  aient 
occupé  la  chaire  de  Saint-Pierre.  De  même  que 
l'on  a  fait  jouer  au  démon  un  grand  rôle  dans  la 
vie  de  Silvestre ,  ainsi  le  fait-on  apparaître  au  mo- 
ment de  sa  mort,  réclamant  sa  proie,  et  contrai- 
gnant le  malheureux  agonisant  à  faire  devant  le 
peuple  l'aveu  de  ses  crimes.  Platina  lui-même  a 
répété  ces  fables,  en  plein  quinzième  siècle. 

Les  écrits  laissés  par  Gerbert  sont  nombreux, 
mais  pour  la  plupart  inédits.  Ses  Lettres  sont 
d'un  grand  intérêt  pour  l'histoire  civile,  pour 
l'histoire  ecclésiastique,  et  pour  l'histoire  lit- 
téraire du  dixième  siècle  ;  on  y  trouve  de  nom- 
breux renseignements  sur  les  entreprises  des 
princes ,  les  brigues  des  évoques ,  les  études , 
les  travaux  des  lettrés  ;  elles  sont  d'ailleurs 
d'un  style  vif,  ferme,  concis,  qui  s'élève  quel- 
quefois jusqu'à  l'éloquence.  Faut-il  toujours  se 
lier  aux  récits  de  Gerbert,  aux  jugements  qu'il 
porte,  aux  arguments  qu'il  emploie  pour  plaider 
la  cause  de  ses  intérêts  ou  de  ses  passions?  Non. 
Mais  avec  quelle  énergie  s'y  peint  lui-même,  cet 
homme  vraiment  supérieur  !  Que  de  fierté  et  que 
de  souplesse,  que  de  résolution  et  que  de  pru- 
dence! Comme  on  reconnaît  à  ces  marquespro- 
fondément  empreintes  un  homme  né  pour  com- 
mander !  La  première  édition  des  lettres  de  Ger- 
bert est  de  Papire  Masson  (Paris,  1621,  in-4°), 
qui  les  publia  avec  d'autres  lettres,  de  Jean  de 
Salisbury  et  d'Etienne  de  Tournai.  En  1636, 
André  Duchesne  en  donna  une  édition  plus 
considérable,-dans  le  t.  II  des  Historiens  de 
France.  Les  t.  IX  et  X  des  mêmes  historiens, 
par  dom  Bouquet,  offrent,  au  nombre  de  161,  la 
plupart  des  lettres  éditées  déjà  par  Duchesne, 
mais  en  bien  meilleur  ordre.  Enfin,  quelques  let- 
tres de  Gerbert  qui  manquent  à  ces  trois  recueils 
ont  été  publiées  en  divers  autres  endroits. 

S'il  a  composé  plusieurs  ouvrages  de  pure  phi- 
losophie, un  seul  de  ces  ouvrages  nous  est  connu  : 
De  rationali  et  ratione  uti,  publié  par  Bernard 
Pez,  dans  le  t.  Ier  du  Thésaurus  novissimus. 
L'empereur  Othon  le  Grand  se  trouvant  enltalie, 
etayant  dans  sa  compagnie,  suivantson  habitude, 
de  nombreux  savants,  ceux-ci,  dans  leurs  loisirs, 
se  querellèrent  sur  le  sens  d'un  passage  de  Por- 
phyre qui  concerne  la  différence  spécifique  de 
l'homme.  Il  s'agissait  de  savoir  si  cette  dif- 
férence, rationale,  est  plus  ou  moins  voisine  de 
la  substance  première  que  la  chose  exprimée  par 
ces  mots  faire  usage  de  la  raison,  -S>  Àôyw 
XpvjerGai,  ratione  uti.  Question  puérile,  il  faut 
en  convenir.  Ce  qu'il  y  a  de  mieux  dans  l'opus- 
cule de  Gerbert,  c'est  son  argumentation,  qui, 
diffuse,  embarrassée,  prenant  de  longs  détours, 
est  néanmoins  fermement  platonicienne.  1!  se  dé- 


clare en  effet  pour  l'hypothèse  des  exemplaires 
éternels,  appelés  plus  tard  univetsaux  anterem, 
hypothèse  qui  alors  devait  paraître  nouvelle, 
mais  qui  fera  fortune  au  douzième  siècle. 

Les  livres  de  Gerbert  sur  les  diverses  parties 
des  mathématiques  sont  plus  nombreux.  Les 
auteurs  de  V Histoire  littéraire  désignent  d'a- 
bord le  Liber  sublilissi7nus  de  arithmelica, 
ouvrage  inédit,  rencontré  par  Bernard  Pez  dans 
la  bibliothèque  de  l'abbaye  de  Saint-Emmerand, 
à  Ratisbonne.  —  Ils  en  désignent  un  autre,  qu'ils 
intitulent  Abacus,  et  qui  se  trouve  aussi,  disent- 
ils,  à  Ratisbonne,  en  s'appuyant  du  témoi- 
gnage de  Bernard  Pez;  mais  ils  se  trompent 
lorsqu'ils  affirment  que  trois  exemplaires  de 
cet  Abacus  se  voient  dans  les  manuscrits  du 
Roi,  cotés  5366  (G),  4312  et  2231.  Les  deux 
premiers,  aujourd'hui  inscrits  sous  les  numéros 

7188  et  2650,  ne  contiennent  en  effet  aucun 
Abacus,  ni  de  Gerbert  ni  d'aucun  autre  ;  quant 
au  volume  de  Colbert  autrefois  désigné  par  le 
numéro   2231 ,  et  maintenant   par  le  numéro 

7189  (A),  il  nous  offre  un  écrit  de  Gerbert  tout  à 
fait  différent  de  celui  que  précède,  dit-on,  dans 
le  manuscrit  de  Ratisbonne  une  épître  à  l'em- 
pereur Othon.  Cet  écrit,  qu'on  peut  lire  encore 
dans  le  volume,  beaucoup  plus  ancien,  qui  porte  le 
numéro  6620,  est  intitulé  Rationes  numerorum 
Abaci,  et  c'est  un  traité  de  quelques  pages.adressé 
soit  au  moine  Constantin,  soit  à  un  certain  Théo- 
phile, grand  ami  de  l'auteur.  En  voici  Yincipit  : 
«  Vis  amicitiae  pêne  impossibilia  redigit  ad  pos- 
sibilia.  Nam  qnomodo  rationes  numerorum  Abaci 
replicare  contenderemus,  nisi  te  adhortante  ?  » 
Ce  mot,  replicare  signifie-t-il  que  Gerbert  avait 
antérieurement  écrit  un  autre  et  plus  consi- 
dérable Abacus  ?  Nous  n'osons  pas  le  décider. 
Ajoutons  que  le  traité  intitulé  Rationes  nume- 
rorum Abaci  a  été  d'abord  publié,  par  une 
étrange  inadvertance ,  dans  les  Œuvres  de 
Bède  le  Vénérable,  t.  I,  p.  123,  et  récem- 
ment réimprimé  sous  le  nom  de  Gerbert  par 
M.  Chasles  :  Explication  des  traités  de  l'A- 
bacus,  et  particulièrement  du  traité  de  Ger- 
bert. —  Un  manuscrit  légué  par  Scaliger  à  la  bi- 
bliothèque de  Leyde  renferme,  dit-on,  un  traité 
de  Gerbert  intitulé  Libellus  multiplicationum. 
Ce  que  nous  nous  contentons  d'affirmer  au  sujet  de 
cet  ouvrage,  c'est  qu'il  n'est  pas  dans  le  volume 
du  Roi  où  les  auteurs  de  l'Histoire  littéraire 
supposent  qu'on  peut  le  rencontrer.  —  On  signale 
aussi  deux  manuscrits,  l'un  de  Papire  Masson  et 
l'autre d'Isaac  Vossius,  qui  contiennent,  assure- 
t-on,  un  traité  de  Gerbert  sur  la  division,  De  nu- 
merorum divisione.  Au  rapport  de  M.  Chasles,  ce 
n'est  lui-même,  sous  un  titre  différent,  autre 
chose  que  le  Rationes  numerorum  Abaci.  — 
Rythmimacfiia  ou  Rythmomachia,  c'est-à-dire 
Numerorum  pugna,  ou  Ludus  numerorum, 
dans  les  manuscrits  1095  de  Saint-Germain  et 
7185  du  Roi.  L'abbé  Lebeuf  attribue  cet  opuscule 
à  Gerbert,  et  nous  remarquons  en  effet  qu'il  se 


1007 


SILVESÏRE 


100S 


trouve  réuni,  bien  qu'anonyme,  à  des  ouvrages 
authentiques  de  notre  docteur  dans  les  deux  ma- 
nuscrits ci-dessus.  Suivant  Oudin,  ce  Rylhmi- 
machia  aurait  été  publié  à  Leipzig,  en  1 6 1  fi,  dans 
un  recueil,  qui  est  d'une  extrême  rareté.  Il  n'est 
pas  démontré  que  ce  jeu  de  chiffres,  véritable 
puérilité,  soit  du  docte  et  grave  Gerbert.  En  effet, 
dans  le  manuscrit  du  Roi  7185  il  commence  par 
ces  mots:  «  Quiperitusarithmeticse;  »  et  Jean  de 
Tritenheim  attribue  à  Hermann  Contract  un  traité 
sous  le  même  titre,  commençant  par  les  mêmes 
mots.  Dans  le  manuscrit  de  Saint-Germain  Vin- 
cipit  diffère;  mais  cette  différence  importe  moins 
qu'il  ne  semble,  puisqu'on  retrouve  dans  ce  der- 
nier manuscrit  des  portions  considérables  du 
premier.  Aussi  l'opinion  dé  M.  Ravaisson  (Rap- 
ports, p.  155  ),  à  laquelle  nous  adhérons  volon- 
tiers ,  est-elle  que  tous  les  ouvrages  connus 
sous  le  titre  de  Rythmimachia  sont  des 
abrégés  ou  des  amplifications  de  l'ouvrage  ori- 
ginal d'Hermann.  —  De  Geomelria,  ouvrage  pu- 
blié par  Bernard  Pez,  Anecdot.,  t.  III,  part.  2, 
p.  1.  Comme  celte  édition,  ainsi  que  l'ont  re- 
marqué les  auteurs  de  l' Histoire  littéraire, 
n'est  pas  une  exacte  reproduction  du  texte  ori- 
ginal, et  surtout  des  figures  qui  l'accompagnent, 
nous  ne  négligerons  pas  de  désigner  ici  un  beau 
manuscrit  du  onzième  siècle  où  se  trouve  la 
Géométrie  de  Gerbert,  le  numéro  7185  de  l'an- 
cien fonds  du  Roi.  —  De  Astrolabio ,  dans  les 
manuscrits  980,  1759  delà  Sorbonne,  et  1095 
de  Saint-Germain.  Jean  de  Tritenheim,  l'abbé  Le- 
beuf,  les  auteurs  de  VHistoire  littéraire  et 
M.  Cousin  attribuent  à  Gerbert,  sans  aucune 
difficulté,  ce  traité  de  l'Astrolabe.  Dans  plu- 
sieurs manuscrits  il  porte  son  nom.  En  outre, 
comme  le  fait  observer  M.  Cousin,  «  on  y  trouve 
une  connaissance  de  l'astronomie  et  de  la 
langue  scientifique  des  Arabes,  telle  que  lui  seul 
pouvait  la  posséder  dans  ce  siècle  ».  Mais  Jean 
de  Tritenheim  ne  se  trompe-til  pas  en  distin- 
guant le  traité  de  l'Astrolabe  et  le  traité  du  Ca- 
dran ?  On  remarque  en  effet  dans  le  traité  de 
l'Astrolabe  une  dissertation  sur  les  cadrans  so- 
laires. —  Epistola  Gerbcrti  Constantino  de 
Sphasra,  dans  le  numéro  1094  de  Saint-Ger- 
main :  publié  par  Mabillon  dans  le  t*  II  des 
Analecta.  —  De  Dissonanlia  arithmetica 
et  geometrica  ;  manuscrit  du  Roi ,  provenant 
de  Delamare,  numéro  7377  (C).  Il  s'agit  dans 
dans  cette  simple  lettre  de  la  mesure  d'un  triangle 
équilatéral.  Pouvons-nous  attribuer  avec  assu- 
rance cet  ouvrage  à  Gerbert  ?  Il  suit,  il  est  vrai, 
dans  le  manuscrit,  une  lettre  ainsi  intitulée  :  Adel- 
bodi  episcopi  ad  Gerberlum  de  Crassitudine 
spherx  :  mais,  comme  le  premier  traité,  le  se- 
cond est  peut-être  d'Adelbode;  le  titre  qui  donne 
celui-ci  à  Gerbert  est  d'une  main  moderne.  —  Ici 
(initie  catalogue  des  ouvrages  composés  par  Ger- 
bert ou  inscrits  à  son  nom,  concernant  les  diver- 
ses parties  desmathématiques.  Pour  compléter  ce 
catalogue,  il  faudrait  avoir  sous  les  yeux  plusieurs 


manuscrits  signalés  dans  les  bibliothèques  de 
Hollande,  d'Angleterre  et  d'Italie.  On  nous  per- 
mettra de  terminer  cette  nomenclature  en  fai- 
sant une  supposition.  Au  tome  XII  de  V His- 
toire littéraire,  on  lit  une  notice  sur  Gerland, 
chanoine  de  Saint-Paul  à  Besançon  vers  le  mi- 
lieu du  douzième  siècle,  et  parmi  les  ouvrages 
de  ce  docteur  on  désigne  un  traité  que  les  ma- 
nuscrits nous  présentent  sous  ces  titres  divers  : 
Computus ,  Abactis  et  Tabulée  Gerlandi. 
Nons  connaissons  d'autres  écrits  de  Gerland; 
ces  écrits  ne  paraissent  aucunement  avoir  été 
composés  par  un  computiste.  Voici  d'ailleurs 
un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  impériale, 
suppl.  latin,  numéro  409,  auquel  on  assigne 
une  date  plus  ancienne  que  le  douzième  siècle. 
Si  cette  appréciation  est  exacte,  l'ouvrage  n'est 
pas  du  chanoine  de  Saint-Paul,  mais  il  pourrait 
être  de  Gerbert,  à  qui  la  chronique  d'Aurillac 
donne  le  nom  de  Gerlent.  Ce  n'est  pas  encore 
YAbacus  rédigé  pour  l'instruction  particulière  de 
l'empereur  Othon,  et  il  débute  par  un  petit  poème 
d'une  incorrection  choquante. 

Les  auteurs  de  VHistoire  littéraire  men- 
tionnent quelques  vers  de  Gerbert  sur  BoëceP 
l'empereur  Othon  II,  le  roi  Lothaire,  un  duc 
nommé  Frédéric,  un  scolastique  nommé  Adal- 
bert.  Ces  vers,  imprimés  dans  divers  recueils, 
sont  dépourvus  de  tout  mérite  ;  c'est  l'opinion 
de  l'abbé  Goujet  et  la  nôtre.  Gerbert  avait  aussi 
composé,  dit-on,  des  séquences,  ou  proses;  mais 
elles  paraissent  perdues.  Telle  semble  avoir  été  la 
fortune  d'un  traité  de  Gerbert  sur  la  rhétorique, 
traité  dont  il  parle  lui-même  dans  une  de  ses  lettres 
à  Bernard,  moine  d'Aurillac. 

Voici  encore  d'autres  écrits  de  Gerbert  :  Sy- 
nodus  Ecclesix  gallicanse  habita  Durocurli 
Remorum  (S.  Basle);  Francfort,  1600,  in-12,et 
dans  le  recueil  des  Centuriateurs  de  Magdebourg, 
t.  X,  p.  457.  Des  éditions  mutilées  ont  été  faites 
par  les  catholiques;  les  protestants  seuls  ont 
intégralement  reproduit  le  texte  conservé  dans 
quelques  manuscrits.  Dans  les  grandes  Collec- 
tions des  Conciles  manquent  les  actes  de  Saïnt- 
Basle;  ils  sont  en  effet  outrageants  pour  l'au- 
torité du  saint-siége.  Comme  il  a  fallu  quelque 
prétexte  pour  les  supprimer  ainsi,  on  a  mis 
en  doute  la  sincérité  du  secrétaire,  Gerbert, 
qui  les  a  rédigés.  Les  auteurs  de  VHistoire 
littéraire  ont  en  deux  mots  très-bien  prouvé 
que  ce  prétexte  n'a  pas  le  moindre  fondement.  î! 
est  incontestable  que  Gerbert  a  de  sa  main  écrit 
tout  le  procès-verbal  de  l'assemblée  de  Saint- 
Basle.  Personne  de  son  temps  n'a  eu  ce  style  vif, 
alerte,  et  vraiment  littéraire.  On  lit  d'ailleurs 
en  tête  du  procès-verbal  une  préface  dans  laquelle 
Gerbert  nous  fait  connaître  qu'il  met  cette  pièce 
sous  les  yeux  du  public  pour  répondre  aux  ca- 
lomnies de  ses  adversaires,  les  fauteurs  d'ArnouI 
dépossédé  (1);  —  Oratio  Gerberli  in  concilio 

(1)  Voy.  à  ce  sujet  la  thèse  De  qvodam  Gerberli  opus- 
cicto  (Paris,  1838,  in-8°),  de  Jos.  Varin. 


1003 


SILVESTRE 


1010 


Mosomensi  (Mou/.on) ,  dans  le  P.  Labbc ,  Con- 
cilia, t.  IX,  col.  747,  et  Recueil  des  historiens 
de  France,  t.  X,  p.  533.  Ce  discours,  dont  toutes 
les  parties  sont  également  étudiées,  peut  être 
considéré  comme  un  modèle.  Gerbert  accusé  se 
défend  avec  tant  d'habileté,  il  traite  avec  tant  de 
hauteur,  quoique  sans  violence ,  la  personne  de 
son  antagoniste,  qu'après  l'avoir  entendu  les 
évoques  assemblés  n'osent  rien  conclure,  et  pro- 
noncent une  déclaration  d'incompétence;  —  De 
Informatione  episcoporum,  que  l'on  intitule 
aussi  De  dignitate  sacerdotali  et  De  vita  et 
ordinatione  episcoporum  ;  dans  les  Analecta 
de  Mabillon,  t.  II.  Cet  éloquent  discours  sur  les 
obligations  du  ministère  pastoral  a  été  longtemps 
attribué  à  saint  Ambroise,  et  se  trouve  dans  le 
recueil  des  Œuvres  de  ce  père.  C'est  Mabillon 
qui,  sur  l'autorité  des  manuscrits,  l'a  restitué  à 
Gerbert;  —  De  Corpore  et  Sanguine  Christi; 
dans  le  Thésaurus  Anecdotorum  de  B.  Pez, 
1. 1.  Cet  ouvrage  avait  été  publié  en  1655  par  le 
P.  Cellot,  sans  nom  d'auteur,  dans  son  appendice 
à  l'histoire  de  Gotschalc,  et  Mabillon  avait  cru 
pouvoir  l'attribuer  à  Hen'ger,  abbé  de  Laubes. 
Mais  Bernard  Pez  a  démontré  sur  ce  point  l'er- 
reur de  Mabillon;  —  Canticum  de  Spirïtu 
Sancto,  cantique  inédit,  que  mentionne  le  cata- 
logue des  manuscrits  de  Thomas  Bodley.  Enfin 
les  auteurs  de  X Histoire  littéraire  mettent  au 
nombre  des  œuvres  de  Gerbert  un  traité  qu'ils 
intitulent  Disputatio  christianorum  et  judsco- 
rum  Romœ  habita,  traité  imprimé,  disent-ils, 
à  Rome  en  1544 ,  mais  qu'ils  mentionnent  sur  la 
foi  d'autrui.  Après  eux  nous  avons  fait  pour  le 
découvrir  de  vaines  recherches.     B.  Hauréau. 

Histoire  littéraire  de  ta  France,  t.  VI,  p.  559.  —  Ri- 
cher,  Historia,  t.  Il,  passim.  —  GaUiachristiana,t.  IX. 

—  Hugo  Flaviniacensis,  Chronicon  Firdunense,  dans 
le  t.  I  de  la  Biilioth,  nova  manuscript.  du  P.  Labbe.  — 
Tlatina,  De  vitis  rom.   ponlif.    —  Baronius,  Annales. 

—  Abraham  Bzovius,  Silvester  II  ;  Rome,  1629,  in-4°.  — 
Trithelm,  Chronicon  Hirsaugiense.  — Ademari  Caba- 
nensis  Chronicon,  dans  la  Bibl.  nov-  manus.  du  P. 
Labbe.  —  Chasles  ,  Explication  des  traités  de  J'Abacus. 

—  Henri  Martin,  Bist.  de  l'aritlimétique,  dans  la  Revue 
archéologique,  1857.  —  C.-F.  Hock,  Gerbert,  oder  Pabst 
Sylvester  JI  und  sein  Jahrundert;  Vienne,  1837,  in-8°  ; 
trad.  en  fr.,  Paris,  1842,  in-8e. 

silvestre  m,  antipape,  né  à  Rome.  Le  1er 
mai  1044,  le  pape  Benoit  IX,  à  peine  âgé  de 
vingt  ans,  ayant  été  chassé  par  les  Romains,  à 
cause  de  sa  vie  licencieuse,  le  consul  Ptolémée  fit 
élire  à  sa  place  Jean ,  évêque  de  Sabine ,  sous  le 
nom  de  Silvestre  III.  Mais  il  ne  régna  que  trois 
mois  environ ,  car  les  comtes  de  Frascati  prirent 
aussitôt  les  armes,  et  parvinrent  à  replacer  leur 
parent  Benoît  IX  sur  le  trône.  Celui-ci,  se  voyant 
méprisé  du  clergé,  vendit  la  tiare  à  Jean  Gratien, 
qu'il  couronna  sous  le  nom  de  Grégoire  YI,  de 
sorte  que  Rome  eut  alors  le  scandaleux  spectacle 
de  trois  papes  à  la  fois.  L'empereur  Henri  III 
tint,  en  décembre  1046,  à  Sutri,  un  concile  où  il 
fit  déposer  les  trois  papes,  puis  élire  à  leur  place 
Clément  II. 

Platina,  De  vitis  pontiflcum.  —  Mittler,  De  Schismale 


in  Ecclesia  romana  ttiïb  llenedicto  IX  orto.  —  Artaud  de 
Montor,  Hlst.  des  souv.  pontifes. 

silvestre  (Silveslro  de'  Gozzolini,  saint), 
fondateur  d'ordre,  né  en  1 177,  à  Osimo  (Marche 
d'Ancône),  mort  à  Fabriano,  le  26  novembre 
1267.  Promu  aux  ordres  sacrés,  il  devint  cha- 
noine d'Osimo,  et  se  dévoua  à  l'instruction  re- 
ligieuse. Ayant  résolu  de  renoncer  au  monde,  il 
se  retira  en  1227  à  dix  lieues  d'Osimo ,  dans  une 
solitude  où  il  vécut  au  sein  d'une  pauvreté  ex- 
trême et  d'une  austérité  extraordinaire.  Quelques 
personnes  pieuses  s'étant  réunies  à  lui,  il  jeta 
en  1231  les  fondements  de  la  congrégation  des 
Silvestrins ,  qu'il  plaça  sous  la  règle  de  Saint- 
Benoit.  Le  pape  Innocent  IV  l'approuva  en  1248, 
et  lui  donna  dans  Rome  une  maison  qui  subsiste 
encore.  A  la  mort  de  Silvestre,  cet  ordre  comp- 
tait en  Italie  vingt-cinq  maisons. 

Fabrini,  Chronica  délia  congreg.  dei  monachi  Sil- 
vestrini.  —  Hermant,  Hist.  des  ordres  rclig.  —  Surius, 
Baillet,  Fies  des  saints. 

silvestre  (Israël),  dessinateur  et  graveur, 
né  à  Nancy,  le  15  août  1621,  mort  à  Paris,  le  11 
octobre  1691.  Il  était  issu,  dit-on,  de  la  famille 
écossaise  des  Silvester,  établie  en  Lorraine  de- 
puis le  commencement  du  seizième  siècle  ;  son 
père,  Gilles,  peintre  verrier,  avait  épousé  une 
fille  du  peintre  Claude  Henriet.  Ayant  perdu  son 
père,  il  vint  se  fixer  à  Paris,  auprès  d'Israël 
Henriet,  son  oncle  et  son  parrain,  qui  avait 
donné  des  leçons  de  dessin  à  Louis  XIII.  Sous 
sa  direction,  il  prit  une  manière  qui  se  rappro- 
chait à  la  fois  de  Callot  et  d'Etienne  de  La  Belle. 
Cependant  il  travaillait  d'après  nature  en  copiant 
des  vues  de  Paris  et  de  ses  environs  (1).  Il  en- 
treprit plusieurs  voyages  en  Italie  de  1640  à  1653, 
et  en  rapporta,  aussi  bien  que  de  diverses  excur- 
sions en  France,  un  grand  nombre  de  croquis, 
qu'il  grava.  Ayant  hérité  du  commerce  d'estampes 
de  son  oncle  (1661),  il  s'associa  avec  de  La  Belle 
pour  lui  donner  plus  d'extension.  En  1662  il  fut 
nommé  dessinateur  et  graveur  du  roi,  et  en  1675 
maître  à  dessiner  du  dauphin.  Agréé  à  l'Aca- 
démie en  1666,  il  fut  reçu  membre  titulaire  le  6 
décembre  1670.  L'œuvre  gravé  d'Israël  Silvestre 
se  compose  d'environ  372  pièces,  représentant 
des  vues  d'Italie  et  de  France,  très-intéressantes 
au  point  de  vue  historique.  La  Belle,  Le  Paultre, 
les  trois  Perelle,  H.  Swanwelt,  Goiraud,  Fr.  Colli- 
gnon  et  Jean  Marot  ont  travaillé  aux  planches  de 
Silvestre  aussi  bien  que  ses  deux  élèves,  Noblesse 
et  Meusnier.  Le  Brun,  son  ami  intime,  a  peint 
son  portrait,  qui  a  été  gravé  par  Edelinck.  D'Hen- 
riette Selincart,  sa  femme,  morte  en  1680,  il  eut 
quatre  enfants ,  qui  tous  cultivèrent  les  beaux- 
arts  (voy.  ci-après). 

Son  ffère  aine,  François,  â  gravé  des  paysages . 

Meauroe,  Recherches  sur  qitetqucs  artistes  lorrains.- 
Cl.  Henriet  et  les  Silvestre;  Nancy,  1852,  in-8°.  —Le 
Blanc,  Manuel  de   l'amateur  d'estampes.  —  Mariette, 

(1)  Plus  tard  il  utilisa  les  études  de  sa  jeunesse,  et  c'est 
ainsi  qu'on  voit  dans  son  œuvre  un  certain  nombre  de 
monuments  qui  étalent  détruits  au  moment  où  il  les  gra- 
vait et  les  datait 


iOîl 


SILVESTRE 


1012 


Abcdario.  —  Faucheux,  Catalogue  de  l'œuvre  d'Israël 
Silvestre;  Paris,  1857,  in-S°. 

SILVESTRE  (Charles-François  de),  dessi- 
nateur, fils  du  précédent,  né  le  11  avril  1667,  à 
Paris,  où  il  est  mort,  vers  1738.  Il  fut  élève  de 
son  père,  ,de  Le  Brun  et  de  J.  Parrocel,  et  alla 
compléter  ses  études  en  Italie.  On  a  de  lui  plu- 
sieurs paysages  et  des  sujets  historiques  gravés 
sur  ses  propres  dessins  et  d'après  ceux  de  son 
frère  Louis.  Il  fut  anobli  par  Auguste  III,  roi  de 
Pologne.  Il  enseigna  le  dessin  aux  enfants  du  grand 
dauphin,  et  jouit  depuis  1691  du  logement  qu'a- 
vait occupé  son  père  au  Louvre. 

De  son  mariage  avec  Suzanne  Thuret,  nièce 
de  Jacques  Thuret,  célèbre  horloger,  il  eut  1°  Ni- 
colas-Charles (voy.  ci-après),  2°  Suzanne, 
née  vers  1694,  mariée  au  peintre  Le  Moine,  et 
qui  a  gravé  un  certain  nombre  de  portraits  d'a- 
près Rubens,  van  Dyck,  Nocret,  Largillière,  Le 
Brun  et  Vivien. 

Silvestre  (Louis),  dit  Louis  l'aîné,  frère  du 
précédent,  né  le  20  mars  1669,  à  Paris,  où  il  est 
mort,  le  18  avril  1740,  devint  membre  de  l'Aca- 
démie le  30  octobre  1706,  comme  peintre  de 
paysages. 

Silvestre  (Alexandre),  frère  des  précédents, 
né  à  Paris,  le  27  décembre  1672,  est  l'auteur  de 
quelques  pièces  gravées ,  et  d'une  traduction  en 
vers  latins  de  l'Imitation  de  Jésus  •  Christ 
(Paris,  1609,  in-12).  Il  était  entré  dans  les  ordres. 

Silvestre  (Louis  de),  frère  des  précédents,  né 
le  23  juin  1676,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le  10  avril 
1760.  Il  reçut  les  leçons  de  son  père,  de  Le 
Brun  et  de  Bonde  Boulogne.  Peu  après  son  voyage 
en  Italie,  il  fut  reçu  à  l'Académie  (24  mars  1702), 
sur  la  présentation  d'un  tableau  de  la  Forma- 
tion de  F  homme  par  Prométhée ,  qui  est  au 
musée  de  Montpellier.  Appelé,  en  1716,  à  la  cour 
de  l'électeur  de  Saxe ,  il  fut  mis  à  la  tête  de  l'A- 
cadémie de  Dresde,  et  la  dirigea  pendant  vingt- 
quatre  ans.  Comblé  des  bienfaits  du  roi  Au- 
guste III,  qui  l'avait  anobli  en  1741,  il  revint  en 
France,  et  fut  nommé,  en  1752,  directeur  de  l'A- 
cadémie de  peinture.  Au  dire  de  Mariette,  la  for- 
tune considérable  qu'il  avait  amassée  en  Saxe  dis- 
parut pendant  la  guerre  de  Sept  ans.  La  plus 
grande  partie  des  œuvres  de  cet  artiste  se  trouve 
dans  la  galerie  de  Dresde.  Il  a  décoré  plusieurs 
pièces  du  Palais  électoral  et  du  Zwinger,  château 
bâti  en  1711.  Il  a  formé  plusieurs  élèves,  entre 
autres  Eléazar  Schœnau. 

E.  Meaume,  Recherches.  —  Dussleux,  artistes  français 
à  l'étranger.  —  Nagler,  Kùnstler-Lexicon. 

silvestre  (Nicolas-Charles  de),  peintre 
et  graveur,  fils  de  Charles-François,  né  en  1698, 
à  Paris,  mort  le  30  avril  1767,  au  village  de  Va- 
lenton  (Seine-et-Oise).  Il  avait  succédé  à  son 
père  dans  la  place  de  maître  à  dessiner  des  en- 
fants de  France.  Il  fut  admis  dans  l'Académie 
comme  peintre  de  paysages,  le  30  décembre  1747, 
et  le  morceau  de  réception  qu'il  offrit  est  encore 
au  musée  du  Louvre.  Mariette  en  parle  comme 


d'un  amateur  passionné  d'estampes  et  de  dessins. 

D'une  fille  du  graveur  Le  Bas,  il  eut  : 

Silvestre  (Jacques -Augustin  de),  né  le  1er 

août  1719,  à  Paris,  où  il  est  mort,  le  10  juillet 

1809.  Il  fut  maître  de  dessin  des  enfants  de 

France.  Son  riche  cabinet  d'estampes  fut  vendu 

en  1810.  H.  H— s. 

E.  Meaume,  Recherches.  —  Duplessis,  Hist.  de  la 
gravure. 

silvestre  (Augustin- François,  baron  de), 
agronome  français,  fils  de  Jacques-Augustin,  né 
le  7  décembre  1762,  mort  en  septembre  1851, 
à  Paris.  Il  étudia  d'abord  le  dessin  et  la  pein- 
ture, et  fit  un  séjour  de  quatre  années  à  Rome 
pour  se  rendre  digne  d'occuper  la  place  de  maître 
a  dessiner  des  enfants  de  France;  mais  cette 
place,  qui  n'était  pas  sortie  de  la  famille  depuis 
plus  d'un  siècle  et  demi,  lui  manqua,  et  il  reçut 
en  compensation  celle  d'adjoint  à  son  grand-père 
maternel  dans  les  doubles  fonctions  de  lecteur  et 
de  bibliothécairede  Monsieur, depuis  Louis XVIII 
(1782).  Dès  lors  il  se  livra  à  l'étude  des  sciences 
exactes  et  naturelles,  et  prit  part  à  la  fondation 
de  la  Société  philomathique  (1788),  dont  il  fut  le 
secrétaire  général  jusqu'en  1802.  En  môme  temps 
qu'il  rédigeait  presque  entièrement  les  quatre 
premiers  volumes  des  Mémoires  de  cette  société, 
il  reproduisait  les  expériences  de  Spallanzani  et 
d'Ingenhouz,  et  communiquait  aux  Annales  de 
chimie,  au  Journal  de  physique,  aux  Mé- 
moires de  la  Société  d'agriculture,  divers 
écrits  relatifs  aux  volcans ,  aux  effets  de  l'élec- 
tricité sur  les  végétaux,  à  la  culture  en  grand  des 
plantes  potagères,  aux  maladies  du  blé,  à  l'em- 
ploi du  sel  marin  comme  engrais ,  aux  moyens 
d'enseigner  l'économie  rurale  dans  les  écoles.  La 
révolution,  qu'il  n'avait  point  appelée  de  ses 
vœux,  ne  l'inquiéta  ni  dans  ses  biens  ni  dans  sa 
personne;  bien  que  compris  à  titre  d'ex-noble 
dans  les  décrets  de  bannissement,  il  demeura  à 
Paris,  et  grâce  à  de  puissantes  amitiés  il  fut 
même  «  mis  en  réquisition  »  par  le  comité  de 
salut  public  pour  extraire  des  Voyages  d'Arthur 
Young  une  instruction  populaire.  Animé  du  désir 
d'être  utile,  il  s'associa  à  toutes  les  réunions  dont 
le  but  était  de  développer  en  France  l'industrie, 
l'agriculture  et  l'instruction  générale,  et  participa 
à  toutes  les  œuvres  de  bienfaisance  qui  lui  étaient 
proposées.  La  Société  d'agriculture ,  qui  i'avait 
admis  dans  son  sein  en  1792,  le  choisit  en  1798 
pour  secrétaire  perpétuel,  et  il  occupa  cette  charge 
pendant  quarante-quatre  ans.  De  1793  à  1798, 
Silvestre  professa  l'économie  rurale  au  Lycée  ré- 
publicain, et  en  1795  il  fut  placé  à  la  tête  de  la 
maison  d'instruction  des  élèves  de  l'École  des 
mines.  Peu  après  il  devint  chef  des  bureaux  de 
l'agriculture  et  des  haras,  et  dirigea  cette  divi- 
sion du  ministère  de  l'intérieur  durant  tout  l'em- 
pire. Il  siégea  aussi  dans  le  conseil  supérieur  de 
l'agriculture  et  du  commerce.  Lors  de  la  pre- 
mière restauration,  il  reprit  auprès  deLouisXVIH 
la  place  de  bibliothécaire,  puis  celle  de  lecteur, 


1013  S1LVESTRE 

et  reçut  de  ce  prince  le  titre  de  baron.  Rudement 
froissé  dans  ses  opinions  politiques  par  la  révo- 
lution de  1830,  il  vécut  depuis  à  l'écart,  partagé 
entre  les  soins  d'une  santé  qui  s'affaiblissait  de 
jour  en  jour  et  les  travaux  de  la  Société  d'agri- 
culture et  de  l'Académie  des  sciences,  qu'il  sui- 
vait avec  intérêt,  mais  sans  plus  y  prendre  part. 
Silvestre  était  entré  en  1806  dans  l'Institut;  il 
faisait  également  partie  d'une  vingtaine  de  so- 
ciétés savantes  en  France  et  à  l'étranger.  S'il  n'a  : 
pas  altaché  son  nom  à  quelque  grande  entreprise 
ou  à  quelque  ouvrage  mémorable,  on  peut  dire 
qne  par  ses  conseils,  par  ses  nombreux  écrits, 
par  son  zèle,  par  son  amour  du  bien,  il  a  con- 
couru  aux  progrès  de  l'industrie  agricole.  On  | 
doit  mettre  en  première  ligne  parmi  ses  travaux 
les  notices  biographiques  qu'il  a  rédigées,  au  j 
nombre  de  soixante-onze,  depuis  1793  jusqu'en 
1839,  et  qui  ont  été  tirées  à  part,  entre  autres 
celles  d'Olivier  de  Serres,  Parmentier,  Thoiiin  ,  ; 
Rose,  Yvart,  Tessier,  Fourcroy,  Dupetit-Thouars,  j 
Bernard  de  Jussieu,  François  de  Neufchâteau,   j 
Huzard.  Cette  collection  remarquable  forme  le 
plus  beau  titre  de  Silvestre.  Citons  encore  de  lui  : 
Observations  sur  Vétat  de  l'agriculture  en  '. 
France,  extrait  d'Young;  Paris,   1793,  1800,  I 
in-8°;    —  Rapports  généraux  de  la  Société  : 
philomathique  (1788-1800);  Paris,  1S01,  4  vol. 
in-8°,  en  société  avec  Riche;  —  Essai  sur  les  i 
moyens  de  perfectionner  les  arts  économi-  j 
ques  en  France;  Paris,  1801,  in- 8°,  fig.  :  cet  ' 
ouvrage,  relatif  à  l'instruction  et  à  la  police  des 
canspagnes,  fut  approuvé  par  l'Institut  ;  —  Rap-  ! 
port  sur  les  travaux  de  la  Société  impériale  j 
d'agriculture;  Paris,  1805,  in-8°;  il  en  rédigea 
un  second  en  1823,  sur  les  travaux  de  la  même  | 
société  en  1822;   —  Annuaire  de  la  Société  I 
philanthropique;  Paris,   1819,  pet.  in-8°,  fig.  ! 
Il  a  eu  part  à  l'édit.  de  1804  du  Théâtre  d'à-   ' 
griculture  ainsi  qu'au  Nouveau  Cours  d'agri-  j 
culture  (1821-1823,  16  vol.  in- 8°).  P. 

Payen,  Notice  sur  Silvestre,  dans  le  Moniteur  du  17 
nov.  1851.  —  Bouchard,  Notice  lue  à  la  Soc.  d'horlic.  — 
Quérard,  France  littér. 

SILVESTRE.  Yoy.  Sacy. 
sklvio  (Domenico),  doge  de  Venise,  de  1071 
à  1084,  succéda  à  Domenico  Contarini.  Il  vint 
au  secours  des  Grecs  contre  les  Normands,  et 
lui-même  se  mit  à  la  tête  de  la  flotte  destinée  à 
leur  faire  lever  le  siège  de  Durazzo  ;  il  les  battit 
en  1083,  mais  l'année  suivante  il  fut  battu,  et  le 
peuple,  inconsolable  de  la  perte  de  tant  de  vais- 
seaux, s'en  prit  au  doge  et  le  déposa.  Vitale  Fa- 
lieri  fut  son  successeur.  Ce  fut,  dit-on,  sous  Silvio 
que  l'église  Saint -Marc  fut  achevée.  Il  avait 
épousé  une  tille  de  l'empereur  Constantin  Ducas. 

Dura,  Hist.  de  f'enise,  t.  Ie*-. 

si  si  art  (Pierre- Charles),  statuaire  français, 
né  le  27  juin  1806,  à  Troyes,  mort.le  27  mai  1857, 
à  Paris.  Fils  d'un  menuisier,  il  fut  envoyé  à  dix 
ans  à  l'école  de  dessin;  mais  à  douze  il  rentrait 
comme  apprenti  dans  l'atelier  de  son  père.  Sa 
vocation  l'emporta  pourtant,  mais,  non  sans  peine, 


—  SIM  ART  1014 

sur  la  répugnance  de  ses  parents.  Ayant  obtenu 
par  le  crédit  de  Paillot  de  Montabert  une  pension 
annuelle  de  300  francs  (1)  du  conseil  municipal, 
il  vint  a  Paris  (1823),  où  il  eut  successivement 
pour  maîtres  Desboeufs,  Dupaty,  Cortot  et  Pra- 
dier.  Ses  premiers  travaux  furent  quatre  bas- 
reliefs  de  bronze,  la  Foi,  l'Espérance,  la  Cha- 
,  rite  et  la  Libéralité,  destinés  à  l'église  Saint- 
I  Pantaléon  de  Troyes  ;  un  buste  de  Charles  X  et 
:  une  statue  de    Coronis  blessée  par  Apollon 
J  (tous  deux  au  musée  de  Troyes).  Après  avoir 
remporté,  en  1831,  le  second  grand  prix  de 
sculpture,  il  fut  jugé  digne  du  premier  en  1833, 
avec  un  bas-relief  tiré  de  la  fable  de  La  Fontaine, 
le  Vieillard  et  ses  trois  fils.  A  Rome  il  retrouva 
dans  M.  Ingres  un  maître  et  un  ami.  Les  envois 
qu'il  fit  à  Paris  furent  des  plus  remarquables  : 
nous  citerons  la  belle  copie  un  Gladiateur  mou- 
rant (dans  la  cour  de  l'École  des  beaux-arts), 
Pallas  enseignant  aux  hommes  l'art  d'atte- 
ler la  charrue,  un  Discobole,  Sara  et  Tobie, 
et  un  Oreste  (au  musée  de  Rouen).  Cette  statue, 
qui  figura  au  Salon  de  1840,  valut  à  son  auteur 
une  première  médaille.  Depuis,  Simart  exécuta 
pour  le  compte  du  gouvernement  deux  bas-reliefs, 
l'Architecture  et  la  Sculpture,  pour  l'hôtel  de 
ville;  la  Justice  et  l'Industrie,  figures  colos- 
sales adossées  aux  colonnes  de  la  barrière  du 
Trône;   la  Philosophie  (1843)  et    la   Poésie 
(1845),  statue  pour  la  bibliothèque  du  Luxem- 
bourg, une  Fierté  (1845),  pour  la  cathédrale  de 
Troyes;    des  sculptures  au   plafond  carré  du 
Louvre  (1851);  le  fronton  du  pavillon  Denon, 
le  Berceau  du  prince  impérial  et  l'Art  de- 
mandant ses  inspirations  à  la  Poésie,  son 
dernier  ouvrage.  De  1846  à  1852,  Simart  com- 
posa les  dix  bas-reliefs  allégoriques  du  tombeau 
de  Napoléon  Ier  aux  Invalides,  la  Légion  d'hon- 
neur, les  Travaux  publics,  le  Commerce  et 
l'Industrie,  la  Cour  des  comptes,  le  Concor-  ' 
dal,  le  Code,  le  Conseil  d'État,  l'Adminis- 
tration et  la  Pacification  des  troubles  civils; 
il  en  sculpta  lui-même  sept.  En  1852,  il  remplaça 
Pradier  dans  l'Académie  des  beaux-arts.  11  con- 
sacra dix  des  dernières  années  de  sa  vie  à  cette 
magnifique  restitution  de  la  Minerve  de  Phidias 
qu'on  a  admirée  à  l'exposition  universelle  de  1855, 
ce  splendide  essai  de  résurrection  de  la  statuaire 
chryséléphantine    commandé    par    le   duc    de 
Luynes  et  exécuté  sur  ses  indications.  La  fin  de 
cet  artiste  fut  des  plus  malheureuses.  Le  18  mai 
1857,  il  se  rendait  au  Palais  de  l'industrie,  où 
l'appelaient  ses  fonctions  de  membre  du  jury 
d'admission  ;  en  descendant  de  l'impériale  d'un 
omnibus  dans  l'avenue  des  Champs-Elysées,  il 
tomba,  et  se  blessa  grièvement  au  genou  ;  sa  bles- 
sure s'envenima,  et  il  expira  quelques  jours  plus 
tard ,  au  moment  d'accomplir  sa  cinquantième 
et  unième  année.  Il  était  depuis  1856  officier  de 

(1)  En  1832  elle  fut  élevée  à  1,000  fr.;  mais  en  partant 
pour  Rome  Simart  en  abandonna  le  montant  à  ses 
parents. 


1015 


SMART  —  SIMÉON 


la  Légion  d'honneur.  11  était  aimé  de  tous  ceux 
qui  l'approchaient,  et  qui  le  trouvaient  toujours 
prêt  à  les  aider  de  ses  conseils,  de  son  temps, 
de  sa  bourse.  E.  B — n. 

Beulé,  dans  la  Revue  des  deux  mondes,  1er  fév.  1856.  — 
Ch.  Lévèque,  Notice  sur  la  vie  et  les  œuvres  de  Simart  ; 
Paris,  1857,  ln-8°.  —  G.  Eyriès,  Simart,  statuaire;  Paris, 
1860,  in-8°.  —  Halévy,  Notice  sur  la  vie  et  les  ou- 
vrages de  Simart  ;  Paris,  1861,  in-4°.  —  Magasin  pitto- 
resque, t.  XXX. 

SIMÉON  Stylite  (1)  (Saint),  anachorète,  né 
vers  390,  à  Sisan,  sur  les  confins  de  la  Cilicie 
et  de  la  Syrie,  mort  le  1er  septembre  460.  Fils 
d'un  berger,  et  berger  lui-même,  il  entra  à  treize 
ans  dans  un  monastère,  où  quelques  frères  l'ini- 
tièrent à  la  connaissance  des  saintes  Écritures. 
Vivant  parmi  des  religieux  austères,  il  les  sur- 
passa tous  par  la  rigueur  de  ses  mortifications, 
de  sorte  que  le  supérieur,  dans  la  crainte  que  son 
exemple  ne  prévalût  sur  la  règle,  finit  par  le  ren- 
voyer. Après  avoir  vécu  trois  ans  dans  une  solitude 
dumontTélénisse,oùil  passa,  dit-on,  sans  manger 
les  quarante  jours  du  carême,  ce  qu'il  renou- 
vela ensuite  pendant  beaucoup  d'années,  il  s'en 
alla  sur  le  haut  d'une  montagne  de  Syrie,  et  s'y 
construisit  une  sorte  d'abri  avec  des  pierres 
entassées  les  unes  sur  les  autres.  Pour  se  sous- 
traire aux  importunités  des  gens  qui  venaient 
en  foule  lui  demander  la  guérison  de  leurs  maux, 
il  imagina  vers  423  d'établir  sa  demeure  sur  la 
plateforme  d'une  colonne,  qu'il  exhaussa  de  six 
à  douze,  à  vingt-deux ,  et  à  trente-six  coudées. 
La  plateforme  de  cette  colonne  n'avait  que  trois 
pieds  de  diamètre ,  avec  une  balustrade  assez 
haute.  On  ne  pouvait  y  être  couché ,  et  Siméon 
s'y  tenait  debout  la  nuit  et  le  jour.  Un  genre  de 
vie  si  extraordinaire  fut  en  général  regardé 
comme  un  trait  d'extravagance  ou  de  vanité.  De 
son  réduit  aérien  l'ascète  faisait  des  instructions 
au  peuple,  et  donnait  des  consultations.  Trois 
empereurs  chrétiens ,  Théodose  le  jeune,  Mar- 
cienetLéon  vinrent  le  voir.  Il  mourut  à  soixante- 
neuf  ans,  d'un  ulcère  d'où  sortaient  une  quantité 
de  vers.  Son  corps  fut  transporté  à  Antioche.  Les 
Latins  célèbrent  la  fête  de  Siméon  le  5  janvier. 
On  a  de  lui  une  Lettre  adressée  à  Théodose  le 
jeune  pour  le  détourner  de  rendre  aux  juifs  leurs 
synagogues,  et  insérée  dans  la  Bibl.  oriental. 
d'Assemani.  On  trouve  dans  le  t.  VII  de  la  Bibl. 
maxima  Patrumune  homélie  De  morte  assidue 
cogilanda,  laquelle  est  attribuée  à  Siméon  ainsi 
qu'à  saint  Macaire  d'Egypte,  à  saint  Ephrem  et 
à  Théophile  d'Alexandrie. 

Théodoret,  fjist.  ascetira,  cap.  26.  —  Ceillier,  fJist. 
des  auteurs  sacrés,  t.  XV,  p.  439.  —  Acta  sanctorum 
Januarii.  —  Muratori,  Acta  SS.  martyrum  orienta- 
lium.  —  Lautensach,  De  Simeone  Stylita;  Wittemberg, 
1700,  ln-4°.  —  Krebs,  De  stylitis;  Leipzig,  1753,  in-4°.  — 
Uhlcmann,  Simeo  das  furst  Stylita;  Leipzig,  1846,  in-8". 

siméon  de  Durham,  chroniqueur  anglais, 
mort  après  1130.  Il  enseigna  les  mathématiques 
à  Oxford,  et  fut  ensuite  prœcenlor  dans  la  ca- 
thédrale de  Durham.  On  lui  doit  une  Hislorïa 

(.0  De  cxûÀo;,  colonne. 


1016 

de  gestis  regum  Anglorum,  de  616  à  1129, 
continuée  jusqu'en  1156  par  Jean  d'Hexham,  et 
insérée  dans  Anglicanx  historiée  scriptores  X 
deTwysden  (Londres,  1652,  in- fol.)-  Ce  n'est 
le  plus  souvent  qu'une  reproduction  littérale  de 
la  Chronique  de  Florent  de  Worcester,  mort  en 
1118.  Siméon  est  aussi  l'auteur  d'une  lettre  De 
archiepiscopis  Eboraci,  et  il  a  donné  sous  son 
nom,  sans  y  rien  ajouter,  un  autre  ouvrage,  His- 
toria  de  dunelmensi  ecclesia,  impr.  dans  le 
recueil  de  Twysden,  et  qu'il  faut  rendre  entière- 
ment, ainsi  que  l'a  démontré  Selden,  à  Turgot, 
prieur  de  Durham,  mort  en  1115,  lequel  en  est 
le  véritable  auteur. 

Th.  Wright,  Biogr.  britannica  literaria,  t.  Ier. 
siméon  de  Polotzk,  né  à  Polotzk,  en  1628, 
mort  à  Moscou,  le  25  août  1680.  Moine  et  poëte, 
il  tient  une  place  honorable  dans  l'histoire  de 
l'Église  et  dans  celle  de  la  littérature  russe. 
Élevé  à  l'étranger,  il  fut  appelé,  après  la  prise 
de  Smolensk ,  par  le  tsar  Alexis  à  faire  l'édu- 
cation de  son  fils  aîné,  et  initia  le  Kremlin  au 
goût  des  lettres.  Il  composa  des  drames,  qui  y 
eurent  pour  interprète  principale  Sophie,  l'intelli- 
gente sœur  de  Pierre  Ier.  Quand  le  tsar  Théo- 
dore monta  sur  le  trône  (1676),  son  précepteur 
obtint  la  permission  de  fonder  une  imprimerie 
dépendante  du  palais.  Ce  fut  lui  qui  introduisit 
l'usage,  jusqu'alors  inconnu,  d'accorder  une 
grande  part  à  l'improvisation  dans  la  chaire.  Il 
forma  le  grand  dessein  de  réformer  l'Église. 
Soupçonné,  non  sans  motif,  de  tendances  catho- 
liques, il  fut  protégé  par  son  élève  contre  l'ani- 
madversion  du  patriarche  moscovite.  On  a  de 
Siméon  plusieurs  traités  religieux  et  poétiques; 
mais  la  plupart  de  ses  œuvres  demeurent  en- 
fouies dans  la  bibliothèque  ecclésiastique  de 
Moscou  et  dans  celle  de  Novgorod .      A.  G. 

Eugène,  Dict.  historique.  —  Stcbebalski,  La  Régence 
de  la  tzarivna  Sophie. 

siméon  (Joseph-Jérôme,  comte),  homme 
d'État  français  (1),  né  à  Aix  en  Provence,  le 
30  septembre  1749,  mort  à  Paris,  le  19  janvier 
1842.  Après  avoir  achevé  ses  études  au  collège 
du  Plessis,  à  Paris,  il  fit  son  droit  à  Aix,  et  fut 
reçu  avocat  (1769).  S'il  n'eut  pas  au  même  de- 
gré que  son  père  le  don  de  la  parole,  il  brilla 
par  la  netteté  de  l'esprit,  la  pénétration  du  ju- 
gement, la  force  de  la  dialectique,  et  les  causes 
qu'il  plaida  furent  si  nombreuses  qu'il  remplit 
de  sa  main  dix-neuf  volumes  in-folio  de  consul- 
tations et  de  plaidoyers.  Professeur  de  droit  à 
l'université  d'Aix  depuis  1778,  assesseur  de  Pro- 
vence en  1783,  il  accueillit  la  révolution  avec 
peu  de   sympathie.    Il  commença  par  refuser 

(1)  Siméon  (  Joseph-Sextius ) ,  son  père,  né  le  8  mai 
1717,  à  Aix,  où  il  est  mort,  le  6  avril  1788,  exerça  depuis 
1737  la  profession  d'avocat  dans  sa  ville  natale,  et  s'y  fit 
une  grande  réputation  par  un  beau  talent  oratoire  et 
une  connaissance  approfondie  des  lois.  11  fut  nommé  en 
1748  professeur  de  droit  et  en  1782  secrétaire  du  roi  en 
la  chancellerie  pour  le  parlement  de  Provence.  De  ses 
deux  fils,  l'un,  Pierre- Antoine ,  mourut  en  1190,  capi- 
taine du  génie;  sa  fille  épousa  Portails. 


1017 

d'adhérer  à  la  constitution  civile  du  clergé,  et 
perdit  sa  chaire.  Lorsque  les  girondins  appe- 
lèrent le  midi  aux  armes,  il  s'associa  au  mou- 
vement fédéraliste,  et  s'il  ne  voulut  point  siéger 
dans  l'assemblée  qu'on  devait  opposer  à  la  Con- 
vention, il  accepta  les  fonctions  de  procureur 
syndic,  qui  le  mettaient  à  la  tête  de  la  rébel- 
lion en  Provence.  Le  soulèvement  du  •midi  fut 
bientôt  comprimé.  Siméon,  mis  hors  la  loi,  s'em- 
barqua le  25  août  1793,  et  aborda  en  Italie,  où 
il  vécut  tantôt  à  Pise ,  tantôt  à  Livourne.  Les 
décrets  du  22  germinal  et  du  22  prairial  an  ni, 
qui  complétèrent  la  contre-révolution  du  9  ther- 
midor, lui  permirent  de  rentrer  en  France.  A 
peine  arrivé  à  Marseille,  il  reçut  des  représen- 
tants Isnard,  Cadroy  et  Chambon ,  l'ordre  de 
reprendre,  sous  peine  d'être  réputé  mauvais 
citoyen,  les  fonctions  de  procureur  syndic  du 
département,  et  de  travailler  à  arrêter  les  san- 
glantes représailles  de  la  réaction.  Sa  fermeté 
conciliante  contribua  beaucoup  à  calmer  les  es- 
prits. Appelé  à  siéger  au  conseil  des  Cinq-cents 
(1795),  il  prit  place  dans  les  rangs  des  modérés'. 
Son  premier  acte  fut  de  dénoncer  les  actes  arbi- 
traires de  Fréron  dans  le  midi  ;  il  fut  lui-même 
en  butte  à  des  attaques  passionnées,  et  le  cons- 
pirateur royaliste  La  "Villeheurnois  se  croyait 
en  droit  de  le  désigner  dans  ses  papiers  comme 
minisire  futur  de  Louis  XVIII.  Il  s'appliqua, 
autant  qu'il  le  put,  à  restreindre  l'action  popu- 
laire dans  les  questions  politiques  (1);  il  s'inspira 
surtout  des  traditions  parlementaires  dans  la 
discussion  des  lois  nouvelles  sur  le  jury,  le  di- 
vorce, le  droit  criminel  (2),  etc.  Il  présidait  le 
conseil  lors  du  coup  d'État  du  18  fructidor,  et  il 
protesta  avec  énergie  contre  l'envahissement  de 
l'assemblée  par  les  soldats  d'Augereau.  Inscrit 
sur  la  liste  de  déportation,  îl  erra  dix-huit  mois 
d'asile, en  asile;  mais  au  commencement  de 
1799,  le  Directoire  ayant  ordonné  à  ceux  des 
proscrits  qui  avaient  échappé  aux  poursuites  de 
se  rendre  à  l'île  d'Oléron,  sous  peine  d'être 
traités  en  émigrés,  Siméon  obéit,  et  il  occupa 
les  loisirs  de  sa  captivité  par  des  travaux  litté- 
raires. Le  18  brumaire  lui  rendit  la  liberté.  Ap- 
pelé à  la  préfecture  de  la  Marne,  il  refusa,  par 
raison  de  santé  ;  il  accepta  néanmoins  les  fonc- 
tions de  substitut  du  commissaire  près  le  tribunal 
de  cassation  (9  avril  1800),  et  fut  appelé  au  Tri- 
bunat,  le  28  avril  suivant.  L'autorité  consulaire 
eut  en  lui  un  défenseur  et  un  apologiste  constant. 
Par  sa  parole  mesurée,  prudente,  adroite;  par  sa 
connaissance  de  la  jurisprudence  et  sa  pratique 
des  affaires,  il  concourut  aux  actes  les  plus  im- 
portants de  cette  époque.  Son  rapport  sur  le 

(1)  Il  s'opposa  vivement  au  serment  de  haine  à  la 
royauté.  Après  les  élections  de  l'an  V,  qui  donnèrent  un 
avantage  si  marqué  au  parti  royaliste,  Siméon  accentua 
son  opposition  au  Directoire,  et  demanda  la  dissolution 
des  clubs  cl  la  répression  des  journaux. 

(2)  Ce  fut  sur  lçs  conclusions  du  rapport  de  Siméon 
que  l'assemblée  passa  à  l'ordre  du  jour  sur  le  message  des 
Dlecteurs  en  faveur  de  Lesurques  (26  octobre  1796  ). 


SIMÉON  1018 

concordat  a  été  regardé  comme  un  chef-d'œuvre  ; 
ses  travaux  dans  la  section  législative  du  Tribu, 
nat  pour  préparer  le  Code  civil ,  ses  discours 
pour  le  soutenir  devant  le  corps  législatif,  sont 
de  solides  commentaires  de  cette  grande  oeuvre. 
Au  mois  d'avril  1804,  lorsque  son  collègue 
Curée  eut  proposé  d'élever  Bonaparte  au  trône 
impérial,  Siméon,  tout  dévoué  à  l'ambition  du 
premier  consul ,  s'exprima  en  termes  plus  vifs 
et  moins  prudents  qu'il  n'en  avait  l'habitude. 
«  Opposerait-on,  dit-il,  la  possession  longue, 
mais  si  solennellement  renversée  de  l'ancienne 
dynastie;  les  principes  et  les  faits  répondent.  Le 
peuple ,  propriétaire  et  dispensateur  de  la  sou- 
veraineté, peut  changer  son  gouvernement... 
Le  retour  d'une  dynastie  détrônée,  abattue  par 
le  malheur  moins  encore  que  par  ses  fautes, 
ne  saurait  convenir  à  une  nation  qui  s'estime... 
Ne  sont-ils  pas  coupables  ceux  qui,  portant 
de  contrée  en  contrée  leur  ressentiment  et  leur 
vengeance,  excitèrent  cette  coalition  qui  a  coûté 
tant  de  pleurs  et  de  sang  à  l'humanité  gémis- 
sante?.. »  L'empereur  appela  Siméon  au  conseil 
d'État  (1804),  et  le  nomma,  en  1807,  avec 
Beugnot  et  Jollivet,  l'un  des  trois  commissaires 
qui  devaient  présider  à  la  formation  du  royaume 
de  Westphalie.  Le  royaume  établi ,  Siméon  fut 
chargé  des  ministères  de  l'intérieur  et  de  la  jus- 
tice, ainsi  que  de  la  présidence  du  conseil  d'État 
(7  décembre  1807),  En  peu  de  temps,  il  orga- 
nisa tout  le  système  judiciaire,  fit  appliquer  le 
Code  civil,  et  tâcha,  dans  ses  circulaires,  de  dé- 
montrer aux  Westphaliens  les  avantages  que 
leur  apportaient  la  division  régulière  des  terri- 
toires, l'égale  répartition  de  l'impôt,  la  liberté 
des  cultes,  la  destruction  des  privilèges.  Après 
avoir  résidé  à  Berlin  comme  ministre  plénipo- 
tentiaire de  Westphalie,  et  avoir  rempli  la  même 
mission  près  la  confédération  du  Rhin,  il  fut 
ramené  en  France  par  les  revers  de  1813.  Il 
reconnut  sans  hésiter  le  gouvernement  des 
Bourbons,  et  il  accepta  la  préfecture  du  Nord 
(mai  1814).  Pendant  les  cent-jours,  le  dépar- 
tement des  Bouches-du -Rhône  l'envoya  à  la 
chambre  des  représentants,  où  il  garda  le  si- 
lence. Après  Waterloo,  il  représenta  les  électeurs 
du  Var  dans  la  chambre  des  députés,  et  se  mon- 
tra opposé  aux  exagérations  du  parti  royaliste. 
Le  24  août  1815  il  devint  conseiller  d'État,  et 
soutint  à  la  chambre  des  pairs,  en  qualité  de 
commissaire  du  roi,  la  politique  du  ministère 
Decazes.  Il  était  inspecteur  général  des  écoles 
de  droit  (7  mai  1819)  lorsque,  le  24  janvier  1820, 
il  devint  sous-secrétaire  d'État  au  département 
de  la  justice.  Le  21  février  suivant  il  remplaça 
Decazes  au  ministère  de  l'intérieur,  et  fut  chargé 
de  présenter  les  projets  de  loi  contre  la  presse, 
contre  la  liberté  individuelle  et  contre  la  loi 
d'élection  du  5  février  1817,  qu'il  modifiait  par 
l'établissement  du  double  vote.  Obligé  de  se  re- 
tirer avec  ses  collègues  (  14  décembre  1821  ),  il 
reçut  le  titre  de  ministre  d'État  et  membre  du 


1019 


SIMÊON  —  SIMEOK1 


1020 


conseil  privé.  Le  roi  l'avait  nommé  pair  le 
25  octobre  précédent.  Après  la  révolution  de 
1830,  il  reconnut  le  nouveau  gouvernement,  et 
garda  son  siège  dans  la  chambre  haute,  où  il  se 
montra  jusqu'à  la  fin  fort  exact  et  laborieux. 
Le  29  décembre  1832,  l'Académie  des  sciences 
morales  et  politiques  l'admit  au  nombre  de  ses 
membres.  Enfin  le  27  mai  1837  il  succéda  à 
M.  Barthe  dans  la  présidence  de  la  cour  des 
comptes,  et  se  démit  de  ces  fonctions  le  31  mars 
1839.  «  On  le  voyait  à  quatre-vingt-douze  ans, 
dit  M.  Mignet,  se  rendre  à  pied  et  d'un  pas 
ferme  encore,  à  l'Institut  ou  à  la  chambre  des 
pairs,  prendre  part  à  leurs  travaux,  se  livrer 
avec  une  infatigable  obligeance  aux  démarches 
qui  devaient  servir  les  désirs  ou  les  intérêts 
d'autrui,  et  le  soir  paraître  dans  le  monde,  où, 
presque  toujours  debout ,  le  visage  serein ,  le 
regard  animé,  il  se  mêlait  aux  divers  entretiens 
et  y  portait  les  agréments  d'un  esprit  vif  et 
orné,  les  ressources  d'une  expérience  instructive 
et  indulgente.  »  Siméon  avait  été  créé  baron  par 
Napoléon  (1808)  et  comte  par  Louis  XV11I 
(1815).  On  a  de  lui  :  Éloge  de  Henri  IV;  Aix 
et  Paris,  1769,  in-8°;  —  Choix  de  discours 
et  d'opinions  ;  Paris,  1824,  in-8°  ;  —  Sur  l'om- 
nipotence du  jury;  Paris,  1829,  in-8°;  — 
Discours  prononcé  à  Poccasion  du  décès  de 
M.  de  Barbé-Marbois  ;  Paris,  1838,  in-8°.  Il 
a  fait  insérer  dans  le  Recueil  de  l'Académie  des 
sciences  morales  un  Mémoire  sur  le  régime 
doial  et  le  régime  en  communauté  dans  le 
mariage  (1837).  J.  M — r— l. 

Mignet,  notices  et  portraits,  t.  II.  —  Portalis,  Dis- 
cours prononcé  à  la  chambre  des  pairs,  le  10  mars  1843. 
—  Sarrut  et  Saint-Edme,  Biogr.  des  hommes  du  jour, 
t.  I.  —  Rabbe,  Vieilli  de  Boisjolin  et  Sainte-Preuve, 
Biogr.  univ.  et  portât,  des  contemp. 

siméojs  (Joseph- Balthazar,  comte),  homme 
politique,  fils  du  précédent,  né  à  Aix,  le  6  jan- 
vier 1781,  mort  à  Dieppe,  le  14  septembre  1846. 
D'abord  élève  aux  affaires  étrangères  (janvier 
1800),  il  fut  attaché  à  Joseph  Bonaparte  au  con- 
grès de  Lunéville,  secrétaire  à  Florence,  puis  à 
Rome,  et  chargé  d'affaires  à  la  cour  de  Stuttgard. 
Depuis  1807  il  représenta  le  nouveau  roi  de 
Westphalie  à  Berlin,  à  Darmstadt,  à  Francfort  et 
à  Dresde.  Il  adhéra  au  retour  de  Louis  XVIII,  et 
fut  appelé,  le  12  juillet  1815,  à  la  préfecture  du 
Var,  puis  à  celle  du  Doubs  (27  mars  1818)  et  à 
celle  du  Pas-de-Calais  (10  juillet  1818),  qu'il  garda 
jusqu'au  1er  septembre  1824,  puis  il  fut  révoqué 
par  Corbière.  Dans  l'intervalle,  il  reçut  le  titre 
de  gentilhomme  honoraire  de  la  chambre  et  de 
maître  des  requêtes  au  conseil  d'État  (1821).  A 
l'avènement  du  ministère  Marlignac ,  il  reçut  la 
direction  générale  des  beaux  arts  (13  janvier 
1828)  et  devint  conseiller  d'État  (26  août  1829). 
L'avènement  du  ministère  Polignac  lui  fit  quitter 
sa  direction;  mais  la  révolution  de  Juillet  le  main- 
tint dans  ses  fonctions  au  conseil  d'État.  11  entra 
dans  la  chambre  des  pairs  le  11  septembre 
1835,  prit  une  part  active  aux  discussions,  et 


remplit  plusieurs  fois  l'office  de  rapporteur,  no- 
tamment sur  la  loi  de  la  propriété  littéraire. 
Des  raisons  de  santé  lui  firent  en  1842  deman- 
der sa  retraite,  et  de  juillet  1845  à  juin  1846  il 
voyagea  en  Italie.  A  peine  de  retour,  il  alla 
prendre  les  bains  de  mer  de  Dieppe,  et  y  mourut. 
11  fut  membre  de  la  Société  des  antiquaires  de 
France  (1829)  et  membre  libre  de  l'Académie  des 
beaux-arts  (23  août  1828).  Siméon  aimait  les 
beaux-arts  et  les  cultivait  avec  goût.  Il  pei- 
gnaitet  gravait  à  l'eau-forte.  Ami  de  Granetetde 
de  Forbin,  connaisseur  éclairé,  il  avait  su  avec 
des  moyens  bornés  se  créer  une  collection  re- 
marquable délivres,  de  tableaux,  de  gravures  et 
de  médailles.  On  a  de  lui:  Notice  sur  les  usages 
et  le  langage  des  habitants  du  Haut-Pont, 
faubourg  de  Saint-Omer ;  Paris,  1821,  in-8°; 
—  des  Rapports  faits  à  la  Chambre  des  pairs  ;  — 
un  Éloge  du  baron  de  Morogues,  et  une  Notice 
sur  le  comte  de  Forbin. 

Biogr.  univ.  et  port,  des  contemp.  —  Moniteur  uni- 
versel, 1846,  p.  2417. 

SIMÉON.   Voy.    MÉTAPHRASTE. 

simeoni  (1)  (Gabriello),  littérateur  italien, 
né  le  25  juillet  1509,  à  Florence,  mort  en  1575, 
à  Turin.  Dès  l'enfance  il  montra  des  dispositions 
brillantes  pour  apprendre,  et  à  six  ans  il  fut  pré- 
senté au  pape  Léon  X,  qui  promit  de  veiller  à 
sa  fortune;  on  ne  voit  pas  que  cette  promesse  ait 
eu  aucun  effet.  La  vie  de  Simeoni  n'offre  qu'une 
suite  de  tribulations  et  d'orages.  Quoi  qu'il  fit  et 
malgré  les  talents  les  plus  divers,  «  il  ne  put 
parvenir,  dit  Ginguené,  à  vaincre  sa  mauvaise 
étoile,  qui  était  dans  son  caractère  hautain,  ca- 
pricieux, exigeant  et  insupportable.  Il  resta  tou- 
jours pauvre,  toujours  accusant  dans  ses  écrits 
les  hommes  et  la  forlune,  et  toujours  se  don- 
nant à  lui-même  les  éloges  les  plus  outrés.  » 
Son  éducation  se  fit  dans  sa  patrie.  A  dix-neuf 
ans  il  fut  attaché  avec  Giannotti  à  l'ambassade 
florentine  envoyée  à  la  cour  de  François  Ier,  et 
n'eut  point  de  peine  à  être  bien  vu  de  ce 
prince  en  composant  beaucoup  de  vers  pour  la 
duchesse  d'Étampes,  sa  maîtresse;  en  1534  il  en 
obtint  une  pension  de  mille  écus  pour  une  élé- 
gie sur  la  paix  qui  venait  d'être  conclue  ;  mais 
il  en  fut  bientôt  dépouillé,  et  le  dépit  de  n'être 
pas  indemnisé  de  cette  perte  le  conduisit  en  An- 
gleterre; il  y  demeura  quelques  années,  et  repa- 
rut en  t539  à  Florence.  La  gêne  où  il  était  ré- 
duit le  força  d'accepter  dans  l'administration  du 
grand-duc  un  emploi  subalterne.  En  1542  il  se 
remit  à  courir  le  monde,  résida  tour  à  tour  à 
Rome,  à  Ravenne,  à  Venise,  poussa  jusqu'à 
Lyon  (1547),  et  revint  en  Piémont,  où  le  prince 
de  Melfi,  qui  gouvernait  pour  le  roi  de  France, 
lui  accorda  un  grade  militaire.  La  mort  de  ce 
protecteur  le  laissa  de  nouveau  sans  ressources 
(1550).  Il  s'attacha  au  fils  de  ce  dernier,  An- 
tonio Caracciolo,  l'accompagna  dans  la  Mau- 
rienne,    dont  il  a  tracé    une  fidèle   descrip- 

(1)  Il  a  souvent  écrit  son  nom  Symeoni. 


1021 


SIMEONI  —  SIMIANE 


1022 


tion,  puis  à  Troyes;  à  force  de  sollicitations  et 
d'éloquence,  il  réussit  à  le  réconcilier  avec  le 
saint-siége,  contre  lequel  ce  jeune  prélat  était  entré 
en  guerre  ouverte;  mais  ce  raccommodement 
déplut  si  fort  au  chapitre  de  la  ville,  qu'on  l'ac- 
cusa de  partager  les  sentiments  hérétiques  de 
l'évêque,  et  qu'il  fut  retenu  dans  un  cachot  du- 
rant tout  un  hiver.  A  peine  libre  (1556), il  suivit 
le  duc  de  Guise  dans  l'inutile  expédition  d'Italie 
(1557),  et  repassa  les  monts  avec  lui.  11  s'ar- 
rêta de  nouveau  à  Lyon,  se  lia  avec  l'impri- 
meur Roville,  et  y  publia  plusieurs  ouvrages 
d'érudition  et  d'histoire,  dont  il  lirait  un  assez 
bon  parti.  L'évêque  de  Clermont,  Guillaume  Du- 
prat,  qui  l'avait  emmené  au  concile  de  Trente, 
l'appela  plusieurs  fois  auprès  de  lui  et  le  chargea 
de  décrire  la  Limagne  et  les  curiosités  de  Royat. 
Enfin  Simeoni  trouva  pour  sa  vieillesse  le  repos 
et. un  abri  à  la  cour  du  duc  Emmanuel- Philibert 
de  Savoie.  Il  n'avait  guère  moins  de  confiance 
dans  son  propre  mérite,  de  faste  dans  ses  ma- 
nières et  d'avidité  pour  l'argent  que  l'Arétin,  qu'il 
célébra  et  dont  il  fut  l'ami.  Par  son  orgueil,  il 
s'était  exposé  aux  extrémités  les  plus  fâcheuses, 
et  il  était  enivré  de  son  savoir,  qui  n'était  pas 
considérable  pourtant,  au  point  de  parler  en  ces 
termes  de  lui-même  : 

Ipse  animo  saltem  vixi  nec  regibus  lmpar. 

Ses  principaux  ouvrages  écrits  en  italien  et  en 
français  sont  :  Commentarj  sopra  alla  tetrar- 
chia  di  Vinegia,  di  Milano,  di  Mantova  e  di 
Ferrara;  Venise,  1546,  in-8<>  :  cet  abrégé  su- 
perficiel a  été  traduit  en  français  par  l'auteur 
(  Epitome  du  duché  de  Ferrare;  Paris ,  1553, 
in-8°)  et  le  reste  par  Corrozet;  —  Le  III  parti 
del  Campo  de'  primi  studj  di  G.  Simeoni; 
Yenise,  1546,  in-12  :  mélanges  en  prose  et  en 
vers;  —Satire  alla  berniesca,  ed  allre  rime  ; 
Turin,  1549,  in-4°;  —  Interprétation  grecque, 
latine,  toscane  et  française  du  Monstre,  ou 
énigme  d'Italie;  Lyon,  1555,  in-8°  :  ce 
monstre,  c'est  l'Italie,  à  la  conquête  de  laquelle 
l'auteur,  plus  courtisan  que  patriote,  invite  le  roi 
Henri  II;  —  De  la  Génération,  nature,  etc., 
des  comètes;  Lyon,  1556,  in-8°;  —  Illustres 
observations  antiques;  Lyon,  1558,  pet.  in-4°, 
fig.  :  ila,  sous  ce  titre,  décrit  son  voyage  de  1557 
en  Italie  et  en  Provence;  la  plupart  des  monu- 
ments dont  il  parle  sont  faux  ou  modernes;  — 
Livre  Ier  de  César,  renouvelé  par  des  ob- 
servations militaires;  Paris,  1558,  in-8°;  le 
livre  II,  impr.  en  1570,  est  de  Fr.  de  Saint- 
Thomas;  —  Vit  a  e  metamorfoseo  (sic)  d'O- 
vidio ,  in  forma  d'epigrammi;  Lyon,  1559, 
1584,  in-4%  avec  des  vignettes  gravées  par  le 
petit  Bernard  ;  —  Devises  et  emblèmes  hé- 
roïques et  morales;  Lyon,  1559,  in-4",  fig.;  le 
texte  italien  a  paru  en  même  temps  :  Imprese 
eroiche;  ibid.,  1559,  in-4°,  et  a  été  traduit  en 
français,  en  latin  et  en  espagnol  ;  —  Dialogo 
pîo  e  speculativo ;  Lyon,  1560,  in-4°,  fig.jtrad. 


par  Chappuis,  sous  le  titre  de  Description  de 
la  Limagne  d'Auvergne;  ibid.,  1561,  in-4", 
avec  une  grande  carte;  —  Figure  délia  Bi- 
blia,  illuslrale  di  stanze  toscane;  Lyon, 
1565,  in-8°;  Venise,  1574,  in-8°. 

Mencke,  Dissert,  litterarix ,  p.  SIS,  —  Manni,  fet/lie 
piacevoli,  t.  Il,  p.  80.  —  tiiuguené,  IJist.  titter.  de  l'I- 
talie, t.  IX,  p.  S17-225. 

simiane   (Charles  -  Emmanuel- Philibert- 
Hyacinthe  de),  marquis  de  Punesse,  né  en 
1608,  mort  à  Turin,  en  juillet  1677.  Issu  d'une 
ancienne  maison  de  Provence,  il    était  le  fils 
unique    de  Charles  de  Simiane ,  gouverneur  de 
Savoie,  et  de  Mathilde,  sœur  naturelle  du  duc 
Charles-Emmanuel  Ier,  qui  fut  son  parrain.  Après 
avoir  signalé    sa  valeur  dans   les  guerres  du 
Montferrat  et  du  pays  de  Gênes,  il  fut  envoyé 
en  1631  en  ambassade  à  Vienne,  et  obtint  de 
l'empereur  Ferdinand  II,  avec  les  investitures 
ordinaires,  celle  d'une  partie  du  Montferrat,  que 
le  traité  de  Cherasco  venait  d'accorder  au  duc 
de  Savoie.  La  guerre  s'étant  rallumée  en  Italie,  il 
servit  de  nouveau ,  et  gagna  par  des  exploits 
souvent  téméraires  le  grade  de  colonel  général 
de  l'infanterie.  Pendant  la  régence  de  Christine 
de  France,  il  présida  le  conseil,  et  fit  paraître 
dans  toute  sa  conduite  une  capacité  et  des  ta 
lents  administratifs    qui  lui  acquirent  l'estime 
générale.  Suffisant  à  tout,  on  le  vit  même  en 
personne  surprendre  et  emporter  d'assaut  la 
place  forte  de  Verrue ,  puis  se  mettre  à  la  tête 
des  troupes  chargées   de  combattre   les  sujets 
rebelles  des  vallées  d'Angrogne  et  de  Lucerne; 
Son  zèle  pour  la  religion  lui   ayant  fait  com- 
prendre le  néant  des  grandeurs  humaines,  il 
quitta  la  cour,   résigna  toutes  ses   charges,  et 
s'enferma  dans  le  monastère  de  Saint-Pancrace 
(1667),  dont  il  était  fondateur.  Son  dessein  était 
d'achever  ses  jours  dans  la  retraite;  mais  le  duc 
Charies-Emmanuel  II  parvint  à  le  faire  revenir  à 
Turin,  où  il  entra  néanmoins  dans  la  maison  des 
prêtres  de  la  Mission.  Il  n'en  sortait  que  lorsque 
le  duc  l'appelait  dans  son  conseil  pour  donner 
ses  avis  sur  les  affaires  de  l'État,  et  c'est  là  qu'il 
mourut,  au  milieu  des  exercices  de  la  piété  et  de 
la  charité.  On  a  de  lui  :  Piissimi  in  Deum  af- 
fectus  cordis,  ex  divi  Augustini  Confessioni- 
bus  delecti;  Paris  (s.  d.  ),  in-12;  —  Traité  de 
la  vérité  de  la  religion  chrétienne,  composé 
en  italien,  traduit  en  français,  par  le  P.   Bou- 
hours  (Paris,  1672,  in-12).  Il  laissa   en  ma- 
nuscrit un  Traité  généalogique  de  la  maison 
de  Simiane. 

Préface  du  P.  Bouhours,  à  la  tête  du  Traité  de  la 
Vérité  —  Morérl,  Dict.  hist.,  édit.  1759.  —  Mercure  de 
France,  Juillet  1677. 

simiane  (.Pai^ine  d'Aduémar  DE  Monteil  DE 
Grignan,  marquise  de),  née  à  Paris,  le  16  août 
1674,  morte  à  Aix  ,  le  2  juillet  1737.  Fille  du 
comte  de  Grignan  et  de  M"ede  Sévigné,  filleule 
du  cardinal  de  Retz,  une  destinée  brillante  sem- 
blait s'offrir  à  la  jeune  Pauline,  que  sa  vive 
intelligence  appelait  à  continuer  les  traditions  de 


1023 


SIM  I  ANE 


1024 


sa  famille.  Il  n'en  a  pas  été  ainsi,  et  il  faut 
chercher  les  causes  de  cette  demi-obscurité  où 
Mme  de  Simiane  s'est  volontairement  effacée, 
dans  le  besoin  de  repos  et  de  silence.  Dès  son 
heureuse  enfance,  on  devine  déjà  chez  elle  une 
âme  facile  à  troubler,  par  quelques  indices  de 
cette  inégalité  d'humeur,  seul  défaut  que  les  amis 
de  MITje  de  Simiane  eussent  à  lui  reprocher,  et 
qui  provenait  d'une  trop  grande  sensibilité. 
Mnie  de  Sévigné,  avec  un  discernement  exquis, 
comprenait  ainsi  le  caractère  de  sa  petite-tille , 
et,  de  loin,  donnait  des  conseils  dont  la  sagesse 
devait  tempérer  les  principes  sévères  de  Mme  de 
Grignan.  Celle-ci,  après  huit  ans  de  séparation, 
retrouve,  en  1688,  Pauline  difficile  à  gouverner, 
et  songe  à  la  remettre  dans  les  mains  des  reli- 
gieuses d'Aubenas,  à  qui  elle  l'avait  confiée  du- 
rant son  absence.  C'est  alors  que  l'aimable 
grand-mère  combat  cette  idée  en  présentant  à 
Mme  de  Grignan  ses  devoirs  maternels  comme 
une  tâche  pleine  d'intérêt;  elle  réussit  à  gagner 
sa  cause.  La  jeune  fille  reste  auprès  de  ses  pa- 
rents, et  égayé,  par  sa  grâce  et  sa  vivacité,  le 
somptueux  séjour  de  Grignan.  «  Son  esprit  sera 
sa  dot,  »  disait  sa  grand'mère.  C'est  qu'en  effet 
il  fallait  faire  valoir  celte  considération  auprès 
de  Mme  de  Grignan,  inquiète  de  l'avenir.  Déjà, 
trois  de  ses  filles  ou  belles-filles  s'étaient  faites 
religieuses;  il  ne  restait  que  Pauline,  Mlle  de 
Mazargues,  pour  qui  il  semblait  difficile  de 
trouver  un  bon  parti.  Cependant  elle  fut  mariée 
d'assez  bonne  heure,  et  épousa,  le  29  septembre 
1695,  au  retour  d'un  voyage  à  Paris  qu'elleavait 
fait  avec  sa  mère ,  Louis  de  Simiane  du  Claret, 
marquis  de  Truchenu  et  d'Esparron,  premier 
gentilhomme  de  la  chambre  du  duc  d'Orléans, 
lieutenant  des  gendarmes  écossais, qui  succéda 
en  1715  à  son  beau-père  dans  la  charge  de  lieu- 
tenant général  de  Provence.  Mme  de  Simiane  fut 
nommée  dame  de  compagnie  de  Mraela  duchesse 
d'Orléans, et  resta  à  la  cour  jusqu'en  1704. La  perte 
de  son  frère  et  de  sa  mère ,  qui  moururent  en 
1704  et  en  1705,  la  mort  de  son  mari,  arrivée  en 
1718,  les  procès  qu'il  lui  fallut  soutenir  contre 
les  créanciers  de  son  père,  achevèrent  d'attris- 
ter son  existence,  et  lui  firent  prendre  le  parti  de 
ne  plus  sortir  de  sa  retraite.  Une  seule  fois  nous 
la  voyons  encore  au  nombre  des  quatre  dames 
choisies  pour  accompagner  à  Antibes  Mue  de  Va- 
lois, fille  du  régent,  qui  allait  épouser  le  duc  de 
Modène.  Elle  éleva  et  maria  deux  de  ses  trois 
filles,  Sophie,  au  marquis  de  Vence,  dont  la  pos- 
térité existe  encore,  et  Julie- Françoise,  au 
marquis  de  Castellane. 


C'est  dans  sa  terre  de  Belombre,  près  d'Aix, 
que  Mine  de  Simiane  passa  ses  dernières  années, 
très  -  recherchée  par  quelques  amis  fidèles, 
parmi  lesquels  on  distingue  Massillon  et  le  mar- 
quis d'Héricourt ,  intendant  de  la  marine  à  Mar- 
seille, à  qui  sont  adressées  presque  toutes  les 
lettres  que  l'on  possède  d'elle.  Cette  correspon- 
dance ne  comprend  que  les  dernières  années  de 
sa  vie  (1731  à  1737).  11  n'y  faut  pas  chercher 
l'intérêt  et  la  variété  des  lettres  de  son  aïeule, 
mais  un  esprit,  au  fond  solide  et  sérieux,  l'ai- 
sance d'une  femme  du  monde,  et  elles  donnent 
l'idée  d'un  commerce  agréable.  Il  y  a  loin  de  là  à 
ces  lettres  de  la  jeune  Pauline,  dont  sa  grand'- 
mère disait  :  «  Mme  de  La  Fayette  en  oublia 
l'autre  jour  une  vapeur  dont  elle  était  suffoquée.  » 
Mais  c'est  que  la  transition  d'une  jeunesse  bril- 
lante à  une  existence  austère  et  dépouillée  s'est 
faite  par  des  années  de  souffrances  et  de  tracas- 
series, parmi  lesquelles  on  doit  compter  dix 
années  employées  à  plaider.  On  cite  quelquefois 
ces  vers  qu'elle  adressa  à  un  de  ses  juges  : 

Lorsque  j'étais  encor  cette  jeune  Pauline, 

J'écrivais,  dit-on,  joliment; 
Et  sans  me  piquer  d'être    une  beauté  divine. 

Je  ne  manquais  pas  d'agrément. 

Mais  depuis  que  les  destinées 
M'ont  transformée  en  pilier  de  palais, 

Que  le  cours  de  plusieurs  années 

A  fait  insulte  à  mes  attraits, 

C'en  est  (ait,  à  peine  je  pense; 

Et  quand,  par  un  heureux  succès 

Je  gagnerais  tout  en  Provence, 

J'ai  toujours  perdu  mon  procès. 

On  a  encore  quelques  pièces  de  vers  de  Minc  de 
Simiane,  ainsi  qu'une  allégorie  en  vers  et  en  prose, 
adressée  à  sa  cousine,  la  présidente  de  lîandol, 
sous  ce  titre  :  Le  Cœur  de  Loulou,  qui,  en 
1715,  avait  paru  dans  un  recueil  intitulé  Porte- 
feuille de  Mme  ***.  Elle  se  délassait  dans  ces 
simples  exercices  de  l'esprit,  sans  prétendre  à 
aucune  réputation  littéraire.  Ses  Lettres,  après 
la  publication  qu'en  fit  La  Harpe  (Paris,  1773, 
in-12)  reparurent  dans  l'édition  de  Grouvelle 
des  Lettres  de  Mme  de  Sévigné,  et  se  retrou- 
vent dans  toutes  les  éditions  suivantes.  C'est 
à  Mn>e  de  Simiane  qu'on  doit  la  publication  des 
lettres  de  sa  grand'mère;  mais,  cédant  à  des 
scrupules  de  délicatesse  plutôt  que  de  dévotion, 
comme  on  l'a  dit,  elle  anéantit  en  grande  partie 
la  correspondance  de  sa  mère ,  où  devaient  se 
trouver  des  détails  intimes  dont  elle  redoutait 
la  publicité.  Mme  c.  du  Parquet. 

Notice  sur  Mme  de  Simiane,  par  le  chevalier  de  Perrln, 
éd.  de  Grouvelle,  Paris,  1806.  —  Mémoires  de  Saint-Si- 
mon, t.  XVII,  p.  409.  —  Histoire  de  Mme  de  Sévigné,  de 
sa  famille  et  de  ses  amis,  par  J.-Ad.  Aubenas. 


FIN  DU   QUABANTE-TROISIEME  VOLUME.