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Full text of "Nouvelle collection des mémoires pour servir à l'histoire de France, depuis le Xllle siècle jusqu'à la fin du XVllle; précédés de notices pour caractériser chaque auteur des mémoires et son époque; suivis de l'analyse des documents historiques qui s'y rapportent;"

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NOUVELLR  COLLECTION 


DES 


MEMO!  RES 


POUR    SERVIR 


A  L'HISTOIRE  DE  FRANCE. 


TROISIEME  SERIE. 

in. 


NOUVELLE    COLLECTION 


UES 


MEMOIRES 


poun  SEitviit 


A  L'HISTOIRE   DE   FRANCE, 

DEPUIS  LE  XIII'  SifiCLE  JUSQU'A  LA  FIN  DU  XVIII'; 

I'recedes 

DE    NOTICES    POUR    CARACTEKISER    CHAQUE    AUTEUR    DES    WEMOIRES    ET    SON    EPOQUE; 

Suivis  de  I'analyse  des  documents  historiques  qui  s'y  rapportent; 

I'AU    MM.    MICHAUD    de   l'aCADEMIE   FRA>CAISE   ET   POUJOULAT. 

TOME  TROISIEME. 

BBIENNE,   MOMTEESOR,    FONTRAILLES  ,   LA    CHATRE,    TURENNE,    DUG    d'YORCK; 
PAR  MM.  CHAMPOLLION-FIGEAC  r.T  Aime  CHAMPOLLION  fils. 


A    PARIS, 

CHEZ  L'EDITEUR  DU  COMMENTAIRE  ANALYTIQUE  DU  CODE  CIVIL, 

HUE   DES   PETITS-ACGUSTIN9,    N°  24. 

I.MI'lUMt^lllE    DtDOlAIlD     l'R()L'\     FT    rOlIP',    T.Vr.    A  F.UVE-nF.S-nO>S-F,l\FA>TS  .    >.    3. 

i  8;^8 


DC3 

Sen.. 3 

V.3 


MEMOIRES 

DU    GOMTE    DE    BRIENNE, 

MINISTRE  ET  SECRETAIRE-D'ETAT, 

CO?<TKNANT 

LES   EVENEME.NS   LES  PLUS   UEMAKQUABLES    PU   KEGNE  DE   LOUIS  XMI, 
ET    CEUX   DU   HEGNE    DE   LOUIS   XIV   JUSQU'a    LA    INIOUT    DU    CAKDINAL    MAZAUIIS; 

nULlKS     AVEC    DES    ADDITIONS   INEDITES  TIREES   DE   MANCSCRITS     AUTOGRAPHES , 

Pak  mm.  CHAMPOLLION-FIGEAC  ft  Aimk  CHAMPOLLION  fiis. 


NOTICE 


SUR    LE     COMTE    DE    BRIENNE 


F/l'  SUR  Si:S  MEMOIRES. 


Lc  coiule  de  Brienne^crivltscsM^moircs  pour 
rinslruclion  de  ses  enfaiits.  On  pourrail  done 
s'allentlre  a  y  trouver,  sur  les  iiegociations  donl 
il  fut  charg^,  loules  les  parliculariles  qui  au- 
raienl  6(6  pour  eux  d'utiles  lecoiis,  et  pour  nous 
«les  reveladous  piquanles.  Cependanl  ,  quoique 
I'auleur  ne  nionlre  pas  dans  ses  M6iuoires  les 
iscnlimenls  de  cominande  que  Ton  est  convenu 
(I'appeler  reserve  diplomalique .  il  y  garde  un  re- 
ligieux  silence  sur  les  secrels  d'etat.  Des  nego- 
ciations  imporlantes  essay6es  a  plusieurs  6po- 
ques,et  qui  furent  long-temps  I'objetdesessoins, 
y  sont  quelquefois  a  peine  indiquees.  Peut-6(re 
Krienne  a-t-il  peus6  qu'en  ne  cherchant  point  a 
se  deguiser  a  lui-nieme  la  gravite  des  circonstan- 
ces  et  la  difficulle  des  alTairesqn'il  eut  a  suivre 
t>u  a  diriger,  il  suffisait,  pour  les  faire  bien  con- 
nailre,  de  les  pr6seuler  sous  leur  veritable  jour. 
D'ailleurs  il  a  pu  croire  que  pour  ses  fils,  uour- 
ris  aux  affaires  des  leur  plus  (endre  jcunesse,  un 
mot  qui  r6veillerait  leurs  souvenirs,  serait  sou- 
vent  plus  instruclif  que  de  longues  et  minulicu- 
ses  narrations.  II  est  done  probable  qu'il  s'est 
uniquement  propos6  de  rapporter  les  principaux 
6venemenls  arrives  sous  Louis  XIII  e(  durant  le 
regne  <!e  Louis  XIV  jusqu'a  I'annee  1G61.  Si  aux 
details  qu'il  donne  il  avait  a  en  ajouler  d'aulres 
qu'il  se  reservait  de  communiquer  a  Taine  de  ses 
enfaiits  ,  lequel  devait  lui  succ6der  comrae  il  avait 
lui-mesne  succ6d6  a  son  pere,  ces  details  myste- 
rieux  ,  transniis  de  p6re  en  fils ,  ont  et6  avec  eux 
ensevelis  dans  la  tombe. 

Henri-Auguste  de  Lom6nie,  sieurde  La  Ville- 
aux-Clercs,  conite  de  Brienne,  etc.,  6(ait  fils 
d'Anloine  de  Loni6uie,  secretaire  d'Etat  du  roi 
Henri  IV,  buguenot  converti  par  les   soins  du 

(1)  Lc  p6re  Senauit,  Oraison  funebre  du  comle  de 
r.riennc. 

[2)  La  belle  collection  des  manuscrits  de  Brienne  se 
compose  de  360  volumes  .  contenant  des  trait^s  de  paix, 
flcs  negocialions ,  des  relations  d'ambassades,  des  me- 
inoires  et  instruclions  aux  ambassadcurs  et  ministrcs  du 
roi ,  etc.  El!c  fut  form^e  par  les  soins  d'Anloine  de  Lo- 
iiiiiiie,  rangde  ct  mise  rn  ordre  par  Pierre  Dupuy.  sous 
l.Mlirecliini  duqucl  cllf  fut  lrans(  rile  ,  pour  en  former 
unc  suite  de  volumes.  Anloine  de  Lom^nie  abandonna, 
(!it-on,  a  Pierre  Dupuy  lous  les  documents  originaux,  en 


R.  P.  Colon;  son  aVeul ,  Martial  de  Lom6nie, 
sieur  de  Versailles,  greffier  du  conseil,  avait  6t6, 
selon  une  tradition,  tu6  k  la  Saint-Bartb6lemy 
comme  protestaut,  ou,  selon  une  autre,  6lrangl6 
dans  les  prisons  du  Chatelet,  a  I'instigatiou  du 
mar6cbal  de  Retz  qui  voulait  avoir  ses  terres.  La 
m6re  de  Henri-Auguste  de  Lom6nie  6lait  Anne 
Aubourg  de  Porcbeux ;  ce  fut  elle  qui  intro- 
duisit  la  religion  catbolique  romaine  dans  la  fa- 
mille  de  son  raari ,  61ev6e  dans  les  croyances  du 
prolestantisme;  ellen'eut  que  cefils,  qu'elle  rait 
au  moude  en  I'annee  1595. 

Le  comtede  Brienne  fut  naturelleraent  destine 
aux  charges  publiques  ,  el  son  p6re  ,  I'un  des  mi- 
nislres  babiles  du  regne  de  Henri  IV,  «  le  nour- 
»  rit ,  des  sa  plus  tendre  jeunesse,  a  la  politique, 
»  el  lui  fit  succer ,  avec  le  lait ,  ce  bel  arl  qui  fail 
I)  regncr  hcureusemcnl  les  souverains  (1) ;  »  il  lui 
apprit  aussi  en  pen  de  temps  tout  ce  qu'il  n'au- 
rait  pu  acqut'rir  qu'apr6s  une  tongue  experience, 
en  le  faisant  travailler  babituellenient  dans  sa  bi- 
bliotheque,  que  Ton  pouvait  avec  raison  appeler 
I'academie  des  poliliques,  et  en  lui  faisant  6lu- 
dier  ces  curieux  manuscrits  on  sont  contenus  les 
plus  utiles  documents  sur  lesatfaires  importanles 
de  I'Etat  (2).  Les  voyages  que  le  jeune  de  Brienne 
fit  en  Alleraagne,en  Pologneeten  Italie.  par  ordre 
de  son  pere,  durent  aussi  le  bien  preparer  a  la 
carridre  qu'on  lui  deslinait.  II  6tait  de  retour  a 
Paris  vers  la  fin  de  I'annee  1609;  on  dit  quil  fut 
m6me,  descette  6poque,  reraarque  par  Henri  IV, 
qui  lui  permit  d'assister  quelquefois  au  conseil. 
Marie  de  Medicis,r6gente  de  France,  le  chargea, 
en  1614,  de  uegocier  avec  quelques  deputes  des 
E(als-g6neraux  «  dont  les  esprits  ctoient  indispo- 
ses (-3) ,  »  et  son  habile  intervention  obtinl  deux 

reconnaissance  de  la  peine  qu'il  avait  prise  de  les  elasser 
et  faire  transcrire.  Ilenri-Auguste  de  Lomenie  h(}riia  de 
eette  colleclion  ,  et  la  vendit  au  Roi  40,000  livres,  en 
Tannine  1661  ou  1662.  Le  comte  de  Brienne,  apres  avoir 
pass6  plus  de  quaranle  ans  dans  les  affaires,  se  reiira 
avec  une  mediocre  fortune,  compromise  meme  parson 
d(5sintere?sement,  comme  il  le  dit  lui-meme  dans  ses  M6- 
moires.  C'est  ce  qui  le  determina  sans  doute  a  se  des- 
saisir  d'une  pareille  collection. 

(3)  Le  pere  SenauH ,  Oraison  funebre,  page  12. 


>ori(:E  SI  r.  le  comtk  uk  buie^mk 


1.1  iioiiiin.ilioiidun  president  agroablca  lacour.Co 
succi^s  lui  valtil  la  survivaiiccdc  la  cliarne  de  son 
p»>rc  I'aniu'e  stiivaiile;  el  en  Uil7,  il  <tl)lin(  celle 
<le  rtiailrc  <le.s  ccretnoiiies  el  de  prevol  des  ordres 
du  Itoi.  Jusqu'a  la  moil  de  son  pere  ( Anloine  de 
i-onii'*nie^,  sa  priiicijiale  oc(U|)alion  «  6loit  dac- 
»  coni[)ai;ner  le  Uoi  el  tl  ac(|ut''rir  Ihonneur  de  ses 
»  bonnes  urates,  a  quoi  il  reussil  (1).  »  Lesser- 
vices  que  lejeurie  I-oni6nie  reudail  alors  Jie  furenl 
l)as  Imijoiirs  inuliles  a  lui  el  an  Hoi ,  eoninie  on  Ic 
voit  ji.ir  la  qnillance  suivanle:  «  Nons,  llenri- 
Aususle  de  l.onienie  de  La  Ville-aux-Clercs,  eon- 
seilier  dii  Hoy  en  son  conseil  d'Eslalel  secretaire 
ties  coniniandcniens  dcS.  M..  confessons  avoir  eu 
el  rern  coniplanl...  la  somme  de  douze  mil  livres, 
donl  il  a  plu  a  S.  M.  nous  fairc  don  en  cousid6- 
ralion  des  services  que  nous  lui  avons  rendus, 
pour  nous  donner  moycn  de  supporter  la  des- 
pensc  qu'il  nousconvient  faire  a  sa  suite;  de  la- 
quelie  sominc,  etc. 
»  Le  23"  jour  de  d^cembre  1621  (2).  » 

L'ambassado  d'Angleterrc  ,  ou  il  ful  c!iarg6  de 
neiiocier  sur  certaines  difficulles  qui  arrfitaient 
le  mariage  de  Ilenrieltc-^Marie  de  France  avcc  le 
prince  de  Galles,  fut  pour  le  comte  de  Brienne 
une  occasion  plus  importanle  de  se  signaler;  sa 
sagesse  el  sa  prudence  firent  cesser  tous  les 
obstacles  (3). 

A  parlir  de  cette  epoque,  on  peut  6tudier  ce 
personnase  dans  ses  propres  M6inoires;  nous  ne 
Ic  suivrons  done  pas  durantlesdilTerenles  phases 
de  sa  longue  el  honorable  carridre. 

Diis  sou  entree  dans  les  alTaires  il  se  fit  cette 
maxime:  «  Ou'il  n'est  jamais  permis  de  faire  une 
chose  mauvaise  quelqu'avanfage  quon  en  puisse 
lirer,  ef  que  le  service  de  Dieu  doit  etre  pr6fere 
a  tous  les  honneurs  el  k  loutes  les  gloires  du 
monde.  »  II  fut  fidele  a  ces  preccptes ;  aussi  son 


(1)  M(?mcircs  de  Brienne ,  page  2. 

(2)  Coltc  quittance  fait  panic  des  litres  originaux  de  la 
Bil)liotlit'(|uc  du  lloi;  on  trouve  dans  la  nicnie  collec- 
tion uiic  autre  piece  de  Tannine  1G25.  portant  quittance 
<'e  la  soinnie  de  3,000  livres  «  dont  il  a  plu  au  Roy  nous 
faire  don,  »  el  la  lettre  palente  qui  y  esl  joinle  ajoule  : 
«  en  consideration  des  l)ons,  fidclcs  ct  rccomtnandablcs 
services  qu'il  nous  a  rendus.  » 

(3)  Ce  ful  sans  doute  pendant  cello  ambassadc  que 
Krienne  pril.  a  I'egunl  des  Anglais,  une  ccrtaine  d^- 
lianrc  donl  il  no  so  ddpartit  jamais.  On  lit  en  effet  dans 
sts  ai(<moires  do  Wqucntcs  recriminations  conlrc  eux. 
Voici  I'une  des  plus  itolies: 

"  Nous  piimcs,  dans  les  trols  traitds  quo  nous  fiinos 
avcc  les  Anglois,  loutes  les  prc^cautions  ndcessaircs 
pourii'etre  pas  irompes  par  cux,  car  ils  nc  vonl  pas 
toujours  droit  dans  Icurs  IraiK^s:  ils  so  rt'servcnl  d'y 
••hercher  (lueiiiuc  interpretation  qui  soil  a  leur  avan- 
tagc,  suivant  le  g(''nie  de  leurs  ancclres  Normands.  el 
se  font  qu(l(|U(fois  pcu  do  scrupulc  de  Iromperccuxqui 
nt'gocieiit  avec  eux.  » 

CO  ("cNt  IMazniiii  (|ue  Ic  pere  Senault  vout  dcJsigner. 
Les  MiMnoires  du  tils  de  Hrienne  ..•ontiennenl,  sur  leca- 


pandgyrisle,  Ic  R.  P.  Senaull,  ren^arqua-l-il  que: 
«  quoiqu'il  fill  accable  des  soins  de  sa  charge,  il 
disoil  tous  les  jours  son  breviaire,  pendant  que 
qnelques  ministres  ecclesiasliques  ,  sous  prelexte 
des  affiiires,  s'cn  faisoienl  dispenser  (4).  »  Plus  loin 
il  ajoule:  «  qu'un  homme  de  sa  naissauce  el  de 
son  rang,au  lieu  d'cnvoyer  desdiamans,  des  per- 
Ics  ou  des  bijoux  a  la  femme  qu'il  recherchoit  en 
mariage,  lui  cnvoya  les  OEiwrcs  de  Grenade,  oeu- 
vres  qui  out  r6paii(ln  la  devotion  dans  I'^glise.  » 

Le  comte  de  JJrienne  n'eslimait  pas  que  sa 
vie  put  6trc  proposee  pour  module;  niais  il  la 
Irouvait  entrem(il6e  de  taut  d'accidenls  ,  qu'a 
sou  avis  elle  pouvait  servir  a  rinstruclion  de 
ses  cnfants.  II  ne  fut  pas  du  nombre  des  minis- 
Ires  complaisanls  qui  soul  toujours  de  I'avis  du 
prince  ct  s'abstiennenl  soigneuscment  de  cho- 
quer  ses  inclinations;  il  ne  ful  pas  non  plus  d'une 
«  fidelile  incommode  (5);  »  mais  il  se  menagea  entre 
la  complaisance  et  Ias6v6rit6,  entre  lacrainle  el 
I'audace,  elwconserva  toujours  une  honnele  liber- 
ie [6).  ■»  Le  comte  de  Brienne  nes'abaissanidevanl 
romnipotencede  Richelieu,  ni  devant  la  faveurde 
Mazarin  (7) ;  il  r^signa  sa  charge  quekjue  temps 
avant la  niortdu  premier,  el  la  reine  regenteAnne 
tl'Autriche,  coufiaute  danslc  zele  et  I'affectionde 
Brienne  pour  son  service  ,  la  lui  rendit  en  1643. 
Mazarin  ne  I'aimait  pas,  et  ne  put  cependant  oble- 
nir  de  la  Reine  son  61oignemenl.  Par  condescen- 
dance  pour  Anne  d'Autriche,  et  quoique  le  retour 
de  ce  ministre  lui  parut  devoir  etre  funestea  la 
France,  Brienne  signa  et  exp6dia  I'ordre  du  Roi 
qui  rappelait  Mazarin.  II  avail  6t6charg6,en 
1651,  d'informer  Monsieur  et  le  parlemeut  de 
I'exil  de  ce  meme  ministre. 

La  bienveillancedela reine  merede  Louis  XIV 
pour  le  comte  de  Brienne  lenaitaussi  a  I'affeclion 
de  cette  princesse  pour  M""=  de  Brienne  sa  fem- 
me (8),  que  toute  la  cour  savait  6lrclaconndente 

racleie  pcu  rcligieux  du  cardinal  ministre,  des  parlicu- 
laril(?s  assez  curicuses. 

(.'>)  Le  pere  Senaull,  Oraison  funebre. 
(())  Idem. 

(7)  Brienne  fut  presque  toujours  sur  le  qui  vive  avcc 
Mazarin  ,  el  les  lermes  dont  il  se  serl  souvent  en  par- 
lant  de  ce  ministre,  semblent  indiquer  presque  du  mt;- 
pris  pour  ce  cardinal.  II  dil  dans  ses  Memoires  : 

«  La  deference  de  Monsieijrpourle  Cardinal  augmen- 
loit  le  credit  dun  ministre  odicux  aux  gens  de  bien.  » 

(8)  II  ne  nous  parail  pas  sans  inlerdt  de  rappeler,  a 
propos  de  madamc  de  Brienne,  un  passage  des  Sl^moires 
de  son  (ils  (  Henri-Louis),  relalif  a  rinlimilequiexisla 
entre  la  Reine  el  madame  de  Brienne,  el  qui  serl  aussi 
a  cxpliquer  la  grande  favour  dont  jouissail  le  cardinal 
Mazarin  aupres  d'Annc  d'Aulriche. 

«  Tout  le  mondc  sail  cc  que  la  niedisnncea  publi(5de 
la  passion  mulucllc  d'Annc  d'Aulriche  cl  do  Mazarin. 
Los  cabinets  des  curieux  sonl  rcmplis  de  lil)cllos  dilla- 
nialoires  sur  ce  sujet.  La  delractaiion  publiquc  cl  par- 
liculierc  n'a  jamais  ^li^  poussde  plus  loin  ;  ct  celle  laclie, 
que  tanl  de  plumes  si^ditieuscs  se  sonl  enorc(''OS  d'impri- 
mer  au  nom  d'une  veiltieuse  piiiuesse,  lui  fera  moins 


ET    SlIR       SES    HiEMOlllES. 


IX 


inlime  d'Aune  d'Autriche.  Celtc  influence  le  main- 
tint  au  pouvoirjusqu'aprtis  la  mort  de  Mazarin; 
mais  avaul  celle  6poquc,  son  cr6dil  coramencait  a 
dt'cliner.  Les  chansons  saliriques  ne  cessaieut  de 
poursuivre  les  raiuistres,  nagudre  si  vivement  ri- 
diculises  par  les  pamphlets  de  la  Fronde.  On  en 
trouve  la  preuve  dans  une  chanson  ayant  pour 
litre:  Porfrait  de  la  cotir  en  conlre-verile ,  et  qui 
circula  pendant  I'ann^e  1659: 

Le  Tellier  devionl  niagnifiquc ; 
Bricnne  est  homme  qui  voit  clair; 
On  croit  La  Vriliiere  un  grand  clerc  ; 
Le  Piessis  s^ait  la  politique. 

Les  facuU^s  affaiblies  du  comte  de  Brienne  ne 
devaieut  bientot  plus  suffire  a  la  jeuneet  volon- 
taire  autorite  de  Louis  XIY;  de  hautes  capacit6s 
diplomaliquesdevaient  aussiattirer  de  preference 
raltention  du  Roi;  un  grand  rdgne  se  pr6parail, 
el  il  fallail  pour  realiser  et  raoderer  a  la  fois  les 
id^es  gigantesques  du  nouveau  prince,  une  force 
physique  et  morale  bien  au-dessus  de  celle  du 
comte  de  Brienne.  Ungues  de  Lionne ,  si  raalheu- 

dc  tort  dans  les  siccles  a  venir  qu'elle  ne  fera  de  lionle 
a  noire  histoire.  Peul-elre,  et  je  ne  Ic  desavoue  pas,  la 
Reine  accorda-t-elle  son  estime  au  cardinal  avec  trop  peu 
de  raenagement.  Quoiqu'il  n'y  eiat  sans  doule  en  cela 
rien  que  (I'innocent,  le  monde  ,  qui  sera  toujours  ind- 
chant,  ne  put  s'empecher  d'en  pai  ler  en  des  termes  peu 
respectueux  ;  et  la  licence  alia  si  loin  ,  que  chacun  crut 
voir  ce  qui  n'etoit  pas,  el  que  ceux  meme  qui  le  croyoienl 
le  moins  rassuroienlcomnie  veritable.  La  golanteric  de 
la  Reine,  s'il  y  en  a  eu,  ^toit  loute  spiriluelle;  elle  etoil 
dans  les  mceurs,  dans  le  caractere  cspagnol,  et  tenoit  de 
ces  SOI  les  d'amours  qui  n'inspircnt  point  souillure  :  j'en 
puis  au  nioins  juger  ainsi  d'aprcs  ce  que  m'a  racont^ 
ma  mere.  La  Reine  avoit  pour  elle  beaucoup  de  bonte  , 
el  ma  mere  raimoit  sinceremcnt:  elle  osa  I'enlretcnir 
un  jour  de  lous  ces  mauvais  propos.  Voici  comment  la 
chose  se  passa. 

»  C'etoil  a  I'^poque  ou  la  favcur  du  cardinal  aupres 
de  la  Reine  ^claloil  librcmenl  aux  yeux  dc  la  cour,et 
quand  le  monde  malin,  comme  j'ai  d(5ja  dit  et  ne  puis 
trop  le  ropeter,  faisoitleplusde  bruit  de  leurspretendues 
amours.  Madame  de  Brienne  s'ctoit  un  soir  recueillie, 
selon  sa  coulume,  quelques  instans  dans  roratoirc  de  la 
Reine.  Sa  Majesie  y  entra  sans  I'apercevoir ;  elle  avoit 
un  cliapelet  dans  I'une  de  ses  mains ,  elle  s'agenouilla, 
soupira  ,  cl  parul  lomber  dans  une  meditation  profonde. 
Un  mouvement  que  Gl  ma  mere  la  lira  de  sa  reverie. 
«  Est-cc  vous,  Madame  de  Brienne?  lui  dit  Sa  Majestd. 
Vcncz,  prions  ensemble,  nous  serons  mieux  exaucces.  » 
Quand  la  priere  fut  flnie,  ma  mere,  celte  veritable  amie, 
ou  pour  parler  plus  respectueusenicnt ,  cette  servante 
lidele ,  deinanda  permission  a  Sa  Majesty  de  lui  parler 
avec  franchise  sur  ce  qu'on  disoil  d'clle  et  du  cardinal. 
La  bonne  Reine,  en  lembrassant  tcndrement,  lui  per- 
mit de  parler.  Ma  mere  le  lit  alors  avec  tout  le  menage- 
nienl  possible;  mais  comme  elle  ne  dcguisoit  rien  a  la 
Reine  de  lout  ce  que  la  m(5disancc  publioit  conlre  sa 
vertu,  elle  s'aperful,  sans  en  fairc  semblanl,  ainsi  qu'elle 
nie  I'a  dit  elle-mcme  apres  m'avoir  engage  au  secret, 
([ue  plus  d'unc  fois  Sa  Majcsle  rougil  jusgiie  dans  le 
hlanc  des  yeux;  ce  furent  scs  propres  paroles. 

»  Enfin  lorsqu'elle  cut  fini,  la  Reine  ,  les  yeux  mouil- 


reux  pendant  sou  ambassade  a  Rome  centre  Ic 
cardinal  de  Retz,  et  bien  plus  encore  tout  r6cem- 
menl  en  Espagne ,  contre  le  prince  de  Conde ,  ct 
qui  avail  ainsi  prelude  par  deux  6checs  6clatants 
a  une  carriere  diplomatique  des  plus  juslemenl 
renommees,  Ilugues  de  Lionne  fut  charge,  en  1663, 
du  departement  des  affaires  etrangeres  (1),  en 
reraplacement  du  comte  de  Brienne.  Comme  c'e- 
tail  I'habitude  et  le  gout  du  temps,  des  chansons 
celebr^rent  la  fortune  nouvelle  de  Lionne,  et  le 
repos  forc6  que  le  Roi  exigea  d'un  vieux  et  fiddle 
servifeur.  D'une  chanson ,  riche  en  couplels,  et 
qui  rappelleles  differentes  nouvelles  du  moment, 
nous  ne  donnerons  que  le  couplet  qui  se  rapporte 
a  Brienne,  remplac6  dans  sa  charge  par  Lionne: 

L'dllelagc  du  soleil  (2) 

N'aura  jamais  son  pareil : 

II  est  de  qualre  chevaux 

Pr6ced(5s  de  deux  cavalles  (3) ; 

II  est  de  qualre  chevaux , 

Bien  meilleurs  qu'ils  ne  soot  beaux. 


Le  qualrieme  est  Fdlon  , 
Furieux  comme  un  lion. 


k's  de  larmes,  lui  r(5pondil :  «  Pourquoi ,  ma  chere ,  no 
m"as-tu  pas  dit  cela  plus  t6t?  Je  I'avoue  que  je  laime  , 
ct  je  le  puis  dire  meme  lendrement ;  mais  Taffeclion  que 
je  lui  porte  ne  va  pasjusqu'a  I'amour,  ou ,  si  elle  y  va 
sans  que  je  le  sache,  mes  sens  n'y  ont  point  de  part; 
mon  esprit  seulemcnt  est  charm(5  de  la  beaule  de  son 
esprit.  Cela  seroit-il  criminel?  Ne  me  flalle  point:  s'il 
y  a  meme  dans  eel  amour  I'ombre  du  p6che,  j'y  renonce 
des  mainlenant  devant  Dieu  et  devantles  saints  donl  les 
reliques  reposenl  en  cet  oratoire.  Je  ne  lui  parlerai  de- 
sormais,  je  I'assure,  que  des  affaires  de  lElat ,  et  je 
romperai  la  conversation  des  qu'il  me  parlera  d'autre 
chose.  »  Ma  mere,  qui  ^toit  a  genoux,  lui  pril  la  main  , 
la  baisa,  la  placa  presd'un  reliquaire  qu'elle  venoit  dc 
prendre  sur  I'autel :  «  Jurez-moi ,  Madame ,  dit-elle ,  je 
vous  supplic,  jurez-moi  sur  ces  sainles  reliques  de  tenir 
a  jamais  cc  que  vous  vencz  de  promellrc  a  Dicu.  —  Je 
le  jure,  dit  la  Reine  en  posant  sa  main  sur  le  reliquaire, 
ct  je  prie  Dieu,  de  plus,  de  me  punir  si  j'y  fais  le  moin- 
dre  mal.  —  Ah!  g'en  est  trop,  reprit  ma  mere  tout  en 
pleurs.Dieu  est  juste,  el  sa  bont^,  n'en  doutez  pas,  fera 
bientdt  connoilre  voire  innocence.  »  Elles  semirenl  en- 
suite  a  prier  tout  d'une  voix,  et  celle  dontj'ai  su  ce  fait, 
que  je  n'ai  pas  cru  devoir  taire  ,  a  present  que  la  Reine 
a  reru  dans  le  ciel  la  recompense  dc  ses  bonnes  oeuvres , 
m'a  dit  plusieurs  fois  qu'elles  ne  prierent  jamais  I'une 
et  rautrederaeilleurcceur.  Quand  elles  eurent  acheve 
leur  oraison  ,  que  cet  incident  prolongea  plus  que  de 
coulume,  Madame  de  Brienne  conjura  la  Reine  de  lui 
garder  le  secret.  Sa  Majesty  le  lui  promil,  et,  en  effel  , 
elle  ne  s  est  jamais  apcrcu  que  la  Reine  en  ait  parie  au 
cardinal ,  cc  qui ,  a  mon  avis ,  est  une  grande  preuve  de 
son  innocence.  » 

(1)  La  Biographic  universelle  contient  quelques  cr- 
reurs  au  sujet  de  Brienne.  Elle  indique  inexactement  la 
dale  de  sa  relraite ;  ce  fut  a  lui  que  Lionne  succWa, 
ct  non  pas  a  Mazarin. 

(21  Louis  XIV  avail  pour  devise  un  soleil  qui  edairail 
un  globe. 

(3)  Mademoiselle  de  La  Valliere  el  madame  de  Mon- 
tespan. 


>()ricE  sin  i.i:  comik  de  brienne 


On  sv«il  que  dun  coup  ile  pied 
II  ii  ren\iTSO  Dii(?.... 
On  sail  que  d'un  coup  dc  pied 
II  a  toul  cslropiiV 

Lc  coiulo  dc  IJrieniic  niourut  cii  IGGG.  l>cs  16- 
inoii;nages  6clalaiils  do  regrcU  hii  fureut  donnas 
par  SOS  ancicns  colli'gues.  Le  Tcllier,  deveiiu 
chaiicclier,  dit  en  pleiii  couseil,  lorsqu'il  en  ap- 
|)ii(  la  iiouvclle,  «  qu'il  u'avoil  jamais  vu  un 
liomiiie  plus  iiilelligciit  dans  Ics  affaires,  moins 
eliranle  dans  los  dangers,  n)oins  eloiiuc  dans  les 
sur|)rises,  el  plus  fertile  en  expediens  pour  s'cn 
di'-niCler  lieurousemenl.  »  El  lc  roi  Louis  XIV 
ajoula:  «  Je  perds  aujourdliui  le  plus  ancien ,  lc 
plus  lidele  el  le  plus  inforrue  de  mes  niinislres.  » 

I.e  conile  de  Urieniie  avail  epouse,  en  1()i3, 
Louise  de  lleon,  issue  de  lilluslrc  niaison  de 
Luxembouri;;  il  en  cut  sepl  enfans  ;  qualre  d'en- 
Ir'eux  vivaient  encore  en  1GG8. 

Laino,  Henri-Louis,  avail  oblenu  la  survivance 
dela  charge  de  son  p6re,  el  il  !'e\erca  siniullane- 
menl  avec  lui  pendant  les  derni^res  ann6es  de 
son  niinisk^re.  el  quelque  temps  eucore  apr^s  qu'il 
se  fiU  retire  des  affiiires. 

Nous  joindrons  en  consequence  a  cette  notice 
sur  le  conile  de  Brienne,  quelques  details  sur  la 
vie  de  son  fils,  dont  il  parle  souvent  dans  sesMe- 
nioires. 


Les  derni^res  ann6es  de  la  vie  de  Brienne 
le  fils  fureut  extreinement  agitees,  el  on  a  attri- 
bu6  a  des  niolifs  divers  les  causes  de  la  longue 
detention  qu'il  cut  a  subir.  Des  documents  iue- 
dils  el  originaux,  conserves  a  la  Bibliolheque  du 
Koi,  6claircissent  tous  ces  eveneraeuls  ignores  ou 
pIulOl  nial  connus  jusqu'ici.  C'est  ce  qui  nous  a 
determines  a  enrichir  cette  notice  de  ces  docu- 
raents  ;  ils  ne  sont  pas  uon  plus  sans  iut6rel  pour 
la  nioralile  de  lliisloire. 

Ilenri-Louisde  Lomenie  (1)  avail  epouse  Uen- 
rietle  Bouthillier,  fille  du  conile  de  CJiavigny, 
femnie  qui  fut  en  grande  reputation  de  beaul6, 
si  on  en  juge  par  le  fragment  suivant  d'uue chan- 
son du  temps: 

Pour  mcltrc  Icur  pouvoir  au  jour. 
Lc  Ciel .  la  Nature  ot  I'Amour, 
Dc  corail.  d'lvoirc  el  d'cHjcnne 
Fircnl  Brienne,  lircnt  Brienne. 

Maislabeaut6  demadaniede  Brienne  ne  Irouva 
pas  urAce  devant  la  malisnile  satirique  de  ce 
temps ,  et  a  eel  61oge  si  gracieux  de  la  belle  coni- 
lesse ,  ces  mfimes  chansons  ajoulaienl  : 

Un  prelal  a  Ponl-sur-Seinc 
Adressc  souvent  scs  pas, 


Pour  voir  la  chaste  Brienue 
Pleinc  dc  divinsappas: 
Cc  nest  pas  pour  lui  cliose  vaine 
8'il  y  va  croltcr  scs  bas. 

Cette  dame  inourut  en  1664,  et  sa  perte  ayant 
plong6  son  niari  dans  la  douleur,  il  demanda  des 
consolations  a  la  religion  et  se  retira  cette  m6me 
anuee  a  TOraloire,  od  il  fut  fait  sous-diacre.  Le 
leu  sacr6  de  la  po^sie  se  ni^la  bienl6t  aux  in- 
spirations de  la  pi§l6.  11  abandonna  I'Oratoire  en 
1G70,  pour  voyager  en  Allemagne;  il  visila  le 
iMeckiembourg  ou  il  dupa  leducClirislian-Louis  , 
el  revinl  a  Paris  Irois  ans  aprds.  Des  ordres  s6- 
v6res  du  Roi  I'altendaient  a  son  arrivee;  il  fut 
successivement  exile  dans  plusicurs  maisons  de 
B^n^dictins,  puis  bientot  apres  enfermfi  a  Saiut- 
Lazare  (1674),  ou  il  subit  une  rigoureusc  deten- 
tion jusqu'eu  1692,  sous  pr6texte  d'ali6nation 
nienlale.  On  le  voil  du  moins  par  la  Icltre  sui- 
vanle  entierenient  ecrile  de  sa  main: 

A  Monsieur  de  Ponlcharlrain. 

Le  14  Janvier  1692. 

«  Monseigneur , 

»  Le  28  de  ce  mois,  il  y  aura  dix-huit  ans  r6vo- 
lus  depuis  le  jour  que  je  fus  conduit  dans  la  maison 
des  pensionnaires  de  Saint-Lazare,  ou  je  suis  en- 
core et  ou  je  resterai  tanl  qu'il  plaira  a  Sa  Ma- 
jesl6.  II  m'esl  fort  indifferent  en  quel  lieuje  fasse 
penitence,  et  je  puis  dire  que  de  foutes  les  raai- 
sons  regulieres  que  je  counois,  je  choisirois  celle 
de  la  Mission  si  jestois  encore  a  quilter  le  monde. 
J'y  avois  renonce  de  Ires  bonne  foi  quand  j'en- 
Irai  dans  I'Oratoire;  je  m'altendois  dy  finir  mes 
jours;  Dieu  ne  I'a  pas  permis:  j'adore  saconduife 
sur  moi.  II  falloit  que  j'eusse  besoin  dune  plus 
grande  solitude  que  celle  que  je  m'eslois  choisie. 
Je  n'ai  pu,  Monseigneur,  eviter  de  vousdirecela 
afin  de  vous  faire  conuoilre  mon  elat.  La  grace 
que  je  vous  suplie  de  demander  de  ma  part  au 
Boy,  est  de  permettre  a  M.  le  lieutenant  civil  de 
me  venir  entendre  sur  une  affaire  que  j'ai  par- 
devant  lui.  Un  fermier ,  qui  me  doit  et  ne  veut 
pas  me  payer,  a  cru  se  raettre  a  convert  en  si- 
gnifiant  a  mon  procureur  une  pr6leudue  inler- 
diction  dont  je  n'ai  aucuneconnoissance,  et  qu'on 
ra'avoit  cachee  avec  beaucoup  de  soin  jusques 
a  present.  Je  ne  suis  pas  en  peine  de  la  faire 
casser,  pourvu  que  je  puisse  me  defendre.  Sa 
Majeste  est  Irop  juste  pour  me  refuser  si  peu 
de  chose.  Si  je  suis  insense  (car  on  ne  pent  ni'a- 
voir  inlerdit  que  sous  ce  pretexte) ,  je  dois  eslre 
declare  lei  par  un  juge  en  personne,  et  nuUement 
sur  un  avis  des  jiarens  qui  pouvoient  alors  avoir 
des  motifs  de  politique  et  d'interest  pour  me  trai- 
ler de  la  sorle,  moi  absent.  Quand  on  a  doun6 


(1)  On  a  (lc  cc  Ilenri-Louis  de  Lomdnic  lics  niiimoircs  rcnt'cs  .  conclu  dans  1  ilc  ties  [-"aisans  .  el  la  description 
d.Mil  nous  nvons  cit^  ci-dessus  un  frafjmcni  rclaiir.i  la  des  cerc^nioniesdu  mariage  de  Louis  XIV  avec  llnfanle 
rcine  Anne  ,  une  relation  ires  di^tailkk^  du  iraile  des  Pv-      dEspagne. 


ET    Sl'R    SF.S    MEMOIl'.FS. 


XI 


(out  son  bien  volonlaireraent  et  quon  ne  s'eslr6- 
serv6  qu'une  pensiou  alimentaire  fort  niodique, 
on  n'eel  plus  en  ^lald'eaiprunter  de  persoune.  II 
s'agit  uniquenient  de  savoir  si  j'ay  perdu  la  rai- 
son  ou  non.  El  quand  mfirae  il  seroil  vrai  que  mon 
chagrin  m'eust  fait  faire  des  d6niarches  irregu- 
lieres,  si  Dieu  m'a  redonne  raa  plelne  raison ,  les 
loix  me  sent  favorables,  et  je  dois  estre  jug6  sur 
la  situation  prd'sente  de  raon  esprit  et  non  sur 
niesfaules  passees.  II  ne  me  resle  plus,  Monsei- 
gneur  ,  qu'a  vous  t6raoigner  la  part  que  je  prends 
a  la  justice  que  Sa  Majeste  a  rendue  a  vostre  me- 
rite;  j'ai  Ihonueur  d'estre  dans  vostre  alliance 
par  feue  ma  femme ;  M.  de  Brienne ,  mon  p6re , 
a  eu  I'avantage  d'estre  confrere  de  monseigneur 
vostre  aieul  et  son  amiparticulier.  II  m'a  dit  sou- 
vent  qu'il  lui  avoit  de  Ir^s-grandes  obligations. 
Je  ne  vous  parle  point  de  ce  que  j'ay  este:  il  y  a 
long-temps  que  j'ay  mis  au  pied  do  la  croix  ces 
foibles  avanlages  de  raa  naissance.  L'uuique  fa- 
veur  que  j'esp6re  de  vostre  infegrite  est  de  par- 
ler  direclement  au  Pioy  de  la  tr^s-humble  sup- 
plication que  je  lui  fais  par  voire  entreraise.  Jau- 
rois  pu  adresser  un  placet  a  Sa  Majeste,  mais 
r'auroit  este  raanquer  en  quelque  sorle  a  la  con- 
fiance  entiere  queje  prens  en  vous;  je  me  trouve, 
Monseigneur,  dans  vostre  departemenl,  et  jay 
beaucoup  dejoie  de  d^pendrede  vostre  ministere. 
Heureux  dans  mon  affliction,  si  vousecoutez  favn- 
rablement ,  comme  je  I'esp^re ,  les  cris  de  raa  dou- 
leur,  et  si  vous  ajoutez  foi  a  mes  paroles  quand 
je  vous  proleste  que  je  ne  cesse  de  prier  Dieu 
pour  la  personne  sacree  et  pour  la  prosperity  des 
armes  victorieuses  du  Roy,  nostre  incomparable 
Majesty,  et  en  particulierpour  vous  dont  je  seray 
loute  raa  vie,  avec  un  profond  respect  etune  Ires- 
parfaite  reconnoissance ,  Monseigneur,  le  tres- 
hurable,  tres-obeissanl  et  lres-oblig6  serviteur , 

»  De  Lomenie  Brienne. 

B  J'oubliois,  Monseigneur,  a  vous  dire  qu'estant 
d^lenu  dans  cette  raaison  par  un  ordre  du  Roy, 
que  feu  M.  de  Seignelay  a  signe,  M.  Joly ,  su- 
p6rienr-gen6ral  de  la  mission,  qui  a  recu  eel  or- 
dre, ne  rae  laissera  pas  parler  a  M.  le  lieutenant 
civil,  a  raoins  d'un  autre  ordre  signe  de  vous, 
suppose,  Monseigneur,  que  Sa  Majest6  m'accorde 
raatr^s-humble  et  tres-respectaeuse  suplication.  » 

Le  lieulenant  civil  visita  Tinfortune  Brienne  et 
rendit  comple  ,  par  la  lellre  suivanle  ,  du  parfait 
6tat  de  sa  sanle  et  de  sa  raison.  Le  proces-vcrbal 
de  Tinterrogaloire  subi  par  Brienne  indique  aussi 
les  motifs  de  famille  qui  avaient  amen6  cette  in- 
jusle  detention. 

«  Monsieur,  suivant  I'ordre  qu'il  vous  a  plu 
ra'envoyer ,  j'ai  esl6  a  Saiut-Lazare  et  jay  parl6 
long-temps  avec  M.  de  Brienne  que  j'ai  trouve 
de  tr6s  bon  sens  et  d'une  conversation  fort  ais6e; 
j'ai  6l6  mesme  surpris  de  le  voir  si  raisonnable, 
apr^s  une  df^lention  de  dix-liuit  ans.  sans  avoir  le 


moindre  commerce  avec  ses  parens  ni  d'autres 
persounes  ,  euferm6  avec  tons  les  enfans  de  cor- 
rection et  ceux  qui  sonl  foibles  d'espril,  ne  sor- 
lant  qu'avec  eux,  enferme  dans  le  mesme  endroit 
et  ayant  loujours  a  ses  cutes  un  des  freres  de  la 
raaison.  Je  suis  persuade  qu'un  liorarae  fort  sage 
en  deviendroit  fou ;  il  demande  h  Sa  Majeste  trois 
choses  qui  me  paroissent  tres-raisonnables  : 

»  1°  De  demeurer  dans  Saint-Lazare,  mais 
qu'on  le  lege  hors  de  la  raaison  oil  sonl  les  insen- 
ses  et  les  correctionnaires,  et  qu'on  ne  le  mfene 
pas  se  proniener  avec  eux; 

»  2"  Qu'il  lui  soil  permis  d'avoir  la  conversation 
des  peres  de  la  maison  et  des  gens  de  lellres  qui 
ont  coustume  dy  veuir ;  d'aller  aux  exercices  et 
davoir  une  honneste liberie: 

»  3^  Qu'on  luy  paye  5,000  1.  qu'il  s'est  reservees 
de  pension  viagere  lorsqu'il  a  fait  une  donation 
de  tout  son  bien  a  son  His. 

»  J'ai  propose  a  MM.  de  Saint-Lazare  de  le 
meltre  dans  une  chambre  de  leur  raaison  ;  il  m'a 
paru  qu'il  leur  couvienl  fort  d'avoir  une  pension 
de  2,000  liv. ,  raais  qu'ils  ne  sonl  pas  d'humeur  a 
se  donner  le  moindre  soing.  lis  m'ont  dit  qu'ils 
avoient  peur  qu'il  ne  retombat  dans  quelque  ex- 
travagance nouvelle ;  mais  comme  il  arrive  sou- 
vent  que  ceux  qui  ont  eu  ces  maladies  en  revien- 
nent ,  il  rae  semble  qu'il  y  auroit  beaucoup  d'in- 
justice  de  retenir  un  horame  enferrae  pour  loute 
sa  vie  par  celle  seule  apprehension.  Vous  trou- 
verez.  Monsieur,  la  famille  partagee:  madame  de 
Gamache  et  raadarne  de  Cayen  vous  demandent 
sa  liberie,  et  mesme  eiles  ont  pris  des  mesures 
avec  MM.  de  Sainle-Genevi^vede  Paris,  quiveul- 
lenl  bien  s'en  charger;  et  je  crois  que  ce  seroit 
tout  le  raieux.  M.  I'evfique  de  Coutence  n'est  pas 
du  mesme  avis;  et  corarae  on  ne  paie  a  son  fr^re 
que  3,000  liv.  par  an,  au  lieu  de  5,000  liv.  qu'il  s'est 
reservees,  et  qu'il  veut  avoir  sa  bibliotheque  que 
M.  de  Coutence  pretend  avoir  acheptee,  il  a  peur 
qu'il  ne  fasse  des  procedures  lorsqu'il  sera  en  li- 
berie; maisce  n'eslpas  une  raison  pour  le  laisser 
en  caplivite.  Je  suis  persuade  que  la  raaison  de 
Sainte-Genevieve  lui  conviendroil  fort ;  je  m'en 
informerai  si  vous  I'ordonnez. 

»  Je  suis  avec  respect.  Monsieur,  vostre  lr6s- 
hurable  et  tres-obeissant  servileur  , 

»  Le  Camus,  lieutenant  civil. 

»  Le  5  fevrier  1692.  o 

Inlerrogaloire  de  M.  de  Brienne. 

(c  L'an  mil  six  cens  quatre-vingt-douze,  le 
deuxiesme  jour  de  fevrier,  nous,  Jean  Le  Camus, 
chevalier,  conseiller  du  Roy  en  ses  conseils,raais- 
tre  des  requestes  ordioaire  de  son  hostel ,  lieute- 
nant civil  de  la  ville,  prevoste  et  vicomte  de  Paris , 
pour  I'ex^culion  de  I'ordre  du  Roy  du  trenliesme 
i  Janvier,  signe  Pontcharlrain.  a  nous  adresse,  nous 
!  sommes  transporte  avec  raaislre Nicolas  Gaudion, 
greffier  en  la  raaison  des  prestres  de  lacongrega- 


^o^I(;E  stn  Lii  comtk  nii  buikixxi-: 


lion  c!e  la  Mission, a  Saiiit-J.azarc-lez-Paiis,  pour 
voir  el  counoislre  I'eslal  de  la  personne  de  M.  de 
Urienne,  detenu  audit  lieu,  de  I'ordre  de  Sa  Ma- 
jest6  et  pour  reutendre;  oil  eslanl,  le  sieur  de 
Saint-Paul,  presire  de  ladite  congregation,  qui 
a  soing  des  pensionnaires ,  nous  a  fait  venir, 
dans  une  salle  do  ladite  ruaison ,  ledit  sieur  de 
IJrienne  qui  y  auroit  esle  amen6  par  un  des  frdres 
de  ladite  congregation  de  la  Mission.  A  I'inlerro- 
galoire  duquel  sieur  de  Brienne,  apres  lui  avoir 
fait  entendre  le  sujet  de  nosire  transport,  suivanl 
Ics  ordros  du  Roy,  qui  est  demeure  attach6  a  la 
niinutledespr^senles,  nousaurions  proc6d6ainsi 
qu'il  en  suit: 

»  Interrog6  de  son  nom  et  surnom, —  a  dit 
qu'il  s'appelle  Louis-Henry  de  Lom6nie. 

»  Quel  age  il  a  ,  —  a  dit  qu'il  est  ag6  de  cin- 
quanle-six  ans  ,  estant  ne  en  rann6e  mil  six  cens 
trenfe-six. 

»  S'il  y  a  long-temps  qu'il  est  en  la  raaison  de 
Saint-Lazare,  —  a  dit  que  le  vingt-liuitiesme 
Janvier  dernier  pass6  il  y  a  eu  dix-huit  ans. 
»  Si  il  sait  lesraisons  pour  lesquelles  il  y  a  ete  mis, 
— a  dit  qu'il  n'en  scait  aucunes,  el  que  neanraoins 
il  nous  dira  verilablement  ce  qu'il  en  scait,  qui 
est  que  depuis  le  d6c6sde  sa  ferame  il  s'est  relir6 
aux  peres  de  I'Oraloire,  oii  il  a  demeure  six  an- 
nees  ou  environ,  et  que,  y  estant,  madame  de 
Gamache,  sa  soeur,  luy  vinl  proposer  de  faire  le 
mariage  d'une  de  ses  filles,  qui  depuis  a  esl6  ma- 
rine a  M.  de  Pougny ;  a  laquelle  proposition  il  re- 
pondil  fort  simplement  qu'il  ne  devoit  pas  se 
mesler  de  mariage  entre  cousins-germains;  que 
quelque  temps  apres  le  sieur  de  I'Egle,  qui  avoit 
une  maison  a  riuslitut,  le  vint  trouver  et  luy  fit 
entendre  qu'il  y  avoit  n6cessil6  qu'il  sorlit  de  I'O- 
raloire; a  quoi  il  r^pondit  que  sa  vocation  estoit 
bonne,  qu'il  estoit  fort  content  du  lieu  ou  il  estoit 
et  qu'il  n'en  vouloit  pas  sortir;  mais  depuis  ledit 
temps,  ledit  sieur  de  I'Egle  I'ayant  encore  sollicit6 
plusieurs  fois  de  sortir,  il  en  pril  la  resolution  et 
fut  logcr  dans  la  grande  rue  du  faubourg  Saint- 
Jacques,  vis-a-vis  Sainl-Magloire;  el  comme  il 
devoit  environ  bail  ccjis  livres  a  ses  cr^auciers, 
il  fut  cx6cule  par  un  eu  ses  mcubles :  ce  qui  le  fa- 
cba  extrfimement  el  I'obligea  de  se  retirer  cbez 
l)alanc6,  cliirurgicn,  etdese  scrvirde  ce  temps-la 
pour  se  faire  guerir  d'un  ulcere  qu'il  avoit  a  la 
gorge;  et  apres  qu'il  eust  esl6  gu6ri  il  se  retira 
dans  le  monaslere  des  Augustius  du  faubourg 
Saint-Germain;  etayanl  appris  lorsqu'il  y estoit, 
qu'il  y  avoit  plusieurs  ardiersqui  vouloient  I'ar- 
resler,  il  pril  la  resolution  de  sortir  bors  du 
loyaume  et  sen  alia  dans  les  Etats  de  M.  le  prince 
de  Mecklcmbourg,  oil  il  a  demeur6  pros  de  trois 
ans, cl  ensuile  est  revenu  en  France,  et  semil  vo- 
loiitairemcnt  dans  I'abbaye  de  Saint-Gcrmain-des- 
Pros ;  et  a|)r6s  y  avoir  demeure  quelque  temps,  le 
jMieur  Tavertil  qu'il  avoit  un  ordrc  verbal  de  le 
faire  rester  dans  la  maison;  mais  quelque  (eni[»s 
apresilalla  a  Sainl-|{enoil-sur-F.oir,  sur  la  pro- 
Mipsse  qu'on  luy  avoil  faile  qu'il  y  passcroit  les  cl^s 


el  qu'il  revieudroit  passer  les  bivers  ^  Paris.  On 
estant  demeur6  a  Sainl-Benoil  jusqu'au  mois  de 
decembre,  le  p6re  Bracbet  luy  apporla  un  ordre 
pour  rester  k  Saint-Benoit,  ce  qui  lui  donna  I'oc- 
casion  de  prendre  la  resolution  de  venir  trouver 
le  Roy  pour  se  jeller  a  ses  pieds  el  luy  deraan- 
der  ses  ordres  directeraenl;  et  pour  le  faire  avec 
prudence ,  il  s'adressa  au  sieur  Bonlemps ,  qu'il 
pria  de  dire  a  Sa  Majeste  son  arrivee  ,  et  I'as- 
sura  qu'il  deraeureroit  a  I'bostellerie  du  P6Iican 
jusqu'a  ce  qu'il  eill  recu  I'ordre  de  Sa  Majest6, 
lequel  ordre  il  attendil  pendant  trois  jours.  Un 
exempt  du  sieur  grand  pr6vosl  vinl  le  prendre 
a  Versailles  et  Tamena  en  la  maison  de  Saint- 
Lazare  ,  ou  il  est  demeure  depuis  ledit  teraps. 

»  Si  il  se  trouve  bien  dans  la  maison  de  Saint- 
Lazare  ou  il  est,  el  si  il  veul  y  demeurer,  —  a  dit 
qu'il  consent  fort  de  demeurer  dans  la  maison  du- 
dit  Saint-Lazare  oii  il  est,  pourvu  qu'on  I'oste  de 
I'appartement  des  pensionnaires ouil  est,  qui  est 
celuy  des  personnes  qu'on  enferme  par  correc- 
tion ,  el  qu'on  lui  donne  une  liberie  honneste 
d'aller  et  venir  dans  la  raaison  ,  voir  des  person- 
nes de  merite  el  bonne  conversation,  amis,  el  qui 
ont  coustume  de  venir  en  ladite  raaison. 

»  Interroge  sy  il  se  trouve  I'esprit  libre  et  en 
eslal  de  gouverner  ses  affaires  et  d'enlrer  en  con- 
versation avec  les  prestres  de  la  mission  de  Saint- 
Lazare,  —  a  dit  qu'ouy,  mais  que  quoiqu'il  ayt 
I'esprit  fort  sain  et  en  fort  bou  eslal  d'eslre  en 
conversation  avec  messieurs  de  Saint-Lazare  et 
capable  de  gouverner  ses  affaires,  neantraoins  il 
a  des  infirmiies  corporelles  qui  ne  le  laissent  pas 
en  repos,  en  sorte  qu'il  ne  peutpas  dire  qu'il  soil 
trois  jours  en  sanle,  el  qu'il  ne  demande  qu'a  de- 
meurer en  la  raaison  oh  il  est  et  de  songer  a  y 
raourir. 

»  Interroge  sy  il  a  quelque  requisition  a  nous 
faire,  ou  quelque  demande  dont  nous  puissions 
rendrecompte  a  Sa  Majeste,  —  a  dit  qu'il  sou- 
baiteroit  seulement  avoir  la  consolation  de  vivre 
en  communaule  avec  messieurs  de  Saint-Lazare, 
de  convcrser  avec  eux  et  de  faire  les  exercices 
ordinaires  de  la  maison  ,  aulanl  que  sa  sanl6  luy 
pourra  peruicltrc,  et  de  n'eslre  pas  oblig6  de  de- 
meurer avec  ccux  qui  sonl  enfermes  ou  pour  d6- 
mcnce  ou  pour  correction,  de  ne  sortir  et  de  n'al- 
ler  promencr  qu'avec  eux,  ne  demandant  neant- 
raoins qu'une  liberie  bon«sle  pour  demeurer  dans 
rintericur  de  la  maison. 

»  Interroge  avec  quelles  personnes  il  voudroit 
convcrser,  —  a  dit  qu'il  voudroit  converser  avec 
des  gens  de  leltres  el  avec  son  procureur  et  gens 
d'affaires. 

»  Interroge  pourquoy  il  veut  voir  ses  gens  d'af- 
faires, —  a  dit  qu'il  ne  scait  pas  quelle  proce- 
dure on  a  pu  faire  conlre  luy  pendant  le  temps 
qu'il  a  esie  enferme;  mais  que  sy  on  a  fait  une 
inlerdiclion,  il  veul  se  pourvoir  conlre  ;  el  connne 
il  a  fail  une  donnalion  de  lout  son  bien  a  ses  en- 
fatis  et  ne  s'esl  reserve  que  cinq  nii!  livres  de 
rente  viagere,  el  une  fois  mil  escus ,  pour  disj)o- 


KT    SHU    SE.S    MEMOIKES. 


XIII 


ser  pai'lestament,el  I'usufruil  de  sabibliolh^que, 
il  souhaile  de  faire  les  procedures  n^cessaires  pour 
s'en  faire  payer  et  faire  casser  I'inlerdiction ,  sy 
aucune  a  est6  conlre  luy  prouoncee,  parce  qu'a 
present  ou  ue  paye  que  deux  mil  livres  pour  sa 
pension  aux  p^res  de  Saint-Lazare  et  rail  livres 
pour  ses  entretiens ,  au  lieu  de  cinq  mil  livres 
qu'il  s'est  reserv6es ;  et  qu'k  I'esgard  de  sa  bi- 
blioth^que,  il  demande  qu'on  la  luy  rendc ,  parce 
qu'il  n'a  de  plaisir  que  celuy  del'estude. 

»  Inlerrog6  sy  il  a  quelque  cbose  k  se  plaindre 
sur  sa  nourriture  et  de  la  raanidre  dont  il  est 
traict6  dans  la  raaison,  —  a  dit  qu'il  n'a  point  a 
se  plaindre  du  tout ,  et  au  contraire  il  se  loue  de 
la  charit6  de  M.  Joly;  qu'il  esp6re  de  la  bont6 
du  Roy  qu'il  ordonnera  qu'on  le  s6parera  d'avee 
les  gens  de  correction  et  qu'on  luy  accordera  une 
liberty  honneste  etconvenabledans  ladile  raaison 
de  Saint-Lazare. 

Lecture  faite  de  ce  que  dessus,  —  a  dit  qu'il  y 
pers6vdre  et  a  signe  ;  apr6s  quoi  nous  nous  sora- 
mes  retires. 

»  De  Lomeinie  Bbienne  et  Le  Camus. 

»  En  la  minute  :  Gaudion.  » 

Le  ministre  Pontcharlraiu  se  raontra  tres-fii- 
vorable  a  la  juste  r^claraalion  de  Brienne  ;  mais 
des  influences  plus  grandes  neutraliserent  ses 
bonnes  dispositions.  Le  prisonuier  semblait  les 
deviner  ;  aussi,  des  le  IG  fevrier,  il  ^crivit  au 
ministre  : 

«  Monseigneur , 

»  J'apris,  dimanche  dernier,  par  madarae  de 
Cayen ,  ma  fille,  que  monsieur  le  lieutenant  ci- 
vil avoil  recu  des  ordres  de  Sa  Majest6 ,  qu'il  de- 
voit  me  venir  signifier  le  lundill,  ou  le  jour 
ensuivant  au  plus  tard.  II  a  mesmedit  la  raesme 
cbose  a  mon  procureur ;  cependant ,  Monsei- 
gneur, voila  la  semaine  enli^re  6coul6e  sans  que 
j'aye  recu  de  ses  nouveJIes.  Cela  joint  aux  avis 
que  j'avois  eus  precdderament,  et  qui  m'oblige- 
renl  a  me  donner  I'honneur  de  vous  ecrire  ma 
seconde  leKre  du  7"'%  dont  je  joins  icy  ma  mi- 
nute, craignant  qu'elle  ne  vous  ait  pas  et6  ren- 
due ;  cela,  dis-je,  auroil  augment6  mes  justes 
apprehensions ,  n'esloit  que  M.  Joly,  superieur- 
gen6ral  de  la  Mission  ,  m'euvoya  ,  d6s  le  lundy 
matin ,  la  copie  de  I'arlicle  de  voslre  depesche 
du  8,  qui  me  concerue.  J'ay  6te  confus,  Mon- 
seigneur, des  termes  obligeans  dans  lesquels  cet 
article  est  concu ,  et  je  ne  puis  en  rendre  grace 
a  Sa  Majeste  et  a  vous  que  par  un  respccfueux 
silence,  beaucoup  plus  Eloquent  que  ne  le  se- 
roient  mes  paroles.  Je  vous  supplie  ,  Monsei- 
gneur, les  larnies  aux  yeux,  de  detourner,  par 
voslre  charil6 ,  dont  j'ay  d6ja  recu  (ant  de  preu- 
ves  ,  I'orage  nouvcau  dont  je  suis  menac6  ;  et  de 
vouloir,  s'il  vous  plaist,  adresser  a  M.  Joly  la 
i'6ponse  dont  j'espere  que  vous  voudrez  bien  ho- 


norer  encore  une  fois,  Monseigneur,  voslre  trt^s- 
burable  ,  tr^s-ob6issant  et  tr68-oblig6  servileur, 

»  De  Lomenie  Brienise. 

))  Ce  saniedi  16  fevrier  1692  (au  soir).  » 

Des  le  19  mai  de  la  meme  annd>e,  Brienne 
donna  un  nouveau  (eraoignage  de  resignation  ct 
du  parfait  6tat  de  ses  facull^s  raeutales,  par  une 
lettre  de  reraerciraent  qu'il  adressa  au  mfime  per- 
sonnage ,  et  dont  voici  le  texte  : 

«  Monseigneur , 

»  La  lettre  que  vous  ra'avez  fait  I'honneur  de 
m'ecrire,  en  date  du  17  avril  dernier,  a  eu  son 
effet  a  I'egard  de  M.  le  lieutenant  civil.  II  ra'a 
rendu  prorapte  justice,  conforra6raent  aux  inten- 
tions de  Sa  Majeste.  L'interdiction  insoutenable 
prononc6econtre  moy  futcass6e  saraedy  dernier, 
17  du  courant ,  ensuite  de  Tassembl^e  de  mes  pa- 
rens et  amis,  tenue  le  jour  pr6c6dent  en  I'hoslel 
de  mondit  sieur  le  lieutenant  civil.  Comme  c'est  a 
vous,  Monseigneur,  apr^s  Sa  Majesty,  ^  qui  j'en 
ay  toule  Tobligation ,  je  n'ay  pu  ditKrer  plus  long- 
temps  a  vous  en  rendre  mes  tr^s- humbles  ac- 
tions de  graces.  L'autre  partie  des  ordres  du 
Roy  en  ma  faveur  resle  a  executer.  M.  Joly,  su- 
p6rieur  g6n6ral  de  la  Mission  ,  diff^re  a  me  tirer 
de  la  raaison  des  correctionnaires  ct  des  insens6s, 
pour  meraettre  dans  le  bastiment  des  ordinaires, 
ou  loge  actuellemeut  M.  le  cur6  de  Saint-Hypo- 
lite,  qui  est  a  Saint-Lazare  par  ordre  du  Roy  de- 
puis  plus  de  six  mois,  et  ou  je  dois  estrc  mis,  en 
consequence  des  ordres  de  Sa  Majeste  du  8  fe- 
vrier,  dont  mondit  sieur  Joly  ra'a  donue  un  ex- 
trait  et  qui  sont  conformes  a  ceux  du  raesrae  jour 
que  vous  avez  eu  la  bont6  d'envoyera  M.  le  lieu- 
tenant civil.  Je  vous  supplie,  Monseigneur,  tres- 
respeciueusement,  de  vouloir  prendre  la  peine  de 
luy  en  escrire  un  mot ,  et  de  me  le  faire  reraeltre 
par  M.  Ilersan,  qui  a  bien  voulu  se  charger  de 
vous  rendre  celte  lettre  de  ma  part.  II  a  est6  du 
norabre  de  mes  amis  qui  ont  depose  en  ma  faveur, 
et  il  vous  rendra  compte,  comme  je  Ten  ay  pri6, 
de  tout  ce  qui  s'est  passe  dans  I'asserablee  denies 
parens.  Comrae  je  remetlray  moy-raesnie  vos  or- 
dres enlre  les  mains  de  M.  Joly,  il  ne  pourra 
pas  en  differer  rex^culion.  Du  reste,  Monsei- 
gneur, j'observeray  Ir6s-r6guli6reraent  la  volonie 
du  Roy  qui  m'est  connuc.  Je  ne  deraande  d'auire 
liberie  dans  la  raaison,  que  celle  qui  ra'a  esl6 
accordee.  Jene  sortiray  point  dans  le  clos  uidans 
les  jardins  pour  y  prendre  lair  sans  esire  accom- 
pagn6  du  fr^re  qui  a  soin  de  moy.  Je  n'cnireray 
point  dans  les  chambresdes  preslres  ni  desclercs 
de  la  Mission,  et  s'il  faut  mesnie  que  je  ne  sorle 
point  de  I'apparlement  ou  Ton  me  mellra,  sans 
que  je  sois  accompagn6,  j'y  consens  de  lout  mon 
coeur;  mais  au  nioins  je  n'auray  plus  le  chagrin 
desire  detenu  dans  une  prison.  Les  chaisnes  de  la 
charite  sont  beaucoup  plus  fortes  que  ne  le  sont  les 


>OTICE    sua    LE    COMTli:    DE    BIUE.NSF. 


bai  reaux  ct  Ics  vcrroux.  Je  rcsteray  avec  joye  dans 
Ic  loscmeiil  qu'oii  m'accordera  jusqua  ce  que  j'aye 
enlk^ronieiil  effac^v  par  raa  bonne  conduilc,  tou- 
tes  les  mauvaises  impressions  quon  a  tasc!»6  de 
donncr  dc  moy  a  Sa  Majesle.  Je  ne  nomnie  per- 
sonne;  niais  en  v6ril6,  Monseigneur,  des  calom- 
nies  si  alroces  se  delruiscnt  dclles-nifimes,  et 
j'espere  que  la  palicncc  que  vous  m'ave/  recom- 
n;an(loc  avec  laiil  de  charit6  viendra  a  bout  de 
loul.  Au  resle.  Monseigneur,  je  ne  puis  finir 
sans  vous  (csmoigner  que  jc  prens  toulc  la  part 
que  jc  dois  aux  crandcs  oblinalions  que  vous  a 
M.  llersan.  Son  nierilc  ctsa  probil6  nie  soulcou- 
nus  depuis  long-temps.  Je  vous  en  dirois  davan- 
(age  si  ce  n'estoil  pas  luy  qui  dcust  vous  rendre 
cede  leltre,  ct  si  je  ne  venois  pas  lout  r6cem- 
nicnt  d"estre  justifie  par  son  suCfrage. 

»  Je  suis,  avec  un  Ir^s-profond  respect  et  une 
trds-particuliiljre  reconnoissance,  Monseigneur, 
vostre  Ires-humble  ,  (res-ob6issant  et  Ir^s-oblige 
serviteur, 

»  De  Lomenie  Brienne. 

»  Le  19  mai  1692.  » 

Ce  ne  fut  que  le  17  juin  1692  qu'inlervint  la 
sentence  de  levee  d'inlerdiction  du  lieutenant  ci- 
vil ;  die  fut  precedee  de  Irois  jours  seulement  par 
une  autre  sentence  du  raftme  lieutenant  civil,  qui 
ordonnait  que  Brienne  aurait  un  autre  apparte- 
raent  ct  pourrait  agir  dans  la  maison  de  Saint- 
Lazare  sans  6tre  suivi  de  surveillants.  Mais  les 
hauls  pcrsonnages  qui  tenaient  le  comle  de 
Brienne  sous  clef  s'erapress6rent  d'agir  auprdsdu 
lloi,  et  de  nouveaux  ordres  de  reslreindre  sa  li- 
bert6  intervinrent  bienf6t  apres.  lis  furent  aussi 
sollicit6spar  lesup6rieur  de  Saint-Lazare,  comme 
onle  voit  par  la  lettrc  suivaule  adress6e  a  M.  de 
Pontcharlrain  : 

«  Monseigneur, 

»  Si  je  n'6tois  pas  au  lit  comme  j'y  suis  depuis 
quelques  semaines  a  cause  d'une  fluxion  qui  m'est 
lomb6e  dans  une  jambe,  j'aurois  cu  Ihouneur 
d'allcr  a  vostre  audience  veudredy,  et  de  vous 
porter  la  sentence  reudue,  il  y  eut  bier  huit  jours, 
par  M.  le  lieutenant  civil,  en  faveur  de  M.  de 
Brienne  qui  me  la  fit  donner.  Je  prens  la  liberie 
d'en  enfermer  icy  une  copie,  par  laquello  vous 
verrez,  Monseigneur,  si  vous  avez  agr6able  de 
vous  la  faire  lire,  que  mondil  sieur  le  lieutenant 
civil ,  se  fondant  sur  les  Icllres  du  S*  fevrier  der- 
nier que  vouscscrivistes  dela  parlduRoi,permef 
a  mondil  sleur  de  Brienne  dc  se  promener  dans 
noslre  enclos,  ct  d'allcr  et  venir  dans  nostre  mai- 
son sans  avoir  do  fr6rc  h  sa  suite,  encore  que 
j'eusse  demand^,  dans  Tinterrogaloire  du  niesrae 
M.  de  Brienne,  post6rieur  aux  susdittcs  Icttrcs, 
auquel  mondil  sieur  Ic  lieutenant  civil  voulut  que 
j'assislasse ,   que  si   M.  dc  Brienne  souhaitloil 

(I)  La  Bihliolheqiu'  hisloriquc  ((iiiit.  Fonlclle)  iudiquc 
mala  proposlos  M(^iiioircsde  Brienne  comme  faisjinlpar- 
tie  (Ic  la  collccli(in(iai{.Miiere.  Nou?  .'lyoiis  \('v\r\6  cc  fait. 


d'avoir  la  Iibert6  d'allcr  dans  noslre  enclos  eldans 
noslre  maison  sans  avoir  de  frere  avec  lui ,  nous 
fussions  descharg^s  de  I'obligation  de  le  garder, 
comme  il  nous  est  ordonne  de  faire  par  la  leltre 
de  cachet  du  Uoi ,  du  27  Janvier  1674,  contre- 
sign6e  par  feu M. Colbert;  ensuiltedequoi,  Mon- 
seigneur, vous  vous  donnastes  la  peine  d"escrire 
au  mesmo  M.  de  Brienne,  qui  me  commuuiqua 
vostre  leltre,  et  de  lui  mander  que  le  Roy  ne  ju- 
gcoit  pas  apropos  de  luy  donner,  pour  le  present, 
une  enti^re  liberie,  et  que  nousavions  raisonde 
le  faire  accompagner  par  un  de  nos  freres.  Jc 
lui  ai  fait  represenler  tout  ceci,  el  que  ce  n'es- 
loit  pas  sur  les  premieres  Icllres  du  8  f6vrier 
qu'il  devoit  se  regler,  niais  sur  la  derni^re  que 
vous  lui  avicz  escrile,  Monseigneur,  de  la  part 
de  Sa  Majesle,  apres  avoir  vu  son  interrogaloire 
ct  nos  trds-hurables  remonlrances.  II  persiste  a 
dire  que  nous  dcvons  obeir  a  la  sentence  de  M.  le 
lieutenant  civil  ,  ce  que  nous  n'avons  pas  sujet 
de  croire  cstre  I'inlention  du  Roy,  uy  la  vostre, 
apres  ce  que  vous  avez  escript  de  la  part  de 
Sa  Majesl6.  J'ay  cru  qu'il  estoit  de  raon  devoir 
de  vous  rendre  coniple  de  cecy,  Monseigneur ; 
sur  quoy,  et  sur  toule  autre  chose,  j'attendray 
I'honneur  de  vos  commandemens  pour  les  exc^- 
cutcr  fid61eraent ,  ct  je  suis  tousjours,  avec  un 
tres-profond  respect,  Monseigneur,  vostre  tr6s- 
humble  et  tres-ob6issant  servileur, 

»  JOLY, 

»  Indigne  prestre  de  la  congregation 
de  la  Mission.  » 

Plus  lard ,  Brienne  eut  permission  de  se  relirer 
a  I'abbaye de  Saint-S6verin  de  Chateau-Landon,  ct 
il  y  mourut  en  1698.  «  C'^loit  un  borame  d'un 
beau  g6nie,  dil  le  g6n6alogiste ,  d'une  grandc 
Erudition,  poele,  et  la  poesie  le  perdil.  » 

Ainsi  finil  malheureuseraeut  Ic  fds  du  comle 
de  Brienne,  cc  fils  pour  lequel  il  avail  6cril  ses 
Memoires ,  confiant  qu'il  6tail  dans  I'avenir  de 
I'enfant  auquel  il  deslinait  lanl  de  lejons  de  sa- 
voir,  d'exp6rience  et  de  probite. 


Les  M6moires  (1)  du  comle  de  Brienne  furent 
Merits  apres  sa  retraile ,  en  1663  (2) ,  comme  il 
I'indique  d6s  les  premieres  lignes  de  son  travail. 
lis  embrasscnt  un  espacc  de  plus  de  quarante 
annees.  Les  ev6nemenls  marquants  du  regne 
de  Louis  XIII  el  de  la  premiere  nioili6  de  ce- 
lui  de  Louis  XIV  y  sont  rapport6s  avec  une 
grande  exactitude;  et  les  singularil^s  caracl6ris- 
tiques  du  g^nie,  si  different,  des  deux  premiers 
minislres  ,  Richelieu  el  Mazarin,  y  soul  parfai- 
temenl  expos6es.  Brienne  exprime  son  opinion 
sur  CCS  deux  pcrsonnages  avec  une  honnele  li- 
berie. 

(2)  lis  onl  (5tc  imprimc^s  pour  la  premiere  fois  en  1717, 
trois  volumes  in-12,  puis  reimprimc^s  en  17-23. 


ET   sun    SES    MEMOIUKS. 


Les  mulilalions  que  ces  M6moires  ont  subies 
privaientlelecleurde  laconaaissance  dequelques 
renseigneraenls  peu  r^pandus,  sur  I'etat  des  rap- 
porls  de  la  France  avecdes  puissances  voisiues  ou 
alli^es.  L'Angleterre,  ou  le  comte  de  Brienne avail 
conduit  la  raalheureuse  Henrielle  Marie  de  Fran- 
ce, femmede Charles  1", atlira  conslaraMenl,d§s 
I'annee  164i,  I'altention  du  gouvernemenl  fran- 
rais,  qui  voyait  s'avancer  a  grands  pas  uue  rd-- 
volulion  raenacanle  pour  un  (roue  occupe  par 
une  fille  de  France;  les  relations  intiraes  de  la 
France  avec  cc  pays  devaient  fournir  un  clia- 
pitre  int^ressant  aux  M6moires  de  Brienne; 
cependant  lous  les  documents  qui  se  rapportent 
aux  affaires  de  ce  royaume  avaient  disparu  de  ces 
M6raoires;  nous  avons  eu  le  soin  de  les  retablir. 

On  pent  suivre  dans  ces  fragments  nouveaux 
les  differentes  phases  de  la  raauvaise  fortune  de 
Charles  I";  ils^nous  r^v^lent  aussi  I'impuissance 
des  efforts  de  la  France  pour  amener  uue  recon- 
ciliation enlre  la  chambre  des  communes  et  I'au- 
torit6  royale  en  Angleterre ;  et  lorsque  le  Roi  est 
arrets,  que  les  communes  se  sent  eraparees  du 
pouvoir,  un  grand  int6r6t  s'attache  ,  dans  le  r6cit 
de  Brienne,  aux  letlrespressantes  adressees  par 
Louis  XIV  a  Cromwell  et  aux  autres  membres 
influents  du  parlement ,  leltresaccompagnees  de 
menaces  aussi  impuissantes  que  dedaignees.  La 
mort  de  Charles  I"  suspendit  toutes  les  relations 
avec  I'Angleterre.  En  attendant  qu'elles  soicnt  re- 
prises, Brienne  nous  retrace  les  efforts  du  Roi  de 
France  pour  faire  reussir  I'entreprise  du  due  de 
Guise  sur  Naples,  en  1647 et  1648,  autre  affaire 
non  nioins  raalheureuse,  qui  se  termine  par  la  pri- 
son du  due.  Les  troubles  de  1648  6claterent  ;  et 
Louis  XIV,  par  les  mains  de  son  secretaire  d'E- 
tat,  demande  au  Pape  des  pridres  pour  le  succds 
de  ses  amies  devant  sa  ville  capitale  qu'il  tient 
assi6g6e.  II  n'est  pas  moins  curieux  de  voir  en 
quels  termes  le  roi  de  France  prie  le  Pape  de 
s'int6resser  aur6tablisseraent  de  I'ordre  dans  son 
royaume,  et  de  quelles  raisons  il  se  sert  pour  de- 
monlrer  au  Saiut-P^re  qu'il  est  int6ress6  au  re- 
pos  et  a  la  prosp6rit6  de  la  France.  Mais  la  Pro- 
vence s'engage  coutre  son  gouverneur ;  les  ordres 
et  les  instructions  du  Roi  et  de  son  rainistre  se 
succ^dent  pour  pacifier  cette  partie  du  royaume, 
et  un  traite,  garanti  par  le  Roi,  iutervieut enfin 
enlre  le  comte  d'Alais  et  le  parlement  d'Aix.  Le 
prince  de  Cond6,  m6content  de  Mazarin,  souldve 
de  nouveau  la  Guienne;  ses  relations  avec  I'An- 
gleterre inqui^tent  le  rainist^re.  Mazarin  fait 
tous  ses  efforts  pour  entamer  des  n^gociations 
avec  le  Protecteur;  des  envoy^s  partent  pour 
Londres  charges  de  lettres  du  Roi    pour  I'usur- 


paleur  de  la  couronne  des  Stuart ,  et  d'instruc- 
tions  secretes  et  pressantcs  pour  gagner  I'assis- 
tance  de  I'Angleterre;  mais,  jalouse  de  profiler 
des  malheurs  de  la  France,  elie  croit  avoir  plus 
a  gagner  avec  le  prince  de  Cond6,  et  deux  fois 
les  teutatives  de  Louis  XIV  furent  repouss6es. 
Enfin,  le  prince  de  Cond6  perd  la  Guienne: 
Cromwell  alors  devient  plus  tradable. 

Tous  ces  fails  sont  nouveaux  et  d'une  au- 
Ihenlicite  aussi  irrecusable  que  les  M6moires 
eux-m6raes  ,  puisqu'ils  sont  pulsus  a  la  m^rae 
source  :  aussi  avons-nous  profit^  avec  empresse- 
mentde  cette  occasion  den  intercaler  le  recita  la 
place  que  I'histoire  leur  assigne  et  d'ou  ils  n'au- 
raient  jamais  dii  etre  rejet^s.  Ces  fragments  ont 
6l6  copies  sur  les  manuscrils  aulographes  du 
comte  de  Brienne,  raomen[an6ment  deposes 
entre  nos  mains;  son  Venture  maigre  et  serrec 
est  une  des  plus  difficiles  a  lire  de  cette  6poque  ; 
les  nombreuses  lettres  autographes  du  comte 
de  Brienne,  qui  existent  dans  dilTerentes  col- 
lections publiques,  nous  ont  permis  den  veri- 
fier I'authenticite ;  ils  lui  appartiennent  r6elle- 
ment. 

On  trouvera  ^galement  dans  ce  mfirae  volume 
(page  297),  un  travail  de  Brienne  d'une  moins 
grande  6tendue,  mais  qui  nc  nitrite  pas  moins 
d'etre  6tudie.  Ce  sont  ses  Observations  sur  les 
Memoir es  de  La  Chalre. 

Ancien  ami  de  ce  dernier  personnage,  Brienne 
eut  occasion  de  lui  rendre  quelques  services; 
mais  il  se  brouilla  avec  lui  lorsque  La  Chalre  fit 
partie  de  la  cabale  des  Imporfanis,  et  ful  exile 
comme  toutes  les  autres  personnes  de  la  m^rae 
faction. 

La  Chalre  ^crivit  ses  Memoires  pendant  I'exil ; 
il  y  maltraita  assez  forlemeut  la  reine  Anne 
d'Aulriche  et  Brienne  son  minislre.  Long- 
temps  apr^s  la  mort  de  La  Chalre,  les  amis 
de  Brienne  lui  firent  voir  ces  Memoires,  et 
Brienne  se  crut  oblig6  d'en  6crire  la  refutation. 
C'estce  petit  discours,  qui  contient  quelques  par- 
ticularites  oubliees  dans  les  Memoires  6crits  par 
ce  minislre  pour  I'inslruclion  de  ses  enfants,  que 
Ton  retrouvera  page  297;  mais  on  rcproche  g6- 
n6ralement  a  ces  Observations  d'elre  une  apolo- 
gie  trop  d6clar6e  de  la  reine  Anne  d'Aulriche. 

Ainsi  ces  Memoires,  comme  lous  les  autres 
ouvrages  dont  nousdonnons  une  edition  nouvelle 
dans  cette  Collection,  se  recommanderont,  aux 
litterateurs  de  noire  ^poque  et  des  temps  a 
venir,  par  des  additions  inediles  qui  ajoulenl 
quelques  nouvelles  v^rites  a  celles  dont  chaque 
jour  s'enrichit  noire  histoire. 

A.  C. 


MEMOIRES 


DU  COMTE  DE  BRIENNE 


PREMIERE  PARTIE. 


Mesenfans,  je  crois  que  Dieu  m'a  conserve 
la  vie  jusques  a  present  et  m'a  donne  du  re- 
pos ,  afin  que  je  puisse  vous  mettre  par  ecril  les 
choses  quej'ai  vues  et  auxquelles  j'ai  eu  part, 
et  les  adversites  que  j'ai  ressenties.  Je  ne  pre- 
sume point  que  ma  vie  soit  de  celles  qu'on  pro- 
pose pour  modele ;  mais  elle  se  trouve  entreme- 
leede  tantd'accidens,  qu'elle  pourra  contribuer 
en  quelque  facon  a  votre  instruction ,  et  vous 
porter  peut-etre  a  rendre  a  d'autres  le  meme 
service.  Je  souhaite  que  vous  y  imitiez  ce  que 
vous  approuverez,  et  que  vous  y  joigniez  ce  que 
vous  jugerez  a  propos. 

Je  vous  dirai  d'abord  qu'il  faut  que  vous 
soyez  persuades  qu'il  n'est  jamais  permis  de 
faire  une  chose  mauvaise,  quelque  avantage 
qu'on  en  puisse  tirer  ;  et  que  le  service  de  Dieu 
doit  etre  prefere  a  tous  les  honneurs  et  a  toute 
la  gloire  du  monde. 

Je  commencerai  ces  Memoires  par  des  ac- 
tions de  graces  que  je  dois  a  la  bonte  divine  de 
ce  que,  quoique  mon  pere  professtlt  la  religion 
pretendue  reformee,  je  fus  neanmoius  baptise 
et  eleve  dans  la  catholique  ,  apostolique  et  ro- 
maine,  dans  laquelle  j'espere,  avec  le  secours 
de  la  grace ,  vivre  et  mourir.  J'eus  aussi  ia 
consolation  de  voir  que  mon  pere  en  fit  profes- 
sion ,  et  qu'il  y  persevera  le  reste  de  ses  jours , 
reconnoissant  qu'elle  seule  nous  montre  la  voie 
du  salut  qui  nous  est  acquis  par  le  sang  de  No- 
tre Seigneur  Jesus-Christ,  qu'il  a  repandu  pour 
nous  sur  lacroix,  et  qu'il  a  offert  a  son  pere 
pour  la  redemption  de  tous  les  hommes ;  que 
s'ils  n'en  font  pas  I'usage  qu'ils  doivent,  ils  ne 
peuvent  I'attribuer  qu'a  leur  peu  de  foi ,  au  pen 
d'amour  qu'ils  ont  pour  Dieu  et  de  charite  pour 
le  prochain. 

Je  dois  dire,  a  la  gloire  de  celui  auquel  je 
rapporte  toutes  mes  actions ,  que  je  suis  ne  d'une 
mere  catholique  dont  la  vie  est  en  odeur  de 
saintete ,  qui  a  eu  le  bonheur  de  servir  Dieu ,  et 

in.    C.    D.    M.,    T.    III. 


la  consolation  d'avoir  eu  un  mari  qui  lui  etoit 
tres-cher ,  rentre  dans  le  sein  de  I'eglise  dont 
il  etoit  sorti  par  le  malheur  des  temps.  L'assu- 
rance  qu'elle  avoit  que  la  conversion  de  son 
epoux  etoit  utile  a  ses  enfans,  augmenta  sa  joie, 
et  la  fit  mourir  de  la  mort  des  justes.  Elle  fut 
favorisee  dans  ce  passage  terrible  par  les  sacre- 
mens  de  I'Eglise ,  et  par  une  entiere  confiance 
dans  les  misericordes  infinies  de  Jesus-Christ, 
dont  elle  recut  le  corps  et  le  sang  adorable. 

J'entraiau  college  en  I'annee  1601 ,  d'oii  mon 
pere  me  tira  en  1604  ,  pour  m'envoyer  en  Al- 
lemagne,  contre  la  volonte  de  ma  mere,  a  qui 
mon  eloignement  fitbeaucoup  de  peine.  Jetrou- 
vai  dans  mon  voyage  plusieurs  princes  si  zeles 
pour  le  service  du  Roi ,  qu'ils  embrassoient 
toutes  les  occasions  d'en  donner  des  preu- 
ves  dans  leurs  cours  ;  et  parce  qu'ils  sa- 
voient  que  mon  pere  etoit  en  consideration  dans 
celle  de  France ,  il  n'y  avoit  point  de  bons  trai- 
temens  que  je  ne  recusse  d'eux ,  jusque-la  que 
plusieurs  m'envoyoient  querir ,  et  que  d'autres 
me  faisoient  I'honneur  de  me  venir  visiter ,  quoi- 
que je  ne  fusse  encore  qu'un  ecolier  qui  n'avoit 
point  de  train  et  ne  faisoit  aucune  depense.  J'al- 
lai  d'Allemagne  en  Pologne ,  d'ou  je  ren- 
trai  dans  I'Empire;  de  Vienne,  je  fus  en  Hon- 
grie ,  d'ou  je  revins  pour  passer  en  Italic.  J'ar- 
rivai  a  Venise  le  jour  que  M.  de  Charapigni , 
ambassadeur  de  France,  y  faisoit  son  entree; 
et  Ton  y  entendoit  de  toutes  parts  le  peuple 
chanter  les  louanges  du  roi  Henri-le-Grand,  a 
qui  la  republique  etoit  redevable  de  son  repos, 
ayant  par  sa  puissance  et  par  sa  sagesse  pacifie 
le  differend  qu'elle  avoit  eu  avec  le  Pape. 

Je  n'eus  pas  la  consolation  de  trouver  ma 
mere  en  vie  a  mon  retour ,  Dieu  en  ayant  dis- 
pose des  I'annee  1608  ;  et  je  ne  revins  a  Paris 
que  le  dernier  du  mois  de  novembre  de  I'annee 
suivante.  C'etoit  dans  le  temps  du  voyage  que 
le  roi  Henri-Ie-Grand  faisoit  en  Picardie. 

1 


.le  parus  a  la  com-  dans  la  qiiinzieme  annee 
de  mon  <1fie.  Les  cntretiens  les  plus  ordinaircs 
Otoiont  (k's  grands  preparatifs  dc  guerre  que  le 
Roi  faisoit,  des  grandes  levees  de  cavalerie 
el  d'infanterie  qu'il  avoit  ordonnees ,  et  d'un 
corps  considerable  de  Sulsses  dent  il  vouloitaug- 
nticnter  rarmccqu'il  devoil  commander  en  per- 
sonne.  II  en  faisoit  former  deux  autres,  dont  Tune 
etoit  pour  entrer  en  Italie,  sous  le  commaude- 
incnt  de  Lesdiguieres,  qui  devoit  etre  joint  par 
le  due  de  Savoie ,  a  qui  Sa  .Majeste  avoit  fait 
promettre,  pour  le  prince  de  Piemont  son  fiis, 
madame  Klisabeth  de  France,  sa  fille  aiuee,  qui 
fut  depuis  mariee  au  prince  d'Espagne. 

Celte  princesse  devoit  avoir  eu  dot  le  Mila- 
nais  ,  ou  du  moins  une  partie  de  ce  fertile  du- 
chc,  dont  le  Roi  se  reservoit  quelques  portions 
pour  les  distribuer  aux  princes  italiens  qui , 
dans  Ten  vie  d'assurer  leur  liberie,  voudroient 
joindre  leurs  armcs  aux  siennes.  Ce  grand  rao- 
narque  n'avoit  d'autre  dessein  que  d'affoiblir 
ceux  qui ,  contre  toute  sorte  de  justice ,  avoient 
engage  par  force  ses  sujets  rebelles  a  lui  man- 
quer  de  lidelite,  apres  avoir  signe  avec  Sa  Ma- 
jeste la  paix  qu'elle  observoit  tres-religieuse- 
ment  de  sa  part. 

.le  sais  bien  qu'on  a  voulu  reprocher  a  ce 
prince  I'assistance  quW  avoit  donnee  aux  Pro- 
vinees-Unies  depuis  le  traite  de  Vervins;  raais 
c'est  parce  qu'on  ignoroit  qu'il  avoit  declare  aux 
Espagnols,  qu'en  excluant  les  Etats-generaux 
de  la  paix  qu'ils  demandoient,  il  ne  pouvoit 
en  abandonner  la  protection,  ni  refuser  son  as- 
sistance a  la  reine  de  la  Grande-Bretagne,  qui 
dans  les  occasions  lui  avoit  rendu  le  meme  ser- 
vice ,  aussi  bien  que  cette  republique  naissante ; 
a  moins  que  les  differends  de  ces  deux  puissan- 
ces ne  fussent  termines  par  un  bon  traite. 

.le  discontinuerai  de  parler  de  ce  grand  Roi , 
mon  dessein  n'etant  point  d'ecrire  sa  vie.  Je  ne 
dois  pas  toutefois  passer  sous  silence  que ,  dans 
le  temps (juil  tenoit  conseil  avec  ses  ministres, 
il  me  permettoit  souvent  d'y  rester;  et  un  jour 
que  je  voulus  me  retirer  par  discretion,  il  m'en 
fit  une  severe  reprimande,  en  me  disant  qu'il 
ne  pouvoit  se  Her  a  moi ,  puisquc  je  paroissois 
me  defier  de  moi-meme. 

Une  mort  violente  I'enleva  a  ses  sujets.  La 
joie  de  la  Reine  fut  changee  en  deuil ;  les  grands 
desscins  que  ce  monarque  avoit  formes  s'eva- 
nouirent,  et  les  peuples  se  trouvcrent  dans  I'e- 
tonnmient  etdans  la  douleur.  Quelques  rois  et 
quelques  souverains,  qui  s'en  rejouirent,  ne  lais- 
scrent  pas  de  le  regretter,  et  its  ne  tirerent  point 
de  cette  morl  les  avantages  qu'ils  s'en  etoient 
promis  ,  car  ses  arraees  triompherent  des  leurs , 


MEMOIUES    1)1     COM  IF.    UE    !!RIEr«>'E  , 

et  retablirent  dans  Juliers  les  heritiers  legitimes, 
qui ,  etant  assures  de  la  protection  du  Roi , 
avoient  pris  les  amies  pour  se  mettre  en  pos- 
session de  celte  principaute  et  pour  eu  cbasser 
renipereur  Rodolphe,  qui ,  sous  un  pretexte  spe- 
cieux  de  la  vacance  du  fief,  croyoit  que  la  dis- 
position lui  en  etoit  devolue  ,  ou  que  du  moins 
il  etoit  le  seul  juge  qui  pourroit  prononcer  sur 
le  differend  des  parties.  II  y  avoit  plusieurs  pre- 
tendans  :  i'electeur  de  Brandebourg  ,  le  due  de 
Neubourg  ,  allies  a  la  France;  I'electeur  de 
Snxe ,  et  quelques  autres  princes  proteges  par 
I'Empereur  et  par  le  Roi  Catholique,  dont  les 
projels  connus  tendoient  a  relablir  la  monarcbie 
universelle ;  ce  qui  a  faitrepandre  tant  de  sang 
et  epuiser  de  si  grands  tresors. 

J'eutrai  au  service  du  roi  Louis  XIII ,  qui  me 
recut  avec  bonte ,  en  consideration  de  ceux  que 
mon  pere  avoit  eu  I'honneur  de  rendre  a  Henri- 
le-Grand  et  a  la  reine  Marie  de  Medicis,  qui , 
etant  declaree  regente,  avoit  marque  les  avoir 
agreables.  Pendant  les  premieres  annees  du 
regne  je  n'avois  point  d'autre  occupation  que 
de  suivreSa  Majeste,  et  ra'appliquer  a  acquerir 
I'honneur  de  ses  bonnes  graces  .,  a  quoi  j'ai 
reussi.  Je  fis  un  voyage  en  Angleterre,  et  je  trou- 
vai  ce  royaume  afflige  de  la  mort  du  prince 
Henri ;  mais  son  pere  et  le  public  s'en  console- 
rent  aisement,  parce  que  ce  prince  avoit  fait 
paroitre  en  plusieurs  occasions  trop  de  fierte ,  et 
I'envie  qu'il  avoit  de  regner  en  monarque  ab- 
solu.  II  s'entretenoit  souvent  de  ce  qu'il  falloit 
falre  pour  y  parvenir  ,  des  raoyens  de  se  mettre 
en  credit  en  Hollande,  et  d'etre  considere  par 
les  religionnaires  en  la  province  de  Guienne , 
qu'il  regardoit  toujours  comme  j'ancien  heri- 
tage de  ses  peres. 

[  1 G 1 3  ]  Je  me  trouvai  au  mariage  de  la  prin- 
cesse Elisabeth  ,  dont  I'esprit  et  I'ambition  ont 
cause  beaucoup  de  troubles  a  la  chretienle.  Le 
prince  Maurice  et  le  raarecbal  de  Bouillon  lui 
conseillerent  d'engager  son  mari  a  accepter  la 
couronne  de  Boheme,  que  les  grands  et  le  peuple 
lui  offroient.  Le  premier  fut  d'avis  qu'il  se  fit 
couronner ,  et  le  second  qu'il  se  contentat  du 
litre  de  capitaine-general  jusques  a  ce  que  ses 
affaires  fussent  bien  elablies. 

[  1(>  14  ]  Les  grands  ,  ne  pouvant  souffrir  d'e- 
tre exclus  entierement  de  I'adminislration  de 
I'Etat  et  d'etre  gouvernes  par  les  conseils  du 
marquis  d'Aucre,  s'eloignerent  de  la  cour.  lis 
eurent  pour  chef  le  prince  de  Conde;  et,  s'etant 
assembles  a  Mezieres ,  ils  publierent  un  mani- 
feste  appuye  d'un  arret  du  parlement  qui  or- 
donna  aux  princes  ,  aux  dues  et  pairs  et  aux  of- 
ficiersde  la  couronne,  de  se  trouver  dans  les 


PBEMIEBE    PAUTIE. 


assemblees  pour  voir  et  examiner  ce  qu'il  fau- 
droit  faire  pour  la  reformation  de  I'Etat. 

Le  marquis  d'Ancre  voyant  bien  que  les 
princes  ne  manqueroient  pas  de  soutenir  le  due 
de  Longueville  ,  avec  lequel  il  s'etoit  brouille  a 
cause  de  la  preference  qu'il  avoit  eiie  de  la  lieu- 
tennuce  generale  de  Picardie  et  du  gouverne- 
ment  de  la  citadelle  d'Amiens ,  ce  marquis  se 
reunit  a  ceux  qui,  sous  le  nom  de  ministrcs,  gou- 
vernoient  I'Etat.  C'etoient  le  chancelier  de  Sil- 
lery,  leduc  de  Villeroy  et  le  president  Jeannin, 
tons  consommes  dans  les  affaires,  dont  ils 
avoient  acquis  une  connoissance  parfaite  par 
une  longue  experience  ,  et  qui  par  leur  merite 
avoient  gagne  Testime  et  la  confiance  du  roi 
Henri-le-Grand. 

L'entreprise  du  parlemeut  fut  biamee.  II  lui 
fut  fait  defense  de  contiuuer  ses  deliberations; 
et  neanmoins  11  ordonna  que  tres-humbles  re- 
montrances  seroieut  faites  au  Roi  de  bouche  et 
par  ecrit.  Les  grands  appuyerent  cette  delibera- 
tion ;  et  s'etant  eloignes  de  la  cour ,  on  leur  en- 
voya  des  deputes  pour  les  obliger  a  revenir.  lis 
firent  un  traite  par  lequel  il  fut  resolu  qu'on  as- 
sembleroit  les  Etats-generaux ,  et  que  le  chateau 
d'Araboise  seroit  remis  entre  les  mains  du  prince 
de  Conde  ,  pour  lui  servir  de  place  de  siirete  , 
jusqu'a  ce  que  les  Etats  eussent  ete  convoques 
et  assembles. 

II  se  passa  quelque  chose  a  Poitiers  qui  fit 
croire  que  le  due  de  Rohan,  de  concert  avec  le 
prince  de  Conde,  avoit  resolu  de  s'en  rendre  le 
maitre  ,  et  que  M.  de  Veudome  formoit  un  parti 
en  Bretagne.  Le  voyage  de  Poitiers  avec  oelui 
de  Nantes  furent  resolus ;  la  presence  du  Roi 
apaisa  les  troubles  du  Poitou,  el  I'assemblee  des 
Etats  de  Bretagne,  dans  la  ville  de  Nantes,  reta- 
blit  le  calme  et  la  tranquillite  dans  cette  pro- 
vince. On  expedia  cependant  les  commissions 
necessaires  pour  la  convocation  des  Etats-gene- 
raux ,  qui  furent  tenus  a  Paris  sur  la  fin  de  I'an- 
nee  1614  et  au  commencement  de  la  suivaute. 
Les  deputes  des  bailliages  et  senechaussees  qui 
ont  voix  et  seance  dans  les  douze  gouvernemens 
furent  a  peine  arrives ,  que  le  Roi ,  les  princes  et 
la  cour  firent  leurs  brigues  pour  laire  tomber  la 
presidence  aux  plus  gens  de  bien.  Les  princes 
tacherent  de  la  faire  donner  a  leurs  creatures. 
Jefus  moi-meme,  malgre  ma  jeunesse,  employe 
a  assurer  au  service  de  Sa  Majeste  queiques-uns 
des  deputes,  en  recommandant  plusieurs  d'en- 
tre  eux  pour  etre  elus  presidens  de  leurs  cham- 
bres.  L'ordre  que  Ton  observa  dans  la  derniere 
assemblee  des  Etats  fut  avantageux  a  la  cour  , 
parce  que  les  cardinaux  et  rarche\  eque  de  Lyon 
y  furent  declares  presidens  du  clerge  :  les  pre- 


[161  o]  :^ 

miers,  a  cause  de  leur  dignite ,  sans  aucune  con- 
testation. Le  rang  et  les  fonctions  du  second 
avoient  fait  naitre  quelque  difficulte  ;  et  les  pro- 
testations qu'on  fit  au  contraire  ayant  ete  enre- 
gistrees,  on  ne  laissa  pas  de  passer  outre  ,  sans 
tirer  a  consequence  ni  prejudicier  au  droit  des 
parties. 

L'archeveque  de  Lyon,  en  qualite  de  presi- 
dent, fit  la  harangue  de  I'ouverture  des  Etats  ; 
le  baron  de  Pont-Saint-Pierre  paria  pour  la  no- 
blesse ,  sans  avoir  la  qualite  de  president ;  et 
pour  !e  tiers- etat  le  prevot  des  marchands  de  Pa- 
ris et  le  lieutenant  civil  furent  elus  presidens  ; 
mais  ce  fut  seulement  par  le  suffrage  des  depu- 
tes, et  non  pas  parce  que  Tun  etoit  le  premier 
officier  de  I'Hotel-de-Ville,  et  I'autre  le  premier 
administrateur  de  la  justice  :  ce  qui  meme  soui- 
frit  quelque  contestation.  Je  n'entreprends  point 
de  faire  ici  le  detail  ni  I'histoire  abregee  detout 
ce  qui  s'y  passa,  plusieurs  autres  en  ayant  parle; 
mais  je  dirai  seulement  que  le  Roi  declara  qu'il 
n'avoit  convoque  ses  sujets  que  pour  ecouter  leurs 
plaiutes  et  leur  rendre  justice.  Plusieurs  deputes 
pretendoient  quelque  chose  de  plus,  et  deman- 
derent  a  etre  conserves  dans  leurs  deputations 
jusques  a  ce  que  leurs  cahiers  eussent  ete  repon- 
dus.  Mais  la  uecessite,lesanciens  usages  et  I'au- 
torite  prevalurent;  et  le  Roi,  ayant  ete  declare 
majeur  avant  I'ouverture  des  Etats,  leur  or- 
donna de  dresser  leurs  cahiers  et  de  les  lui  pre- 
senter, leur  promettant  qu'il  auroit  soin  de  les 
faire  examiner  ,  et  d'y  repondre  favorablement. 
[1615]  Les  deputes  se  separerent  sur  cette 
esperance  ,  et  s'en  retournerent  dans  leurs  pro- 
vinces. Ceux  qui  avoient  fait  de  fortes  instances 
pour  la  tenue  des  Etats-generaux  n'etant  point 
assez  satisfaits  des  graces  qu'ils  avoient  recues, 
particulierement  le  prince  de  Conde  ,  qui  etoit 
fache  de  ce  qu'on  I'avoit  oblige  de  remettre  Am- 
boise  ,  ils  firent  tous  leurs  efforts  pour  retablir 
leur  parti  dans  le  parlement,  qui  rendit  un  arret 
par  lequel  il  ordonna  que  tres-humbles  remon- 
tranccs  seroient  faites  au  Roi ,  de  bouche  et  par 
ecrit,  taut  sur  la  malversation  de  ses  finances  et 
le  renversement  des  lois  de  I'Etat ,  que  sur  la  li- 
cence que  ceux  qui  avoient  soin  du  gouverne- 
ment  se  donuoient  de  disposer  des  biens  du  pu- 
bUc  et  de  celui  des  particuliers;  de  ce  que  les 
etrangers  etoient  eleves  aux  dignites  au  preju- 
dice des  Francois ,  a  la  honte  de  la  nation  et  au 
grand  dommage  de  I'Etat,  et  de  eeque  les  pla- 
ces les  plus  considerables  leur  etoient  confiees. 
L'on  agita  long-temps  dans  le  conseil  du  Roi  si 
cet  arr^t  seroit  casse ,  ou  bien  si  on  en  permet- 
troit  I'execution  :  la  moderation  prevalut  a  I'au- 
torite  ,  et  Sa  Majeste  indiqua  un  jour  pour  se 

I. 


MEMOIllKS    l)i;    COMTr.    I)E    IIRIF.XNE 


reiidre  an  pros  d'ellc  et  pour  ex  poser  ce  qu'il 
avoit  a  lui  dire. 

Le  sieur  president  de  Verdun  fit  une  longue 
harangue,  ensuite  de  laquelle  il  presenta  a  ce 
monarque  un  grand  cahier  qui  contenoit  cequ'il 
avoit  oublie  de  dire,  ou  bien  ce  qu'il  n'avoit 
pas  juge  a  propos  d'exposer.  Le  Roi  ayant  pris 
ce  cahier,  on  mit  en  deliberation  si  Ton  renver- 
roit  le  parlement,  ou  si  Ton  feroit  en  sa  presence 
lecture  de  cet  ecrit,  qui  ressembloit  a  un  libelle 
dilTamatoire.  La  regie  et  la  bienseance,  vouloient 
que  Sa  Majeste  prit  du  temps  pour  I'examiner  ; 
mais  elle  resolut  d'ordonner  sur-le-champ  la  sa- 
tisfaction qu'elle  desiroit.  Mon  jeune  age  ne  me 
permettant  pas  alors  de  discerner  la  verite ,  je 
ne  puis  dire  precisement  si  dans  ce  cahier  le 
parlement  avoit  dresse  des  pieges  a  ses  ennemis 
en  dissimulant,  ou  bien  si  quelques-uns  des 
ministres,  qu'on  appeloit  du  nom  de  barbon 
croyoient  qu'on  Teut  epargne  ,  et  que  les  autres 
y  eussent  cte  maltraites. 

Le  cahier  commcncoit  par  chagriner  le  raa- 
rechal  d'Ancre,  qui ,  pour  s'attirer  Tamitie  du 
parlement  et  se  venger  de  ses  ennemis  ,  parut 
etre  du  m^me  sentiment.  Le  Roi  me  commanda 
d'en  faire  lecture  a  la  place  de  mon  pere,  qui  ne 
le  pouvoit  que  tres-difficilement  a  cause  de  la 
foU)lesse  de  sa  vue  :  ce  qui  donna  occasion  a 
predire  que  j'aurois  bientot  la  survivance  de  sa 
charge,  comme en  effet  elle  me  fut  accordee  peu 
de  temps  apres ,  tout  le  monde  ayant  paru  satis- 
fait  de  la  maniere  dont  je  m'etois  acquitte  de 
ce  qui  m'avoit  ete  ordonne.  La  reponse  que  le 
chancelier  rendit  au  parlement  par  ordre  du  Roi, 
fut  que  ses  remontrances  avoient  ete  entendues, 
et  que  Sa  Majeste  y  auroit  tel  egard  qu'il  con- 
viendroit;  et  ensuite  il  lui  ajouta,  non  pas  par 
forme  de  remontrance ,  mais  en  termes  forts  et 
precis  ,  que  la  compagnie  s'etoit  trop  emanci- 
pee  ,  et  que  le  Roi  songeroit  a  malntenir  son  au- 
torite  suivant  la  puissance  legitime  que  Dieu  lui 
avoit  donnee. 

Pendant  le  temps  de  la  harangue  du  premier 
president  et  de  la  lecture  de  cette  remontrance 
qui  etoit  par  ecrit,  tout  le  monde  resta  debout , 
cxcepte  le  Roi  et  la  Heine,  qui  dans  de  telles 
occasions  doivent  toujours  etre  assis.  II  est  vrai 
que  le  marechal  d'Ancre  se  fit  apporter  un  siege 
derriere  Leurs  INLnjestes :  et  en  cela  il  pcrdit  le 
respect.  Mais  il  lui  echappa  encore  de  dire  des 
paroles  otTensantes  contre  le  parlement,  qui  en 
fut  fort  irrite.  Cette  compagnie  s'etant  retiree  , 
ceux  qui  s'etoient  trouves  presens  a  cette  au- 
dience se  donnerent  la  liberte  de  parler  suivant 
leur  caprice.  Les  plus  sages  furent  surj)ris  ,  et 
en  conclurent  la  guerre;  les  moins  experimen- 


tes  ne  firent  qa'en  rire.  Mais  il  parut  bientot 
apres  qu'on  avoit  eu  raison  d'en  craindre  les 
suites  :  car  les  princes  tinrent  conseil  entre  eux, 
et  ceux  de  la  religion  pretendue  reformee  de- 
manderent  le  permission  de  s'assembler.  On  de- 
puta  inutileraent  vers  les  premiers,  et  on  essaya 
de  maintenir  les  autres  dans  leur  devoir.  La 
crainte  de  I'avenir,  qui  naturellement  devoit 
faire  suivie  des  avis  utiles  et  prudens,  n'empe- 
cha  pas  la  cour  de  faire  le  voyage  des  Pyrenees 
pour  y  conclure  deux  mariages  :  celui  du  Roi 
avec  I'infante  d'Espagne  (C'est  la  Reine  dont  il 
sera  tant  parle  dans  la  suite),  et  celui  de  ma- 
dame  Elisabeth  ,  soeur  de  ce  monarque,  avec 
le  prince  d'Espagne,  au  nom  duquel  elle  avoit 
ete  epousee  par  procureur,  a  cause  du  jeune 
age  de  ce  prince. 

Ce  fut  dans  ce  temps-la  que  la  Reine-mere  , 
ayant  egard  aux  services  que  mon  pere  avoit  eu 
I'honneur  de  rendre  au  feu  Roi  son  mari ,  me 
procura  la  survivance  de  la  charge  de  secretaire- 
d'Etat ,  avec  la  permission  de  signer  en  sa  pre- 
sence et  en  son  absence ,  quoique  je  n'eusse  pas 
encore  vingt  ans  accomplis.  Leurs  Majestes 
prirent  le  chemin  de  la  Loire ,  apres  avoir  fait 
expedier  des  commissions  pour  mettre  sur  pied 
une  armee  considerable  sous  le  commandement 
du  marechal  de  Bois  -  Dauphin.  Le  president 
Jeannin  faisoit  son  possible  pour  la  faire  com- 
mander par  le  due  de  Guise,  qui  devoit  avoir 
sous  lui  le  marechal  de  Brissac ;  et  la  raison  qu'il 
en  donnoit  etoit  qu'il  falloit  opposer  un  horame 
aussi  brave  que  M.  de  Guise ,  et  un  capitaine 
aussi  experimente  que  Brissac  au  marechal  de 
Bouillon  ,  dont  la  reputation  etoit  bien  etablie; 
et  qu'il  en  resulteroit  un  avantage,  en  ce  que  le 
due  de  Vendome  suivroit  J.eurs  Majestes,  per- 
sonne  ne  pouvant  lui  contester  son  rang  a  la 
cour,  et  etant  porteur  du  pouvoir  du  prince 
d'Espagne  pour  epouser  Madame  en  son  nom. 
Mais  le  due  de  Guise,  pretendant  les  memes 
honneurs  ,  demanda  de  faire  le  voyage  ;  ce  qui 
fut  accorde ,  et  ce  qui  obligea  M.  de  Vendome  a 
se  retirer  dans  son  gouvernement  de  Bretagne. 
II  y  avoit  toujours  conserve  les  amis  du  due  de 
jMercoeur,  son  beau-pere ,  auquel  il  avoit  suc- 
cede;  mais  il  n'avoit  pu  mettre  dans  ses  interets 
nl  le  marechal  de  Brissac,  lieutenant-general  de 
la  meme  province,  ni  le  due  de  Montbason,  que 
Henri-le-Grand  avoit  fait  lieutenant  de  roi  du 
cliateau  de  Nantes ,  dans  le  meme  temps  qu'il 
avoit  accorde  le  gouvernement  de  la  province  a 
M.  de  Vendome,  etdonne  lalieutenance-generale 
de  I'eveche  et  comte  de  Nantes  au  meme  due  de 
Montbason,  en  la  separant  de  la  lieutenance-ge- 
nt lale  du  duche  dont  Brissac  avoit  ete  pourvu. 


On  fixa  un  jour  pour  le  depart  de  Paris,  et 
Ton  resolut  de  faire  arreter  le  president  Le  Jay, 
qu'on  savoit  etre  partisan  du  prince  de  Conde, 
et  dans  les  interets  des  dues  de  Mayeune  et  de 
Bouillon.  On  donna  ordre  a  un  lieutenant  des 
gardes  du  Roi  d'accompagner  )non  pere ,  qui  de- 
voit  tacher  a  le  persuader  de  suivre  la  cour  ,  et, 
en  cas  qu'il  y  fit  quelquedifficulte,  s'assurer  de 
sa  personne.  Mais  soit  que  mon  pere  fut  malade 
en  elTet,  ou  qu'ayant  ete  averti  de  la  resolution 
qu'on  avoit  prise,  il  fit  semblant  de  I'etre,  son 
indisposition  pretendue  ou  veritable  lui  servit 
d'excuse  pour  le  dispenser  d'obeir. 

On  executa  cependant  I'ordre  qui  coueernoit 
le  president,  qui  fut  conduit  au  ciuiteau  d'Ara- 
boise  ,  ou  il  resta  jusques  a  la  paix  de  Loudun. 
Sa  ferame  se  preseuta  au  parleraent ,  dont  la 
seance  avoit  ete  continuee  par  le  Roi ;  et  ayant 
expose  que  des  persounes  qui  lui  etoient  incon- 
nues  et  qui  se  disoient  etre  gardes  de  Sa  Ma- 
jeste,  avoieut  enleve  son  mari,  qu'elle  avoit  cru 
en  devoir  deraander  justice  a  la  conipagnie 
qu'elle  supplioit  d'y  pourvoir;  il  y  fut  delibere 
qu'un  president  et  quatre  conseillers  iroient 
trouver  le  Roi  pour  lui  exposer  la  requete  ver- 
bale  de  la  femrae  du  president ,  et  lui  deman- 
der  la  grace  de  vouloir  bien  renvoyer  leur  con- 
frere a  I'exercice  de  sa  charge,  la  conipagnie  se 
rendant  caution  de  sa  fidelite.  Ce  fut  a  Amboise 
que  ces  deputes  allerent  trouver  Sa  Majeste  ,  qui 
leur  repondit  que  c'etoit  elle  qui  avoit  ordonne 
qu'on  arretat  le  president  Le  Jay  ,  s'y  trouvaut 
obligee  par  de  justes  considerations  et  par  I'in- 
teret  meme  du  prisonnier  ;  qu'elle  donneroit  ses 
ordres  pour  qu'il  fut  bien  traite,  et  que  pour 
eux  lis  n'avoient  qu'a  s'en  retourner  a  I'exercice 
de  leurs  charges,  et  a  contiuuer  a  la  servir  avee 
toute  la  fidelite  qu'elle  en  esperoit. 

lis  partirent  done ;  et  ayant  fait  leur  rapport 
et  presente  a  la  cour  les  lettres  ferraees  de  Sa 
Majeste,  le  parlementcontinua  derendre  la  jus- 
tice a  son  ordinaire  ,  sans  faire  de  nouvelles  in- 
stances en  faveur  du  president  Le  Jay. 

D'Amboise  ,  Leurs  Majestes  continuerent  leur 
voyage ;  et ,  apres  avoir  sejourne  un  peu  de 
temps  a  Tours ,  elles  se  rendirent  a  Poitiers,  ou 
elles  furent  a  peine  arrivees  qu'on  y  vit  paroitre 
un  manifeste  public  sous  le  nona  du  prince  de 
Conde  et  de  plusieurs  autres  princes,  dues  et 
pairs  ,  et  officiers  de  la  couronne,  par  lequel  ils 
protestoient  de  leur  fidelite  au  service  du  Roi , 
et  declaroient  qu'ils  avoient  ete  contraints  de 
prendre  les  armes  pour  se  defendre  des  violen- 
ces qu'on  exercoit  centre  eux ,  qui  etoient  si 
grandes,  qu'on  avoit  empeche  par  differens  ar- 
tifices que  Sa  Majeste  ne  fit  justice  ciux  Etats  et 


PKEMlKllE    PAKTIE.    [  1(516 j  4 

ne  proced^t  a  la  reformation  du  royaume,  qui 


etoit  la  meme  chose  que  ces  memes  Etats  et  eux 
avoient  demandee  ;  que  le  parleraent,  pour  avoir 
fait  des  remontrances  sur  les  memes  desordres, 
avoit  ete  maltraite ,  et  quelques-uns  de  cette 
conipagnie  arretes  prisonniers  sans  qu'il  y  eiit 
eu  d'iuformation  faite,  ni  de  decret  prononce 
contre  eux;  et,  que  voyant  une  administration 
aussi  violente  que  I'etoit  celle-ci ,  et  dont  on  ne 
pouvoit  trop  craindre  les  suites ,  ils  avoient  eu 
reeours  aux  armes  pour  assurer  leur  liberte  et 
garantir  leur  fortune  contre  la  haine  de  leurs  en- 
nemis  :  promettant  de  les  quitter  et  de  se  ren- 
dre  aupres  de  la  personne  du  Roi  toutes  les  fois 
qu'ils  le  pourroient  faire  avec  surete ,  et  que 
leurs  ennemis  auroient  ete  chasses  du  royau- 
me ;  protestant  qu'ils  vouloient  vivre  et  mourir 
dans  I'obeissance  qu'ils  devoient  a  leur  souve- 
rain. 

La  nouvelie  de  cette  ligue  ne  fut  point  recue 
agreablement ,  et  fit  resoudie  le  Roi  a  donner 
une  declaration  contre  ceux  qui  avoient  pris  les 
armes  et  qui  etoient  uommes  dans  le  manifeste. 
Cette  declaration  fut  expediee  a  Poitiers  ,  oil  la 
petite-verole  dont  Madame  fut  attaquee  obligea 
la  cour  de  sejourncr ;  etaussitot  <{ue  cette  prin- 
cesse  fut  eu  etat  de  souffrir  le  mouvement  du 
carrosse,  elle  en  partit  :  et  pour  faire  diligence 
et  etre  plus  eu  surete  ,  elle  crut  devoir  preferer 
la  route  d'Angouleme  a  celle  de  Saintes. 

Le  due  d'Epernon  ,  qui  etoit  un  des  plus  con- 
siderables seigneurs  de  la  cour,  fut  extreme- 
mentsurpris  d'appreudre,  quand  elle  arriva  a 
Rufee ,  que  le  due  de  Candale,  son  fils,  etoit  du 
parti  des  souleves ,  et  qu'il  avoit  voulu  menager 
le  commandant  du  chateau  d'Angouleme ,  a  des- 
sein  d'en  empecher  I'entree  au  Roi  et  de  forcer 
cette  ville  a  prendre  le  parti  des  revoltes.  Je 
laisse  a  penser  a  ceux  qui  liront  ces  Memoires 
quel  fut  I'etonnement  de  ce  vieux  courtisan  : 
car  le  Roi  se  crut  oblige  de  Taller  consoler  ,  et 
de  faire  de  grandes  journees  pour  mettre  la  ville 
et  le  chateau  d'Angouleme  en  assurance.  Sa  Ma- 
jeste y  fut  fort  bien  recue,  et  y  resta  quelques 
jours  pour  faire  dresser  des  ponts  a  Guistres  et 
en  quelques  autres  eudroits ,  afin  de  faciliter  a 
la  cour  le  passage  des  rivieres.  Mais  lorsqu'elle 
fut  arrivee  a  Montlieu  ,  on  eut  une  fausse  alarme 
qu'il  paroissoit  des  troupes  qui  venoient  s'oppo- 
ser  a  son  passage  :  de  sorte  que  ,  pour  ne  rien 
hasarder ,  le  Roi  alia  du  cote  de  Bourg,  oil  il 
s'embarqua  pour  passer  a  Bordeaux.  II  y  fut 
recu  avec  les  acclamations  ordinaires;  i!  s'y  ar- 
reta  plus  long-temps  qu'il  ne  I'avoit  resolu,  a 
cause  de  I'iudisposition  de  la  Reine  ,  et  en  partit 
neanmoins  le  plus   tot  qu'il   put;  mais  il  fut 


WEMOIRES    DU    COMTF.    DE    BRIENNE  , 


obliiie  de  st-journer  en  des  licux  qu'il  eut  bien 
voulu  eviter. 

Cependant  la  guerre  s'alluma  de  toutes  parts ; 
pcu  de  provinces  en  fa  rent  exemptes,  et  enfin 
ceux  de  la  religion  pretendue  reformee  se  decia- 
rcrent  pour  les  princes.  II  folliit  former  un  corps 
d'arniee  pour  aller  querir  la  Reine,  et  on  se 
servit  pour  cela  des  troupes  que  le  Roi  avoit  au- 
pres  de  sa  personne.  Le  conimandement  en  fut 
donne  a  M.  de  Guise ,  qui ,  comme  procureur  du 
prince  d'Espagne,  epousa  a  Bordeaux  raadame 
Elisabeth  de  France  ,  soeur  ainee  de  Sa  Majeste. 
L'echange  des  princesses  se  fit  dans  le  cou- 
rant  de  la  riviere  qui  separeles  deux  royaumes; 
et  nous  ne  primes  pas  les  memes  precautions 
d'Antoine,  roi  de  JNavarre,  qui  protesta  que  ce 
qui  se  faisoit  ne  porteroit  point  prejudice  a  nos 
droits  :  ce  qu'il  declara  encore  dans  la  ville  de 
Fontarabie  quand  11  y  remit  raadame  Elisabeth 
de  France ,  fille  de  Henri  II ,  a  Pliilippe  II ,  roi 
d'Espagne. 

On  fit  quelques  jours  apres,  dans  la  meme  ville 
de  Bordeaux,  uneceremoniesolennelle,dansla- 
quelle  Sa  Majcste  coufirraa  son  raariage ,  qui 
I'ut  consomme  le  soir.  J'eus  seance  a  I'eglise  avec 
messieurs  les  secretaires  d'etat,  quoique  mon 
pere  y  eut  aussi  la  sienne ,  ses  confreres  ne  pou- 
vant  rien  refuser  a  I'amitie  qu'ils  avoient  pour 
lui. 

Le  mariage  etant  celebre ,  la  cour  se  disposa 
a  partir  et  a  s'approcher  de  la  Loire.  Les  enne- 
mis  !a  passerent  a  Boni ,  apres  avoir  traverse 
ies  rivieres  d'Yonne  et  de  Seine ,  et  s'etre  avan- 
ct%  dans  le  Poitou,  ou  plusieurs  villes  se  decla- 
rerent  pour  eux,  aussi  bien  que  la  Saintonge, 
ou  ils  furent  soutenus  par  les  Rochelois.  Comme 
il  fallut  marcher  en  corps  d'armee ,  le  comman- 
dement  en  fut  donne  au  due  d'Epernon ,  qui 
avoit  augmente  de  quelques  regimens  les  trou- 
pes qui  etoient  aupres  du  Roi. 

Lorsquon  fut  arrive  a  Poitiers,  le  due  de 
Guise  fut  declare  et  reconnu  lieutenant-general 
de  I'armee ;  et  comme  la  saison  etoit  trop  rude 
pour  rien  entreprendre,  aussi  s"ecoula-t-elle 
sans  qu'il  se  passat  rien  de  remarquable.  L'hiver 
eut  un  tres-grand  rapport  avec  I'ete  par  sa  se- 
cheresse  ,  les  eaux  ayant  ete  si  basses  qu'elles 
donnerent  lieu  a  I'armee  des  princes  de  passer 
les  rivieres  qui  se  dechargent  dans  la  Loire  ,  et 
celle-ei  meme  au-dessous  de  I'Allier. 

[IGIG]  On  avoit  deja  fait  quelques  proposi- 
tions d'accommodement,  et  Ton  etoit  convenu 
d"un  lieu  pour  I'assemblee;  ce  fut  celui  de  Lou- 
dini ,  oil  le  Roi ,  qui  souffroit  avec  peine  la  duree 
de  la  guerre ,  envoya  des  deputes ,  qui  furent  , 
si  ma  memoire  ne  me  trompe,  MM.  de  Ville- 


roy,  de  Boissise,  et  de  Pontchartrain,  secretaire 
detat,   qui    fut  choisi  plutot  que  les  autres, 
parce  que  les  princes  et  les  protestans  avoient 
des  places  de  surete  qui  etoient  de  son  departe- 
ment.  Ceux-ci  demandoient  quantite  de  choses 
prejudiciables  a  la  monarchic,  et  les  princes  no 
pensoient  qu'a  I'afl'oiblir.  M.  de  Villeroy,  s'en- 
tretenant  avec  le  prince  de  Conde,  lui  en  fit 
voir  les  consequences ,  et  se  servit  pour  cela  de 
I'amitie  qui  avoit  ete  de  tout  temps  entre  lui  et       | 
le  marechal  de  Bouillon,  avec   lequel  il   dis-       ', 
posa  ce  prince  a  songer  a  ses  veritables  avanta-       1 
ges  et  a  meriter  les  bonnes  graces  du  Roi ,  en      I 
favorisant  ceux  qui  vouloient  le  bien  de  I'Etat,       ' 
et  en  s'opposant  a  ceux  qui  n'en  demandoient 
que  la  ruine.  Le  nombre  de  ceux-ci  etoit  tres- 
grand,  les  religionnaires  en  ayant,  ce  semble, 
forme  le  dessein  ,  par  la  division  du  royaume  en 
plusieurs  cerles   ou  provinces,  dans  chacune 
desquelles  ils  avoient  etabli  des  gouverneurs, 
ordonne  de  fondre  du  canon ,  de  fortifier  des 
places,  de  battre  de  la  monnoie ,  neanmoins 
aux  armes  du  Roi ,  mais  qui  n'etoit  pas  de  I'aloi 
regie  par  les  ordonnances. 

Plusieurs  d'entre  les  grands  demandoient  des 
places  de  surete ,  et  quelques-uns  meme  d'entre 
eux  ne  dissimuloient  point  d'avoir  des  preten- 
tions sur  des  provinces ,  et  se  flattoient  de  s'y 
pouvoir  maintenir  ,  pourvu  qu'ils  en  fussent  mis 
en  possession.  M.  de  Vendome  ,  qui  avoit  leve 
des  troupes  avec  des  commissions  qu'il  avoit  ob- 
tenues  du  Roi ,  s'eloignant  de  son  devoir  et  ne 
songcant  point  a  ses  propres  interets ,  se  declara 
aussi  pour  les  souleves.  Dans  le  temps  que  ceci 
arriva,  son  frere,  le  grand  prieur  de  France, 
parut  a  la  cour  a  son  retour  de  Malte  ou  il  avoit 
coramande  les  galeres,  et  etoit  alle  de  la  a 
Rome ,  ou  il  avoit  rendu  I'obedience  que  les  rois 
sont  tenus  devoir  au  Saint-Siege ,  ce  qui  fut  fait 
deux  fois  sous  le  pontilicat  du  pape  Paul  V  :  la 
premiere  sous  le  regne  de  Henri-le-Grand  par 
M.  de  Nevers ,  et  la  seconde  par  le  grand 
prieur. 

Cependant  M.  de  Nevers ,  quoique  engage 
dans  les  interets  des  revoltes,  comme  il  parut 
peu  apres  dans  les  difterends  qu'il  eut  avec  le 
chaiicelier  et  M.  de  Villeroy,  sembloit  ne  res- 
pirer  que  le  service  du  Roi ,  et  faisoit  conti- 
nuellement  des  voyages  a  la  cour  pour  en  obte- 
nir  des  graces  pour  lui  et  pour  ses  amis,  qu'il 
taehoit  de  resoudre  a  se  contenter  de  ce  qu'on 
leur  donnoit,  sans  exiger  ce  que  le  Roi  ne  pou- 
voit  leur  accorder. 

La  mort  de  madame  de  Puisieux ,  fille  ainee 
du  premier  mariage  de  M.  d'Alincourt,  avoit 
refroidi    I'amitie  que   le  chancelier,   pere  de 


PBEMIERE    PABTIE.    [iGKjl 


M.  de  Puisieux ,  et  celui-ci  lui  avoient  jiiree. 
On  les  soupconna  meme  d'avoir  des  desscins 
bieu  differens  les  uus  des  autres  ;  car  I'on  croit 
que  chacun ,  pour  conserver  son  autorite ,  la 
vouloit  acheter  aux  depens  de  son  competiteur. 
Le  ehancelier  rechercha  la  protection  du  mare- 
chal  d'Ancre,  et  lui  promit  de  soutenir  ses 
interets.  M.  de  Villeroy  s'assura  du  prince 
de  Conde  et  de  ses  confederes ,  et  lui  promit 
de  son  cote  de  procurer  la  disgrace  du  ehan- 
celier et  de  ce  marechal ,  qui  etoient  odieux 
au  peuple  :  le  premier,  parce  qu'il  etoit  accuse 
de  ne  pas  rendre  la  justice  avec  assez  d'inte- 
grite;  et  le  second  ,  pour  s'etre  trop  enrichi  et 
trop  eleve ,  ayaut  d'ailleurs  pour  ennemi  de- 
clare le  due  de  Longueville.  Chacun  d'eux, 
pour  parvenir  a  la  fin  qu'il  s'etoit  proposee, 
vint  faire  des  ouvertures  a  la  cour ;  et  le  ehan- 
celier fit  ce  qu'il  put  aiin  qu'elle  ne  souffrit 
point  que  les  interets  du  marechal  d'Ancre  fus- 
sent  traites  indifferemment ,  et  afin  qu'on  ne  lui 
attrihuat  point  la  rupture  si  elle  arrivoit  :  ce 
qui  lui  auroit  attire  la  haiue  des  sujets  de  Sa 
Majeste. 

Villeroy  remontroit  au  contraire  qu'il  nefal- 
loit  point  faire ,  au  commencement  d'un  traite, 
une  difficulte  qui  seroit  dans  la  suite  facile- 
ment  surmontee ;  et ,  soit  que  celui-ci  eut  plus 
de  bonheur  que  I'autre,  ou  bien  que  le  mare- 
chal d'Ancre  eiit  pris  des  mesures  avec  le  prince 
de  Conde  et  M.  de  Bouillon  ,  comme  on  le  te- 
noit  pour  assure ,  la  paix  se  conclut,  dont  I'une 
des  conditions  fut  que  I'on  oteroit  les  sceaux  au 
ehancelier,  qui  seroit  relegue  dans  une  de  ses 
maisons  de  campagne,  pour  les  donner  au  pre- 
sident Du  Vair.  Ceci  neanmoins  fut  tenu  fort 
secret  jusques  a  la  publication  de  la  paix.  L'en- 
vie  que  M.  de  Bouillon  avoit  que  le  roi  d'An- 
gleterre  en  fiit  garant,  fit  naitre  un  incident  qui 
pensa  faire  rompre  le  traite.  II  le  proposa 
meme  aux  confederes ,  qui  I'accepterent;  mais 
Villeroy  s'y  opposa ,  et  dit  qu'il  ne  signeroit 
aucun  des  articles  s'il  y  etoit  fait  la  moindre 
mention  du  roi  d'Angleterre.  Le  courage  que 
M.  de  Villeroy  fit  paroitre  en  cette  occasion 
ne  doit  point  etre  ignore  de  la  posterite.  Le 
marechal  de  Bouillon,  surpris  de  cette  fermete 
dont  il  ne  I'avoit  pas  cru  capable ,  chercha  un 
autre  expedient  qui  devoit,  suivant  les  appa- 
rences,  produire  le  meme  eifet,  quoiqu'il  fut 
aise  de  faire  voir  le  defaut  de  ce  traite,  qui  de- 
voit etre  signe  en  presence  de  Tambassadeur 
d'Angleterre,  el  de  quoi  il  y  devoit  etre  fait 
mention.  Mais  Villeroy  s'y  opposa  avec  la 
meme  vigueur ;  et  Edmond ,  ambassadeur  du 
roi  de  la  Grande-Bretagne ,  fut  oblige  de  sortir 


de  I'hotel  du  prince  de  Conde ,  oil  le  traite  fut 
tout-a-fait  fini. 

Je  ne  dois  point  omettre  ici  que  ce  prince , 
pour  revenir,  disoit-il ,  a  la  cour  avec  quelque 
sorte  de  gloire  ,  y  paroitre  avec  autorite  et  etre 
en  etat  de  soutenir  ses  creatures  et  ses  amis, 
avoit  long-temps  insiste  pour  obtenir  le  pouvoir 
de  signer  les  arrets  du  conseil  avec  le  ehance- 
lier ou  le  garde-des-sceaux.  La  Reine  fut  sur- 
prise de  cette  proposition  ,  aussi  bien  que  ceux 
qu'elle  honoroit  de  sa  confiance,  et  qui,  pour 
s'y  maintenir,  travailloient  a  detruire  M.  de 
Villeroy.  lis  firent  remarquer  a  Sa  Majeste  ce 
que  I'on  pourroit  craindre  d'un  pareil  dessein 
s'il  avoit  lieu.  lis  representerent  encore  a  cette 
princesse  qu'elle  se  forgeoit  des  fers  qui  la  tien- 
droient  captive;  et  ne  s'etant  pas  fait  une  af- 
faire de  decouvrir  leurs  sentimens  en  presence 
de  M.  de  Villeroy,  il  n'y  eut  rien  qu'il  ne  fit 
pour  faire  consentir  a  cette  condition  ,  etant 
d'ailleurs  pique  du  peu  d'experience  qu'avoient 
ceux  qui  le  contrarioient.  II  leur  dit  qu'il  ne 
s'etoit  jamais  imagine  qu'il  y  eiit  du  danger  de 
lever  la  main  quand  on  tenoit  le  bras  :  ce  qui 
futentendu  parBarbentin,quiconseillaala  Reine 
de  consentir  a  ce  qu'on  lui  proposoit;  et  Sa 
Majeste  le  fit. 

L'edit  de  paix  ayant  ete  resolu  et  enregistre 
dans  tous  les  parlemens ,  la  cour  se  rendit  a 
Paris,  oil  le  president  Le  Jay  se  fit  bientot  voir, 
et  ou  non-seulement  le  prince  de  Conde ,  mais 
ses  creatures  se  montrerent,  a  la  reserve  du 
ehancelier,  qui  resta dans  son  exil ,  ou  Puisieux, 
son  flls ,  eut  ordre  de  Taller  trouver. 

Le  president  Du  Vair  fut  ainsi  fait  garde-des- 
sceaux  ,  et  Mangot ,  maitre  des  requetes ,  qui 
avoit  ete  destine  pour  etre  premier  president  du 
parlement  de  Bordeaux ,  exerca  la  charge  de 
M.  de  Villeroy  par  commission  ,  dont  la  survi- 
vance  avoit  ete  accordee  a  Puisieux.  On  croiroit 
presque  entrer  dans  un  nouveau  regne  :  la  cour 
ne  paroissoit  plus  dans  son  premier  lustre;  le 
souvenir  du  passe  faisoit  craindre  Leurs  Majes- 
tes  pour  I'avenir ,  et  les  grands ,  se  mefiant  du 
pardon  qui  leur  avoit  ete  accorde ,  se  liguoient 
entre  eux,  presumant  beaucoup  de  I'autorite 
dans  laquelle  ils  se  croyoient  affermis.  lis  se 
promirent  toutes  choses ;  ils  firent  des  festins 
ou  I'on  buvoit  a  la  sante  de  leurs  amis  ,  et  ou 
I'on  faisoit  ouvertement  des  souhaits  en  faveur 
du  prince  de  Conde.  Les  ambassadeurs  des 
princes  etrangers  y  furent  con  vies;  et  comme 
Ton  recherchoit  ceux  a  qui  la  bienseance  de- 
fendoit  de  s'y  trouver,  on  chercha  aussi  un  pre- 
texte  pour  recommencer  la  guerre,  ou  pour  de- 
mander  qu'on  fit  des  changemens  a  la  cour.  On 


MEMOIBES    1)11    CO.MTK    DE    BRIE^NE, 


n'en  trouva  point  de  plus  plausible  que  d'enga- 
ger  le  due  de  Longueville  a  s'emparer  de  la 
ville  de  Peronne ,  sous  pretexte  que  la  garde  en 
avoit  ete  commise  au  marechal  d'Ancre :  et  ce  des- 
sein  reussit  comme  il  avoit  ete  projete.  Le  Roi , 
en  ayant  ete  avert! ,  comnianda  qu'on  fit  avan- 
cer  des  troupes  pour  investir  cette  place.  Les 
habitans  prierent  qu'on  leur  permit  d'envoyer 
vers  le  due  de  Longueville,  dont  ils  blamoient 
i'entreprise,  quoiqu'on  tut  persuade  qu'elleetoit 
faite  de  concert  avec  eux  ;  et  le  due  de  Nevers, 
qui  avoit  paru  entierement  dans  les  interets  du 
Koi ,  s'etant  declare  ouvertement  pour  eux,  ils 
choisirent  le  due  de  Bouillon  pour  s'aboucher 
avec  M.  de  Longueville.  Le  premier,  en  aecep- 
tant  la  commission,  pour  y  donner  des  marques 
de  sou  zeie  pour  le  Roi ,  considera  la  place  ,  en 
fit  remarquer  les  defauts,  et  proposa  ce  qu'il 
faudroit  faire  pour  la  mettre  en  etat  de  defense; 
mais,  jugeant  bien  qu'on  seroit  oblige  d'y  em- 
ployer un  temps  considerable,  et  que  le  mare- 
chal d'Ancre  en  presseroit  le  siege,  il  fut  d'avis 
que  la  chose  se  terminat  par  un  accommode- 
ment  :  ce  qui  lui  reussit.  L'avantage  etant  reste 
du  cote  des  princes,  le  marechal  fut  dans  la  ne- 
cessite  d'en  oter  son  frere;  et,  nonobstant  la 
liberie  qu'il  eut  d'y  laisser  un  Francois  de  ses 
amis,  la  foiblesse  du  gouvernement  engagea 
M.  de  Guise  dans  leur  parti.  Mais  comme  il 
arrive  d'ordinaire  que,  lorsque  Ton  perd  I'es- 
perance  de  conserver  ce  qui  appartenoit  legiti- 
mement ,  on  pense  a  faire  des  choses  extraor- 
dinaires  pour  ne  pas  dechoir  de  ses  droits,  la 
Reine,  par  le  conseil  de  Mangot,  de  Barbentin 
et  de  I'eveque  de  Lucon ,  depuis  cardinal  de  Ri- 
chelieu ,  et  etant  aussi  animee  par  le  marechal 
d'Ancre  ,  prit  la  resolution  de  faire  arreter  le 
prince  de  Conde  et  ceux  qui  s'etoieut  attaches 
a  lui  depuis  lapaix. 

On  delibera  long-temps  a  qui  Ton  confieroit 
ce  secret,  et  Ton  ne  trouva  personne  plus  ca- 
pable d'entreprendre  une  action  aussi  bardie 
que  Themines,  qui  etoit  venu  par  hasard  a  la 
cour.  La  proposition  lui  en  ayant  ete  faite  avec 
la  recompense  qu'il  en  devoit  attendre,  on  s'as- 
sura,  pour  le  soutenir,  deM.  deCreqiii ,  mestre- 
de-camp  des  gardes  francoises ,  et  de  Bassom- 
pierre,  colonel-general  des  Suisses ,  desquels  on 
devoit  se  promettre  tout,  et  avec  d'autant  plus 
de  raison  qu'ils  eussent  execute  la  chose,  si  Ton 
eut  pu  se  resoudre  a  leur  en  donner  le  comman- 
dement  scelle  par  une  patente  ;  mais  le  peu  de 
confiance  qu'on  avoit  au  garde-des-sceaux  ne 
permit  pas  qu'on  lui  en  fit  I'ouverture.  On  se 
souvint  que  d'Klbene,  lieutenant  de  la  compa- 
gnie  des  ehevau-legers  de  Monsieur,  etoit  en- 


nemi  declare  du  prince  ,  qui  se  plaignoit  meme 
ouvertement  qu'il  lui  avoit  manque  de  respect 
en  plusieurs  occasions  :  et  e'en  fut  assez  pour 
qu'on  lui  ordonnat  de  venir  avec  sa  compagnie 
pour  servir  a  cette  execution.  II  arriva  ,  par  je 
ne  sais  quelle  raison,  que  la  cour  changea  de 
resolution ,  et  que  cette  meme  compagnie  eut 
ordre  de  se  retirer  a  sa  garnison;  mais,  par  un 
changement  subit  et  encore  plus  precipite  que 
le  premier,  on  lui  ordonna  de  rester  a  Paris ,  et 
a  chaque  cavalier  de  se  trouver  au  Louvre 
oil  Ton  devoit  leur  donner  de  I'argent ,  et  de 
s'y  rendre  sans  avoir  d'autres  armes  que  leurs 
epees. 

L'un  d'entre  eux ,  ayant  rencontre  un  gentil- 
homme  de  ses  amis ,  lui  declara  le  secret  qu'on 
ne  lui  avoit  pas  recommande ;  et  celui-ci ,  qui 
etoit  de  la  connoissance  de  Valigny,  ecuyer  de 
M.  de  Bouillon  ,  le  lui  decouvrit ,  sans  savoir 
neanmoins  qu'il  faisoit  mal ,  parce  qu'il  n'etoit 
pas  averti  des  intentions  de  la  cour.  Valigny, 
dont  le  courage  et  I'esprit  etoient  connus ,  le 
pressa  de  se  rendre  aupres  de  lui,  persuade 
qu'il  etoit  qu'il  n'y  avoit  rien  a  negliger.  II 
trouva  M.  de  Bouillon  en  son  hotel  ,  avec  plu- 
sieurs seigneurs  qui  etoient  venus  lui  rendre 
visite.  Valigny  lui  fit  des  signes  qui  furent  inu- 
tiies  pendant  du  temps ,  mais  qui  ayant  ete  en- 
fin  remarques  par  son  maitre  ,  il  se  degagea  de 
sa  compagnie  et  s'enferma  avec  Valigny;  et 
ayant  juge  que  I'avis  qu'il  lui  dounoit  ne  devoit 
pas  etre  neglige ,  il  lui  ordonna  de  Taller  decou- 
vrir  au  due  de  Mayenne,  et  il  lui  dit  qu'il  avoit 
resolu  d'aller  a  Charenton  le  lendemain ,  jour 
ordinaire  du  preche.  Valigny,  s'etant  aequitte 
de  Tordre  qui  lui  avoit  ete  donne  ,  rapporta  a 
M.  de  Bouillon  que  M.  de  Mayenne  coucheroit 
chez  le  nonce ,  qui  logeoit  a  I'hotel  de  Cluny, 
et  que  le  lendemain  il  retourneroit  chez  lui  sur 
lesquatre  heures  du  matin,  et  lui  feroit  savoir 
ce  qui  seroit  venu  a  sa  connoissance.  Vali- 
gny avertit  des  le  soir  les  domestiques  de  son 
maitre  de  se  tenir  prets  pour  le  suivre  a  Cha- 
renton ;  et  ce  marechal  leur  fit  un  diseours  pour 
les  exciter  a  la  devotion,  en  leur  disant  qu'il 
etoit  arrive  de  grands  malheurs  a  ceux  qui 
avoient  abandonne  le  service  de  Dieu.  Ce  qui 
se  passoit  aux  environs  de  La  Rochelle,  oil  le 
due  d'Epernon  paroissoit  avec  des  gens  de 
guerre,  sous  le  pretexte  apparent  de  prendre 
possession  du  gouvernement  du  pays  d'Aunis , 
excitoit  les  plaintes  des  huguenots.  Le  Roi  lui 
ayant  commande  de  se  retirer,  il  obeit,  apres 
avoir  fait  les  ibnctions  de  gouverneur  dans  cette 
province  ,  dont  La  Rochelle  est  la  ville  capitale. 

M.  de  Bouillon  fut  cependant  i  Charenton ; 


PBEMIEBE     PARTIE.    [lUlCj 


et  les  cavaliers  de  la  compagnie  d'Elbene  se 
rendirent  au  Louvre,  armes  seulement  de  per- 
tuisanes  et  de  hallebardes.  Le  prince  de  Conde 
y  Vint  aussi  pour  assister  au  conseil  des  linau- 
ces ,  et  monta  dans  le  cabinet  de  la  Reine  apres 
qu'il  fut  fini.  Dans  le  meme  moment  les  degres, 
les  salles ,  les  anticbambres  furent  remplis  de 
gens  de  guerre  ;  la  garde  du  dehors  se  mit  en 
bataille  ,"et  il  ne  fut  plus  permis  a  personne  de 
sortir  du  Louvre,  quoique  Tentree  n'en  fut  pas 
defendue.  Quelques  soupcons  qu'avoient  eus  les 
confederes  qu'on  vouloit  atteuter  sur  leur  liberte, 
les  emp^cberent  de  s'y  rendre  en  meme  temps  : 
et  c'est  ce  qui  les  sauva.  Le  due  de  Mayenne 
s'etant  avance  a  la  rencontre  de  M.  de  Bouil- 
lon ,  sur  le  premier  avis  qu'il  avoit  eu  de  ce  qui 
se  passoit  au  Louvre ,  et  le  due  de  Guise  ayant 
grossi  leur  troupe ,  ils  passerent  sur  le  fosse 
de  la  porte  Saiut-Antoine ,  et  ils  gagnerent 
Soissons. 

M.  de  Vendome  se  rendit  a  La  Fere  ,  par  le 
conseil  de  Saint-Geran,  sous- lieutenant  des 
gendarmes  du  Roi ;  et  le  marquis  de  Coeuvres 
a  Laon.  Le  seul  due  de  Rohan  ,  qui  avoit  ete 
du  parti ,  se  trouva  au  Louvre  lorsque  le  prince 
de  Conde  fut  arrete.  J'etois  si  pres  de  lui ,  que 
J'entendis  qu'il  demanda  a  M.  de  Rohan  s'il 
souffriroit  qu'on  lui  fit  violence  en  sa  presence. 
A  quoi  il  ne  repondit  qu'en  baissant  la  tete  :  ce 
qui  signifioit  qu'il  s'etoit  remis  dans  son  devoir, 
et  qu'il  se  tenoit  assure  de  n'etre  point  arrete 
prisonnier. 

On  depecba  au  dedans  et  au  dehors  du 
royaume  pour  donner  avis  de  ce  qui  s'etoit 
passe ,  et  le  Roi  fit  savoir  par  une  declaration 
les  motifs  des  conseils  qu'il  avoit  pris.  II  tint 
son  lit  de  justice,  fit  euregistrcr  I'arret  de  la  de- 
tention du  prince,  et  promit  de  pardonner  a 
ceux  qui  rentreroient  dans  leur  devoir.  On  me- 
nagea  le  due  de  Guise ,  qui  revint  a  la  cour ; 
et  Ton  accommoda  les  affaires  en  promettant 
que,  lorsque  I'innocence  du  prince  de  Conde 
seroit  reconnue  ,  on  lui  rendroit  la  liberte. 

Le  jour  de  sa  detention  ,  la  princesse  douai- 
riere  ,  sa  mere,  fit  ce  qu'elle  put  pour  exciter 
le  peuple  de  Paris  a  prendre  les  armes ;  mais 
sou  dessein  ne  lui  reussit  pas  :  il  n'y  eut  seule- 
ment que  les  ouvriers  qui  travailloient  au  bati- 
ment  du  palais  de  Luxembourg  qui  allerent  en 
bate  piller  I'hotel  d'Ancre.  Je  fus  temoin  de  la 
diligence  qu'ils  firent  dans  le  temps  que  j'eus 
ordre  d'aller  a  I'hotel  de  Conde  avec  MM.  Ba- 
rentin  ,  maitre  des  requetes  ,  et  Launay,  lieute- 
nant des  gardes-du-corps  ,  pour  me  saisir  des 
papiers  du  prince,  pour  les  apporter  au  Roi.  Le 
temps  qu'il  fallut  employer  pour  trouver  le  con- 


cierge et  les  valets-de-chambre ,  pour  avoir  les 
clefs  de  ses  appartemens  et  de  son  cabinet,  ser- 
\it  a  donner  le  loisir  de  briiler  les  papiers.  Je 
n'en  trouvai  aucun  dans  les  tables  ni  ailleurs ; 
mais  je  vis  dans  les  cheminees  ce  que  le  feu 
ne  consume  pas  entierement  quand  on  y  brule 
des  leltres.  Je  revins  ensuite  au  Louvre ,  ou  je 
vis  les  secretaires-d'etat  occupcs  a  faire  celles 
dont  il  a  ete  ci-devant  parle.  J 'en  signal  plu- 
sieurs  qui  devoient  etre  envoyees  dans  le  depar- 
tement  de  mon  pere  ,  et  sur  le  soir  chacun  se 
retira  dans  sa  maison.  Le  prince  de  Conde, 
qu'on  avoit  garde  dans  uu  cabinet  qui  etoit  pro- 
che  de  celui  de  la  Reiue,  fut  conduit  en  bas, 
dans  I'appartement  qui  etoit  destine  a  la  Reine- 
mere.  II  eut  quelque  frayeur  quand  il  passa  les 
•degres  ,  parce  qu'il  y  vit  des  gens  armes  ,  et  il 
en  reconnut  quelques -uns  de  la  compagnie 
d'Elbene.  Ceux  qui  furent  employes  a  negocier 
avec  les  princes  eurent  le  bonheur,  sinon  de  les 
faire  rentrer  dans  leur  devoir ,  du  moins  de 
faire  un  accommodement  platre  qui ,  comme 
nous  le  verrons  bientot ,  ne  fut  pas  de  longue 
duree. 

Les  personnes  tant  soit  peu  eclairees  connu- 
rent  bien  qu'on  alloit  reprendre  les  armes ,  et 
ceux  meme  qui  avoient  le  plus  d'interet  a  ca- 
cber  leurs  sentimens  les  faisoient  eclater  en  tou- 
tes  sortes  d'occasions.  Le  due  de  Nevers  ,  qui 
avoit ,  en  I'annee  1 61  1 ,  tire  de  force  de  la  cita- 
delle  de  Mezieres  le  marquis  de  La  Vieuville, 
depuis  eleve  a  la  charge  de  capitaine  des  gardes- 
du-corps  ,  soupconnant  toujours  qu'il  formoit 
des  entreprises  pour  y  rentrer,  et  Youlant  I'eloi- 
gner  de  la  place ,  aux  environs  de  laquelle  il 
avoit  du  bien  ,  lui  fit  saisir  une  terre  qu'il  avoit 
mouvante  du  Rethelois  ,  faute  de  devoirs  ren- 
dus,  dont  La  Vieuville  se  plaignit ,  en  disant 
que  ce  due  ne  cherchoit  qu'a  I'opprimer.  Sur  le 
conseil  qui  fut  donne  au  Roi  de  prendre  La 
Vieuville  eu  sa  protection,  on  depecha  a  M.  de 
Nevers,  Bavanton,  exempt  des  gardes-du-corps, 
pour  lui  faire  commandement  de  donner  la 
main-levee  des  flel's  saisis,  et  pour  lui  declarer 
que  ,  faute  d'y  satisfaire  ,  le  Roi  feioit  proceder 
contre  lui  comme  contre  un  desobeissant  et  uu 
perturbateur  du  repos  public.  M.  de  Nevers 
s'excusa  en  disant  qu'il  ne  savoit  pas  ce  que  les 
lois  lui  permettoient,  protestant  de  se  pourvoir 
devant  le  Roi  quand  il  en  auroit  la  liberte ,  et 
faisant  des  invectives  contre  tous  ceux  qui 
avoient  part  au  gouvernement  du  royaume. 
Ceci  fut  mal  recu ;  et  Bavanton ,  etant  presse 
de  dresser  son  proces- verbal ,  y  satisfit.  Le  Roi 
commanda  qu'on  I'examinat ,  et  que ,  par  une 
commission  qui  lui  seroit  adressee ,  le  due  de 


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MEMOIBES    DU    GOMTE    DE    BRIENNE, 


rscvers  flit  declare  criminel  de  lese-raajeste. 
Pendant  qiroii  delibera  sur  cette  affaire,  Ba- 
vanton  se  tiia  lui-raeme;  et  ceux  a  qui  on  en 
avoit  donne  le  soin ,  comme  aussi  de  concerter 
les  termes  de  cette  commission  ,  s'assemblerent 
chez  le  garde-des-sceaux  :  c'etoient  MM.  de 
Villeroy,  le  president  Jeannin,  de  Seaux  ;  Pont- 
chartrin  ,  secretaire-d'Etat ;  Mangot,  qui  exer- 
coit  par  commission  la  charge  de  M.  de  Ville- 
roy ;  Barbentin,  qui,  sous  le  titre  de  controleur- 
gcneral ,  faisoit  la  surintendance  des  finances; 
nion  pere  et  moi.  La  patente  ayant  ete  apportee 
par  Barbentin  ,  elle  parut  au  garde-des-sceaux 
impropre  et  contre  les  regies  du  royaume ;  et  com- 
me M.  Du  Vair  n'avancoit  rien  qu'il  ne  lui  fut 
facile  de  prouver,  le  nature!  de  ce  magistral, 
prompt  et  impatient ,  et  le  chagrin  oii  il  etoit 
de  n'avoiraucune  part  au  secret,  lui  emurent  la 
bile  de  telle  sorte  que,  n'etant  plus  maitre  de 
liii ,  il  lui  echappa  de  dire  que  les  grands  Etats 
ne  se  gouvernoient  pas  avec  jjrccijyitation  ,  ni 
jjar  des  faquins  et  des  gens  de  basse  7iais- 
sance.  Barbentin  ,  prerant  pour  lui  les  termes 
olTensaus  dont  le  garde-des-sceaux  s'etoit  servi, 
y  repondit  avec  vigueur,  se  leva,  interrompit  le 
conseil  ,  et  alia  au  Louvre  pour  rendre  compte 
a  la  Beine-mere  de  ce  qui  s'etoit  passe.  Man- 
got  ,  ftkhe  de  tout  ceci ,  demanda  a  ceux  qui 
etoient  presens  le  remede  qu'il  eiit  ete  capable 
dedonuer,en  adoucissant  les  esprits  qui  parois- 
soient  fort  aigris.  II  suivit  Barbentin;  et  I'heure 
du  conseil  etant  venue  ,  chacun  se  prepara  a  s'y 
rendre.  Nous  ne  fumes  pas  sitot  dans  le  lieu 
oil  Ton  devoit  s'assembler,  que  la  Beine  y  vint 
avec  un  visage  si  change  et  si  irrite ,  que  ses 
yeux  jetoient  feu  et  flarames.  On  jugea  bien  que 
la  colere  de  cette  princesse  se  dechargeroit  sur 
le  garde-des-sceaux ,  dont  la  vie  austere  et 
stoique  ne  pouvoit  compatir  avec  ceux  qui  ne 
vouloient  pas  que  la  volonte  des  souverains  eut 
des  bornes.  Sa  Majeste  se  retira,  et  rentra  dans 
son  cabinet  sans  qu'on  eut  parle  d'aucune  af- 
faire. Elle  n'employa  point  I'apres-dinee  a  deli- 
berer  sur  ce  qu'il  convenoit ,  mais  a  qui  Ton 
donneroit  les  sceaux  ,  et  Mangot  en  etant  ho- 
nore,  qui  seroit  celui  qui  lui  succederoit  dans 
la  commission  qu'il  avoit  exercee  depuis  la  re- 
traite  de  Puisieux.  On  crut  que  ce  seroit  I'eve- 
que  de  Lucou  :  et  ce  fut  en  effet  le  sentiment 
de  la  Beine.  Sur  les  six  heures  du  soir,  mon 
pere  eut  ordre  d'aller  au  Louvre  ,  oil  il  voulut 
({ue  je  le  suivisse.  II  passa  dans  un  cabinet,  oil 
il  trouva  assembles  le  prelat,  Mangot  et  Bar- 
bentin, auxquels  il  demanda,  apres  les  avoir  sa- 
llies ,  s'ils  ne  savoient  point  ce  que  Ton  souhai- 
toit  de  lui  ;  et  sur  ce  qu'ils  lui  repondirent  que 


non  ,  je  crois  qu'il  n'en  fut  point  surpris.  II  en- 
tra  dans  la  chambre  oil  le  Boi  etoit  avec  la 
Beine ,  sa  mere.  Je  I'y  suivis  ,  et  je  ne  trouvai 
avec  leurs  Majestes  que  M.  de  Guise  et  le  ma- 
rechal  d'Ancre.  La  Beine  lui  commanda  d'aller 
redemander  les  sceaux  a  M.  Du  Vair;  et  sur  ce 
qu'il  demanda  aussi  ce  qu'il  y  avoit  a  faire  si 
ce  magistral  les  vouloit  reporter  lui-meme ,  on 
lui  repondit  qu'il  n'y  avoit  qu'a  le  laisser  faire. 
Le  raarechal  d'Ancre  ayant  ajoute  qu'il  falloit 
commander  au  capitaine  de  la  garde  de  suivre 
mon  pere ,  et  de  faire  investir  le  logis  de  M.  Du 
Vair  avec  une  f)artie  de  sa  compagnie ,  afin 
que  ,  s'il  faisoit  difficulte  d'obeir,  on  forcat  sa 
maison,  et  qu'on  le  piit  arreter  s'il  en  vouloit 
sortir,  n'y  ayant  rien  qu'on  ne  diit  apprehender 
d'un  esprit  tel  qu'etoit  celui  de  ce  magistral ; 
mon  pere  repliqua  que  cette  precaution  etoit 
inutile  ,  et  qu'on  ne  trouveroit  dans  la  personne 
de  M.  Du  Vair  qu'une  enliere  soumission  (l)  et 
une  parfaite  obeissance.  Ce  capitaine  de  la 
garde  etoit  le  marquis  de  La  Force,  rentre 
dans  le  service  du  Boi,  aussi  bien  que  son 
pere  ,  apres  la  publication  de  la  paix. 

On  ne  trouva  en  effet  dans  ce  magistral  que 
la  resignation  d'un  grand  philosophe  aux  vo- 
lontes  du  Boi.  J'allai  faire  part  a  messieurs  de 
Villeroy  et  Jeannin  de  ce  qui  alloil  etre  exe- 
cute ,  et  je  fis  assez  de  diligence  pour  me  ren- 
dre au  Louvre  en  meme  temps  que  M.  Du 
Vair,  lequel,  s'etant  mis  a  genoux ,  parla  a  Leurs 
Majestes  avec  la  gravite  d'un  sto'icien  .  el  finit 
son  discours  par  une  priere  qu'il  adressaaDieu, 
afin  qu'il  lui  pliil  de  donner  au  Boi  un  bon  con- 
seil ,  dont  en  effet  Sa  Majeste  avoit  un  Ires- 
grand  besoin  ;  ensuite  de  quoi  il  se  retira  chez 
lui  et  se  logea  dans  une  maison  des  Bernardins, 
qu'il  occupa  jusqu'a  ce  qu'il  flit  rappele  a  la 
cour  :  ce  qui  arriva  six  mois  apres  qu'il  en  eut 
ete  eloigne.  Si  ceux  qui  avoient  conseil  le  la 
disgrace  de  M.  Du  Vair  en  parurent  bien  aises, 
les  persounes  de  vertu  en  temoignerenl  au  con- 
traire  une  extreme  douleur  ;  et  non-seulement 
les  grands  ,  mais  meaie  les  moindres  d'entre  le 
peuple  deplorerent  alors  les  maux  dont  la 
France  leur  sembloit  menacee. 

Les  sceaux  furenl  donnes  des  le  lendemain  a 
M.  Mangot ,  et  Ton  dil'fera  de  quelques  jours  a 
declarer  I'eveque  de  Lucon  secretaire-d'etat. 
Je  ne  sais  si  ce  fut  pour  ma  gloire  ou  pour  mon 
malheur  que  I'ordre  me  fut  donne  d'en  expe- 
dier  les  provisions  ;  car  ayant  eu  I'esprit  assez 


(1)  Du  Vair  adecla  hcaucoup  de  philosophic.  On  (lit 
qu'il  (It^clara  «  qu'il  avoil  trop  de  droilurc  pour  ctie 
»  long-temps  du  goiil  dc  la  cour.  »  (A   E.) 


PKEMIKRE     PARTIE.    [16I7] 


M 


present  pour  demander  quelle  charge  on  lui 
donnoit,  Barbentin,qui  etoit  entreavec  lui  dans 
la  chambre  de  la  Reine  ,  me  repondit  que  e'e- 
toit  celle  de  M.  de  Villeroy.  Et  sur  ce  que  je 
lui  repliquai  s'il  en  avoit  retire  la  demission  , 
il  me  dit  qu'il  I'auroit  le  lendemain  :  ce  qui 
m'obligea  de  lui  ajouter  qu'il  falloit  necessaire- 
ment  I'avoir  avant  que  de  rien  expedier  ;  mais , 
apres  une  longue  contestation  ,  je  me  tirai  d'af- 
faire  en  proposant  de  faire  une  commission  pa- 
reille  a  celle  qui  avoit  ete  donnee  a  M.  Mangot : 
a  quoi  la  Reine  consentit.  Barbentin  ayant  ,dit 
dans  ce  moment  qu'il  y  falloit  ajouter  une  clause 
de  preseance  en  faveur  de  I'eveque  de  Lucon,  no- 
tre  contestation  s'echauffa  de  plus  en  plus.  Je 
soutins  fortement  la  justice  de  la  cause  d'un  autre 
et  la'mienne  propre ,  sans  manquer  au  respect 
que  je  devois  a  la  Reine  ,  qui ,  pour  adoucir  la 
peine  qu'eile  croyoit  que  j'avois  ,  me  dit,  par 
la  suggestion  de  Barbentin  ,  que  c'etoit  seule- 
ment  a  cause  de  la  dignite  dont  ce  prelat  etoit 
revetu.  Je  repliquai  alors  qu'eile  Tobligeoit  a 
residence  ;  et  qu'ayant  dans  son  eglise  ses  ha- 
bits pontificaux  ,  il  precederoit  la  non-seule- 
ment  les  gentilshommes  et  les  princes  ,  mais 
encore  le  Roi  lui-meme.  La  Reine ,  ennuyee 
d'entendre  nos  contestations  ,  nous  ordonna  de 
nous  retirer.  Nous  trouvcunes  dans  son  cabinet 
I'eveque  de  Lucon  et  Richelieu,  son  frere.  Bar- 
bentin s'adressant  a  I'eveque  lui  fit  le  recitde  ce 
qui  s'etoit  passe  entre  nous  en  presence  de  Sa 
Majeste.  Celui-ci  oublia  pour  lors  ce  qu'il  m'a- 
voit  souvent  proteste  ,  qu'il  vouloit  etre  de  mes 
amis ,  et  I'experience  qu'il  avoit  faite  de  ma 
bonne  foi  en  m'adressant  les  lettres  qu'il  ecri- 
voit  a  la  Reine  pendant  le  voyage  de  Guienne  ; 
car  il  me  dit,  d'un  ton  fier,  qu'il  y  avoit  long- 
temps  qu'il  savoit  que  plusieurs  personnes  (  et 
moi  particulierement )  qui  approchoient  de  celle 
du  Roi,  avoient  pen  de  consideration  pour  I'E- 
glise.  Ma  reponse  fut  moderee  ,  et  je  me  con- 
tentai  de  lui  repartir  que  ,  le  regardant  comme 
eveque  et  le  trouvant  dans  la  maison  de  Sa  Ma- 
jeste ,  je  n'avois  rien  a  lui  dire  ;  mais  que  je  ne 
conseillois  pas  a  son  frere  ,  vers  lequel  je  me 
retournai ,  de  me  tenir  un  pareil  langage.  Je 
donnai  avis  a  messieurs  de  Villeroy,  Potier  , 
de  Seaux  et  de  Ponchartrain  ,  de  ce  qui  s'etoit 
passe.  Le  premier ,  qui  etoit  a  Conflans  ,  me  re- 
mercia ,  par  une  lettre  ,  de  la  fermete  avec 
laquelle  j'avois  soutenu  ses  iuterets  ;  et  il  me 
manda  qu'il  se  rendroit  le  lendemain  de  grand 
matin  a  Paris,  ou  il  me  demandoit  une  entrevue 

(1)  Marie-Felicie  des  Ursins ;  sa  m.iisoii  etoit  alliee  a 
fflle  dcs  Ule.litis.  (.4,  E."! 


avec  ces  messieurs ,  et  qu'il  falloit  tout  hasar- 
der  plutot  que  de  consentir  a  I'outrage  qu'on 
vouloit  nous  faire.  Je  me  crois  oblige  de  dire  a  la 
louangede  M.  de  Seaux,  qu'il  ne  put  etre  ebranle 
ni  par  prieres  ni  par  menaces  ,  et  qu'il  defendit 
notre  droit  avec  beaucoup  de  vigueur.  II  me 
rendroit  la  justice  ,  s'il  etoit  encore  en  vie  ,  de 
declarer  que  je  ne  I'abandonnai  point ;  mais  les 
autres  fureut  tellemenl  presses  par  le  marechal 
d'Ancre  de  se  conformer  aux  volontes  de  la 
Reine  ,  quil  les  entraina  par  son  credit  et  par 
son  adresse  a  signer  ,  malgre  eux  ,  la  commis- 
sion telle  qu'eile  leur  fut  presentee',  et  par  con- 
sequent a  payer  a  M.  de  Villeroy  la  qualite  de 
premier  secretaire-d'etat ,  qui  ne  lui  avoit  point 
ete  conteste  depuis  la  mort  deM.  de  Beaulieu- 
Ruze. 

L'eveque  de  Lucon  fut  aide  du  secours  de  Bar- 
bentin ,  apres  qu'il  rut  entre  dans  les  fonctions 
de  sa  charge.  Ce  Barbentin,  quoiqued'une  nais- 
sance  tres-basse  ,  etoit  d'un  esprit  fort  releve. 
L'eveque  se  prevalut  aussi  de  la  fierte  de  celui 
de  Mangot ,  et  s'appliqua  a  disposer  les  choses 
a  une  rupture  dont  le  pretexte  ,  qui  lui  en  fut 
donne  par  les  princes,  etoit  les  difl'erends  que  les 
grands  avoient  avec  le  Roi.  Ceux-ci  faisoient  de 
continuelles  instances  pour  la  liberte  du  prince 
de  Conde  :  sa  mere  et  sa  femme  demandoient 
qu'on  lui  fit  son  proces,  s'il  etoit  coupable,et  s'il 
etoit  innocent,  qu'on  le  mit  en  liberte.  Les  con- 
federes,  pour  rendre  leurs  prieres  plus  efficaces, 
s'assuroient  de  leurs  amis  ;  et  Leurs  Majestes  , 
pour  ne  pas  etre  prevenues,  se  disposoient  a 
faire  des  levees.  La  semence  de  la  guerre  avoit 
deja  germe,  etl'on  n'attendoitque  le  retourdes 
beaux  jours  pour  commencer  la  campagne.  On 
nommadeux  generaux,  qui  furent  M.  de  Guise 
et  le  comted'Auvergne[l6l7]:  le  premier,  pour 
attaquer  les  places  de  la  Champagne  et  pour 
s'opposer  aux  Allemands  qu'on  assuroity  devoir 
entrer;  et  le  second,  qu'on  avoit  tire  de  la  Bas- 
tille a  la  priere  du  due  de  Montmorency  ,  son 
beau-frere,  auquel  il  eut  ete  difficile  de  refuser 
ce  qu'il  demandoit,  parce  qu'il  etoit  toujours  de- 
meure  attache  a  sou  devoir  et  qu'il  avoit  epouse 
la  fille  de  la  cousine-germaine  de  la  Reine- 
mere  (1),  sans  avoir  pu  etre  engage  par  le  prince 
de  Conde  ,  qui  avoit  epouse  sa  soeur  ,  d'entrer 
dans  son  parti.  II  sortit ,  dis-je  ,  de  la  Bastille, 
ou  le  roi  Henri-le-Grand  I'avoit  fait  mettre 
pour  n'avoir  pas  voulu  executer  I'arret  qui  avoit 
ete  rendu  contre  lui ,  et  dont  les  motifs  sont 
assez  connus  (2)  a  tons  ceux  qui  savent  I'his- 

(2)  Henri  IV  ne  fit  pas  executor  I'arret  rendu  contre 
ie  comte  d'Auvergne,  parce  qu'il  aimoit  Henrietted'En- 


12 


WEMOIlUiS    UV    CUMTI-:     Dli    JUilE.MNE 


toire.  Celui-ci  done ,  sous  Icquel  le  due  de  Ro- 
han eommandoit  la  eavalerie  ,  devoit  attaquer 
Soissons.   Pendant    qu'on    travail loit  a  I'aire 
reussir  tous  ees  desseins  ,  un  gentilhomme  qui 
s'appeloit  Luynes  (I)  en  fornioit  un  autre  avee 
Sa  Majeste  et  ^'ille^oy  ,  et  reeevoit  des  conseils 
qui  tendolent  a  s'assurer  de  la  personne  du  ma- 
reelial  d'Ancre  ,  et  a  procurer  le  bien  et  le  re- 
pos  du  royaume  par  la  moi't  d'un  homme  qui 
etoit  en  liorreur  aux  gens  de  bien.  Le  Roi  s'y 
etant  determine  ,  Villeroy  en   avertit  le  mare- 
ehal  de  Bouillon ,  lequel  ne  jugea  pas  a  propos 
de  le  faire  savoir  a  eeux  de  son  parti ;  niais  il 
leur  donna  seulement  de  belles  esperances  qu'ils 
seroient  bientot  delivres  de  la  crainte  que  quel- 
qu'un  d'eux  ,  recherchant  son  aceommodement, 
ne  donn<it  une  ouverture  pour  rompre  I'union 
qui  seuie  les  pouvoit  garantir. 

Luynes  avoit  aussi  queique  liaison  avee 
M.  Chevalier,  premier  president  de  la  cour  des 
aides  de  Paris ,  et  avee  les  sieurs  Deageant  et 
Du  Troncon,  qu'il  eleva  dans  la  suite;  et  ceux- 
ci  firent  pour  lui  toutes  les  diligences  qu'il  n'eut 
pu  faire  lui-meme  sans  que  Ton  s'en  futapercu. 
Ayant  delibere  entre  eux  a  qui  ils  confieroient 
I'execution  d'arreter  le  marechal  d'Ancre,  ils 
ne  trouverent  personne  qui  y  fut  plus  propre  que 
le  baron  de  Vitry ,  capitaine  des  gardes  du 
corps,  et  qui  etoit  pour  lors  en  quartier;  car, 
outre  qu'il  avoit  un  naturel  des  plus  bouillans  , 
I'envie  de  s'elever  le  dominoit  de  telle  maniere, 
queriennelui  paroissoit  impossible,  ni  a  me- 
priser  pour  y  reussir.  II  manda  son  frere,  le 
baron  Du  Hallier,  qui  amena  avee  lui  quelques 
hommes  qu'il  eommandoit  en  qualite  d'enseigne; 
et,  s'etant  assure  d'un  nombresuffisant  d'offi- 
ciers  des  gardes ,  il  fit  savoir  au  Roi  qu'il  etoit 
pret  a  exeeuter  ce  qu'il  lui  ordonneroit.  Sa  Ma- 
jeste I'embrassa  en  I'assurant  de  sa  protection  , 
et  ne  lui  com  manda  pas  de  tuer  le  marechal 
d'Ancre,  mais  seulement  de  s'assurer  desa  per- 
sojuie;  etsur  ee  qu'il  demanda  avee  Luynes  ce 
qu'il  y  auroit  a  faire ,  suppose  qu'il  se  mit  en 
defense ,  il  fit  tomber  le  Roi  dans  le  piege  qu'il 
lui  tendoit,  qui  etoit  de  tuer  ce  marechal  si  cela 
arrivoit.  lis  I'avoient  ainsi  resolu  entre  eux ,  afin 
de  mettreles  affaires  hors  d'etat  de  pouvoir 
etre  jamais  accommodecs  entre  la  mere  et  le 
nis  ,  craignant  avee  raison  que  le  sang  et  le  sou- 
venir des  peines  que  la  Reine  representeroit 
avoir  souffertes  pour  conserver  I'Etat  ne  portas- 
sent  son  fils  a  se  reconcilier  avee  elle,  ce  qui 


«rai,'ues.  marquise  dc  Vcincuil .  sa  sneur.  Lc  cotiUc 
d'AuviTgiic  obliiil  pcu  de  temps  apr(is  le  tide  dc  due 
(rAiiL'oulcme.  (A.  E.) 


auroit  ete  sans  doute  la  cause  de  leur  ruine. 

Le  marechal  d'Ancre,  quoique  averti  que 
Ton  voyoit  des  gens  amies  aller  et  venir  par  le 
Louvre  ,  et  (jue  ce  pouvoit  etre  pour  lui  faire  in- 
sulte,  ne  laissa  pas  d'y  venir.  A  peine  y  fut-il 
entre,  que  le  lieutenant  de  la  porte  ,  qui  etoit 
du  secret  de  Luynes,  la  ferma ;  et  Vitry  s'e- 
tant avance  le  premier,  Du  Hallier  et  Guichau- 
mont  Ten  blamerent;  mais  il  dit  dans  le  moment 
au  marechal  :  «  Je  vous  fais  prisonnier ,  de  la 
part  du  Roi.  »  Et  dans  le  meme  instant  on  tira 
deux  ou  trois  coups  de  pistolet  qui  le  jeterent 
par  terre.  II  recut  aussi  un  coup  d'epee  au  tra- 
vers  du  corps.  On  a  dit  qu'il  chercha  la  sienne  , 
se  voyant  attaque ;  mais  aucun  de  eeux  qui  en 
pouvoient  rendre  temoignage  n'en  est  convenu 
en  particulier.  Quelques-uns  de  sa  suite  voulu- 
rent  le  defendre ;  mais  sur  ce  qu'on  leur  dit  que 
ce  qui  se  faisoit  etoit  par  les  ordres  du  Roi,  ils 
remirent  leurs  epees  qu'ils  avoient  tirees.  Sa 
Majeste  ayant  paru  a  une  fenetre  d'un  cabinet 
qui  etoit  au  bout  de  la  salle  des  gardes  quiavue 
sur  la  cour,  on  cria  :  Vive  le  Roi!  le  tijmn  est 
mort;  et  Vitry,  s'avancant  vers  la  salle  des  gar- 
des de  la  Reine-mere ,  leur  demanda  leurs  ar- 
mes  ,  qu'ils  refuserent  de  donner  sans  I'ordre  de 
leurs  officiers.  Ceux-la  eurent  aussitot  celui  de 
se  retirer  avee  leurs  compagnons  ,  et  de  rester 
dans  I'antichambre  de  leur  raaitresse.  Le  bruit 
qui  se  repandit  attira  beaucoup  de  monde  au 
Louvre,  et  Ton  manda  eeux  dont  on  voulut 
suivre  les  avis.  On  tint  conseil  apres  que  Sa 
Majeste  eut  demeure  queique  temps  dans  la  ga- 
lerie  des  Rois,  appuyee  sur  Luynes;  et  lorsque 
je  I'abordai  :  «  Je  suis  maintenant  roi ,  me  dit- 
il,  il  n'y  a  plus  de  preseance.  »  L'eveque  de  Lu- 
con  ayant  paru ,  eut  ordre  de  se  retirer,  et  dans 
le  meme  instant  les  secretaires  d'Etat  eurent 
celui  d'ecrire  dans  les  provinces  ce  qui  venoit 
d'arriver. 

On  rendit  a  M.  Du  Vair  les  seeaux  que  Ton 
uta  a  M.  Mangot;  et  le  chancel ier,  qui  etoit  a 
Brie-Comte-Rohert,  ayant  ete  rappelea  la  cour 
aussi  bien  que  Puisieux,  son  fils,  ils  ne  se  fi- 
rent pas  dire  deux  fois  de  revenir.  Les  princes 
et  eeux  qui  etoient  eloignes,  de  meme  que  les 
generaux  des  armees ,  furent  avertis  de  ce  qui 
se  passoit ;  et  les  soldats  qui  etoient  dans  les 
tranchees  devarjt  Soissons  et  Mezieres ,  posant 
leurs  armes  a  terre,  les  assieges  les  imiterent :  et 
corame  si  la  paix  avoit  ete  publiee,  ils  s'entretin- 
rent  familierement,  etburent  a  la  sante  du  Roi. 


(1)    A  cede  opoquc  il  n'(5toit  que  tapilaine  au  Louvre 
et  chef  des  ordinaircs.  (A.  E.) 


PREMIKRE    PAI'.TIE. 


1G17 


13 


On  deputa  vers  les  princes ,  centre  lesquels 
on  proceda  par  la  justice  et  par  les  arraes.  lis  de- 
clarerent  que,  leur  conduite  etant  justifiee,  ils 
etoient  prets  a  recevoir  ia  loi  qu'ii  plairoit  au 
Roi  de  leur  imposer ;  et  ils  obtinrent  que  les  de- 
clarations qui  avoient  ete  publiees  centre  eux 
seroient  revoquees,  mais  non  pas  la  liberte  du 
prince  de  Conde,  quelques  instances  qu'ils  en 
lissent ,  le  monarque  n'ayant  jamais  voulu  y 
consentir.  On  tit  courir  aussitot  une  espece  de 
manifeste  de  ce  qui  avoit  ete  execute  par  Vitry, 
que  I'on  colora  de  la  necessite  specieuse  oil  Ton 
s'etoittrouve  d'en  user  de  la'sorte  pour  maintenir 
I'autorite  roya!e,parce  que  le  marechald'Ancre 
s'etoit,  disoit-on,  mis  en  defense.  Cependant 
on  arreta  la  veuve  de  ce  marechal ,  et  apres 
quelques  informations  faites  centre  elle,  on  la 
cenduisit  a  la  conciergerie  du  Palais,  ou  elle  fut 
condamnee  a  la  raort,  non  pas  de  toutes  les  voix, 
queique  les  juges  en  eussent  ete  sollicites  au  nom 
et  de  la  part  du  Roi,  a  qui  il  n'en  devoit  etre 
rien  impute ,  mais  a  Luynes  ,  a  qui  la  confis- 
cation des  biens  des  accuses  avoit  ete  accordee 
d'avance,  de  meme  que  les  charges  de  premier 
gentilhemme  de  la  chambre  et  de  lieutenant-ge- 
neral de  la  province  de  Normandie ,  desquelles 
le  marechal  d'Ancre  etoit  revetu. 

Vitry  fut  fait  marechal  de  France ;  Du  Ilal- 
lier,  capitaine  des  gardes  du  corps  ,  et  plusieurs 
autres  s'enrichirent  par  le  pillage  qu'ils  iirent 
des  raeubles  et  des  cabinets  de  la  marechale 
d'Ancre.  On  fouilla  meme  dans  les  poches  du 
mort,  dans  lesquelles  en  trouva  des  promesses 
en  blanc  et  des  diamans  de  grand  prix;  et  sur 
ce  que  le  bruit  se  repandit  que  la  Reine-mere 
devoit  rester  a  la  cour,  ce  qui  etoit  fort  a  crain- 
dre  pour  Luynes ,  il  cut  le  credit  de  Ten  faire 
eloigner,  et  de  la  separer  du  Roi ,  son  fils,  qui 
ne  fit  que  lui  direun  mot,  ensuite  de  quoi  il  se 
retira  :  tant  Luynes  apprehendeit  que  ce  mo- 
narque ne  flit  attendri  par  les  larmes  de  cette 
princesse.  La  Reine,  sabelle-fille,  la  vitcomme 
elle  montoit  en  carrosse;  mesdames  Christine 
etMarie-Henriette,  ses  filles,  et  Monsieur,  frere 
unique  du  Roi ,  lui  firent  leursadieux;  et  La 
Carce  eut  ordre  de  la  cenduire  a  Bleis. 

Je  fus  un  de  ceux  qui  recurent  les  ordrcs  de 
Sa  Majeste.  Elle  me  pria  (je  rapporte  le  meme 
terme  dent  Sa  Majeste  se  servit),  elle  me  pria, 
dis-je ,  de  lui  faire  avoir  les  reponses  des  lettres 
qu'elle  ecrivoit  au  Roi,  se  promettant  de  mes 
soins,  que  je  la  regarderois  cemme  la  mere  de 
mon  Roi ,  et  cemme  la  veuve  de  celui  qui  I'aveit 
ete.  Ces  paroles  me  firent  fondre  en  larmes,  et 
me  mirent  tout  en  sueur.  Une  partie  de  la  ceur 
repandit  aussi  des  larmes  en  abondancc.  Mais 


laissons  aller  cette  princesse  oil  sa  destinee  la 
conduira  ,  cemmencons  a  parler  d'un  nouveau 
gouvernement  qui  paroltra  terrible  aux  gens 
de  bien ,  et  qui  n'aura  d'approbation  que  d(  s 
creatures  de  Luynes. 

Ou  forma  un  nouveau  conseil ,  dans  lequel 
le  chancelier  et  le  garde  -  des  -  sceaux  eurent 
seance.  On  eut  de  la  peine  a  regler  leurs  fonc- 
tiens;  I'injure  que  I'un  avoit  recue  de  I'autre, 
et  le  mepris  que  celui-cifaisoit  du  premier,  tout 
cela,  dis-je,  etoit  cause  qu'ils  n'etoient  jamais 
d'un  meme  avis.  Villeroy  fut  celui  qui  parut 
avoir  le  plus  de  part  aux  aflaires;  Jeannin  y 
entra  en  qualite  de  surintendant  des  finances, 
et  les  secretaires  d'Etat  y  prireut  les  places  qui 
etoient  dues  a  leurs  charges.  Luynes  fit  sem- 
blant  de  n'en  vouleir  pas  etre,  et  de  se  conten- 
ter  de  la  qualite  de  favori.  II  me  ditunjeur 
qu'il  me  donnereit  part  aux  affaires,  a  condi- 
tion que  je  fereis  un  journal  de  ce  qui  seroit 
resolu  et  arrete  dans  le  conseil ,  et  que  je  le  lui 
remettrois  entre  les  mains.  Je  me  trouvai  si  of- 
fense de  cette  proposition  ,  que  je  lui  repondis 
qu'il  fereit  raieux  de  se  rendre  lui-meme  chef 
du  conseil  que  d'exiger  un  pareille  chose  de 
ceux  qui  y  avoient  seance;  et  queje  lui  conseil- 
lois  de  faire  ce  qu'il  avoit  resolu  avec  Deageant 
et  Du  Troncon,  cemme  la  chose  arriva  dans  la 
suite. 

Puisieux,  etant  rentre  en  charge,  ne  songea 
plus  qu'a  s'elever  et  qu'a  opprimer  ses  confre- 
res :  ce  qui  lui  etoit  d'autant  plus  aise ,  que  le 
chancelier,  son  pere,  faisoit  valoir  ses  preten- 
tions. Villeroy,  dent  il  avoit  achete  la  charge,, 
n'osoit  le  contredire;  cependant  I'amitie  qu'il 
avoit  pour  Seaux ,  et  lestime  qu'il  faisoit  de 
men  pere,  partagea  sen  affection.  Ou  accorda 
au  premier  la  grace  qu'il  demanda  d'etre  envoye 
en  Espagne;  et  queique  ce  fut  avec  le  titre 
d'ambassadeur  extraordinaire  qu'on  lui  avoit 
donne,  le  marquis  de  Senecai  ne  laissa  pas  de  le 
preceder  en  qualite  d'ambassadeur  extraordi- 
naire, lorsqu'il  y  accempagna  madame  Elisa- 
beth de  France.  Seaux  s'y  soumit  en  apparence, 
et  fit  le  voyage;  mais  il  y  resta  si  pen  ,  qu'il  fut 
aise  de  connoitre  qu'un  emplei  aussi  limite  ne 
cenvenoit  guere  a  un  genie  aussi  transcendant 
que  le  sien.  La  France  fut  peu  d'annees  apres 
privee  des  services  qu'il  aureit  pu  lui  rendre. 

Quelques  jours  avant  que  la  Reine-mere  sc 
fut  retiree ,  le  Roi  cathelique  ayant  declare  l.i 
guerre  au  due  de  Savoie  ,  ce  prince  demanda  du 
secours  a  la  France :  ce  qui  lui  fut  d'abord  re- 
fuse, mais  il  Tobtint  a  la  fin  par  le  meyen  de 
M.  de  Lesdiguieres  ,  qui  dit  nettement  que  c'etoit 
abandonner  les  interets  de  I'Etat  que  de  ne  point 


14 


MEMOIBES    DU    COMTE    DE    BIUE^ll^E, 


assister  le  souveriiin  opprime.  li  leva  des  trou- 
pes ,  il  passa  en  Piemont ,  et  enfin  il  engagea  la 
c'our  a  suivre  le  couseil  qifil  lui  donna  de  met- 
tre  en  usage  ce  qui  avoit  ete  neglige  pendant  la 
derniere  regence. 

Dans  la  persecution  qui  me  fut  faite  pendant 
la  vie  du  marechal  d'Ancre  ,M.  deLesdiguieres 
jn'ofiVit  de  me  donner  retraite  :  c'est  une  obli- 
gation queje  luiai ,  etdont  je  n'ai  jamais  perdu 
la  memoire.  J'ai  tache  de  la  reconnoitre  autant 
qu'il  m'a  ete  possible  dans  les  personnes  de  mes- 
sieurs ses  descendans. 

Scliomberg ,  qui  avoit  araene  au  service  du 
lloi  un  regiment  d'Aliemands  ,  recut  un  ordre 
de  faire  passer  en  Piemont  I'armee  du  due  de 
Savoie  et  de  iM.  de  Lesdiguieres,  renforcee  de 
ce  corps  et  de  quelque  cavalerie  conduite  par  le 
comte  d'Auvergue.  II  entra  dans  I'Etat  de  Mi- 
lan ,  11  y  fit  des  progres  considerables  ,  et  il  re- 
duisit  le  roi  d'Espagne  a  trailer  avec  M.  de  Sa- 
voie. Cette  protection,  que  la  France  accorda  au 
plus  foible  contre  le  plus  fort ,  lui  fut  tres-bo- 
norable. 

Ceux  qui  etoient  a  la  tete  des  affaires,  ju- 
geant  a  propos  de  travailler  a  la  reformation  de 
I'Etat ,  proposerent  la  convocation  de  tons  les 
ordresdu  royaume  ;  et,  afin  d'y  mieux  reussir , 
ils  la  firent  resoudre  par  le  conseil ,  qui  prit  un 
temperament :  ce  fut  la  convocation  des  notables. 
Ce  dernier  parti  ay  ant  ete  accepte ,  le  Roi  cboi- 
sit  un  uombre  de  prelals  et  de  geutilsbommes 
pour  y  assister.  II  nianda  le  premier  et  le  se- 
cond president  du  parlement  de  Paris ,  et  les 
premiers  des  autres  cours  souveraines  avec  leurs 
procureurs-generaux.  lis  se  rendirent  tous  a 
Rouen ,  ou  il  y  eut  une  grande  contestation  enti-e 
les  gentilshommes  et  les  officiers  de  judicature  , 
ceux-ci  alleguanta  leur  avantage  ce  qui  fut  pra- 
tique sous  le  regiie  de  Henri- le-Grand  ,  qui  leur 
donna  seance  vis-a-vis  du  clerge.  Les  gentils- 
bommes  soutinrent  que  leur  ordre  etoit  le  se- 
cond du  royaume ,  et  que  jusques  au  regne  de 
Henri-le-Grand  les  ofiiciers  de  judicature  n'a- 
voient  ete  consideres  que  comme  faisaut  partie 
du  Tiers-Etat.  lis  alleguoient  pour  raison  la  ha- 
rangue du  premier  president  du  parlement  de 
Paris,  faite  en  remerciment  de  ce  que  la  magis- 
trature  avoit  ete  separee  de  ce  corps ,  et  avoit  ob- 
tenu  sa  seance  apres  la  noblesse.  On  trouva  un 
expedient,  qui  fut  que  le  jour  de  I'ouverture 
celle-ci  seroit  placee  sur  deux  bancs  pres  de  la 
personne  du  Roi  et  des  presidens ,  en  lui  don- 
nant  une  declaration  que  cette  place  etoit  tres- 
bonorable :  le  tout  sans  tirer  a  consequence,  pour 
ne  point  faire  de  peine  au  clerge  ni  aux  officiers. 
Du  Plessis-Mornay ,  avec  qui  cette  declaration 


fut  concertee ,  paria  pour  la  noblesse ,  et  fit  les 
remontrances  de  sa  part.  Monsieur,  frere  unique 
du  Roi ,  fut  elu  president  de  I'assemblee ,  ayant 
pour  collegues  le  cardinal  Du  Perron  ,  le  due  de 
Montbason  et  le  marechal  de  Rrissac.  On  pro- 
posa  dans  cette  assemblee  divers  reglemens  , 
non  pas  dans  le  dessein  de  faire  du  bien  a  I'Etat, 
mais  seulement  pour  avoir  un  pretexte  honnete 
pour  continuer  les  impols ;  on  y  resolut  de  ne 
pas  appeler  la  Reine-mere  a  la  cour ,  et  de  ne 
point  mettre  en  liberte  le  prince  de  Conde.  On 
accorda  a  laprincesse  son  epouse  la  grace  qu'elle 
demanda  de  tenir  compagnie  a  son  mari.  Elle 
fit  parottre  en  cela  beaucoup  de  fermete  et  de 
grandeur  d'ame ,  pouvant  s'en  dispenser  legiti- 
mement ,  apres  tous  les  mauvais  traitemens 
qu'elle  en  avoit  recus. 

Comme  il  est  difficile  que  je  ne  parle  pas 
quelquefois  de  certaiues  choses  ou  trop  tot  ou 
tard  ,  je  me  crois  oblige  d'avertir  ceux  qui  liront 
cesMemoires,  que  ce  que  j'en  faisn'est  seulement 
que  pour  eviter  la  confusion  qui  pourroit  s'y 
trouver,  si  je  voulois  m'assujetir  a  suivre  I'ordre 
des  temps.  Luynes  ,  quidi'etoit  pas  encore  due, 
epousa ,  vers  le  mois  de  juillet  ou  d'aoiit ,  la  fille 
de  M.  de  Montbason  (1);  sa  nouvelle  epouse  et 
lacomtessede  Rochefort,  sabelle-soeur,  eurent 
le  tabouret ,  par  un  privilege  accorde  depuis 
long-temps  a  la  maison  de  Rohan  ,  quoique  au- 
cune  femme  ni  fille  de  cette  famille  n'eut  point 
encore joui  de  cette  prerogative,  excepte  Mar- 
guerite de  Navarre  et  ses  descendans  sous  le 
regne  de  Henri-le-Grand,  qui  avoit  beaucoup 
de  consideration  pour  ceux  qui  etoient  sortis  de 
la  branche  des  cadets.  Ceux-ci  etoient  nean- 
moins  en  possession  des  biens  des  afnes,  a  cause 
d'un  contrat  de  mariage  passe  entre  les  cousins , 
ce  monaique  les  regardant  comme  habiles  a  lui 
succeder  a  la  couronne  de  Navarre  et  aux  sou- 
verainetes  de  Beam ,  d'Andaye  et  Donnejan  , 
qu'il  n'avoit  point  encore  reunies  a  la  couronne 
de  France  ,  quoiqu'il  eut  fait  expedier  une  de- 
claration pour  la  reunion  des  terres  qui  en 
etoient  mouvantes ,  et  qu'il  possedoit  avant  son 
avenement ;  a  la  reserve  toutefois  de  celles  qu'il 
avoit  donuees  a  Cesar  de  Bourbon ,  due  de  Ven- 
dome ,  son  fils ,  sur  lesquelles  terres  madame  la 
princesse  de  Navarre  ,sa  soeur,  pouvoit  preten- 
dre  une  legitime,  dont  il  s'accommoda  dans  la 
suite  avec  elle. 

[1G18]  La  cour  revint  a  Paris  peu  apres  la 
mort  de  M.  de  Villeroy,  qui  deceda  a  Rouen, 


(1)  Marie  dc  Rohan.  Apres  la  mort  dc  Luynes,  elle 
devint  tres-famcuse  sous  le  nom  dc  ducliesse  deChe- 
vreuse.  (A.  E.) 


PREMIEHE    PAilTIE.    [lGl<>J 


15 


Le  Roi  recevoit  souvent  des  lettres  de  la  Reine 
sa  mere  ,  et  I'envoyoit  tres-frequemment  visiter 
sous  differens  pretextes ,  et  avec  des  vues  bien 
contraires  a  celles  de  cette  princesse ,  qui  ne 
songeoit  qu'a  amuser  tout  le  monde ,  et  ne  s'oc- 
cupoit  qu'a  tacher  de  se  faire  des  creatures  qui 
pussent  la  tirer  de  captivite.  Luynes,  au  eon- 
traire,  ne  songeoit  qu'a  mettre  aupres  d'elle  des 
personnes  aifidees  pour  1 'observer  et  pour  epier 
ses  actions  et  ses  desseins. 

Le  due  d'Epernon  craignit  alors  d'etre  arrete 
prisonnier ,  sur  ce  qu'avant  de  se  retirer  de  la 
cour ,  oil  il  s'etoit  rendu  un  peu  apres  la  mort 
(!u  marechal  d'Ancre,  il  avoit  eu  un  demele 
avec  le  garde-des-sceaux  ,  parce  que  le  due  sou- 
tenoit  que  ce  magistrat  devoit  etre  assis  dans  le 
conseil  au-dessous  du  chancelier  et  non  pas  vis- 
a-vis de  lui ,  conime  il  s'en  etoit  mis  en  posses- 
sion. Le  garde-des-sceaux  soutenoit  le  contraire, 
et  alleguoit  sa  dignite  qui  le  mettoit  en  etat  de 
faire  comme  le  cbancelier  qui  avoit  la  preseance. 
M.  d'Epernon  repondit  a  cela  que ,  quoique  le 
garde-des-sceaux  fit  la  fouction  du  cbancelier 
en  partie,  il  ne  pouvoit  avoir  de  seance  oil  ce 
cbef  de  la  justice  se  trouvoit ,  et  qu'en  tous  cas 
celle  qu'on  lui  accordoit  etoit  assez  bouorable 
pour  ne  pas  etre  refusee  ;  et,  pour  soutenir  sa 
pretention ,  il  n'oublia  point  d'alieguer  que  les 
grands  du  royaume  precedoient  aucienneraent 
les  cbanceliers  dans  les  couseils  :  ce  qui  s'etoit 
pratique  sous  le  regne  precedent  et  jusques  a 
celui  du  roi  Henri  III ,  que  les  dues  avoient  con- 
serve cet  avantage.  II  lit  voir  un  titre  d"un  de 
nos  rois  eu  faveur  du  comte  de  Laval ,  dont  le 
garde-des-sceaux,  se  tenant  offense,  dit  au  cban- 
celier que  c'etoit  lui  qui  avoit  attire  cette  affaire. 
Ces  deux  magistrals  en  vinrent  a  de  grosses  pa- 
roles en  presence  de  Sa  Majeste ;  et  le  cbancelier, 
plus  modere  par  politique  que  de  son  naturel , 
ne  put  s'erapecber  de  dire  a  I'autre  qu'il  eloit  un 
mecbant  bomme  ,  prenant  Dieu  a  temoin  qu'il 
les  jugeroit  un  jour  :  ensuite  de  quoi  le  conseil 
se  leva.  EtM.  d'Epernon,  qui  soupconnoit  qu'on 
vouloit  I'arreter ,  s'etant  retire  a  Fontenay-en- 
Brie ,  en  partit  pour  se  rendre  a  Metz  ,  oil  on  lui 
fit  des  propositions  de  la  part  de  la  Reine-mere, 
aussi  bien  qu'a  I'arcbeveque  de  Toulouse  son 
fils,  qui  avoit  une  inclination  particuliere  pour 
ce  parti  naissant.  Roucbelay  (1)  le  pressa  d'y 
entrer ,  en  lui  representant  la  gloire  et  les  avan- 
tages  qu'il  en  retireroit ,  les  graudes  obligations 
qu'il  avoit  a  la  Reine-mere;  que  plusieurs  per- 
sonnes considerables  etoient  attentives  a  ce  qu'il 

(1)  Ruccelai  etoit  un  cccl^siaslique  florentin  Ires-in- 
trigant. II  avoit  die  attache  au  mar(?clial  d'Ancre.  (A.E.) 


feroit  pour  se  declarer  en  sa  faveur  et  pour  tia- 
vailler  a  son  elevation :  et  tout  cela  sans  basar- 
der  beaucoup ,  ni  s'exposer  a  un  grand  peril. 

[  1 6 1 9]  M.  d'Epernon  ne  se  laissa  pas  persuader 
d'abord  5  mais  a  la  fin  il  donna  son  consentement, 
n'ayant  pu  oublier  que  Luynes  s'etoit  declare 
en  faveur  du  garde-des-sceaux  qu'il  regardoit 
comme  son  ennemi,  quoiqu'il  n'eut  pas  conserve 
la  place  qu'il  avoit  prise  dans  le  conseil. 

Luynes, ayantobtenu  de  la  Reine-mere  qu'elle 
se  demit  du  gouvernement  de  Normandie  ,  le  fit 
offrir  a  M.  de  Longueville,  a  condition  de  re- 
mettre  celui  de  Picardie ;  et ,  pour  tirer  de  lui 
son  consentement,  on  ajouta  au  gouvernement 
de  Normandie  celui  de  la  ville  et  chateau  de 
Dieppe.  La  passion  qu'avoitM.  de  Longueville 
d'etre  gouverneur  d'une  place  d'importance  lui 
fit  oublier  I'altacbemeni  et  I'affection  que  les 
Picards  ,  et  particulierement  les  babitans  de  la 
ville  d'Amiens,  avoient  toujours  eus  pour  sa 
personne. 

Luynes  se  fit  pourvoir  de  ce  gouvernement , 
et  fit  donner  a  JNI.  de  Monlbason  celui  de  I'lle- 
de-France  et  des  villes  de  Soissons ,  Cbaulny  et 
Coussi,  que  le  due  de  Mayenne  avoit  remis 
pour  celui  deGuienne  etdu  Cliateau-Trompette, 
bati  sur  la  riviere  de  Garonne  qui  passe  a  Bor- 
deaux ,  oil  Ton  voit  un  port  admirable. 

M.  d'Epernon  ayant  pourvu  a  la  surete  de  la 
ville  et  citadelle  de  Metz ,  et  s'etant  assure  de 
ses  amis  ,  resolut  d'en  partir  ,  et  s'en  alia  a  An- 
gouleme ,  oil ,  ayant  donne  ses  ordres  pour  la 
reception  de  la  Reine-mere ,  il  s'avanca  avec  de 
la  cavaierie,  et  envoya  i'arcbeveque  de  Tou- 
louse pour  recevoir  Sa  Majeste,  qui  s'etoit  sau- 
vee  par  une  fenetre  du  cbateau  de  Blois.  Elle 
fut  conduite  a  Locbes  ,  et  ensuite  a  Angouleme. 
Le  comte  de  Chiverny  et  les  echevins  de  Blois 
depecherent  a  la  cour ,  et  me  dirent  ce  qui  etoit 
arrive  et  ce  qu'on  savoit  deja.  Je  portai  la  con- 
firmation de  cette  nouvelle  au  Roi,  qui  etoit 
pour  lors  a  Saint-Germain-en  Laye.  La  nouvelle 
y  fut  recue  diversement :  les  plus  gens  de  bien 
en  craignirent  les  suites ,  d'autres  ne  purent 
s'empecber  de  marquer  la  joie  qu'ils  avoient  de 
se  flatter  que  I'autorite  de  Luynes  seroit  limitee. 
Enfin  I'esperance  des  desordres  causes  par  la 
guerre  civile  qui  etoit  allumee  dans  plusieurs 
provinces  du  royaurae,  rejouit  les  esprits  raal- 
intentionnes. 

Ce  qui  m'oblige  a  parler  de  ceci  n'est  seule- 
ment  que  parce  que  j'ai  omis  de  dire  que  les 
emissaires  de  Luynes  faisoient  de  grandes  me- 
naces a  la  Reine-mere ,  pour  I'obiiger  de  se 
souraettre  a  la  loi  que  ce  favori  vouloit  lui  don- 
ner. Cette  princesse  fut  un  jour  extraordinaire- 


16 


IIEMOIKES    »U    COMTF.    DF.    BRIENNE  , 


ment  pressee  par  le  colonel  d'Ornano ,  qui  !ui 
paria  avec  plus  de  fierte  que  n'avoit  fait  Roussi, 
qui  avoit  reste  long-temps  aiipres  d'elle ;  et  il 
echappa  a  d'Ornano  de  la  raenacer  de  la  main 
en  la  touchant,  et  de  lui  dire  que,  si  elle  entre- 
prenoit  de  faire  la  moindre  chose  a  Luynes, 
elle  deviendroit  plus  seche  que  du  bois  ,  en  lui 
montrant  le  busc  qu'elle  tenoit. 

Le  Roi  ,  etant  de  retour  a  Paris ,  y  fit  assem- 
bler des  personnes  de  toute  sorte  d'etats ,  pour 
savoir  ce  qu'il  seroit  a  propos  de  faire  dans  la 
presente  conjoncture.  Le  due  de  Mayenne  of- 
frit  de  se  raettre  a  la  tete  d'une  armee  pour 
faire  rentrer  M.  d'Epernon  dans  son  devoir. 
M.  de  Vendome  suivit  son  exemple  ,  et  M.  de 
Longueville  se  laissa  persuader  comme  les  au- 
tres.  La  nialson  de  Guise  n'abandonna  point  la 
cour;  et  ainsi  il  y  avoit  lieu  de  croire  que  tous 
les  grands  s'etoient  reunis  pour  conspirer  la 
perte  de  M.  d'Epernon.  Le  cardinal  de  Retz , 
qui  avoit  pris  seance  dans  le  conseil  aussi  bien 
que  le  chancelier,  paroissoit  du  meme  avis.  Le 
garde-des-sceaux  animoit  Luynes  pour  mettre 
ce  due  a  la  raison,  et  pour  assurer  sa  fortune. 
Le  seul  president  Jeannin  lut  d'un  avis  con- 
traire ,  et  montra  en  cette  lencontre  que  les 
annees  ne  lui  avoient  rien  fait  perdre  de  cette 
generosite  qui  avoit  toujours  ete  reraarquee  en 
lui.  Ceux  qui  avoient  le  plus  de  probite  remon- 
trerent  qu'il  falloit  chercher  toutes  les  voies 
d'accommodement ,  et ,  bien  loin  de  consentir  a 
la  perte  de  >L  d'Epernon,  ils  dirent  qu'un  des 
premiers  articles  du  traite  de  paix  devoit  etre 
d'y  comprendre  ce  due.  On  noraraa  le  cardinal 
de  La  Rochefoucauld  pour  aller  trouver  la 
Reine  ,  et  on  lui  donna,  si  je  ne  nie  trompe, 
pour  collegues  le  pere  de  Rerulle  et  M.  de  Re- 
thune,qui  revenoit  d'Allemagne ,  ou  il  avoit 
I'te  envoye  avec  leduc  d'Angouleme,  qu'onap- 
peloit  auparavant  le  comte  d'Auvergne,  et 
M.  de  L'Aubespine ,  chevalier  des  ordres  du 
Roi.  lis  y  avoient  ete  envoyes  tous  trois  en  qua- 
lite  d  ambassadeurs  de  Sa  Majeste  vers  I'Em- 
pereur,  pour  faire  en  sorte  qu'il  abnndonnat  le 
dessein  ou  il  etoit  de  mettre  sur  pied  une  armee 
qui  devoit  servir  a  repousser  I'entreprise  des 
Rohemieris  ,  et  facilitcr  celle  des  princes  qui 
marchoient  a  son  secours,  et  auxquels  les  pro- 
testans  vouloient  opposer  leurs  troupes  qui 
avoient  deja  passe  le  Rhin  sous  le  commande- 
ment  du  marquis  de  Rade-Dourlac. 

Le  Roi ,  craignant  que  le  feu  qui  etoit  pret  a 
s'allumerne  fut  bien  fatal  a  la  chretiente,  fai- 
soit  tous  ses  efforts  pour  Teteindre.  Ses  ambas- 
sadeurs obtinrent  du  marquis  de  Dourlac  qu'il 
laisseroit  passer  le  comte  de  Rucquoy,  sur  I'as- 


surance  qu'ils  lui  donneroient  que ,  si  I'Empe- 
reur  attentoit  a  la  liberte  de  TEmpire ,  Sa  Ma- 
jeste le  secourroit ,  quoiqu'elle  ne  put  approuver 
la  revolte  des  Rohemiens ;  et  comme  elle  avoit 
pris  sous  sa  protection  le  due  de  Savoie,  en  re- 
duisant  le  roi  d'Espagne  a  le  laisser  en  paix , 
ce  marquis  ne  crut  pas  devoir  refuser  ce  qu'on 
lui  proposoit.  Cette  conduite  pensa ,  dans  la 
suite  des  temps,  elever  la  maison  d'Autriche  a 
la  monarchic  universelle ,  a  laquelle  on  salt 
qu'elle  aspiroit. 

Le  cardinal  de  La  Rochefoucauld ,  M.  de  Re- 
thune  et  le  pere  de  Rerulle  s'acquitterent  si 
bien  de  leur  negociation,  que  les  differends  que 
le  Roi  et  la  Reine  sa  mere  avoient  ensemble 
furent  termines.  M.  d'Epernon  fut  compris  dans 
le  traite,  et  cette  princesse  s'en  alia  a  Tours, 
ou  le  Roi  s'etoit  rendu  pour  la  voir.  Elle  fut  en- 
suite  a  Angers,  cette  ville  lui  ayant  ete  donnee 
pour  une  place  de  surete.  Le  prince  de  Pie- 
rnout,  qui  venoit  d'epouser  madame  Christine 
de  France,  y  vint  saluer  la  Reine  apres  que 
Madame  Teut  vu  partir.  Elle  se  rendit  a  Turin, 
ou  Ton  lui  fit  une  maguifique  reception. 

Pendant  qu'on  traitoit  avec  la  Reine,  on  ne- 
gocioit  aussi  avec  le  prince  de  Conde ;  et  Luynes, 
croyant  qu'on  pouvoit  s'y  fier,  lit  resoudre  le 
Roi  a  aller  a  Compiegne ,  et  ensuite  a  Chan- 
tilly,  ou  ce  prince  rentra  dans  les  bonnes  graces 
deSa  Majeste.  Ce  raonarque,  peu  de  jours  avant 
son  depart  pour  Tours ,  me  permit  de  traiter  de 
la  charge  de  maitre  des  ceremonies  et  de  pre- 
vot  de  ses  ordres.  II  voulut  ajouter  a  cette 
grace  celle  d'en  payer  lui-meme  la  plus  grande 
partie  du  prix.  Je  me  crois  oblige  de  dire  ici 
que  Luynes ,  qui  en  usoit  honnetement  avec 
moi,  m'aida  de  ses  bons  offices;  et  cependant 
j'avois  tres-peu  de  part  a  sa  confiance ,  parce 
que  je  n'ai  jamais  voulu  dependre  des  favoris. 
C'est  une  chose  dont  je  ne  puis  me  repentir , 
quoiqu'elle  ait  servi  d'un  grand  obstacle  a  ma 
fortune. 

[1620]  La  Reine-mere,  dans  le  voyage  qu'elle 
fit  pour  se  rendre  aupres  du  Roi ,  fut  suivie  par 
reveque.de  Lucon  qui,  pour  sortir  d'Avignon, 
oil  il  avoit  ete  relegue ,  avoit  accepte  le  parti 
qu'on  lui  avoit  propose  de  se  rendre  aupres  de 
cette  princesse,  dans  I'esperauce  que  ce  prelat 
n'y  seroit  pas  inutile ,  et  auroit  le  pouvoir,  par 
son  esprit,  de  detruire  dans  celui  de  la  Reine 
le  due  d'Epernon.  Luynes  et  ceux  dont  il  pre- 
noit  conseil  etoient  persuades  qu'il  y  avoit  plus 
a  craindre  de  I'un  que  de  I'autre ,  et  cela  avec 
d'autant  plus  de  raison  que  I'eveque  de  Lucon 
reussit  a  faire  perdre  tout  le  credit  de  ce  due , 
qui  ne  laissa  pas  pour  cela  de  rester  toujours 


PREMIEBE    PARTIE.    [J620] 


dans  les  interets  de  la  Reine.  Le  prince  de 
Conde  fat  tout-a-fait  mis  en  liberie ;  et  Luynes, 
comme  due  et  pair  depuis  cinq  ou  six  mois , 
persuada  le  Roi  de  faire  uue  promotion  de  che- 
valiers de  ses  ordres.  Quel  embarras  le  grand 
nombre  de  pretendans  u'auroit-il  pas  cause ,  si 
Ton  ne  s'etoit  servi  dun  expedient  qui  avoit  ete 
autrefois  mis  en  usage?  C'etoit  que  le  Roi  lais- 
seroit  a  la  liberie  du  chapitre  le  choix  de  ceux 
qui  avoient  ete  nommes  pour  reraplir  les  places 
vacantes. 

II  fut  indique  a  Saint-Germain-en-Laye,  ou 
Ton  en  fit  i'ouverture ;  et  le  Roi  y  declara  ses 
intentions ,  qui  etoient  de  faire  quatorze  cheva- 
liers ,  dans  le  norabre  desquels  les  dues  etoient 
corapris.  Luynes  ne  voulut  point  s'assujettir 
aux  regies  pratiquees  par  les  autres ,  parce  que 
tons  les  grands  seigneurs  dependoient  de  lui,  ni 
le  comte  de  Rochefort ,  son  beau-frere  :  ce  qui 
parut  tout-a-fait  extraordinaire.  On  laissa  une 
entiere  liberie  aux  commissaires ;  nous  n'elions 
que  dix-sept,  et  nous  en  reciimes,  par  nos  suf- 
frages, quaranle-cinq,  et  entre  autres  un  car- 
dinal et  quatre  prelats.  On  recut  aussi  le  mar- 
quis de  Mouy,  qui  s'etoit  retire  du  service  de  la 
Reine-mere,  I'eveque  de  Lucon  n'ayant  pu 
souffrir  la  liberie  que  ce  seigneur  et  quelques 
autres  prenoieut  de  blamer  le  choix  qu'elle  avoit 
fait  de  son  frere(l),  aleur  exclusion,  pour  com- 
mander dans  Angers.  Celui-ci  fut  lue  par  The- 
mines  ,  dans  le  temps  que  cette  princesse  eloit  a 
Angouleme.  Sa  Majesle  ne  fut  pas  plus  lot  a 
Angers  qu'elle  fut  sollicitee  de  plusieurs  en- 
droits  pour  relablir  son  aulorile.  Le  due  de 
Mayenne  el  le  cardinal  de  Guise  se  declarerent 
pour  elle ,  et  attirerent  dans  leur  parti  le  comte 
de  Soissons  et  M.  de  Vendome.  Celui-ci  sortit 
de  Paris  avec  le  grand  prieur  son  frere.  II  passa 
par  Vendome ,  et  il  se  rendit  a  Angers.  On  pu- 
blia ,  pour  la  justification  de  ces  princes ,  des 
ecritsqui  ne  servoient  qu'a  les  faire  blamer; 
et  Ton  fit  de  loutes  parts  des  levees  de  gens  de 
guerre. 

Le  due  de  Longueville  crut  pouvoir  faire  de- 
clarer la  ville  de  Rouen ,  mais  il  fut  oblige  d'en 
sortir,  el  de  se  retirer  a  Dieppe.  Les  bons  servi- 
teurs  du  Roi  le  conjurerent  de  s'avancer  pour 
s'assurer  de  la  fidelite  des  habitans  de  celte 
ville;  et  cependant  ce  monarque  enlra  dans  le 
parlement,  et  regla  la  raaison  de  ville  de  telle 
maniere  qu'il  n'y  eut  rien  a  craindre  dans  la 
suite. 

Onagita  si  Sa  Majeste  iroil  dans  la  basse 

(1)  Le  marquis  db  Richelieu,  frerc  ainc  de  V6\cquQ 
de  Lucon.  (A.  E.) 

HI.    C.   D.    M.,   T.  III. 


Normandie  ou  bien  a  Dieppe;  et  je  me  souviens 
d'avoir  entendu  dire  an  prince  de  Conde  qu'il 
avoit  ete  d'avis  qu'on  fit  le  siege  de  Caen ,  par 
la  seule  raison  qu'il  haissoit  le  grand  prieur.  II 
est  certain  qu'il  fit  dire  a  M.  de  Longueville 
qu'il  avoit  empeche  celui  de  Dieppe ,  parce  qu'il 
eloit  dans  ses  interets.  Celui  de  la  ville  de  Caen 
ne  se  Irouva  ni  difficile  ni  de  longue  duree , 
celte  ville  n'ayant  point  de  munitions  de  guerre, 
ni  une  garnison  capable  de  faire  une  forte  re- 
sistance :  de  maniere  que  le  corps  de  ville  vint 
au-devant  du  Roi.  Le  commandant  recut  Sa  Ma- 
jesle dans  le  chateau ,  el  Malignon  vint  s'excu- 
ser  de  Tintelligence  qu'il  avoit  eue  avec  M.  de 
Longueville.  Les  plus  grands  seigneurs  du  pays 
firent  la  meme  chose  ;  et  celte  province  ayant 
ete  calmee  ,  le  Roi  alia  en  Anjou. 

Rassompierre  amena  avec  lui  les  troupes  qu'il 
commandoit  en  Champagne;  les  recrues  des 
gardes  arriverent ,  et  Ton  fut  bientot  en  elat  de 
chercher  les  ennerais  et  d'attaquer  leurs  places. 
On  ne  laissa  pas  cependant  de  parler  d'accora- 
modement ;  el  I'eveque  de  Lucon  disposa  les 
choses  d'une  telle  maniere,  que  tout  I'avantage 
fut  de  son  cote. 

La  negligence  des  deputes  du  Roi  donna  lieu 
a  I'attaque  d'un  relranchement  que  les  ennemis 
avoient  fail  devant  le  Ponl-de-Ce.  Le  due  de 
Relz  ,  pique  de  ce  que  I'accommodement  de  la 
Reine  s'etoit  fait  sans  sa  participation ,  se  re- 
tira;  el  ce  relranchement  n'ayant  point  assez 
de  troupes  pour  se  bien  defendre  ne  resta  pas 
long-temps  sans  elre  force.  Saint- Aignan  y  fut 
pris  prisonnier,  et  pensa  y  perir ,  mais  la  Reine 
empecha  les  princes  et  la  noblesse,  qui  avoient 
embrasse  ses  interets  et  qui  se  tenoient  a  An- 
gers ,  d'en  sortir.  lis  parurent  en  escadron  ,  et 
cependant  ils  n'oserent  atlaquer  les  troupes  du 
Roi ,  qui  avoient  ordre  de  les  charger  s'ils  fai- 
soient  mine  de  s'avancer  au  secours  des  leurs. 
On  dit  que  I'eveque  de  Lucon  s'etoit  conduit 
avec  tant  d'adresse  ,  qu'il  se  justifioitde  la  paix 
qu'il  avoit  conclue ,  en  la  faisanl  paroitre  ne- 
cessaire. 

Du  Pont-de-Ce,  le  Roi  se  rendit  chez  Brissac, 
qui  fut  le  lieu  de  I'entrevue;  et  apres  que  la 
Reine  eut  salue  le  Roi  son  fils  ,  etant  accompa- 
pagnee  des  princes  et  des  grands-seigneurs  qui 
I'avoienl  suivie ,  on  se  fit  des  excuses  de  part  et 
d'autre  ,  et  en  parliculier  sur  tout  ce  qui  s'etoit 
passe.  Le  Roi  recut  parfailement  bien  le  due  de 
Relz  ,  qui  lui  fut  presenle  par  le  cardinal  son 
oncle.  Ceux  que  la  publication  de  la  paix  elonna 
le  plusfurent  les  dues  de  Mayenne  et  d'Epernon, 
qui  se  Irouvoient  par-la  dans  la  necessile  de  con- 
gedier  leurs  troupes.  Mais  leur  surprise  ne  fut 


IS 


MKMOIKKS    1)11    COMTE    DF.    BRIENNE 


pas  raoindre  d'apprendre  que  le  Roi  avoit  eu 
dans  la  ville  de  Tours  une  seconde  entrevue  avec 
la  Reine  sa  mere ,  et  que  Sa  Majeste  prenoit  in- 
cessamment  le  chemin  de  la  Saintonge  et  de  la 
Guienne.  Le  due  d'Epernon,  faisant  alors,  comme 
on  dit,  de  necessite  vertu,  vint  au  devaut  du 
Roi ,  Taccompagna  a  Saint-Jean-d'Angely,  dont 
les  portes  liii  fiirent  ouvertes,  et  y  donna  ses 
ordres  en  quallte  de  gouverneur.  Le  Roi  s'assura 
de  Blaye  en  passant ,  et  en  tira  d'Aubeterre  pour 
le  faire  mareehal  de  France.  Sa  Majeste  fit  peu 
de  sejour  a  Bordeaux  ;  mais  elle  s'arreta  a  Prei- 
gnac ,  ou  elle  attendit  des  nouvelles  de  ce  qui  se 
passoit  en  Beam.  Peu  de  personnes  ignoroient 
que  la  reine  Jeanne,  mere  de  Henri-le-Giand  , 
avoit,  du  vivant  de  son  mari  Antoine,  embrasse 
la  religion  pretendue  reformee ,  et  banni  ensuite 
de  ses  Etats  I'exercice  de  la  catholique ,  s'etant 
appropries  les  biens  ecclesiastiques  ,  dont  elle 
avoit  dispose  en  faveur  des  ministres  et  des  aca- 
demies qu'elle  avoit  fondees  pour  Tinstruction  de 
lajeunesse,etpour  I'elever  dans  lareligion  qu'elle 
professoit.  Peu  de  personnes  ignorent  aussi  que 
le  Roi  son  fils  s'etoit  empare  de  ces  biens  dont 
sa  mere  avoit  dispose  ,  en  laissant  toutefois  tou- 
clier  les  revenus  pour  les  usages  auxquels  ils 
avoient  ete  auparavant  destines.  J'ajouterai  en- 
core que  I'une  des  conditions  que  le  pape  Cle- 
ment VIII  avoit  exigees  du  roi  Henri-le-Grand  , 
en  lui  donnant  I'absolution  ,  etoit  qu'il  retabli- 
roit  le  libre  exercice  de  la  religion  catholique 
dans  ce  qu'il  possedoit  du  royaume  de  Navarre 
et  de  la  principaute  de  Beam,  qui  etoit  divise  en 
six  portions.  On  avoit  done  assigne  aux  catholi- 
ques  ,  dans  chaque  justice  de  la  basse  Navarre  , 
un  lieu  pour  faire  en  liberte  I'exercice  de  leur 
religion ;  et  le  prince  fournissoit  de  son  vivant 
aux  eveques ,  abbes  et  pretres  ,  de  quoi  s'entre- 
tenir  par  forme  de  pensions;  mais  ils  ne  lais- 
soient  pas  toutefois  de  solliciter  la  main-levee 
des  biens  ecclesiastiques.  L'edit  en  fut  a  la  fin 
dresse  par  le  credit  du  garde-des-sceaux  Du  Vair 
et  de  quelques  autres  du  conseil.  On  ne  salt  point 
si  ce  fut  par  principe  de  religion,  ou  bien  pour 
faire  de  la  peine  au  chancelier,  que  le  garde- 
des-sceaux  s'y  determina ;  mais  ce  qui  est  de 
certain ,  c'est  que ,  quelque  diligence  que  put 
faire  le  conseil  ordinaire  de  Pau ,  compose  d'of- 
ficiers  de  la  religion  pretendue  reformee,  I'en- 
registrement  lui  en  fut  toujours  refuse;  et,  pour 
intimider  les  commissaires  nommes  pour  en  sol- 
liciter I'execution ,  Ton  avoit  souffert  qu'une 
troupe  d'ecoliers  fit  venir  dans  les  rues  de  Pau 
un  grand  nombre  d'archers  qui ,  ayant  menace 
les  commissaires  ,  les  avoient  obliges  a  se  reti- 
rer.  Cependant  La  Force ,  gouverneur  de  la  pro- 


vince ,  se  rendit  a  Bordeaux  pour  s'excuser  d'a- 
voir  pris  le  parti  de  la  Reine ,  et  demanda  des 
lettres  de  jussion,  moyennant  quoi  il  se  faisoit  fori 
de  faire  recevoir  l'edit  de  main-levee  :  ce  qui  kit 
fut  accorde ;  et  parce  que  le  sceau  de  Navarre 
etoit  reste  entre  les  mains  du  chancelier  qui  I'a- 
voit  garde  en  remettant  celui  de  France  ,  on  le 
scella  de  celui-ci  :  de  quoi  le  garde-des-sceaux 
fit  paroitre  beaucoup  de  joie.  Get  edit  fut  pre- 
sente  par  La  Force  ,  qui  disposa  les  esprits  a  se 
soumettre,  et  depecha  un  courrier  au  Roi  pour 
['assurer  qu'il  recevroit  dans  peu  une  tres-bonne 
nouvelle.  Sur  cette  assurance,  Luynes  fit  don- 
ner  les  ordres  pour  le  depart  des  equipages,  dont 
le  bruit  se  repandit  en  Beam.  Cependant  les  offi- 
ciers  catholiques  et  quelques-uns  de  la  religion 
pretendue  reformee  furent  d'avis  qu'on  suspen- 
dit  I'execution  des  ordres  du  Roi ;  mais  ,  ayant 
ete  maltraites  par  La  Force,  ils  ne  songerent 
plus  qu'aux  moyens  d'abaisser  son  pouvoir :  a 
quoi  ils  ne  crurent  pas  reussir,  a  moins  que  le 
Roi  ne  fit  le  voyage  de  Beam.  Pour  I'y  attirer, 
ils  cabalerent  avec  plusieurs  de  leurs  confreres, 
et  firent  rendre  un  arret  qui  declara  qu'il  n'y  avoit 
point  lieu  a  I'enregistrement  de  l'edit.  lis  fu- 
rent pousses  en  cela  par  des  personnes  zelees 
qui,  croyant  Sa  Majeste  deja  partie  ou  du  moins 
a  la  veille  de  partir,  s'imaginerent  qu'ils  pou- 
voient  maintenir  les  choses  corame  elies  etoient. 
La  Force  se  plaignit  des  serviteurs  du  Roi  qui 
rendoient  compte  des  raisons  qu'ils  avoient  cues 
d'etre  de  I'avis  qui  avoit  prevalu  ,  etant  appuyes 
par  le  garde-des-sceaux.  Enfin  lis  firent  si  bien 
que  Sa  Majeste  se  determina  a  alleu  en  Beam  ; 
et  Luynes,  qui  ne  pouvoit  souffrir  que  Mont- 
pouillan ,  fils  de  M.  de  La  Force,  revint  a  la 
com*  sous  le  moindre  pretexte ,  parce  que  le  Roi 
lui  avoit  toujours  temoigne  de  la  bonne  volonle, 
anima  ce  monarque  contre  le  pere  et  contre  ses 
enfans.  On  m'ordonna  de  prendre  les  devans 
pour  preparer  toutes  choses  pour  la  reception 
de  Sa  Majeste ;  et  je  partis  de  Roquefort,  d'ou  je 
me  rendis  a  Pau  peu  de  jours  apres.  Le  Roi  n'y 
fut  pas  plus  tot  arrive  qu'il  y  fit  assembler  les 
Etats.  La  Force  pretendit  que  c'etoit  a  lui  a  ex- 
pliquer  les  intentions  de  Sa  Majeste  :  a  quoi  le 
garde-des-sceaux  s'opposa,  en  remontrant  que 
cela  etoit  du  a  sa  charge;  et  celui-ci  I'emporta 
sans  avoir  pourtant  la  permission  deparlerassis, 
parce  que  c'est  la  coutume  en  Espagne  qu'il  n'y 
a  que  le  Roi  qui  le  soit,  et  que  les  deputes  de 
las  Cortes ,  c'est-a-dire  des  Etats,  et  les  official's 
du  prince  demeurent  debout  a  ses  pieds 

Le  monarque  les  assura  qu'il  voiW^>it  observer 
les/b?\-t  (c'est  ainsi  qu'ils  appc/fent  leurs  privi- 
leges) ,  et  confirma  les  graces  qu'il  avoit  accor- 


PREMli:nE   PAHTIE.   [1620- 


l!> 


dees  aiix  religion naires  d'etre  paves  sur  les  do- 
maines  des  sommes  qu'ils  tiroient  des  revenus 
des  bieus  ecclcsiastiques.  II  resolut  aussi  d'aller 
voir  Navarreins ,  qui  est  une  place  fortiiiee  par 
les  rois  de  Navarre,  dans  le  dessein  de  s'en  ren- 
dre  le  maitre.  Mon  avis  etoit  que  Ton  renforcat 
de  trois  compagnies  la  garnison  de  cette  place  , 
et  que  ces  compagnies  monteroient  la  garde  tour 
a  tour,  afin  de  pouvoir  mieux  cacher  le  dessein 
de  Sa  Majeste.  Les  catholiques  ayant  souhaite 
que  je  restasse  a  Pau  pour  y  faire  enregistrer 
la  reponse  que  le  Roi  leur  avoit  faite,  ils  obtin- 
rent  ce  qu'ils  deraanderent,  carle  conseil  s'y 
couforma;  etils  prirent  en  bonne  part  la  repri- 
mande  que  je  leur  fis  de  ce  qu'ils  avoient  plus 
apprehende  de  chatier  ceux  qui  raeritoient  pu- 
nition,  que  de  desobeir  au  Roi  qui  ne  leur  de- 
mandoit  rien  que  de  juste.  Je  me  souviens  que  , 
pour  les  engager  a  ne  plus  suivre  h  I'avenir  les 
avis  des  esprits  raal  intentionnes,je  leur  dis  ce 
que  Cesar  avoit  repondu  aux  Suisses  enfles  d'or- 
gueil  des  avantages  qu'ils  avoient  remportes  sur 
les  Roraains  :  que  les  dieux  permetient  som^ent 
que  les  mechans  prosperent ,  afin  de  leur  faire 
mieux  ressentir  la  rigueur  du  chdtiment  au- 
quel  ils  doivent  s'attendre. 

Le  Roi  fut  a  peine  arrive  a  Navarreins  qu'il  de- 
clara  au  gouverneur  le  dessein  dans  lequel  il 
etoit  de  le  recompenser  :  ce  que  celui-ci  re- 
fusa  d'abord  ,  mais  qu'il  accepta  dans  la  suite , 
non  pas  corame  une  chose  qui  lui  fut  due, 
mais  comme  une  marque  que  Sa  Majeste  agreoit 
ses  services.  Le  monarque ,  en  s'en  retouruant 
a  Pau ,  laissa  dans  Navarreins  quatre  compa- 
gnies d'infanterie ,  jusques  a  ce  que  les  soldats 
qui  en  devoient  composer  la  garnison  eussent 
ete  leves  par  Poyanne,  qui  obtint  le  gouver- 
nement  de  cette  place ,  et  peu  de  temps  apres 
la  lieutenance-generale  de  Navarre ,  de  Beam 
et  de  plusieurs  villes  considerables ,  comme 
Orthez,  Senneterrc ,  Morlac  et  Nuy,  dans  les- 
quelles  on  mit  aussi  des  garnisons.  Les  choses 
etant  ainsi  reglees ,  Sa  Majeste  reprit  la  route 
de  Bordeaux ,  passa  par  Saintes  ,  et ,  ayant  pris 
la  poste  a  Mesle ,  se  rendit  en  diligence  a  Paris, 
ou  les  Reines  I'attendoient. 

Ce  fut  alors  que  Ton  crut  la  parfaite  reconci- 
liation de  la  mere  et  du  fils ,  et  que  Ton  recon- 
nut  que  I'eveque  de  Lucon  avoit  beaucoup  de 
credit  sur  I'esprit  de  la  Reine-mere ;  car,  en  exe- 
cution du  traite ,  il  ecrivitau  Pape  pour  avoir  un 
cliapeau  de  cardinal  pour  I'archeveque  de  Tou- 

(1)  LuyntE  fuf  fait  connetable  le  2  avril  1621.  Ses 
ennemis  repanairent  le  couplet  suivant : 
Je  suis  ce  que  le  Roi  m'a  fait , 
Je  fais  ce  que  je  veux  en  France ; 


louse,  et  il  oblint  ensuite  qu'on  IVroit  pour  lui 
la  meme  demande  a  Sa  Saintete.  C'est  ainsi  que 
ces  prelats  furent  tons  deux  cardinaux  dans  la 
suite.  On  loua  beaucoup  la  moderation  de  I'eve- 
que de  Lucon  ,  d'avoir  consenti  que  I'archeveque 
de  Toulouse  passat  le  premier. 

Luynes  engagea  le  Roi  a  faire  un  voyage  en 
Picardie  ,  afin  d'etre  mis  par  Sa  Majeste  en  pos- 
session du  gouvernement  de  Calais ,  dont  il 
avoit  ete  pourvu.  Pendant  ce  voyage,  on  paria 
du  mariage  d'un  neveu  de  ce  favori  avec  une 
niece  de  I'eveque  de  Lucon.  Ce  fut  aussi  en  ce 
temps -la,  mes  enfans,  qu'on  fit  les  premieres 
propositions  du  mien  avec  madame  votre  mere , 
de  I'esprit  et  de  la  conduite  de  laquelle  je  ne  vous 
dirai  rien ,  non  plus  que  de  ses  belles  qualites , 
qui  vous  sont  assez  connues.  Mais  vous  ne  pou- 
vez  trop  I'aimer  et  la  respecter,  tant  parce  que 
les  lois  divines  et  humaines  vousy  obligent,  que 
par  rapport  a  I'amitie  qu'elle  a  toujours  cue  pour 
moi,  et  dont  elle  m'a  donne  de  tres-grandes 
preuves  dans  mes  disgraces  et  dans  mes  mala- 
dies. La  cour  etant  retournee  a  Paris ,  on  ne  son- 
gea  plus  qu'a  se  divertir ;  mais  les  esprits  re- 
muans  penserent  a  recommencer  les  troubles. 

La  Force  esperade  surprendre  Navarreins  par 
I'intelligence  qu'il  eut  avec  Sensery,  et  peu  s'en 
fallut  qu'il  n'y  reusslt.  II  se  mit  en  devoir  de 
I'assieger  dans  un  poste  ou  il  s'etoit  retire,  y 
etant  soutenu  par  Poyanne.  II  se  sauva  nean- 
moins  contre  les  apparences ,  et  par  la  tout  re- 
devint  tranquille  dans  le  Beam.  Les  religion- 
naires  prenant  occasion  de  se  meler  des  affaires 
des  Bearnois  (ce  qu'ils  n'avoient  jamais  ose 
faire),  ils  convoquerent  une  assemblee  a  La 
Roehelle.  On  n'y  avoit  point  encore  publie  I'edit 
de  Nantes ,  ni  les  autres  qui  avoient  precede  en 
faveur  de  ceux  de  la  meme  religion,  qui  s'y 
etoient  habitues.  Cependant  La  Force ,  ayant 
entrepris,  en  1621,  de  faire  recevoir  a  Saumur 
leurs  deputes ,  n'y  put  reussir,-  et  d'autres  de- 
putes qu'ils  envoyerent  a  Loudun  n'y  furent  pas 
recus  non  plus. 

[  1 6 2 1  ]  Le  Roi  ordonna  a  cette  assemblee  de  se 
separer;mais,  bien  loin  d'obeir,  elle  resolut  dese 
maintenir  par  les  armes.  Le  monarque  la  declara 
criminelle  de  lese-majeste ,  et  il  ordonna  qu'on 
fit  des  levees  de  gens  de  guerre.  Cependant  le 
prince  de  Conde  ,  pour  gagner  de  plus  en  plus 
I'amitie  de  Luynes,  demanda  et  obtint  pour  ce 
favori  I'epee  de  connetable  (l);  et  Ton  regarda 
comme  une  chose  bien  nouvelle  qu'un  homme 


Car  le  Roi  j'y  suis  en  cdet , 
Et  lui  ne  lest  qu'cn  apparence. 


(A.E.) 


20 


MEMOIRES    DU    COMTE    DE    BUIENNE  , 


qui  n'avoit  jamais  tire  Tepee  pour  le  service 
du  Roi  fut  eleve  a  la  premiere  charge  de  I'epee. 
11  en  preta  Ic  serment  entre  les  mains  de  Sa  Ma- 
jestc ;  apres  quoi  Ton  proposa  au  nouveau  con- 
netable  de  faire  la  guerre.  II  n'eut  pas  de  peine 
a  s'y  resoudre  ,  esperant  de  la  terminer  promp- 
tement ;  ct  il  engagea  pour  cet  effet  le  Roi  a  se 
rendre  en  Poitou  ,  ou  Ton  resolut  et  ou  Ton  com- 
menca  presque  en  meme  temps  le  siege  de  Saint- 
.Tean-d'Angcly. 

Le  due  d'Epernon ,  apres  avoir  fait  la  con- 
qui'te  du  Ream  oil  Sa  Majeste  I'avoit  envoye , 
s'y  rendit  aussi ;  et ,  pen  de  jours  apres ,  cette 
place ,  qui  fut  defendue  par  Soubise  ,  frere  de 
M.  de  Rohan  ,  capitula.  Les  huguenots,  nonobs- 
tant  cela,  ne  voulant  point  entendre  parler  de 
paix  ,  la  guerre  fut  continuee  ,  et  plusieurs  vii- 
les  des  environs ,  dont  les  fortifications  et  les 
murailles  furent  rasees,  se  rendirent. 

Le  Roi  s'etant  ensuite  avance  sur  la  Dor- 
dogne  ,  la  ville  de  Rergerae ,  dont  les  fortifica- 
tions n'etoient  point  encore  assurees  ,  lui  ouvrit 
ses  portes ,  et  celle  de  Tonneins  en  fit  de  meme. 
On  resokit  le  siege  deClerac,  et  I'ou  ordonna 
que  cette  place  seroit  reconnue  par  Lesdiguie- 
res ,  marechal  general  des  camps  et  armees  de 
Sa  Majeste.  Cependant  on  fit  des  couvertures  de 
feuilles  et  de  verdure  pour  mettre  la  Reine  et  les 
dames  de  la  cour  a  I'abri  de  I'ardeur  du  soleil. 
Les  gens  de  guerre  furent  commandes ,  les  at- 
taques  ordonuees,  et  la  cour  sortit  de  Tonneins 
pour  etre  temoin  de  ce  qui  se  passeroit.  Lesdi- 
guieres  s'avanca  suivi  d'un  grand  nombre  de 
gentilshommes,  et  fut  oblige  de  chercher  un 
abri,  parce  que  le  Roi,  la  Reine  et  le  connetable 
n'etoient'pas  encore  arrives.  Les  ennemisfirent 
d'abord  quelques  decharges,  dont  il  n'y  eut  que 
deux  ou  trois  des  notres  de  blesses.  Lesdiguie- 
res ,  pique  de  leur  bardiesse  et  ne  voulant  pas 
reculer  ,  fit  monter  a  cheval  ceux  qui  etoient  a 
sa  suite  ,  et  fit  commander  a  quelque  infanterie 
qui  etoit  dans  le  vallon  de  commencer  I'attaque. 
Les  ennemis  la  recurent  a  la  faveur  d'une  bar- 
ricade qu  ils  gardoient.  Le  haut  fut  gagne  et 
perdu  ;  le  combat  s'opiniatra ,  et  le  marechal 
de  Saint-Geran  se  joignit  a  Lesdiguieres.  II  lui 
demanda  ct  il  obtint  une  partie  de  la  noblesse 
qui  etoit  aupres  de  lui  pour  soutenir  les  notres  , 
et  chncun  voulut  etre  de  la  partie ;  ce  qui  ne  plut 
pas  a  Lesdiguieres  qui  avoit  permis  a  quel- 
ques-uns  de  nous  de  se  detacher ;  le  marechal  de 
Saint-Geran  fut  plus  tot  aux  ennemis  que  M.  de 
Lesdiguieres.  Gelui-ci  m'ordonna ,  comme  aussi 
au  comte  de  Saulx,  son  Ills,  et  au  baron  de  Pal- 
mor,qui  s'est  fait  depuis  pcre  de  rOratoire,et 
qui  avoit  ete  lieutenant  des  gendarmes  de  M.  de 


Nemours ,  il  nous  ordonna,  dis-je,  de  nous  por- 
ter devant  lui ,  et  aux  autres  de  le  suivre  ;  et  il 
nous  commanda  de  marcher  a  une  barricade 
qui  etoit  gardee  par  les  ennemis,  et  de  I'atta- 
quer.  On  ne  pouvoit  rien  voir  de  plus  leste  que 
I'etoit  notre  escadron.  La  noblesse  etoit  paree 
de  plumes  et  montee  sur  des  coureurs  equipes 
magnifiquement ;  etle  comte  de  Saulx,  quoique 
vetu  de  deuil ,  brilloit  autant  que  les  autres. 
Termes ,  grand  ecuyer  de  France  et  marechal 
de  camp  ,  qui  s'etoit  poste  sous  le  rideau  sur  le 
haut  duquel  nous  etions  ,  crut  qu'il  etoit  de  son 
honneur  d'avoir  part  a  la  gloire  que  M.  de  Les- 
diguieres vouloit  remporter.  II  poussa  a  la  bar- 
ricade ,  etant  accompagne  seulement  de  deux 
ou  trois  gentilshommes.  Les  ennemis  lui  firent 
une  decharge  qui  le  blessa  a  mort ;  mais  ils  I'a- 
bandounerent,  nous  voyantvenir  a  son  secours. 
Nous  les  poussames  ,  et  etant  soutenus  par  quel- 
ques soldats  du  regiment  des  Gardes,  comman- 
des par  deux  lieutenans  qui  furent  tues,  nous 
emportames  une  seconde  barricade,  ou  nous 
eumes  ordre  de  nous  loger.  Le  connetable ,  se 
tenant  offense  de  ce  qu'on  avoit  commence  le 
combat  sans  sa  permission  ,  blama  ce  qui  avoit 
ete  fait ;  mais  Ton  m'envoya  rendre  compte  au 
Roi  de  la  necessite  qu'il  y  avoit  eu  de  combat- 
tre ,  et  Sa  Majeste  me  parut  satisfaite  des  rai- 
sons  que  je  lui  donnai.  II  n'en  fut  pasde  meme 
du  connetable  ,  qui ,  cherchant  un  pretexte  ap- 
parent pour  blamer  notre  action  ,  n'en  trouva 
point  de  meilleur  que  de  dire  qu'il  n'avoit  rien 
vu  de  ce  qu'on  exposoit  au  Roi.  Je  pris  alors  la 
liberte  de  representer  a  ce  monarque  qu'il  fal- 
loit  qu'il  se  donnat  la  peine  de  se  transporter 
sur  le  lieu  du  combat,  et  qu'il  en  jugeroit  par 
ses  yeux ;  ce  qui  etoit  dire  honnetement  au 
connetable  qu'il  etoit  trop  eloigne  pour  en  pou- 
voir  parler  justement.  Cependant  on  continua  le 
siege  de  la  place,  qui  capitula  peu  de  jours 
apres. 

Celui  de  Montauban  fut  resolu  aussitot,  sans 
considerer  que  I'armee  etoit  beaucoup  diminuee, 
tant  par  les  attaques  cfu'elle  avoit  faites  que  par 
ses  longues  marches ;  et  Ton  repondit  a  ceux 
qui  disoient  qu'elle  etoit  trop  affoiblie ,  et  qu'elle 
avoit  besoin  de  rafraichissement ,  qu'elle  seroit 
soutenue  par  les  troupes  que  commandoit  M.  de 
Mayenne,  et  par  cellesque  M.  de  Montmorency 
amenoit  du  Languedoc. 

L'armee  s'avanca;  elle  fut  suivie  de  la  cour 
qui ,  ayant  reste  deux  jours  a  Agen  ,  s'arreta  a 
Moissac  ,  ou  elle  passa  la  fete  de  I'Assoniption. 
Le  lendemain  elle  parut  devant  Montauban.  Le 
quartier  du  Roi  etoit  a  Riquier  :  c'est  un  bourg 
eloigne  de  cette  ville  de  deux  grandes  lieues. 


PRBMIEBB   PABTIE.    [162 1] 


21 


Les  Gardes  francoises ,  les  Gardes  suisses  et 
quelques  regimens  d'infanterie  furent  loges  en- 
tre  ce  bourg  et  la  place  assiegee.  Le  marechal 
de  Praslin  commaudoit  la  gauche ,  qui  etoit  le 
long  du  Tar  ,  en  venant  vers  I'abbaye  de  Mou- 
tier  erigee  en  cathedrale  ,  et  quifutdepuis  rui- 
nee  par  les  religioauaires.  C'etoit  dans  ce  lieu 
du  Moutier  que  messieurs  les  marechaux  de  Les- 
diguieres  et  de  Saint-Gerau ,  qui  commandoient 
alternativement  avec  le  due  de  Chevreuse , 
etoieut  loges.  M.  de  Mayenue,  qui  attaquoit  le 
faubourg  de  Ville-Bourbon,  etoit  campeau-dela 
de  la  riviere  en  tirant  vers  Toulouse.  Le  siege 
de  cette  place  fut  tres-rude  ,  et  M.  de  Mayenne 
y  fut  tue  comme  il  montroit  les  travaux  au  due 
de  Guise. 

Nous  fumes  repousses  en  plusieurs  attaques  ; 
et,  nonobstant  les  regimens  qu'amena  avec  lui 
M.  de  Montmorency,  notre  armee  s'affoiblit  de 
telle  maniere  qu'on  commenca  a  parler  de  lever 
le  siege ,  et  cela  avec  d'autant  plus  de  raison 
qu'il  etoit  entre  dans  la  ville  douze  cents  hom- 
raes  de  secours  ,  qui  marchoient  en  trois  batail- 
lons.  Les  deux  premiers  y  entrerent  sans  peine; 
mais  nos  gardes  ayant  donne  sur  le  troisieme  , 
il  fut  defait.  Quoique  le  comte  d'Orval  cut  le 
titre  de  gouverneur ,  tout  se  passoit  neanmoins 
par  les  avis  de  La  Force,  qui  s'etoit  jete  dans 
la  place.  II  se  trouva  des  personnes  qui ,  ne  le 
connoissant  point ,  proposerent  au  connetable 
de  trailer  avec  lui ,  et  qui  I'assurerent  que  La 
Force ,  dans  I'envie  qu'il  avoit  de  rentrer  dans 
ses  charges ,  disposeroit  les  bourgeois  de  la  ville 
a  se  rendre.  Mais  jedis  au  connetable  que  je  ne 
croyois  pas  qu'il  tirat  de  cette  entrevuetout  I'a- 
vautage  qu'on  lui  promettoit ,  parce  que  La 
Force  demauderoit  qu'on  renouvelat  les  edits  , 
que  la  paix  se  fit  avec  son  parti ,  et  que  le  Roi 
se  contentat  d'une  obeissance  apparente.  J'ajou- 
tai  que  La  Force  ayant  ete  bien  recu  par  ceux 
de  Montauban,  il  se  donueroit  bien  de  garde  de 
faire  aucuue  proposition  qui  leur  put  etre  pre- 
judiciable. 

Le  connetable ,  ayant  prefere  le  conseil  des 
autres  au  mien ,  convint  du  lieu  et  de  I'heure 
qu'il  s'aboucberoit  avec  La  Force ;  mais ,  apres 
une  lougue  conference  qui  n'aboutit  a  rien  ,  le 
connetable  revint  dans  le  camp ,  et  La  Force 
rentra  dans  la  ville ,  dont  le  siege  fut  eufin  leve, 

(1)  Le  connetable  mourut  le  14  d^cembrc  1621.  On 
fit  sur  sa  mort  et  sur  la  prise  de  Monheur  les  vers  sui- 
vans : 

Monheur  est  pris,  la  Garonne 
Est  remise  en  sa  liberty  : 
Toutefois  le  peuple  s'^tonne 
Du  Te  Dettm  qu'on  a  chanto 


parce  que  notre  armee  n'avoit  pas  sufflsamment 
d'horames  pour  le  continuer  ,  et  que  la  saison 
etoit  deja  trop  avancee.  II  mourut  pour  lors 
deux  secretaires  d'Etat :  le  premier  etoit  M.  de 
Seaux  dont  il  a  ete  ci-devant  parle ,  et  dont  il 
est  ajse  de  faire  I'eloge ,  ayant  ete  d'une  capa- 
cite  cousommee  et  d'une  probite  qui  lui  servit 
de  regie  dai)s  toutes  ses  actions;  le  second  fut 
M.  de  Pontchartrain ,  qui ,  de  secretaire  des 
commanderaens  de  la  reine  Marie  de  Medicis  , 
etoit  parvenu  par  son  merite,  du  vivant  de  Henri- 
le-Grand,a  la  dignite  de  secretaire  d'Etat,  a 
laquellesucceda ,  apres  sa  mort ,  d'Herbault  son 
frere ,  tresorier  de  I'epargne  :  ce  fut  I'avantage 
que  d'Herbault  retira  de  s'etre  fait  un  grand 
nombre  d'amis.  Apres  cela  le  Roi  s'en  alia  a 
Toulouse,  oil  des  personnes  experimentees  lui 
proposerent  de  passer  dans  le  bas  Languedoc, 
dont  les  places  n'etoient  pas  encore  fortifiees. 
On  ajouta  que  Chatillon  ,  qui  etoit  tout  puissant 
dans  cette  province ,  songeroit  a  ses  propres  af- 
faires,  rechercheroit  de  se  soumettre,  et ,  re- 
mettant  au  Roi  Aigues-Mortes  et  Peccals ,  don- 
neroit  un  exemple  qui  seroit  suivi  par  Mont- 
pellier  et  par  plusieurs  autres  villes.  II  se  trouva 
aussi  des  personnes  qui  conseillerent  a  Sa  Ma- 
jeste  de  descendre  la  Garonne  pour  se  rendre 
maitresse  de  Monheur  ,  qui  est  une  tres-petite 
place ,  et  dans  laquelle  il  etoit  reste  plusieurs 
amis  de  Baisse ,  qui  avoit  ete  maiheureusement 
assassine  pour  n'avoir  pas  voulu  manquer  de 
fidelite  au  Roi.  On  prefera  I'avis  de  ceux-ci ,  et 
Ton  forma  le  siege  de  cette  ville ,  pendant  le- 
quel  le  connetable  tomba  malade ,  et  mourut 
pen  de  jours  apres  (1)  qu'elle  eut  ete  rendue. 

Le  prince  de  Conde  ne  fut  pas  sitot  averti  de 
cequi  se  passoit,  qu'il  s'avanca  en' diligence 
pour  se  faire  declarer  chef  du  parti  oppose  a  la 
Reine-mere.  Ceux  qui  y  etoient  entres  pour  I'a- 
mour  du  connetable ,  qui  avoit  contribue  a  leur 
elevation,  resolurentqu'avant  I'arriveedu  prince 
on  en  donneroit  avis  a  cette  princesse ,  qui  te- 
moigna,  seulement  par  politique,  etre  fachee  de 
sa  mort. 

On  ne  songea  point  encore  a  remplir  sa  char- 
ge, mais  bien  celle  de  garde  -  des -sceaux,  va- 
cante  par  la  mort  de  M.  Du  Vair ,  charge  que  le 
connetable  avoit  exercee  avec  une  assiduite  ex- 
traordinaire ;  car  ,  au  lieu  de  se  tenir  au  camp 

Pour  cette  victolre  notable , 
Vu ,  dit-on ,  que  le  connetable 
A  trouve  la  mort  en  ce  lieu . 
Mais  pour  dire  ce  qu'il  m'en  semble , 
La  perte  et  le  gain  mis  ensemble , 
On  a  sujet  de  louer  Dieu. 

(A.E  - 


'2-J 


JIKMOIKKS    DV    COMTli    l)E    «mEi>i.\E. 


comme  connetable,  il  presidoit  au  conseil ,  et 
tenoit  le  sceau ,  a  la  sati-faction  de  officlers  , 
qui  le  meprisoient ;  et  s'il  interrompoit  jamais 
les  raaitres  des  requetes  qui  rappoi'toient  une 
affaire,  c'etoit  seulcment  pour  mettre  la  tete  a 
la  fenetre  quand  il  entendoit  tirer  un  coup  de 
canou ,  et  voir  si  le  coup  venoit  des  ti-anchees  ou 
de  la  ville. 

[1G22]  Le  Roi  se  rendit  avec  le  prince  de 
Conde  il  Bordeaux  avant    les  fetes  de  jNoel.  II 
tint  conseil  avec  le  cardinal  de  Retz  et  Schom- 
berg,  surintendantdes  finances  ,  et  qui  exercoit 
encore  par  commission  la  charge  de  grand-mai- 
tre  de  I'artillerie.    lis  craignirent  que,    si  Sa 
Majestc   revenoit    a   Paris  sans  avoir  dispose 
des  sceaux ,   on    ne  les  rendit  au  chancelier. 
Pour   Puisieux,   son  fils ,  il  ne  les  demandoit 
pas  pour  son  pere ,  mais  seulement  qu'on  n'en 
disposat  point  sans  lui  en  parler.   L'adresse  de 
son  esprit  etoit  connue  du  prince  de  Conde  ,  qui, 
I'ayant  offense  ,  comme  il  a  ete  remarque  ci-de- 
vant, craignoit  qu'il  ne  redevint  en  credit  et  ne 
se raccommodat avec  laReine-mere;  car,  quoi- 
qu'il  I'eut  abandonnee  ,  elle  ne  pouvoit  oublier 
qu'il  avoit  contribue  a  son  mariage ,  et  que  le 
feu  Roi  avoit  eu  jusques  a  sa  mort  une  tres- 
grande  consideration  pour  lui.  Le  choix  en  etoit 
d'autant  plus  difficile ,  qu'il  y  avoit  pour  lors  a 
la  suite  de  la  cour  tres-peu  de  personnes  dignes 
de  cette  charge,  laquelle  fut  enfin  donnee  a 
M'.  de  Vic ,  ancien  conseiller   d'Etat ,  mais  qui 
ne  la  posseda  que  tres-peu  de  temps ,  comme 
on  le  verra  dans  la  suite  de  ces  Memoires.  Le 
nouveau  garde-des-sceaux  alia,  en  arrivant  a 
Paris  ,  descendre  chez  le  chancelier  ,  de  qui  il 
fut  tres-bien  recu.  II  ne  pouvoit  rien  arriver, 
dans  la  conjoncture  presente  ,  de  plus  avanta- 
geux  a  ce  chef  de  la  justice ,  a  moins  qu'on  ne 
lui  rendit  les  sceaux  a  lui-meme ,  que  de  les 
voir  entre  les  mains  de  M.  de  Vic  ,  qui  etoit  un 
mediocre  sujet  et  un  esprit  foible.  On  remarqua, 
devant  meme  que  le  Roi  fut  de  retour  a  Paris  , 
que  quelques  dames  qui  avoient  de  grands  acces 
aupres  de  la  Reine,  entretenoient  entre  elles  d'e- 
troites  liaisons  :  ce  qui  servit  de  pretexte  pour 
en  eloigner  quelques-unes,  et  pour  faire  tomber 
la  charge  dedame  d'honneur  de  Sa  Majeste  a 
la  comtesse  de  Lanoy.  On    se  servit  du  prince 
de  Conde  pour  faire  entendre  au  Roi  qu'il  y  al- 
loit  de  son  service  de  faire  retirer  de  la  cour  la 
veuve  du  connetable ,  mademoiselle  de  Verneuil 
et  quelques  autres  dames ;  mais  le  conseil  du 
prince  ne  fut  suivi  que  dans  ce  qui  regardoit 
rdoiguement  de  quelques-unes,  car  on  lui  re- 
fusa  ce  qu'il  demandoit  pour  la  connetable  dc 
Montmorency,  belle-mere  de   sa  femme ,  qui 


etoit  fachee  qu'elle  rentrSt  dans   la  charge  de 
dame  d'honneur  qu'elle  n'avoit  plus  voulu  exer- 
cer ,  quand  madame  de  Luynes  fut  pourvue  de 
celle  de  la  surintendance  de  la  maison  de  la 
Reine.   Le  credit  de  Puisieux  parut  beaucoup 
en    cela ,  car   il    fit  donner  la   preference  a 
une  dame  qui  avoit  toutes  les  qualites  neces- 
saires  pour  remplir  dignement  cette  charge,  mais 
non  pas  tant  de  merite    que  la    connetable, 
qui  sans  contredit  effacoit  toutes  les  autres  da- 
mes de  la  cour.  Apres  tous  ces  changemens,  le 
Roi  fut  passer  les  fetes  de  Paques  a  Blois ;  et 
ayant  et€  averti  que  Soubise ,  frere  de  M.  de 
Rohan ,  s'avancoit  avec  des  troupes  et  faisoit 
contribuer ,  vers  La  Rochelle ,  le  pays  d'Au- 
nis ,  le  Poitou  et  la  Saintonge  ,  Sa  Majeste  se 
rendit  promptement  h  Nantes ,  et  alia  en  dili- 
gence dans  le  bas  Poitou.  Soubise ,  poste  dans 
un  lieu  tres-avantageux  pour  lui ,  et  de  tres-dif- 
ficile  acces  pour  les  troupes  du  Roi ,  fit  mine  de 
se  vouloir  defendre,  ayant  meme  coupe  toutes 
les  avenues  de  I'ile  de  Re ;  mais ,  aux  approches 
du  Roi ,  ce  seigneur ,  apres  avoir  fait  semblant 
de  combattre  ,  prit  la  fuite  ,  et  abandonna  les 
siens  a  la  merci  des  troupes  de  Sa  Majeste,  qui, 
ayant  passe  un  endroit  qu'on  appelle  le  Grand- 
Bras  ,  donna  la  charge  aux  ennemis ,  et  ordonna 
qu'on  epargnat  le  sang  de  ses  sujets  :  ce  qui  ac- 
quit au  Roi  autant  de  gloire  qu'auroit  pu  faire 
la  victoire  qui  lui  fut  derobeeen  partie  par  Sou- 
bise, qui  craignoit  de  tomber  entre  ses  mains. 
Le  prince  de  Conde  commandoit  I'armee  sous  les 
ordres  du  Roi ,  et  avoit  avec  lui  le  comte  de 
Soissons ,  les  marechaux  de  Praslin  et  de  Saint- 
Geran  ,  et  un  grand  nombre  d'officiers  subalter- 
nes.  Le  Roi  logea  a  Apremont ,  et  resolut  d'aller 
ensuite  en  Saintonge  pour  y  faire  le  siege  de 
Brian ,  place  situee  sur  la  Gironde ,  et  qui  etoit 
regardee  comme  tres-importante.   Sa  Majeste 
I'attaqua  et  s'en  rendit  la  maitresse  ;  mais  com- 
me elle  me  commanda  de  suivre  en  Guienne  le 
prince  de  Conde ,  je  ne  puis  rien  dire  des  ex- 
ploits de  ce  monarque ,  ni  faire  la  description 
d'une  attaque  ou  il  perit  quantite  de  gens  de 
marque  qui  voulurent  empecher  La  Force  et  les 
autres  chefs  du  parti  huguenot  de  reprendre 
une  breche. 

Le  Roi,  en  partant  de  cette  province  pour 
retourner  a  Paris,  laissa  deux  generaux  :  le 
due  d'Elboeuf  pour  commander  dans  la  basse 
Guienne,  et  dans  la  haute  le  marechal  de  Thy- 
mines, dont  les  deux  enfans  avoient  ete  iu^s 
I'annee  precedente  :  I'aine  au  siege  deMontau- 
ban  ,  et  le  cadet  a  celui  de  Monheur.  On  donna 
ordre  a  ces  deux  generaux  de  s'eutr'aider.  La 
I'^orce  etant  resolu   de  continuer   la  guerre  , 


PUEMIEUB    PARTIK.    [1622] 


23 


M.  d'Elboeuf  I'asslegea  presque  dans  sa  propre 
maison.  La  Force ,  qui  s'avanca  pour  la  secou- 
rir,  fut  defait;  et  neaumoins  sa  maison,  quine 
fut  pas  prise  ,  resta  en  neutralite ,  a  la  priere  de 
la  noblesse  du  Perigord. 

M.  d'Elbceuf ,  ayant  resolu  de  faire  le  siege 
de  Tonneins ,  \int  joindre  le  mareehal  de  The- 
mines  avec  les  troupes  qu'il  commandoit.  lis 
firent  ensemble  les  approches,  et  gagnerent 
quelques  dehors.  La  Force ,  venu  au  secours , 
fut  defait,  et  le  siege  continue.  On  pent  dire  que 
si  Tonneins  fut  bien  attaque,  il  se  defendit  bien 
aussi ;  et  outre  que  les  assieges  firent  des  choses 
extrordinaires,  le  Roi ,  qui  en  fut  averti ,  et  qui 
craignoit  que  les  assiegeans  n'y  recussent  quel- 
que  affront ,  parce  que  la  vigoureuse  resistance 
des  ennemis  avoit  beaucoup  affoibli  son  armee , 
resolut  de  la  renforcer  ;  et  pour  cela  Sa  Majeste 
detacha  quelques  regimens  de  cavalerie  et  d'in- 
fauterie  de  la  sienne ,  sous  le  commanderaent 
du  prince  de  Conde ,  avec  ordre  de  se  rendre 
raaitre  de  la  place  a  quelque  prix  que  ce  fiit, 
d'en  faire  un  exemple ,  et  d'ecouter  les  raisons 
de  La  Force  s'il  vouloit  traiter.  II  demanda  que 
je  le  suivisse,  et  cela  lui  fut  accorde.  II  me  fut 
donne  pouvoir  d'offrir  a  La  Force  le  baton  de 
mareehal  de  France  et  deux  cent  mille  ecus.  On 
crut  que  je  serois  plus  propre  que  tout  autre  a 
cette  negociation ,  parce  que  mon  pere  etoit  son 
ancien  ami ,  et  que  je  lui  avois  rendu  service  en 
plusieurs  occasions. 

A  peine  M.  le  prince  fut-il  arrive  a  Bordeaux, 
qu'il  y  apprit  avec  chagrin  que  Tonneins  s'etoit 
rendu  par  composition  a  d'Elbceuf  et  a  The- 
mines.  On  luiordonna  de  prendre  des  vaisseaux 
des  etats-generaux ,  pour  les  faire  equiper  de- 
vant  Royan;  et  les  capitaines  hollandois  faisaut 
difficulte  de  les  abandonner,  on  attaqua  ceux  de 
leurs  marchands  :  raais  ils  baisserent  leurs  pa- 
vilions a  la  faveur  de  la  maree ,  apres  avoir  tire 
quelques  voices  de  canon ,  pour  faire  voir  qu'ils 
ue  craignoient  point  notre  artillerie. 

II  ne  restoit  plus  rien  a  faire  dans  la  basse 
Guienne,  apres  la  reddition  de  Tonneins,  que 
d'attaquer  Sainte-Foy.  On  manda  done  au 
prince  de  Conde  de  tacber  a  faire  capituler  cette 
place  avant  I'arrivee  du  Roi ,  qui ,  ayant  deja 
pris  Royan  ,  marchoit  par  le  meme  chemin  que 
nous.  Je  fis  alors  savoir  a  La  Force  qu'ayant 
ordre  de  lui  parler,  je  lui  demandois  uue  entre- 
vue  dans  un  endroit  d'ou  je  pusse  me  retirer 
surement  si  je  ne  concluois  rien  avec  lui.  II  y 
consentit ,  et  il  me  donna  un  rendez-vous  a  La 
Bouse ,  qui  est  distante  de  Sainte-Foy  de  deux 
heures  de  chemin.  Nous  ne  convinmes  de  rien 
le  premier  jour,  car  il  me  proposoit  de  donner 


liberte  de  conscience  aux  protestans;  et  moi  je 
lui  disois  qu'en  s'accomraodant  ii  assureroit  sa 
fortune  et  celle  de  sa  famille,et  qu'il  procureroit 
aux  habitans  de  Sainte-Foy  des  conditions  avan- 
tageuses ,  qu'ils  meritoient  d'autaut  plus,  qu'ils 
lui  avoient  donne  retraite :  ce  que  n'avoient  point 
fait  ceux  deMontauban,  qui  I'avoient  paye  d'in- 
gratitude  apres  avoir  defendu  et  sauve  leur  ville. 
Nous  nous  retirames  ensuite ,  et  nous  convinmes 
pourtant  de  nous  revoir  dans  un  camp.  II  alle- 
gua  pour  raison  qu'il  ne  devoit  pas  s'eloigner  de 
la  place  qu'il  commandoit,  et  qu'il  en  pouvoit 
etre  blame,  parce  que  le  prince  de  Conde  lui 
avoit  fait  savoir  qu'il  en  feroit  bientot  les  ap- 
proches. Cela  I'obligea  meme  a  mettre  le  feu  a 
un  faubourg  ;  mais ,  comme  nous  ne  pouvions 
pas  parler  en  surete  dans  I'endroit  ou  nous 
etions  ,  il  me  proposa  d'entrer  dans  la  ville  sur 
sa  parole  :  a  quoi  je  consentis.  Je  refusal  ce- 
pendant  I'offre  qu'il  me  fit  de  me  montrer  les 
fortifications  de  la  place,  en  lui  disant  que, 
comme  elles  n'etoient  pas  achevees ,  je  serois 
oblige  d'en  rendre  compte,  et  que ,  ue  les  ayant 
point  considerees ,  je  les  pouvois  croire  en  etat 
de  defense.  II  m'a  avoue  depuis  que  je  lui  fis 
plaisir  de  ne  le  pas  prendre  au  mot ,  et  qu'il  re- 
connut  qu'il  s'etoit  trop  avance.  Comme  done  il 
vit  qu'il  ne  pouvoit  rien  obtenir  pour  les  eglises 
protestantes ,  dont  il  me  dit  qu'il  n'etoit  point 
autorise,  nous  parlcimes  des  interets  particuliers 
de  la  ville  de  Sainte-Foy  ;  et  j'en  usai  si  bien , 
que  je  m'attirai  par  la  laconfiance  des  habitans. 
Je  refusal  d'abord  une  abolition  qui  me  fut  de- 
mandee  pour  Savignac-Damesse ,  qui  avoit  as- 
sassine  Baisse ;  mais  enfin  je  lui  promis  qu'il 
auroit  la  liberte  de  se  retirer  :  ce  qui  I'apaisa , 
et  contenta  quelques-uns  de  ses  parens  et  amis 
qui  etoient  restesdans  la  ville  avec  lui.  Pour  ce 
qui  est  de  La  Force ,  il  se  tint  ferrae  quand  il 
fut  question  de  parler  de  ce  qui  le  regardoit, 
ayant  ete  averti  par  le  prince  de  Conde  de  ce 
que  j'avois  pouvoir  de  lui  offrir.  II  s'en  tenoit 
meme  si  assure  qu'il  tachoit  a  m'engager  de  lui 
offrir  davantage ;  mais  je  me  servis  d'une  ruse 
opposee  a  la  sienne ,  en  disant  que  ce  qu'il 
croyoit  n'etoit  pas  vrai.  Mais  enfin  nous  tom- 
bames  d'accord  que  j'irois  rendre  compte  au 
Roi ,  et  que  s"il  plaisoit  a  Sa  Majeste  de  lui  ac- 
corder  ce  qu'on  lui  avoit  fait  esperer,  et  meme 
davantage  ,  qu'il  en  seroit  tres-content.  Je  me 
retirai  ensuite,  et  je  fis  une  si  grande  journee  que 
je  me  rendis  de  Sainte-Foy  a  Montlieu,ou  etoit  le 
Roi.  Je  lui  dis  les  choses  dont  La  Force  m'avoit 
charge ,  et  j'obtius  de  Sa  Majeste  qu'elle  h^te- 
roit  sa  raarche ;  et  comme  je  fus  averti  que  le 
prince  de  Conde  m'avoit  accuse  d'etre  dans  les 


24 

interets  de  La  Force ,  je  crus  ne  pouvoir  mieux 
faire  que  d'engager  celui-ci  a  rendre  sa  place 
au  Roi ,  et  non  pas  a  ce  priuce. 

En  entrant  dans  la  ville  pour  la  seconde  fois  , 
je  trouvai  que  les  ministres  avoient  souleve  le 
peuple.  Je  crus  alors  que  les  peines  que  je  m'e- 
tois  donnees  deviendrolent  inutiles ,  et  que  La 
Force  ,  qui  s'etoit  mis  au  lit,  faisoit  serablaut 
d'etre  malade  ;  mais  je  vis  qu'il  I'etoit  en  effet 
d'une  fievre  qui  pensa  I'emporter  peu  de  jours 
apres.  Cependant  je  nejugeai  point  que  j'eusse 
d'autre  parti  a  prendre  que  d'user  de  menaces 
avec  ceux  que  je  ne  pouvois  persuader,  et  de 
t<4cher  a  gagner  les  autres  le  mieux  qu'il  seroit 
possible.  Mais  comme  j'avois  beaucoup  a  crain- 
dre,  tant  de  I'inconstance  du  peuple  que  du 
soin  que  les  ministres  prenoieut  de  I'animer,  je 
me  retirai  dans  la  maison  qui  m'avoit  ete  pre- 
paree ,  en  attendant  le  point  du  jour  pour  en 
sortir.  La  Force  et  les  habitans ,  n'ayant  pas 
voulu  qu'on  ouvrit  les  portes  pendant  la  nuit , 
les  plus  seditieux  tinrent  cependant  conseil ; 
mais  la  nouvelle  qui  se  repandit  que  le  Roi  s'ap- 
prochoit  donna  de  la  crainte  aux  plus  determi- 
nes. On  m'avertit  alors  que  les  ministres  de- 
mandoient  a  me  parler  :  et  comme  je  ne  savois 
point  si  c'etoit  pour  me  preparer  k  la  mort, 
on  ne  pent  etre  plus  surpris  que  je  le  fus 
de  la  demande  qu'ils  me  firent  de  leur  donner 
des  passe-ports  pour  se  retirer  en  telle  ville 
qu'ils  voudroientde  I'obeissance  du  Roi.  Je  leur 
accordai  dans  le  moment  leur  demande ,  et  le 
lendemain  je  me  rendis  aupres  de  Sa  Majeste , 
et  lui  presentai  d'Aymet ,  fils  de  La  Force , 
pour  servir  de  caution  de  la  fidelite  de  son 
pere.  Peu  de  temps  apres  que  cet  otage  eut  ete 
remis  entre  les  mains  du  Roi,  nous  eumes  nou- 
velle que  les  troupes  de  Sa  Majeste  etoieut  en- 
trees dans  la  ville ,  et  qu'on  se  preparoit  a  rece- 
voir  le  Roi  lui-meme. 

Pour  signaler  sa  piete ,  ce  monarque ,  au  lieu 
d'aller  a  I'eglise ,  descendit  dans  une  place  qui 
avoit  ete  autrefois  consacree  a  Dieu ;  et  la  fete 
du  Saint-Sacrement ,  qui  arriva  le  lendemain  , 
y  fut  solennisee  avec  un  eclat  et  une  pompe  sur- 
prenante.  Ce  fut  assurement  une  belle  cbose  a 
voir  que  le  triomphe  de  Jesus-Christ  dans  le 
temps  et  dans  le  lieu  meme  ou  il  avoit  ete  le 
plus  blaspheme. 

Le  Roi  partit  de  Sainte-Foy  apres  y  avoir 
mis  une  garnisou  et  etabli  des  consuls.  II  alia 
ensuite  a  A  gen  ,  et,  ayant  passe  par  Moissac  , 
il  resolut  de  se  rendre  en  Languedoc.  Les  habi- 
tans de  Montaubau  furent  bien  aises  de  voir 
qu'on  n'investissoit  point  leur  ville;  maisNegre- 
pelisse  ayant  eu  I'insoleuce  de  refuser  aux  four- 


MEMOIBES    DU    COMTE    DE    BBIEININE, 

riers  du  Roi  I'ouverture  de  ses  portes  ,  elle  fut 
prise  d'assaut,  pillee  et  briilee.  On  pendit  et 
raassacra  les  horames  ,  on  viola  les  femmes  et 
les  filles.  Douze  des  principaux  de  ces  misera- 
bles ,  qui ,  apres  s'etre  retires  dans  le  chateau  , 
s'etoient  rendus  a  discretion  ,  furent  pendus 
comme  les  autres  pour  rendre  I'exemple  plus 
parfait. 

La  garnison  et  la  bourgeoisie  de  Saint-An- 
tonin  ayant  capitule  parce  que  ses  dehors  furent 
emportes  brusquement ,  le  Roi  ordonna  que 
cette  place  seroit  rasee  et  demantelee,  afin  d'ap- 
prendre  a  la  posterite  que  ces  sortes  de  villes  , 
quoique  fortifiees,  ne  doivent  jamais  avoir  I'au- 
dace  de  tenir  devant  une  armee  royale ,  et  a 
plus  forte  raison  quand  un  roi  legitime  la  com- 
mande  lui-meme  en  personne.  Le  chemin  de  Sa 
Majeste  pour  aller  en  Languedoc  etant  de  passer 
par  Toulouse,  elle  s'y  arreta  quelques  jours , 
et  ensuite  a  Castelnaudary  pour  retablir  sa  sante 
alteree  par  tant  de  fatigues.  Le  cardinal  de  Retz 
mourut  pendant  le  sejour  que  le  Roi  fit  dans 
cette  ville.  Apres  la  mort  de  Luynes ,  il  avoit 
travail  le  a  se  rendre  maitre  de  la  faveur  de  Sa 
Majeste;  mais  il  ne  se  trouva  pas  assez  fort, 
parce  que  le  Roi ,  aide  du  conseil  de  quelques 
courtisans ,  vouloit  essayer  alors  de  ne  plus  etre 
gouverne.  Sa  Majeste  alia  ensuite  a  Reziers 
pour  y  laisser  passer  les  grandes  chaleurs.  On 
crut  pour  lors  que  ce  monarque  songeroit  a  la 
paix  ,  et  cela  parce  que ,  bien  que  le  prince  de 
Conde ,  Schomberg  et  quelques  autres  fussent 
d'avis  qu'on  continual  la  guerre,  leur  parti 
etoit  affoibli ,  et  celui  de  Puisieux  fortifie  par 
un  contre-coup  des  amis  de  Bassompierre  qui 
faisoient  dire  a  Lesdiguieres  ce  qu'ils  vouloient, 
c'est-a-dire  qu'il  ne  respiroit  rien  tant  que  la 
paix ;  et  pour  empecher  qu'il  ne  se  declarat 
en  faveur  des  huguenots  ,  le  Roi  lui  avoit  en- 
voye  du  Poitou ,  ou  il  etoit  pour  lors ,  offrir 
I'epee  de  connetable  et  tons  les  autres  avantages 
qu'il  possedoit  dans  sa  religion  ,  pourvu  qu'il 
voulut  embrasser  la  catholique,  et  faire  en  sorte 
que  les  religionnaires  du  Dauphine  restassent 
dans  I'obeissance  qu'ils  devoient  au  Roi ,  aussi 
bien  que  les  places  dont  Lesdiguieres  avoit  le 
gouvernement  avant  qu'il  se  declarat.  Tout  cela 
lui  fut  propose  par  Bullion ,  ancien  conseiller 
d'Etat,  qu'on  lui  envoya  expres. 

Lesdiguieres  voulut ,  avant  que  de  se  deter- 
miner ,  se  faire  instruire  et  se  convaincre  des 
verites  de  notre  religion  ;  mais  a  force  d'en  etre 
sollicite  par  safemme  et  par  Crequi,  son  gendre, 
il  en  fit  enfin  profession.  Le  Roi  lui  envoya 
aussitot  I'ordre  du  Saint-Esprit ,  ayant  fait 
expedier  une  commission  a  messieurs  de  Crequi 


PREMIERE    PARTIE.    [1622] 


et  de  Saint-Chaumont  pour  faire  la  cer^monie 
de  lui  donner  la  croix  et  !e  collier,  et  le  revetir 
des  habits.  Cela  se  fit  a  Grenoble,  ou  d'Alin- 
eourt ,  gouverneur  du  Lyonnois ,  se  rendit. 
Crequi  se  hata  de  porter  au  Roi  la  iiouvelle 
de  ce  qu'avoit  fait  M.  de  Lesdiguieres ,  et 
qu'il  ne  raanqueroit  pas  de  le  suivre  bientot , 
pour  rendre  a  Sa  Majeste  les  services  aiix- 
quels  il  etoit  oblige  par  sa  naissance  et  par  tou- 
tes  les  dignites  dont  elle  avoit  bien  voulu  I'ho- 
norer. 

II  n'y  eut  que  le  seul  due  d'Epernon ,  qui 
avoit  suivi  le  Roi  dans  son  voyage ,  qui  y  trou- 
vSt  a  redire ;  raais  ce  fut  sans  faire  aucun  eclat, 
par  discretion.  II  disoit  seulement  a  ses  meilleurs 
amis  qu'il  etoit  surprenant  qu'on  eut  si  fort  eleve 
un  homrae  qui  s'etoit  toujours  trouve  dans  tou- 
tes  les  brouilleries  de  I'Etat,  et  qui  n'avoit  pu 
encore  effacer  par  ses  services  le  mal  qu'il  avoit 
fait.  Mais ,  d'autre  cote,  I'avantage  qui  en  pou- 
voit  resulter,  en  ce  que  les  catholiques  rentre- 
rent  dans  les  places  dont  le  connetable  etoit  gou- 
verneur, et  qui  etoient  occupees  auparavant 
par  des  huguenots;  tout  cela,  dis-je,  obligeolt 
peut-etre  M.  d'Epernon  a  taire  son  meconten- 
tement. 

Le  Roi  partit  de  Beziers ,  et  s'approcha  de 
Montpellier  ;  raais  il  passoit  outre  avec  douleur, 
ayant  toujours  le  dessein  d'en  faire  le  siege. 
L'envie  qu'il  en  avoit  fut  augmentee  par  ceux 
qui  approcboient  de  Sa  Majeste,  et  leur  avis 
fut  prefere  a  celui  de  ceux  qui  en  proposerent 
un  contraire.  La  ville  fut  done  investie ,  le 
quartier  du  Roi  etabli  a  Castelnau ,  et  le  siege 
en  fut  commence.  Ceux  qui  etoient  dans  la 
place  et  la  bourgeoisie  se  resolurent  a  un  bonne 
defense.  M.  de  Rohan  leur  promettant  du  se- 
cours ,  et  les  assieges  ayant  eu  d'abord  quel- 
que  avantage ,  Crequi  s'avisa  de  dire  que  cette 
place  etoit  attaquee  par  I'endroit  le  plus  foible. 
Bassompierre ,  a  qui  un  semblable  discours  de- 
plaisoit ,  soutint  modestement  le  contraire,  pour 
ne  pas  faire  de  peine  a  Puisieux,  et  proposa 
au  Roi  d'ecouter  les  propositions  de  paix  que 
Crequi  lui  faisoit  par  I'ordre  du  connetable.  La 
crainte  qu'on  avoit  de  ne  pas  etre  plus  heureux 
qu'on  ne  I'avoit  ete  I'annee  derniere,  fit  que  Ton 
ecouta.  les  propositions  ,  quoique  Chatillon  ,  a 
qui  on  donna  ensuite  le  baton  de  marechal  de 
France,  eut  remis  au  Roi  Aigues-Mortes  et 
Peccais ,  ou  se  fait  le  sel  qui  se  debite  dans  le 
Languedoc  et  dans  le  Lyonnois  :  ce  qui  rend 
cette  place  tres-considerable ;  et  d'ailieurs  elle 
est  telle  par  son  assiette  ,  car  les  marais  I'envi- 
ronnent  eu  plusieurs  endroits.  Autrefois  c'etoit 
un  port ;  mais  la  mer  s'etant  retiree ,  il   s'est 


25 

trouv6  une  grande  distance  entre  le  rivage  et 
ses  murailles. 

Le  prince  de  Conde  fit  cependant  tout  ce  qu'il 
put  pour  obliger  le  Roi  a  continuer  la  guerre. 
II  crut ,  aussi  bien  que  Schomberg  et  quelques 
autres  de  la  cour,  du  nombre  desqueis  j'etois , 
que  le  chancelier  etoit  disgracie  et  le  credit  de 
Puisieux  tombe  ,  parce  que  le  Roi  avoit  resolu 
de  donner  a  M.  d'Aligre  les  sceaux ,  qui  etoient 
vacans  par  la  mort  de  M.  de  Vic.  On  avoit  si 
bien  concerte  les  choses ,  que  le  jour  avoit  ete 
meme  arrete  pour  lui  en  expedier  les  provi- 
sions et  lui  en  faire  preter  le  serment ;  raais 
I'execution  en  ayant  ete  differee  faute  de  cire 
pour  les  sceller,  ceci  vint  a  la  connoissance  de 
Puisieux ,  qui  s'en  plaignit ,  et  qui  se  servit  du 
raeme  artifice  qui  lui  avoit  deja  reussi  I'annee 
precedente :  c'etoit  qu'il  ne  deraandoit  pas  qu'on 
rendit  les  sceaux  a  son  pere  ,  raais  qu'on  ne  les 
donnat  point  a  un  de  ses  ennerais,  tel  qu'etoit 
M.  d'Aligre,  qu'on  savoit  etre  dans  les  interets 
de  la  maison  de  Soissoiis.  Enfin  Puisieux  obtint 
que  les  sceaux  seroient  donnes  a  Caumartin , 
qui  etoit  le  plus  ancien  conseiller  d'Etat  de 
ceux  qui  se  trouverent  a  la  suite  de  la  cour. 
Le  nouveau  garde- des-sceaux  etoit  un  horame 
de  merite  ,  raais  que  les  plus  habiles  gens  n'a- 
voient  pas  cru  capable  de  raonter  a  une  telle 
dignite  par  son  esprit  et  par  sa  capacite.  Cepen- 
dant M.  d'Aligre  etoit  fort  considere  du  Roi. 

Sa  Majeste  jugeant  bien  que  la  prise  de  la 
place  qu'on  assiegeoit  etoit  fort  incertaine ,  et 
que  cette  conquele  lui  attireroit  autant  de  peine 
que  de  profit ,  elle  consentit  aux  propositions 
que  Ton  fit  d'accommodement ,  pourvu  qu'elle 
y  put  raettre  une  garnison,  en  conservant  nean- 
moins  aux  habitans  leurs  privileges ,  et  pro- 
mettant de  ne  rien  innover  touchant  I'Hotel-de- 
Ville ,  dont  les  catholique  ne  seroient  cependant 
point  exclus  ;  que  les  edits  renouveles ,  et  gene- 
raleraent  toutes  les  graces  accordees  ci-devant 
a  ceux  de  la  religion  pretendue  reforraee ,  et 
dont  ils  ne  s'etoient  pas  rendus  indignes ,  leur 
seroient  accordees  5  qu'on  leur  continueroit  les 
places  de  siirete,  mais  que  celies  qui  avoient 
ete  prises  ne  leur  seroient  point  rendues.  Le 
prince  de  Conde,  n'ayant  pu  parer  un  tel  coup, 
s'eraporta  contre  Puisieux  et  Bassompierre.  II 
blama  le  connetable  et  le  marechal  de  Crequi , 
et  partit  pour  faire  son  voj'age  d'ltalie,  sous 
pretexte  d'accomplir  un  vceu  a  Notre-Dame-de- 
Lorette. 

Apres  la  reduction  de  la  ville  de  Montpellier, 
le  Roi  y  entra  et  y  fit  quelque  sejour.  II  y  rait 
quatre  corapagnies  d'infanterie  des  regimens  de 
Picardie  et  de  Normandie ,  dont  il  donna  le 


'2  a 


MEilOlUES    1>L'    COMTE    DE    BRIENNE, 


commandement ,  aiissi  bien  que  de  la  ville ,  a 
Valencay,  beau-frere  de  Puisieux,  qui  etoit  cbe- 
valier  de  I'ordre ,  et  qui  avoit  servi  de  marechal 
de  camp.  II  etoit  si  digne  de  cet  emploi  et  il 
s'en  acquitta  si  bieu  ,  qu"il  fit  en  sorte  que  cette 
ville  deraanda  d'elle-meme  qu"oa  y  batit  une 
citadelle ,  voyant  bieu  qu'elie  ne  seroit  jamais , 
saus  cela,  dechargee  d'une  garnison  qui  I'in- 
commodoit  beaucoup. 

M.  de  Rohan  ayant  voulu  s'en  rendre  maitre 
par  surprise,  Valencay  le  decouvrit,et  peu  s'en 
fallut  quel"on  n'envint  aux  armes  5  mais  comme 
on  parlera  de  ceci  dans  un  autre  endroit ,  je  di- 
rai  seulement  ici  en  passant  que  cela  doit  suffire 
a  ceux  qui  liront  ces  Memoires ,  pour  leur  faire 
comprendre  que,  queique  paix  que  les  hugue- 
nots aientsignee ,  ils  n'ont  jamais  eu  d'autre  in- 
tention que  d'y  contrevenir  quand  ils  le  pour- 
roient ;  et  qu'ils  ont  toujours  ete  dans  le  dessein, 
ou  de  former  une  republique ,  ou  de  diminuer 
au  moins  I'autorite  du  Roi ,  de  telle  maniere 
qu'ils  nefussent  obliges  de  s'y  soumettre  qu'au- 
tant  qu'ils  le  voudroieut  et  qu'il  pourroit  con- 
venir  a  leur  interet.  jMais  il  leur  est  arrive  ce 
qui  arrive  toujours  dans  les  coramunautes  mal 
reglees,  oil  la  multitude  se  jette  souvent  dans 
I'anarchie :  c'est  que  leurs  propres  passions  ont 
contribue  a  detruire  leurs  projets. 

Le  Roi  fit  apres  cela  le  voyage  de  Provence , 
ou  Ton  lui  proposa  quelques  changemens;  mais 
le  tout  ayant  ete  bien  examine,  il  crut  qu'il  y 
alloit  de  I'interet  de  son  service  de  laisser  les 
choses  comme  elles  etoient.  Sa  Majeste  prit  en- 
suite  le  chemin  du  Dauphine ,  et  de  la  se  ren- 
dit  a  Lyon  ou  la  Reine  I'attendoit  ,  et  ou  la 
princesse  de  Conde  lui  avoit  amene  mademoi- 
selle de  Verneuil ,  dont  le  mariage  fut  fait  avec 
le  marquis  de  La  Valette  ,  et  ou  la  duchesse  de 
Chevreuse  acquit  beaucoup  de  gloire  ,  en  epou- 
sant,toute  veuve  qu'eile  etoit  du  connetable, 
un  prince  de  la  maison  de  Lorraine. 

Le  Roi  fut  recu  dans  le  Dauphine  par  M.  de 
Lesdiguieres ;  mais  Sa  Majeste  fut  fort  surprise 
quand  elle  sut  que  le  parlement  de  Grenoble  de- 
niandoit  qu'on  detruisit  I'arsenal ,  et  qu'on  fit 
un  changenient  dans  les  places  dont  ce  conne- 
table etoit"  gouverneur.  Cependant  Sa  Majeste 
s'etant  declaree  une  fois  en  faveur  de  cette  com- 
pagnie ,  et  s'etant  d'ailleurs  sou\  enue  du  service 
que  M.  de  Lesdiguieres  venoit  de  lui  rendre  tout 
nouvellement,  elle  consentit  au  temperament 
que  M.  de  Lesdiguieres  proposa  de  mettre  des 
Suisses  dans  I'arsenal ,  en  y  laissant  toutefois 
une  compagnie  de  Francois ,  et  en  y  raettant  un 
lieutenant  catholique,  qui  etant  caution  do  ceux 
qui  seroient  dans  la  place,  les  choses  demeu- 


roient  dans  le  meme  etat  qu'on  les  avoit  trou- 
vees. 

[1623]  On  fit  au  Roi  une  belle  reception  en 
Avignon,  oil  se  rendit  Charles-Emmanuel,  due 
de  Savoie,  qui  fit  de  tres-beaux  presens  a  Sa 
Majeste ,  et  qui  n'epargna  rien   pour  mettre 
dans  ses  interets  quelques-uns  de  ses  ministres. 
Comme  c'etoit  un  prince  tres-ambitieux  et  tres- 
adroit ,  il  fit  tous  ses  efforts  pour  engager  le 
Roi  a  faire  la  guerre;  mais  s'il  avoit  bien  su 
qu'autant  que  ce  monarque  avoit  d'impatience 
d'en  entreprendre  quand  il  n'en  avoit  point  sur 
les  bras ,  autant  avoit-il  d'empresseraent  a  les 
fiuir  quand  elles  etoient  une  fois  commencees, 
il  n'eiit  pas  manque  de  prendre  toutes  les  pre- 
cautions necessaires  pour  lui  servir  d'assurance 
dans  cette  occasion,  11  fut  accompagne  de  Ma- 
dame ,  soeur  du  Roi ,  laquelle  vint  a  Lyon  ren- 
dre ses  devoirs  a  Sa  Majeste  et  aux  deux  Reines. 
On  y  celebra  le  mariage  de  mademoiselle  de 
Verneuil  avec  le  marquis  de  La  Valette;  et 
M.  d'Epernon,  qui  avoit  ete  pourvu  du  gouver- 
nement  de  Guienne,  vacant  par  la  mort  de 
M.  de  Mayenne ,  s'etant  demis  de  celui  d'An- 
goumois,  Saintonge,  pays  d'Aunis,  haut  et  bas 
Limousin ,  s'y  rendit  aussi  par  I'Auvergue.  Can- 
dale,  son  fils,  qui  avoit  la  survivance  de  celui 
d'Angoumois  et  des  autres  dont  nous  venons  de 
parler,  se  plaignit  a  ce  sujet ,  et  cela  fit  qu'on 
le  partagea  en  deux :  on  donna  la  Saintonge  et 
I'Aunis  au  marechal  de  Praslin ,  et  a  Schomberg 
I'Angoumois  et  le  Limousin.  Quoique  ce  der- 
nier n'eiit  ete  gratifie  qu'en  apparence ,  et  qu'on 
ne  lui  eut  point  accorde  le  baton  de  marechal 
de  France,  comme  on  avoit  fait  a  Rassompierre, 
ses  ennemis,  suivant  ce  qu'il  m'a  dit  souvent 
lui-meme ,  ne  laisserent  pas  de  travailler  a  le 
faire  disgracier,  mais  particulierement  Rassom- 
pierre et  Puisieux,  quisereunirent  en  cette  oc- 
casion au  marquis  de  La  Vieuville,  pour  faire 
entendre  au  Roi  que  Schomberg  avoit  mal  ad- 
ministre  les  finances.  Ainsi ,  peu  de  jours  apres 
le  retour  de  Sa  Majeste  a  Paris  ,  La  Vieuville  , 
Puisieux  et  le  chancelier,  a  qui  on  avoit  rendu 
les  sceaux  vacans  par  la  mort  de  M.  de  Caumar- 
tin ,  entrerent  dans  le  cabinet  de  la  Reine-mere, 
ou  Ton  peut  dire  que  La  Vieuville  fit  parfaite- 
ment  bien  le  personnage  d'un  comedien  :  car  il 
jeta  par  terre  un  grand  nombre  d'etats ,  d'or- 
donnances  et  plusieurs  autres  papiers;  et  Ton  y 
prit  la  resolution  de  faire  eloigner  Schomberg 
de  la  cour,  afin  de  donner  la  surintendance  des 
finances  a  La  Vieuville.   On  expedia  done  le 
brevet  de  celui-ci,  et  Ton  donna  ordre  a  Schom- 
berg de  se  retirer.  Ce  dernier ,  quelques  jours 
apres  sa  disgrtlce,  fut  appel6  en  duel  dans  sa 


PBEMIEBK     PARTIB.    [l6'23J 


27 


maison  de  Nanteuil  par  le  due  de  Candale.  lis 
se  battireut  a  I'epee ;  et  le  second  dii  due  ayant 
ete  tue  sur  la  place  ,  Schomberg,  qui  avoit  Ta- 
vantage  du  combat,  en  usa  en  brave  gentil- 
homme ,  et  blama  Pontgibaut ,  son  neveu ,  qui 
lui  servoit,  parce  qu'il  le  pressoit  de  s'en  preva- 
loir.  Comrae  Schomberg  etoit  aime,  et  qu'on 
parloit  avec  honneur  de  cette  action  belle  et 
courageuse,  tout  le  monde  se  mit  a  le  louer  en 
presence  du  Roi ,  qui  en  entendit  parler  avec 
plaisir,  ayant  toujours  conserve  beaucoup  d'es- 
time  pour  lui. 

Cependaut  Puisieux ,  qui  ne  songeoit  unique- 
ment  qu'a  I'etablissement  de  sa  fortune,  fut 
bien  surpris  quand  le  Roi  le  pressa  d'engager 
le  chancelier  a  remettre  les  sceaux  ,  qui  ne  lui 
avoient  ete  donnes  qu'a  cette  condition.  II  est 
bien  vrai  que  le  lils  vouiut  persuader  qu'il  en 
avoit  soUicite  son  pere;  mais  j'avouerai  que  je 
n'en  sais  rien ,  puisque  ce  n'est  pas  une  chose 
etonnante  qu'on  ignore  les  secrets  des  families. 
Quoi  qu'il  en  soit,  La  Vieuville,  dont  Tambition 
etoit  extreme,  anima  le  Roi ,  et  I'annee  s'ecoula 
sans  qu'il  se  passat  rien  d'extraordinaire ,  cha- 
cun  des  concurrens  ne  songeant  qu'a  supplanter 
son  competiteur.  Ce  fut  dans  le  commencement 
de  I'annee  1623  que  s'accomplit  mon  mariage  ; 
et  je  puis  dire  que  si  Dieu  a  voulu  me  recompen- 
ser  des  ce  monde-ci,  il  I'a  fait  d'une  maniere 
qui  m'a  ete  tres-avantageuse ,  en  me  donnant 
pour  epouse  une  personne  aussi  distinguee  par 
son  merite  que  par  sa  naissance ,  et  de  laquelle 
je  me  crois  oblige  de  dire,  pour  rendre  temoi- 
gnage  a  la  verite ,  que  je  n'ai  eu  que  toute  sorte 
de  satisfaction  depuis  trente-buit  ans  que  nous 
sorames  ensemble. 

L'aversion  que  le  Roi  avoit  concue  centre  le 
chancelier,  et  I'estime  dont  il  honoroit  d'Aligre, 
engagerent  Sa  Majeste  a  oter  les  sceaux  a  ce 
chef  de  la  justice  pour  les  donner  a  celui-ci; 
mais  comme  le  chancelier  etoit  un  homme  d'ex- 
perience ,  il  ne  vouiut  point  s'eloigner  de  la 
cour  :  et  il  fit  de  necessite  vertu,  en  supportant 
son  malheur  avec  patience.  Mais  enfin ,  quoi- 
qu'il  donn^t  dans  le  conseil  des  marques  de  sa 
capacite ,  son  adresse  et  I'assidulte  de  Puisieux 
ne  I'empecherent  point  d'etre  disgracie ,  et 
d'entrainer  sou  fils  avec  lui. 

Le  prince  de  Galles  ,  accompagne  du  due  de 
Buckingham,  passa  dans  ce  temps-la  par  Paris 
pour  aller  en  Espagne  y  demander  en  mariage 
la  seconde  fille  du  Roi  Catholique,  qu'on  lui  fai- 
soit  esperer,  le  comte  de  Bristol  ,  ambassadeur 
d'Angleterre  a  la  cour  de  Madrid  ,  assurant  que 
sa  presence  aplaniroit  toutes  les  difficultes  qui 
se  pourroient  trouver.  Le  prince  ,  ayant  su  que 


la  Relne  r^petoit  un  ballet  qu'elle  devoit  dan- 
ser,  alia  au  Louvre  incognito ,  et  y  fut  place 
par  hasard.  Le  prince  et  le  due  furent  surpris 
de  la  beaute  des  dames  qui  y  etoient ;  mais  au- 
cune  ne  donna  plus  dans  la  vue  au  prince  que 
madame  Henriette  ,  derniere  fille  du  roi  Henri- 
le-Grand  et  de  la  Reine-mere.  La  crainte  qu'eut 
le  prince  d'etre  reconnu  le  fit  partir  de  Paris 
plus  tot  qu'il  ne  vouiut  pour  continuer  son  voyage 
eu  Espagne ;  et  comme  Ton  salt  quel  en  fut  le 
sujet ,  je  n'en  dirai  rien. 

La  Vieuville  continua  a  faire  sa  cour  au- 
pres  du  Roi ,  aux  depens  du  chancelier  et  de 
Puisieux,  et  a  lui  donner  des  impressions  a 
leur  desavantage.  Voici  une  affaire  qui  hata 
beaucoup  la  disgrace  de  ces  deux  rainistres  : 
les  dues  de  Chevreuse  et  de  Montmorency,  frus- 
tres  de  I'esperance ,  I'un  que  sa  femme ,  et 
I'autre  que  sa  belle-mere  fussent  retablies  dans 
les  charges  qu'elles  possedoient  aupres  de  la 
Reine ,  en  demanderent  recompense  ,  et  le  Roi 
promit  a  M,  de  Montmorency  que  celie  qu'il 
donneroit  a  sa  belle-mere  ne  seroit  point  diffe- 
rente  de  celle  qu'il  accorderoit  a  madame  de 
Chevreuse,  dont  le  raari  obtint  ce  qu'il  de- 
mandoit :  c'etoit  d'etre  pourvu  de  la  charge  de 
premier  gentilhomme  de  la  chambre,  vacante 
par  la  mort  du  connetable  de  Luynes.  M.  de 
Chevreuse  pressant  le  Roi  d'executer  ce  qu'il 
avoit  promis  ,  Sa  Majeste  ,  pour  satisfaire  a  sa 
parole ,  ordonna  a  Souvray  et  a  Blainville ,  qui 
etoient  premiers  gentilshommes  de  la  chambre, 
de  lui  remettre  une  pareille  charge  dont  ils 
avoient  ete  pourvus  par  la  mort  de  M.  d'Humie- 
res,  tue  au  siege  de  Royan ,  en  leur  rendant 
I'argent  qu'elle  leur  avoit  coute.  Sa  Majeste  fit 
dire  en  meme  temps  a  M.  de  Montmorency  qu'il 
y  avoit  de  la  difference  entre  les  charges  dont 
ces  deux  duchesses  avoient  ete  pourvues ,  et 
qu'ainsi  elle  vouloit  qu'il  payat  le  tiers  de  la 
somme  qu'elle  s'etoit  engagee  de  faire  rendre  a 
Souvrai  et  a  Blainville.  II  obeit;  et  le  prix  de. 
cette  charge  ayant  ete  fixe  a  quatre-vingt-dix, 
mille  ecus,  M.  de  Montmorency  offrit  de  payer 
coraptant  les  trente  mille  qui  lui  furent  deman- 
des.  Blainville  ne  fit  point  aussi  de  difficultes 
de  se  soumettre  aux  ordres  du  Roi ,  soit  par  le 
respect  qu'il  avoit  pour  M.  de  Montmorency, 
on  bien  parce  qu'il  ne  croyoit  pas  avoir  assez  de 
credit  pour  s'en  pouvoir  defendre ;  mais  Sou- 
vrai, beau-frere  de  Puisieux,  n'en  usa  pas  de 
meme,  et  chercha  toutes  sortes  de  moyens 
pour  I'eviter.  Les  ennemis  du  chancelier  et  de 
Puisieux  se  prevalurent  de  ceci  pour  faire  en- 
tendre au  Roi  que  ces  deux  ministres  animoient 
Souvrai ;  et  ils  reussirent  si  bien ,  que  la  eolere 


28 


MEMOIEES    DU    COMTE    DU    BKIENnE 


de  Sa  Majeste  eclata  contre  ce  dernier,  dont  les 
discours  firent  comprendre  au  Roi  que  le  chaa- 
celier  et  Puisieux  s'entendoient  avec  lui. 

M.  de  Chevreuse  s'apercevant  que  la  faveur 
de  ces  rainistres  dirainuoit ,  et  craignant  que  le 
Roi  ne  se  prevint  contre  lui ,  ii  me  vint  prier 
de  promettre  de  sa  part  les  quarante-einq  mille 
ecus  qu'il  devoit  donner.  Je  me  chargeai  de 
cette  affaire ,  et  je  la  terminal  a  sa  satisfaction; 
mais  ayant  dans  la  suite  essuye  des  paroles  fa- 
cheuses  du  Roi,  et  fait  tout  son  possible  pour 
m'engager  a  parler  contre  Puisieux ,  il  se  sentit 
pique  de  ce  que  je  ne  voulois  pas  le  faire  ;  et  il 
me  dit ,  pour  m'y  engager,  que  si  ce  ministre 
avoit  en  main  une  pareille  occasion  de  me  nuire, 
il  en  profiteroit.  Je  lui  repondis  alors  qu'il  n'y 
avoit  point  de  comparaison  de  ma  probite  a 
celle  de  Puisieux  ,  qui  avoit  fait  son  temps;  que 
dans  la  suite  je  pourrois  lui  plaire. « Mais  quant 
k  present ,  il  faut ,  s'il  vous  plait ,  lui  ajoutai-je, 
que  Souvrai  soit  paye ,  qu'il  donne  la  demission 
de  sa  charge,  et  que  M.  de  Montmorency  en 
soit  pourvu. » 

Apres  que  M.  de  Chevreuse  eut  prete  son  ser- 
raent ,  M.  de  Montmorency  preta  aussi  le  sien. 
Les  parens  et  amis  de  ce  due ,  qui  etoient  en 
grand  nombre ,  affectoient  aussi  bien  que  lui 
de  publier  que  sa  belle-mere  avoit  traite  comme 
la  duchesse  de  Chevreuse ,  et  lui  comme  le 
raari  de  cette  dame ;  car  c'etoit  une  ancienne 
pretention  des  Montmorency  d'aller  de  pair 
avec  ceux  qui  avoient  le  nom  de  princes.  II  est 
bien  vrai  qu'ils  cedoient  le  pas  aux  Lorrains , 
qui  possedoient  des  duches  plus  anciens  que  les 
leurs ,  et  qu'ils  ne  disputoient  rien  non  plus  a 
MM.  de  Vendome ,  d'Angouleme  et  de  Longue- 
ville  ,  parce  qu'ils  desceudoient  de  la  maison  de 
France. 

[1624.]  Pen  de  jours  apres  que  ces  messieurs 
eurent  obtenu  ce  qu'ils  demandoieut ,  le  chan- 
celier  et  Puisieux ,  son  fils  ,  eurent  ordre  de  se 
retirer  de  la  cour.  Le  premier  voulut  s'eclaircir 
avec  le  Roi  sur  les  mauvais  offices  qu'on  lui 
avoit  rendus.  J'etois  dans  le  cabinet ,  et  je  fus 
temoin  de  ce  qui  s'y  passa ;  mais  je  m'apercus 
que  ses  raisons  ne  parurent  pas  fort  bonnes.  Je 
rendis  compte  de  tout  ceci  a  mon  pere  ,  en  I'as- 
surant  que  La  Vieuville  seroit  bientot  tout-puis- 
sant. Cela  ne  paroissoit  pas  vraisemblable  aux 
vieux  courtisans  ,  qui  n'en  croyoient  rien  ;  mais 
ils  changerent  bien  vite  de  sentiment  quand  ils 
apprirent  la  disgrace  du  chancelier,  qui  entrai- 
noit  celle  de  son  fils.  La  Vieuville  vouloit  non 
seulement  etre  le  maltre  des  finances ,  mais 
aussi  gouverner  I'Etat ,  et  meme  la  personne  du 
l^oi.  II  proposa  a  ce  monarque  de  diviser  les  de- 


partemens  de  Puisieux ,  de  les  partager  a  trois 
de  ses  confreres ,  et  de  faire  un  quatrieme  se- 
cretaire-d'Etat  qui  u'auroit  que  les  affaires  de 
guerre.  On  donna  au  departement  de  mon  pere 
I'Angleterre  ,  les  couronnes  de  Suede ,  de  Dane- 
marck  et  de  Pologne ,  et  le  Levant ;  a  celui 
d'Herbaut ,  I'ltalie  ,  I'Espagne  et  les  Suisses  et 
les  Grisons ;  et  a  celui  d'Ocquerre ,  I'Allema- 
gne,  les  Pays-Bas  espagnols  et  la  republique  des 
Provinces-Unies. 

Le  prince  de  Galles  ,  pique  du  mauvais  traite- 
ment  qu'il  avoit  recu  en  Espagne ,  et  de  la  ma- 
niere  dont  ii  y  avoit  ete  pris  pour  dupe  ( car  il 
n'avoit  pu  y  conclure  son  mariage  avec  I'ln- 
fante ) ,  s'en  revint  en  Angleterre ,  apres  avoir 
eu  du  Roi  Catholique  une  audience  de  conge 
fort  civile  en  apparence,  et  des  assurances 
qu'on  aplaniroit  toutes  les  difficultes  qui  etoient 
survenues  dans  la  negociation  de  ce  mariage. 
Buckingham ,  outre  de  son  cote  du  mepris  qu'on 
avoit  eu  pour  lui ,  et  de  ce  qu'il  avoit  hasarde 
sa  fortune  en  s'eloignant  du  roi  de  la  Grande- 
Rretagne  ,  son  maitre ,  avec  I'herltler  de  la 
couronne ,  et  par  consequent  d'avoir  fourni  a 
ses  ennerais  un  pretexte  fort  plausible  de  le  bla- 
mer  d'imprudence ,  car  il  avoit  ete  le  seul  qui 
avoit  porte  le  conseil  a  resoudre  le  voyage  du 
princes  de  Galles  pour  I'Espagne,  en  donnant 
plus  de  creance  qu'il  ne  devoit  aux  avis  du  comte 
de  Bristol ,  et  aux  menagemens  specieux  du  con- 
sell  d'Espagne  ;  Buckingham  ,  dis-je  ,  ne  son- 
gea  qu'a  se  venger.  L'Angleterre ,  c'est-a-dire 
le  parlement  de  ce  royaume  assemble ,  insistoit 
a  declarer  la  guerre  au  roi  d'Espagne,  parce 
que  depuls  plusieurs  annees  ce  monarque  pro- 
mettoit ,  sans  en  venlr  a  aucune  execution ,  de 
restituer  le  Palatinat ,  qui  etoit  le  patrimoine 
des  enfans  de  la  fille  du  roi  de  la  Grande-Bre- 
tagne.  Celui-cl  soutenoit  avec  raison  que ,  quoi- 
que  son  gendre  eut  pris  les  armes  en  faveur  des 
Bohemiens  ,  et  que  son  fief  fut  tombe  en  com- 
mls ,  la  maison  d'Autriche  n'avoit  point  ete  en 
droit  de  s'en  emparer.  II  soutenoit  meme  que, 
pour  avoir  attaque  le"  roi  de  Boheme ,  celul-ci 
ne  pouvoit  cependant  etre  mis  au  ban  de  I'Em- 
pire  ,  dont  les  princes ,  et  particulierement  les 
electeurs ,  sont  les  plus  forts  appuis ;  car  ces 
princes  dolvent  bien  respecter  Sa  Majeste  Impe- 
riale  comme  chef  de  I'Empire,  mais  non  pas  lui 
rendre  une  obeissance  absolue ,  le  pouvoir  du 
chef  du  corps  germanique  etant  limite,  aussi 
bien  que  la  dependance  des  membres.  II  est 
vral  que  I'Empereur  etolt  actuellement  en  pos- 
session de  la  couronne  de  Boheme;  mais  les 
Etats ,  qui  ont  droit  de  faire  I'election ,  soute- 
noient  qu'ils  avoient  ete  forces  :  c-e  qui  rendoit 


PREMIEBE    PABTIE.     [1624] 


2i) 


cette  election  nulle.  D'ailleurs ,  piiisqu'il  est  li- 
bi-e  aux  electeurs  de  contracter  des  alliances 
avec  les  rois  etrangers ,  il  doit  aussi  leur  etre 
libre  de  faire  la  guerre  aux  memes  rois  et  a 
leurs  voisins ,  sans  que  I'Empereur  y  puisse 
trouver  a  redire  ,  parce  que ,  comme  roi  ou  ar- 
chiduc,  il  n'est  pas  d'une  autre  condition  qu'eux  ; 
mais  que ,  ne  lui  devant  rendre  aucun  service 
qu'en  qualite  d'empereur,  aussi  d'autre  cote  ne 
peuvent-ils  s'attaquer  a  sa  dignite  sans  se  ren- 
dre coupables.  On  disoit  aussi  que,  soit  que 
cette  cause  fut  defendue  avec  de  bonnes  raisons 
ou  seulementpar  subtilite  ,  chacun  d'eux  devoit 
avoir  la  liberte  d'en  porter  son  jugement.  Voila 
les  raisons  qui  firent  oublier  I'ancienne  amitie 
qui  subsistoit  depuis  long-temps  entre  les  An- 
glois  et  les  Espagnols ,  et  raepriser  tous  les 
avantages  du  commerce  que  ces  deux  nations 
faisoient  ensemble.  Ces  raisons  engagerent  le 
roi  de  la  Grande-Bretagne  a  consentir  que  le 
baron  de  Rich ,  qui  fut  depuis  cree  comte  de 
Holland  ,  et  honore  ensuite  de  I'ordre  de  la  Jar- 
retiere,  passat  a  la  cour  de  France  pour  pres- 
sentir  si  Ton  consentiroit  a  la  recherche  qu'on 
pourroit  faire  de  mademoiselle  Henriette-Marie 
pour  le  prince  de  Galles.  Buckingham  en  fit 
aussi  quelques  ouvertures  au  comte  de  Tillieres, 
ambassadeur  du  Roi  en  Angleterre ,  qui  depe- 
cha  sur-le-champ  un  de  ses  gentilshommes  a  Sa 
Majeste,  pour  lui  en  porter  la  nouvelle.  La  re- 
ponse  fut  qu'elle  estimoit  autant  qu'elle  le  de- 
voit I'alliance  d'un  si  grand  roi.  Sa  Majeste  Bri- 
tannique  fit  aussitot  passer  la  mer  au  comte  de 
Carlisle ,  en  lui  donnant  pouvoir  d'engager 
cette  affaire  ,  pour  peu  qu'il  y  trouvat  de  dispo- 
sition. 

La  Vieuvill  e ,  qui  vouloit  a  quelque  prix  que 
ce  flit  que  le  Roi  fit  la  guerre  aux  Espagnols , 
sinon  ouvertement,  au  moins  pour  soutenir  les 
interets  du  palatin,  fut  favorable  aux  Anglois, 
tant  dans  les  propositions  qu'ils  firent  pour  le 
mariage ,  que  dans  la  demande  du  comte  de 
Mansfeld ,  qui  promettoit  de  chasser  dans  peu 
de  temps  du  Palatinat  les  Espagnols  avec  des 
forces  mediocres.  II  proposa  ensuite  de  faire 
joindre  a  celles  de  France  les  forces  de  I'Angle- 
terre  qui  avoit  deja  sur  pied  une  armee  fort 
considerable. 

Cette  alliance,  qui  paroissoit  ne  devoir  point 
etre  negligee  ,  et  I'occasion  qui  se  presentoit  de 
donner  des  bornes  a  la  trop  grande  puissance 
que  la  maison  d'Autriche  vouloit  s'attribuer  en 
Allemagne  ,  firent  que  tout  le  raonde  donna  les 
mains  a  la  proposition  de  mariage  ;  et  les  com- 
tes  de  Carlisle  et  de  Holland  ayant  fait  la  de- 
mande de  la  princesse ,  le  Roi  nomma  des  com- 


missaires  pour  traiter  avec  eux.  Cela  arriva 
quelque  temps  apres  un  voj  age  que  Sa  Majeste 
fit  a  Compiegne  ,  ou  il  se  passa  plusieurs  choses 
qui  ne  doivent  point  etre  omises  dans  ces  Me- 
moir es. 

La  plus  importante  de  toutes  fut  que  La  Vieu- 
ville  proposa  a  la  Reine-mere,  qu'il  vouloit  met- 
tre  dans  ses  interets  ,  et  au  Roi ,  d'appeler  dans 
son  conseil  le  cardinal  de  Richelieu ,  comme  il 
avoit  fait ,  depuis  la  mort  du  cardinal  de  Retz , 
a  regard  du  cardinal  de  La  Rochefoucauld, 
cree ,  peu  auparavant ,  grand  aumonier  de 
France.  L'intention  de  La  Vieuville  n'etoit 
pas,  selon  que  le  Roi  voulut  bien  nous  le 
dire  ,  de  donner  au  cardinal  de  Richelieu  le  se- 
secret  des  affaires ,  mais  de  juger  les  affaires 
avec  lui ,  comme  il  faisoit  avec  le  cardinal  de 
La  Rochefoucauld  et  le  connetable ,  qui  n'a- 
voient  pas  son  entiere  confiance.  Mais  le  Roi 
repondit  a  La  Vieuville  qu'il  ne  falloit  pas  faire 
entrer  ce  cardinal  dans  le  conseil ,  si  Ton  ne 
vouloit  point  se  fier  en  lui  entierement ,  parce 
qu'il  etoit  en  effet  trop  habile  homme  pour  pren- 
dre le  change.  Au  contraire ,  le  Roi  temoigna 
des-lors  qu'il  etoit  dans  la  resolution  de  lui 
donner  sa  confiance  ,  se  tenant  deja  comme  as- 
sure qu'il  la  meritoit,  et  qu'il  en  seroit  bien 
servi.  On  verra  comment  il  sut  dans  la  suite 
chasser  du  conseil  ceux  qui  I'y  avoient  fait  en- 
trer. Le  cardinal  de  Richelieu  n'y  fut  pas  entre, 
que  La  Vieuville  lui  proposa  de  le  reformer,  et, 
pour  y  donner  plus  d'eclat ,  d'y  faire  entrer  les 
secretaires-d'Etat ,  mais  en  leur  donnant  place 
au-dessous  des  autres  conseillers.  Le  bruit  de 
cette  nouveaute  se  repandit  dans  le  Louvre ;  et 
ceux  qu'elle  interessoit  en  etant  bientot  avertis, 
chacun  songea  a  defendre  les  prerogatives  de 
sa  charge.  Je  crus  en  devoir  parler  au  car- 
dinal de  Richelieu ;  et  voyant  bien  que  La 
Vieuville  seroit  oblige  de  changer  de  sentiment 
si  je  lui  mettois  en  tete  un  plus  habile  homme 
que  lui ,  je  dis  a  ce  premier  ministre  ce  que  j'a- 
vois  represente  au  Roi ,  et  qu'il  etoit  etonnant 
qu'un  homme  qui  n'avoit  pu  garder  sa  place  me 
voulut  oter  la  mienne.  C'est  ce  qui  fut  bientot 
repandu  dans  la  cour. 

La  Vieuville  ayant  fait  courir  le  bruit  que  Sa 
Majeste  vouloit  eloigner  de  son  service  trois  se- 
cretaires-d'Etat,  et  n'y  conserver  seulement 
que  d'Ocquerre ,  qui  avoit  succede  a  Puisieux  , 
le  Roi ,  qui  ne  s'etoit  pas  encore  declare  en  au- 
cune  maniere,  demanda  a  d'Herbaut  et  a  d'Oc- 
querre quels  etoient  leurs  sentimens  sur  cette 
nouvelle  :  a  quoi  ils  ne  repondirent  que  par  de 
grandes  reverences.  Je  fus  plus  hardi  que  mes 
confreres ;  car  ce  monarque  m'ayant  teuu  le 


30 


MEMOIBES    DL'    COMTE    DK    BBIE.NXE  , 


meme  discours  ,  je  lui  repondis  que  je  u'avois 
iii  cru  ni  craint  ce  que  Ton  en  divulguoit,  parce 
que  je  me  fiois  a  sa  bonte  et  a  mon  innocence ; 
que  celui  qu'on  disoit  etre  Tauteur  dun  pareil 
conseil  n'auroit  jamais  la  hardiesse  de  s"en  van- 
ter.  Sa  Majeste  me  parut  salisfaite  de  ma  re- 
ponse ;  et  le  due  de  Nevers ,  qui  s'etoit  raccora- 
mode  avec  La  Vieuviile  ,  y  ayant  voulu  trouver 
a  redire  ,  M.  de  Guise  prit  la  parole  ,  et  dit  que 
j'avois  repondu  en  vrai  gentilhomme  ,  et  que  si 
Ton  pretendoit  m'en  faire  une  querelle,  il  s"of- 
Iroit  de  me  servir  de  second.  Je  le  remerciai  de 
riionneur  qu'il  me  vouloit  faire  ,  et  me  dounai 
pourtant  bien  garde  de  le  prendre  au  mot, 
parce  que  c'eut  ete  donner  a  mes  ennemis  un 
raoyen  de  me  desservir  aupres  du  Roi. 

Sa  Majeste  me  nomma  commissaire  avec  le 
cardinal  de  Richelieu,  le  garde-des-sceaux  d'A- 
ligre  et  La  Vieuviile  ,  pour  trailer  avec  les  An- 
glois;  et  apres  la  disgrace  de  celui-ci  on  nous 
donna  a  sa  place  Schomberg  qui  fut  rappele  a 
la  cour. 

Le  connetable  pretendoit  que ,  suivant  les 
usages  pratiques  sous  les  regnes  precedens ,  il 
devoit  etre  assis  proche  la  personue  du  Roi, 
dont  le  fauteuil  etoit  toujours  place  au  bout  de 
la  table.  Le  cardinal  soutenoit  le  contraire  ,  en 
disant  que  les  places  honorables  devoient  etre 
occupees  par  les  cardinaux ,  parce  qu'aucuu 
prince  du  sang  n'etoit  admis  dans  le  conseil.  Sa 
pretention  etoit  appuyee  du  credit  de  la  Reine; 
mais  on  se  ser\  it  de  MM.  de  Crequi  et  de  Rul- 
lion  pour  trouver  quelque  accommodement  avec 
le  connetable  ,  qui  y  avoit  beaucoup  de  repu- 
gnance. II  se  soumit  a  la  fin  nux  ordres  du  Roi, 
a  condition  qu'on  lui  donneroit  un  acte  qui  por- 
tcroit  que  ce  seroit  sans  tirer  a  consequence ,  et 
que  ce  quil  en  faisoit  n'etoit  que  pour  obeir 
aux  ordres  de  Sa  Majeste,  qui  etoit  bien  aise 
d'avoir  cette  complaisance  pour  la  Reine,  sa 
mere.  On  nous  ordonna ,  a  d'Ocquerre  et  a  moi , 
d'expedier  cet  acte  ,  et  de  n*en  point  delivrer  de 
copie  au  connetable  :  mais  le  secret  fut  mal 
garde  ,  quoiqu'il  eut  etc  bien  recoramande  ;  car 
le  cardinal  ,  ayant  ete  averti  de  la  chose,  ob- 
tint  du  Roi  que  cet  acte  seroit  lacere  ,  quoique 
nous  Teussions  deja  signe.  Ce  ne  fut  pas  moi , 
mais  d'Ocquerre,  qu'on  soupconna  d'avoir  de- 
couvert  ceci  au  premier  ministre. 

Les  Etats  des  Provinces-Unies,  qui  etoient 
rentres  en  guerre  avec  I'Espagne  en  162t  ou 
1G22  ,  nous  envoyerent  alors  des  ambassadeurs 
pour  demander  au  Roi  d'etre  assistes  de  sa  part, 
eomme  ils  I'avoient  ete  par  Henri-le-Grand  ,  son 
pere.  Le  connetable,  La  Vieuviile,  Bullion  et 
d'Ocquerre  ayant  ete  nommes  pour  entrer  en 


conference  avec  eux  ,  et  ayant  appuye  leur  de- 
raande,  il  y  eut  bientot  un  traite  de  conclu  avec 
les  ambassadeurs.  Par  ce  traite  ,  le  Roi  s'enga- 
geoit  de  preter  a  leurs  maitres  une  somme  con- 
siderable ,  qu'ils  s'obligerent  de  rendre  aussitot 
qu'ils  seroient  en  paix  ou  en  treve  avec  leurs 
ennemis.  On  stipula  par  ce  meme  traite  une 
maniere  de  liberte  de  conscience  pour  les  sujets 
de  Sa  Majeste  qui  etoient  actuellement  ou  qui 
seroient  a  leur  service.  On  accorda  aussi  a 
Mansfeld  le  pouvoir  de  faire  des  levees  de  sol- 
dats  qui  seroient  payes  pendant  six  mois  par  le< 
Roi,  pourvu  que  Sa  Majeste  Britannique  voulut 
joindrc  ses  troupes  a  celles  de  France ;  et  ces 
troupes,  jointes  ensemble,  devoient  entrepren- 
dre  la  conquete  du  Palatinat,  sous  le  eomraan- 
dement  du  comte  de  Mansfeld. 

Les  ambassadeurs  d'Angleterre  ne  trouverent 
point  d'autres  obstacles  h  leur  negociation  pour 
le  maiiage  de  Madame,  que  celui  de  n'avoir 
pas  la  liberte  qu'ils  souhaitoient  de  traiter  avec 
le  cardinal  de  Richelieu  ,  n'osant  point  le  visi- 
ter qu'il  ne  leur  donnat  la  main  chez  lui ,  ni 
lui-meme  la  leur  offrir  a  cause  de  la  nouveaute. 
Comme  ils  voulurent  bien  s'en  rapporter  a  raoi 
au  sujet  de  ce  point  de  ceremonie ,  et  connois- 
sant  que  cette  Eminence  s'attireroit  dans  pen 
toutes  les  affaires ,  j'engageai  ces  messieurs  a 
prendre  un  temperament ,  qui  etoit  que  le  car- 
dinal ,  sous  pretexte  d'une  indisposition ,  les  re- 
1  cevroit  au  lit ,  et  qu'ils  ecriroient  au  Roi ,  leur 
I  maitre  ,  qu'ils  se  trouvoient  dans  la  necessite  de 
suivre  ce  qui  etoit  pratique  par  le  nonce  du 
Pape  et  par  les  ambassadeurs  de  I'Empereur  et 
du  roi  d'Espagne ,  si  Sa  Majeste  vouloit  que  les 
affaires  dont  ils  etoient  charges  reussissent 
promptement.  Ces  ambassadeurs  recurent  de 
leur  maitre  les  ordres  qu'ils  demanderent ;  et  le 
cardinal ,  que  j'en  avertis,  en  eut  une  extreme 
joie. 

Nous  convinmes  dans  plusieurs  conferences 
de. beaucoup  d'articles;  mais  il  en  restoit  un 
que  nous  voulions  absolument,  et  qu'on  nous 
refusoit  avec  opiniatrete  :  c'etoit  qu'on  feroit 
pour  lestatholiques  anglois  la  meme  chose  qui 
leur  avoit  ete  accordee  en  Espagne ,  e'est-a- 
dire  qu'on  leur  donneroit  une  eglise  oil  Madame 
auroit  le  libre  exercice  de  la  religion  catholi-' 
que  ,  et  dans  laquelle  les  catholiques  anglois  se- 
roient recus.  Les  ambassadeurs  repondirent  que 
cela  etoit  contraire  aux  lois  de  leur  pays,  et 
qu'ils  ne  pouvoieut  y  consentir  ;  mais  que  si 
Ton  vouloit  seulement  qu'on  se  contentat  de  dire 
qu'en  consideration  du  Roi  et  de  Madame  les 
I  catholiques  seroient  aussi  favorablement  traites 
qu'ils  le  pouvoient  ^tre  en  consequence  des  ar- 


PREMIEBE  PABTIE.  [lG24J 


31 


tides  coDcertes  avec  I'Espagne  ,  qu'on  pourroit 
alors  s'accommoder,  pourvu  qu'il  n'en  flit  fait 
aiicune  mention  dans  le  contrat ,  et  que  I'on 
consentlt  que  la  chose  fut  ecrite  dans  une  lettre, 
par  laquelle  ie  roi  d'Angleterre  et  le  prince  de 
Galles  s'y  obligeroient. 

Cette  difficulte  fut  extremement  debattue  : 
et  la  difference  qu'il  y  avoit  entre  une  lettre 
qu'on  pourroit  aisement  desavouer,  et  un  acte 
solennel  comme  un  contrat  de  mariage  ,  pensa 
faire  echouer  toute  la  negociation.  On  souhai- 
toit  bien  le  mariage,  mais  Ton  vouloit  encore 
obtenir  tout  ce  qu'on  demandoit  d'ailleurs.  La 
Vieuville  promit  pourtant  aux  ambassadeurs 
que ,  pourvu  que  la  lettre  en  question  fut  ecrite 
en  terraes  forts  et  precis ,  on  feroit  en  sorte  que 
le  Roi  s'en  contenteroit;  et,  pour  nous  y  enga- 
ger, ce  ministre  proposa  au  comte  de  Holland 
d'aller  en  Angleterre  pour  en  donner  les  assu- 
rances a  Sa  Majeste  Britannique ;  et ,  alin  qu'il 
n'en  fit  point  de  difficulte,  on  ajouta  qu'il  seioit 
charge  d'une  lettre  de  creance  du  Roi.  Cepen- 
dant,  Sa  Majeste,  ennuyee  du  sejour  de  Com- 
piegne  ,  alia  faire  un  petit  voyage  a  Versailles, 
d'oii  La  Vieuville  ,  qui  y  etoit  alle  aussi ,  me 
rapporta  un  ordre  d'expedier  la  lettre  telle 
qu'elle  avoit  ete  concertee  avec  lui  et  les  ambas- 
sadeurs d'Angleterre.  J'en  connus  bien  les  con- 
sequences :  c'est  pourquoi ,  me  prevalant  de  ce 
que  le  comte  de  Holland  n'entendoit  que  fort 
imparfaitement  la  langue  francoise  ,  au  lieu  de 
lui  donner  une  lettre  de  creance,  j'en  fis  une 
qui  ne  parloit  point  d'affaires  ,  mais  seulement 
des  divertissemens  que  le  Roi  preuoit  pour 
lors. 

Get  arabassadeur  partit  done  pour  I'Angle- 
terre ;  et  le  cardinal  s'etant  rendu  a  Paris  ,  je 
ne  pus  m'erapecher  de  lui  faire  mes  piaintes 
contre  La  Vieuville  ,  de  ce  qu'il  m'avoit  fait 
une  finesse  d'avoir  donne  son  consentement  a 
ce  qui  s'etoit  passe.  H  en  fut  surpris ;  et ,  me 
louant  de  ce  que  j'avois  fait,  il  me  jura  qu'il 
ra'aideroit  a  en  avoir  raison.  H  ne  differa  pas 
long-temps  a  me  tenir  parole ;  car,  av'ant  re- 
connu  que  le  Roi  s'accommodoit  avec  peine  des 
manieres  d'agir  de  ce  ministre ,  le  cardinal  le 
decria  de  plus  en  plus  dans  son  esprit ,  et  il  fit 
prendre  enfin  a  Sa  Majeste  la  resolution  de  I'e- 
loigner  de  la  cour  :  ce  qui  fut  execute  comme  le 
Roi  etoit  a  Saint-Germain-en-Laye.  Avant  son 
depart  de  Compiegne,  il  avoit  rappele  d'Angle- 
terre le  comte  de  Tillieres ,  contre  lequel  La 
Vieuville  s'etoit  declare  ,  aussi  bien  que  contre 
le  marechal  de  Bassompierre  ,  son  beau-frere : 
feur  imputant  toujours  comme  un  grand  crime 
de  continuer  a  etre  les  amis  de  Puisieux.  Sa 


Majeste  euvoya  en  Angleterre,  en  la  place  de 
M.  de  Tillieres,  le  marquis  d'Effiat ,  confident 
de  La  Vieuville  ,  mais  attache  aux  interets  du 
cardinal.  Le  nouvel  ambassadeur  du  Roi,  s'in- 
sinuant  dans  I'esprit  de  Sa  Majeste  Britanni- 
que ,  du  prince  son  fils  et  de  Buckingham  , 
avanca  beaucoup  les  affaires ;  mais  il  ne  put 
faire  passer  le  monarque  par  dessus  la  repu- 
gnance qu'il  avoit  a  favoriser  si  ouvertement 
les  catholiques  :  car,  quoiqu'il  n'eut  point  dans 
son  coeur  d'animosite  contre  eux ,  la  crainte 
qu'il  avoit  d'aliener  son  parlement  et  les  eve- 
ques ,  sur  lesquels  il  avoit  beaucoup  de  credit , 
I'empecha  de  se  declarer  en  leur  faveur. 

M.  d'Effiat,  averti  de  la  disgrace  de  La 
Vieuville,  et  etant  persuade  que  le  cardinal 
soutiendroit  les  interets  des  catholiques  et  en 
feroit  une  des  principals  conditions  sans  les- 
quelles  le  mariage  ne  s'accompliroit  point ;  cet 
ambassadeur,  dis-je  ,  demanda  d'etre  rappele. 
Je  lui  reprochai  son  imprudence  ;  et ,  du  con- 
sentement du  cardinal  meme,  je  I'assurai  de 
son  amitie  et  je  I'exhortai  de  continuer  a  ser- 
vir,  en  lui  promettant  de  grandes  recompenses. 
D'Effiat  se  rendit  enfin  au  conseil  de  ses  amis  : 
et  il  fit  bien  recevoir  Bauton  que  le  Roi  en- 
voyoit  en  Angleterre  pour  faire  des  coraplimens 
a  Sa  Majeste  Britannique  ,  sur  une  chute  que 
le  prince  son  fils  avoit  faite  a  la  chasse. 

Pour  terminer  enfin  ce  qui  nous  paroissoit  de 
plus  important,  nous  nous  contentames  qu'il 
seroit  dit  que  les  catholiques  recevroient  un 
plus  favorable  traitement  qu'ils  n'auroient  eu 
sans  doute  ,  quand  meme  le  mariage  du  prince 
de  Galles  auroit  ete  conclu  avec  i'infante  d'Es- 
pagne.  Nous  n'en  expliquames  aucunes  condi- 
tions, et  les  ambassadeurs  consentirent  que  C€t 
article  seroit  ainsi  redige  dans  le  contrat.  Nous 
avions  declare  ne  pouvoir  le  conclure  que  prea- 
lablement  le  Pape  n'eut  accorde  la  dispense , 
sans  laquelle  les  parties  ne  pouvoient  valable- 
ment  contracter.  On  proposa  done  plusieurs 
personnes  pour  aller  solliciter  cette  dispense 
aupres  de  Sa  Saintete  :  et  enfin  on  s'arreta  au 
pere  de  Berulie  que  j'avois  nomme  ,  et  qui  fut 
cardinal  dans  la  suite.  Je  lui  donnai  une  instruc- 
tion bien  ample  ,  dans  laquelle  je  n'oubliai  pas 
de  dire  qu'une  fille  de  France  avoit  deja  beau- 
coup contribue  a  la  conversion  de  I'Angleterre. 
Le  Pape  nomma  une  congregation  de  cardinaux 
pour  examiner  cette  affaire:  et  de  leur  avis,  il 
accorda  la  dispense  a  condition  qu'il  seroit  dit 
expressemcnt  que  le  mariage  est  un  lien  indis- 
soluble. Cela  fut  consenti  par  les  Anglois.  Et 
parce  que  les  moindres  choses  ne  sont  pas  ai- 
sees  (I  obtenir  a  Rome ,  oil  Ton  faisoit  en  cette 


L 


32 


MEMOIRES    DU    COMTE    DE    EBIENNE  , 


occasion  quelques  difficultes  de  suivre  les  in- 
tentions da  Roi ,  a  cause  que  nous  ne  represen- 
tions  pas  les  actes  que  nous  avious  passes  avec 
I'Angleterre ,  et  que  de  plus  nous  nous  etions 
faits  forts  du  consentemeut  de  Sa  Majeste  Bri- 
tannique  ,  on  rn'ordouna  de  passer  la  mer  sous 
pretexte  de  faire  confirmer  les  articles ,  mais 
particuliereraent  pour  avoir  un  acte  sceile  du 
grand  sceau  d'Angleterre  ,  qui  assurat  la  con- 
dition des  catholiques  anglois,  et  que  les  enfans 
qui  naitroient  du  futur  manage ,  lors  meme  que 
le  prince  parviendroit  a  la  couronne,  seroient 
eleves  dans  la  religion  catholique  et  romaine 
jusqu'a  ce  qu'ils  eussent  atteint  I'age  de  treize 
ans. 

Je  m'embarquai  le  premier  dimanche  de  I'A- 
vent,  et  j'arrivai  le  lundi  aux  Dunes,  ou  je  fus 
recu  par  le  marquis  d'Effiat ,  qui  me  mena  a 
Douvres.  II  y  avoit  laisse  son  equipage.  De  la 
je  me  rendis  avec  lui  d  Londres,  II  avoit  me- 
nage la  chose  en  sorte  que ,  bien  que  le  roi 
d'Angleterre  n'y  fut  pas  pour  lors ,  je  devois 
etre  recu  a  Gravesende  par  un  comte ;  et  a  mon 
arrivee  a  Londres  ,  je  devois  etre  servi  par  les 
ofliciers  de  Sa  Majeste.  Je  fis  peu  de  sejour  dans 
cette  capitale ,  et  je  me  rendis  a  Cambridge , 
universite  ceiebre ,  ou  etoient  pour  lors  le  Roi 
et  le  prince  son  fds.  Je  fus  visite  par  ordre  de 
ce  monarque ,  et  le  meme  jour  de  mon  arrivee , 
par  le  comte  de  Montgommery,  chambellan  de 
Sa  Majeste ,  et  par  le  due  de  Buckingham ,  qui 
me  conduisirent  au  logis  qui  m'avoit  ete  pre- 
pare. J'eus  le  ienderaain  ma  premiere  audience, 
et  je  fus  introduit  par  le  meme  comte  de  Mont- 
gommery, suivi  du  maitre  des  ceremonies  et 
d'un  grand  nombre  de  seigneurs  de  la  cour.  Je 
fus  surpris  d'y  voir  le  prince  de  Gal  les  tete 
nue  ,  parce  qu'il  ne  se  couvroit  jamais  en  pre- 
sence du  Roi ,  son  pere  ,  qui  me  pressa  de 
mettre  mon  chapeau  :  ce  que  je  ne  voulus  pas 
faire  qu'apres  en  avoir  demande  la  permission 
au  prince  par  une  profonde  reverence  que  je  lui 
fis,  et  dont  il  parut  si  satisfait  qu'il  m'en  re- 
mercia.  II  se  retira  aussitot  apres  de  la  salle  de 
I'audience  ,  pour  ne  causer  aucun  trouble  a  la 
ceremonie. 

J'expliquai  a  Sa  Majeste  le  sujet  de  ma  com- 
mission :  et  le  Roi  parut  si  content  de  mon  dis- 
cours,  que,  des  le  jour  meme,  il  nous  donna  au- 
dience particuliere,  dans  laquelle  nous  fimes  si 
bien  ,  qu'il  commanda  a  milord  Conway,  son 
secretaire-d'Etat ,  de  nous  donner  la  ratification 
des  articles  et  la  patente  que  nous  demandious 
en  faveur  des  catholiques.  Sa  Majeste  assista  le 
lendemain  a  une  dispute ,  ou  nous  fumes  aussi 
convies ;  mais  ,  pour  ne  pas  Timportuner  davan- 


tage,  nous  lui  demandSmes  la  permission  de 
retourner  a  Londres ,  permission  qui  ne  nous 
fut  accordee  qu'apres  que  nous  aurions  eu  I'hon- 
neur  de  diner  avec  le  Roi.  Le  jour  en  fut  ar- 
rete ;  mais  la  goutte  a  laquelle  ce  monarque 
etoit  sujet,  I'ayant  empeche  de  s'y  trouver,  le 
prince  son  fils  y  prit  sa  place ,  et  fut  servi 
comme  Roi.  Cependant  Sa  Majeste  Britanniquc 
but  a  la  sante  du  roi  de  France  notre  maitre , 
et  envoya  sa  coupe  a  son  fils.  Elle  lui  fut  pre- 
sentee par  le  due  de  Buckingham  a  genoux. 
Apres  qu'il  I'eut  reprise  des  mains  du  prince,  il 
me  la  presenta  aussi ;  et  ensuite  il  la  porta  au 
marquis  d'Effiat. 

Apres  le  repas ,  le  prince ,  suivi  des  ambas- 
sadeurs  et  du  due  ,  entra  dans  la  chambre  du 
Roi ,  qui  nous  fit  connoitre  par  plusieurs  dis- 
cours  tres-obligeans  la  joie  qu'il  avoit ,  tant  du 
mariage  de  son  fils  que  du  secours  qu'on  pra- 
mettoit  de  donner  au  palatin.  Nous  partimes 
pour  Londres  le  lendemain.  Comme  nous  etions 
dans  le  temps  de  la  fete  de  Noel ,  nous  la  cele- 
brames  dans  cette  ville  capitale  avec  autant  de 
pompe  et  la  meme  solennite  qu'on  cut  pu  faire 
dans  un  pays  catholique ,  notre  ehapelle  n'ayant 
point  desempli  de  monde  depuis  minuit  jusqu'a 
midi. 

Le  garde-des-sceaux ,  qui  etoit  eveque  de 
Lincoln ,  ra'ayant  prie  a  souper  chez  lui ,  je  ne 
pus  m'en  defendre ,  uon  plus  que  de  I'engage- 
ment  ou  me  mit  M.  d'Effiat  d'assister  a  une 
priere  qui  se  faisoit  pour  le  roi  d'Angleterre  , 
dans  I'eglise  de  laquelle  le  garde-des-sceaux 
etoit  doyen.  J'en  fis  reproche  a  M.  d'Effiat ,  en 
lui  faisant  voir  de  quelle  consequence  il  etoit  que 
lesambassadeurs  du  Roi  n'assistassent  point  aux 
prieres  des  protestans.  Pour  eviter  done  le  piege 
dans  lequel  nous  allions  tomber,  je  me  determi- 
nai  a  partir  fort  tard  de  notre  logis  ,  et  a  suivre 
le  cherain  qui  conduit  au  Doyenne,  et  non  pas 
a  I'eglise.  Mais  le  garde-des-sceaux  ,  revetu  de 
ses  habits  pontificaux  ,  suivant  I'usage  du  pays, 
s'avancant  avec  son  clerge  pour  nous  recevoir  a 
la  porte  de  I'eglise  ;  nous  obligea  d'aller  a  lui , 
et  nousconduisit  malgre  nous  dans  des  chaises 
qu'il  nous  avoit  fait  preparer  :  ce  qui  me  fit 
prendre  la  resolution ,  pendant  qu'on  chantoit 
quelques  hymnes ,  psaumes  ou  motets ,  de  me 
mettre  a  genoux ;  et ,  pour  faire  voir  que  je  ne 
participois  point  en  rien  a  leurs  prieres,  je  dis 
mon  chapelet.  Cela  edifia  fort  les  catholiques 
anglois ,  qui  ne  manquoient  pas  d'epier  les  ac- 
tions des  ministres  de  France  ,  pout*  les  rappor- 
ter  aux  Espagnols ,  avec  lesquels  ils  etoient  fort 
unis. 

[1625]  Je  n'avois  pas  encore  acheveles  visiles 


PUEMlicBE    PAinlE.    [iGl'.j] 


que  je  devois  faire ,  ni  menie  rendu  celles  ou  la 
bienseance  m'engageoit ,  que  le  Roi  et  toute  la 
cour  arriverent  a  Londres.  Nous  avions  ete  jus- 
ques  a  Theobald  au  devant  de  Sa  Majeste,  pour 
lui  poi'ter  la  nouvelle  que  le  Pape  avoit  accorde 
ce  qu'on  lui  demandoit;  et  cela  iittant  de  plai- 
sir  au  Roi,  qu'il  me  pressa  de  partir  ,  a  quoi  je 
ii'eus  pas  de  peine  a  me  resoudre  ,  d'autaut  que 
Ton  avoit  insere  dans  la  ratification  qui  me  fut 
remise  la  qualile  de  roi  de  France  et  de  Navarre^ 
contre  I'ancien  usage  de  I'Angleterre ,  qui  preten- 
doit  ne  donner  que  eelle  de  roi  des  Francois  a 
Sa  Majeste  Tres-Chretienne ,  parce  que ,  disent- 
ils ,  si  les  peuples  reconnoissent  ce  prince  et  lui 
obeissent ,  nous  pretendons  legitimeraent  que  les 
pays  et  terres  de  France  appai  tiennent  pourtant 
a  Sa  Majeste  Rritannique.  Elle  ordonna  aussi 
qu'on  mit  en  liberte  les  pretres  qui  etoient  en 
prison  a  cause  de  la  religion.  Mais  les  officiers 
anglois  y  avoient  tant  de  repugnance,  qu'ils 
cherchoient  toutes  sortes  de  moyens  pour  tirer 
la  chose  en  longueur,  persuades  qu'ils  etoient  que 
je  m'impatienterois ,  et  que  je  partirois  avant 
que  I'ordre  eut  eteexpedie;  mais  s'apercevant 
que  leur  retardement  etoit  inutile  et  ne  servoit 
qu'a  me  faire  presser  davantage ,  ils  eurent  re- 
cours  a  uu  artifice  dont  je  ne  fus  pas  la  dupe.  Ce 
fut  de  me  dire  que  ces  prisonuiers  n'etoient  re- 
tenus  que  pour  la  depense  qu'ils  avoient  faite  dans 
les  prisons.  J'en  demandai  I'etat ,  et  j'offris  de 
I'acquittcr :  dont  ils  eurent  tant  de  honte  que , 
des  ce  jour  meme,  les  pretres  et  les  autres  eccle- 
siastiques  catholiques  furent  elargis.  Apres  cela, 
rien  ne  me  retenant  p!us  a  Londres ,  je  me  dis- 
posal a  partir,  apres  avoir  assiste  avec  le  prince 
a  une  course  de  bague.  Rucklngham ,  qui  m'a- 
voit  fait  amener  son  fils  et  sa  fille  comme  la  plus 
grande  marque  d'amitie  qu'il  me  pouvoit  don- 
ner, me  convia,  M.  d'Effiat  et  moi,  a  un  sou- 
per  magnifique,  auquel  grand  uombre  de  dames 
et  seigneurs  des  plus  qualifies  de  la  cour  se  trou- 
verent.  Cela  n'empecha  pas  que  la  resolution  que 
j'avois  prise  de  partir  le  lendemain  ne  fiit  exe- 
cutee  ;  mais  cette  fete  pensa  etre  troublee  par  un 
ordre  que  je  recus  du  Roi  de  declarer  que ,  no- 
nobstant  toutes  nos  conventions,  on  ne  permet- 
troit  pasaux  six  mille  Anglois  commandes  par  le 
comte  de  Mansfeld  de  debarquer  a  Calais.  Cet  or- 
dre, qui  me  fut  apporte  par  un  courrier  du  meme 
Mansfeld ,  etoit  contenu  dans  une  lettre  signee 
de  M.  de  Schomberg.  Je  me  trouvai  dans  une 
telle  surprise,  que  j'envoyai  sur-le-champ  un  gen- 
tilhomme  pour  savoir  en  quel  etat  etoit  M.  d'Ef- 
fiat, et  pour  lui  d'-'e  que,  s'il  se  trouvoit  habille, 
je  le  priois  de  n^nter  a  ma  cbambre,  mais  que, 
s'il  etoit  enco.e  au  lit,  il  s'habillat  en  diligence, 

•     1 1  1 .     t: .      D       M  .  ,     T       III. 


33 

parce  que  j'irois  le  trouver.  11  etoit  deja  par  bon- 
heur  en  etat  de  sortir ,  et  il  accourut  aussitot 
pour  savoir  quelles  etoient  les  nouvelles  que  j'a- 
vois recues.  Sur  ce  que  je  lui  dis  qu'elles  me  pa- 
roissoient  bien  mauvaises,  il  me  repondit  que  je 
n'avois  qu'a  le  laisser  faire ,  et  qu'il  s'en  deme- 
leroit  bien.  <■  Vous  verrez  aujourd'hui ,  lui  repli- 
quai-je,  que  le  Roi,  le  prince  et  le  due  ne  sont 
pas  trois  tetes  dans  un  bonnet ,  comme  vous  le 
croyez;  et  pour  ce  qui  est  de  moi,  je  vous 
donne  parole  de  suivre  exactement  ce  que  vous 
me  prescrirez.  —  II  faut,  me  dit-il,  aller  tout 
presentement  chez  Buckingham,  le  surpren- 
dre ,  et  lui  exposer  le  contenu  de  votre  depe- 
che ;  et  s'il  ne  veut  pas  faire  ce  que  nous  sou- 
haiterons  de  lui ,  je  ferai  mon  possible  pour 
I'y  reduire. »  Je  suivis  le  conseil  d'Effiat ,  et 
nous  primes  le  parti  d'aller  ensemble  chez  le  due, 
qui  n'etoit  pas  encore  habille.  II  nous  envoya  le 
secretaire-d'Etat  Conway,  avec  lequel  nous  nous 
promenames  dans  une  galerie ,  en  ne  nous  entre- 
tenant  que  de  choses  indifferentes.  La  premiere 
que  je  dis  a  Buckingham  en  I'abordant  fut:  que 
la  longue  experience  qu'il  avoit  dans  les  affaires 
du  monde  lui  pouvoit  bien  faire  concevoir  que  , 
par  des  considerations  importantes  a  la  cause 
commune,  leRoi  Tres-Chretien,  notremaftre,  ne 
pourroit  consentir  que  les  Anglois  leves  pour 
passer  en  Allemagne  debarquassent  a  Calais.  Le 
due,  surpris  de  cediscouis,  me  reparlit  qu'il  ne 
falloit  done  plus  parler  du  dessein  que  nous  avions 
de  joindre  nos  armees  ;  que  I'Angleterre  n'etoit 
pas  en  droit  d'imposer  la  loi  au  Roi  Tres-Chre- 
tien, mais  qu'il  lui  etoit  permis  de  se  plaindre 
d'un  manquement  de  parole,  et  de  ce  qu'on  ne 
vouloit  plus  executer  ce  que  Ton  s'etoit  engage 
de  faire.  Je  regardai  alors  d'Effiat  pour  lui  faire 
entendre  qu'il  etoit  temps  qu'il  se  servit  de  toute 
son  eloquence,  et  de  I'ascendant  qu'il  croyoit 
avoir  sur  I'esprit  du  due ,  pour  le  faire  changer 
de  sentiment.  D'Effiat,  apres  avoir  beaucoup 
flatte  Ruckingham ,  lui  representa  qu'il  seroit 
aise  aux  ennemis  de  s'opposer  a  la  jonction  des 
troupes  et  d'empecher  d'entrer  dans  leur  pays  , 
si  Ton  concertoit  ensemble  le  lieu  ou  Ton  devoit 
se  trouver  et  le  chemin  qu'on  pourroit  prendre. 
Mais  tout  ce  que  dit  d'Effiat  fut  inutile  et  ne 
servit  qu'a  raettre  le  due  en  colere.  Je  pris  la 
parole  a  mon  tour.  « Vous  ne  persistez ,  dis-je  , 
a  Ruckingham  ,  dans  votre  sentiment  que  parce 
que  vous  etes  persuade  que  toutes  choses  en 
iront  mieux ;  et  nous  persistons  dans  le  notre 
pour  ne  point  faire  de  peine  aux  Espagnols ; 
mais  prenons,  pour  nous  accorder ,  I'expedient 
de  laisser  a  Mansfeld  la  liberte  de  faire  ce  qu'il 
jugera  a  propos.  ■  Lc  due ,  apres  avoir  un    peu 


;m 


MEMOIRES    DU    COMTE    1)E    BBIENNE  , 


reve,  dit  en  anglois  au  secretaire-d'Etat  qui 
avoit  assiste  a  notre  conference ,  qu'il  croyoit 
pouvoir  prendre  ce  parti ,  se  tenant  assure  que 
Mansfeld  feroit  ce  qu'il  lui  prescriroit. "  He  bien, 
Messieurs ,  nous  dit-il  en  reprenant  la  parole ,  il 
faut  faire  ce  que  vous  voulez ;  mais  notre  infan- 
terie  ne  debarquant  point  en  France ,  comment 
la  ferez-vous  suivre  par  votre  cavalerie? — Nous 
le  ferons  aisement ,  lui  repliquai-je,  si  vous  nous 
fournissez  des  vaisseaux  dont  nous  paierons  le 
fret. »  Buckingham  consentit ,  et  cela  fit  que  je 
crus  qu'il  etoit  dans  le  dessein  qu'il  avoit  fait 
paroitre  de  menager  Mansfeld,  et  de  m'amu- 
ser  cependant,  afin  d'en  pouvoir  avoir  reponse 
avant  mon  depart  pour  Douvres  ,  ce  qui  me  don- 
noit  une  tres-grande  impatience  de  sortir  de 
Londres.  Mais  je  me  trouvai  dans  la  necessite 
d'y  passer  le  reste  de  la  journee  et  une  partie  de 
la  matinee  suivante  ,  apres  le  souper  et  un  bal 
que  nous  donna  le  due,  et  qui  dura  jusques  apres 
minuit.  Je  pris conge  de  lui,  etje  priaiM.  d'Ef- 
fiat ,  qui  vouloit  a  toute  force  me  venir  conduire 
jusques  a  Douvres ,  de  n'en  rien  faire  ,  mais  de 
se  trouver  plutot  a  une  fete  que  le  prince  de 
Galles  avoit  resolu  de  donner  et  a  laquelle  il 
etoit  convie.  Tout  ce  que  je  pus  gagner  de  son 
honnetete  fut  qu'il  ne  viendroit  que  jusques  oil 
je  devois  coucher  le  lendemain  ,  et  qu'il  en  par- 
tiroit  le  jour  d'apres  de  tres-grand  matin  pour 
etre  rendu  d'assez  bonne  heure  a  Londres  ,  afin 
de  pouvoir  assister  a  cette  fete ,  qui  etoit  une 
course  de  bague.  A  mon  egard ,  au  lieu  d'aller 
a  Douvres  en  trois  jours  ,  comme  on  le  fait  d'or- 
dinaire  ,  je  m'y  rendis  en  trente-six  heures. 

J'y  trouvai  le  comte  de  Mansfeld  ,  qui  m'at- 
tendoit  au  logis  qui  m'avoit  ete  prepare.  Nous 
nous  entretinmes  sur  ce  qu'il  avoit  a  faire  ;  et 
comme  ce  comte  n'avoit  point  ete  averti  par 
Buckingham  ,  je  le  trouvai  fort  eloigne  de  faire 
ce  qu'on  souhaitoit  de  lui.  La  principale  raison 
qu'il  en  donna  fut  qu'jl  dependoit  des  deux  rois, 
et  qu'il  ne  pouvoit  faire  que  ce  qu'ils  avoient 
concerte  ensemble.  Sur  ce  que  je  lui  demandai 
s'il  etoit  assure  de  se  rend  re  maitre  du  Palatinat 
dans  les  six  mois  qu'ils  avoient  pris  pour  payer 
Tinfanterie  qu'il  avoit  levee ,  il  me  repondit : 
» Vous  etes  Francois,  vous  allez  bien  vite;  ce  n'est 
pas  la  I'ouvrage  d'un  jour. »  Cela  m'obligea  de 
lui  repliquer  que,  si  cette  expedition  n'etoit  finie 
promptement,  il  faudroit  de  necessite  convoquer 
un  nouveau  parlement  qui  ne  seroit  peut-etre 
pas  d'humeur  a  accorder  de  nouvelles  imposi- 
tions pour  le  paiement  des  troupes ,  et  que  je  le 
priois  de  me  dire  comment  il  empecheroit  I'ar- 
mee  de  se  debander  si  elle  ne  recevoit  pas  ses 
montres  ;  qu'il  savoit  memo  par  experience  que 


Sa  Majeste  Britannique  avoit  eu  beaucoup  de 
peineaobtenir  une  somme  mediocre  destinee  au 
recouvrement  de  I'heritage  de  ses  petits-enfans, 
et  que  son  parlement  n'y  avoit  consenti  que  sur 
I'assurance  qu'on  lui  avoit  donnee  que  cette  en- 
treprise  seroit  executee  en  peu  de  temps  ,  et 
qu'elle  ne  seroit  point  un  sujet  de  guerre  entre 
I'Espagne  et  I'Angleterre;  qu'il  falloit  done  con- 
clure  de  la  que,  la  guerre  etant  finie,  il  n'y  au- 
roit  plus  rien  a  esperer  pour  lui  en  Angleterre 
ni  meme  eu  France,  a  moins  qu'il  n'entrat  tout 
de  bon  et  sans  reserve  au  service  du  Roi;  que 
les  etrangers  sont  general ement  en  aversion  en 
Angleterre ,  mais  qu'il  n'en  est  pas  de  meme  en 
France,  ou  ils  sont  bien  traites  pourvu  qu'ils 
aient  du  merite  ;  et  que  le  Roi  etoit  assez  riche 
non-seulemeut  pour  faire  du  bien  a  ses  servi- 
teurs,  mais  encore  pour  leur  donner  des  digni- 
tes  qui  les  elevent  au-dessus  du  commun  de  la 
noblesse;  et  qu'eufin  il  n'y  avoit  point  de  grace 
qu'un  homme  comme  lui  ne  fut  en  droit  d'espe- 
rer.  «Mais  le  prince  d'Orange,  me  dit-il,  vou- 
lant  que  je  forme  le  siege  de  Dunkerque  ,  je  ne 
le  puis  faire  si  j'execute  ce  que  vous  me  propo- 
sez.  —  Breda,  lui  repondis-je,  tient  au  coeur  de 
ce  prince ;  il  veut  se  sauver  a  vos  depens,  sachant 
bien  que  les  Espagnols  leveront  le  siege  de  cette 
place  pour  secourir  Dunkerque.  Ainsi  il  parvien- 
dra  a  ses  fins  sans  que  vous  en  partagiez  la 
gloire  avec  lui,  comme  vous  fites  quand  vous 
obligeates  le  marquis  de  Spinola  de  se  retirer 
devant  Bois-le-Duc  5  et  peut-etre  meme  que  si  par 
un  combat  vous  reduisiez  les  ennemis  a  aban- 
donner  leur  entreprise,  la  principale  gloire  vous 
en  seroit  attribuee. »  Je  m'apercus  que  Mansfeld 
goiitoit  mes  raisons.  II  me  promit  de  faire  ce  que 
le  Roi  lui  ordonneroit ,  ajoutant  qu'il  se  croyoit 
oblige  de  me  dire  que ,  ne  pouvant  faire  son  de- 
barquement  qu'a  Emden  ,  il  ne  pourroit  se  ren- 
dre  dans  le  Palatinat  sans  passer  sur  les  terres 
de  I'electeur  de  Cologne  :  ce  que  Sa  Majeste  lui 
avoit  expressement  defendu.  "Attendez-vous  , 
lui  repliquai-je,  de  recevoir  une  forte  repri- 
mande ;  mais  faites  toujours  a  bon  compte  ce  que 
le  metier  de  la  guerre  vous  obligera  de  faire.  » 
Voila  le  resultat  de  la  conference  que  j'eus  alors 
avec  Mansfeld.  Je  ra'embarquai  a  Douvres,  j'a- 
bordai  a  Calais,  etje  me  rendis  en  diligence  a 
Paris ,  ou ,  apres  avoir  eu  I'honneur  de  saluer 
Leurs  Majestes  ,  je  leur  fis  un  recit  fidele  de  ce 
que  j'avois  negocie  pour  leur  service. 

Je  conjectural  avec  raison  que  Buckingham , 
cherchant  quelque  honnete  pretexte  pour  se  de- 
dire  de  ce  dont  il  etoit  convenv;  avec  le  marquis 
d'Effiat  et  moi ,  n'en  trouveroit  pVjint  de  meilleur 
ni  de  plus  prompt  que  de  me  faire  saV>ir  qu'ayant , 


PKEWIEKE    PAHTIK. 


3& 


de  son  cote ,  doune  les  ordres  necessaires  pour 
appreter  les  batimens  qu'il  falloit  pour  le  trans- 
port de  notre  cavalerie  ,  j'eusse  a  faire  donner, 
du  notre,  ceux  qu'il  eonvenoit  pour  faire  remet- 
tre  en  Angleterre  I'argent  du  fret.  Le  due  m'eu 
ecrivit  effeetivement  une  lettre  fort  pressante  , 
a  laquelle  je  fis  reponse  que  nous  ne  manque- 
rions  pas  de  faire  ce  que  nous  avions  prorais. 

Cependant  le  peu  d'intelligence  qu'il  y  avoit 
entre  Buckingham  et  le  comte  de  Carlisle  fit 
que  Ton  oublia  de  faire  avertir  celui-ci  de  ce  qui 
avoit  ete  arrete.  Le  comte  fut  bien  surpris ,  en 
pressant  I'execution  des  ordres  qu'il  avoit  eus 
touchant  le  debarquement  des  troupes  angloises, 
quand  on  lui  dit  qu'on  avoit  consenti  en  Angle- 
terre que  ces  troupes  ne  debarquassent  point  a 
Calais.  Le  comte  en  ecrivit  a  Buckingham,  qui, 
n'osant  tomber  d'accord  de  la  parole  qu'il  avoit 
donnee ,  nia  d'en  avoir  entendu  pavler.  Le  pre- 
mier montra  cette  lettre ,  et  se  plaignit  aigre- 
ment  de  moi  en  me  mettant  en  jeu  ;  et  par-la  il 
me  reduisit,  contre  mon  intention,  a  decouvrir 
tout  le  mystere  ,  c'est-a-dire  que  je  ne  fus  que 
raieux  persuade  de  tout  ce  que  j'avois  deja  re- 
connu  des  sentimens  de  Buckingham. 

Le  Roi  son  maitre  ne  I'estimoit  plus  tant  qu'il 
faisoit  auparavant ;  mais  il  n'en  etoit  pas  de 
meme  du  prince  de  Galles  ,  qui  continuoit  a 
I'aimer  sincerement  et  a  lui  donner  des  marques 
de  sa  confiance.  C'est  pourquoi,  s'imaginant 
que  s'il  desavouoit  ce  que  j'avois  avance  il  en  se- 
roit  cru  sur  sa  parole ,  il  le  fit  hardiment  a  la 
cour  d'Angleterre,  et  il  envoya  en  France  Mon- 
taigu  pour  se  plaindre  de  moi.  Je  me  trouvai 
par-la  oblige  de  lui  faire  voir  la  lettre  que  Buc- 
kingham m'avoit  ecritedesa  propre  main.  Cela 
rendit  Montaigu  confus  ;  il  me  pria  de  la  lui  re- 
mettre.  Je  le  refusal ,  en  lui  disant  que  je  ne  le 
ferois  que  pourobeir  aux  ordres  du  Roi,  quoique 
ce  me  fut  une  chose  bien  facheuse  de  me  dessais- 
sir  d'une  piece  qui  servoit  a  me  justifier  et  a  faire 
voir  que  je  n'etois  point  un  menteur ,  qualite  in- 
digne  d'un  gentilhomme. 

Montaigu  repassa  la  mer  peu  de  temps  apres ; 
et  le  roi  d'Angleterre  mourut  en  ce  meme  temps, 
c'est-a-dire  en  avril  1625  ,  laissant  apres  lui  des 
jugemens  bien  differens  sur  la  conduite  qu'il 
avoit  tenue  pendant  vingt-trois  annees  de  regne. 
Les  ennemis  de  Buckingham  ne  manquerent  pas 
de  publier  que  c'etoit  lui  qui  avoit  fait  empoi- 
sonner  son  maitre;  mais  le  due  se  voyoit  hors 
de  leurs  atteintes,  etant  assure  du  credit  qu'il 
avoit  aupres  du  nouveau  Roi,  qui  continua  ton- 
jours  a  I'aimer.  Le  cardinal  de  Richelieu  me 
pressant  de  lui  dire  quel  etoit  le  genie  de  ce 
raonarque : « II  m'a  paru  ties-reserve ,  lui  repon- 


dis-je,  et  cela  m'a  fait  juger  que  c'est  un  hom- 
me  extraordinaire  ou  d'une  mediocre  capacite. 
S'il  affectoit  sa  retenue  ,  continuai-je ,  pour  ne 
causer  aucune  jalousie  au  feu  Roi  son  pere,  c'est 
un  trait  d'une  prudence  consommee;  mais  si  elle 
lui  est  naturelle  et  sans  finesse,  on  en  doit  tirer 
des  consequences  toutes  contraires. » 

Le  prince  ordonna  au  comte  de  Carlisle  et 
de  Holland  de  faire  savoir  au  roi  de  France  la 
mort  de  celui  d'Angleterre,  son  pere,  et  de  le  faire 
ressouvenir  de  ce  qui  avoit  ete  resolu  dans  le 
dernier  chapitre  de  I'ordre  du  Saint-Esprit , 
c'est-a-dire  que  le  marquis  d'Effiat  y  seroit  as- 
socie.  II  faut  remarquer  que  le  feu  roi  Jacques 
m'avoit  recoraraande ,  dans  une  audience  se- 
crete qu'il  me  donna  expres  pour  cela ,  de  faire 
en  sorte  que  le  Roi  lui  accordat  cette  grace  pour 
d'Effiat.  Je  suivis  les  intentions  du  roi  de  la 
Grande-Bretagne  ,  sans  etre  retenu  par  la  me- 
nace que  me  fit  le  Roi  mon  maitre  d'encourir 
son  indignation,  si  je  le  pressois  davantage  sur 
cet  article.  Je  ne  laissai  pas  de  representer  en- 
core a  Sa  Majeste  que ,  pour  ne  pas  vouloir 
donner  une  aune  de  ruban  bleu ,  on  perdroit 
peut-etre  le  travail  de  plus  d'une  annee.  Le  car- 
dinal prit  mon  parti ,  et  fit  valoir  ce  que  j'avois 
dit.  Le  Roi  changea  d'avis ,  et  temoigna  aux 
ennemis  de  M.  d'Effiat,  qui  etoient  en  grand 
nombre,  et  particulierement  au  marechal  de 
Bassompierre ,  qui  s'etoit  fort  declare  contre 
lui ,  qu'ils  ne  lui  feroient  point  de  plaisir  s'ils 
s'avisoient  de  blamer  ce  qu'il  avoit  resolu  de 
faire.  Le  marquis  d'Effiat  fut  declare  cheva- 
lier, et  il  recut  ensuite  I'ordre  par  les  mains  de 
M.  de  Chevreuse  dans  la  ville  de  Londres  ,  lors- 
que  celui-ci  accompagna  la  reine  de  la  Grande- 
Bretagne.  Le  contrat  du  mariage  de  cette  prin- 
cesse  ayant  ete  signe  par  le  Roi  et  les  deux 
Reines,  par  elle-meme,  par  Monsieur,  son  frere, 
et  par  les  ambassadeurs  extraordinaires  d'An- 
gleterre, suivant  le  pouvoir  qu'ils  en  avoient 
recu ,  on  ordonna  les  preparatifs  necessaires  pour 
faire  les  fiancailles  et  les  noces.  Le  due  de  Che- 
vreuse fut  honore  de  cette  commission  par  le 
roi  de  la  Grande-Bretagne ,  et,  etant  assiste  des 
comtes  de  Carlisle  et  de  Holland  ,  il  fianca  et 
epousa  Madame  a  la  porte  de  I'eglise  de  Paris  , 
oil  Ton  avoit  dresse  un  theatre  pour  ce  sujet. 
Madame  y  fut  conduite  par  le  Roi  et  par  Mon- 
sieur, accompagnes  des  princesses  du  sang  et 
des  autres  princesses  et  duchesses  qui  etoient 
alors  a  la  cour. 

Apres  que  cette  princesse  eut  renonce  aux 
successions  de  pere  et  de  mere,  comme  il  avoit 
ete  stipule ,  la  ceremonie  s'acheva  par  le  cardi- 
nal de  La  Rochefoucauld ,  grand-aumonier  de 

3. 


;JG 


MKMOIUIiS    1)11    COMTK    DK    BUIENNE  , 


France,  qui  avoit  eu  un  bref  du  Pape  par  lequel 
il  etoit  autorise  a  le  faire ,  a  cause  tie  la  con- 
testation survenue  entre  lui  et  I'archeveque  de 
Paris ,  qui  s'absenta  en  cette  occasion  :  et  parce 
que  le  Roi  avoit  juge  en  faveur  du  cardinal,  ce 
bref  fut  tenu  secret.  Le  comte  de  Soissons  fit 
supplier  Sa  Majeste  de  le  dispenser  de  faire  sa 
charge  de  grand-maltre  ,  ne  pouvant  oublier 
qu'on  lui  avoit  autrefois  fait  esperer  de  parvenir 
a  I'alliance  de  Madame ;  et  le  Koi  permit  a  ce 
prince  d'envoyer  son  baton  au  grand  prieur 
qui  remplit  sa  place, 

Les  Anglais ,  sMnteressant  pour  les  princesses 
de  ia  malson  de  Lorraine  ,  obtinrent  qu'elles  se- 
roient  assises  sur  le  meme  banc  que  les  prin- 
cesses du  sang ,  qui ,  apres  avoir  fait  leurs  pro- 
testations, souffrirent  cette  nouveaute  pour  n'ap- 
porter  aucun  trouble  a  la  ceremonie.  Cependant 
il  leur  fut  donne  un  acte  par  lequel  le  Roi  de- 
ciaroit  ne  I'avoir  voulu  ainsi  que  parce  que  les 
princesses  de  Lorraine  etoient  parentes  a  Sa 
Majeste  Britannique.  Le  festin  se  fit  dans  la 
salle  de  I'eveche  ;  les  grands  y  servirent  le  Roi , 
les  Reines  et  les  ambassadeurs  d'Angieterre. 

La  ceremonie  fut  a  peine  achevee  ,  qu'on  ap- 
prit,  avec  quelque  sorte  d'etonnement ,  que  le 
due  de  Buckingham  venoit  en  France ,  accom- 
pagne  de  quelques  gentilshommes  de  sa  nation. 
Les  ambassadeurs  duRoi  sou  maitre  et  madame 
de  Chevreusefirent  en  sorte  qu'il  fut  bien  re^u. 
Get  Anglais  parut  a  la  cour,  I'esprit  rempli  de 
beaucoup  de  chimeres ,  et  c'est  ce  qu'on  re- 
connut  encore  mieux  par  son  entretien.  II 
pressa  fort  le  depart  de  la  reine  d'Angieterre  , 
et  la  chose  paroissoit  juste  par  elle-meme ;  mais 
on  ne  pouvoit  dissimuler  la  joie  que  Ton  auroit 
eue  de  se  defaire  de  cet  etranger  presomptueux 
et  de  le  renvoyer  dans  son  pays. 

Le  depart  de  Sa  Majeste  Britannique  fut  re- 
tarde  par  une  indisposition  qui  survint  au  Roi. 
Ce  prince,  s'etant  trouve  un  peu  mieux,  dit 
qu'il  falloit  aller  a  Compiegne,  qui  etoit  le  lieu 
jusqu'ou  il  vouloit  accompagner  la  Reine,  sa 
soeur.  Do  la  ,  les  deux  reines  de  France ,  la  mere 
et  I'epouse  du  Roi ,  devoient  aller  avec  celle 
d'Angieterre  jusques  a  Boulogne  ou  Calais.  Je 
cms  qu'il  etoit  de  mon  devoir  en  cette  occur- 
rence de  dire  a  la  Reine  que  ,  si  I'incommodite 
du  Roi  son  epoux  continuoit,  elle  demandoit 
que  Sa  Majeste  se  dispensat  de  faire  ce  voyage , 

(1)  II  eut  refTrontorie  d'affecter  une  grande  passion 
pour  Anne  d'Autrichc  ,  reine  rdgnante.  (A.  E.) 

Le  cardinal  de  Retz  rapporte  meme  ,  d'apres  ce  que 
lui  avail  dit  niadamc  de  Chcvicuse,  que  «  Veffronterie  de 
!5uckin;;liarn  fut  beaucoup  ioinji  pendant  un  rendez-vous 


aiin  de  rester  aupres  du  Roi ,  et  d'etre  en  etat 
de  satisfaire  par  la  a  ce  qu'elle  lui  devoit  et  il 
I'inclination  de  son  epoux.  Si  cette  princesse 
eut  suivi  mon  conseil ,  elle  en  eut  tire  de  grands 
avantages ;  mais  elle  prefera  le  conseil  de  ma- 
dame de  Vervet  au  mien.  Les  raisons  qu'on  eut 
de  le  suivre  sont  trop  foibles  pour  meriter  d'etre 
rapportees  ici.  Quelque  soin  que  madame  de 
Chevreuse  et  d'autres  dames  de  la  cour  prissent 
de  detourner  la  Reine  d'aller  a  Amiens ,  elles 
n'y  purent  pas  plus  reusslr  que  moi ;  et  lorsque 
cette  princesse  eut  ete  avertie  que  le  Roi  la  bla- 
moit  d'avoir  suivi  un  pareil  conseil ,  on  ne  put 
s'empecher  de  parler  contre  madame  de  Vervet , 
et  contre  celles  qui  se  trouverent  dans  les  me- 
mes  sentimens. 

La  cour  ne  resta  que  deux  jours  a  Compiegne. 
Les  Reines  en  partirent  pour  Amiens,  et  le  Roi, 
dont  les  forces  etoient  un  peu  retablies,  pour 
Fontainebleau.  II  avoit  sujet  de  craindre  que 
ce  mariage  ne  fut  aussi  fatal  a  la  France  que 
I'avoit  ete  ceiui  de  la  fille  du  roi  Charles  VI.  La 
Reine-mere  tomba  dangereusement  malade  en 
arrivant  a  Amiens;  mais  st>s  medecins  faisant 
esperer  que  cette  maladie  ne  seroit  pas  de  lon- 
gue  duree,  on  s'y  disposa  a  prendre  les  diver- 
tissemens  dont  le  lieu  etoit  capable.  La  du- 
chessede  Chaulnes  y  pria  Buckingham  de  tenir 
sur  les  fonts  un  fils  dont  elle  etoit  accouehee  de- 
puis  peu  ;  et  elle  donna  ensuite  un  bal  ou  les 
dames  parurent ,  a  I'envl  les  unes  des  autres , 
avec  tout  I'eclat  que  leur  beaute  naturelle  et  les 
artifices  leur  pouvoient  fournir,  et  si  couvertes 
de  pierreries  que  les  Anglais  en  furent  surpris. 
Mais  la  Reine  brilla  sur  toute  la  cour.  La  na- 
ture, qui  lui  avoit  donne  une  blancheur  capable 
d'eblouir,  effaca  toutes  les  autres  beautes,  et  Sa 
Majeste  parut,  surprenant  tout  le  monde,  ainsi 
qu'un  astre  nouveau. 

Le  due  de  Buckingham  y  brilla  de  meme,  et 
par  la  magnificence  de  ses  habits,  et  par  sa 
bonne  mine.  II  dansa  avec  beaucoup  d'applau- 
dissement;  mais  il  devoit  se  tenir  dans  les  bor- 
nes  du  respect  (l) ,  etia  vanite  qu'il  en  eut 
n'auroit  pasdu  s'etendre  plus  loin.  II  pressa  fort 
le  depart  de  la  reine  d'Angieterre;  mais  il  ne 
laissa  pas  de  faire  comprendre  sous  main  qu'il 
avoit  ordre  de  I'attendre,  pourvu  que  la  Reine- 
mere  flit  bientot  en  etat  de  se  mettre  en  chemin. 

La  maniere  d'agir  de  cet  etranger  me  deplut 

que  la  Reine  lui  avoit  donne  dans  les  Jardins  du  Louvre. » 
(Voyez  ce  passage  ini^dit  des  Memoires  ,  qui  fait  partie 
de  notre  Edition  de  Retz.  )  D'autres  chroniqueurs  ra- 
content  une  anecdote  a  peu  pres  semblable  ,  qui  parai- 
Irait  donner  une  cortaine  aulhenticit(' au  r^rit  du  car- 
dinal de  Relz. 


T  laoMiicRi.  I'Aivni:. 


Kiv: 


S7 


beaucoiip.  Je  leprt'sentai  a  la  Reine-mere  que 
c'etoit  line  chose  honteuse  que  les  Anglois  pre- 
sumassent  qu'elle  dut  hasarder  sa  vie  pour  faire 
honneui-  a  leur  maitresse  ;  qu'elle  devoit  du 
inoins  autant  au  Roi  son  fils  qu'a  la  Reine  sa 
iille,et  qu'elle  etoit  obligee deseconserver  pour 
la  consolation  et  pour  le  bien  de  I'P^tat.  Cette 
princesseme  repondit  que  j'avois  raison;  qu'elle 
entendoit  fort  bien  ce  que  je  voulois  lui  dire  ,  et 
que  la  Reine  sa  fiile  partiroit  d'Amiens  sans  au- 
cune  remise  dans  deux  jours.  En  elfet,  elle 
manda  Buckingham  des  le  leuderaain  ,  pour  lui 
dire  qu'il  falloit  se  resoudre  d'altendre  sa  par- 
faite  guerison ,  qui ,  a  ce  que  ses  medecins  di- 
soient ,  ne  pouvoit  etre  d'uu  mois ,  ou  se  dispo- 
ser a  s'embarquer  sans  delai  avec  la  Reine  sa 
iUle  ;  que  cette  princesse  etoit  elle-meme  dans 
I'impatience  de  se  voir  aupres  du  Roi  son 
epoux ;  qu'en  son  particulier  elle  etoit  tres-fa- 
chee  de  ne  pouvoir  pas  achever  ce  qu'elle  avoit 
commence,  e'est-a-dire  d'accompagner  la  reine 
d'Angleterre  tant  qu'elle  seroit  sur  les  terres  du 
Roi ,  son  Ills.  L' Anglois  ,  surpris  de  ce  discours, 
prit  le  parti  que  la  bienseance  vouloit ,  et  de- 
manda  que  la  Reine  sa  maitresse  partit  done  in- 
cessamment  pour  se  rendre  dans  les  Etats  du 
Roi  son  epoux. 

L'ordre  du  depart  fut  donne  pour  le  lende- 
raain  ;  les  Reines  se  disposerent  a  accompagner 
Sa  Majeste  Britannique  jusqu'a  une  lieue  de  la 
ville  d'Amiens.  Elle  eut  un  beau  cortege.  Grand 
nombre  de  seigneurs  la  suivirent.  La  bour- 
geoisie et  la  garnison  firent  de  concert  ce  qui  se 
devoit  dans  une  pareille  rencontre.  Le  premier 
logement  de  la  reine  d'Angleterre  a  sa  sortie 
d'Amiens  fut  Abbeville.  Des  personnes  rappor- 
terent  que  Ruckingham ,  en  prenant  conge  de 
Leurs  Majestes  ,  s'etoit  mis  a  genoux  ,  suivant 
la  coutume  de  son  pays  ;  et  Ton  prit  cela  pour 
des  marques  de  s'etre  repenti  d'avoir  trop  presse 
le  depart  de  la  Reine  sa  maitresse.  Ccpendant 
ce  due  se  i-esolut  de  retourner  le  lendemain  a 
Amiens.  II  en  avertit  M.  de  Chevreuse  ,  et  prit 
pour  pretexte  qu'il  avoit  eu  uu  courrier  du  Roi 
son  maitre  qui  lui  ordonnoit  de  faire  quelque 
uuverture  a  la  Reine-mere,  pour  parvenir  a  une 
plus  etroite  liaison  avec  la  France  que  celle  qui 
avoit  ete  concertce.  Je  fus  d'avis  d'en  ecrire  au 
Roi  pour  Tinformer  de  ce  qui  etoit  venu  a  ma 
connoissance ,  et  que  le  voj'age  de  Buckingham 
ne  retarderoit  en  rien  celui  de  la  Reine  sa 
soeur,  puisqu'il  se  rendroit  a  Montreuil  le  juur 
meme  qu'elle  y  devoit  coucher. 

Aussitotque  Buckingham  fut  arrive  a  Amiens, 
il  fit  demander  audience  a  la  Reine-mere.  Elle 
lui  fut  accordee,  quoique  Sa  Majeste  fut  dans 


son  lit.  II  entretiut  cette  princesse  des  ordres 
qu'il  avoit  recus,  et  fit  demander  aussitot  apres 
audience  a  la  Reine  sa  belle-fille,  qui  voulut 
s'en  excuser  sous  pretexte  qu'elle  gardoit  aussi 
le  lit ;  mais,  pour  ne  point  etre  blamee  ,  soit  en 
refusant  I'audience,  soit  en  faccordaut  sans 
avoir  auparavant  consulte  la  Reine  sa  belle- 
mere  ,  elle  lui  envoya  la  comtesse  de  Lanoy,  sa 
dame  d'honneur.  Cette  dame  representa  a  Sa 
Majeste  que  c'etoit  une  chose  sans  exemple ,  et 
que  peut-etre  il  ne  plairoit  point  au  Roi  que  la 
Reine  permit  I'entree  de  sa  chambre  a  des  hom- 
mes  dans  le  temps  que  Sa  Majeste  etoit  encore 
au  lit.  «  Eh  !  pourquoi ,  dit  la  Reine-mere ,  ne  le 
feroit-elle  pas ,  puisque  je  le  fais  bien  raoi- 
meme?  »  La  difference  d'age  et  d'etat  pouvant 
etre  alleguee  fort  a  propos ,  la  comtesse  de 
Lanoy  s'en  abstintpourtant  par  discretion,  mais 
elle  envoya  querir  toutes  les  princesses  et  dames 
qui  etoient  alors  a  Amiens ,  pour  assister  a  cette 
audience;  et,  I'heure  en  ayant  ete  donnee,  I'An- 
giois  se  rendit  dans  la  chambre  de  la  Reine. 
Apres  que  Ruckingham  eut  fait  les  reverences 
accoutumees ,  madame  de  Lanoy  lui  fit  appor- 
ter  un  siege ,  parce  que  l'ordre  veut  que  quand 
les  reines  dounent  des  audiences  elles  fassent 
asseoir  ceux  qui  se  couvrent  devant  elles.  Le 
due  fit  quelque  difficulte  d'accepter  le  siege  ,  et 
voulut  se  mettre  a  genoux  ,  alleguant  I'usage  de 
son  pays,  oii  les  reines  sont  toujours  servies  de 
cette  maniere.  Mais  la  comtesse  de  Lanoy  le  fit 
relever  promptement.  L'audience  ne  fut  pas 
longue  ;  et,  pendant  qu'elle  dura,  les  princesses 
de  Conde  et  de  Conti ,  si  je  ne  me  trompe ,  avec 
plusieurs  duchesses  et  dames,  se  mireut  dans  la 
ruelle  du  lit.  Quelques-unes  d'entre  elles  vou- 
lurent  s'excuser  de  se  rendre  a  cette  audience  , 
sous  pretexte  de  quelques  indispositions ;  mais 
la  comtesse  de  Lanoy  leur  fit  dire  que  la  Reine 
le  trouveroit  mauvais  et  qu'elle  seroit  obligee 
d'en  avertir  le  Roi.  Apres  cela,  Buckingham  et 
ceux  de  ses  gens  qui  favoient  suivi  reprirent 
leur  voyage ,  et  firent  une  si  grande  diligence 
qu'ils  arriverent  a  Montreuil  devant  que  la  reine 
d'Angleterre  en  fut  partie.  Elle  se  rendit  le 
meme  jour  a  Boulogne,  oil  elle  fut  obligee  de 
faire  quelque  sejour,  parce  que  le  vent  etoit  si 
contraire  a  la  llotte  qui  la  devoit  conduire  , 
qu'elle  ne  pouvoit  aborder  la  rade  5  mais  le 
temps  ne  se  fut  pas  sitot  mis  au  beau  ,  que  nous 
la  vimes  paroitre.  Nous  remimes,  M.  de  Che- 
vreuse et  moi,  la  reine  d'Angleterre  entre  les 
mains  de  Buckingham  et  des  deux  autres  am- 
bassadeurs ,  suivant  la  commission  que  le  Roi 
nous  en  avoit  donnee,  scellee  du  grand  sceau, 
apres  qu'ils  nous  eurent  fait  voir  celle  qu'ils 


38 


ilEWOlKES    DU    COMTE    UE    liBIENiXE  , 


avoient  pour  recevoir  cette  princesse.  La  flotte 
ayant  mouille ,  Sa  Majeste ,  avec  sa  suite  et 
ceux  qui  avoient  ordre  de  I'accorapagner,  en- 
trerent  dans  les  chaloupes  ,  qui  les  porterent 
a  bord  des  vaisseaux.  La  Reine  entra  dans  Ta- 
miral ,  et  passa  au  milieu  des  autres  batimens, 
qui,  etant  tous  a  la  voile,  la  saluerent  de  leur 
artillerie  et  dresserent  leurs  manoeuvres  vers 
Douvres,  ou  la  flotte  aborda  en  moins  de  sept 
heures,  la  mer  n'ayant  jamais  ete  plus  calme. 
Un  petit  vent  qui  souffloit  favorisant  la  maree , 
plusieurs  barques  longues  porterent  a  terre  la 
Reine  avec  toute  sa  suite,  et  Sa  Majeste  trouva 
sur  la  greve  une  chaise  preparee  ,  dans  laquelle 
elle  fut  conduite  au  chateau  ,  qui  etoit  meuble 
des  raeubles  de  la  couronne  et  ou  il  y  avoit  un 
magnifiquesouper.  Apres  s'etre  un  peu  delassee, 
elle  se  mit  a  table  et  se  coucha.  Nous  descen- 
dimes,  M.  de  Chevreuse  et  moi,  avec  le  mar- 
quis d'Effiat  dans  lebourg,  ou  quelques  grands 
seigneurs  anglois,  qui  nous  etoient  venus  join- 
dre,  nous  ayant  regales,  nous  nous  retirames 
chacun  dans  le  logis  qui  nous  avoit  ete  destine. 
Etant  avertis  le  lendemain  que  le  Roi  venoit 
d'arriver  au  chciteau,  les  ambassadeurs  de 
France  s'y  rendirent  en  diligence;  et  etant  en- 
tres  dans  la  chambre  de  la  Reine,  ou  ce  mo- 
narque  etoit  pour  lors  ,  nous  lui  fimes  les  com- 
plimens  ordinaires  de  la  part  du  Roi,notremai- 
tre,  et  des  Reines,  sa  mere  et  son  epouse.  Sa  Ma- 
jeste Rritannique  repondit  a  ces  complimens 
dans  tous  les  termes  de  civilite,  de  politesse  et 
de  respect  qu'on  pouvoit  attendre  d'un  prince 
aussi  civil  qu'il  I'etoit.  L'heure  qu'on  devoit 
partir  pour  aller  a  Cantorbery,  ou  le  mariage 
devoit  etre  consomme ,  etant  arrivee ,  Rucking- 
ham  nous  dit  que  I'intention  du  Roi ,  qui  devoit 
monter  dans  le  carrosse  de  la  Reine,  etoit 
que  les  principales  dames  angloises  y  eussent 
place  aussi  bien  que  M.  et  madame  de  Che- 
vreuse, et  la  marechale  de  Themines,  qui  avoit 
voulu  faire  ce  voyage  pour  I'amour  de  Sa  Ma- 
jeste. Nous  lui  repondimes  qu'il  en  falloit  une 
aussi  pour  madame  de  Saint-Georges  ,  qui  avoit 
ete  gouvernante  de  la  Reine ,  et  ensuite  sa  dame 
d'honneur;  qu'on  avoit  consent!,  a  la  verite, 
qu'elle  n'en  prendroit  point  le  titre ,  qui  parois- 
soit  nouveau  en  Angleterre;  mais  qu'il  avoit 
ete  accorde  qu'elle  auroit  celui  de  yrooni  of  the 
stool  ^  qui  revient  assez  bien  a  ce  que  Ton  ap- 
pelleroit  en  notre  langue,  le  gentilhomme  ou  la 
dame  de  la  chaise  percee.  Cette  charge  est  tres- 
considerable  en  Angleterre;  elle  fait  jouir  de 
grands  privileges,  comme  de  commander  dans 
la  chambre  de  la  Reine ,  de  lui  donner  sa  che- 
mise,  etc.   Nous  ajout^mes  que  madame  de 


Saint-Georges  devant  etre  toujours  aupres  de 
cette  princesse ,  s'il  n'y  avoit  qu'une  place  dans 
le  carrosse,  elle  devoit  etre  pour  cette  dame  ou 
pour  madame  de  Chevreuse.  Je  dis  de  plus  que 
le  due  de  Chevreuse  ne  devoit  point  se  separer 
des  autres  ambassadeurs,  n'ayant  point  de  titre 
particulier,  et  que  le  marquis  d'EtTiat  et  moi 
nous  ne  souffririons  jamais  qu'on  lui  rendit  un 
honneur  qui  ne  nous  fut  commun  avec  lui- 
Ruckingham  nous  fit  dire  alors  que  nous  con- 
traindrions  le  Roi  si  nous  ne  suivions  pas  sa  vo- 
lonte ;  mais  comme  nous  demeurames  fermes 
dans  notre  sentiment,  madame  de  Saint-Georges 
eul  place  dans  le  carrosse  de  la  Reine,  et  M.  de 
Chevreuse  resta  avec  nous ,  ce  qui  etoit  plus 
dans  I'ordre. 

La  cour  ayant  fait  la  moitie  du  chemin  de 
Cantorbery  s'arreta  en  un  lieu  oil  plusieurs 
dames  attendirent  la  Reine,  qui ,  etant  descen- 
due  de  carrosse  ,  fut  avertie  par  le  Roi  de  eel  les 
qu'elle  devoit  saluer  en  particulier,  et  de  celles 
qui  ne  lui  devoient  pas  baiser  la  main.  Elle  com- 
menca  par  toutes  les  femmes  des  pairs  ,  c'est-a- 
dire  celles  des  dues,  des  marquis,  des  comtes  , 
des  vicomtes  et  des  barons.  Cela  dura  assez  long- 
temps.  Cette  ceremonie  etant  finie ,  Leurs  Ma- 
jestes  remonterent  en  carrosse  et  se  rendirent  a 
Cantorbery.  Le  maire  et  les  echevins  de  cette 
ville  firent  leurs  harangues  a  la  Reine  a  I'en- 
tree  de  la  ville  :  apres  cela,  cette  princesse  alia 
descendre  au  palais  de  I'archeveque ,  mais  ma- 
dame de  Chevreuse  resta  aupres  de  la  Reine 
toute  la  soiree;  elle  lui  donna  la  chemise  et  la 
coucha. 

Le  lendemain ,  a  la  priere  de  M.  d'Effiat , 
nous  partimes  pour  Londres,  M.  de  Chevreuse 
et  moi,  apres  avoir  depeche  un  coiirrier  a  la 
Reine,  mere  du  Roi,  charge  des  lettres  de  plu- 
sieurs dames ,  qui  contenoient  que  le  mariage 
de  Leurs  Majestes  Rritanniques  avoit  ete  con- 
somme a  leur  commune  satisfaction ;  qu'elles 
doivent  rester  ce  jour-la  a  Cantorbery,  oil  Ton 
leur  devoit  faire  une  entree  magnifique ;  et  que 
ce  qui  avoit  oblige  M.  d'Effiat  de  nous  presser, 
M.  de  Chevreuse  et  moi,  d'aller  a  Londres, 
c'etoit  afin  de  s'y  trouver  revetu  du  meme  ca- 
ractere  que  nous  ,  qui  voulions  bien  avoir  cette 
complaisance  pour  lui. 

La  ceremonie  se  fit  dans  la  chapelle  de  Da- 
nemarck ,  oil  nous  etions  loges ,  M.  de  Che- 
vreuse et  moi.  Le  Roi  ne  voulut  point  que  la 
bourgeoisie  prit  les  armes  ,  ni  que  la  cour  se 
mit  en  etat  de  recevoir  la  Reine ;  et  cela  avec 
d'autant  plus  de  raison  que  ,  quoique  la  saison 
fiit  peu  avancee  ,  il  regnoit  une  maladie  conta- 
gieuse  qui  pensa  desoler  I'Angleterrc,  et  dont, 


PBEMliiEE    PABTIE.     [1G25] 


30 


si  on  en  croyoit  quelques  vieillards  et  certains 
savans,  ce  royaume  pouvoit  avoir  ete  afflige 
sous  le  regne  de  la  reine  Elisabeth  et  sous  celui 
du  roi  Jacques. 

Le  Roi  de  la  Grande-Bretagne  se  crut  oblige 
de  eonvoquer  un  parlement ,  et  de  faire  confir- 
mer  dans  cette  assemblee  publique  toutes  les 
conditions  auxquelles  le  feu  Roi  son  pere ,  et 
Sa  Majeste  elle-meme,  s'etoient  obliges  pour 
parvenir  a  sou  mariage.  Le  jour  fut  arrete.  On 
publia  un  acte  authentique  que  le  Roi  fit  dres- 
ser en  presence  de  tous  les  grands  de  sa  cour ; 
apres  cela  il  dina  en  public  avec  la  Reine  ,  et 
nous  eumes ,  MM.  de  Chevreuse ,  d'Effiat  et 
nioi ,  place  au  repas  en  qualite  d'ambassadeurs 
du  roi  Tres-Chretien.  Les  grands  y  servoient , 
et  les  herauts  et  les  trompettes  marchoient  de- 
\  ant  le  grand-maitre.  Sa  Majeste ,  vouiant  en- 
suite  faire  paroitre  son  adresse  acheval,  comme 
elle  I'avoit  montree  au  bal  ou  les  arabassadeurs 
de  France  danserent ,  rompit  des  lances  ,  et  se 
lit  autant  admirer  dans  ces  exercices  que  la 
Reine  son  epouse  le  fut  au  bal.  Cette  princesse 
y  dansa  sans  rien  deraentir  de  la  gravite  qui 
doit  etre  gardee  par  les  personnes  de  son  rang. 

Le  Roi  parut  dans  le  parlement  d'une  ma- 
niere  a  charmer  I'assemblee ,  convert  de  son 
manteau  royal  qui  etoit  de  velours  rouge  dou- 
ble d'herraine  sans  broderie ,  la  couronne  sur  la 
tete  et  le  sceptre  a  la  main  ,  environne  des  of- 
ficers du  royaume ,  dont  I'un  presentoit  I'epee 
royale ,  I'autre  la  couronne  a  I'imperiale ,  et 
I'autre  un  globe  qui  represente  le  monde  :  c'est 
la  marque  de  I'empire  que  les  Anglois  preten- 
dent  avoir  sur  la  raer. 

Plusieurs  autres  grands  officiers  portoient 
aussi  les  marques  de  leurs  dignites  et  de  leurs 
charges,  comme :  le  marechal,  un  baton  d'or  dont 
les  deux  bouts  sont  de  fer;  le  grand  tresorier, 
le  grand  chambellan  d'Angleterre  et  le  cham- 
belian  de  la  maison  du  Roi ,  leurs  batons  blancs. 
Ceux-ci  precedent  les  pairs  dans  toutes  les  occa- 
sions, parce  qu'ils  sont  eux-memes  pairs  du 
parlement,  ou  personne  ne  pent  etre  assis  en 
presence  du  Roi  que  le  chancelier ,  qui  est  a 
cote  et  un  peu  derriere  Sa  Majeste,  et  ensuite 
le  garde-des-sceaux.  C'est  lui  qui  prit  la  parole, 
parce  que  le  chancelier  etoit  pour  lors  eloigne 
de  la  cour ,  et  qui  remontra  I'etat  des  affaires  , 
falliance  contractee  avec  la  France,  et  I'enga- 
gement  ou  Ton  etoit  de  retablir  le  roi  de  Boheme, 
la  Reine  son  epouse ,  soeur  du  Roi ,  et  les  prin- 
ces ses  neveux  ,  dans  I'heritage  de  leurs  peres , 
dont  ils  avoient  ete  depouilles.  II  ajoutaque  e'e- 
toit  pour  la  seconde  fois  qu'il  en  parloit;  car 
dans  le  parlement  precedent,  dont  celui-ci  n'e- 


toit  qu'une  suite,  on  avoit  deja  represente  le 
traitement  indigne  qui  avoit  ete  fait  en  Espagne 
a  I'heritier  de  la  couronne. 

La  maladie  contagieuse,  augmentant  de  telle 
sorte  qu'elle  emportoit  par  jour  plus  de  six  cents 
personnes  dans  la  ville  de  Londres,  obligea  le 
Roi  de  remettre  son  parlement  et  de  se  retirer 
a  Hampton-Court,  I'une  de  ses  maisons  de  cam- 
pagne,  ou  il  fitsa  demeure.  Sa  Majeste  nous  fit 
donner  pour  la  notre  le  chclteau  de  Richemont , 
qui  n'en  est  eloigne  que  de  trois  milles,  et  ou 
madame  de  Chevreuse,  qui  etoit  pres  d'accou- 
cher,  eut  aussi  soulagement.  Nous  eumes  quel- 
que  difficulte  avec  les  Anglois  pour  le  paiement 
de  la  dot  de  la  Reine,  parce  qu'ils  soutenoient 
que  I'argent  de  France  n'etoit  pas  d'uu  si  bon 
aloi  que  le  leur  ;  mais ,  etant  convenus  de  nous 
en  rapporter  aux  termes  du  contrat ,  nous  sor- 
times  assez  tot  d'affaires. 

II  faut  remarquer  que ,  dans  le  cours  de  ces 
affaires,  je  fustoujours  enfroideur  avec  Buckin- 
gham ,  dont  je  ne  puis  taire  I'imprudence.  Je 
me  souviens  done  a  cette  occasion  que  ce  due 
etant  retourne  a  Amiens ,  y  fit  quelque  ouver- 
ture  a  la  Reine-mere  ,  sous  pretexte  d'etablir 
une  liaison  encore  plus  etroite  entre  les  deux 
couronnes  que  celle  dont  on  etoit  convenu.  11 
declara  meme  a  Sa  Majeste  qu'il  avoit  recu  un 
ordre  precis  de  lui  en  parler,  par  un  courrier 
qu'on  lui  avoit  envoye  ex  pres  pour  cela.  Cette 
princesse  ne  lui  fit  point  d'autre  leponse ,  sinon 
qu'elle  en  donneroit  avis  au  Roi  son  fils,  et 
qu'ensuite  elle  nous  feroit  savoir  ses  intentions. 
Apres  avoir  vu  la  reponse  que  cette  princesse 
avoit  eue,  et  recu  les  ordres  de  la  cour  a  ce  su- 
jet,  MM.  de  Chevreuse  et  d'Effiat  furent  d'avis 
de  demander  audience  a  Sa  Majeste  Britanni- 
que  pour  nous  acquitter  de  notre  commission. 
Je  fus  d'unaviscontraire;  mais  je  proposal  sira- 
plement  de  la  demander  a  Buckingham ,  et 
leur  en  dis  de  si  bonnes  raisons  qu'ils  s'y  ren- 
dirent.  Ces  raisons  etoient  que,  puisque  depuis 
que  nous  etions  a  la  cour  d'Angleterre  nous 
n'avions  point  entendu  parler  de  cette  affaire  , 
nous  pouvions  croire  que  cette  affaire  ne  lui  te- 
noit  pas  fort  au  coeur ;  que  nous  pourrions  faire 
de  la  peine  a  ce  monarque  en  lui  en  parlant,  non 
pas  comme  d'une  chose  a  laquelle  on  consen- 
toit  pour  lui  plaire ,  mais  qu'on  lui  refusoit , 
quoique  la  proposition  eut  ete  faite  de  sa  part ; 
que  je  croyois  done  qu'il  etoit  bien  plus  a  propos 
d'en  parler  a  Buckingham ,  et  que  si  ce  due  in- 
sistoit  a  ce  que ,  pour  se  disculper,  nous  en  par- 
lassions  au  Roi,  son  maitre,  nous  leferions  pour 
lors ,  ne  pouvant  nous  en  defendre. 

Comme  nous  nous  entretenions  de  tout  ceci , 


4'» 


Mi;MOir>l-S    I)i      CO.MTK     l)F.     I!llli:\NK, 


Biickingliam  luais  vint  prendre  pour  nous  me- 
ner  coiiclier  dans  une  maison  de  plaisance  qui 
appaitenoit  au  comte  de  Carlisle  ,  eioignee  seu- 
lement  de  Londres  de  trois  ou  quatre  lieues.  Je 
me  servis  de  cette  occasion  pour  iui  expliquer 
les  volontes  du  Roi,  mon  mailre.  II  nous  repliqua 
a  I'inslant  que  la  resolution  que  nous  avions 
prise  etoit  la  meilleure ,  parce  que  Sa  Majeste 
Britannique  auroit  ete  dans  le  dernier  etonne- 
mcnt  d'entendre  parler  de  cette  proposition, 
qui  en  effet  eut  ete  nouvelle  au  Roi ,  et  qu'elle 
venoit  uniquement  de  Iui  Buckingham ,  qui  ne 
I'avoit  faite  que  parce  qu'il  la  jugeoit  utile  aux 
deux  couronnes,  et  qu'elle  Iui  donnoit  un  pre- 
texte  honnete  de  retourner  a  Amiens,  ou  il 
avoit  deja  resolu  de  la  faire  quand  il  en  partit 
apres  avoir  pris  conge  des  Reincs  ;  et  parlant 
ensuite  en  bon  courtisan  :  « Il  est,  ajouta-t-il,  du 
devoir  des  ministres  de  travailler  a  conserver  la 
bonne  intelligence  entre  les  rois  qu'ils  servent , 
et  ils  ne  doivent  jamais  rien  faire  qui  la  puisse 
alterer.  » 

Messieurs  de  Chevreuse  et  d'Effiat  ayant  ete 
d'avis  qu'on  averlit  le  Roi  de  ceci  ,  je  leur  dis 
que  j'allois  faire  la  depeche  et  qu'ils  ne  son- 
geassent  seulement  qu'a  se  bien  divertir.  Nous 
la  signames  tons  trois  avant  que  de  sortir  de 
Londres.  Je  rendis  compte  dans  cette  depeche  a 
Sa  Majeste  de  la  raison  que  nous  avions  eue  de 
parler  a  Buckingham  plutot  qu'au  Roi,  son  mai- 
tre  ,  qui  ne  songeoit  point  a  cette  affaire ;  et  que 
le  due  n'en  avoit  rien  dit  non  plus  depuis  son 
retour  de  France. 

Nous  vimes  sur  notre  route  plusieurs  belles 
niaisons  de  campagne  ,  et  nous  arrivames  dans 
celle  du  comte  de  Carlisle,  qui  nous  recut  par- 
faifement  bien.  Etant  retournes  a  Londres ,  nous 
continutimes  a  faire  notre  sejour  a  Richemont, 
d'ou  nous  allions  souvent  a  la  cour  de  Leurs 
Majestcs  Britanniques.  On  nous  accorda ,  quel- 
ques  jours  apres ,  la  permission  de  retourner  en 
France  :  nous  devions,  M.  de  Chevreuse  et  moi , 
suivre  la  route  ordinaire,  et  M.  d'Effiat  devoit 
conduire  les  vaisseaux  dont  le  roi  d'Angleterre 
vouloit  bien  aider  celui  de  France  pour  reduire 
les  Rochelois  ,  qui  s'etoient  soustraits  a  leur 
devoir. 

Nous  avions  deja  fait  demander  notre  au- 
dience de  conge  a  Buckingham  ,  qui  vivoitavec 
nous  fort  civilement  en  apparence  et  qui  nous 
combloit  d'honnetetes ,  MM.  de  Chevreuse , 
d'Effiat  et  moi ,  quand  le  due  nous  vendit  visite 
au  clulteau  de  Richemont  ou  nous  c'tions  loges. 
M.  de  Bonnouil ,  gentilhomme  fort  considere  a 
la  cour,  autant  par  sa  charge  d'introducteur 
des  ambassadeurs  et  par  sa  naissance ,  que 


parce  qu'il  etoit  d'un  esprit  \if  et  poli,  et  qu'il 
avoit  eu  part  a  toutes  ces  intrigues,  voulant 
donner  des  louanges  a  Buckingham,  ou  plutdt 
faire  semblant  de  le  flatter,  Iui  paria  ainsi  :  « II 
faut  avouer,  Milord,  que  vous  etes  beau  et  bien 
fait.  Je  ne  suis  point  surpris  que  les  premieres 
de  nos  dames  aient  concu  de  I'amour  pour  vous. 
—  II  m'eut  ete  difficile  d'y  reussir,repondit  alors 
cet  Anglois  avec  une  fierte  insupportable,  car 
je  n'etois  qu'un  pauvre  etranger,  et  tous  mes 
maux  s'etoient  reunis  contre  moi.  »  J'etois 
trop  bien  instruit  de  ce  qu'on  savoit  et  qu'on  di- 
soit  assez  ouvertement  a  la  cour  touchant  la 
prcsomption  du  due ,  pour  ne  pas  comprendre 
ce  qu'il  vouloit  dire.  Cela  m'obligea  de  Iui  par- 
ler en  ces  termes  :  «  II  faut  pourtant  avouer, 
Milord,  que  vous  avez  I'esprit,  la  faille  et  fair 
d'un  grand  seigneur  ;  vous  etes,  de  plus ,  beau  , 
agreabie  et  bien  fait ,  et  par  consequent ,  capa- 
ble de  donner  de  la  jalousie  a  des  maris  qui  se- 
roient  d'humeur  a  en  prendre.  Je  suis  meme 
persuade  que  vous  pouvez  y  avoir  reussi ;  mais 
il  faut  pourtant  que  je  vous  apprenne  une  chose 
qui  est  tres-constante  :  c'est  que  les  dames  fran- 
coises  font  gloire  de  donner  de  I'amour  sans  en 
prendre  ;  et  si  quelques  unes  ne  peuvent  pas  se 
defend  re  d'en  prendre  ,  elles  ne  cherchent  pour- 
tant, en  accordant  leurs  bonnes  graces,  qu'a 
etre  courtisees  par  un  cavalier  qui  reside  a  la 
cour,  et  non  par  un  etranger  qui  n'est  regarde 
chez  nous  que  comme  un  passe- volant.  »  Plu- 
sieurs gentilshommes  francois  qui  furent  presens 
a  notre  entretien  s'apercurent  bien  a  la  mine  de 
Buckingham  qu'il  avoit  ete  perce  jusques  au 
coeur.  II  ne  put  meme  s'empecher  de  me  dire 
que  je  cherchois  les  occasions  de  Iui  faire  de  la 
peine  ;  a  quoi  je  Iui  repondis  que  I'occasion  qui 
venoit  de  se  presenter  etoit  trop  belle  pour  ne 
pas  s'en  prevaloir. 

Notre  audience  de  conge  m'ayant  ete  accor- 
dee  ,  Buckingham  fit  tous  ses  efforts  pour  ob- 
tenir,  de  MM.  de  Chevreuse  et  d'Effiat,  qu'ils 
prieroient  de  la  part  du  Roi  Sa  Mnjeste  Britan- 
nique de  mettre  son  "epouse  en  tel  poste  qu'il 
Iui  plairoit  aupres  de  la  Reine  avec  la  comlesse 
de  Denbigh, sa  soeur,  et  la  marquise  d'Hamilton, 
sa  niece.  lis  le  Iui  promirent  et  meme  de  m'en 
faire  un  secret ,  se  flattant ,  ou  que  je  le  decou- 
vrirois,  ou  que  je  serois  assez  discret  pour  ne 
les  point  dementir.  11  est  d'autaiit  plus  etonnant 
que  cela  eut  pu  etre  execute,  qu'on  nous  I'avait 
expressenient  defendu  par  notre  instruction  et 
par  plusieurs  depeches.  Les  laisons qu'en  avoient 
Leurs  Majestes  efoient  deduites  bien  au  long 
dans  le  contrat  de  mariage  du  roi  d'Angleterre , 
ou  Ton  avoit  stipule  que  la  Reiitc  son  epouse 


PULMIKHI-.   l'W;iIE.     11625] 


4( 


n'auroit  a  son  service  que  des  Francois  et  dcs 
Francoises  faisant  profession  de  la  religion  ca- 
tholique,  de  peur  que  la  frequentation  qu'elle 
pourroit  avoir  avec  des  personnes  protestantes 
ne  lui  fit  naltre  de  mauvaises  opinions  et  avoir 
des  complaisances  pour  le  Roi,  son  epoux ,  que 
nous  avions  assure  le  Pape  qu'elle  n'auroit  ja- 
mais ,  Sa  Saintete  n'ayant  accorde  la  dispense 
que  sur  cette  assurance.  On  n'avoit  pas  meme 
beaucoup  de  peine  a  voir  quel  etoit  le  dessein  du 
roi  de  la  Grande-Bretagne ,  qui  n'avoit  jamais 
voulu  consentir  que  la  comtesse  de  Buckin- 
gham ,  mere  du  due ,  ni  meme  la  duchesse  sa 
femme ,  fussent  ordinairement  aupres  de  la 
Reine ,  comme  nous  en  avions  prie  Sa  Majeste  , 
parce  que  Tune  falsoit  profession  de  la  religion 
eatholique ,  et  que  I'autre  en  etoit  soupconnee 

aussi,  etantlille  du  comte  de ,  qui  en  etoit 

regarde  comme  le  defenseur,  etant  sorti  d'une 
maison  eatholique  qui  avoit  toujours  signale 
son  zele  pour  la  purete  de  la  foi.  Quoi  qu'il  en 
soit ,  je  m'apercus  bien  qu'il  se  negocioit  quel- 
que  chose  de  consequence ,  et,  faisant  semblant 
de  savoir  ce  que  j'ignorois  encore  ,  je  m'adres- 
sai  a  Gordon  ,  qui  etoit  un  Ecossois.  Je  lui  dis 
qu'on  connoitroit  particulierement  quelle  avoit 
ete  notre  intention.  Gordon  ,  ayant  cru  que 
MM.  de  Chevreuse  et  d'Efflat  m'avoient  fait  la 
confidence  du  secret ,  me  decouvrit  tout  le  mys- 
tere,  et  ceci  m'obligea  d'aller  trouver  ces  mes- 
sieurs. Je  leur  parlai  avec  toute  la  force  qui 
convenoit  au  caractere  dont  le  Roi  m'avoit  ho- 
nore.  Je  dis  a  M.  de  Chevreuse  que  sa  qualite 
lui  feroit  peut-etre  eviter  la  Bastille,  mais qu'il 
falloit  que  nous  y  allassions,  M.  d'Effiat  et  moi ; 
qu'ils  n'avoient  pu  ni  dii  s'engager  a  mon  Insu 
a  faire  une  chose  de  cette  consequence,  qui  in- 
failliblement  deplairoit  beaucoup  a  Leurs  Ma- 
jestes  ;  et  que ,  en  un  mot  comme  en  cent ,  je 
ne  pretendois  pas  jouer  la  comedie ;  qu'ils  n'a- 
voient qu'a  voir  lequel  ils  aimoient  le  mieux , 
ou  de  tenir  la  parole  qu'ils  avoient  donnee  a 
Ruckingham ,  ou  bien  de  satisfaire  a  leur  de- 
voir ,  les  assurant  que,  s'ils  y  manquoient,  je 
depecherois  sur-le-charap  un  courrier  au  Roi 
pour  I'avertir  de  ce  qui  s'etoit  passe  ;  que  d'ail- 
leurs  je  ne  trouverois  pas  extraordinaire  qu'ils 
fissent  arreter  mon  courrier,  et  qu'ils  envoyas- 
sent  de  leur  part  pour  donner  les  premieres  im- 
pressions ,  mais  que  I'evenement  dans  la  suite 
feroit  connoitre  qui  de  nous  auroit  plus  de 
raison. 

On  ne  pent  etre  plus  etonne  que  le  furent 
ces  messieurs.  "Je  n'ai  fait,  disoit  le  marquis 
d'Effiat  pour  s'excuser,  que  donner  dans  le  sen- 
timent deM.   de  Chevreuse.  »  Celui-ci  soutint 


au  contraire  que  c'etoit  M.  d'Effiat  qui  I'avoit 
engage;  mais  enfin  ils  convinrent  que,puisque 
la  chose  devoitdeplaire  au  Roi ,  il  valoit  encore 
mieux  manquer  a  la  parole  qu'ils  avoient  don- 
nee. Nous  fumes  conduits  a  I'audience  par  Ruc- 
kingham, a  qui  la  familiarite  dans  laquelle  il 
vivoit  avec  le  Roi, son  maitre,  donna  lieu  des'ap- 
procher  de  si  pres  de  ce  monarque ,  qu'il  put 
entendre  distinctement  ce  que  M.  de  Chevreuse 
disoit  au  Roi ;  mais  il  fut  bien  surpris  quand  il 
nous  vit  prendre  conge  sans  parler  de  ce  qu'on 
lui  avoit  promis.  Dans  la  colere  et  le  transport 
oil  il  etoit,  au  lieude  nous  conduire  dans  I'an- 
tichambre  de  la  Reine,  comme  il  devoit,  il 
resta  avec  le  Roi ;  mais  de  savoir  pourquoi,  c'est 
ce  qui  n'est  pas  venu  a  notre  connoissance.  II 
vint  peu  de  temps  apres  ou  nous  etious  en  tenant 
la  main  sur  la  garde  de  son  epee ,  et  il  me  dit , 
adressant  la  parole  a  moi  seul  :  «  Le  Roi  croit 
que  c'est  vous ,  Monsieur  ,  qui  etes  I'auteur  de 
toutes  les  difficultes  que  nous  rencontrons.  »  Je 
ne  puis  dire  si  c'etoit  dans  le  transport  de  sa  co- 
lere que,  parlant  ainsi ,  il  avoit  croise  la  porte 
par  laquelle  il  etoit  entre ;  je  lui  repondis  a  mon 
tour ,  en  mettant  aussi  la  main  sur  la  garde  de 
mon  epee  : » 11  faut ,  Monsieur  ,  que  je  me  sois 
trorape  jusqu'a  present.  J'avois  toujours  cru  que 
les  rois  out  assez  de  puissance  pour  faire  du 
bien  a  des  gentilshommes ,  mais  je  n'avois  pas 
cru  qu'ils  pussent  leur  donner  de  Thonneur.  Je 
reconnois  enfin  que  leur  pouvoir  s'etend  jusques 
la;  mais  je  m'estimerois  bien  plus  glorieux  en- 
core d'entendre  ce  que  vous  me  dites ,  si  c'est 
par  I'ordre  de  votre  Roi ,  que  de  posseder  une 
de  ses  couronnes ,  quand  il  me  la  donneroit. — 
Mes  paroles ,  me  repliqua  Ruckingham  pique  au 
vif,  peuvent  etre  prises  differemment. —  Et 
moi ,  lui  repondis-je ,  je  les  prends  dans  le  sens 
que  les  doit  prendre  un  honnete  bomme.  »  S'il 
n'avoit  pas  pousse  son  ressentiment  plus  loin, 
je  n'aurois  eu  garde  de  faire  remarquer  aM.  de 
Chevreuse  qu'il  avoit  manque  de  respect  au  Roi, 
notre  maitre,  en  nous  offeusant ;  mais  il  nous 
quitta  brusquement.  Et  de  nous  avoir  laisse  par- 
tir  de  Hampton-Court,  sans  nous  conduire  a 
Richemont :  «  C'est ,  dis-je  a  M.  de  Chevreuse, 
un  precede  si  extraordinaire  ,  qu'il  offense  Sa 
Majeste  personnellement.  Je  n'y  voisqu'un  seul 
remede,  que  je  vous  proposerai  si  vous  etes 
d'humeur  a  vous  en  servir.  »  M.  de  Chevreuse, 
qui  connut  bien  qu'il  etoit  lui-meme  offense 
dans  ce  qui  avoit  ete  fait  au  Roi,  me  jura  que 
je  n'avois  qu'a  lui  dire  ce  que  j'en  pensois,  et 
qu'il  n'y  auroit  rien  qu'il  ne  fit  de  son  cote  pour 
repousser  I'injure  faite  a  Sa  Majeste.  -<  Ce  re- 
mede serolt,  lui  dis-je,  de  partir  en  diligence 


MEMOIBES    Ull    COMTE    DK    BKIEININE  , 


et  de  passer  la  mer  ,  en  laissant  a  M.  d'Eftiat 
la  conduite  des  vaisseaux  qui  nous  ont  ete  pro- 
mis  ^  et  quand  nous  serons  debarques  a  Calais, 
il  faudroit  depecher  un  courrier  au  Roi  pour  lui 
rendre  compte  de  ce  que  nous  avons  negocie 
pour  son  service.  Ensuite  nous  nous  rendrions 
dans  un  lieu  tiers,  comme  Dunkerque,  d'oii 
nous  ferions  savoir  a  Buckingham  que  nous  vou- 
lons  avoir  satisfaction  de  la  conduite  qu'il  a 
tenue  a  notre  egard ;  et ,  afin  qu'il  ne  puisse  pas 
desavouer  qu'on  lui  a  parle,  il  faudra  que  ce 
soit  un  trompette  de  I'archiduc ,  assiste  d'un 
gentilhorame  francois,  qui  lui  fasse  savoir  notre 
intention.  Mais,  continuai-je ,  il  faut  un  tres- 
grand  secret  pour  reussir  en  ceci.  »  Je  ne 
puis  dire  precisement  par  qui  ce  projet  vint  a 
la  connoissance  de  Buckingham ;  etsi  ce  fut  par 
d'Efflat,  fachede  ne  pas  etre  de  la  partie,  ou 
par  Bonneuil ,  qui  par  temperament  ne  pouvoit 
s'empecher  deparler,  ou  enfm  par  M.  de  Che- 
vreuse  !ui-meme  ,  qui  le  dit  a  sa  femme.  Quoi 
qu'il  en  soit,  Buckingham  vint  des lelendemain 
nous  faire  des  excuses  ,  et  nous  donna  pour  rai- 
son  de  la  brusquerie  avee  laquelle  il  nous  avoit 
quittes ,  que  c'etoit  parce  qu'il  avoit  eu  nouvelle 
que  sa  femme  se  trouvoit  malade  a  I'extremite, 
et  qu'etant  persuade  qu'on  ne  prendroit  pas  en 
mauvaise  part  ce  qu'il  pourroit  faire  en  cette  oc- 
casion, il  etoit  parti  brusqueraent  sans  nous  en 
dire  le  sujet  et  sans  nous  en  deraander  la  per- 
mission. Comme  les  moindres  paroles  d'excuse 
satisfont  ceux  qui  veulent  s'accommoder  since- 
rement ,  tous  nos  grands  projets  s'evanouirent, 
et  M.  de  Chevreuse  ne  manqua  pas  de  publier 
la  satisfaction  qu'on  avoit  recue  de  Buckin- 
gham. 

Quelques  jours  auparavant ,  Sa  Majeste  Bri- 
tannique  avoit  fait  M.  de  Chevreuse  chevalier 
de  I'ordre  de  la  Jarretiere  ,  sur  la  permission 
que  le  Boi  donna  a  ce  due  de  I'accepter,  et 
sur  ce  que  je  mandai  a  ce  monarque  qu'il  est 
porte  ,  par  les  statuts  de  I'ordre  du  Saint-Esprit, 
que  ceux  qui  en  sont  hooores  pourront  aussi 
posseder  celui  de  la  Toison  d'Or  et  de  la  Jarre- 
tiere. Le  roi  de  la  Grande-Bretagne  n'en  de- 
meura  pas  la  a  son  egard.  Ayant  resolu  de  faire 
un  present  de  sa  main  a  M.  de  Chevreuse  et  a 
d'Effiat,  il  leur  fit  dire  a  cet  effet  qu'il  les  vou- 
loit  encore  voir  ;  et  madarae  de  Chevreuse  ayant 
dit  que  ce  prince  avoit  achete  deux  diamans , 
outre  le  present  qu'il  vouloit  faire  au  due  son 
mari ,  je  crus  qu'elle  ne  me  tenoit  ce  langage  que 
pour  avoir  occasion  d'en  plaisanter  dans  la  suite 
a  mesdepens.  En  effet,  si  j'eusse  pris  le  parti 
d'aller  a  I'audience  avec  les  autres ,  elle  n'eut 
pas  manque  de  dire ,  suppose  qu'on  m'eiit  fait 


un  present,  que  j'y  avois  ete  expres  pour  le  men- 
dier.  Elle  eiit  fait  encore  de  plus  raauvaises  plai- 
santeries  si  le  contraire  etoit  arrive.  C'est  pour- 
quoi  je  declarai  a  cette  duchesse  que  je  ne  vou- 
lois  point  aller  a  Hampton-Court,  et  que  nous 
verrions  lequel  des  deux  diamans  seroit  pour 
M.  d'Effiat.  On  ne  pent  exprimer  le  bon  accueil 
qui  fut  fait  a  ces  messieurs,  mais  particuliere- 
ment  au  due  de  Chevreuse ,  qui  recut  un  present 
d'une  grande  valeur.  II  n'en  fut  pas  de  meme 
du  present  du  marquis  d'Effiat ,  qui  se  tint  fort 
offense  de  ce  que  le  diamant  qu'on  lui  donnoit 
n'etoit  pas  du  prix  qu'il  I'avoit  espere. 

Nous  partimes  de  Bichemont  tous  trois  des 
le  lendemain  ,  quoique  raadame  de  Chevreuse 
flit  accouchee  d'une  fille.  M.  d'Effiat  nous  ac- 
compagna  jusques  a  Gravesende  ,  oil  nous  trou- 
vames  des  carrosses  qui  nous  conduisirent  a 
Douvres.  Pour  lui ,  il  prit  le  chemin  des  ports 
de  mer ,  ou  I'on  avoit  arme  les  vaisseaux  que 
Ton  s'etoit  engage  defournir  au  Roi.  Nous  arri- 
vames  heureusement  en  France ,  apres  avoir  ete 
pres  de  quarante  heures  sur  la  mer  ,  et  nous  de- 
barquames  a  la  rade  de  Saint-Jean.  Nous  par- 
times  de  Boulogne  le  lendemain  pour  nous  ren- 
dre a  Fontainebleau ,  oil  Leurs  Majestes  etoient 
pour  lors.  11  ne  me  fut  pas  difficile  de  remar- 
quer,  par  le  froid  accueil  qui  fut  fait  a  M.  de 
Chevreuse  a  son  retour ,  que  I'on  n'etoit  guere 
content  de  lui ;  car  ,  quoiqu'il  fiit  revetu  de  la 
charge  de  grand  chambellan ,  il  n'entra  point 
dans  la  chambre  du  Boi ,  et  il  fut  oblige  de  faire 
demander  auparavant  si  Sa  Majeste  I'agreeroit. 

Je  trouvai  amon  retour  un  grand  changement 
dansleconseil.  Non  seulement  le  cardinal  avoit 
toute  la  confiance  du  Roi  et  de  la  Reine,  sa  m^re, 
mais  il  etoit  encore  le  chef  du  conseil ,  et  il  y 
avoit  une  autorite  si  absolue  ,  qu'on  lui  portoit 
toutes  les  depeches.  II  ne  se  faisoit  rien  que  par 
ses  avis ;  il  ordonnoit  de  toutes  choses ,  et  ne  gar- 
doit  aucune  mesure  en  quoi  que  ce  put  etre  ,  si- 
non  en  ce  qui  regardoit  la  volonte  du  Roi ,  qu'il 
tachoit  de  penetrer  en  donnant  dans  le  sentiment 
de  Sa  Majeste,  a  laquelle  il  n'etoit  point  alors 
importun  par  les  graces  qu'il  lui  demandoit :  car 
il  ne  lui  proposoit  point  encore  aucun  de  ses  pro- 
ches  pour  etre  aupres  de  sa  personne,  parce 
qu'il  avoit  remarque  que  I'esprit  de  ce  monar- 
que etoit  si  mefiant  et  si  delicat  sur  cette  ma- 
tiere ,  que  c'eut  ete  rendre  un  tres-mauvais  of- 
fice a  ceux  qu'il  auroit  presentes  ,  quand  meme 
ils  auroient  ete  agrees.  De  plus  ,  ce  premier  mi- 
nistre  changeoit  volontiers  de  sejour  par  com- 
plaisance pour  leRoi,  qui  n'aimoit  pas  a  rester 
long-temps  dans  un  meme  endroit.  II  n'alloit 
point  a  la  cour  quand  Sa  Majeste  n'y  etoit  pas, 


PREMIERE  PARTIE.  [l02G] 


afin  qu'on  n'eiit  pas  sujet  de  dire  qu'il  faisoit  sa 
cour  aux  Reines ;  et  quoiqu'il  eut  obligation  de 
sa  fortune  a  la  Reine-mere ,  il  ne  faisoit  guere 
que  sauver  les  appareuces  avec  cette  princesse. 
II  avoit  ensuite  I'adresse  de  faire  entendre  au 
Roi  qu'il  ne  dependoit  et  ne  vouloit  dependre 
que  de  lui  seul. 

Apres  quej'eus  reste  deux  jours  a  Fontaine- 
bleau,j"allai  a  la  Maison-Rouge  oii  le  cardinal 
etoit.  II  me  pressa  fort  de  lui  dire  quelle  avoit 
ete  la  conduite  de  M.  de  Chevreuse ,  et  ce  qui 
en  avoit  ete  remarque  par  le  marquis  d'Effiat. 
Pour  m'engager  a  lui  parler  plus  ouvertement, 
il  me  fit  assez  connoitre  qu'il  avoit  eu  des  infor- 
mations qui  ne  leur  etoient  pas  avantageuses ; 
raais  je  ne  lui  voulus  rien  dire  qui  piit  leur  nuire. 
Au  contraire  ,  je  les  louai  de  s'etre  unefois  em- 
portes  en  presence  du  roi  d'Angleterre ,  pour  un 
mauvais  traitement  que  I'un  des  huissiers  de  ce 
prince  avoit  fait  a  une  femme  catholique,  qui 
venoit  entendre  la  messe  dans  la  chapelle  de  la 
Reine.  A  la  verite,  je  ne  pus  desavouer  que  la 
conduite  de  M.  de  Chevreuse  u'avoit  point  de- 
plu  a  la  cour  d'Angleterre ,  et  je  declarai  de  plus 
a  Son  Excellence  que  le  comte  de  Carlisle  bla- 
moit  liautement  celle  du  comte  de  Holland  ;  mais 
j'evitai  de  tomber  dans  le  piege  que  le  cardinal 
me  tendit  en  me  questionnant  sur  quantite  de 
choses  qui  n'etoient  point  venues  a  maconnois- 
sance ,  et  en  faisant  a  pen  pres  a  mon  egard 
comrae  on  en  use  a  I'inquisition  a  I'egard  de 
ceux  qn'on  y  defere. 

Les  vaisseaux  qui  nous  avoient  ete  promis 
ayant  ete  amenes  par  M.  d'Effiat ,  servirent  a 
faire  gagner  a  M.  de  Montmorency  la  victoire 
qu'il  remporta  sur  les  Rochelois  (1)  :  mais  cette 
liaison  entre  la  France  et  I'Angleterre  causa 
dans  la  suite  une  grande  guerre  entre  les  deux 
couronnes;  car  les  Anglois  crurent  qu'ayant 
servi  le  Roi ,  ils  etoient  en  droit  de  faire  un  ac- 
commodement  entre  ce  monarque  et  les  Roche- 
lois. Comme  cela  flattoit  en  quelque  facon  la 
passion  que  le  cardinal  de  Richelieu  avoit  de 
faire  la  guerre  a  I'Espagne ,  les  Anglois  obtin- 
rent  qu'on  accepteroit  leur  garantie  pour  I'exe- 
cutlon  de  ce  qui  avoit  ete  promis  a  ceux  de  la 
religion  pretendue  reformee.  Mais  ils  prirent 
les  armes  en  leur  faveur ,  sous  pretexte  qu'on 
leur  avoit  manque  de  parole. 

Je  ne  sais  point  ce  que  M.  d'Effiat  put  rap- 
porter  de  si  agreable  au  cardinal ,  mais  ce  qui 
est  certain,  c'est  qu'il  en  fut  fort  considere  ,  et 
qu'ensuite  ce  premier  ministre  temoigna  une 

(1)  II  s'agit  du  combat  naval  livre  pres  de  Tile  de  Re. 
L'armee  royale ,  command^e  par  le  due  de  Monlmo- 


4:\ 

tres  grande  envie  de  faire  venir  a  la  cour  le  due 
de  Buckingham.  Le  Roi,  au  contraire  ,  mon- 
troit  beaucoup  de  repugnance  pour  cet  etranger, 
parce  que ,  outre  la  fierte  de  I'Anglois ,  sa  con- 
duite peu  respectueuse  et  sa  maniere  d'agir  lui 
deplaisoient.  D'ailleurs  le  Roi  n'etoitpas  encore 
resolu  derompre  avec  I'Espagne,  dont  la  puis- 
sance lui  etoit  suspecte  a  la  verite,  mais  celle 
du  Roi  d'Angleterre,  qui  avoit  des  intelligen- 
ces en  France,  I'etoit  aussi.  Cependant  Sa  Ma- 
jeste  ,  qui  agissoit  avec  beaucoup  de  prudence , 
et  qui  par  consequent  ne  vouloit  et  ne  devoit 
point  contribuer  a  I'avancement  des  Anglois,  ne 
laissoit  pas  d'aider  le  prince  palatin  a  rentrer 
dans  ses  Etats;  en  quoi  il  etoit  pourtant  com- 
battu  par  deux  contraires  qui  lui  passoient  con- 
tinuellement  dans  I'esprit.  D'un  cote  il  voyoit 
la  trop  grande  elevation  de  la  maison  d'Autri- 
che ,  et  de  I'autre  celle  de  I'Angleterre ;  voila 
ce  qui  fut  cause  que  le  cardinal  ne  put  obtenir 
du  Roi  la  permission  d'ecrire  a  Buckingham 
pour  le  faire  venir  en  France. 

[1626]  L'ambassadeur  de  Sa  Majeste  en  Hol- 
lande ,  oil  cet  Anglois  etoit  alle,  lui  fit  entendre 
que  le  plus  siir  moyen  d'avancer  les  affaires  c'e- 
toit  d'envoyer  a  sa  place  en  France  une  personne 
de  consideration ,  et  non  pas  d'y  aller  lui-merae. 
II  y  a  aussi  grande  apparence  que  madame  de 
Chevreuse  lui  manda  la  meme  chose.  C'est 
pourquoi  Buckingham  y  envoya  le  vice-chan- 
celier  d'Angleterre ,  lequel  demanda  de  negocier 
directement  avec  le  cardinal ,  et  d'etre  dispense 
de  me  venir  voir  ,  parce  qu'on  le  lui  avoit  ex- 
pressement  defendu.  J'en  fus  averti  par  ce  pre- 
mier ministre,  et  l'ambassadeur  se  trouva  bien 
surpris  de  la  reponse  queje  luifis,  qu'il  etoit  ab- 
solument  necessaire  pour  le  service  du  Roi  que 
les  affaires  etrangeres  ne  passassent  que  par  les 
mains  d'un  secretaire  d'Etat ;  et  bien  que  je  ne 
m'attendisse  pas  que  cela  diit  me  regarder ,  je 
ne  laissois  pas  de  le  conseiller  ,  parce  qu'il  se- 
roit  autrement  tres  difficile  que  Sa  Majeste  fiit 
bien  servie  :  car  quand  on  veut  faire  les  choses 
par  des  voies  extraordinaires  et  qui  ne  sont 
point  en  usage,  il  en  arrive  des  inconveniens 
auxquels  il  est  impossible  de  remedier  ensuite, 
Soit  que  la  force  de  mes  raisons  persuadat  le 
cardinal ,  ou  que  de  lui-meme  il  eut  envie  de 
suivre  le  plan  que  je  conseillois  ,  il  proposa  la 
chose  au  Roi,  qui  s'y  rendit  facilement;  mais 
d'Herbault  eut  I'avantage  d'etre  prefere  aux 
autres.  Dans  les  conferences  qu'eut  le  premier 
ministre  avec  l'ambassadeur  d'Angleterre,  on 

rency,  reprit  celte  lie  dont  les  protestans  g'^toient  em- 
par^s.  (A.  E.) 


■a 


jii:\;oiJii:s  jji   covie  de  iiiui.nke 


pnt  dt?s  iiiesures  contre  I'Espagne  ,  dout  Blaiu- 
ville ,  qui  etoit  celui  de  France  aupres  de  Sa 
Majeste  Biitannique ,  n'eut  que  tres  peu  de con- 
iioissance.  II  fut  meme  revoque,  dans  lacrainte 
que  le  cardinal  avoit  d'y  laisser  un  hommeaussi 
eclaire  que  celui-Ia. 

Ce  fut  en  ce  temps-la  que  la  duchesse  de 
Guise  engagea  la  Reine-mere  a  demander  que 
safille  Marie  de  Bourbon-Montpensier  flit  raa- 
riee  a  Monsieur,  frere  unique  du  Roi ,  ou  bien 
qu'on  lui  laissat  la  liberie  d'en  disposer.  Nous 
reniarquerons  icl  que  Henri  de  Montpensier, 
dernier  de  sa  branche ,  avoit  epouse  Catlierine 
de  Joyeuse ,  fille  du  comte  de  Bouchage  et  de 
mademoiselle  de  Nogaret,  duquel  mariage  etoit 
venue  une  fille  qui  epousa  dans  la  suite  Mon- 
sieur ,  parce  que  le  due  de  Montpensier  mourant 
demanda  en  grace  au  loi  Henri-le-Grand  quele 
mariage  de  cette  princesse  fut  fait  avec  M.  le 
due  d'Orleans,  qui  etoit  le  second  filsde  Sa  Ma- 
jeste. Henri-le-Grand,  y  ayant  donne  son  con- 
sentement,  laissa  mourir  M.  de  Montpensier 
avec  la  consolation  d'en  voir  dresser  les  articles 
avant  sa  mort.  Ce  prince  disposa  de  ses  biens 
en  faveur  de  son  gendre  ,  de  madame  son  epouse 
et  de  la  couronne ;  mais  M.  d'Orleans  etant  de- 
cede  pendant  la  minorite  du  roi  Louis  XIII ,  la 
Reine-mere  engagea  son  dernier  fils,  devenu 
pour  lors  due  d'Orleans ,  a  epouser  celle  qui 
avoit  ete  promise  a  son  frere,  et  e'est  de  cela  que 
madame  de  Guise  demandoit  I'execution.  La 
chose,  qui  paraissoit  tres  juste  en  elle-meme, 
ne  laissoit  pas  de  recevoir  ses  difficultes,  parce 
que  personne  n'osoit  proposer  au  Roi ,  qui  n'a- 
voit  point  d'enfans ,  de  consentir  au  mariage  de 
Monsieur,  son  frere,  dans  la  juste  apprehension 
oil  Ton  etoit  que  ce  prince ,  venant  a  en  avoir , 
ne  lilt  trop  considere.  On  n'osoit  pas  aussi,  d'un 
autre  cote,  ne  point  consentir  a  une  chose  qui 
paroissoit  si  raisonnable ,  d'autant  plus  que  la 
Heine-mere  dit  publiquement  que  ceux  qui  y 
avoient  de  la  repugnance  ne  donnoient  que  trop 
a  connoitre  qu'ils  avoient  plus  d'inciination 
pour  la  branche  de  Conde,  que  d'attachement 
pour  le  Roi  et  pour  Monsieur,  son  frere. 

Le  cardinal ,  etant  presse  par  Leurs  Majes- 
tes  d'en  dire  son  avis ,  differoit  de  s'expliquer 
nettement ,  et  attendoit  du  temps  le  remede  et 
le  conseil  qu'il  pourroit  donner ;  cependant  le 
Roi  faisoit  assez  connoitre  qu'on  lui  feroit  plai- 
sirde  trouver  des  detours  pour  eloigner  ce  ma- 
I'iage.  Ayant  su  que  le  grand  prieur ,  son  frere 
naturel ,  avoit  beaucoup  de  pouvoir  sur  I'esprit 
de  Monsieur  ,  et  qu'il  etoit  porte  pour  le  comte 
de  Soissons,le  seul  prince  que  madame  de  Guise 
pouvoit  souhaiter  pour  sa  fille,  suppose  qu'elle 


fut  exelue  de  Talliance  de  Monsieur,  Sa  Majeste 
crut  pouvoir  decouvrir  au  grand  prieur  le  sujet 
de  son  chagrin.  Celui-ci  ,  d'autre  cote,  ne 
croyant  pas  pouvoir  avoir  un  meilieur  garant 
que  le  Roi-meme,  usa  de  tant  d'adresse  qu'il 
persuada  a  Monsieur  de  dire  qu'il  n'avoit  au- 
cune  inclination  pour  le  mariage.  La  Reine,  qui 
savoit  I'attachement  qu'avoit  pour  le  frere  du 
Roi  M.  d'Ornano ,  fait  depuis  peu  marechal  de 
France  ,  apres  avoir  ete  arrete  prisonnier  quel- 
ques  annees  auparavant,  et  depuis  elargi  sur  les 
protestations  qu'il  fit  d'etre  toujours  fidele  au 
Roi,  la  Reine,  dis-je,  crut  qu'il  avoit  eu  part 
au  conseil  que  IMonsieur  avoit  pris  de  declarer 
qu'il  renoncoit  au  mariage,  et  que,  pour  ses  in- 
terets  particuliers,  la  maison  deVendome  pro- 
fitoit  du  credit  que  le  marechal  avoit  sur  I'esprit 
de  ce  jeune  prince,  qui  d'ailleurs  avoit  prete 
I'oreille  aux  propositions  qui  lui  avoient  ete  fai- 
tes  de  se  retirer  de  la  cour  et  de  faire  son  se- 
jour  a  La  Rochelle,  parce  que  par  la  il  necessi- 
teroit  le  Roi  de  lui  donner  un  apanage  avec  de 
grosses  pensions ,  ct  d'autres  etablissemens  qu'il 
n'avoit  pu  encore  obtenir. 

La  Reine-mere  s'entretint  done  de  tout  ceci 
avec  le  cardinal  de  Richelieu,  qui,  voyantbien 
rinconvenient  qu'il  y  avoit  que  Monsieur  se 
retiratde  la  cour,  conseilla  au  Roi  de  faire  ar- 
reter  le  marechal  d'Ornano ,  et  de  promettre 
au  grand  prieur  qu'il  auroit  le  commandement 
de  I'armee  navale  si  son  frere  renoncoit  a  I'a- 
miraute  de  Bretagne  dont  il  avoit  ete  pourvu 
avec  le  gouvernement  de  cette  province,  et  que 
le  cardinal  souhaitoit  fort  pour  Iui-m6me,  dans 
I'esperance  oil  il  etoit  d'etre  eleve  a  la  dignite 
de  surintendant  du  commerce  et  de  la  naviga- 
tion de  France,  avec  tons  les  pouvoirs  et  preemi- 
nences accordes  a  I'amiral.  Cette  derniere 
charge  avoit  done  ete  suppiimee  pour  donner 
lieu  a  la  creation  de  la  premiere,  que  le  cardi- 
nal ambitionnoit  violemment;  et  comme  dans 
cette  nouvelle  charge  il  ne  pouvoit  pas  lui-meme 
commander  lesflottes.  Son  Eminence  laissoit 
le  Roi  maitre  de  leur  donner  pour  general  qui 
il  vouloit. 

Le  grand  prieur,  etant  done  flatte  de  I'espe- 
rance de  commander  les  armees  de  raer  une 
seule  fois  au  moins  ,  et  d'avoir  ensuite  un  bon 
gouvernement  a  la  place  de  celui  de  Caen  qu'on 
lui  avoit  ote,  prit  le  parti  d'aller  menager  Mon- 
sieur et  de  le  faire  revenir  a  la  cour.  La  pre- 
miere chose  que  Monsieur  demanda  fut  la  li- 
berie du  marechal  d'Ornano  ,  qui  lui  fut  pro- 
mise. INIais  comme  je  savois  qu'on  ne  se  servoit 
en  cette  occasion  du  grand  prieur  que  pour  le 
faire  dlsgracier,  je  crus  le  devoir-avertir ,  en  lui 


PRKMIEUE    PAR 

faisant  entendre  que  le  Roi  se  laisseroit  toucher 
par  les  larmes  de  la  Reine  sa  mere  ;  que  le  car- 
dinal eviteroit  de  donner  conseil  a  Sa  Majeste 
sur  une  matiere  aussi  delicate  que  le  mariage 
de  Monsieur ,  son  tVere ;  ce  qui  ne  I'empechoit 
pas  de  faire  un  ecrit  par  lequel  il  se  serviroit 
de  bonnes  raisons  pour  la  conclusion  du  ma- 
nage ,  et  de  tres  faibles  pour  soutenir  le  con- 
traire  ;  et  qu'ainsi  le  dessein  de  la  Reine  reus- 
sissant ,  il  attireroit  son  indignation ,  dont  il  se- 
roit  accable  dans  la  suite  aussi  bien  que  la  mai- 
son  de  Vendome  ;  que  ,  donnant  les  mains  a  ce 
qu'il  ne  pourroit  empecher,  M.  de  Soissons  ,  son 
ami,  se  trouveroit  par-la  engage  a  rechercher  sa 
niece ,  ce  qui  seroit  un  tres  grand  avantage  pour 
sa  raaison  ;  et  qu'il  ne  devoit  point  apprehender 
que  mademoiselle  de  Guise  fiit  preferee  a  sa 
niece,  parce  que  M.  de  Soissons  avoit  pour  sus- 
pect tout  ce  que  le  cardinal  lui  conseilloit. 
«  Vous  ne  connoissez  ni  la  cour  ni  Monsieur, 
rae  repondit  le  grand  prieur.  —  Je  ne  serois 
pas,  lui  repliquai-je,  si  aisement  trompe  a  la 
cour  que  \  ous  ,  Monsieur ;  mais  pour  ce  qui  re- 
garde  le  caractere  de  votre  esprit ,  il  me  seroit 
facile  de  I'etre  ,  puisque  vous  faites  vous-meme 
tout  ce  qu'il  faut  pour  miner  votre  maison.  » 
Depuis  que  j'eus  cet  entretien  avec  le  grand 
prieur ,  je  ne  le  vis  que  dans  le  moment  qu'il 
partit  de  Rlois  avec  M.  de  Vendome  son  frere  , 
pour  etre  mis  prisonnier  dans  le  chateau  d'Am- 
boise. 

Les  sceaux  ,  que  Ton  ota  au  chancelier  d'Ali- 
grepour  les  donner  a  M.  de  Marillac,  firent 
croire  que  Ton  avoit  de  grands  desseins ,  celui- 
ci  etant  aussi  severe  que  I'autre  avoit  paru 
doux.  La  resolution  que  Ton  avoit  prise  d'aller 
sur  la  riviere  de  Loire,  inspira  aussi  de  la  crainte 
a  plusieurs  personnes ;  mais  quand  on  vit  que 
Monsieur  suivoit  le  Roi ,  et  que  Chalais  avoit  eu 
des  eclaircissemens  avec  Sa  Majeste  et  avec  le 
cardinal ,  on  crut  que  les  affaires  etoient  ac- 
commodees.  La  detention  de  MM.  de  Vendome, 
qui  de  Blois  furent  conduits  a  Amboise  ,  fit  nai- 
tre  d'autres  soupcons  qui  augmenterent ,  parce 
que  la  cour  partit  pour  Nantes  ,  et  que  le  nou- 
veau  garde-des-sceaux  fut  nomme  pour  interro- 
ger  MM.  de  Vendome,  ayant  pour  adjoint 
Reauclair,  secretaire-d'Etat. 

Je  dirai ,  a  propos  de  M.  de  Marillac ,  que  je 
rae  souviens  de  deux  choses  qui  meritent  d'a- 
voir  place  dans  ces  Memoires.  L'une ,  qu'en 
prenant  possession  de  la  dignite  de  garde-des- 
sceaux  ,  au  lieu  de  dire  qu'il  craignoit  de  n'en 
pouvoir  supporter  le  poids ,  comme  font  pour 
I'ordinaire  ceux  qui  en  sont  revetus ,  il  fit  un 
compliment  au  Roi  qui  fit  connoltre  qu'il  ne  se 


TIE.    [1020]  4.-, 

mefioit  point  du  tout  de  ses  forces ;  c  ar  il  dit  a 
Sa  Majeste  qu'il  esperoit  que  Dieu  lui  feroit  la 
grace  de  s'en  bien  acquitter.  La  seconde  chose 
qui  est  a  remarquer,  c'est  que  le  grand  prieur 
devoit  faire  et  fit  en  effet  difficulte  de  repon- 
dre  devant  lui ,  tant  a  cause  de  sa  qualite  de 
dievalier  de  Saint  -  Jean  -  de  -  Jerusalem  que 
parce  qu'il  pouvoit  objecter  a  Marillac  qu'etant 
entre  dans  la  Ligue ,  il  avoit  jure  non  seule- 
ment  de  ne  jamais  reconnoitre  pour  roi  celui  a 
qui  la  couronne  appartenoit  de  droit ,  ni  meme 
ses  enfans  ,  mais  encore  de  lui  etre  contraire  en 
toutes  occasions  :  et  c'est  de  quoi  il  avoit  pu 
etre  accuse  par  le  roi  Henri-le-Grand;  que  de 
plus,  il  s'etonnoit  de  ce  qu'il  vouloit  etre  son 
juge ,  puisque  lui ,  grand  prieur,  ne  devoit  point 
en  avoir  d'autre  que  le  parlement.  II  pouvoit 
dire  sur  son  sujet  beaucoup  d'autres  choses  en- 
core qui  couvroient  Marillac  de  confusion.  Le 
garde-des-sceaux  etant  revenu  avec  cette  re- 
ponse  ,  je  fiis  soupconne  d'avoir  donne  des  avis 
au  prisonnier;  et  le  cardinal  en  parla  au  Roi 
qui  n'en  crut  rien  et  qui  lui  dit :  <.  Je  le  con- 
nois  aussi  bien  que  je  sais  de  quoi  I'autre  est  ca- 
pable. D'ailleurs,  lui  ajouta-t-il ,  je  suis  assure 
de  la  fidelite  de  ceux  qui  gardent  mes  freres  de 
Vendome  ,  et  je  suis  persuade  qu'ils  n'ont  recu 
ni  avis  de  ce  qui  a  ete  resolu  ,  ni  memoires  sur 
ce  qu'ils  doivent  repondre.  » 

La  cour  fit  alors  un  voyage  a  Nantes ,  ou  les 
Etats  de  la  province  de  Bretagne  furent  con- 
voques.  Par  la  premiere  requete  qui  fut  presen- 
tee au  Roi ,  et  qui  etoit  en  quelque  facon  men- 
diee ,  Sa  Majeste  fut  suppliee  de  donner  une 
declaration  par  laquelle  aucun  des  descendans 
des  anciens  dues  de  Bretagne  ne  pourroit  etre 
gouverneur  de  la  province.  Le  Roi  fit  ce  regle- 
ment  par  une  declaration  qui  fut  inseree  dans 
les  registres  des  Etats.  Pendant  qu'ils  travail- 
loient  au  secours  extraordinaire  qu'ils  pourroieut 
donner  a  Sa  Majeste ,  on  pressa  Monsieur  de  se 
marier.  On  fit  la  decouverte  d'un  complot  con- 
tre  la  vie  du  cardinal.  Chalais ,  qui  etoit  entre 
dans  le  complot ,  fut  arrete  prisonnier,  et  tous 
ceux  que  Ton  soupconna  d'avoir  eu  connois- 
sance  du  complot.  On  composa  une  chambre 
d'un  certain  nombre  de  presidens ,  de  conseil- 
lers  du  parlement  de  Bretagne  et  de  plusieurs 
maitres  des  requetes,  qui  avoient  suivi  le  garde- 
des-sceaux  qui  presida  a  cette  chambre. 

Monsieur  se  maria  pendant  qu'on  travailla  a 
I'instruction  du  proces  de  Chalais ,  qui  fut  con- 
damne  a  mort  et  execute.  On  croyoit  qu'une 
des  conditions  du  mariage  de  ce  prince  seroit 
la  liberie  de  MM.  de  Vendome,  du  marechal 
d'Ornano  et  de  Chalais;  mais  ils  furent  oublies, 


iC 


MEMOIBES    DU    COMTE    DE    BlUHNNE 


ou,  si  I'on  parla  d'eux ,  ce  fut  si  foiblement  que 
ceia  ne  servit  qu'a  resserrer  davantage  les  pre- 
miers ,  et  qu'a  avancer  la  condamnation  de  Clia- 
lais. 

La  maison  de  Guise  commenca  pour  lors  a 
chanter  victoire,  et  se  donna  meme  ia  liberte 
de  se  laisser  emporter  si  vivement  a  la  joie,  que 
le  due  d'E^iboeuf  m'ayant  rencontre  dans  la 
cour  du  chateau ,  me  dit  :  «  Vous  voyez  que  ce 
que  vous  craigniez  tant ,  et  que  vous  n'avez  ja- 
mais cru  ,  est  enfm  arrive.  Monsieur  ote  ,  par 
son  mariage  ,  a  la  maison  de  Conde  I'esperance 
de  parvenir  a  la  couronne. »  Je  lui  repondis  a 
mon  tour  sur  le  meme  ton  :  « Je  n'ai  jamais  cru, 
Monsieur,  qu'il  put  arriver  ni  bien  ni  mal  du 
mariage  de  Monsieur  avec  mademoiselle  de 
Montpensier.  J'espere  toujours  que  Dieu  don- 
nera  des  enfans  au  Roi ,  et  qu'il  voudra  se  lais- 
ser flechir  enfm  par  les  larmes  et  les  prieres 
d'un  peuple  qui  a  le  bonheur  d'etre  gouverne 
par  le  meilleur  prince  du  monde  et  par  une 
Reine  d'un  grand  merite.  » 

Cependant  le  Roi  se  disposa  de  s'en  retour- 
ner  a  Paris  peu  apres  le  mariage  de  Monsieur, 
et  passa  par  Rennes  ,  ou  je  ne  suivis  point  Sa 
Majeste,  lui  ayant  demaude  la  permission  d'al- 
ler  voir  madame  du  Massez,  ma  belle-mere  , 
qui  demeuroit  en  Saintonge.  Ce  monarque  ap- 
prit  pour  lors  la  mort  du  marechal  dOrnano , 
et  donna  ordre  a  madame  de  Che v reuse  de  se 
retirer  dans  sa  maison  de  Dampierre ,  avec  de- 
fense d'en  sortir.  La  mort  du  marechal  d'Ornano 
fut  une  occasion  de  parler  aux  uns ,  et  contribua 
a  la  fortune  des  autres;  et  il  y  a  beaucoup 
d'apparence  que  ,  si  cette  mort  n'eut  prevenu  le 
ministere  ,  on  auroit  fait  le  proces  de  M.  d'Or- 
nano ,  et  qu'il  n'auroit  pas  manque  peut-etre  de 
charger  par  ses  depositions  plusieurs  personnes 
avec  lesquelles  il  avoit  eu  de  tres-grandes  habi- 
tudes. 

Monsieur  fut  tres-content  de  son  mariage  et 
de  I'apanage  qu'il  avoit  eu  ;  mais  il  oublia  ses 
serviteurs  :  a  quoi  son  humeur  le  portoit  assez. 
Madame  menageoit  son  esprit ,  et  en  tiroit  tout 
ce  qu'elle  en  pouvoit  tirer  par  son   adresse. 

[1627]  Sa  grossesse,  qui  parut  bientot,  ne  fit 
qu'augmenter  le  credit  qu'elle  avoit  aupres  de 
son  mari  et  de  la  Reine  ,  sa  belle-mere.  Per- 
sonne  n'osoit  dire  que  cette  princesse  n'accou- 
cheroit  pas  d'un  fils  :  car  elle  en  etoit  si  persua- 
dee  ,  qu'il  n'y  avoit  rien  qu'ell  e  ne  mit  en  usage 
pour  savoir  ce  que  I'on  disoit  d'elle  sur  cet  ar- 
ticle ,  et  pour  donner  ensuite  des  marques  de 
son  ressentiment  a  ceux  qui  ne  parloient  pas 
dans  son  sens.  Cependant  elle  n'eut  qu'une  fille, 
centre  son  attente  et  celle  de  ceux  qui  la  regar- 


doient  comme  etant  destinee  a  donner  des  rois 
a  la  France.  Elle  mourut  peu  de  jours  apres. 
Quoique  le  cardinal  de  Richelieu  eiit  contribue 
beaucoup  au  mariage  de  cette  princesse ,  il  n'en 
etoit  pas  moins  pour  cela  I'objet  de  son  aver- 
sion ;  car  elle  lui  envioit  non-seulement  son  cre- 
dit ,  mais  elle  fut  meme  cause  ,  a  ce  que  Ton 
croit ,  que  la  Reine-mere  commenca  a  se  degou- 
ter  de  ce  ministre  et  a  preter  I'oreille  a  ceux 
qui  lui  parloient  a  son  desavantage. 

On  fut  alors  averti  des  preparatifs  de  guerre 
qu'on  faisoit  en  Angleterre  ,  qu'un  grand  nom- 
bre  de  huguenots,  sujets  du  Roi,  y  avoient 
passe  ,  et  que  plusieurs  d'entre  eux  la  deman- 
doient  et  s'y  disposoient ,  sous  pretexte  de  don- 
ner ordre  a  leur  siirete.  Cependant  le  Roi  tomba 
dangereusement  malade,  et  se  trouva  autant 
agite  par  la  fievre  qui  le  tourmentoit  que  par 
I'envie  qu'il  avoit  d'aller  en  Poitou.  La  Reine  sa 
mere  fit  ce  qu'elle  put  pour  Ten  empecher ;  mais 
le  cardinal  le  pressa  au  contraire  de  s'avancer, 
ne  trouvant  que  ce  seul  moyen  pour  sauver  I'lle 
de  Re ,  dans  laquelle  les  Anglois  avoient  deja 
fait  une  descente  ,  et  pour  se  faire  craindre  aux 
Rochelois  qui  les  avoient  appeles. 

La  descente  fut  contestee ;  mais  enfin  ils  pri- 
rent  terre ,  etant  fuvorises  par  la  maree  et  par 
leur  canon.  L'armee  ennemie  etoit  commandee 
par  Buckingham ,  qui  parut  en  cette  expedition 
avec  I'equipage  d'un  homme  amoureux  ,  plutot 
que  dans  I'equipage  d'un  general.  Ce  due,  me- 
prisant  le  fort  de  La  Pree ,  resolut  d'attaquer  ce- 
lui  de  Saint-Martin  :  ce  qui  lui  fit  recevoir  un 
affront,  car  il  se  retira  sans  avoir  reussi  dans 
son  entreprise.  Je  me  crois  oblige  de  dire  ici, 
pour  rendre  temoignage  a  la  verite  ,  que  ce  suc- 
ces  fut  autant  du  a  la  vigilance  du  cardinal  qu'a 
la  resolution  que  le  Roi  prit  de  se  faire  voir 
dans  le  pays  d'Aunis.  Les  assieges  firent  une 
vigoureuse  defense  ,  et  le  regiment  de  Champa- 
gne ,  commande  par  Thoiras ,  qui  fut  dans  la 
suite  marechal  de  France ,  y  acquit  beaucoup 
d'honneur.  On  fit  passer  des  troupes  au  fort 
de  La  Pree,  et  Ton  fit  un  embarquement  a 
Brouage ,  dont  le  commandement  fut  donne  a 
M.  de  Schomberg,  qui  apprit  a  son  arrivee  que 
les  gardes  ayant  ete  attaquees  sous  ce  fort,  ou 
elles  etoient  campees,  avoient  repousse  I'en- 
nemi ,  lequel ,  pour  jouer  de  son  reste ,  attaqua 
par  un  assaut  general  le  fort  de  Saint-Martin  , 
d'ou  il  fut  aussi  repousse.  Ayant  ensuite  voulu 
se  retirer  a  la  tete  de  I'ile  ,  il  fut  defait  entiere- 
ment;  et  I'on  pent  dire  que  le  marechal  de 
Schomberg  recut  dans  cette  occasion  beaucoup 
de  gloire  ,  et  la  France  un  grand  honneur.  Si 
le  Roi  fut  admire  pour  avoir  entrepris  ce  se- 


PREMIERE    PAR 

couis,  le  cardinal  ne  fut  pas  molns  loue  d'y 
avoir  contribue.  Je  ne  suivis  point  le  Roi 
dans  ce  voyage ,  ni  quand  11  partit  de  Saint- 
Gerraain ,  ou  il  etoit  venu  reprendre  ses  forces , 
parce  que  je  n'etois  pas  moi-raeme  encore  gueri 
d'une  incommodite  qui  m'obligea  de  garder  la 
charabre  dix  mois  entiers  ,  outre  que  le  Roi  ne 
m'avoit  pas  fait  I'honneur  de  me  nommer  pour 
6tre  de  ce  voyage.  Je  ne  dirai  point  si  la  prison 
du  grand  prieur  ou  quelque  autre  raison  en  fut 
la  cause  ,  mais  seuleraent  que  j'en  tirai  un  grand 
avantage  ,  qui  fut  que  je  commencai  des-lors  a 
raepriser  le  monde.  Je  n'avois  point  de  plus 
grande  consolation  que  quand  des  personnes  de 
vertu  et  de  piete  me  venoient  visiter ;  et  je  puis 
dire  que ,  dans  cette  occasion ,  je  le  fus  bien 
plus  que  je  ne  le  meritois  par  les  plus  qualifies 
du  royaume.  Enfin  je  recouvrai  ma  sante ,  sans 
avoir  le  moindre  ressentimeut  d'un  grand  ab- 
cesqu'il  fallut  m'ouvrir  a  plusieurs  reprises.  Ce 
fut  dans  un  voyage  que  je  fis  a  Notre-Darae-de- 
Liesse,  pour  remercier  Dieu  ,  que  j'eus  la  certi- 
tude de  ma  guerison.  Madame  de  La  Ville-aux- 
Clercs  fut  du  voyage ,  et  je  suis  oblige  de  dire  a 
sa  louange  que  ,  pendant  le  cours  de  ma  mala- 
die  ,  elle  ne  quitta  point  le  chevet  de  mon  lit , 
dans  lequel  j'etois  presque  toujours,  parce  que 
je  m'y  trouvois  bien  plus  soulage  que  dans 
quelque  situation  que  je  pusse  etre. 

Le  Roi  m'ordonna  de  rester  aupres  de  la  Reine , 
sa  mere,  qui  exercoit  la  regence  sous  le  titre  de 
gouvernante  des  provinces  de  deca  la  Loire. 
Cepeudant  madame  de  Chevreuse  ,  ennuyee  du 
sejour  de  Dampierre ,  en  partit  brusquement , 
et  alia  a  Nancy ,  ou  elle  fut  parfaitement  bien 
recue  de  M.  de  Lorraine.  Quoique  la  parente 
servit  de  pretexte ,  ce  fut  sa  beaute  qui  lui  ac- 
quit tout  le  pouvoir  qu'elle  eut  dans  la  suite ,  et 
qu'elle  conserva  long-temps  sur  I'esprit  de  ce 
prince.  Ce  souverain  ayant ,  ainsi  que  ses  peres , 
fait  de  grandes  usurpations  sur  les  eveches  de 
Metz  ,  Toul  et  Verdun  ,  dont  la  protection  etoit 
devolue  a  nos  rois,  qui  n'en  possedoient  presque 
plus  que  la  souverainete ,  dans  laquelle  ils  etoient 
bien  fondes ,  on  conseilla  a  Sa  Majeste  de  re- 
vendiquer  ce  qui  lui  appartenoit.  Des  commis- 
saires  ayant  ete  nommes  de  part  et  d'autre 
pour  en  prendre  connoissance ,  ils  adjugerent 
tant  de  terres  au  Roi  que  M.  de  Lorraine  crut 
qu'on  le  vouloit  depouiller  entierement.  II  est 
vrai  que  ce  prince  faisoit  d'ailleurs  tant  d'usur- 
pations  sur  les  droits  et  sur  la  souverainete  de  Sa 
Majeste,  que  sa  crainte  pouvoit  etre  assez  bien 
fondee.  Le  due  de  Lorraine  crut  done  que  I'oc- 
casion  se  presentoit  d'obtenir  des  declarations 
en  sa  faveur,  ou  bien  de  se  maintcnir  par  la 


TIE.    [1627-28]  47 

force  dans  la  possession  de  ce  qu'il  pretendoit 
lui  appartenir.  II  s'en  declara  ouvertement,  et 
le  bruit  de  la  cour  etoit  qu'il  agissoit  par  le  con- 
seil  de  madame  de  Chevreuse.  Mais  le  pere  de 
cette  duchesse ,  craignant  que  I'evenement  ne 
repondit  pas  a  son  attente,  lui  conseilla  d'en- 
voyer  en  Espagne  pour  s'assurer  de  la  protec- 
tion du  Roi  Catholique ,  et  de  faire  passer  par 
Paris  ou  par  La  Rochelle  M.  de  Ville,  pour  sa- 
luer  Sa  Majeste  de  la  part  du  due  son  maitre, 
en  glissant  toujours  quelques  paroles  qui  signi- 
fioient  qu'il  n'y  avoit  point  de  meilleur  moyen 
pour  rendre  I'amitie  eternelle  que  de  faire  jus- 
tice a  M.  de  Lorraine  sur  ses  pretentions. 

Je  repondis  a  cet  envoye,  avec  qui  j'eus  ordre 
de  conferer  ,  que  ses  paroles  ressembloient  a  un 
defi ;  mais  qu'il  devoit  plutot  se  ressouvenir  que 
son  maitre  avoit  I'epee  trop  courte  pour  la  mesu- 
rer  avec  celle  du  Roi ;  que  d'ailleurs  avant  que 
les  Anglois  et  les  Espagnols,  naturellement  tem- 
poriseurs ,  eussent  delibere  s'ils  I'assisteroient 
ou  non  ,  il  se  trouveroit  depouille  et  de  ce  qui  lui 
appartenoit  et  de  ce  qui  ne  lui  appartenoit  point . 
M.  de  Ville  ne  fut  pas  mieux  recu  a  La  Rochelle, 
le  Roi  etant  indigne  de  ce  qu'un  due  de  Lor- 
raine osoit  faire  le  fier  contre  lui ,  parce  qu'il 
le  croyoit  engage  fort  avant  dans  une  guerre  avec 
le  roi  d'Angleterre  et  avec  une  partie  de  ses 
Etats  revokes.  Pendant  que  ie  blocus  de  La  Ro- 
chelle fut  continue  [1628],  le  Roi  vint  faire  un 
tour  a  Paris  et  s'en  retourna  promptement,  sans 
que  les  prieres  des  deux  Reiues  le  pussent  rete- 
nir.  Le  marquis  de  Spinola  ayant  ete  rappele 
des  Pays-Bas  en  Espagne ,  passa  par  Paris.  En 
s'en  allant  a  Madrid ,  il  vit  le  camp  de  La  Ro- 
chelle ,  oil  le  Roi  lui  fit  un  tres-bon  accueil ,  lui 
permettant  meme  de  visiter  les  tranchees  et  les 
travaux.  On  battit  aux  champs :  ce  qui  etoit  le 
plus  grand  honneur  qu'on  lui  put  faire ,  et  dont 
il  ne  manqua  pas  de  rendre  a  Sa  Majeste  ses  tres- 
humbles  remerclmens.  Quand  il  fut  arrive  a  la 
cour  du  Roi  son  maitre ,  plusieurs  conseillers  de 
Sa  Majeste  Catholique  etant  d'avis  que  Ton  ten- 
tat  le  secours  de  La  Rochelle,  alleguant  pour 
leur  principale  raison  qu'il  falloit  empecher  la 
trop  grande  puissance  de  la  France  etses  vues, 
dont  on  ne  pouvoit  douter  sur  la  reponse  qui 
avoit  ete  faite  a  M.  de  Ville  ,  on  demanda  a  Spi- 
nola si  cette  entreprise  pouvoit  reussir  :  a  quoi 
ce  general  repondit  qu'il  y  trouvoit  de  grandes 
difficultes  qui  ne  manqueroient  pas  de  traverser 
les  desseins  du  Roi  Catholique,  auquel  ensuite  on 
reprocheroit  toujours  d'avoir  inutilement  envoye 
une  flotte  pour  le  secours  des  Rochelois.  On  lui 
proposa  de  se  charger  de  I'entreprise ;  mais  il 
s'en  excusa,  donnant  pour  raison  de  son  refus 


•18 


MEMOIHES    I)U    OOMTE    DE    1UUE^.^E 


qu'il  avoit  vu  les  travaux  et  donne  son  avis  sur 
ce  qu'il  y  avoit  a  faire  ;  qu'ainsi  il  ne  pouvoit  pas 
honnetement  se  chargei"  de  I'execution  de  ce 
qu'on  lui  ordonnoit.  Tout  ceci  fut  cause  que  Sa 
Majeste  Catholique  n'entreprit  rien  dont  on  put 
se  plaiiidre  en  France ,  ou  qui  put  lui  faire  beau- 
coup  de  mal ;  mais  il  n'en  fut  pas  de  meme  du 
cote  de  I'ltalie.  Les  Espagnols  croyant  que  I'occa- 
sionetoit  favorable  de  s'emparer  de  la  villeet  ci- 
tadelle  de  Gasal,  le  sergent-major  de  cette  place 
fut  sollicite  de  la  part  du  Roi  Catholique  pour  la 
livrer ;  et  le  due  de  Savoie  consentit ,  d'autre  cote, 
de  lui  laisser  faire  la  conquete  du  pays,  a  con- 
dition qu'il  declarat  ne  pretendre  aucun  droit , 
ou  de  renoncer  a  celui  qu'il  pourroit  avoir  sur  la 
ville  et  sur  la  citadelle.  Ces  deux  princes ,  sui- 
vant  le  bruit  de  la  renommee,  qui  n'epargne 
personne ,  ne  songeoient  qu'a  se  troraper  I'un 
I'autre ;  car  le  Roi  Catholique ,  voyant  que  son 
dessein  lui  avoit  reussi,  ne  pensoit  qu'a  empe- 
cher  M.  de  Savoie  de  faire  la  guerre  dans  un 
pays  qu'il  regardoit  eomme  le  sien  propre;  et  ce- 


pendant  le  due  de  Savoie ,  dans  la  crainte  qu'il 
en  avoit  ensuite  ,  crioit  au  secours  pour  empe- 
cher  la  trop  grande  puissance  de  I'Espagne  en 
Italic.  II  se  sauvoit  ainsi  de  I'un  aux  depens  de 
I'autie;  mais,  pour  rendre  sa  condition  meil- 
leure,  il  etoit  souvent  joue  des  uns  et  des  autres. 
II  n'y  avoit  point  de  puissance  qui  fut  plus  en 
etat  de  faire  tete  a  I'Espagne  que  celle  de  la 
France.  Cependant  Sa  Majeste  Catholique  traita 
avec  le  due  de  Rohan  et  lui  fournit  de  I'argent, 
afin  que  la  guerre  civile  ne  fiKpas  sitot  termi- 
nee  qu'il  y  avoit  lieu  de  croire  qu'elle  le  seroit. 
Le  due  fit  a  la  verite  la  guerre  en  Laoguedoc; 
mais  il  ne  put  empecher  que  La  Rochelle  ne  se 
rendit ,  apres  qu'on  y  eut  appris  la  mort  du  due 
de  Ruckingham  ,  et  vu  que  les  efforts  des  An- 
glois  etoient  inutiles  contre  la  digue  qu'on  avoit 
construite  pour  enfermer  le  port ,  et  contre  les 
vaisseaux  que  le  Roi  avoit  armes  pour  s'opposer 
a  la  flotte  ennemie.  Cette  ville  rebelle  fit  enfin  de 
necessite  vertu  ,  et  ouvrit  ses  portes  a  son  sou- 
verain. 


FIN    DE    LA,   PREMIERE    PARTIE. 


MEMOIRES 


DU  COMTE  DE  BRIENNE. 


DEUXIEME  PARTIE. 


[1629]  Sa  Majeste  se  ressouvint  alors  de  la 
protection  qu'elle  devoit  h  M.  de  Mantoue  in- 
justement  attaque  ,  etn'oublia  point  cependant 
ce  qu'elle  devoit  a  son  Etat.  Apres  avoir  recu  a 
composition  La  Rochelle ,  et  donne  ses  ordres 
pour  rile  de  Re  ,  elle  lit  aller  son  armee  par  le 
Languedoe  pour  se  rendre  dans  le  Dauphine  , 
dans  I'intention  de  forcer  les  passages  des  Al- 
pes ,  si  M.  de  Savoie  I'y  contraignoit.  Le  Roi 
Vint  aussi  faire  un  tour  a  Paris  pour  y  voir  les 
Reines  ;  mais  11  en  repartit  aussitot ,  malgre  la 
rigueur  de  la  saisou ,  pour  se  mettre  a  la  tete 
de  son  armee. 

Ce  monarque ,  feignant  d'ignorer  ce  qui  se 
passoit  a  sa  cour ,  courut  au  plus  presse ;  et , 
n'ayant  pu  faire  entendre  raison  au  due  de 
Savoie, il  tenta  de  forcer  le  pas  de  Suse,  fortifie 
de  barricades  et  defendu  par  une  bonne  cita- 
tadelle  et  par  un  grand  nombre  de  gens  de 
guerre  :  ce  qui  lui  reussit ,  et  le  mit  en  etat  de 
voir  Casal  delivre  d'un  siege  qui  se  faisoit  sous 
les  ordres  du  marquis  de  Spinola.  Pendant  la 
duree  de  ce  siege  ,  ce  general  se  plaignit  sou- 
vent  qu'on  le  laissoit  manquer  de  tout  ce  qu'il 
lui  falloit  :  ce  qu'il  attribuoit  aux  artifices  de 
M.  de  Savoie.  Ce  grand  capitaine  eut  peu  de 
satisfaction  du  cote  de  I'Espagne ,  et  ne  fut  heu- 
reux  qu'en  ce  qu'il  tomba  malade  avant  que  les 
ordres  du  Roi  Catholique  fussent  arrives  et  exe- 
cutes par  un  autre. 

Casal  fut  done  secouru  sans  qu'il  fut  neces- 
saire  que  le  Roi  allat  plus  loin  que  Bousselen- 
que  ,  ou  M.  et  madame  de  Savoie  et  le  prince 
leur  fils  vinreut  rendre  leurs  devoirs  a  Sa  Ma- 
jeste ,  qui ,  sous  la  foi  d'un  traite  ,  repassa  en 
France  avec  le  cardinal ,  et  sans  prendre  le 
raoindre  repos  alia  dans  le  Vivarais ,  oil  plu- 
sieurs  places  se  rendirent,  a  la  reserve  dePrivas 
qui ,  ayaut  voulu  se  defendre,  servit  malheureu- 
sement  d'exemple  aux  autres  et  a  la  posterite. 

Le  due  de  Rohan  et  tout  son  parti  ,  etonnes 

III.    C.    D.   M.,   T.    in. 


de  tant  d'avantages ,  firent  demander  une  am- 
nistie  :  et  cette  amnistie  lui  fut  accordee,  a 
condition  que  le  due  de  Rohan ,  chef  des  rebel- 
les,  sortiroit  du  royaume,  et  que  toutes  les  places 
dont  il  etoit  gouverneur  ouvriroient  leurs  portes 
aux  troupes  de  Sa  Majeste  et  auroient  le  tiers 
de  leurs  fortifications  rasees.  Mais  parce  que  cha- 
que  ville  avoit  la  liberte  de  se  soumettre  ou  de 
ne  le  pas  faire,  le  cardinal  prit  lui-meme  le  soin 
de  les  aller  faire  expliquer.  II  mena  des  troupes 
capables  de  les  intimider  et  de  les  faire  obeir  de 
force ,  si  elles  ne  vouloient  pas  le  faire  autre- 
ment.  Le  Roi  vint  alors  faire  un  tour  a  Paris 
pour  y  voir  les  Reines  et  s'y  rafralchir.  II  mena 
avec  lui  la  Reine  son  epouse  a  Versailles;  et 
un  jour  qu'il  paroissoit  se  disposer  a  revenir  a 
Paris ,  il  en  partit  aussitot  pour  aller  prendre  le 
divertissement  de  la  chasse  ou  il  le  prenoit 
ordinairement. 

II  est  a  propos  de  remarquer  ici ,  a  cette  oc- 
casion ,  que  la  comtesse  de  Lanoy  etant  morte 
des  I'annee  precedente ,  la  marquise  de  Senecay 
eut  sa  charge  de  dame  d'honneur;  et  celle  que 
madame  de  Senecay  avoit  auparavaut  fut  donnee 
a  la  comtesse  de  Rochepot ,  connue  pour  lors 
sous  le  nora  de  madame  Du  Fargis.  La  Reine  , 
qui  avoit  souffert  avec  peine  qu'on  eut  eloigne 
de  son  service  madame  de  Vervet ,  eut  alors  un 
nouveau  deplaisir  5  car  non-seulement  la  dame 
de  Vervet  ne  fut  point  rappelee  ,  mais  on  mit 
aupres  d'elle  une  dame  qu'on  pouvoit  soupcon- 
ner  d'etre  dans  la  dependance  du  cardinal  de 
Richelieu  ,  a  cause  de  la  liaison  qui  etoit  entre 
elle  et  madame  de  Combalet,  qui  fut  depuis 
duchesse  d'Aiguillon.  La  Reine  s'emporta  fortj 
mais  les  dames  qui  essuyoient  sa  colere  et  ses 
chagrins  tachoient  a  la  servir  comme  elles  y 
etoient  obligees.  Cependant  madame  Du  Fargis 
fit  si  bien  qu'elle  gagna  la  confiance  de  sa  mal- 
tresse  par  son  assiduite  et  par  quelques  com- 
plaisances. Apres  cela,  elle  ne  songea  plus  qu'a 

4 


MEMOIBES    DU    COMTE    UE    BRIENNE  , 


la  reconcilier  avec  la  Reine,  sa  belle-mere;  et  il 
y  a  beaucoup  d'apparence  qu'elle  suivit  en  cela 
ies  coDseils  du  cardinal  de  Berulle  ,  quoique  la 
dame  eut  par  elle-meme  assez  de  resolution 
pour  I'entreprendre. 

On  connut  pour  lors  que  Ton  s'etoit  meprls 
de  croire  que  le  Roi  fut  absolument  insensible  a 
la  passion  de  I'amour,  mademoiselle  de  Haute- 
fort  ayant  donne  dans  la  vue  de  ce  monarque. 
Cette  dame  ,  qui  avoit  beaucoup  d'esprit  et  un 
entretien  tres-agreable ,  etoit  au  service  de  la 
Reine-mere  ,  et  sous  la  conduite  de  madame  de 
La  Flotte  ,  gouvernante  des  filles  d'honneur  de 
Sa  Majeste.  Madame  Du  Fargis  conseilla  pru- 
demment  a  la  Reine  de  fermer  Ies  yeux  a  la 
passion  apparente  du  Roi  son  epoux  ,  lui  di- 
sant,  pour  la  fortifier  dans  ce  sentiment  :  «  S'il 
est  capable  d'aimer ,  c'est  a  vous  seule  qu'il 
est  capable  de  le  marquer.  »  Cette  princesse 
avoit  d'autant  plus  de  raison  de  le  croire  ,  qu'il 
n'y  avoit  effectivement  a  la  cour  aucune  per- 
sonne  plus  belle  et  plus  charmante  qu'elle  ,  la 
nature  lui  ayant  donne  tout  I'esprit  et  tout  I'a- 
vantage  necessaire ,  et  pour  se  faire  aimer  et 
pour  se  faire  respecter.  Le  cardinal  revint  alors 
glorieux  et  triomphant  a  la  cour ,  ignorant  ce 
qui  s'y  passoit ,  aussi  bien  que  la  passion  que 
Monsieur  faisoit  paroitre  pour  epouser  la  prin- 
cesse Marie  ,  fille  ainee  du  due  de  Mantoue.  La 
Reine-mere  ,  au  contraire  ,  avoit  beaucoup  d'a- 
version  pour  cette  princesse.  Monsieur  ,  son 
fils  ,  temoigna  aussi  dans  la  suite  de  I'iuclina- 
tion  pour  epouser  une  princesse  florentine. 

Les  huguenots ,  desunis  entre  eux  et  se  tra- 
il issant  Ies  uus  les  autres ,  rentrerent  insensi- 
blement  sous  I'autorite  du  Roi  qu'ils  avoient 
raeprisee  si  long-temps,  bien  que  le  due  de 
Rohan  fit  son  possible  pour  les  retenir  et  ne 
cessat  d'agir  par  ses  emissaires  en  faveur  de  son 
parti ,  tantot  aupres  des  Espagnols  ,  et  tantot 
aupres  des  Anglois.  Mais  il  eut  beau  faire  , 
toutes  les  villes  de  la  Guienne  et  du  Langue- 
doc  ,  meme  Nimes  ,  Uzes  et  Montauban  ,  suivi- 
rent  la  loi  qu'on  voulut  leur  imposer.  Cepen- 
dant  les  services  et  la  capacite  du  cardinal  ne 
le  mettant  point  a  couvert  de  I'envie ,  il  songea 
bien  tot  a  engager  le  Roi  dans  une  nouvelle 
guerre  ,  de  I'evenement  de  laquelle  il  se  char- 
geoit.  11  loua  fort  la  Reine-mere  de  ce  qu'elle 
s'etoit  opposee  au  mariage  de  Monsieur  avec  la 
princesse  Marie  ,  en  faisant  renfermer  celle 
dont  ce  prince  paroissoit  etre  epris;  mais  ,  dans 
les  entretiens  que  le  cardinal  eut  avec  le  Roi , 
il  lui  fit  remarquer  que,  tant  que  le  cardinal  de 
Berulle  et  les  Marillac  conseilleroient  la  Reine- 
mere,  elle  seroit  capable  de  tout  entreprendre  ; 


que  c'etoit  une  cabale  qu'il  falloit  rompre  abso- 
lument ,  en  commencant  par  diviser  la  belle- 
mere  et  la  belle-fille.  Le  Roi  n'eut  pas  de  peine 
a  se  laisser  persuader  ,  et  le  hasard  seconda  les 
desseins  du  premier  ministre.  Le  cardinal  de 
Berulle  mourut  sur  ces  entrefaites.  A  peine 
eut-il  rendu  I'esprit  que  beaucoup  de  gens  se 
donnerent  la  liberte  de  parler  contre  lui,  les 
uns  I'accusant  d'ingratitude  et  les  autres  d'hy- 
pocrisie ,  sans  pourtant  Ten  pouYoir  convaincre. 

Le  cardinal  de  Richelieu  ,  se  tenant  toujours 
tres-assure  des  bonnes  graces  de  son  maitre  , 
s'avauca  du  cote  de  Lyon ,  et  pria  le  Roi 
de  vouloir  le  suivre  de  pres ,  a  moins  qu'il 
ne  voulut  se  resoudre  a  voir  Casal ,  ce  grand 
ouvrage  de  sa  gloire  ,  tomber  sous  la  puissance 
des  Espagnols.  Le  Roi  declara  son  voyage  ,  et 
que  les  Reines  en  seroient ,  et  que  la  cour  pas- 
sei'oit  par  Troyes  ,  ou  elle  sejourneroit  les  fetes 
de  Paques.  Sur  un  bruit  qui  courut  que  Mon- 
sieur avoit  amasse  quelques  troupes  pour  enle- 
ver  la  princesse  Marie  qui  etoit  aupres  de  la 
Reine-mere  ,  Sa  Majeste,  qui  en  prit  I'alarme, 
depecha  au  Roi  qui ,  etant  deja  a  Trenel  ,  re- 
vint a  Fontainebleau  ,  d'ou  il  envoya  un  corps 
decavaleriepour  mettre  la  Reine  en  assurance. 
La  chambre  que  Ton  donna  a  la  princesse 
Marie  fut  preparee  avec  si  peu  de  soin,  qu'elle 
eut  toutes  les  peines  du  monde  a  se  resoudre  d'y 
entrer.  Chacun ,  se  donnant  la  liberte  de  rai- 
sonner  sur  ce  que  Ton  voyoit ,  concluoit  que 
tout  ceci  se  passoit  avec  la  participation  du  Roi. 
Pour  moi ,  je  donnai  aussi  dans  ce  meme  senti- 
ment ;  mais  je  reconnus  ensuite  que  je  ra'etois 
mepris  ,  parce  qu'etant  alle  un  jour  au  lever  du 
Roi ,  il  me  demanda  si  j'avois  cru  qu'il  ap- 
prouveroit  tout  ce  qui  avoit  ete  fait.  Je  lui 
avouai  sans  detour  que  j'avois  eu  cette  pensee ; 
mais  que  j'en  avois  change  sur  ce  que  ,  venant 
dans  la  chambre  de  Sa  Majeste ,  j'avois  passe 
devant  celle  de  cette  princesse  ,  et  que  je  n'y 
avois  point  vu  de  garde.  «  Vous  avez  raison  , 
me  dit  le  Roi ;  car  on  en  use  bien  mal  avec 
elle.  »  Je  remarquai  des  lors  que  la  parfaite 
intelligence  que  Ton  avoit  crue  si  fort  etablie 
entre  la  mere  et  le  fils  etoit  de  beaucoup  dimi- 
nuee ;  mais  j'avois  agi  contre  les  regies  de  la 
prudence,  et  ce  n'etoit  pas  a  moi  d'en  rien  te- 
moigner. 

[1630]  Le  Roi,  qui  traversa  la  Bourgogne 
pour  se  rendre  a  Lyon ,  fut  accompagne  dans 
son  voyage  par  les  enfans  deM.de  Vendome 
(  quoique  leur  pere  flit  encore  prisonnier  ,  et 
que  le  grand  prieur,  leur  oncle,  fiit  mort  a  Vin- 
cenncs )  ,  et  par  le  comte  de  Soissons  revenu 
des  I'annee  precedente  dans  le  royaume,  d'ou  il 


DEUXIEME    PARTIE.    [l630] 


5t 


etoit  sorti  par  le  conseil  de  Senneterre ,  qui  le 
suivit  dans  le  voyage  qu'il  fit  en  Italic.  Ce 
prince  resta  fort  long-temps  a  la  cour  de  Sa- 
voie,  ou  Ton  dit  quMl  s'amouracha  de  Madame 
Royale  ,  apres  avoir  recouvre  la  sante  ,  contre 
I'opinion  des  medecins ,  qui ,  dans  une  violente 
maiadiedont  il  fut  attaque,  I'avoient  condamne 
a  mort. 

Le  cardinal  de  Richelieu,  glorieux  d'avoir  , 
par  la  prise  de  Pignerol  ,  assure  un  passage  en 
Italic  a  I'armee  du  Roi ,  se  rendit  a  Lyon ,  ou 
il  fit  prendre  a  Sa  Majeste  la  resolution  d'y  aller 
en  personne.  On  examina  quel  chemin  on  de- 
voit  suivre ,  et  Ton  se  determina  a  celui  de 
Grenoble  ,  pour  etre  a  portee  de  faire  le  siege 
de  Chambery ,  de  bloquer  Montmeliau,  et  d'al- 
ler  au  devant  du  prince  Thomas ,  qui  faisoit 
semblant  de  vouloir  defendre  la  Savoie ;  ou 
d'entrer  en  France  si  le  Roi  s'avancoit  du  cote 
de  Saint-Jean-de-Maurienne. 

Sa  Majeste  se  separa  des  Reines ,  et  laissa  a 
Lyon  le  garde-des-sceaux  de  Marillac  et  le  con- 
seil. Je  ne  puis  dire  surement  si  c'etoit  pour  ren- 
dre  justice  aux  sujets  du  Roi ,  ou  bien  si  Ton  ne 
pensoit  pas  deja  a  se  defaire  de  ce  magistrat.  Ce 
qui  est  certain ,  c'est  qu'il  cut  tres-bicn  fait  de 
s'abstcnir  de  voir  les  Reines ;  mais  son  ambition 
lui  faisoit  suivre  toujours  de  mauvais  avis,  qui 
lui  furent  dans  la  suite  tres-nuisibles  ,  parce  que 
le  pauvre  homme  ne  connoissoit  pas  les  manie- 
res  de  la  cour  ni  I'esprit  du  Roi. 

Onenvoyade  Grenoble  le  marechal  de  Cre- 
qui  faire  le  siege  de  CJiambery ,  qu'il  fit  capitu- 
ler  avec  son  chateau.  Sa  Majeste  y  ayant  fait 
quelque  sejour,  ordonna  ensuite  au  marechal  de 
Chatillon  de  bloquer  Montmelian;  et,  continuant 
sa  marche  par  Aix ,  Romilly ,  Annecy ,  Conflans 
et  la  Tarantaise ,  elle  s'arreta  a  Saint-Maurice. 
Le  prince  Thomas  abandonna  ces  memes  pos- 
tes  ,  n'osant  pas  les  defendre  ni  accepter  la  ba- 
taille  que  Sa  Majeste  avoit  envie  de  lui  donner  a 
Saint-Maurice.  Les  troupes  du  Roi  ayant  atta- 
que I'arriere-gardc  de  I'armee  ennemie,  la  defi- 
rent ,  et  le  prince  Thomas  se  retira  dans  la  vallee 
d'Oulx ,  ou  le  Roi  I'auroit  poursuivi  s'il  avoit  eu 
assez  de  vivres  pour  y  faire  subsister  son  armee 
pendant  huit  jours ,  ne  craignant  point  que  la 
difficulte  des  passages  le  put  empecher  d'entrer 
dans  le  Piemont;  mais  Sa  Majeste  en  ayant  ete 
detournee  par  cette  consideration  ,  elle  se  con- 
tenta  de  faire  fortifier  I'entree  de  la  vallee,  dont 
le  commandement  fut  donne  a  M.  Du  Hallier. 
Ensuite ,  reprenant  le  meme  chemin  jusqu  a  Con- 
flans ,  le  Roi  se  rendit  a  Chambery  et  ensuite  a 
Lyon.  Sa  Majeste  y  fut  accompagnee  par  le  car- 
dinal de  Richelieu  ,  par  plusieurs  marechaux  de 


France,  et  entre  autres  parM.  de  Schomberg  qui 
avoit  passe  les  monts,  et  auquel  le  premier  mi- 
nistre  proposa  de  retourner  en  Piemont;  mais 
ce  marechal  y  ayant  de  la  repugnance ,  M.  d'Ef. 
fiat  s'offrit  :  et  cela  pint  fort  au  ministre  qui  ne 
pouvoit  se  resoudre  a  quitter  le  Roi ,  dont  il 
craignoit  I'esprit  susceptible  de  toutes  les  im- 
pressions, et  fougueux.  Comme  le  cardinal  etoit 
bien  informe  de  ce  qui  s'etoit  passe  a  Lyon,  il 
fit  tout  ce  qu'il  put  pour  empecher  le  Roi  de  re- 
passer  les  monts ;  mais  u'ayant  pu  en  venir  a 
bout,  il  le  suivit.  L'humeur  fiere  et  naturelle- 
ment  inquiete  de  ce  prince  donna  dans  la  suite 
au  cardinal  les  moyens  de  le  faire  revenir,  etde 
lui  faire  suivre  ses  conseils  plus  aveuglement 
qu'auparavant. 

Le  Roi  se  rendit  de  Grenoble  a  Saint-Jean- 
de-Maurienne  ,  et  y  fit  assez  de  sejour  pour  y 
rasserabler  une  armee  capable  de  combattre 
celle  de  M.  le  due  de  Savoie.  Cette  armee,  jointe 
a  une  autre  qui  etoit  au-dela  des  monts  sous  le 
commandement  de  MM.  les  marechaux  de  La 
Force  et  deMarillac,  pouvoit  donner  de  la  crainte 
au  due  et  au  gouverneur  de  Milan.  Le  due  de 
Montmorency  s'offrit  de  la  commander ,  et  le 
marquis  d'Etfiatde  I'accompagner,  pourvu  qu'on 
le  fit  lieutenant  general,  persuade  qu'il  etoit  que 
cette  dignite  ,  jointe  a  celle  de  grand-maitre  de 
rartillerie  et  de  surintendant  des  finances ,  lui 
donneroit  assez  d"autorite  pour  partager  celle 
de  M.  de  Montmorency.  Le  jour  que  M.  de 
Schomberg  s'avanca,  nous  reculames  jusqu'a 
Grenoble  ,  apres  avoir  reste  a  Barrault  le  temps 
qu'on  nous  demandoit ,  pour  voir  I'effet  d'une 
mine  qui  nous  devoit  faciliter  la  prise  de  Mont- 
melian; mais  ce  dessein  ne  reussit  pas. 

Dans  I'envie  que  le  Roi  avoit  de  retourner  a 
Lyon,  sur  les  avis  qu'il  avoit  eus  que  le  gardc- 
des-sceaux  s'insiuuoit  de  plus  en  plus  dans  I'es- 
prit des  Reines ,  ce  magistrat  recut  un  ordre 
d'aller  a  Grenoble  y  attendre  Sa  Majeste  :  ce 
qui  fit  que  les  soupcons  qu'on  avoit  eus  de  sa 
conduite  a  Lyon  ne  furent  pas  sans  fondement. 
II  parut  bien  alors  que  M.  de  Marillac  n'avoit 
point  I'air  de  la  cour  en  saluant  le  Roi;  car  il 
temoigna  trop  de  joie  de  son  retour ,  et  combien 
il  avoit  apprehende  que  le  sejour  de  ce  prince 
au  pied  des  Alpes  n'eut  ete  nuisible  a  sa  sante. 
Je  ne  doute  point  que  le  pauvre  homme  n'en  fit 
de  meme  en  abordant  le  cardinal ;  mais  ni  ses 
souplesses  ni  ses  artifices  ne  le  purent  faire  chan- 
ger a  son  egard.  La  cour  se  rendit  a  Lyon  ,  ou 
le  marechal  de  Schomberg  promit  de  retourner 
en  Italic.  M.  de  Montmorency  y  defit  M.  de  Sa- 
voie, qui  s'etoit  campe  sous  Veillane;  et  M.  de 
Schomberg  y  fut  joint  par  les  autres  marechaux, 

1. 


MEMOIl'.F.S    m:    COMTE    IiE    BRIENNE 


{jui  y  furent  seulement  temoins  deson  courage, 
et  ne  contribiierent  que  par  leurs  voeux  a  I'heu- 
reux  succes  de  ses  entreprises. 

L'armee  victorieuse,  s'avancant  vers  Carignan, 
y  prit  un  fort  que  les  enuemis  y  avoient  cons- 
truit  pour  defeudre  le  passage  du  P6.  L'on  com- 
menca  pour  lors  a  bien  esperer  des  secours  de 
Casai,  assiege  pour  la  seconde  fois  par  les  Es- 
pa'mols.  M.  de  Montmorency  repassa  ensuite  les 
monts  et  il  se  rendit  a  Lyon  ,  ou  il  ne  donna 
point  a  M.  d'Effiat  toutes  les  louanges  que,  dans 
son  coeur,  il  croyoit  lui  etre  dues. 

Le  Roi  fut  pour  lors  attaque  de  cette  grande 
maladie  qui  nous  fit  extremement  craindre  pour 
sa  vie,  et  qui  causa  autant  d'alarmes  a  son  con- 
seil  que  d'esperance  a  Monsieur,  qui  etoit  reste 
a  Paris  ,  de  posseder  dans  peu  la  plus  belle  cou- 
ronne  de  la  chretiente ;  mais  cette  maladie  eut 
un  cours  heureux.  Lorsque  le  Roi  crutse  trouver 
iiors  d'esperance  de  guerison  ,  il  fit  de  grandes 
excuses  a  la  Reine  son  epouse  de  n'avoir  pas  bien 
vecuavec  elle.  II  lui  promitdeseconduiremieux 
et  de  suivre  a  I'avenir  ses  conseils.  Cette  prin- 
cesse ,  se  tenant  alors  comme  assuree  de  la  sin- 
cerite  et  de  la  tendresse  du  Roi  son  epoux,  lui 
declara  tons  les  sujets  de  plaintes  qu'elle  avoit 
contre  le  cardinal ,  ct  fit  promettre  au  Roi  que 
ce  rainistre  seroit  congedie ;  mais  il  est  vrai  que 
le  monarque  ne  s'y  engagea  qu'a  condition  que 
ce  ne  seroit  qu'apres  qu'il  auroit  fait  la  paix 
avcc  I'Espagne.  Pendant  la  maladie  du  Roi ,  la 
Reine-mere  s'assura  aussi  de  plusieurs  personnes 
pour  arreter  le  cardinal ,  s'il  arrivoit  que  le  Roi 
vint  a  raourir.  M.  d'Alincourt ,  gouverneur  de 
Lyon ,  et  quantite  de  seigneurs  de  la  cour  s'y 
enyagerent.  Le  cardinal ,  de  son  cote ,  soit  qu'il 
eneut  connoissance ,  ou  bien  qu'il  voulut  se  de- 
livrer  des  craintes  continuelles  dans  lesquelles 
il  etoit ,  s'assura  du  plus  grand  nombre  de  gens 
qu'il  put,  et  n'exigea  d'eux  autre  chose,  a  ce 
qu'il  parut,  que  de  lui  aider  a  se  retirer  dans  un 
lieude  surete,  a  cause  de  la  haine  qu'il  savoit 
bien  que  la  Reine  et  Monsieur  avoient  pour  lui. 
Le  due  de  Montmorency  leur  offrit  aussi  ses  ser- 
vices et  ceux  de  plusieurs  de  ses  amis  qu'il  avoit 
mis  dans  leurs  interets.  A  chaque  accident  qui 
survenoit  dans  cette  maladie ,  les  creatures  de 
Monsieur  lui  depechoient  des  courriers  que  je 
faisois  aussitot  suivre  par  d'autres ,  pour  ras- 
surer  les  bons  serviteurs  du  Roi,  et  pour  oter  a 
Monsieur  I'esperance  de  la  grandeur  dont  il 
se  laissoit  flatter.  Enfin  Dieu  rendit   assez  de 
sante  et  de  force  a   ce  monarque  pour  sortir 
de   Lyon,  et  pour  aller  prendre   fair  de  la 
Loire ,  qu'on  assuroit  lui  6tre  meilleur  que  tout 
autre. 


Rien  que  Sa  Majeste  se  ressouvlnt  des  bons 
services  quelecardinal  lui  avoit  rendus,  il  n'ou- 
blia  pas  la  parole  qu'il  avoit  donnee  a  la  Reine, 
quoiqu'il  en  lit  un  secret  a  son  premier  minis- 
tre;maisil  I'avertit  pourtant  que  la  Reine  sa 
mere  etoit  mal  satisfaite  de  sa  conduite  ,  et  lui 
conseilla  de  sereconciliersincerement  avecelle. 
Soit  quelecardinal  ajoutat  foi  a  ce  que  le  Roi 
lui  avoit  dit,  ou  qu'il  voulut  connoitre  par  lui- 
meme  qui  etoient  ceux  qui  le  desservoient ,  ou 
qu'il  criit  que  la  bienveillance  dont  cette  priu- 
cesse  I'avoit  honore  lui  faciliteroit  les  moyens 
de  rentrer  dans  ses  bonnes  graces ,  il  prit  le 
parti  de  la  suivre ,  et  il  s'embarqua  dans  le  meme 
bateau  qui  avoit  ete  prepare  a  cette  princesse. 
II  y  mit  en  usage  tout  son  jeu,  et  examina  la 
contenance  de  toutes  les  dames  qui  y  etoient  : 
ce  qui  lui  fut  tres-inutile ;  car  la  Reine,  qui  etoit 
nee  Florentine,  lui  fit  voir  que,  quoiqu'elleeut 
passe  trente  annees  en  France,  elle  n'avoit  pas 
encore  oublie  I'art  dedissimuler,  qui  s'apprend 
dans  tons  les  pays  du  monde ,  mais  qui  est  natu- 
rel  en  Italic. 

La  cour  etant  arrivee  a  Paris ,  le  Roi  aima 
mieux  loger  dans  I'hotel  des  ambassadeurs  ex- 
traordinaires ,  qui  est  proche  du  Luxembourg  , 
que  dans  le  Louvre ;  et  cela  apparemment  pour 
ses  vues  particulieres.  II  y  visitoit  souvent  la 
Reine  sa  mere  ,  qui  ne  manquoit  pas  de  le  faire 
souvenir  de  ce  qu'il  lui  avoit  promis  et  a  la 
Reine  son  epouse;  mais  le  Roi  leur  representoit 
sous  quelle  condition  il  avoit  doune  sa  parole. 
Non  seulement  ceux  qui  jugcoient  des  chosessui- 
vant  les  apparences,  mais  meme  les  plus  eclai- 
res ,  regardoient  la  disgrace  du  cardinal  comme 
inevitable,  pendant  que  d'autres  lui  voyoient  un 
moyen  pour  se  maintenir,  en  ce  que  ceux  qui 
agissoient  pour  le  perdre  le  faisoient  trop  ouver- 
tement  ettemoignoient  beaueoup  de  passion  :  ce 
qui  paroissoit  unecabale,  dont  le  nom  seul  etoit 
odieux  au  Roi. 

La  Reine  fut  conseillee  par  la  princesse  de 
Conti ,  par  la  duchesse  d'Elboeuf ,  et  meme,  a 
ce  que  Ton  dit ,  par  le.garde-des-sceaux ,  d'avoir 
un  eclaircissement  avec  le  Roi ;  et  pour  faire 
connoitre  a  ce  monarque  et  au  cardinal  qu'il 
n'y  avoit  point  de  lieu  d'esperer  de  reconcilia- 
tion ,  elle  eloigna  de  son  service  la  dame  de  Com- 
balet ,  niece  de  ce  premier  ministre.  Celui-cl 
surprit  Leurs  Majestes  comme  el  les  parloient 
ensemble  de  ce  qu'il  y  avoit  a  faire  contre  lui. 
Les  larraes  et  les  soumissions  du  cardinal  ne 
flechirent  point  la  Reine ;  et  le  Roi  ne  s'etant 
point  alors  declare  en  sa  faveur ,  il  se  retira  de 
leur  presence,  et  donna  ordre  qu'on  tint  son 
equipage  pret  pours'en  aller  au  Havre.  Le  car- 


Dtl'XlKME    i'AUTIE.    [I030j 


dinal  de  La  Valette,  son  ancieu  ami ,  s'opposa  a 
cette  retiaite  precipit6e  ,  et  lui  dit  qu'il  nefalloit 
poiutse  decourager,  maissuivre  le  conseilquMl  lui 
donnoit  d'aller  a  Versailles  tiouver  le  Roi ,  et  de 
se  servir  dans  cette  occasion  de  tout  I'ascendant 
que  la  superiorite  de  son  genie  et  ses  grands  ser- 
vices lui  donnoient  sur  Fesprit  de  ce  monarque. 
Le  cardinal  de  Richelieu  se  trouvatres-biend'a- 
Yoir  suivi  le  conseil  geiiereux  de  son  ami,  Les 
choses  changerent  aussitot  de  face.  Ayant  de- 
trompe  Sa  Majeste,  il  en  obtint  un  ordre  pour 
faire  aller  legarde-des-sceaux  a  Glatigny,  qui 
etoit  une  raaison  peu  eloignee  de  Versailles,  ou 
Ton  nous  fit  commandement  de  nous  rendre ,  le 
president  de  Chevry  et  raoi. 

Le  cardinal  se  servit  de  toute  la  force  de  son 
esprit ,  qui ,  conime  Ton  sait  assez ,  etoit  des 
plus  tianscendans ,  pour  rendre  le  garde-des- 
sceaux  et  sou  frere  auteurs  de  tout  le  nial.  11 
engagea  le  Roi  a  oter  les  sceaux  a  Tun  et  a  faire 
arrcter  I'autre  ,  qui  pour  lors  comraandoit  I'ar- 
mee  d'ltalie  avec  les  marechaux  de  La  Force  et 
de  Schomberg.  On  nti'ordonna  d'aller  a  Glati- 
gny reprendre  les  sceaux.  On  laissa  un  exempt 
avec  des  gardes  aupres  de  M.  de  Marillac ,  qui 
le  conduisirent  a  Chateauduu ,  ou  il  mourut. 
L'experieuce  consommee  de  ce  raagistrat  lui  fit 
regarder  sa  perte  comme  assuree  des  qu'il  vit 
que  le  cardinal  etoit  a  Versailles,  et  que  la  Reine- 
niere ,  restee  a  Paris ,  Tavoit  laisse  maitre  du 
champ  de  bataille.  II  ecrivit  au  Roi  une  lettre 
pour  lui  demander  la  permission  de  se  retirer  , 
et  il  me  la  remit  avec  les  sceaux ,  apres  s'etre 
entretenu  avec  moi  assez  long-temps ;  mais  quand 
il  entendit  qu'il  y  avoit  un  exempt  qui  devoit 
I'accorapagner  jusques  au  lieu  ou  il  devoit  etre 
conduit, il  changea  de  couleur,  et,  faisant  pour- 
tant  serablant  de  ne  se  pas  croire  prisonnier  ,  il 
me  dit : «  Si  on  a  peur  que  je  ne  parle  a  quel- 
qu'un  ,  on  ne  me  rend  pas  justice.  Je  ne  puis 
avoir  de  plus  siire  garde  que  moi. »  Bouthillier 
cut  ordre  d'ecrire  a  M.  de  Schomberg  de  faire 
arreter  le  marechal  de  Marillac  :  ce  qu'il  exe- 
cuta  apres  en  avoir  averti  M.  de  La  Force  et  les 
principaux  officiers  de  I'armce.  Pour  moi,  je  re- 
mis  les  sceaux  entre  les  mains  du  Roi,  et  je  lui 
dis  que  M.  de  Marillac  m'avoit  charge  d'une 
lettre  pour  Sa  Majeste.  Ce  monarque  voulut  la 
voir,  aussi  bien  que  le  cardinal ;  je  m'en  defen- 
dis  sur  ce  qu'elle  m'avoit  ete  donnee  fermee,  et 
que,  pouvant  s'y  trouver  quclque  chose  qui  leur 
seroit  desagreable  ,  on  pourroit  me  soupconner 
de  m'en  elre  charge  a  dessein.  Mais  le  Roi 
m'ayant  asseure  qu'il  etoit  persuade  de  ma  fide- 
lite  ,  et  le  cardinal  de  mon  affection ,  je  Touvris, 
et  j'enfis  lecture  en  presence  du  premier  minis- 


Iro.  Cetle  lettre  etoit  concue  en  termes  extre- 
mement  soumls.  INI.  de  Marillac  y  demandoit 
au  Roi  la  permission  de  se  retirer  ,  parce  que  , 
disoit-il ,  son  grand  ^ge  ne  lui  permettoit  plus 
d'exercersa  charge  avec  toute  I'assiduite  qu'elle 
demandoit. 

Sur  la  proposition  que  Ton  fit  a  M.  de  Cha- 
teauneuf  de  le  faire  garde-des-sceaux  ,  il  se  de- 
fendit  assez  fortement ,  soit  parce  qu'il  etoit  dif- 
ficile de  se  maintenir  long-temps  en  faveur  avec 
le  Roi  et  le  cardinal ,  ou  peut-etre  parce  qu'il 
se  croyoit  encore  trop  jeune  pour  soutenir  le 
poids  d'un  pared  fardeau.  J'eus  cependant  ordre 
de  venir  a  Paris  pour  faire  savoir  a  la  Reine- 
mere ,  de  la  part  du  Roi  son  fils ,  le  changement 
qu'il  avoit  fait  dans  son  conseil ,  en  otant  les 
sceaux  a  M.  de  Marillac,  et  qu'il  ne  rempliroit 
point  cette  charge  ni  celle  de  premier  president, 
sans  lui  dire  auparavant  sur  quels  sujets  Sa  Ma- 
jeste jetteroit  les  yeux.  Ces  paroles furent  prises 
en  deux  sens  bien  difl'erens  ;  car  les  uns  crurent 
qu'elles  signifioient  que  le  Roi  en  delibereroit 
avec  la  Reine  sa  mere ,  et  les  autres  crurent 
qu'elles  marquoient  seulement  que  Sa  Majeste 
lui  diroit  ce  qu'elle  vouloit  faire.  Je  trouvai ,  eu 
arrivant  au  Luxembourg ,  une  cour  extreme- 
ment  grosse.  La  Reine  etoit  environnee  de  quan- 
tite  de  dames  et  d'un  grand  nombre  de  seigneurs, 
dont  M.  le  due  d'Epernon  etoit  le  plus  qualifi^. 
Je  I'abordai,  apres  avoir  dit  a  cette  princesse  ce 
qui  m'avoit  ete  ordonne.  Elle  me  commanda  de 
me  trouver  dans  son  appartement,  au  retour  de 
sa  promenade,  pour  y  recevoir  sa  reponse.  Apres 
cela  je  ne  pus  m'empecher  de  demander  a  M.  d'E- 
pernon ce  qu'il  pretendoit  de  faire  par  sa  ma- 
niere  d'agir.  « Pousser  h  bout  le  cardinal ,  me 
dit-il  avec  cette  fierte  qui  lui  etoit  naturelle.  — 
L'occasion  en  est  passee,  lui  repliquai-je;  il  est 
le  maitre.  M.  de  Marillac  est  congedie,  et  je  ne 
vois  point  d'autre  parti  a  prendre  pour  vous  que 
de  vous  retirer  et  de  laisser  debrouiller  les  car- 
tes a  ceux  qui  les  out  melees ,  mais  qui  ne  pour- 
ront  peut-etre  pas  en  venir  about. »  Je  retournal 
au  Luxembourg  a  I'heure  qui  m'avoit  ete  don- 
nee par  la  Reine,  qui  tenoit  pour  lors  son  cercle 
ou  il  y  avoit  un  grand  nombre  de  princesses,  de 
dames  et  de  seigneurs  qui  faisoient  leur  cour  a 
Sa  Majeste.  La  Reine  ayant  tcmoigne  qu'elle 
vouloit  se  retirer  sur  les  six  heures  du  soir,  tons 
ceux  qui  etoient  aupres  d'elle  prirent  conge.  Je 
fus  au  desespoir  d'avoir  vu  tant  de  moude  au 
Luxembourg  ,  n'aimant  point  a  faire  le  person- 
nage  d'un  espion ,  personnage  qui  me  paroit  tout- 
a-fait  indigne  d'un  gentilhomme.  Je  m'attendois 
cependant  d'etre  fort  questionne  a  mon  retour  ; 
mais  heureusement  on  ne  me  dit  ricn.  Si  cette 


5  4 


MEMOIUr-S    Dl;    COMTE    HE    BIIIENNE  , 


commission  eut  etc  donnoe  au  lieutenant  civil 
Morteau ,  il  ne  I'auroit  jamais  executee  a  son 
honneur.  II  s'y  seroit  infailliblement  perdu  , 
comrae  ceux  qui  y  furent  reraarques.  Lorsque  je 
fis  ma  commission  aupres  de  la  Reine ,  Sa  Ma- 
jeste ,  etant  entree  dans  son  cabinet ,  me  com- 
manda  de  lui  repeter  ce  que  j'avois  eu  I'honneur 
de  lui  dire.  C'etoit  apparemment  pour  me  per- 
suader ,  aussi  bien  qu'au  Roi  et  au  cardinal  , 
qu'elle  n'en  avoit  rien  temoigne  aux  princesses 
qui  I'avoient  suivie  a  la  promenade.  Mais  comme 
cet  artifice  etoit  trop  grossier,  je  n'en  fus  pas  la 
dupe.  Je  lui  repetai  pourtanttout  ce  que  j'avois 
dit.  Sa  reponse  fut  que  le  Roi  ne  pouvoit  rien 
faire  qui  ne  diit  etre  approuve ;  mais  qu'il  en 
usoit  bien  mal  avec  elle ,  non-seulement  parce 
qu'elle  etoit  sa  mere ,  mais  encore  parce  qu'il 
manquoit  a  ce  qu'il  avoit  promis ;  que  les  fines- 
ses du  cardinal  lui  etoient  connues ,  et  qu'il  se- 
roit bien  difficile  que  le  Roy  son  fils  n'y  fut  pas 
trompe  dans  la  suite;  qu'elle  le  remercioit  de 
tout  ce  qu'il  lui  avoit  bien  voulu  faire  savoir,  et 
que  c'etoit  1^  tout  ce  qu'elle  avoit  a  me  dire.  Elle 
ajouta  que  c'etoit  encore  lui  faire  un  tres-grand 
outrage ,  et  montrer  le  peu  de  credit  qu'elle  avoit 
sur  I'esprit  du  Roi  son  fils,  puisqu'il  releguoit 
le  garde-des-sceaux,  qui  auroit  dii,  par  sa  pro- 
bite  et  sa  suffisance  ,  etre  a  convert  d'un  pareil 
orage. 

«  Je  vous  ai  fait  entendre ,  continua  Sa  Ma- 
jeste ,  ce  que  je  veux  que  vous  disiez  au  Roi  de 
ma  part;  mais  vous  considerant  comme  mon  ser- 
viteur  et  comme  fils  du  plus  zele  serviteur  qu'ait 
jamais  eu  le  feu  Roi  monseigneur,  je  vous  dirai 
francheraent  que  j'aurai  encore  plus  a  souffrir 
que  je  n'ai  eu  du  temps  de  Luynes. »  Je  pris  la 
liberte  de  ne  point  tomber  d'accord  de  ce  que 
me  dit  cette  princesse,  et  je  lui  representai  les 
obligations  que  lui  avoit  le  cardinal.  « Vous  ne 
le  connoissez  pas ,  me  repliqua-t-elle :  comme  il 
n'y  a  pas  d'homme  plus  abattu  que  lui  quand  la 
fortune  lui  est  contraire  ,  aussi  est-il  pi  re  qu'un 
dragon  quand  il  a  le  vent  en  poupe.  »  Elle  ne  me 
permit  de  la  quitter  que  sur  les  dix  heures  du  solr; 
et  les  larmes  qu'elle  repandit  abondamment ,  en 
se  plaignant  avec  amertume  du  cardinal ,  me 
firent  connoitre  qu'elle  etoit  veritablement  tou- 
chee  et  outree. 

Je  me  rendis  le  lendemain  de  grand  matin  a 
Versailles,  ou  je  trouvai  M.  de  Chciteauneuf  re- 
solu  non-seulement  d'accepter  les  sceaux,  mais 
meme  dans  I'impatience  de  les  avoir.  Le  cardi- 
nal etoit  aussi  dans  celle  de  les  lui  procurer ; 
mais  le  Roi  se  trouvoit  encore  incertain  de  ce 
qu'il  devoit  faire.  Cela  m'obligea  de  dire  a  M.  de 
Ch^teauneuf  que ,  tant  que  les  sceaux  seroient 


dans  les  coffres  de  Sa  Majeste ,  les  partisans  de 
M.  de  Marillac  espereroienttoujoursqu'on  les  lui 
rendroit.  « II  faut,  continuai-je,  avouer  la  verite : 
c'est  un  homme  de  merite ,  et  dont  la  probite 
sera  un  obstacle  a  la  reconciliation  du  Roi  notre 
maitre  et  de  la  Reine  sa  mere ;  mais  lorsque  les 
partisans  de  M.  de  Marillac  ne  seflatterontplus 
de  lui  voir  rendre  les  sceaux,  ceux  qui  parois- 
sent  les  plus  auimes  couseilleront  a  la  Reine  de 
rechercber  la  bienveillance  du  Roi  et  de  se  con- 
former  a  ses  intentions. »  M.  de  Chateauneuf  me 
demanda  si  je  voulois  bien  dire  ceci  au  cardinal. 
Je  le  lui  promis,  et  il  me  pressa  fort  de  le  faire. 
Cela  m'obligea  de  lui  parler  en  ces  termes : 
«  Vous  n'etes  plus  le  meme  que  vous  etiez :  Dieu 
en  soit  loue ! »  J 'informal  cependant  le  cardinal 
de  ce  que  j'avois  fait  a  Paris  et  d'uue  partie  de 
ce  qui  m'y  avoit  ete  dit.  J'ajoutai  ce  que  je 
croyois  qu'il  falloit  faire;  mais  ce  n'etoit  pas 
tant  pour  favoriser  M.  de  Chateauneuf  que 
parce  que  j'etois  persuade  que  le  service  du  Roi 
le  demandoit.  I.e  cardinal  me  recommanda  de 
dire  a  Sa  Majeste  ce  que  je  croyois  qu'il  etoit 
a  piopos  qu'elle  fit ,  apres  lui  avoir  rendu 
compte  de  la  raaniere  dont  j'avois  execute  ses 
ordres. 

Dans  I'impatience  ou  le  Roi  etoit  de  me  voir, 
pour  savoir  ce  que  j'avois  fait  a  Paris,  il  vint  a 
ma  rencontre ,  et  fut  fort  aise  d'apprendre  comme 
je  m'etois  acquitte  de  la  commission  qu'il  m'avoit 
donnee.  II  parut  encore  plus  content  de  la  pro- 
position que  je  fis  a  Sa  Majeste  de  reraplir  au 
plus  tot  les  dignites  de  garde-des-sceaux  et  de 
premier  president  du  parlement.  Le  Roi  envoya 
querir  sur-le-champ  le  cardinal  et  lui  declara 
la  resolution  qu'il  avoit  prise.  11  I'appuya  de 
toutes  les  raisons  dont  je  m'etois  servi.  Je  fis  en 
cette  rencontre  le  persounage  d'un  courtisan  , 
qui  est  d'applaudir  a  ce  que  les  maitres  veulent; 
mais  je  le  fis  avec  tant  de  circonspection  pour  la 
Reine-mere ,  qu'il  ne  m'echappa  de  rien  dire 
qui  put  lui  nuire,  ni  qui  fiit  contraire  au  respect 
que  je  lui  devois.  Cette  princesse  ne  se  contenta 
pas  d'avoir  congedie  de  son  service  madame  de 
Combalet^  niece  du  cardinal ,  elle  ordonna  aussi 
a  Ranee ,  son  secretaire  et  creature  de  cette 
Eminence  ,  de  se  retirer,  en  I'assurant  pourtant 
qu'elle  auroit  soin  de  le  recompenser. 

Plusieurs  de  ceux  qui  avoient  paru  les  plus 
assidusau  Luxembourg  cesscrent  alorsd'y  aller; 
meme  le  due  d'Epernon  fut  a  Versailles  rendre 
ses  devoirs  au  Roi.  II  eut  un  long  entretien  avec 
le  cardinal  de  Richelieu ,  et  il  y  a  beaucoupd'ap- 
parence  que  I'etroite  amitie  qui  etoit  entre  le 
premier  ministre  et  le  cardinal  de  La  Valette, 
ills  de  M.  d'Epernon  ,  ne  fut  pas  inutile  a  ceduc 


DEUXIEME    PVBTIE.    [1630] 


qui  etoit  fort  raal  dans  I'esprit  du  premier  mi- 
nistre,  parce  que,  dans  le  voyage  que  la  cour 
avoitfait  a  Bordeaux  en  1629 ,  il  avoit  coustam- 
jTient  soutenu  les  droits  de  sa  charge  dans  les  ci- 
vilites  qu'il  avoit  rendues  a  cette  Eminence,  qui 
depuis  ce  temps-la  en  avoit  toujours  teraoigne 
son  mecontentement  au  due  d'Epernon. 

M.  de  Chateauneuf  ayant  enfm  accepte  la 
charge  de  garde-des-sceaux  dont  il  etoit  digne , 
on  m'ordonna  d'aller  dire  a  la  Reine-mere  le 
choix  que  le  Roi  avoit  fait  de  la  personne  de  ce 
ministre  pour  reraplir  la  susdite  charge  ,  et  de 
celle  de  M.  Le  Jay  pour  etre  premier  president 
du  parlement  de  Paris.  On  m'ordonna  aussi  de 
faire  expedier  les  provisions  de  ces  deux  char- 
ges ,  et  d'avertir  les  officiers  du  sceau  qu'ilseus- 
sent  a  se  trouver  le  lendemain  a  Versailles ,  le 
Roi  voulant  lui-meme  sceller  le  brevet  de  M.  de 
Chateauneuf.  Le  cardinal  souhaita  que  j'entre- 
tinsse  le  pere  Suffren  ,  jesuite ,  de  ce  que  j'avois 
dit  a  la  Reine  ,  etant  persuade  que  la  maniere 
avec  laquelleon  agissoit  avec  elle  devoit  I'adou- 
cir,  parce  que  le  public  pourroit  etre  detrompe 
par  la  de  I'opinion  qu'il  ne  manqueroit  pas  d'a- 
voir  que  tout  ceci  se  faisoit  sans  la  participation 
de  Sa  Majeste. 

Je  n'arrivai  a  Paris  qu'a  deux  heures  denuit. 
J 'en  restai  bien  autantau  Luxembourg  et  a  me 
faire  ouvrir  les  portes  du  noviciat  des  jesuites , 
ou  le  pere  Suffren  iogeoit.  Je  le  trouvai  parti 
pour  Versailles.  Je  fus  ensuite  eveiller  le  presi- 
dent Le  Jay ,  et  de  la  j'allai  au  Louvre,  ou  j'eus 
pitie  de  I'aveuglement  de  madarae  Du  Fargis , 
qui  se  tenoit  comme  assuree  que  son  credit  et 
celui  de  sa  mere  seroient  assez  puissans  pour  per- 
dre  le  cardinal.  J'avois  averti ,  des  Lyon ,  cette 
dame  que  Ton  n'etoit  pas  content  de  saconduite, 
et  que  Tordre  donne  a  Biringhen  de  se  retirer  de 
la  cour  faisoit  assez  connoitre  Tautorite  absolue 
de  I'Emiuence.  Je  lui  avois  dit  encore  que,  si 
elle  ne  changeoit,  elle  auroit  sans  doute  occa- 
sion de  s'en  repentir.  La  dame  me  dit  que  j'etois 
moi-meme  un  aveugle  et  trop  persuade  du  cre- 
dit du  cardinal.  Maisenfin,  ne  la  pouvant  con- 
vaincre ,  je  lui  repliquai  qu'elle  en  pourroit  faire 
bientot  I'epreuve  a  ses  depens. 

La  reine  Anne  d'Autriche  commenca  de  s'a- 
percevoir  alors  que  les  conseils  qu'elle  avoit  sui- 
vis  dans  tout  cet  enchainement  d'intrigues  n'e- 
toient  pas  les  meilleurs  ;  mais  elle  s'en  excusoit 
en  disant :  «  Qui  auroit  pu  croire ,  apres  tout  ce 
que  Ton  voit ,  ce  que  le  Roi  a  dit  a  la  Reine 
sa  mere  dans  le  temps  qu'il  croyoit  mourir  , 
et  depuis  qu'il  a  recouvre  sa  sante?  »  Je  fisce 
([ue  j'avois  a  faire  a  Paris,  etj'en  partis  de  si 
bonne  beure  que  j'arrivai  a  Versailles  avant  les 


officiers  du  sceau.  Les  provisions  de  garde-des- 
sceaux  et  de  premier  president  du  parlement 
etant  scellees,  M.  de  Chateauneuf  et  M.  Le  Jay 
preterent  leur  serment  entre  les  mains  de  Sa 
Majeste ,  et  dinerent  avec  le  cardinal  qui  partit 
de  Versailles ,  et  qui ,  ayant  accompagne  le  Roi 
au  Luxembourg  ,  fut  temoin  de  ce  qui  se  passa 
quand  il  presenta  a  la  Reine  sa  mere  ces  deux 
nouveaux  magistrats. 

Le  marechal  de  Schomberg  ayant  execute 
I'ordre  qu'il  avoit  d'arreter  M.  de  Marillac,  re- 
passa  en  France ,  glorieux  d'avoir  oblige  le  mar- 
quis de  Sainte-Croix  a  lever  le  siege  de  Casal , 
que  ce  general  avoit  forme  avec  I'armee  d'Espa- 
gne.  La  prise  et  le  sac  de  Mantoue  par  celle  de 
I'Empereur  nous  affligea  moins  que  M.  de  Sa- 
voie  ,  qui  mourut  alors  depouille  d'une  partie  de 
ses  Etats,  et  presque  a  la  discretion  de  la  mai- 
son  d'Autriche  ,  mais  toujours  plein  de  projets 
aussi  specieux  que  peu  solides.  On  ne  pent  dire 
si  ce  prince  mourut  de  vieillesse  ou  bien  de  cha- 
grin 5  mais  ceux  qui  avoient  le  plus  de  part  a  sa 
confiance  out  cru  que  le  mauvais  etat  de  ses  af- 
faires avoit  avance  ses  jours. 

Le  Roi  ayant  resolu  de  rester  du  temps  a 
Saint-Germain-en-Laye ,  le  cardinal  y  demanda 
un  logement  pour  ne  pas  s'eloigner  de  Sa  Ma- 
jeste, a  ce  qu'il  disoit ;  mais  c'etoit  plutot  pour 
sa  surete  ,  quoiqu'il  se  vit  bien  assure  de  tons 
ceux  qui  approchoient  de  sa  personne.  Le  due 
de  Montmorency,  et  MM.  de  Toiras  et  d'Effiat, 
qui  etoient  de  retour  a  la  cour ,  deraanderent 
pour  lors  le  baton  de  marechal  de  France.  Le 
premier  representoit  les  services  de  ses  peres  et 
les  siens  personnels ,  ayant  beaucoup  contribue 
a  la  reduction  des  villes  du  Languedoc  occupees 
par  les  religionnaires ,  gagne  une  bataille  sur  les 
Rochelois  ,  et  cette  meme  annee-ci  celle  de  Veil- 
lane,  ou  les  armees  du  roi  d'Espagne  etdu  due 
de  Savoie  avoient  ete  defaites.  Toiras  deman- 
doit  le  meme  honneur  pour  avoir  defendu  les 
citadelles  de  Casal  et  de  Re  centre  I'effort 
des  armees  espagnole  et  angloise;  et  d'Effiat  y 
pretendoit  pour  avoir  eu  part  a  la  derniere  vic- 
toire  de  M.  de  Montmorency  ,  dont  il  se  faisoit 
encore  plus  d'honneur  qu'il  ne  lui  en  apparte- 
noit ,  sans  derober  rien  a  M.  de  Montmorency 
de  ce  qui  lui  etoit  du.  Le  Roi ,  ayant  pris  enfm 
la  resolution  d'accorder  cette  dignite  aux  deux 
premiers ,  me  commanda  d'en  venir  faire  part 
a  la  Reine  sa  mere.  Le  troisieme  fut  informe  de 
cette  resolution  par  Bullion ,  connu  autrefois  par 
le  nom  de  Cinq-Heraults ,  et  recommandable 
alors  par  plusieurs  services  qu'il  avoit  rendus. 
Je  lui  dis  I'ordre  qui  m'avoit  ete  donne.  Bou- 
thillier ,  et  surtout  d'Effiat ,  qui  esperoit  que  le 


/»G 


MEMOIRES    I)i:    COSITB    DE    BRIE.NiNE 


Roi  lui  accordei'oit  la  meme  grdce  qu'aux  au- 
tres  ,  me  conjurerent  de  ne  point  partir  sans 
avoir  vu  anparavaut  le  cardinal  ,  qui  s  etoit 
deja  retire.  Cela  rae  surpritbeaucoup.  Je  ne  lais- 
sai  pas  de  leur  proraettre  ce  qu'ils  me  deman- 
doient,  en  leur  disant  que  j'avois  de  la  peine  a 
croire  qu'ils  pussent  reussir  dans  leur  dessein  , 
parce  que  le  Roi ,  pour  I'ordinaire,  ne  se  deter- 
mi)ioit  pas  si  promptement.  J'aurois  pu  encore 
leur  objecter  bien  d'autres  raisons ,  mais  je  m'en 
abstins ,  autant  par  bienseance  que  parce  que 
j'aurois  souhaite  de  m'etre  trorape  dans  mon  ju- 
gement ,  a  cause  de  i'amitie  qui  avoit  toujours 
ete  entre  M.  d'Effiat  et  moi. 

Je  ne  manquai  done  pas  de  me  rendre  chez 
le  cardinal  a  son  reveil,  et  je  lui  dis  ce  qui 
m'amenoit  chez  lui  de  si  bonne  heure.  «  Bon 
Dieu,  me  repondit-il  dans  la  surprise  ou  il 
^toit ,  qu'il  y  a  dans  ce  monde  de  gens  pre- 
venus  de  leur  merite  et  qui  connoissent  peu 
la  cour  !  Allez-vous-en  en  diligence  ,  faites  ce 
qui  vous  a  ete  ordonne ,  et  assurez  d'Effiat 
que  dans  le  commencement  de  I'annee  pro- 
chaine  (nous  etions  bien  avances  dans  le  mois 
de  decembre)  il  aura  satisfaction ,  ou  je  n'au- 
rai  point  de  credit.  «  M.  d'Effiat  ne  fut  pas 
content  de  cela  et  pressa  toujours ;  mais  pour- 
tant  il  n'oublia  pas  ce  que  je  lui  avois  dit  de  la 
part  du  cardinal. 

Pendant  le  voyage  de  Savoie  et  le  sejour  que 
fit  le  Roi  a  Versailles,  M.  de  Soissons  ne  dis- 
continua  point  de  demander  la  liberie  de  M.  de 
Vendome.  L'abolition  que  ce  prince  avoit  bien 
voulu  accepter ,  I'assiduite  de  ses  enfans  aupres 
de  la  personne  de  Sa  Majeste,  et  le  grand  prieur 
mort  en  prison,  excitoient  la  compassion  et  I'in- 
dignation  de  tout  le  monde,  qui  ne  pouvoit  sup- 
porter qu'on  punit  par  une  si  longue  captivite 
une  chose  dont  on  faisoit  un  grand  crime  a  M.  de 
Vendome  ,  qui  etoit  de  penser  seulement  aux 
pretentions  qu'il  avoit  sur  la  Bretagne.  M.  de 
Vend6me  obtint  enfm  sa  liberte  par  les  soins  de 
M.  de  Soissons,  etfut  retabli  dans  tons  ses  hon- 
neurs,  a  la  reserve  du  gouvernement  de  cette 
province,  dont  il  conserva  seulement  le  titre. 
On  etoit  pour  lors  fort  attentif  a  ce  que  feroit 
Monsieur  ,  ce  prince  paroissant  attache  aux  vo- 
lontes  du  Roi,  louant  tout  ce  qui  se  faisoit,  et 
affectant  meme  de  suivre  les  avis  du  cardinal; 
mais  on  fut  encore  plus  surpris  d'apprendre  , 
lorsqu'on  s'y  attendoit  le  moins,  qu'il  avoit  ete 
rendre  visite  a  ce  premier  ministre  et  qu'il  lui 
avoit  parle  en  ces  termes:  «  Je  viens  retirer  la 
parole  que  je  vous  avois  donnee  d'etre  de  vos 
amis.  Je  ne  puis  Telre  avec  bonneur  ,  a  cause 
du  mauvais  traitement  que  rccoit  de  vous  la 


Reine  ma  mere.  "  A  quoi  le  cardinal  repondit 
avec  moderation  qu'il  ne  laisseroit  pas  d'etre 
toujours  son  tres-humble  serviteur  ;  qu'il  n'avoit 
aucune  part  a  tout  ce  qui  se  faisoit  a  la  Reine  , 
et  qu'il  ne  croyoit  pas  (en  cela  il  se  trouva  con- 
forme  aux  sentimens  du  Roi)  qu'elle  eiit  aucun 
sujet  de  se  plaindre  de  ce  qui  se  faisoit,  puisqu'il 
ne  tenoit  qu'a  elle  d'entrer  dans  le  secret  des  af- 
faires et  dans  I'etroite  coufiance  du  Roi  son 
fils.  Monsieur  etant  reste  a  Paris  nonobstant  la 
hauteur  avec  laquelle  il  avoit  parle  au  cardinal, 
il  ne  laissa  pas  de  prendre  la  resolution  dese  re- 
tirer a  Blois :  a  quoi  Sa  Majeste  ne  s'opposa  point. 
Soit  que  cette  Eminence  eut  envie  de  se  re- 
concilier  tout  de  bon  avec  la  Reine,  ou  bien 
qu'elle  n'en  vouliit  faire  que  le  semblant,  elle 
employa  plusieurs  personnes  pour  adoucir  I'es- 
prit  de  cette  princesse.  Mais  elle  se  tint  fort  of- 
fensee  et  si  meprisee  qu'elle  crut  ne  le  pouvoir 
faire  sans  blesser  sa  reputation.  Ainsi  la  peine 
qu'on  s'y  donna  fut  tres-inutile ,  etant  d'ailleurs 
obsedee  par  les  ennemis  du  cardinal ,  qui  flat- 
toient  sa  passion  en  lui  disant  que  le  public  la 
plaignoit  et  blamoit  le  Roi  son  fils,  dont  I'es- 
prit  inconstant  lui  pouvoit  faire  esperer  qu'il  se 
reconcilieroitavec  elle  aussi  facilement  qu'il  s'e- 
toit  brouille. 

[1G31]  Cependant  le  cardinal  proposa  au  Roi 
d'aller  a  Compiegne,  et  I'engagea  d'inviter  la 
Reine  sa  mere  a  etre  de  ce  voyage.  On  n'a  point 
su  precisement  si  ce  ministre  en  usa  de  la  sorte 
pour  priver  cette  princesse  des  mauvais  conseils 
qu'on  lui  donnoit  a  Paris,  ou  bien  pour  la  faire 
arreter,  comme  cela  fut  execute- ensuite.  Le  pre- 
mier ministre,  pour  faire  voir  que  son  credit 
augmentoit  au  lieu  de  diminuer  ,  persuada  a  Sa 
Majeste  d'oter  a  la  Reine  son  epouse  madameDu 
Fargis.  On  croit  que  le  cardinal  donna  ce  con- 
seil  au  Roi  (conseil  encore  plus  subtil  que  tout 
ce  qu'on  a  jamais  attribue  a  I'empereur  Tibere) 
pourmetfrea  la  place  de  cette  personne  madame 
de  La  Flotte ,  et  avec  elle  sa  petite-fille  ,  pour 
laquelle  le  Roi  avoit  concu  de  I'amour.  Le  car- 
dinal avoit  en  vue  de  faire  perdre  par  ce  moyen 
a  Sa  Majeste  I'enviederevoir  la  Reine  sa  mere: 
ce  qui  pouvoit  exciter  en  meme  temps  la  jalou- 
sie de  la  Reine  son  epouse,  et  entretenir  dans 
la  maison  royale  une  division  qui  favorisoit 
ses  vues  et  tenoit  I'esprit  du  Roi  dans  sa  de- 
pendance.  La  Reine-mere,  pour  s'exerapter  du 
voyage  de  Compiegne,  feignit  uneincommodite; 
mais  plusieurs  de  ses  creatures  ,  persuadees 
qu'elle  se  repentiroit  de  n'y  avoir  pasaccompa- 
gne  le  Roi ,  et  que  cette  separation  donneroit 
gain  de  cause  a  ses  ennemis,  lui  en  represente- 
rent  de  si  fortes  raisons  que  cette  princesse  chan- 


DEl.XliiME    PAUllK.     [ 


IfJSl] 


.57 


gea  a  la  fin  de  sentiment.  Elle  ne  fut  pas  sitot 
arrivee  a  Compiegne  qn'on  fit  de  nouveaux  ef- 
forts pour  reconcilier  le  cardinal  avec  elle  ,  et 
pour  I'engager  par-la  insensiblement  a  abandon- 
ner  ses  serviteurs ;  mais  les  prieres  et  les  me- 
naces ne  pouvant  rlen  gagner  sur  I'esprit  de  Sa 
Majeste ,  et  le  Roi  etant  ennuye  de  ne  la  pou- 
voir  persuader ,  il  prit  la  resolution  de  la  faire 
arreter  ,  d'envoyer  la  princesse  de  Conti  a  Eu  , 
et  la  duchesse  d'Elboeuf  dans  une  de  ses  maisons 
de  campagne ;  de  donner  a  madame  de  La  Flotte 
la  charge  de  dame  d'atour  de  la  Reine,  et  d'en- 
gager  cette  dame  a  garder  aupres  d'elle  made- 
moiselle de  Hautefort,  sa  petite-fille.  C'est  ce  que 
ce  monarque  lui-meme  declara  a  la  Reine  sou 
epouse  en  raontant  dans  son  carrosse  aux  Capu- 
cins,  ou  il  I'atteudoit,  et  d'oii  il  la  mena  cou- 
cher  a  Senlis.  On  resolut  d'y  faire  une  depeche 
generale ;  et  le  cardinal,  par  un  aveuglement 
qui  n'est  que  trop  ordinaire  a  ceux  qui  sont  en 
faveur,  consentit  non-seulement,  mais  proposa 
meme  que  Ton  inserat  dans  cette  depeche  (l) 
que  I'emprisonnement  de  la  Reine  ne  venoit  que 
du  refus  qu'elle  avoit  fait  de  le  recevoir  dans 
ses  bonnes  graces. 

Etant  persuade  que  Vautier,  premier  mede- 
cin  de  cette  princesse,  avoit  un  grand  ascendant 
sur  son  esprit,  il  le  fit  aussi  conduire  prisonnier 
a  Senlis  ;  et  comme  il  lui  serabla  que  cette  de- 
meure  de  la  Reine  proche  Paris  ne  la  priveroit 
point  des  conseils  ordinaires  qu'elle  recevoit , 
et  que  le  peuple  seroit  touche  de  compassion  de 
son  malheur,  il  fit  resoudre  le  Roi  a  m'envoyer 
vers  elle  pour  lui  proposer  de  se  retirer  a  Mou- 
lins,  en  Tassurant  que  son  premier  medecin  lui 
seroit  rendu ,  et  elle  bien  payee  de  toutes  ses 
pensions. 

Mon  ordre  etant  de  ne  parler  h  la  Reine 
qu'en  presence  du  marechal  d'Estrees,  je  des- 
cendis  dans  la  malson  du  \icomte  de  Rrigueil , 
gouverneur  de  laville,  chez  qui  ce  marechal 
etoit  loge.  Je  lui  communiquai  ma  lettre  de 
creance  et  mon  instruction.  Nous  fimes,  de  con- 
cert, avertir  de  mon  arrivee  Cottignon  ,  secre- 
taire de  la  Reine  ,  qui  avoit  succede  a  Ranee , 
afin  qu'il  nous  fit  savoir  a  quelle  heure  nous 
pourrions  parler  plus  commodement  a  Sa  Ma- 
jeste. Cette  princesse  nous  ordonna  de  Taller 
trouver  dans  le  moment ,  soit  qu'elle  fut  dans 
I'impatience  de  nous  faire  ses  plaintes,  ou  bien 
d'apprendre  des  nouvelles.  Elle  se  tint  aussi  of- 
fensee  de  la  proposition  qu'on  lui  fit  d'aller  a 
Moulins ,  que  de  la  rigueur  dont  on  avoit  use  a 

(1)  Richelieu  s'apergut,  mais  trop  tard  ,  de  cclle  in- 
convenance.  II  fit  supprimcr  la  d(?claration ,  mais  il  en 


son  egard  en  lui  6tant  son  premier  medecin. 
Mais  elle  temoigna  encore  plus  de  douleur  de  ce 
qu'on  la  separoit  du  Roi  son  fils,  «  de  la  bonte 
du  naturel  de  qui ,  ajouta-t-elle ,  je  suis  si  per- 
suadee,  que  jamais  je  ne  lui  imputerai  mes  mal- 
heurs.  Je  ne  les  dois  qu'au  pouvoir  que  le  cardi- 
nal s'est  acquis  sur  I'esprit  du  Roi  mon  fils ;  et 
je  suis  assuree  qu'on  ne  m'envoie  a  ]Moulins 
qu'a  dessein  de  me  renvoyer  ensuite  en  Ilalie. 
Mais  je  souffrirai  les  derniers  outrages  avant 
que  de  m'y  resoudre,  »  jusqu'a  se  laisser,  dit- 
elle,tirer  de  son  lit  toute  nue,  assuree  qu'elle 
etoit  qu'elle  exciteroit  a  compassion  les  plus  in- 
sensibles.  Nous  fimes ,  le  marechal  et  moi ,  tout 
notre  possible  pour  adoucir  son  chagrin ;  et  je 
pris  la  liberte  de  lui  dire  :  «  Mais ,  Madame ,  si 
Ton  avoit  intention  de  vous  manquer  de  respect, 
pourquoi  ne  I'auroit-on  pas  fait  a  Compiegne 
comme  a  Moulins?  »  Je  la  suppliai  ensuite  de 
prendre  le  temps  necessaire  pour  reflechir  a  ce 
qu'elle  avoit  a  nous  repondre ,  et  nous  nous  reti- 
rames. 

Nous  tachames  de  persuader  Cottignon  ,  qui 
nous  avoit  suivi ,  que  la  Reine  ne  pouvoit  rien 
faire  de  mieux  que  de  se  conformer  a  la  volonte 
du  Roi.  Cottignon  etoit  un  homme  franc,  mais 
colere  et  emporte,  et  de  plus  ami  de  Vautier. 
nous  le  trouvames  si  attache  a  son  sens,  que  je 
fus  contraint  de  lui  demander  s'il  vouloit  passer 
pour  etre  le  seul  conseiller  de  sa  maitresse.  <•  Et 
ne  craignez-vous  point ,  lui  ajoutai-je,  qu'il  ne 
vous  en  arrive  de  mal?  car  il  y  a  beaucoup  d'ap- 
parence  que  Sa  Majeste  ne  se  soucie  guere  de 
revoir  Vautier,  puisque  nous  offrons  de  le  lui 
rendre  des  le  lendemain  qu'elle  se  sera  mise  en 
etat  d'executer  ce  que  nous  lui  proposons  pour 
son  repos  et  pour  le  bien  de  la  France.  La  di- 
vision qui  paroit  entre  les  deux  freres  ne  pent 
etre  accommodee  que  par  son  moyen.  Sa  Ma- 
jeste en  reviendra  encore  plus  glorieuse  a  la 
cour.  » 

Cottignon  ,  ayant  fait  ses  reflexions,  engagea 
la  Reine  a  examiner  nos  raisons ,  qui  lui  paru- 
rent  si  bonnes  qu'elle  m'envoya  querir  et  me 
chargea  d'une  lettre  pour  le  Roi ,  auquel  elle 
me  commanda  de  dire  qu'elle  n'avoit  point  de 
plus  forte  passion  que  de  lui  plaire  et  de  se  con- 
former  a  sa  volonte ;  qu'elle  le  prioit  de  se  sou- 
venir qu'elle  etoit  sa  mere;  qu'elle  avoit  essuye 
beaucoup  de  peines  et  de  travaux  pour  lui  con- 
server  son  Etat ;  et  enfin  qu'elle  lui  demandoit 
en  grace  de  ne  point  prendre  les  avis  du  cardi- 
nal de  Richelieu  dans  les  choses  qui  la  concer- 

avoit  ^t^  deja  distribuc  pres  de  deux  millc  exemplaires. 

(A.  E.) 


58 


MEMOIRKS    DU    COMTE    DE    BRIENNK  , 


noient,  paice  qu'elle  savoit  par  sa  propre  expe- 
rience que  quand  il  haissoit  il  ne  pardonnoit  ja- 
mais ,  son  ingratitude  et  son  ambition  u'ayant 
point  de  bornes.  Je  suivis  I'ordre  que  j'avois 
recu  du  Roi.  Je  lui  depechai  Lucas ,  qui  fut 
dans  la  suite  secretaire  du  cabinet;  et ,  dans  la 
lettre  que  j'ecrivois  au  cardinal,  je  n'oubliai 
rien  de  tout  ce  que  la  Reine  m'avoit  dit. 

Je  montai  a  cheval  des  la  pointe  du  jour  pour 
me  rendre  a  Senlis ,  oil  le  Roi  m'avoit  assure 
qu'il  m'attendroit ;  mais  les  coups  de  canon  que 
j'entendis  tirer,  men  paroissant  eloignes  d'une 
bonne  lieue ,  me  firent  juger  que  Sa  Majeste 
en  etoit  partie  et  que  Vautier  avoit  ete  conduit 
a  la  Bastille.  J'appris  en  arrivant  a  Senlis  ce 
qui  s'y  etoit  passe,  et  je  trouvai  que  je  ne  m'e- 
tois  point  trompe  dans  le  jugement  que  j  avois 
fait.  Je  n'y  restai  que  le  temps  qu'il  me  fallut 
pour  diner,  et  je  suivis  le  chemin  de  la  cour, 
sans  esperer  de  la  pouvoir  rejoindre  qu'a  Paris 
seulement. 

Le  cardinal ,  qui  craignoit  de  donner  de  la  ja- 
lousie au  Roi ,  laissa  un  de  ses  gentilshommes 
pour  m'avertir  d'aller  au  Louvre  avant  que  de 
me  rendre  chez  lui ;  mais  cette  precaution  etoit 
tres-inutile  a  mon  egard ,  car  je  ne  m'etois  point 
encore  mis  sur  le  pied  d'aller  chez  personne, 
sans  m'etre  acquitte  auparavant  de  ce  que  je 
devois  au  Roi  mon  maitre.  Cependant,  sans 
s'arreter  a  ce  que  j'avois  ecrit,  on  changea  de 
resolution  en  ne  promettant  de  rendre  Vautier 
a  la  Reine  que  quand  elle  seroit  a  Moulins ;  et 
il  y  a  merae  toutes  les  apparences  qu'on  etoit 
dans  le  dessein  de  le  retenir  toujours  prisounier, 
parce  qu'on  le  regardoit  comme  un  homme 
dangereux ,  et  qui  n'avoit  perdu  aucune  occa- 
sion de  faire  paroitre  le  peu  de  deference  qu'il 
avoit  pour  le  cardinal.  Je  fus  cbez  le  premier 
ministre  au  sortir  du  Louvre,  et  je  le  trouvai 
aussi  content  de  sa  fortune  qu'il  paroissoit  I'etre 
de  voir  tous  les  grands  seigneurs  de  la  cour 
s'estimer  heureux  de  pouvoir  entrer  dans  son 
antichambre  pour  lui  faire  leurs  reverences 
quand  il  passoit  pour  aller  au  Louvre.  Le  Roi 
etant  averti  que  Monsieur  s'avaucoit  du  cote  de 
la  Bourgogne  pour  entrer  dans  la  Franche- 
Comte,  oil  I'l  avoit  juge  a  propos  de  se  rendre, 
parce  qu'il  n'avoit  pas  cru  pouvoir  etre  en  su- 
retedans  la  ville  de  Bellegarde,  oiiil  avoit  ete 
recu  par  celui  qui  en  etoit  alors  gouverneur  et 
seigneur  proprietaire ,  Sa  Majeste  poursuivit  ce 
prince ,  et  elle  declara  rebelles  tous  ceux  qui 
I'assisteroient ,  s'ils  ne  rentroient  en  France 
dans  le  temps  marque  par  son  edit,  et  s'ils  ne 
declaroient  qu'ils  n'etoient  point  engages  a  d'au- 
tre  service  qu'a  celui  du  Roi.  M.  de  Bellegarde 


envoya  au  Roi  un  homme  de  qualite  pour  s'ex  - 
cuser  d'avoir  suivi  Monsieur  et  de  I'avoir  recu 
dans  la  ville  ,  disant  pour  ses  raisons  qu'etant 
attache  au  service  de  ce  prince  ,  il  n'avoit  pu 
faire  autrement.  On  repondit  a  ce  gentilhomme 
que  Bellegarde  etant  une  place  de  guerre  dont 
le  due  etoit  gouverneur,  elle  n'avoit  du  servir 
d'asile  ni  de  retraite  a  ceux  qui  servoient  con- 
tre  le  Roi  ou  qui  se  declaroient  contre  lui ,  dont 
Monsieur  ne  pouvoit  donner  de  plus  grande 
marque  que  de  sortir  du  royaume  et  de  passer 
dansun  pays  etranger  sans  la  permission  de  Sa 
Majeste.  Le  parlement  de  Paris  fit  d'abord  quel- 
que  difficulte  d'enregistrer  cette  declaration; 
mais  enfm  il  suivit  I'exemple  de  celui  de  Bour- 
gogne ,  en  se  conformant  aux  volontes  du  Roi , 
qui  ordonua  ce  qu'il  falloit  faire  pour  maintenir 
cette  province  dans  I'obeissance  qu'elle  lui  de- 
voit.  Sa  Majeste  fut  fort  contente  de  ce  que  les 
choses  avoient  reussi  a  son  gre.  Elle  revint  en- 
suite  a  Sens  ou  la  Reine  etoit  restee ,  dans  la 
pensee  qu'elle  avoit  d'etre  grosse;  mais  ayant 
appris  par  le  chemin  qu'elle  ne  i'avoit  point  ete, 
ou  bien  qu'elle  s'etoit  blessee,  il  en  fut  tres- 
afflige.  Sa  Majeste  resolut  ensuite  de  passer  les 
fetes  de  Paques  et  une  partie  de  I'ete  a  Fontai- 
nebleau,  d'oii  elle  envoyoit  souvent  savoir  des 
nouvelles  de  la  Reine  sa  mere:  ce  qui  faisoit 
croire  qu'ils  pourroient  se  raccommoder. 

II  se  repandit  alors  un  bruit  dans  le  chateau 
que  cette  princesse  s'etoit  sauvee  en  Flandre. 
Plusieurs  personnes  y  ajouterent  foi;  et  le  car- 
dinal meme  m'en  faisant  paroitre  sa  surprise, 
je  lui  soutius  que  cela  ne  pouvoit  etre, «  a  moins, 
dis-je ,  que  le  marechal  d'Estrees  ne  fut  de  la 
partie,  lequel ,  suppose  que  la  Reine  cut  surpris 
sa  vigilance,  u'auroit  pas  manque  de  donner 
avis  de  ce  qui  etoit  arrive.  Et  quand  meme  il 
auroit  ete  d'intelligeuce  avec  elle,  le  vicomte 
de  Brigueil,  les  gouverneurs  et  les  comraandans 
des  places  en  auroient  ecrit  au  Roi.  »  On  eut 
bientot  des  avis  contraires  a  ce  bruit ,  qui  cessa 
apres  avoir  ete  repandu  par  le  marquis  d'Oisant, 
qui  avoit  la  reputation  d'ajouter  autant  de  foi 
a  un  mensonge  qu'a  une  verite ;  car  il  lui  suffi- 
soit  d'avoir  invente  ou  entendu  dire  une  nou- 
velle  pour  la  croire. 

Soit  que  le  cardinal  s'imaginat  que  la  retraite 
de  la  Reine  en  Flandre  avanceroit  ses  affaires  , 
ou  bien  qu'il  se  feroit  a  lui-menie  un  tort  consi- 
derable de  la  retenir  prisonniere  plus  long- 
temps  ,  il  se  determina  a  supplier  le  Roi  d'en- 
voyer  a  cette  princesse  une  personne  de  poids  et 
de  confiance  pour  lui  proposer  un  accomraode- 
ment,  etant  persuade  qu'elle  Taccepteroit ,  ou 
que  du  moins  le  Roi  seroit  justifiejcle  tout  ce  qui 


DEUXlKMli    PAUTIE.    llG32 


r>n 


pourroit  arriver  apres  qu'elle  I'auroit  refuse.  La 
oommission  en  fut  donuee  au  mareehal  de 
Schombeig,  avec  uue  instruction  signee  par 
Bouthillier.  Je  ne  fus  point  employe  en  cette 
occasion ,  parce  que  le  cardinal  m'avoit  reconnu 
trop  zele  pour  la  gioire  du  Roi  pour  lui  celer  la 
verite ,  et  trop  attache  aux  interets  de  la  Reine 
mere  pour  ne  les  pas  soutenir.  Cependant  je  ne 
fis  semblant  de  rien ,  et  je  remerciai  Dieu  de  bon 
coeur  de  n'avoir  plus  a  me  meler  d'une  affaire 
aussi  delicate  et  aussi  epineuse. 

La  Reine  persista  toujours  dans  sa  resolution 
de  souffrir  toutes  choses  plutot  que  de  se  recon- 
eilier  avec  le  cardinal.  On  ne  salt  point  si  ce 
fut  par  I'ordre  de  cette  Eminence  que  Bezancou 
proposa  a  Sa  Majeste  de  se  retirer  a  La  Capelle, 
ou  bien  s'il  le  fit  de  son  propre  raouvement; 
mais  ce  qui  est  certain ,  c'est  qu'il  en  fit  I'ou- 
verture  a  cette  princesse  ,  en  I'assurant  du  ser- 
vice du  fils  aine  du  marquis  de  Vardes ,  qui  en 
etoit  gouverneur,  et  qui  lui  fit  voir  la  chose  si 
claire  que  Sa  Majeste  resolut  de  sortir  de  Com- 
piegne ,  d'ou  Ton  avoit  retire  la  garnison  ;  et 
parce  que  la  chose  fut  aussitot  sue  que  menagee, 
on  soupconna  Bezancon  de  n'avoir  agi  que  par 
les  ordres  du  cardinal.  En  effet ,  le  marquis  de 
Vardes  etant  averti  de  ce  que  son  fils,  qui  etoit 
recu  en  survivance  ,  avoit  resolu  de  faire ,  il  le 
fit  (suivant  un  ordre  qu'il  avoit  eu  du  Roi )  de- 
vancer  par  Dubec ,  qui  etoit  un  autre  de  ses  en- 
fans.  Celui-ci ,  ayant  pris  le  serment  de  la  gar- 
nison ,  reduisit  son  frere  a  suivre  la  Reine  ,  qui 
se  trouva  par  la  dans  la  necessite  de  s'arreter 
au  couseil  que  lui  donna  Bezancon  de  se  retirer 
en  Flandre.  Elle  y  recut  tous  les  bons  traite- 
mens  et  tout  le  bon  accueil  qu'elle  put  desirer 
de  I'archiduchesse,  qui  n'oublia  rien  pour  adou- 
cir  tous  les  chagrins  dont  Sa  Majeste  etoit 
penetree. 

Le  due  de  Lorraine,  qui  avoit  arme,  ne 
croyant  avoir  jamais  une  plus  belie  occasion 
pour  tirer  raison  du  mal  qu'il  croyoit  lui  avoir 
ete  fait ,  se  mit  en  campagne;  mais  quand  il  ap- 
prit  que  le  Roi  alloit  du  cote  de  Langres ,  il  I'en- 
voya  assurer  de  sa  fidelite ,  et  lui  declarer  qu'il 
n'avoit  arme  que  pour  le  service  de  I'Empereur ; 
et  pour  faire  voir  qu'il  ne  disolt  rien  que  de 
vrai ,  il  fit  marcher  ses  troupes  dans  les  terres 
de  I'Empire.  Le  Roi ,  qui  n'avoit  que  tres-peu 
de  monde  sur  pied  ,  parut  se  contenter  de  ce  qui 
lui  fut  dit  de  la  part  de  ce  souverain,  et  prit 
cependant  la  resolution  de  ne  se  point  eloigner 
des  frontieres,  pour  etre  mieux  en  etat  de  lui 
empecher  I'entree  du  royaume  s'il  se  mettoit 
en  devoir  de  l'entre})rendre.  Sa  Majeste  donna 
ordre  a  plusieurs  regimens  de  se  tenir  prets  a 


marcher  quand  cela  leur  seroit  commande.  Le 
Roi  revint  ensuite  a  Foutaiuebleau;  et  le  do- 
maine  de  Chateau-Thierry  lui  etant  echu  par 
la  mort  du  comte  de  Saint-Paul ,  il  temoigna 
avoir  envie  de  voir  cette  nouvelie  raaison,  et  il 
fut  confirme  dans  cette  pensee  par  le  cardinal , 
qui  apprenoit  de  divers  endroits  qu'il  se  trai- 
toit  entre  I'Empereur  et  M.  de  Lorraine  quel- 
que  chose  qui  pouvoit  etre  prejudiciable  a  la 
France  :  ce  qui  lui  faisoit  conclure  qu'il  etoit 
a  propos  de  ne  se  pas  tenir  eloigne  du  pays  du 
due ,  en  se  servant  du  pretexte  de  se  defier  de 
I'Empereur. 

M.  de  Lorraine  ayant  commence  par  faire 
fortifier  Moyenvic ,  le  Roi  soutint  avec  justice 
que  cette  place  appartenant  en  propre  a  I'eveque 
de  Metz ,  dont  on  savoit  qu'il  etoit  protecteur, 
on  n'avoit  rien  du  entreprendre  de  semblable 
sans  sa  participation.  L'Empereur  soutenoit  de 
son  cote ,  que  I'eveque  etant  son  sujet  et  son 
vassal ,  il  avoit  droit  de  faire  fortifier,  pour  la 
surete  de  I'Empire,  tel  poste  qu'il  croyoit  ne- 
cessaire.  Ce  prince  parloit  bien  haut,  parce 
qu'il  etoit  arme ,  aussi  bien  que  M.  de  Lorraine, 
et  que  la  saison  etoit  deja  tres-avancee  :  et 
comme  il  s'etoit  persuade  qu'il  n'avoit  rien  a 
craindre,  il  avoit  fait  avancer  son  armee  vers 
le  Danube  pour  tenir  en  respect  plusieurs  princes 
de  I'Empire ,  qui  commencoient  a  s'apercevoir 
que  Sa  Majeste  Imperiale  ne  songeoit  unique- 
ment  qu'a  les  assnjettir. 

Le  Roi,  se  prevalant  de  leur  imprudence, 
partit  de  Chateau-Thierry  et  se  rendit  en  peu 
de  jours  a  Metz,  d'ou  il  fit  reconnoitre  la  situa- 
tion et  I'etat  des  fortifications  de  Moyenvic ;  et 
voyaut  que  le  siege  de  cette  place  seroit  d'au- 
tant  plus  difficile  qu'elle  etoit  en  defense  et 
construite  dans  un  marais,  il  ne  laissa  pas  de 
I'entreprendre.  M.  de  Lorraine  s'avanca  pour  la 
secourir  5  mais ,  ayant  trouve  I'armee  du  Roi 
plus  forte  qu'il  ne  croyoit,  il  proposa  de  faire 
reudre  cette  place  sous  des  conditions  que  le 
Roi  accepta  (1),  persuade  qu'il  etoit  d'avoir 
beaucoup  fait  de  s'en  rendre  maitre.  Pendant 
le  sejour  qu'il  fit  a  Metz ,  il  y  recut  I'eveque  de 
Wurtzbourg  en  qualite  d'ambassadeur  des  elec- 
teurs.  Sa  Majeste  lui  donna  uue  seconde  au- 
dience ,  dans  laquelle  il  paria  convert  :  ce  qu'il 
n'avoit  pas  fait  dans  la  premiere,  ou  il  ne  fut 
regarde  simplement  que  comme  minislre  des 
electeurs. 

[1632]  J'appris ,  dans  le  temps  que  la  cour 
etoit  a  Metz  ,  que  mon  pere  etoit  malade  a  I'ex- 
tremite,  et  la  mort  de  deux  de  mes  filies.  Le  Roi , 

(1)  Traits  de  Vic,  31  d^cembrc  1631.  (A.  E.) 


c;i) 


Jir.MOillCS    DIj    CO.'.ilK    I)F.    BlUKMSE, 


croyant  aussi  que  /avois  perdu  iiiou  fils  nine, 
evitoit  de  me  voir;  et  Sa  Majeste  ,  se  trouvant 
un  jour  pressee  de  dire  le  sujet  du  changement 
qui  paroissoit  a  men  eaard,  repondit :  «  II  faut 
attendre  que  sa  douleur  soil  calmee.  La  perte 
de  trois  eufans  paroit  excessive  a  qui  n'en  a 
point  d'autres  ;  et  quand  on  les  aime  comme  je 
sais  que  La  Ville-aux-Clercs  aime  les  siens,  il 
en  est  comme  d'une  toile  ou  un  fil  etoit  mal 
passe  :  on  est  dans  la  necessite  de  travailler  a 
un  autre. » 

Cependant  le  Roi  et  le   cardinal  ,  jugeant 
bien  que  I'inquietude   de  M.  de  Lorraine   et 
les  grandes  idees  que  I'Empereur   avoit  con- 
cues  de  I'eloigneraent  de  la  Reine-mere  hors  du 
royaume  et  de  celui  de  Monsieur,  pourroient 
susciter  de  grandes  affaires  ,  penserent  serieu- 
sement  aux  moyens  d'empecher  TEmpereur  de 
nous  attaquer,   et    de  faire  alliance  avec  les 
princes  qui  recherchoient  celle  de  la  France  en 
leur  offrant  des  secours  d'homraes  et  d'argent, 
si  TEmpereur  les  vouloit  inquieter  dans  leur  li- 
berte  et  dans   la   possession  paisible  de  leurs 
Etats.  L'archeveque  de  Treves  ayant  fait  son 
traite  le  premier,  on  laissa  des  troupes  sur  la 
frontiere  pour  encourager  les  autres  priiices  a 
suivre  son  exemple.  II  n'y  avoit  rien  a  craindre 
du  cote  de  I'Espagne ,  ou   Ton  etoit  occupe  a 
faire  la  guerre  aux  Hollandois,  a  qui  le  Roi  pre- 
toit  des  sommes  considerables,  ayant  merae  con- 
senti  que  le  baron  de...    leveroit  un  regiment 
pour  leur  service,  qui  seroit  neanmoins  entre- 
tenu  a  leurs  depens.  Le  prince  d'Orange  avoit 
fait  la  proposition  d'assieger  Maestricht ;  et  Sa 
Majeste  y  consentit  ,  aussi  bien  que  les  Pro- 
vinces-Unies,  qui  y  trouverent  leur  avantage  : 
premierement ,  parce  que  la  prise  de  cette  place 
leur  donnoit  le  moyen  de  s'entre-secourir,  et  se- 
condement  parce  que  le  prince  d'Orange  crai- 
gnoit  que  I'Empereur  n'aidat  le  roi  d'Espagne 
d'unepartie  deses  forces;  cequi  fit  qu'on  sti- 
pula  que  Sa  Majeste  Tres-Chretienne ,  le  cas  ar- 
rivant,  seroit  obligee  desoutenirce  prince  avec 
son  armee. 

Les  cboses  se  trouvant  ainsi  disposees,  M^  de 
Lorraine,  desespere  de  n'avoir  pu  tenir  la  pa- 
role qu'il  avoit  donnee,  prit  la  resolution  de  se 
faire  voir  arme ;  et  se  croyant  bien  assure  que 
Monsieur  entreroit  en  France ,  ce  prince  tint  de 
mauvais  discours  et  commit  des  actions  si  in- 
dignes  qu'il  obligea  le  Roi  de  retourner  en  Lor- 
raine. On  pent  bien  dire,  a  I'occasion  de  ce 
souverain  ,  que  le  cceur  de  Thomme  pense  tout 
autrement  qu'il  n'eut  fait,  quand  il  voit  par  ses 
yeux  arriver  le  contraire  de  ce  qu'il  avoit  cru. 
M.  de  Lorraine  ,  surpris  de  la  diligence  que  fit 


le  Roi ,  qui  avoit  deja  ordonn6  qu'on  attaquat 
son  armee,  fit  rechercher  Sa  Majeste,  qu'elle 
pria  d'oublier  le  passe  ,  sur  les  assurances  qu'il 
lui  donna  de  lui  etre  fidele  a  I'avenir  et  attache 
a  son  service.  Mais  n'ayant  pu  obtenir  qu'on  se 
contentat  de  sa  seule  parole  ,  11  donna  des  places 
d'otage ,  et  il  aima  mieux  remettre  au  Roi  Mar- 
sal  que  La  Motte  :  ce  qui  fit  juger  qu'il  etoit 
encore  dans  le  dessein  de  nous  traverser.  Ce- 
pendant on  trouva  que  c'etoit  assez  faire  pour 
lors  que  de  diminuer  la  puissance  de  ce  prince. 
Apres  que  Sa  Majeste  eut  ordonne  ce  qu'elle 
jugea  necessaire  pour  son  service ,  elle  reprit  le 
cbemin  de  Fontainebleau.  Le  Roi  y  apprit  la 
mort  du  marechal  d'Effiat  qui  commandoit  son 
armee  en  Allemagne,  etque  Monsieur,  frere  de 
Sa  Majeste,  etoit  entre  en  France  et  alloit  en 
Languedoc ,  sur  I'assurance  qu'il  avoit  d'y  etre 
recu  par  M.  de  Montmorency,  gouverneur  de 
cette  province.  On  ne  fit  qu'augmenter  le  feu 
qui ,  commencant  a  s'allumer,  pouvoit  dans  peu 
causer  un  grand  embrasement  dans  le  royaume; 
car,  au  lieu  de  I'eteindre  en  traitant  avec  Mon- 
sieur, on  punit  du  dernier  supplice  ceux  qui 
s'etoient  declares  pour  ce  prince,  et  Ton  fit  mar- 
cher des  troupes  pour  le  corabattre  sous  le  com- 
mandement  du  marechal  de  Schomberg   :  et 
quelques  jours  apres  M.  de  La  Force  eut  ordre 
de  s'avancer.  Le  premier  se  rendit  en  diligence 
dans  le  haut  Languedoc ,  et  le  second  marcha 
par  le  bas,  pour  empecher  les  huguenots  de 
preter  I'oreilleaux  propositions  qu'on  leur  faisoit 
de  se  declarer  en  faveur  de  Monsieur.  Le  Roi, 
s'etant  aussi  avance  du  cote  de  Lyon  ,  fit  expe- 
dier  une  declaration  par  laquelle  M.  de  Mont- 
morency etoit  reconnu  criminel  delese-majeste. 
Cette  declaration  fut  enregistree  au  parlement 
de  Toulouse  avant  que  ce  monarque  fut  arrive 
a  Lyon.  C'est  la  qu'il  recut  la  nouvelledu  com- 
bat donne  entre  ses  troupes  et  celles  de  M.  de 
Montmorency,  la  prise  du  due  et  leur  defaite. 
Cette  nouvelle  etoit  circonstanciee  d'une  telle 
maniere  que ,  quoiqu'on  ne  I'eut  pas  cue  de  la 
part  de  M.  de  Schomberg,  on  ne  laissa  pas  d'y 
ajouter  foi.  Enfin  le  courrier  de  ce  marechal  ar- 
riva,  et  apporta  le  detail  du  combat ,  des  morts 
et  des  prisonniers;  et  il  ajouta  que  M.  de  Mont- 
morency avoit  ete  conduit  au  chateau  de  Lec- 
toure.  Le  cardinal ,  qui  n'ignoroit  point  que  plu- 
sieurs  personnes  avoient  ete  temoins  de  I'offre 
que  ce  due  avoit  faite  de  le  faire  sortir  de  Lyon 
lorsque  la  sante  du  Roi  y  fut  desesperee,  fei- 
gnit  alors  de  plaindre  son  malheur,  et  me  dit 
meme,  un  jour  que  j'allai  lui  rendre  visite  : 
«  Je  plains  M.  de  Montmorency;  mais  il  ne 
peut  eviter  une  prison  perpetuelLe.  —  II  a  I'hon- 


nnU.XlKME    PARTtE.    [JG33] 


GI 


neur  d'appartenir,  lui  repondis-je,  a  ccux  qui 
ont  celui  d'etre  de  vos  parens.  lis  vous  seront 
tous  infiniment  obliges ,  Monseigneur,  si  vous 
obtenez  cela  du  Roi.  —  Pourquoi ,  me  dit  cette 
Eminence  ,  parlez-vous  ainsi?  —  Parce  que  , 
lui  repondis-je,  si  c'est  uu  grand  honneur  a 
M.  de  Montmorency  d'avoir  pour  soeur  madame 
la  princesse  et  madame  d'Angouleme ,  il  n'y  a 
point  aussi  de  gentilhorame  en  France  qui  ne 
tienne  a  tres-grande  gloire  s'il  veut  bien  le  re- 
connoitre pour  son  parent.  » 

Cependant  le  Roi  s'etant  determine  a  des- 
cendre  ie  Rhone  ,  a  pardouner  a  Monsieur  et  a 
ceux  qui  I'avoient  suivi ,  ce  prince  se  laissa  cou- 
per  le  chemin  de  sa  retraite  dans  le  Roussillon. 
Etonne  du  combat  qu'il  avoit  perdu  ,  et  dans  le- 
quel  on  disoit  que  le  comte  de  Moret  avoit  ete 
tue  ,  il  resolut  de  suivre  ,  avec  tous  ceux  de  son 
parti ,  la  loi  qu"on  voudroit  lui  imposer.  On  ac- 
cordaune  abolition  a  ceux-ci ,  a  condition  qu'ils 
diroient  la  verite  dans  leur  interrogatoire.  Le 
premier  qui  le  subit  fut  Puylaurens ,  qui , 
etant  interroge  s'il  avoit  connoissance  que  Mon- 
sieur eut  epouse  la  princesse  Marguerite  de  Lor- 
raine ,  repondit  que  non ;  parce  que ,  des  le 
temps  que  la  cour  etoit  proche  de  Nancy,  on  te- 
noit  ce  mariage  pour  consomme ,  ou  du  moins 
pour  tout-a-fait  resolu. 

[1G33]  L'on  avoit  donne  ordre  a  M.  de  Saint- 
Cbaumont ,  qui  commandoit  I'armee  du  Roi  , 
de  prendre  garde  a  ceux  qui  sortiroient  de  cette 
ville;  mais  cette  princesse  ayant  eu  le  bonlieur 
de  n'etre  pas  reconnue  dans  le  can-osse  du  due 
Francois ,  son  frere ,  qu'on  nommoit  pour  lors 
le  cardinal  de  Lorraine  ,  elle  passa  en  Fiandre, 
oil  depuis  eile  a  fait  un  long  sejour,  et  ou  Mon- 
sieur declara  qu'il  I'avoit  epousee.  Le  cardinal 
de  Richelieu  ,  dont  la  vigilance  fut  dupee  alors , 
eut  beau  en  etre  averti ,  il  n'en  voulut  jamais 
rien  croire  qu'apres  que  la  chose  fut  confirmee 
a  n'en  pouvoir  plus  douter.  Cependant  on  pro- 
ceda  (1)  extraordinairement  a  Toulouse  contre 
M.  de  Montmorency ;  et  Monsieur,  en  etant 
averti,  depecha  La  Vaupot,  proche  parent  de 
Puylaurens,  pour  demander  sa  grace.  Ce  prince 
s'etoit  abstenu  jusque-la  de  la  demander,  parce 
qu'on  I'avoit  assure  en  Roussillon  qu'on  ne  I'ob- 
tiendroit  jamais  ;  mais  comme  il  croyoit  qu'elle 
lui  avoit  ete  promise  ,  il  se  flattoit  par  la  d'etre 
en  droit  de  I'esperer  de  la  bonte  du  Roi. 

Dans  le  temps  que  La  Vaupot  se  rendit  a 
Toulouse,  M.  de  Montmorency^,  qui  avoit  su 

(1)  Ces  faits  appartiennent  a  rann(5el632.  Monlmo- 
rcncv  p^rit  sur  I'^chafaud  le  30  oclobrc  de  cette  anncfc. 

(A.E.) 


que  Monsieur  etoit  marie  ,  crut  qu'il  etoit  de  sou 
devoir  d'en  avertir  Sa  Majeste ;  et  il  se  servit 
pour  cela  de  Launay,  lieutenant  des  gardes-du- 
corps ,  lequel ,  etant  parent  de  Puylaurens ,  fit 
reproche  a  La  Vaupot  du  mystere  qu'il  lui  en 
avoit  fait ,  et  lui  en  montra  les  consequences  : 
dont  La  Vaupot  fut  si  etonne,  qu'il  prit  sur-le- 
champ  conge  du  Roi  et  s'en  alia  a  RIois,  ou  if 
fut  cause  que  Monsieur  so  rctira  promptement 
en  Fiandre.  Le  cardinal  de  La  Vallette  et  le 
comte  de  Guiche  allant  rendre  visite  a  madame 
la  princesse  le  meme  jour  que  le  Roi  arriva  a 
Toulouse,  je  priai  ce  comte  de  faire  mes  ex- 
cuses a  Sa  Majeste  si  je  n'etois  pas  du  voyage  ; 
mais  que  j'avois  cru  qu'il  etoit  a  propos  pour 
son  service  que  j'attendisse  I'arrivee  du  cardi- 
nal ,  pour  voir  quels  ordres  l'on  donneroit  a  des 
troupes  qui  etoient  en  bataille  devant  I'archeve- 
che  ou  le  Roi  etoit  loge.  Me  doutant  bien  qu'on 
les  enverroit  a  Lectoure  y  prendre  M.  de  Mont- 
morency pour  I'amener  a  Toulouse,  j'allai  le 
lenderaain  rendre  mes  devoirs  a  madame   la 
princesse  ,  dont  les  larmes  ni  les  soumissions  , 
non  plus  que  celies  de  la  plus  illustre  noblesse 
du  royaume ,  ne  purent  flechir  le  coeur  du  Roi, 
qui  vouloit  que  I'arret  de  mort  rendu  centre 
M.  de  Montmorency  fiit  execute.  Le  cardinal  fit 
semblant  d'en  elre  afilige  ;  mais  on  a  trop  bien 
su  depuis  que  ,  surprenant  a  son  ordinaire  I'es- 
prit  du  Roi ,  il  avoit  empeche  Sa  Majeste  de 
faire  un  acte  de  clemence  que  toute  la  cour  au- 
roit  achete  de  son  sang. 

Le  Roi  honora  dans  ce  temps-la  du  baton  de 
marechal  de  France  le  marquis  de  Rreze,  qui 
avoit  servi  sous  M.  de  Schomberg;  mais  il  ar- 
riva, malheureusement  pour  le  nouveau  mare- 
chal, que  pen  de  personnes  dirent  I'avoir  vu  agir 
dans  le  combat.  La  haine  que  l'on  portoit  au 
cardinal  s'etendoit  sur  sa  famille  et  sur  ceux 
qui  etoient  allies  a  Son  Eminence ,  outre  que  ce 
n'est  pas  une  chose  extraordinaire  de  voir  que 
ceux  qui  sont  en  charge  et  qui  commandent , 
quoique  appliques  a  ce  qui  est  de  leur  devoir, 
manquentaetreloues,  ou  parce  qu'ils  ne  sesont 
pas  assez  distingues,  ou  bien  parce  que  les  su- 
balternes  leur  portent  envie. 

M.  de  Schomberg  fut  pourvu  du  gouverne- 
ment  de  Languedoc  ,  qu'il  ne  garda  pas  long- 
temps  ;  mais  le  due  d'Halluin  lui  succeda , 
quoiqu'il  n'eut  pas  6te  au  voyage  du  Roi,  etant 
reste  a  Paris,  a  cause  d'un  coup  de  pistolet  qu'il 
avoit  recu  au  bras  en  defaisant  un  des  quar- 
tiers  oil  etoient  logees  les  troupes  de  M.  le  due 
de  Lorraine  ,  dont  nous  avons  parle  ci-devant. 
Avant  que  Sa  Majeste  se  rendit  a  Toulouse , 
eile  sejourna  au  Pont-Saint-Esp rit ,  oil  le  bon 


a  2 


MEMOIBES    DU    COMTE    DE    BBIENNE 


homme  Deshayes  (i)  demanda  au  Roi  la  grace 
de  Courmenin ,  son  fils  ,  qui  avoit  ete  pris 
charge  de  plusieurs  papiers  contraires  au  ser- 
vice de  Sa  Majeste  ,  comme  ii  revenoit  d'AlIe- 
magne ,  ou  il  etoit  alle  negocier  pour  Monsieur. 
L'araitie  que  j'avois  pour  ie  \  ieux  Deshayes  le 
persuada  qu'il  pourroit  descendre  chez  moi,  et 
que  je  voudrois  bien  dire  au  cardinal  qu'il  etoit 
arrive  pour  solliciter  la  grace  de  son  fils ,  et 
qu'il  I'esperoit  des  bontes  de  Son  Eminence.  II 
ne  fut  pas  trompe  dans  ce  qu'il  attendoit  de 
moi ,  car  je  le  recus  fort  bien ,  et  je  m'acquittai 
de  meme  de  la  commission  qu'il  m'avoit  don- 
nee  pour  le  premier  ministre.  Son  Eminence 
me  demanda  pourquoi  ma  maison  avoit  servi 
de  retraite  a  Deshayes  ,  et  je  lui  repondis  sans 
hesiter  :  "  Monsieur,  ma  maison  ne  pouvoit  etre 
fermee  a  mon  ami.  II  m'auroit  offense  d'en 
prendre  une  autre.  »  J'ajoutai  que  Deshayes  se 
promettoit  autre  chose  de  sa  generosite.  Le  car- 
dinal se  radoucit ,  et  me  fit  dire  de  lui  conseil- 
ler  de  s'en  retourner  a  Paris ;  mais  il  ne  me 
repondit  rien  sur  I'article  de  Courmenin.  Nous 
jugeames,  son  pere  et  moi,  qu'il  periroit  : 
comme  en  effet  il  fut  juge  et  execute  a  mort 
pendant  le  sejour  que  le  Roi  fit  a  Reziers. 

M.  de  Rebe  ,  archeveque  de  Narbonne  ,  de- 
manda ,  dans  I'assemblee  des  Etats  de  Langue- 
doc ,  grace  pour  les  coupables ,  et  crut  avoir 
assez  fait  par  la  pour  la  satisfaction  de  la  fa- 
mille  de  M.  de  Montmorency,  qui  n'en  jugea 
pas  de  meme  ,  puisqu'il  chargea  en  meme  temps 
le  due  de  tout  le  mal  de  la  province.  Gela  ,  joint 
aux  recompenses  qu'il  recut  dans  la  suite,  fit 
juger,  avec  beaucoup  de  raison,,  qu'il  avoit  ete 
gagne  par  ceux  qui  vouloient  la  perte  de  M.  de 
Montmorency. 

Le  Roi  partit  de  Toulouse ,  et ,  dans  I'impa- 
tience  ou  il  etoit  de  se  rendre  a  Versailles ,  il 
passa  par  le  Limosin,  pour  gagner  deux  ou 
trois  journees  de  chemin.  La  Reine  ,  pour  faire 
plaisir  au  cardinal ,  descendit  la  Garonne  jus- 
ques  a  Bordeaux  ,  et  fut  a  Brouage  ,  ou  ce  pre- 
mier ministre  s'etoit  prepare  pour  la  recevoir; 
mais  ,  etant  tombe  malade  a  Bordeaux ,  il  fut 
oblige  de  faire  ses  excuses  a  Sa  Majeste  de  ne 
pouvoir  setrouver  a  Brouage  a  son  passage  ,  et 
il  chargea  le  garde-des-sceaux  d'y  faire  pour 
lui  les  honneurs  de  sa  maison. 

Le  cardinal  fut  extremement  surpris  d'ap- 
prendre  que  la  Reine  n'avoit  pas  ete  plus  tot 
erabarquee  que  M.  d'Epernon  avoit  fait  pren- 

(1)  On  a  dc  lui  un  voyage  tres-int(5ressant  de  la  Terrc- 
Sainte ;  Paris,  1621.  M.  de  Chikteaubriand  a  parlo  de  cot 
ouvrage  avcc  ^logc  dans  son  Itineraire  de  Paris  a  Je- 


dre  les  armes  a  ses  gardes  et  se  promenoit  par 
la  ville.  L'esprit  de  Son  Eminence  etoit  autant 
agitee  par  la  crainte  que  par  toutes  ses  autres 
passions.  II  se  persuadoit  que  M.  d'Epernon 
avoit  senti  jusqu'au  vif  la  mort  de  M.  de  Mont- 
morency. II  resolut  done  de  partir  et  de  s'em- 
barquer  pour  Blaye ,  sans  oublier  jamais  que  si 
M.  d'Epernon  n'avoit  pas  eu  intention  de  lui 
faire  du  mal ,  il  avoit  du  moins  eu  celle  de  lui 
en  faire  la  peur. 

La  maladie  du  cardinal  ayant  ete  de  longue 
duree ,  il  accorda  au  garde-des-sceaux  la  per- 
mission qu'il  lui  demanda  de  se  rendre  aupres 
du  Roi,  quoiqu'il  soupconnat  ce  magistrat  d'etre 
attache  a  la  Reine  et  d'avoir  pris  des  mesures 
aveemadame  de  Chevreuse.  II  fit  meme  remar- 
quer  a  ceux  qui  avoient  sa  confiance  que  M.  de 
Chateauneuf ,  le  voyant  en  danger,  pensoit  a 
prendre  sa  place;  et  il  y  a  beaucoup  d'appa- 
rence  qu'il  en  fit  avertir  le  Roi ,  qui  recut  tres- 
froidement  le  garde-des-sceaux. 

Le  cardinal ,  se  trouvant  enfin  soulage  et  en 
etat  de  rejoindre  la  cour,  engagea  Sa  Majeste  a 
donner  la  confiscation  des  biens  de  feu  M.  de 
Montmorency  a  mesdames  ses  sceurs;  mais  de 
telle  maniere  que  I'ainee  ne  fiit  pas  traitee 
comme  la  cadette ,  ni  la  seconde ,  qui  etoit  la 
duchesse  de  Ventadour,  comme  madame  d'An- 
gouleme.  Les  lettres  de  don  et  de  remise  en  fu- 
rent  expediees,  et  madame  la  princesse  se  rendit 
a  Paris,  ou  elle  recut,  avec  beaucoup  de  mor- 
tification ,  les  visites  de  ses  plus  cruels  ennemis. 
Et  meme,  pour  ne  pas  deplaire  a  M.  le  prince 
son  mari,  elle  fut  obligee  d'aller  voir  M.  le 
garde-des-sceaux  ,  qui  avoit  ete  juge  de  M.  de 
Montmorency  son  frere,  et  eleve  page  de  son 
pere.  Cependant ,  soit  que  le  cardinal  ne  fut  pas 
content  de  M.  de  Chateauneuf,  ou  que  d'ail- 
leurs  sa  maniere  d'agir  lui  depliit,  il  prit  des 
mesures,  dans  le  voyage  qu'il  fit  a  Metz  avec  le 
premier  president ,  le  president  Seguieret  quel- 
ques  autres  deputes  du  parlement  de  Paris,  pour 
faire  entendre  au  Roi  que  beaucoup  de  gens  fai- 
soient  des  plaintes  de  ce  magistrat;  et  par  la  il 
engagea.  le  monarque ,  non-seulement  a  eloi- 
gner le  garde-des-sceaux  de  la  cour  et  des  af- 
faires, rnais  meme  a  le  faire  arreter  prisonnier. 
II  y  avoit  peu  dapparence que  deux  gardes-des- 
sceaux,  destitues  sous  le  meme  ministre,  fus- 
sent  traites  differemment.  Hauterive ,  frere  de 
M.  de  Chateauneuf,  n'eut  pas  evite  non  plus 
d'etre  arrete  ,  s'il  n'eut  ete  averti  par  un  de  ses 

rusalem,  tome  2,  et  11  en  acit^  une  description  de  \'6- 
glise  du  Saint-Sepulcre.  (A.  E.) 


DEUXIEME    PARTIE.    [1034 


amis  de  la  disgrace  du  magistral :  ce  qui  I'o- 
bligea  de  songer  a  sa  surete. 

[1634]  Le  president  Seguier,  qui  fut  eleve  a 
la  dignite  de  garde-des-sceaux ,  n'en  cut  pas 
plus  tot  prete  le  serment  que  le  Roi  alia  a  Chan- 
tilly,  ou  Ton  continua  a  penser  de  faire  une 
promotion  de  chevaliers ,  comme  on  I'avoit  re- 
solu  avant  la  disgrace  de  M.  de  Chateauneuf.  Le 
cardinal  fut  d'avis  que  la  ceremonie  en  fut  dif- 
feree,  y  ayant  alors  trop  de  personnes  qui 
avoient  assez  bien  servi  pour  y  avoir  part ;  et  il 
engagea  le  Roi  a  la  faire  a  Fontainebleau  le  jour 
de  la  Pentecote.  Sa  Majeste  ayant  donne  sa  pa- 
role a  piusieurs  personnes,  du  nombre  des- 
quelies  j'etois ,  le  cardinal  y  voulut  faire  com- 
prendre  aussi  ses  parens  et  ses  creatures ,  parti- 
culierement  ceux  qui  avoient  servi  contre  M.  de 
Montmorency,  II  y  reussit  par  son  adresse,  de 
maniere  qu'on  pent  dire  que  ses  parens  et  ses 
amis  furent  preferes  aux  bons  et  fideles  servi- 
teurs  du  Roi.  II  est  pourtant  vrai  qu'on  ne  laissa 
pas  de  recevoir  dans  cette  promotion  piusieurs 
sujets  qui  avoient  merite  cet  honneur.  Sa  Ma- 
jeste declara  que  je  serois  de  la  suivante ,  et  elle 
voulut  que  cela  fut  insere  dans  le  registre  de 
ses  ordres. 

Je  me  rendis  a  Fontainebleau  le  lendemain 
de  la  ceremonie ,  et ,  faisant  ma  cour  a  mon 
ordinaire, je  fus  parfaitement  bien  recu  du  Roi  : 
le  cardinal  meme  m'ayant  fait  dire  que  ,  si  j'a- 
vois  quelque  chose  a  desirer,  il  m'offroit  ses 
services  et  son  credit ;  je  repondis  a  ceux  qui 
m'en  parlereut  que  je  ne  lui  demandois  que 
I'honneur  de  ses  bonnes  graces;  car  je  ne  ju- 
geai  point  a  propos  de  me  plaindre ,  afin  que  le 
bruit  ne  se  repandit  point  a  la  cour  quej'avois 
du  mecontentement ,  ni  que  Ton  crut  que  je  vou- 
lois  etre  eleve  par  I'entremise  d'autrui,  etant 
persuade  que  cela  etoit  du  a  mes  services.  M.  le 
prince  me  fit  compliment,  et  le  comte  de  Sois- 
sons  me  temoigna  du  chagrin  de  celui  que  je 
devois  avoir,  Generalement  tout  ce  qu'il  y  avoit 
de  personnes  considerables  a  la  cour  en  firent 
de  meme. 

Le  Roi  apprit  pour  lors  la  mort  de  Walstein, 
due  de  Fridland ,  qui  fut  tue  par  le  commande- 
ment  de  I'Empereur ;  et  comme  Sa  Majeste , 
dont  le  naturel  etoit  craintif  et  Thumeur  severe, 
croyoit  que  I'autorite  ne  se  maintenoit  que  par 
la  crainte  ,  elle  loua  beaucoup  ceux  qui  avoient 
obei  a  I'Empereur ;  mais  cela  fut  desapprouve 
par  le  cardinal.  II  en  fit  meme  ses  plaintes  an 
Roi,  qui  s'expliqua  tout  autrement  qu'il  n'avoit 
fait  le  jour  precedent.  On  soupconna  pourtant 
le  premier  ministre  d'avoireu  d'etroites  liaisons 
avec  le  gentilhomme  qui  avoit  commis  cet  as- 


63 

sassinat ,  dont  il  avoit  cru  pouvoir  se  servi r 
dans  les  occasions.  Comme  ce  jour-la  je  fus  uu 
de  ceux  devant  qui  Sa  Majeste  s'expliqua ,  j'at- 
tendis  d'etre  seul  avec  le  Roi  pour  lui  dire  ce 
quej'avois  sur  le  coeur,  et  je  le  fis  en  ces  termes  : 
'<  Sire ,  ce  n'est  que  la  bouche  qui  parle ,  mais 
nous  en  savons  la  raison.  «  Cela  ne  deplut  point 
a  ce  monarque. 

L'ete  s'avancant ,  le  cardinal,  tout  malade 
qu'il  etoit ,  determina  le  Roi  a  envoyer  en  Lor- 
raine M.  de  Soissons ,  pour  soutenir,  en  cas  de 
besoin,  le  cardinal  de  LaValette,  qui  etoit 
entre  en  AUemagne  afin  de  favoriser  les  des- 
seins  du  due  Reruard  de  Weimar,  ou  pour  atta- 
quer,  si  loccasion  s'en  presentoit,  les  places  du 
due  de  Lorraine  qui ,  etant  entieremeut  devoue 
a  I'Empereur,  retardoit  et  empechoit  les  pro- 
gres  de  I'armee  des  confederes.  Mais  parce  que 
le  Roi  avoit  toujours  de  la  jalousie  contre  le 
comte  de  Soissons,  et  qu'il  etoit  bien  difficile 
d'empecher,  autrement  que  par  Teloignement 
de  ce  comte ,  qu'il  ne  passat  par  I'esprit  de  Sa 
Majeste  beaucoup  d'imaginations  qui  deplai- 
soient  a  ceux  qui  vouloient  gouverner,  le  voyage 
du  Roi  en  Lorraine  fut  resolu  ;  et  ce  monarque 
ne  fut  pas  plus  tot  arrive  a  Chalons,  qu'il  or- 
donna  a  M.  de  Soissons  d'aller  investir  Saint- 
Michel.  II  le  suivitde  pres  pour  se  trouver  a 
I'ouverture  de  la  tranchee. 

Cette  place,  etant  de  son  assiette  assez  mau- 
vaise  et  pen  fortifiee ,  mais  defendue  pourtant 
par  une  garnison  de  douze  cents  hommes  de 
pied  et  de  cavalerie  ,  fit  croire,  avec  quelque 
sorte  de  fondement,  que  M.  de  Lorraine  hasar- 
deroit  une  bataille  pour  la  sauver.  On  ne  laissa 
pas  de  I'investir  et  de  I'attaquer ;  et  le  temps 
s'etant  passe  dans  lequel  ce  prince  devoit  se 
presenter  pour  contraindre  le  Roi  a  en  lever  le 
siege ,  le  gouverneur  fit  offre  de  rendre  sa  place 
a  composition.  Sa  Majeste  voulut  I'avoir  a  dis- 
cretion, et  que  les  officiers  et  les  soldats  fussent 
prisonniers  de  guerre ,  en  conservant  cependant 
aux  habitans  leur  vie  et  leurs  biens.  Le  garde- 
des-sceaux  et  quelques-uns  de  ceux  qui  avoient 
suivi  le  Roi  lui  mirent  dans  I'esprit  que  la  capi- 
tulation ne  seroit  point  violee,  si  Ton  envoyoit 
aux  galeres  tous  ces  miserables  ,  qui ,  a  la  ve- 
rite  ,  ne  meritoient  pas  un  moindre  chatiment 
pour  avoir  ose  defendre  une  telle  place  contre 
une  armee  royale ,  et  le  Roi  present. 

J'arrivai  dans  le  temps  qu'on  expedioit  cette 
ordonnance;  et  ceux  qui  y  avoient  donne  lieu 
voulant  absolument  que  ce  qu'iis  avoient  pro- 
pose fut  approuve  de  tout  le  monde ,  on  me  de- 
manda  mon  sentiment.  «  A  Dieu  ne  plaise ,  m'e- 
criai-je,  que  je  sois  de  votre  avis;  car  c'est  la 


(i4 


MEMOIBES    liU    COMTi:    DE    l!r.IE.\NE 


une  injustice  qui  crie  vengeance  devant  Dieu  et 
devant  les  hommes.  »  Le  Roi ,  qui  m'eutendoit, 
me  dit  en  colere :  «  Vous  blamez  volontiers  ce 
que  les  autres  font ;  et  cela  me  paroit  surpre- 
nant,  en  ce  que  j'ai  suivi  I'avis  de  tous  ceux 
de  mon  conseil.  —  Sire  ,  lui  repondis-je ,  ce  sont 
les  avis  de  ceux  qui  portent  la  robe,  et  qui 
savent  bien  qu'ils  ne  peuvent  etre  exposes  a  une 
pareille  disgrace  ;  mais  s'il  plaisoit  a  Votre  Ma- 
jeste  de  me  permettre  d'aller  prendre  les  voix 
de  ceux  de  son  conseil  qui  sout  d'epee ,  je  suis 
assure  qu'ils  condaraneroient  tout  ce  qui  a  ete 
arrete,  et  vous  feroient  de  tres-humbles  suppli- 
cations pour  la  revocation  d'un  tel  ordre.  Les 
pauvres  malheureux,  continuai-je  ,  qui  sout  pri- 
sonniers  de  guerre  peuvent  etre  echanges  contre 
d'autres,  et  gardes  tant  et  si  long-temps  qu'il 
plairaa  Votre  Majeste  ;  mais  ils  ne  doivent  etre 
soumis  a  aucune  peine  aftlictive  qui  emporte 
avec  soi  confiscation  de  biens,  etc.,  ui  meme  a 
etre  maltraites ,  puisqu'ils  se  sont  rendus  pri- 
sonniers  de  guerre.  »  Cependant  j'eus  beau  faire, 
ma  remontrance  ne  fut  point  ecoutee. 

Dans  le  temps  que  Sa  Majeste  se  trouvoit  en- 
core a  Saint-Michel,  apres  que  la  place  fut  ren- 
due ,  le  cardinal  de  La  Valette  vint  au  quartier 
du  Roi  et  apprit  a  Sa  Majeste  une  chose  tres- 
veritable.  «  J'ai,  dit-il,  battu  trois  fois  les  en- 
nemis  dans  ma  retraite.  >-  Mais  il  lui  cela  qu'ils 
avoient  toujours  pris  les  devans ,  et  que  Galas 
etoit  en  etat  d'entrer  en  France.  Chavigny,  pour 
<(ui  M.  de  La  Valette  n'avoit  point  de  secret, 
depecha  au  cardinal  de  Richelieu ,  afm  de  sa- 
voir  ce  qu'il  etoit  a  propos  de  faire,  sans  lui  de- 
guiser  que  les  troupes  ramenees  par  le  cardinal 
de  La  Valette,  ni  celles  que  commandoient 
MM.  d'Angouleme  et  de  La  Force,  n'etoient  pas 
suffisantes  pour  faire  tele  a  I'armee  iraperiale, 
d'autant  plus  que  la  cavalerie  francoise  n'etoit 
composee  que  des  gentilshommes  de  I'arriere- 
ban,  qui  demanderoient  la  permission  de  se 
retirer  quand  le  temps  de  leur  service  seroit 
expire. 

M.  de  Chavigny  recut  bientot  la  reponse  qu'il 
attendoit ,  et  qui  portoit  qu'il  falloit  engager  le 
Roi  a  rester  en  Lorraine  et  meme  a  se  loger  a 
Toul ,  pour  faire  craindre  ses  armes  et  pour 
donner  de  la  terreur  a  ses  ennemis.  Pendant 
qu'il  attendoit  des  nouvelles  du  cardinal ,  il  fai- 
soit  tenir  des  conseils  a  Sa  Majeste  pour  I'amu- 
ser.  La  necessite  qu'il  y  avoit  de  reparer  Saint- 
Michel  aidoit  aussi  a  favoriser  ses  desseins, 
quand  ilarriva,  un  jour  que  le  Roi  eloit  enfer- 
me  dans  son  cabinet  avec  le  cardinal  de  La  Va- 
lette et  Chavigny,  que  le  comte  de  Soissons  vint 
dans  la  chambre  de  Sa  Majesty  et  lui  iit  dire 


qu'il  avoit  a  lui  parler.  On  repondit  a  ce  prince 
d'attendre ,  et  que  le  Roi  etoit  empeche  pour  des 
affaires  importantes  qui  ne  regardoient  point  la 
guerre.  M.  de  Soissons,  pique  d'un  tel  mepris, 
auroit  pris  le  parti  de  quitter  I'armee  et  de  se 
retirer  d'abord ,  si  ses  creatures  ne  lui  eussent 
donne  a  entendre  qu'il  feroit  mieux  de  dissimu- 
ler.  Cependant  il  n'eut  pas  la  moindre  satisfac- 
tion en  cette  affaire ,  et  Ton  cessa  meme  de  lui 
communiquer  ce  qu'on  avoit  resolu  de  faire  ,  le 
dessein  d'aller  h  Rar  et  celui  d'en  retirer  les 
troupes  que  ce  prince  y  commandoit.  Ce  dessein 
suiprit  d'autant  plus  que  le  comte  de  Cramail 
recut  I'ordre  de  les  remettre  au  cardinal  de  La 
Valette ,  sans  avoir  auparavant  celui  de  venir 
trouver  le  Roi.  La  cour  tit  quelque  sejour  a  Rar, 
ou  le  courrier  depeche  par  le  cardinal  etant  ar- 
rive, le  garde-des-sceaux  et  MM.  de  La  Meille- 
raye  et  de  Chavigny  entreprirent  de  persuader 
a  Sa  Majeste  de  s'en  aller  loger  a  Toul :  ce  qui 
etonna  beaucoup  ceux  qui  connoissoient  la  si- 
tuation et  la  foiblesse  de  cette  place.  Le  Roi , 
apres  leur  avoir  temoigne  le  mecontentement 
qu'il  avoit  d'un  pareil  conseil ,  et  qu'il  ne  pou- 
voit  se  resoudre  a  le  suivre ,  me  fit  I'honneur 
de  m'en  parler  comme  j'entrois  dans  son  cabi- 
net :  ce  qui  me  surprit  fort.  Sa  Majeste,  en  me 
demandant  mon  avis ,  m'expliqua  bien  au  long 
les  raisons  dont  on  se  servoit  pour  le  persuader. 
J'agis  en  cette  rencontre  comme  font  pour  I'or- 
dinaire  ceux  qui  craignent  de  se  meprendre;  et 
je  connoissois  d'ailleurs  le  credit  du  cardinal, 
son  adresse ,  et  les  moyens  dont  il  se  servoit 
pour  accabler  ceux  qui  avoient  le  malheur  de 
lui  deplaire;  mais  pour  ne  pas  demeurer  court 
entierement ,  et  ne  rien  dire  aussi  dont  je  pusse 
me  repentir  dans  la  suite ,  je  demandai  a  Sa  Ma- 
jeste de  quel  les  troupes  on  se  serviroit.  «  Des 
compagnies  des  gardes ,  me  dit-elle,  qui  sont 
aupres  de  moi ,  et  de  mes  mousquetaires ,  avec 
cinquante  de  mes  gendarmes  et  autant  de  mes 
chevaux-legers.  Croyez-vous  que  je  puisse  et  que 
je  doive  faire  ce  que  Ton  me  propose?"  Mais, 
voulant  encore  eviter  de  decouvrir  mon  senti- 
ment ,  sur  ce  que  M.  de  Chavigny  m'avoit  dit 
deux  choses ,  la  premiere  qu'il  parloit  par  I'or- 
dre du  cardinal ,  et  la  seconde  que  la  France 
etoit  perdue  si  Ton  ne  conservoit  la  ville  de 
Toul ,  je  crus  qu'il  etoit  de  mon  devoir  de  par- 
ler ainsi  au  Roi  :  «  Votre  Majeste ,  qui  est  aussi 
experimentee  que  les  plus  grands  capitaines, 
peut  juger  si  elle  seroit  en  etat  de  hasarder  une 
seconde  hataille,s'il  arrivoit(ce  queje  ne  crain- 
drois  point,  s'il  plait  a  Dieu)  que  malheureuse- 
ment  elle  vint  a  etre  battue  avec  les  troupes 
qu'elle  conduiroit,  et  celles  que  lui  fourniroit 


DEUXIEME    PARTIE,    [1634] 


C5 


son  armee. — Qu'en  croyez-vous?  me  repliqua 
le  Roi.  »  Et  Chavigny  me  repeta  ce  qu'il  m'a- 
voit  deja  dit.  «  Mais,  Monsieur,  lui  rcpondis-je, 
si  ce  lieu  etoit  si  raauvais  qu'il  fiit  impossible 
de  le  defendre ,  en  cas  que  I'armee  du  Roi  vint 
a  etre  battue,  quel  parti  pourroit  prendre  Sa  Ma- 
jeste?  —  De  se  retirer,  me  dit-il.  »  A  quoi  je  lui 
repartis :  «  A  Dieu  ne  plaise  que  Je  puisse  etre 
de  \otre  sentiment!  »  Et  puis,  adressant  la  pa- 
role au  Roi  ,  je  lui  parlai  ainsi  :  <■  Sire ,  M.  de 
Chavigny  ne  pretend  pas  obtenir  de  Votre  Ma- 
jesle  ce  qu'il  lui  demande ,  mais  seulement 
qu'elle  paroisse  en  avoir  envie  ,  etant  assure  que 
tout  ce  qu'il  y  a  de  braves  gens  aupres  de  Votre 
Majeste  se  mettront  a  genoux  pour  vous  en  de- 
tourner,  et  offriront  de  sacrifler  leur  vie  pour 
la  defense  de  la  ville  de  Toul ,  si  eel  a  est  neces- 
saire  pour  votre  service.  Que  Votre  Majeste  ait 
done ,  s'il  lui  plait ,  agreable  de  se  declarer ;  et 
moi  je  m'engage  a  donner  I'exemple  aux  autres, 
et  a  ne  point  demander  de  grace  ,  si  je  suis  assez 
malheureux  pour  signer  la  capitulation. — J'en 
suis  bien  persuade,  me  repondit  leRoi. » M.  de  La 
Meilleraye,  voyant  qu'il  seroit  impossible  d'o- 
bliger  ce  monarque  a  faire  ce  que  Ton  souhai- 
toit ,  lui  proposa  de  faire  du  sejour  a  Saint-Di- 
zier  ;  a  quoi  ayant  consenti,  la  cour  partit  le 
lendemainpour  s'y  rendre.  Le  Roi  reprit  ensuile 
le  cherain  de  Paris ,  ou  M.  de  Soissons  I'ayant 
devance  ,  et  s'etant  plaint  au  cardinal  du  mau- 
vais  traitement  qu'il  avoit  recu ,  celui-ci  enga- 
gea  Sa  Majeste  a  lui  en  faire  quelque  sorted'ex- 
cuse  etde  reparation. 

Le  comte  de  Gramail  fut  mis  alors  a  la  Bas- 
tille pour  avoir  parle  trop  librement  au  Roi ,  et 
pour  n'avoir  pas  fait  assez  d'etat  de  ce  que  ce 
monarque  avoit  voulu  lui  dire.  Je  I'avois  averti 
de  ne  se  point  trop  arreter  a  ce  que  Sa  Majeste 
lui  pourroit  temoigner  dans  la  colere  ,  de  peur 
qu'on  ne  s'en  prevalut  5  parce  que  les  temps 
etoient  tels  que  Ton  s'en  prenoit  souvent  a  ceux 
qui  n'etoient  pas  coupables.  Ma  prevoyance  fut 
cependant  des  plus  inutiles.  De  tres-habiles 
courtisans  coureut  souvent  d'eux-memes  a  leur 
perte  ,  sans  pouvoir  i'eviter.  On  s'entretint  des 
affaires  d'Allemagne  pendant  I'hiver  :  et  le 
cardinal ,  etant  bien  averti  que  le  roi  d'Angle- 
terre  etoit  dans  les  interets  de  TEspagne ,  son- 
gea  a  lui  susciter  des  affaires ,  et  y  reussit  ; 
mais  les  choses  allerent  bien  plus  loin  qu'il  n'a- 
voit  prevu  et  qu'il  ne  I'eut  souhaite.  Les  Ecos- 
sois,  se  tenant  corarae  assures  de  la  France  ,  re- 
fuserent  au  roi  de  la  Grande-Bretagne  de  rece- 
voir  des  eveques ,  et  de  leur  donner  la  meme 
autorite  qu'ils  avoient  en  Angleterre.  Les  rai- 
nistres  d'Ecosse ,  qui  de  tout  temps  y  ont  eu 

111.    C.    D.    M.,   T.  III. 


un  tres-grand  pouvoir,  s'y  opposerent ,  et  pri- 
rent  des  mesures  contre  I'Etat  qui  I'ont  presque 
abyme,  et  qui  enfin,  de  libre  qu'il  etoit  aupa- 
ravant,  I'ont  rendu  une  province  soumisea  I'An- 
gleterre. 

La  guerre  fut  continuee  en  Allemagne  sous 
dilTerens  pretextes  ,  et  le  Roi  fit  assurer  de  sa 
protection  les  princes  protestans  qui  voulurent 
en  profiler.  II  traita  encore  avec  I'electeur  de 
Treves  ,  lequel  ,  s'etant  laisse  surprendre  par 
les  troupes  imperiales  ,  a  ete  le  sujet  apparent 
d'une  longue  guerre,  qui  sans  cela  n'eiit  pas  laisse 
de  s'alluraer  dans  la  suite. 

Le  cardinal  n'avoit  cependant  point  oublie 
que  le  Roi  ne  s'etoit  excuse  de  I'eloigner  de  la 
cour,  que  parce  qu'il  avoit  des  affaires  sur  les 
bras  qu'il  vouloit  linir  avant  que  de  songer  a  la 
reformation  de  I'Etat.  M.  de  Lorraine  fournit 
encore  lui-meme  a  ce  monarque  un  pretexte 
d'affaires  dans  son  pays  ;  et  quoiqut?  Sa  Majeste 
n'eiit  guere  de  troupes  avec  elle,  elle  ne  laissa 
pas  de  faire  commencer  une  circonvallation  au- 
tour  de  Nancy.  II  y  avoit  beaucoup  d'apparence 
que  le  cardinal  etoit  bien  informe  que  ceux  qui 
y  commandoient  n'etoient  pas  en  trop  bonne 
intelligence  ;  autrement  c'eut  ete  une  action  des 
plus  temeraires  d'entreprendre  ce  siege  dans 
une  saison  aussi  avancee  qu'elle  I'etoit :  et  peut- 
etre  que  Son  Eminence  se  seroit  vue  fort  em- 
barrassee  et  exposee  aux  reproclies  du  Roi  na- 
turellement  fort  impatient,  si  M.  de  Lorraine, 
sachant  les  armees  d'Espagne  eloignees ,  et  ne 
presumant  pas  que  la  sienne  piit  faire  un  affront 
a  celle  du  Roi ,  n'eut  propose  de  traiter.  Ayant 
done  obtenu  un  sauf-conduit ,  il  vint  trouverle 
cardinal  dans  un  lieu  qui  s'appelle  Charmes.  Ce 
prince,  apres  divers  pourparlers,  faisant  sem- 
blant  de  vouloir  se  retirer  et  d'airaer  mieux  tout 
perdre  que  d'accepter  les  conditions  auxquelles 
on  vouloit  qu'il  se  soumit,  le  cardinal  lui  fit 
dire  qu'il  etoit  le  maitre  de  faire  ce  qu'il  lui 
plaisoit ;  que  la  foi  qu'on  lui  avoit  donnee  lui 
seroit  gardee  ;  mais  que,  s'il  traitoit  une  fois  et 
s'il  vouloit  apres  cela  se  dedire ,  le  Roi  seroit 
aussi  le  maitre  d'en  user  comme  bon  lui  semble- 
roit.  La  pensee  de  M.  de  Lorraine  etoit  de  se 
jeler  dans  Nancy,  quoiqu'il  convint  pourtant  de 
faire  rendre  la  place.  Ce  prince  se  rendit  au 
quartier  du  Roi ,  dont  la  defiance  naturelle  fit 
que  Sa  Majeste  prevint  ce  que  le  due  de  Lor- 
raine avoit  resolu  de  faire ;  car  il  fut  si  bien 
garde  que ,  malgre  lui ,  il  ne  put  executer 
ce  qu'il  n'avoit  promis  qu'a  dessein  de  nous 
tromper. 

Quand  je  vis  le  due  entrer  dans  le  quartier  du 
Roi  ,  j'approchai  de  Sa  Majeste,  et  je  lui  dis  a 

5 


f.G 


MESIOIRES    nU    COMTE    DR    BRIENNB 


I'oreille  :  «  La  bete  est  dans  les  toiles,  je  suis 
assure  quelle  sera  bientot  liee. »  Je  m'apercus 
que  j'avois  parte  un  peu  trop  librement ,  ce  mo- 
narque  se  piquant  d'une  profonde  dissimula- 
tion :  mais  si  Sa  Majeste  en  eut  quelque  cha- 
grin eontre  moi ,  il  ne  dura  pas  long-teraps ; 
car  lui  ayant  dit  le  lendemain  que  j'avois  vu 
dans  le  quartier  plusieurs  officiers  avec  des 
bandoulieres ,  il  me  demanda  si  je  trouvois 
qu'ii  avoit  bien  fait  son  devoir.  «  Oui ,  Sire , 
lui  repondis-je  franchement ,  car  je  ne  doute 
plus  que  Voire  Majeste  ne  soit  bientot  maitresse 
de  Nancy.  »  Les  portes  en  ayant  ete  ouvertes 
au  Roi ,  son  armee  y  entra  et  y  logea  ,  et  Ton 
lit  mettre  la  cavalerie  en  bataille  pour  la  faire 
voir  a  M.  de  Lorraine.  II  est  bon ,  pour  faire 
connoitre  le  genie  de  ce  prince  ,  de  remarquer 
que  ,  le  meme  jour  de  sa  detention  ,  il  avoit  dit 
a  la  Reine  :  «  J'ai  dans  ma  poche  un  traite  que 
j'ai  signe  avec  le  roi  d'Espagne  votre  frere.  Si 
je  m'y  arrete  ,  vous  ne  nie  verrez  plus ;  mais  si 
je  me  tiens  a  celui  que  j'ai  signe  ici ,  je  compte 
de  passer  I'hiver  a  Paris.  "  On  laissa  cependant 
une  grosse  garnison  dans  Nancy  ;  et  comme  le 
Roi  reprit  le  chemin  de  Paris ,  il  resolut  de 
s'arreter  a  Chateau-Thierry,  afm  d'etre  moins 
eloigne  du  cardinal  qui  etoit  tombe  malade. 

[1635.]  L'hiver  se  passa  sans  qu'il  arrivat 
rien  de  considerable,  sinon  qu'on  s'apercut  bien 
que  le  premier  ministre  faisoit  tons  ses  efforts 
pour  engager  le  Roi  a  declarer  la  guerre  a  I'Es- 
pague,  les  Hollandois  lui  ayant  dit  franche- 
ment qu'ils  ne  pouvoient  plus  la  faire ,  quelque 
assistance  qu'on  leur  donnat ,  si  le  Roi  n'y  en- 
troit ,  en  s'obligeant  de  ne  faire  ni  paix  ni  treve 
qu'ils  n'y  fussent  compris. 

Le  prince  Frederic-Henri  d'Orange ,  qui  s'e- 
toit  plaint  du  cardinal ,  proposa  done  de  se  re- 
concilier  avec  lui ,  a  condition  qu'il  y  auroit 
une  rupture  entre  les  couronnes  :  ce  que  le  Roi 
accepta ,  comme  il  parut  par  les  manifestes  qui 
declarerent  les  motifs  de  la  rupture.  Les  plus 
eclaires  furent  etonnes  de  cette  resolution,  pre- 
voyant  bien  les  raalheurs  que  cause  la  guerre  et 
les  difficultes  qui  se  trouvent  toujours  a  faire  la 
paix.  Mais  ,  s'attendant  de  ne  point  etre  ecou- 
tes ,  ils  prirent  le  parti  de  se  taire  et  d'attendre 
quel  seroit  I'evenement.  On  donna  aux  mare- 
chaux  de  Chatillon  et  de  Rreze  le  commande- 
ment  de  I'armee  qui  devoit  entrer  en  Flandre 
par  le  pays  de  Luxembourg ,  et  Ton  fut  averti 
que  celle  des  Etats-generaux  qui  la  devoit  join- 

(1)  Bataille  d'Avein ,  20  raai  1635.  Les  Francois  for- 
cercnt  les  relranchcmcns  des  Espagiiols  :  ceux-ci  eurent 
(luinze  cents  hommes  tu(is,  Irois  mille  prisonniers.   On 


dre  etoit  en  marche.  Les  ennerais,  qui  croyoient 
nous  pouvoir  combattre  avec  avantage,  paru- 
reut ;  mais  ils  furent  trompes  dans  leur  attente  : 
car  les  Francois  furent  victorieux  (1) ,  et  le  Roi 
en  apprit  la  nouvelle  a  Chateau-Tierry,  ou  il 
etoit  tombe  malade,  apres  avoir  visite  une  par- 
tie  des  villes  de  Picardie  et  s'etre  rendu  en 
Champagne.  Pour  rendre  cette  nouvelle  encore 
plus  agreable  ,  on  fit  courir  un  bruit  que  le 
prince  Thomas  de  Savoie ,  qui  commandoit 
I'armee  ennemie ,  avoit  ete  tue  ou  pris  prison- 
nier.  M.  de  Soissons  ,  son  beau-frere,  le  regret- 
tant  beaucoup,  fut  averti  de  se  contraindre  en 
cas  que  le  Roi  lui  en  parlat.  II  le  promit  et 
I'executa.  On  depecha  aux  generaux  de  I'armee 
de  France  pour  les  avertir  de  se  poster  sous 
Louvain  ,  ou  le  prince  d'Orange  les  devoit  join- 
dre  pour  en  faire  le  siege  ;  et  ce  prince  ,  y  pre- 
voyant  des  difficultes  ,  conseilla  a  nos  generaux 
de  profiter  de  leur  bonne  fortune,  d'assieger 
plutot  Namur ;  mais  ils  avoientdesordres  si  pre- 
cis d'entrer  dans  le  Rrabant  qu'ils  n'oserent  y 
contrevenir.  Les  deux  armees  firent  done  le 
siege  de  Louvain  pour  avoir  I'affront  de  le  le- 
ver. Chacun  en  rejeta  la  faute  sur  son  compa- 
gnon,  et  le  Roi  ne  put  s'en  consoler. 

[1036.]  La  guerre  continuant  de  plus  en  plus? 
on  ne  pensa  de  part  et  d'autre  qu'a  pousser  son 
ennemi.  Nous  fimes  des  traites  de  campagne 
avec  les  Etats-generaux,  qui  tinrent  bien  ce 
qu'ils  avoient  promis.  Les  Espagnols  s'etant 
apercus  qu'ils  ne  recevoient  que  du  mal  de  la 
France,  qu'elle  assistoit  les  Hollandois,  qu'elle 
repandoit  son  argent  en  Allemagne ,  oil  elle 
avoit  une  armee  qui  devoit  se  joindre  a  celle  du 
Roi  pour  s'emparer  de  la  Flandre ,  se  determi- 
nerent  alors  a  entrer  dans  le  royaume  pour  se 
venger  de  nous.  Nos  troupes  ne  se  trouvant  point 
en  etat  de  resister  aux  leurs ,  nous  fumes  obliges 
de  nous  retirer ;  mais  ils  nous  poursuivirent , 
et ,  s'etant  empares  de  Brai-sur-Somme ,  ils  re- 
solurent  le  siege  de  Corbie ,  et  ils  emporterent 
cette  place  en  peu  de  jours.  L'alarme  en  etant 
venue  a  Paris ,  Ton  songea  aux  moyens  de  reme- 
dier  au  mal,  et  Ton  tint  plusieurs  conseils, 
comme  on  a  de  couturae  de  faire  quand  les 
choses  sontdesesperees.  On  y  fit  entrer  des  per- 
sonnes  de  differentes  conditions  :  et  chacun  se 
melant  de  proposer  son  avis  ,  on  en  donna  plu- 
sieurs qui  parurent  des  plus  ridicules.  Pour  moi , 
qui  etois  fort  persuade  de  n'etre  point  aime  du 
cardinal ,  et  que  Sou  Eminence  avoit  dans  le 

leur  prit  leur  canon,  leur  bagage  ,  quatre-vingt-dix-neuf 
drapeaux,  douze  cornettes  et  trois  guidons. 

(A.  E.) 


DEUXIKME    PARTIR. 


IG361 


(i7 


cceur  beaucoup  de  honte  de  voir  un  pareil  de- 
sordre ,  je  pris  le  parti  de  ne  point  aller  chez  ce 
ministre ,  mais  de  me  preparer  a  suivre  le  Roi 
s'il  alloit  a  I'armee.  M.  de  Chavigny  m'ayant 
rencontre  au  Louvre ,  me  dit  que  I'on  s'eton- 
noit  et  que  le  cardinal  avoit  meme  remarque 
que  je  n'ailois  plus  chez  lui.  Je  lui  en  dis  mes 
raisons ;  mais  Chavigny  ne  les  ayant  pu  approu- 
ver,  je  lui  promis,  en  le  remerciant ,  de  suivre 
le  conseil  qu'il  m'avoit  donne.  Je  ne  dois  pas 
oublier  de  dire  ici  que  le  peuple  de  Paris  s'em- 
portant  centre  le  premier  ministre,  il  eut  pour- 
tant  le  courage  de  se  faire  voir  dans  la  place  de 
Greve  sans  etre  suivi  que  de  deux  gentilshom- 
mes  de  ses  pages  et  de  ses  valets  de  pied.  Je 
fus  done  un  matin  chez  cette  Eminence  ,  ou  je 
trouvai  messieurs  de  Bullion  ,  Bouthillier,  et  Le 
Jay,  conseiller  d'Etat ,  assis  avec  le  pere  Jo- 
seph ,  capucin ,  des  avis  duqnel  le  cardinal  se 
servoit  ordinairement ,  se  rapportant  a  sa  suffi- 
sance  de  la  conduite  d'un  grand  nombre  d'af- 
faires. Le  premier  ministre  m'ayant  fait  don- 
ner  un  siege  vis-a-vis  de  lui ,  me  dit  qu'on  etoit 
dans  la  resolution  de  demauder  aux  bourgeois 
de  Paris ,  et  generalement  a  tous  ceux  qui 
avoient  des  carrosses  ,  un  cheval  qui  serviroit  a 
monter  les  grands  laquais  en  quelques  heures 
de  temps. 

Tout  le  monde  lit  sa  cour  au  cardinal  en  ap- 
plaudissant  a  cet  avis.  Pour  moi,  ne  pouvant 
suivre  un  pareil  exemple  ,  je  lui  repondis  qu'il  ne 
seroit  pas  inutile  d'avoir  les  chevaux  ,  parce 
qu'on  les  distribueroita  des  capitaines  qui  trou- 
veroient  plus  facilementdes  cavaliers;  mais  que, 
pour  les  laquais,  le  service  qu'on  en  tireroit  se- 
roit bien  mediocre. «  J'ai  pourtant ,  me  repliqua 
le  cardinal ,  entendu  dire  a  Feuquieres  qu'on 
tire  de  bons  soldats  de  la  livree.  —  Oui,  Mon- 
sieur, lui  repondis-je ,  quaud  ils  ont  ete  plusieurs 
annees  dans  le  service ;  mais  au  sortir  de  leur 
condition  ,  ce  sont  pour  I'ordinaire  de  grands  co- 
quins.  »  La  meme  question  ayant  ete  toujours 
agitee ,  il  fut  resolu  qu'on  mettroit  la  chose  a 
execution.  Le  cardinal,  qui  ne  m'aimoit  pas, 
comme  je  I'ai  dit  et  remarque  ci-devant,  ou  qui 
peut-etre  etoit  alors  agite  de  mille  inconveniens 
qu'il  prevoyoit ,  craignant  d'ailleurs  les  repro- 
ches  que  le  Roi  lui  pourroit  faire  de  I'avoir  em- 
barque  dans  une  guerre  qui  lui  seroit  peut-etre 
fatale ,  ne  sachant  sur  qui  decharger  sa  colere  , 
me  dit :  «  Je  m'apercois  que  vous  vous  moquez 
de  ce  qu'on  fait.  Vous  eussiez  agi  plus  sagement 
de  ne  pas  venir  ici.  »  Je  lui  repondis  qu'il  me 
faisoit  tort ,  et  que  je  n'avois  garde  de  lui  man- 
quer  de  respect.  «  Mais  ,  ajouta-t-il ,  je  saurai 
bien  dire  au  Roi  ce  que  vous  faites.  »  A  quoi  je 


lui  repliquai  hardiment :  «  Monsieur  ,  c'est  une 
chose  dont  je  me  raettrai  pen  en  peine  tant  que  je 
ferai  mon  devoir,  »  Son  Eminence  continua  tou- 
jours sur  le  meme  ton ,  et  me  demauda ,  en  m'in- 
terrogeant,  ce  que  je  croyois  done  qu'il  etoit  a 
propos  de  faire  dans  la  conjoncture  presente. 
Je  n'aurois  rien  dit  a  Son  Eminence  si  j'avois  ete 
lemaltre  de  mon  ressentiment;  mais  comme  je 
m'etois  senti  pique  au  vif  de  me  voir  insulte  de 
la  sorte ,  je  lui  dis : «  Monsieur ,  je  conviens  qu'il 
n'y  a  rien  de  meilleur  a  faire,  puisqu'on  n'a  pas 
evite  la  faute  dans  laquelle  on  est  tombe.  »  Tout 
le  raondese  leva  pour  lors;  et  Chavigny,  trou- 
vant  que  je  n'avois  point  de  tort ,  et  se  souve- 
nant  d'ailleurs  que  je  n'etois  venu  chez  le  cardi- 
nal que  par  sou  conseil ,  s'approcha  du  premier 
ministre  et  lui  fit  coraprendre  qu'il  m'avoit 
querellesans  raison.  Celaobligea  Son  Eminence 
a  me  rappeler ,  en  me  disant  neanmoins  que 
j'avois  tourne  en  ridicule  ce  qu"il  avoit  propose. 
«  Non  ,  Monsieur,  lui  dis-je;  si  je  n'ai  point  ete 
du  sentiment  de  Votre  Eminence,  ce  n'est  seu- 
lement  que  parce  que  je  suis  persuade  qu'etant 
mis  en  execution  il  ne  produira  pas  tout  I'effet 
que  vous  vous  en  promettez.  Je  sais  trop  bien 
le  respect  que  je  vous  dois  pour  y  manquer  ja- 
mais. "  Apres  ce  petit  eclaircissement ,  Bouthil- 
lier s'en  vint  a  moi,  et  me  dit  tout  bas:  «  Je 
vous  plains,  mais  nous  en  essuyons  bien  d'au- 
tres.  —  Cela  est  juste ,  lui  repondis-je ,  puisque 
vous  en  retirez  et  de  I'honneur  et  du  profit ;  mais 
cela  est  bien  rude  pour  moi  qui ,  au  lieu  d'en 
avoir  des  graces ,  n'en  recois  que  des  duretes. 
—  Mais,  me  repliqua-t-il ,  ne  vous  en  reste-t-il 
rien  sur  le  cceur?  —  Je  sais ,  lui  dis-je ,  avoir  du 
respect  pour  qui  je  dois  en  avoir.  »  Et,  conti- 
nuant toujours  a  tenir  le  meme  discours,  je  crus 
n'avoir  point  d'autre  parti  a  prendre  que  de  cou- 
per  court  avec  lui.  L'heure  etant  arrivee  que  le 
cardinal  devoit  se  rendre  chez  le  Roi ,  Son  Emi- 
nence y  alia  accompagnee  de  ceux  qui  avoient 
ete  de  son  conseil.  On  en  tint  un  de  guerre,  oil 
deux  gouverneurs  de  places  (1)  furent  condam- 
nes  a  mort  pour  les  avoir  mal  defendues.  L'exe- 
cution  en  fut  faite  en  effigie.  M.  d'Angouleme 
y  eut  seance  au  conseil  au-dessus  des  marechaux 
de  France ;  mais  le  due  de  La  Valette  ne  vou- 
lut  point  assister  a  ce  jugement  et  refusa  de  se 
placer  apres  lui.  Les  raisons  qu'il  en  donna  ne 
furent  pas  approuvees.  II  disoit  qu'etant  officier 
de  la  couronnedevant  les  marechaux  de  France, 
il  ne  leur  devoit  pas  ceder,  et  que  de  plus  il 
n'etoit  point  persuade  que  Du  Bee,  I'un  de  ces 


(1)  Le  baron  Du  Bee ,  gouverneur  de  La  Capelle ; 
Saint-L^ger,  gouverneur  du  Castelet.  (A .  E.) 


c.s 


MEMOIRES    DU    eOMTE    DE    BRIEINISJi, 


gouverneurs  ,  eut  manque  a  son  devoir.  Cepen- 
dant  les  levees  qui  avoient  eteordonnees,etqui 
furent  mises  sur  pied  en  peu  de  jours,  se  trou- 
verent  en  etat  de  servir.  Elles  etoient  si  conside- 
rables qu'elles  donnerent  de  la  crainte  aux  en- 
nemis.  Le  Roi  se  mit  en  campagne ,  et  le  car- 
dinal ,  se  disposant  a  lesuivre,  crut  qivil  etoit  a 
propos  que  la  Reine  restat  a  Paris  et  qu'elle  eul 
un  couseil  aupres  d'elle  pour  s'en  servir  en  cas 
de  besoin ,  et  pour  contenir  le  peupie  ,  suppose 
que  cela  fiit  necessaire.  Bullion,  qui  devoit avoir 
la  direction  de  ce  conseil,  et  qui  en  etoit  tres- 
capable ,  m'ayant  averti  qu'il  avoit  ete  resolu 
que  je  resterois  aussi  aupres  de  la  Reine ,  je  lui 
repondis  que  je  ne  pouvois  m'y  resoudre ,  ne  me 
soutenant  a  la  cour  que  par  quelque  estime  dont 
le  Roi  m'honoroit;  et  qu'ainsije  uejugeois  pas  a 
propos  de  m'eloigner  de  sa  presence  dans  un  pa- 
reil  temps.  »  Allez  du  moins,  me  dit-il,  chez  le 
cardinal  pour  vous  excuser  et  pour  savoir  ce 
que  vous  aurez  a  faire.  »  Je  suivis  son  conseil , 
et  je  trouvai  ce  premier  ministre  qui  s'en  alloit 
chez  le  Roi  pour  lui  dire  qu'il  alloit  coucher  a 
Royaumoht ,  parce  que  Sa  Majeste  s'en  alloit  a 
Chantilly  ou  elle  devoit  rester  deux  jours.  Le 
cardinal  m'ayant  apercu  me  dit :  «  Vous  reste- 
rez  aupres  des  dames.  Cela  ne  doit  pas  vous  de- 
plaire.  —  11  n'y  a  ,  Monsieur ,  lui  repondis-je  , 
rien  a  gagner  aupres  d'elles  ,  car  elles  sont  trop 
fieres.  »  II  n'eut  pas  de  peine  a  comprendre  que 
je  lui  voulois  reprocher  qu'il  avoit  ete  mal  recu 
d'une  certaine  dame  qu'il  eut  bien  voulu  enga- 
ger a  etre  de  ses  amies. «  Si  vous  aimez  mieux, 
me  repliqua  I'Eminence,  suivre  le  Roi,  je  le 
supplierai  de  vous  ie  permettre.  Aussi  bien  M  de 
La  Vrilliere  a-t-il  grande  envie  de  rester  a  Pa- 
ris, madame  sa  femme  etant  pres  d'accoucher.  « 
Cette  maniei-e  de  conversation  me  paroissant 
tr^s-offensante  me  fit  prendre  la  resolution  de 
ne  point  aller  au  Louvre  ,  et  de  differer  au  len- 
demain  pour  demander  au  Roi  ce  qu'il  vouloit 
que  je  fisse,  en  lui  declarant  ce  que  le  cardinal 
m'avoit  dit.  Ainsi  je  me  rendis  de  grand  matin 
a  Chantilly,  ou  je  trouvai  Sa  Majeste  qui  ve- 
noit  d'entendre  la  messe,  et  qui  me  dit  en  I'a- 
bordant : «  U  faut  avouer  que  les  bons  serviteurs 
ne  manquent  jamais  au  besoin.  Je  suis  ravi  de 
vous  voir.  — Et  moi,  Sire,  repondis-je  ace 
monarque ,  je  suis  le  plus  heureux  et  le  plus  mal- 
heureux  gentilhomme  de  votre  royaume ,  puis- 
que  Votre  Majeste  me  temoigne  avoir  agreable 
que  je  sois  aupres  d'elle  dans  le  temps  qu'elle 
m'a  fait  dire  qu'il  etoit  de  son  service  que  je 
restasse  a  Paris.  —  Je  me  suis  mepris ,  me'  re- 
pliqua le  Roi ,  car  je  veux  que  vous  restiez  au- 
pre-s  de  moi.  —  Sire,  ajoutai-je,  ce  sont  roes 


ennemis  qui  veulent  m'eloigner  de  votre  per- 
sonne  ,  dans  un  temps  oii  chacun  est  oblige  de 
serendre  aupres  d'elle.  Et  Votre  Majeste  seroit 
peut-etre  la  premiere  a  me  reprocher  que  j'au- 
rois  manque  a  mon  devoir ;  mais  je  prendrai  la 
liberte  de  la  faire  ressouvenir  que  je  m'y  suis 
mis,  et  qu'elle  n'a  pas  eu  agreable  que  j'eusse 
I'honneur  de  rester  aupres  d'elle:  ce  qui  m'est 
d'autant  plus  sensible  que  je  m'y  suis  toujours 
trouve  quand  it  a  fallu  exposer  ma  vie  pour  son 
service.  —  Si  je  passe  la  riviere  d'Oise,  me  dit 
le  Roi,  je  vous  enverrai  querir,  et  je  ferai  con- 
noitre  par  la  combien  je  vous  estime.  »  Je  pris 
la  liberie  de  lui  repondre: «  Votre  Majeste  I'ou- 
bliera,  et  il  ne  m'en  restera  que  du  chagrin.  » 
Je  me  baissai  ensuite ,  et  ayant  pris  la  main  du 
Roi,  je  la  baisai  et  me  retirai  le  cceur  saisi  de 
douleur. 

Je  n'etois  pas  encore  sorti  de  la  route  qui  con- 
duit a  Paris  que  je  vis  paroitre  le  cortege  du 
cardinal.  Je  I'evitai  par  un  sentier,  et  je  me 
rendis  chez  moi,  ou  je  pris  garde  de  si  pres  a 
ma  conduite  que  Ton  n'eut  pas  occasion  de  me 
blaraer.  Je  n'allai  plus  que  tres  rarement  au 
Louvre,  et  jen'y  allois  point  quand  les  creatu- 
res de  cette  Eminence  y  etoient.  Apres  que  I'ar- 
mee  du  Roi  se  fut  assemblee  ,  il  s'avanca  pour 
donner  bataille  aux  ennemis,  qui  n'oserent  I'ac- 
cepter  ;  et  Sa  Majeste ,  nepouvant  souffrirqu'ils 
fussent  les  maltres  d'une  ville  dans  son  royaume, 
fit  former  le  siege  de  Corbie,  qui  fut  obligee  de 
capituler ,  quoique  la  rigueur  de  la  saison  I'eiit 
mise  en  etat  de  faire  une  plus  longue  defense. 

Mes  enfans ,  comme  je  n'ai  point  entrepris 
d'eerire  I'histoire,  et  que  je  n'ecris  que  pour 
vous  instruire,  je  n'entrerai  pas  dans  le  detail 
de  ce  qui  se  passa  pendant  I'hiver ,  ni  de  la 
crainte  qu'eut  le  Roi  que  M.  de  Soissons  n'en- 
treprit  sur  la  vie  du  cardinal.  Ce  qui  est  certain, 
c'est  qu'il  en  avoit  forme  le  dessein;  mais  il  ne 
I'executa  point. 

[1637]  Apres  cela,  M.  de  Soissons,  ne  se 
croyant  pas  en  siirete  a  la  cour ,  se  retira  a  Se- 
dan :  et  ce  fut  en  ce  temps-la  que  le  cardinal , 
qui  faisoit  yenir  toutes  les  depeches  etrangeres , 
et  quantite  d'autres  lettres  ecrites  par  les  sujets 
du  Roi,  en  trouva  une  du  marquis  de  Mirabel , 
qui  avoit  eteambassadeur  d'Espagne  en  France, 
adressee  a  la  Reine ,  en  reponse  a  une  dont  Sa 
Majeste  I'avoit  honore.  On  fit  mystere  de  cette 
lettre,  laquellefut  renduea  la  Reine  apres  qu'on 
en  eut  tire  une  copie ;  et  Ton  se  servit  de  ce  pre- 
texte  pour  faire  entendre  au  Roi  que  cette  prin- 
cesse  avoit  des  intelligences  criminelles  avec  les 
ennemis  de  I'Etat.  Ce  monarque  ,  qui  etoit  pour 
lors  h  Chantilly  ,  ordonna  au  garde-des-sceaux 


DEUXlElME     PABTIE.     [1637  —  08  j 


69 


Seguier  d'aller  au  Val-de-Grace  faire  fouiller 
dans  la  cellule  de  la  superieure  et  dans  la  cliara- 
bre  de  la  Reine,  pour  voir  si  on  n'y  trouveroit 
point  une  copie  des  ietlres  qu'elleavoit  ecrites 
dans  les  pays  etrangers ,  ou  les  reponses  qu'elie 
avoit  recues.  Le  gaide-des-sceaux  entra  dans  ce 
monastere  assiste  de  I'archeveque  de  Paris,  et 
n'y  trouvant  autre  chose ,  apres  une  exacte  re- 
cherche ,  que  beaucoup  de  surprise  de  la  ma- 
niere  dont  on  agissoit ,  il  alia  a  Chantlliy  rendre 
compte  au  Roi  de  ce  qu'il  avoit  execute  par  or- 
dre  de  Sa  Majeste.  En  vertu  d'un  second  ordre 
qu'il  y  recut,  il  entreprit  d'interroger  la  Reine. 
Elle  repondit  qu'elie  n'avoit  aucune  mauvaise 
intelligence  avec  les  ennemis  de  I'Etat,  maisne 
desavoua  point  d'avoir  ecrit  au  marquis  de  Mi- 
rabel et  d'en  avoir  recu  des  lettres.  La-dessus 
on  lui  exagera  la  grandeur  de  sa  faute,  en  lui 
faisant  entendre  qu'on  repudioit  les  reines  en 
Espagne  pour  un  bien  moindre  sujet.  Elle  s'ex- 
cusa  en  pleuraut;  mais  cela  ne  lui  fit  rien  dire 
ni  faire  de  ce  que  Ton  souhaitoit  d'eile,  qui  etoit 
d'avoir  recours  au  credit  du  cardinal  pour  ren- 
trer  dans  les  bonnes  graces  du  Roi.  Cette  affaire 
n'eut  pas  ete  plus  tot  divulguee  que  je  me  rendis 
en  diligence  a  Chantilly  ,  parce  que  le  Roi  avoit 
dit  que  je  ne  manquerois  pas  d'aller  voir  la 
Reine.  Cette  princesse  etoit  alors  comme  aban- 
donnee  de  toute  la  cour,  et  mcme  a  peine  ses 
propres  officiers  la  servoient-ils.  Je  dois  dire 
ici,  a  la  louange  de  la  marquise  de  Senecai,  que 
je  n'eusse  jamais  cru  qu'une  femme  enletee 
comme  elle,  eut  ete  capable  de  ressentir  aussi 
vivement  qu"elle  fit  I'affliction  de  sa  maitresse. 
Je  pris  la  liberte  de  demander  a  la  Reine  quel 
etoit  le  precede  qu'on  avoit  tenu  avec  elleet  de 
quelles  procedures  on  s'etoit  servi  pour  la  con- 
vaincre.  Maisje  ne  pus  m'empecher  de  blamer 
Sa  Majeste  de  n'avoir  desavoue  ni  les  lettres 
qu'elie  avoit  ecrites  au  marquis  de  Mirabel,  ni 
cellos  qu'elie  en  avoit  recues,  puisqu'on  ne  lui 
representoit  que  des  copies  qui  pouvoient  etre 
facileraent  falsifiees.  «  J'exposoisa  la  question, 
me  repondit-elle,  celui  a  qui  je  les  avois  con- 
fiees;  et  j'aime  mieux  ,  pour  Ten  garantir ,  m'ex- 
poser  a  tout  ce  qui  pent  m'arriver.  "  Je  consolai 
cette  princesse  le  mieux  qu'il  me  fut  possible  , 
et  lui  dis  en  prenant  conge  d'eile  :  «  Esperons, 
Madame ,  que  tant  de  larmes  repandues  par 
Votre  Majeste  seront  bientot  recompensees.  » 

Le  Roi  se  rendit  ensuite  a  Saint-Germain-en- 
Laye  ou  il  faisoit  son  sejour  le  plus  ordinaire^  et 
vint  a  Paris.  La  Reine  I'y  accompagna.  J'allai 
le  lendemain  faire  ma  cour  a  cette  princesse.  Je 
la  trouvai  qui  s'entretenoit  avec  un  bon  pretre 
qui  s'appeloit  M.  Bernard.   Elle  etoit  plus  re- 


veuse  qu'elie  n'avoit  coutume  de  I'etre  et  avoit 
les  yeux  fort  charges.  Cela  me  fitsoupconner  des 
lors  que  cette  princesse  etoit  grosse.  L'ecclesias- 
tique  s'etant  retire ,  je  pris  la  liberte  de  dire  a 
la  Reine  ces  propres  paroles  : «  Madame ,  une 
pensee  que  j'ai  que  vous  seriez  enceinte  seroit- 
elle  vraie?)'  (II  est  a  observer  que,  dans  ce 
meme  temps ,  M.  Rernard  avoit  assure  qu'un 
carme  dechausse  avoit  eu  une  revelation  de  cette 
grossesse ,  et  la  chose  avoit  ete  decouverte  au 
cardinal  de  La  Rochefoucauld  par  le  superieur 
du  religieux ).  La  Reine  rougit  de  ma  demands 
etchangea  aussitot  de  discours.  Ceci  arriva  au 
commencement  du  mois  de  decembre  1637.  En- 
tin ,  soit  que  ce  religieux  decouvrit  a  quelques 
autres  ce  qu'il  savoit ,  ou  que  I'esperance  empe- 
chat  que  la  chose  se  tint  plus  long-temps  secrete, 
le  bruit  deviut  general  avant  que  Ton  cut  des 
indices  infaillibles  de  cette  heureuse  grossesse  ; 
et  les  bons  serviteurs  de  Leurs  Majestes  en  eu- 
rent  tant  de  joie  ,  qu'ils  ne  la  purent  plus  dissi- 
muler.  II  n'en  fut  pas  de  meme  de  ceux  qui 
etoient  attaches  a  Monsieur :  car  ils  en  furent 
tres-etourdis ,  et  plusieurs  s'aviserent  de  faire 
des  plaisanteries  de  cette  grossesse.  Le  cardinal 
et  ses  ci-eatures  parloient  aux  uns  d'une  maniere, 
et  aux  autres  d'une  autre.  D'un  cote,  ils  en  te- 
moignoient  de  la  joie  a  Leurs  Majestes  ,  et  di- 
soient  au  contraire  a  Monsieur  que  e'etoit  une 
chose  si  ordinaire  qu'il  ne  devoit  point  s'en  cha- 
griner.  Mais  enfin,  comme  les  marques  de  cette 
grossesse  paroissoient  de  plus  en  plus  tous  les 
mois ,  ou  s'avisa  de  dire  que  ,  quand  meme  elle 
viendroit  a  bien  ,  la  Reine  n'auroit  qu'une  fille. 

[1638]Je  perdis  pour  lors  raon  pere ,  qui 
etoit  si  estime  par  sa  probite ,  qu'il  fut  extre- 
mement  regrette  des  gens  de  bien ,  et  j'eus  la 
consolation  de  les  voir  entrer  veritablement  dans 
ma  douleur.  Nous  restam<;s,  mes  soeurs  et  moi, 
avec  peu  de  bien ;  mais  nous  nous  trouvames 
assez  riches,  en  ce  que  la  memoire  de  raon  pere 
etoit  en  veneration  a  tous  ceux  qui  I'avoient 
connu. 

Le  printemps  etant  deja  fort  avance  ,  les  ar- 
mees  se  mirent  en  campagne  ,  et  le  Roi  fut  au 
rendez-vous  de  la  sienne ,  apres  avoir  promis  a 
la  Reine  qu'il  ne  manqueroit  pas  d'etre  a  Saint- 
Germain  pour  ses  couches.  Le  cardinal  auroit 
eu  pent-  etre  bonne  en  vie  de  Ten  detourner  5  mais 
Dieu  ,  qui  a  toujours  les  moyens  de  faire  reussir 
les  desseins  de  son  adorable  providence ,  permit 
que  le  monarque  fut  attaque  d'une  grosse  fievre 
qui ,  I'obligeant  a  quitter  I'arraee ,  le  fit  revenir 
a  Saint-Germain.  Sa  Majeste  supporta  avec  une 
extreme  patience  les  acces  de  cette  fievre,  dans 
I'esperance  d'avoir  bientot  un  fils.  Le  Roi  fut 


7  0 


MEMOIBES    DU    COMTE    DK    BBIEPJNE , 


suivi  de  Monsieur  ,  son  frere  ,  des  princesses  et 
de  piusieurs  aiitres  personnes  du  premier  rang, 
qui  continuerent  d'assurer  Monsieur  que  la  Reine 
n'auroit  qu'une  fille.  Piusieurs  neanmoins  ne 
pouvoient  s'empecher ,  par  rattachement  qu'ils 
avoient  pour  le  cardinal ,  de  temoigner  de  I'in- 
quietude  de  ce  que  la  sante  de  cette  princesse 
donnoit  a  ses  bons  serviteurs  I'esperance  d'une 
heureuse  delivrance.  Et  comme  elle  n'avoit  pas 
I'habitude  d'avoir  des  enfans  ,  ceux-ci  disoient 
avec  raison  :  «  C'est  une  oeuvre  de  Dieu  ,  qui  ne 
laissera  pas  la  chose  iraparfaite.  »  Je  prenois 
aussi  la  liberie  de  dire  a  Sa  Majeste  :  «  Espe- 
rez  ,  Madame ;  ceci  est  la  recompense  de  vos  lar- 
mes  et  de  vos  souffrances.  » 

Enfm  ce  jour  si  attendu  et  si  desire,  qui  de- 
voit  combler  le  Roi  et  la  France  de  consolation, 
arriva  ,  la  Reine  ayant  mis  au  monde  un  Dau- 
phin ,  apresun  travail  de  quelques  heures  et  as- 
sez  rudes.  Cela  causa  autant  de  surprise  a  Mon- 
sieur et  a  ses  creatures  que  de  joie  au  Roi  et  a 
sesbons  serviteurs.  La  Reine  ayant  eu  la  bonte 
de  me  demander  un  moment  apres  que  Dieu  I'eut 
exaucee  et  delivree ,  me  presenta  sa  main  a  bai- 
ser.  Le  Roi ,  qui  etoit  au  chevet  de  son  lit ,  me 
donna  aussi  la  sienne ,  et  me  dit :  « Vous  par- 
ticipez  a  ma  joie  ;  elle  cause  du  chagrin  a  bien 
des  gens.  »  Et  sur  ce  que  ce  monarque  me 
designa  ceux  qu'il  soupconnoit ,  je  lui  repon- 
dis  :  « II  n'y  a  ,  Sire,  qu'a  les  faire  jeter  par  les 
fenetres. »  Le  garde-des-sceaux ,  devenu  chan- 
celier  par  la  mort  de  M.  d'Aligre  ,  s'etant  avise 
de  me  dire  :  «  Qui  I'eut  cru ,  il  y  a  un  an  ? » 
s'attira  de  moi  pour  reponse  :  «  On  n'eut  point 
^te  au  Val-de-Grace.  -—  Vous  jetez ,  me  repli- 
qua-t-il ,  une  pierre  dans  mon  jardin.  —  Non  , 
luidis-je,  mais  dans  celui  de  la  personne  qui 
vous  y  a  envoye.  » 

Le  Dauphin  fut  baptise  le  meme  jour  qu'il 
naquit.  On  depecha  de  toutes  parts  pour  aunon- 
cer  cette  bonne  nouvelle  aux  etrangers  allies  du 
Roi  et  a  toutes  les  provinces  du  royaume.  Le 
eai'dinal envoyaaLeurs  Majestes pour  leurtemoi- 
gner  la  part  qu'il  prenoit  a  leur  joie.  Monsieur 
se  retira  a  RIois.  Comme  il  semble  qu'un  bonheur 
n'arrive  jamais  sans  I'autre ,  le  Roi  se  trouva 
heureusement  delivre  de  la  fievre. 

Je  suis  persuade  que  cette  Eminence  ne  man- 
qua  pas  de  faire  savoir  aux  allies  (qu'on  desi- 
gnoit  sous  le  nom  de  ceux  qui  appuyoient  le  bon 
parti,  comme  les Etats-generaux  desProvinces- 
Unies  ,  le  due  de  Savoie,  et  les  princes  d'Alle- 
magne)  qu'ils  ne  devoient  plus  craindre  ce 
qu'ils  avoient  tautapprehende  ,  qui  etoit  devoir 
I'heritier  dela  couronne  entre  les  mains  de  I'en- 
nemi.  Les  allies  firent  degrandes  rejouissances; 


et  le  cardinal  ,  poor  revenir  de  I'armee  plus  tot 
qu'il  n'eut  fait ,  prit  pour  pretexte  I'empresse- 
ment  qu'il  avoit  de  venir  temoigner  sa  joie  au 
Roi.  Ce  premier  ministre  etablit  sa  demeure  a 
Ruel  ,  afin  d'etre  plus  a  portee  d'aller  a  Saint- 
Germain.  C'est  la  que  le  Roi  recouvra  la  par- 
faite  sante.  La  Reine  y  reprit  aussi  ses  forces  et 
son  embonpoint.  On  fit  pendant  I'hiver  les  pre- 
paratifs  necessaires  pour  la  campagne  suivante ; 
et  Sa  Majeste  ayant  temoigne  qu'elle  vouloit  y 
aller,  le  cardinal  prit  toutes  les  mesures  qu'il 
falloit  pour  reussir.  On  donna  promptement  I'ar- 
gent  qu'on  avoit  promis;  et  les  capitaines  ayant 
ete  presses  de  mettre  leurs  compagnies  en  etat 
de  servir ,  je  me  crois  oblige  de  leur  rendre  la 
justice  de  dire  que  chacun  s'acquitta  parfaite- 
ment  bien  de  son  devoir. 

Sur  les  propositions  qui  furent  faites  pour  la 
paix  ,  et  les  parties  interessees  s'y  trouvant  dis- 
posees ,  chacun  s'entretint  en  etat  pour  la  con- 
clure ,  mais  sans  y  reussir.  La  retraite  de  M.  de 
Soissons  a  Sedan  relevales  esperances  desEspa- 
gnols  et  fit  craindre  aux  Francois  une  guerre 
civile.  On  cut  des  pourparlers  avec  ce  prince 
pour  en  venir  a  un  .  accommodemeut;  mais 
comme  ils  furent  inutiles ,  on  vit  se  former  un 
uuage  capable  de  produire  un  grand  orage. 

[IG39J  Tout  le  monde  salt  que  quand  les  Es- 
pagnols  entrerent  en  France,  ils  s'y  rendirent 
maitres  de  piusieurs  places ,  et  entre  autres  da 
Castelet,  du  gouvernement  de  laquelle  un  oncle 
du  due  de  Saint-Simon  etoit  pourvu.  Soit  done 
que  le  cardinal  fut  dans  le  dessein  de  faire  occu- 
per  la  place  de  favori  par  le  marquis  de  Cinq- 
Mars,  fils  du  marechal  d'Effiat,  ou  que  le  Roi  en 
eiit  deja  par  lui-meme  la  pensee  ,  ce  fut  un  pre- 
texte donton  seservit  pourenvoyer  M.  de  Saint- 
Simon  a  son  gouvernement  de  RIaye,  et  pour 
faire  le  proces  a  son  oncle,  en  I'accusant  defoi- 
blesse  ou  de  trahison. 

[1640]  Cinq-Mars  fit  en  ce  peu  de  temps  un 
si  grand  progres  dans  I'esprit  du  Roi ,  que  Sa 
Majeste  ayant  consenti  qu'il  traitat  de  la  charge 
de  maitre  de  la  garde-robe  ,  elle  lui  acheta  en- 
core celle  de  grand  ecuyer  de  France ,  dont 
M.  de  Rellegarde  s'etoit  iaisse  persuader  de  se 
demettre.  Cinq-Mars  ne  fut  pas  plus  tot  revetu 
de  cette  grande  dignite ,  qu'il  ne  pensa  qu'a  s'e- 
lever  davantage  :  et  comme  il  etoit  tres-bien  fait 
de  sa  personne ,  il  eut  la  temerite  de  pretendre 
au  mariage  de  la  princesse  Marie  de  Nevers,  et 
il  en  fit  I'ouverture  au  cardinal ,  qui  en  fut  des 
plus  surpris.  Son  Eminence  lui  conseilla  de  s'en 
desister ,  en  lui  donnant  a  entendre  que ,  bien 
loin  de  lui  etre  favorable  en  cette  affaire ,  il  tra- 
verseroit  son  dessein.  Cinq-Mars  ^touffa  pour 


DEL'XIEME    PAl.TIE.     [16-10 — 41 


71 


lors  son  ressentiment,  et  fit  si  bien  par  son  as- 
siduite  qu'il  gagna  de  plus  en  plus  les  bonnes 
graces  du  Roi. 

Le  cardinal  avoit  eu  la  penseede  faire  le  siege 
de  Clermont  au  commencement  du  printemps 
de  I'annee  1640  ,  remarquable  par  la  piise  d'Ar- 
ras ,  et  de  s'ouvrir  par  la  le  chemin  des  autres 
places  que  les  Espagnols  occupoient  sur  la 
Meuse ,  pour  les  priver  de  la  facilite  qu'elles 
leur  donnoientde  tirer  des  secours  d'Allemagne. 
L'armee  s'efant  avancee  sous  le  commandement 
des  marechaux  de  Chatillon  et  de  LaMeilleraye, 
le  Roi  la  suivitj  mais  les  grandespluies  qui  tom- 
berent  pendant  cette  saison  rompirent  les  me- 
sures  de  ces  generaux :  dont  le  cardinal  leur 
ayant  temoigne  du  chagrin  ,  ils  lui  proposerent, 
pour  I'apaiser,  de  faire  le  siege  d'Arras,  et  ils 
lui  firent  counoitre  clairement  que  c'etoit  un 
dessein  qui  pouvoit  reussir.  On  le  tint  si  cache 
que ,  bien  que  le  marechal  de  Chaulnes  eut  or- 
dre  de  se  joiudre  aux  autres ,  les  ennemis ,  qui 
en  pouvoient  inferer  que  Ton  avoit  en  vue  d'at- 
taquer  quelqu'une  de  leurs  places  d'Artois  ou  de 
Flandre,  furent  surpris  quand  ils  virent  Arras 
investi  et  qu'ou  en  alloit  faire  le  siege. 

Le  Roi  s'etant  rendu  a  Amiens  avec  le  car- 
dinal, on  y  prepara  un  grand  convoi ;  les  en- 
fans  de  M.  de  Veudome  se  disposerent  a  I'accom- 
pagner ;  et  le  commandement,  qui  en  fut refuse 
au  grand  ecuyer  qui  le  demandoit,  eu  futdonne 
a  M,  Du  Hallier,  qui  le  conduisit  heureusement 
a  l'armee  avec  un  autre  qu'il  amenoit  de  Cham- 
pagne. Ayant  suivi  le  conseil  que  Ton  me  donna 
d'aller  a  Amiens ,  je  pris  conge  de  la  Reine.  Sa 
Majeste  etoit  giosse  pour  la  seconde  fois  ,  et  ac- 
coucha  dans  la  suite  de  Tannee  de  Monsieur, 
frere  unique  du  roi  Louis  XIV.  Je  trouvai  leRoi 
fort  inquiet  de  I'eveuement  de  son  entreprise  : 
et,  pen  de  jours  apres,  ce  prince,  touche  de  la 
maniere  dont  le  cardinal  en  usoit  avec  moi , 
m'ordonna  de  me  retirer;  mais  comme  il  tomba 
malade  ,  je  crus  qu'il  ne  me  seroit  ni  permis  ni 
honorable  d'obeir  a  un  pareil  commandement. 
C'est  pourquoi  je  me  rendis  encore  le  lendemain 
au  matin  dans  la  chambre  du  Roi ,  qui  me  dit  : 
"  L'incommodite  que  j'ai  vous  erapeche  de  vous 
en  aller.  Je  vous  en  remercie;  mais  puisqu'elle 
estdimiuuee  ,  ne  laissez  pas  de  coutinuer  votre 
voyage.  »  J'obeis  ,  et  je  partis  d'Amiens  le  jour 
raeme  qu'on  y  recut  lanouvelle  de  la  reduction 
d'Arras.  Apres  cela,  le  Roi  s'en  revint  a  Saint- 
Germain-en-Laye,  oil  la  Reine  accoucha  d'un 
second  fils ;  de  quoi  Sa  Majeste  temoigna  plus 
de  joie  encore  que  du  premier  ,  parce  que  la  ten- 
dresse  de  pere,  qu'il  avoit  commence  de  sentir 
depuis  deux  ans,  se  fit  connoftre  davantage  dans 


cette  rencontre.  En  ce  temps-la  le  cardinal  fit  plu- 
sieurs  avances  pour  engager  la  Reine  a  I'hono- 
rer  de  sa  coufiance :  a  quol  Sa  Majeste  lui  re- 
pondit  fort  civilement,  mais  toutefois  sans  vou- 
loir  dependre  en  rien  de  ses  conseils. 

Je  crois,  autant  que  je  m'eu  puis  souvenir, 
que  I'annee  precedente  madame  de  Hautefort ,  a 
qui  le  Roi  avoit  temoigne  de  la  bonne  volonte, 
eut  ordre'de  se  retirer  de  la  cour.  J'eus  charge 
du  Roi  de  lui  en  porter  la  nouvelle.  Cette  dame 
me  piia  de  faire  souvenir  Sa  Majeste  qu'elle  lui 
avoit  souventpromis  que  sadisgriken'arriveroit 
point.  «  II  est  vrai,  me  repondit  ce  monarque, 
je  I'ai  promis;  mais  c'etoit  a  condition  qu'elle 
seroit  sage  ,  et  qu'elle  ne  me  donneroit  aucun 
sujet  de  me  plaindre  de  sa  conduite.  S'est-elle 
imagine  qu'il  suffisoit  d'etre  reconnue  pour  une 
femme  de  vertu,  pour  avoir  part  a  mon  amitie? 
II  faut  encore  eviter  d'entrer  dans  les  cabales  , 
et  c'est  ceque  je  n'ai  jamais  pu  gagner  sur  elie. » 

Madame  de  La  Fayette ,  quoique  dans  une 
tres-grande  consideration,  avoit  eu  pareillement 
envie  de  se  retirer  entierement  de  la  cour.  Elle 
en  fit  demander  au  Roi  la  permission  ,  et  cette 
permission  lui  fut  accordee.  Son  esprit  et  ses  au- 
tres agremens  lui  avoient  attire  I'estime  de  Sa 
Majeste ,  qui  lui  temoigna  beaucoup  d'affection. 
Je  ne  sais  par  quelle  raison  cette  dame  ne  plai- 
soit  pas,  non  plus  que  la  marquise  de  Senecai. 
II  est  vrai  que  la  premiere  faisoit  ombrage  au 
cardinal  5  et  pour  I'autre,  lafidellte  qu'elle  avoit 
temoignee  en  toutes  sortes  de  rencontres  a  la 
Reine,  sa  maitresse,  etoit  un  crime  qui  ne  se  par- 
donnoit  point  alors;  et  si  Ton  n'avoit  craint  de 
prematurer  I'accouchement  de  celte  princesse, 
on  I'auroitcongediee  bien  plus  tot.  Mais  la  Reine 
fut  a  peine  delivree  que  cette  dame  eut  ordre 
de  se  retirer. 

On  fit  aussi  madame  de  Lanzac  gouvernante 
des  entails  de  France ,  contre  I'intenlion  de  cette 
princesse ,  qui  la  croyoit  dans  la  dependance  du 
cardinal.  Son  Eminence  ne  voulant  avoir  au- 
pres  de  la  Reine  que  des  gens  a  sa  volonte ,  fit 
si  bien  que  la  charge  de  dame  d'honneur  de  Sa 
Majeste  fut  donnee  a  madame  de  Rrassac. 

[1641]  On  menacoit  souvent  la  Reine  de  lui 
oter  ses  enfans;  mais  I'adresse  de  Montigny, 
capitaine  du  regiment  des  Gardes  ,  lui  en  epar- 
gna  le  chagrin.  Le  Roi  le  consideroit  toujours 
comme  un  ancien  et  fidele  serviteur,  et  cela, 
joint  aux  autres  raisons  ,  I'avoit  rendu  suspect 
au  cardinal ;  mais  Montigny  sut  si  bien  ,  parson 
habilete,  menager  madame  de  Lanzac,  qu'elle 
obtint  de  cette  Eminence  qu'il  auroit  la  garde 
i  des  enfans  de  France  en  quelque  endroit  qu'ils 
fussent.  Le  Roi  proposa  a  Montigny  de  les  en- 


7  2 


MEMOIRES    DC    COMTE    DE    ERIENNE  , 


voyerii  Vincennes;  et  cet  officier,  feignant  de 
n'en  point  coraprendre  d'autre  raison  que  la  sii- 
retedu  lieu,  remontra  aSa  Majesteque  lasurete 
n'y  seroit  que  pareiile  a  celle  de  Saint-Germain- 
en-Laye,  ou  lair  etoitbienmeilleur.  Celafitque 
le  monarque  consentit  qu'on  continual  a  y  elever 
ses  eiifaus. 

L'annee  1G41  pensa  etre  bicn  funeste  a  la 
France  ;  car  le  comte  de  Soissons  ne  pouvant,  a 
ce  qu'il  croyoit ,  etre  en  surete  a  la  cour,  ni  le 
due  de  Bouillon  pour  lui  avoir  donne  retraite  a 
Sedan,  ces  deux  princes  prirent  la  resolution  de 
se  liguer  et  de  se  declarer  pour  les  ennemis  de 
I'Etat.  lis  donnerent  des  commissions  pourfaire 
des  levees  de  gens  de  guerre  ,  et  ils  s'y  prepare- 
rent  tout  de  bon.  Le  Roi ,  en  etant  averti ,  des- 
tina  une  armee  pour  I'opposer  a  la  leur,  et  en 
donna  le  commandement  au  marechal  de  Cha- 
tillon,  lequel  s'approcha  de  Sedan  pour  s'oppo- 
ser  aux  desseins  des  ennemis  ;  et  sur  le  bruit  qui 
courut  qu'ils  vouloient  entrer  en  France,  ou  soit 
que  le  Roi  crut  qu'il  y  avoit  du  danger  et  de  la 
honte  a  le  souffrir,  M.  de  Chatilloneutplusieurs 
ordres  reiteres  de  les  combattre  s'ils  faisoient 
mine  de  I'entreprendre.  Ge  marechal,  qui  vouloit 
rester  dans  un  poste  ou  Ton  n'eut  pu  le  forcer, 
et  qui ,  en  cas  qu'ils  se  fussent  avances,  vouloit 
les  attaquer  en  flanc  et  les  suivre  en  queue , 
croyoit  qu'il  les  feroit  perir  et  les  reduiroit  a  se 
rendre  a  discretion.  Mais  la  cour  se  trouvant 
d'un  sentiment  contraire,  M.  de  Chatillon  fut 
oblige  de  changer  de  poste  et  d'en  venir  aux 
mains  avec  I'armee  ennemie ,  qui  eut  la  gloire 
de  defaire  celle  du  Roi.  Le  comte  de  Soissons  y 
fut  tue.  Pour  lors  M.  de  Bouillon  commenca  de 
fairc  entendre  qu'il  souhaitoit  de  rentrer  dans 
les  bonnes  graces  de  Sa  Majeste ,  et  il  s'excusa, 
le  moins  mal  qu'il  put,  sous  divers  pretextes. 
On  fit  passer  des  troupes  d'une  armee  a  I'autre. 

1)  [  Articles  accordes  entre  le  comte  due  pour  le  Roy 
d'Espagne,  et  le  sieur  do  Fontrailles .  pour  et  nii 
nom  de  Monsieur.  (Piece  tiree  des  papiers de  Brienne.) 

«  Le  sieur  de  Fonlrailles  ayant  este  envoys  par  M.  Ic 
due  d'Orleans  vers  le  Roy  d'Espagne,  avec  lettres  de  Son 
Aitcsse  pourSa  Majesty  et  monseigneurlc  comte  due  de 
San  I.ucar,  dat(5es  de  Paris  le  20  Janvier,  a  propose ,  en 
vertu  du  pouVoir  a  lui  donn6,  que  Son  Altesse  d^sirant 
le  bien  general  el  particulier  de  la  France  ,  de  voir  la 
noblesse  et  le  peiipie  de  ce  royaume  delivr(5s  des  oppres- 
sions qu'ils  souflrent  depuis  long-temps  par  une  si  san- 
glante  guerre,  pour  faire  cesser  la  cause  d'icelle  el  pour 
establir  une  paix  gcnerale  el  raisonnable  entre  I'Empe- 
reur  el  les  deux  couronnes  au  b^ndfice  de  la  clirestien- 
netd,  prendroit  volontiers  les  armes  a  cetle  fin ,  si  Sa 
Majesl(5  Cathoiiquc  vouloit  concourir  de  son  coste  avec 
les  moyens  possibles  pour  advancer  les  adaires ;  et  apres 
avoir  declan^  lo  particulier  de  sa  commission,  en  ce  qui 
C5t  des  offrcs  et  domandcs  que  font  Icdit   seigneur  due 


Le  Roi  ayant  echauffe  la  negociation  par  sa  pre- 
sence, et  donne  tie  la  crainte  a  M.  de  Bouillon  , 
le  traite  fut  bieutot  conclu.  Ge  monarque,  apres 
avoir  mis  ordre  aux  affaires  de  la  frontiere  ,  re- 
vint  a  Saint-Germain- en-Lay e.  La  plus  grande 
partie  de  la  cour  alia  a  Paris,  ou  des  personnes 
malintentionnees  commencerent  a  faire  des  ca- 
bales ,  et  s'efforcerent  de  faire  entrer  M.  de 
Bouillon  dans  le  parti  de  Monsieur  et  du  grand 
ecuyer.  On  se  servit  du  pretexte  specieux  de  de- 
fendre  les  enfans  du  Roi  et  la  Reine  leur  mere 
de  I'oppression  du  cardinal ,  et  Ton  publia  que 
le  roi  d'Espagne  les  prenoit  sous  sa  protection: 
ce  qui  acheva  de  persuader  M.  de  Bouillon  qu'il 
rendroit  un  service  considerable  a  la  Reine,  si 
sa  ville  de  Sedan  pouvoit  eire  destinee  pour  une 
place  de  surete  pour  Sa  Majeste  et  pour  les 
princes  ses  enfans.  II  faut  ici  remarquer  que  la 
Reine  n'en  dit  pas  le  moindre  mot  a  M.  de 
Bouillon,  cette  princesse  se  contentant  seule- 
ment  de  le  recevoir  honnetement  quand  il  ve- 
noit  lui  faire  sa  cour. 

M.  de  Thou  ayant  ete  choisi  pour  menager 
une  entrevue  entre  M.  de  Bouillon  et  le  grand - 
ecuyer,  y  reussit  si  bien  qu'ils  se  donnerent  pa- 
role I'un  a  I'autre  et  s'engagerent  au  service  de 
Monsieur,  prenant  pour  pretexte  de  leur  union 
le  dessein  qu'ils  avoient  de  detruire  la  trop 
grande  puissance  du  cardinal  ,  etde  delivrer  le 
Roi  d"une  captivite  dans  laquelle  il  etoit  retenu 
malgre  lui.  Mais  corame  on  ne  savoit  point  en- 
core par  ou  Ton  devoit  comraencer,  Fontrailles 
fut  envoye  en  Espagne ,  du  consentement  des 
ligues ,  a  Tinsu  de  M,  de  Thou,  et  le  due  de 
Bouillon,  qui  avoit  accepte  le  commandement 
de  Tarmee  du  Roi  en  Italic ,  se  declara  aussi- 
tot. 

Fontrailles  ,  revenu  d'Espagne  ,  raconta  a 
M.  de  Thou  ce  qu'il  y  avoit  negocie  (1) ,  ne  sa- 

d'Orleans  ei  ccux  de  son  party,  a  cstre  accord^  et  con- 
clud  par  Icdit  seigneur  comte  due,  pour  LeursMajestes 
Imp(5riale  el  Calholique,  et  au  nom  de  Son  Altesse,  par 
ledil  sieur  de  Fontrailles  les  articles  suivans  : 


»  Comme  le  principal  but  de  ce  traite  est  de  faire  une 
forte  paix  entre  les  deux  couronnes  d'Espagne  et  de 
France,  pour  leur  bien  commun  el  de  toule  la  chrestien- 
net^,  on  declare  unanimemenl  qu'on  ne  prend  en  cecy 
aucune  chose  conlre  le  Roy  Tres  Chrestien  et  au  pri^ju- 
dice  de  ses  estats  ,  ni  conlre  les  droits  et  autorites  de  la 
Reine  Tres-Chrcstienne  regnanle ;  mais  au  contraire,  on 
aura  soing  de  les  mainlcnir  en  tout  ce  qui  lui  appar- 
tient. 


»  Sa  Majest(5  (latholique  donnera  douze  liommes  de 
pied  et  :.ix  chevaux  elfectifs  des  vieilles  troupes ;  le  tout 


DFAiXIEME    PARTIK.    [KMSl 


chant  point  que  MM.  de  Bouillon  et  de  Cinq- 
Mars  etoient  convenus  ensemble  de  lui  en  faire 
un  secret :  non  pas  qu'ils  se  mefiasssent  de  lui , 
mais  parce  qu'ayant  un  grand  nombre  d'amis,  il 
y  avoit  a  craindre  qu'il  ne  leur  en  decouvrit 
quelque  chose.  M.  de  Thou  voulut  aller  a  I'ar- 
mee  (1642) ,  persuade  que  le  grand-ecuyer  etoit 
tout  puissant  aupres  du  Roi ,  et  qu'il  avanceroit 
sa  fortune  en  s'attachaut  a  lui ;  mais  apres  qu'il 

venant  d'Allemagne,  ou  de  1' Empire,  ou  de  Sa  Majeste 
Catbolique ;  que  si  par  quelque  accident  il  manquoit  de 
ce  nombre  deux  ou  trois  hommes ,  on  n'entend  point 
pour  cela  qu'on  ayt  manqu6  a  ce  qui  estaccorde,  at- 
Jendu  que  Ton  les  fournira  ie  plus  tost  quil  sera  pos- 
sible. 

HI. 

»  II  est  accord^  que  des  le  jour  que  monsieur  le  due 
d'Orleansse  trouvera  dans  la  place  de  seurete  ,  ou  il  doit 
cstre  en  estatde  pouvoir  lever  des  troupes,  Sa  3Iajest6 
Catbolique  lui  baillera  quatre  cent  mille  escus  compiant, 
payables  au  contentement  de  Son  Altesse ,  pour  cstre 
employes  en  levies  et  autres  frais  utiles  pour  le  bicn 
commun. 

IV. 

»  Sa  Majeste  Catbolique  donnera  le  train  d'artillerie 
avec  les  munitions  de  guerre  propres  aux  corps  d'arm^e, 
avec  les  vivres  pour  toutcs  les  troupes,  jusques  a  ce 
qu'elles  soicnt  entrees  en  France,  la  oil  Son  Altesse  en- 
tretiendra  les  siens  et  Sa  Majesty  Catbolique  les  autres, 
comme  il  sera  specific  cy-apres. 


»  Les  places  qui  seront  prises  en  France  par  I'arm^e 
de  Sa  3I^jeste  Catbolique  ou  celles  de  Son  Altesse  ,  se- 
ront mises  entre  les  mains  de  Son  Altesse  et  de  ceux  de 
son  parti. 

VI. 

»  II  sera  donn^  audit  seifineur  due  d'Orl(?ans  douzc 
miile  escus  par  mois  de  pension  ,  outre  ce  que  Sa  Ma- 
jeste Catbolique  donne  en  Flandre  a  madame  la  du- 
chesse  d'Orleans  sa  femrae. 


»  Est  arrets  que  cette  arm^e  et  les  cbefs  d'icelle  ob^i- 
ront  absolument  au  seigneur  due  d'Orleans,  et  ncant- 
moins  ,  atlendu  que  ladite  armee  est  levee  des  desniers 
de  Sa  Majeste  Catbolique.  lesofficiers  d'icelle  presteront 
le  serment  de  fidelity  a  Son  Altesse  de  servir  aux  Gns 
du  present  traite  ;  et  arrivant  faute  de  Son  Altesse,  s'il 
y  a  quelque  prince  du  sang  en  France  dans  le  traitd ,  il 
commandera  en  la  maniere  qu'il  avoit  est^  arrest^  dans 
le  traite  faict  avec  monsieur  le  comte  de  Soissons ;  et  au 
cas  que  I'archiduc  Leopold,  ou  autre  personne,  fils, 
frere  ou  parent  de  Sa  Majesty  Catbolique,  vienne  a  estre 
gouverneur  pour  Sadite  Majeste  en  Flandre,  ccmmeil 
sera  la  par  mesme  moj  en  general  deses  armees.queSa 
Majeste  Catbolique  a  tanl  de  part  en  ce  lieu,  est  ac- 
corde  que  ledit  seigneur  due  d'Orleans  et  ceux  de  son 
parti ,  de  quelque  qualite  et  condition  qu'ils  soient , 
ayent  esgard  a  ces  considerations ,  tiendront  forme  cor- 
rcspondance  avec  ledit  Arcbiduc  ou  autre  que  dit  est, 
et  lui  communiqueront  tout  ce  qui  se  presentera,  en  re- 
tenant  tous  ensemble  les  ordres  de  I'Empereur  et  de  Sa 
Majeste  Catbolique,  tant  ponr  ce  qui  concernc  In  guerre 


m'eut  communique  son  dessein  ,  parce  que  nous 
etions  parens  et  amis  ,  je  fis  tout  ce  que  je  puis 
pour  I'en  detourner,  en  lui  disant  que  le  Roi , 
bien  loin  d'avoii*  toujours  la  meme  araitie  pour 
M.  de  Cinq-Mars ,  I'avoit  en  aversion  ,  et  ne  le 
pouvoit  plus  souffrir.  J'eus  beau  faire,  et  de  mon 
raieux,  pour  lui  decouvrir  tout  ce  que  je  savois, 
jamais  il  ne  voulut  me  crwre  :  ce  qui  m'obligea 
de  lui  dire  : « Vous  convenez  que  le  cardinal  halt 

que  pour  I'employ  de  cette  arm^e  et  tous  ses  progres. 


n  Et  d'autant  que  Son  Altesse  a  deux  pcrsonnes  pro- 
pres a  estre  marechaux-de-camp  en  cette  armee,  que  le- 
dit seigneur  declarera  apres  la  conclusion  du  present 
traits ,  Sa  Majeste  Catbolique  se  charge  d'oblenir  de 
I'Empereur  deux  lettres  patentes  de  mareschal-de-camp 
pour  eux. 

IX. 

»  II  est  accorde  que  Sa  Majesty  Catbolique  donnera 
quatre-vingt  mille  ducats  de  pension  a  diipartir  par  mois 
aux  deux  seigneurs  susdits. 


»  Comme  aussi  on  donnera  dans  trois  mois  cent  mille 
livres  pour  pourvoir  et  munir  la  place  que  Son  Altesse 
a  pour  seurete  en  France ;  et  si  celuy  qui  bailie  la  place 
ne  se  satisfait  de  cela.  on  baillera  ladite  somme  comptant, 
et  de  plus  six  quintaux  de  poudre  et  vingl-six  livres  par 
mois  pour  I'entretien  de  la  garnison. 

XI. 

»  II  est  accorde  de  part  et  d'autre  qu'il  ne  se  fera 
point  d'acconmiodement  en  general  ny  en  particulier 
avec  la  couronne  de  France,  si  ce  nest  d'un  commun 
consentement,  et  qu'on  rendra  toutcs  les  places  et  pays 
qu'on  aura  pris  en  France .  sans  se  servir  conire  cela 
d'aucun  pretexte,  loutefois  et  quand  que  la  France  ren- 
dra les  places  qu'elle  a  gagnees  en  quelque  pays  que  ce 
soit,  mesme  celles  acbel^es  et  qui  sont  occupees  par  les  ar- 
mees  qui  ont  fait  serment  a  la  France  ;  que  ledit  seigneur 
due  d'Orl«ians  et  ceux  de  son  party  sc  d^clareront  main- 
tenant  pour  ennemis  des  Suedois  et  de  tous  autres  en- 
nemis  de  Leurs  Majesl(5s  Imp^riale  et  Catbolique  et  de 
tous  ceux  qui  leur  donnent  aide  et  protection;  et  pour 
les  d^truirc  ,  Son  Altesse  et  ceux  de  son  parti  doniicront 
toutes  les  assistances  possibles. 


»  II  est  convenu  que  les  armees  de  Flandres  et  celles 
que  doit  commander  Son  Altesse ,  ainsi  que  dit  est ,  agi- 
ront  de  commune  main  et  a  meme  fin  avec  bonne  cor- 
respondance. 

XIII. 

»  On  tascbera  de  faire  que  les  troupes  soient  prestes 
au  plus  I6t  et  que  ce  soit  a  la  fin  de  mai ;  sur  quoi  Sa  Ma- 
jesty Catbolique  fera  escrire  au  gouverneur  de  Luxem- 
bourg, afin  qu'il  dist  a  celuy  qui  lui  portera  un  blanc 
signe  de  Son  Altesse  ou  de  quelqu'un  des  deux  seigueurs, 
le  temps  auquel  tout  pourra  cstre  en  estat :  lequel  blanc 
sign6  Son  Altesse  envoiera  au  plus  t6t.  afin  de  gagner 
temps ,  si  les  cboses  sont  press^es,  ou  si  elles  ne  le  sont 
point  encore  ,  lorsque  la  personne  arrivera.  elle  s'en  rc- 
tournera  en  la  place  de  seurete. 


MEMOIRKS    DU    COMTE    DB    BIUEINISE, 


le  grand-ecuyer  et  qu'il  engage  le  Roi  d'aller 
en  Roussillon  pour  y  faire  le  siege  de  Perpl- 
goan.  Si  cette  entreprise  reussit,  1  eloignement 
de  Cinq-Mars  son  ennemi  sera  sa  recompense. 
Mais  si  au  contraire  elle  ne  reussit  point,  on  s'en 
disculpera  sur  ies  cabales  du  cabinet,  et  i'on 
croira  qu'il  n"y  aura  point  de  moyen  plus  sur 
pour  Ies  detruire  que  d'en  eloigner  le  chef.  Vous 
verrez  que  le  grand-ecuyer,  qui  affecte  de  ga- 

XIV. 

»  Sa  Majcst(5  Catholiquc  donnera  aux  troupes  de  Son 
Altesse,  un  mois  apres  qu'elles  seront  dans  le  service , 
et  ensuite  neuf  livres  par  mois  pour  leur  enlretien  et 
pour  Ies  autres  affaires  de  la  guerre.  Et  Son  Allesse 
aura  agreable  de  d(5clarer  apres  le  nombre  d'hommes 
qu'elle  aura  dans  ladite  place  deseuret^et  celuy  de  ses 
troupes,  s'ille  trouve  bon,  demeurant  des  niaintenanl 
accord(5  que  Ies  logemens  et  Ics  contributions  se  dlstribue- 
ront  esgalenient  entre  Ies  deux  armies. 

XV. 

»  L'argent  qui  se  tirera  du  royaume  de  France  sera 
en  la  disposition  de  Son  Altesse.  et  sera  desparli  egale- 
ment  entre  Ies  deux  arm(5es,  comme  il  est  dit  en  I'ar- 
ticle  precedent,  et  est  declar(5  qu'on  ne  pourra  imposer 
aucuns  tribus  que  parl'ordrede  Sa  Majeste. 


»  Au  cas  que  ledit  seigneur  due  d'OrMans  soit  oblige 
de  sortir  de  France,  et  qu'il  entre  dans  la  Franche-Conl^ 
ou  autre  part,  Sa  Majesty  Catholique  donnera  ordre  a 
ce  que  Son  Altesse  et  Ies  deux  autres  grands  du  parti 
soient  regus  dans  tons  Ies  estats  et  pour  Ies  faire  conduire 
de  la  dans  la  place  de  seuret^. 


»  D'autant  que  ledit  seigneur  due  d'Orl^ans  desire  un 
pouvoir  de  Sa  Majesty  Catholique  pour  donner  la  paix 
ou  neutrality  aux  villes  des  provinces  de  France  qui  la 
demanderont,  et  qu'il  aytaupres  de  Son  Altesse  un  am- 
bassadeur  de  Sa  Majesty,  avec  plein  pouvoir,  Sa  Ma- 
jesty s'accorde  a  cela. 

XVIII. 

»  S'il  arrive  faute,  ce  que  Dieu  ne  veuille,  dudil  sei- 
gneur due  d'Orldans,  Sa  Majesty  promet  de  conserver 
Ies  mesmes  pensions  auxdits  seigneurs,  et  a  un  seul 
d'eux  si  le  party  subsiste  ou  qu'ils  demeurent  au  service 
de  Sa  Majesty  Catholique. 

XIX. 

»  Ledit  seigneur  due  asseure  en  son  nom  ledit  sieur 
de  Fontrailles,  qu'en  inesme  temps  que  Son  Altesse  se 
descouvrira  ,  il  lui  fera  livrer  une  place  des  meilleures 
de  France  pour  sa  scuret(5 ,  laquelle  sera  d^clar^e  a  la 
conclusion  du  present  traitd,  et  au  cas  qu'elle  ne  soit 
trouv^e  sudisante  ,  ledit  traitd  demeurera  nul ,  comme 
aussy  ledit  sieur  de  Fontrailles  declarera  lesdits  deux 
seigneurs  pour  lesquels  on  demande  Ies  pensions  susdi- 
tes,  dont  Sa  majesty  denaeure  d'accord. 


«  Finallement  est  accordd  que  tout  le  contenu  en  ccs 
articles  sera  approuv(5  ct  ratiOi(5  par  Sa  Majesty  Catho- 


gner  Ies  gens  de  guerre ,  ne  fait  autre  chose  que 
preparer  des  pierres  qui  serviront  un  jour  a  I'ac- 
cabler;  car  le  Roi  ne  pent  plus  souffrir  la  ma- 
niere  hautaine  avec  laquelle  il  se  conduit.  » 
Sur  ce  que  je  m'apercus  que  mes  raisons  ne  pou- 
voient  vaincre  son  opiniatrete ,  je  me  mis  a  ge- 
noux  pour  le  conjurer  d'ajouter  plus  de  foi  qu'il 
ne  faisoit  a  mes  paroles ;  et  je  lui  predis  entln 
que  son  attachement  pour  le  grand-ecuyer  le 

liquc  et  ledit  seigneur  due  d'0rl(*ans,  en  la  mani^re  or- 
dinaire et  accoustum^c  en  semblahles  trait^s.  Le  comte 
due  le  promet  aussy,  au  nom  de  Sa  Majcst(^ .  ct  le  sieur 
de  Fontrailles ,  au  nom  de  Son  Allesse,  s'obligeant  les- 
pectivement  a  cela  comme  de  leur  chef ,  et  I'approuvent 
des  a  prc^sent,  le  ratiffientet  le  signent. 

»  A  Madrid  .  le  13e  jour  de  mars  1650. 

»  Signe  dom  Gasfabd  de  Gutzmatv. 
»  Et  par  supposition  de  nom, 

»  DE  Clermont  jJOMr  Fontrailles.  » 

»  Nous ,  Gaston,  fils  de  France,  frere  unique  du  Roy. 
due  d'Orl^ans ,  certifions  que  le  contenu  cy-dessus  est 
la  vraye  copie  del'original  du  traife  qui  fut  fait  et  pass(5 
en  nostre  nom  avec  M.  le  comte  due  de  San  Lucar  ;  en 
tesmoignage  de  quoy,  nous  avons  sign^  la  pr^sente  de 
nostre  main  et  fait  contresigner  par  notre  secretaire. 

»  Signe  Gastgiv. 

»  Et  plus  bas ,  Godlas.  » 

CONTRE-LETTRE. 

«  D'autant  que  par  le  traits  quej'ay  sign(5cejourd'hui 
pour  et  au  nom  de  monseigneur  le  due  d'0rl(5ans ,  je 
suis  oblig(^  de  declarer  Ies  noms  des  deux  personnes  qui 
sont  compromises  par  Sa  Majesty  dans  ledit  traits  ,  et 
la  place  qu'elle  a  prise  pour  sa  seuref^ ,  je  declare  et  as- 
seure ,  au  nom  de  Son  Altesse  ,  a  M.  le  comte  due  ,  affin 
qu'il  le  dise  a  Sa  Majesty  Catholique,  que  Ies  deux  per- 
sonnes sont  le  seigneur  due  de  Bouillon  et  le  sieur  de 
Cinq-Mars ,  grand  escuyer  de  France ,  et  la  place  de 
seurete  est  Sedan  ,  qui  est  asseuree  a  Son  Altesse  ,  que 
ledit  seigneur  due  de  Bouillon  lui  met  entre  Ies  mains. 
En  foy  de  quoy  j'ay  sign^  cest  (?crit. 

»  A  Madrid  ,  le  13  mars  1642. 

»  Signe  par  supposition  du  nom, 

»  DE  Clermont.  » 

«  Nous,  Gaston,  61s  de  France,  frere  unique  du 
Roy,  due  d'Orl^ans,  recognoissons  que  le  contenu  cy- 
dessus  est  la  vraie  copie  de  la  declaration  de  monsei- 
gneur de  Bouillon  et  de  monseigneur  Legrand.  Et  nous, 
soussignez,  avons  donn^  pouvoir  audit  sieur  de  Fon- 
trailles de  faire  des  noms  desdits  sieurs  de  Bouillon  et 
Legrand  a  monseigneur  le  comte  de  San  Lucar,  apres 
qu'il  aura  pass^  le  trait<5  avec  luy,  auquel  traits  ils  ne 
sont  compris  que  soubz  le  tilre  de  deux  grands  seigneurs 
de  France.  En  tesmoing  de  quoy,  nous  avons  sign^  la 
pr^sente  cerliQcation  de  nostre  main  et  icelle  fait  con- 
tresigner par  nostre  secretaire, 

f)  A  Villefranche ,  le  29  aoOt  1642. 

»  Signe  Gaston. 
»  Etplus  bas  ,  Goula«.  »  ] 


DEUXIEME    PAETIB.    [lG43] 


75 


pcrdroit  infailliblement.  Tout  ce  que  je  pus  dire 
a  M.  de  Thou  ne  I'empecha  point  de  courir  a 
son  malhenr,  qui  n'est  ignore  de  personne.  Etaut 
persuade,  comme  toute  I'arraee,  que  le  Roi  etoit 
depuis  long-temps  malade  d'une  raaladie  qui  le 
mettroit  bientot  a  I'extremite ,  il  s'avisa  de  me 
depecher  un  courrierpour  m'en  avertir,  etpour 
me  donner  avis  que  le  cardinal  faisaut  tous  ses 
efforts  pour  s'assurer  des  officiers  de  I'arraee ,  il 
etoit  de  I'interet  de  la  Reine  de  les  menager,  et 
que  pour  cela  il  lui  falloit  une  lettre  de  cette 
prineesse  qu'il  put  montrer  aux  principaux  :  et 
parce  qu'il  faudroit  qu'elle  fut  concue  en  termes 
differens ,  selon  qu'elle  seroit  pour  les  uns  ou 
pour  les  autres ,  il  ajouta  qu'il  croyoit  que  je  de- 
vois  proposer  a  Sa  Majeste  de  lui  envoyer  des 
blancs  signes.  Je  me  trouvai  extremement  cho- 
que  d'une  pareille  proposition ,  et  je  me  serois 
bien  donne  de  garde  d'en  rien  temoigner  a  cette 
prineesse ,  si  je  n'eusse  apprehende  que  ,  bonne 
et  facile  comme  elle  etoit ,  Sa  Majeste  n'eut  pu 
etre  surprise  par  un  autre  que  moi.  Je  me  ren- 
dis  done  a  Saint-Germain  ,  et  je  n'eus  pas  sitot 
ouvert  la  bouche  sur  celte  proposition  a  Sa  Ma- 
jeste qu'elle  me  parut  y  consentir.  Je  lui  dis 
alors:  "Gardez-vous  bien,  Madame,  de  confier 
un  ecrit  de  cette  nature  a  qui  que  ce  puisse  etre , 
quand  meme  ce  seroit  a  moi ;  car,  quoique  je  ne 
me  sente  pas  capable  d'en  abuser,  il  pourroit 
tomber  en  telles  mains  que  vous  auriez  sujet  de 
vous  en  repentir.  Mais  s'il  arrivoit  par  malheur 
que  la  maladie  du  Roi  augmentat,je  ne  man- 
querois  pas  alors  de  me  rendre  a  I'armee  en  di- 
ligence ,  pour  y  faire  tout  ce  qui  seroit  a  votre 
service. » 

Apres  avoir  vu  les  enfans  de  France ,  et  te- 
moigne  a  madarae  de  Lanzac  la  joie  que  je  res- 
sentois  de  la  convalescence  du  Roi ,  dont  lanou- 
velle  avoit  succede  a  celle  de  I'extremite  de  sa 
maladie ,  je  revins  a  Paris ,  ou  Ton  fut  averti 
deux  jours  apres  que  la  conjuration  dont  j'ai 
parle  avoit  ete  decouverte ,  et  qu'on  avoit  donne 
I'ordre  pour  arreter  M.  de  Rouillou.  Monsieur 
ne  fut  point  trahi  comme  on  le  publia ;  mais  ce 
mystere  fut  decouvert  par  une  voie  que  Ton  ne 
devoit  pas  craindre  uaturellement :  ce  qu'il  faut 
entendre  de  ceux  qui  ignoroieut  comment  les 
choses  se  passoient, 

Le  chancelier  ayant  execute  le  commande- 
ment  qu'il  avoit  recu  d'aller  recevoir  la  deposi- 
tion de  Monsieur,  se  mit  en  campagne  une  se- 
conde  fois  pour  aller  a  Lyon  condamner  a  mort 


(1)  Cette  prineesse  mourut  a  Cologne  leSjuillet  1642, 
Sg^e  de  soixante-huit  ans.  Elle  6toit  tomb^e  dans  la  plus 
affreuse  d^tresse.  (A.  E.) 


MM.  de  Cinq-Mars  et  de  Thou.  On  en  eut  fait 
autant  a  M.  de  Bouillon,  si  la  ville  de  Sedan 
ne  lui  eiit  servi  a  racheter  sa  tete.  Ainsi  on  lui 
accorda  une  abolition  apres  qu'il  eut  avoue  tout 
et  donne  ordre  que  sa  place  fut  remise  aux  trou- 
pes du  Roi.  II  regarda  comme  une  grace  de  ce 
monarque,  que  Sa  Majeste  voulut  bien  se  conteu- 
ter  d'etre  maitresse  des  fortifications  et  des  mu- 
railles  de  la  place,  pour  en  user  dans  la  suite 
comme  bon  lui  sembleroit. 

La  nouvelle  de  I'execution  de  MM.  de  Cinq- 
Mars  et  Thou  fut  suivie  de  celle  du  depart  de 
Lyon  du  cardinal,  qui  se  rendita  Fontainebleau, 
oil  le  Roi  le  fut  visiter,  malgre  la  repugnance 
que  Sa  Majeste  y  avoit:  et  d'ailleurs  ce  prince 
etoit  alors  afflige  de  la  mort  de  la  Reine  sa 
mere  (1).  Quoiquil  la  crut  coupable ,  la  nature 
et  le  saugne  laisserent  pas  de  I'attendrir  en  cette 
occasion. 

Le  cardinal  vint  ensuite  de  Fontainebleau  a 
Paris  ,  oil ,  ses  incomraodites  s'etant  augmentees 
considerablement ,  il  linit  sa  vie  (2) ,  et  ne  fut 
regrette  que  de  tres-peu  de  personnes.  Le  Roi , 
tout  ravi  qu'il  etoit  d'en  etre  defait ,  ne  laissa 
pas  d'executer  le  testament  du  defunt ,  et  de 
pourvoir  les  proches  du  cardinal  des  charges  et 
des  gouvernemens  auxquels  il  les  avoit  desti- 
nees,  aussi  bien  que  des  benefices  qu'il  leur 
avoit  donnes. 

[1643]  Sa  Majeste  s'etant  rendue  de  Paris  a 
Saint-Germain,  ne  prit  plus  conseil  que  du  car- 
dinal Mazarin  et  de  MM.  de  Chavigny  et  des 
Noyers  :  ce  qui  deplut  fort  a  toute  la  cour.  Ce- 
pendant  on  lui  eut  a  peine  propose  de  mettre  en 
liberie  ceux  que  le  cardinal  de  Richelieu  avoit 
retenus  en  prison ,  que  la  chose  fut  executee. 
Messieurs  de  Rassompierre ,  de  Vitry,  de  Cra- 
mail,  et  quelques  autres  qui  etoient  a  la  Bas- 
tille ,  eurent  permission  de  revenir  a  la  cour. 
M.  de  Chateauneuf ,  qui  etoit  a  Angouleme ,  ob- 
tint  aussi  sa  liberie ,  mais  a  condition  d'aller 
faire  sa  demeure  dans  une  de  ses  maisons  de 
campagne. 

Le  Roi  ayant  cru  que  j'avois  le  dessein  de 
lui  proposer  quelqu'un  pour  entrer  dans  les  af- 
faires ,  le  dit  au  cardinal  Mazarin ,  qui  me  I'a 
redit  depuis;  mais  je  n'eus  pas  de  peine  a  me 
justifier  la-dessus  ,  en  faisant  connoitre  le  peu 
de  merite  qui  se  trouvoit  dans  le  sujet  qu'on 
soupconnoit. 

M.  de  Vendome  fit  supplier  le  Roi  de  lui  ae- 
corder  la  grace  de  revenir  en  France ,  d'ou  il 


(2)  Le  cardinal  de  Richelieii  mourut  le  4  d^cembre 
1642,  ag^  de  cinquante-huit  ans. 

(A.E.) 


MEMOIRF.S    DU    COMTE    DE    BRIENiNE 


etoit  exile,  aussi  bien  que  M.  d'Epernon  et  la 
duchesse  son  epouse.  II  se  rendit  meme  a  Saint- 
Germain,  et  fit  savoir  a  Sa  Majeste  le  sujet  qui 
i'y  avoitamene.  On  m'accusa  sans  fondement  de 
iui  en  avoir  doune  le  conseil ,  afin,  disoit-on  , 
de  sur{)rendre  ce  monarque  sur  la  reponse  qu'il 
aurolt  a  faire  aux  enuemis  de  la  maison  de  Ven- 
dome,  suppose  qu'ils  voulussentprevenir.  Comme 
je  remarquai  aiors  que  le  Roi  ne  me  regardoit 
plus  de  si  bon  ceil ,  je  pris  la  resolution  de  me 
defaire  de  ma  charge ,  apres  en  avoir  eu  le  con- 
sentement  de  la  Reine.  La  raison  que  je  Iui  en 
donnai  etoit  que  je  serois  hors  d'etat  de  la  pou- 
voir  servir  tant  que  le  Roi  vivroit ;  mais  que  si 
Dieu  venoit  a  disposer  de  ce  prince,  je  serois 
toujours  pret  de  faire  ce  qu'elle  me  commande- 
roit. 

Le  marche  de  ma  charge  etant  conclu  avec 
M.  Du  Plessis-Guenegaud ,  M.  de  Chavigny  Iui 
fit  obtenir  la  permission  d'en  traiter  avec  moi 
par  le  moyen  du  cardinal  Mazarin.  Je  me  crus 
cependant  oblige  de  remercier  Sa  Majeste  de  la 
grace  qu'elle  m'avoit  acccordee  ;  mais  ce  ne  fut 
pas  sans  quelque  peine  de  part  et  d'autre  ,  le 
Roi  se  souvenant,  aussi  bien  que  moi,  du  long 
temps  qu'il  y  avoif  que  j'etois  attache  a  soji  ser- 
vice. Je  le  suppliai  dagreer  que  ,  quand  je  vien- 
drois  Iui  faire  ma  cour,  je  ne  fusse  pas  traite  dif- 
feremment  de  ce  que  je  Tavois  ete  auparavant. 
Sa  Majeste  eut  la  bonte  de  me  le  promettre,  et 
meme  de  le  dire  tout  haut ,  afin  que  les  officiers 
de  sa  charabre  fussent  informes  de  ses  inten- 
tions. 

La  maladie  du  Roi  augmentant  aussi  bien  que 
le  credit  du  cardinal  Mazarin,  Sa  Majeste  donna 
toute  sa  confiance  a  Chavigny.  Des  Noyers  ne 
le  put  souffrir.  11  demanda  la  permission  de  se 
retirer  :  ce  qui  Iui  fut  accorde.  II  fit  en  cela  une 
demarche  dont  il  eut  tout  le  temps  de  se  repen- 
tir.  On  proposa  au  Roi  plusieurs  sujets  pour 
remplir  la  place  de  celui-ci,  et  entre  autres 
M.  d'Avaux,qui  n'eut  pas  le  bonheur  deplaire 
a  Sa  Majeste.  Le  Roi  se  determina  a  la  faire 
exercer  par  commission  a  M.  Le  Tellier,  inten- 
dantde  Tarmeedltalie,  fort  connu  du  cardinal 
et  beau-frere  de  Tilladet,  capitaine  aux  Gar- 
des, que  le  Roi  consideroit  beaucoup.  Le  Tel- 
lier etoit  homme  de  merite,  et  I'evenement  a 
fait  connoltre  dans  la  suite  qu'il  etoit  digne  de 
remplir  une  pareille  charge. 

J'allois  de  temps  en  temps  a  Saint-Germain 
pour  obeir  a  I'ordre  que  la  Heine  m'en  avoit 
donne.  Un  jour  que  je  proposai  au  cardinal  le 
retour  de  M.  de  Vendome ,  il  me  recut  assez 
bien,  sur  ce  qu'il  crut  que,  la  maladie  du  Roi 
augmentant ,  Sa  MajesU  rappelleroit  infaillible- 


ment  ce  prince  par  principe  de  conscience ,  ou 
ne  pourroit  du  moins  se  defendre  d'avoir  egard 
a  la  piiere  qui  Iui  en  seroit  faite  par  Monsieur, 
son  frere.  Sur  ce  fondement,  le  cardinal  en 
voulut  faire  I'ouverture  a  ce  monarque,  et  les 
ordres  furent  expedies  tels  qu'on  les  pouvoit  de- 
si  rer. 

La  cour  grossissoit  continuelleraent ,  tant  par 
le  rappel  des  exiles  que  par  un  grand  nombre 
d'autres  personnes  qui  s'y  rendoient,  les  unes 
pour  voir  quel  changement  la  mort  prochaine 
du  Roi  y  apporteroit,  et  les  autres  parce  qu'elles 
esperoient  d'y  faire  une  plus  grande  fortune.  Ce 
n'etoit  plus  un  secret  de  dire  que  la  vie  de  ce 
prince  ne  pouvoit  etre  de  iongue  duree.  A  la  ve- 
rite  cela  troubloit  le  cardinal,  mais  non  pas 
de  maniere  qu'il  oubliat  ce  qu'il  falloit  faire 
pour  sa  conservation.  Etant  avert!  que  la  Reine 
avoit  beaucoup  de  confiance  dans  I'eveque  de 
Reauvais,  qui  etoit  d'ailleurs  d'un  esprit  simple 
et  facile  et  d'un  temperament  prompt,  il  crut 
qu'il  Iui  seroit  bien  plus  aise  de  s'assurer  de  ce 
prelat  que  de  tout  autre  pour  qui  Sa  Majeste  au- 
roit  de  I'affection.  Mais  ne  sachant  qui  em- 
ployer pour  cela,  il  s'adressa  au  nonce,  qui  fut 
depuis  le  cardinal  Grimaldi.  Le  nonce  voulut 
bien  se  charger  de  la  commission ,  et  Iui  faire 
le  plaisir  de  dire  a  i'eveque  de  Reauvais  la  pas- 
sion qu'avoit  le  cardinal  Mazarin  de  rendre  ses 
services  a  la  Reine  ;  et  le  prelat,  pen  fin  ,  en 
eut  tant  de  joie  qu'il  I'alla  d'abord  declarer  a 
Sa  Majeste ,  en  conseillant  de  s'assurer  de  Ma- 
zarin, qui  fut  ravi  d'apprendre  que  les  choses 
reussissoient  a  son  gre.  M.  de  Reauvais  me  fit 
pai  t  de  ceci  et  de  ce  qui  avoit  ete  menage  par 
de  plushabiles  gens  que  Iui.  J'en  fus  extreme- 
ment  surpris;  mais  ayant  eu  assez  de  force 
pour  dissimuler  ma  pensee,  etme  trouvant  dans 
la  necessite  de  prendre  un  parti ,  je  dis  a  ce  pre- 
lat que  je  souhaitois  qu'il  n'eiit  pas  un  jour  sujet 
de  s'en  repentir.  Je  fus  promptement  trouver 
la  Reine,  dans  I'impatience  ou  j'etois  de  savoir 
de  Sa  Majeste  meme  si  ce  que  M.  de  Reauvais 
m'avoit  dit  etoit  veritable,  et  ce  qui  avoit  pu 
engager  la  Reine  a  suivre  le  conseil  de  ce  pre- 
lat. «  Deux  raisons ,  me  repondit  cette  prin- 
cesse  :  la  premiere ,  que ,  sur  la  parole  du 
nonce ,  je  suis  persuadee  que  le  cardinal  Maza- 
rin est  mon  serviteur;  et  la  seconde,  qu'ayant 
envie  de  me  defaire  de  Routhillier,  de  Chavigny 
et  de  tons  ceux  qui  n'ont  point  ete  dans  mes 
interets ,  je  serai  bien  aise  d'y  conserver  quel- 
qu'un  qui  puisse  m'ini'orraer  des  intentions  que 
pourra  avoir  le  Roi  a  la  mort,  pour  les  suivre. 
Je  veux  me  ser\ir  pour  cela  d'une  personnequi 
ne  soit  point  dans   la  dependance  de  Monsieur 


DEUXIKMli: 

ni  du  prince  de  Conde, »  Je  crus  faire  beaucoup 
de  ne  point  louer  iin  conseil  qui  me  paroissoit 
tres-peinicieux,  mais  jecrusaussi  qii'ii  etoit  de 
la  prudence  de  ne  le  pas  blamer;  et  me  conten- 
tant  de  ne  point  oublier  ce  qui  m'avoit  ete  con- 
fie  pour  m'en  servir  au  besoin  ,  je  n'en  parlai  a 
person  ne. 

Cependant  la  maladie  du  Roi  devenoit  plus 
dangereuse.  Le  cardinal  lui  conseilla  d'etabiir 
\me  regence;  et ,  suppose  que  cette  dignite  fiit 
defert'eaIaReine,de  limiter  le  pouvoir  desa  re- 
gence. Cemonarqueu'eut  pas  de  peine  a  faire  ce 
quon  lui  proposoit;  car  il  ne  pouvoit  confier 
ses  enfans  ni  a  Monsieur,  ni  au  prince  de  Conde, 
qui  lui  avoit  souvent  donne  sujet  de  se  plaindre. 
II  u'eut  pas  nou  plus  de  peine  a  mettre  des  bor- 
nes  a  I'autorite  de  la  Reine ,  etant  persuade 
qu'elle  useroit  mal  de  son  pouvoir;  et  sur  ce 
qu'on  lui  demanda  s'il  agieeroit  que  Monsieur 
fut  declare  chef  des  conseils  sous  la  regente,  et 
lieutenant-general  representant  sa  personne  dans 
toute  I'etendue  du  ro.vaume;qu"en  I'absence  de 
Monsieur,  frere  du  Roi ,  le  prince  de  Conde 
occupat  la  meme  piace,  et  le  cardinal  Mazarin 
cellede  ce  prince;  qu'il  y  eiit  un  conseil  neces- 
saire  auquel  assisteroient  Routhiliier,  surinten- 
dant  des  finances,  et  Chavigny,  son  fils,  oil 
toutes  les  affaires  passeroient  a  la  pluralite  des 
voix  ,  Sa  Majeste  donna  son  consentement  a 
tout,  et  le  Roi  ajouta  qu'il  vouloit  que  le  cardi- 
nal eiit  la  nomination  des  benefices  jusqu'a  la 
majorite  du  Roi,  son  fils.  Pour  donner  plus  de 
force  a  cette  declaration,  on  jugea  a  propos  de 
la  faire  enregistrer  au  parlement.  Outre  ce  que 
je  viens  de  remarquer,  il  y  avoit  encore  qnel- 
ques  clauses  qui  me  paroissoient  assez  a  I'avan- 
tage  de  la  Reine  :  entre  autres ,  il  etoit  dit 
qu'elle  auroit  la  disposition  des  charges  qui 
vieudroient  a  vaquer,  a  la  reserve  de  celles  de 
secretaires  d'Etat,  qui  ne  pourroient  etre  rem- 
plies  que  par  des  personnes  dont  le  conseil  neces- 
saire  seroit  convenu.  Je  ne  fus  point  du  tout 
surpris  de  cette  restriction  ,  car  la  charge  de 
Des  Noyers  n'etant  point  encore  donnee,  on 
voulut  prendre  une  precaution  pour  m'empe- 
cher  d "y  entrer ;  et  en  cela  je  fus  oblige  a  ceux 
qui  s'en  melereut ,  le  Roi  ayant  eu  la  bonte  de 

(1)  Nous  avons  trouv6  dans  les  papiers  du  comte  de 
Brienne  la  leltre  suivante  de  la  Reine  d'Angleterre, 
6crite  a  Louis  XIV,  au  sujet  de  la  mort  du  feu  Roi. 

[Au  Roi  Tres  Chrestien,  monsieur  mon  neveu. 

«  Monsieur  raon  neveu , 

»  Tost  que  j'ay  appris  la  mort  du  feu  Roy,  monsieur 
mon  frere  ,  par  le  sieur  de  Gressy,  je  vous  ay  despechiS 


PAHTIE.   [lOlS  77 

se  souvenir  de  mes  services  dans  son  testament 
et  de  les  recompenser. 

Au  moment  que  cette  declaration  parut  elle 
fut  biamee  ,  et  le  parlement,  en  I'enregistrant , 
ne  songea  qu'aux  moyens  dont  il  faudroit  se  ser- 
vir pour  rendre  illusoire  le  dispositif  deson  ar- 
ret. Des  jurisconsultes  soutenoient  que  le  pere 
et  le  fils  ne  devoient  point  deliberer  ensemble, 
et  le  public  trouvoit  que  le  conseil  qu'on  auroit 
etabli  seroit  trop  foible  pour  avoir  une  autorite 
aussi  absoiue.  Quelques-uns  de  ceux  qui  mou- 
roient  d'envie  d'etre  en  possession  des  charges 
qui  leur  etoient  destinees,  temoignerent  au  Roi 
qu'i!  falloit  assembler  ce  conseil;  et,  suivant 
I'ordre  ((u'ilsen  recureut.  ils  dirent  a  la  Reine 
que  ce  monarque  I'avertissoit  de  ne  jamais  con- 
sentir  que  M.  de  Vendome,  ni  aucun  desa  mai- 
son,  fut  pourvu  du  gouvernement  de  Rretagne  , 
dont  le  marechal  de  La  Meilleraye  avoit  etegra- 
tifie  depuis  pen ;  et  comme  on  ne  se  soucia  |  oint 
de  menager  M.  de  Vendome  ,  on  divulgua  sur- 
le-champ  ce  qui  devoit  etre  tenu  secret.  On 
proposa  aussi  de  declarer  les  generaux  des  ar- 
mees.  Le  cardinal ,  pour  mettre  dans  ses  inte- 
rets  le  prince  de  Conde  ,  fit  determiner  le  Roi  a 
donner  le  commandement  de  la  plus  considera- 
ble au  due  d'Enghien  ,  qui  devoit  avoir  sous  lui 
M.  Du  Hallier,  qui  fut  marechal  de  France  peu 
de  temps  apres  son  depart  de  la  cour. 

Le  roi  Louis  XIIT,  surnomme  le  Juste,  mou- 
rut  en  cette  annee-ci  (r).  On  pent  dire  que  ce 
prince  n'etoit  mechant  que  par  accident.  Dans 
tout  le  cours  de  son  regne ,  qui  fut  assez  agite  , 
il  ne  fit  que  le  mal  qu'on  lui  fit  faire.  A  peine 
eut-il  rendu  son  dernier  soupir  qu'il  courut  un 
bruit,  dans  le  faubourg  Saint-Germain,  que 
Monsieur  avoit  mande  a  ses  creatures  de  s'y 
rendre,  a  dessein  d'etre  maltre  de  la  personne 
du  roi  Louis  XIV,  son  neveu ,  et  du  due  d'An- 
jou ,  frere  unique  de  Sa  Majeste,  et  d'oter  I'au- 
torite a  la  Reine.  Cela  donna  lieu  aux  serviteurs 
de  cette  princesse,  qui  de  longue  main  lui 
avoient  menage  les  Gardes  francaises  et  suis- 
ses,  de  redoubler  la  garde  et  d'ordonner  que 
les  soldats  fussent  dans  leurs  quartiers  sous 
leurs  enseignes,pourse  rendre  a  Saint-Germain 
au  premier  ordre ,  et  y  appuyer  par  la  force  des 

Craset  pour  me  condouloir  avec  vous  de  la  perle  que 
nous  avons  faite,  et  puis  pour  rcmercier  Vostre  Ma- 
jesty des  assurances  qu'elle  m'a  donn^es  de  son  affeclion, 
la  suppliant  de  croire  que  je  lacheray  a  la  meiiter,  es- 
tant,  monsieur  mon  neveu,  votre  tres-affectionnee  tanle, 

»  Hejvriette-Mario,  R. 

»  Newarke,  ce^juin  1613.  »] 


MEMOIBES    UV    COMTE    DE    BRIINAE, 


armes  ce  que  le  feu  Roi  y  avoit  ordoune  tres- 
instamment,  qui  etoit  que  la  Relne  seroit  mai- 
tresse  de  I'administi-ation  du  royaurae  et  de  I'e- 
ducation  de  ses  enfans. 

Cette  princesse,  pour  marquer  la  confiance 
qu'elle  avoit  au  due  de  Beaufort,  lui  commanda 
de  se  tenir  aupres  de  la  personne  du  Roi ,  et  a 
tous  eeux  qui  dependoient  d'elle  de  lui  obeir.  II 
eut  ete  a  souhaiter  que  M.  de  Beaufort  eiit  puse 
conteuir ;  mais  n'etant  pas  maltre  de  sa  joie ,  on 
prit  la  resolution  de  conduire  le  Roi  et  le  due 
d'Anjou  a  Paris;  et  les  troupes  de  la  garde 
ayant  ete  mandees,  on  lesniit  en  bataillon ,  au 
milieu  duquel  marchoit  le  carrosse  oil  etoient 
Leurs  Majestes  avec  Monsieur.  lis  arriverent  a 
Paris  dans  cet  equipage,  qui  avoit  quelque 
chose  de  grand  et  de  foible  tout  ensemble. 

A  peine  la  Reine  fut-elle  retiree  que  le  pre- 
sident Le  Bailleul,  son  chancelier,  lui  proposa 
de  mener  le  Roi  au  parlement  qui ,  suivant 
I'exemple  de  ce  qui  s'etoit  pratique  en  I'annee 
1610,  ne  manqueroit  pas  de  la  declarer  re- 
gente,  avec  lepouvoir  entier  degouvernertoute 
seule;  en  suppliant  pourtant  le  Roi  que  Mon- 
sieur, son  oncle,  fut  declare  lieutenant-general 
dans  toute  Tetendue  de  son  royaume,  pays  et 
terres  de  son  obeissance,  et,  en  son  absence, 
M.  le  prince  chefdes  conseils.  M.  leducd'Or- 
leansetle  prince  deConde,  qui  d'ailleursoffroient 
de  remettre  a  la  Reine  toute  I'autorite  qui  leur 
avoit  ete  donnee,  consentirent  que  le  Roi  allat  te- 
nir son  lit  de  justice  :  a  quoi  le  cardinal  avoit 
lui  seul  de  la  repugnance,  parce  qu'il  avoit  ete 
averti  qu'on  n'y  parleroit  point  de  lui.  Plusieurs 
conseillers  voulurent  Tanimer,  mais  ils  etoient 
trop  foibles  pour  empecher  une  deliberation  con- 
sentiepar  les  plus  considerables  de  I'Etat,  etque 
le  parlement  avoit  declare  vouloir  publier. 

Le  cardinal  crut  que ,  les  choses  etant  en  cette 
situation  ,  il  n'avoit  point  dautre  parti  a  prendre 
que  de  demander  a  la  Reine  la  permission  de  se 
retirer  en  Italic.  Sa  Majeste  etant  persuadee  que 
}e  service  de  cette  Eminence  lui  seroit  utile  ,  et 
se  trouvant  pressee ,  me  dit  I'embarras  ou  elle 
■etoit,  d'ou  pourtant  elle  concluoit  que  son  auto- 
rite  en  seroit  bien  plus  puissante.  Je  lui  repon- 
dis  que  si  elle  etoit  resolue  a  continuer  de  se 
servir  du  cardinal ,  je  ne  croyois  pas  les  choses 
si  dilficiles  qu'elles  paroissent.  « Mais  ,  me  repli- 
qua  la  Reine ,  comment  cela  se  pourra-til  faire? 
<;ar  le  cardinal  se  tient  offense  ,  il  le  public  par- 
lout  et  demande  la  permission  de  se  retirer. » 
Je  lui  dis :  « Madame  ,  si  vous  lui  offrez  ce  qu'il 
perd  ,  Votre  Majeste  conviendra  qu'il  doit  etre 
satisfait;  et  s'il  vous  refuse,  c'est  une  marque 
qu'il  ne  veut  point  vous  avoir  d'obligation.  En 


ce  cas-la,  vous  ne  perdrez  rien  quand  il  se  retirera; 
mais  Votre  Majeste  me  permettra  de  lui  dire  que 
je  le  crois  trop  habile  homme  pour  ne  pas  ac- 
cepter ses  offres  avec  de  tres-humbles  remerci- 
mens. »  Je  me  retirai ,  et  le  cardinal  se  rendit 
chez  la  Reine  pour  la  presser  de  lui  accorder  la 
permission  qu'il  lui  avoit  demandee  des'enaller 
a  Rome  ,  ou  il  feroit,  disoit-il ,  paroitre  son  zele 
pour  le  service  du  Roi ,  et  sa  reconnoissance 
pour  les  bienfaits  et  les  honneurs  dont  il  etoit 
comble.  Mais  Sa  Majeste  lui  ayant  fait  I'ouver- 
ture  que  je  lui  avois  proposee ,  il  ne  delibera 
point  sur  ce  qu'il  avoit  a  repondre.  II  la  remer- 
cia  en  lui  protestant  que  cette  nouvelle  grace 
I'attachoit  encore  plus  fortement  que  toutes  les 
autres  qu'il  avoit  revues  au  service  du  Roi ,  au 
sien ,  et  a  celui  de  toute  la  France ;  et ,  conti- 
nuant son  discours  ,  il  demanda  a  la  Reine  qui 
lui  avoit  donne  ce  conseil.  Sa  Majeste  lui  dit  que 
c'etoit  moi.  II  m'en  remercia  des  le  jour  meme, 
en  me  protestant  que  j'aurois  toute  sa  confiance; 
qu'il  savoit  bien  que  la  Reine  m'avoit  honorede 
la  sienne  ,  et  que  je  n'en  avois  jamais  abuse  : 
qu'il  supplioit  meme  Sa  Majeste  d'etre  sa  cau- 
tion ;  qu'il  ne  manqueroit  a  rien  de  tout  ce  qu'il 
m'avoit  promis ,  ne  me  demandant  d'autre  assu- 
rance que  ma  parole  ,  parce  que  la  renommee  , 
qui  ne  se  trompe  jamais,  avoit  public  si  haute- 
ment  la  Constance  et  la  fidelite  avec  lesquelles 
j'avois  servi  mes  maitres  et  aime  mes  amis , 
qu'il  n'exigeoit  point  de  moi  d'autre  assurance  , 
celle-la  lui  paroissoit  la  meilleure.  Je  fis  de  mon 
cote  mille  protestations  de  services  au  cardinal, 
etant  persuade  que  cela  feroit  plaisir  a  la  Reine. 
Presentement  qu'elle  est  etablie  sur  le  trone  , 
nous  parleronsde  la  regence  de  cette  princesse, 
et  de  la  part  qu'elle  voulut  bien  me  donner  aux 
affaires. 

Sa  Majeste  temoigna  d'abord  qu'elle  n'avoit 
rien  plus  a  coeur  que  la  grandeur  du  Roi  son 
fils  et  de  procurer  la  paix  a  la  France  ,  pourvu 
que  ces  deux  choses  pussent  s'accorder  ensemble. 
Elle  promit  de  mettre  dans  ses  interets,  autant 
qu'elle  le  pourroit^  M.  le  due  d'Or leans  et  M.  le 
prince.  Elle  declara  aussi  qu'elle  avoit  des  ser- 
viteurs  particuliers  dont  elle  vouloit  se  servir  , 
comme  I'eveque  de  Beauvais ,  le  president  Le 
Bailleul  et  moi.  Le  second,  quis'attendoitd'avoir 
les  sceaux ,  accepta  avec  plaisir  la  surinten- 
dance  des  finances ,  dont  il  fut  pourvu  conjoin- 
tement  avec  M.  d'Avaux  ,  qui  neanmoins  fut 
nomme  pour  aller  negocier  la  paix  suivant  les 
preliminaires  qui  en  avoient  deja  paru.  M.  de 
Longueville  fut  aussi  destine  pour  etre  plenipo- 
tentiaire ,  et  obtint  du  Roi  qu'il  auroit  seance 
dans  le  conseil  secret.  II  fut  par  la  recompense 


DEl'XTEMR    PAUTIE.    [1G43] 


79 


d'avance  des  services  qu'on  attendoit  de  lui. 
Bouthillier  eut  ordre  de  se  retirer  :  ee  qui  siir- 
prit  d'abord  le  chancelier ;  mais  il  se  rassura 
quand  il  vit  qu'on  avoit  mis  en  sa  place  MM.  Le 
Bailleul  et  d'Avaux.  L'eveque  de  Bcauvais  ,  qui 
s'attendoit  a  etre  tout  puissant  dans  I'Etat ,  re- 
chercha  M.  le  due  d'Orleans  et  le  prince  de  Con- 
de,  en  leur  promettant  des  gouvernemens  de 
place  ,  et  generalement  tout  ce  qu'ils  pourroient 
desirer.  II  assura  encore  Monsieur  que ,  sans 
avoir  le  titre  de  regent,  il  en  auroit  toute  I'auto- 
rite.  Mais  le  pauvre  preiat  dechut  de  ses  espe- 
rances  quand  il  vit  que  le  cardinal  avancoit  de 
plus  en  plus  dans  la  confiance  de  la  Reine  ,  et 
que  Ton  croyoit  avoir  deja  trop  fait  pour  lui  que 
de  lui  avoir  accorde  I'entree  du  conseil ,  en  le 
flattant  de  I'esperance  de  I'elever  a  la  pourpre. 
Le  cardinal  Mazarin  I'assura  bien  d'y  vouioir 
contribuer;  mais  reconnoissant  que  ce  preiat 
avoit  un  petit  genie ,  il  le  meprisa  dans  la  suite. 
Chavigny  fut  etourdi  de  la  disgrace  de  son  pere, 
et  Servien  revint  en  diligence  a  la  eour ,  espe- 
raut  de  rentrer  dans  la  charge  de  secretaire- 
d'Etat  qu'il  avoit  eue  par  le  credit  du  cardinal 
de  Richelieu,  et  dont  il  avoit  ete  oblige  de  se 
defaire  par  ordre  du  feu  Roi ,  qui  I'avoit  soup- 
conne  d  avoir  rapporte  a  son  premier  ministre 
quelque  chose  qui  avoit  ete  dit  dans  la  chambre 
de  Sa  Majeste.  Servien  fut  aussi  bien  etonne  de 
voir  que  le  cardinal  Mazarin  affectionnoit  Le 
Teilier,  et  qu'il  y  avoit  encore  bien  des  person- 
nes  qui  disoient  que  des  Noyers  ,  qui  ne  s'etoit 
pas  demis,  pretendoit  la  meme  chose  que  lui.  II 
perdit  enfm  toute  esperance  quand  il  sut  que  la 
Reine  etoit  dans  le  dessein  de  me  gratifier  de 
cette  meme  charge. 

Chavigny  ne  trouvant  point  Sa  Majeste  dis- 
posee  en  sa  faveur,  eomme  il  s'en  etoit  flatte  , 
s'adressa  au  cardinal  pour  obtenir  de  la  Reine, 
par  son  moyen  ,  la  permission  de  se  demettre  de 
sa  charge  ,  s'imagiuant  peut-etre  que  cette  Emi- 
nence le  bl^meroit  de  la  resolution  qu'il  prenoit; 
mais  il  s'adressa  mal ,  car  le  cardinal  ne  pouvoit 
souffrir  qu'on  allat  publiant  partout  que  M.  de 
Chavigny  etoit  I'auteur  de  sa  fortune  et  de  son 
elevation.  Ce  premier  ministre  ,  se  possedant , 
lui  fit  plusieurs  questions  qui  I'engagerent  de 
plus  en  plus  a  persister  dans  sa  meme  resolution, 
comme  de  lui  dire  jusqu'ou  il  pretendoit  que 
devoit  aller  son  credit ,  dont  on  lui  otoit  jusqu'a 
I'esperance.  Ainsi  le  cardinal  s'etant  contente  de 
satisfaire  a  ce  que  la  bienseance  vouloit ,  il  se 
chargea  de  parler  de  la  demission  de  Chavigny 
a  la  Reine,  qui  temoigna  une  grande  joie  de  ce 
que  I'occasion  se  presentoit  de  me  faire  entrer 
dans  les  affaires. 


Sa  Majeste  envoya ,  mes  enfans ,  chercher 
votre  mere  ,  pour  savoir  d'elle  si  j'etois  en  etat 
d'avancer  une  partie  de  la  recompense  que  M.  de 
Chavigny  demandoit.  Ensuite  elle  me  commanda 
de  Taller  offrir  a  I'interesse  :  ce  que  je  fis,  en  le 
priant  de  me  dire  franchement  s'il  avoit  bien 
pense  a  ce  qu'il  avoit  fait.  II  me  remercia  de 
I'offre  que  je  lui  fis  de  ne  le  point  presser  de 
quelques  jours  de  donner  sa  demission  ,  seule- 
ment  pour  se  menager  quelques  avantages  qui 
ne  me  regardoient  point.  Mais  comme  M.  de 
Chavigny  etoit  chancelier  de  M.  le  due  d'Orleans, 
ceci  vint  bientot  a  la  connoissance  de  ce  prince, 
qui  envoya  sur-le-champ  le  due  de  Bellegarde 
faire  ses  plaiutes  a  la  Reine  et  au  cardinal  de  ce 
qu'on  disposoit  sans  sa  participation  d'une  charge 
aussi  considerable  que  celle  de  secretaire-d'Etat. 
«  J'ai  use  de  mon  pouvoir,  repondit  cette  prin- 
cesse  ,  en  ayant  ete  suppliee  par  celui  qui  y  est 
le  plus  interesse.  La  maniere  dont  vous  me  par- 
lez  de  la  part  de  Monsieur  me  surprend  si  fort , 
que  je  trouve  a  propos  que  vous  lui  disiez  de  la 
mienne  de  ne  le  pas  faire  une  seconde  fois. »  Le 
cardinal  prit  la  parole ,  et  raconta ,  pour  se  jus- 
tifler,  les  choses  comme  elles  s'etoient  passees , 
en  ajoutant  qu'il  seroit  bien  difficile  d'engager 
la  Reine  a  changer  de  resolution.  M.  de  Belle- 
garde  etant  retourne  trouver  son  maitre  ,  il  con- 
vint  avec  lui  de  revenir  aupres  de  la  Reine,  a 
laquelle  il  parla  ainsi :  « Votre  Majeste  ne  sau- 
roit  defendre  le  procede  de  M.  de  Brienne  ,  qui 
n'a  pas  daigne  faire  un  compliment  a  Monsieur." 
La  Reine  m'envoya  querir ,  et ,  blamant  ma  ma- 
niere d'agir,  elle  m'ordonna  d'aller  au  Luxem- 
bourg et  de  prier  Monsieur  de  ne  point  avoir 
de  repugnance  a  ce  qu'elle  vouloit  faire  pour 
moi.  Je  lui  repondis,et  ensuite  au  cardinal,  qui 
me  reprochoit  que  j'avois  mis  la  Reine  dans  un 
grand  erabarras : «  J'avois  toujours  cru  I'union 
de  Monsieur  avec  Sa  Majeste  si  necessaire  pour 
le  service  du  Roi ,  qu'il  la  faudroit  preferer  a 
toute  autre  chose.  A  mon  egard ,  la  Reine  ,  par 
I'honneur  qu'elle  m'a  fait ,  a  recompense  mes 
services ,  dont  je  lui  suis  tres-oblige ;  mais  elle 
n'aura  jamais  le  pouvoir  sur  moi  de  me  faire  en- 
trer dans  une  charge  comme  celle  de  secretaire- 
d'Etat  contre  le  consentement  de  Monsieur.  Sa 
Majeste  est  done  la  maitresse  d'en  disposer 
comme  il  lui  plaira;  car,  au  reste,  pour  ce  qui 
est  d'aller  dans  la  conjoncture  presente  faire  un 
compliment  a  M.  le  due  d'Orleans,  c'est  une  bas- 
sesse  dont  je  ne  suis  pas  capable ;  et  ce  seroit 
mal  reconnoitre  les  obligations  que  j'ai  a  la 
Reine ,  de  donner  lieu  au  monde  de  dire  qu'elle 
ne  pent  avoir  de  bonne  volonte  pour  ses  servi- 
teurs  sans  I'agrement  de  Monsieur.  Mais  quand 


80 


MEMOICKS    DU   COMTE    DE    BBIENNE 


ce  prince  aura  fait  les  excuses  auxquelles  son 
compliment  Toblige ,  de  mon  cote  je  ne  manque- 
rai  pas  a  raon  devoir.  »  Mes  raisons  furent  trou- 
vees  si  bonnes  que  I'affaire  fut  mise  en  negocia- 
tion.  Monsieur,  ne  pouvant  esperer  de  la  faire 
reussir  comme  il  I'avoit  projete  ,  me  fit  dire  de 
Taller  voir,  et  qu'il  la  termiueroit  a  ma  satisfac- 
tion. Je  relusai  de  lui  obeir  jusqu'a  ce  qu'il  eut 
rendu  a  la  Reine  ce  qu'il  lui  devoit ,  et  j'ajou- 
tai  que  je  ne  voudrois  point  de  I'epee  de  con- 
netable  a  ce  prix-la,  et  a  plus  forte  raison  d'une 
plume  que  j'avois  ene  tant  d'annees  dans  ma 
main. 

M.  le  due  d'Orleans  se  resolut  enfm  de  faire 
des  excuses  a  la  Reine  de  la  conduite  qu'il  avoit 
eue ;  dont  je  n'eus  pas  plus  tot  ete  averti  par  Sa 
Majeste  que  j'obeis  sur  le-champ  a  Tordre  qu'elle 
me  donna  d'aller  au  Luxembourg.  Je  parlai  a  ce 
prince  de  la  maniere  qui  suit :  <■  Je  ne  sais  par 
oil  commencer  mon  discours ,  en  pariant  a  Votre 
Altesse  Royale;  car  depuis  que  je  suisau  monde 
j'ai  toujours  evite  toutes  sortes  d'eclaircissemens, 
et  neanmoins  je  me  trouve  dans  la  necessite  d'eu 
avoir  un  avec  un  prince  pour  qui  j'ai  toujours 
eu  un  profond  respect.  Je  dirai  done  a  Votre  Al- 
tesse Royale  que,  si  les  bienheureux  voient  ce 
qui  se  passe  en  ce  monde-ci ,  le  Roi  votre  pere 
aura  peine  a  souffrir  que  vous  ayez  porte  les  in- 
terets  du  fils  de  M.  de  Routhillier  contre  ceux 
du  fils  de  M.  de  Loraenie ,  apres  avoir  ete  servi 
avec  beaucoup  de  fidelite  par  celui-ci ,  et  ayant 
a  peine  connu  I'autre.  Mais  ,  pour  reprendre  la 
suite  de  raon  discours ,  je  me  crois  oblige  de 
dire  a  Votre  Altesse  Royale  qu'etant  alle  trou- 
ver  M.  de  Chavigny  pour  lui  declarer  I'ordre 
que  j'avois  de  lui  remettre  une  somme  conside- 
rable ,  en  me  donnaut  la  demission  de  la  charge 
de  secretaire-d'F^tat ,  dont  monsieur  son  pere  et 
lui  etoient  pourvus ,  il  me  pria  de  ne  le  point 
presser  de  quelques  jours  ,  dont  il  avoit  besoin, 
pour  menager  de  certains  interets  qui  ne  me  re- 
gardoient  point.  Or,  y  ayant  consenti,eut-il  paru 
raisonnable  que  j'eusse  accouru  a  Votre  Altesse 
Royale  pour  lui  faire  part  de  i'ordre  que  j'avois 
recu  de  la  Reine?  Je  prends  meme  cette  prin- 
cesse  a  temoin  que  je  I'ai  suppliee  de  me  dechar- 
ger  du  fardeau  qu'elle  vouloit  m'imposer ,  parce 
que  vous  ne  I'aviez  pas  agreable.  Mais  a  present 
que  vous  avez  vu  Sa  Majeste ,  je  dirai  a  Votre 
Altesse  Royale  ce  que  j'ai  pris  la  liberte  de  lui 
dire  a  elle-merae  :  c'est  que  je  ne  consentirois 
jamais  a  accepter  cette  charge  si  vous  y  aviez  la 
moindre  repugnance ;  et  le  pouvoir  que  la  Reine 
a  sur  moi  ne  seroit  pas  assez  puissant  pour  m'y 


occasion.  Et  comme  j'ai  toujours  cru  que  votre 
union  avec  la  Reine  contribueroit  au  bien  de 
I'Etatet  affermiroitl'autorite  royale,  me  pouvoit- 
il  etre  reproche  qu'apres  I'avoir  appuyee  le  plus 
qu'il  m'a  ete  possible ,  je  voudrois  etre  cause  que 
cette  union  put  etre  troublee?  —  Quoi  done,  me 
dit  ce  prince,  Chavigny  vous  a-t-il  demande  du 
temps?"  Je  lui  repondis  qu'il  n'y  avoit  rien  de 
plus  vrai,  et  que  je  le  suppliois  de  Tenvoyer  que- 
rir,  afin  que  je  le  lui  soutinsse  en  sa  presence,  per- 
suade que  j'etois  qu'il  n'en  disconviendroit  pas. 
«  Ce  n'est  point  vous ,  me  repliqua  Monsieur, 
mais  moi  qui  suis  dans  le  tort;  car  M.  de  Chavi- 
gny rae  devoit  dire  sincerement  ce  que  vous  aviez 
concerte  ensemble.  Je  ne  puis  voir  personne 
dans  le  conseil  qui  me  soit  plus  agreable  que 
vous;  car  j'ai  remarque  que  vous  avez  toujours 
eu  de  I'amitie  pour  moi  dans  le  temps  de  mes 
adversites,  et  que  vous  avez  favorlse  ceux  qui 
m'appartenoient,  quand  vous  I'avez  pu  faire 
avec  justice  et  bienseance. » 

Je  revins  au  Louvre  au  sortir  du  Luxem- 
bourg, et  mes  provisions  ayant  ete  expediees, 
je  pretai  le  serment  entre  les  mains  de  la  Reine  , 
qui  n'eut  point  desagreable  la  liberte  que  je  pris 
de  les  baiser.  Je  fus  ensuite  chez  le  cardinal , 
qui  me  recut  de  la  maniere  du  monde  la  plus 
obligeante  ;  et  j'eus  la  satisfaction  de  ne  ren- 
contrer  personne  dans  mon  chemin  qui  ne  me 
teraoignatapprouver  le  choix  que  la  Reine  avoit 
bien  voulu  faire  de  moi  pour  me.confier  en  par- 
tie  son  secret  et  sans  reserve  celui  de  I'Etat. 
Mon  elevation  a  cette  dignity  ne  fut  pas  plus 
tot  divulguee  que  le  nonce  et  les  ministres  des 
autres  princes  etrangers  me  firent  demander 
audience.  Chacun  d'eux  m'exposa  ce  qu'il  avoit 
espere  du  feu  Roi  et  ce  qu'il  pouvoit  souhaiter 
de  la  Reine. 

[  Une  depeche  generale  ,  signee  du  Roi ,  fut 
adressee  a  tons  les  ambassadeurs,  residens, 
agens  et  serviteurs  du  Roi  au-dehors,  dans  la- 
quelle  on  donnoit  avis  de  la  demission  de  ^L  de 
Chavigny  en  faveur  de  M.  de  Rrienne,  etqu'ils 
eussent  doresnavant  a  m'adresser  leurs  de- 
peches,  en  meme  temps  qu'on  les  informoit  de 
la  victoire  de  Rocroy  et  du  projet  de  traiter 
la  paix  generale  a  Munster.  Elle  etoit  ainsi 
concue  : 

«  Le  sieur  de  Chavigny  m'ayant  remis  la 
charge  de  secretaire  de  mes  commandemens , 
j'en  ay  iucontinant  faict  pourvoir,  par  I'avis  de  la 
Reyne  regente,  madaraemamere,  le  sieur  comte 
de  Rrienne ,  de  quoy  je  vous  ay  voulu  donner 
avis  et  vous  dire  que  vous  ayez  doresnavant  a 


obliger,  parce  que  je  serois  tres-fache  que  Votre  {  luy  adresser  vos  despesches  et  me  tenir  averty 
Altesse  Royale  eut  le  moindre  chagrin  a  mon  I  par  luy  de  toutes  les  choses  qui  concernent  mon 


DELXIEMK    PABTIE.     [10^3] 


service.  Vous  ferez  part  de  ce  changement  a 
tous  ceux  que  vous  estiraerez  a  propos  par  dela , 
afin  qu'ils  saclient  a  qui  iis  auront  a  s'adresser 
pour  les  affaires  qui  se  presenteront. 

..  Encore  que  j  aye  cste  fort  occupe ,  avec  la 
Royne  regente  madame  ma  mere ,  a  rendre  les 
devoirs  fuuebres  au  feu  Roy,  monseigneur  et 
pere  (que  Dieu  absolve) ,  je  n'ay  pas  laisse  d'a- 
gir  aux  affaires  de  cet  Etat ,  et  de  donner  ordre 
a  mon  cousin  le  due  d'Enghien,  ensuite  de  cette 
grande  et  signalee  victoire  qu'il  a  gaignee  sur 
mes  ennemis  a  Rocroy,  d'entreprendre  le  siege 
de  Tliionvilie,  dont  les  approches  ont  este  faictes 
sans  perte  d'hommes,  et  le  travail,  et  la  circon- 
vallation  comraeucee  et  contiuuee  avec  tant  de 
diligence  que  les  lignes  sont  achevees,  avec  espe- 
rance  de  veoir  bientost  cette  place  reduite.  Vous 
ferez  cognoistrea  ceux  qu'il  sera  besoing que  Ton 
agit  de  deca  avec  toute  la  vigueur  possible  pour 
obliger  les  ennemis  a  se  porter  tout  de  bona  la 
paixgenerale,  a  laquelleil  semblequ'ilz  se  lais- 
sent  mieux  entendre  qu'auparavant,  ayans  en- 
voye  leurs  passeports  en  bonne  forme.  Pour  mes 
deputes  pleuipotentiaires  ,  j'ay  commande  aux 
sieurs  corates  d'Avaux  et  de  Chavigny  de  partir 
pour  se  rendre  a  Munster,  pendant  que  mon 
cousin  le  due  de  Longueville  s'apprestera  pour 
y  aller  tost  apres:  je  ne  veux  pas  que  de  ma 
part  il  y  ayt  aucun  retardement  a  cet  ouvrage, 
afin  que  si  tous  les  interesses  s"y  portent  aussy 
franchement  que  moy,  le  traite  s'acheveparuue 
bonne  conclusion.  Sur  ce,  je  prieDieu  qu'il  vous 
ait ,  etc. 

"  Escrit  a  Paris,  le  dernier  juin  1613.  » ] 
J'appris  bientot  que  M.  le  due  d'Orleans  avoit 
etabli  un  conseil  pour  deliberer  de  ce  qui  etoit 
a  faire  pour  le  maintien  des  gens  de  guerre ,  et 
que  I'heure  en  etoit  marquee  tons  les  vendredis 
apres  midi.  On  ajouta  a  ceux  qui  devoient  as- 
sister  a  ce  conseil ,  qui  etoit  deja  beaucoup  di- 
minue  de  puissance,  messieurs  les  marecbaux 
de  France ,  et  meme  Bezancon ,  en  qualite  de 
commissaire  general  des  troupes ,  et  aussi  les 
secretaires  d'Etat.  La  premiere  fois  que  je  m'y 
rendis,  je  fus  fortetonue  de  voir  qu'on  les  lais- 
soit  debout.  Je  ne  pus  m'empecber  de  parler  de 
la  cause  commune,  dont  je  fis  la  mienne  propre, 
en  faisant  entendre  a  Monsieur  qu'il  ne  devoit 
point  exiger  de  nous  ce  qui  n'avoit  pas  ete  de- 
mande  en  1630  a  M.  de  Beaucler ;  et  que  si, 
pour  rester  debout  et  tete  nue  en  presence  du 
Roi ,  on  vouloit  nous  obliger  a  quelque  chose 
de  serablable  ou  Sa  Majeste  ne  se  trouveroit 
point ,  nous  nous  en  defendrions  par  des  raisons 
convaincantes  et  par  des  exemples.  D'ou  je  con- 
eluots  que  son  Altesse  Royale  auroit  le  deplaisir 

III.    C.    D.    M.,    T.    HI. 


de  ne  pas  reussir  dans  une  affaire  de  cette  na- 
ture,  qu'elle  ne  devoit  jamais  entreprendre. 
M.  le  due  d'Orleans,  ayant  pris  I'avis  de  ceux 
de  son  conseil ,  nous  dit  de  nous  asseoir  et  de 
prendre  nos  places.  Je  crois  que  ce  que  je  fis 
pour  la  defense  de  la  cause  commune  ne  contri- 
bua  pas  pen  a  engager  messieurs  de  La  Vrilliere 
et  Du  Plessis-Guenegaud  a  me  ceder  la  pre- 
seance  dans  tous  les  endroits  oil  nous  parois- 
sions  en  qualite  de  secretaires  d'Etat ,  comme 
ils  le  faisoient  dans  les  conseils,  ou  elle  m'ap- 
partenoit  de  droit  sur  eux.  M.  Le  Tellier  n'eut 
pas  de  peine  a  faire  comme  les  autres,  avec 
d'autant  plus  de  raison  que,  n'ayant   encore 
qu'une  commission  ,  il   eut   ete  de   mauvaisc 
grace  a  lui  de  pretendre  la  preseance  sur  les  of- 
flciers  pourvus  en  titre  et  recus.  Je  ne  laissai  pas 
neanmoins  de  lui  en  faire  une  bonnetete,  comme 
aux  deux  premiers. 

Pen  de  jours  apres  que  je  fus  en  cbarge  ,  il 
arriva  a  Paris  un  courrier  de  I'Empereur  pour 
apporter  les  passe-ports ,  sans  lesquels  les  pleni- 
potentiaires  du  Roi  n'eussent  pas  pu  se  rendre 
en  suretedans  les  villes  oil  Ton  devoit  trailer  la 
paix.  La  Reine  m'envoya  querir  pour  les  rece- 
voir,  et  le  cou'.rier  fut  bien  regale  et  renvoye. 
Ceci  nous  ayant  fait  penser  tout  de  bon  a  ceque 
nous  avions  a  faire,  on  paria  de  presser  le  de- 
part des  plenipotentiaircs  de  France  ,  dont  If 
nombre  avoit  ete  arrete.  M.  de  Chavigny,  ayant 
envie  d'etre  employe  dans  cette  negociation  ou 
d'etre  envoye  ambassadeur  a  Rome,  me  de- 
manda  auquel  de  ces  deux  emplois  je  croyois 
qu'il  diit  s'arreter.  Je  lui  conseillai  de  preferer 
la  paix  a  une  ambassade  ordinaire,  par  la  rai- 
son que  ce  premier  emploi  me  paroissoit  le  plus 
honorable ;  et  qu'etant  fini,  s'il  ne  trouvoit  pas 
a  la  cour  la  place  qu'il  y  pouvoit  desirer,  il  pou- 
voit  toujours  pretendre  a  I'ambassade  de  Rome. 
Je  ne  sais  de  qui  il  prit  conseil ,  mais  il  cessa 
tout  d'un  coup  de  penser  a  I'un  et  a  I'autre  de 
ces  emplois ,  et  prefera  de  rester  a  la  cour. 

Les  plenipotentiaircs  pour  la  paix  furent 
messieurs  de  Longueville ,  d'Avaux  et  Servien. 
L'ambassade  de  Rome  fut  donnee  au  marquis 
de  Saint-Chaumont,  chevalier  des  ordres  du 
Roi.  II  fut  question  de  travailler  a  leur  instruq- 
tion;  et  le  cardinal  Mazarin  en  ayant  presente 
une  qui  avoit  ete  faite  du  temps  du  cardinal  de 
Richelieu,  elle  fut  approuvee  aussi  bien  qu'un 
petit  discours  que  j'y  mis  au  commencement. 

Je  m'apercus  bientot  qu'il  y  auroit  peu  d'in- 
telligence  entre  messieurs  d'Avaux  et  Servien  , 
celui-ci  affectant  de  pretendre  les  memes  litres 
d'honneur  qui  avoient  ete  accordes  a  son  con- 
frere apres  plusieurs  annees  de  service.  Cela 

6 


82 


MKMOlRr.S    i)i; 


me  fit  juger,  par  la  connoissance  que  j'avois  de 
la  hauteur  de  son  esprit ,  que  tout  ce  qui  ne 
tomberolt  pas  dans  le  sens  de  Servien  lui  de- 
plairoit ,  et  qu'il  ne  manqueroit  pas  de  traver- 
ser M.  d'Avaux.  A  i'egard  de  I'esprit  de  eelui- 
ci,  on  n'en  pouvoit  faire  qu'un  tres-bon  juge- 
raent ,  parce  qu'il  avoit  toujours  paru  fort  mo- 
dere,  et  qu'on  ne  pouvoit  point  lui  reprocher 
que  sa  gloire  ou  sa  reputation  lui  eussent  ete 
plus  cheres  que  son  devoir  dans  tons  les  em- 
plois  qu'il  avoit  exerces. 

On  ordonna  aux  plenipotentiaires  de  descen- 
dre  la  Meuse ,  de  s'embarquer  a  Mezieres,  et 
de  sejourner  quelque  temps  a  La  Haye  pour 
disposer  les  Etats-generaux  a  faire  partir  leurs 
ambassadeurs ,  alin  que,  si  rouverlure  de  I'as- 
semblee  venoit  a  et.ve  retardee  ,  la  faute  n'en 
put  etre  imputee  a  la  France  ni  a  ses  allies. 

La  Reine  etoit  bien  persuadee  que  les  Sue- 
dois  ne  seroient  pas  les  derniers  a  y  envoyer 
leurs  ministres  :  mais  il  ne  falloit  point  en  con- 
clure  absolument  qu'ils  voulussent  lapaix  ;  car, 
en  matiere  de  politique,  on  paroit  souvent  de- 
sirer  les  choses  pour  lesquelles  on  est  le  plus 
eloigne.  Ce  que  Ton  demandoit  aux  Etats  parois- 
soit  trop  juste  pour  qu'ils  lissent  la  moindre  dif- 
ficulte  de  s'y  engager,  d'autant  plus  qu'ils 
etoient  redevables  a  la  France  de  I'avantage 
qu'ils  avoient  de  traiter  une  seconde  fois  avec 
les  Espagnols  ,  qui  faisoient  voir  par  la  la  dis- 
position dans  laquelle  lis  etoient  de  les  recon- 
noitre pour  libres  et  souverains  :  ce  qu'ils  n'a- 
voient  pas  voulu  jusques  alors  accorder  au  roi 
de  Portugal.  II  fut  toutefois  aisede  s'apercevoir 
que  les  Etats  n'incliuoient  point  a  la  paix  ,  soit 
que  le  prince  Henri  d'Orange  la  traversat,  oil 
bien  qu'elle  deplut  a  leurs  peuples  ,  qui  eussent 
volontiers  prefere  une  treve  de  plusieurs  annees 
a  une  paix  solide,  quand  meme  elle  leur  eut 
ete  proposee  sous  des  conditions  justes  et  raison- 
nables. 

Le  prince  d'Orange  mandaa  la  cour  que  Von 
pressoit  trop  leurs  deputes,  et  qu'il  se  croyoit 
oblige  d'avertir  que  telles  conditions  leur  pour- 
roient  elre  offertes  de  la  part  des  Espagnols , 
qu'ellcs  seroient  acceptees  ,  sans  se  mettre  au- 
trement  en  peine  si  ceia  accommoderoit  leurs  al- 
lies ou  nou.  On  ecrivlt  done  aux  Etats,  on  parla 
a  leurs  ambassadeurs ,  et  enfin  on  leur  declara 
([u'il  falloit  qu'ils  se  trouvassent  a  I'assemblee, 
dans  I'intention  d'y  conclure  la  paix ;  qu'au 
reste ,  ils  ne  dcvoient  point  esperer  une  treve  si 
rennemi  commun  ne  se  mettoit  a  la  raison.  Et 
afln  que  les  Etats  envoyassent  leurs  deputes , 
on  leur  fit  esperer  que  les  ambassadeurs  qu'ils 
avoient  a  la  cour  de  rEnipereur  seroient  mis  en 


COMTK    DE    RRIENNE  , 

possession  de  tous  les  honneurs  et  prerogatives 
qui  leur  avoient  ete  refuses  jusques  alors.  Le 
cardinal ,  qui  etoit  tres-liberal  a  promettre  et 
meme  accorder  de  pareilles  graces,  s'excu- 
soit  la-dessus  en  disant ,  pour  ses  raisons ,  que 
si  nous  n'en  donnions  pas  I'exemple  a  I'Empe- 
reur  et  au  roi  d'Espagne ,  nous  serious  peut- 
etre  forces  de  suivre  le  leur  :  ce  qui  alieneroit 
de  nous  et  attacheroit  peut-etre  a  d'autres  puis- 
sances cette  republique  naissante  que  nous 
avions  grand  interet  de  menager.  Apres  quo 
tout  ceci  eut  ete  debattu  long-temps ,  les  pleni- 
potentiaires de  Sa  Majeste  crurent  qu'il  etoit 
temps  de  s'avancer.  Nous  craignions  aussi  bien 
qu'eux  que  leur  sejour  a  La  Haye  ne  fut  repro- 
che  comme  s'il  leur  avoit  ete  ordonne ,  afin 
d'impatienter  les  ministres  des  imperiaux  et  des 
mediateurs,  dont  quelques-uns  s'etoient  deja 
rendus  dans  les  villes  ou  la  negociation  devoit 
etre  ouverte. 

M.   d'Avaux,  pour  suivre  I'exemple  du  pre- 
sident Jeannin  ,  crut  qu'en  prenant  conge  des 
Etats  il  falloit  leur  recommander,  de  la  part  du 
Roi ,   leurs  sujets  catholiques ,  dont  la  condi- 
tion paroissoit  mauvaise  a  ceux  qui  ne  savoient 
pas  que  ,  sans  avoir  la  liberie  de  conscience  ,  ils 
ne  laissoient  point  d'en  jouir.  H  en  parla  a  son 
coUegue  et  a  La  Thuillerie,  ambassadeur  ordi- 
naire du  Roi  aupres  des  memes  Etats.  lis  ne  le 
contredirent  pas,  mais  toutefois  ils  n'approuve- 
rent  point  la  resolution  qu'il  avoit  prise.  D'A- 
vaux ,    ayant  regarde  leur  silence  comme  un 
tacite  consentement,     s'etendit    beaucoup   sur 
cette  matiere  :  et  cela  surprit  fort  Servien  et 
obligea  les  Etats  de  s'en  plaiudre ,  comme  si 
Ton  avoit  voulu  leur  soustraire  une  partie  de 
leurs  sujets;  car  on  avoit  deja  vu  cbez  eux  des 
marques  d'une  division  qui  depuis  a  ete  si  nui- 
sible  au   service  du  Roi ,   et   que  messieurs 
des  Etats  nous  out  toujours  conservee  entre  eux. 
Servien  ,  qui  se  sentoit  appuye  des  Etats  ,  di- 
soit  que  d'Avaux  avoit  fait  ceci  de  sa  tete,  dans 
I'esperance  que ,  si  la  chose  n'etoit  pas  utile  aux 
catholiques  ,  du  moins  elle  serviroit  a  I'elever 
au  cardinalat ;  car  il  n'avoit  effectivement  en- 
trepris  cette  affaire  que  pour  plaire  au  Pape,  et 
pour  avancer  par  ce  moyen  a  sa  promotion. 
D'Avaux  soutenoit  au  contraire  n'avoir  rien  fait 
sans  la  participation  de  ses  collegues  :  ce  que 
La  Thuillerie  ne  desavouoit  point ;  mais  il  don- 
noit  assez  a  entendre  qu'on  avoit  fait  connoitre 
a  d'Avaux  qu'il  n'en  resulteroit  que  du  mal ,  les 
esprits  n'etant  pas  disposes,  en  Hollande,  a 
favoriser  les  catholiques  au-dela  de  ce  qu'ils  les 
favorisoient  deja,  ni  meme  a  suivre  les  conseils 
du  Roi  ,  qui  temoignoit  vouloir  la  paix ,  don^ 


DEUXIEMR    PARTIE.    [l(il3] 


les  plus  autorises  dans  le  gouvernement  parois- 
soientbien  eloignes. 

Je  recus  de  leurs  lettres  en  commun  ,  et  une 
autre  en  particulier  de  chacun  d'cux  ,  qui  n'e- 
toit  que  pour  me  faire  savoir  leurs  differeuds 
personnels ;  mais  les  premieres  etoieut  pour 
mander  au  Roi  qu'ils  partiroient  incessaniraent 
pour  se  rendre  a  Munster,  suivant  i'ordre  qui 
leur  en  avoit  ete  donne.  Je  me  souviens  que  je 
leur  mandai ,  dans  une  lettre  commune ,  que 
j'avois  vu  souvent  des  personnes  d'une  tres- 
grande  capacite  ne  point  convenir  entre  elles 
dii  droit  dans  des  affaires  soumises  a  leur  juge- 
ment ;  mais  qu'il  n'etoit  jamais  arrive  qu'a  eux 
de  disconvenir  dans  les  faits  :  dont  tout  le 
monde  etoit  d'autant  plus  surpris  qu'ils  faisoient 
Tun  et  I'autre  profession  d'avoir  beaucoup 
d'honneur  et  de  probite. 

Je  m'apercus  des-lors  que  le  cardinal  deferoit 
plus  aux  avis  de  Servien  qu'a  ceux  de  d'Avaux  : 
dont  je  ne  fus  pas  surpris,  parce  que  le  genie 
du  premier  avoit  plus  de  rapport  au  sien  que 
celui  de  son  confrere.  Le  premier  ministre  ai- 
moit  constamment  les  longs  raisonnemens  qui 
n'aboutissent  a  rien  ,  qui  egarent  I'attention,  et 
qui  peuvent  recevoir  une  double  interpretation. 
De  meme,  I'esprit  de  Servien  excelloit  en  equivo- 
ques et  en  duplicites  :  au  lieu  que  celui  de  d'A- 
vaux affectoit  une  grande  nettete  et  evitoit  de 
tromper   personne ,  ce  qui  est   d'un  bonnete 
homme  ;  tacbant  en  meme  temps  d'etre  trompe 
le  moins  qu'il  pouvoit,  ce  qui  est  d'un  bomme 
d'esprit.  L'Eminence  avoit  de  plus  attache  a  son 
service  Lyonue ,  neveu  de  Servien  ,  avec  lequel 
11  avoit  fait  connoissance  lorsque  Lyonne  etoit 
a  la  cour  de  Parme  pour  les  affaires  du  Roi.  II 
avoit  ensuite  cultive  cette  amitie  dans  un  voyage 
qu'il  fit  a  Rome.  Lyonne  etoit  d'un  caractere 
d'esprit  qui  approcboit  fort  de  celui  de  son  on- 
cle ;  il  faisoit  assiduraent  sa  cour  au  cardinal , 
et  s'appliquoit  uniquement  a  gagner  ses  bonnes 
graces. 

Les  plenipotentiaires  du  Roi  ^tant  arrives  a 
Munster,  le  baron  de  Roite  fut  destine  pour 
demeurer  a  Osnabruck ,  en  qualite  d'agent. 
Saint-Romain  et  Meules  eurent  ordre  de  rester 
aupres  de  nos  ministres ,  a  Munster,  et  de  faire 
tout  ce  qu'ils  leur  ordonneroient  pour  le  service 


(1)  L'ambassadeur  de  France  a  Rome  ^crivait  au 
comte  dc  Brienne  a  ce  sujet : 

«  J'ai  appris  que  le  Pape  a  d6clar6  en  plein  consis- 
loire  le  cardinal  Rosctti  legal ,  pour  la  pais  g^nc^rale. 
Cost  dc  quoi  je  vous  donne  advis  par  cc  billet.  Je  croy, 
Monsieur,  que  ce  proced6  vous  fera  Lien  jugcr  ce  que  la 


S3 

de  Sa  Majeste.  lis  avoient  encore  plusieurs  re- 
sidens,  alin  qu'ils  fussent  plus  considerables 
s'ils  les  deputoient  vers  quelques  princes  de 
I'Empire  a  leur  arrivee  a  Munster,  qui  ne  fut 
pourtant  pas  dans  un  meme  jour.  lis  furent 
bien  recus  de  la  ville ,  des  ministres  de  I'Empe- 
reur  et  des  mediateurs ,  et ,  affectant  d'y  faire 
parade  d'une  grande  livree  et  d'une  grosse  suite 
de  gentilshommes,  ils  s'en  firent  bonneur  en  le 
mandant  au  Roi.  lis  trouverent  a  Munster  le 
nonce  Chigi ,  qui  fut  depuis  eleve  au  cardinalat, 
et  ensuite  a  la  papaute ,  tres-dispose  a  favoriser 
les  interets  de  Sa  Majeste  ;  de  quoi  neanmoins 
ils  n'eurent  d'autre  assurance  que  des  paroles 
generales  et  de  simples  complimens  :  car  quoi- 
que  I'un  des  neveux  du  Pape  se  fut  declare  ser- 
viteur  du  Roi  en  acceptant  la  protection  des  af- 
faires de  France  a  la  cour  de  Rome  ,  le  cardinal 
Barberini  (I),  son  frere  aine,  avoit  celle  d"Es- 
pagne ,  et  bien  plus  d'ascendant  sur  I'esprit  de 
son  oncle  que  n'en  avoit  le  cadet.  Cela  nous  fai- 
soit eprouver  souvent  que  les  inclinations  du 
Pape  etoient  portees  a  favoriser  nos  ennemis. 

A  regard  du  nonce  Contarini ,  il  s'ouvrit  da- 
vantage  avec  les  plenipotentiaires  du  Roi  • 
mais  les  mediateurs  vouloient  la  paix  sans  se 
soucier  lequel  des  partis  auroit  I'avantase  le 
leur  etant  que  la  paix  fiit  promptement  conclue. 
L'etat  de  la  cbretiente ,  attaquee  par  le  Turc 
leur  servoit  d'une  excuse  legitime  a  bien  des 
choses  qui ,  sans  cela ,  cussent  pu  etre  blamees 
dans  leur  conduite. 

Ce  fut  pour  lors  que  parut  I'aversion  que  le 
cardinal  avoit  pour  I'eveque  de  Reauvais  ,  qui , 
faisant  connoitre  en  diverses  rencontres  son  pen 
de  capacite,  donnoit  a  son  ennemi  tous  les 
avantages  qu'il  pouvoit  pretendre  sur  lui ,  s'e- 
tant  meme  ligue  avec  quelques-uns  de  ses  con- 
fidens  qui  avoient  manque  au  respect  qu'ils  de- 
voient  a  la  Reine  leur  maftresse.  La  resolution 
ayant  ete  prise  de  revoquer  la  nomination  qui 
avoit  ete  faite  de  ce  prelat  pour  etre  eleve  a  la 
pourpre ,  et  le  cardinal  mettant  en  doute  si  le 
marquis  de  Fontenai,  ambassadeur  du  Roi  a 
Rome ,  executeroit  les  ordres  qu'il  recevroit  a 
cette  occasion  ,  je  Ten  assurai ,  et  je  dis  a  Son 
Eminence  qu'il  n'y  avoit  seurement  rien  a  crain- 
dre,  sinon  qu'il  ne  les  anticipat.  On  lui  envoya 


France  doit  attendre  de  monsieur  le  cardinal  Barberin, 
puisque  les  instances  qui  luy  sent  faites  de  la  part  de  la 
Royne  servent  seulemcnt  pour  le  hater  a  faire  les  choses 
centre  ce  qu'il  srait  eslre  des  intentions  de  Sa  3Iajest6 , 
ainsy  qu'il  a  bien  fait  voir  en  raffaire  de  M.  de  Bcauvais', 
et  en  celle-cy.  Je  suis. 

»  Koine,  le  i"  septembre  1()43.  » 


SI 


ME.MOIKES    DU    COMTE    UE    BBIE.\NE, 


aussitot  ordre  de  declarer  au  Pape  que  le  Roi  re- 
voquoit  la  nomination  qu'il  avoit  faite  de  I'eve- 
que  de  Beauvais  pour  etre  eleve  au  cardinalat, 
parce  que  ee  prelat  s'en  etoit  rendu  indigne 
par  sa  mauvaise  conduite  ;  mais  d'attendre,  pour 
le  dire  a  Sa  Saintete ,  qu'elle  eut  indique  le  con- 
sistoire  dans  lequel  elle  devoit  remplir  les  pla- 
ces vacantes.  L'ambassadeur  ayant  recu  la  de- 
peche  ,  et  sachant  que  le  Pape  presseroit  la  pro- 
motion s'il  croyoit  faire  de  la  peine  au  cardinal 
Mazarin  en  y  comprenant  I'eveque  de  Beauvais ; 
craignant  d'ailleurs  d'etre  soiipconne  d'avoir 
voulu  favoriser  les  interets  de  ce  prelat  s'il  dif- 
feroit ,  il  fit  demander  audience  aussitot  que  le 
courrier  fut  arrive  ;  et  ayant  presente  au  Pape 
la  leltre  que  le  Roi  lui  ecrivoit  ,  et  la  sienne  de 
creance ,  TatYaire  du  cardinalat  fut  mise  hors 
d'etat  de  pouvoir  reussir.  M.  de  Fontenai  nous 
manda  que  Sa  Saintete  en  avoit  ete  si  trans- 
portee  de  col  ere  et  de  surprise  ,  qu'elle  avoit 
envoye  querir  le  cardinal  Barberini  ,  pour  lui 
reprocher  qu'il  lui  avoit  ote  par  ses  mauvais 
conseils  les  moyens  de  se  venger  du  cardinal 
Mazarjn.  Le  transport  de  Sa  Saintete  alia  jus- 
qu'a  Jeter  son  bonnet  par  terre  et  a  le  fouler 
aux  pieds.  Le  meme  courrier  ayant  rapporte  la 
reponse  qu'on  attendoit  avec  impatience ,  on  ne 
fit  plus  de  difficulte  d'ordonner  a  I'eveque  de 
Beauvais  de  se  retirer  a  sa  residence ,  ou  il  mou- 
rut  bientot  apres.  Ce  prelat  etoit  un  homme  de 
bonnes  moeurs,  et  proprea  conduire  un  diocese; 
mais  il  n'entendoit  rien  aux  affaires  d'Etat :  et 
Ton  peut  juger  de  I'etendue  de  son  esprit  sur 
ce  qu'il  s'etoit  vante  qu'il  viendroit  a  bout  de 
ces  affaires  aussi  facilement  que  de  gouverner 
ses  cures. 

Sur  ce  que  Ton  pressa  M.  de  Longucville 
d'aller  a  Munster,  il  n'en  fit  point  de  difficulte; 
mais  il  demanda  de  prendre  sa  seance  au  con- 
seil  avant  que  de  partir,  et  cela  lui  fut  accorde. 
Sa  raison  etoit  fondee  sur  ce  qu'il  y  avoit  d'au- 
tres  personnes  de  son  rang  qui  faisoient  leurs 
instances  pour  y  entrer,  et  qu'il  presumoit  qu'on 
feroit  observer  entre  eux  la  seance  du  jour 
qu'ils  y  auroient  etc  recus ,  se  doutant  bien , 
avec  quelque  fondement,  qu'on  ne  decideroit 
point  en  sa  faveur  qu'il  dut  preceder  les  autres. 
M.  de  Vendome  se  tourmentoit  aussi  beaucoup. 
II  avoit  obtenu  ,  pour  se  recompenser  du  gou- 
vernement  de  Bretagne  ,  qu'on  lui  donneroit  la 
charge  d'amiral ,  et  qu'on  traiteroit  avec  le  due 
deBreze,   afin  qu'il   I 'a  remit;  et  les  choses 


(t)  Nousavonsdonn^.dans  notreddilion  des  Mdmoires 
(lu  cardinal  de  Retz,  Ip  fragment  d'une  d^peche  de 
Bricnno,  dans  laquelle  il  inTormc  les  ambassadeurs  ile 


etoient  si  fort  avancees,  que  ce  due  etoit  con- 
venu  de  certains  articles  qu'il  se  faisoit  fort  de 
faire  ratifier  par  son  fils :  ce  qu'il  est  a  propos 
qu'on  n'oublie  pas ,  parce  que  cette  meme  af- 
faire fut  agitee  dans  un  autre  temps  ;  et  ce  qui 
avoit  ete  projete  fut  demande  ensuite  comme 
une  chose  due ,  dont  il  etoit  pourtant  tres-aise 
de  se  defendre. 

Quiconque  a  ete  eleve  a  la  cour  ne  doit  point 
etre  surpris  d'y  voir  arriver  des  changemens 
causes  par  I'impetuosite  et  la  presomption  de  nos 
Francois,  qui  s  attirent  souvent  de  mauvaises  af- 
faires sur  les  bras  par  cette  humeur.  M.  de  Beau- 
fort, qui  etoit  sans  doute  anime  par  M.  de  Vendo- 
me, son  pere,  sefigura  qu'il  n'y  avoit  que  la  seule 
faveur  du  cardinal  qui  diminuoit  la  sienne,  et  que, 
s'il  pouvoit  reussir  a  la  faire  tomber,  il  s'eleve- 
roit  et  auroit  toute  I'autorite.  Je  n'ai  point  su 
quelle  diligence  il  fit  pour  y  parvenir,  ou  s'il  se 
servit  de  la  demoiselle  de  Saint-Louis;  mais, 
ce  qui  est  de  certain,  c'est  que  M.  de  Beaufort 
et  cette  demoiselle  ne  discontinuoient  point  de 
blamer  la  Heine  de  ce  qu'elle  prenoit  con- 
fiance  au  cardinal.  lis  en  tenoient  de  mauvais 
discours,  et  travailloient,  suivant  les  appa- 
rences,  pour  detruire  ce  que  I'Eminence  vou- 
loit ,  et  pour  empecher  que  sa  faveur  et  son  cre- 
dit n'augmentassent. 

M.  de  Beaufort,  pour  reussir  done  dans  le 
dessein  qu'il  avoit  contre  le  cardinal ,  rassem- 
bla  tous  ses  amis ,  qu'il  fit  venir  a  Paris  ,  soit 
pour  se  defaire  de  cette  Eminence,  ou  pour  I'in- 
timider  assez,  afin  qu'elle  prit  le  parti  d'aban- 
donner  la  cour,  ou  M.  de  Beaufort  vouloit  abso- 
lument  dominer.  Cela  etant  venu  a  la  connois- 
sance  de  la  Reine,  et  que  des  gens  amies,  qui 
avoient  a  leur  tete  M.  de  Beaufort ,  se  tenoient 
proche  la  barriere  du  Louvre ,  Sa  Majeste  se 
determina  a  le  faire  arreter  (1),  et  a  comman- 
der a  son  pere  et  a  son  frere  de  se  retirer  dans 
une  de  leurs  maisons  de  campagne. 

Guitaut,  capitaine  des  gardes  de  la  Reine, 
executa  I'oi'dre  qu'il  en  recut  de  conduire  M.  de 
Beaufort  a  Vincennes,  d'ou  il  se  sauva  ensuite. 
Dujon  ,  I'un  des  gentilshommes  ordinaires  du 
Roi ,  alia  trouver  M.  de  Vendome  pour  lui  faire 
savoir  les  volontes  de  la  Reine,  a  laquelle  il 
obeit.  Et  comme  tout  le  monde  se  persuada  que 
ce  qui  avoit  ete  fait  serviroit ,  non-seulement  a 
affermir  le  cardinal ,  mais  encore  a  augmenter 
sa  puissance  ,  tous  les  grands  de  la  cour  le  fu- 
rent  trouver,  et  lui  offrirent  leurs  services  :  ce 


I'arrestalion  de  Beaufort,  et  des  prtHextes  sous  lesquels 
la  Reine  se  determina  a  consontir  a  cette  prison. 


1>EI;.\1K.MK   P ARTIE.     iIG'l:i] 


S.) 


qui  Televaoii  il  aspiroit  d'etre.  Etantappuye  et 
soiitenu  par  M.  le  due  d'Oiieans  et  par  le  prince 
<le  Conde  ,  il  commenca  par  disposer  des  ehar- 
•ic's ,  ayant  persuade  a  la  Reine  qu'il  seroit  inu- 
tile a  son  service  si  elle  ne  lui  donnoit  de  I'au- 
torite  ,  et  que  c'etoit  en  manquer  que  de  ne  pas 
elre  maitre  de  la  distribution  des  graces.  Sa 
Majeste  fit  cette  fausse  demarche  sans  prendre 
eonseil  de  ses  bons  serviteurs ;  et  M.  le  due 
d'Orleans,  aussi  bien  que  le  prince  de  Conde, 
([ui  croyoient,  et  avec  fondement,  que  le  cardi- 
nal n'oseroit  leur  rien  refuser  de  tout  ce  qu'ils 
lui  pourroient  demauder,  louerent  ce  qu'ils  de- 
voient  uaturellement  blamer.  Mazarin,  se  voyant 
ainsi  eleve ,  prit  de  grands  airs  ,  et  voulut  etre 
reconnu  et  traite  comme  premier  ministre , 
mais  ,  toutefois  ,  en  sauvant  les  apparences  avec 
M.  le  due  d'Orleans  et  le  prince  de  Conde. 
Voici  de  quels  artifices  il  se  servit  pour  parvenir 
a  ses  fins  ; 

II  commenca  par  abuser  de  la  facilite  du  pre- 
mier, en  lui  disant  qu'il  auroit  seul  connoissance 
du  secret  de  I'Etat ,  a  I'e.xclusion  du  prince  de 
Conde  ,  qui ,  n'ayant  point  d'autre  but  que  de 
faire  ses  affaires  ,  ne  se  soueieroit  pas  de  ce  qui 
se  passeroit  dans  le  cabinet ,  pourvu  qu'il  reussit 
dans  son  dessein.  II  rait  encore  dans  I'esprit  de 
Monsieur,  a  qui  aucune  grace  n'etoit  refusee, 
qu'il  falloit  qu'il  priat  la  Reine  de  le  pourvoir 
du  gouvernement  de  quelques  places  considera- 
bles ,  comme  une  marque  assuree  qu'elle  I'hono- 
roit  de  sa  confiance.  Ce  prince  suivit  le  eonseil 
du  cardinal ;  mais  il  ne  put  ou  merae  ne  sut  ja- 
mais se  conduire  avec  tant  de  secret  que  la 
chose  ne  fut  decouverte.  Comme  je  jugeai  bien 
que  Ton  ne  pourroit  pas  obtenir  de  la  Reine 
qu'elle  declardt  qu'elle  ne  confereroit  aucune 
dignite  pendant  sa  regence  ,  et  qu'elle  reserve- 
roit  au  Roi  toutes  les  charges  pour  en  gratifier 
ceux  qui  les  auroient  meritees  quand  le  Roi  se- 
roit parvenu  a  I'age  de  majorite,  je  resolus  d'e- 
prouver  la  discretion  du  prince  de  Conde,  et  de 
voir  si  je  pourrois  obtenir  de  lui  qu'il  fit  ouver- 
ture  a  la  Reine  de  ce  que  j'avois  a  lui  proposer. 
Pour  y  reussir,  je  lui  dis  qu'il  avoit  dejii  deux 
gouvernemens ,  eelui  de  Rourgogne  et  celui  de 
Rerry;  que  dans  le  premier  il  y  avoit  les  places 
de  Rellegarde,  de  Saint-Jean-de-Losne  et  le 
chateau  de  Dijon ,  et  dans  le  second  la  grosse 
tour  deBourges;  que,  de  plus,  il  etoit  pourvu 
de  la  charge  de  grand-maitre ,  et  que  toutes  ces 
dignites ,  jointes  a  celle  de  premier  prince  du 
sang,  le  rendoient  egal  a  Monsieur,  qui  n'avoit 
ni  gouvernement  ni  etablissement^  (lue  s'il  arri- 
voit  que  celui-ci  fut  gratilie  de  ces  deux  choses 
en  meme  temps ,  la  disproportion  qui  etoit  entre 


eux  seroit  tres-grande,  en  ce  que  Monsieur  se- 
roit bien  mieux  partage,  et  qu'ainsi  il  auroit  du 
moins  autant  que  lui ;  que  de  plus ,  etant  frere 
unique  du  feu  Roi ,  Monsieur  se  trouveroit  tene- 
ment eleve  au-dessus  de  lui,  qu'il  ne  paroitroit 
plus  son  compaguon ,  et  qu'il  faudroit  au  con- 
traire  en  dependre  et  en  recevoir  la  loi ;  mais 
que,  s'ilsdemeuroienten  I'etat  qu'ils  etoient  I'un 
et  I'autre ,  les  avantages  qu'il  avoit  au-dessus 
de  M.  le  due  d'Orleans  le  tiendroient  egal  a  ce- 
lui qui  en  avoit  deja  de  tres-grands  par  les  pre- 
rogatives de  sa  naissance.  Ce  prince  me  repon- 
dit:  «  Vous  dites  vrai,  il  ne  faut  jamais  laisser 
echapper  I'oecasion  de  s'elever  et  de  se  rendre 
recommandable.  ■■  Je  crois  bien  qu'il  pensoit  a 
se  faire  craindre ,  et  qu'il  ne  le  disoit  pas  par 
discretion.  L'envie  qu'il  avoit  d'etre  pourvu  du 
gouvernement  de  Languedoc  ,  de  la  citadelle  de 
Montpellier,  du  fort  de  Rrescou  et  du  chateau 
du  Pont-Saint-Esprit,  I'aveugloient  de  telle  raa- 
niere  qu'il  ne  pouvoit  entendre  raison.  II  fit 
pressentir  le  marechal  de  Schomberg,  pour  sa- 
voir  s'il  voudroit  bien  s'en  demettre ;  et  eelui-ci 
etant  persuade  que  M.  le  due  d'Orleans  s'oppo- 
seroit  a  ce  que  tant  de  charges  passassent  dans 
la  personne  du  prince  de  Conde,  et  que  la  Reine 
n'y  consentiroit  jamais ,  par  la  raison  qu'elle 
devoit  avoir  pour  suspect  celui  qui  aspiroit  a 
tant  d'etablissemens :  tout  cela  fit  que  M.  de 
Schomberg  repondit  qu'il  y  donneroitles  mains 
si  on  lui  faisoit  un  bon  parti.  Le  prince  de 
Conde  en  etant  venu  faire  la  proposition  a  la 
Reine,  elle  eut  d'autant  plus  de  peine  a  s'en  de- 
fendre  ,  qu'elle  s'etoit  declaree  qu'elle  acheteroit 
volontiers  des  gouvernemens  pour  en  pourvoir 
M.  le  due  d'Orleans  et  le  prince  de  Conde,  non- 
obstant  ce  que  ses  serviteurs  lui  dirent  de  n'en 
rien  faire ,  et  de  ne  s'engager  a  donner  ces  di- 
gnites que  quand  elles  seroient  vacantes.  Mais 
Sa  Majeste,  etant  conseillee  par  le  cardinal  de 
tout  accorder  a  ces  deux  princes  ,  pour  s'assurer 
de  leur  amitie  et  de  leurs  services ,  fut  bien 
surprise  quand  Monsieur  lui  demanda  d'en  vou- 
loir  traiter  pour  lui.  Ce  prince  done  fit  dire  a 
M.  de  Schomberg  qu'il  ne  pouvoit  lui  refuser  ce 
qu'il  avoit  offert  au  prince  de  Conde;  et  a  celui- 
ci  ,  qu'il  lui  demandoit  son  suffrage  pour  faire 
reussir  la  chose  ,  lui  promettant  le  sien  quand 
il  y  auroit  occasion  de  lui  rendre  service.  Le 
prince  de  Conde  fut  dans  une  aussi  grande  sur- 
prise que  M.  de  Schomberg;  mais  il  n'y  eut  que 
le  cardinal  seul  qui  ne  s'apercut  pas  des  incon- 
veniens  qui  pouvoient  arriver  si  M.  le  due  d'Or- 
leans etoit  etabli  dans  une  province  aussi  grande 
que  le  Languedoc  ,  eloignee  de  la  cour  ,  et  dont 
les  dispositions  pouvoient  faire  connoitre  a  Son 


86 


MEMOIRES    DIJ    COMTE    DE    BRlE^^E 


Eminence  un  mal  inevitable  ,  qui  dans  la  suite 
en  attirei'oit  un  autre.  Enfin  personne  ne  fut  si 
etonne  que  le  prince  de  Conde,  qui  se  vit  par 
la  prive  de  la  chose  du  mondequ'il  souhaitoit  le 
plus ,  et  meme  de  I'esperance  d'y  pouvoir  ja- 
mais revenir.  Mais,  faisant  de  necessite  vertu  , 
ii  promit  a  Monsieur  de  le  servir;  et  Monsieur, 
de  son  cote,  lui  donna  une  parole  positive  qu'il 
se  joindroit  a  kii  pour  faire  avoir  au  due  d'En- 
ghien ,  fils  de  M.  le  prince ,  un  gouvernement 
de  province  et  une  place. 

La  blessure  que  le  marechal  de  L'Hopital  avoit 
recue  a  la  bataille  de  Rocroy  faisant  croire  qu'il 
en  perdroit  la  vie ,  on  promit  au  prince  de  Conde 
le  gouvernement  de  cet  officier  de  la  couronne. 
C'etoit  celui  de  Champagne;  mais  comme  on  vit 
que  la  plaie  se  fermoit  et  que  le  marechal  re- 
couvroit  ses  forces  ,  on  traita  avec  lui  et  avec  le 
gouverneur  de  Stenay:  et ,  sur  la  demission 
qu'ils  donnerent ,  le  due  d'Enghien  fut  pourvu 
de  leurs  charges.  Le  cardinal  eut  pourtant  quel- 
que  apprehension  que  cette  seconde  faute  ne 
lui  fut  imputee,  parce  que  la  Champagne, 
jointe  a  la  Bourgogne ,  donnoit  une  trop  grande 
etendue  de  pays  a  la  maison  de  Bourbou-Conde; 
et  comme  il  cherchoit  des  raisons  pour  se  de- 
fendre,  il  fut  ravi  de  ce  que  je  lui  dis  que  si  la 
paix  qui  se  traitoit,  et  qui  me  paroissoit  neces- 
saire,  venoit  a  se  conclure,  et  que  la  restitu- 
tion de  la  Lorraine  au  due  Charles  en  fut  une 
condition,  il  ne  pourroit  etre  blame  d'avoir 
etabli  un  prince  du  sang  de  Bourbon  dans  une 
province  d'ou  I'onput  empecher  la  jonction  des 
forces  de  Monsieur  avec  celles  du  due  de  Lor- 
raine ,  si  celui-ci  levoit  un  jour  des  troupes  pour 
le  service  du  due  d'Or leans;  en  cas  que  ce 
prince  ,  las  d'obeir,  vtnt  a  former  un  parti  dans 
te  royaume.  Le  cardinal  trouva  mes  raisons  si 
concluantes  qu'il  me  pria  de  les  mettre  par 
ecrit ,  et  de  faire  un  journal  de  tout  ce  qui  avoit 
ete  fait  pour  s'opposer  a  I'agrandissement  des 
princes  ,  et  pour  prendre  les  precautions  neces- 
saires  pour  empecher  la  trop  grande  union  qu'ils 
ne  manqueroient  pas  de  contracter  au  prejudice 
de  I'Etat. 

On  avoit  resolu  que  le  vicomte  de  Turenne 
iroit  servir  en  Italic:  a  quoi  il  paroissoit  assez 
dispose ,  desirant  de  s'elever,  ou  du  moins  d'as- 
surer  sa  fortune ,  et  de  faire  en  sorte  que  les  ser- 
vices qu'il  y  rehdroit  ne  lui  fussent  pas  infruc- 
tueux.  II  n'ignoroit  point  que  le  feu  Roi  avoit 
souvent  dc'(;lare  qu'il  ne  lui  donneroit  ni  le  baton 
de  marechal  de  France  ,  ni  meme  un  gouverne- 


(1)  Cetlc  prediction  est  raconti^e  tres  au  long  dans  la 
parlie  in(5dite  des  Memoires  de  Pierre  tenet,  que  nous 


ment,  tant  qu'il  feroit  profession  de  la  religion 
pretendue  reformee ,  et  que  la  Reine  avoit  con- 
noissance  de  cela.  Cherchant  done  quelqu'un  qui 
put  lui  servir  pour  engager  cette  princesse  a 
avoir  des  sentimens  qui  lui  fussent  plus  favora- 
bles ,  apres  y  avoir  bien  pense ,  il  jeta  les  yeux 
sur  moi.  Je  lui  promis  de  I'aider  en  tout  ce  que 
je  pourrois  ;  mais  j'ajoutai  que  je  croyois  qu'il 
falloit  qu'il  commencat  par  faire  quelque  chose 
qui  flit  agreable  a  la  Reine  ,  en  acceptant  I'em- 
ploi  qu'on  vouloit  lui  donner  en  Italic ,  et  qu'en- 
suite  il  me  laissat  faire.  II  suivit  mon  conseil  : 
si  bien  qu'avant  qu'il  partit  de  Paris  on  I'assura 
que ,  si  on  ne  lui  donnoit  pas  le  baton  de  mare- 
chal de  France,  personne  du  moins  ne  I'auroit 
avant  lui.  II  partit  satisfait,  et  apres  la  campa- 
gneil  le  fut  entierement.  Ceci  doit  etre  remar- 
que  pour  faire  connoitre  qu'il  se  trouvoit  sans 
excuse,  manquant  ensuite  aux  obligations  qu'il 
avoit  a  la  Reine.  La  meme  dignite  ayant  ete 
demandee  par  le  due  d'Enghien  pour  Gassion, 
qui  avoit  servi  sous  lui,  cette  princesse  s'y  en- 
gagea  un  peu  legerement ;  et  comme  tous  ses 
serviteurs  Ten  blamoient ,  elle  chercha  les 
moyens  dese  dedire.  Mais  Sa  Majeste  etant  ce- 
pendant  pressee  de  tenir  sa  parole  ,  ceux  qui 
y  avoient  ete  le  plus  contraires  ne  changerent 
pas  d'avis.  On  representa  a  Sa  Majeste  que  les 
services  de  Gassion  pourroient  etre  recompenses 
par  quelque  chose  de  moindre ,  et  que  sa  nais- 
sance  n'ayant  rien  d'illustre  ,  c'etoit  avilir  cette 
dignite  que  de  la  lui  couferer,  a  moins  qu'il  ne 
I'eut  meritee  par  de  longs,  heureux  et  conti- 
nuels  services.  Gassion  ne  laissa  pas  que  d'en 
etre  honore  au  meme  temps  que  M.  de  Turenne; 
et  le  marquis  de  Gesvres  auroit  recu  comme 
eux  le  baton  ,  s'il  n'avoit  pas  ete  tue  au  siege 
de  Thionville,  que  le  due  d'Enghien  prit  avec 
autant  de  bonheur  qu'il  y  donna  de  preuves  de 
son  courage ,  comme  il  avoit  deja  fait  a  la  ba- 
taille de  Rocroy. 

Les  armes  de  la  France  prosperoient  de  tou- 
tes  parts ,  et  la  prediction  que  le  feu  Roi  avoit 
faite  (i),  que  le  due  d'Enghien  donneroit  et  ga- 
gneroit  les  batailles  en  meme  temps ,  se  trouva 
juste.  II  est  vrai  que  les  affaires  de  Sa  Majeste 
n'alloient  pas  si  bien  en  Allemagne,  les  Impe- 
riaux  ayant  repris  toutes  les  places  dont  nous 
etions  les  maitres.  Le  marechal  de  Guebriant, 
qu'on  y  envoya,  y  fut  tue,  aussi  bien  que  le 
marechal  de  Rantzau,  son  successeur.  Enfm  les 
affaires  etant  reduites  dans  un  plus  mauvais 
etat  qu'elles  n'etoient  auparavant ,  on  jeta  les 

venons  de  publier.  ( Tome  2  de  la  3*  sdrie  de  la  Collec- 
tion de  MM.  Michaud  et  Poujoulat ,  page  !i%2.  ) 


DEUXIKME    PAUTIIi. 


if;i:] 


87 


ycux  sur  le  vicomte  de  Tureune ,  eleve  depuis 
pen,  comme  je  I'ai  dit,  a  la  dignite  de  raarechal 
de  France,  pour  I'envoyer  commander  en  Alle- 
niagne :  commission  qu'il  accepta  avec  plaisir. 
[On  fit  ecrire  par  le  Roy  au  Pape,  vers  ce 
temps-la  ,  en  reponse  au  bref  de  Sa  Saintete  en 
coudoleance  sur  le  decez  du  Roy  ,  une  lettre  par 
laquelleil  fesoit  de  nouveiles  instances  ,  en  fa- 
veur  de  M.  de  Beauvals ;  je  la  redigeai  ainsi : 

"  Tres-Saint-Pere ,  11  a  pleu  a  Voire  Sain- 
tete, par  son  bref,  d'essayer  d'alleger  nostre 
juste  douleur,  et,  pensaut  la  diminuer  vous  I'a- 
vez  accreu  en  deduisant  les  vertues  vrayement 
royales  du  feu  Roy,  nostre  tres-honore  seigneur 
et  pere  ,  de  glorieuse  memoire.  II  est  vray  qu'il 
a  soutenu  la  cause  de  Dieu ,  qu'il  a  combattu 
pour  soneglise  el  pour  la  liberie  pubiique;  que, 
par  SOS  actions,  il  a  tant  merite  des  princes  et 
potentats,  qu'ils  recognoissent  corabien  11  leur 
scroll  a  present  nccessaire.  Dieu  I'a  voulu  reti- 
rer  a  luy  pour  le  recorapenser  de  sa  piete,  nous 
laissant  herilier  de  sa  couronne,  avec  dessein 
d'iniiter  sa  verlu.  La  Royue  regente ,  noire tres- 
bonoree  dame  et  mere,  prenant,  comme  elle 
fait ,  le  soing  de   nous   elever   dans  les  vrais 
sentimens  de  devotion  ,  nous  serons  toujours 
dispose  a  bonorer  le  Saint-Siege,  et  en  imitant 
les  roys  nos  predecesseurs  nous  vouions  meriter 
a  litre  de  defenseur  de  I'eglise;  el  Vostre  Sain- 
tete se  pent  assurer  que,  pour  lui  conserver  en 
son  entier  le  patrimoine  de  saint  Pierre ,  nous 
n'obmettrons  aucuns  debvoirs  ny  offices ,  sans 
neantmoins  pretendre  autres  advantages  de  nos 
actions  que  la  gloire  immortelle  de  les  avoir 
faites.  Cependant  nousavons  aremercier  Vostre 
Saintete  de  ce  qu'elle  a  bieu  receu  les  supplica- 
tions qui  lui  out  ete  faites  de  nostre  part  en  fa- 
veur  de  nostre  cousin,  I'eveque  et  comte  de 
Beauvais  ,  pair  de  France;  mais  la  grjice  n'es- 
tanl  point  encore  accomplie  ,  nous  vous  laissons 
penser  ce  que  nous  nous  prometlonssur  son  su- 
jet  de  Vostre  Saintete ,  pour  laquelle,  du  plus 
profond  de  nostre  coeur ,  nous  supplions  inces- 
samment  Sa  Majeste  Divine  qu'il  vous  continue, 
Tres-Saint-Pere  ,  longuement  el  heureusement 
au  regne  de  son  eglise ,  au  bien  et  advantage 
et  repos  de  tous  les  peuples  qui  y  sont  soumis.  » 
Les  affaires  d'Angleterre  se  brouilloient  de 
plus  en  plus ;  on  envoya  au  roy  d'Angleterre 
une  lettre  du  roy  de  France,  en  date  du  4  de 
septembre ,  en  creance  sur  M.  de  Grecy ,  pour 
I'exborter  a  s'accommoder  etlui  donnerpart  de 
la  destination  de  M.  le  comte  d'Harcourt  pour 
son  ambassade  extraordinaire : 

'   Tres-hault,  trcs-excellent  et  tres-puissant 


prince  ,  nostre  tres-cber  et  tres-ame  bon  oncle, 
cousin  et  ancien  allie ,  la  satisfaction  que  nous 
avons  de  vos  bonnes  intentions  nous  ont  incon- 
tinent faict  resoudre  de  destiner  nostre  tres- 
cher  el  bien-aime  cousin,  le  comte  d'Harcourt , 
cbevalier  de  nos  ordres  et  grand  escuyer  de 
France  ,  en  qualite  d'ambassadeur  extraordi- 
naire pour  agir  de  nostre  part  a  la  pacification 
des  troubles  d'Angleterre,  et  pendantqu'il  s'ap- 
prestera  pour  faire  le  voyage,  nous  ferons  re- 
tourner  vers  vous,  en  diligence,  le  sieur  de 
Grecy ,  affin  de  maintenir  la  negociation  qu'il  a 
commencee,  charge  de  cette  lettre  que  nous  vous 
escrivons  par  I'avis  de  la  Reyne  regente  ,  nostre 
tres-bonoree  dame  et  mere ,  pour  vous  assurer 
de  plus  en  plus  de  nostre  attention  et  singuliere 
bienveillance  ,  et  que  nous  n'espargnerons  rien 
pour  vous  en  donner  des  marques  en  toutes  les 
rencontres  ou  nous  pourrons  procurer  vostre 
contentement,  etpar  nostre  entremiseconlribuer 
tout  aulant  qu'il  nous  sera  possible  a  remettre 
les  choses  bors  de  la  confusion  ,  pour  les  veoir 
restablir  dans  I'ordre  de  la  vraye  justice,  et 
pour  parvenir  a  la  paix  et  au  repos  que  nous 
vous  souhaitlons  el  a  vos  Estats :  sur  quoy  vous 
prendrez ,  s'il  vous  plaist,  toute  creance  a  ce  que 
ledit  sieur  de  Grecy  vous  fera  plus  parliculiere^ 
ment  entendre  de  nostre  part ,  auquel  nous  re- 
mettant ,  nous  prions  Dieu  qu'il  vous  ait ,  etc.  « 
Lesresideus,  lessieursDumoulinet  de  Grecy, 
rendoient  comple  des  mouvemeus  des  partis  a 
cbaque  ordinaire.  Voici  les  principales  nouveiles 
qui  nous  furent  envoyees  jusqu'a  la  fin  de  cette 
aunee : 

De  3Ionsieiir  Dumoulin  ,  de  Londres ,  le  4  sep- 
tembre tG43. 

«  Ceste  ville  de  Londres  est  le  ressort  de 
tous  les  mouvemens  des  partis  de  I'Anglelerre 
opposes  au  roy  de  la  Grande-Brelagne  ,  et  ce 
qu'elle  faict  ou  resould  avec  le  parlement  est 
rinstruclionetmodelle  sur  lesquelslout  le  reste 
de  leur  gouvernement  est  regie,  sans  excepter 
mesme  I'Escosse,  laquelle,  par  une  certaine 
union  ,  coutractee  avec  ce  pays  depuis  deux  ans 
el  plus,  s'est  interessee  avec  ces  gens-cy,  en  tel 
point  que,  quand  ilsse  trouvent  presses,  ils  me- 
nacenl  d'appeller  leursfreres  Ecossoisa  leur  se- 
cours,  ainsy  qu'ils  ont  faict  depuis  un  moys 
par  leurs  commissaires  partis  pour  cest  effect  et 
arrives  depuis  peu  de  jours  en  Ecosse :  de  sorte 
que ,  Monseigneur ,  en  vous  donnant  advis  de 
ce  qui  se  passe  icy  ,  vous  pouvez  juger  en  gros 
du  bien  ou  du  mal  des  affaires  du  Roy  ou  du 
parlement. 


8S 


MEMOIKES   DU  COMTE    DE    15iUE.\iNE 


>'  Ensuite  de  ce  que  je  vous  ai  mand^  par 
\ws  dernieres  du  dessein  dudit  parlemeut  de  se 
niettre  en  estat  de  pouvoir  faire  une  bonne  paix 
on  une  bonne  guene,  ils  ont  presse  deux  mille 
bommes  de  ceste  ville  et  ordonne  que  sept  mille 
de  la  nouvelle  milice  levee  pour  la  garde  de 
Londres  et  de  la  ville  partiront  presentement 
pouraller  joindre  I'armee  du  eomted'Essex,eom- 
posee  de  quatre  mille  cinq  ceus  ,  tant  sains  que 
mulades,  affin  que  tous  ensemble ,  avee  les  deux 
mille  chevaux  que  le  comte  de  Manebester  ,  ser- 
ueant-major-general ,  et  a  la  tete  des  provinces 
associees,  ils  puissent  faire  une  armee  conside- 
rable pour  secourir  Glocester ,  que  Sa  Majeste 
de  la  Grande-Bretagne  tient  tousjours  assiege. 
Les  sages  d'icy  jugent  que  quand  ceste  armee  , 
qui  commence  desja  a  marcber,  sera  toute  as- 
semblee ,  Ton  pourra  proposer  quelque  sorte  de 
paixde  la  part  dudit  parlement. 

»  II  fust  ordonne  avant-bier,  par  un  cry  pu- 
blic,  que  toutes  les  boutiques  de  ceste  ville 
seront  fermees  jusques  a  ce  que  ledit  Gloscester 
soitsecouru  ,  affm  de  trouver  plus  degens  pour 
y  aller,  de  sorte  que,  depuis  deux  jours,  elles 
n'ont  point  ete  ouvertes. 

»  Vous  serez,  avec  cest  ordinaire,  instruit 
des  affaires  de  ce  pays  :  il  vous  dira  les  diffi- 
cultes  qu'il  y  a  de  scavoir  la  verite  des  cboscs 
qui  se  passent  hors  de  Londres ,  dont  ces  mes- 
sieurs tiennent  severement  les  passages  boucbes 
a  ceux  de  qui  ils  se  deffient. 

"  Plusieurs  se  rejouissent  icy  de  I'envoy  de 
M.  le  comte  d'Harcourt,-et  souhaittent  qu'il 
vienne  avec  diligence.  II  sera  a  propos  ,  quant 
il  sera  resolu  du  temps  de  son  depart ,  qu'il  m'en 
doune  advis  pour  luy  trouver  un  logis,autre- 
inent  il  se  trouveroit  fort  incommode. » 

De  Monsieur  de  Grecy^  de  Londres  ce  6-16 
septembre  1643. 

"  II  y  a  deux  jours  que  je  suis  arrive  en  ce 
lieu,  auquelj'ai  trouvepareille  disposition  a  bien 
recevoir  M.  le  comte  d'Harcourt  que  celle  que 
j'avois  pressenti  a  Douvre,  sur  le  sujet  de  la- 
(juelle  je  vous  ay  envoyeun  courrier.  II  est  vray 
qu'on  avoit  donne  de  grands  ombrages  de  sa 
venue;  mais  a  piesent  tout  cela  est  dissipe,  et 
je  suis  assure  qu'il  sera  receu  aussi  favorable- 
ment  qu'il  se  pent  desirer  d'une  nation  que  vous 
cognoissez. 

»  J'ai  obtenu  aujourd'huy  mon  passeport,  de 
sorte  que  demain ,  sans  faute,  j'espere  partir 
et  aller  trouver  Leurs  Majestes  de  la  Grande- 
Bretagne.  .le  crains  que  mon  voiage  ne  soit  plus 
long  que  je  ne  I'ai  creu  ,  a  cause  qu'ils  son! ,  a 


ce  qu'on  dit  icy,  plus  esloignes  que  je  nepansois. 
Je  feray  le  plus  de  diligence  que  je  pourrai  pour 
retourner  a  Douvre  au-devant  de  M.  le  comte 
d'Harcourt ,  afin  qu'il  ne  s'impatiente  pas  d'at- 
tendre  a  Calais.  » 

De  Monsieur  Dumoulin^  de  Londres  le  17 
septembre  1643. 

»  Le  comte  d'Essex  s'advance  tousjours  vers 
Glocester  que  le  Roy  tient  encore  assiege,  sans 
neantmoins  s'y  estre  retranche,  ce  qui  fait  qu'il 
grossit  son  armee  des  garnisons  de  toutes  ses 
petites  places  qui  ne  scauroient  aussy  bien  re- 
sister  a  une  puissante  armee ,  pour  prendre  un 
poste  advantageux ,  laissant  six  mille  hommes 
devant  ladite  ville,  et  se  mettant  en  estat  d'at- 
tendre  de  pied  ferme  les  forces  du  parlement, 
que  le  milord  Willemot  et  le  colonel  Hurey  sui- 
veut  en  queue  avec  de  la  cavallerie  et  infanterie 
capable  de  les  incommoder. 

"  Le  comte  de  Neufcbastel  a  pris  Beverley,  et 
tient,  par  ce  moyen,  Hall  comme  blocque  par 
la  terre  ;  mais  on  ne  tient  pas  pour  cela  qu'il  le 
veuille  assieger  aultrement,  parce  que  son  ar- 
mee pourra  estre  utile  a  Sa  Majeste  en  cas  de 
necessite. 

'  Le  parlement  a  pris  le  covenant  des  Ecos- 
sois,  dont  le  peuple  de  Londres  se  resjouit  et  se 
tient  bien  fort ;  mais  il  s'accordera  mal  aisement 
quand  il  faudra  agir,  d'aultant  que  lesdits  Es- 
cossois  entendent  de  preserver  faiUhorite  et 
posterite  royalle  avec  la  relligion  etprivilleges 
des  peuples  ^  et  ledit  parlement  n'entend  que 
I'Eglise,  la  liberie  du  parlement^  les  privillcges 
des  peuple s. 

»  J'ay  advis6  M.  de  Grecy  d'adresser  a 
M.  le  comte  de  Pembroches  la  lettre  que  vous 
avez  escrite  a  monseigneur,  pour  response  a 
celle  que  messieurs  du  parlement  ont  fait  a  la 
Reyne ,  d'autant  qu'en  I'absence  du  comte  de 
Manchester,  qui  preside  en  la  chambre  baulte  , 
c'est  un  des  plus  eininens  seigneurs,  et  celuy 
aussy  qui  vous  cognojst  plus  que  les  aultres,qui 
a  pris  ceste  adresse  en  tres-bonnepart,  et  s'en 
tient  fort  honnore.  » 

De  monsieur  Dumoulin  ,  de   Londres,  le   i\) 
novembre  1643;  recucle  10  decembre. 

..  Les  comtes  d'Essex  et  de  Manchester  sont 
venus  faire  un  tour  en  cette  ville,  pour  resoudre 
leurs  quartiers  d'hiver ,  et  comment  ils  employe- 
ront  leurs  troupes.  Le  prince  Maurice,  qui  tenolt 
Plemutb  assiege,  s'en  est  retire,  ets'est  contente 
de  laisscr  les  connnunes  du  pays  affectionnees  an 


DKUXlftME    PAl\riF..       1  G4  3 


89 


roi  de  la  Grande-Bretagne ,  et  a  la  prise  de  ceste 
place ,  qui  est  im  port  de  mer  d'importance  ,  en 
charge  de  la  tenir  toujours  iucommodee ,  et  s'en 
est  venu  prendre  ses  quartiersd'hiver  en  la  pro- 
vince de  Ham ,  ou  s'cst  deja  rendu  le  milord 
HoptoQ,  avec  les  forces  qu'il  avoit  en  Corne- 
valle,  pour  deffendre  le  chateau  de  Barinstote 
t|ui  tient  pour  Sa  Majeste ,  lequel  le  chevalier 
Waler  a  dessin  d'attaquer ;  on  dit  mesme  au- 
jourd'hui  qu'ils  sont  aux  mains  en  ces  quartiers- 
la.  Apres  la  prise  de  Neuport,  Panel  repris  sur 
ledit  Roy ,  ainsy  que  je  vous  ay  mande  par  qies 
dernieres ,  le  prince  Robert ,  qui  voltige  aux  en- 
virons de  ce  pays-la,  a  surpris  la  compagnie  du 
colonel  Herney  qu'il  a  defaicte. 

"  Le  comte  d'Holland ,  ennuye  de  la  conti- 
nuation du  mauvais  traitement  qu'il  a  recu  en 
arrivant  aupres  dudit  Roy ,  a  enfiu  quitte  sa 
cour  pour  s'en  revenir  chez  luy  ,  mais  il  a  este 
arreste  en  chemin  etamene  devant  messieurs  du 
parlement ,  qui  I'ont  desja  examine  sans  resou- 
dre  ce  qu'ils  feront  de  luy ,  qu'ils  ont  mis  en 
bonne  et  seure  garde  chez  le  grand  huissier  du 
parlement.  ■> 

De  monsieur  Dumoulin^  de  Londres,  le  4  de- 
cembre,  recue  le  11  decembre  1643. 

«  Les  nouvelles  de  ceste  guerre  sont  que^Ple- 
muth  est  un  peu  incommode ,  ayant  perdu  tons 
ses  dehors  par  terre  ,  et  estant  empesche  aussy 
d'avoir  tout  I'ayde  dont  il  a  besoing  par  mer ; 
on  envoye  de  ceste  ville  des  gens  pour  Taller 
secourir,  mais  les  forces  de  ce  Roy  sont  en 
campagne  pour  s'y  opposer. 

»Les  Irlandois  entrent  tousjours  petit  a  petit 
en  ce  pays ,  depuis  la  cessation  d'armes  accor- 
dee;  ceste  nouvelle  est  plus  assuree  que  I'entree 
desEcossois  audit  pays,  que  Ton  a  publieeil  y  a 
huit  jours.  Ou  tient  qu'il  y  a  encore  quelques 
divisions  parmy  eux  dans  leur  pays.  Ce  n'est 
pas  qu'ils  n'ayent  receu  I'argent  qu'ils  deraan- 
doient ,  mais  c'est  qu'ils  veulent  venir  forts  ou 
point  du  tout. 

»  Le  prince  Robert  s'estoitun  peu  engage  aux 
aproches  de  Nortumpton ,  et  en  sorte  qu'il  estoit 
quasy  enferme  ;  mais  trois  mille  chevaux  de  son 
party  I'ont  delivre  avec  la  peur  et  fuite  de  ceux 
du  party  contraire. 

»  Leurs  Majestes  de  la  Grande-Bretagne  sont 
en  parfaite  sante  et  en  quelque  impatience  de 
savoir  ce  qui  se  passe  icy ,  sur  le  subject  des 
affaires  de  monseigneur  le  prince  d'Harcourt, 
qui  leur  envoyerabientostun  gentilhorame  pour 
k'uren  faire  part.  » 


De  monsieur  Dumoulin  ^  de  Londres,  le  17 
decembre ;  recue  le  24. 

«  Monseigneur ,  j'ay  veu  par  la  vostre  de 
I'unziesme  de  ce  moys  ,  que  vous  ecriviez  que 
M.  Faret  estoit  party  d'icy  pour  retourner  in- 
continent; j'estime  que  monseigneur  le  prince 
d'Harcourt  I'adepescl^e  pour  luy  donner  liberte 
d'aller  solliciter  ses  affaires  particulieres  et  les 
siennes  aussy  ,  plustost  que  pour  autre  suject , 
la  principale  pour  laquelle  il  est  venu  icy,  n'es- 
tant  pas  encore  assez  advancee  pour  requerir  de 
nouvelles  instructions,  dont  je  m'asseure  vous 
vous  apercevez  bien. 

'<  Les  affaires  du  roy  de  la  Grande-Bretagne 
deviennent  tons  les  jours  en  meilleur  estat;elles 
ont  prospere  a  veue  d'oeil  depuis  ceste  ambas- 
sade.  Sa  Majeste  s'aproche  de  Londres ,  et  est 
venu  visiter  au  chasteau  de  Faruon  le  chevalier 
Waler,  lequel ,  apres  avoir  leve  le  siege  de  de- 
vant Buzin ,  se  trouve  maintenant  assiege  et 
foible  audit  Farnon  ,  qui  est  une  place  impor- 
tante  pour  etre  limitrophe,  de  trois  ou  quatre 
provinces  qui  faciliteront  le  passage  des  forces 
de  Sadite  Majeste  au  pays  de  Kent,  s'ils  en  chas- 
sent  les  parlementaires. 

»  Nous  nous  sommes  estonnez  icy  de  n'avoir 
point  eu  advis  de  ce  qui  se  passe  en  Ecosse ,  qui 
pourroit  servir  a  I'aftaire  que  Ton  veult  accom- 
moder.  Je  ne  feray  ceste-cy  plus  lougue,  m'ima- 
ginant  que  monseigneur  le  comte  vous  informe 
parfaitement  de  toutes  choses ;  quand  il  sera  ab- 
sent ,  je  n'obmettray  pas  les  moindres  particula- 
rites  dans  mes  lettres  qui  pourroient  servir  a 
vous  donner  lumiere  des  affaires.  Cependant 
je  me  contenteray  de  le  servk  et  obeir,  avec  de- 
sir  de  veoir  une  heureuse  conclusion  a  I'affaire 
qu"il  veult  traicter." 

De  Monsieur  de  Grecy  ,  du  dernier  decembre 
1643;  recue  le  1  Janvier  de  I' an  1644. 

«  Vous  avez  apris  par  les  courriers  que  nos- 
tre  negociation  serable  eschouee  ,  dans  la  diffi- 
culte  de  la  recoguoissance,  opiniastree  de  part 
et  d'aultre,  ce  qui  est  cause  que  monsieur  le 
comte  envoie  demander  son  conge.  S'il  se  parle 
de  moy  en  ceste  occasion ,  comme  je  n'en  doubte 
point,  je  vous  prie  tres-humblement  de  vouloir 
appuier  I'effet  de  ce  qu'on  m'a  prorais.  11  est 
difficile  qu'on  se  passe  icy  d'un  ambassadeur 
ordinaire ,  eu  esgard  au  dessein  qu'on  a ,  la  con- 
sideration du  traitte  qui  va  se  faire  a  Munster, 
I'evenement  de  cette  guerre  qui  merite  d'estre 
observe  pour  en  tirer  le  fruit  qu'on  desire,  et  la 
faction  espagnolle  qu'il  fault  abatre  ou  centre- 


90 


MEMOIUES    DU    COMTE    1>E    BlUEl^^E 


carer ,  demandont  la  resideuce  d'une  persone 
qui  ait  ce  caractere,  pour  agir  en  eet  occur- 
rence avec  authorite.  Ce  qui,  estant  aiusy,j'es- 
pere  de  mes  amis ,  mais  particulierement  de 
Yous,  Monsieur,  {'assistance  et  protection  ne- 
cessaires  en  ce  rencontre  pour  nos  advaniages. 

»  Si  vous  me  voulez  faire  i'honneur  de  pen- 
ser  aux  ternies  dans  lesquels  je  vous  ay  parle 
des affaires  de  ce  pais,  il  vous  souviendra  que 
je  n'ay  jamais  estime  qu'on  deust  fonder  i'en- 
voy  de  monsieur  le  comte  d'Harcourt  ,  sur 
I'apparence  certaine  de  i  accommodement  entre 
le  roi  de  la  Grande-Bretagne  et  ses  sujets ;  I'iiu- 
meur  de  la  nation,  et  la  raatiere  du  different, 
m'ont  tousjours  rendu  doubteux  revenement  du 
traitte.  II  est  vray  qu'ils  y  estoient  plus  dispo- 
ses de  part  et  d'autre  quaud  je  partis  d'icy  pour 
retourner  en  France,  que  nous  ne  les  avoiis 
trouves  a  nostre  retour;  mais  il  fault  conside- 
rer  que  depuis  ce  temps  le  covenant  fait  avec 
les  Ecossois,  la  levee  du  siege  de  Glocester,  la 
bataille  ou  passage  de  Nieubourg,  la  cessation 
d'armer  eu  Irlande,  et  la  nouvelle  promotion 
aux  principales  charges  de  TEstat,  a  tellement 
enorgueilly  et  irrite  ceux  du  parlement,  qu'ils 
out  absolument  change  de  sentiment,  de  quoy 
je  ne  puis  estre  guarend. 

»  Quant  a  la  ligue  que  je  croy  estre  I'effect 
asseure  du  voyage  de  Janotce  ,  qui  a  este  I'ob- 
ject  du  mien  premier  vers  la  chambre  haute, 
il  n'a  tenu  qu'a  la  France  de  la  conclure ;  mais 
comme  ou  nous  I'a  fait  entendre,  qu'on  ne  la 
veut  plus  sans  la  paix ,  permettez-moy  aussy 
que  je  vous  disc  qu'on  ne  croitpas  qu'elie  se  fasse 
jamais  apres  que  la  paix  sera  faite.  On  allegue 
force  raisons  capables  de  conlirmer  la  verite  de 
ce  sentiment,  et  de  persuader  qu'une  ligue  bien 
conditionnee,  conclue  avec  le  roy  d'Angleterre, 
suivant  le  premier  dessein,  est  un  moyen  ap- 
parent pour  parvenir  a  la  paix  d'Angleterre, 
remettant  ainsy  le  Roy  dans  son  authorite  legi- 
time, etmaintenant  les  privileges  du  parlement, 
avec  la  liberte  des  sujets,  qui  est,  ce  me  sem- 
ble,  ce  qu'on  demande  en  France.  Pardonnes  , 
Monsieur,  si  je  parle  de  la  sorte,  sans  faire 
pourtant  jugement  qu'on  doive  arguer  de  teme- 
rite.  Lorsque  vous  me  I'ordonneres,  je  ferai 
voir  le  fondement  de  ceste  opinion. » 

[lG.14]  Au  commencement  de  I'annee,  mon- 
sieur le  marechal  de  Turenne  nous  escripvit  de 
Brisacqu'il  recognoissoitune  obeissance  parfaite 
uses  commandans  et  a  tons  les  chefs  et  ofilciers 
de  notre  armee,qu'il  en  tireroit  de  bons  et  utiles 
services  quand  il  aura  renforce  le  nombre,  a  quo! 
nous  travaillamesavec  tant  de  promptitude  et  de 
diligence,  que  nous  eiunes  une  armee  plus  forte 


et  plus  puissante  qu'auparavant  pour  entrer  dans 
I'Allemagne,  y  establir  de  bons  postes  et  donner 
moyen  a  M.  Tartenson  de  continuer  ses  heureux 
progres;  notre  malheur,  qui  avoit  cause  quelque 
defaicte,  etoitplus  a  plaindre  qu'a  blamer,  puis- 
que  ca  este  ensuitte  de  I'accident  de  la  mort  de 
notre  general ,  qu'on  peut  dire  bien  extraordi- 
naire ;  mais  comme  de  la  part  de  la  Reyne 
et  conseil  de  Suede ,  M.  Grotius  tesmoigna  a 
Leurs  Majestes  une  constante  resolution  de  s'unir 
de  nouveau  de  force,  de  moyens  et  de  credit  pour 
reparer  notre  perte,  etque  madame  la  Lantgrave 
monstra  la  vigueur  de  son  courage  en  ce  ren- 
contre, et  messieurs  des  Estats  de  Hollande  nous 
ayant  donne  de  grandes  assurances  de  leur  bonne 
resolution  de  contribuer  pour  faire  quelque  chose 
de  leur  part ,  et  nous  de  notre  coste  ayant  deja 
grandement  agy,  pour  augmenter  le  nombre  de 
nos  trouppes,  je  crois  que  cet  estat  servit  a 
nous  animer  a  faire  de  plus  belles  actions  qu'au- 
paravant, pour  le  bien  de  la  cause  commune.  Le 
due  de  Lorraine  revint  prendre  ses  anciens 
quartiers  a  Varms ,  et  renvoya  tons  les  prison- 
niers  de  sou  partage ,  comme  Ransau ,  Maugi- 
ron  et  les  autres,  ayant  compose  de  leur  rancon 
en  argent.  Hasfeld  prit  le  chemin  de  Franco- 
nie  et  Baviere,  songea  a  asseurer  ses  quartiers;  de 
sorte  que  nous  fi'imes  en  caime  jusqu'au  prin- 
temps  ,  ou  nous  projetions  d'agir  avec  grand 
effort  et  grande  apparence  de  succes;  de  ma- 
niere  que  quand  M.  Tartenson  et  le  general- 
major  Komsniart ,  avec  le  comte  d'Eberstein 
voudroientcommencer  d'entreren  action  contra 
les  ennemis  ,  il  est  a  propos  que  ce  fut  en  bonne 
intelligence  et  de  concert  avec  notre  general. 

Enlin,  Dumoulin  nous  informa que  les  affaires 
du  Roy  et  la  Grande-Bretagne  etoient  en  grande 
decadence  : « Si  le  chasteau  d'Arondelle  se  prend 
par  les  parlementaires,  nous  annoncoit-il ,  et 
que  Plimuth  soit  manque  par  les  royalistes ,  el  les 
iront  encore  pis.  Je  suis  assure  que  si  ces 
gens-cy  out  le  dessus,  que  vous  aurez  par  dela 
plus  de  peine  a  vous  garder  d'eux  que  de  I'aulre 
party ,  dont  le  chef  est  bon ,  pacifique  et 
juste ,  ou  .les  aultres  sont  entreprenans  ,  amis 
des  religionnaires  et  ennemis  de  notre  estat 
dont  ils  sont  envieux  ,  et  qu'ils  craignent  plus 
que  celuy  d'Espagne ,  qui  est  plus  csloigne  d'eux 
que  nous.  Monseigneur  le  prince  d'Harcourt  at- 
tend avec  impatience  son  courrier  Rochefort,  le 
passeport  duquel  j'ay  desja  commence  a  dcman- 
der ,  affin  qu'il  ne  tarde  point  icy.  Je  prie  Dieu 
qu'il  vous  conserve  et  me  face  la  grace  d'estre 
cogneu  de  vous  comme  je  suis  veritablement , 
Monseigneur,  vostre  tres-humble  et  tres-obeis- 
sant  serviteur. » 


UEIMEME    PARTIE.    [1644] 


Cette  depeche,  du  I4  Janvier  1G54,  fut  re- 
cue  le  22,  et  on  resolut  aussitot.  de  le  rappeler 
en  France,  les  ordres  du  Roi  lui  en  furent  ainsi 
expedies: 

«  Ayantpermisa  raon  cousin,  le  comte  d'Har- 
court,  de  se  relirer  d'Angleterre ,  pour  retourner 
pres  de  moy,  j'ay  resolu  de  laisser  par  delii  le 
sieur  de  Grecy,  en  qualite  d'agent  pour  mes 
affaires,  lequel  pourra  continuer  les  negotia- 
tions commencees  et  travailler  a  disposer  les 
choses  en  sorte  qu'il  en  puisse  reussir  quelque 
bon  accomoderaent,  que  je desire  procurer, tant 
pour  !e  bieu  et  repos  du  roy  de  la  Graiide-Bre- 
tagne  ,  que  pour  celui  du  parlement ;  et  pour  ce 
que  je  n'auray  pas  besoing  de  vostre  service  par 
dela,  estant  bien  satisfaictde  celuy  que  vous  m'a- 
vez  rendu  ,je  vous  escris  celle-cy  pour  vous  dire 
que  vous  ayez  a  revenir  en  France,  laissant  au- 
dict  sieur  de  Grecy  le  soing  de  tout,  et  luy  don- 
nant  les  avis  et  instructions  de  ce  que  vous  sca- 
vez  et  cognoissez  etre  pour  le  bien  de  raon  ser- 
vice; je  leray  pourveoir  a  ce  qui  vous  pourra 
estre  deu  de  vos  appointeraens  a  vostre  retour. 
Sur  ce ,  je  prie  Dieu  qu'il  vous  ayt ,  Monsieur 
Dumoulin  ,  en  sa  saiute  et  digne  garde. » 

Par  ma  depesche  particuliere,  j'ajoustai : 

«  Puisque  I'estat  des  affaires  d'Angleterre  n'a 
peu  comporter  que  I'entremise  du  Roy  ayt  esle 
utile  au  repos  de  I'Angleterre ,  et  qu'une  si  cele- 
bre  ambassade  ayt  ete  fructueuse,  Leurs  Ma- 
jestesont  permis  a  monsieur  le  comte  d'Harcourt 
de  retourner  en  France.  »J 

L'hiver  se  passa  assez  tranquillement ,  et 
pendant  ce  temps-la  Monsieur  et  M.  le  prince 
faisoient  avec  soin  leur  cour  a  la  Reine,  aussi 
bien  que  le  due  d'Enghien  ,  qui  pretendoit  com- 
mander I'armee  le  printemps  suivant.  Monsieur 
faisant  aussi  entendre  qu'il  vouloit  faire  la  cam- 
pague,  on  proposa  au  due  d'Enghien  d'aller  en 
Allemagne  :  a  quoi  il  n'eut  point  de  repugnance, 
non  plus  que  le  premier  a  aller  en  Fiandres, 
ou  la  guerre  se  faisoit  de  concert  avec  les  Etats- 
Generaux.  Le  prince  d'Orange ,  ayant  ete  con- 
suite  pour  savoir  quelle  place  on  attaqueroit 
d'abord,  fut  d'avis  que  Ton  commencat  par 
Dunkerque  et  par  Gravelines  ,  assurant  que  si 
I'on  commencoit  par  la  premiere ,  elle  feroit  in- 
failliblement  prendre  la  seconde  :  et  sur  ce  que 
la  difficulte  d'y  conduire  des  vivres  paroissoit 
bien  grande,  ce  prince  disoit  qu'il  seroit  impos- 
sible aux  ennemis  d'etre  maitres  de  lamer;  que 
lorsque  le  vent  seroit  au  sud ,  Calais  et  la  cote 
de  Picardie  fourniroient  I'armee;  que  quand  il 
seroit  au  nord  ,  on  auroit  des  vivres  en  abon- 
dance  de  Hollande  et  de  Zelande.  M.  le  due 
d'Orleans,  etant  persuade  qu'il   valoit  encore 


91 

mieux  dependre  du  Roi  que  d'etre  a  la  discre- 
tion des  etrangers,  se  determina  a  faire  le  siege 
de  Gravelines. 

Le  parlement  de  Paris  commenca  cet  biver 
a  s'en  faire  trop  accroire,  en  prenant  des  deli- 
berations bien  hardies  et  qui  lui  etoient  defen- 
dues  par  les  ordonnances.  Le  cardinal  fut  d'avis 
de  le  menacer ;  mais  le  miuistre  se  relacha 
pourtant  aussitot  apres,  et  montra  meme  les 
consequences  de  ces  menaces  a  la  Reine ,  ajou- 
tant  qu'il  etoit  du  service  du  Roi  de  dissimuler 
plusieurs  choses  pendant  la  minorite  ;  mais  que 
si  apres  cela  Sa  Majeste  faisoit  la  moindre  de- 
marche pour  soutenirson  autorite,  il  falloit  ba- 
sarder  tout  au  monde  pour  la  conserver.  M.  le 
due  d'Orleans  et  M.  le  prince ,  voulant  se  me- 
nager  avec  le  parlement ,  entroient  toujours 
dans  les  sentimens  foibles  et  emportes  du  car- 
dinal ,  pour  lui  attirer  le  mepris  et  la  haine  du 
public. 

La  saison  s'avancant ,  on  dressa  I'etat  de 
guerre  pour  les  armees  ;  et  Monsieur,  suivi  des 
marechaux  de  La  Meilleraye  et  de  Gassion  et 
de  plusieurs  autres  officiers  ,  fit  investir  Grave- 
lines, qui  fut  prise,  parce  que  les  ennemis,  etant 
presses  de  toutes  parts ,  couroient  risque  de  per- 
dre  encore  davantage.  Son  Altesse  Royale  re- 
vint  ensuite  a  la  cour,  ou  elle  fut  parfaitement 
bien  recue.  Le  prince  de  Conde ,  etant  arrive  en 
Allemagne ,  examina  avec  les  marechaux  de 
Gramont  et  de  Turenne  ce  qu'il  etoit  a  propos 
de  faire.  Celui-ci  proposa  le  siege  de  Fribourg  : 
il  fut  resolu.  Son  raisonnement  le  plus  apparent 
etoit  foude  sur  la  gloire  qu'il  y  avoit  de  I'entre- 
prendre,  et  sur  le  fruit  que  le  prince  de  Conde 
ou  lui  prendroient  des  quartiers  ;  mais  que ,  s'il 
etoit  contraint  de  se  retirer  de  I'Allemagne,  il 
le  suivroit  sans  qu'on  diit  lui  en  rien  imputer. 
Le  due  d'Enghien  y  acquit  beaucoup  de  reputa- 
tion :  ce  qui  lui  fit  oublier  le  mecontentement 
ou  il  devoit  etre  de  ce  que  le  combat  avoit  com- 
mence sans  qu'il  I'eut  ordonne  ;  mais  ce  fut  une 
adresse  de  M.  de  Turenne  ,  pour  les  raisonsqui 
ont  ete  expliquees  ci-devant. 

J'ai  entendu  dire  qu'il  se  passa  plusieurs  cho- 
ses dans  I'armee  que  commandoit  M.  le  due 
d'Orleans  ,  qui  faisoient  assez  connoitre  qu'il 
vouloit  tout  ce  qui  ne  devoit  pas  couter  beau- 
coup.  Avec  cela,  sa  vie  etoit  si  precieuse  a  ses 
officiers,  qu'ils  le  detournoient  des  grandes 
choses  quand  il  falloit  la  hasarder. 

La  Reine  etant  allee  passer  une  partie  de  I'ete 
a  Ruel  pour  donner  le  temps  de  nettoyer  le 
Palais-Royal ,  on  rapporta  a  Sa  Majeste  qu'il 
s'etoit  fait  une  sedition  a  Paris,  sur  ce  qu'on 
avoit  ordonne  le  toise  des  maisons  balies  au-dela, 


!)2 


MEWOIRKS    1)11    COiMTE    UE    B1UE^N£ 


dcs  bornes.  On  pensa  d'abord  a  la  repiimer  par 
la  force;  mais  on  chan^ea  aussitot  d'avis,  et 
Ton  aima  mieux  que  le  peuple  se  diit  son  sou- 
lagement  a  lui-meme  que  de  le  faire  ehatier. 
On  prit  pour  pretexte  que  la  Reine  lui  faisoit 
grace ,  a  cause  de  I'affection  qu'elle  avoit  pour 
lui ;  mais  le  peuple  n'en  fut  que  plus  fier,  et 
celte  foiblesse  du  ministere  causa  dans  son 
temps  plusieurs  maux  qui  tlnrent  I'Etat  dans  un 
t res-grand  peril. 

Les  grands  paroissoient  divises  :  et  a  Munster, 
nos  pienipotentiaires  etoient  si  deconcertes ,  que 
oeux  des  autres  princes  en  faisoient  des  raille- 
ries; car  11  paroissoit  clairement  qu'on  u'avoit 
nulle  confiance  ni  au  due  de  Longueville  ni  a 
M.  d'Avaux ,  mais  tout  entiere  a  M.  Servien.  II 
est  bien  vrai  que  si  les  deux  premiers  s'etoient 
bien  entendus  ensemble,  ils  auroient  pu  conclure 
la  paix,  parce  qu'ils  avoient  un  ordre  commun 
qui  portoit  que  le  troisieme  seroit  oblige  de 
suivre  I'avis  des  deux  autres  ,  quoiqu'on  eut 
remontre  les  raisons  qui  pouvoient  y  etre  con- 
tr aires. 

La  nouvelle  de  la  mort  du  pape  Urbain  VIII 
ne  fut  pas  plus  tot  arrivee  a  Paris  ,  qu'on  ecri- 
vit  a  Rome  pour  empecher  que  le  cardinal  Pam- 
philio  ,  depuis  nomme  Innocent  X,  ne  fut  eleve 
au  pontificat.  Mais  soit  qu'il  eut  I'adresse  de 
menager  le  cardinal  Antoine  Rarberini ,  ou  de 
faire  craindre  a  Richi  que  ses  parens  serolent 
maltraites  par  le  grand  due  s'ils  lui  donnoient 
I'exclusion  ,  ou  soit  enfin  qu'il  eut  engage  I'am- 
bassadeur  de  France  a  ne  s'acquitter  qu'avec 
mollesse  de  sa  commission  ,  nous  sumes  bientot 
a  Fontainebleau  qu'il  avoit  ete  elu. 

Ragni ,  destine  par  le  defunt  pape  pour  la  non- 
ciature  de  France  ,  prit  les  premieres  audiences 
sous  le  nom  d'Innocent ,  et  fut  recu  avec  beau- 
coup  de  froideur.  Afin  que  le  nouveau  Pape  ne 
doutat  point  de  la  mauvaise  volonte  qu'on  avoit 
pour  lui ,  on  6ta  au  cardinal  Antoine  Rarberini 
la  protection  des  affaires  de  France.  Pour  ce 
qui  est  du  nonce  Richi ,  il  s'excusa  si  bien  qu'on 
fut  satisfait  de  sa  conduite. 

Le  cardinal  Mazarin  etant  tombe  si  dange- 
reusement  malade ,  qu'on  crut  qu'il  n'en  releve- 
roit  point.,  on  ne  peut  dire  I'inquietude  qu'en 
out  la  Reine ,  qui  s'apercut  que  plusieiu'S  de 
ceux  qui  avoient  ete  attaches  au  cardinal  de  Ri- 
chelieu mettoient  deja  tout  en  oeuvre  pour  suc- 
ceder  a  Mazarin  et  pour  surprendre  Sa  Majeste. 
Mais,  pour  empecher  cette  princesse  de  se  de- 
terminer a  rien  dont  elle  eut  sujet  de  se  repentir 
dans  la  suite  ,  je  lui  dis([uo  le  cardinal  nc  me 
paroissoit  pas  si  malade  qu'on  le  faisoit;  que  je 
lui  trouvois  beaucoup  de  force ,  et  que  les  me- 


decins  disoient  que  les  parties  nobles  n'etoient 
point  attaquees  :  d'ou  je  concluois  qu'il  y  avoit 
bien  plus  a  esperer  qu'a  craindre  de  sa  sante ; 
mais  qu'il  etoit  du  devoir  des  medecins  qui  le 
traitoient ,  et  particulierement  du  sien  ,  d'aver- 
tir  le  cardinal  s'ils  le  croyoient  en  peril ,  parce 
qu'en  cas  que  DIeu  vint  a  en  disposer,  il  y  avoit 
des  choses  dont  Sa  Majeste  devoit  etre  avertie  ; 
que,  si  elle  ne  vouloit  point  gouverner  par 
elle-meme,  plusieurs  personues  lui  devoient  etre 
suspectes,  et  qu'il  falloit  qu'elle  eut  le  choix  de 
celle  qui  lui  seroit  la  plus  propre,  parce  qu'elle 
devoit  se  mefier  de  tout  horame  qui  etoit  sou- 
tenu  par  M.  le  due  d'Orleans ,  qui  avoit  des 
liaisons  avec  M.  le  prince  ,  el  qui  n'avoit  point 
ete  auparavant  dans  ses  interets.  La  Reine  n'eut 
pas  la  peine  de  preferer  I'un  a  I'autre  ,  puisque 
le  cardinal  guerit.  II  fut  visite  plusieurs  lois 
par  cette  princesse  en  sa  maladie,  et  dans  ce 
temps-la  toutes  les  grandes  affaires  furent  ne- 
gligees. Pour  lui  faire  voir  qu'on  ne  prenoit  au- 
cune  resolution  sur  les  choses  de  consequence 
que  par  son  avis ,  on  ne  I'entretenoit  que  de 
celles  qui  ne  pouvoient  point  lui  faire  de  peine  , 
et  Ton  suivoit  les  ouvertures  qu'il  en  donuoit 
lui-meme. 

On  fit  cette  annee  ou  I'autre ,  d'apres  tout  ce 
que  Ton  put,  suivant  les  apparences ,  pour  avan- 
cer  la  negociation  de  Munster.  Les  Etats-gene- 
raux  se  tenoient  fermes  a  preferer  absolument 
une  treve  a  la  paix  ,  quoiqu'on  leur  eiit  otYert 
que  ,  s'ils  donnoient  leur  consentement  a  ce  que 
les  couronnes  fissent  la  paix ,  la  France  s'obli- 
geroit  de  rentrer  en  guerre  avec  I'Espagne,  si , 
cette  treve  etant  expiree ,  Sa  Majeste  Catholique 
ne  vouloit  consentir  a  une  seconde  de  pareille 
duree,  laquelle,  devant  etre  de  douze  annees,  leur 
assureroit  du  repos  pour  vingt-quatre.  Les  de- 
putes des  Etats  commencerent  done  a  ecouter  les 
propositions  du  comte  de  Pignoranda  (qui  avoit 
ete  substitue  a  I'archeveque  de  Cambrai)  et  de 
Castel-Rodriguo ,  revetus  de  la  dignite  de  pieni- 
potentiaires du  roi  d'Espagne;  et  Ton  s'apercut 
par  leur  maniere  d'agir  qu'il  y  avoit  beaucoup 
a  craindre  de  leur  part.  Le  prince  d'Orange  re- 
marquaaussi  que  son  credit  diminuoit;  et  la 
princesse,  sa  femrae,  pour  profltcr  de  la  con- 
joncture  des  affaires,  prit  des  liaisons  avec  I'Es- 
pagne, au  prejudice  de  son  mari  et  des  Pro- 
vinces-Unies.  Les  Espagnols  persistant ,  aussi 
bien  que  les  mediateurs ,  a  vouloir  que  les  Por- 
tugais  fussent  exclus  du  traite  ,  nous  fCimes  con- 
traints  d'y  consentir ;  mais  nous  ne  laissames 
pas  d'obtenir  de  ces  mediateurs  qu'ils  nous  don- 
neroientun  ecrit  par  lequel  il  seroit  porte  qu'il 
avoit  ete  convenu ,  entre  nous  et  les  Espagnols , 


DEUXIEME   PABTIE.    [iGKi 47] 


que  nous  aurions  la  liberie  d'assister  reeiproque- 
ment  nos  allies,  a  la  tete  desquels  Sa  Majeste 
Tres-Chretienne  avoit  mis  le  roi  de  Portugal. 
Les  Espagnols  y  consentirent,  etant  persuades 
d'avoir  beaucoup  fait  que  ce  prince  ne  fiit  point 
corapris  dans  le  traite  de  paix  ,  et  de  ce  qu'il 
n'y  seroit  fait  aucune  mention  de  lui. 

[l()16.]  II  y  a  toutes  les  apparences  qu'ils  se 
seroient  encore  relaches  bien  davantage  si  on 
ue  les  avoit  presses ,  parce  que  leur  intention 
n'etoit  pas  de  conclure  la  paix  avec  nous  ,  mais 
de  nous  detacher  nos  allies,  pour  continuer  en- 
suite  la  guerre  ,  dans  I'esperance  d'en  retirer  de 
grands  avantages.  En  effet ,  le  comte  de  Pigno- 
randa  ayant  persuade  aux  Etats-generaux  de 
convertir  en  articles  de  paix  ceux  dont  il  etoit 
convenu  avec  eux  pour  parvenir  a  une  treve  , 
il  commenca  a  faire  paroitre  le  peu  d'inclination 
qu'il  avoit  poui  un  accommodement  avec  nous  : 
ce  qui  donna  lieu  de  soupconner  qu'il  avoit  des 
ordres  secrets  de  la  cour  de  Madrid  tres-diffe- 
rens  de  ceux  qu'il  montroit ,  et  qu'il  ne  feroit 
seulement  qu'amuser  les  mediateurs. 

L'Empereur  etoit  oblige  d'aller  plus  ronde- 
ment ;  car  les  arraees  du  Roi  ayant  paru  sur  le 
Danube,  il  craignoit  qu'elles  ne  s'avancassent 
jusqu'en  Boheme,  ou  Ton  paroissoit  dispose  a 
une  revolte.  L'electeur  de  Baviere  ,  qui  jusqu'a- 
lors  avoit  fait  la  guerre  sur  les  terres  d'autrui , 
commenca  a  la  ressentir  dans  son  propre  pays  : 
de  telle  maniere  qu'il  pressoit  que  Ton  s'accom- 
modat  avec  les  Francois  et  les  Suedois ,  don- 
nant  a  entendre  que  si  ses  conseils  etoient  ne- 
gliges, il  en  prendroit  de  convenables  a  la  ne- 
cessite  presente  de  ses  affaires.  On  vit  en  ce 
temps-la  quatre  choses  surprenantes  :  la  pre- 
miere fut  que  les  Etats  des  Provinces-Unies 
avoient  traite  la  paix  (l)  avec  I'Espagne  sans 
que  nous  I'eussions  conclue;  et,  croyant  avoir 
satisfait  a  tout  ce  qu'on  pouvoit  pretendre  d'eux, 
ils  offroient  de  presser  les  Espagnols  de  s'ac- 
coramoder  avec  nous  aux  conditions  qui  leur 
avoient  ete  accordees ,  ou  bien  de  rentrer  en 
guerre  avec  nous  centre  eux.  La  seconde  ,  que 
I'Empereur  cedoit  de  grandes  provinces  aux 
Suedois ,  et  consentoit  que  quelques-uns  de  ceux 
qui  avoient  ete  depouilles  pour  Tagrandissement 
de  cette  nation,  fussent  dedommagesauxdepens 
de  I'Eglise.  La  troisieme  fut  le  peu  de  bonne  foi 
dont  les  ministres  de  I'Empereur  userent  a 
notre  egard ,  en  avertissant  les  Suedois  que  nous 
offrions  de  nous  joindre  a  eux  pour  faire  en 
sorte  que  les  biens  ecclesiastiques  leur  demeu- 


(1)  Cette  paix  parliculiere  des  Hollandois  avec  I'Es- 
pagne. ne  fut  conclue  qu'en  16i8.  (A.  E.^ 


rassent ,  et  de  ne  pas  desapprouver  ce  qui  avoit 
ete  consenti  par  Sa  Majeste  Imperiale,  et  ac- 
corde  par  le  roi  d'Espagne.  Nous  eumes  encore 
une  autre  disgrace,  qui  fut  que  les  mediateurs 
nous  donnerent  le  tort,  sans  considerer  que 
I'Empereur,  par  un  procede  malhonnete ,  nous 
avoit  obliges  de  nous  engager  de  nouveau  avec 
les  Suedois  ,  lesquels  ,  ayant  attaque ,  corame 
ilsfirent ,  le  roi  de  Danemarck,  augmenterent 
le  nombre  de  nos  ennemis ,  et  fut  cause  que  ce 
monarque  le  devint ,  apres  avoir  ete  choisi  pour 
I'un  des  mediateurs  de  la  paix.  II  arriva  encore 
par  malheur  que  deux  de  nos  plenipotentiaires 
se  diviserent ,  et  allerent  si  loin  que  chacun 
d'eux  tit  des  ecrits  pour  justifier  sa  conduite  aux 
depens  de  son  collegue ,  sans  etre  retenu  par 
I'autorite  de  M.  de  Longueville ,  qui  les  exhor- 
toit  a  I'union.  Les  Hollandois,  ravis  d'avoir 
conclu  la  paix  avec  I'Espagne  ,  et  voulant  seu- 
lement conserver  les  apparences  avec  nous , 
continuerent  de  nous  presser  a  nous  servir  de 
leur  entreraise  ,  et  declarerent  ouvertement 
que  si  nous  remettions  a  leur  jugement  la  diffi- 
culte  que  nous  avions  avec  I'Espagne ,  ils  mar- 
queroient  n'avoir  pas  oublie  les  obligations 
qu'ils  avoient  a  la  France.  N'osant  pas  les  refu- 
ser absolument,  nous  leur  ecrivimes  des  lettres 
qui  pouvoient  etre  interpretees  diversement  en 
acceptant  les  Etats  pour  juges ,  a  la  reserve  de 
ceux  qui  avoient  signe  avec  I'Espagne  ,  quoique 
I'un  des  deputes  eut  proteste  contre  ses  colle- 
gues.  Nous  eussions  bien  voulu  en  pareille  con- 
joucture  avoir  le  prince  d'Orange  pour  juge ,  et 
qu'on  lui  eut  donne  pour  adjoints  quelques-uns 
de  ceux  qui  representoient  I'Etat ;  mais  nous  re- 
marquames  bientot  apres  que  nous  n'y  aurions 
pas  trouve  notre  compte ,  car  la  princesse  son 
epouse  s'etoit  laissee  gaguer  par  les  Espagnols  , 
et  cette  princesse  ,  a  raesure  que  I'esprit  de  son 
mari  baissoit ,  avoit  toute  I'autorite  et  lui  fai- 
soit  faire  tout  ce  qu'elle  vouloit. 

[1647]  M.  de  Longueville  ,  avant  qu'il  parti t 
de  Muuster,  fut  I'arbitre  du  sort  public,  car  il 
ne  tint  qu'a  lui  de  signer  la  paix  a  des  condi- 
tions tres-avantageuses ,  dont  il  futsollicite  non- 
seulement  par  les  mediateurs ,  par  madame  sa 
femme ,  et  par  tous  ceux  qui  souhaitoient  le  re- 
pos  de  la  chretiente,  mais  aussi  particuliere- 
ment  par  M.  d'Avaux ,  auquel  il  avoua  que  les 
conditions  qui  leur  etoient  offertes  lui  parois- 
soient  tres-raisonnables.  Mais  M.  Servien  lui 
ayant  fait  entendre  qu'il  y  en  avoit  encore  de 
plus  avantageuses  a  esperer,  et  ayant  dit  avec 
adresse  que  la  cour  s'en  flattoit,  M.  de  Longue- 
ville prit  la  resolution  de  suivre  les  conseils  que 
Servien  lui  inspiroit ,  et  partit  de  I'asserablee  , 


94 


MEMOIBES    DU    COllTE    I)E    BniJuNXE 


qu'il  laissa  mortifiee  et  dans  une  graude  confu- 
sion. II  se  servit  du  pretexte  que  M.  d'Avaux, 
qui  etoit  alle  a  Osnabruck  pour  couferer  avec 
les  Suedois ,  avoit  dit  que  sa  voix  etoit  aussi 
considerable  que  la  sienne  5  ayant  oublie  que 
la  chose  avoit  ete  ainsi  coucertee  entre  eux  , 
afin  d'obtenir  des  Imperiaux  et  des  Suedois  des 
avantages  qu'ils  croyoient  ne  devoir  pas  etre 
negliges.  D'Avaux  s'en  justifia  fort  bien  ,  quoi- 
qu'il  restat  seul  charge  des  affaires,  Servien 
ayant  eu  ordre  d'aller  a  La  Haye.  Si  ce  dernier 
y  eiit  pris  autant  de  soin  de  menager  les  esprils 
des  Etats  qu'il  s'en  donna  d'invectiver  contie 
Pauw  et  Knuit,  peut-etre  eiU-il  obtenu  qu'ils 
eussent  desavoue  leurs  deputes;  niais  en  offen- 
sant  les  particuliers  il  offensa  aussi  I'Etat,  qui 
etoit  gouverne  par  les  amis  de  ces  messieurs. 
Apres  avoir  fait  en  HoUande  un  sejour  inutile, 
il  retourna  ensuite  a  Munster,  d'ou  il  fut  permis 
a  M.  d'Avaux  de  revenir. 

L'Alsace  leur  fut  offerte  pour  notre  satisfac- 
tion ,  mais  avec  tant  de  restriction  qu'on  ne 
nous  donnoit  que  fort  pen.  On  les  avertit  de 
ne  se  pas  laisser  surprendre  au  nom  specieux 
d'une  grande  province,  dans  laquelle  differens 
princes  ayant  des  Etats  situes ,  ils  etoient  ex- 
€eptes  de  I'offre  :  comme  les  villes  imperiales 
et  la  franche  noblesse  ,  de  laquelle  les  liefs  re- 
levoient  directement  de  1' Empire.  Mais  ils  ne 
jugerent  point  devoir  insister  que  I'Alsace  nous 
fut  entiereraent  cedee,  soit  en  souverainete, 
soit  en  fief,  pour  n'offenser  pas,  disoient-ils , 
les  villes  qui  sont  puissantes  dans  I'Empire;  et 
celles-ci  conservant  leur  liberte  et  leur  souve- 
rainete ,  il  n'etoit  pas  possible  ,ni  juste  de  don- 
ner  atteinte  a  celle  des  autres.  MM.  de  Lon- 
gueville,  d'Avaux  et  Servien  disputerent  long- 
temps  ensemble  si  I'Alsace  devoit  etre  demandee 
en  souverainete,  ou  possedee  comme  mouvante 
<le  I'Empire.  La  chose  fut  aussi  debattue  dans 
le  conseil  du  Roi. 

On  ne  doit  point  etre  plus  surpris  de  ce  que 
M.  de  Longueville  croyoit  que  c'etoit  un  plus 
grand  avantage  pour  la  coiironne  de  posseder 
cette  province  en  souverainete  que  comme  mou- 
vante de  I'Empire,  qu'il  y  a  lieu  de  s'etonner 
qu'il  se  crut  si  distingue  de  ceux  de  son  rang  par 
le  titre  de  souverain  de  Neufchatel,  quoiqu'il 
n'exercAt  pas  la  souverainete  sur  ses  sujets. 
Ce  n'est  done  pas  une  chose  surprenanle  qu'il 
eut  pour  son  maitre  les  memes  sentimens  qu'il 
avoit  pour  lui.  II  n'est  pas  non  plus  etonnant 
que  M.  Servien  ait  ete  d'un  memo  avis  que 
M.  de  Longueville;  car  il  lui  suflisoit  seulement 
que  M.  d'Avaux  fut  d'un  autre  sentiment  pour 
lui  en  faire  prendre  un  contraire ;  mais  il  a  paru 


fort  Strange  qu'il  se  soit  trouve  dans  le  conseil 
du  Roi  des  personnes  qui  aient  pu  faire  de 
meme  que  Servien.  lis  ne  manquoient  pas  a  la 
verite  de  raisons  ,  dont  la  plus  forte  etoit  qu'il 
n'est  point  honnete  a  un  grand  roi  d'etre  vassal 
d'un  autre,  parce  qu'il  pent  encourir  la  commise ; 
et  que  si,  dans  une  guerre  arrivee  en  suite  de 
la  confiscation ,  on  avoit  perdu  le  fief ,  on  ne  se- 
roit  pas  recu  par  une  paix  a  le  rederaander.  Les 
autres,  du  nombre  desquels  j'etois,  disoient 
que  les  Allemands  s'ouvriroient  plus  volontiers 
avec  un  prince  qui  seroit  du  corps  de  I'Empire, 
qu'avec  un  etranger  que  nous  aurions  depute 
dans  les  dietes  ou  les  affaires  les  plus  impor- 
tantes  seroient  deliberees  ,  et  que  cette  occasion 
ne  devoit  point  etre  negligee.  Que ,  pour  de- 
truire  les  raisons  sur  lesquelles  ces  messieurs 
s'appuyoient,  il  ne  falloit  que  leur  opposer  que 
le  roi  d'Espagne  possedoit,  comme  vassal  de 
I'Empire,  le  duche  de  Milan  et  partie  des  Pays- 
Bas  ;  que  la  courounede  Suede  en  relevoit  aussi 
par  les  provinces  qui  lui  avoient  ete  cedees,  et 
qu'une  imagination  de  grandeur  ne  devoit  point 
empecher  qu'on  ne  profitat  d'avantages  aussi 
sol  ides  que  ceux  qui  avoient  ete  rcpresentes. 

[16-18]  Le  cardinal,  qui  ne  pouvoit  dedire 
Servien ,  etant  peu  eclaire  ou  pen  zele  pour  la 
grandeur  de  la  France,  ayant  emporte  la  ba- 
lance, manda  que  le  Roi  accepteroit  non  pas 
I'Alsace,  mais  le  Landgraviat,  pour  sa  recom- 
pense; et  qu'il  vouloit  le  posseder  en  toute  sou- 
verainete, de  meme  que  Brisach  et  son  terri- 
toire,  qui  fait  partie  du  Brisgaw,  et  Philis- 
bourg  ,  sous  le  titre  de  garde ,  selon  qu'il  est 
plus  amplement  porte  par  le  traite,  qui  ne  fut 
signe  que  de  Servien ,  et  depuis  ratiiie  par  le 
Roi,  de  meme  que  par  I'Empereur  et  les  princes 
de  I'Empire :  en  consequence  duquel  traite  la 
maison  d'Autriche  cedoit  a  Sa  Majeste  ce  qui 
lui  appartenoit  en  propriete  dans  I'Alsace.  Sous 
le  nom  de  protecteur,  I'Empereur  et  I'Empire 
lui  en  abandonnerent  la  souverainete,  a  la  charge 
qu'il  seroit  paye  par  le  Roi  a  I'archiduc  de  Tyrol 
trois  millions  de  li.vres  pour  son  dedommage- 
ment ,  aussitot  que  le  roi  d'Espagne  auroil  re- 
nonce  a  tons  les  droits  qui  lui  appartenoient  ou 
pourroient  appartenir  sur  les  terres  cedees  a  Sa 
Majeste. 

[Dans  I'intervale  M.  le  comte  d'Avaux  fut 
rappele  par  la  lettre  suivante  du  Roy  que  je 
fus  oblige  de  contresigner ,  la  resolution  en 
ayant  ete  prise  dans  le  conseil  : 

«  M.  le  comte  d'Avaux  ,  je  vous  ay  cy-devant 
mande  de  vous  retirer  de  Munster,  pour  vous 
rendre  icy  le  plus  tost  qu'il  vous  seroit  possible, 


DEUXIEMK    PAKTIK.     [1G48] 


95 


raais  parceque  vous  avez  tenu  ime  conduitequi 
ne  m'a  pas  satisfaict ,  je  me  trouve  oblige  de 
vous  escrire  eelle-cy,  de  I'advis  de  la  Reine  re- 
gente  notre  dame  et  mere ,  et  pour  vous  dire 
qu'ayant  sceu  que  vous  etes  beaucoup  advance 
de  votre  chemin,  je  ne  trouverai  pas  mauvais  que 
vous  veniez  en  cette  viile  et  que  vous  y  demeu- 
riez  ,  pourtant  avec  cette  condition,  que  vous 
ne  me  verrez  point ,  etque  vous  ne  ferez  aucune 
fonction  de  vos  charges  jusqu'a  ce  que  j'en  aye 
autreraent  ordonne ,  et  cependant  je  prieray 
Dieu  qu'il  vous  ayt,  M.  le  comte  d'Avaux,  en  sa 
sainte  garde. 

>'  Escrit  a  Parrs ,  le  16  may  1G48,  »] 

Servien,  glorieux  d'avoir  mis  la  derniere 
main  a  ce  grand  ouvrage  (1),  obtint  la  permis- 
sion de  revenir  a  la  cour,  et  laissa  les  media- 
teurs  dans  I'etonnement  de  ce  qu'on  cessoit  de 
s'appliquer  a  t'airefmir  la  guerre  qui  etoit  entre 
les  deux  couronnes.  On  jugeoit  bien,  corame 
firent  les  personnes  eclairees ,  que  quelques  pro- 
messes  que  TEmpereur  cut  faites  de  ne  point 
assister  TEspagne  contre  la  France,  il  y  donne- 
roit  cette  interpretation  que  ce  seroit  en  qua- 
lite  d'Empereur ;  mais  que,  comme  roi  de  Bo- 
heme,  et  possedant  differens  Etats  dans  I'Em- 
pire,  il  jouiroit  de  la  liberte  que  chacun  de  ces 
princes  avoit  d'assister  ses  allies. 

Je  ne  juge  point  a  propos  de  raconter  de 
quelle  maniere  M.  de  Turenne  perdit  une  ba- 
taille ,  et  I'accueil  qui  lui  fut  fait  par  le  land- 
grave de  Hesse,  parce  qu'il  a  rendu  depuis 
d'assez  grands  services  pour  faireoublier  le  re- 
vers  de  fortune  qu'il  eut  pour  lors.  Je  passerai 
aussi  sous  silence  les  belles  et  grandes  actions 
que  fit  le  due  d'Enghien,  particulierement  a 
Nordlingen,  ou  il  defit  le  general  Mercy  et  ses 
vieilles  troupes,  sous  I'effort  desquelles  I'Alle- 
magne  a\oit  plie.  Je  ne  veux  seulement  parler 
que  des  chosesou  j'ai  eu  part. 

[  Madame  avoit  accouche  d'une  fille ,  le  26  du 
,  mois  de  decembre  1646,  quinze  heures  avant  la 
mort  de  feu  M.  le  prince  de  Conde  ,  lequel  eut 
cette  grace  de  Dieu  de  voir  approcher  sa  derniere 
heure  pendant  deux  jours  :  ce  qui  luy  donna 
moyen,  apres  avoir  pense  aux  affaires  impor- 
tantes  et  fait  son  testament ,  de  recevoir  les  sa- 
cremens  et  la  benediction  de  M.  le  nonce ,  de 
M.  Tarcheveque  de  Paris  et  de  son  cure  avant 
que  dexpirer. 

Monseigneur  le  due  d'Enghien ,  qui  ressen- 
tit  cette  perte  avec  de  grands   sentimens  de 

(1)  Les  trait^s  d'Osnabruck  et  de  Munster.  Le  premier 
fut  sigii('>  le  16  aout  16i8,  Ic  second  le  2i  octobre  de  la 
nieinc  aniiL^c.  (A.  E  ) 


douleur,  se  trouva  revestu  de  la  dignite  de  pre- 
mier prince  du  sang  et  de  la  charge  de  grand- 
maistre ;  et  les  gouvernemens  de  Bourgogne  et 
Berry  furent  partages  entre  luy,  le  prince  de 
Conty  et  le  due  d'Albret.  Le  Roy  et  la  Reine 
sa  mere  firent  la  visite  de  condoleance  a  ma- 
dame  la  princesse  la  veuve ,  aux  princes  ses 
enfans ,  comme  aussy  a  madame  la  duchesse 
d'Enghien,  en  son  hostel. 

On  se  disposa  a  tout  ce  qui  fut  necessaire 
pour  la  pompe  funebre.  Et  on  pent  dire  que 
Leurs  Majestes  perdirent  un  de  leurs  proches, 
qui  a  paru  tres-affectionne  au  bien  de  leur  ser- 
vice, et  qui  avoit  des  qualites  tres-elevees. 

Cela  n'apporta  aucun  changement  aux  affai- 
res du  dedans  nidu  dehors  du  royaume.Xane- 
gociation  pour  lapaix  s'etoit  continuee  toujours, 
avec  peu  d'esperance  d'y  reussir  si  promptement 
qu'on  avoit  cru,  par  la  longueur  affectee  des 
Espagnols,  et  par  quelques  autres  obstacles  ve- 
nus  de  la  part  des  Suedois.  Et  Ton  commenca 
d'agir  pour  preparer  ce  qu'il  faloit  pour  la 
campagne  prochaine,  avec  resolution  de  pousser 
si  vigoureusement  les  ennemis  qu'iis  seroient 
forces  de  conclure  ie  traicte  general. 

L'affaire  de  Naples  tenoit  les  yeux  des  prin- 
ces de  I'Europe  occupes   a  considerer  quelle 
en  seroit  Tissue,  et  on  pent  dire  que  les  Espa- 
gnols tomboieut  en  sens  reprouve.   lis  ne  sen- 
toient  point  le  mal  reel  et  pressant  qui  leur 
arrivoit,  et  se  fiattoient  des  esperances  d'une 
diversion  qu'iis  s'imaginerent  debvoir   arriver 
en  France ,  bastie  sur  des  fondemens  si  legers 
que  ce  fut  une  pure    chimere.    Cependant  la 
paix  en  fut  retardee.  On  sut  qu'un  secretaire 
de  M.  de  Vendosme,  qui  passoit  en  Allemagne 
avec  lettres  de  creance ,  ayant  este  arreste  et 
mene  a  Halbron  ,  fit  une  confession  ingenue  de 
toute  la  negociation  dont  il  estoit  charge,  par 
laquelle  parut  le  desir  qu'avoit  ce  prince  de 
brouiiler  et  d'en  faire  concevoir  les  facilites  aux 
ennemis.  Et  en  mesme  temps,  un  Francois,  so- 
licite  de  mesme  part ,  fit  croire  a  I'archiduc  que 
Monsieur  et  M.  :le  prince  estoient  malcontens, 
etavoient  passe  en  Picardie  avec  le  secretaire  de 
Salamanca  pour  faire   un  abouchement  avec 
Leurs  Altesses ;  mais  ledit  secretaire ,  ayant  este 
arreste  a  Peronne  ,  desclara  qu'il  avoit  este  se- 
duit  par  cet  homme ,  qui  ne  luy  avoit  rien  fait 
voir  de  tout  ce  qu'il  lui  avoit  promis.  Ces  amu- 
semens  frivoles  ne  laisserent  pas  que  d'entrete- 
nir  quelque  temps  les  esprits  dans  la  pensee  d'en 
profiler.  Mais  apres  que  la  chose  fut  decouverte, 
ils  durent  estre  delrompes  de  toutes  ces  faulses 
esperances. 

Cependant   la   revolte  de   Naples  continoa 


f)t) 


MEMOIRES    DU    COMTK    DE    BRIEXNE 


toujours,  et  le  peuple  elut  douze  d'entre  eux  qui 
prirent  I'authorite.  Le  vice-roy  avec  la  noblesse 
lie  fuient  pas  les  plus  forts ,  et  les  choses  furent 
disposees  a  telle  aigreur  et  defliance ,  que  par  la 
erainte  duchastiment  ils  se  deciderent  a  chan- 
ger. Notre  armee  navale  estolt  assez  proche 
(I'eux  pour  les  assister  dans  ce  dessein  ,  s'ils  de- 
mandoient  notre  secours  et  notre  protection. 

En  attendant,  le  Roi,  informe  de  tout  par 
le  marquis  de  Fontenay,  son  ambassadeur  a 
Rome,  envoya  promptement  ses  ordres  au  due 
de  Guise  (i),qui  etoit  a  Rome.  Ilssont  eontenus 
dans  la  lettre  suivante  : 

«  Mon  cousin,  ayant  eu  avis  par  vos  lettres 
et  par  celles  du  sieur  marquis  de  Fontenay,  mon 
ambassadeur  a  Rome,  de  la  recherche  qui  vous 
est  faite  par  ceux  de  la  republique  de  Naples 
pour  ailer  commander  leur  armee  contre  les  Es- 
pagnols,  j'ay  bien  voulu  vous  tesmoigner  par 
celle-cy,  que  je  vous  escris  par  I'avis  de  la  Reine- 
regente  madame  ma  mere,  que  j'aggree  que 
vous  acceptiez  les  offres  qui  vous  sont  faites  de 
leur  part ,  et  que  vous  ne  differiez  pas  plus  long- 
temps  de  vous  rendre  pres  d'eux ,  estimant  qu'il 
y  va  du  bien  de  mon  service  qu'il  y  ayt 
line  personne  de  vostre  condition,  en  qui  je  me 
puisse  confier,  pour  faire  reussir  a  leur  advantage 
I'establissement  de  leur  repos  et  de  leur  liberte, 
toutes  les  assistances  que  j'ay  resolu  de  leur 
donner,  soit  de  trouppes  qui  seront  en  vostre 
commandement,  soit  de  toutes  les  autres  com- 
moditez  qui  seront  en  ma  puissance,  affin  que 
cette  affaire  se  face  avec  toutes  les  precautions 
necessaires. 

»  Je  desire  que  vous  conferiez  des  voyes  que 
vous  aurez  a  suivre  avec  mon  cousin  le  cardinal 
Grimaldi,  Sainte-Cecille,  et  le  marquis  de  Fon- 
tenay, mon  ambassadeur  a  Rome,  avec  les- 
quelz  ayant  pris  vostre  resolution ,  vous  execut- 
tiez  ce  qui  sera  a  faire  en  eeste  occasion  pour 
I'advantage  de  mon  service.  La  presente  estant 
a  ceste  fin  ,  je  prie  Dieu ,  etc. 

»  Escriptele  1 0*"  jour  de fevrier  1648. 
<■  Louis , 

»  Et  plus  has,  DE   LOME.NYE.  " 

Le  due  de  Guise,  avec  toute  la  resolution  et 
la  bravoure  que  Ton  devoit  attendre  de  liii , 
s'empressa  de  se  conformer  aux  volontes  du 
Roi ,  et  parvint,  non  sans  peril ,  a  arriver  a  Na- 

(1)  L'cxp^dilion  du  due  de  Guise  a  Naples  perdia  un 
pcu  de  son  aspect  romanesque  ,  lorsque  I'on  verra  que 
re  personnagcnc  I'cnliepril  qu'a  la  sollicilntion  du  Hoi 
de  Franco  el  sur  la  promesse  formello  qn'on  lui  doima 


pies.  Aussitot  que  la  nouvelle  en  fut  arrivee  a 
Paris,  on  la  cour  etoit  pour  lors,  le  Roi  lui  cti 
temoigna  sa  satisfaction  en  lui  renouvelant  ses 
promesses  de  secours  : 

"  Mon  cousin ,  j'ay  recu  beaucoup  de  joye 
d'avoir  appris  par  votre  lettre  votre  heureuse 
arrivee  en  la  ville  de  Naples,  et  la  reception 
qui  vous  y  a  este  faite,  ce  qui  me  donne  lieu 
d'esperer  des  effects  advantageux  de  ce  bon 
commancement ;  et  affin  de  vous  secourir  promp- 
tement ,  je  fais  travailler  aux  prepai'atifs  neces- 
saires pour  tenir  mon  armee  navalle  preste  de 
bonne  heure,  et  assez  forte  pour  combattrecelle 
des  ennemis,  cependant  que  vous  disposerez  les 
choses  a  attaquer  les  postes  occupes  par  les  Es- 
pagnolz,  faisant  en  sorte  de  vous  rendre  maistre 
des  chateaux  le  plus  promptement  qu'il  sepoui- 
ra,  et  pour  vous  en  faciliter  les  moyens,jeferai 
debarquer  de  I'infanterie  et  passer  beaucoup 
d'officiers  et  de  gens  de  guerre  au  royaume  de 
Naples,  qui  vous  obeiront  suivant  le  pouvoir 
que  je  vous  envoye,  et  de  vous  faire  aussy  four- 
nir  toutes  munitions  de  guerre  et  de  bouche  ,  et 
toutes  autres  choses  necessaires  pour  I'execution 
d'un  si  grand  dessein  ,  duquel  me  reposant  sur 
votre  prudente  valeur  et  bonne  conduite ,  je  prie 
Dieu  qu'il  vous  ayt,  etc. 

»  Louis, 

«  Eipliis  has,  de  Lomenye.  « 

Mais  la  trahison  de  Vencenzo  et  d'Annere  li- 
vra  M.  le  due  de  Guise  aux  Espagnols,  ce  qui 
leur  donna  quelqu'advantage.  Quoiqu'il  fut  faict 
prisonnier,  et  que  les  Espagnols  eussent  ete  mis 
en  possession  de  plusieurs  postes ,  ils  ne  furent 
pas  encore  les  maistres  ;  il  sembia  que  le  peuple 
fiit  encore  plus  aigri  qu'auparavant ,  puisqu'il 
s'opiniatra  a  demander  la  tete  dudit  Annere, 
et  qu'il  refusa  d'obeir  aux  commandemens  de 
don  Jouan  d'Austria,  de  ne  plus  porter  d'armes 
courtes;  si  bien  que  ceux  du  bon  parti  deman- 
doient  toujours  le  secours  de  notre  flotte,  qui 
partit  sous  le  commejidement  de  M.  le  prince 
Thomas  de  Savoye,  qui  fut  fait  general  de  nos 
armees  de  terre  et  de  mer.  Nous  attendimes  les 
nouvelles  de  Teffot  que  devoit  produire  le  se- 
cours de  nos  vaisseaux  et  galeres,  envoy es  devant 
Naples  au  secours  de  ce  peuple  fidele.  Notre  am- 
bassadeur a  Rome  fut  charge  de  suivre  de  pres 
I'utilitequi  en  adviendroit,  si  I'espcrance  qu'on 


de  lui  fournir  lous  les  secours  ni^cessaircs  a  raccomplis- 
seniont  d'un  projet  auquel  la  France  ^(ait  inu^ressee ; 
les  ordres  de  Louis  XIV  determinerent  seuls  le  due  de 
Guise  a  cinder  enfin  a  la  demande  des  Napoliiaiiis. 


DEDMEMK    I'AllTIE. 


16181 


97 


nous  avoit  domiee  de  leur  disposition  a  etablir 
leur  repos  et  leur  liberie  se  trouvoit  veritable. 
Quaut  a  ce  qu'il   nous  avoit  mande  au  sujet 
d'une  ligue  qui   se  pourroit   former  entre  les 
princes  d'ltalie,  relativement  aux  mouvemens 
que  les  uns  et  les  autres  peuvent  avoir  dans  les 
conjonetures  presentes,  on  lui  recommanda  aussi 
de  les  observer  et  penetrer  tant  qu'il  lui  seroit 
possible,  pour  estre  esclairci  quelles  seroient 
leurs  veritables  intentions,  cellcs  de  Leurs  Ma- 
jestes  ne   tendant   qu'a  la  paix    et  leur  plus 
grand  desir  etant  de  la  procurer  a  leurs  peu- 
ples,  persuades  que  si  les  Espagnols  en  vou- 
loient  toujours  retarder  la  conclusion ,  ce  ne 
seroit  qu'a  leur  honte  et  au  dommage  de  leurs 
affaires,  d'autant  que  leur  plus  grande  prospe- 
riteestoit,  en  recouvrant  une  place,  d'eu  per- 
dre  une  autre,  et  que  ce  qui  se  passoit  alors  en 
Allemagne,  par  la  defiaicte  de  I'aiie  droicte  de 
I'armee  imperial le  et  bavarroise  par  messieurs 
les  marecbaux  de  Turenne  et  Chtangel,  donnoit 
moyen  aux  eonfederes  de  se  prevaloir  de  cet 
advantage ,  et  de  reduire  nos  ennemis  communs 
a  ne  plus  s'opiniatrer  a  la  resistance,  et  a  vou- 
loir  tout  de  bou  preferer  la  douceur  d'un  ac- 
commodement  a  la  rigueur  des  armes  qui  aug- 
mentoit  tons    les  jours  leur   mine.   Vers  ce 
temps-la,  M.  le  due  de  Beaufort  s'echapa  du 
chateau  de  Vincennes,  se  sauva  le  jour  de  la 
Peutecoste,  en  plain  midv',  par  le  courage  et 
I'adresse  d'un  garde  qu'il  avoit  gagne;  lequel 
pritson  temps  d'enfermer  tons  les  compagnons 
dans  la  salle ,  et  de  lier  et  baillonner  I'exempt 
pendant  qu'il  prist  dans  sa  poche  les  clefs  de  la 
porte  du  donjon  par  ou  il  descendit  dans  le  fosse, 
et  feut  recueilli  sur  la  coutrescarpe  par  sept 
hommes  habilles  en  femmes,  et  trouva  a  quel- 
que  distance  de  la  plusieurs  cavalliers  qui  firent 
monter  ledit  due  a  cheval ,  I'accompagnerent 
hors  le  pare ,  d'ou  11  passa  le  pont  de  Charen- 
ton,  gaigna  un  petit  bois,  et  delaonnescut 
point  quelle  fut  este  sa  route;  maiscommecela 
ne  fust  denulle  suitte  ny  consequence  pour  les  af- 
faires generales,Sa  Majeste  ne  s'enesraeut point. 
Nous  eiimes  bientot  apres  I'avis  de  la  jonction 
destrouppesdeModeneauxnostres,etde  lal'uite 
precipitee  des  Espagnols ;  ce  qui  fut  d'un  tres- 
grand  avantage  a  la  reputation  de  nos  armes,  au 
commencement  de  cette  campagne.  Nous  atten- 
dlmes  impatiamment  quel  effet  auroit  produit 
le  secours  qui  estoit  alle  a  Naples,  ou  nous  voyons 
que  les  peuples  seroient  contraints  de  faire  un 
dernier  effort  pour  secouer  le  joug  qu  ils  ne  pou- 
voient  pas  supporter.  Mais  M.  le  due  de  Guise 
fut  ennnene  prisonnier  par  les  Espagnols ,  et 
onferme  dans  le  chateau  de  Segovie.  ] 

111.  C.   D.    M.,  T.    111. 


L'AUemagne  etant  en  paix,  il  ne  nous  restoit 
de  guerre  que  contre  I'Espagne ;  mais  Ton  voyoit 
deja  paroitre  les  etincellesd'un  feu  qui  pen  apres 
causa  un  grand  embrasement.  C'etoieut  les  offi- 
ciersdu  parlement  qui  I'entretenoient,  en  sedon- 
nant  la  liberte  de  traverser  les  affaires  du  Roi , 
et  de  rendre  des  arrets  qui  excedoient  leur  pou- 
voir,  qu'ils  entreprirent  encore  plus  d'etendre 
qu'ils  n'avoient  fait  apres  la  mort  du  prince  de 
Conde  ,  pere  du  due  d'Enghien ,  arrivee  dans 
I'annee  1H46.  Ce  prince  s'etoit  retire  de  la  cour 
nial  content ;  en  voici  le  sujet  : 

Le  due  de  Breze,  beau-frere  du  due  d'Enghien, 
que  le  roi  Louis  XIII  avoit  pourvu  du  gouver- 
nement  de  Brouage,  La  Rochelle  et  lies  voisines, 
et  de  la  charge  d'amiral ,  sous  le  titre  de  sur- 
intendantde  la  mer,  commerce  et  navigation  de 
France,  ayant  ete  tue  sur  mer,  apres  la  mort  du 
cardinal  de  Richelieu ,  la  Reine  ,  mal  conseillee 
par  Mazarin ,  se  voulant  faire  pourvoir  de  la 
charge  vacante  de  surintendant  des  mers,  etc. , 
sur  la  nouvelle  qu'elle  eut  de  cette  mort ,  ne 
voulut  point  faire  arreter  Du  Dognon , quoiqu'on 
I'eiit  avertie  que  c'etoit  une  chose  qu'il  falloit 
faire,  et  qui   pouvoit  etre  facilement  execu- 
tee  avant  qu'il  eut  gagne  Brouage.   Sa  Ma- 
jeste done ,  apres  avoir  ecoute  la  demande  que 
lui  fit  des  charges  du  due  de  Breze,  le  prince 
de  Conde  pour  le  due  d'Enghien  son  Ills,  me 
commanda  de  Taller  trouver,  et  de   lui  dire 
qu'ayant  pourvu  M.  le  due  d'Orleans  du  gou- 
vernement  de  Languedoc ,  et  le  due  d'Enghien 
de  celui  de  Champagne  el  de  quelques  places 
importantes,  elle  croyoit  qu'il  etoit  temps  qu'elle 
songeat  a  elle-raeme :  ce  qui  I'avoit  fait  resoudre 
a  garder  pour  elle  cequi  vaquoit  par  la  mort  du 
due  de  Breze.  A  quoi  elle  se  portoit  d'autant 
plus  volontiers  ,  qu  'ayant  fait  pour  les  autres  ce 
qu'ils  avoientsouhaite,  elle  ne  se  trouvoit  point 
dans  la  necessite  de  moins  faire  pour  elle-meme 
que  ce  qu'elle  avoit  bien  voulu  faire  pour  eux  ; 
et  qu'elle  etoit  persuadee  qu'il  seroit  ie  premier 
a  la  louer  de  sa  moderation  et  de  la  resolution 
qu'elle  avoit  prise;  d'autant  plus  qu'il  I'avoit 
pressee  et  conseillee  plusieurs  fois  de  u'eu  pas 
user  autrement.   Ce  prince  me  repondit  qu'il 
etoit  vrai  qu'il  avoit  conseille  a  la  Reine  de 
prendre  un  etablissement,  mais  qu'il  nelui  etoit 
jamais  venu  dans  la  pensee  que  ce  dut  etre  aux 
depens  de  sa  maison ;  que  Sa  Majeste  etoit  la 
maitresse,  et  qu'elle  pouvoit  user  du  pouvoir 
qu'elle  avoit;  mais  qu'il  ne  pouvoit  croire  qu'elle 
ne  conservat  point  a  son  fils  ce  qui  vaquoit  par 
la  mort  de  sou  beau-frere.  Je  me  crus  oblige  de 
lui  remontrer  que  les  charges  ne  passent  point 
aux  heritlers  de  ceux  qui  Ics  ont  possedees,  et 

7 


98 


MEiMOiaES  nil  coMiE  i)K  I;nlF,^'^s'E 


que  sa  maison  avoit  rccu  tar.t  de  marqiios  de  la 
liberalite  de  la  Reine  que  j'etois  persuade  qu'il 
s'etoit  deja  repenti  de  cequ'il  m'avoit  dit.  Blen 
loin  de  profiler  de  monavis,  il  me  repondit  avee 
aigreur  et  emportement  :  et  comme  je  vis  qu'il 
metenoit  des  discours  menacans,  je  le  quiltai, 
dans  la  resolution  de  dire  la  verite  a  la  Reine, 
maisdc  m'expliquer  dans  des  termes  si  generaux 
qu'il  ne  lui  put  rester  aucune  mauvaise  impres- 
sion de  ce  qui  m'avoit  ete  dit  par  ce  prince.  J'a- 
vois  appris  de  mou  pere ,  qui  etoit  un  homme 
tres-sage,  et  dont  je  ne  puis  m'empeeher  de 
loner  la  prudence  en  cette  occasion,  qu'un  ser- 
viteur  ne  doit  jamais  rien  rapporter  a  son  maitre 
qui  le  puisse  aigrir  contre  quelqu'un ,  a  moins 
qu'il  n'y  soit  force  pour  le  bien  public  on  par 
I'eclat  de  la  verite  :  ce  qui  le  rend  excusable  de 
tout  ce  qui  en  peut  arriver. 

Je  rapportai  done  a  la  Reine ,  en  presence  du 
cardinal ,  que  les  premieres  paroles  de  M.  le 
prince  avoient  ete  telles  qu'on  les  pouvoit  at- 
tendre  d'un  homme  tres-sage ;  que  les  secondes 
m'avoient  paru  melees  d'un  peu  d'aigreur;  et 
que ,  prevoyant  que  les  troisiemes  en  auroient 
beaucoup  plus  encore  ,  je  I'avois  interrompu  , 
et  m'etois  separe  de  lui;  que  je  croyois  qu'il  n'y 
avoit  plus  rien  a  faire  que  d'expedier  les  provi- 
sions de  I'amiraute  sous  le  nom  de  la  Reine , 
aussi  bien  que  celles  du  gouvernement  de 
Brouage.  Je  ne  dois  pas  oublier  de  dire  que  feu 
M.  le  prince  m'avoit  avoue  qu'il  y  auroit  de  la 
justice  de  ne  les  pas  donner  a  son  fils  ;  mais  que, 
pour  la  charge  d'amiral ,  il  n'en  comprenoit  point 
la  raison. 

Je  ne  fus  pas  sorti  de  son  hotel  qu'il  envoya 
querir  le  president  de  Nesmond.  Ne  pouvant 
croire  que  j'eusse  eu  assez  de  discretion  pour  ne 
rien  rapporter,  il  fit  savoir  a  la  Reine  tout  ce 
qu'il  m'avoit  dit ,  en  commencant  par  mettre 
en  avant  que  je  I'avois  fait  parler,  ou  comme 
il  croyoit  que  je  I'avois  fait,  ou  bien  comme 
il  croyoit  que  je  I'eusse  desire  pour  le  priver 
des  bonnes  graces  de  Sa  Majeste.  Quand  j'a- 
bordai  la  Reine ,  elle  me  reprocha  que  je  lui 
avoisdeguisece  quej'avois  entendu  ou  du  en- 
tendre des  discours  de  ce  prince.  Je  suppliai 
la  Reine  de  vouloir  bien  se  souvenir  de  ce  que 
je  lui  avois  expose,  et  qu'elle  trouveroit  que 
je  ne  lui  avois  rien  cache  de  ce  qui  devoit 
venir  a  sa  connoissance.  «Mais,  ajoutai-je, 
puisque  M.  le  prince  a  doute  de  ma  bonne  foi  et 
de  ma  discretion,  pour  m'acquittcr  entierement 
demon  devoir,  je  me  trouve  dans  ia  necessite  de 
rapporter  a  Votre  Majeste  jus(iu'aux  moindres 
de  ses  paroles.  »  Et  pour  lors  je  les  rapportai 
telles  que  ma  memoire  me  les  put  fonrnir.  Soit 


(]ue  ce  prince  eiit  du  chagrin  de  ce  qui  s'etoit 
passe ,  ou  que  I'heure  de  sa  mort  approchat ,  il 
n'eut  plus  de  sante  depuis  sa  retraite  de  la  cour. 
II  est  vrai  que  Leurs  Majestes  etant  allees  a  Fon- 
tainebleau  ,  il  y  fit  un  voyage  de  peu  de  jours  , 
et  se  retira  dans  sa  maison  de  Vallery,  d'oii  il 
revint  a  Paris  ou  il  mourut.  Sur  le  bruit  de  sa 
maladie,  et  lacampagne  etant  finie,  le  due  d'En- 
ghieu  s'y  rendit  en  diligence.  II  fut  bientot  con- 
sole de  la  raort  de  son  pere ,  toutes  ses  charges 
lui  ayant  ete  consei-vees.  II  dit  au  cardinal  qu'e- 
tant  comble  de  graces  comme  i!  venoit  del'etre, 
il  n'avoit  plus  rien  a  pretendre;  et  cette  Emi- 
nence, au  lieu  de  lirer  de  lui  line  parole  posi- 
tive ,  lui  repondit  qu'on  auroit  egard  aux  pre- 
tentions qu'il  pourroit  avoir  sur  les  charges  qui 
avoient  vaquepar  la  mort  de  son  beau-frere. 

Les  choses  etant  en  cet  etat,  rien  ne  donnoit 
de  la  peine,  a  ceux  qui  avoient  I'administration, 
que  la  liberie  que  le  parlement  se  donnoit  de 
rendre  des  arrets  qui  aulorisoient  la  compagnie 
en  abaissant  leconseil  du  Roi.  Quoique  la  cour 
eut  fait  exiler  ceux  qui  s'etoient  le  plus  dislin- 
gues  par  leur  emportement,  elle  n'avoit  pas 
laisse  de  souffrir  que  I'autorile  royale  eut  ete 
mepiisce  ,  en  ce  que  les chambres  avoient  cesse 
de  rendre  la  justice  ,  et  que  le  parlement,  non 
content  d'avoir  faitdessupplicationspour  le  rap- 
pel  de  ses  confreres,  avoit  declare  que  leur  exil 
etoit  injuste  et  nul ;  que  la  compagnie  etant  seule 
en  droit  de  corriger  ceux  qui  en  eloient,  ils  ne 
pouvoient  ni  ne  devoient  plus  travailler  aux  ju- 
gemens  des  proces  pendans  en  la  cour.  Comme 
on  manda  a  cette  compagnie  de  faire  ce  que  la 
conscience  et  ses  obligations  exigeoient ,  elle  re- 
cut  en  apparence  avec  respect  Ics  ordres  du  Roi, 
et  par  mepris  se  dispensa  d'y  obeir. 

Soit  que  les  plus  considerables  du  corps  vou- 
lussent  avoir  encore  plus  d'autorite  que  n'en  avoit 
le  cardinal, dont  la  puissance  leur  deplaisoil,  ou 
qu'ils  eussent  dcssein  d'augmenter  la  leur  dans 
les  desordres  de  I'Etat ,  ils  n'appuyoienl  point, 
comme  ils  y  etoient  obliges  ,  les  deliberations 
qui  se  prenoient  dans  le  conseil.  lis  recevoient 
les  visiter  de  ceux  dont  les  actions  etoient  bla- 
mees;  et,  ayant  I'esprit  plein  de  leurs  raisons , 
ils  les  venoient  debiler  au  conseil :  de  maniere 
que  I'autorite,  d'une  part,  et  la  foiblesse  du 
ministere,  de  I'autre,  causoient  de  continuels 
desordres.  Pour  lesapaiser  on  accorda  au  parle- 
ment cequ'il  demanda,  c'est-a-dire,  que  ceux 
d'entre  la  compagnie  qui  auroient  ete  exiles  par 
des  lettres  de  cachet  seroient  rappelos  par  d'au- 
tres  lettres  dans  I'exercice  de  leurs  charges. 

Le  cardinal,  croyant  regner  par  cette  maniere 
foible,  et  nc  voyant  pas  qu'il  succomboit,  ne 


BELiXIEME    V 

s'occupa  a  lieii  avec  taut  do  soiu  qifa  tfnii" 
dans  la  division  et  en  jalousie  ccux  qui  etoient 
dans  le  service ,  avancant  et  invcntant  iiardi- 
nient  ce  qui  pouvoit  les  animer  les  iins  contre 
ies  aiitres.  I!  se  conduisoit  avec  les  princes  avec 
plus  de  retenue.  II  seservoitde  leurs  creatures 
pour  empecherqu'ils  ne  fussent  unis.  II  n'y  avoit 
point  de  graces  qu'il  ne  promit  a  I'abbe  de  La 
Riviere  (1)  et  a  ceux  qui  etoient  en  liaison  avec 
M.  !e  prince  :  et  quand  il  arrivoit  quelque  me- 
contenteraent  avec  celui-ci  et  M.  le  due  d'Or- 
leans ,  celui  dont  chacun  d'eux  se  tenoit  assure 
se  meloit  de  les  accommoder. 

Quelques  considerations  ayant  oblige  Son 
Altesse  Royale  a  ne  plus  alkr  a  I'armee,  le 
commanderaenten  fut  donneau  prince  de  Conde. 
A  peine  ce  prince  y  fut-il  arrive  qu'il  s'avanca 
dans  le  pays  de  I'eiHiemi ,  qui ,  n'ayant  pas  ose 
en  venir  a  une  bataille  ,  se  campa  avantageu- 
sement.  Le  prince  s'etant  avance  demeura  en 
presence  ,  croyant  attirer  au  combat  I'ennemi ; 
maisil  ne  changea  point  la  resolution  qu'il  avoit 
prise  de  leviter  :  ce  qui  obligea  ce  prince  a  de- 
fderet  a  se  retirer.  II  i'entreprit  en  plein  jour; 
et  Tennemi ,  ayant  voulu  proiiter  de  I'occasion, 
attaqua  son  arriere-garde  et  la  mit  en  deroute. 
Le  prince  de  Conde  accourut ,  fit  avancer  ses 
troupes  et  defit  I'armee  ennemie ,  signalant  son 
courage  et  sa  capacite  dans  cette  fameuse  jour- 
nee  de  Lens;  car  c'est  la  qu'il  remportaune  vic- 
toire  des  plus  completes. 

Cependant  le  cardinal ,  anime  par  quelques 
personnes  de  la  cour,  crut  que  I'occasion  etoit 
favorable  pour  prendre  une  autorite  absolue.  Au 
lieu  qu'il  se  contentoit  auparavant  de  faire  exi- 
ler  les  officiers  du  parlement  dont  il  n'etoit  pas 
satisfait,  il  resolut  de  faire  arreter  le  sieur 
Pierre  Broussel.  Le  marechal  de  La  Meilleraye 
fut  du  meme  avis;  et  afin  que  la  chose  fit  plus 
d'eclat ,  il  voulut  que  remprisonnement  se  fit  le 
jour  que  le  Te  Deuin  seroit  chante  dans  I'eglise 
de  Paris,  en  actions  de  graces  de  la  victoire  rem- 
portee  par  le  prince  de  Conde.  Apres  done  que 
le  Roi  fut  sorti  de  Notre-Dame ,  I'ordre  d'arreter 
Broussel  fut  donne  a  Coraminges,  lieutenant  des 
gardes  de  la  Reine,  qui  Texecuta  avecautantde 
courageet  d'experience  qu'il  en  falloit  dans  I'en- 


(1)  Louis  Barbier  (5toit  favori  dc  Gaston,  due  d'Or- 
lOans.  (A.  E.) 

(2)  On  verra  par  la  d(?peche  suivante  adrcss^e  au  comte 
(I'Alaix  et  aux  autres  gouverneurs  des  provinces  par  le 
secretaire  d'Etat  des  commandemens  du  Roi ,  comte  de 
Brienne,  sous  quelle  apparence  insignifiarite  les  miiiis- 
tres  s'empresserent  d'expliquer  aux  gouverneurs  des 
provinces  etaux  anibassadeurs  de  France  pres  les  cours 
elrangcres,    un   mouvement  populairo ,  qui  suspendit 


\KT1E.   [lf>J8j  ,),, 

droit  ou  devoit  arreter  Broussel,  qu'il  iit  mon- 
ter  dans  un  carrosse  pour  le  conduire  au  lieu 
ordonne. 

Le  bruit  de  la  detention  de  ce  magistral  se 
repandit  bientot  dans  Paris ,  parce  que  Broussel 
etoit  fort  aime  dans  son  quartier,  et  qu'en  plu- 
sieurs  occasions  il  avoit  ete  regarde  comme  le 
tribun  du  peuple ,  qui  prit  les  armes  et  com- 
menca  a  faire  des  bari'icades  aux  environs  de 
I'Arcbeveche.  La  Reine,  en  etant  avertie,fit  dou- 
bler  la  garde  ;  mais  on  laissa  aux  capitaines  la 
liberte  de  se  porter  comme  ils  le  jugeroient  k 
propos:et  cela  arrive  ordinairement  quand  des 
gens  sans  experience  commandent. 

L'archeveque  de  Corinthe  ,  coadjuteur  de 
Paris,  prelatdont  I'ambition  etoit  extreme,  trou- 
vant  que  I'occasion  se  presentoit  de  se  faire  va- 
loir  a  la  cour,  ou  croyant  par  la  s'acquerir  I'a- 
mitie  du  peuple ,  se  fit  voir  par  la  ville ,  et  paria 
comme  s'il  eiit  voulu  apaiser  ces  troubles  sur 
lesquels  il  6tablissoit  pourtant  sa  fortune.  Use 
rendit  au  Palais-Royal ,  de  meme  que  le  parle- 
ment, et  se  persuada  qu'il  falloit  faire  dire  au 
peuple  et  aux  bourgeois  qu'ils  devoient  se  bar- 
ricader  pour  assurer  leurs  vies  et  leurs  biens.  Le 
parlement  et  les  officiers  de  la  ville  n'eurent 
pas  le  temps,  ou  peut-etre  la  volonte  de  s'y  op- 
poser.  L'ordre  fut  done  delivre  et  execute  •  et 
la  compagnie,  apres  avoir  delibere  dans  le  Palais- 
Royal  ,  tira  parole  de  la  liberte  de  Broussel ,  qui 
fut  elargi  des  le  lendemain.  Le  chancelier,  qui 
avoit  eu  ordre  d'aller  au  parlement,  couriit 
risque  de  la  vie ,  et  fut  reduit  a  se  refugier  dans 
Thotel  de  Luynes,  d'ou  il  fut  tirti  par  le  mare- 
chal de  La  Meilleraye.  Celui-ci  fut  a  la  fin  de 
meme  avis  que  les  autres  du  conseil ,  qui  etoit 
de  mettre  en  liberte  Broussel  et  de  calmer  In 
ville;  mais  il  y  eut  quelques  personnages  plus 
fcclairesou  pins  fermes,  qui  dirent  a  la  Reine 
qu'il  ne  le  falloit  rendre  qu'apres  I'avoir  fait 
etrangler  :  jugeaut  bien  que  I'aulorite  etoit  abat- 
tue  ,  puisque  Ton  se  relachoit  de  ce  que  Ton 
avoit  entrepris.  C'est  ce  que  la  cour  fit  assez 
connoitreen  se  retirant  a  Ruel  et  puis  a  Salnt- 
Germain-en-Laye,  oil  le  prince  de  Conde  se 
rendit  (2). 

Le  parlement  y  envoya  des  deputes  qui  firent 


I'autorit^  royale  pendant  plusieurs  jours  dans  la  capi- 
tale  du  royaume,  forfa  la  cour  a  capituler  et  a  rendre 
les  prisonniers  qu'elle  avail  si  maladroitement  fait  ar- 
reter. 

....  «  J'ajouste  ce  qui  s'est  passd  ces  irois  der- 
niers  jours  en  cette  ville,  selon  la  verite  ,  afin  que  vous 
ayez  de  quoi  lu  faire  cognoistre  et  faire  cesser  toijs  les 
faux  bruits  qui  pourroient  estre  mandes  au  contraire. 

»  Leurs  Ulajcsles  ayant  grand  subjet  de  r(^priiiier  la 


100 


MEMOIRES    DL    COMTE    UE    BRIEiX'NF.  , 


des  demaiules  entierement  contraires  al'autorite 
royale;  mais  ils  obtinrent  ce  qu'ils  vouliirent , 
pen  de  personnes  s'y  etaiit  opposees.  Le  prince 
de  Conti ,  le  due  de  Longueville  et  plusieurs  au- 
tres  s'ctoient  engages  dans  leur  parti ;  et  M.  le 
due  d'Orleaiis  et  le  prince  deConde,  qui  jusques 
alors  etoient  demeures  attaches  a  celui  du  Roi, 
furent  neanmoins  d'avis  que  la  declaration 
de  164  8  fut  scellee,  par  iaquelle  Sa  Majeste  s'o- 
bligeoit  de  faire  interroger  les  coupables  dans 
les  vingt-quatre  heures,  et  de  remettre  aux 
juges  ordinaires  la  connoissance  des  crimes  des- 
quels  on  pourroit  etre  accuse  a  I'avenir  ,  sans 
avoir  egard  que  cet  article  etoit  entierement  op- 
pose a  I'autorite  royale  ,  et  qu'il  servoit  de  fon- 
dement  a  quantite  d'inconveniens  qui  en  sont 
arrives. 

M.  le  prince  dit  a  la  Reine  qu'elle  prit  bien 
garde  a  ce  qu'elle  feroit,  et  declara  assez  libre- 
ment  au  parlement  qu'il  seroit  pour  lui ,  et  qu'il 
feroit  observer  cette  declaration  si  elle  lui  etoit 
accordee ;  donnant  pourtant  a  entendre  par  ses 
discours  qu'il  la  condamnoit ,  mais  qu'il  vouloit 
se  conserver  du  credit  dans  la  compagnie.  La 
Reine  m'ayant  eommande  d'examiner  cette  de- 
claration ,  je  le  fis  en  homme  qui  ne  pouvoit 
s'eloigner  de  la  fidelite  qu'il  avoit  toujours  con- 

mauvaise  volonl(5  qui  a  paru  en  quelques-uns  du  par- 
lement,  dans  loulcs  leurs  assemblces ,  en  se  rendanl 
directement  contraires  a  ses  volont^s.prirent  resolution, 
mercredi  dernier,  d'arrester  prisonniers  MM.  Broussel, 
Blancinc^nil  et  Charton.  Les  deux  premiers  furent  en- 
leves  hers  de  la  villc  ,  et  le  troisienie  trouva  nioycn  de 
s'eschapper.  Quatre  autres  conseiilers  furent  aussi  rc- 
l^gu^s ,  scavoir :  M.  Lesn6  a  Compiegne  ,  M.  Kcnoist  a 
Senlis,  M.  Loisel  a  Mante,  et  M.  dc  Charny  a  Provins. 
Le  passage  de  ces  prisonniers  esmut  queique  popu- 
lace; ce  qui  obiigea  MM.  les  mareschaux  de  La  Meii- 
leraye  et  de  L'Hospital  d'alier  par  la  ville,  et  apres  leur 
relour,  le  rcste  de  la  journeeetdelanuictdenicuierent 
calmo.  Mais  le  lendomain  survint  un  accident  nouveau 
en  la  personne  de  M.  le  chancelier,  qui ,  s'en  allant  au 
palais .  seion  I'ordre  qu'il  en  avail  regu,  trouva  queique 
obstacle  au  tournant  du  quay  des  Orphevres;  ce  quy 
luy  fit  prenlre  son  cheniin  par  le  Pont-Neuf,  et  le  long 
du  quay  des  Augustins,  oil  quciques  gens  altroupes  le 
suivirent ,  et  par  leurs  discours  icsmoigndrent  en  vou- 
loir  a  luy  ;  ce  qui  I'obligea  d'entrer  dans  I'hosteld'O.  Et 
I'avis  estant  veiiu  a  la  Rtine  ,  elle  commanda  deux  coni- 
pagniesdcs  gardes  pourle  desgager;  et  M.  le  mareschal 
de  La  Meillcraye,  assist^  de  dix  ou  douze  cavaliers, 
voulut  y  aller  pour  ce  mesmc  effet,  ct  le  ramena  au  Pa- 
lais-Royal. Cependant,  pour  sc  garantir  dc  cette  ca- 
naille ,  qui  d(*ja  estoit  au  pillage  de  I'hostel  (TO  ,  et  cm- 
pechcr  (juc  le  desordre  ne  vint  plus  avant ,  les  bour- 
geois prirent  les  armcs  au  quartier  du  Palais,  el  du 
Pont-Nostrc-Dame  ,  et  rue  Saint-llonor(5. 

»  Le  pai  lenient ,  assemble  en  corps ,  vint  au  Palais- 
Royal,  par  ires-hutnbles  remonstrances,  demander  leurs 
prisonniers  et  rcl(?gu{^s,  a  la  Royne  ,  qui  denieura  I'erme 
au  refus  pendant  queique  lenips,  et  a  la  fin,  se  laissant 
'.aincre  par  les  pricresel  supplications  de  la  compagnie, 


serveepour  le  Roi.  Je  repondis  done  a  Sa  Ma- 
jeste :  "  Cette  loi  me  parolt  juste.  »  Etcommeje 
me  regardois  aussi  en  homme  qui  ne  manqueroit 
pas  d'etre  mal  dans  I'esprit  de  ceux  qui  gouver- 
noient  si  je  disois  trop  librement  la  verite,  j'ajou- 
tai  a  la  Reine  :  «  Mais  j'eusse  souhaite  pourtant 
que  cette  loi  eiit  pu  etre  publiee  sous  les  regnes 
precedens.  Je  ne  puis  plus  etre  d'avis  que  le  Roi 
s'y  engage  presentement :  et  il  vaut  encore  mieux 
pour  lui  qu'il  sacrifieune  partie  du  royaume  que 
de  faire  un  tel  prejudice  a  son  autorite.  Cepen- 
dant, si  la  necessite  I'y  reduit  absolument,  le  Roi 
doit  toujours  avoir  intention  de  I'annuller,  et 
de  retablir  cette  merae  autorite  qui,  sans  cela, 
seroit  entierement  abattue. »  Enfin  ,  soit  que  la 
necessite  y  contraignit  ou  que  la  foiblesse  du 
gouvernement  I'emportat,  le  parlement  revinta 
Paris  charge  des  depouilles  de  notre  honte,  et 
enregistra  cette  declaration. 

[  Vers  ce  temps-la ,  nous  recumes  diverses 
nouvelles  importantes  d'Angleterre  et  de  notre 
resident  a  la  Haye.  Les  premieres  portoient  que  ] 
le  general  Cromwel ,  avec  huit  raille  six  cents 
Anglois ,  avoit  livre  bataille'aii  due  d'Amil- 
ton,  commandant  I'armee  d'Ecosse  ,  Iaquelle  es- 
tant forte  de  vingt-deux  mille  homme  ne  laissa 
pas  de  perdre  le  comba»^ ,  trois  mille  etant    de-     I 

consentit  leur  ddlivrance,  a  la  charge  que  la  declaration 
port^e  par  le  Roy  au  parlement  n'y  seroit  plus  conlredite. 
En  marchant  en  corps  vers  le  palais,  ils  trouverent  lou.s 
de  la  difficult^  a  passer,  a  cause  que  le  bourgeois  avoient 
tendu  les  chaisnes,  faitquelques  barricades  a  la  Croix  du 
Tirouer,  de  sorte  qu'ils  retournerent  dans  la  maison  du 
Roy  ou  la  matiere  fut  mise  en  d^libc^ration  par  ceux  du 
parlement,  qui  estoient  au  nombre  de  plus  de  cent  cin- 
quante,  presides  par  M.  le  chancelier,  et  honort^s  de  la 
presence  de  Son  Altesse  Royale  et  de  plusieurs  dues  et 
pairs.  ■ 

»  II  fut  convcnu  que  tres-humbles  remonstrances  se-  * 
roient  faites  a  Sa  Majest(^,  de  la  bont^  qu'elle  avoit  eue  de 
faire revenir leurs  confreres,  et  que  la  declaration  der- 
niere  seroit  ex^cut^e  sans  nouvelie  deliberation  ;  que  la 
compagnie  continueroit  a  rendre  la  justice  jusques  aux 
vacations,  sans  faire  assemblee  deschambres,  que  pour 
procedcr  au  larif  et  au  reglement  des  rentes,  ainsi  qu'il 
avoit  este  fait :  et  toutes  choses  se  sont  paciOees,  de  telle 
facon  que  les  marchands  ont  pose  les  amies ,  ouvert 
leurs  boutiques ,  et  tous  les  artisans  retournerent  a  leur 
travail,  sans  qu'il  y  ait  le  moindre  vestige  d'esmotion. 
La  Reyne  a  use  de  ciemence ;  le  parlement  s'est  mis 
dans  I'obeissance,  et  raulorite  est  demeuree  a  nosire 
maistre. 

»  Je  n'ai  pu  parler  de  I'ordre  qui  doit  eslre  envoye 
pour  le  nouvel  estat  de  la  ville  d'Aix  ;  et  vous  pouvez 
vous  assurer  que  ce  qui  s'est  passe  ici  rendra  Leurs  Ma-  s 
jestes  encore  plus  fermes  a  vouloir  I'execution  de  leurs 
volontes,  taut  en  Provence  qu'ailleurs.  Vous  aurez  done 
a  y  conserver  leur  autorite  ,  et  user  du  pouvoir  que  vous 
avez  par  vostre  naissance  et  par  vosire  charge,  avec  vostre 
courage  et  prudence  accouslumec.  Je  suis ,  etc., 

»    DE   LOMKME. 

»  A  Paris,  ce  28  aoiit  16i8.  » 


DEL.XIEMK    PAUriE. 


I(i-i8l 


101 


meurez  sur  la  place  et  Irois  mille  deraeurez  pri- 
sonniers.  Ce  mauvais  evenement,  qui  fut  au  desa- 
vaiitage  du  roy  d'Angleterre,  ne  divertit  pas  les 
parleraentaires  de  continuer  leur  traite  corame 
nuparavant. 

La  seconde  fut  une  depeche  chiffree  de 
M.  Biasset,  notre resident, qui  m'informoit dun 
projet  de  I'archiduc  sur  Saint-Quentin,  et  d'un 
complot  contre  la  vie  de  M.  le  prince  de  Conde 
et  contre  le  cardinal  Mazarin ;  on  fesoit  aussi 
offrir  de  livrer  a  la  France  le  chateau  de  Tour- 
nay.  Voici  cette  depeche  : 

A  M.  le  comte  de  Brienne. 

«  Monsieur,  quelques  iuterets,  joints  a  ['incli- 
nation de  servir  la  France ,  ont  fait  prendre  reso- 
lution a  un  maistre-de-camp  et  a  son  officier-ma- 
jor  de  declarer  a  quelques  uns  des  ministres  du 
Roy  Tres-Chrestien ,  ce  qui  est  venu  a  leur  co- 
gnoissance,  qui  conserne  entiereraent  Sa  Ma- 
jeste  et  le  bien  de  la  couronne ,  et  de  faire  en  ou- 
tre quelque  proposition  qui  ne  lui  sera  pas  moins 
glorieuse  et  utile  ,  si  elle  reussit. 

"Etpourcesubjet  ont  passe  lesdits  nommezde 
Bruxelles  a  La  Haye,  pour  coramuniquer  avec 
M.  Brasset,  auquel  ilz  ont  faict  entendre  ce  qui 
s'ensuit :  premierement ,  que  des  ehoses  venues 
a  leur  connoissance ,  I'une  etoit  que  depuis  un 
an  I'archiduc  ayant  forme  dessein  sur  Saint- 
Quentin  ,  I'avoit  faict  recognoistre  au-dedans  et 
au-dehors,  etvoyantque  I'entreprendre  a  force 
ouverteillui  estoit  impossible,  il  le  voulut  faire 
par  intelligence ,  et  renouvella  celLe  qu'un  capi- 
taine  Bourguignon  y  avoit  coramencee  du  temps 
du  gouvernement  de  dom  Francisco  de  Mello, 
avec  un  nomme  Caboche ,  bourgeois  et  eschevin 
de  la  ville ;  raais  celuy  qu'il  envoya  a  cet  effect 
ayant  trouve  ledict  Caboche  mort,  il  s'avisa  de 
pratiquer  mi  bote  duquel  il  jugea  I'humeur  et 
la  maison  propres  a  son  dessein. 

"  Cet  bote  ayant  continue  dans  sa  pratique, 
I'affaire  avoit  este  mise  en  terrae  d'execulion  au 
mois  de  juillet  dernier ,  raison  pourquoy  I'ar- 
chiduc, apres  la  prise  d'Ipre  ,  tira  sonarmee  de 
Flandres ,  la  conduisit  en  Haynaut ,  et  fit  avan- 
cer  pour  aller  atteuter  a  la  vie  de  son  Eminence 
le  cardinal  Mazarin,  et  peut-estre  du  prince  de 
Conde :  et  sont  tons  faits  de  la  cognoissance  dudit 
Piguenet. 

"  Quant  a  la  proposition ,  c'est  qu'on  pent  re- 
mettre  le  chasteau  de  Tournay  dans  I'obeissance 
du  Roy  Tres-Chrestien,  aux  conditions  qui  seront 
desduites  et  presentees  par  celuy  que  M.  Brasset 
fcra  conduirea  Paris. »  J 

Le  Roi  continua  a  faire  son  sejour  ordinaire 


a  Saint-Geimaiu-eu-Laye ;  mais ,  se  rendant  aux 
prieres  de  la  Maison-de-Ville ,  il  revint  a  Paris 
la  veille  de  la  Toussnint.  La  Reine  ne  pouvoit 
ouhlier  la  conduite  que  Ton  avoit  tenue  a  son 
egard  ,  et  le  cardinal ,  au  lieu  de  I'apaiser,  lui 
inspiroit  continuellement  la  vengeance  ,  s'etant 
persuade  que  tons  les  grands  ne  manqueroient 
pas  de  prendre  son  parti.  Maisil  etoit  bien  mal 
informe  de  ce  qui  se  passoit ;  car  il  ignoroit  que 
le  prince  de  Conti  et  M.  de  Longueville  avoient 
pris  des  engagemens  avec  le  parlement ,  et  que 
le  due  de  Bouillon  n'etoit  point  content  de  ce 
qu'on  ne  I'avoit  pas  encore  mis  en  possession  des 
domaines  qui  lui  avoient  ete  promis  en  echange 
de  Sedan.  11  ne  savoit  pas  non  plus  que  M.  de 
Tureune  suivroit  les  mouvemens  de  son  frere  , 
et  il  le  laissoit,  cependant,  commander  I'armee 
d'Allemagne  ,  et,  pour  mieux  cacher  le  dessein 
qu'il  avoit  de  se  venger  de  Paris ,  il  permettoit 
que  toutes  les  ehoses  dont  cette  capitale  avoit 
bcsoin  pour  sa  subsistance  y  entrassent.  Cepen- 
dant il  projetoit  d'en  faire  sortir  le  Roi  et  de  faire 
venir  des  troupes  auxquelles  on  donneroit  la  li- 
berte  de  piller  les  lieux  voisins  ,  etant  persuade 
qu'elles  retourueroient  volontiers  au  camp  apres 
s'etre  enrichies  de  depouilles. 

II  proposa  a  ses  plus  intimes  amis ,  du  nombre 
desquels  etoit  le  marechal  de  La  Meilleraye,  de 
se  retirer  de  Paris  ou  bien  de  s'en  rendre  mai- 
tres :  ce  qui  souffroit  sa  dilficulte  de  part  et  d'au- 
tre.  Le  prince  de  Conde  et  le  marechal  furent 
du  second  avis ,  prevoyant  bien  que  I'exil  de 
quelques  conseillers  et  la  detention  de  plusieurs 
autres  retabliroient  I'autorite  royale  et  remet- 
troient  le  calme  dans  la  ville.  M.  le  due  d'Or- 
leans  n'approuvoit  ni  Tun  ni  I'autre  de  ces  avis, 
et  M.  le  prince  s'etoit  reuni  a  lui  pour  empecher 
la  sortie  du  Roi ,  a  laquelle  la  cour  paroissoit  re- 
solue. 

Ce  fut  en  ce  temps-la  que  le  cardinal  fit  arre- 
ter  prisonnier  et  conduire  au  Havre  un  oliicier 
du  parlement ,  parce  qu'apres  lui  avoir  conseille 
de  faire  arreter  Broussel ,  et  ayant  ensuite  loue 
la  resolution  que  Son  Eminence  en  avoit  prise , 
jusqu'a  I'animer  continuellement  contre  plusieurs 
autres  membres  de  la  compagnie ,  il  ne  laissoit 
pas  de  les  avertir  de  ce  qui  avoit  ete  resolu,  et 
qu'ainsi  une  pareille  perfidie  ne  devoit  point  etre 
dissimulee.  Le  parlement  s'en  chociua ,  et  fit  des 
remontrances  pour  son  elargissement.  Cependant 
M.  le  prince  avoit  obtenu  la  cession  et  le  don 
des  lettres  de  Stenay,  Clermont  et  autres  places; 
j'eus  ordre  de  les  expedier  et  de  les  lui  porter. 
J'avois  pris  plusieurs  fois  la  liberte  de  repiesen- 
ter  a  la  Reine  qu'elle  excedoit  son  pouvoir,  et 
qu'elle  pourroit  bien  s'en  repentir  un  jour,  le 


lo-i 


A!EN!Oir.lS    1)U    COMTi'     UK    liUlE^^E, 


Regent  pouvant  tout  faire  ii  favantage  de  son 
peuple ,  maisnou  pas  en  deteriorer  la  condition. 
J'allai  done,  comme  il  m'avoit  ete  ordonne,  chez 
M.  le  prince  ,  qui  me  retint,  ayant  en  vie  de  me 
pressentir  sur  ce  qui  se  passoit  :  et  comme  il 
commenca  a  entamer  le  discours  assez  librement, 
je  lui  repondis  avec  la  meme  liberte  que  ce  se- 
roit  a  lui  a  qui  je  m'adresserois  pour  savoir  ce  qui 
se  passoit ,  si  je  pouvois  me  flatter  qu'il  eut  tou- 
jours  pour  moi  la  meme  conliauce  dont  il  m'a- 
voit honore  jusques  alors ;  et  que  d'ailleurs  il  sa- 
voit  que  j'avois  si  peu  de  part  aux  affaires,  que 
je  ne  pouvois  pas  satisfaire  sa  curiosite,  a  moins 
qu'il  ne  voulut  se  fier  a  moi  autant  que  tout  le 
monde  etoit  persuade  qu'il  le  faisoit;  et  sur  ce 
qu'il  me  dit  qu'il  folloit  lui  parler  plus  ouverte- 
ment :  « Je  ne  craindrai  point,  lui  repliquai-je  , 
pour  vous  obeir ,  de  m'avancer,  et  de  vous  dire  que 
la  peur  du  cardinal  fera  sortir  le  Roi  de  Paris; 
a  quoi  vous  consentirez,  vous  et  Monsieur:  ce 
qui  sera  la  mine  du  royaume.  -  Nous  ne  som- 
mes  point,  me  dit-il ,  Monsieur  ni  moi,  cnpa- 
bles  d'un  si  pernicieux  conseil ;  car  il  faudra  que 
le  cardinal  prenne  confiance  dans  notre  credit. 
—  La  peur,  lui  ajoutni-je  alors ,  en  est  incapa- 
ble, et  vous  ne  manquerez  point  d'avoir  cette 
complaisance  pour  le  cardinal,  —  ParDieu,  te- 
nez-moi ,  reprit-il  en  jurant,  pour  un  schelme  si 
jeconsens  que  le  Roi  se  retire  de  Paris. — Sou- 
venez-vous  de  ce  que  vous  affnmez ,  lui  dis-je, 
car  je  suis  assure  que  Votre  Altesse  suivra  les 
sentimens  du  cardinal. 

Ce  prince  ayant  ete  conseille  de  poursuivre 
au  parlement  I'enregistrement  du  don  que  le  Roi 
lui  avoit  fait ,  madame  de  Lorraine  s'y  rendit 
opposante ,  et  y  fut  recue;  dont  M.  le  prince  se 
tint  si  offense ,  qu'il  prit  alors  la  resolution  de 
sejoiudreau  cardinal.  Celui-ci ,  se  trouvant  ap- 
puye  de  I'avis  du  prince,  persista  de  plus  en  plus 
a  vouloir  que  le  Roi  sortit  de  Paris;  mais  ceci 
ne  se  trouva  pas  du  gout  de  M.  le  due  d'Or- 
leans,  qui  n'etoit  pas  fache  de  I'arret  qui  avoit 
ete  rendu  par  le  parlement.  Car,  quoiqu'il  ne 
lut  pas  satisfait  de  la  conduite  de  M.  de  Lor- 
raine, il  ne  laissoit  pas  de  prendre  part  a  ses 
interets,  a  cause  de  I'amitie  qu'il  avoit  pour  sa 
femme ,  qui  etoit  soeur  de  ce  souverain.  Cepen- 
dant  la  Reine,  ayant  entrepris  d'attirer  Mon- 
sieur dans  ses  sentimens,  I'alloit  visiter  sou- 
vent,  et  gagna  I'abbe  de  La  Riviere  ,  qui  lui 
conseilla  de  le  faire.  M.  le  due  d'Orleans  lui  re- 
montra  d'abord  la  necessite  qu'il  y  avoit  de  re- 
primer  I'audace  des  Parisiens  et  du  parlement ; 
mais  enfin  il  se  rendit,  n'ayant  pas  la  foice  de 
se  delendre  ,  et  par  une  fatalite  qui  a  pense 
perdre  I'Ktat. 


La  chose  ne  fut  dite  qu'a  ceux  qu'on  nom- 
nioit  les  confidens ,  c'est-a-dire  a  M.  le  due  d'Or- 
leans, au  prince  de  Conde,  au  marechal  de  La 
Meilleraye  et  a  M.  Le  Tellier.  Elle  fut  executee 
avec  tant  de  precipitation  et  d'imprudence,  que, 
le  jour  meme  que  le  Roi  se  rendit  a  Saint-Ger- 
main, on  trouva  qu'il  n'y  avoit  point  d'argenta 
I'epargne.  Les  flatteurs,  dont  les  cours  des  prin- 
ces sonttoujours  renipiies,  louerent  la  resolution 
qui  avoit  ete  prise,  aussi  bien  que  les  foibles  et 
les  interesses ,  pour  s'aquerir  les  bonnes  graces 
de  ceux  qui  pouvoient  contribuer  a  leurs  fortu- 
nes ;  mais  les  gens  de  bien  plaignirent  I'Etat  et 
prirent  la  liberte  d'en  dire  leurs  raisons  a  la 
Reine. 

[1649]  L'ordre  m'ayant  ete  donne  d'aller  a 
Saint-Germain,  le  jour  des  Rois,  a  six  beures  du 
matin  ,  je  n'y  obeis  qu'apres  avoir  ete  a  la  messe 
demander  a  Dieu  qu'il  prit  le  Roi  sous  sa  pro- 
tection et  qu'il  I'assistat  de  son  conseil,  puisque 
ceux  de  qui  il  pouvoit  en  esperer  de  salutaires 
avoient ,  par  un  aveugiement  extreme ,  mis  les 
affaires  en  un  point  qu'on  en  pouvoit  craindre 
la  perte  de  I'Etat.  Je  fus  un  de  ceux  a  qui  la 
Reine  voulut  justifier  ce  qu'elle  avoit  fait,  en 
me  disant  que  je  la  louois  sans  doute.  Je  repon- 
dis a  Sa  Majeste  que  ,  comme  les  raisons  de  la 
louer  m'etoient  inconnues,jene  pouvois  ni  louer 
ni  blamei  ce  qui  avoit  ete  fait ;  mais  que ,  par  le 
respect  que  javois  pour  elle,  j'etois  persuade 
que  ce  qu'elle  avoit  entrepris  etoit  entrepris  a 
bonne  fin;  que  cependant  le  peu  de  lumieres 
que  j'avois  me  faisoit  craindre  les  suites,  parce 
qu'apres  la  complaisance  que  les  princes  avoient 
eue  pour  le  cardinal ,  ils  croiroient  qu'il  ne  pour- 
roit  plus  leur  refuser  aucune  grace,  et  que  Sa 
Majeste  elle-meme  auroit  bien  de  la  peine  a  s'en 
delVndre  ,  quelque  injuste  que  put^tre  leur  de- 
mande.  « J'ai  vusouvent,  continual- je,  un  ava- 
ricieux  ,  presse  du  desir  d'augmenter  sou  bien  , 
hasarder  cent  mille  ecus,  dans  I'esperance  d'en 
gagner  autant ;  mais  de  mettre  son  argent  con- 
tre  rien  ,  de  ma  connoissance  cela  n'est  arrive  a 
personne.  Le  royaunve  est  en  peril  par  la  demar- 
che quC'  Votre  Majeste  vient  de  faire  ,  et  Ton 
verra  des  villes  et  des  provinces  entieresse  sou- 
lever,  parce  qu'elles  se  reglerontsur  ce  que  Paris 
fera.  Et  puisque  Votre  Majeste  agree  ma  liberte, 
je  prendrai  celle  de  lui  dire  que  la  peur  et  I'in- 
teret  ont  ete  les  bases  sur  lesquclles  tout  ceci  a 
ete  entrepris.  Ce  sont  la  les  piusdangereux  con- 
seillers  qu'un  prince  puisse  ecoutcr.  »  A  peine 
eus-je  temoigue  qu'il  etoit  lache  et  honteux  d'a- 
voir peur,  que  Ton  me  proposa  de  rentrer  dans 
Paris  pour  une  affaire  si  importante,  a  la  verite, 
qu'elle  ne  pouvoit  ctrc  conflee  a  un  gentilhomme 


DEUMEME    PAllTili.    [  1(349] 


t03 


particulier  comiiie  a  moi.  II  s'ligissoit  de  conso- 
ler la  reiiie  d'Anglelerre ,  et  de  {'assurer  que  le 
Roi  preiidroit  ton  jours  beaucoup  de  part  aux  in- 
terets  de  sa  maison.  Quelques-uns  de  mes  amis 
furent  surpris  du  parti  que  je  pronois,  et  me  de- 
maiiderentsi  j'y  avois  bien  pense,  Je  leiir  repon- 
dis  qu'oui ,  et  qu'ayaut  blame  la  peur  dans  les 
autres,  je  blesserois  ma  reputation  si  j'en  fai- 
sois  paroltre.  «  Le  de  est  jete  :  je  suis  resolu 
de  voir  ce  qu'il  amenera. » 

Le  marechal  de  Villeroy,  que  je  trouvai  etonne 
de  ce  qui  avoit  ete  fait ,  quoique  vraisemblable- 
ment  il  y  eiit  part ,  m'ayant  demande  en  parti- 
culier ce  que  je  prevoyois  que  feroient  les  Pari- 
siens ,  et  (juel  parti  je  croyois  qu'on  diit  prendre 
pour  sortir  de  ce  mauvais  pas:  «Vous  ne  tarde- 
rez  point ,  lui  repondis-je  selon  mon  sentiment,  a 
avoir  bientot  les  gens  du  roi  du  parlement  qui 
vous  demanderont  quelle  raison  a  oblige  Sa  Ma- 
jeste  de  sortir  de  Paris  pendant  la  iniit ,  et  qui 
Tinviteront  a  y  rentrer.  lis  offriront  d'eu  chas- 
ser  ceux  dont  la  conduite  a  deplu.  Si  Ton  savoit 
menager  les  esprits,  on  trouveroit  son  salut  dans 
une  grande  faute ;  mais  si  Ton  s'emporte,  comme 
je  suis  persuade  que  Ton  fcra ,  on  tombera  dans 
la  guerre  civile ,  et  Paris  ne  manquera  ni  d'bom- 
mes  ni  d'argeut  pour  se  defendre.  Tantde  villes 
se  trouveront  interessees  a  la  conservation  de 
cette  capitale,  qu'ellesprendront  lesarmesen  sa 
taveur.  Si  vous  ne  pouvez  obtenir  qu'on  prenne  en 
bonne  part  ce  qu'iis  diront ,  empechez  du  moins 
qu'on  ne  rompe  avec  eux;  car,  pourvu  que  le 
fuseau  tienne  a  un  fil ,  nous  le  tournerons  si 
bien, que  nous  garantirons  la  mouarchie  du  pre- 
cipice dans  lequel  on  I'a  jetee. » Au  lieu  de  pren- 
dre ce  temperament,  la  Reine  s'emporta  et  me- 
naca  de  cbatier  ceux  qu'elle  croyoit  coupables ; 
et,  dans  le  meme  instant,  on  fit  avancer  des 
troupes  pour  investir  Paris.  J'y  arrival  sur  le 
soir,  et  je  ra'y  acquittal  de  ce  qui  m'avoit  ete 
ordonue.  J'y  fus  visite  par  les  presidens  de  Bel- 
lievre  et  de  Nesmond  ,  qui  eussent  bien  desire 
de  savoir  ce  que  le  Roi  vouloit,  afm  de  contri- 
buer  a  lui  donner  satisfaction  ,  mais  en  me  lai- 
sant  entendre  pourtant  que,  si  Ton  en  venoit  a 
la  derniere  extremite,  ils  ne  pourroient  s'empe- 
eher  d'opposer  une  defense  legitime  a  une  op- 
pression sans  exemple,  II  leur  paroissoit  injusle 
qu'un  particulier  ayant  fait  une  faute  ,  on  en  fit 
une  querelle  publique,  et  que  Ton  affectat  une 
vengeance  qui  ne  pouvoit  qu'etre  tyrannique  et 
desagreable  a  Dieu.  M'etant ,  des  le  lendemain , 
dispose  a  sortir  de  Paris  pour  retourner  a  Saint- 
(jiermain  ,  j'appris  que  les  avenues  du  faubourg 
eloieut  gardees  ,  mais  qu'il  y  avoit  toujours  un 
moyen  de  gagner  la  campagne  en  passant  par  des 


rues  que  la  riviere  avoit  inondees.  Je  les  lis  recon- 
noitre; et  sur  le  rapport  d'un  gentilhomme  qui 
avoit  sonde  I'eau  ,  par  ou  on  pourroit  remonter 
dan.s  une  rue  plus  baute ,  je  voulus  basarder  de 
passer  par  cet  endroit.  INIais  des  personnes  sa- 
ges m'en  detournerent ,  en  me  disant  que  si  je 
demandois  un  passeport  au  prevot  des  marchands 
qui  avoit  la  conduite  de  la  ville ,  il  ne  me  le  re- 
fuseroit  pas,  et  que  j'en  sortirois  librement.  Je 
me  rendis  a  leur  avis  ,  et  j'obtins  le  passeport  qui 
me  fut  pourtant  inutile ,  la  populace  nous  ayant 
pousses ,  sans  nous  permettre  seulement  d'aller 
au  corps-de-garde ,  ou  nous  devious  le  montrer 
au  commandant.  Heureusement  Dieu  conserva 
la  raison  a  I'abbe  de  L'Escalle;  car  sans  cela 
nous  eussions  ete  tues ,  quelques  gentilsbommes 
et  moi ,  parce  que ,  nous  sentant  pousses  et  nos 
chevaux  frappes ,  nous  eumes  envie  de  tourner 
bride ;  mais  nous  suivimes  le  conseil  de  cet  abbe, 
et  nous  fumes  tous  surpris  de  trouver  les  cbaines 
levees  et  le  cbemin  de  notre  retraite  coupe.  Nous 
presentames  les  cbaines  a  nos  chevaux ,  qui 
les  franchirent.  En  nous  retirant ,  nous  vimes 
la  viile  tout  en  emeute,  et  le  peuple  dans 
le  dessein  d'arreter  les  serviteurs  du  Roi , 
qu'on  appeloit  Mazarins ,  pour  les  rendre  plus 
odieux. 

Je  trouvai  un  officier  de  ma  connoissance  qui 
comraandoit  la  garde  de  mon  quartier,  auquel 
ayant  montre  mon  passeport ,  il  permit  de  me 
laisser  sortir,  pourvu  que  je  me  rendisse  avant 
quatre  beures  proche  du  poste  ou  il  comman- 
doit.  L'envie  que  j'avois  de  me  rendre  aupres  du 
Roi  me  fit  prendre  ce  parti ,  et  cet  officier  me 
tint  parole.  Quand  je  fus  a  Saint-Germain,  je 
trouvai  que  la  guerre  y  etoit  resolue ,  et  qu'on  se 
mettoit  peu  en  peine  de  ce  qui  arriverolt  aux 
serviteurs  du  Roi.  On  y  faisoit  meme  des  rail- 
leries de  ceux  qui  s'exposoient  a  quelque  peril 
pour  s'y  rendre;  et  eufin  ,  comme  si  Dieu  avoit 
ordonne  la  mine  de  I'Etat,  il  fut  resolu  ,  pour 
intimider  la  ville  de  Paris,  de  la  faire  sommer 
par  un  heraut  que  ceux  qui  commandoient  em- 
pecherent  d'entrer. 

[  En  meme  temps,  je  fus  charge  d'ecrire  a 
monsieur  Davaugour  pour  I'informer  qu'on  ra- 
massoit  le  plus  de  force  qu'il  estoit  possible, 
pour  reduire  ceux  du  parlement  et  du  peuple  de 
Paris  qui  s'opiniatroient  dans  la  rebellion , 
qu'il  faloit  reprimer  pour  conserver  I'autorite 
royale,  et  lui  recommander  de  travailler  a  ce 
que  nous  ayons  le  plus  qu'il  se  put  des  trouppes 
etrangeres,  et  que  tout  fut  si  bien  conduit, 
que  nous  en  tlrions  le  fruit  que  Ton  esperoit.  Je 
lui  disois  aussi  que  :  -  Les  autres  parlemens  , 
villes   el  provinces    du  royaume  demeuroient 


iO( 


MEMOIWES    uV    COAITE    l)E    \il\lEMSV. 


fermes  dans  I'obeissance  (l),  si  bien  qiril  n'y 
auroit  rien  qui  empescha  an  Roy  de  faire  sentir 
a  cette  ville  celebre  de  Paris  le  poids  de  sa 
main  de  justice  et  de  chastiment ;  et  apres  cela , 
que  nous  serions  plus  puissamment  armez  pour 
la  campagne  prochaine ,  et  les  Espagnols  n'au- 
ront  pas  les  avantages  qu'ils  pensoient  de  nostre 
division  ,  qui  sera  bientost  assoupie,  pour  aller 
centre  eux  avec  plus  de  force;  qu'il  ne  faioit 
point  que  nos  eunemis  s'immaginassent  tirer 
avantage  du  desordre  present  de  nos  affaires  , 
ear  elles  se  releveront  en  peu  de  jours  a  leur 
confusion,  ceux  de  Paris  estant  en  estat  de 
craindre  un  chastiment  plus  rigoureux,devoient 
avoir  bientost  recours  a  la  bonte  et  a  la  cle- 
mence  de  Leurs  Majestes  par  la  voye  de  la  sou- 
mission  et  de  I'obeissance ,  ne  pouvant  plus 
long-temps  demeurer  en  leur  opiniastrete ,  sans 
tomber  dans  une  rulne  inevitable  ;  et  qu'ils 
estoient  persuades  de  leur  foiblesse,  puisque 
deux  mille  cinq  cens  hommes  enfermes  dansCha- 
renton  avoient  ete  forces  ,  a  la  vue  de  six  mille 
Parisiens ,  qui  n'oserent  attaquer  nos  trouppes 
pour  deffendre  les  leurs.  II  est  vrai  que  Son  Al- 
tesse  Royale  et  monseigneur  le  prince  de  Conde 
y  estoient  en  personne ,  et  que  rien  ne  leur 
pouvoit  resister;  mesme  qu'un  grand  convoi , 
qui  vouUoit  entrer  dans  Paris ,  fut  entierement 
deffait  par  les  soins  de  Son  Altesse  et  du  prince 
de  Conde,  se  trouvant  toujours  ou  il  y  a  de  la 
gloire  a  acquerir  et  des  avantages  a  eraporter 
sur  les  ennemis  du  Roy.  » 

Enfin  le  Roi  ecrivit  aussi  a  Sa  Salntete  pour 
I'informer  de  ses  projets  contre  Paris ,  par  la 
lettre  suivante  : 

«  Tres-Saint  Pere,  comme  Vostre  Saintete 
a  interest  a  la  conservation  de  cette  monarchic , 
qui  a  tousjours  recu  beaucoup  d'assistance  du 
Saint-Siege ,  lorsqu'elle  a  este  esbranlee  par  les 
emotions  civilesqui  s'y  sont  formees  en  divers 
temps ,  nous  avons  creu  estre  a  propos  de  Tin- 
former  presentement  des  justes  raisons  de  lem- 
ploy  de  nos  armes  contre  ceux  du  parlement 
qui  est  en  nostre  ville  de  Paris.  C'est  pourquoy 
nous  escrivons  celle-ci ,  par  I'advis  de  la  Reyne 
regente  ,  madame  ma  mere  ,  a  Vostre  Saintete, 
pour  lui  faire  scavoir  que  ceste  corapagnie ,  par 
plusieurs  attentats  contre  nostre  autorite ,  s'est 
inconsideremment  precipitee  dans  le  crime ,  et , 


(1)  On  trouvre  encore  parmi  les  papicrs  de  Brienne 
les  letlrcs  que  Louis  XIV  Ecrivit  au  prince  Charles  pa- 
latin  et  a  la  reinc  de  Suede  ,  pour  faire  passer  d  son 
service  toutes  leurs  troupes ,  lorsqu  elles  seront  ar- 
rivees,  en  execution  du  traitede  paix,  pour  qu'il  ait 
plus  de  force,  pour  s'en  servir  n  reduire  quclques-uns 
dc  mes  offuiers  cl  sujets  de  ma  ville  vapitale  a  leur 


pour  s'y  mettre  a  convert  du  chastiment,  a  sus- 
cite  la  revolte  ger.erale  de  tous  les  habitans  ,  qui 
se  sont  interesses  dans  leur  cause,  et  ont  attire 
a  leur  pnrti  un  prince  de  nostre  sang  et  quelques 
officiers  de  nostre  couronne,  qui,  contre  les 
obligations  de  leurs  naissances  et  de  leurs  ser- 
mens,  travaillent  maintenant  a  la  detruire.  Et 
pour  colorer  davantage  leur  rebellion  ,  qui  a 
son  fondement  dans  leur  propre  ambition  ,  ils 
ont  tourne  leurs  plaintes  contre  nostre  tres-cher 
et  tres-ame  cousin  le  cardinal  Mazarin ,  pre- 
mier ministre  de  nostre  Estat,  qu'ilz  ont  accuse 
d'estre  nostre  ennemi  et  perturbateur  du  repos 
public ,  afm  de  I'exposer  aux  yeux  du  monde 
coupable  de  la  faute  qu'ils  commettent  eux- 
mesmes;  sous  ce  faulx  pretexte,  se  sont  engages 
a  soustenir  par  les  armes  la  demande  qu'ils  font 
de  son  esloignement ,  corame  si  des  subjets 
avoient  quelques  droits  de  contraindre  leur  sou- 
verain  au  choix  des  personnes  a  qui  il  confie  le 
soing  de  ses  affaires.  Cependant  ils  ont  or- 
donne  des  levees  de  gens  de  guerre  et  de  de- 
uiers ,  et  par  diverses  circulaires  recherche  d'u- 
nir  les  autres  parlemens  et  les  principales  villes 
de  nostre  royaume,  pour  en  avancer  la  desola- 
tion ,  pensant,  dans  un  si  grand  exces  de  confu- 
sion ,  mieux  establir  leur  puissance  et  aneantir 
la  nostre.  Ainsi,  pour  esviter  un  plus  grand  pe- 
ril ,  Dous  nous  somraes  resolus  de  bloquer  cette 
ville  rebelle,  et  de  faire  cognoistre  a  nos  amis 
subjects,  aux  princes  nos  allies,  et  a  Vostre 
Saintete  mesme,  comme  quoy  nous  somraes 
tombes  dans  cette  necessite  fatale  d'employer 
nos  principales  forces  a  flechir  des  coeurs  ob- 
stines,  qui  ne  peuvent  trouver  leur  salut  que 
dans  un  veritable  repentir  de  leurs  fautes ,  el 
dans  une  parfaite  soumission.  Nous  supplions 
done  Vostre  Saintete  d'entrer  en  consideration 
des  malheurs  auxquels  nos  peuples  s'exposent 
en  manquant  a  leur  legitime  debvoir,  qui  les 
tieut  assubjectis,  et  de  les  rammener  a  I'obeis- 
sance par  vos  exortations  paternelles,  et  par 
toutes  les  voies  ^que  Vostre  Saintete  jugera  les 
meiileures  et  les  plus  promptes,  afin  qu'ils  ne 
s'escartent  pas  davantage  du  ehemin  qui  les 
doibt  conduire  dans  leur  repos  et  tranquilite ; 
n'estant  pas  possible  qu'ils  puissent  accom- 
plir  les  preceptes  de  Dieu  etde  la  religion  ,  en 
prevaricant,  comme  ils   le  font,   au    prlnci- 

devoir,  et  se  deffendre  en  meme  temps  des  attaques 
de  ses  ennemis. 

On  peut  voir  aussi  par  les  fragments  inedits  ci-aprcs 
des  Memoires  de  Brienne  relalifs  aux  troubles  de  Pro- 
vence ct  a  ceux  de  Bordeaux ,  comment  les  autres  par- 
lemons  ,  villes  et  provinces  da  royaume  demeurent 
fermes  dans  I'obeissance. 


DEHXIKME     PABTIE.    [l6l9] 


pal,  qui  est  le  fondemenl  de  tous  les  autres. 

»  Nous  voiilons  bieu  encore  tesmoigner  a 
Vostre  Saintete  que  nous  sommes  obliges,  par 
beaucoup  de  respect ,  a  maintenir  nostredit 
cousin  a  sa  place,  non-seulement  a  cause  que 
nous  le  debvons  a  nous-mesme  pour  ne  recevoir 
point  de  contradiction  a  nos  volontes ,  mais  en- 
core parce  qu'il  a  assez  justifie  sa  bonne  con- 
duite  par  tant  de  succes  glorieux  arrivez  depuis 
nostre  regne,  et  que  ses  bons  conseils  ont  este 
si  fort  approuves  de  nostre  tres-cber  oncle  le 
due  d'Orleans ,  et  de  nostre  tres-cher  et  tres- 
ame  cousin,  le  prince  de  Conde ,  qui  ont  pris 
sa  deffense,  voyant  que  par  tant  de  signales  et 
recommandables  services ,  il  s'est  acquis  uostre 
protection  royale.  Nous  ne  doubtons  pas  aussi 
que  Vostre  Saintete  et  tout  le  sacre  college  ne 
s'interessentanepas  souffrir  qu'un  cardinal, qui 
a  tant  merite  de  nostre  Estat ,  recoive  uii  trai- 
tement  si  injurieux ,  sans  nous  aider  a  reprimer 
I'audace  de  ceux  qui  I'ont  ause  entreprendre. 
C'est  ce  qui  nous  fait  supplier  de  nouveau 
Vostre  Saintete  d'entrer  dans  des  sentimens  si 
justes,  et  de  prononcer  contre  les  coupables, 
apres  avoir  beni  nos  bons  desseins,  qui  n'ont 
point  d'autre  but  que  celui  d'etablir  nostre  do- 
mination dans  les  termes  que  Dieu  nous  I'a 
prescrit ,  d'empecher  la  ruine  propre  de  nos  sub- 
jets  ,  a  laquelle  ils  travaillent  avec  trop  d'aveu- 
glement. 

>>  C'est  le  seul  fruit  que  nous  comptons  rempor- 
ter  de  nos  travaux ,  et  que  tout  nostre  royaume 
puisse ,  en  paix ,  prier  avec  nous  sa  divine 
bonte,  qu'il  vous  conserve,  Tres-Saint-Pere , 
longuement  et  heureusement  au  regne  et  gou- 
vernement  de  la  Sainte-Eglise.  » ] 

M.  de  Longueville,  qui  etoit  alle  a  Coulom- 
raiers  en  Brie ,  evita  de  passer  par  Paris,  et  alia 
a  Saint-Gerniain-cn-Laye ,  quoiqu'il  eut  promis 
aux  chefs  de  la  cabale  opposee  au  Roi  d'etre  de 
leur  parti.  Je  crois  que  ce  qu'il  en  faisoit  n'etoit 
seulement  que  pour  assurer  les  creatures  qu'il 
avoit  dans  la  ville  de  Rouen, qu'il  vouloit  emme- 
ner  avec  lui  le  prince  de  Conti  son  beau-frere, 
qui  s'etoit  aussi  engage  a  accorder  sa  protection 
aux  Parisiens.  M.  de  Longueville  fit  sa  cour  ; 
et  quaud  je  le  complimentai  sur  ce  que  le  parle- 
ment  de  Normandie  avoit  depute  au  Roi  pour 
I'assurer  de  son  service,  il  me  dit  avec  une  en- 
tiere  confiance  etavec  beaucoup  d'imprudence  : 
"  Ce  ne  sont  que  ceux  du  semestre  ;  »  d'ou  je 
conclus  qu'il  n'etoit  pas  autaut  attache  a  Sa  Ma- 
jeste  qu'il  affectoit  de  le  paroitre.  Je  lui  dis  a 
cette  occasion  un  mot  en  plaisantant  :  et  comme 
je  ne  croyois  point  qucsondiscours  dut  cfrc  rc- 
leve,  jc  n"c!i  dis  rioii  a  la  rcinc ;  maisje  fus  bicn 


105 

surpris  d'apprendre  le  lendemain  que  le  prince 
de  Conti  et  le  due  de  Longueville  ,  accorapagnes 
du  due  de  La  Rochefoucauld ,  s'etoient  venus 
enfermer  dans  Paris ,  qui  avoit  deja  accepte 
pour  commandans  les  dues  d'Elboeuf  et  de  Bouil- 
lon. 

Le  prince  de  Conti  fut  prendre  sa  seance  au 
parlement ,  et  y  protesta  qu'il  etoit  resolu  de 
mourir  pour  la  defense  de  la  cause  commune  et 
pour  les  interets  du  public.  M.  de  Longueville 
y  alia  aussi ;  mais  il  ne  put  obtenir  de  la  com- 
pagnie  de  s'asseoir  sur  le  banc  des  princes  du 
sang ,  pairs  de  France  et  conseillers  d'honneur, 
soit  de  robe  ou  d'epee.  Le  parlement  ayant  donne 
a  M.  de  Bouillon  une  place  pareille  a  celle  de 
celui-ci,  M.  de  Longueville  en  temoigna  du 
mecontentement.  II  partit  peu  de  jours  apres 
pour  se  retirer  a  Rouen  ,  qu'il  fit  declarer  pour 
Paris ,  quoiqu'on  n'eiit  pas  laisse  de  lui  temoi- 
gner  de  la  mefiance  ,  et  que  madame  son  epouse 
eut  ete  obligee  a  faire  sa  demeure  a  I'Hotel-de- 
Ville ,  pour  servir  en  quelque  facon  d'otage  a 
la  fidelite  de  son  frere  et  de  son  mari. 

La  maison  de  Vendome  se  declara  aussi  pour 
le  parlement  dans  la  personne  de  M.  de  Beau- 
fort ,  et  la  cour  ne  songea  plus  qu'aux  moyens 
de  reduire  Paris  ;  mais  on  fut  bien  surpris  quand 
on  apprit  qu'on  faisoit  marcher  des  troupes  en 
Flandre  pour  secourir  cette  capitale  ;  et  Ton  vit 
pour  lors  ce  qu'on  n'auroit  point  du  croire  ni  ap- 
prehender  :  I e  parlement  recevoir  des  lettres  des 
etrangers,  et  deputer  des  personnes  de  conside- 
ration pour  demander  du  secours  a  ces  memes 
etrangers  qui  faisoient  actuellement  la  guerre 
au  Roi. 

La  cour  s'appliqua  de  son  cote  a  reduire  cette 
capitale  par  la  force.  Pendant  que  ceux  qui  y 
etoient  enfermes  firent  des  merveilles  pour  avoir 
des  vivres,  ceux  qui  etoient  au  dehors  faisoient 
tout  ce  qu'ils  pouvoient  pour  I'empecher ;  mais 
parmi  ceux-ci  il  y  en  avoit  toujours  quelques- 
uns  qui ,  pousses  par  le  desir  de  s'enrichir  ,  et 
par  I'affection  qu'ils  portoient  aux  assieges , 
trouvoient  les  moyens  d'y  faire  entrer  des  pro- 
visions. Je  fus  surpris  d'apprendre  que  le  pre- 
sident LeBailleul,  qui  avoit  ete  lieutenant  civil 
et  prevot  des  marchands  ,  s'etoit  persuade ,  ou 
feignoit  de  I'etre,  qu'en  empechant  les  boulan- 
gers  de  Gonesse  d'y  porter  du  pain  ,  la  ville  pa- 
tiroit  et  seroit  contrainte  de  se  rendre.  M.  Le 
Tellier,  qui  avoit  beaucoup  d'esprit,  n'etoit 
point  de  cet  avis ;  mais  il  s'etoit  imagine  que  les 
troupes  s'engraisseroient  si  elles  sejournoient  aux 
environs  de  Paris, qui,  disoit-il,  seroit  contraint 
de  demander  grace  apres  six  mois  de  souffrancc 
II  croyoit  qu'ensuite  ces  memes  troupes  seroient 


100 


INIi: MOli'.tS    nii    GOMTi:    l)i:    lUill-N.Mi, 


en  etat  d'aller  servir  ou  Ion  Noudroit  :  de  quoi 
M.  Le  Tellier  s'etant  ouvert  a  moi ,  je  ne  pus 
m'empecher  de  lui  dire  que  je  ue  concevois  pas 
comment  uu  hommeaussi  eclaire  que  lui,  pou- 
voit  croire  qu'une  pareille  affaire  put  durer  seu- 
lementquatre  mois. 

On  nesongea  plus  ,  comme  il  a  deja  ete  dit, 
qu  a  cherclier  a  Saint-Germain  les  moyens  de  re- 
duire  a  Textremite  Paris ,  qui  ne  pensoit  qu'a 
se  bien  defendre.  Le  cardinal  crutpendant  quel- 
que  temps  que  le  prince  de  Conde  etoit  alors 
d'intelligence  avec  son  frere  etavecM.  de  Lon- 
yueville;  mais  il  connut  dans  la  suite  qu'il  s'e- 
toit  mepris.  Ce  prince  faisoit  tout  ce  qui  pou- 
voit  dependrede  lui  pour  reduire  les  Parisieiis 
a  rentrer  dans  leur  devoir  :  ct,  autant  que  j'ai 
pu  en  avoir  connoissance ,  il  n'epargnoit  ni  sa 
peine  ni  sa  vie  pour  faire  reussir  son  dessein. 

La  peur  prit  de  telle  maniere  au  cardinal  Ma- 
zarin ,  qu'il  envoya  ses  nieces  a  Sedan.  M.  le 
prince  fut  recherche  pour  se  rendre  niediateur 
de  raccomraodement  dcs  Parisiens,  et  parut  dis- 
pose a  le  faire  ;  mais ,  quelque  envie  qu'il  en  eut, 
il  n'oublia  pour  lors  aucune  des  choses  qui  pou- 
voient  convenir  a  un  homme  de  guerre  et  a  un 
iidele  serviteur  du  Roi.  Ons'apercut  bien  toute- 
fois  qu'il  n'approuvoit  pas  la  eonduite  du  cardi- 
nal ,  qui  u'oiiiit  lien  de  ce  qui  dependoit  de  lui 
pour  faire  en  sorte  que  les  Parisiens  eusseut  re- 
eours  a  son  intercession  ,  affectant  de  vouloir 
procurer  leur  paix ,  sans  que  M.  le  due  d'Or- 
leans  et  M.  le  prince  y  eussent  aucune  part. 

Cependant  les  ennemis ,  ayant  fait  avancer 
leurs  troupes ,  proposerent  d'envoyer  quelqu'un 
a  Saint-Germain,  pour  essayer.de  trouver  les 
moyens  d'ajuster  les  differendsqui  eloient  entre 
les  couronnes.  On  ne  jugea  point  a  propos  de 
refuser  cette  ouverture,  et  Ton  depeeha  aussi 
quelqu'un  sur  la  frontiere  pour  recevoir  cet  en- 
voye ,  pour  le  conduire  a  lacour  ,  et  pour  pren- 
dre garde  qu'il  n'ecrivit  ni  ne  recut  des  lettros 
de  ceux  qui  etoient  dans  Paris.  Ce  fut  Triquet 
([ue  I'archiduc  depula.  Le  cardinal  lui  donna 
une  premiere  audience  oil  j'assistai ,  et  dans  la- 
quelle  cette  Eminence  temoigna  assez  de  dispo- 
sition de  la  part  de  Leurs  Majestes  a  entendre  a 
une  bonne  "paix  ,  sansneanmoins  faire  compren- 
dre  ,  sinon  en  termes  generaux  ,  qu'on  rendroit 
quelques-unes  des  places  occupees  par  les  ar- 
mees  du  Hoi  :  ce  qui  ne  contenta  pas  Triquet, 
parce  qu'il  pretendoit,  avant  que  d'entrer  en 
matiere  ,  d'etre  assure  que  ce  qui  avoit  ete  con- 
quis  seroit  rendu.  Je  ne  puis  pas  dire  cequi  se 
passa  dans  une  seconde  audience  que  lui  donna 
le  cardinal,  ne  m'y  etant  pas  trouve;  mais  11  y 
H  beaueoup  d'npparence  que  celle  Eminence  lui 


(it  (k's  olTres  considerables  pour  engager  I'ar- 
cliiduc  a  abandonner  les  interets  du  parlement 
et  de  la  ville  de  Paris.  C'est  pourlant  de  quoi 
on  ne  peut  parler  avec  certitude. 

Triquet  ayant  ete  congedie  et  reconduit  jus- 
ques  a  Cam])rai ,  Ton  continuaa  faire  deux  cho- 
ses, I'une  d'incommoder  Paris,  et  I'autre  d'e- 
couter  les  propositions  qui  etoient  faites  d'une 
conference  dans  laquelle  on  esperoit  de  pacifier 
tons  les  differends.  Eiie  fiit  enfin  resolue,  et  le 
lieu  de  l\uel  indi([ue  ponr  en  faire  I'ouverture. 
Le  parlement  et  la  ville  envoyerent  des  deputes, 
comme  aussi  les  princes  qui  etoient  dans  leurs 
interets.  Ceux  du  Roi  furent  M.  le  due  d'Or- 
leans  ,  M.  le  prince  le  cardinal ,  le  chancelier 
de  France ,  le  marechal  de  La  Meilleraye  ,  I'ab- 
be  de  La  Riviere,  M.  Le  Tellier  et  moi.  Nous 
trouviimes  d'abord  une  difficulte  qu'on  ne  put 
surmonter ,  quoi  qu'on  eut  fait  pour  I'eviter,  en 
cherchant  des  temperamens  pour  ne  pas  blesser 
I'autorite  royale.  Cette  difficulte  etoit  que  les 
deputes  du  parlement  avoient  fait  defense  de 
traiter  avec  le  cardinal ,  declare  ennemi  de  la 
patrie  et  criminel  de  lese-Majeste,et  comme  tel 
condamne  et  sa  tete  mise  a  prix  ,  contre  ce  qui 
s'etoit  pratique  de  tout  temps  dans  le  royaume. 
A  cela  nous  leur  repondimes  que  ce  n'etoit  point 
a  eux  a  prescrire  au  Roi  de  qui  il  devoit  se  ser- 
vir,  et  que  meme  c'etoit  leur  faire  une  grace 
que  d'entrer  seuleraent  en  conference  avec  eux. 
Leur  opiniatrete  nous  contraignit  d'en  passer 
par  ou  ils  voulurent,  sur  les  raisons  que  Ton 
nous  dit  que  si  la  conference  se  terminoit  de 
maniere  que  le  calme  et  la  tranquillite  se  reta- 
blissent  dans  le  royaume  ,  toute  la  gloire  en  res- 
teroit  a  Sa  Majcste.  Mais  ,  pour  ne  point  auto- 
riser  leur  deliberation,  il  futarrete  que  le  chan- 
celier et  M.  Le  Tellier  passeroient  dans  une  au- 
tre chambre  pour  entendre  les  propositions  des 
deputes  de  Paris ,  dont  ils  nous  viendroient  faire 
le  rapport;  et  qu'ensuite  ils  retourneroient  leur 
dire  ce  que  nous  aurions  accorde  ou  refuse.  On 
tint  plusieurs  conferences  ou  les  affaires  furent 
assez  avancees;  mais'  il  se  presenta  une  diffi- 
culte ,  qui  etoit  de  faire  consentir  la  Reine  a  ce 
qui  etoit  demande  aux  deputes,  en  leur  faisant 
comraandement  de  s'y  soumettre;  a  quoi  ils 
avoient  deja  consenti.  Comme,  pour  conserver 
leur  reputation,  ils  vouloient  blesser  cellede  la 
Reine,  Ton  me  choisit  pour  aller  disposer  cette 
princesse,  et  je  fus  charge  de  lui  deguiser  ce 
qui  etoit  venu  a  ma  connoissance.  N'etant  point 
capable  d'une  pareille  iufidelite,  je  conseillai  a 
la  Reine,  apres  lui  avoir  fait  mon  rapport,  de 
s'cn  rapporter  a  ses  miuistrespour  faire  ce  qu'ils 
jugeroient  a  propos,  et  qu'elle  app'ouveroit;  mais 


DELXIEME    PAllTIE.    [164  9] 


107 


que  d'elle-meme,  et  sans  leur  avis,  elle  ne  pouvoit 
se  portera  ce  que  I'onsouhaitoit.  Lc  terrae  du  saiif- 
eonduit  etant  expire,  on  se  separa,  et  Ton  eon- 
viiit  que ,  si  Leurs  Majestes  I'avoient  agreable, 
on  enveiToit  une  prolongation,  etque  les  sean- 
ces se  tiendroieut  a  Saint-Germain-en-Laye. 

On  s'y  rassembla,  et  les  aflaires   gencralcs 
etant  reglees  (l),  on  discuta  lesinterets  des  par- 
ticuliers  avec  les  deputes  des  princes.  Le  comte 
de...   (2),  portant  la  parole,  demanda  Texpul- 
sion  du  cardinal  hors  du  royaume.  On  lui  re- 
pondit  que  le  Roi  douuoit  la  loi  a  ses  sujets,  et 
ne  la  recevoit  pas  d'eux.  Les  deputes  du  parle- 
ment  et  de  la  ville,  ayant  tenu  lememediscours 
que  le  comte,  demandoient  encore  que  le  se- 
inestre  etabli  a  Rouen  fM  supprime;ce  qui  leur 
ayant  ete  accorde  ,  ce  fut  le  seul  avantage  que 
M.  de  Longuevilie  remporta  de  s'etre  eloigne 
de  son  devoir.  On  demanda  aussi  qu'il  lut  fait 
droit  a  M.  de  Bouillon   sur  ses  pretentions  , 
eomnie  aussi  a  la  maison  de  Vendome.  Chacun 
donna  les  mains  a  !a  derniere  de  ces  demandes ; 
raais  ,  a  I'egard  de  celle  de  M.  de  Bouillon,  le 
premier  president  Mole  ayant  dit,  pour  le  favo- 
riser,  que  c'etoit  une  souverainete  de  laquelle 
on  augmentoit  la  monarchic  ,  et  qu'on  avancoit 
que  j'avois  promis  au  proprictaire  qu'il  seroit 
bien  traite  ,  je  lui  repondis  que  cela  etoit  vrai , 
et  que  je  n'avois  fait  en  cette  occasion  que  ce 
qui  ra'avoit  ete  ordonne  ;  mais  que  je  m'etois 
bien  doune  de  garde  de  Convenir  que  Sedan  fut 
une  souverainete  ,  etant  trop  instruit  des  droits 
du  Roi  pour  faire  une  pareille  bevue;  et  que 
lui-meme  ne  pouvoit  pas  avancer  honnetement 
cette  proposition  ,  puisqu'ayant  ete  procureur- 
general  il  avoitsouvent  vu  les  titres  de  Sa  Ma- 
jeste,  desquels  il  pouvoit  avoir  appris  que  le 
roi  Charles  VIn'avoitque  permis  aux  seigneurs 
de  Sedan  (  cette  terre  etant  pour  lors  possedee 
par  indivis  par  deux  freres )  d'y  eonstruire  des 
murailles.  D'ou  il  paroissoit  clairement  que  ces 
gentilshommes  ne  pretendoient  pas  la  posscder 
*•    dans  ce  titre  eminent  qu'on  faisoitsonner  si  haut 
pour  en  augmenter  le  prix.  A  I'egard  de  M.  de 
Vendome,  je  dis  qu'il  etoit  bien  vrai  que,  trai- 
tant  avec  M.  de  Vendome  de  la  recompense 
qu'il  pretendoitdu  gouvernement  de  Bretagne, 
je  lui  avois  dit  que  la  Reine  feroiten  sorteque 
I'amiraute  lui  seroit  resignce;  mais  que  je  me 
croyois  oblige  de  dire  deuxchoses,  dont  je  m'as- 
surois  qu'on  conviendroit  infailliblement.  C'est 
que,  qui  offre  son  entremise  pour  faire  reussir 
une  affaire,  ne  se  rend  pas  responsable  de  I'eve- 
nement,  et  que  je  n'avois  pas  puprevoir  que  la 

(1)  Cct  arrangement  fut  coaclu  lc  11  mars.  (  A.  E.) 


maison  de  Vendome  se  detacheroit  du  service 
du  Roi ,  et  manqueroit  de  respect  a  la  Reine  : 
dont  je  tirois  telles  consequences  que  je  devois, 
me  reraettant  a  Sa  Majeste  de  declarer  sa  vo- 
lonte.  L'accommodement  fut  enfin  resolu  apres 
plusieurs  conl'erenoes,  et  le  cardinal  se  deter- 
mina  a  s'allier  a  la  maison  de  Vendome.  Ce  que 
M.  le  prince  approuva  d'abord,  mais  qu'il  bla- 
ma  dans  la  suite. 

Le  comte  d'Harcourt,  ayant  deja  servi  le  Roi, 
fut  destine  a  commander  I'armee,  et  le  prince 
de  Conde,  ayant  declare  qu'il  vouloitaller  pren- 
dre possession  de  son  gouvernement  de  Bour- 
gogne,  etprofiter  de  la  saison  de  I'ete  pourtra- 
vailler  au  retablissement  de  sa  santeet  de  ses 
affaires,  s'eraploya  aussi  avec  chaleur  a  mena- 
gcr  lesinterets  de  ceux  qui  avoient  ete  les  chefs 
de  la  revolte  de  Paris. 

Je  suppliai  la  Reine  de  bien  examiner  ceci 
et  d'en  tirer  les  consequences  necessaires,  ajou- 
tant  que  j'etois  persuade  que  ce  prince  se  trou- 
voit  en  liaison  avec  eux.  Car  ce  qui  etoit  soute- 
nable  pour  son  frere  et  pour  son  beau-frere,ne 
me  le  paroissoit  pas  quand  il  prenoit  avec  cha- 
leur les  interets  de  M.  de  Bouillon.  Jeme  crois 
pourtant  oblige  de  dire,  a  la  louange  de  M.  le 
prince,  qu'il  deconseilla  pendant  quelque  temps 
le  roi  de  pourvoir  M.  de  Longuevilie  du  gou- 
vernement du  Pont-de-l'Arche;  mais  depuis  il 
changea  d'avis,  et  cela  sera  explique  dans  la 
suite.  A  regard  de  M.  de  Bouillon,  il  appuya 
ses  demandes,  quoique  tres-injustes  ,  comrae 
nous  I'allons  remarquer. 

La  terre  de  Sedan,  qui  avoit  ete  evaluee  a 
une  somme  considerable,  fut,  a  la  priere  du 
due  ,  portee  a  trois  mille  livres  de  rente  de  plus 
que  ne  montoitl'estimation  du  revenu;  de  sorte 
que  le  cardinal ,  sans  savoir  pourquoi ,  lui  fit 
donner  cent  quatre-vingt  mille  livres,  ce  qui  fit 
esperer  a  M.  le  prince  et  a  M.  de  Bouillon  qu'on 
en  passeioit  par  tout  ce  qu'ils  voudroient  sans 
aucun  examen.  Le  prince  de  Conde  se  tenant 
assure  de  M.  Le  Tellier,  lui  proposa  de  lire,  a 
la  requete  de  M.  de  Bouillon  ,  le  proces-verbal 
dresse  par  les  commissaires  du  Roi.  Mais  M.  Le 
Tellier  s'en  excusa,  disant  que  Sedan  etoit  de 
mon  departement,  et  que  ce  seroit  entreprendre 
sur  ma  charge ;  ce  qu'il  n'avoit  garde  de  faire. 
M.  le  prince,  ne  I'ayant  pu  persuader,  me  vint 
trouver,  et  me  fit  la  meme  demande  qu'a  mon 
confrere.  Je  lui  repondis  que  je  serois  toujours 
pret  a  lire  et  le  proces-verbal  et  la  requete  , 
mais  que,  pour  appuyer  les  pretentions  de  M.  de 
Bouillon  comme  il  me  paroissoit  le  souhaiter, 

(2^  II  esl  quest  on  du  comto  (ic  Mauic  {A.  E., 


lOS 


MEMOIUKS    1)U    COiMTli    DP.    lilUli^^E  , 


il  falloit  que  je  susse  ses  raisoDs,  aussi  bien  que 
celles  des  commlssaires  du  Roi  ,  pour  approu- 
ver  et  pour  blaraer  ce  qu'ils  avoient  fait.  lis  se 
retirerent  en  me  laissant  les  papiers  de  M.  de 
Bouillon,  par  lesquels  ses  pretentions,  excepte 
la  premiere,  me  parurent  mal  fondees.  C'est  ce 
que  je  fis  entendre  au  due  qui  ,  n'etant  pas  sa- 
tisfait  de  ma  reponse,  s'en  fut  en  diligence  chez 
M.  le  prince  pour  lui  en  faire  ses  plaintes,  et 
I'amena  chez  moi.  Je  lui  expliquai  mes  raisons, 
auxquelles  n'ayant  su  que  repondre  ,  Son  Al- 
tesse  me  dit  en  colere  :  « II  paroit  que  vous  ne 
voulez  pas  favoriser  M.  de  Bouillon.  »  A  quoi 
je  lui  repliquai ,  en  me  possedant  le  plus  qu'il 
me  fut  possible,  que,  faisant  lafonction  dejuge, 
je  ne  voulois  me  declarer  ni  pour  ni  contre , 
raais  etre  equitable ;  et  que  si  j'etois  capable 
de  corruption  ,  ce  ne  seroit  qu'au  profit  de  mon 
maitre,  persuade  que  j'etois  que  Dieu  me  le 
pardonneroit  bien  plutot  qu'il  ne  le  feroit ,  si 
j'abandonnois  ses  interets  pour  ceux  d'un  au- 
tre. M.  le  prince  et  M.  de  Bouillon  ,  commen- 
cant  a  craindre  que  si  je  faisois  mon  rapport  de 
cette  affaire  elle  ne  tourneroit  point  a  leur  sa- 
tisfaction, s'aviserent  d'aller  trouver  le  cardi- 
nal, et  de  lui  dire  qu'ils  recevroient  comme 
une  grace  ce  qui  seroit  ajoute  a  I'augmentation 
faite  par  les  commissaires.  II  leur  fit  reponse 
qu'il  falloit  m'entendre,  mais  qu'ils  pouvoient 
tout  esperer  de  son  credit  et  de  la  joie  qu'il 
avoit  de  leur  faire  plaisir.Cepremierministre,ne 
pouvant  se  donner  la  patience  d'ecouter  ce  que 
j'avois  a  dire ,  me  fit  bien  comprendre  qu'il 
croyoit  que  je  voulois  favoriser  M.  de  Bouillon: 
a  quoi  je  repondis  qu'il  se  donnat  au  moins  le 
temps  d'entendre  mes  raisons.  Cela  lui  fit  ju- 
ger  qu'il  s'etoit  mepris,  ou  laisse  surprendre 
par  iM.  le  prince  et  par  M.  de  Bouillon ,  et 
comme  il  leur  avoit  promis  satisfaction  ,  il  dit 
a  la  Reine  que,  sans  entrer  en  discussion  du 
droit  du  Roi  et  de  celui  de  ce  due,  il  falloit  ac- 

(1)  Turenne  raconte  dans  ses  Memoires  que,  malgr^ 
les  offrcsdu  cardinal,  il  le  traita  toujours  tres-froide- 
ment ,  et  lui  fit  comprendre  qu'il  ne  devait  pas  compter 
surlui. 

(2)  D^pelhc  do  31.  de  Brienne  a  ce  sujet ,  twie  des 
papiers  dc  ce  personnage  : 

A  Monsieur  de  La  Barde,  resident. 

«  Je  vous  avois  mand(5  le  si^ge  de  Cambray,  et  qu'il 
n'y  avoit  pas  quinze  cenls  liommes  dans  la  place,  si  bien 
que  nous  esp(5rions  la  forcer  dans  un  mois  au  plus :  mais 
il  est  arrriv(5  que  les  ennemis  ayant  attaque  deux  quar- 
tiers  d'ou  ils  ont  M  repouss(5s,  se  sont  pr6senl6s  a  celui 
dn  colonel  Fiek  ,  dans  le  lemps  qu'il  osloit  alkV  au  se- 
cours  de  ceux  qui  estoicnl  altaquc's ,  et  ont  fail  ontrer 


corder  a  celui-ci  cinq  mille  livres  de  rente  au-    ! 
dessus  de   revaluation.   Outre   cela,  il   lui  fit    ! 
donner  un  present  decent  mille  ecus  ,  sans  en 
pouvoir  alleguer  d'autres  raisons  que  la  passion 
qu'il  avoit  de  faire  voir  que  les  graces  depen-    < 
doient  de  lui  seul.  I 

On  sera  toujours  etonne  que  le  cardinal  ait    j 
menage  des  graces  a  la  maison  de  Bouillon  ,    I 
quand  on  saura  que  M.  de  Turenne  fit  son  pos-    ' 
sible  pour  debaucher  I'armee  du  Roi  (1)  qu'il    | 
commandoit,  et  pour  prendre  le  parti  des  re-    ! 
voltes,    aussi  bien  que  son  frere ,  auquel  ce 
monarque  avoit  pardonne  le  crime  de  lese-ma- 
jeste ;  car  il  avoit  fait  ligue  avec   les  ennemis 
de  I'Etat ,  et  paru  se  declarer  le  chef  de  la  re- 
volte  de  Paris.   On  s'etonnera  ,  dis-je ,  de  la 
conduite  de  cette  Eminence ,  a  moins  qu'on  ne 
I'accusat  de  s'etrevoulu  assurer  des  deux  freres 
pour  les  opposer  au  Roi  en  cas  de  disgrace ;  ou 
bien  aux  ennemis  qu'il  pourroit  avoir.  II  s'etoit 
aussi  persuade  que  par  leur  entremise  il  se  rac- 
commoderoit  avec  M.  le  prince,  lequel  disoit 
hautement  que  le  cardinal  n'avoit  pu  avoir  la 
pensee  de  s'allier  a  la  maison  de  Vendome  que 
pour  s'assurer  de  la  protection  de  M.  d'Orleans 
et  de  celle  de  cette  meme  maison,  en  meprisant 
la  sienne. 

Le  comte  d'Harcourt  ayant  eu  ordre  d'inves- 
tir  et  d'assieger  Cambrai ,  cette  entreprise  eut 
reussi  s'il  eut  pu  mieux  esperer  de  la  bonne 
fortune  du  Roi ;  car  un  petit  secours  de  cavale- 
rie  ne  devoit  pas  empecher  d'en  continuer  le 
siege.  Mais,  pour  avoir  cru  le  secours  plus  con- 
siderable qu'il  n'etoit ,  il  estima  devoir  se  reti- 
rer ,  apres  que  nos  gardes  eurent  ete  forcees 
dans  I'endroit  ou  les  troupes  commandees  par 
M.  de  Turenne  etoient  postees.  La  cour  en  ap- 
prit  la  nouvelle  avec  douleur  [2)  ;  mais  11  y  a 
beaucoup  d'apparence  que  M.  le  prince  n'en  fut 
pas  fort  sensiblement  touehe.  Madame  sa  mere, 
qui ,  pendant  le  voyage  de  Bourgogne,  n'aban- 


dans  la  place  mille  chevaux  et  cinq  cents  hommes  de  pied. 
Si  bien  que  M.  le  comte  d'Harcourt  n'ayant  pas  jug^  de- 
voir s'allacher  davanlage  a  cette  entreprise ,  a  lev6  le 
silage.  Je  sais  bien  que  les  Espagnols  en  lireront  beau- 
coup  de  gloire,  car  ils  sont  accoutum(5s  a  faire  grand 
bruit,  quand  ils  en  ont  assez  pour  se  garantir  de  pertes ; 
mais  nous  verrons  dans  peu  jours  ce  qui  se  pourra  en- 
ircprendre,  car  nous  sommes  plus  forts  qu'eux,  en  re- 
solutions de  faire  quelque  efTort  qui  fasse  cognoistre 
que  nous  avons  les  advantages  tels  sur  nos  ennemis, 
qu'ils  ne  pcuvent  ricn  attendre  de  favorable  ,  bien  qu'ils 
se  soyent  toujours  flattds  d'esp^rer  faire  de  grands  pro- 
fits durant  nos  divisions  qui  sont  totalemenl  cess^es 


DK  LoMKMi:. 


»  A  Cumpieyne,  le  bjuillet  iGW^v 


DErXIEMR    PARTIE.    [f649] 


donna  pas  la  Reine,  le  raccommoda  avec  le 
cardinal ,  de  I'amitie  duquel  il  se  crut  ensuite 
assure.  Le  gouvernement  de  Damvilliers,  don- 
ne  par  le  traite  au  prince  de  Conti,  persuada 
rafime  toute  la  maison  de  Conde  que  le  prince 
etoit  en  faveur  ,  quoiqu'il  est  bien  vrai  que  ma- 
dame  sa  mere  avoit  i'esprit  plein  de  mefiance  ; 
raais  elle  la  dissimula.  M.  de  Longueville  con- 
tinua  de  son  cote  a  demander  le  Pont-de- 
I'Arche  ;  et  le  gouverneur  de  cette  place,  qui 
avoit  resiste  pendant  quelque  temps,  se  rendit 
a  la  fin. 

Ce  fut  pour  lors  que  les  troubles  dont  le 
royaume  etoit  agite  s'augmenterent  et  se  firent 
sentir  dans  les  provinces  les  plus  eloignees  ,  et 
raemejusque  dans  celle  de  Provence,  qui  en- 
treprit  de  faire  ce  que  Ton  n'auroit  jamais  cru. 
C'est  ce  qui  engagea  M.  d'Emery  de  proposer 
au  Roy  d'y  creer  un  semestre,  en  alleguant  pour 
ses  raisons  que  Sa  Majeste  en  tireroit  des  sommes 
considerables ,  et  que  son  autorite  s'affermiroit 
pour  toujours  dans  cette  province ;  parce  que ,  si 
I'un  des  semestres  etoit  capable  de  prendre  un 
raauvais  parti ,  le  second  s'y  opposeroit ,  et  qu'a 
I'envi  I'un  de  Tautre ,  pour  se  maintenir  et  pour 
obtenir  la  suppression  I'un  del'autre,  ils  ne  son- 
geroient  uniquement  qu'a  bien  servir  le  Roy.  Le 
chancelier  s'etant  laisse  gagner  par  Emery,  un 
jour  que  nous  nous  trouvames  ensemble  dans  la 
chambre  du  cardinal  oil  cette  affaire  fut  agitee, 
je  contredis  a  ce  chef  de  la  justice  et  a  Emery  , 
et  je  fis  connoitre  a  I'Eminence  que  si  le  Roi 
pretendoit  faire  reussir  ce  dessein  ,  la  Provence 
se  souleveroit  infailliblement.  Je  dis,  pour  mes 
raisons  ,  que  le  parlement  d'Aix  etoit  rempli  de 
gens  de  qualite ,  et  que  leur  ruine  etant  inevi- 
table si  la  chose  avoit  lieu ,  ils  ne  manqueroient 
point  de  prendre  parti ^  que  leurs  femmes,  voyant 
leurs  biens  diminuer ,  animeroient  leurs  maris 
et  leurs  poches  a  s'y  opposer ,  et  que  tout  ceci  at- 
tiraut  enfin  sur  quelques-uns  I'indiguation  du 
Roi ,  qui  les  voudroit  punir ,  cette  province  ne 
raanqueroit  pas  de  se  soulever.  Le  chancelier  et 
Emery ,  ne  se  voulant  point  rendre  a  mes  rai- 
sons ,  attirercnt  le  cardinal  dans  leurs sentimens, 
et  Son  Eminence  me  dit :  «  lis  sont  deux  contre 
vous,  et  vous  voulez  encore  que  votre  opinion 
pr^vale  dans  les  affaires  de  cette  consequence  ? 
—  II  faut,  lui  repliquai-je ,  peser  les  voix  et  non 
pas  les  compter.  »  Ce  que  je  viens  de  rapporter 
me  fait  souvenir  d'une  chose  qui  donnoit  assez  a 
connoitre  le  peu  de  lumieres  qu'avoit  le  cardi- 
nal sur  nos  affaires.  Lui  disant  un  jour  qu'il  fal- 
loit  faire  la  paix ,  il  en  tomba  d'accord ,  et  ne 
laissa  pas  de  me  demander  pourquoi  je  la  con- 
seillois  avec  tant  d'empressement.  A  quoi  lui 


io«> 

ayant  repondu  que  je  la  conseillois  non-seule- 
ment  parce  qu'elle  me  paroissoit  necessaire ,  mais 
encore  parce  que  j'etois  assez  eclaire  pour  com- 
prendre  que  la  guerre  ne  se  pouvoit  continuer 
sans  laisser  les  impots  qu'on  levoit  sur  les  peu- 
ples ,  qu'etant  epuises  et  par  consequent  hors 
d'etat  de  supporter  un  tel  fardeau  ,  ils  ne  man- 
queroient pas  de  se  soulever,  et  que  le  Roy 
ayant  alors  deux  guerres  sur  les  bras ,  il  seroit 
bien  empecbe  de  se  defendre  de  tant  d'ennemis  : 
»  Eh!  quoi ,  me  dit  le  cardinal ,  une  charge  qui 
subsiste  depuis  vingt  annees  peut-elle  done  etre 
insupportable?  C'est  ce  que  je  ne  puis  croire.  » 
Je  changeai  la-dessus  de  discours. 

M.  le  prince ,  qui  avoit  appuye  pendant  un 
certain  temps  les  interets  de  M.  le  due  d'Angon- 
leme,  s'en  detacha  quand  il  se  fut  lie  avec  le 
parlement  de  Paris.  Cette  compagnie  ayant  pris 
raffirniative  pour  les  autres  parlemens ,  mais 
particulierement  pour  ceux  de  Rouen  et  d'Aix  , 
le  semestre  etabli  a  Rouen  du  vivant  du  feu  Roi 
fut  revoque  aussi  bien  que  celui  de  Provence. 

[Mais  avant  cette  revocation  ,  la  mesintelli- 
gence  du  parlement  d'Aix  avec  M.  le  comte 
d'Alais,  excita  de  nouveaux  ressentimens ,  et  des 
troubles  assez  graves  eurent  lieu  dans  la  Pro- 
vence. J'en  fus  informe  par  differens  personnages 
de  cette  province ,  comme  on  le  verra  par  les 
depeches  que  je  rapporterai  textuellement : 

«  Monsieur,  bien  qu'on  ne  me  communique 
pas  beaucoup  les  affaires  qui  regardent  le  ser- 
vice du  Roy  dans  cette  province ,  je  ne  laisse 
pas  de  le  passionner  et  de  le  faire  valoir  tout 
austant  qu'il  m'est  possible. 

»  Je  ne  pense  pas  que  messieurs  du  parlement 
ayent  aulcun  desseing  de  se  restablir  par  vio- 
lence; ce  sont  des  voyes,  Monsieur,  trop  dan- 
gereuses  et  qui  ne  peu  vent  etre  aprouvees  par 
les  bons  serviteurs  du  Roy  ,  quant  a  moy  je  m'y 
opposeray  tousjours  avec  vigueur  a  tout  ce  qui 
se  pourroit  faire  contre  le  respect  et  I'obeissance 
que  nous  luy  debvons. 

»  Je  m'asseure  ,  Monsieur ,  que  vous  me  cau- 
tionnerez  tousjours  pour  ce  point-la,  et  je  vous 
proteste  que  vous  n'y  aurez  jamais  point  de  re- 
gret ,  et  que  je  serai  toute  ma  vie  avec  grande 
passion  vostre,  etc. 

»  Caeces.  » 

Lettre  de  Monsieur  cVOppede. 

«  Monsieur ,  je  suis  contraint  de  recourir  a 
vous  pour  vous  demander  et  protection  et  justice 
d'une  procedure  la  plus  inouie  et  la  plus  estrange 


1  10 


MUMOIRKS    Dll    COMTK    HE    r.niF.NNF., 


dii  raoiule.  Vous  scavcz  ,  Monsieur ,  I'exil  que 
je  souflVe  dei)uis  Pasques ,  et  le  sujet  qui  me 
cause  toutes  les  poursuites  de  M.  le  comte  d'A- 
lais  vous  est  connu  ,  ce  qui  est  cause  que  je  ue 
vous  diray  point  avec  quelle  chaleur  il  s'estservi 
des  ordres  du  Roi  pour  satisfaire  sa  passion  par- 
ticuliere.  Nousavons  trouve  quelque  abii  contre 
cette  tempesle  par  la  protection  de  monseigueur 
le  cardinal  de  Sainte-Cecile ,  qui  a  obtenu  de 
Leurs  Majestes  que  notre  sejour  seroit  libre  dans 
le  comfat.  Maintenant,  Monseigneur,  pour  nous 
priver  de  cette  grace ,  M.  le  comte  d'Aiais  a  fait 
courir  le  bruit  que  notre  compagnie  avait  fait 
dessein  d'authorite  privee  d'aller  reprendreses 
places  ,  et  qu'a  cet  effet  nous  faisions  levees  de 
gens  de  guerre  dans  le  Comtat,  nous  ayant,  pour 
raison  due  ,  voulu  rendre  de  tres  mauvais  offices 
aupres  de  M.  le  vice-legat. 

»  Je  viens  aussi  d'apprendre  corame  M.  le  comte 
d'Aiais  fist  proceder  contre  nous  a  une  informa- 
tion par  le  sieurde  Senee,  notre  ennemi  capital, 
et  avec  qui  nous  sommes  tons  hors  de  salut , 
et  que  meme  ils  emprisonnent  des  gens  pour 
leur  servir  de  tesmoings ;  cette  procedure  me 
fait  souvenir  de  toutes  les  autres  qui  out  este 
cy-devant  faites,  ou  ils  ont  achepte  ties  te- 
moings  a  prix  d'argent ;  je  n'advance  rien  que 
nous  ne  prouvions  quand  il  vous  plaira  de  nous 
y  admettre.  Cette  violente  poursuite,  qui  nous 
est  faite  par  nos  partis  et  non  pas  par  nos  juges , 
nous  oblige  de  vous  suplier  ,  en  cas  de  plainte 
contre  nous,  de  nous  en  donner  qui  ne  nous 
soyent  pas  suspects,  et  dependans  de  nos  partis 
ennemis  ,  corame  est  le  sieur  de  Seve,  et  devant 
lesquels  nous  puissions  faire  paroitre  la  verite 
de  notre  innocence  et  la  sincerite  de  nos  ac- 
tions. Ce  qui  a  donne  pied  a  M.  le  comte  d'Aiais 
il  cette  nouvelle  procedure  ,  c'est  que  dans  une 
visite  qui  lui  fut  rendue  par  monseigneur  le  car- 
dinal de  Sainte-Cecille,  pour  le  prier  de  nous  pro- 
curer la  paix  et  le  repos  dans  nos  families  ,  M.  le 
comte  d'Aiais  auroit  repondu  avec  une  telle  ai- 
greur  et  une  telle  passion  contre  nous ,  que  toute 
la  province  en  auroit  deraeure  extremement  sur- 
prise ,  jusque-la  meme  de  tesmoigner  qu'il  empe- 
cheroit  I'execulion  des  ordres  du  Roy  en  cas  que 
nos  deputes  en  obtinssent  quelqu'un,ce  qui  a  don- 
ne sujet  a  quelques-uns  de  nos  amis  et  de  nos  pa- 
rens de  nous  rendre  visite  et  denous  tesmoigner 
le  desplaisir  qu'ils  prenoyent  a  cette  mauvaise 
humeur  de  M.  le  comte  d'Aiais ;  personne  ne  pent 
dire  que  nous  ne  lui  ayons  repondu  que  nous  ne 
demandions  autre  protection  que  celle  du  Roy  , 
et  que  quand  nous  I'aurions,  nous  ne  craindrions 
pas  que  personne  nous  inquietast;  que  nous 
avions  mande  des  deputes  vers  Leurs  Majestes 


pour  obtenir  notre  retablissement ,  et  que  quand    ! 
nous  aurions  receu  la-dessus  les  ordres  necessai- 
res, nous  croyons  que,  quoi  que  M.  le  comte  d'A- 
iais eutdit,  nous  netrouverions,  dans  I'execution. 
aucune  difficulte.  Voyla ,  Monsieur ,  la  verite    ,: 
de  toutes  choses ;  je  vous  supplie  de  croire  que    | 
toutes  les  informations  ou  verbaux  qu'ils  vous   \ 
pourront  mander  au  contraire  sont  faux.  M.  le    | 
comte  d'Aiais  se  debvroit  bien  contenter  de  nous   | 
avoir  esloignes  de  nos  parens ,  de  nos  biens  et  de   j 
nos  amis ,  et  qu'apres  la  perte  de  la  moitie  de  nos    j 
charges ,  nous  avons  ce  deplaisir  de  consumer    j 
dans  un  exil  ce  pen  qu'il  nous  reste  de  bien.    j 
Si  je  n'estois  point  olficier,  je  pourrois  passer    j 
fort  doucement  mes  jours;  seray-je  si  malheu-    ' 
reux  qu'une  charge  que  je  n'ay  prise  que  pour 
y  servir  le  Roy,  comme  les  miens  ont  toujours 
fait,  ne  me  produise  que  des  disgraces  et  per- 
secutions de  mes  ennemis  ?  Que  si ,  Monsieur, 
on  est  en  estat  de  doubter  de  ma  fidelite,  je 
vous  conjure  de  me  donner  un  parlementou, 
sans  craintede  la  corruption  des  juges,  je  puisse 
faire  voir  la  calomnie  et  la  faussete  des  deposi- 
tions fabriquees  et  achetees ;  je  m'iray  remettre 
dans  la  Conciergerie  comme  le  plus  infame  cri- 
minel ,  et  apres  qu'on  aura  examine  toutes  mes 
actions,  on  trouvera  qu'il  n'y  en  a  jamais  eu 
qui  ayent  empire  au  service  du  Roy,  et  j'ayme- 
ray  mieux  mourir  que  de  m'en  estre  jamais  des- 
tache. 

»  J'espere ,  Monsieur,  de  vous  la  protection  de 
mon  innocence  et  la  continuation  de  vos  bontes, 
et  que  vous  respondrez  de  ma  fidelite  sur  le  ser- 
ment  queje  vous  fais  que  je  ne  vous  causeray 
jamais  du  deplaisir  d'avoir  protege ,  Monsieur, 

>•  Votre  tres-humble  et  tres-obeissant  serviteur, 

»  Oppi-:DE.  » 

«  Monsieur,  nous  avons  tant  de  subject  d'a- 
prehender  dans  cette  province ,  voyant  que  , 
des  que  nous  sommes  aimes  de  quelques-uns, 
les  autres  nous  croyent  ennemis ,  que  en  cette 
pensee  j'ay  vouleu  .prevenir  les  orages  qu'on  me 
pourroit  susciter,  parce  que  j'ay  creu  le  sinistre 
mauvais  pour  ce  pays,  quelques  parentes  et 
amilie  que  j'ay  avec  les  vieux  officiers  m'atti- 
rent  tant  de  baine  ,  que  ce  venin  pourroit  bien 
me  nuire  jusque  dans  la  cour.  Je  scay  que  cette 
affaire  passe  le  service  du  Roy,  et  le  bien  publi- 
que  s'en  esloigne;  on  voile  toutes  choses  du 
manteau  de  la  justice  ;  tons  ceux  qui  ne  sont 
adherans  sont  criminels,  et  ce  malheur  se  re- 
pand  sy  fort  partout,  que  toutes  nos  families 
■  sont  divisees.  J'ai  grand  deplaisir  de  me  voir 
:  en  charge  en  une  si  mauvaise  saison  ,  ou  Ton 


oKj; XI i:\iK   pat.  r if..   ,  1(N9! 


1  1 1 


blasme  les  meil'.curs  senlimens,  s'ils  ne  sc  lais- 
sent  entrainer  aux  passions  particulieres;  qui 
parle  de  paix  et  d'union  est  un  mechaiit  homme. 
Les  maximes  retenues  ne  se  publieut  pins  icy 
sans  danger;  faire  ie  service  du  Roy  doucement 
et  en  repos,  c'est  estre  un  mauvais  subject.  En- 
fin,  Monsieur,  je  vous  promis,  en  respectant  vos 
commendemens,  de  faire  mon  possible  pour 
bien  servir;  mais  quoique  mon  zele  soit  grand, 
il  faut  estre  monstre  par  des  personnes  qui  font 
de  la  vertu  un  monstre ,  sy  ceulx  qui  la  prati- 
quent  ne  leur  sont  point  agreables.  Je  vous  su- 
plie  tres-bumblement ,  Monsieur,  de  ne  con- 
dempner  quepar  lesceuvreset  soubcons  de  quel- 
que  interest  particulier,  les  rapports  qui  vous  se- 
ront  faicts,et  je  vous  responds,  Monsieur,  sur  la 
foi  que  je  doibs  a  Dieu,  que  vous  me  cognois- 
trez  toujours  ,  s'il  vous  plaist  de  me  faiie  cet 
honneur,  tres-fidelle  subject  du  Roy,  tres-inte- 
resse  et  obeissant  aux  volontes  de  nosseigneurs 
lesministres,  et  particulierement.  Monsieur,  vo- 
ire tres-humble  et  tres-obeissant  serviteur, 

»  Bras.  " 

Toutes  ces  divisions  ,  qui  existoient  en  Pro- 
vence, ne  firent  que  s'accroitre,  et  I'opiniatrete 
du  comte  d'AIais  amena  enfm  des  troubles  se- 
rieux.  L'archevesque  d'Arles  m'en  rendit  compte 
dans  une  lettre ,  et  le  parlement  en  ecrivit  a 
la  Reine  la  relation.  En  voiei  les  principaux 
points  : 

"  Monsieur,  je  m'estois  donne  I'bonneur  de 
vous  escrire ,  il  y  a  quelques  temps  ,  que  j'ap- 
prehendois  grand  desordre  en  cette  ville ,  si  I'af- 
faire  du  semestre  n'etoit  promptement  terminee  ; 
et  vous  scaurez  maintenant  que  mon  apprehen- 
sion n'estoit  pas  mal  fondee,  puisqu'il  est  vray 
que,  sans  lessoins  extraordinairesde  monsieur  le 
comte  de  Carces .  qui  ont  ete  secondes  par  mes- 
sieurs les  presidens  de  Seguiran,  et  de  Deanville 
et  monsieur  de  Seve,  il  y  airroit  eu  una  es- 
trange confusion  dans  la  journee  d'bier  et  d'au- 
jourd'huy.  Et  je  crois  vous  dire  ,  Monsieur,  que 
j'y  ay  contribue  des  mieus,  a  un  point  que  fen 
ai  demeure  vingt-quatre  heures  de  manger  et 
dormir,  pour  esviter  le  plus  grand  malheur  qui 
pouvoit  arriver  en  cette  ville. 

Et  pour  vous  Informer  du  detail  ,  je  vous 
dirai  que  monsieur  le  comte  d'AIais,  se  prome- 
nant  a  la  place  des  Pecheurs,  un  lacquais  d'un 
conselller  du  vieux  corps,  n'ayaut  pas  salue ,  un 
garde  luy  donna  quelques  soufflets,  et  ce  lac- 
quais ,  qui  a  monadvis  estoit  yvre  ,  ayant  voulu 
'  vesister,  le  garde  lui  lacha  un  coup  de  carra- 


bine  ,  et  on  le  mena  en  prison.  Cela  fit  quelque 
bruit  dans  la  place  ,  qui  augmenta  dans  le  reste 
de  la  ville;  et  quelqucs-uns  de  ces  messieurs  du 
vieux  corps ,  ayant  creu  qu'on  les  vouloit  arres- 
ter, se  retirerent  dans  lamaison  de  monsieur  le 
president  d'Oppede  ,  avec  leurs  amys  ,  quoique 
ledit  sieur  president  fust  absent.  Quelques  au- 
tres  se  retirerent  dans  la  maison  de  Beauvou- 
reil ,  advocat-general ;  et  ces  derniers  se  rendi- 
rent  a  la  maisou  d'Oppede,  qui,  estant  de  retour 
cbez  eux  et  se  voyant  envelope  de  tant  de 
gens,  fust  contraint  de  demeurer  avec  eux.  Et 
la  troupe  grossit  sy  fort,  qu'il  y  eust  de  buit  cens 
a  mil  bommes  ,  et  il  y  en  avoitbien  quinze  cens 
ce  matin. 

Monsieur  le  comte  d'AIais  I'ayant  sceu  ,  ra- 
massa  tout  son  monde  et  les  vouloit  aller  atta- 
quer.  Je  vous  advoue  que  je  vis  I'heure  que 
toute  la  ville  estoit  en  feu.  J'allai  dans  le  com- 
mencement chez  M.  d'Oppede,  et  envoye  prier 
monsieur  le  comte  de  Carces  de  s'y  vendre. 
J'eus  peine  d'en  pouvoir  sortir:  ce  fust  encore 
a  conduition  que  M.  le  comte  de  Carces  ne  les 
quiteroit  pas.  L'ayant  prie  de  demeurer  la,  pour 
empecher  qu'ils  ne  sortissent  pas  pour  venir 
faire  desordre  dans  le  reste  de  la  ville ,  je  fis 
divers  voyages ,  le  jour  et  la  nuit ,  chez  M.  Ie 
comte  d'AIais ;  et  enfm  ,  ce  matin  ,  nous  les 
avons  separes  avec  des  peines  iucroyables ,  parce 
qu'ils  vouloient  aller  remettre  les  anciens  offi- 
ciers  au  palais.  Ce  fut  a  condition  qu'ils  ne 
pourroient  pas  estre  recherches  de  ceste  jour- 
nee, et  qu'il  n'en  seroit  faict  aucune  information 
ni  escrit  a  la  cour,  monsieur  le  comte  d'AIais 
nous  ayant  remis  un  escrit  de  sa  main  pour  leur 
assurance  ,  et  je  suis  certe  oblige  de  dire  ,  que 
sans  monsieur  le  comte  de  Carces ,  nous  ne 
pouvions  pas  les  faire  separer,et  qu'il  a  tres-bien 
servi  le  Roy  en  cette  occasion  ,  aussi  bien  que 
tons  ceux  que  je  vous  ai  nommes  cy-devant.  La 
ville  est  maintenant  assez  calme  ;  mais  a  ne  rien 
desguiser,  il  est  a  craindre  qu'on  ne  tombe 
bientost  dans  un  semblable  malheur,  si  les  af- 
faires du  parlement  ne  s'acheveut  bientost.  Et 
vous  voyez  bien  que  j'avois  grande  raison  de 
vous  en  escrire  aux  termes  que  j'ai  faict.  Je  ne 
crois  pas  qu'il  faille  faire  recherche  de  cette 
action  ,  puisque  monsieur  le  comte  d'AIais  a 
donne  sa  parole  et  nous  la  uostre  sur  la  sienne ; 
nous  nous  rendrions  autrement  tout  a  fait  inu- 
tils  dans  des  pareilles  occasions,  qui  n'arrive- 
ront  peut-estre  que  trop  sou  vent :  et  je  puis  vous 
asseurer  que  sy  la  chose  feust  alle  de  longue  ,  la 
province  eust  este  en  danger.  Je  vous  ay  deja 
escrit  que  je  ne  puis  plus  demeurer  en  ceste 
ville,  et  je  prie  le  comte  d'AIais....,  inviolable 


112 


MEMOIKES    1)U    COIWTE    DE    BRIENNE  , 


pour  le  service  du  Roy,  el  que  je  serai ,  avee 
passion  et  respect ,  vostre  ,  etc. 

).  De  GiUGNAN  ,  archevesque  d'Arles. » 

A  la  Reyne. 

„ Deux  jours  apres,  qui  estoit  le  jour  de 

saiutSebastien,qui  se  fait  une  procession  gene- 
ralle  pour  la  peste  en  laquelle  tout   le  menu 
peuple  a  de  coustume  d'adsister  et  faire  au  de- 
hors des  murailles  de  la  ville,  le  bruit  courut 
qu  il  y  avoit  des  soldats  cachez  dans  la  maison 
de  ville,  comrae,  en  effet ,  il  s'y  trouva  vingt 
corps  de  garde  de  trente  soldats.  Le  peuple 
d'abord   esclame  et  s'en   plaint ;    les   eonsuiz 
les  vouleurent  rudoyer ;    et ,  comme  ils  n'ont 
pas  I'aprobation  du  public ,  ilz   sont  d'abord 
poursuivis  et  mal  menes  jusques  dans  la  sacris- 
tie  de  I'eglise  Saint-Sauveur,  ou   les  gens  de 
la  ville  eurent  de  la  peine  de  les  garantir  de  la 
fureur  du  peuple  ;  lequel  gagne  le  clocher  de  la 
mesme  eglise  pour  sonncr  le  tocsin.  Sur  ce 
bruit,  toute  la  ville  fut  en  mesme  temps  en 
armes  :  ledict  sieur  comte  d'Alais  est  investi 
dans  le  palais  sans  qu'il  peut  sortir,  non  plus 
que  les  officiers  du  semestre  qui  se  trouvoient 
enfermes  aupres  dudict  sieur  comte  d'Alais.  Le 
sieur   comte  de  Carces  va  par  la  ville  avec 
quanlite  d'officiers  de  nostre  compagnie ,  et  se 
rendent  a  ladite  maison  de  ville  pour  arrester 
ce  desordre ;  et  comme  ce  peuple  n'estoit  pas 
satisfait,  pour  n'avoir  peu  assouvir  sa  passion 
sur  la  personne  des  cousulz ,  il  demande  que 
les  gens  de  guerre  ayent  a  sortir  de  la  ville  le 
jour  mesme.  Et,  apres  que  messieurs  du  parle- 
ment  sont  restablys,  quatre  de  messieurs  sont 
contrains ,  avec  ledit  sieur  archevesque  d'Ar- 
les ,  le  sieur  de  Seguiran  ,  president ,  et  de  Bar- 
bantane ,  d'aller  chez  ledit  sieur  comte  d'Alais, 
en  robe  rouge ,  pour  le  suplier  d'esviter  la  ruyne 
de  la  ville  et  consantir  au  dessin  du  peuple  :  de 
sorteque,  I'ayant  treuve  bon  ,  nous  entrous  le 
mesme  jour  dans  le  palais,  en  robe  rouge,  el  le 
lendemain  se   fist   I'ouverture  du    palais.   Le 
peuple  ayant  tousjours  demeure  soubz  les  ar- 
mes ,  le  mesme  jour  est  fait  arrest ,  portant  su- 
pression  du  semestre ,  et  (ju'il  sera  procede  a 
nouvelle  election  du  consulat,  soubz  le  bon  plai- 
sir  de  Voire  Majeste ;  et  encore  il  a  este  neces- 
saire,  pour  mettre  le  calme  dans  vostre  ville, 
de  casser  une  imposition  sur  la  farine,  establie 
pour  les  necessites  de  vostredite  ville. 

»  Nous  vous  suplions  tres-humblement,  Ma- 
dame ,  de  croire  que  ce  nous  est  ung  extresme 
desplaisir  que  toutes  ces  choses  soient  arrivees; 
mais,  comme  nous  n'y  avons  auculnement  con- 


tribue ,  et  que  les  petits  incidens ,  qui  estoient 
survenus,  rendent  la  faultedu  peuple  escusable , 
nous  esperons  de  vostre  bonte  le  moyen  de  con- 
server  le  repos  en  ceste  province.  Elle  vous  tend 
les  mains  aussi  bien  que  nous ,  pour  asseurer 
Vostre  Majeste  que  nous  manquerons  plustost 
de  vie  que  de  fidelllte  et  obeissance ,  ainsy  que 
nous  avons  declaire  audit  sieur  comte  d'Alais;  et 
que  nous  tiendrons  pour  ennemis  de  I'Estat  ceux 
qui  s'opposent  a  vostre  authorile ,  et  que  nous 
y  employerons  et  nos  biens  et  nos  vies ,  n'ayant 
plus  grande  gloire  que  celle  d'estre ,  etc. 

»  Les  gens  tenant  la  cour  du  parlement 
de  Provence^ 

»    ESTIENNE.  » 

Mais  le  comte  d'Alais  ne  songeoit  qu'a  tirer 
vengeance  des  gens  qui  s'estoient  mutines.  II 
m'escrivit  que  je  verrois ,  par  la  depesche  de 
M.  de  Seve ,  ce  qui  estoit  arrive  en  ce  pays. 
«  J'espere  ,  ajoustoit-il ,  tirer  un  grand  bien  du 
mal  qui  est  arrive.  Je  vous  conjure  d'apporter 
toutes  les  facilites  qui  se  pourront,  et  de  ren- 
voier  promptement  les  expeditions  que  nous  de- 
mandons  :  c'est  le  moien  qui  reste  pour  estoufer 
les  divisions  passees,  et  d'empescher  que  les 
ennemis  ne  s'en  puissent  prevaloir.  » 

Pour  arreter  le  cours  d'un  mal  si  dangereux  , 
Sa  Majeste  envoya  ses  oidres  a  M.  le  cardinal 
Bichi,  pour  se  transporter  en  la  ville  d'Aix , 
avec  plein  pouvoir  de  composer  toutes  choses 
par  les  voies  les  plus  convenables  au  bien  el  re- 
pos de  la  province ,  lequel  accorda  ,  au  nom  de 
Sa  Majeste,  la  suspension  des  semestres  et  I'abo- 
lition  de  ce  qui  s'estoit  passe.  Aussitot  les  expe- 
ditions en  furenl  envoy ees  et  portees  dans  Aix 
par  le  sieur  Le  Feron ,  des  mains  duquel  aucuns 
dudit  parlement  ayant  pris  ladite  deliberation 
et  icelle  enregistree  secrettement,  se  servirent 
du  temps  et  continuation  des  troubles  de  Paris 
pour  ameliorer  encore  leurs  conditions.  Enlin  le- 
dit cardinal  fut  rediiit  a  accepter  cinq  cent  mille 
livres,savoir :  deux  cents  en  deniers  clairs  pour 
Sa  Majeste  et  trois  cents  pour  ser^ir  au  rembour- 
sement  des  parties  des  affaires  des  requettes  sup- 
primees,  laissant  a  Sa  Majeste  de  pourvoir  a  tons 
les  autres  offices ;  et  I'accord  ayant  ete  signe  en 
cette  sorte,  nouveiles  expeditions  furenl  deli- 
vrees.  Aussitot  qu'ellesfurent  arrives  a  Aix,  ceux 
du  vieux  corps  firent  mettre  les  armes  has  aux 
bourgeois  et  mirent  en  liberie  ledit  sieur  comte 
d'Alais,  qui  depuis  fut  dans  plusieurs  villes  de 
la  Provence  et  dans  celle  de  Tarrascon.  Ceux 
du  vioux  corps  conservercnl  beaucoup  d'aigreiir 


I 


DEliXlEMK    PARTIE.    [iGlO] 


contre  ledit  sieur  comte  d'Alais  u  I'occasion  du- 
dit  semestre  ,  s'estant  imagine  qu'il  avoit  favo- 
rise  ce  nouvel  etablissement  a  leur  prejudice, 
pour  diminuer  leur  puissance  et  autorite,  et 
avantager  la  sienne,  et  que  pour  son  propre  in- 
teret  il  s'etoit  porte  en  toutes  rencontres  a  les 
maltraiter ;  aussi  ils  le  regardoient  corame  I'au- 
teur  et  I'executeur  de  tout  le  mal  qu'ils  avoient 
souffert,  et  cette  meme  raison  d'autorite  par  la- 
quelle  ils  combattolent  les  engageoit  a  fortifier  la 
leur  et  diminuer  celle  du  gouverneur.  Ce  qui 
les  obligea  encore  plus  a  suivre  ce  raouvement , 
c'est  qu'iis  estoient  touches  de  crainte  de  s'estre 
attire  par  leur  conduite  I'indignation  du  Roy  et 
le  desir  de  vengeance  dudit  sieur  comte  d'Alais, 
comma  les  consuls  d'Aix  me  le  temoiguerent 
par  la  lettre  qu'ils  m'adresserent  a  ce  sujet  : 

«  Monsieur ,  nous  avons  cru  necessaire  d'en- 
voyer  ce  courrier  expres  pour  vous  advertir  de 
ce  qui  se  passe  icy  despuis  que  monseigneur  le 
comte  d'Alais  est  hors  de  la  ville  et  que  nous 
avons  obey  aux  ordres  du  Roy.  Premierement 
les  officiers  de  I'armee  \enant  de  Modene  out 
diet  a  celluy  que  nous  avons  comis  pour  leur  faire 
prendre  route,  affin  de  sortir  de  la  Provence, 
qu'ils  y  vouloient  sejourner  :  ce  qui  est  au  pre- 
judice de  la  promesse  qui  nous  a  este  faicte.  La 
ville  de  Tarascon,  qui  devoit  desarmer  a  Texem- 
ple  de  celle  d'Aix  ,  est  encore  sous  les  armes, 
ce  qui  ue  cause  pas  peu  de  trouble  en  ce  pays. 
La  cour  du  j)arlement  a  faict  arrest  portant  in- 
hibitions aM.  de  Seve  de  s'ingerer  dequoy  que 
ce  soit ,  si  ce  n'est  au  fait  de  la  guerre ,  bien 
que  monseigneur  le  comte  d'Alais  I'ayt  comis 
pour  adsister  tant  a  Tassemblee  du  clerge  que 
de  la  noblesse  :  ce  quy  pourra  causer  beaucoup 
de  desordre.  M.  de  Grilles  ,  gentilhomme  d'Ar- 
les,  a  dit,  partant  pour  la  cour,  qu'il  y  alloit 
pour  demander  qu'il  plust  au  Roy  de  restablir 
le  regiment  qui  a  este  liscentie,  pour  le  faire 
servir  a  la  place  des  quinze  compagnies  qu'on 
doibt  envoyer  pour  garder  la  cote  et  pour  obte- 
nir  que  Tassemblee  quy  a  este  assignee  par  mon- 
seigneur le  comte  d'Alais  dans  Aix  ,  au  vingt- 
deuxieme  du  courant,  et  du  depuis  renvoyee  au 
douze  du  mois  prochain ,  soit  tenue  ailleurs.  Ces 
considerations  touchent  sy  sensiblement  les  es- 
prits  qui  s'etoient  persuades  un  asseure  repos 
et  une  entiere  et  ferme  execution  de  tout  ce  qui 
avoit  este  resolu,  qu'il  est  a  craindre  qu'il  ne 
nous  arrive  quelque  nouveau  malheur,  si  la 
bonte  et  la  justice  du  Roy,  en  prevenent  les  in- 
eonveniens  qui  peuvent  arriver,  n'apportent  les 
lemperamens  et  les  remedes  propres  a  tclles  oc- 
casions. Nous  apprenons  icy  joiirnellement  que 

HI.   C.    D,    M.,   T.  III. 


lis 

tons  les  officiers  qui  estoient  au  regiment  qui  a 
este  licencie  sont  toujours  aupres  de  monsei- 
gneur le  comte  ;  que  les  soldats  ont  este  rete- 
nus  pour  la  garde  de  Tolon ,  d'Antibes  et  aultres 
lieux  autour  de  lacoste ;  qu'on  parle  d'Aix  avec 
grande  passion  etaigreur,  que  tons  ceux  qui 
sont  aupres  de  monseigneur  le  comte  et  plusieurs 
autres  dans  la  province  ,  portent  du  ruban  bleu 
pour  se  distinguer  et  faire  un  party  :  ce  qui  a  aus- 
sitost  produit  la  monstre  de  plusieurs  rubans 
blancs.  Tout  ca  est  plus  propre  a  produire  une 
guerre  civille  qu'a  niaintenir  en  paix  les  subjets 
du  Roy,  qui,  n'ayant  qu'un  mesme  raaistre  ,  ne 
doibvent  avoir  d'austre  livree  que  celle  de  son 
service,  et  n'espouser  en  rien  les  ressentimens  et 
quereiles  particulieres  qui  ne  vont  qu'a  la  mine 
du  public.  On  nous  advertit  et  menasse  de  toutes 
parts  que  I'assemblee  de  la  noblesse,  qui  a  este 
convoquee  a  Marseille  au  quatre  du  mois  pro- 
chain,  aux  fins  de  desputer  pour  les  Etats-gene- 
raux,  doit  estre  le  theatre  de  quelques  sinistres 
evenemens;  qu'a  ces  fins  on  ramasse  du  monde 
partout ,  et  que  mesme  plusieurs  gentilshommes 
du  Languedoc  et  du  Dauphine  ont  este  con  vies 
de  s'y  trouver.  II  faut  que  nous  vous  disions 
franchement ,  Monsieur,  que  cella  nous  perce  le 
cceur  de  voir  qu'au  lieu  de  nous  unir ,  on  pra- 
tique de  tons  costes  la  division  ,  et  que  les  mau- 
vais  esprits  font  plus  de  mal  dans  un  quart 
d'heure  que  tons  les  gens  de  bien  ne  sauroient 
reparer  dans  un  long  espace  de  temps ;  pour- 
voyez-y ,  s'il  vous  plaist ,  Monsieur ,  et  faites 
tomber  les  armes  des  mains  de  ceux  qui  ne  se 
nourrisent  que  dans  le  desordre  et  la  confusion. 
Nostre  province  jouiroit  maintenant  du  bon- 
heur  oil  vostre  prudence  et  les  graces  du  Roy 
font  mise ,  sy  quelques  esprits  ne  faisoient  co- 
gnoistre  par  leurs  menees  qu'on  veut  entre- 
prendre  au  prejudice  de  ce  restablissement  que 
toute  la  cour  a  approuve  et  dans  lequel  les  gens 
de  biens  commenceut  de  ressentir  les  fruitz  de 
la  justice  divine  inspiree  a  Leurs  Majestes ;  si 
bienqu'aujourd'huy  il  seroit  tres  aise,  si  on  vou- 
loit  porter  les  espritz  a  la  paix  et  union,  de  faire 
concourir  tout  le  monde  au  veritable  service.  Ce 
seroit  par  ce  moyen  que  les  assemblees  produi- 
roient  de  bons  effects ,  autrement  il  faudra  ou 
en  dillmjer  la  tenue,  ce  quy  fera  tort  aux  af- 
faires du  Roy  et  a  celles  de  la  province,  ou  s'as- 
seurer  en  la  tenant  d'y  voir  arriver  quelques  es- 
tranges evenemens ,  ou  du  moins  de  sy  grandes 
contentions ,  qu'il  sera  impossible  que  cella  n'al- 
tere  les  effects  que  le  Roy  se  pent  promettre 
pour  les  advantages  de  son  service.  Nous  avons 
depuis  deux  jours  procede  a  la  creation  du  se- 
cond et  troisieme  consul?  de  nostre  ville,  con- 

8 


1  14 


MEMOIBF.S    nil    r.OMTE    DL    BRIENNE 


form^ment  aux  lettres  patentes  du  l\oy  qu'il 
vous  a  phi,  Monsieur,  de  nous  procurer.  Cos 
charges  ont  este  remplies  d'un  consentement 
universel  des  personnes  des  sieurs  de  Momple- 
sant,  Duranti  et  Barthellemi :  ce  qui  nous  faict 
oroire  qu'ils  s'acquitteront  tres-dignement  de 
leur  employ  pour  le  service  de  Sa  Majeste  et  le 
bien  de  cette  province.  Nous  sommes,  Monsieur, 
vos  tres-humbles  et  tres-obeissans  serviteurs  , 

»  Les  consuls  (VAix  ^  procureurs  dupays 
de  Pravence, 

»  Bras.  Seouirav. 

"Aix,  le  20  avril  1649.  » 

Apres  avoir  pris  les  ordres  de  rErainence  sin- 
la  reclamation  des  consuls  et  procureurs  d'Aix , 
il  fut  resolu  que  Ton  en\erroit  en  Provence 
M.  d'Estampes ,  pour  tocher  de  pacifier  les  es- 
prits.  On  lui  remit  la  lettre  suivante  du  Roy  , 
en  creance  sur  M.  le  comte  d'Alais  : 

"  Mon  cousin ,  ayant juge  necessaire  d'envoyer 
en  Provence  quelque  personne  des  plus  quali- 
fiees,  j'ay  faict  choix  du  sieur  d'Kstampes  ,  con- 
seiller  de  mon  conseil  d'Etat ,  pour  agir  avec 
auctorite  et  travailler  efficacement  a  la  reunion 
des  esprits  ,  ajuster  et  dominer  tous  differens  et 
contestations  qui  pourroient  troubler  le  repos 
de  cette  province ,  ramener  tous  ceux  qui  s'es- 
cartent  de  leur  devoir ,  expliquer  mes  intentions 
sur  le  traicte  signe  par  mon  cousin  le  cardinal 
Bichi  avec  ceux  de  ma  cour  de  parlement  et  en 
faciliter  I'execution ,  assister  aux  conseils  que 
vous  tiendrez,  preslder  en  toutes  assemblees,  et 
generalement  faire  tout  ce  qu'il  jugera  a  propos 
pour  le  bien  de  mon  service.  Je  vous  envoie 
celle-cy ,  par  I'advis  de  la  Reine  regente  notre 
dame  et  mere ,  pour  vous  dire  que  vous  ayez 
a  apporter  de  vostre  coste  tout  ce  qui  en  depen- 
dra  pour  donner  le  calme  a  la  Provence ,  a  ce 
que  chacun  y  puisse  vivre  en  repos,  oublier  tout 
ce  qui  est  convert  par  ledit  traicte ,  donner  vos 
ressentimens  au  bien  public,  et  pour  cet  effet, 
defferer  aux  bons  avis  dudit  sieur  d'Estampes  , 
qui  vous  expliquera  plus  particulierement  mes 
intentions.,  portant  creance  de  confiance  a  tout 
ce  qu'il  vous  dira  de  ma  part.  Auquel  me  remet- 
tant,  je  prieray  Dieu  qu'il  vous  ayt,  mon  cou- 
sin ,  en  sa  sainte  garde. 

»  Ecrit  a  Compiegne,  le  7  juing  1649.  » 

Dans  I'intervalle  ,  de  nouvelles  reclamations 
nous  arriverent  de  la  part  du  parlement  de 
Provence : 

"  Monsieur,  vous  ne  doubterez  plus  du  des- 


sein  de  M.  le  comte  d'Alais ,  quand  vous  saurez 
qu'il  a  faict saisir  des  chasteaux  ,  faict  faire  des 
prisonniers  de  son  auctorite  privee,  a  faict  sous- 
lever  BrignoUe  et  prendre  les  armes  ,  ou  il  a 
mis  pour  gouverneur  le  chevalier  de  Vins ,  et 
faict  tanter  plusieurs  aultres  lieux  pour  s'en 
saisir.  II  faict  faire  des  levees  de  gens  de  guerre 
dans  le  Languedoc,  le  Dauphine  et  Provence, 
oil  il  donne  des  commissions  de  son  auctorite 
privee,  ayant  sucite  les  huguenots,  et  fait  eii- 
trer,  sans  ordre  du  Roy,  des  troupes  de  caval- 
lerie  dans  la  province,  qui  ont  cause  tant  d'actcs 
d'hostilite  par  les  lieux  qu'ils  ont  passe,  que 
toute  la  Provence  s'est  emue ,  et  a  prins  les 
armes  pour  leur  commune  deffanse.  II  a  envoyc 
une  lettre  a  toutes  les  communautes  pour  n'o- 
beir  point  a  nos  arrests  ,  sans  considerer  qu'il 
n'appartient  qu'a  Sa  Majeste.  De  quoy  nous 
croyons,  Monsieur,  etre  obliges  de  vous  don- 
ner cognoissance,  et  comme  la  ville  d'Aix  a 
este  necessitee  de  recourir  aux  armes  pour  se 
deffendre  des  maux  dont  on  la  menasse,  et  d'un 
degast  universel  par  toute  la  province  dans  la 
saison  des  fruits,  quy  seroit  reduire  les  peuples 
a  une  estrange  extremite,  quy  tous,  d'un  com- 
mun  concours ,  demandent  justice  a  Sa  Majeste, 
cependant  que  M.  le  comte  de  Carces  a  coureu 
pour  esteindre  le  feu  dans  son  commencement , 
attendant  quil  plaise  a  Sa  Majeste  luy  donner 
ses  ordres  pour  y  faire  valloir  son  auctorite 
violee,  aussy  bien  que  la  declaration  de  pacifi- 
cation octroyee  sur  les  derniers  mouvemens.  Ce 
procede  a  sy  fort  agite  les  esprits,  qu'il  sera  bien 
difficile  de  les  arrester,  sy,  par  vostre prudance 
et  par  vostre  bonte  ordinaires,  vous  ne  daigniez 
promptement  y  pourvoir  par  la  volonte  expresse 
du  Roy.  De  quoy  nous  vous  supplions  comme 
le  seul  remede  pour  finir  une  guerre  civiile  qui 
pourroit  s'estendre  dans  les  provinces  voisines  , 
d'ou  pourroient  naistre  d'estranges  maux  par 
ceux  de  la  relligion  pretendue,  qui  sont  ravis 
d'aise  de  trouver  occasion  pour  armer ;  outre  que. 
Monsieur,  vous  ferez  une  action  tres-agreable  a 
Dieu,  nous  vousen-serons  obliges  comme  estant 
vos  tres-obeissans  serviteurs, 

"  Les  gens  tenant  la  cour  du  parlement 
de  Provence. 

>'  D'Aix,  le  15  juin  1649.  » 

Dans  cet  estat,  ils  songerent  a  s'aequerir  les 
communautes  en  soulevant  la  brigue  pour  les 
consulats  d'Aix  qui  leur  sont  affectionnes ,  et 
se  precautionnerent  en  faisant  amas  de  munitions 
dans  la  ville ,  s'assurant  de  leurs  amis  et  des 
soldats,  et  cherchant  tous  moyens  pour  se  main- 
tenir  en  puissance  et  accroistr&  le  nombre  de 


nF.UXlEME    I'AP.TIE. 


1649 


1  !.'> 


leurs  partisans  ,  affin  de  prevenir  les  menact^s 
qu'ils  disent  leur  estre  faictes,  et  qu'ils  se  troii- 
vent  en  estat  d'en  empescher  I'effet ;  ct  deja 
dans  toute  la  province  les  iins  et  les  autres  se 
divisent  pour  le  gouvernement  et  pour  lepar- 
lement ,  et  s'en  declarent  par  le  ruban  des  deux 
differentes  couleurs,  qui  marquent  ceux  de  clia- 
cun  des  partis. 

Cepeudant ,  comrae  il  etoit  de  la  prudence 
du  Roy  d'aller  au-devant  de  ces  emotions,  qui 
pourroient  raettre  toute  la  province  en  confusion 
dans  peu  de  temps ,  Sa  Majeste  envoya  des  in- 
structions audit  sieurd'Estampes,  lequel  ayant 
la  naissance  ,  la  suffisance  ,  la  probite  et  le  zele 
au  bien  de  I'Estat ,  donne  lieu  de  croire  qu'il 
sauraslbienmesnagerles  esprits,  qu'il  retabliroit 
et  le  repos  et  le  calme  dans  cette  province.  Ces 
instructions  portoient  :  «  M.  d'Estampes  saura 
premierement  que  I'intention  de  Sa  Majeste  est 
d'observer  ponctuellement  le  traicte  faict  par 
M.  le  cardinal  Bichi ,  et  de  regler  les  fonctions 
du  gouverneur  et  du  parlement. 

»  Et  pour  y  parvenir,  ledit  sieur  d'Estampes 
aura  uneparticuliere  connoissance,  sur  les  lieux, 
de  ce  qui  s'est  fait,  tant  par  ledit  sieur  comte 
d'Alais  que  par  ceux  du  parlement ,  au  preju- 
dice les  uns  des  autres  ,  et  essayera  de  remettre 
chacun  dans  sa  naturelle  fonction  ,  guerira  la 
mefiance ,  rassurera  les  esprits,  et  les  persua- 
dera ,  par  toutes  sortes  deraisons,  de  ne  plus 
rien  entreprendre  ni  innover,  et  fera  cognoistre 
a  ceux  du  parlement  que,  s'ils  continuoient  de 
blesser  I'authorite  du  Roy,  Sa  Majeste  seroit 
obligee  dese  servir  de  la  puissance  que  Dieu  lui 
a  mise  en  main  pour  les  chatier;  mais  qu'elle 
desire  auparavant  les  exhorter  a  vivre  en  bons 
et  loyaux  subjects,  et  jouir  paisiblement  de  la 
gr^ce  de  I'oubli  de  toutes  leurs  fautes  passees. 

>'  Si  ledit  sieur  d'Estampes  trouvoit  ledit  sieur 
comte  d'Alais  irrite  contre  ceux  du  parlement, 
et  que  ceux  qui  I'approchent ,  et  mesme  la  plu- 
part  de  la  noblesse  du  pays ,  voulussent  suivre 
ce  raouvement  pour  trouver  employ  dans  les 
armees,  s'imaginant  qu'il  la  faut  employer  en 
ce  rencontre  ,  il  fera  bien  comprendre  audit 
sieur  comte  qu'il  doit  faire  ceder  au  bien  pu- 
blique  ses  passions  particulieres,  et  qu'il  iraporte 
presentement  au  service  du  Roy  de  ne  point  en- 
trerdans  la  voye  de  fait ,  mais  plutot  difierer  les 
contestations,  de  telle  sorte  qu'il  ne  reste  plus 
aux  uns  ni  aux  autres  de  sentimens  d'animosite 
ou  de  vengeance,  et  que,  quand  il  jouira  du 
coramandement  et  du  pouvoir  sur  les  armees, 
ainsi  que  luy  donne  sa  charge  ,  et  que  de  son 
c6te  le  parlement  ne  se  melera  que  des  ordon- 
nances,  ils  doivent  etre  tous  satisfaits;  et  a 


regard  de  ceux  dudit  parlement ,  ledit  sieur 
d'Estampes  les  persuadera  que  la  compagnie  se 
doit  renferm.er  dans  les  seules  bornes  du  pouvoir 
de  leur  charge,  sans  les  etendre  au-dela  ;  et  que 
tout  ce  qu'elle  pourroit  faire  par  mefiance  et 
pour  se  premunir  contre  I'authorite  de  Sa  Ma- 
jeste et  celle  du  gouverneur  de  la  province,  ne 
leur  pent  servir  qu'a  exciter  d'avantage  I'envie 
de  reprimer  leurs  entreprises  par  la  force,  et 
que  le  meilleur  pour  eux  seroit  de  se  tourner 
du  coste  du  respect,  de  la  soubmission  et  de  I'o- 
beissance  qui  est  due  a  Sa  Majeste,  laqueile  a 
accoustume  de  pardonner  a  ceux  qui  s'humi- 
lient,  et  de  renverser  les  desseins  de  ceux  qui 
s'opposent  a  ses  volontes. 

»  Ainsi ,  toute  cette  conduitte  consiste  a  re- 
mettre un  chacun  dans  son  droit ,  et  qu'il  ne 
reste  aucun  ombrage ,  ny  soubcon  ,  ny  crainte  , 
au  contraire,  une  confiance  toute  entiere  a  la 
parole  qu'il  leur  donnera  de  la  part  de  Sa  Ma- 
jeste ,  qu'elle  est  bien  eloignee  de  cette  pensee 
d'envoyer  des  gens  de  guerre,  et  qu'elle  vent 
proteger  et  couserver  son  pays  en  usant  de  sa 
bonte  paternelle  ;  neanmoins  ,  si  on  s'opiniatroit 
a  mepriser  les  voyes  de  douceur  qu'elle  em- 
ploye en  cette  occasion  ,  il  est  sansdoute  qu'elle 
se  resoudra  de  faire  sentir  la  pesenteur  de  sa 
main  a  tous  ceux  qui  se  rendront  coupables  de 
d^sobeissance  et  de  rebellion. 

»  Ledit  sieur  d'Estampes  suppleera  encore 
d'une  infinite  de  raisons  que  son  bon  esprit  lui 
suggerera,et  pour  s'instruire  d'avantage  de  cetfe 
affaire ,  passera  a  Carpentras  pour  y  veoir  M.  le 
cardinal  Bichy,  lequel  lui  pourra  dire  tous  les 
sentimens  des  uns  et  des  autres  ,  et  lui  donner 
ses  bons  advis  et  conseils,  que  ledit  sieur  d'Es- 
tampes suivra ,  comme  venans  d'une  personne 
en  qui  Sa  Majeste  a  pleine  confiance ,  et  qui , 
outre  sa  grande  suffisance  et  dexterite,  fait  con- 
tinuellement  parojtre  une  tres  forte  passion  pour 
les  interests  du  bien  du  service  de  Sa  Majeste. 
»  II  sera  bon  aussi  de  conferer  avec  le  sieur 
de  Seve ,  intendant  en  Provence ,  qui  a  veu  la 
naissance  et  le  progres  de  toutes  ces  esraotions  , 
et  donnera  une  connoissance  exacte  de  toutes 
choses  audit  sieur  d'Estampes ,  lequel ,  confe- 
rant  aussi  avec  le  sieur  archeveque  d'Arles,  qui 
a  souvent  este  employe  en  cette  affaire ,  pourra  , 
estanteclaire  de  tant  de  diverses  choses,  trouver 
avec  plus  de  facilite  I'ajustement  de  toutes  choses, 
et  surtout  conservera  audit  sieur  comte  d'Alais 
tout  ce  qui  est  attache  a  sa  personne  et  a  la  di- 
gnite  de  sa  charge,  de  telle  facon  qu'il  puisse 
en  continuer  les  fonctions  et  se  faire  obeir  sans 
repugnance  de  tous  ceux  de  son  gouvernement, 
en  tout  ce  qu'il  leur  commandera  pour  le  service 

8 


I  IG 


MEMOIRES    DV    COMTE    DE    BRIKNKR, 


de  Sa  Majeste  ,  et  fera  si  bien  ,  que  I'uuion  et 
rintelligence  qui  doit  estre  entre  luy  et  eeux 
dudict  parlement  paroisse ,  par  les  effets  ,  et 
qu'elle  soit  establie  en  sorte  que  rien  ne  la  puisse 
plusalterer. 

..  Le  sieur  d'Estampes  prendra  grand  soin  de 
faire  entendre  au  sieur  eomte  de  Carces,  lieu- 
tenant-genera! audit  gouvernement,  qu'il  doit 
bien  prendre  garde  de  ne  pas  appuyer  ceux  du- 
dit  parlement  contre  le  gouvernement,  non  seu- 
lement  parce  que  leurs  entreprises  seroient  pre- 
Judieiables  au  repos  de  la  province,  mais  aussi 
par  son  propre  interest,  parce  qu'il  ne  pent 
coDsentir  a  I'affoiblissement  de  I'authorite  dudit 
gouvernement,  que  la  sienne ,  qui  est  la  meme, 
n'en  soul'fre ;  si  bien ,  qu'il  sera  aise  de  lui  faire 
tenir  une  conduicte  telle  qu'il  balance  et  mo- 
dere  Temportement  de  ceux  de  la  compagnie, 
qui  ont  quelque  creance  et  attachement  a  sa 
personne. 

.'  Le  seul  et  unique  but  que  doit  avoir  ledict 
sieur  d'Estampes ,  en  tout  son  employ,  est  de 
conserver  la  province  dans  I'obeissance  de  Sa 
Majeste,  empescher  qu'elle  ne  se  divise  et  qu'il 
ne  s'y  fasse  aucun  parti;  que  la  noblesse,  les 
magistrals ,  consuls  et  syndics  des  coramunau- 
tes  ,  se  rangent  chacun  a  leur  devoir  et  trou- 
vent  son  repos  dans  une  veritable  soubmission. 
"  11  a  este  expedle  audit  sieur  d'Estampes 
une  commission  du  Roy  pour  avoir  entree  et 
voix  deliberative  au  parlement,  comme  con- 
seiller  d'Estat  honoraire,  afin  qu'il  puisse  ,  tou- 
tes  les  fois  que  bon  luy  sembiera  ,  conferer  et 
faire  resoudre  les  ditiicultes  qui  pourroient  sur- 
venir  avec  ceux  de  cette  compagnie. 

»  II  a  este  aussi  expedie  une  commission  [)his 
generale  pour  agir  en  tout  ce  qu'il  jiigeta  estre 
a  propos  pour  le  bien  du  service  de  Sa  Majeste, 
assister  aux  conseils  qui  se  tiendront  chez  le- 
dit  sieur  comte  d'Alais,  presider  aux  assem- 
blees  des  communes  et  reunions  des  consuls, 
comme  en  tons  sieges  et  justices  ;  et  parce  que 
U's  cxpcdilioiis  pour  les  assemblecs  des  commu- 
»\autes  ont  este  deja  faictes  et  adressees  audit 
sieur  deScve,  il  se  servira  de  ces  memes  let- 
tres  et  instructions ,  et  effectuera  ce  qui  lui  au- 
roit  este  ardoniie  pour  le  service  de  Sa  Majeste. 
En  cas  qu'il  juge  devoir  retarder  ladUte  assem- 
blee,  il  en  donnera  son  advis  a  Sa  Majeste  ,  et 
si  la  tenue  des  Etats  de  la  Provence  se  pcut  faire 
avec  faciliteou  non  pour  le  repos  de  la  province. 
»  II  y  a  encore  un  autre  different  dans  la  ville 
d'Arlcs ,  pour  la  suppression  du  quatrieme  cha- 
peron et  retablissement  d'iceluy ;  mais  comme 
il  a  ete  renvoye  audit  sieur  comte  d'Alais,  on 
croit  qu'il  aura  faict  cet  accord  ;  neanmoins,  en 


cas  qu'il  ne  fust  point  acheve,  ledit  sieur  d'Es- 
tampes y  contribuera  en  tout  ce  qu'il  pourra ,  a 
ceque  cette  affaire  se  termine  au  contentement 
universel  de  ceux  de  ladite  ville,  qu'il  importe 
decontenter;  ledit  sieur  d'Estampes  sera  soi- 
gneux  d'advertir  Sa  Majeste  de  tout  ce  qu'il  aura 
faict ,  etreglera  tout  ce  qu'il  pourra  sur  les  lieux 
avec  promptitude  et  diligence,  entierement  en  sa 
prudence  et  bonne  conduite.  « 

Enfin,  M.  d'Estampes  dressa  des  articles 
avec  messieurs  du  parlement ,  cour  des  comp- 
tes,  aides  et  finances,  ville  d'Aix  et  pays  de 
Provence  ,  pour  parvenir  a  une  bonne  paix  , 
lesquels  furent  ajustes  et  signes  a  Aix,  le  :ui 
juillet,  et  dont  voici  les  articles  secrets  : 

«  Messieurs  du  parlement,  ville  d'Aix  et  pais 
de  Provence,  declarent  qu'encores  que,  par  leur 
response  n  I'article  sixieme  des  propositions  a 
eux  faictes  par  M.  d'Estampes  de  Vallencay,  ils 
ayent  dit  qu'ils  u'y  pouvoient  entendre  de  faire 
present  a  Sa  Majeste  de  la  somme  de  cent  mi  lie 
escus  pour  survenir  a  ses  affaires  presentes , 
neanmoings  ,  pour  tcsmoigner  leur  zele  et  pas- 
sion au  service  du  Roy,  encore  que,  pour  leur 
defense  legitime ,  ils  ayent  beaucoup  ^consume 
d'argent ,  et  que  leurs  biens  a  la  campagne 
ayent  este  grandement  gastes  par  les  troupes 
que  M.  le  comte  d'Alais  a  fait  venir  dans  le 
pais  au  temps  de  leur  recolte,  promettent  de 
mettre  es  coffres  de  Sa  Majeste,  dans  la  Saint- 
Michel  prochain  ,  la  somme  de  cent  cinquante 
miile  livres  ,  qui  lui  seront  payes  et  portes  en 
son  espargne  par  M.  Raiilon,  tresorier  de  la 
bourse  commune  dudit  pais,  a  prendre  sur  les 
deniers  de  la  derniere  imposition  de  cent  livres 
par  feu ,  laquelle  sortira  a  son  effet  et  a  ses  fins. 
Sa  Majeste  en  accordera  les  expeditions  neces- 
saires  pour  I'entiere  execution ,  et  fera  cesser 
tons  empeschemens. 

"  Itein,  sur  I'article  huictieme  eoncernant  les 
evocations  generales  demandees,  le  parlement 
declare  qu'encore  qu'il  n'ayt  consenti  qu'a  celle 
pour  les  officiers  dii  seinestre  ,  qu'ils  veuUent 
bien  les  etendre  jusqu'a  viugt  personnes  que 
M.  le  comte  d'Alais  nommera ,  et  mesme  jus- 
qu'a trente,  si  ledit  sieur  d'Estampes  le  trouve 
ainsi  se  devoir  faire;  et  sera  monseigneur  le 
chancelier  supplie  par  lui  de  vouloir  restraindre 
que  lesdites  evocations  ne  seront  que  pour 
sommes  excedant  deux  cents  livres  en  princi- 
pal ,  et  dix  livres  de  rente  fonciere,  et  non  pour 
les  provisions  alimentaires. 

»  Item  ,  sur  I'aiticle  neuvieme  touchant  les 
consulats ,  declarent  qu'ils  consentent  que  les 
consuls  de  Montauroux  esfant  en  charge  soient 


UKLIMEMIi    PAUTIE.    [lG-19] 


117 


eontinuez,  t'licorc  qu'il  y  ayt  arrest  dii  parle- 
inent  sur  I'appel  interjette  sur  leur  election, 
achevaut  le  reste  de  leur  annee.  Et  pour  ce  qui 
est  des  consuls  de  Tannee,  estremis  a  la  prudence 
de  M.  d'Estampes  seul  d'en  user  comme  ii 
trouvera  bon  pour  le  service  du  Roy  et  repos 
de  ladite  vilie.  Et  messieurs  du  pariement  ont 
sigue  sur  roriginai. 

"Faict  a  Aix  ,  le  vendredy  trentierae  jour  de 
juillet  mil  six  ecus  quaraute-neuf.  » 

Bientot  apres  le  calme  se  retablit  uii  peudans 
cepays  eta  Paris  meme,  etj'informois  les  am- 
bassadeurs  que  quand  Ton  sauroit  I'entree  triom- 
phaute  du  Roi,  son  remerciement  a  INotre- 
Dame  et  sa  cavalcate  a  Saint-Louis  ,  et  puis 
encores  le  divertissement  des  batteliers  a  faire 
la  jouste  et  tirer  I'oye ,  avec  tant|d'acclamations 
publiques  et  de  marques  d'affection  des  peu- 
ples ,  et  le  festin  royal  qu'on  lui  proposoit  pour 
le  jour  de  sa  feste  ,  dans  rHostel-de-\  ille  ,  le 
bal ,  la  comedy  et  un  feu  d'artiffice ,  on  croi- 
roit  certainement  chez  tous  les  etraugers  qu'il 
n'y  avoit  rien  de  plus  veritable  que  le  zele  dn 
peuple  envers  Leurs  Majestez,  el  un  desir  uni- 
versel  de  leur  rendre  toutes  sortes  d'obeissance 
et  de  respect.  Quand  on  scauroitde  plus  ,  que  la 
Provence  est  tout-a-faict  paciffiee  ;  que  le  par- 
iement et  ceux  de  la  ville  d'Aix  avoient  receu 
en  joye  les  conditions  de  la  paix  que  Sa  Ma- 
jeste  leur  avoit  voulu  imposer;  que  les  deputes 
du  pariement  etoient  venuz  faire  excuses  et 
soubmissions  a  M.  le  comte  d'Alais,  et  des 
bourgeois  en  grand  nombre  venus  luy  deman- 
der  pardon  de  tout  ce  qui  s'estoit  passe ;  qu'on 
donnoit  ordre  a  Bordeaux  pour  y  establir  le 
calme  par  la  mesme  voye  ;  il  faudroit  aussi  que 
nos  ennemis  avouassent  qu'iis  s'etoient  mes- 
pris  ,  et  que  nous  ne  manquions  ny  de  moyens, 
ny  de  force  pour  les  pousser  aux  extremitcs  oii 
ils  nous  vouloient  reduire ,  si  eux-raesmes  ne 
nous  prevenoient  par  la  paix  ,  laquelle  nous 
souhaittions  toujours,  quelque  prosperite  qui 
nous  arrival ;  et  que  nos  alliez  auroient  main- 
tenant  plus  de  confiance  en  nous  qui  avions 
faict  parroistre  notre  constante  fidelite  envers 
tous  ceux  a  qui  nous  I'avions  promise. 

La  cour  fit  dans  ce  temps- la  un  voyage  a 
Amiens.  II  ne  se  passa  rien  d'extraordinaire 
pendant  lacampagne,  sinon  que,  tandis  qu'elle 
dura,  il  y  eut  des  personnes  qui  s'entremirent 
pour  reunir  parfaitement  M.  le  prince  avec  le 
cardinal.  Le  premier,  s'etant  persuade  que  Ton 
traitoit  sincerement  avec  lui ,  revinl  a  Paris  , 
oil  son  frere  el  M.  de  Longucvillcse  rendirent 
aussi.  Le  prince  de  Conti  ful  admis  dans  le  con- 


seil ;  et ,  par  malheur.  Ion  eut  I'adresse  de  de- 
tacher M.  le  due  d'Orleans  d'avec  le  prince  de 
Conde.  Le  coadjuteur  de  Paris  se  declara  I'en- 
nemi  de  celui-ci.  Ce  qui  se  passa  entre  eux  est 
un  evenement  des  plus  remarquables  de  I'his- 
toire ,  que  je  n'entreprendrai  pas  d'ecrire,  mon 
intention  ,  comme  je  I'ai  deja  dit,  n'etant  que 
de  parler  seulement  des  choses  auxquelles  j'ai 
eu  part. 

[  Le  roy  d'Anglelerre  avoit  ete  arrete  dans 
rile  de  Wight  et  enferme  dans  le  chateau 
Hurst,  puis  transfere  a  Windsor,  ou  il  resta 
jusqu'au  19  Janvier  1649.  De  la,  on  le  condui- 
sit  a  Londres  ,  ou  soixante-dix  juges  ,  dont 
Crorawel  etoit  le  chef,  lui  firent  son  proces. 

II  fut  interroge,  eux  converts  et  assis,  dans 
la  salle  de  Woestmenster.  Ce  prince  les  confon- 
dit  par  ses  reponses  fermes  et  hardies  ,  leur  de- 
mandant de  qui  ils  tenoient  I'auctoritede  juger 
leur  souveraiu  ;  mais  ces  gens-la  avoient  preme- 
dite  leur  action  et  rien  ne  pouvoit  les  erapecber 
de  I'achever,  sans  quelque  coup  du  ciel  qui  peut 
detourner  leur  fureur. 

Leurs  Majestes  firent  faire  divers  offices  par 
M.  de  Bellievre  ,  ambassadeur  a  Londres,  et  en- 
voyerent  expres  M.  de  Varenne  ,  avec  lettre 
de  creance ,  pour  faire  des  instances  vives  et 
affectionnees  en  faveur  dudit  roy.  La  seule 
pensee  de  I'estat  ou  il  etoit  reduict  fesoit  bor- 
reur,  et  on  ne  sauroit  assez  s'estoner  d'un  at- 
tentat si  funeste.  M.  de  Varennes  partit  charge 
de  lettres  signees  du  Roi  pour  Cromwel ,  Jer- 
ton ,  le  general  Fairfax,  et  pour  ceux  de  la 
chambre  des  communes ,  dont  suit  la  teneur : 

«  Monsieur  Cromwel,  j'ai  le  coeur  si  louche 
du  mauvais  etat  auquel  est  reduit  mon  frere , 
oncle  et  cousin,  le  roy  de  la  Grande-Bretagne  , 
que  je  ne  puis  plus  long-temps  dissimuler  sans 
estre  esclaire  des  verilables  intentions  de  ceux 
qui  ont  sa  personne  royale  en  leur  pouvoir  ,  ne 
pouvant  pas  m'imaginer  que  ce  qui  s'est  diet 
icy  puisse  avoir  autre  fin  que  de  justifier  son 
innocence  ,  affin  de  faire  honte  a  tous  ses  ac- 
cusateurs  ;  et  comme  vous  etes  un  deceux  qui 
y  pouvez  beaucoup  contribuer ,  je  vous  escris 
eelle-cyenparticulier,  de  I'avis  de  la  Reyne  re- 
gente  notre  dame  et  mere,  qui  vous  sera  rendue 
par  le  sieur  de  Varenne,  conseiller  de  mon 
conseil  d'Elat  et  I'un  de  mes  gentilshommes  or- 
dinaires,  que  j'envoye  expres  pour  vous  faire 
cognoistre  que  vous  avez  en  main  une  occasion 
de  vous  signaler ,  en  faisant  une  action  juste  en 
faveur  de  voire  souverain,  en  usant  bien  du 
pouvoir  que  les  armes  vous  ont  donne  sur  luy  , 
pour   Ic  romcttre  dans   sa  dignitc  el  dans  ses 


1  18 


MK.ViOiaiiS    1)11    COMTK    I)E    lilUEAMi, 


droicts  :  ee  qui  vous  seroit  avantageux  par  la 
recompense  que  vous  auriez  meritee  et  par  le 
bieu  qui  en  reviendroit  a  vostre  patrie,  le  re- 
pos  de  laquelle  vous  devriez  procurer  :  et  ce 
faisant,  je  vous  en  seray  oblige  et  vous  donne- 
ray  de  solides  effets  de  ma  bonne  volonte.  Je 
veux  bien  juger  de  votre  interieur ,  et  croire 
que  vous  vous  servirez  de  I'occasion  pour  re- 
donner  a  votre  prince  les  marques  de  la  gran- 
deur et  de  Tautorite  qui  lui  appartienuent,  fai- 
sant  une  chose  fortglorieuse  et  qui  vousrendra 
digne  de  toutes  les  graces  et  faveurs  ,  particu- 
iierement  de  la  royaute,  et  qui  vous  seront  as- 
seurees  par  la  parole  que  je  vous  ai  donnee  et 
parce  que  mes  intentions  vous  seront  plus  par- 
ticuliereraent  expiiquees  par  M.  de  Bellievre, 
mon  ambassadeur  ,  et  par  ledit  sieur  de  Va- 
renne ,  en  qui  vous  prendrez  toute  creance,  je 
m'en  reniets  a  eux  de  s'etendre  davantage  sur 
ce  sujet  j  et  ce  pendant  je  prieray  Dieu  qu'il 
vous  ait  ,  etc. 

>•  A  Saint- Germain^  le  '2f('vjierl(j49.  » 

•'  Monsieur  Jerton,  j'envoye  exprez  le  sieur 
de  Varenne ,  conseiller  de  mon  conseil  d'Etat 
et  Tun  de  mes  gentilshommes  ordinaires  ,  pour 
faire  instance  en  mon  nom  partout  ou  sera  be- 
soing ,  avec  toute  la  chaleur  d'amitie  qui  m'en- 
gage  aux  interets  de  mon  frere ,  oncle  et  cou- 
sin, le  roy  de  la  Grande-lJretagne,  a  ce  que  son 
innocence  soit  recogneue,  et  que  la  paix  entre 
luy  et  ses  sujets  se  puisse  terminer  par  une  voye 
convenable  a  sa  dignite,  et  qui  soit  glorieuse  et 
utile  a  son  parlement  et  a  ceux  qui  comman- 
dent  les  armees ,  ne  pouvant  pas  m'imaginer 
que  ceux  qui  tiennent  sa  personne  en  leur  pou- 
voir  ayent  d'autre  pensee  que  celle  de  la  resta- 
blir  danssa  puissance  legitime,    et  d'assurer 
par  ce  moyen  le  repos  de  ses  sujets.  Je  veux 
croire  que  vous  prendrez  un  conseil  genereux  , 
et  que  vous  vous  servirez  de  vos  avantages  pour 
contribuer    au   retablissement   de   sa   dignite, 
ainsy  que  je  vous  en  prie  ,  et  d'ajouter   creance 
a  tout  ce  qui  vous  sera  diet  par  le  sieur  de  Bel- 
lievre ,  mon  ambassadeur ,  et  le  sieur  de  Va- 
rennes,  et  aux  asseurances  qu'ils  vous  donne- 
ront  de  ma  bonne  volonte ,  priant  Dieu,  etc.  » 

"  Monsieur  le  general  Fairfax  ,  nous  avons 
tousjours  creu  que  vous  aviez  pris  le  comman- 
demcnt  des  armees  d'Angleter  re  avec  cette  senile 
intention  d'asseurer  le  repos  des  peuples  sous  la 
juste  et  legitime  domination  de  leur  Roy,  et 
nous  nc  pouvons  pas  nous  imaginer  que  sa  per- 
sonne royalle  eslant  tombee  sous  votre  pouvoir 
puisse  davantage  estrc  maltraictee  ,  et  que  ,  si 


vous  avez  quelques  raisons  qui  vous  ayent  en- 
gage d'eu  venir  si  avant,  vous  serez  maintenant 
plus  eclaire  ,  et  apres  avoir  recogneu  ce  qui  est 
seul  de  sa  dignite ,  ne  perdrez  pas  I'occasion 
d'agrandir  vostre    fortune   en   retablissant   la 
sienne.  En  quoy  ,  si  mes  prieres  peuvent  etre 
efficaces  et  qu'il  se  traicte  quelqu'accommode- 
ment  en  la  conjoncture  presente ,  non-seule- 
nient  je  vous  en  sauray  gre,  mais  je  veux  estre 
le  garant  de  I'execution  des  promesses  qui  vous 
seront  faictes  par  ledit  Roy  ,  mon  frere ,  oncle 
et  cousin ;  et  faisant  reflexion  sur  ce  qui  vous 
sera  plus  particulierement  expose  par  M.  de 
Bellievre,  mon  ambassadeur,   et  par  le  sieur 
de  Varenne,  conseiller  de  mon  conseil  d'Etat  et 
I'un  de  mes  gentilshommes  ordinaires,  que  j'en- 
voye exprez  vers  vous,  je  prens  sujet  de  bien  es- 
perer  de  vostre  humeur  genereuse,  qui  donnera 
beaucoup  d'eclat  a  sa  reputation ,  si  I'innocence 
dudit  Roy  est  manifestee;  et  ne  pouvant  m'ima- 
giner qu'on  voullut  mespriser  mes  instances  en 
une  chose  si  juste  et  raisonnable,  etqui  metient 
au  coeur  par  le  lien  du  sang  et  de  la  fraternite, 
aussy  je  me  persuade  qu'aprez  avoir  ouy  ce  que 
j'ay  mis  en  creance  sur  mon  ambassadeur  et 
sur  ledit  sieur  de  Varenne  ,  vous  prendrez  des 
resolutions  conformes  a  I'honneur  de  nostre  pro- 
fession ,  et  a  ce  que  doibt  un  suject  a  son  roy 
et  a  sa  patrie.  Sur  vos  assurances  ,  je  prieraj' 
Dieu  qu'il  vous  ayt ,  etc. 

»  A  Saint-  Germain  ,  le  2  fevrier  1649.  » 

«  Cher  et  bien  ame  ,  ayant  sceu  I'etat  auquel 
se  trouve  reduicte  la  personne  de  nostre  frere  , 
oncle  et  cousin,  le  Roy  de  la  Grande-Bretagne; 
le  mauvais  traictement  qu'il  continue  de  rece- 
voir  nous  faisant  craindre  qu'il  ne  soit  encore 
pire  ,  nous  a  oblige  d'envoyer  exprez  ledit  sieur 
de  Varenne  ,  conseiller  en  nostre  conseil  d'Etat 
et  I'un  de  nos  gentilshommes  ordinaires  ,  le- 
quel  nous  avons  charge  de  ceile-cy  que  nous 
vous  ecrivons  de  I'avis  de  la  Reyne  regente 
notre  dame  et  mere ,  pour  vous  prier  d'entrer 
en  consideration  dece  qui  est  du  audit  Roy,  et 
de  conti-ibuer  de  tout  vostre  pouvoir  a  faire  en 
sorte  qu'il  puisse  changer  sa  mauvaise  fortune 
en  une  meilleure  ,  et  que  le  respect  dont  les  An- 
glois  out  este  tousjours  jaloux  pour  leur  souve- 
rain  ne  se  perde  pas  en  celui-cy  ;  vous  assurant 
que  nous  nous  tiendrons  tres-obliges  ,  si  vous 
defferez  a  nos  prieres  tres-instantes  et  affection- 
nees  en  laveur  dudit  Roy,  et  nous  en  conserve- 
rons  un  lessentiment  parfait  pour  vOus  faire  co- 
gnoistreen  toute  occasion  nostre  bonne  volonte 
envers  vous,    laissant  a  Nostre  prudence  dc- 


penser  eombien  il  nous  seroit  sensible  si  nous 
n'estions  pas  assez  consideres  en  une  demande 
si  juste  et  a  la  poursuite  de  laquelle  nous  som- 
mes  interesses  par  le  sang  et  la  fraternite.  Et 
parce  que  ceux  de  la  chambre  des  Communes 
du  parlement  d'Angleterre ,  a  qui  vous  com- 
muuiquerez  ces  presentes  seront  pins  particu- 
lierement  informes  de  nos  intentions  par  le  sieur 
de  Bellievre  ,  nostre  anibassadeur ,  et  par  ledit 
sieur  de  Varenne  ,  nous  nous  en  remettrons  a 
ce  qui  sera  diet  par  eux  de  nostre  part ,  leur 
donnant  creance  pour  cette  affaire.  Cependant 
nous  prierons  Dieu  qu'il  vous  ait ,  tres-chers  et 
bons  amis  ,  en  sa  tres-sainte  garde.  » 

Nous  eumes  bientot  apres  avis  de  la  con- 
damnation  a  mort  du  roy  de  la  Grande-Bre- 
tagne  ,  par  ies  commissaires  constitues  ses  ju- 
ges  ,  qui  luy  prononcerent  Tarret  le  huictierae 
fevrier,  et  firent  faire  I'execution  le  lendemain, 
en  place  publique  ,  vis-a-vis  de  la  porte  de  son 
palais.  Cette  Majeste  souffrit  avec  beaucoup  de 
patience  et  de  courage  Ies  derniers  efforts  de  la 
malice  de  ses  ennemis ,  lesquels  dcpuis  ordon- 
uerent  que  tons  Ies  actes  ne  se  i'eroient  plus 
soubz  le  nora  de  Roy  ,  mais  soubz  le  nom  de 
Custocles  libertatis  Anglicv.^  auctoritate  Parlu- 
tiienti.  Get  accident  est  si  estrange  qu'on  ne 
pent  y  penser  sans  horreur. 

Ce  fut  notre  resident  de  La  Haye  qui  nous 
en  informa  le  premier  par  sa  lettre  du  I7  le- 
vrier,  dont  voici  I'extrait  : 

«  Monsieur ,  vous  aurez  seu  ,  en  droiture  de 
Londres,  la  mort  pitoyable  du  roy  d'Angle- 
terre. Les  uns  disent  que  cette  barbaric  s'est 
comise  dans  la  salle  de  Wintal  ,  d'autres  dans 
une  place  publique.  J'ai  veu  deux  lettres  :  lune 
a  la  contesse  d'Arondel ,  I'autre  de  I'ambassa- 
deur  Paw  a  son  fils,  quidemeure  en  cette  villej 
toutes  deux  ne  marquent  rien  de  cette  circon- 
stance ,  qui  est  bien  vaine  dans  une  si  haute  in- 
liumanite.  On  nous  a  dit  qu'il  y  avoit  lettre  de 
Necuastel  a  Roterdam,par  laquelle  les  deputes 
d'Ecosse  devoient  venir  a  La  Haie ,  vers  leur 
nouveau  Roy ;  nous  n'en  avons  aucune  certi- 
tude. ■> 

Les  affaires  d'Ecosse  continuerent  de  fixer 
notre  attention.  Je  mandai  a  M.  de  Graymont 
que  «  les  affaires  de  ce  pays ,  encore  chauce- 
lantes,  avoieut  fait  un  grand  pas  pour  leur  su- 
rete  et  leur  repos ,  en  proclamant  roy  le  prince 
deGalles ;  mais  que,  s'ils  maiiquoient  a  I'affermir 
en  ses  droicts  el  en  sa  dignite,  leur  seconde 
faute  deviendroit  pire  que  la  premiere ;  que  les 
intentions  de  Sa  Majeste  etoient  toutes  bonnes 


DEUXIEME    PARTIE.    [1G49J  119 

et  avantageuses  a  cette  nation ,  qui  devroient 
recompenser,  par  un  exces  defidelite  etd'amour 


pour  le  tils,  ce  qu'ils  ont  perdu  de  reputation 
en  livrant  le  pere  aux  Anglois.  Vous  continue- 
rez  a  nous  donner  avis  de  la  pente  que  prendront 
les  affaires ,  et  direz  a  M.  le  marquis  d'Argueil 
qu'il  y  a  tousjours  plus  de  fortune  et  d'honneur 
a  esperer  dans  les  bonnes  graces  de  son  souve- 
rain  et  dans  I'araitie  d'un  Roy  de  France  ,  que 
dans  le  tumulte  populaire  dont  le  caprice  faict 
tousjours  perir  les  grands  seigneurs.  » 

En  reponse  a  cette  depeche,  M.  de  Graymont 
me  rendoit  compte  de  ce  qui  se  passoit  en  ce 
pays,  par  sa  lettre  du  23-13  mars  1649 ,  recue 
a  Saint-Germain  le  4  avril ,  et  que  voici : 

«  Monseigneur,  je  raisonnois  fort  mal  dans 
une  de  mes  precedentes  lettres  :  je  disois  que  la 
difference  de  religion  susciteroit  tousjours  assez 
dequerellesentre  I'Ecosseet  les  ludependans, 
desquelles  le  roy  d'Angleterre  pouvoit  tirer 
beaucoup  d'avantages;  mais  a  present  je  vois 
que  le  Covenant  est  une  chose  qui  sert  a  dimi- 
nuer  I'autorite  du  Roy,  traverser  les  Malignans, 
quisont  ses  serviteurs  ,  donner  quelque  appre- 
hension aux  Independans  ,  s'acquerir  beaucoujJ'" 
de  bonne  ophiion  vers  le  peuple,  href,  a  se  def- 
fendre  et  offenser  soubz  ce  specieux  tittre  de 
religion,  sans  epouser  des  querelles  contraires 
aux  intentions  des  Covenantaires.  Les  chefs 
de  ce  parti  disent  tout  nettement  que  si  le  roy 
d'Angleterre  ne  I'accepte  pas  et  ne  donne  toute 
sorte  de  satisfaction  a  t'Eglise ,  ils  u'ont  que 
faire  d'entreprendre  une  nouvelle  guerre  contre 
leurs  voisins ,  et  ne  parlent  pas  de  ce  qu'ils  fe- 
roient  pour  luy  s'il  vouloit  signer  le  Covenant, 
sinon  en  termes  generaux;  si  bien  que  je  ne 
scay  comment  il  se  comportera  avec  eux. 

' «  Le  chevailier  Flaming,  qui  arriva  icy  di- 
manche  pour  ses  affaires  particulieres,  comme 
il  dit,  mais  en  elfet  pour  espier  la  contenance 
de  ces  messieurs-cy.  temoigneque  le  roy  d'An- 
gleterre veut  donner  toute  sorte  de  satisfaction  a 
I'Eglise ;  mais  qu'il  se  veut  conserver  son  auto- 
rite  toute  entiere.  S'ils  en  demeurent  la,  et  eux 
dans  les  termes  et  fins  du  Covenant,  ils  sont  bien 
loing  de  s'accorder,puisque  ledit  Covenant  de- 
roge  entierement  a  son  auctorite;  si  bien  qu'il 
pourroit  peut-estre  faire  un  tour  en  Irlaude  de- 
vant  que  de  venir  en  Escosse  on  autre  part. 
Mais  il  y  a  aussy  danger  que  cela  n'aigrist  ce 
parlement ,  qui ,  apres  tout ,  a  grand  subject  de 
desirer  son  prince  en  I'etat  qu'il  le  pretend 
avoir,  c'est-a-dire  sans  autre  pouvoir  que  celuy 
de  les  autoriser  en  toutes  choses  :  ce  qui  les  fe- 
roit  redouter  de  ceux  qui  peuvent  devenir  leurs 


120 


MEMOIRHS    l)U    COMTE    DK    KlUE.MNi:, 


eniiemis  et  les  mettroita  Tabry  de  la  liayne  des 
Maliguans,  qui  seroient  par  ladite prise  du  Co- 
venant qu'auroit  fait  leur  Roy,  exclus  de  toutes 
charges  et  denues  des  moyens  de  se  venger  des 
injures  qu'ils  ont  rccues.  Partant ,  Monseigneur, 
il  me  semble  qu'ii  ny  a  pour  luy  que  deux 
voyes  de  venir  en  Escosse  :  la  premiere  est  d'y 
entrer  bien  accompagne,  tant  des  forces  etran- 
geres  que  de  ses  anciens  serviteurs,  ce  qui,  es- 
tant  directement  contraire  an  Covenant,  donne- 
roit  subject  a  ce  parlenient  de  prendre  acluelle- 
ment  les  armes  contre  eux ,  et  de  se  joindre 
avec  I'Angleterre,  qui  ne  pourroit  pas  avoir 
une  meilleure  occasion  d'executer  ses  desseins  ; 
I'autre  est  de  venir  lui  seul  avec  commission- 
naires  des  Estats  du  parlement  qu'on  luy  veut 
envoyer  cette  semaine ,  et  se  jetter  entre  les 
bras  de  ceux  qui  ont  vendu  son  pere  :  car  de 
croire  qu'il  obtiendra  d'eux,  par  traile,  des  con- 
ditions plus  douces ,  comme  seroient  eel  les  de 
maintenir  ses  serviteurs  et  de  passer  un  acte 
d'oubli  de  toutes  les  vieilles  querelles  et  de  ce 
nom  de  Malignan  ,  il  n'y  a  pas  grande  appa- 
rence  ,  parce  que  cela  reculeroit  bien  loing  du 
gouvernement  des  affaires  ceux  de  ce  party-cy, 
et  les  apauvriroit  beaucoup,  la  pluspart  de  leurs 
rentes  estant  fondees  sur  des  Malignans,  qu'ils 
se  sont  confisquees.  Je  n'ay  point,  Monseigneur, 
fait  cy-dessus  particuliere  mention  du  parti  de 
Innernesse  ,  parce  que  s'il  n'est  assiste  de  son 
Roy,  il  ne  pourra  pas  subsister,  et  s'il  en  est 
ayde,  cela  derogera  au  Covenant  et  sera  un 
fondement  a  ceux-cy  d'entrer  en  guerre  ouverte 
contre  leur  prince.  Les  dernieres  nouvelles  qui 
en  sont  venues  disoient  que  les  Malignans 
avoient  demantele  la  ville,  et  s'etoient  retires 
de  I'autre  coste  de  la  Spare,  ayant  rompu  le 
pontapres  eux,  et  qu'ils  gardoient  les  passages 
de  cette  riviere,  et  par  mesme  moyen  trois  pro- 
vinces derriere  eux,  qu'ils  veulent  faire  souslever 
contre  le  lieutenant-general  David  Leslay,  qui 
est  arrive  la  :  ce  qui  me  fait  croire  qu'ils  ne 
sont  pas  cinq  ou  six  mille  homraes  comme  on 
disoit  ,  et  je  vois  que  les  autres  Malignans  ra- 
battent  beaucoup  de  la  joye  qu'ils  avoient  con- 
ceue  au  premier  bruit  de  ce  remuement.  Crom- 
well a  envoye  icy  le  colonel  Roc  pour  voir  si  ce 
parlement  vouloit  maintenir  tout  de  bon  la  pro- 
testation de  ses  commissionaires.  On  le  doit  ex- 
pedier  aujourd'hui  et  luy  donner  reponse  a  la 
lettre  qu'il  a  presentee.  Je  ne  scay  pas  quelle 
elle  sera,  mais  on  m'a  diet  de  bonne  part  que, 
outre  celle  qu'on  a  envoyee  avec  une  qui  auc- 
torisoit  la  protestation  faicte ,  laquelle  adoucit 
touttes  choses ,  il  y  a  apparence  qu'on  luy  en 
donnera  encore  une  autre  pour  asseurer  les  in- 


dependans  de  leur  bonne  volonte,  et  affermir  la 
bonne  intelligence  qu'ils  sont  obliges  d'entrete- 
nir  avec  eux  pour  parvenir  a  leurs  intentions, 
quel  les  qu'elles  soient. 

>'  Ce  parlement  a  dispose  ,  la  semaine  passee , 
entre  ses  membres,  des  principaux  offices  du 
royaume ,  dont  je  remetsa  vousentretenirquand 
j'en  auray  I'imprime.  II  est  a  present  a  ordon- 
ner  de  ceux  de  la  justicedans  lesquels  il  ne  souf- 
frira  pas  un  qui  ait  seulement  quelque  bonne 
volonte  pour  les  Malignans,  c'est-a-dire  pour 
les  serviteurs  et  service  de  leur  Roy,  Surquoy, 
Monseigneur,  je  vous  prie  de  remarquer  qu'il  a 
dispose  de  ces  offices  de  sa  propre  auctorite 
sans  le  consentement  duditRoy,  cequi  estabso- 
lument  contre  les  lois  et  coustumes  du  royaume. 
Au  reste,  on  travaille  tousjours  aux  levees  sans 
donner  a  connoitre  precisement  a  quelle  fin , 
lesquelles  se  font,  pour  la  pluspart ,  aux  depens 
des  Malignans  et  de  quelques  nouveaux  impots. 

>'  On  disoit  ce  matin  que  le  party  qui  estoit  a 
Innernesse  estoit  dissipe,  et  que  les  principaux 
chefs  d'iceluy  s'estoient  rendus  a  David  Leslay. 
On  rapporte  d'Hollande  que  M.  Montross  est 
en  grande  auctorite  vers  son  Roy ;  que  les 
inimities  entre  luy  et  les  Hamiltons  ne  sont 
pas  encore  assoupies ,  et  que  le  chevalier  Dou- 
glas ,  qu'on  me  vient  de  dire  arriver,  en  estoit 
parti  pour  Escosse,  avec  commissions  du  roy  de 
la  Grande-Rretagne  au  parlement.  On  parle  du 
marquis  d'Hunteley.  Reste,  Monseigneur,  a  vous 
souhaiter  toutes  sortes  de  prosperites  ,  et  vous 
demander  la  permission  de  me  dire  ,  avec  toute 
sorte  de  respect ,  votre ,  etc.  » 

Par  ma  depeche  datee  de  Compiegne  le  14 
mai ,  je  recommandois  surtout  a  M.  de  GrouUe, 
qui  etoit  aussi  charge  de  nos  affaires  en 
Ecosse ,  qu'en  s'expliquant  avec  les  An- 
glois  de  ce  qu'on  pensoit  d'eux  en  ce  royau- 
me ,  de  ne  point  advouer  que  nous  eussions 
le  desir  d'assister  le  roy  de  la  Grande-Rre- 
tagne ,  affin  que  ces  gens-la  ne  songeassent 
point  a  nous  prevenir;  mais  leur  laisser  croire 
que  nous  etions  occupes  a  nos  propres  affaires , 
et  que  ndus  n'etions  pas  pour  nous  ingerer  des 
leurs  ,  ny  contrarier  tout  ce  qu'ils  fesoient.  Et 
pour  moy,  je  croiois  qu'il  suffisoit  de  les  aban- 
donner  a  leur  piopre  confusion,  et  qu'elle  de- 
voit  croistre  parmi  eux  si  fort,  qu'il  ne  faudroit 
point  d'autres  voyes  ni  pratique  pour  les  des- 
truire  ;  qu'il  faloit  continuer  de  m'avertir  avec 
soin  de  tout  ce  qu'il  pouvoit  penetrer.  «  Si  le 
roy  d'Angletcrre ,  lui  ecrivois-je  ,  vient  en  cette 
cour,  ce  ne  sera  que  pour  faire  compliment  a 
Leurs  Majestes  ,  qui  sont  a  present  occupees  an 


DEUXIEME    PAKTIK.    Il6l91 


121 


principal  effort  de  la  guerre,  qui  sera  faite  en 
Flandres.  Notre  armee  allemande  ayaiit  passe 
des  avant-hier  la  riviere,  est  entree  dans  le 
Haynault ,  et  va  joindre  notre  armee  francoise 
pour  entreprendre  quelque  grand  siege.  » 

Nous  eumes  ,  vers  ce  meme  temps ,  avis  par 
le  residant  de  La  Haye ,  que  <■  le  nomme  Dau- 
ristaus,  hollandois,  et  qui,  servant  de  fiscal 
dans  I'armee  de  Fairfax  ,  a  poursuivi  en  juge- 
inent  le  feu  roy  d'Angleterre ,  fut  atrape ,  le  1  a*" 
du  raois ,  a  dix  heures  du  soir,  a  La  Haie  ,  en 
soupant,  et  perce  decinq  coups,  dontil  mourut 
a  la  raesme  heure ;  qu'il  etoit  envoye  par  la  Repu- 
blique  angloise  vers  lesEtats,  etque  Ton  faisoit 
perquisition  de  ceux  qui  I'ont  paie.  Enfin  le  roy 
de  la  Grande-Bretagne  arriva  en  France  et 
vint  diner  a  Compiegne  ,  au  mois  de  juillet, 
avec  Leurs  Majestes,  monsieur  le  due  d'Anjou , 
monsieur  et  raadame  d'Orleans  et  Mademoi- 
selle. Cette  Majeste  fut  fort  bien  recue  en  la 
cour,  et  eupartit  satisfaite,  pour  aller  trouver  la 
Hoyne ,  sa  mere ,  a  Saint-Germain  ,  et  prendre 
avec  elle  ses  resolutions  pour  son  voyage  d'lr- 
lunde.  »] 

M.  le  prince  ne  fut  pas  plus  tot  de  retour  a 
-Paris,  qu'il  s'apercut  que  M.  le  due  d'Orleans 
avolt  du  refroidissementpour  lui ,  et  neanmoins 
ils  vivoient  en  apparence  avec  beaucoup  de  ci- 
vilite.  Le  cardinal,  dont  I'esprit  etoit  fort  capa- 
ble de  causer  leur  mesintelligence,  fit  naitre 
des  soupcons  dans  celui  de  M.  le  prince,  et  lui 
persuada  que  le  coadjuteur  ,  qui  etoit  ennemi 
de  Mazarin,  avoit  beaucoup  de  credit  sur  Mon- 
sieur, et  que  ce  prelat  avoit  resolu  de  faire  as- 
sassiner  Son  Altesse,  un  jour  qu'elle  passeroit 
dans  son  carrosse  sur  le  Pont-Neuf.  Dans  ce 
meme  temps-la,  le  cardinal ,  pour  mettre  dans 
ses  iuterets  les  dues  d'Epernou  et  de  Bouillon  , 
la  maison  de  Rohan  de  la  branche  de  Gueme- 
ne  ,  et  la  comtesse  de  Fiesque,  fit  consentir  Sa 
Majeste  qu'ils  se  couvriroient  tons  aux  audien- 
ces, et  que  leurs  fillesauroient  le  tabouret,  de 
meme  que  cette  comtesse.  lis  furent  done  mis 
en  possession  de  cet  honneur  ;  mais  la  noblesse 
s'en  formalisa,  endisant,  entre  autres  raisons, 
que  sous  le  gouvernement  d'une  femme  et  d'un 
enfant  on  oseroit  tout  entreprendre.  Elle  forma 
une  assemblee  qui  se  joignit  a  celle  du  clerge  , 
qui  se  tenoit  pour  lors.  Ces  deux  corps  depute- 
rent  conjointement  pour  faire  des  plaintes  com- 
munes sur  les  desordres  de  I'Etat,  qui  ne  pou- 
voient  etre  corriges  que  par  une  assemblee  des 
notables  du  royaume.  Les  nobles  firent  une 
plainte,  en  particulier,  de  ce  qu'on  vouloit  dis- 
tinguer  de  certaines  maisons  d'avec  d'autres 
qui  ne  leur  cedoient  en  rien.  On  fit  toutes  les 


diligences  possibles  pour  faire  cesser  cette  as- 
semblee ;  mais  tous  les  moyens  qu'on  s'etoit 
proposes  s'etant  trouves  inutiles  ,  les  graces  fu- 
rent revoquees,  et  Ton  promit  la  convocation 
des  Etats-generaux. 

II  est  bien  vrai  que  M.  le  prince  n'approu- 
voit  pas  que  ces  honneurs  eussent  ete  commu- 
niques a  tant  de  maisons  ;  mais  ii  y  en  avoit 
aussi  qu'il  vouloit  favoriser,  comme  celle  de 
Bouillon  :  ce  qui  fut  cause  qu'il  ne  cessa  de 
supplier  la  Reine  que  I'acte  par  lequel  le  Roi 
s'etoit  engage  d'elever  les  uns  au  prejudice  des 
autres  fut  supprime.  J'en  avois,  par  malheur 
pour  lui,  ete  rendu  ledepositaire,  et  je  ne  crai- 
gnis  point  de  dire  a  cette  princesse  que  ceux 
qui  me  pressoient  de  rendre  cet  acte  se  met- 
toient  peu  en  peine  de  ce  qui  pouvoit  lui  en  ar- 
river,  et  negligeoient  son  service  pour  des  in- 
terets  particuliers. 

Sa  Majeste  m'ayant  presse  deux  differentes 
fois  de  lui  reraettre  cet  ecrit  que  nous  avions 
signe  M.  Le  Tellier  et  moi ,  je  lui  dis  pour 
m'en  defendre  qu'il  pouvoit  etre  revoque  par 
un  posterieur  :  cequi  ne  satisfaisant  point  ceux 
qui  s'y  trouvoient  interesses,  ils  eurent  recours 
au  cardinal  pour  I'obliger  a  m'en  parler.  C'est 
ce  qu'il  fit ,  en  me  blamant  de  la  difficulte  que 
je  faisois  d'obeir  a  la  Reine.  Mais ,  apres  qu'il 
eut  epuise  toute  son  eloquence  pour  me  faire 
consentir  a  ce  qu'il  vouloit,  je  ne  pusm'empe- 
cher  de  lui  repondre,  en  me  servant  des  termes 

des  paiens,  qu'il  parloit 

Mais  qu'il  se  trompoit,  s'il  croyoit  pouvoir  m'o- 
bliger  par  force  a  faire  pour  lui  ce  que  j'avois 
refuse  a  la  Reine  ;  que  Sa  Majeste  etoit  en  droit 
de  me  commander  ;  que  les  autres  pouvoientta- 
cher  de  me  persuader,  mais  qu'il  ne  seroit  pas 
aise  d'y  reussir.  Cette  Eminence  eut  alors  re- 
cours a  la  Reine,  qui  me  dit : «  J'ai  une  preuve 
a  desirer  de  votre  affection ;  voyez  si  vous  me 
la  devez  refuser.  »  J'eusse  volontiers  repondu  a 
cette  princesse  comme  Eole  fit  a  Juuon  (1)  ; 
mais  ,  sans  me  servir  des  paroles  du  poete,  j'as-  , 
sural  la  Reine  qu'il  n'y  avoit  rien  que  jene  fisse 
quandil  s'agiroit  de  lui  plaire.  «  Eh  bien,  me 
dit-elle,  remettez  a  M.  le  prince  I'ecrit  qu'il  y  a 
si  long-temps  qu'il  presse  pour  le  ravoir.  »  Je 
m'y  engageai,  et  je  le  dis  a  M.  Le  Tellier,  qui 
m'en  sollicitoit  continuellement,  et  qui  crut  ne 
pouvoir  porter  a  ce  prince  une  nouvelle  qui  lui 
fut  plus  agreable  ,  en  lui  disant  que  je  lui  avois 
meme  offert  de  le  lui  remettre.   Son   Altesse 

(1) Tuus,  0  Rcgina.quid  oples 

Expiorare  labor :  mihi  jussa  capessere  fas  est. 
(Eneide,  livre  1,  vers  76.) 

(A.  E.) 


122 


MEMOIUKS    UU    COMT£    UE    I5IUE^^E, 


m'envoya  un  de  scs  offlciers  pour  m  avertir  de 
I'attendre  le  lendemain  matin,  ajoutant  qu'elle 
ne  vouloit  point  que  j'allasse  a  son  hotel.  Je  fus 
surpris  de  ee  discours,  et  je  m'engageai  d'at- 
tendre  M.  le  prince ,  qui  ne  manqua  pas  de  \e- 
nir  chez  raoi  a  ncuf  heures  precises.  J'allai  a  sa 
rencontre  ,  et  je  lui  remis  les  papiers  qu'il  avoit 
souhaitesavec  tantd'empressement,  et  lui  ayant 
demande,  en  lui  faisant  mon  compliment,  pour 
quelle  raison  il  s'etoit  donne  tant  de  peine ,  et 
navoit  point  voulu  que  j'allasse  chez  lui  : 
«  C'est,  me  dit-il,  qu'ont  eutpu  croire  que  vous 
y  seriez  venu  pour  negocier.  —  Bien  d'autres  , 
lui  repondis-je ,  s'eu  donnent  la  liberte ;  et 
quand  je  la  prendrois ,  je  ne  croirois  pas  qu  on 
y  dut  trouver  a  redire.  Mais  j'entends  bien  ce 
quecela  signifie  :  c'est  que,  ne  I'ayant  pas  fait, 
vousle  trouverez  mauvais.  J'aurai  a  I'avenir 
une  conduite  plus  reguliere.  —  Faisons  ,  me 
dit-il ,  deux  tours  dans  votre  cabinet,  et  fermez 
la  porte.  »  Ensuite,  continuant  son  discours  ,  il 
m'ajouta  :  « Vous  avez  blame  la  maniere  dont 
j'en  ai  use  avec  la  Reine ;  mais  c'est  sans  doute 
parce  que  vous  ignorez  qu'elle  m'avoit  promis 


me,  rinterpretatiou  est  toujoursmauvaise;  par- 
ce que  si  on  lui  doit  du  respect ,  on  est  bl^me 
de  lui  en  manquer.  Vous  savez  bien  que  la  Relne 
ne  doit  point  etre  traitee  de  la  sorte,  n'y  ayant 
bienfaits  ni  graces  que  vous  ayez  desires  d'elle 
que  vous  ne  les  ayez  obtenus.  —  Quelles  sont 
ces  graces?  me  dit-il ;  voudriez-vous  mettre  en 
ligne  de  compte  qu'elle  m'a  duune  le  gouverne- 
ment  d'une  province  et  d'une  place  ?  C'est  ce 
qu'on  avoit  promis  a  feu  mon  pere  avant  la 
mort  du  feu  Roi. »  Je  lui  dis  que  j'en  convenois, 
que  I'eveque  de  Beauvais  I'avoit  promis,  mais 
que  la  Reine  avoit  tenu  parole  a  ce  prelat.  Ce 
prince,  transporte  de  colere,  me  dit  alors : 
«  N'estimez-vous  done  point  mes  services  ?  — 
Bien  plus,  lui  repondis-je,  que  Votre  Altesse 
ne  le  pourroit  faire  elle-meine,  parce  que  la 
raodestie  Ten  empeche.  Mais,  puisque  I'occa- 
sion  s'en  presente,  je  me  crois  oblige  de  vous 
dire,  Monsieur, que  ce  n'est  point  votre  fortune 
qui  fait  la  grandeur  de  I'Etat,  mais  qu'au  con- 
tiaire  la  puissance  royale  a  contribue  a  votre 
gloire.  Tel  autre  auroit  pu  commander  les  ar- 
mees  du  Roi,  qui  auroit  ete  aussi  heureux  que 


le  gouvernement  du  Pont-de-I'Arche,  dont  elle  |  Votre  Altesse.  Avant  que  vous  eussiez  rendu  a 
s'est  dedite.  «  Je  lui  avouai  que  la  nouvelle 
m'en  surprenoit,  et  que  j'en  etois  d'autant  plus 
surpris  qu'il  cut  insiste  pour  le  faire  donner  a 
M.  de  Longueville ,  apres  ce  que  je  lui  avois 
entendu  dire  qu'il  valoit  mieux  hasarder  le  tiers 
du  royaume  que  de  le  faire;  que  je  ne  compre- 
nois  pas  ,  par  plusieurs  raisons  que  je  lui  alle- 
guai,  quelles  etoient  celles  qui  avoient  pu  le 
faire  changer  de  sentiment ;  mais  que  je  le  sup- 
pliois  de  ne  point  trouver  mauvais  si  je  doutois 
que  la  Reine  s'y  fiit  engagee.  «  II  est  vrai ,  me 
dit-il ,  que  ce  n'est  pas  a  elle  a  qui  je  me  suis 
adresse  ,  mais  au  cardinal ,  qui  m'a  promis  de 
faire  tout  ce  qu'il  pourroit  pour  me  contenter. 
—  II  peut ,  lui  repondis-je,  y  avoir  fait  de  son 
mieux  sans  I'avoir  obtenu  de  Sa  Majeste.  Et  en 
cela  vous  n'avez  aucune  raison  de  vous  plaindre 
de  la  Reine ,  mais  beaucoup  de  vous  louer  du 
cardinal.  »  II  me  fit  une  reponse  qui  me  surprit 
autant  que  les  paroles  aigres  et  emportees  dont 
il  se  servit  pour  exprimer  sa  colere  ;  ce  qui 
m'obligea  de  lui  dire  :  «  Vos  expressions  et  vos 
pensees  ,  Monsieur ,  sont  outrageantes  par  rap- 
port aux  obligations  que  vous  avez  a  la  Reine; 
car  Votre  Altesse  salt  bien  que  la  Reine  ne  me- 
rite  pas  d'etre  maltraitee.  Quand  il  arrive  que 
le  maitre ,  pour  empficher  qu'un  ancien  sersi- 
teur  ne  soit  opprime  par  un  plus  puissant ,  fait 
quelque  chose  qui  pourroit  etreblcirae,  il  s'cn 
discuipe  sur  I'amitie  qu'il  porte  a  celui  qu'on 
>cut  opprimei- ;  mais  lorsqu'il  s'agit  d'une  fera- 


Etat  des  services  considerables  ,  d'autres  I'au- 
roient  pu  faire  aussi ;  mais  s'il  avoit  fallu  les 
recompenser  comme  vous  I'avez  ete,  on  se  se- 
roit  vu  contraint  de  demembrer  la  monarchic.  » 
L'horloge  sonnant  midi  ,  comme  c'etoit  un  di- 
raanche  et  que  M.  le  prince  n'avoit  pas  encore 
entendu  la  messe,  le  prince  de  Conti,  qui  etoit 
devot ,  et  qui  attendoit  dans  la  salle,  frappa  a 
la  porte  de  mon  cabinet ,  pour  avertir  sou  frere 
d'al!er  a  la  messe  :  cela  finit  notre  conversation. 
II  me  parut  que  depuis  ce  jour-Ia  le  prince  de 
Conde  n'eut  plus  la  meme  confiance  en  moi.  Ce^ 
pendant  il  se  croyoit  assure  de  la  cour  qu'il  s'i- 
maginoit  gouverner  absolument,  et  n'avoirrien 
a  craindre  de  M.  le  due  d'Orleans,  persuade 
qu'il  etoit  que  Son  Altesse  Royale  avoit  moins 
de  credit  que  lui.  Madame  la  princessedouai- 
riere  entra  en  quelque  mefiance  ,  parce  qu'elle 
rcmarqua  que  la  Reine  avoit  du  refroidissement 
pour  elle  ;  mais  le  cardinal  se  conduisoit  avec 
tant  de  dissimulation  a  I'egard  de  M.  le  prince  , 
que  It's  plus  eclaires  entroient  dans  les  senti- 
mens  de  celui-ci  ,  qui  raisonnoit  de  cette  ma- 
niere :  «0n  ne  peut  m'arreter  que  tres-difficile- 
ment,  a  moins  que  M.  le  due  d'Orleans  n'y 
consonte.  Et  comme  il  n'auroit  pas  de  secret 
pour  I'abbe  de  La  Riviere  ,  je  suis  assure  que 
je  n'ai  rien  a  craindre;  car  it  ne  manqueroit 
pas  de  m'avertir  de  ce  qui  pourroit  venir  a  sa 
connoissance.  »  II  y  eut  pourtant  de  ses  crea- 
tures qui  enlrcrent  dans  la  mefiance  ,  et  qui  lui 


DELXIEME    PABTIE.     [lOSOJ 


123 


conseillerent  de  se  tenir  plut6t  a  Saint-Maur 
qu'a  Paris  ,  afin  d'etre  plus  en  etat  de  se  reti- 
rer  s'il  venoit  a  decouvrir  qu'on  eiit  quelque 
dessein  de  I'arreter,  Mais  on  n'evite  jamais  ee 
que  la  providence  de  Dieu  a  resolu  (1). 

[1G50]  Le  cardinal  fit  naitre  du  soupcon  dans 
I'esprit  de  M.  le  due  d'Orleans  pour  Tabbe  de 
La  Riviere,  en  ce  qui  regardoit  M.  le  prince 
de  Conde,  et  sut  ensuite  I'engager  a  consentir 
que  ce  prince  fut  arrete  prisonnier.  L'Eminence 
lui  representa  que  c'etoit  un  esprit  altier  qui , 
en  plusieurs  occasions,  lui  avoit  manque  de 
respect,  et  que  le  consentement  qu'il  donneroit 
a  ce  que  le  prince  fut  arrete  ,  etoit  un  moyen 
pourfaire  voir  que  lui,  Monsieur,  ctoit  unique- 
ment  attache  au  Boi;  que  ce!a  affermiroit  Tau- 
torite  royale.  D'ailleurs  M.  le  due  d'Orleans 
etant  obsede  par  les  amis  du  coadjuteur,  qui 
etoient  ennemls  declares  du  prince,  Monsieur 
n'en  consentit  que  plus  facilement  a  tout  ce  que 
Ton  souhaitoit  de  lui.  L'execution  d'un  pareil 
dessein  etoit  pourtant  tres-difficile;  car  il  t'al- 
loit  faire  arreter  en  meme  temps  les  deux  freres, 
et  M.  de  Longueville,  leur  beau-frere.  Tout 
autre  lieu  que  le  Palais-Royal  y  paroissoit  peu 
propre.  II  falloit  des  forces  considerables  pour 
les  conduire  a  Vincennes,  parce  que  le  prince 
de  Conde  avoit  a  sa  devotion ,  dans  la  ville  de 
Paris  ,  un  grand  nombre  d'officiers  des  troupes 


(1)  Le  comtc  de  Brienne  parte  peu  dans  scs  Mc- 
moiresdu  pr(ilendu  assassinat  de  Joly,  (?v6nenient  assez 
important,  puisqu'il  pr^para  I'arrestation  du  prince  de 
Coiid(?.  La  depeche  suivante  de  ce  personnage,  adress^e 
a  M.  Matharel ,  supplecra  a  ce  silence.  Ella  est  dgale- 
inent  tiree  des  papiers  de  Brienne  : 

«  Get  ordinaire  vous  portera  des  nouvelles  de  cette 
ville  qui  estonneront  nos  ennemis.  Jeudi  dernier,  sur 
I'occasion  d'un  coup  de  pistolet  tir6  dans  Ic  carosse  du 
sieur  Joly,  conseiiler  au  Chatelet,  par  quelques  person- 
nes  incognues  ,  sans  toutefois  le  blesser,  quelques  s6di- 
ticux  vinrent  au  palais  pour  y  esmouvoir  le  peuple  ,  et 
s'en  trouva  d'assez  insolens  pour  crier  aux  armes,  et 
qu'on  avoit  assassind  des  conseillers,  pour  faire  Tefrect 
qu'on  s'estoit  promis.  Les  bourgeois  se  mocquerent  du 
bruit  et  dirent  tout  hault  qu'ils  n'avoient  que  faire 
des  querelles  particulieres,  et  qu'ils  n'armeroient  point 
sans  le  commandement  du  Roy. 

»  Le  lendemain,  plusieurs  vagabons  s'assennblerent  sous 
le  mot  de  Bordeaux,  en  place  Dauphine  ,  a  dessein  d'as- 
sassiner  monseigneur  le  prince  ;  lequel,  en  ayant  est^ 
adverli,  envoya  M.  Violard,  son  escuyer,  recognoistre. 
II  fut  pouss6  par  cette  canaille  qui  lira  sur  luy,  et  apres 
.s'eslre  retire,  fit  passer  un  des  carosses  de  Son  Altesse 
avec  cinq  valets  de  pied  derriere  et  deux  devant,  por- 
tanl  des  flambeaux.  Ces  gens-la  vinrent  au  carosse  au 
milieu  du  Pont-Neuf,  et  ayant  veu  quil  n'y  avoit  per- 
sonne  dedans,  attaquerent  le  carosse  de  M.  le  marquis 
de  Durasqui  le  suivoit,  et  tirerent  deux  coups  de  pis- 
tolet dedans,  croyant  que  monseigneur  le  prince  y  sc- 
roll,  et  blesserent  un  laquais  qui  estoit  seul,  leque!  en 
lliourut  quelques  heures  apres. 


qui  avoient  et6  levees  sous  son  nom ,  et  dont  la 
bravoure  pouvolt  faire  craindre  qu'elles  ne  fus- 
sent  capables  de  tout  entreprendre  pour  procu- 
rer la  liberte  de  ee  prince.  Le  jour  de  l'execu- 
tion etant  arrete,  on  fit  monter  a  cheval  les 
compagnies  de  la  maison  du  Roi ,  qui  se  mirent 
en  bataille  au  marche  aux  chevaux.  M.  le 
prince,  en  etant  averti ,  en  demanda  la  raison 
au  cardinal ,  qui  lui  repondit  qu'on  avoit  eu 
avis  que  Descoutures  vouloit  se  sauver,  et  qu'on 
avoit  assemble  des  troupes  pour  I'arreter.  Comme 
il  etoit  ennetni  declare  de  ce  prince,  Son  Altesse 
en  temoigna  beaucoup  de  joie,  et  u'examina 
pas  davantage  la  chose.  On  I'avoit  long-temps 
amuse  de  I'esperance  de  faire  arreter  Descou- 
tures, et  Ton  avoit  meme  fait  toutes  les  dili- 
gences apparentes  pour  y  reussir.  Beaucoup  de 
gens  croyoient  qu'on  affectoit  de  paroitre  desi- 
rer  ce  qu'on  ne  vouloit  pas  executer ;  mais  il  n'y 
avoit  que  M.  le  prince  qui ,  etant  persuade  de 
la  bonne  foi  du  cardinal ,  prenoit  pour  argent 
comptant  les  raisons  qu'on  lui  donnoit. 

Je  me  souviens  que  ,  s'en  etant  un  jour  entre- 
tenu  avec  moi,  et  ne  croyant  pas  la  chose  si 
difficile  qu'on  la  lui  representoit ,  je  lui  deman- 
dai  si  c'etoit  tout  de  bon  qu'il  desiroit  que  Des- 
coutures fut  pris ;  et  m'ayant  dit  qu'oui  ,  je  I'as- 
surai  qu'il  ne  me  falloit  que  trois  jours  pour  de- 
couvrir I'endroit  ou  il  etoit  retire;  que,  quand 

»  Tout  cela  obligea  Son  Altesse  Royale  et  monsei- 
gneur le  prince  d'aller  au  parlement ,  ou  les  chambres 
estoient  assemblees ,  pour  y  deraander  justice  ct  de  I'as- 
sassinat  contre  M.  Joly.  et  des  actions  s^ditieuses  de  ceux 
qui  avoient  cri6  aux  armes.  II  fut  arreste  qu'il  en  scroll 
inform^,  et  deux  conseillers  deputes  a  cet  ellet :  lesquels 
ont  aujourd'huy  rapporte  lesdites  informations,  en  pre- 
sence de  Leurs  Altesses,  et  a  est(5  decreste  prise  de  corps 
contre  le  sieur  de  La  Boulaye  et  un  nomm6  Germain 
Lagneau  et  autres. 

»  Si  bien  que  voila  les  raeschans  escart(5s  et  rautorU6 
du  Roy  restablie,  aussi  bien  que  celle  de  la  cour  de  par- 
lement qui  veut  faire  justice  des  auteurs  et  complices  de. 
ces  d(?sordres,  afin  que  la  punition  en  soil  exemplaire  et 
retienne  chacun  dans  son  debvoir. 

»  Les  colonels  des  quartiers  sont  venus  asseurer  Leurs 
Majest^s  de  la  fid^lit6  des  bourgeois,  et  qu'ils  ne  se  mes- 
leront  en  aucune  sorte  des  allalres  de  particuliers ,  et 
qu'ils  ne  prendront  les  armes  que  parle  commandemenl 
du  Roy  et  pour  son  service ,  tons  piests  d'exterminer 
tous  les  Frondeurs  et  les  perlurbateurs  du  repos  public. 
C'est  la  verity  de  tout  ce  qui  s'est  pass(5,  et  s'il  en  estoit 
^crit  autrement,  vous  aurez  de  quoi  destromper  celuy 
qui  en  auroit  des  informations  contraires. 

))  Ceux  de  Bordeaux  sont  bien  eslonn^s  de  ce  que  M.  le 
comte  Du  Dognon  a  combattu  dans  la  riviere  et  coul^ 
deux  de  leurs  grands  vaisseaux  a  fond.  lis  viendront 
bientost  au  repenlir  et  a  demander  grace ,  el  nous  croyons 
que  tout  sera  calme  dans  deux  jours. 

»  De  Lomeme. 

»  Du  iiderembrc  1049,  a  Paris.  » 


124 


MEMOIKIiS    DLI    COMTF.    HE    BUIl:^i^E, 


cela  seroit  fait ,  je  manderois  des  officiers  du 
guet  de  ma  connoissance,  qui  me  donneroienl 
les  moyens  dont  il  faudroit  se  servir  pour  arre- 
ter  Descoutures.  C'est  a  quoi  je  m'employai :  et 
lis  me  promireut  de  faire  loutes  les  diligeuces 
qui  dependroient  d'eux.  Elles  ne  furent  pas  inu- 
tiles,  puisqu'ils  decouvrirent  sa  deraeure,  et 
me  dirent  ce  qu'il  falloit  faire  pour  s'assurer  de 
sa  personne.  L'ayant  redit  a  M.  le  prince  ,  il  en 
parla  au  cardinal ,  qui  lui  repondit :  «  Ce  seroit 
commettre  I'autorite  royale  que  de  vouloir  faire 
prendre  un  homme  loge  dans  la  ville,  proche 
I'eglise  metropolitaine. »  Ce  prince  ,  sans  y  faire 
beaucoup  de  reflexion  ,  se  contenta  de  cette  rai- 
son ,  et  me  la  redit.  Je  lui  repondis :  «  On  u'a 
pu  croire  qu'un  bomme  qui  a  peur  ne  chercbe 
et  ne  prenne  sa  retraite  dans  un  lieu  ou  il  ne 
pourroit  pas  facilement  etre  arrete  ;  mais,  puis- 
que  c'est  une  affaire  a  peser,  c'est  aussi  a  vous 
de  voir  si  la  monnoie  qu'on  vous  presente  est 
d'un  bon  aloi.  Qua)it  a  moi ,  je  vous  avouerai 
franchement  que  je  ne  la  prendrois  pas  en  paie- 
ment.  » 

Les  princes  de  Conde  (1)  etde  Conti,  et  M,  de 
Longueville  se  rendirent  au  Palais-Royal ,  sous 
pretexte  de  tenir  conseil.  Avant  que  le  premier 
sortit  de  chez  lui ,  il  fut  averti  par  madame  sa 
mere  qu'il  se  passoit  des  cboses  qui  pouvoient 
faire  soupconner  qu'on  les  vouloit  arreter.  Ma- 
dame la  princesse  ajouta  qu'elle  connoissoit  la 
cour  par  sa  propre  experience.  «  Qu'ai-je  a 
craindre  ?  lui  repondit  le  prince :  le  cardinal  est 
mon  ami. — J'en  doute,  lui  dit-elle.  ^ — Vous 
avez  tort,  lui  repliqua  son  fils,  car  je  compte 
autant  sur  lui  que  sur  vous.  »  Madame  la  prin- 
cesse finit  son  discours  en  lui  ajoutant :  «  Dieu 
veuille  que  vous  ne  vous  y  trompiez  pas !  » 

La  Reine  feignit  une  Incommodite  et  de- 
meura  toujours  sur  son  lit,  afm  qu'on  ne  remar- 
quat  point  de  changement  a  son  visage.  Tons 
les  ennemis  du  prince  se  trouverent  au  palais 
avec  leurs  epees.  Ceux  qui  devoient  assister  au 
conseil  s'y  rendirent  a  I'beure  qui  leur  avoit  ete 
donnee  ,  qui  etoit  celle  dans  laquelle  la  chose  de- 
voit  etre  executee.  La  Reine  ayant  dit  que  Ton 
passat  dans  la  galerie  ,  afin  qu'elle  se  piit  lever, 
M.  le  prince  s'avanca,  et  peu  apres  lui  I'abbe  de 
La  Riviere. 

Comme  nous  etions  entres,  M.  d'Avaux  et 
moi,  avant  M.  le  chancelier,  nous  fumes  sur- 
pris  de  n'y  point  trouver  le  cardinal.  Mais,  fai- 
saut  reflexion  qu'on  y  pouvoit  passer  de  son  ap- 
partement,  nous  jugeames  qu'il  I'auroit  fait. 
Ce  fut  la  que  ce  saint  ministre  declara  a  La  Ri- 

(1)  L'anestation  des  princes  cut  lieu  Ic  ISjanvior  1650. 


viere  ce  qui  avoit  ete  resolu.  Gelui-ci  lui  repon- 
dit: «  Vous  ra'en  avez  fait  un  secret,  je  suis 
perdu  avec  mon  raaitre.  »  Le  cardinal  le  vou- 
lut  rassurer ;  mais  revenement  fit  connoitre  que 
I'abbe  de  La  Riviere  connoissoit  a  fond  I'esprit 
de  M.  le  due  d'Orleans ,  et  que  la  cour  I'avoit 
voulu  perdre.  « 

Nous  avions  commence  une  conversation, 
M.  d'Avaux  et  moi.  INous  nous  mimes  sous  la 
cheminee  pour  la  finir.  Le  chancelier  s'eu 
approcha,  et  messieurs  les  princes.  Celui  de 
Conde  dit  a  ce  magistrat :  ■<  II  se  passe  une  af- 
faire qui  interesse  les  rentiers,  et  qui  me  paroit 
d'une  assez  grande  consequence  pour  I'examiner 
avec  plus  de  loisir  qu'on  ne  le  fait,  car  elle 
pourroit  avoir  des  suites  facheuses.  »  Le  chan- 
celier, voulant  justifier  la  conduite  du  conseil, 
M.  le  prince  lui  repondit ,  en  temoignant  la  de- 
sapprouver  :  ■<  Cette  affaire  merite  bien  d'etre 
examinee  a  tete  reposee :  mais,  quoi  qu'il  en 
puisse  arriver,  je  n'en  serai  pas  plus  blame ,  et 
peut-etre  encore  moins  que  ceux  qui  s'en  me- 
lent.  » 

Pendant  que  ce  prince  parloit  au  chance- 
lier, Guitaut ,  capitaine  des  gardes  de  la  Reine  , 
accompagne  de  Comminge  et  de  quelques  offi- 
ciers de  sa  compagnie  ,  entra  dans  la  galerie  ,  et 
le  prince  de  Conde,  qui  s'y  promenoit,  s'etant 
avance  vers  lui ,  fut  fort  surpris  quand  il  lui  dit 
qu'il  avoit  ordre  de  I'arreter,  avec  M.  le  prince 
de  Conti  et  M,  de  Longueville.  Celui  de  Conde 
revint  oil  nous  etions,  pour  dire  aux  autres 
qu'ils  etoient  prisonniers  de  la  part  du  Roi,  et 
que  M.  Guitaut  avoir  ordre  de  s'assurer  de  leurs 
personnes.  Le  chancelier,  surpris  de  ce  discours, 
et  qui  n'avoit  aucune  part  a  la  resolution  ((ui 
avoit  ete  prise,  lui  dit  que  c'etoit  une  plaisan- 
terie  que  Guitaut  faisoit;  et  sur  cela  le  prince 
lui  repondit:  «  Allez  done  trouver  la  Reine, 
pour  I'avertlr  de  la  plaisanterie  qui  se  fait.  Pour 
moi ,  je  tiens  pour  une  chose  tres-siire  que  je 
suis  arrete.  »  Alors  Guitaut  s'avanca  pour  faire 
descendre  M.  le  prince  dans  le  jardiu.  II  y  avoit 
un  carrosse  pret  a  la  porte.  Le  prince  me  dit , 
avec  beaucoup  de  boiiteet  de  fierte  tout  ensem- 
ble :«  Monsieur,  comme  j'ai  souvent  recu  des 
marques  de  votre  amitie  et  de  votre  generosite, 
je  me  promets  que  vous  direz  un  jour  au  Roi  les 
services  que  je  lui  ai  rendus.  »  Le  prince  de 
Conti  m'embrassa,  et  me  dit  adieu.  Jamais  per- 
sonne, de  quelque  naissance  qu'elle  ait  ete,  n'a 
recu  un  revers  de  fortune  avec  moins  d'etonne- 
ment  que  ces  princes.  M.  de  Longueville  ayant 
dit  (ju'il  falloit  songcr  a  sesauver,  M.  le  prince 
repondit  :  "  II  n'y  a  point  d'avenues  qui  ne 
soient    gardees,   >■    Et  celui  de  Conti    ajouta  : 


DEUXIEME    PARTIE 


«  Dieu  ra'a  exauce,  car  j'ai  souvent  souhaite , 
s'il  vous  arrivoit  quelque  disgrace,  de  la  par- 
tager  avec  vous.  »  Guitaut  les  pressa  de  mar- 
cher, lis  n'y  temoignereiit  aucune  repugnance ; 
et  comrae  ils  descendoient  dans  le  jardin ,  la 
Reine ,  M.  le  due  d'Orleans  et  le  cardinal  vin- 
rent  dans  la  galerie.  Celui-ci  voulutexposer  les 
raisous  que  Sa  Majeste  avoit  cues  d'en  user  de 
cette  maniere ;  et ,  temoignant  ouvertement  la 
joie  qu'il  resseutoit  de  celle  que  le  peuple  feroit 
paroltre,  il  me  demanda  ceque  j'en  pensois.  Ma 
reponse  fut  que  je  n'avois  pas   accoutume  de 
blamer  ce  que  les  maitres  faisoient ;  que  la  joie 
publique  ne  venant  que  de  la  haine  qu'on  avoit 
coucue  coutre  le  prince ,  parce  qu'on  le  croyoit 
ami  de  Son  Eminence,  dans  huit  jours  on  plain- 
droit  son  malheur,  et  que  dans  quinze  le  monde 
le  regretteroit ,  et  ne  s'entretiendroit  que  des 
grandes  actions  qu'il  avoit  faites  pour  le  ser- 
vice du  Roi.  Le  cardinal,  pique  de  ce  que  je 
n'etois  pas  de  son  avis,  me  dit :  «  Le  prince  ne 
vous  aimoit  pas. — J'en  convieus,  lui  repon- 
dis-je,  et  je  vous  en  avois  Tobligation;  mais  nos 
querelles  n'etant  marquees  qu'avec  de  la  craie , 
nous  avons  passe  par  dessus  une  eponge  mouil- 
lee.  Ainsi  elles  sont  oubliees  et  effacees.  »  Le 
cardinal  fut  fache  de  ce  que  je  n'avois  pas  pris 
feu  a  sou  discours ,  et  m'ajouta  :  «  Le  prince  ne 
vous  estimoit  pas.  »  Alors  je  fus  oblige  de  lui 
repondre  que  j'avois  sujet   d'etre  persuade  du 
contraire,  non-seuleraent  parce  que  la  conduite 
qu'il  avoit  teuue  a  raon  egard  dans  le  moment 
de  sa  disgrace  m'en  donnoit  des  assurances , 
mais  parce  que  d'ailleurs  ,  en  examinant  ma  ma- 
niere d'agir,  je  la  trouvois  si  pure ,  que  je  ne 
pouvois  avoir  perdu  I'estime  de  ceux  qui  fai- 
soient profession  d'honneur  et  de  vertu.  Le  pre- 
mier ministre,  pour  metlre  fin  a  la  conversa- 
tion, me  dit  :  «  La  Reine  veut  que  ce  soit  vous 
qui  alliez  trouver  madame  la  princesse,  pour 
lui  faire  savoir  oe  que  Sa  Majeste  a  ordonne ,  et 
qu'on  n'a  rien  fait  que  pour  I'avantage  des  prin- 
ces et  de  leurs  niaisons.  Car  il  est  bien  plus  a 
propos  que  des  nouvelles  de  cette  nature  nous 
soient  annoncees  par  des  amis  que  par  des  en- 
nemis ,  quand  ce  ne  seroit  que  parce  que  ceux- 
la  font  des  rapports  fideles ,  et  que  ceux-ci  y 
peuvent  ajouter  ou  diminuer  :  ce  qui  cause  sou- 
vent  beaucoup  de  mal.  »  J'executai  I'ordre  qui 
me  fut  doune,  et  j'allai  a  I'hotel  de  Conde,  ou 
j'attendis  assez  long-temps  madame  la  princesse, 
qui  etoit  sortie ,  et  qui  n'apprit  pas  de  raoi  cette 
nouvelle  desagreable,  maisde  madame  de  Lon- 
gueville  ,  qui  lui  dit  un  mot  a  I'oreille  avant 
que  j'eusse  commence  a  lui  parler.  Elle  en  pa- 
rut  troublee;  mais  la  presence  et  la  force  de  son 


[1650]  ,25 

esprit  firent  qu'elle  ne  dit  rien  qui  ne  put  etre 
rapporte. 

Madame  de  Longueville  sortit  de  Paris  et  se 
determina  d'aller  en  Normandie.  Elle  fut  cause 
en  partie  que  le  Roi  fit  le  voyage  de  Rouen,  d'ou 
il  envoya  sommer  les  villes  de  Dieppe  et  de 
Caen  ,  qui  se  rendirent.  Cette  princesse  ,  apres 
s'etre  tenue  un  temps  considerable  cachee  en 
differens  endroits  du  royaume  ,  alia  a  Stenay, 
d'ou  elle  fit  la  guerre ,  sous  le  pretexte  de  I'injuste 
detention  de  messieurs  ses  freres  et  de  monsieur 
son  mari.  Le  Roi ,  ayaut  fait  quelque  sejour  a 
Rouen  ,  revint  a  Paris ,  d'ou  il  partit  pour  aller 
en  Rourgogne.  M.  de  Veudome ,  qui  avoit  le 
gouvernement  de  cette  province  ,  assiegea  la 
ville  de  Bellegarde,  qui  capitula ,  et  suivit 
I'exemple  du  chateau  de  Dijon  et  des  autres 
places  qui  en  avoient  fait  de  merae.  La  pro- 
vince de  Rourgogne  etaut  calmee  ,  Sa  Majeste 
revint  a  Paris,  d'ou  elle  alia  en  Guienne  ,  sur 
la  nouvelle  qu'elle  recut  que  Bordeaux  s'etoit 
declare  pour  les  princes,  apres  avoir  donne  re- 
traite  a  madame  la  princesse  et  a  madame  de 
Longueville.  Le  Pioi  se  determina  a  en  faire  le 
siege ;  et ,  pour  oter  tout  sujet  de  mefiance  aux 
babitans  ,  il  en  retira  le  gouvernement  des 
mains  de  M.  d'Epernon,  dont  la  maisou  ,  de 
meme  que  le  Chateau-Trompette  ,  avoit  ete 
rasee  par  le  peuple ,  ([ui  avoit  depute  en  Espa- 
gne  et  en  Angleterre  pour  avoir  du  secours. 
M.  de  Bouillon,  s'etant  enferme  dans  cette  ville 
avec  les  princesses  du  sang  qui  y  etoient ,  prit 
les  armes  contre  le  Roi ,  aussi  bien  que  le  vi- 
corate  de  Turenne  son  frere,  qui  passa  dans  le 
service  d'Espagne,  Le  commandement  de  I'ar- 
mee  de  terre  fut  donne  au  marechal  de  La  Meil- 
leraye.  Celle  de  mer  fut  donnee  a  Du  Dognon. 
Apres  quelques  jours  de  siege  ,  Bordeaux  capi- 
tula et  ouvrit  ses  portes  au  Roi  ,  auquel  le 
parlement  de  Paris  avoit  envoye  quelques-uns 
de  son  corps  qui  favorisoient  en  tout  ceux  de 
Bordeaux. 

Sa  Majeste  se  rendit  en  Guienne  par  le  che- 
min  ordinaire.  Je  la  suivis  ,  aussi  bien  que  Ser- 
vien  qui ,  pretendant  etre  loge  avant  les  secre- 
taires d'Etat ,  se  servit  du  cardinal  pour  en 
faire  donner  I'ordre  aux  marechaux  de  logis. 
Cela  lui  reussit  a  Angouleme  :  et  comme  e'e- 
toit  une  chose  inouie,  on  la  tint  fort  secrete. 
La  cour  en  etant  partie  pour  aller  a  Aubeterre, 
ce  fut  la  que  la  dispute  commenca  tout  de 
bon,  et  qu'une  affaire  de  tres-petite  consequence 
donna  lieu  a  une  querelle  a  laquelle  Servien  ne 
s'etoit  point  attendu.  Le  bruit  fut  excite  par 
mes  gens ,  qui  me  rapporterent  I'ordre  donne 
aux   marechaux  de    logis ,   et  je   me  trouvai 


120 


»i  !:r.;o:r.r.s   m:  cov.Tr.  \-.r.  bi'.ikwf.  , 


oblige  d'eu  faire  mes  plaintes  a  la  Ueine  ,  a  !a- 
queUe  ( je  ue  puis  m'cmpecher  de  Tavoner  )  je 
parlai  avec  plus  de  chaieur  que  je  ne  devois. 
Mais  on  ne  garde  pas  toujours  les  regies  de  la 
bienseance  quand  on  est  veritablement  offense. 
Je  dis  done  a  Sa  Majeste  que  je  n'aurois  jamais 
cru  qu'elle  eut  voulu  m'oter  Thonneur.  «  Com- 
ment ,  me  dit  cette  princesse  ,  cela  pourroit-il 
6tre  arrive?  Je  n'en  eus  jamais  la  pensee.  — 
Cela  est  arrive  en  commandant ,  lui  ajoutai-je, 
que  M.  Servien  fut  loge  avaut  moi  ,  lequel  a 
si  bieu  reconnu  mon  droit ,  qu'ayant  souvent 
loge  ensemble,  il  a  souffert  que  mon  nom  fiit 
ecrit  avant  le  sien;  et  sans  que  j'aie  ete  en- 
tendu  ,  ni  messieurs  les  secretaires  d'Etat,  nous 
apprenons  ,  Madame,  qu'il  a  obtenu  un  juge- 
ment  en  sa  faveur.  »  La  Reine  me  dit  ce  qu'on 
lui  avoit  expose  pour  I'engager  a  donner  gain 
de  cause  a  Servien  ,  et  ajouta  qu'il  etoit  mi- 
iiistre.  Je  lui  repondis,  avec  un  peu  trop  de 
chaieur,  que  je  n'en  connoissois  qu'aCharenton 
et  aux  Mathurins.  Cela  deplut  a  Sa  Majeste; 
raais  elle  n'en  fit  rien  paroitre  alors ,  compa- 
tissant  peut-etre  a  ma  peine.  J'obtins  meme 
de  sa  bonte  que  nos  raisons  seroient  ecoutees , 
et  qu'elle  nous  feroit  droit.  Le  lendemain  ma- 
tin j'allai  chez  le  cardinal  pour  lui  faire  mes 
plaintes  de  ce  qu'il  avoit  pris  le  parti  de  M.  Ser- 
vien contre  moi,  II  fit  ce  qu'il  put  pour  me 
lasser ,  et  pour  faire  en  sorte  que  mon  impa- 
tience me  fit  retirer  ;  mais  j'etois  resolu  de  lui 
parler  :  de  maniere  que  ,  voyant  que  son  arti- 
fice lui  etoit  inutile  ,  il  ne  put  se  defendre  de 
me  voir.  Je  lui  remontrai  mon  droit  et  le  sujet 
de  mes  plaintes  ,  et  ,  voyant  qu'il  ne  me  repon- 
doit  rien:  «  M.  Servien,  lui  dis-je,  a  voulu 
m'attaquer  ,  mais  je  me  defendrai  ,  puisqu'on 
ne  me  rend  pas  justice.  »  Le  cardinal  prit  oc- 
casion de  me  repondre  :  « II  s'en  tirera  bien;  et 
s'il  n'etoit  pas  assez  fort,  je  lui  servirois  de 
second.  »  Alors,  sans  m'etonner  ,  je  lui  repon- 
dis :  «  Monsieur  ,  avec  la  qualite  dont  vous  etes 
revetu  et  celle  que  vous  avez  en  France ,  vous 
ne  devriez  point  me  tenir  un  tel  langage.  Mais 
ce  que  Votre  Eminence  me  dit  ne  m'empechera 
point  d'aller  mon  chemin  ,  et  nous  verrons  ce 
qui  en  arrlvera.  •'  Je  me  rotirai ;  et  le  jour  que 
le  Roi  alia  coucher  a  Coutras  je  fus  remis  en 
possession  de  mon  droit ,  celui  de  Servien  de- 
meurant  pourtant  en  son  entier;  c'est-a-dire  que 
la  liberte  lui  fut  laissee  de  contester  au  fond. 
La  cour  se  rendit  de  Coutras  a  Libourne,  oil  les 
deputes  du  parlementde  Paris  eureut  audience. 
Les  sceaux  qu"on  avoit  otes  au  chancel ier 
furent  donnes  a  M.  de  Chciteauneuf ,  qui  resta 
a  Paris  avec  M.  Lc  Tellier  ,  pour  voir  ce  qui 


s'y  passeroit  et  pour  contenir  M.  le  due  d'Oi  - 
leans  ,  c'est-a-dire  pour  prendre  garde  qu'il  ne 
se  laissat  surprendre  ni  par  les  factieux  du 
parlement ,  ni  par  les  amis  du  princes  ,  ni  par 
ceux  du  coadjuteur  ;  car  ,  quoiqu'il  eut  peu  d'a- 
mitie  pour  eux  ,  on  s'apercut  qu'il  avoit  aussi 
de  la  haine  et  du  mepris  pour  le  gouvernement. 
M.  Le  Tellier  remarquoit  que ,  lorsqu'il  parloit  le 
premier  a  Monsieur,  il  avoit  assez  sujet  d'etie 
content  de  ses  raisons;  mais  qu'il  paroissoit  tout 
autre,  aussitot  que  le  garde-des-sceaux  ou 
quelque  autre  I'avoit  entretenu. 

Notre  retour  a  Paris  fut  precipite  ,  sur  une 
terreur  panique  que  le  cardinal  ne  sut  dissimu- 
ler  etant  a  Bordeaux ,  et  par  I'envie  qu'il  avoit 
d'empecher  que  M.  le  due  d'Orleans  ne  se  fit 
chef  de  parti  dans  les  provinces  qui  sont  au-dela 
de  la  Loire.  Je  n'eus  aucune  part  a  I'accommo- 
dement  de  Bordeaux  parce  que  je  n'etois  pas 
dans  les  bonnes  graces  du  cardinal  qui  ne  pre- 
noit  conseil  que  de  Servien  ,  et  aussi  parce  que 
je  tombai  malade  a  Bourg.  Je  me  trouvai  hors 
d'etat  d'entendre  parler  d'affaires ,  et  j'etois 
meme  si  foible,  quand  le  Roi  en  partit  pour  Bor- 
deaux ,  que  je  ne  pus  le  suivre.  Je  recus  pen- 
dant ma  maladie  tant  de  marques  des  bontes  de 
Leurs  Majestes  ,  que  je  me  crois  oblige  de  n'en 
rien  dire  par  modestie.  La  Reine  m'ayant  com- 
raande  de  me  rendre  aupres  d'elle  aussitot  que 
ma  sante  pourroit  me  le  permettre ,  je  m'em- 
barquai  a  Blaye,  ou  j'etois  alle  pour  changer 
d'air ;  et  je  ne  fus  pas  plus  tot  arrive  a  Bor- 
deaux ,  que  j'appris  que  les  synodes  de  la  haute 
Guienne  et  du  haut  Languedoc  s'etoient  assem- 
bles, quoiquecela  leur  fiitdefendupar  les  edits, 
et  qu'ils  avoient  eu  meme  la  temerite  de  depu- 
ter  au  Roi.  Je  fus  d'avis  qu'on  ne  recut  point 
leurs  deputes  ;  mais  Servien ,  ayant  soutenu 
I'afflrmative  au  contraire  ,  obtint  qu'ils  auroieut 
audience.  Je  fis  ce  que  je  pus  pour  I'empecher ; 
et  comme  le  droit  etoit  en  cela  de  mon  cote, 
on  me  dit  pour  raison  que  si  le  Roi  n'entendoit 
pas  ces  deputes  ,  cela  produiroit  un  mauvais  ef- 
fet,  et  seroit  mal  reeu  non-seulement  par  ceux 
qui  les  avoient  deputes,  mais  generalement  par 
tons  les religionnaires;  que,  dans  I'etat  present 
des  affaires,  il  n'etoit  pas  du  service  du  Roi  de 
les  aliener,  et  qu'il  y  avoit  meme  un  tempera- 
ment a  prendre  avec  eux ,  dont  ils  ne  parois- 
soient  pas  bien  eloignes  :  c'etoit  de  se  servir  de 
ces  termes,  ceux  qui  nous  ont  etc  deputes, 
sans  nommer  les  synodes  de  Guienne  et  de  Lan- 
guedoc assembles.  Je  repondis  que  c'etoit  sau- 
ver  en  quelque  facon  les  apparences ;  mais  qu'il 
falloit  pourtant  vS'assuror  d'eux  ,  et  prendre 
garde  de  les  faire  taire  s'ils  venoient  a  manquer 


a  ee  qu'ils  avoient  promis.  Cela  fut  aiiisi  ac- 
corde  ,  a  ee  qu'on  nous  rapporta ,  niais  ne  fut 
pas  execute  de  meme ;  car  le  Roi  eut  le  deplai- 
sir  de  voir  qu'un  de  ses  sujets  lui  manqua  de 
respect. 

La  cour  se  disposa  a  revenir  a  Paris,  ou  les 
amis  des  princes  avoient  tellement  iiagnel'es- 
prit  de  M.  le  due  d'Orleans ,  qu'ii  deraanda 
que  la  garde  lui  en  fut  donnee.  La  cour  en  vit 
les  consequences  ,  et  ceci  donna  matiere  a  plu- 
sieurs  affaires.  La  Reine  tomba  malade  sur  la 
route ,  et  fut  obligee  de  sejourner  a  Amboise  , 
oil  elle  eut  des  accidens  qui  firent  craindre  pour 
elle  a  ses  serviteurs,  et  ([ue  le  Roi  ne  tombat 
sous  laconduite  de  monsieur  son  oncle.  lis  tin- 
rent  entre  eux  des  conseils  pour  contribuer  a  la 
liberie   des   princes   si  ce   malheur   arrivoit  : 
voyant  bien  que  pour  affermir  I'autorite  royale 
il  falloit  qu'il  y  eut  deux  partis  dans  la  cour, 
puisqu'il  y  en  avoit  un  de  forme  dont  tout  etoit 
a  craindre ;  que  plusieurs  officiers  s'etoient  don- 
nes  a  M.  le  due  d'Orleans;  que  des  esprits  fac- 
tieux  recherchoient  sa  protection  ,  et  que  tous 
concouroient  a  le  rendre  puissant  et  a  reduire 
la  Reine  a  abandonner  les  affaires.  La  sante  de 
cette  princesse  s'etant  un  peu  retablie,  Sa  Ma- 
jeste  partit  d'Araboise  ,  et  resolut,  pour  se  forti- 
fier, de  faire  quelque  sejour  a  Fontainebleau. 
M.  Le  Tellier  vint  au  devant  de  la  cour,  et  ne 
manqua  pas  de  confirmer  ce  qu'il  avoit  mande 
qu'il  ne  seroit  point  difficile  de  gouverner  M.  le 
due  d'Orleans,  pourvu  qu'il  n'y  eut  personne 
aupres  de  lui  qui  put  prendre  sur  son  esprit  un 
ascendant  pareil  a  celui  que  le  garde-des-sceaux 
savoit  prendre.  Celui-ci  ne  disoit  rien  contre 
M.  Le  Tellier,  et  le  prenoit  a  temoin  comment 
il  lui  avoit  offert  de  faire  arreter  M.  de  Beau- 
fort. M.  Le  Tellier  convenoit  de  I'offre  ,  mais  il 
doutoit  qu'il  en  fut  jamais  venu  a  I'execution  , 
et  croyoit  en  avoir  des  preuves   bien  sures. 
Monsieur,  ayant  de  la  repugnance  pour  venir  a 
Fontainebleau ,  faisoit  bien  connoitre  que  sa 
conscience  lui  reprochoit  beaucoup  de  cboses  ; 
et  il  n'y  avoit  rien  de  plus  sur  qu'il  prenoit  des 
liaisons  avec  les  rrondeurs,et  des  mesures  pour 
eloigner  des  affaires  le  cardinal.  Celui-ci,  ne 
songeant  qu'a  se  maintenir,  disposa  la  Reine , 
pendant  qu'elle  etoit  a  Bourg ,  a  voir  madame 
la  princesse  et  madame  de  Longueville,  non  pas 
dans  I'intention  de  leur  faire  des  honnetetes  , 
mais  pour  gagner  M.  de  Bouillon  ;  et  cela  donna 
lieu  a  beaucoup  de  gens  de  croire  que  ce  fut  la 
qu'ils  commencerent  a  jeter  les  fondemens  de 
cette  amitie  qui  adure  jusqu'a  la  mort  de  ce  due, 
qui  ne  put  pas  retirer  sitot  du  service  espagnol 
M.  de  Turenne  ,  son  frere,  quelque  envie  qu'eiit 


)F,i'xiF.MF.   pahtik.   [10.51]  127 

e  dernier  de  s'accommoder  et  de  suivre  ses  con- 


seils. Madame  de  Longueville  s'en  alia  de  Bor- 
deaux a  Stenay,  et  fit  au  contraire  tous  ses  el- 
forts  pour  engager  M.  de  Turenne  a  rester  dans 
le  parti  d'Espagne,  se  promettant  de  cette  cou- 
ronne  une  entiere  protection  pour  messieurs  ses 
freres.  Le  cardinal ,  ne  se  croyant  point  en  sii- 
rete  a  Paris  ,  dit  que  les  affaires  du  Roi  I'appe- 
loient  en  Champagne.  II  y  alia  ,  et,  ayant  ga- 
gne  sur  lui  de  faire  de  la  depeuse  ,  il  causa  la 
prise  de  Rethel.  M.  de  Turenne  ,  qui  craignit 
que,  s'il  ne  s'avancoit  pour  secourir  cette  place , 
on  ne  lui  en  imputat  la  perte,  se  mit  en  chemin 
pour  la  secourir ;  mais  il  fut  attaque  et  defait 
par   le   mareschal  Du  Plessis-Praslin  (l),   qui 
avoit  eu  le  commandement  de  I'armee  destinee 
pour  la  conservation  des  frontieres.  Cette  vie- 
toire  enflant  le  coeur  du  cardinal ,  il  demanda 
qu'on  fit  marechaux  de  France  ceux  qui  avoient 
commande  sous  M.  Du  Plessis ;  et ,  pour  faire  sa 
cour  a  M.  le  due  d'Orleans,  il  fut  d'advis  que 
d'Etampes  fut  du  nombre.  Grancey,  qui  crut 
I'avoir  aussi  bien  merite  que  ceux-la  ,  demanda 
la  meme  grace  en  menacaut ,  et  I'obtint  a  cause 
du  peu  de  vigueur  du  gouvernement.  Comme  il 
commandoit  dans  Gravelines  ,  il  se  mit  en  che- 
min pour  y  aller,  et  dit  tout  haut  qu'il  feroit 
ce  qu'il  jugeroit  a  propos  s'il  n'etoit  fait  mare- 
chal.  Ou  le  fit  revenir  en  lui  accordant  sa  de- 
mande. 

[iG51]  La  maladie  de  la  Reine  continuoit  , 
et  M.  le  due  d'Orleans,  qui  lui  rendoit  tous  les 
jours  visite  quand  elle  etoit  dans  son  redouble- 
ment ,  ne  lui  parloit  d'ordinaire  que  de  choses 
desagreables.  Le  cardinal ,  croyant  avoir  beau- 
coup fait  pour  I'Etat,  s'attribuoit  la  gloire  d'a- 
voir  vaincu  une  armee  qu'il  n'avoit  jamais  vue  , 
et,  sous  ce  pretexte ,  ses  amis  avoient  ete  ele- 
ves  a  la  premiere  dignite  de  I'Etat.  Son  Emi- 
nence se  reconcilia  avec  Monsieur  par  le  moyen 
du  mareehal  d'Etampes,  et  cela  le  determina 
de  revenir  a  Paris  ;  mais  parce  qu'il  craignoit 
le  peuple  ,  on  fit  si  bien  que  le  Roi  alia  a  sa  ren- 
contre :  et  la  presence  de  Sa  Majeste  le  mettant 
en  siirete  ,  il  reparut  en  public  et  reprit  le  ma- 
niement  des  affaires  qu'il  n'avoit  point  aban- 
donnees  ,  tout  eloigne  de  la  cour  qu'il  etoit ;  car 
il  ne  s'y  faisoit  rien  sans  la  participation  de  Son 
Eminence.  Cependant  le  cardinal  y  recut  deux 
mortifications.  Le  parlement  ne  cessoit  de  faire 
des  remontrances  contre  lui ,  meme  en  sa  pre- 
sence ,  et  de  le  marquer  comme  I'auteur  des 
troubles  de  I'Etat.  Les  Frondeurs  faisoient  de 
continuelles  instances  afin  que  les  princes  qui 

(1) Cette  bataillefut  livr^e  lelad^cemLre  1650.  (A.E.) 


128 


MF.MOIRES    DU    COMTE    DE    BRIENNE 


etoient  a  Vincennes  fussent  amenes  a  la  Bastille, 
et  qii'on  leur  en  confiat  la  garde  ,  disant  ouver- 
tement  que  le  cardinal  se  rendoit  le  maitre  de 
leur  destinee  ,  et  que,  venant  a  former  un  parti 
avee  eux  ,  le  leur  s'affoibliroit  de  beaucoup. 

La  raort  de  madame  la  princesse  douairiere 
augmenta  les  esperanees  des  ennemis  de  ses  en- 
fans  ,  et  ceux-ci  craignoient  avec  raison  que  la 
cour  ne  les  livrat  a  la  fin  a  ceux  qui  etoient  con- 
tre  leurs  interets.  II  etoit  assez  extraordinaire 
de  voir  que  les  Frondeurs  vouloient  paroitre  les 
defenseurs  des  princes  quand  ils  croyoient  of- 
fenser  le  cardinal ,  ne  pouvant  cacher  la  haine 
qu'ils  avoient  pour  lui.  Un  jour  je  demandai  a 
Son  Eminence  si  elle  ne  se  lassoit  point  de  voir 
decrier  sa  conduite ,  et  s'il  ne  vaudroit  pas  raieux 
se  raccommoder  avec  les  princes  que  de  souf- 
frir  tant  d'outragcs  de  leurs  ennemis  communs. 
Le  cardinal  me  repondit :  »  Si  dans  deux  jours 
precis  les  Frondeurs  n'en  passent  par  ce  que  Ton 
souhaite  ,  je  prendrai  le  parti  que  vous  me  pro- 
posez.  »  Je  lui  repliquai  qu'il  prit  bien  garde 
qu'il  n'en  fut  plus  temps.  II  obtint  de  la  du- 
chesse  d'Aiguillon  qu'elle  conlieroit  la  citadelle 
du  Havre  au  sieur  de  Bar,  en  qui  il  avoit  une 
entiere  confiance ,  qui  gardoit  les  princes  a  Vin- 
cennes ,  et  qui  continua  de  les  garder  au  Havre. 
Cela  surprit  et  les  serviteurs  et  leurs  amis. 
II  y  en  avoit  qui  les  croyoient  perdus  sans  res- 
source  ,  puisqu'on  les  cbangeoit  de  prison ;  et 
un  des  plus  attaches  a  leur  service  m"en  temoi- 
gna  son  chagrin.  Je  lui  dis  qu'il  se  consolat, 
parce  que  les  princes  seroient  bientot  en  liberte. 
Les  raisons  que  je  lui  donnai  pour  le  convain- 
cre  furent  que  nous  en  etions  soliicites  par  leurs 
ennemis ,  et  que  Tinteret  du  cardinal  s'y  ren- 
contrant,  il  ne  raanqueroit  pas  de  s'y  determi- 
ner apres  en  avoir  arrete  les  conditions ,  et  pris 
ses  precautions  avec  eux.  C'est  en  quoi  les  en- 
nemis des  princes  ne  purent  cacher  leur  deses- 
poir ;  car  ils  craignoient  avec  raison  que  ,  ne 
cessant  de  maltraiter  le  cardinal  et  d'offenser 
la  cour,  on  ne  vint  a  leur  opposer  des  per- 
sonnes  capables  d'arreter  leur  insolence  et  leur 
presomption. 

Des  que  les  Frondeurs  surent  que  les  prison- 
niers  avoient  ete  transferes  au  Havre  ,  ils  firent 
au  cardinal  de  continuelles  remontrances  pour 
obtenir  la  liberte  des  princes  ,  disant  pour  rai- 
son qu'il  falloit  qu'ils  fussent  innocens,puisque, 
depuis  un  an  qu'on  les  tenoit  en  prison  ,  on  n'a- 
voit  point  fait  leur  proces. 

Le  premier  ministre,  ne  voyant  pas  de  pou- 
voir  se  soutenir  plus  long-temps  par  I'autorite 
(le  la  Reine  qu'il  avoit  affoiblie  pendant  son  mi- 
uislere,  resolut  de  sorlir  du  royaume  apres  avoir 


obtenu  les  ordres  necessaires  pour  mettre  \es 
princes  en  liberte.  II  prit  meme  la  resolution  de 
se  rendreaupresd'eux  etde  voir  s'il  pourroit  Ics 
disposer  a  entreprendre  sa  defense  et  de  le  pro- 
teger.  II  tint  ceci  fort  secret ;  mais  le  jour  etaut 
arrive  qu'il  avoit  fait  dessein  de  se  sauverdans 
lanuit,  il  s'en  ouvrit  a  quelques-uns  et  m'en 
parla  en  presence  de  la  Reine,  ajoutant  que,  dans 
les  occasions  ou  je  voudrois  etre  conseille  pour 
le  service  de  Sa  Majeste,  il  me  manderoit  since- 
rement  ses  sentimeus.  II  voulutqueje  lui  disse 
quels  etoient  les  miens  sur  ce  qu'il  alloit  execu- 
ter,  ra'ayant  auparavant  declare  qu'il  n'en  avoit 
point  d'autres  que  de  faire  connoitre  au  public 
que  ce  n'etoit  pas  a  lui  qu'on  en  vouloit,  mais  a 
i'autorite  royale ,  etant  assure  que  les  esprits 
mal  intentionnesne  s'erapecheroient  pas  de  faire 
des  choses  qui  ne  pourroient  etre  tolerees  dans 
une  monarchic.  Je  le  louai  en  le  remerciant  des 
honnetetes  qu'il  m'avoit  faites;  mais  pour  cela 
Son  Eminence  ne  voulut  pas  etre  de  mes  amis  , 
ni  que  je  fusse  son  serviteur.  II  ne  put  dissimu- 
ler  la  haine  qu'il  portoit  a  la  marquise  de  Gama- 
ches,  ma  fille ;  car  il  me  dit :  «  Eile  s'est  bien  de- 
chainee  contre  moi  dans  le  carosse  de  made- 
moiselle d'Orieans. »  Je  I'assurai  que  cela  n'e- 
toit pas  veritable ,  et  que  ma  fille  et  M.  de  Ga- 
maches  etoient  trop  serviteurs  de  Son  Eminence 
pour  cela.  Mais  il  me  repliqua  que  Je  me  trom- 
pois  si  j'etois  dans  cette  opinion.  Je  lui  repondis 
alorsque  jeneme  trompois  point;  mais  que,  s'ils 
s'etoient  oublies  en  quelque  facon  a  I'egard  de 
Son  Eminence  ,  ils  en  etoient  excusables  en  ce 
qu'ils  avoient  ete  tres-maltraites.  Le  feu  lui 
monta  pour  lors  au  visage ,  et  la  colere  lui  otant 
la  i-aison  ,  il  me  dit :  « Vous  montrez  bien  que 
vous  etes  mauvais  courtisan  ;  je  veux  que  vous 
sachlez  que  je  vous  considere  moinsque  la  terre 
sur  laquelle  je  marche. — Vousdevriez,  Mon- 
sieur, repondis-je,  etre  persuade  de  ma  pro- 
bite,  et  ne  point  ignorer  que  vous  ne  parlez 
pas  a  un  faquin.  Mais ,  apres  vous  etre  emporte 
comme  vous  avez  fait ,  je  suisbien  aise  que  vous 
sachiez  que ,  sans  le  respect  que  j'ai  pour  la 
Reine,  vous  ne  sortiriez  pas  de  la  ville  aussi  fa- 
ciiement  que  vous  y  etes  entre.»  Cependant , 
pour  ne  point  faire  de  peine  a  Sa  Majeste  ,  jo 
sortis  de  son oratoire,  et  j'attendis dans  la  cham- 
bre  pour  voir  si  elle  n'avoit  rien  a  me  com- 
mander. 

J'appris  que  le  cardinal,  etant  en  particulier 
avec  Sa  Majeste ,  lui  avoit  temoigne  son  chagrin 
de  ce  qu'elle  ne  m'avoit  pas  gronde  de  la  bonne 
sorte,  et  que  la  Reine  lui  avoit  dit :  « Vous  avez 
voulu  pousser  a  bout  un  gentilhomme  dont  les 
actions  ont  du  vous  faire  connoitre  qu'il  n'etoit 


DEIIXIEMK   PAllTIE.    [Uiolj 


pas  d'humeur  a  se  laisser  insulter  impunement, 
et  qui  d'ailleurs  ne  vous  a  rien  dit  dont  vous 
puissiez  vous  offenser. » 

Sod  Eminence  ,  voulant  apres  cela  se  raccom- 
moder  avec  raoi ,  m'envoya  M.  Le  Tellier  pour 
me  prier  d'aller  dans  sa  charabre.  Je  dis  a  M.  Le 
Tellier  que  je  n'y  avois  point  de  repugnance, 
mais  que  j'etois  bien  aise  de  savoir  auparavant 
de  quelle  maniere  I'Eminence  me  parleroit; 
«  car,  ajoutai-je  ,  si  c'est  avec  la  merae  hauteur 
qu'elle  I'a  deja  fait,  je  ne  pourrai  me  contenir. 
Je  vous  prie  done  de  ne  me  point  engager  a 
faire  ce  que  je  veux  eviter. »  M.  Le  Tellier  me 
repondit  du  cardinal ,  et  me  conduisit  dans  sou 
appartement ,  d'ou  je  revins  sans  avoir  aucun 
sujet  de  me  plaindre.  Je  me  retirai  ensuite  chez 
moi,  et  j'y  apprisque  ce  premier  ministre,  etaut 
peu  accompagne  et  ayant  trouve  a  sa  rencontre 
ses  meilleurs  amis,  avoit  pris  le  leudemaia 
le  chemiu  de  Normandie ,  dans  I'intention  de 
trailer  avec  les  princes  et  de  se  servir  des  ©r- 
dres  qu'il  avoit  obtenus ,  ou  de  les  bruler  s'ils 
etoient  inutiles.  Ces  ordres  etoient  adresses  a  de 
Bar,  pour  executer  de  point  en  point  ce  qu'il  lui 
ordonneroit.  Les  personnes  qui  furent  temoins 
de  ce  qui  se  passa  au  Havre  ont  declare  que  le 
cardinal  y  parut  plus  humilie  que  ceux  qu'il  pre- 
tendoit  n'en  pouvoir  sortir  que  par  son  consen- 
tement.  Apres  quelques  conferences  ,  dans  les- 
quelles  les  princes  ne  lui  promirent  ni  protec- 
tion ni  assistance,  ils  furent  mis  en  liberie  (1). 
Son  Eminence  passa  la  riviere  de  Sorame  ,  et  se 
retira  dans  le  pays  de  I'eveque  de  Liege  dont  il 
etoit  assure. 

Les  princes,  etant  arrives  a  Paris  ,  saluerent 
Sa  Majeste;  mais ,  craignant  tout  de  la  cour,  ils 
s'attachereut  a  M.  le  due  d'Orleans  pour  s'en 
raettre  a  couvert ,  en  cas  qu'ils  pussent  parvenir 
a  avoir  part  aux  conseils  de  Son  Altesse  Royale, 
qu'ils  se  promettoieut  de  mettre  si  fortement  dans 
ieurs  interets  ,  qu'ils  ne  paroitrolent  point  divi- 
ses.  Les  affaires  se  conduisirent  pour  lors  avec 
beaucoup  de  foiblesse.  La  Reine  ne  faisoit  rien 
que  Monsieur  n'en  fut  averti ,  qui,  persuade 
qu'elle  avoit  promis  au  cardinal  de  le  considerer 
toujours  ,  et  de  faire  prendre  au  Roi  ces  memes 
sentimens ,  pour  Ten  empecher,  proposa  a  la 
Reine  de  faire  garder  les  portes  par  la  bourgeoi- 
sie. Sa  Majeste  y  consentit,  et  Monsieur,  pour 
s'assurer  plulot  par  sesyeux  qu'en  se  rapportant 
a  la  fidelite  des  bourgeois,  envoyoit  souvent 
voir  ce  que  faisoient  Leurs  Majestes.  II  faisoit 
cependant  faire  des  rondes  par  la  cavalerie,  et 
tenoit  comme  en  esclavage  ceux  a  qui  il  devoit 


(1)  Ils  sorlirent  du  Havre  le  13  f^vrier  1631. 

111.    C.     D.     M.,    T.    III. 


(A.  E. 


129 

la  fidelite  et  I'obeissance.  On  soupconna ,  mais  h 
mon  sens  ,  mal  a  propos ,  le  marechal  de  Ville- 
roy  d'etre  I'auteur  des  mauvais  conseils  que  pre- 
noit  Monsieur.  II  est  bien  certain  que  le  cardi- 
nal avoit  voulu  engager  la  Reine  a  sortir  de  Pa- 
ris ,  et  que  le  mepris  qu'y  recevoit  son  autorite 
lui  en  avoit  fait  prendre  I'envie;  mais  mettant 
d'un  cote  sa  reputation  en  balance  avec  le  ser- 
vice du  Roi ,  et  de  I'autre  ce  qui  pouvoit  satis- 
faire  une  princesse  aussi  courageuse  et  aussi  bar* 
die  qu'elle  etoit :  "II  vaut  mieux,  me  dit-elle  , 
souffrir,  que  de  rien  hasarder  mal  a  propos  et 
se  deshonorer.  —  Madame,  lui  repondis-je  ,  la 
resolution  que  vous  prenez  est  digne  de  votre 
courage  et  de  votre  vertu.  Pour  faire  counoitre 
a  Votre  Majeste  quelle  en  est  la  grandeur,  je 
vais  lui  faire  voir  la  facilite  qu'il  y  auroit  a  la 
faire  sortir  de  Paris  avec  le  Roi ;  mais  apres 
cela,  je  ne  puis  prevoirce  qu'elle  aura  intention 
de  faire ,  car  il  n'y  auroit  rien  de  plus  aise  que 
de  couteuter  votre  passion  ,  si  elle  n' etoit  pas 
soumise  a  la  raison.  » 

Chateauneuf  paroissoit  si  fort  attache  aux  in- 
terets de  Monsieur,  que  la  Reine  ne  pouvoit  pren- 
dre confiauce  en  lui.  Sa  Majeste  lui  ota  les  sceaux 
pour  en  honorer  le  premier  president  Mole; mais 
Monsieur  s'en  etant  plaint,  elle  ies  ota  encore  k 
celui-ci  et  les  renditau  chancelier.Le  parlement 
ne  raanquoit  pas  de  s'assembler  tons  les  jours. 
M.  le  due  d'Orleans  et  les  princes  s'y  trouvoient. 
J'y  avois  ete  prendre  aussi  ma  place,  pour  dire 
a  la  corapagnie  (si  je  m'en  souviens  ,  avant  que 
le  cardinal  eiit  pris  la  resolution  de  se  retirer 
dans  les  pays  etrangers)  qu'il  etoit  de  la  pru- 
dence de  conseiller  a  Monsieur  d'aller  trouver 
la  Reine,  avant  que  la  compagnie  deliberat  de 
faire  des  remontrances  au  Roi  pour  eloigner  le 
cardinal  de  son  service ,  et  de  I'assurer  que  Sa 
Majeste  etoit  tout-a-fait  disposee  a  se  leunir  a 
lui,  de  I'ecouter  et  de  prendre  ses  conseils. 
Comme  done  j'eus  ordre  de  me  trouver  dans 
toutes  ces  assemblees  ,  on  mit  un  matin  en  de- 
liberation que  le  Roi  seroit  supplie  d'eloigner 
Mazarin  de  son  service,  avec  Servien,  Le  Tellier 
et  Lyonne.  Les  gens  du  parquet  en  requirent  la 
compagnie.  Les  plus  moderes  crurent  qu'il  fal- 
loit  suivre  cet  avis ;  mais  les  autres  furent  d'un 
avis  plus  rigoureux.  Quand  mon  tour  vint  d'o- 
piner ,  je  dis  que  je  prenois  le  plus  modere , 
non  que  je  le  crusse  juste,  mais  parce  que  je 
m'y  trouvois  oblige,  y  ayant  peu  d'apparence 
que  ceux  qui  avolent  deja  ouvert  leur  avis  en 
changeassent ,  et  que  je  me  croyois  oblige  de 
dire  que  la  nouvelle  jurisprudence  qui  s'etablis- 
soit  me  surprenoit.  "Est-ce  ,  ajoutai-je,  un  crime 
d'etre  mal  avec  les  grands  ?  Je  ne  desavoue  point 

0 


130 


MEMOIRES    Dt)    COMTE    DE    BRIENNE  , 


que  ce  ne  soit  un  malheur;  mais  on  ne  chatie 
jamais  un  homme  pour  etre  tombe  en  disgrace, 
quand  on  ne  I'accuse  d'aucun  crime. »  11  y  eut 
enfin  un  arret  qui  ordonna  que  le  Roi  seroit 
supplie  d'eioigner  le  cardinal,  Servien  et  Le 
Tellier,  et  la  Reine  de  se  defaire  de  Lyonne.  La 
compagnie  etant  levee ,  je  me  rendis  au  Palais- 
Royal,  ou  je  trouvai  Servien  qui,  sachant  deja 
ce  qui  avoit  ete  resolu  au  parlement ,  me  vou- 
lut  remercier  de  la  raaniere  dont  j'avois  opine. 
Je  coupai  court  a  son  compliment ,  et  lui  fis  en- 
tendre queje  le  recevrois  si  je  I'avois  eu  en  vue 
en  opinant ;  mais  que,  n'ayant  pense  qu  a  la  jus- 
tice et  au  service  du  Roi ,  j'avois  la  recompense 
que j'eu  devois  esperer,  par  le  seul  plaisir  d'avoir 
rempli  mon  devoir.  Le  Tellier  se  retira  et  me 
pria  de  me  charger  de  son  departemeut ,  lais- 
sant  Le  Roi ,  qui  etoit  son  premier  commis ,  et 
quelquesautres,  pour  travail ler  sous moi,  comme 
ils  avoient  deja  fait  aux  voyages  de  Norraandie, 
de  Bourgogne  et  de  Guienne.  Quelques  jours 
avant  que  Lyonne  eut  ete  oblige  de  se  retirer , 
il  Kie  demanda  si  je  serois  bien  aise  que  la  Reine 
me  fit  une  priere  pour  quelques  interets  qui  re- 
gardoient  le  cardinal.  A  quoi  je  repondis  que 
Sa  Majeste  etoit  en  droit  de  me  commander  ; 
quMl  ne  falloit  point  s'adresser  a  elle ,  si  la  chose 
que  Ton  souhaitoit  de  moi  etoit  juste,  parce  que 
le  procede  peu  obligeant  du  cardinal  a  mon  egard 
ne  m'erapecheroit  pas  de  faire  ce  qui  etoit  de 
mon  devoir ;  mais  que ,  suppose  que  ce  ne  fut 
qu'une  simple  grace  dontje  fusse  le  maitre,  je 
m'y  porterois  d'autant  plus  volontiers,  que  je  fe- 
rois  connoitre  par  la  au  cardinal  que  j'avois  ou- 
blie  tout  ce  qui  s'etoit  passe  entre  nous.  II  s'agis- 
soit  d'une  ordonnance  a  la  dechai-ge  du  tresorier 
de  la  marine,  pour  lui  remettre  une  somme  de 
trente  mille  ecus  qui  avoient  ete  adjuges  au  Roi , 
qui  jusqu'alors  avoit  voulu  qu'iien  eiit  la  disposi- 
tion. Je  promis  ce  que  Ton  souhaitoit  de  moi,  et  je 
signal  le  meme  jour  cette  ordonnance.  Cela  m'at- 
tira  une  lettre  fort  civile   de  Son  Eminence , 
qui,  pour  me  remereier,  se  servit  presque  des 
termes  qu'employa  la  reine  de  Saba  pour  flatter 
Salomon.  Je  repondis  a  cette  lettre  comme  je 
devois.  La  majoriteduRoi  s'approchant,  on  vit 
bien  que  Monsieur  se  seroit  volontiers  soumis  a 
la  Reine  pour  rentrer  dans  ses  bonnes  graces, 
sans  une  chose  qui  Ten  empechoit :  c  etoit  la 
eraintequ'il  avoit  d'etre  arrete  eu  venant  trou- 
ver  Sa  Majeste;  car  la  bourgeoisie,  dont  il  se 


(i)  Avant  (Ic  se  rendioen  (iuienne,  il  y  eut  a  Clian- 
tilly  un  grand  consoil,  minposJ^  des  princes  <lc  Condd, 
(les  dues  lie  Nernours  et  de  La  Rochefoucauld  ,  de  Viole, 
Lend,  etc.,  dans  le(iuol  le  parli  des  princes  se  decida  a 


faisoit  fort ,  n'etoit  plus  armee.  M.  le  prince  fai- 
soit  aussi  des  avances  pour  le  meme  sujet ;  mais 
c'etoit  seuiement  a  dessein  d'amuser  la  cour,  et 
de  donner  le  temps  a  ses  troupes  de  passer  dans 
le  service  d'Espagne,  qu'il  vouloit  embrasser. 
Monsieur,  sans  peut-etre  savoir  ses  intentions , 
les  favorisoit,  erapechant  qu'on  ne  fit  separer 
les  troupes ,  en  leur  ordonnant  de  servir  dans 
differentes  armees.  Je  conseillai  a  la  Reine  de 
s'en  assurer,  et  de  les  faire  tailler  en  pieces  si 
elles  faisoient  mine  de  desobeir.  L'ordre  en  fut 
donne  au  marechal  d'Aumont,  qui  commaudoit 
I'armee ,  et  au  marquis  de  Castelnau ,  qui  ser- 
voit  sous  lui  en  quallte  de  lieutenant-general. 
Je  veux  croire  qu'ils  firent  leur  devoir;  mais  les 
soldats,  ayant  pris  les  devans,  entrerent  dans 
le  pays  de  Liege  avant  qu'on  les  eiit  joints.  Si 
Ton  se  fut  presse  davantage ,  on  les  eiit  ou  dis- 
sipes  ou  retenus  dans  le  service  du  Roi.  M.  le 
prince,  ne  se  croyant  point  trop  en  surete  a  la 
cour,  prit  pretexte  d'aller  prendre  possession  de 
son  gouvernement  de  Guienne  (I),  s'etant  de- 
mis  de  celui  de  Bourgogne,  dont  le  due  d'Eper- 
non  fut  pourvu.  Son  frere  et  sa  soeur  se  retire- 
rent  en  Berry  sous  les  memes  pretextes.  Les  ap- 
parences  sont  qu'ils  s'etoient  assures  de  Mon- 
sieur, qui  leur  avoit  promis  de  se  declarer  pour 
eux  si  le  cardinal  revenoit  en  France,  jugeant 
bien  qu'il  ieroit  de  son  cote  tout  ce  qu'il  pourroit 
pour  cela,  et  que  c'etoit  toujours  rinclinationet 
la  volonte  de  la  Reine.  Cependant  Sa  Majeste, 
etant  pressee  par  madarae  d'Aiguillon  qui  en 
avoit  ete  recherchee  par  Monsieur,  lui  fit  ecrire 
qu'il  eut  a  se  retirer  en  Italic ,  parce  que  son 
sejour  sur  la  frontiere  donnoit  des  soupcons  a 
plusieurs  personues.  J'en  expediai  et  signai  la 
depeche  :  ce  qu'il  ne  m'a  jamais  voulu  pardon  • 
ner  jusqu'a  la  mort.  11  est  bon  de  remarquer  ici 
renvoi  et  la  reception  de  cette  depeche ,  parce 
qu'il  en  sera  fait  mention  ailleurs.  Le  jour  que 
le  Roi  devoit  etre  declare  majeur  etant  fort  pro- 
che ,  les  frayeurs  de  Monsieur  augmenterent  de 
telle  maniere ,  qu'il  ne  veuoit  plus  au  Palais- 
Royal.  II  setenoit,  sous  differens  pretextes,  hors 
de  Paris,  et  alloit  souvent  a  Limours.  On  nous 
commanda,  au  due  de  Damville  et  a  moi,  d'al- 
ler trouver  ce  prince  pour  le  convier,  de  la  part 
de  Leurs  Majestes,  d'assister  au  lit  de  justice 
auquel  le  Roi  seroit  declare  majeur.  II  nous  pa- 
rut  que  ce  prince  y  avoit  de  la  repugnance,  et 
qu'il  ne  put  deguiser  le  veritable  sujet  de  son 


faire  alliance  avcc  I'Espagne  ol  la  guerre  au  Roi  de 
France.  (  Voyez  ,  a  ce  sujet,  la  partie  in^dite  des  Me- 
nioircsdc  Lenet  (page  r)27)  que  nous  avons  publicV  dans 
cette  s(irie.) 


DEUXIEMK    PAIITIE.    [lG5l] 


apprehension ;  et  sur  ce  que  je  iui  dis  qu'elle 
etoit  sans  fondement,  il  me  repliqua  :  «  J'ai  of- 
fense la  Reine,  ayant  ete  cause  que  le  cardinal 
a  ete  chasse  du  royaume.  Ainsi  je  ne  puis  me 
fier  a  elle,  ni  me  trouver  en  lieu  ou  je  puisse 
etre  arrete.  —  Plusieurs  ,  Iui  repondis-je  ,  ont 
offense  Sa  Majeste  pour  avoir  contribue  a  la 
meme  chose,  et  cependant  aucun  d'eux  ne  fe- 
roit  difticulte  de  se  fier  a  sa  parole.  — Mais, 
me  dit-il ,  j'ai  encore  plus  a  craindre  que  les  au- 
tres ,  parce  que  je  suis  bien  plus  eleve  qu'eux , 
et  que  j'ai  donne  plus  de  chagrin  a  la  Reine.  » 
Je  pris  la  liberie  de  Iui  parler  ainsi  :  "  Dans  six 
mois  que  je  reviendrai  trouver  Votre  Altesse 
Royale  pour  la  convier  de  revenir  a  la  cour, 
vous  y  aurez  encore  de  la  repugnance.  Je  vous 
presseral  pour  m'eu  declarer  le  sujet,  et  vous 
me  direz  alors  pour  raison  :  «  N'ayant  pas  voulu 
)ne  trouver  au  palais  quand  le  Roi  a  Ote  declare 
majeur,je  I'ai  offense,  et  je  crains  qu'il  n'en  ait 
du  ressentiment. »  Ainsi,  Monsieur,  vousrefuse- 
rez  toujours  de  rendre  aucun  service  a  Sa  Ma- 
jeste. II  faut  done  (pardonnez-moi  si  je  parle  si 
librement)  que  vousayez  une  si  grande  aversion 
pour  sa  personne,  qu'elle  puisse  vous  porter  a 
attenter  a  sa  couronne;  et  votre  crime,  si  cela 
etoit ,  trouveroit  son  excuse  dans  le  grand  bien 

que  vous  vous   en  seriez   propose —  Me 

croyez-vous,  interrorapit-il,  assez  mechant  pour 
avoir  une  semblablepensee?  —  Non,  Monsieur, 
Iui  repondis-je ;  mais  puisque  vous  la  detestez, 
pourquol  ne  voulez-vous  point  recevoir  la  re- 
compense que  vous  avez  raeritee  par  tant  de 
services ,  et  ne  pas  tenirune  conduile  qui  puisse 
clever  au  trone  une  de  mesdames  vos  filles?  — 
L'une  est  trop  vieille ,  me  repliqua-t-il ,  et  I'au- 
tre  trop  jeune,  ainsi  je  ne  ra'en  flatte  pas  ;  car 
quand  meme  la  seconde  seroit  en  age  d'etre 
mariee,  on  se  moqueroit  encore  de  raoi. — Vous 
ne  perdrez  rien ,  Iui  dis-je ,  en  satisfaisant  a  vo- 
tre devoir,  et  vous  meriterez  I'approbation  des 
gens  de  bien.  Vous  aurez  la  satisfaction  de  voir 
qu'ils  vous  plaindront  tons.  »  Quoique  ce  prince 
ne  voulut  point  me  declarer  s'il  viendroit  a  Pa- 
ris ou  non ,  je  jugeai  qu'il  n'y  manqueroit  pas , 
mais  qu'il  y  arriveroit  tai'd ,  qu'il  se  rendroit  le 
lendemain  au  Palais ,  et  qu'il  se  relireroit  en- 
suite  a  Liraours,  aussitot  que  la  ceremonie  de  la 
majorite  seroit  finie;  ce  qui  fut  ainsi  execute. 

Le  Roi  n'eut  pas  plus  tot  ete  declare  majeur, 
qu'il  6ta  les  sceaux  au  chancelier  pour  les  don- 
ner  au  premier  president  Mole.  II  etablit  Cha- 
teauneuf  chef  de  sonconseil,  et  partit  ensuite 
pour  Fontaincbleau,  ou  il  fit  quelque  sejour.  Je 
m'y  rendis  deux  jours  apres  Sa  Majeste.  Je  trou- 
vaj  qu'on  Iui  avoit  fait  prendre  la  resolution 


131 

d'aller  a  Bourges  :  ce  que  j'appris  par  un  de 
ceux  qui  eurent  part  au  couseil,  etqui  me  de- 
manda  en  presence  de  la  Reine  si  je  ne  I'approu- 
vois  pas.  Ma  reponse  fut  que,  pour  etre  d'un  tel 
avis,  il  falloit  etre  assure  que  M.  le  prince  de 
Conti  n'y  eut  point  fait  entrer  de  soldats;  qu'il 
n'etoit  pas  le  raaitre  de  la  bourgeoisie  ,  et  que 
s'il  y  avoit  une  garnison  dans  Bourges,  le  con- 
seil  qu'on  avoit  donne  au  Roi  me  paroissoit 
bien  hardi.  Je  ne  m'attendois  point  a  la  reponse 
qu'il  me  fit,  qu'il  y  avoit  beaucoup  de  gens  qui 
ne  le  vouloient  donner  qu'a  coup  sur.  Me  sen- 
tant  pique  d'un  tel  discours ,  je  Iui  repondis  : 
«  Nous  nous  connoissons  de  longue  main.  Vous 
etes  brave  a  Fontaincbleau ;  mais  je  crains  fort 
que  demain  ,  quand  nous  serous  vers  la  riviere 
de  Loire,  vous  n'ayez  peur ;  et  pour  lors  je  se- 
rai brave  a  mon  tour.  »  M.  de  Chateauneuf,  qui 
etoit  present  et  qui  avoit  part  a  ce  conseil ,  ne 
dit  rien. 

La  cour  partit  de  Fontaincbleau  le  surlende- 
main ,  alia  loger  a  Montargis ,  et  le  jour  suivant 
a  Gien ,  ou  la  nouvelle  s'etant  repandue  que  le 
prince  de  Conti  avoit  fait  entrer  dans  Bourges 
deux  ou  trois  mille  hommes  de  pied  et  quelque 
cavalerie,  la  meme  personne  dontj'ai  parle, 
m'ayant  rencontre  aupres  de  la  Reine  et  m'ayant 
expose  ce  qu'elle  savoit,  me  demanda  ce  que 
je  croyois  qu'il  y  cut  a  faire.  Je  Iui  dis  d'aller  k 
Bourges.  «  Mais  quoi!  me  repliqua-t-elle,  les 
ennemis  en  sont  les  maltres ,  y  ayant  fait  rece- 
voir une  forte  garnison.  »  Je  ne  pus  alors  m'em- 
pecher  de  Iui  repondre  en  souriant  :  «  Je  vous 
avois  bien  dit  a  Fontaincbleau  que  vous  y  etiez 
brave ,  et  que  j'avois  peur ;  mais  que  quand  nous 
serious  sur  la  Loire  je  serois  brave  a  mon  tour, 
et  que  !a  peur  passeroit  de  votre  cote.  Afin  que 
vous  ne  croyiez  point  que  je  parle  comme  un  in- 
sense,  je  vous  dirai  natureliement  ce  que  je 
pense  :  c'est  qu'il  n'y  aura  pas  plus  de  honte  a 
se  retirer  ou  a  Nevers  ou  en  Lyonnois ,  ou  bien 
en  Bourgogne ,  apres  avoir  baise  le  verrou  des 
portes  de  Bourges,  que  d'y  aller  partant  de  ce 
lieu.  II  ne  nous  est  plus  permis  de  faire  un  pas 
en  arriere  :  il  faut  hasarder  tout.  Qui  salt  si  I'a- 
vis  qu'on  nous  a  donne  est  veritable  et  ce  que 
Dieu  voudra  faire  pour  nous?  II  pourra  bien  ar- 
river  que  les  habitans  de  cette  ville,  etant  pi- 
ques de  ce  qu'on  s'est  mefie  d'eux,  feront  quel- 
que mouvement  dont  nous  pourrons  profiter.  » 
Cela  Iui  redonna  du  courage;  et  Chateauneuf, 
qui  se  promettoit  beaucoup  des  habitans,  avec 
lesquels  il  avoit  toujours  conserve  quelque  in- 
telligence ,  leur  ayant  meme  promis  le  demolis- 
sement  de  la  grosse  tour  de  leur  ville  s'ils  te- 
moignoient  de  la  fidelite  au  Roi ,  conciut  que 

9. 


132 


MKMOIHES    nU    COMTE    DE    BRIENAE 


Sa  Majeste  continueroit  son  voyage  et  ne  feroit 
que  de  tres-petites  journees;  qu'ainsi  on  auroit 
le  temps  de  deliberer  sur  ce  qu'on  auroit  a  faire. 
L'ordre  ayant  ete  donne  pour  aller  a  Aubigni , 
Leurs  Majestes  n'y  furent  pas  sitot  arrivees, 
qu'un  eehevin ,  depute  de  la  maison  de  ville  de 
Bourges ,  s  y  rendit  pour  les  assurer  de  la  fide- 
lite  des  habitans,  et  qu'ils  les  supplioient  de  s'a- 
vancer,  voulant  leur  remettre  leur  ville.  On 
peut  juger  si  cette  nouvelle  fut  bien  recue.  La 
cour  continua  son  chemin ,  et  I'evenenient  fit 
connoitre  que  cet  eehevin  n'avoit  rien  avance 
que  de  vrai.  On  eut  aussi  la  nouvelle  qu'une 
eompagnie  de  eavalerie,  levee  sous  la  commis- 
sion du  prince  de  Couli ,  avoit  ete  defaite ,  et 
que ce prince,  madame  de  Longueviile,  sasoeur, 
et  ceux  qui  etoient  aupres  d'eux,  etonnes  de 
tons  les  avantages  de  la  cour,  se  disposoient  a 
quitter  le  Berry  et  a  aller  a  Bordeaux  se  joindre 
au  prince  de  Conde.  Les  troupes  du  Roi  qui  pa- 
rurent,  servant  a  augmenter  leur  peur,  ils  exe- 
cuterent  ce  qu'ils  avoient  projete;  et  leRoi,  pour 
recompenser  la  fidelite  des  habitans  de  la  ville 
de  Bourges ,  en  fit  demolir  la  tour.  Chateauneuf 
fut  d'avis  que  la  cour  allat  a  Poitiers ;  et  les  ser- 
viteurs  du  Roi ,  qui  etoient  restes  a  Paris ,  qu'il 
ne  falloit  point  s'eloigner  de  cette  capitale, 
mais  au  contraire  s'en  approcher.  J'etois  de  I'a- 
vis  de  ceux-ci;  mais  M.  de  Chateauneuf  me  fit 
changer,  en  me  montrant  des  lettres  qu'il  avoit 
recues  de  Poitiers ,  qui  portoient  que  le  prince 
de  Conde  y  etoit  attendu,  et  que  ,  s'etant  rendu 
maitre  de  cette  grande  ville  ,  il  s'assureroit  par- 
la  des  provinces  dont  elle  est  la  capitale,  comme 
I'Angoumoiset  laSaintonge  ,  et  meme  laGuien- 
ne,  dans  laquelle  il  etoit  si  puissant  qu'il  parta- 
geoit  enquelquefaconla  monarchic  avecle  Roi. 
Je  crus,  aussi  bien  que  M.  de  Chateauneuf, 
qu'il  falloit  prevenir  le  mal ,  et  que  Leurs  Ma- 
jestes partissent  au  plus  tot  de  Bourges  pour  se 
rendre  promptement  a  Poitiers.  Avant  que  la 
cour  se  fut  mise  en  chemin ,  je  recus  une  lettre 
du  cardinal,  bien  differente  de  la  premiere  qu'il 
m'avoit  ecrite,  et  qui  etoit  la  repouse  a  la 
mienne,  qui  etoit  jointe  a  celle  du  Roi ,  et  dont 
il  a  ete  fait  mention.  Elle  contenoit  :  qu'il 
avoit  I'experience  que  ceux  qui  eloient  en 
mauvaise  fortune  ne  conservoient  point  d'amis; 
qu'il  etoit  surpris  que  je  lui  eusse  conseille  et 
raeme  present ,  par  une  lettre  du  Roi ,  d'aller  en 
Italie,  puisqu'il  n'avoit  pu  obtenir  les  ordres 
sans  lesquels  il  n'y  seroit  pas  en  surete  ni  en 
etat  de  servir  Sa  Majeste.  Cette  Eminence,  se 
figurant  que  je  ne  parlerois  point  de  cette  belle 
lettre,  et  affectantde  la  rendre  publique,  en  fit 
courir  des  copies  par  toute  la  cour,  avant  qu'elle 


m'euteterendue.  Jeprismon  parti  sur-le-charap, 
qui  futde  la  porter  a  la  Reine,  et  de  la  supplier 
de  la  voir  et  de  me  permettre  d'y  faire  reponse. 
Sa  Majeste  s'en  defendit  assez  long-temps ; 
mais,  etant  pressee  par  mes  importunites,  elle 
la  prit  et  me  la  rendit  le  lendemain ,  en  me  di- 
sant : « II  faut  excuser  le  chagrin  du  pauvre  car- 
dinal qui  souffre.  Je  vous  permets  d'y  faire  re- 
ponse, mais  je  veux  qu'elle  soit  honnete.  »  Je 
me  servis  de  la  permission  qui  m'avoit  ete  don- 
nee,  etje  ne  depassai  point  les  regies  de  la  bien- 
seance.  Je  commencai  ma  lettre  par  dire  que 
le  secretaire  qui  avoit  ecrit  celle  que  je  venois 
de  recevoir  avoit  pris  un  chiffre  pour  un  autre ; 
qu'il  n'y  avoit  point  d'honnete  homme  dans  le 
royaume  qui  put  croire  que,  si  j'avois  promis 
mon  amitie  et  mes  services  a  quelqu'un,  je 
fusse  capable  de  manquer  a  ma  parole,  parce 
qu'il  seroit  tombe  en  disgrace.  Que  la  lettre  dont 
il  se  plaignoit  m'avoit  ete  commandee,  et  que 
je  n'avois  pas  oublie  de  remontrer  que  les  diffi- 
cultes  qu'on  faisoit  de  lui  accorder  ce  qu'il  de- 
mandoit etoient  une  cause  legitime  de  le  dispen- 
ser de  ce  qu'on  vouloit  de  lui.  Et  puis  je  finis- 
sois  par  les  complimens  ordinaires. 

Le  Roi ,  ayant  resolu  de  s'avancer  en  Poitou , 
ordonna  au  comte  d'Harcourt ,  qu'il  avoit  de- 
clare general  de  ses  armees  ,  de  le  suivre  :  ce 
qu'il  fit  en  s'avancant  du  cote  de  La  Rochelle , 
et  se  rendit  maitre  de  la  tour.  II  passa  ensuite 
en  Angouraois ,  et  il  vouiut  tenter  le  secours  de 
Cognac;  mais  comme  il  n'etoit  point  en  lieu  de 
le  pouvoir  hasarder,  Dieu  fit  une  espece  de  mi- 
racle en  faveur  du  Roi ;  car  les  grandes  eaux 
rorapirent  le  pont  qui  donnoit  communication 
au  quartier  du  prince  de  Conde  ,  qui  fut  charge 
par  le  comte  d'Harcourt ,  qui ,  s'etant  prevalu  de 
I'occasion  ,  s'en  rendit  le  maitre ;  et ,  par  le 
moyen  de  quelques  bateaux  qui  lui  furent  en- 
voyes  par  ceux  de  la  ville  de  Cognac,  il  y  fit  en- 
trer  le  secours.  M.  le  prince  ,  surpris  de  ce  mal- 
heur  et  de  la  resolution  du  comte.  prit  celle  de 
lever  le  siege,  et  M.  d'Harcourt  celle  de  le  pour- 
suivre.  11  defit  une  partie  de  ses  troupes  a  Ton- 
nay-Charente,  et  le  poussa  jusque  sur  la  Dor- 
dogne,  sur  laquelle  Son  Altesse  s'embarqua  pour 
passer  a  Bordeaux  ,  d'oii  M.  le  prince  se  rendit 
dans  la  haute  Guienne.  Ily  vouiut  prendre  Mi- 
radoux  ,  ou  les  regimens  de  Champagne  et  d'Au- 
vergne  etoient  entres,  et  qui  se  defendirent  si 
bien  qu'ils  donnerent  le  temps  au  comte  d'Har- 
court de  s'avancer.  M.  le  prince,  craignant  d'en 
venir  aux  mains  avec  lui ,  prit  le  parti  de  se  re- 
tirer  :  ce  qu'il  ne  put  faire  sans  avoir  une  partie 
de  son  armee  defaite.  Le  bon  traitement  que  la 
Reine  avoit  consenti  qui  fut  accorde  a  ces  deux 


DBi;ili;ME    PARTIE.   [l65l] 


regimens,  sauva  la  Gulenne  ;  car,  ay<mt  eu  des 
recrues  considerables ,  ils  se  trouverent  par  la 
en  etat  de  faire  cette  belle  defense  ou  ils  acqui- 
renttant  d'honneur.  C'est  ce  queje  dis  dans  la 
suite  au  cardinal ,  quand  il  nie  reprocha  d'avoir 
mal  menage  la  bourse  du  Roi.  Jl  faiit  croire 
qu'etant  averti  de  la  maniere  dont  les  affaires 
prosperoient ,  s'il  en  eut  de  la  joie  ,  il  ue  laissa 
pas  de  craindrequ'on  ne  les  otat  point  des  mains 
de  ceux  qui  les  faisoient  si  bien  reussir :  ce  qui 
lui  fit  prendre  la  resolution  de  revenir  a  la  cour. 
D'un  autre  cote,  sou  naturel  timide  lui  repre- 
sentoittant  de  perils,  qu'etant  combattu  de  deux 
passions  differentes  ,  il  ne  savoit  quel  parti  pren- 
dre ;  mais  il  paroissoit  que ,  pourvu  qu'il  fut 
mande  et  qu'on  levat  des  troupes  pour  sa  su- 
rete ,  il  ne  demandoit  pas  mieux  que  de  revenir. 
II  ecrivit  meme  qu'il  avoit  une  armee  qu'il  vou- 
loit  amener  au  Roi;  mais  elle  etoit  reduite  a  sa 
seule  maison  :  et  si  Sa  Majeste  n'avoit  pas  or- 
donne  au  marechal  d'Hocquincourt  d'en  lever 
une ,  de  se  mettre  a  la  tete  et  de  conduire  le 
cardinal ,  il  se  seroit  bien  donne  de  garde  de 
passer  la  Meuse.  II  avoit  des  amis  a  Poitiers ; 
mais  ce  n'etoit  pas  d'eux  qu'il  etoit  si  bien  servi 
que  de  ses  ennemis ,  qui ,  pour  s'insinuer  dans 
i'esprit  de  la  Reine  ,  lui  proposoient  tous  les 
jours  de  faire  revenir  cette  Eminence.  J'etois  le 
seul  d'un  avis  contraire,  parce  queje  prevoyois 
qu'il  ne  seroit  pas  sitot  rentre  dans  le  royaume  , 
que  la  ville  de  Paris  et  Monsieur  se  declare- 
roient  contre  le  Roi.  La  Reine  ecoutoit  les  rai- 
sons  des  uns  et  des  autres  sans  declarer  sa  vo- 
lonte.  Je  dis  un  jour  a  MM.  de  Chateauneuf  et 
de  Villeroy  :  <•  Si  vous  croyez  qu'il  soit  hors  du 
service  du  Roi  que  le  cardinal  revienne ,  avouez- 
le.  Rien  loin  de  m'y  opposer,  je  seconderai  vos 
desseins.  Mais  si  vous  en  avez  d'autres  que  ceux 
que  vous  faites  paroitre,  a  quoi  bon  dissimuler  ?  » 
lis  se  mirent  a  rire  ,  sans  vouloir  s'expliquer  da- 
vantage.  Cela  m'obligea  de  leur  ajouter  : «  Vous 
en  serez  siirement  les  dupes;  vos  finesses  n'em- 
pecheront  point  qu'il  ne  revienne.  La  Reine,  qui 
se  fiera  a  moi ,  m'en  dira  le  jour  et  le  moment; 
et  ce  sera  de  ma  plume  qu'il  en  recevra  I'ordre 
du  Roi ,  tandis  qu'aucun  de  vous  n'en  aura  con- 
noissance.  »  Ce  que  j'a vols  predit  arriva;  car  si 
la  Reine  voulut  bien  me  faire  part  de  son  secret , 
je  puis  assurer  qu'elle  ne  s'en  est  pas  repentie. 
Pendant  le  sejour  que  la  cour  fit  a  Poitiers , 
le  due  de  Mercoeur ,  qui  avoit  epouse  une  niece 
du  cardinal ,  voulant  intimider  ceux  qu'il  savoit 
n'etre  pas  dans  ses  interets  ,  me  dit  d'un  air  un 
peu  cavalier,  que  cette  Eminence  avoit  des  amis 
qui ,  ayant  une  bonne  epee ,  tireroient  raison  de 
ceux  qui  s'opposeroient  a  son  retour.  Je  souffris 


1.33 

cela  sans  rien  dire  la  premiere  fois ;  mais  M.  de 
Mercoeur  me  I'ayant  repete  une  seconde,  je  lui 
repondis  d'une  maniere  a  lui  faire  connoitre  que 
je  ne  craignois  point  ses  menaces ,  et  que  je  ne 
tenois  en  rien  ma  fortune  du  cardinal.  M.  de 
Mercoeur  ne  m'entendit  pas  ou  ne  voulut  pas 
m'entendre,  et  nous  nous  separames. 

La  cour  etant  encore  a  Poitiers  ,  Vineuil ,  qui 
appartenoit  a  M.  le  prince ,  entreprit  d'aller  de 
Rordeaux  a  Paris ,  etant  charge  d'une  lettre  de 
creance  de  la  part  de  son  maitre  pour  M.  le  due 
d'Orleans,  et  de  quantite  d'autres  lettres.  Et 
comme  il  craignoit  d'etre  arrete ,  il  crut  qu'il  se 
garantiroit  de  cet  accident  s'il  m'ecrivoit  pour 
obtenir  un  passeport ,  avec  lequel  il  pourroit 
achever  son  voyage.  Son  intention  n'etoit  pas  de 
me  faire  rendre  sa  lettre ,  mais  de  I'envoyer  a  la 
poste  en  cas  qu'il  fut  arrete.  Etant  entre  dans  la 
ville,  il  crut  qu'il  la  traverseroit  sans  y  etre  vu 
de  personne  de  sa  connoissance  :  ce  qui  ne  lui 
reussit  pas  comme  il  pensoit,  car  il  fut  rencon- 
tre dans  la  rue  par  Bois-Dauphin ,  intime  ami  de 
M.  de  Chateauneuf,  par  lequel  ayant  ete  arrete, 
il  ne  trouva  point  de  raeilleur  expedient  pour 
s'en  debarrasser  que  de  dire:  «  J'ai  ete  trois 
heures  avec  M.  de  Brienne^  je  I'ai  informe  de 
toutes  choses  ,  et  il  m'a  donne  un  passeport  pour 
continuer  mon  voyage  en  assurance.  »  Bois-Dau- 
phin ,  curieux  de  savoir  ce  que  j'avois  pu  ap- 
prendre  de  Vineuil ,  courut  chez  M.  de  Cha- 
teauneuf pour  lui  dire  la  rencontre  qu'il  avoit 
cue ,  etil  le  pressa  de  lui  faire  part  des  nouvelles 
dont  sans  doute  je  I'avois  informe.  M.  de  Cha- 
teauneuf soutint  qu'il  ne  pouvoit  pas  etre  veri- 
table que  Vineuil  eut  ete  avec  moi  autant  de 
temps  qu'il  I'avoit  dit ,  parce  que  nous  avions 
passe  une  partie  de  I'apres-midi  ensemble ,  et 
que  d'ailleurs  il  y  avoit  bien  peu  d'apparenee 
que,  si  j'avois  eu  des  lettres  de  Bordeaux,  je 
ne  lui  en  eusse  rien  dit ,  a  cause  de  I'etroite 
liaison  qui  etoit  entre  lui,  M.  de  Villeroy  et  moi ; 
laquelle,  pour  parler  a  notre  honueur ,  fut  si 
sincere  ,  que  le  service  du  Roi  en  alloit  bien 
mieux  ,  nous  entrecommuniquant  ce  qui  etoit  de 
quelque  consequence.  Nous  etions  meme  si  sou- 
vent  assembles  que  ceux  qui  avoient  des  affaires 
a  nous  proposer  etoient  expedies  avec  une  telle 
diligence  qu'ils  en  etoient  surpris ,  n'ayant  point 
oublie  que  la  raoindre  affaire  dont  il  falloit 
parler  au  cardinal  leur  faisoit  perdre  bien  du 
temps  et  depenser  beaucoup  d'argent  inutile- 
ment.  M.  de  Chateauneuf  ayant  pourtant  quel- 
que raefiance  que  j'aurois  voulu  lui  cacher  ee 
que  Vineuil  m'avoit  dit ,  ou  que  j'agissois  peut- 
etre  par  I'ordre  de  la  Reine,  envoya  a  cette 
princesse  un  horame  de  sa  part  pour  lui  dire  ee 


134 


MEMOIKES    DU    COMTE    DE    BI5IRNINE  , 


que  Bois-Dauphin  lui  avoit  expose.  Sa  Majeste 
lui  fit  reponse  qu'eile  doutoit  que  cela  put  etre 
vrai ,  parce  que  je  ne  Ten  avois  pas  iiiformee , 
ni  pris  son  ordre  pour  expedier  le  passeport  dout 
Vineuil  se  vantoit.  Mais  comme  il  nait  facilement 
du  soupcou  dans  Tesprit  des  princes,  quelque 
confiance  qu'ils  puissent  avoir  en  leurs  servi- 
teurs  ,  la  Reine ,  desirant  savoir  ce  qui  s'etoit 
passe  ,  m'envoya  querir  ,  et  me  demanda  si  j'a- 
vois  vu  Vineuil.  Sur  ce  que  je  lui  repondisque 
non ,  elle  s'etendit  sur  toutes  les  choses  qui  lui 
avoientete  rapportees.  Je  crus  qu'il  etoit  de  mon 
interet  et  de  mon  devoir  de  faire  perdre  a  Sa 
Majeste  la  mauvaise  impression  qu'elie  auroit 
prise  et  qu'on  pourroit  lui  faire  prendre  ,  en  lui 
soutenaut  que  je  lui  avois  cele  la  verite ,  quoique 
ce  fCit  une  chose  que  je  ne  dusse  point  appre- 
hender ,  lui  ayaut  donne  en  tant  de  rencontres 
des  preuves  de  ma  fidelite.  Pour  y  reussir ,  et 
faire  connoitre  a  Chateauneuf  qu'il  n'avoit  pas 
fait  a  mon  egard  ce  qu'il  devoit  dans  cette  ren- 
contre, je  dis  a  Sa  Majeste :  «  Madame ,  puisque 
Vineuil  a  ete  assez  imprudent  pour  passer  par 
cette  ville  ,  et  assez  indiscret  pour  s'y  etre  entre- 
tenu  avec  Bois-Dauphin ,  il  pourra  etre  assez  te- 
meraire  pour  ne  se  pas  presser.  De  sorte  que  ,  si 
Votre  Majeste  I'avoit  agreable  ,  je  ferois  partir 
en  diligence  un  courrier  charge  d'un  ordre  pour 
le  faire  arreter  en  quelque  endroit  qu'il  se  put 
trouver.  Peut-etre  que  cela  nous  reussiroit ,  et 
que  nous  tirerions  de  lui  des  lumieres  qui  ne 
seroient  pas  inutiles  au  service  du  Roi ;  car  il 
est  certain  qu'il  ne  m'a  ni  vu  ni  rencontre.  — 
Quoique  je  sois  bien  persuadee ,  me  repondit 
cette  princesse,  de  la  verite  de  ce  que  vous  me 
dites,  je  vous  avouerai  quej'aurois  beaucoup  de 
joie  s'il  pouvoit  etre  pris.  »  Je  fis  expedier  un 
ordre  tel  qu'il  falloit  pour  faire  arreter  Vineuil , 
et  j'en  chargeai  un  couirier ,  en  lui  recomman- 
dant  de  faire  la  derniere  diligence  et  de  s'infor- 
mer  par  les  postes  s'il  y  avoit  passe ;  et ,  quand 
il  en  auroit  appris  des  nouvelles ,  de  faire  si  bien 
qu'il  le  put  joindre.  Je  preferai  un  garde  de  la 
Reine  a  d'autres  courriers  qui  etoient  a  ma  suite, 
parce  qu'outre  qu'il  counoissoit  Vineuil ,  on  n'eiit 
pu  m'accuser  de  1 'avoir  voulu  favoriser  si  Ton 
n'avoit  pas  reussi.  Le  courrier  n'eut  point  de  ses 
nouvelles  jusqu'a  Chatellerault,  parce  qu'il  ne 
changea  pas  de  cheval ;  raais  il  apprit  seulement 
qu'il  y  avoit  passe  un  homme  suivi  d'un  autre. 
II  continua  sa  route  jusqu'a.... ,  ou  il  sut  du  mai- 
tre  de  la  poste  que  Vineuil  etoit  chez  lui  et  de- 
voit continuer  son  chemin  par  celui  des  cour- 
riers. Celui-ci  ayant  eu  un  cheval  frais ,  parce 
qu'il  etoit  connu  du  maitre  des  postes ,  prit  les 
devans,  arriva  a  Loches,  et  fit  voir  au  com- 


mandant Tordre  dont  il  etoit  charge.  II  lui  pro- 
mit  de  I'executer ,  suppose  que  Vineuil  passat. 
A  peine  les  ordres  neeessaires  pour  sa  capture 
avoient-ils  ete  donnes,  qu'il  parut.  Le  comman- 
dant I'arreta ,  le  fit  conduire  au  chateau ,  et,  pre- 
nant  les  lettres  dont  il  le  trouva  charge,  il  en  fit 
un  paquet  qu'il  donna  au  courrier,  et  qu'il  m'en- 
voya. Celui-ci  fit  une  pareille  diligence  pour  re- 
venir ;  et  ayant  su  que  j'etois  a  la  messe ,  il  m'y 
Vint  trouver  et  me  rendit  compte  de  son  voyage 
en  me  remettant  le  paquet.  Cela  me  causa  d'au- 
tant  plus  de  joie  que  je  savois  celle  qu'en  auroit 
la  Reine ,  et  que  ma  conduite  se  trouvoit  justi- 
fiee  par  la.  Je  me  rendis  aupres  de  Sa  Majeste 
qui  etoit  alors  a  sa  toilette,  et  qui  venoit  d'ap- 
prendre  par  le  marechal  de  Villeroy  que  Vineuil 
avoit  ete  arrete.  11  ne  le  disoit  que  par  conjec- 
ture. M'ayant  vu  appuye  sur  le  courrier,  il  rai- 
sonnoit  de  cette  maniere :  «  Si  Vineuil  n'avoit 
pas  ete  joint ,  le  courrier  I'auroit  suivi ;  mais 
puisque  le  courrier  est  deretour,  c'est  une  mar- 
que que  Vineuil  est  arrete.  >-  Je  presentai  a  la 
Reine  les  lettres  qu'on  lui  avoit  trouvees ,  dont 
il  y  en  avoit  une  entre  autres  qu'il  m'ecrivoit 
datee  de  Virone,  par  laquelle  il  me  prioit  qu'il 
me  put  voir  en  passant  a  Poitiers ,  et  de  lui  ob- 
tenir  un  passeport  du  Roi  pour  aller  a  Paris,  oil 
il  etoit  envoye  par  M.  le  prince  charge  de  lettres 
pour  Monsieur.  Toutes  ces  lettres  furent  ou- 
vertes,  a  la  reserve  de  celles  qui  s'adressoient  a 
Monsieur.  Apres  qu'elles  eurent  servi  a  divertir 
la  Reine  ,  on  les  lui  reuvoya  avec  le  passeport 
qu'il  avoit  demande. 

Quelques  jours  apres ,  Leurs  Majestes  reso- 
lurent  de  faire  revenir  le  cardinal ,  soit  par  un 
effetde  leur  bonte,  ou  a  sa  sollicitation.  La  lettre 
du  Roi  que  j'eus  ordre  de  lui  ecrire  etoit  si  pres- 
sante  qu'eile  ne  lui  laissoit  pas  la  liberte  de  de- 
liberer  sur  ce  qu'il  avoit  a  faire  ,  ni  d'y  former 
la  moindre  difficulte.  Je  fis  aussi  une  lettre 
pour  le  marechal  d'Hocquincourt,  par  laquelle 
il  lui  etoit  enjoint  d'accompagner  Son  Emi- 
nence. On  eut  bien  voulu  aussi  lui  donner  une 
patente  de  general  d'armee ;  mais  parce  que  le 
sceau  etoit  a  Parii?,  on  craignoit  que,  I'en- 
voyantpour  I'y  faire  apposer,  le  dessein  qu'on 
avoit  ne  fut  decouvert.  La  Reine  agitant  la 
question  pour  savoir  si  sans  cette  patente 
M.  d'Hocquincourt  pouvoit  commander,  je  la 
resolus  en  disant  que  les  marechaux  de  France, 
pour  commander  les  armees,  n'ont  pas  besoin 
d'un  autre  pouvoir  que  du  leur ;  mais  que  pour 
donner  bataille  ,  recevoir  a  capitulation  ceux 
qui  sont  dans  une  place,  et  imposei-  sur  les  su- 
jets  du  Roi  ,  on  avoit  juge  qu'il  leur  falloit  une 
patente,  par  laquelle  ils  etoient  aussi  autorises 


DKUXIEMK    PAKTIK.     fiGiil 


13; 


d'ordonner  du  paiement  des  troupes  et  des  de- 
niers  de  Sa  Majeste.  Je  lis  toutes  ces  depeches 
avec  un  si  grand  secret ,  que  ni  Cliateauneuf , 
ni  Villeroy  ,  ni  le  garde-des-sceaux  ,  auquel  on 
envoyoit  des  commissions  a  sceiler,  n'eu  eurent 
aucuue  connoissance.  En  gardant  pour  Le  Tel- 
lier  le  meme  secret  que  j'avois  eu  pour  les  au- 
tres,  je  ne  laissai  pas  de  I'avertir  qu'il  etoit 
temps  qu'il  viut  reprendre  I'exercice  de  sa 
charge.  11  se  souvint  de  ce  que  je  iui  avois 
promis ,  et ,  m'entendant  a  demi-raot,  il  se  mit 
en  chemin  sans  en  rien  dire  qu'a  ses  plus  in- 
times  amis. 

Yineuil  prit  aussi  la  resolution  de  retourner 
a  Bordeaux,  et ,  craignant  que  les  lettres  qu'on 
Iui   donneroit  ne  le  chargeassent  trop  ou  son 
valet ,  11  se  fit  suivre  par  un  officier  du  prince 
de  Gonti.  Get  officier  n'etoit  pas  nomme  dans 
son  passeport.  II  Iui  laissa  toutes  les  depeches 
qu'ou  pouvoit  avoir  la  curiosite  de  voir  ;  il  ar- 
riva  en  cet  equipage  a  Poitiers,  oil  on  Iui  garda 
la  foi  du  passeport ,  mais  non  pas  a  I'autre  , 
qui,  n'y  etant  point  compris,  futarrete.  Les  de- 
peches dont  on  le  trouva  charge  ay  ant  ete  vues, 
il  s'en  trouva  une  ecrite  en  chiffrts  d'une  per- 
sonne  de  la  cour,  a  laquelleon  en  fit  reproche, 
parce  qu'on  conuut  par  la  qu'elle  avoit  des  in- 
telligences avec  les  ennemis  du  Roi.  Onresolut 
de  mander  le  garde-des-sceaux,  parce  qu'on 
craignoit  que  Monsieur  ne  se  saisit  du  sceau 
pour  autoriser  ce  qu'il  voudroit  eutreprendre. 
On  doutoit  pourtant  qu'en    Iui   envoyant   un 
ordre  pour  revenir  il  le  put  executer,  parce 
que  ,  s'etant  toujours  fait  connoitre  pour  un  des 
plus  zeles  serviteurs  du  Roi  et  incapable  d'avoir 
peur  raal  a  propos,  il  etoit  a  craindre  que,  pour 
affoiblir  d'autant  le  conseil ,  on  ne  le  retint  a 
Paris ,  ou  qu'on  ne  Iui  otat  le  sceau  par  vio- 
lence. Je  dis  a  la  Reine  que  je  repondois  que 
M.  Mole  mettroit  plutot  le  sceau  en  pieces  que 
de  se  le  laisser  oter  par  force,  et  que,s'il  ne 
pouvoit  en  apporter  les  morceaux,  il  me  les  eu- 
verroit  pour   les  remettre  au  Roi;  que  je  ne 
pouvois  me  persuader  qu'on  usat  de  voies  de 
•fait  contre  ce  magistral  pour  le  retenir  ;  mais 
que  ce  n'etoit  pas  une  chose  qu'on  put  garantir. 
Cependaut  ce  qu'on  craignoit  n'arriva  point;  et 
le  garde-des-sceaux,  ne  trouvant  aucune  diffi- 
culte  asortir  de  Paris,  se  rendit  a  Poitiers ,  en 
conformite  de  I'ordre  qu'il  avoit  recu.  Le  Tel- 
lier ,  suivant  les  nouveiles  qu'il  avoit  cues  de  ses 
amis ,  y  arriva  avant  le  cardinal ,  et  y  fut  aussi 
bien  recu  que  M.  Mole ,  qui  ne  fit  point  de  dilfi- 
culte  de  ceder  la  premiere  place  dans  le  conseil 
a  M.  de  Chateauneuf.  Gela  fait  voir  que  celle 
de  garde-des-sceaux  (  et  par  consequent  celle  de 


chancelier  )  n'est  point  fixe  ,  coinme  on  I'avoit 
publie  autrefois;  mais,  pour  n'occuper  pas  la 
premiere  charge,  la  presidence  du  conseil  ne 
ieur  appartenoit  pas  moins.  Le  chancelier  en 
avoit  ete  prive  par  Monsieur ,  par  M.  le  prince 
et  par  le  cardinal ,  s'etant  ingeres  pendant  la 
minorite  ,  non-seulement  de  signer  les  arrets  , 
mais  meme  de  recueillir  les  voix  :  ce  qui  etoit 
une  entreprise  contre  I'autorite  royale  ,  comme 
fexemple  qu'on  alleguoit  de  ce  qui  avoit  ete 
consenti  en  faveur  du  detunt  prince  de  Conde 
par  le  traite  de  Loudun  ,  dont  la  meraoire  de- 
voit  etre  etouffee ,  cet  expedient  n'ayant  ete 
pris  que  par  les  ennemis  du  chancelier  de  Sil- 
lery  ,  qui  se  croyoient  dans  la  necessite  d'en 
sacrifier  I'autorite,  ou  de  rentrer  dans  la  guerre 
civile.  Ge  furent  au  moins  les  bonnes  ou  les 
mauvaises  raisons  qu'on   allegua  ;  mais  il  faut 
se  souvenir  que  les   monarchies  doivent  etre 
gouvernees  par  de  justes  lois ;  et  comme  fexem- 
ple est  la  derniere  des  raisons,  il  n'etablit  jamais 
rien  de  soi ,  et  ne  doit  etre  propose  que  pour 
soutenir  ce  qui  est  juste. 

[La  chambre  des  communes  d'Angleterre  , 
apres  avoir  deffendu  de  reconnoistre  pour  Roy 
le  fils  de  Gharles  T'' ,  et  s'etre  declaree  en  Re- 
publique,  en  donna  part  a  tons  les  Etats,  excepte 
au  roy  de  France.  Les  grands  succes  remportes 
en  Iriande  par  Gromwel ,  pendant  I'annee  pre- 
cedente,  et  rien  ne  faisant  prevoir  un  revers  qui 
fit  changer  de  face  aux  affaires ,  le  Roi  se  decida 
a  reconnoitre  le  nouveau  regime  d'Angleterre, 
et  je  fus  charge  de  transmettre  des  instructions 
plus  precises  a  M.  Gentillot,  notre  agent  a 
Londres ,  pour  tocher  de  renouer  avec  ce  gou- 
vernement.  Eiles  etoient  datees  du  7  avril  lG5t 
et  ainsi  concues : 

«  Je  me  suis  assez  explique  des  intentions 
de  Leurs  Majestes  et  de  leurs  dispositions  a  re- 
cognoistre  le  nouveau  regime ,  si  de  Ieur  part 
ils  font  des  avances  necessaires ,  en  faisant  pas- 
ser en  ce  royaume  un  envoye  ou  un  ambassa- 
deur ,  ce  qui  nous  engageroit  a  en  user  de  la 
meme  sorte  en  Ieur  endroit,  en  faisant  aussi 
partir  d'ici  une  personne  de  la  meme  qualite, 
chargee  des  pouvoirs  et  instructions  pour  agir 
avec  la  Republique,  dans  le  sens  de  ma  derniere 
lettre ,  que  vous  aurez  a  suivre.  Je  vols  bien 
qu'il  y  a  du  malentendu  dans  la  fierte  des  leurs ; 
mais  comme  ils  ont  envoye  chez  tons  nos  voi- 
sins  donner  part  de  I'etablissement  de  Ieur  Re- 
publique, ils  peuvent  bien  juger  que  nous  ne 
pouvons  pas  faire  avec  bienseance  cette  demai  - 
che  de  les  rechercher  les  premiers :  ainsi  je  pense 
que  ,  vous  laissant  entendre  que  ceux  qu'ils  en- 


13G 


MEiMOlHKS    m    COMTK    DK    I!r,IEI\\E, 


voyeront  seront  bien  receus ,  je  ne  fais  aucun 
doute  qu'ils  ne  depechent  bientost  quelqu'un 
vers  nous  pour  y  negocier  leurs  interests.  Le 
premier  article  doit  estre  la  cessation  de  toutes 
prises  sur  mer  et  des  defenses  aux  sujets  de  part 
et  d'autre  d'en  faire  plus  aucune,  afin  de  facili- 
ter  la  justice  qui  doibt  estre  rendue  aux  uns  et 
aux  autres  de  toutes  les  depredations  ci-devant 
faites.  Je  me  remets  sur  tout  cela  a  ma  prece- 
dente  ;  et  quoyqu'il  y  ait  eu  depuis  mutation 
de  ministre,  on  ne  changera  pas  pour  cela  de 
sentimens;  ainsi,  apres  que  vous  aurezagi  par- 
dela  a  I'effet  qu'on  s'en  propose ,  vous  pourrez 
vous  retirer,  et  seray  bien  aise  que  vostre  voyage 
ayt  produit  quelque  effet. 
»  Je  suis ,  etc.  » 

Mais  ceuxde  cette  Republique  recurent  assez 
mal  ces  avances  de  la  part  de  Leurs  Majestes,  et 
nousobligerentde  rappeler  M.  de  Gentiilot:  ce 
qui  eut  lieu  par  la  depeche  suivante ,  datee  de 
Paris  du  2 1  du  meme  mois  : 

«  Monsieur ,  j'avois  une  depeche  toute  preste 
a  vous  envoyer,  elle  estoit  meme  signee,  par 
laqueile  je  vous  donnois  des  ordres  de  la  part 
de  Leurs  Majestes  ,  qui  eussent  ete  agreables  au 
nouveau  regime  d'Angleterre,  s'il  ne  vous  eut 
pousse  hors  du  royaume  avec  tant  de  precipita- 
tion ;  mais  ayant  appris  par  vostre  derniere  que 
vous  partiez  de  Gravesende  et  que  vous  passiez 
en  Hollande,  j'adresse  a  M.  Brasset  celle-cy , 
par  laqueile  vous  aurez  le  tesmoignage  du  bon 
devoir  que  vous  avez  rendu  pendant  vostre  se- 
jour  a  Londres,  et  que  Leurs  Majestes  en  ont 
receu  satisfaction,  ayant  eu  bonne  connoissance 
de  votre  zele  a  leur  service  et  de  votre  prudente 
conduite.  Vous  pouvez ,  au  lieu  oii  vous  etes, 
faire  remarquer  a  quelques-uns  de  TEstat,  avec 
lesquels  vous  avez  habitude,  combien  seroit 
dangereuse  et  prejudiciable  leur  alliance  avec 
cette  Republique  naissante,  qui  ne  cherche  qu'a 
s'affermir  pour  miner  celle  des  Etats-Generaux 
avec  plus  de  facilite ,  comme  il  est  evident  qu'ils 
en  viendront  a  bout,  sous  pretexte  d'amitie. 
Vous  rendrez  compte  a  M.  de  Bellievre  de  toute 
votre  negotiation,  eten  son  absence  a  M.  Bras- 
set  ,  et  ferezce  qui  vous  sera  conseille  pour  agir 
et  pour  parler  a  I'avantage  du  service  de  Sa  Ma- 
jeste,  qui  vous  laisse  la  liberte  de  vcnir  icy,  ou 
de  demeurer  par-dela.  » 

Vers  la  fin  de  mai,  nous  fumes  informes  de 
I'etat  assez  favorable  de  I'armee  du  roy  d'An- 
gleterre ,  reunie  en  vertu  de  son  traiteavecceux 
du  royaume  d'Ecosse  :  ce  qui  rejouit  fort  notre 


cour,  et  la  valeur  et  diligence  dudit  Roy  nous 
fit  concevoir  bonne  esperance  de  ses  affaires  ,  et 
qu'il  pourroit  prendre  de  tels  avantages  en 
Eeosse,  que  son  parti  seroit  releve.  Lorsque  j'en 
donnai  part  a  la  reine  d'Angleterre,  je  la  trou- 
vai  desja  advertie  de  ces  bonnes  nouvelles  par 
un  gentilhomme  arrive  tout  fraichement  de  La 
Haye.  M.  Gentiilot,  qui  s'y  etoit  aussi  retire  en 
quittant  I'Angleterre,  eut  ordre  de  contitiuer  de 
nous  mander  les  nouvelles  qu'il  auroit  de  ce 
pays,  et  surtout  de  veiller  a  ce  quefesoient  les 
Anglois  aupres  des  Etats,  et  d'en  tenir  informe 
M.  Brasset,  qui  devoit  mettre  a  profit  ces  nou- 
velles, selon  les  instructions  plus  particulieres 
qu'il  avoit  deja.] 

[1652]  Leurs  Majestes  commencant  a  dire 
ouvertement  qu'elles  avoient  mande  le  cardi- 
nal (1),  Ton  publioit  qu'il  amenoit  avec  lui  une 
armee  ;  mais  Ton  vit  dans  la  suite  qu'il  ne  fut  es- 
cortequedes  seules  troupes  que  le  Roi  avoit  fait 
lever.  Tout  lui  faisoit  peur,  et  les  moindres  ob- 
stacles qu'il  rencontroit  dans  son  chemin  lui  cau- 
soient  du  repentir  d'etre  rentre  dans  le  royaume; 
mais  faisant ,  pour  ainsi  dire ,  de  necessite 
vertu  ,  et  le  due  d'Orleans  ,  au  lieu  d'envoyer 
des  troupes  pour  s'opposer  a  son  passage,  ayant 
envoye  des  conseillers  du  parlement ,  il  passa 
les  rivieres ,  ou  il  ei'it  ete  facile  de  combattre  les 
gens  qu'il  avoit  avec  lui.  Un  petit  desavantage 
lui  auroit  fait  prendre  le  parti  de  s'en  retourner. 
Comme  il  s'avancoit,  Le  Tellier  alia  au  devant 
de  lui  et  en  fut  fort  bien  recu.  Le  cardinal  vou- 
loit  lui  persuader  qu'il  I'avoit  toujours  regarde 
comme  son  meilleur  ami ,  et  lui  faisoit  oubiier 
qu'il  avoit  offert  sa  charge  au  president  Viole  , 
pourvu  qu'il  lui  menageat  I'amitie  de  M.  le 
prince.  Le  marechal  de  Villeroy  eiitbien  voulu 
suivre  fexemple  de  Le  Tellier;  mais  il  etoit 
retenu  par  la  crainte  qu'il  avoit  d'etre  blame 
s'il  se  separoit  du  Roi ,  qui  prit  la  resolution 
d'aller  au  devant  du  cardinal.  Nous  fumes , 
M.  de  Chateauneuf  et  moi ,  les  seuls  qui  vou- 
liimes  attendre  a  Poitiers  ,  dans  I'appartement 
de  la  Reine,  afin  de  n'etre  pas  obliges  de  nous 
trouvcr  chez  lui  a  son  arrivee.  La  foule  y  fut 
tres-giande ,  comme  c'est  la  coutume  de  la 
cour  en  de  pareilles  rencontres ;  mais  cela  ne 
I'empecha  pas  de  nous  i-ecevoir  honnetement. 
La  discretion  obligea  les  plus  sages  a  se  retirer, 
y  ayant  beaucoup  d'apparence  qu'il  seroit  bien 
aise  d'entretenir  Leurs  Majestes  de  ses  aven- 
tures.  C'est  ce  qu'il  fit ,  en  commencant  par  les 
remercier  de  tout  ce  qu'elles  avoient  fait  pour 

(1)  Mazaiin  enlra  dans  Stcnay  le  2  Janvier  1652. 

(A.  E.) 


DELXltME    PARTIE.    [l652] 


1S7 


lul ,  et  des  extr^mites  auxquelles  elles  s'etoient 
exposees  pour  ne  le  pas  abandonner.  Nous  etant 
retires  des  premiers,   M.  de   Chateauneuf  et 
raoi,  nous  allames  le  lendemain  lui  rendre  vi- 
site  cliez  lui.  II  parut  fier  du  bon  accueil  qui  lui 
avoit  ete  fait ,  quoiqu'il  s"y  fut  toujours  attendu  ; 
et  il  voulut ,  par  la  maniere  dont  ii  recevoit  le 
monde ,  qu'on  conuut  ceux  qui  etoient  ses  veri- 
tabies  amis  ,  et  ceux  qui  lui  etoient  indifierens. 
II  caressoit  les  uns,  et  a  peine  saluoit-il  les  au- 
tres.  Je  fus  des  derniers  ,  et  je  m'aper^us  que 
j'avois  eu  raison ,  quelques  jours  avant  son  re- 
tour  ,  de  supplier  la  Reine  de  me  permettre  de 
me  retirer.  Chateauneuf,  qui  en  avoit  aussi  la 
resolution  ,  persista  si  fort,  qu'il  eut  la  liberie 
de  faire  ce  qu'il  voudroit.  On  dit  avec  quelque 
foudement  qu'etant  aceoutume  a  occuper   la 
premiere  place  dans  le  conseil ,  il  ne  pourroit 
se  resoudre  a  servir  en  second  sous  le  cardinal, 
pour  qui  il  n'avoit  pas  beaucoup  d'estime.  Pour 
moi ,  je  ne  pus  me  dispenser  d'obeir  a  la  Reine, 
qui  me  commanda  de  rester  a  la  suite  du  Roi. 
II  est  vrai  que,  ne  pouvant  me  resoudre  de  ren- 
dre d'assidus  devoirs  a  cette  Eminence,  qui 
m'avoit  offense  dans  une  de  ses  lettres  et  te- 
moigne  toujours  beaucoup  de  froideur  ,  je  sui- 
vis  la  pente  de  mon  naturel ,  qui  etoit  de  me 
trouver  chez  la  Reine  aux  heures  qui  m'etoient 
ordonnees,  afin  de  m'abstenir  d'aller  chez  le 
cardinal ,  et  de  faire  connoitre  que  je  n'en  de- 
pendois  en  rien.   II  ne  fut  pas  long-temps  a 
s'apercevoir  que  je  tenois  a  son  egard  une  con- 
duite  affectee,  et,  soit  qu'il  crut  me  rendre  un 
mauvais  office  aupres  de  cette  princesse ,  ou 
qu'il  faisoit  une  chose  agreable  a  Sa  Majeste  en 
temoignant  qu'il  avoit  envie  de  bien  vivre  avec 
moi,  il  lui  fit  ses  plaintes  de  ce  que  je  ne  I'allois 
point  voir.  La  Reine,  voulant  m'y  engager,  non 
par  un  coramandement  absolu  ,  mais  en  me  fai- 
sant  connoitre  que  je  lui  ferois  plaisir  si  cela 
venoit  de  moi,  ordonna  a  M.  Le  Tellier  de  me 
voir  pour  m'y  porter,  et  pour  me  faire  entendre 
que ,  pour  peu  que  j'y   eusse  de  repugnance , 
*  Sa  Majeste  attendoit  ceci  de  la  fidelite  et  du 
respect  que  j'avois  toujours  eus  pour  elle.  J'ex- 
pliquai  a  M.  Le  Tellier  les  raisons  que  j'avois 
cues  pour  ne  le  pas  faire  ,  et  je  finis  mon  dis- 
cours  en  lui  disant  que  ia  Reine  n'avoit  qu'a  me 
commander  ,  et  qu'il  me  suffiroit  de  connoitre 
sa  volonte  pour  y  obeir  d'avance.  Je  lul  tins  pa- 
role des  le  soir  meme  ,  et  le  lendemain  nous 
partimes  de  Poitiers.  Etant  arrives  a  Mirebeau, 
le  cardinal  nous  dit  en  presence  de  la  Reine  ,  a 
M.  de  Villeroy  et  a  moi ,  de  nous  trouver  chez 
lui  le  jour  suivant  de  grand  matin.  Nous  nous  y 
rendimes;  et  nous  remarquames  que  sou  eloi- 


gnement  de  la  cour  ,  bien  loin  de  lui  avoir  fait 
changer  de  conduite  ,  n'avoit  servi  qu'a  le  ren- 
dre plus  fier  ,  en  reprenant  I'autorite  qu'il  avoit 
cue;  et  que  meme  il  avoit  concu  un  grand  me- 
pris  pour  la  nation  francoise  ,  de  n'avoir  pu  se 
defaired'unetranger  qui  lui  etoit  odieux.  Ayant 
promis  au  marechal  d'Hocquincourt  qu'il  com- 
manderoit  I'armee  ,  il  voulut  lui  tenir  parole  , 
et  le  preferer ,  pour  faire  les  sieges  du  Pont-de- 
Ce  et  de  la  ville  et  chateau  d'Angers ,  au  due 
de  Rouillon  et  a  M.  de  Turenne  qu'il  trouva  a 
la  cour,  et  avec  lesquels  il  etoit  souvent  en  con- 
ference. Comme  je  jugeai  que  de  s'arreter  en 
Poitou  ou  en  Anjou  ,  cela  pourroit  etre  prejudi- 
ciable  aux  affaires  du  Roi ,  je  ne  pus  m'erape- 
cher  de  le  lui  dire.  Et  afin  qu'il  abandonnat  ces 
provinces  sans  craindre  que  M.  de  Rohan  ,  qui 
commandoit  en  Anjou ,  y  put  faire  du  mal  ,  je 
lui  representai  que  le  marechal  de  La  Meille- 
raye  entreprendroit  volontiers  de  reduire  ces 
places  a  I'obeissance  du  Roi,  m'ayant  assure 
qu'il  avoit  a  Nantes  treize  canons  en  etat  de 
servir,  et  que  dans  peu  de  jours  il  auroit  quatre 
mille  hommes  d'infanterie  et  encore  plus  de 
cavalerie,  dont  il  pourroit  avoir  besoin  pour  les 
reduire;  qu'ainsi,  pour  peu  qu'on  lui  laissat  d'in- 
fanterie ,  il  feroit  si  bien  que  le  Roi  seroit  obei 
dans  I'Anjou. 

Soit  que  le  cardinal  ne  put  prendre  creance  h 
ce  que  je  disois ,  ou  que  je  n'eusse  pas  le  don  de 
me  faire  entendre,  ou  qu'enfin  il  crut  devoir 
preferer  le  marechal  d'Hocquincourt  aux  autres, 
et  qu'il  pretendit  payer  ses  services  par  la  gloire 
qu'il  lui  feroit  acquerir,  les  deux  sieges  furent 
entrepris  par  ses  ordres.  L'un  fut  de  peu  de  du- 
ree  ;  I'autre  donna  de  la  peine.  Enfin  ces  deux 
places  ayant  ete  reduites  a  I'obeissance  du  Roi, 
Sa  Majeste  resolut  de  remonter  la  Loire,  de  pas- 
ser par  Tours  pour  se  rendre  a  Blois,  et  d'envoyer 
a  Orleans  le  grand  conseil  qui  tenoit  sa  seance  a 
Tours ,  oil  les  generaux  avoient  ete  convoques. 
Quelques  considerations  particulieres  ne  laisse- 
rent  pas  d'empecher  cette  compagnie  de  partir 
de  Tours  le  jour  qui  lui  avoit  ete  prescrit.  Le 
Roi  recut  a  Blois  des  assurances  des  respects  de 
ceux  d'Orleans;  et  si  le  cardinal  eiit  pu  prendre 
la  resolution  d'y  entrer,  cette  ville,  qui  etoit 
dans  le  parti  des  princes  et  de  Paris ,  flit  restee 
sous  I'obeissance  de  Sa  Majeste.  On  eut  beau 
remontrer  au  premier  ministre  que  les  troupes 
du  Roi,  postees  comme  elles  etoient ,  seroient 
suffisantes  pourcontenir  lepeuple  d'Orleans  dans 
son  devoir,  s'il  vouloit  s'en  eloigner :  il  parut  bien 
que  la  prudence  humaine  ne  pent  rien  contre  les 
decrets  de  la  Providence  divine  ,  ni  contre  la 
peur;  car  mademoiselle  d'Orleans  s'etant  pre- 


138 


MKMOIUES    DV    COMTK    DE    Bi;iEN.\E. 


sentee  pour  entrer  dans  la  ville,  y  fut  recue ;  mais 
les  portes  fiirent  refiisees  au  grand  conseil ,  et  le 
Roi  fnt  conti-aint  de  passer,  pour  ainsi  dire,  a  la 
portee  du  canon  et  a  la  vue  des  remparts ,  sans 
pouvoir  y  entrer.  On  eut  nouvelle  que  M.  le 
prince,  qui  avoit  eu  du  desavantage  en  Guienne, 
avoit  traverse  le  royaume ,  et  s'etoit  rendu  a 
I'armee  qui  s'opposoit  a  celle  du  Roi,  sous  son 
comraandenient  et  sous  ceiui  de  Monsieur.  Trois 
raisons,  selon  raon  avis,  engagerent  ce  prince  a 
prendre  cette  resolution.  La  premiere,  parcequ'il 
oroyoit  cette  armee  en  mauvaises  mains  ;  la  se- 
conde,  que  le  retour  du  cardinal  le  mettroit  plus 
tot  eu  etat  d  agir  qu'il  n'eut  fait  avec  dix  mille 
liommes;  et  la  troisieme,  que,  ne  faisant  point 
sou  accommodement  avec  la  cour ,  il  lui  etoit 
plus  avantageux  de  passer  en  Flandres  qu'en 
Espagne.  I!  avoit  d'ailleurs  assez  de  lumieres 
pour  connoitre  qu'il  n'avoit  pins  rien  a  faire  en 
Guienne ,  ou  plusieurs  de  la  plus  considerable 
noblesse  lui  avoient  tourne  casaque.  Sa  presence 
n'etoit  pas  necessaire  pour  conserver  Bordeaux, 
et  il  y  avoit  beaucoup  de  difficulte  a  pretendre 
de  faire  une  irruption  dans  le  royaume,  soit  par 
Ja  Navarre  en  Guienne,  ou  par  la  Catalogue  en 
Languedoc.  Les  forces  de  ces  seules  provinces 
etoient  assez  grandes  pour  arreter  celles  qu'on 
leur  opposeroit;  et  il  etoit  comme  impossible  de 
passer  en  Languedoc  par  la  Catalogue,  parce 
que  cette  derniere  province  n'etoit  pas  entiere- 
ment  soumise  a  Sa  Majeste  Cathollque ,  et  que 
le  Roussillon  etoit  sous  la  domination  du  Roi. 

[Nous  continuames  d'etre  informes  des  affaires 
d'Angleterre  par  M.  Choqueux  ,  de  qui  je  rece- 
vois  de  frequentes  lettres.  II  nous  expediaexpres 
un  courrier  pour  nous  prevenir  des  negotiations 
du  prince  de  Gonde  avec  Crom^vel ,  et  nous  fe- 
soit  part  en  meme  temps  d'autres  nouvelles  cou- 
tenuesdans  ladepeche  suivante,  datee  de  Lon- 
dres  ,  14  fevrier  1652. 

«  Le  meme  jour  que  je  fis  partir  d'Estrade  de 
cette  ville,  il  nousy  arriva  le  sieur  de  Bariere, 
que  Ton  a  dit  en  parlement  y  estre  venu  de  la 
part  de  Messieurs  de  Bordeaux,  pour  agir  et 
traiter ,  conjointement  le  sieur  de  Coignac  et  luy, 
avec  cette  Republique  ,  selon  les  nouvelles  ins- 
tructions que  M.  le  prince  a  envoyees  par  ledit 
sieur  de  Bariere  ;  ce  qui  m'obligc  davantage  a 
le  croire  ainsi ,  est  que  ledit  sieur  de  Bariere  n'a 
encore  fait  autre  visite  que  celle  de  I'ambas- 
sadeur  d'Espagne  ,  ou  il  fut  hier  la  plus  grande 
partie  de  I'apres-diner ,  s'etanttoujours  conserve 
a  Chelsay  en  de  continuelles  conferences  avec 
les  sieurs  de  Coignac  et  de  Maserne. 

Le  sieur  de  Coignac  a  ce  matin  envove  son 


gentilhomme  chez  Cromwel,  pour  savoir  le  joui 
et  rheure  qu'il  leur  voudroit  donner  audience, 
que  ledit  gentilhomme  me  vient  presentement 
de  dire  luy  avoir  este  accorde  a  demain  deux 
heures  apres  midi.  Je  ferai  en  sorte  d'estre 
instruit  de  ce  qui  se  passera  et  vous  en  infor- 
mer au  plustost. 

»  Le  secretaire  de  Cromwel  m'a  dit  avoir  lu 
la  lettre  que  M.  le  prince  avoit  envoyee  par 
le  sieur  de  Coignac  a  son  maistre ,  laquelle  n'es- 
toit  qu'en  des  termes  obMgeans  et  qui  font  pa- 
roistre  la  haute  estime  qu'il  en  fait,  le  priant 
d 'avoir  toute  creance  en  ce  que  ledit  sieur  de 
Coignac  lui  dira  et  proposera  de  sa  part ,  s'a- 
dressant  a  lui  seul,  auquel  il  vent  estre  oblige 
des  faveurs  et  assistances  que  ce  parlement 
luy  accordera ;  et  il  me  dit  aussi  que  la  liberte 
de  transporter  les  vins  de  Bordeaux  en  ses  lieux 
etoit  accordee ,  et  que ,  pour  cet  effet ,  force 
vaisseaux  marchands  se  preparent  pour  y  aller: 
en  quoy  Ton  dit  que  M.  de  Maserne  travaille. 

»  II  vous  ressouviendra  que  ,  par  raa  der- 
niere ,  je  vous  ay  louche  d'un  ami  qui  soub- 
sonnoit  ledit  sieur  de  Maserne  estre  porte  pour 
faire  des  propositions  a  ses  gens  icy,  sur  les- 
quels  depuisce  temps  je  I'ay  si  forteraent  presse, 
qu'il  m'a  declare  que  ledit  M.  de  Maserne  par- 
leroit  ou  feroit  agir  au  nom  des  religiounaires 
de  France,  estant  tres-constant  que  c'est  la  chose 
du  monde  que  ce  personnage  ambitionne  le  plus , 
et  donneroit  volontiers  sa  lille  et  tout  son  bien 
au  sieur  de  Coignat  ou  autre,  qu'il  reconuoitra 
pour  effectivement  embrasser  les  interests  des- 
dits  religiounaires;  cet  ami  est  affectionne  aux 
affaires  de  France ,  bon  catholique,  et  qui  a 
particuliere  connoissance  dudit  sieur  de  Maserne. 

»  L'on  m'a  fait  voir  la  commission  de  I'admi- 
ral  Blaicke ,  en  laquelle  il  n'est  specifie  aucun 
nombre  de  vaisseaux  ni  la  route  qu'ils  doivent 
tenir,  non  plus  que  les  choses  qu'ils  out  a  entre- 
prendre  ;  ladite  commission  estant  des  plus  am- 
ples  et  generates  que  ce  parlement  ayt  fait  deli- 
vrer  a  qui  que  ce  soit ,  donnant  un  pouvoir  ab- 
solu  audit  Blaicke  de  commander  et  faire  join- 
dre  a  sa  tlotte  toute's  les  autres  de  la  Republique 
qui  serOnt  en  mer,  les  faisant  rester  pres  de  luy 
taut  et  si  pen  de  temps  qu'il  le  jugera  necessaire 
pour  le  service  de  ladite  Republique,  separer, 
envoyer  seuls  ou  de  compagnie ,  tels  desdits 
vaisseaux ,  en  tels  lieux  et  places  qu'il  avisera 
bon  estre  ,  nommer  et  changer  tels  des  olficiers 
qu'il  lui  plaira  ,  et  autrement. 

>'  II  m'a  este  impossible  de  pouvoir  encore 
evnnter  leur  dessein  ,  mais  bien  que  ledit  admi- 
ral Blaicke  n'est  pour  avoir  ses  ordres  secrets 
que  lorsqu'il  aura  la  flotte  en   estyt    de  faire 


DEDXIEMB  PARTIE.    Il652 


139 


voiles  ,  cependant  Us  font  marcher  et  assembler 
des  hommes  vers  Southamton  et  I'isle  de 
Weithe ,  ou  est  le  lieu  du  rendez-voiis  general 
de  leurs  vaisseaux  ,  trois  desquels  sont  pour  sor- 
tir  des  Dunes  et  d'autres  de  Porthmouth  ,  Ple- 
mout ,  d'Arthmout  et  des  ports  le  long  de  cette 
tote-la. 

»  Le  parlement  ayant  ordonne  que  le  conseil 
d'Etat  et  le  general  Cromwel  nomraeroient  un 
general  pour  aller  commander  en  Irlande ,  en  la 
place  de  feu  Jerton,  ilss'assemblerent  deux'jours 
apres  et  firent  election  du  major-general  Lam- 
bert ,  que  ledit  parlement  a  cejourd'huy  ap- 
prouve. 

»  Les  ambassadeursdeHoUande,  ayant  receu 
la  uouvelle  de  quarante-cinq  de  leurs  vaisseaux 
saisis  par  cent  de  cette  Republique,  allerent 
s'en  plaindre  au  parlement ,  qui  ordonnaque  les 
papiers  par  eux  ci-devant  fournis,  et  autres  de 
ce  jour,  seroient  referes  a  six  du  conseil  d'Etat, 
entre  lesquels  le  general  Cromwel  devoit  presi- 
der  et  en  ordonner  aiusi  qu'il  le  jugeroit  a 
propos. 

•'  Six  vaisseaux  hollandois ,  faisant  nombre 
des  quarante-cinq ,  furent  hier  consignes  a  cette 
Republique  ,  qui  obligea  sur  Theure  lesdits  am- 
bassadeurs  de  se  transporter  devant  les  juges 
de  I'admiraute,  lesquels,  nonobstant  les  plaintes 
et  la  furieque  temoignalesieurCatz,  arreterent 
que  la  sentence  subsisteroit,  si  raieux  n'aimoient 
lesdits  ambassadeurs  composer  desdits  vais- 
seaux et  marchandises  contenues  en  iceux  , 
qu'ils  accepterent  avant  que  sortir  dudit  lieu. 
"  L'agent  de  Suede  eut,  vendredy  dernier,  la 
premiere  audience  de  ce  parlement ,  auquel  il 
presenta  une  lettre  de  la  reyne  de  Suede  ,  sur 
laquelle  ces  messieurs  flrent  des  difficultes,  a 
cause  que  la  superscription  d'icelle  n'estoit  en 
forme,  ayant  Serenissiince  Re'qmhlicce  Angli- 
cance.  Neanmoins  elle  fut  ouverte  et  lue,  et 
la  reponse  remise  a  un  autre  jour.  L'on  me  vient 
presentement  assurer,  et  de  tres-bonne  part, 
^  que  Cromwel  embrasse  fort  le  parti  des  Hol- 
landois ,  auxquels  il  vent  faire  donner  satisfac- 
tion ,  pour  avoir  lieu  d'entreprendre  plus  puis- 
samment  contre  la  France. 

»  II  est  arrive  ce  matin  un  expres  aux  am- 
bassadeurs de  Hollande ,  qui  dit  que  messieurs 
des  Etats  estoient  pour  en  envoyer  encore 
quelques  autres  pour  joindre  a  ceux  qui  sont 
ici.  " 

Ces  intentions  de  Cromwel  et  I'etat  interieur 
du  royaume  firent  redoubler  de  soins  pour  en 
detourner  les  effets,  etun  plain  pouvoir  de  trai- 
iv'r  avec  la  Republique  angloise  fut  envoye  a 


M.  d'Estrade;  il  etoit  aecompagne  de  la  lettre 
suivante  ,  signee  de  la  main  du  Roi  : 

«  Monsieur  d'Estrades,  je  vous  envoye  le  pou- 
voir authentique  en  bonne  forme  pour  traicter 
en  mon  nomune  nouvelle  alliance  avec  la  Repu- 
blique d'Augleterre ,  affin  qu'il  y  ayt  bonne  voi- 
sinance  et  amitie  entre  les  deux  nations,  de  sortc 
que  la  liberie  du  commerce,  egalement  avanta- 
geuse  aux  uns  et  aux  autres ,  soit  entierement 
conservee ;  et  jugeant  que  le    sieur  Cromwel 
pourroit  envoyer  vers  vous  quelqu'un  pour  etre 
davantage  eclairci  de  raes  bonnes  intentions, 
vous  aurez  a  les  lui  faire  cognoistre  et  vous  ou- 
vrir  en  toute  confiance ,  non  seulement  sur  ce 
qui  s'y  peut  traicter  avec  la  Republique  ,  mais 
encore  avec  la  personne  dudit  sieur  Cromwel , 
tant  pour  le  bien  commun  des  deux  royaumes 
que  pour  ses  interests  particuliers ,  vous  don- 
nant  par  la  presente  pouvoir  d'agir,  negocier, 
traiter  et  promettre  en  mon  nom  tout  ce  que 
vous  jugerez  a  propos  audit  Cromwel,  etje  ra- 
tifieray  et  executeray  tout  ce  que  vous  aurez 
promis  et  signe  en  mon  nom  ,  avec  la  raeme 
bonne  foi  et  sincerite  que  je  prie  Dieu  de  vous 
avoir,  monsieur  d'Estrades ,  en  sa  sainte  garde. 
Escript  a  Blois ,  le  24  mars  1652.  » 

Mais  la  negociation  trainant  en  longueur,  et 
sur  le  compte  que  j'en  rendis,  il  fut  resolu  que 
Ton  enverroit  de  nouveau  le  sieur  de  Gentillot 
aupres  de  Cromwel ,  et  qu'on  lui  remettroit  des 
instructions  detailleesde  ce  qu'il  auroit  a  nego- 
cier aupres  du  parlement  et  du  conseil  d'Etat  de 
la  republique  d'Augleterre,  On  lui  remit  aussi 
une  lettre  que  Sa  Majeste  ecrivoit  au  protec- 
teur. 

Lettre  du  Roy  a  Cromwel. 

«  Monsieur  Cromwel,  envoyant  expres  a  Lon- 
dres  le  sieur  Gentillot ,  gentilhomme  de  ma 
chambre  ,  avec  lettre  de  creance  au  parlement 
de  la  republique  d'Augleterre  et  au  conseil  d'E- 
tat ,  pour  leur  faire  entendre  mes  bonnes  inten- 
tions ;  et  comme  il  est  avantageux  a  I'un  et  a 
I'autre  Etat  de  vivre  en  bonne  voisinance,  paix 
et  amitie ,  je  I'ay  charge  de  cette  lettre  pour 
vous ,  pour  vous  assurer  de  ma  bonne  volonte  et 
disposition  entiere  a  faire  ce  qui  servira  a  la  su- 
rete  et  liberte  du  commerce ,  bien  et  utilite  re- 
ciproque  des  deux  nations :  et  m'assurant  que 
vous  contribuerez  volontiers  a  un  si  bon  effet , 
je  me  remets  audit  sieur  de  Gentillot  de  vous 
en  dire  davantage ,  vous  priant  de  lui  donner 
creance  comme  a  une  personne  en  qui  je  prens 
une  confiance  entiere ;  cependant  je  priray  Dieu 
etc.  » 


1  10 


MiCMOlllKS    l)i;    COMTF.    UK    ^^I\1E^NE, 


Instruction  an  sieur  de  Gentillot ,  (jentU- 
homnie  de  la  chambre  du  lioij,  s'en  al/ant, 
pour  le  service  de  Sa  3Iajeste ,  en  Anrjlc- 
terre. 

«  Sa  Majeste,  jugeant  qu'il  est  de  I'utilite 
commune  des  deux  nations  de  France  et  d'Angle- 
terre  de  nourrir  paix  et  amitie,  bonne  voisi- 
uance  et  toute  sorte  de  liberte  et  securite  de 
commerce  entre  les  subjects  de  I'un  et  I'autre 
Etats,a  bien  voulu  envoyer  un  gentilhomme 
expres  a  Londres  vers  le  parlement  de  la  repu- 
blique  d'Augleterre  ,  etafaiet  choix  dudit  sieur 
Gentillot ,  dont  la  suffisance,  fidelite  et  affection 
a  son  service  luy  sont  cogueues,  I'ayant  charge  de 
lettre  de  creance  audit  parlement ,  conseil  d'E- 
tat  et  au  sieur  Cromwel. 

»  Le  sieur  de  Gentillot  s'acheminera  inces- 
samment  a  Londres  et  envoyera  devant  le  sieur 
de  Viliers ,  avec  lequel  il  s'est  deja  abouclie , 
ou  bien  le  fera  ecrire  pour  avertir  ceux  dudit 
parlement  du  sujet  de  son  voyage  ;  et  comme  il 
vient  recognoistre  au  nom  du  Roy  ladite  Kepu- 
blique  ,  estant  porteur  de  lettres  de  Sa  Majeste, 
en  creance  a  cet  effet,  pourveu  neanmoins  qu'on 
lui  rapporte  parole  et  asseurance  qu'au  preala- 
ble  touttes  lettres  de  marque  et  repressaillesse- 
ront  surcises  et  tons  actes  d'hostilite  cesses , 
pour  parvenir  plus  facilement  aurestablissement 
du  commerce. 

»  Ledit  sieur  Gentillot,  estant  a  Calais  et  ne 
pouvant  aller  a  Dunkerque  a  cause  que  les  en- 
nemis  ont  assiege  Gravelines,  ecrira  en  chiffres 
au  sieur  d'Estrades  le  sujet  de  son  envoy  a  Lon- 
dres ,  et  le  priera  de  I'advertir  audit  Calais  ou  a 
Douvre  de  ce  qu'il  pourroit  avoir  negocie  avec 
ledit  parlement,  et  par  quelle  adresse ,  aftin 
qu'il  s'en  serve ,  ayant  besoing  de  bons  advis 
dudit  sieur  d'Estrades ,  auquel  il  fera  savoir  I'or- 
dre  qu'il  a  de  Sa  Majeste  de  s'y  conformer  et 
continuer  sa  correspondance  avec  luy  par  lettres 
frequentes.  L'inscription  et  la  suscription  des 
lettres  de  creances  ont  este  laissees  en  blanc, 
affin  que  ledit  sieur  Gentillot  les  remplisse  de  la 
meme  sorte  dont  il  a  este  use  envers  eux ,  par  la 
reine  de  Suede  ou  par  le  roy  d'Espagne,  Sa 
Majeste  youlant  bien  leur  faire  autant  d'hon- 
neur  et  d'amitie  qu'aucun  autre  des  princes  qui 
les  ont  recogneus  pour  Republique.  Ledit  sieur 
de  Gentillot ,  aussitost  que  la  cessation  d'hosti- 
lite et  suspension  de  repressailles  aura  ete  ac- 
corde,  ou  qu'il  en  aura  eu  de  bonnes  asseuran- 
ces ,  rendra  ses  lettres  audit  parlement  de  la 
Republique,  et  expliquera  sa  creance,  en  sorte 
qu'il  leur  persuade  les  bonnes  intentions  de  Sa 
Majesty  et  son  desir  d'entretenir  paix,  amitie  et 


bonne  voisinance  et  correspondance  enlre  les  \ 
deux  nations ,  raesmes  nous  alliant  plus  etroicte- 
ment  avec  ladite  Republique  pour  le  bien  et 
avantage  reciproque ,  et  qu'il  use  des  termes  ci- 
vils  et  obligeans,  sans  toutefois  rien  dire  qui 
puisse  mai'({uer  foiblesse  ou  crainte  de  leurs  ar- 
mes,  s'ils  avoient  envie  de  nous  les  faire  appre- 
bender.  II  faira  aussi  faire  cognoistre  a  tous 
ceux  a  qui  il  aura  a  parler ,  que  nos  divisions 
domestiques  auront  bientost  cesse,  et  que  les 
princes  recherchent  les  bonnes  graces  de  Sa 
Majeste,  et  de  sortir  du  mauvais  pas  ou  ils  se 
trouvent ,  par  un  bon  accomodement ,  dont  les 
ouvertures  ont  deja  este  faites  de  leur  part ;  en 
sorte  qu'il  y  a  apparence  que  la  negociation  qui 
se  continue  prendra  bientost  fin  pour  le  repos 
du  royaume  :  a  quoy  aidera  beaucoup  la  victoire 
que  les  armees  du  Roy  viennent  de  remporter 
sur  celles  de  ses  ennemis,  qui  lui  donneronl 
d'autant  plus  de  facilites  et  de  moyens  de  bien 
faire  a  ses  voisins  et  a  ses  subjets. 

»  Ledit  sieur  de  Gentillot,  voyant  les  Au- 
glois  en  resolution  d'envoyer  enfin  un  ambassa- 
deur,  conviendra  avec  eux  ,  des  a  present,  qu'on 
nommera  des  deputes  de  part  et  d'autre  pour 
entrer  en  cognoissance  des  pertes  et  depre- 
dations souft'ertes  par  les  subjects  de  I'un  et  de 
I'autre  Etat,  et  qu'ils  auront  le  pouvoir  d'ajus- 
ter  les  ditferens  ,  mesme  de  faire  un  traicte  de 
commerce  pour  I'adveoir,  Sa  Majeste  trouvant 
bonnes  loutes  les  conditions  dont  on  demeurera 
d'accord ,  pourveu  qu'elles  soient  egales  et  reci- 
proques. 

»  Donnera  advis  soigueusement  de  tout  ce 
qu'il  avancera  ,  et  s'en  reviendra  quand  il  aura 
mis  les  choses  au  point  porte  par  la  presente  ins- 
truction ,  et  prendra  garde  de  ne  rien  gater  de 
ce  qui  pourroit  avoir  este  negotie  ou  avance  a 
mesme  effect  par  ledit  sieur  d'Estrades ,  en  la 
prudence  et  conduite  duquel  on  a  grand  con- 
liance. 

»  Faicta  Saint-Germaiu-eu-Laye ,  le  l"^  may 
1G52.  »] 

Pendant  lesejourque  nous  fimesa  Blois,  nous 
apercun^es  avec  chagrin  que,  sans  un  puissant 
secours,  nous  perdrions  la  ville  de  Barcelone  , 
et  ensuite  la  Catalogue.  Le  cardinal  ne  trouvant 
point  dans  les  cotfres  de  I'epargne  I'argent  qu'il 
falloit  pour  prevenir  ce  mal ,  apparemment  par- 
ce  que  son  attention  etoit  a  s'amasser  des  tre- 
sors,  me  demanda  quelle  raison  avoit  empeche 
I'annee  precedente  le  roi  de  Portugal  de  nous 
aider  a  defendre  la  Catalogne.  Je  lui  dis  qu'au- 
tant  que  je  I'avois  pu  counoitre ,  il  y  en  avoit 
deux  sur  lesquelles  il  s' etoit  fonde  :  la  premiere, 


UttXIEME    VA 

qu'il  croyoit  la  France  perdue ;  la  seconde,  que 
pour  avoir  de  son  argent  il  nous  mettroit  en 
obligation  de  ne  faire  jamais  ni  paix  ni  treve 
avec  I'Espagne  sans  I'y  faire  conoprendre;  « de 
quoi,  ajoutai-je,  jusqu'a  present  on  s'estdefendu 
par  les  raisons  dont  Votre  Eminence  peut  bien 
se  ressouvenir.  Je  crois  que  si  Ton  vouloit  en  ve- 
nir  la,  il  seroit  a  proposde  faire  partir  I'ambas- 
sadeur  de  Portugal  qui  est  a  la  suite  de  la  cour, 
pour  engager  son  maitre,  en  lui  faisant  cet 
avantage,  de  donner  deux  millions  d'or,  non  pas 
en  un  seul  paiement,  mais  payables  en  termes 
annuels,  en  I'assurant  que  cette  somme  ne  se- 
roit employee  qu'a  faire  la  guerre  a  FEspagne: 
ce  qui  procureroit  infailliblement  le  repos  du 
Portugal ,  en  lui  donnant  les  moyens  de  s'agran- 
dir. » 

J'eus  ordre  de  voir  cet  ambassadeur,  a  qui  je 
n'eus  pas  de  peine  a  persuader  de  faire  ce  voyage, 
ses  propres  interets  le  voulant,  et  a  lui  faire  en- 
tendre ce  dont  il  etoit  question :  que  le  Roi  son 
maitre  nous  paieroit  huit  cent  mille  ecus  dans  la 
premiere  annee  ,  qui  etoit  la  presente  ,  et  trois 
cent  mille  chacune  des  quatre  suivantes,  sur  la 
parole  que  je  lui  donnai  que  cet  argent  seroit  em- 
ploye au  service  commun  des  couronnes  de 
France  et  de  Portugal.  Comme  on  ne  le  char- 
geoit  que  d'une  simple  proposition,  et  qu'on 
n'exigeoit  point  de  lui  qu'il  signat  de  traite,  il 
prit  conge  de  Leu  is  Majestes  et  descendit  la  ri- 
viere de  Loire  jusqu'a  Nantes,  oil  il  pretendoit 
s'embarquer,  ou  a  La  Rochelle,  pour  se  rendre 
a  Lisbonne.  J'appris  quelques  mois  apres  son 
arrivee  en  Portugal ,  et  que  les  ouvertures  qu'il 
avoit  faites  au  Roi  son  maitre  avoient  ete  agrea- 
blement  recues.  A  la  verite,  le  terme  de  payer 
une  somme  si  considerable  en  cinq  annees  lui 
avoit  paru  bien  court ,  de  meme  qu'a  ceux  de 
son  conseil ,  et  surtout  de  ce  qu'on  vouloit  que 
le  premier  paiement  fut  presque  de  la  moitie  de 
cette  somme.  L'ambassadeur  ajoutoit  que  si  Ton 
pouvoit  se  resoudre  que  tout  le  paiement  ne  se 
fit  qu'en  dix  annees,  de  deux  cent  mille  cruza- 
des  par  an  ,  il  croyoit  que  son  maitre  pour- 
roit  y  passer ,  malgre  I'opposition  du  peuple  de 
Lisbonne  a  laisser  aller  cet  argent  dans  un  pays 
etranger;  mais  que  si  Ton  pretendoit  plus  que  ce 
qu'il  offroit,  et  en  moins  de  temps  ,  il  jugeoit  la 
chose  tres-difficile.  Je  lui  fis  reponse  qu'ayant 
parle  d'ecus ,  et  evalue  les  six  cent  mille  pis- 
toles du  cours  de  Castille ,  faisant  les  deux  mil- 
lions d'or,  il  etoit  de  mauvaise  grace  d'offrir 
moins ,  et  de  prendre  un  terme  aussi  long  que 
celui  qui  etoit  propose  :  ce  qui  faisoit  juger  que 
le  Roi  son  maitre  et  son  conseil  vouloient  voir 
quel  train  prendroient  nos  affaires ;  que  nous 


ariE.  [IG52]  Ml 

les  avions  bien  mainlenues  jusqu'alors ,  par  la 
grace  deDieu  ,  sans  leur  secours-,  et  qu'avec  la 
meme  assistance  nous  esperions  de  pouvoir  con- 
tinuer;quesi  le  roi  de  Portugal  laissoit  echapper 
cette  conjoncture,  il  ne  la  retrouveroit  jamais 
ou  tres-dilficilement ,  la  France  n'etant  point  en- 
gagee  a  sa  defense  suivant  son  traite  ;  que  quand 
on  lui  offroit  des  conditions  avantageuses  il  de- 
voit  les  accepter  ;  que  j'avois  obtenu  que ,  pour 
le  premier  paiement ,  on  se  contenteroit  de  six 
cent  mille  ecus  au  lieu  de  huit,  et  que,  pour  les 
quatorze  cents  restans,  je  pourrois  faire  en  sorte 
qu'on  se  contenteroit  de  les  recevoir  en  cinq  an- 
nees, pourvu  qua  chacune  des  quatre  premieres 
Ton  nous  fit  toucher  trois  cent  mille  ecus,  et 
deux  cent  mille  dans  la  derniere;  que  si  meme 
on  demandolt  sept  annees  ou  lieu  de  cinq,  je 
pourrois  y  faire  consentir  le  Roi  mon  maitre ; 
qu'on  desiroit  d'etre  informe  promptement  des 
intentions  de  Sa  Majeste  portugaise,  et  qu'ainsi 
je  priois  qu'on  ne  diflerat  point  a  me  les  faire 
savoir.  Comme  il  faudra  parler  de  ceci  a  la  fin 
de  la  meme  annee  ,  ou  au  commencement  de  la 
suivante,  je  n'en  dirai  rien  de  plus  presente- 
ment ,  pour  ne  pas  user  de  redite  ,  et  jeme  eon- 
tenterai  de  le  faire  quand  il  en  sera  temps.  Le 
Roi ,  ayant  passe  a  la  vue  d'Orleans  et  etant  sur 
la  route  de  Sully,  apprit  que  les  ennemis  avoient 
attaque  Gergeau  ;  on  crut  meme  qu'ils  en  avoient 
force  le  pont.  Mais  la  resolution  que  M.  de  Tu- 
renne  fit  paroitre  en  commandant  qu'on  ouvrit 
la  porte  ,  apres  s'etre  mis  sur  le  seuil  pour  en 
defendre  I'entree,  fit  croire  aux  ennemis  que 
toute  I'armee  s'y  etoit  rendue  :  de  sorte  qu'ils 
cesserent  de  se  servir  de  leur  artillerie,  et  re- 
garderent  comme  un  grand  avantage  pour  eux 
de  la  pouvoir  degager  le  soir. 

Leurs  Majestes  se  rendirent  a  Sully,  ou  elles 
firent  leurs  Paques,  et  n'en  partirent  que  le  mer- 
credi  ou  le  jeudi  pour  venir  a  Gien.  On  y  eut 
des  nouvelles  certaines  que  le  prince  de  Conde 
avoit  joint  ses  troupes  ,  et  Ton  y  prit  la  resolu- 
tion de  faire  avancer  celles  du  Roi  pour  les  met- 
tre  entre  Paris  et  I'arniee  ennemie.  Le  com- 
mandement  de  celle  du  Roi  fut  donnea  M.  de 
Turenne  sans  Toter  a  d'Hocquincourt ,  qui  fut 
surpris  et  defait  dans  sa  marche  par  M.  le  prince. 
La  nouvelleen  etant  venue  a  Gien,  la  cour  pensa 
a  se  retirer ;  mais  avant  que  d"en  venir  a  ['exe- 
cution, elle  voulut  attendre  M.  de  Turenne.  Le 
cardinal ,  pour  faire  voir  son  courage  ,  sortit  de 
la  ville  et  monta  sur  une  eminence  qui  la  cou- 
vre  du  cote  du  Gatinois,  ou  il  n'avoit  rien  a 
craindre.  On  fit  mettre  sous  les  armes  les  gar- 
des et  le  regiment  de  la  marine ,  a  la  tete  duquel 
etoit  Guadagne ,  gentilhomme  de  bonne  maison, 


M2 


aJEIVlOIRES    DV    COMTK    DE    BBIENINE 


et  qui  s'etoit  acquis  de  la  reputation  par  sa  bra- 
voure  et  par  spn  experience.  On  lui  proposa  , 
suppose  que  I'armee  du  Roi  eut  ete  entierement 
defaite ,  de  delendre  ce  passage  ,  pour  donner 
le  temps  a  Leurs  Majestes  de  se  retirer  et  de 
gagner  Amboise,  dou  elles  pourroient  passer 
en  Bretagne  si  la  necessite  des  affaires  le  vou- 
loit.  Guadagne  recut  corame  uue  tres  -  grande 
grace  cette  commission  ,  qui  etoit  des  plus  pe- 
rilleuses;  et  il  est  bien  certain  que  ,  s'il  avoit  etc 
attaque  ,  il  s'y  fut  signaie  comme  ii  avoit  fait  en 
plusieurs  rencontres  oil  il  s'etoit  trouve.  Le  car- 
dinal ,  ennuye  d'etre  a  I'air,  crut  qii'il  n'avoit 
point  de  moyen  plus  honorable  pour  rentrer 
dans  la  ville  que  d'engager  le  Roi  a  monter  a 
cheval  et  a  le  venir  querir.  On  y  passa  de  fa- 
cheux  momens ;  mais  on  apprit  a  la  fin  que 
M.  de  Turenne  s'etoit  avance  avec  quelques  es- 
cadrons ,  ayant  commande  a  son  infanterie  de  le 
suivre ,  et  oppose  a  I'armee  victorieuse  de  M.  le 
prince  quelques  pieces  d'artillerie :  ce  qui  I'a- 
voit  contraint  de  faire  halte  et  de  prendre  des 
quartiers.  M.  de  Turenne ,  qui  en  fit  autant,  se 
fit  par  ce  service  un  grand  merite  aupres  du 
Roi  et  acquit  beaucoup  de  gloire ;  car  il  reus- 
sit  dans  son  dessein  ,  qui  etoit  de  se  camper  en- 
tre  I'armee  du  prince  et  Paris, pour  lui  oter  toute 
communication.  N'ayant  pas  cru  qu'il  fut  a  pro- 
pos  que  le  Roi  se  tint  eloigne  de  la  sienne,  il  s'a- 
vanca  jusqu'a  Auxerre,  descendit  la  Seine  et 
se  rendit  a  Melun  ;  mais ,  sur  I'avis  qu'on  eut 
que  les  troupes  de  Monsieur  et  de  M.  le  prince 
avoient  pris  Etampes  ,  on  forma  le  dessein  d'as- 
sieger  cette  ville ,  dont  I'entreprise  ,  qui  etoit  en 
soi  fort  difficile,  fut  encore  accorapagnee  d'une 
disgrace.  Cest  que  cette  place  ,  qui  est  tres-lon- 
gue ,  ne  fut  attaquee  que  par  les  extremites ;  et 
cela  donna  lieu  a  plusieurs  combats  oil  nous  rem- 
portames  des  avaiitages.  Mais  nous  n'eumes  pas 
celui  pour  lequel  ce  siege  avoit  ete  forme,  car 
I'arrivee  du  due  de  Lorraine  avec  sou  armee 
obligea  M.  de  Turenne  a  se  retirer,  et,  pendant 
qu'il  s'avancoit  pour  en  traverser  la  marche,  les 
troupes  des  princes  approcherent  de  Paris.  L'in- 
fidelite  de  M.  de  Lorraine  parut  en  cette  ren- 
contre, car  il  pubiioit  ne  venir  que  pour  le  ser- 
vice du  Roi.  II  demanda  du  pain  pour  son  ar- 
mee ;  et  apres  avoir  fait  plusieurs  traites  avec 
Sa  Majeste ,  il  se  declara  contre.  II  est  vrai  qu'il 
recut  un  affront  considerable  ,  ayant  ete  oblige 
de  promettre  de  se  retirer  pour  eviter  d'en  ve- 
nir a  une  bataille,  qui  sans  doute  lui  eiit  ete  li- 
vree  si  le  roi  d'Angleterre ,  qui  s'entremettoit 
pour  un  accommodement ,  n'eut  erapeche  M.  de 
Turenne  de  commander  qu'on  le  chargeat.M.  de 
Lorraine  s'etoit  jwste  en  liommedc  guerre ;  mais 


ses troupes,  manquant  de  vivres,  n'auroient  pu 
faire  uue  grande  resistance.  II  jugea  done  qui! 
etoit  de  son  a  vantage  de  se  retirer,  et  de  suppo- 
ser  une  negociation  vive  avec  la  cour,  pour  pro- 
fiter  des  occasions  qui  se  rencontreroieut  pour 
encourager  I'armee  et  pour  presser  se  siege  d'E- 
tarapes.  Le  Roi  quitta  le  logement  de  Meluii 
pour  prendre  celui  de  Corbeil ,  apres  avoir  etc 
averti  qu'un  courrier  du  Pape  opportoit  au  coad- 
juteur  de  Paris  le  chapeau  de  cardinal ,  que  S.-^ 
Majeste  avoit  demande  pour  lui.  Quelques-uns 
croyant  que  le  courrier  iroit  tout  droit  a  Par: 
le  remettre  au  nonce  qui  le  pourroit  donner  ar 
coadjuteur,  je  fus  d'avis  qu'on  lui  fit  dire  que  , 
s'il  faisoit  cette  faute,  il  pouvoit  le  remporter , 
et  qu'on  iit  bien  entendre  au  coadjuteur  que,  s'i! 
manquoit  au  respect  qu'il  devoit  au  Roi  ,  il  ne 
seroit  jamais  reconnu  en  France  comme  cardi- 
nal. Pendant  qu'on  exarainoit  ce  qu'il  falloit 
faire  ,  le  courrier  de  Sa  Saintete  se  rendit  a  Pa- 
ris ,  et  les  choses  s'accommoderent  ensuite  a  la 
satisfaction  du  cardinal  de  Retz. 

Pour  donner  plus  de  hardiesse  aux  bons  bour- 
geois de  Paris ,  on  leur  proposa  de  se  declarer 
pour  le  Roi,  a  qui  Ton  conseilla  d'aller  a  Saint- 
Germain-en-Laye.  Sa  Majeste  y  fit  quelque  se- 
jour,  sans  en  retirer  aucun  avantage :  ce  qui  lui 
fit  prendre  le  parti  de  revenir  du  cote  de  Melun, 
en  s'arretant  quelque  temps  a  Corbeil.  Et  comme 
on  avoit  dessein  de  retourner  a  Saint-Germain,  on 
se  rendit  a  Saint-Denis ,  oil  le  Roi  resta  quelques 
jours.  Quoique  les  princes  fussent  en  etat  de 
donner  la  loi ,  iis  ne  laisserent  pas  de  s'offrir  a 
se  soumettre,  a  condition  que  le  cardinal  seroit 
bnnni  du  royaume.  Son  Eminence,  craignant 
que  I'armee  d'Espagne  ne  se  joignit  a  la  leur  , 
proposa  que  le  Roi  se  retirat  en  Bourgogue ,  et 
de  laisser  les  marechaux  de  Turenne  et  de  La 
Ferte  aux  environs  de  Paris,  pour  s'opposer  aux 
desseins  des  princes.  M.  de  Bouillon  ,  qui  etoit 
en  tres-grand  credit ,  avoit  ete  du  meme  avis  ; 
mais  M.  de  Turenne,  son  frere,  qui  fut  appele 
dans  le  conseil  secret,  le  fit  changer.  «  Je  mo 
charge,  dit-ii,  de  faire  perir  les  ennemis,  pour- 
vu  que  la  personne  du  Roi  soit  en  lieu  de  sure- 
le. »  Et  pour  avoir  quelques  a\antages  sur  les 
princes,  qui  s'etoient  campes  dans  Tile  de  Saint- 
Denis,  il  proposa  de  construire  un  pout  sur  la 
Seine  ,  pour  les  pouvoir  aller  attaquer.  Soit  que 
M.  le  due  d'Orieans  et  le  prince  de  Conde  s'aper- 
cussent  que  Paris  leur  echapperoit,  ilsdemande- 
rent  une  assemblee  generale,  dans  le  dessein  de  se 
defaire  de  ceux  qui  paroissoient  etre  dans  les  in- 
terets  du  Roi.  La  conduite  qu'ils  tinrent  pour  y 
reussir  a  ete  decrite  par  bien  des  gens ,  qui  ne 
Tout  pas  rapportee  au  juste.  J'ajouterai  done  que. 


I 


DEUXIEME    PARTIE.    [1652] 


\4Z 


deux  jours  avant  qu'ils  commissent  une  action 
aussi  terrible,  M.  de  Bouillon  dit  :  «  lis  sont 
perdus  s'ils  ne  font  un  coup  assez  hardi  pour 
soumettre  Paris.  »  Ce  discours  rapporte,  et 
I'execution  qui  en  fut  tentee,  firent  qu'il  y  cut 
differens  avis  que  ceci  avoit  ete  execute  de  con- 
cert avec  lui,  a  moius  que  la  profondeur  de  son 
experience  ne  lui  eiit  faitprevoir  ce  que  les  au- 
tres  feroient.  Enfiu,  il  ne  laissa  pas  de  paroitre 
surpris  quand  la  nouvelle  de  cette  execrable  en- 
treprise  lut  divulguee.  Les  apparences  faisoient 
juger  que  si  Ton  attaquoit  Tarraee  de  M.  le 
prince ,  elle  ne  seroit  pas  recue  dans  Paris.  II 
faisoit  meme  paroitre  quelques  escadrons  a  la 
tete  de  plusieurs  villages  qui  sont  dans  I'ile  de 
Saint-Denis ,  comme  s'il  avoit  voulu  nous  en 
defendre  Tentree ;  mais  son  dessein  n'etoit  que 
de  nous  amuser ,  et  de  faire  passer  son  armee 
sur  le  fosse  de  la  ville  pour  gagner  ensuite  Cha- 
renton  ,  en  rompre  le  pont ,  et  nous  necessiter 
par  la  de  chercher  les  raoyens  d  aller  a  lui , 
ayant  la  liberte  de  nous  combattre  en  passant 
la  Marne ,  et  en  tout  cas  de  pouvoir  fourrager 
plusieurs  provinces ,  si  Ton  ne  se  mettoit  point 
a  lepoursuivre ,  la  liberte  lui  restant  toujours 
de  passer  en  Flandre  quand  il  voudroit.  On  fut 
averti  que  sou  armee  avoit  marche  le  soir ;  mais, 
soit  par  desobeissance ,  soit  parce  qu'elle  etoit 
trop  fatiguee  ,  elle  campa  a  la  tete  du  faubourg 
Saint-Honore.  Le  prince  ,  en  ayant  ete  averti, 
s'en  plaiguit  et  querella  ses  officiers.  Ensuite, 
usant  de  tout  son  pouvoir,  il  fit  marcher toutes 
ses  troupes ,  auxquelles  les  bourgeois  ne  voulu- 
rent  jamais  permettre  de  traverser  la  ville ,  crai- 
grant  peut-etre  que  ses  soldats  ne  leur  causas- 
sent  de  Tincomraodite,  ou  bien  que  ce  prince 
voudroit  s'en  rendre  le  maitre;  car ,  quoique  ses 
forces  ne  fussent  pas  proportionnees  a  une  pa- 
reille  entreprise,  les  apparences  trompent  sou- 
vent  ceux  qui  sont  capables  d'avoir  peur. 

M.  de  Turenne  fut  averti  de  la  marche  de 
M,  le  prince ,  et  le  raarechal  de  La  Ferte  aussi, 
iqui ,  etant  le  plus  eloigne  de  Paris ,  ne  le  joignit 
qu'apres  que  le  combat  fut  commence.  Ce  n'etoit 
pas  ou  le  prince  le  craignoit  leplus ;  mais,  ayant 
tout  le  chagrin  imaginable  de  ne  pouvoir  eviter 
ce  general ,  il  mit  sa  cavalerie  en  bataille  pen- 
dant que  son  infanterie  defiloit  par  derriere ;  et 
M.  de  Turenne, qui  lereconnut,  ne  crut  pas  le 
devoir  attaquer  taut  qu'il  seroit  dans  un  lieu 
avantageux. 

M.  le  prince  quitta  ce  poste  pour  joindre  son 
infanterie  et  voulut  toujours  gagner  Gharentou: 


(i)  Le  combat  du  r.uibouig  Saint-Anloine  fut  livre  Ic 
2  juillet  1().j2.  Deux  jours  apies  eut  lieu  le  massacre  de 


mais  il  fut  surpris  quand  il  se  vit  attaque  dans 
le  faubourg  Saint-Antoine ,  et  voulut  defendre 
les  barricades  qui  y  avoient  ete  dressees  par  les 
bourgeois.  Le  combat  fut  des  plusopiniatres  (i). 
Le  Roi  en  fut  spectateur ,  et  si  mademoiselle 
d'Orleans  n'eut  obtenu  de  la  bourgeoisie  qu'elle 
ouvrit  les  portes  aux  troupes  du  prince,  elles 
auroient  ete  entierement  defaites.  Pour  faire 
croire  aux  Parisiens  qu'ils  n'avoient  plus  lieu 
d'esperer  que  le  Roi  leur  pardonnat ,  elle  fit 
tirer  le  canon  du  cote  qu'elle  remarqua  que  Sa 
Majeste  etoit.  Quelques-uns  disoient  d'aller  a  la 
porte  de  Saint-Denis,  que  Ton  trouveroit  ouverte. 
J'avoue  qu'il  me  sembloit  que  j'aurois  conseille 
de  faire  entrer  I'armee  dans  le  faubourg  Saint- 
Germain  et  d'y  donner  bataille  ,  dont  le  gain 
me  paroissoit  assure ;  mais  je  n'osai  plus  etre  de 
cet  avis,  y  trouvant  beaucoup  d'inconveniens  ; 
car  la  prudence  defendoit  de  se  fier  a  un  peu- 
ple  qui  avoit  sujet  de  tout  craiudre,  et  d'ailleurs 
il  y  avoit  peu  d'apparence  que  le  cardinal  piit 
concourir  a  cette  resolution  qui  s'evanouit  bien- 
tot ,  car  on  vit  dans  Paris  des  echarpes  de  dif- 
ferentes  couieurs.  Les  rouges  etoient  admirees, 
et  quiconque  eut  parle  de  rendre  au  Roi  I'obeis- 
sance  qu'il  lui  devoit ,  eut  couru  risque  deper- 
dre  la  vie.  11  falloit  trouver  les  raoyens  de  de- 
charger  les  Parisiens  des  troupes  qui  les  soute- 
noient ,  et  il  y  avoit  tout  lieu  de  croire  ensuite 
qu'etant  devenus  sages  par  leur  propre  expe- 
rience, ils  ne  songeroient  qu'a  implorer  la  mise- 
ricorde  du  Roi. 

Le  sejour  de  Saint-Denis  etant  devenu  insup- 
portable par  une  infection  horrible,  il  fallut 
songer  a  le  quitter ,  et  neanmoins  ne  se  pas  tant 
eloigner  de  Paris  qu'on  perdit  ce  qu'on  avoit 
gagne  sur  les  esprits  des  plus  sages  ,  et  meme 
de  la  populace.  On  proposa  d'aller  a  Pontoise  , 
qui  etoit  un  lieu  bien  commode  et  bien  situe  pour 
vivre  ,  et  d'ou  meme  Ton  s'aprochoit  de  la  Nor- 
mandie ,  qui  etoit  restee  dans  I'oljeissance.  On 
eiit  bien  pu  trouver  desendroitsconvenablesau 
sejour  de  la  cour ,  mais  on  craignoit  de  donner 
de  la  jalousie  et  du  soupcon  a  M.  de  Longue- 
ville  ,  qui  faisoit  en  sorte  que  le  Roi  y  jouissoit 
d'une  partie  de  ses  revenus  ,  et  qui  empechoit 
qu'on  ne  s'y  soulevat  ui  qu'on  y  causat  le  moin- 
dre  prejudice  au  service  de  Sa  Majeste ;  mais  il 
donuoit  assez  a  entendre  qu'il  ne  falloit  pas  en 
demander  davantage  de  lui.  La  cour  ne  fut  pas 
plustot  arrivee  a  Pontoise  qu'on  publia  qu'elle 
en  devoit  parti r  le  lendemain  pour  aller  a  Man- 
tes, dont  le  gouverneur  avoit  ouvert  les  portes 


l'H6tel-de- Ville,  dont  il  est  pail(^  dans  la  page  pr^ce- 
dente  et  dans  celle-ci.  (A.  E.) 


1  44 


MEMOIRES    DU    COMTK    IJE    BHIEAINE. 


aux  Espagnols  et  leuravoit  facilite  le  passage 
(le  la  Seine  sur  le  pont  de  cette  ville.  On  accusa 
nieme  le  chancelier  d'y  avoir  contribue ,  tant 
parce  qu'il  etoit  beau-frere  du  gouverneur,  que 
par  la  ciainte  qu'il  avoit  de  voir  sa  maison  brii- 
lee.  II  s'etoit  trouve  aux  conseils  qu'on  avoit 
tenus  au  Luxembourg.  La  denieure  de  Pontoise 
ayant  ete  jugee  meilleure  que  celle  de  Mantes, 
la  cour  y  resta  et  n'en  partit  que  pour  alter  a 
Compiegne,  oil  le  cardinal  de  Retz  se  rendit,  et 
d'ou  le  cardinal  Mazarin  sortit  une  seconde  fois 
du  royaume,  soit  que  sa  peur  en  fut  cause ,  ou 
leloquence  et  I'intrigue  du  cardinal  de  Retz. 

M.  de  Bouillon  niourut  a  Pontoise  d'une 
grosse  flevre ,  qui  lui  causa  un  transport  au 
cerveau.  J'allai  pour  le  voir,  et  ce  fut  la  der- 
niere  visite  que  je  rendis  en  cette  ville,  carje 
fus  le  Icndemain  attaque  de  la  meme  maladie. 
On  ne  doit  point  etre  surpris  si  je  ne  dis  rien  de 
cequisepassa  pendant  trois  niois,  ayant  ete 
abandonne  de  la  plus  grande  partie  des  raede- 
cins.  Je  ne  dois  la  vie  qu'a  Dieu ,  qui  ne  rae  la 
voulut  conserver  qu'afin  que  je  le  servisse  avec 
plus  de  fidelite  que  je  n'avois  fait.  II  permit,  raes 
enfans,  que  voire  mere  contribuat  plus  a  ma 
guerison  que  ne  firent  les  remedes.  Les  soins 
qu'elle  prit  de  moi  et  lestemoignages  qu'elleme 
donna  de  son  amitie  surpasseut  de  beaucouptout 
ce  que  j'en  devois  attendre  et  ce  que  I'on  pou- 
voit  en  espei  er.  Leurs  Majestes  eurent  la  bonte 
d'envoyer  savoir  de  mes  nouvelles ,  et  le  cardi- 
nal meme  se  donna  la  peine  de  me  venir  voir 
avec  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  personnes  conside- 
rables alacour.  Mes  amis  particuliersprirentde 
moi  des  soins  que  je  ne  puis  exprimer.  Je  tairai 
leurs  noms ,  de  crainte  que  si  j'en  oubliois  quel- 
qu'un  ,  il  n'ei'it  sujet  de  se  plaindre.  Je  fus  ainsi 
raaladea  I'extremite  ;  mais  celui  qui  est  le  mai- 
tre  de  notre  vie  me  la  conserve  ,  et  me  donna  de 
bons  intervalles  pour  recevoir  son  corps  et  son 
sang.  Celui-la  est  heureux  a  qui  cette  grace  est 
accordee,  qui  la  recoit  et  en  fait  un  bon  usage 
pour  son  salut.  Un  de  mes  premiers  soins,  apres 
avoir  remercie  Dieu  de  m'avoir  rendu  la  vie,  fut 
de  faire  mes  tres-humbles  remercimens  a  Leurs 
Majestes  de  toutes  les  marques  de  bonte  qu'elles 
ra'avoient  donnees  ,  et  de  faire  savoir  a  ma  fa- 
raille  Tetat  ou  j'etois.  Je  ne  puis  m'empecher  de 
dire  ici  que,  quand  j'avois  un  peu  de  raison  ,  je 
souffrois  beaucoup  de  la  situation  ou  je  laissois 
votre  mere  et  vous  aussi ,  mes  enfans.  Je  ne  vou- 
lus  pas  la  prier,  si  Dieu  disposoit  de  moi,  de  con- 
tinuer  d'aller  au  Louvre  pour  y  representer  raes 
services,  sachant  combien  cela  seroit  inutile; 
mais  j'esperai  que  Dieu  auroit  compassion  de 
vous,  puisqu'il  vous  avoit  conserve  une  mere 


qui  s'est  toujours  attachee  a  le  servir ,  qui  sert 
d'exemple  a  beaucoup  d'autres,  et  particuliere- 
ment  a  vous ,  qui  n'en  pouvez  jamais  suivre  de 
mcilleur. 

Le  Roi  etant  parti  pour  aller  a  Compiegne , 
apres  y  avoir  fait  quelque  sejour  alia  a  Mantes, 
d'ou  il  revint  a  Pontoise  ,  et  retourna  ensuite  a 
Mantes.  Comme  je  commencois  a  me  mieux  por- 
ter, j'allai  a  Saint-Germain,  oil  Sa  Majeste  ar- 
riva  deux  jours  apres  moi.  Je  me  rendis  meme 
assiduaupresd'elle  lorsqu'on  parloit  de  quelque 
affaire  iraportante  ,  non  que  je  fusse  en  etat  de 
rendieaucun  service ,  mais  seulement  pour  faire 
voir  que  je  n'etois  pas  mort ,  ni  hors  d'espe- 
rance  de  coutinuer  a  servir  comme  j'avois  tou- 
jours fait.  J'ai  oublle  de  dire  que ,  pendant  que 
la  cour  etoit  a  Saint-Germain ,  M.  le  due  de 
Rohan ,  Goulaset  quelques  autres  y  vinrent  pro- 
poser au  Roi ,  de  la  part  de  Monsieur,  des  con- 
ditions d'accommodement  qui  parurent  si  ex- 
tiaordinairesqu'ellesfurentrejetees.  Laduchesse 
d'Aiguillon  s'y  rendit  aussi  pour  faire  celui  de 
M.  le  prince;  et  comme  je  n'ai  point  su  quelles 
etoient  ses  demandes  ,  je  n'en  dirai  rien.  Les 
deputes  de  la  Maison-de-ville  et  les  colonels 
de  Paris  y  vinrent  aussi,  les  uns  demandant 
grace ,  et  les  autres  pardon  du  passe,  tous  assu- 
rant  que,  si  le  Roi  y  vouloitrentrer,  il  y  seroit 
obei.  M.  de  Seve ,  qui  pour  sa  recompense  fut 
fait  prevot  des  marchands  ,  porta  la  parole  avec 
tant  d'eloquence  qu'il  fit  impression  sur  I'esprit 
de  Leurs  Majestes ,  et  leur  persuada  de  rentrer 
dans  la  ville  de  Paris  (l),  oil  je  me  rendis  un 
jour  avant  le  Roi ,  avec  beaucoup  d'impatience 
d'apprendre  a  quelle  heure  ce  monarque  y  se- 
roit rentre.  Mais  Monsieur ,  qui  n'avoit  point 
cru  que  Sa  Majeste  voulut  s'y  hasarder ,  n'ayant 
point  mis  ordre  a  ses  affaires  ,  demandoit  qu'on 
sursit  I'entree  d'un  jour ,  donnant  a  entendre 
qu'il  pouvoit  la  retarder ;  et  le  Roi,  qui  ne  s'en 
mit  pas  beaucoup  en  peine ,  dit  qu'il  iroit  lui 
rendre  visite ,  puisqu'il  faisoitdifficulte  de  venir 
au  devant  de  lui.  Monsieur  en  fut  si  etonne  qu'il 
ne  sut  prendre  d'autre  parti  que  de  demeurer 
enferme  dans  sa  maison,  de  demander  une  sii- 
rete  poiir  la  nuit ,  et  celle  dont  il  paroissoit  avoir^ 
besoin  pour  aller  a  Limours ,  oil  Ton  envoya 
pour  trailer  avec  lui  Le  Tellier,  qu'on  savoitne 
lui  etre  pasdesagreable.  Mademoiselle  d'Orleans, 
qui  fut  surprise  de  ce  qu'on  se  mettoit  si  peu  en 
peine  de  rechercher  monsieur  son  pere,  se  tint 
cachee,  et  puis  sortit  de  la  ville  dans  un  car- 
rosse  d'emprunt. 

(1)  Louis  XIV  cntra  dans  Paris  le  21  octobre  1652. 

(A.  E.) 


DEUMEME    PAHTIE.    f  16.53 


14', 


Le  Roi ,  pour  faire  voir  qu'il  etoit  le  maitre  , 
ordonna  que  le  parlement  s'assembleroit  au 
Louvre  le  lendemaiu.  Ceux  des  officiers  qui  I'a- 
voient  tenu  a  Pontoise  y  priient  leurs  places  , 
et,  a  rexelusion  de  quelques-uns  qui  n'y  furent 
point  mandes ,  ceux  qui  etoient  restes  a  Paris  y 
furent  admis.  Le  ehancelier,  qui  s'etoit  evade 
et  ensuite  rendu  aupres  du  Roi ,  y  porta  la  pa- 
role ,  exagerant  le  crime  de  plusieurs  ,  louant 
la  fidelite  des  autres  ,  et  fit  remarquer  la  reso- 
lution sainte  et  digne  d'un  roi  tres-chretien  , 
que  Sa  Majeste  avoit  piise,  de  pardonner  le 
passe  et  d'en  faire  perdre  la  memoire.  II  ajouta 
que  le  chatiment  s'etendroit  sur  un  tres-petit 
nombre  de  personnes  ,  et  seroit  plulot  une  mar- 
que de  la  clemence  du  prince  que  de  sa  juste  in- 
dignation. Broussel  ,  qui  dans  les  desordres 
avoit  ete  prevot  des  raarchands,  fut  destitue , 
et  quelques  conseillers  exiles,  sans  toutefois  etre 
notes,  Plusieurs  d'entre  eux  out  eu  leurs  graces 
dans  la  suite  des  temps.  On  oublia  dans  cette 
assemblee  de  demander  que  les  registres  de  ce 
qui  avoit  ete  ordonne  par  le  parlement  pendant 
la  revoke  fussent  apportes  ;  car  ils  devoient 
etre  laceres  et  meme  brules  par  la  main  du 
bourreau  (1).  C'est  ce  qu'on  ne  fit  point,  parce 
que  je  ne  m'y  trouvai  pas  pour  le  dire.  Je  m'en 
plaignis  aussitot  que  je  fus  au  Louvre. 

Le  cardinal  de  Retz  y  alloit  de  fois  a  autre  ; 
raais  les  discours  qu'il  y  tenoit  n'avoient  aucun 
rapport  avec  ce  qu'il  disoit  ailleurs.  La  dignite 
oil  il  avoit  ete  eleve ,  bien  loin  de  le  faire  sou- 
venir de  ce  qu'il  devoit  au  Roi ,  lui  faisoit 
croire  qu'elle  lui  obtiendroit  I'impunite  de  tout 
ce  qu'il  pourroit  et  dire  et  faire.  Le  cardinal 
Mazarin  ,  tout  eloigue  de  la  cour  qu'il  etoit ,  ne 
laissoit  pas  de  la  gouverner.  II  y  a  toutes  les  ap- 
parences  qu'il  faisoit  avertir  le  Roi  de  ne  se  pas 
fier  au  cardinal  de  Retz ,  et  que  si  cette  Emi- 
nence tomboit  en  faute  ou  qu'on  put  s'assurer 
de  sa  personne,  on  n'en  perdit  pas  I'occasion. 
Elle  se  presenta  un  jour  que  ce  cardinal  vint 
au  Louvre.  II  y  fut  arrete  (2)  prisonnier  et  con- 
duit ci  Vincennes  ,  oil  il  a  ete  assez  long-temps  , 
quelque  diligence  ({ue  fit  le  nonce  pour  le  faire 
mettre  en  liberie  ou  pour  renvoyer  au  Pape  la 
connoissance  de  ses  crimes ,  assurant  ques'il  en 
avoit  commis  qui  meritassent  punition  ,  il  ne  se- 
roit pas  epargne. 

(1)  lis  le  furent  quelques  annees  plus  lard  par  ordrc 
de  Louis  XIV. 

(2)  Le  cardinal  de  Retz  fut  arret(51el9d^cembre4652. 
On  le  conduisit  au  chateau  de  Vincennes  ,  puis  a  celui 
de  Nantes  ,  d'oii  il  s'^cliappa.  (A  E.)  —  Nous  avons  re- 
trouve  a  la  Bibliotheque  du  Roi  ies  papiers  qu'il  avail 
dans  sa  poche  au  moment  dc  son  aneslation. 

III.    c.    D.    M.,   T.    111. 


[1G53]  Le  cardinal  Mazarin  (3) ,  delivre  de  la 
crainte  que  lui  causoit  celui  de  Retz ,  prit  la  re- 
solution de  venir  trouver  le  Roi;  mais,  pour 
contenter  sa  vanite  et  pour  s'assurer  entiere- 
ment  contre  la  mauvaise  volonte  du  peuple  de 
Paris,  il  obtint  que  Sa  Majeste  vlut  a  sa  ren- 
contre (4).  Le  Roi  le  conduisit  au  Louvre,  oil 
Ton  lui  avoit  fait  preparer  un  appartement,  Sa 
Majeste  ayant  juge  qu'il  y  seroit  mieux  qu'au 
Palais-Royal  ,  ou  il  etoit  alle  descendre,  apres 
avoir  ordonne  que  la  porte  de  la  conference  fiit 
gardee  par  une  compagnie  du  regiment  des 
Gardes  :  ce  qui  a  continue  depuis.  Le  nonce 
crut  ou  fit  semblant  de  croire  que  I'arrivee  du 
cardinal  Mazarin  faciliteroit  la  liberte  du  car- 
dinal de  Retz.  Quand  il  pressoit  trop  ,  on  lui 
disoit  qu'il  avoit  vu  la  tete  du  premier  mise  A 
prix  ,  sans  s'en  etre  beaucoup  mis  en  peine  :  de 
quoi  le  nonce  s'excusoit  le  moins  mal  qu'il  pou- 
voit;  et  quand  il  recoramencoit  ses  poursuites 
on  lui  repondoit  que  quoique,  par  le  concor- 
dat ,  le  Pape  se  fut  reserve  le  jugement  des  cau- 
ses majeures,  particulierement  lorsqu'un  car- 
dinal etoit  accuse ,  cette  clause  etoit  si  contraire" 
aux  privileges  du  royaume,  qu'il  n'etoit  pas  pos- 
sible que  le  Roi  y  consentit.  On  lui  ajoutoit 
que,  pour  le  delit,  I'archeveque  de  Rennes  et 
ses  suffragans  avoient  procede  contre  le  cardi- 
nal de  Chatillon  ,  qui  etoit  eveque  de  Beauvais 
et  du  nombre  de  ceux-ci ,  et  le  juge  royal  pour 
les  crimes  de  felouie  et  de  lese-majeste ;  que  les 
eveques  memes  craignoient  la  consequence  de 
pouvoir  etre  cites  et  juges  a  Rome,  se  souve- 
nant  que  le  feu  Roi  avoit  obtenu  des  commissai- 
res  dans  le  royaume  ,  pour  proceder  extraordi- 
nairement  contre  quelques  prelats  qui  etoient 
compris  dans  la  reserve ,  de  meme  que  les  car- 
dinaux;  et  qu'ainsi  le  Pape  ne  pouvoit  pas  leur 
oter  la  connoissance  ni  le  jugement  des  crimes 
dont  le  cardir.al  de  Retz  etoit  convaincu.  Cette 
contestation  favorisoit  le  prisonnier,  car  il  n'e- 
toit pas  encore  cite  a  aucun  tribunal.  Je  dis  un 
jour  a  Mazarin  que  j'etois  surpris  que  si  pen  de 
chose  nous  arretat,  qu'il  failoit  demander  des 
commissaires  au  Pape.  «  S'il  les  accorde ,  di- 
sois-je,  nous  aurons  ce  que  nous  voulons,  qui 
est  de  faire  proceder  contre  le  cardinal  de  Retz ; 
et  sur  le  refus  de  Sa  Saintete ,  le  Roi  fera  ce  qui 
a  ete  mis  en  usage  par  ses  predecesseurs ,  qui 

(3)  Ce  ministre  fit  son  entree  a  Paris  le  3  fevrier  1653, 
(etnonpas  leOdc  ce  meme  mois),  comme  le  prouveune 
lettre  autographe  de  lui ,  inscribe  dans  noire  Edition  des 
M^moires  de  Retz  ,  page  i-25. 

(4)  Voyez  a  ce  siijel  la  Ictire  que  Mazarin  dcrivit  au 
ministre  Le  Tellier  ;  elle  est  ins6r(?e  dans  les  Mdmoires 
de  Retz,  note  2,  pnge  425. 

10 


146 


MEMOIRES    DU    COMTE    DE    BRIENNE  , 


est  de  deraander  justice  aux  eveques  de  son 
royaurae  de  I'un  d'entre  eux  qui  lui  a  manque 
de  fidelite.  Les  eveques  s'y  porteront  ou  en  fe- 
ront  difficulte  ,  soit  pour  etre  intimides  par  le 
Pape ,  ou  par  des  considerations  particulieres 
qu'ils  u'oseront  declarer.  Le  refus  du  Pape  a  de- 
leguer  des  juges  sur  les  lieux,  et  celui  que  feront 
les  eveques  de  France ,  mettront  le  Roi  en  droit 
de  renvoyer  la  connoissance  de  ce  crime  a  son 
parlement.  INous  avons  plusieurs  exemples  dans 

I  antiquite  qui  etablissent  le  droit  de  Sa  Ma- 
jeste,et  qui  sont  fondes  sur  le  bon  sens,  qui 
veut  que  les  privileges  et  autres  graces  accor- 
dees  exemptent  bien  un  eveque  de  la  jurisdic- 
tion temporelle,  mais  ne  lui  donnent  pas  pour 
cela  la  liberie  de  tout  oser  impunement.  D'ou 

II  faut  conclure  que  la  lenteur  des  eveques  a 
faire  justice ,  ou  le  refus  de  la  rendre ,  remet- 
tront  le  Roi  dans  les  droits  qu'il  a,  sans  avoir 
egard  aux  exemptions  accordees  par  les  empe- 
reurs  et  les  rois  ses  predecesseurs  :  de  animad- 
vertere  in  clericum  cujuscunque  dignitatis  vel 
gradus;  et  qu'ainsi  le  bref  du  Pape  pouvant 
etre  autorise ,  soit  par  les  coramissaires  delegues 
par  Sa  Saintete  et  recus  par  le  Roi ,  ou  par  les 
eveques  du  royaume ,  ou  par  le  parlement,  le 
cardinal  de  Retz  seroit  juge.  - 

Mazarin  ne  voulant  point  faire  de  prejudice  a 
sa  dignite  ,  ni  consentir  a  cc  que  le  Papedeman- 
doit ,  s'excusoit  aupres  du  nonce  tant6t  par  une 
raison ,  tantot  par  une  autre  ,  et  tenoit  toujours 
en  prison  celui  dont  il  craignoit  I'esprit.  Pen- 
dant qu'on  agita  la  question  pour  savoir  qui 
devoit  etre  juge  du  cardinal  de  Retz ,  I'hiver  se 
passa  ,  et  le  printemps  s'approchant,  il  fallut 
songer  aux  moyens  de  continuer  la  guerre.  Le 
Roi  etoit  a  la  verite  delivre  de  eelle  qu'il  avoit 
eu  a  soutenir  contre  ses  sujets  ,  mais  il  ne  lais- 
soit  pas  d'cu  avoir  encore  a  reduire,  et  d'etre 
occupe  a  faire  tete  a  ses  ennemis.  II  cut  aussi, 
raaigre  tout  ce  qu'on  put  faire,  le  malheur  de 
perdre  dans  la  meme  annee  trois  places  de  con- 
sequence. Barcelone  se  perdit  faute  de  moyens 
pour  etre  conservee.  Dunkerque  eut  le  meme 
sort,  parce  que  les  Anglois  ,  anciens  ennemis  de 
la  France,  nous  empecherent  d'y  faire  entrer 
du  secours ,  et ,  sous  pretexte  de  represailles , 
favoriserent  ceux  qui  etoient  en  guerre  avec 
nous,  sans  avoir  fait  d'alliance  avec  eux.  La 
meme  chose  arriva  a  Casal  ,  pour  avoir  cte  ne- 
gligee depuis  la  mort  du  feu  Roi ,  quoique  les 
ministres  de  Mantoue  nous  avertissent  souvent 


(1)  Jean  Silhon  fut  I'un  des  preniiirs  inembres  dc 
I'Acafiemic  franfoise.  II  servit  successivcmcnt  Richelieu 
el  Mazarin  ;  il  fit  I'apologie  dc  ic  dernier  dans  un  ou- 


du  mauvais  etat  de  la  place  ,  que  les  magasins 
des  vivres  avoient  ete  epuises  pour  faire  subsis- 
ter  la  garnison  ,  qui  depuis  un  tres-long  temps 
n'avoit  pas  ete  payee ;  que  les  canons  n'ayant 
point  d'alTut  etoient  hors  d'etat  de  servir,  et  les 
poudres  reduites  en  pate ,  parce  qu'on  avoit  ne- 
glige de  les  rebattre ,  et  qu'il  etoit  a  craindre 
que  lesEspagnols  ne  s'en  emparassent,  ou  meme 
M.  de  Mantoue,  pour  eviter  qu'ellesne  tombassent 
entre  leurs  mains.  Mais  il  arriva  ce  qu'on  n'au- 
roit  jamais  cru  :  c'est  que  I'armee  d'Espagne  en 
tit  le  siege  pour  la  remettre  au  due  de  Mantoue. 
La  citadelle  de  Turin  avoit  ete  autant  negligee  ; 
mais  I'affection  que  Madame  Royale  a  toujours 
conservee  pour  la  France  empecha  que  Ton  ne 
nous  en  fit  sortir  avecbonte  ;  et  Ton  permettoit 
tous  les  jours  aux  soldats ,  qui  y  etoient  en  petit 
nombre  ,  de  se  fournir  de  pain  dans  la  ville.  On 
ne  fit  rien  de  considerable  cette  carapagne  qui 
put  reparer  tant  de  pertes,  et  celle  que  Ton  fit 
de  Rocroy  diminua  beaucoup  la  joie  qu'on  eut 
de  la  prise  de  Montrond.  Sainte-Menebould, 
qui  fut  la  derniere  de  nos  conquetes ,  ne  put  pas- 
ser pour  un  gain  considerable ,  apres  tous  les 
malheurs  qui  nous  etoient  arrives  ;  mais  ce  qui 
nous  consola  fut  qu'etant  vaincus  dans  les  pays 
etrangers ,  nous  etions  victorieux  dans  le  notre. 
[1654]  Le  Roi  etaut  rentre  dans  Paris,  tout 
le  peuple  temoigna  une  joie  extraordinaire  de 
revoir  Sa  Majeste.  On  croiroit  que  le  cardinal 
avoit  beaucoup  de  bonne  volonte  pour  moi , 
apres  I'exactitude  avec  laquelle  il  envoyoit  sa- 
voir de  mes  nouvelles,  ou  se  donnoit  la  peine  de 
venir  lui-meme  dans  le  temps  de  ma  maladie. 
J'avoue  que  c'est  le  jugementque  j'en  fis  ;  mais 
je  m'apercus  bientot  que  je  m'etois  trompe ,  son 
dessein  ayant  toujours  ete  de  me  perdre  et  de 
me  deshonorer.  II  me  fit  proposer,  sous  le  spe- 
cieux  pretexte  de  retablir  ma  sante,  de  me  ser- 
vir d'un  nomme  Silhon  (1)  pour  faire  les  de- 
peches  du  Roi  sous  mes  ordres,  et  s'etant  per- 
suade que  je  m^  iaisserois  surprendre  a  cet  arti- 
fice ,  il  declara  la  chose  comme  resolue,  Silhon 
en  recevoit  des  complimens  de  beaucoup  de 
monde.  La  chose"  etant  venue  a  ma  connois- 
sance, je  disqueje  n'y  consentirois  jamais.  Le 
Tellier  ayant  voulu  m'en  faire  I'ouverture ,  je 
lui  repondis  d'une  manicre  que  le  cardinal  put 
connoitre  qu'il  falloit  me  faire  plus  de  mal  ou 
me  laisser  eu  repos ,  et  que  je  mettrois  le  tout 
pour  le  tout ,  plutot  que  de  souffrir  qu'on  don- 
nat  la  moindre  atteinte  aux  droits  de  ma  charge 


vragc  intiHile  :  Edaircisscmens  de  quelques  difficultcs 
touchanli'administration  du  cardinal  Mazarin.SW- 
lion  rnourul  en  1C(»7.  (A.  E.) 


-1 


DEIIXIEMK    PABTTK.     |  ni54 


1. 17 


et  a  raon  honneiir.  Ce  n'est  pas  que  je  n'eusse 

■  beaucoup  de  peine  a  me  donner  garde  de  tout 

'  ce  que  ce  premier  ministre  entreprenoit  contre 

moi ;  mais  la  raison  demandoit  que  je  dissimu- 

lasse  avec  lui ,  parce  que  Son  Eminence  avoit 

toute  la  confiance  du  maitre  et  tout  le  pouvoir 

I  de  I'autorite royale.  J'eus,quelques  jours apres, 

I  une  ficvre  tierce  qui  ne  servit  qu'a  retablir  par- 

faitement  ma  sante. 

[  Leurs  Majestes  ayant  passe  I'hiver  a  Paris, 
on  se  prepara  pour  entrer  en  campagne  au  prin- 
temps.  On  disposa  tout  pour  le  sacre  du  Roi ,  et 
I'onfit  pressentir  le  due  d'Orlcans  pour  savoir 
s'il  s'y  trouveroit ;  mais  il  ne  repondit  pas  posi- 
tivement ,  et  il  ne  put  si  bien  dissimuler  qu'on 
ne  s'aperci'itqu'il  s'en  vouloit  excuser.  Le  prince 
deConti,  qui  avoit  epouse  une  niece  du  cardinal, 
ne  jugea  pas  devoir  sy  trouver,  ni  altendre  que 
cette  ceremonie  tut  achevee  pour  aller  servir  au 
lieu  qui  lui  etoit  destine.  Ainsi  le  Roi  n'eut  a  son 
sacre  de  princes  de  son  sang  que  Monsieur,  son 
frere  unique ,  et  M.  de  Vendome,  qui ,  a  la  ve- 
rite  ,  etoit  sorti  de  sa  maison  ,  mais  qui ,  n'en 
pouvant  pretendre  ni  le  rang  ni  les  avantages  , 
ne  laissa  pas  d'occuper  la  seconde  place.  Entre 
les  pairs,  le  due  d'Elboeuf  eut  la  troisieme,  le 
due  de  Candale  la  quatrieme  ,  et  les  dues  de 
Roannes  et  Bournonville  les  deux  dernieres. 
Lorsqu'il  n'y  avoit  que  six  pairs  de  France ,  les 
rois  en  etoient  servis  aux  actions  solennelles. 
II  y  avoit  bien  plus  de  pairs  au  temps  du  sacre 
de  notre  monarque ;  mais  comme  il  n'y  en  as- 
sistapasunnombre  suffisant,  il  fallut  remplacer 
ceux  qui  manquoient  par  des  seigneurs  dont  la 
fortune  seroit  parfaite  s'ils  pouvoientetre  eleves 
a  la  meme  dignite.  Le  commandement  de  I'ar- 
mee  fut  donne  aux  marechaux  de  Turenne  et 
de  LaFerte ;  et  pendant  qu'elle  s'assembloit ,  le 
Roi  vint  a  Sedan,  oil  Ton  resolut  le  siege  de 
Stenay  sous  les  ordres  de  Fabert.  Le  cardinal , 
se  souvenant  des  services  qu'il  lui  avoit  rendus, 
songea  a  I'elever  et  a  recompenser  sou  raerite 
et  sa  valeur.  Le  prince  de  Conde  ayant  de- 
mande  aux  Espagnols  de  ne  le  point  abandonner 
dans  cette  rencontre,  il  se  trouva  tant  de  diffi- 
cultes  a  le  secourir,  que  ce  prince ,  jugeant  bien 
qu'il  lui  seroit  impossible  de  les  surmonter,  leur 
fit  une  proposition  bien  bardie  :  c'etoit  de  faire 
le  siege  d'Arras.  «  Si  je  le  prends  ,  leur  dit-il, 
vous  y  gagnerez  et  moi  aussi  avec  usure ,  etant 
dans  vos  interets  et  ne  m'en  voulant  pas  deta- 
cher. >'  Le  siege  etant  forme ,  les  marechaux  de 


(1)  Nous  avons  doniK"  dans  iinlrc  (Edition  do  Rplz  ' 
'  page  435,  note  1  ),  la  leure  du  Roi  au  Pape  au  sujei  Of 
la  sonic  de  Vinceiincs  du  cardinal  de  Retz ,  et  le  Mc- 


Turenne  et  de  La  Ferte  eurent  ordre  de  faire 
I'impossible  pour  le  faire  lever.  Le  Tellier  fut 
envoye  a  Peronne  pour  diligenter  les  choses 
dont  ils  pourroient  avoir  besoin  ;  et  le  bonheur 
du  Roi  fut  si  grand  en  cette  rencontre,  qu'ils  en 
vinrent  a  bout  avec  tres-peu  de  forces.  Sa  Ma- 
jeste,  pour  encourager  son  armee,  se  rendit  a 
Peronne,  ou  elle  recut  I'agreable  nouvelle  qu'elle 
avoit  force  les  ennemis  dans  leurs  lignes ;  et  vou- 
lant voir  la  viile  d'Arras  qu'elle  avoit  delivree, 
le  Roi  y  alia ,  et  revint  ensuite  a  Peronne,  ou  il 
apprit  que  le  cardinal  de  Retz  s'etoit  sauve  du 
chateau  de  Nantes  oil  il  etoit  prisonnier  sur  sa 
parole.  Nous  I'etions  alle  trouver,  le  nonce  et 
moi,  I'annee  d'auparavant,  pour  le  disposer  a 
renoncer  a  I'archeveche  de  Paris,  moyennant 
une  grande  recompense  (l)  que  nous  lui  offrimes 
et  qu'il  ne  voulut  point  accepter.  De  quoi  s'etant 
repenti  toutde  bon  ou  en  apparence,  il  souhaita 
que  le  marechal  de  La  Meilleraye  fiit  charge  de 
sa  personne ,  jusques  a  ce  que  le  Pape  eiit  ac- 
cepte  la  resignation  qu'il  feroit.  Le  marechal  y 
avoit  de  la  repugnance;  mais  etant  presse  par  sa 
femme ,  dont  le  frere  avoit  epouse  une  cadette 
de  la  maison  de  Retz,  et  etant  d'ailleurs  prie 
par  le  cardinal  de  le  faire,  il  se  laissa  persua- 
der, apres  avoir  tire  parole  du  Roi  qu'il  pour- 
roit  donner  toute  liberte  au  prisonnier,  excepte 
celle  de  sortir  de  sa  prison,  et  du  cardinal  de 
Retz  qu'il   ne  feroit  rien  qui  put  I'obliger  a  le 
maltraiter.  Peut-etre  que  si  Sa  Majeste  avoit 
des  alors  nomme  quelqu'un  a  I'archeveche  de 
Paris,  le  cardinal  eiit  ete  trop  heureux  d'ac- 
cepter  la  recompense  dont  on  etoit  convenu. 
Mais  etant  averti  que  le  Pape  ne  vouloit  depu- 
ter  personne  pour  gouverner  le  diocese  pendant 
son  absence  ,   faisant   serablant  d'ailleurs    de 
croire  qu'on  le  vouloit  resserrer,  et  craignant 
que  les  incommodites  du  marechal  de  La  Meil- 
raye  ne  donnassent  lieu  a  le  transferer  dans  une 
autre  prison ,  il  ne  songea  uniquement  qu'aux 
moyens  de  pouvoir  se  mettre  en  liberte.  Je  n'au- 
rois  jamais  parle  de  cette  affaire,  parce  que  je 
n'y  eus  aucune  part ,  si  ce  n'etoit  par  la  raison 
que  ce  fut  a  moi  que  le  cardinal  de  Retz  depecha 
un  gentilhomme  pour  me  prierde  faire  entendre 
au  Roi  que  la  seule  necessite  d'assurer  sa  vie  et 
de  se  mettre  a  convert  de  ses  ennemis  I'avoit 
oblige  a  prendre  la  resolution  qu'il  avoit  execu- 
tee;  mais  qu'en  quelque  endroit  qu'il  fut,  Sa  Ma- 
jeste auroit  en  lui  un  fideie  serviteur,  et  quiam- 
bitionneroit  toute  sa  vie  I'honneur  de  ses  bonnes 


moire,  rddige  par  Biienne  et  adresse  au  cardinal  d'Est, 
des  graces  accordees  par  le  Roi  au  cardinal  de  Rclz. 


to. 


I  iS 


MBMOIOES    DU    COMTE    DK    BRIEIVXE 


graces  ,  etant  assure  que  si  le  Roi  \enoit  a  con- 
noitre  son  innocence ,  il  le  protegeroit  contre  la 
persecution  de  sesennemis,  qui ,  pour  le  rendre 
odieux  ,  avoient  prevenu  Sa  Majeste.  Je  dis  au 
gentiihomme  que  je  le  trouvois  bien  hardi  de 
s'etre  charge  d'une  pareille  commission  sans  sa- 
voir  auparavant  si  le  Roi  Tauroit  agreable,  et 
d'etre  venu  a  la  cour  de  la  part  d'un  sujet  re- 
belle,  duquel  Sa  Majeste  avoitde  justesraisons 
de  se  plaindre;  que  j'allois  lui  rendre  compte 
de  ce  qu'il  m'avoit  dit;  qn'ensuite  je  lui  fe- 
rois  savoir  la  volonte  du  Roi ,  et  ce  qu'il  y  au- 
roit  a  faire.  Je  rapportai  au  cardinal  Mazarin 
ce  qui  etoit  venu  a  ma  connoissance.  II  balanca 
pour  savoir  s'il  devoit  faire  arreter  ce  gentii- 
homme ;  mais  je  m'y  opposai  en  lui  disant  : 
<.  Qu'a-t-il  fait  que  ce  que  vous  pourriez  desirer 
qu'il  fit,  qui  est  de  vous  avoir  eclairci  des  rai- 
sons  que  le  cardinal  de  Retz  veut  publier  dans 
le  monde  pour  se  justifier  ?  Sa  conduite  vous 
donnera  assez  de  prise  sur  lui,  car  il  n'y  a  au- 
cuue  apparence  qu'il  reste  dans  le  royaume;  et 
je  ne  vols  point  qu'il  y  ait  d'autre  reponse  a  lui 
faire,  sinon  une  forte  reprimande  au  gentii- 
homme, en  lui  disant  que  le  cardinal  de  Retz, 
ayant  manque  a  ce  qu'il  doit  au  Roi ,  pouvoit 
bien  aussi  manquer  de  parole  au  marechal  de 
La  Meilleraye. »  J'ecrivis  a  Rome  la  conduite  du 
cardinal  de  Retz  ,  et  nous  juge^mes  qu'il  passe- 
roit  en  Espagne ,  comme  il  le  fit  en  effet ;  et  cela 
donna  lieu  de  le  blamer  de  plus  en  plus. 

On  manda  avec  un  soin  extraordinaire  en 
Angleterre  I'avantage   que  les  arraees  du  Roi 
avoient  remporte,  afm  de  detourner  le  protec- 
teur  Olivier  Cromwel  de  faire  alliance    avec 
I'Espagne  (I),  comme  il  en  etoit  recherche.  Et 
comme  nous  en  eumes  connoissance ,  aussi  bien 
que  des  dispositions  deson  esprit  et  de  sa  nation, 
nous  le  recherchames  de  notre  cote.  La  com- 
mission en  fut  donnee  a  Bourdeaux.  II  y  reus- 
sit;  mais  il  nous  engagea  a  ne  point  contraindre 
les  Anglois  a  decharger  leurs  canons  et  leurs 
armes  a  Blaye  en  remontant  la  Garonne.  Quoi- 
qu'ils  eussent  ete  decharges  de  cette  condition 
par  un  traite  del'annee  1610,  nous  ne  laissions 
pas  d'en  etre  toujours  en  possession ,  et  de  nous 
prevalolr  de  cet  avantage  pour  reduire  sous  I'o- 
beissance  du  Roi  la  ville  de  Bordeaux ,  qui  etoit 
toujours  dans  le  parti  des  revoltes,  nonobstant 
le  pardon  qui  lui  avoit  ete  accorde  deja  pour  le 
meme  sujet.  L'armee  de  terre  fut  coramandee 

(1)  Le  prince  de  Conde  enlretenail  aussi  a  cettc 
mcme  <5poquc  dc  grandes  relations  avec  Ic  Prolccteiir. 
etil  en  obtiiil  quelqucs  secours  pour  son  parli. 

(2)  Le  cardinal  dc  Retz  repousse  cette  impulalinn 
dans  ses  Mfiinoires.  (A.  E.) 


par  Ic  due  de  Candale,  celle  de  mer  par  M.  de 
Vendome;  et  le  bonheur  de  la  France  fit  qu'elles 
reussirentdansleur  entreprise,etque  la  province 
de  Guienne  et  sa  capitale,  qui  croyoient  faire 
la  loi,  la  recurent :  cequi  contribua  beaucoup 
au   retablissement  de  I'autorite  royale.  Leurs 
Majestes  revinrent  de  Peronne  a  Paris ,  et  re- 
tournerent  ensuite  a  La  Fere  ou  elles  passerent 
tout  le  reste  de  la  belle  saison,  l'armee  du  Roi  ' 
ayant  sejourne  dans  le  pays  des  ennemis,  pour 
leur  faire  sentir  les  incommodites  de  la  guerre. 
On  cut  avis  alors  que  le  cardinal  de  Retz  ,  ayant 
debarque  en  Espagne  et  recu  de  I'argent  du  Roi 
Catholique  (2),  s'eloit  eufin  rendu  a  Rome.  Ses 
revenus  furent  mis  sous  la  main  du  Roi ,  qui 
pretendoit  avec  justice  que  la  regale  de  I'arche- 
veche  de  Paris  lui  appartenoit,  parce  que  cette 
Eminence  ne  lui  avoit  pas  fait  le  serment  de 
fidelite  qu'elle  lui  devoit ,  et  sans  lequel  elle 
ne  pouvoit  jouir  du  temporel ,  et  pourvoir  aux  ; 
benefices  qui  etoient  vacans.  II  se  fit  un  grand 
nombre  d'ecrits ,  tant  pour  etablir  le  droit  du 
cardinal  de  Retz  que  pour  le  detruire.  II  y  vou- 
lut  embarrasser  les  consciences,  en  etablissant 
des  vicaires-generaux  qui  devoient,  sous  son 
autorite,  gouverner  I'eglise  de  Paris.  On  fit  en- 
tendre au  Papequ'on  ne  le  souffriroit  pas ;  mais 
enfin,  par  un  accommodement,  le  cardinal  fut 
reconnu  archeveque,  et  Sa  Majeste  eut  le  choix 
de  ceux  qu'il    presenta  pour  gouverner  a  sa 
place  (3).  11  n'y  eut  rlen  de  nouveau  pendant 
I'hiver  :  cependant  le  credit  du  cardinal  Maza- 
rin augmentoit  toujours,  quoique  le  Roi  avan- 
cat  en  age.  Les  graces  dependoient  du  premier 
ministre,  a  qui  tout  le  monde  faisoit  la  cour;  et 
grand  nombre  de  gens ,  qui  n'osoient  pas  bla- 
mer ouvertement  la  conduite  de  Son  Eminence, 
ne  laissoient  pas  de  le  faire  dans  leur  coeur. 
Comme  on  se  disoit  deja  qu'il  etoit  temps  de 
songer  a  marier  le  Roi ,  le  cardinal ,  qui  n'osoit 
contraindre  les  voeux  publics,  les  eludoit  en  de- 
mandant quelle  princesse  on  devoit  choisir.  II 
proposa  d'abord  celle  de  Savoie ,  dont  on  fit  voir 
le  portrait,  mais  si  desagreable  qu'il  la  rendoit 
odieuse.  On  en  fit  voir  des  princesses  de  Parrae 
et  de  Modene ,  qui  ne  servirent  qu'a  leur  don- 
ner  I'exclusion.  L'embonpoint  qu'elles  avoient 
pouvoit  les  rendre  steriles  a  I'age  de  vingt  ans. 
Son  Eminence  ne  laissoit  pas  de  souffrir  que  le 
monarque  fit  plusieurs  galanteries  a  I'une  de  ses 
nieces ,  disant  pourtant  qu'il  ne  consentiroit  ja- 

(3)  Dans  notre  Complement  de  la  vie  du  cardinal  de 
Retz,  nous  avons  donn6 ,  d'apres  les  documents  origi- 
ginaux  ,  tous  les  faits  qui  se  rapportcnt  a  cette  ^poquc 
de  la  vie  de  Retz,  et  a  ses  intrigues  pendant  son  s^jour 
a  Rome  ,  durant  les  ann<5es  suivanjes. 


UEIJMIiME    PAKTIE.    [  I  Cio] 


J4» 


maisqu'il  I'epouscit;  mais,  quelquecreanceque 
la  Reiiie  pdt  en  ce  que  le  cardinal  lui  disoit , 
elle  ne  laissoit  pas  d'en  avoir  de  Tinquietude.  II 
me  souvient  que  ce  premier  ministre  me  faisant 
voir  un  jour  les  deux  portraits  qui  lui  avoient 
ete  euvoyes  des  princesses  de  Parrae  et  de  Mo- 
dcne  ,  il  lui  echappa  de  me  dire  que  ce  qui  les 
excluoit  de  parvenir  a  de  grandes  fortunes  etoit 
detretrop grasses.  Jeluirepondis :«  Je  Tavoue. » 
Mais  nion  intention  etant  de  lui  oter  la  pensee 
de  nous  donner  pour  Reine  une  de  ses  nieces , 
je  lui  ajoutai  qu'un  mauvais  mariage  causoit 
beaucoup  de  desordres ,  et  que  celui  qui  avoit 
ete  contracte  par  les  Farnezes  avec  une  Aldo- 
brandine  etoit  un  grand  obstacle  a  la  fortune  des 
princesses  qui  en  etoient  issues.  Quant  a  celle 
de  Savoie ,  il  n'eut  jamais  la  pensee  de  la  faire 
epouser  au  Roi ;  car,  bieu  qu'il  Cut  partial  de 
cette  maisou,  ne  I'etant  que  pour  les  pulnes  , 
Madame  Royale  ne  pouvoit  se  resoudre  a  les 
elever  si  haut.  Je  le  disois  quelquefois  a  la 
Reine  en  lui  ajoutant :  «  Priez  Dieu ,  Madame , 
pour  la  paix  ,  et,  en  exaucant  Votre  Majeste  , 
il  lui  donnera  pour  belle-lille  une  niece.  »  Plus 
la  chose  paroissoit  eloignee  au  sentiment  des 
autres  ,  et  plus  j'eu  etois  persuade  :  non  que  je 
crusse  le  cardinal  capable  de  reconnoitre  les 
obligations  qu'il  avoit  a  la  Reine,  mais  parce 
qu'il  comprendroit  qu'on  ne  pouvoit  faire  de 
mariage  qui  fut  plus  avantageux.  Celui  du  Roi 
avec  la  princesse  de  Savoie  avoit  ses  difficultes, 
en  ce  que  ce  monarque  n'avoit  pas  encore  at- 
teint  I'age  prescrit  par  les  canons  de  I'Eglise 
pour  avoir  la  disposition  de  sapersonne.  C'etoit 
un  obstacle  pour  la  niece  de  Mazarin,  a  qui  je 
ne  manquai  pas  de  dire  dans  les  occasions  : « Un 
roi  majeur  a  le  gouvernement  de  son  Etat,  mais 
non  pas  la  liberte  de  disposer  de  lui-merae,  les 
lois  de  I'Eglise  y  etant  entiereraent  contraires  ; 
car,  quand  il  seroit  marie  au  prejudice  de  ses 
canons ,  ils  sont  en  sa  faveur  pour  rompre  un 
mariage  qui  ne  pourroit  etre  approuve  ni  de 
♦Dieu  ni  des  hommes.  »  Je  faisois  mal  ma  cour; 
mais  je  me  satisfaisois  moi-meme  de  telle  ma- 
uiere  que  je  meprisois  des  choses  que  je  devois 
craindre ,  pour  faire  naitre  dans  I'esprit  du  car- 
dinal plusieurs  soupcons  qui  favorisoient  le  des- 
sein  de  la  Reine ,  et  qui  ont  pu  contribuer  au 
bonheur  dont  nous  jouissons  presentement. 

[1655]  La  Barde  ne  cessoit  point  de  travailler 
au  renouvellement  de  I'alliance  avec  les  Suisses. 
S'il  eut  ete  aide  d'une  somme  d'argent  conside- 


(1)  Les  fragments  inddils  que  Ton  a  trouvf^s  ci-dessus. 
Indiquent  aunioins  a  quelle  ^poque  le  cardinal  Mazarin 
fit  de  tres-hurables  instances  pour  arriver  a  ce  traite  ,  et 


rable  ,  il  eut  pu  y  disposer  les  cantons.  Quand 
on  pressoit  le  cardinal  de  le  faire,  il  demandoit 
quel  en  seroit  le  fruit;  mais  ,  quand  il  avoit  be- 
soin  de  recrues ,  il  louoit  I'ambassadeur  du  Roi 
de  I'application  avec  laquelle  il  travailloit  a 
cette  affaire.  Un  jour  qu'il  m"en  parloit ,  je  lui 
dis  que  le  sentiment  de  plusieurs  de  nos  rois  et 
de  leurs  ministres  avoit  ete  d'attacher  a  la  France 
cette  nation ,  qui  en  beaucoup  d'occasions  avoit 
rendu  de  tres-grands  services  ;  que  quand  elle 
en  avoit  ete  detachee  ,  on  s'en  etoit  toujours 
tres-maltrouve.  «Cequi  etoit  bon  alors ,  repon- 
dit  Son  Eminence ,  ne  serviroit  de  rien  presen- 
tement ;  car,  quand  les  Suisses  se  retireroient , 
nous  avons  des  hommes  qui  les  valent  bien.  » II 
entendoit  parler  des  Allemands  et  des  Italiens. 
«  Les  Suisses,  lui  repliquai-je ,  ont  tant  rem- 
porte  de  victoires  sur  les  premiers ,  qu'il  est 
aise  de  juger  que  leur  nation  doit  etre  preferee 
a  ceux  qui  n'ont  pu  leur  resislerqu'en  etant  sou- 
tenus  par  cette  meme  nation.  »  Mon  discours 
trop  libre  ne  plaisoit  point  au  cardinal ;  mais 
j'eusse  trahi  ma  conscience  et  fait  tort  a  ma  re- 
putation si,  comme  bien  d'autres,  je  n'avois 
songe  qu'a  acquerir  son  amitie  par  ma  complai- 
sance. J'encourageois  souvent  La  Barde ,  con- 
tre  le  sentiment  de  Son  Eminence ,  a  continuer 
ses  soins  ,  et  quelquefois  j'engageois  Mazarin  a 
faire  de  meme.  Si  cette  affaire  eut  pu  reussir 
sans  donner  aucun  argent,  il  I'auroit  desireeau- 
tant  que  je  I'eusse  fait  moi-meme  ;  mais  il  re- 
gardoit  les  tresors  du  Roi  comme  lui  apparte- 
nant ,  et  il  ne  pouvoit  se  resoudre  a  les  depenser, 
quelque  avantage  qu'on  en  put  retirer.  En  effet, 
le  cardinal,  pour  en  avoir  ete  trop  bonmenager, 
a  fait  perdre  a  la  France  la  Catalogue.  Les  Es- 
pagnols  ont  surpris  Casal  parson  avarice;  Dun- 
kerque  est  demeure  aux  Anglois,  aides  de  nos 
propres  forces.  II  n'importe  pas  de  dire  en  quelle 
annee  nous  nous  joignimes  a  Cromwel  (1); 
mais  c'est  une  belle  chose  a  savoir  que  ce  qui 
nous  y  necessita ,  et  les  conventions  que  nous 
fimes  avec  lui.  Les  Espagnols  lui  offrirent  une 
armee  pour  reprendre  Calais ,  pourvu  qu'il  nous 
voulut  declarer  la  guerre ,  et  s'engager  de  ne 
faire  ni  paix  ni  treve  avec  nous  qu'ils  n'y  fus- 
sent  compris.  Nous  en  avions  la  preuve,  etnous 
craignions  avec  raison  la  liaison  de  ces  deux  na- 
tions ;  mais  pour  I'empecher,  nous  proposames 
aux  Anglois  de  les  aider  a  prendre  Dunkerque, 
pourvu  qu'ils  favorisassent  nos  vues  sur  Grave- 
lines.  Nous  nous  prevalumes  du  desir  de  cette 

quelles  humiliations  Ion  eut  a  supporter  de  la  part  An 
Protecteur,  puisque  i'on  fut  plusieurs  fois  oblige  de 
rappeler  les  n^gociateurs  francais. 


150 


MEMOIBES    DU    COMTE    1)E    BRlE^iNE 


nation  d'avoir  un  pied  dans  les  Indes ,  et ,  lui 
faisunt  voir  la  facilite  qu'elie  avoit  d'3'  reussir, 
nous  lui  fimes  oubiier  I'etroite  amitie  dans  la- 
quelle  eile  avoit  vecu  avec  les  Espagnols.  Nous 
insinuames  que  I'esperance  d'un  bon  commerce 
ne  devoit  pas  empecher  les  Anglois  de  songer  a 
se  rendre  raaitres  des  richesses  des  Indes  occi- 
dentales.  Ce  qui  fut  represente  a  Cromwel  tit 
impression  sur  son  esprit,  d'autant  plus  qu'il 
voyoitbien  que  si  les  Anglois  n'etoient  occupes, 
ils  auroient  peine  a  souffrir  I'autorite  qu'il  pre- 
noit  sur  eux ;  car  il  avoit  deja  oublie  qu'ils  n'e- 
toient a  lui  que  sur  I'esperance  qu'il  leur  avoit 
donnee  d'eriger  I'Ang'eterre  en  republique,  Mais 
il  n'en  avoit  plus  la  pensee,  et  vouloit  elever  sa 
puissance  beaucoup  au-dela  de  celle  des  rois.  Je 
fus  I'un  des  commissaires  qui  traiterent  avec 
son  ambassadeur.  Nous  convlnmes  de  quel  nom- 
bred'hommes  il  nous  aideroit,  combien  il  nous 
donneroit  de  navires  pour  prendre  Gravelines, 
et  de  quelles  forces  nous  aiderions  les  siennes 
pour  prendre  Dunkerque.  II  y  avoit  de  pluscela 
de  particulier  dans  le.traite  que ,  si  la  premiere 
de  ces  places  etoit  prise  avant  la  seconde ,  elle 
leur  seroit  laissee  en  depot  jusqu'a  ce  que  nous 
leur  eussions  remis  celle  qui  leur  devoit  rester. 
Nous  eumes  soin  d'assurer  le  libre  exercice  de 
la  religion  catholique  aux  bourgeois  de  cette 
ville  qui  y  voudroient  derneurer,  et  nous  primes, 
dans  les  trois  traites  que  nous  fimes  avec  les 
Anglois ,  toutes  les  precautions  necessaires  pour 
n'etre  pas  trompes  par  eux ;  car  ils  ne  vont  pas 
toujours  droit  dans  leurs  traites  :  ils  se  reser- 
vent  d'y  cliercher  quelque  interpretation  qui 
soit  a  leur  avantage,  suivant  le  genie  de  leurs 
ancetres  normands ,  et  font  quelquefois  peu  de 
scrupule  de  tromper  ceux  qui  negocient  avec 
eux.  Ce  fut  a  trois  differentes  fois  qu'on  s'ac- 
commoda  avec  ces  insulaires;  mais,  etant  inu- 
tile d'en  marquer  le  temps  (l) ,  j'ai  mieux  aime 
dire  de  suite  ce  que  je  savois  de  ces  affaires. 

J'ai  deja  fait  voir  le  genie  du  cardinal  et  son 
avarice ,  en  parlant  de  la  negociation  des  Suis- 
ses;  mais  je  n'ai  rien  dit  de  la  haine  qu'il  portoit 
a  notre  nation  et  aux  avantages  de  la  France  ; 
e'estceque  je  demontrerai  clairement.  II  bia- 
raoit  souvent  nos  rois  de  I'alliance  qu'ils  avoient 
contractee  avec  les  Suisses ,  autant  que  s'ils 
I'eussent  faite  avec  les  Turcs ;  et ,  pour  tourner 
ces  monarques  en  ridicule,  il  me  dit  un  jour: 
«  Les  vieux  politiques  sont  inexcusables  de  s'e- 
treportes  a  ces  deux  alliances;  j'en  suis  surpris, 


(1)  Cc  Irait^  est  dc  rannce  16.V).  Lo  dernier  ^diteur 
en  avail  confondu  la  date  avec  celle  dc  la  mort  du  Pro- 
tecleur,  arrivde  en  1658. 


etje  n'en  comprends  pas  la  raison;  mais  je  suis 
un  politique  moderne  qui  censure  volontiers  ce 
qu'ont  fait  ceux  qui  m'ont  precede.  »  Comme  il 
m'adressoit  la  parole  en  presence  de  plusieurs  1 
autres  qui  etoient  dans  la  chambre ,  je  me  trou- 
vai  oblige  de  lui  repondre  ainsi : «  Je  veux  croire 
que  si  les  vieux  politiques  dont  la  conduite  vous 
paroit  si  ridicule  etoient  encore  en  vie,  ils  pour- 
roient  etre  du  sentiment  de  Votre  Eminence , 
et  qu'ils  oublieroient  que  les  Francois  ,  avec  le 
secours  des  Suisses,  conquirent  le  Milanois, 
mais  qu'ils  le  perdirent  faute  d'avoir  conserve 
leur  amitie ;  que  lorsque  Francois  V^  fut  attaque 
par  I'empereur  Charles-Quint,  dont  les  interets 
etoient  favorises  du  Pape ,  des  princes  d'ltalie 
et  du  roi  d'Angleterre  Henri  VIIl ,  des  que  la 
flotte  Ottomane  parut ,  le  Pape ,  I'Empereur  et 
les  autres  princes  lui  demanderent  la  paix , 
dans  laquelle  Sa  Majeste  Britannique  fut  bien 
heureuse  d'etre  comprise.  »  Le  cardinal ,  me  te- 
moignant  dans  une  autre  occasion  son  aversion 
pour  la  France,  m'accusoitde  loner  toujours  la 
conduite  du  roi  Henri-le-Grand,  qui  a  su  con-  | 
server  la  monarchic  dans  sa  maison  par  sa  va- 
leur,  sa  bonte  et  sa  generosite.  Je  lui  repondis  :  ' 
•<  C'etoit  un  grand  roi ,  craint  et  aime  de  ses 
voisins,  qui  n'etoit  point  gouverne.  II  avoitjj 
donne  a  mon  pere  et  a  moi  toutes  les  marques 
de  sa  bienveillance.  »  Le  cardinal  fut  etonne  de 
ma  liberie,  et  j'avoue  queje  ne  le  fus  pas  moins 
de  son  emporteraent. 

Les  Portugais,  qui  avoient  fait  connoitre,  des 
I'annee  precedente,  qu'ils  n'etoient  pas  capables 
de  prendre  un  parti  qui  leur  tut  avantageux , 
renvoyerent  les  deux  secretaires  de  leur  am- 
bassadeur, qui  continua  de  donner  des  marques 
de  leur  foiblesse ,  en  disant  au  Roi  que  les  deux  ! 
secretaires  avoient  apporte  de  I'argent,  et  qu'il 
etoit  pret  a  nous  le  reniettre,  pourvu  qu'il  fut 
employe  contre  I'ennemicommun,  et  qu'on  don- 
nat  des  assurances  qu'on  ne  traiteroit  jamais 
sans  Sa  Majeste  Portugaise.  Sur  ce  que  I'ambas- 
sadeur  de  ce  monarque  me  demandoit  une  chose 
qu'il  disoit  avoir  deja  ete  accordee  par  le  feu  Roi, 
je  lui  dis  d'en  representer  Tacte.  II  s'offrit  a  cela, 
et  crut  y  satisfaire  en  nous  faisant  voir  une  ha- 
rangue que  le  conseil  supreme  avoit  faite  au  Roi 
sonraaitre,  par  laquelle  il  paroissoit  que  Sa 
Majeste Tres-Chretienne  I'exhortoit  a  soutenir 
ses  justes  droits  et  lui  offroit  ses  troupes  pour 
s'y  maintenir,  a  condition  qu'on  feroit  aupara- 
vant  un  traite  qui  regleroit  ce  que  chacun  des 
Rois  auroit  a  faire,  et  que  celui  de  Portugal  de- 
puteroit  a  Sa  Majeste  Tres-Chretienne  ;  a  quoi 
ayant  satisfait,  sans  que  le  traite  cut  ete  regie  , 
j'en  concluois  ({ue  nous  n'etions  engages  k  au- 


DEL'XIEME    PARTIE.    [l(i56j 


.  cune  chose ,  et  les  personnes  de  bon  sens  etoient 
du  meme  sentiment.  Pour  faire  voir  neanmoins 
a  I'ambassadeur  de  Portugal  que  le  Roi  etoit 
dans  le  dessein  d'assister  Sa  Majeste  Portugaise, 
I  je  lui  dis  :  «  Puisque  vous  avez  de  I'argent,  ai- 
;  dez-nous-en ,  et  je  vous  donnerai  toutes  les  as- 
:  surances  que  vous  pourrez  desirer  pour  le  ravoir, 
si  votre  raaitre  ne  veut  point  souscrire  a  un  trai- 
te  que  je  vous  signerai.  »  Je  me  reduisois  meme 
a  ne  reeevoir  que  cinquante  miile  ecus.  Mais 
I'ambassadeur,  qui  savoit  bien  qu'ils  n'etoient 
point  a  La  Rocheile,  mais  seuieraent  des  sucres 
^qu'il  avoit  ordre  de  vendre,  s'en  defendit,  et 
j'en  conclus  que  le  roi  de  Portugal  seroit  tou- 
jours  un  ami  assure,  pourvu  que  nos  affaires 
prosperassent ,  et  qu'on  fiit  dans  le  dessein  de 
I'assister;  mais  qu'il  ne  feroit  jamais  rien  qui 
fut  a  I'avantage  de  la  France  ,  ni  meme  de  ses 
propres  interets,  qu'on  voyoit  bien  qu'il  necon- 
noissoit  pas.  Get  ambassadeur  me  demandoit 
souvent  pour  quelle  raison  on  avoit  donne  des 
sommes  immenses  aux  Suedois,  aux  Hollandois 
et  au  landgrave  de  Hesse,  et  qu'on  demandoit 
au  contraire  de  I'argent  aux  Portugais.  Je  n'eus 
pas  de  peine  a  lui  repondre  qu'ils  agissoient 
tous  pour  la  cause  commune  ,  au  lieu  que  le  Roi 
son  maitre  deraeuroit  sans  action ,  sur  ce  qu'il 
etoit  persuade  qu'il  lui  etoit  bien  permis  de  re- 
couvrer  ce  qui  lui  appartenoit;  mais  qu'il  ne 
pouvoit ,  sans  commettre  un  crime  enorme,  en- 
vahir  le  bien  d'autrui.  Qu'ainsi  il  n'avoit  d'au- 
tre  dessein  que  de  defendre  le  sien  propre,  bien 
eioigne  de  faire  des  conquetes  sur  ses  ennemis. 
«  Mais,  ajoutai-je,  il  est  aise  de  comprendre  que 
Sa  Majeste  Portugaise  n'a  point  de  moyen  plus 
sur,  pour  recouvrer  ce  qui  lui  appartient ,  que 
de  se  trouver  en  etat  de  rendre  des  places  et  des 
provinces  au  roi  d'Espagne.  » 

Peu  de  jours  avant  que  les  secretaires  de  cet 
ambassadeur  fussent  de  retour,  j'avois  dit  a  la 
Reine  que  mon  second  ills  ayant  I'age  requis  par 
les  canons  pour  posseder  des  benefices ,  je  se- 
rois  bien  aise  qu'il  fut  pourvu  d'une  abbaye;  et 
Sa  Majeste  m'ayant  assure  qu'elle  s'y  emploie- 
roit  voiontiers,  je  suivis  le  conseil  qu'on  me 
donna  d'en  parler  a  Le  Tellier,  afin  qu'il  en  fit 
ouverture  au  cardinal.  Le  Tellier  s'en  chargea 
avec  plaisir.  II  est  bon  de  remarquer  ici  qu'il 
me  dit,  pour  me  faire  voir  qu'il  ne  i'avoit  pas 
oublie  ,  que  le  cardinal  avouoit  que  le  Roi  et  la 
Reine  me  devoient  beaucoup  ,  et  que  j'etois  en 
droit  d'esperer  les  graces  qui  dependroient  de 
la  liberalite  de  Leurs  Majestes ;  mais  que  ,  pour 
lui,  il  ne  se  croyoit  pas  oblige  de  recompenser 
les  services  que  je  leur  avois  rendus.  Cela  fait 
assez  connoitre  quel  etoit  son  genie  et  souaveu- 


fof 

glement,  temoignant  par  ce  discours  qu'il  re- 
gardoit  la  nomination  des  benefices  comme  un 
droit  qui  lui  etoit  absolument  acquis.  Je  repon- 
disa  M.  Le  Tellier  que,  quoique  j'eusse  meprise 
les  richesses,  etque  meme  bien  loin  d'en  amas- 
ser,  je  me  fusse  endette  de  sommes  considera- 
bles ,  je  ne  laisserois  pas  de  faire  un  fort  beau 
present  au  cardinal ,  s'il  voulolt  signer  ou  faire 
iraprimer  ce  qui  m'avoit  ete  dit  de  sa  part ,  par- 
ce  que  je  me  trouvois  ainsi  dans  une  grande  ele- 
vation ,  puisque,  de  I'aveu  de  Son  Eminence, 
je  pouvois  pretendre  aux  graces  qui  dependoient 
du  Roi,  et  que  Sa  Majeste  ne  pourroit  me  les 
refuser  sans  injustice.  Trois  abbayes  etant  ve- 
nues a  vaquer  alors  par  la  mort  de  M.  de  ChS- 
teauueuf ,  le  Roi  en  donna  une  a  mon  fils,  et 
agrea  mon  remerciment ,  qui  parut  un  crime  a 
plusieurs  courtisans.  Mais  je  me  conduisis  en 
cette  rencontre  comme  j'avois  fait  en  toutes  les 
autres  ,  c'est-a-dire  queje  reconnus  ne  devoir 
les  graces  qu'a  ceux  de  qui  elles  dependoient. 

La  fin  de  cette  annee  et  le  commencement 
de  la  suivante  (1556),  se  passerent  a  Paris  com- 
me les  precedentes.  On  y  parla  de  la  paix,  dont 
I'ou  n'avoit  point  d'envie,  et  Ton  ne  songea 
qu'aux  moyens  de  s'opposer  aux  ennemis.  On 
eut  de  frequentes  conferences  avec  M.  de  Tu- 
renne.  On  permit  tout  au  marechal  de  La  Fer- 
te ,  pourvu  qu'il  promit  des  troupes,  et  quoi- 
qu'on  maltraitat  les  vieilles  compagnies,  on  exi- 
gea  pourtant  de  leurs  capitaines  de  les  rendre 
completes.  lis  eurent  beau  remontrer  que  cela 
leur  etoit  absolument  impossible  :  on  leur  re- 
procba  que  d'autres  faisoient  mieux  leur  devoir 
qu'eux,  sans  considerer  que  ceux-ci  etoient  bien 
autrement  traites.  On  resolut  le  siege  de  Cam- 
brai ,  et,  pour  en  oter  la  connoissance  aux  en- 
nemis, le  Roi  s'avanca  en  Picardie  et  obtint  des 
Anglois  que  leurs  troupes  seroient  employees  a 
ce  qui  seroit  trouve  de  plus  avantageux.  La  re- 
volte  de  la  garnison  d'Hesdin ,  qui  etoit  un  ob- 
stacle pour  attaquerles  places  maritimes,  fit  que 
les  Anglois  y  consenlirent.  Les  ennemis,  qui  ne 
prevoyoient  pas  ce  qui  s'etoit  concerte  entre 
eux,  avoient  prls  un  soin  tout  particulier  de  les 
munir  ,  et  tellement  degarni  les  autres  places  , 
que  ,  sans  un  malheur  extraordinaire,  Cambrai 
attaque  eut  ete  vraisemblablement  pris.  Les 
troupes  du  Roi  I'investirent.  M.  le  prince ,  qui 
se  trouvoit  a  la  tete  des  siennes  qu'il  amenoit 
pour  former  un  corps  du  cote  de  la  mer,  sachant 
les  postes  occupes  par  les  notres ,  et  le  mauvais 
etat  de  la  ville  de  Cambrai,  resolut  de  la  secou. 
rir  :  ce  qui  lui  reussit ,  et  fit  jugera  M.  de  Tu- 
renneque  le  siege  ne  pouvoit  etre  continue.  Les 
Anglois  s'en  plaignirent :  on  s'excusa  le  mieux 


153 


JIEMOir.HS    Dll   COMTE    DE    P.BIEMVE 


qu'on  put.  Le  boa  traitenieiit  qu  on  tit  i\  leurs 
troupes  les  contenta  en  quelque  facon.  Tout  le 
inonde  sait  aussi  de  quelle  maniere  nous  fumes 
forces  de  lever  le  siege  de  Valenciennes  :  ainsi 
je  n'en  dirai  rien.  Le  cardinal ,  pour  epargner 
une  depense  de  cent  mille  ecus  ,  fut  cause  de 
I'affrontque  nous  y  recumes;  car  nous  I'eussions 
evite  si  le  pont  et  la  chaussee,  qui  donuoient 
communication  d'un  quartier  a  I'autre,  eussent 
ete  teis  qu'on  y  eiit  pu  marcher  en  bataille.  La 
facilite  de  s'entre-secourir  eut  pu  empecher  les 
Espagnols  denous  forcer  dans  nos  lignes.  M.  de 
Turenne,battu  par  les  ennemis,  ne  perdlt point 
courage,  II  maintint  son  arraee  en  discipline  , 
empecha  quece  raalheur  ne  fut  suivi  d'un  autre, 
et,  avant  qu'elle  fut  en  ([uartier  d'hiver,  reprit 
La  Capelle  dont  les  ennemis  s'etoient  empares. 
Monsieur,  qui  avoit  ete  long-temps  sans  \enir 
a  la  cour,  croyant  que  I'occasion  s'en  presentoit, 
et  qu'il  en  devoit  profiter,  fit  agreer  son  voyage 
au  Roi  par  I'entremise  du  cardinal,  et  vint  a  La 
Fere  rendre  ses  devoirs  a  Sa  Majeste.  Lescour- 
tisans  lui  parlerent ,  les  uns  selon  leurs  verita- 
bles  sentimens ,  et  les  autres  suivant  ceux  du 
ministre.  II  y  en  eut  qui  lui  conseillerent  de 
s'en  retourner  le  plus  tot  qu'il  pourroit :  a  quoi  il 
paroissoit  assez  dispose.  Mais  il  s'en  trouva  aus- 
si, du  norabredesquels  j'etois,  quifurent  d'avis 
qu'il  ne  precipitat  rien ;  mais  que  s'il  s'y  croyoit 
oblige,  parce  qu'il  s'etoit  declare  qu'il  ne  venoit 
a  la  cour  que  pen  de  jours,  il  se  conservat  nean- 
moins  la  liberte  d'y  venir  quand  il  voudroit , 
sans  en  demander  la  permission.  II  nous  le  pro- 
mit ,  et  n'en  fit  rien;  et ,  quoiqu'il  fiit  dans  les 
bonnes  graces  du  Roi,  il  passa  le  reste  desavie 
comme  s'il  eut  ete  en  exil.  Sa  deference  pour  le 
cardinal  augmentoit  le  credit  d'un  ministre 
odieux  aux  gens  de  bien  ,  et  diminuoit  de  telle 
maniere  la  dignite  de  lanaissance  de  Monsieur, 
que  beaucoup  de  personnes  neconnoissoientplus 
de  difference  entre  un  fils  de  France  etun  par- 
ticulier.  Ce  prince  commenca  de  souhaiter  le 
mariage  de  la  fille  ainee  de  son  second  lit  avec 
le  Roi;  mais  il  n'osoit  se  declarer,  parce  qu'on 
croyoit  que  le  cardinal  ambitionnoitcet  honneur 
pour  une  de  ses  nieces.  II  est  bien  vrai  que 
Monsieur- n'eut  pas  d'abord  trouve  la  Reine  fa- 
vorable a  son  dessein  ;  mais  elle  s'y  seroit  por- 
tee  dans  la  suite,  tant  elle  craignoit  que  le  Roi 
ne  s'amourachat  de  la  demoiselle  Olympe, niece 
de  cette  Eminence  ,  non  pas  tant  par  sa  beaute 
que  par  la  familiarite  dans  laquelle  il  vivoit  avec 
elle.  La  Reine  ne  pouvant  s'empeeher  de  m'en 
marquer  son  chagrin  ,  je  pris  la  liberte  de  lui 
dire  qu'il  falloit  qu'elle  ne  fit  semblant  de  rien, 
ou  qu'elle  temoignat  au  cardinal  qu'elle  seroit 


obligee  de  rompreavec  lui;  mais  Sa  Majeste  ne  1 
put  s'y  resoudre,  et  espera  du  temps  le  remede  i 
au  mal  qu'elle  craignoit.  ' 

[Les  affaires  du  cardinal  de  Retz  ,  qui  n'a- 
voient  cesse  d'attirer  notre  attention  a  Rome 
depuis  I'evasion  de  cette  Eminence,  devinrent 
encore  plus  desavantageusespour  nous  pendant  ' 
cette meme  annee,  et  mirent  M.  de  Lionne  dans 
un  grand  embarras.  La  Roeheposet  m'avoit  in- 
forme,  .lu  commencement  de  I'annee,  de  la  po- 
sition de  notre  ambassadeur  a  I'egard  du  Pape, 
par  la  depeche  suivante  : 

«  Je  ne  scais  siVotre  Excellence  est  satisfaicte 
de  la  continuation  de  mes  soings ,  mais  ce  doute 
n'empechera  pas  que  je  luy  donne  toujoui'S  avis 
de  ce  qui  viendra  a  ma  connoissance  et  qui  me 
paroitra  regarder  ce  service.  Le  Pape  se  moque 
ouvertement  de  M.  de  Lionne;  il  y  a  quinze 
jours  qu'il  lui  refuse  audience;  et  sur  I'affaire 
de  M.  le  cardinal  de  Retz,  on  lui  fait  faire  le 
plus  estrange  personnage  du  monde ;  car,  pour 
I'amuser,  les  choses  qu'on  lui  accorde  tirent  tel- 
lement  de  longueur  que  c'est  une  pitie.  Quoi- 
qu'il y  ait  plus  de  dix  ou  douze  jours  que  M.  le 
cardinal  de  Retz  ait  envoye,  par  un  courrier  ex- 
pres  ,  sa  commission  pour  les  grands-vicaires,  t 
M.  de  Lionne  n'en  a  rien  sceu;  et  pour  preuve  ' 
de  cela,  il  a  mande  a  la  cour  qu'il  n'ecri- 
voit  pas  au  long  parce  qu'il  se  reservoit  de  le 
faire  par  un  courrier  extraordinaire  qu'il  des- 
pecheroit  au  premier  jour  ,  pour  porter  la  com- 
mission du  grand-vicaire  que  M.  le  cardinal  de 
Retz  a  choisy ,  laquelle  on  luy  fait  esperer,  et 
qu'il  nescait  point  encore  estre  partye.  LePape 
dit  qu'il  voudroit  bien  qu'on  pent  travailler  au 
proces  de  M.  le  cardinal  de  Retz ,  mais  que  c'est 
une  chose  impossible,  parce  que  leRoy  ne  vou- 
dra  pas  recevoir  dcs  commissaires  italiens  et 
qu'il  n'en  veut  pas  nommer  de  francois.  II  est 
meme  a  craindre  que  la  chose  se  passant,  I'in- 
tention  de  ce  coste  icy  ne  soit  pas  fort  bonne 
pour  son  Eminence  ,  car  je  scay  d'un  cardinal 
de  mes  amis,  que  le  Pape  croitqu'en  travaillant 
au  proces  du  cardinal  de  Retz,  ledit  cardinal 
donnera,  sous  pretextede  se  justifier,  des  repli- 
ques  si  furieuses  et  fera  des  demandes  si  extra- 
vagantes  sur  le  sujet  de  son  Eminence  ,  que  cela 
ne  produira  qu'un  embarras  fascheux.  >• 

Rient6t  apres  Lionne  lui-meme  rendit  corapte 
de  sa  position  par  un  memoire  special ,  et  dont 
voici  les  termes  : 

«  Le  concert  du  Pape  avec  M.  le  cardinal  de 
Retz ,  dans  I'envoy  que  celuy^cy  a  fait  secrete- 
ment  de  la  deputation  dun  vicaire ,  est  mainte- 


nant  justifiee  aussi  claire  que  le  jour ,  quelque 
protestation  que  Sa  Saintete  continue  a  faire 
qu'il  n'a  rien  sceu  de  la  chose  que  iorsque  Ton 
a  adverti.  II  y  a  mesme  la  dedans  une  particula- 
rlte  qui  me  /ait  juger  qu'il  n'y  a  pas  eu  seule- 
ment  une  simple  condescendance  de  la  part  du 
Pape,  que  le  cardinal  en  usa  comme  il  a  fait, 
pour  avoir  lieu  de  meriter  envers  le  Roy  par  sa 
promptitude  (ce  qui  a  ete  son  excuse) ,  et  dis- 
poser, s'il  lui  est  possible,  les  choses  a  I'accom- 
modement  de  ses  affaires ;  mais  qu'il  y  peut  avoir 
eu  de  la  malice  pour  nous  embarrasser  :  car  je 
trouve  qu'au  lieu  d'adresser  la  commission  a  ses 
amys,pourla  presenter  au  Roy,  comme  le  Pape 
me  I'avoit  fait  dire  par  monseigneiir  Rispigliosi , 
il  est  plus  vraysemblable  qu'il  J'ait  adressee  a 
J'asserablee  metiie  du  clerge  ,  pour  se  la  rendre 
favorable  et  meriter  envers  elle  plustot  qu  en- 
vers le  Roy  :  et  Dieu  veuille  qu'il  n'y  ait  encore 
quelqu'autre  piece  notable  la  dedans ,  dont  ils 
ne  s'expliquent  pas  icy,  capable  de  jeter  la  dis- 
corde  entre  le  Roy  et  I'assemblee. 

"  II  se  voit  maintenant  pour  quelle  raison  le 
Pape  fut  huit  jours  entiers  a  me  refuser  I'au- 
dience ,  et  que  les  pretextes  mandiez  et  les 
plaintes  tirees  paries  cheveux,  dont  ilse  servit, 
ne  furent  qu'une  couleur  pour  donner  temps  a 
cette  commission  d'approcher  de  Paris ,  sans 
etre  oblige  de  me  le  descouvrir  icy  :  qui  est  une 
conduite  inexcusable ,  dont  mesme  je  ne  com- 
prends  pas  la  raison;  elle  se  verra  mieux  de  dela, 
par  la  raaniere  avec  laquelle  la  chose  aura  ete 
portee. 

»  II  importe  aussi  de  scavoir  une  particularite 
dont  M.  de  Valeran  m'a  adverti,  qui  est  que,  de- 
puis  qu'il  a  I'employ  de  maistre  des  courriers, 
il  n'a  jamais  veu  le  paquet  du  palais  exceder  la 
grosseur  de  deux  doigts  au  plus ;  cependant  ce- 
lui  qu'on  luy  envoya  la  semaine  passee,  et  qui  a 
este  porte  par  I'ordinaire  que  j'ay  fait  courir, 
avoit  I'epaisseur  deplusdedouze  doigts;  dont  on 
peut  juger  que  les  depeches  du  cardinal  de  Retz 
alloient  sous  cette  enveloppe.  Ledit  sieur  Vale- 
ran  m'a  aussi  adverti  que  le  Pape  n'adresse  pas 
directement  ses  depesches  a  M.  le  nonce,  mais 
qu'il  leur  fait  faire  une  pose  a  Lyon  ,  entre  les 
mains  d'un  nomme,... ,  qui  peut-etre  les  adresse 
aussi  a  un  autre ,  marchand  a  Paris,  » 

Le  pere  Duneau  nous  informoit  aussi  pres- 
qu'en  meme  temps  du  malheurde  M.de  Lionne; 

«  II  ne  se  peut  dire  combien  M.  de  Lionne  est 
mortifie  de  ce  que  le  cardinal  de  Retz  a  envoye 
a  son  insceu  la  commission  pour  un  grand-vi- 
caire,  car  le  beau  est  que,  plus  de  quinze  jours 
apres  cet  envoy,  il  ne  lescavoit  pas,etsollicitoit 


DEUXIEMF,    PARTIE.    [1656]  153 

I'expedition  avec  empressement  et  avec  des  de- 
mandes  qui  ne  plaisoicnt  pas  au  Pape  ,  et  quel- 
ques-uns  estiment  qu'il  le  faisoit  sans  ordre.  II 
void  bien  que  le  Pape  et  le  cardinal  de  Retz  I'ont 
joue.  II  a  este  trois  semaines  a  vouloir  tons  les 
jours  faire  partir  un  extraordinaire  pour  porter 
ce  qui  etoit  deja  envoye  :  ce  qui  etoit  cause 
qu'il  n'ecrivoit  presque  point  par  les  ordinaires. 
Enfln  lePape  lui  envoie  dire  par  I'abbe  Salvetti, 
raardi  au  soir,  que  le  cardinal  de  Retz  avoit  en- 
voye commission ,  et  I'abbe  lui  ajouta  que  Sa 
Saintete  n'en  avoit  rien  sceu :  ce  qui  neanmoins 
n'est  pas  veritable ,  parce  que  le  pere  Sforzame 
I'avoit  dit  plus  de  dix  jours  auparavant  et  ne  le 
pouvoit  scavoir  que  du  Pape.  A  ce  propos  de 
M.  de  Lionne,  je  vous  diray  confidemment  qu'il 
est  dans  un  grand  mepris,  non  seulement  au- 
pres  des  Francois  de  condition  qui  sont  icy, 
mais,  ce  qui  est  bien  pis,  des  ministres  du  Pape 
et  de  Sa  Saintete  meme,  qui  en  a  parle  en 
termesdepeu  d'estime,  rappelanty?,scrt/e  espia 
per  il  negotio  de  cardinal di  Retz,  disant  qu'il 
ne  vouloit  point  traitter  de  la  paix  avecun/5- 
cale  e  una  spia  ;  et  a  moy-meme  Sa  Saintete 
m'en  fit  plainte  en  la  derniere  audience  que 
j'eus  :  de  sorte  que  Votre  Excellence  rendroitun 
bon  service  a  la  France  si  elle  persuadoit  a  M.  le 
cardinal  Mazarin  d'envoyer  icy  bientot  un  am- 
bassadeur,  le  Pape  temoignant  le  desirer  beau- 
coup.  » 

Enfin  quelque  temps  apres,  M.  de  Lionne  lui- 
meme,  compienant  sa  position,  nous  en  rendit 
compte  dans  un  grand  memoire  se  resumant  en 
trois  points  :  I'un  d'aller  son  chemin  sans  faire 
semblant  des'apercevoirde  I'intention  duPape; 
I'autre  de  le  rappeler  sans  en  expliquer  les  mo- 
tifs, et  le  troisieme  dc  lui  ordonner  de  ne  deraan- 
der  plus  de  graces  pour  les  particuliers.  La 
chose  ayant  ete  deliberee  ,  on  resolut  de  le  rap- 
peler, et  je  lui  enenvoyai  I'ordre,  contenu  dans 
une  lettre  du  Roi ,  dont  suit  la  teneur  : 

«  Monsieur  de  Lionne ,  voyant  que  votre 
sejour  a  Rome  ne  sert  qu'a  augmenter  de  plus 
en  plus  les  mauvais  traitteraens  que  je  recois, 
tant  en  votre  personne  que  dans  mes  affaires , 
et  qu'a  la  fin  le  procede  du  Pape  pourroit  m'o- 
bliger  de  rompre  la  bonne  intelligence  que  je 
veux  ,  autant  qu'il  me  sera  possible,  conserver 
avec  Sa  Saintete,  j'ai  resolu  de  vous  envoyer  cet 
expres  charge  de  cette  lettre ,  que  je  vous  ecris 
pour  vous  dire  que  vous  ayez ,  aussitot  que  \ous 
I'aurez  receue  ,  a  vous  mettre  en  chemin  pour 
vous  rendre  incessamment  pres  ma  personne , 
sans  vous  arreter  que  le  temps  necessaire  pour 
prendre  conge  de  Sa  Saintete ,  avec  laquelle  je 


134 


MEMOIRES    DU    COMTE    DR    ERIEN!\E 


lie  veux  pas  que  vous  entriez  en  aucune  matiere ; 
mais  vous  verrez  ce  que  j'ecris  a  mon  cousin  le 
cardinal  Bicclii,  qui  sans  doute  le  fera  savoirau 
Pape ;  et  vous  cousulterez  avec  luy  quels  de  ces 
cardinaux  vous  devez  visiter,  et  generallement 
toutes  les  autres  choses  qui  seront  a  faire  pour 
mon  service;  apres  quoy  je  m'asseure  que  vous 
serez  bien  aise  d'aprendre  la  satisfaction  qui 
me  reste  de  ceux  que  vous  m'avez  rendusde- 
puis  vostre  depart  de  ma  cour,  et  j'avoue  que 
votre  conduite  a  ete  telle,  qu'elle  me  fait  de- 
sirer  avec  impatience  votre  retour  pres  de  moy, 
aflin  que  je  vous  employe  a  des  affaires  qui  fe- 
ront  connoistre  a  tout  le  monde  la  parfaite  con- 
fiance  que  j'ay  en  vous;  sur  quoi  je  prie  Dieu 
qu'il  vous  ayt ,  Monsieur  de  Lionne ,  en  sa 
sainte  garde.  » 

Le  meme  courrier  portoit  au  cardinal  Bicchi 
lesordresdu  Roi  pour  suivreses  affaires  en  cour 
de  Rome,,  par  une  lettre  que  je  redigeai  ainsi : 

«  Mon  cousin ,  voyant  que  la  continuation  des 
raauvais  traitemens  que  Ton  me  fait  a  Rome , 
jusques  a  me  refuser  justice  contre  un  cardinal 
mon  suject ,  apres  avoir  tant  de  fois  promis  po- 
sitivement  a  vous ,  au  sieur  de  Lionne ,  conseil- 
ler  ordinaire  en  mes  conseils,  commandeur- 
prevost  et  maltre  des  ceremonies  denosordres, 
et  mon  ambassadeur  extraordinaire  vers  les 
princes  d'ltalle,  etant  charge  de  mes  affaires 
a  Rome ,  qu'elle  me  seroit  rendue ,  pourroit  a  la 
fin  porter  les  choses  a  de  facheuses  extremites 
que  je  desire  eviter  autant  qu'il  me  sera  possible, 
j'ai  juge  a  propos  de  rappeler  aupres  de  moy  le- 
dit sieur  de  Lionne,  affin  d'empecher  au  moins 
que  le  mepris  continuel  dont  on  use  envers  ce 
mien  ministre ,  venant  a  eclater  davantage, 
ne  me  contraigne ,  malgre  moy,  a  rompre  la 
bonne  intelligence  que  j'ay  tousjours  souhaite 
passionnement  d'entretenir  avec  Sa  Saintete. 
La  conduite  que  j'ay  tenue  a  son  egard  durant 
le  conclave  et  depuis ,  vous  est  assez  cogneue 
pour  n'avoir  pas  besoin  de  vous  en  rien  dire ; 
vous  scavez  si  elle  me  donnoit  lieu  d'attendre  , 
non  seulement  justice  ,  mais  aussi  toutes  sortes 
de  demonstrations  d'amitie  de  la  part  du  Pape; 
et  s'il  me  pouvoit  tomber  dans  I'esprit  qu'un  de 
mes  subjets  ,  notoirement  criminel  envers  I'E- 
glise  et  envers  moy,  se  trouvant  assez  insolent 
pour  faire  vanite  de  metenir  tete,  rencontreroit 
un  asile  aupres  de  Sa  Saintete ;  mais  il  vaut 
mieux  n'en  plus  parler,  affin  d'epargner  au 
Pape  I'importunite  de  mes  poursuites,  eta  moy 
le  chagrin  de  tant  de  refusen  une  cause  si  juste, 
esperant  que  pour  cela  les  crimes  dudit  cardi- 
nal nc  demeureront  pas  impunis ;  aussy  bien 


mes  sollicitationsseroient  fort  inutiles  contre  un 
homme,  lequel  (a  ce  qu'il  dit  partout  et  qu'il 
a  mande  luy-meme  icy)  possede  entierement 
I'esprit  du  Pape ,  et  est  aupres  de  Sa  Saintete  le 
directeur  de  toutes  les  affaires  qui  regardent 
cette  couronne,  se  vantant  que  les  mauvais  trai- 
temens que  j'ay  recus  a  Rome  en  la  personne 
du  sieur  de  Lionne  et  dans  les  autres  choses  , 
sont  des  effets  de  ses  conseils ;  et  qu'enfin  il  a 
eu  le  credit  de  persuader  au  Pape  que  c'est  la 
conduite  qu'il  faut  tenir  pour  tirer  de  moi  tout 
ce  qu'il  voudra,  et  particulierement  en  faveur 
dudit  cardinal.  C'est  un  grand  malheur  que 
Notre  Saint-Pere  le  Pape  n'ait  pu  se  defendre 
des  artiffices  et  suggestions  d'un  homme  si  uni- 
versellement  decrie;  et  Dieu  veuille  que  cette 
conduite  ne  soit  point  fatale  au  public ,  et  que 
Sa  Saintete  meme  ne  s'en  apercoive  pas  trop 
tard.  Pour  moy,  quoi  qu'il  arrive,  je  conser- 
veray,  etc.  » ] 

[1657]  Le  Roi  alia  une  seconde  fois  a  Sedan ; 
et,  pendant  lesejour  qu'il  y  fit,  Montmedi  fut 
attaque  etpris.  Ce  monarque  en  partit  pourse 
rendre  a  Metz ,  et  ne  fut  visite  que  du  seul  prince 
de  Deux-Ponts.  Le  sujet  de  ce  voyage  etoit  pour 
appuyer  la  negociation  dont  on  avoit  charge  le 
marechal  de  Gramont  et  Lionne,  pour  empe- 
cher  que  les  electeurs  ne  concourussent  a  elever 
a  la  dignite  imperiale  le  fils  de  I'Empereur  de- 
cede  depuis  pen;  mais  leur  voj'age  fut  inutile, et 
ils  ne  firent  que  depenser  beaucoup  d'argent 
mal  a  propos.  Apres  s'etre  flattes  de  pouvoir 
reussir  dans  leur  dessein  ,  ils  deraanderentqu'on 
limitat  la  puissance  dunouvel  Empereur  par  des 
capitulations ,  et  ils  crurent  avoir  beaucoup  fait 
d'avoir  seconde  les  intentions  des  princes  de  I'Em- 
pire.  Le  cardinal  et  Servien  etoient ,  aussi  bien 
qu'eux ,  persuades  qu'ils  engageroient  I'electeur 
de  Baviere  a  demauder  la  couronne  imperiale; 
que  s'ils  n'y  pouvoient  reussir ,  ils  y  porteroient 
le  due  de  Neubourg;  et  que  si  I'election  de  I'un 
ou  de  I'autre  de  ces  deux  princes  etoit  traversee, 
ils  pourroient  faire  naitre  aux  Allemands  I'envie 
de  la  deferer  au  Roi.  Ces  trois  pensees  parois- 
soienttout-a-fait  ridicules  a  ceux  qui  ontquelque 
connoissance  de  I'etat  des  choses ;  car,  suppose 
que  les  Allemands  se  fussent  lasses  d'etre  gou- 
vernes  par  un  prince  de  leur  nation ,  il  n'y  avoit 
pas  d'apparence  qu'ils  eussent  prefere  le  Roi, 
dont  la  puissance  pouvoit  faire  craindre  qu'il  ne 
donnat  atteinte  a  leur  liberie,  et  n'empietatsur 
leurs  souverainetes.  C'estce  qu'ils  devoient  moins 
craindre  de  I'archiduc ,  parceque ,  bien  qu'il  put 
etreaidedeSa  Mtijeste  Catholique,  I'eloigne- 
ment  de  ces  deux  princes  rendoit  leurs  forces 


DEtXIEME     PABTIK.    [l657-o8] 


moins  redoutables  que  celles  de  la  France ,  qui 
confine  a  I'Empire.  Le  peu  d'ambitiou  qu'avoit 
fait  paroitre  I'electeur  de  Baviere  depuis  la  mort 
de  son  pere ,  la  situation  de  ses  Etats  enclaves 
dans  les  pays  hereditaires ,  le  menae  conseil  (1) 
dentil  continuoit  toujours  aseservir;  toutes 
ces  raisons  ,  dis-je ,  faisoient  juger  que  cet  elec- 
teur  ne  songeoit  pas  a  s'elever  a  I'Erapire.  Quant 
au  due  de  Neubourg ,  le  peu  de  moyens  qu'il 
avoit  pour  soutenir  cette  dignite ,  les  ennemis 
et  les  envieux  qu'il  avoit  dans  le  college  electo- 
ral ,  etoient  des  raisons  trop  fortes  pour  croire 
qu'il  y  put  jamais  reussir.  Le  cardinal  et  Ser- 
vien  n'oserent  engager  le  marechal  de  Gramont 
et  Lionne  a  proposer  le  Roi ,  et  se  contentoient 
de  montrer  I'envie  qu'ils  avoient  d'elever  le  due 
de  Neubourg  :  faisant  d'ailleurs  connoitre ,  et 
etant  obliges  de  convenir  que  I'electeur  de  Ba- 
viere se  trouvant  le  seul  prince  catholique  au- 
quel  on  put  donner  la  couronne  imperiaie,  elle 
lui  seroit  offerte  malgre  la  repugnance  qu'il  y 
avoit.  Je  leur  dis ,  un  jour  que  nous  en  parlions 
ensemble  :  «  Sur  quoi  fondez-vous  ce  raisonne- 
ment?  II  faut  que  vous  conveniez  que,  pour  faire 
reussir  votre  dessein ,  vous  avez  a  gagner  cinq 
des  electeurs,  au  lieu  que  I'archiduc  n'en  aura 
besoin  que  de  deux.  II  faut  que  vous  tombiez 
d'accord  que  le  due  de  Saxe  ne  se  detach  era  pas 
de  ses  interets;  que  I'archiduc  se  donnera  sa 
voix  en  qualite  de  roi  de  Boh^me.  Si  vous  avez 
i'electeur  de  Baviere ,  vous  perdrez  le  palatin  a 
cause  de  ses  Etats.  Si  vous  esperez  que  les  trois 
electeurs  ecclesiastiques  soient  de  meme  senti- 
ment ,  la  chose  pent  etre ;  mais  elle  est  bien  dif- 
ficile a  croire.  Presupposons  pourtant  que  nous 
les  aurons  gagnes ,  il  nous  faut  encore  une  cin- 
quieme  voix  :  quatre  ne  suffisent  pas  pour  faire 
unEmpereur,maisseulementunpartage.  II  faut 
done  conclureque  ,  sans  avoir  le  Brandebourg, 
tous  vos  projets  s'evanouiront ;  car  comment 
pouvez-vous  esperer  qu'il  soit  favorable  au  due 
de  Neubourg ,  qui  est  son  ennemi  capital ,  et 
avec  lequel  il  est  en  contestation  pour  la  succes- 
sion de  Julieis?  »  Servien  me repondit : « II  faut 
qu'il  s'assure  sur  la  parole  que  le  Roi  lui  don- 
nera de  se  rendre  mediateur ,  quand  Neubourg 
sera  declare  Empereur.  —  Je  doute ,  lui  dis-je, 
que  I'electeur  de  Brandebourg  prenuejamais  ce 
parti-la ,  un  homme  sage  ne  choisissant  point 
pour  I'ordinaire  son  ennemi  pour  etre  son  mai- 
tre.  —  Et  pourquoi ,  m'ajouta  Servien ,  I'elec- 
teur de  Baviere  ,  etant  soutenu  par  le  Roi ,  ne 
se  declareroit-il  pas  centre  I'archiduc?  —  Vous 

(1)  L'electeiir  de  Baviere  suivoil  aveugleinent  les  con- 
seils  du  comte  de  Curtz,  son  premier  ininislre.  (A.  E.) 


155 

voulez,  lui  rependis-je  en  riant,  que  les  princes 
traitent  entre  eux  sur  la  foi  desgentilshommes^ 
mais  les  personnes  prudentes  et  eclairees  veu  • 
lent  de  plus  grandes  assurances.  »  Lionne  fut 
donne  pour  cellegue  de  cette  celebre  ambassade 
au  marechal  de  Gramont.  II  I'accepta  avec  joie 
a  son  retour  d'Espagne,  ou  il  avoit  ete  enveye 
pour  trailer  la  paix.  II  nefut  pas  assez  heureux 
pour  la  conclure  avec  den  Louis  de  Hare ,  et  ne 
garda  pas  le  secret  qui  lui  avoit  ete  ordonne , 
puisqu'il  fut  connu  sur  la  frontiere ,  et  qu'on  sut 
ce  qui  Taraenoit  en  Espagne.  Un  gentilhorame 
de  ce  pays  ,  ayant  vu  signer  par  le  Roi  I'instruc- 
tion  dent  Lionne  etoit  charge  ,  fit  de  lui  a  don 
Louis  un  rapport  des  plus  avantageux ,  et  de  la 
consideration  dans  laquelle  il  etoit  a  la  cour  de 
France ;  mais  parce  que  ses  pouvoirs  n'etoient 
ni  scelles  ni  centresignes ,  cela  causa  de  la  me- 
fiance  a  don  Louis,  et  Ton  voulut,  pour  le  ras- 
surer,  que  je  signasse  lesreponsesqui  lui  I'urent 
faites  des  premieres  lettres  qu'il  avoit  ecrites  au 
Roi.  II  se  presenta  d'abord  une  difficulte  qui  fit 
echouer  cette  negoeiation.  Lionne  pretendit, 
aussi  bien  que  le  cardinal,  que  Sa  Majeste  Ca- 
tholique abandonnereit  le  prince  de  Coude ;  et 
don  Louis  dit  au  contraire  que  le  Roi  son  mai- 
tre  ne  vouleit  point  entendre  parlerde  paix  que 
ce  prince  ne  fut  retabli  dans  ses  biens  et  ses  di- 
gnites ,  sous  lesquelles  11  pretendoit  que  ses  gou- 
vernemens  devoient  etre  compris;  mais  c'est  de 
quoi  nous  ne  torabions  pas  d'accord ,  et  cela 
causa  dans  son  temps  de  nouvelles  difficultes. 
Cela  auroit  du  faire  entendre ,  au  cardinal  et  a 
ceux  qu'il  employoit,  letitre  de  droit  [de  ver- 
boruni  significatione ) ,  et  il  pouvoit  se  mieux 
instruire  qu'il  ne  I'a  ete,  que  plusieurs  noms  dif- 
ferens  signifient  une  meme  chose;  mais  que 
quand  en  se  sert  de  celui  qui  n'estpasen  usage  , 
cela  fait  naitre  des  difficultes  et  des  contesta- 
tions qu'on  a  bien  de  la  peine  a  surmonter. 
C'est  sur  quoi  je  m'etendrai  davantage  dans  la 
suite. 

[1658]  Ce  que  Lionne  fitde  plus  remarqua- 
ble  dans  sa  negoeiation,  fut  qu'il  refusa  un  pre- 
sent que  le  rei  d'Espagne  lui  voulut  faire.  II  lui 
eut  ete  aussi  glorieux  de  refuser  le  litre  d'Excel- 
lence  que  don  Louis  lui  donna  toujours ;  car  il 
eut  marque  sa  modestie,  et  ote  au  ministre  es- 
pagnol  tout  pretexte  de  se  railler  de  sa  vanite. 
L'esperance  de  voir  la  paix  conclue  entre  les 
deux  ceuronnes  etoit  entieremeut  perdue  ,  et  le 
cardinal  ne  se  flattoit  point  du  mariage  du  Roi 
avec  I'lufante.  II  voulut  alors  faire  croire  a  la 
Reine  et  a  toute  la  France  que ,  souhaitant  de  le 
voir  marie ,  il  n'avoit  plus  aucune  pensee  pour 
sa  niece.  Son  Eminence  proposa  a  Leurs  Majestes 


loG 


MKMOlKliS    DU    COMTE    UE    BKIEN^E 


le  voyage  de  Lyon  ,  et  a  Madame  Royale  de  Sa- 
voie  de  s'y  rendre.  Madame  Royale  temoigna 
de  la  repugnance  d'y  conduire  la  prineesse 
Marguerite  sa  fille.  On  lui  fit  savoir  que  la 
cour  iroit  a  Grenoble,  que  Madame  Royale 
se  rendroit  avec  la  prineesse  de  Savoie  dans  une 
ehapelle  de  devotion  situee  entre  cette  ville  et 
Chamberi ,  ou  Ic  Roi  la  verroit.  Mais  Fesperance 
que  raadame  de  Savoie  concut  de  la  grandeur 
desa  fille,  appuyee  sur  le  credit  du  cardinal, 
lui  fit  prendre  la  resolution  de  suivre  le  conseil 
qui  lui  avoit  ete  donne.  Elle  prit  le  parti  de  ve- 
iiir  a  Lyon ,  et  cela  sera  le  sujet  de  ce  que  je 
dirai  dans  la  suite, 

Le  Roi ,  qui  avoit  ete  dangereusement  malade 
a  Calais  ,  apres  que  Gravelines  eut  etepris,  et 
qui  avoit  aide  aux  Anglois  a  se  rendre  maitres 
de  Dunkerque  ,  glorieux  de  ce  que  son  armee 
avoit  defait  celle  des  Espagnols ,  apres  s'etre 
un  peu  retabli  a  Compiegne  et  a  Fontainebleau, 
et  avoir  fait  quelque  sejour  a  Paris,  en  partit 
pour  Lyon ,  et  prit  son  chemin  par  la  Bourgo- 
gne,  oil  ce  monarque  s'arreta  plus  qu'il  n'avoit 
resolu,  pour  mettrela  derniere  main  a  quelques 
affaires  dont  il  croyoit  tirer  de  grands  avanta- 
ges.  Je  ne  pus  suivre  Sa  Mnjeste ,  parce  que  je 
tombai  malade  d'une  fievre  continue  de  qua- 
torze  jours ,  accompagnee  de  foiblesse  et  d'au- 
tres  incommodites.  Enfin  les  cours  de  France  et 
de  Savoie  se  rendirent  a  Lyon  a  jours  un  peu 
differens.  Celle  de  France,  raisonnant  sur  lebon 
accueil  que  le  Roi  avoit  fait  a  M.  et  a  madame 
de  Savoie ,  et  sur  la  familiarite  avec  laquelle  il 
s'etoit  entretenu  avec  la  prineesse  Marguerite, 
crut  qu'elle  seroit  un  jour  reine  de  France.  Mon 
fils  entra  dans  le  sentiment  du  public,  et  me  le 
manda  en  diligence.  Je  lui  fls  reponse  que  je  ne 
croyois  point  la  chose ,  et  que  de  simples  appa- 
rences  ne  me  pouvoient  faire  changer  d'opinion 
sur  des  raisons  qui  etoient  sans  replique.  Le 
Roi  vecut  des  le  lendemain  avec  plus  de  retenue, 
par  le  conseil  du  cardinal.  Cela  se  rendit  public 
dans  Lyon,  et  qu'une  dame  de  qualite ,  passant 
d'Espagne  en  Italic,  y  etoit  arriveeavec  unEs- 
pagnol  qu'on  tenoit  cache  dans  un  monastere , 
pour  proposer  la  paix  et  le  mariage  du  Roi  avec 
rinfante.  Le  cardinal  en  fit  a  Madame  Royale 
une  confidencepeuagreable  pour  cette  prineesse; 
et,  en  admirantla  conduite  des  Espagnols,  11  dit 
que  leurs  conseils  etoient  profonds ,  mais  non 
pas  jusqu'a  pouvoir  surprendre  5  qu'il  ne  pou- 
voit ,  a  moins  que  d'offenser  la  Reine ,  renvoyer 
cet  Espagnol  sans  I'ecouter ;  mais  que  Madame 
Royale  devoit  etre  assuree  que  le  bien  de  la 
chretiente  seroit  seul  capable  de  faire  conclure 
quelque  chose  avec  lui.  Madame  Royale  demanda 


que  le  Roi  I'assurat  par  ^crit  qu'il  epouseroit  la 
prineesse  sa  fille.  Cela  fut  accorde,  mais  condi- 
tionne  de  maniere  que  Sa  Majeste  etoit  en  droit 
de  faire  ce  qu'elle  voudroit,  sans  que  la  maison 
de  Savoie  put  s'en  offenser.  On  promettoit  la 
chose,  pourvu  que  le  bien  de  Sa  Majeste,  la 
grandeur  de  son  Etat,  le  repos  de  sespeuples  et 
celui  de  la  chretiente  ne  i'obligeassent  point  a 
epouser  Tlnfante.  Le  Roi  continua  son  chemin, 
suivi  de  cet  Espagnol  qui  s'appeloit  Pimentel , 
qu'on  defraya  et  logea  chez  le  cardinal.  Apres 
qu'il  eut  montre  ses  pouvoirs ,  on  traita  avec  lui 
et  Ton  convint  d'une  suspension  d'armes  et  de 
plusieurs  articles  assez  importans;  mais  il  eluda 
de  conclure  celui  qui  paroissoit  le  plus  essen- 
liel :  c'etoit  le  retablissement  du  prince  de  Conde 
dans  toutes  ses  charges  ,  ou  son  exclusion  pour 
toujours.  Mazarin  tint  ferme  ,  et  voulut  absolu- 
ment  que  le  prince  en  fiit  prive ;  parce  que  sans 
cette  condition  le  Roi  n'entendroit  point  a  la 
paix  ,  quelque  avantage  qui  lui  en  revint.  Pi- 
mentel s'en  defendit,  sur  les  ordres  precis  qu'il 
avoit.  Enfin  Ton  proposa  un  mezzo  termine^  a 
la  maniere  des  Italiens  :  ce  fut  que  I'Espagnol 
consentiroit  que  cet  article  se  mit  dans  le  con- 
trattel  que  le  cardinal  le  proposoit ,  mais  qu'il 
ne  seroit  point  obligatoire  avant  qu'il  eut  ete  ap- 
prouve  par  le  roi  d'Espagne.  II  me  souvient  a 
propos  de  ceci  (et  cette  digression  ne  sera  pas 
ennuyeuse),  qu'un  tour  le  cardinal  nous  de- 
manda a  plusieurs  qui  etions  avec  lui ,  si  le  Roi, 
pour  avoir  la  paix  ,  devoit  rendre  le  gouverne- 
ment  de  Guienne  a  M,  le  prince.  A  cela  je  lui 
repoudis  que  non.  «  Ni  autre  chose,  me  dit- 
il  ?  —  Je  ne  vais  pas  si  avant,  lui  repliquai-je^ 
Entre  la  Guienne  et  rien,  il  y  a  bien  de  la  dif- 
ference. »  Metournant  ensuite  vers  le  marechal 
de  Yilleroy ,  je  lui  dis :  « La  Bourgogne  peut 
etre  rendue  sans  aucun  peril  pour  I'Etat ,  et  ce 
prince  ytrou  vera  la  siirete  qu'il  peut  desirer.  » 
Antoine  Pimentel  et  Mazarin  s'avancerent ;  et 
le  Roi  s'etant  mis  en  chemin  pour  suivre  celui- 
ci ,  il  en  recut  des  lettres  qui  lui  mandoient  de 
retarder  son  voyage  j^usqu'a  ce  que  celles  qu'ou 
attendoit. d'Espagne  fussent  arrivees.  Le  car- 
dinal les  ayant  recues  en  fit  part  a  Sa  Majeste, 
qui  continua  sa  marche.  Le  cardinal  ne  laissa 
pas  de  consentir  que  ses  nieces,  qui  etoient  a 
Brouage,  se  trouvassent  sur  son  passage.  De 
savoir  si  c'etoit  par  complaisance  pour  le  Roi  , 
ou  pour  faire  plaisir  a  celle  dont  on  croyoit  ce 
monarque  amoureux  ,  on  laisse  chacun  en  juger 
comme  il  voudra.  Mais,  quoi  que  m'ait  pu  dire 
cette  Eminence ,  si  le  mariage  de  Sa  Majeste 
eut  pu  se  faire  avec  sa  niece,  et  que  Son  Emi- 
nence y  eut  trouve  ses  suretes  ,  jl  est  certain 


DEIIXIEMB    PAHTIF..    [iCoO] 


qu'elle  lie  s'y  seroit  pas  opposee.  La  depeche 
d'Espagne  portoit  que  le  Roi  Catholique  se  de- 
sistoit  de  ce  qu'il  demandoit  en  faveiir  du  prince 
de  Conde  ,  se  chargeant  de  le  recompenser  des 
services  qu'il  lui  avoit  rendus.  On  croit  (et  j'ai 
ete  de  ce  meme  avis)  que  ce  prince  fut  de  celui 
de  tout  accorder  a  Mazarin ,  pourvu  qu'il  s'en- 
gageat  d'aller  aux  Pyrenees  traiter  avec  don 
Louis  de  Haro  ,  fonde  sur  un  raisonnement  tres- 
juste ,  que  qui  negocie  convient  qu'on  n'est  pas 
d'accord ,  et  qu'ainsi  ce  qui  semble  arrete  pou- 
vant  efre  encore  agite,  on  peut  faire  telles  ou- 
vertures  que  les  occasions  font  changer  de  re- 
solution. Le  prince  connoissoit  aussi  le  foible 
du  cardinal,  qui  ne  pouvoit  rien  refuser  a  qui- 
conque  le  flattoit ,  et  qui ,  etant  tres-timide  de 
son  naturel,  n'oseroit  se  montrer  a  la  cour  s'il 
manquoit  a  conclure  la  paix.  II  se  persuadoit 
encore  que  si  les  peuples,  qui  pouvoient  espe- 
rer  d'etre  appuj'es  du  credit  de  la  Reine ,  ve- 
noient  a  declamer  contre  lui ,  il  seroit  maudit 
et  blame  d'eux  et  des  gens  de  guerre ,  pour 
avoir  perdu  une  carapagne  dans  laquelle  on  au- 
roit  conquis  la  Flandre ,  et  donne  le  temps  au 
roi  d'Espagne  de  respirer,  et  de  s'assurer  d'un 
puissant  secoursdu  cote  d'Allemagne. 

[1659]  Dans  la  premiere  entrevue  du  cardi- 
nal et  de  don  Louis ,  Son  Eminence  fut  surprise 
du  rang  que  don  Louis  pretendoit  avoir  sur 
elle.  Pour  s'en  defendre  ,  le  cardinal  allegua  sa 
dignite  et  Tusage  introduit.  Don  Louis  soutint 
au  contraire  que  ce  n'etoit  point  avec  un  cardi- 
nal qu'il  avoit  a  negocier,  mais  avec  un  mi- 
nistre  du  roi  de  France.  Mazarin ,  ne  sachant 
ni  soutenir  sa  dignite'ni  celle  de  son  maitre, 
convint  de  I'egalite ,  qui  pouvoit  etre  contestee 
et  gardee ,  sans  pourtant  etre  reconnue  :  ce 
qu'on  n'a  pas  manque  de  nous  alleguer  depuis. 
Le  raariage  y  fut  arrete  (1)  avec  la  paix  ,  dont 
une  des  conditions  fut  que  le  Roi  retabliroit  le 
prince  de  Conde  en  ses  biens  ,  honneurs  ,  digni- 
tes  et  gouvernemens,  en  lui  donnant  celui  de 
Bourgogne  au  lieu  de  celui  de  Guienne.  Le  car- 
dinal Mazarin  dit,  pour  s'excuser  aupres  du 
Roi  et  du  public,  qu'il  avoit  eu  de  son  cote 
d'autres  avantages,  et  qu'il  n'avoit  qu'avance 
de  quelques  mois  ce  qu'on  ne  pouvoit  eviter  de 
faire  bientot.  J'en  conviendrai  avec  lui ,  pourvu 
que  ses  partisans  souffrent  qu'on  le  blame  d'im- 
prudence  de  s'etre  vante  souvent  qu'il  ne  le  fe- 
roit  jamais.  II  n'etoit  pas  etonnant  qu'un  prince 
du  sang  fut  prive  de  ses  charges  et  de  ses  biens, 


(1)  Le  traite  des  Pyr^ndcs  fut  conclu  le  7  novembrc 
1659,  apres  vingt-quatre  conf(5rences  enlre  le  cardinal 
Ma/arin  et  don  Louis  de  Haro.  (A.  E.^ 


IT)  7 

et  meme  sa  posterite  dechue  de  succeder  a  la 
couronne;  mais  la  declaration  faite  contre  les 
descendans  des  coupables  ne  pouvoit  pourtant 
etre  soutenue,  les  princes  du  sang  etant  appeles 
par  le  commun  consentement  des  Etats  du 
royaume.  S'ils  etoient  exclus,  il  faudroit  tirer 
la  consequence  qu'un  roi  auroit  la  liberte  de 
desheriter  son  fils ,  d'appeler  un  etranger  a 
la  couronne,  et  de  demembrer  les  provinces 
qui  la  coraposent  :  ce  qui  est  entierement  con- 
traire au  droit  francois.  Comme  il  restoit  en- 
core quelques  articles  a  regler,  le  cardinal  et 
don  Louis  convinrent  du  jour  qu'ils  devoient  se 
rassembler  sur  la  frontiere.  On  depecha  a  Col- 
bert un  courrier  charge  du  traite  et  du  contrat 
de  mariage  du  Roi  avec  I'lnfante,  avec  ordre 
de  me  rendre  les  pieces.  On  m'ordonna  d'empe- 
cher  qu'on  ne  les  lut,  et  de  ne  garder  le  cour- 
rier que  quatre  heures ,  en  le  faisant  partir  aus- 
sitot  que  j'aurois  fait  sceller  les  ratifications 
stipulees.  Je  dis  a  Colbert  qu'il  seroit  difficile 
d'empecher  le  chancelier  de  les  lire,  s'il  en 
avoit  la  curiosite;  mais  que  s'il  vouloit  venir 
avec  moi  chez  lui ,  il  seroit  temoin  de  la  dili- 
gence que  je  ferois  pour  m'y  opposer.  II  prit  ce 
parti ,  et  moi  celui  de  lire  les  articles  secrets 
que  je  fis  valoir  au  chancelier,  en  lui  disant  la 
necessite  qu'il  y  avoit  de  faire  partir  le  courrier  ; 
de  sorte  que ,  sans  perdre  de  temps ,  il  scella  ce 
queje  lui  presentai.  Comme  on  disoitque  le  Roi 
parloit  en  maitre  quand  il  se  relachoit  de  quel- 
que  chose  en  faveur  du  prince  de  Conde  ,  le 
chancelier  n'eut  de  curiosite  que  de  voir  ce  seul 
article.  Je  fis  envelopper  les  pieces  avec  un  gros 
carton,  et  je  mis  raon  cachet  sur  plusieurs  fi- 
celles  qui  le  serroient,  afin  que  si  le  courrier 
venoit  a  declarer  ce  qu'il  portoit,  et  faisoit  par 
la  naitre  I'envie  d'en  faii'e  lecture ,  on  la  perdit 
par  la  difficulte  qu'on  y  trouveroit.  Le  courrier 
fit  assez  de  diligence,  puisque  celui  a  qui  il  de- 
voit  remettre  son  paquet  fut  oblige  de  rester  sur 
la  frontiere  un  temps  considerable  ,  avant  que 
d'Espagne  on  s'y  rendit  pour  lui  remettre  le 
traite ,  les  articles  et  le  contrat  de  mariage ,  ra- 
tifies par  le  Roi  Catholique,  Les  Francois,  pour 
faire  voir  la  bonne  foi  et  la  confiance  avec  la- 
quelle ils  negocioient  avec  les  Espagnols,  n'eu- 
rent  pas  la  precaution  de  retenir  la  copie  de  ces 
actes  signes  par  le  secretaire  de  don  Louis,  qui 
eiit  pu  faire  difficulte  de  les  signer.  Pour  verifier 
si  ceux  qu'on  rendoit  etoient  conformes  aux 
originaux,  on  dit  au  depute  du  Roi  le  nombre 
d'aiticles  dont  le  traite  etoit  compose,  et  qu'il 
les  comptat;  car  il  passoit  pour  chose  constante 
que,  s'ils  etoient  fideles  au  nombre,  ils  le  se- 
roient  en  tout  le  reste.  Le  cardinal  avoit  raison 


\:>H 


MEMOIMES    1)U    COMTE    DE    BlUENAE 


de  ne  pas  vouloir  que  les  pieces  fussent  piibli- 
qiies  avant  que  les  deux  trailer,  eussent  ete,  Tun 
declare,  I'autre  consomme ,  parce  qu'ii  y  avoit 
plusieurs  choses  omises  dont  on  n'eut  pas  man- 
que de  lui  faire  des  reproclies,  et  qu'il  auroit 
tache  de  reformer  a  la  premiere  entrevue  avec 
don  Louis.  Du  moins  il  en  eiit  fait  i'ouverture; 
mais ,  suivant  ie  sentiment  de  plusieurs ,  il  vaut 
mieux  manquer  que  d'exposer  ce  que  Ton  fait 
a  la  censure  d'un  tiers.  Le  jour  que  ces  ministres 
devoient  se  trouver  sur  la  frontiere  ayant  ete 
arrete ,  ils  s'assemblerent  dans  une  lie  de  la  de- 
pendance  du  royaume  de  Navarre,  auquel  on 
renoncoit  tacitement.  11  est  vrai  qu'on  pent  dire, 
pour  excuser  le  cardinal ,  qu'on  fit  la  raeme 
fauteen  1615, en  bornant  les  Etats  de  cette  cou- 
ronne  parle  cours  de  la  riviere;  mais  le  roi  An- 
toinede  Navarre  avoit  en  plus  de  precaution  pour 
ce  qui  regardoit  ses  interets ;  car  il  protesta  que, 
quoiqu'il  remit  a  Fontarabie  madame  Elisabeth 
de  France ,  cela  ne  lui  pourroit  causer  aucun 
prejudice,  ni  lui  etre  objecte  comme  cofftraire, 
non  pas  a  ses  pretentions ,  mais  a  son  droit. 

[1660]  Le  jour  de  la  publication  de  la  paix 
ayant  ete  arrete,  on  la  publia  dans  Paris  sui- 
vant les  anciens  usages,  et  dans  les  autres  villes 
du  royaume.  Qui  voudra  la  regarder  avec  les 
yeux  d'un  marchand  ,  qui  met  son  bonheur 
dans  le  gain  qu'il  fait ,  pourra  la  trouver  avan- 
tageuse  a  la  France  ,  parce  que  son  domaine  en 
est  augraente.  Mais  qui  la  regardera  des  yeux 
d'un  bon  politique  et  d'un  grand  monarque, 
avouera  que  les  Espagnols ,  en  perdant  du  ter- 
rain ,  se  sont  acquis  une  graude  reputation  ,  et 
conclura  qu'elle  leur  a  ete  plus  avantageuse 
qu'a  nous.  Si  Ton  examine  ce  qu'on  eiit  pu  faire 
sans  contiuuer  la  guerre,  on  diraque,  quand  les 
HoUandois  conclurent  leur  paix,  nous  pouvions 
I'avoir  aussi ,  et  plus  glorieuse  et  plus  avan- 
tageuse ;  mais  si  nous  eussions  continue  la 
guerre  ,  la  Flandre  eut  ete  conquise  ,  ou  du 
moins  les  Espagnols  nous  auroient  cede  ce  qu'ils 
ont  conquis  dans  I'Artois. 

Le  Roi  fit  le  voyage  de  Provence  ,  qui  etoit 
necessaire  pour  son  service  ,  et  pour  faire  sentir 
aux  babitans  de  Marseille  qu'il  etoit  mal  con- 
tent de  leur  conduite.  Mais  il  eut  mieux  fait  de 
s'adresser  a  la  ville  d'Aix  qu'a  I'autre ;  car,  quoi- 
qu'on  put  esperer  que  le  parlement  retiepdroit 
le  peuple  dans  son  devoir,  la  division  de  cette 
compagnie  ,  et  I'envie  qu'avoient  quelques-uns 
de  dominer,  causa  tons  les  maux  de  cette  pro- 
vince. Le  cardinal  eut  beau  en  etre  averti ,  il  ne 
connoissoit  les  affaires  de  Provence  qu'a  demi , 
ne  voyant  que  par  les  yeux  du  premier  president 
d'Oppedc,  qui  avoit  sa  confiancc.  Leurs  Majes- 


tes,  apres  avoir  fait  un  long  sejour  a  Marseille, 
se  rendirent  a  Avignon.  Le  Roi  y  recut  de  gran- 
des  plaintes  des  maux  que  la  ville  d'Orange  cau- 
soit  au  royaume ,  et  Sa  Majeste  resolut  de  s'en 
rendre  maitresse.  Cela  se  fit  par  un  traite.  Le 
Roi  ordonna  ensuite  que  les  fortifications  fus- 
sent demolies  :  mais  soit  qu'on  n'eut  pas  bien 
considere  I'assiette  de  cette  place ,  ou  qu'on 
voulut  favoriser  celui  a  qui  on  en  vouloit  don- 
ner  le  gouvernement ,  ce  qui  etoit  a  faire  fut 
change  jusqu'a  ce  que  madame  la  douairiere 
d'Orange  en  demanda  la  restitution.  Comme  je 
n'etois  point  du  voyage  du  Roi ,  je  ne  m'attri- 
buerai  aucune  gloire  de  ce  qui  fut  resolu  au 
sujet  de  cette  place,  quoique  plusieurs  annees 
auparavant  j'eusse  remontre  a  ce  monarque 
qu'il  etoit  de  I'interet  de  la  justice  et  de  la  reli- 
gion que  cette  ville  fut  rasee,  parce  qu'elle 
servoit  de  retraite  aux  rebelies ,  et  generale- 
ment  a  toutes  sortes  de  criminels.  Pendant  que 
le  Roi  etoit  en  Provence ,  M.  le  prince  s'y  ren- 
dit  accompagne  du  due  d'Enghien  son  fils ,  et  de 
M.  de  Longueville ,  son  beau-frere,  les  deux 
premiers  pour  assurer  Sa  Majeste  de  leur  fide- 
lite,  et  celui-ci  pour  lui  temoigner  la  joie  qu'il 
avoit  de  ce  que  les  princes  etoient  rentres  dans 
ses  bonnes  graces.  Soit  que  M.  de  Lorraine  eut 
ete  averti  des  propositions  des  Espagnols  dont 
il  n'etoit  pas  content,  ou  qu'il  esperat  de  trouver 
mieux  son  compte  avec  le  cardinal ,  il  se  rendit 
a  la  suite  de  la  cour,  et  obtint  pour  traiter  avec 
lui  un  commissaire  ,  qui  fut  Lyonne.  Etaut  venu 
a  Paris  par  I'entremise  de  celui-ci ,  il  fit  si  bleu 
que  le  Barrois  lui  fut  rendu  ,  moyennant  la  ces- 
sion de  quelques  villages  qui  donneroient  a  Sa 
Majeste  la  communication  de  son  royaume  a 
I'Alsace,  a  condition  que  les  fortifications  de 
Nancy  seroient  rasees  :  dont  M.  de  Lorraine  te- 
moigna  beaucoup  de  douleur.  Le  Roi  permit  a 
Lyonne  de  recevoir  de  ce  souverain  cinquante 
mille  ecus  que  son  beau-pere  lui  avoit  pretes. 
Peut-etre  qu'il  eiit  bien  mieux  fait  de  n'en  point 
parler  dans  cette  conjoncture  ;  car,  du  vivant 
meme  du  cardinal ,. qui  mourut  peu  de  temps 
apres  que  ce  traite  eut  et6  couclu ,  on  proposa 
le  mariage  de  mademoiselle  d'Orleans  avec  le 
prince  Charles  de  Lorraine,  heritier  presomptif 
du  due.  Mais  il  s'v'^trouva  des-lors  et  dans  la 
suite  tant  de  difficultes ,  qu'on  n'y  a  plus  pense. 
M.  de  Lorraine  vouloit  que  Mademoiselle  lui 
cedat  des  terres  dont  il  avoit  envie  d'enrichir  un 
fils  qu'il  avoit  en  de  la  princesse  de  Cantecroix. 
Mademoiselle  m'en  demanda  raon  sentiment, 
et  je  la  fortifiai  dans  la  pensee  ou  elle  etoit  de 
n'y  pas  consentir,  mais  de  lui  laisser  prendre 
quelque  chose  d'approchant  sur  le  domaine  de 


DEIJXIEME    PARTIK.    [  1  660] 


i.jy 


Lorraine  ,  afin  qu'il  en  eeddt  des-lois  le  titre  de 
due  et  la  souverainete  a  son  neveu.  La  loi  sali- 
que  ,  qu'il  pretendoit ,  se  trouve  autorisee  par 
le  traite  des  Pyrenees  ;  mais  son  contrat  de  ma- 
riage  avec  la  duchesse  Nicole  a  fait  voir  qu'elle 
n'a  jamais  eteetablie,nimemeiinfideicommis  qui 
exclut  les  filles  du  fief  au  profit  des  raales.  II  ne 
faut  que  lire  pour  voir  s'il  a  ete  force  de  le  pas- 
ser ainsi ;  car,  apres  la  mort  de  la  duchesse ,  sa 
femme,  decedee  sans  enfans ,  a}  ant  demande 
la  permission  d'epouser  la  cadette,  elle  lui  fut 
accordee  par  le  Pape  :  et  Ton  a  traite  dans  la 
suite  a  Rome  de  ridicules  les  procedures  qu'il  y 
a  faites  pour  parvenir  a  la  dissolution  de  son  se- 
cond mariage.  Le  conseutement  que  le  cardinal 
donna  au  traite  est  d'un  notable  prejudice  a  la 
France ,  en  ce  que  I'on  autorise  le  due  ,  qui  est 
vassal  du  Roi ,  pour  changer  la  nature  de  son 
fief,  sans  en  avoir  eu  le  consenteraent  de  son 
souverain.  Son  Eminence  avoit  ete  bien  avertie 
des  droits  de  Sa  Majeste  ,  dont  je  I'avois  sou  vent 
entretenue  :  ce  qui  rendit  le  cardinal  inexcusa- 
ble de  les  avoir  negliges,  pour  etre  aussi  pen 
instruit  de  nos  coutumes  que  ceux  qu'il  y  cm- 
ployoit  etoient  peu  verses  dans  la  signification 
des  termes.  Cela  a  mis  le  Roi  au  hasard  de  per- 
dre  ce  qui  lui  avoit  ete  cede  dans  le  comte  d'Ar- 
tois,  ou  gouvernance  signifie  autant  qu'ailleurs 
bailliage,  senechaussee  et  prevote  ;  le  cardinal 
s'etant  contente  de  faire  ecrire :  qu'on  nous  cede 
rArtois ,  et  s'expliquant  ainsi  dans  les  bailliages 
et  chatellenies.  D'ou  les  commissaires  d'Espa- 
gne  ont  infere  que  la  gouvernance  d'Arras  n'a- 
voit  point  ete  cedee  a  Sa  Majeste;  ce  qui  a 
donne  matiere  a  une  grande  contestation.  Mais 
il  auroit  vu  I'atteinte  qu'il  donnoit  a  sa  gloire  , 
s'il  avoit  consulteceux  qui  en  savoient  plus  que 
lui.  II  se  piquoit,  et  Lyonne  aussi,  d'entendre 
si  bien  la  langue  espagnole  ,  qu'ils  n'ont  com- 
munique a  personne  les  articles  qui  leur  ont  ete 
presentes  :  et  la  peusee  qu'ils  ont  eue  que  le 
nom  de  communaute  etoit  equivalent  a  celui 
d' antique ment,  coute  au  Roi  une  grande  eten- 
due  de  pays ,  et  quantite  de  villages  du  comte 
de  Cerdagne ,  qui  lui  seroient  restes  eu  propre , 
si  les  borues  des  pays  qui  separent  le  Roussillon 
de  la  Catalogue  avoient  ete  prises  suivant  la  di- 
vision que  Cesar  fait  de  la  Gaule  et  de  I'Es- 
pagne  ,  ou  au  sommet  des  montagnes ,  ou  qu'on 
eut  suivi  la  pente  des  eaux.  Mais  le  mot  de 
communaute  leur  paroissant  bon ,  les  Espa- 
gnols ,  qui  I'avoient  mis  adroitement  dans  le 
traite,  en  ont  profile.  L'ignorance  oil  Ton  a  ete 
aussi  de  ce  qui,  dans  les  raeraes  montagnes, 
etoit  de  la  souverainete  du  comte  de  Foix ,  a 
fait  perdre  au  Roi  des  montagnes  entieres  ,  dont 


les  Espagnols  ont  fait  abattre  les  avenues,  sans 
la  moindre  plainte  du  cardinal ;  et  si  I'archeve- 
que  de  Toulouse  n'eiit  ete  ferme  pour  les  faire 
retablir,  il  seroit  arrive  bien  d'autres  choses  ; 
car  le  val  d'Andaye  est  en  partage  cntre  le 
comte  de  Foix  et  I'eveche  d'Urgel.  Le  Donne- 
zan,  qui  est  aussi  une  souverainete  situee  dans  la 
meme  raontagne ,  et  dependante  du  comte  de 
Foix,  a  ete  tenement  oubliee,  qu'a  peine  s'est-on 
souvenu  d'en  conserver  la  souverainete  au  Roi. 
On  ue  doit  point  trouver  etrange  que  je  remar- 
que  toutes  les  fautes  que  le  cardinal  a  commi- 
ses,  ni  attribuer  a  mauvaise  volonte  ce  que  je 
dis  contre  sa  conduite.  Le  zele  que  j'ai  pour  le 
service  du  Roi  et  pour  le  bien  de  ma  patrie  me 
force  a  les  decouvrir. 

Quelques  mois  apres  que  Sa  Majeste  fut  de 
retour  a  Paris,  des  deputes  de  I'archiduc  de 
Tyrol  s'y  rendirent  pour  demander  le  paiement 
de  trois  millions  promis  a  leur  maitre  par  le 
traite  de  Munster.  Je  fus  commis  avec  Lyonne 
et  mon  fils  pour  les  entendre.  Nous  obtinmes 
d'eux  qu'ils  ne  demanderoient  point  im  million 
de  dalers  imperiales,  mais  seulement  trois  mil- 
lions de  livres'  de  France  :  et  apres  que  nous 
leur  eumes  fait  voir  qu'ils  n'en  pouvoient  pre- 
tendre  des  interets  ,  nous  convinmes  avec  eux 
qu'ils  seroient  payes  en  cinq  termes ,  savoir :  au 
premier,  de  la  somme  de  trois  cent  milie  livres, 
et  de  meme  au  second  ;  au  troisieme ,  de  quatre 
cent  mille  ;  en  mars  1G61' ,  d'un  million  ;  et  en 
mars  1663  ,  d'un  autre  million,  moyennant  la 
cession  que  I'archiduc  feroit  de  nouveau  au  Roi 
de  tous  les  droits  qui  lui  pouvoient  appartenir 
dans  la  haute  Alsace  ,  le  Landgraviat  et  sa  ban- 
lieue.  Et  parce  que  le  cardinal  s'etoit  fait  don- 
ner  par  le  Roi  les  plus  considerables  domaines 
de  I'Alsace,  il  fit  payer  comptant  le  premier 
paiement;  il  assura  le  second ;  et  sans  doute  que 
s'il  eut  vecu ,  le  troisieme ,  le  quatrieme  et  le 
cinquieme  auroient  ete  acquittes ,  afin  que  I'ar- 
chiduc ne  flit  pas  fonde  a  pretendre  restitution. 

Les  Etats-generaux  nous  envoyerent  aussi 
une  ambassade  solennelle.  Ces  ambassadeurs 
crurent  que  le  moyen  le  plus  prompt  pour  dili- 
genter  leurs  affaiies  etoit  de  s'adresser  au  car- 
dinal ,  et  de  le  choisir  pour  etre  leur  mediateur 
aupres  de  Sa  Majeste.  Mais  ils  furent  bien  sur- 
pris  quand  ils  surent  que  ce  premier  ministre 
inspiroit  au  Roi  de  leur  demander  une  surete 
reelle,que  les  Etats  promettroient  et  observe- 
roient ,  presupposant  qu'ils  avoient  contrevenu 
aux  anciens  traites  ,  et  que  Ton  ne  pouvoit  en 
faire  de  nouveaux  sur  leur  parole.  Les  ambas- 
sadeurs disoient  qu"ils  etoient  d  autant  plus  sur- 
pris  de  ce  discours,que  Ton  u'en  avoit  point 


IfiO 


MEMOIRF.S    DU    CO.MTi:    DE    r,UIEM\E, 


tenu  de  semblable  h  M.  Boreel ,  anabassadeur 
ordinaire  de  leiirs  maitres  ,  lorsqu'il  avoit  pro- 
pose le  renouvellement  de  i'alliance,  Un  jour 
le  cardinal ,  a  la  persuasion  de  Lyonne ,  me  de- 
mandant en  presence  du  Roi  si  sans  I'execution 
de  ceci ,  qu'il  croyoit  juste,  on  pouvoit  trailer 
avec  les  Etals-generaux  ,  je  repondis  qu'ils  se 
tiendroient  offenses  d'une  telle  proposition , 
parce  que  les  rois  et  les  republiques  ,  engageant 
leur  foi ,  sont  persuades  qu'on  s'y  doit  fier. 
Leur  demander  des  places  de  surete ,  comme 
Lyonne  en  avoit  fait  I'ouverture  ,  c'etoit  propre- 
ment  donner  conge  a  leurs  ambassadeurs.  Mais, 
ajoutai-je,  il  y  a  un  moyen  de  faire  les  affaires 
du  Roi  et  de  contenter  les  Efats  :  c'est  de  trai- 
ler si  bien  ceux-ci  qu'ils  ne  puissent  trouver  aii- 
leurs  ce  qu'ils  perdroient  en  se  separaut  de  Sa 
Majeste.  II  ne  faut  point  leur  reproclier  ce  qu'ils 
ont  fait  a  Munster,  puisqu'il  etoit  difficile  de  se 
persuader  qu'ils  pussent  refuser  les  offres  que  le 
Roi  Cathollque  leur  faisoit  de  la  liberte  et  de  la 
souverainete  pour  laquelle  ils  etoient  en  guerre 
depuis  pres  de  quatre-vingts  ans.  On  peut  se 
souvenir  de  ce  que  le  prince  d'Orange  fit  dire  , 
lorsque  Ton  pressoit  les  Etats  de  deputer  a 
Munster.  Les  resolutions  prises  dans  la  suite  ne 
le  furent  que  pour  avoir  offense  les  principaux 
de  la  Republique.  Soit  que  ce  que  je  dis  ou  ce 
qui  fut  represente  par  d'autres  fit  impression , 
on  resolut  de  nommer  des  cominissaires  pour 
eonferer  avec  les  ambassadeurs  et  discuter  ces 
matieres ,  sur  lesquelles  le  Roi  declareroit  en- 
suite  sa  volonte.  Et  comme  a  la  premiere  nego- 
ciation  nous  avions  deja  ete  nommes ,  le  mare- 
chal  de  Villeroi,  le  procureur-general ,  Le  Tel- 
lier  et  moi,  nous  le  fumes  encore  a  celle-ci.  Le 
cardinal  y  fit  ajouter  Lyonne,  et  je  demandai 
que  mon  fils  en  fut :  ce  que  j'obtins  avec  plus 
de  peine  que  je  ne  croyois  ,  parce  que  le  chan- 
celier  ayant  desire  la  meme  chose ,  elle  lui  fut 
accordee  par  le  Roi,  mais  seulement  apres  I'ou- 
verture des  conferences  avec  les  ambassadeurs. 
D'abord  ils  proposerent  une  alliance  la  plus 
elroite  qui  eiit  jamais  ete  conclue  entre  les  puis- 
sances, c'est-a-dire  de  se  garantir  fun  I'autre 
tons  droits  echus  c t  qui  echerroient  sur  les  pro- 
vinces, ou  par  conquetes,  ou  par  convention, 
apres  qu'elles  leur  auroient  ete  cedees  par  des 
traites  authentiques  :  ensemble  les  droits  de  na- 
ture et  de  souverainete  ,  meme  celui  de  la  peche, 
en  quelque  lieu  qu'on  la  vouliit  faire;  a  la  re- 
serve des  rades  dont  les  rois  proprietaires  n'y 
voudroient  pas  conseutir,  comme  aussi  toutes 
les  places  conquises  par  les  armes ,  sous  quelque 
litre  ou  pretexte  que  ce  putetre;  et  d'etablir  un 
commerce  au  profit  des  nations  ,  mais  pourtant 


restreint  en  Europe.  Le  Roi  me  commanda  de 
leur  dire  qu'il  falloit  examiner  lesactes  les  plus 
importans ,  avant  que  de  discuter  les  autres ,  et 
avoir  fait  falliance  avant  que  d'etablir  des  lois 
pour  le  commerce  :  a  quoi  les  ambassadeurs 
firent  d'abord  quelque  difficulte;  mais  ils  se 
rendirent  dans  une  seconde  conference,  ou  je 
leur  donnai  a  entendre  qu'on  traiteroit  conjoin-, 
tementde  falliance  et  de  la  navigation.  L'em- 
pressement  qu'ils  nous  temoignerent  pour  la 
peche  nous  fit  soupconner  qu'ils  nous  vouloieut 
engager  a  entrer  en  guerre  avec  I'Angleterre ; 
car,  sur  la  difficulte  que  nous  leur  fimes,  ils 
nous  demanderent  pourquoi  nous  avions  change 
de  resolution  ,  nous  representant  que  Servien 
et  Fouquet ,  qui  avoient  ete  du  nombre  des 
commissaires  nommes  pour  trailer  avec  Boreel, 
leur  avoient  donne  un  acte  par  lequel  cela  leur 
etoit  accorde,  comme  nousetions,  le  marechal  de 
Villeroi,  LeTellier  et  moi,  a  la  suite  du  Roi.  J'a- 
vouerai  sincerement  que  je  ne  croyois  pas  qu'on 
le  leur  dut  refuser;  mais  Sa  Majeste  m'en  pa- 
roissantfort  eloignee,  jepris  occasion  deles  faire 
expliquer,  en  leur  demandant  jusqu'ou  pourroit 
s'etendre  I'assistance  qu'ils  nousdonneroient,  si 
nous  avions  quelque  differend  avec  les  Anglois, 
soit  pour  la  peche  ou  pour  quelque  chose  de 
plus  essentiel,  comme  le  salut,  etc.  Ces  ambas- 
sadeurs repondirent  sans  hesiter  : «  Nos  maitres 
donneront  leur  flotte  pour  les  combatlre.  — 
Mais  comment ,  dis-je  ,  I'entendez-vous  ,  puis- 
qu'en  voyant  la  guerre  prete  a  commencer,  vous 
desirez  neanraoins  une  triple  alliance  entre  les 
couronnes  de  France  et  d'Angleterre  et  votre 
republique  ?  Ce  qui  nous  fait  croire  que  nous 
pouirons  difficilement  nous  accorder  a  la  satis- 
faction des  Anglois  ,  qui  ne  s'empecheront  ja- 
mais de  nous  demander  un  dedommagement , 
si  vous  voulez  continuer  a  pecher  sur  les  cotes 
d'Ecosse.  »  Les  ambassadeurs  me  repondirent 
qu'ils  etoient  persuades  que  les  Anglois  vou- 
droient ce  qui  etoit  juste;  mais  que  pour  peu 
qu'ils  en  fissent  difficulte,  la  France  et  lesEtats- 
generaux  pouvoient  bien  se  passer  d'eux.  Je  fis 
mon  rapport  au  Roi  de  ce  qui  avoit  ete  dit  par 
ces  ambassadeurs.  On  ne  paria  plus  de  la  triple 
alliance,  mais  seulement  de  voir  si  on  la  pour- 
roit conclure  entre  la  France  et  les  Etats.  Je 
nedirai  pas  absolument  qu'ellen'etoitpoint  sou- 
haitee  par  le  caidinal  :  cependant  il  paroissoit 
que  Son  Eminence  etoit  bien  aise  que  les  Fran- 
cois pussent  prendre  les  valsseaux  hollandois, 
et  qu'il  ne  se  soucioit  guere  que  ceux-ci  prissent 
les  notrcs  ,  parce  qu'il  ne  perdoit  rien  d'un  cote 
et  qu'il  gagnoit  beaucoup  de  I'autre.  Le  soupcon 
que  j'en  eus  me  parut  assez  bien  fonde ,  sur  la 


UEIIXIEME    PAlVrlE.     [HUil 


proposition  que  Lyonne  fit  aux  ambassadeurs  que 
leurs  raaitres  remissent  a  Telecteur  de  Cologne 
la  ville  de  Rinberg  ,  demantelec  a  la  verite,  et 
celle  de  Ravestein  au  due  de  Neubourg,  et 
qu'ils  donnassenl  assurance  au  Roi  de  restituer 
les  commanderies  et  les  biens  de  ia  religion  de 
Malte,  qu'ils  avoient  saisis  aux  proprietaires. 
Les  ambassadeurs  repondirent  qu'ils  ne  pou- 
voient  rien  diresur  de  telles  propositions;  mais 
qu'ils  ne  manqueroient  pas  de  les  mander  a 
leurs  raaitres ,  de  qui  ils  etoient  persuades  qu'on 
auroit  une  juste  satisfaction.  Je  me  servis  de 
cette  occasion  pour  dire  au  cardinal ,  et  depuis 
sa  mort  au  Roi ,  que  je  ne  croyois  pas  qu'il  fut 
a  propos  d'entrer  dans  de  telles  ouvertures  avec 
les  Etats,  ni  de  s'attacher  a  lever  des  impots 
sur  les  vaisseaux  etrangers  ,  dont  les  ambassa- 
deurs avoient  ordre  de  se  plaindre  et  de  deman- 
der  la  revocation ;  qu'il  falloit  plutot  examiner 
s'il  etoit  avantageux  ou  non  a  la  France  que 
cette  republique  subsistat ;  que  ,  pour  moi ,  j'e- 
tois  persuade  qu'il  etoit  de  notre  interet  de  la 
conserver,  quand  ce  ne  seroit  que  pour  ne  point 
perdre  tant  de  millions  depenses  a  la  former,  et 
pour  ne  pas  donner  sujet  de  dire  que  le  sang 
des  Francois  ne  nous  coiite  guere ,  puisque , 
oubliant  la  quantite  qu'on  en  avoit  repandu , 
nous  voulions,  dans  des  rencontres  qui  me  pa- 
roissoient  si  utiles ,  abaudonner  des  gens  que 
nous  avions  cheris.  J'ajoutai  qu'en  les  traitant 
differemment  des  Francois  ,  ils  perdroient  beau- 
coup  de  leur  commerce,  dont  ils  tiroient  le 
moyen  de  subsister;  que  ,  suppose  qu'il  vint  a 
diminuer,  il  seroit  facile  aux  Espagnols  de  les 
assujetir,  ou  qu'ils  seroient  peut-etre  contraints 
de  se  donner  aux  Anglois.  Lyonne  me  repon- 
dit  :  «  II  est  sans  exemple  qu'une  republique  se 
soumette  a  un  autre  Etat.  —  Vous  ignorez  done, 
iui  repliquai-je ,  qu'ils  en  ont  autrefois  pris  et 
execute  la  resolution  ,  et  qu'il  n'y  cut  que  I'ar- 
rogance  du  corate  de  Leicester  qui  les  fit  chan- 
ger d'avis.  >'  Sur  ce  que  j'alleguai  qu'il  y  avoit 
a  craindre  que  les  Espagnols  ne  les  assujetis- 
sent,  Lyonne  me  dit  qu'ils  pouvoient  s'en  ga- 
rantir,  etant  sous  la  protection  du  Roi ,  et  aides 
de  ses  troupes.  »  Je  conviens,  dis-je ,  de  cette 
proposition  ;  mais  il  est  plus  expedient  encore 
quils  trouvent  chez  eux  leur  propre  defense  que 
de  la  chercher  ailleurs.  La  France  pourroit  etre 
daus  une  telle  situation  que ,  quelque  bonne  vo- 
lonte  qu'elle  eut,  elle  seroit  hors  d'etat  de  se- 
courir  les  Hollandois.  •>  Je  n'ai  point  trouve  jus- 
(ju'a  present  qu'on  m'ait  repondu  a  ceci;  mais 
je  n'ai  pas  laisse  pourtant  de  presser  les  ambas- 
sadeurs de  consentir  a  ce  que  le  Roi  pouvoit 
MHiliniter,  Cependant  je  n'en  pnrlerai  plus.  Ceux 

m.    C.    D.    M.,    T.     Ill, 


101 

qui  voudront  savoir  mes  veritables  sentimens 
sur  la  conduite  qu'il  faudroit  tenir  avec  cette 
republique  ,  pourront  lire  un  ecrit  que  j'avois 
dresse  sur  ces  affaires  ,  dans  I'intention  de  le 
presenter  a  Sa  Majeste  ;  mais  je  crus  devoir  le 
supprimer,  parce  que  j'ai  bien  connu  que  le  Roi 
entroit  dans  les  sentimens  de  Lyonne  et  de  Col- 
bert, et  qu'ainsi  ce  que  je  pourrois  remontrer 
ne  feroit  aucune  impression  sur  I'esprit  de  Sa 
Majeste. 

Dans  le  temps  que  ceci  se  discutoit  avec  le 
plus  de  chaleur,  et  qu'il  etoit  aise  de  s'aperce- 
voir  que  les  commissaires  du  Roi  n'etoient  point 
d'un  meme  avis,  ce  monarque  resolut  d'en- 
voyer  un  ambassadeur  en  Angleterre.  Je  nedi- 
rai  rien  de  ses  instructions  secretes,  n'en  ayant 
point  de  connoissance,  sinon  que  M.  de  Turenne 
faisoit  son  possible  pour  Her  une  etroite  amitie 
eutre  le  Roi  et  celui  de  la  Grande-Bretagne ; 
et  comme  c'etoit  dans  le  temps  qu'on  parloit 
du  mariage  de  celui-ci  avec  I'infante  de  Portu- 
gal ,  je  conjecturai  que  tout  ce  que  faisoit  M.  de 
Tuienne  n'etoit  que  pour  engager  le  Roi  a  de- 
clarer la  guerre  a  I'Espagne  en  faveur  de  I'An- 
gleterre  et  du  Portugal ;  mais  je  trouvois  quel- 
que difficulte  que  les  Anglois  consentissent  a  ce 
mat-iage  de  leur  Roi ,  et  a  rompre  avec  I'Es- 
pagne, d'ou  ils  tirent  un  profit  Ires-considerable 
par  le  trafic  qu'ils  y  font ;  car  le  commerce  est 
I'idole  a  laquelle  ces  insulaires  et  les  Hollandois 
sacrifient.  Cependant  on  parloit  de  ce  mariage 
avec  certitude ,  et  des  conditions  que  le  roi  de 
Portugal  offroit  a  Sa  Majeste  Britannique  , 
comme  de  Iui  donner  en  dot  une  somme  tres- 
considerable  ,  la  ville  de  Tanger  en  Afrique  ,  et 
une  autre  dans  les  Indes  orientales.  Ces  consi- 
derations me  parurent  si  avantageuses  pour  les 
Anglois  ,  que  je  ne  doutai  plus  que  I'esperance 
de  se  maintenir  dans  la  Jamaique  ne  les  fit  con- 
sentir a  ce  que  j'avois  juge  qu'ils  devoient  refu- 
ser. Je  crus  qu'il  etoit  de  mon  devoir  d'avertir 
de  tout  ceci  la  Reine-mere ,  afin  qu'elle  prevint 
le  Roi  son  fils ,  et  I'empechat  de  prendre  une 
resolution  qui  pouvoit  avoir  de  f^cheuses  suites. 
Sa  Majeste  negligea  cet  avis ;  mais  I'evenement 
fit  connoitre  qu'il  n'etoit  pas  sans  fondement. 

[  I  r.G  1  ]  Le  comte  d'Estrades ,  ambassadeur  du 
Roi  en  Angleterre,  y  fut  tres-bien  recu  de  Sa 
Majeste  Britannique,  qui  affectoit  de  le  mener  a 
la  chasse  et  de  Iui  faire  partager  ses  divertisse- 
mens ;  mais  quoique  le  Roi  d'Angleterre  Iui 
donnat  toutes  ces  marques  d'amitie ,  d'oii  Ton 
pouvoit  conclure  que  I'ambassadeur  etoit  dans 
une  etroite  liaison  avec  Sa  Majeste  Britannique, 
il  y  a  pourtant  beaucoup  d'apparence  que  ce 
Roi  ne  fut  pas  fache  que  I'ambassadeur  de  Ve- 

1 1 


10? 


MlwVOIKES    Dll    €OMTE    Dli    HniF.NAR 


uise  ,  qui  \int  i\  Loiulrcs  ,  ne  conviiit  poiiU  ccu.x 
de  France  ct  d'Espap;ne  de  grossir  son  corU'-ge 
de  leurs  canosses  ,  suivant  la  coutnme.  On  s'en 
plaignit  a  I'ambassadour  dc  Veuise  a  la  cour  de 
France  ,  et  celui-ci  dit  ,  pour  excuser  son  col- 
legue ,  qu'il  n'avoit  fait  que  ce  qui  avoit  deja 
etc  pratique  en  Angleterre  par  un  de  ses  prede- 
cesseurs ,  dans  le  temps  que  le  comte  de  Sois- 
sons  y  etoit.  Le  Roi  resolut  de  tirer  raisou  de 
cette  affaire  ,  et  lit  savoir  secretement  au  comte 
d'Estrades  qu'il  vouloit  que  la  premiere  fois 
qu'il  seroit  invite  a  quelque  cereraonio  ,  aussi 
bien  que  I'ambassadeur  d'Espagne ,  il  prit  le 
pas  devant  lui  avec  une  telle  hauteur ,  qu'on 
reconnut  la  difference  qu'il  y  a  entre  la  cou- 
ronnc  de  France  et  cclle  d'Espagne.  Le  secret 
qu'on  eut  pour  les  serviteurs  du  Roi  ne  fut  pas 
si  bien  garde  a  I'egard  de  I'ambassadeur  d'Es- 
pagne que  la  chose  ne  vint  a  sa  connoissance.  II 
en  fut  meme  averti  de  la  part  du  Roi  son  maitre, 
et  il  donna  un  si  bon  ordre  a  ses  affaires,  que  le 
jour  que  I'ambassadeur  de  Suede  fit  son  entree  a 
Londres,  il  eut  tout  I'avantage  sur  les  Francois  : 
car  il  menagea  tellement  la  populace  de  longue 
main  qu'elle  se  declara  en  sa  faveur  :  ce  qui 
etant  venu  a  la  connoissance  du  roi  de  la 
Grande-Rretagne,  il  fit  entendre  au  comte  d'Es- 
trades qu'il  ne  pouvoit  pas  contenir  le  peuple  ; 
mais  qu'il  feroit  afficher  un  placard  portant  de- 
fenses a  ses  sujets  de  s'interesser  dans  les  dif- 
ferends  qui  pouvoient  survenir  entre  les  mi- 
nistres  des  princes  etrangers.  Et  d'autant  que, 
suivant  les  apparences  ,  I'avantage  ne  devoit 
point  etre  du  cote  dvs  Francois ,  il  ordonna  a 
(fuelque  soldatesque  de  se  tenir  en  bataille  en 
plusieurs  places  pour  erapech^r  le  desordre , 
qui  fut  si  grand  que  cette  soldatesque ,  bien 
loin  de  nous  favoriser  et  meme  d'arreter  la 
fureur  du  peuple  ,  qui  d'ailleurs  avoit  viole  la 
franchise  due  a  la  maison  de  I'ambassadeur ,  se 
init  en  devoir  de  la  forcer.  Le  comte  d'Estra- 
des s'en  plaignit.  Le  roi  d'Angleterre  essaya  de 
se  Justifier  ;  mais  tout  le  monde  crut  avec  rai- 
son  qu'il  etoit  tres-aise  de  ce  desordre  ,  et  que 
I'avantage  fut  du  cote  des  Espagnols  ,  etant 
persuade  que  nous  ne  manquerions  pas  d'avoir 
du  rcssentiment  de  cette  affaire,  et  qu'ainsi  nous 
nous  engagerions  dans  ses  interets  :  au  lieu 
que  si  la  fortune  nous  avoit  favorises,  le  mau- 
vais  etat  des  affaires  d'Espagne  obligeant  Sa 
Majeste  Catholiquc  de  dissimuler  ,  le  roi  de  la 
Gi-ande-Bretagne  ,  a  ce  qu'il  eroyoit,  no  seroit 
pas  venu  a  ses  fins.  Le  comte  d'Estrades  manda 
cette  affaire  a  Lyonne,  dans  une  depeche  qu'il 
lui  adressa  pour  le  Roi.  II  y  faisoit  un  detail  do 
ce  qui  s'etoit  passe  dans  la  journcc  ,  et  de  la 


resolution  qu'il  avoit  prise  de  repasser  la  nu  i 
pour  en  venir  rendre  compte  ,  ne  se  trouvant 
point  d'ailleurs  en  surete  a  Londres.  Le  Roi . 
qui  etoit  peut-etre  impatient  de  rompre  avec 
I'Espagne,  fit  tenir  un  conseil  a  la  persuasion  de 
M.  de  Turenne,  et  m'ordonna  de  m'y  trouvci . 
Apres  avoir  entendu  la  lecture  de  la  lettre  du 
comte  d'Estrades ,  Sa  Majeste  ,  devant  que  de 
demander  nos  avis ,  voulut  declarer  le  sien , 
qui  etoit  que  le  comte  de  Fuensaldagne,  ambas- 
sadeur  de  Sa  Majeste  Catholique  en  France  , 
sortiroit  incessamment  de  son  royaume;  que  les 
commissaires    qui    travailloient  a   mettre  des' 
bornes  dans  le  pays  d'Artois  discontinueroient , 
et  que  le  roi  d'Espagne  feroit  faire  reparation 
de  I'outrage  fait  au  comte  d'Estrades  ,  et  don- 
neroit  un  acte  par  lequel  il  declareroit  devoir 
ceder  la  preeminence  au  Roi.  Je  pris  la  liberte 
de  representer  a  Sa  Majeste  qu'elle  demandoit 
ce  qu'elle  ne  pouvoit  obtenir ,  et  qu'il  me  pa- 
roissoit  que  ce  seroit  assez  que  le  roi  d'Espagne 
declarat  qu'il  vouloit  que  ses  ambassadeurs  ve- 
cussent  en  Angleterre  et  partout  ailleurs  avec 
ceux  de  France  ,  comme  ils  faisoient  a  Rome  et 
a  Venise ;  que  c'etoit  en  effet  laisser  ceux  du 
Roi  en  possession  de  la  preseance,  sans  faire 
de  declaration  de  n'en  plus  conservcr  la  pre- 
tention. Le  Roi  ne  se  trouvoit  point  eloigne  dc 
se  contenter  de  cequeje  faisois;  cependant  il 
me  commanda  d'aller  trouver  le  comte  de  Fuen- 
saldagne; maisje  le  fis  avertir  auparavant  que 
je  parlerois  en  homme  qui  souhaitoit  la  duree 
de  la  paix  et  qui   ne  pretendoit  aucun  avan- 
tage  dans  la  guerre ,  afin  que  le  ministre  d'Es- 
pagne ne  se  laissat  pas  surprendre  par  ceux  qui 
avoient  des  interets  contraires.  On  depecha  un 
courrier  a  I'archevequc   d'Embrun  ,  ambassa- 
deur  du  Roi  en  Espagne  ,  pour  lui  ordonner  de 
faire  ses  plaintes  de  ce  que  Vatteville  avoit  en- 
trepris.  La  mauvaise  situation  des  affaires  de 
Sa  Majeste  Catholique  I'obligea  de  blamer  hau- 
tement  ce  que  son  ambassadeur  avoit  sans  doute 
fait  par  son  ordre.  Cependant  le  Roi  temoigna 
du  chagrin  de  ce  que  I'archeveque  d'Embrun 
avoit  mis  cette  affaire  en  negociation ,  ct  je  le 
defendis  parce  que  je  croyois  qu'il  avoit  eu  rai- 
son  de  le  faire  ,  comme  aussi  de  ne  point  sortir  . 
de  Madrid  ,  si  Ton  ne  lui  en  donnoit  un  ordre 
precis  :  ce  que  j'appuyai  si  fortement  que  Sa 
Majeste  me  parut  contente  de  sa  conduite.  On 
sut  depuis  que  le  roi  d'Espagne  avoit  confirm^ 
les  premiers  ordres  envoyes  au  comte  de  Fuen- 
saldagne et  au  marquis  de  La  Fuente  pour  as- 
surer le  Roi  que  Vatteville,  qui  avoit  agi  de 
son  chef,  seroit  revoque  de  son  emploi  (  ce  qui 
fut  execute  ) ,  et  qu'a  I'avenir  ses  ambassadeurs 


DKUXIEME    P 

se  conduiroient  en  tous  lieux  eomme  ils  avoient 
ac'coutume  defaire,  c'est-a-dire  qu'ils  n'inter- 
viendroient  dans  aucune  fonction  publique , 
e.xcepte  a  la  cour  de  I'Empereur,  ou  la  preseance 
!eur  est  eonservee  sui-  ceux  de  France,  sans 
s'expliquer  davantage :  ce  qui  est  une  marque 
de  I'adresse  des  Espagnols.  Le  Roi  parut  etre 
satisfait ,  et  me  dit  un  jour  : «  Vous  n'auriez  ja- 
mais cru  quMIs  feroient  cette  declaration.  »  J'en 
tombai  d'accord  ,  en  prenant  la  liberie  de  faire 
ressouvenir  Sa  Majeste  qu'elle  nc  s'y  etoit  pas 
non  plus  attendue  ;  mais  que  j'avois  ete  d'avis 
qu'elle  s'en  contentat ,  et  que  ,  comme  elle  s'y 
etoit  determinee  ,  je  ne  pouvois  m'empecher 
d'en  avoir  de  la  vanite. 

Le  nonce  et  I'ambassadeur  de  Venise  furent 
surpris  du  compliment  que  je  fis  au  comte  de 
Fuensaldagne  de  la  part  du  Roi ,  quoique  j'eusse 
adouci  le  plus  qu'il  m'avoit  ete  possible  les  pa- 
roles aigres  que  j'etois  charge  de  lui  dire.  Le 
premier  de  ces  miuistres  etrangers  en  futfrappe, 
parce  qu'il  jugeoit  qu'une  rupture  entre  les  cou- 
rounes  serviroit  de  pretexte  legitime  au  Roi 
pour  ne  point  entrer  dans  la  ligue  qu'il  avoit 
proposee  de  la  part  du  Pape  entre  Sa  Majeste , 
I'Empereur,  le  roi  d'Espagne  et  les  Venitiens  , 
pour  s'opposcr  aux  forces  ottomanes  qui  mena- 
coient  la  chretiente  de  faire  une  irruption  dans 
la  Hongrie  ;  et  I'ambassadeur  de  Venise  ,  parce 
qu'il  perdoit  I'esperance  de  voir  le  Roi  assister 
sa  republique  fortement  attaquee  par  le  Grand- 
Seigneur  dans  le  royaume  de  Gandie.  Je  con- 
seillai   au  nonce  de  s'employer  pour  adoucir 
I'esprit  du  Roi  ,  et  I'ambassadeur  de  Venise  de 
continuer  ses  instances   pour  engager  ce  mo- 
narque  a  assister  sa  republique.  Le  Roi  recut 
favorablement  ce   qui  lui  fut    expose  par   le 
nonce ,  mais  non  pas  sans  temoigner  I'envie 
qu'il  avoit  de  faire  la  guerre  a  I'Espagne  si  Ton 
ne  lui  eut  fait  satisfaction.  Pour  le  Venitien  ,  il 
lui  fit  esperer  de  faire  des  choses  extraordinaires 
pour  sa  republique,  pourvu  qu'il  put  etre  con- 
vaincu  qu'il  en  tireroit  de  grands  avantages. 
Le  nonce  fut  console  ,  quand  il  sut  que  les  pou- 
voirs  qu'on  avoit  envoyes  au  cardinal  Antoine 
Rarberin  pour  traiter  ,  par  I'intervention  d'Au- 
beville ,  des  conditions  de  la  ligue,  n'etoient  pas 
revoques.  L'ambassadeur  eut  aussi  des  paroles 
assez  precises  que  Sa  Majeste  persistoit  dans 
ses  premiers  sentimens. 

La  naissance  du  prince  d'Espagne  fournit  un 
pretexte  pour  envoyer  un  gentilhomme  au  Roi 
Catholique  lui  en  faire  compliment ,  et  lui  con- 
firmer  ce  que  Sa  Majeste  Catholique  savoit  deja , 
que  la  Reine  sa  fille  etoit  heureusement  aceou- 
cheed'un  Dauphin.  Le  Roi  Catholique  envoya  a 


ARTIE.  [iGGij  ,63 

la  cour  de  France  faire  de  pareils  complimens  , 
avec  ordre  de  s'en  retourner  en  diligence ;  mais 
le  Roi  voulut  que  cet  Espagnol  fut  auparavant 
temoin  de  la  magnificence  d'un  ballet  qu'il  de- 
voit  donner. 

Je  dis  a  I'ambassadeur  de  Venise  que  Sa  Ma- 
jeste ne  pouvoit  donner  de  secours  a  sa  repu- 
blique nia  la  ligue  dans  laquelle  elle  devolt  en- 
trer a  la  sollicitation  du  Pape.  Cet  ambassadeur 
en  parut  tres-mortifie,  et  se  souvint  bien  alors 
que  je  I'avois  averti  qu'il  etoit  de  I'iuteret  des 
Venitiens  de  faire  desister  Sa  Saintete  d'en  con- 
tinuer la  poursuite  ,  et  que  I'ouverture  en  seroit 
inutile  a  leur  republique,  Sa  Majeste  se  trou- 
vant  hors  d'etat  de  fournir  en  meme  temps  a 
deux  grandes  depenses.  Je  trouvois  aussi  qu'il  y 
avoit  autant  de  raisons  pour  rejeter  les  proposi- 
tions du  Pape  qu'il  m'en  paroissoit  d'aider  la  Re- 
publique ;  car ,  comme  je  pris  la  liberte  de  le 
presenter  au  Roi ,  il  etoit  de  I'interet  de  la  chre- 
tiente qu'il  y  eut  quelqu'un  de  ces  potentats  qui 
put  etre  le  mediateur  de  la  paix  entre  la  Porte, 
I'Empereur  et  la  Republique.  Les  saints  lieux 
ne  pouvoient  etre  conserves  que  par  la  conside- 
ration particuliere  que  le  Grand-Seigneur  avoit 
pour  quelque  roi  Chretien  ;  et  d'ailleurs  il  y  avoit 
plusieurs  raisons  qui  devoient  empecher  Sa  Ma- 
jeste a  rompre  ouvertement  avec  le  Sultan. 
Ainsi  je  croyois  que  I'outrage  fait  a  son  ambas- 
sadeur devoit  etre  dissimule.  Mais  tandis  qu'on 
sauvoit  les  apparences  avec  les  infideles ,  le  Roi 
etoit  pourtant  dans  I'obligation  d'aider  sous 
main  les  Venitiens ,  puisque  c'etoit  la  cause  de 
tous  les  princes  Chretiens ,  et  qu'ils  soutenoient 
depuis  un  grand  nombre  d'annees  une  rude 
guerre  contre  un  redoutable  ennemi. 

Je  dis  au  Roi ,  qui  me  fit  I'honneur  de  me  de- 
mander  quelles  mesures  il  devoit  garder  avec 
I'Espagne  et  I'Angleterre,  que,  selon  les  lu- 
mieres  que  j'avois  ,  il  me  paroissoit  devoir  em- 
pecher I'agrandissement  de  I'une  et  de  I'autre ; 
que  ,  s'il  lui  arrivoit  de  conquerir  toute  la  Flan- 
dre ,  ou  au  moins  une  partie,  par  la  jonction  de 
ses  armes  a  celles  du  roi  d'Angleterre ,  et  que 
ce  monarque  vint  a  y  gagner  Nieuport  ou  Os- 
tende  ,  Sa  Majeste  y  perdroit  bien  plus  qu'elle 
n'y  gagneroit ;  que  le  plus  grand  bonheur  qui 
lui  pouvoit  arriver,  suppose  que  les  Anglois  ne 
lui  voulussent  point  ceder  Dunkerque,  seroit 
que  cette  place  fut  reprise  par  les  Espagnols  : 
par  la  raison  que  les  Anglois  sont  les  anciens 
ennemis  de  la  France  et  le  seront  toujours ,  quel- 
que alliance,  paix  ou  treve  qu'ils  puissent  faire 
avec  nous.  Ils  sont  d'ailleurs  persuades  qu'on 
leur  fait  injustice  en  ne  leur  rendant  pas  la  Nor- 
mandie ,  le  Poitou  et  la  Guienne.  Et  bien  que 

11. 


ir.4 


MEWOIHES    DL    COMTE    UE    BRIE^^E, 


ees  provinces  aient  ete  confisquees  suivant  les 
lois  recues  par  toute  la  terre,  celui  qui  perd 
trouve  toujours  qu'on  ne  lui  fait  pas  justice. 
D'ailleurs,  si  la  France  ne  peut  eviter  d'etre 
frontiere  de  I'Espagne  ,  qui  pourroit  entrepren- 
(Ire  sur  elle ,  il  y  a  bien  moins  de  prudence  a 
I  etre  d'un  autre  Etat  dout  la  puissance  peut  de- 
venir  considerable.  -<  11  faut ,  ajoutai-je,  que 
Votre  Majeste  prenne  garde  aux  mauvais  con- 
seils  qu'on  lui  peut  donner ,  et  qu'elle  fasse  en 
sorte  de  ne  pas  se  liguer  en  faveur  de  I'Angle- 
terre :  cette  nation  a  beaucoup  de  venin  sous 
une  belle  apparence.  «  Le  Roi  entra  fort  bien 
dans  ce  sentiment;  raais  on  lui  representa  lepeu 
(le  sante  de  Sa  Majeste  Catholique ;  qu'il  n'y  avoit 
aucune  apparence  que  le  prince  qui  venoitde  lui 
naitre  ,  en  Tannee  16G1,  put  vivre,  et  qu'ainsi 
I'alliance  et  I'amitie  des  Anglois  lui  devenoient 
necessaires.  .T'espere  que  le  Roi ,  en  avancant  en 
age,  demelera  quelle  est  la  fin  de  ceux  qui  lili 
proposent  de  s'embarquer  dans  une  nouvelle 
guerre  avec  I'Espagne. 

La  fermete  des  ambassadeurs  des  Etats-gene- 
raux  ^  demander  que  Sa  Majeste  s'expliquat  sur 
la  garantie  de  leur  peche ,  et  la  necessite  de  rom- 
pre  avec  les  Anglois  sur  un  point  tres-delicat , 
qui  est  le  salut ,  en  cas  que  la  flotte  de  France 
et  la  leur  se  rencontrassent ;  tout  ceci ,  dis-je , 
a  fait  que  des  gens  qui  sont  dans  les  interets  du 
Roi  ont  estirae  que  cette  affaire  devoit  etre  mise 
en  negociation  ,  et  ont  paru  fort  mecontens  de 
la  franchise  ordinaire  avec  laquelle  j'ai  dit  au 
Roi  qu'il  falloit  que  sa  flotte ,  etant  foible  de 
voiles,  evitat  la  rencontre  de  celle  d'Angleterre; 
mais  que  si  le  hasard  faisoit  qu'elles  se  trou- 
vassent  en  presence ,  11  falloit  combattre ,  quand 
meme  on  devroit  avoir  du  desavantage  ,  plutot 
que  de  baisser  le  pavilion.  Ces  memes  person- 
nes  ayant  su  que  les  Hollandois  etoient  resolus 
de  joindre  leurs  forces  a  celles  du  Roi,  si  Ton 
etoit  dans  la  necessite  de  combattre  pour  I'hon- 
neur  des  couronnes,  n'ont  pas  manque  de  le 
niander  en  Angleterre ,  d'ou  ils  ont  eu  souvent 
avis  que,  pourvu  qu'on  refusat  aux  Hollandois 
ce  qu'ils  demandoient ,   il  ny  avoit  rien  que 
le  Roi  ne   piit  esperer   des  Anglois.   On  a  ete 
dans  I'obligalion  de  faire  aux  Hollandois  un  mys- 
tere  de  cette  negociation ,  et  de  la  celer  a  ceux 
en  qui  le  Roi  pouvoit  prendre  confianee,  parce 
que  la  probite  et  le  courage  de  ceux-ci  ne  leur 
auroient  jamais  permis  de  consentir  a  une  chose 
qui  seroit  honteuse  a  Sa  Majeste ,  a  qui  les  Etats- 
generaux  etoient  en  droit  de  demander  ce  qui 
assure  leur  liberte  ,  puisque  d'autre  c6te  les  An- 
glois le  leur  offroient,  pourvu  qu'ils  se  desis- 
tassent ,  de  pressor  la  France  de  se  declarer  en 


leur  faveur.  Pour  trouver  done  un  pretexte  de 
detourner  Sa  Majeste  des  Hollandois ,  ils  ont 
continue  a  faire  negocier  en  Angleterre,  et  Ton 
y  est  convenu  de  cet  expedient :  que  les  flottes 
venant  a  se  rencontrer  au-dela  du  cap  de  Finis- 
tere ,  elles  se  salueront  egalement  I'une  I'autre ; 
mais  que,  dans  la  Manche,  les  Francois  evi- 
teront  la  rencontre  de  celle  d'Angleterre;  d'oii, 
suivant  les  termes  de  la  marine,  il  est  aise  de 
conclure  que  le  Roi  consent  que  son  amiral  rende 
obeissance  a  celui  de  Sa  Majeste  Britannique. 
J'eviterois  de  parler  de  ceci ,  si  je  ne  m'y  croyois 
oblige  par  le  zele  que  j'ai  pour  ma  patrie ,  et 
parce  que  j'ecris  ces  Memoires  tant  pour  I'in- 
struction  de  mes  enfans  que  pour  faire  connoitre 
que  je  n'ai  jamais  eu  que  des  sentimens  d'hon- 
neur  et  d'une  veritable  gloire.  Pour  faire  voir 
aussi  que  ceux  qui  ont  part  aux  affaires ,  et  en 
qui  le  Roi  pouvoit  avoir  contiance  ,  en  ont  abuse 
par  malice  ou  par  ignorance  (  ce  que  j'aime 
mieux  croire  ) ,  il  faut  savoir  que  les  rois  d'An- 
gleterre s'etant  pretendus  seigneurs  de  la  Man- 
che ,  qu'ils  etendent  jusqu'au  cap  de  Finistere , 
le  roi  de  France  leur  en  a  comme  accorde  le 
titre ,  en  ordonnant  a  ses  flottes  d'eviter  la  ren- 
contre des  Anglois ,  avec  qui  il  y  a  beaucoup 
d'apparence  qu'on  en  est  convenu,  puisqu'au-dela 
de  ce  meme  cap  de  Finistere  ceux-ci  ont  consenti 
que  les  flottes  se  saluassent  egalement.  H  seroit 
en  verite  bien  difficile  d'eviter  leur  rencontre 
dans  une  mer  etroite ;  au  lieu  que  les  Anglois  ne 
seront  jamais  dans  la  necessite  de  reconnoitre 
le  pavilion  de  France  dans  la  haute  mer,  a  moins 
qu'une  tourmente  extraordinaire  ne  fit  appro- 
cher  les  deux  flottes :  ce  qui  ne  peut  arriver  que 
par  deux  vents  contraires  qui  souffleroient  en 
meme  temps.  Jeconviens  que  depuis  long-temps 
les  rois  d'Angleterre  ont  pretendu  1 'empire  de  la 
mer,  etque,  pour  cet  effet,  ils  ont  fait  frapper  des 
monnoies  ou  leur  effigie  etoit  representee  sur  un 
navire ,  tenant  d'une  main  une  epee  et  de  I'autre 
un  monde.  Mais ,  loin  d'avoir  ete  reconnus  tcis 
par  les  rois  de  Suede  et  de  Danemarck ,  ceux-ci 
les  ont  forces  jusque  dans  les  rades  de  France  a 
leur  rendre  les  honneurs  qu'ils  pretendoient 
d'eux.  On  en  doit  done  tirer  cette  consequence , 
qu'on  a  fait  un  grand  prejudice  a  la  France 
d'avoir  mis  cette  chose  en  negociation ,  et  de  ne 
s'en  etre  pas  tire  au  moins  avec  un  avantage 
egal ;  mais  il  ne  faut  pas  s'etonner  s'il  se  trouve 
des  personnes  qui  veulent  traiter  les  affaires  de 
cette  maniere,  et  qui  croient  avoir  bien  gagne 
quand  on  n'a  pas  tout  perdu.  Tout  le  monde  ne 
salt  pas  preferer  la  gloire  et  I'honneur  a  des 
vues  particulieres.  Les  rois  de  France  donnoient 
autrefois  la  eonduite  de  leurs  affaires  a  des  gens 


DEUXIEMK    PARTIE. 


lOGl 


k;. 


d'epee  et  de  naissance ,  plulot  qu'a  des  personnes 
de  robe  et  de  petite  extraction.  Si  Ton  venoit  a 
s'elever  par  de  belles  actions,  on  recevoit  le 
titre  de  chevalier ,  pour  faire  connoitre  que , 
s'etant  eleve  par  son  courage  au-dessus  de  sa 
condition  ,  Ton  entroit  dans  une  autre ,  ou  Ton 
ne  seroit  plus  excusable  s'il  arrivoit  de  com- 
mettre  la  moindre  lachete.  Enfin  je  n'eusse  pas 
manque  de  dire  ma  pensee  au  Roi  s'il  m'eut 
parle  de  cette  affaire,  etant  persuade  que  ses  lu- 
mieres  I'auroient  porte  a  suivre  raes  sentimens, 
malgre  ce  qu'on  fait  pour  lui  faire  entendre  que 
qui  n'est  malheureux  quVn  certaines  choses  ne 
perd  rien,  et  qu'il  y  a  des  occasions  oil ,  pour 
son  interet ,  il  est  permis  de  faire  tort  a  sa  repu- 
tation. Cependant  il  nous  en  arrive  de  grands 
inconveniens  avec  les  Anglois,  en  ce  que  nous 
avons  beaucoup  perdu  avec  eux,  et  que  nous 
courons  risque  de  perdre  avec  les  Hollandois, 
qui  persistent  toujours  a  vouloir  que  le  mot  de 
peche  soit  exprime  dans  les  articles  ou  les  choses 
qui  leur  doivent  etre  garanties  sont  enoncees  , 
autant  pour  empecher  les  Anglois  de  rien  entre- 
prendre  sur  leur  liberte,  que  pour  persuader  le 
raonde  que  la garantie generate  comprend  tout, 
quand  il  n'y  a  point  de  reserve.  D'ailleurs  ils 
sont  assez  eclaires  pour  croire  que  s'ils  etoient 
attaquespar  les  Anglois ,  nous  n'abandonnerions 
point  leur  protection.  Les  Anglois  eux-memes 
seroient  bien  ignorans  s'ils  se  pouvoient  imagi- 
ner  que ,  faute  d'avoir  mis  un  mot  dans  un  trai- 
te ,  on  abandonnat  la  defense  d'un  allie.  Je 
ra'en  suis  explique  avec  les  ambassadeurs  des 
Etats-generaux ,  en  leur  conseiilant  de  signer 
ce  traite  de  la  maniere  que  le  Roi  le  leur  pro- 
poseroit ,  et  d'esperer  que  le  canon  expriraera  un 
jour  ce  que  la  plume  aura  oublie  :  et  peut-etre 
que  nous  serous  reduits  a  les  en  prier.  Je  dirai 
meme  librement  que  celui  qui  suivra  les  senti- 
mens de  I'autre  sera  le  plus  sage ,  quoique  la 
difference  des  deux  Etats  soit  si  grande,  qu'ap- 
paremment  ce  sera  toujours  aux  Hollandois  a 
recevoir  la  loi ,  bien  loin  de  pretendre  la  donner. 
Je  crois  que  peu  de  personnes  ignorent  que 
M.  de  Lorraine,  n'etant  pas  content  de  ce  qui 
avoit  ete  arrete  au  traite  des  Pyrenees  pour  ses 
interets ,  fit  faire  plusieurs  ouvertures  pour  ame- 
liorer  sa  condition  ,  et  qu'eufin  il  engagea  le 
cardinal  Mazarin  ,  de  maniere  que,  sous  le  pre- 
texte  honnete  d'assurer  au  Roi  un  chemin  pour 
aller  en  Alsace,  Son  Eminence  donna  atteinte 
iiu  traite  qu'elle  avoit  conclu,  en  restituant  le 
duche  de  Rar,  legitimement  confisque  sur  lui, 
moyennant  Techange  ou  la  cession  de  qiiclques 
terres.  Le  due  accorda  ce  qu'on  vouloit  de  lui , 
et  se  flatta  pendant  long-temps  que  Nancy  luy 


seroit   rendu  sans  6tre  demantele ;   mais ,  ne 
I'ayant  pu  obtenir  du  Roi ,  11  ceda,  et  Ton  de- 

puta  des  commissaires  de  la  part  du  Roi  et  du 
due  pour  travailler  a  planter  des  bornes ,  afin 
qu'on  connut  ce  qui  appartenoit  a  la  France. 
Toutes  les  fois  que  les  commissaires  s'assem- 
bloient,  il  survenoit  des  incidens  qui  les  empe- 
choient  de  rien  conclure;  et  Sa  Majeste  faisoit 
menacer  alors  M.  de  Lorraine  que,  si  les  com- 
missaires abusoient  de  sa  bonte,  elle  feroit  plan- 
ter les  bornes,  et  que  Ton  verroit  qui  seroit  as- 
sez hardi  pour  les  abattre.  Le  due  revint  a  Pa- 
ris, et  fit  plusieurs  propositions,  dont  I'une 
etoit  de  renoncer  a  son  duche  en  faveur  de  ma- 
demoiselle de  Nemours.  Mais  il  fut  aise  de  con- 
noitre qu'il  ne  cherchoit  qu'a  gagner  du  temps , 
puisqu'au  lieu  d'aplanir  les  difficultes  qui  se  ren- 
controient,  il  en  faisoit  toujours  naitre  de  nou- 
velles.  Enfin  le  Roi,  apres  avoir  fait  pour  luice 
que  naturellement  il  ne  devoit  pas  esperer,  qui 
etoit  d'approuver  la  loi  salique,  se  lassa  de  sa 
maniere  d'agir ;  et  le  due,  par  I'envie  de  nuire 
a  son  frere  et  a  son  neveu,  et  d'elever  un  b^- 
tard  qu'il  avoit  eu  de  la  princessede  Cantecroix^ 
fit  proposer  a  Sa  Majeste  de  lui  ceder  en  heri- 
tage les  duches  de  Lorraine  et  de  Rar.  Lyonne, 
qui  avoit  ete  employe  pour  negocier  les  condi- 
tions du  mariage  du  prince  Charles  et  de  ma- 
demoiselle de  Nemours,  fut  nomme  commis- 
saire,  et  s'aboucha  plusieurs  fois  avec  LeCocq^ 
greffier  de  la  chambre-des-comptes,  et  beau- 
frere  de  I'intendant  de  mademoiselle  de  Guise. 
Ils  arreterent,  sous  le  bon  plaisir  du  Roi,  cer- 
tains articles  rediges  depuis  en  traite ,  et  signes 
par  Sa  Majeste  et  par  M.  de  Lorraine.  Des  rai- 
sons  ont  oblige  a  tenir  secret  ce  traitd,  qui 
d'ailleurs  etoit  assez  public ,  non  pas  a  cause 
du  Roi ,  qui  y  fut  trompe  en  tons  les  articles , 
mais  a  cause  de  ceux  qui  s'en  etoient  meles.  La 
reunion  de  la  Lorraine  a  la  France  eblouit  les 
personnes  les  moins  eclairees ;  et  le  Roi  meme , 
presse  par  un  mouvement  d'ambition  et  par  le 
desir  d'avoir  la  gloire  de  faire  des  choses  avan- 
tageusesa  sa  couronne,  manda  le  chancelier  et 
les  secretaires  d'Etat,  etc.,  et  les  fit  lire  en  leur 
presence.  Le  marechal  de  Villeroy  s'y  trouva 
aussi.  Ce  qu'il  y  a  de  beau  dans  ce  traite  pour 
le  Roi ,  c'est  la  reunion  de  la  Lorraine  a  la 
France ,  et  que  des  a  present ,  dit-on ,  des  places 
en  seront  livrees  a  Sa  Majeste,  dans  iesquelles 
on  pourra  mettre  des  garni  sons.  De  plus ,  M.  de 
Lorraine,  devant  jouir  des  re^enus  ordinaiies 
et  extraordinaires  ,  ne  pouvoit  neaumoins  im- 
poser  au-dela  d'un  million  de  livres  barroises. 
Cequi  rendee  traite.  moins  honorable,  c'est  que 

I  le  due  stipule  que  ceux  qu'il  aura  pourvus  de^ 


tac, 


MEMOIRES    DU    COMTE    DE    BEIENNE 


benefices  ou  offices  y  seront  maintenus  apres  sa 
nioit;  qu'il  prendra,  sur  le  million  impose,  par 
preference  a  toute  charge,  la  somme  de  sept 
cent  mille  livres  ( la  difference  de  s'expliqiier 
donnoit  lieu  de  croire  que  M.  de  Lorraine  y 
trouveroit  son  avantage);  qu'il  jouiroit  de  sept 
cent  mille  livres  excedant  le  million;  qu'il  au- 
roit  deux  cent  mille  livres  de  rente,  une  moitie 
dans  une  terre  honoree  du  titre  de  duche  et  pai- 
rie ,  et  I'autre  sur  des  revenus  du  Roi  dont  il  au- 
roit  I'eutiere  disposition ,  et  meme  de  les  ceder 
a  son  batard;  que  lui  et  ceux  de  sa  maison 
jouiroient  non-seulement  des  privileges  des  prin- 
ces du  sang ,  raais  seroient  meme  reputes  etre 
du  sang  royal ,  et,  en  cette  qualite,  capables  de 
succeder  a  la  couronne  de  France,  si  les  princes 
de  Bourbon  venoient  a  manquer;  que  quatre 
princes  du  sang  de  Lorraine  ue  laisseroient  pas  , 
sans  avoir  aucune  pairie,  d'avoir  entree  et 
seance  au  parlement,  iramediatement  apres  ceux 
de  la  maison  de  France  ;  qu'ils  seroient  reputes 
pairs-nes  comme  ceux-ci;  que  la  restriction 
qu'on  en  fait  a  quatre  n'est  que  pour  eviter  la 
confusion  qu'un  plus  grand  nombre  pouvoit 
causer;  et  qu'aucuus  princes  batards,  ni  sortis 
dc  batards  de  France,  ue  pourrontie  disputer 
a  la  maison  de  Lorraine.  Le  Roi  voulut  que  ce 
traite  fiit  lu ,  et  se  trouva  surpris  de  ce  que  le 
chancelier  ne  I'approuva  pas.  Je  me  crois  oblige 
de  dire,  a  I'honneur  du  chancelier,  qu'il  paria 
en  homme  de  bien  ,  faisaut  connoitre  a  Sa  Ma- 
jeste  qu'elle  ne  pouvoit  faire  des  princes  du  sang 
par  une  declaration,  et  que  la  justice  vouloit 
que  les  parlemens  lui  fissent  des  remontrances 
sur  cet  article.  Mais  le  Roi  fit  bien  paroitre  qu'il 
ne  trouvoit  pas  bon  d'etre  contredit  :  ainsi  le 
chancelier  se  tut,  et  eut  ordre  de  se  preparer  a 
parler  au  parlement  lorsque  Sa  Majeste  iroit  y 
tenir  son  lit  de  justice  ,  pour  faire  enregistrer 
I'edit  qui  devoit  etre  expedie  pour  donner  de  la 
force  au  traite.  Je  m'attendois  toujours  que 
le  Roi  me  demanderoit  raon  sentiment ;  mais 
voyant  qu'il  I'evitoit  et  jugeant  bien  que  c'etoit 
par  conseil,  je  le  regardai  plusieurs  fois  pour  lui 
en  faire  naitre  I'envie.  Je  souhaitai  meme  de 
parler  sans  etre  interroge ;  mais  je  m'en  abstins, 
pour  ne  vien  faire  de  contraire  a  laretenue  dont 
j'ai  toujours  fait  profession.  Si  Sa  Majeste  m'eut 
demandemon  sentiment,  je  me  serois  excuse  de 
le  dire,  parce  que  je  suis  sorti  d'une  famille  qui 
a  si  souvent  soutenu  que  la  maison  de  Lorraine 
ne  peut  avoir  de  pretention  sur  la  couronne  de 

(1)  Lcsioilc  rend  com ptc  dans  son  Journal  dc  Henri  151 
(  pa^e  162  de  noire  ('-dUion,  (ome  1".  2«  serie  dc  la  Col- 
lection dc  MAf.  Rlichaud  ct  Poujoulat),  du  liailenicnl 
quifut  iiifligca  Fianc'tisdeRosieicaicIudiacicdcToul, 


France ,  que  je  ne  pouvois  comprendre  que 
I'heritier  des  rois  pour  lesquels,  aussi  bien  que 
pour  la  justice  de  leur  cause,  on  a  repandu  tant 
desang,  tombat  d'accord  que  cette  pretention 
pouvoit  etre  soutenue ;  car  qui  declare  une  fois 
qu'une  succession  peut  etre  ouverte  en  faveur 
de  celui  qui  la  demande,  convient  qu'il  est  de 
la  maison.  Je  n'aurois  pas  encore  manque  de  re- 
presenter  a  Sa  Majeste  le  livre  que  les  Lorrains 
mirent  au  jour,  sous  le  regne  du  roi  Henri  III , 
la  reprimande  qui  fut  faite  a  celui  qui  en  etoit 
I'auteur  (i) ,  le  desaveu  qu'ils  firent  de  ce  livre,  et 
la  foiblesse  de  leurs  citations,  en  leur  represen- 
tant  leur  origine  veritable.  Ensuite  je  serois  en- 
tre  en  matiere  ,  si  ce  monarque  me  Teiit  com- 
mande,  pour  lui  faire  voir  qu'il  achetoit  ce  qui 
lui  appartenoit ,  et  qu'il  donnoit  par-la  occasion 
a  une  guerre. 

Je  n'ai  que  deux  choses  a  dire  pour  prouver 
que  le  Roi  est  seigneur  souverain  de  la  Lorraine , 
I'etendue  des  Gaules  du  temps  de  Cesar,  et  I'e- 
rection  du  royaume  d'Austrasie  par  I'empereur 
Charlemagne.  Si  Ton  m'allegue  que  les  rois  de 
France  y  ont  renonce,  je  replique  qu'ils  ne  I'ont 
pu  faire,  n'etant  qu'usufruitiers  et  non  pas  pro- 
prietaires  du  royaume.  Mais,  suppose  que  la 
maison  de  Lorraine  possede  a  juste  titre  Je  du- 
che que  le  due  Charles  a  cede  au  Roi ,  il  faut 
examiner  si  c'est  de  son  chef  ou  de  celui  de  la 
duchesse,  sa  femme,  qu'il  le  possede.  Pour 
prouver  qu'il  appartient  a  cette  princesse ,  il  n'y 
a  qu'a  lire  son  contrat  de  mariage ,  et  se  souve- 
nir comment  les  filles  y  ont  succede  autrefois, 
et  que,  pour  en  detruire  le  droit ,  il  faut  conve- 
nir  d'un  autre  :  que  la  couronne  de  France 
n'auroit  jamais  voulu  avouer  que,  par  la  loi  sa- 
lique,  les  filles  en  etoient  exclues  au  profit  des 
males.  Si  cette  loi  est  constante,  M.  de  Lorraine 
ne  peut  vendre  au  prejudice  de  ceux  qu'elle  ap- 
pelle;  et  si  elle  n'a  point  de  lieu,  quel  droit  a  le 
due  Charles  de  nous  ceder  ce  qui  appartient  a 
son  neveu?  L'une  des  propositions  sera  toujours 
veritable,  et  la  nullite  de  la  vente  reconnue. 
Mais,  suppose  que  la  chose  piit  se  faire  pour  mi 
bien  public,  puisque  ce  qui  est  echange  tient 
lieu  dece  qu'on  possedoit  en  propriete,  la  jus- 
tice voudroit  que  les  terres  et  revenus  que  le 
Roi  s'oblige  de  donner  demeurassent  affectes 
aux  legitimes  heritiers  du  sang  dont  I'exclusion 
rend  le  contrat  vicieux.  Quelque  garantie  que 
donne  M.  de  Lorraine  de  la  vente,  avec  la  pos- 
session dans  laquelle  il  met  Sa  Majeste,  tout 

autcur  dc  oct  ouvragc,  ayant  pour  Hire  :  Stemmatam 
LotliarititjiiP  ac  Barri  (Uirinn,  tomi  scptem,  iniprimo 
a  Paris  par  Guiilame  Chaudidre,  Pan  J 580. 


DEUXIEME    PAIITIE.    [I6GI] 


IG7 


cela  n'approc'he  point  de  ce  qu'elle  fera  pour  s'y 
inaiiiteiiir  avec  son  epee.  Pourquoi  douc  avoir 
cede  ce  qu'on  possedoit  a  si  bon  titre,  pour  I'ac- 
querir  ensuite  de  celuiqui  u'eloit  pas  en  pouvoir 
de  vendre  ?  Si  d'ailleurs  le  Roi  m'eut  demande 
la  raison  de  ce  que  je  temoignois  tant  d'eloigne- 
ment  pour  la  maison  de  Lorraine,  j'aurois  re- 
pondu  qu'il  m'etoit  impossible  d'aimer  ceux  qui 
out  voulu  depouiller  les  veritables  heritiers  de 
Hugues  Capet,  sur  une  supposition  reconnue 
fausse  par  tous  ceux  qui  sont  verses  dans  la  lec- 
ture de  I'histoire,  que  des  princes  sortis  de  la 
maison  d'Alsace  aient  pretendu  efre  de  celle  de 
Pepin ,  ett[u'iis  se  soient  encore  donne  une  autre 
origine  aussi  peu  fondee  que  la  premiere,  d'etre 
descendus  de  Godefroyde  Bouillon  :  ce  qui  s'ap- 
pelle  confondre  deux  duches  et  deux  tiges,  pour 
en  tirer  de  la  gioire  et  de  I'avantage.  II  est  bien 
vrai  que  la  Moselle,  la  haute  Lorraine  et  le 
Brabant  faisoient  partie  du  royaume  d'Austrasie, 
et  que  depuis  qu'il  fut  oecupe  par  les  Allemands, 
les  Empereurs  y  etablirent  des  gouverneurs  sous 
le  nom  de  dues ,  qui  dans  la  suite  des  temps  sont 
devenus  hereditaires.  Mais  de  conclure  que  cette 

I  couronue  a  appartenu  a  ceux  qui  out  commande 
sous  I'autorite  des  empereurs  Othon,  Henri  et 
un  des  Conrads,  c'est  ce  qui  n'a  aucune  appa- 
rence  de  raison.  La  division  qui  fut  faite  du 
royaume  est  une  preuve  suffisante  pour  inferei- 
qu'il  ne  reste  aucun  prince  du  sang  de  Charle- 
magne :  ce  qui  a  ete  ainsi  reconuu  par  I'archi- 
(liacredesRozier,  quiavoitecritala  sollicitation 
de  la  maison  de  Lorraine. 

On  a  voulu  persuader  ensuite  au  Roi  que  le 
due  ne  pouvoit  se  depouiller  de  son  Etat  au  to- 
tal ou  en  partie;  et  Sa  Majeste  s'est  arretee  a 
cette  raison ,  qui  lui  eut  paru  tres-peu  impor- 
tante  si  on  lui  eiit  remoutre  en  meme  temps  que 
le  r.arrois,  fief  de  la  couronne  de  France,  ayant 
cte  legitimement  confisque,  M.  de  Lorraine, 
pour  le  recouvrer  et  le  conserver  dans  sa  fa- 
mille,  avoit  pu  demembrer  quelques  villages  et 

^  meme  quelques  portions  deceduche,  qu'on  a 
fait  entendre  au  Roi  qu'il  possedoit  en  titre  de 
souverainete. 

La  justice  de  I'arret  du  parlenoent  rendu 
contre  M.  de  Lorraine  est  fondee  sur  une  loi 
recue  et  bien  etablie,  que  le  presomptif  heritier 
de  la  couronne  ne  se  pent  marier  sans  le  con- 

'  senteraent  du  Roi.  Pour  prouver  que  le  due  est 
son  Vassal ,  il  u'y  a  qu"a  voir  les  hommages  que 
lui-meme  et  ses  predecesseurs  ont  rendus  aux 
rois  ;  d'ou  il  faut  tirer  la  consequence  qu'il  est 
lige ,  et  que  ce  terrae  ,  comme  on  en  convient , 
ii'est  pas  seulcment  une  simple  confiscation  de 
iief ,  n^ais  souinct  encore  la  tete  du  vassal  a  Te- 


pee de  la  justice  du  souverain.  Mais  quand  il 
seroit  souverain  ,  en  possedant  des  Etats  qui  ne 
relevent  de  personne ,  il  ne  laisse  pas  pour  cela 
d'etre  sujet  de  la  couronue  de  France  pour  son 
duche  de  Bar,  qu'il  ne  possede  pas  a  merae  titre. 
Ce  n'est  plusanousadisputer  si  la  Lorraine  est 
possedee  en  tout  ou  en  partie  en  souverainete  : 
c'est  a  I'Empereur  a  entrer  dans  cette  contesta- 
tion. Quelques-uns  de  ses  predecesseurs,  dans 
la  decadence  de  I'Empire,  se  sont  contentes  , 
pour  eviter  toute  contestation ,  d'assujetir  le  due 
tie  Lorraine  a  contribuer  aux  charges  du  meme 
Empire,  sans  exprimer  ce  qui  en  pouvoit  etrc 
mouvant.  D'oii  il  faut  conclure  que ,  de  I'aveu 
des  dues,  etsuivant  les  pretentions  des  Empe- 
reurs, le  duche  de  Lorraine  releve  pour  le  tout 
ou  en  partie  de  I'Empire. 

Ceux  qui  ont  conseille  au  Roi  de  donner  des 
successeurs  a  la  maison  de  Lorraine  font  voulu 
flatter,  en  lui  disant  que  c'etoit  une  marque  de 
son  absolue  et  souveraine  puissance ,  sans  con- 
siderer  que  celui  qui  pent  disposer  du  total 
de  sou  Etat ,  en  peut ,  a  plus  forte  raison ,  ceder 
une  partie,  d'ou  les  Espaguols  et  les  Anglois 
pourroient  conclure  que  les  rois  Jean  et  Fran- 
cois V^  auroient  pu  ceder  le  premier  a  ceux-ci , 
la  souverainete  de  la  Guienne,  et  le  second  ,  a 
ceux-la ,  celle  de  la  Bourgogne  :  maximes  si 
fausses  qu'elles  ont  ete  combattues  par  les  Etats 
de  ces  deux  belles  provinces  du  royaume,  qui 
sont  demeurees  reunies  a  la  monarchic  ,  nonob- 
stant  la  cession  forcee  que  les  rois  en  avoient 
faite  a  des  etrangers.  II  est  bien  constant  que 
I'autorite  de  nos  rois  n'est  point  bornee ,  et  qu'a 
certains  egards  ils  sont  maitres  de  nos  corps  et 
de  nos  biens;  mais  ils  n'ont  pas  une  puissance 
assez  despotique  pour  etre  en  droit  de  ceder 
leur  royaume ,  et  d'appeler  a  leur  succession 
d'autres  que  ceux  a  qui  elle  appartient  par  le 
droit  du  sang.  II  se  contracte  entre  le  Roi  et  son 
Etat  une  espece  de  mariage  qui  ne  peut  etre  dis- 
sous,et  qui  etabliroit  cette  maxime ,  que  le  Roi 
me  peut  donner  a  un  autre ,  etabliroit  que  j'ai 
aussi  la  liberte  de  me  donner  moi-meme.  Les 
conditions  doivent  etre  egales  entre  lemari  etia 
femme,  et  rien  n'est  permis  a  fun  qui  ne  lesoit  a 
I'autre.  II  n'y  a  jamais  eu  que  les  etrangers  qui 
ont  tache  de  donner  atteinte  a  la  force  de  nos 
lois.  Si  I'on  me  demande  pour  quelle  raison  je 
marque  tant  d'eloignement  pour  la  maison  et 
pour  la  personne  du  due  Charles ,  je  dirai  ce  que 
je  n'aurois  pu  dire  au  Roi,  que  je  ne  puis  ou- 
blier  que  ce  prince  arbora  autrefois  des  eten- 
dards  dans  lesquels  il  avoit  fait  representer  une 
couronne  de  France  lenvcrsee  par  la  foudrc , 
avec  cette  inscription  :  riamma  metuemla  1y- 


Ifi.S 


MEMOiuiiS  dl;  comte  UK  IillIl•:^l^E, 


ranuisj  et  line  autre  formeede  lis  qu'une  epee 
tranchantc  coupoit  par  le  milieu  ,  avec  ces  pa- 
roles :  Il/am  dabit  ultio  messem,  Ceux  qui  out 
connoissance  de  tout  ceci  concevront  avec  peine 
que  le  Roi  ait  eu  la  pensee  d'elever  une  maison 
(lui  a  travaille  pendant  plusieurs  siecles  a  mi- 
ner la  sienne.  On  pourroit  repondre  encore, 
pour  justifier  le  traite,  que  c'etoit  le  seul  nioyen 
pour  unir  la  Lorraine  a  la  France;  maisje  di- 
rai  :  Pourquoi  acheter  ce  qui  nous  appartient  ? 
pourquoi  avoir  renonce  a  tant  d'autres  droits 
legitimes,  pour  en  acquerir  un,  qui,  au  fond, 
sera  contestetant  qu'il  resteraun  prince  du  sang 
de  Lorraine?  J'oubliois  une  raison  qui  me  pa- 
rolt  forte  :  c'est  qu'il  faut  considerer  d'abord 
le  droit  qu'avoit  le  Roi  de  garder  le  duche  de 
Lorraine,  droit  herite  de  Louis  XIII ;  et  je  con- 
vlendrai  que ,  soit  que  leduc  Charles  fut  raaitre 
d'en  disposer  par  la  loi  salique  ou  non  ,  il  etoit 
soumis  a  la  garantie,  des  qu'il  la  promettoit  par 
differens  traites  ,  et  renoncoit  a  tous  droits  de 
propriete  et  de  souverainete  au  profit  du  Roi , 
en  cas  de  contravention.  On  n'a  pour  cela  qu'a 
lire  ceux  qu'il  a  signes ,  et  a  en  tirer  les  conse- 
quences necessaires.  Mais  voici ,  a  raon  sens , 
une  consideration  sans  replique ,  et  qui  auroit 
du  empecher  le  Roi  de  signer  ce  traite.  C'est 
qu'on  pent  en  craindre  qu'il  ne  serve  un  jour 
de  matiere  a  une  guerre  civile  :  car  il  y  a  peu 
d'apparence  que  les  princes  du  sang  deRourbon 
supportent  facileraent  tant  de  compagnons ,  et 
que  ceux  des  autres  maisons ,  qui  out  precede 
Lorraine,  les  veuillent  considerer  comme  pou- 
vant  un  jour  devenir  leurs  maitres.  Cela  obli- 
gera  les  uns  a  se  retirer  dans  leurs  gouverne- 
mens,  et  les  autres  dans  leurs  maisons.  lis 
donueront  aux  mecontens  matiere  d'entrer  dans 
des  factions  dont  les  evenemens  peuvent  etre 
craints,  et  sont  toujours  tres-incertains.  Enfm 
ee  traite  est  une  semence  de  guerre  jetee  dans 
un  champ  qui  pourra  la  produire  un  jour. 

Ne  soyez  point  surpris ,  mes  enfans ,  que  des 
hommes  de  plume  soientcapables  d'entreprendre 
des  choses  qui  attirent  la  guerre ;  car  comme 
ils  ne  hasardent  point  leur  vie  ,  aussi  n'ont-ils 
point  de  menagement  pour  celle  des  autres.  Les 
exemples  €n  sont  comrauns.  Ceux  qui  liront  les 
Memoires  de  Philippe  de  Commines  appren- 
dront  que  les  tetes  couronnees  ne  sauroient 
avoir  de  plus  dnngereux  conseillers  que  ceux 
qui  presument  trop  de  la  grandeur  de  leurs 
maitres,  et  qui  n'ont  d'autre  pensee  que  de  se 
conserver  dans  leurs  bonnes  graces  ,  en  applau- 
dissant  a  tout  ce  qu'ils  croient  leur  pouvoir  etre 
agreable. 

Je  suis  oblige ,  mes  enfans ,  de  vous  faire  re- 


raarqutr  encore  la  foiblesse  de  resprithuraain, 
et  je  ne  puis  vous  eu  donner  un  exemple  plus 
sensible  que  ce  qui  se  passe  acluellement  a  la 
courde  la  France.  Des  princes  y  cessent  d'etre 
princes  pour  avoir  une  dignite  qui  leur  pent  etre 
contestee,  et,  sous  I'esperance  d'une  veritable 
chimere  ,  ils  cedent  un  bien  reel  et  cessent  en- 
fm d'etre  princes,  en  ne  possedant  plus  de  sou- 
verainete. 

[  La  cour  de  Rome  inquietoit  toujours  le  Roi 
pour  les  affaires  du  cardinal  de  Retz,  qui  etoient 
loing  d'etre  terminees,  malgre  les  instances  rei- 
terees  des  protecteurs  des  affaires  de  France  a 
Rome.  Le  Roi  resolut  done  de  donner  de  spe- 
ciales  instructions  sur  ce  point  au  sieur  d'Aube- 
ville ,  gentilhomme  ordinaire  de  Sa  Majeste  , 
s'en  allant  de  Rome  pour  ses  affaires.  Elles 
etoient  ainsi  concues : 

«  Le  Roi  ecrit  une  lettre  au  Pape  touchant 
I'affaire  du  cardinal  de  Retz,  qui  sera  presentee 
a  Sa  Saintete  par  le  sieur  d'Aubeville;  elle  est 
en  creance  sur  luy,  et  il  I'exposa  a  Sa  Saintete 
en  la  maniere  qui  ensuit :  Que  le  Roy,  ayant  tous 
les  jours  de  nouveaux  sujets  de  mecontente- 
ment  dudit  cardinal ,  qui ,  de  Tobscurite  mesme 
de  sa  retraite  ,  tesmoigne  plus  de  mauvaise  vo- 
lonte  que  jamais ,  s'il  en  avoit  pouvoir,  de  trou- 
bler  son  Etat,  cabaleavec  des  princes  etrangers, 
et  pour  en  avoir  protection  et  pour  aliener  leur 
esprit  de  cette  couronne,  et  les  engager  a  des 
resolutions  contraires  a  son  service  ,  n'obmet 
rien  par  le  moyen  de  ses  emissaires  pour  de- 
bauscher  ses  sujets  de  I'obeissance  qu'ils  luy 
doivent,  et  tascher,  en  toutes  manieres  dont  il 
pent  s'aviser,  de  causer  quelque  prejudice  au  bien 
de  ses  affaires ;  Sa  Majeste,  voyant  cette  opinia- 
trete  invincible  dudit  cardinal  a  perseverer  dans 
des  desseins  aussi  pernicieux  que  Ton  nait  ja- 
mais eus,  s'est  resolu  de  reprendre  aupres  de  Sa 
Saintete  la  poursuite  du  chatiment  de  ses  cri- 
mes, et  de  supplier  Sadite  Saintete  d'avoir  agrea- 
ble de  donner,  sans  plus  de  delai,  les  ordres  ne- 
cessaires pour  I'instruction  du  proces  dudit  car- 
dinal ,  tant  parce  que  la  justice  et  le  bien  de  la 
tranquillite  de  cet  Estat  le  requierent,  que  pour 
ne  point  laisser  passer  a  la  posterite  le  dange- 
reux  exemple  qu'un  si  grand  nombre  d'attentats 
contre  I'autorite  souveraine  soient  demeuresim- 
punis,  et  notamment  commis  de  cette  sorte  par 
un  ecclesiastique,  que  son  devoir  et  toutes  rai- 
sonsobligeoientplutota  former  aux  peuples,  par 
une  conduite  entierement  differente,  un  modele 
exemplaire  de  moderation  ,  de  fidelite  et  d'o- 
beissance. 

..  Cependant ,  affin  que  ledit  d'Aubeville  ait 
plus  de  moyen  de  bicji  servir  Sa  Majeste  en  la 


DEUXliiMK     I'AKTIE.    [iGGl 


1  f)9 


poursuite  de  cette  affaire  qu'elle  a  prise  a  coeur, 
comme  son  service  le  requiert,  Sa  Majeste  a 
juge  a  propos  de  I'inforraer  suceincteraent  de  ce 
qui  s'y  est  passe  ci-devant,  del'estat  ou  elle  est 
demeuree,  et  par  quelle  voye  le  cardinal  de  Retz 
a  trouve  moyen  d'eluder  jusqu'icy  le  chati- 
ment  qui  estoit  deub  a  ses  fautes. 

»  Aussitot  apres  la  creation  de  ce  Pape,  le 
sieur  de  Lyonne,  que  Sa  Majeste  avoit  envoye  a 
Rome  pour  la  servir  pendant  le  dernier  con- 
clave ,  fit  instance  de  sa  part  a  Sa  Saintete,  a  ce 
qu'il  luy  pliit  employer  son  autorite  pour  faire 
le  proces  audit  cardinal  de  Retz  qui  se  trouvoit 
a  Rome ,  comme  estant  notoirement  coupable 
envers  elle  de  plusieurs  crimes  atroces  ,  c'est-a- 
dire  de  rebellion ,  de  soulevation  de  peuples 
contre  leur  souverain,  et  divers  autresde  raeme 
nature  ,  ou  nonguere  moindres. 

»  Qu'a  la  verite,  Sa  Majeste,  donnant  la  paix 
a  ses  subjects,  avoit  accorde  une  amnistie  gene- 
rale,  de  laquelle  ,  par  sa  bonte  ,  ledit  cardinal 
nese  trouvoit  pas  avoir  este  exclus,  mais  qu'es- 
tant  incontinent  apres  retombe  en  de  nouvelles 
fautes  qui  ne  meritoient  pas  un  moindre  cbati- 
ment ,  Sa  Majeste ,  non-seulement  le  demandoit 
^  Sa  Saintete ,  mais  estoit  en  droit  de  demander 
encore  qu'il  fut  puni  de  tout  le  passe ,  puisque , 
par  sa  recidive ,  les  anciens  crimes  revivoient 
et  que  I'effet  de  I'amnistie  estoit  aneanti  a  son 
egard  comme  si  jamais  elle  n'avoit  este  donnee. 
Sa  Saintete ,  pendant  quelques  mois  ,  evita  de 
donner  une  reponse  positive  a  cette  instance , 
sous  pretexte  que  la  lettre  du  Roy  s'adressoit 
au  pape  Innocent,  son  predecesseur  ,  et  non  pas 
a  elle ,  et  qu'en  tout  cas  11  falloit  que  ledit 
sieur  de  Lyonne  attendit  de  nouveaux  ordres  ; 
ne  cessant  cependant  de  favoriser  en  toutes 
choses  le  cardinal  de  Retz,  jusqu'a  ce  qu'enfin, 
par  ses  artifices ,  11  se  laissa  meme  porter,  sans 
en  dire  un  mot  au  ministre  du  Roy ,  a  lui  ac- 
corder  le  pallium  comme  a  un  arcbevesque  de 
Paris  :  qui  etoit  une  declaration  formelle  de  le 
reconnoitre  pour  tel  a  son  egard ,  quoique  le 
sieur  de  Lionne  luy  eut  souvent  faict  voir  que 
ledit  cardinal  ne  pouvoit  justement  s'attribuer 
cette  qualite  ,  n'ayant  ny  pris  possession  legiti- 
mement  dudict  arcbevesche  apres  la  mort  de 
son  oncle  ,  ny  prete  au  Roy  le  serment  de  fi- 
delite  qu'il  luy  devoit ,  acte  neanmoins  qui 
doit  necessairement  preceder  cette  prise  de  pos- 
session. II  se  peut  dire  que  le  Pape  eut  du  re- 
gret de  s'estre  engage  si  avant,  et  meme  quel- 
que  espece  de  bonte,  quand  le  sieur  de  Lyonne 
luy  faisant  aussitot  des  reprocbes  de  la  part  du 
Roy  d'un  si  grand  pas  qu'il  venoit  de  faire  con- 
tre le  droit  de  Sa  Majeste  ,  il  luy  lit  en  outre  lire 


dans  un  livre  les  canons  de  I'eglise  qu'il  luy 
presenta,  que  le  pallium  etoit  une  recompense 
de  la  vertu  et  une  marque  d'honneur  et  d'au- 
tborite  qui  ne  devoit  etre  accordee  a  aucun  ar- 
cheveque  dont  la  reputation  ait  jamais  ete  tas- 
cbee  ,  meme  par  simple  soupcon  ,  et  qu'a  plus 
forte  raison  elle  n'avoit  peu  que  contre  toute 
equite  faire  cette  demonstration  envers  un 
bomme  accuse  et  defere  a  Sa  Saintete  ,  meme 
par  son  Roy,  pour  raison  de  crimes  enormes. 

"Ce  fut  alors  que  le  Pape,  cognoissant  le  tort 
qu'il  avoit  eu  par  trop  de  precipitation ,  et  vou- 
lant  adoucir  les  justes  ressentimens  qu'il  pre- 
voioit  bien  que  le  Roy  luy  temoigneroit  de  son 
action,  des  que  Sa  Majeste  en  auroit  eu  la  nou- 
velle,declaraaudit  sieur  de  Lyonne,  pour  le  faire 
scavoir  a  Sa  Majeste,  qu'il  estoit  prest  de  luy 
complaire  en  ce  qui  estoit  de  faire  le  proces  au 
cardinal  de  Retz ,  et  meme  de  le  luy  faire  indis- 
tinctement ,  tant  sur  ses  anciens  crimes  que  sur 
les  nouveaux  ,  sans  qu'il  fut  besoing  que  le  Roy 
se  mit  en  aucune  peine  ny  d'avoir  donue  I'am- 
nistie des  premiers,  ny  d'alleguer  que  ceux-ci 
faisoient  revivre  les  autres,  parce  qu'il  ne  consi- 
deroit  non  plus  cette  amnistie  que  si  elle  n'avoit 
pas  ete  donnee. 

»  II  y  ajouta,  a  la  verite,  une  raison  dont  le 
Roy  ne  peut  pas  demeurer  d'accord,  qui  etoit 
que  quiconque  n'a  pas  droit  de  cbatier  un  cri- 
minel  ne  I'a  pas  non  plus  de  luy  pardouner;  mais 
il  fut  alors  juge  a  propos  de  n'entrer  pas  plus 
avant  dans  le  neud  de  cette  difficulte,  et  d'accep- 
ter  ce  que  le  Pape  offroit  de  faire  le  proces  sur 
toutes  les  charges  anciennes  et  nouvelles  mises 
sur  ledit  cardinal ,  parce  que  ce  point-la  sur- 
monte,  il  en  resultoit  en  apparence  une  certi- 
tude ,  comme  infaillible,  que  ledit  cardinal  ne 
pouvoit  pas,  par  aucune  justification,  eviter  la  pu- 
nition  de  ses  fautes,  jusque  meme  a  une  entiere 
destitution  de  tout  ce  qu'il  possedoit  ou  preten- 
doit  de  biens,  d'honneurset  dedignites,  les  cir- 
constances  de  la  seule  guerre  de  Paris  donnant 
lieu  a  des  chatimens  encore  plus  severes. 

"Apres  cette  declaration,  le  Pape, comme  vou- 
lant  deja  entrer  en  matiere,  dit  au  sieur  de 
Lyonne  que ,  pour  avoir  lieu  de  commencer  le 
proces  avec  les  forraalites  de  justice ,  la  lettre 
que  le  Roy  luy  ecrivoit  ne  suffisoit  pas ,  mais  qu'il 
estoit  necessaire  que  Sa  Majeste  presentat  une  re- 
quete  signee  d'elle  ou  de  sonprocureur-general, 
ou  de  son  ambassadeur.  Le  conseil  du  Roy  trouva 
cette  proposition  fort  etrange  et  la  pretention 
trop  ambitieuse  d'avoir  I'avantage  qu'un  grand 
Roy,  qui  ne  cognoit  en  terre  aucune  puissance 
temporelle  au-dessusde  luy,  se  soubmit  a  la  ju- 
ridiction  du  Pape  ,  fut  suppliant  a  son  tribunal, 


170 


JlEMOir.KS    DU    COIMTK    DM    LU'.IKNNE 


et  comme  partle  contre  le  cardinal  de  Retz,son 
sujet;  que  I'eglise  n'avoit  point  encore  veu  au 
temporei  une  si  iliustre  partie  que  le  premier 
roy  de  la  chretiente ;  que  si  le  Saint-Siege  ne 
vouloit  pas  rendre  a  la  justice  royale  le  cardinal 
de  Retz ,  le  chaugement  de  tribunal  ne  devoit 
pas  changer  nos  maxiraes ,  et  que  s'il  estoit  en 
France  le  procureur-general ,  a  la  verite  pour  le 
public ,...  seroit  sa partie;  mais  sansparler  de  la 
personne  du  Roy,  qui  est  au-dessus  de  pareilles 
lois ,  de  deveuir  partie. 

»  Tout  cela  bien  considere ,  il  fut  convenu  de 
suivre  Texemple  des  ambassadeurs  du  roy 
Louis  XI ,  qui  furent  envoyes  vers  le  Saint- 
Siege  en  la  cause  du  cardinal  de  Balue ;  ils  di- 
rent  qu'ils  avoient  charge  de  denoncer  a  Sa 
Saintete  que  ce  cardinal-la  etoit  criminel  de 
leze-majeste,  et  en  donneroient  lesfaits  sur  les- 
quels  ils  demanderent  vicariat  de  Sa  Saintete 
pour  instruire  le  proees  dans  le  royaume,  et, 
suivant  le  meme  stile,  il  fut  commande  au  sieur 
de  Lyonne  qu'il  donnat  avis  au  Pape,  par  ordre 
du  Roy,  que  le  cardinal  de  Retz  estoit  criminel 
de  leze-majeste ,  en  tels  et  tels  cas  qu'il  dedui- 
roit  dans  un  memoire  qu'il  signeroit,  et  qu'il 
avoit  cbarge  du  Roy,  son  maitre  ,  de  deniau- 
der  a  Sa  Saintete  vicarios  pour  proceder  contre 
luy,  et  que  la  preuve  se  feroit  par  temoins. 

»  C'est  pour  teuir  aujourd'hui  la  meme  cou- 
duite  en  cette  affaire,  que  Sa  Majeste  a  fait  raet- 
tre  entre  les  mains  dudict  d'Aubeville  un  me- 
moire paraphe  icy  par  le  sieur  comte  de  Brieune, 
secretaire-d'Estat,  comme  il  en  fut  use  I'autre  fois, 
contenaut  tons  les  crimes  du  cardinal  de  Retz , 
sur  lesquels  Sa  Majeste  desire  son  proees  luy 
etre  fait,  afin  que  ledit  d'Aubeville,  que  Sa 
Majeste  charge  de  faire  la  meme  instance  au 
Pape  ,  et  aux  memes  termes  que  Ton  vient  de 
direqu'avoiteu  ordre  de  faire  le  sieur  de  Lyonne, 
en  I'annee  1655  ,  puisse  aussi  signer  ledit  me- 
moire de  crimes,  et  en  outre  Sa  Majeste  le  luy 
ordonne,  dont  la  presente  instruction  signee 
d'elle  luy  servira  de  seurete  et  de  decharge. 

»  Jusques-la  il  se  peut  dire  que  I'affaire  etoit 
assez  bien  allee,  puisque  le  Pape  avoit  defere 
u  Tinstance  du  P.oy,  de  faire  ce  proees  genera- 
lement  sur  tons  les  crimes ,  sans  aucun  egard 
a  I'amnistie  accordee  par  Sa  Majeste,  a  quoy 
on  croit  encore  que  lediet  d'Aubeville  ne  peut 
pas  trouver  de  difficulte ;  mais  elle  s'echoua 
bientot  sur  une  autre  contestation  dont  on  doit 
bien  particulierement  informer  ledit  d'Aubeville, 
I't  des  raisons  de  Sa  Majeste ,  parce  qu'appa- 
remment  il  sera  encore  aujourd'huy  le  principal 
noeud  de  toute  I'affaire.  Le  Pape,  pour  I'instruc- 
tion  du  proees,  pretendit  alors,  etpeut-eslrepre- 


tendra  encore,  que  les  commissaires  qu'il  delc- 
gueroit  pour  commeucer  cette  procedure,  fus- 
sent  ou  son  nonce  ,  ou  d'autres  prelats,  on  ofli- 
ciers  italiens. 

»  A  quoy,  de  la  part  du  Roy,  il  y  a  deux 
grandes  difficultes,  I'une  qui  regarde  le  parle- 
ment ,  et  I'autre,  tout  le  clerge  de  France. 

»  Le  premier  pretend  d'etre  juge  de  tous  los 
ecclesiastiques,  sans aucune  distinction  de  quali- 
tes  ou  de  dignites ,  en  matiere  de  crime  de  leze- 
majeste,  et  qu'en  consequence  de  ce  droit ,  qui 
luy  appartient,  il  avoit  condamne  le  cardinal 
de  Chastillon,  depuis  les  concordats,  et  bien 
auparavant ,  le  cardinal  Balue  ,  auquel  tous  ses 
biens  furent  confisques  et  donnes  par  le  Roy 
a  diverses  personnes,  dont  la  posterite  a  tou- 
jours  joui  sans  trouble  ;  et  qu'encore  qu'apres 
une  prison  dudit  cardinal,  qui  dura  onze  annees, 
et  dans  I'extremite  de  la  vie  du  roy  Louis  XI ,  ce 
Pape,  alors  seant ,  deputa  plusieurs  commissai- 
res italiens  pour  cette  cause ,  ils  ne  furent  nean- 
moins  jamais  admis  ny  recus  en  France ,  et  s'en 
etant  retournes  sans  avoir  rien  fait ,  apres  que 
ledit  cardinal ,  sans  qu'il  luy  fit  autre  proees , 
fut  a  la  fin  delivre  d'une  si  longue  detention , 
et,  etant  banni  de  France,  s'en  alia  a  Rome. 
Le  Pape  repartit  a  cela  au  sieur  de  Lyonne,  que 
le  concordat  fait  depuis  exceptoit  les  cardinaux 
et  les  officiers  de  Rome ;  mais  il  luy  repliqua  , 
suivant  les  ordres  et  les  instructions  qui  lui 
avoient  ete  envoyees ,  premiereraent ,  que  la 
loy  etablie  pour  les  cardinaux  doit  etre  ren- 
fermee  a  ceux  qui  resident  actuel lement  a 
Rome;  et  en  second  lieu,  qu'elle  ne  doit  etre 
entendue  que  pour  les  delits  communs ,  et  non 
pour  les  crimes  de  leze-majeste,  pour  lesquels 
il  faudroit  une  loy  particuliere  qui  privat  les  Roys 
( ce  qui  ne  peut  etre)  de  la  jurisdiction  natu- 
relle  qu'ils  out  sur  les  ecclesiastiques  ,  le  sujet 
touchant  le  cas  privilegie ;  qu'aussi,  quand  il 
fut  question  de  juger  le  cardinal  de  Chastillon  , 
en  Tan  15()0,  long-temps  apres  les  concordats , 
le  parlement  jugea  le  cas  privilegie,  et  le  de- 
clara  criminel  de  leze-Majeste ;  et ,  pour  le  delit 
commun,  qui  etoit  I'heresie,  il  le  renvoya  a 
son  superieur,  et  par  arrest  du  7;  mais  ensuite 
il  declara  que  I'areheveque  de  Reims ,  comme 
metropolitain  ,  estoit  juge  du  cardinal  de  Chas- 
tillon, comme  eveque  de  Reauvais ;  cedit  arrest 
porte  meme  ces  termes  considerables  :  «  qu'il  en 
seroit  faict  registre ,  alin  que  la  posterite  scent 
([ue  la  eour  avoit  conserve  en  cela  la  liberte  de 
I'eglise  gallieane,  »  d'ou  Ton  peut  conclure  bien 
evidemmentque,  depuis  le  concordat,  la  France 
a  maintenu  son  droit  pour  les  eas  privilegiez  , 
meme  en  la  personne  dun  cardinal ,  et  que  le 


DEUXIEMK    PABTIE.    [IG6I] 


171 


concordat,  qui  nes'explique  pas  nettement,  a  et6 
publiquement  interprete  par  un  arret  si  solen- 
nel,  centre  lequel  on  n'a  point  reclame  a  Rome. 

>.  La  seconde  difficulte  regarde  le  clerge  de 
France,  qui  aileguoit  I'ancien  usage  de  I'eglise 
gallicane  de  juger  les  eveques  en  des  conciles 
provinciaux ,  coutume  observee  detoute  ancien- 
nete,  et  seulement  depuis  quelques  siecles  in- 
terrorapue  par  les  papes,  lesquels,  neanmoins, 
s'etoient  toujours  contentes  de  commettre  sem- 
blables  causes  a  des  eveques  de  France,  qui 
procedoient  comme  delegues  par  le  Saint-Siege 
Apostolique,  bien  que  les  parleraens  reclamas- 
sent  assez  et  protestassent  tousjours ,  au  con- 
traire,  que  le  clerge  a  grand  interet  de  se  main- 
tenir  aujourd'hui  en  la  meme  possession ,  sans 
donner  lieu  a  de  plus  grands  prejudices;  et  en- 
fin  ,  que  la  condition  de  cardinal  ne  doit  point 
alterer  cet  usage ,  puisqu'il  est  question  de  desti- 
tuer  le  cardinal  de  Retz  d'une  dignite  episco- 
pale ,  qui  est  situee  dans  ce  royaume. 

»  Outre  ces  deux  difficultes,  le  <;onseil  du 
Roy  consideroit  d'ailleurs  que  d'oter  a  Sa  Ma- 
jeste  le  moyeu  de  chastier  la  rebellion  de  ses 
sujets,  et  de  souverain  monarque  le  rendre  sol- 
liciteur  dans  la  cour  deRome,  etoit  non-seule- 
raeut  une  chose  indecente  a  la  dignite  d'un  si 
grand  monarque ,  raais  qui  tendoit  mesme  a  sa- 
per  les  fondemens  de  la  monarchie,  etablissant 
I'irapuissance  de  I'autorite  royale  a  punir  les 
crimes  des  sujets ;  et  enfin ,  que  les  embarras  et 
les  obstacles  qu'on  formoit  a  Rome  au  chati- 
raent  du  cardinal  de  Retz  ,  devoient  rendre  des 
lors  en  avant  les  Roys  bien  plus  retenus  a  ne 
se  mettre  pas  dans  la  necessite  d'avoir  a  deman- 
der  a  d'autres  la  justice  qu'eux-memes  ont  le 
droit  de  se  pouvoir  faire. 

»  II  fut  done  mande  alors  au  sieur  de  Lyonne 
que  ,  parmide  si  grandes  difficultes,  il  etoit  bien 
malaise  de  prendre  une  bonne  resolution  ,  parce 
que,  d'un  coste,  Sa  Majeste  auroit  bien  voulu  don- 
ner toute  satisfaction  au  Pape ,  mais  que  ,  de 
I'autre  ,  elle  consideroit  que  ce  seroit  se  mettre 
sur  les  bras  tout  en  meme  temps,  et  le  clerge  et 
le  parlement,  pour  se  maintenir  en  leurs  pri- 
vileges et  leurs  droicts ;  et  quoyqu'en  cela  le 
Roy  agiroit  centre  son  service  et  contre  celuy 
du  Pape  meme ,  on  ne  pouvoit  faire  plus  beau 
jeu  au  cardinal  deRetz,  pour  luy  donner  moyen 
d'eluder  la  punition,  que  de  chequer  ces  deux 
corps  et  les  interesser  en  quelque  facon  a  le  pro- 
teger  poursoutenir  leur  autorite.  Sa  Majeste  es- 
pere  aujourd'hui  que  Sa  Saintete  etant  informee 
de  nouveau  par  le  sieur  d'Aubeville  de  toutes  les 
partieularites  ci-dessustouchces,  etayant  memo 
autant  de  temps  ti  se  pouvoir  tromper  des  im- 


pressions quele  cardinal  deRetz,  qui  etoit  alors 
present  a  Rome ,  luy  jetoit  dans  I'esprit  a  son 
avantage  pour  decliner  son  chastiment,  Sadite 
Saintete  condescendra  maintenant  volontiers  a 
deputer  un  ou  plusieurs  prelats  francois  pour 
faire  le  proces ,  c'est-a-dire,  proceder  seulement 
aux  informations,  puisque  lesdits  prelats  sont 
aussi  bien  soumis  a  I'autorite  du  Saint-Siege  que 
lesltaliens;  et  qu'autant  que  les  unset  les  autres 
ne  travaillerontace  proces  qu'en  qualite  de  dele- 
gues par  Sa  Saintete ,  laquelle  meme ,  se  servant 
de  nationaux ,  conservera  et  etablira  doucement 
en  France  son  autorite ,  qu'elle  pourroit  d'autre 
facon  mettre  en  compromis  ,  et  a  des  prejudices 
que  Sa  Majeste  meme  ne  sauroit  empescher. 

«  Et  comme  ,  a  dire  vray,  il  pourra  peut-etre 
serabler  etrange  dans  la  cour  de  Rome  qu'un 
cardinal  ait  a  etre  juge  par  des  eveques ,  il  ne 
paroitroit  pas  en  France  une  moindre  incon- 
gruite  qu'un  etranger  qui  ne  cognoit  ni  le  pays 
ni  les  gens  qui  I'habitent ,  qui  n'entend  pas  la 
langue  et  ne  pent  scavoir  la  force  et  lapropriete 
des  paroles  dans  lesquelles  consiste  bien  souvent 
la  defense  ou  la  condamnatiou  d'un  accuse,  vInt 
former  un  proces  en  France  contre  un  Francois, 
oil ,  estant  oblige  de  se  servir  d'un  interprete ,  il 
doit  dependre  presque  entierement  de  la  foy 
d'autruy  en  des  matieres  de  si  grande  conside- 
ration. L'iutention  du  Roy  est  done  que  ledit 
sieur  d'Aubeville  demande  a  Sa  Saintete  et  in- 
siste  pressamraent  a  ce  qu'elle  ait  agreable  de 
deputer  des  eveques  francois  pour  I'information 
des  proces,  luy  representant  que  ce  u'est  pas 
pour  contrarier  ses  satisfactions  ni  s'opposer  a 
son  autorite ,  mais  plustot  pour  ne  la  pas  hasar- 
der,  comme  on  feroit  en  s'eloignant  du  chemin 
battu  ,  et  qu'enfin  Sa  Majeste  desire  bien  de  la 
contenter  aux  choses  possibles ;  mais  qu'il  faut 
encore  que,  de  sapart,  il  luy  plaise  de  s'accom- 
moder  aux  voies  praticables  en  ce  royaume,  et 
d'autant  plus  que  son  autorite  se  conserve  et 
s'etablit  egalement ,  soit  qu'elle  depute  des  Fran- 
cois ou  des  Italiens  pour  commissaires  ;  voire  il 
semble  qu'il  ne  soit  pas  de  la  dignite  du  Pape  de 
faire  une  pareille  distinction:  et  a  la  verite,  si 
nonobstant  tout  ce  que  dessus  Sa  Saintete  coiiti- 
nuoit  encore  aujourd'huy  a  former  les  memes 
obstacles,  le  Roy  auroit  grand  suject  de  croire 
que  sa  veritable  et  secrete  intention  seroit  de 
proteger  le  cardinal  de  Retz,  et ,  par  ces  sortes 
de  moyens  indirects,  procurer  I'impunite  de  ses 
crimes:  ce  qu'elle  n'a  pas  lieu  d'attendre  d'un 
Pape  dont  la  vie  et  les  moeurs  s'accordent  si  peu 
avec  la  conduite  et  les  actions  dudit  cardinal , 
qu'il  se  pent  dire  que  rien  n'est  plus  eloigne  ny 
plus  directemcnt  oppose  que  I'un  Test  a  I'autre.  "] 


17 


IIEMOIKKS    DV    COMTE    1)E    lUllENNE,    DELXlfe-ME    1>AHTIE.    [1661] 


Les  anabassadeurs  des  Etats-g^neraux  recu- 
rent  ordre  de  leurs  superieurs  de  faire  de  fortes 
instances  aupres  du  Roi ,  pour  obtenir  de  sa  ge- 
nerosite  la  moderation  des  taxes  qu'on  avoit  im- 
posees  sur  les  vaisseaux  etrangers ,  et  de  garan- 
tir  leur  peehe,  pourempecher  qu'ilsn'entrassent 
en  guerre  avec  I'Angieterre.  Je  n'ai  point  juge 
a  propos  de  me  charger  d'en  faire  rouverture  a 
Sa  Majeste  ,  ne  faisaut  pas  de  facon  de  dire  a 
ces  ambassadeurs  ,  que  les  conseils  que  je  puis 
donner  sont  inutiles  ;  qu'ils  n'ont  qu'a  s'adres- 
ser  au  chancelier,  le  premier  des  commissaires 
nommes  pour  traiter  avec  eux ,  et  qu'il  y  a  raeme 
des  personnes  qui  seroient  plus  propres  a  per- 
suader le  Roi.  J'ajoutai  a  ces  deputes  ,  que  je 
m'en  rapportois  a  leur  prudence ,  et  que  c"e- 
toit  a  eux  de  prendre  le  parti  qu'il  leur  semble- 
roit,  uon  pas  le  plus  honorable,  raais  le  plus  sur. 
Je  leur  eonseillai  de  se  eonformer  toujours  aux 
volontes  de  Sa  Majeste;  car,  comme  je  I'ai  dit 
plusieurs  fois,  je  suis  persuade  que  leur  repu- 
blique  aura  bien  de  la  peine  a  se  maintenir  sans 
la  protection  de  la  France  ,  qui ,  de  son  cote  , 
a  grand  interet  a  sa  conservation. 

J'ajouterai  encore,  avant  que  de  finir  ces 
Memoires ,  que  le  Roi  ne  doit  pas  tellement  se 
Her  aux  AUemands  qu'il  ne  prenne  de  bonnes 
suretes  avec  eux  lorsqu'il  voudra ,  pour  ses 
propres  interets  ou  pour  les  leurs,  entrer  en 
guerre  avec  I'Empereur.  Les  alliances  que  nous 
ferons  avec  les  Anglois  ne  seront  jamais  so- 
lides  ,  parce  que  ,  d"un  cote ,  le  pouvoir  de  leur 
Roi  est  resserre  par  les  parlemens ,  et  que  de 
I'autre ,  cette  nation  bautaine  et  ambitieuse  ne 
voit  qu'avec  jalousie  la  prosperite  de  ses  voi- 
sins.  Elle  conserve  des  pretentions  contre  nous  , 
et  la  diversite  de  religion  aggrave  sa  baine. 
L'experience  du  passe  nous  fait  connoitre  qu'on 
pent,  malgre  les  apparences  de  la  bonne  fol ,  se 
defier  des  Suedois  et  des  autres  protestans ,  qui 
n'ont  d'autre  dessein  que  d'abolir  la  religion 
catbolique,  que  nous  voudrions  et  relever  et 
maintenir  dans  les  pays  oil  elle  a  brille  autre- 
fois. Suppose  que  quelqu'un  de  vous  ,  mes  en- 
fans,  eut  I'avantage  d'etre  appele  dans  le  conseil 
du  Roi ,  houneur  qu'on  ne  peut  assez  estimer, 
et  dont  jesouhaiteque  vous  puissiez  vous  rendre 
dignes, au  milieu  dun  protond  respect  et  d'une 


parfaite  obeissance  a  ses  volontes ,  ayez  sans 
cesse  devant  les  yeux  I'objet  de  la  gloire  de 
Dieu  et  I'avantage  de  la  religion.  Nous  ne  de- 
vons  pas  craindre  qu'un  roi  tres-chretien ,  et 
eleve  dans  ses  maximes,  puisse  jamais  s'en  eloi- 
gner. Souvenez-vous  cependant  que  c'est  man- 
quer  a  la  fidelite  que  le  service  du  Roi  exige  de 
vous ,  si  vous  hesitez  a  declarer,  avec  une  li- 
berte  respectueuse ,  les  doutes  et  les  difficultes 
que  vous  pouvez  avoir  dans  les  affaires  qui  se 
reiicontreront :  car,  quand  la  necessite  y  oblige, 
nulle  consideration  humaine  ne  peut  ui  ne  doit 
dispenser  un  homme  de  bien  de  mettre  dans  tout 
son  jour  la  verite  dont  il  est  persuade.  La  jus- 
tice et  la  piete  du  prince  ne  vous  condamneront 
point  sans  doute ,  lorsque  dans  I'occasion  vous 
oserez  lui  representer  que ,  quelque  elevee  et 
independante  que  soit  son  autorite  a  I'egard  des 
hommes ,  elle  n'en  est  pas  raoins  soumise  a  la 
loi  de  Dieu;  que  cette  autorite  lui  doit  etre 
d'autant  plus  assujetie  que  le  sceptre  et  la  cou- 
ronne  du  Roi ,  qui  lui  viennent  de  la  main  toute 
puissante  de  Dieu  ,  ne  lui  ont  ete  donnes  que 
pour  etablir,  etendre  et  maintenir  son  culte; 
que  la  plus  grande  gloire  du  Roi  depend  de  I'a- 
mour  de  ses  peuples-,  que  ce  qui  fait  partie  de 
la  monarchic  ne  peut  etre  aliene  ni  cede  aux 
etrangers ;  que  notre  ancienne  constitution  est 
plus  juste  et  plus  sainte  que  celle  des  pays  voi- 
sins,  et  que  la  France  ne  sera  jamais  beureuse 
tandis  que  des  etrangers  auront  part  au  gouver- 
nement.  Si  Dieu  permet  que  je  vive,  et  s'il  se 
passe  des  choses  dignes  d'etre  sues  de  la  poste- 
rite ,  je  vous  prie ,  mes  enfans,  que ,  si  je  venois 
a  les  oublier,  vous  les  observiez.  Enfm ,  si  vous 
croyez  que  ce  que  j'ai  mis  par  ecrit  doive  etre 
lu,  vous  en  userez  comme  vous  croirez  queje 
I'aurois  du  faire  moi-meme.  Mais  souvenez-vous, 
comme  je  I'ai  deja  dit,  queje  n'ai  pas  assez  de 
presomption  pour  etre  persuade  que  ma  vie 
puisse  jamais  servir  de  modele  a  celle  des  au- 
tres. Je  souhaite  seulement  que  vous  m'imitiez 
en  ceci  :  ne  dependez  jamais  que  de  votre 
maitre ;  meprisez  les  richesses  qui  sont  peu 
stables,  et  amassez-vous  eel  les  qui  ne  perissent 
point.  N'ayez  point  d'autre  vue  que  celle  de  lu 
gloire  de  Dieu,  et  ensuite  celle  du  monarque 
auquel  la  Providence  nous  a  soumis. 


FIN    DES     MEMOIBES     W    COMIE    DE    BB1E>NK. 


MEMOIRES 

DE    CLAUDE    DE    BOURDEILLE, 

COMTE  DE  MONTRfiSOR. 


NOTICE 
SUR    MONTRESOR    ET    FONTRAILLES, 


ET    SUU    CKTTE 


NOUVELLE  EDITION  DE  LEURS  MEMOIRES. 


Aprds  avoir  6tudi6,  dans  I'histoire  de  leurs  me- 
nses poliliques ,  la  marche  des  enlreprises ,  en 
parlic  avort^es,  que  firenlles  deux  personnages 
6miuens  de  la  Fronde,  le  cardinal  de  Retz,  dont 
on  retrouve  le  g6nie  si  admirablement  reproduit 
dans  ses  propres  M6moires  (I),  et  le  prince  de 
Conde ,  si  fidelenient  peint  dans  ceux  de  Pierre 
Lenet  (2) ,  et  niieux  encore  dans  les  longues  leltres 
qu'il  ecrivait  a  cet  habile  et  fidele  agent  dc  ses 
volont^s;  ilesttriste  et  peniblepourl'observateur 
pliilosophede  redcscendre  aux  personnages  subal- 
ternes  et  aux  6venements  d'une  bien  nioindre 
port^e,  que  preparaient  tr6s-p6niblement  et  que 
conduisaient  plus  mal  encore d'inquietesni6diocri- 
l^s,  associees  par  basard  a  depuissants personna- 
ges, naturellement  iucapables  d'amener  a  leurs 
(ins  les  conjurations  qu'elles  revaient.  Ces  m^- 
diocriles  ne  manquaient  point  de  confiance  en 
elles-memes,  niais  le  coeur  et  le  g6nie  leur  fail- 
lirent  toujours. 

II  y  a  loin  en  effet  des  grands  mouvenients  po- 
pulaires  soulev6s  par  le  coadjuteur  de  Paris,  et 
des  savantes  corabinaisons  politiques  et  strategi- 
ques  de  Louis  de  Bourbon  prince  de  Conde ,  aux 
(ristcs  projets  d'assassinat  ,  froidement  calcules 
sous  les  auspices  de  messcigneurs  Gaston  d'Or- 
loans  et  Louis ,  comic  de  Soissons ,  par  des 
liommcs  tels  que  Monlr6sor,  Saint-Ibar ,  La  Cha- 
tre,  Fontrailles,  et  meme  Beaufort,  le  Roi-des- 
Ilalles.  Si  on  consulte  les  M6raoires  qu'ils  out 
laisses  pour  expliquer  leur  inaction  dans  le  mo- 
ment d^cisif ,  et  leur  manque  de  coeur  lorsque  le 
courage  etl'energie  6taient  la  condition  du  succ^s, 
on  les  Yoit  rejeter  attentivement  la  faute  sur  les 
autres  conjures;  et  si  leur  entreprise  a  6chou6, 
c'est  au  bonheur  de  leurs  ennemis,  et  au  sort  qui 
s'cnl^ta  a  prot6ger  ceux-ci ,  qu'ils  s'en  prennent 
sans  h6sitation  comme  sans  pudeur. 

Ce  que  Ton  doit  done  chercher  et  ce  que  Ton  peut 
esperer  de  trouver  dans  les  Memoires  de  Monlre- 
*or,  et  dans  la  Relation  de  Fonlraillea^  ce  sont 
dc  petites  donnees  sur  de  petites  conjurations, 

(1 )  Tome  1"  flc  la  3«  sdric  de  la  collcclion  de  MM.  Mi- 
ciiaiid  (tPoii.joulat. 
(*2)  Toms  2  dc  la  memo  s(5ric. 


racont^esen  detail  par  des  l6moinsoculaires,  et 
dont  I'authenticite  parait  suffisamment  etablie  au 
moyen  de  nombreux  documents  conteniporains. 

Gaston  d'Orleans,  esprit  faible  et  indecis  , 
toujours  pr6t  a  entrer  dans  un  complot ,  bien 
plus  empress6  encore  de  s'en  retirer,  qui  fit  sa 
paix  avec  Ic  pouvoir  qu'il  voulait  abattre  en  lui 
livrant  ses  conjures,  fut  de  tout  temps  gouvern6 
par  ses  favoris ;  ils  6taient  pour  ce  prince  une 
necessity  de  sa  vie  :  aussi  ces  tristes  benefices  ne 
furenl-ils  jamais  vacants.  Puylaurens,  Montre- 
sor,  I'abbe  de  La  Riviere  ,  et  pendant  quel- 
que  temps  le  cardinal  de  Retz,  se  succ6d6rent 
tour  a  tour  et  ne  furent  pas  plus  heureux  les 
uns  que  les  autres ;  ils  ne  pouvaient  pas  chan- 
ger le  uaturei  de  leur  raaitre.  Gaston  conserva 
toujours  son  caract^re  faible  et  indecis;  on  le  vit 
toujours  montrer  le  ra^me  empresseraent  a  tout 
entrcprendre  contre  I'autoril^  d'un  premier  mi- 
nislre  favori,  et  la  mfime  crainte  au  moment  dc 
I'ex^cution  des  projets  le  plus  longuement  md- 
dit6s  pour  lui  et  avec  lui. 

Le  corate  de  Soissons,  persecute  par  le  cardinal 
de  Richelieu,  6tait  devenu  aussi  le  centre  des 
mal  contents  de  la  cour;  mais  sa  fermele  et  son 
habilet6  sont  rest6cs  bien  moins  problematiques 
que  cellesde Gaston:  Soissonsperit  malhcureuse- 
raent,  aprcs  avoir  reraporte  une  signal6e  victoire 
sur  les  armies  du  roi  de  France,  son  souverain,  et 
au  moment  oii  il  esperait  enfin  abattre  la  tyran- 
nic de  Richelieu.  Saint-Ibar,  proche  parent  de 
Montresor,  exercait  unegrande  influence  sur  I'es- 
prit  du  corate  de  Soissons.  Dans  le  meme  temps 
Montresor  gouvernait  absolument  le  due  d'Or- 
leans. Ces  deux  favoris  r6unirent  leur  influence 
pour  amener  un  rapprochement  entre  les  deux 
princes  autrefois  divis6s,  et  tons  les  deux,  m6cou- 
tents  du  cardinal  premier  ministre,  se  trouvd- 
rent  tr6s  port6s  a  tout  entrcprendre  contre  sa  vie. 
Fontrailles  (3) ,  ami  commun  de  Montresor  et  de 
Saint-Ibar,  assista  a  tons  les  conseils  tenus  par 
eux ,  et  il  eut  une  tr6s-grande  part  dans   toutes 

(3)  Louis  d'Astarac ,  vicomte  dc  Fontrailles,  marquis 
de  Marestang ,  M  dans  les  premieres  annexes  du  dix-sep- 
licme  siecle. 


ITf. 


NOTICE    SLR    MONTKESOR    ET   I'ONTRAILLES , 


les  r6solulions  qui  furent  adoptees.  C'est  done  a 
la  conjuraliori  de  r,aslon  d'Orleans  el  de  Louis  de 
Bourbon  corate  de  Soissons,  ou  encore  de  Gaston 
lout  seul,  que  se  rapportent  les  Memoires  de  Mon- 
tresor  el  la  Relation  de  Fonlrailles. 

Claude  de  Bourdeille,  corate  de  Montresor,  6tait 
issu  d'une  des  plus  anciennes  families  de  France, 
et,  sans  reraonter  aux  deux  guerriers  de  ce  nora 
qui,  selon  les  clironiques,  auraieut  peri ,  I'un  du 
temps  de  Charlemagne ,  a  la  balaille  de  Ronce- 
vaux,  I'autre  en  Egypte,  dans  la  croisade  du 
saint  roi  Louis  IX,  nous  menlionnerons  cepen- 
dant  Elie  de  Bourdeille,  archev^que  de  Tours 
en  1468,  grand  d6fenseur  de  I'Eglise  contre 
Tempire,  inort  en  odeur  de  saintel6.  «  C'6toit  un 
pieux  et  ferme  soulien  des  immunites  eccl6sias- 
liques,  dit  le  g6n6alogisle ,  ce  qui  fut  cause  que 
le  parlement  ordonna  la  saisie  de  son  temporel ; 
11  ^crivit  contre  la  pragmalique-sanction,  ce  qui 
fill  cause  que  Sixte  IV  le  fit  cardinal  en  1483  et 
qu'il  fut  beatifi6  quelques  annees  plus  lard.  » 
Parmi  les  personuages  de  la  famille  de  Mon- 
tresor, il  s'en  trouve  encore  un  appartenanl  t\ 
I'ordre  ecclesiaslique,  mais  plus  c61ebre  par  ses 
memoires  et  ses  relations  de  voyages  que  par  la 
saintete  de  sa  vie  :  c'est  Pierre  de  Bourdeille, 
abbe  de  Branlome.  II  trouvait  son  neveu  «  si  bien 
n6  et  si  joli  »  qu'il  luilegua  son  chateau  deRiche- 
mont,  esperant  que  la  reconnaissance  lui  ferait 
respecter  samemoire  el  lui  ferait  dire :  «Voilauu 
present  que  raon  grand  oncle  me  fit.  » 

Le  mariage  du  due  d'Orleans  avec  mademoi- 
selle de  Montpensier,  parente  de  Monlr6sor , 
fit  admettre  celui-ci  dans  rintiraile  de  ce  due. 
Claude  de  Bourdeille  accompagna  ce  prince  pen- 
dant sa  relraile  en  Flandre ,  epoque  a  laquelle  le 
benefice  de  favori  de  Gaston  6tait  desservi  par 
Puylaurens;  ce  dernier,  arr6l6  en  1635,  mou- 
rul  malheureusemeut,  Le  corate  de  Montresor 
lui  suec6da. 

Dans  ce  mSme  temps,  Saint-Ibar  poss6dait  en- 
tif;rement  la  confiance  du  corate  de  Soissons,  et 
une  6troile  amiti6,  fondee  sur  la  reconnaissance, 
unissait  alors  Fonlrailles  a  Cinq-Mars.  Montre- 
sor engageasuccessivement  le  due  d'Orleans  dans 
differenles  entreprisesque  I'indecision  du  prince 
compromit  constamment.  La  conjuration  d'A- 
miens,  celle  de  Cinq-Mars  et  de  I'infortun^  de 
Thou  sont  de  ce  norabre.  La  premiere  manqua 
par  la  faule  de  Gaston ,  I'autre  coula  la  vie  aux 

(1)  C'est  cc  qu'indiqucnt  sulTisamment  les  lettrcs  de 
Gaslon  au  Roi.  a  Richelieu  et  aux  secretaires  d'etat, 
ainsi  que  d'autres  pieces,  dont  quelques-unes  se  trou- 
vent  dans  nos  notes  sur  los  Memoires  de  Montresor  et 
de  Fonlrailles. 

(2)  Les  chansons  do  ce  temps  consacrent  a  Fonlrailles 
des  couplets  qui  paraissent  assez  justifier  le  dire  du  car- 
dinal de  Retzct  qui  le  mettent  au  nombrc  des  d^bau- 
vMs  d'llluslre  race.  Voici  un  fragment  deces  chansons : 

Nous  soninies  bien  demi-donzaine 
Qui  ne  nous  meltons  guero  en  peine 


deux  conjures ,  et  Gaston  achela  son  pardon  a 
force  de  soumissions  et  en  abandonnant  a  toute 
la  severile  d'un  premier  ministre  offenses  ses 
raalheureux  amis  et  complices,  pour  lesquels  il 
ful  presque  un  des  teraoins  a  charge  (1). 

Montresor  et  Fonlrailles  se  refugiferent  en  An- 
gleterre ,  ou  ils  attendirent  la  morl  de  Richelieu  ; 
elle  pr6c6da  de  quelques  mois  seulement  celle  du 
roi  Louis  XIII.  Le  due  de  Beaufort  avail  et6  aussi 
I'objet  de  la  haiue  du  m6me  ministre  ;  la  Grande- 
Brelagne  servil  a  tons  les  trois  de  refuge  et  de 
lieu  d'exil,  et  une  raeme  infortune  rassemblaces 
trois  caracl^res  ardents  et  toujours  pr6ts  a  tout 
entreprendre. 

De  retour  en  France,  Monlr6sor  et  Fonlrailles 
s'associ^rent  a  Beaufort ,  m^contents  de  la  r6- 
genle  de  Louis  XIV,  et  formdrenl  la  cabale  des 
Imporlanfs ^  «compos6e,  dit  le  cardinal  de  Relz, 
de  gens  qui  sonl  tons  morlsfous,  mais  qui  d^s 
ce  temps-la  ne  paroissoient  guere  sages  (2).  » 

L'exil  et  la  prison  firent  entierement  disparai- 
Ire  les  Imporlanls. 

Montr6sor,  exilecoramel'une  des  personnesqui 
avaienl  pris  part  a  celte  cabale ,  se  refugia  en 
Hollande,  ou  il  prit  meme  du  service.  Des  affai- 
res de  famille  le  rappelerent  en  France  en  1646; 
d'anciennes  relations  d'amitie  avec  la  duchesse 
de  Chevreuselui  altirferent,  a  celle  meme  epoque, 
de  nouveaux  malheurs.  II  fut  arrets  el  enferra6 
a  Vincennes  pendant  qualorze  mois.  Les  instan- 
ces dela  maison  de  Guise  et  de  son  ami  inlime, 
M.  de  Belhune,  lui  procur^rent  enfin  la  liberl6. 
M.  de  B6(hune  Iravailla  surtoul  a  reconcilier  Mon- 
tresor avec  le  cardinal  Mazarin,  au  moment  de  la 
sortie  de  prison  du  comte;  la  lettre  suivante  en 
fail  foi  : 

Lellre  de  M.  Belhune  au  cardinal  Mazarin. 
De  Selles ,  ce  23  juing  1647. 

ft  Monseigneur,  j'ay  cru  que  Vostre Eminence, 
me  consid6rant  il  y  a  long-temps  pour  son  ser- 
vileur  particulier,  n'auroit  pas  desagr^able  que 
je  lui  fisse  mes  Ires-humbles  remercimens,  par 
celle  lellre,  de  la  liberie  qu'elle  a  procuree  a 
monsieur  le  comle  de  Montresor,  el  que,  parmy 
le  nombre  des  obligations  qu'elle  s'estacquises  sur 
moy,  je  luy  tesmoigne  aussy  que  celle-la  est  une 
des  plus  sensibles  dont  je   sois  redevable  a  sa 

Du  vieux  ni  nouveau  Testament; 
Et  je  crois  qu'il  n'est  pas  possible 
D'en  trouver  sous  le  Grmameul 
Qui  puissent  moins  user  la  Bible. 


J'cn  connois  encor  d'assez  fermes . 
Fonlrailles,  d'Aubijoux,  de  Termes 
Qui  vivent  de  meme  fa^on  : 
Ne  faisant  jamais  d'abslinence. 
Si  re  n'est  de  lean  ,  <iu  poissnn . 
De  jubih^  el  d'indulgence. 


RT    SUB    CRTIE    NOUVELLE    EDITIOlN    DE    LElJliS    MEMOlKtS. 


17 


bonle.  Je  pcusbien  assurer  Voslre  Eminence,  par 
la  longue  fr^quentation  quej'ay  eue  avec  mon- 
sieur de  Monlresor,  que  c'esl  un  genlilhonimc 
qui  a  aulant  de  bonnes  qualiles  que  personne  de 
sa  condition  que  jeconnoisse,  etque,  dans  la 
passion  et  I'interest  que  je  prens  au  service  de 
vostre  Eminence,  je  luy  souhailerois  beaucoupde 
serviteurs  faicts  comme  celuy-la.  S'il  luy  resle 
encore  quelque  bonne  opinion  de  niou  jugemeiil, 
elie  sera  persuadee  de  cette  v6rile  ,  luy  protes- 
tant  qu'elie  ue  sera  jamais  Irompee  dans  I'eslime 
qu'elle  fera  de  luy,  ayant  surtout  une  fidelite  in- 
violable, et  toute  la  capacite  requise  pour  entre- 
prendre  et  s'acquitler  dignement  de  toutes  les 
cboses  qui  luy  seront  coraniises.  Vostre  Emi- 
nence rae  permettra,  s'il  luy  plaist,  devant  que 
de  fiuir,  de  luy  dire  sur  ce  subject  ,  et  dans  la 
liberie  qu'elle  m'a  autrefois  donnee  de  luy  par- 
ler  avec  la  franchise  que  je  scay  luy  estre  natu- 
relle,  et  qu'elle  ayuie  et  estirae  en  aufruy,  que 
ceux  qui  sont  en  la  place  que  vous  tenez,  Mon- 
seigneur,  ont  grand  interest  defairecboix  de  per- 
sonnes  6prouvees  par  une  longue  suitte  d'actions 
pleines  de  vertu  ,  pour  estre  attachees  a  leur  for- 
tune, d'autant  qu'elles  sont  bien  raoins  capables 
de  leur  raanquer  que  les  autres.  Vous  rae  par- 
donnerez,  Monseigneur,  ce  que  j'ay  oze  vous 
tesmoigner  de  nues  sentimens  en  ce  rencontre,  et 
I'attribuez,  s'il  vous  plaist,  a  I'exces  de  mon 
zele  a  vostre  service,  quy  sera,corarae  je  I'espere, 
favorablement  receu  de  la  bont6  de  Voslre  Emi- 
nence ,  cognoissant  le  fond  de  mon  coeur  et  la 
sinc6rite  avec  laquelle  je  vous  I'escris,  ne  pou- 
vant  estre  avec  plus  de  respect  ny  de  passion  que 
je  suis,  de  Vostre  Eminence,  le  tr6s-bumble  et 
tr6s-obeissant  serviteur. 

»  Bethune.  » 

Les  norabreux  amis  de  Montr6sor  s'empress6- 
rent  dele  f61iciter  de  sa  sortie  de  prison;  et  parmi 
eux  fut  aussi  le  ducd'Epernon,  avec  qui  Montre- 
sor  avail  d'anciennes relations, et  qui  lui  ecrivail: 

((Monsieur,  vous  ne  deves  pas  douter  que, 
come  vostre  detention  m'avoit  doone  une  extres- 
rae  desplaisir,  vostre  liberie  ne  rae  cause  une 
joye  excessive.  Sytost  que  j'ay  apris  que  vous 
esles  sorty  du  bois  de  Vincennes,  je  rae  suis  re- 
solu  de  vous  tesmoigner  la  part  que  je  prends  a 
voslre  conlenteraent,  vous  asseurant  ,  Mon- 
sieur, du  tres -bumble  et  tres-fidelle  service. 
Monsieur,  de  voslre  Ires-humble  et  Ires-obeissant 
serviteur. 

»  Le  duc  d'Espernon. 

»  De  Thoulouse ,  3juillel  1647.  » 

Mazarin  essaya  vaiuemenl,  apres  la  sortie  de 
prison  de  Montresor,d'amener  un  rapprochement 
entre  lui  et  I'abbe  de  La  Riviere,  favori  de  Gas- 
ton; M.  le  comte  de  Bethune  se  f61icitait  raeraede 
la  maniere  adroite  dont  il  s'clail  debarrasse  des 
III.    C.    D.    M.,   T.    in. 


soUicitalions  de  Mazarin  ace  sujet,  parlalellie 
suivante : 

Leltre  de  Bethune  a  Monsieur  le  comle  de  Mon- 
tresor. 

((Monsieur,   le  sentiment  quej'ay  eu  ,   apres 
avoir  leu  la  leltre  que  monsieur  le  cardinal  Maza- 
rin m'escrit ,  est  bien  different  de  celuy  que  vous 
me  lesmoignez  par  vostre  letlre;  car,  tant  s'en 
faut  que  I'estinie  quej'ay  faycle  de  vostre  merite 
vous  ayt  procure  aucun   advantage  aupres  dudict 
seigneur,  qu'au  contraire  je  me  suispersuad6,  et 
avec  raison,  que  la  bonne  oppinion  qu'il  a  fail 
paroistre  avoir  de  moi ,  vient  de  ce  qu'il  a  connu 
que  je  ne  lui  avois   rien  dit  de  vous  qui  ne  fust 
beaucoup  au-dela  de  ce  qu'il  en  connoissoit,  et 
qu'il  m'a  estime  de  ce  que  j'avois  sceu  faire  choix 
dun  amy  de  tant  de  merite.  M.  de  Chavigny,  qui 
me  voulut  favoriser   de  venir   disner  seans   le 
jour  dont  je  receus  vostre  letlre  au  soir,  m'cu 
rendit  la  lecture  intelligible,  en  ce  que  j'eusse  pu 
avoir  a  y  deviner,  m'ayant  desduicl  de  fil  en  es- 
gaille  ce  a  quoi  vous  aviez  este  convie;  la  pru- 
dente   conduitte  que  vous  aviez  tennue  a  vous  de- 
mesler  de  ce  a  quoy  vous  aviez  de  la  repugnance, 
de  laquelle  il  lui  avoilest6  lesmoign6  la  satisfac- 
tion que  vous  aviez  laiss6e  de  vous  sur  ce  sujet, 
qui  avoit  encore  accreu  I'estirae  qu'on  avoitdesja 
consue  de  vostreprobite  et  de  vostre  prudence.  Les 
deux  personnes  que  vous  m'y  marquez  de  s'estre 
entremises  de  eel  accomodemeut ,  auxquelles  ,  si 
une  Iroisiesme,  qui  n'esl  pas  sy  eslev6e  en  quali- 
les y  eust  esle  jointe,  je  n'eslime  pas   qu'il  s'en 
fust  pu  Irouver  d'autant  plus  capable   de  conseil- 
ler  quelque  chose   pour  n'en  rien  tenir,  et  per- 
suader que  toutes  choses  sont  faisables  sans  res- 
pect de  bienc6ance  ny  de  concience,pourvu  qu'on 
s'en  serve  a  I'advantage  de  ses  interests.  Un  de 
ceux-la  m'avoit  autrefois  donne  un  couseil  qu'il 
me  trouva  bien  eloign^  desuivre.  Quand  vous  au- 
rez  a  venir  en  ces  qnartiers,  je  n'estimerois  pas 
que  ce  deusteslre  que  comme  en  posle,  affin  de 
ne  point  faire  paroistre  que  vous  fassiez  peu  de 
cas  de  tant  de  bonnes  parolles  qui  vous  ont  esle 
donn6es,  et  demonstrations  d'estime  qui  vous  ont 
est6   faictes.   Je  parte  contre   mon  desir,  mais 
aussy  n'est-il  point  balanc6  par  les  souhaits  ad- 
vantageux  que  j'ai  pour  vous,  qui   suis  et  seray 
tant  que  je  vivrai ,  Monsieur,  voslre  Ires-hurable 
et  lr6s-ob6issant  serviteur. 

»  Bethcxe. 

»  De  Celles,  ce  i"  aoill  1647.  » 

Mais  des  troubles  plus  serieux  arrives  en  lannee 
i648,  r6unirenl  les  Iraportants  sous  le  drapeau 
du  coadjuleur  de  Paris.  Disciplines  a  grand' 
peine  par  un  chef  habile,  et  qui  savait  appr6- 
cier  le  genre  de  capacity  des  bommes  qu'il  era- 
ployail,  Montresor  et  Fontrailles  furent  d'un 
grand  secours  au  cardinal  de  Relz,  enlrave  d'ail- 
leurs  dans  beaucoup  de  circonstances ,  a  cause  de 

1L> 


17.S 


iVOTlCE    SUR    MO.NTUESOR    EX    K<J  Ni  «  \1  Ll.ES 


son  caraclere  dhomme  d'6glise.  Comme  h  regard 
(le  la  pluparl  des  aulres  amis  du  fougueux  pr§lat, 
Mazarin  s'assura  ensuile  de  leur  soumission  par 
des  benefices  el  par  des  recompenses  pecuniaires 
et  honorifiques  qu'il  leur  accorda. 

D6s  rann6et650,  Mazarin  preparait  d^j^  ce 
resullat  a  I'egard  de  Monlresor  ;  e'est  du  raoins 
te  que  Ton  peut  presumerde  la  lettre  suivante  : 

A  Monsieur  de  Monlresor. 

«  Monsieur,  je  vous  advoue  que  je  n'avois  pas 
song6  pour  vous  a  Tabbaye  de  Lanoy,  dont  nous 
aprisraes,  il  y  a  deux  jours,  la  vacance,  parce 
que  I'advis  qu'on  en  eut  la  faisoit  passer  pour 
n'estre  que  de  Irois  a  quatre  mil  francs;  raais 
ayant  sceu  depuis  sa  juste  valeur,  et  M.  le 
grand  chambelan  m'ayant  lesmoign6  que  vous 
seriez  bien  aise  de  I'avoir,  je  I'ay  demandee  avec 
grand  plaisir  a  la  Royne,  et  Sa  Majeste  vous  I'a 
accordee  dela  meilleure  grace  qu'il  se  pouvoit , 
et  avec  des  paroles  d'estime  et  d'affection  qui 
vous  doivent  plus  contenter  que  la  cbose  mesme. 
Cependant,  parce  qu'elle  n'arrive  pas  encore  a 
la  valeur  que  vous  avez  autresfois  tesnioigne  a 
Lyonne  de  soubaiter,  vous  agreerez ,  s'il  vous 
plaist ,  que  je  supplee  jusqu'aux  douze  mil  francs 
par  une  pension  sur  une  de  raes  abbayes,  laquelle 
Ton  pourraapr^s  esleindre  dans  quelque  nouvelle 
occasion  de  vacance.  Je  souhaite  de  tout  mon 
cocur  qu'il  s'en  presenle  souvent  de  vous  donner 
des  marques  de  mon  araitie  et  de  la  veritable 
passion  avec  laquelle  je  suis,  Monsieur,  vostre 
tres-affectionne  serviteur, 

»  Le  cardinal  Mazasini. 

1)  A  Compiegne ,  le  fijuin  1650.  » 

Les  cbansons  saliriques  avaient  eouverl  de  ri- 
dicule la  cabale  des  Importants,  dont  Montresor 
faisait  partie.  Ses  affections  particulidres  eu- 
rent  un  certain  retenlissement  et  ne  furent  pas 
uonplus6pargnees.  Mademoiselle  de  Guise,  I'ob- 
jel  de  lous  sessoins,  se  vit  bientot  c61ebrer  niaii- 
gnement;etdesnonibreuxcouplets,ouronrappelle 
celle  liaison  de  Montresor,  on  n'en  peutciter  que 
le  suivaiit : 

De  Guisp  la  noble  piirellc 
Ne  saiiroil  trnuver  un  marl: 

'1)  CcllelcUie  n'esl  pas  sign^e  ;  mais  son  origine  est 
sufTisammeiil  (?tablie  par  ic  sceau  qu'elle  porte,  et  sur  Ic- 
(|uel  on  remarque  les  initiales  M.  Ti.  surmonl^es  d'une 
eouronne.  Ccttc  letlre  Tail  partie  (iis  nianuscrits  de  la 
Bihlintheque  du  Roi. 

M.  de  La  Vieuville  n'etail  pas  nioins  passionn(5- 
inent  le  Ires-humble  serviteur  de  mademoiselle  de  Guise 
gue  le  eomle  de  Montresor.  De  nombieuses  leitres  de  ce 
premier  personnage,  ronservi'esa  la  Biltliollieque  du  Iloi, 
loiistatent  (''\ideninienl  le  fail.  Nous  n'en  eiterons  (|ue 
la  suivanle  : 


Do  Mercceur  s'est^loign^d'elle 
Pour  la  niece  d'un  favori. 
De  cet  amour  elle  se  moque  , 
Et  dit  souvent  par  equivoque : 
Je  te  garderai  Montresor 
Bien  plus  cherement  que  de  I'or. 

Mais  ce  que  ne  disent  pas  les  cbansons  de  1*6- 
poque,  ce  sont  les  peines  et  les  cbagrins  support^s 
par  mademoiselle  de  Guise.  On  en  Irouve  la  naive 
expression  dans  la  lettre  suivante,  enti^remeut 
Iracee  de  sa  main  ;  elle  est  adress6e  a  Montresor: 

c(  Je  vous  serois  plus  importune  par  raes  pleu- 
res,  mais  on  me  dit  qu'elles  vous  sont  si  desa- 
greables,  que  je  m'abstien  et  denieure  en  dig6rant 
mes  mis^res  loute  seule.  Helas!  cbere  coeur,  a 
qui  me  peu-je  laraenter  qu'a  vous;  je  vous  dis 
mes  n^sessitez,  mes  miseres  ,  mes  maladies;  si 
vous  vous  en  fascbez  sans  y  remedier,  je  suis 
doublement  miserable.  J'avois  creut  du  pass6e 
qu'au  moins  vous  ave  pilie  de  moy ;  mais  si  vous 
ne  pouvee  seufrir  mes  plaintes,  je  demeureray 
desormais  sans  mot  dire.  Permettee  encor  une 
fois  que  je  vous  repele  mes  maux  :  je  suis  gran- 
dement  incommode  depuis  quatre  mois ,  sans 
avoir  sorty  d'un  accident  comme  resipel.  Si  la 
fiebvre  eusent  survenu  ,  je  seroit  morte  passez 
troys  mois:  je  ne  sray  ce  que  Dieu  fera  demoy; 
mais  je  ne  suis  borre  de  cet  accident.  On  me  dit 
que  Fair  m'est  contraire,  car  je  resens  ce  mal  il  y 
a  environ  un  an.  Pardonnee,  je  vous  prie,  jene 
vous  en  dirai  plus  rien,  puisqueje  vous  faclie;  se 
n'a  jamais  est^e  mon  intention;  au  contraire,  je 
soufriray  toute  ma  vie  pour  vous  acbeter  un  jourde 
conlenteraent;  si  mes  miseres  vousplaiseiit,  sans 
mot  dire,  mand6e-le  moy,  et  je  vous  proraets  que 
n'en  ser6  plus  importune  ;  cependant  je  ne  laisse 
d'estre  bien  a  plaindre,  plus  que  je  ne  vous  ose 
dire  et  que  je  n'en  lesmoigne :  le  bon  Dieu  me 
soil  en  ayde  et  vous  conserve  dans  vos  joyes,  ce 
me  sera  consolation  dans  raes  afflictions.  Cber 
coeur,  pri6  du  moins  Dieu  pour  moy,  affin  que 
mes  miseres  me  soient  salulaires,  et  me  mand6e 
une  fois  franchement  si  mes  pleintes  vous  sont 
desagreables  ou  aulres  de  mes  actions,  et  je  de- 
manderay  plustost  la  mort  a  Dieu  que  de  vous 
desplaire  en  cbose  qui  soit :  je  serois  doublement 
maliieureuse. 

»  A  Dieu  que  je  pr4equ'ay6s  pili6  de  moy,  vos- 
tre Lien  d^solee  (1).  » 

Monsieur  de  La  Vieuville,  au  comte  de  Montresor. 
((  Monsieur, 

n  Comme  je  vous  escrivis  devant  que  partir,  sur  ce 
que  j'emmenois  le  sieur  de  Lanoy,  au  prejudice  de  ce 
que  vous  ni'avicz  dit  qu'on  pourroit  bien  avoir  affaire  de 
luy  dans  peu  de  jours  ,  je  vous  envoye  consulter  expres 
si  Je  vous  I'envoieray.  Pr(^senlement  j'en  avois  besoin,  je 
I'ai  emmen(^.  comme  je  dis;  vous  ne  m'avez  pasordonn*^ 
absolumenldele  laisscr,  et  maintenant,  par  la  r<^vt'rence 
que  je  rends  a  vos  arlvis,  je  vous  dis  que  je  suis  prest  a 
vous  I'cnvojer  a  lettre  veue,  c'esl-a-dire,  ;iu  [iremier 


ET    SUR    CETTB    NOUVRLLE    EDITION    DE   LEUBS    MEMOIUES. 


17'.) 


Ces  chansons  rappel^rent  encore  de  (emps  a 
autre  le  nom  de  Montr6sor,  retir6  desorraais  de 
(oute  intrigue  politique;  mais  il  avail  eu  soin  de 
conserver  de  bonnes  relations  avec  Mazarin  et 
les  autres  secretaires  d'Elat.  Les  documents  sui- 
vants  prouveut  au  moins  que  s'il  ne  nianqua  ja- 
mais de  feliciter  le  premier  ministre  dans  les 
grandes  occasions,  il  fut  aussi  a  meme  de  rendre 
quelques  services  a  d'anciens  amis  : 

Letlre  de  M.  d'Atigoulcsme  a  M.  le   comle  de 
Monlri'sor. 

Du  camp  de  Mouron  ,  le  24  juillct  1642. 

«  Mon  cousin,  je  me  ressens  bien  oblig6  a  la 
faveur  que  vous  me  faites,  de  vous  ressouvenir 
de  moy.  Je  n'estime  pas  que  mes  amis  puissent 
me  rendre  de  plus  puissans  offices  que  de  faire 
cognoislre  I'injustice  de  ma  detention,  et  le  re- 
mede  le  plus  utile  qui  me  resle  est  d'avoir  une 
patience  tres-forte  et  sans  inquietude.  J'advance 
que  je  souffre  le  mal  le  plus  facheux  qui  me  pou- 
voil  arriver ;  je  m'en  suis  explique  avec  vous  avec 
franchise.  Je  suis  tres  satisfait  de  la  conduite  de 
M.  de  Joyeuse,  et  parfaifejiient,  Monsieur,  voire 
bien  humble  cousin  et  serviteur, 

»   LOCIS  DE  Valois.    » 

Lellre  du  cardinal  Mazarin  au  comle  de  Mon- 
tresor. 

«  Monsieur,  je  suis  Ires  persuade  de  la  douleur 
que  vous  a  causee  la  nouvelle  de  la  maladie  du 
Koi,  el  de  la  part  que  vous  avez  prise  aux  inquie- 
tudes qu'elle  m"a  donn^es.  Je  vous  ay  toujours 
connu  Irop  bon  Francois  el  trop  mon  amy  pour 
avoir  pu  croire  que  vous  puissiez  avoir  d'aulres 
senlimens.  Je  vous  en  remercie  de  lout  mon  cceur, 
et  me  rejouis  avec  vous  de  I'enliere  guerison  de 
Sa  Majesle ,  qui  se  prepare  a  chantjer  d'air  dans 
Ires  peu  de  jours.  Je  vous  prie  de  faire  fonde- 
nient  sur  mon  amiti6,  et  de  me  croire,  Monsieur, 
vosire  Ir^s  aflectionn^  serviteur  , 

»  Le  cardinal  Mazarini. 

»  Je  vous  suis  lres-oblig6  des  nouvelles  mar- 
ques qu'il  vous  a  pleu  me  donner  de  vostre  ami- 
lie,  el  je  vous  prie  de  croire  que  je  neperdray  au- 

niot  que  vous  me  fcrcz  rhonneur  de  m'en  cscrire.  Que 
si  nousdevons  tous  retourner,  nous  le  fcrons  paieille- 
ment ;  enfin  ,  vous  avez  la  clef  de  nos  volonl^s,  ou  bien , 
pour  vous  parler  selon  lEvangile:  «  Vous  esles  notre 
cenlenicr;  si  vous  nous  diles  allcz,  nous  aliens  ;  si  venez, 
<Tla  se  fail  sans  murmure  et  sans  excuse.  »  Et  plusl  a 
IMeu  quece  fust  pour  voire  service,  je  n'y  altendrois  pas 
\os  ordrcs  ,  mais  on  me  verroit  a  voire  porte  attendre  le 
Imnheur  de  I'occasion  de  vous  servir.  Fnites-moi  la 
firdce  d'en  dire  aidtant  a  cellc  que  nous  rcverons  tous 
deux  sirhprement.  Je  ne  suis  marry  d'es.lre  icy,  mais  si 


cune  occasion  pour  vous  faire  ressenlir  les  effects 
de  la  mienne  et  de  mes  cirilil^s. 

»  A  Calais ,  le  18jim7ZeH658.  » 

(Le  post-scriplum  est  enli^rement  de  la  main 
de  Mazarin.) 

Lellre  du  cardinal  Mazarin  au  comle  de  Mon- 
tr csor. 

Toulouse ,  17  d^ccmbre  IGTiS. 

«   Monsieur  ,   les  sainles  intentions  du   Roy 
ayanl  allir6  les  ben^dii'lions  du  ciel  pour  la  con- 
clusion de  la  paix  et  le  repos  des  peuples,  que  Sa 
Majesle   demandoit   tous  les  jours  a  Dieu  si  in- 
slammenl;    quoyque  je  me  lienne  fort  glorieux 
d'avoir  esle  un  instrument  dont  la  Providence  ayt 
voulu  se  servir  pour  metlre  la  derniere  main  a  ce 
grand  ouvrage  et  a  restablissement  de  la  f61icile 
publique ,  je  connois  bien  que  je  n'en  merile  pas 
beaucoup  de  louanges  ;  aussy  ne  recois-je  cclies 
que  vous  m'en  donnez,  que  comme  un  effel  de  vos- 
tre civilite  et  de  Tamiti^  que  vous  m'avez  pro- 
mise ,  que  je  vous  prie  do  me  conserver  ,  el  de 
croire  que  je  seray  toujours  parfailement,  Mon- 
sieur, vostre  trds-affeclionne  serviteur, 

«  Le  cardinal  Mazarini. 

»  Je  vous  prie  d'eslre  assur6  de  mon  amil^,  de 
mon  eslime  et  domes  civililes,  et  que  j'auray 
beaucoup  de  joye  lorsque  se  pr^senteront  des  oc- 
casions propres  a  vous  le  tesmoigner.  » 

(Post-scriptum  de  la  main  de  Mazarin.) 

Montr^sor  raourut  au  moisde  juillet  1663.  As- 
larac,  vicomle  de  Fonlrailles,  lui  survecut  et  ne 
mourul  que  quatorze  ans  apres  lui ,  mais  dans  le 
meme  mois  que  Montresor. 

On  ignore  enlreles  mainsde  qui  sonl  rest^sles 
manuscrils  aulographes  de  Montresor  el  de  Fon- 
lrailles ;  de  nombreuses  copies  de  leurs  Memoires 
existent  dans  differenles  collections.  La  Bibliolhfi- 
queduRoi  en  poss^deau  moins  hui(.  La  Relation  de 
Fonlrailles  est  ordinairement  reunieaux  Memoi- 
res de  Montresor;  mais  aucun  de  ces  volumes  ne 
renferme  le  Discours  par  Montresor  louchanl  sa 
prison.  On  voil  cependanl  qu'apres  avoir  achev6 
ses  Memoires,  il  pensait  deja  a  soccuper  de  ce  Dis- 

je  suis  lanl  soil  peu  utile  a  son  service,  j'y  vas  ct  y  cours 
avec  joye.  Si,  par  le  rclour  de  ce  laquais ,  vous  daignez 
nous  distiller  quelque  gouUelelte  de  nouvelles  de  ce 
monde.  vous  ferez  cliarile  dont  il  vous  sera  lenu  comple 
en  I'aulre  :  el  cependanl  permeilez-moi  de  vous  remer- 
cier  comme  je  doibs,  vous  protester  ou  plustost  confir- 
mer  mes  ob^issances,  et  vous  faire  enGn  souvenir  que  je 
suis,  Monsieur,  voire  Ires-humble  et  fidel  serviteur. 


))  Ce  28</i<  matin.  » 


»  La  Virciivir.Li;. 
12. 


1.S0 


cfiurs^  qui  en  est,  on  peut  dire,  le  complement. 
M<">ntresor  ecrit  en  effet  :  «  Je  pourrai  peut-efre 
quelqucjour,  avec  plusileloisiret  de  repos,  revoir 
cequo  j  ay  ocrit  iiicic'nunienl,  pour  rendre  cedis- 
cours  plus  intelligible  ct  y  adjouster  ce  qui  s'est 
passe  dcpuis  I'annee  1636  jusques  a  16'i2.  »  II  a 
ini^me  depass6,  dans  sa  narration,  cette  dernit;re 
date.  Alais  le  but  qu'il  se  proposait  dans  ce  Dis- 
cours,  etaitde  justilier  saconduileel  dedonner  les 
raisons  qui  Font  oblige  d''abandonner  le  service 
du  due  d'Orleans,  auquel  11  s'etait  enga2;6  par 
sa  propre  inclination.  On  y  reconnait  facilenient 
que  Montresor  n'^lail  pas  du  nombre  des  gentils- 
liomnies  «  qui  preferoient  leurs  interests  a  leur 
Iionneur,  »  et  que  (laston  fit  toujours  ses  traites 
parliculiers  avec  Ricbelieu  ,  sans  s'inquieter 
le  moins  du  monde  de  son  plus  intime  com- 
plice. Enfin  Ricbelieu  voyant  que  Montr^'sor, 
{lommc  desinteresse,  ne  serait  jamais  dependant 
de  lui,  slipula,  comme  conditions d'accommode- 
nient  entre  le  prince  et  le  ministre,  I'eloigne- 
ment  du  comte,  et  I'abbe  de  La  Riviere  fut  mis  a 
sa  place  en  quality  de  favori. 

Montrosor  n'oublie  pas,  dans  ses  Memoires, 
de  c61ebrer  la  gen6rosite  de  mademoiselle  de 
Gnise,  et  il  6crivit  meme  pour  clle  la  relation  de 
ses  malheurs.  Du  moins  c'est  ce  que  Ton  peut  pr6- 
sumcr  du  passage  suivant  de  ses  MtMuoires ,  quoi- 
qu'il  ne  desigue  pas  nomiuativemeut  Marie  de 
Lorraine  : 

«  Pour  ne  pas  manquer  a  celui  que  je  me  re- 
connois  oblige  de  vous  rendre  dans  toutes  les  oc- 
casions ou  vous  desirez  des  preuves  de  la  defe- 
rence que  j'ai  pour  vous,je  me  suis  r6solu,  pour 
vous  salisfairc,  de  metlre  par  ecrit  I'bistoire  de 
mes  malheurs.  Je  sais  combien  vous  avez  essay6 
«!e  les  adoucir  par  tons  les  soins  que  peut  pro- 
duire  une  veritable  et  sincere  affection.  Le  des- 
lin  qui  gouverne  tons  les  hommes ,  el  moi  par 
conseqrient,  nem'a  point  impose  de  si  rudescon- 
<r!tions,  qu'il  ne  m'ait  el6  fjiciie  de  les  supporter 
par  la  moderation  que  Dieu  n)'a  donn^e  :  si  j'a- 
vois  6t6  plusheureux,  je  vous  aurois  rendu  mes 
services,  au  lieu  de  vous  causer  de  la  peine  ; 
mais  vous  agissez  si  noblemen t,  que  vous  lirez 
plus  de  satisfaction  de  m'avoir  oblige,  que  vous 
n'en  eussiez  rccu  si  je  vous  eusse  6te  utile.  Quoi 
qu'il  puisse  arriver  dans  la  suite  des  temps,  je 
m'assure  que  vous  aurez  toujours  pour  moi  les 
inCmes  sentimens  d'amilie,  et  que  cetle  exquise 
probite,  remarquee  dans  toutes  vos  actions,  ne 
sera  point  alierec  par  les  fausscs  maximes  d'un 
si^cle  corrbmpu,  qui  prefere,  a  sa  honte,  I'in- 
lerfit  a  I'linnneur.  Les  conseils  de  la  prudcFice  ont 
leurs  regies  et  leur  elendue  :  je  conviens  fort  ai- 
s6mentqu'un  bomme  de  bien  peut  et  doit  recber- 
cber  les  faveurs  de  la  fortune,  pourvu  que  ce  ne 
soit  pasauxdepensdesa  r6pulation  ;  car,  toutbieu 
consid6r6,  il  n'y  a  point  de  raison  qui  nous 
puisse  dispenser  de  la  conscrver  dans  une  puret6 
fnli6rc,  ni  qui  doive  entrer  en  comparaison  avec 


IVOTICE    SlIR    MONTRESOr.    ET    FONTRAILLES, 

de  la  grace  du  Ciel ,  qui  ne  peut  6tre  obtenu  que 
par  ceux  qui  conlractent  une  verfu  si  solide  el  si 
coiistaiile,  qu'elle  subsiste  toujours  ^gale  dans 
tout  le  cours  de  leur  vie  :  Testiine  du  monde  est 
aussi  une  recompense  que  le  public  refuse  rare- 
ment,  lorsque  Ton  se  met  en  estat  de  la  meri- 
ter.  Vous  avez  toutes  les  qualites  necessaires 
pourfitrejugeedigne  de  tousles  avanlagos  qu'une 
personne  de  voire  naissance  se  peut  legiiime- 
menl  acquorir  :  profitez-en ,  je  vous  supplie ; 
vous  le  pouvez  par  les  m^mes  voies  que  vous 
avez  teimes,  |)uisque  cela  depend  absolument  de 
vous.  Et  croyez  qu'en  observant  cette  genereuse 
perseverance,  conforrae  a  vos  natureiles  inclina- 
tions, vous  devez  faire  un  fondement  assure  d'a- 
voir  en  moi,  jusques  au  dernier  moiuent  de  ma 
vie,  le  plus  fidele  et  le  plus  passionne  serviteur 
que  vous  eussiez  pu  choisir  pour  Thonuorer  de 
vos  bonnes  graces.  » 

Les  Memoires  de  Montresor  s'arrStent  au  mo- 
ment ou  les  troubles  de  la  Fronde  edaterent. 

La  Relation  de  Fontrailles,  ami  intime  de  Mon- 
tresor, et  qui  parlagea  presque  toujours  ses  in- 
fortunes,  puisquc  tons  les  deux  s'associerent  aux 
inSmes  conjurations,  ne  comprend  que  ce  qui  se 
passa  a  la  cour  pendant  la  faveur  de  Cinq-Mars, 
jusqu'a  la  mort  de  ce  favori  de  Louis  XIH. 

Mais  avant  de  parler  de  la  bibliographic  des 
Memoires  de  ces  deux  personnages ,  nous  de- 
vons  nous  arreter  un  instant  au  reproche  qu'on 
adresse  «  a  des  gentilshommes ,  deraconter  froi- 
denient  les  circonstances  d'un  projet  d'assassinat 
qui  pouvoit  les  conduire  a  I'echafaud.  »  II  nous 
parait  qu'en  ceci  on  oublie  I'epoque  a  laquellese 
rapportent  ces  Memoires,  et  combien  de  pareilles 
machinations  etaient  dans  les  moeurs  du  temps, 
si  meme  on  ne  les  tenait  pas  en  quelque  sorte  a 
honneur.  II  n'y  avail  pas  alors  de  moyen  l^gal 
de  renverser  un  premier  ministre,  qui  faisail  les 
aflaires  de  la  coaronne  aux  dcpens  et  au  de- 
triment des  corporations  nationales.  D'ailleurs, 
Richelieu  n'a  pas  racont6  les  entreprises  qu'il 
fit  faire  secrelement.  Mazarin  commissionna  uu 
homme  pour  entreprendre  contre  leduc  de  Beau- 
fort; il  fit  expedier  les  ordres  du  Roi ,  pour  s'em- 
parer  du  cardinal  de  Retz ,  mort  ou  vif.  L'homme 
qui  acquit  le  plus  de  c616brite  sous  ce  rap- 
port, vers  ce  meme  temps,  appartenait  aussi  a 
l"£glise  ;  et  sans  entrer  dans  de  nombreux  details, 
il  suffit  de  rappeler"  qu'il  offrit  de  faire  luer  et 
saler  le  eoadjuteur  de  Paris,  et  que,  charg6  par 
Mazarin  de  faire  un  traite  avec  un  espion  a  ga- 
ges, qu'on  envoyait  dans  rarm6e  du  prince  de 
Conde ,  les  deux  clauses  suivantes  y  furenl  ius6- 
rces  : 

«  Que  comme  monseigneur  le  prince  se  Iia- 
sardcde  passer  souvcnlsans  escorle,  et  qu'il  luy 
pourroit  arriver  de  prendre  le  dessein  d'aller 
voir  Son  Atlesse  Royale  ou  Mademoiselle  inco- 
gnito, s'il  se  peut  faire  que  ledit  sicur  Caillel  en 
donne  des  advis .  et  que  monseigneur  le  prince 


1(^  ropos  desa  conscience.  C'est  un  bien  qui  vienl  I  fi^t  pris  en  suite  dti  incsme  advis,  on  luy  feroit  un 


ET    SUR    CETTE    ^OUVELLR    EDITION    DE    LEUBS    MEMOIfiES. 


I8i- 


present  de  cent  mille  escus,  et  mesrae  beaucoup 
plus.  Ensuite  de  cet  entretien,  Sou  Eminence  luy 
(a  Lebrun)  proposa ,  de  sa  bouche,  la  meme 
chose  qu'auroit  faite  ledit  sieur  abbe;  de  lout 
cela  ledit  abbe  Fouquet  fit  dresser  un  memoire 
en  forme  d'article,  par  ledit  Lebruii  et  de  sa 
main,  dans  lequel  memoire  ledit  sieur  abbe 
avoit  fait  raettre  que  si  monseigneur  le  prince 
pouvoileslre  tu6  ou  venoit  a  mourir  de  quelque 
faron  que  ce  puisse  etre,  par  le  moyen  ou  minis- 
lere  dudil  Lebrun,  on  luy  donncroit  les  mesmes 
cent  mille  escus  cy-devant  declares. 

))  Lequel  memoire  cstant  signe  dudit  Lebrun  , 
I'abbe  Fouquet  le  fut  porter  a  monsieur  le  car- 
dinal, qui  en  raya  le  dernier  article,  disant  que 
dans  un  party  de  guerre  il  approuvoit  que  mon- 
seigneur le  prince  y  fut  tu6  ou  prisonnier,  mais 
qu'il  fut  tue  par  un  attentat  premedile,  il  ne  pou- 
voit  le  proposer  (1).  » 

Enfin  ,  si  Ton  voit  des  gens  d'6glise  et  des  gen- 
tilshorames  former  alors  si  facilement  des  conspi- 
rations, pour  se  debarrasser  de  leurs  ennemis 
par  I'assassinat,  c'est  qu'ils  regardaient  ce  crime 
comme  «  consacre  par  de  grands  exemples ,  jus- 
tifi6  et  honore  par  le  grand  peril.  L'ancienne 
Rome  les  auroit  estim6s  ;  mais  ce  n'est  pas  par 
cetendroit,  ajoute  le  cardinal  de  Retz,  que  j'es- 
time  l'ancienne  Rome.  » 

Les  Memoires  du  comte  de  Montresor  fureut 
imprimes  aussildt  apres  sa  mort,  dans  un  re- 
cueil  de  pieces  publi^es  a  Cologne  ( Pierre  du 
Marteau,  1663),  puis  reimprimes  separemeut  d^s 
la  m^me  annee,  format  in-12;  et  I'annee  sui- 
vante,  166i,  Jean  Sambix  le  jeune  (a  la  Sphere) 
en  fit  une  autre  edition.  En  1665,  on  les  reim- 
prima  aussi  en  y  joignant  le  Discours  par  Mon- 
tresor ^sur  sa  prisoii,  et  d'autres  pieces.  Enfin  ils 
furent  encore  publics  en  1723,  en  2  volumes 
petit  in-12. 

La  Relation  de  Fontrailles,  aucontraire,  fut 
iraprimee  de  son  Yivant,et  parut  en  1663  avec  les 
Memoires  de  Montresor.  L'auleur  la  composa 
«  parce  que,  ayant  ete  celui  qui  s'esl  rencontre  le 
plusavant  dans  la  confiance  de  Cinq-Mars,  11 
etoit  bien  aise  de  laisser  ces  M6moires  parrai  les 
papiers  de  sa  raaison,  afin  que  ceux  qui  trouve- 
ront  Y abolition  (2)  qu'il  avoit  prise,  n'ignorent 
pas  les  sujets  qui  I'y  avoient  oblige.  » 

Nous  nous  somraes  servis,  pour  nofre  edition 
de  ces  deux  documents  historiques ,  du  volume 
manuscrit  (3)  qui  nous  a  paru  le  plus  com- 
plet;  il  a  pour  litre  :  Recueil  de  Montresor,  et 
il  est  inscrit  sous  le  n"  306  du  Supplement  fran- 
eais  de  la  Riblioth^que  du  Roi ;  il  est  de  format 
in-folio.  Ony  remarque  un  plus  grand  nombre  de 
pieces  historiques  que  dans  I'edition  de  1665.  Nous 
n'avons  pas  cru  devoir  les  reiniprimcr  toules  dans 


(1)  Memoires  inWits  de  Lenet ,  pages  613  et  614  ,  de 
la  3=  s^rie  de  la  collection  dc  MM.  Michaud  et  Pou- 
joulat. 

(■2)  Les  letlres  d'abolition  aecord^es  par  le  Roi 


la  n6tre;  nous  nous  sommes  contentes  d'y  insurer, 
en  notes,  quelques-uns  de  ces  documents,  neces- 
saires  pour  justifier  quelquefois  les  Memoires, 
que  Ton  aurait  pu  accuser  d'exag6ration  sur  cer- 
tains points.  On  trouvera  cependant  dans  notro 
Edition,  a  la  suite  des  Memoires  de  Montresor  : 
1°  la  Relation  de  la  mort  de  Carondelet;  2°  la 
Relation  de  I'assassinat  de  Puylaurens ;  3"  le 
Recit  de  ce  qui  se  passa  avant  la  mort  du  car- 
dinal de  Richelieu.  Les  deux  premieres  pieces 
S8  font  surtout  remarquer  par  I'emphase  du 
style. 

Enfin,  nous  avons  mis  a  la  suite  de  la  Relation 
de  Fontrailles  :  1"  la  lettre  de  Cinq-Mars ,  ecrite  a 
sa  m6re  apr^s  sa  condamnation  et  quelques  in- 
stants avant  sou  execution,  d'apres  loriginal  au- 
tographe  conserve  a  la  Ribliolheque  du  Roi ;  2"  la 
lettre  de  I'infortune  de  Thou  a  la  princesse  de 
Guemene,  ecrite  aussi  apres  son  arret  de  mort; 
elle  a  ete  (ir6e  6galement  des  manuscrits  de  la 
merae  Bibliotheque  ;  3°  la  lettre  de  M.  de  Marca 
a  M.  de  Brienue  ,  sur  le  proces  de  Cinq-Mars ; 
mais  nous  nous  sommes  abstenus  de  reimpri- 
mer,  a  la  suite  de  la  relation  de  Fontrailles, 
le  Iraile  fait  par  le  ducd'Orleans  avecl'Espagne, 
le  13  mars  1642,  et  la  contre-letfre,  parce  qu'on 
lestrouve  dans  les  Memoires  de  Brienne,  page72 
de  ce  volume;  4°  noire  manuscrit  contenait  aussi 
une  Relation  bien  plus  detaillee  et  plus  exacle , 
pour  les  dates,  de  ce  qui  s'esl  passe  a  Lyon  du- 
raut  les  proces  de  Cinq-Mars  et  de  Thou,  que  le 
Journal  qui  existait  dans  toutes  les  editions 
precedentes.  Nous  avons  remplac6  ce  Journal  par 
cetle  ^e/a<^on.  Les  notes  biographiques  out  ete 
supprimees  comme  faisant  double  emploi ,  tous 
les  personnages  qui  figurent  dans  ces  Memoires 
et  Relations  se  Irouvant  mentionnes  dans  les  vo- 
lumes precedents  de  cette  Collection  ,  et  nous 
nous  sommes  bornes  a  mettre  en  notes  les  do- 
cuments dout  rinl6r6t  nous  a  paru  capable 
de  relever  encore  celui  des  Memoires.  Enfin, 
nous  avons  soigneusement  iudique  par  les  lettres 
A.  E.  ,  les  notes  emprunlees  aux  anciens  6di- 
teurs. 

Les  Memoires  de  Montresor  et  la  Relation  de 
Fontrailles  reparaissent  done  aujourd'hui  dans 
noire  nouvelle  edition  ,  avec  quelques  avantages 
sur  les  anciennes.  Nous  avons  cherch6  altenlive- 
ment  lesmoyens  de  procurer  ces  mSmes  avanta- 
ges a  tous  les  Memoires  que  nous  nous  somraes 
charges  d'ediler  de  nouveau  dans  la  belle  el 
consciencieuse  collection  de  MM.  Michaud  et 
Poujoulat;  les  recherches  que  nous  avons  faites 
n'ont  pas  6t6  infructueuses,  et  nosefforlslendront 
toujours  a  justifier  la  bienveillance  avec  laquelle 
le  public  les  a  accueillies. 

A.  C. 


(3)  La bibliollieque  liistoriqiie  de  Fcnletlc  mentionnc. 
sous  Ic  n»  22,028,  comme  layant  pris  dans  un  catalogue 
de  Le  Blanc,  un  autre  manuscrit  en  quatre  volumes  ct 
qui  est  plus  awple  que  limprime. 


MEMOIRES 

DU  GOMTE  DE  MONTRESOR. 


Retroite  de  Monsieur  en  Flandre ;  sa  reception; 
les  intrigues  de  la  cour  pendant  son  sejour^ 
et  son  retour  en  France. 

I 

[1632]  La  uouvelle  de  la  mort  da  dnc  de 
Montmorency,  arrivee  a  Toulouse,  ay  ant  ete 
porteea  Monsieur  a  Tours,  oii  il  s'etoit  retire 
depuis  son  retour  de  Languedoc,  voyant  que, 
contre  les  esperances  qui  lui  avoient  ete  don- 
nees  par  lessieurs  de  Bullion  etDes  Fosses,  de- 
putes par  le  Roi  pour  le  traite  fait  a  Beziers  , 
Ton  avoit  fait  mourir  de  la  sorte  un  honime  si 
recommandable  par  sa  naissance  et  par  les  im- 
portans  services  qu'il  avoit  rendus  a  I'Etat,  Son 
Altesse  s'etant  promis  que  ses  soumissions  aux 
volontes  du  Roi  obligeroient  Sa  Majeste  a  traiter 
avec  moins  de  rigueur  une  personne  de  laquelle 
la  vie  lui  etoit  si  recommandable,  jugea,  pour  sa 
reputation ,  ne  devoir  pas  demeurer  en  France 
apres  un  sujet  de  deplaisir  aussi  sensible  que 
celui  qu'il  avoit  recu  en  cette  occasion.  EUe  ne 
mit  point  en  doute  d'etre  valablement  dechargee 
de  tout  ce  qu'elle  avoit  promis  par  son  traite  a 
Beziers ,  puisque  ,  dans  le  temps  qu'il  se  con- 
clut ,  elle  avoit  dit  et  proteste  aux  deputes  du 
Roi,  ques'il  mesarrivoit  dudit  due  de  Montmo- 
rency ,  contre  les  assurances  reconfirmees  de  la 
part  de  Sa  Majeste,  elle  le  prendroit  pour  rup- 
ture ,  et  ne  tiendroit  aucune  des  conditions  aux- 
quelles  elle  s'etoit  engagee,  son  intention  etant 
de  se  soumettre  pour  la  conservation  d'un 
homme  qui  lui  etoit  si  cher,  et  auquel  elle  avoit 
des  obligations  si  particulieres. 

Ce  furent  les  raisons  les  plus  apparentes  qui 
causerent  la  sortie  de  Monsieur ;  mais  la  plus  veri- 
table et  la  plus  secrete  fut  celle  du  manage  que 
Son  Altesse  avoit  contracte,  au  desu  du  Roi,  avec 
la  princesse  Marguerite  de  Lorraine ,  que  Ton 
avoit  tenu  cache  pour  de  bonnes  considerations. 
Sa  Majeste  ni  ses  ministres  n'en  avoient  eu  aucune 
connoissancecertaine,  seulement  des  soupcons, 
I'affaire  ayant  ete  conduite  si  couvertement,  que 
les  espions  de  la  cour  n'avoient  pu  penetrer  si 
avant:  aussi  nefut-il  point  parledecet  article  dans 
le  traite  de  Beziers.  II  n'y  eut  que  le  sicur  de 
Bouillon ,  apres  que  tout  fut  conclu  et  signe,  qui 
s'avisa  de  demander  au  sieur  de  Puylaurens,  prin- 


cipal conlident  de  Son  Altesse,  si  veritablement 
Monsieur  etoit  marie;  lequel  lui  repondit  qu'il  ne 
I'etoit pas, ne  jugeant  nullement apropos  ni  con- 
venable  au  bien  des  affaires  de  son  maitre  de 
s'en  ouvrir  a  lui,  etde  s'en  expliquerautrement. 

Monsieur  partit  done  de  Tours  pour  les  rai- 
sons ci-devant  representees  ;  etant  a  Blois  ,  il 
depecha  le  sieur  de  Saumery  vers  Son  Altesse 
deSavoie  pour  I'informer  de  tout  ce  qui  s'etoit 
passe ,  et  menager  par  Tentremise  du  marechal 
de  Toiras  sa  retraite  en  Piemont,  en  cas  qu'il  en 
eiit  besoin.  Ensuite  Monsieur  traversa  la  Beauee , 
futaMontereau-sur-Yonne,  duquel  lieuil  ecrivit 
au  Roi  par  I'un  de  ses  gardes,  une  lettre  qui  con- 
tenoit  en  substance  les  sujets  et  les  raisons  de 
son  eloignement. 

Son  Altesse,  sans  s'arreter,  prit  le  chemin 
de  Champagne,  accompagnee  de  samaison,  qui 
pouvoit  faire  en  gentilshorames  et  domestiques 
cent  cinquante  chevaux.  II  se  rendit  a  Dun-sur- 
Meuse ,  petite  place  du  duche  de  Lorraine ,  d'oii 
elle  envoya  les  sieurs  Du  Fargis  a  I'lnfante,  et 
vers  le  due  de  Lorraine,  Saint-Quentin  ,  I'un  de 
ses  gentilshorames  ordinaires.  L'on  ne  disoit 
point  encore  si  l'on  iroit  en  Lorraine  on  en  Flan- 
dre; mais  le  lendemain  ce  doute  fut  eclairci, 
ayant  pris  le  chemin  de  Namur ,  auquel  lieu 
Monsieur  se  rendit  en  trois  journees. 

[  1633]  Le  comte  de  Sallazar,  capitaine  de 
la  garde  de  cavalerie  de  I'lnfante ,  fut  celui  qui 
le  vint  recevoir  et  lui  faire  des  complimens.  et 
une  infinite  d'offies  de  la  part  de  cette  ver- 
tueuse  princesse,  pour  lui  temoigner  la  verita- 
ble et  sensible  joie  qu'elle  avoit  de  le  recevoir. 

Monsieur  arriva  le  jour  d'apres  a  Bruxelles  , 
et  fut  descendre  au  logis  du  comte  de  Sallazar , 
d'ou  il  vint  aussitot  au  palais  de  I'lnfante ,  de 
laquelle  il  fut  traite  avec  autant  de  bonte,  de 
temoignage  d'affection  et  de  tendresse  ,  que  s'il 
eut  ete  son  fils ,  qui  etoient  les  termes  dont  elle 
se  servoit  ordinairement  lorsqu'elle  vouloit  ex- 
primer  I'amitie  qu'elle  avoit  pour  lui. 

Cette  premiere  audience  finie,  Monsieur  fut 
conduit  dans  I'appartement  qui  lui  avoit  ete  pre- 
pare ,  qui  etoit  celui  de  I'archiduc,  par  les  prin- 
cipaux  de  sa  cour  et  de  sa  maison ,  auxquels 
elle  avoit  ordonne  de  le  servir ,  et  de  lui  reudro 


(84 


MEMOIRES   DE    MO.XTP.ESOR.    [lG:)3j 


les  memes  respects  qu'a  sa  propre  personne. 
Tous  a  I'euvi  lui  faisoient  paroitre  le  contente- 
ment  qu'ils  avoient  de  son  retour;  et  veritable- 
ment  Monsieur  avoit  raison  d'etre  satisfait  d'une 
reception  si  obligeante,  si  le  partement  de  la 
Reine  sa  mere  de  Bruxelles ,  avant  qif  11  fiit  ar- 
rive, ne  lui  eut  donne  de  I'inquietude  ,  et  fait 
apprehender  qu'un  eloignement  si  prompt  ne 
provint  plutot  des  mauvais  conseils  de  quelques 
esprits  raalicleux  qui  les  vouloient  diviser,  que 
de  la  necessite  de  vouloir  changer  d'airpoursa 
sante ,  qui  etoit  le  pretexte  pris  pour  colorer  le 
depart ,  que  tout  le  monde  avoit  blame  et  trouve 
si  a  contre-teraps.  jNeanmoins,  comme  Son  Al- 
tesse  vouloit  toujours  continuer  a  satisfaire  aux 
memes  respects  vers  la  Reine,  il  se  resolut  de 
Taller  voir  le  lendemain  a  Malines ,  oil  il  fut 
diner  avec  Sa  Majeste ,  de  laquelle  apparemment 
il  fut  bien  recu.  Les  instances  qu'il  fit  aupres 
d'elle  se  trouverent  pourtant  sans  effet,  etil  fut 
oblige  de  revenir  a  Bruxelles  avec  le  deplaisir 
de  n'avoir  pu  obtenir  le  retour  dela  Reine,  qui 
persista  dans  la  resolution  de  se  retirer  a  Gand, 
qu'elle  avoit  choisi  pour  le  lieu  de  sa  demeure. 

II  me  semble  a  propos  de  dire  les  sujets  que 
les  ministres  de  Sa  Majeste  publioient  qu'elle 
avoit  de  n'etre  pas  contente  de  Monsieur ,  lais- 
sant  la  liberte  d'en  juger  a  ceux  qui  liront  ces 
Memoires ,  et  de  voir  s'ils  etoieut  bien  foudes 
ou  non. 

lis  alleguoient,  jwur  leur  principale  raison  , 
que, dans  le  traite  de  Beziers,  Monsieur  n'avoit 
eu  nu!  egard  a  ce  qui  regardoit  Sa  Majeste.  de 
laquelle  il  ne  devoit  jamais  se  separer,  et  que 
ce  lui  devoit  etre  un  grand  reproche  de  n'avoir 
rien  stipule  pour  elle  ,  ni  parle  en  aucuue  ma- 
niere  ni  facon  de  ses  interets ,  ne  considerant 
pas  que,  dans  ce  rencontre ,  Son  Altesse  s'etoit 
vue  hors  d'etat  d'y  agir  utileraent ,  ayant  ete 
forcee  de  souscrire  a  des  conditions  si  deraison- 
nables,  etd'un  si  notable  prejudice  a  ses  avan- 
tages  particuliers  et  au  rang  qu'elle  tenoit,  par 
consequent  devoit  etre  disculpee  de  tous  les  bla- 
mes que,  sur  ce  sujet,  on  lui  pouvoit  attribuer. 
La  consideration  de  la  Reine  et  celle  de  sa  re- 
putation furent  aussi  les  veritables  motifs  qui 
I'obligerent  a  sortir  de  France  dans  cette  con- 
joncture,  pour  se  rendre  aupres  de  Sa  Majeste, 
prendre  part  a  sa  mauvaise  fortune ,  et  faire 
voir  qu'il  etoit  incapable  de  se  desunir  jamais 
d'avec  elle. 

C'est  ce  que  ses  ministres  malintentionnes 
debitoient  en  public ,  ce  qui  pouvoit  etre  bon 
pour  les  moins  clairvoyans,  mais  les  autres, 
qui  penetroient  evidemment  leurs  artifices,  ju- 
geoient  assez  que  cela  provenoitd'ailleurs,  et  que 


la  froideur  de  la  Reine  etoit  fomentde  par  les 
conseils  du  pere  Chanteloube,  qui  etit  voulu  te- 
nir  le  sieur  de  Puylaurens  dans  sa  dependance 
absolue  :  qui  etoit  desirer  I'impossible,  car,  de, 
sa  part,  il  n'etoit  pas  homme  a  se  soumettre  a 
un  autre,  dont  la  suffisance  ne  lui  etoit  en  au- 
cune  estime 

Cette  mauvaise  intelligence  des  ministres 
s'augmenta  avec  le  temps  ,  et  produisit  d'etran- 
ges  effets  pour  la  cause  generale  et  les  interets 
particuliers.  Mais  comme  dans  ce  discours  il 
sera  quelquefois  parle  des  affaires  des  Espagnols, 
celles  de  Monsieur  s'y  trouvant  melees,  il  est 
necessaire  de  faire  voir  I'etat  auquel  etoit  la 
Flandre  lorsque  Son  Altesse  y  arriva.  Bien  que 
rinfante  en  eut  remis  la  propriete  en  favour  du 
roi  d'Espagne,  son  neveu,  elte  paroissoit  pour- 
tant y  avoir  I'autorite  tout  entiere,  et  y  gouver- 
noit  les  peuples  avec  tant  de  sagesse  et  de  mo- 
deration ,  qu'elle  n'en  etoit  pas  aimee  seulement, 
mais ,  s'il  est  permis  d'user  de  ces  termes ,  uni- 
versellement  adoree  pour  sou  extreme  vertu. 

Parmi  ses  devotions  ordinaires ,  cette  sage 
princesse  ne  perdoit  pas  un  seul  moment  de 
temps  qu'elle  pouvoit  employer  au  bien  de  I'E- 
tat  et  au  soulagement  des  peuples. 

Le  marquis  d'Aytonne  tenoit  sous  elle  la 
place  de  principal  ministre:  il  etoit  ambassa- 
deur  du  roi  d'Espagne  et  general  de  ses  armees 
de  Flandre ,  depuis  que  le  marquis  de  Sainte- 
Croix  avoit  ete  rappele  apres  la  perte  de  Maes- 
ti'icht,  et  les  autres  mauvais  succes  arrives  aux 
Espagnols  sous  sa  conduite ,  durant  I'annee 
1032.  Le  due  de  Lerme  etoit  mestre-de-camp- 
general  sous  le  marquis  d'Aytonne;  le  president 
Rose,  le  premier  du  conseil  d'Etat ,  et  les  finances 
gouvernees  par  le  due  de  Croy  et  le  comte  de 
Copigny  en  qualite  de  surintendans.  Chacun 
d'eux,  dans  la  fonction  de  sa  charge ,  n'agissoit 
que  selon  les  ordres  de  I'Infante ;  aussi  n'y  avoit- 
il  aucune  affaire  de  laquelle  elle  n'eut  une  en- 
tiere connoissance. 

Les  Espagnols  avoient  souffert  des  pertes  con- 
siderables, et  les  Hollandois  reraporte  Venloo  , 
Ruremonde ,  Maestricht  et  plusieurs  autres  pla- 
ces et  forts  autour  d'Anvers,  qui  avoient  releve 
la  reputation  de  leurs  armes. 

Ces  succes  arrives  a  ses  ennemis  n'etoient 
pourtant  pas  ce  qui  les  inquietoit  davantage ,  et 
ce  qui  leur  donnoit  de  plus  pressans  sujets  d'ap- 
prehender  la  ruine  de  leurs  affaires. 

Leur  plus  grand  mal ,  a  ce  qu'ils  croyoient , 
venoit  du  dedans  et  des  intelligences  partieu- 
lieres.  La  retraite  du  comte  Henri  de  Bergue ,  a 
Liege,  leur  fit  ouvrir  les  yeux,  et  soupconner, 
non  sans  cause  ,  beaucoup  dc  personnes  de  qua- 


MEMOIBES    DE    MONTBESOB 


lite,  qu'jls  jngerent  avoir  part  a  ces  menees  se- 
cretes ,  parce  qu'elles  etoient  unies  d'amitie  et 
d'aliiance  avec  lui.  Mais  le  temps  n'etant  propre 
pour  agir  contre  les  auteurs  et  les  complices  de 
cette  action  ,  de  craiiite  d'une  revolte  generale 
des  peuples,  assez  mal  affectionnes  a  leur  domi- 
Dation,  rinfante,  se  servant  dans  des  conjonctu- 
res  si  douteuses  de  la  creance  qu'elle  s'etoit  ac- 
quise,  fit  venir  les  principaux  vers  elle,  tira  I'a- 
veu  de  leurs  desseius  et  parole  de  n'en  concevoir 
plus  de  semblables  ,  sous  les  assurances  qu'elle 
leur  donnoit  aussi  de  sa  part  de  leur  pardonner 
le  passe.  Neanraoins ,  peu  de  temps  apres ,  elle 
fut  obligee  de  changer  d'avis,  sur  ceux  qui  lui 
furent  donnes  des  pratiques  de  Carondelet,  gou- 
verneur  de  Bouchain  ,  avec  les  gouverneurs  des 
places  frontieres  de  Picardie ,  voisines  de  la 
sienne,  dans  laquelle  il  fut  investi  avec  beau- 
coup  d'ordre  et  de  secret  de  la  part  des  Espa- 
gnols,  et  contraint  par  cette  surprise  de  rece- 
voir  la  garnison  qu'ils  y  voulurent  mettre  ,  par 
laquelle,  sur  quelque  conteste  arrive  a  dessein  , 
il  fut  tue  des  I'instaut  qu'ils  s'en  furent  rendus 
les  raaitres. 

Tout  le  monde  jugea  que  les  Espagnols,  tres- 
habiles  ,  avoient  fait  cette  sorte  de  justice  d'un 
sujet  iofidele  a  son  roi ,  le  temps  ne  leur  permet- 
tant  pas  d'en  user  autrement,  quoiqu'ils  voulus- 
sent  toutefois  persuader  que  c'etoit  Teffet  d'un 
hasard  et  d'un  accident  arrive  par  une  querelle 
particuliere. 

Apres  sa  mort ,  le  gouvernement  fut  donne  au 
vicomte  d'Alpem  ;  et  le  doyen  Carondelet  fut 
pris  quelques  jours  apres  dans  un  couvent  de 
religieux  a  Bruxelies,  auquel  lieu  il  fut  retenu 
sous  une  garde  fort  sure  jusques  a  la  mort  de 
rinfante  ,  apres  laquelle  il  fut  conduit  dans  la 
citadelle  d'Anvers ,  ou  la  sienne  arriva  depuis. 

Je  laisserai  ce  discours,  pour  I'achever  qiiand 
je  parlerai  de  la  retraite  du  prince  d'Espinay 
et  du  due  de  Bournonville  en  France ,  et  dirai 
lors  quelles  etoient  les  intelligences  que  les  Es- 
pagnols soupconnoient  etre  entre  les  plus  quali- 
fies des  Pays-Bas  et  le  cardinal  de  Richelieu  ; 
quels  furent  aussi  les  auteurs  de  cette  cabale, 
et  les  projets  et  desseins  qu'ils  pouvoient  avoir, 
pour  reprendre  celui  que  j'avois  interrompu. 

Les  premiers  jours  employes  par  Son  Altesse 
a  rendre  ses  respects  a  la  Reine  sa  mere,  ses 
devoirs  a  I'lnfante ,  et  a  recevoir  les  complimens 
et  les  visites  des  personnes  plus  considerees  par 
leur  naissance  et  par  leurs  charges ,  Monsieur  se 
proposa  de  donner  part  a  I'Erapereur,  a  Sa  Ma- 
jeste  Catholique  et  au  roi  d'Angleterre ,  des  su- 
jets  qui  I'avoient  oblige  a  chercher  sa  surete  en 
Flandre. 


[1G33J  185 

Le  Coudray-Montpensier  futchoisi  pour  aller 
a  Vienne  trouver  Sa  Majeste  Imperiale  ,  ave(5 
ordre  de  demander  secours  d'hommes  en  son 
nom,  pour  essayer,  avec  les  forces  qu'il  tireroit 
des  Espagnols ,  et  celles  qu'il  pourroit  mettre 
ensemble  par  le  moyen  de  ses  serviteurs  ,  a 
former  un  corps  assez  considerable  pour  pouvoir 
entrer  en  France  ,  et  redulre  a  la  raison  les  en- 
nemis  de  la  Reine  sa  mere,  et  les  siens. 

LeCoudray,dans  cet  emploi,  s'acquitta  fidele- 
ment  de  la  commission  qui  lui  avoit  ete  donnee, 
et  suivant  son  instruction  vint  a  Prague  vers  le 
due  de  Friedland ,  generalissime  de  I'armee  de 
I'Empereur.  II  confera  avec  lui  diverses  fois,  et 
rapporta  ,  a  son  retour,  a  Son  Altesse  une  infi- 
nite de  promesses  avantageuses  a  ses  interets , 
et  de  belles  et  grandes  esperances  qui  n'eurent 
pas  leurs  effets;  car  des- lors  I'ambition  de  s'e- 
lever  lui  avoit  fait  prendre  des  mesures  en  France 
entierement  contraires  a  son  devoir,  et  a  la  fide- 
lite  qu'il  etoit  oblige  de  conserver  inviolables  a 
son  maitre  et  a  son  bienfaiteur. 

Le  marquis  d'Ornano  fut  aussi  envoye  en  An- 
gleterre,  et  de  Lingendes  en  Espagne:  en  atten- 
dant ce  que  produiroient  ces  diverses  negocia- 
tions  ,  les  esprits  ne  pouvant  pas  s'occuper  a  des 
choses  serieuses  et  importantes.  Monsieur  pre- 
noit  part  a  tons  les  diverlissemens  que  la  sai- 
son  pouvoit  perraettre.  La  Reine  mere ,  qui  s'e- 
toit retiree  sous  le  pretexte  de  sa  sante ,  au  lieu 
d'y  trouver  du  soulagement ,  tomba  dans  une 
assez  facheuse  maladie  pour  en  apprehender  I'e- 
venement.  Son  Altesse ,  n'omettaut  aucun  des 
soins  que  son  bon  naturel  lui  conseilloit ,  en- 
voyoit  tous  les  jours  savoir  des  nouvelles  de  sa 
sante,  et  toutes  les  semaines  alloit  lui-meme  en 
apprendre. 

II  renouvela  aussi  ses  meraes  instances  aupres 
d'elle  pour  I'obliger  de  revenir  a  Bruxelies,  par- 
ce que  I'air  en  convenoit  mieux  a  son  tempera- 
ment que  celui  de  Gand ,  dont  la  situation  est 
marecageuse,  et,  selon  le  rapport  des  raedecins, 
elle  n'y  pouvoit  demeurer  sans  peril  de  sa 
vie. 

Ces  justes  raisons,  representees  par  Monsieur, 
furent  neanmoins  sans  effet ,  sur  ce  que  le  pere 
de  Chanteloube  etoit  d'opinion  differente,  et  ne 
conseilloit  pas  a  Sa  Majeste  d'en  partir. 

Durant  cette  maladie  ,  le  Roi  envoya  visiter 
la  Reine  sa  mere,  par  le  sieur  Des  Roclies- 
Saint-Quentin ,  qui  cut  charge  de  lui  faire  des 
propositions  d'accommodementquine  reussirent 
point.  Les  auteurs  de  ses  disgraces,  qui  par  leurs 
artifices  I'avoient  eloignee  d'aupres  du  Roi ,  ne 
pouvoient  consent!  r  qu'elle  s'en  rapprochat ; 
mais  ils  vouloient  faire  paroitre  qu'il  ne  tenoit 


18(j 


VIEMOIBES    DE    MONTKESOR. 


H)33l 


qua  elle  qu'elle  ne  recut  cette  satisfaction. 
Pendant  que  les  choses  etoient  en  cet  etat, 
le  cardinal  de  Richelieu  lit  raettre  en  avant 
dautres  propositions  par  le  sieur  d'Elbene, 
qui  avoit  ordre  de  s'adresser  directenoent  au 
sieur  de  Puylaurens,poursavoirsi  ellesseroient 
agreables  a  Monsieur,  lequel ,  en  ayant  ete  in- 
forme,  les  coramuniqua  a  I'lnfante  et  au  mar- 
quis d'Aytonne ,  qui  approuverent  de  ne  les  pas 
rejeter,  quoiqu'ils  eussent  peu  d'opinion  qu'elles 
fussent  avancees  avec  sincerite. 

Cette  bonne  princesse ,  dans  cette  occasion , 
assura  plusieurs  fois  Monsieur  qu'elle  seroit  in- 
finiraent  satisfaite  de  son  retour  aupres  du  Roi 
son  frere ,  pourvu  que  ce  fiit  avec  surete ,  et 
selon  que  le  requeroit  la  dignite  de  sa  personne. 
La  permission  donnee  a  d'Elbene  d'entendre  a 
ce  que  le  cardinal  continueroit  de  lui  dire ,  il 
repassa  en  France  sous  un  passeport,  et  a  son 
retour,  cette  seconde  fois,  ne  rapporta  de  sa 
negociation  que  des  paroles  generaies ,  dans  les- 
quelles  il  ne  paroissoit  rien  d'essentiel  ni  d'ef- 
fectif.  Bien  (pie  Son  Altesse  diit  etre  rebutee  de 
ce  qu'on  agissoit  avec  elle  de  si  mauvaise  foi, 
elle  estima  a  propos  de  ne  point  rompre  ce  com- 
merce, dans  la  creance  qu'il  ne  pouvoit  nuire  a 
ses  affaires  ,  et  qu'il  faisoit  cet  effet  de  tenir  en 
devoir  beaucoup  des  siens  qui  se  lassoient  de 
I'etat  present  des  choses  :  ce  qui  les  conten- 
toit  en  quelque  sorte  de  I'esperance  d"un  ac- 
commodement  que  leur  humeur  inquiete  et  des 
desseins  particuliers  leur  faisoient  desirer, 

Durant  ces  divers  voyages  et  propositions  , 
rhiver  et  le  printemps  s'etoient  ecoules  ,  et  I'ete 
etant  arrive  avoit  donne  lieu  aux  armees  de  se 
mettre  en  campagne. 

Les  Hollandois ,  enfles  du  succes  de  I'annee 
derniere  ,  furent  les  plus  diligens;  prenant  leur 
marche  le  long  du  Rhin  ,  ils  mirent  le  siege  de- 
vant  Rhinberg ,  et  le  presserent  si  fort ,  que  les 
Espaguols  se  resolurent  d'aller  droit  a  eux  pour 
les  combattre  ou  leur  faire  lever  le  siege. 

Monsieur,  sur  I'avis  de  cette  resolution,  vou- 
lut  avoir  part  a  une  action  qu'il  estimoit  glo- 
rieuse  et  digne  d'un  prince  de  sa  naissance,  et 
fort  propre  pour  teraoigner  a  Tlnfante  de  quelle 
passion  il  embrassoit  ses  interets. 

II  partit  de  Bruxelles  pour  ces  considerations, 
ct  ayant  pris  une  escorte  de  trois  cents  chevaux 
a  Malines,  fut  coucher  a  Veuloo,  et  le  lende- 
main  a  Tarmee,  composee  de  quatorze  mille 
homraes  de  pied  et  de  six  a  sept  mille  che- 
vaux. 

Lememe  jour,  il  fut  delibere  par  le  conseil  de 
guerre  d'aller  droit  aux  ennemis  :  le  lieu  du  pas- 
sage fut  rcsolu  au-dcssous  de  Masseyck  ,  petite 


ville  du  pays  de  Liege,  et  dautant  qu'il  etoit 
defendu  par  Straquembourg ,  lieutenant-general 
de  la  cavalerie  de  messieurs  les  Etats ,  avec  trois 
mille  chevaux  et  quelque  infanterie  tiree  de 
Maestricht ,  et  de  quatre  pieces  de  canon  tirees 
de  Ruremonde  ,  pour  tromper  les  ennemis  ,  le 
marquis  d'Aytonne  fit  une  action  de  capitaine  : 
toute  I'infanterie  espagnole  tourna  la  tete  vers 
une  lie  a  une  lieue  et  deraie  au-dessous ,  et  donna 
toutes  les  apparences  de  vouloir  passer  la  riviere 
en  cet  endroit,  ce  qui  obligea  Straquembourg 
d'abandonner  son  premier  poste  qu'il  avoit  oc- 
cupe :  ce  qui  facilita,  une  lieue  au-dessus,  le 
passage  de  la  riviere  a  la  cavalerie  espagnole , 
et  les  troupes  hollandoises  I'ayant  apris,  elles 
se  retirereut  avec  effroi  et  tel  desordre ,  que , 
sans  la  nuit  qui  en  otoit  une  partie  de  la  con- 
noissance,  elles  eussent  Indubitablement  ete 
defaites. 

Monsieur  donna  en  ce  rencontre  beaucoup  de 
preuves  de  son  jugement  et  de  sa  generosite;  les 
Espagnols  la  remarquerent  avec  estime,  et  loue- 
rent  fort  la  reponse  qu'il  fit  au  comte  de  Bu- 
quoy,  qui,  de  deux  paires  d'armes  qu'il  avoit , 
ayant  retenu  la  meilleure  pour  lui  et  prete  I'au- 
tre  a  Sou  Altesse  ,  lui  dit  qu'il  ne  lui  en  repon- 
doit  pas;  sur  quoi  Monsieur  lui  repartit  qu'il  lui 
suffisoit ,  pour^■u  qu'elles  fussent  a  I'epreuve  de 
I'epee. 

L'on  fit  un  pout  de  bateaux  pour  le  passage 
de  I'infanterie,  canon  et  bagage,  en  si  peu  de 
temps ,  que  les  Francois ,  qui  n'avoient  jamais 
vu  user  de  si  grande  diligence  ,  en  furent  eton- 
nes.  Dans  ce  moment  la  nouvelle  de  la  reddi- 
tion  de  Rhinberg  arriva  :  ce  qui  obligea  les  Es- 
pagnols a  changer  de  dessein,  et  a  se  saisir  de 
rile  de  Stephansvvert ,  qu'ils  fortifierent ,  bien 
qu'elle  fut  en  neutralite. 

L'armee  y  entra  le  lendemain  ,  et  le  jour  d'a- 
pres  les  travaux  furent  departis  aux  troupes  , 
qui  firent  en  huit  jours  ce  qu'on  n'auroit  pas  at- 
tendu  devoir  etre  fait  en  deux  niois.  Monsieur, 
voyant  que  les  armees  se  resolvoient  a  demeu- 
rer  sans  rien  entreprendre  ,  jugea  qu'il  s'en  de- 
voit  retourner  a  Bruxelles ,  ou  I'lnfante  lui  fit 
paroitre  tenir  a  obligation  de  ce  qu'il  avoit 
honore  l'armee  de  sa  presence,  et  le  recut  avec 
toutes  les  marques  d'affection  dont  elle  put  s'a- 
viser. 

Pendant  le  temps  que  Son  Altesse  demeuraa 
l'armee, d'Elbene  revint  de  France,  et  ne  lui 
rapporta  aucun  sujet  de  satisfaction.  Le  Roi , 
suivant  le  conseil  du  cardinal  de  Richelieu,  ne 
se  pouvoit  resoudrea  lui  accorder  des  places  de 
surete  ,  ct  Monsieur  ne  croyoit  pas,  de  sa  part, 
devoir  se  mettre  entre  les  mains  d'un  ministre 


MEMOIRES    DK    MOiVTRESOn.    fHiSnl 


187 


si  puissant  et  si  autorise  avec  de  moindres  pre- 
cautions. 

Les  allees  et  venues  ,  qui  ne  laisserent  pas  de 
eontiuuer,  firent  apprehender  a  la  Reine  mere 
que  letraite  se  conclut  sans  elle  ;  et  ee  fut  cette 
crainte  qui  ia  disposa  de  revenir  a  Bruxelles, 
sous  le  raeme  pretexte  de  pourvoir  a  sa  sante  , 
duquel  elle  s'etoit  servie  lorsquelle  se  retira  a 
Gand.  Monsieur  fut  la  recevoir  a  Terraonde , 
place  situee  entre  ces  deux  villes,  et  I'lnfante 
fut  au  devant  d'elle  a  deux  lieues  de  Bruxelles, 
ouelles  entrerent  en  meme  carrosse.  Dans  ces 
conjouctures,  le  due  de  Lorraine,  qui ,  par  I'ar- 
raemeut  qu'il  avoit  fait ,  avoit  donne  des  om- 
brages  au  Roi ,  pour  oter  a  Sa  Majeste  toute 
creance  que  c'eut  ete  pour  le  service  de  Mon- 
sieur, son  frere,  resolut  d'employer  ses  troupes 
contre  les  Suedois ,  sur  ce  qu'ils  avoient  fait 
des  actes  d'hostilite  dans  les  terres  qui  lui  ap- 
partenoient.  Le  succes  en  fut  si  malheureux , 
que  son  armee  fut  defaite  a  Papenhove  ;  et  le 
Roi ,  aussitot  que  cette  disgrace  lui  fut  arrivee , 
se  presenta  aux  portes  de  Nancy,  qui  lui    fut 
rendue  par  traite  ,  durant  lequel  Madame,  qui 
se  nommoit  encore  la  princesse  Marguerite,  en 
sortit  travestie,  et  se  retira  a  Thionville,  d'ou 
elle  en  donna  avis  a  Son  Altesse,  et  qu'elle  pren- 
droit  le  chemin  de  Bruxelles  pour  se  rendre  au- 
pres  de  lui. 

II  seroit  malaise  d'exprimer  la  joie  que  Mon- 
sieur recut ,  apprenant  qu'une  persoune  qui  lui 
etoit  si  chere  fut  echappee  d'un  peril  eminent. 
Et  quoiqu'il  juge^t  bien  que,  recevant  Madame, 
il  falioit  necessairement  que  le  mariage  qu'il 
avoit  tenu  cache  jusques  alors,  etant  rendu  pu- 
blic ,  rompit  tous  les  traites  et  negociations 
commences,  son  affection  I'emportant  par  des- 
sus  toutes  autres  raisons  ,  il  envoya  au  devant 
d'elle  M.  le  due  d'Elboeuf  et  M.  de  Puylaurens, 
pour  lui  temoigner  ses  sentimens  et  son  affec- 
tion. Le  desir  qu'il  avoit  de  la  voir  ne  lui  per- 
mettant  pas  d'attendre  leur  retour,il  partit  pour 
Ten  assurer  lui-meme,  futjusqu'aMarche  ,  ou  il 
la  rencontra,  et  revint  avec  elle  coucher  a  Namur. 
Le  lendemain.  Monsieur  fut  a  Bruxelles  quel- 
ques  heures  avant  Madame ;  I'lnfante ,  qui 
n'oublioit  aucune  occasion  de  celles  qui  s'of- 
froient  de  rendre  des  preuves  de  sa  bonte  et  de 
I'amitie  qu'elle  portoit  a  Son  Altesse, fut  assez 
loin  au  devant  de  Madame;  la  Reine  mere  sor- 
tit hors  de  la  ville  ,  et  toutes  deux  la  menerent 
au  palais,  dans  un  appartement  qui  lui  etoit 
destine  proche  de  celui  de  Monsieur. 

Cette  arrivee  de  Madame  fut  une  nouvelle  et 
pressante  difficulte  pour  I'accomplissement  des 
affaires  qui  sc  traitoient. 


Les  ministres  du  Roi  avoient  toujours  doute 
ou  feint  d'ignorer  son  mariage,  pour  reserver 
cet  article  afin  de  I'attribuer  a  crime  au  sieur 
de  Puylaurens,  comme  ils  I'ont  fait  paroitre  de- 
puis. 

Je  ne  m'etendrai  point  a  la  relation  des  hon- 
neurs  que  Madame  recut  de  I'lnfante  dans  ces 
commencemens  ;  je  passerai  a  celle  de  la  nego- 
ciation  du  Coudray  en  Allemagne,  sur  les  assis- 
tances promises  a  Son  Altesse  par  I'Empereur 
et  le  due  de  Friedland.  Dans  le  temps  que  le 
due  de  Feria  etoit  passe  du  Milanois  dans  la 
Haute-Alsace,  elles  devoient  sortir  en  effet.  Al- 
dringuer  avoit  ete  envoye  avec  des  forces  capa- 
bles  d'executer  un  grand  dessein  ,  s'il  eut  voulu 
se  joiudre  au  due  de  Feria,  et  agir  conforme- 
ment  aux  proraesses  qu'il  lui  avoit  faites  de 
combattre  les  Suedois  :  ce  qu'ils  pouvoient  I'un 
et  I'autre  avantageusement ,  si  la  perfidie  d'Al- 
dringuer  n'eut  prevalu  aux  sinceres  intentions 
du  due  de  Feria,  qui  agissoit  pour  la  cause 
commune  par  de  meilleurs  principes  et  des  re- 
solutions plus  sinceres. 

Les  longueurs  et  les  remises  donnerent  temps 
au  parti  suedois  de  se  rendre  plus  fort;  en  sorte 
qu'il  fut  impossible  de  rien  entreprendre  qui 
repondit  a  I'emploi  et  a  la  confiance  que  le  roi 
d'Espagne  avoit  pris  au  due  de  Feria.  La  peste 
se  mit  dans  son  armee,  qui  se  ruina  d'elle-meme; 
il  en  mourut  la  plupart ,  et  quasi  tous  les  prin- 
cipaux  officiers  ,  et  le  reste  s'en  retourna  en  Ita- 
lic, desespere  de  I'inlldelite  qu'ils  avoient  eprou- 
vee  dans  les  ordres  du  Walstein,  et  ^n  la  per- 
sonne  d'Aldringuer ,  auquel  ils  avoient  ete 
confies. 

Son  Altesse,  qui  avoit  ete  remise  au  secours 
qu'elle  pouvoit  tirer  de  ces  armees,  perdit  toute 
esperance  de  s'en  prevaloir,  et  connut  bien  que 
le  cardinal  de  Richelieu,  par  ses  negociations  et 
intelligences,  avoit  prevenu  I'utilite  qui  lui  en 
pouvoit  arriver,  et  qu'il  s'y  etoit  oppose  par  des 
sommesimmenses  que  leduc  de  Friedland  avoit 
recues. 

Ce  malheur  fut  incontinent  suivi  d'un  acci- 
dent qui  changea  entierement  la  face  des  affai- 
res, et  causa  le  plus  sensible  deplaisir  a  Mon- 
sieur, qui  lui  pouvoit  arriver:  ce  fut  la  maladie 
et  la  mort  de  I'lnfante. 

Cette  illustre  princesse  tomba  malade  pour 
s'etre  echauffee  en  une  procession  ou  elle  assis- 
toita  pied  ,  comme  c'etoitsa  coutume. 

Des  ce  jour-la  ,  les  medecins  en  eurent  mau- 
vaise  opinion ;  et  la  nuit  du  .5  au  a  fut  la  fin 
d'une  si  sainte  vie  ,  regrettee  parsessujets  ,  et 
plus  ,  s'il  se  pouvoit,  des  Francois  attaches  au 
service  de  Monsieur,  qui  se  reconnoissoienl  re- 


18S 


JIEMOlllES    1)U    MOtNTliESOR.    [lG3.'5 


devables  a  sa  bonte  d'une  iniinite  d'obligations. 
Dans  le  uorabre  des  actions  chretiennes  qu'elle 
pratiqua  dans  cette  derniere  extremite  ,  elle 
n'oublia  aucune  de  celles  qui  etoieut  d'un  es- 
prit t'leve  comme  le  sien  :  elle  donna  tons  les 
ordres  necessaires  pour  les  gouvernemens  des 
provinces  ou  elle  a  regne  avec  tant  de  douceur 
et  de  moderation. 

Dans  les  memoires  et  instructions  qu'elle 
laissa  ,  sa  prudence  et  ses  bonnes  intentions  pa- 
rurent  egalement  :  le  soin  qu'elle  prit  de  re- 
commander  avec  tendresse  les  interets  de  la 
Reine  mere ,  de  Monsieur  et  de  Madame ,  est 
d'autant  plus  a  remarquer  que  ce  fut  le  dernier 
qu'elle  ordonna  des  choses  du  monde. 

Le  lendemain  de  cette  mort  funeste  a  tous 
les  gens  de  bien  des  Pays-Bas,  M.  le  marquis 
d'Aytonne,  avec  les  principaux  du  conseil  d'E- 
tat ,  vint  assurer  Leurs  Altesses  que  la  perte  de 
rinfante  n'apporteroit  aucun  changement  en  ce 
qui  regardoit  leurs  interets  ;  que  ces  assurances 
venoient  de  la  partdu  roi  d'Espagne ,  qui  avoit 
prevu  des  long-temps  a  tout  cequi  pouvoit  sur- 
venir;  que,  pour  eux  ,  en  leur  particulier  lis  se- 
roient  toujours  tres-disposes  a  leur  rendre  les 
respects  et  les  services  qu'ils  savoient  leur  etre 
dus. 

Les  ministres  du  roi  d'Espagne  ouvrirent , 
comme  elle  avoit  prescrit,  un  paquet  coufie  par 
elle  entre  leurs  mains,  par  lequel  iis  apprirent 
les  ordres  que  Sa  Majeste  Catholique  vouloit 
etre  observes  pour  legouvernementde  Flandre; 
les  noms  de  ceux  qui  devoient  commander  dans 
les  provinces  et  manier  les  affaires  d'Etat ,  fu- 
rent  le  marquis  d'Aytonne  ,  le  due  d'Arschot , 
I'archeveque  de  Malines  ,  et  le  president  Rose. 
La  principale  administration  fut  deferee  au 
marquis  ,  qui  entra  dans  une  si  honorable  fonc- 
tion  avec  tant  de  prudence  et  de  dexterite ,  que 
tous  les  corps  de  I'Etat  parurenten  recevoir  une 
notable  satisfaction.  Mais  afin  de  pourvoir  a  la 
surete  publique  ,  il  crut  qu'il  etoit  entierement 
necessaire  de  detruire  les  cabales  qui  s'etoient 
formees  au  dedans  des  provinces  ,  et  que  pour 
I'executer  surement  il  falloit  s'assurer  des  per- 
sonnes  de  qualite  relevee  ,  en  les  arretant  pri- 
sonniers. 

J'ai  touche  ci-devant  quelque  chose  des  soup- 
cons  que  rinfante  avoit  eus  centre  eux  lors- 
que  Carondelet ,  gouverneur  de  Bouchain  ,  fut 
tue  ;  a  present  il  est  necessaire  d'eclaircir  plus 
distinctement  sur  quoi  ils  etoient  fondes,  et  de 
quels  moyens  le  cardinal  de  Richelieu  avoit 
use  pour  les  porter  a  la  revolte. 

La  Reine ,  mere  du  Roi ,  s'etant  sauvee  de 
Compiegue,  oil  I  e  cardinal  ,  sous  le  nomdeSa 


Majeste  ,  I'avoit  fait  arreter  prisonniere ,  cher- 
cha  sa  surete  en  Flandre,  pour  se  garantir  des 
persecutions  qu'elle  avoit  souff'ertes. 

L'Infante  ,  aupres  de  laquelle  elle  etoit  reti- 
ree, jugeant  a  propos  d'en  donner  part  au  Roi  , 
et  pour  proposer  aussi  une  reconciliation  entre 
le  fils  et  la  mere  ,  choisit  le  sieur  Carondelet , 
doyen  de  Cambray,  homrae  propre  a  negocier 
une  affaire  de  cette  consequence  :  il  etoit  liomme 
d'esprit,  intelligent  et  adroit,  mais  au  reste 
ambitieux  et  fort  persuade  de  son  merite. 

Le  cardinal  de  Richelieu  ne  fut  pas  long- 
temps  sans  s'en  apercevoir  ;  il  etoit  bien  infor- 
me  du  mecontentement  qu'il  avoit  recu  du  re- 
fus  de  I'eveche  de  Namur  qu'il  avoit  protendu  : 
ce  qui  lui  donna  lieu  dejuger  que  celui  qui 
etoit  venu  pour  traiter  cet  accommodement  en 
France  lui  seroit  un  instrument  fort  propre  a 
semer  la  division  dans  les  Pays-Bas. 

Apres  la  premiere  audience  il  le  voulut  en- 
tretenir  en  particulier,  et,  en  flattant  cet  esprit 
glorieux  par  I'estime  de  ses  bonnes  qualites ,  il 
le  rendit  susceptible  a  ce  qu'il  desiroit  de  lui. 

Sa  parole  fut  engagee  de  servir  Sa  Majeste, 
et  de  travailler  en  Flandre  a  la  ruine  des  affai- 
res du  roi  d'Espagne. 

Le  cardinal ,  sous  cette  condition,  donna  aussi 
la  sienne  de  prendre  soin  de  sa  fortune. 

Les  choses  ainsi  concertees ,  il  retourna  trou- 
ver  rinfante ,  avec  les  instructions  requises  pour 
satisfaire  le  cardinal  dans  I'execution  du  des- 
sein  duquel  il  etoit  convenu. 

II  le  communiqua  au  comte  Henri  de  Bergue, 
au  prince  d'Espinoy  ,  de  Barbancon,  eta  M.  le 
due  de  Bournonville  ;  non  seulement  ils  I'ecou- 
terent  favorablemeut ,  mais  ils  passerent  incon- 
tinent jusques  a  lui  temoigner  la  disposition 
dans  laquelle  ils  etoient  de  secouer  le  joug  de  la 
domination  Espagnole.  Pour  lesy  confirmer  da- 
vantage  ,  il  leur  fit  des  ouvertures  aussi  faciles 
qu'agreables ,  qui  regardoient  leur  grandeur 
particuliere  et  la  liberte  du  pays,  qu'ils  procu- 
reroient  indubitablement ,  pourvu  que  leur  con- 
duite  et  leur  resolution  repondissent  a  ce  qu'on 
devoitespererde  la  generosite  qu'ils  avoient  tou- 
jours temoignee;  qu'il  etoit  question  de  former 
un  corps  d'Etat ,  et  s'assurer  de  la  France  et  des 
HoUandois  qui,  pour  trouver  leur  grandeur  et 
leur  avantage  dans  I'abaissement  de  la  maisou 
d'Autriche  ,  ne  refuseroient  aucunes  des  assis- 
tances qui  seroient  necessaires  dans  une  entre- 
prise  beaucoup  plus  glorieuse  qu'elle  n'etoit 
difficile.  II  leur  remontra  aussi  qu'il  falloit  com- 
mencer  a  decrier  les  Espagnols,  et  procurer  par 
les  HoUandois  de  mauvais  evenemens  sous  leur 
eonduite,  afin  que  les  revoltes  qu'on  exciteroit 


MEMOIBES    DK    MONTRESOR.    [|634] 


dans  les  villes  etdans  la  campagne  ne  recussent 
point  d'obstacles  ni  d'oppositions. 

Suiviint  ce  projet,  messieurs  les  Etats  arme- 
rent  de  bonne  heure  i'annee  d'apres,  car  celle 
de  1 631  fut  employee  par  les  associes  a  conduire 
secretement  leurs  negoclations.  Venloo  et  Rure- 
monde  furent  les  premiers  effets  de  cette  intel- 
ligence. Le  comte  Henri  de  Bergue  en  etoit  gou- 
verneur,  qui  ne  mit  nul  ordre  a  les  defendre. 

Ensuite  ils  attaquerent  tt  prirent  Maestricht. 
Ce  fut  a  peu  pres  dans  le  meme  temps  que  le  due 
d'Arschot  refusade  s'unir  avec  ceux  quej'ai  ci- 
devant  nommes ,  et  revela  a  I'lnfaute  ce  qu'il 
avoit  su  de  leurs  desseins,  sous  la  promesse 
qu'elle  leur  pardonneroit :  ce  qu'elle  fit  avec  une 
fidelite  si  religieuse  qu'il  n'en  fut  jamais  parle 
durant  sa  vie. 

La  sineerite  et  Tobservation  de  la  parole  de 
rinfante  n'etoit  pas  une  regie  obligeante  ni  ab- 
solue  aux  ministresduroi  d'Espagne,  puisqu'ils 
ne  I'avoient  donnee,  qu'elle  leur  imposat  dene 
s'en  point  departir  ;  ils  se  determinerent  d'arre- 
ter  ceux  qui  s'etoient  jetes  dans  ces  factions, 
de  crainte  qu'elles  ne  fussent  pas  eiitierement 
eteiutes ;  mais  tis  prirent  si  mal  leur  temps  , 
qu'ilsnese  saisirentque  de  lapersoane  du  prince 
de  Barbancon  ,  qui  fut  conduit  dans  la  citadeile 
d'Anvers. 

Le  prince  d'Espinay  et  le  due  de  Bournon- 
ville,  plus  avises  ,  se  retirerent  en  France,  et  le 
frere  du  doyen  Carondelet ,  gouverneur  de  Bou- 
chain,  fut  tue  dans  sa  place. 

Ce  premier ,  s'etant  confie  aux  assurances  qui 
lui  furent  donnees ,  mourut  en  prison  de  la  ma- 
niere  dont  j'ai  ecrit. 

Le  comte  Henri  de  Bergue ,  plus  defiant,  avoit 
eberche  sa  siirete  a  Liege  ,  et  le  due  d'Arschot 
etoit  alle  en  Espagne  peu  de  jours  avant  lamort 
de  rinfante,  contre  les  conseils  de  ses  amis;  et 
deferant  trop  a  son  opinion  particuliere,  il  y 
fut  retenu  non  comme  prisonnier ,  mais  si  fort 
observe  ,  qu'il  y  est  mort  du  depuis  sans  avoir 
pu  obtenir  la  permission  de  revenir  en  Flandre. 

Les  affaires  etant  ainsi  disposees  ,  les  nouvel- 
les  arriverent  a  Bruxelles  que  le  prince  Thomas 
de  Savoie  y  devoit  venir.  Etant  arrive ,  il  ne 
parut  autre  sujet  de  s'etre  retire  du  due  son  frere, 

(1)  Lettre  de   Monsieur  le  cardinal  de  Richelieu  a 
Monsieur  le  due  d'Orleans. 

I  «  Monseigncur  ,  les  elTets  que  M.  d'Elbene  vous  porlc 
vous  feronl  rnicux  connoistre  la  tendre  alTecliun  que  le 
Roy  a  pour  vous,  que  ne  fcroient  pas  mes  paroles,  quice- 
pendaut  ne  iaisscront  pas  d'asseurer  Voslre  Altesse  que 
s'il  avoit  un  fils  il  luy  scroll  impossible  de  laymer  da- 
vantage.  En  nion  particulier,  Monseigneur ,  je  voussup- 
plii'  de  eroire  quo  je  n'esfimoray  jamais  la  prosperity  de 


18<) 

que  le  desir  qu'il  avoit  de  s'attacher  entiere- 
ment  aux  interets  de  la  maison  d'Autriche ,  et 
particulierement  a  ceux  de  Sa  Majeste  Catholi- 
que.  II  y  fut  recu  de  ses  ministres  avec  beau- 
coup  d'honneur ;  il  y  fut  defraye ,  cut  des  gar- 
des pour  sa  personne  ,  jusques  a  ce  que  les  or- 
dres  que  I'on  attendoit  d'Espagne  fussent  venus. 

Le  bruit  courut,  dans  les  premiers  jours  de  son 
arrivee,  qu'il  devoit  commander  les  armees  des 
Pays-Bas. :  ce  qui  a  ete  depuis ,  mais  longtemps 
apres  que  Son  Altesse  en  fut  partie. 

[1634]  Toutefois  ces  occurences  n'empeche- 
rent  pas  que  le  traite  duquel  d'Elbene  se  meloit  (1) 
ne  continual  toujours ,  nonobstant  que  Madame 
flit  venue  trouver  Son  Altesse.  Les  propositions 
d'accommodement  furent  poursuivies  ,  mais 
avec  peu  d'appareuce  de  succes  :  la  declaration 
publiqueque  Monsieur  avoit  faite,  la  recevant 
aupres  de  sa  personne  dans  le  rang  qu'elle  devoit 
tenir ,  la  confirmation  de  son  mariage  en  pre- 
sence de  I'archeveque  de  Malines  ,  sembloient 
etre  des  difficultes  qui  ne  pouvoient  etre  sur- 
montees,  parce  que  le  cardinal  de  Richelieu 
avoit  engage  le  Roi  a  le  faire  declarer  non  vala- 
blement  contracte  au  parlement  de  Paris ,  que 
Son  Altesse  maintenoit  ne  pouvoir  etre  juge 
competent  d'une  affaire  de  cette  nature  et  de 
cette  qualite  ,  dont  la  connoissance  etoit  reser- 
vee  au  Pape ,  ou  du  moins  a  des  juges  delegues 
de  sa  part ,  suivant  le  concordat  et  les  anciennes 
coutumes  du  royaume  de  France. 

Cet  obstacle,  joint  a  la  difficulte  que  Sa  Ma- 
jeste faisoit  de  donner  a  Son  Altesse  Bellegarde 
pour  place  de  surete ,  comme  on  lui  avoit  fait 
esperer  ,  firent  connoitrea  Monsieur  lamaniere 
de  laquelle  Ton  traitoit  avec  lui :  ce  futau  vrai 
ce  qui  I'obligea  a  conclure  avec  les  Espagnols  , 
et  passer  les  articles  qui  avoient  ete  accordes, 
apres  avoir  ete  vus  et  examines  de  part  et  d'au- 
tre. 

L'execution  en  fut  sursise  de  quelques  jours  a 
cause  de  I'assassinat  entrepris  contre  la  personne 
du  sieur  de  Puylaurens,  ministre  et  confident 
de  Son  Altesse.  La  faveur  n'etant  pas  exempte 
d'envie,  elle  lui  avoit  acquis  celle  de  plusieurs, 
qui  supportoient  avec  impatience  de  lui  voir  oc- 
cuper  une  place  a  leur  prejudice ,  qu'ils  se  per- 

Sa  Majeste  complette  ,  que  lorsque  la  vostre  y  sera  con- 
jointe.  Ce  que  je  desire  avec  une  passion  indicible:  vous 
le  connoistrez  de  plus  en  plus,  et  qu'honorant  verita- 
blement  h  personne  de  Vostre  AUessc,  comme  je  fuis  , 
je  suis  et  seray  a  jamais,  Monseigneur,  de  Vostre  AI- 
j  tesse ,  le  tres-humblc  et  tres-ob(5issant  serviteur , 

»  Le  cardinal  de  Richelieu, 

»  De  liuel ,  ce  2.3  avril  163'*.  w 


11)0 


MEMOIBES    UE    WOMUESOR.     1  16341 


suadoient  de  meriter  nutant  ou  beaucoiip  mieiix 
que  lui. 

Ilsavoient  essaye,  en  diverses  rencontres,  par 
des  intelligences  et  des  cabales,  d'alterer  I'af- 
fection  que  Monsieur  avoit  pour  lui ;  raais  tons 
leurs  souis  ayant  produit  un  effet  contraire  et 
augmente  i'estime  que  son  maitre  faisoit  de  sa 
fidelite,  ils  se  persuaderent  qu'une  arquebusade 
tii'ee  bien  a  propos  ne  se  devoit  plus  differer. 

Celui  qui  avoit  entrepris  d'executer  une  ac- 
tion si  hoiiteuse ,  en  prit  {'occasion  le  troisieme 
jour  de  mai  1634  ,  lorsque  le  sieur  de  Puylau- 
rens  revenoit  de  la  ville  ,  dans  le  moment  qu'il 
entroit  dans  la  grand'salle  du  Palais. 

Get  bomnie  niercenaire  ,  du  bas  degre  ou  il 
s'etoit  mis  a  convert ,  tira  uii  coup  de  mous- 
queton  dont  il  le  blessa  a  la  joue  assez  legere- 
ment.  La  Vaupot ,  qui  parloit  a  lui ,  fut  aussi 
blesse  au  meme  endroit  au  visage,  et  Roussil- 
lon  ,  qui  les  suivoit  de  pres,  a  la  tete ,  beaucoup 
plus  dangereusement. 

L'executeur  de  cette  infiime  commission  laissa 
au  lieu  oil  il  s'etoit  mis  le  mousqueton  duquel  il 
s'etoit  servi,  et,  convert  d'un  taffetas  noir  et 
d"un  manteau  fait  expres  pour  n'etre  point  re- 
connu ,  il  se  sauva  par  une  porte  de  derriere  qui 
se  trouva  ouverte,  quoique  tres-rarement  elle 
le  flit  a  pareille  heure. 

Son  Altesse  etoit  lors  dans  son  cabinet  avec 
M.  d'Elboeuf  et  Vieux-Pont,  qui  jouoient  avec 
lui.  Comme  il  entendit  le  coup  et  beaucoup  de 
bruit  ensuite,  il  envoya  un  des  siens  pour  savoir 
ce  que  ce  pouvoit  etre. 

Celui  auquel  Sadite  Altesse  avoit  donne  ce 
commandement  etoit  a  peine  sorti  bors  de  la 
cbambre  ,  que  le  sieur  de  Puylaurens  y  arriva, 
qui  lui  raconta  la  maniere  dout  la  chose  etoit 
arrivee. 

Monsieur  s'en  etant  bien  informe,  envoya  que- 
rir  le  marquis  d'Aytonne  pour  aviser  avec  lui 
de  Tordre  que  Ton  pourroit  donner,  afin  que 
cette  raechancete  fiit  decouverte  et  ne  demeu- 
rat  pas  impunie. 

Lorsque  celui  que  Sadite  Altesse  avoit  en- 
voye  vers  ledit  marquis  lui  paria,  il  avoit  in- 
dubitablement  recu  I 'avis  de  ce  qui  s'etoit  passe. 
Le  prince  Tbomas  et  lui  se  promenoient  ensem- 
ble dans  une  galerie ,  et  temoignerent  au  gen- 
til  liomme  de  Son  Altesse  beaucoup  d'etonne- 
raent  I'un  et  I'autre  ,  et  d'etre  fort  surpris  de  ce 
qu'il  l»>ur  apprenoit. 

lis  allerent  des  rbeurc  meme  au  palais,ou 

(I)  Articles  accordcz  entre  Monsieur  le  diir  d'Orlrons 
et  le  marquis  d!Ayetone. 

«  PrciuitTfiiu'iil .  le  soignour  due  dOrlt'ans  promcl  cl 


le  marquis  protesta  que  cet  assassinat  ne  de- 
meureroit  pas  impuni ,  et  qu'il  useroit  de  telle 
diligence  que  celui  qui  I'avoit  commis ,  et  ses 
complices,  seroient  connus  et  cbaties  exem- 
plairement,  11  y  ajouta  que  la  reputation  du  Roi 
son  maitre  ,  et  celle  de  ses  ministres,  se  trou- 
voient  trop  interessees  dans  le  chatiment  d'une 
telle  action  pour  en  faire  une  perquisition  tres- 
exacte. 

Apres  avoir  ainsi  parle  a  Son  Altesse ,  le  prince 
Thomas  et  lui  furent  a  la  chambre  du  sieur  de 
Puylaurens  pour  lui  faire  le  meme  discours ,  et 
lui  temoignerent  ressentir  beaucoup  de  joie  de 
ce  que  Dieu  I'avoit  preserve  de  la  malice  de  ses 
ennemis. 

La  Reine  mere  envoya  vers  Monsieur  dans 
cette  occasion ,  et  nefit  point  visiter  le  sieur  de 
Puylaurens,  parce  que  le  pere  de  Chanteloube 
et  lui  n'etoient  pas  bien  ensemble. 

Pour  la  satisfaction  publique,  il  falloit  bien 
donner  quelque  marque  apparente  que  le  crime 
qui  avoit  ete  commis  etoit  recherche.  Les  Espa- 
gnols  fnent  exposer  pour  ce  sujet,  durant  trois 
jours ,  a  la  porte  de  I'Hotel-de-Ville,  le  manteau 
qui  avoit  ete  laisse  par  celui  qui  avoit  tire  le 
coup.  Ce  temps  etant  passe  sans  qu'il  fut  re- 
connu ,  il  fut  par  leur  ordre  retire  :  ce  fut  a  quoi 
aboutit  cette  exacte  perquisition,  qui  avoit  ete 
si  solennellement  promise. 

Chacun  en  discourut  suivant  sa  fantaisie  :  les 
uns  en  chargerent  les  Espagnols,  les  autres  les 
ennemis  particuliers  de  Puylaurens,  et  plusieurs 
ne  mi  rent  en  doute  que  ce  coup  tire  de  Rruxel- 
les  eut  ete  concerte  et  resolu  a  Paris,  sur  le  fon- 
dement  de  mettre  Monsieur  en  telle  defiance  des 
Espagnols,  qu'il  seroit  reduit  a  revenir  en  France 
par  un  traite,  qui  fut  acheve  avec  le  temps  a  la 
mine  du  sieur  de  Puylaurens  ,  ainsi  que  nous 
avons  vu. 

Tons  lesdifferenssoupcons  autorises  de  vrai- 
semblance  partageoient  ainsi  les  esprits  dans 
le  jugement  qu'ils  en  devoient  faiie  ;  toutefois 
I'opinion  la  plus  suivie  fut  celle  qui  chargeoit 
ceuxqui  avoient  agl  par  leur  haine  particuliere. 

Son  Altesse  le  crut;  au  moins  il  en  donna 
toules  les  marques,  en  retenant  en  elle-merae 
la  mauvaise  satisfaction  qu'elle  avoit  des  Espa- 
gnols ,  leur  donnant  une  infinite  de  marques  de 
I'estime  qu'elle  faisoit  de  leur  sincerite  et  de  la 
confiance  qu'elle  prenoit  en  eux. 

Le  traite  duquel  j'ai  parle  en  un  autre  endroit, 
fut  arrete  avec  le  marquis  d'Aytonne  (!)   et  le 

eHgage  sa  parole'  de  n'cntendre.  en  aucunc  maniere 
que  ce  soil,  a  aucun  trains  ou  accomodcinent  avec  le 
Roy,  son  fiere,  quclqucs  avantagcs  qu'on  luy  puisse 
faire,    et   quelque   changeincnt  qui   puisse  arrivcr   en 


MEiMOIKES    1)K    JIONTHESOK.    [1(5:54] 


tgi 


due  de  Lerme ,  qui  en  avoient  le  pouvoir  de  Sa 
Majeste  Catholique,  par  lequel  il  fut  convenu 
dune  liaison  plus  graude  et  plus  etroite  qu'elle 
n'avoit  ete  encore. 

Les  ministres  d'Espagne ,  qui  Tavoient  infi- 
ninient  souliaite ,  firent  paroitre  plus  de  chaleur 
qu'auparavant  pour  les  interets  de  Son  Altesse, 
a  laquelle  ils  firent  de  nouvelles  offres  de  tout 
ce  qui  dependoit  de  leur  pouvoir. 

La  princesse  de  Phalsbourg,  dans  ce  ren- 
contre d'aflaires,  vint  se  refugier  a  Bruxelles, 
ne  jugeant  pas  que  son  sejour  a  Nancy  put  etre 
avec  surete,  apres  les  disgraces  de  sa  raaison 
et  la  retraite  de  Son  Altesse  de  Lorraine  hors 
de  ses  Etats. 

Les  Espagnols  ,  imitant  I'lnfante  en  ses  civi- 
lites ,  la  logerent  au  palais ,  comme  une  per- 
sonne  de  sa  qualite  le  devoit  etre  ,  et ,  dans  les 
autres  courtoisies  qu'elle  desira  d'eux,  elle  eut 


France ,  par  la  ruine  du  cardinal ,  que  ce  ne  soil  du  sccu 
ct  contentement  de  Sa  Majesty  Catholique,  et  ce  ,  aGn 
que  Sa  Majcste  Catholique  puisse  donner  seuret^  a  Sa 
Majeste  Imperiale  ct  I'attirer  par  ce  moyen  ,  et  a  tous 
autres,  soient  Francois  ou Strangers ,  catholiqucs  ou  M- 
r^tiques,  Sa  Majesty  Catholique  promettant  aussi  le 
mesme  a  Son  Altesse ,  et  ce ,  pour  les  temps  ct  cspace 
de  deux  ans  et  demy ,  de  part  et  d'autrc. 

»  Que  si  n^antmoins  Son  Altesse  venoit  a  traittcr 
devant  ce  temps-la ,  du  consentemcnt  mesme  de  Sa 
Majeste  Catholique,  Son  Altesse  sera  obligee  de  rom- 
pre  toutes  el  quantesfois  qu'il  plaira  a  Sa  Majcstd  Ca- 
tholique. 

n  Mais ,  en  cas  de  rupture  entre  les  deux  cours ,  Son 
Altesse  promct  de  ne  s'accorder  jamais ,  ains  de  pren- 
dre le  party  de  la  tres-auguste  maison  d'Austrichc ,  et 
de  porter  et  favoriser  ses  interests  de  tout  son  pouvoir, 
et  en  toutes  sortes  d'occasions ,  jusqu'a  I'aceomplisse- 
ment  dun  traitte  general,  lequel  se  devra  faire  a  I'en- 
liere  accomodation  de  tout  ce  qui  aura  pu  susciter  la 
guerre. 

»  Et  le  cas  avenant  que  ses  armes  fassenl  des  progres 
en  France  par  la  prise  de  places,  Son  Altesse  en  laissera 
quclqucs-unes  a  Sa  Majeste  Catholique,  soit  pour  la 
dcsdommager  en  quelque  sorte  ,  comme  il  est  bien  rai- 
sonnable ,  des  grandes  despenses  quelle  aura  faitos,  ou 
pour  asscurance  de  les  mieux  reconnoistre  un  jour  si 
Son  Altesse  parvient  a  la  couronne. 
*  »  Auquel  cas  ,  en  quelque  temps  que  ce  soit ,  Son  Al- 
tesse promet  et  engage  sa  parole  de  les  r^compenser  en- 
tierement,  et  ce.  en  nature  de  choses  qui  puissent  don- 
ner asseurance  a  Sa  Majeste  Catholique  et  a  ses  succes- 
seurs,  de  la  reconnoissance  d'un  tel  bienfait. 

»  Mojcnnant  cela,  Sa  Majeste  Catholique  donne  a  Son 
Altesse  douze  mil  hommesdc  pied  et  irois  mil  chevaux, 
qui  seront  frangois ,  ausquels  Sa  Majeste  Catholique 
donnerace  qu'il  faudra  pour  leur  entretien.  MaisSa  Ma- 
jeste Catholique  veut  et  cntend  que  les  chefs  el  officiers 
qui  commanderont  les  six  mil  hommes  de  pied  et  mil 
chevaux  frangois ,  encore  qu'ils  fussent  espagnols  ou 
d'autre  nation  ,  soient  piis  et  choisis  au  gre  et  contente- 
ment de  Sa  Majeste*  Catholique  ;  comme  aussi  ceux  qui 
commanderont  les  autres  six  mil  hommes  de  pied  et  deux 
mil  chevaux  ,  qui  ne  seront  pas  fran(;ois,  seront  pris  au 
gre  de  Son  Altesse,  le  plus  qu'il  sepourra.  Ces  Irouppes 


beaucoup  de  sujet  de  se  louer  de  leur  conduite. 
Pour  revenir  au  traite  fait  avec  I'Espagne 
je  dirai,  premierement,  qu'il  fit  cesser  celui  qui 
avoit  ete  menage  en  France  par  I'entremise  de 
d'Eibene.  Bien  loin  de  parler  d'aucun  accom- 
modement ,    Ton    ne    proposoit  plus  que  des 
moyens  de  mettre  ensemble  des  troupes  pour 
entrer  avec  eclat  et  reputation  dans  le  royaume. 
Les  Espagnols  s'etoient  obliges  de  detacher  une 
partie  de  leur  armeeet  de  la  donner  a  Son  Al- 
tesse, et  de  I'argent  pour  tirer  des  officiers  et 
des  soldats  des  frontieres  de  France  :  mais  le 
temps  arrive  auquel  les  conditions  se  devoient 
effectuer,  soit  par  impuissance  ou  autre  raison  , 
dont  ils  ne  se  declarerent  point,  ils  gagnerent 
deux  mois  par  des  remises  continuelles,  trop 
suspectes  et  prejudiciables  a  Son  Altesse  pour 
ne  chercher  a  decouvrir  au  vrai  quelles  etoient 
leurs  intentions. 


pourront  estre  sur  pied  a  la  fin  du  mois  de  septembre 
prochain  ,  et  alors  Sa  Majesty  Catholique ,  suppose  que 
ses  affaires  le  permettent,  taschera  de  faire  approcher  des 
gens  de  guerre  vers  les  frontieres  de  France  alln  de  don- 
ner de  la  jalousie  aux  trouppes  du  Roy  ,  tandis  que  Son 
Altesse  entrera  dans  la  France  d'un  autre  costd  avec 
son  armee. 

»  II  y  aura  tousjours  aupres  de  Son  Altesse  une  per- 
sonne  de  condition  et  d'authorite,  pour  assistera  tout 
ce  qu'il  faudra  faire,  laquelle  sera  choisie  par  Sa  Majesty 
Catholique  parmy  ses  sujets,  pourtanl  le  plus  au  grdde 
Son  Altesse  qu'il  sera  possible.  Pour  la  levee  de  ces 
trouppes  frangoises ,  Sa  Majeste  Catholique  donnera  a 
Son  Altesse  soixante  et  dix  mil  escus ,  veu  la  peine  et 
les  frais  qu'il  y  aura  de  faire  venir  des  hommes  de  si  loin, 
outre  les  pertes  qu'ils  supporteront,  et  les  pjirils  qu'ils 
pourront  courir,  en  quitlant  leurs  maisons  et  les  em- 
ploys qu'ils  pouvoient  avoir  en  France  pour  venir  servir 
Son  Altesse. 

»  Et  pour  leur  entretenement,  Sa  Majesty  Catholique 
donnera  quarante-cinq  mil  escus  par  mois :  ce  qui  di- 
minuera  pourtanl  a  mesure  que  I'armee  fera  du  pro- 
grez ;  si  bien  qu'estant  enlr(?e  en  France ,  Sa  Majesty 
Catholique  ne  sera  plus  obligee  de  rien  donner,  puis- 
qu'elle  pourra  vivre  par  les  conlributions  du  pays,  comme 
Ion  fail  en  Allemagne. 

»  Et  pour  I'entreiien  de  Son  Altesse  et  de  Madame, 
et  dc  leur  maison,  Sa  Majeste  Catholique  donnera 
quinze  mil  escus  par  mois,  des  que  Monsieur  commen- 
cera  d'agir  pour  la  fin  que  dessus ,  et  qu'il  sortira  de 
Bruxelles  pour  se  mettre  en  campagne  et  s'avancer 
vers  la  France.  Mais  y  estant  entre,  il  pourra,  aussi 
bien  que  son  armee,  vivre  auxdespensdu  pajs  ou  il  sera. 

»  Le  present  traitte  a  este  conclu  el  sign^  par  le 
seigneur  due  d  Orleans  el  le  marquis  d'Ayetone. 

»  Ainsi  sign^:  Gastox,  le  marquis  d'Ayetone. 

»  Le  ducde  Lerme  et  Puylaurens  signerent  aussi  ce 
traiue  comme  tesmoins,  avec  le  secretaire  des  langues 
du  marquis  d'Ayetone. 

»  Bruxelles,  le  12' jour  de  may  1034.  » 


MEMOIBES    DK    MONTRKSOR.    [lG34l 


192 

Monsieur  fut  trouver  le  marquis  d'Aytonne 
devant  Maestricht ,  oil  Tarm^e  d'Espagne  etoit 
campee. 

Durant  quinze  jours  qu'il  demeura  dans  le 
camp,  ce  ne  furent  que  conferences  et  belles 
promesses  de  la  part  dudit  marquis,  qui  s'en- 
gagea  vers  Son  Altesse  de  se  rendre  a  Bruxelles 
incontinent  apres  lui ,  pour  lui  faire  recevoir  la 
satisfaction  qui  lui  avoit  ete  promise ,  confor- 
mement  au  traite  fait  entre  lui  et  les  Espagnols. 

La  condition  de  Monsieur  etoit  bien  malheu- 
reuse  dans  cette  conjoncture;  car  il  h'avoit  pas 
seulementavaincre  les  longueurs  et  les  reraises 
qu'apportoient  les  ministres  d'Espagne ,  mais  il 
falloit  aussi  qu'il  veillat  continuellement  a  se 
defendre  des  menees  sourdes  de  la  Reine  sa 
mere  ,  qui  traversoit  tous  ses  desseins  pour  ve- 
nir  a  bout  de  la  ruine  de  Puylaurens,  contre 
lequel  elle  avoit  concu  une  haine  mortelle,  qui 
augmentoit  avec  la  creance  que  son  maitre  pre- 
noit  en  lui.  Dans  I'envie  qu'ils  avoient  de  le 
perdre ,  ils  n'oublierent  aucuns  sacrifices  ca- 
pables  de  donner  de  la  defiance  de  lui  aux 
Espagnols,  et  quoique  le  marquis  d'Aytonne 
voulut  faire  croire  a  Monsieur  qu'il  n'ajoutoit 
point  de  foi  a  ce  qui  venoit  de  leur  part ,  les 
diverses  conferences  avec  eux  et  leurs  associes 
lui  etoient  des  preuvestrop  convaincantes  pour 
en  pouvoir  douter. 

Celle  du  refus  de  I'execution  du  traite  mar- 
qua  aussltot  visiblement  leur  mauvaise  volonte 
et  le  desordre  de  leurs  affaires ,  parce  que  Son 
Altesse  attendit  a  retablir  les  siennes  par  leur 
moyen.  Les  choses  de  cette  consequence,  ne  se 
pouvant  passer  sans  conteste  et  alteration  ,  ne 
demeurerent  pas  si  secretes  qu'elles  ne  pussent 
ctre  penetrees. 

D'Elbene  avoit  trop  d'intelligence  pour  igno- 
rer  et  ne  pas  connoitre  le  mecontentement  qui 
en  restoit  a  Puylaurens  :  ce  qui  lui  fit  juger  que 
les  conjonctures  etoient  trop  favorables  pour  ne 
pas  s'en  servir,  en  lui  proposant  de  rentrer  en 
lui-meme  pour  assurer  sa  vie  et  relever  sa  for- 
tune par  un  accommodement  avec  la  France , 
avantageux  aux  interets  de  son  maitre  et  aux 
siens. 

Puylaurens,  touche  de  cette  proposition, 
raenad'Elbene  a  Son  Altesse,  et  tous  deux  con- 

(1)  Lettredu  Roy  a  Monsieur  Ic  due  d'Orleans. 

«  Mon  frere ,  j'ay  est(^  bien  aise  dc  connoistie  lesbons 
sentirnens  que  vous  avcz  dc  voslre  devoir:  ensuite  de 
quoy ,  la  presente  vous  asscurera  qu'il  n'y  a  persoiine 
qui  vous  ayme  tant  quo  iiioy ,  ny  qui  vous  en  rendc 
ineiilcurs  t(^moignages  ,  quand  vous  m'y  convierez  , 
(omme  je  vois  certaincinent  que  vous  fercz  a  I'avenir, 


jointement  porterent  Monsieur  a  ne  I'avoir  pas 
desagreable. 

Son  Altesse ,  degoiitee  des  procedes  des  Es- 
pagnols ,  et  embarrassee  de  ce  que  le  cardinal 
infant  etoit  sur  le  point  de  venir  dans  le  Pays- 
Bas,  trouva  bon  que  d'Elbene  reprit  le  premier 
projet ,  qui  avoit  ete  interrompu  apres  la  bles- 
sure  du  sieur  de  Puylaurens,  pourvu  que  ce  fiit 
avec  le  secret  que  meritoit  une  affaire  si  delicate 
et  de  cette  consideration. 

11  etoit  fort  difficile  que  cette  condition  fut 
observee ,  vu  le  grand  nombre  de  personnes 
qui  se  trouvoient  interessees  a  decouvrir  tout 
ce  qui  se  negocioit.  D'Elbene  ne  pouvant  alors 
aller  et  revenir  de  France, sans  etre  soupconne, 
a  cause  des  premiers  traites  dont  il  avoit  eu 
I'emploi ,  il  fallut  necessaireraent  prendre  I'u- 
nique  parti  qui  restoit ,  d'engager  la  negociation 
par  lettres ,  et  faire  en  sorte  que  I'abbe  d'Elbene, 
du  depuis  eveque  d'Agen,  sous  pretexte  d'inte- 
ret  domestique ,  vint  a  Bruxelles  pour  conferer 
avec  son  frere  :  ce  qu'il  fit  diverses  fois. 

Toutes  les  difficultes  qui  s'etoient  rencontrees 
dans  le  traite  se  restreignirent  a  deux  points  les 
plus  essentiels  :  le  premier  concernoit  la  surete 
de  la  personne  de  Son  Altesse ,  et  I'autre  regar- 
doit  la  validite  de  son  mariage ,  dans  lequel  sa 
conscience  et  sa  reputation  etoient  interessees. 

Quant  au  premier.  Monsieur,  dans  le  dessein 
qu'il  avoit  pris  de  s'attacher  inseparablement 
au  Roi  pour  obliger  Sa  Majeste  a  prendre  plus 
de  confiance  en  lui ,  parce  qu'il  lui  temoigneroit 
se  departir  de  toutes  les  demandes  qu'il  lui  avoit 
faites  des  places  de  siirete  ,  et  n'en  vouloir  au- 
cune  que  celle  qu'il  rencontroit  dans  la  parole 
du  Roi ,  qui  promit  verbalement  et  par  ecrit 
d'oublier  toutes  les  cboses  qui  s'etoient  passees, 
etd'aimer  Monsieur,  son  frere,  comme  il  faisoit 
auparavant,  Ton  trouva  bon  ce  temperament. 

Dans  le  dernier  point ,  qui  touchoit  le  mariage, 
que  bien  que  le  Roi  en  desirat  infinimeut  la  dis- 
solution, parce  que  sa  permission  n'y  etoit  point 
intervenue,  et  qu'il  I'estimoit  contraire  au  bien 
et  au  repos  de  son  Etat ,  neanmoins  Sa  Majeste 
demeur.oit  d'accord  de  se  soumettre  pour  ce  re- 
gard au  jugement  de  I'Eglise,  et  d'y  consentir 
en  cas  qu'il  fut  ainsi  ordonne  (l). 

Monsieur,  de  sa  part,  promit  de  subir  tout 

par  vostre  bonne  conduitc.  Le  sieur  d'Elbene  m'a  dit  ce 
que  vous  lay  avez  conimande ,  sur  le  sujet  du  mariage , 
que  vous  m'escrivez  avoir  contract(5  avec  madame  Mar- 
guerite de  Lorraine  :  sur  quoy  vous  ne  scauricz  que  vous 
iouer  de  mes  intentions ,  puisqu'eiles  n'ont  autre  fin  que 
de  faire  soigneusement  examiner  tout  ce  qui  s'est  pass6 
en  cette  action ,  et  me  remettrc  a  r(?v(5nement  qu'elle 
devra  avoir  par  justice  et   par  raison.  En  cola   ot  en 


V, 


MEMOIRKS    OK    MONTRESOH.    [lG;3-j] 


ce  qu'elle  regleroit  touchant  la  validile  ou  non 
validitede  son  manage :  ainsi  Sa  Majeste  et  Son 
Altesse  firent  ces  promesses  reciproques  dans 
I'opinion  que  chacun  d'eux  avoit  que  le  droit  fut 
de  son  cote  ,  et  que  I'affaire  se  decideroit  en  sa 
faveur.  Si  le  Roi  se  promettoit  que  les  delegues 
du  Pape,  la  plus  grande  partie  etant  Francois, 
ne  feroient  point  de  difficulte  de  prononcer  se- 
lon  son  intention  sur  la  dissolution  du  mariage 
fait  contre  les  lois  fondamentales  du  royaume  et 
contre  son  consentement ,  sans  lequel  Monsieur 
n'avoit  pu  valablement  contracter,  Son  Altesse 
ne  s'assuroit  pas  moins ,  par  la  connoissance 
qu'elle  avoit  que  dans  la  celebration  de  son  ma- 
riage toutes  les  conditions  prescrites  par  le 
concile  de  Trente  avoient  ete  observees,  que 
dans  une  matiere  purement  ecclesiastique  I'E- 
glise  ne  suivit  plutot  les  ordonnances  des  con- 
ciles  que  les  lois  fondamentales  ,  qui  ne  se  trou- 
voient  ecrites  nuUe  part,  ni  confirmees  par  au- 
cun  usage  ni  exemple. 

Ces  deux  articles  ayant  ete  ainsi  arretes ,  il 
ne  restoit  plus  rien  qu'a  pourvoir  a  lasuretedes 
serviteurs  de  Monsieur.  Comme  M.  de  Puylau- 
rens  avoit  sa  principale  confiance,  et  que  la 
pliipart  de  ce  qui  s'etoit  fait  duraut  le  cours  de 
plusieurs  annees  avoit  ete  par  ses  conseils,  Sa 
Majeste  promit  de  faire  publier  une  declaration 
dans  le  parleraent  de  Paris ,  par  laquelle ,  a  I'e- 
i;ard  de  la  personne  de  Monsieur,  toutes  choses 
soroient  oubliees  et  pardonnees  ,  et  a  tons  ceux 
qui  avoient  suivi  Son  Altesse. 

Et  afin  que  la  confiance  se  put  etablir  plus 
sincerement  entre  le  cardinal  de  Richelieu  et  le 
sieur  de  Puylaurens ,  et  levat  au  dernier  tons 
les  soupcons  qu'il  pouvoit  avoir  de  la  puissance 
de  I'autre ,  il  fut  convenu  qu'ils  s'allieroient  en- 
semble, et  que  le  cardinal  donneroit  sa  cousine, 
fille  du  baron  de  Pont-Chateau  ,  pour  femme  au 
sieur  de  Puylaurens  ,  lequel ,  jugeantavec  plus 
de  franchise  que  de  prudence  de  Tintention 
d'autrui  par  la  sienne  ,  se  crut  entierement  as- 
sure, et  ne  connut  pas  le  piege  dans  lequel  11 
fut  pris  quelque  temps  apres. 

toute  autre  chose,  je  rendray  prcmicrcment a  ma  con- 
science ce  que  je  luy  dois,  et  ensuitte  voulant  vous  tenir 
lieu  de  pere,  outre  la  quality  que  jay  de  voslre  Roy, 
vous  recc'vrez  des  effets  de  la  verilabie  afTeclion  que  je 
vous  porte  ,  el  qui  fait  que  je  suis  vostre  lres-a£fcctionnd 
f  lere , 

»  Locis. 
»  A  Essonne  ,  ce  25  avril  1634.  » 

(1)  Articles  de  I' accomodement  fait  entre  le  Hoy  et 
monsieur  le  due  d'Urleans ,  son  frere,  s'en  retour- 
nant  de  Flandre  au  mots  d'octobre  163'4. 

'(  Monsieur,  frere  unique  ilu  Roy  .  ayanl  fait  (('-moi- 
m.  c.  D.   M.,  T.  111. 


.      193 

Des  affaires  de  cette  consideration ,  comme 
je  I'ai  remarque ,  se  pouvoient  difficilement 
conduire  a  leur  perfection ,  que  les  Espagnols 
n'en  eussent  de  grands  soupcons ,  et  que  les 
Francois  de  la  cabale  coutraire,  par  les  corres- 
pondances  qu'ils  avoient  en  France  et  par  leurs 
observations  continuelles ,  n'en  eussent  aussi 
quelques  lumieres;  mais  comme  elles  ne  leur 
venoient  que  par  des  conjectures  qui  n'etoient 
pas  accompagnees  de  preuves  certaines ,  aussi 
les  uns  et  les  autres  etoient  bien  erapeches  a 
quoi  ils  s'arreteroient ,  et  de  quelle  sorte  ils 
prendroient  leurs  mesures.  Monsieur  et  ses  ve- 
ritables  serviteurs  temoignoient  plus  de  passion 
aux  Espagnols  de  porter  la  guerre  en  France 
qu'ils  n'avoient  encore  fait.  L'on  n'inslstoit  au- 
pres  d'eux  que  pour  I'execution  du  traite ,  et 
Son  Altesse  ne  parloit  aux  siens  en  public  que 
d'armement  et  de  troupes. 

Ces  precautions  partagerent  les  esprits  ,  et 
leur  oterent  une  partie  des  impressions  qui  leur 
avoient  ete  donneesdu  depart  de  Monsieur,  qui 
n'etoit  d'autant  differe  que  dans  I'attente  d'un 
courrier  qui  devoit  apporter  de  France  le  traite 
signe  par  le  Roi,  et  un  ordre  general  aux  gou- 
verneurs  des  places  frontieres  de  recevoir  Son 
Altesse. 

L'eloignement  du  marquis  d'Aytonne  a  Na- 
mur  apportoit  toute  la  facilite  possible  a  celui 
de  Monsieur,  si  le  paquet ,  qui  devoit  etre  en^ 
voye  par  courrier  expr^s  ,  n'eiit  ete  remis  a  Tor- 
dinaire,  qui  n'arriva  que  trois  jours  apres,  et 
par  ce  retardement  toutes  les  choses  secretes 
penserent  etre  decouvertes.  Monsieur  et  le  sieur 
de  Puylaurens  allerent  trouver  le  marquis  d'Ay- 
tonne a  Namur. 

Dans  cette  entrevue ,  ils  le  rassurerent  des 
doutes  qu'il  avoit  nouvellement  concus  sur  plu- 
sieurs avis  donnes  avec  des  particularites  et  des 
circonstances  si  expresses ,  qu'il  y  a  lieu  de  s'e- 
tonner  de  ce  qu'il  ajouta  foi  a  ce  qu'ils  lui  di- 
rent  au  contraire. 

Le  meme  jour  que  Son  Altesse  fut  de  retour 
ci  Bruxelles,  le  traite  lui  fut  porte  (1)  par  le  cour^ 

gncr  a  Sa  Majesty,  par  le  sieur  d'Elbene,  I'cxtreme  des- 
plaisir  qu'il  a  d'cstre  tombd  dans  sa  disgrace ,  et  le  d(5sir 
qu'il  a  de  s'en  tirer  par  une  enti^re  resignation  a  ses  vo- 
lontez ,  comme  aussi  de  renoncer  a  toutes  sortes  de  Irail- 
lez  et  intelligences  qu'il  pourroit  avoir  faits  avec  qui 
quece  soil,  soil  de  longue-main  ou  depuis  peu.  contre 
son  service,  Sadite  Majestd  s'cst  aussitost  disposde  k 
perdre  la  mdmoire  de  tout  ce  que  Monsieur  peut  avoir 
fait  contre  son  devoir,  depuis  la  premiere  fois  qu'il  est 
sorty  de  la  cour  et  du  royaume. 

»  Pour  tesmoigner  que  Monsieur  ne  veut  pas  seule- 
nient  se  soumettre  en  apparence  aux  desirs  du  Roy, 
mais  en  elTet  ayant  fiiit  lous  les  efforts  possibles  pour 
ohienir  deSa  MajcsK*  qu'il  luy  pleust  conseiilirau  ma- 

13 


1!»4 


J1EM0IUK5    l)K    MO^TJU:SOK.    fl()3-4l 


I'ier  ordinaire ,  ot  son  partcnuMit  fut  resolu  le 
dimanche  d'apres,  sans  aiiciine  remise. 

Depuis  le  mercredi  jusqiies  au  samedi ,  Son 
Altesse  feignit  d'avoir  quclque  ressentiment  de 
goutle.  Dans  cet  espace  dc  trois  Jours,  la  nou- 
velle  du  gain  de  la  butaille  de  iNordlingen  fut 
portee  a  Bruxeiles  par  le  baron  de  Clinehant , 
qui  vint  presenter  a  la  Reine  mere  et  a  Son  Al- 
tesse lescornettes  gagnees  au  combat,  qui  futle 
plus  grand  et  le  plus  opinidtre  qui  cut  ete  donne 
depuis  cent  ans  en  Allemagne. 

II  assura  aussi  Monsieur  que  le  cardinal  in- 
fant devoit  venir  bientot  aux  Pays-Bas  avec  les 
j)atentes  ,  pour  y  commander  avce  la  mcme  au- 
torite  qu'avoit  Tlufante. 

liage  contracts  entre  luy  cl  niadamc  la  priiieossc  Mar- 
fiacrile  de  Lorraine,  Sa  Majesty  luy  ayant  fait  sfavoir 
qu'clle  nc  pouvoit  approuver  Icdit  maiiage ;  pour  termi- 
ner cc  dilTc^rend  avoc  enliere  saiisfaclion  dc  part  et  d'au- 
ire,  Sa  Maje&te  voulant  fairc  paroistre  quelle  ne  veut 
en  aucunc  faron  user  dc  corilrainte  ciivers  Monsieur, 
l>articulierenienl  en  unc  affaire  comnic  celle-ci  qui  re- 
{,;arde  la  conseience,  et  Monsieur  doniier  a  connoistre  a 
un  chacun  le  grand  desir  qu'il  a  dc  satisfaiie  au  juste 
ressentiment  que  Sa  Majestc  peut  avoir  des  clioses  pas- 
5c'es  et  rentrer  en  ses  bonnes  graces,  comnie  aussi  laire 
voir  clairemcnt  I'eslat  de  son  mariage  pour  ^'acqu(5rir 
un  parfait  repos  dc  conscience ,  et  dormer  cette  satisfac- 
lion  a  toute  la  France,  que  la  lignee  qu'il  pourra  avoir 
a  I'avenir  soit  liors  de  danger  d'cstre  troubl(5e  ;  Sa  Ma- 
jeste  et  Monsieur  consenlent  de  boime  foy,  et  proniet- 
lent  de  se  remettre  sans  delay,  pour  la  validity  ou  nullile 
dudit  niariagc,  au  jugcmcnt  qui  interviendra  en  la  ma- 
niere  que  les  autres  sujets  du  Roy  out  accoustuniL^  d'cstre 
jugez  en  tels  acies,  scion  les  loix  du  Royaume;  le  Roy 
permcltant  a  Monsieur  de  satisfaire  a  sa  conscience  sur 
<e  sujet ,  par  les  voycs  deucs  et  accouslumc^es ;  et  au  cas 
(jue  le  mariage  viennc  a  estrc  dissous ,  conmic  Monsieur 
promet  au  Roy  dc  nc  se  reniarier  qu'avec  le  consente- 
inent  deSa  IMajesle,  et  apersonneciui  luy  soit  agrcable, 
Sa  Majcste  promet  aussi  a  Monsieur  de  ne  le  contraiii- 
dre  a  se  reniarier  conlrc  sa  volonld. 

»  En  quclque  endroit  que  Monsieur  denicure,  des 
licux  que  Ic  Roy  luy  peimct,  scavoir  :  Auvcrgne,  Bour- 
bonnois  et  Dombes  ,  Monsieur  promet  s'y  conduirc 
comme  un  vray  fiere  et  bon  sujet  doit  fuiie,  sans  avoir 
par  luy  ou  par  les  siens  aucune  intelligence  qui  puisse 
d(5plaire  a  Sa  Majeste ,  soit  au-dedans,  soit  au-dehors 
du  Royaume.  ausciuelics  toutcs,  par  le  present  escrit,  il 
renoncc  sinceremcnt. 

»  En  consideration  de  ce  que  dessus,  SaMajeslc\  vou- 
lant faire  jouir  ]\Ionsieuret  les  siens  dc  ses  giaees  \niv6- 
dentcs  et  de  la  dc^clai  alien  vcrifiee  en  parlcment  le  vingl- 
neuficme  jan\  icr  dernier,  luy  remet  toutes  les  fautcs  qu'd 
a  commises  depuis  qu'il  est  sorty  du  Royaume  ,  des  la 
premiere  foisjusques  a  maintenant ;  luy  accordc  abolition 
gentir.ile  pour  tons  ceux  qui  I'ont  suivy  et  servy  depuis  sa 
premiere  sortie,  de  quclque  quality  et  condition  qu'ils 
soient,  qu'elle  fera  cxp(5dicr  en  bonne  et  dcue  forme  cl 
dcMivrera  Monsieur,  huit  jours  apres  qu'il  scraentrc;  en 
Fpance  ;  et  que  pendant  lesdits  huit  jours,  les  susdits 
scront  Iraitlez  comme  si  d(*ja  ils  avoient  Icur  abolition 
cnt^rin^e,  les  remeltanl  en  tous  et  chicun  Icurs  bicns. 
du  jour  que  Monsieur  enlrera  en  France  ,  quoy(|uc 
pour  lors  vis  ne  soirtit  pas  avec  !ny  ;  a  la  charge  n('an(- 


Le  marquis  d'x-^ylonne  fut  visiter  Monsieur 
dans  le  temps  qu'il  demeura  au  lit ;  et  quoiqu'il 
ait  ete  dit  du  depuis  qu'il  connut  bien  que  Son 
Altesse  le  jouoit ,  iJ  n'en  lit  rien  paroitre  par 
aucune  demonstration  exterieure  ni  par  aueini 
acte  particulier,  pour  empecber  sa  retraite  bors 
des  Etats  du  Roi  son  maitre. 

Son  Altesse  se  promena  tout  le  samedi ,  et  fit 
ses  visites  accoutumees.  Dans  les  moyens  qu'elle 
s'etoit  proposes,  elle  avoit  juge  que  le  plus  es- 
seutiel  et  le  plus  necessaire  etoit  le  secret ,  s'en 
conlia  i\  peu  des  siens  ,  et  crutque  le  hasard  de- 
voit faire  le  cboix  de  ceux  qui  auroient  Tbonneur 
de  I'accompagner. 

Le  dimanche  ariMve,  il  monta  a  chcval ,  a 

molns  que  ceux  qui  sont  en  Flandres  reviendront  dans 
le  Royaume,  trois  semaines  apres  que  Monsieur  y  sera 
en(r(5,  et  les  autres  qui  sont  en  pays  plus  eloigncz,  six 
semaines  apres,  tous  pour  vivre  comme  bons  siijels  doi- 
vent  faire,  except^  toutesfoisLa  Vieuville,  LeCogneux, 
Monsigot  et  les  ^vesques  qui  ont  est6  jugez ,  ou  a  qui  on 
fait  presentement  le  procez,  Ies(|uels  Sa  Majestc  ne  veut 
cslrc  compris  dans  I'abolition  cy-dessus  menlionnec , 
non  plus  que  Vieux-Pont. 

»  Restablit  Monsieur  en  tous  ses  biens ,  appanages  el 
pensions ,  pour  en  jouir  du  premier  jour  de  cette  ann(5e 
aux  termes  prefix ;  luy  accorde  quatre  cens  mil  livres 
pour  acquitter  ses  dettes,  tant  a  Rruxellcs  qu'aillcurs, 
qu'clle  luy  fera  dclivrer  aussitost  qu'il  sera  en  France, 
et  cent  mil  escus  qufnze  jours  apres  pour  se  remettre  ci> 
equipage. 

»  Luy  donne  le  gouvernement  d'Auvcrgne  au  lieu  de 
reluy  d'Orl^annois  et  Blesois ;  luy  permet  de  faire  s.» 
d>nieure  audit  gouvernement  en  celuy  de  Rourbonnois 
et  pays  de  Dombes,  et  autres  lieux  dout  Sa  Majesld  con- 
viendra. 

»  Luy  accorde  en  outre  lenlretien  de  sa  compagnie 
<le  gendarmes  .  composde  de  cent  maistres,  que  Sa  Ma- 
jesty fera  mettre  sous  le  nom  du  sieur  de  Puylaurens. 
ct  qu'elle  permet  estre  r(kompens(5e  par  luy,  si  Monsieur 
le  trouvc  bon  ;  ccllc  dc  ses  chevaiix-legers  ,  composf'e 
d'autant,  ct  command(5e  par  le  sieur  d'Elbene;  lesquel- 
les  deux  compagnies  de  gendarmes  et  chevaux-lcgers 
Sa  Majesty  entend  estre  levies  a  I'ordinaire,  aussitost 
que  Monsieur  entrera  en  France,  el  permet  qu'elles 
servent  aupres  de  Monsieur,  au  nombre  de  cent  cha- 
cune,  pendant  I'espace  de  deux  mois;  apres  lequel  temps 
il  n'en  pourra  servir  que  cinquante  de  chacune  prcs  de 
ladile  personne  de  Monsieur,  aux  lieux  oil  Sa  Majestc 
luy  permet  maintenant  de  dcmeurer ,  ct  cc  jusques  a  ce 
que  desonpropre  mouvcmcnt  il  se  rapproche  ct  re- 
vienne  a  la  cour;  et  en  outre,  renlrelien  de  ses  gardes 
francoises  et  suisscs ,  pour  servir  ainsi  qu'ils  ont  accous- 
tumd. 

»  Sa  Majest(5  accorde  ce  que  dessus ,  a  condition  que 
Monsieur  I'acceple  dans  quinze  jours,  et  reffectue,  se 
reliranl  en  France  dans  trois  semaines,  a  compter  de 
la  dalle  de  ces  pr^sentes  ,  alin  que  si  Monsieur  ne  re- 
vient  dans  ledit  temps,  ainsi  que  de  sa  part  on  le  fail 
esp(?rer  au  Roy  .  Sa  M.ijest(5  puisse  pourvcoir  a  la  seu- 
ret6  dc  ses  affaires  et  dc  son  cslat ,  comme  die  s'y  trou- 
vcia  obligee. 

»  Sign6  Lons , 
»  Et  plus  has,  DouTuifiii^R.  » 

»  Inil  a  I'.^roiinn  ,  Ic  1'"  c\rtf)br(;ACi'i't. 


MEMOIRES    DE    MONThESOH.    [l(JCl] 


huit  heures  du  matin,  suivi  seulement  de  dix 
ou  douze  des  siens,  et  alia  droit  a  la  porte  d'en 
haut,  par  laquelle  il  sortoit  souvent  pour  s'aller 
promener. 

Le  bonheur  avoit  voulu  que  le  meme  jour  le 
marquis  d'Aytonne  et  le  president  Rose  etoieut 
alles  ensemble  a  Trevure,  maison  du  roi  d'Es- 
pagne  ,  a  deux  lieues  de  Bruxelles,  pour  con- 
ierer  avec  le  due  de  Nieubourg  d'affaires  impor- 
tantes. 

Puylaurens,  qui  nepouvoit  suivre  Monsieur, 
ne  Tayaut  pas  accoutume ,  feignit  d'aller  voir 
le  president  Rose,  qu'il  savoit  bien  n'etre  pas  a 
son  logis,  monta  en  carrosse,  et  se  rendit  a  la 
meme  porte  par  laquelle  Son  Altesseetoit  sortie, 
ou  il  prit  dans  le  faubourg  des  chevaux  pour 
joindre  Monsieur, qui  avoit  commande  publique- 
nient  devant  les  bourgeois  qui  etoient  en  garde, 
de  lui  faire  tenir  une  messe  prete  aux  Cordeliers 
pour  I'ouir  au  retour  de  la  promenade. 

Monsieur  sortit  de  cette  sorte  de  Bruxelles  , 
et  apres  avoir  traverse  la  foret  de  Soignes ,  passe 
aNivelles,  Bains,  Bavay  et  Pont-sur-Sambre , 
ou  Ton  prit  un  guide  parce  que  la  nuit  s'appro- 
choit,  il  arriva  a  La  Capelle  avec  dix  ou  douze 
des  siens ,  etant  le  reste  demeure  par  les  che- 
rains  ,  leurs  chevaux  n'ayant  pu  achever  une  si 
longue  traite  ,  faite  avec  beaucoup  de  diligence, 
el  sans  s'arreter  un  moment. 

Si  les  Espagnols  furent  surpris  de  ce  que  Mon- 
sieur s'etoit  retire  aiusi  des  Pays-Bas,  le  marquis 
de  Bee,  gouverneur  de  La  Capelle,  ue  le  fut 
pas  moins,  sachant  Monsieur  sur  la  contres- 
carpe  de  sa  place  avant  que  d'avoir  eu  avis  de 
son  traite  avec  le  Roi.  Pour  s'eclaircir  de  la  ve- 
rite  d'une  chose  si  extraordinaire ,  il  fit  sortir 
I'infanterie  avec  des  ofliciers,  et  Nerville,  qui 
vint  reconnoitre  le  nombre  des  gens  qui  etoient 
avec  Son  Altesse ,  pour  lui  en  faire  un  fidele 
rapport. 

Monsieur,  et  ceux  qui  avoient  I'honneur  d'e- 
tre aupres  de  sa  personne ,  jugerent  aisement 
que  la  garnison  etoit  en  alarme  ,  et  qu'i!  etoit 
a  propos  de  faire  avaucer  d'Elbene  pour  leur 
dire  de  quelle  sorte  Monsieur  y  etoit  arrive ,  et 
faire  voir  au  marquis  de  Bee  I'ordre  du  Roi  qui 
enjoignoit  a  tous  les  gouverneurs  des  places 
frontieres  de  I'y  recevoir. 

L'ordre  lui  ayant  ete  communique  ,  il  sortit 
de  La  Capelle  et  vint  supplier  Monsieur  d'y 
vouloir  entrer,  et  lui  vouloir  pardonner  le  retar- 
dement  auquel  il  avoit  ete  oblige. 

Monsieur,  estiraant  ce  qu'il  avoit  fait,  cnfra 
dans  la  place  ,  ou  il  fut  recu  aussi  bicn  qu'il  le 
pouvoit  etre  dans  une  rencontre  si  imprevue. 
Le  lendemain  ,  la  plus  grande  part  de  ceux  qui 


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etoient  partis  de  Bruxelles  avec  Son  Altesse,  et 
deraeures  en  chemin  pour  la  lassitude  des  che- 
vaux ,  ou  pour  avoir  ete  arr6tes  par  les  paysans, 
arriverent  a  La  Capelle  ,  sur  ce  que  le  marquis 
d'Aytonne  avoit  mande  dans  tout  le  pays  que 
Ton  laissat  passer  libreraent  les  Francois  ,  et 
meme  qu'ils  fussent  assistes  de  toutes  les  cho- 
ses  necessaires. 

D'Elbene  alia  trouver  le  Roi  pour  lui  rendrc 
compte  que  Monsieur  etoit  en  France ;  Saint- 
Quentin  fut  aussi  depeche  vers  Madame  et  vers 
le  marquis  d'Aytonne ,  pour  les  informer  des 
raisons  qui  avoient  oblige  Son  Altesse  de  sortir 
de  Flandre  de  la  maniere  qu'il  avoit  fait.  Sa  pre- 
miere et  principale  commission  etoit  d'assurer 
Madame  que  Monsieur  conservoit  toujours  pour 
elle  I'affeclion  qu'il  lui  devoit  et  qu'il  lui  avoir, 
promise  ;  qu'il  la  prioit  de  le  croire,  et  qu'il  ne 
la  changeroit  jamais,  pour  quelque  considera- 
tion qu'on  lui  put  representer. 

Ces  assurances  furent  infiniment  utiles  a  sa 
consolation,  son  esprit  etant  aussi  trouble  que 
I'etat  de  sa  condition  paroissoit  incertain  :  et  a 
moins  que  d'une  confiance  entiere  a  la  parole 
de  Monsieur,  et  de  ce  que  Dieu  (auquel  elle  avoit 
toujours  eu  recours)  en  ordonneroit ,  il  eiit  ete 
impossible  qu'elle  eut  pu  resister  au  deplaisir 
de  s'etre  vue  abandonnee  lorsqu'elle  I'attendoit 
le  moins. 

Quant  au  marquis  d'Aytonne ,  comme  il  etoit 
un  homme  sage  et  maitre  de  ses  sentimens  ,  il 
ne  temoigna  pas  a  Saint-Quentiu  aucune  alte- 
ration ,  et  laissa  seulement  entendre  ,  avec  des 
paroles  fort  moderees  ,  que  le  seul  deplaisir  qui 
lui  restoit  etoit  que  Son  Altesse  lui  avoit  ote  le 
moyen  (s'en  allant  comme  elle  avoit  fait)  de 
lui  rendre  tout  Thonneur  du  a  un  prince  de  sa 
naissance  ;  mais  qu'ayant  ete  toujours  avec  une 
entiere  liberte  dans  les  Etats  du  roi  d'Espagne  , 
il  avoit  ete  a  sou  choix  d'y  demeurer  ou  d'en 
partir,  ainsi  qu'il  lui  avoit  plu ;  qu'a  !a  verite 
c'auroit  ete  plus  selon  la  dignite  de  sa  personne 
et  la  satisfaction  de  Sa  Majeste  Catholique  s'il 
eut  eu  agreable  que  lui  et  les  principaux  du 
Pays-Bas  lui  eussent  rendu  leurs  devoirs  en 
cette  rencontre. 

Monsieur,  apres  avoir  demeure  un  jour  en- 
tier  a  La  Capelle  pour  prendre  un  peu  de  repos, 
alln  coucher  a  Marie ,  proche  Laon  ;  le  jour 
d'apres  il  rencontra  le  due  de  Chaulnes ,  qui  ve- 
noit  au  devant  de  lui  avec  plusieurs  gentilshora- 
mes  de  son  gouvernement.  II  passa  a  La  Fere  , 
ou  le  marquis  de  Nesle  le  recut ,  et  a  Soissons , 
ou  il  trouva  le  sieur  de  Chavigny,  secretaire 
d'Etat  et  parliculier  confident  du  cardinal  de 
Richelieu  ,  que  le  Roi  avoit  envoye,  et  Bautru 


li)6 


WlhlOIRF.S    OR    MONTRESOR.     flOSS" 


avec  lui ,  pour  temoigiier  a  Son  Altesse  la  joie 
qu'avoit  Sa  Majeste  de  son  retour,  et  I'impa- 
tience  dans  laquelle  elle  etoit  de  la  voir. 

Ledit  sieur  de  Chavigny  et  Bautru  ,  dans  des 
conferences  particulieres  qu'lls  eurent  avec  le 
sieur  de  Puylaurens ,  voulurent  pressentir  a 
quoi  il  se  determineroit  sur  le  sujet  du  mariage 
de  Monsieur;  mais  ils  le  trouverent  plus  dispose 
a  le  maintenir  que  le  cardinal  ne  se  I'etoit  pro- 
pose, lis  lui  firent  assez  connoitre  quelle  etoit 
I'intention  du  Roi ,  et  que  Sa  Majeste  ne  s'etoit 
soumise  au  jugement  de  I'Eglise  que  pour  gar- 
der  les  apparences. 

lis  ajouterent  qu'ils  ne  lui  celoient  pas  que  , 
de  quelque  sorte  que  ce  fut,  il  ne  falloit  point 
s'attendre  qu'il  put  subsister,  et  qu'ils  s'eton- 
noient  fort  de  le  trouver  plus  scrupuleux  qu'un 
homme  de  coeur  ne  devoit  etre  dans  une  occa- 
sion de  laquelle  tout  I'etablissement  de  sa  for- 
tune dependoit. 

Les  envoyes  du  Roi  voyant  que  les  esperan- 
ces  desquelles  ils  le  vouloient  flatter  ne  change  • 
roieut  point  sa  premiere  opinion  ,  Bautru  ,  as- 
sez legerement ,  s'echappa  de  lui  dire  que 
puisqu'il  le  trouvoit  dans  une  resolution  sem- 
blable ,  qu'il  soubaiteroit ,  pour  beaucoup  de 
raisons,  qu'il  fut  encore  a  Bruxelles. 

Puylaurens  s'apercut  bien  de  ce  qu'il  vouloit 
dire ,  et  fut  persuade  par  ce  discours  qu'il  au- 
roit  beaucoup  de  traverses  a  souffrir.  II  le  dis- 
simula  pourtant  et  feignit  de  n'y  pas  prendre 
garde.  Ce  fut  aussi  le  meilleur  parti  qu'il  put 
prendre  de  I'attribuer  a  la  facon  ordinaire  de 
parler  de  Bautru  ,  parce  qu'il  s'etoit  mis  dans 
un  etat  duquel  il  ne  se  pouvoit  plus  retirer.  II 
en  rendit  compte  a  Son  Altesse,  a  laquelle  il 
resta  peu  de  satisfaction  de  ce  qu'il  en  avoit  ap- 
pris,  et ,  dans  I'inquietude  de  I'evenement ,  il 
arriva  a  Saint-Germain ,  ou  le  Roi  lui  fit  pa- 
roitre  autant  de  bonne  volonte  que  s'il  ne  se  fut 
jamais  rien  passe  entre  eux  capable  d'y  appor- 
ter  de  I'alteration. 

Puijlaurens  arrdtc;  Corbie  assiegeej  Monsieur 
se  retire  a  Blois ,  71/.  le  comte  de  Soissons  a 
Sedan ;  le  lioi  vient  a  Orleans  a  l^accom- 
modement  de  Monsieur. 

[1G35]  Dans  le  traitefait  entre  le  Roi  et  M.  le 
due  d'Orleans,  en  1634,  Ton  avoit  reserve, par 
des  articles  particuliers,  les  conditions  les  plus 
essentielles ,  et  surtout  celles  qui  regardoient 
le  mariage  de  Puylaurcins  avec  une  des  parentes 
du  cardinal  de  Richelieu  ,  qui  pretendoit  par 
cette  alliance  s'assurer,  pour  Tavcnir  comme 
pour  le  present,  le  gouvernement  et  I'autorite 


qu'il  avoit  prise  dans  le  maniement  des  affaires, 
et  pouvoir,  dans  la  dependance  absolue  que  le 
favori  d'un  prince  ,  qui  etoit  heritier  presomp- 
tif  de  la  couronne,  auroit  a  suivre  tons  ses  mou- 
vemens  et  s'attacher  a  ses  interets ,  venir  a  bout 
du  demariage  de  Son  Altesse  pour  arriver  a  ce- 
lui  de  la  ducbesse  d'Aiguillon ,  sa  niece,  qu'il 
s'etoit  des  long-temps  promis,  pourvu  qu'il  put 
retirer  M.  le  due  d'Orleans  d'enlre  les  mains 
des  Espagnols,  et  I'eloigner  de  madame  sa 
femme  et  de  la  maison  de  Lorraine. 

Ces  vastes  et  grandes  esperances ,  qui  n'a- 
voient  pour  fondement  que  son  ambition,  ren- 
contrant  des  oppositions  qui  lui  paroissoient,  de- 
puis  le  retour  de  Son  Altesse ,  plus  malaisees  a 
vaincre  qu'il  ne  se  I'etoit  persuade;  la  conduite 
de  Puylaurens  ne  le  satisfaisant  pas  aussi  et  lui 
donnant  des  ombrages ,  il  changea  le  dessein 
de  le  conserver,  dans  la  creance  qu'il  lui  seroit 
plus  utile  de  le  perdre. 

L'une  des  principales  raisons  qui  avancoit  le 
malheur  de  ce  gentilhomme,  qui  s'etoit  eleve 
avec  autant  de  bonheur  pour  le  moins  que  de 
merite,  quoiqu'a  dire  la  verite  il  n'en  fut  pas 
tout-a-fait  depourvu  ,  ce  fut  une  lettre  que  Son 
Altesse  ecrivit  a  Sa  Saintete  avant  que  de  re- 
venir  en  France  ,  par  laquelle  il  la  supplioit  de 
n'ajouter  aucune  foi  a  tout  ce  qu'il  feroit  contre 
son  mariage  quand  il  seroit  de  retour  en  France, 
parce  qu'il  seroit  obtenu  par  force ,  et  contre 
I'intention  qu'il  auroit  toute  sa  vie  de  le  main- 
tenir etre  bien  et  valablement  contracte. 

Le  cardinal ,  offense  de  ce  que  Puylaurens  ne 
lui  avoit  pas  decouvert  ce  secret,  I'ayant  appris 
d'ailleurs,  lui  en  fit  des  reproches  qui  I'obli- 
gerent  a  prendre  son  excuse  sur  ce  qu'il  ne  lui 
avoit  pas  demande. 

Son  Eminence,  emue  de  sa  reponse ,  lui  re- 
partit  en  jurant  qu'il  le  pouvoit  soulager  de  cette 
peine  s'il  lui  eut  plu ,  et  le  quitta  avec  un  vi- 
sage qui  temoignoit  beaucoup  d'aigreur  contre 
lui. 

II  y  eut  neanmoins  quelque  espece  d'accom- 
modement  entre  eux ,  plus  veritable  en  appa- 
rence  qu'en  effet;  car  le  cardinal  etoit  homme 
a  ne  pardonner  jamais  a  ceux  qui  pouvoient 
empecher  ou  retarder  le  succes  des  choses  qu'il 
s'etoit  une  fois  proposees ,  comme  celles  qui  lui 
pouvoient  procurer  le  plus  grand  et  notable 
avantage  qu'il  eut  a  souhaiter  dans  I'etablisse- 
ment de  sa  fortune.  II  se  porta  facilement  a  le- 
ver tous  les  obstacles  qu'il  crut  capables  de  for- 
mer opposition  a  ce  dessein. 

Le  Roi ,  qui  etoit  pousse  par  sa  propre  incli- 
nation aux  actions  de  sevcrite,  moins  sortables 
a  la  dignite  d'un  grand  prince  que  celles  de  la 


MEMOIKKS    DE    MO«TUKSOK.    [tG85] 


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clenieiice,  sur  ce  qu'il  lui  fit  entendre  que  Puy- 
laurens  entretenoit  ses  anciennes  alliances  avec 
les  Espagnols  (ce  qui  etoitentierement  suppose), 
accorda  avec  plaisir  son  consentement  pour 
qu'on  se  saisit  de  sa  personue. 

Le  cardinal  prit  soin  de  donner  les  ordres  ne- 
cessaires  pour  executer  cette  deliberation,  dans 
laquelle  il  contrevenoit  egalement  a  sa  parole 
si  solennellement  donnee,  et  a  Talliance  qu'il 
avoit  contractee  avec  lui,  qui  est  la  derniere  su- 
rete  que  les  hommes  puissent  prendre  ensem- 
ble, et  qui  est  si  rarement  violee,  que  tout 
commerce  est  detruit  lorsqu'elle  n'est  plus  mise 
en  consideration. 

Le  temps  d'arreter  Puylaurens  fut  pris  le  soir 
que  Son  Altesse  devoit  repeler  son  ballet  au 
Louvre  {[) ,  ou  cet  esprit  malicieux  et  dissi- 
mule  I'entretint  fort  long-temps  dans  le  cabinet 
du  Roi. 

Dans  la  conversation  qu'il  eut  avec  lui ,  il  se 
pluta  lui  faire  des  railleries  fort  piquantes,  et 
a  lui  demander,  parce  qu'il  parloit  fort  pen  et 
etoit  assez  froid  de  son  naturel,  quand  se  fon- 
droient  ses  glaces. 

Le  cardinal  ensuite  entra  dans  la  chambre 
du  Roi ,  et  Puylaurens,  qui  etoit  demeure  dans 
le  cabinet,  futretenu  par  Gordes,  capitaine  des 
gardes  du  corps,  qui  lui  dit  avoir  ordre  de  Sa 
Majeste  de  s'assurer  de  sa  personne.  II  temoi- 
gna  beaucoup  de  fermete  dans  un  rencontre  si 
imprevu  et  de  cette  consequence,  et,  laissant  le 
soin  de  ce  qui  le  regardoit,  11  s'enquit  de  I'etat 
auquel  etoit  Monsieur,  son  maitre.  Apres  que 
Gordes  lui  eut  repondu  qu'il  etoit  en  pleine  li- 

(1)  Puylaurens  fut  arrete  le  14  f^vrier ;  le  lendemain 
le  Roy  ^crivit  en  ces  termes  au  due  d'Orldans : 

Du  15  f^vrier  1635. 

«  Mon  cousin ,  j'ai  bi'en  voulu  vous  donner  avis  du 
desplaisir  que  j'ay  eu  d'estre  oblige  de  faiie  arrester  Puy- 
laurens. J'esp^rois  que ,  iasse  de  sa  mauvaise  conduittc  , 
mes  nouveiles  graces,  du  lout  extraordinaires.  Tempes- 
clieroient  de  retomber  en  pareilies  fautes  a  celles  par  Jes- 
quelles ,  violant  au  pass<5  son  devoir  et  sa  foy ,  il  a  si  in- 
gratement  niesconnu  tant  de  bienfaits  qu'il  a  receus  de 
moy  en  divers  temps;  j'avois  mcsme  consenly  qu'il  prist 
alliance  avec  mon  tres-chcr  et  tres-am($  cousin  le  cardi- 
nal de  Richelieu  ,  qui  n'csloit  pas  une  petite  marque  de 
la  conQance  que  je  voulois  avoir  en  luy  ,  chacun  con- 
noissant  assez  et  la  singulierc  affection  que  jc  porte  a 
mon  cousin,  et  les  grands  sujetsquej'en  ay;  mais  lesma- 
nifestes  contraventions  que  ledit  Puylaurens  a  faites  aux 
conditions  sp^cialcmcnt  cxprimi^es  dans  la  grace  parmoi 
accordt'e ,  le  deuxiesme  oclobre  dernier  passe,  m'ayant 
fait  connoislre  que  rien  n'estoit  capable  de  le  dcstourner 
de  la  continuation  de  ses  mauvais  dcsseins  qui  ont  deja 
cause  tant  de  mallieurs  a  ce  royaume,  que  j'ay  grand 
sujct  d'en  appr(5hender  la  suitle.  Pour  ne  manqucr  pas 
a  ce  que  je  dois  a  mon  Estat ,  a  la  personne  de  mon  tres- 
cher  fr^re  et  a  la  micnne,  j'ay  est(?  conlraint  de  m'as- 


berte,  11  reprit  la  parole  pour  lui  dire  queM.  le 
cardinal  ne  lui  avoit  pas  doune  le  loisir  de  faire 
ce  qu'il  desiroit  pour  lui ,  et  que  ,  differant  da- 
vantage  de  porter  les  choses  a  cette  extremite , 
le  temps  lui  eut  fourni  les  moyens  et  les  occa- 
sions de  le  contenter. 

Le  Fargis  et  Charnaze  furent  aussi  arretes 
dans  le  Louvre ,  et  Le  Coudray-Montpensier  in- 
continent apres  au  logis  de  M.  le  chancelier. 

L'on  mena  Puylaurens  et  Le  Fargis  au  bois 
deVincennes,  le  lendemain  matin,  dans  desear- 
rosses  differens;  et  les  deux  autres,  Le  Coudray 
a  la  Bastille,  et  Charnaze  au  logis  du  chevalier 
du  guet. 

Ballouet ,  enseigne  des  gardes  du  corps , 
homme  rude  et  a  tout  faire ,  eut  la  charge  de 
garder  Puylaurens  avec  huit  gardes  du  corps, 
choisis  dans  diverses  compagnies.  Son  humeur 
convenoit  fort  bien  a  I'emploi  qu'il  avoit  recu, 
car  il  s'acquitta  de  sa  commission  avec  toute  la 
rigueur  que  le  cardinal  desiroit  qui  fut  obser- 
vee  ;  en  sorteque,  dans  le  quatrieme  mois  de  sa 
prison,  11  raourut  par  des  moyens  suspects  et 
odieux,  s'ilssont  tels  que  les  apparences  le  font 
croire. 

Je  puis  assurer,  pour  m'en  etre  bien  inform^, 
qu'il  y  avoit  plus  de  deux  mois  que  les  fenetres 
de  sa  chambre  n'avoient  ete  ouvertes,  et  que 
I'air  et  le  jour  lui  etoicnt  interdits ,  de  meme 
que  s'il  eut  ete  dans  un  cachet  et  le  plus  crimi- 
nel  de  tons  les  hommes. 

L'on  publia  qu'il  etoit  mort  depourpre ;  mais 
il  est  a  remarquer  que  le  poison  fait  de  memes 
effets,  et  qu'aucun  des  siens  n'eut  la  liberte 

seurer  dudit  Puylaurens ,  comme  estant  le  seul  moyen 
de  prdvenir  les  maux  qu'il  nous  prdparoit  de  nouveau  , 
a  I'insceu  et  contre  I'intention  de  nostre  tres-cher  Here. 
Ce  qui  me  console  en  cette  occasion  est  que  je  suis  aussi 
asseur^  des  bonnes  intentions  de  mondit  frere  ,  comme 
les  mauvaises  dudit  Puylaurens  me  sont  connues.  Le 
bon  et  favorable  traittement  que  non  seulement  mondit 
frere  recevra  de  moy  en  toutes  occasions,  mais  en  outre 
tous  ses  bons  et  Odels  serviteurs  ,  que  je  ne  distingue 
point  des  miens,  fera  voir  a  tout  le  monde  que  jc  I'ayme 
autant  que  moy-mesme,  el  que  je  n'eusse  pas  pris  la  re- 
solution port(5e  par  la  pr^sente  d^pesche ,  si  je  n'y  eusse 
est6  forc6  par  des  sujets  tres-pressans.  Pour  en  faire 
connoislre  I'importance,  je  me  contenteray  de  dire  qu'il 
a  eu  diverses  intelligences  avec  des  personnes  manifcs- 
tement  coupables  d'aitenlat  contre  ma  vie,  personnes 
non  seulement  excluses  de  ma  grace  par  la  nature  de 
leurs  cri.mes ,  mais  en  outre  parce  qu'elles  en  sont  nom- 
m^ment  except^es.  Je  laissc  presentement  a  part  beau- 
coup  d'autres  preuves  ^videnles  que  j'ay  de  la  mau- 
vaise foy  dudit  Puylaurens.  qui  seront  connues  avec 
le  temps.  Vous  donnercz  part  de  ce  que  dessus  a 
lous  mes  bons  subjcts  estant  dans  rcstcnduc  de  vostre 
gouvernement.  Priant  Dieu  qu'il  vous  ayt  en  sa  sainlc 

garde, 

»  Louis. » 


ios 


wiiJioniKs  DE  mo: 


de  le  voir  diiiant  sa  maladie  iii  apies  sa  mort. 

Sou  Altesse,  en  ay  ant  appris  la  nouvelle  a 
Blois,  sentit  en  elle-meme  augmenter  le  ressen- 
liment  de  I'affront  qu'elle  avoit  recu  de  la  de- 
tention de  son  principal  confident,  arrivee  quasi 
en  sa  presence  ,  sans  autre  droit  que  celui  de 
I'autorite  absolue  du  Roi ,  dont  le  cardinal  de 
Richelieu  se  servoit  de  lamaniere  qu'il  estimoit 
)a  plus  avantageuse  a  ses  interets  et  la  plus 
propre  a  ses  passions. 

Mais,  pour  continuer  ce  discours  avec  moins 
de  confusion  ,  lorsque  Puylaurens  fut  arrele  au 
Louvre,  Sa  Majeste  fit  appeler  Son  Altesse,  le 
cardinal  etant  en  tiers,  lui  protesta  que  ce  qui 
s'etoit  passe  en  presence  de  sa  personne  ne  re- 
gardoit  en  facon  du  nionde  la  sienne;  qu'il  de- 
voit  etre  assure  de  sa  bonne  volonle  ,  dont  il  lui 
I'enouveloit  les  assurances,  et  croire  qu'il  ne  se 
seroit  pu  resoudre  a  ce  qui  s'etoit  passe,  s'il 
n'avoit  recu  des  avis  fort  certains  que  Puy- 
laurens, a  son  insu  ,  traitoitbeaucoupde  choses 
prejudiciables  a  sou  service  et  au  repos  de  son 
Etat. 

Le  cai'dinal  y  ajouta  que  Monsieur  devoit 
lendrescs  volontes  conformes  a  celles  du  Roi, 
et  pouvoit  se  promettre  tout  ce  qu'il  auroit  a 
<lesirer  de  sa  bonte,  pourvu  qu'il  prit  toujours 
le  parti  du  respect  et  de  fobeissance  :  ce  qui 
fut  accompagne  de  plusieurs  protestations  de 
.services. 

Les  reponses  de  Monsieur,  dans  line  conjonc- 
ture  si  delicate  et  si  dangereuse  pour  lui,  fu- 
lent  tellesque  Sa  Majeste  les  eut  pour  agreables, 
et  que  le  cardinal  en  demeura  satisfait ;  et  je 
••rois  qu'en  partie  son  silence  le  tira  du  mau- 
vais  pas  auquel  il  se  trouvoit  engage. 

Sa  Majeste  voulut  parler  a  Ouallly,  capitaine 
des  gardes  de  Son  Altesse,  considerable  dans  la 
inaison  poursa  charge,  sa  naissance  et  son  me- 
rite,  eta  Goulas  aussi  et  a  La  Riviere,  aux- 
quels  je  n'attribuerai  les  memes  qualites. 

Le  premier  nomme  entra  seul ,  et  le  Roi  lui 
dit  assez  haut,  en  presence  de  ceux  qui  etoient 
dans  le  cabinet,  qu'il  ne  devoit  pas  etre  touche 
de  beaucoup  de  deplaisir  de  ce  qui  etoit  arrive, 
puisque  Puylaurens  avoit  en  toute  occasion  tres- 
)nal  vecu  avec  lui,  et  qu'il  consideroit  fort  peu 
les  gens  de  qualite  de  la  maison  de  Monsieur, 
son  frere.  Mais  bien  loin  de  s'en  plaindre,  et  de 
faire  sa  eour  par  une  lache  complaisance,  il  re- 
pondit  avec  grand  respect  a  Sa  Majeste  ,  et  dans 
les  sentimensd'un  bomme  d'bonneur,  qu'il  etoit 
vrai  qu'il  n'etoit  pas  lie  avec  Puylaurens  d'une 
amitie  fort  etroite  et  particuliere  ,  ce  qui  ii'em- 
p(5clioit  pas  qu'il  n'eiit  regret  de  son  malhcur  , 
((uoi([u'il  en  ignorc'\t  la  cause. 


Le  Roi  en  etant  denieure  su.pris  ,  lui  temoi- 
gna  en  paroles  generales  que  ce  qui  avoit  ete 
fait  n'interessoit  point  Monsieur  ni  les  siens,  et 
que  Puylaurens  avoit  conserve  avec  les  enne- 
mis  de  I'Etat  des  intelligences  contre  son  ser- 
vice :  ce  qui  est  toutefois  encore  a  proiiver. 

Quanta  La  Riviere  et  Goulas,  ils  furent  menes 
par  le  petit  escalier  du  Louvre,  dans  lequel  un 
homme  digne  de  creance  les  rencontra  avec  un 
exterieur  qui  faisoit  connoitre  qu'ils  ressentolent 
avec  joie  le  malheur  de  Puylaurens,  et  etoient 
fort  peu  touches  de  la  honte  que  Monsieur  en 
pouvoit  recevoir. 

Je  n'ai  pas  su  le  detail  des  or d res  qui  leur 
furent  donnes  dans  la  conference  particuliere 
qu'ils  eurent  avec  Son  Eminence ;  mais  les  appa- 
rences  persuadent ,  et  les  suites  justifient,  qu'ils 
furent  bien  inforraes  du  personnage  qu'ils  de- 
voient  jouer  aupres  de  leur  maitre  ,  dont  ils  se- 
roient  encore  plus  instruits  par  Chavigny,  se- 
eretaire-d'Etat,  qui  se  serviroit  de  leur  entre- 
mise  et  de  celle  de  d'EIbene ,  selon  les  occasions 
qui  se  presenteroient. 

Son  Altesse,  dans  les  inquietudes  que  lui 
causoit  I'etat  auquel  elle  se  voj'oit  reduite, 
voulut  bien  se  souvenir  de  moi  pour  me  rap- 
procher  de  sa  personne ,  dont  j'etois  lors 
eloigne. 

Le  Teillac  ,  que  j'avois  laisse  a  Paris,  qui 
6toit  connu  de  Monsieur  pour  homme  fidele  et 
secret,  me  vint  trouver  de  sa  part,  et  m'ap- 
porter  ordre  de  m'y  rendre  dans  la  plus  grande 
diligence  qu'il  me  seroit  possible  ,  parce  que 
I'occasion  pressoit. 

Des  le  meme  jour  que  je  fus  arrive ,  je  fus 
averti  par  deux  de  mes  amis  intimes  que  Ton 
m'avoit  mis  dans  le  memoire  de  ceux  qui  de- 
voient  etre  bannis  :  ce  qui  me  donna  peu  de 
peine,  estimant  a  bonheur  de  souffrir  pour 
Monsieur ,  pourvu  ((ue  par  aucune  faute  parti- 
culiere je  n'y  eusse  rien  contribue. 

Le  lendemain  ,  dans  cette  incertitude  ,  j'eus 
I'honneur  de  lui  faire  la  reverence,  le  cardinal 
de  La  Valette  et  Ikiutru  presens. 

Son  .Altesse  ne  me  dit  que  deux  ou  trois  pa- 
roles devant  eux  ,  qui  ne  signifioient  rien  dont 
le  dernier  put  faire  son  rapport  ;  mais  je  m'a- 
percus ,  lorsque  je  m'approchai  pour  leur  par- 
ler, ainsi  que  j'avois  accoutume  de  faire,  par 
le  soin  qu'ils  piirent  de  I'eviter  ,  qui  passoit 
jusques  a  rincivilite  ,  que  je  n'etois  agreableau 
cardinal  Richelieu ,  et  que  I'un  et  I'autre  en 
■^  etoient  fort  persuades. 

Apres  qu'ils  se  furent  retires.  Monsieur, 
qui  me  vouloit  entretenir ,  m'appela  dans  son 
cabinet ,  oil  il  lui  plut  me  dire  qu'il  avoit  des- 


MEMOIRKS    DH    MOX 

seiQ  de  se  confier  en  nioi  plus  qu'en  aucun  autre 
dts  siens  ,  et  qu'il  attendoit  de  mon  zele  a  son 
service  toutcs  les  preuves  d'afl'ection  et  de  fide- 
lite  qu'une  personne  de  sa  qualite  se  pouvoit 
promettre  dun  gentilhomme  duquel  il  avoit 
concu^bonne  opinion. 

Ce  fut  en  cette  sorte  que  j'entrai  dans  I'hon- 
neur  de  sa  confiance.  Je  m'etudiai  des-Iors  de 
m'en  prevaloir  ,  par  des  moyens  entierement 
opposes  a  ceux  dont  se  servent  la  plupart  des 
gens  de  cour  qui  s'avancent  aux  bonnes  graces 
des  princes  ;  car  j'avois  autant  de  soin  et  de  re- 
tenue  pour  celer  cette  confiance  qu'ils  se  plai- 
sent  d'ordinaire ,  pour  conteuter  leur  \anite  , 
de  la  faire  eclater ,  et  d'en  augmenter  la 
creance. 

Jejugeai  cette  sorte  de  conduite  utile  et  ne- 
cessaire  pour  les  interets  de  Son  Altesse,  et  la 
seule  capable  pour  me  conserver  aupres  d'elle  , 
prevoyant  que  je  n'eusse  jamais  pu  eviter ,  pre- 
nant  d'autres  mesures ,  la  persecution  du  car- 
dinal, que  Tenvie  deceux  desquels  ils'etoit  pro- 
pose de  se  servir,  m'auroit  sans  doute  attiree  par 
une  infinite  de  mauvais  offices. 

Le  principal  dessein  de  Son  Eminence  etant 
de  regagner  I'esprit  de  Monsieur  ,  Goulas  , 
d'Elbene  et  La  Riviere  eurent  charge  de  s'y 
employer;  et  comme  I'interet  pouvoit  tout  siir 
ces  ames  venales,  ils  se  preparerent  bien  a  exe- 
cuter  ce  qui  leur  etoit  commande. 

Les  premiers  soins  de  ces  trois  infideles  do- 
mestiques  furent  employes  a  insinuer  a  Son 
Altesse ,  autant  qu'il  dependoit  d'eux  ,  quelle 
etoit  la  puissance  et  I'autorite  du  cardinal  ,  et 
de  lui  representer  que  non-seulement  sa  gran- 
deur ,  mais  encore  sa  surete  ,  se  rencontroient 
si  absolument  entre  ses  mains  ,  qu'il  lui  etoit 
impossible  d'eviter  sa  perte  s'il  ne  prenoit  de 
particulieres  liaisons  avec  lui  ;  qu'il  tireroit , 
en  deferant  aux  conseils  d'uu  ministre  dont  la 
puissance  ne  pouvoit  etre  choquee,  tous  les 
avantages  qu'il  en  desireroit ;  et  qu'en  usant 
autrement,  il  se  mettroit  en  etat  d'avoir  tout  a 
craindre  et  se  rendroit  sujet  a  toutes  sorles 
de  malheurs,  desquels  il  ne  verroit  jamais  la  fin. 

Son  Altesse,  pleinement  informeea  quoi  ten- 
doient  telles  persuasions  ,  les  ecouta  plus  volon- 
tiers  qu'elle  ne  se  plaisoit  a  leur  repondre  ;  et 
quand  elle  s'y  trouvoit  obligee  ,  c'etoit  dans  des 
termes  qui  ne  leur  faisoient  pas  decouvrir  le 
secret  sentiment  des  iHjures  qu'elle  avoit  recues. 

Monsieur  se  servoit  encore  de  cette  adressc 
de  faire  si  bon  visage  au  cardinal ,  que  ,  par 
des  demonstrations  exterieures,  il  lui  donnoit 
opinion  qu'il  commencoit  a  se  rcndre  plus  ploya- 
ble  a  ce  qu'il  vouloit  oblcnir  dc  lui. 


TMESOa.    [lUJij  199 

Chavigny ,  qui  faisoit  agir  les  autres  ,  avoit 
son  ordre  particulier  d'abandonner  rarement 
Son  Altesse  ;  mais  dans  cette  sujetion  ,  comme 
il  etoit  jeune  ,  et  moins  modere  qu'il  ne  I'a  pniu 
depuis  ,  il  ne  gardoit  pas  le  repect  qui  etoit  du 
i\  Monsieur ,  et  se  dispensoit  tres-souvent  de  lui 
rendre  la  complaisance  necessaire  a  effacer  l« 
souvenir  des  choses  passees. 

La  Riviere,  homme  malicleux,  ayant  pene- 
tre ,  par  I'habitude  qu'il  avoit  aupres  de  sou 
mattre,  que  le  procede  de  Chavigny  le  cho- 
quoit ,  tant  s'en  fallut  qu'il  I'en  avertit  pour  y 
apporter  le  remede  ,  qu'il  en  augmenta  I'aigreur 
(jue  Son  Altesse  en  avoit  concue  ,  avec  inten- 
tion de  s'en  prevaloir  dans  des  conjonctures  fa- 
vorables  a  ses  interets  particuliers. 

Toute  cette  cabale  de  gens  malintentionnes 
pour  le  service  de  Monsieur ,  quoique  divises 
par  la  jalousie  de  leur  emploi ,  convenoit  nean- 
moins  en  ce  point  de  faire  tous  leurs  efforts 
pour  le  disposer  ix  souffrir  la  rupture  de  son 
mariage. 

Pour  faire  reussir  ce  pernicieux  dessein  ,  ils 
agissoient  de  concert,  et  avec  une  telle  ardeur, 
que  c'etoit  un  scandale  public  de  les  voir  solli- 
citer  Son  Altesse  a  commettre  une  action  si 
prejudiciable  a  sa  conscience  et  si  honteuse  a  sa 
reputation.  Nonobstant  les  instances  qu'ils  fai- 
soient aupres  de  Monsieur,  il  tenoit  ferine  dans 
sa  resolution  prise  de  ne  point  se  relacher  jamais 
sur  cet  article. 

il  essayoit  de  gagner  le  temps  par  les  divers 
voyages  qu'il  faisoit  dans  son  apanage,  qui  etoit 
son  sejour  le  plus  ordinaire.  11  me  souvient  de 
celui  qu'il  fit  pour  se  delivrer  de  leurs  importu- 
nites. 

II  se  mit  sur  I'eau  a  Blois  pour  aller  a  Nantes 
et  passer  jusques  a  Morbihan.  D'Elbene,  qui 
I'avoit  suivi ,  en  prit  mai  a  propos  I'alarme  et 
fut  assez  imprudent  pour  eerire  au  cardinal  en 
ces  propres  termes  :  qu'il  ne  repondoit  plus  des 
actions  de  Monsieur,  qu'il  croyoit  se  rctlrer  en 
Angleterre. 

Sur  cet  avis  mal  digere,  le  cardinal  de  Ri- 
chelieu fit  parlir  de  Paris  La  Riviere  et  Goulas 
en  poste  ,  qui  me  trouverent  aupres  d'Orleans  , 
oil  je  courois  le  cerf ,  bien  informe  du  sujet  qui 
les  pressoit  si  fort  d'arriver  aupres  de  Son  Al- 
tesse, et  de  leur  crainte  imperlinente. 

Apres  qu'ils  m'eurent  entretenu  de  beaucou[) 
de  discours  inutiles ,  je  me  moquai  d'eux  ,  et 
les  laissai  aller ,  etant  assure  que  si  le  voyago 
qui  faisoit  tant  de  bruit  eut  ele  de  la  conse- 
quence qu'ils  se  I'ctoient  persuade,  je  n'auroia 
pas  ete  oublie  par  Son  Altesse. 

ChaNignv  ,   aussi  hiUe  et  inquiete  que  cc:* 


200 


MKWOIX5ES    1)E    MONTBESOR.        10 So 


deux  courriers ,  passu  la  iiuit  au  lieu  rueine  ou 
j'etois,  et,  quoiqu'il  le  sut  tres-bien,  n'ayant  pas 
demande  a  me  voir,  je  me  mis  fortpeu  eu  peine 
de  lui  rendre  aucune  civiiite. 

lis  trouverent  Son  Altesse  a  Blois ,  oil  elle 
etoit  de  retour  ,  qu'ils  ramenerent  a  Paris,  pour 
rassurer  I'esprit  du  cardinal  des  apprehensions 
qu'il  avoit  eues.  Ceux  qui  etablissent  des  des- 
seins  sur  des  matieres  qui  portent  leurs  repro- 
ches  ,  agissent  avec  inquietude  et  sont  toujours 
incertains  des  voies  qu'ils  ont  a  tenir. 

Le  cardinal  etant  en  cet  etat  sur  le  sujet  du 
mariage  de  Son  Altesse,  duquel  il  vouloit  venir 
a  bout  a  quelque  prix  que  ce  put  etre ,  par  des 
assemblees  secretes  de  docteurs  qui  depen- 
doient  entierement  de  lui ,  il  en  faisoit  consul- 
ter  les  moyens;  et ,  pour  fortifier  la  cabale  que 
j'ai  ci-devant  nommee,  Chaudebonne ,  qui  avoit 
de  belles  apparences  de  probite,  fut  associe 
avec  eux  pour  travailler  plus  utilement  aupres 
de  Son  Altesse,  afm  de  la  rendre  plus  facile 
sur  le  sujet  de  co  demariage  injustement  pre- 
tendu. 

Pour  corrompre  les  bonnes  intentions  de 
Monsieur ,  ils  mettoient  en  pratique  toutes  les 
adresses  dont  ils  etoient  capables  de  s'aviser; 
et  comme  la  duchesse  d'Aiguillon  avoit  assez  de 
graces  en  sa  personne  pour  donner  de  I'amour  a 
un  jeune  prince,  ils  ne  perdoient  aucune  occa- 
sion de  la  louer  en  sa  presence  ,  et  de  le  faire 
trouver  ou  elle  alloit,  pour  I'embarquer  d'af- 
fection. 

De  son  cote,  elle  ne  s'aidoit  pas  raal  et  cachoit, 
sous  la  modestie  qu'elle  a  toujours  affectee , 
I'ambition  qu'elle  avoit  de  s'ouvrir  le  chemin  a 
une  condition  si  glorieuse  pour  elle,  et  si  dis- 
proportionnee  a  sa  naissance  et  au  rang  que 
son  premier  mariage  lui  devoit  faire  tenir. 

Dans  ces  negociations  ,  honteuses  pour  ceux 
qui  les  avoient  entreprises  ,  je  considerois  Mon- 
sieur dans  une  douleur  extreme;  car  je  connois- 
sois  veritablement  qu'il  avoit  une  entiere  repu- 
gnance de  s'imposer  une  contrainte  qui  conve- 
noit  si  peu  a  la  naissance  d'un  prince  de  sa 
qualite  ,  et  me  faisoit  I'honneur  de  s'en  ouvrir 
souvent  a  moi ,  qui  lui  eusse  souhaite  plus  de 
vigueur  et  de  resolution  ;  mais  ce  que  je  pou- 
vois  dans  cet  ambarras  d'affaire  ,  oii  sa  reputa- 
tion etoit  si  fort  intercssee,  n'alloit  qu'a  lui  re- 
-presenter  ce  qu'il  devoit  a  Madame  et  a  sa 
propre  conscience,  qui  seroit  eternellement 
Iroublees'il  commettoit  une  action  qui  le  ren- 
droit  le  plus  deshonore  prince  du  monde,  et 
qu'a  toute  extremite  il  y  avoit  des  remedes  in- 
faillibles  pour  se  delivrer  de  persecution.  Ce 
qui  le  soulagcoit  inliniment  dans  celle  qu'il  rc- 


cevoit  uu  nom  du  Roi  par  le  cardinal ,  c'^toit  la 
connoissance  qu'il  avoit  que  Sa  Saintete  ne  fa- 
vorisoit  point  les  pretentions  de  la  France  sur 
le  sujet  de  ce  demariage  ,  et  fondoit  son  refus 
d'admettre  les  instances  faites  par  I'ambassa- 
deur  de  Sa  Majeste  a  Rome  sur  la  lettre  ecrite 
de  Bruxelles  par  Son  Altesse,  que  j'ai  ci-devant 
alleguee  comme  la  cause  plus  effective  de  la 
mort  de  Puylaurens. 

Madame  la  duchesse  d'Orleans,  qui  jouoit  son 
role  dans  cette  occasion ,  s'aidoit  puissamment 
de  sa  part,  faisant  representer  au  Pape,  par  ses 
agens  intelligens  et  fideles  ,  les  raisons  qui  eta- 
blissoient  son  droit,  qui  etoient  d'autant  plus 
dignes  d'etre entendues  favorabIement,qu'elles 
venoient  d'une  princesse  aussi  illustre  par  la  pu- 
rete  de  ses  actions  et  I'innocence  de  sa  vie ,  que 
par  I'eclat  de  sa  grandeur  et  de  sa  qualite.  Ses 
interets  appuyes  par  la  faction  espagnole ,  et  la 
consideration  de  la  maison  de  Lorraine  ,  jointe 
a  des  pieces  autheutiques  qu'elle  faisoit  voir  a 
Sa  Saintete,  par  lesquelles  elle  justifioit  toutes 
les  formalites  requises  avoir  ete  observees  dans 
son  mariage  ,  auxquelles  Ton  n'opposoit  que  les 
lois  fondamentales  du  royaume,  qui  n'etoient 
ecrites  en  aucune  part ,  et  sur  ce  sujet  purement 
imaginaires  ,  portoient  du  moins  la  balance  con- 
tre  les  artifices  du  cardinal  de  Richelieu  et  les 
sollicitations  pressantes  des  miuistres  de  ses  pas- 
sions. L'evenement  parolssant  incertain,  donnoit 
lieu  d'esperer  a  toutes  les  parties  ,  et  faisoit  que 
chacun  suspendoit  son  jugement ,  et  consideroit 
Monsieur  pour  voir  s'il  decideroit  cette  impor- 
tante  question  par  le  refus  ou  I'octroi  de  son  con- 
sentement ,  et  si  les  moyens  desquels  le  cardinal 
se  servoit  aupres  de  lui  prevaudroient  a  I'affec^ 
tion  qu'il  avoit  a  Madame  ,  et  a  I'obligation  qui 
I'engageoit  a  tout  souffrir  plut6t  que  de  changer 
de  sentiment  pour  elle. 

G'est  une  maxime  indubitable  que  ceux  qui 
tourmentent  les  autres  se  persecutent  aussi  eux- 
memes.  Par  cette  regie  generale,  le  cardinal, 
agite,  changea  I'ordre  qu'il  s'etoit  prescrit,  et 
voulut  user  vers  Monsieur  de  toutes  les  complai^^ 
sauces  qu'il  pouvoit  juger  lui  devoir  etre  agrea' 
bles.  II  obligeoit  le  Roi,  pour  gagner  Son  Al- 
tesse, a  lui  faire  des  gratifications  qui  contri- 
buoient  a  son  divertissement  ,  et  a  faire  b^tir  a 
Blois  et  a  Chamhord.  Enfui  toutes  les  subtilites 
d'un  celebre  affronteur  furent  mises  en  oeuvre 
par  lui ,  pendant  quelques  mois  que  la  fantaisie 
de  jouer  la  comedie  sous  ce  personnage  lui  dura. 
D'Elbene  et  La  Riviere  ,  qui  en  etoient  les 
acteurs  qui  se  presentoient  le  plus  souvent  sur 
le  theatre,  par  la  jalousie  qu'ils  eurent  de  leur 
credit,  se  diviserentde  cette  bonne  amitie  qu'ils 


MEMUIUBS    Un    THO.VTliESOIt.    [163G1 


30  1 


avoient  contractee  ensemble  8ur  de  si  legitimes 
fondemens  ;  la  haiue  s'y  etant  melee,  ils  en  vin- 
rent  jusques  a  cette  extremite ,  en  presence  de 
Sou  Altesse  Royale,  de  se  faire  des  repioches, 
et  se  dire  des  injures  honteuses  seulemeut  a  re- 
peter.  Les  plus  honn^tes  qui  se  peuvent  rappor- 
ter  fureut  que  le  premier  nomme  marqua  a  I'au- 
tre  quelle  etoit  sa  vie  passee  et  la  bassesse  de 
sou  extraction ;  et  La  Riviere ,  pique  au  \if ,  fit 
le  portrait  du  merite  et  de  la  bonne  mine  de 
d'Elbene,  que  la  nature  veritablement  avoit  fort 
disgracie. 

Cette  rupture  eutreeux  ne  tirapourtant  a  au- 
cune  consequence ,  parce  que  les  sujets  n'en  va- 
loient  pas  la  peine ,  et  que  le  silence  leur  fut  im- 
pose par  leurs  superieurs;  mais  quant  a  I'aigreur, 
elle  se  conserva  dans  son  entier  sans  aucune  re- 
conciliation ,  quelques  soins  que  leurs  amis  com- 
niuns  prissent  de  les  rajuster,  pour  les  obliger  de 
revenir  a  leur  premiere  intelligence. 

[IG3G]  La  mort  de  M.  I'eveque  de  Cahors, 
premier  aumonier  de  Monsieur ,  etant  arrivee 
quelque  temps  apres  ,  La  Riviere ,  qui  avoit  ete 
son  domestique ,  crut  devoir  etre  son  successeur, 
qui  u'est  pas  ordinairemeut  un  litre  qui  soit  fort 
considere  pour  donner  droit  a  une  pretention. 
Se  servant  de  cette  conjonctnre ,  il  fit  con- 
noitre  a  Monsieur  qu'etant  sa  creature,  il  im- 
portoit  beaucoup  a  sa  reputation  de  le  preferer 
en  la  disposition  de  cette  charge  a  I'eveque  de 
Boulogne,  oncle  de  Chavigny,  duquel  il  le 
croyoit  tenir ,  et  n'en  avoir  aucune  obligation  a 
Son  Altesse.  Bien  qu'elle  fut  persuadee  qu'il  n'y 
avoit  pas  une  parole  de  veritable  de  toutes  eel  les 
qu'il  lui  avoit  dites  sans  en  avoir  la  moiudre  pu- 
deur,  I'aversion  qu'il  avoit  concue  contre  Cha- 
vigny lui  fit  obtenir  ce  qu'il  avoit  demande,  qui 
etoit  un  choix  duquel  Monsieur  ne  se  pouvoit 
excuser ,  cette  charge  ne  devant  etre  remplie 
dans  la  maison  d'un  prince  comme  lui,  que  par 
des  personncs  de  vertu  et  de  qualite,  et  qui  s'en 
fussent  tenues  fort  honorees ,  quoique  capables 
de  la  possederavec  dignite  et  reputation. 

Chavigny,  offense  de  cette  preference,  qui 
enfloit  le  coeur  de  La  Riviere ,  pour  I'humilier  et 
faire  voir  cellc  qui  etoit  entre  eux  ,  se  servit  de 
son  credit  aupres  du  cardinal  de  Richelieu. 
D'Elbene  s'entremettant  aussi  de  son  c6te  par 
des  rapports  faux  on  veritables ,  ne  demeura  pas 
inutile ;  et  la  chose  fut  conduite  avec  taut  de 
chaleur ,  que  La  Riviere,  pour  s'etre  voulu  me- 
surer  avec  Chavigny,  qui  n'etoit  pas  homme  a 
le  souffrir,  fut  mene  a  la  Bastille. 

Ce  ne  fut  pas  le  seul  qui  tomba  en  cette  dis- 
griice  dans  cette  conjonctnre :  car  le  cardinal , 
pour  tenir  toujours  lesprit  du  Roi  en  jalousie 


contre  Son  Altesse ,  supposa  qu'il  y  avoit  des  ca- 
bales  dans  sa  maison ,  et  fit  chasser  L'Espinay  , 
qui  etoit  fort  bien  avec  elle ,  et  le  vicomte  d'Au- 
teuil,  le  chevalier  de  Beuil ,  Guillemin,  I'un  de 
ses  secretaires ,  et  Legrand ,  I'un  de  ses  premiers 
valets  de  chambre ,  qui  eurent  tons  ordre  de 
sortir  de  Paris  et  de  u'approcher  plus  Monsieur. 
D'Elbene  et  Goulas  continuerent  dans  leurs 
emplois ;  et  d'Elbene  ,  plus  libre  selon  sa  creance 
par  I'absence  de  La  Riviere ,  et  plus  assure  de 
son  credit  par  I'eloigneraent  des  autres  que  je 
viens  de  nomraer ,  se  mecomptoit  beaucoup  ;  car 
Son  Altesse,  aigrie  au  dernier  point  contre  lui 
des  mauvais  moyens  dont  il  s'etoit  servi  pour 
faire  eloigner  d'aupres  de  sa  personne  des  gens 
qui  I'avoient  suivie  dans  toutes  ses  disgraces ,  et 
qui  lui  etoient  fort  agreables  ,  particulierement 
L'Espinay,  se  disposa  a  chercher  I'occasion  de 
le  chasser  avec  infamie. 

Je  ne  veux  pas  laisser  passer  ici  de  dire  ce  que 
Monsieur  a  conte  a  plusieurs  des  siens,  que  ja- 
mais d'Elbene  ne  lui  avoit  parle  a  I'avantage  de 
personne  du  monde ,  et  que  sa  malice  s'etoit  por- 
tee  jusque  dans  cet  exces ,  qu'il  n'y  avoit  aucun 
dans  sa  maison  duquel  il  ne  lui  eut  dit  du  mai. 
Comme  la  Providence  divine  ne  permet  jamais 
que  les  actions  d'honnenr  et  de  vertu  demeurent 
sans  recompense,  aussi  ne  souffre-t-elle  pas  que 
les  crimes  demeurent  sans  chatiment.  Celui  que 
d'Elbene  avoit  commis  etoit  entieremeutodieux, 
d'avoir  voulu  empoisonner  1 'esprit  de  Son  Al- 
tesse de  mauvaises  impressions  contre  ses  plus 
fideles  serviteurs  ,  et  de  n'en  avoir  exempte  au- 
cuns. 

La  resolution  de  Monsieur  n'etoit  pas  absolu- 
ment  prise  lors  d'y  donner  ordre,  dans  la  crainte 
qu'il  avoit  que  le  cardinal  ne  s'interessat  de  le 
maintenir  ,  mais  il  se  laissoit  entendre  d'en  avoir 
grande  envie.  Je  puis  assurer  en  conscience  que 
je  n'avois  aucune  haine  pour  lui ,  et  que  ce  qui 
m'obligeoit  a  fortifier  Son  Altesse  dans  la  dis- 
position qu'il  m'avoit  fait  Thonneur  de  me  com- 
muniquer,  ne  venoit  purement  que  du  zele  que 
j'avois  pour  son  service,  et  pour  venger  le  ban- 
nissement  de  mes  amis  sur  celui  qui  en  etoit 
I'auteur.  Je  fis  pour  ces  deux  considerations  ce. 
que  je  devois.  II  avoit  desobiige  tant  de  per- 
sonnes,  que  de  tons  cotes  il  recevoit  de  dange- 
rcuses  atteintes.  La  derniere ,  qui  acheva  de  le 
perdre,  lui  fut  donnee  par  Snrdigny,  par  Sau-. 
mery  et  moi ,  au  coucher  de  Son  Altesse,  ou 
nous  nous  trouvames  seuls.  Elle  se  fit  entretenir 
dune  infinite  de  choses  tant  passees  que  pre- 
sentes,et  tomba  a  la  fin  sur  le  chapitre  de  d'El- 
bene, qui  lui  tenoit  fort  au  coeur  ;  ehacun  tra- 
vailla  si  utilcment ,  que  le  lendemain  Monsieur 


WEMOIKtS    DE    MOMfiESOB.    [iGSGj 


y  ayant  fait  reflexion,  m'assura  qu'il  lui  feroit 
i'affront  tout  entier,  s'il  etoit  assez  impiudent 
pour  se  presenter  devnnt  lui  a  Orleans ,  oil  11  al- 
loit  coucher  ce  jour-la. 

II  me  tint  si  bien  la  parole  qu'il  m'avoit  don- 
nee  ,  que  d'Elbene  s'y  etant  rendu ,  il  le  chassa 
avec  les  termes  du  plus  grand  mepris  qu'un 
prince  puisse  tenir  a  un  gentilhomme. 

Le  cardinal  n'en  voulut  point  prendre  I'affir- 
mative ,  contre  I'opinion  de  plusieurs  -  qui  etoient 
assez  foibles  pour  levouloir  faire  apprehender  a 
Son  Altesse. 

Goulas,  qui  etoit  le  moins  dangereux  des 
trois ,  resta  seul  dans  la  maison  ;  et  le  repos  des 
gens  de  bien  n'etant  pas  si  traverse ,  je  commen- 
cai  d'esperer  de  pouvoir  plus  facilement  entre- 
prendre,  pour  le  service  de  mon  maitre ,  des 
choscs  de  plus  grande  consequence  que  des  in- 
trigues et  des  demeles  de  cette  nature,  pour  les- 
quels  il  me  semble  que  ceux  qui  font  une  parti- 
culiere  profession  d'bonneur  doivent  toujours 
avoir  une  extreme  aversion. 

Cependant  la  guerre  etant  allumee  et  ayant 
ete  declaree  entre  les  deux  couronnes,  de  I'au- 
torite  particuliere  du  cardinal  ,  sans  assemblee 
d'Etats  ,  ni  des  grands  du  royaume ,  qui  de- 
voient  etre  appeles  dans  une  deliberation  de 
cette  nature,  suivant  ce  qui  s'est  toujours  prati- 
que (raais  I'orgueil  du  cardinal  etoit  au-dessus 
des  formes)  ,  il  prit  cette imporlante  resolution, 
qui  alloit  troubler  tons  les  Etats  de  I'Europe, 
avec  des  gens  tout  soumis  a  ses  volontes,  et 
aussi  vastes  dans  leurs  pensees  que  lui-merae  le 
pouvoit  etre  dans  ses  desseins.  Cette  grande  en- 
treprise  faite  en  un  jour,  qui  devoitetre  de  long- 
temps  premeditee,  pour  que  les  preparatifs  ne- 
cessaires  a  la  soutenir  avec  reputation  ne  man- 
quassent  point  quand  il  s'agiroit  de  reparer  les 
disgraces  de  la  guerre,  ou  pour  porter  avec  plus 
de  gloire  et  d'eclat  les  armes  du  Roi  dans  la 
Flandre,  lorsque  la  fortune  les  favoriseroit  de 
quelque  heureux  evenement ;  toutes  les  conside- 
rations qu'un  sage  ministre  auroit  cues  et  toutes 
les  mesures  qu'il  auroit  prises  lui  tournerent  a 
mepris,  emporte  par  son  impetuosite  naturelle, 
que  je  nesaurois  nommer  que  fureur  desesperee, 
et  lui  un  fleau  de  Dieu  pour  le  cbatiment  des 
liommes,  qui  engagea  la  France  dans  un  dessein 
duquel  lui  seul  etoit  capable  de  se  resoudre. 

Aucunes  des  places  frontieres  n'etoient  en 
etat  de  se  defendre;  il  n'y  avoit  point  d'argent 
dans  les  coffres  du  Roy  ;  les  poudres  et  les  au- 
tj'es  munitions,  desquelles  il  etoit  impossible  dc 
se  passer,  manquoient.  Kt  apres  une  pareille 
faute,  ou  ,  pour  mieux  parler,  toutes  celles  en- 
semble que  puisse  commeltrc  un  ministre  em- 


ploye au  gouvernement  d'un  Etat ,  il  se  trouvc 
des  admirateurs  de  sa  prudence ,  et  qui  luidon- 
nent  des  eloges  de  cette  action  executee  par  un 
cardinal -pretre  ,  qui  s'est  rendu  auteur  d'une 
guerre  funeste  a  toute  la  chretiente! 

Apres  la  bataille  d'Aveines  ,  gagnee  sous  la 
conduite  du  marechal  de  Chatillon  par  unbon- 
heur  tres-extraordinaire  ,  les  ennemis  ,  qui  ju- 
gerent  qu'il  mettoit  tout  au  basard,  reparerent 
avec  diligence  la  perte  qu'ils  avoient  faite,  et  se 
rendirent  beaucoup  plus  forts. 

M.  lecomte,quicommandoit  I'armee  duRoy, 
fut  oblige  de  se  retirer  devant  la  leur ,  parce 
que  la  sienne  n'etoit  composee  que  de  six  millc 
hommes  de  pied.  Les  ennemis,  s'etant  saisis  de 
La  Capelle ,  vinrent  tout  droit  a  la  riviere  dc 
Somme.  Leur  armee  etoit  pourvue  de  toutes 
choses  :  ils  avoient  vingt  mille  bommes  de  pied 
et  dix  mille  chevaux  ,  trente  pieces  de  canon  , 
enfin  tout  ce  qui  etoit  a  desirer  pour  eux  pour 
faire  de  grands  progres. 

Le  passage  fut  defendu  a  Bray  autant  que  la 
faiblesse  des  troupes  de  M.  le  comte  le  put  per- 
mettre  ,  qui  fut  contraint  de  se  jeter  dans  Com- 
piegne  pendant  que  les  ennemis  etoient  maltres 
de  la  campagne  ,  et  que  Corbie  fut  prise  ,  et  la 
France  exposee  a  toutes  les  incursions  que  les 
Espagnols  y  voulurent  faire. 

Cette  digression  ,  dans  laquelle  j'ai  passe  hors 
de  mon  sujet ,  ne  doit  pas  etre  desapprouvee  , 
puisqu'elle  sert  a  justiiier  que  le  cardinal  de 
Richelieu  ,  dans  ce  qu'il  a  entrepris  ,  a  ete  plus 
oblige  a  la  fortune  ,  que  I'Etat  a  ses  conseils  et 
a  ses  deliberations. 

Pour  reprendre  le  discours  que  j'ai  interrom- 
pu  des  choses  que  je  m'etois  proposees  ,  plus 
utiles  et  plus  glorieuses  que  de  se  meler  des  in- 
trigues et  des  menees  de  cour  ,  qui  n'ont  pour 
fm  et  pour  objet  que  I'interet  particulicr,j'ctois 
dans  la  croyance  que  la  sijrete  et  la  grandeur 
de  Monsieur  ne  se  pouvoient  rencontrer  que 
dans  I'abaisseraent  du  cardinal,  ou  ,  pour  m'ex- 
pliquer  plus  clairement  etselon  mes  intentions, 
par  sa  perte  absolue.  Mais  comme  toute  I'auto- 
rite  etoit  entre  ses  mains,  et  qu'il  etoit  en  pou- 
voir de  repandre  ses  bienfaits  et  ses  grc'ices  sur 
ceux  qui  s'attachoient  a  lui  ,  et  d'imprimer  par 
sa  severite  laterreur  dans  la  plus  grande  partie 
des  gens  capables  de  travailler  a  sa  ruine,je 
voyois  beaucoup  plus  de  difficulte  a  faire  reus- 
sir  les  desseins  que  Ton  prendroit  pour  le  faire 
decheoir,  que  de  raison  d'esperer  que  le  succes 
en  put  etre  favorable. 

Je  considerois  aussi  les  malheurs  passes  de 
Son  Altesse,  les  personnes  de  qualite  qui  s'e- 
loicnt  pcrducs  pour  son  service,  pour  avoir  cle 


MEMOIUES    DE    MO.VTJRESOB.    [l(JS6] 


abandonnees  du  secours  qu'elles  en  devoient  re- 
cevoir,  et  les  autres  si  maltraitees,  qu'il  me  pa- 
loissoit  un  degout  quasi  universel  de  s'engager 
avec  elle.  Regardant  aussi  les  conjonctures  pre- 
sentes  d'une  autre  face,  je  reconnoissois  que  le 
cardinal  etoit  en  haine  et  en  horreur,  araison 
de  ses  violences  ;  que  tout  le  monde  etoit  per- 
suade qu'il  avoit  commence  la  guerre  purement 
pour  satisfaire  a  sa  prodigieuse  ambition  ;  que 
par  le  meme  motif  11  la  voudroit  continuer  ,  et 
que  les  charges  et  dignites  ne  seroient  confe- 
rees qu'a  sesproches.  Joint  qu'il  feroit ,  atoutes 
les  occasions  qui  s'en  presenteroient ,  remar- 
((uer  la  durete  qu'il  avoit  pour  la  desolation  et 
la  misere  des  peuples,  et  qu'il  se  soucioit  en- 
core moins  de  sacrifier  la  noblesse ,  pourvu 
qu'il  etablit  son  autorite  au  plus  haut  point 
qu'elle  pouvoit  etreportee. 

Dans  celte  diversite  de  pensees  ,  je  me  trou- 
vois  fort  partage  ;  neanmoins  je  me  determiuai 
{\cette  opinion  qu'il  ne  falloit  pas  demeurer  inu- 
tile, et  voir,  les  bras  croises,  la  ruine  de  sa  pa- 
trie  et  celle  de  son  maitre,  sans  tenter  les  moj'ens 
de  les  en  garantir. 

La  condition  des  princes  est  touta-fait  difi'e- 
rentea  celle  des  particuliers  :  leur  naissance  a 
cet  avantage  ,  avec  une  infinite  d'autres  ,  qu'ils 
regagnent  fort  aisement,  quandil  leur  plait  de 
se  faire  valoir,  la  reputation  perdue,  corame  ils 
ne  succombent  pas  dans  les  fautes  qu'ils  ont 
commises,  ainsi  que  font  les  personnes  privees, 
qui  ne  s'en  relevent  jamais.  J'estiinois  que  Mon- 
sieur se  pourroit  remettre  en  creance,  les  fautes 
dans  lesquelles  il  etoit  tombe  ci-devant  en  par- 
tie  rejetees  sur  ceux  qu'il  avoit  employes  a  son 
service,  qui  avoient  eu  plus  de  soin  de  leurs  in- 
terets  que  de  sa  gloire,  qui  consistoit  a  se  ren- 
dre  digne  de  I'estime  publique ,  et  qu'ayant 
confiance  a  des  serviteurs  moins  interesses  ,  il 
seroit  a  couvert  de  ce  dernier  inconvenient , 
qui  etoit  I'origine  de  tous  les  malheurs  qui  lui 
etoient  arrives  ;  et  par  consequent  qu'il  ne  fal- 
loit pas  desesperer  de  \oir  sa  reputation  reta- 
blie,et  de  pouvoir,  par  sonmoyen,  procurer  une 
resolution  favorable  aux  gens  de  bien  qui  le 
combleroient  de  benedictions,  que  Dieu  a  per- 
mis  quelquefois  pour  chatier  les  ministres  su- 
perbes  et  soulager  les  innocens  opprimes.  Pour 
attaquer  avec  quelque  sorte  d'effet  la  fortune 
du  cardinal  de  Richelieu,  il  y  avoit  beaucoup 
de  mesures  a  prendre,  dont  les  principales  con- 
slstoient  a  joindre  d'affection  plus  etroite  M.  le 
due  d'Orleans  et  M.  le  comte  de  Soissons  ,  et 
les  unir  tellement  d'intcrets  ,  que  les  artifices 
du  cardinal  nc  les  pussciit  diviser. 

Cctlc  liaison  enlie  cux  pouvoit  procurer  en 


203 

consequence  ,  et  dans  la  suite  du  temps  ,  cellos 
des  autres  princes  avec  eux  ,  dont  la  plupart 
etoient  desesperes  des  mauvais  traitemens  qi;i 
leur  avoient  ete  faits.  La  maison  de  Guise,  par 
les  violences  que  Ton  continuoit  d'exercer  con- 
tre  elle  ,  n'etoit  plus  en  etat  de  revenir  dans  le 
lustre  ou  elle  avoit  ete  que  par  des  voies  extra- 
ordinaires.  Celle  de  Vendomene  devoit  pas  cs- 
perer  de  se  relever  dans  I'abaissement  ou  elle 
se  voyoit  reduite,  que  par  celui  du  premier  mi- 
nistre,  qui  avoit  paru  ,  dans  toutes  les  occasions 
qui  s'etoient  offertes  ,  en  etre  I'ennemi  capital. 
Les  dues  d'Epernon  ,  de  Rouillon  et  de  Relz 
avoient,  chacunen  leur  particulier,  recu  des  in- 
jures en  leurs  personnes  et  en  leurs  fortunes.  I  a 
perte  de  Metz,  et  la  violence  d'un  mariage  fait 
par  consideration  par  le  due  de  La  Valette , 
contre  son  gre,  et  pour  sauver  de  prison  mon- 
sieur son  pere,  ne  les  laissoit  pas  sans  ressenti- 
ment. 

Le  due  de  Bouillon  recevoit  beaucoup  de  mar- 
ques qu'il  etoit tenu  suspect,  et  quil  n'avoit  au- 
cune  bonne  volonte  pour  lui. 

Quant  au  due  de  Retz,  sa  charge  de  general 
des  galeres  lui  avoit  ete  otee  sans  recompense  ; 
les  autres  grands  seigneurs  du  royaume  ,  et  au- 
tres personnes  de  qualite ,  n'avoient  pas  de 
raoindres  sujets  de  mauvaise  satisfaction. 

Saint-Ibar  ,  mon  cousin  germain,  qui  etoit  en 
consideration  aupres  de  M.  le  comte,  homme  de 
bauts  desseins  et  ennemi  de  la  tyrannic,  ne  de- 
siroit  pas  moins  que  moi  de  pouvoir  detruire 
celle  du  cardinal.  Nous  eumes  plusieurs  confe- 
rences ,  et  convinmes  de  pressentir  ce  que  nous 
devious  attendre  de  ces  deux  princes  ,  qui  se 
confioient  en  nous  ,  et  cependant  de  leur  me- 
nager  le  plus  de  serviteurs  qu'il  nous  seroit  pos- 
sible ,  sans  decouvrir  a  quelle  fin  nous  faisions 
toutes  ces  intelligences. 

M.  le  due  d'Orleans  fut  le  premier  qui  s'ex- 
pliqua  de  vouloir  cette  liaison  ,  que  j'avois  si 
fort  souhaitee.  Saint-Ibar  s'en  prevalut  fort 
adroilement  aupres  de  M.  le  comte  ,  qui  se  dis- 
posa  a  y  repartir  comme  il  devoit ;  et  pour  ce 
sujet  Ton  entra  dans  un  commerce  si  secret , 
que  le  cardinal  ne  le  put  jamais  penetrer  ,  et 
que  les  choses  allereut  jusqu'a  ce  point  que  le 
Roi ,  qui  avoit  une  aversion  naturelle  contre 
M.  le  comte  ,  confirmee  par  les  mauvais  offices 
qui  lui  avoient  ete  rendus  pres  de  Sa  Majeste  , 
etSon  Eminence,  jalousede  I'estime  qu'il  s'etoil 
acquise  dans  la  cour  et  dans  Tarmee  qu'il  com- 
mandoit,  crut  qu'il  se  devoit  servir  de  M.  le 
due  d'Orleans,  et  lui  donner  le  commaudement 
par-dessus  lui  ,  qui  etoit  cc  que  nous  pou\ion^ 
dcsirer. 


•JO  J  MEMOIUKS    1)K    MO^TUESOK.    [  I  GoGJ 

Convocation  de  I' arriere-ban  pour  le  siege  de 
Corbie,  prise  par  les  Espagnols. 


Get  excellent  politique  fit  convoquer  les  ar- 
riere-bans  ,  et  tira  un  puissant  secours  de  Pa- 
ris ,  particulierement  des  provinces  au-deca  de 
la  riviere  de  Meuse,  pour  assieger  Corbie,  place 
importante  pour  sa  situation. 

Son  Altesse  fut  declaree  general  de  cette  ar- 
mee ,  et  la  jonction  de  celle  de  M.  le  comte  se 
fit  a.... 

Chaviguy  eut  ordre  de  ne  point  quitter 
Monsieur,  et  de  travailler,  sur  les  memoires 
que  le  cardinal  lui  donna ,  a  diviser  ces  deux 
princes. 

Pour  empecher  que  cela  n'arrivat ,  quoique 
j'eusse  encore  la  fievre  ,  et  des  incommodites  si 
grandes  que  je  n'etois  pas  reconnoissable,  jene 
laissai  pas  de  partir  de  Paris  avec  Son  Altesse , 
et  j'oserai  dire  que  je  n'exposai  pas  inutilement 
ma  vie  dans  cette  occasion,  pour  detourner  i'es- 
prit  de  Monsieur  de  suivre  les  conseils  qu'il  re- 
cevoit  contre  M.  le  comte. 

Lorsque  Ton  fut  a  Peronne,  ils  convinrent 
ensemble  de  ce  qu'ils  devoient  et  pouvolent  faire 
contre  le  cardinal  de  Richelieu  :  ce  qui  n'etoit 
pas  lors  difficile ,  s'ils  se  fussent  servis  du  temps. 

Les  opinions  furentpartagees  :  les  uns  etoient 
d'avis  que  par  des  intrigues  du  cabinet  Ton  fit 
connoltre  au  Roy  que  le  malheur  de  la  guerre 
avoit  ete  attire  a  son  royaume  par  I'ambition  du 
cardinal ,  qui ,  pour  se  rendre  necessaire,  avoit 
voulu  embarquer  Sa  Majeste  dans  les  affaires 
qu'il  s'estimoit  seul  capable  de  conduire  ,  et 
que  cette  guerre  etrangere,  qui  avoit  des  suites 
considerables,  et,  selon  les  evenemens ,  des 
consequences  tres-dangereuses,  feroit  naitre 
des  factions  qui  porteroient  les  princes  et  grands 
seigneurs  a  former  un  parti  qui  causeroit  une 
guerre  civile  qui  ruineroit  I'Etat.  A  cette  soite 
d'opinions ,  ilsjoignirent  celle  de  s'assurer  de 
ceux  qui  avoient  le  principal  commandement 
dans  I'armee,  et  des  gouverncurs  des  places  et 
des  provinces  qui  n'avoient  pas  sujet  de  desirer 
la  duree  de  son  autorite. 

Plusieurs  ne  s'en  eloignoient  pas  ,  pourvu  que 
sans  differer  davantage  Ton  commencat  d'en- 
treprendie  couvertement  la  perle  du  cardinal. 

l^educ  de  La  Valette  proniit  en  ce  lieu  de  Pe- 
ronne (ace  que  Monsieur  et  M.  le  comte  deSois- 
sons  onttoujoursdit  du  depuis)  de  les  servir  en- 
vers  tous  et  contre  tout  autre  interet ,  sans  ex- 
ception, de  son  credit  et  de  sa  personne,  et  de 
disposer  M.  d'Epernon  a  la  meme  resolution  de 
tout  son  pouvoir. 

Rlerancourt ,  qui  etoit  gouvcrneur  de  cette 


place,  I'offrit  nettement ;  et  je  suis  oblige  de  dire 
que  je  n'ai  point  vu  d'homme  ,  dans  toutes  les 
occasions  ,  proceder  avec  plus  d'aigreur  contre 
le  cardinal,  ni  aussi  avec  plus  de  franchise. 

Pour  revenir  a  I'autre  avis ,  qui  etoit  plus 
court  et  decisif ,  parce  qu'il  ne  mettoit  point 
I'Etat  en  compromis ,  et  ne  touchoit  en  facon  du 
monde  a  I'autorite  royale,  consistant  a  decider 
en  une  heure  de  temps  les  guerres  etrangeres 
et  civiles,  si  on  vouloit  se  rendre  maitre  de  la 
personne  du  cardinal  de  Richelieu ,  Ton  s'arreta 
a  cette  derniere  opinion  prise  entre  Monsieur  et 
M.  le  comte,  et  des  gens  auxquels  ils  se  pou- 
voient  entierement  confier,  au  nombre  de  qua- 
tre  seulement:  trois  qui  en  avoient  eu  connois- 
sance  par  le  moyen  de  M.  le  comte,  et  un  seul 
de  la  part  de  Monsieur ,  qui  ne  s'en  etoit  ouvert 
a  aucun  autre. 

Le  siege  de  Corbie  etant  forme ,  les  quartiers 
faits  et  la  circonvallation  commencee,  le  Roi 
arrivaa  Amiens  ,  et  venoit  de  fois  a  autre  voir 
les  travaux.  Sa  Majeste  logeoit  au-deca  de  la 
riviere  de  Somme  ,  a  un  chateau  nomme  de 
Maim,  et  le  conseil  se  tenoit  a  Amiens,  oil  le 
cardinal  etoit  loge. 

II  est  a  remarquer  que  le  Roi  s'en  retournoit 
a  son  quartier  incontinent  apres  que  le  conseil 
etoit  leve  :  ce  qui  fit  prendre  avec  plus  de  certi- 
tude les  mesures  que  Ton  pouvoit  aisement  ajus- 
ter  ,  pour  achever  le  dessein  projete  et  resolu 
contre  la  personne  du  cardinal.  Son  Altesse  et 
M.  le  comte  se  rendirent  a  Amiens  avec  cinq 
cents  gentilshommes  a  leur  suite,  et  quasi  tous 
les  officicrs  de  I'armee  avec  eux. 

Le  conseil  fut  tenu ,  et  lorsque  ces  messieurs 
sortirent  avec  le  Roi ,  qui  monta  dans  son  car- 
rosse  pour  retourner  a  sou  quartier,  un  de  ceux 
auxquels  ils  s'etoient  confies  leur  paria  a  I'o- 
reille  pour  leur  demander  s'ils  ne  persistoient 
pas  dans  leur  resolution,  auquel  ils  repondirent 
([ue  oui. 

Au  bas  du  degre,  M.  le  cardinal  etant  entre 
eux  deux  ,  le  meme  regardant  Monsieur  au  vi- 
sage, lut  fort  etonne  lorsqu'il  apercut  Son  Al- 
tesse mojiter  le  degre  avec  une  promptitude  qui 
ne  se  peut  imaginer.  Tout  ce  qu'il  put  faire ,  ce 
fut  de  s'attacher  a  son  collet  de  buffle  ,  et  de  lui 
dire  :  «  Vous  voulez  vous  perdre.  » 

Monsieur,  sans  s'arreter,  fut  jusque  dans  la 
salle,  ou  cette  personne  lui  representant  les  in- 
conveniens  d'un  changemeut  si  soudain,  et  la  fa- 
cilite  deTexecution,  il  n'en  put  tirer  autre  chose 
que  des  paroles  confuses,  qui  n'aboutissoient 
qu'a  temoigner  qu'il  n'avoitpas  I'iutention  ni  la 
force  de  le  commander  ni  de  I'entreprendre. 

M.  le  comte  etoit  demeure  avec  M.  le  cardi- 


MtlMOIHRS    HE    MONTRESOB.    [ifiSC] 


20; 


nal  au  m^nie  lieu  ,  et  I'entretenoit  avec  un  vi- 
sage egal ,  et  derriere  lui  etoit  un  des  trois,  qui 
\  avoit  eu  la  eonnoissance  de  la  resolution  ,  qui  se 
i  faisoit  souvent  voir  a  lui.  Les  deux  autres  etoient 
dans  lacour  moins  proches,  et  peut-etre  moins 
zeles  que  les  choses  eussent  a  se  passer  ainsi 
qu'elles  avoient  ete  resolues  et  concerteos  a  di- 
verses  reprises. 

Celui  qui  avoit  suivi  Monsieur  etant  revenu 
aupres  de  M.  le  comte ,  et  s'etant  fait  remarquer 
a  lui ,  le  cardinal  monta  dans  son  carrosse  ,  et , 
pour  dire  la  verite,  il  echappa  au  plus  grand 
peril  qu'il  eut  cour\i  toute  sa  vie.  II  y  eut  encore 
quelques  propositions  faites  sur  le  meme  sujet , 
qui  n'etoient  appuyees  ni  soutenues  de  la  maniere 
qu'il  falloit  pour  pouvoir  reussir.  Je  ne  m'arre- 
terai  point  a  les  particularfser  autrement  qu'en 
avertissant  ceux  qui  se  raelent  des  affaires  des 
princes,  qu'ils  doivent  borner  leursdesseins  se- 
lon  la  eonnoissance  du  talent  des  personnes  qu'ils 
servant ,  et  ne  les  mesurer  jamais  a  ce  qu'ils  fe- 
roient  s'iis  etoient  a  leur  place ;  car  e'est  le  seul 
moyen  de  n'y  pas  etre  trorape  (1). 

M.  le  due  d'Orleans  et  M.  le  comte ,  apres 
avoir  manque  ce  qu'ils  avoient  en  leurs  mains  , 
voulurent  recourir  a  leur  premier  expedient  de 
former  un  parti  contre  I'autorite  du  cardinal. 
Pour  cet  effet  je  fus  oblige ,  par  les  ordres  qu'ils 
me  donnerent,  d'aller  en  Guienne  trouver  le  due 
de  La  Valette,  dans  le  meme  temps  que  Son 
Altesse  quitta  le  siege  de  Corbie,  et  laissa  M.  le 
comte  general  de  I'armee. 
L'instruction  que  je  recus  d'eux  de  vive  voix 
'  {ne  m'en  ayant  point  donne  par  ecrit ,  quelque 
instance  que  je  pussefaire)  fut  de  leur  apporter 
fidelement  I'etat  de  la  Guienne,  et  la  disposition 
de  M.  le  due  de  La  Valette  touchant  les  engage- 
raens  qu'il  avoit  avec  eux,  et  de  m'eclaircir  au 
vrai  de  celle  ou  je  rencontrerois  M.  le  due 
d'Epernon ,  son  pere. 

Cependant  ils  me  promettoient  positivement 
de  ne  se  point  trouver  a  Paris  ensemble  que  je 
ne  fusse  de  retour ,  et ,  quelques  avis  qu'ils  pus- 
sent  recevoir  de  ne  point  prendre  I'alarme,  sa- 
chant  bien  qu'ils  avoient  confie  le  secret  de  leurs 
intentions  a  gens  incapables  d'en  abuser  ,  et  de 
se  meprendre  dans  la  conduite  que  leur  service 
etieur  propre  bonneur  les  obligeoient  atenir. 

J'entrepris  ce  voyage  ,  ou  plutot  cette  nego- 
ciation  ,  assez  contre  mes  sentimens  ,  etant  fort 

(1)  Cette  conjuration  d'Amiens  fut  connue  du  cardi- 
nal de  Retz  quelque  temps  apres,  et  il  s'informa  sou- 
vent  des  conjurds  eux-memes  quelle  fut  la  cause  qui  la 
fit  echoucr.  Tous  s'en  rejetaient  mutuellement  la  faute 
les  uns  sur  les  autres;  mais,  d'un  avis  unaninic,ils  con- 
vinrt/nt  que  Ic  comte  de  Soissons  avail  M  Ic  plus  ferme 


mal  persuade  que  n'ayant  pas  ete  capable  de  ve- 
nir  il  bout  des  choses  les  plus  aisees ,  celles  qui 
etoient  plus  dilfieiles,  dans  lesquelles  il  se  ren- 
contreroit  des  embarras  infmis,  pussent  jamais 
succeder.  Je  passai  par  dessus  toutes  conside- 
rations par  une  pure  obeissance,  et  fus  en  Pe- 
rigord  ,  pour  eviter  les  soupcons  qu'un  esprit 
defiant  comme  celui  du  cardinal  auroit  pu 
prendre. 

Apres  y  avoir  demeure  quelques  jours  avec 
mon  pere,  qu'il  y  avoit  long-temps  que  je  n'a- 
vois  vu,  je  pris  sujet  d'aller  a  Bordeaux  rendre 
cette  civilite  au  due  de  La  yallette,quitemoi- 
gnoit  ouvertement  de  m'honorer  de  son  amitie. 
Deux  heures  apres  y  etre  arrive  ,  je  vis  arrivei* 
un  gentilhomme  nomme  Le  Teillac:  dont  je  fus 
surpris,  me  doutant  bien  qu'il  etoit  arrive  quel- 
que accident  extraordinaire,  qui  avoit  oblige 
Son  Altesse  de  le  depeeher  vers  moi. 

La  creance  qu'il  m'exposa  fut  que  Corbie 
ayant  ete  rendue,  que  Monsieur  et  M.  le  comte 
se  trouvant  a  Paris  ensemble  ,  avoient  recu  des 
avis  ( qu'ils  disoient  etre  certains  )  que  le  car- 
dinal etoit  bien  in  forme  de  ce  qui  s'etoit  con- 
certe  entre  eux  ,  qu'ils  s'etoient  separes,  et  que 
Monsieur  etoit  a  Blois ,  et  M.  le  comte  a  Se- 
dan ;  que  Son  Altesse  I'avoit  envoye  pour  m'en 
porter  la  nouvelle  ,  et  me  faire  savoir  de  sa 
part  que  je  prisse  mes  mesures  avec  messieurs 
d'Epernon  ,  suivant  ce  qu'il  m'avoit  ordonne , 
et  incontinent  apres  que  j'allasse  le  trouver  en 
diligence. 

J'ecoutai  ce  qu'il  me  dit ,  et  m'etant  retire 
un  quart-d'heure  pour  y  songer  ,  afin  de  ne  me 
meprendre  dans  la  conduite  que  j'avois  a  sui- 
vre,  je  fus  au  logis  de  M.  d'Epernon  pour  lui 
faire  la  reverence,  et  a  M.  de  La  Vallette  qui 
etoit  avec  lui. 

Le  premier  devoir  rendu  ,  je  pris  sujet  de 
me  promener  avec  le  due  de  La  Valette  ,  vers 
lequelje  m'acquittai  des  civilitesdont  Monsieur 
m'avoit  charge ,  pour  lui  parler  ensuite  des  en- 
gagemens  dans  lesquels  il  etoit  avec  lui  et  M.  le 
comte;  qu'il  s'agissoit  d'observer  cette  parole 
donnee ,  et  qu'il  eut  agreable  de  me  declarer 
franchement  ce  qu'il  avoit  obtenu  de  monsieur 
son  pere,  et  de  considerer  que  deux  princes  de 
cette  qualite  s'etoient  plus  confies  a  sa  foi  qu'a 
celle  de  toute  autre  personne  qui  fut  en  France. 

La  premiere  reponse  que  j'eus,  fut  que  pour 

des  conjures  d'Amiens.  Les  lignes  du  manuscrit  auto- 
graphe  de  Retz ,  qui  constataient  la  fcrmet^  du  comte  de 
Soissons,  ont  6t6  soigneusement  effac^es,  et  n'avaient 
pas  etd  publi^es ;  nous  les  avons  r(?tablies  dans  notre  edi- 
tion qui  fait  partie  de  la  Collection  de  MM.  Michaud  et 
Ponjoulat,  tome  1"  de  la  3*  s(?rie  de  ces  M^moires. 


20  f) 


MEMOIRES    DE    MONTllESOK.    [l03G] 


ce  qui  le  regardoit  en  parliculier,  qu'il  donne- 
roit  toutcs  les  preuves  qui  dependi-oient  de  lui 
pour  tt'moiiiner  avec  quelle  passion  ii  etoit  leur 
serviteur,  qu'il  n'avoit  pas  trouve  M.  d'Eper- 
iion  dispose  a  s'erabarquer  dans  cette  affaire,  et 
qu'il  en  souffroit  iin  extreme  deplaisir. 

Ces  diseours  generaux  ne  me  devant  pas  sa- 
tisfaire,  je  crus  qu'il  ne  falloit  celer  Tetat  ou  les 
choses  etoient  reduites  :  ainsi  je  lui  declarai 
que  Monsieur  s'etoit  retire  a  Blois ,  et  M.  le 
comte  a  Sedan  ^  que  le  cardinal  n'ignoroit  pas 
CO  qui  s'etoit  passe,  et  que  la  connoissance  qu'a- 
voit  un  homme  de  I'huineur  du  cardinal  des 
desseins  pris  contre  sonautorite,  et  qui  alloient 
a  sa  ruine,  ne  le  mettoit  plus  en  pouvoir  de 
temporiser  ;  que,  pour  I'interet  de  sa  conserva- 
tion ,  et  pour  ne  point  blesser  sa  parole  engagee 
vers  deux  princes  qui  se  chargeoient  des  mal- 
lieurs  qui  arriveroient  en  leurs  personnes ,  ou 
du  moins  en  leurs  affaires ,  il  n'y  avoit  plus  a 
marchander;  qu'il  falloit  recevoir  Monsieur 
dans  son  gouvernement,  et  que  M.  dEpernon 
fut  dans  ses  sentimeus. 

Cediscours,  plus  pressant  qu'il  ne  I'avoit  at- 
tendu,  lira  plus  de  larraes  de  lui  et  moins  de 
resolution  que  je  n'en  avois  desire,  et  je  le  con- 
nus  au  travers  de  son  visage  abattu,  et  a  beau- 
coup  de  paroles  inutiles.  Sur  ce  que  j'insistai 
qu'il  parlcit  de  nouveau  a  monsieur  son  pere,  et 
qu'avant  que  de  sortir  j'aurois  cet  honneur  de 
I'entretenir,  il  temoigna  qu'il  craignoit  fort 
I'un  et  vouloit  eviter  I'autre. 

Je  le  fus  trouver  au  chateau  du  Ha  ou  il  etoit 
loge ,  ou  il  s'excusa  fort  encore,  sans  me  ren- 
<lre  plus  eclairci  de  ceque  j'avois  a  esperer  de 
ma  negociation  ,  que  je  I'etois  avaut  cette  grande 
conference.  Je  me  mis  pourtant  dans  son  ca- 
rosse,  fort  resolu  de  voir  M.  d'Epernon  ,  quel- 
que  apprehension  qu'il  mepariit  qu'il  me  vouliit 
faire  concevoir  que  peut-etre  n'y  aurois-je  pas 
une  entiere  surete. 

A  dix  heures  du  soir,  il  me  fit  entrer  dans  sa 
chambre ,  ou  je  le  trouvai  au  lit.  Je  m'en  appro- 
chai  avec  grand  respect ,  qui  lui  plaisoit  autant 
(ju'a  personne  que  j'aie  jamais  connue,  et  lui  dis 
que  je  ne  doutois  point  que  M.  de  La  Valettene 
lui  eut  rendu  conipte  des  discours  que  je  lui  avois 
tenus  dans  I'occasion  la  plus  considerable  qui 
pouvoit  arriver  en  France ,  par  la  qualite  de 
ceux  de  la  part  desquels  j'avois  a  lui  parler ;  qu'il 
pouvoit  mieux  juger,  par  la  longue  experience 
(ju'il  avoit  des  choses  du  monde,  et  decelle  qu'il 
avoit  en  particulier,quel  etoit  le  cardinal,  de  ce 
qu'il  y  avoit  a  faire  dans  la  conjoncture  presente. 
Je  lui  redis  toutes  les  circonslances  que  j'ai  ici 
devant  dcdnitos,  sur  lesqucllos  il  m'inteirompit 


et  m'allegua  beaucoup^d'exemples  des  difficultes 
et  des  embarras  qui  se  rencontrent  dans  les  en- 
treprises  de  cette  nature;  qu'il  etoit  vieil,  el 
que  le  cardinal  de  La  Valette  avoit  Metz,  qui 
ne  dependoit  plus  de  lui ,  parce  qu'il  s'etoit  lie 
d'interet  inseparablement  avec  le  cardinal  de 
Richelieu  ;  qu'au  reste  il  etoit  serviteur  du  Roi, 
et  qu'il  s'etonnoit  fort  de  la  commission  que 
j'avois  prise ;  qu'il  dependoit  de  lui  de  m'arre- 
ter,  et  que  ma  vie  etoit  entre  ses  mains. 

Je  continual  dans  le  meme  respect  que  je  lui 
avois  deja  rendu  ,  et  lui  dis  que  les  fautes  pas- 
sees  qui  avoient  cause  les  malheurs  de  iMonsieur 
n'etoient  plus  a  craindre ,  puisqu'il  auroit  la 
conduite  de  la  personne  de  Son  Altsese  et  des 
affaires  dont  il  s'agissoit ;  qu'il  ne  vouloit  se 
confier  qu'a  lui  seul,  et  deferer  entierement  a 
ses  conseils. 

Que  cette  meme  vertu  et  fermete  de  courage 
qui  avoient  eclate  dans  toutes  ses  actions ,  ne 
pouvoient  souffrir  des  offres  que  je  lui  faisois 
de  la  part  de  Monsieur,  et  que  la  reputation 
qu'il  avoit  acquise  au-dessus  de  tons  les  hommes 
de  son  siecle  seroit  encore  relevee  par  cette  ac- 
tion. 

II  me  dit  une  seconde  fois  que  j'etois  bien 
zele ,  et  que  j'avois  entrepris  une  commission 
fort  delicate ;  que  je  devrois  profiter  de  I'exem- 
ple  de  feu  Chalais. 

Sans  m'arreter  k  ce  discours ,  je  lui  represen- 
tai  ce  qu'il  devoit  a  la  raemoire  des  deux  der- 
niers  Rois,  et  particulierement  de  Henri  IV  ;  que 
le  salut  de  deux  princes  de  son  sang ,  dont  I'un, 
qui  etoit  presomptif  heritier  de  la  couronne,  se 
jetoit  entre  ses  bras,  dependoit  de  lui,  et  qu'ils 
ne  pouvoient  avoir  un  secours  plus  puissant  que 
celui  d'un  grand  homme  comme  lui  pour  n'etre 
pas  opprimes  par  la  tyrannie  du  cardinal  de 
Richelieu ;  que  la  raison  I'y  obligeoit.  Ce  que  je 
demandois  de  sa  part  etoit  sans  conditions  ni 
reserve,  que  celles  qu'il  lui  plairoit d'imposer; 
qu'il  savoit  jusques  ou  s'etendoient  les  persecu- 
tions d'un  ministre  si  violent ,  puisque  sa  pru- 
dence ,  ses  soins  et  ses  importans  services  ne 
Ten  avoient  pu  exempter ;  que  ce  n'etoit  plus  le 
Roi  qui  agissoit ,  c'etoit  lui  qui  s'etoit  empare 
de  I'autorite  royale  ;  et  que  je  le  conjurois  de  se 
rendre  a  de  si  justes  considerations. 

H  laissa  une  partie  de  mon  discours ,  et  me 
dit  que  pour  ce  qui  regardoit  sa  maison  ,  si  son 
Ills  de  La  Valette  avoit  fait  une  folic  ,  qu'il  s'en 
demeleroit  a  sa  mode;  qu'il  n'en  seroit  ni  plus 
ni  moins  pour  ce  qui  le  regardoit ,  mais  que  je 
ne  lui  en  parlasse  davantage ,  et  retomba  pour 
la  troisieme  fois  sur  I'exemple  de  Chalais. 
Voyant  cette  conclusion  donnt-e  a  ce  que  '^o'l 


MEMOIKES    DE    MOXTRESOB.    [  I  63G] 


.  Altesse  pouvoit  desircr  dc  son  assistance  ,  je  liii 
repartis  que  j'avois  bon  gai-ant  de  mes  actions 
I  et  de  ma  vie  ,  que  je  tenois  fort  assuree  entre 
I  ses  mains ;  mais  qu'il  ctoit  important  qu'il  sut 
quecelle  de  M.  de  La  Valette  couroit  le  meme 
liasard ,  et  que  je  savois  parler  et  me  taire  ,  se- 
lon  que  le  temps  et  les  occasions  m'y  obligeoient ; 
que  je  faisois  le  devoir  d'un  fidele  serviteur,  et 
queje  ne  m'eloignois  pas  de  celui  d'un  sujet 
d'un  Roi  qui  avoit  un  principal  ministre  qui 
abusoit  de  sa  coufiance,  et  se  servoit  de  son  au  • 
torite  pour  oppriraer  Monsieur,  son  frere  ,  et  un 
prince  de  son  sang. 

Ces  derniercs  paroles  ne  s'etant  pu  dire  sans 
emotion  ,  il  me  temoigna  faire  quelque  estime 
de  moi ,  et  me  dit  qu'il  iouoit  mon  zele ,  et  je  ne 
me  pus  retenir  de  lui  faire  paroitre  que  je  sou- 
liaiterois  en  faire  autantdu  sien. 

II  m'allegua  le  vieil  d'Elbene  et  I'abbe  d'Ar- 
basine,  qui  etoient  alles  vers  lui  autrefois  de  la 
part  de  Monsieur;  qu'il  ne  s'etoit  point  oblige 
de  leur  garder  le  secret ;  qu'il  s'y  engageoit  a 
moi  de  tout  ce  que  je  lui  avois  dit,  et  ajouta, 
pour  mon  particulier,  toutes  les  civilites  pos- 
sibles ,  et  au-dela  de  ce  que  j'en  devois  attendre. 
Get  entretien  dura  plus  de  deux  beures,  pen- 
dant lequel  M.  de  La  Valette  ne  laissa  pas 
«k;happer  trois  paroles ,  etaut  dans  une  conster- 
nation qui  ne  se  pent  exprimer. 

Nous  sortimes  ensemble  de  la  chambre  de 
monsieur  son  pere.  11  avoit  le  visage  convert  de 
larmes,  et  moi  un  deplaisir  mortel  dans  le  coeur, 
(jue  ma  negociation  eut  si  mal  succede.  De  sa 
part,il  me  disoit  qu'il  voudroit  etre  raort ,  et 
qu'il  ne  demandoit  plus  qu'a  sortir  de  France , 
pour  n'y  revenir  jamais;  etques'il  croyoit  pou- 
voir  servir  Monsieur  de  sa  personne,  qu'il  par- 
liroit  avec  moi  pour  se  rendre  aupres  de  lui.  Je 
lui  fis  voir  et  distinctement  connoitre  que  Son 
Allcsse  et  M.  le  comte  s'etoient  engages  a  ce 
qu'ils  m'avoient  commande  de  lui  dire  sur  sa 
parole ;  qu'il  jugeat  I'etat  auquel  il  les  avoit  mis, 
et  que  sa  reputation  n'etoit  pas  raoins  exposee 
que  leurs  personnes;  que  ce  n'etoient  pas  dcs 
marques  de  douleur  qu'il  leur  devoit  donner, 
mais  des  services  effectifs;  que  je  surprendrois 
fort  Monsieur  de  lui  rapporter  une  si  mauvaise 
reponse,  a  laquclle  il  ne  se  seroit  jamais  at- 
tendu;et  quanta  la  proposition  qu'il  m'avoit 
faite  de  le  venir  trouver,  je  n'en  avois  rccu  au- 
cun  ordre  ;  que  je  tiendrois  a  beaucoup  d'hon- 
neur  de  faire  ce  voyage  avec  lui,  duquel  la  re- 
solution dependoit;  et  ({ue  je  le  suppliois  ,  non- 
seulement  pour  le  service  de  Monsieur,  mais 
uour  le  sien  propre ,  de  bien  penser  a  repa- 
"^'"  ip  mal   qu'il  avoit  cause,  et  d'agir  sur  ce 


207 

fondement  aupres  de  M.    le  due  d'Epernon. 

Le  lendemain  je  partis  de  Bordeaux ,  et  pour 
que  Son  Altesse  fut  avertie  avec  plus  de  certi- 
tude (car  je  pouvois  etre  arrete  par  les  che- 
mins  ),  Le  Teillac  pi-it  la  route  du  Limosin,  et 
je  m'eu  allai  par  le  Poitou.  J'eusse  ete  a  Blaye 
(ce  queje  pouvois  en  fort  peu  de  temps)  si, 
par  un  conseil  precipite,  Monsieur  ny  eut  en- 
voye  Gramout,  qui  etoit  son  domestique,  et 
qui  ne  s'en  acquilta  pas  beureusement,  comme 
je  le  dirai  ailleurs. 

Pour  reprendre  les  choses  dans  leur  origine , 
bien  que  M.  le  due  d'Orleans  et  M.  le  comte 
de  Soissons  m'eussent  assure  de  ne  se  point 
trouver  a  Paris  ensemble ,  pour  leur  commune 
sin-ete ,  et  de  ne  point  prendre  I'alarme  des 
bruits  qui  pourioient  courir,  et  sur  les  avis  qui 
leur  seroient  donnes,  ils  ne  s'arreterent  pas  a 
cette  parole,  queje  n'avois  tiree  d'eux  que  pour 
I'interet  de  leur  service. 

Le  cardinal,  auquel  ils  avoient  affaire, homme 
fertile  a  se  prevaloir  de  toutes  les  inventions 
qu'un  esprit  ingenieux  et  rempli  de  malice  etoit 
capable  de  s'imaginer,  par  gens  interposes  et 
par  des  billets  qu'il  fit  ecrire,  les  voulut  mettre 
en  defiance,  pour  les  obliger  a  quitter  la  cour, 
afin  d'en  deraeurer  le  maitre,  et  reveiller  I'es- 
prit  du  Roi  contre  eux,  usa  de  cet  artifice, 
qu'ils  prirent  pour  un  veritable  avis ,  et  parti- 
lent  des  la  meme  heure;  et  contre  ceux  que 
j'avois  pris  la  liberie  de  donner  plusieurs  fois  a 
M.  le  comte  de  ne  se  point  separer  de  Monsieur, 
ils  sedirent  adieu  et  ne  se  revirent  jamais  de- 
puis. 

Bardouville  etoit  destine  pour  etre  aupres  de 
Son  Altesse  de  la  part  de  M.  le  comte  :  ce  qu'il 
excusa  par  des  motifs  de  prudence  que  je  ne 
saurois  estimer  en  semblables  occasions ,  dans 
lesquelles  ceux  qui  se  trouvent  engages  doivent 
servir  selon  leur  talent ,  et  se  mettre  au-dessus 
de  la  crainte. 

Le  comte  de  Fiesque ,  qui  avoit  les  meilleurcs 
intentions  qu'il  eloit  possible,  mais  beaucoup 
moins  propre  a  cet  emploi  que  Bardouville  (I'ex- 
perience  ne  lui  ayant  pas  acquis  les  memes  con- 
noissances,  et  lui  n'etant  pas  aussi  egal  en  ca- 
pacite) ,  fut  choisi  en  sa  place  pour  etre  aupres 
de  Monsieur  en  attendant  que  j'y  fusse  arrive, 
avec  ordre  ,  lorsque  je  serois  de  retour,  d'y  de- 
meurer,  on  d'aller  retrouver  M.  le  comte,  sui- 
vant  que  je  I'estimorois  etre  a  propos. 

II  proposa  le  petit  Gramont  pour  I'envoyer 
a  Blaye  vers  La  Hoguette ,  qui  etoit  sergent- 
major  dans  la  place,  charge  d'une  lettre  de 
creancede  lui,  comte  de  Fiesque,  qui  avoit 
une  trcs-mediocre  habitude  avec  La  Hoguette, 


208 


Mr.MoinKS  DK  MO.\Tni':s.on.   [1G;j7] 


homine  d'esprit ,  r^solu  et  pen  susceptible 
d'etre  persuade  (  s'il  le  pouvoit  etre),  que  sous 
bon  liage  ,  et  par  des  personncs  qu'il  conniU  de 
long-temps,  auxquelles  il  y  eiit  lieu  de  prendre 
entiere  confiance. 

Gramont  se  laissa  incontinent  intimider  par 
lui,  et  s'en  re\int  trouver  Monsieur,  comme  un 
Iiomme  fortnouveau  en  de  sembiables  emplois, 
((ui  ne  doivent  etre  commis  qu'a  des  unturels 
plus  fermes,  et  a  des  personnes  de  plus  d'eten- 
due  d'esprit  et  de  plus  de  merite  que  de  ses  pa- 
reils. 

[1637]  Lorsque  j'arrivai  a  Blois,  je  trouvai 
Son  Altesse  dansde  grandes  inquietudes,  et  les 
sieus  dans  un  etonnement  tel ,  que  je  puis  dire 
que  je  ne  les  reconnoissois  plus.  Je  rendis 
compte  a  Monsieur  de  ce  qui  s'etoit  passe  entre 
M.  d'Epernon  et  moi ,  aussi  exact  que  je  le  viens 
d'ecrire ,  et  le  suppliai  de  ne  se  point  laisser 
abattre  aux  divers  malheurs  qu'il  pouvoit  pre- 
voir,  ceux  de  sa  qualite  s'en  relevant  toujours , 
pourvu  qu'ils  voulussent  prendre  de  bonnes 
resolutions ;  qu'il  y  avoit  trois  partis ,  dont  il  fe- 
roit,  s'il  luiplaisoit,  le  choix  sans  user  de  retar- 
dement,  le  temps  lui  etant  eher,  pour  ne  pas 
laisser  penetrer  le  mauvais  etat  de  ses  affaires  ; 
que  dans  la  Guienne  la  noblesse  etoit  tres-mal 
satisfaite  du  rainistere  de  M.  le  cardinal ;  que 
les  peuples  murmuroient  des  impositions  nou- 
velles  qu'on  mettoit  sur  6ux,  et  que  ,  tombant 
sur  les  bras  de  messieurs  les  dues  d'Epernon  et 
de  La  Valettc,  il  y  avoit  grande  apparence  qu'il 
contraindroit  le  dernier,  qui  etoit  engage  de  pa- 
role avec  lui ,  de  se  declarer  par  necessite ,  ce 
qu'il  ne  feroit  jamais  autrement ;  que  I'autre 
vole  qu'il  avoit  a  tenir  etoit  de  se  retirer  a  Se- 
dan avec  M.  le  comte,  mais  avant  que  les  pas- 
sages des  rivieres  fussent  gardes  ,  et  qu'il  seroit 
en  etat  d'attendre  en  surete  une  revolution  fa- 
vorable a  laquelle  11  pourroit  contribuer  beau- 
coup  ;  que  si  I'une  de  ces  deux  ouvertures  ne  lui 
etoit  pas  agreable ,  il  n'y  avoit  plus  qu'a  traiter, 
et  que ,  dans  la  creance  oil  etoit  le  cardinal  qu'il 
eut  de  grandes  intelligences  dans  leroyaume, 
il  falloit  se  bater  pour  y  rencontrer,  dans  le 
profond  secret  qui  avoit  etc  observe  ,  les  avan- 
tages  de  M.  le  corate  et  les  siens. 

Cependant  Monsieur ,  agite  de  ce  qu'il  avoit 
a  cboisir  ou  a  laisser ,  ne  se  determinoit  a  rien, 
et  le  temps,  qui  ruinoit  ses  affaires,  s'ecouloit 
insensiblement. 

L'on  fit  savoir  a  M.  le  comte  les  reponses  de 
M.  d'Epernon,  qui  fut  anime  contre  le  due  de 
La  Valette  autant  que  l'on  puisse  jamais  I'etre  , 
de  n'avoir  pas  trouvt^  en  lui  ce  qu'il  avoit  at- 
tendu. 


Cependant  diverses  eabales  se  formoient  dans 
la  maison  de  Son  Altesse;  et  comme  il  parois- 
soit  que  Monsieur  prenoit  plus  de  confiance  en 
moi  qu'en  aucun  autre  des  siens ,  ils  cssayoient 
de  me  rendre  de  mauvais  offices  dans  son  esprit, 
et  de  me  susciter  des  querelles. 

Le  comte  de  Brioii ,  d'un  naturel  facile,  se 
laissa  prevenir,  quoique  nous  fussions  parens 
tort  proebes  et  que  nous  eussions  toujours  bien 
vecu  ensemble.  lis  I'avoient  dispose  a  se  brouil- 
ler  avec  moi ,  sacbant  bien  que  tels  differends  se 
demeleroient  entre  nous  par  un  combat. 

En  ayant  ete  averti ,  je  le  tirai  a  part ,  et  lui 
fis  counoitre  que  j'etois  tres-bien  informe  de  ce 
qui  lui  avoit  ete  dit  sur  raon  sujet;  que  je  lui 
parlois  francbement ;  que  je  savois ,  par  la  lon- 
gue  habitude  que  nous  avions  eue  ensemble, 
qu'il  etoit  homme  a  ne  craindre  personne,  et 
qu'il  me  connoissoit  assez  pour  avoir  bonne  opi- 
nion de  moi ;  que  si  Monsieur  lui  deposoit  ses 
secrets,  j'en  serois  ravi;  mais  que  je  croyois 
qu'il  ne  devoit  rien  trouver  a  redire  qu'il  me  fit 
le  memebonneur;  qu'au  reste  il  lui  seroit  bon- 
teux  de  se  laisser  surprendre  aux  artifices  qui 
venoient  des  personnes  qui  avoient  toujours 
trompe  leur  maitre ,  et  de  se  desunir  d'avec  son 
parent  etson  ami,  qui  nelui  avoit  jamais  donne 
sujet  de  plainte.  II  m'avoua  ce  qui  en  etoit ,  et 
me  fit  toutes  les  civilites  que  je  devois  attendre 
d'un  homme  de  sa  naissance ;  et  du  depuis  nous 
vecumes  dans  une  etroite  amitie. 

Bautrufut  le  premier  qui  vint  a  Blois  de  la 
part  du  Roi ,  et  par  ordre  du  cardinal ,  pour 
pressentir  si  Son  Altesse  se  voudroit  porter  a  un 
accoraraodement.  L'on  se  servit  de  lui  parce 
qu'il  etoit  agreable  a  Monsieur,  et  qu'il  auroit 
plus  de  facilite  qu'un  autre  a  lui  insinuer  ce 
qu'on  deslroit  qu'il  fit.  Monsieur  neanmoins  ne 
s'ouvrit  point  a  lui ,  quelque  adresse  dont  il  put 
s'aviser. 

Je  me  rencontrai  unjour  en  lieu  propre,  ce 
lui  serabloit,  dero'entretenir  de  I'etatou  etoient 
lors  les  affaires;  et  comme  je  vis  qu'il  se  rela- 
choit  a  me  dire  que  ceux  qui  avoient  creance 
aupresde  Son  Altesse  devoient  prendre  les  voies 
de  douceur  dans  lesquelles  il  etoit  raisonnable 
qu'ils  fussent  consideres  pour  y  trouver  leur 
compte,  de  peur  qu'il  ne  me  fit  quelque  propo- 
sition impertinente  qui  m'eut  engage  a  ce  que 
je  ne  voulois  pas  faire ,  je  changeai  de  discours, 
ce  qu'il  apercut  incontinent. 

Chavigny  suivit  Bautru,  et,  par  la  charge  de 
chancelier  qu'il  avoit  dans  la  maison  de  Mon- 
sieur, qui  lui  donnoit  grand  acces  et  credit  par- 
mi  les  siens ,  agissoit  avec  plus  de  pouvoir  et 
d'aulorite. 


MEMOIBES    DE    MONTBESOR.    [1037^ 


ILe comte  de  Guiche, depuis  marechai  de  Gra- 
mont,arrivaavec  lui,  et  fit  une  action  qui  le 
I  devoit  perdre;  neanmoins  elie  le  mit  en  plus 
grande  consideration  aupres  du  cardinal.  Un 
soir  que  Son  Altesse  soupoit  avec  dix  ou  douze 
personnes  a  sa  table ,  le  comte  de  Guiche  s'eni- 
vrajusqu'a  un  tel  exces  ,  qu'il  lui  dit  publique- 
ment  qu'on  lui  avoit  propose  d'etre  son  premier 
gentilhomme  de  sa  chambre;  qu'il  n'avoit  eu 
garde  de  I'accepter ,  parce  qu'il  ne  vouloit  point 
jouer  le  personnage  d'un  trompeur  et  d'un  trai- 
tre,  comme  faisoient  d'autres  domestiques  qu'il 
nomma  par  leurs  noms  ,  et  ajouta  qu'il  etoit 
horame  de  qualite;  qu'il  vouloit  agir  par  les  bon- 
nes voies;  que  ce  n'etoit  pas  qu'il  ne  fut  servi- 
teur  du  cardinal  de  Richelieu  contre  lui  et  toute 
la  famille  royale. 

Ces  dernieres paroles  plurent  au  cardinal,  qui 
Ten  aima  beaucoup  plus,  quoiqu'elles  fussent 
dites  tres-mal  a  propos,  et  dignes  d'etre  con- 


(1)  Campion  fit  connoitre  au  comte  de  Soissons  ce  qui 
s'^loit  passe  dans  celte  occasion,  dans  une  lettre  ecrite 
de  Conde  le  23  d(5cembre  1636,  que  nous  croyons  devoir 
ins(5rer  ici: 

«  Ne  pouvant  vous  alier  rendie  compte,  a  Sedan,  du 
dt'tail  de  mon  voyage,  pour  les  raisons  que  vous  verrez 
dans  ma  lettre,  j'essayeray  de  m'cn  acquilter  par  ecrit , 
el  vous  diray,  Monseigneur,  qu'en  huit  nuits  je  suis  ar- 
(  riv6  de  Sedan  a  Blois  ,  nonobstanl  la  rigueur  du  temps, 
m'estant  ^.gar^  plusieurs  fois  a  cause  des  glaces  et  des 
neiges,  quoyqueje  prisse  des  guides  a  cheque  village,  oil 
je  demeurois  le  jour  enferm^  ,  ayant  ^vit^  les  villes  et 
les  grands  chemins  pour  ne  pas  tomber  dans  les  embus- 
cades  que  M.  le  cardinal  a  fait  dresser  de  toules  parts 
pour  surprendre  les  gens  de  Monsieur  ou  les  vostres , 
n'eslant  pas  en  doute  qu'il  n'y  en  ait  souvent  sur  les 
chemins  pour  conserver  le  commerce  entre  vous  deux. 
A  mon  arriv^e ,  m'estant  mis  dans  une  hostellerie  ^loi- 
gn^e  du  chasteau,  j'^crivis  a  M.  le  comte  de  Fiesques 
pour  le  prier  de  venir  m'y  trouver ;  ce  qu'il  fit  aussitost, 
el  me  dit  que  Monsieur  esloit  toujours  dans  les  meilleures 
dispositions  du  monde  pour  vous;  que  comme  il  estoit 
de  vostre  part  aupres  de  lui ,  il  taschoit  inutilement  a  le 
fortifier  dans  le  dessein  de  pousser  monsieur  le  cardinal, 
y  ayant  toute  la  disposition  possible ;  et  que  j'estois  ar- 
rive fort  a  propos,  M.  Du  Gu6 ,  un  des  gentilshommes 
de  la  chambre,  venant  d'arriver  de  Guyenne  ,  ou  il  I'a- 
voit  envoys  vers  M.  deLa  Valetle,  et  pour  parler  a 
M.  d'Espernon  par  son  moyen.  Je  le  priai  de  me  faire 
voir  M.  de  Montr^sor,  afin  que  nous  parlassions  d'af- 
faires, et  que  nous  pussions  rdsoudre  des  moyensde  voir 
Monsieur  la  nuit.  II  me  dit  que  M.  de  Montr^sor  estoit 
enferm^  avec  M.  Du  Gue,  qui  estoit  fort  de  scsamis,  et 
que  si  tost  qu'ils  auroient  veu  Monsieur  tous  deux,  il 
m'ameneroit  le  premier,  qui  agissoit  tres-sincerement 
pour  le  bien  commun.  Je  lui  t^moignai  la  reconnois- 
sance  que  vous  aviez  de  I'alTection  qu'il  avoit  pour  vous, 
et  lui  dis  ce  que  je  crus  plus  propre  a  le  fortifier  dans  ses 

bonnes  intentions Deux  heures  apres  qu'il  m'eut 

<iuitt6,  M.  de  Montr^sor  entra,  et  me  t^moigna  une  ex- 

(rcsmejoie  d'apprcndre  de  vos  nouvclles ;  il  me  dit 

qu'il  en  estoit  arriv6  de  mauvaises  dc  Guyenne;  que 

III.   C.   D.    M.,  T.  III. 


20» 

damnees  de  tous  ceux  qui  font  profession  d'avoir 
des  sentiraens  conformes  a  leur  devoir. 

Po.ur  que  M.  le  comte  fut  informe  de  tout  ce 
qui  se  passoit  de  la  part  du  Roi  vers  Monsieur , 
Lisieres  ,  gentilhomme  ordinaire  de  sa  maison , 
le  fut  trouver ,  et  Le  Teillac  peu  de  jours  apres. 

M.  le  comte  envoya  aussi  Campion  a  Blois 
pour  supplier  Son  Altesse  de  pourvoir  a  sa  su- 
rete,  et  dela  trouver  privativement  a  toute  au- 
tre chose ;  que ,  pour  cet  effet,  s'il  vouloit  aller  a 
Sedan  il  I'y  rencontreroit  tout  entiere,et qu'ils 
chercheroient  conjointeraent  les  raoyens  de  re- 
sister  a  leur  ennemi  commun.  Monsieur  ne  s'e- 
loigna  pas  de  cette  proposition ,  et  dit  a  Cam- 
pion qu'il  en  remettoit  I'execution  en  temps  et 
lieu  ,  qui  repartit  aussitot  pour  rendre  compte 
de  ce  qu'il  avoit  vu  et  appris  de  moi  en  parti- 
culier,  auquel  il  avoit  ordre  de  s'adresser,  et  de 
parler  a  Son  Altesse  dans  les  terraesque  je  le  ju- 
gerois  a  propos  (1). 


M.  Du  Gu(5  luy  avoit  rapport^  qu'il  avoit  trouv6  M.  de 
La  Valette  tres-fach^  du  peu  de  disposition  que  mon- 
sieur son  pere  avoit  d'entrer  en  affaires,  et  qu'assui6- 
ment  il  ne  croyoit  point  qu'il  fust  possible  de  le  resou- 
dre;  qu'il  lui  en  avoit  pati^  plusieurs  fois  inutilement, 
et  que  tout  ce  qu'il  pouvoit  faire  estoit  d'aller.servir^cJe 
sa  personne  avec  ses  amis  aupres  de  Monsieur  ou  de 
M.  le  comte;  qu'ensuite  M.  Du  Gu^  avoit  veu  M.  d'Es- 
pernon par  son  moyen,  et  qu'il  avoit  fait  tout  son  pos- 
sible pour  lui  persuader  de  recevoir  Monsieur  dans  son 
gouvernement;  mais  qu'il  n'y  avoit  voulu  entendre  en 
aucune  maniere ;  enfin  qu'il  estoit  revenu  avec  les  pre- 
mieres paroles  que  lui  avoit  dites  M.  de  La  "Valette.  Ce 

rdcit  dura  long-temps J'en  eus  le  d^plaisir  que  vous 

pouvezjuger;  mais  je  fis  dessein,  des  I'heuremesme,  de 
n'en  point  tesmoigner  d'etonneraent  a  Monsieur,  et  de 
prendre  les  affaires  d'un  autre  biais.  M.  de  Montr^sor  me 
dit  que  Monsieur  donneroit  le  bonsoir  des  minuit,  et  qu'il 
me  verroit  le  reste  de  la  nuit :  ce  qui  me  donna  tout  le 
temps  ndcessaire  pour  me  preparer  a  ce  que  je  lui  di- 
rois  ,  les  affaires  ayant  changed  de  face  depuis  les  ordres 
que  vous  m'aviez  donnas.  Monsieur  me  re^ut  avec  tou- 
tes  les  demonstrations  de  joie  imaginables ,  et  me  de- 
manda  plusieurs  fois  de  vos  nouvelles  avec  empresse- 

ment :  il  me  fit  le  recit,  avec  deplaisir,  de  la  nou- 

velle  de  Guyenne,  et  il  pesta  contre  M.  de  La  Valette , 
me  disant  que  ce  n'^toit  pas  la  ce  qu'il  avoit  promis  a  tous 
deux  a  Compiegne.  Je  lui  laissai  tout  dire;  apres  quoy 
je  repartis  que  vos  projets  estoient  troubles  par  ce  chan- 
gement ,  mais  que  Dieu  I'avoit  peut-estre  permis  pour 
mieux,  afin  que  vous  fussiez  n^cessit^sd'estre  ensemble; 
que  s'il  eust  est^  en  Guyenne  ,  le  commerce  estant  im- 
possible entre  vous ,  les  affaires  n'en  eussent  pas  esl^  si 
bien  :  au  lieu  que  s'il  avoit  agr^able  de  venir  a  Sedan  , 
il  y  seroit  le  maistre ;  que  vous  lui  ob^iriez  avec  le  mesme 
zele  et  la  mesme  humility  que  vous  aviez  fait  en  Picar- 
die;  et  qu'ayant  une  place  de  retraite  de  cette  impor- 
tance-la, a  cinquanle  lieues  de  Paris,  d'oii  vous  ne  pou- 
viez  estre  chass6 ,  vous  auriez  le  temps  tous  deux  de 
manager  vos  intelligences  dans  le  royaume ,  et  que  tout 

le  monde  pourroit  vous  venir  joindre  seurement 

Ayant  encore  adjout(5  plusieurs  raisons  sur  le  mesme 

sujet ,  il  fit  quelqucs  difficult^s ;  sur  quoy  prenant 

I  i 


210 


WKMOIRES    DK    MONTIIESOK.    [l<)37] 


M.  de  Veiulome  envoya  aussi  un  gentilhomme 
a  Monsieur,  qui  demcnira  dans  mon  logis,  cache, 
par  lequel  il  lui  olTroit  tout  ce  qui  dependoitde 
lui.  M.  de  Beaufort  y  vint  secreteraent ,  et  re- 
presenta  les  inconveniens  d'etre  davantage  a 
Blois ;  qu'il  ne  voyoit  pas  que  Monsieur  y  put 
faire  sejour  avec  surele  ni  reputation ,  et  temol- 
cna  que  si  Son  Altesse  en  vouloit  sortir ,  il  se- 
roit  aise  de  ie  conduire  partout  ailleursou  il  lui 
plairoit  d'aller. 

Les  partisans  du  cardinal  et  les  allees  et  ve- 
mies  de  Chavigny  decreditoient  le  parti,  et  a 
moins  que  de  se  resoudre  a  s'eloigner  pour  rom- 
pre  le  cours  de  ces  negociations ,  et  des  prati- 
ques sourdes  qui  se  faisoient  dans  la  maison  de 
Monsieur,  il  seroit  oblige  a  faire  un  traite  pour 
lui  seul ,  peu  honorable  a  sa  reputation  ,  duquel 
les  conditions  seroient  fort  desavantageuses  a  ses 
interets. 

Du  Gue,  chambellan  de  Son  Altesse,  et  Le 
Teillac  furent  depeches  vers  le  due  de  La  Va- 
lette,  avec  une  lettre  de  creance,  pour  lui  de- 
mander  I'effet  de  sa  parole ,  et  a  toute  extre- 
mite  lui  dire  ,  s'il  refusoit  de  le  servir  de  son 
credit ,  qu'au  moins  ne  devoit-il  pas  denier  de 
le  venir  trouver  pour  le  servir  de  sa  personne  ; 
que  Monsieur  les  avoit  charges  de  lui  faire  ainsi 
entendre  qu'apres  desengagemens  pareils  a  ceux 
qu'il  avoit  avec  lui,il  ne  s'imaginoit  pas  qu'il 
fut  capable  d'y  manquer. 

lis  le  trouverent  a  Castel-.Taloux  ,  et  Du  Gue 
eut  beaucoup  de  peine  a  le  voir  :  toutefois  il  en 
vint  about  par  le  moyen  d'un  gentilhomme  qui 

toujours  la  parole  vigoureusement ,  et  estant  assist^  de 
MM.  les  comtcs  de  Monlrdsor  et  de  Fiesques,  qu'il  avoit 
fait  approcber,  il  me  dit :  «  Mais  vous  me  pariez  de  Se- 
dan sans  ordre  de  mon  cousin  ,  qui  ne  pouvoit  deviner 
ce  qui  est  arriv(5  de  M.  de  La  Valette.  »  Sur  quoy  je  lui 
dis  aussit6t  que  vous  m'aviez  dit  qu'en  cas  qu'il  n'allast 
point  en  Guyenne ,  vous  lui  offriez  Sedan ,  oil  M.  de 
Bouillon  vous  avoit  fait  le  maistre.  Cela  acheva  de  le  r(5- 
soudre;  en  sorle  qu'il  me  promit  ce  que  je  voulus,  et 
nous  en  demeurasmes  que  jem'asseurerois  d'un  passage 
sur  la  riviere  de  Marne,  et  d'un  autre  sur  celle  d'Aisne, 
et  de  dix  bons  clicvaux  sur  chacune  des  deux  rivieres. 
Je  lui  facililai  tous  les  moyens,  lui  dis  que  j'^tois  asseur(5 
des  passages ,  et  que  je  ferois  venir  des  chevaux  a  Cond(5 
pour  la  Marne,  et  chez  un  de  vos  domestiques  sur 
I'Aisne ;  et  que  mesme ,  au  lieu  de  m'en  retourner  a  Se- 
dan ,  je  vous  d^pescherois  un  homme  ,  et  que  je  ne  sor- 
tirois  point  de  Cond6 ,  on  je  I'atlendrois  de  pied  ferme ; 
et  que  vous  le  viendricz  recevoir  avec  cent  gentilshom- 
mes  a  la  riviere  d'Aisne.  II  me  dit  que  pour  celle  de 
Seine  il  estoit  asscurd  d'un  passage,  et  me  donna  le 

bonsoir Voila,  Monseigneur,  I'estat  de  toutes  choses 

et  la  raison  pourquoi  jo  n'ai  pas  dt6  vous  trouver ,  etc. » 
(  Leltres  de  Campion,  page  41. ) 

Le  28  d^cembre.  Campion  fit  part  au  comte  de  Soissons 
des  inquietudes  que  rarriv(?e  de  V&hM  de  La  Riviere  lui 


etoit  a  lui,  nomme  Saint-Quentin,  auquci  je 
Tavois  adresse ,  pour  I'avoir  reconnu  fort  dis- 
pose a  servir  dans  les  occasions  ou  il  s'agissoit 
de  la  reputation  de  son  maitre ,  que  Du  Gue 
pressafort,  lui  remontranttoutce  qu'un  homme 
d'espritlui  pouvoit  representer;  etpour  reponse, 
M.  de  La  Valette  denia  de  servir  Son  Altesse  de 
son  credit  ni  desa  personne.  II  lui  dit  aussi  que 
Le  Teillac  avoit  charge  de  M.  le  comte  de  lui 
faire  les  memes  instances  qu'il  reeevoit  par  sa 
bouche  de  la  part  de  Monsieur,  suivant  les  pa- 
roles positives  qu'il  lui  avoit  donnees ,  puisqu'il 
ne  vouloit  point  donner  lieu  a  Teillac  de  les  lui 
faire  entendre.  Toutes  ces  inductions  se  lirent 
sans  qu'il  le  piit  emouvoir  a  changer  de  vo- 
lonte. 

Le  due  de  La  Rochefoucauld  rejeta  la  propo- 
sition de  Du  Gue  de  servir  Son  Altesse,  qu'il 
etoit  alle  expres  trouver;  ct  quoiqu'il  fut  fort 
maltraite  de  la  cour  (pour  dire  le  vrai ,  plutot 
parfoiblesse  que  par  principe  d'honneur )  ,  il 
evita  de  s'engager  dans  un  parti  qui  eut  ete  suf- 
fisant  pour  detruire  la  tyrannic  du  cardinal ,  si 
ceux  qui  avoient  obligation  a  Monsieur,  ou  souf- 
fert  des  peines  quine  devoientpas  etreoubliees, 
eussent  ete  capables  de  ressentiment. 

Chavigny,  profitantde  toutes  les  longueurs  et 
remises  qui  etoient  apportees,  intimidoit  Mon- 
sieur dans  toutes  les  conversations  qu'il  avoit 
avec  lui,  qui  etoient  fort  frequentes.  Goulas  et 
les  autres  gens  gagnes  en  faisoient  autant ,  et 
plusieurs  intimides  se  laissoient  prevenir  d'o- 
pinions  contraires  aux avantages  de  leur  maitre. 

faisoitdprouver.  Cet  homme  sortoit  de  la  Bastille,  etl'on 
pouvoit  craindre  qu'il  n'eut  fait  ses  conditions  avec  Ri- 
chelieu. En  effet,  Campion  dcrivit,  le  3  Janvier  1637, 
que  M.  de  Verderonne  dtoit  venu  le  trouver  de  la  part 
de  Monsieur,  et  lui  avoit  dit  «  qui!  avoit  un  extreme  d& 
plaisir  d'avoir  appris  que  M.  Du  Hallier  6toit  avec  des 
troupes  sur  la  riviere  de  Seine  pour  en  garder  les  passa- 
ges, et  que  mesme  il  avoit  pris  quelques-uns  des  siens 
qu'il  y  avoit  envoyds.  II  faut  demeurer  daccord,  Mon- 
seigneur, ajoute  Campion  ,  que  cet  accident  est  facheux 
et  qu'il  trouble  bien  vos  projets;  et  mesme  d'autant  que 
nous  sommes  incertaios  si  ce  retardement  est  caust^  par 
les  raisons  que  Ton  nous  dit,  ou  si  les  c^missaires  de  M.  le 
cardinal  n'ont  point  gagnd  quelque  chose  sur  I'esprit  de 

Monsieur ,  particulierement  M.  de  La  Riviere....  Ce 

qui  vous  doit  pourtant  assurer,  outre  les  soins  de  M.  le 
comte  de  Fiesques ,  c'est  que  M.  de  Montrdsor  est  per- 
suad<5  que  c'est  I'intdrest  de  son  maistre;  ct  qu'ayant 
beaucoup  d'affcction  pour  lui,  ct  estant  tout-a -fait 
homme  d'honneur,  il  n'oubliera  rien  pour  le  conGrmer 
dans  cette  pens(5e ;  joint  que,  si  I'affaire  r(5ussit,  il  aura  la 
premiere  place  aupresde  lui ;  au  lieu  que,  si  Monsieur 
etoit  contraintdes'accommoder,  le  premier  article  du 
traite  seroit  son  exclusion  des  affaires,  et  retablisscment 
ou  de  M.  de  La  Riviere,  ou  de  quelque  autre  agrdable  a 
la  cour.  » 

{  fWd.,  pa^e  47. )   (A.E.) 


MEMOIRES    DE   MONTRESOB.    [l637] 


211 


De  raon  c6te ,  je  soutenois  un  pesant  fardeau 
avec  ce  qui  resloit  de  personnes  d'honneur  , 
dont  les  passions  n'etoient  point  corrompues 
par  la  peur  ou  par  I'interet. 

Dans  ces  entrefaites  ,  Beauregard  arriva 
de  la  part  de  M.  le  comte  pour  savoir  une 
derniere  resolution  ,  et  Cliavigny  s'en  retourna 
a  la  cour ,  apies  avoir  use  d'une  adresse  a  la- 
quelle  Monsieur  se  laissa  surprendre.  Dans  un 
entretien  fort  partieulier,  il  supplia  Son  Altesse 
de  lui  dire  au  vrai  le  sujet  de  la  mauvaise  sa- 
tisfaction qu'il  pouvoit  avoir,  et  ce  qu'il  desi- 
roit.  ftlonsieur  se  plaignit  de  la  maniere  que 
Ton  procedoit  touchant  son  mariage,  et  y  ajouta 
que  ,  pour  sa  surete  ,  il  meritoit  bien  qu'on  lui 
donnat  une  bonne  place. 

Chavigny  ,  le  lendemain ,  dressa  un  ecrit  au 
nom  de  Sou  Altesse,  par  lequel  il  exposoit 
qu'elle  demeureroit  enlierement  satisfaite  et 
obligee  a  la  bonte  du  Roi,  s'il  plaisoit  a  Sa  Ma- 
jeste  de  donner  son  consentement  a  son  mariage, 
et  lui  aceorder  une  place  de  surete.  L'ayant 
presente  a  Monsieur ,  qui  ne  previt  pas  que 
c'etoit  une  surprise  ,  et  qu'il  falloit  stipuler  les 
conditions  de  M.  le  comte  conjointeraent  avec 
les  siennes ,  leur  union  ne  devant ,  pour  quel- 
que  condition  que  Ton  piit  alleguer,  etre  rom- 
pue  ni  alteree  ,  fit  appeler  Goulas  ,  secretaire 
de  ses  coramandemens,  qui  etoit  d'intelligence 
avec  Chavigny ,  auquel  il  fit  copier  cet  ecrit , 
qu'il  signa,  et  lui  fit  contresigner. 

II  portoit  aussi  creance  au  Roi  de  ce  que  Cha- 
vigny lui  diroit ,  qui  partit  incontinent  pour 
aller  trouver  Sa  Majeste  et  le  cardinal  :  et  moi 
ayant  eu  lumiere  de  ce  qui  s'etoit  passe,  je 
pressai  fort  Monsieur ,  jusqu'au  point  que  je 
I'engageai  a  me  declarer  ce  qui  en  etoit.  II  en 
retira  une  copie  de  Goulas,  qui  avoit  fait  glis- 
ser  ou  au  lieu  de  ce  mot  et  d'une  place  de  su- 
rete; qui  etoit  mettre  son  mariage  dans  une 
alternative.  Je  le  fis  comprendre  a  Monsieur  , 
et  m'etendis  fort  sur  ce  qui  regardoit  I'interet 
>  de  M.  le  comte,  et  I'obligeai  de  m'avouer  qu'il 
avoit  ete  trorape.  J'insistai  long-temps  que  I'u- 
nique  nioyen  de  sortir  avec  honneur,  c'etoit  de 
rejeter  la  faute  sur  Goulas ,  comme  il  etoit 
constant  qu'il  y  avoit  contribue  tout  ce  qui  de- 
pendoit  de  lui ;  et  qu'en  le  chassaut  ,  il  etoit  a 
couvert  de  tout  ce  qu'on  pouvoit  dire  sur  ce 
sujet.  Ce  n'etoit  pas  son  intention  qu'il  me  de- 
guisoit,  me  disant  lors  qu'il  croyoit  qu'il  fal- 
loit aller  a  Sedan;  que  c'etoit  la  seule  ressource 
qui  lui  restoit ,  et  qu'il  y  etoit  entierement 
resolu  ;  que  pour  cet  effet  il  douueroit  ordre 
au  baron  de  Cire  et  au  vicomte  d'Autel  de  se 
rendre  aupres  de  M.  le  comte ;  qu'il  vouloit 


que  Ton  fit  visiter  les  passages,  et  que  les  relais 
fussent  mis  sur  les  chemins. 

D'Orraoy  et  Le  Teillac ,  geutilshommes 
d'honneur  et  fideles  ,  et  assures  a  executer  les 
choses  qui  leur  etoient  commises ,  fireut  ce 
qu'ils  devoient ,  et  vinrent  rendre  corapte  a  Sou 
Altesse. 

Cependant  la  cabale  contraire  proposa  un  eu- 
voye  a  la  cour  ,  et  Chaudebonne  fut  choisl , 
contre  mon  sentiment.  Goulas  dressa  une  in- 
struction en  assez  beaux  termes  pour  servir  de 
panegyrique  au  cardinal  ,  dans  laquelle  il  fai- 
soit  parler  Monsieur  avec  peu  de  decence  pour 
une  personne  de  sa  qualite,  et  ne  demandoit 
rien  d'essentiel  pour  ses  interets ,  ni  pour  ceux 
de  M.  le  comte. 

Je  ne  saurois  assez  admirer  la  finesse  dont 
Son  Altesse  usa  contre  elle-meme,  pour  la  faire 
passer  sans  qu'elle  fut  contestee. 

II  s'adressa  au  comte  de  Fiesque ,  et  lui  dit 
en  grande  confiance  que  le  soir  il  feroit  appeler 
dans  son  cabinet  lui,  le  comte  de  Brion,  Ouailly, 
son  capitaine  des  gardes ,  et  moi ;  qu'il  y  feroit 
venir  aussi  Goulas,  qui  porteroit  une  instruction 
qui  devoit  6tre  donnee  a  Chaudebonne  ,  qui 
partiroit  le  lendemain  pour  aller  a  la  cour  ; 
et  qu'etant  resolu ,  comme  il  savoit ,  d'aller 
a  Sedan ,  qu'il  temoigneroit  de  I'approuver ; 
et  que  je  ne  la  contestasse  point ,  ni  lui  aussi , 
parce  que  ce  consentement  rendroit  Goulas 
et  ceux  de  sa  cabale  plus  prompts  a  croire 
qu'il  n'y  auroit  plus  d'<ibslacle  a  son  accommo- 
dement. 

Le  comte  de  Fiesque  se  paya  de  cette  con- 
fiance  avec  la  franchise  d'un  homme  de  bien  , 
et  me  chercha  pour  m'en  avertir. 

Apres  I'avoir  bien  ecoute,  et  vu  la  cbaleur 
avec  laquelle  il  m'en  parloit ,  je  lui  demandai 
ce  qu'il  feroit  en  cette  occasion  :  il  me  repondit 
qu'il  suivroit  les  ordres  que  Monsieur  lui  avoit 
donnes;  et  qu'il  n'avoit  jamais  cru  qu'il  dutpar- 
tir ,  mais  qu'a  present  il  en  etoit  persuade.  Je 
lui  dis  que  pour  moi  je  I'elois  si  peu  ,  que  je  les 
contesterois  de  tout  mon  pouvoir ,  pour  ce  que 
Monsieur  ayant  determine  de  s'en  aller,  et 
Goulas  I'emportant  par  dessus  nous ,  ne  met- 
troit  plus  en  doute  que  son  credit  ne  prevaliit 
au  notre  ,  et  que  le  traite  ne  se  conclut ;  que 
je  ne  voulois  point  m'attirer  le  reproche  d'etre 
tombe  d'accord  d'une  chose  honteuse  pour  Mon- 
sieur, qui  le  seroit  pour  moi  d'y  avoir  donne 
mes  suffrages  si  prejudiciables  aux  interels  de 
M.  le  comte,  vers  lequel  je  ue  m'en  pourrois 
justifier. 

Chacun  demeura  dans  son  opinion.  Son  Al- 
tesse ayant  fait  ce  qu'elle  avoit  dit  au  comte  de 

14. 


212 


MEMOIRES    DE    MONTBESOK.    [1637] 


avec  elle  dans  son 


Fiesque ,  dous  entr^mes 
cabinet. 

Goulas  rait  I'instruction  sur  la  table ,  et  en  fit 
la  lecture.  Chacun  I'ayant  entendue  fort  paisi- 
blement ,  Son  Altesse  nous  fit  I'honneur  de 
nous  demander  ce  qui  nous  en  sembloit.  Je  me 
remis  a  laisser  opiner  ces  messieurs  ,  que  Son 
Altesse  indubitablement  avoit  prevenus.  Sur  ce 
qu'ils  observoient  trop  de  silence  ,  il  se  tourna 
de  mon  cote ,  et  m'ordonna  de  dire  quelle  etoit 
mon  opinion.  Je  dis  que  puisqu'il  me  le  com- 
mandoit ,  la  fidelite  que  je  devois  a  son  service 
m'empechoit  de  lui  celer  ce  que  je  pensois  de 
cette  instruction,  que  je  n'estimois  ni  bien  con- 
cue  ni  bien  ecrite. 

Goulas,  se  sentant  pique,  me  repartit  ce  que 
c'etoit  que  j'y  trouvois  a  redire  ;  je  lui  repondis 
avec  assez  de  froideur  que  je  le  ferois  remar- 
quer  a  Monsieur  lorsqu'il  me  le  commanderoit. 

Monsieur  I'ayant  ainsi  trouve  bon,  je  la  pris, 
et  lui  fis  voir  dans  la  premiere  page  combien  il 
lui  etoit  important  qu'elle  fiit  supprimee.  II  en 
raya  sept  ou  buit  lignes  de  sa  main. 

Goulas  offense  me  prit  a  partie  ,  et  s'echauf- 
fant  trop  en  la  presence  de  son  maltre  ,  m'obli- 
gea  a  lui  dire  que  je  n'etois  pas  homme  ni  pour 
tromper  Monsieur,  ni  pour  souffrir  qu'il  fiit 
trompe. 

II  fut  outre  des  termes  desquels  je  m'etois 
servi,  et,  ne  gardant  plus  de  mesure,  il  me  ne- 
cessita  ,  pour  derniere  reponse  ,  a  lui  faire  sen- 
tir  qu'il  n'eut  point  a  se  meconnoitre ;  que 
nous  devions  tant  de  respect  a  Son  Altesse , 
qu'il  ne  falloit  jamais  le  perdre ;  et  qu'il  rap- 
pel^t  sa  memoire  ,  et  se  souvint  du  petit  ecrit 
qu'il  y  avoit  si  peu  qui  avoit  ete  fait  dans  ce 
lieu  meme  ou  nous  etions  ,  et  que  I'equivoque  de 
et  et  de  ou  me  sembloit  de  consequence. 

II  ne  lui  en  fallut  pas  dire  davantage  pour 
le  rendre  muet ,  avec  une  confusion  a  faire 
pitie. 

Je  ne  m'etois  point  emu  ,  et  Son  Altesse  con- 
tinuant k  m'interroger ,  ces  messieurs  n'ayant 
pas  ouvert  la  bouche  sur  ce  que  Monsieur  leur 
avoit  fait  connoitre ,  je  repris  le  discours  que 
j'avois  commence  ,  et  y  ajoutai  que  cette  piece 
curieuse,  qui  n'avoit  pas  ete  faite  en  un  mo- 
ment, je  ne  demandois  qu'une  demi-heure  pour 
remarquer  dans  les  marges  ce  que  je  devois  y 
bMmer ;  mais  je  pensois  que,  pour  le  plus  court 
et  le  plus  utile ,  il  seroit  plus  a  propos  de  la 
jeter  au  feu  ,  et  d'en  faire  une  autre ,  dans  la- 
quelle  Monsieur  eut  un  style  plus  conforme  a 
la  dignite  de  sa  personne  ,  et  qui  expliqu^t  au- 
trement  ses  interets. 

La  conference  fut  faite  ainsi ,  et  Chaude- 


bonne  partit  le  lendemain  avec  cette  instruc- 
tion ,  ou  telle  autre  qu'on  lui  voulut  douner , 
qui  ne  me  fut  pas  communiquee. 

Son  Altesse  s'en  alia  a  la  chambre  de  Gou- 
las ,  qui  lui  fit  de  grandes  plaintes ;  et  au  re- 
tour  il  dit  au  comte  de  Fiesque  que  je  I'avois 
bien  entendu  ,  et  que  jamais  gens  ne  furent  si 
persuades  qu'ils  etoient  qu'il  vouloit  venir  a  un 
accommodement ,  et  que  cette  opposition  que 
j'avois  faite  avoit  admirablement  succede. 

La  Riviere  sortit  de  prison ,  sous  le  pretexte 
qu'il  donna  a  M.  le  cardinal  de  se  joindre  a 
Goulas ,  et  d'etre  sa  creature  dans  la  maison  de 
Monsieur,  qui  feignit  quelques  jours  d'avoir  la 
goutte  ,  pour  avou-  une  excuse  de  ne  point  par- 
tir  de  Blois. 

Enfin  il  failut  depecber  Beauregard  ,  et  pour 
nous  mieux  jouer ,  un  garde  fut  envoye  pour 
assurer  M.  le  comte  que  Son  Altesse  iroit  k 
Sedan.  Verderonne  y  alia  aussi  ,  et  Beloy ;  et 
Rhodes  ,  qui  s'etoit  mis  en  chemin  ,  fut  arrete. 

Comme  le  jour  que  Beauregard  s'en  devoit 
aller  fut  pris.  Son  Altesse  voulut  I'entretenir 
et  lui  dire  de  sa  propre  bouche  qu'il  partiroit 
pour  Sedan  le  samedi  suivaut ,  sans  aucun  re- 
tardement. 

J'en  avertis  Beauregard  ,  et  lui  conseillai  de 
demander  un  ecrit ,  et  qu'il  fit  bonne  mine  ,  et 
qu'il  me  laissat  le  soin  d'achever  le  reste.  Je  le 
menai  le  soir  au  chateau  de  Blois  dans  la  cham- 
bre de  Maulevrier,  avec  lequel  je  vivois  dans  la 
derniere  amitie ,  ou  je  fis  trouver  de  Ten  ere  et 
du  papier ,  afin  que  toute  excuse  fut  otce.  Son 
Altesse  y  etant  venue,  il  ordonna  a  Beauregard 
de  porter  cette  parole  a  M.  le  comte ;  et  Beau- 
regard y  fit  tres-bien  son  devoir ,  et  temoigna 
que  la  chose  etoit  de  telle  consequence  ,  qu'il  la 
supplioit  tres-humblement  de  la  vouloir  mettre 
par  ecrit. 

Monsieur,  un  peu  surpris ,  lui  fit  beaucoup  de 
difficulte  sur  ce  qu'il  pouvoit  etre  arrete  ,  et  se 
tourna  vers  moi  pour  etre  fortifie  dans  cette  opi- 
nion. Lors  j'enquis  Beauregard  si  ce  malheur 
arrivoit ,  comment,  il  s'en  pourroit  demeler.  II 
me  reppndit  qu'il  ne  falloit  qu'un  billet  de  six 
lignes,  qu'il  seroit  fort  aise  de  cacher,  et  qu'il 
le  prenoit  sur  sa  vie  et  sur  son  honneur ,  qu'il 
avoit  trop  d'interet  a  conserver  pour  ne  rien  ha- 
sarder  mal  a  propos.  Me  tournant  vers  Son  Al- 
tesse ,je  lui  dis  que ,  quelque  repugnance  que  j'y 
eusse ,  je  croyois  qu'il  falloit  se  rendre  a  ce  que 
disoit  un  homme  comme  etoit  Beauregard ,  au- 
quel  on  pouvoit  tout  confier. 

Le  billet  fut  ecrit  de  la  main  de  Monsieur  et 
remis  entre  les  siennes  :  ce  qui  me  servit  infini- 
raent  pour  me  mettre  a  convert  aupres  de  M.  Je 


MEMOIRES    DB    MONTBESOR.    [lf)37] 


213 


cotnte  des  opinions  qu'il  auroit  pu  prendre  que 
j'eusse  autrement  agi  qu'avec  la  derniere  siiiee- 
rite ,  si  je  iie  rae  fusse  avise  de  cette  precaution, 
qui  ne  devoit  point  etre  negligee  pour  I'eclair- 
cissement  d'une  veritequi  m'etoit  d'extreme  con- 
sequence. 

Les  hommes ,  de  quelque  qualite  qu'ils  puis- 
sent  etre,  que  la  nature  n'a  pas  destines  ase  rae- 
ler  d'affaires  importautes  ,  et  dont  la  bonne  ou 
mauvaise  conduite  regie  quasi  toujours  les  eve- 
nemeus,  sont  si  genes,  lorsqu'ils  jouent,  par  les 
couseils  des  genies  plus  eleves  que  les  leurs,  un 
personuage  force ,  qu'il  est  impossible  qu'ils  sou- 
tiennent  long-temps  un  procede  entierement  op- 
pose a  leur  inclination,  et  au-dessus  de  leurs 
forces  et  de  leur  temperament. 

M.  leducd'Orleans,  pouragir  conformement 
au  sieu ,  se  rendoit  ingenieux  a  se  tromper  dans 
ses  propres  interets ,  et  croyoit ,  en  abusaut  ses 
plus  assures  et  fideles  serviteurs,  qu'il  se  garan- 
tissoit  du  peril  qu'il  se  figuroit  de  courir  ;  per- 
suade que  les  longueurs  et  les  remises  lui  de- 
voient  procurer  de  notables  avautages,  quoiqu'en 
effet  ce  fut  sa  mine  evidente ,  par  la  diminu- 
tion de  son  credit  et  de  sa  reputation ,  qui  main- 
tient  seule  la  creauce  que  les  princes  se  doivent 
acquerir  pour  se  conserver  dans  le  rang  que  leur 
naissance  leur  donne,  contre  I'autorite  iliegi- 
time  des  favoris  et  des  ministres  des  rois  leurs 
souverains,  qui  I'usurpent  sans  comparaison 
plus  grande  qu'elle  ne  leur  est  due  et  ne  pent 
leur  appartenir ,  selon  les  lois  de  I'Etat. 

Les  dissimulations  et  les  fausses  esperances, 
accompagnees  d'une  infinite  d'artifices,  firent 
concevoir  a  Son  Altesse  qu'uu  accommodement 
qui  ne  regardoit  que  sa  personne  suffisoit;  et 
qu'elle  devoit,  dans  les  regies  de  la  prudence, 
passer  par  dessus  toutes  les  considerations  qui 
pouvoient  lui  etre  alleguees  par  ceux  qui  n'a- 
voient  pour  objet  que  de  porter  les  choses  h 
i'extremite,  et  se  rendre  irrecouciliables  avec  le 
cardinal  de  Ricbelieu  ,  plutot  par  la  haine  vio- 
lente  concue  contre  lui ,  que  par  le  zele  (  a  ce 
qu'ils  lui  faisoient  entendre  )  qu'ils  protestoient 
d'avoir  pour  sou  service. 

Monsieur ,  prevenu  de  I'impression  que  des 
gens  si  interesses  prirent  soin  de  lui  donner  , 
feignit  une  seconde  fois  d'avoir  la  goutte ,  pour 
se  pouvoir  ,  plus  honuetement ,  defendre  de 
partlr  pour  aller  a  Sedan,  ainsi  qu'il  s'etoit  en- 
gage par  sa  parole  portee  par  di  verses  personnes 
^  M.  le  comte  ,  et  par  I'ecrit  que  Beauregard 
lui  avoit  rendu  de  la  part  de  Son  Altesse. 

Chavigny  vint  cependant  le  retrouver  ,  pour 
lui  dire  que  Sa  Majeste  donnoit  son  consente- 
ment  a  son  mariage ,  et  qu'elle  I'assuroit  d'au- 


tant  de  bonne  volonte  qu'elle  en  avoit  jamais 
eu  pour  lui,  dans  le  temps  de  la  meilleure  intel- 
ligence. 

Le  pere  Gondran ,  trompe  par  le  cardinal , 
qui  avoit  fort  pleure  devant  ce  bon  pere,  moins 
subtil  a  traiter  avec  un  esprit  artificieux  qu'ex- 
cellent  theologien ,  et  d'une  piete  tout-a-fait 
exemplaire  ,  Monsieur  ajoutant  foi  a  ce  qui  lui 
fut  dit  par  son  confesseur,  duquel  la  fidelite  ne 
pouvoit  etre  suspecte  ,  n'eut  plus  de  pensee  que 
de  conclure  son  traite. 

Les  conditions  n'etoient  pas  encore  arretees , 
que  le  cardinal ,  bien  informe  par  ses  partisans 
que  Monsieur  n'avoit  aucune  intelligence  for- 
mee  dans  le  royaume,  qu'il  avoit  neglige  pen- 
dant quatre  mois  toutes  les  mesures  qu'il  de- 
voit prendre ,  et  qu'il  avoit  renonce  a  tous 
les  desseins  d'entrer  en  aucun  parti  capable  de 
mettre  eu  compromis  son  autorite ,  et  que  la 
seule  voie  d'aller  a  Sedan  lui  etoit  ouverte  ,  fit 
garder  les  passages  des  rivieres ,  et  avancer  le 
Roi  jusques  a  Orleans.  Monsieur ,  qui  ne  me 
parloit  plus  quasi ,  m'envoya  querir  en  mou 
logis  sur  le  bruit  de  cette  nouvelle,  me  fit  raille 
protestations  de  ne  se  fier  jamais  au  cardinal , 
et  qu'il  etoit  resolu  de  s'en  aller.  Quoique  ce 
qu'il  me  disoit  fut  tres-eloigne  de  ma  croyanee, 
je  lui  dis  toutefois  que  j'estimois  qu'il  n' etoit  pas 
impossible  de  passer  a  Sedan  ;  s'il  jugeoit  a 
propos  de  I'entreprendre ,  qu'il  falloit  envoyer 
sur  tous  les  chemins  d'Orleans,  pour  voir  si  on 
ne  faisoit  point  approcher  des  troupes  ,  ou  eta- 
blir  des  relais  en  diligence  :  ce  qui  fut  fait. 

Cbavigny ,  surpris  (  a  ce  qu'il  temoigna  )  y 
assuroit  pourtant  Monsieur  que  le  Roi  desiroit 
que  tous  leurs  differends  se  terminassent  avec 
douceur,  et  que  Son  Altesse  n'avoit  rien  a  crain- 
dre.  II  lui  demanda  permission  d'aller  vers  Sa 
Majeste  ,  dont  il  lui  rapporteroit  toute  la  satis- 
faction qu'il  pouvoit  desirer  ,  et  qu'il  n'y  avoit 
qu'a  conclure  le  traite. 

Les  articles  principaux  furent  que  le  Roi  con- 
sentoit  au  mariage  de  Monsieur  ;  la  surete  ge- 
nerale  pour  les  siens  ,  sans  rien  stipuler  de  par- 
ticulier  pour  ceux  qui  etoient  les  plus  notes  dans 
cette  occasion  ;  et  qu'il  seroit  libre  a  Son  Al- 
tesse de  demeurer  dans  son  apanage  ,  sans 
qu'elle  fut  obligee  d'aller  a  la  cour;  que  M.  le 
comte  pourroit ,  si  bon  lui  sembloit ,  entrer 
dans  le  traite ;  et  que  Mouzon  ,  qui  etoit  la  plus 
mauvaise  place  du  royaume  ,  lui  seroit  donne 
pour  son  sejour  :  ce  que  le  cardinal  savoit  bien 
qu'il  n'accepteroit  jamais. 

Monsieur  ne  m'en  donna  aucune  part ,  et  me 
regardoit  avec  toute  I'indifference  dont  un 
prince  puisse  user  envers  un  gentilhomme  son 


2f4 


MK^rOIRES    DE    MONTHESOK.     [1637] 


doraestiqiie ,  auquel  il  avoit  plus  de  confiance 
qu'en  aucim  autre  qui  avoit  I'honneur  de  I'ap- 
procher. 

Une  seconde  alarme  etant  portee  a  Son  AI- 
tesse  (  qui  la  recut  avec  des  frayeurs  qui  vont 
au-dela  de  ee  qu'elles  se  peuvent  imaginer  ) , 
elle  m'eDvoya  chercher  aussitot.  Je  priai  ceux 
qui  en  avoient  pris  la  peine  de  vouloir  lui  dire 
qu'ils  ne  m'avoient  pas  trouve.  Les  messagers 
revinrent  si  souvent  ,  que  j'allai  parier  a  lui , 
qui  me  recommenca  les  memes  discours  qu'il 
m'avoit  tenus  lorsqu'il  etoit  dans  quelque  em- 
barras ,  ct  que  la  crainte  de  sa  personne  ,  qui 
est  la  seule  qui  m'a  paru  qu'il  ait  eue  durant 
tout  le  temps  que  je  I'ai  servi ,  le  pressoit ,  ne 
lui  en  ayant  jamais  vu  pour  aucun  des  siens,  en 
queiques  perils  qu'ils  fussent  exposes  pour  son 
servioe. 

Comme  il  remarqua  que  je  ne  lui  repondois 
pas  un  seul  mot  a  toutes  ses  plaintes ,  il  me 
pressa  fort  de  lui  dire  mes  sentimens.  Je  m'en 
excusai ,  me  trouvant  a  bout  des  expediens , 
dont  j'etois  si  epuise  que  je  n'en  avois  plus  au- 
euns  a  lui  fournir. 

Le  pouvoir  qu'il  avoit  sur  moi ,  sur  ce  qu'il 
persista  a  m'ordonner  de  dire  ee  que  je  pensois, 
m'ayant  force  de  rompre  le  silence,  je  le  conju- 
rai  une  fois  pour  toutes ,  dans  cette  extremite  , 
de  prendre  une  bonne  resolution  5  et  que  s'il 
etoit  vrai  qu'il  voulfit  partir  pour  se  retirer  des 
mains  de  ses  ennemis  ,  dans  lesquelles  il  etoit 
tombe ,  qu'il  connoissoit ,  par  des  experiences 
continueiles  ,  parjures  et  infracteurs  de  leur  foi, 
je  me  hasarderois  autant  qu'un  bomrae  le  pour- 
roit  faire  pour  faciliter  son  eloignement ;  que  , 
pour  ce  sujet ,  il  avoit  a  choisir  de  se  retirer 
par  la  Champagne  ,  ou  en  passant  a  Paris^  qu'il 
y  auroit  des  relais  de  tons  cotes;  que  j'y  avois 
un  genlilhomme  qui  attendoit  avec  sixchevaux, 
du  secret  et  de  la  fidelite  duquel  j'etois  caution; 
que  messieurs  les  dues  de  Veudome  et  de 
Beaufort  I'avoient  assure  de  le  conduire  avec 
surete  a  Sedan  ;  qu'en  faisant  avancer  deux  des 
siens  pour  avertir  M.  le  comte  ,  il  viendroit  au 
devant  de  lui  ;  enfin ,  qu'il  n'y  avoit  rien  a 
craindre  prenant  ce  parti ,  et  tout  a  esperer  ; 
mais  qu'il  etoit  seulement  necessaire  de  celer 
son  partement  du  soir  jusques  au  lendemain  a 
midi,etqueje  demeurerois  avec  ceux  que  le 
cardinal  croyoit  les  plus  affides  surveillans  de 
ses  actions  ;  et  que  je  me  souciois  peu  de  tout 
risquer,  pourvu  que  je  lui  pusse  rendre  ce  ser- 
vice; et  que  je  m'assurois  que  le  comte  de 
Fiesque,  sur  lequel  on  avoit  soupcon,  voudroit 
bien  s'ex poser  au  m^me  hasard. 

II  accepta  fort  I'offre  que  je  lui  faisois  ,  sans 


toutefois  m'en  temoigner  le  moindre  ressenti- 
ment :  ce  qui  me  toucha  sensiblement ,  je  I'a- 
voue  ,  mais  non  pas  au  point  de  me  faire  retrac- 
ter  ma  parole  ,  ni  m'eloigner  de  ce  que  j'esti- 
niois  lui  devoir  dans  cette  pressante  occasion. 

Le  lendemain  se  passa ;  et  comme  Monsieur 
m'apereut  ,  il  recommenca  a  reprendre  la  froi- 
deur  qu'il  m'avoit  temoignee  lorsque  ses  affaires 
alloient  un  peu  mieux. 

Chavigny,qui  ne  s'en  etoit  point  encore  alle 
trouver  le  Roi ,  I'avoit  fort  long-temps  entre- 
tenu,  et  aussi  Goulas  plus  d'une  heure  en  par- 
ticulier.  Je  me  retirai  doucement  en  mon  logis, 
detestant  une  conduite  qu'il  etoit  impossible  de 
comprendre  ,  et  sur  laquelle  je  ne  savois  ce 
que  j'avois  a  faire  pour  me  demeler  de  tant  de 
pieges  que  je  prevoyois  qui  m'etoient  tendus  , 
sans  pouvoir  fonder  ni  mesure  ni  resolution. 
Mais  le  soir  la  chose  changea  de  face,  par  un 
avis  que  Son  Altesse  recut  que  le  Roi  faisoit 
avancer  de  ses  compagnies  de  gendarmes  et 
de  ses  chevau-legers,  et  enabarquer  le  regiment 
de  ses  gardes  ,  pour  le  surprendre  dans  Blois  , 
lieu  ouvert  et  accessible  de  tons  cotes. 

Cbavigny  fut  envoye  querir,  et  vint  trouver 
Monsieur  chez  un  nomme  Mauvoy,  homme  de 
bien ,  au  logis  duquel  quantite  de  femmes  de  la 
ville  s'etoient  assemblees,  qu'il  avoit  coutume 
de  voir,  et  luidit,  en  presence  de  Fretoy  et  du- 
dit  Mauvoy,  qu'il  avoit  pretendu  traiter  since- 
rement  avec  lui ;  que  cependant  il  avoit  appris 
que  Ton  contrevenoit  aux  paroles  qu'il  avoit 
donnees  au  nom  du  Roi ,  et  que  si  cela  etoit  et 
qu'il  y  courut  quelque  risque ,  sa  vie  en  repon- 
droit. 

Chavigny,  incertain ,  et  qui  n'eut  aucune  part 
a  cette  deliberation  ,  en  cas  qu'elle  eiit  ete  prise 
a  la  cour,  se  soumit  a  tout,  et  depecha  des 
I'heure  meme  un  courrier  a  M.  le  cardinal ,  en 
attendant  le  retour  duquel  Son  Altesse  tit  ses 
preparatifs  pour  partir. 

Elle  donna  des  apparences  qui  trompereut 
beaucoup  de  gens.  Je  ne  fus  pas  de  ce  nombre  , 
ni  I'abbe  d'Aubasine;  cartons  les  domestiques 
de  Monsieur  etant  bottes ,  fort  empresses  au- 
pres  de  sa  personne,  nous  allames  au  chateau 
de  Blois ,  ou  il  se  promenoit ,  lui  en  soutane , 
et  moi  sans  bottes  ,  pour  lui  faire  connoitre  que 
nous  ne  passions  pas  aisement  pour  dupes ,  dont 
il  se  plaignit  et  blama  notre  incredulite. 

Le  soir  le  courrier  de  Chavigny  rapporta  les 
articles  signes,  avec  une  infinite  d'assuran- 
ces  et  de  bonnes  paroles ;  le  lendemain  Mon- 
sieur sejourna  a  Blois,  et  le  jour  d'apres  il  s'en 
alia  trouver  le  Roi  a  Orleans,  avec  le  cardinal 
de  La  Valette,  qui  I'etoit  venu  querir.  Je  partis 


WKMOIKES    DE    MONTUESOK. 


215 


avcc  sa  permission ,  pour  me  retirer  chez  moi , 
pour  n'etre  pas  present  en  ectte  entrevue ,  dans 
laquelle  je  ne  pouvois  trouver  ma  surele. 

Sou  Altcsse  y  fut  regardee  avec  pcu  de  res- 
pect de  ceux  qui  etoient  lors  aupres  de  Sa  Ma- 
jeste  ,  ct  meprisee  par  le  cardinal ,  qui  lui  fit  des 
railleries  fort  injurieuses. 

Le  comte  de  Fiesque  s'en  retoiirna  a  Sedan  , 

pour  informer  M.  le  comte  de  ce  qui  s'etoit 

passe.  Monsieur  y  envoya  le  comte  de  Br  ion  et 

Du  Gue ,  qui  etoit  mon  paiticulier  ami ,  capable 

(,    de  tout  ce  qu'un  gentilhomme  le  pouvoit  jamais 

f    etre ,  et  d'une  probite  exquise,  qui  dil  libre- 

I     ment  a  M.  le  comte  la  verite ,  et  I'etat  auquel 

il  m'avoit  laisse,  sans  surete  aucune ,  et  tou- 

jours  attache  a  ses  iuterets  et  a  sou  service ,  en 

tout  ce  qu'il  lui  plairoit  me  commander. 

11  se  plaignit  bautement  que  Sou  AltesseTeut 
abandonue ,  rejeta  les  offres  d'entrer  dans  le 
traite  sous  les  conditions  que  Ton  y  avoit  mises, 
et  lui  manda  quMl  preudroit  ses  mesures  comma 
il  lejugeroit  a  propos,  puisqu'll  etoit  libre  de  le 
faire, 

Le  cardinal  triompba ,  de  cette  sorte ,  d'un 
parti  qui  I'avoit  jete  dans  d'etranges  apprehen- 
sions ;  ce  que  je  ne  puis  attribuer  a  sa  bonne 
conduite,  que  je  n'airemarquee,  pour  etre  dans 
la  suite  de  toutes  ses  affaires,  ni  d'un  esprit 
prevoyant ,  ui  d'un  grand  persounage ,  mais 
seulement  d'un  homme  fort  heureux,  que  la 
fortune  soutenoit  beaucoup  plus  dans  les  tra- 
verses qui  lui  arrivoient ,  que  la  prudence  que 
plusieurs  ont  voulu  estimer  en  lui. 

Je  I'admirerai  moins  par  la  connoissancc  que 
j'en  ai  eue ,  que  je  ne  plaindrai  ceux  qui  se  sout 
opposes  a  sa  tyrannic;  et  qu'il  s'est  servi  de  la 
foiblesse  qu'ils  ont  fait  paroitre  coutre  un  enne- 
mi  public ,  duquel  les  vices  et  les  defauts  ont 
toujours  infiniment  surpasse  les  vertus  et  les 
bonnes  actions. 

Je  pourrai  peut-etre  quelque  jour,  avec  plus 
de  loisir  et  de  repos ,  revoir  ce  que  j'ai  ecrit  in- 
genument  pour  r^ndre  ce  discours  plus  intel- 
ligible ,  et  y  ajouter  ce  qui  s'est  passe  depuis 
I'annee  1636  jusqu'a  1642. 

Ceux  qui  se  donneront  la  peine  de  lire  ceci 
auront ,  s'il  leur  plait,  la  bonte  d'eu  excuser  les 
fautes,  et  peuvent  s'assurer  que  je  me  serois 
bien  empecbe  de  parler  de  moi  si  je  I'avois  pu 
eviter. 

Discours  par  M.  de  Montresor  touchant  sa 
priso7i. 

Je  n'ignorc  pas  que  beaucoup  de  gens  n'aient 
trouve  a  redire    a  ma  conduite,   lorsque  je 


me  suis  retire  du  service  de  M.  le  due  d'Or- 
leans;  mais  il  me  reste  cette  satisfaction  de 
croire  que  la  plupart  ne  m'ont  blame  que  pour 
n'avoir  pas  ete  informes  des  justes  sujets  que 
j'en  ai  eus,  et  de  lanecessite  qui  m'y  a  coutraint. 
L'experience  que  vingt-deux  annees  m'avoient 
acquise  m'eclaircissoit  suffisamment  de  ce  que 
je  devois  esperer  ou  craindre,  et  je  m'etois  as- 
sez  prepare  a  ce  que  j'avois  a  faire  pour  n'etre 
pas  accuse  de  m'y  etre  resolu  legerement.  11  est 
vrai  que  si  mes  interets  particuliers  m'eussent 
engage  aupres  de  Son  Altesse,  et  que  I'avance- 
ment  de  ma  fortune  eiit  ete  la  principale  con- 
sideration qui  m'eut  attache  a  son  service ,  il  y 
auroit  eu  lieu  de  trouver  etrange  de  me  voir 
abandonner  les  esperances  que  sa  condition  pre- 
sente  me  pouvoit  faire  concevoir;  je  dirai  sin- 
ccrement  quel  les  ont  ete  mes  intentions  ,  que 
j'ai  plusessaye  de  rendre  conformes  au  devoir 
d'un  homme  de  bien ,  qu'a  la  prudence  interes- 
see  du  siecle  ou  nous  sommes ,  dont  les  maximes 
m'ont  toujours  ete  trop  suspectes  pour  m'y  pou- 
voir  assujetir.  Et  comme  j'ai  toute  ma  vie  esti- 
me  que  les  premiers  sentimeus  se  devoient 
adresser  a  Dieu ,  auquel  nous  sommes  obliges 
de  rendre  compte  de  nos  actions ,  j'ai  aussi  re- 
connu  que  la  seconde  obligation  consiste  a 
s'exempter,  dans  le  monde ,  des  moindres  re- 
proches  qui  peuvent  donner  quelque  atteinte  h 
I'honneur.  Pour  mettre  le  mien  a  convert,  et 
me  garantir  des  traverses  que  la  malice  de  mes 
ennemis  ,  embarrasses  de  la  franchise  de  mon 
naturel,  auroit  suscitees  contre  moi,  j'ai  cru 
qu'il  etoit  plus  a  propos  de  me  retirer  de  la  cour 
de  Son  Altesse,  que  d'y  demeurer  davantage. 
II  est  a  remarquer  que  je  m'etois  engage  a  son 
service  par  ma  propre  inclination  ,  et  que  mon 
devoir  m'y  avoit  retenu  pendant  que  la  per- 
secution etoit  ouverte  contre  ceux  desquels  la 
fidelite  ne  pouvoit  etre  corrompue.  En  cette 
consideration  il  y  avoit  non  seulement  de  I'ap- 
parence ,  mais  de  tres-justes  sujets  de  me  conti- 
nuer  les  temoignages  de  confiance,  accompa- 
gnes  de  quelque  sorte  d'estime ,  que  j'en  avois 
recus  dans  le  temps  de  ses  disgraces ,  plutot  que 
de  me  les  nier  sans  aucun  fondement  legitime 
dans  celui  de  ses  prosperites.  Ces  cbangemens 
dans  la  cour  sont  des  effets  assez  ordinaires  de 
la  fortune  et  de  I'humeur  des  princes  pour  ne 
s'en  pas  etonner.  De  plus  honnetes  gens  que  je 
ne  presume  I'etre  ont  eprouve  de  semblables 
malheurs ;  ils  s'en  sont  consoles  :  il  est  juste 
que  j'en  fasse  de  raeme  a  leur  exemple. 

Des  mon  enfance,  j'avois  eu  Thonneur  de  me 
donner  a  M.  le  due  d'Orlcans  ,  et  j'oserai  dire, 
parcc  que  c'cst  la  verite ,  que  je  n'ai  eu  autre  ob- 


210 


MEMOIRES    DE    MONTliESOR. 


jet,  tantquej'ai  etea  son  service,  que  celui  de 
sa  gloire  et  de  moo  devoir.  Piusieurs  affaires 
de  consequence  m'ayaut  lors  ete  confiees  par 
Son  Altesse ,  je  me  rapporterai  volontiers  a  ee 
qu'elle-meme  en  dira,  si  jamais  elle  s'est  aper- 
cue  que  mon  interet  m'ait  ete  en  aucune  consi- 
deration ,  et  si  la  crainte  de  la  peine  ou  du  peril 
out  retarde  un  seul  moment  I'execution  de  ses 
ordres  et  I'obeissance  que  j'ai  due  a  ses  com- 
mandemens,  apres  I'avoir  suivie  dans  toutes  ses 
disgraces  au-dedans  et  au-dehors  du  royaurae, 
m'etre  trouve  abandonne  diverses  fois  de  sa  pro- 
tection, etdes  assistances  que  j'en  devois  espe- 
rer  et  attendre,  sans  me  pouvoir  reprocher 
d'avoir  rien  contribue  qui  m'exclut  de  les  rece- 
voir ;  vu  aussi  ma  patience  exercee  dans  des  ren- 
contres les  plus  rudes  qui  puissent  arriver  a  un 
gentilhomme  qui  suit,  par  une  pure  affection,  la 
fortune  d'un  prince.  Je  ne  crois  pas,  si  Ton 
prend  la  peine  d'y  faire  reflexion ,  que  Ton 
veuille  trouver  a  redire  au  soin  que  j'ai  pris 
d'etablir  mon  repos ,  en  me  retirant  d'aupres 
d'un  maitre  duquel  j'etois  si  peu  considere  ,  et 
d'autant  plus  que  ses  persecutions  etaut  finies 
avec  la  vie  et  I'autorite  du  cardinal  de  Riche- 
lieu ,je  lui  etois  fort  inutile,  n'y  ayant  rien  de 
plus  certain  qu'il  n'y  avoit  que  ses  malheurs  qui 
m'eussent  procure  de  I'emploi  aupres  de  lui. 

Dans  ce  discours  ,  par  lequel  je  pretends  jus- 
tifier  ma  conduite,  je  garderai  ce  respect  a 
M.  le  due  d'Orleans  de  n'y  meler  que  les 
plaintes  qui  sont  necessaires  pour  faire  evidem- 
ment  paroitre  que  je  n'ai  point  failli ,  et  qui 
peuvent  servir  a  donner  connoissance  des  rai- 
sons  essentielles  qui  m'ont  oblige  d'en  user 
ainsi  que  j'ai  fait.  Si  ceux  qui  se  sont  avises 
de  dire  les  sentiraens  et  les  motifs  de  ma  re- 
traite  se  fussent  expliques  avec  cette  retenue , 
et  parle  avec  plus  de  moderation,  ils  m'au- 
roient  decharge  du  soin  d'ecrire  des  verites 
que  j'aurois  eu  plus  de  satisfaction  de  passer 
sous  silence  ,  que  d'etre  reduit  a  les  faire  sa- 
voir.  Ce  n'est  pas  que  ce  qu'ils  ont  dit  de  moi 
soit  fort  injurieux,  puisque,  par  leur  aveu 
propre,  ils  m'ont  laisse  la  qualite  d'homme  sin- 
cere et  incorruptible,  et  reconnu  pour  n'etre 
pas  absolument  indigne  de  servir  un  prince  dans 
des  affaires  difliciles  :  mais  pour  venir  aux 
fautes  qu'ils  m'ont  attribuees,  ils  ont  public  que 
je  me  suis  precipite  mal  a  propos  a  me  retirer, 
sur  ce  que  je  voyois  La  Riviere  prefere  a  moi , 
et  prendre  la  place  que  j'avois  tenue  lorsqu'il 
n'y  avoit  que  des  persecutions  a  souffrir;  que 
j'avois  agi  dans  cette  action  par  le  caprice  d'un 
esprit  ulcere  ,  et  centre  les  regies  de  la  pru- 
dence ,  qui  me  conseilloit  de  dissirauler  le  me- 


contentenient  que  j'en  recevois ,  afin  d'attendre 
des  conjonctures  plus  favorables  pour  rentrer 
en  creance  aupres  de  Monsieur;  et  qu'indubita- 
blement  les  divers  changemens  de  la  cour  me 
les  eussent  presentees ,  si  je  ne  me  fusse  mis  hors 
d'etat  de  m'en  prevaloir,  Ce  discours  a  quelque 
vraisemblance ,  et  seroit  capable  de  persuader 
ceux  qui  ne  le  voudroient  pas  penetrer ;  mais 
nonobstant  qu'il  ait  ete  invente  avec  assez  d'a- 
dresse  et  d'artifice  ,  11  n'est  pas  si  difficile  d'y 
repondre  que  je  ne  le  puisse  faire  dans  la  suite 
de  cette  relation  ,  par  laquelle  je  m'expliquerai 
ingenument  de  la  verite  des  choses  passees. 
Ceux  qui  ont  remarque  de  plus  pres  ma  facon 
d'agir  sont  vivans,  et  peuvent  servir  de  temoins 
s'il  leur  a  paru  qu'aucune  envie  de  tenir  la  pre- 
miere place  fut  entree  dans  mon  esprit ,  et  si , 
par  des  soins  particuliers  que  j'aie  pris  ,  ou  que 
mes  amis  se  soient  donnes  pour  moi ,  y  a-t-il  des 
mesures  connues  qui  aient  temoigne  que  j'eusse 
le  moindre  desir  de  me  la  procurer.  Je  ne  nie- 
rai  pas  que  je  ne  me  sois  oppose  de  tout  mon 
pouvoir  pour  empecher  La  Riviere  de  I'occuper ; 
et  si  j'eusse  fait  autrement,  je  me  serois  rendu 
coupable  vers  Son  Altesse,  parce  que  j'etois  tres- 
assure  qu'en  etant  entierement  indigne ,  il  en 
abuseroit ,  et  ne  tacheroit  a  s'en  servir  que  pour 
avancer  sa  fortune  aux  depens  de  la  reputation 
et  des  affaires  de  son  maitre ,  qu'il  livreroit  au- 
tant  qu'il  dependroit  de  lui  au  cardinal  de  Ri- 
chelieu, J'avois  aussi  a  regret  qu'un  homme  de 
sa  naissance ,  que  je  savois  etre  un  trompeur 
pour  avoir  vendu  le  parti  dans  lequel  son  devoir 
I'avoit  dii  engager  de  servir,  fut  considere  k 
I'exclusion  de  beaucoup  de  personnes  de  qualite 
et  de  merite,  qui  croyoient  ne  pouvoir  souffrir 
son  accroissement  sans  un  notable  prejudice  et 
sans  une  honte  manifeste ,  a  cause  de  la  bassesse 
de  son  extraction,  et  de  I'infidelite  qui  avoit 
paru  dans  toutes  les  actions  de  sa  vie.  Si  cette 
resistance  a  ete  un  defaut  dans  ma  conduite ,  je 
ne  veux  pas  seulement  en  etre  accuse ,  car  je 
desire  d'en  etre  convaincu;  mais  comme  ce  n'est 
pas  le  sujet  effectif  et  veritable  qui  m'a  oblige 
a  me  retirer,  je  ne  m'y  arreterai  que  pour  dire 
que  j'ai  eu  des  considerations  plus  fortes  que 
celles  que  j'avois  tirees  de  la  mauvaise  intelli- 
gence qui  etoit  entre  La  Riviere  et  moi. 

En  I'annee  J()3G  ,  I'union  de  M.  le  due  d'Or- 
leans et  de  M.  le  comte  de  Soissons  leur  donna 
lieu  de  former  un  parti  contre  I'autorite  du  car- 
dinal de  Richelieu ,  qui  cherchoit  sa  grandeur 
et  son  elevation  dans  I'abaissement  de  la  maison 
royale. 

lis  jeterent  les  yeux  sur  Saint-lbar  et  sur  moi 
pour  nous  deposer  le  secret  de  leurs  resolutions, 


MEMOIRF.S    DK    MONTEESOE. 


217 


dont  les  commencemens  nous  faisoient  esperer 
des  eveneniens  bien  contraires  a  ceux  qui  sont 
arrives  du  depuis.  Daus  les  occasions  qui  s'of- 
frirent  de  ieur  rendre  tous  les  services  qui 
etoieut  en  notre  pouvoir ,  je  crois  que  je  puis 
assurer  qu'ils  n'out  eu  aucun  reproche  a  nous 
faire,  et  qu'ils  reconnurent  que  les  mesures  qui 
avoient  ete  concertees  suffisoient  pour  achever 
avec  facilite  et  reputation  le  dessein  qu'ils  avoient 
entrepris,  comme  I'experience  I'auroit  justifie, 
si  ces  deux  princes,  aupres  desquelsnous  avions 
I'houneur  d'etre  employes,  eussent  eu  autant  de 
disposition  a  finir  les  affaires  qu'a  les  coramen- 
cer. 

M.  le  due  d'Orleans  sait  mieux  que  pas  uu 
autre  a  quoi  il  tint ;  raais,  prevenu  d'autres  sen- 
timens ,  il  suffit  de  dire  qu'il  ne  le  jugea  pas  a 
propos,  daus  la  creance  qu'il  lui  seroit  plus 
avantageux  de  s'accommoder  ;  ce  qu'il  fit  par 
I'entremisede  M.  de  Chavigny  et  du  pere  Gon- 
tran,  son  coufesseur.  Et  bien  que  les  interets  de 
Son  Altesse  ne  fussent  pas  menages  de  la  sorte 
qu'ils  le  pouvolent  etre  ,  au  moins  en  succeda- 
t-il  que  Sa  Majeste  cousentit  a  son  mariage ,  et 
le  declara  en  public  a  messieurs  du  parlement 
de  Paris.  Quoiqu'il  flit  tres-juste  que  Ton  me 
comprit  dans  ce  traite ,  et  que  ma  surete  y  fut 
particulierement  stipulee,  puisque  j'avois  eu  la 
principale  confiance  de  ce  qui  s'etoit  projete  ,  je 
ne  meritai  point  que  Ton  s'en  avisat ;  et  Ton 
fit  plus ,  car  Ton  ne  se  conteuta  pas  de  me  lais- 
ser  expose  ,  Ton  usa  de  cette  durete  vers  moi  de 
me  celer  tout  ce  qui  concernoit  I'accommode- 
ment,  queje  souffris  volontiers  se  conclure  sans 
m'en  plaindre,  faisant  toutefois  connoitre  a  Son 
Altesse  que  j'etois  mieux  informe  qu'elle  ne 
I'avoit  peut-etre  cru.  Les  articles  entierement 
arretes  ,  Monsieur  alia  trouver  Sa  Majeste  a  Or- 
leans, ou  je  ne  me  jugeai  pas  en  etat  de  le  sui- 
vre.  Lorsqu'il  fut  de  retour  a  Blois  (avec  la 
mauvaise  satisfaction  que  Ton  peut  croire  qui  me 
devoit  rester  de  la  maniere  dont  je  me  voyois 
abandonne),  je  pris  la  liberte  de  le  supplier, 
avec  le  respect  que  j'etois  oblige  de  lui  rendre,  de 
me  permettre ,  etant  fort  inutile  a  son  service , 
de  me  retirer  hors  du  royaume ,  ou  j'aurois  plus 
de  surete  qu'a  y  demeurer ,  le  cardinal  de  Ri- 
chelieu ayant  le  dessein  et  le  pouvoir  de  me 
perdre.  J'y  ajoutai  queje  croyois  qu'il  avoit  in- 
teret  pour  sa  reputation  de  souffrir  que  je  prisse 
ce  parti ,  qui  etoit  le  seul  qui  me  restoit  de  me 
garantir  d'oppression  pour  I'avoir  fidelement  ser- 
vi :  ce  que  je  ferois  toujours  avec  le  meme  zele 
qu'il  avoit  reconnu  et  eprouve  dans  ces  dernieres 
rencontres.  Jedemandois  si  raisonnablement,  ce 
me  sembloit ,  que  je  ne  voyois  pas  lieu  d'etre 


refuse  par  Son  Altesse ;  toutefois  sa  prudence 
n'en  loniba  pas  d'accord,  sur  ce  que,  m'eloignant 
de  lui ,  M.  le  cardinal  I'attribueroit  a  des  nego- 
ciations  seci-etes  qu'il  m'auroit  conliees.  Ce  fut 
la  raison  qu'il  m'allegua,  et  de  laquelle  il  se 
servit  pour  vouloir  queje  demeurasse  en  France, 
dont  il  me  fit  un  commandement  absolu.  Le  ha- 
sard  que  j'avois  a  courir  en  obeissant  ne  fut  mis 
en  aucuue  consideration  :  il  fallut  pourtant  s'y 
resoudre ;  mais  j'avoue  que  j'etois  outre  dans 
mon  coeur  de  voir  ma  vie  et  ma  liberte  comptees 
pour  si  peu ,  que  de  m'otcr  par  des  ordres  si 
precis  les  moyens  de  me  lesconserver,  et  meme 
sans  me  dire  une  seule  parole  obligeante  qui  me 
put  assurer  qu'il  m'en  eut  le  moindre  gre.  Je 
jugeai  des-lors  a  qui  j'avois  affaire ,  et  me  reso- 
lus  des  ce  moment  que  le  present  me  seroit  une 
regie  pour  I'avenir ,  et  cependant  a  trouver  dans 
une  vie  retiree  et  particuliere  la  surete  qui  m'e- 
toit  deniee  dans  la  protection  d'un  maitre  auquel 
je  m'etois  si  entierement  devoue.  Je  m'en  allai 
dans  une  maison  de  campagne,  ou  je  passai  six 
ou  sept  ans  dans  une  solitude  assez  exacte  pour 
faire  croire  que  j'avois  quitte  toutes  les  pensees 
de  me  meler  des  intrigues  et  autres  menees  qui 
deplaisent  a  ceux  qui  gouvernent.  Cette  retenue 
de  laquelle  j'usai  me  fit  oublier  du  cardinal  de 
Richelieu ,  et  me  mit  a  convert  de  la  persecution 
que  je  devois  attendre  d'un  ministre  de  son  hu- 
meur ,  si  j'eusse  vecu  autreraent.  Je  voyois  Mon- 
sieur lorsqu'il  revenoit  dans  son  apanage  ;  mais 
c'etoit  assez  rarement ,  et  avec  les  precautions 
qu'il  falloit  observer  ,  qui  n'etoientpas  inutiles. 
Le  temps  que  j'ai  ci-devant  remarque  s'etant 
passe  de  cette  maniere  a  mon  egard ,  Son  Al- 
tesse, retournee  a  Paris,  se  laissa  persuader  par 
messieurs  le  due  de  Bouillon  et  de  Cinq-Mars, 
grand-ecuyer  de  France  et  favori  du  Roi,  de 
s'opposer  a  la  domination  du  cardinal  de  Riche- 
lieu ,  qui  etoit  trop  violente ,  a  ce  qu'ils  lui  fai- 
soient entendre,  et  trop  tyrannique  pour  etre 
plus  long-temps  toleree.  lis  lui  representoient  le 
peu  de  surete  eu  laquelle  etoit  sa  personne,  et 
le  deshonneur  qu'il  recevoit ,  taut  sur  le  sujet  de 
son  mariage  ,  oil  sa  conscience  etoit  interessee , 
que  sur  une  infinite  d'autres  qui  ravaloient  sa 
naissance  et  blessoient  sa  reputation.  Leurs  in- 
ductions furent  si  pressantes  sur  son  esprit , 
qu'elles  firent  qu'il  se  resolut  a  trailer  avec  les 
Espagnols  ;  et  pour  cet  effet  Fontrailles ,  gentil- 
homme  dautant  de  merite  que  j'en  aie  jamais 
connu  ,  fut  depeche  en  Espagne  avec  des  ar- 
ticles et  des  blancs  signes  de  Son  Altesse ,  de 
laquelle,  durant  que  les  clioses  s'engageoient  si 
avant ,  je  me  trouvois  eloigne, 

Le  Roi  partit  pour  le  siege  de  Perpignan ; 


218 


WEMOIKES    DE    MO.NTUESOR. 


M.  le  Grand  suivit  Sa  Majeste;  M.  de  Bouillon 
fut  commander  I'armt'een  Piemont,  et  Son  Al- 
tesse  vlnt  a  Blois.  Je  n'etois  lors  en  aucune  con- 
noissance  de  leurs  desseins ;  et  il  est  tres-vrai 
que  je  ne  les  eusse  point  approuves  ,  parce  que 
la  foi  de  quelques-uns  qui  s'en  meloient  m'etoit 
fort  suspecte,  et  que  le  parti  d'Espagne  duquel 
ils  se  -vouloicnt  appuyer  etoit  tellement  foible  et 
et  de  force  et  de  reputation,  qu'il  n'y  avoit  pas 
matiere  de  se  promettre  qu'il  diit  etre  si  prompte- 
ment  en  etat  de  relever  celui  que  Son  Altesse 
essaieroit  de  former  d'elle-meme  :  et  pour  en 
dire  plus  positivement  mou  opinion,  le  fonde- 
ment  de  leurs  deliberations,  ni  les  voies  qu'ils 
avoient  tenues  pour  les  faire  reiissir,  ne  ra'au- 
roieut  salislaiten  fucon  du  monde.  11  fallut  pour- 
tant ,  nonobstant  cette  repugnance  ,  que  dans  ce 
qui  arriva  du  depuis  j'y  eusse  plus  de  part  que 
je  n'aurois  desire  ,  s'il  eiit  etc  a  nion  choix  d'en 
accepter  ou  refuser  la  conuoissance. 

Son  Altesse,  dans  cet  embarras  d'affaires, 
youlut  me  rapprocher  d'elle,  et  pour  ce  sujet 
m'envoya  commander  de  me  rendre  pres  de  sa 
personne  le  plus  tot  que  je  pourrois.  J'eus  uu 
pretexte  fort  specieux  de  m'en  excuser,  parce 
que  j'etois  incommode  au  point  de  ne  me  pou- 
voir  soutenir,  pour  m'etre  demis  les  deux  jam- 
bes  quelques  jours  avant.  La  fatalile  est  une 
etrange  cbose!  il  y  a  des  malheurs  que  Ton  ne 
sauroit  eviter :  celiii  qui  m'a  toujours  accompa- 
gne  voulut  que  mcs  excuses  m'attirerent  de  nou- 
\eaux  oi'dres  qui  me  contraignirent,  contre  mon 
sentiment ,  d'aller  trouver  M.  le  due  d'Orleans  a 
Blois.  II  me  parut ,  lorsque  j'eus  I'honneur  de 
lui  faire  la  reverence,  par  la  reception  qu'il  me 
lit ,  qu'il  n'avoit  pas  desagreable  de  me  voir  ,  et 
qu'il  etoit  en  impatience  de  m'entretenir.  Je  ne 
metrompai  pas;  car  il  ne  se  donna  le  loisir  que 
de  me  dire  cinq  ou  six  paroles  dans  sa  chambre, 
en  presence  de  quelques-uns  des  siens,  qu'il 
passadans  son  cabinet,  duquel  il  me  commanda 
de  fermer  la  porte :  ce  qui  me  confirma  qu'il 
avoit  de  nouveaux  embarras ,  dont  il  avoit  in- 
tention que  j'eusse  la  confiance. 

Son  premier  discours  fut  de  la  creance  qu'il 
prenoit  en  ma  fidelite  ,  que  je  lui  avois  ,  a  ce 
qu'il  me-dit ,  conserveesi  entiere  ,  qu'il  lui  etoit 
jjnpossible  de  me  deguiser  ses  affaires  et  ses 
£entlmens.  II  me  raconta  ensuite  tout  ce  qu'il 
avoit  fait  et  resolu  avec  M.  de  Bouillon  et  M.  le 
Grand  ,  etm'ordonna  de  lui  dire,  avec  mafran- 
ehise  accoutumee  et  la  liberie  qu'il  ra'avoit  tou- 

(I)  Cc  iul  Ic  due  (rOrloans  qui  sc  cliargca  prol)abIc- 
mcnt  de  doiiiipr  a  Richelieu  le  lrait(5  fait  avec  I'Espagne, 
dont  on  connaissait  I'existencc  sans  en  avoir  vn  les  ler- 


jours  permise,  quelle  etoit  mon  opinion  dans 
ces  occurences  ou  il  s'agissoit  de  tout  ce  qu'un 
prince  de  sa  qualite  avoit  de  plus  considerable. 
II  la  trouva  si  differente  de  la  sienne  ,  et  telle- 
ment eloignee  des  conseils  qui  lui  avoient  etc 
donnes  ,  que  je  m'apercus  ,  des  I'instantque  j'a- 
vois  I'honneur  de  lui  parler,  qu'il  en  restoit  fort 
surpris  ,  et  d'autant  plus  qu'il  s'etoit  imagine, 
rappelant  le  souvenir  des  choses  passees  ,  qu'il 
n'avoit  qu'a  m'ouviir  les  voics  d'entier  dans  uu 
parti,  pour  rencontrer  en  moi  le  zele  etl'ardeur 
que  j'avois  temoignes  dans  celui  de  I'an  1G36  , 
qui  avoit  ete  entrepris  sur  des  fondemens  plus 
sol  ides  et  des  moyens  mieux  raisonnes. 

Cette  premiere  conference  qu'il  plut  a  Son 
Altesse  que  j'eusse  I'honneur  d'avoir  avec  elle 
ne  s'etant  etendue  que  dans  des  termes  gene- 
raux,  je  fiis  necessite  ensuite  par  mon  devoir, 
et  pour  I'interetde  son  service,  de  m'e.xpliquer 
plus  clairement  de  mon  avis  ,  et  de  le  particu- 
lariser  davantage.  J'insistai  moins  sur  les  de- 
fauts  de  I'engagement  dans  lequel  il  me  sem- 
bloit  qu'il  s'etoit  precipite,  et  les  fautes  que 
j'estimois  y  avoir  ete  commises  en  s'y  embar- 
quant ,  quoique  tres-grandes  ,  qu'a  lui  proposer 
les  expediens  que  je  jugeai  plus  propres  a  les 
reparer.  Dieu  sait ,  et  Son  Altesse  aussi ,  si  je 
parlai  en  bomme  de  bien  et  conformement  au 
devoir  d'un  naturel  francois. 

Le  traite  porte  a  Monsieur  par  le  vicomte  de 
Fontrailleset  le  comte  d'Aubijoux  a  Chambord, 
il  s'en  alia  a  Bourbon  ,  oil  je  n'eus  point  I'hon- 
neur de  le  suivre,  pour  eviter  les  soupcons 
qu'en  auroit  peut-etrepris  le  cardinal  de  Riche- 
lieu. Avant  ce  voyage,  Son  Altesse  me  donna 
diverses  fois  sa  parole  que  je  serois  ponctuelle- 
ment  averti  de  tout  ce  qui  surviendroit  dans  le 
cours  de  cette  affaire,  et  m'assura  que,  si  elle 
etoit  dccouverte  et  lui  oblige  a  se  retirer ,  il 
s'en  iroit  a  Sedan  ,  ou  il  me  commanderoit  de 
me  rendre  avec  la  diligence  que  je  jugerois  ne-' 
cessaire.  Le  comte  d'Aubijoux  fut  dans  ce  meme 
temps  en  Piemont  vers  le  due  de  Bouillon,  pour 
tirer  de  lui  les  pouvoirs  qu'il  avoit  promis  ,  et 
les  ordres  a  ceux  qui  commandoient  dans  sa 
place  pour  y  recevoir  Son  Altesse  toutes  les  fois 
qu'il  lui  plairoit  d'y  chercher  sa  surete.  Ilslui- 
furent  remis  par  mondit  sieur  de  Bouillon  ,  etil 
les  apporta  a  Moulins,si  a  propos,  que  Monsieur 
eut  pu  s'en  servir  s'il  fut  demeure  dans  sa  pre- 
miere resolution. 

Le  traite  ayant  ete  penetre  (1),  et  messieurs  le 

mes.  On  reconnait  par  la  piece  suivanle  combien  Ic  car- 
dinal niinistrc  comptait  sur  cc  document  pour  faire  faire 
Ic  proccs  aux  conjures.  Cette  concession  fut  arraclicc  a 


MEMOIKUS    J)E    MONTRESOR. 


21 1) 


'  Grand  etde  Thou  arretes  a  Narbonne,tants'en 
fallut  que  Son  Altesse  se  disposal  a  prendre  le 

I  force  de  promesscs  ct  tie  menaces  a  la  faiblesse  dc  Gas- 

f  ton.  Combien  nc  fut-elle  pas  funeste  a  ses  anciens  amis ! 

I 

Memoire  de  Son  Eminence. 

«  Pensant  ct  repensant  a  rafTairc  des  conjures ,  je  me 
:  suis  advis6  qu'il  est  impossible  qu'il  n'y  ait  un  traitl^ 
parliculier  fait  enlr'cux :  ce  qui  fait  qu'il  faudra  le  de- 
mander  a  Monsieur  ,  aussi  bien  que  le  traitt^  d'Espagne. 
Si  Ion  pcut  avoir  ccs  deux  pieces ,  le  proces  sera  fait  aux 
prisonniers  sans  peine. 

»  II  faut  prt'supposer  n^cessairement,  en  parlant  a 
La  Riviere,  que  le  trailteest  comme  une  chose  bors  de 
{    doute. 

»  Puisque  vous  cstimcz  du  tout  nc^cessaire  dc  donner 
I  un  acte  ou  passeport  a  Monsieur  pour  sorlir  hors  du 
royaume,  je  vous  en  ay  envoy^  un  que j'ay  dress(?,  aux  pa- 
roles subsiantielles  ausquelles  il  est  a  propos  de  s'altacher 
par  beaucoup  de  raisons ,  que  vous  jugerez  bien. 

»  Apres  avoir  fait  repr^senter  auduc  d'Orldans,  nostre 
frere,  que  le  vray  lieu  auqucl  il  se  doit  rendre  aupres 
de  nostre  personne,  parliculierement  dcpuis  la  faute  ou 
il  est  tombe  depuis  pcu,  les  instances  ct  r(?it^rees  suppli- 
cations qu'il  nous  a  fait  faire  de  luy  permettre  de  sortir 
dc  nostre  royaume  ,  nous  voulons  bien  la  tol(^rer,  puis- 
qu'il  n'a  pas  voulu  suivre  nos  conseils  ny  satisfaire  a  ce 
a  quoy  son  devoir  I'obiigeoit. 

»  En  cctte  considdralion ,  nous  commandons  a  tons 
nos  gouverneurs  de  provinces ,  places ,  villes ,  et  a  tous 
autres  nos  officiers,  de  laisser  passer  librement  nostredit 
frere  avec  son  train,  composed  de...  chevaux,  pour  aller 
a  Venise  ,  d'oii  il  ne  pourra  rcvenir  dans  nostre  royaume 
gans  notre  expresse  permission. 

»  De  Tarascon ,  ce  cinquiesme  juillet  1642.  » 

Billet  de  Son  Eminence  a  monsieur  de  Charigny. 

«  Plus  je  pcnse  et  repense  a  I'affaire  de  la  conjuration 
de  MM.  le  Grand  ,  de  Bouillon  et  de  Monsieur ,  plus  je 
reconnois  qu'une  declaration  ingf'nue  et  entiere  de  Mon- 
sieur seroit  n(?cessaire.  Partant,  je  vous  fais  ce  billet  pour 
vous  dire  que  si  on  peut  I'avoir  telle,  en  accordant  a 
3Ionsieur  quelques  conditions  plus  advanlageuses  que 
cclles  qu'on  s'est  propos^es,  je  cruis  qu'il  ne  faut  pas  per- 
dre  I'occasion  d'avoir  ladite  declaration,  qui  emporte  avec 
soy  la  deiivrance  du  traits  fait  en  Espagne  et  de  I'asso- 
ciation  faite  en  France. 

»  S'il  n'y  a  point  d'espdrance  d'avoir  une  telle  preuve 
de  la  conjuration,  il  faut  suivre  ponctuellement  le  pre- 
mier projet;  mais  si  on  la  peut  avoir  pour  de  I'argent 
davantage  ,  et  quelques  autres  conditions  que  le  Roy  ju- 
gera  n'eslre  pas  prejudiciables  et  peuvent  et  doivent  estre 
accordees ,  tout  est  remis  a  la  prudence  du  Roy  et  dc 
ceux  qui  ont  I'honneur  d'estre  aupres  de  luy. 

»  Du  septiesme  juillet  16'r2.  » 

(1)  Voici  les  principales  pieces  relatives  a  Taccommo- 
dement  de  Gaston  d'Orl^ans  avec  le  Roi ,  negocie  par 
I'abb^  de  La  Riviere. 

L  Lettre  de  Monsieur  d  monsieur  de  Chavigntj. 

«  iMonsieur  de  Chavigny ,  encore  que  je  voye  bien  par 
vos  dernieres  Icltres  que  vous  n'esles  pas  satisfait  de  moy 
et  que  veritablement  vous  en  ayez  sujet,  je  ne  laisse 
pas  de  vous  prier  de  travailler  a  mon  accommodement 
avec  Son  Eminence,  ct  daltendre  cot  effet  dc  la  v^rila- 


chemin  de  Sedan,  ainsi  qu'elleme  I'avoit assure, 
qu'elle  choisit  la  voie  de  la  negociation  (i),et 

ble  affection  que  vous  avez  pour  moy  ,  que  je  crois  qui 
sera  plus  grande  que  vostre  colere.  Vous  sgavcz  le  be- 
soin  que  jen  ay  ,  et  je  crois  que  vous  ne  manqucrez  pas, 
estant  I'occasion  la  plus  pressante  pour  mon  repos,  que 
jauray  jamais.  J'ay  commandc  a  l'abb(5  de  La  Riviere 
de  vous  rendre  compte  de  toutes  choses ,  et  de  prendre 
yos  advis  ct  les  suivre.  Enfin,  il  me  faut  tirer  dc  la  peine 
ou  je  suis.  Vous  I'avez  d^ja  fait  deux  fois  aupres  dc  Son 
Eminence.  Je  vous  jure  que  ce  sera  la  derniere  fois  que 
je  vous  donncray  de  parcils  employs.  Et  je  ne  fais  point 
de  compli.Tiens,  je  les  reserve  quand  vous  m'aurez  tire 
de  I'cmbarras  oil  je  suis, 

»  Gaston. 

»  Je  vous  conjure  que  je  puisse  voir  Son  Eminence 
devant  le  Roy ;  car  cela  estant ,  tout  ira  bien. 
»  De  Moulins ,  ce  2bjiiin  1642.  » 

IL  Lettre  de  Monsieur  a  Son  Eminence. 

«  Mon  cousin  ,  je  vous  envoye  I'abbe  de  La  Riviere 
pour  vous  dire  ce  que  j'espere  de  vostre  gendrosite :  je 
vous  prie  de  prendre  une  certaine  cr^ance  en  luy  ct  de 
garder  cetle  lettre  pour  m'cstre  un  rcproche  eiernel,  en 
cas  que  je  manque  a  la  moindre  chose  dont  il  vous  as- 
seurera  de  ma  part.  Je  prends  Dicu  a  temoin  de  la  sin- 
cerity avec  laquellc  ,  mon  cousin  ,  je  vous  fais  cetle  pro- 
testation ,  et  cellc  d'estre  toute  ma  vie  le  plus  Ddel  dc 
vos  amis,  et  avec  la  mesme  passion  que  je  suis,  mon 
cousin ,  vostre  affectionne  cousin  , 

»  Gaston. 

»  De  Moulins  ,  ce  2i)juin  1642.  » 

III.  Response  de  Son  Eminence  a  Monsieur. 

«  Monsieur,  puisque  Dieu  vcut  que  les  hommesaycnt 
recoursa  une  ingenue  et  entiere  confession  pour  cslre 
absous  de  leurs  fautes  en  ce  monde ,  je  vous  enseigne  le 
chcmin  que  devcz  lenir  pour  vous  tirer  de  la  peine  en 
laqucUe  vous  esles.  Vostre  Altesse  a  bien  commence, 
c'est  a  elle  d'achever,  et  a  scs  servileurs  a  supplier  le 
Roy  d'user  en  ce  cas  de  sa  bonie  en  vostre  endroit.  ainsi 
qu'elle  y  a  grande  disposition.  C'est  tout  ce  que  vous 
pcut  dire  celuy  qui  desire  veritablement  vostre  conten- 
tcment ,  et  qui  a  loujours  ele  et  veut  estre,  etc. 

»  Du  dernier  juin  1642.  » 

IV.  Escrit  de  monsieur  de  La  Rivi&re. 

«  Son  Altesse  m'ayant  command^  de  dire  a  M.  lo  car- 
dinal le  dcsplaisir  sensible  qu'elle  avoit  d'avoir  failly  ,  el 
quelle  desiroit  passionnement  de  le  voir  pour  lui  avouer 
lout  ce  qu'elle  scavoit.  Son  Eminence  a  voulu  que  je  le 
disse  auRoy,  bien  que  je  n'en  cusse  point  I'ordre  do 
Sadite  Allesse  Royale,  mais  bien  de  faire  lout  ce  qu'iI 
commanderoit.  A  quoy  ayant  obey  ,  Sa  Majesle  m'a  ab^ 
solument  commando  d'cscrire ,  ce  que  j'ay  fait  apres  une 
longue  et  respcctucuse  resistance  de  ma  part. 

»  Monsieur  ma  command^  de  dire  a  Son  Eminence 
qu'il  desiroit  le  voir,  qu'il  le  conjuroit  d'oblenir  sa  grace 
du  Roy  et  I'oubly  de  sa  faute  ;  qu'il  avoit  eu  des  liaisons 
avec  M.  le  Grand  dont  il  expliqueroit  le  ddlail  a  Son 
Eminence ;  qu'il  avoit  aussi  eu  quelques  liaisons  avec 
M.  de  Bouillon  ct  qu'il  diroit  le  particulier  a  Son  Emi- 
nence, que  je  ne  sC'iy  poinl-  ^  coste  est  escrit:  a  Monl- 
frin,  ce  29  juin  16'(2.  » 


220 


MBMOIRES    DR    MOMBESOB. 


la  commit  a  La  Riviere,  qui  d^pendoit  entiere- 
raent  du  cardinal  de  Richelieu.  M.  de  Bouillon 

V.  Response  du  Roy,  qui  doit  estre  mise  au  bas  de  I'es- 
crit  de  monsieur  de  La  Riviere. 

«  Apres  ce  que  le  sieur  dc  La  Riviere  a  d(5clar(5  de  la 
part  de  nion  frere.  je  desire  qu'il  retouriie  le  trouver 
pour  luy  dire  que  s'il  m'envoye  par  escril  toutes  les  Glio- 
ses dans  lesquciles  il  s'estoit  engage  et  ausquelies  on  I'a 
voulu  porter  contre  mon  service,  et  qu'il  declare  fran- 
chementce  qu'il  sfait,  sans  rien  rciserver,  il  rocevra  des 
effets  de  ma  bonKi ,  ainsi  qu'il  en  a  d^ja  receu  plusieurs 
fois  par  le  passd.  Je  desire  que  ledit  sieur  de  La  Riviere 
m'apporle  promptement  response  ,  et  qu'il  vienne  au- 
devant  de  moy. 

»  La  proposition  de  La  Riviere  est,  que  si  Monsieur 
confesse  tout  sans  reserve  ,  le  Roy  trouve  bon  que  sans 
le  voir  il  sorte  du  royaume  pour  aller  vivre  a  Venise. 

M  II  l^moigne  croire  absolument  que  si  on  veut  luy 
donner  la  liberty  il  donnera  ingenue  et  entiere  confes- 
sion de  toutes  choses. 

»  II  m'a  demand^  plusieurs  fois  ma  parole  sur  ce  sujet; 
je  n'ay  os(5  la  luy  donner,  ne  sachant  pas  si  le  Roy  I'a- 
gr(5era  ;  mais  ma  pensf^e  est  qu'il  n'y  a  pas  de  difficultc 
a  le  faire .  parce  que  ou  Monsieur  envoycra  une  bonne 
ot  entiere  confession,  ou  une  mauvaise  et  defectueuse  , 
on  le  poursuivra  avec  des  troupes,  selon  la  r<5solution 
prise,  et  cependant  ladite  confession,  quoyque  mau- 
vaise .  servira  a  la  conviction  de  ses  complices,  et  a  celle 
de  sa  propre  personne.  S'il  I'envoye  bonne ,  I'on  s'en  ser- 
vira encore  mieux.  etie  Roy  ne  sera  obliged  qu'a  le  laisser 
aller  a  Venise  et  ne  le  priver  pas  dc  libert(5 ;  ce  qui  n'em- 
peschera  pas  qu'on  ne  fasse  ensuite  ce  qu'il  faudra  pour 
I'Estat. 

»  Mon  advis  est  done  que  vous  disiez  a  I'abbd  de  La 
Riviere  :  M.  le  cardinal  ne  vous  a  pas  voulu  donner  pa- 
role que  le  Roy  laissast  aller  librement  Monsieur  a  Ve- 
nise sans  le  voir  ,  au  cas  qu'il  luy  envoyast  une  entiere 
confession  de  ce  qu'il  s^ait;  et  cependant  pour  vous  mon- 
trer  quil  fait  tousjours  plus  qu'il  ne  promet,  il  m'a  es- 
crit  pour  conseiller  au  Roy  de  donner  ce  consente- 
mcnt  a  Monsieur :  ce  que  je  feray  tres-fidcllement ,  et 
en  ce  casje  vous  donneray,  par  commandement  duRoy, 
la  parole  de  Son  Eminence.  Ainsi  il  ne  tiendra  qu'a 
Monsieur  qu'il  ne  sorte  encore  une  fois  du  mauvais  pas 
auquel  il  est,  selon  vostre  proposition,  par  I'intervention 
du  cardinal. 

»  J'ay  donn^  parole  a  M.  deLa  Riviere  qu'on  ne  dira 
point  a  Monsieur  que  la  confession  est  deffectueuse ; 
seulement  je  luy  ay  dit  qu'il  faut  que  la  d(5claration  de 
Monsieur  soit  sign^e  de  luy  et  contresignc'e  de  Goulas. 

»  II  eijt  bien  d6s\r6  en  avoir  un  projet,  mais  j'ay  cs- 
lim6  qu'il  vaut  mieux  que  ces  messieurs  agissent  a  leur 
mode.  Je  vous  advoue  que  je  ne  crois  point  que  Monsieur 
d(5clarc  la  v(5rit(5;  et,  en  ce  cas  ,  il  faudra  advancer  les 
troupes  vers  luy  sans  y  perdre  aucun  temps ,  et  je  crois 
mesme  qu'en  attendant  la  declaration  il  ne  faut  pas  dif- 
KrcT  leur  marche.  Je  crois  qu'il  est  bon  que  M.  Goulas 
apporte  la  declaration  de  Monsieur  avec  M.  de  La  Ri- 
viere. » 

VI.  Lettre  de  Monsieur  au  Roy,  par  laquelle  il  lay 
demande  pardon  de  sa  faute. 

«  Monseigneur.  je  suis  au  d(5scspoir  d'avoir  encore 
manqud  a  la  litlc^lit^  que  jc  dois  a  Vostre  Majesty ;  je  la 
supplie  tres-humblement  d'agr^er  que  je  luy  en  de- 
mande un  million  de  pardons,  avec  un  compliment  de 
soumission  et  de  repentance.  J'esp^re  de  vostre  bontd 


fut  aussi  retenu  h  Casal  d'uoe  raaniere  fort  peu 
honorable  pour  lui  :   ce  que  j'ignorai  durant 

extreme,  Monseigneur  ,  que  vous  aurez  compassion  du 
malhcureui  estat  ou  me  r^duit  vostre  indignation,  et 
que  le  premier  effet  que  vous  m'avez  command^  de  vous 
rendre  de  mon  ob(^issance  ,  et  auquelje  proteste  d'avoir 
salisfait  tres-sincercment ,  me  fera  recevoir  la  gr^ce  et 
le  pardon  que  Vostre  Majesty  m'a  fait  I'honneur  de  me 
promettre  par  Yahhi  deLa  Riviere,  et  qu'elle  sera  aussi 
convi6e  pour  la  tendresse  et  le  bon  naturel  qu'elle  a  tous- 
jours eus  pour  moy ,  a  escouter  favorab'ement  les  tres- 
humbles  supplications  qu'il  luy  en  fera  de  ma  part.  C'est 
ce  dont  je  conjure  Vos'.re  Majesty  par  son  propre  sang, 
et  par  I'honneur  que  j'ay  d'estre ,  Monseigneur ,  vostre 
tres-humble  et  tres-ob^issant  serviteur  et  sujet , 

»  Gaston,  » 

VII.  Lettre  de  Monsieur  a  Son  Eminence. 

«  Mon  cousin ,  apres  avoir  satisfait  au  commande- 
ment qu'il  a  pleu  au  Roy  mon  seigneur,  me  faire,  et  aa 
conseil  que  m'avez  donn^,  ayez  agr^able  queje  vous 
prie  qu'ensuite  du  pardon  et  de  la  grace  que  vous  avez 
oblenus  du  Roy  mon  seigneur,  j'employe  tousjours  vostre 
gdn^rosite  pour  I'adoucissement  de  ce  malheureux  estat 
ou  je  me  trouve.  Je  vous  advoue ,  mon  cousin ,  qu'apr^s 
toutes  les  choses  qui  se  sont  pass^es,  il  faut  qu'elle  ait 
fait  un  dernier  effort  sur  vous  pour  vous  obligcr  a  m'ay- 
der  en  ce  malheureux  rencontre;  mais  si  vous  pouviez 
voir  la  sinc^ritc?  de  mon  cceur ,  je  n'aurois  aucun  sujet 
de  craindre  que  vous  ne  voulussiez  adjouster  a  tant  de 
gloire  que  vous  vous  estes  acquise  ,  celle  de  donner  a  un 
fils  de  France  toute  I'assistance  et  le  secours  qu'il  vous 
demande.  Je  vous envoyel'abb^  deLa  Riviere  sur  vostre 
passage  pour  vous  dire  avec  quelle  resignation  je  vous 
fais  cette  priere ,  et  celle  de  me  conserver  tousjours 
vostre  amitie.  Je  suis  si  r(5solu  de  vous  donner  de  telles 
preuvcs  de  la  parfaite  estime  et  de  I'extreme  affection 
que  j'auray  pour  toute  ma  vie  ,  que  je  suis  asseure  que 
vous  aurez  un  jour  une  entiere  confiance  en  moy ,  et 
que  vous  connoislrez  queje  suis  aussi  inviolablement 
que  je  vous  le  proteste ,  mon  cousin  ,  vostre  tres-affec- 
tionne  cousin, 

»  Gaston.  » 

VIII.  Escrit  de  M.  de  La  Riviere  au  nom  de  Monsieur, 
qu'il  reconnoistra  devant  M.  le  chancelier  le  con- 
tenu  en  sa  declaration  estre  veritable. 

«  Au  cas  qu'il  plaise  au  Roy  promettre  par  escrit  de 
remetlre  Son  Altcsse  Royale  en  France,  et  a  Trdvoux, 
ou  a  Ville-Franche  ,  el  de  la  a  Blois,  dans  la  jouissance 
de  tout  son  appanage,  avec  une  declaration  pour  le  par- 
don de  sa  faute,  v^rifi^e  en  parlement,  Son  Altesse 
Royale  m'a  command(5  de  donner  sa  parole  qu'il  recon- 
noistra devant  M.  le  chancelier ,  qui  le  viendra  trouver 
audit  Tfdvoux  ou  Ville-Franche,  avec  une  lettre  de  Sa 
Majesty ,  que  ce  qu'il  a  escrit  et  estoit  dans  I'adveu  de  sa 
faute,  que  j'ay  port(5  au  Roy,  est  vray  et  fera  ce  qu'il  faut 
pour  reconnoistre  la  \€T\li  de  sa  d(5cIaration.  Son  Al- 
tesse Royale  reconnoistra  aussi  le  traitt^  fait  avec  I'Es- 
pagne,  avec  toutes  ses  circonstances.  Sa  Majesty  a 
agr^able  que  le  prc'sent  papier  me  soit  remis  entre  les 
mains  dans  trois  semaines  ,  si  on  ne  satisfait  aux  condi- 
tions ci-dessus  mentionncies.  Monseigneur  m'a  com- 
mande  aussi  de  dire  qu'il  desire  le  secret  de  cette  af- 
faire. 

»  Fait  ce  deuxieme  jour  d'aoiit  1642 ,  a  Fontaine- 
bleau. 

V)  Sign(5  La  RivifeBE.  » 


MEMOIRES    OE    MONTBESOU. 


221 


quelqiies  jours  de  mon  cote ,  et  me  trouvai  tel- 
.  lement  oublie  par  Monsieur,  quMl  ne  daigua 
me  faire  savoir  aucunes  nouvelles  ;  mais,  sur  le 
J  bruit  public  d'un  si  grand  changement  arrive  a 
1 1  la  cour,  et  des  avis  particuliers  que  j'avois  re- 
cus,  je  ne  perdis  pas  le  souvenir  des  ordres  qui 
m'avoient  ete  donnes  ;  et  comme  ['occasion  de 
les  executer  me  pressoit,  je  m'en  allai  jusquesa 
trois  lieues  de  Sedan  ,  oil  je  fus  informe  de  tres- 
bonne  part  que  le  traite  de  Son  Altesse  avec  le 
Roi  etoit  fort  avance.  Ce  fut  a  moi  a  penser  de 
revenir  sur  mes  pas  :  ce  qui  ne  m'etoit  pas  aise, 
parce  que  tons  les  passages  des  rivieres  etoient 
gardes  contre  les  deserteurs  de  railice ;  et  quoi- 
que  j'aie  fait  en  ma  vie  des  voyages  facheux  et 
penibles,  ce  fut,  pour  le  temps  qu'il  dura  ,  ce- 
lui  qui  me  I'a  ete  davantage. 
Les  cours  des  princes  sontcomposees  debeau- 
!  coup  de  sortes  de  gens  ;  mais  il  y  en  a  peu  qui 
preferent  leur  bonneur  a  leurs  interets  ,  et  qui 
!  se  plaisent  a  soulager  leurs  amis  lorsqu'ils  se 
,  rencontrent  embarrasses  dans  des  affaires  dont 
lesucces  ne  leur  est  pas  favorable.  .T'en  ai  pour- 
tant  eprouve  de  fideles  dans  des  traverses  qui 
me  sont  arrivees  :  le  sieur  de  Roussillon  me 
temoigna  dans  mon  besoin  qu'il  etoit  tel  en 
mon  endroit ;  car  il  quitta  Monsieur  en  deux 
journees  au-dela  de  Lyon,  et  fit  ce  long  chemin 
pour  m'avertir  que  Sa  Majeste  et  le  cardinal 
faisoient  paroitre  beaucoup  d'aigreur  contre 
moi,  et  son  Altesse  peu  d'affection  a  me  garantir 
de  I'oppression  dont  j'etois  menace.  Pour  en 
empecher  I'effet ,  j'allai  en  Perigord  ,  oii  j'etois 
tres-certain  que  je  n'avois  rien  a  craindre,  pour 
la  bienveil lance  que  cette  province  a  de  tout 
temps  temoignee  a  notre  maisou  (i) ;  et  le  sup- 

IX.  Accord  fait  par  le  Roy  a  Monsieur  des  demandes 
contenues  en  Vescrit  cy-dessus  ,  au  cas  qu'il  exe- 
cute ce  qui  est  parte  par  iceluy. 

«Nous,  Louys,  etc.,  apres  avoir  entendu  ce  que 
I'abM  de  La  Riviere  nous  a  dit  par  le  commandemenl 
de  nostre  frere  d'Orl^ans ,  dont  le  contenu  est  ci-dessus 
escrit ,  d^clarons  par  la  pri^senie  que  nous  accordonsa 
nostredit  frere  ce  qui  paroist  qu'il  demande  par  ledit 
escrit,  au  cas  qu'il  execute  de  point  en  point  ce  qu'il  a 
promis;  en  tesmoin  de  quoy ,  etc.  » 

X.  Consentement  de  Monsieur  de  vivre  enparticulier 
au  royaume  sans  charge  ny  train ,  que  celuy  qu'il 
plaira  au  Roy  luy  ordonner. 

«  Gaston  ,  fils  de  France ,  etc.  Apres  avoir  donn^  une 
ample  declaration  au  Roy  du  crime  auquel  le  sieur  de 
Cinq-Mars ,  grand-escuyer  de  France ,  nous  a  fait  tom- 
ber  par  ses  pressantes  sollicitations ,  recourant  a  la  em- 
inence de  Sa  Majesty ,  nous  ddclarons  que  nous  nous 
liendrons  extremement  obliges  et  bien  traitt(5s,  s'il  plaist 
a  Sa  Majesty  nous  laisser  vivre  comme  simple  particu- 
lier  dans  le  royaume  ,  sans  gouvernement ,  sans  compa- 


pliai  cependant,  en  continuant  les  obligations 
qu'il  avoit  commence  d'acquerir  sur  moi ,  de 
vouloir  retourner  vers  Son  Altesse  pour  que  je 
fusse  informe  de  ce  que  j'avois  a  devenir,  et  de 
lui  dire  hardiment  de  ma  part  que  je  ne  pou- 
vois  etre  en  peine  qu'autant  qu'il  voudroit 
que  je  le  fusse  ;  et  que  cela  etant ,  j'etois  hors 
de  toute  apprehension.  II  s'acquitta  de  la  com- 
mission qu'il  avoit  eu  agreable  de  prendre  avec 
toute  la  diligence  et  le  soin  que  je  pouvois  desi- 
rer,  et  revint  me  trouver  ainsi  qu'il  me  I'avoit 
promis,  pour  me  porter,  en  termes  expres  ,  or- 
dres de  Monsieur  de  sortir  de  France,  parce 
que  le  sejour  que  j'y  ferois  lui  pourroit  nuire. 
II  y  a  une  particularite  qui  merite  bien  de  n'etre 
pas  oubliee  :  deux  jours  avant  que  j'eusse  recu 
ce  commandement ,  Son  Altesse  avoit  ete  in- 
terrogee  a  Villefranche  par  M.  le  chancelier  , 
assiste  de  douze  maitres  des  requetes  ou  con- 
seillers  d'Etat,  en  presence  desqueis  elle  decla- 
ra  par  unetres-longue  deposition  toutes  les  par- 
ticularites  des  choses  les  plus  secretes;  et 
comme  il  u'y  en  pouvoit  avoir  aucune,  dans  la 
verite  de  I'affaire ,  suffisaute  de  iTie  faire  lum- 
ber en  crime,  sabonte,  sans  doute  surprise,  lui 
laissa  consentir  qu'il  fut  mis  dans  le  douzieme 
article  que,  si  j'avois  fait  quelqnetraite  avec  le 
sieur  de  Thou  ou  autre ,  elle  le  desavouoit.  Elle 
savoit  pourtant  bien  que  cela  ne  pouvoit  etre  , 
et  queje  n'etois  point  capable  de  rien  faire  a  son 
insu,  et  principalement  dans  une  occasion  si 
considerable  et  de  telle  consequence.  Nean- 
moins  je  fus  nomme  de  cette  sorte  dans  un  acte 
qui  sera  un  litre  a  la  posterite ,  que  les  princes 
de  sa  naissance  out  peu  accoutume  de  don- 
ner  (2).  Je  passai  en  Angleterre  avec  d'extremes 

gnie  de  gendarmes ,  ny  de  chevaux-l^gers ,  ny  sans  pou- 
voir  pretendre  jamais  pareille  charge  ny  administration, 
telles  qu'elles  puissent  cstre,  et  a  quelle  occasion  qu'elles 
puissent  arrivcr.  Nous  consenlons,  en  outre,  a  la  vie  par- 
ticuliere  que  nous  supplions  le  Roy  de  nous  laisser 
faire,  n'avoir  aucun  train  que  celuy  qu'il  plaira  a  Sa 
Majesty  nous  prescrire  ,  et  ne  pouvoir  tenir  aupres  de 
nous  aucune  personne  que  Sa  Majesl(5  nous  tesmoigne 
luy  estre  d^sagr^able  :  le  tout  sur  peine  de  descheoir, 
par  la  moindre  contravention  a  tout  ccque  dessus,  de  la 
grace  que  nous  supplions  Sa  Majesty  de  nous  accorder , 
ensuite  de  la  faule  que  nous  avons  commisc. » 

(1)  La  baronnie  de  Bourdeille  ^taitunedes  premieres 
du  Perigord. 

(2)  Yoici  les  deux  pieces  dont  parte  Montr^sor: 

L 

Declaration  de  Monsieur ,  contenant  la  confession  de 
(out  ce  qui  s'est  passe  en  la  conspiration  de  Cinq- 
Mars. 

«  Gaston  ,  fils  de  France ,  fr^re  unique  du  Roy,  due 
d'Orl^ans  ,  estanl  toucM  d'un  veritable  repenlir  d'avoir 


222 


MEMOIBES    DE    MOMTRESOR. 


difficultes:  cequi  iiefut  pascompte  pour  grand'- 
chose. 

].e  cardinal  de  Richelieu  raourut  la  meme  an- 
nee,  et  le  Roi  celle  d'apres.  En  coutinuant  les 
procedures  corameocees  contre  mot ,  je  fus  crie 
a  trois  briefs  jours,  mes  biens  arretes  ,  eteusa 
souffrir,  dans  mon  absence ,  tout  ce  que  la  vio- 
lence exige  contre  les  innocens  par  les  formes 
ordinaires  de  la  justice,  ace  que  le  cardinal 
pretendoit  mal  a  propos  ,  parce  qu'elle  cede  a 
i'autorite  dans  de  semblables  rencontres. 

M.  de  Thou,  mon  cousin  germain,  mourut  a 
Lyon,  par  jugeraent  donne  par  des  commis- 
saires,  et  M.  le  comte  de  Bethune,  mon  intime 
ami,  fut  accuse,  par  la  plus  lache  calomniequi 
se  puisse  jamais  inventer  contre  une  probite 
aussi  reconnue  que  la  sienne ,  d  avoir  reveie  le 
secret  du  traite  d'Espagne.  Enfin  je  fus  le  der- 
nier, de  tous  ceux  qui  etoient  en  peine  pour  les 
interets  de  M.  le  due  d'Orleans  ,  qui  revint  en 
France  de  I'exil  oil  j'etois  alie  par  son  comman- 
dement.  Dans  le  temps  de  mon  sejour  en  Angle- 
encore  manqu^  a  la  fid^lite  que  je  dois  au  Roy,  mon  sei- 
gneur, apres  tant  de  tesmoignagcs  que  j'ay  reeeiis  de  son 
cxtresme  bonl(5  en  de  semblables  fautes,  et  d(5sirant  de 
tout  mon  coeur  me  rendre  digne  de  la  grace  et  du  pardon 
qu'il  a  pleu  a  Sa  Majeste  me  promctlre  par  I'abb^  do  La 
Riviere,  je  luy  advoue  sincerement  toutes  les  choses 
donlje  suis  ccupable  et  dont  j'ay  eu  connoissance. 

»  Je  declare  et  confesse  a  Sa  Majesty  que,  depuis  le 
voyage  d'Amiens  de  I'ann^e  dernierc,  j'ay  esle  sollicil6 
plusieurs  fois  par  M.  le  Grand  de  nostre  intelligence  avec 
luy  ,  pour  tascher  de  mettre  M.  le  cardinal  hors  des  af- 
faires ;  a  quoy  jay  r(5sist6  d'abord  ;  mais  m'ayant  apres 
asseure  ,  en  une  autre  entrevue,  qu'il  avoit  la  parfaite 
confiance  du  Roy  ,  et  me  voyant  press^  d'aller  au  voyage 
dc  Languedoc  sans  employ  et  sansraison,  ce  me  sem- 
bloit,  j'entray  en  liaison  avec  luy  d'autant  plus  volon- 
tiers  qu'alors  il  m'asseura  du  service  de  M.  de  Bouillon  , 
ct  qu'il  me  donneroit  Sedan  pour  retraitte,  en  cas  de 
besoin. 

»  Quelques  jours  apres,  par  une  entrevue  avec  M.  le 
Grand  et  M.  de  Bouillon,  nous  r^soliimes,  pour  ache- 
miner  nos  dcsseins,  queM.  le  Grand  di;meureroit  pres 
dc  la  personne  du  Roy  et  que  je  me  retirerois  a  Sedan 
avec  M.  de  Bouillon;  que  nous  fetions  un  traiu^  avec 
I'Espagne,  dont  la  principale  condition  seroit  la  paix 
g^nerale  pour  atlirer  le  peuple  a  nostre  party;  que  ce- 
pendant  que  le  Roy  seroit  a  Perpignan  ,  nous  entrerions 
en  armes  en  France  ,  proposant  ladile  paix.  3Iais  tout 
ce  dessein  ne  fut  point  cx^cutd  ,  M.  le  Grand,  ne  le  ju- 
geant  plus  ndcessaire  ,  s'eslant  imaging  depuis  que  saus 
cet  embarras  il  pouvoit  parvenir  a  ses  fins. 

»  Toutefois ,  comme  la  proposition  de  traitter  avec 
I'Espagne  fust  plustdt  diir(fr^e  que  rompue ,  c  mis  entre 
les  mains  de  Frontraillcs ,  a  Paris,  au  raois  de  janvier 
dernier,  deux  blancs  signes  dc  mon  nom  sculement, 
dans  un  petit  papier,  pour  en  faire  deux  lettres ,  I'une 
adressante  au  roy  d'Espagne  et  I'autre  au  comte  due. 
Lesdits  blancs  .signcz  ont  est6  remplis  par  Fontrailles, 
a  ce  qu'il  m'a  dil :  ce  que  je  crois  d'autant  plus  verita- 
ble que  j'ay  eu  les  deux  responses ,  toutes  lesdites  lettres 
en  cniance  sur  Frontrailles. 


terre,  je  me  trouvai  non-seuleraent  abandonne, 
mais  tenement  oublie  par  Son  Altesse,  que  je 
tomberois  pour  elle  en  confusion  si  j'etois  con- 
traint  d'en  faire  la  relation  entiere.  A  mon  re- 
tour,  je  fus  recu  comme  un  gentilhomme  qui , 
par  curiosite  ou  pour  son  divertissement  parti- 
culier,  auroit  fait  ce  voyage,  Cette  maniere  de 
proceder  d'uu  maitre  qui  m'avoit  si  souvent  ex- 
pose pour  son  service  me  toucha  sensiblement  : 
toutefois  je  me  resolus  de  n'en  point  faire  d'e- 
clat,  et  a  differer  le  dessein  que  j'avois  pris  de 
me  retirer ,  plutot  pour  la  satisfaction  de  mes 
amis  que  pour  la  mienne  ,  que  je  ne  pouvois 
plus  rencontrer  apres  des  traitemens  si  rudes. 
Trois  mois  s'etant  ecoules  dans  ces  sujets  de 
mecontentement ,  qui  auroient  irrite  la  patience 
des  plus  sages  et  des  plus  moderes,  et  me  voyant 
si  dechu  des  avantages  que  d'autrcs  fois 
SonAltesse  m'avoit  accordes,je  crus qu'il  se- 
roit injurieux  a  mon  honneur  d'attendre  plus 
long-temps  a  executer  ce  que  j'avois  projete. 
Pour  en  augmenter  les  raisous ,  je  pris  occa- 

»  La  cr(5ance  estoit  de  demander  une  armt^e  de  douze 
mille  hommes  de  pied  et  de  qualre  mille  chevaux  des 
vieilles  troupes  d'Allemagne,  et  de  I'argent  raisonna- 
blement  pour  faire  des  levees  en  France.  II  y  avoit  quel- 
ques aulres  articles  pour  ma  subsistance  ,  et  pour  avoir 
des  lettres  pour  ma  retraitte  en  toutes  les  places ,  si  j'en 
avois  besoin.  11  y  avoit  aussi  un  autre  aiticle  pour  la 
subsistance  de  deux  grands  seigneurs ,  qui  n'estoient  pas 
nomm^s  autrement,  mais  ell'ectivement  c'esloient  MM. 
de  Bouillon  et  le  Grand. 

»  Dans  toute  cette  airaire,  j'ay  parl^  deux  fois  a  M.  de 
Thou  a  Paris,  que  je  trouvay  inform^;  il  me  dit  qu'il 
avoit  vcu  M.  de  Beaufort  et  qu'il  I'avoit  trouve  fort 
froid;  ensuite  de  quoy,  a  mon  arriv^e  a  Blois ,  je  le  vis 
et  le  trouvay  de  la  mesme  humeur,  toutesfois  me 
faisant  quelque  proposition ,  a  quoy  je  ne  ra'arrestay 
pas. 

»  Depuis ,  Fontrailles  me  vint  trouver  a  Chambord 
pour  me  dire  que  les  adaires  de  M.  le  Grand  alloient 
mal  ct  qu'il  falloit  pourvoir  a  nostre  seuret^.  Sur  quoy 
j'cnvoyay  le  comte  d'Aubijoux  en  Savoie,  a  M.  de  Bouil- 
lon ,  demander  une  lettre  de  luy  ,  pour  me  faire  recevoir 
a  Sedan  ,  laquelle  il  m'envoya. 

»  Ensuitle  de  ce  ,  M.  le  Grand  m'envoya  un  courier 
pour  me  dire  qu'il  estoit  en  tres-mauvais  cstat  aupresdu 
Roy  ,  et  ce  queje  voulpis  qu'il  devinst.  Je  luy  manday 
de  se  trouver  a  Moulins-en-Gilbert ,  le  qualriesme  de 
juillet,  et'qu'il  se  retirasl  avec  moy  au  Comt(5,  et  de  la  a 
Sedan  :  mais  le  courier  trouva  qu'il  estoit  arrest(5. 

»  Si ,  outre  tout  ce  que  dessus  ,  il  se  trouve  quelques 
negociations  faites  j)ar  Montr csor  avec  M.  de  Thou, 
ou  quelques  autres  de  mes  gens  avecd'auires,  directe- 
ment  ou  indirectement ,  je  les  desavoue,  comme  les 
ay  ant  faites  a  mon  insceu. 

»  Je  proteste  devant  Dieu  ,  et  je  supplie  tres-humble- 
ment  Sa  Majesty  de  croire  que  la  prcsente  d(5claration 
que  je  luy  fais  est  tres-sincere  et  veritable ,  et  que  c'est 
tout  ce  dont  j'ay  eu  participation  ,  et  qui  pent  cstre  venu 
a  ma  connoissance  en  cette  alTaire,  dont  j'en  demande 
tres-humblement  pardon  a  Sa  Majesty.  En  tesmoin 
de  quoy  j'ay  escrit  et  sign^  de  ma  main  la  prcsente, 


MEMOIUKS    UE    MONTKESOR. 


223 


sion  de  parlei*  u  Monsieur  de  deux  affaires  qu'il 
m'avoit  promises,  qui  ne  pouvoicnt  recevoir 
aucune  difficulte  ;  il  m'en  refusa  pourtant  d'une 
facon  si  desobligeante,  que  je  vis  bien  qu'il  ne 
falloit  plus  reraettre  la  resolution  que  j'avois 
prise,  etque  je  n'avois  retardeeque  pour  obser- 
ver plus  de  bienseance  et  de  respect  vers  Son 
Altesse ,  et  pour  les  considerations  dont  je  nae 
suis  deja  explique.  Peu  de  jours  ensuite  ,  je  le 
suppliai  d'agreer  le  traite  que  j'avois  fait  de  ma 
charge  de  chef  de  sa  venerie ,  qui  ne  venoit  point 
de  ses  bienfaits ,  car  je  I'avois  recompensee  aux 
enfans  de  celui  qui  la  possedoit  avant  moi. 

Ce  que  Monsieur  eut  a  me  dire  ne  consista 
qu'a  s'enquerir  pourquoi  je  m'en  voulois  de- 
faire ;  mais  lui  ayant  represente  que  c'etoit  la 
pure  necessite  de  raes  affaires  qui  m'y  obligeoit, 
persuade  par  cette  raison  qu'un  maitre  qui 
ra'auroit  plus  considere  n'auroit  pas  si  aise- 
ment  recue,  j'en  obtins  la  permission  ,  sans  me 
rendre  aucun  temolgnage  d'y  desirer  autre- 
ment  pourvoir.  Quinze  jours  se  passerent  apres 

el  command^  a  mon  secretaire  de  la  contre- signer. 
»  Fait  a  Aygueperce ,  ce  7  juillet  164-2. 

»  Signe  Gaston. 
»  Et  plus  bas ,  GouLAS. 
»  Et  a  coste,  tourn^s  : 

»  Depuis  avoir  escrit  le  contenu  de  I'autre  part,  je 
me  suis  souvenu  d'avoir  obmis  la  response  qui  me  fut 
faile  d'Espagne,  qui  fut  qu'ils  me  fourniroieiu  ladite 
arm^e  le  premier  de  juillet ,  qu'ils  me  donrieroient  qua- 
tre  cent  mille  escus  pour  faire  lesdites  levies  en  France, 
et  douze  mille  escus  par  mois.  coinme  ils  avoient  fait  en 
Flandres.  Le  trailed  me  fut  apport^  a  Blois ,  signd  du 
comte  due,  et  ne  I'ayant  pas  voulu  signer  ,  je  lay  gardd 
jusques  a  la  prise  de  M.  le  Grand ,  que  je  lay  brusle. 
J'en  devois  envoyer  la  ratiflcation  a  don  Francisco  de 
Melo ,  ce  que  je  n'ay  pas  fait. 
»  Fait  les  jour  et  an  que  dessus. 

»  Signd  Gastox. 
»  Et  plus  bas,  GocLAS. 

»  Collalionn6  a  I'original  par  moy  conseiller  et  secr6- 
taire-d'Etat, 


»  BocxniLLiEU.  n 


II. 


Autre  declaration  de  Monsieur,  pour  ce  qui  concerne 
Son  Eminence. 

«  Gaston ,  Gls  de  France ,  due  d'Orldans ,  et  frere  uni- 
que du  Roy,  ne  pouvant  pas  assez  esprimer  a  mon  cou- 
sin le  cardinal  de  Richelieu  quelle  est  mon  extreme  dou- 
leur  d'avoir  pris  des  relations  et  correspondances  avec 
ses  ennemis .  je  me  sens  d'autant  plus  oblige  a  luy  decla- 
rer franchement  ce  qui  est  venu  a  ma  connoissance.  qui 
pent  regarder  sa  pcrsonne  ,  et  particulierement  sur  I'af- 
faire  de  Lyon,  dont  l'abb6  de  La  Riviere  m'a  parle  de  sa 
part,  que  rinlercession  favorable  qu'il  m'a  promise  par 
ledit  abb^  pour  obtenirdu  Roy,  mon  seigneur,  la  grace 
que  je  luy  demande  ,  me  fait  croire  certainement,  dans 
lemauvais  estat  oii  je  me  trouve,  un  effet  tr6s-signal(5 


m'etre  mis  en  etat  de  me  procurer  la  liberte  en- 
tiere  que  j'avois  souhaitee  avec  tant  de  passion 
et  ade  si  justessujcts,  a  la  lin  desquels  je  fus  au 
Luxembourg  pour  la  demander  a  Son  Altesse  , 
sans  perdre  Thonneur  de  ses  bonnes  graces. 
Elle  y  reslsta  veritablement  dans  des  termes 
dont  j'aurois  tort  de  me  plaindre  ,  etbeaucoup 
plus  honnetesque  ceux  desquels  elle  s'etoit  ser- 
vie  lorsque  je  lui  avois  demande  celle  de  tirer 
recompense  de  la  charge  que  j'avois  dans  sa 
maison ;  et  j'avoue  que  si  je  n'eusse  ete  tres- 
assure  que  ce  refus  venoit  plutot  de  I'apprehen- 
sion  du  reproche  qu'elle  craignoit  de  s'attirer, 
que  d'aucune  bonne  volonte  qu'elle  eut  conser- 
vee  pour  moi,  peut-etre  me  serois-je  retenu 
d'insister  davautage.  Je  savois  aussi  de  cer- 
taine  science  que  mon  exclusion  avoit  ete  sli- 
pulee  aupres  d'elle  avant  mon  retour  d'Angle- 
tcrre  ,  sur  la  creance  que  les  miuistres  qui 
avoient  succede  a  I'autorite  du  cardinal  de  Ri- 
chelieu lui  avoient  fait  prendre  que  je  n'etois 
pas  propre  a  demeurer  a  son  service  avec  quel- 

de  sa  g^ne^rosit^ ,  tellement  que  je  luy  declare  et  advoue 
que  laveril^  est  que  M.  le  Grand  me  convia  de  me 
trouvcr  a  Lyon  .  me  disant  que  la  conjoncture  y  seroit 
tres-favorable ,  sans  s'cxpliquer  davantage,  et  que  le  Roy 
estoit  en  tres-mauvaisc  humeur  contre  M.  le  cardinal , 
mal  satisfait  du  voyage  qu'on  luy  faisoit  faire  et  du  mau- 
vais  succez  des  affaires  du  Roussillon  ,  sous  le  comman- 
dement  du  mareschal  de  Br6z(5 ;  mais  je  ne  m'y  voulus 
pas  trouver,  son  intention  m'cstant  suspecte,  et  crai- 
gnant  quelque  autre  chose  de  pire  dans  le  cceur ,  qu'il 
ii'eust  os6  me  dire:  ce  qui  n'cst  pourlanl  qu'un  soup- 
Con  dont  je  n'eus  pour  lors  ny  dcpiiis  plus  grande  lu- 
miere.  M.  le  Grand  me  dit  encore  qu'il  y  feroit  trouver 
M.  le  mareschal  de  Schomberg ,  du  sceu  du  Roy  et  a 
I'insceu  de  M.  le  cardinal ;  ce  qui  pourroit  I'eslonner  et 
luy  donner  beaucoup  a  penser,  voyant  que  Sa  Majesty 
auroit  fait  une  pareille  chose  sans  luy  en  donner  advis. 
Je  proteste  devant  Dieu  et  prie  M.  le  cardinal  de  croire 
que  je  n'ay  pas  eu  une  plus  grande  connoissance  de  ce 
qui  pent  regarder  sa  personne,  et  que  pour  mourirje 
n'aurois  jamais  presto  n>/  I'oreille ,  ny  le  cceur  a  la 
moindre  proposition  qui  eut  cste  contre  elle  ,  en  quel- 
que fagon  ou  en  quelque  temps  que  ce  peust  estre,  ma 
conduitte  passee  en  est  une  preuve  suffisante  ;  et  Dieu 
m'a  fait  la  grace  de  me  donner  de  si  bonnes  inclinations, 
que  j'auray  toute  ma  vie  en  horreur  de  si  damnables 
pensees  pour  la  moindre  personne  du  monde,  et  a  bien 
plus  forte  raison  pour  une  qui  est  si  pr(5cieuse  et  sacr^e, 
que  je  pile  Dieu  de  conserver  longuement  pour  la 
France ,  et  pour  mon  bien  parliculier  que  je  vcux  atten- 
dre  a  esperer  entierement  d'elle.  En  tesmoin  de  quoy 
j'ay  escrit  et  sign6  de  ma  main  ,  et  commande  a  mon  se- 
cretaire de  contre-signer  la  presente. 
»  Fait  a  Aigueperce  ,  le  7  juillet  16't2. 

»  Signe  Gaston. 

»  Et  plus  bas ,  GocLAs. 

»  Collationne  a  roriginal  par  moy  conseiller  et  secre- 
taire d'eslal, 

»  BOCTHIU.IER.  » 


224 


MEMOIBES    DE    MONTRESOB. 


que  sorte  de  credit  :  ce  que  je  ne  puis  attril)uer 
qu'a  I'opinion  tresbien  fondee  qu'ils  avoient 
concue,  que  je  ne  cliercherois  que  sa  gloire  et  la 
reputation  d'un  prince  de  sa  naissance,  qui  de- 
voit  etre  soutenue  par  des  actions  capaljles  de 
le  conserver  dans  le  rang  qu'il  etoit  oblige  de 
tenir;  et  n'etant  point  un  borame  interesse, 
que  jene  serois  jamais  leur  dependant.  La  Ri- 
viere assurement,  sans  une  si  puissante  protec- 
tion que  la  leur,  ne  m'auroit  forme  aucun  obsta- 
cle que  je  n'eusse  facilement  surmonte.  Ainsi 
je  ne  le  mets  point  en  consideration ,  les  voies 
que  j'avois  pour  ee  qui  pouvoitetrea  demeler 
entre  lui  et  moi  m'etant  trop  connues  pour  ne 
m'en  pas  servir,  s'il  n'eut  ete  appuye  que  de  ses 
propres  forces. 

Dans  ce  discours ,  qui  contient  en  substance 
les  sujets  veritables  que  j'ai  eus  de  me  rend  re 
libre ,  je  me  suis  abstenu  de  rapporter  beaucoup 
de  particularites  encore  plus  essentielies  que 
celles  que  j'y  ai  employees.  Je  suppiie  ceux  qui 
prendront  la  peine  d'en  faire  la  lecture  de  vou- 
loir  exactement  considerer  la  sorte  de  laquelle 
j'ai  ete  traite  par  Sou  Altesse,  remarquer  la 
patience  que  j'ai  fait  paroitre  a  le  souffrir,  et 
la  maniere  de  laquelle  je  me  plains ;  et  ayant 
obtenu  d'eux  ce  que  je  crois  desirer  avec  raison 
pour  I'eclaircissement  de  la  verite  ,  j'ose  me 
promettre  qu'ils  ne  m'accuseront  pas  de  m'etre 
trop  precipite  a  me  retirer,  comme  quelques- 
uns  me  I'ont  voulu  attribuer,  et  qu'ils  convien- 
dront  qu'il  etoit  impossible  d'en  user  autrement 
pour  se  conserver  dans  le  monde  avec  quelque 
estime.  Je  proteste  avec  verite  qu'il  ne  m'en 
reste  nul  regret ,  ni ,  selon  mon  opinion  que 
j'ai  assez  examinee ,  aucune  occasion  juste  d'en 
recevoir  le  moindre  reprocbe. 

L'aigreur  qui  avoit  ete  inspiree  a  M.  le  due 
d'Orleans  contre  moi  pour  m'etre  retire  de  son 
service,  ne  pouvoit  lui  permettre  de  differer  long- 
temps  a  m'en  faire  ressentir  les  effets :  et  comme 
les  princes  qui  ont  la  puissance  en  main  trou- 
vent  aisement  les  occasions  d'opprimer  ceux 
qui  ne  leur  sont  pas  agreables ,  celle  de  la  de- 
tention de  M.  le  due  de  Beaufort  sembla  fort  a 
propos  a  Son  Altesse  pour  me  donner  des  mar- 
ques de  son  indignation.  Une  beure  apres  qu'il 
fut  arr6te  dans  le  Louvre  par  Guitaut ,  capi- 
taine  des  gardes  de  la  Reine,  nous  fumes  aver- 
tis,  le  comte  de  Betbune  et  moi ,  par  un  homme 
de  qualite  ,  que  nous  serions  compris  dans  cette 
disgrace ,  et  que  ce  seroit  plutot  par  la  prison 
que  par  I'eloignement  de  la  cour.  Si  nous  eus- 
sions  suivi  I'opinion  de  celui  qui  etoit  venu  nous 
donner  cet  avis  ,  nous  aurions  pris  des  ce  mo- 
ment le  parti  de  nous  mcttre  a  convert  du  peril 


qu'il  jugeoit  que  nous  avions  a  courir  d'etre  re- 
tenus ;  mais  preferant  les  conseils  que  nous  ti- 
rions  de  notre  innocence  a  tons  autres  ,  nous 
deliber^mes  de  n'user  d'aucunes  nouvelles  pre- 
cautions pour  notre  surete ,  estimant  la  devoir 
rencontrer  entiere  dans  la  sincerite  de  nos  ac- 
tions. Nous  attendimes  dans  cette  confiance  ce 
que  Ton  voudroit  resoudre  et  ordonner  sur  no- 
tre sujet ,  et  convinraes  cependant  de  demeu- 
rer  fermes  dans  cette  resolution ,  nonobstant 
toutes  propositions  et  avis  contraires  que  nous 
pussions  recevoir.  Apres  I'avoir  ainsi  arrete  en- 
tre nous,  je  fus  voir  mesdames  les  duchesses 
de  Vendome  et  de  Nemours  dans  leurs  afflic- 
tions ,  et  me  retirai  assez  tard  a  mon  logis :  le 
lendemain  nous  usames  comme  nous  avions  ac- 
coutume ,  excepte  que  nous  primes  soin  de  met- 
tre  nos  affaires  en  etat  de  n'avoir  aucun  embar- 
ras  qui  nous  put  donner  de  la  peine,  quelques 
evenemens  qui  pussent  arriver.  Je  fis  deux  ou 
trois  visites  le  matin ,  et  revins  a  onze  beures 
au  logis  du  comte  de  Betbune  m'informer  de  ce 
qu'il  avoit  appris.  Le  comte  de  La  Chatre  s'y 
etoit  rendu,  assez  alarme  en  son  particulier,  et 
avec  d'aulant  plus  de  raison  qu'il  avoit  a  per- 
dre  I'une  des  plus  considerables  charges  du 
royaume,  enviee  de  beaucoup  de  gens,  et  sur- 
tout  du  marechal  de  Bassompierre,  qui  I'avoit 
autrefois  possedee.  L'ordre  avoit  ete  deja  donn6 
de  nous  bannir,  le  comte  de  Betbune  et  moi ; 
I'exempt  des  gardes  du  corps  du  Roi ,  qui  en 
avoit  eu  la  commission  ,  nous  ayant  trouves  en- 
semble ,  I'exposa  avec  la  civilite  qui  dependoit 
de  lui ,  et  dans  des  termes  qui  nous  faisoient  as- 
sez paroitre  que  Sa  Majeste  vouloit  etre  obeie. 
II  nous  fit  le  commandement  de  sortir  de  Paris 
des  le  meme  jour ;  et  a  peine  s'etoit-il  separe  de 
nous  ,  que  M .  le  due  de  Longueville  entra ,  qui 
nous  dit  qu'il  avoit  beaucoup  de  deplaisir  de 
l'ordre  que  nous  avions  recu,  dans  lequel  on 
reconnoissoit  avoir  use  de  trop  de  precipitation, 
parce  que  Ton  s'etoit  eclairci  que  nous  ne  de- 
vious pas  etre  traites  avec  cette  rigueur,  n'en 
ayant  donne  aucun  sujet. 

Ce  discours  fut  accompagne  de  force  compli- 
mens  ,  et  de  plusieurs  assurances  de  I'honneur 
de  son  amitie  ;  il  eut  agreable  ensuite  de  me  ti- 
rer  a  part,  pour  me  demander  ce  que  je  jugeois 
qu'il  y  avoit  a  faire,  dont  il  me  prioit  de  lui 
parler  librement.  Je  le  fis  comme  il  me  I'avoit 
ordonne ,  en  lui  faisant  voir  que  la  verite  ayant 
ete  si  facilement  reconnue  ,  il  n'y  avoit  rien  de 
plus  aise  ni  de  plus  juste  qu'a  changer  l'ordre 
que  nous  avions  recu  par  les  mauvais  offices  de 
nos  ennemis.  Pour  ce  qui  regardoit  le  comte  de 
Betbune ,  qu'il  etoit  digne  d'etre  considere  en 


MEMOIBKS    1)K    MOATRESOR. 


225 


sa  personne,  qui  valoit  beaucoup,  et  par  les 
services  de  monsieur  son  pere  utilemeut  rendus 
a  i'Etat ;  que  le  comte  de  La  Cliatre  devoit 
aussi  etreacouvert  de  i'effet  des  bruits  qui  cou- 
roient  de  la  resolution  prise  de  {'eloigner  par 
les  memes  raisons  de  son  merite  et  de  son  inno- 
cence. Je  le  trouvai  surpris  du  peu  de  souvenir 
que  j'avois  eu  de  raoi ,  ne  m'etant  point  nomme  ; 
inais  je  n'avois  garde  de  lui  faire  aucunes  pro- 
positions sur  mon  sujet,  pour  I'interet  quej'y 
pouvois  avoir,  parce  qu'etant  resolu  a  me  reti- 
rer,  il  m'etoit  egal  que  ce  fut  par  mon  choix  ou 
par  I'ordre  de  la  cour,  qui  ne  me  blessoit  en  fa- 
con  du  monde  ,  ma  conduite  ne  me  I'ayant  pas 
attire.  S'etant  approche  de  ces  messieurs  et  de 
ceux  qui  nous  avoient  fait  la  faveur  de  nous  ve- 
nir  voir  sur  ce  commandement ,  dont  la  nou- 
\elle  s'etoit  epandue ,  il  y  en  eut  un  de  la  com- 
pagnie ,  emporte  par  I'affection  qu'il  avoit  pour 
nous ,  qui  s'eehappa  de  dire  qu'il  etoit  bien 
etrange  que  nous  eussions  a  souffrir  etant  inno- 
cens  ,  et  que  ce  fut  pour  Tinteret  de  personnes 
(jui  avoient  vecu  en  sorte  a  notre  egard,  que 
nous  avions  d'extremes  sujets  de  nous  en  plain- 
dre.  Je  n'en  voulus  pas  convenir,  mon  opinion 
ayant  toujours  cte  que  les  malheureux  doivent 
otre  soulages,  et  que  ceux  qui  les  blament  dans 
le  temps  de  leur  mauvaise  fortune  font  une  ac- 
tion ,  surtout  lorsqu'il  s'agit  de  leur  interet  par- 
tieulier,  qui  repugne  a  la  charite,  et  a  I'honneur 
qu'il  y  a  de  ne  rien  ajouter  de  lacheux  a  leurs 
disgraces.  M.  le  due  de  Longueville  approuva 
([ue  j'eusse  pris  la  parole  pour  temoigner  que 
e'etoit  mon  sentiment  et  celui  du  comte  de  Be- 
thune  ,  dont  je  ne  fus  pas  desavoue ,  quoique , 
a  rapporter  les  choses  dans  la  verite ,  lui  ni  moi 
n'eussions  aucune  occasion  de  nous  louer  de  la 
maniere  qu'ils  avoient  use  vers  nous,  apres  ce 
([ui  s'etoit  passe  en  diverses  natures  d'afl'aires , 
dans  lesquelles  nous  ne  leur  avions  pas  ete 
inutiles. 

La  condition  de  Saint-Ibar,  mon  cousin-ger- 
raain  ,  ne  fut  pas  meilleure  dans  cette  conjonc- 
ture  que  la  notre.  L'exempt  qui  nous  avoit  porte 
I'ordre  de  nous  retirer  lui  en  fit  un  pareil  com- 
mandement; et  sur  ce  qu'il  lui  dit  que  la  Reine 
A  ouloit  qu'il  s'en  allat  dans  I'une  de  ses  maisons, 
il  lui  repondit  en  riant  qu'il  s'apercevoit  bien 
que  Sa  Majeste  avoit  ete  aussi  mal  informee  de 
son  bien  que  de  ses  crimes ,  et  qu'il  s'en  iroit 
en  Hollande  pour  lui  temoigner  son  obeissance. 
Pour  employer  le  reste  du  temps  que  nous 
avions  a  demeurer  a  Paris ,  nous  fumes  rendre 
des  visiles  de  respect  et  de  devoir  auxquelles 
nous  ne  pouvions  manqucr,  et  entre  les  autres 
a  M.  de  Veudome,  qui  nous  Iraita  de  la  plus 

III.    C.    D.     M.,    T.    HI. 


etrange  facon  que  des  gens  comme  nous ,  chas- 
ses  sur  le  pretexte  de  M.  de  Beaufort,  son  fils  , 
le  pussent  etre  dans  une  semblable  occasion.  II 
s'attacha  fort  a  condamner  sa  conduite,  et  le 
blama  particulierement  de  ne  s'etre  point  voulu 
lier  d'amitie  et  d'interet  avec  La  Riviere  ,  quoi- 
qu'il  le  lui  eut  souvent  conseille;  qu'il  ne  dou- 
toit  point  que  ce  ne  fut  notre  consideration  qui 
Ten  avoit  empeche,  qui  etoit  aussi  la  cause 
effective  et  veritable  de  son  malheur  et  de  sa 
disgrace. 

A  ce  discours  si  choquant ,  tenu  tres-mal  a 
propos  ,  et  fort  eloigne  de  ce  qu'il  savoit  en  sa 
conscience  ,  je  ne  pus  me  retenir  de  lui  dire  que 
je  le  suppliois  de  se  bien  souvenir  que  toutes 
ses  conferences  secretes  s'etoient  passees  sans 
notre  participation;  qu'il  y  avoit  plus  de  deux 
raois  que  nous  ne  voyions  plus  ni  lui  ni  mon- 
sieur son  fils  ,  et  que  nous  etions  bien  informes 
que,  dans  toutes  les  mesures  qu'ils  avoient  prises 
pour  s'etablir  a  la  cour,  nous  n'y  avions  pas  ete 
desires.  II  me  demanda  assez  aigrement  si  j'en 
etois  bien  assure.  Je  lui  repondis  que  oui ,  mais 
que  le  comte  de  Bethune  et  moi  n'etions  venus 
le  voir  pour  entrer  en  conteste  avec  lui;  qu'il 
nous  suffisoit  de  la  connoissance  certaine  que 
nous  en  avions  cue ,  et  de  lui  donner  celle  d'etre 
plus  ses  serviteurs  dans  sa  mauvaise  fortune , 
que  nous  le  serious  si  elle  etoit  meilleure.  J'ai 
remarque  en  sa  personne  un  procede  qui  con- 
trevenoit  entierement  a  la  bienseance  et  a  I'usage 
ordinaire  :  les  hommes  doivent  etre ,  sans  cora- 
paraison  ,  plus  constans  dans  les  adversites  que 
les  femmes ,  dont  la  foiblesse  merite  d'etre  ex- 
cusee.  Neanmoins  il  etoit  au  lit ,  tellement 
abattu  qu'il  n'etoit  pas  connoissable;  et  madame 
sa  femme,  levee,  recevoit  les  visites  qui  lui 
etoient  rendues  avec  une  Constance  que  Ton  ne 
sauroit  trop  estimer.  Je  ne  dois  pas  oublier 
qu'etant  alle  voir  Saint-Ibar  avant  notre  sepa- 
ration ,  que  je  prevoyois  d'une  grande  longueur, 
nous  y  rencontrames  M.  le  due  de  Longueville , 
qui ,  avec  beaucoup  de  soin  et  de  bonte ,  s'etoit 
employe  pour  faire  retracter  i'ordre  que  nous 
avions  recu. 

Les  considerations  qu'il  lui  plut  de  nous  ap- 
prendre  qui  s'y  etoient  opposees  furent  celles  de 
I'autorite  royale  et  de  la  dignite  du  ministre ,  qui 
ne  permettoient  pas  un  cbangement  si  soudain ; 
que  veritablement  I'intention  de  la  cour  etoit  de 
reparer  le  tort  qui  nous  avoit  ete  fait ,  mais  qu'il 
etoit  absolumeut  necessaire,  pour  sauver  les  ap- 
parences ,  que  ce  fut  avec  le  temperament  con- 
venable  a  la  qualite  de  ceux  qui  s'en  etoient 
meles. 
Satisfaits  ,  comme  Ton  se  peut  imaginer,  des 

15 


22(5 


MEMOIRES    DE    MO.\TBESOn. 


raisons  que  nous  avions  sues  d'un  prince  qui  ju- 
geoit  bien  ce  que  nous  en  devious  croire  ,  nous 
revinmes  au  lo;j,is  du  comte  de  Bethune  pour 
parti r  un  moment  apres  :  ce  que  nous  ne  pumes 
faire  qu'a  une  heure  de  nuit,  parce  que  nous  y 
fumes  retenus  par  une  infinite  de  personnes 
et  de  respect  et  de  qualite ,  qui  nous  t'aisoient 
rhonneur  de  nous  y  attendre  pour  nous  dire 
adieu. 

Durant  le  temps  que  nous  fumes  exiles,  Ton 
essaya  diverses  fois  de  pressentir  si  nous  vou- 
drions  nous  resoudre  a  un  raccommodement 
avec  La  Riviere  :  le  peu  de  dispositions  que  Ton 
y  trouva,  par  les  reponses  que  Ton  recut  de 
nous,  fit  suffisamment  connoitre  que  c'etoit  un 
mauvais  moyen  que  celui  de  nous  avoir  chasses 
pour  nous  faire  clianger  de  sentiment  pour  lui. 
L'on  eut  aussi  dessein  de  nous  obliger  a  deman- 
der  noire  retour :  ce  que  nous  ne  vouliimes  faire 
en  facon  quelconque,  n'ignorant  pas  que  des 
gens  qui  n'ont  point  faiili  prennent  toujours  mal 
leurs  mesures  de  rechercher  ceux  qui  les  ont 
raaltraites,  et  de  se  soumettre  a  des  explications 
qui  diminuent  a^sez  souvent  la  bonne  opinion 
que  Ton  a  prise  de  leur  conduite,  qui  ne  sau- 
roit  etre  soutenue  dans  de  pareilles  occasions 
avec  trop  de  fermete,  celle  que  nous  observions 
ne  pouvantnous  procurer  d'elle-meme  ni  blame 
ni  mauvais  office,  dont  ceux  qui  ne  nous  ai- 
moient  pas  recevoient  assez  de  deplaisir.  II  se 
presenta  une  occasion  qu'ils  crurent  leur  etre 
favorable. 

M.  de  Harlay,  de  tout  temps  notre  intime 
ami ,  nous  en  voulut  donner  ce  temoignage  que 
de  nous  venir  voir  durant  notre  eloignement. 
Apres  avoir  demeure  peu  de  jours  avec  nous, 
s'en  retournant  a  Paris,  il  nous  pria  de  lui 
rendre  la  visite  aux  fetes  de  Noel ,  a  sa  maison 
de  Beaumont.  Le  president  Barillon ,  le  prince 
de  Marsillac,  le  marquis  de  Maulevrier,  Du 
Bourdet  et  Beloy  desirerent  etre  de  la  partie , 
faite  sans  autre  dessein  que  celui  de  notre  di- 
vertissement particulier.  Ces  messieurs  arrive- 
rent  ensemble,  et  nous  y  fumes  aussi  comme 
nous  I'avions  promis.  Cette  entrevue,  quoique 
fort  innocente  et  de  nulle  consideration,  fit  un 
eclat  etrange  :  M.  de  La  Rochefoucauld  fut  le 
premier  qui  en  donna  avis  a  M.  le  cardinal  Ma- 
zarin  ,  et  crut  que  son  zi'le  seroit  fort  estime  en 
usant  de  ces  termes ,  qu'il  ne  repondoit  plus  du 
prince  de  Marsillac,  son  fils. 

La  Riviere,  toujours  malintentionne  pour 
nous,  employa  avec  beaucoup  d'artifice  tons  les 
soins  de  Monsieur,  son  maitre  ,  et  les  siens  pour 
la  rendre suspecte  dc  faction,  et  fit  son  possible 
pour  persuader  qu'il  y  avoit  d'autres  personnes 


qui  s'y  devoient  tiouver  de  la  part  de  M.  de 
Vendome  et  de  madame  de  Chevreuse.  L'on  de- 
libera  enfin  siir  cette  assemblee  d'Importans 
(qui  etoit  le  uom  qu'il  leur  plaisoit  nous  donner), 
et  l'on  jugea ,  pour  toutes  conclusions,  que  tout 
ce  qui  en  avoit  ete  dit  etoit  faux  ,  et  qu'il  seroit 
honteux  de  s'y  arreter  davantage.  Au  retour  de 
ces  messieurs  a  Paris,  ils  trouverent  ce  bruit  si 
public ,  qu'il  y  en  eut  un  d'entre  eux  qui  crut  a 
propos  d'en  faire  un  eclaircissement  pour  sa  jus- 
tification. Le  president  Barillon,  avec  sa  fran- 
chise naturelle  ,  traita  i'affaire  autrement,  et 
dit  a  ceux  qui  en  ouvrirent  lediscours,  qu'il 
nous  rendroit  encore  une  visite  au  printemps 
si  l'on  ne  nous  faisoit  revenir,  se  souvenant  fort 
bien  de  ce  que  nous  avions  fait  pour  lui  lors- 
qu'il  etoit  prisonnier,  pour  manquer  vers  nous  a 
I'etat  auquel  l'on  nous  avoit  mis. 

Le  reste  de  I'hiver  se  passa  sans  que  la  Reine 
eiit  agreable  de  nous  rappeler;  mais  comme  les 
disgraces  de  la  nature  de  la  notre  ne  peuvent 
pas  toujours  durer,  notre  retour  fut  accordeau 
mois  d'avril  suivant ,  plus  par  les  soins  du  comte 
de  Charost ,  qui  parioit  hautement  de  I'injustice 
que  l'on  nous  faisoit,  que  pour  toute  autre  con- 
sideration. L'on  nous  envoya  des  lettres  du  Roi , 
qui  nous  donnerent  la  liberte  de  revenir  a  la 
cour,  sur  ce  que  Sa  Majeste  etoit  satisfaite  de 
notre  conduite.  Pour  ce  qui  me  regardoit ,  j'au- 
rois  attendu  quelque  temps  pour  me  servir  de 
cette  permission  (  si  je  n'eusse  dii  rendre  cette 
deference  au  comte  de  Bethune,  qui  avoit  des 
affaires  a  Paris  qui  lui  etoient  de  consequence, 
et  qui  n'y  vouloit  pas  retourner  sans  nioi ,  de 
m'en  rapprocher  avec  lui),  plus  tard  assure- 
ment  que  je  ne  fis.  Lorsque  nous  y  fumes  arri- 
ves ,  ces  memes  personnes  qui  nous  avoient  vus 
quand  l'on  nous  en  bannit ,  nous  rendirent  leurs 
visiles.  La  Reine  nous  recut  avec  fort  bon  visa- 
ge; et  M.  le  due  d'Orleans ,  qui  vouloit  etre  re- 
merc.ie  par  nous  de  notre  retour,  auquel  il  avoit 
forme  une  infinite  d'obstacles,  ne  I'etant  pas 
dans  les  respects  dont  nous  fumes  nous  acquit- 
ter  vers  lui,  s'en  plaignit  hautement,  et  dit  a 
beaucoupdeceuxquietoientaupresdesapersonne 
que  nous  I'avions  ete  voir  comme  auroient  fait 
des  Ailemands  qui  passeroient  en  France  :  cequi  ' 
I'avoit  empechedenous  recevoir  avec  lestemoi- 
gnages  de  bonne  volonte  qu'il  avoit  resolus. 

Ce  fut,  apres  huit  mois  d'eloignement  de  la 
cour,  la  maniere  de  laquelle  notre  disgrace  fi- 
nit,  en  attendant  que  mon  malheur  ordinaire 
me  fit  tomber  dans  une  autre  plus  rude  et  beau-^ 
coup  plus  facheiise,  et  dont  il  etoit  impossible, 
procedant  en  homme  de  bien  ,  (|ue  je  me  pusse 
gr.rantir  :  j'en  laisserai  le  jugemcnt  libre  a  ceux 


MEMOIRES    DE    MO^TBESOR. 


227 


qui  se  donneiont  la  peine  de  lire  la  suite  de  ce 
discours ,  si ,  dans  les  disgraces  qui  me  sont  du 
depuis  ari'ivees,  j'ai  ete  innocent  ou  coupable. 
Deux  raois  de  sejour  a  Paris  ra'ayant  acquitte 
du  respect  que  je  devois  a  la  Reine ,  touchant  la 
permission  que  j'avois  recue  de  Sa  Majeste  de 
revenir  a  la  cour,  je  crus  que  je  ne  pouvois 
mieux  faire  que  de  retouruer  eliez  moi ,  pour  y 
gouter  le  repos  d'une  vie  retiree  et  particuliere. 

Lademeure  de  raadame  de  Chevreuse  a  Tours 
me  donnoit  sujet  de  la  voir  de  fois  a  autre;  et 
bien  que  ce  fut  rarement,  je  ne  laissai  pas  de 
prendre  plus  de  connoissance  de  son  humeur  et 
du  temperament  de  son  esprit ,  que  je  n'en  a  vols 
eu  dans  tout  le  temps  qu'elle  avoit  ete  plus  lieu- 
reuse  et  en  plus  grande  consideration.  L'aban- 
donnement  quasi  general  dans  lequel  elle  etoit 
de  tons  ceux  qu'elle  avoit  obliges,  et  qui  s'e- 
toient  lies  d'amitie  et  unis  d'interets  avec  elle, 
me  fit  juger  du  peu  de  foi  que  Ton  doit  ajouter 
aux  hommes  dusiecle  present,  par  I'etat  auquel 
se  trouvoit  une  personne  de  cette  qualite,  si  uni- 
versellement  delaissee  dans  sa  disgrace  ,  ce  qui 
augmenta  le  desir  en  moi  de  raemployer  a  lui 
reudre  mes  services  avec  plus  de  soin  et  d'affec- 
tion  dans  les  occasions  qui  s'enpourroientoffrir. 
Je  n'ignorois  pas  que  les  consequences  que  Ton 
voudroit  tirer  des  visiles  dont  j'avois  I'honneur 
de  m'acquitter  vers  elle,  quoique  sans  fonde- 
ment  legitime ,  ne  fussent  capables  de  me  nuire 
et  de  troubler  la  tranquillite  que  je  m'etois  pro- 
posee ,  par  les  soupcons  que  I'ou  en  prendroit ; 
mais  I'estime  et  le  respect  que  j'avois  pour  sa 
personne  et  pour  ses  intereis  m'engagerent  d'en 
courir  volontiers  le  basard,  en  observant  toute- 
fois  cette  precaution  de  les  regler  en  sorte  que 
Ton  ne  put  remarquer  qu'elles  fussent  trop  fre- 
quentes ,  ni  qu'il  y  eut  aucune  affectation  de  sa 
part  ni  de  la  mienne.  Les  traverses  dont  toute 
sa  vie  elle  avoit  ete  agitee  n'etant  pas  pretes  a 
finir,  il  lui  en  arriva  une  dans  cette  conjoncture 
qui  lui  causa  un  deplaisir  extreraement  sensible : 
son  medecin  fut  arrete  dans  sou  carrosse  par  le 
prevotde  I'ile,  en  presence  de  mademoiselle  sa 
fille,  et  conduit  a  la  Bastille,  sur  ce  qu'il  avoit 
ete  accuse  d'avoir  fait ,  par  son  ordre ,  plusieurs 
voyages  hors  de  France. 

Ce  traitement,  souffert  par  un  homme  qui 
etoit  son  domestique,  preceda  de  peu  de  jours 
celui  qui  arriva  en  sa  personne :  Riquetti,  exempt 
des  gardes  du  corps  du  l\oi ,  fut  envoye  a  Tours 
pour  lui  porter  le  commandement  de  se  retirer 
a  Angouleme ,  oil  il  la  devoit  mener.  La  crainte 
d'y  etre  retenue  et  raise  sous  sure  garde  dans  la 
citadelle  fit  une  telle  impression  dans  son  es- 
prit, qu'elle  se  resolut  a  s'exposer  a  tons  les  au- 


tres  perils  qui  lui  pouvoient  arriver  pour  se  ga- 
rantir  de  celui  de  la  prison ,  qu'elle  croyoit  y 
etre  inevitable,  a  moins  que  d'y  pourvoir  promp- 
tement.  Pour  I'executer,  il  falloit  beaucoup  d'in- 
vention  et  d'adresse,  qui  ne  lui  manquerent 
point  dans  I'extremite  ou  elle  se  persuadoit  d'e- 
tre reduite;  car  elle  se  sauva  de  Tours  des  le 
meme  jour ,  accompagnee  de  mademoiselle  sa 
fille,  qui  ne  la  voulut  point  abandonner,  et  de 
deux  de  ses  domestiques,  tels  qu'elle  les  avoit  pu 
cboisir,  avec  une  extraordinaire  diligence.  Elle 
se  rendit  en  Bretagne,  chez  le  marquis  de  Coa- 
quin ,  de  qui  elle  recut  les  services  et  les  as- 
sistances qu'elle  s'etoit  promis,  par  la  facilite 
qu'il  donna  a  son  embarquement.  Cette  resolu- 
tion hasardeuse  pouvant  etre  su  jette  a  beaucoup 
d'inconveniens,  n'ayant  au  dehors  nulle  retraite 
assuree ,  elle  jugea  plus  a  propos  de  confier  ses 
pierreries  au  marquis  de  Coaquin  ,  que  de  les 
emporter  avec  elle.  Cette  consideration  I'obligea 
a  les  laisser  entre  ses  mains ,  et  la  bonne  volonte 
qu'elle  conservoit  pour  moi ,  a  m'ecrire  une  let- 
tre  qui  contenoit  plusieurs  temoignagesde  I'hon- 
neur de  son  souvenir,  et  des  excuses  infiniment 
obligeantes  de  ne  m'avoir  consulte  dans  une 
rencontre  si  importante,  sur  ce  qu'il  avoit  fallu 
qu'elle  usat  necessairement  d'une  si  grande  pre- 
cipitation, qu'elle  n'avoit  pas  eu  un  moment  de 
deliberer  pour  m'en  faire  entrer  en  connoissance. 

Je  demeurai  encore  quelque  temps  en  Tou- 
raine  apres  qu'elle  en  fut  partie  ,  et  ne  revins  a 
Paris  que  pour  mes  affaires  particulieres ,  qui 
me  contraignoient  d'y  apporter  quelque  ordre. 
Les  ayant  reglees  par  la  vente  d'une  partie  de 
mon  bien  ,  il  me  sembla  qu'il  etoit  de  la  bien- 
seance  de  ma  profession ,  ne  pouvant  aller  vo- 
lontaire  dans  les  armees  de  France ,  ni  avoir 
aucun  emploidans  lequel  je  pusserecevoir  satis- 
faction, de  passer  en  Hollaude,  ou  je  trouverois 
Saint-Ibar  ,  avec  lequel  j'avois  une  etroite  liai- 
son d'amitie.  Au  commencement  de  la  campa- 
gne ,  la  mort  du  comte  de  La  Chatre  me  fut 
mandee,  et  celle  de  madame  sa  femme  six  se- 
maines  apres.  La  disposition  qu'ils  avoient  faite 
de  leurs  dernieres  volontes,  par  laquelle  ils  me 
nommoient  I'un  des  tuteurs  des  enfans  qu'ils 
avoient  laisses,  mecontraignit  de  revenir  a  Pa- 
ris, ouje  demeurai  tout  I'hiver  pour  I'utilit^ 
d'une  maison  affligee,  a  laquelle  je  devois  mes 
soins  et  mes  services. 

Comme  j'etois  sur  le  point  de  retourner  en 
Hollande,  madame  de  Chevreuse  s'adressa  a 
moi  par  deux  lettres  qu'elle  m'ecrivit,  par  les- 
quelles  elle  me  prioit  de  recevoir  les  pierreries 
qu'elle  avoit  laissees  au  marquis  de  Coaquin, 
qui  me  les  feroit  tenir.  II  me  les  envoya  par  un 


228 


MEMOIBES   DE    MOiNTBESOK. 


gentilhomme  de  ses  amis  nomme  Beaufort -Chci- 
teaubriand,  qui  agit,  selon  qu'il  ma  paru  dans 
cette  commission ,  en  homme  d'esprit  et  avec 
beaucoup  de  fidelite.  De  ma  part  je  suis  tres-as- 
sure  que  je  la  gardai  telle  ,  que  je  n'en  parlai 
a  personne  du  mondequ'a  eeluiqui  les  vint  que- 
rir ,  peu  de  jours  apres,  de  celie  deniadite  dame 
de  Chevreuse,  auquel  je  les  remis  de  meme 
((u'elles  m'avoient  ete  deposees  ,  sans  avoir  seu- 
lement  eu  la  curiosite  de  les  voir.  Ce  secret,  je 
ne  sais  pas  par  quelle  voie ,  ne  laissa  pas  d'etre 
penetre,  et  moi  arrete  aussitot  dans  mon  logis 
par  le  prevot  de  Tile ,  qui  me  fit  voir  I'ordre 
qu'il  avoit  de  s'assurer  de  ma  personne.  Le  lieu- 
tenant crirainel  y  arriva  avant  que  je  fusse  sorti, 
et  me  demanda  les  clefs  d'un  cabinet  ou  je  met- 
tois  beaucoup  de  choses  auxquelles  j'etois  bien 
aise  que  mes  valets  ne  toucbassent  point. 

Je  fus  conduit  a  la  Uastille  cependant  qu'il 
cberchoit  dans  tous  les  endroits  de  mon  logis 
pour  trouver  ce  qui  n'y  etoit  plus,  et  qu'il  in- 
terrogeoit  mes  gens  d'un  fait  duquel  ils  etoient 
fort  ignorans.  Deux  beures  apres  il  me  vint  trou- 
ver ( fort  interdit  de  n'avoir  pu  se  saislr  de  ces 
pierreries  que  Ton  lui  avoit  fort  assure  etre  en- 
tre  mes  mains )  avec  beaucoup  d'empressement, 
et  I'ardeur  d'un  commissaire  fort  zele  ;  il  me  re- 
presenla  deux  bagues  de  peu  de  prix  qui  etoient 
a  moi,  s'enquit  fort  exactement  si  je  n'en  avois 
point  d'autres. 

J'ai  su  du  depuis  de  lui  qu'il  se  trouva  fort 
soulage  lorsque  je  lui  eus  repondu  que  non,  dans 
la  crainte  qu'il  avoit  que  les  arcbers  du  prevot 
de  rile  n'eussent  use  de  quelque  tour  de  leur 
metier  et  detourne  ce  qu'il  cberchoit  avec  tant  de 
soin.  11  ne  mereuditpas  une  plus  longue  visite  : 
apres  avoir  tire  de  moi  cetaveu,  il  s'en  retourna 
pour  achevercelle  qu'il  avoit  interrompue,  dont 
le  succes  n'avoit  pas  ete  conforme  a  ses  esperan- 
ces ,  ni  aux  ordres  qui  lui  avoient  ete  donnes. 

II  falloit  bien  que  je  fusse  recommande  au 
Tremblay  ,  gouverneur  de  la  Bastille ,  puisqu'il 
me  logea  dans  une  des  tours  ou  Ton  met  ordi- 
nairement  ceux  qui  ne  sortent  que  pour  aller  au 
supplice,  seulement  avec  un  soldat  duquel  il  se 
tenoit  fort  assure,  qu'il  avoit cboisi  pour  me  ser- 
vir.  Je  restai  en  cet  etat  quatorze  jours,  sans 
ouir  parler  de  chose  du  monde ,  et,  ce  teraps-la 
expire,  Ton  m'envoya  querir  dans  machambre, 
pour  etre  interroge  par  le  lieutenant  criminel , 
auquel  je  dis  au  commencement  qu'il  ne  pouvoit 
etre  mon  commissaire  ni  mon  juge,  parce  qu'il 
n'y  avoit  point  en  moi  de  crime ,  ni  d'indice  seu- 
lement que  j'en  eusse  commis  aucun ;  et  que  la 
qualite  de  gentilhomme,  que  je  pcnsois  qu'il  ne 
voudroit  pas  mccontester  ,  me  soumettoit  a  une 


autre  juridiction  que  la  sienne.  II  reconnut  qae 
cela  etoit  vrai ;  et  j'en  savois  assez  pour  me  de- 
fendre  de  repondre  dcvant  lui ,  si  le  respect  que 
je  voulois  rendre  au  Roi  et  a  la  Reine ,  et  la  su- 
rete  que  je  prenois  dans  mon  innocence ,  ne 
m'eussent  fait  passer  par  dessus  toutes  sortes  de 
formalites. 

Cette  premiere  fois  il  fut  trois  beures  avec 
moi ,  qu'il  employa  en  homme  intelligent  et  qui 
savoit  se  servir  de  tous  les  avantages  qu'il  pou- 
voit  prendre  pour  me  convaincre  des  chefs  que 
le  chancelier  lui  avoit  donnes  ;  la  seconde  fois 
il  en  demeura  cinq,  et  insista  fort  a  me  faire 
passer  pour  une  faute  capitale  d'avoir  garde  et 
remis  fidelement  le  depot  qui  m'avoit  ete  confie. 
Je  m'empechai  fort  bien  d'en  eonvenir ,  et  de 
trop  parler  dans  une  telle  occasion  ,  ou  le  meil- 
leur  conseil  que  Ton  puisse  prendre  est  celuide 
peser  jusques  aux  moindres  paroles  que  Ton 
est  oblige  de  dire ,  et  de  s'en  bien  ressou- 
venir. 

II  falloit  necessairement  que  madame  de  Che- 
vreuse se  fut  relachee  du  secret  qu'elle  devoit 
inviolablement  garder  pour  son  propre  interet 
( elle  m'a  fait  I'honneur  ,  depuis  son  retour  en 
France ,  de  me  dire  qu'elle  ne  s'en  etoit  confiee 
a  aucun  des  siens ,  ou  a  quelques-uns  de  ses  do- 
mestiques  ou  autre  duquel  elle  eut  ete  trompee); 
car  il  me  dit  tout  ce  que  contenoient  les  lettres 
que  je  lui  avois  ecrites  et  celles  que  j'avois  re- 
cues  ,  jusques  aux  moindres  circonstances.  II  me 
laissa  apres  s'etre  bien  tourmente  ,  jugeant  que 
cela  ne  produiroit  rieu  de  rae  presser  davan- 
tage. 

Et  le  soir  a  minuit ,  comme  j'etois  couche,  le 
Tremblay  entra  dans  ma  chambre ,  qui  me  fit 
entendre  que  Ton  me  vouloit  tirer  de  la  Bastille 
pour  me  transferer  dans  une  autre  prison.  II 
me  fut  assez  indifferent ,  et  je  le  dis  pour  la 
verite ,  cequi  ne  regardoit  que  mon  interet  par- 
ticulier  me  touchoit  si  peu ,  que  je  n'y  faisois  re- 
flexion qu'autant  que  mon  honneur  m'y  pouvoit 
obliger. 

Le  Tremblay  estvivant,  etpeut  etre  temoin 
delasqrte  dontje  recus  la  nouvelle  qu'il  me  vint 
annoncer  ;  et  Picaut ,  exempt  du  grand  prevot, 
de  celle  que  je  procedai  lorsqu'il  me  conduisit 
au  bois  de  Vincennes  pour  me  remettre  entre 
les  mains  de  La  Ramee,  exempt  des  gardes  du 
corps  du  Roi.  J'y  fus  quatre  mois  sans  ouir  la 
messe  ni  sortir  de  ma  chambre ,  que  pour  me 
promener  parfois  dans  une  autre  qui  etoit  pro- 
che,  a  la  fin  desquelsje  recus  la  liberie  de  pren- 
dre I'air  ,  le  matin  seulement ,  au  haut  du  don- 
jon ou  dans  les  galeries  qui  regardent  les  fosses, 
ayant  toujours  aupres  de  moi ,  pour  observer 


MEMOIRKS    UE    MONTKKSOR. 


220 


nies  actions,  I'uii  des  onfans  dc  La  Ramee,  qui 
tenoit  la  place  d'exerapt,  un  garde  du  Roi,  et  le 
soldat  qui  avoit  le  soin  de  me  servir.  Quatorze 
mois  (qui  fut  tout  le  temps  que  j'y  ai ete  retemi) 
se  passerent  sans  avoir  recu  ni  demande  aucune 
grace  particuliere  ;  il  est  vrai  qu'il  me  paroissoit 
que  Ton  vouloit  I'exiger  de  moi ,  et  j'essayois 
autant  qu'il  etoit  en  mon  pouvoir  d'en  detour- 
ner  le  discours.  Les  soins  de  mes  amis  ,  et  pri- 
vativement  a  toute  autre  assistance,  celle  que 
me  faisoit  I'liouneur  de  donner  a  mes  interets  et 
a  mon  innocence  la  maison  de  Guise ,  fit  effet 
dans  I 'esprit  de  la  Reine  et  dans  celui  du  car- 
dinal Mazarin ,  pour  les  disposer  a  me  tirer  de 
la  prison. 

M.  le  prince  d'Orange  me  fit  aussi  I'honneur 
de  leur  ecrire  en  ma  faveur ,  bien  que  je  ne  lui 
eusse  rendu  aucun  service  qui  put  raeriter  cette 
grace  de  lui  5  et  Dieu  permit  que  dans  le  temps 
qu'un  prince,  a  qui  j'avois  donne  la  meilleure 
partie  de  ma  vie ,  contribuoit  a  me  rendre  mal- 
heureux ,  un  autre ,  aux  interets  duquel  je  n'a- 
vois  jamais  eu  d'attachement ,  se  portoit  a  m*o- 
bliger  avec  beaucoup  de  generosite. 

Cellede  mademoiselle  de  Guise  fut  accompa- 
gnee  de  tant  de  perseverance,  que  la  conside- 
ration d'une  princesse  si  vertueuse  me  procura 
la  liberte,  qui  m'eut  ete  fort  indifferente  si  je  ne 
I'eusse  due  a  la  personne  du  monde  qui  merite  le 
plus  de  respect ,  et  a  laquelle  j'en  veux  aussi 
toujours  rendre  davantage. 

Le  cardinal  Mazarin  s'etant  resolu  a  me  la 
faire  recevoir,  voulut  qu'elle  me  fut  accordee 
avec  toutes  les  conditions  qui  me  pourroient  sa- 
tisfaire,  et  n'en  laisser  aucunes  dont  il  me  put 
rester  nul  sujet  de  plainte  ni  de  ressentiment. 
Ildepecha  d'Amiens,  oil  la  cour  etoit  lors,  un 
gentilhomme  nomme  Du  Saguou  ,  avec  un  ordre 
a  La  Ramee  de  me  remettre  entre  ses  mains. 
L'eveque  de  Coutances  et  I'abbe  de  Hugron ,  ses 
domestiques,  vinrent  avec  lui  au  bois  de  Vin- 
cennes,  oil  II  entrapour  me  dire  ce  que  M.  le 
cardinal  lui  avoit  ordonne.  Ce  fut  en  substance 
que  je  sortirois  sans  aucunes  conditions,  et  que 
I'on  avoit  ete  fache  de  ma  prison  ,  pour  I'estime 
en  laquelle  on  m'avoit ;  que  je  la  devois  oublier, 
puisque  j'en  etois  priepar  Son  Eminence,  etiui 
accorder  mon  amitie  qu'il  avoit  ordre  de  me 
demander  de  sa  part,  et  de  m'offrir  la  sienne  ; 
qu'au  surplus  I'on  ne  vouloit  ricn  stipuler  ,  con- 
noissant  qu'une  personne  de  monhumeur  feroit 
de  sa  propre  inclination  toutes  les  choses  justes, 
et  que  j'etois  aussi  libre  de  faire  tout  ce  que  bon 
me  sembleroit,  des  cc  moment  qu'il  pailoit  a 
moi ,  qu'avant  qu'avoir  ete  arrete.  Ma  reponse 
fut ,  on  pen  do  paroles ,  que  je  me  ressentois  fort 


oblige  a  la  bonte  du  Roi  et  de  la  Reine,  et  aux 
bons  offices  de  M.  le  cardinal ,  et  que  je  ne  se- 
rois  jamais  ingrat  vers  ceux  auxquels  je  serois 
redevable  de  quelque  obligation  ,  qu'en  son  par- 
ticulier  je  croyois  lui  en  avoir  de  la  peine  qu'il 
avoit  prise,  et  que  j'etois  son  serviteur. 

Le  comte  de  Rethune,  mon  inlime  ami,  le  mar- 
quis de  Rourdeille,  mon  frere,  et  le  comte  de 
Matba,  mon  cousin  germain  ,  furent  presens  a 
tout  ce  discours ,  que  La  Ramee  et  ceux  qui 
ctoient  employes  a  ma  garde  entendirent  distinc- 
tement.  A  ma  sortie  de  ce  lieu ,  capable  de  plaire 
a  tres-peu  de  personnes  ,  je  trouvai  quantite  de 
mes  amis  qui  s'y  etoient  rendus ,  pour  me  te- 
moigner  la  joie  qu'ils  avoient  de  me  voir  delivre 
de  cette  captivile.  J'arrivai  a  Paris  avec  eux,  et 
en  trouvai  encore  plus  grand  nombre  au  logis  de 
mon  frere,  ou  j'allai  descendre;  il  n'y  eut  guere 
de  gens  de  qualite  qui  ne  me  fissent  I'honneur 
de  me  visiter  en  cette  occasion.  J'y  demeurai 
quinze  jours  en  attendant  que  je  fusse  en  etat 
d'aller  a  Amiens  pour  faire  la  reverence  a  la 
Reine,  etsatisfaire  aux  autres  respects  desquels 
I'on  jugea  que  je  me  devois  acquitter, 

Apres  que  la  liberte  m'eut  ete  rendue  ,  ie  res- 
sentiment  qui  me  restoit  des  disgraces  que  j'a- 
vois souffertes  m'auroit  plutot  porte  a  me  reti- 
rer  pour  toujours  hors  de  France,  qu'oblige  d'y 
deraeurer  davantage ;  les  raisons  qui  fortifioient 
mon  inclination  a  rechercher  le  repos  dans  un 
autre  sejour  que  celui  de  ma  naissance,  me  sem- 
bloient  si  legitimes  ,  que,  pour  ce  qui  regardoit 
mon  seul  interet  et  ma  satisfaction  ,  je  ne  trou- 
vois  rien  qui  dut  etre  oppose  a  un  dessein  si 
juste. 

L'autorite,  qui  demeuroit  absolue  entre  les 
mains  de  ceux  qui  m'avoient  persecute  sans  sujet 
dans  leur  foi  toujours  incertaine,  ne  me  laissoit 
aucune  esperancede  reucontrer  masurete;  leurs 
actions  me  paroissoient  egalement  suspectes ;  et, 
quelque  precaution  que  je  pusse  apporter  aux 
miennes ,  des  esprits  si  difflciles  me  mettoient  en 
etat  de  douter  que  mon  innocence ,  sans  autre 
appui ,  lilt  suffisante  pour  me  garantir  des  nou- 
velles  oppressions  que  leur  mauvaise  volonte  me 
pourroit  susciter  sous  de  faux  pretextes  j  joint  a 
I'experience  qui  m'avoit  fait  connoitre  quelle 
est  la  puissance  des  ministres  pour  detruire  un 
particulier  qui  reste  sans  support ,  ct  que  ,  n'e- 
tant  soutenu  d'aucune  protection  ,  je  me  trou- 
vois  a  tons  momens  expose  aux  mouvemens  de 
leurs  caprices.  Quant  a  concevoir  des  pensees 
d'avancer  ma  fortune  ,  j'y  voyois  trop  d'obsta- 
cles  pour  tomber  dans  cette  erreur  ,  et  je  sontois 
en  moi  uue  repugnance  invincible  de  souger  a 
m'otablir,  puisque  jo  no  lo  pouvois  qu'au  proju- 


2:^0 


MEMOIfiES    UE    MO.NTRESOR. 


dice  de  ma  conscience  et  aux  depens  de  mon 
honneur :  ce  qui  me  faisoit  couclure  qu'ayant 
tout  a  craindre,  et  me  trouvant  denue  de  toute 
esperance ,  la  retraite  devoit  etre  le  parti  que 
j'avois  a  choisir,  la  cour  dans  sa  servitude  n'e- 
tant  propre  que  pour  des  esclaves ,  et  trop  con- 
traire  a  des  esprits  libres  comme  le  mien.  Non- 
obstant  ces  reflexions,  que  j'estimois  seules  ca- 
pables,  etanta  propos  executees,  de  me  conduire 
a  la  tranquillite  ,  qui  est  le  souverain  bonheur 
de  la  vie  ,  la  force  de  I'amitie  et  le  ressentiment 
des  obligations  recues  de  personnes  dout  la  vertu 
ra'est  en  admiration,  me  detournerentd'uue  re- 
solution que  je  n'eusse  jamais  differee,  si  I'es- 
time  de  leurs  qualites  excellentes  et  la  gratitude 
que  je  leur  devois  ne  I'eussent  eraporte  sur  ma 
pente  naturelle ,  et  surmonte  I'aversion  que  j'a- 
vois contractee  de  me  trouver  encore  expose  au 
degoiit  et  aux  traverses  que  j'avois  tant  de  fois 
souffertes. 

Ce  fut  pour  ces  considerations  que  je  preferai 
leurs  conseils  a  mes  opinions  ;  et  comme  cette 
meme  vertu  subsiste  egale  en  toute  leur  con- 
duite  ,  je  n'ai  aucun  regret  d'avoir  plutot  suivi 
leurs  volontes  que  mes  sentiraens  ,  sur  lesquels 
j'ai  pris  assez  d'autorite  pour  me  pouvoir  avan- 
cer  jusques  a  dire  que  j'ai  pour  principe  et  tourne 
en  habitude  I'indifference  et  le  mepris  pour 
toutes  les  choses  du  monde  ,  excepte  pour  ce  qui 
les  regarde;  mais,  tout  bien  examine,  il  faut 
honorer  ce  qui  le  merite ,  d'un  esprit  detache 
d'interet.  Si  cette  facon  de  proceder  n'est  pas 
ordinaire ,  elle  en  est  plus  glorieuse ,  et  j'ose  me 
flatter  de  cette  creance ,  que  cette  preuve  de 
respect  et  d'affection  n'est  pas  indigne  de  leur 
etre  agreable. 

Les  premieres  civilites  que  les  prisonniers 
recoivent ,  lorsqu'ils  ont  recouvre  leur  liberte , 
m'ayant  ete  rendues,  il  s'agissoit  de  deliberer 
ce  que  j'avois  a  faire  pour  ce  qui  regardoit  la 
cour.  Ceux  qui  avoient  le  pouvoir  de  m'ordon- 
ner,  et  mes  plus  particuliers  amis,  jugerent 
qu'en  attendant  que  j'allasse  en  personne  remer- 
cier  la  Reine  et  M.  le  cardinal  Mazarin  (ce  qu'ils 
estimoient  se  devoir  de  toute  necessite),  il  etoit 
bien  a  propos  que  mon  frere  voulut  par  avance 
satisfaire  ^  ce  respect,  et  pressentir  de  quel  vi- 
sage j'y  serois  recu.  Sa  sante  ne  lui  permettant 
pas  de  me  rendre  cet  office,  le  comle  de  Matha, 
mon  cousin  germain,  eut  la  bonte  de  prendre 
cette  peine  pour  moi ,  qui  suivois  les  avis  qui 
m'etoient  donnes  purement  pour  contenter  des 
personnesauxquellesjevouloisabsolumentobeir. 
II  fut  done  remercier  le  cardinal  de  la  maniere 
dont  j'etois  sorti  du  bois  de  Vincennes ,  recut  de 
lui  des  civilites  qui  coucluoient  que  je  restois  li- 


bre  de  demcurer,  ou  d'aller  ou  bon  me  semble- 
roit ;  et  que  si  c'etoit  a  la  cour,  j'y  serois  le 
tres-bien  venu.  M'ayant  rapporte  cette  reponse, 
je  partis  huit  ou  dix  jours  apres  avec  le  comte  de 
Dethune,  le  president  de  Tlioul  et  mon  frere, 
pour  aller  a  Amiens,  ou  etoient  Leurs  Ma- 
jestes. 

Nous  rencontraraes  M.  le  due  d'Orleans  a 
Clermont ,  auquel  j'eus  I'honneur  de  faire  la  re- 
verence et  d'en  etre  favorablement  traite ,  bien 
que,  dans  les  assurances  que  je  lui  donnai  de  la 
continuation  de  mes  respects,  je  n'y  eusse  mele 
aucun  compliment  sur  le  sujet  de  ma  liberte,  la- 
quelle  aussi  il  avoit  tenue  en  telle  indifference, 
qu'il  s'etoit  peu  mis  en  peine  d'apporter  ce  qui 
dependoit  de  son  autorite  pour  me  la  procurer. 
Nous  fumes  le  lendemain  chez  M.  d'Oailly,  I'un 
de  nos  plus  chers  amis ,  ou  le  jour  d'apres  M.  le 
due  de  Joyeuse  ,  qui  etoit  celui  qui  avoit  le  plus 
contribue  a  me  tirer  de  prison  ,  excepte  ma- 
demoiselle de  Guise ,  eut  la  bonte  de  me  venir 
voir. 

En  I'honneur  de  sa  compagnie  et  de  celle  de 
ces  messieurs,  j'arrivai  a  la  cour  :  nous  allames 
descendre  au  logis  de  M.  le  cardinal.  Comme  il 
revint  de  celui  de  la  Reine ,  et  qu'il  entra  dans 
la  salle  de  son  appartement ,  je  le  saluai ,  et  lui 
dis  que  je  venois  le  remercier  des  bons  offices 
que  j'avois  recus  de  lui  pour  me  tirer  du  lieu  ou 
j'etois.  II  prit  la  parole  ensuite ,  et  commenca 
un  discours  assez  embarrasse  ,  car  il  etoit  com- 
pose d'une  certaine  gravite  de  minislre ,  au  tra- 
vers  de  laquelleje  remarquois  neanmoins  qu'il 
avoit  I'intention  de  me  bien  recevoir.  Son  Ian- 
gage  confus  m'obligea  a  I'interrompre  ,  et  je  le 
tirai  d'un  grand  embarras  lorsque  je  lui  dis  que 
je  savois  que  la  Reine  etoit  si  sage  et  si  bien 
conseillee  ,  que  tout  ce  qu'elle  faisoit  etoit  juste, 
et  qu'elle  ne  pouvoit  faillir  ;  que  je  ne  me  plai- 
gnois  uullement  de  ma  prison,  et  me  louois  beau- 
coup  de  la  sorte  que  la  liberte  m'avoit  ete  ren- 
due ,  parce  que  toutes  les  conditions  qui  me  pou- 
voient  obliger  avoient  ete  observees,  sans  qu'il 
y  en  eut  aucune  qui  me  diit  donner  de  la  peine. 
Avec  un  visage  plus  calme ,  il  s'enquit  si  j'avois 
ete  malade  et  recu  beaucoup  d'incommodites. 
Je  lui  repondis  que  j'avois  eu  la  colique  et  la 
goutte,  que  j'aurois  aussi  bien  cues  ailleurs,  et 
que,  pour  d'autres  incommodites,je  n'en  avois 
souffert  aucune ,  parce  que  ses  ordres  rendoient 
la  prison  si  douce ,  que  la  mienne  m'avoit  ete 
ibrt  aisee  a  supporter. 

II  se  tourna  lors  du  cote  du  marechal  de  Schom- 
berg  et  du  marquis  de  Mortemart,  croyant,  a  ce 
qu'il  me  parut ,  que  je  ne  parlois  pas  tout-a-fait 
comme  je  pensois ,  et  leur  dit  :  'Si  je  voulois 


MEMOIBKS   DE    MONTBESOl!. 


221 


croire  M.  de  Monlresor ,  il  me  seroit  oblige  de 

sa  prison. » Je  lui  temoignai  que  j'en  avois  perdu 

le  souvenir,  et  que  le  seul  qui  me  restoit  du  hois 

\  de  Vinceniies  ne  regardoit  que  la  maniere  de  la- 

'  quelle  j'en  etoissorti,  que  j'estimois  m'etre  lio- 

Ij  norable. 

E  En  presence  de  beaucoup  de  personnes  de 
qualite  qui  s'etoient  approcht-es  dans  la  euriosite 
de  voir  ce  qui  se  passeroit,  il  me  voulut  faire 
comprendre  que  je  n'etois  pas  indigne  des  bon- 
tes  de  la  Reine,  et  que  j'avois  assez  de  merite 
pour  lui  donuer  lieu  de  me  rendre  de  bons  offi- 
ces aupres  de  Sa  Majeste  :  je  Ten  reraerciai  suc- 
cinctement  et  en  termes  fort  modestes,  et  me 
retirai  a  mon  logis,  prevenu  du  peu  d'estime  que 
je  faisois  de  sa  capacite.  Le  lendemain ,  etant 
alle  a  onze  beures  le  voir,  il  nous  pria  de  diner 
avec  lui :  ce  que  nous  fimes.  Incontinent  apres 
etresorti  de  table,  il  entra  danssa  chambre,  ct 
i  m'envoya  I'abbe  de  Palluau  me  prier  de  ly  aller 
I  trouver.  Son  discours  commenca  sur  le  sujet  de 
I  ma  prison,  de  laquelle  il  me  fit  des  excuses  ,  et 
me  dit  que  s'il  eut  pu  croire  que  je  ne  me  fusse 
mele  que  des  pierreries  de  madame  de  Cbevreuse, 
je  n'aurois  pas  ete  retenu;  qu'il  me  supplioit 
d'en  perdre  le  souvenir,  et  de  considerer  qu  ayant 
pris  en  moi  cette  confiance ,  il  y  avoit  occasion 
de  se  persuader  qu'elle  pouvoit  s'etendre  a  d'au- 
tres  pratiques  ,  que  les  conjonctures  et  son  eloi- 
gnement  rendoient  suspectes.  Je  lui  avouai  in- 
genument  qu'il  y  avoit  quelque  lieu  de  s'assurer 
de  ma  personne  ;  mais  qu'apres  avoir  examine 
mes  actions  ,j'etois  demeure  trop  long-temps  en 
prison  ,  et  le  traitement  que  j'avois  recu  par  son 
ministere  reparoit  cette  longueur;  qu'ainsi  je 
n'en  faisois  aucune  plainte ,  ni  d'avoir  ete  chasse 
aux  premiers  mois  de  la  regence  sans  occasion : 
ee  que  je  ne  lui  attribuois  qu'en  ce  qu'il  s'etoit 
relache  a  le  soulfrir,  etant  en  puissance  de  I'em- 
pecher  ;  que  pour  ce  qui  touchoit  a  madame  de 
Cbevreuse ,  la  verite  et  raon  affection  a  son  ser- 
vice m'obligtoient  a  lui  dire  qu'il  ne  ra'avoit  ja- 
mais paru  qu'elle  eiit  la  moindre  euvie  de  m'em- 
ployer  coutre  mon  devoir. 

11  entra  en  discours  sur  Saint-Ibar ,  duquel 
il  me  dit  que  M.  Servien  lui  avoit  ecrit  en  bons 
termes  :  ce  qui  me  donna  moyen  de  lui  faire  con- 
noitre  son  merite  et  sa  naissauce  ,  et  de  lui  re- 
presen'er  que  s'il  etoit  avantageux  a  un  gentil- 
homme  tel  que  lui  d'etre  houore  des  bonnes 
graces  d'un  ministre  comme  Son  Eminence , 
dans  la  place  qu'elle  tenoit  eile  ne  devoit  pas 
negliger  ses  semblables ,  desquels  elle  pouvoit 
lirer  des  services  considerables  et  pour  I'Etatet 
pour  sa  personne. 

II  revint  a  ce  qui  me  touchoit  en  parliculier, 


pour  m'insinuer  qu'il  soubaitoit  de  m'obliger 
dans  ma  fortune,  et  s'enquit  comme  quoi  j'etois 
aupres  de  M.  le  due  d'Orleans ,  ayant  appris 
que  j'avois  toujours  conserve  le  tres-hun)ble  res- 
pect que  je  devois  a  Son  Altesse  ,  et  que  je  I'a- 
vois  vue  a  Clermont ,  et  ete  bien  traite  d'elle.  11 
tomba  sur  le  chapitre  de  La  Riviere  ,  et  se  mon- 
tra  curieux  d'etre  informe  de  ce  qu'il  y  avoit  a 
demeler  entre  nous.  J'avois  prevu  que  tous  ces 
contours  ne  tendoient  qu'a  menager  un  accom- 
modement  dont  il  etoit  sollicite  par  le  marecbal 
d'Estrees  :  je  lui  dis  qu'il  n'y  avoit  rien  en  con- 
teste  de  lui  a  moi ;  qu'il  etoit  a  Monsieur,  et  que 
I'ayant  quitte,  je  croyois  qu'il  m'avoit  oublie 
de  sa  part :  ce  que  j'avois  fait  de  la  mienne.  11 
insista  civilement  pour  savoir  quelles  plaintes 
j'avois  a  faire  de  son  procede  a  mon  egard :  je  le 
suppliai  de  m'en  dispenser,  lui  alleguant  que 
ceux  qui  foimoient  des  plaintes  sembloient  vou- 
loir  venir  a  un  accommodement;  et  que  ce  n'e- 
toit  pas  mon  intention  de  changer  la  conduite 
que  j'avois  tenue  vers  lui  depuis  plusieurs  an- 
nees. 

Ayant  continue  de  me  presser  de  lui  dire  ce 
qui  en  etoit ,  je  lui  declarai  en  peu  de  paroles 
qu'en  diverses  occasions  il  avoit  employe  toutes 
sortes  de  moyens  pour  me  perdre ;  qu'il  etoit 
I'une  des  principales  causes  de  la  mort  de  M.  de 
Thou  ,  mon  cousin  germain ;  auteur  de  la  sup- 
position faite  a  M.  le  comte  de  Bethune,  parce 
qu'il  etoit  mon  intime  ami ;  qu'il  m'avoit  ete 
fort  ingrat  ,  et  que  non-seulement  il  avoit 
porte  M.  le  due  d'Orleans  a  m'abandonner  lors- 
que  je  souffrois  pour  son  service,  mais  encore  a 
deposer  contre  moi ;  que  je  n'avois  ete  chasse  au 
commencement  de  la  regence  que  par  son  entre- 
raise  dans  le  credit  de  Son  Altesse  ,  duquel  il  s'e- 
toit servi ,  contre  son  honneur  propre ,  pour  me 
Jeter  dans  une  disgrace  que  je  ne  m'etois  nulle- 
ment  attiree  ;  que  j'auroisune  infinite  de  choses 
particulieres  que  j'y  pourrois  ajouter ;  mais  qu'il 
sufflsoitde  dire  a  Son  Eminence  que,  le  con- 
noissant  pour  un  fourbe  et  un  trompeur ,  je  ne 
desirois  ni  societe  ni  bienseance  avec  lui. 

Sans  me  repondre  directement ,  il  s'expliqua 
qu'il  ne  me  deraandoit  pas  d'etre  de  ses  amis  ; 
qu'un  simple  salut  etoit  peu  de  chose,  que  je  lo 
rendois  bien  a  un  laquais ;  et  que  j'6tasse  cet 
obstacle  a  ma  fortune ,  que  La  Riviere  recher- 
choit  ;  que  je  ne  lui  voulusse  plus  denier  la 
civilite  que  Ton  gardoit  a  tout  le  monde;  que  je 
ferois  plaisir  a  la  Reine ,  a  Son  Altesse  et  a  lui ; 
que  cela  ne  me  pouvoit  nuirc,  ni  tirer  a  aucune 
consequence. 

Je  le  suppliai  de  ne  m'y  vouloir  point  obliger , 
la  liberte  que  mon  innocence  et  les  bons  offices 


'2:i'2 


MEMOIlJliS    l)E    MONTRESOR. 


m'avoieiit  roiuliic  ne  clevaiit  ctre  pariagee  dans 
I  opinion  generale  ni  partlculiere  avec  le  credit 
d'un  tel  homme  que  La  Riviere  ,  et  qu'il  n'y  au- 
roit  persoune  qui  ne  criit  que  ce  seroit  sous  cette 
condition  de  m'accomraoder  avec  lui  qu'elle 
m'auroitete  accordee ;  qu'il  importoit  peu  au  ser- 
vice de  la  Reine  de  quelle  maniere  nous  eus- 
sions  a  vivre  ensemble ;  que  le  sien  n'}^  etoit 
point  interesse:  et  pour  ce  qui  regardoit  M.  le 
due  d'Orleans ,  m'en  ayant  laisse  user  a  ma  mode 
tant  que  j'avois  eu  I'honneur  d'etre  a  lui  ,  a  pre- 
sent que  je  n'y  etois  plus  il  avoit  moins  de  droit 
de  pretendre  de  me  faire  changer  une  facon 
d'agir  de  laquelie  il  y  avoit  long-temps  que  j'e- 
tois  en  possession;  et  qu'en  cas  des  civilites, 
c'etoit  une  prescription  plus  que  suffisante ,  les 
lois  du  royaume  n'imposant  point  cette  con- 
traiute;  que  pnur  rendre  le  salut  a  un  laquais  , 
je  n'etois  pas  necessite  d'en  faire  de  meme  vers 
lui ,  que  j'estimois  beaucoup  moins ,  par  les  con- 
victions que  j'avois  qu'il  etoit  homme  sans  foi , 
et  qu'il  avoit  livre  son  maltre  pour  son  profit 
particulier ,  dans  toutes  les  occasions  qui  s'en 
etoient  presentees ;  que,  pour  ce  qui  touchoit  ma 
fortune ,  Son  Eminence  me  permettroit  de  lui 
dire  qu'elle  auroit  peu  de  bonne  volonte  de  la 
rendre  meilleure ,  si  elle  en  etoit  retenue  par 
une  si  foible  consideration.  M.  le  cardinal  me 
repartit  lors  qu'elle  ne  I'empecheroit  pas,  mais 
qu'il  y  auroit  plus  de  facilite  a  me  la  procurer 
si  je  voulois  lever  cette  opposition.  Sur  celaje 
lui  dis  qu'il  etoit  assez  extraordinaire  de  s'y  ar- 
reter,  et  que  je  n'en  comprenois  pas  la  raison  ; 
que  La  Riviere  etoit  ministre  d'un  grand  prince, 
comble  de  graces  et  de  bienfaits  qui  excedoient 
non-seulement  son  merite,  mais  encore  ses  es- 
perances ;  que  je  devois  etre  considere  comme 
un  gentilhomme  rejete  par  les  divers  malheurs 
({ui  avoient  agite  ma  vie ;  que  je  ne  faisois  que 
sortir  du  cachot,  et  qu'a  peine  je  voyois  la  lu- 
miere  qu'il  recherchoit  mon  amitie  ;  que  je  ne 
voulois  point  de  la  sienne  ,  etque  j'osois  deman- 
der  a  Son  Eminence  lequel  etoit  Thomme  de 
bien ,  de  lui  ou  de  moi ;  qu'au  reste ,  par  ses  ar- 
tifices, il  m'avoit  fait  passer  ,  et  un  certain  nom- 
bre  de  gens  avec  lesquels  j'avois  liaison,  pour 
des  esprits  difficiles  ,  ennemis  des  favoris  et  des 
niinistres,  qui  ne  voulions  rien  tenir  d'eux  ,  et 
chercher  sans  mesure  les  occasions  de  les  des- 
servir ;  qu'il  etoit  juste  qu'il  plut  a  Son  Emi- 
nence d'en  juger  par  sa  connoissance  propre  ,  et 
de  nous  mettre  a  convert  de  la  calomnic,  pour 
n'etre  pas  tons  les  jours  exposes  a  de  nouvelles 
disgraces ;  que  je  ne  niois  pas  que  nous  ne  fus- 
sions  fermes  dans  nos  opinions ,  mais  que  c'etoit 
sans  iHvc  opiniatres;  et  que  les  services  dont 


j'avois  cssaye  do  m'acquitfer  vers  des  personnes 
malheureuses  ,  n'y  etant  engage  que  par  I'estime 
de  leurs  bonnes  qualites,  n'empOchoient  pas  que 
je  ne  recusse  obligation  de  celles  qui  seroienten 
autorite ,  et  d'en  avoir  le  ressentiment  que  je 
devrois. 

Je  vis  bien  qu'il  m'ecoutoit  avec  assez  d'at- 
tention  et  faisoit  quelque  reflexion  sur  ce  que 
je  lui  disois  :  il  me  pria  de  lui  dire  franchement 
quel  homme  c'etoit  que  La  Riviere,  et  qu'il  se- 
roit bien  aise  de  le  savoir  de  moi ,  auquel  il  vou- 
loit  ajouter  creance.  N'ayant  aucun  interet  de 
lui  celer ,  je  lui  dis  que  je  le  tenois  pour  fort  am- 
bitieux  ,  peu  secret  et  d'un  talent  fort  mediocre, 
et  deplus  infidele  et  fort  ingrat,  et  que  je  sou- 
haitois  qu'il  n'eut  point  a  faire  I'experiencc.  de 
ces  deux  dernieres  qualites;  que  je  lui  parlois 
sans  passion ,  et  que  j'etois  si  peu  dissimule ,  que 
je  ne  m'etois  jamais  pu  resoudre  de  faire  la  moin- 
dre  action  qui  put  temoigner  a  Son  Eminence 
que  j'etois  son  serviteur,  lorsque  je  n'avois  pas 
une  veritable  intention  de  I'etre  ;  que  mes  sen- . 
timens  pouvoient  etre  acquis  aux  seules  condi- 
tions qu'un  homme  de  bien  vouloit  se  tenir  obli- 
ge ;  que  je  n'etois  pas  si  contraire  a  ma  fortune 
que  mes  amis  lui  avoient  fait  entendre ,  mais  que 
je  ne  pretendois  jamais  I'avancer  que  par  des 
moyens  honnetes  et  sans  reproches.  Get  entre- 
tien  finit  en  me  conviant  de  penser  a  ce  qu'il 
m'avoit  propose,  etmoi  en  I'assurant  qu'en  telle 
matiere  ma  resolution  etoit  prise. 

Ensuite  il  me  parla  fort  ouvertement  de  I'etat 
des  affaires  ,  dont  je  fus  surpris  ,  et  me  demanda 
quelle  etoit  mon  opinion  du  succes  d'une  cam- 
pagne  si  facheuse  dans  son  commencement,  a 
cause  de  la  prise  de  Landrecies,  qui  pouvoit 
avoir  des  suites  qui  eleveroient  le  coeur  aux  en- 
nemis ,  vu  la  foiblesse  de  I'armee.  Je  lui  dis  que 
sa  prudence  y  avoit  pourvu  par  les  recrues  qui 
venoient  de  toutes  parts  pour  accroitre  le  nom- 
bre  des  troupes  qui  etoient  en  Flandre  sous  la 
couduite  du  marechal  de  Gassion ,  ce  qui  le  met- 
troit  en  etat  de  faire  quelque  entreprise  conside- 
rable ;  et  que  les  pr-ogres  de  M.  le  prince  en  Ca- 
talogue, dans  la  conquete  de  Lerida,  repare- 
roient  la  perte  de  Landrecies,  qui  etoit  sans 
comparaison  moins  importantc.  II  me  repartit 
(a  condition  d'en  garder  le  secret)  que,  pour  le 
siege  de  Lerida ,  il  ne  s'en  promettoit  rien  d'heu- 
reux ;  qu'il  craignoit  que  M.  le  prince  ne  se  put 
resoudre  a  le  lever ,  et  qu'il  y  ruinat  et  peut-etre 
y  perdit  sa  personne.  II  usa  de  ces  termes : 
«  M.  de  Montresor,  voici  une  malheureuse  cam- 
pagne;  »  et  il  avoit  raison,  car  sans  la  prise  de 
La  Bassee  il  se  trouvoit  enveloppe  dans  de 
grands  embarras. 


MEMOIRES    DE    MONTRESOU. 


2?.  3 


II  eut  continue  ce  discoiirs ,  qui  Ini  tenoit  fort 
au  coeur,  si  en  se  promenant  il  n'eut  vu  La 
Moussaye  ,  qui  ne  faisoit  que  d'arriver  de  Cata- 
logne.  Le  marquis  deMorteniart,  quelque adroit 
courtisan  qu'il  soit ,  se  meprit  dans  cette  ren- 
contre; car,  dans  la  pensee  qu'il  eut  qu'il  appor- 
toit  la  nouvelle  de  la  prise  de  Lerida,  11  entra 
pour  lui  donner  le  premier  avis  d'une  chose 
qu'il  eslimoit  lui  etre  si  agreable.  II  me  pria  lors 
de  passer  dans  la  salle  et  de  ne  m'en  pas  en  al- 
ler,  parce  qu'il  vouloit  encore  parler  a  moi. 

Apres  avoir  entretenu  La  Moussaye,  il  sortit 
avec  un  visage  fort  compose  et  fut  a  pied  au  lo- 
gis  de  la  Reine ,  ou  je  le  suivis.  Dans  la  rue  il  se 
tourna  de  mon  cote ,  et  me  dit  :  «  J'ai  appris 
la  verite  de  ce  que  vous  avez  vu  que  je  soupcon- 
uois  :  le  siege  de  Lerida  est  leve;  M.  le  prince 
s'est  retire  de  devant  sans  combat,  parce  qu'il 
enjugeoit  la  prise  impossible  (/)  "  ( temoignant 
qu'il  etoit  satisfait  de  la  conduite  qu'il  avoit  te- 
nue).  J'entrai  chez  la  Reine  avec  lui ;  il  me  pre- 
senta  a  elle,  et  j'en  fus  assez  bien  recu, 

Le  lendemain ,  le  marechal  d'Estrees ,  pour 
me  pressentir  sur  le  sujet  de  La  Riviere,  pria 
M .  le  due  de  Joyeuse ,  et  ces  messieurs  avec  les- 
quels  j'etois  venu  a  Amiens  ,  a  diner.  Dans  I'en- 
tretien  que  nous  eumes  ,  j'essayai  de  le  desabu- 
ser  de  ce  rajustement  qu'il  s'etoit  propose :  nean- 
moins  il  se  I'etoit  tellement  mis  en  fantaisie ,  qu'il 
m'en  fit  de  nouvelles  instances.  Y  etant  aussi 
alle  avec  M.  le  due  de  Joyeuse  deux  heures 
apres ,  Son  Eminence  quitta  le  jeu  et  se  retira 
en  particulier ,  et  me  fit  appeler. 

Etant  seul  avec  elle  comme  la  premiere  fois, 
elle  me  demanda  sij'avois  bien  pense  a  la  pro- 
position qu'elle  m'avoit  faite  :  je  lui  repondis  que 
'  oui ,  et  que  je  demeurois  dans  mon  sentiment  ac- 
coutume.  «  Quoi !  me  dit -elle,  voudriez-vous 
bien  refuser  la  Reine ,  M.  le  due  d'Orleans  et 
le  cardinal  Mazarin  ?  »  Je  lui  repondis  qu'il  ne 
m'appartenoit  pas  d'en  user  avec  si  peu  de  res- 
pect ;  mais  que  je  pretendois  que  mes  excuses 
etant  justes  et  bien  fondees  ,  elles  seroient  favo- 
rablement  recues.  II  y  ajouta  comment  je  m'en 
garantirois  vers  M.  le  due  d'Orleans  qui  le  sou- 
haitoit,  et  restoit  persuade  que  le  meprisqueje 
faisois  de  La  Riviere  regardoit  sa  personne.  Je 
m'etendis  fort  sur  la  distinction  qu'il  y  avoit  a 
faire  entre  Son  Altesse  et  lui ,  que  sa  bonte  souf- 
froit  a  son  service ;  que  n'ayant  ni  obtenu  ni 
merae  desire  que  je  me  fisse  cette  violence  pen- 
dant que  j'avois  I'honneur  d'etre  son  domes- 


(1)  Nous  ovons  (!onn6  dans  les  Memoires  inrdils  de 
Pierre  Lenet,  qui  font  panic  de  la  collcclion  de  MM.  Mi- 
t'haud  el  Poujoulul,  la  lellre  du  prince  de  Condi'  par  la- 


tique,  ii  y  avoit  peu  d'apparence  qu'elle  vouliit 
I'exercer  quandje  ne  Tetois  plus;  et  que,  pour  en 
etre  plus  certain,  il  eut  agreable  de  me  faire 
parler  a  elle  en  sa  presence,  pour  avoir  le  plai- 
sir  de  voir  comme  je  m'en  defendrois  ;  que  je 
n'etois  pas  si  ignorant  de  la  facon  d'agir  du  ma- 
rechal d'Estrees  ,  que  je  ne  connusse  les  impor- 
tunites  qu'il  lui  rendoit  pour  satisfaire  la  vanite 
de  La  Riviere,  qui  netireroit  pas  cette  bassesse 
de  moi ,  qui  me  promettois  que  Son  Eminence 
ne  me  voudroit  pas  gener  dans  cette  rencontre , 
danslaquelle  j'osois  lui  representer  qu'il  y  avoit 
des  gens  auxquels  il  falloittoujours  laisser  quel- 
que sujet  de  mortification.  M.  le  due  de  Joyeuse, 
le  marechal  de  Villeroy  et  le  commandeur  de 
Jars  rompirent  la  conversation ,  dont  je  recus  une 
extreme  joie. 

Le  lendemain ,  le  comte  de  Rethune  et  moi 
fumes  rendre  nos  devoirs  a  M.  le  due  d'Orleans, 
qui  etoit  de  retour  a  Paris.  Comme  nous  atten- 
dions  qu'il  fut  eveille  ,  dans  une  salle  ou  quan- 
tite  de  personnes  de  condition  se  proraenoient , 
La  Riviere  y  passa ,  qui  en  recut  de  grandes 
civilites  ,  excepte  de  nous  deux ,  qui  ne  criimes 
pas  devoir  oter  nos  chnpeaux  pour  un  pareil  per- 
sonnage.  Notre  visite  fut ,  par  cette  rencontre , 
peu  agreable  a  Son  Altesse ,  qui  ne  daigna  pas 
nous  regarder  ,  et  par  consequent  elle  fut  fort 
courte.  Nous  primes  ensuite  resolution  d'aller 
dire  adieu  au  cardinal  pour  eviter  les  nouvelles 
recharges  que  Ton  nous  pourroit  faire  ,  qui  au- 
roient  ete  veritablement  tres-inutiles  ,  mais  qui 
n'eussent  pas  laisse  d'etre  fort  importunes.  Etant 
a  son  logis,  le  marechal  d'Estrees,  fertile  en 
expediens  ,  y  vint ,  qui  pressa  fort  le  comte  de 
Rethune  de  ne  s'en  point  aller  ce  jour-la.  Et  je 
n'ai  jamais  vu  homme  plus  obstine  a  conduire 
une  affaire  que  lui  cet  accommodement,  pour  le- 
quel  nous  avions  tant  d'aversion  ,  surtout  dans 
cette  rencontre  ,  et  par  son  entremise,  que  nous 
avions  aussi  de  si  justes  raisons  de  rejeter  :  le 
comte  de  Rethune ,  pour  avoir  pris  le  parti  de 
La  Riviere  a  son  prejudice ,  nonobstant  leur 
proximite;  et  moi,  parce  que,  avant  et  apres 
mon  retour  d'Angleterre ,  associe  avec  M.  de 
Vendome ,  il  m'avoit  rendu  tous  les  mauvais 
offices  qui  etoient  en  son  pouvoir  aupres  de  M.  le 
due  d'Orleans,  et  par  des  voies  peu  honnetes. 
Le  comte  de  Rethune  le  laissa  dire ,  et  fit  sa  re- 
verence au  cardinal  ,  qui  recut  de  lui  force  cora- 
plimens.  Comme  je  me  baissai  pour  lui  faire  la 
mienne  ,  il  me  releva  ,  et  me  dit : « Quoi!  vou- 

quclle  il  annonce  la  iev^e  du  siege  de  L(^rida,  a  Mazarin 
(page  507,  tome  2  de  la  3«  s^rie  ). 


•2Zi 


WEMOIRES    DE    ftiOMl\ESOR. 


lez-vous  vous  en  aller  sans  achever  Taffaire  dont 
je  vous  ai  parle?»  Je  lui  dis  que  je  lui  avois 
toujours  temoigne  que  c'etoit  une  chose  que  je 
ne  pouvois  faire,  et  que  j'estimois  inutile  a  son 
service  ;  il  me  repondit  que  M.  le  due  d'Orleans 
en  seroit  fort  pique.  Je  lui  fis  paroltre  que  j'en 
aurois  un  extreme  depiaisir,  mals  que  ce  seroit 
sans  sujet ,  puisque  je  rendois  tons  respects  a  sa 
personne;  que  j'avois  eu  i'honneur  d'etre  aupres 
de  lui  vingt-deux  ans  ,sans  m'etre  prevalu  d'au- 
cun  avantage  pour  ma  fortune  de  tous  les  ser- 
vices que  j'avois  essaye  de  lui  rendre,  et  qu'il  ne 
se  pouvoit  plaindre  justement  de  ma  lideiite  et 
de  mon  zele;  qu'il  etoit  bien  a  propos  de  de- 
livrer  Son  Eminence  des  importunites  qu'elie 
recevoit ;  et  que ,  n'etant  pas  dispose  a  changer 
mon  ancienne  facon  d'agir,  les  subtilites  et  les 
finesses  du  marechal  d'Estrees  ne  seroient  pas 
suffisantes  pour  me  persuader  ni  m'y  contiain- 
dre;  que  j'honorois  Son  Altesse ,  mais  que  je  ne 
pouvois  m'imposer  une  si  dure  mortification  que 
celle  qu'il  desiroit  de  moi  pour  contenter  I'or- 
gueil  de  son  ministre.  Ayantbien  vu  quej'etois 
resolu  a  partir,  il  me  pria  qu'il  ne  me  restat  au- 
cun  mecontentement  de  ce  qu'il  m'avoit  presse; 
qu'il  faisoit  quelque  estime  de  moi ,  et  que  je  le 
verrois  par  des  effets;  qu'il  etoit  de  mes  amis, 
et  qu'il  desiroit  que  je  fusse  des  siens  ;  et  m'em- 
brassa  en  usant  de  termes  fort  honnetes.  Ce 
fut  la  fin  de  la  persecution  que  je  souffris  dans 
ce  voyage  :  et  pour  dire  la  verite  ,  je  trouvai 
fort  etrange  qu'il  eiit  attendu  cette  bassesse  du 
comte  de  Bethune  et  de  moi ,  qui  ne  faisois  que 
sortir  de  prison.  Du  depuis  il  m'a  donne  une  in- 
finite de  paroles  de  m'obliger  solidement  dans 
ma  fortune  ,  auxquelles  je  n'ai  jamais  voulu 
ajouter  foi,  ni  m'assujettir  a  le  voir  qu'une  fois 
tous  les  deux  mois ,  et  seulement  pour  n'etre 
pas  I'unique  a  vivre  d'une  maniere  differente 
des  autres  personnes  de  ma  condition.  Mais  apres 
ce  que  j'ai  observe,  si  I'etat  des  affaires  ne  change, 
et  que  je  me  trouve  toujours  aussi  inutile  a  ceux 
que  j'honore  et  a  moi-meme,  que  je  I'ai  ete  jus- 
qu'a  present,  je  suivrai  la  resolution  que  j'ai  dif- 
feree ,  pour  jouir  dans  la  solitude  de  la  tranquil- 
lite  qu'il  y  a  long-temps  que  je  me  propose,  et 
travailler  a  m'acquerir  un  bien  qui  surpasse  tous 
les  autres.  Je  suis  ne,  je  I'avoue ,  avec  de  Tam- 
bition  :  j'acheverai  ma  vie  dans  ce  premier  sen- 
timent que  la  nature  a  mis  en  moi ,  qui  ne  sau- 
roit  etre  plus  glorieusement  adresse  qu'a  ceiui 
seul  dont  I'etre  infini  comprend  tout,  et  qui  ne 
trompe  jamais  nos  esperances  lorsque  la  foi  et 
les  oeuvres  les  accompagnent. 


Mortde  Carondelet ,  gouvernetir  de  Bouchain^ 
mentionnee  mix  Mhnoires  de  M.  de  Mon- 
tresoi\  ci-devant  transcrits^pour  intelligence 
avec  le  cardinal  de  Richelieu  (1). 

Je  ne  veux  faire  languir  les  desirs  impatiens 
du  peuple  belgique ,  qui  reste  si  glorieusement 
fidele  a  Dieu  et  a  son  prince  parmi  tant  d'occa- 
sionschatouilleuseset  inevitables,  parmi  tant  de 
rudes  secousses ,  semblable  au  rocher  battu  de 
vents  et  vagues  impetueuses  au  milieu  de  la 
mer,  donnaut  ces  trails  volans  de  ma  plume  non 
mercenaire  a  sa  louable  curiosite  ,  sur  I'eveue- 
ment  de  la  forteresse  de  Bouchain. 

Je  ne  mettrai  a  la  tete  de  mon  discours  les 
dignes  remarques  que  les  bons  esprits  peuvent 
faire  sur  cette  occurence,  tant  pour  mauifester 
lesoin  particulier  que  la  divine  Providence  porte 
a  la  conservation  des  moindres  places  comme 
des  monarchies,  et  des  royaumes  et  provinces, 
qu'au  regard  de  la  police ,  et  ce  qui  se  rencon- 
tre pour  la  moralite. 

Je  differe  tout  cela ,  qui  pouvoit  servir  de 
fondement  assez  solide;  je  commence  comme 
par  la  fin ,  pour  satisfaire  a  I'impatience  des 
gens  de  bien. 

La  serenissime  Infante,  avertiede  bonne  heure 
des  intelligences  des  long-temps  pratiquees  que 
le  gouverneur  Carondelet  continuoit  avec  la 
France ,  trouva  bon  et  necessaire,  par  son  con- 
seil ,  de  couper  proche  aux  malheurs  qui  s'en 
alloient  eclore,  capables  non-seulement  de  per- 
dre  le  pays  de  Hainaut  et  I'Artois  avec  le  Cam- 
bresis ,  mais  de  mettre  au  hasard  tout  le  reste 
des  autres  provinces. 

Son  Altesse  done  ordonna  au  marquis  d'Ay- 
tonne ,  ambassadeur  ordinaire  et  commandant 
aux  armees  de  Sa  Majcste  par  deca,  d'y  pourvoir 
au  commencement  de  ce  mois  d'avril  :  suivant 
quoi ,  le  quatrieme  jour ,  quantite  de  cavalerie 
prit  les  avenues  de  cette  place  et  occupa  tous 
les  passages  des  front ieres  de  France. 

Le  5  ,  un  camp  volant  d'environ  trois  mille 
fantassins,  tant  Espagnols ,  Wallons,  qu'Ita- 
liens  ,  yarriva  avec  quelques  pieces  de  canon  , 
et  munitions  de  guerre  a  proportion.  On  jetle 
un  pont  sur  la  riviere  de  I'Escaut ,  afin  que  les 
troupes  se  puissent  entre-donner  la  main. 

Le  gouverneur,  etonne  de  cette  visite,  envoie 
son  lieutenant  Quenon  vers  le  mestre-de-carap 
Ribaucourt,  qui  commandoit  aux  troupes  (le 
marquis  s'etant  arrete  a  Valanciennes),  lui  dire 
que  tous  ces  appareils  se  faisoient  sans  sujet; 
qu'il  ne  teuoit  la  place  que  pour  le  service  de 

(I)  Vuycz  plus  liaiU ,  pages  188  cl  stiivanles. 


MEMOIIVKS    DE    MONTRESOR. 


23  5 


.  Sa  Majeste  et  de  Son  Aitesse  Serenissime,  et  qu'il 

I  le  prioit  de  venir  diner  avec  lui. 

Ribaucourt  repond  que  tout  ce  qu'il  faisoit 

1  6toit  par  I'ordre  du  seigneur  marquis  ,  et  qu'il 
avertiroit  Son  Aitesse  de  sa  proposition,  corarae 
il  fit. 

Cependant  le  marquis  envoya  le  seigneur 
Jean-Augustin  Spinola ,  capitaine  de  chevau- 
legers  ,  a  Bouchain  ,  charge  d'une  lettre  de  Son 
Aitesse,  contenant  ses  ordres,  afin  de  disposer  le 
gouverneur  a  laraison,  qui,  apres  plusieurs  pro- 
testations de  fidelite,  eondescendit  a  ce  que  son 
frere  le  sergent-major  Carondelet  allat  trouver 
le  marquis  avec  Spinola  ;  et  icelui  rencontre  en 
chemin,  le  sergent-major  fit  sonner  fort  haut 
ses  plaintes  de  ce  qu'on  le  traitoit  en  rebelle , 
n'ayaut  fait  chose  quelconque  contre  le  service 
du  Roi  pour  meriter  ce  traitement. 

Que  s'il  avoit  refuse  la  garnison  qu'on  lui 
avoit  envoyee  ,  ce  n'avoit  ete  que  pour  pour- 
voir  a  la  surete  de  sa  personne  ;  le  seul  nom  de 
Longueval,  capitaine  de  la  compagnie  que  le 
seigneur  comte  de  Buquoy  lui  avoit  envoyee,  lui 
avoit  assez  donne  sujet  d'arriere-pensee,  vu  que 
la  querelle  qu'il  avoit  avec  ledit  comte  ne  per- 
mettoit  pas  de  se  fier  a  lui  ?ii  a  personne  des 
siens ,  et  moins  d'obeir  a  ses  ordres,  s'il  ne  vou- 
loit  courir  risque  de  se  perdre  ;  du  reste,  qu'il 
supplioit  Son  Excellence  d'etre  oui  en  ses  defenses 
avant  qu'etre  condamne;  que  c'etoit  une  justice 
qu'il  lui  demandoit,  et  point  de  grace;  qu'il 
remettoit  entre  ses  mains  son  gouvernement, 
ses  biens ,  la  forteresse  et  tout  ce  qui  etoit  de- 
dans, a  sa  libre  disposition. 

Cette  demande  etoit  trop  juste  pour  Ten  econ- 
duire.  Le  marquis  poursuit  son  voyage  vers  Bou- 
chain ,  accompagne  du  sergent-major ,  et  y  fait 
entrer  le  regiment  d'Espagnols  dedou  Francisco 
Zapata,  apres  qu'on  I'eut  de  nouveau  assure 
que  le  gouverneur  etoit  dispose  d'y  recevoir  telle 
garnison  que  le  marquis  voudroit. 

II  suit  le  regiment  et  y  est  recu  avec  joie,  se 

'  laisse  induire  a  later  de  son  vin.  Quelques  san- 
ies achevees,  le  gouverneur  et  ses  freres  font  des 
instances  incroyables  pour  retenir  le  marquis  a 
manger  chez  eux  ;  mais  leurs  efforts  ne  reussis- 
sent. 

Le  marquis  done  part  pour  Cambray,  ayant 
remarque  que  toute  I'artillerie  de  la  place  etoit 
pointee  de  uotre  cote ,  et  nulle  piece  vers  les 
Francois. 

11  trouve  quelque  pretexte  specieux  de  mener 
ce  sergent-major  quant  et  soi ;  a  quoi  le  gou- 
verneur ne  s'opposa  point ,  ains  I'accompagna 
encore  bien  avant;  dont  il  fut  admoneste  du 
seigneur  marquis  de  retourner,  et  requis  que 


combien  qu'il  ne  vouloit  nullement  douter  de  sa 
fidelite,  neanmoins  il  pourroit  donner  ses  de- 
charges  par  ecrit,  afin  d'oter  toute  sorte  de 
soupcon  des  esprits  ombrageux ,  et  s'exempter 
des  discours  du  monde. 

Le  gouverneur  lui  promet,  et  son  frere,  le 
sergent-major  du  comte  de  Fressin,  passe  a  Cam- 
bray avec  le  marquis.  Je  vois  bien  ,  mon  cher 
lecteur,  que  tu  es  pantelant,  et  aspirant  avec 
un  ardent  desir  a  la  catastrophe  de  cette  san- 
glaute  tragedie  ;  mais  un  peu  de  patience. 

Comme  quoi  la  fine  trame  et  obscure  meche 
de  ce  feu,  qui  alloit  embraser  cette  pauvre  pa- 
trie,  fut  decouverte ,  Ton  en  parle  diversement. 

Tant  y  a  que  les  premieres  bluettes  en  paru- 
rent  a  Tubis ,  oil  un  laquais ,  envoye  de  Bou- 
chain a  Bruxelles  au  doyen  Carondelet,  rencon- 
trant  a  I'improviste  les  gens  dudit  marquis,  s'en 
epouvanta, et  s'ecarta  de  son  droit  chemin  pour 
avouer  letortu  que  prenoit  son  maitre ,  qui  I'en- 
voyoit  porter  a  son  frere  des  lettres  d'un  chiffre 
inconnu ,  cousues  tant  dans  ses  souliers  qu'eii 
son  pourpoint,  comme  elles  y  furent  trouvees 
apres  qu'on  I'eut  fouille  chez  un  sellier,ou  meme 
il  jeta  un  poulet  dans  la  bourre,  ecrit  d'un  ca- 
ractere  ordinaire  ,  qui  fut  renvoye  par  la  poste 
au  comte  de  Buquoy :  ce  qui  fit  observer  de  plus 
en  plus  ce  bon  pretre. 

Le  marquis  etant  a  Cambray  pour  visiter  les 
vieilles  munitions  de  la  citadelle  et  pourvoir 
aux  nouvelles,  ou  soit  qu'un  messager  venant 
de  France  porter  des  lettres  au  gouverneur  de 
Bouchain  fut  pris  ,  ou  soit  qu'un  soldat  habille 
en  paysan  ,  qu'il  y  envoya  incontinent  apres  le 
partement  dudit  marquis,  fut  attrape  ,  ou  soit 
que  I'un  et  I'autre  arrivassent,  ou  qu'un  messager 
alloit  et  venoit  journellement  pour  nourrir  ces 
fideles  correspondances ,  ce  bon  seigneur,  dis- 
je  ,  connut  par  ces  lettres  I'infidelite  du  traitre 
gouverneur.  Jen'ai  point  d'epitiiete  plus  propre. 

Aucuns  disent  qu'elles  chantoient  un  remer- 
ciment  bien  grand  des  offres  a  lui  faites ,  ac- 
compagnees  de  soiennelles  protestations  de  re- 
mettre  la  partie  a  unemeilleure  occasion;  qu'il 
avoit  ete  force  de  recevoir  quatre  compagnies 
du  roi  d'Espagne  de  garnison,  mais  qu'il  s'en 
pourroit  aisement  defaire  :  cependant  que  le 
secours  qui  lui  etoit  si  liberalement  promis  de 
Treves,  de  deux  cornettes  de  cavalerie  et  huit 
mille  hommes  de  pied,  se  pouvoit  differer;  qu'il 
en  communiqueroit  a\ec  ses  amis ,  et  qu'il  nous 
falloit  quelquefois  reculer  pour  sauter  davan- 
tage. 

Le  marquis  ayant  penetre  I'epaisseur  de  ces 
tenebres  ,  et  vu  clairement  le  foad  de  ces  se- 
cretes menees,  dcmeure  perplex  ,  ne  sachant  ce 


2:H) 


MRMOIRES    DE    MONTKESOI\. 


qu'il  doit  plus  admirer,  ou  la  eauteleuse  subti- 
lite  des  traitres  qui  I'avoient  presque  abuse,  ou 
le  bonheur  par  ou  il  s'en  trouvoit  desabuse. 

II  depc'che  done  incontinent  I'adjudant  Rocas 
a  Bouchain  ,  vers  Appelmans,  sergent-major  de 
Ribaucourt,qui  avoit  ete  laisse  avec  ordre  d'en 
tirer  la  compagnie  du  gouverneur,  de  se  saisir 
de  sa  personne  et  de  son  lieutenant  :  suivant 
quoi  I'ordreetant  communique  a  ceux  qn'il  con- 
venoit,  le  lieutenant  du  gouverneur  fut  appre- 
bende  tandis  qu'on  dinoit. 

Apres  qu'on  se  fut  leve  de  table ,  le  sergent- 
raajor  Appelmans,  appelant  le  gouverneur  a 
part,  lui  demanda  les  clefs  de  la  place  :  lors  il 
commenca  a  se  plaindre  qu'on  lui  faussoit  la 
promesse  que  le  marquis  lui  avoit  faite ;  qu'on 
commencoit  a  le  suspecter  et  douter  de  sa 
prud'bommie;  que  c'etoit  lui  faire  tort ;  bref, 
il  se  laissa  emporter  a  la  colere  et  aux  calom- 
niescontre  les  Espagnols;  ets'approcbant  d'Ap- 
pelmans  pour  le  suborner  comme  il  avoit  ja  fait 
plusieurs  autres,  lui  dit  :  «  Et  vous,  Monsieur, 
vous  feriez  bien  mieux  d'etre  compatriote  et  de 
notre  patrie ,  que  de  servir  a  cette  nation.  Si 
vous  voulez  ,  fe  puis  avoir  dans  pen  de  jours  une 
armee  a  notre  secours ,  et  notre  fortune  y  sera 
meilleure.  » 

Appelmans,  bon  Flamand,  c'est-a-dire  Franc 
et  non  Francois  ,  lui  repartit  que  s'il  continuoit 
ce  discours ,  il  n'y  auroit  rien  qui  le  put  empe- 
cber  de  lui  mettre  I'epee  dans  le  ventre  ;  qu'il 
ne  se  devoit  tant  facber  de  ce  qu'il  lui  avoit  dit ; 
qu'il  avoit  encore  cbarge  de  I'arreter  prisonnier , 
ce  qu'il  faisoit  de  la  part  du  Roi  ;  et  lui  de- 
manda les  clefs  du  magasiu ,  se  saisissant  de  son 
epee. 

Ce  fut  Jeter  de  I'huile  sur  la  braise  et  souf- 
fler  le  feu  ja  allume ;  ce  fut  enflammer  safureur, 
laquelle  lui  fournissoit  d'armes  tout  ce  qui  se 
prescntoit. 

A  I'lnstant  il  prit  un  grand  couteau  qui  etoit 
pres  des  fenetres  de  sa  chambre ,  qu'il  fourra 
dans  le  corps  d'Appelmans,  et  puis  en  donna  a 
revers  au  capitaine  de  Fresne ,  avancant  pour  le 
saisir  au  collet,  et  lui  perca  le  bras  droit. 

Appelmans  lui  porta  une  estocade  dans  I'e- 
paule,  qui  ne  fit  qn'effleurer  a  cause  de  sa  foi- 
blesse.  En  voila  deux  mortellement  blesses ,  qui 
n'ont  guere  vecu  depuis. 

Sur  cette  entrefaite ,  qui  ne  fut  sans  cris  et 
grand  bruit,  Rocas  s'avance,  qui  n'en  cut  meil- 
leur  raarcbe  que  les  autres;  car  d'abord  il  fut 
blesse  de  ce  funeste  couteau ,  et  mourut  deux 
beures  apres. 

Les  soldats  etoient  dc^ja  tout  alarmes  :  ceux 
qui    etoient    dcmeures  dans  la  salle,  et   qui 


avoient  commandement  de  prendre  le  gouver- 
neur, accoururent  au  secours,  dont  il  tua  le 
premier  d'un  coup  de  pistolet  (qu'aucuns  disent 
avoir  ete  lache  contre  Fresne  avant  qu'il  fut 
blesse  du  couteau  ,  et  qui  I'esquiva  s'abaissant), 
et  sortit  plein  de  rage  et  de  fureur,  ayant  em- 
poigne  deux  epees;  mais  etant  environne  de 
tons  cotes,  tandis  qu'aucuns  demandent  des 
cordes  pour  le  lier,  et  qu'autres  crient  tumul- 
tuairement,  un  mousquetaire  lui  met  le  mous- 
quet  sur  la  poitrine,  et,  tirant,  ne  lui  fit  que 
bruler  sa  casaque  et  le  pourpoint  de  satin  gris 
jusques  au  canevas,  d'autant  qu'il  n'etoit  cbarge 
a  plomb :  ce  que  voyant  un  autre  soldat,  croyant 
qu'il  fut  charme,  voulant  rentrer  dans  sa  mai- 
son ,  lui  donna  du  gros  de  son  mousquet  sur  la 
tete  et  I'assomma. 

Son  fils  a  meme  temps  ,  age  de  ouze  a  douze 
ans,  sortit  a  la  place,  et  lira  une  carabine  au 
milieu  des  soldats ,  dont  il  en  blessa  un  a  la 
cuisse.  S'il  y  a  quelque  malentendu  en  ceci ,  il 
ne  s'en  faut  etonner,  car  ceux-la  memes  qui  se 
trouvent  presens  en  semblables  accidens  sont 
pour  la  plupart  si  emus ,  qu'ils  ont  de  la  peine 
d'en  faire  la  relation  veritable. 

Aussitot  que  le  frere  ,  qui  etoit  a  Cambray, 
en  eut  le  vent ,  il  s'eclipsa  promptement ;  mais 
la  diligence  du  marquis  le  rendit  visible  :  on 
I'arreta  prisonnier,  et  on  le  gardapour  s'eclair- 
cir  de  lui,  comme  des  autres  prisonniers,  de 
plusieurs  points  qui  concernent  le  bonheur  de 
ces  pays  et  la  conservation  de  I'Etat ,  avant  que 
de  les  faire  mourir. 

Que  remarquerons-nous  sur  ce  funesle  evene- 
ment?  Avant  toutes  choses,  il  faut  etre  aveugle 
pour  ne  voir,  insensible  pour  ne  sentir  I'admi- 
rable  et  incomprehensible  providence  de  Dieu  : 
je  veux  done  et  dois  reciter  a  bon  droit  que  la 
juste  colere  du  Roi  des  rois  a  voulu,  pour  nos 
offenses,  agiter  le  vaisseau  de  ces  provinces  et 
non  submerger,  transverser  et  non  renverser, 
faisant  journellement  d'etranges  ressorts  pour 
tirer  notre  bien  de  notre  mal ,  et  notre  salut  de 
notre  naulVage ,  dont  nous  devons  prudemment 
faire  profit,  et  rendre  des  actions  de  grace  a  Sa 
DivineMajeste,  comme  la  Serenissime  Infante 
fit  publiquement  avec  sa  cour  en  la  maitresse 
eglise  de  Bruxelles,  le  1 1  du  courant. 

Entre  toutes  les  ruses  huraaines,  il  n'y  a 
finesse  plus  fine  que  d'etre  homme  de  bien;  il 
faut  enfin  que  le  masque  de  la  malice  tombe 
et  paroisse  en  son  jour. 

La  verite  pent  etre  pour  un  temps  voilee  des 
tcnebres  de  I'ignorance  humaine ;  mais  finale- 
ment  elles  se  dissipent,  et  la  verite  eelate  mal- 
gre  tons  les  obstacles  qu'on  y  puisse  apporter. 


MEMOIBES    DE    MONTRESOR. 


23: 


II  y  a  presqu'uii  an  ,  ou  peut-etre  plus ,  que 
ces  artilices  se  tramoient  a  la  sourdine  ,  et  voila 
qu'on  les  prechepubliquement.  Le  trompeur  est 
souvent  trompe ;  le  maitre  des  feux  artiliciels 
en  est  souvent  briile ;  plusieurs  creusent  la  fosse 
oil  ils  tombent  et  sont  pris  aux  filets  qu'ils  ont 
tendus  :  tout  cela  se  voit  en  ce  succes  tragique. 
Le  cliemin  de  la  vertu  est  le  droit  sentier  qui 
conduit  les  hommes  aux  houneurs ;  ceux  qui 
penseut  y  parvenir  par  des  voies  obliques  en 
sont  souvent  recules ;  la  fin  de  ces  cerveaux 
remplis  de  fumee  est  rarement  heureuse  :  car, 
ou  ils  dechoient  de  leurs  etats,  ne  perdant  que 
les  biens,  ou  avec  leurs  biens  ils  perdent  la  vie. 
Que  les  superbes  travail  lent  tant  qu'ils  vou- 
dront ,  que  les  ambitieux  courent  aux  grandeurs 
parmi  toutes  sortes  de  crimes ,  ils  n'y  profite- 
ront  rien  :  leur  diligence  etant  contre  la  loi  de 
Dieu  ,  tout  s'en  ira  en  fumee,  le  soleil  de  la  di- 
vine justice  dissipera  le  tout ;  mais  les  bommes 
aveugles  de  leurs  passions  effrenees  n'y  font 
aucune  reflexion.  II  faut  avouer  que  celles-la 
sont  toutes  violentes  et  extremes  sur  lesquelles 
la  raison  n'a  point  d'empire;  mais  I'ambition  , 
ctant  impetueuse  et  furieuse,  emporte  ses  es- 
claves  a  d'etranges  extremites. 

Les  medecins  disent  que  le  poison  a  une  telle 
force  qu'il  corrompt  le  sang  et  I'esprit ,  assiege 
et  infecte  le  cceur  par  une  contagion  venimeuse, 
et  altere  totalement  la  bonne  complexion  de  ce- 
lui  qui  I'a  bu  :  semblablement  le  venin  de  cette 
ardente  envie  de  dominer  est  une  operation  si 
puissante ,  qu'encore  qu'elle  se  rencontre  es 
esprits  de  bonne  trempe ,  elle  ne  laisse  pas  de  les 
corrompre  entieremeut. 

Tons  ceux  qui  ont  connu  les  trois  freres  qui 
m'ontdonne  sujet  de  traiter  cette  histoire  a  la  hate 
(comme  me  I'ont  contee  les  temoins  oculaires), 
regretteront  les  belles  qualites  que  I'empestee 
ambition  de  monter  aux  dignites,  Tun  de  I'E- 
glise  et  les  autres  du  siecle ,  a  corrompues  et 
perdues  en  eux ;  et  ceux  qui  sont  atteints  de 
meme  mal  apprendront  de  se  guerir  par  Telle- 
bore  de  la  moderation  ,  retournant  a  leur  de- 
voir, heureux  d'etre  faits  sages  aux  depens  d'au- 
trui. 

Je  ne  puis  passer  sous  silence  ce  qui  se  ren- 
contre ici  de  reniarquable  pour  ceux  qui  gou- 
vernent  les  peuples  autorises  de  leurs  rois  ,  au 
regard  des  avis  qu'on  leur  donne  des  trahisons 
qui  se  brassent  contre  leurs  Etats  et  service  : 
c'est  de  s'assurer  au  plus  tot  des  personnes  sus- 
pectes  et  des  places  ou  ils  commandent,  pour 
apres  s'informer  a  loisir  de  ce  qui  en  est,  et,  les 
trouvant  coupables,  les  punir  selon  I'exigence 
des  cas  ,  ou  les  chefs  seulement  de  la  conspira- 


tion, pour  I'exemple,  ou  tons  ceux  qui  y  ont 
trempe,  pour  la  faute. 

Car  en  telle  occurrence  I'incredulite  est  peril- 
leuse,  tout  delai  est  dangereux,  le  moindre  om- 
brage  est  repute  pour  crime,  et  les  moindres 
soupcons  donnent  lieu  a  la  loi  des  justiciaires  , 
qui  ne  pent  etre  trop  rigoureuse,  la  rigueur  y 
etant  tenue  pour  clemence,  et  la  grace  pour  ri- 
gueur. Ainsi  les  princes  et  les  ministres,  en  ces 
pratiques  de  perfidie,  doivent  prendre  premie- 
remeut  le  bouclier  de  ['assurance ,  et  puis  de- 
galner  I'epee  d£  la  justice  ;  c'est  le  docte  Dal- 
lington,  ou  celui  qui  suit  ses  traces  ,  qui  nous 
I'appreud. 

Recevez  en  gre  cet  ecrit ,  attendant  qu'aucun 
qui  ait  plus  de  part  aux  affaires  que  moi  (  car 
je  n'y  en  ai  point)  vous  en  donne  une  relation, 
laquelle  pourra  bien  etre  plus  exacte  et  mie-ux 
faite,  avec  plus  de  temps  et  informations  ,  mais 
non  avec  plus  de  sincere  affection  a  ce  qui  est 
du  service  du  Roi  et  du  bien  public,  a  quoi  je 
veux  faire  aboutir  ces  lignes.  J'aurai  pour  le 
raoins  servi  d'eperon  pour  faire  courre  eu  cette 
lice  quelque  meilleure  plume. 


Relation  de  I'assassinat  conwiis  en  lapersonne 
de  M.  de  Pmjlaurens  a  Bruxelles  ,  dont 
est  fait  mention  aux  Memoires  ci-dessus. 

Le  3  mai ,  entre  huit  et  neuf  heures  du  soir, 
M.  de  Puylaurens,  revenant  de  la  ville  et  mon- 
tant  les  degres  pour  entrer  en  la  salle  du  Pa- 
lais, accompagne  de  huit  ou  dix  gentilshommes, 
on  lui  a  tire  un  coup  de  carabine  qui  ne  I'a  bles- 
se  que  fort  legerement  a  la  joue  droite  ,  oil  la 
balle  est  demeuree  ,  entrant  si  peu  avant  dans 
la  chair,  qu'en  tirant  ses  cheveux  ,  qui  etoient 
entres  avec  la  balle,  elle  est  tombee  a  ses  pieds. 
M.  de  La  Vaupot  a  eteaussi  blesse  a  la  meme 
joue  droite ,  et  a  I'os  de  la  machoire  offense ; 
mais  sa  blessure  ne  laisse  pas  d'etre  fort  legere 
et  sans  danger  quelconque. 

Le  troisieme  qui  a  ete  blesse  est  M.  de  Rous- 
sillon,  beau-frere  de  M.  de  La  Vaupot,  jeune 
gentilhomrae  aime  et  eslime  d'uu  chacun.  Ce- 
lui-ci  est  dangereusement  blesse  a  la  tete  et  a 
ete  aujourd'hui  trepane ;  on  ne  sait  encore  ce 
que  Ton  doit  esperer  de  lui. 

C'est  une  espece  de  miracle  comme  la  plu- 
part  de  ceux  qui  etoient  sur  les  degres  n'ont 
point  ete  tues  ;  car  la  carabine  qu'on  a  prise  a 
le  calibre  comme  pour  une  balle  de  longue 
paume,  et  davantage.  Elle  etoit  chargee  de 
vingt-cinq  balles  de  pistolet  et  de  sept  posies  , 
qu'on  a  ramassees ,  et  la  plupart  d'etain  et  non 
pas  de  plomb;  et  le  coup  a  etc  tire  environ  de 


'2:iS 


MEMOIP.P.S    DU    MONTHRSOR. 


\ingt  pas,  et  appuye  sur  une  table  de  pierre  ; 
mais  ce  qui  a  empeclie  le  grand  effet  qu'il  de- 
voit  faire ,  c'esl  qu"il  n'y  avoit  pas  assez  de 
poudre  pourchasseiavec\ioIence  une  si  grande 
quantite  de  balles,  ou  que  celui  qui  a  faitle  coup 
s'est  trophate  ,  tiraut  lorsque  les  tetes  ont  com- 
mence a  paroitre ,  avant  qu'il  put  tirer  an 
corps.  Mais  il  ne  pouvoit  pas  choisir  un  lieu 
plus  propre  ni  plus  favorable  pour  entreprendre 
une  si  p:rande  mecbancete  ,  que  celui  ou  il  s'e- 
toit  mis  ;  car  il  avoit  une  porte  derriere  fort 
procbe,  ou  a  ces  beures-la  il  n'y  a  personne  ;  et 
la  il  y  avoit  un  homme  a  cheval  qui  en  tcnoit 
un  autre  par  la  bride,  sur  lequel  il  monta  ,  n'e- 
tant  pourtant  poursuivi  de  qui  que  ce  soit  que 
d'un  laquais  de  M.  de  Puylaurens,  qui  dit  lui 
avoir  porte  un  coup  d'epee ,  laquelle  il  retira 
sanglante  environ  I'epaisseur  de  deux  doigts  , 
ne  sachant  s'il  avoit  blesse  rhomme  ou  le  che- 
val, a  cause  qu'il  etoit  nuit,et  commeles  autres 
etoient  a  cheval,  ils  furent  bientot  sauves. 

Les  uns  s'amuserent  autour  des  blesses  ,  les 
autres  a  recueillir  la  carabine  et  la  casaque  que 
le  meurtrier  avoit  laissees ;  si  bien  qu'il  ne  cou- 
rut  autre  fortune  que  celle  de  ce  laquais. 

La  carabine  etoit  couverte  de  taffetas  noir  , 
pour  empecher  la  lueurdu  canon,  et  la  casaque 
etoit  toute  neuve  ,  verte,  et  doublee  de  jaune  , 
et  seulement  faufilee:  qui  fait  juger  que  celui 
meme  ([ui  s'en  est  servi  I'avoit  faite ,  pour  ne 
s'en  fier  pas  au  tailleur. 

C'est  merveille  comme  Monsieur  ne  s'y  trou- 
va  pas;  vu  que  depuis  quelque  temps  M.  de 
Puylaurens  ayant  eu  divers  avis  de  ce  qui  lui 
est  arrive ,  ne  sortoit  plus  guere  sans  lui. 

On  ne  sait  pas  jusques  ici  qui  a  fait  ni  qui  a 
fait  faire  le  coup ;  on  en  soupconne  plusieurs  , 
pour  ce  que  M.  de  Puylaurens  a  plusieurs  en- 
nemis ;  et  comme  la  plupart  n'y  ont  point  con- 
tribue,  il  est  certain  que  Ton  calomnie  beaucoup 
d'innocens. 

La  plupart  ne  le  haissent  que  pour  ce  qu'il 
s'est  porte  a  faire  I'accommodement. 

On  pent  croire  que  ce  ne  sont  pas  des  do- 
mestiques  de  Monsieur,  ni  ceux  qui  sont  dans 
ses  interets  qui  lui  veulent  mal  a  cause  de  ce- 
la;  au  cojitraire,  ils  I'aiment  et  adorent  tons 
depuis  qu'ils  ont  reconnu  en  lui  de  si  bonnes 
intentions  ,  et  qu'ils  lui  ont  vu  rendre  un  ser- 
vice si  signale  a  leur  maitre  et  a  la  Trance, 
<|ue  de  le  porter  a  la  paix.  Au  reste,  on  a  pris 
deux  hommes  avec  quelques  indices;  ils  sont 
entre  les  mains  de  la  Justice,  mais  la  plupart  ne 
les  croient  pas  coupables. 

Ltant  deux  jours  devant  a  la  comcdie  ,  ou 
etoit  M.  de  Puylaurens,  ils  se  mirent  a  le  rc- 


garder  long-temps  fixement  sans  le  saluer  et 
comme  en  le  morguant.  [Is  sont,  a  ce  que  Ton 
dit,  au  pere  de  Chanteloube  ;  et  la  Reyne  a  en- 
voye  dire  au  marquis  d'Aytonne  qu'elle  les 
avouoit  pour  etre  a  elle,  et  que,  s'ils  se  trou- 
Yoient  coupables,  elleleprioit  d'en  faire  justice; 
mais  qu'aussi,  s'ils  ne  I'etoient  point,  on  leur  fit 
raison  de  I'outrage  quon  leur  a  fait  de  les 
prendre  pour  cela.  La  plus  commune  opinion 
est  qu'ils  sont  innocens. 

Le  prince  Thomas  et  le  marquis  d'Aytonne  , 
aussitot  apres  cet  accident,  accoururent  au  pa- 
lais  et  se  rendlrent  aupres  de  Monsieur  ,  y  ap- 
portant  de  leur  cote  tout  ce  qu'il  pouvoit  desirer 
d'eux  et  de  leur  sage  conduite. 

Monsieur  se  trouva  au  palais  quand  cela  ar- 
riva  ;  et,  dans  ce  tumulte  ,  Monsieur  ayant  mis 
I'epee  a  la  main  a  la  chaude,  il  pouvoit  arriver 
un  grand  desordre  si  par  malheur  on  eut  ren- 
contre quelqu'un  de  ceux  que  Ton  soupconnoit. 

M.  de  Puylaurens  ne  s'est  point  du  tout  mon- 
tre  etonne  d'un  si  horrible  attentat ,  et  a  fait 
paroitre  une  moderation  et  une  generosite  mer- 
veilleuses  envers  ses  ennemis. 

Les  deux  prisonniersseront  demain  confron- 
tes  a  I'ouvrier  quia  fait  la  carabine,  qui  dit  I'a- 
voir  vendue,  le  jeudi  saint,  a  un  Francois  qui 
contrefaisoit  I'Allemand  ,  et  a  un  petit  laquais 
qui  dit  avoir  parle  a  I'un  des  prisonniers  peu 
devant  cette  mauvaise  action  ,  et  soutient  qu'il 
avoit  sur  lui  le  manteau  que  Ton  a  pris. 

Jiecit  de  ce  qui  se  passu  un  peu  avant  la  rnort 
ducardinal,  arrivee  le  jeudi  4  deceynbre  1 G-12, 
sur  le  midi. 

Le  conge  des  sieurs  de  Tilladet,  de  La  Sale  et 
Des  Essarts,  capilaines  aux  gardes,  fut  donne  le 
mercredi  26  de  novembre.  Le  Roi,  ayant  souf- 
fert  que  le  cardinal  lui  fit  cette  violence  ,  eut 
neanmoins  assez  de  coeur  pour  vouloir  que  pen- 
dant leur  eloignement  leurs  charges  fussent 
exercees  par  leurs  lieutenans  ,  et  que  leurs  pen- 
sions leurs  fussent  payees  dans  les  lieux  de  leur 
retraite.  Pour  ledit  sieur  Des  Essarts ,  parce 
qu'il  etoit  beau-frere  du  sieur  de  Treville,  com- 
mandant les  mousquetaires,  il  fallutque,  pour 
eontenter  le  cardinal ,  le  Roy  I'envoyat  servir 
en  Italie ;  mais  sa  peur  ne  s'arreta  pas  la.  Tre- 
ville, qui  en  etoit  le  principal  objet,  devoit  etre 
eloigne  de  la  cour,  |)our  le  mcttre  en  quelque 
repos.  Le  Roi  ayant  fortement  resisle  ,  fut  en- 
fin  contraint  d'obeir.  II  (nvoya,  le  lundi  pre- 
mier decembre  ,  lui  donner  son  conge  par  un 
des  siens,  et  peu  apres  le  fit  visiter  par  un  de 
ses  ordinaires  ,  et   I'assuror  de  la  continuation 


MliMOIRES    DE    MONTfiESOR. 


239 


;  de  sa  bonne  volonte ,  et  lui  dire  qu'il  avoit  don- 
I  ne  son  eloijinement  a  la  necessite  desimportii- 
I  nites  de  son  ennemi  ;  mais  (jiril  ne  laissoit  pas 
I  de  lui  conserver  loute  sa  bienveillance  ,  bien 
•  qu'il  le  laissat  partir ;  et  que  ce  ne  seroit  que 
pour  un  peu  de  temps;  qu'il  vouloit  que  ses 
pensions  lui  fussent  payees,  avec  augmentation 
de  moitie,  dans  le  lieu  de  Montirandel ,  on  il 
vouloit  (|u'il  se  retir^t.  M.  de  Treville  partit  le 
jour  menie,  et  ne  voulut  point  voir  M.  le  car- 
dinal, qui  pensoit  bien  disposer  a  sa  fantaisie 
de  sa  charge  et  de  celles  des  trois  autres ;  mais 
le  Roi  s'opiniatra  a  ne  le  pas  souffrir  et  a  faire 
enrager  le  cardinal.  Tellement  que  I'exil  de  ces 
personnes  si  redoutables  a  une  ame  timide, 
n'ayant  pas  eu  le  succes  qu'elle  en  esperoit ,  el 
toute  sa  violence  n'ayant  servi  qu'a  donner  de 
la  roideur  a  I'esprit  du  Roi ,  ce  pauvre  homme 
se  vit  bien  loin  de  la  lin  qu'il  s'etoit  proposee. 
11  le  crut  encore  bienmieux  lorsqu'il  cut  appris 
avec  quelle  hauteur  le  Roi  avoit  parle  a  Chavi- 
gny,  lorsqu'il  le  pressoit  pour  accepter  ceux 
que  le  cardinal  vouloit  raettre  dans  les  places 
vacantes ,  et  avec  quelle  colere  il  lui  avoit 
comniande  ensuite  de  sortir  de  Saint-Germain. 
II  acheva  de  decharger  sa  bile  contre  lui  en 
voyant  M.  Des  Noyers  ;  il  lui  dlt  mille  choses 
aigres,  etlui  commanda  de  les  rapporter  toutes 
au  cardinal  de  Richelieu.  Peu  de  temps  apres 
M.  le  cardinal  Mazarin  etant  venu  pour  adou- 
cir  les  choses  ,  et  pour  tenter  I'accommode- 
ment  dudit  Chavigny  qui  etoit  venu  avec  lui  , 
le  Roi  les  recut  tous  deux  tres-froidement ,  et 
teraoigna  un  tel  mepris  pour  le  dernier  ,  qu'il 
ne  voulut  pas  meme  le  regarder.  Toutes  les 
marques  d'indignation  qui  avoient  ete  entrete- 
nues  par  les  defiances  que  le  maitre  et  le  valet 
avoient  I'un  de  I'autre  depuis  la  mort  de  M.  le 
Grand,  altererent  tellement  leur  sante  ,  qu'ils 
en  out  tous  deux  perdu  la  vie  a  sept  mois  I'un 
de  Tautre.  Le  cardinal  fut  abattu  le  premier  : 
la  nuit  du  vendredi  28  novembre ,  il  fut  saisi 
d'une  grieve  douleur  decote  avec  la  fievre.  Le 
(limanche,  dernier  jour  du  mois,  le  mal  de  co- 
le s'augmentant  avec  redoublement  de  fievre, 
il  fallut  recourir  aux  remedes.  Messieurs  les 
inarechaux  de  Breze  et  de  La  Meilleraye,  et 
tiiadame  d'Aiguillon ,  coucherent  au  Palais- 
(Jirdinal ,  etant  tous  en  grande  consternation. 
On  cut  recours  deux  fois  a  la  saignee  danscette 
nuit-la.  Le  lundi  au  matin ,  premier  de  decem- 
bre,  le  cardinal  se  porta  un  j)eu  mieux  en  ap- 
parence ;  mais  sur  les  trois  heures  apres  niidi 
la  fievre  redoubia  avec  cracheraent  de  sang  ,  et 
une  grande  difficulte  de  respirer.  La  nuit  de  ce 
meme  lundi ,  tous  les  principaux  dc  sa  parcnle 


et  de  sa  famille  y  coucherent  encore.  II  futsai- 
gne  cette  nuit-la  deux  fois  encore  ,  mais  elle  ne 
laissa  pas  d'etre  fort  mauvaise.  Rouvard,  pre- 
mier medecin  du  Hoi,  veilla  toute  la  nuit  au- 
pres  du  litdu  malade. 

Le  mardi  au  matin,  il  y  eut  une  grande  con- 
sultation de  medecins,  sur  les  neuf  heures.  Ce 
meme  jour,  sur  les  deux  heures  apres  midi ,  le 
Roi  Vint  voir  le  cardinal ,  apres  toutes  les  solli- 
citations  tres-pressantes  qui  lui  en  avoient  ete 
faites.  II  entra  dans  sa  chambre  avec  M.  de  Vil- 
lequier  et  quelques  autres  capitaines  de  ses  gar- 
des :  s'etant  approche  de  son  lit,  M.  le  cardinal 
lui  dit  qu'il  prenoit  conge  de  Sa  Majeste  ;  qu'il 
voyoit  bien  qu'il  falloit  partir,  mais  qu'il  mou- 
roit  avec  cette  satisfaction  qu'il  ne  I'avoit  jamais 
desservi ,  et  qu'il  laissoit  son  Etat  en  un  haut 
point,  et  tous  ses  ennemis  bien  abattus  ;  qu'en 
reconnoissance  de  ses  services  passes  ,  il  le  sup- 
plioit  d'avoir  soin  des  siens;  qu'il  laissoit  dans 
le  royaume  plusieurs  personnes  tres-capables 
et  bien  instruites  des  affaires,  entre  autres 
M.  Des  Noyers,  et  quelques  autres  qu'il  nomma, 
•pour  s'en  servir  dignement.  Le  Roi  lui  promit 
d'avoir  memoire  de  ses  recommandations ,  et 
lui  temoignant  plus  de  tendresse  qu'il  n'en 
avoit ,  lui  fit  prendre  lui-meme  deux  jaunes 
d'oeuf.  Apres  qu'il  fut  sorti  de  sa  chambre,  il 
entra  danssagalerie,  et  Ton  remarqua  qu'en  se 
promenant  et  considerant  les  tableaux  qui  y 
etoient ,  il  n'avoit  pu  s'empecher  de  rire  plu- 
sieurs fois.  II  s'en  retourna  au  Louvre ,  ou  il  fut 
accompagne ,  de  la  part  de  Son  Eminence ,  du 
comte  d'Harcourt  et  du  marechal  de  Rreze  et 
de  quelques  autres.  II  avoit  resolu  de  ne  point 
quitter  le  Louvre  jusqu'a  ce  qu'il  cut  vu  le 
cours  de  cette  maladie  ,  et  y  demeura  en  effet 
jusqu'apres  la  mort  du  cardinal.  Ledit  sieur 
comte  d'Harcourt  etant  de  retour  au  Palais-Car- 
dinal ,  Son  Eminence  ne  I'apercut  pas  plus  t(H 
que,  lefaisant  approcher  de  son  lit :  «  M.  d'Har- 
court, lui  dit-il,  vous  allez  perdre  un  grand 
ami.  »  Ces  paroles  lui  tirerent  des  larmes  des 
yeux,et,  se  tournant  vers  madame  d'Aiguillon  : 
«  Ma  niece ,  lui  dit-il ,  je  veux  qu'apres  ma  mort 

vous  fassiez »  Ces  ordres  secrets  la  firent 

sortir  de  la  chambre  toute  fondante  en  larmes. 
Ensuite  il  demanda  aux  medecins,  avec  beau- 
coup  de  fermcle,  jusqu'a  quand  il  pourroit  en- 
core vivre;  qu'ils  le  lui  dissent  franchement , 
puis([u'aussi  bien  il  etoit  tres-resolu  a  la  mort. 
Ces  hommes  ,  nes  a  la  (latterie  comme  les  au- 
tres, lui  dirent  qu'il  n'y  avoit  rien  encore  a  de- 
sesperer  ;  que  Dieu,  qui  le  voyoit  si  necessaire 
.  au  bien  de  la  France,  feroit  im  coup  de  sa  main 
pour  le  lui  conserver,  et  que,  selon  leur  art. 


240  MEMOIRES    DE 

ils  ne  pouvoient  faire  aucun  jugement  du  siicces 
de  son  mal  juqu'au  septieme.  II  appela  Chicot , 
raedecin  du  Roi,  en  particulier,  et  le  conjura  , 
non  comme  medecin ,  mais  comme  son  ami ,  de 
lui  parler  a  coeur  ouvert.  Cliicot ,  apres  quel- 
((ues  excuses,  lui  dit  nettement  que  dans  vingt- 
quatre  heures  il  seroitou  mort  ou  gueri.  <•  Voila 
parler  comme  il  faut,  lui  repondit  le  cardinal. 
G'est  assez  ,  je  vous  entends;  -  et  en  meme 
temps  envoya  chercher  ceux  dont  il  avoit  be- 
soin  en  cette  conjoncture.  Sur  le  soir,  la  fievre 
redoubia  etrangement ,  et  Ton  fut  oblige  de  le 
saigner  deux  Ibis.  A  une  heure  apres  minuit, 
le  cure  de  Saint-Eustache  lui  apporta  ie  saint 
viatique.  Lorsqu'il  cut  pose  le  Saint-Sacrement 
sur  une  table  qui  avoit  ete  preparee  pour  le 
recevoir,  il  dit  au  cure:  «  Mon  maitre,  voila 
mon  juge  qui  me  jugera  bientot.  Je  le  prie  de 
bon  coeur  qu'il  me  condamne  si  j'ai  eu  autre 
intention  que  le  bien  de  la  religion  et  de  I'Etat. » 
11  communia  ensuite ,  et  a  trois  heures  apres 
minuit  il  recut  rextreme-onction  par  les  mains 
dudit  cure.  Avant  que  Ton  commencat  la  cere- 
monie ,  il  se  tourna  vers  le  cure  et ,  «  Mon  pas- 
teur,  lui  dit-il,  je  vous  demande  ce  sacrement 
d'extreme-onction ,  de  me  parler  comme  a  un 
grand  pecheur ,  et  me  traiter  comme  le  plus 
clietif  de  votre  paroisse.  »  Ce  qu'il  fit  en  I'aisant 
reciter  a  ce  grand  docteur  son  Pater  noster,  et 
le  symbole  de  la  foi.  11  temoigua  en  prononcant 
ces  paroles  beaucoup  d'emotion ,  beaucoup  de 
tendresse  de  coeur  et  beaucoup  de  douleur  de 
ses  fautes ,  embrassant  sans  cesse  un  crucifix 
([u'il  tenoit  entre  ses  bras  ;  de  sorte  que  tons  les 
assistans  fondoient  en  larmes  ,  et  croyoit-on 
([u'a  cette  fois-la  il  alloit  expirer,  tant  11  parois- 
soit  etre  mal.  Madame  d'Aiguillon  etoit  cepen- 
dant  inconsolable,  et  comme  hors  d'elle-meme. 
Apres  avoir  fait  tout  ce  que  sa  passion  lui  con- 
seilloit,  elle  retourna  a  sa  maison ,  oil  il  fallut 
aussitot  la  saigner  au  pied  avec  grand'peine. 
Les  paroles  aussi  et  les  dernieres  volontes  de 
M.  le  cardinal ,  qu'il  lui  avoit  declarees  les  lar- 
mes auxyeux ,  etoient  trop  louchantes  pour  n'en 
venir  pas  a  I'extremite  oil  elle  etoit  reduite.  II 
luidefendit  expressement ,  mais  en  des  termes 
de  tendresse  et  d'amour,  de  se  retirer  apres  sa 
mort  dans  un  cloitre ,  et  que  si  elle  vouloit  lui 
deplaire  apres  son  deces,  elle  n'avoit  qu'a  y  pen- 
ser  5  qu'elle  seroit  plus  necessaire  dans  le  monde ; 
et  il  la  prioit  d'avoir  soin  de  I'education  de  ses 
neveux  Du  Pont.  Apres  il  lui  balsa  les  mains, 
et  lui  dit  qu'elle  etoit  la  personncdu  monde  qu'il 
avoit  le  plus  aimee.  Le  lendemain  ,  troisieme  du 
courant ,  les  medecins  Tabandonnerent  le  matin 
aux  empiriques ,  voyant  qu'ils  n'avoicnt  plus  de 


MONTRESOB. 

remedes  pour  lui ,  a  cause  que  rinflammation 
etoit  a  la  poitrine ,  et  que  la  douleur  du  cote 
alloit  tantot  a  droite  et  tantot  a  gauche.  II  fut 
aussi  tenement  mal,  que  sur  les  onze  heures  le 
bruit  de  sa  mort  se  repandit  par  toute  la  ville. 
Le  sieur  Bouvard ,  qui  I'avoit  veille  la  nuit 
passee  ,  alia  du  matin  rendre  compte  au  Roi  de 
I'etat  de  son  mal ;  et  lui  ayant  fait  entendre  qu'il 
ne  pourroit  passer  le  jour,  on  envoya  faire  des 
defenses  a  toutes  les  postes  de  donner  des  che- 
vaux  sans  billet.  Ce  matin  meme,  le  Roi  manda 
le  parlement  pour  le  venir  trouver  sur  les  deux 
heures  apres  midi.  Cela  donna  sujet  de  croire  que 
le  cardinal  etoit  mort ;  mais  le  Roi  avoit  envoye 
querir  ces  messieurs  pour  faire  verifier  la  de- 
claration contre  M.  Ie  due  d'Orleans.  11  leur  dit: 
'■  Messieurs,  je  veux  que  vous  verifiiez  la  decla- 
ration qui  est  entre  les  mains  de  mon  procu- 
reur  general ,  contre  mon  frere.  II  est  tant  de 
fois  retombe  en  la  meme  faute  apres  lui  avoir  tant 
de  fois  pardonne ,  que  je  ne  Ie  peux  plus  souf- 
frir ;  et  j'ai  grand  sujet  d'apprehender  qu'ayant 
tant  failli  de  fois  comme  il  a  fait ,  il  n'ait  encore 
quelque  mauvais  dessein  contre  mon  Etat.  C'est 
pourquoi  j'ai  resolu  de  lui  en  oter  les  moyens  , 
et  afin  qu'il  ne  puisse  a  I'avenir  maltraiter  la 
Reine  et  mes  enfans  apres  ma  mort ,  lui  oter 
toute  esperance  de  venir  jamais  au  gouverne- 
ment.  M.  le  chancelier  vous  dira  le  reste  de  mes 
intentions. »  Sur  quoi  Ton  dit  que  Ie  premier  pre- 
sident fit  quelque  remontrance  pour  surseoir 
cette  affaire  en  faveur  de  Monsieur,  et  en  con- 
sideration de  sa  qualite.  Neanmoins  la  declara- 
tion fut  verifiee  cinq  jours  apres  la  mort  du  car- 
dinal ,  c'est-a-dire  le  mardi  9  decembre  ,  et  non 
le  vendredi  5,  comme  dit  Tauteur  de  cette  rela- 
tion. Mademoiselle  fut  au  Roi ,  et  employa  toute 
sorte  d'intercessions  pour  empecher  ce  coup; 
mais  elle  n'y  gagna  rien.  «  C'est  sans  doute  un 
grand  coup  d'Etat ,  dit  notre  auteur,  pour  faire 
voir  que  la  France  ,  apres  la  mort  d'un  si  grand 
ministre,ne  laissera  pas  d'etre  gouvernee  par 
son  esprit.  »  Apres  que  messieurs  du  parlement 
-eurent  pris  conge  du  Roi ,  Sa  Majeste  tira  a 
quartier  messieurs  les  presidens  de  Mesme  et 
de  Bailleul,  et  leur  paria  assez  long-teirips.  Sur 
les  quatre  heures  du  soir,  il  fut  au  Palais-Cardi- 
nal :  il  trouva  que  le  malade  se  trouvoit  un  pen 
mieux,  par  la  prise  d'une  pilule  que  Le  Fevre, 
medecin  de  Troyes ,  lui  avoit  fait  prendre,  II 
demeura  aupres  de  lui  jusque  sur  les  cinq  heu- 
res, avec  des  demonstrations  de  douleur  et  de 
regret  pour  I'etat  auquel  il  le  voyoit.  La  nuit  se 
passa  avec  plus  de  repos  et  moins  de  fievre  ;  si 
bien  que  tout  son  monde  y  croyoit  un  grand 
amcndcmeut.  Le  jeudi  au  matin ,  quatrieme  du 


MKilOIRES    niL    aiONTUKSOr.. 


2  11 


couraut,  qui  iut  le  jour  de  sa  nioit,  les  mede- 
cins  lui  donnerent  une  medecine  a  liiiit  heures , 
qui  sembla  le  soulager,  et  qui  les  obligea  de  lui 
en  donnerune  autre  a  onze  heures.  Sur  le  midi, 
on  pubiioit  par  la  ville  sa  sante ,  avec  demonstra- 
tion de  joie  de  la  part  de  ceux  qui  etoient  dans  ses 
interets ;  mais  a  midi  ou  environ  ,  M.  le  cardinal 
parla  a  un  gentilhomme  que  la  Reine  lui  avoit  en- 
voye  pour  savoir  I'etat  de  sa  sante ,  et  lui  parla  en 
termes  si  fermes  et  si  raisonnables ,  qu'il  ne  pa- 
roissoit  pas  si  proche  de  sa  fin  qu'il  etoit.  Sitot 
que  ce  gentilhomme  se  fut  retire ,  il  sentit  inte- 
rieurement  le  coup  de  la  mort,  et,  se  tournant 
\ers  la  duchesse  d'Aiguillon  :  «  Ma  niece,  lui 
dit-il  tendrement ,  je  suis  bien  mal ;  je  vais 
mourir.  Je  vous  prie  de  vous  retirer  ;  votre  ten- 
dresse  m'attendrit  trop.  IN'ayez  point  ce  deplai- 
sir  de  me  voir  mourir.  »  Elle  se  retira  a  Tin- 
tant  meme  ;  ettout  sur-le-champ  le  voila  surpris 
d'un  etourdissement  dans  lequel  il  expira. 

II  mourut  a  cinquante-huit  ans,  dans  le  palais 
qu'il  avoit  fait  batir  a  Paris,  a  la  vue  presque 
de  son  Roi,  qui  ne  fut  jamais  si  satisfailde  chose 


qui  fut  arrivee  dans  son  regne.  Ce  cardinal  eut 
beaucoup  de  bien  et  de  mal.  II  avoit  de  fesprit , 
mais  du  commun  ;  aimoit  les  belles  choses  sans 
les  bien  connoitre ,  et  n'eut  jamais  la  deiicatesse 
du  discernement  pour  les  productions  de  I'es- 
prit.  II  avoit  une  effroyable  jalousie  contre  tous 
ceux  qu'il  voyoit  en  reputation  :   les  grands 
hommes ,  de  quelque  profession  qu'ils  aient  ete, 
out  ete  ses  ennemis  ,  et  tous  ceux  qui   font 
choque  ont  senti  la  rigueur  de  ses  vengeances. 
Tout  ce  qu'il  n'a  pu  faire  mourir  a  passe  sa  vie 
dans  le  bannissement.  II  y  a  eu  plusieurs  con- 
spirations   faites  pendant   son   administration 
pour  le  detruire  ;  son  maitre  lui-meme  y  est 
eulre  ;  et  cependant ,  par  un  exces  de  sa  bonne 
fortune  ,  il  a  triomphe  de  la  vie  de  ses  ennemis , 
et  a  laisse  le  Roi  lui-meme  a  la  veille  de  sa 
mort.  Enfin  on  I'a  vu  dans  un  lit  de  parade 
pleure  de  peu ,  meprise  de  plusieurs ,  et  regarde 
de  tous  les  badauts  avec  une  telle  foule,  qu'a 
peine  un  jour  entier  put- on  aborder  du  Palais- 
Cardinal. 


FIN    DRS    MEMOIRES    DE    MONTKESOU 


HI.    C.    I).    M.,    T.    III. 


IC 


■■^■ 


RELATIOiN 


PAR  M.  DE  FONTRAILLES 

DES  CHOSES  PARTICULIERES  DE  LA  COUR , 

ABRIVEES    PENDAINT   LA    FAVEUR    UE    M.    DE    CI?sQ-MARS  ,    GRAND    ECLYER ,    AVEC    SA    MORT 

KT  CELLE    DE    M.    DE  THOU, 


!• 


10. 


RELATIOIN 


PAR  LE  VICOMTE  DE  FONTRAILLES. 


M.  le  cardinal  de  Bichelieu  etoit  arrive,  par 
son  travail  et  avec  d'extremes  soins,  a  uue  si 
grande  autorite  dans  I'Etat ,  qu'il  n'avoit  intro- 
duit  dans  les  affaires  et  les  principaux  emplois 
que  les'  personnes  que  ses  bienfaits  lui  avoient 
acquises  pour  creatures  ;  il  s'etoit  empare  de 
I'esprit  du  Roi ,  de  qui  la  timidite  naturelle 
etoit  augmentee  par  la  creance  de  n'avoir  pas 
asscz  de  talent  pour  la  conduite  de  son  royaume, 
s'il  n'etoit  assiste  des  conseils  de  Son  Eminence, 
qui,  de  sa  part,  connoissant  I'humeur  de  Sa  Ma- 
Jeste  inconstante  et  chagrine,soupconnoitqu'elIe 
ne  fut  susceptible  d'impression  suffisante  de 
ruiuer  sa  fortune  ,  dout  la  grandeur  ne  pouvoit 
etre  abattue  que  par  elle  seule,  qui  Tavoit  eta- 
blie  dans  le  lustre  et  I'eclat  ou  chacuia  la  consi- 
deroit. 

Le  Roi  etoit  sans  enfans  ,  et  sa  saute  si  incer- 
taiue  depuis  la  grande  maladie  qu'il  avoit  eue  a 
Lyon  ,  que  M.  le  cardinal  de  Richelieu  s'estima 
oblige,  dedans  le  doute  de  la  duree  de  sa  vie, 
de  regarder  j  lus  exactement  a  la  conduite  qu'il 
devoit  lenir  sur  le  sujet  de  M.  le  due  d'Orleans , 
presomptif  herilier  de  la  couroune. 

II  crut  que  le  rnoyen  le  plus  assure  etoit  de 
proceder  a  la  rupture  de  son  mariage  ,  afin  de 
parvenir  a  celui  de  sa  niece,  la  duchesse  d'Ai- 
guillon ,  parce  que,  ce  dessein  lui  succedant  se- 
lon  son  esperance,  il  se  promettoit  de  perpeluer 
sa  domination  si  absolue  ,  qu'elle  seroitegale, 
si  elle  ne  surpassoit  celle  que  les  maires  du  pa- 
lais  avoient  autrefois  usurpee.  Mais  ayant  reur 
centre  Son  Altesse  plus  ferme  et  plus  attachee 
il  maintenir  son  mariage  qu'il  ne  s'etoit  per- 
suade, il  attribua  cette  resistance  a  Puylaurens  ; 
et,  ne  restant  pas  satisfait  de  la  peine  de  la  pri- 
son qui  lui  etoit  imposee,  il  le  sacrilia  a  son 
ressentiment,  sans  qu'il  cut  aucune  conviction 
contre  lui  que  celle  d'etre  tonibe  dans  le  nial- 
heur  de  lui  deplaire. 

La  rupture  etant  arrivee ,  quelque  temps 
apres,  entre  les  deux  couronnes,  et  les  premiers 
eveuemens  do  la  guerre ,  par  le  gain  de  la  ba- 
taille  donuee  a  x\vein  ,  n'etant  pas  soutenus 


avec  la  prevoyance  dont  le  cardinal  de  Riche- 
lieu pouvoit  assez  user,  il  se  trouva  necessite, 
dans  le  peu  d'ordre  qu'il  avoit  mis  aux  fron-! 
tieres  ,  et  par  les  progres  des  Espagnols ,  a  con- 
fier  la  conduite  de  I'armee  a  messieurs  les  due 
d'Orleans  et  comte  de  Soissons. 

Le  traitement  injurieux  que  Sou  Altesse  avoit 
recu  dans  la  mort  de  Puylaurens,  qui  avoit  sa 
principale  confiance  ,  et  sa  juste  crainte  d'etre 
reduit ,  contre  tous  les  devoirs  d'honneur  et  de 
conscience ,  a  rompre  son  mariage  solennelle- 
ment  contracte ,  pour  entrer  dans  une  alliance 
dont  le  refus  lui  causeroit  des  persecutions  infl- 
nies ,  se  resolut  de  s'unir  avec  M.  le  comte  pour 
le  perdre :  ce  qui  auroit  fort  aisement  reussi 
s'ils  eussentvoulu,  des  Amiens,  executer  la  deli- 
beration qu'ils  avoient  prise  conjointement ,  et 
ainsi  qu'il  etoit  en  leur  pouvoir. 

L'une  des  plus  grandes  apprehensions  qu'a- 
voit  M.  le  due  d'Orleans,  sur  le  sujet  de  ce  pre- 
tendu  mariage,  venoitde  I'opiuion  que  le  cardi- 
nal ,  qui  deferoit  toutes  choses  au  mouvement 
de  son  ambition,  soudain  que  Son  Altesse  au- 
roit eu  des  enfans,  se  porteroit  infailliblement 
a  se  defaire  de  sa  personne  pour  n'avoir  plus 
d'opposition  (si  la  mort  de  SaMajeste  survenoit) 
capable  d'empecher  qu'il  ne  gouvernat  I'Etat 
sous  le  nom  desmineurs  et  celui  de  la  regente, 
qui  dependroit  entierement  de  lui. 

Corbie  ayant  ete  remis  sous  I'obeissance  du 
Roi,  Son  Altesse  et  M.  le  comte  de  Soissons 
s'etant  rencontres  a  Paris  ensemble  ,  sur  des 
avis  qui  leur  furent  donnes ,  chercherent  leur 
surete  en  s'eloignant  de  la  cour.  Monsieur  so 
retira  a  Rlois  ,  et  M.  le  comte  a  Sedan ,  ou  tous 
les  deux ,  prevenus  par  des  negociations  rem- 
plies  d'artifices  ,  prirent  le  parti  d'un  accommo- 
dement,  sans  stipuler  les  conditions  que  reque- 
roient  les  interesses,  qui  se  pouvoient  facile- 
ment  menager  dans  une  conjoncture  si  favo- 
rable. 

M.  le  comte ,  qui  se  confioit  le  moins  au  car- 
dinal ,  obtint  seulement  la  liberte  de  demeurer 
a  Sedan  qualre  anuees;  qui  etoit  un  avantage 


21G 


KELAIION    liE    FONTRAILLES. 


pen  considerable,  apres  ce   qui  s'^toit  passe. 

La  naissance  de  messeigneurs  les  enfans  de 
France  ayant  change  le  visage  de  la  cour,  Son 
Eminence  prit  de  nouvelles  mesures ,  et ,  sans 
perdre  de  temps,  agit  aupres  de  Sa  Majeste 
pour  tirer  d'elle  les  dernieres  paroles  qu'il  ju- 
geoit  a  propos  pour  le  conduire  a  la  puissance 
qu'il  s'etoit  proposee.  II  presumoit,  mais  avec 
plus  d'orgueil  que  de  raison ,  que  ce  litre ,  exige 
du  Roi ,  I'eleveroit  a  la  qualite  de  regent  en 
France ,  et  que ,  s'il  etoit  force  de  se  rel^cher 
d'une  pretention  pour  lui  si  glorieuse,  il  depen- 
droit  de  son  choix  d'emporter  la  balance  du  cote 
de  la  Reine  ou  de  M.  le  due  d'Orleans ,  auquel 
il  se  determineroit  selon  que  le  temps  et  les  oc- 
casions lui  conseilleroient. 

II  avoit  fait  souffrir  tant  de  choses  k  la  Reine, 
a  son  retour  de  Languedoc,  qu'il  se  rendoit  irre- 
conciliable  avec  elle  ,  et  se  portoit  sur  ce  fonde- 
ment  a  telle  aigreur,  qu'il  declaroit  ouverte- 
raent  avoir  perdu  toute  consideration  pour  elle. 
A  regard  de  Son  Altesse ,  il  faisoit  paroltre 
moins  d'aversion  k  s'appuyer  de  lui,  quoiqu'il 
eut  beaucoup  relache  de  I'ardeur  qu'il  avoit 
autrefois  temoignee  pour  son  mariage  avec  la 
duchesse  d'Aiguillon  :  les  demonstrations  ne  s'e- 
tendoient  pourtantqu'a  des  civilites  exterieures, 
qui  ne  produisoient  nul  effet  que  celui  de  don- 
ner  des  preuves  evidentes  de  sa  profonde  dissi- 
mulation ,  que  Monsieur  n'avoit  pas  moindre,  a 
lui  celer  ses  sentimens. 

C'etoit  a  peu  pres  I'etat  auquel  se  trouvoit  la 
cour  lorsque  M.  de  Cinq-Mars ,  qui  a  ele  grand 
ecuyer,  entra  en  faveur  aupres  de  Sa  Majeste : 
mais  parce  que  j'ai  ete  celui  qui  me  suis  ren- 
contre le  plus  avant  dans  sa  confiance,  je  serai 
bien  aise  de  laisser  ces  Memoires  parmi  les  pa- 
piers  de  ma  maison ,  afin  que  ceux  qui  trouve- 
ront  I'abolition  que  j'ai  prise  n'ignorent  pas  les 
sujets  qui  m'y  ont  oblige. 

L'objet  de  M.  le  cardinal  de  Richelieu  pour 
demeurer  le  maitre  des  affaires  etoit  de  decredi- 
ter  la  Reine  aupres  du  Roi ,  par  I'eloignement 
de  ses  creatures.  Considerant  madame  de  Hau- 
tefort  pour  etre  entierement  devouee  a  son  ser- 
vice ,  il  songea  aux  expediens  de  la  bannir  de 
la  cour,  I'affection  que  Sa  Majeste  temoignoit 
pour  elle  etant  trop  suffisante  et  suspecte  a  ses 
interets  pour  lui  pouvoir  permettre  de  la  laisser 
davantage  dans  la  place  qu'elle  occupoit. 

II  se  proposa,  ensuite  de  sa  disgrace,  de  la 
remplir  d'une  personne  agreable  au  Roi,  ca- 
pable de  le  divertir,  ou  du  moins  de  I'amuser  ; 
mais  afin  d'eviter  que  Sa  Majeste  en  choisit  une 
de  son  propre  mouvement,  sans  qu'il  en  eiit  le 
mcrite,  iljeta  les  yeux  sur  M.  de  Cinq-Mars, 


pour  lequel  il  avoit  remarque ,  des  le  voyage 
d'Amiens  ,  que  Sa  Majeste  avoit  une  forte  incli- 
nation. 

Pour  cette  consideration  ,  il  se  resolut  de  la 
laisser  agir,  d'autant  qu'il  paroissoit  a  tout  le 
raonde  que  c'etoit  un  effet  de  son  aulorite ,  qui 
engageoit  a  la  reconnoissance  celui  qui  en  rece- 
voit  Tobligation. 

Peu  de  temps  apres ,  il  le  favorisa  de  son  en- 
tremise  pour  le  faire  entrer  dans  la  charge  de 
maitre  de  la  garde-robe ;  et  se  servant  de  I'a- 
dresse  d'un  ministre  consomme  dans  les  intri- 
gues du  cabinet ,  il  lui  montroit  incessamment 
la  faveur,  et  en  meme  temps  faisoit  connoltre 
que  c'etoit  par  sa  seule  voie  qu'il  y  pourroit 
parvenir.  En  quoi  il  est  juste  d'avouer  qu'il  te- 
noit  la  conduite  d'un  habile  horame. 

Le  projet  de  faire  donner  I'ordre  a  madame 
de  Hautefort  de  se  retirer  ayant  ete  resoiu,  avec 
precipitation  et  contre  I'avis  de  ses  partisans , 
qui  en  jugeoient  mieuxque  lui  les  consequences, 
M.  de  Cinq -Mars  coramenca  a  etre  regarde 
comme  favori ;  et  dans  le  voyage  que  le  Roi  fit 
a  Grenoble,  sous  le  pretexte  de  voir  madame 
de  Savoie ,  il  parut  que  Sa  Majeste  I'aimoit  avec 
plus  de  passion  qu'il  n'avoit  fait  aucun  de  ceux 
qu'il  avoit  gratifies  avant  lui  de  I'honneur  de  ses 
bonnes  graces. 

M.  le  cardinal  en  concul  de  la  jalousie,  se 
repentit  du  choix  qu'il  en  avoit  fait,  et  ne  de- 
meura  pas  long-temps  sans  s'apercevoir,  dans 
les  divers  voyages  que  la  necessite  des  affaires 
faisoit  naltre ,  qu'il  pouvoit  aisement  miner  une 
fille;  mais  qu'il  n'en  etoit  pas  de  meme  dun 
jeune  homme  qu'il  avoit  introduit,  beau,  bien 
fait,  ambitieux  et  spirituel ,  qu'il  ne  pouvoit 
detruire  que  par  une  disgrace  tout  ouverte,  au- 
quel il  ne  resteroit  rien  a  desirer,  apres  avoir 
ete  etabli  dans  la  charge  de  grand  ecuyer,  que 
s'emparer  de  la  place  du  premier  ministre. 

La  mort  de  M.  le  cardinal  de  La  Valette  etoit 
survenue  ;  il  envoya  au  Roi  une  liste  de  ceux 
qu'il  avoit  pourvus  de  ses  benefices,  dans  le 
nombre  desquels  le  nom  de  I'abbe  d'Effiat , 
frere  de  son  favori,  n'etant  employe  que  pour 
une  abbaye  fort  mediocre  ,  Sa  Majeste ,  empor- 
tee  de  depit ,  dechira  le  papier,  et  declara  pu- 
bliquement  qu'il  lui  donneroit  lameilleure;dont 
M.  le  cardinal  fut  si  offense ,  qu'il  jura  la  ruine 
de  M.  de  Cinq-Mars ,  et  s'en  expliqua  a  ses 
amis :  ce  qui  ne  put  empecher  le  Roi ,  inconti- 
nent apres  son  retour  a  Paris ,  de  chasser  ma- 
dame de  Hautefort ,  et  de  mettre  en  possession , 
de  son  propre  mouvement ,  M.  de  Cinq-Mars  de 
la  charge  de  grand  ecuyer. 

II  m'arriva  dans  cette  conjoncturc,  en  Gas- 


RKLVTIOV     Dfc    tO.N  IHAILLES. 


2-17 


cogue  oil  j'etois,  uue  querelle  avec  M.  d'Eper- 

iion ;  et  parce  qu'il  \enoit  de  soiitenir  un  tres- 

i    long  siege  dans  Salses,  dont  il  etoit  gouverneur, 

I    etsy  etoit  conduit  en  sorte que  Ton  restoit tres- 

I   satisfait  de  lui  en  cour,  M.  le  cardinal  prit  ce 

difterend  avec  tant  d'aigreur  a  men  egard  , 

qu'il  publia  que  j'avois  fait  des  monopoles  en 

Guienne  pour  messieurs  d'Epernon  et  de  La  Va- 

\    lette ,  lesquels  se  trouvoient  en  disgrace  ;  y  ajou- 

tant  ces  paroles  pleines  d'auiniosite ,  qu'il fal/oit 

me  faire  prendre  mort  ou  vif. 

M.  le  Grand  repondit  pour  moi ,  bien  que  je 
ne  fusse  pas  bien  connu  de  lui ,  et  dit  a  Son 
Eminence ,  en  presence  de  Sa  Majeste,  que  mes 
ennemis  m'avoient  rendu  ce  mauvais  office ; 
luais  qu'il  se  rendroit  caution  de  sa  tete,  que 
j'etois  bon  serviteur  du  Roi. 

Ce  discours ,  si  obligeant  et  avance  si  a  pro- 
pos ,  nie  mit  a  convert  d'un  si  mechant  rencon- 
tre; et  c'est  au  vrai  le  sujet  qui  m'attacha  si  fort 
avec  M.  le  Grand,  et  qui  m'a  depuis  engage  a 
I'honorer  et  le  servir  jusques  a  la  mort. 

M.  le  cardinal  ayant  conserve  le  dessein  qu'il 
avoit  pris  a  Grenoble  de  le  perdre ,  jugea  que 
La  Chesnaye,  premier  valet  de  charabre,  auquel 
Sa  Majeste  parloit  souvent  et  avec  grande  con- 
liance,  seroit  uu  homme  propre  a  trouver  I'oc- 
casion  d'apporter  quelque  degoiit  de  lui  dans 
I'esprit  du  Roi ,  ue  doutant  plus,  qu'apres  par 
son  adresse  ,  appuyee  de  son  credit ,  le  reste  ne 
lui  fiJt  facile. 

Sur  ce  projet,  ii  arriva  plusieurs  dem^les  en- 
tre  le  Roi  et  son  favori ,  suscites  et  menages  par 
La  Chesnaye,  dans  lesquels  Son  Eminence  s'en- 
tremettoit  presque  toujours ;  mais  pour  ne  se 
point  commettre  (etant  eclairci  qu'ils  venoient 
plut6t  d'un  exces  d'affection  que  par  aversion), 
il  prenoit  toujours  le  parti  de  raccoramoderaent, 
et  avant  que  de  partir  de  Saint-Germain  il  les 
remettoit  bien  ensemble. 

M.  le  Grand  ,  s'etant  apercu  de  ces  artifices 
(et,  ainsi  qu'il  me  le  dit  souvent,  autant  par 
hasard  que  d'uue  resolution  premeditee) ,  ren- 
contra  le  Roi  en  disposition  de  se  defaire  de  La 
Chesnaye,  qui  I'incommodoit  infiniment.  Un 
jour,  sans  que  M.  le  cardinal  en  flit  averti ,  Sa 
M.ijeste  lui  fit  comraandement  de  se  retirer  avec 
injures  et  outrages  ;  M.  le  Grand  le  menaca  fort 
aussi. 

Son  Eminence,  ne  pouvant  dissimuler  le  re- 
gret qu'il  en  avoit ,  le  lui  fit  paroitre  par  son 
visage  et  un  discours  fort  severe  ,  quand  il 
alia  pour  lui  rendre  compte  de  ce  qui  s'etoit 
passe. 

La  Chesnaye  etant  arrive  a  Paris  ,  les  servi- 
teurs  et  les  plus  proches  de  M.  le  cardinal  le 


fureut  voir,  pour  lui  offrir  leur  assistance  dans 
sa  disgrace. 

Le  marechal  de  La  Meilleraye,  sou  beau- 
frere ,  en  usa  corame  les  autres ,  et  encore  avec 
plus  de  chaleur,  et  j'ai  appris  de  M.  le  Grand 
que  ce  qui  lui  faisoit  plus  clairement  voir  I'en- 
vie  que  Son  Eminence  avoit  de  le  perdre,  ^toit 
comme  M.  de  La  Meilleraye  s'etoit  retire  de  lui 
tout  d'un  coup,  sans  sujet  ni  pretexte,  et  rompu 
I'amitie  qu'ils  avoient  contractee  ensemble ,  de 
telle  hauteur,  qu'a  peine  se  vouloient-ils  saluer. 

M.  le  cardinal ,  par  I'eloignemeut  d'un  homme 
qui  le  servoit  adroitement  a  son  gre,  voyant 
M.  le  Grand  mieux  etabli  qu'il  ne  I'eut  desire, 
se  resolut  d'attendre  que  cette  affection  du  Roi 
recut  quelque  diminution  d'elle-meme :  ce  qu'il 
esperoit  devoir  bientot  arriver,  pour  lui  donner 
moyen  de  s'en  prevaloir. 

Sa  Majeste  etant  a  Amiens ,  M.  le  Grand  , 
qui  desiroit  avec  une  extreme  passion  de  faire 
paroitre  son  courage ,  et  qui  etoit  pleinement  in- 
forme  en  quel  etat  il  etoit  aupres  de  M.  le  car- 
dinal ,  se  proposa  de  demander  au  Roi  le  com- 
mandement  des  troupes  qui  devoient  conduire 
les  convois  que  I'on  envoyoit  a  Arras. 

Sa  Majeste  le  lui  accorda  des  la  premiere  ou- 
verture ,  sans  en  donner  part  a  Son  Eminence  , 
qui,  I'ayantsu,  la  fut  trouver  a  I'instant  pour  la 
faire  changer;  mais  il  la  rencontra  ferme  et  ine- 
branlable ,  persistant  a  vouloir  que  son  favori 
eiit  cet  emploi ,  qui  lui  etoit  extremement  glo- 
rieux. 

Enfin  M.  le  cardinal  s'apercevant  que  le  Roi 
ne  se  relacheroit  point,  il  s'adressa  k  M.  le  Grand, 
qui,  se  voyant  pris  a  partie  par  un  ministre  si  au- 
torise ,  dans  la  crainte  de  n'etre  pas  soutenu  , 
aima  mieux  se  relacher  de  lui-meme  que  d'y 
etre  contraint  par  force  ;  et  ainsi  il  se  desista  de 
sa  pretention :  et  pour  satisfaire  le  Roi ,  le  com- 
mandement  des  volontaires  ,  des  gendarmes  et 
chevau-legers  de  la  garde  lui  fut  donne. 

Dans  cette  occasion  il  y  eut  un  combat,  sur 
le  sujet  duquel  M.  le  cardinal ,  parlant  a  Sa  Ma- 
jeste, taxa  le  courage  de  M.  le  Grand  tres-in- 
justement :  ce  qui  I'euvenima  a  tel  point ,  et  lui 
fit  une  si  profonde  plaie  dans  le  coeur,  qu'il  n'en 
guerit  jamais  depuis. 

II  se  trouva  aussi  en  si  mauvaise  posture  a 
son  retour  d'Amiens ,  qu'il  se  croyoit  entiere- 
ment  perdu  ;  il  fit  pourtaut  sa  paix  avec  le  Roi , 
et  se  raccommoda  avec  M.  le  cardinal ;  mais  ce 
ne  fut  qu'en  apparence ,  sans  vouloir  etre  jamais 
son  serviteur,  resolu  d'embrassertoutes  les  voies 
les  plus  extraordinaires  pour  essay er  de  se  ven- 
ger  de  lui. 

M.  le  comte ,  qui  etoit  a  Sedan ,  prcsse  par  le 


'2iH 


EELATION    DE    FONTKAILLES. 


temps  de  son  traite  et  sollicite  par  M.  de  Bouil- 
lon ,  se  disposa  a  former  un  parti ;  et  paree  qu'il 
savoit  que  M.  le  Grand  etoit  tres-mal  satisfait 
de  Son  Eminence  ,  il  voulut  tacher  de  Tembar- 
quer  dans  ses  interets. 

Je  faisois  profession  particuliere  d'etre  servi- 
teur  de  M.  le  eomte  ;  il  avoit  cette  opinion  de 
raoi  :  ce  qui  I'obligea  a  donner  commission  au 
comte  de  Fiesque  de  me  parler  de  cette  negocia- 
tion.  Je  m'exeusai  sur  le  voyage  que  j'aliois  faire 
dans  nia  maison;  mais  en  efl'et  parce  que  je  ne 
voyois  pas  qu'il  fut  honnete  ui  avantageux  a  un 
lavori  d'entrer  en  intelligence  avec  un  prince 
qui  etoit  sur  le  point  de  prendre  les  amies  con- 
tre  son  maitre ,  son  souverain  et  son  ministre. 

JNcanmoins  M.  le  comte,  dans  nion  absence, 
ne  s'etant  pas  rebute  de  continuer  son  dessein , 
lui  fit  faire  cette  proposition  par  d  autres  gens  , 
et  en  recut  toutes  les  assurances  qu'il  pouvoit 
soubaiter  ;  et  ce  fut  le  commencement  de  cette 
mallieureuse  et  funeste  affaire  qui  fut  cause  de 
sa  perte,  pour  s'etre  trop  legerement  engage  a 
chercbersasureteailleurs  qu'aupres  du  Roi  etde 
son  principal  ministre ,  avec  lequel  il  etoit  pre- 
venu  de  ne  la  pouvoir  plus  trouver. 

S'etant  reduit  en  cet  etat,  il  m'ecrivit  en  Gas- 
cogne,  et  me  manda  que,  toutes  affaires  lais- 
sees  ,  il  me  conjuroit  de  venir  a  la  cour  pour  des 
raisons  tres-importantes. 

Je  pris  la  poste  pour  satisfaire  a  ce  qu'il  desi- 
roit  de  moi :  passant  a  Blois,  je  vis  Monsieur, 
qui  me  commanda  et  me  conjura  plusieurs  fois , 
pour  le  service  queje  lui  avois  voue,  d'employer 
tous  mes  soins  vers  M.  le  Grand  pour  I'attacher 
a  ses  interets,  et  le  reudre  son  serviteur  parti- 
culier.  II  me  dit  qu'il  croyoit  bien  qu'il  I'etoit 
deja  fort,  mais  que  ce  n'etoit  pas  encore  au  point 
qu'il  le  souhaiteroit;  que  s'il  ne  craignoit  la 
jalousie  du  Roi ,  il  vivroit  en  public  avec  lui  de 
la  maniere  qu'il  voudroit,  pourvu  qu'il  fut  as- 
sure de  son  affection  et  de  son  service.  II  n'ou- 
blia  pas  d'ajouter  toutes  les  promesses  dont  les 
personnes  de  sa  qualite  sont  fort  liberales  quand 
ils  ont  envie  de  tirer  des  services  considera- 
bles de  quelqu'un. 

il  m'ordonna  aussi  que,  quand  il  viendroit  a 
la  cour,  j'eusse  a  le  voir  avant  qu'il  etit  salue  le 
Roi ,  pour  ce  qu'il  sut  de  moi  de  quelle  sorte 
M.  le  Grand  seroit  convaincu  qu'il  en  usat  avec 
lui. 

J'arrlvai  a  Paris  le  meme  jour  que  la  bataille 
de  Sedan  fut  sue  a  Peronne,  oil  etoit  la  cour  : 
Ton  etoit  deja  assure  de  la  mort  de  M.  le  comte, 
dont  je  trouvai  M.  le  Grand  dans  le  dernier  de- 
sfspoir.  Le  gain  d'une  journee  obtcnue  par  un 
prince  auquei  il  s'ctoiteutierement  altacbe,  avant 


qu'il  eiit  appris  le  malbeur  de  sa  perte  ,  Tavoit 
eleve  a  de  grandes  esperances,  et  fait  croire  sa 
conduite  bonne ;  mais  sa  mort  lui  donna  des  pen- 
sees  bien  differentes,  pour  s'etre  trop  legerement 
engage  dans  un  parti  qui  etoit  absolument  rui- 
ne,  et  voir  son  secret  entre  des  personnes  qui 
n'etoient  plus  obligees  de  le  taire ,  lequel  venant 
a  la  connoissance  du  Roi,  il  n'avoit  point  d'ex- 
cuses  valables  a  lui  alleguer. 

Apres  qu'il  lui  eut  plu  de  m 'informer  de  tout 
ce  qu'il  avoit  fait  depuis  que  je  m'elois  separe 
de  lui ,  je  ne  pus  m'empecher  de  le  blamer  d'une 
si  prompte  resolution  d'entrer  en  intelligence 
avec  M.  le  comte ,  vu  qu'il  eut  ete  honnetement 
etabli;  car  ,  quelque  avantage  qui  lui  eiit  pu  ar- 
river ,  il  auroit  toujours  ete  bien  aise  d'acquerir 
aupres  du  Roi  un  homme  tel  que  lui,  et  qu'en 
differant  il  se  fut  tenu  en  termes  de  se  prevaloir 
de  sa  bonne  fortune ,  et  de  n'en  rien  risquer 
dans  le  malbeureux  succes  qui  lui  etoit  arrive. 

Pour  en  venir  au  remede  ,  je  lui  representai 
qu'il  etoit  bien  difficile  d'empecher  que  M.  le 
cardinal  ne  fiit  averli  de  ce  qu'il  avoit  si  grand 
interet  de  celer ;  que  feu  M.  le  comte  avoit  di- 
vers confidens  ;que  M.  de  Bouillon  s'accommo- 
doit  indubitablement ,  et  que  les  autres  recher- 
choient  I'amitie  de  Son  Eminence;  qu'ainsi  il 
etoit  quasi  impossible  qu'un,  ou  peut-etre  tous 
ensemble  ne  fussent  touches  de  lui  faire  un  si 
beau  present  que  celui  de  reveler  ce  secret  si 
important,  qui  lui  seroit  si  agreable  a  savoir ; 
que  j'etois  d'avis  qu'il  n'y  avoit  point  a  marcban- 
der,  car  il  falloit  necessairement  se  porter  aux 
extremites  ,  flechir  ou  quitter  la  cour. 

II  me  dit  que  de  s'eloigner  il  n"y  avoit  point 
de  surete  pour  lui;  que  M.  le  cardinal,  qui  ne 
faisoit  rien  a  demi ,  auroit  plus  de  facilite  a  le 
perdre ,  n'y  ayant  personne  aupres  du  Roi  pour 
le  defendre,  ce  qu'il  feroit  lui-meme  en  conser- 
vant  sa  place;  qu'il  etoit  malaise  de  le  convain- 
cre  parce  qu'il  n'avoit  point  ecrit,  et  que  les  te- 
raoins  seroient  bien  plus  retenus,  lui  present, 
que  s'il  etoit  retire;  mais  que,  pour  les  moyens 
extremes,  il  n'y  en  pouvoit  avoir  aucuns  qu'il 
ne  voulut  de  bon  cceur  basarder. 

Lors  je  le  mis  ui  connoissance  du  discours  que 
Monsieur  m'avoit  tenu  en  allant  a  Blois ,  et 
comme  il  m'avoit  temoigne  soubaiter  passionne- 
ment  qu'il  fiit  son  serviteur;  au  surplus,  que 
Ton  I'avoit  une  fois  dispose  a  Amiens,  en  I'an- 
nee  1036  ,  de  souffrir  une  eiitreprise  sur  la  per- 
sonne du  cardinal  de  Richelieu  ,  sous  son  nom 
et  en  sa  presence ;  et  si  lui  et  M.  le  comte  eus- 
sent  eu  la  resolution  queje  croyois  qu'ilsauroient 
eue  en  pareille  rencontre ,  et  que  les  avis  se  fus- 
sent trouves  conformes  parmi  ceux  qui  servoient 


HELATION    UE    F0.\  JRAILLES. 


•24[} 


en  cette  occasion ,  le  cardinal  ne  fut  jamais  sorti 
dii  iogis  dii  Roi;  et  qu'ainsi  s'il  pouvoit  donner 
la  memo  disposition  a  Son  Altesse,  qu'il  faudroit 
ensuite  y  mettre  si  bon  ordre,  que  i'entrepriso 
succedat  (et  c'etoiten  celaseul  que  consistoitsa 
conservation,  ne  voyant  par  aucune  voie  le 
moyen  d'eviter  sa  pcrte ,  tout  autre  parti  etant 
riiineux  et  sans  esperance).  II  en  toraba  d'ac- 
cord ,  et  prit  cet  expedient  avec  grande  cha- 
leur. 

Aussitot  apres,  Sa  Majeste  vinta  Mezieres  pour 
traiter  avec  M.  de  Bouillon.  II  est  a  remarquer 
que  M.  le  Grand  avoit  accoutunie  d'etre  en  tiers 
avec  le  Roi  et  M.  le  cardinal  dans  tous  les  con- 
seils  les  plus  secrets,  et  que  Son  Eminence,  mal 
satisfaite  de  lui ,  se  resolut  de  I'empecher  a  I'a- 
venir.  Je  n'ai  pas  su  s'il  en  etoit  convenu  avec 
le  Roi ,  ou  bien  s'il  croyoit  que  M.  le  Grand  ne 
viendroit  jamais  a  un  eclaircissement  qui  ne 
lui  reussiroit  pas ,  et  qui  pourroit  procurer  sa 
ruine.  M.  le  cardinal  lui  temoigna  done ,  par 
M.  de  Saint- Yon,  qu'il  ne  trouvoit  pas  bon  qu'il 
lui  marchat  toujours  sur  les  talons  quand  il  etoit 
aupres  de  Sa  Majeste ,  et  qu'il  avoit  a  I'entrete- 
uir  d'affaires  qui  ne  requeroient  point  sa  pre- 
sence. 

Ce  discours  surprit  fort  M.  le  Grand  ,  qui  fut 
dans  le  moment  chez  M.  Des  Noyers  pour  appro- 
fondir  d'ou  venoit  ce  changemenl ;  mais  M.  le 
cardinal ,  qui  le  faisoit  observer,  y  fut  aussitot 
que  lui,  ou  il  le  traita  avec  autant  d'aigreur  et 
d'empire  que  s'il  eiit  ete  le  moindre  de  ses  va- 
lets, n'y  ayantsorted'injures  et  d'outrages qu'il 
ne  lui  fit  recevoir,  lui  reprochant  non-seulement 
ses  bienfaits ,  son  peu  de  capacite  et  de  merite , 
qu'il  passa  jusques  a  cette  extremite  qu'il  lui  fit 
connoilre,  avec  le  dernier  mepris  ,  qu'il  ne  fau- 
droit qu'un  homme  tel  que  lui  dans  le  conseil 
pour  perdre  de  reputation  tous  les  ministres  par- 
mi  les  etrangers;  et  pour  conclusion,  luidefendit 
de  se  trouver  dans  aucuu  conseil ,  et  le  renvoya 
au  Roi  pour  lui  demauder  s'il  n'etoit  pas  de  cet 
avis. 

Bien  que  je  n'aie  jamais  vu  homme  plus  ou- 
tre de  deplaisir  qu'etoit  M.  le  Grand  d'un  trai- 
tement  si  injurieux,  il  n'eut  d'autre  voie  a  choi- 
sir  que  celle  de  le  souffrir  et  de  se  retirer  dans 
sa  chambre  oil  j'ttois  seul. 

Apres  qu'il  cut  pleure  de  rage  et  de  colere,  et 
sanglotte  long-temps ,  il  no  put  trouver  autre 
consolation  que  celle  du  souvenir  du  dessein 
qu'il  avoit  pris  de  ne  rien  oraettre  pour  perdre 
son  ennemi. 

M.  le  cardinal  neanmoins,  apres  lui  avoir 
donne  une  rude  mortification ,  lui  fit  oftVir  le 
gouvernemcntdcTouraine,  dans  Icquel  ii  avoit 


son  bien,  pour  lui  aplanir  le  chemin  de  sa  re- 
traite  :  ce  qu'il  refusa  ,  ne  voulant  abundonner 
la  place  qu'il  tenoit  que  par  force. 

M.  de  Bouillon  ayant  fait  son  accommode- 
ment ,  ce  lui  fut  un  nouvcau  sujet  de  crainte  que 
I'intelligence qu'il  avoit  eue  avec  M.  le  comtene 
se  decouvrit. 

M.  de  Thou  etoit  lors  a  la  cour,  qui ,  par  I'a- 
version  concue  contre  le  cardinal ,  lui  tcmoignoit 
etre  de  ses  amis,  et  qui  I'etoit  aussi  intime  de 
M.  de  Bouillon  et  son  parent :  ces  considerations 
I'obligerent  a  se  servir  de  son  entremise  pour  lui 
faire  un  compliment  de  sa  part ,  auquel  M.  de 
Bouillon  repondit  avec  la  fidelite  et  la  chaleur 
qu'il  pouvoit  desirer. 

Etant  venu  voir  le  Roi ,  M.  le  Grand  lui  donna 
a  diner,  recut  de  lui  les  assurances  du  secret  et 
ceiles  de  son  amitie,dans  destermesparticuliers 
qui  n'etoient  pas  absolument  clairs ,  mais  qui 
souffroient  des  explications  fort  favorables.  Ju- 
geant  la  personne  et  la  reputation  de  M.  de  Bouil- 
lon propres  a  donner  de  puissantes  inductions  a 
Monsieur  pour  lui  faire  entreprendre  ce  qu'il 
desiroit ,  il  resta  avec  plus  de  repos  et  de  satis- 
faction. 

Sa  Majeste,  partant  de  Mezieres,  fut  a  Amiens, 
et,  passant  par  Corbie,  Monsieur  I'y  vint  trou- 
ver ;  et  parce  qu'il  y  avoit  apparence  que  Son 
Altesse  devoit  attendrela  cour  a  Amiens,  je  ne 
m'avisai  point  d'aller  au-devant  d'elle,  ainsl 
qu'elle  me  I'avoit  prescrit.  Elle  salua  le  Roi  plus 
tot  que  je  n'eusse  eu  I'honneur  de  la  voir,  ce 
qu'elle  trouva  mauvais;  etje  lui  disque  M.  le 
Gi-and  la  supplioit  de  vivre  a  son  egard  comme 
elle  avoit  accoutume,  et  qu'elle  seroit  assuree 
de  sa  propre  bouche  du  zele  qu'il  avoit  pour  son 
service. 

Durant  le  sejour  d'Amiens ,  ils  euient  plu- 
sieurs  conferences  ensemble,  entre  autrcs  une 
dans  le  jardin  de  M.  de  Chaulnes,  oil  Monsieur 
me  dit  que  si  M.  le  cardinal  pouvoit  mourir, 
nous  serious  trop  heureux.  Je  lui  repartis  incon- 
tinent sans  hesiter  qu'il  n'avoit  qu'a  donner  son 
consentement,  etqu"ilse  rencontreroit  des  gens 
qui  s'en  deferoient  ensa  presence. 

Ces  paroles  expresses  n'ayant  point  ete  con- 
certees,  surprirent  moins  Son  Altesse  que  M.  le 
Grand,  qui  me  temoigna  que  je  les  avois  dites 
a  contretemps,  et  qu'il  craignoit  que  je  n'eusse 
etonne  Monsieur  :  ce  qui  m'obligea  a  lui  repon- 
dre  qu'il  valoit  micux  ,  si  cela  etoit ,  que  ce  fut 
au  commencement  d'une  affaire  de  cette  consi-- 
deration,  que  lorsqu'clle  seroit  plus  avancce  et 
que  nous  seiions  cinbarques. 

LeRoi,  rctournaiit  a  Paris,  passa  a  Neslc, 
ou  M.  de  Bouillon  vint  encore  voir  Sa  Majeslc 


250 


l;liLAT10i\    UE    lOMltAILLES. 


en  allantchcz  lui  a  Turcnue;  et  ce  fiit  lorsqu'il 
promit  a  M.  le  Grand,  par  rentremise  de  M.  de 
Thou ,  d'etre  de  ses  amis  centre  M.  le  cardinal , 
et  de  se  rendre  a  Paris  toiites  les  fois  qu'il  le  de- 
sireroit.  Je  n'y  etoispas,  raais  il  me  le  commu- 
niqua  dii  depuis. 

Le  Roi  etant  arrive  a  Saint-Germain  ,  oil  je 
me  rencontrai,  le  voyage  de  Perpignan  lut  a'r- 
rete  pen  de  jours  apres ,  et  retarde  snr  ce  que  la 
sanlede  Sa  Majeste  etoit  plus  alteree. 

M.  le  Grand,  prenantd'auties  mesures,  sonda 
diverses  fois  le  Roi  pour  pressentir  en  quelle  dis- 
position il  seroit  pour  M.  le  cardinal ;  mais  s'e- 
tant  apercu  quMl  ne  vouloit  en  facon  quelcon- 
que  I'eloigner  des  affaires  et  se  privcr  du  service 
qu'il  croyoitrecevoir  delui,  et  qu'il  ne  luiavoit 
cele  que  lorsque  Son  Eminence  se  declareroit  ou- 
vertement  son  ennemi,  il  ne  le  pourroit  plus 
conserver ;  joint  a  la  defiance  qu'il  avoit ,  quand 
bien  M.  le  cardinal  ne  seroit  plus,  que  Sa  Ma- 
jeste n'estimat  pas  la  capacite  des  personnes  de 
son  age,  et  cela  etant  il  eouroit  risque  de  souf- 
frir  la  honte  de  voir  faire  un  choix  dans  I'em- 
ploi  des  affaires,  et  a  son  exclusion  :  ce  qui  le 
travailloit  infiniment. 

Le  souvenir  des  obligations  dont  le  marechal 
d'Effiat ,  son  pere ,  et  sa  raaison ,  etoient  rede- 
vables  a  Son  Eminence,  lui  revenoit  souvent  a 
la  pensee  et  lui  partageoit  I'esprit;  et  quoiqu'il 
le  dissimulat  aM.  d'Aubijoux  ,  qui  etoit  a  Mon- 
sieur, eta  moi,  auquel  il  avoit  pourtant  beau- 
coup  de  confiance ,  nous  ne  laissames  pas  de  le 
penetrer,  et  de  nous  en  assurer  par  la  suite  des 
choses  qui  nous  arriverent.  Le  Roi,  attaque 
d'une  maladie  que  les  medecins  jugeoient  devoir 
terminer  sa  vie  dans  six  mois,  rendant  sa  con- 
dition incertaiue,  les  longues  conversations avec 
Monsieur,  et  lacreance  qu'il  avoit  qu'il  le  pou- 
voit  gouveruer  avec  plus  de  facilite  que  le  Roi, 
jointe  aux  esperances  de  sa  fortune  en  s'atta- 
chant  entierement  a  lui ,  I'obligerent  a  se  tour- 
ner  absolument  du  cote  de  Son  Altesse,  et  de 
n'avoir  plus  d'autres  pensees  que  de  se  mettre  a 
convert,  par  son  moyen,  des  orages  pressans 
qui  le  menacoient ,  afin  d'attendre  avec  surete 
ce  que  produiroit  la  revolution  que  la  mauvaise 
sante  du  Roi  lui  persuadoit  devoir  a  tout  mo- 
ment arriver.  Jl  menageoit  cependant  M.  de 
Bouillon ,  qu'il  avoit  acquis,  I'estimant  riiomme 
du  monde  le  plus  utile  pour  veuir  au  but  qu'il 
s'etoit  propose,  parce  qu'il  avoit  Sedan,  place 
excellente  et  bien  munie,  qui  avoit  garanti  un 
prince  du  sang  de  I'oppression  de  M.  le  cardinal, 
dans  laquelle  Monsieur  se  pouvoit  aisemcnt  re- 
tirer,  et  lui  par  conse(|uent ,  sans  avoir  a  crain- 
dre  les  effets  de  sa  mauvaise  volonte. 


II  ecrivit  sur  ce  fondement  a  M.  de  Bouillon 
pour  le  faire  venir  a  Paris,  et  voulut  se  servir 
de  M.  de  Thou ,  duquel  il  s'etoit  si  bien  trouve 
a  la  premiere  negociation. 

M.  d'Aubijoux  ni  moi  ne  savions  rien  de  sou 
dessein ;  car  il  apprehendoit  que  nous  ne  fussions 
pas  d'avis  de  ce  conseil  pris  de  sa  tete,  ni  dis- 
poses a  le  servir  a  sa  mode.  II  ne  se  contentoit 
pas  de  nous  celer  ses  sentimens,  il  vouloit  aussi 
celer  a  M.  de  Thou  le  sujet  de  son  envoi  vers 
M.  de  Bouillon,  et  lui  insinuer  que  le  Roi  desi- 
roit  de  le  voir  pour  conferer  avec  lui  sur  ce  qui 
regardoit  M.  le  cardinal;  qu'il  avoit  intention 
de  le  perdre  et  d'y  employer  mondit  sieur  de 
Bouillon. 

Les  raisons  qu'il  m'allegua  furent  que  si  M.  de 
Thou  n'etoit  trompe ,  il  n'entreprendroit  jamais 
le  voyage;  ou  s'il  le  faisoit ,  ce  seroit  avec  tant 
de  degout  et  de  regret ,  qu'il  n'auroit  aucun  ef- 
fet.  Je  ne  pus  etre  de  celte  opinion. 

Je  lui  dis  que  M.  de  Thou  etoit  homme  de 
qualiteet  de  merite,  auquel  il  etoit  oblige,  et 
que  ce  seroit  un  precede  bien  etrange  de  le  com- 
mettre ,  sous  un  faux  entendre ,  a  faire  un  voyage 
et  faire  nne  negociation  tres-delicate ,  dans  la- 
quelle il  eouroit  fortune  de  sa  vie  ou  du  moins 
de  sa  liberte,  s'il  etoit  decouvert ;  qu'il  falloit 
le  traiter  avec  plus  d'estime  et  de  confiance ,  en 
I'informant  de  la  resolution  qu'on  avoit  prise 
centre  M.  le  cardinal;  que  si  M.  de  Thou  n'y 
vouloit  pas  contribuer,  il  etoit  telleraent  homme 
debien  ,  et  avoit  assez  d'aversion  pour  Son  Emi- 
nence, pour  en  garder  invielablement  le  secret. 
II  me  crut  avec  graiide  confiance  ;  et  il  arriva 
que  des  qu'il  eut  decouvert  le  discours ,  M.  de 
Thou  I'interrompit,  lui  declarant  qu'il  ne  s'en 
vouloit  point  meler ,  et  qu'il  etoit  ennemi  du 
sang;  que  par  sonministere  il  ne  s'en  repandroit 
jamais. 

Je  fus  un  pen  plus  etonne  que  M.  le  Grand , 
quoiqu'il  le  fut  beaucoup ,  parce  que  j'eteis  le 
seul  auteur  de  ce  conseil ,  qui  nous  avoit  si  mal 
reussi. 

M.  le  Grand  ne  dit  plus  mot;  et  je  fus  ensuite  ' 
assez  heureux  pour  faire  en  sorte  que  M.  de  Thou 
se  resoliit  de  faire  le  voyage,  et  de  porter  une 
lettre  a  M.  de  Bouillon,  et  engager  sa  parole  ^ 
qu'il  laisseroit  librement  agir  sa  volonte  sans 
user  de  persuasion  vers  lui,  ni  le  dissuader. 

La  lettre  recue,  M.  de  Bouillon  partit  sans 
difliculte  la  nuit  du  jour  qu'il  arriva  a  Paris, 
avant  que  personne  le  sut,  et  vit  M.  le  Grand  a 
Saint-Germain.  II  lui  representa  dans  leur  con- 
ference la  maladie  du  Roi ,  et  le  dessein  de  M.  le 
cardinal  de  s'emparer  de  la  regence  au  prejudice 
de  la  Rcine  et  de  Monsieur ;  le  danger  cominun , 


HliLATlO.N     UE    l"0  M  K  \I  LLES. 


251 


et  particulierement  celui  auquel  il  s'etoit  expose 
plus  qu'aucun  autre  ,  si  cette  pretention  iui  reus- 
sissoit;  qu'il  I'estimoit  plus  habile  pour  croire 
qu'un  esprit  glorieux  comme  celui  du  cardinal 
put  jamais  Iui  pardonner  I'affront  qu'il  Iui  avoit 
fait  recevoir  a  Sedan ,  et  I'etat  oil  il  avoit  ete  par 
sou  moyen ;  que  la  commission  qu'il  Iui  donnoit 
d'aller  commander  I'armee  d'ltalie  n'etoit  que 
pour  reloigner  de  sa  place ,  afin  de  rendre  sa 
perte  plus  aisee  ;  que  la  Reine  et  Monsieur  Iui 
teudoient  les  mains ;  que  c'etoit  le  parti  le  plus 
juste  :  et  les  servant  dans  cette  occasion  ,  quelle 
gloire  n'acqueroit-il  pas  et  quels  avantages  pour 
ses  interets  particuliers !  Que,  tout  bien  consi- 
dere,  il  ne  devoit  point  dit'ferer  d'assurer  sa  per- 
sonne  et  sa  place  a  Monsieur  ;  qu'avec  siirete  il 
seroit  aise  de  le  faire  resoudre  d'entreprendre 
eoutre  le  cardinal ;  et  qu'au  pis-aller  ,  cela  leur 
manquant,  ils  se  retireroient  tous  a  Sedan,  en 
attendant  la  mort  du  Roi ,  qui  ne  pouvoit  pas 
tarder  en  I'etat  auquel  il  etoit. 

M.  de  Bouillon  promit  franchement  tout  ce 
qui  dependoit  de  Iui ;  mais  11  representa  que  la 
place  n'etoit  point  siire  pour  ceux  qui  s'y  retire- 
roient, s'il  n'y  avoit  une  armee  pour  hasarder 
d'abord  un  grand  combat;  que  les  armees  de 
messieurs  les  comtes  d'Harcourt  et  de  Guiche 
etoient  d'un  cote ,  et  celle  de  M.  de  Guebriant , 
de  I'autre  ;  qu'aussitot  que  M.  le  cardinal  seroit 
informe  que  sesennemis  se  seroient  retires,  in- 
struit  par  le  peril  que  Iui  avoit  fait  courir  M.  le 
comte ,  presse  de  la  necessite  de  ses  affaires  par 
la  maladie  du  Roi  ,  il  la  feroit  investir,  et  se 
saisiroit  des  hauteurs  qui  environnent  la  ville: 
toutes  les  forces  de  I'Europe  ne  sauroient  em- 
peclier  que  Ton  ne  la  prit  et  ceux  qui  se  se- 
roient jetes  dedans.  Pour  ces  raisons  il  falloit  ne- 
cessairement  trailer  avec  le  roi  d'Espagne ,  et 
tirer  de  Iui  des  troupes  suffisantes  pour  donner 
une  bataille  comme  celle  de  I'annee  precedente. 

Pour  dire  mon  sentiment,  je  crois  que  la  ja- 
lousie dans  laquelle  M.  de  Bouillon  etoit  de  sa 
place,  et  la  crainte  de  la  perdre ,  Iui  firent  plus 
songer  a  la  conserver  qu'a  la  surete  de  sa  per- 
sonne ,  et  que  I'envie  que  M.  le  Grand  avoit  de 
sortir  de  la  cour  ,  le  lit  consentir  a  tout  ce  que 
M.  de  Bouillon  voulut,  voyant  qu'il  etoit  mal- 
aise de  ne  s'y  pas  accommoder ;  et  hors  de  cette 
ressource  il  n'estimoit  plus  de  saint  pour  Iui.  II 
nedit  point  le  particulierde  cette  conference;  seu- 
lement  que  tout  alloit  bien ,  et  que  M.  de  Bouil- 
lon etoit  dispose  a  toutes  choses. 


(1)  On  voil  encore  I'emplaccmcnt  de  cot  li6lel  dans  la 
!     rue  Sainl-Gilles,  au  Marais.  Les  bases  du  Irailede  Mon- 
sieur avec  riispagne  y  furenl  ancldes  d;ins  la  conreren'-e 


II  parla  apres  a  Monsieur ,  auquel  11  lit  voir  la 
necessite  de  trailer  avec  le  roi  d'Espagne,  qui 
ne  lit  aucune  resistance,  lis  resolurent  que  ce 
seroit  moi  qui  aurois  cette  commission. 

M.  d'Aubijoux  et  moi  faisious  de  grandes  in- 
stances vers  M.  de  Bouillon  etM.  le  Grand  pour 
leur  faire  prendre  une  derniere  resolution,  pour 
venir  aux  expediens  d'executer  I'entreprise  cen- 
tre iM.  le  cardinal. 

Eufin  M.  le  Grand  me  dit  qu'il  avoit  sonde 
Monsieur  diverses  fois  ,  et  qu'il  le  trouvoit  fort 
eloigne  de  cette  pensee,  mais  qu'il  falloit  I'y  faire 
entrer  par  finesse  ;  que  M.  de  Bouillon  ne  vou- 
loit  point  agir  qu'il  ne  fut  assure  d'un  prompt 
secours  pour  sa  place  ,  et  que  pour  cela  il  etoit 
necessaire  de  trailer  avec  les  Espagnols;  que 
Monsieur  y  etoit  resolu  ,  et  qu'il  m'avoit  choisi 
pour  faire  le  voyage  et  conduire  cette  negocia- 
tion. 

Je  ne  fus  de  ma  vie  si  etonne  :  je  Iui  dis  que 
la  maniere  me  sembloit  un  pen  etrange  de  dis- 
poser ainsi  de  moi  sans  ma  participation  ,  et  que 
je  verrois  ce  que  j'aurois  a  faire.  M'etant  apres 
retire,  et  en  ayant  consulte  M.  d'Aubijoux, 
nous  tombames  d'accord  que  nous  etions  enga- 
ges dans  une  mechanic  affaire  ,  et  si  avant ,  par 
le  conseil  que  nous  avions  tant  appuye  d'entre- 
prendre conlre  M.  le  cardinal ,  qu'il  etoit  impos- 
sible de  nous  en  retirer  sans  une  perte  assuree ; 
que  si  je  refusois  de  faire  ce  voyage,  quelque 
repugnance  quej'y  eusse,  nousdeviendrions  sus- 
pects du  seul  cole  par  lequel  nous  devious  espe- 
rer  de  nous  tirer  de  cet  embarras ;  que  nous 
avions  la  mort  du  Roi  pour  nous ,  la  faveur  de 
M.  le  Grand  aupres  de  Monsieur ,  et  le  credit 
que  s'y  etoit  acquis  M.  de  Bouillon  ;  et  par  autre 
voie  ,  point  de  ressource  que  par  une  infidelite 
dont  nous  etions  incapables,  et  perdrions  plutot 
mille  vies,  si  nous  en  avions autant,  que  de  la 
commettre. 

Nous  convinmes ,  apres  nous  elre  amplemeut 
entretenus ,  que  je  ferois  done  le  voyage.  M.  le 
Grand  en  recut  une  joie  tres-sensible  ;  car  de 
la  sorte  que  je  m'etois  separe  de  Iui,  il  ne  le 
croyoit  pas  et  ne  s'y  allcndoil  pas. 

M.  dc  Bouillon  et  M.  le  Grand  se  virent  plu- 
sieurs  fois  au  logis  de  M.  d'Aubijoux  et  de  moi , 
qui  logions  ensemble,  pour  conferer  de  leurs 
affaires,  et  particulierement  de  leur  traite. 

lis  furenttous  deux  un  soir  fort  lard  a  I'hotel 
de  Venise  (l) ,  ou  Monsieur  avoit  son  ecurie;  la 
ils  resolurent  avec  Iui  ce  qu'ils  avoient  envie  de 

dont  M.  dc  Fonlraillos  fail  ici  menlion.  ( Voyez  plus 
liaulla  lcltre<lc  IM.  de  Marco  a  M.  de  Brienne,  page2o9. 
de  ce  v(dunie.  )  (^'  ^-^ 


;;>2 


r.EL.VTION    DE    FO.\TRAILLbS. 


I'aire.  M.  de  Thou  eloit  partout,  mais  il  ne  vou- 
Joit  rien  savoir.  Ainsi  il  futjusqu'a  la  porte  de 
I'hotel  de  Venise  sans  y  vouloir  entrer. 

Le  Roi  partit  cinq  ou  six  jours  apres  pour  al- 
ler  a  Lyon.  Son  Altesse,  ayant  signe  et  donne  ses 
blancs,  s'en  alia  aussi  a  Blois;  M.  de  Bouillon 
aussi  chez  lui  faire  son  equipage,  et  se  presenta 
pour  aller  en  Italic. 

Avant  que  de  se  separer,  M.  le  Grand  tira 
parole  de  Monsieur  qu'il  se  rendroit  a  un  jour 
nomme  a  Lyon,  et  M.  de  Bouillon  promit  la 
meme  chose,  pour  contraindre  Son  Altesse  de 
se  porter  au  dessein  projete  contre  la  personue 
de  M.  le  cardinal.  Cela  se  dit  incontinent  a  Paris 
en  public,  et  ne  fut  pas  pins  secret  a  la  cour. 
Neanmoins  ce  n'est  pas  mon  opinion ,  et  suis 
assure  que  M.  le  Grand  n'en  voulut  pas  user 
ainsi  depuls  son  retour  de  Picardie.  Je  croyois 
plutot  qu'ayant  beaucoup  d'amis  en  Auvergne, 
que  le  marechal  son  pere  lui  avoit  laisses ,  et 
qu'il  avoit  conserves  par  son  adresse  et  par  sa 
faveur  ( car  il  vint  plus  de  huit  cents  gentils- 
hommes  a  Lyon  le  visiter) ,  il  eiit  ete  ravi  ,  pour 
satisfaire  a  sa  gloire  naturelle ,  que  Monsieur 
les  eut  vus,  et  prit  bonne  opinion  de  son  credit. 

Pour  M.  de  Bouillon  ,  il  desiroit  le  voir  pour 
I'obliger  a  lui  donner  un  ordre  par  ecrit  pour 
pouvoir  entrer  dans  Sedan  toutes  les  fois  qu'il 
voudroit ;  lequel  ordre  il  avoit  refuse  de  lui  don- 
ner a  Paris,  et  avoit  proteste  de  ne  le  bailler  ou 
confier  qu'a  M.  d'Aubijoux  ou  a  moi,  apres  que 
je  serois  de  retour  d'Espagne.  Monsieur  et  M.  de 
Bouillon  ,  quoiqu'ils  s'y  fussent  engages  ,  ne  se 
rendirent  point  a  Lyon. 

Le  Roi  s'en  alia  a  Narbonne  ,  et  je  repartis  en 
poste  apres  avoir  recu  la  minute  du  traite,  et 
line  copie  de  la  lettre  de  Monsieur  a  M.  le  comte 
due  d'Olivares,  et  deux  blancs  signes  de  Son 
Altesse  qu'elle  m'avoit  donnes  ,  I'un  de  sa  lettre 
au  comte-duc ,  et  Tautre  en  la  forme  qu'il  le  de- 
siroit pour  le  roi  d'Espagne. 

Dans  ces  memolres  il  y  avoit  aussi  beaucoup 
de  raisons  exprimees  qui  marquoient  I'avantage 
(lue  recevoit  Sa  Majeste  Catholique  de  ce  trai- 
te. C'etoit  la  premiere  negociation  que  j'avois 
faite,  que  j'entreprenois  sans  etre  fort  instruit: 
et  comme  je  m'enquis  de  M.  de  Bouillon ,  que 
j'estimois  savant  en  telle  matiere ,  de  la  facon 
de  laquelle  il  falloit  que  Monsieur  traitat  avec 
le  roi  d'Espagne,  et  une  instruction  pour  ne  rien 
oublier  de  ce  qui  appartenoit  a  la  dignite  de  Son 
Altesse,  il  me  repondit  que  les  Espagnols  m'en 
donneroient  plus  que  je  ne  voudrois ;  mais  je 
trouvai  tout  le  contraire. 

.i'attrapai  M.  de  Bouillon  a  Limoges.  Apres 
I'avoir  cxhorle  de  pourvoir  a  sa  suretc,  tout  le 


bonheiir  de  uotre  affaire  dependant  entierement 
de  lui,  il  me  le  promit ;  mais  I'evenement  a  justi- 
liedepuis  qu'il  n'avoit  pasbien  prisses  raesures. 
J'arrivai  done  chez  moi ,  et  priai  M.  d'Aignan, 
gentilhomme  d'honneur  auquel  je  me  fiois ,  de 
vouloir  aller  reconnoitre  un  lieu  dans  les  mon- 
tagnes  ou  je  pusse  passer  en  Espagne  assure- 
ment. 

A  son  retour,  il  m'en  proposa  plusieurs ,  et  je 
choisis  la  vallee  d'Aspe  et  le  port  qu'on  appelle 
Caucasian.  Le  voyage  meparoissoit  plusdange- 
reux  que  je  ne  le  trouvai  en  effet. 

La  premiere  ville  oii  je  passai  fut  Huesca ,  ou 
le  gouverneur  me  traita  fort  civilement,  et  me 
donna  un  garde  pour  me  conduire  a  Sarragosse 
vers  le  vice-roi,  qui  se  nommoit  le  marquis  de 
Tavare ;  lequel  ayant  voulu  savoir  le  sujet  de 
mon  voyage ,  et  moi  m'etant  defendu  de  le  lui 
dire,  il  se  facha  fort,  et  me  fit  partir  a  minuit 
dans  cette  mechante  huraeur,  avec  un  passeport, 
seul,  et  sans  me  permettre  de  mener  mon  valet 
avec  moi. 

Enfin  j'arrivai  a  Madrid,  oil  le  memejourje 
vis  sans  difficulte  le  comte-duc;  et  quoique  je 
fusse  tres-mal  vetu  ,  il  ne  me  voulut  jamais  par- 
lor que  je  ne  fusse  couvert  et  assis  dans  sou  car- 
rosse  ,  oil  je  le  rencontrai. 

Je  reconnus  visiblement  qu'il  recevoit  une 
joie  extreme  lorsqu'il  vit  le  seing  de  Monsieur; 
et  me  I'ayant  fait  reconnoitre  par  quelque  dis- 
cours  qu'il  envoya  faire  au  Roi  son  maitre,  dont 
il  se  repentit ,  11  essay  a  de  reparer  cette  faute ; 
mais  jamais  cela  ne  se  fait  que  grossierement. 
Je  fus  trois  heures  a  me  promener  avec  lui : 
il    m'entretint   toujours  avec  estime    et   res- 
pect de  la  personne  de  M.  le  cardinal ,  ce  qui 
marquoit  de  la  crainte.  II  connoissoit  tons  les 
gens  de  qualite  de  la  cour  et  leurs  interets  comme 
je  pouvois  faire.  Me  separaut  de  lui ,  il  me  remit 
aux  soins  d'un  secretaire  d'Etat,  son  confident, 
qui  s'appeloit  Carnero.  II  avoit  continuellement 
un  chapelet  a  la  main ,  et  ne  laissoit  pas  de  dire 
le  mot  sur  le  Pape  et  sur  la  religion  ;  il  croyoit 
que  je  fusse  huguenot ,  et  pensoit  me  faire  plai- 
sir.  II  me  fit  mettre  dans  son  carrosse ,  ne  trai- 
tant  jainais  autrement ,  et  ne  vouloit  point  etre 
vu  s'il  n'etoit  assis ,  ou  il  avoit  bonne  mine ,  •' 
parce   qu'il  etoit  si  courbe  que  son  menton , 
quand  il  etoit  debout ,  touchoit  presque  a  ses 
genoux.  Je  le  vis  une  fois ,  mais  ce  fut  par  sur- 
prise ,  et  m'apercus  bien  quil  en  etoit  fort  fache. 
Comme  je  fus  dans  son  carrosse  avec  lui  et 
Carnero,  il  me  dit  qu'il  avoit  vu  les  demandes 
de  M.  le  due  d'Orleans  ,  qui  etoient  grandes  ; 
qu'il  falloit  que  le  roi  d'Espagne  fit  depense    ct 
deboursat  trois  millions  d'or  ;  et  qu'il  ne  voyoit 


r.ELXTlON     DF,    FOMllAILLKS. 


25:? 


rien  que  d'imaginaire  dans  les  propositions  de 
Monsieur,  qui  disoit  avoir  avec  lui   deux  por- 
sonnes  considerables  qu'ii  ne  vouloit  pas  nom- 
mer ;  une  bonne  place  frontiere ,  et  I'on  ne  savoit 
ce  que  c'etoit ;  qu'il  etoit  Juste  que  dans  un 
traite  les  conditions  fussentegales;  que,  comme 
Monsieur  demaudoit  des  choses  effectives  de  Sa 
Majeste  Catholique  ,  il  falloit  aussi  qu'il  fit  voir 
de  I'effectif  de  sa  part  dans  celles  qu'il  promet- 
toit;que  la  personne  de  Son  Altesse  etoit  de 
tres-grand  prix  ,  raais  qu'il  ne  paroissoit  point 
qu'il  eut  de  place  ni  de  gouvernement ;  qu'il  n'e- 
toit  plus  heritier  presomptif  de  la  couronne  ,  et 
qu'il  s'etoit  trouve  dans  de  si  facheuses  affaires 
qui  lui  avoient  si  mal  reussi,  qu'il  etoit  difficile 
de  croire  que  beaucoup  de  gens  se  voulussent 
embarquer  a  I'avenir  avec  lui ;  qu'il  avoit  fait 
plusieurs  traites  avec  le  roi  d'Espagne,  ete  recu 
de  lui  dans  ses  Etats  ,  et  arrete  dans  ses  disgra- 
ces; et  que  trois  jours  apres  avoir  signe  le  der- 
nier fait  entre  eux ,  11  s'en  etoit  fui,  comme  si  Ton 
eut  eu  dessein  d'user  de  mauvaise  foi  contre  sa 
personne;  qu'au surplus  il  ne  devinoit  pas  quels 
pouvoient  etre  les  deux  bommes  si  considera- 
bles; que    la  Flandre  et  I'Angleterre  etoient 
remplies  de  personnes  qualifiees  de  la  France  , 
qui  leur  avoient   beaucoup  promis,  leur  cou- 
toient  fort  et  ne  faisoient  rien  ;  que  M.  le  comte 
n'etoit  plus,  duquel  I'estime  et  la  reputation 
avoient  fait  tant  de  bruit ,  et  acquis  I'affection 
de  tant  de  gens;  que  M.  d'Epernon,  qui  etoit 
hommede  resolution  et  d'experience,  etoit  mort; 
que  M.  de  La  Meilleraye  etoit  parent  et  crea- 
ture de  M.  le  cardinal ,  contre  lequel  le  parti  se 
faisoit ;  que  le  Roi  etoit  dans  le  gouvernement 
du  marechal  de  Schomberg ,  et  par  consequent 
Monsieur  hors  d'etat  de  pouvoir  rien  executer ; 
que  M.  de  Bouillon  avoit  accepte  I'emploi  d'lta- 
lie ;  que  M.  de  Gassion  n'etoit  qu'un  capitaine 
de  chevau-legers ,  dont  il  ne  faisoit  pas  assez 
d'etat ;  enfin  qu'il  ne  voyoit  pas  quels  pouvoient 
etre  ces  deux  bommes  si  considerables  ,  et  qu'il 
ne  passeroitpas  plus  avant  sur  ce  que  je  deman- 
dois,  que  je  ne  les  eusse  nommes  avec  la  place 
de  surete ;  et  qu'apres  tout  ce  qu'il  alleguoit  , 
que  le  roi  de  France  avoit  la  bonne  fortune  de 
son  cote  en  toutes  les  occasions ,  et  se  remettoit 
de  la  conduite  de  toutes  ses  affaires  entre  les 
mains  d'un  ministre  qui  etoit  habile  horame,  et 
qui  etoit  encore  plus  beureux,  ainsi  qu'il  avoit 
paru. 

Moi ,  au  contraire ,  je  m'excusai  de  les  nom- 
raer  ,  sur  le  commandement  expres  de  ne  le  pas 
faire  qu'apres  que  le  traite  seroit  signe ;  que 
j'offrois  de  lui  montrer  mon  instruction ;  qu'il 
ne  risquoit  rien  en  le  signant,  parce  que  si  les 


personnes  et  la  place  ne  lui  plaisoient  pas,  etant 
entre  ses  mains  il  pouvoit  me  I'oter;  mais  que 
si  j'excedois  mon  ordre  ,  j'agirois  contre  mon 
devoir;  et  que  s'il  ne  vouloit  pas  (  moi  les  ayant 
declares)  accorder  lesdemandes  de  Son  Altesse, 
je  me  trouverois  coupable ,  et  reconnu  pour  tres- 
mal  babile  bomme. 

Apres  avoir  conteste  long-temps ,  il  me  repar- 
tit  qu'il  ne  le  signeroit  point,  mais  qu'il  conve- 
noit  de  toutes  mes  demandes,  des  I'beure  pre- 
sente,  dans  tout  ce  qu'elles  contenoient;  raais 
que  je  nommasse ,  ou  qu'autrement  il  me  feroit 
donner  un  passeport,  et  quejeserois  libre  de 
m'en  aller  quand  bon  me  serableroit. 

Moi  qui  etois  assure  que  les  personnes  et  la 
place  lui  seroient  fort  agreables  ,  et  voyant  que 
j'avois  toujours  ordre  de  m'en  ouvrir ;  que  ce 
n'etoit  qu'un  formulaire  inutile;  que  mon  retour 
avec  diligence  etoit  de  consequence,  et  que  plus 
longue  contestation  me  pouvoit  plus  long-temps 
retenir,  je  lui  dis  que,  sur  la  parole  qu'il  me 
donnoit  de  signer  le  traite  en  la  forntie  que  je 
lui  avois  presentee ,  je  lui  declarois  que  ces  per- 
sonnes etoient  M.  de  Bouillon  et  M.  le  Grand  , 
et  la  place  de  Sedan. 

II  me  temoigna  une  extreme  satisfaction  de 
cette  bonne  nouvelle ;  mais  il  observa  aussi  mal 
sa  parole,  car  il  me  chicana  sur  tons  les  arti- 
cles, tantot  sur  les  troupes,  apres  sur  I'argent, 
puis  sur  les  qualites  de  Son  Altesse  ,  et  enfin  sur 
les  avantages  qu'il  vouloit  donner  a  I'archiduc 
Leopold  par  dessus  elle.  Ce  qui  me  fit  connoitre 
par  experience  qu'alors  que  M.  de  Bouillon  m"a- 
voit  assure  qu'il  m'accorderoit  plus  que  je  ne 
demanderois ,  qu'il  s'etoit  fort  mepris ;  et  ne  pus 
m'empecher  de  faire  sentir  a  M.  le  comte-duc 
que  je  ne  m'etonnois  pas  si  les  affaires  alloient 
si  mal ,  pulsqu'ils  s'amusoient  a  des  bagatelles 
quand  il  etoit  question  de  sauver  Perpignan  , 
qui  ,  etant  perdue,  leur  otoit  la  Catalogue  pour 
toujours  et  partageoit  quasi  I'Espagne.  II  me 
regarda,  et  ne  me  repondit  quasi  plus  rien. 

II  me  retint  quatre  jours ,  et  encore  me  dit 
qu'il  avoit  fait  aller  le  conseil  en  poste  a  la 
francoise,  contre  sa  coutume  et  la  pratique  de 
la  nation.  II  me  fit  voir  le  Roi  apres  que  le  traite 
fut  signe,  auquel  je  presentai  la  lettre  de  Mon- 
sieur ;  dont  je  ne  tirai  pas  graudes  paroles ,  le 
favori  faisant  tout  avec  pareille  autorite  que 
M.  le  cardinal  de  Richelieu ,  agissant  comme  lui 
generalement  en  toutes  les  affaires. 

Je  repartis  incontinent  pour  m'en  revenir  en 
France,  avec  passeport  et  gens  qui  m'accompa- 
gnoient.  Lorsque  je  fus  de  retour  a  Huesca,  pret 
a  prendre  le  chemin  par  lequel  j'avois  passe  ,je 
trouvai  un  Bearnois  qui  m'avoit  servi  de  guide 


254 


HELATIO.N     I)F.    F0\  i T.  VILLKS. 


a  mon  passage ,  qui  me  dit  que  j'avois  ete  suivi, 
et  que  si  je  retournois  par  cet  endroit  Ton  m'ar- 
reteroit  infailliblement :  et  ee  fut  ie  plus  grand 
hasardque  je  courus  en  mon  voyage.  Je  pris  , 
sur  cet  avis,  uue  autre  route  par  le  port  de  Be- 
nasque  ,  et  me  rendis  a  Toulouse  ,  ou  je  rencon- 
trai  M.  le  comte  d'Aubijoux  ,  avec  lequel  j'allai 
trouver  M.  Ie  Grand  a  Narbonne. 

Apres  lui  avoir  rendu  compte  du  succes  de 
ma  negociation ,  nous  deiiberames  de  ce  qu'il  y 
avoit  a  faire.  Moi  qui  croyois  les  choses  tres- 
secretes  ,  mon  opinion  etoit  d'agir  avec  le  plus 
de  circonspection  qu'on  pourroit ;  et  que  si 
M.  d'Aubijoux  alloit  vers  M.  de  Bouillon  in- 
continent apres  mon  retour,  que  cette  couduite 
confirmeroit  les  soupcons  que  mon  absence  avoit 
fait  prendre ,  et  que  Ton  en  donneroit  de  mau- 
vaises  impressions  au  Roi  :  si  bien  que  j'etois 
d'avis  que  M.  de  Montmort,  mon  cousin  ger- 
main,  et  fort  proche  parent  de  M.  d'Aubijoux, 
allat  porter  une  lettre  a  Monsieur,  etune  autre 
a  M.  de  Bouillon  ,  pour  les  informer  que  j'etois 
arrive  (parce  qu'il  le  feroit  avec  moins  d'eclat), 
et  que  dans  quinze  jours  le  comte  d'Aubijoux 
partiroit  sans  qu'on  y  put  trouver  a  redire,  tant 
pour  porter  le  traite  a  Monsieur ,  que  pour  re- 
tirer  les  pouvoirs  pour  etre  recu  a  Sedan. 

Les  choses  ainsi  arretees,  et  M.  de  Mont- 
mort parti,  je  priai  M.  Ie  Grand  qu'il  trouv^t 
bon  que  je  me  retirasse  en  Angleterre,  ne  pou- 
vant  retourner  a  la  cour  sans  un  danger  evident 
et  pour  moi  et  pour  ceux  qui  etoient  engages 
dans  I'affaire ,  parce  que  le  cardinal ,  sur  le 
moindredoute,  etoit  capable  de  me  faire  arre- 
ter ,  et,  vu  sa  grande  autorite ,  de  me  faire  don- 
ner  la  gene  dans  sa  chambre  ;  et  qu'en  cet  etat 
nul  ne  pouvoit  repondre  de  supporter  les  tour- 
raens  ,  et  que  pour  moi  je  ne  savois  ce  que  je 
ferois  en  telle  entremise  ,  et  si  je  pourrois  me 
taire  dans  les  douleurs  qu'on  y  endure ;  et  qu'en- 
fin  ,  dans  la  moindre  action  que  je  ferois,  les 
soupcons  se  pourroient  renouveler  coutre  moi , 
ce  que  je  le  suppliois  de  mettre  en  considera- 
tion; et  qu'au  surplus  jc  I'assurois  que  d'Angle- 
terre  je  ne  manquerois  pas  de  me  rendre  a  Se- 
dan ,  incontinent  que  j'apercevrois  qu'il  seroit 
parti  de  ja  cour. 

Toutes  ces  raisons  ne  I'ayant  pas  persuade , 
il  ne  voulut  pas  consentir  a  ma  sortie  hors  du 
royaume,  parce  qu'elle  causeroit  de  facheux 
embarras  a  mes  amis ,  et  particulierement  a  lui ; 


(1)  Celte  cntrcvuc,  toulc  forluite,  dcvinl  la  charge 

principale  du  proc6s  (ie  l'infortun(5  dc  Thou;  ollc  cii- 

traina  son  atrocc  condamnation.  (  Voyez  Ips  Mi^moircs 

P.  Dupuy  pour  la  justification  dc  F.  A.  dc  Thou,  son 


et  me  dit  que  puisque  j'avois  commence  de  beau- 
coup  hasarder  ,  il  falloit  que  j'allasse  jusques  au 
bout  ;  mais  qu'il  convenoitqueje  ne  retournasse 
plus  a  la  cour. 

Nous  partimes,  M.  d'Aubijoux  et  moi ,  pour 
revenira  Toulouse,  et  reneontrames  a  Carcas- 
sonne M.  de  Thou  avec  M.  de  Charost  qui  s'en 
alloient  a  Perpignan  ,  le  dernier  pour  servir  son 
quartierdecapitainedes  gardes  du  corps  :  ce  qui 
me  donna  mauvais  augure ,  jugeant ,  par  toutes 
sortes  d'apparences ,  qu'il  n'avoit  pasquitte  son 
gouvernement  de  Calais  dans  un  temps  si  jaloux, 
etant  creature  de  M.  le  cardinal,  que  sur  des 
desseins  extraordinaires  ,  auxquels  il  seroit  in- 
failliblement employe. 

Soudain  que  je  fus  seul  avec  M.  de  Thou  ,  il 
me  dit  le  voyage  que  je  venois  de  faire  :  ce  qui 
me  surprit  fort ,  car  je  croyois  qu'il  lui  eut  ete 
cele,  conformement  a  la  deliberation  qui  en 
avoit  ete  prise  (I). 

Quand  je  lui  demandai  comme  quoi  il  I'avoit 
appris  ,  il  me  declara  en  confiance  ,  fort  fran- 
chement,  qu'il  le  savoit  de  la  Reine,  et  qu'elle  le 
tenoit  de  Monsieur. 

A  la  verite  je  ne  la  croyois  pas  si  bien  in- 
slruite  ,  quoiqueje  n'ignorasse  pas  que  Sa  Ma- 
jeste  eut  fort  souhaite  qu'il  se  put  former  une 
cabale  dans  la  cour,  et  qu'elle  y  avoit  contribue 
de  tout  son  pouvoir ,  pour  ce  qu'elle  n'en  pouvoit 
que  profiter,  soit  en  ruinant  M.  le  cardinal  qui 
etoit  son  ennemi ,  ou  en  eloignant  Monsieur  de 
ses  pretentions  de  la  regence  ,  dans  laquelle  lui 
seul  etoit  capable  d'etre  son  corapetiteur  pour 
y  partager  I'autorite  ,  et  qu'etant  absent  et  em- 
barrasse ,  il  faudroit  necessairement  qu'il  s'ap- 
puyatd'ellea  des  conditions  qui  lui  seroient 
avantageuses. 

Dans  cette  connoissance  que  M.  de  Thou  me 
donna  que  c'etoit  la  Reine,  il  me  dit  qu'il  y  avoit 
encore  d'autres  personues  qui  en  etoient  infor- 
mees.  Son  discours  me  fit  comprendre  que  I'af- 
faire etoit  divulguee,  et  eumes  un  repentir, 
M.  d'Aubijoux  et  moi ,  du  voyage  de  M.  Mont- 
mort. Nous  eussions  bien  desire  lors  que  c'eut 
ete  lui  qui  I'eiit  fait ,  puisque  la  diligence  etoit 
plus  necessaire  que  le  secret.  Cette  faute  fut 
commise  sur  ce  que  nous  ne  pouvions  nous  ima- 
giner  quecela  dut  etre  jamais  decele,  pour  I'im- 
portance  de  I'affaire. 

Incontinent  que  nous  fumes  a  Toulouse,  M.  le 
comte  de  Brion  y  passa  allant  a  la  cour;  et 


ami .  a  la  suite  de  la  traduction  de  I'llistoire  universelle 
du  president  de  Tiiou  ;  Paris,  173i  ,  lonie  1."),  2«  partic, 
page  36. ) 

(A.E.) 


UELATION    DE    FO^T  R  A  ILI.ES. 


M.  d'Aubijoux  et  moi  jiigeiimes  par  ses  discours 
•  et  depechcs  qu'il  avoit  envie  do  ruiiier  La  Ri- 
viere par  le  moyen  de  M.  le  Grand,  pour  d'au- 
■  tresraisons.  Pour  eet  effet  il  le  venoit  supplier 
instamraent  d'ecrire  a  Son  Altesse  d'eloigner  La 
Riviere ,  qui ,  par  la  longue  habitude  qu'il  avoit 
dans  sa  maison  et  de  sa  personne ,  devinoit  ses 
plus  secretes  intentions,  pour  en  rendre  corapte 
a  M.  le  cardinal  (1),  ne  doutant  pas  qu'il  ne 
robttnt  facilemcnt,  vu  la  perte  qu'il  y  avoit;  et 
c'etoit  I'un  des  sujets  de  son  voyage ;  I'autre , 
une  lettre  de  Son  Altesse  au  Roi,  remplie  de 
plaintes  contre  M.  le  cardinal,  qu'elle  prioit 
M.  le  Grand  de  lui  donner;  et  comme  il  avoit 
toujours  persuade  Monsieur  qu'il  etoit  tout  puis- 
sant et  maitre  de  I'esprit  de  Sa  Majeste  (ce 
que  le  comte  de  Rrion  ne  croyoit  pas),  il  vou- 
loit  par  cette  lettre  (qu'il  s'assuroit  qui  ne  seroit 
pas  rendue )  faire  voir  a  Son  Altesse  qu'il  y 
avoit  de  I'artifice,  et  qu'il  ne  lui  disoit  pas  vrai; 
qui  etoit  un  moyen  pour  lui  oter  toute  creance. 
M.  d'Aubijoux  fut  avec  lui  a  la  cour  pour  don- 
ner avis  a  M.  le  Grand  sur  ce  siijet  de  rappor- 
ter  le  traite  a  Monsieur. 

Quelque  temps  s'etant  passe  durant  lequel 
M.  le  Grand  etoit  dans  de  grandes  inquietudes, 
et  vouloit  fort  avoir  quelqu'un  pour  le  sou  lager 
auquel  il  put  parler  confidemment ,  il  m'envoya 
prier  plusieurs  fois  d'aller  ou  etoit  le  Roi :  je 
m'en  excusai ,  toujours  resolu  de  n'y  plus  re- 
tourner.  Enfin  il  souhaita  que  je  me  rendisse 
aupres  de  Monsieur  pour  mettre  une  fin  a  cette 
affaire  :  il  me  depecha  un  gentilhomme  qui  me 
donna  une  lettre  de  sa  part,  par  laquelle  il  me 
mandoit  que  le  Roi  etoit  a  I'extremite,  et  que 
quelque  diligence  que  je  fisse  ,  il  ne  pensoit  pas 
que  je  le  dusse  trouver  en  vie. 

J'ajoutai  foi  a  ce  qu'il  m'ecrivit,  et,  sans 
marchander,  je  partis  la  nuit  meme,  et  trouvai 
des  relais  jusques  a  Perpignan  ;  et  a  mon  arri- 
vee  je  rencontrai  M.  de  Thou  ,  qui  me  dit  que 
le  Roi  avoit  ete  fort  mal.  Je  me  plaignis  a  M.  le 
Grand  de  m'avoir  fait  venir  a  fausses  enseignes  ; 
il  me  dit  que  c'etoit  par  necessity,  et  qu'il  fal- 
loit  que  j'allasse  vers  Monsieur,  duquel  il  ne  re- 
cevoit  point  de  nouvelles ,  pour  savoir  au  viai 
I'etat  des  choses.  Je  le  priai  d'avoir  agreable , 
privativement  a  tout  le  reste ,  que ,  pour  me 
bannir  absolument  de  la  cour  sans  qu'il  restat 
aucun  pretexte  de  ra'y  faire  revenir,  je  fisse  ap- 

(1)  L'abM  de  La  Riviere  accusoit  Hlontrcsor  d'avoir 
T6vi\i  au  cardinal  les  n^gociations  avec  I'Espagnc  ,  pl  il 
paroit  vraisemblable  que  c'csl  lui-meme  qui  se  iivroit  a 
eet  espionnage  aupres  du  prince.  (A.  E.)  —  Les  deposi- 
lions  du  prince  confirmercnt  probablement  aussi  les 
renseignemcntsfoinnispar  I'abbc'  deLa  Riviere,  comme 


peler  M.  d'Espenan;  que  je  savois  bien  que 
cette  action  facheroit  le  Roi,  qui  me  I'avoitfait 
defendre  par  M.  le  cardinal  et  M.  le  marechal 
de  Schomberg  ;  de  sorte  qu'il  n'y  auroit  plus  de 
lieu  d'en  approcher  sans  une  certitude  d'etre 
arrete.  En  etant  convenu  ,  apres  I'appel  fait , 
ayant  ete  separes  selon  notre  dessein ,  je  fus  a 
Chambord  ou  etoit  Son  Altesse,  attendant  la 
niort  de  M.  le  cardinal ,  sans  songer  a  son  af- 
faire ,  quelque  importante  qu'elle  fut. 

Je  lui  representai  premierement  le  peril  ou  il 
etoit,  et  que  le  traite  (2)  qu'il  avoit  fait  n'etoit 
pas  a  considerer  comme  une  chose  de  neant ,  ni 
indigne  de  son  application  ;  que  M.  le  cardinal 
n'etoit  pas  pour  mourir  si  tot,  et  qu'il  ne  falloit 
point  qu'il  prit  ses  mesures  sur  ce  fondement 
ni  sur  la  faveur  de  M.  le  Grand  qui  etoit  tout- 
a-fait  ruine  dans  I'esprit  du  Roi ;  qu'il  etoit  ne- 
cessaire,sans  perdre  de  temps,  de  penser  de 
pourvoir  a  sa  siirete  et  a  celle  de  ceux  qui  I'a- 
voient  servi.  II  avoua  que  j'avois  raison ,  et  me 
dit  que  son  avis  etoit  tel ,  et  qu'il  I'auroit  suivi 
si  de  jour  a  autre  Ton  ne  lui  avoit  donne  espe- 
rance  que  M.  le  cardinal  ne  pouvoit  vivre. 

M.  d'Aubijoux  fut  depeche  vers  M.  de  Bouil- 
lon pour  retirer  les  ordres  dont  j'ai  deja  parle  ; 
Son  Altesse  me  promit  que  lorsqu'il  seroit  re- 
venu  elie  s'en  iroit ,  quand  M.  le  Grand  le  juge- 
roit  a  propos ,  et  qu'elle  lui  en  ecriroit  de  sa 
main,  lui  donnant  pareille  assurance  :  et  pour 
ce  sujet  elle  s'avanca  a  Bourbon. 

J'etois  convenu,  avec  le  comte  de  Brion, 
d'une  hotelleriea  Moulins,  et  avois  tire  sa  pa- 
role que  lui  ou  un  homme  de  confiance  de  sa 
part,  s'y  tiendroit  toujours  pour  recevoir  celui 
que  M.  le  Grand  y  enverroit ,  pour  le  faire  par- 
ler des  I'instant  et  dans  le  secret  a  Son  Altesse 
Royale ;  et  bien  que  j'eusse  arrete  avec  M.  le 
Grand  que  seulement  je  lui  ecrirois  le  succes  de 
mon  voyage,  et  ce  qu'il  y  auroit  a  faire  ,jeju- 
geai  tres-necessaire  de  le  voir  encore. 

Je  fus  done  de  nuit  a  Perpignan ,  oil ,  apres 
lui  avoir  rendu  la  lettre  de  Monsieur,  et  Tavoir 
eclairci  de  ses  dernieres  resolutions,  il  m'en  fit 
voir  une  de  madarae  la  princesse  Marie ,  qui 
lui  mandoit  en  ces  propres  mots, « que  son  affaire 
etoit  sue  aussi  communement  a  Paris,  comme  Ton 
savoit  que  la  Seine  passoit  sous  le  Pont-Neuf.  ■ 
Sur  cela,  j'insistai  fort  de  nous  retirer  sans  cof- 
ferer un  moment ,  a  quelque  prix  que  ce  fut , 

on  a  pu  le  voir  par  les  documents  relatifs  a  ce  fait,  in- 
s^rds  dans  les  Mcmoires  de  Montr^sor. 

(2)  Le  traits  fail  avec  TEspagne  est  du  13  mars  1642. 
et  se  trouve  dans  les  Mcmoires  de  Brienne  ,  page  72  dc 
ce   volume. 


2.Ui 


RELATION    DE    EONTRAILLES. 


et  de  nous  mettre  a  convert.  Je  I'y  avois  une 
fois  i-esolu ,  quaiul  tout  d'un  coup  il  me  demaiula 
si  j'avois  dit  a  Monsieur  quMl  iroit  si  prompte- 
ment  le  trouver  :  a  quoi  je  repondis  que  non  , 
parce  qu'il  ne  m'eii  avoit  pas  donne  cliarge.  II 
me  repartit  qu'il  ne  vouloit  pas  se  presenter  a 
lui  comme  un  fugitif ,  et  qu'il  falloit  que  ce  liit 
par  concert ;  et  delibera  d'envoyer  M.  de  Mont- 
mort  vers  Son  Altesse  pour  arreter  le  jour  et  le 
lieu  ou  il  se  rendroit  pour  sortir  du  royaume 
avec  elle. 

Je  I'exhortai  inutilementde  prendre  leparti  le 
plus  sur,  et  de  ne  hasarder  pas  sa  \ie  sur  une 
bienseance;  mais  n'y  ayant  pu  rien  gagner,  je 
lui  prophetisai  avec  douleur,  en  nous  separant , 
que  je  ne  le  reverrois  plus.  Je  m'en  allai  de  cette 
sorte ,  et  laissai  un  homme  pour  m'informer  de 
tout  ce  qui  se  passeroit. 

Cependant  M.  d'Aubijoux  rapporta  tout  ce 
qu'il  avoit  demande  a  M.  de  Bouillon  ,  avec 
cette  condition ,  qu'il  supplioit  Son  Altesse  de 
vouloir  differer  son  partement  pour  quelques 
jours  ( la  maladie  de  M.  le  cardinal  les  avoit 
tous  amuses,  sur  la  croyance  qu'il  n'en  pouvoit 
echapper  ).  M.  de  Montmort  n'ayant  trouve  ni 
M.  de  Brion  ni  autre  de  sa  part  au  lieu  que  je 
lui  avois  marque  a  Moulins,  il  fut  contraint  d'y 
attendre  cinq  ou  gix  jours  sans  savoir  ou  donner 
de  la  tete ,  jusques  a  ce  que  M.  d'Aubijoux  fut 
revenu  de  Piemont,  qui  le  fit  parler  a  Monsieur, 
daquel  il  tira  le  jour  prefix  qu'il  se  rendroit  a 
Dezize,  ville  situee  sur  la  riviere  de  Loire,  ap- 
partenant  a  la  maison  de  Nevers  ,  pour  sortir  de 
France.  Venant  retrouver  M.  le  Grand,  il  sut 
a  Beziers  qu'il  avoit  ete  arrete  :  ce  qui  le  fit 
songer  a  sa  retraite. 

L'homme  que  j'avois  laisse  a  la  cour  revint 
vers  raoi,  et  m'assura  qu'il  s'etoit  sauve ;  et 
M.  de  Thou  ne  I'etoit  pas  ,  qui  avoit  aussi  ete 
arrete. 


(1)  Lettre  de  Monsieur  a  Son  Eminence,  apres  la  prise 
de  la  personne  de  M.  le  Grand. 

A  Bourbon,  le  17  juin  1642. 

« Mon  cousin,  le  Roy,  mon  seigneur,  m'a  fait  riionneur 
de  m'escrire  quel  a  est(5  enfin  I'effet  de  la  conduiUe  de 
ce  mescohnoissant  M.  le  Grand:  c'est  riiomme  du 
monde  le  plus  coupable  de  vous  avoir  desplu ,  apres 
tant  d'obligalions :  les  grices  qu'il  recevoit  de  Sa  Ma- 
jesty m'ont  toujours  fait  garder  de  luy  et  de  lous  ses  ar- 
tifices ;  mais  vous  avez  bien  veu  ,  je  m'assure ,  que  si  je 
I'ay  consi(l(5re,  ce  n'a  cst(5  que  jusques  aux  autels;  aussi 
est-ce  pour  vous,  mon  cousin,  queje  conserve  mon  es- 
lime  et  mon  amiti^  tout  enticre ,  et  comme  je  convoy 
que  vous  m'y  avez  tout  nouvellement  obligd  ,  par  I'lion- 
neur  que  Sa  Majeste  m'a  fait  de  me  donner  le  comman- 
dement de  son  arm(?e  de  Champagne,  je  vous  prie  de 
croire  que  vous  ne  sauriez  jamais  avoir  de  plus  veritable 


Des  I'heure  meme  de  cette  premiere  nouvelle,i 
je  quittai  ma  maison  pour  alter  en  EspagnCjH 
pour  de  la  passer  en  Flandre  ;  mais  ayant  ren- 
contre des  difficultes  a  mon  passage ,  je  retour- 
nai  en  Gascogne ,  ou  je  sus  que  M.  le  Grand* 
avoit  ete  pris  (l) :  ce  qui  me  fit  changer  d'opi- 
nion,de  crainte  d'etre  cause  d'un  dangereuxij 
soupcon  contre  lui,  qui  etabliroit  plusde  creaucei 
dans  I'esprit  du  Roi  que  le  traite  etoit  effectif. 
Je  ne  doutois  qu'il  ne  liit  pas  cru  ;  mais  il  me 
restoit  quelque  esperance  qu'il  seroit  tres-mal- 
alse  d'en  avoir  la  preuve. 

Pour  cette  consideration  ,  je  choisis  ma  re- 
traite en  Angleterre ,  et  m'embarquai  dans  le 
mois  d'aout.  J'y  sus  pen  apres  la  mort  de  M.  le 
Grand  etde  M.  de  Thou ,  qui  perirent  dans  ce 
rencontre ,  I'un  pour  s'etre  engage  dans  cette 
affaire  sans  etre  persuade  qu'il  y  eut  aucun 
crime  capable  de  I'embarrasser,  et  M.  le  Grand 
pour  avoir  neglige  sa  surete  et  pris  trop  de 
confiance  a  sa  bonne  fortune. 

La  mort  de  M.  le  cardinal  et  celle  du  Roi 
etant  arrivees  en  cinq  ou  six  mois  de  temps, 
M.  d'Aubijoux  et  moi  revinmes  a  Paris  d'An- 
gleterre,  oil  nous  etions  toujours  demeures. 
Etant  de  retour  aupres  de  Monsieur,  nous  fimes 
tous  nos  efforts  pour  essayer  a  le  resoudre  a 
faire  condamner  la  memoire  de  M.  le  cardinal 
de  Richelieu,  comme  d'un  ennemi  public  qui 
s'etoit  empare  de  I'autorite  royale  pour  exercer 
ses  violences  et  contenter  son  ambition  deme- 
suree ;  que  ,  par  ce  moyen  ,  il  se  vengeroit  des 
injures  qu'il  en  avoit  recues ,  se  retireroit  bono 
rablement  d'une  violente  et  honteuse  declara- 
tion qu'il  avoit  fait  rendre  dans  le  parlement  et 
publier  centre  lui ,  retabliroit  la  memoire  de 
ceux  dont  le  sang  avoit  ete  repandu  pour  son 
service ,  et  tireroit  ses  serviteurs  d'affaire  sans 
qu'ils  prissent  abolition,  les  mettant  en  etat  que 
leurs  actions  fussent  trouvees  justes  ,  et  de  ne 

ny  de  plus  fidele  amy  que  moy,  ny  qui  soit  avec  plus  de 
finc^ritd  et  de  passion,  mon  cousin,  votre  tr6s-affec- 
tionn^,  »  Gaston.  » 

Lettre  de  Monsieur  au  Roy,  apres  la  prise  de  M.  le 
Grand. 

«  Monseigneur,  ayant  sceu  que  Voslre  Majesty  pour- 
roit  s'arrester  trois  ou  quatre  jours  a  Montfrin  ,  pour  y 
prendre  des  eaux,  j'envoye  I'abb^  de  La  Riviere  pour  sa- 
voir de  vos  nouvelles  et  pour  vous  protester  toujours  , 
Monseigneur,  de  la  parfaite  fid61it6  que  j'ay  pour  vostre 
service.  Je  supplie  tres-bumblemcnt  Vostre  Majesty  de 
prendre  cr^ance  en  ce  qu'il  ira  de  ma  part,  mais  parli- 
culierement  de  mon  entieresoumissiona  toules  vos  vo- 
volont^s ,  comme  ayant  I'honneurd'estre,  Monseigneur, 
votre  tr6s-humble,  tres-ob^issant  serviteur  et  sujet , 

»  Gaston. 

))  DeiMnidins,ce2bjuin\()''f2    » 


RKLATION     l)K    FONTR  AI  LI.KS. 


jamais  se  repcntir  cVavoir  expose  leurs  bieiis  et 
Jeurs  vies  pour  s'opposer  de  toule  leiir  puissance 
a  la  t.vrannie  de  laquelle  ils  avoient  souffert 
taut  d'indignites. 

Nous  rencontrames  Monsieur  dans  d'autres 
sentimens  :  et  il  fallut  necessairement,  pour 
nous  procurer  les  moyens  de  vivre  en  repos, 
que  M.  d'Aubijoux,  M.  de  Montmort  et  moi 
prissions  abolition  ,  qui  fut  enregistree  au  par- 
lement  de  Paris  sans  qu'il  fut  besoin  d'entrer 
en  prison ,  en  etant  exceptes  par  le  privilege 
des  fils  de  France,  qui  s'etend  jusques  a  leurs 
domestiques  et  eeux  qui  les  ont  servis. 


I. 


Leitre  du  Roi  au  parlement  de  Paris  ,  apres 
la  prison  de  M.  le  Grand. 

«  De  par  le  Roi.  Nos  ames  et  feaux,  le  no- 
table et  visible  changement  qui  a  paru  depuis 
un  an  en  la  conduite  du  sieur  de  Cinq-Mars,  notre 
grand  ecuyer,  nous  fit  resoudre ,  aussitot  que 
nous  nous  en  aper^umes ,  de  prendre  soigneuse- 
ment  garde  a  ses  actions  et  a  ses  paroles ,  pour 
penetrer  et  decouvrir  quelle  en  pourroit  estre  la 
cause, 

»  Pour  cet  effet ,  nous  nous  resolumes  de  le 
laisser  agir  et  parler  avec  plus  de  liberte  qu'au- 
paravant.  Par  ce  moyen ,  nous  decouvrimes 
qu'agissant  selon  son  genie ,  il  prenoit  un  ex- 
treme plaisir  a  ravaler  tous  les  bons  succes  qui 
nous  arrivoient ,  relever  et  publier  les  nouvelles 
qui  nous  etoient  desavantageuses. 

»  Nous  reconnumesaussi  qu'une  deses  princi- 
pales  fins  etoit  de  blamer  les  actions  de  notre 
cousin  le  cardinal  due  de  Richelieu ,  quoique 
ses  conseils  et  ses  services  aient  toujours  etc 
accompagnes  de  benedictions  et  de  bons  succes, 
et  de  louer  hardiment  celles  du  comte  d'Oliva- 
res ,  quoique  sa  conduite  se  soit  toujours  trou- 
vee  malheurcuse  par  les  evenemens.  Nous  de- 
couvrimes encore  qu'il  etoit  favorable  a  tous 
ceuxqui  etoient  en  notre  disgrace,  et  contraire 
aceux  qui  nous  servoient  le  raieux. 

»  II  improuvoit  continuellement  ce  que  nous 
faisions  de  plus  utile  pour  notre  Etat,  dont  il 
nous  rendit  un  notable  temoignage  en  la  pro- 
motion des  sieurs  de  Guebriant  tt  de  La  Mothe 
aux  charges  de  marechaux  de  France  ,  laquelle 
luifut  insupportable. 

»  II  entretenoit  une  intelligence  t  res-parti - 
culiere  avec  quelques-uns  de  la  religion  pre- 
tendue  reformee ,  raal  affectionnes ,  par  le  moyen 
de  Chavagnac,  mauvais  esprit  nourri  dans  les 
factions,  et  de  quelques  autres. 

HI.    C.    D.    M,    T.    III. 


"  II  parloit  d'ordinaire  des  choses  les  plus 
saintes  avec  une  si  grande  impiete,  qu'il  etoit 
aise  h  voir  que  Dieu  n'etoit  pas  dans  son  coeur 
comme  dans  celui  de  notre  cousin  le  cardinal 
due  de  Richelieu. 

»  Son  imprudence,  la  legerete  de  sa  langue,  les 
divers  courriers  qu'il  envoyoit  de  toutes  parts , 
et  les  pratiques  ouvertes  qu'il  faisoit  en  notre 
armee ,  nous  ayant  donne  sujet  d'entrer  en  soup- 
con  de  lui,  I'interet  de  notre  Etat,  qui  nous  a 
toujours  este  plus  cher  que  celui  de  notre  vie , 
nous  obligea  de  nous  assurer  de  sa  personne  el 
de  quelques-uns  de  ses  complices.  Notre  reso- 
lution ne  fut  pas  plus  lot  executee  que,  par  la 
bouche  des  uns  et  des  autres,  nous  avons  eu 
connoissance  que  le  dereglement  de  ce  mauvais 
esprit  I'avoit  porte  a  former  un  parti  en  notre 
Etat  5  que  le  due  de  Bouillon  devoit  donner  en- 
tree aux  etrangers  en  ce  royaume  par  Sedan  ; 
que  notre  tres-cher  frere,  le  due  d'Orleans,  devoit 
marcher  a  leur  tete ;  et  que  ce  miserable  esprit 
se  devoit  retirer  avec  eux,  s'il  voyoit  nepouvoir 
mieux  servir  ce  parti,  et  miner  notre  cousin  le 
cardinal  de  Richelieu  en  demeurant  aupres  de 
nous.  Nous  apprimes  que  le  roi  d'Espagne  de- 
voit fournir  a  ce  parti  douze  mille  hommes  de 
piedet  cinq  mille  chevaux  ;  qu'il  lui  devoit  don- 
ner quatre  cent  mille  ecus  de  pension ,  et  au 
due  de  Bouillon  et  au  grand  ecuyer  a  chacun 
quaraiite  mille  ecus;  et  qu'en  outre  il  devoit  mu- 
nir  la  place  de  Sedan  et  en  payer  la  garnison. 
Gette  connoissance  nous  fit  resoudre  de  fairear- 
reter  le  due  de  Bouillon,  et  avoir  tellement 
I'oeil  aux  deportemens  de  notre  frere  le  due 
d'Orleans ,  qu'il  ne  nous  put  faire  le  mal  qu'il 
avoit  projete.  Dieu  benit  tellement  nos  resolu- 
tions, que  le  due  de  Bouillon  fut  trouve  cache 
dans  le  foin ,  oil  il  s'etoit  mis  pour  pouvoir  en- 
suilese  retirer  dans  le  Miianois.  Au  meme  temps 
notre  cher  frere  le  due  d'Orleans  ,  presse  par  sa 
conscience  et  par  le  mauvais  succes  qu'avoient 
eu  ses  mauvais  desseins,  nous  envoya  J'abbe  de 
La  Riviere  pour  nous  dire  en  general  qu'il  avoit 
failli  et  avoit  besoin  de  notre  grace,  sans  speci- 
fier particulierement  en  quoi.  Nous  repondimes 
quebien  qu'il  diit  etre  las  de  nous  offenser,  et 
d'agircontre  lui-meme,  agissant  contre  nous  et 
contre  I'Etat ,  nous  ne  voulions  pas  nous  lasser 
d'user  de  notre clemenceenvers  lui;  qu'en  cette 
consideration  nous  desirions  qu'il  nous  donnat 
une  entiere  et  sincere  confession  de  sa  iaute, 
une  declaration  particuliere  de  tous  ses  des- 
seins ,  de  tous  ses  complices,  et  de  tous  les  pro- 
jets  qui  avoient  ete  faits  pour  troubler  notre 
Etat ,  et  qu'en  ce  cas  il  rccevroit  des  effets  de 
notre  bonte.  Nous  aurons  I'ocil  a  sa  conduite  , 

17 


2/)S 


JULVIIOX     l)R    FOXTUAILLES. 


et  agirons  avec  lui  selon  que  le  bieu  de  noire 
Etat  le  i-equerra ,  sans  toutefois  nous  separer 
du  bon  naturel  dent  il  a  recu  tant  de  preuves. 
L'importanee  de  cette  affaire  nous  a  oblige  de 
vous  en  donner  avis,  pour  voiis  convier  a  rendre 
"races  a  Dieu  de  ['assistance  continueile  qu'il 
lui  plait  nous  departir,pour  garantir  leroyaume 
des  mauvais  desseins  qui  se  font ,  tant  au  de- 
hors qu'au  dedans  d'icelui ,  pour  en  troubler  la 
prosper  ite. 

»  Au  reste ,  les  experiences  que  nous  avons 
faites  de  votre  fideiite,  en  differentes  occasions, 
font  que  nous  sommes  tres-assure  que,  si  elle 
etoit  capable  d'accroisseraent ,  vous  la  redou- 
bleriez  en  ces  rencontres,  oil  la  malice  de  tant 
de  mauvais  esprits  fait  voir  que  nos  bonnes  in- 
tentions out  besoin  d'etre  secondees.  Cependant 
nous  vous  assurous  qu'il  n'y  a  rien  que  nous  ne 
voulions  faire  pour  votre  avantage  en  toutes 
les  rencontres. 

"  Donne  a  Fontainebleau  le  6  d'aout  1642. 

»  Signe  Louis  ;  et  plus  has,  de  Lomenie. 

..  A  nos  ames  et  feaux  conseillers ,  les  gens 
tenant  notre  cour  de  parlement  a  Paris.  » 

Le  meme  jour,  G  d'aoiit,  la  copie  de  cette 
lettre  fut  envoy ee  a  M.  de  Montbazon  ,  gouver- 
neur  de  Paris,  ou  il  n'y  a  autre  changement  si- 
non  que  le  Roi  parle  au  singulier ,  au  lieu  quil 
parle  au  pluriel  a  messieurs  du  parlement.  II  y 
a  de  plus  ces  mots  dans  la  lettre  du  due  de 
Montbazon  : 

«  Le  Roi  d'Espagne  devoit  donner  au  due 
d'Orleans  quatre  cent  mille  ecus  pour  faire  des 
levees  en  France,  et  six  vingt  raille  ecus  de 
pension.  »  Ce  qui  est  plus  vraisemblable  que 
ce  qui  est  dans  la  lettre  au  parlement. 

Cette  lettre  fut  composee  par  le  cardinal  et 
donnee  au  Roi.  Le  secretaire  d'Etat  ordinaire , 
qui  etoit  M.  le  comte  de  Brienne,  la  signa , 
parce  qu'il  signe  toutes  les  lettres  qui  s'adres- 
sent  au  parlement. 

n. 

Lettre  de  Cinq-Mars ,  ecrlte  a  sa  mere  aprcs 
la  prononciation  de  son  arret  de  mort. 

'<  Madame  ma  tres  -  chere  et  tres  -  honoree 
mere ,  je  vous  escris  parce  qu'il  ne  m'est  plus 
perrais  d'esperer  de  vous  voir  pour  vous  conju- 
rer ,  Madame ,  de  me  rendre  deux  marques  de 
vostre  derniere  bonte;rune,  Madame,  en  don- 
nant  a  mon  ame  le  plus  de  prieres  qu'il  vous 
sera  possible  ,  ce  qui  sera  pour  mon  salut ;  et 
I'autre,  soit  que  vous  obtenies  du  Roy  le  bleu 
(jue  j'ai   emploie  dans  ma  charge  de  grand - 


ecuyer ,  et  ce  que  j'en  pouvois  avoir  d'autre 
part  auparavant  qu'il  fust  confisque ,  ou  soit 
que  cette  grace  ne  vous  soit  pas  accordee  ,  que 
vous  ayez  assez  de  generosite  pour  satisfaire  a 
mes  creanciers.  Tout  ce  qui  depend  de  la  for- 
tune est  si  peu  de  chose,  que  vous  ne  me  deb- 
vez  pas  refuser  en  la  derniere  supplication  que 
je  vous  fais  pour  le  repos  de  mon  ame.  Croies- 
moy,  IMadame,  en  cela  plus  tost  que  vos  senti- 
mens,  s'ils  repugnent  a  mon  souhet,  puisque, 
ne  fesant  plus  un  pas  qui  ne  me  conduise  a 
la  mort ,  je  suis  plus  capable  que  qui  que  ce 
soit  de  juger  de  la  valeur  des  choses  de  cc 
raonde. 

''  Adieu  ,  Madame,  et  me  pardonnes  si  je  ne 
vous  ay  pas  assez  respectee  autant  que  j'ay  ves- 
cu,  et  vous  asseures  que  je  meurs,  Madame 
ma  tres-chere  et  honoree  mere ,  vostre  tres- 
humble,  tres-obeissant  et  tres-oblige  filset  ser- 
viteur, 

»  H.  d'Effiat  de  Cinq-Mars.  » 


ILL 


Lettre  de  M.  de  Thou ,  ecrite  a  la  princesse  de 
Guemenee,  apres  la  prononciation  de  son 
arret  de  mort. 

'<  Madame  ,  je  ne  vous  ay  jamais  eu  de  I'o- 
bligation  entoute  ma  vie  qu'aujourd'hui,  qu'es- 
tant  pres  de  la  quitter ,  je  la  pers  avec  moins  de 
peine  parce  que  vous  me  I'avez  rendue  assez 
malheureuse.  J'espere  que  celle  de  I'autre 
monde  sera  bien  differente  pour  moy  de  celle* 
cy ,  et  que  j'y  trouveray  des  felicites  autant  par- 
dessus  I'imagination  des  hommes  qu'elles  doi- 
vent  etre  dans  leurs  esperances ;  la  mienne , 
Madame,  n'est  fondee  que  sur  la  bonte  deDieu 
et  le  merite  de  la  passion  de  son  fils ,  seule  ca- 
pable d'effacer  mes  pecbes,  dontj'estois  rede- 
vable  a  sa  justice,  et  qui  sont  a  un  tel  excez 
qu'il  n'y  a  rien  qui  les  surpasse  que  celai  de  sa 
misericorde.  Je  vous  demande  pardon  de  tout 
mon  coeur,  Madame  ,  de  toutes  les  choses  que 
j'ay  faictes  qui  vous  ont  pu  deplaire,  et  fais  la 
mesme  priere  a  toutes  les  personnes  que  j'ay 
hayes  a  vostre  occasion  ;  vous  protestant ,  Ma- 
dame ,  qu'autant  que  la  fideiite  que  je  doibs  a 
mon  Dieu  me  le  doit  permettre  ,  je  meurs  trop 
asseurement ,  Madame ,  votre  tres-humble  et 
tres-obeissant  serviteur, 


De  Tnoii. 


Le  lundi  12  septembrr  l(;i2. 


HKLATIO-N    1>K    FO>{TJ\ A ILLKS. 


2.^.9 


IV. 


1  Lettre  de  M.  de  Marca^  conseiller  d'Etat ,  a 
M.  de  Brienne ,  secretaire  d'Etat,  laquelle 
r     fait  mention  de  tout  ce  qui  s'est  passe  a 
!      Vinstruction  duproces  de  messieurs  de  Cinq- 
Mars  etde  Thou. 

«  Monsieur, 

» J'ai  cru  que  vous  auriez  pour  agreable  d'etre 
informe  des  choses  prineipales  qui  sesont  pas- 
sees  au  jugement  qui  a  ete  rendu  contre  mes- 
sieurs le  Grand  et  de  Thou ;  c'est  pourquoi  j'ai 
pris  la  liberie  de  vous  en  donner  connoissance 
par  ceile-ci.  M.  le  chancelier  commenca  par  la 
deposition  de  M.  le  due  d'Orleans  ,  laquelle  ii 
recut  en  forme  judiciaire  a  Villefranche  en 
Beaujolois  ,  ou  etoit  lors  Monsieur ,  dont  lec- 
ture lul  fut  faite  en  presence  de  sept  commis- 
saires  qui  assistoient  M.  le  chancelier.  En  cette 
action  il  declara  que  M.  le  Grand  I'avoit  sollici- 
te  de  faire  une  liaison  avec  lui  et  avec  M.  de 
Bouillon,  etde  traiter  avec  I'Espagne  :  ce  qu'ils 
auroient  resolu  eux  trois  dans  I'hotel  de  Venise , 
au  faubourg  Saint-Germain  ,  environ  la  fete  des 
Rois  derniere.  Fontrailles  fut  choisi  pour  aller 
a  Madrid ,  ou  il  arreta  le  traite  avec  le  corate- 
duc,  par  lequel  le  roi  d'Espagne  promettoit  de 
fournir  douze  mille  horaraes  de  pied  et  cinq 
mille  chevaux  de  vieilles  troupes ,  quarante 
mille  ecus  a  Monsieur  pour  faire  nouveiles 
levees  ,  et  douze  mille  ecus  de  pension  anuuelle 
a  messieurs  le  Grand  et  de  Bouillon.  Avec  cette 
arraee  ils  devoient  entrer  dans  la  France  du 
cote  de  Sedan,  qui  serviroit  de  place  de  siirete 
en  cas  de  besoin  ,  et  faire  les  progres  qu'ils 
pourroient  dans  le  royaume,  a  la  charge  de  ne 
rendre  aucune  place  de  celles  qui  seroient 
prises,  jusques  a  ce  que  la  paix  generale  fut 
faite ,  et  que  le  Roi  eut  rendu  a  I'Empire  et  a 
I'Espagne  toutes  les  places  qu'il  occupe  ,  meme 
celles  qu'il  a  cues  par  achat.  II  y  a  d'autres  ar- 
ticles qui  ont  ete  copies  ,  aussi  bien  que  lespre- 
cedens  ,  sur  le  traite  fait  avec  M.  le  comte.  Ce 
traite  fut  porte  par  Fontrailles  au  mois  de  mars 
a  M.  le  Grand  ,  qui  I'envoya  a  Monsieur  par  le 
comte  d'Aubijoux.  Monsieur  le  rompit  aussitot 
qu'il  apprit  que  M.  le  Grand  avoit  ete  arrete  ; 
et  neanmoins  il  retint  une  copie  ,  laquelle  a 
ete  representee  contre-signee  de  lui  et  du  se- 
cretaire de  ses  commandemens.  Apres  la  decla- 
ration de  Monsieur  ,  I'cn  a  procede  a  I'interro- 
gation  de  M.  le  due  de  Bouillon  dans  le  chateau 
de  Pierre-Encise  en  cette  ville.  M.  le  chance- 
lier, assiste  deM.  de  Laubardemont  et  de  nioi, 


y  vaqua  une  apres-dinee.  Ledit  sieur  de  Bouil- 
lon accorda  par  ses  reponses  ce  qui  regardoit 
la  liaison  avec  Monsieur  et  le  traite  d'Espaane 
quoiqu'il  dit  qu'il  ne  I'eut  pas  approuve.  M.  le 
Grand  fut  interroge  dans  le  chateau  par  M.  le 
chancelier,  assiste  de  quatre  commissaircs.  Ii 
denia  toutes  choses  avec  beaucoup  de  fermete. 
Deux  jours  apres  on  lui  confronta  au  meme  lieu 
M.  de  Bouillon  :  ce  qui  ne  I'obligea  pas  a  re- 
connoitre son  crime ,  quoiqu'il  pariit  extrcme- 
ment  surpris  de  la  confession  dudit  sieur  due 
de  Bouillon.  Ensuite  on  lui  fit  lecture  de  la  de- 
position de  Monsieur.  Apres  Tavoir  interpelle 
de  donner  des  reponses  s'il  en  avoit ,  il  denia 
comme  auparavant.  Le  proces-verbal  fut  fait 
sur  cette  lecture  de  la  deposition  de  Monsieur , 
qui  s'etoit  approche  de  Lyon ,  etant  venu  au 
lieu  de  Vivay,  qui  n'est  qu'a  deux  lieues.  M.  le 
chancelier  I'interrogea  de  nouveau  sur  ces  con- 
treditsdes  accuses,  en  presence  de  sept  commis- 
saircs; il  persista  en  tout  ce  qui  etoit  contenu 
en  sa  deposition.  Ensuite  M.  le  Grand  fut  oui 
sur  la  sellette  dans  la  chambre  du  presidial  de 
Lyon,  ou  il  confessa  ingenument  la  liaison  avec 
Monsieur  et  M.  de  Bouillon,   et  le  traite  fait 
avec  I'Espagne  :  sur  quoi  il  fut  condamne.  Pour 
M.  de  Thou,  il  etoit  charge  par  Monsieur  de  lui 
avoir  dit  qu'il  savoit  la  liaison  avec  M.  de  Bouil- 
lon et  M.  le  Grand,  et  que  M.  de  Bouillon  bail- 
loit  a  Monsieur  la  place  de  Sedan  pour  retraite; 
et  de  plus,  d'avoir  parle  a  M.  de  Beaufort  pour 
I'engager  au  parti ,  et  d'avoir  rapporte  a  Mon- 
sieur qu'il  I'avoit  trouve  froid.  II  etoit  charge 
par  M.  de  Bouillon  qu'il  I'avoit  engage  en  ami- 
tie  avec  M.  le  Grand  ,  et  qu'il  leur  avoit  donne 
toutes  les  assignations  de  leur  entrevue  ,  meme 
de  celle  apres  laquelle  lesdits  sieurs  le  Grand 
et  de  Bouillon  se  separerent  d'avec  M.  de  Thou 
a  minuit,  a  la  place  Royale ,  d'ou  ils  etoiental- 
les  a  I'hotel  de  Venise  conclure  le  traite  d'Es- 
pagne avec  Monsieur.  On  lui  confronta  les  de- 
positions de  M.  de  Bouillon  ;  il  accorda  a-peu- 
pres  ce  que  disoit  celui-ci,  mais  il  nia  ce  que 
Monsieur  disoit  contre  lui ,  comme  aussi  ce  que 
disoit  le  lieutenant  des  gardes  de  M.  de  Bouil- 
lon, savoir :  qu'il  lui  avoit  un  jour  donne  charge 
de  dire  a  M.  de  Bouillon  qu'il  eut  desire  ie 
voir  ,  car  Monsieur  etoit  un  etrange  homme. 
Plusieurs  de  nous  etions  disposes  a  ne  le  con- 
damner  pas  sur  ces  preuves ;  mais  il  arriva  que 
M.  le  Grand ,  oui  sur  la  sellette,  dit  que  M.  de 
Thou  avoit  su  le  traite  d'Espagne ,  et  I'avoit 
improuve.  Ledit  sieur  le  Grand  persistant ,  le- 
dit sieur  de  Thou  ,  au  lieu  de  se  tenir  dans  sa 
denegation,  accorda  qu'il  avoit  eu  connoissance 
du  traite  par  Fontrailles  a  Carcassonne ;  qu'il 


l^fiO 


KELATION    1)E    FONTRAILLES. 


I'avoit  blame  ,  et  ne  Tavoit  point  decouvert  de 
peur  d'etre  accuse  par  les  complices;  qu'il  fai- 
soit  etat  d'aller  en  Italic  ,  et  de  voir  en  cherain 
le  sieur  de  Bouillon,  pour  le  detourner  de  cette 
entreprise;  qu'il  croyoit  que  ce  traite  n'etoit 
point  en  terme  de  nuire  a  I'Etat ,  a  cause  qu'il 
falloit  avoir  plutot  defait  M.  de  Guebriant.  La 
confession  du  traite  sans  I'avoir  revele,  jointe 
aux  preuves  qui  sont  au  proces  des  entremises 
pour  la  liaison  des  complices,  et  le  temps  de 
six  semaines,  ou  plus,  qu'il  avoit  demeurepres 
de  M.  le  Grand ,  iogeant  dans  sa  maison  pres 
de  Perpignan,  le  conseillant  en  ses  affaires, 
apres  avoir  eu  connoissance  que  ledit  sieur  le 
Grand  avoit  traite  avcc  lEspagne ,  et  partant 
qu'il  etoit  criminel  de  lese-majeste  :  tout  cela 
joint  ensemble  porta  les  juges  a  lecondamner, 
suivant  les  lois  et  ordonnances  qui  sont  ex- 
pressement  contre  ceux  qui  ont  su  une  conspi- 
ration contre  I'Etat  et  ne  I'ont  pas  revelee,  en- 
core que  leur  silence  ne  soit  point  accompagne 
de  tant  d'autres  circonstances  qui  etoient  en 
I'affaire  dudit  sieur  de  Thou.  II  est  mort  en  vrai 
Chretien,  en  homrae  de  courage  :  cela  merite 
un  grand  discours  particulier.  M.  le  Grand  a 
aussi  temoigne  une  fermete  toujours  egaie  ,  et 
fort  resolu  a  la  mort,  avee  une  froideur  admi- 
rable ,  une  Constance  et  une  devotion  chre- 
trennes.  Je  vous  supplie  que  jequitte  cediscours 
funeste,  pour  vous  assurer  que  je  continue  dans 
les  respects  que  je  dois  ,  et  le  desir  de  paroitre, 
par  les  effets,  que  je  suis,  Monsieur,  voire  tres- 
humble  et  obeissant  serviteur , 


"  Mat.ca. 


De  Lyon^  ce  IG  septembrc  1642. 


V. 


Hclaiion  de  tout  ce  qui  s'est  passe  depni/;  la 
detention  de  ItlM.  le  Grand  et  de  Thoujus- 
(/u'a  leur  mort. 

M.  de  Cinq-Mars  entra  a  Lyon,un  jeudi  qua- 
triesme  de  scptembre  mil  six  cent  quarante- 
deux  ,  sur  les  deux  heures  apres  midi ,  dans  un 
carrosse  ii  quatre  chevaux  ,  et  dans  lequel  il 
y  avoit  quatre  gardes-du-corps ;  devant  mar- 
choient  deux  cents  cavaliers  ma!  montes,  la  plu- 
part  Catalans,  puis  cent  hommes  de  pied  de  bonne 
mine;  apres  le  carrosse  suivoient  trois  cents  ca- 
valiers bien  fails,  dont  les  premiers  esloientdes 
gardes  de  monseigneur  le  cardinal  due  de  Ri- 
chelieu. M.  de  Cinq-Mars  estoit  vestu  de  drap 
de  HoUande,  couleur  de  mure,  tout  convert  de 
dentelles  d'or,  avec  un  manteau  d'escarlatle  con- 


vert de  galons  d'argent  et  gros  boutons  a  queue. 
Quand  il  fut  sur  le  pont  du  Rosne  ,  il  demanda 
a  M.  de  Serlon  ,  lieutenant  des  gardes  du  Roy, 
qui  estoit  a  cheval  pres  la  portiere ,  s'il  agree- 
roit  que  Ton  fermast  le  carrosse  :  cequi  lui  fust 
refuse.  II  passa  sur  le  Pont-de-Bois,  par  la  rue 
Saint-Jean  et  le  Change ;  tout  le  peuple  de  la 
ville  estoit  par  les  rues,  et  lui  ne  faisoit  autre 
chose  que  de  se  montrer  seuleraent  a  I'une  et  a 
I'autre  portiere,  saluant  tout  le  monde  jusqu'aux 
pauvres  qui  esloient  sur  le  pont,  avec  des  souri.s 
qui  tiroient  des  larmes  de  lout  le  peuple;  mesrae 
en  la  rue  de  Flandres  et  ailleurs  il  salua  plu- 
sicurs  personnes ,  les  nommant  tout  haut  et  sor- 
tant  a  demi-corps  du  carrosse.  Estant  arrive  a 
Pierre-Seise,  il  fust  fort  surpris  quand  on  luy 
dicldedescendre  du  carrosse,  et  montant  diet : 
'<  Yoyci  done  le  dernier  logis  que  je  feray.  »  II 
croyoit  auparavant  aller  au  bois  de  Vincennes  , 
car  il  avoit  demande  a  ses  guides  s'ils  ne 
croyoient  pas  qu'on  luy  permist  d'aller  a  la 
ehasse.  Sa  prison  estoit  au  pied  de  la  grande 
tour ;  elle  n'avoit  point  d'autre  vue  que  deux 
petites  fenestres  qui  tomboient  sur  un  petit 
jardin;  aubasdesdites fenestres,  il  y  avoit  corps- 
de-garde  et  dans  sa  chambre  aussi ,  oii  M.  de 
Serton  avec  quatre  gardes  couchoient  et  assis- 
toient  incessamment ;  dans  rarriere-charabre  , 
de  m^me ,  et  a  toutes  les  portes  autant. 

M.  le  cardinal  de  Bichy  le  fust  voir,  le  len- 
demain  cinquicsme,  et  luy  demanda  s'il  agree- 
roit  qu'on  luy  envoyat  quelqu'uu  avec  qui  il 
pcust  s'entretenir  pour  divertir  I'ennuy  de  sa 
prison  ;  il  respondit  qu'il  en  seroit  tres-ayse  ,, 
mais  qu'il  ne  meritoit  pas  que  personne  prit 
cette  peine. 

Le  mesme  jour  cinquiesme,  M.  le  chancelier 
le  fust  aussy  voir  et  le  traicla  fort  civilement , 
luy  disant  qu'il  n'avoit  point  de  sujet  de  crain- 
dre ,  mais  bien  d'esperer  toutes  choses ;  qu'il 
scavoit  bien  qu'il  avoit  a  faire  a  un  juge  qui 
n'avoit  garde  desire  ingrat  de  ses  bienfaits 
contre  son  bienfaiteur,  et  qu'il  se  souvenoit  tres- 
bien  que  c'esloit  par  ses  bonles  et  par  son  pou- 
voir  que  le  Roy  ne  I'avoit  pas  depossede  de  sa 
charge;  que  cette  faveur  estoit  si  grande qu'elle 
ne  meritoit  pas  seulemenl  un  souvenir  immortel, 
mais  des  reconnoissances  infinies,  et  que  ce  se- 
roit dans  cette  occas'on  qu'il  les  feroitparoistre. 

Le  sujet  de  ce  compliment  estoit  pris  sur  ce 
que  M.  le  Grand  adoucit  une  fois  le  Roy  qui  es- 
toit fort  en  colere  contre  M.  le  chancelier; 
pourtanl  la  veritable  cause  n'estoit  autre  que  la 
erainte  que  Ton  avoit  qu'il  ne  le  recusast  pour 
juge,  comme  estant  la  creature  de  M.  le  cardi- 
nal ,  et  que  Ton  diroit  qu'il  vouloit  faire  pour 


nELATlON    DE    FONTRAILLES. 


201 


estrc  sauve  par  Ic  pcupic  qui  raymoit  passion - 
j  neraent. 

I     M.  le  Grand  respondist  que  celte  civilite  le 

I  reraplissoit  de  honte  et  de  confusion  ;  «  mais  , 

'  dict-il ,  je  croy  bien  que  de  I'air  qu'on  procede 

■  a  mon  affaire  ,  on  en  \eut  a  ma  vie.  G'est  faict, 

de  raoy  ,  Monsieur  ,  le  Roy  m'a  abandonne  ;  je 

me  regarde  eomme  un  cadavre  a  qui  il  ne  reste 

que  queique  esprit ;  je  suis  une  victime  qu'on 

iramolera  : »  a  quoy  M.  le  chancelier  respondist 

que  ses  sentimens  n'estoient  pas  justes  et  qu'il 

en  verroit  les  experiences  contraires. 

Le  sixiesme,  M.  le  chancelier  le  fust  ouir,  ac- 
compagne  des  six  messieuis  des  requestes  ,  de 
deux  presidens  et  six  conseillers  du  parlement 
de  Grenoble ,  depuis  sept  heures  du  matin 
jusques  a  deux  heures  de  I'apres-disner. 

M.  le  cardinal  de  Lyon  fist  appeler  le  reve- 
rend pere  Malavalette,  de  la  compagnie  de  Je- 
sus ,  a  qui  il  donna  commission  de  Taller  voir 
toutes  les  fois  qu'il  le  demanderoit.  II  y  fut  le 
troisiesrae  jour  de  sa  prison,  sur  les  cinq  heures 
du  matin,  et  y  demeura  jusqu'a  huict. 

M.  le  Grand  estoit  dans  un  lit  de  damas  na- 
carat ,  incommode  d'un  devoyement  d'estomac 
qu'il  avoitgarde  pendant  son  voyage  et  qu'il  eust 
jusques  a  la  mort :  ce  qui  le  rendoit  tout  pasle 
et  mesme  tout  livide. 

Le  pere  Malavalette  sceut  si  bien  entrer  dans 
son  esprit,  qu'il  le  deraanda  mesme  jour  sur  le 
soir ,  et  puis  le  lendemain  au  matin  et  au  soir  , 
et  ainsi  tous  les  autres  jours.  Ledit  pere  rendist 
apres  compte  a  M.  le  chancelier  et  a  MM.  les 
cardinaux  ducde  Richelieu  et  deLion,  de  tous 
les  interrogatoires  ,  responses  et  entretiens  qu'il 
avoit  eus  avec  ledit  sieur  le  Grand;  a  quoi  il  sa- 
tisfist  parfaitement ,  principalement  le  cardinal 
de  Richelieu  ,  avec  lequel  il  demeura  fort  long- 
temps  ,  encore  qu'il  ne  se  laissast  voir  a  per- 
soune. 

Le  neuviesme  ,  M.  le  chancelier  avec  les  au- 
tres juges  partirent  de  Lyon  pour  aller  a  Vivay, 
oil  Monsieur ,  frere  du  Roy  ,  se  rendit  de  Ville- 
franche  oil  il  estoit,  et  les  pieces  furent  confron- 
tees.  Mondit  sieur  ,  frere  du  Roi ,  avoit,  quel- 
ques  jours  auparavant,  diet  a  M.  le  chancelier, 
qui  I'avoit  este  voir  a  Villefranche,  tout  ce  qu'il 
scavoit  dudit  sieur  le  Grand. 

Le  vendredi  douziesme,  tous  les  juges  sie- 
geoient  en  palais  presidial  de  Lyon,  ou  le  sieur 
de  Cinq-Mars  fust  traduict ,  sur  les  huict  heu- 
res du  matin  ,  du  lieu  de  Pierrc-Scise,  oil  il  es- 
toit prisonnier ,  dans  un  carrosse  de  louage , 
estant  du  coste  du  cocher  et  trois  gardcs-du- 
oorps  avec  luy.  II  estoit  evtrcsmemcut  pasle  et 
defaict  a  cause  de  son  indisposition  ;  passant 


par  les  rues  il  saluoit  souvent  le  pcupic  qui  y 
estoit  en  grande  foule  pour  le  voir  ;  il  estoit  ac- 
compagne  du  chevalier  du  guet  et  de  sa  com- 
pagnie d'archers  qui  alloit  devant  et  derriere  le 
carrosse. 

Estant  audit  palais,  il  fut  conduit  devant  scs 
juges,  oil  il  respondit  sur  la  sellette  et  confessn, 
apres  plusieurs  denegatious ,  tout  ce  que  Ton 
voulust  scavoir  de  lui ,  fist  toutes  ses  responses 
avec  tant  de  presence  d'esprit ,  de  tranquillite 
et  de  douleur ,  que  ses  juges  se  regardoient  les 
uns  les  autres  d'estonnement  et  d'admiration  , 
encettecontrainte,  de  ce  qu'ils  n'avoient  jamais 
veu  ny  oui  parler  d'une  Constance  plus  forte  ny 
d'un  esprit  plus  ferme  et  plus  clair. 

Par  apres  on  le  fist  retirer  de  la  presence  do 
ses  juges,  et  se  voulant  arrester  dans  une  chara- 
bre  qui  avoit  vue  sur  la  riviere  de  Saone ,  ses 
gardes  Ten  firent  sortir  promptement,  possible  a 
cause  que  dans  ce  mesme  temps  M.  le  cardinal- 
due  se  faisant  remonter,  sur  ladite  riviere,  pour 
son  depart  de  Lyon,  et  le  firent  passer  dans  une 
autre  chambre  oil  il  demeura  plus  d'une  heure 
avec  ses  gardes ,  pendant  lequel  temps  M.  le 
chancelier  reeueillit  les  voix  de  ses  juges ,  et 
sou  arrest  de  condamnation  fust  resolu ,  portant 
qu'il  auroit  la  teste  tranchee  sur  un  echaffaud, 
en  la  place  ordinaire  oil  Ton  defaict  les  crimi- 
nels,  parce  qu'il  estoit  criminel  de  leze-ma- 
jeste  en  premier  et  deuxiesme  chefs  ,  pour  trois 
causes,  et  que  auparavant  il  auroit  la  question 
ordinaire  et  extraordinaire,  affin  qu'il  nommast 
ses  complices. 

Cependant ,  sur  les  dix  heures  ,  M.  de  Thou 
fut  traduict  de  Pierre-Seise  au  palais,  dans  le 
mesme  carrosse,  accompagne  par  lesdits  archers 
du  guet.  Estant  au  hault  des  degres  et  sous  le 
portail  dudit  palais  ,  il  osta  un  juste-au -corps 
noir  qu'il  portoit ,  estant  vestu  de  la  mesme 
couleur  ,  et  prist  son  manteau  ;  fut  conduit  de- 
vant ses  juges  et  interroge  sur  la  sellette.  Apres 
les  ordinaires  demandes  ,  M.  le  chancelier  luy 
demanda  si  M.  d'Effiat  ne  luy  avoit  point  de- 
clare sa  conspiration ,  a  quoi  il  respondit  : 

«  Messieurs,  je  vous  puis  nyer  absolument 
que  je  I'aye  sceu ,  et  vous  ne  me  pouvez  pas 
convaincre  de  faux,  parce  que  vous  ne  pouvez 
scavoir  que  par  M.  de  Cinq-Mars  tout  seul 
que  je  le  sache  ;  car  je  n'en  ay  parle  ny  escript 
a  homme  du  monde.  Lors  un  accuse  ne  pent 
pas  accuser  un  autre  validement ,  et  on  ne  peut 
condamner  un  homme  a  la  mort  que  par  le  tes- 
moignage  de  deux  hommes  irreprochables : 
ainsi  vous  voycz  que  j'ay  ma  vie,  ma  mort  ,  ma 
condamnation  et  mon  absolution  dans  ma  pen- 
see ;  pourtant.   Messieurs  ,  j'advoue  el  je  con- 


2<i:<i 


WhLATION    nii    FONTUAILLES. 


lessc  que  j'ay  sceu  la  conspiration  ,  pour  deux 
laisons  : 

"  La  premiere ,  c'est  que ,  durant  les  trois 
mois  de  ma  prison ,  j'ay  si  bien  envisage  la 
mort  et  la  vie,  que  j'ay  cogneu  tres-elairement 
que,  de  quelque  vie  dont  je  puisse  jamais  jouir, 
elle  sera  malheureuse  ,  et  que  cette  mort  sera 
glorieuse,  puisque  je  la  tiens  pour  le  plus  assure 
tesmoignage  que  je  puisse  avoir  de  ma  predes- 
tination ,  et  que  je  suis  tres-bien  prest  a  mourir 
et  que  je  ne  me  trouverai  jamais  en  si  bonne 
disposition ,  c'est  pourquoi  je  ne  veux  pas  lais- 
ser  echapper  cette  occasion. 

>>  La  deusiesme  cause ,  est  que  mon  crime  soit 
notoirement  punissable  de  mort;  neantmoins 
vous  voyez  qu'il  n'est  ny  noir,  ny  enorme,  ny 
fort  estrange.  J'ai  sceu  la  conspiration ,  j'ai  faiet 
tout  mon  possible  pour  Ten  dissuader ;  11  m'a 
creu  son  amy  unique  et  fideie,  et  je  ne  I'ay  pas 
voulu  trahir  :  c'est  pourquoi  je  merite  la  mort; 
je  me  condamne  moi-mesme  par  la  loi  de  Quis- 
quis.  »  Et  ce  discours,  qu'il  prononca  avec  une 
vivacite  d'esprit  merveilleuse ,  estonna  si  fort 
ses  juges ,  qu'ils  ne  scavoient  se  rassoir  de  I'es- 
tonnement  oii  il  les  avoit  jettes.  II  n'y  en  avoit 
pas  un  qui  n'eust  passion  extreme  pour  conser- 
vera  la  France  la  plus  grande  esperance  de  la 
cour,  et  c'est  ainsy  qu'il  estoit  nomme  par  ses 
ennemis  mesmes.  La-dessus  I'on  le  fit  sortir;  et 
fust  condamne  M.  de  Thou  a  avoir  la  teste 
tranchee.  Et  sortant  de  la  saile ,  le  reverend 
pere  Manbrin  ,  de  la  compagnie  de  Jesus,  qui 
I'avoit  confesse  a  Pierre-Seise  ,  se  trouva  la,  a 
qui  il  diet ,  tout  transporte  de  joie  :  «  Allons  , 
mon  pere ,  allons  a  la  mort  et  au  ciel ,  allons  a 
Ja  vray  gloire.  Qu'ay-je  faict  en  ma  vie  pour 
Dieu  ,  disoit-il ,  qui  m'ayt  peu  obtenir  la  faveur 
que  je  recois  cejourd'huy  d'aller  a  la  mort  avec 
ignominie  pour  aller  plus  tost  a  la  gloire  ?  »  Et 
disant  cette  pensee,  incessamment  il  fut  con- 
duit en  la  chambre  de  M.  de  Cinq-Mars,  qui , 
d  abord  qu'il  I'eust  appercu  ,  courut  a  luy,  di- 
sant:  «  Amy,  amy,  queje  regrette  ta  mort!  » 
Kt  I'autre ,  en  I'embrassant  et  le  baisant :  «  Eh  ! 
dict-il ,  que  nous  sommes  heureux !  »  Et  I'un 
demandant  pardon  a  I'autre ,  ils  s'embrasserent 
cinq  ou  six  Ibis  de  suite,  avec  desextremitesd'un 
amour  inconcevable ,  qui  tiroit  des  larmes  de 
tous  les  gardes,  qui  fondoient  en  pleurs  a  ce  triste 
spectacle,  commequileseust  tireesd'un  rocher. 
Ledit  sieur  de  Thou  disant  plusieurs  fois  a 
M.  le  Grand  :  «  Quoy  1  Monsieur,  sommes-nous 
condanmes?  nous  a-t-on  prononce  quelque  ar- 
rest? »  A  quoi  M.  le  Grand  respondist  :  «  Cher 
amy,  un  peu  de  patience  nous  fera  scavoir  ce 
<HU'   nous   deviendrons.  '■  Et   recommencerent 


leurs  embrassemens,  pendant  lesquels  quatre  de 
leurs  juges  survindrentavec  le  greffier,  qui  leur 
dirent :  «  Messieurs ,  vous  etes  condamnes.  » 
A  I'instant  le  greffier  les  pria  de  se  mettre  a 
genoux;  lors  ledict  sieur  le  Grand,  regardant 
M.  de  Thou  :  «  Amy,  amy,  dit-il,  vous  allez 
estre  hors  d'inquietudes.  «  Puis  ledict  sieur  de 
Thou  se  mist  a  genoux ,  baisa  la  terre  ,  et  le- 
dict sieur  le  Grand ,  cherchant  un  lieu  pour  s'ap- 
puyer,  se  mist  en  un  coin  de  la  chambre,  un 
genou  en  terre ,  tenant  son  chapeau  de  la  main 
gauche ,  appuye  sur  le  coste  d'une  facon  toute 
cavaliere;  et  ainsi  entendoient  tous  deux  la 
prononciation  de  leurs  arrests ,  avec  une  Cons- 
tance et  resolution  admirables. 

Mais  sur  la  fin ,  M.  le  Grand  ayant  ouy  par- 
ler  de  la  gehenne  ,  il  diet  a  ses  juges,  avec  cette 
memedouleur  : «  Cette  question.  Messieurs,  me 
semble  bien  rude,  et  une  personne  de  mon  age 
et  de  ma  condition  ne  devroit  pas  estre  sujette 
a  toutes  ces  formalites.  Je  scay  bien  ce  que  c'est 
que  des  coustumes  de  la  justice;  maisje  scay 
aussy  que  c'est  que  ma  condition.  J'ay  tout  diet, 
je  diray  tout  sur  quoy  Ton  m'interrogera.  Je 
prends  la  mort  en  gre  et  de  grand  coeur,  et  apres 
cela ,  la  question ,  Messieurs ,  j'advoue  ma  foi- 
blesse,  voila  ce  qui  me  fait  bien  de  lapayue.  » 
II  poursuit  ce  discours  durant  quelque  temps 
avec  tant  de  douceur,  que  la  pitie  ne  permettoit 
a  ses  juges  de  luy  contredire  ny  raeme  de  lui 
rcspondre. 

Le  pere  Malavalette  entra  alors  dans  la 
chambre  et  I'embrassa,  luy  demandant  qu'est-ee 
qu'il  desiroit  de  ces  messieurs ,  qui  estoient  si 
civils,  qu'il  pouvoit  esperer  d'eulx  tout  autant 
que  du  Roy.  <■  Ce  n'est  rien  ,  mon  pere,  dict-il; 
je  leur  advoue  une  de  mes  foiblesses ,  et  j'ay 
bien  de  la  peine  a  me  soumettre  a  recevoir  la 
question  :  cela  me  travaille  bien  ,  non  pas  pour- 
tant  de  I'apprehension  du  mal ,  car  je  vais  a  la 
mort  avec  joie ,  mais  c'est  que  j'ay  tout  dit. »  Et 
alors  le  pere  I'embrassant ,  lui  dit : «  Monsieur, 
soyez  hors  de  peine  ,  vous  n'avez  pas  a  faire  a 
des  juges  impitoyables,  puisqu'ilsdonnentdesja 
des  larmes  a  vostre  affliction.  »  Et  tout  inconti- 
nent il  tira  a  part  doux  maistres  des  requestes 
qui  estoient  dans  la  chambre,  et  leur  diet  qu'ils 
ne  cognoissoient  pas  cet  esprit ,  qu'ils  voyoient 
I'extreme  violence  qu'il  faisoit  a  son  naturel; 
qu'il  ne  failloit  pas  si  fort  esbranler  sa  vertu 
pour  le  renverser.  Comme  il  continuoit,  deux 
autres  juges  survindrent,  qui  lui  dirent  en  se- 
cret qu'il  ne  souffriroit  pas  la  question ,  mais 
qu'ils  I'avoient  condamne  pour  garder  les  for- 
malites. Tout  a  I'heure  le  pere  alia  trouver  M.  le 
Grand,  et,  le  tirant  d'aupres  des  gardes,  lui 


KKLATIOM     l)h    1- ON  THAI  LLhS. 


203 


diet  :  «  Monsieur,  estes-vous  capable  d'un  se- 
cret important?  »  Sur  quoi  il  luy  diet  :  "  Mon 
pere,  je  vous  prie  de  croire  qne  je  n'ay  jamais 
este  inlidelle  a  personne,  qu'a  Dieii.  — Eli  bien  ! 
luy  diet  le  pere,  vous  n'avez  pas  la  question  , 
ny  mesme  n'y  serez  presente ;  prenez  seulement 
la  peine  d'aller  a  la  chambre,  oil  je  vous  accom- 
pagnerai  pourestre  caution  de  ma  parolle.  »  lis 
furent  a  cette  chambre  ou  M.  le  Grand  vid  seu- 
lement les  cordes,  et  fut  interroge  sur  quelques 
points  :  a  quoy  il  satisfist  fort  amplement,  de- 
meurant  plus  d'un  quart-d'heure  a  faire  escrire 
son  testament  de  mort ,  qu'il  dicta  mot  pour 
mot,  avec  eloquence  admirable  et  sans  aucune 
emotion  d'esprit ,  prit  la  plume  et  signa  tout  ce 
qu'il  avoit  diet. 

II  fut  conduit  dans  la  chambre  oil  estoit 
M.  de  Thou  avec  son  coufesseur,  oil  ils  recom- 
mencerentdenouveauleursembrassemens;puis, 
se  retirant  au  fond  de  sa  chambre,  ils  parle- 
rent  ensemble  environ  demie-heure  avec  grande 
affliction  qu'ils  tesmoignoient  par  des  gestes  et 
des  exclamations  qu'ils  faisoient  sans  cesse. 

Durant  ce  temps ,  le  pere  Malavalette  pria 
les  juges  qui  estoient  la  de  luy  promettre  qu'ils 
ne  seroient  point  lies ,  et  qu'ils  ne  verroient 
point  le  bourreau  que  quand  il  leur  devroit  don- 
ner  le  coup  :  ce  qu'il  obtintapres  quelques  diffi- 
cultes.  Sur  ce  temps  M.  le  Grand  embrassa 
M.  de  Thou ,  et  finit  son  discours  par  cette  belle 
parolle  :  «  Cher  amy,  allons  penser  a  Dieu;  al- 
iens travailler  et  employer  le  reste  de  notre  vie 
a  nostre  salut  eternel. —  C'estbien  diet,  n'est-ce 
pas,  mon  pere?»  dit  M.  de  Thou  a  son  coufes- 
seur, en  le  prenant  par  la  main  a  un  coing  de 
la  chambre  ou  il  se  confessa.  M.  le  Grand  su- 
plia  les  gardes  de  lui  bailler  une  autre  chambre : 
ce  qu'ils  luy  refuserent ,  disant  que  celle-cy  es- 
toit assez  grande,  et  que,  s'il  luy  plaisoit  d'aller 
a  I'autre  coing,  il  se  confesseroit  commodement. 
Mais  M.  le  Grand  redoubla  ses  prieres  avec  tant 
de  douceur,  qu'il  obtint  une  chambre  oil  il  list 
une  confession  generale  de  toute  sa  vie  durant 
plus  d'une  grosse  heure ;  et  puis  escrivit  trois 
lettres,  I'une  a  madame  la  marechalle,  sa  mere, 
en  laquelle  il  la  prioit  de  faire  payer  deux  de 
ses  creanciers ,  auxquels  il  escrivit  une  lettre  a 
chacun.  Apres  il  diet  au  pere  qu'il  n'enpouvoit 
plus ,  et  qu'il  y  avoit  vingt-quatre  heures  qu'il 
n'avoit  rien  pris.  Sur  quoy  le  pere  pria  son  com- 
pagnon  d'aller  querir  du  vin  et  des  oeufs ,  et , 
les  apportant  I'un  et  I'autre,  il  le  pria  de  lais- 
ser  le  tout  sur  la  table.  Apres  qu'ils  furent  sor- 
tis ,  le  pere  luy  presenta  a  boire;  mais  il  ne 
voulut  que  se  raffraichir  la  boiiche  et  n'avala 
rien  du  tout. 


Cependant  M.  de  Thou  s'estoit  confesse  et 
avoit  escript  deux  lettres  avec  une  promptitude 
merveilleuse,  et  puis,  se  promenant  en  cette 
chambre  a  grands  pas ,  il  recita  a  haute  voix  le 
Miserere  avec  une  ardeur  d'esprit  incroyable , 
des  tressaillemens  de  tout  le  corps  si  violens, 
qu'on  eust  diet  qu'il  ne  touchoit  pas  terre  et 
qu'il  alloit  sortirhors  de  luy-mesme;  il  repetoit 
plusieurs  fois  les  mesmes  versets  avec  des  fortes 
exclamations  comme  des  oraisons  jaculatoires  , 
disant  encores  quelques  passages  de  saint  Paul 
et  d'autres  de  I'Ecriture;  puis,  revenant  au  Mi- 
serere^  et  disant  cent  fois  de  suicte  :  Secundum 
magnam  misericordiam  iuam.  Pendant  ses 
prieres,  plusieurs  gentilshommes  le  furent  sa- 
luer;  mais  il  les  escartoit  tons  avec  le  bras, 
disant  :  «  Je  ne  pense  qu'a  Dieu ,  je  ue  pense 
qu'au  ciel ,  je  suis  hors  du  monde.  » 

Un  gentilhomme  qui,  de  la  part  de  madame 
dePontac,  sasoeur,  qui  estoit  venue  en  cette  villc 
pour  interceder  pour  luy  et  luy  demander  s'il 
n'avoit  besoin  de  rien,auquel  il  luy  respondist: 
«  De  rien  ,  mon  amy,  si  ce  n'est  de  ses  prieres, 
si  ce  n'est  de  la  mort  pour  aller  a  la  gloire.  ■■ 
Et  comme  il  recommencoit  le  psalme  :  Credidi 
propter  quod  locutus  sum ,  etc. ,  un  pere  corde- 
lier, qui  I'avoit  confesse  aTarrascon,  luy  vint 
demander  quelle  inscription  il  vouloit  mettre  sur 
la  chapelle  qu'il  avoit  fondee  en  leur  Eglise;  il 
lui  respondit  :  «  Comme  il  vous  plaira,  mon 
pere.  »  Mais  comme  I'autre  le  pressoit ,  il  de- 
manda  une  plume ,  et ,  avec  une  vitesse  qui 
monstre  une  facilite  et  une  presence  d'esprit  ex- 
traordiuaires ,  sur  I'heure  merae  il  fist  cette 
inscription  :  Votum  in,  carcere  pro  libertate 
conceptum  ,  Franciscus  Augustus  Thuanus , 
jamjam  carcere  liberandus ,  meriti  persolvit. 
Confitebor  tibi  Domine  ^  in  toto  corde  meo  ^ 
quoniam  exaudisti  verba  oris  mei. 

Apres  qu'il  eust  la  plume ,  il  recommenca  a 
prier  avec  des  transports  plus  violens  et  de  si 
grands  efforts  de  tout  son  corps  qu'il  ne  pouvoit 
plus  se  soutenir,  tous  les  gardes  cstant  ravis  de 
ce  spectacle  qui  les  fesoit  fremir  de  respect  et 
d'horreur  et  les  faisoit  pleurer  de  compassion, 
jusqu'a  ce  qu'un  des  juges  vint  qui  demanda  ce 
que  Ton  attendoit  et  oil  estoit  M.  le  Grand  :  sur 
quoy  on  fist  heurter  a  la  chambre  de  M.  de 
Cinq-Mars ,  lequel ,  reconnoissant  ce  que  c'es- 
toit,  respondit  avec  une  douceur  admirable,  qu'il 
y  estoit  tout  a  I'heure.  II  tira  encore  le  pere 
Malavalette  en  un  coin  ,  oil  il  lui  paria  de  sa  con- 
science avec  des  sentimens  de  la  bonte  de  Dieu 
et  de  I'enormite  de  ses  offenses,  que  le  pere  ne 
peust  s'empecher  dc  I'embrasser  et  d'adoucir  eu 
sa  personne  la  force  de  la  grace  de  Dieu  et  ad- 


•2(it 


RELATION    DE    FONTBAtLLES. 


mirer  celle  de  I'esprit  de  riiomme.  Easortant, 
il  rencontra  M.  de  Thousur  les  degres  ,  et  s'es- 
tant  saluczils  s'encouragerent  I'un  Tautre  avec 
un  zele  et  une  joye  qui  faisoient  cognoistre  que  le 
Sainct-Esprit  avoit  remply  leurs  araes  et  leurs 
sens  de  ce  torrent  de  voluptc  qui  fait  le  bonlieur 
des  saints. 

Sur  le  has  des  degres ,  ils  rencontrerent  leurs 
juges  ausquels  ils  firent  chacun  un  beau  compli- 
ment, les  remerciant ,  de  la  douceur  qu'on  ne 
scauroit  ny  exprimerny  s'imaginer. 

Quand  ils  furent  sur  le  perron,  ils  regarderenl 
avec  attention  une  grande  foule  de  peuple  qui 
estoit  devant  le  paiais,  aux  fenestres  et  par  les 
toils  des  maisons,  les  saluerent  de  tous  les  cos- 
tes.  M.  de  Thou  ,  remarquant  qu'on  les  menoit 
au  supliee  en  carrosse  ,  diet  a  haute  voix  au  peu- 
ple :  '<  Messieurs ,  quel  exces  de  bonte  de  nous 
conduire  a  la  mort  en  carrosse,  nous  qui  meri- 
tons  d'estre  charriessurun  tombereau  ou  d'estre 
traisnes  sur  une  claye  !  »  Apres  ils  entrerent  en 
carrosse :  M,  le  Grand  et  M.  de  Thou  se  mirent 
au  fond ,  les  confesseurs  se  mirent  chacun  a  la 
portiere,  proche  son  patient,  et  les  deux  com- 
pagnons  desesperes  se  mirent  sur  le  devant ;  les 
gardes  du  carrosse  estoient  environ  cent  hommes 
du  guet  et  du  prevost ,  trente  cuirassiers  et  les 
officiers  de  la  justice. 

lis  coramencerent  ce  voyage  pitoyable  par  le 
recit  des  litanies  de  la  vierge.  Apres  M,  de  Thou 
embrassa  M.  le  Grand  par  quatre  fois  et  I'ex- 
horta  ,  non  pas  avec  le  zele  d'un  predicateur , 
mais  d'unseraphin,  luy  disantsans  cesse  : ..  Cher 
amy,  qu'avons-nous  fait  de  si  agreable  a  Dieu 
durant  notre  vie  qui  I'aye  oblige  nous  faire  cette 
grace  de  mourir  ensemble,  de  mourir  comme 
son  fils,  d'effacer  tous  nos  peches  par  un  peu 
d'infamie,  de  conquerir  le  ciel  par  un  peu  de 
honte  ?  Helas !  n'est-il  pas  vray  que  nous  n'avons 
rien  faict  pour  luy?  Ha!  sondons  nos  cocurs , 
espuisons  nos  larraes  et  rendons  actions  de  gra- 
ces, agreons  la  mort  avec  toutes  les  affections 
de  nos  ames.  » 

M.  de  Cinq-Mars  respondit  avec  divers  actes 
de  vertus  de  foi ,  de  contrition  ,  de  charite  ,  de 
resignation  ,  les  multipliant  tous  et  chacun  en 
son  particulier,  autant  de  fois  qu'il  y  avoit  d'a- 
mes  heureuscs  dans  le  ciel  ou  de  creatures  dans 
Tunivers;  durant  tout  lechemin  ils  nefirent  au- 
tre chose. 

Le  peuple  estoit  en  si  grande  foule  par  les 
rues  qu'a  peine  le  carrosse  pouvoit  rouler.  La 
desolation  estoit  si  grande,  qu'il  estoit  tres  as- 
seure  qua  si  un  chacun  eust  perdu  son  pere,  sa 
mcrect  tous  scs  parens,  il  n'y  eust  pas  eu  plus 
de  larmesetde  gi'missemcns :  c'est  unccho.se  .si 


lamentable  et  si  funeste  que  quelque  conside- 
ration qu'on  se  puisse  ilgurer,  elle  n'arrivera 
jamais  a  la  moitie  de  celle-cy. 

Quand  ils  furent  sur  la  descente  du  pont , 
M.  de  Thou  dit  £i  M.  de  Cinq-Mars : «  Eh  !  bien  , 
cher  amy ,  qui  mourra  le  premier  ?  —  Celuy 
que  vous  trouverez  bon  ,  luy  respondit-il.  »  Le 
pere  Malavallette,  prenant  la  parolle,  diet  a 
M.  dcThou  : «  Vousetes  le  plus  vieux,  Monsieur. 
—  II  est  vray ,  dict-il. —  Et  ensuite  vous  estes  le 
plus  genereux.  —  Fort  bien,  diet  M.  de  Thou 
a  M.  de  Cinq-Mars;  vous  voulez  m'ouvrir  le 
chemin  a  la  gloire.  —  Helas !  diet  M.  le  Grand, 
je  vous  ay  ouvert  le  precipice  ,  mais  precipitons- 
nous  a  la  mort  et  nous  surgirons  dans  le  ciel  et 
dans  la  gloire.  » 

Durant  le  reste  du  chemin,  M.  le  Grand  re- 
doublasans  cesse  ces  actes  d'araour,  serecom- 
mandant  aux  prieres  du  peuple  qui  le  saluoit , 
mettant  la  teste  hors  du  carrosse  et  disant  tout 
haut:  '<  Prlez  Dieu  pour  moy !  >>  ce  qui  esmeutsi 
fort  une  trouppe  dedamoiselles,  qu'elles  pousse- 
rent  un  cry  qui  toucha  si  fort  le  pere  Malavallette 
qu'il  ne  peust  retenir  ses  larmes,  et  que  M.  le 
Grand  I'ayantapercu,  luy  diet : « Quoy!  mon  pere, 
vous  estes  done  plus  sensible  a  mes  interests  que 
moy-mesme?  je  vous  prie  de  ne  me  pas  affliger 
par  vos  larmes.  » Pour  le  pere  Maubrun,  il  fust  si 
fort  esmeu  par  les  larmes  du  peuple ,  des  gardes 
et  des  juges,  que,  ny  dans  le  paiais,  ny  sur  le 
chemin  il  ne  peust  prononcer  un  mot ,  les  san- 
glots  estouffant  les  parolles  dans  sa  bouche.  M .  de 
Thou  passa  le  reste  du  voyage  en  disant  mille 
fois :  Credidl  propter  quod  locutus  sum ,  etc. , 
et  fist  promettre  au  pere  Malavallette  qu'il  le 
reciteroit  tout  entierement  sur  I'eschaffault. 

Le  lieu  oil  se  faisoit  I'execution  est  une  place 
publique  et  ordinaire  a  faire  justice,  nommee 
les  Terreaux,  au  milieu  de  laquelle,  des  les 
deux  heures  apres-raidy ,  se  rendirent  trois  pc- 
nons  avec  leurs  compagnies,  qui  pouvoient  faire 
trois  ou  quatre  cens  hommes  fort  bien  armez , 
ayant  eu  ordre  dece  faire  parM.  legouverneur 
qui  faisoit  tous  les  soirs  entrer  en  garde  ,  tant 
au  chasteau  de  Pierre-Seise ,  place  du  Change , 
qu'a  IHerberie ,  un  des  capitaines  bourgeois  de 
ladicte  ville.  Lesdites  trois  compagnies  lirent  un 
cercle  au  milieu  de  ladicte  place  des  Terreaux  , 
conduites  par  le  sergent-majorde  la  ville,  qui, 
les  ayant  mises  en  ordre  ,  fist  faire  un  cry  pai' 
les  tambours  desdictes  compagnies  de  cequ'ils 
avoient  a  observer  incontinent.  L'on  \int  dres- 
ser I'eschaffault  au  milieu  dudict  cercle  elevc 
d'environ  septa  huict  pieds  de  hault;  au  milieu 
d'iceluy  il  y  avoit  un  potcau  ou  pilot,  cslevc  au- 
dcssus  dcdcux  pieds,  sur  ioqucl  MM.  le  Grand 


RELATION    DE    KOMmAILLES. 


20/ 


I  et  de  Thou  devoient  avoir  la  teste  couppee.  L'on 
I  n'avoit  pas  accoustume  de  faire  telles  executions 
de  la  sorte ,  mais  n'y  ayant  point  de  bourreau 
>  proprea  la  faire  autrement,  il  fallut  mettre  iedit 
•:  pilot. 

Quand  lesdits  sieurs  le  Grand  et  de  Thou  fu- 
rent  arrivez  audict  lieu ,  qui  fut  sur  les  cinq  heu- 
res,  le  pere  Malavallelte  descendit  le  premier 
du  carrosse  et  prit  M.  le  Grand  par  la  main ,  a 
quiquelques  archers  vouloient  prendre  son  man- 
teau,  et  alors  il  deraandaaM.  Grand,  prevost 
de  Lyonnois  ,  a  qui  est-ce  qu'il  le  donneroit ;  le 
prevost  luy  diet  qu'il  estoit  en  sa  disposition. 
Quelques-uns  desdits  archers  dirent  qu'il  le  fal- 
loit  donner  aux  pauvres ;  ce  qu'il  agrea  et  le 
donna  au  compagnon  du  pere;  puis,  commeil 
se  vouloit  achemioer  vers  I'eschaffault ,  apres 
avoir  hausse  ses  chauses  (action  qui  luy  estoit 
ordinaire),  un  archer  du  prevost ,  nomme  Len- 
fray,  luy  prist  son  chapcau,  qu'il  luy  osta  incon- 
tinent des  mains  et  le  luy  remist  sur  sa  teste,  luy 
disant  qu'il  ne  faisoit  pas  bien,  et  monta  seul 
sur  I'eschaffault ,  convert  et  sans  estre  lye,  avec 
uneaddresseetgayetemajestueuse,  faisant  plus- 
tost  paroistre  qu'il  alloit  faire  une  action  de 
joye  que  de  tristesse.  Estant  sur  ledict  eschaf- 
fault,  la  premiere  action  qu'il  fist,  ce  fust  de 
hausser  encorres  ses  chausses,  puis  fist  un  tour 
sur  ledict  eschaffault ,  sa  teste  couverte ,  ou- 
vrant  les  bras  et  accomraodant  son  collet  avec 
beau  maintieu ,  puis  fist  un  autre  tour ,  et  sa- 
luant  de  tous  costez  le  peuple  fort  profondement 
et  avec  des  souris  et  une  douceur  charmante  ; 
sur  ce  temps,  le  pere  Malavallette  et  son  com- 
pagnon montcrent  et  I'aborderent ,  a  qui  il  de- 
manda  ce  que  l'on  vouloit  faire  de  ce  pilot  qui 
estoit  esleve  sur  ledict  eschaffault,  croyant  que 
l'on  luy  deust  couper  la  teste  comme  l'on  fait  a 
Paris.  Ayant  sceu  a  quoy  il  devoit  servir,  il 
jetta  son  chapeau  sur  ledict  eschaffault ,  se  mist 
agenoux  sur  un  petit  bilot  qu'il  y  avoitau  pied 
dudict pilot,  essaya  de  se  mettre  sur  ledict  pi- 
lot, demandant  comme  il  falloit  faire  et  s'il  se- 
roitbien  comme  cela  ;  puis,  s'estant  leve,  il  prist 
le  crucifix  de  la  main  du  pere,  I'adora,  I'em- 
brassaet  le  baisa  avec  une  douceur  inconceva- 
hle,  et  le  rendict  au  pere  qui  diet  au  peuple  de 
prier  Dieu  pour  luy ;  et  M.  le  Grand  ,  ouvrant 
les  bras  et  puis  joignant  les  mains  ,  fist  la  mesme 
demande.  Sui-  cela,  le  bourreau,  qui  estoit  raonte 
sur  I'eschaffault ,  qui  avoit  mis  un  sac  de  toile 
en  un  coing  d'iceluy,  convert  de  son  manteau, 
s'approchant  pour  le  deshabiller,  M.  le  Grand 
se  retira  ,  et  le  pere  fist  esloigner  ledict  bour- 
reau, puis  luy-mesme  ledeboutonna  et  son  com- 
pagnon luy  tira  son  pourpoinct.  M.  le  Grand, 


fouillant  dans  sa  pochc,  donna  quelque  chose 
au  compagnon  du  pere  :  l'on  tient  que  c'estoit 
un  rcleve-moustache  convert  de  diamans.  Le 
bourreau  se  presenta  encorres  derriere  luy  pour 
luy  coupper  ses  cheveux  ,  mais  il  se  retourna  et 
deraanda  les  cizeaux;  le  pere  les  prist  dela  main 
du  bourreau  et  luy  donna,  et  tout  a  I'heure  il 
appella  le  compagnon  du  pere  et ,  luy  donnant 
les  cizeaux ,  le  pria  de  luy  coupper  les  cheveux  ; 
ce  qu'estantlait,  il  se  remist  a  genoux  devant 
le  pilot,  prist  encorres  le  crucifix  qu'il  adora,  et 
pria  le  compagnon  du  pere  deluy  lenir  tousjours 
devant  les  yeux,  et  reciterent  ensemble  fAve 
maris  stella ,  etc.  ;  puis  le  pere  luy  donna  une 
medaille  ,  luy  fist  gaigner  I'indulgence,  baisa  le 
crucifix,  recent  I'absolution  et  embrassa  le  pere. 
qui  tint  un  grand  Miserere^  puis  le  baisa,  apres 
il  s'ajusta  encorres  une  autre  fois,  puis  s'estant 
releve  la  teste,  le  bourreau  croyant  que  son  ra- 
bat,  qui  estoit  cousu  a  sa  chemise,  luy  pouvoit 
erapescher  de  faire  I'execution,  a  cause  que  le 
vent  luy  faisoit  voltiger  ,  luy  descousit  :  ce 
qu'ayant  faict,  il  diet  audict  sieur  le  Grand  de 
se  bien  ajuster  et  embrasser  franchement  ledict 
pilot.  Alors  il  embrassa  ledict  poteau  et  s'ajusta 
dessus;  pendant  lequel  temps  le  bourreau  tirade 
son  sac  son  gros  couteau  de  boucher,  se  mist 
a  son  coste  gauiche,  luy  donna  un  coup  dudict 
gros  couteau  qui  le  tua ,  encorres  qu'il  laissast 
un  peu  de  peau  que  le  bourreau  couppa  par  un 
second  coup ,  luy  prenant  la  teste  par  les  che- 
veux en  frappant  ledict  second  coup;  puis  il 
jetta  la  teste  sur  I'eschaffault,  qui  tomba  aterre, 
qui  fust  a  I'instant  ramassee  et  remise  sur  ledict 
eschaffault.  L'on  remarqua  que  dans  le  temps 
que  les  deux  coups  furent  donnez,  le  corps,  qui 
estoit  a  genoux,  se  leva  droict  contre  ledict  pi- 
lot oil  il  demeura  ainsy  jnsques  a  ce  que  le  bour- 
reau luy  osta  les  bras  d'autour  d'iceluy,  ou  il 
estoit  si  fermeraent  attache  qu'il  sembloitqu'i! 
y  fust  lye  et  corde. 

Le  couteau  estoit  faict  a  la  facon  des  baches 
anciennes,  ou  bien  comme  celles  d'Angleterre ; 
le  bourreau  estoit  un  vieil  gaigne  deniers 
de  la  ville,  qui  n'avoit  jamais  faict  exercice,  et 
duquel  Ton  fust  contrainct  de  se  servir  a  cause 
que  I'executeur  ordinaire  avoit  eu  une  jambe 
rompue  depuis  uu  raois  ou  deux.  Le  peuple  es- 
toit si  nombreux  ,  tant  a  la  place  qu'aux  fenes- 
tres,  sur  des  echaffaulx  et  sur  les  toitzdes  mai- 
sons,  qu'il  ne  se  pouvoit  pas  dire  plus.  II  rompit 
le  profond  silence  qu'il  avoit  accorde  durant 
toute  faction  par  un  gemissement  effroyabic, 
quand  il  v it  lever  la  hache;  les  pleurs,  lessoupirs 
et  les  plaiiites  faisoient  un  bruit  et  un  tumulto 
si  horrible  que  Von  n'cust  sceu  oil  l'on  estoit. 


'2*i€> 


EEL.VTIO-N    DE    FONTBAlLLES. 


L'esecotieu  estaut  faicte  ,  le  pere  et  son  com- 
pagnon  descendirent  de  leschaffault  ,  et  le 
bourreaa  prist  le  corps  entre  ses  bras ,  le  porta 
a  Ton  des  boats  dudict  eschaffault ,  lay  osta 
des  gaDts  coapez  qa'il  avoit  aax  mains .  avec 
lesqnels  il  estoit  mort ,  poor  voir  s'il  navoit 
point  de  bagues ;  pais  lay  tira  son  baalt  de 
chausse  ou  estoient  attachez  des  bas  de  soye 
verts ;  e'estoit  le  mesme  habit  qu'il  avoit  lors- 
qn'il  entra  a  Lyon:  mist  le  tout  dans  son  sac  . 
lay  ayant  laisse  sealemeot  sa  chemise :  puis 
eouvrist  la  teste  et  son  corps  quil  mist  anprez 
d'un  drap  qae  le  compagnon  da  pere  lay  jetta 
sur  reschaftaalt;  jetta  son  manteaa  par-dessus, 
et  demeura ,  en  attendant  que  M.  de  Thou  fast 
iiionte. 

Cependant  M.  de  Thou  .  qui  durant  tout  ce 
temps-la  avoit  este  dans  le  carrosse  que  Ton 
avoit  ferme  ,  en  sortist  et  monta  sur  feschaf- 
fault  avec  taut  de  promptitude  que  Ion  eust 
diet  qu"il  voloit:  y  estant,  la  premiere  chose  qu"il 
fist ,  ce  fust  d'embrasser  le  bourreau.  [appelant 
son  pere  et  le  priant  de  ne  le  point  faire  lan- 
guir,  II  fist  deu5  tours  .  salua  le  peupl;;  de  tons 
les  costez  .  jetta  son  chapeau  en  un  coing.  apres 
il  se  despouilla  dans  un  moment  avec  layde  du 
bourreau  .  qui  luy  coupa  les  cheveux,  et  puis, 
eomme  le  pere  Maubrun  ne  pouvoit  pas  parler. 
tant  il  estoit  tousche  de  ce  triste  spectacle ,  il 
pria  le  pere  Malavalelte  qui  estoit  descendu 
quand  Ton  eust  execute  M.  de  Cinq-Mars  de 
monter  sur  I'eschaffault  au  lieu  de  luy  :  ce 
qu'il  fist,  lis  s'embrasserent  et  reciterent  a  haute 
voLx  :  Credidi  propter  quod  ioeutus  sum  .  etc.: 
et  apres  avoir  faict  et  diet  cent  exclamations 
avec  une  voix  forte  ,  avec  une  ferv  eur  de  sera- 
phin  et  avec  des  gestes  ou  plustost  des  trans- 
ports et  des  bailies  si  violentes  qu'on  eust  diet 


que  son  ame  senvoloit  au  ciel .  eslevaut  sob 
corps  de  terre,  il  baisa  plusieurs  fois  lecrucifii^ 
receut  Tabsolution ,  gaigna  I'lndulgence  .  et 
avant  que  de  mettre  la  teste  sur  le  poteau, 
baisa  le  sang  de  M.  le  Grand  qui  y  estoit  ,  de- 
manda  un  mouchoir  pour  se  bander,  disant  : 
•Messieurs,  vous  direz  que  je  suis  un  poltron  t: 
que  japprehende  la  mort :  »  et  luy  ayant  estc 
jette  deux  mouchoirs,  il  dit  :  >  Messieurs,  Dieu 
vous  le  rende  en  Paradis; »  il  fustbande  de  I'un 
d'iceux ,  puis  receut  ie  coup  qui  donna  sur  Tos 
de  la  teste ,  ne  fist  que  iescorcher ,  et  se  vou- 
lant  lever  tomba  a  la  renverse  du  coste  gauche, 
et  porta  la  main  ou  il  avoit  eu  le  coup,  le  boar- 
reau  le  voulant  frapper  sans  prendre  garde  qu'il 
aloit  fraper  sur  la  main  ,  le  frere  luy  frappa  le 
bras  :  le  bourreau  luy  donna  un  autre  coup  . 
qui  ne  fist  que  I'escorcher  sous  loreille  et  la- 
batist  entierement  sur  Teschaffault.  La  il  jetta 
les  pieds  en  lair  avec  grande  furie,  et  receut 
trois  coups  au  gosier  :  on  croit  que  ceux-la  le 
tuerent :  il  en  receut  encorre  deux  autres  apres 
qui  luy  separerent  la  teste.  Le  bourreau  I'ayar: 
despouille  porta  son  corps  luy  seul  dans  le  car- 
rosse ,  et  Vint  querir  celuy  de  M.  le  Grand .  le 
traisnant  le  long  de  reschelle  sans  qu'aucune 
personne  luy  aydast ,  et  les  ayant  mis  dans  le- 
diet  carrosse.  avec  leurs  restes ,  ils  furent  em- 
portes  dans  I'eglise  des  Feuillans ,  et  le  lende- 
main  celuy  de  M.  de  Thou  fust  embaume  et 
emporte  par  sa  soeur ,  madame  la  presidente  de 
Pontac;  celuy  de  M.  le  Grand  fust  enterre  sous 
les  balustres  de  leglise  desdits  Feuillans  par  !  = 
bonte  et  authorite  de  M.  Du  Gue .  tresorier  c 
France  a  Lyon  .  qui  lobtint  de  M.  le  chance 
lier.  Ainsy  moarurent  ces  deux  personnes,  . 
premier  plus  cavalierement  que  lautre  ,  ma:; 
tons  deux  fort  constamment  et  relisieusement. 


Fl>    DE    La    REL4T10>    DE    Fc>>TBAlLLtS. 


.1 


MEMOIRES 

DU    COMTE    DE    LA    CHATRE. 


CONTBNAHT 


LA  FIN  DU  REGNE  DE  LOUIS  XIII, 
ET  LE  COMMENCEMENT  DE  CELUI  DE  LOUIS  XIV. 


NOTICE 


SUR    LE     COMTE    DE    LA    CHATRE 


SUR    SES     MKMOLHES. 


La  renomm^e  qui  s'esl  atlach^c  aux  M^moires 
deM.deLaChalre  paratt^lablie  sur  ce  qu'ii  y  ade 
reellement  remarquable  dans  leur  composition  , 
surtout  par  rapport  a  T^poque  a  laquelleils  furent 
Merits,  sur  leur  style  6nergique  et  pur,  la  finesse 
des  aperrus  et  la  rectitude  des  jugements,  bien  plu- 
Idt  que  sur  Tiuteret  nifime  des  6v6nenients  que 
I'auteur  s'esl  cbarg6  de  raconler  a  la  post6rite, 
conime  un  t^nooin  oculaire ;  mais  on  discernera 
avanl  tout,  dans  les  M§moires  de  LaChatre,  les 
manoeuvres  d'un  bon  courtisan,  exposees  avec 
beaucoup  de  v6rile.  En  efifet,  Edme,  conite  de  La 
Chatre  (1),  ful  un  de  ces  hommes  que  rambition 
relieut  toujours  aulour  du  pouvoir  qui  dispose 
des  faveurs;  il  se  contentait  de  g^niir  en  secret 
dela  tyrannie  dont  il  d^plorait  les  exc^s  ,  mais  il 
s'^tudia  toujours  k  ne  pas  comprometlre  sa  po- 
sition. Ami  intime  du  comte  de  Brienne  ,  secre- 
taire d'Etat,  le  comte  de  La  Cliatre  obtint ,  par 
son  interm6diaire,  I'agrement  de  la  charge  de 
grand-maitre  dela  garde-robe  du  roi  Louis  XIII, 
qu'il  paya  plus  de  cent  mille  6cus  au  marquis 
de  Rambouillet. 

En  courtisan  habile ,  le  comte  de  La  Cliatre 
pressentit  a  fond  le  role  important  qui  6tait  des- 
tine a  la  reine  Anne  d'Aiilriche,  des  qu'elle  eut 
donn6  au  Roi  un  heritier  de  sa  couronne;  aussi, 
raalgre  la  haine  de  Richelieu  pour  la  reine  de 
France,  La  Chatre  alla-l-il  offrir  ses  services  a  cette 
princesse;  il  refusa  toutefois  de  prendre  aucune 
part  aux  nialheureuses  conjurations  tramees  con- 
tre  le  premier  minislre,  pendant  les  derni^res  au- 
n^es  de  sa  domination. 

Apr6s  la  mort  du  cardinal  de  Richelieu,  la 
charge  de  colonel-general  des  Suisses  ^lant  de- 
venue  vacante  par  la  mort  du  marquis  de  Coislin, 
La  Chatre,  soulenu  par  les  amis  de  la  reine, 
arracha  a  Louis  XIII  le  brevet  de  cette  charge. 

Sa  nouvelic  position  le  mit,  peu  de  mois  apres, 
en  ^tat  de  rendre  des  services  a  la  reine  m6re, 
au  moment  ou  cette  princesse  pensa  a  faire  cas- 

(1)  On  ignore  I'epoque  pn^cisede  la  naissancc  d'EiJme. 
comte  de  La  Chatre.  II  <5tait  fils  dc  Henri  de  La  Chatre, 
mar^chal  des-cauips  et  armies  du  Roi,  bailli  et  capitainc 


ser  le  testament  du  f »  u  Roi,  qui  limilail  ex- 
Irememcnt  ses  pouvoirs  de  regenle.  Mais  aussitdt 
qu'Aime  d'Autriche  eilt  declar6  Mazarin  pre- 
mier ministre  ,  le  comte  de  La  Chatre  se  rangea 
dans  le  parti  des  Imporianls ,  et  s'y  fit  m6me  re- 
marquer  par  son  zele  pour  cetle  faction.  Exile  avec 
les  aulres  membrcs  de  la  cabale,  il  fut  priv6  en 
rafime  temps  de  sa  charge  de  colonel-general,  qui 
fut  rendue  a  I'ancien  litulaire,  le  mar6chal  de 
Bassompierre.  Ce  fut  ainsi  que  I'obs^quieux 
courtisan  perdit,  par  une  solte  imprudence,  le 
fruit  de  toutes  ses  menees,  au  moment  rafime  ou 
il  pouvait  esperer  d'en  r6aliser  les  avanlages. 

En  1644,  le  comte  de  La  Chatre  prit  du  ser- 
vice comme  volontaire  dans  I'arm^e  du  due  d'En- 
ghien,  cherchant  sans  doute  a  relever  sa  fortune 
en  se  faisant  satellite  de  cette  6toile  nouvelle ; 
mais  il  fut  blesse  a  la  bataille  de  Nordllngen  et 
mourut  des  suites  de  ses  blessures  a  Philisbourg , 
le  3  septenobre  1645. 

Les  Memoires  de  La  Chatre  retracenl  done  les 
petits  eveneraents  de  cour  qui  occup6rent  lesder- 
ni^res  annees  de  la  vie  de  Richelieu  ,  et  les  pre- 
mieres de  r^re  nouvelle  de  la  r6gente  Anne  d'Au- 
triche. lis  furent  composes  pendant  les  loisirs 
forces  que  Ton  iraposa  aux  Imporlanls ;  les  Evene- 
raents racontes  dans  ces  Memoires  ne  s'6tendent 
pas  jusqu'a  la  fin  de  I'annee  1643.  Le  comte  de 
Brienne,  secretaire  d'Etat  et  ancien  ami  de  La 
Chatre,  s'y  trouve  quclquefois  sev^reraent  juge; 
la  Reine  r6genle  n'y  est  pas  non  plus  epargnee. 
Les  amis  coramuns  de  Brienne  et  de  La  Chatre 
ohligercnt  le  premier  a  lire  ces  Memoires;  et  le 
comte  de  Brienne  fut  assez  bless6  des  all6gations 
qu'ils  contenaient  contre  lui  et  contre  la  Reine, 
pour  se  croire  oblige  de  travailler  a  une  refuta- 
tion de  I'ecrit  de  La  Chatre.  Cette  refutation  fut 
iraprimee,  en  1664,  dans  unrecueilde  pieces.  Ce 
document  est  devenu  aujourd'hui  assez  rare  ,  el 
cetle  rirconstance  nous  a  determines  a  I'inserer 
a  la  suite  de  notre  Edition  des  Memoires  de  La 

du  chateau  de  Gien  ,  ct  de  Marie,  fille  de  Jacques  de  La 
Gucsic ,  procureur-g^nciral  au  parlement  de  Paris. 


2  70 


NOTICE    SUB    LA    CHATUfc    ET    SI.S    MEMOIBES. 


Chatre.Xfs  Observalions  du  comle  de  Zfnenne,  lout 
ea  refulant  les  Momoires  de  LaChatre,  con- 
tienueiit  des  parlicularilt's  que  I'ou  ne  relrouve 
pas  daus  ceux  que  ce  ni6me  Brienue  a  Merits. 
Nous  avons  done  eu  uii  double  niolif  pour  les  coiu- 
preudre  dans  notre  nouvelle  6dition ,  et  nous 
nous  sonimes  servis,  pour  leur  lexte  ,  du  ma- 
uuscrit  n"  1026,  fonds  de  Saint-Main,  franrais, 
de  la  Bibliolheque  du  Roi.  Cette  Bibliodieque 
possfede  plusieurs  copies  des  Meraoires  de  La 
Chatre,  niais  loules  sont  conformes  aux  editions 
deja  publi6es,  et  dont  la  premiere  reraonte  a  I'an- 
nee  1662. 


Enfin,  nous  avons  reimprime,  apres  les  06- 
servalions  du  comle  de  Brienne,  un  extrait  des 
M6raoires  de  Henri  Campion  ,  relatif  a  I'entre- 
prise  du  due  de  Beaufort  sur  la  vie  de  Mazarin  , 
en  1643  ;  ce  document  nous  a  paru  meriter  quel- 
que  attention,  puisqu'il  donue  les  details  d'une 
conspiration  conlre  ce  rainistre,  que  les  ecrivaius 
contemporains  ont  tons  ni6e,  et  a  laquelle  personne 
de  cette  ^poque  n'a  voulu  croire.  La  v^rite  se  re- 
vele  aujourd'hui,  appuyce  sur  des  documents  vrais 
et  dignes  de  toute  la  confiance  des  lecteurs. 

A.  C. 


-JCiliMliai 


MEMOIRES 

DU    COMTE    DE    LA    CHATRE. 


II  est  bieii  difficile  de  paroitre  prudent  lors- 
qu'on  est  malheureux.  Comme  la  plupart  du 
monde  ne  s'attache  qu'a  I'apparence  des  choses, 
I'evenenient  seul  regie  leurs  jugemens ;  et  jamais 
un  dessein  ne  leur  paroit  bien  inforrae  ni  bien 
suivi ,   lorsque  Tissue  n'en  est  pas  favorable. 
Dans  les  disgraces  qui  me  sont  arrivees  depuis 
un  an  ,  j'ai  recu  cet  accroissement  de  douleur  , 
de  voir  mes  plus  passionnes  amis  me  blamer  en 
me  plaignant ,  et ,  sans  eplucher  davantage  mes 
actions,  m'accuser  d'avoir  ete,  par  mon  peu  de 
conduite ,  I'auteur  de  ma  mine.  Ce  seroit  une 
presomption  trop  grande  a  moi  de  croire  que  je 
n'ai  point  commis  de  fautes  dans  le  temps  que 
j'ai  demeure  a  la  cour,  puisque  les  plus  raffines 
courtisans  se  trouvent  quelquefois  embarrasses 
en  des  rencontres  ou  ,  quelque  adroits  et  souples 
qu'ils  soient,  il  leur  arrive  des  accidens  dontils 
ne  se  peuvent  bien  retirer.  J'avoue  que  je  puis 
avoir  failli ,  soit  manque  d'experience,  soit  en 
ne  contraignant  pas  assez  mon  naturel ,  ennemi 
detoutes  sortes  de  finesses.  Lorsque  je  suis  venu 
aupres  du  feu  Roi ,  j'y  ai  apporte  un  esprit  mal 
propre  aux  fourbes  et  aux  bassesses ,  et  qui  a 
toujours  fait  profession  d'une  franchise  trop  ou- 
verte.  J'ai  trouve  ce  train  de  vie  assez  honnete 
pour  le  continuer  depuis;  et  quoiquej'aie  appa- 
remment  reconnu  que  ce  n'etoit  pas  la  le  che- 
min  de  faire  fortune ,  j'ai  prefere  la  satisfaction 
de  ma  conscience ,  une  reputation  sincere ,  et 
I'acquisition  de  quelques  amis ,  gens  d'honneur, 
aux  dignites  et  aux  avantages  que  j'aurois  pu 
esperer  en  faisant  I'espion  ou  en  jouant  le  dou- 
.  ble,  et  promettant  en  meme  temps  aux  deux 
partis.  Dans  cette  maniere  d'agir  que  j'ai  ob- 
servee ,  je  me  suis  peut-etre  decouvert  trop  li- 
brement ,  et  d'ailleurs  je  me  suis  attache  trop 
fermement  a  mes  amis  quand  ils  ont  ete  en  mau- 
vaise  posture :  et  c'est  en  ces  deux  points  que 
je  puis  avoir  principalement  manque ;  mais  je 
crois  que  de  telles  fautes  paroitront  excusables 
aux  personnes  de  probite  ,  et  que  le  fondement 
en  est  trop  bon  pour  avoir  des  suites  condam- 
nables. 

Voila,  sans  rien  deguiser,  tons  les  crimes 
dontjeme  trouve  coupable.  Et  pour  le  montrer 
plus  clairementje  deduiiai  en  peu  de  paroles, 


et  fort  veritablement,  tout  ce  qui  s'est  passe  de 
plus  considerable  dans  les  derniers  temps  que 
j'ai  ete  a  la  cour,  parce  qu'encore  que  mes  in- 
terets  soient  fort  eloignes  de  ceux  de  I'Etat ,  les 
affaires  generales  les  plus  importantes  ont  eu 
quelque  liaison  avec  les  miennes  particulieres. 

[1638]  Quelque  temps  apres  la  naissance  de 
notre  roi  Louis  XIV,voyant  qu'il  n'y  avoit  rien 
a  esperer  pour  moi  tant  que  le  cardinal  de  Ri- 
chelieu seroit  tout  puissant ,  parce  que  je  ne 
pouvois  m'assujetir  servilement  aupres  de  lui , 
et  que  d'ailleurs  j'avois  beaucoup  d'alliances  et 
de  liaisons  d'amitie  qui  lui  pouvoient  etre  sus- 
pectes ,  je  crus  que  je  devois  songer  a  prendre 
quelque  autre  parti  qui  put  un  jour  relever  ma 
fortune ;  et  dans  cette  pensee ,  je  n'en  trouvai 
point  de  plus  juste  ni  de  plus  grande  esperance 
que  celui  de  la  Reine,  parce  que  le  Roi,  son  mari, 
etant  tres-malsain  ,  et  ne  pouvant  apparemment 
vivre  jusqu'a  ce  que  son  fils  fut  en  age  de 
majorite,  la  regence  devoit  infailliblement , 
dans  peu  d'annees ,  tomber  entre  ies  mains  de 
cette  princesse ,  de  qui  les  adversites  presque 
continuelles,  souffertes  avec  grande  patience, 
avoient  eleve  I'estime  a  un  si  haut  point ,  qu'on 
la  croyoit  la  meilleure  et  la  plus  douce  per- 
sonne  du  monde ,  et  la  plus  incapable  d'oublier 
ceux  qui  se  seroient  attaches  a  elle  dans  sa  dis- 
grace. 

Ces  belles  qualites  me  charmerent ,  et  de  plus 
je  jugeai  qu'il  y  avoit  de  I'honneur  de  se  jeter 
de  son  cote  ,  dans  un  temps  ou  I'absolu  pouvoir 
de  son  persecuteur  faisoit  eviter  son  abord  a 
toutes  les  personnes  foibles  et  interessees  ,  et , 
par  un  exces  de  tyrannie ,  ne  laissoit  presque 
dans  sa  maison  que  des  traitres ,  ou  des  gens  que 
leur  stupidite  rendoit  exempts  de  soupcon,  et 
incapables  de  la  servir  en  quoi  que  ce  fut.  Je  lui 
vouai  done  des  ce  temps-la  mes  services  ,  et  Ten 
fis  assurer  par  mademoiselle  de  Saint-Louis  (a 
present  madame  de  Flavacourt)  et  par  M.  de 
Brienne.  Les  reponses  obligeantes  qu'elle  leur 
fit  pour  moi  m'y  engagerent  encore  davantage: 
si  bien  que  depuis  je  me  resolus  a  ne  songer  ja- 
mais a  aucun  avantage  dans  la  cour  que  quand 
elle  seroit  en  etat  de  m'en  departir,  ou  quand  je 
croirois  lui  pouvoir  etre  plus  utile  dans  une  au- 


MF.MOIUF.S    DK    I.A    CHATRE.     [l<)l2j 


tre  charge  que  celle  de  maitre  de  la  garde-robe 
du  Roi,  que  j'avois  alors. 

[1642]  Je  vecus  dans  ce  sentiment  jusqu'a  la 
mort  du  cardinal ,  apres  laquelle  ceux  qui  s'e- 
toient  le  plus  eloignes  de  la  Reine  se  pressant  a 
lui  faire  de  nouveau  leur  cour ,  11  n'est  pas  fort 
etrange  que ,  m'etant  donne  des  auparavant  en- 
tierement  a  elle ,  je  cherehasse  avec  soin  les 
occasions  de  lui  teraoigner  mon  zele.  II  s'en  pre- 
senta une  incontinent,  laquelle  j'erabrassai  avec 
grande  joie ;  et  la  lui  ayant  fait  proposer  par 
M.  de  Rrienne,  et  lui  ayant  ensuite  parle  raoi- 
meme,  elle  la  jugea  avantageuse  pour  son  ser- 
vice ,  et  ra'en  remercia  en  des  terraes  qui  re- 
doublerent  ma  passion  pour  ses  interets  et  ac- 
crurent  mes  esperances.  Cette  occasion  fut  I'achat 
de  la  charge  de  colonel-general  des  Suisses,  dans 
laquelle  je  ne  regardai  ni  la  grande  somme  d'ar- 
<>ent  que  j'y  employois ,  ni  beaucoup  d'autres 
considerations  que  me  pouvoit  faire  naitre  la 
vue  d'une  femme  et  de  trois  enfans  dont  la  mine 
etoit  inevitable ,  si  par  ma  mort  ma  charge  se 
perdoit  sans  recompense.  Je  lui  sacrifiai  done 
sans  regret  toute  ma  famille,  et,  soit  que  mon 
procede  plein  de  franchise  lui  pliit ,  soit  qu'elle 
ju^eat  que  je  la  pouvois  utilement  seryir,  elle 
redoubla  des-lors  son  bon  visage  et  ses  civilites 
pour  moi ,  et  par  la  de  moi  a  ses  plus  confidens 
eomme  dun  homme  qui  lui  etoit  absolument 
devoue ,  et  dont  elle  faisoit  etat  pour  sa  fidelite, 
ordounant  particulierement  a  M.  I'eveque  de 
Beauvais ,  qui  avoit  alors  son  secret ,  de  me 
communiquer  librement  les  choses  qui  seroient 
de  son  service. 

Ce  fut  presque  en  ce  meme  temps  que  M.  de 
Reaufort  revint  d'Angleterre  ;  car  sitot  que  le 
cardinal  fut  mort ,  M.  I'eveque  de  Lisieux ,  par 
ordre  de  la  Reine ,  lui  ecrivit  de  s'en  revenir  , 
et  lui ,  sans  prendre  d'autres  precautions ,  partit 
a  Theurc  meme  et,  mettant  pied  a  terre  en 
France  ,  m'ecrivit,  par  un  gentilhomme  nomme 
Drouilly,  une  letlre  fort  pleine  de  confiance,  par 
laquelle  il  me  prioit  de  le  servir  en  ce  que  je 
pourrois  aupres  du  Roi,  et  ajoutoit  que  M.  de 
Montresor  (qu'ilsavoit  etre  mon  cousin-germain 
et  mon  piincipal  ami ,  et  qui  etoit  le  sien  fort 
particulier)  I'avoit  assure  que  je  ra'y  porterois 
avec  beaucoup  de  joie.  Tout  ce  que  je  crus  de- 
voir repondre  a  Drouilly  fut  que  M.  de  Reaufort 
me  faisoit  trop  d'honneur  de  se  Tier  en  moi  ,  et 
que  je  le  conjurois  de  me  dire  en  quoi  je  lui 
pourrois  etre  utile,  lui  protestant  que  j'execu- 
terois  ce  qu'il  souhaiteroit  de  moi,  peut-etre  avec 
pen  de  credit ,  mais  au  moins  avec  beaucoup  de 
passion  et  de  fidelite.  Sur  cela  ,  il  me  temoigna 
que  M.  de  Beaufort  eut  bien  desire  qu'avcc  quel- 


que  autre  de  ses  amis  je  me  fusse  charge  de  de- 
clarer directement  au  Roi  son  retour  dans  le 
royaume:  mais  en  meme  temps  il  m'apprit 
qu'ayant  porte  a  M.  de  Rrienne  une  leltre  qu'il 
avoit  pour  lui ,  ou  M.  de  Beaufort  le  prioit  de 
la  meme  chose  que  moi ,  ce  bon  seigneur,  meil- 
leur  courtisan  que  je  n'eusse  peut-etre  ete ,  lui 
avoit  dit  que  le  moyen  de  miner  ses  interets 
etoit  de  prendi*e  le  biais  qu'il  lui  proposoit; 
c[ue  pour  lui ,  qui  savoit  mieux  I'air  du  monde 
qu'un  homme  qui  venoit  d'outre-mer ,  il  etoit 
d'avis  d'en  parler  aux  ministres ,  et  qu'il  partoit 
a  I'heure  meme  pour  les  aller  trouver.  Voyant 
I'affaire  en  ces  termes,  je  lui  dis  qu'il  n'etoit 
plus  temps  de  consulter  ,  et  que  les  ministres 
ayant  connoissance  du  retour  de  M.  de  Beaufort, 
11  falloit  attendre  ce  qu'ils  feroient  en  cette  oc- 
casion ,  et  ne  pas  entreprendre  une  negociation 
aupres  du  Roi,  laquelle  les  piqueroit  et  les 
rendroit  ses  ennemis ;  que,  pour  moi,  je  m'en  re- 
tournois  a  Saint-Germain,  ou  etoit  le  Roi,  et 
que  si  je  voyois  jour  de  m'employer,  je  n'y  per- 
drois  pas  un  moment. 

Sitot  que  je  fus  a  Saint-Germain ,  je  passai 
chez  la  Reine  ,  et  lui  croyant  apprendre  cette 
nouvelle,  je  trouvai  qu'elle  en  etoit  deja  bien 
instruite.  J'ai  su  depuis  que  c'avoit  ete  par 
M.  de  Lisieux.  Quelque  temps  apres  ,  Messieurs 
de  Sully,  de  Retz ,  de  Fiesque  ,  de  Chabot  et 
moi  allames  voir  a  Anet  ce  nouveau  venu  ,  et 
ce  fut  dans  ce  voyage  que  je  me  liai  plus  parti- 
culierement d'amitie  avec  lui;  car  auparavant 
j'y  avois  eu  peu  d'habitude,  et  meme  en  quelques 
rencontres  je  ra'etois  trouve  dans  des  interels 
contraires  aux  siens.  Comme,  a  mon  gre,  la 
plus  grande  marque  d'estime  et  de  bonne  vo- 
lonte  est  la  confiance ,  ce  fut  par  la  que  je  me 
laissai  gagner  par  lui.  II  me  temoigna  de  m'etre 
oblige  de  la  franchise  avec  laquelle  j'avois  parle 
a  Drouilly,  m'entretint  de  ses  interets  a  coeur 
ouvert ,  et  me  discourut  ensuite  sur  I'etat  present 
de  la  cour,  nou  pas  eu  termes  extremeraent  po- 
lls ,  n'etant  pas  naturellement  fort  eloquent, 
mais  au  moins  avec  des  sentimens  si  beaux  et  si 
nobles ,  que  je  pus  remarquer  aisement  qu'il  avoit 
beaucoup  profite  en  Angleterre  dans  la  conver- 
sation de  quelques  seigneurs  qu'il  avoit  frequen- 
tes.  Mais  ce  qui  m'attacha  davantagea  luifurent 
deux  choses :  I'une  ,  I'etroite  union  que  je  savois 
qu'il  avoit  avec  M.  de  Montresor  ,  dont  les  inte- 
rets ont  toujours  ete  les  miens  5  et  I'autre ,  la 
passion  extraordinaire  qu'il  me  fit  paroitre  pour 
le  service  de  la  Reine.  Comme  c'etoit  un  parti 
auquel  je  m'etois  absolument  range ,  ce  fut  cette 
derniere  consideration  qui  emporta  la  balance, 
et  c'a  ete  la  meme  qui  m'a  toujours  engage  de- 


MKMOIRKS    l)E    l,\    CH\T1\E.    [lG'12 


I  puis  avec  lui  ^  mais  e'est  une  chose  que  Ton  con- 
noitra  plus  \isiblement  dans  la  suite  de  cette 

j  Darration,  qu'ii  faut  que  je  reprenne  de  plus 
baiit,  afin  de  la  rendre  plusexacte. 

Apies  la  mort  du  cardinal ,  toute  la  France 
s'attendoit  a  voir  un  changement  entier  dans  les 
affaires ;  car,  comme  ce  ministre  ne  subsistoit 
anpres  du  Roi  que  par  la  terreur  ,  on  erut  que 
cette  raison  etant  finie  avec  lui ,  la  haine  de  Sa 
Majeste  eclateroit  sur  tout  ce  qui  resteroit  de  sa 
famille  et  de  sa  cabale.  Mais  ces  esperances ,  qui 
flattoient  beaucoup  de  personnes ,  ne  durerent 
pas  long-temps ;  et  on  vit  peu  de  jours  apres , 
avec  etonnement, sa maison  maintenue dans  ses 
dignites,  et  ses  dernieres  voloutes  suivies  en- 
tierement ,  hormis  en  un  seul  point ,  qui  fut  I'e- 
change  des  charges  de  surintendant  des  mers  et 
de  general  des  galeres ,  qui  furent  donnees  ,  la 
premiere  au  due  de  Breze ,  et  la  derniere  au  pe- 
tit de  Pont-Courlay ,  due  de  Richelieu  ,  quoique 
le  cardinal  en  mourant  etit  demande  le  contraire, 
et  eut  destine  la  charge  de  I'un  pour  I'autre.  Je 

I  ne  parlerai  point  ici  des  querelles  que  cette  af- 
faire excita  entre  madame  la  duchesse  d'Aiguil- 
lon  et  le  niarechal  de  Breze,  qui  dit  contre  elle 
tout  ce  que  la  rage  lui  suggera  et  dirai  seulement 
que  I'ancienne  familiarite  du  marechal  avec  le 
Roi  lui  apporta  cet  avantage  sans  I'aide  de  per- 
sonne.  Mais  quoique  cette  disposition  des  plus 
belles  charges  du  royaume  et  des  plus  beaux 
gouvernemens  semblat  bizarre  a  tous  ceux  qui 
la  considererent ,  et  que  le  gouvernement  de 
Bretagne,  donne  au  marechal  de  La  Meilleraye, 
a  qui  nous  le  verrons  quitter  assez  foiblement 
quelque  temps  apres ,  pariit  aussi  extraordi- 
naire ,  on  fut  beaucoup  plus  surpris  de  voir  le 
cardinal  Mazarin  et  messieurs  de  Chavigny  et 
Des  Noyers  seuls  dans  le  conseil  etroit  du  Roi : 
je  dis  seuls ,  parce  qu'encore  qu'en  apparence  le 
chancelier,  le  surintendant  Bouthillier ,  et  les 
deux  autres  secretaires  d'Etat  de  Brienne  et  de 
La  Vriliere ,  fussent  presens  a  toutes  les  delibe- 

i*  rations,  il  est  certain  que  le  secret  etoit  pour  les 
trois  premiers ,  et  quoutre  ce  grand  conseil ,  ou 
setrouvoient  tous  ceux  que  j'ai  nommes ,  une 
fois  ou  deux  la  semaine ,  comme  eux  trois  de- 
meuroient  assidument  a  Saint-Germain  ,  ils  en 
tenoient  tous  les  jours  un  pour  le  moins  avec  le 
Roi ,  ou  se  resolvoient  les  principales  choses. 

Des  que  leur  protecteur  fut  mort,  se  voyant 
appeles  au  ministere,  ils  jugerent  que  le  seul 
moyen  de  subsister  etoit  de  n'avoir  point  de  de- 
sunion  ensemble,  et  detravailler  d'un  commun 
accord  en  tout  ce  qui  se  presenteroit.  Mais ,  quel- 
que resolution  qu'ils  en  eussent  faite ,  leurs  pre- 

I    raiieres  actions  et  la  difference  de  leur  conduite 

I  III.   c.   D.    M.,   T.    in. 


273 

lirent  connoitre  aussitot  leur  division  secrete.  Le 
cardinal  Mazarin  et  M.  de  Chavigny ,  joints  de 
tout  temps  ensemble,  s'unirent  encore  plus  etroi- 
tement  en  cette  coujoncture  ;  et  comme  le  der- 
nier n'ignoroit  pas  I'aversiou  que  le  Roi  avoit 
pour  sa  personne ,  il  crut  que  rien  ne  le  pouvoit 
maintenir  que  d'attacher  ses  interets  insepara- 
blement  a  ceux  de  I'autre ,  qui ,  entrant  nouvel- 
lement  dans  les  affaires ,  auroit  long-temps  be- 
soin  de  lui  pour  etre  instruit.  Leur  methode  pour 
s'introdulre  dans  I'esprit  du  Roi  fut  de  temoi- 
gner  un  desinteressement  general  de  toutes  cho- 
ses ,  et  meme  d'affecter  de  dire ,  I'un ,  que  son 
plus  grand  desir  eut  ete  d'aller  en  Italic ,  et 
I'autre  ,  de  se  retirer  de  I'embarras  de  la  cour , 
pour  vivre  avec  plus  de  repos  et  moins  de  tra- 
verses. Apres  ce  premier  fondement,  ils  son- 
gerent  a  s'acquerir  des  gens  qui  pronassent  leurs 
actions  aupres  du  Roi ,  et  essayassent  de  lui  per- 
suader que  la  grande  depense  qu'entretenoit  le 
cardinal  etoit  un  effet  de  son  humeur,  qu'iln'a- 
voit  nul  attachement  a  I'argent ,  et  une  depense 
qu'il  avoit  crue  necessaire  en  la  place  qu'il  tenoit 
de  premier  ministre.  Ils  firentpour  ce  sujet  re- 
venir  a  la  cour  le  commandeur  de  Souvre  ,  qui , 
par  la  nourriture  qu'il  avoit  prise  aupres  du  Roi , 
s'etant  acquis  une  parfaite  connoissance  de  son 
naturel ,  leur  parut  capable  de  les  bien  servir. 
Quoique  ,  depuis  le  siege  de  La  Rochelle ,  le  feu 
cardinal ,  craignant  son  esprit ,  I'eut  eloigne  de 
la  cour ,  n'ayant  pas  oublie  les  biais  de  s'insinuer 
aupres  du  Roi ,  il  rentra  dans  peu  de  jours  en 
une  assez  grande  familiarite  pour  s'y  rendre 
utile  a  ceux  qui  I'employoient. 

Mais ,  outre  ce  premier  emissaire ,  leur  facon 
de  vivre  libreet  magnifique,  la  profession  qu'ils 
faisoient  de  vouloir  obliger  toutes  les  personnes 
de  condition ,  et  particulierement  de  songer  a  la 
delivrance  des  prisonniers  et  au  rappel  des  exi- 
les ,  leur  acquirent  pour  amis,  ou  du  moins  pour 
complaisansetpour  approbateurs,  la  plus  grande 
partie  de  la  cour  ,  et  entre  autres  messieurs  de 
Schomberg,  de  Lesdiguieres ,  de  La  Rochefou- 
cauld et  de  Mortemart.  Je  ne  parle  point  de 
M.  de  Liancourt ;  car,  ayant  ete  de  tout  temps 
ami  intime  de  M.  de  Chavigny ,  et  fort  particu- 
lier  du  cardinal ,  il  n'est  pas  etrange  qu'il  demeu- 
rat  dans  le  meme  train  de  vie. 

Le  petit  M.  Des  Noyers  avoit  le  meme  bu 
qu'eux  de  s'introduire  dans  I'esprit  de  son  maf- 
tre ,  mais  sa  methode  etoit  toute  contraire :  au 
lieu  que  les  deux  premiers  affectoient  la  splen- 
deur  et  I'eclat ,  lui  se  maintenoit  dans  une  vie 
basse  et  obscure ;  et  tandis  que  les  autres  rece- 
voient  les  compagnies ,  et  passoient  une  partie 
du  jour  et  les  soirees  entieres  a  jouer  el  a  se  di- 

is 


'J  7 -I 


MEMOIRES    DE    LA    CliATUh.    |l(543l 


vertir,  lui  s'enfoncoit  plus  que  jamais  dans  le 
travail ,  et  ne  bougeoit  presque  de  sa  chambre  a 
ecrire ,  hors  les  heures  qu'il  employoit  a  prier 
Dieu  oil  a  demeurer  aupres  du  Roi ,  avec  qui  sa 
charge  de  secretaire  d'Etat  de  la  guerre  lui  don- 
nait  des  manieres  d'entretien  plus  agreables  que 
les  autres  :  car,  au  lieu  que  lesgrandes  negocia- 
tions  pesoient  a  ce  prince  ,  le  tracas  et  la  discus- 
sion des  troupes  sembloient  etre  ses  seules  af- 
faires, tant  il  prenoit  plaisir  a  retrancher  quel- 
que  chose  aux  officiers  ,  et  a  parler  du  detail  de 
toutes  les  charges,  dans  la  disposition  desquelles 
il  lui  sembloit  que  paroissoit  principalement  son 
pouvoir.  La  profession  de  devotion  que  faisoit 
hautement  M.  Des  Noyers  lui  avoit  donne,  outre 
cela,  line  familiarite  avec  le  Roi  que  les  autres 
ne  possedoient  pas  ,  car  il  etoit  de  toutes  ses 
prieres ;  et  souvent  dans  son  oratoire  ,  apres  lui 
avoir  aide  a  dire  son  office ,  ils  avoient  de  lon- 
gues  conferences.  Le  Roi  lui  ayant  voulu  faire 
nn  don  de  cent  ou  deux  cent  mille  ecus  sur  une 
certaine  affaire ,  il  ne  I'accepta  qu'a  condition 
de  I'employer  au  batiment  du  Louvre ;  et  cette 
preuve  de  son  desinteressement  fit  un  grand  ef- 
fet  dans  I'esprit  de  Sa  Majeste. 

Les  prisonniers  ni  les  exiles  ne  trouvoient 
point  de  protecteur  ni  d'intercesseur  en  lui ;  et 
tout  ce  qu'il  faisoit  pour  ne  se  pas  charger  de  la 
haine  publique  etoit  d'assurer  qu'il  ne  s'oppose- 
roit  point  a  la  bonne  volonte  du  Roi  pour  eux. 
II  avoit  en  ce  procede  deux  intentions :  I'une,  de 
complaire  au  Roi,  dont  il  savoit  que  I'humeur 
n'etoit  pas  naturellement  portee  a  faire  du  bien ; 
I'autre ,  de  temoigner  son  respect  pour  la  me- 
moire  du  feu  cardinal ,  en  ne  voulant  pas  sitot 
contribuer  au  changement  des  choses  qu'il  avoit 
faites ,  et  rejeter  par  la  sur  lui  toutes  les  violences 
passees.   Voila  quelle  fut  la  premiere  introduc- 
tion de  ces  Messieurs,  et  leur  raaiiiere  d'agir 
jusqu'a  la  fin  de  I'annee  1 64  2 ,  de  laquelle ,  avant 
que  de  sortir  ,  je  dirai ,  pour  ce  qui  me  touche, 
qu'ayant  traite  de  ma  charge ,  et  voyant  que 
j'aurois  principalement  affaire  de  M.  Des  Noyers, 
comme  secretaire  d'Etat  de  la  guerre  ,  je  lui  en 
parlai  et  fus  confirme  par  lui  dans  le  dessein  de 
m'adresser  moi-meme  directement  au  Roi ,  qui 
me  recUt  avec  toutes  les  bontes  possibles ,  et 
sans  en  prendre  avis  de  personne,  si  ce  que  le 
chancelier  me  dit  en  ce  temps-la  est  veritable  ; 
et  les  deux  autres  ne  m'y  auroient  pas  favorise. 
Mais  il  ne  les  aimoit  pas  alors;  et  je  ne  sais  si 
c'est  de  la  que  je  dois  prendre  le  premier  fonde- 
ment  de  la  haine  du  cardinal  pour  moi. 

[ir)Z|3]  Au  commencement  de  cette  annee,  ces 
deux  cabales  voyant  la  sante  du  Roi  s'affoiblir 
encore  de  jour  en  jour,  et  laisser  peu  d'espe- 


rance  d'une  longue  vie ,  chacun  crut  devoir  son- 
ger  a  prendre  un  appui ;  et  comme  ils  n'etoient 
pas  couvenus  en  toutes  les  autres  choses,  ils  ne 
s'accorderent  pas  aussi  en  celle-ci.  M.  de  Chavi- 
gny  croyant  que  sa  charge  et  son  habitude  aupres 
de  Monsieur,  et  les  derniers  services  qu'il  pre- 
tendoit  lui  avoir  rendus  apres  le  traite  d'Espa- 
gne,  lui  devoient  tenir  lieu  d'un  grand  merite 
envers  Son  Altesse  Royale|,  et  qu'au  contraire 
la  Reine  le  devoit  toujours  hair  comme  le  prin- 
cipal ministre  de  son  ennemi ,  il  fit  pencher  le 
cardinal  Mazarin  du  cote  de  Monsieur,  et  tons 
deux  se  mirent  a  travailler  aupres  du  Roi  pour  le 
faire  revenir  a  la  cour.  Et  sur  ce  sujet  il  y  a  une 
particularite  qui  d'abord  ne  semblera  pas  peut- 
etre  fort  importante  ,  mais  qui  a  ete  de  telle  con- 
sequence pour  nous  que  je  puis  dire  que  c'est 
ce  qui  a  commence  a  nous  perdre. 

Apres  la  prise  de  M.  le  Grand,  le  traite  d'Es- 
pagne  etant  decouvert,  il  courut  un  bruit  que 
e'avoit  ete  par  le  moyen  du  comte  de  Bethune. 
Monsieur  sembla  donner  force  a  cette  faussete , 
et  I'avouer  tacitement ,  pousse  a  cela  apparem- 
ment  par  La  Riviere ,  qui  crut  ne  se  pouvoir 
mieux  venger  de  M.  de  Montresor  durant  son 
eloignement ,  ni  mieux  lui  oter  tout  chemin  de 
se  rapprocher  de  son  maltre ,  qu'en  le  faisant 
auteur  ou  du  moins  approbateur  dune  si  noire 
calomnie  contre  son  meilleur  ami.  Cette  medi- 
sance  dura  peu  de  temps  ;  et  le  feu  cardinal 
meme,  quoique  peu  ami  du  comte  de  Bethune  , 
en  desabusa  ceux  qui  lui  en  parlerent.  Chacun 
pent  juger  combien  un  homme  d'honneur  doit 
etre  sensible  a  une  si  rude  offense  :  mais  I'auto- 
rite  du  cardinal,  qui  protegeoit  La  Riviere, 
I'exemptantdes  justes  ressentimens  qu'on  eiit  pu 
avoir,  le  maintint  durant  sa  vie  sans  apprehen- 
sion. Sa  mort  changea  la  face  des  choses ;  et 
La  Riviere  ne  sachant  pas  si  sou  maitre  seroit 
assez  vigoureux ,  ou  auroit  assez  d'amitie  pour 
lui ,  pour  le  maintenir  contre  une  maison  de 
consideration ,  et  ne  se  voyant  plus  d'autre  ap- 
pui,  il  entra  dans  des  frayeurs  mortelles;  et 
etant ,  quelques  jours  apres ,  appele  a  Paris  par 
M.  de  Chavigny  pour  y  traiter  du  retour  de 
Monsieur,  il  ne  put  jamais  etre  persuade  de 
prendre  ce  chemin  ,  qu'auparavant  on  ne  I'as-" 
surat  des  ressentimens  du  comte  de  Bethune. 
M.  de  Chavigny,  qui  en  avoit  besoin,  employa 
M.  de  Liancourt ,  et  parla  lui-meme  ensuite  au 
comte  de  Bethune,  qui,  se  sentant  offense  en  tout 
ce  qu'un  gentilhomme  le  pent  etre  ,  ne  put  ja- 
mais etre  induit  a  lui  donner  sa  parole  pour  un 
temps  :  si  bien  qua  la  fin  on  le  lui  fit  comman- 
der par  une  lettredu  Roi  que  lui  porta  Varennes, 
I'un  de  ses  ordinaires,  qui  empi'chabien  I'effBt 


MKMOIRES    l)K    LA.    CIIATP.E.    [lG43] 


27^1 


(le  sa  juste  colere ,  mais  ne  fit  qu'accroitre  une 
Iiaine  si  equitable  et  si  bien  fondee.  Peut-etre 
que  cette  digression  semblera  un  peu  longue  ; 
mais  on  verra  par  la  suite  qu'elle  n'est  pas  hors 
de  propos. 

La  Riviere ,  etant  enlln  venu  a  la  cour  ,  y 
traita,  avec  I'aidedes  deux  ministres  ,  les  inte- 
rets  de  son  maitre  si  heureusement ,  que  peu 
de  temps  apres  on  le  revit  aupres  du  Roi ,  son 
frere  ,  en  tres-bonne  intelligence,  quant  a  I'ap- 
parence.  Pendant  que  ces  deux  messieurs  tra- 
vailloient  de  cette  sorte  de  leurcote,  M.  Des 
Noyers  prenoit  d'autres  biisees ,  et,  par  I'entre- 
mise  deChandenier  ,  son  ami  intime ,  faisoit  as- 
surer la  Reiue  de  son  service  et  de  son  attache- 
ment  inseparable  a  ses  interels.  Et  apres  cette 
declaration,  il  eut  sur  le  meme  sujet  quelques 
conferences  avec  M.  I'eveque  de  Beauvais ,  dans 
lesquelles  il  s"ouvrit  assez  clairement  des  des- 
seins  de  ses  collegues ,  qui  lui  donnerent  belle 
matiere  d'entretien  en  ce  temps-la  :  car  voj^ant 
peu  a  peu  la  maladie  du  Roi  s'augmenter ,  et  Sa 
Majeste  leur  ayaut  parle  quelquefois  de  la  dis- 
position de  son  royaume ,  ils  porterent  le  pere 
Sirmond,  son  confesseur,  a  lui  proposer  la  co- 
regence  pour  Monsieur  avec  la  Reine  ;  et  dans 
ce  meme  temps  ils  furent  tousdeux  a  Paris  pour 
solliciter  beaucoup  de  pei"sonnes  du  parlement  a 
ce  meme  dessein ,  et  se  servirent  de  I'entremise 
du  president  de  Maisons  pour  cet  effet.  Mais 
cette  proposition  deplut  si  fort  au  Roi ,  qu'apres 
I'avoir  aigrement  rebutee,et  en  avoir  memedit 
quelque  chose  a  la  Reine ,  il  ne  voulut  plus  en- 
tendre parler  son  confesseur ,  et,  I'ayant  fait  ren- 
voyer  sous  un  autre  pretexte,  prit  en  sa  place  le 
pere  Dinet. 

Apres  cette  premiere  tentative,  ces  messieurs, 
se  voyant  absolumentexclus  de  leur  pretention, 
prirent  un  autre  biais  qui  tomba  plus  dans  le 
sens  du  Roi ,  assez  porte  de  son  uaturel  a  croire 
la  Reine  incapable  de  toutes  sortes  d'affaires  , 
et  proposerent  cette  meme  declaration  qui  parut 
*deux  mois  apres,  et  qui  auroit  eclate  des  I'heure, 
si  M.  Des  Noyers  n'en  eiit  dissuade  Sa  Majesle. 
II  en  fit  avertir  la  Reine  ,  a  qui  ce  conseil  de  la 
regence  donna  infiniment  I'alarme.  Et  dans  ce 
meme  temps  le  Roi  ayant  eu  la  fievre,  et  ayant 
donne  de  {'apprehension  aux  medecins  ,  ceux 
qui  surent  le  particulier  de  la  chose  offrirent  de 
nouveau  leurs  services  a  la  Reine;  et  moi ,  a 
qui  elle  avoit  defendu  quelque  temps  aupara- 
vant  de  demander  a  aller  servir  de  marechal- 
de-camp ,  me  jugeant  plus  utile  a  son  service 
dans  la  cour ,  je  m'offris  en  cette  occasion  ( si  le 
Roi  venoit  a  I'extremite)  d'aller  avec  le  regi- 
ment des  gardes-suisses  me  saisir  du  palais ,  et 


empecher  que  qui  quece  fut  y  entrat  jusqu'a  ce 
qu'elle  y  fut  arrivee.  Cette  proposition,  etant  as- 
sez bardie  et  affectionnee ,  ne  lui  deplut  pas ,  et 
la  reponse  qu'elle  y  fit  temoigna  qu'elle  m'en 
savoit  gre  et  qu'elle  me  croyoit  tout  a  elle. 
Quelque  temps  auparavant,  le  cardinal  et  M.  de 
Chaviguy  porterent  le  Roi  a  la  delivrance  des 
raarechaux  de  Vitry  et  de  Bassompierre  et  du 
comte  de  Cramail.  Le  moyen  dont  ils  se  ser- 
virent en  cette  occasion  merite  d'etre  ecrit , 
comme  etant  assez  plaisant ;  car  ne  voyant  pas 
que  le  Roi  y  eut  beaucoup  d'inclination ,  ils  le 
prirent  par  son  foible ,  et  lui  representerent  que 
ces  trois  prisonniers  lui  faisoient  une  extreme 
depense  dans  la  Bastille ,  et  que,  n'etant  pas  en 
etat  de  faire  cabale  dans  le  royaume,  ils  se- 
roient  aussi  bien  dans  leurs  maisons  ,  ou  ils  ne 
lui  coiiteroient  rien.  Ce  biais  leur  reussit ,  ce 
prince  etant  preoccupe  d'une  si  extraordinaire 
avarice ,  que  tons  ceux  qui  lui  pouvoient  deman- 
der de  I'argent  lui  pesoient  sur  les  epaules,  jus- 
que  la  qu'apres  le  retour  de  Treville  ,  Beaupuy 
et  des  autres ,  que  la  violence  du  feu  cardinal 
I'avoit  force  d'abandonner  lorsqu'il  mourut,  il 
chercha  une  occasion  de  leur  faire  une  rebuffade 
a  chacun ,  pour  leur  oter  I'esperance  d'etre  re- 
compenses de  ce  qu'ilsavoient  souffert  pour  lui. 
A  la  liberte  des  prisonniers,  suivit  le  rappel  de 
quelques  exiles.  Le  marechal  d'Estrees  eut  per- 
mission de  revenir  d'ltalie  ,  et  M.  de  Mercceur 
revint  a  la  cour,  ou ,  ayant  ete  introduit  aupres 
du  Roi  par  le  cardinal  Mazarin,  il  parla  pour 
son  frere,  et  oblint  pour  lui  la  liberte  d'y  re- 
tourner  aussi ,  comme  il  fit  quelques  jours  apres, 
avec  un  eclat  et  une  estime  tres-grande.  Avant 
que  d'aller  voir  les  ministres ,  il  alia  droit  chez 
le  Roi ,  qui  le  recut  avec  des  marques  d'une 
amitie  extreme ,  et  un  instant  apres  son  arri- 
vee I'entretint  des  affaires  d'Angleterre  comme 
si  c'eut  ete  lui  qui  I'y  eut  envoye.  II  accorda  le 
meme  jour  a  M.  de  Mercoeur  le  retour  de  M.  de 
Vendome  en  France ,  et  vit  aussi  madame  de 
Vend6me,qu'il  avoit renvoyee  assez  rudement 
sans  la  vouloir  voir,  lorsqu'elle  le  vint  trouver 
aussilot  apres  la  mort  du  cardinal. 

La  Reine  fit  paroitre  a  ce  retour  beaucoup 
de  bonne  volonte  pour  M.  de  Beaufort ,  temoi- 
gna s'interesser  dans  le  traitement  qu'il  recut 
du  Roi ,  lui  parla  avec  grande  familiarite  ,  et, 
par  I'estime  qu'elle  en  fit  hautement ,  confirma 
ce  qu'elle  nous  avoit  dit  au  retour  d'Anet ,  que 
nous  venions  de  voir  le  plus  honnete  homme  de 
France.  II  estcertain,  quoiqu'il soit malheureux, 
qu'il  a  de  tres-bonnes  parties,  et  que  ,  pour  le 
coeur  et  la  fidelite ,  peu  de  personnes  se  peuvent 
comparer  a  lui.  Je  nedirai  pas  qu'il  ait  toute  la 

18. 


L>76 


M£M01fi£S    DE    LA    CHATHE.     f  16431 


prudence  qui  so  peut  souhaiter,  et  je  suis  con- 
traiut  d'avouer  qu'un  peu  devanite  et  de  feu  de 
jeunesse  lui  fit  faire  a  son  retour  des  fautes  no- 
tables. Peut-etre  que  quelque  jour,  s'ii  plait  a 
Dieu  ,  je  le  pourrai  voir  en  etat  de  le  faire  sou- 
venir d'un  diseours  que  je  lui  tins  un  jour,  lui 
disant  qu'en  la  posture  ou  il  se  voyoit  il  ne  fal- 
loit  pas  s'amuser  aux  bagatelles  des  femmes,  et 
que  la  partie  des  heros  devoit  etre  sa  principale. 
S'il  en  eut  use  de  cette  sorte,  il  ne  se  fut  pas 
fait  des  ennemis  puissans ,  qui  enfin  ont  beau- 
coup  contribue  a  sa  perte  :  mais  c'est  un  defaut 
assez  ordinaire  aux  personnes  de  son  age,  de  se 
laisser  emporter  au  depit  et  a  I'araour. 

Sans  particulariser  les  cboses  davantage ,  le 
depit  de  madame  de  Montbazon  contre  M.  de 
Longueville  ,  et  le  sien  contre  madame  sa 
femme,  firent  que ,  rencontrant  son  interet  dans 
la  passion  de  celle  qu'il  aimoit ,  il  se  porta  a  des 
actions  un  peu  inconsiderees ;  etayaut  desoblige 
M.  d'Enghien ,  il  le  jeta  dans  le  parti  du  grand- 
maltre  contre  lui.  II  se  tit  un  autre  ennemi  en 
ce  temps -la,  mais  ce  fut  par  un  trait  de  genero- 
site  et  defermete;  car  faisant  profession  d'etre 
ami  intime  de  MM.  de  Bethune  et  de  Montresor, 
il  ne  voulut  pas  meme  saluer  La  Riviere;  et 
cette  froideur  le  separa  infinimentdu  commerce 
et  de  Tinteret  de  Monsieur,  qui  avoit  deja  quel- 
que chose  sur  le  cceur  contre  lui  de  ce  que ,  lui 
ayantparle  du  traite  d'Espagne,  il  s'excusa  d'y 
entrer,  et  dit  qu'il  falloit  qu'il  eut  la-dessus 
I'avis  de  monsieur  son  pere,  qui  etoit  en  Angle- 
terre,  et  a  qui  on  eut  difficilement  eoufie  un  tel 
secret. 

Beaucoup  de  gens  ont  trouve,  etrange  qu'il  eiit 
refuse  de  se  mettre  dans  un  parti  fait  contre 
I'ennemi  capital  de  sa  maison ,  et  j'aurois  moi- 
meme  peine  a  comprendre  la  raison  de  sa  rete- 
nue  sur  ce  sujet,  si  je  ne  savois  que,  quelque 
temps  apres,  il  en  voulut  faire  parler  a  la  Reine 
par  une  personne  a  qui  elle  ne  voulut  point  s'ou- 
vrir,  ni  meme  presque  preter  I'oreille,  ne  la 
jugeantpas,  a  mon  avis,  assez  prudente  pour 
une  intrigue  de  cette  importance ,  et  si  je  ne  con- 
jecturois  par  la  qu'avant  que  de  se  jeter  dans 
cet  embarras  il  vouloit  savoir  le  sentiment  de  la 
Reine,  a  qui  il  s'etoit  des-lors  absolument 
donne.  Enfin  ,  quelque  raison  qu'il  eut  en  cette 
rencontre ,  Monsieur  en  etoit  demeure  mal  satis- 
fait;  et  ce  pretexte  etoit  assez  plausible  pour  four- 
nir  matiere  a  La  Riviere  d'aigrir  Son  Altesse 
Royale  contre  lui. 

Pendant  toutes  ces  diverses  menees,  le  Roi 
baissoit  chaque  jour ,  et  les  medecins  commen- 
Qoient  a  predire  que  sa  fin  arriveroit  bientot.  Ce 
pitayable  etat  obligea  le  cardinal   Mazarin  et 


M.  de  Chavlgny  de  songer  serieusement  a  leurs 
affaires  ;  et  comme  ils  voyoient  que  toutes  leurs 
brigues  en  faveur  de  Monsieur  n'avoient  produit 
autre  fruit  que  de  faire  eclater  I'inclination  que 
la  France  presque  toute  entiere  avoit  a  servir 
la  Reine,  et  que  meme  Son  Altesse  Royale, 
perdant  toute esperance  d'etre  co-regent, lui  te- 
raoignoit  qu'il  lui  obeiroit  tres-volontiers,  ils 
essayerent  de  regagner  quelque  creance  aupres 
d'elle,  lui  firent  faire  de  nouvelles  protestations 
de  leurfidelite,  et  tacherent  meme  de  menager 
I'esprit  de  M.  de  Beauvais.  Mais  leurs  efforts 
farent  d'abord  assez  inutiles ,  et  leurs  compli- 
mens  peu  persuasifs,  parce  qu'outre  ce  qu'ils 
avoient  entrepris  ouvertement  pour  Monsieur  , 
M.  Des  Noyers,  qui  avoit  des  le  commencement 
temoigne  son zele  pour  la  Reine,  emportoit  tout 
le  merite  de  ce  qui  s'etoit  fait  jusqu'alors ,  et  eux 
au  contraire  portoient  toute  I'iniquite.  De  plus, 
leur  changement  etoit  plutot  recu  comme  une 
marque  de  leur  impuissance ,  que  comme  une 
preuve  de  leur  bonne  volonte  ,  et  sans  doute  ils 
auroient  fait  peu  de  progres  de  ce  c6te-ia,  si  le 
petit  bonhommeM.  Des  Noyers  eut  eu  plus  de 
patience ,  ou  plus  de  souplesse  aupres  du  Roi. 
On  a  impute  generalement  sa  retraite  au  de- 
plaisir  qu'il  eut  de  ne  pouvoir  gagner  aupres  de 
Sa  Majeste  le  credit  qu'il  s'etoit  figure,  et  d'y 
voir  (a  ce  qu'on  croit)  prevaioir  le  cardinal.  On 
ajuge  que  ce  fut  sur  cela  qu'il  lui  demandasi 
instamraent  son  conge ,  dans  une  contestation 
qu'il  eut  pour  les  interets  du  marechal  de  La 
Mothe  et  pour  les  depenses  de  I'armee  d'ltalie  , 
et  que,  n'ayant  pu  I'obtenir  lui-meme,  il  pria  le 
cardinal  de  s'y  employer  ;  ce  que  celui-ci  fit  si 
efficacement,  que  dans  le  soir  meme  il  lui  ap- 
porta  la  permission  de  s'en  aller  a  Dangu.  Mais 
pour  moi  je  crois ,  avec  des  personnes  assez  in- 
telligentes,  que  ce  qui  parut  etre  le  premier  mou- 
vement  d'un  esprit  fort  prompt  fut  le  trait  d'un 
courtisan  prevoyant  et  raffine,  et  que  M.  Des 
Noyers  voyant  que  la  declaration  qu'il  avoit  re- 
tardee  jusqu'a  ce  temps-la  alloit  eclater  dans 
peu  de  jours  ,  soit  par  I'opiniatrete  du  Roi ,  soit 
par  les. suggestions  des  deux  autres  ministres, 
et  qu'il  etoit  compris  dans  le  nombre  de  ceux 
qu'on  mettoit  dans  le  conseil  de  la  regence ,  ii 
voulut  s'en  oter  absolument,  persuade  que,  se 
retirant  chez  lui  dans  un  temps  ou  le  Roi  ne 
pouvoit  plus  guere  durer  ,  la  Reine  ne  perdroit 
point  le  souvenir  deses  services,  et  qu'etantjus- 
tementaigrie  contre  les  autres,  a  cause  de  cette 
declaration  qui  serabloit  la  mettre  en  tutele, 
elle  les  eloigneroit  sitot  qu'elle  seroit  en  pouvoir, 
pour  se  servir  principalement  de  lui  comme  du 
plus  instruit  dans  toutes  les  affaires.  La  suite  de 


MEMOIRES    DE    LA    CHATRU.    [iT.-iS] 


277 


ce  discours  fera  voir  que  ce  raisonnement  n'e- 
toit  pas  trop  mal  fonde. 

Mais ,  avant  que  de  passer  outre ,  je  suis 
oblige  de  deduire  quelques  affaires  particulie- 
res  ;  i'une,  que  le  gouvernement  de  Bretagne, 
donne  au  grand-maitre ,  lui  ayant  acquis  I'ini- 
mitie  de  la  maison  de  Vendome ,  cette  mesintel- 
ligence  ouverte  partagea  toute  la  cour;  M.  d'En- 
ghien  ,  M.  de  Longueville,  messieurs  deLesdi- 
guieres,  deSchomberg,  de  La  Rochefoucauld, 
et  quelques  autres,  se  rangerent  du  cote  du 
grand-maitre;  etpresque  tout  le  restesedeclara 
pour  messieurs  de  Vendome.  M.  de  Marsillac 
ayant  obligation  au  premier ,  et  voyant  son  pere 
dans  son  parti ,  etoit  pret  a  s'y  mettre  aussi ; 
mais  en  ayant  parle  a  la  Reine ,  elle  lui  com- 
manda  de  s'offrir  a  M.  de  Beaufort ,  et  lui  en 
parla  comme  de  la  personne  du  monde  pour  qui 
elle  avoit  autant  d'estime  et  d'affection.  Get  or- 
dre  qu'il  recut  a  ete  su  de  la  plupart  de  ceux 
qui  etoient  alors  a  Saint-Germain  5  maisilm'ar- 
riva  deux  discours  avec  elle,  qui,  n'etant  pres- 
que  que  de  mon  interet ,  n'ont  point  eclate ,  et 
n'ont  ete  qu'entre  mes  plus  particuliers  amis. 

Le  premier  fut  sur  le  sujet  de  M.  de  Beaufort, 
pour  qui ,  lui  temoignant  beaucoup  de  passion  , 
je  lui  dis  que  la  principale  raison  qui  m'attachoit 
a  son  amitie  etoit  le  zele  extraordinaire  que  je 
reconnoissois  en  lui  pour  les  iuterets  de  Sa  Ma- 
jeste.  Get  article  lui  plut ,  et  elle  amplilia  la  ma- 
tiere  que  j'a vols  entamee  avec  des  termes  qui  ne 
me  permirent  plus  de  douter  de  sa  confiance 
pour  ce  pauvre  prince,  etdu  plaisir  qu'on  lui 
faisoit  de  s'unir  avec  lui.  L'autre  entretien  fut 
un  peu  de  plus  lougue  haleine ;  et  le  sujet  en 
futqu'au  meme  temps  que  j'entrai  dans  la  charge 
de  colonel-general  des  Suisses,  M.  Des  Noyers 
introduisit ,  en  celle  de  coramissaire  general  de 
cette  nation ,  Lisle-la-Sourdiere  ,  sa  creature. 
Quoique  cela  m'apportat  beaucoup  de  prejudice 
je  n'avois  pas  lieu  de  m'en  plaindre,  parce  que 
I'affaire  etoit  resolue  avant  que  j'achetasse  ma 
charge.  Ge  m'etoit  toutefois  un  tres-facheux  ob- 
stacle ,  parce  que  M.  Des  Noyers,  qui  autlcipoit 
volontiers  sur  toutes  celles  oil  il  pouvoit  mordre, 
donnoit  a  son  dependant  une  autorite  tres- 
grande ,  et  qui  alloit  au  detriment  de  la  mienne. 
Des  I'instant  qu'il  se  fut  retire,  la  plupart  de  la 
cour,  qui  n'ignoroit  pas  mon  interet,  me  solli- 
cita  de  songer  a  la  suppression  de  ce  nouvel  of- 
ficier.  Pour  moi,  quoique  je  n'eusse  point  de 
liaison  avec  M.  Des  Noyers  qui  me  dut  empe- 
cher  de  me  servir  de  I'occasion  que  me  donnoit 
sa  disgrace  ,  sachant  que  la  Reine  le  croyoitson 
serviteur,  et  n'etoit  pas  satisfaite  des  autres, 
dontil  m'eut  fallu  rechercher  I'appui ,  je  me  re- 


solus,  avant  toutes  choses,  de  savoir  son  senti- 
ment. L'etant  alle  trouver ,  je  lui  dis  que  ce 
petit  changement  m'offroit  une  rencontre  de  me 
procurer  un  avantage  qui  me  rendroit  plus  au- 
torise,  et  plus  en  etat  de  la  servir  dans  ma 
charge ;  mais  que  s'agissant  de  deposseder  une 
creature  de  M.  Des  Noyers,  qui  m'avoit  paru 
fort  zelee  pour  son  service,  et  etant  besoin  que  je 
m'appuyasse  de  ces  deux  messieurs ,  qui  ne  s'e- 
toient  pas  comportes  envers  elle  de  manierc 
qu'elle  en  diit  etre  satisfaite ,  je  n'avois  rien 
voulu  entreprendre  qu'auparavant  je  ne  fusse 
venu  savoir  la  volonte  de  Sa  Majeste;  que ,  m'e- 
tant  devoue  absolumeut  a  elle,  je  ne  voulois  ja- 
mais de  bien  ni  de  faveur  que  par  son  moyen  ; 
et  que  j'auroisattendu  sans  impatience  le  temps 
on  elle  m'en  eiit  pu  faire  ,  sans  lui  parler  de  mon 
petit  interet,  si  je  n'eusse  cru  lui  en  devoir  ren- 
dre  compte ,  pour  apprendre  si,  avec  cet  accrois- 
sement  de  pouvoir ,  elle  me  jugeroit  plus  en  elat 
d'obeir  a  ses  commandemens.  Apres  beaucoup 
de  civilites  et  d'assurances  qu'elle  n'oublieroit 
jamais  la  passion  que  je  lui  faisois  paroitre  pour 
son  service,  elle  me  repondit  que  je  devois  me 
prevaloir  de  I'occasion ,  et  me  servir  de  qui  je 
pourrois,  et  qu'elle  en  seroit  fort  aise,  parce 
que  je  lui  serois  plus  utile  ayant  plus  de  credit; 
que  M.  Des  Noyers  s'etoit  trop  hate ,  et  s'etoit 
voulu  perdre  pour  son  plaisir;  et,  apres  quelques 
paroles  sur  son  sujet,  elle  fmit  sans  me  rien 
dire  des  deux  autres  ministres ,  et  me  promit,  en 
me  quittant,  que,  si  la  chose  nes'achevoit  point 
avant  qu'elle  fut  en  autorite ,  elle  me  feroit  cette 
grace  avec  beaucoup  de  joie. 

Apres  cette  conference ,  je  priai  le  comman- 
deur  de  Souvre  de  parler  au  cardinal ,  et  M.  de 
Liancourt  a  M.  de  Ghavigny ,  afm  qu'ils  m'o- 
bligeassent  en  cette  occasion.  La  reponse  qu'il« 
firent  tons  deux  fut  qu'ils  s'y  emploieroienttres- 
volontiers;  mais  qu'il  falloit  differer  quelques 
jours ,  parce  que  ce  seroit  se  detruire  eux-me- 
mes  que  d'aller  parler  si  promptement  au  Roi 
contre  un  homme  avec  qui  ils  n'avoient  eu  aur 
cun  demele,  et  qui  etoit  entre  dans  les  affaires 
par  la  meme  voie  qu'eux,  II  est  certain  qu'en  ce 
temps-la  ils  n'etoient  pas  trop  assures  de  I'es- 
prit  du  raaitre,  et  que  le  lendemain  de  la  dis- 
grace de  M.  Des  Noyers  il  ne  voulut  jamais  par- 
ler d'affaires  au  cardinal ,  que  M.  de  Ghavigny 
ne  fut  hors  de  la  chambre.  Et  ensuite ,  sur  une 
proposition  que  le  cardinal  lui  fit,  il  repartitai- 
grement «  que  cela  etoit  italien  en  diable.  » 

Pour  revenir  a  mon  discours ,  je  n'eus  pas  Id 
temps  devoir  I'effet  de  leurs  promesses;  car 
huit  jours  apres  ,  le  Roi  se  sentant  fort  affoiblir, 
decouvrit  enfin  sa  volonte  sur  la  regence ,  et 


278 


MEMOIUKS    13K    LA    CHATUl  .    [lG43] 


parla  tout  haut  de  eette  declaration,  dontj'ai 
fait  mention  ci-devant.  Je  crois  que  ces  deux 
messieurs  n'y  nuisirent  pas  ;  mais  ,  comme  j'ai 
dejadit,  il  est tres- veritable  qu'en  deux  outrois 
points,  s'ils  ont  ete  les  inventeurs,  ils  ontdevine 
lesensduRoi,  quijugeoit  la  Reine  incapable 
de  toutes  affaires  et  tres-passionnee  pour  sa 
patrie ,  et  ne  croyoit  rien  de  si  pernicieux  a  I'E- 
tat  que  I'autorite  de  M.  de  Cbateauneuf,  parce 
qu'entre  les  autres  choses  il  le  croyoit  insepara- 
ble de  madame  de  Chevreuse  dont  il  apprehen- 
doit  I'esprit,  et  eut  voulu  trouver  un  biais  de  la 
bannir  pour  jamais  de  France.  II  n'avoit  guere 
plus  d'inclination  pour  Monsieur ,  son  frere ,  et 
je  sais  que  dans  sa  maladie  il  a  dit  quelquefois 
a.  la  Reine  que  c'etoit  de  lui  dont  leurs  enfans 
avoient  principalement  a  craindre  :  si  bien  que 
ce  qui  touche  Son  Altesse  Royale  vient  assure- 
ment  de  son  instinct.  Enfin  ,  soit  que  cela  vint 
du  mouvement  du  Roi  ou  du  conseil  des  minis- 
tres,  la  Reine  en  fut  horriblement  ulceree  con- 
tre  eux  ,  et  dit  a  la  plupart  des  personnes  qui 
avoient  quelque  acces  aupresd'elle,  que  c'etoient 
des  tours  qui  ne  se  pardonnoient  point ,  et  que 
quand  le  feu  cardinal ,  son  ennemi  declare,  eiit 
vecu,  il  n'eut  pu  lui  faire  pis.  Cette  demonstra- 
tion d'une  haine  si  ouverte  fut  cause  que  tous 
ceux  qui  s'etoient  attaches  particulierement  a  la 
Reine  s'eloignerent  absolumeut  d'eux  ;  et  depuis 
le  jour  que  le  Roi  fit  lire  cette  belle  declaration 
devant  lui ,  et  preter  serment  a  la  Reine  et  a 
Monsieur  de  I'observer ,  et  qu'il  voulut  que  Mon- 
sieur la  portat  le  leudemain  au  parlement,  mes- 
sieurs de  Vend6me,M.  de  Metz,  M.  de  Retz, 
M.  de  Marsillac,  le  comte  de  Fiesque,  le 
comte  de  Rethune ,  Reaupuy ,  et  beaucoup  d'au- 
tres  aussi  ses  serviteurs  particuliers ,  dont  je  fus 
du  nombre ,  ne  les  visiterent  plus. 

Voila  le  commencement  de  nos  malheurs; 
ear,  apres  ce  premier  pas  fait,  il  nous  fut  pres- 
que  impossible  de  revenira  eux  de  bonne  grace. 
Mais  deux  raisons  nous  y  precipiterent :  I'une  , 
le  dessein  de  plaire  a  la  Reine  en  nous  eloi- 
gnant  decequ'elle  haissoit,  et  I'autre,  la  ma- 
ladie extreme  du  Roi ,  qui  fit  croire  meme  aux 
medecins  qu'il  ne  pouvoit  durer  que  deux  ou 
trois  jours ,  et  nous  fit  resoudre ,  voyant  ces 
messieurs  sur  le  penchant ,  de  les  pousser  tout- 
a-fait ,  et  essayer  a  porter  la  Reine  a  mettre  en 
leurs  places  des  personnes  tres-capables ,  et 
dont  la  plupart  de  ce  que  nous  elions  pouvions 
esperer  de  I'amitie  et  du  support :  et  ce  dessein 
nous  sembloit  tres-facile,  vu  I'etat  ou  etoit  alors 
I'esprit  de  la  Reine.  Le  jour  propre  de  la  decla- 
ration ,  les  medecins  ne  jugerent  pas  que  le  Roi 
put  aller  qu'a  grand'peine  jusqu'au  lendemain. 


Dans  cette  pensee ,  on  commenca  a  lui  parler  de 
pardonner  et  de  rappeler  tous  les  exiles.  M.  de 
Reaufortfut  le  premier  qui  parla  pour  monsieur 
son  pere  ,  et  dit  hautement  aux  ministres  que, 
s'ils  n'en  faisoient  sur  I'heure  I'ouverture  au 
Roi,  il  la  lui  alloit  faire  lui-meme.  Ces  messieurs , 
pour  ne  pas  perdre  leur  emploi ,  en  parlerent  a 
I'instant  a  Sa  Majeste,  et  ensuite  demanderent 
et  obtinrent  la  meme  grace  pour  M.  de  Belle- 
garde  ,  pour  messieurs  les  marechaux  de  Vitry, 
de  Bassompierre  et  d'Estrees  ,  pour  le  comte  de 
Cramail  ,  et  pom-  Manicant  et  Biringhen.  Des 
le  meme  jour  M.  de  Vendome  arriva  d'Anet ; 
et  les  autres  ,  qui  etoient  les  plus  eloignes,  arri- 
verent  a  la  file  durant  le  reste  de  la  semaine. 
Cependant  la  Reine ,  peu  accoutumee  aux  af- 
faires, se  trouvant  accablee  de  voir  beaucoup  de 
monde  qui  venoit  I'aborder,  voulut  ,  pour  s'en 
decharger,  que  chacun  allat  trouver  M.  deBeau- 
vais,aquides  long-temps,  mais  particuliere- 
ment depuis  I'hiver,  elle  avoit  donne  sa  princi- 
pale  conflance.  Elle  ne  pouvoit  mieux  choisir 
pour  la  fldelite,  ni  guere  plus  mal  pour  la  ca- 
pacity, ce  bon  prelat  n'ayant  pas  la  cervelle  as- 
sez  forte  pour  une  telle  charge. 

Nous  le  recomumies  des  le  jour  meme ,  en  ce 
que  des  personnes  de  la  robe ,  tres-zelees  pour 
la  Reine,  venant  de  lui  demander  quel  service 
on  pouvoit  rendre  a  Sa  Majeste  dans  le  parle- 
ment (n'y  ayant  point  lieu  de  douter  que  son  pre- 
mier but  ne  dut  etre  de  faire  casser  la  declara- 
tion) ,  il  leur  fit ,  hors  de  propos ,  I'ignorant  des 
intentions  de  sa  maitresse ,  et  voulut  mettre  la 
chose  en  longueur  dans  un  temps  ou,  le  Roi  pa- 
roissant  tirer  a  sa  tin,  tous  les  momens  sem- 
bloient  etre  precieux.  II  est  homme  de  grande 
probite  et  fort  desinteresse  du  bien  ;  mais  il  est 
ambitieux,  comme  lesontla  plupart  des  devots, 
et  se  voyant  designe  pour  premier  ministre, 
tout  le  monde  lui  faisoit  ombrage  :  et  meme 
ayant  ete  jusqu'alors  en  parfaite  intelligence 
avec  M.  de  Beaufort ,  il  se  refroidit,  et  fit  meme 
que  la  Reine  se  retira  durant  quelques  jours  de 
lui ,  sur  la  pensee  qu'il  eut  que  ce  prince  vou- 
loit  pousser  M.  de  Limoges  aupres  d'elle.  II  se 
reconnut  et  changea  bientot  d'humeur  a  ce  su- 
jet;  mais  il  n'en  fit  pas  de  meme  pour  M.  de 
Chateauneuf ;  car  I'apprehension  qu'il  eut  que 
I'ancienne  inclination  de  la  Reine  pour  lui  ne  se 
renouvelat  et  ne  diminuat  son  credit  aupres 
d'elle,  fit  qu'il  le  ruina  autant  qu'il  lui  fut  pos- 
sible ,  et  je  doute  meme  si  ce  ne  fut  point  par  son 
conseil  que  ,  quelque  temps  auparavant ,  elle 
promit  les  sceaux  au  president  Le  Bailleul. 

Je  sais  bien  qu'avant  la  mort  du  Roi  elle 
avoit  une  fois  change  d'avis,_et  qu'elle  avoit 


MEMOIRES    UK    LA    CHATHE.    [1013 


279 


resolu  de  rendre  justice  a  M.  de  Ch^teauneuf ; 
maisj'ai  de  la  peinea  croire  que  M.  de  Beaiivaisy 
eut  eontribue ,  et  suis  certain  que  le  bonhorame, 
De  se  connoissant  pas  bieu ,  se  voulut  charger 
seul  du  poids  des  affaires  dont  il  fut  coimu  in- 
capable par  la  Reine  des  le  premier  moment,  et 
donna  ainsi  lieu  a  ses  ennemis  de  s'introduire 
et  de  le  detruire  ;  au  lieu  qu'en  rappelant  M.  de 
Chateauneuf,  s'il  n'eiit  conserve  la  premiere 
place ,  il  en  auroit  au  raoins  toujours  possede 
une  fort  honorable.  Mais,  comme  j'ai  deja  dit, 
il  ne  sentoit  pas  sa  foiblesse  ;  et  parmi  ses  de- 
fauts  il  est  louable  au  moins  de  ce  qu'il  a  agi  de 
bonne  foi  avec  ses  amis  ,  et  de  ce  que  le  car- 
dinal Mazarin  et  M.  de  Chavigny  lui  faisant  ou 
envoyant  faire  chaque  jour  beaucoup  de  propo- 
sitions ,  il  n'a  jamais  rien  menage  avec  eux 
dont  il  n'ait  fait  part  a  ceux  qui  s'etoient  lies 
avec  lui. 

Je  m'arrete  peut-etre  trop  a  ces  petites  circon- 
stances  :  mais  les  trois  dernieres  semaines  de  la 
vie  du  Roi  s'etant  passees  en  petites  intrigues , 
dont  toutes  les  particularites  ont  ete  considera- 
bles, il  faudra  par  necessite  que  je  marque 
meme  les  raoins  importantes.  Le  soir  de  ce  jour, 
qui  fut  le  commencement  de  cent  negociations 
differentes  ,  le  Roi  se  sentit  un  pen  mieux  ,  mais 
non  pas  assez  bien  pour  faire  esperer  qu'il  put 
aller  plus  de  deux  ou  trois  jours.  Le  lendemain 
il  fut  presque  au  meme  etat ,  et  sur  le  soir  il 
choisit  le  cardinal  Mazarin  pour  parrain  de  mon- 
seigneur  le  Dauphin,  avec  madame  la  princesse. 
Le  jour  suivant ,  son  mal  augmentant ,  le  car- 
dinal lui  fit  quelque  ouverture  qu'il  falloit  son- 
ger  a  la  raort ;  et  a  peine  lui  en  eut-il  dit  le  pre- 
mier mot ,  que  ce  pauvre  prince,  s'y  resolvant 
avec  beaucoup  de  Constance  et  de  piete  ,  se  cou- 
fessa  et  demanda  le  viatique.  Le  reste  du  jour, 
les  medecins  trouverent  qu'il  baissoit  toujours  ; 
et  le  lendemain  ils  le  jugerent  assez  mal  pour 
lui  faire donner  I'extreme-onction.  Cejour,qu'on 
nomma  depuis  le  grand  jeudi ,  fut  assez  remar- 
quable  dans  la  cour  pour  beaucoup  de  choses 
qui  s'y  passerent ,  dont  I'origine  fut  que  le  grand- 
maitre  croyant  que  le  Roi  alloit  mourir,  et  crai- 
gnant  que  messieurs  de  Yendome ,  portes  pres- 
que de  toute  la  cour,  ne  lui  Assent  un  affront , 
il  fit  dessein  de  s'escorter  du  mieux  qu'il  pour- 
roit ,  et  envoya  pour  cet  effet  chercher  dans 
Paris  tons  les  officiers  dependant  de  sa  charge  , 
qui  amenerent  chacun  quelques-uns  de  leurs 
amis.  Tout  ce  ramas  fit  environ  trois  ou  quatrc 
cents  chevaux ,  qui,  venant  de  Paris  en  assez 
grosses  troupes ,  donnerent  une  espece  d'alarme 
a  Saint-Germain.  Monsieur  ayant,  sur  ce  bruit, 
demande  c'l  M.  le  prince  s'il  faisoit  vcnir  ses 


gens  ,  celui-ci  lui  repondit  qu'il  les  alloit  en- 
voyer  querir,  croyant ,  a  ce  qu'il  a  dit  depuis , 
qu'il  parlat  de  ses  officiers.  Monsieur,  entendant 
la  chose  d'une  autre  maniere ,  envoya  en  meme 
temps  querir  la  plupart  de  sa  suite ;  et  cette 
nouvelle  etant  rapportee  a  la  Reine ,  elle  ne 
douta  point  que  ce  ne  fiit  pour  quelque  entre- 
prise  :  si  bien  que  sortant  du  vieux  chateau  ,  ou 
elle  logeoit ,  pour  aller  au  neuf ,  ou  etoit  le  Roi, 
elle  laissa  messieurs  de  Vendome  aupres  de  mes- 
seigneurs  ses  enfans  ,  les  recommandant  princi- 
palement  a  M.  de  Beaufort ,  avec  des  paroles 
qui  marquoient  la  plus  haute  estime  et  la  plus 
grande  confiance  qu'on  puisse  jamais  avoir. 

Etant  venue  au  chateau  neuf,  elle  m'appela  , 
et  me  commanda  tout  haut  d'envoyer  ordon- 
ner  au  regiment  des  gardes  suisses  de  se  tenir 
pret  a  marcher,  et  de  faire  aussi  mettre  en  etat 
beaucoup  d'autres  officiers  suisses  que  je  lui 
avois  dit  etre  a  Paris ,  et  m'assurer  de  plus  de 
ce  que  je  trouverois  de  mes  amis.  Le  Roi  et  elle 
donnerent  ensuite  ordre  a  M.  de  Charost  de 
faire  faire  des  gardes  extraordinaires  au  dedans 
du  vieux  chateau  ,  ou  des  le  jour  de  devant 
nous  avions  fait  mettre  la  meme  garde  des  deux 
regimens  devant  le  lieu  oil  etoit  le  Roi.  Enfin  il 
ne  se  put  guere  ajouter  aux  defiances  que  tous 
deux  temoignerent  avoir  de  Monsieur ;  et  je 
crois  qu'ils  en  auroient  fait  de  meme  de  M.  le 
prince  ,  s'il  n'eut  ete  un  des  premiers  a  leur  ve- 
nir  conter  Taction  de  Son  Altesse  Royale  ,  qui 
se  repatria  des  le  meme  jour  avec  la  Reine ,  lui 
fit  quelques  plaiutes  de  sa  mefiance ,  et  se  prit  a 
M.  le  prince  de  tout  ce  vacarme  fait  contre  lui. 
J'avoueque  quand  M.  de  Beaufort  n'auroit  eu 
que  ce  jour  de  bonheur  en  toute  sa  vie,  je  le 
tiendrois  assez  glorieux  d'avoir  ete  choisi  pour 
etre  gardien  du  plus  grand  tresor  qui  fut  en 
France.  On  le  blame  d'avoir  trop  fait  I'empresse , 
mais  il  se  trouvera  peu  de  personnes  qui,  dans 
une  posture  si  avantageuse,  eusscnt  pu  se  mode- 
rer,  et  qui  ne  se  fussent  laissees  transporter  a  la 
joie  de  regarder  cinq  cents  gentilshommes  ( en- 
tre  lesquels  il  y  avoit  grand  nombre  de  gens  de 
condition)  qui  sembloient  n'attendre  que  ses  or- 
dres ,  et  voir  meme  le  premier  prince  du  sang 
lui  venir  faire  compliment.  II  est  indubitable 
que  si  le  Roi  fut  mort  ce  jour-la  ,  les  ministres 
etoient  perdus  sans  ressource  ,  et  que  la  Reine  , 
animee  par  tant  de  raisons  contre  eux  ,  ne  leur 
eut  pas  pardonne.  Mais  quoiquece  pauvre  prince 
ne  recut  point  de  soulagement  durant  toute  la 
journ4 ,  et  que  sur  le  soir,  se  voulant  depouiller 
de  toutes  les  pensees  deson  Etat,  il  ordonnat  a 
la  Reine  d'aller  tenir  le  conseil  (cequ'elle  fit, 
apres  s'en  etre  dcfenduc  avec  beaucoup  dc  lar- 


L\SO 


MEMOIRES    DE    LA 


raes ) ,  la  iiuit lui  appoila  de  I'amendement ;  et 
le  lendemain  matin,  se  trouvant  mieux  ,  il  se  fit 
faire  la  barbe,  passa  rapres-diuee  a  faire  enfiler 
des  niorilles  et  des  champignons,  et  a  ouir  chan- 
ter Nielle  dans  sa  ruelle  ,  et  lui  repondre  par- 
lois ;  et  sur  le  soir ,  voulant  tenir  le  conseil, 
il  le  dit  a  la  Reine,  et  la  fit  sortir  de  la  cham- 
bre  :  ce  qu'elle  pril  pour  un  nouvel  outrage  fait 
par  les  deux  ministres,  a  qui  ce  petit  moment 
de  meilleure  sante  ayant  rehausse  le  coeur,  leurs 
dependans  commencerent  a  dire  hautement  que 
si  le  Roi  guerissoit ,  on  pouvoit  s'assurer  de  la 
ruine  des  Importans  (c'est  ainsi  qu'ou  nommoit 
dejatous  ceux  qui  s'etoient  si  ouvertement  de- 
clares pour  la  Reine,  et  contre  eux).  Mais,  le 
jour  suivant ,  le  Roi  etant  retorabe  dans  sa  pre- 
miere langueur ,  ils  perdirent  toute  esperance 
qu'on  le  put  sauver,  et  redoublerent  des  lors  plus 
que  jamais  toutes  leurs  intrigues  du  cote  de  la 
Reine ,  aupres  de  qui  ils  se  trouverent  aides  de 
beaucoup  de  personnes  differentes. 

Madame  la  princesse,  piquee  contre  M.  de 
Beaufort  delaraaniere  dont  il  en  avoit  use  en- 
vers  madame  de  Longueville,  contre  qui  il 
avoit  temoigne  trop  de  depit  et  d'aigreur,  fut 
une  des  premieres  qui  parla  pour  eux ;  M.  de 
Liancourt  les  servit  avec  I'ardeur  qu'il  a  ordi- 
nairement  pour  ses  amis ,  et  madame  sa  femme 
et  madame  de  Chavigny  n'en  perdirent  point 
d'occasion  :  mais  les  plus  fortes  machines  qu'ils 
employerent  furent  le  pere  Vincent ,  Biringhen 
et  Montaigu.  Le  premier  attaqua  la  Reine  par 
la  conscience ,  et  lui  precha  incessamment  le 
pardon  des  ennemis ;  le  second ,  en  qualite  de 
son  premier  valet  de  chambre  ,  se  rendant  as- 
sidu  a  des  heures  ou  personne  ne  la  voyoit ,  lui 
remontra  que  ces  deux  messieurs  lui  etoient 
utiles,  et  qu'ayant  le  secret  de  toutes  les  af- 
faires importantes,  il  lui  etoit  presque  impossi- 
ble de  s'en  passer  dans  les  commencemens ;  mais 
le  troisieme,  devot  de  profession,  melant  Dieu 
et  le  monde  ensemble ,  et  joignant  aux  raisons 
de  devotion  la  necessite  d'avoir  un  ministre  in- 
struit  des  choses  de  I'Etat ,  y  ajouta  encore ,  a 
mon  avis ,  une  autre  consideration  qui  la  ga- 
gna  absolument,  qui  fut  de  lui  representer  que 
le  cardinal  avoit  en  ses  mains ,  plus  que  per- 
sonne ,  les  moyens  de  faire  la  paix  ,  et  qu'etant 
ne  sujet  du  Roi  son  frere,  il  la  feroit  avantageuse 
pour  sa  maison;  qu'elle  devoit  essaycr  de  le 
maintenir  en  pouvoir,  afin  de  s'en  faire  un  appui 


(i)  On  a  contest^  ce  fait,  et  I'on  supposait  meme  qu'il 
avail  ^t^  invents  par  le  cardinal  de  Rctz  ,  qui  en  parlo 
dans  ses  M6moires.  On  trouvc  done  dans  ceux  de  La 
Chatre  un  nouvcau  l(^nu)ignagc  en  faveur  de  la  scrupuleu- 


CHATBK.    [iGloj 

contre  les  factions  qui  pourroient  naitre  en 
France  durant  sa  regence. 

Voila  quels  furent  les  principaux  ressorts  que 
ces  messieurs  firent  jouer;  et  j'y  puis  encore 
ajouter  la  princesse  de  Guemene ,  puisque  ce 
fut  une  des  premieres  a  qui  la  Reine  s  ouvrit , 
et  une  de  celles  qui  la  confirma  le  plus  a  garder 
le  cardinal.  Je  ne  sais  si  je  dois  aussi  compter 
des-lors  M.  de  Brienne  ;  mais ,  soit  devant  ou 
apres  la  mort  du  Roi ,  il  est  certain  que  ce  fut 
un  des  premiers  qui  changea  de  parti ,  apres 
nous  avoir  promis  amitie.  On  s'etonnera  peut- 
etre  que  toutes  ces  choses  se  pussent  passer  sans 
que  notre  cabale  se  remuat  davantage ;  mais  a 
cela  j'ai  a  repondre  qu'en  premier  lieu,  M.  de 
Beauvais ,  qui  sembloit  avoir  le  principal  secret 
de  la  Reine ,  fut  le  premier  trompe ,  et  que  Sa 
Majeste,  n'ayant  pas  ete  satisfaite  des  reponses 
qu'il  lui  fit  sur  les  affaires  qu'elle  lui  proposa 
d'abord  ,  commenca  a  se  degoiiter  de  lui ,  et  ne 
lui  decouvrit  plus  le  fond  de  son  ame.  Quelque- 
fois  a  lui ,  et  a  tons  nous  autres ,  elle  temoignoit 
quelque  envie  de  garder  le  cardinal  pour  un 
temps ;  mais  au  meme  instant  qu'on  lui  disoit 
quelques  raisons  pour  Ten  dissuader,  elle  sem- 
bloit y  acquiescer,  et  n'en  parloit  plus  :  si  bien 
que  si  ses  premiers  sentimens  nous  donnoient 
quelque  soupcon ,  cette  condescendance  a  ce 
qu'on  lui  representoit  nous  rassuroit  aussitot. 
Mais  ce  qui  nous  abusa  entierement  fut  qu'au 
meme  temps  qu'elle  inclinoit  du  cote  du  cardi- 
nal ,  elle  promettoit  a  M.  de  Beaufort  les  finan- 
ces pour  M.  de  La  Vieuville;  faisoit  esperer  les 
sceaux,  tanlot  a  M.  de  Chateauneuf,  tantot  a 
M.  de  Bailleul ;  assuroit  M.  de  Vendome  que , 
deux  heures  apres  la  mort  du  Roi,  elle  feroit 
vevenir  M.  Des  Noyers;  et  meme,  sur  la  fin  , 
en  voyoit  querir  le  pere  de  Gondy  (1)  et  le  pre- 
sident Barillon,  nouvellement  revenu  de  son 
exil  d'Amboise,  pour  savoir  leurs  sentimens. 
Je  crois  qu'il  peut  y  avoir  eu  beaucoup  de  dissi- 
mulation dans  tout  ce  procede;  mais  aussi  il  y 
a  eu  sans  doute  beaucoup  d'incertitude  et  d'irre- 
solution.  Cependant  ce  n'etoit  pas  de  ce  seul 
cote  que  le  cardinal  travailloit:  il  essayoit  aussi 
a  se  maintenir  avec  Monsieur,  et  a  s'assurer  de 
M.  le  prince;  mais  pour  ce  dernier,  quoiqu'il 
aimat  mieux  que  les  affaires  demeurassent  entre 
les  mains  de  ceux  qui  les  gouvernoient  alors, 
que  de  les  voir  tomber  en  celles  de  M.  de  Cha- 
teauneuf, il  ne  voulut  jamais  pourtaut  leur  pro- 


se exactitude  des  faits  rapportes  par  le  cardinal  do  Uclz. 
Les  documents  originaux ,  en  tres-grand  nombrc  pour 
lYpoque  des  M(5moires  de  ce  dernier  personnage,  soni 
toujours  d'accord  avec  sa  narralion. 


MEMOIBES    DE    LA    CHaTKE.    [lGi3 


281 


mettre  autre  chose  que  de  faire  ce  que  Monsieur 
feroit.  La  Riviere ,  qui  gouvernoit  absolument 
Monsieur,  tint  le  cardinal  en  balance  jusqu'a  la 
fm ;  et  si  ses  interets  particuliers  ne  I'eussent 
empeche  de  s'accommoder  avec  nous,  je  crois 
qu'il  n'eut  jamais  favorise  I'autre  parti. 

J'ai  deja  parle  de  son  inimitie  decouverte 
avec  M.  de  Montresor,  et  de  la  noire  calomnie 
qu'il  avoit  inventee  contre  le  corate  de  Bethune, 
ensuite  du  commandement  que  ce  dernier  re- 
cut  du  Roi :  La  Riviere  gagna  tant  sur  I'esprit 
de  son  maitre,  que  Son  Altesse  Royale  fit  ecrire 
a  M.  de  Montresor,  en  Angleterre,  qu'il  desi- 
roit  qu'il  se  raccommodat  avec  lui.  M.  de  Mon- 
tresor, qui  nevouloit  pass'expliquerde  si  loin, 
repondit  seuleraent  que  quand  il  seroit  en  France 
il  auroit  I'honneur  d'entretenir  Monsieur,  et  sui- 
vroit  ses  ordres.  Cette  reponse  ambigue  ne  dis- 
sipa pas  les  frayeurs  de  La  Riviere ,  qui,  voyant 
tous  les  amis  de  ces  deux  adversaires  ne  le 
point  saluer  et  ne  lui  parler  point ,  craignoit 
que  dans  la  contusion  de  la  mort  du  Roi  il  ne 
lui  arrivat  quelque  fracas;  et  quoiqu'en  ce 
temps- la  il  se  fut  raccommode ,  par  I'entremise 
du  marechal  d'Estrees,  avec  M,  de  Vendome, 
qui  paria  meme  favorablemeut  de  lui  a  la  Reine ; 
quoiqu'en  partant  d'Angleterre  il  eut  promis  a 
M.  de  Montresor  une  amitie  inviolable ,  il  crut 
n'avoir  rien  fait ,  s'il  ne  gagnoit  M.  de  Beau- 
fort. Dans  ce  dessein  ,  la  veille  de  la  mort  du 
Roi ,  il  pria  le  meme  marechal  de  lui  dire  que 
s'il  lui  vouloit  accorder  son  amitie ,  et  le  ga- 
rantir  des  ressentimens  de  ses  deux  ennemis,  il 
se  faisoit  fort ,  en  echange ,  d'empecher  que  le 
cardinal  demeurat  dans  les  affaires ,  et  de  faire 
agir  Monsieur  comme  Ton  voudroit. 

Je  fus  le  premier  a  qui  M.  de  Beaufort  conta 
cette  proposition ;  et  comme  il  m'en  demanda 
mon  sentiment,  je  lui  dis  que  les  interets  parti- 
culiers devoient  toujours  ceder  aux  generaux  , 
etque  je  trouvois  fort  raisonnable  qu'il  entendit 
a  I'offre  qu'on  lui  faisoit ,  mais  qu'il  me  dispen- 
seroit  de  m'y  meler  en  aucune  maniere,  etant 
cousin  germain  et  ami  intime  de  M.  de  Mon- 
tresor. 11  me  pria  d'en  aller  parler  au  comte  de 
Bethune:  ce  que  je  fis  a  I'heure  meme  avec 
M.  d'Humieres;  mais  je  le  trouvai  si  preoccupe 
de  ses  justes  ressentimens ,  qu'il  ne  put  songer 
a  d'autres  considerations;  et  toute  la  reponse 
que  nous  en  pumes  tirer,  et  qu'il  fit  ensuite  a 
M.  de  Beaufort ,  qui  lui  en  parIa ,  ce  fut  qu'il 
lui  remettoit  ses  interets ,  mais  qu'il  ne  pouvoit 
lui  repondre  des  mouvemens  de  I'esprit  de  son 
ami ,  qui  etoit  absent.  Mais  ces  paroles  furent 
dites  d'une  maniere  qui  fit  bien  connoitre  h 
M.  de  Beaufort  que  e'etoit  Toffcnser  mortollc- 


ment  que  de  passer  outre  ;  si  bien  que  des-lors 
il  rompit  ce  traite  :  dont  je  fus  tres-fache,  car 
encore  que  je  ne  me  veuille  jamais  separer  des 
interets  de  mes  amis ,  j'avoue  qu'en  cette  ren- 
contre je  ne  voyois  point  d'occasion  de  balancer, 
et  que  je  trouvois  foible  la  raison  du  comte  de 
Bethune ,  qui  disoit  que ,  sans  considerer  ce  qui 
le  touchoit ,  c'etoit  beaucoup  d'iraprudence  de 
se  fier  a  un  coquin  de  naissance  et  a  un  fourbe 
avere,  puisque,  s'il  nous  trorapoit,  nous  etions 
quittes  de  nos  paroles,  et  plus  en  etat  que  jamais 
de  pousser  nos  ressentimens;  et  s'il  nous  tenoit 
ce  qu'il  nous  promettoit ,  il  rendoit  un  service 
assez  considerable  pour  faire  oublier  tout  le 
passe.  De  dire  qu'il  se  fut  servi  de  ce  qu'on  lui 
eut  promis  pour  faire  son  parti  meilleur  de 
I'autre  cote,  etque  cela  nous  eut  pu  nuire,  c'est 
une  raillerie ,  puisque  deja  nous  etions  declares, 
et  comme  irreconciliables ;  que,  quoi  qu'il  en 
soit ,  M.  de  Beaufort  n'y  voulut  plus  songer ;  et 
on  lui  doit  donner  cette  gloire ,  qu'en  cette  oc- 
casion, eten  toute  autre,  il  a  toujours  prefere 
I'honorable  a  I'utile ,  et  n'a  jamais  songe  a  son 
fait  partieulier  :  ce  qui  parut  evidemment  dans 
la  distribution  que  fit  le  Roi  des  charges  va- 
cantes ;  car,  lorsque  M.  le  prince  eut  celle  de 
grand-maltre ,  il  pouvoit  avoir  celle  de  grand 
ecuyer,  s'il  eut  voulu  ceder;  mais  quoique  la 
Reine  le  pressat  de  la  prendre,  11  lui  dit  tou- 
jours qu'il  ne  vouloit  jamais  de  bien  que  par 
elle;  et  il  est  indubitable  qu'en  ce  temps-la  le 
cardinal  eut  donne  toutes  choses  pour  I'avoir 
pour  ami ,  et  non  seulement  lui ,  mais  tous  ceux 
dela  cabale  :  ce  que  je  sais  par  raoi-meme  ,  le 
commandeur  de  Souvre  m'etant  venu  sonder  de 
sa  part ,  et  me  dire  qu'encore  qu'on  me  nommat 
entre  ceux  qui  lui  vouloient  le  plus  de  mal , 
notre  amitie  de  Rome  I'empechoit  de  le  croire. 
A  quoi  je  repondis  seulement  qu'il  tn'obligeoit 
beaucoup  d'avoir  cette  creance ,  et  que  je  ne 
me  melois  que  de  faire  ma  charge 'et  de  ser- 
vir  la  Reine. 

Tel  etoit  I'etat  des  choses  lorsque  le  Roi  mou- 
rut ;  et  si  dans  cet  instant  on  eut  fait  un  affront 
a  quelqu'un  des  ministres,  sans  doute  que,  dans 
la  consternation  oii  ils  etoient ,  tout  le  reste  eiU 
pris  la  fuite.  Mais  on  crut  qu'il  falloit  laisser 
agir  la  Reine  ;  et  M,  de  Reaufort  appuya  prin- 
cipalement  cette  opinion.  Sitotque  la  Reine  fut 
rentree  dans  le  vieux  chateau  ,  et  qu'on  eut 
rendu  I'hommage  a  notre  nouveau  monarque , 
arriva  la  brouilierie  de  M.  le  prince  et  de  M.  de 
Beaufort,  dans  laquelle  ce  dernier  agit  un  peu 
trop  hautement.  Le  sujet  fut  que  la  Reine  s'e- 
tant  retiree  de  sa  chambre ,  en  attendant  qu'on 
cut  fait  sortir  I'horrible  foulc  de  monde  qui  y 


282 


MEMOIRES    DE    LA    CHATBE.    [16  43] 


etoit  entree ,  elle  envoya  M.  de  Beaufort  dire  a 
Monsieur  qu'il  fit  vider  la  chambre  ,  et  qu'il  de- 
meurat  seul  aupres  d'eile  pour  la  consoler. 
M.  le  prince,  qui  etoit  aupres  de  Son  Altesse 
Royale  ,  reprit  la  parole  a  I'instant ,  et  dit  que 
si  la  Reine  lui  vouloit  faire  commander  quel- 
que  chose,  qu'elle  choisit  un  capitaine  des 
gardes  ;  mais  que  ,  pour  M.  de  Beaufort ,  il  ne 
vouloit  point  qu'il  lui  ordonnat  rien.  M.  de 
Beaufort  lui  repliqua  brusquement  qu'il  ne  se 
meloit  pas  de  lui  rien  ordonner  ;  mais  qu'il  n'y 
avoit  personne  dans  le  royaume  qui  le  put  era- 
pecher  de  faire  ce  que  la  Reine  lui  comraande- 
roit.  Cette  petite  dissension  fut  assoupie  un 
moment  apres ,  mais  I'aigreur  ne  laissa  pas  d'en 
demeurer. 

Des  ce  jour-la ,  les  ministres  voyant  qu'on 
disoit  hautement  que  la  Reine ,  des  qu'elle  se- 
roit  a  Paris ,  devoit  aller  au  parlement  pour 
faire  casser  la  declaration  ,  ils  crurent  qu'en  se 
soumettant  ils  pourroient  rompre  ce  coup  ,  et 
firent  dire  a  la  Reine,  comme  ils  avoient  deja 
fait  auparavant,  qu'ils  se  demettoient  absolu- 
ment  de  toute  I'autorite  que  cette  declaration 
leur  donnoit ,  et  en  passeroient  tons  les  actes 
qu'on  voudroit.  Cela  fit  balancer  la  Reine ;  et 
quand  elle  arriva  le  lendemain  a  Paris,  elle 
etoit  irresolue  de  ce  qu'elle  feroit ;  mais  dans 
les  deux  jours  suivans  on  lui  representa  que  sa 
regence  n'auroit  pas  I'eclat  ni  I'autorite  neces- 
saire  ,  si  le  parlement  ne  la  lui  confirmoit  sans 
restriction.  On  fit  aussi  voir  a  Monsieur  com- 
bien  la  declaration  lui  etoit  injurieuse  :  si  bien 
qu'enfin  la  Reine  et  lui  s'accorderent  a  la  faire 
casser  ,  et  M.  le  prince  y  consentit  aussi.  II  est 
vrai  que ,  pour  les  y  faire  condeseendre  tons 
deux,  il  fallut  que  M.  de  Beauvais  promit  de  la 
part  de  la  Reine  un  gouvernement  avec  une 
place  pour  Son  Altesse  Royale,  et  la  meme 
chose  ensuite  pour  M.  d'Enghien.  Apres  ce 
traite ,  la  Reine  alia  au  parlement,  et  y  fit  tout 
ce  qu'elle  desira  d'une  maniere  si  glorieuse, 
qu'il  ne  s'y  pent  rien  ajouter ,  tous  ceux  du  par- 
lement lui  temoignant  ne  desirer  rien  tant  que 
son  autorite  absolue.  Leur  resolution  avoit  aussi 
etc  de  lui  faire  en  meme  temps  quelque  remon- 
trance,et  la  supplier  treshumblement  de  se 
servir  de  gens  d'une  probite  reconnue ,  et  d'e- 
loigner  d'eile  les  ministres  de  la  tyrannic  pas- 
see.  Mais  il  n'y  cut  que  le  president  Rarillon 
qui  en  dit  obliquement  quelque  chose ;  et  Ton 
ne  poussa  point  davantage  cette  affaire,  par 
I'avis  de  M.  de  Beauvais  ,  qui  dit  qu'il  falloit 
laisser  a  la  Reine  la  gloire  de  se  defaire  elle 
seule  de  ces  messieurs.  F^'effet  a  assez  fait  pa- 
roitrc  combicn  son  opinion  otot  mauvaise  ;  ot 


Ton  doit  demeurer  d'accord  que  si  le  parlement 
eut  parle  comme  il  vouloit  faire ,  il  eiit  imprime 
une  tache  a  la  reputation  des  ministres  ,  apres 
laquelle  la  Reine  eut  peut-etre  eu  honte  de 
s'en  servir ;  et  ils  etoient  deja  d'eux-memes  si 
chancelans,  que  le  moindre  effort  les  auroit 
abattus. 

Je  ne  sais  pas  quelle  assurance  le  cardinal 
pouvoit  avoir  a  cette  heure-la  de  la  bonne  vo- 
lonte  de  la  Reine;  mais  s'il  en  avoit  quelqu'une, 
il  ne  s'en  decouvrit  a  personne  du  monde  ,  et 
paria  a  ses  plus  confidens  de  son  retour  en  Italic 
comme  d'une  chose  resolue ,  temoignant  etre 
fort  offense  de  ce  qu'en  cassant  la  declaration 
Ton  ne  I'avoit  point  excepte.  Mais  les  affaires 
changerent  bien  de  face  en  peu  de  temps  :  car , 
quelques  trois  ou  quatre  heures  apres  le  retour 
du  palais ,  la  Reine  lui  envoya  proposer  par 
M.  le  prince  de  lui  rendre  par  un  brevet 
la  place  que]  la  declaration  lui  donnoit ,  et  de 
le  faire,  outre  cela  ,  chef  de  son  conseil.  II  fit 
quelque  resistance  a  cette  proposition ;  mais 
enfin  il  se  rendit ,  et  promit  de  demeurer  en 
France  jusqu'a  la  paix  seuleraent.  On  pent 
juger  quelle  surprise  ce  fut  pour  nous  tous ,  qui 
le  croyions  pret  a  passer  les  monts ,  lorsqu'en 
arrivant  sur  le  soir  au  Louvre  nous  apprimes, 
cette  belle  nouvelle.  Je  trouvai  M.  de  Beauvais 
dans  le  cabinet  de  la  Reine,  et,  lui  en  temoi- 
gnant mon  etonnement ,  il  me  repliqua ,  en 
haussant  les  epaules  ,  qu'il  avoit  bien  repondu 
du  premier  acte ,  mais  non  pas  de  la  suite  ,  me 
voulant  dire  qu'il  savoit  bien  comme  I'affaire 
passeroit  au  parlement ,  mais  qu'il  ignoroit  ce 
que  la  Reine  feroit  ensuite.  Je  me  retirai ,  fort 
confondu  du  peu  de  suffisance  de  notre  prin- 
cipal directeur ,  et  m'en  etant  alle  le  soir  a  I'ho- 
tel  de  Vendome,  j'y  appris  de  M.  de  Beaufort 
que  M.  de  Beauvais  s'etant  plaint  modestement 
a  la  Reine  de  ce  qu'elle  avoit  fait  sans  lui  faire 
I'honneur  de  lui  en  rien  communiquer,  elle  lui 
avoit  repondu  qu'elle  s'etoit  crue  necessitee  a 
choisir  et  garder  dans  le  commencement  quel- 
qu'un  de  ceux  qui  savoient  le  secret  des  affai- 
res, et  qu'elle  n'en  avoit  point  juge  de  plus 
propre  que  le  cardinal ,  parce  qu'etant  etran- 
ger ,  il  n'avoit  nul  interet  ni  nul  appui  en" 
France ;  que  cela  ne  devoit  point  donner  I'a- 
larme  ni  a  lui  ni  a  ses  autres  serviteurs  qui  n'e- 
toient  pas  bien  avec  le  cardinal ,  puisqu'elle 
promettoit  de  ne  les  point  delaisser,  et  que, 
pour  marque  qu'en  arretant  ce  ministre  elle 
n'embrassoit  pas  tous  ses  interets ,  elle  aban- 
donnoit  tout  Ic  reste  de  la  cabale.  Ce  dis- 
cours  nous  rassura  un  peu ;  mais  apres  un  tel 
trait  nous  crumcs  bien  toujours  avoir  lieu  d'ap- 


MEMOIBES    1)K    LA    CIIATRK.    [1613] 


283 


preheuder  un  revers  d'lin  esprit  si  couvert. 
Deux  jours  apres  arriva  la  nouvelle  de  la 
victoire  de  Roeroy  (i) ,  qui  releva  merveilleu- 
sement  les  esprits  de  M.  le  prince  et  de  ma- 
dame  sa  femme ;  et  comme  leur  haine  pour  la 
maison  de  Vendome  etoit  assez  manifeste ,  il 
sembla  que  la  grandeur  des  uns  fut  I'abaisse- 
ment  des  autres.  Madame  la  princesse ,  inso- 
lente  et  aigre  a  son  ordinaire  quand  elle  est  en 
prosperite,  s'en  laissa  entendre  a  beaucoup  de 
monde ,  et  meme  quand  je  I'allai  voir  pour  me 
rejouir  avec  elle ,  elle  me  fit  un  discours  qui 
commenca  par  des  picoteries,  et  finit  pourtant 
fort  obligeamment  pour  moi ,  mais  qui  fut  rem- 
pli  de  beaucoup  d'attaques  contre  M.  de  Beau- 
fort ,  auxquelles  je  repartis  le  mieux  que  je  pus, 
sans  la  cabrer.  Ce  glorieux  succes  mit  toute 
cette  maison  en  etat  d'esperer  et  de  demander 
avec  raison  beaucoup  de  choses  ,  et  fit  que  le 
cardinal  se  joignit  plus  etroitement  avec  eux. 

Pour  moi,  c'est  la  ou  je  commencai  a  recon- 
noitre que  je  m'etois  trompe  ,  quand  j'avois  es- 
pere  quelque  chose  de  grand  de  la  bonne  vo- 
lonte  de  la  Reine;  car  lui  ayant  deraande  une 
compagnie  dans  Rambures  pour  le  frere  d'un 
capitaine  qu'on  croyoit  mort  a  la  bataille  ,  elle 
me  fit  Thonneur  de  me  la  refuser.  II  faut  pour- 
tant que  j'avoue  que ,  ciuq  ou  six  jours  apres  , 
elle  me  fit  une  tres-grande  grace,  en  consen- 
tant  a  la  suppression  de  la  charge  de  coramis- 
saire  general  des  Suisses ;  mais  ce  fut  apres  y 
avoir  fait  beaucoup  de  difficultes.  M.  de  Beau- 
vais  fut  le  seul  a  qui  j'eu  parlai  d'abord ;  et 
ensuite  la    Reine  ayant  temoigne  qu'elle  s'en 
remettoit  au  sentiment  du  marechal  de  Bassom- 
pierre ,  je  le  priai  de  m'y  vouloir  rendre  office : 
ce  qu'il  fit  avec  des  marques  de  beaucoup  de 
joie.  Quand  j'achetai  ma  charge ,  je  lui  envoyai 
dire  dans  la  Bastille ,  par  le  comte  de  Bethune , 
que  si  je  croyois  non-seulement  qu'il  y  pre- 
tendit  quelque  chose,  mais  meme  qu'il  cut  quel- 
que regret  de  la  voir  entreles  mains  d'un  autre, 
•  je  n'y  songerois  jamais.  II  recut  mon  compli- 
ment avec  toute  la  civilite  possible ,  et  renvoya 
son  neveu  d'Estelan  dire  a  ma  femme  qu'il  etoit 
ravi  que  j'eusse  cette  charge  ,  et  qu'il  me  vou- 
loit  instruire  et  m'y  servir  de  pere.  L'ayant 
vu  dans  la  Bastille ,  il  me  continua  ses  cajole- 
ries ,  me  redit  encore  les  memes  choses  quand 
il  fut  en  liberte ;  et  lorsqu'il  revint  a  la  cour, 
apres  cent  embrassades,  il  dit  tout  haut  que  s'il 
avoit  encore  des  amis  parmi  les  Suisses ,  il  les 
prioit  d'etre  des  miens.  Dans  cette  occasion  du 


(1)  Le  due  d'Enghien  .  ag(5  de  vingt-deux  ans  ,  gagna 
ceite  bataille  le  19  mai  1643 ,  cinq  jours  apr«s  la  mort  de 


commissaire  general ,  il  s'y  porta  avec  un  soin 
extreme,  et  jusqu'a  ce  qu'il  me  vit  en  disgrace 
il  affecta  toujours  de  bien  vivre  avec  moi.  Mais 
tout  cela  paroitra  mieux  dans  la  suite  de  ce  dis- 
cours ;  et  pour  le  reprendre  ou  je  I'ai  laisse,  une 
affaire  si  considerable  pour  mon  etablissement , 
faite  sans  que  j'y  employasse  le  cardinal ,  me  fit 
croire  qu'en  effet  nos  interets  n'etoieiit  pas  de- 
sesperes ;  et  quoique  la  capacite  de  M.  de  Beau- 
vais  fut  mediocre ,  c'etoit  toujours  quelque 
chose  d'eclat  de  le  voir  declare  ministre  d'Etat 
et  designe  cardinal ,  la  Reine  ayant  ecrit  pour 
lui  a  Rome ,  et  de  voir  qu'en  ce  meme  temps 
elle  promettoit  a  M.  de  Vendome  le  gouver- 
nement  de  Bretagne,  auquel  le  grand-maitre 
avoit  renonce,  ou  une  recompense  equiva- 
lente. 

Mais  cependant  le  cardinal  prenoit  toujours 
pied ,  et  quoique  la  Reine  protestat  qu'il  ne 
pouvoit  rien  faire  contre  ses  veritables  servi- 
teurs ,  elle  avouoit  que  sa  conversation  etoit 
fort  charraante ,  et  le  louoit  toujours  d'etre  de- 
sinteresse.  Lui ,  de  son  cote,  faisoit  des  civilites 
extraordinaires  a  toutes  les  personnes  de  condi- 
tion ,  et  hors ,  la  maison  de  Vendome  qui  s'e- 
toit  ouvertement  declaree  contre  lui ,  il  alia 
rendre  visite  a  tons  les  princes,  dues,  pairs  et 
officiers  de  la  couronne.  Plusieurs  personnes  se 
sont  etonnees  de  ce  que  des-lors  nous  ne  son- 
geames  point  a  nous  rapatrier  avec  lui;  mais  il 
me  semble  qu'il  etoit  fort  difficile  de  le  pou- 
voir  recevoir  de  bonne  grace,  et  qu'ayant  rompu 
avec  lui  pour  les  interets  de  la  Reine,  c'etoit  a 
elle  a  nous  prescrire  comme  elle  vouloit  que 
nous  y  vecussions.  Mais  outre  cet  interet  gene- 
ral ,  il  y  en  avoit  encore  un  particulier ,  qui 
etoit  son  intelligence  avec  le  chancelier,  contre 
qui  messieurs  de  Vendome  ,  M.  de  Metz,  mes- 
sieurs de  Montresor ,  de  Bethune ,  de  Beaupuy 
et  moi ,  nous  etious  declares ,  principalement  a 
cause  de  la  mort  de  M.  de  Thou  ;  si  bien  que 
nous  ne  jugions  pas  le  pouvoir  revoir  avec  hon- 
neur,  tant  qu'il  seroit  joint  avec  un  homme  que 
nous  avions  tant  de  sujet  de  hair ;  et ,  a  dire  le 
vrai ,  c'a  ete  une  chose  assez  incomprehensible 
que  la  Reine,  a  qui  il  devoit  etre  encore  plus 
odieux  qu'a  nous ,  I'ait  laisse  dans  sa  charge ; 
mais  comme  elle  est  d'un  esprit  assez  suscep- 
tible des  impressions  qu'on  lui  veut  donner, 
ayant  trouve  des  intercesseurs ,  elle  diminua 
peu  a  pen  la  juste  aigreur  qu'elle  avoit  contre 
lui.  Le  premier  qui  lui  en  par  la  fut  Montaigu  , 
creature  dependant  autrefois  de  M.  de  Chateau- 
Louis  XIll.  Voyez  a  ce  sujet  la  panic  in^dite  des  M6- 
moires  de  Lenet ,  qui  conlient  quelques  fails  nouveaux. 


284 


MEMOIRES    DE    LA    CHATBE.    [IG43] 


iieuf ,  et  gagne  depuis ,  durant  sa  retraite  a 
Pontoise  ,  par  la  mere  Jeanne  ,  earmelite,  soeur 
du  chaneelier.  M.  de  Briennc  ensuite  I'appuya 
fort,et  prefera,  eomme  il  I'a  dit  lui-meme,  I'in- 
teret  d'un  ami  vivant  a  la  memoire  de  M.  de 
Thou,  qui  avoit  ete  de  ses  plus  intiraes.  On  {'ac- 
cuse aussi  d'avoir  principaleraent  considere  en 
cette  rencontre  ^ingt  raille  ecus,  qu'on  dit  qu'il 
lui  fit  toucher  pour  ses  peines. 

Mais  ce  qui  I'etablit  entierement ,  ce  fut  la 
consideration  de  M.  de  Chateauneuf,  qui  etoit 
le  seul  homme  dont  le  cardinal  apprehendoit 
le  retour ;  et  ne  voyant  pas  que,  dans  un  temps 
ou  Ton  faisoit  griice  a  tout  le  monde  ,  il  put  em- 
pecher  sa  delivrance,  puisque  son  principal 
crime  paroissoit  avoir  ete  de  s'etre  trop  atta- 
che a  la  Reine,  il  prit  ses  precautions  de  bonne 
heure,  et  s'y  trouva  merveilleusement  aide  par 
raadame  la  princesse  ,  qui,  dans  ce  nouvel  or- 
gueil  de  la  victoire  de  Tlocroy,  croyoit  que  tout 
lui  etoit  du,  et  publioit  hauteraent  qu'il  falloit 
que  toute  leur  maison  sortit  de  la  cour ,  si  la 
Reine  remettoit  dans  le  conseil  celui  qui  avoit 
preside  a  la  condamnation  de  M.  de  Montmo- 
rency, son  frere.  II  n'en  falloit  pas  davantage 
pour  detourner  la  Reine ,  de  qui  I'inclination 
etoit  deja  si  refroidie,  qu'elle  commencoit  a 
dire  que  M.  de  Chateauneuf  n'etoit  point  son 
martyr,  mais  plutot  celui  de  madame  de  Che- 
vreuse ,  separant  ainsi  ses  interets  de  ceux  de 
cette  dame,  qu'elle  avoit  autrefoiss!  clierement 
aimee,  et  dont  maintenant  elle  craignoit  bien 
plus  le  retour  qu'elle  ne  le  desiroit. 

Elle  eut  bien  voulu  la  laisser  en  Flandre; 
mais  puisque  M.  d'Epernon  etoit  dejade  retour 
d'Angleterre ,  aussi  bien  que  M.  de  Montresor; 
que  Fontrailles  et  Aubijoux,  appuyes  par  Mon- 
sieur, se  montroient  pubiiquement  dans  Paris  ; 
que  mesdames  de  Senecey  et  de  Hautefort 
etoient  rentrees  a  la  cour  et  dans  leurs  charges, 
et  qu'on  attendoit  de  jour  a  autre  le  reste  des 
proscrits  ;  il  n'etoit  pas  raisonnable  qu'elle  lais- 
sat  plus  long-temps  dans  I'exil  une  princesse 
que  toute  I'Europe  savoit  n'y  etre  que  pour 
avoir  ete  trop  passionnee  pour  son  service.  Si 
Ton  me  demande  d'oii  pouvoit  venir  un  si  grand 
changement  dans  son  esprit,  je  dirai  librement 
queje  I 'impute  a  deux  causes  :  I'une ,  que  de- 
puis que  nous  avons  des  obligations  extraordi- 
naires  a  des  personnes,  il  semble  que  nous  re- 
doutions  leur  presence,  commesi  elle  nous  in- 
citoit  sans  cesse  a  la  reconnoissance,  et  blamoit 
notre  ingratitude  dans  le  moindre  rclardementj 
I'autre  ,  que  sa  vieille  amitie  pour  madame  de 
Chevreuse  s'effacoit  pcu  a  peu  par  la  nouvel  le 
pour  le  cardinal ,  qu'on   voyoit  s'accroitrc  de 


jour  en  jour,  et  qui  faisoit  d^ja  que  les  conver- 
sations qu'il  avoit  avec  elle  ,  au  lieu  d'une 
heure  ou  deux  ,  emportoient  toute  la  soiree;  et 
que  le  pauvre  M.  de  Beauvais,qui  avoit  accou- 
tume  de  prendre  ce  temps-la  pour  I'entretenir, 
attendoit  dans  un  autre  cabinet ,  et  n'avoit  plus . 
que  le  loisir  de  lui  dire  son  Benedicite  ,  et  de  i 
la  voir  un  instant  apres  souper.  Neanmoins , 
pour  verifier  en  quelque  sorte  ce  qu'elle  avoit 
dit ,  qu'elle  ne  s'attachoit  pas  a  toute  la  cabale, 
elle  voulut  qu'en  ce  temps-lii  M.  Routhillier 
quittcit  les  finances. 

Comme  le  cardinal  n'etoit  pas  encore  entie- 
rement ancre,  il  fallut  qu'il  cedat  a  ce  coup;  et 
il  obtint  seulement  que  la  chose  se  fit  d'une  ma- 
niere  moins  facheuse.  Le  surintendant  deman- 
dant de  lui-meme  a  se  demettre  ,  on  remplit 
sa  place  de  messieurs  de  Bailleul  etd'Avaux, 
pour  empecher  ce  dernier  d'etre  en  passe  pour 
la  charge  de  M.  de  Chavigny,  que  le  cardinal 
essayoit  de  maintenir.  Pour  le  premier,  la  rai- 
son  qui  le  fit  mettre  en  ce  grade  fut  pour  fain 
voir  que  la  Reine  avancoit  ses  anciensservi- 
teurs,  et  pour  I'eloigner  de  la  pretention  dij 
sceaux,  ou  il  vouloit  maintenir  le  chaneelier , 
parce  qu'un  titulaire  etoit  bien  plus  propre  a 
opposer  a  M.  de  Chateauneuf  qu'un  commis- 
sionnaire,  comme  Test  toujours  un  garde-des- 
sceaux.  A  ces  raisons  on  en  pent  ajouter  une 
plus  obscure,  qui  est  qu'y  mettant  ces  deux  ,  et 
le  dernier  etant  oblige  d'aller  plenipotentiaire 
pour  la  paix  generale  a  Munster,  les  finances 
demeuroient  entierement  entre  les  mains  du 
premier ,  qui  par  son  insuffisance  donnoit  lieu 
a  M.  d'Emery  ,  nouveau  controleur  general  et 
affide  du  cardinal,  d'agir  avec  autorite,  comme 
s'il  eut  ete  surintendant. 

Quelque  temps  apres  cette  promotion  ,  le  car-  ' 
dina!  jugeant  qu'il  temoigneroit  une  extraordi-  > 
naire  deference  aux  sentimens  de  la  Reine  ,  en 
faisant  quelques  avances  pour  acquerir  I'amitie 
de  ceux  qu'elle  avoit  toujours  crus  ses  servi- 
teurs,  il  commencapar  M.  de  Marsillac,  comme  ,■ 
etant  le  premier  a  qui  elle  avoit  proteste  haute- 
ment  de  faire  du  bien  ,  et  lui  fit  demander  son 
amitie  avec  des  termes  les  plus  eivils  et  les  plus 
pressans  qui  se  puissent  imaginer ;  et  entre  au-" 
tres  choses,  il  lui  fit  dire  qu'il  le  prioit  dese  se- 
parer  entierement  de  lui ,  en  cas  qu'il  remar- 
quat  jamais  en  lui  aucun  interet  particulier  de 
biens,  de  charges  ,  ni  d'autres  avancemens,  ou 
aucune  intention  de  nuire  a  un  homme  de  con- 
dition.  M.  de  Marsillac   rendit   compte  a  la 
Reine  de  ce  que  le  cardinal  lui  avoit  fait  dire; 
et  lui  demandant  ce  qu'elle  lui  ordomioit  la- 
dessus,  elle   lui  dit  que  le  plus  grand  plaisir 


ME  MOIRES    DE    LA    CHATUE.    [lG43] 


28( 


!• 


qu'il  lui  pouvoit  jamais  faire  etoit  d'etre  son 
ami,  et  lui  en  parla  avec  une  estimo  et  un  eni- 
pressement  qui  decouvroient  assez  son  inclina- 
tion. Apres  ce  diseours  ,  M.  de  Marsillac  n'eut 
plus  a  consulter;  mais  avant  que  de  Taller  voir, 
il  deduisit  ce  qui  lui  etoit  arrive  a  ses  amis  par- 
ticuliers ;  et  entre  autres  me  fit  le  grace  de  me 
le  raconter  assez  amplement.  Get  exemple  nous 
fit  songer  a  nous ;  et  etant  arrive  dans  ce  raeme 
temps  que  M.  de  Chavigny ,  selon  la  methode 
deson  pere,  demanda  et  obtiiit  permission  de 
se  defaire  de  sa  charge,  qui  t'ut  donnee  a  M.  de 
Brienne,  et  qu'on  parla  de  I'envoyer  a  Rome  ou 
en  Alleraagne,  comme  un  homme  sans  res- 
source  a  la  cour,  nous  criimes  que  le  cardinal 
n'ayant  plus  personne  dans  le  conseil  qu'il  af- 
fectionnat  particulierement,  11  seroit  aise  de  se 
lier  avec  lui,  et  que  pour  avoir  notre  amitie  il 
abandonneroit  peut-etre  volontiers  le  chancelier. 

Ayant  consulte  ce  dessein,  M.  de  Metz,  a  qui 
il  avoit  aussi  fait  faire  des  propositions  d'etre 
son  ami,  alia  trouver  la  Reine;  et  lui  ayant  fait 
prosque  un  meme  diseours  que  M.  de  Marsillac, 
il  en  recut  une  semblable  reponse,  y  ayant  seu- 
ienient  cela  de  plus  que,  sur  I'ouverture  qu'il 
lui  en  fit,  elle  le  conjura  de  lui  acquerir  d'au- 
trcsamisautantqu'il  pourroit.  M.  de  Metz  ayant 
rapporte  cet  entretien  a  M.  de  Vendome  ,  lui 
et  messieurs  ses  enfans  voulurent  que  leurs 
amis  sussent  tout  ce  qui  se  passeroit  en  cette 
rencontre;  et  prierent  pour  ce  sujet  M.  de  Metz, 
M.  d'Epernon  ,  le  comte  de  Fiesque  ,  Beaupuy 
et  moi,  de  nous  trouver  a  leur  hotel. 

Campion  etant  lors  domestique  de  la  maison, 
fut  aussi  appele  a  cette  conference.  Messieurs  de 
Bethune  et  deMontresor,  etant  de  leurs  anciens 
et  principaux  amis,  devoient  bien  y  etre  man- 
des;  mais  je  crois  que  M.  de  Vendome  ne  le  de- 
sira  pas ,  peut-etre  a  cause  de  ce  que  j'ai  deja 
dit  de  La  Riviere,  qu'il  vouloit  se  conserver 
pour  ami,  par  I'intriguedu  marechal  d'Estrees. 
La  voloute  de  la  Reine  ne  donnant  pas  lieu  a 
beaucoup  d'opinions  differentes ,  le  comte  de 
Fiesque  se  chargea  d'aller  dire  au  cardinal ,  de 
la  part  de  messieurs  de  Vendome  ,  de  Metz  et 
d'Epernon ,  qu'ils  souhaitoient  etre  ses  amis 
avec  toute  sorte  de  franchise  et  de  sincerite ; 
maisqu'ils  nevouloient  s'attacher  qu'a  lui  seul, 
et  qu'a  cause  de  cela  ils  n'avoient  point  voulu 
lui  faire  parler,  qu'ils  ne  vissent  M.  de  Chavi- 
gny hors  des  affaires  ;  que  la  seule  chose  qu'ils 
lui  demandoient  pour  marque  de  sa  bonne  vo- 
lonte  etoit  qu'il  detruisit  le  chancelier,  que  la 
raort  de  M.  de  Thou  et  la  maniere  dont  il  avoit 
procede  dans  I'affaire  des  hcrmites  et  dans  le 
proces  de  M.  d'Epernon,  rendoient  odieux  iH  ces 


messieurs.  Le  cardinal,  apres  avoir  temoigne 
recevoir  cette  ouverture  avec  joie,  et  faire  un 
etat  extreme  de  leur  amitie,  repondit  qu'on  lui 
avoit  fait  plaisir  de  ne  lui  point  parler  lorsque 
JM.  de  Chavigny  avoit  encore  part  dans  les  af- 
faires, parce  qu'il  ne  I'auroit  jamais  abandon- 
ne;  que,  pour  le  chancelier  ,  c'eloit  un  inftime 
qui ,  a  la  mort  du  Roi ,  I 'avoit  renonce,  et  dont 
par  consequent  il  ne  faisoit  nul  etat ;  mais  qu'en 
I'otant ,  il  ne  pouvoit  eviter  de  voir  rentrer 
iNI.  de  Chateauneuf ,  avec  qui  il  avouoit  ne 
pouvoir  demeurer  dans  le  ministere. 

Ce  premier  colloque  finit  ainsi ,  et  laissa  de 
la  mafiere  pour  quelques  autres ,  dans  lesquels  le 
comte  de  Fiesque  dit  au  cardinal  que  ces  mes- 
sieurs, pour  qui  il  parloit ,  desirant  se  lier  d'a- 
mitie  avec  lui ,  ne  vouloient  pas  commencer  a  le 
choquer  dans  ses  interets  :  c'est  pourquoi  ils  lui 
demandoient  seulement  que,  toutes  les  fois  qu'il 
pourroit  prendre  ses  suretes  du  cote  de  M.  de 
Chateauneuf,  il  chass^t  le  chancelier.  II  lit 
quelque  difficulte  de  promettre  qu'il  le  feroit 
chasser,  et  dit  seulement  a  I'abord  qu'il  I'aban- 
donneroit ;  mais  enfin  11  acquiesca,  et  fit  la 
meme  chose  sur  le  sujet  de  M.  d'Enghien  ;  car 
ayant  dit  qu'il  vivoit  civilement  avec  lui ,  et  ne 
pretendoit  pas  rompre ,  il  n'eut  point  de  reponse 
quand  le  comte  de  Fiesque  lui  dit  que  ces  mes- 
sieurs, le  choisissant  pour  leur  principal  ami,  de- 
mandoient aussi  d'avoir  la  preference  dans  son 
esprit  sur  tons  ceux  de  leur  voice. 

Ce  traite  dura  cinq  ou  six  jours,  parce  que, 
d'un  c6te,le  cardinal  temoignoit  tantot  desirer 
avec  ardeur  I'amitie  de  ces  messieurs,  puis  apres 
faisoit  paroitre  plus  de  froideur ,  et  parloit  avec 
plus  de  reserve  ;  et  de  I'autre ,  M.  de  Beaufort 
etoit  bien  aise  ,  avant  que  de  conclure,  de  voir 
le  retour  de  Campion  ,  qu'il  avoit  envoye  au  de- 
vant  de  madame  de  Chevreuse ,  qui  arrivoit 
alors  en  France,  et  avec  qui  monsieur  son  pere, 
M.  d'Epernon  et  lui  avoient  de  tres-etroites 
liaisons.  Et  comme  il  etoit  necessaire  que  le 
comte  de  Fiesque  rendit  compte  de  ce  qu'il  n6- 
gocioit ,  et  sut  ce  qu'on  vouloit  qu'il  dit ,  nous 
nous  assemblames  durant  ce  temps  cinq  ou  six 
fois  ,  ou  a  I'hrttel  de  Vendome  ,  ou  a  I'hotel  d'E- 
pernon ,  ou  chez  M.  de  Metz ,  ou  aux  Capucins, 
ou  chez  moi :  et  quoique  dans  toutes  ces  assem- 
blees  il  ne  se  soit  presque  agi  que  d'obeir  a  la 
Reine  ,  Ton  n'a  pas  laisse  depuis  de  faire  passer 
cela  pour  un  crime  ,  et  pour  le  projet  d'une  ca- 
bale  sediticuse. 

Cependant  le  cardinal  ne  sauroit  nier  qu'il  ne 
sut  chaque  jour  ce  qui  se  resolvoit  entrc  nous 
par  le  comte  de  Fiesque.  Au  bout  de  ces  cinq  ou 
six  jours,  Campion  revint  et  nous  apprit  qu'avant 


MEMOIRES    DE    LA   CHATRK.    [l643] 


28G 

que  de  partir  de  Flandre  madame  de  Chevreuse 
avoit  recu  des  lettres  de  Ial\eine,  qui  lui  fai- 
soient  paroitre  ce  quelle  desiroit ,  que  le  cardi- 
nal et  elle  fussent  en  bonne  intelligence ;  qu'elle 
venoit  avec  un  esprit  prepare  a  cela,  et  qu'elle 
conseilloit  a  ces  messieurs  d'en  faire  de  meme  : 
a  quoi  ils  se  resolurent  aussitot,  et  allerent  des 
le  lendcmaia  faire  leur  visite ,  dont  ils  eurent 
sujet  d'etre  satisfaits ,  y  ayant  recu  toute  la  ci- 
\  ilite  possible.  On  s'etonnera  peut-etre  qu'ayant 
etc  jusqu'alors  dans  le  meme  interet  de  ces  mes- 
sieurs, je  ne  fusse  point  compris  dans  leur  trai- 
te;  mais  c'est  que  je  ne  le  desirai  point,  et 
qu'ayant  une  charge  qui  ne  dependoit  que  de  la 
Reine,  je  ne  voulus  rien  faire  que  par  son  or- 
dre.  Ce  fut  la  reponse  que  je  lis  a  M-  de  Beau- 
fort lorsqu'il  m'en  parla,  etje  ne  sais  s'il  en  dit 
quelque  chose  a  la  Reine;  mais  deux  ou  trois 
jours  apres,  corame  je  prenois  son  ordre,  elle 
me  dit  qu'elle  croyoit  queje  savois  bien  que 
messieurs  de  Vendome  avoient  vu  M.  le  cardi- 
nal Mazarin.  Je  lui  dis  qu'oui ,  avec  un  ton  de 
voix  et  une  facon  qui  pouvoient  lui  faire  con- 
noitre  que  je  ne  jugeois  pas  que  cela  fit  rien 
pour  moi.  Sur  cela  elle  poursuivit  son  discours, 
et  me  dit  qu'elle  le  croyoit  son  serviteur ,  et 
qu'elle  desiroit  que  tous  ceux  qui  I'etoient  ve-  . 
cussent  bien  avec  lui.  Je  lui  repondis  queje  la 
suppliois  tres-hurablement  de  se  souvenir  que 
je  ne  m'etois  eloigne  de  lui  que  lorsque  j'avois 
cru  qu'il  n'etoit  pas  dans  ses  interets. « II  est  vrai, 

me  dit-elle ;  mais  a  cette  heure —  Madame , 

lui  repliquai-je,  je  n'ai  que  I'obelssance  pour 
toutes  les  choses  que  Votre  Majeste  me  com- 
mande;  «  et  me  retirai  la-dessus,  avec  dessein 
de  faire  ma  visite  des  le  jour  suivant. 

II  est  vrai  qu'avant  que  depasser  outre  je  vou- 
lus voir  messieurs  de  Bethune  et  de  Montresor, 
queje  trouvai  fort  piques  de  ce  que  le  traite  s'e- 
toit  fait  sans  eux;  et  quoique  M.  de  Beaufort 
leur  en  fut  venu  parler  avant  que  de  voir  le  car- 
dinal ,  ils  croyoient  qu'il  devoit  davantage  a  leur 
ancienne  amitie  que  de  leur  rendre  simplement 
compted'une  affaire  resolue;  mais  ils  s'en  pre- 
noient  particulierement  a  M.  de  Vendome,  et 
surtout  a  M.  de  Montresor,  qui  se  souvenoit  que 
quand  il  partit  d'Angleterre  il  lui  promit  toute 
amitie,  et  I'assura  meme  de  le  servir  aupres  de 
Monsieur  :  ce  qu'il  executa  si  mal ,  qu'une  des 
premieres  liaisons  qu'il  voulut  avoir  fut  avec  La 
Riviere.  Ce  souvenir  lui  etoit  un  peu  dur,  prin- 
cipalement  en  ce  temps ;  car,  a  son  retour  d'An- 
gleterre, Monsieur  I'ayant  encore  fait  pressor  de 
vivre  civilement  avec  La  Riviere ,  et  ayant  em- 
ploye pour  ce  sujet  M.  de  Bel legarde  sans  aucun 
cffet,  M.  de  Montresor  ayant  persiste  a  dire 


qu'il  tenoit  La  Riviere  pour  tel  que  Monsieur  lo 
lui  avoit  depeint  autrefois ,  c'est-a-dire  pourun 
coquin  et  un  traitre,  Son  Altesse  Royale  avoit 
vecu  d'une  autre  maniere  avec  lui ;  et  le  traitant 
fortindifferemment,  il  etoit  enfm  resolude  ven- 
dre  sa  charge  et  de  se  retirer  entierement  :  ce 
qu'il  fit  quelque  temps  apres. 

Leur  ayant  dit  tout  ce  qui  me  concernoit 
(  qu'ils  approuverent ,  comme  etaut  un  effet  d'o- 
beissance  pour  une  personne  a  qui  je  m'etois 
donne  sans  reserve),  et  ayant  ete  a  Montrouge 
le  communiquer  a  M.  de  Chateauneuf,  qui  fut 
du  meme  sentiment,  j'allai  chez  le  cardinal,  que 
je  rencontrai  descendant  son  degre  avec  des  da- 
mes ,  et  s'en  allant  de  la  au  conseil ;  si  bien  que 
je  n'eus  pas  pour  cette  premiere  fois  long  dis- 
cours avec  lui.  Ce  qu'il  me  dit  fut  pourtant  fort 
civil  et  fort  obligeant  pour  moi ,  jusque-la  qu'il 
me  fit  excuse  s'il  ne  remontoit  pas  pour  m'entre- 
tenir.  J'y  retournai  le  lendemain ,  et ,  I'ayant 
trouve  dans  sa  chambre  avec  peu  de  monde,  je 
lui  fis  un  compliment  dont  il  s'est  fort  plaint 
depuis,  assurant  queje  lui  avois  dit  queje  I'al- 
lois  voir  seulement  par  ordre  de  la  Reine,  quoi- 
que mes  paroles  signifiassent  toute  autre  chose. 
Je  savois  que  quand  M.  de  Marsillac  le  fut  voir, 
il  lui  dit  d'abord  que  la  Reine  lui  avoit  parle  de 
lui:  je  crus  qu'elle  en  pourroit  avoir  fait  de 
meme  de  moi ;  et  apres  I'avoir  assure  de  mon 
respect  et  de  mon  service  ,  je  lui  dis  que  je  m'i- 
maginois  qu'il  me  feroit  I'honneur  de  croire  fa- 
cilement  ce  que  je  lui  protestois ,  puisqu'il  sa- 
voit  que  depuis  tres-long-temps  je  faisois  profes- 
sion d'etre  son  tres-obeissant  serviteur;  mais 
que  s'il  se  pouvoit  ajouter  quelque  chose  a  I'in- 
clination  que  j'avois  toujours  cue  a  I'honorer , 
ce  seroit  sans  doute  par  la  confiance  et  I'estime 
que  la  Reine  temoignoit  pour  lui :  ce  qui  obli- 
geoit  tous  ceux  qui  etoient  a  elle ,  et  moi  parti- 
culierement ,  a  le  respecter  encore  davantage ; 
que  je  16  suppliois  de  croire  que ,  quand  Sa  Ma- 
jeste me  feroit  quelque  commandement  sur  ce 
sujet ,  je  I'executerois ,  non  seulement  avec  To- 
beissance  aveugle.  que  je  devois  a  tous  ses  or- 
dres  ,.  mais  avec  une  joie  et  une  satisfaction 
extremes.  Je  laisse  a  juger  si  ce  discours  pent 
avec  raison  recevoir  le  sens  qu'il  lui  a  donne , 
et  si  c'est  un  juste  fondement  des  maux  qu'il 
m'afaits  depuis,  et  qu'il  commenca  des  le  len- 
demain. Car  le  marechal  deBassompierre  I'etant 
alle  voir,  il  lui  parla  de  moi  d'une  facon  qui 
temoignoit  assez  qu'il  ne  m'aimoit  pas ,  et  lui 
voulut  faire  naltre  des-lors  des  pensees  de  ren- 
trer  dans  sa  charge  :  de  quoi  le  marechal  me  fit 
avertir,  des  le  jour  suivant ,  par  deux  ou  trois 
personnes. 


MEMOIKES    DE    I.  \    CHATIU-.    [  16431 


287 


Cette  nouvelle  me  surprit  uu  peu  ,  et  desirant 
en  savoir  le  fond  ,  j'allai  trouver  M.  de  Lian- 
court ,  et  le  suppliai  de  lui  parler  pour  moi :  ce 
qu'il  fit  incontinent  avec  cette  bonte  qu'il  a  tou- 
jours  eue  pour  mes  interets;  et  lui  ayant  seule- 
nient  fait  paroitre  qu'on  lui  avoit  dit  qu'il  etoit 
mal  satisfait  de  moi ,  il  fit  i'ignorant ,  et  sans  lui 
decouvrir  d'aigreur  centre  moi  lui  conta  qu'a- 
prcs  avoir  long-temps  cesse  de  le  voir,  j'y  etois 
retourne ,  et  lui  avois  dit  que  c'etoit  par  ordre 
de  la  Reine ;  mais  que  maintenaut  il  I'assuroit 
que  si  je  voulois  etre  de  ses  amis,  il  seroit  des 
miens.  M.  de  Liancourt  lui  ayant  repondu  qu'il 
se  pouvoit  fier  en  moi ,  leur  conversation  finit ; 
et  me  1 'ayant  depuis  dite  ,  je  croyois  que  ce  peu 
de  mauvaise  volonte  etoit  passe  ,  et  que  jepour- 
lois  me  mettre  bien  avec  lui. 

Pendant  ce  temps,  madame  de  Chevreuse  etoit 
arrivee  et  etoit  alleedescendre  droit  au  Louvre ; 
mais  si  la  Reine  avoit  eu  peu  d'impatience  de 
la  voir,  elle  en  eut  beaucoup  de  I'envoyer  a 
Dampierre ;  car,  incontinent  apres  les  premieres 
salutations,  elle  lui  dit  que  les  allies  de  la  France 
pourroient  entrer  en  soupcon,  si  incontinent 
apres  son  retour  de  Flandre  ils  la  savoient  au- 
pres  d'elle  ;  et  que  pour  cette  raison  il  fal- 
loit  qu'elle  allat  faire  un  petit  voyage  a  la 
campagne.  Madame  de  Chevreuse ,  malgre  sa 
surprise,  lui  repondit  sans  s'emouvoir  qu'elle 
etoit  toute  prete  a  lui  obeir  ;  mais  qu'elle  la  sup- 
plioit  de  considerer  que  toute  I'Europe  savoit 
qu'elle  avoit  ete  persecutee  pour  I'amour  de  Sa 
Majeste,  et  que  ce  seroit  peut-etre  se  faire  tort 
a  elle-meme,  si  elle  I'eloignoit  si  promplement; 
qu'elle  en  demandat,  s'il  lui  plaisoit,  I'avis  au 
cardinal ,  qui ,  se  trouvant  dans  le  cabinet ,  et 
etant  appele  en  tiers ,  dit  a  la  Reine  que  ma- 
dame de  Chevreuse  avoit  raison ,  et  que  Sa  Ma- 
jeste seroit  biamee  si  elle  en  usoit  de  cette  sorte. 
Ainsi  madame  de  Chevreuse  para  cette  premiere 
attaque,  qui  dutbien  lui  faire  connoitre  qu'elle 
n'avoit  plus  sa  place  accoutumee ;  mais  si  elle 
I  s'en  apercut,  au  moins  le  cacha-t-elle  a  ses  plus 
intimes ,  et  de  long-temps  apres  ne  fit  part  a 
personne  de  cette  aventure ,  selon  la  methode 
ordinaire  de  tons  les  favoris,  qui  ne  veulent 
jamais  laisser  voir  la  diminution  de  leur  credit. 
11  ne  falloit  pas  pourtant  que  le  cardinal  la 
crut  entierement  ruinee  ,  ni  qu'il  la  jugeat  ab- 
solument  inutile  a  sa  fortune ,  puisque  des  le 
lendemain  il  I'alla  voir,  et  pour  premier  com- 
pliment lui  dit  que  ,  sachant  que  les  assigna- 
tions de  I'epargne  venoient  lentement ,  et  que , 
venant  d'un  long  voyage,  elle  auroit  peut-etre 
besoin  d'argent ,  il  etoit  venu  lui  offrir  et  ap- 
porter  cinquante  mille  ecus.  Mais  comme  il  sa- 


voit qu'une  ame  ambitieuse  comme  celle-la  se 
laisseroit  moins  toucher  a  ces  belles  offres  qu'a 
des  actions  d'eclat,  il  lui  demanda,  quelques 
jours  apres,  ce  qu'il  pouvoit  faire  pour  gagner 
son  amitie ,  et  lui  prolesta  de  n'y  rien  epargner. 
Elle  le  mit  d'abord  a  une  assez  belle  epreuve, 
lui  demandant  deux  choses  assez  importantes  : 
I'une,  que  Ton  contentat  M.  de  Vendome  pour 
ses  pretentions  du  gouvernement  de  Bretagne, 
sur  lesquelles  on  ne  lui  avoit  encore  donne  que 
des  paroles;  et  I'autre,  qu'on  rendit  a  M.  d'E- 
pernon  sa  charge  et  son  gouvernement.  II  y  pro- 
ceda  en  toutes  deux  tres-obligeamment;  car, 
pour  le  premier  point ,  M.  de  Brienue  eut  aus- 
sitot  commission  de  traiter  avec  M.  de  Vendome, 
et  de  lui  promettre ,  au  nom  de  la  Reine ,  I'a- 
miraute ,  dont  on  envoya  demander  la  demission 
au  due  de  Breze;  et  pour  le  second,  M.  d'Eper- 
non  fut  remis  incontinent  apres  dans  tons  ses 
honneurs,  et  Ton  n'epargna  ni  diligence  ni  re- 
compense pour  tirer  M.  le  comte  d'Harcourt  de 
la  Guienne. 

Apres  ces  deux  premieres  affaires ,  elle  lui  en 
proposa  une  troisieme ,  ou  il  eut  peine  a  con- 
sentir,  mais  oil  il  acquiesca  a  la  fin,  quoique  de- 
puis elle  n'ait  point  eu  d'effet  :  ce  fut  de  donner 
le  gouvernement  du  Havre  a  M.  deMarsillac; 
et  sur  cela  il  lui  representa  ce  qu'il  devoit  a  la 
memoire  du  feu  cardinal ,  et  qu'il  n'etoit  pas 
juste  qu'il  servit  d'instrument  pour  depouiller 
ses  heritiers  ;  mais  elle  insistant  toujours,  il  te- 
moigna  a  la  fin  qu'il  se  rendoit.  Apres  de  si  grands 
coups  d'essai ,  elle  crut  que  rien  ne  lui  seroit 
impossible  aupres  de  lui ,  et  lui  proposa  enfin  le 
retablissemeut  de  M.  de  Chateauneuf  :  mais 
comme  c'etoit  la  son  sensible  et  son  interet ,  il 
ne  put  dissimuler,  et  lui  repliqua  nettement 
qu'il  n'y  consentiroit  jamais;  et  des  cet  instant 
il  s'eloigna  d'elle ,  sans  que  depuis,  quelque  ci- 
vilite  qui  ait  paru  entre  eux  ,  il  y  ait  jamais  eu 
d'intelligence  ni  de  reconciliation  sincere. 

II  y  avoit  deja  quelque  temps  que  M.  de  Cha- 
teauneuf etoit  a  Montrouge ,  y  etant  arrive  au 
meme  temps  que  madame  de  Chevreuse  abor- 
doit  de  I'autre  cote  a  Paris ;  et  peut-etre  que  s'il 
ne  se  fut  pas  arrete,  et  qu'il  fut  venu  droit  a  la 
cour  sans  capituler  avec  la  Reine,  il  I'eut  en- 
gage par  cette  franchise  a  ne  le  point  abandon- 
ner  ;  mais  s'elant  voulu  servir  de  I'exemple  de 
madame  de  Senecey ,  qui  n'avoit  point  voulu 
rentrer  dans  Paris  qu'etant  retablie  dans  sa 
charge ,  il  donna  temps  a  la  Reine  de  s'accoutu- 
mer  a  le  savoir  aupres  de  Paris ,  sans  souhaiter 
de  I'approcher  davantage ,  et  ne  considera  pas 
que  madame  de  Senecey  n'avoit  pour  obstacle 
qu'une  personne  que  la  Reine  n'aimoit  point ; 


2S8 

au  lieu  que  lui,  outre  la  maison  deM.  le  prince 
qui  s'opposoit  a  son  retour,  il  dounoit  de  i'om- 
braf^e  au  premier  ministre ,  et  ne  pouvoit  gagner 
([ue  par  adresse,  pen  a  pen,  ce  que  la  dame 
d'lionneur  avoit  gagne  du  premier  pas.  Mais  ii 
se  trompa  sansdoute  dans  la  creanee  de  Tincli- 
nation  de  la  Reine  pour  lui ;  et  ce  fut  aussi  par 
la  que  M.  de  Beauvais  se  perdit  insensiblement, 
et  qu'apres  avoir  tenu  le  premier  rang  et  avoir 
ete  nomme  pour  cardinal,  onenvoya  un  contre- 
mandement  secret  a  Rome ,  et  le  laissa-t-on 
dans  I'antichambre  pendant  que  la  Reine  entre- 
tenoit  paisiblement  le  cardinal ,  de  qui  au  com- 
mencement il  n'estimoit  pas  I'esprit ,  disant  qu'il 
n'etoit  pas  habile  homme  ,  puisqu'il  n'enlendoit 
pas  les  matieres  beneflciales  ni  les  iinances, 
parties  veritablement  fort  necessaires  pour  un 
grand  ministre. 

Voila  comme  toutes  nos  affaires  alloient  a 
leur  declin;  et  pour  moi,  M.  Le  Tellier,  sui- 
vant  les  traces  de  M.  Des  Noyers,  son  predeces- 
seur,  commencoit  des-lors  a  me  traverser  dans 
ma  charge ,  et  se  voulant  approprier  Tautorite 
de  donner  des  commissaires  pour  les  revues  des 
Suisses,  songeoit  a  m'6ter  en  detail  ce  que  la 
Reine  m'avoit  rendu  en  gros,  par  la  suppression 
de  la  charge  de  Lille.  II  s'y  prit  pourtant  d'a- 
bord  d'une  maniere  qui  me  donna  lieu  de  croire 
que  son  dessein  alloit  plutot  contre  les  mare- 
chaux  de  France  que  contre  moi,  et  par  les  ci- 
vilites  qu'il  me  fit,  11  me  tint  quelque  temps 
dans  cette  pensee;  mais  enfin,  voyant  que 
toutes  ces  belles  paroles  n'aboutissoient  a 
rien,  et  qu'on  ne  faisoit  qu'alonger  de  jour  en 
jour  la  resolution  de  ce  que  je  demandois ,  je 
jugeai  que  ces  chicanes  venoient  d'un  autre 
principe ,  et  que  le  cardinal  n'y  avoit  pas  moins 
de  part  que  dans  les  delais  qu'on  apportoit  a  la 
conclusion  des  affaires  de  M.  de  Vendome ,  a 
qui  Ton  faisoit  naitre  chaque  jour  mille  obsta- 
cles dans  I'execution  de  ce  qu'on  lui  avoit  pro- 
mis.  II  est  vrai  que  lui-meme  contribuoit  bien  a 
son  raalheur;  car  il  faisoit  difficulte  de  prendre 
Tamiraute  sans  I'ancrage ,  et  ne  consideroit  pas 
qu'il  devoit,  a  quelque  prix  que  ce  fut,  entrer 
en  charge ,  apres  quoi  il  lui  seroit  aise  d'etendre 
ses  droits. 

Cependant  sa  facon  d'agir,  incertaine  et  con- 
fuse ,  donnoit  assez  d'occasion  de  lui  rendre  de 
mauvais  offices.  Tant6t  11  s'adressoit  au  cardi- 
nal ,  et  temoignoit  lui  vouloir  avoir  robligation 

(1)  II  rc^sulteau  conlraire,  des  M(5moires  de  Campion, 
que  le  due  de  Beaufort  fit  a  cetle  (5poque  une  enlreprise 
ayant  pour  but  de  faire  p^rir  le  cardinal  Mazarin.  Nous 
plarons  a  la  suite  <les  M6moires  de  La  Chalre  le  recil 
fort  circonstanciiS  laissf?  par  Campion,  des  diverscs  tcn- 


MRiMOn.ES    DE    LA    CHATRE.    [1643] 


de  ce  qu'on  feroit  pour  lui ;  un  instant  apres ,  il 
alloit  chercher  I'occasion  de  faire  parler  a  La 
Riviere  par  le  marechal  d'Estrees,  et  le  conju- 
rer de  faire  reussir  ses  interets;  et  au  sortirde 
la,  il  essayoit,  par  des  voies  obliques,  d'enga- 
ger  M.  le  prince  a  le  servir.  Enfin  il  ne  se  pas- 
soit  presque  point  d'heure  oii  il  ne  change^t 
plus  d'une  fois  d  opinion  et  de  parti.  Mais  ce  ne 
lui  etoit  pas  assez  d'allerainsi  decoteetd'autre: 
il  vouloit  faire  faire  le  meme  badinage  a  M.  de 
Reaufort,  qui,  ayant  de  son  cote  ses  visions 
particulieres,  et  melant  les  affaires  importantes 
avec  les  bagatelles  ,  vivoit  d'une  facon  si  bizarre 
avec  le  cardinal,  qu'il  lui  etoit  impossible  d'y 
prendre  assurance.  Ce  n'est  pas  que  je  croie  (1) 
qu'il  ait  jamais  eu  dans  I'ameaucun  des  desseins 
qu'on  lui  a  imputes;  et  je  dirai  seulement  que, 
selon  la  disposition  des  esprits  de  mesdames  de 
Chevreuse  et  de  Montbazon  ,  ses  entretiens  avec 
le  cardinal  etoient  pleins  de  froideur  on  de  ci- 
vilites  :  si  bien  que  si  un  jour  il  lui  donnoit  lieu 
de  se  louer  de  lui ,  le  lendemain  il  le  desobli- 
geoit ,  en  lui  disant  qu'il  le  venoit  voir  seule- 
ment par  I'ordre  de  monsieur  son  pere. 

Si ,  dans  I'etat  ou  il  est ,  je  voulois  me  plain- 
dre  de  lui,  j'en  aurois  quelque  petit  sujet, 
etant  tres-veritablequ'ence  temps-la,  quoiqu'il 
me  fit  I'honneur  de  venir  souvent  manger  chez 
moi ,  et  que  nous  passassions  la  plupart  des 
apres-dinees  ensemble ,  il  ne  me  faisoit  que  fort 
peu  de  part  de  saconduite;  etj'ose  dire  qu'en- 
core  que  je  ne  sois  pas  le  plus  grand  politique 
duroyaume,  s'il  se  fiit  ouvert  plus  librement  a 
moi ,  il  ne  se  seroit  peut-etre  jamais  embarrasse 
dans  cette  facheuse  et  bonteuse  intrigue  des 
lettres  de  madame  de  Longueville,  qui  arriva 
en  ce  temps-la ,  et  dans  laquelle  I'amour  de  ma- 
dame de  Montbazon  le  precipita.  Sans  appro- 
fondir  davantage  la  chose ,  ni  imputer  la  malice 
a  ceux  qui  n'en  sont  pas  coupables,  je  puis 
avancer  ce  mot  ,  que  ,  pour  bien  prendre 
I'affaire,  il  n'en  faut  rien  croire  du  tout.  Je  n'ai 
jamais  recherche  a  en  etre  plus  savant;  mais  si 
des  le  commencement  M.  de  Beaufort  m'en  eut 
parle,  je  lui  eusse  conseille,  sans  en  epiucher 
davantage  la  faussete  ou  la  verite,  de  faire  ren- 
dre les  lettres  a  madame  de  Longueville  :  et  je 
crois  que  ce  service  rendu  a  une  personne  qu'on 
a  autrefois  passionnement  aimee,  et  contre  qui 
le  depit  nous  dure  encore,  est  un  reproche  bien 
sensible  qu'on  lui  fait ,  et  une  vengeance  la  plus 

tatives  qui  furent  faites  contre  la  vie  de  ce  ministre.  'II 
est  cependant  a  rcmarqucr  que  presque  toutes  les  per- 
sonnes  qui  ont  ccrit  des  Mi^moircs  sur  la  Fronde,  ne 
croyaient  pas  a  cette  cntreprisc  de  Beaufort  contre  la 
vie  de  Mazarin. 


MEMOIUKS    l)E    L^    CUATUE. 

honnete  et  la  plus  glorieuse  qu'on  puisse  pren- 
dre. Mais  il  se  laissa  emporter  a  la  passion  d'au- 
trui ,  et  par  I'eclat  de  cetle  rnaudite  brouillerie 
il  acheva  de  se  jeter  dans  le  precipice. 

Des-la,  veritablement,  il  y  avoit  peu  d'intelli- 
geuce  entre  M.  d'Enghien  et  lui ;  et  outre  le 
souvenir  de  ce  qui  s'etoit  passe  dans  le  demele 
du  grand-maftre,  et  le  bruit  qui  couroit  que  ce 
prince  demandoit  qu'on  maintintson  beau-frere, 
ie  due  de  Breze  ,  en  sa  charge,  il  avoit  fait  une 
reponse  a  la  lettreque  M.  de  Beaufort  lui  avoit 
ecrite  sur  la  naissance  de  monsieur  son  fils,  ou 
il  le  traitoit  fort  de  haut  en  bas  ,  pour  avoir  sa 
revanche  du  petit  orgueil  qui  I'avoit  porte  a  lui 
mettre  seulement  a  la  souscription  :  Tres-hum- 
ble  et  tres-affectionne  serviteur.  Mais  quoique 
cespetites  piques  entre  deux  esprits  fiers  et  glo- 
rieux  fussent  assez  capablcs  de  les  porter  aux 
extremites ,  il  s'y  pouvoit  encore  apporter  de  la 
moderation  ;  au  lieu  qu'apres  une  affaire  qui 
touchoit  directement  a  I'honneur,  il  n'y  avoit 
plus  de  biais  de  reconciliation.  J'avouequeje 
ne  parie  pas  de  sang-froid  sur  ce  sujet,  ct  que 
dans  tout  ce  qui  s'est  passe  depuls  la  mort  du  Roi, 
il  n'y  a  que  ce  seul  point  que  je  regarde  avec 
regret,  et  je  dirois  avec  quelque  sorte  de  repen- 
tir,  sije  ne  trouvois  une  infinite  de  raisons  qui 
me  forcerent  a  me  jeter  du  cote  oil  je  me  mis. 

Celles  qui  m'en  devoient  detourner  etoient  que 
j'avois  presque  tout  mon  bien  dans  le  Berri,  et 
sous  le  gouvernement  de  M.  le  prince ,  que  je 
voyois  M.  d'Enghien  en  etat  de  revenir  dans  peu 
a  la  cour,  ayant  augmente  I'eclat  de  la  victoire 
de  Rocroy  par  la  prise  de  Thionville ,  qu'on  ju- 
geoit  infaillible;  et  qu'apres  de  tels  services  il 
etoit  difficile  a  croire  que  la  Reine  appuyat  un 
autre  parti  que  le  sien ;  que  M.  de  Longue- 
ville  avoit  toujours  agi  tres  -  obligeamment 
avec  moi ,  et  qu'il  y  avoit  peu  de  personnes  a 
qui  il  parlat  plus  confidemment.  Enfin  il  y  avoit 
a  remarquer  que  j'avois  I'honneur  d'appartenir 
de  fort  pres  a  madame  la  princesse ,  que  j'offen- 
sois  mortellement  en  m'offrant  a  madame  de 
Montbazon ,  de  qui  la  parente  m'etoit  et  plus 
eloigneeet  moins  glorieuse.  Mais  aussi  de  I'autre 
cote  de  puissantes  considerations  m'appeloient: 
presque  tons  mes  amis  s'y  trouvoient  embarques, 
et particulierement  M.  de  Guise,  qui  a  son  re- 
tour  en  France  m'avoit  fait  des  caresses  extraor- 
dinaires ,  et  sembloit  m'avoir  choisi  pour  son  ca- 
pital ami.  J'avois  I'honneur  de  lui  etre  plus  pro. 
ehe  qu'a  qui  que  ce  fut  de  sa  condition  ;  je  I'a- 
voisde  tout  temps  fort  cheri  et  honore  ,  et  avois 
ele  le  premier  auteur  de  I'ctroite  union  entre 
M.  de  Beaufort  et  lui ,  qui  sembloit  etre  une  des 
principales  causes  qui  le  jetoient  dans  cette  in- 
in.  c.  D.  M.,  T.  in. 


1643 


2S9 


trigue.  Je  croyois  aussi  qu'indubitablement  la 
querelle  des  femmes  en  formeroit  une  entre  les 
hommes ,  et  je  ne  voulois  pas  embrasser  un  parti 
pour  le  quitter  le  lendemain. 

Mais ,  pour  parler  franchement ,  la  plus  essen- 
tielle  raison  qui  me  fit  declarer  fut  queje  voyois 
bien  que ,  quelque  bon  accueil  que  me  fit  le  car- 
dinal ,  il  avoit  peu  de  bonne  volonte  pour  moi ; 
et  croyois  qu'il  etoit  necessaire  queje  prisse  un 
autre  appui  aupres  de  la  Reine.  D'en  esperer  de 
M.  I e prince, quoique jefisse,jesavois bien  qu'il 
ne  choqueroit  pas  le  premier  ministre  pour  moi : 
d'en  pretendre  du  cote  de  La  Riviere ,  ennemi 
mortel  de  mes  amis,  m'y  etoit  un  obstacle  invin- 
cible. Si  bien  queje  ne  voyois  plus  que  madame 
de  Ghevreuse  qui ,  cachant  sa  disgrace  le  mieux 
qu'eile  pouvoit ,  en  conservant  son  ancienne  fa- 
mi  liarite  avec  la  Reine  ,  me  paroissoit  encore  en 
etat  de  me  proteger.  M'etant  trouve  joint  d'inte- 
ret  avec  ses  principaux  amis ,  j'y  avois  en  peu 
de  temps  acquis  beaucoup  de  liberte,  et  en  avois 
recu  des  assurances  de  me  servir  en  toutes  occa- 
sions ;  mais  je  I'y  voulus  encore  obliger  par 
quelque  chose  d'eclatant ,  sachant  bien  qu'etant 
vaine  et  ambitieuse ,  cela  la  toucheroit.  Je  lui 
dis  qu'en  me  rangeant  du  c6t6  de  madame  de 
Montbazon,  c'etoit  elle  premierementque  je  re- 
gardois  :  ce  qu'eile  recut  comme  je  I'avois  pu  es- 
perer, et  me  promit  des  assistances  non  pa- 
reilles.  Je  ne  parlerai  point  de  toute  la  suite  de 
faff  aire ,  parce  qu'eile  a  ete  si  publique  que  per- 
sonne  ne  I'a  ignoree  ;  je  dirai  seulement  que  si  le 
sentiment  de  M.  de  Longueville  eut  ele  suivi ,  on 
I'auroit  etouffee.  Mais  madame  la  princesse,  sui- 
vant  I'aigreur  de  son  naturel,  et  trouvant  une  oc- 
casion de  contenter  ses  anciennes  animosites ,  la 
porta  al'extremite;  et  je  ne  sais  si  elle  n'y  fut 
point  poussee  par  le  cardinal,  qui  consideroit 
notre  parti  comme  forme  contre  lui,  et  jugeoit  que 
c'etoit  moins  contre  M.  le  prince  que  contre  son 
autorite ,  qui  croissoit  chaque  jour ,  que  s'etoit 
faile  a  I'hotel  de  Ghevreuse  I'assemblee  des  qua- 
torze  princes  ,  a  laquelle  je  ne  me  trouvai  point, 
la  jugeant  fort  inutile  et  fort  irapertinente. 

Deux  jours  apres  I'amende  honorable  que  ma- 
dame de  Montbazon  fut  faire  a  I'hotel  de  Gonde, 
la  Reine,  etant  dans  le  cercle,  m'appela,  et  me  dit 
qu'eile  croyoit  que  je  n'avois  pas  su  que  les  of- 
ficiers  de  la  maison  du  Roi  ne  prenoient  point 
de  parti  dans  les  querelles  de  la  cour,  parce  qu'il 
falloit  qu'ils  attendissent  ce  qu'eile  leur  ordon- 
neroit.  Je  lui  repondis  que  je  I'avois  ignore ; 
mais  que ,  quelque  parti  que  je  pusse  prendre , 
ccla  ne  pouvoit  prejudicier  a  I'obeissance  queje 
rendrois  toujours  a  ses  commanderaens.  Elle  re- 
pliqua  que,  me  rendant  suspect  a  fun  des  partis, 

19 


MEMOIRES    DE    I.A.    CHATRE.    fl643] 


290 

cela  me  mettroit  presque  hors  d'etat  de  bien  ! 
suivreses  ordres,  et,finissant  son  discours,  elle 
me  temoigna  qu'il  falloit  qu'uue  autre  fois  je 
demeurasse  neutre. 

Le  lendemain  je  fus  voir  le  cardinal  qui , 
m'ayant  recu  avec  plus  d'appareuce  de  fran- 
chise qu'auparavant ,  me  dit  que  la  Reine  lui 
avoit  parle  de  ce  qu'elle  m'avoit  dit;  et  comnie 
je  m'etois  inforrae  de  ce  que  je  pouvois  alleguer 
la-dessus  ,  je  lui  repondis  que ,  puisque  la  Reine 
desapprouvoit   mon  action ,  j'en  etois  corrige 
pour  jamais ;  niais  que  si  j'avois  failli ,  ma  faute 
n'etoit  pas  sans  exemple ;  et  je  lui  citai  la-des- 
sus celui  de  feu  M.  d'Epernon ,  dans  la  querelle 
de  M.  le  comte  et  de  M.  de  Guise.  II  me  dit  que 
la  Reine  avoit  beaucoup  de  raisons  de  desirer 
que  cela  ne  se  fit  plus  ,  et  m'exhorta,  comme 
mon  ami,  a  demeurer  dans  le  dessein  que  je  lui 
lemoignois  d'obeir  ponctuellementa  Sa  Majeste. 
Je  lui  fis  encore  ensuite  deux  ou  trois  visites  , 
dans  lesquelles  il  me  traita  si  bien ,  que  je  cms 
que  peut-6tre  ne  seroit-il  pas  fache  de  m'obliger 
dans  mes  interets,  puisqu'il  avoit  bien  voulu 
servir  un  de  mes  parens  a  ma  recommandation. 
Je  lui  parlai  done  de  ce  qui  etoit  a  demeler  entre 
M.  Le  Tellier  et  moi ;  et ,  par  uu  Meraoire  que 
je  lui  donnai ,  je  lui  expliquai  assez  nettement  la 
chose ;  et  en  le  quittant  j'ajoutai  que  c'etoit  la 
plus  importante  affaire  que  je  pouvois  avoir.  Ses 
reponses  furent  fort  civiles  et  affectionnees ;  mais 
lorsque  je  lui  en  parlai ,  je  le  trouvai  beaucoup 
plus  froid  ,  et  il  me  fitun  long  discours  pour  me 
montrer  qu'il  y  alloit  fort  du  service  du  Roi  en 
ce  que  je  lui  demandois,  et  conclut  en  me  disant 
que,  pour  ce  qui  seroit  de  mon  interet,  il  falloit 
que  j'eusse  satisfaction ,  et  que  je  ne  m'atta- 
chasse  pas  b.  conserver  un  droit  qui  tiroit  a  trop 
grande  consequence.  Je  lui  repondis  que  mes 
predecesseurs  en  la  charge  en  avoient  joui ;  et 
que,  pour  ce  qui  6toit  de  moi,  tons  ceux  qui  me 
connoissoient  savoient  que  le  bien  et  I'interet  me 
touchoient  peu,  et  que  I'honneur  etoit  ce  qui  me 
faisoit  agir ,  et  ce  que  je  cherchois  dans  I'affaire 
dont  je  I'entretenois.  Je  doute  si  cette  declara- 
tion si  franche  de  mon  humeur  lui  plut ,  mais 
je  sais  bien  qu'il  me  quitta  sans  me  donner  dc 
grandes  esperances. 

Ce  fut  ce  jour-la  ,  ou  le  suivant,  qu'arriva  le 
dernier  trait  de  la  disgrace  de  madame  de  Mont- 
bazon  chez  Renard ;  je  n'y  arrival  que  comme  la 
Reine  en  sortoit ,  et  fus  tres-surpris  et  fache  de 
ce  desordre.  M.  de  Metz  m'est  temoin  de  ce  que 
jedis  a  madame  dc  Montbazon ,  et  combienjela 
blAmai  d'avoir  fait  de  I'affaire  de  madame  la 
princesse  cellc  de  la  Reine.  Cependant  Sa  Ma- 
jeste mc  fit  le  lendemain  I'honneur  de  me  compter 


entre  les  conseillers  de  cctle  belle  disgraciee  ,  et 
temoigna  que  les  choses  qu'elle  avoit  dites  de- 
vant  madame  la  princesse ,  contre  ceux  par 
I'avis  de  qui  elle  etoit  demeuree  dans  le  logisde 
Renard  ,  etoient  particulierement  adressees  a 
moi.  J'en  fus  averti  incontinent ;  mais  me  sen- 
tant  entierement  innocent ,  je  jugeai  n'en  devoir 
point  faire  d'excuses ,  et  crus  que  je  ne  jmuvois 
entrer  en  eclaircissement  sans  parler  en  quelque 
sorte  contre  I'exilee:  ce  qui  n'etoit  pas  de  mon 
humeur.  Cependant  je  m'apercevois  bien  qu'on 
tiroit  mon  affaire  en  longueur  pour  I'une  de  ces 
deux  fins ,  ou  de  me  faire  faire  quelque  esca- 
pade et  quelque  trait  bizarre ,  ou  bien  d'ennuyer 
les  Suisses  par  le  retardement ,  etde  me  decredi- 
ter  aupresd'eux. 

Ainsi  je  pensai  que  je  devois  me  hdter  d'en 
voir  la  conclusion ,  et  fus  trouver  madame  de 
Chevreuse  a  qui  je  dis  qu'aux  termes  ou  etoient 
les  choses ,  je  ne  la  venois  pas  prier  de  parler 
pour  moi ,  sachant  bien  qu'elle  avoit  des  inte- 
rets plus  importans  a  demeler;  mais  que  je  ve- 
nois seulement  lui  dire  qu'il  falloit  que  je  me 
pressasse ,  et  qu'avant  que  de  le  faire  je  lui  en 
avois  voulu  rendre  compte.  Elle  appela  Campion 
en  tiers  a  notre  conversation ,  et  me  repondit  que, 
si  j'eusse  pu  me  donner  huit  jours  de  patience, 
elle  croyoit  que  dans  ce  temps-la  elle  cut  pu  faire 
mon  affaire  hautement;  mais  puisque  je  ne  pou- 
vois differer  ,  que  je  cherchasse  mon  appui  ail- 
leurs ,  et  que  je  demeurasse  seulement  toujours 
de  ses  amis.  Je  crois  que  ce  discours  ne  s'est 
point  etendu  plus  avant  que  nous ;  mais  je  sais 
bien  que  le  lendemain  etant  alle  parler  au  car- 
dinal ,  il  me  temoigna  avoir  peu  d'inclination  a 
me  favoriser,  et  apres  plusieurs  difficultes,  quoi- 
que  je  I'assurasse  que  je  desirois  lui  avoir  I'obli- 
gation  de  la  chose,  il  me  dit  qu'il  n'etoit  pas  seul 
dans  le  conseil ,  et  qu'il  falloit  que  j'en  parlasse 
aux  autres.  Je  jugeai  bien  des-la  mon  affaire 
perdue ;  mais  ne  trouvant  point  d'autre  biais 
d'en  sortir,  et  voyant  que  M.  Le  Tellier  avoit 
obtenu  par  provision  ce  qu'il  dcsiroit  contre 
moi,  je  me  resolus  a  parler  a  Son  Altesse  Royale 
et  aux  autres  personnes  qui  avoient  entree  dans 
le  conseil ;  mais  durant  ce  temps  le  procede  de 
mes  amis  ruinoit  tout  ce  que  je  pouvois  etablir. 
M.  de  Beaufort ,  soit  par  amour ,  soit  par  or- 
gueil,  se  montroit  outre  de  I'exil  de  madame  de 
Montbazon  ;  et  quand  la  Reine  vouloit  parler  a 
lui,  il  s'en  eloignoit  avec  une  maniere  si  dedai- 
gneuse,  que  cela  seul  etoit  capable  de  detruire 
;  toute  I'amitie  qu'elle  cut  pu  avoir  pour  lui.  Je 
m'en  apercus  un  soir,  et  lui  fis  des  reproches 
d'agir  ainsi  en  enfant ;  mais  au  lieu  de  me  payer 
.  de  raisons  ,  il  ne  me  repondit  (ju'avec  des  trans- 


MEMOIRES    I)E    UK    CllATKE.     [|G4;5] 


291 


ports  et  des  boutades  fort  imprudentes.  Comme 
il  avoit  moins  d'occupation  qu'a  I'ordiuaire  ,  il 
me  venoit  chercher  tres-souvent ;  et  pour  moi, 
quoique  je  le  visse  en  assez  mauvaise  posture  , 
par  amitie  et  par  houneur  je  ne  voulois  point 
m'eloigner  de  lui.  II  est  vrai  que  lessoirsje  ne 
le  voyois  pas  si  frequemnient ,  et  que  je  doute 
s'il  passoit  toutes  les  nuits  dans  Paris. 

M.  de  Vendome  ne  voyant  point  son  affaire 
s'aehever,  le  tourmentoit  tous  les  jours  pour  le 
faire  raccommoder  avec  le  cardinal ;  et  ne  pou- 
vant  rien  gagner  sur  lui  de  ce  cdte  ,  il  erut  qu'il 
falloit  s'unir  absolument  avec  La  Riviere.  II  le 
fit  done  presser  plus  que  jamais  par  le  marechal 
d'Estrees,  et  lui  fit  offrir  I'amitie  de  M.  de 
Beaufort.  La  Riviere  ecouta  eette  proposition 
avec  beaucoup  de  joie;  et  ayant  pris  rendez- 
vous chez  le  merae  marechal  d'Estrees  ,  il  fut 
surpris  de  n'y  voir  que  M.  de  Mercoeur  avec 
monsieur  son  pere  ,  et  point  du  tout  M.  de  Beau- 
fort. Des-la  11  se  tint  pour  fourbe  ;  et  quoique 
M.  de  Vendome  I'assurat  qu'il  lui  ameneroit 
son  fils  au  premier  jour  ,  et  lui  alieguat  quel- 
que  obstacle  qui  I'avoit  erapeche  de  venir,  il  ne 
voulut  jamais  entrer  en  matiere  ;  et  s'etant  se- 
pare  civilement  de  la  conversation ,  il  s'unit 
des  le  lendemain  avec  le  cardinal ,  avec  qui 
jusqu'alors  il  n'avoit  pas  eu  une  intelligence 
parfaite.  M.  le  prince  entra  en  tiers  eu  cette  as- 
sociation ,  dont  je  crois  que  le  premier  article 
fut  la  mine  de  M.  de  Beaufort.  Et  de  fait ,  deux 
jours  apres,  la  Reine  etant  allee  au  bois  de 
Vincennes  faire  collation  chez  M.  de  Chavigny, 
il  y  fut  et  en  eut  une  assez  mauvaise  recep- 
tion. Je  ne  sais  si  cela  le  piqua  ,  mais  il  s'en  re- 
vint  aussitot  a  Paris,  et,  etant  all6  au  Louvre 
y  attendre  le  retour  de  Sa  Majeste ,  il  y  trouva 
le  cardinal,  a  qui ,  a  ce  qu'on  dit ,  il  fit  quel- 
ques  questions  s'il  sortoit ,  qui  le  mirent  en 
alarme.  Quelque  temps  apres  on  le  vint  avertir 
qu'il  y  avoit  des  cavaliers  sur  le  quai,  qui  sem- 
bloient  attendre  quelque  chose ;  apres  cela  il 
ne  douta  plus  qu'on  ne  le  voulut  assassiner  ;  il 
le  publia  hautement ,  et  envoya  querir  tous  les 
braves  qu'il  put  pour  sou  escorte.  Le  lende- 
main, j'appris  cette  nouvelle  de  M.  de  Metz  ; 
et  etant  alle  au  Luxembourg,  j'y  trouvai  M.  de 
Guise,  que  j'apprehendois  de  voir  embrouille 
dans  ce  mauvnis  bruit ;  je  trouvai  qu'il  I'igno- 
roit  encore.  Nous  attendimes  ensemble  le  re- 
tour  de  Monsieur  ,  qui  parla  fort  sobremcnt  de 
la  chose  ;  mais  La  Riviere  la  releva  hautement, 
et  dit  qu'il  y  alloit  de  I'autorite  de  Son  Altesse 
Royale  de  maintenir  les  ministres  en  siirete. 

J'eusse  bien  voulu  voir  M.  de  Beaufort;  mais 
il  ctoit  alle  a  la  campagne  voir  monsieur  son 


p^re  ,  et  n'en  revint  que  le  soir  :  ce  qui  acheva 
de  le  perdre  ;  car  peut-etre  que  s'il  eut  ete  chez 
le  cardinal ,  il  se  fut  eclairci  avec  lui,  et  n'au- 
roit  point  ete  arrete.  On  lui  conseilla  de  s'en  al- 
ler  pour  quelques  jours  a  Anet ;  mais  il  se  con- 
fioit  si  fort  a  la  bonne  volonte  de  la  Reine  pour 
lui  ,   qu'il  s'en  voulut  venir  dioit  au  Louvre. 
Pour  moi ,  ayant  ete  I'apres-dlnee  chez  le  car* 
dinal  I'assurer  de  mon  service  ,  et  lui  offrir  de 
faire  avancer  une  rote  des  gardes-suisses  poui 
I'accompagner  ,  j'en  fus  recu  fort  civilement , 
quolqu'il  refusat  mon  offre  ;  il  fit  semblant  de 
croire  que  ce  bruit  etoit  faux ;  mais  je  lui  trou- 
vai pourtant  le  visage  et  la  contenance  d'un 
homme  fort  etonne.  Le  soir ,  en  entrant  au 
Louvre ,  j'y  appris  sous  la  porte  la  prise  de 
M.  de  Beaufort.  La  connoissance  que  j'avois  de 
mon  innocence  fit  que  ,  sans  balancer,  je  raon- 
tai  en  haut,  et  trouvai  dans  la  salle  des  gardes 
de  la  Reine  le  cardinal ,  qui  sortoit  accompa- 
gne  de  trois  cents  gentilshommes.  II  me  sahia 
assez  civilement ;  mais  de  toute  sa  suite  ,  Na- 
vailles  ,  Piennes  et   Saint-Maigrin  furent  les 
seuls  qui  me  voulurent  connoitre  et  aborder. 
Je  trouvai  dans  le  petit  cabinet  de  la  Reine  ma- 
dame  de  Chevreuse  ,  h  qui  je  parlai  quelque 
temps ;  et  ayant  demande  par  plusieurs  fois  si 
je  ne  pourrois  point  voir  ce  pauvre  prince ,  et 
ayant  su  de  Guitaut  meme  que  non  ,  je  ra'en  al- 
lois,  lorsque  la  Reine  me  fit  appeler  dans  sa  pe- 
tite chambre  grise,  et  me  commanda  de  faire 
venir  deux  compagnies  suisses  le  lendemain  a 
six  heures  du  matin ,  devant  le  Louvre. 

IN'ayant  pu  des  le  soir  voir  personne  de  I'hfi- 
tel  de  Vendome,  j'y  alia!  le  lendemain  matin 
meler  raes  soupirs  avec  ceux  de  toute  cette 
raaison  affligee,  et  appris  de  M.  de  Vendome , 
a  qui  Monsieur  en  avoit  fait  entendre  quelque 
chose,  la  confirmation  de  ce  que  m'avoit  dit  le 
soir  d'auparavant  M.  de  Guise ,  que  j'etois  du 
nombre  de  ceux  qu'on  devoit  eloigner  de  la 
cour.  Ce  bruit  me  f^choit  mediocrement;  et  je 
ne  sais  par  quelle  prescience  de  mon  malheur 
je  souhaitois  le  bannissement  plus  que  je  ne  le 
craignois.  J'en  allai,  au  sortir  de  la,  attendre 
la  nouvelle  chez  messieurs  de  Bethune  et  de 
Montresor,  qui  etoient  menaces  du  meme  acci- 
dent, et  qui  en  recurent  une  heure  apres  le 
commandement  en  ma  presence.  Ce  n'est  pas 
qu'ils  eussent  tant  de  liaison  pour  I'heure  avec 
M.  de  Beaufort,  qu'ils  dussent  participer  a  sa 
disgrace  ;  mais  c'est  que  La  Riviere  ne  voulut 
jamais  promettre  au  cardinal  de  faire  consentir 
son  maitre  a  la  prise  de  ce  pauvre  prince,  qu'il 
ne  I'assurat  en  meme  temps  d'exiler  ses  deux 
ennemis ;  et  je  crois  que  Monsieur  m^me  y  con- 

19. 


2<)2 


MEMOIHES    Die    LA    CHATllE.    [l6-13] 


tribua  de  son  a\ is,  ctant  mortellement  ulcere' 
fontre  M.  do  Montrcsor  de  ce  qii'il  I'avoit  quit- 
te  ,  et  n'ayant  pas  aussi  oiiblie  que  tout  ce  qu'il 
avoit  pu  dire  iui-meme  et  faire  dire  en  sonnom 
au  comte  de  Bethune,  I'hiver  d'auparavant  , 
pour  I'adoucir  envers  La  Riviere  ,  n'avoit  de 
rien  servi,  et  qu'il  avoit  fallu  lui  envoyer  un 
eommandement  du  Roi  pour  cela.  On  fit,  le 
nieme  jour,  partir  M.  de  Chateauneuf  de  Mout- 
rouge  ,  et  Saint-Ibal  eut  aussi  ordre  de  se  reti- 
ler.  Ce  qui  fut  la  recompense  des  services  que 
Reringhen  avoit  rendus  au  cardinal,  qui  le  de- 
li vra  de  la  presence  d'un  homme  qui  en  parloit 
partout  avecun  mepris  horrible. 

Pour  moi ,  je  croyois  a  chaque  moment  ac- 
erottre  le  uombre  des  proscrits ;  mais  enfin  , 
Tapres-diner,  on  me  vint  assurer  que  j'etois  ga- 
ranti  du  naufrage,  et  que  la  protection  de  Mon- 
sieur ra'en  avoit  sauve.  J'avois  peine  a  cora- 
prendre  que  celui  que  je  n'avois  jamais  servi 
me  preserv^t  des  malheurs  que  m'auroit  pre- 
pares celle  a  qui  je  m'etois  devoue  si  fidele- 
ment.  Neanmoins  ,  cette  nouvelle  m'etant  con- 
firmee de  trois  ou  quatre  endroits  ,  et  meme  de 
rhotel  de  Guise  ,  je  crus  Ten  devoir  aller  re- 
mercier.  Etant  alle  le  soir  au  Louvre,  la  Reine 
ne  me  regarda  pas  ,  de  quoi  je  m'etonnai  pen , 
dans  une  si  recente  disgrace  de  mes  meilleurs 
amis.  Mais  je  fus  assez  surpris  lorsqu'apres 
avoir  ete  le  lendemain  dire  adieu  a  M.  de  Ven- 
dome,  qu'on  chassoit  quoique  assez  malade ,  je 
m'en  allai  au  Luxembourg,  et  y  ayant  fait  a 
Son  Altesse  Royale  le  compliment  que  je  lui 
devois  pour  le  bon  office  qu'on  disoit  qu'elle 
m'avoit  rendu  ,  j'en  recus  une  reponse  fort 
froide,  et  qui  contenoit  presque  un  desaveu  de 
ce  qu'on  publioit  qu'il  avoit  entrepris  en  ma 
faveur. 

Je  recommencai  des  ce  jour  a  faire  les  fonc- 
tions  de  ma  charge  a  I'ordinaire  ;  et  ayant  es- 
saye  le  lendemain,  inutilement,  de  voir  le  car- 
dinal ,  qui  avoit  pris  medecine  ,  j'y  retournai  le 
jour  d'apres ,  et  en  recus  un  accueil  fort  froid  , 
ne  m'ayant  jamais  parle  qu'en  tierce  personne, 
et  comme  s'il  se  fut  plus  tot  adresse  a  toute  la 
compagnie  qu'a  moi.  Je  fis  cette  premiere  vi- 
sile assez  courte  ;  et  y  etant  reveuu  deux  ou 
trois  fois  dans  la  seniaine  suivante  ,  je  n'en  eus 
jamais  que  des  reverences  fort  serieuses,  et  pas 
une  parole.  Des-la  je  jugeai  mes  affaires  en  fort 
niauvais  etat ;  mais  je  ne  doutai  plus  qu'elles  ne 
fussent  entierement  ruinees,  lorsque  j'appris 
(pie  Monsieur,  en  presence  du  cardinal,  avoit 
presque  tourne  en  ridicule  le  remerciment  que 
je  lui  avois  fait ,  et  avoit  conte  tout  haut  qu'il 
m'avoit  nie  de  m'avoir  servi.  Je  fus  redcvable 


dc  cet  avis  a  M.  de  Longueville  qui,  malgre 
tons  les  demeles  passes,  m'avoit  fait  I'honneur 
de  demeurer  de  mes  amis,  et  s'etoit  offert ,  des 
la  prise  de  M.  de  Beaufort ,  a  me  servir.  Je  ne 
doutai  point  que  La  Riviere  n'eiit  opere  en  ce 
rencontre,  et  priai  M.  de  Brienne,  a  qui  je 
contai  toute  la  chose,  de  la  vouloir  dire  a  la 
Reine,  et  lui  temoigner  que  mon  compliment 
n'avoit  point  ete  pour  chercher  une  autre  pro- 
tection que  la  sienne  ;  et  le  conjurai  d'entrer  un 
peu  plus  en  matiere  s'il  s'y  trouvoit  un  jour.  II 
le'  fit,  et  eut  pour  reponse  de  Sa  Majeste  qu'elle 
me  croyoit  trop  homme  d'honneur  pour  avoir 
trempe  dans  la  conjuration  qu'on  imputoit  a 
M.  de  Beaufort  ;  mais  qu'il  y  avoit  eu  de  I'im- 
prudence  dans  ma  conduite.  Ne  trouvant  pas 
beaucoup  d'aigreur  dans  cette  reponse  ,  je  crus 
que,  sije  lui  parlois  moi-meme,  peut-etre  s'ou- 
vriroit-elle  davantage.  Je  pris  done  mon  temps 
comme  elle  me  donna  I'ordre ,  et  lui  ayant  re- 
confirme  ce  que  M.  de  Brienne  lui  avoit  dit  dc 
ma  part ,  elle  me  dit  seulement  avec  froideui 
qu'elle  le  croyoit,  et  s'eloigna  de  moi.  On  me 
conseilla  de  me  rendre  soigneux  de  la  voir  a 
toutes  heures  :  ce  que  je  fis  avec  toute  I'assi- 
duite  qu'il  me  fut  possible;  et  dans  ce  meme 
temps  M.  de  Liancourt  etant  arrive  a  Paris  ,  je 
le  priai  de  dire  au  cardinal  que  je  lessentois  la 
captivite  de  M.  de  Beaufort  avec  une  douleur 
infinie;  mais  que  c'eloit  sans  murmurer  et 
sans  perdre  le  respect  que  je  lui  devois,  et 
que  je  lui  demandois  qu'il  me  considerat  comrae 
un  homme  qui  songeoit  a  faire  sa  charge,  et  rien 
davantage.  Sa  reponse  fut  que  j'avois  refuse 
d'etre  de  ses  amis,  et  que  ce  qu'il  pouvoit  faire 
par  generflsite  etoit  de  ne  me  point  faire  de  mal. 
Cependaut  je  voyois  que  le  marechal  de  Bas- 
sompierre,  qui  m'avoit  jusqu'alors  temoigne 
tant  d'amitie ,  et  qui  meme  etoit  venu  diner 
chez  moi  huit  jours  devant ,  s'eloignoit  de  moi , 
et  ne  me  parloit  plus  qu'en  crainte.  Un  soir, 
dans  le  petit  cabinet  de  la  Reine ,  il  m'avertit 
de  songer  a  moi ,  et  m'apprit  la  disgrace  de  M. 
deBeauvais,  a  qui  Ton  fit  faire  une  querelle 
sans  sujet  par  M.  le  prince,  pour  avoir  lieu  de 
le  bannir.  II  ne  me  dit  la  chose  qu'en  gros  et 
en  trois  mots;  et  puis  se  retira  de  moi  sans  me 
vouloir  parler  davantage,  comme  s'il  eiit  appre- 
hende  qu'on  ne  nous  eut  vus  en  conversation. 
Un  jour  apres,  trouvant  un  de  mes  amis,  il  se 
mit  a  lui  blamer  ma  conduite  ,  et  a  m'accuser, 
entre  autres  choses ,  de  voir  souvent  madame 
de  Chevreuse.  II  est  vrai  que,  m'etant  dit  son 
serviteur  avant  sa  chute,  je  ne  m'eloignai  pas 
d'elle  lorsqne  le  malheur  de  M.  de  Beaufort 
avanca  le  sien,  et  qu'allant ,  comme  j'ai  dit , 


MEMOIBES    nV.   LA    CHATRE.    [(643] 


fort  souvent  au  Louvre  ,  dont  son  logis  etoit  fort 
proche,  j'y  allois  altendre  la  fin  des  prieres  de 
la  Reine,  et  I'heure  de  son  souper  :  mais  mes 
visiles  n'etoient  point  particulieres,  et  mes- 
sieurs de  Guise,  de  Retz,  et  vingt  autres  per- 
sonnes  y  venoient  aux  memes  heures.  Je  fus 
raeme  un  des  premiers  qui  lui  conseiiiai  d'es- 
sayer  a  se  raccommoder  avec  le  cardinal ,  et  lui 
eonfirmai  le  dessein  d'y  employer  M.  de  Lian- 
court,  qui  Vy  servit  avec  grande  chaleur ,  mais 
sans  aucun  fruit ;  le  cardinal  se  plaignantqu'elle 
lui  avoit  manque  de  parole,  et  disant  qu'elle  sa- 
voit  bien  de  quoi  elle  etoit  demeuree  d'accord 
avec  la  Reine. 

Nous  ne  savions  ce  que  c'etoit,  parce  qu'elle 
cacha  sa  disgrace  jusqu'a  la  fin;  mais  nous 
apprimes  enfin  que,  le  soir  memede  la  prise  de 
M.  de  Beaufort,  s'etant  offerte  a  faire  sans  re- 
pugnance tout  ce  que  la  Reine  lui  ordonneroit, 
Sa  Majeste  lui  dit  qu'elle  la  croyoit  iiinocente 
desdesseins  du  prisonnier  ;  mais  que  ueanmoins 
clle  jugeoit  a  propos  que  sans  eclat  elle  se  re- 
lirat  a  Dampierre ,  et  qu'apres  y  avoir  fait  quel- 
que  sejour  elle  s'en  allat  en  Touraine.  Depuis 
ce  soir  elle  ne  fut  qu'une  seule  fols  au  Louvre, 
et  n'auroit  pas  tant  demeure  a  faris,  si  elle  ne 
sefut  opiniatree  a  toucher,  avant  que  d'en  par- 
tir,  quelque  argent  qu'on  lui  avoit  promis.  Tous 
les  jours  il  venoit  des  emissaires  de  la  Reine  et 
du  cardinal  la  solliciter  de  s'en  aller  ;  et  entre 
autres,  Montaigu  etant  venu  un  jour  lui  parler , 
elle  lui  demanda  s'il  etoit  vrai  qu'on  chassat  en- 
core beaucoup  de  gens ,  et  parut  surtout  curieuse 
de  savoir  si  Ton  m'otait  ma  charge ,  temoignant 
me  plaindre ,  et  prendre  part  a  mon  malhcur. 

Cette  question  etant  rapportee  au  cardinal  , 
fut  le  dernier  coup  de  ma  mine  5  et  des  le  len- 
demain  la  Reine  dit  au  marechal  de  Bassom- 
pierre  qu'elle  lui  vouloit  I'cndre  sa  charge:  ce 
qu'il  refusa  d'abord ,  a  ce  que  Ton  m'a  dit.  Ce 
bruit,  s'etant  epandu  par  la  ville,  vint  jusqu'a 
moi  et  fit  que  jepriai  M.  deLiancourt  de  faire 
,  encore  une  tentative  aupres  du  cardinal.  II  me 
dit  que,  sans  que  je  Ten  eusse  soUicite  ,  il  lui 
en  avoit  parle  plusieurs  fois,  et  n'en  avoit  point 
eu  de  satisfaction ;  si  bien  qu'il  jugeoit  neces- 
saire  que  quelque  autre  lui  aidat  a  rentrer  dans 
ce  discours.  Le  coramandeur  de  Souvre  me  pro- 
mit  de  me  rendre  cet  office ;  et  eux  deux  en- 
semble ayant  pris  leur  temps  des  le  soir,   ils 
trouverent  un  homme  fort  aigri ,  et  qui  a  peine 
les  vouloit  ouir,  assurant  toiijours  pourtant  qu'il 
ne  me  feroit  point  de  mal.  Ce  dernier  effort 
etant  demeure  inutile  ,  je  jugeai  que  je  devois 
tout  apprclicndcr  ,  et  pris  des  lors  mes  resolu- 
tions. En  ce  mcme  temps  ma  femme,  etant  arri- 


293 

vee  a  Paris  ,  alia  voir  madame  la  princesse,  avec 
qui  la  devotion  lui  avoit  donne  quelque  intrigue 
et  quelque  familiarite;  elle  eut  avec  elle  une 
longue  conversation  ,  oil  elle  declama  furieuse- 
ment  contre  moi ,  faisant  paroitre  pourtant,  a  la 
fin  de  son  discours,  qu'elle  desiroit  de  me  voir. 
Elle  mena  ensuite  ma  femme  aux  Carmelites  , 
ou  elle  et  madame  d'Aiguillon  la  presenterent 
a  la  Reine,  et  tacherent  de  I'adoucir  pour  moi; 
mais  ils  la  trouverent  trop  obstinee  a  me  perdre, 
et  deja ,  disoit-elle  ,  engagee  de  parole  au  mare- 
chal de  Bassompierre.  Madame  d'Aiguillon  la 
mena  le  soir  chez  le  cardinal,  qui  lui  dit  la 
meme  chose  ,  et  I'assura  que  si  elle  fut  venue 
trois  semaines  plus  tot ,  il  y  auroit  eu  lieu  de 
me  sauver.  Voyaiit  ainsi  tout  le  monde  bande 
contre  moi,  je  me  resolus  de  ne  point  voir  la 
Reine ,  de  peur  de  recevoir  un  commandement 
de  sa  bouche ,  et  d'etre  reduit  a  la  refuser  en 
face  ;  et  ayant  trouve  Saint-Luc ,  qui  m'assura 
de  la  part  de  son  oncle  qu'il  ne  contribuoit  point 
a  mon  malheur,  et  qu'il  ne  vouloit  point  de  ma 
charge,  je  lui  dis  que  je  lui  demandois  seule- 
ment  qu'il  ne  la  prit  point  sans  ma  demission  : 
ce  qu'il  m'assura  qu'il  feroit. 

Le  lendemain  ,  je  fus  voir  madame  la  prin- 
cesse, qui  d'abord  s'emporta  fort  contre  moi. 
Je  souffris  ce  qu'elle  me  voulut  dire,  et,  ne  vou- 
lant  pas  justifier  mon  procede  ,  pour  ne  la  pas 
choquer  entierement  ni  aussi  le  condamner, 
parce  que  cela  m'auroit  paru  honteux,  je  reje- 
tai  tout  cequi  s'etoit  passe  sur  mon  malheur,  et 
sur  des  rencontres  inevitables.  Elle  donna  plu- 
sieurs attaques  sur  le  pauvre  M.  de  Beaufort , 
auxquelles  je  repartis  le  plus  modestement  et  le 
plus  fermement  que  je  pus,  etsortis  d'avec  elle, 
la  laissant  en  apparence  fort  adoucie.  En  effet , 
quoiqu'elle  cut  un  peu  sur  le  coeur  que  je  ne  lui 
eusse  point  demande  son  assistance,  elle  promit 
a  ma  femme  d'empecher  ma  mine ,  et  lui  dit 
que  je  me  trouvasse  le  lendemain  chez  elle  a 
I'arrivee  de  monsieur  son  fils.  Je  passai  le  reste 
du  jour  en  I'attente  du  commandement;  et  la 
lendemain  matin,  ayant  su  que  le  marechal  de 
Bassompierre  sembloit  trouver  etrange  qu'apres 
tant  de  civilites  qu'il  ra'avoit  faites  je  ne  lui  eu 
rendisse  pas  une ,  j'allai  chez  lui ,  ou  il  me  re- 
petales  memes  assurances  que  Saint-Luc  m'a- 
voit  donnees  de  sa  part ;  et  pour  remede  contre 
la  persecution  qu'on  mepreparoit,  il  me  con- 
seilla  de  ne  point  donner  ma  demission  :  ce  que 
je  lui  protestai  que  je  ferois. 

Je  metrouvai  I'apres-dinee a  I'arrivee  de  M. 
d'Enghicn  ,  a  qui  madame  sa  mere  me  prcseuta, 
et  en  fus  fort  bien  rccu.  Monsieur  son  perc,  que 
je  vis  un  instant  aprcs ,  me  fit  quclques  ropro 


2U1 


MEMOIUES    DE    LA    CHATKE.    [l643] 


dies  ,  mais  sans  s'emporter,  et  m'assura  qu'il  ne 
me  nuiroit  point.  Ne  voyant  plus  cette  raaison 
aigrie  contre  moi,  au  contraire  madame  la  prin- 
cesse  ayant  dit  ce  jour-la  que  mon  affaire  etoit 
la  sienne,  il  me  restoit  encore  quelque  espe- 
rance,  fondee  principalement  sur  cette  haute 
reputation  du  marechal  de  Bassompierre ,  que 
je  croyois  trop  genereux  pour  contribuer  a  ma 
perte  apres  ce  qu'il  m'avoit  promis ,  et  la  priere 
qu'il  avoit  faite  a  M.  de  Longueville  d'assurer 
madame  la  princesse  que ,  bien  loin  de  le  deso- 
bliger  en  me  servant ,  il  le  tiendroit  a  faveur,  ne 
pretendant  point  me  depouiller. 

Cependant  n'ayant  point  ete  depuis  deux  ou 
trois  jours  au  Louvre,  je  jugeai  a  propos  de 
faire  dire  a  la  Reine,  qu'apres  le  bruit  qui  avoit 
couru,  je  n'avois  ose  par  respect  me  presenter 
devant  elle  pour  faire  ma  charge,  quoique  je  la 
crusse  trop  juste,  et  me  sentisse  trop  innocent 
pour  appiehender  sa  disgrace.  Je  priai  M.  de 
Brienne  de  me  rendre  cet  office,  et  de  voir  aussi 
le  cardinal ,  pour  lui  dire  que ,  quelque  bruit 
qui  couriit,  je  ne  pouvois  croire  mon  malheur  , 
sachant  bien  que  je  n'avois  jamais  manque  con- 
tre la  fidelite  que  je  devois  a  la  Reine,  ni  contre 
le  respect  qui  etoit  dii  a  Son  Eminence.  J'eus 
reponse  de  ce  dernier  point  des  le  jour  meme, 
et  sus  que  le  cardinal  n'avoit  point  temoigne 
d'animosite  contre  moi,et  avoit  parle  comme 
s'il  y  eiit  eu  encore  quelque  esperance  de  me 
raccommoder.  Mais  pour  le  premier  point ,  M. 
de  Brienne,  m'etant  venu  voir  le  lendemain  ma- 
tin, me  dit  que,  comme  il  ouvroit  la  bouche 
pour  parler  de  moi  a  la  Reine,  elle  I'avoit  pre- 
venu,  et  lui  avoit  dit  que,  le  sachant  mon  ami, 
elle  I'avoit  choisi  plutot  que  M.  Le  Tellier,avec 
qui  elle  avoit  appris  que  je  n'etois  pas  bien , 
pour  me  venir  ordonner  de  lui  envoyer  la  de- 
mission de  ma  charge,  et  ne  lui  avoit  allegue 
autre  raison  dececommandement,  sinon  qu'elle 
vouloit  rendre  justice  au  marechal  de  Bassom- 
pierre. Ma  reponse  fut  que  je  m'estimois  le  plus 
malheureux  homme  du  monde  d'avoir  pu  de- 
plaire  a  la  Reine  ,  et  que  ma  seule  consolation 
etoit  que  ma  conscience  ne  me  reprochoit  point 
de  I'avoir  offensee,  ni  en  bagatelles,  ni  en  cho- 
ses  serieuses  :  que  ,  pour  ma  charge,  elle  en 
etoit  la  maitresse  absolue,  et  qu'elle  en  pouvoit 
disposer;  mais  que  je  la  suppliois  tres-humble- 
ment  de  trouver  bon  que  je  n'y  contribuasse 
point ;  que ,  I'ayant  prise  huit  mois  auparavant 
a  la  vue  de  toute  la  France  par  son  commande- 
ment,  il  sembleroit  que  je  me  sentirois  coupa- 
ble  de  quelque  grand  crime,  si  je  consentois  si- 
t6ta  m'en  depouiller;  et  qu'enlin,  pour  les  pe- 
tits  services  que  j'avois  essaye  de  lui  rendre,  je 


ne  lui  demandois  point  d'autre  grace  que  la 
permission  de  me  retirer  chez  moi  pour  y  plain- 
dre  mon  infortune,  et  attendre  un  temps  plus 
favorable  a  mon  innocence  :  ce  que  j'esperois 
quelque  jour,  parce  que  je  croyois  Sa  Majesty 
juste,  et  que  je  savois  que  Dieu  I'etoit. 

M.  de  Brienne ,  ne  pouvant  absolument  im- 
prouver  ma  resolution,  me  dit  seulement  que  si 
j'en  voulois  prendre  une  autre  on  pourroit  me 
menager,  outre  la  recompense  entiere  de  ma 
charge,  quelques  avantages,  comme  des  brevets 
de  chevalier  du  Saint-Esprit ,  de  marechal-de- 
camp ,  de  deux  mille  ecus  de  pension ,  et  d'as- 
surance  de  recompense  de  la  premiere  charge 
vacante.  Je  me  moquai  de  toutes  ces  graces  fri- 
voles,  et  me  separai  de  lui,  apres  I'avoir  prie 
de  rapporter  exactement  ma  reponse  a  la  Reine. 
Une  heure  apres ,  j'appris  de  ma  femme  que  ma- 
dame la  princesse  s'etoit  excusee  a  elle-raeme 
de  I'assistance  qu'elle  avoit  promis  de  me  rendre 
sur  la  consideration  du  marechal  de  Bassom- 
pierre ,  qui  Ten  avoit  priee ,  a  ce  qu'elle  disoit, 
quoique  I'autre  le  iiiSt. 

Ne  jugeant  pas  a  propos,  apres  ma  reponse, 
de  demeurer  chez  moi ,  je  me  retirai  chez  un 
de  mes  amis ,  et  le  soir  j'appris  ,  d'une  personne 
de  tres-grande  condition, que,  s'etaut  trouvee  au 
Louvre ,  elle  avoit  vu  quelque  remuement  parmi 
les  gardes  de  la  Reine,  et  avoit  eu  certitude 
qu'il  y  avoit  ordre  de  m'arreter.  Si  j'eusse  cru 
mon  sentiment ,  je  serois  demeure  dans  Paris , 
pour  voir  si  Ton  pousseroit  injustice  jusqu'au 
bout ;  mais  mes  amis  ne  I'approuvant  pas ,  des 
le  lendemain  matin  je  fus  a  la  campagne.  Quel- 
ques jours  apres  j'appris  que  la  Reine,  Monsieur, 
M.  le  prince ,  le  cardinal ,  ou  pour  mieux  dire 
en  un  mot ,  toutes  les  puissances  etoient  achar- 
nees  contre  moi ,  et  que  le  marechal  de  Bassom- 
pierre commencoit  a  changer  son  premier  dis- 
cours  et  a  dire  qu'ayant  taut  de  droits  a  la 
charge,  il  ne  pouvoit  la  refuser  s'il  falloit  que  je 
la  perdisse  et  que  la  Reine  la  lui  jetat  a  la  tete; 
mais  qu'il  n'y  entreroit  jamais  que  je  ne  fusse 
entierement  satisfait.  Contre  un  si  grand  orage 
je  ne  trouvois  que  peu  ou  point  d'amis  :  M.  de 
Liancoiirt,  qui  seul  a  fait  paroitre  pour  moi  de 
la  vigueur  et  de  la  generosite  ,  etoit  a  la  cam- 
pagne ;  presque  tons  les  autres  m'abandonnoient 
peu  a  peu ,  et  ceux  qui  me  restoient  etoient  ou 
enveloppes  dans  le  meme  malheur  que  moi,  ou 
dans  I'impuissance  de  m'assister. 

Des  premiers,  les  uns,  comme  M.  de  Brienne, 
me  proposoient  des  avantages  en  obeissant ,  et 
des  persecutions  en  resistant;  d'autres,  meme 
des  plus  qualifies ,  complaisans  aux  puissances 
ou  incites  par  mes  cnnemis  ,  m'ecrivoient  des 


MEMOIllES    DE    LA    CHVTUE 


Ictlres  pour  m'intimider,  et  me  vouloient  faire 
apprehender  qu'on  ne  me  traitat  de  rebelle ,  et 
qu'ainsi  mes  biens  ne  fussent  coulisques  et  mes 
maisons  rasees.  Enfin  il  se  passoit  pen  de  jours 
ou  je  ne  recusse  cent  avis differens,  qui  ne  m'e- 
branloient  point  du  tout.  Au  bout  d'un  mois , 
me  voyant  toujours  dans  les  memes  sentimens , 
la  Reine  lit  faire  une  declaration  par  laqueiie  le 
Roi  publioit  que  la  demission  du  marechal  de 
Bassompierre  etoit  nulle ,  comme  ayant  ete  don- 
uee  en  prison ,  et  sous  une  promesse  de  le  mettre 
en  liberie,  qu'on  ne  lui  avoit  pas  tenue;  et  cassoit 
toutes  les  provisions  donnees  en  consequence  au 
marquis  de  Coislin  et  a  moi ,  remettant  le  ma- 
rechal en  charge  sans  qu'il  etit  besoin  de  nou- 
veau  serment ,  a  condition  de  me  payer  dans 
quinze  jours,  en  un  paiement,  les  quatre  cent 
mille  livres  qu'il  en  avoit  touchees  pour  recom- 
pense, ou  de  consigner  cette  somme  a  I'epargne, 
en  cas  que  je  ne  donnasse  pas  uu  pouvoir  va- 
lable  pour  la  recevoir. 

Cette  declaration ,  dressee  par  le  chancelier 
et  ecrite  de  sa  propre  main ,  me  laissoit  a  courre 
apres  les  vingt-deux  mille  ecus  que  j'avoisdon- 
ues  de  surplus ;  neanmoins  craignant  que  je  ne 
les  repetasse  contre  lui ,  avec  qui  j'avois  traite 
comme  tuteur  de  ses  petits-fils  de  Coislin,  il 
prit  un  brevet  du  Roi  de  pareille  somme,  pour 
me  le  donner  en  paiement.  J'appris  cette  nou- 
velle  qui  ne  m'emut  point,  avec  une  autre  qui 
metoucha  beaucoup  davantage  ,  qui  fut  un  dis- 
cours  que  madamede  Brienue  voulut  faire  croire 
a  ma  femme  qu'elle  avoit  eu  avec  la  Reine  sur 
mon  sujet ,  ou  Sa  Majeste ,  blamant  ma  deso- 
beissance,  avoit  jure,  disoit-elle,  devant  le 
Saint-Sacrement  qu'elle  avoit  contre  moi  des 
choses  capables  de  me  perdre,  qu'elle  ne  vou- 
loit  point  pousser  par  pure  bonte,  J'avoue  que 
ce  discours  me  mit  si  fort  en  colere,  qu'a  I'heure 
meme  j'ecrivisa  M.  de  Brienneque,tant  qu'il  ne 
s'etoit  agi  que  de  ma  charge  et  de  ma  fortune  , 
j'avois  souffert  sans  murmurer ;  mais  que  je  ne 
pouvois  ,  sans  me  plaindre ,  ouir  dire  qu'on  at- 
taqucit  mon  innocence ,  et  qu'on  me  voulut  noir- 
cir  aupres  de  la  Reine,  a  qui ,  en  cette  occasion, 
je  ne  demandois  que  justice,  la  suppliant,  si 
j'etois  coupable ,  d'ordonner  au  parlement  de 
laire  mon  proces ,  etant  pret  d'entrer  en  la  Con- 
ciergerie  toutes  les  fois  qu'elle  lui  voudroit  don- 
ner connoissancede  mes  lautes.  G'etoit  la  le  sens 
de  ma  lettre  (1) ,  qui  etolt  en  termes  un  peu  plus 
etendus. 

M.    de   Brienne  la  trouvant  peut-etre  trop 


(1)  C'estla  IcUrc  qui  est  a  la  Gn  des  M^moiros  de  La 
Chalrc ,  ci-nprcs ,  page  296. 


[1G43]  295 

bardie  ,  ne  voulut  pas  la  montrer  a  la  Reine,  et 
se  contenta  (que  je  pense)  d'eu  faire  part  au 
cardinal ,  qui  n'etoit  pas  ce  que  je  d^sirois  de 
lui.  Cependant  le  marechal  de  Bassompierre  , 
voyant  que  tout  ce  qu'on  m'avoit  pu  dire  jus- 
qu'alors  ne  m'avoit  point  fait  changer  de  des- 
sein ,  et  ayant  ordre  de  la  Reine  de  se  resoudre 
a  se  deshonorer  en  prenant  ma  charge,  apres 
tant  de  paroles  donnees  du  contraire,  etoit  en 
d'etranges  inquietudes ,  et  travail loit  chaque 
jour,  par  mille  biais  differens ,  a  me  faire  par- 
ler  pour  me  rendre  moins  opiniatre.  Enfin,  se 
disant  extremement  presse  par  la  Reine,  il  fit 
faire  trois  sommations  a  ma  femme  de  recevoir 
son  argent ,  et  en  donner  quittance  valable  a  la 
troisieme,  Elle  ayant  fait  reponse  qu'elle  6toit 
prete  a  donner  quittance  pourvu  qu'on  lui  ap- 
portat  tout  son  argent ,  cela  I'avoit  encore  mis 
en  peine ,  n'ayant  pas  le  quart  de  la  somme,  et 
toute  sa  pensee  etant  de  consigner  en  papier, 
par  la  faveur  de  M.  d'Eraery.  II  fit  demander 
qu'on  lui  montr^t  ma  procuration  ;  et  sur  le  re- 
fus  qu'on  en  fit ,  jugeant  que  ce  n'etoit  qu'un  de- 
lai ,  il  dit  que  si  dans  quatre  jours  on  ne  la  lui 
montroit,  il  cousigneroit,  et  des-lors  il  entra  en 
charge. 

Dans  cette  extremite ,  quoique  je  fusse  encore 
dans  la  meme  pensee  qu'au  commencement,  je 
trouvai  tous  mes  amis  de  contraire  opinion,  qui 
me  representerent  que  c'etoit  perdre  et  ma 
charge  et  mon  bien  a  credit,  puisque  laissant 
consigner  a  I'epargne  ( ce  qui  ne  se  feroit  qu'en 
papier) ,  c'etoit  jeter  mon  argent  dans  un  gouffre 
d'oii  je  ne  le  retirerois  jamais  ;  que  j'aurois  af- 
faire a  un  vieillard  ,  officier  de  la  couronne  et 
raffine  courtisan  ,  qu'il  m'etoit  comme  impos- 
sible de  deposseder  tant  qu'il  vivroit;  et  qu'a  sa 
mort,  si  je  ne  me  trouvois  bien  a  la  cour,  je  ne 
rentrerois  point  dans  ma  charge ;  que  ma  desobeis- 
sance  feroitqu'on  mepousseroit  jusqu'au  bout ;  et 
que  je  voyois  bien  que  celui  qu'on  me  mettoit  en 
tete  etoit  un  homme  hors  d'cige  de  pousser  mes 
ressentimens ,  et  un  fourbe  qui ,  m'ayant  man- 
que tant  de  fois  de  parole,  se  rendroit  volontiers 
I'instrument  de  toutes  les  tyrannies  qu'on  vou- 
droit exercer  contre  moi,  Toutes  ces  raisons , 
jointes  a  la  consideration  d'une  femme  grosse  et 
de  trois  enfans  que  je  pouvois  rendre  miserables 
par  ma  mort ,  me  firent  enfin  ceder;  et  je  crus 
que ,  quelque  raison  que  j'eusse  dans  mon  des- 
sein ,  le  sentiment  de  tant  de  personnes  pru- 
dentes  et  genereuses  devoit  elre  prefere  au  mien. 
Ainsi  je  fis  dire  a  M.  de  Brienne  que  j'etois  pret 
a  obeir  et  a  recevoir  mon  argent;  et  lui  me 
promit ,  de  la  part  de  la  Reine  ,  tout  ce  qu'il 
m'avoit  propose  le  jour  qu'il  mc  dcmandama  de- 


296 


MEMOIAES    Dli    LX 


mission.  Ensuite  je  donnai  ma  procuration  a  ma 
femme ,  apres  avoir  fait  des  protestations  qu'on 
me  dit  me  pouvoir  servir  quelque  jour,  a  quoi , 
pour  dire  le  vrai ,  je  n'ai  guere  de  eonfiance  ,  et 
si  j'ai  garde  ma  demission ,  c'a  ete  seulement 
parce  que  je  m'etois  engage  des  le  commence- 
ment a  ne  la  point  donncr,  et  non  pas  par  espe- 
rance  qu'il  puisse  jamais  arriver  un  assez  grand 
cliangement  pour  m'en  prevaloir.  Ne  m'etant 
jamais  attache  qu'a  la  Reine  ,  et  me  trouvant 
ruine  dans  son  esprit ,  je  ne  trouve  pas  de  res- 
source  tant  qu'elle  sera  en  puissance ;  et  lorsqiie 
notre  Roi  sera  en  age  de  gouverner  lui-meme  , 
il  se  trouvera  une  si  grande  disproportion  entre 
son  age  et  le  mien ,  que  je  n'y  puis  jamais  pre- 
tendre  d'acces  ni  de  familiarite. 

Les  choses  qui  se  sont  passees  dans  mes  af- 
faires ,  ensuite  de  ce  que  j'ai  ecrit  ci-dessus , 
ont  ete  si  connues  de  tout  le  monde ,  que  ce  se- 
roit  un  discours  fort  ennuyeux  de  vouloir  exa- 
gerer  encore  les  fourbes  du  marechal  de  Bas- 
sompierre  ,  les  foiblesses  de  M.  de  Brienne,  et 
les  longueurs  et  manquemens  de  paiole  desmi- 
nistres.  Je  me  suis  deja  peut-etre  trop  arrete  a 
des  choses  peu  importantes;  mais  comme  jen'ai 
fait  cette  relation  que  pour  mes  proches  et  mes 
amis  tres-particuliers,  ils  auront  la  bonte  d'en 
excuser  les  defauts ;  et  si  mon  discours  ne  leur 
paroit  pas  fort  eloquent ,  ils  le  trouveront  au 
moins  plein  de  securite  et  de  verite.  Je  serai  ra- 
vi  s'il  leur  donne  quelque  satisfaction ,  et  aurai 
obtenu  la  principale  fm  que  je  me  suis  proposee, 
s'ils  connoissent  qu'en  beaucoup  de  choses  j'ai 
ete  plus  malheureux  qu'imprudent ,  et  que  dans 
celles  ou  j'ai  manque,  c'a  ete  par  des  principes 
de  generosite  et  de  fidelite  dont  je  ne  me  depar- 
tirai  jamais,  quoiqu'ils  ne  m'aient  pas  bien  suc- 
cede. 

Lettre  de  M.  de  La  Chdlre  a  M.  de  Brienne. 
Monsieur , 
Tant  que  le  malheur  ne  s'est  attaque  qu'a  ma 


CUATRE.    [l()43] 

fortune,  et  que  j'ai  cru  n'avoir  rien  a  appreheu- 
der  que  la  perte  de  ma  charge,  j'ai  souffert  ma 
disgrace  sans  murmure  ,  et  me  suis  resolu  sans 
peine  a  attendre  qu'un  temps  plus  favorable  me 
donnSt   lieu  d'esperer  plus  d'avantage.  Mais, 
maintenant  que  j'apprends  qu'on  en  veut  a  mon 
innocence  ,  et  qu'on  essaie  de  miner  dans  I'es- 
prit  de  la  Reine  le  peu  de  bonne  opinion  que 
j'avois  souhaitede  m'y  acquerir,  j'avoue  queje 
n'ai  pas  assez  de  Constance  pour  endurer  un  si 
rude  choc  sans  me  plaindre.  Vous  me  connois- 
sez  assez  ,  Monsieur,  pour  savoir  que  I'interet 
ne  m'a  jamis  fait  agir  :  je  n'ai  cherche  dans  mes 
actions  que  de  I'honneur,  et  en  ai  mis  le  plus 
haut  point  a  pouvoir  etre  estime  de  la  seule  per- 
sonne  a  qui  je  dediois  tons  mes  services.  Ju- 
gez  par  la  combien  je  dois  etre  sensible  a  I'in- 
jure  qu'on  me  fait  de  me  vouloir  noircir  aupres 
d'elle  ,  et  trouvez  bon  ,  s'il  vous  plait ,  que  je 
vous    supplie  tres-humblement  de  dire  a    Sa 
Majeste  qu'en  toute  autre  occasion  je  recevrai 
ses  graces  avec  le  respect  auquel  je  suis  oblige ; 
mais  qu'en  celle-ci  je  ne  lui  deraande  que  jus- 
tice. Si  je  suis  coupable  envers  elle ,  ou  en 
choses  d'importance  ou  en  bagatelles  ,  je  suis  le 
plus  criminel  homme  du  royaume  ,  et  je  desire 
avec  passion  que   le  parlement  examine  mes 
fautes  et  les  punisse.  Pour  ce  sujet,  je  suis  pret 
d'entrer  dans  la  Conciergerie   toutes  les  fois 
qu'il  lui  plaira  de  me  faire  faire  mon  proces  , 
me  sentant  si  innocent  queje  n'en  puis  redou- 
ter  Tissue.  Et  quand  meme  la  iin  m'en  pourroit 
etre  funeste  ,  je  pense  que  je  ne  I'apprehende- 
rois  pas  dans  le  desespoir  ou  je  suis  presente- 
ment,  croyant  n'avoir  plus  rien  a  perdre  au 
monde  ,  puisque  la  Reine  a  perdu  la  creance 
qu'elle  a  eue  autrefois  de  ma  fidelite.  J'attends 
de  I'honneur  de  votre  amitie  que  vous  me  ferez 
la  grace  de  lui  temoigner  mes  tristes  sentimens; 
et  c'est  le  meilleur  office  que  puisse  esperer  de 
vous , 

Monsieur  , 

Votre ,  etc. 


Fl\     l)i:s    MEMOIKKS    nK    LA    CHATKI'. 


OBSERVATIONS 

DE  M.  LE  COMTE  DE  BlUENNE. 


MINISTRE  ET  SECRETAIRE  D'ETAT  , 


SUR  LES  MEMOIRES  DE  M.  DE  LA  CHATRE. 


11  etit  este  a  desirer  pour  la  reputation  de 
monsieur  de  La  Chastre  qu'il  se  fut  absteuu 
d'escrire ,  ou  qu'il  eust  mieux  ete  informe  des 
affaires  dont  il  a  voulu  laisser  des  memoires,  ou 
bien  que  ses  amis  et  les  miens  ne  m'eussent  pas 
force  de  voir  son  ouvrage  :  je  n'aurois  pas  ete 
oblige  de  destruire  ce  qu'il  avauee  contre  la 
meilleure  Reine  du  monde ,  et  de  faire  voir  au 
public  les  erreurs  que  la  passion  ou  le  dcfaut  de 
lumiere  luy  a  fait  commettre  contre  mon  bon- 
neur.  J'ai  presque  toujours  desapprouve  lesap- 
pologies  que  j'ay  vu  donner  au  public,  parce 
que  leur  usage  n'estant  legitime  que  quand 
elles  deffendent  I'innocence  et  la  verite  ,  Ton 
s'en  sert  d'ordinaire  pour  deguiser  la  verite  ,  et 
pour  obscurcir  les  cbosesfort  manifestes;  aiiisy 
changeiit-elles  rarement  la  creance  de  ceux  qui 
sont  tant  soit  peu  esclaires  ,  et  elles  laisseut 
presque  en  tous  le  soubcon  du  mal  dont  on  s'ef- 
force  de  se  purger.  Mais  je  ne  crains  pas  ce 
mauvais  succes  en  cet  escrit  particulier,  ou  le 
seul  recit  des  choses  qui  se  sont  passees  sera 
capable  de  detromper  les  lecteurs  preoccupez  , 
et  ou  I'interet  de  la  Reyne,  plutost  que  lemien, 
me  contrainct  de  descouvrir  des  particularites 
que  sans  cela  j'aurois  laisse  ensevelir  dans 
I'oubli. 

L'auteur  des  Memoires  devroit  s'estre  souvenu 
que,  quelques  mois  avant  la  mort  du  Roy  ,  je 
I'advertis  que  la  Reyne  avoit  resolu  de  se  servir 
de  M.  le  cardinal  Mazarin ,  et  quelle  temoi- 
gnoity  estre  portee  par  la  connoissance  qu'elle 
avoit  de  son  merite  et  de  son  esprit. 

II  est  vraisemblable  que  Son  Eminence  le 
souhaitoit  aussy  de  son  cote  ,  pour  reconnoistre 
les  obligations  qu'il  avoit  au  Roy  et  a  la  cou- 
ronne,  et  pour  avoir  veu  dans  la  personne  de 
la  Reyne  les  grandes  qualites  dont  elle  cstoit 
pourvuc.  n  jugeoit  assez  que  ,  si  Dieu  venoit  a 
disposer  du  Roy  ,  il  trouveroit  une  ample  ma- 
tiere  pour  travailler  au  bicn  dc  I'Estat  et  a  la 
g'oirc  dc  la  Hcync,  cf  ne  pouvant  doutcr  qu'elle 


ne  deust  estre  declaree  regente ,  il  prevoyoit 
mille  occasions  de  signaler  son  nom  et  de  se 
rendre  recommandable  a  la  posterite.  Voici 
comment  cette  affaire  s'est  conduite  : 

Son  Eminence  se  servit  du  ministere  de  mon- 
seigneur  de  Grimaldy,  qui  n'estoit  pas  encore 
cardinal,  mais  a  qui  cette  dignite  estoit  asseu- 
ree  pour  les  services  considerables  qu'il  avoit 
rendusa  I'eglise;  les  charges  qu'il  avoit  digne- 
ment  exercees  dans  I'Estat  ecclesiastique,  et  les 
nouciatures  dans  lesquelles  il  avoit  fait  parois- 
tre  son  esprit,  luy  avoient  acquis  I'applaudisse- 
ment  de  la  cour  romaine  et  I'estime  d'Urbain 
huitieme,  qui  I'honnora  eufin  de  la  pourpre. 

Ce  prelatfit  connoistre  lessentimens  de  mon- 
sieur le  cardinal  Mazarin  a  monsieur  I'evesque 
de  Reauvais,  qui  avoit  en  ce  temps-la  la  con- 
fiance  entierede  la  Reyne,  et  qui,  jugeant  le  ser- 
vice de  Son  Eminence  necessaire  a  Sa  Majeste, 
fut  si  persuade  que  la  nouvelle  luy  en  seroit 
tres-agreable ,  qu'il  alia  tout  a  I'heure  luy  en 
donner  avis. 

Je  me  rendis,  le  lendemain,  a  Saint-Germain 
ou  j'allois  assez  souvent  pour  obeir  aux  com- 
mandemens  de  la  Reyne  qu'elle  m'avoit  faicts  , 
pour  elle  conserver  aupres  du  Roy  I'accord  que 
j'y  avois  toujours  eu.  L'estime,  qu'en  diverses 
occasions  il  avoit  toujours  faict  de  mon  zelle 
pour  son  service  ,  me  donnoit  cette  liberte  5  et 
si  je  n'avois  pas  eu  part  a  sa  plus  etroite  con- 
fiance,  ma  fidelite  avoit  este  neanmoins  assez 
ferme  et  assez  constante  pour  m'acquerir ,  mal- 
gre  la  resistance  et  les  aitiffices  de  mes  enne- 
mis  ,  quelque  part  en  ses  bonnes  graces ;  jc 
rencontray  monsieur  de  Beauvais  qui  ,  ayani 
I'esprit  remply  dece  qu'il  croyoit  avoir  mesna- 
ge  pour  la  Reyne ,  me  le  communiqua  aussi- 
tost,  de  maniere  qu'il  paroissoit  qu'il  en  vouh'it 
mon  approbation  ;  j'escoutay  neanmoings  ce 
qu'il  me  dil  sans  m'ouvrir  lout-a-faict,  croyant 
qu'il  estoit  de  mon  devoir  d'apprendre  de  la 
bouche  de  la  Reyne  ses  .senlimens,  auparavanl 


298 


OBSEUVATIO^S    DE    M.    Lli    COMTE    I)E    BK1E^N£, 


que  de  dire  les  miens  sur  un  dessein  qui  ue 
laissoit  pas  de  donner  de  la  joye  a  celuy  qui 
avoit  contribue  a  Tadvancer. 

Je  ne  fus  pas  en  peine  de  scavoir  la  pensee 
de  la  Reyne  ,  parce  qu'aussitost  que  je  I'appio- 
chay  elle  me  dit,  aveeune  extreme  satisfaction, 
la  conquete  qu'elle  avoit  faicte  ,  et  elle  me  tes- 
moigna  qu'elle  n'avoit  rien  tant  desire  que  de 
s'acquerir  le  cardinal  Mazarin ;  qu'elle  I'avoit 
toujours  estime,  et  que  ,  la  liaison  qu'elle  avoit 
avec  quelqu'autres  ne  luy  ayant  pas  este  heu- 
reuse  ,  elle  avoit  augmante  les  sentimens  avan- 
tageux  qu'elle  avoit  toujours  eus  pour  luy. 

Les  affaires  du  cabinet  estoient  en  cet  estat 
lorsque  les  medecins  ne  craignirent  plus  de  de- 
clarer que  les  forces  du  Roy  estoient  telleraent 
diminuees,  qu'il  n'y  avoit  plus  d'esperance  a 
avoir  de  sa  guerison  ,  et  que  sa  derniere  heure 
estoit  s'y  proche  qu'il  pourroit  bien  surprendre 
ses  serviteurs. 

Plusieurs  formerent  alors  des  desseins  pour 
relever  leur  fortune  ,  et  Ton  crut  mesme  qu'il 
y  en  eust  qui,  pour  s'assurer  de  i'autorite,  con- 
ceurent  les  derniers  attentats,  comme  sevouloir 
rendre  les  maistres  de  la  personne  de  monsei- 
gneur  le  Dauphin ,  et  de  celle  de  monsieur  son 
frere,  et  exclure  ensuite  la  Reyne  de  la  regenee, 
que  le  Roy  luy  avoit  deferee ,  quoyque  ce  fut 
avec  des  bornes ,  les  cabales  de  la  cour  n'ayant 
pu  le  porter  a  declarer  monsieur  le  due  d'Or- 
leans  et  la  Reyne  co-regents ;  ils  crurent  que, 
sans  avoir  en  leur  puissance  les  personnes  sa- 
crees  de  monseigneur  le  Dauphin  et  de  Mon- 
sieur, ils  ne  pouvoient  faire  reussir  leur  projet 
du  conseil  de  la  Reyne.  II  est  vray  que  le  Roy 
leur  avoit  accorde  le  pouvoir  de  I'establir;  mais 
ils  ne  I'avoient  compose  que  de  ministres  ,  les 
uns  attache/  au  service  de  Son  Altesse  Royale, 
et  les  autres  si  foibles  qu'ils  n'estoient  pas  capa- 
bles  de  resister  a  la  puissance  ny  a  la  volonte 
des  grands.  Les  serviteurs  de  la  Reyne,  portes 
d'un  esprit  fort  different,  s'appliquerent  a  tra- 
vailler  pour  prevenir  les  pernicieux  desseins  , 
et  comme  le  moyen  le  plus  court  et  le  plus  in- 
faillible  estoit  d'avoir  la  force  en  main  ,  ils 
s'employerent  avec  succes  a  attirer  toutes  les 
gardes  IVancoises  et  suisses  ,  et  les  compagnies 
du  Roy  dans  la  seule  dependance  de  la  Reyne. 

La  verite  des  choses  qui  se  passerent  alors 
ra'engage  a  rejeter  la  tache  de  foiblesse  sur  ce- 
luy qui  m'en  veut  accuser  dans  ses  Memoires  , 
et  de  luy  marquer  un  defaut  de  prevoyance  du- 
quel  je  I'advertis ;  et  je  puis  dire  que  je  suis  par 
ce  moyen  I'auteur  de  la  seule  chose  qu'il  fit  avec 
quelque  csclat  et  quelque  louange  ;  car  je  luy 
^'onscillay,  peu  de  jours  avanl  que  le  Roy  mou-? 


rut,  de  doubler  la  garde  Suisse,  dont  il  ne  s'es- 
toit  point  advise ,  et  cette  precaution  estoit 
d'autant  plus  sage  et  plus  importante  a  son 
honneur,  que  les  Francois  firent  la  mesmt 
chose  sans  qu'il  leur  eut  este  commande. 

Je  confesse,  en  revanche,  autant  que  je  I'ay 
pu  connoistre  ,  que  M.  de  LaChastre  n'advance 
rien  qui  ne  soit  veritable,  ny  sur  ce  qui  regarde 
la  confiance  que  la  Reyne  fist  paroistre  a  M.  de 
Reaufort,  ny  sur  le  credit  que  ce  prince  s'es- 
toit  acquis  ,  ny  sur  I'excessive  vanile  dont  il  le 
blasme  de  s'en  estre  donne  ;  peut-estre  que  s'il 
eut  sceu  se  commander  ,  ses  affaires  se  se- 
roient  advancees  plus  heureusement ,  et  qu'il 
auroit  evite  d'offenser  les  esprits  de  ses  envieux 
qui,  comme  il  arrive  ordiuairement ,  devinrent 
ensuite  ses  ennemis. 

Je  fus  celuy,  et  M.  de  La  Chastre  I'a  ignor^, 
qui  donnay  le  conseil  a  la  Reyne  d'offrir  a  M.  le 
cardinal  la  mesme  place  dans  le  conseil  que  le 
feu  Roy  luy  avoit  destinee  ;  mais  ce  ne  fut  ny 
pour  en  avoir  este  prie  par  Son  Eminence,  ny 
moins  encore  pour  en  avoir  receu  vingt  mille 
escus ,  comme  quelques-uns  se  sont  imagine. 
Cette  somme  seroit  trop  petite  si  Ton  considere 
les  advantages  que  je  pouvois  me  promettre 
en  ce  temps-la.  Je  diray  librement  quel  fut  le 
motif  du  conseil  que  je  donnay  a  la  Reyne  ,  et 
je  ne  doute  point  que  si  Sa  Majeste  estoit  price 
de  dire  ce  qui  se  passa  entre  elle  et  moi  sur  ce 
sujet,  je  n'eusse  la  gloire  de  ne  m'estre  point  ad- 
vance et  d'avoir  conserve  en  cette  rencontre  la 
franchise  que  j'ay  toujours  faict  paroistre ,  ou- 
bliant  mes  propres  interets ,  et  les  sacrifiant  a 
la  senile  passion  dont  j'ay  toujours  este  pousse, 
qui  est  la  gloire  de  servir  mes  maistres. 

Sa  Majeste  m'avoit  teraoigne  avec  douleur 
qne  Son  Eminence  se  vouloit  retirer  en  Italic  , 
et  qu'il  I'avoit  suppliee  de  permeltre  qu'il  pour- 
veust  a  son  honneur  par  ce  moyen  ,  puisqu'eu 
la  declaration  qui  devoit  estre  portee  au  parle- 
ment,  la  dignitede  lieutenant-general  que  lefeu 
Roy  avoit  deferee  a  M.  le  ducd'Orleans,  luy  de- 
voit estre  conservee ,  et  a  M.  le  prince  celle  de 
chef  des  conseils ,  en  I'absence  de  Son  Altesse 
Royalle  ,  et  qu'il  u'y  estoit  point  parle  de  luy, 
quoyque  le  feu  Roy  ne  Teiit  pas  moins  consider^ 
que  ces  deux  princes.  Je  pris  la  liberie  de  dire  a  la 
Reyne  que,  puisqu'elle  jugeoit  que  le  service  de 
M.  le  cardinal  luy  seroit  utile  et  a  I'Estat,  elle 
ne  pouvoit  prendre  un  meilleur  conseil  que  de 
luy  offrir  la  dignite  que  le  Roy  luy  avoit  des- 
tinee ;  qu'il  arriveroit  de  deux  choses  I'une  :  ou 
que  Son  Eminence  en  seroit  satisfaite  et  rece-  ij 
vroit  avec  reconnoissance  I'honneur  qu'elle  luy 
procuroit ,  et  qu'ainsi  elle  le  conserveroit  a  son 


suit    LES    MEMOIllES    lj£    M.    D£    LA    CHATRE. 


2y9 


service ;  ou  qu'en  la  refusant ,  il  temoigneroit 
n'avoir  aucune  volonte  de  s'attacher  aupres 
d'elle,  quelque  desir  qu'elle  luy  en  eut  faict  pa- 
roistre,  auquel  cas  elle  ne  peidroit  rien  quand 
il  se  retireroit. 

J'adjousteray  neanmoins  que  j'estois  per- 
suade que  Son  Eminence  se  tiendroit  obligee  de 
I'honneur  qui  luy  seroit  offert ,  et  qui  I'engage- 
roit  encore  plus  estroicteraent  au  service  de  Sa 
Majeste  ,  rien  ne  liant  si  fort  les  grandes  ames 
quune  obligation  signalee  que  Ton  s'acquiert 
sur  elles. 

Ce  que  j'avois  preveu  arriva,  et  I'evenement 
justifie  que  la  Reyue  ne  pouvoit  confier  son  secret 
a  une  personne  qui  le  meritast  mieux ;  la  fin 
que,  sous  les  ordres  de  Leurs  Majestes,  il  a  heu- 
reusement  et  glorieusement  raise  a  une  guerre 
qui  deschiroit ,  il  y  a  long-temps ,  les  plus  no- 
bles parties  de  la  chrestieute  ,  et  qui  I'exposoit 
a  devenir  la  conqueste  de  I'ennemy  commun , 
en  est  une  preuve  certaine ,  et  personne  ne  pent 
douter  de  la  duree  dune  si  importante  paix  , 
puisqu'elle  est  assuree  par  le  mariage  du  Roy  et 
de  I'infante  d'Espagne,  dont  la  naissance  et 
les  qualites  ont  de  si  grands  raports ,  qu'il  est 
aise  de  voir  que  le  ciel  les  avoit  fait  uaislre 
pour  la  felicite  publique  et  pour  la  gloire  de 
uostre  siecle. 

Leurs  Majestes  allerent  au  parlement,  et  il  fut 
donne  arrest  portant ,  que  le  Roy  scant  en 
son  lict  de  justice,  la  regence  du  royaume  et  I'e- 
ducation  de  la  personne  de  Sa  Majeste  estoient 
deferees  a  la  Reyne,  Leurs  Majestes  estantassis- 
tees  de  M.  le  due  d'Orleans,  de  M.  le  prince  , 
d'autres  princes,  des  dues,  pairs  etofficiers  de  la 
couronne.  Je  transcrits  les  termes  de  ce  qui  fut 
prononce  par  M.  le  cbanceUer ,  sans  avouer  ce  que 
quelques-uns  pretendent,  qu'en  cette  rencontre  il 
n'eust  rien  oublie  de  I'ordre  qui  s'estoit  observe 
de  tout  temps,  ear  bien  que  les  Roys  dans  leurs 
patentes  usentde  ces  termes :  de  I'advis  de  ceux 
de  nostre  sang  et  autres  princes ,  le  parlement , 
qui  n'en  reconuoist  point  d'autre  que  ceux  qui 
ontaccesa  la  couronne,  n'accorde  jamais  cetitre 
aux  estrangers ,  et  ne  leur  donne  seance  qu'en 
leur  rang  de  pairs,  lorsque  le  Roy  leur  a  confere 
cette  dignite. 

Puisque  I'occasion  se  preseute,  je  respondray 
a  ce  qui  m'est  fort  injurieusement  objecte  par 
M.  de  La  Ghastre  ,  touchant  la  personne  de 
M.  le  chancelier  ,  de  qui  les  veritables  merites 
ont  este  plus  capables  de  m'engager  a  le  servir , 
que  les  vingt  mille  escus  imaginaires  que  ses 
Memolres  m'accusent  d'en  avoir  receu.  Ce  ne 
fut  aussy  aucun  sujet  quej'eussede  me  plain- 
dre  de  M.   de  Chasteauneuf ,  ny  aucun  Iraite 


mercenaire  que  j'eusse  faict  avec  M.  le  chance- 
lier, qui  me  fit  prendre  son  party;  ceux  qui  me 
connoissent  savent  si  j'ay  fame  portee  a  de 
telles  lachetes ,  et  si  je  n'ay  pas  toujours  mieux 
aime  prevenir  le  desir  de  toutes  sortes  de  per- 
sonnes  par  les  offices  que  je  leur  ay  pu  rendre, 
que  de  les  leur  faire  acheter ,  je  ne  dis  pas  par 
des  preseus  ,  mais  seuleraeut  par  de  simples 
preuves. 

Le  vray  sujet  docc  qui  m'engagea  a  porter 
fortement  la  Reyne  en  faveur  de  M.  le  chance- 
lier ,  fut  I'opiuion  que  j'avois  qu'il  la  serviroit 
sans  aucun  attachement  centre  ceux  de  qui  on 
pouvoit  craindre  qu'ils  ne  voulussent  partager 
son  autorite.  M.  de  Chasteauneuf  n'etoit  pas 
exempt  de  ce  soubcon  ;  ayant  toujours  conserve 
une  liaison  estroite  avec  madame  de  Chevreuse, 
il  n  y  avoit  pas  lieu  de  croire  qu'il  se  deffendist 
de  prester  la  main  aux  entreprises  de  cette  dame, 
qui  ne  se  pouvoit  empescher  de  projeter  tons  les 
jours  de  nouveaux  changemens.  La  Reyne  en 
fut  bientost  eclairee  par  les  pretentions  qu'elle 
descouvrit  a  Sa  Majeste ,  et  par  les  instances 
qu'elle  luy  fit  pour  donner  de  grands  establisse- 
mens  a  ceux  que  son  exil  n'avoit  pas  destacht^s 
de  ses  interests.  Elle  ne  douta  plus  de  la  verite 
de  ce  qu'on  luy  avoit  predit ,  que  cette  dame 
reviendroit  a  la  cour  avec  la  mesme  surete  et 
le  mesme  esprit  qui  Ten  avoit  si  souvent  fait 
eloigner ,  et  qu'elle  n'y  auroit  pas  fait  un  mois 
de  sejour  qu'elle  n'y  jetast  des  semences  de  eon- 
fusion  et  de  trouble. 

Je  ne  celleray  point  que  la  veritable  raison 
qui  m'avoit  donne  une  estime  particuliere  pour 
M.  le  chancelier,  donner  a  plus  de  confusion  a 
ceux  qui  imitent  M.  de  La  Chastre ,  en  I'adver- 
sion  qu'il  avoit  pour  lui ,  que  je  n'en  recevray 
de  la  fausse  accusation  dont  il  me  charge  en  ses 
Memoires ,  d'avoir  vendu  a  M.  le  chancelier  , 
pour  la  somme  de  vingt  mille  escus ,  mon  affecr 
tion  et  mes  services.  C'est  un  traite  chimerique 
duquel  nul  homme  d'honneur  n'eust  ose  seule- 
ment  me  faire  la  proposition  ;  et  ce  moyen  pre- 
tendu  de  me  gagner  auroit  este  un  sujet  indu- 
bitable de  me  donner  de  I'adversion  et  de  m'es-. 
loigner  des  interests  de  celuy  qui  m'en  auroit 
fait  la  moindre  ouverture;  mais,  laissant  a  part 
une  imposture  que  la  plus  bardie  medisance  ne 
pourroit  pas  mesme  persuader  a  mes  ennemis, 
je  reviens  au  veritable  motif  qui  m'avoit  faict 
parliculiereraent  honorer  M.  le  chancelier ;  je 
le  diray  d'autant  plus  volontiers  ,  que  peu  de 
personnes  en  out  eu  counoissance ,  et  que  les_ 
parens  de  M.  de  Thou  ont  faict  semblant  d'igno- 
rer,  de  peur  de  temoigner  de  la  reconuoissance 
de  I'obligation  qu'ils  luy  en  avoient,  et  parce 


300 


0I5SERVAT10^S    DE    iM.    LE    COMTE    1)K    BHIEMVE  , 


qu'ils  eij  avoient  line  forte  passion  pour  I'establis- 
sement  de  M.  de  Chasteauneuf,  qui  estoit  leur  pa- 
rent ,  et  sur  lequel  ils  fondoient  de  grandes  espe- 
rances.  La  premiere  chose  qu'ils  se  promettoient 
cstoll  qu'ils  donneroient  facilement  les  mains  a 
purger  la  memoire  de  M.  de  Thou  :  a  quoy  ny 
M.  lechancelier,  ny  tous  les  autresserviteurs  du 
Roy  n'eussent  jamais  pu  consentir  ;  I'autre,  que 
par  sa  faveur  ils  pouvoient  aisement  eslever  leur 
fortune;  mais,  sans  m'arrester  a  ees  interests,  je 
viens  au  sujet  que  je  me  suis  propose  ,  qui  fera 
connoistre  en  mesrae  temps  I 'injustice  des 
plaintes  que  Ton  fait  quelquefbis  de  gens  a  qui 
i'on  doit  de  fort  grandes  reconnoissances. 

Le  veritable  sujet  de  liaison  que  j'avols  avec 
M.  le  chancelier  fut  la  parole  qu'il  m'avoit  en- 
gagee  ,  et  qu'il  me  teinst  fort  fidellement ,  de 
contribuer  en  tout  ce  qui  dependroit  de  kiy  pour 
tirer  de  peine  M.  de  Thou  :  et  de  faict  il  se 
porta  avec  tant  de  soing,  qu'encore  qu'il  y  eust 
une  ordonnance  publiee  sous  Louis  XI ,  qui  de- 
claroit  que  celuy  de  tous  ses  sujets  qui  auroit 
connoissance  d'une  conjuration  faicte  contre  sa 
personne  ou  contre  son  Estat,  et  qui  ne  la  reve- 
leroitpas,seroit  puni  comrae  les  auteursmesmes 
du  crime,  et  encoureroit  les  raesmes  peines 
qu'eux  ,  la  perte  des  biens  et  la  vie ;  quoy  ,  dis- 
je  ,  qu'un  magistral  aussy  consomme  que  M.  le 
chancelier  en  la  connoissance  des  ordonnances 
de  nos  Roys,  n'en  pent  ignorer  une  de  cette  im- 
portance ,  il  dissimulade  la  scavoir,  et  se  con- 
duisit,  dans  cette  affaire,  comme  s'il  n'eust  pas 
faict  estat  de  cette  loi;  car  ,  apres  avoir  souvent 
adverty  M.  de  Thou  ,  lorsqu'il  fut  interroge  et 
qu'il  se  laissoit  emporter  a  son  naturel  vif  et 
prompt ,  de  se  donner  le  temps  de  bien  escou- 
ter  ce  qui  lui  estoit  demande  et  considerer  ce 
qu'il  devoit  respondre,  il  ne  feignit  point  de 
dire  tout  haut  et  de  declarer  raesme  au  car- 
dinal de  Richelieu,  pour  le  preparer  a  ['absolu- 
tion de  M.  de  Thou,  qu'il  ne  se  trouvoit  aucune 
ordonnance  qui  condamnast  a  la  mort  celuy  qui 
avoit  eu  connoissance  d'une  conjuration  formee 
contre  I'Estat ,  s'il  n'y  avoit  aussy  adhere. 

Qu'au  proces  de  I'accuse  il  paroissoit  a  la  ve- 
rile  que  Fontrailles  ,  a  son  retour  d'Espagne, 
luy  en  avoit  donne  quelque  lumiere ;  mais  qu'il 
en  avoit  desapprouve  le  dessein  et  blame  ce 
gentilhomme  d'avoir  servy  d'instrument  pour 
engager  Monsieur  dans  une  si  odieuse  affaire. 

Le  cardinal  de  Richelieu  fut  surpris  de  ce 
discours  et  s'en  entretint  avec  quelques-uns  de  , 
ses  commissaires;  I'un  d'eux  ayant  raporle  I'or- 
donnance  de  Louis  onziesme,  doni  je  viens  de 
parler  ,  il  la  (it  extraire  du  corps  de  la  loy  et  la 
nionstra  a  M.  le  chancelier;  mais  quovqu'il  fut 


presse  de  la  sorte  par  ce  ministre ,  dont  la  ma- 
niere  d'agir,  en  telles  rencontres,  n'est  quetrop 
connue  ,  il  ne  relacha  pas  neanmoins  du  projet 
qu'il  avoit  fait  de  donner  lieu  au  criminel  de  se 
delivrer  du  suplice  ;  car  il  affoihiit  encore  cette 
ordonnance ,  en  disant  qu'elle  n'estoit  pas  en 
usage  au  parlement  de  Paris  ou  il  avoit  este  es- 
leve.  Je  ne  puis  desavouer  qu'ayant  recueilly  les 
oppinions,  il  ne  fut  d'advis  de  I'arrest;  mais 
comme  son  suffrage  ne  pouvoit  absoudre  M.  de 
Thou  ,  aussy  ne  fust-ce  pas  celuy  qui  forma  la 
condamnation  ,  et  tout  homme  qui  scait  le  de- 
voir d'un  president,  scait  qu'il  ne  se  pent  depar- 
tir  d'une  loy  que  tous  les  juges  tiennent  valide, 
ny  du  consentement  de  leurs  ad  vis,  lorsqu'ils 
les  ont  donnes  dans  les  formes. 

C'est  aussi  une  grande  erreur,  et  de  laquelle  je 
suis  fort  esloigne  ,  avec  tous  les  jurisconsultes, 
qu'il  est  en  la  liberie  d'un  juge  de  prononcer 
comme  un  arbitre  pacifique  scion  I'equite  et  non 
pas  selon  la  rigueur  de  la  loy ;  car,  outre  que  son 
serment  I'oblige  de  rendre  la  justice,  sa  qualitede 
juge  lerend,  non  pas  le  maistre,  mais  le  conser- 
vateur  et  le  ministre  des  loix  et  des  ordonnances. 

Je  me  suis  un  pen  trop  arreste  a  justiffier 
I'estime  que  j'avois  pour  M.  le  chancelier,  et  a 
deffendre  I'interestque  je  prenois  a  sa  conserva- 
tion ;  il  est  temps  que  je  rentre  dans  la  matiere 
qui  m'a  oblige  a  faire  cet  escrit;  je  voudrois 
que  celuy  de  M.  de  La  Chastre  ne  m'engageast 
point  a  blasmer  la  conduite  de  MM.  de  Vendosmc 
et  de  Beaufort,  quoyque  je  m'assure  qu'ils  confes- 
serontque,  pendant  tout  le  temps  de  leur  mau- 
vaise  fortune,  ils  n'ont  point  esprouve  en  au- 
cuns  serviteurs  de  plus  grande  fermete  que  celle 
que  je  leur  ay  conservee,  je  ne  dis  pas  fidelite, 
parce  que  je  tiens  que  nous  ne  la  devons  qu'au 
Roy  seul,  de  qui  les  interests  nous  doivent  estre 
plus  chers  et  plus  considerables  que  ceux  denos 
amis  raesme,  que  nos  biens  et  que  nostre  pro- 
pre  vie. 

Je  suis  assure  que  si  ces  princes  et  plusieurs 
de  la  cour,  entre  lesquels  je  comprends  M.  de 
La  Chastre,  eussent  voulu  suivre  mes  conseilsils 
eussent  esvite  de  s'attirer  quantite  de  disgraces 
et  de  faire  plusieurs  fausses  demarches  qui  onl 
pense  causer  leur  mine.  Le  conseil  que  je  leur 
en  donnois  de  s'accommoder  avec  M.  le  cardi- 
nal ne  procedoit  pas,  comme  M.  de  La  Chastre 
s'est  imagine,  de  ce  que  j'estois  devenu  serviteur 
de  Son  Eminence,  ny  de  ce  que  j'avois  reconnu 
qu'il  avoit  I'araesi  douce  et  si  genereuse  que  Ton 
pouvoit  faire  une  liaison  assuree  avec  luy;  la  rai- 
son  quej'en  avois  prenoit  son  originedeplus  haut 
et  venoit  de  la  premiere  source  ;  car  qui  pourra 
nicr  qu'apres  avoir  seen   de  la   Reyne  qu'elle 


sun    LES    WEMOIHKS    DK    LA    CHATlli:. 


301 


;   luy  destinoit  la  derniere  conllance,  et  qu'elle  de- 

i    siroit  de  ses  seiviteui's  qu'ils  le  coiisiderassent 

comme  celuy  qui  devoit  porter  le  poids  de  ses 

1   affaires  et  soiistenir  son  autorite,  je  n'eusse  faict 

,    paroistre  aux  uns  moings  de  respect,  et  aux  au- 

tres  moings  d'amitie ,  s}'  je  leur  avois  cite  cet 

important  dessein  et  si  je  ne  les  avois  pas  pres- 

sez  de  suivre  I'advis  que  je  leur  donnois. 

Si  quelqu'un  a  conceu  de  moy  un  jugement 
si  esloigne  de  la  verite,  qu'il  aitattribue  I'oftice 
que  je  luy  rendois,  ou  a  quelque  foiblesse,  ou  a 
quelque  interest ,  j'ay  este  venge  par  Tevene- 
ment,  et  plusieurs  personnes  de  vertu  ayant 
loue  ma  franchise  et  ma  sincerite,  sans  que  j'aye 
bien  merite  d'eux ,  ny  que  je  les  en  aye  recher- 
ches ,  je  ne  dois  pas  apprehender  que  les  me- 
moires  d'un  homme  afflige,  et  qui  ne  juge  de 
tout  ce  qui  luy  deplait  que  par  ce  que  son  adver- 
sion  luy  suggere,  puissent  donner  quelque  at- 
teiute  a  ma  reputation. 

Je  n'ay  qu'a  souhaiter  que  Ton  se  donue  le 
soiug  de  lire  avec  attention  son  cscrit,  et  Ton 
verra qu'il  se  condamne  luy-mesme;  apres  m'a- 
voir  traite  avec  mespris,  car  il  n'a  pas  si  tost 
declare  le  pen  d'estime  qu'il  faict  de  moy,  qu'il 
temoigne  m'avoir  recherche  pour  luy  rendre  des 
offices  de  tres  grande  importance ;  et  par  con- 
sequent des  personnes  qui  n'estoient  pas  moings 
habiles  que  luy  faisoient  un  jugement  de  moy 
plus  advantageux  que  le  sien  :  car  pouvoit-il 
m'employer  de  la  sorte  sans  croire  que  j'estois 
en  quelque  sorte  accrcdite,  pour  tout  dire  en  un 
mot,  s'adresser  a  moy  pour  le  servir,  lorsque  la 
disgrace  m'estoit  connue,  s'il  ne  me  croyoit  pas 
fort  deslnteresse?  Et  apres  tout,  un  homme  de  la 
eour  qui  est  assez  detache  de  ses  propres  inte- 
rests pour  les  mettre  au  hazard  en  favcur  d'un 
amy  qui  s'est  acquis  I'ad  version  de  son  maistre, 
quelque  succes  qu'il  ait  eu  dans  les  fideles  servi- 
ces qu'il  a  rendus  a  cet  amy,  en  doit-il  jamais 
estre  recompeuse  par  des  injures  transraises  a  la 
posterite  dans  les  escrits?  entin,  s'il  ne  me  te- 
noit  pas  de  ses  amis,  quelle  raison  a-t-il  de  se 
plaindre?  ets'il  croyoit  que  je  lefusse  en  effect, 
ne  manque-t-il  pas  fort  de  precaution  de  se  fier 
a  une  personne  de  la  ((ualite  qu'il  me  depeint,  si 
les  plus  ardens  amis  qu'il  put  faire  agir  en  safa- 
veur  ne  luy  furent  pas  plus  utiles  que  moy  dans 
I'estat  deplore  ou  sa  politique  I'avoit  reduit?  Ce 
n'estoit  pas  a  mes  deffaults  qu'il  se  devoit  pren- 
dre de  mon  peu  de  succez,  mais  aux  siens  pro- 
pres ;  et  quoy  qu'il  en  soit,  il  ne  devoit  plus  user 
de  mon  miuistere  s'il  I'avoit  esprouve  digne  de 
son  mepris ;  ou  s'il  s'est  monstre  prudent  en  con- 
tinuant d'y  avoir  recours  ,  il  a  deub  se  louer  de 
ma  Constance  qui  ne  s'est  point  lassee  des  re- 


buts que  j'ay  receus  a  son  sujet;  mais  il  ne  fal- 
loit  pas  attendre  toutes  ces  considerations  d'un 
homme  outre  de  douleur  et  qui ,  dans  les  appa- 
rencesd'une  fermete  estudiee,  ne  se  pent  erapes- 
cher  de  faire  paroistre  les  mouvemens  secrets 
des  passions  differentes  dont  il  est  agite.  S'il  eut 
este  plusdocille  au  commencement  deson  adver- 
site,  et  s"i!  eut  pu  se  restablir  par  une  demons- 
tration sincere  de  sa  soumission  entiere  a  ceux 
a  qui  il  estoit  oblige  de  la  rendre,  quoyqu'il  n'y 
etit  eu  en  moy  aucun  changement,  il  m'eut 
donne  la  gloire  d'un  parfait  amy  et  rien  n'eut 
este  plus  grand  que  ma  franchise  et  ma  gene- 
rosite,  taut  les  differens  succes  causent  des  juge- 
menscontraires,  et  tant  uu  esprit  travaille  par  la 
disgrace  est  different  de  luy-mesme,  lorsqu'il 
jouitde  la  prosperite;  maisj'ayrae  mieux  plain- 
dre sa  disgrace  que  de  Fimiter  dans  sou  pro- 
cede  et  dans  ses  seutimens.  Je  revieus  a  sa  con- 
duite,  lorsque  la  douleur  ne  I'avoit  pas  encore 
trouble  et  qu'il  pouvoit  agir  dans  toute  I'esten- 
due  de  sa  prudence. 

II  n'y  a  personne  qui  n'advoue  que  de  tousles 
officiers  de  la  maison  du  Roy ,  il  n'y  en  a  point 
de  plus  obligez  a  lui  rendre  une  fideliteparfaite 
que  ceux  qui  commandent  sa  garde,  et  que  de 
s'attircr  de  mauvais  soubcons  dans  une  charge 
de  cette  qualite ,  c'est  se  jetter  dans  un  preci- 
pice inevitable;  cependaut  M.  de  La  Chastre  se 
trouve  en  cet  estat  dans  un  employ  envie  de 
tout  ce  qu'il  y  a  degens  de  qualite  a  la  cour,  et  il 
n'hesite  pas   de  prendre  party,  et  surtout  d'en 
prendre  un  qui  obligea  le  Roy  d'user  de  sa  puis- 
sance souveraine  et  d'une  prompte  justice  pour 
le  rompie  et  pour  en  prevenir  le  peril.  II  alle- 
gue  I'exemple  de  M.    le  due  d'Epcrnon  qui  fit 
quelque  chose  de  pareil,  mais  il  y  a  grande 
difference   entre   le  secours  que   Ton   preste  a 
un  amy  ,  sans  offenscr  le  Roy,    centre  une  per- 
sonne qui  le  surpasse  en  force  eten  credit,  et  le 
secours  qu'on  porte  centre  I'autorite  du   Roy 
mesme,  en  voulant  entreprendre  sur  la  per- 
sonne de  son  principal  ministre,  outre  que  la 
circoiistance  du  temps  et  des  personnes  que  M.  de 
La  Chastre  attaquoit  et  de  celles  qui  les  prote- 
geroient,  devoit  estre  tellement  pesee  qu'il  n'y 
avoit  point  d'interest  particulier  ny  I'exemple 
d'amis  qui  deust  jamais  porter  un  homme  qui 
commandoit  les  gardes  du  Roy  a  s'engager  dans 
une  querelle  aussy  mauvaise  que  celle  dont  il  se 
declara  partisan. 

Je  ne  puis  non  plus  soufrir  qu'il  advance 
qu'il  avoit  hazarde  son  bien  et  la  mine  de  sa 
famille  par  la  senile  passion  qu'il  avoit  de  ser- 
vir la  Reyne;  il  ne  se  souvient  non  plus  avec 
quel  empressement  il  m'avoit  prie  de  faire  en 


302 


0BSE1■.^  ATIONS  DE  M.  LK  COMTK  I)E  BRIENNE 


sortequ'il  pustentrerdans  lamaison  du  Roy,  et 
que  sa  charge  de  maistre  de  la  garde-robe,  que 
Sa  Majeste  avoit  consenty  qu'il  acheptast  de 
M.  de  Rarabouillet ,  luy  avoit  couste  cent  et  tant 
de  mille  escus;  que  par  consequent,  en  achep- 
tant  celledc  colonel  des  Suisses,  quand  il  n'au- 
roit  este  porte  que  par  la  seulle  raison  de  I'inte- 
rest  de  la  Reyne,  il  n'auroit  expose  pour  son 
service  que  la  somme  de  cent  mille  livres:  ce 
n'est  pas  un  sacrifice  si  general  que  celuy  qu'il 
dit  avoir  faict  de  tous  ses  biens  et  de  toute  sa 
famille. 

Pour  les  reproches  qu'il  faict  au  mareschal 
de  Rassompierre ,  je  ne  m'engage  pas  a  les  des- 
truire,  ny  a  justifier  la  conduite  de  ce  ma- 
reschal ,  duquel  aussi  je  ne  veux  point  condem- 
ner  la  memoire;  mais  je  veux  bien  faire  con- 
noistre  que  c'est  avec  injustice  qu'il  se  plaint  de 
la  Reyne ,  puisque  Sa  Majeste ,  I'ayant  souvent 
adverty  de  changer  de  conduite,  elle  I'a  traite 
en  bonne  maitresse,  et  que,  lorsqu'elle  a  ete 
obligee  de  le  priver  de  sa  charge  en  luy  faisant 
donner  la  recompense ,  elle  a  eu  la  bonte  de  luy 
promettre  encore  des  graces,  et  Ton  ne  doit 
point  douler  qu'il  ne  les  eut  receues  ,  si  Dieu 
n'eiit  pas  dispose  de  luy ;  la  porte  du  Louvre 
ne  luy  auroit  pas  este  entierement  ferraee ,  et 
Ton  s'estoit  contente  de  le  chastier  par  la  desti- 
tution de  sa  charge,  pour  s'estre  lie  inconsidere- 
ment  a  la  maison  de  Vendosme ,  ayant  I'honneur 
de  commander  la  garde  du  Roy :  de  raaniere  que 
la  Reyne  a  plus  considers  les  services  qu'il  avoit 
eu  I'intention  de  luy  rendre,  que  les  effets  con- 
traires  aux  protestations  qu'il  luy  en  avoit  faic- 
tes,  etdansletemperemmentqu'elleapportaa  sa 
punition  ,  elle  n'a  pas  eu  moings  d'esgards  a  la 
premiere  inclination  qu'il  avoit  temoignee  pour 
son  service,  qu'aux  fautes  suivantes  dont  il  I'a- 
voit  desmentie. 

II  y  a  deux  choses  dont  je  suis  fort  persuade  : 
Tune,  que  M.  de  Reaufort  est  trop  genereux 
pour  s'estre  porte  a  une  aussi  grande  extremite 
que  celle  dont  on  I'accusa;  I'autre,  qu'il  sembie 
neanmoings  en  avoir  este  convaincu,  puisque 
Ton  asceu  au  vray  qu'il  avoit  faict  venir  a  Paris 
quantite  de  ses  amis  qu'on  avoit  rcmarques  jus- 
ques  surles  advenues  du  Louvre,  etque, depuis 
qu'il  eust  este  arreste,  ils  disparurent  tous  en  un 
instant.  Peut-estre  n'eut-il  autre  dessein  que  de 
donner  de  la  peur,  mais  cette  senile  entreprise 
le  rendroit  coupable ;  et  ce  n'est  pas  seulement 
par  la  derniere  execution  du  mal  projette  contre 
le  prince  que  Ton  devient  criniinel,  c'est  encore 
par  les  actions  par  lesquelles  on  se  faict  con- 
noistre  capable  de  le  concevoir  et  de  le  tenter. 
Peut-estre  aussy  que  ses  amis,  sans  scavoir 


au  vray  pourquoy  ils  estoient  mandes,  se  don- 
nerent  eux-mesmes  la  liberte  de  faire  des  dis- 
cours  mal  concertes,  dont  on  a  charge  son  inno- 
cence. Quoy  qu'il  en  soit,  je  ne  suis  pas  si  hardy 
que  M.  de  La  Chastre ,  qui  ne  feint  pas  de  le  de- 
clarer innocent,  parce  quejescay  qu'enjustif- 
fiant  si  absolument  un  sujet  declare  coupable  par 
son  prince.  Ton  accuse  le  prince  d'injustice,  et 
que  Ton  ne  pent  exempter  I'un  de  crime  sans 
noircir  I'autre  de  tyrannic. 

Une  si  odieuse  tache  n'a  point  obscurcy  le 
gouverneraent  de  la  Reyne,  lequel  a  este  si 
doux  que,  s'il  pent  recevoir  quelque  bl^me, 
ce  n'est  que  pour  n'avoir  pas  exerce  la  severite 
des  loix  contre  ceux  qui ,  a  leur  mepris ,  ont  ose 
entreprendre  contre  I'autorite  royale. 

II  me  reste  encore  a  me  justifier  du  reproche 
que  M.  de  La  Chastre  me  faict  d'avoir  manque 
a  I'amitie  que  j'avois  juree  a  M.  de  Chasteau- 
neuf;  mais  luy-mesme,  qui  eut  deu  s'en  plain- 
dre  s'il  en  eust  eu  quelque  legitime  sujet ,  a  tel- 
lement  prevenu  la  pretention  de  mon  accusateur. 
qu'il  s'est  loue  de  moi  des  le  temps  qu'il  fut  en 
prison,  et  il  n'a  point  cesse  depuis  qu'il  a  este 
en  liberte  et  qu'il  est  venu  a  la  cour,  de  publier 
la  Constance  de  mon  amitie ,  et  que  j'ay  faict 
dans  le  temps  tout  ce  que  j'avois  pu  pour  son 
service. 

II  ne  desavoue  pas  neanmoings  qu'a  la  mort 
du  Roy  je  n'aye  cru  que  M.  le  chancelier  luy  de- 
voit  estre  prefere  ,  non  seulement  pour  les  rai- 
sons  que  j'ay  alleguees,  mais  parce  que  je  con- 
noissois  qu'il  avoit  I'humeur  trop  fierre  et  I'es- 
prit  trop  altier  pour  se  contenter  d'une  seconde 
place ;  j'estimois  aussy  toujours  qu'ayant  entre- 
tenu  commerce  avec  madame  de  Chevreuse ,  et 
scachant  qu'il  estoit  difficile  que  la  complaisance 
qu'il  avoit  pour  elle  s'effacastde  son  esprit,  son 
ministere  ne  pouvoit  estre  utille  pendant  la  re- 
gence,  surtout  tandis  que  M.  le  cardinal  seroit 
depositaire  de  la  principalle  autorite.  Mais  quand 
il  fit  parroistre  qu'il  meditoit  sa  retraite  en  Ita- 
lic ,  ce  fut  toujours  mon  sentiment  que  la  Reyne 
ne  pouvoit  mieux  faire  que  de  se  servir  de  M.  de 
Chiiteauneuf ,  parce  que  je  croyois,  avec  beau- 
coup  d'autres ,  qu'il  avoit  les  qualites  necessai- 
res  pour  soutenir  le  poids  des  grandes  affaires , 
et  pour  servir  utillement  la  Reyne  et  I'Estat; 
et  toutesfois ,  s'il  n'eust  pas  eu  la  principalle  ad- 
ministration ,  il  nese  fut  pas  exerapte  du  soub- 
con  que,  pour  s'y  eslever,il  eust  este  capable,  ou 
de  former  ou  d'appuyer  quelque  grand  projel ; 
car,  comme  il  n'avoit  pu  ny  I'esviter  ny  s'en  ah- 
stenir  du  temps  du  cardinal  de  Richelieu ,  il  n'y 
avoit  pas  lieu  de  croire  qu'il  le  put  faire  sous 
une  regence  oil  Ton  entreprend  plus  hardiment 


SUR    LKS    MKMOlr.KS    DE    M.    DE    1. \    CHATRE. 


303 


et  oil  Ton  croit  que  I'aiitorite  royalle  n'est  pas 
dans  son  ancienne  vigueiir. 

Mais  pour  conclure  ces  observations,  queje 
ne  fais  que  pour  ceux  qui  auront  veu  ies  Me- 
moires  de  M.  de  La  Chastre,  je  diray  encore  une 
chose  qui  merite  d'estre  remarquee:  Ies  partisaur 
de  M.  de  Beaufort,  ayant  regret  qu'il  eut  offence 
une  princesse  de  la  naissance  et  de  la  qualite  de 
madame  de  Longueville ,  faisoient  tons  leurs 
efforts  pour  en  estouffer  Ies  discours;  mais  parce 
que,  pour  aceomplir  leur  dessein ,  ils  usoieut 
d'un  terme  qui,  en  ensevelissant  la  calomnie, 
en  augmentoit  le  deshonneur,  e'est  a  scavoir, 
que  plus  i'ordure  est  remuee,  plus  elle  sent 
raauvais  ,  Ies  amis  et  serviteurs  de  madame  de 
Longueville  s'animerent  d'avantage  a  vouloir 
que  la  chose  fut  eclaircie.  Ses  plus  proches  pa- 
rens se  contenterent  de  la  satisfaction  que  ma- 
dame de  Montbason  luy  avoit  faicte,  parce  que 
la  Reyne  I'avoit  jugee  suffisante  ;  mais  plusieurs 
de  la  cour  en  demandoient  une  plus  vigoureuse 
et  plus  exemplaire ,  et  c'a  este  sans  doute  leur 
ressentiment  qui  a  beaucoup  contribue  aux  dis- 
graces de  M.  de  Beaufort. 

Auparavant  que  de  fmir,  je  suis  oblige  de  dire 
deux  choses  :  I'une,  queje  souffre  avec  peine 
que  M.  de  La  Chastre ,  que' j'ay  toujours  consi- 
dere ,  non  seulement  a  cause  de  la  parente  dont 
il  touchoit  a  madame  de  Brienne,  mais  encore 
comme  heritier  et  fils  de  M.  le  comte  de  Man- 
cay  ,  avec  lequel  mon  pere  faisoit  profession 
d'une  tres-etroicte  amitie;  mais,  contrainct  de 
medeffendre  contre  sa  plume  et  de  toucher  a  sa 
memoire;  I'autre,  que  Ton  nedoit  pas  estre  sur- 
pris  de  ce  que  je  ne  I'ay  pas  faict  plus  tost,  puis- 
que  je  puis  assurer,  sur  I'honneur  dont  je  fais 
profession,  qu'il  n'y  a  pas  plus  de  temps  que  j'ay 
leu  sesMemoires  qu'il  ra'en  a  falu  pour  faire  cet 
escrit,  auquel  je  souhaiteroisfort  qu'il  ne  m'eust 
pas  engage  par  ses  injures ;  I'amitie  que  je  luy 
ay  toujours  tesmoignee  durant  sa  vie  me  I'a 
faict  encore  espargner  apres  sa  mort.  Plusieurs 
cndroitz  de  son  histoire,  oil  Ies  seniles  contra- 
dictions le  refutent  assez,  font  voir  que  la 
passion  de  se  justiffier  I'a  porte  a  accuser  de  ses 
malheurs  ceux  de  qui  Ies  soings  officieux  et  sin- 
ceres  n'ont  pu  trouver  lieu  de  Ies  prevenir  ny 
de  Ies  reparer. 

11  eut  sans  doute  condemne  luy  -  mesme 
beaucoup  d'endroits  de  son  escrit,  s'il  se  fut 
releve  de  sa  chute ,  et  il  ne  Ies  auroit  point 
escrits,  s'il  eut  mis  la  plume  a  la  main  dans  un 
^ge  plus  advance  et  dans  un  estat  plus  tran- 
quille.  Je  m 'assure  mesme  que  s'il  eut  reconnu 
que  nos  amis  peuvent  bien  s'efforcer  de  nous 
secourir  dans  nos  disgraces  ,  mais  que  ce  n'est 


pas  leur  foiblesse  qui  rend  leurs  efforts  inutilcs, 
c'est  la  conduite  de  ceux  pour  lesquels  ils  se 
sont  employes,  peut-etre  que,  dans  le  calme  de 
son  esprit ,  il  seroit  revenu  avec  gratitude  et 
avec  confiance  rechercher  Ies  offices  de  celuy 
qui ,  parmy  beaucoup  de  corapagnons  d'impuis- 
sance  pour  le  retirer  du  precipice ,  a  seul  es- 
prouve  Ies  traits  de  sa  colere  et  de  son  indi- 
gnation. 

Les  personnes  prudentes  et  equitables  juge- 
ront  aisement  que  ce  n'est  point  tant  mon  inte- 
rest qui  m'a  porte  a  la  defference,  que  ceux  de 
la  Reyne  que  M.  de  La  Chastre  attaque  plus 
fortement  que  moy ;  car,  pour  dire  la  verite  , 
j'avois  facilement  dissimule  ce  qui  me  touche  , 
et  scachant  que  la  charite  chretienne  nous 
oblige  d'oublier  les  injures  ,  j'aurois  suivy  ces 
mouvemens  avec  plus  de  plaisir  que  je  ne  me 
serois  engage  au  combat  ,  si  je  ne  I'avois  deu 
entreprendre  pour  la  gloire  de  la  meilleure  ,  de 
la  plus  juste  et  de  la  plus  esquitable  princesse 
qui  ait  jamais  regne  ,  et  a  laquelle  estant  re- 
devable  de  la  meilleure  partie  dema  fortune,  je 
n'ay  pu  souffrir  que  Ton  luy  fit  une  pareille  in- 
justice; je  n'ignore  pas  celle  des  gens  qui  font 
consister  le  courage  et  la  liberte  a  blasmer  les 
actions  des  plus  grands  princes,  et  qui  se  preoc- 
cupent  aisement  des  choses  fausses  que  Ton  es- 
crit contre  eux.  J'ay  cru  devoir  esclaircir  Ies 
sages  de  la  verite  des  choses  que  j'ay  vues  ,  et 
confondre  les  meschans,  en  publiant  ce  que  j'ay 
sceu  du  deplaisir  qu 'avoit  cause  a  Sa  Majeste  la 
mauvaise  conduite  de  M.  de  La  Chastre.  Je 
m'assureque  Ton  sera  touche  des  soings  qu'elle 
a  pris  pour  le  garantir  du  precipice  ou  il  s'est 
jete  par  une  imprudence  ,  plutost  que  par  mali- 
gnite,  et  Ton  verra  bien  que  c'est  pour  avoir 
voulu  faire  le  genereux  qu'il  s'est  attire  tons 
les  maux  qu'il  aesprouves  etqui  ont  passe  jus- 
ques  a  sa  famille. 

II  est  vray  que,  peu  de  jours  apres  avoir  este 
receu  en  la  charge  de  maistre  de  la  garde-robe, 
il  fit  offre  de  son  service  a  la  Reyne  ;  cefut  par 
mon  entremise  qu'elle  recent  les  assurances  de 
sa  fidelite ,  et  je  puis  dire  qu'elle  les  accepta 
fort  agreablement,  et  qu'elle  I'assura  de  sa 
bonne  volonte  et  de  sa  protection,  si  elle  se 
trouvoit  jamais  au  point  d'autorite  ou  elle  de- 
voit  esquitablement  pretendre  ;  elle  n'exigea 
neanmoins  rien  de  luy,  sinon  qu'il  luy  conser- 
vat  son  affection,  et,  pour  I'y  engager  d'avantage, 
elle  luy  fitesperer  qu'elle  contribuerait  avec  plai- 
sir a  I'eslevation  de  sa  fortune,  lorsqu'il  s'en  ren- 
droit  digne  par  sa  vertu  et  par  ses  services.  La 
conduite  qu'il  tint  fut  assez  reglee  tant  qu'il 
craignit  qu'elle  ne  nuisit  a  sa  fortune.  S'il  fai- 


301 


OBSERVATIONS    DE    M.    LE    COMTE    DE    B^IEi^^^E 


soit  paroistre  trop  de  douleiu*  de  la  mort  de 
M.  deThou,  et  si,  diirant  la  vie  du  Roy,  11  s'u- 
nissoit  avec  MM.  dc  Bethune  et  de  Montresor 
pom-  former  quelque  projet ,  c'estoit  fort  secre- 
tement.  On  pent  dire  a  leur  louange,que  lavertu 
estoit  en  quelque  sorte  persecutee  par  les  mau- 
vais  traitemens  qu'ils  souffioient ;  mais  11  faut 
dire  aussy,pour  la  justification  du  Roy,  qu'ils 
s'estoient  conduits  a  son  egard  d'une  maniere 
qui  luy  avoit  ete  justement  desagreable,  et 
en  avoit  souvent  faict  entendre  a  Sa  Majeste, 
qu'ils  se  donnoient  la  liberie  de  condemner  la 
plupart  de  ses  actions;  et  I'attachement  que  le 
dernier  avoit  a  M.  le  due  d'Orleans ,  et  la  de- 
meure  que  le  premier  faisoit  en  ses  maisons , 
sans  paroistre  que  fort  peu  a  la  cour,  donnoit 
d'amples  sujets  a  leurs  ennemis  de  leur  rendre 
de  mauvais  offices.  La  generosite  de  M.  de  La 
Chastre  ne  le  porta  pas  a  entreprendre  alors  leur 
deference;  raais  je  ne  Ten  blame  point ,  puisque 
tons  les  soings  qu'il  en  auroit  pu  prendre  auroient 
este  fort  inutilz;  je  le  loue  plustost  d'avoir 
eu  la  prudence  de  moderer  la  passion  qu'il  avoit 
pour  des  personnes  qui  luy  estoient  si  cheres. 

Je  convieus  de  ce  qu'il  allegue  pour  fonde- 
ment  de  son  union  avec  la  raaison  de  Vendos- 
me ,  que  la  Reyne  luy  coramanda ,  le  jour  qu'elle 
commit  a  M.  de  Beaufort  la  garde  de  messei- 
gneurs  ses  enfans,  de  faire  ce  qui  luy  seroit  or- 
donne  par  leduc.  Le  bruit  couroitque  ceux  qui 
aspiroient  a  I'autorite  souveraine  faisoient  venir 
de  leurs  creatures  pour  se  rendre  maistres  deces 
deux  princes  et  de  toute  la  cour ;  de  sorte  qu'il 
fut  de  la  prudence  de  la  Reyne  d'obliger  les 
chefs  de  la  garde  du  Roy  de  suivre  les  ordres 
de  celuy  sur  qui  elle  se  reposoit  de  leur  conser- 
vation ;  mais  quoyqu'elle  donnast  en  cette ren- 
contre, a  M.  de  La  Chastre,  une  marque  de 
sa  confiance  ,  et  qu'elle  I'engageast  a  s'unir  a 
M.  de  Beaufort,  ce  n'estoit  que  pour  ce  qui  re- 
gardoit  la  deffence  de  la  personne  du  Roy  seu- 
lement ,  et  il  ne  pouvoitpretendreque  ce  prince, 
venant  a  desobligcr  la  Reyne  ,  apres  une  faveur 
si  signalee,  il  deust  I'imiter  en  sa  raeconnois- 
sance;  et  quand  mesme  il  seroit  vray  que,  par 
ce  comraandement  particulier,  Sa  Majeste  I'etit 
engage  sans  bornes  a  I'union  qu'il  accepta  si  vo- 
lonticrs  avec  la  raaison  de  Vendosme ,  et  quoi- 
que  d'ailleurs  la  parente  dont  il  touchoit  a  la 
maison  de  Guise,  qui  s'estoitdeclareepourM.  le 
due  d'Orleans  I'eust  entraisne  avec  quelque 
justice  dans  le  parly  qu'il  avoit  embrasse,  pou- 
voit-il ,  apres  que  la  Reyne  eust  change  de  sen- 
timent ,  s'oppiniastrer  a  garder  un  ordre  qui  ne 
luy  fut  donne  que  pour  un  jour?  Si  le  seul  res- 
pect qu'il  avoit  pour  la  Reyne  le  soumit  d'abord 


si  promptement  aux  volontes  de   M.  de  Beaa- 
fort ,  parce  que  Sa  Majeste  jugea  sa  dependance 
utile  pour  son  service,  pourquoy   n'en  fust-il 
point  destache  par  le  mesme  respect ,   lorsque 
Sa  Majeste  luy  fit  connoistre  que  la  conduite  de 
M.  de  Beaufort  ne  luy  plaisoit  point?  Sa  politi- 
que lui  inspiroit-elle    une  obeissance   facile , 
quand  le  commandement  estoit  conforme  a  ses 
inclinations,  et  une  desobeissance   manifeste, 
lorsque  les  ordres  de  Sa  Majeste  y  estoient  op- 
poses ?  Enfin  de  qui  estoit-il  plus  serviteur  ,  ou 
de  la  Reyne,  dont  les  sentimens  politiquesel  les 
ordres  particuliers  ne  lui  furent  en  aucune  con- 
sideration ,  ou  des  personnes  qui  estoient  sus- 
pectes  et  mesme  justement  odieuses  a  Sa  Majeste, 
de  laquelle  il  espousoit   aveuglement   les  inte- 
rests? II  arriva  a  M.  de  La  Chastre  ,  en  ceste 
rencontre,  ce  qui  de  tout  temps  a  jette  dans  le 
malheur  plusieurs  personnes  doueesde  grandes 
qualites,  lorsqu'elles  ont  estably  la  generosite 
a  suivre  un  second  devoir  moings  Important,  et 
neglige  le  premier  et  plus  necessaire.  Ce  deffaut 
est  fort  ordinaire  a  la  pluspart  de  ceux  qui  font 
vanite  d'un  grand  courage ,  et  qui  sont  idol^tres 
d'un  faux  honneur  et  d'une  trompeuse  gloire  : 
ils  sont  eu  cela  semblables  a  ceux  qui  abandon- 
nenl  leur  pere  et  leurs  enfans  pour  secourir  un 
etranger.  La  faute  qu'ils  commetlent  centre  le 
pere  commun  de  I'Etat  surpasse  d'autant  plus 
celle  qu'ils  font  contre  leur  famille,  que  la  re- 
publique  est  plus  considerable  qu'aucune  mai- 
son particuliere  ,  et  que  les  obligations  naturel- 
les  que  nous  avons  d'estre  fideles  a  noslre  prince 
sont    plus  pressantes    que   celles    que    nous 
devons  a  noslre  propre    pere.   Combien  plus 
le  serment  dont  nous  avons  confirme  au  Roy 
noslre  soumissiou  nous  engage-t-il  par  dessus 
tous  ceux  qui  ont  engage  noslre  foy  a  des  amis 
particuliers?  Car,  a  dire  le  vray,  je  ne  trouve 
point  d'erreur  plus  grande  et  plus  dangereuse 
que  de  se  persuader  quel'honneur  exige  de  nous 
I'accomplissement  d'une  parolle  que  nous  avons 
donnee  au  prejudice  d'une  plus  ancienne,  ny 
que  nous  puissions  mesme  entrer  en  quelque 
sorte  d'engagement  qui  s'oppose  a  ce  premier 
devoir.  Nous  devons  tout  a  nos  amis  ,  mais  ce 
n'esl  qu'apres  avoir  satisfait  aux  obligations  de 
la   nature  entre  lesquelles  celle    qui  regarde 
le  prince   doit   avoir  la  preseance  par  dessus 
toutes  eel  les  qui  concernent  les  liaisons  hu- 
maines ,  comme  i'obeissance  que  nous  devons 
a  Dieu  doit  prevaloir  celle  que  nous  devons  au 
Roy. 

Je  ne  puis  voir  sans  douleur  que  M.  de  La 
Chastre  ne  veuille  tenir  compte  d'avoir  man- 
que a  son  premier  devoir,  et  qu'il  ait  mis  la 


SUB    LES    MEMOIRES    DE    M.     DE    LA    CHATRE. 


30.5 


maiu  d  la  plume  pour  se  justifier,  sur  un  si  mau- 
vais  fondement,  d'une  conduitequ'il  auroitsans 
doute  condemnee  en  un  autre.  Quelle  utilite 
a-t-il  rencontree  des  fausses  maximes  que  la  pas- 
sion et  I'erreur  du  raonde  avoient  establies  dans 
son  esprit,  sinon  sa  ruine  et  celle  de  sa  famille? 
Ets'estantaveugle  dans  une  politique  honteuse, 
doit-on  trouver  estrange  qu'ayant  condemne 
sonmaistre  etson  bientaiteur,  il  sesoit  attache 
a  dechirer  la  reputation  de  son  amy. 


Je  luy  pardonne  volonliers  ce  qu'ila  advance 
contre  lamienne,  etje  I'excuse  d'autant  plus 
aisement  que  je  suis  assure  qu'elle  ne  depend 
point  de  I'impression  que  ses  Memoires  feront 
sur  les  esprits  ^u  vulgaire ,  et  qu'elle  est  assez 
bien  establie  par  la  conduite  que  j'ay  tenue  jus- 
ques  a  present  dans  les  plus  secretes  affaires, 
devant  Dieu,  qui  lit  dans  nos  coeurs,  et  devant 
les  hommes  sages  et  dcsinteresses,  qui  auront 
eonnu  la  verite. 


FIN    DES    OBSERVATIONS    DE    M.    LE    COMTE    DE    BRIENNE. 


HI.    C.    n.     M..    T.     III. 


20 


EXTRAIT  DES  MEMOIRES 

DE    HENRI    DE    CAMPION. 


La  duchesse  de  Chevreuse  et  le  due  de  Beau- 
fort se  voyant  entierement  decredites  par  les 
mauvais  offices  du  cardinal  Mazarin ,  unique 
cause  de  leur  malheur  ,  ils  concureut  contre  iui 
la  plus  forte  haine.  Eile  se  trouva  partagee  par 
la  duchesse  de  Montbazon  ,  le  sieur  de  Beau- 
puis ,  guidon  des  gendarmes  du  Roi ,  et  i'un  des 
con fi dens  du  due ,  et  par  mon  frere  ,  que  la  du- 
chesse de  Chevreuse ,  qui  I'aimoit  beaucoup , 
avoit  donne  quelques  mois  auparavant  a  la 
Reine ,  apres  qu'il  eut  quitte  le  due  de  Ven- 
d6me  ,  qui  pour  cela  Iui  en  voului  toujours  mal 
depuis,  quoiqu'il  y  eut  consenti.  Ils  songerent 
a  se  defaire  du  cardinal :  dessein  premierement 
concerte  eutre  les  deux  duchesses  et  le  due ,  qui 
le  communiqua  ensuite  a  Beaupuis  et  a  mon  frere, 
lesquels  I'approuverent :  le  premier  croyant  que 
c'etoit  pour  Iui  le  chemin  d'arriver  a  de  grandes 
charges ,  et  mon  frere  y  voyant  I'avantage  de 
madame  de  Chevreuse,  et  par  consequent  le  sien. 
lis  demeurerent  d'accord  qu'il  falloit  me  com- 
muniquer  le  projet ,  pour  chercher  avee  mol  les 
moyens  de  I'executer  :  ce  que  le  due  de  Beau- 
fort fit ,  comme  je  le  vais  raconter  avee  toutes 
les  circonstances  de  cette  entreprise ,  qui  m'a 
cause  de  si  longues  peines ,  quoique  j'aie  agi 
avee  tant  de  sincerite  et  de  justice.  Je  crois 
neanmoins  que  le  dessein  du  due  ne  venoit  pas 
de  son  sentiment  particulier,  mais  des  persua- 
sions des  duchesses  de  Chevreuse  et  de  Mont- 
bazon ,  qui  avoient  un  entier  pouvoir  sur  son 
esprit,  et  une  haine  irreconciliable  contre  le 
cardinal.  Ce  qui  me  fit  penser  ainsi,  c'est  que 
pendant  qu'il  fut  dans  cette  resolution,  je  remar- 
quai  toujours  qu'il  y  avoit  une  repugnance  iute- 
rieure  qui,  si  je  ne  me  trompe  ,  etoit  emportee 
par  la  parole  qu'il  pouvoit  avoir  donnee  a  ees 
dames, 

Le  due  de  Beaufort ,  ayant  definitivement  re- 
solu  avee  le  sieur  de  Beaupuis  et  mon  frere  d'oter 
du  monde  le  cardinal  Mazarin ,  m'envoya  querir 
un  matin  de  chez  Prudhomrae,  baigneur,  ou 
il  logeoit :  c'etoit  vers  la  fin  du  mois  de  juil- 
let.  L'etant  venu  trouver,  il  me  tira  a  part, 
et  me  dit  que  la  connoissance  qu'il  avoit  de 
mon  affection  et  de  ma  probite,  I'obligeoit  a  me 
donner  une  prenve  de  son  amitie ,  qui  me  feroit 


voir  que  j'etois  dans  sa  derniere  confiance.  Je 
ropartisen  peu  de  mots,  selon  ma  coutume,  que, 
de  qut'lque  nature  que  fut  la  chose  qu'il  avoit  a 
me  communiquer,  il  n'auroit  jamais  sujet  de  se 
repentir  de  s'etre  fie  a  moi.  II  appela  ensuite 
Beaupuis ,  qui  etoit  seul  dans  la  chambre  avee 
nous  ,  mais  un  peu  eloigne  ,  et  me  dit  en  sa  pre- 
sence qu'il  croyoil  que  j'avois  remarque  que  le 
cardinal  Mazarin  retablissoit  a  la  cour  et  par- 
tout  le  royaume  la  tyrannie  du  cardinal  de  Ri- 
chelieu ,  avee  plus  d'autorite  et  de  violence  qu'il 
n'en  avoit  paru  sousle  gouvernement  de  celui-ci; 
qu'ayant  entierement  gagne  I'esprlt  de  la  Reine, 
et  mis  tons  ses  ministres  a  sa  devotion  ,  il  etoit 
impossible  d'arreter  ses  mauvais  desseins  qu'en 
Iui  otant  la  vie;  que  le  bien  public  I'ayant  fait 
resoudre  a  prendre  cette  voie ,  il  m'en  instruisoit 
en  me  priant  de  I'assister  de  mes  conseils  et  de 
ma  personne  dans  I'execution.  Fort  surpris  d'un 
si  etrange  dessein ,  je  repartis  que  lorsque  je 
m'elois  attache  a  sa  fortune  j'avois  resolu  de  la 
suivre  dans  tons  les  accidens  qui  Iui  pourroient 
arriver ,  et  de  ne  le  point  abandonner ,  quelque 
parti  qu'il  put  prendre ;  qu'en  celui-ci ,  quelque 
injustice  qui  m'y  parut ,  je  ne  laisserois  pas 
de  Iui  faire  voir  qu'il  n'avoit  pas  mal  place  son 
secret. 

Beaupuis  prit  alors  la  parole  pour  representer 
avee  chaleur  les  maux  que  la  trop  grande  auto- 
rite  du  cardinal  de  Richelieu  avoit  causes  a  la 
France,  et  couelut  en  disant  qu'il  falloit  preve- 
nir  de  pareils  inconveniens  avant  que  son  suc- 
ccsseur  eut  rendu  les  choses  sans  remede.  Je  re- 
partis que  quand  meme  ce  qu'il  disoit  des  cruau- 
tes  du  feu  cardinal  seroit  vrai ,  celui  dont  il 
s'agissoit  avoit  jusqu'a  present  vecu  avee  tant 
de  douceur,  qu'il  falloit  demeurer  d'accord  que, 
si  nous  le  punissions,  ce  seroit  des  violences  de 
son  devancier,  ou  pour  nous  venger  de  ce  qu'il 
etoit  plus  spirituel ,  plus  politique  et  plus  heu- 
reux  que  nous  ;  que  ees  torts  ne  me  sembloient 
pas  meriter  la  mort ,  et  qu'ainsi  j'avouois  nette- 
ment  que  je  ne  pouvois  approuver  la  pensee 
qu'ils  avoient  de  se  rendre  illustres  par  un  assas- 
sinat ;  que  je  me  croyois  oblige  dedire  mes  sen- 
timens  au  due ,  pour  apres  le  servir  avee  fidelite 
et  en  homme   d'honneur.  Mes  raisons  ebran- 

20. 


308  EXTRAIT    1)E 

lerent  ee  prince  au  point  qu'il  me  dit  de  voir  mon 
frere  ,  qui  savoit  son  dcsscin  ,  et  que  nous  vins- 
sions  ensuite  le  trouver  ensemble.  J'aliai  done 
iui  dire  tout,  ce  que  je  crus  capable  de  le  rame- 
ner  a  mon  opinion.  II  en  parut  touehe,  et  assu- 
va  qu'il  m'aideroit  a  oterau  due  de  Beaufort  un 
projctqueje  trouvois  aussi  injuste  qu'extrava- 
gant ;  car  ,  corame  je  le  leur  dis  encore  depuis  a 
lous  ,  quand  meme  I'execution  de  ce  desseln  eiit 
etc  utile  au  public  (ce  que  je  ne  pensois  pas) , 
c'auroit  toujours  ete  la  ruine  du  prince  et  de  ceux 
qui  y  eusseul  participe,  parce  que,  outre  qu'ils 
auroient  eu  le  Pape  et  la  Reine  pour  ennemis  ir- 
reconciliables ,  I'un  pour  Tinteret  de  I'Eglise, 
et  ['autre  pour  le  maintien  de  Tautorite  royale 
et  pour  son  ressentiment  particulier  ,  ils  pou- 
voient  s'assurer  d'avoir  tous  les  favoris  et  les 
ministres  presens  eta  venir  pour  persccuteurs, 
y  ayant  apparence  qu'ils  croiroient  utile  a  leur 
siirete  de  punir  des  personnes  qui  tournoient  a 
crimes  le  credit ,  I'eclat  et   la  bonne  fortune , 
le  cardinal  n'en  ayant  point  d'autres  que  ceux-la. 
J'aliai  chez  le  due  avec  mon  frere,  pensant 
que  la  croyance  entiere  qu'il  avoit  alors  en  Iui  le 
feroit  changer  d'opinion.  II  le  mena  aussitot  dans 
la  ruelle  de  son  lit,  pendant  que  je  m'nrretai  un 
peu  avec  ceux  qui  etoient  dans  la   chambre  : 
iieanmoius  I'envie  que  j'avois  de  faire  changer 
le  projet  m'engagea  a  les  quitter  pour  approcher 
du  lit ,  et  j'entendis  mon  frere  qui  etoit  assis 
dessus  avec  le  prince  ,  a  qui  il  disoit ,  contre  ce 
qu'il  m'avoit  promis ,  tout  ce  qu'il  croyoit  capa- 
ble de  Iui  faire  hater  I'execution  de  cette  hon- 
teuse  entreprise,  Cela  me  toucha  fortement, 
voyant  bien  que  tous  mes  efforts  seroient  inutiles 
contre  ces  deux  hommes,  et  particulierement  con- 
tre les  deux  femmes  qui  gouvernoient  alors  en- 
tierement  le  premier.  J'etois  plus  etonne demon 
frere  que  des  autres,  Iui  connoissant  des  mceurs 
douces   et  une  assez  grande  bonte  naturelle.  Je 
crus  alors ,  comme  j'ai  toujours  fait  depuis ,  que 
la  longue  habitude  qu'il  avoit  cue  avec  les  fac- 
tieux  ,  pendant  qu'il  etoit  aupres  du  comte  de 
Solssons,  Iui  avoit,  contre  son  penchant,  inspire 
le  desir  de  voir  toujours  la  cour  et  I'Etat  en  trou- 
bles :  il  a  donne  depuis  plusieurs  autres  marques 
de  cette  inclination ,  plutot  acquise  que  natu- 
relle.   Gcpendant   mes  raisons  ebranlerent  de 
telle  sorte  le  due  de  Beaufort ,  qu'il  me  dit  qu'il 
vouloit  avoir  Tavis  de  quelques  personnes :  je 
erois  que  e'etoit  celui  des  deux  duchesses.  II  s'en 
alia  faire  sa  conference,  apres  laquelle  I'etant 
revcnu  chercher  au  meme  lieu,  je  le  trouvai  si 
i)icn  coniirme  dans  sa  premiere  resolution  ,  qu'il 
tne  dit  le  soir,  en  presence  de  Beaupuis ,  qu'il 
(.toil  decide  a  executor  promptement  ce  qu'il 


S    MEMOIBES 

m'avoit  communique ,  etqu'ainsi  il  me  prioit  df 
ne  plus  Iui  opposer  de  raisons  puisqu'elles  se- 
roient inutiles.  Je  repondis  que  cela  etant,  je  ne 
Iui  en  parlerois  plus  et  le  servirois  a  son  gre  ; 
mais  qu'avant  d'aller  plus  loin  je  Iui  demandois 
deux  choses :  I'une ,  de  ne  point  mettre  la  main 
sur  le  cardinal,  puisqueje  me  tuerois plutot  moi- 
meme  que  de  faire  une  action  de  cette  nature ; 
I'autre,  que  s'il  faisoit  entreprendre  I'execution 
hors  de  sa  presence ,  je  ne  me  resoudrois  jamais 
a  m'y  trouver  ;  tandis  que  s'il  y  etoit  lui-meme, 
je  me  tiendrois  sans  scrupule  aupres  de  sa  per- 
soune  pour  le  defendre  dans  les  aceidens  qui 
pourroient  arriver,  mon  emploi  aupres  de  Iui  et 
mon  affection  m'y  obligeant  egalement.  II  m'ac- 
corda  ces  deux  choses ,  en  temoignant  m'en  es- 
timer  davantage  ,  et  ajouta  qu'il  se  trouveroit  a 
I'execution  ,  afin  de  I'autoriser  par  sa  presence. 
Je  ne  fis  done  plus  de  difficulte  d'y  etre  moi- 
meme,  avec  les  reserves  que  j'avois  faites.  Tl 
communiqua  encore  son  dessein  a  deux  de  ses 
anciens  etfideles  domestiques  :  I'un  ,  le  sieur  de 
Lie ,  capitaine  de  ses  gardes ;  et  I'autre ,  le  sieui 
Brillet,  son  ecuyer. 

Nous  demeurames  tous  d'accord  qu'il  falloit 
prendre  le  temps  oil  le  cardinal  iroit  par  la  vilic ; 
que  le  due  de  Beaufort,  avec  ceux  qui  Iui  se- 
roient necessaires  pour  I'entreprise,  feroit  arre- 
ter  le  carrosse  et  donner  le  coup  de  la  mort  a 
son  ennemi.  II  alloit  alors  si  peu  accorapagne 
qu'il  ne  menoit  que  quelques  beneficiers  et  cinq 
ou  six  pages  ou  laquais;  de  sorte  que  la  chose 
auroit  ete  facile,  si  le  due,  y  devant  etre  et  n'etant 
pas  de  condition  a  attendre  dans  la  rue  ou  dans 
les  logis  voisins  de  ceiui  du  cardinal  sans  donner 
de  soupcons,  ne  I'eut,  par  cette  raison  ,  rendue 
moins  aisee.  II  fut  resolu,  apres  avoir  bien  rai- 
sonne  sur  ce  sujet,  que  les  sieurs  de  Lieet  de 
Brillet,  qui  savoient  le  projet,  et  les  sieurs  de 
Ganseville ,  de  La  Londe ,  d'Hericourt ,  de  Fre- 
mont ,  de  Gine  et  de  Rochette-Freseliere  ,  tous 
domestiques  de  la  maison  de  Vendome ,  qu'on 
n'avoit  point  mis  dans  la  confidence ,  se  trouve- 
roient  tous  les  jours  des  le  matin  dans  les  cabarets 
prochesle  logis  du" cardinal,  qui  etoit  a  I'hotel  de 
Cleves,  pies  le  Louvre ,  et  que  la  ils  attendroient 
de  moi  I'ordre  de  ce  qu'ils  auroient  a  faire ;  que- 
je  serois  toujours ,  et  Beaupuis  ,  avec  le  prince ; 
et  que  ceux  qui  savoient  le  dessein  s'informe- 
roient  avec  soin  quand  le  cardinal  sortiroit,  pour 
en  avertir  le  due .;  enfin,  qu'on  ajouteroit  encore, 
a  ceux  qu'on  n'avoit  pas  mis  dans  la  confidence, 
les  sieurs  d'Avancourt  et  de  Brassi,  picards, 
gens  fort  determines  et  intimes  amis  de  Lie.  L'on 
convint  que  je  dirois  a  tous  ,  de  la  part  du  due , 
que  madame  la  princesse  de  Conde  et  madame 


I>K    HKNni    PR    CAMPIOX. 


30  V) 


de  Monlbazon  ayaut ,  comme  il  etoit  vrai  ,  iin 
grand  deraele ,  et  la  premiere  anuoncaiit  qu'elle 
feroit  faire  affront  a  I'autre  ,  le  due  vouloit  tou- 
jourstenirun  nombre  de  gentilshommes,  avec 
chevaux  et  pistolets ,  en  lieu  ou  il  les  put  avoir  a 
point  nomme ,  pour  s'opposer  a  ce  dessein.  Le 
prince  regia  en  outre  avec  Beaupuis  ,  mon  Irere 
et  moi ,  que  quand  on  en  \  iendroit  a  i'executiou , 
il  ordonneroit  a  Ganseville  et  a  Brillet  de  faire 
arreter  le  cocher  du  cardinal ,  et  a  Hericourt  et 
a  Avrancourt  d'aller  chacun  a  uue  portiere  et 
de  le  tuer,  pendant  que  lui-menie  seroit  a  ehe- 
val  dans  la  rue  avec  Beaupuis,  moi  et  tons  les 
autres  ci-dessus  nommes ,  autour  de  sa  person- 
ne,  pour  nous  opposer  a  ceux  qui  voudroient  re- 
sister  ;  et  qu'incontinent  apres  I'affaire  faite , 
nous  sorlirions  tous  de  Paris  pour  nous  mettre 
en  surete. 

Le  due  de  Beaufort  ne  voulut  point  que  mon 
frere  fut  aux  assemblees  ni  a  Taction  ,  alin  qu'il 
put  assister  la  duchesse  de  Chevreuse  dans  le 
besoinque  I'onauroitd'elle  pour  essayer  d'apai- 
ser  la  Reine  et  de  la  raccommoder  avec  le  due 
de  Beaufort,  quoique  cette  duchesse  ne  fut  alors 
guere  en  mesurede  rien  faire  a  I'avantage  de  ses 
amis.  Le  premier  jour  que  ceux  destines  a  I'en- 
treprise  se  reunirent,  fut  dans  la  rue  Champ- 
Fleuri ,  oil  j'allai  avec  eux  ,  et  fis  mener  un  che- 
val  pour  moi  et  un  pour  le  due.  En  retournant 
le  trouver  chez  le  baigneur  Prudhomme ,  oil  11 
etoit  avec  Beaupuis,  je  passai  devant  le  logis  du 
cardinal  et  le  vis  sortir  en  carrosse  avec  I'abbe 
deBentivoglioetplusieurs  autres  ecclesiastiques, 
et  quatre  ou  cinq  valets  a  sa  suite.  Je  demandai 
a  I'un  d'eux  oii  il  alloit,  et  Ton  me  repondit : 
«  Chez  le  marechal  d'Estrees.  »  Je  vis  que  si  je 
voulois  douner  cet  avis  sa  mort  etoit  infaillible ; 
mais  je  crus  que  je  serois  si  coupable  devant 
Dieu  et  devant  les  hommes  ,  que  je  n'eus  pas  la 
moindre  tentation  de  le  faire  :  au  contraire , 
j'allai  dire  au  due  que  Ton  m'avoit  assure  chez  le 
cardinal  qu'il  ne  sortiroit  point  ce  jour-la;  de 
sorte  qu'il  me  dit  de  faire  retourner  ceux  que 
j'avais  reunis  a  I'hotel  de  Vendome  oil  nous  lo- 
gions  tous  :  ce  que  j'executai  aussitot.  Le  due 
allant,  quelques  heures  apies  ,  en  carrosse  par 
la  ville,  rencontra  le  cardinal  qui  retournoit 
chez  lui.  II  me  le  dit  le  soir,  et  je  repondis  que 
I'on  m'avoit  trompe.  Ma  pensee  fut ,  lorsque  je 
vis  que  je  iie  pouvois  rompre  ce  dessein  ,  de  le 
retarder  le  plus  que  je  pourrois  ,  afin  que  le 
temps  fournit  quelque  occasion  de  le  changer; 
mais  en  cas  qu'il  s'en  presentat ,  contre  mon  de- 
sir,  pour  le  tenter,  j  etois  resolu  d'en  souffrir 
I'execution  plutot  que  de  trahir  un  prince  qui 
avoit  mis  une  entierc  confiance  en  moi.  Telle 


etoit  ma  determination  ,  ([ue  rien  neiit  cte  ca- 
pable de  changer :  cependant  je  priois  continuel- 
lement  Dieu  de  faire  naitre  quelque  conjoncturc 
qui  fit  avorter  le  complot ,  sans  qu'il  en  arriv^t 
mal  au  due. 

Un  jour  apres,  il  appritque  le  cardinal  alloit 
faire  collation  a  La  Barre  vers  Pontoise,  oil  etoit 
la  duchesse  de  Longueville ,  qui  en  avoit  aussi 
prie  la  Reine,  laquelle  etoit  deja  partie ;  de 
sorte  que  le  cardinal  n'avoit  que  son  seul  car- 
rosse, oil  etoit  le  comtede  Harcourt.  Le  due  de 
Beaufort  me  commandade  faire  assembler  notre 
moude  pour  courir  apres  :  ce  que  j'executai,  et 
I'allai  ensuite  trouver  avec  Beaupuis.  Je  lui  dis, 
jugeantque  mes  autres  raisons  seroient  inutilos, 
que  s'il  se  defaisoit  du  cardinal  en  presence  du 
comte  de  Harcourt,  il  falloit  se  decider  a  les 
tuer  tous  deux  ,  le  second  etant  trop  genereux 
pour  souffrir  cette  action  sans  perir  avec  le  pre- 
mier ;  qu'il  considerat  qu'outre  que  I'assassinat 
du  comte  le  deshonoreroit ,  il  lui  donneroit  toute 
la  maison  de  Lorraine  pour  ennemie  irreconci- 
liable;  et  que  je  croyois  que,  pour  eviter  ces 
inconveniens,  il  falloit  attendre  un  autre  jour. 
Beaupuis  fut,  celui-la,  de  mon  avis,  et  je  sauvai 
encore  une  fois  le  cardinal ,  sans  qu'il  m'en  diit 
obligation  ,  puisque  je  ne  le  faisois  que  pour  la 
justice  et  pour  I'interet  du  due,  que  cette  ac- 
tion eut  avili  et  entierement  perdu,  selon  ma 
croyance.  Peu  apres,  il  eut  avis  que  le  cardinal 
devoit  aller  le  lendemain  diner  a'Maisons,  et 
que  le  due  d'Orleans  y  iroit  aussi.  Je  fis  encore 
consentir  le  prince  que,  si  le  ministre  etoit  dans 
le  carrosse  de  Son  Altesse  Royale  ,  le  dessein  ne 
s'executeroit  pas ;  mais  il  dit  que,  s'il  etoit  seul, 
il  falloit  qu'il  mouriit.  Le  matin  ,  il  fit  preparer 
des  chevaux  et  se  tint  dans  les  Capucins  avec 
Beaupuis ,  pres  de  I'hotel  de  Vendome,  postant 
un  valet  de  pied  dans  la  rue  pour  I'avertir  quand 
le  cardinal  passeroit ,  et  m'enjoignant  de  me 
tenir,  avec  ceux  que  j'avois  coutume  d'assem- 
bler  a  I'Ange ,  dans  la  rue  Saint-Houore ,  assez. 
proche  de  Thotel  de  Vendome ;  et  que  si  le  car- 
dinal alloit  sans  le  due  d'Orleans ,  je  montasse 
a  cheval  avec  tous  ces  messieurs  et  I'allasse 
prendre  en  passant  aux  Capucins  ou  il  seroit 
aussitot  pret  que  nous.  J'avoue  que  je  n'eus  ja- 
mais tant  de  chagrin  que  cette  fois,  voyant 
qu'il  m'etoit  impossible  dc  sauver  le  ministre. 
Les  sieurs  de  Lie  et  de  Brillet,  qui  desapprou- 
voient  autant  que  moi  cet  odieux  dessein  , 
etoient  au  desespoir.  Le  sieur  de  Lie  n'etoit  pas 
avec  nous,  ne  s'etant  trouve  qu'a  la  premiere 
assemblee,  a  cause  d'une  blessure  qu'il  avoit  au 
bras;  mais  il  ne  laissoit  pas  d'etre  a  toutcs  les 
consultations  qui  sefaisoient. 


3tO 


KM  HA  IT    i)KS     MKMOIP.ES 


Je  fus  dans  iinquictude  que  loii  peut  penscT, 
jusqu'a  ce  que,  voyant  passer  le  cairosse  du  due 
d'Orleans ,  j'apercus  le  cardinal  dans  le  fond 
avec  lui.  Cela  me  donna  une  joie  que  je  ne  puis 
expriraer,  et  j'allai  representer  au  due  de  Beau- 
fort qu'il  devoit  s'apercevoir  que  Dieu  n'approu- 
voit  pas  son  projet ,  puisqu'il  s'y  trouvoit  taut 
d'obstacles.  Cela  I'ebranla  et  le  fitrever;  puis 
il  me  dit  qu'il  penseroit  a  mes  reflexions,  mais 
qu'il  en  vouloit  conferer  avec  quelques  per- 
sonnes  qu'il  ne  me  nomma  point ,  et  qu'apres  il 
me  communiqueroit  sa  derniere  resolution.  Je 
crois  qu'il  alia  trouver  les  duchesses  de  Che- 
vreuse  et  de  Montbazon ,  qui  assurement  lui 
avoient  mis  cette  entreprise  en  I'esprit,  et 
qu'elles  le  reprimanderent  de  ce  qu'il  tardoit 
tant  a  faire  ce  qu'il  leur  avoit  promis ;  car  il  re- 
vint  si  anirae  centre  le  cardinal ,  qu'il  me  de- 
clara  qu'il  ne  pouvoit  plus  attendre ,  et  que 
puisque  de  jour  il  se  rencontroit  toujours  des 
obstacles  ,  il  etoit  resolu  d'executer  le  coup  de 
nuit;  que  le  cardinal  alloit  tous  les  soirs  au 
Louvre;  qu'il  le  falloit  attaquer  au  retour,  avoir 
des  chevaux  prets  dans  quelque  hotellerie  voi- 
sine;  et  que,quand  le  ministre  seroit  chez  le 
Roi ,  il  s'y  tiendroit  aussi  avec  Beaupuis  etmoi; 
et  que  sitot  qu'il  sortiroit,  nous  nous  avance- 
rions  pour  faire  venir  les  autres,  qui ,  en  atten- 
dant, se  tiendroient  a  cheval  sur  lequai ,  le  long 
de  la  riviere  et  tout  aupres  du  Louvre;  que 
celase  pouvoit  la  nuit  sans  soupcon  ;  que  tout  ce 
que  Ton  avoit  a  craindre  etant  les  gardes,  qui 
s'opposeroient  peut-etre  a  I'entreprise ,  qui  ne 
pouvoit  s'executer  qu'en  leur  presence,  a  cause 
du  peu  de  distance  du  logis  du  cardinal  au 
Louvre  ,  il  se  resolvoit  a  mettre  dans  sa  confi- 
dence lesieur  Des  Essarts,  capitaine  au  regi- 
ment des  gardes  ,  et  absolument  a  lui ;  afin  de 
choisir  le  jour  de  sa  garde ,  et  de  le  prier  de 
commander  a  ses  soldats  que,quoiqu'ils  vissent 
faire ,  ils  ne  s'eu  melassent  point  et  ne  son- 
geassent  qu'a  garder  le  Roi.  Je  ne  pus  oter  ce 
dessein  au  due,  qui  paria  a  Des  Essarts,  lequel 
lui  promit  tout  ce  qu'il  voulut.  Les  ordres  se 
donnerent  pour  quand  il  seroit  de  garde.  Je 
mourois  de  peur  que  Ton  ne  fit  de  nuit  ce  que 
Ton  avoit  manque  de  jour;  mais  il  arriva,  heu- 
reusement  pour  le  cardinal,  que  ce  soir-la  Des 
Essarts  devoit  etre  au  poste  derriere  le  Louvre, 
et  la  compagnie  colonelle  devant.  Cela  pensa 
desesperer  le  due  :  neanmoins  raadarae  de  Che- 
vreuse,  Beaupuis  et  mon  frere ,  auxquels  il  ap- 
prit  son  deplaisir,  dirent  qu'ils  croyoient  que  le 
ducd'Epernon,  etant  I'intime  ami  de  la  duehesse 
et  pas  trop  satisfait  de  la  cour,  ne  feroit  pas  de 
difficulte  ,  sans  entrer  plus  avant  dans  Taffaire, 


de  coiriraauder  au  premier  sergent  de  la  colo- 
nelle que,  quelque  bruit  qui  survint ,  il  em- 
pechSt  les  soldats  de  prendre  parti  pour  per- 
sonne,  et  leur  fit  seulement  garder  la  porte  du 
Louvre. 

Cet  expedient  fut  trouve  si  bon,  que  la  du- 
ehesse de  Chevreuse  parla  le  jour  meme  au  due 
d'Epernon,  qui ,  je  pense,  se  douta  bien ,  par  la 
connoissance  qu'il  avoit  des  affaires ,  de  ce  que 
cela  signifioit ,  a  raoins  que  la  duehesse  le  lui 
dit ,  comme  il  y  a  plus  d'apparence,  par  I'ami- 
tie  qui  etoit  entre  eux.  Quo!  qu'il  en  soit,  le 
due  promit  ce  qu'elle  desiroit.  Je  ne  sais  s'il  lui 
tint  parole ;  mais  je  suis  bien  assure  que  ce  soir- 
la  tous  ceux  qui  etoient  des  assemblees  etant 
venus  avec  moi  aux  Deux-Anges ,  sur  le  quai 
pres  du  Louvre,  il  se  trouva  force  gens  qui  nous 
observerent ,  quoique  ce  fut  un  lieu  ou  Ton  ne 
se  diit  pas  etonner  devoir  des  chevaux,  surtout 
n'y  en  ayant  que  huit  ou  dix.  Cela  se  dit  nean- 
moins chez  la  Reine  comrae  une  chose  extraor- 
dinaire ;  mais  ce  qui  fait  mieux  voir  que  le  car- 
dinal etoit  averti,  est  qu'il  ne  vint  point  au 
Louvre  comme  il  avoit  accoutume ,  et  que  Ton 
dit  tout  haut  qu'il  s'agissoit  d'une  entreprise  sur 
sa  personne.  Cela  me  fait  tenir  pour  assure,  ne 
pouvant  en  soupconner  d'autres  ( et  paroissant 
assez,  par  la  suite  des  choses,  que  le  cardinal 
n'a  jamais  su  les  circonstances  du  complot ,  ni 
ceux  qui  en  savoient  le  fond  et  qui  y  etoient 
employes),  que  le  due  d'Epernon,  qui  n'avoit 
appris  qu'en  gros  le  dessein  du  due  de  Beaufort, 
et  ignorant  ceux  en  qui  il  se  confioit  pour  cette 
affaire,  rapporta  seulement  au  cardinal  la  propo- 
sition de  madame  de  Chevreuse  et  ce  qu'elle  lui 
avoit  appris  :  ce  qui  engagea  le  ministre  a  faire 
epier  ce  qui  se  passoit  a  I'hotel  de  Vendome  et 
a  ne  bouger  de  chez  lui.  Une  autre  raison  qui 
me  fait  tenir  cette  opinion  pour  infaillible,  est 
que  le  due  d'Epernon  ,  qui  alors  n'etoit  pas  bien 
avec  le  cardinal,  a  depuis  ete  tellement  uni  avec 
lui,  que  ce  ministre  a  mieux  aime  que  laGuienne 
se  revoltat  que  de  lui  en  oter  le  gouverneraent, 
comme  tout  le  conseil  le  vouloit ,  jusqu'a  ce  que 
M.  d'Epernon  lui-meme ,  quand  les  choses  ont 
ete  a  I'extremite ,  a  demande  ce  changement 
pour  son  interet  et  sa  surete.  De  plus ,  I'affaire, 
qui  avoit  dure  deux  mois  sans  que  Ton  en  eut 
rien  soupconne,  fut  divulguee  deux  ou  trois 
heures  apres  que  Ton  en  eiit  parle  a  M.  d'E- 
pernon. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  mes  conjectures ,  Ton  dit 
hautement  a  la  cour  que  le  due  de  Beaufort  avoit 
Youlu  tuer  le  cardinal ;  et  il  persevera  toujours 
dans  la  meme  pensee ,  quoique  je  lui  conseillasse 
d'aller  faire  un  lour  a  la  campagne.  Le  lendc- 


I)E    Ilt..\rvl    U£    CA.MIMO.N. 


311 


main,  il  ne  iaissapasdese  niontrer  au  Louvre,  et 
de  se  trouver  ensuite  a  uue  collation  que  faisoit 
la  Reiue  au  bois  de  Vincennes  chez  M.  de  Cha- 
vigny.  Je  ne  le  vis  point  ce  jour-la,  a  cause 
que  je  ie  pasisai  avec  une  fille  tres-riche  que  j'e- 
tois  pres  d'epouser.  Le  soir,  je  I'entretins  long- 
temps,  sans  lui  pouvoir  persuader  de  seretirer. 
II  me  dit  que  le  bruit  commencoit  a  s'apaiser,  et 
qu'il  esperoit  dans  peu  executer  son  dessein.  Je 
le  laissai  dans  cette  idee ,  et  ne  le  vis  point  de- 
puis ;  car  la  Reine  ayant  assemble  le  due  d'Or- 
leans  ,  le  prince  de  Conde  et  tons  les  ministres  , 
leur  apprit  les  soupcons  qu'il  y  avoit  contre  le 
due  de  Beaufort ,  lesquels  furent  trouves  si  gra- 
ves ,  qu'ils  opinerent  tout  d'une  voix  qu'il  le 
falloit  arreter,  tant  pour  le  juger,si  I'accusation 
etoit  bien  fondee,que  pour  la  bainequ'ils  avoient 
contre  lui.  Cela  etant  resolu,  et  les  ordres  don- 
nes  en  consequence,  le  due  alia  seul  au  Louvre 
le  soir  d'apres  celul  ou  je  lui  parlai,  quoique  la 
plupart  de  ses  amis  I'eussent  averti  de  prendre 
garde  a  lui.  La  il  fut  arrete  par  le  sieur  de  Gui- 
taut ,  capitaine  des  gardes  de  la  Reine ,  et  ayant 
eouchedansle  Louvre,  fut  conduit  le  lendemain 
au  donjon  de  Vincennes ,  ou  il  a  deraeure  cinq 
ans.  Le  soir  qu'il  fut  pris ,  le  marechal  d'Estrees 
le  vint  dire  a  I'hotel  de  Vendorae ,  ou  j'etois. 
Le  due  de  Vendome  etoit  depuis  peu  de  jours  a 
Conflans  ,  entre  Paris  et  Charenton  ,  pour  quel- 
que  legere  indisposition.  La  duchesse  se  mit  en 
pleurs  et  alia  pour  parler  a  la  Reine,  qui  refusa 
de  la  voir. 

Je  consultai  avec  les  sieurs  de  Lie  et  de  Bril- 
iet ,  et  leur  proposal  que  nous  allassions  trouver 
le  due  de  Vendome ,  pour  agir  comme  il  le  ju- 
geroit  a  propos.  De  Lie,  qui  n'avoit  paru  qu'a 
la  premiere  assemblee  ,  a  cause  de  sa  blessure , 
demeura;  mais  nous  partlmes  aussit6t,Brilletet 
moi ,  et  sortant  par  la  porte  Saint-Honore ,  de 
peur  d'etre  arretes,  fumes  par  dessus  le  fosse 
faire  le  tour  de  la  ville  jusqu'a  la  porte  Saint- 
Antoine ,  pres  de  laquelle  nous  rencontrames  le 
due  de  Vendorae  ,  qui  sur  cette  nouvelle  venoit 
•a  Paris.  Je  lui  dis  que  le  due  son  fils  etant  pri- 
sonnier,  nous  venions  prendre  ses  ordres  pour 
les  suivre  en  toutes  choses.  II  repondit  que  nous 
n'avions  qu'a  rentrer  dans  Paris  avec  lui.  Je 
ra'approchai  de  son  oreille,  et  repliquai  que  nous 
nous  etions  trouves  a  quelques  assemblees ,  les- 
quelles ,  quoique  sans  mauvais  dessein  de  notre 
part ,  feroient  peut-etre  du  bruit.  II  repartit  in- 
continent ,  sans  s'informer  davantage,  que  nous 
allassions  a  Anet,  oil  nous  aurions  de  ses  nou- 
velles.  Nous  le  quittames  a  I'heure  raeme  ,  et 
comme  nous  passions  a  une  heure  apres  minuit 
vers  le  Marais,  en  un  lieu  tout-a-fait  desert ,  et 


dans  un  chemin  oil  il  falloit  que  nos  chevaux 
fussent  a  la  file  ,  je  vis  venir  vers  moi ,  qui  etois 
devant ,  dix  ou  douze  cavaliers.  L'heure  et  le 
lieu  me  firent  croire  que  c'etoient  des  gens  qui 
nous  vouloient  prendre.  Je  me  tournai  vers  Bril- 
let,  et  lui  dis  qu'il  falloit  savoir  mourir,  et,raet- 
tant  la  main  au  pistolet ,  allai  droit  a  eux  ,  qui 
passerent  outre  sans  dire  mot.  Je  ne  sals  ce  qu'ils 
pouvoient  chercher  en  ce  lieu  si  ecarte  et  en 
pleine  nuit.  Nous  poursuivimes  notre  route  sans 
nous  arreter  jusqu'a  Anet ,  oil  le  due  de  Ven- 
dome cut  ordre  le  lendemain  de  se  retirer  avec 
sa  famille. 

Tons  les  gentilshommes  qui  avoient  6te ,  par 
mon  invitation  ,  aux  assemblees  qui  s'etoient 
faites  a  Paris,  vinrent  a  Anet,  a  la  reserve  d'A- 
vancourt  et  de  Brassi ,  qui  s'en  allerent  chez  eux , 
La  crainte  que  de  Lie ,  leur  ami ,  eut  qu'ils  fus- 
sent pris  ou  dissent  quelque  chose  de  ce  qu'ils 
savoient ,  I'engagea  a  decouvrir  au  due  de  Ven- 
dome le  dessein  du  due  de  Beaufort  contre  le 
cardinal  Mazarin .  Le  prince  me  demanda  alors  ce 
que  j 'en  savois,  et  quejene  pus  dissimuler  apres 
I'aveu  de  Lie.  II  mauda  a  Avancourt  et  a  Brassi 
de  venir  a  Anet;  mais  eux  qui  avoient  deja  ete 
gagnes  par  un  uomme  Boissi ,  gouverneur  de 
Pontdormi ,  et  attache  au  cardinal ,  se  firent 
prendre  en  chemin.  On  les  amena  a  la  Bastille , 
oil  ils  deposerent  que  je  les  avois  fait  assembler 
plusieurs  fols,  de  la  part  du  due  de  Beaufort , 
pour  les  interets  de  madame  de  Montbazon ,  a 
ce  que  je  leur  avois  dit.  Cela  ne  donnoit  point 
matiere  d'interroger  le  due,  puisqu'ils  avouoient 
qu'il  ne  leur  avoit  pas  parle  :  ainsi  il  n'eiit  pas 
manque  de  nier  d'avoir  donne  les  ordres  que  je 
leur  avois  portes  de  sa  part.  L'on  conuut  alors 
que  l'on  ne  pouvoit  travailler  a  son  proces  avant 
de  me  prendre ,  afin  de  trouver  matiere  a  I'in- 
terroger  d'apres  mes  propres  depositions ,  et  de 
nous  si  bien  embarrasser  tons  deux ,  que  Ton 
piit  decouvrir  le  fond  de  I'affaire.  La  preuve  de 
cette  conspiration  importoit  essentiellement  au 
cardinal,  qui  ne  faisoit  que  de  s'etablir  dans  le 
gouverneraent ,  et  affectant  de  le  faire  par  la 
douceur,  avoit  ete  assez  malheureux  d'etre  con- 
traint ,  en  debutant ,  de  faire  une  violence  con- 
tre un  des  plus  grands  du  royaume  pour  son  in- 
teret  particulier,  sans  qu'il  pariitnulle  conviction 
qui  I'obligeat  a  trailer  le  due  avec  cette  rigueur. 
Le  cardinal ,  desespere  de  ne  pouvoir  persuader 
les  autres  de  ce  dont  il  etoit  entieremeut  assure, 
avoit  un  grand  desir  de  m'avoir  entre  ses  mains. 
II  jugea  neanmoins  qu'il  falloit  me  donner  le 
temps  de  me  rassurer,  afin  de  rae  prendre  avec 
plus  de  facilite. 

Le  due  de  Vend6me  jugeant,  par  ce  qu'il 


312 


KXrnVIT    DES    MEMOIRES    UE    HKNRI    DK   CAMPIOiX. 


avoit  appris  de  Lie  et  de  nioi ,  que  ma  surety 
dependoit  de  celle  de  son  fils ,  me  pria  de  ne 
bouger  du  chateau  ,  prenoit  lui-meme  le  soin  de 
me  faire diveitir,  et  me  traitoit  d'une facon  tres- 
obligeante.  II  fit  aussi  demeurer  a  Anet  ceux 
qui  avoient  ete  de  nos  assemblees.  Nous  pas- 
sfimesainsl  quatre  mois  ,  pendant  iesquels  j'eus 
divers  avis  par  le  sieur  Pihaliere,  capitaine  des 
gardes  du  marecbal  de  La  Meilleraye  ,  et  com- 
mandant de  son  regiment  d'infanterie ,  mon  ami 
l^aitieulier,  et  qui  avoit  de  bonnes  habitudes  a 


la  cour,  que  I'on  tentoit  toutes  sortes  de  voies 
pour  me  faire  arreter ;  il  vint  meme  a  Anet  pour 
me  conter  tout  cequ'il  avoit  appris  sur  ce  sujet. 
J 'en  informal  le  due  de  Vendome;  et  comme  je 
lui  avois  promis  de  faire  tout  ce  qu'il  jugeroit 
necessaire  a  la  surete  de  son  fils  ,  11  songea  d'a- 
bord  a  me  faire  sortlr  de  France ;  mais  la  crainte 
que  cela  ne  fit  crolre  le  crime  que  tout  le  monde 
croyolt  suppose  (par  le  cardinal),  I'engagea  a  me 
faire  rester,  s'lmaglnantque  j'aurols  toujours  le 
temps  de  me  retirer  s'll  en  etolt  besoin. 


f!?!    1)K    L'li.XTKAl  r    DKS    MEMOIRES    DE    HENRI    DE    CAMPION. 


MEMOIRES 


MARECHAL    VICOMTE    DE    TURENNE, 


CONTENANT 


L'HISTOIRE    DE    SA    VIE, 

DEPDis  l'annee  1643  jusqu'en  1659; 
PUBLICS,    AVEC    UIV    GRAND    NOMBRE    DE    DOCUMENTS    INfiDITS, 


Par  mm.  CHAMPOLLION-FIGEAC  et  Aime  CHAMPOLLION  fils 


iNOTICE 


i    LE  MARECHAL  VICOMTE  DE  TURENNE 


ET    S€R    CETTF, 


NOUVELLE  ifcDITION  DE  SES  MfiMOIRES. 


=«s>®®=— 


Turenne  oaquil  le  11  septembre  1611,  et  servit 
comme  simple  soldat  (1625),  sous  les  ordres  de 
Maurice  de  Nassau  ,  puis  sous  ceux  de  Fr6d^ric- 
HenrideNassau  ,  ses  oncles.  Colonel  d'infanterie 
sous  le  mar^chal  de  La  Force,  mar6chal-de-carap 
sous  les  ordres  du  cardinal  de  La  Valette,  il  fit 
encore  la  campagne  de  Roussillon,  en  1642,  avec 
Louis  XIII.  Le  vicorale  de  Turenne  fut  enfin  cree 
marechal  de  France  le  16  raai  1643  (1).  Colonel- 
general  de  la  cavalerie  en  1657,  et  mar6chal-g6- 
n^ral  en  1660,  ses  croyances  religieuses  (il  6lait 
calvinisle )  remp6ch6rent  d'etre  fait  conn^table 
celteraemeann^e;  maisil  abjura  le23octobrel668 
etmourut  sur  le  champ  de  balaille  de  ce  coup  de 
canon  «  qui  6toit  charg6  de  toute  antiquity ,  »  le 
27juillet  1675.  Par  I'ordre  de  Louis  XIV,  les  d6- 
pouilles  du  vicorate  de  Turenne  furent  inhumees  a 
labbaye  de  Saint-Denis ,  au  milieu  des  sepultures 
royales ;  raais  ses  restes  furent  transport's  suc- 
cessivement,  apr^s  les  premiers  temps  de  la  re- 
volution, au  cabinet  d'anatoraie  du  Jardin  des 
Plantes,  et  dans  le  raus^e  des  antiquit's  nationa- 
les ,  aux  Petits-Auguslins. 

Voici  ce  que  les  relations  du  temps  nous  ont 
conserve  de  details  curieux  sur  ces  deux  singu- 
•  lieres  ceremonies: 

«  Le  samedi  12  octobre  1793,  les  membres 
composant  la  municipalite  de  Franciade  (nom 
que  Ton  donnait  a  cetle  epoque  a  Saint-Denis), 
ayant  donne  les  ordres  d'exhumer,  dansl'abbaye 
de  Saint-Denis,  le  corps  des  rois  etreines,  des 
princes  et  princesses,  et  des  horames  ceiebres 
quiy  avaient  ete  inhumes  pendant prdsde  quinze 
cents  ans,  pour  en  extraire  les  plombs,  confor- 
meraent  au  decret  rendu  par  la  Convention  na- 


(1)  L'article  Turenne,  dans  la  Biographie  Univer- 
■selle  ,  contienl  plusieurs  erreurs  de  dates  relativement 
a  rhisloire  do  ce  pcrsonnage. 


tionale ,  les  ouvriers ,  presses  de  voir  les  restes 
d'un  grand  homme,  s'empresserent  d'ouvrir  le 
tombeau  de  Turenne.  Ce  fut  le  premier.  Quel  fat 
leur  eionnement  lorsqu'ils  eurent  demoli  la  fer- 
meture  du  petit  caveau  place  immediatement  au- 
dessous  du  tombeau  de  marbre  et  qu'ils  eurent 
ouvert  le  cercueil !...  Turenne  fut  trouv6  dans  un 
etat  de  conservation  lei  qu'il  n'etait  point  de- 
form', et  que  les  traits  de  son  visage  n'etaient 
point  alteres.  Ce  corps,  nullement  fletri  et  par- 
faitement  conforme  aux  portraits  et  raedaillons 
que  nous  possedons  du  grand  capitaine,  etait  en 
etat  de  raoraie  s'che  et  de  couleur  de  bistre-clair. 
Sur  les  observations  de  plusieurs  personnes  de 
marque  qui  se  trouv^rent  presentes  a  cette  pre- 
miere operation ,  il  fut  remis  a  un  nomme  Horl , 
gardien  du  lieu  ,  qui  conserva  cette  momie  dans 
une  boile  de  bois  de  ch^ne  et  la  deposa  dans  la 
petite  sacristie  de  reglise,  ou  11 1'exposa  pendant 
plus  de  huit  mois  aux  regards  des  curieux,  et  ce 
ne  fut  qu'a  cette  derniere  epoque  qu'il  passa  au 
Jardin  des  Plantes,  a  la  sollicitation  de  feu  Desfon- 
taines  (2).  » 

Le  depute  Dumolard ,  de  I'Isere,  fut  le  premier 
qui  signala ,  dans  la  seance  du  conseil  des  Cinq- 
Cents,  du  15  thermidoran  IV  (2  aoiit  1796),rincon- 
venance  de  la  place  qu'occupaientles  restes  deTu- 
renne  depuis  leur  transport  au  Jardin  des  Plantes. 
II  s'exprima  ainsi : «  Rien  de  ce  qui  louche  a  I'hon- 
neur  national  n'est  eiranger  au  Corps  legislatif.  Je 
parcourais  dernierement  le  Jardin  des  Plantes  ; 
enlre  dans  les  diverses  salles  du  bailment,  quelle 
a  ete  mon  affliction  en  voyant  les  restes  du  grand 
Turenne  places  entre  ceux  d'un  elephant  et  d'un 
rhinoceros!  Ne  devait-il  echapper  a  la  fureur  de 
ces  modernes  vandales  que  pour  obtenir  un  tel 

(2)  Savant  botanisle ,  professeur  au  Jardin-des-Plan- 
les ,  mort  il  y  a  quelques  ann(*es. 


:5l(i 


NOTICE    SIB    LK    VICOMTE    DE    •rl;UK^^K 


asile?  11  est  des  fails,  citoyeiis ,  qui  suffisenl  seuls 
pour  depraver  un  gouveruemeiit  et  le  deslionorer 
aux  yeux  do  r6lraiiger :  tel  est  celui  que  je  vous 
d6oonce. 

»  Turenne  v6cul  sous  un  roi,  mais  ce  fut  I'er- 
reur  de  son  sif^cle  et  non  ie  crime  de  ce  h6ros;  ses 
pr^juges  fiirent  ceux  du  temps  ou  il  vivait;  ses 
vertus  furent  a  lui;  I'elat  avilissant  dans  lequel 
ses  resles  sont  abandonaes  ne  saurait  diniinuer 
cet  immense  heritage  de  gloire  qu'il  s'est  acquis; 
un  tel  oubii  n'est  prejudiciable  qu'au  gouverne- 
ment  qui  s'en  rend  coupable.  Quel  est,  en  elTet, 
le  Francais  qui  ignore  que  Turenne  fut  le  plus 
grand  des  capitaines;  que,  recommandable  par 
ses  vertus  guerri6res,  il  le  fut  non  moins  par  ses 
vertus  privees?  qui  n'admirc  egalement  et  son 
courage  et  sa  rare  modestie? 

»  Cen'estpasqueje  veuilledemander  que  vous 
honoriez  la  m6raoire  de  Turenne ,  je  propose  seu- 
lement  de  ne  pas  diminuer  quelque  chose  de  vo- 
ire supreme  gloire  en  I'oubliant.  Je  ne  deraande 
pas  pour  cet  homme  illustre  les  honneurs  du  Pan- 
theon, I'Europe  enti^re  lui  a  d6cern6  la  palme  de 
rimmortalit6 ;  mais  vous  avez  le  droit  d'eveiller 
I'attention  du  Directoire  sur  un  objet  d'inleret 
national;  c'est  ce  que  je  vous  propose  de  faire  en 
demandant  au  Directoire,  par  un  message,  les 
mesures  qu'il  a  dCi  prendre  pour  faire  deposer 
dans  un  lieu  plus  convenable  et  plus  decent  les 
restes  du  grand  Turenne.  » 

ttCette  proposition  est  unanimement  adoptee.)) 

Le  24  germinal  an  VII,  le  Directoire  executif 
arr^ta  que  les  d6pouilles  de  Turenne  seraient 
Irausport^es  dans  le  Musee  des  monuments 
francais,  et  qu'elles  seraient  d6pos6es  dans  un 
sarcophage  place  dans  le  Jardin-Elys6e  de  cet 
6tablissement.  Proc6s-verbal  de  la  translation 
du  corps  du  marechal  au  Musee  des  monuments 
francais  fut  r6dig6  et  depos6  chez  le  notaire 
Potier,  le  29  vendemiaire  an  VIII.  En  suit  la 
leneur : 

«  L'an  VII  de  la  r6publique  francaise,  une  et 
indivisible ,  et  le  quartidi  24  plairial, 

»  Nous....  d6siranl  mettre  a  execution  I'arrSt^ 
du  Directoire  ex6cutif,  qui  ordonne  la  translation 
du  corps  de  Turenne  ,  d6pos6  au  Musee  national 
des  plantes  et  d'histoire  naturelle,  audit  Mus6e 
des  monuments  francais ,  dcsiraut  mettre  a  exe- 
cution ledit  arr6t6  ,  et  retirer  les  restes  d'unguer- 
rier  recommandable  par  sa  valeur  et  ses  vertus 
civiques  ,  d'un  lieu  oil  lis  sont  confondusavec  des 
objets  de.curiosit6  publique,  avons  invite  et  ap- 
pel6  aupr^s  de  nous  les  citoyens  AmbroJse  Le- 
sieur  et  Augustin-Jean  Lesieur  ,  fr^res,  citoyens 
de  Paris,  y  demeuranl ,  rue  de  la  Colombe,  divi- 
sion de  la(vit6,  qui  nous  avaicnt  accompagn^s 
pour  la  translation  des  cendres  de  Moliere  et  de 
Lafontaine,  a  I'effet  de  nous  concerter  sur  les 
moyeus  d'effcctucr  le  transport  du  corps  de  ce 
heros,  en  nous  conformant  aux  intenlions  du  mi- 
nistrc  dc  lintericur  pour  qu'il  nc  soil  pas  fait  os- 
(cnsiblemcnt. 


»  En  consequence ,  sur  les  six  heures  du  soir . 
I'un  de  nous  s'^tant  transporte  a  I'arsenal  de  Pa- 
ris pour  y  prendre  la  voiture  mise  a  notre  dispo- 
sition par  le  citoyen  Berthier  ,  chef  de  brigade  . 
directeur  d'artillerie  par  int6rim  de  I'arsenal  de 
Paris  ,  se  rendit  de  suite  au  Jardin  des  Plantes  , 
ou  nous  trouvames  le  citoyen  Lenoir,  qui  nous 
avail  devauces,  et  qui  6tait  acconipagne  des  ci- 
toyens Michel-Pierre  Sauv6et  Pierre-Louis  Sauve 
fr^res,  employes  dudit  Mus6e  des  monuments 
fraucais,  ou  nous  nous  trouvames  reunis.  Le  ci- 
toyen Lenoir  se  rendit  de  suite  aupr^s  de  Tadnii- 
nislration  du  Mus6e  d'histoire  naturelle  pour  ob- 
tenir  d'elle  ia  remise  du  corps  de  Turenne,  en 
vertu  des  pouvoirs  dont  il  6tait  revfitu.  Muni  dc 
I'autorisation  necessaire,  il  nous  rejoignit  sur  les 
huit  heures  du  soir,  et  nous  etant  fait  donncr 
connaissance  du  lieu  ou  6taient  deposes  les  resles 
de  Turenne  ,  nous  fiimes  iutroduits  dans  un  local 
altenant  k  I'amphitheatre  servant  de  laboratoiro  , 
au  milieu  duquel  etaitpos6e,  sur  une  estrade  dc 
bois  peinl  en  granit,  une  caisse  en  forme  de  cer 
cueil,  aussi  de  bois  peinl,  vitr6e  pardessus,  de  l.i 
longueur  de  197  millimetres,  dans  laquelle  on 
nous  a  declare  que  le  corps  de  Turenne  eiail  en- 
ferme.  Nous  remarquaraes,  en  effet,  au  travers 
du  vitrage  qui  couvrait  ce  cercueil ,  un  corps 
eiendu  enveloppe  d'un  linceul,  lequel  avail  et6 
dediire  et  d6couvrait  la  tele  jusqu'a  I'estomac; 
ce  qui  nous  ayant  porl6  a  le  considdrer  plus  at- 
tentivement,  il  nous  parut  que  ce  corps  avail  et6 
embaurae  avec  soin  dans  toutes  ses  parties,  ce 
qui  en  avail  conserve  toutes  les  formes  ;  le  crane 
avail  eie  coupe  et  reraplace  ou  recouvert  d'une 
calotle  de  bois  de  la  meme  forme,  mais  excedant 
dans  sa  circonference.  Toutes  les  formes  du  vi- 
sage ne  nous  parurenl  pas  tellement  alterees  que 
nous  ne  piiraes  reconnaitre  les  trails  que  le  mar- 
bre  nous  a  laisses  de  ce  grand  homme;  il  restait 
encore  des  effets  du  funeste  coup  qui  I'enleva  au 
milieu  de  ses  triomphes,  et  qui  lui  causa  sans 
doule  une  violente  convulsion  dans  la  figure,  ainsi 
qu'il  nous  a  paru  par  I'eiat  de  la  bouche  extr6- 
mement  ouverle  ;  el  continuant  a  considerer  ces 
respectables  restes,  nous  apercCimes  que  les  bras 
eiaient  etendus  de  chaque  c6t6  du  corps,  el  que 
les  mains  etaient  croisees  sur  la  r6giou  du  venire ; 
le  reste  etail  enveloppe  du  linceul  et  oCfrait  les 
formes  ordinaires.  Sur  le  cote  du  cercueil  etait 
attachee  une  inscription  gravde  sur  une  plaque 
de  cuivre,  qui  parail  6lre  celle  qui  avail  6t6 
placee  sur  I'ancien  cercueil  ou  ce  corps  avait 
ei6  renferme,  sur  laquelle  nous  lumes  ce  qui 
suit: 

«  Ici  est  le  corps  de  serenissime  prince  Henry 
de  La  Tour  d'Auvergne,  vicomte  de  Turenne,  ma- 
r6chal-g6neral  de  la  cavalerie  legere  de  France, 
gouverneur  du  haul  et  has  Limosin ,  lequel  fut 
lu6  d'un  coup  de  canon  le  xxvir  juillet,  l'an 
M.DC.LXXV.  » 

))  Le  citoyen  Lenoir  cl  luii  dc  nous  ayant  fail 
Iransporlcr  Icdil  cercueil   dans  la  voiture  que 


UT    Slir.    SUS    MKllOIRES. 


3  17 


nous  avions  .imcnec  a  cet  effel ,  deux  d'enlre 
nous,  d'apr^s  robservalion  du  citoycu  Lenoir , 
accompagn^reiil  ces  venerables  dcpouilles  audit 
Musee  des  monuments  franrais. 

»Et  le  22  messidorde  I'an  Vlldela  repul)lique, 
sur  les  onze  lieures  du  matin,  nous,  Alexandre 
Lenoir  et  Pierre-Claude  Binart ,  adniinislraleurs 
susdits,  soussign6s,  ayant  fait  eriger  le  monument 
qui  doit  renfermer  les  resles  de  Turenne  ,  et  y 
ayant  a  cet  ciTet  fait  praliquer  une  concavity,  avons 
fail  relirer  Icdit  cercueil  du  lieu  oil  il  6lait  d'a- 
bord depose,  duquel  nous  fimes enlever le  vitrage 
qui  y  avait  6te  plac6 ,  et  dans  I'inierieur  fimes 
poser  celle  inscription  gravee  sur  une  plaque  de 
cuivre  : 

«  Les  restes  de  Henry  de  la  Tour  d'Auvergnc, 
vicomte  de  Turenne,  tu6  d'un  coup  de  canon  le 
27  juillct  1(J75,  a  soixante-quatre  ans ,  pres  Ic  vil- 
lage de  Salzbach ,  exiiumes  en  171)3  de  I'abbaye 
de  Saint-Denis,  oii  ils  avaient  ete  enterr6s,  ont 
6le  recueillis  paries  soins  d'Alexandre  Lenoir, 
fondateur  du  Musee  des  monuments  franrais,  et 
deposes  dans  le  sarcopbage  qu'il  a  fait  cxeculer, 
sur  ses  dessins  ,  par  arrfite  du  Direcloire  exccu- 
lif,  Tan  A'^II  de  la  republique  franraise,  une  et 
indivisible.  » 

»  Ce  qui  etant  execute  ,  nous  fimes  a  I'inslanl 
couvrir  ledit  cercueil  d'une  planclie  do  cbenc. 
laquelle  etant  scellee ,  et  I'inscription  rapporfee 
ci-dessus  y  ayant  ete  replacee,  nous  susdits  ,  ad- 
rainistrateurset  conservaleurs,  avons  fait  trans- 
porter ledil  cercueil  au  lieu  oii  etait  orige  lo  mo- 
nument, ou,  etant  arrives,  nous  le  fimes,  en 
noire  presence,  placer  dans  Ic  sarcopbage  par 
lesdits  citoyens  Sauve  freres,  auquel  depot  as- 
sislaient  lesdils  citoyens  Ambroise-Ilobert  Le- 
sieur  et  Jean  Pachez,  ouvriers  audit  Musee,  ct 
aussilot ,  nous  soussignes,  fimes  poser  et  sceller 
le  couronnemenl  qui  lermine  le  tnonumenl. 

»  Deloutceque  dessus  nous  avons  dressele  pre- 
sent proces-verbal ,  lesdils  jour  elan  que  dessus, 
pour  conslaler  rexeculion  de  I'arrele  du  Direc- 
loire ex^cutif ,  ct  pour  laisser  un  monument  de 
noire  veneration  pour  la  m6moirc  de  Turenne. 

»  Signe:  Lenoir,  Uin.vrt,  A.  11.  Lesieur, 
Paciiez  ,  Sauve  aine ,  el  P.  Sauve.  » 

11  elait  reserv6  au  premier  consul  Bonaparte 
de  rendrelesdernicrs  lionneurs  fundbres  au  plus 
grand  liommede  guerre  du  XVIl'^  si6cle,  etdelui 
choisir  un  dernier  lieu  de  repos,  non  moins  ho- 
norable que  celui  que  lui  avait  assign6  le  roi 
Louis  XIV.  Le  monument  erig6  a  Tureime  dans 
I'abbaye  de  Saint-Denis  avait  ^te  preserve  de 
la  destruction  et  transporle  au  Musee  des  mo- 
numents franrais.  Suivant  I'arrfite  du  premier 
consul,  on  Tenleva  de  ce  lieu  pour  le  [)lacer  dans 
le  temple  de  Mars  (  eglise  des  Invalidcs  ) ,  et  Ic 
corps  du  maroclial  y  ful  de  nouveau  depos6  avcc 
pompe  et  solennitc.  Voici  la  relalion  de  ceKe  ce- 
remonie: 


«  La  translation  du  corps  de  Turenne  s'esl 
faile  lecinquiemejour  compl^mentaire,  an  VIII, 
ainsi  que  I'avait  annonc6  le  programme.  A  deux 
beures,  le  miuistre  de  I'inierieur  et  le  ministre 
de  la  guerre  se  sont  rendus  au  Musee  des  monu- 
ments franrais,  ruedes Pelits-Augustins,  accom- 
pagn6s  d'un  grand  nombre  d'officiers  g6n6raux. 
La,  ils  ont  lrouv6  le  citoyen  Desfonlaiues,  pro- 
fesseur  du  Jardin  des  Planles,  au  palriotisme  et 
au  courage  duquel  on  doit  la  conservation  des 
resles  de  ce  grand  homme,  et  le  citoyen  Lenoir, 
adminislrajeur  du  mus6e,  quite  premier  a  pu 
lesrecueillir  bonorablement.  Le  corps  de  Turenne 
avait  et6  place  au  milieu  de  la  salle  des  monu- 
ments du  XVIP  sidcle.  Devant  lui ,  sur  un  bran- 
card convert  de  ricbe  draperie,  on  avait  pos6  r<?- 
p6e  qu'il  porlait  le  jour  de  sa  raort,  et  le  boulet 
qui  I'a  frappe  (1). 

»  Le  citoyen  Lenoir,  en  presenlant  le  corps  au 
minislre  ,  a  fait  un  discours  auquel  Ic  ministre 
de  I'inierieur  a  r6pondu  quelques  mots  improvi- 
sl's  ,  puis  le  cortege  s'est  mis  en  marche.  Le  corps 
6lait  place  sur  un  char  de  Iriomphe,  decore  avec 
beaucoup  de  soin  ,  de  gout  et  de  magnificence , 
Iraine  par  qualre  chevaux  blancs.  Un  cheval  pie, 
semblable  a  celui  que  monlait  Turenne  et  que 
connaissait  si  bien  son  arm6e ,  convert  de  har- 
naissendjlables,  niarcbait  en  avantdu  char,  con- 
duit par  un  n^gre  \Hu  de  la  m6me  manidre 
que  celui  de  Turenne.  De  vieux  guerriers  por- 
laient  ses  arnies,  de  vieux  guerriers  entouraienl 
son  char;  les  generanx  :  Berruyer,  general  de 
division;  Aboville,  general  de  division;  Vital, 
general  de  brigade ;  Kslourmel ,  general  de  divi- 
sion, (  ce  dernier,  parent  de  Turenne  par  son 
epouse  ),  raarcliaient  aux  qualre  coins;  les  mi- 
nislres  suivaienl;  les  citoyens  Lenoir  et  Desfon- 
taines  faisaient  partie  du  cortege;  il  a  march6 
dans  le  plus  grand  ordre  jusqu'au  d6rae  des  In- 
valides. 

»  Au  moment  ouil  est  cnlre  dans  ce  temple 
si  majeslueux,  si  digne  de  renfermer  les  cen- 
dres  des  grands  liommes,  une  musique  mililaire 
grave  et  louchanle  s'est  fait  entendre.  Le  mi- 
nistre de  la  guerre,  si  digne  d'apprecier  le  nit- 
rite militaire,  si  bon  juge  de  ceux  qui  le  pro- 
fessent,  a  prononce  un  discours  noble,  d6cent, 
tcl  quil  convenait  a  la  circonstance  el  a  sou  ca- 
raclere  personnel.  II  a  fini  par  un  mouvement 
oraloire  d'un  Ires-grand  effet  et  d'un  genre  v6ri- 
lablemcnt  antique. 

»  Ce  discours  a  plusieurs  fois  el6  inlerrorapu 
par  des  applaudissemenls. 

»  Le  corps  de  Turenne  a  ensuile  6t6  d6pos6 
dans  le  monument  qui  le  renferniait  a  Saint-De- 
nis. Ce  monument  a  616  place  dans  une  des  par- 
ties Iat6rales  du  dome,  par  le  citoyen  Peyre.  On 
ne  peut  assez  s'etonner  que  ce  travail  ait  616  ter- 

(1)  Cos  procicuscs  rcliiiucs  ai>partcnaicnt  a  M.  do 
ISouillon,  Tun  ties  potils-novcux  dc  Turenne  .  qui  vou- 
lut  bicn  les  coniicr  pour  cctte  c6r<5monio. 


Sl8 


^0T1CE   SUR    LE    VICOMTE    DE    TUnEi\.\E 


min6  dans  le  court  espace  de  temps  qui  a  6t6 
donn6  a  eel  artiste,  et  on  doit  admirer  le  goiit 
avec  lequel  il  a  choisi  I'emplacement.  Ce  mo- 
nument est  beaucoup  raieux  place  qu'a  Saint- 
Denis. 

»  Le  rainislre  de  la  guerre  a  pos6  sur  le  cer- 
cueil  qui  rcnfernie  le  corps,  une  couronne  de 
laurier,  et  le  ministre  de  I'interieur  y  a  plac6 
une  boile  d'acajou  renfermant  des  ra6dailles  et 
des  inscriptions. 

))  La  c6r6monie  a  6t6  terrainee  par  une  sym- 
phonie  militaire.  On  a  vu  des  larmes  couler  des 
yeux  de  plusieurs  vieux  soldats  a  cette  solennite 
auguste.  » 

Enfin,les  habitants  de  la  Souabe  n'avaient  pas 
moins  honore  la  m6moire  de  Turenne,  en  lais- 
sant  en  friche,  pendant  plusieurs  annees,  la 
place  ou  il  avait  peri ,  en  conservant  soigneuse- 
ment  I'arbre  sous  lequel  il  s'etait  assis  un  instant 
avaht  sa  morl.  Get  arbre  devint  I'objet  de  la  v6- 
n6ration  publique  et  le  but  des  pelerinages  des 
voyageurs,  comme  le  fut  le  laurier  de  Virgile, 
le  raftrierde  Shakspeare,  leporamier  de  Newton 
et  le  peuplier  de  Pope ;  on  s'en  est  dispute  les 
derniers  d6bris.  Le  cardinal  de  Rohan  fit  Clever, 
en  1781,  un  monument  a  la  place  de  ce  m6me  ar- 
tre;  presque  entidrement  detruit  en  1801,  il 
fut  restaure  par  les  soins  du  general  Moreau , 
et  Ton  ne  pent  passer  a  Saltzbach  sans  aller 
se  prosterner  au  pied  de  ce  monument  61eve  en 
I'honneur  d'un  des  grands  noms  et  des  grands 
hommes  de  la  France. 

Le  vicomte  de  Turenne  profita  des  premiers 
loisirs  que  lui  laissait  la  paix  qui  suivit  le  traite 
des  Pyrenees,  conclu  a  la  fin  de  I'ann^e  1659, 
pour  s'occuper  de  recuelllir  les  souvenirs  de  ses 
carapagnes  pass^es  ,  et  retracer  les  6v6nements 
auxquels  il  avail  pris  part  comme  raar6chal  de 
France,  ou  comme  Frondeur. 

I16crivit  lesMemoires  de  sa  vie,  sans  remonter 
toutefois  au  dela  de  la  fin  de  I'ann^e  1643 ,  qu'il 
avait  pass6e  tout  enti^re  a  I'arm^e  d'ltalie.  Le 
Roi  le  rappela  apr^s  le  siege  deTrein,  et  lui 
donna  ensuile  le  commandement  de  I'arra^e  d'Al- 
lemagne,  ou  le  vicomte  de  Turenne  se  rendit 
en  qualite  de  mar6chal  de  France. 

Les  Memoires  du  mar6chal  de  Turenne  retra- 
cent  done  les  ev6neraents  civils  et  militaires  ar- 
rives pendant  les  annees  1643  a  1659.  II  les  di- 
visa  en  Irois  livres:  le  premier  contient  les  guer- 
res  d'AIlemagne  (1644-1648);  le  second,  les 
guerresciviles  de  France  (1649-1653) ;  et  le  troi- 
si6me  les  guerres  de  Flandres  (1654-1659).  Tu- 
renne raconte  toujours  a  la  troisieme  personne, 
comme  I'a  fait  C6sar,  et  Ton  rcmarque  surtout 
I'extrfime  simplieite  du  style  ainsi  que  la  elart6 
de  la  narration;  car  il  s'agit  d'un  liomme  qui  a 
pass6  «  pour  avoir  toujours  eu  en  tout,  comme 
en  sonparlcr,  de  certaines  obscurit6s  qui  ne  se 

(1)  Mdmoircs  du  cardinal  de  Relz. 

(2)  Dans  ses  leltirs.  loisqu'il  parlc  (I'lmc  victoiie  ,  il 


sont  developp6es  que  dans  les  occasions ,  mais 
qui  ne  s'y  sont  d6velopp6es  qu'a  sa  gloire  (1).  » 

Ainsi  qu'on  devait  s'y  attendre  de  la  part  d'un 
horame  vraiment  sup6rieur  ,  le  vicomte  de  Tu- 
renne avoue  ing6nuraent  ses  fautes  (2),  sans  cher- 
cher  a  les  deguiser ;  mais  il  ne  met  pas  moins  de 
soius  a  pallier  celles  qui  furenl  comraises  par 
les  g^neraux  eombattant  sdus  ses  ordres.  En 
I'annee  1649,  la  cour,  retiree  a  Ruel,  se  deter- 
mina,  paries  conseils  de  Mazarin,  a  assieger  Pa- 
ris. Cette  conduile  fut  publiqueraent  blam^e  par 
le  mar^chal  de  Turenne;  il  t6raoigna  m6me  aux 
envoyes  du  ministre  tout  I'^tonneraent  que  lui 
causait  une  pareille  determination.  II  fit  dire  en 
m6me  temps  a  Mazarin,  que  s'il  persistait  dans 
sesprojets,  il  ne  devait  pas  compter  sur  son  con- 
cours.  Tels  sont  du  moins  les  motifs  6nonc6s  par 
Turenne,  pourjustifier,  autantque  fairese  peut, 
la  conduile  dun  mar6chal  de  France ,  amenant 
aux  Frondeurs ,  qui  avaient  chasse  le  Roi  de  sa 
capitale,  I'armee  qu'il  commandait  pour  le  ser- 
vice de  ce  meme  Roi.  Ce  fut  aussi  I'acte  qui  le 
relint  dans  le  parti  de  la  Fronde  apr^s  le  trait6 
de  Ruel.  Mazarin,  du  reste,  selon  son  principe, 
avait  manque,  apres  ce  traite  ,  a  toules  les  pro- 
messes  faites  solennellement  a  la  raaison  de 
Bouillon.  Turenne  s'associa  done  au  parti  qui 
combatlait  pour  la  liberie  des  princes  du  sang  , 
et  il  signa  un  traile  avec  I'Espagne.  Turenne 
raconte,  dans  ses  Memoires,  cette  partie  de  sa 
vie  ,  mais  il  y  emploie  I'ing^nieux  artifice  in- 
dique  ainsi  par  un  de  ses  panegyristcs  :  «  Puis- 
qu'il  est  impossible  de  passer  sur  des  choses  que 
fantde  sang  r^pandu  a  trop  viveraent  marquees, 
monlrons-Ies  du  moins  avec  I'artifice  de  ce  pein- 
tre  qui,  pour  cacher  la  diflformite  dun  visage, 
inventa  I'art  du  profil.  » 

Le  due  de  Bouillon  et  le  vicomte  de  Turenne 
furent  compris  dans  les  declarations  enregislr^es 
au  parlement,  contre  les  partisans  des  princes, 
pendant  les  ann6es  1649  et  1650;  mais  ils  accep- 
t6rent  I'amnistie  au  mois  de  mai  1651.  Rest^s  in- 
cerlains  pendant  quelque  temps  sur  le  parti  qu'ils 
avaient  a  prendre,  au  moment  de  s'engager  avec 
le  prince  de  Cond6  dont  ils  avaient  accept^  les 
premidres  conditions  d'un  trait6  discut6  entr'  eux, 
ils  furent  gagn6s  par  la  cour  el  ne  se  d6taeh6rent 
plus  jamais  de  ses  interSls.Leur  reconciliation  avec 
leRoi  donna  lieu  a  un  ecrit  intitule  :  L'obcissance 
des  illuslres  sujeis.  Mais  le  service  immense  que  le 
mar6chal  de  Turenne  rendit  au  Roi  bientdt  apr^s, 
en  gagnanl  une  victoire  a  B16neau  ,  firent  oublier 
sa  faute.  C'est  au  retour  de  ce  combat ,  que  la 
Reine  m^re  s'6cria  en  le  voyant  :  «  Vous  venez 
de  metlre  une  seconde  fois  la  couronne  sur  la 
I6le  de  mon  fils.  »  Et  cette  m6me  victoire ,  cepen- 
danl ,  est  indiqu6e  dans  les  Memoires  de  Tu- 
renne, comme  «  un  avantage  de  peu  de  consid6- 
ralion.  » 

dit :  Nous  I'avons  remportee;  et  lorsqiic  c'est  une  i\6- 
faitc  :  J'ai  etc  battu. 


F.T    SIT,    SKS    Mr.MOUJKS. 


:?l!) 


Elev6  dans  la  religion  r6forni6c  (1 ) ,  le  vicomle  j 
de  Turenne  persisla  long-temps  dans  ses  croyan- 
ces,etce  ful  pour  lui  la  source  de  plus  d'uu 
obstacle  a  son  avancenaent  dans  les  dignit^s  de 
I'Etal,  d'ou  6taient  exclus  ceux  de  sa  religion. 
Turenne  n'en  6pousa  pas  raoins,  en  I'ann^e  1653, 
mademoiselle  Charlotte  de  Caumont  La  Force , 
proleslante  aussi,  et  qui  mourut  en  1666,  sans 
lui  avoir  laiss6d'enfants. 

Dans  ses  M6raoires ,  le  vicomle  de  Turenne  se 
raontre  surloul  extrfimenient  sobre  de  blames;  il 
n'approuve  cependant  pas  toujours  la  conduile 
de  ses  amis  ,  non  plus  que  celle  des  ennemis  qu'il 
avail  h  coraballre.  Celte  particularity  donne  done 
a  ses  Mdmoires  un  degre  de  plus  d'aulhenticit6 
et  d'exaclitude,  fonde  sur  la  reserve  m6me  que 
Ton  Irouve  loujours  dans  ses  jugements. 

Du  reste,  un  passage  de  ses  Meraoires  peut 
servir  a  confirmer  I'opinion  que  nous  avons 
Praise  dans  notre  Notice  sur  Pierre  Lenet,  que 
I'une  des  principales  causes  qui  d6lermin6renl 
le  prince  de  Conde  a  fairs  la  guerre  a  Mazarin , 
fut  le  d^sir  d'acqu6rir  des  gouvernemenls  im- 
portants,  qui  devaient  le  rendre  redoulable  au 
premier  ministre.  On  lit  en  effet  le  passage  sui- 
vant  dans  les  M6moires  de  Turenne  : 

«  II  est  bien  vrai  que  madarae  de  Longueville 
et  M.  le  prince  de  Conti  n6gocioient  avec  Maza- 
rin ,  par  le  moyen  de  madame  la  princesse  Pa- 
latine, etpromettoient  que  M.  le  prince  se  ra- 
douciroit  pour  le  retour  de  M.  le  cardinal  s'il 
avoit  ce  qu'il  demandoit  (  le  gouvernement  de  la 
Guienne  pour  lui  et  celui  de  Provence  pour  son 
frdre).  » 

Et  si  Mazarin  surmonta  les  difficolt^s  de  toute 
nature  qui  I'envelopperent  pendant  la  minority 
du  Roi,c'est  que  «  I'assielte  des  esprits  de  pres- 
que  toules  les  personuesde  quality  de  France  ne 
demandoit  qu'un  d^sordre,  pour  se  faire  ache- 
ter  tr^scher. »  Turenne  ne  se  dissimule  pas  non 
plus, «  qu'il  y avoit  beaucoup  de  personnes  m6con- 
lentesdu  rainist^re  de  M.  le  cardinal  Mazarin,  >) 
et  que  si  les  troubles  ne  recommenc^rentpas  vers 
I'ann^e  1655,  c'est  que  «  Ton  se  ressouvenoit  des 
luaux  qu'un  chacun  avoit  ressentis  dans  ces  d6- 
sordres.  » 


(1)  Ilenri  de  La  Tour,  vicomle  de  Turenne,  pere  du 
mar(5chal  de  ce  nom  ,  avail  Hi  premier  genlilhomme  dc 
la  chambre  de  Henri  IV,  et  un  des  premiers  qui  le  re- 
connurent  pour  roi  de  France.  On  veil  meme,  par  un 
tilre  original  porlant  une  signature  autographe ,  et  qui 
apparlient  a  la  Bibliotheque  du  Roi ,  qu'il  conduisit  im- 
m^dialemenl  a  ce  roi  «  une  lev^e ,  failo  en  Guyenne ,  de 
gens  de  guerre ,  tant  de  cheval  que  de  pied  ;  lesquelles 
nous  avons  amen^es  a  Sa  Majesty,  estant  en  son  arm^e 
devanl  Paris ,  des  ie  mois  d'aout  dernier  { 1589 ).  » 
Henri  IV  lui  Gt  ^pouser  ( J591  )  Charlotte  de  La 
Marck  ,  duchesse  de  Bouillon ,  princesse  de  Sedan ,  etc., 
dont  il  n'eul  pas  d'cnfants.  II  la  fit  tester  en  sa  faveiir 
peu  avant  sa  mort  (1594).  Les  chroniques  pr^tendent 
meme  quelle  elait  morle  quand  on  lui  fit  signer  le  tes- 
tament.   Cr^e  mareihal  de   Franco   cettc  meme   an- 


Turenne  devait  6lre  alors  bieu  informe,  car  il 
nous  apprend  que,  «  cet  hiver  (1655)  se  passa 
dans  une  enlidre  confiance  du  Roi  et  de  la  Reine 
pour  M.  le  cardinal,  qui  avoit  toujours  une  grande 
consideration  pour  M.  de  Turenne  ,  lequel  sca- 
voit  autant  que  personne  les  intdrfits  de  la  cour 
les  plus  caches.  » 

Celte  consideration  que  le  marechal  de  Turenne 
s'eiail  acquise  a  la  cour  ne  fit  que  s'accroitre 
pendant  les  anndes  suivantes;  la  morl  de  Maza- 
rin y  ajouta  encore.  D^s  ce  moment ,  personne 
ne  fut  au-dessus  du  credit  du  vicomle  de  Tu- 
renne. Sa  famille  en  ressenlil  desalutaires  effels : 
son  neveu,  Emmanuel -Theodore  de  Bouillon  (2), 
ful  61ev6  au  cardinaiat ,  en  1667,  et  plus  lard  ,  sa 
turbulence  ne  donna  pas  moins  d'humeur  a  Louis 
XIV  que  celle  du  p^re  el  celle  de  I'oncle  de  ce 
cardinal  n'avaient  donn6  d'inqui^tudes  a  la  reine 
r6genle.  Mais  Tann^e  suivanle,  1668,  le  roi  de 
France  devait  encore  donner  une  preuve  plus 
grande  de  I'estime  qu'il  faisail  de  la  personne  du 
vicomle  de  Turenne,  par  son  intervention  per- 
sonnelle,  pour  faire  faire  aMaurice-F6bronie  de 
Bouillon,  dile  mademoiselle  d'Evreux,  un  raa- 
riage  auquel  sa  naissance  ne  I'eiil  jamais  eie- 
vee,  sans  la  proleclion  donl  le  Roi  I'honora  a 
cause  de  Turenne.  C'esl  cequ'on  apprend  par  de 
nombreuses  lellres  diplomaliques,  donl  nous  ne 
cilerons  que  la  suivanle  : 

M.  de  Lionne  a  M.  de  Gravel. 

Le  8*  jour  de  mars,  1668. 

«  Je  profile  del'occasiond'un  courrier  que  Ton' 
d^pescbe  a  Munich,  pour  vous  dire  que  le  Roy  a 
en  tr^s-agr^able  la  pens^e  que  M.  le  prince 
Maximilien,  frdre  de  M.  I'eiecleur  de  Baviere,  a 
tesmoign^e  d'avoir  d'espouser  mademoiselle  d'E- 
vreux, fiUe  de  feu  M.  le  due  de  Bouillon,  et 
niepce  de  M.  de  Turenne,  el  que  Sa  Majest6 
souhaile  beaucoup  quecette  affaire  puisser^ussir, 
mesme  par  toules  les  raisons  de  son  service  que 
vousjugerezassez.  Sadite  Majesty  desire,  si  vous 
estes  encore  a  Munich,  que  vous  en  parliez  vous- 
mfime  de  sa  part  a  madame  I'Electriee,  lui  16- 


n^e ,  il  fut  en  grande  faveur  jusqu'a  la  mort  de  ce 
roi ,  de  qui  il  recevait  de  nombreux  presents  (le  der- 
nier, 1610,  ^tait  de  quarante  mille  livres,  dont  le  reju 
existe  aux  litres  originaux  de  la  Bibliotheque  du  Roi). 
Turenne  devint  suspect  a  Louis  XIII ,  comrae  chef  des 
huguenots;  sa  mort  arriva  en  1623.  II  avail  6pous6  en 
secondes  noces  la  fille  du  prince  de  Nassau ,  fondateur 
de  la  rdpublique  de  Hollande.  C'est  lui  qui  for^a  son: 
neveu,  Fr^d^ric  V,  ^lecleur  palatin ,  a  se  declarer 
roi  de  Boheme  (1619) ,  disant :  «  Le  Roy  a  fait  des  che- 
valiers du  Sainl-Espril ,  et  moy  un  roy  a  la  barbe  de 
I'Empire.  » 

(■2)  II  passait  pour  etre  n6  a  Rome ,  pendant  le  voyage 
dc  son  pere  (1644) ,  cr^ance  a  laquellc  il  ne  s'oppose 
pas.  Le  cardinal  Maldachini  disait  dc  lui :  //  cardinale- 
JJoglione  ,  il  cnnhnaU  Coglione. 


Z-20 


NOTICE   SUK    LE    VICOMTE    DE  TUREMXE 


nioignant  qu'elle  prendia  pour  une  preuve  et  uu 
effect  signale  de  I'affeclion  que  S.  A.  R.  lui  a 
promise,  sielleveut  hien  s'eniployer  efficacemenl 
pour  faire  que  M.  I'Electeur  agree  que  ce  ma- 
riage-la  se  fasse  et  saus  aucun  delay ;  a  quoi 
vous  pourriez  ajouler  queledit  sieur  prince  Maxi- 
iriilien,  oulre  les  advantages  de  la  dot  dont  il  est 
fort  satisfait,  lenioigne  encore  grande  inclina- 
tion pour  la  personne.  Si  vous  estes  desja  re- 
tourn6  a  llatisbonne,  vous  en  parlerez  a 
M.  Mayer  dans  la  mesme  maniere  que  je  vieus 
de  dire,afin  qu'il  veuille  bien  en  escrire  a  ma- 
darae  I'Electrice.  J'honore  a  tel  point  M.  de  Tu- 
renne,  et  suis  son  serviteur  si  passionne,  que  je 
puis  vous  avouer,  qu'en  mon  parliculier,  vous 
ne  Irouverez  jamais  une  occasion  de  m'obliger 
qui  me  soil  si  sensible  que  celle-cy  (1).  » 

Mademoiselle  d'Evreux  ^pousa  done,  en  1668, 
le  due  Maximilien-Philippe,  frere  de  r61ecteur 
de  Baviere.  C'est  aussi  en  cette  niemeann6e  que 
Turenne  abjura  le  calvinisrae  et  rentra  dans  le 
sein  de  I'Eglise  romaine. 

Six  ans  apr^s  (1674),  Turenne,  fatigu6  des 
grandeurs  du  monde,  songea  serieusemenl  a  se 
retirer  chez  les  p^res  de  I'Oratoire;  Louis  XIV 
fut  m^me  oblig6d'user  de  sonautoriteafin  depre- 
venir  ce  malheur  pour  la  France,  au  moment  oCi 
de  nouvelles  guerres  r6clamaient  encore  les  ta- 
lents du  marochal. 

Mais  le  Saint-Siege  apostolique,  alorsgouvern6 
par  Clement  IX  ,  ne  devait  pas  laisser  ^chapper 
{'occasion  d'acquerir  au  sacre  college  I'illuslra- 
tion  d'un  nom  tel  que  celui  de  Turenne;  aussi 
le  Pape  cnvoya-t-il  a  Paris  pour  engager  le  raa- 
r6chal  a  persister  dans  sa  pieuse  resolution  de 
se  retirer  chez  les  peresde  I'Oratoire,  et  Clement 
IX  lui  promettait  que,  bientol  apr^s,  le  chapeau 
de  cardinal  lui  serai  tdonne  (2).  L'intluence  royale 
i'emporta  cependant ,  et  I'annee  suivante Turenne 
mourut.  Madame  deSevigne  ecrivil  d'admirables 
choses  sur  cette  grande  morl  (3). 

Au  moment  de  se  rendre  sur  le  champ  de  ba- 
laille,  et  ce  devait  etre  pour  la  derniere  fois, 
Turenne  signa  la  d6peche  suivante ,  adress6e  a 
M.  de  Louvois  ,  dans  laquelle  il  rendait  comple 
de  la  position  de  son  arra6e.  En  voici  les  ter- 
ines  (4)  : 

(1)  Malgr6  les  bonnes  dispositions  du  prince  Maximi- 
lien  ,  I'tHectricc  douaiiieie  s'opposa  long-temps  a  ce  ma- 
riage;  it  failul  meinc  los  instances  r^iler^es  du  Roi 
pour  triompher  de  l'opiniatiel6  de  cette  princesse ;  et 
on  donnant  son  adli(5sion  a  cclte  union  ,  elle  eul  soin  do 
d(5clarer  quec'(itait  uniquementpour  complaire  au  Roi. 

(2)  Co  fait  peu  connu  est  constats  par  les  papiers  di- 
plomatiques  de  cette  epoque. 

(3)  La  cour  de  Rome,  cependant,  ^tait  loin  de  parta- 
ger  les  regrets  de  niadame  de  S(5vign6  sur  ce  funeste 
<^v(5nement.  L'abb6  Scrvicn  (^crivait  de  Rome  le  15  aoiit 
1675  : 

«  L'abattement  ou  nous  sommcs  de  la  mort  de  M.  de 
Turenne  est  t  res -grand,  dont  le  pape  Iriomplie  se- 
crctcmenl  el  les  Espagiiols  en  public  ,  Ic  cardinal  Ni- 


ce Je  vous  manday,  par  ma  derniere  lettre , 
comme  j'allois  marcher ,  et  ainsi  apres  avoir  fait 
retrancher  les  camps  a  Freyst  et  pr^s  Bischer, 
je  partis  avant-hier  de  bon  matin  et  allay  a  un 
village,  une  lieue  au-dessous  de  Renchen,  et  y 
passay  la  petite  riviere  qui  porle  ce  nom  de  Ren- 
chen ,  qui  estoit  le  quartier  que  j'avois  fait  pren- 
dre a  M.  le  chevalier  Du  Plessis. 

»  Je  fus,  le  m6me  jour,  avec  quelque  cavallerie 
jusques  a  Gramshorst,  et  m'en  estant  revenu  au 
quartier,  je  commandai  les  dragons  a  minuit, 
afin  de  voir  si  les  ennemis  prenoient  le  poste  de 
Gramshorst.  lis  trouvdrent  la  nuit  un  grand  corps 
a  une  heure  dc  mon  quartier,  ce  qui  obligea 
M.  de  Boufflers  de  se  retirer  jusques  a  la  petite 
garde  ,  en  escarmouchant  tousjours,  et  voyant 
qu'on  vouloit  le  couper  a  un  quart-d'heure  de 
jour,  I'ennemi,  qui  avoit  un  tr^s-grand  corps  que 
le  prince  Charles  commandoit ,  et  qui  estoit  venu 
pour  enlever  le  quartier  de  M.  le  chevalier  Da 
Plessis  ,  poussa  la  teste  des  dragons  et  cent  cin- 
quanle  raaitres  commandos.  M.  de  Vaubrun,  qui 
s'y  trouva,  fit  fr^s-bien  et  fut  blesse  au  pied  sans 
aucun  danger;  n^antmoins  cela  I'empescherade 
servir  si  tost.  M.  de  Raune  s'y  rencontra  aussi, 
qui  fit  lout  ce  qui  se  pent  en  pareille  occasion: 
et  M.  de  Lislebonne,  qui  y  estoit  all6  et  n'avoit 
pas  voulu  le  quitter ,  y  recut  trois  coups  d'6p6e 
dans  ses  habits. 

»  Comme  le  jour  commencoit,  on  fit  avancer 
de  I'infanterle.  M.  de  Boufflers  ayant  arrest6 
jusqu'a  ce  temps-la  un  corps  de  quatre  ou  cinq 
mille  chevaux  ou  dragons  de  I'ennemi,  M.  Du 
Plessis  se  mit  a  la  gauche,  et  M.  le  ducde  Sault, 
qui  estoit  de  jour,  a  la  droite,  dans  les  lieux 
avantageux  ,  et  firent  avancer  avec  tant  d'ordre 
I'infanterie,  que,  I'ennemi  aprds  avoir  tenu  ferme 
un  peu  de  temps ,  coraraenca  a  se  retirer  avant 
que  lejour  fiit  grand. 

»  On  dit  qu'il  a  perdu assez  de  gens,  quoyqu'il 
n'en  soil  pas  deraeur6  plus  de  vingt  ou  vingt-cinq 
sur  la  place.  M.  de  Tracy  estant  seul  et  croyant 
voir  une  des  troupes  de  Tarra^e  du  Roy  ,  se  mit 
au  milieu  de  celles  de  I'ennemi,  et  ainsi  fut  fait 
prisonnier. 

» II  y  a  eu  quelques  offlciers  et  soldats  de 
Rouargue  tu6s  ou  bless6s,  le  regiment  ayant  tr^s- 

tard  en  ayant  receu  et  recherche  les  complimens  de  tous 
ceux  de  sa  faction.  » 

On  r^panditbientot  apres  des  bruits  facheux  pour  la 
r(^|)utaiion  des  armes  franraises.  Le  cardinal  d'Estr^s 
en  rendait  compte  par  sa  lettre  du  28  aout  1675  : 

«  Les Espagnols  nont  oobli^  aucun  artiDce  pour  d^- 
guiser  I'i^ctiec  que  Tarmt^e  de  I'Empereur  a  receu  apres  la 
niort  dc  M.  de  Turenne,  et  ils  en  ont  fait  imprimer  des 
relations  pour  envoycr  a  Naples  et  en  Sicile,  auxquelles 
nous  ne  manquerons  pas  d'en  opposer  d'autres.  J'espere 
que  la  presence  de  M.  le  Prince  produira  de  plus  grands 
avantages.  » 

(i)  Cette  lettre  fait  partie  du  richc  d(^p6t  des  archives 
du  miiiistere  dc  la  guerre ,  confid  aux  soins  dc  M.  le  g^- 
n^ral  baron  Polet,  a  qui  nous  en  dcvons  I'obligeanle  com- 
iiiunication. 


ET    SUR    SI'S    MEMOIRI-S. 


321 


bien  fait  ile  mesme  que  les  coramandans  de  com- 
agnic. 

»  Je  marchay  dans  le  mesme  temps  et  vins 
Iiier  pr^s  deGrarashorst,  k  un  demi-quartd'lieure 
du  pont  que  j'ay  sur  le  Renchen ,  dont  je  vous  ay 
parl6. 

»  J'oubliois  a  dire  que  Caprara,  avec  un  corps 
de  cavallerie  de  I'arm^e  ennemie  et  I'infanlerie 
qu'il  avoil  tiree  de  Fribourg,  devoit  attaquer  le 
quarlier  de  M.  le  chevalier  Du  Plessis  de  I'autre 
cost6  de  Beace  (?),  en  mesme  temps  que  le  prince 
Charles  en-deca. 

»  Je  vins  hier  prds  de  Gramshorst,  h  un  demi- 
quart  d'heure  du  pont  que  j'ay  sur  le  Renchen , 
dont  vousavez  d^jaest6  inform6,  etm'ayant  esle 
rapportece  matin  qu'il  y  avoit  beaucoupde  bruit 
dans  le  Renchen,  et  ayant  remarqu6  qu'il  n'y 
avoit  rien,  je  suis  revenu  du  cost6  du  village  de 
Gramshorst,  ou  j'ai  trouv6de  I'infanlerie des  en- 
nemis  qui  s'estoit  saisie  d'une  eglise  et  d'un  ci- 
raeti^re,  et  quelques  troupes  de  cavallerie  qui  la 
soustenoyent,  et  m'estant  un  peu  plus  avance, 
j'ay  aussi  vu  un  corps  d'infanterie  et  les  enue- 
mis  qui  barricadoyent  un  village  qui  souslenoit 
ceste  6glise. 

))  J'ay  aussitost  f;iit  avancer  de  I'infanterie  d'un 
cosle  el  les  dragons  de  I'autre.  La  marine  royale 
estoil  a  la  lesle  ;  le  camp  s'estant  ainsi  trouv6 
dispos6,  et  Rouergue  apr6s,  et  ensuite  les  deux 
bataillons  de  Moutmoulh,  I'ennemi  estant  dans 
une  lr6s-bonne  Eglise  avec  un  cimeti6re  qui  a 
de  bonnes  murailles  souleuues  de  quinze  cents 
hommes  de  pied,  que  Lesle,  lieutenant  du  ma- 
r6chal-de-camp,  commandoit,  et  Rabatia  la  ca- 
vallerie, 11  y  avoit  de  la  difficult^  de  le  forcer. 
M.  d'Hocquincourt  a  esl6  lue  a  Boisleau  ,  en  se 
logeant  pres  de  la.  On  a  fait  avancer  quatre  pe- 
liles  pieces  de  canon,  et  a  la  quatrieme  vol^e 
I'infanlerie  a  donn6  ,  le  corps  du  regiment  royal 
de  la  marine  tout  entier,  et  Rouergue  aussi,  et 
les  Anglois  par  gens  commandos,  qui,  avec  leur 
cri  ordinaire  et  par  leur  mouvement,  ont  donn6 
beaucoup  de  chaleur  a  I'aclion.  M.  de  Feuqui^res 
y  a  tres-bien  fait,  et  M.  de  Moutpezaux,  ayant 
est6  fort  bien  suivi  des  officiers  et  soldals  de  leurs 
regimens, 
w  II  y  a  bien  eu  plus  de  quatre-vingts  hommes 
*  de  I'ennemi  luez  et  aulanl  de  prisonniers,  dont 
il  y  a  le  lieutenant-colonel  du  regiment  de  Sou- 
ches.  M.  le  chevalier  Du  Plessis,  qui  a  le  soingde 
I'infanlerie  ,  a  eu  une  petite  contusion ,  et  M.  de 
Rubentel  une  un  peu  plus  forte.  M.  le  comte 
d'Auvergne  estoil  de  jour.  M.de  Boufflers,  avec 
les  dragons  ,  y  a  trds-bien  fait.  On  a  pouss6  les 
ennerais  jusques  au-dela  du  pont,  et  ils  se  sont 
retirez  dans  leur  camp. 

»  Je  mande  ceci  l^g^rement,  et  je  ue  peux 
m'empescher  d'ajouster  que  c'est  un  domage  ex- 
Iresme  d'avoir  perdu  M.  d'Hocquincourt.  J'ay  en- 
voy6  plus  de  deux  cents  prisonniers  au  quarlier 
oil  M.  de  Lorge  est  retranch6.  Les  armies  sont 
en  estat  de  voir  continuellement  des  actions,  et 

m.    C.     D.     M.,    T.    III. 


comme  il  y  a  grande  apparance  que  I'arm^e  de 
I'Empereur  sera  renforc6e  par  les  Cercles,  il  se- 
roil  bien  n6ce?saire  que  celle  du  Roy  le  fust.  On 
a  tanl  <le  posies  differens,  A  quoy  la  n^cessite 
oblige,  que  Ton  est  tons  les  jours  k  la  veille  de 
voir  des  actions  bien  extraordinaires. 

»    TuRENNE. 

))Deux  chareltes  de  munitions  de  I'ennemi  se 
sont  6gar6es  et  sont  venues  k  nos  gardes  avancees, 
au  lieu  d'aller  a  cette  Eglise  ,  et  ont  616  prises! 
Je  crois  qu'au  commencement,  I'ennemi  ne  vou- 
loit  que  couvrir  les  fourrages;  mais  Lesl6,  qui 
commandoit,  voyant  un  si  beauposte,  mandaau 
quartier-gen^ral,  qui  n'en  estoil  qu'a  une  heure, 
qu'il  le  soutiendroit.  II  y  a  eu  quelques  officiers 
d'infanterie  blessez,  dont  on  envoyera  la  lisle. 

»  II  sera  enli^rement  n^cessaire  de  faire  ad- 
vancer des  munitions  en  ce  pays  et  des  amies 
pour  I'infanlerie ;  j'en  ay  escrit  a  M.  de  Charchiel. 
L'ennemi  a  beaucoup  plus  de  canons  que  larm^e 
du  Roy.  Si  je  n'aydois  et  par  des  promesses  et 
par  I'argent ,  je  n'aurois  pas  la  moilie  d'officiers 
pour  servir  celle  que  j'ay.  M.  de  Tracy  ayant  616 
fait  prisonnier,  je  fais  servir  M.  de  Rubentel  k 
sa  place,  attendant  les  ordres  du  Roy. 

»  Je  crois  que  S.  M.  peusera  a  M.  d'Essonville 
pour  le  r6giment  des  dragons  de  la  Reyne,  dont 
11  est  lieutenant-colonel,  et  aussi  a  M.  de  Givry, 
qui  a  beaucoup  de  m6rite,pour  quelque  6tablisse- 
meut  plus  solide.  » 

Celle  dep6che  arriva  a  Paris,  et  une  heure 
aprd-s,  lorsque  M.  de  Louvois  avail  k  peine  fini 
de  lire  celle  longue  leltre ,  un  nouveau  courrier 
lui  apporta  un  6crit  enti6rement  chitrr6  et  sigu6 
par  M.  deVaubrun.  Quel  ne  dut  pas  6lre  son  ef- 
froi  k  mesure  qu'il  en  d6chiffra  le  contenu,  en  ces 
termes  (1)  : 

A  Wideraken.  ce  27  juillet,  a  trois  heures  apres  midi. 

«  M.de  Turenue  vient  d'estre  tu6  d'un  coup  de 
canon  en  meltant  ses  troupes  en  bataille  de- 
vant  les  ennemis  qui  marchdrent  hier,  comme  je 
vous  le  raandois,  par  Bibol,  et  on  les  a  trouvez 
enarrivanl  sur  le  bord  du  ruisseau  de  Sasbach, 
qui  est  celui  qui  separe  les  armees,  la  noslre 
ayant  march6  d6s  la  poinle  du  jour.  Vous  voyez 
bien  qu'il  ne  peul  y  avoir  de  blessure  qui  m'em- 
pesche  de  monler  a  cheval,  pour  tascher  d'estre 
utile  au  service  de  SaMajest6  tan(  queje  vivray. 
Je  ne  vous  scaurois  encore  rien  mander  de  ceque 
feront  ces  deux  arm6es;  je  monte  a  cheval  dans 
cet  instant  pour  alter  Irouver  M.  de  Lorge. 
»  Je  suis,  Mouseigneur,  absolument  k  vous 

»  N.  DE  Reactru  de  Vaubbcn.  » 

(1)  Nous  copions  I'original  nieme  ,  ainsi  que  celui  de 
la  lettre  pr<5f(*donlc. 

21 


?.T> 


NOTICE    SUK    LK    VICOMTE    DK    TURt.\NE 


On  a  lant  6crit  sur  la  raort  de  Turenne ,  tou-  ] 
les  les  circonstances  cii  sont  si  connues,  qu'il 
nous  semble  inulile  de  les  rappeler.  On  aimera 
niieux  Irouver  ici  quelques  parlicularil6s  nouvel- 
les  que  nous  avons  reinarqu^es  dans  des  docu- 
ments, les  uns  rarement  etudi^s,  les  autres  igno- 
res jusqu'a  ce  jour.  Nous  ne  pouvious  pas  en  par- 
ler  daiis  le  cours  de  celte  Notice  sans  en  inler- 
roniprc  la  suite,  mais  mainlenant  nous  devons 
les  recueillir,  puisque  ces  particularit6s  ajoutent 
quelquc  chose  a  ce  que  nous  savionssur  rillustre 
personnage,  qui,  dans  ses  propres  M6moires, 
raconte  si  modestement  ses  liauts  fails. 

Le  caractere  de  Turenne  fut  exempt  de  mor- 
gue; il  dut  cette  grande  quality  a  ses  premie- 
res habitudes  et  a  sa  naissauce. 

La  protection  de  la  maisou  de  Nassau  n'avait 
pas  cesse  de  soutenir  ses  neveux  a  la  cour  de 
France  ;  eile  leur  avail  6le  d'un  tres  grand  se- 
cours.  Turenne  surtout,  qui  n'6tait  que  cadet 
tie  faraillc  ,  avail  grand  besoin  d'en  ressentir  les 
cffets.  De  bonne  heure  il  avail  et6  expos6  a  se 
trouver  au  milieu  des  spleudeurs  de  la  cour,  oh 
il  elait  admis  a  cause  de  sa  naissance,  mais  sans 
se  laisser  en  trainer  aux  depenses  excessives  qui 
s'y  faisaient.  Sa  ni6rc,  Isabelle  de  Nassau,  I'ha- 
bilua  a  lui  rendre  cample  de  ses  actions  par 
de  frequentes  letlres.  C'esl  dans  ces  ligues  que 
Turenne  nous  retrace  ,  avec  une  grande  uaivet6, 
les  premieres  impressions  qu'il  6prouva  en  se 
preparant  a  figurer  dans  le  nioude.  En  1626,  ag6 
seulement  de  quinze  ans,  il  {-crivait  a  sa  mere,de 
Paris  ,  le  10  novembre  : 

«  J'etois  chez  madame  voire  soeur  ,  qui  n'a  pas 
lrouv6  Irop  cher  un  cheval  de  Bague  que  j'ai 
achet6.  II  est  fort  beau  el  fort  glorieux  sur  le 
pave;  il  me  rendra  bon  gendarme,  car  je  cour- 
rai  tous  les  jours  :  //  me  coute  cent  ecus.  » 

«  Le  IOd(^ceinbre  de  la  meme  annee. 

))  Ma  soeur  est  allee  faire  sa  reverence  aux  deux 
reines  ;  elle  me  fit  I'honneur  de  me  preter  jeudi 
deux  de  ses  chevaux ,  avec  le  carosse  que  ma- 
dame de  Nemours  me  pr^la;  cela  m'accommoda 
fort,  car  aulremeut  j'eusse  gate  a  cheval mon ha- 
bit neuf  qui  a  6le  Irouve  fort  beau.  » 

Admis  au  ballet  du  Roi  Tannoe  suivante, 
1627,  il  n'6lait  pas  des  derniers  a  sejeterau  mi- 
lieu de  la  presse  pour  pouvoir  entrer  dans  la  salle 
de  spectacle,  et  un  soir  qu'il  s'y  trouvait  avec 
le  Roi,  il  remarqnait  que  ce  prince  «  n'avoit 
jamais  6te  si  gaillard  qu'alors,  car  il  se  raet- 
loit  a  la  presse  comme  les  autres.  20  Fevrier 
1627.  » 

Turenne  pratiquail  loujours  avec  un  certain 
plaisir  les  usages  du  protestantisrae  :  «  Encore 
que  Ton  soil  en  car6me,  6crivait-il  a  sa  m^re,  je 
ne  laisse  pas  de  manger  de  la  viande  dans  ma 
chainbre.  »  Les  lerons  d'armes ,  de  dansc,  les 
professeurs  de  langucs  laline,  allemande,  fla- 


mande  et  les  raath6matiques,  partageaient  le 
temps  de  ses  etudes.  II  6crivait  de  Lain,  proche 
Paris ,  a  sa  m6re ,  cette  lettre  en  dale  du  20  oc- 
tobrel627    : 

«  M.  Justel  m'avoit  dit  qu'il  meviendroil  voir 
une  fois  a  Lahi,  el  qu'il  prendroil  la  peine  de  i 
m'interroger  de  mon  latin.  J'explique  fort  souvent 
apr^s  le  manege  dans  lescommentaires  de  C6sar, 
oil  je  me  plais  plus  qu'en  aucun  livre.  On  dit  que 
la  peste  s'augmenle  fort  a  Paris  ,  ce  qui  m'em- 
p^che  d'y  aller.  » 

18  Janvier  1629. 

«  Je  m'avance  le  plus  qu'il  ra'esl  possible  dans 
les  math^matiques,  ayant  pass6  tous  les  trian- 
gles. » 

L'ann6e  suivante,  1630,  il  figurait  d6ja  a  la 
tele  d'un  regiment  qui  lui  apparlenait  :  «  J'ai  vu 
a  ce  matin  le  Roy,  ^crivait-il  encore  a  sa  mere  , 
de  Lyon  29  aout  1630,  qui  m'a  fait  fort  bonne 
chdre  ,  et  m'a  demande  des  nouvelles  de  )non  re- 
giment ,  et  qu'on  lui  avoit  dit  que  c'6toil  le  meil- 
leur  de  i'armee.  II  le  verra  demain.  » 

Turenne  avail  le  bon  esprit  de  borner  ses  de- 
penses pour  ne  pas  exceder  ses  ressources  peca- 
niaires;  cepeiidanl  il  n'abandounait  pas  plus  les 
prerogatives  auxquelles  il  avail  droit  par  sa 
uaissance ,  qu'il  ne  negligeait  sa  loilelle,  ses  plai- 
sirs  el  les  moyens  de  s'^Iever;  il  nous  I'apprend 
lui-merae  par  les  letlres  qu'il  adressail  a  sa  mere, 
dont  void  quelques  fragments  : 

1631,  3  Fevrier. 

«  Le  chevalier  de  Saint-Simon  a  parl6  h  mon 
frere  pour  parler  au  Roy  de  Tentr^e  de  mon  ca- 
rosse dans  le  Louvre  :  cela  se  doit  proposer  au 
conseil.  » 

1631 ,  17  Fevrier. 

«  Mon  fr^re  avoit  trouve  n6cessaire  que  je  me 
fisse  encore  faire  un  habit,  n'en  ayant  que  deux 
a  porter,  mon  noir  el  le  mien  rouge  en  broderie 
que  je  porte  fort  el  qui  passe.  On  recounoit  bien , 
loutesfois,  que  ce  n'estpas  un  habit  faitd'a  cette 
heure.  Tout  le  monde,  jusqu'au  moindre,  des- 
pensent  prodigieuseraent ,  el  ils  s'imaginent  que 
cela  est  honteux  de  porter  deux  fois,  dans  les 
grandes  assemblies  ,  des  habits  qui  leur  content 
deux  ou  trois  mille  francs.  C'esl  une  grande  folic 
de  se  ruiner  au  point  qu'ils  le  font,  pour  des  cho- 
ses  qui  meltent  si  pen  un  homme  en  reputation. » 

12  Avril  1633 ,  a  La  Haye. 

u  Madame  la  princesse  d'Orange  m'envoya 
querir  pour  aller  a  lacampagne  avecM.  le  prince 
et  elle  :  il  n'y  avoit  que  le  comle  Maurice,  le 
Ringrall  et  moi.  On  y  a  deraeure  depuisle  lundi 
jusqu'au  samedi  au  soir.  On  y  a  fait  une  masca- 


ET    SUB    SES    MEMOlllES. 


323 


:  radeetonraed6guisa  daasua  vilageenpaysanne: 
]  ils  disenl  (ous  qu'ils  n'ont  jamais  rien  vu  de  si  ef- 
I  froyable.  » 

Paris .  10  avril  1634. 

a  J'avois  acliel6   un  oarosse   a  deuv  chevaux 

pour  raon  mariage  en  HoUande ;  M.  le  cardinal 

de  La  Valelte  ne  me  conseille  ni  celui-la  ni  au- 

I  cun ,  si  je  n'y  Irouve  de  grands  avanlages.  » 

j       En  1641,  Tureune  6lait  a  Farm^e  d'ltalie  ,  et 

[  I'ua  de  ses  revenas  les  plus  cerlains  c'etait  son 

'   Iraifement  de  marechal-de-camp,  montant  a  six 

I  cents  livres  par  mois  (1).  Mais  les  d^penses  faites 

par  les  officiers  pendant  le  temps  de  repos  que 

riiiver  leur  laissait,  furent  si  excessives  cette 

aiinee-la,    qu'une    ordonnauce    du   Roi   inter- 

vint  Tannic  suivante,   1642,   pour   leur  defen- 

tlre  le  s6jour  de  Paris.  En  voici  I'annonce  conte- 

nue  dans  une  letlrc  de  Louis  XIV  ,  adress6e  a 

M.  Le  Tellier. 

«  Mon  cousin,  considerant  la  despense  a  la- 
quelle  le  sejour  de  Paris  engage  les  officiers  de 
nies  armees  pendant  iliyver,  et  que  la  pluspart 
d'entre  eux  consoraraent  en  desbauches  I'argent 
que  je  leur  fais  donner  pour  leurs  troupes,  j'ay 
faicl  expedier  uueordonnance  pour  deCFendreaux 
chefs  et  officiers  de  mon  arraee  d'ltalie  de  venir 
a  Paris  et  a  ma  cour,  pour  quelque  cause  que  ce 
puisse  estre,  et  de  quitter  leurs  charges,  a  I'ex- 
ception  seulement  de  ceux  qui  auront  ordre  de 
faire  les  recrues  de  leurs  corps ,  auxquels  je 
permets  d'aller  a  Lyon  pour  en  toucher  I'ar- 
gesil,  et  de  la  aux  lieux  d'assembl^e  de  leurs 
recrues,  ayant  pourveu  a  ce  que  le  fondz  des  re- 
crues demaditearnice  soit  port6  audit  Lyon,  pour 
leur  estre  distribu6  dans  !e  mois  de  Janvier  pro- 
chain,  et  j'ay  bien  vouUu  accompagnerladite  or- 
donnance  de  cette  lettre,  pourvous  dire  que  mon 
intention  est  que  vous  la  fassiez  publier  et  teniez 
la  main  a  ce  qu'elle  soit  poncluellement  observ^e , 
desirant  que  vous  fassiez  chastier  exemplaire- 
irient  ceux  qui  y  contrcviendront,  par  lespeines 
que  vous estimerez  convenables.  Cest  cequeje 
vousdiray  par  cette  lettre:  priant  Dieu  qu'ilvous 
ayt ,  mon  cousin  ,  en  sa  sainte  et  digne  garde. 

»  Escrit  a  Saint-Germainen-Laye,  le  23'  no- 
vembre  1642. 

»  Louis.  )) 

Afin  de  r6sister  a  ces  occasions  facheuses  pour 
un  officier  sans  fortune,  Turenne  dut  employer 

(1)  Quittance  revetue  do  la  signature  de  Turenne , 
dat^e  du  10  octobre  1641 ,  et  conserv^e  a  la  Biblio- 
Iheque  du  Roi  (  litres  originaux). 

(2)  Des  le  mois  de  juillet,  on  transmeltait  a  Le  Tel- 
lier les  ordres  suivants ,  au  sujet  de  M.  le  due  de 
Bouillon : 

«  Monsieur,  Testat  auquel  se  trouvc  M.  Ic  due  de 
Bouillon,  obligeant  a  voir  les  pacquets  qui  luy  sont  en- 
voyez  et  les  siens ,  et  I'intenlion  du  Roy  n'estant  pas 
quo  cela  pi(^judifie  aucunemenl  a  ceux  qui  ne  sontcou- 


cette  force  de  caract^re  et  de  volonte  dont  il 
donna  tant  de  preuves  dans  la  suite.  Ces  mSmes 
dispositions  le  pr6serv6rent  encore  des  dangers 
que  courut  plusieurs  fois  le  due  de  Bouillon  ,  son 
fr^re,  lequel  se  jeta  dans  toutcs  les  entreprises 
centre  Richelieu  ,  projetees  pendant  les  derniers 
temps  de  la  vie  du  cardinal  ministre;  peu  s'en  fal- 
lut  que  la  conjuration  de  Cinq-Mars  ne  coutat 
la  vie  a  ce  due  (2).  II  est  facile  de  se  convaincre , 
par  les  documents  suivants,  que,  contrairement 
a  I'opiuioa  g6n6ralement  rerue,  ce  ne  fut  pas 
I'abandon  fait  par  Bouillon  de  sa  place  forte  de  Se- 
dan qui  lesauva  d'une  condamnation  a  mort,  mais 
reeilement  la  protection  du  prince  de  Nassau. 

Richelieu  craignit  un  moment,  apres  la  con- 
spiration de  Cinq-Mars,  d'6tre  renvoye  des  af- 
faires. Pour  etfrayer  le  Roi ,  le  cardinal  depecha 
en  toute  hate,  au  prince  d'Orange,  pour  le  prier 
de  le  soutenir  de  son  credit,  et,  dans  ce  but,  le 
moyen  le  plus  siir  6lait  de  menacer  le  Roi  que, 
dans  le  cas  ou  Richelieu  serait  renvoye  du  mi- 
nist^re,  lui,  prince  d'Orange,  accepterait  les  of- 
fres  de  I'Espagne.  Cette  priere  du  cardinal  mi- 
nistre eut  un  pleiu  succ^s,  corame  on  le  voit  par 
les  pieces  suivantes  : 


I. 


LeKre  de  \I.  Ic  prince  d'Orenge  a  M.   le  cardinal 
de  Richelieu. 

D'Ordinghen  ,  le  18  juillet  1642. 

«  Monsieur,  je  remels  a  M.  le  corate  d'Eslra- 
des  a  vous  expliquer  les  veritables  sentimens 
que  j'ay  pour  voslre  sant6  el  pour  tout  ce  qui 
regarde  vos  interests  et  vostre  service,  dans  les- 
quels  je  seray  toujours  envers  tons  et  centre  tous- 
Vous  ajouterez  foy,  s'il  vous  plaist ,  en  tout  ce 
qu'il  vous  dira  de  ma  part.  Je  vous  demande, 
Monsieur,  pour  marque  dc  vostre  araiti6,  de  sau 
ver  la  vie  a  mon  ueveu  de  Bouillon,  et  de  consi- 
derer  ma  sosur  la  douairiere,  qui  n'a  de  bien  que 
celuy  du  domaine  de  Sedan.  » 

II. 

Lellre  de  M.  le  prince  d'Orenge  au  Roy. 

D'Ordinghen  ,  le  18  juillet  1642 

((  Sire,  je  supplietr^s-humblement  Vostre Ma- 
jcsle  de  m'accorder  la  vie  de  mon  neveu  ,  le  due 

pables  d'aucune  chose  contre  son  service  ,  j'ay  fait  faire 
un  pacquet  dc  tout  ce  qui  s'est  trouv^  avee  ceux  dudit 
sieurduc,  ct  j'ay  cru  vous  en  debvoiradvortir,  afilnque 
charitablement  vous  fassiez  rendre  toutes  les  lettres  a 
ceux  a  qui  elles  sont  adressees ;  c'est  le  seul  subject  de 
cette  lettre  ct  de  vous  asseurer  que  je  suis  ,  Monsieur^ 
vostre  tres-humble  ct  tres-afifectionnd  servileur. 


»  Des  Noyebs. 


»  A  Lyon,  ie  13  juilkt  1642.  « 


21. 


V2i 


NOTICE    SUB    LE    VICOMTE    UK    JliRENNE 


de  Bouillon,  el  de  ie  relenir  pour  son  crime  dans 
une  prison  perp6(uelle. 

y>  J'ay  pri6  M.  le  com(e  d'Eslrades  de  dire  k 
Vostre  Majesl6  Ics  offres  qui  me  sont  faites  de  la 
partdes  Espagnols. 

»  Si  les  bruils  qui  courent,  que  M.  le  cardinal 
due  n'est  plus  dans  les  bonnes  graces  de  Voslre 
Majesl6  et  qu'elle  luy  a  ost6  le  soin  de  ses  affai- 
res, sont  v6rital)lcs,  elle  ne  trouvera  pas  mau- 
vais  que  j'acceple  des  conditions  si  avanlageuses 
a  raesseigneurs  les  Estals  elh  moy,  d'autantplus 
que  je  ne  pourrois  prendre  confiance  en  de  nou- 
yeaux  minislres  qui  seroient  peut-estre  plus  es- 
pagnols  que  franc^oys.  » 

III. 

Inslruclion  de  M.  le  prince  d'Orenge  pour  M.  Ic 
comle  d'Eslrades. 

A  Ordinghen,  Ic  18  juillet  1642. 

«  Si  M.  le  cardinal  due  est  hors  des  bonnes 
grAces  du  Roy  et  fort  malade,  ainsy  que  les  der- 
nidres  leltres  nous  I'apprennent ,  il  luydiraque, 
ne  prenant  plus  confiance  en  de  nouveaux  mi- 
nistres,  j'accepleray  les  offres  que  les  Espagnols 
me  font ,  qui  sont  tr6s-avantageuses  aux  Estals 
et  a  moy  ;  mais  si  M.  le  cardinal  reste  toujours 
dans  le  mesme  credit  et  dans  le  gouverneraent 
des  affaires ,  il  I'asseurera  que  je  refuseray  tout 
ce  qui  m'a  est6  offert. 

))  II  dira  a  Sa  Majest6  que  je  la  supplie  de 
ra'accorder  la  vie  de  M.  le  due  de  Bouillon, 
en  le  faisant  enfermer  dans  une  prison  perp6- 
tuelle  ,  pour  punition  de  son  crime,  afin  que  du 
moins  je  ne  voye  pas  r^pandre  son  sang  sur  un 
6chafaut. 

»  M.  le  comle  d'Eslrades  t^moignera  a  M.  le 
cardinal  due,  que  j'esp^re  qu'il  obtiendra  pour 
raon  neveu  la  grace  que  je  demande,  et  que  je 
luy  seray  infiniment  oblig6  s'il  luy  peut  faire  ac- 
corder  la  liberty,  en  remcttant  Sedan  entre  les 
mains  du  Roy ,  et  que  la  recompense  du  domaine 
soit  donn6e  ^  masoeur,  sa  dot  et  son  douaire 
ayant  est6  employez  pour  les  fortifications  de  cetle 
place. 

»  II  luy  tesmoignera  de  ma  part  combienj'ay 
est6  sensible  a  sa  maiadie ,  el  quelle  part  jay 
prise  a  loutes  les  conspirations  qui  onteste  faites 
centre  sa  personne,  me  d6clarant  bautement 
I'ennemy  de  tons  les  siens. 

»  S'il  y  a  quelque  cbose  a  ajouter  pour  le  ser- 
vice de  M.  le  cardinal  due  ,  il  fera  et  dira  au  Roy 
tout  ce  qu'il  d^sirera,  dontje  I'avoueray. 

«    FREDEniC-HENRY.    » 

IV. 

Exlrail  de  la  lellre  de  M.  le  comle  d'Eslrades  a 
M.  le  prince  d'Orenge. 

Dc  Lyon ,  le  ft  scptembrc  16i2. 
It  A  rendu  au  Uoy  la  lellre  de  S.  A.  Sa  Ma- 


jesty a  dil,  apres  I'avoir  leue,  qu'il  n'avoit  j-amais 
eu  I'intenfion  d'osler  ses  affaires  a  M.  le  cardi- 
nal ni  de  I'^loigner  d'aupr^s  de  sa  personne ;  que 
tout  le  d^sordre  qui  estoit  arriv6,  venoit  de  M.  le 
due  de  Bouillon,  qui  avoit  debaucb6  Monsieur  et 
M.  Ie  Grand,  et  qu'il  meriloit  d'avoir  la  teste 
Iranch^e  comme  le  plus  criminel. 

))  Je  respondis  au  Roy  que  V.  A.  le  supplioil 
de  sauver  la  vie  a  M.  le  due  de  Bouillon  a  sa  cora- 
sid^raUon  ;  qu'il  lui  seroit  bien  rude  de  voir  Ie 
sang  de  son  neveu  r^pandu  sur  un  6cbafaul,  dan» 
le  temps  qu'elle  bazardoit  sa  personne  et  les  for- 
ces des  Estals  pour  rendre  des  services  conside- 
rables a  S.  M.;  qu'elle  scavoit  seurement  que 
c'6toil  M.  le  Grand  qui  avoit  desbaucb6  M.  le  due 
de  Bouillon,  par  de  fausses  confidences,  luy  di- 
sant  que  M.  le  cardinal  le  vouloil  pcrdre,  etc. 
Qu'estant  aussy  persuade  que  vous  I'esliez  de  ce 
que  je  raportois  de  vostre  part ,  il  y  avoitacrain- 
dre  que  si  S.  M.  n'accordoit  a  vostre  pri6rela  vie 
de  M.  le  due  de  Bouillon,  et  ne  faisoit  cbastier 
M.  le  Grand  comme  criminel,  pour  faire  voir  par 
la  qu'elle  n'auroit  jamais  eu  dessein  d'osler  a 
M.  le  cardinal  la  direction  de  ses  affaires  ,  V.  A, 
ne  prist  enfin  le  party  d'accepler  les  offres  qui  luy 
sont  faites  par  le  roy  d'Espagne,  tant  pour  luy 
que  pour  les  Estals ,  et  de  conclure  sou  lraiU6 
avec  cette  couronne. 

1)  Le  Roy  ne  me  respondit  rien ,  envoya  cber- 
cher  M.  de  Cbavigny  et  Des  Noyers  ,  et  tint  con- 
seil  deux  beures  :  ensuite  de  quoy  S.  M.  me  fit 
appeler,  et  me  dit  qu'en  consideration  de  V.  A. 
elle  sauveroit  la  vie  a  M.  le  due  de  Bouillon; 
qu'elle  avoit  resolu  de  me  d6pescber  vers  M.  Ie 
cardinal  avec  tous  les  ordres  n^cessaires  pour 
faire  le  proems  a  M.  le  Grand,  et  qu'elle  ne  luy 
pardonueroit  pas. 

»  M.  le  cardinal  mecbargea  d'escrire  a  V.  A. 
qu'il  luy  donneroit  des  marques  de  reconnois- 
sance  ,  en  faisant  oblenir  des  graces  a  M.  le  due 
de  Bouillon,  en  vostre  consideration  seule,  qu'il 
n'auroit  jamais  cues  sans  la  pritire  de  V.  A. ,  etc. 

»  11  me  fut  permis  de  voir  M.  le  due  de  Bouil- 
lon, que  je  trouvay  fort  abatu  ,  ayant  desja  est6 
interroge  deux  fois  et  se  croiant  perdu.  Je  I'as- 
seuray  que  V.  A.  ne  I'abandouneroit  pas  ,  et 
qu'elle  m'avoit  envoy6  expres  auprds  du  Roy  et 
de  M.  le  cardinal ,  pour  tacber  de  luy  sauver  la 
vie  ;  que  j'avois  grande  esp6rance  d'en  venir  a 
bout,  piais  qu'il  luy  en  cousteroit  Sedan,  pour 
lequel  il  recevroit  une  bonne  recompense.  Use 
jetla  4  moncol ,  et  me  dit  qu'il  avoit  les  derniferes 
obligations  a  V.  A. ,  et  qu'il  feroit  tout  ce  quon 
d6sireroit  de  luy  pourveu  qu'on  lui  sauvast  la 
vie. 

»  D^s  le  mesme  jour,  M.  Ic  cardinal  Mazarin 
eut  ordre  d'en  alter  signer  le  traitl6  avec  M.  lo 
due  de  Bouillon,  et  nous  devons  partir  ensemble 
dans  deux  jours  pour  alter  h  Sedan  ,  pour  rex6- 
culion  de  ce  qui  a  esf6  arrest6.  M  le  cardinal  due 
a  prie  M.  le  comle  de  Roussy  d'aller  devant  dis- 
poser madame  la  ducbcsse  de  Bouillon  vH  n'y  por- 


ET    SI;R    SKS    WEiMOIUF.S. 


(cr  aucunes  diffiouUes,  veu  le  peril  que  M.  le  due 
de  Bouillon  courroit  de  sa  vie,  en  cas  de  refus 
descondilions  propos6es.  M.  le  comle  de  Roussy 
fut  arresl6  par  les  nouvelles  qui  nous  vinrenl  de 
la  mort  de  luadame  la  duchesse  de  Bouillon  , 
douairiere,  dont  M.  le  cardinal  fut  fori  louch6, 
la  croyanl  niieux  intenlionnee  que  niadanie  la 
duchesse  de  Bouillon,  sa  bclle-fille  ,  qui  a  lous- 
jours  conserv6  deriuclinatiou  et  de  I'inlelligence 
avec  I'Espagne.  » 


V. 


Lelde  de  M.  le  cardinal  de  Richelieu  a  M.   le 
prince  d'Orcnge. 

Du  4  octobre  1642. 

«  M.  le  comle  d'Estrades  vous  dira  ce  qui 
s'est  pass6  de  dera  dans  I'affaire  de  M.  le  due  de 
Bouillon.  II  vous  raporlera  aussyla  conuoissance 
que  j'ay  des  sentiniens  avanlageux  pour  moy 
que  vous  avez  eus  sur  le  sujel  de  ma  maladie 
et  des  traverses  que  quelques  mauvais  esprils 
ont  voulu  donner  aux  affaires  du  Roy.  Je  n'ay 
point  de  parolles  pour  vous  reraercier  de  la  fa- 
veur  que  vous  m'avez  faite  en  ceste  occasion; 
mais  je  vous  supplie  de  croire  que  je  n'en  per- 
dray  aucune  qui  vous  puisse  faire  voir  par  bons 
effels  que  je  suis  ,  etc.  » 

Une  cerlaine  rivalile  exisla  toujours  entre  Tu- 
renne  et  le  prince  de  Conde;  ces  deux  grandes 
capacil^s  militaires  avaieut  eu  tant  d'occasionsde 
se  mesurer,  el  les  succes  et  les  revers  avaient 
6t6  si  ordiuairement  partages,  qu'ii  6tait  difficile 
de  decider  de  la  sup6riorile  de  I'un  sur  I'autre. 
Une  correspondance  intime  exisla  pourtanl  entre 
eux,  quoique  tous  deux  fussent  dans  un  parti  ditT^- 
rent,jusqu'en  I'anneelGSa,  qu'un  accident,  rap- 
porte  dans  les  Memoires  de  Turenne,  mil  fin  a 
cette  singulidre  relation  amicale  (t).  Mais  en  1660, 
lorsque  Conde  rentra  au  service  du  Roy  ,  le  ma- 
reclial  de  Turenne  nefut  pas  tout-a-fait  exempt 
de  prevention  centre  le  prince,  et  cette  preven- 
liou  ressemble  bien  jusqu'a  un  certain  point  a  un 
mouveraent  de  jalousie.  C'est  ce  que  constate  la 
ietlresuivante,  que  nous  devons,  ainsi  que  plu- 
sieurs  aulres  documents  importanls,  a  I'obligeante 
communication  de  M.  F.  Feuillet. 

A  Amiens  ,  ce  26  janvier  IfifiO. 
«  Le  genlilhomme  que  j'avois  envois  trouver 

(1)  Turenne  ,  rendant  compte  de  la  lev^e  du  si^ge  de 
Valenciennes  par  rarm(5edu  prince  ,  se  servit  d'expres- 
sioDs  qui  blesserent  la  susceptibility  de  Cond^ ,  qui ,  par 
le  plus  grand  des  hasards ,  se  saisit  de  cette  leltre  de 
Turenne  a  Mazarin  ,  en  faisanl  arreler  le  courrier  en- 
voj^  a  la  cour. 

Plus  tard ,  ic  prince  forca  a  son  lour  Turenne  a  dc- 
campor  aussi  de  devant  celle  menie  place,  ot  Idn  fit  a 
ce  sujci  Ic  couplet  suivant  : 


Voire  Eminence  est  de  retour  depuis  deux  jours, 
et  je  la  remercie  tr^s-hamblement  des  assuran- 
ces qu'il  lui  plait  me  donner,  de  vouloir  me  pro- 
curer du  Roy  la  chose  dont  je  m'eslois  donn6 
I'honneur  de  lui  parler,  quoique  je  n'en  fusse 
aucunement  en  doute ,  estant  bien  persuad6  de 
ramili6  qu'elle  a  pour  moy  :  sur  quoi  je  fais  un 
fondement  tout  entier,   me  flattant  aussi  qu'y 
ayant  un  peu  d'estime  raeslde,  cela  lui  fait  on- 
trevoir  qu'il  y  a  de  certains  endroits  oii  je  ne 
pourrois  pas  estre  avec  satisfaction.  Et  comme  il 
y  a  des  gens  avec  qui  je  me  fais  grande  justice, 
je  crois  aussi  qu'il  y  en  a  qui  se  la  devroient  un 
peu  faire  a  moo  6gard.  Vostre  Eminence  me  co- 
gnoist  de  tootes  les  facons ,  c'est  pourquoi  je  dois 
estre  honleux  d'en  tant  dire,  et  I'honorant  et  la 
respectant  au   point  que  je  fais,  elle  trouvera 
tousjours  ma  cooduite  lr6s-6gale ,  bien  sincere  el 
avec  beaucoup  de  cordialit6.  Quand  je  lui  ai 
parl6  de  monsieur  le  prince,  ce  n'est  pas  par  le 
cost6  pr6sentement  de  son  grand  credit  auprds 
du  Roy,  mais  seulementafin  qu'avant  les  liaisons 
qui  se  peuvent  prendre  ,  Vostre  Eminence  eust 
fait  cognoislre  les  avanlages  qu'il  lui  plait  me 
procurer  aupr^s  du  Roy  (2). 

»  On  a  fait,  ces  jours  icy,  la  revue  des  troupes 
de  monsieur  le  prince ;  je  crois  qu'il  n'y  a  plus 
derri^re  que  le  regiment  de  Marsin ,  que  Ton  dit 
qui  vient  fort.  Je  crois  que  Voire  Eminence  scail 
bien  qu'il  est  fort  brouill6  avecM.  le  marquis  de 
Caracene.  M.  Dorraesson  en  envoie  les  details  k 
M.  Le  Tellier ,  et  je  r^glai  bier  le  paiemeut  de 
leur  premier  mois,  qui  est  distribu6  aujourd'hui. 
On  paie  tous  les  soldats  qui  ont  pass6  a  la  revue, 
et  les  officiers  de  cavallerye ,  sur  le  pied  de  dix 
places  par  compagnie  ,  comme  ceux  du  Roy;  et  a 
I'infanterie  de  meme  qu'a  cette  infanterie.  J'ai 
observ§,  pour  les  officiers,  que  tous  les  Strangers 
qui  emmenent  quelques  soldats,  ont  fait  entre- 
tenir  eux  el  ce  qu'ils  ont  d'effeclif,  afin  qu'ils 
n'ayent  pretexte  de  reloumer  en  Flandre ,  et  que 
la  les  soldats  qui  les  ont  quiltes  ne  les  joignis- 
sent.  Pour  tous  les  officiers  reform6s  francois , 
comme  sent  ceux  de  ces  six  regimens  de  cavalle- 
rie  que  M.  le  prince  avoit  fait  enlrer  dans  les 
trois  qui  devoient  venir  au  commencement, 
n'ayant  pr^sentement  plus  aucune  cavallerie,  ils 
s'en  vont  chez  eux  en  France,  sans  que  I'on  leur 
donne  rien ,  comme  ils  ne  s'y  atlendoient  pas ;  et 
il  est  certain  que,  par  ce  retour  de  M.  de  Cha- 
milli  h  Bruxelles,  sur  les  frais  de  Voire  Emi- 
nence, quatre  ou  cinq  regimens  de  cavallerie  que 
M.  de  Caracene  formoit,  ont  616  dissip6s;  etj'ai 

«  Si  vous  eussiez  vu  Turenne 
Comme  il  arrachoit  son  toupel ! 
En  partant  de  Valentienne . 
Vertubleu  !  comme  il  fuyoit ! 
Allongeanl  sa  longue  eschine  , 
II  disoit  :  Messieurs ,  quoi !  quoi ! 
II  faut  abattrc  les  lignes 
Et  gagner  droit  au  Quesnoi.  » 
(2)  Mazarin  proposait  do  Ic  faire  mar(;chal-g^n(5ral. 


:52(; 


NOTICE    SOR    LE    VICOxMTE    DE    TURlilVNE 


sceu  qu'oii  ne  peul  pas  eslre  plus  empcscli6  qu'il 
a  esl6,  ol  il  esl  certain  que  M.  le  prince  a  fait , 
dans  06  dernier  temps,  tout  ce  que  Voire  Emi- 
nence a  desire;  et  peut  y  eslre  entreen  France, 
sans  compter  le  regiment  de  Marsin ,  douze  cens 
ehevaux,  et  en  iofanlerie  presque  aulant,  sans 
compter  ce  qui  esl  dans  Rocroix  et  dans  Hesdin. 
Vous  verrez  tout  le  detail  par  les  reveues  que 
Ton  envoie.  Pour  respondre  a  ce  que  Voire  Emi- 
nence me  mande  sur  M.  de  Bellefonds,  je  lui  di- 
rai  que,  croyant  que  Ton  sortiroil  des  places  le  21 
du  mois  passe,  11  m'avoit  prie  de  lui  laissersorlir 
leur  regiment  avant  les  autres,  el  que,  marchant 
par  leurs  roulcs  ordinaires,  les  lieux  d'aulour 
lui  donneroient  quelque  chose.  Comme  il  n'esl 
pas  Irop  bien  en  ses  affaires ,  j'eslois  bien  aise 
qu'il  en  eust  quelque  chose,  el  ai  donn6  I'ordre 
aux  deux  regimens  de  sortir  ,  qui  sont  Epagni  et 
les  recreues  d'Erbonville ,  qui  esloient  dans  On- 
derverde,  au  moins  le  vieux  corps,  car  les  re- 
crues  estoient  en  France ;  et  un  des  gens  de  M.  de 
Bellefonds  en  ayant  abuse,  cela  a  fait  beaucoup 
debruict  dans  le  pais,  aquoi  il  a  esterem6di6  in- 
continent, les  ayant  fait  sortir  de  Flandre.  On  a 
repris  quelque  argent  qui  a  esle  rembourse  aux 
paysans  pour  I'exemple ;  une  pareille  chose  n'ar- 
rivera  plus,  el  M.  de  Bellefonds  et  M.  Talon 
sont  a  celte  heure  bons  amis. 

»  Pour  TatTaire  de  M.  de  Nancre,  je  n'ai  oui 
parler  que  de  ce  village  qui  a  esl6  force,  el  Can- 
Irix,  qui  devoit  alter  sur  les  lieux,  n'y  a  pas  en- 
core est6;  on  y  donnera  ordre  au  premier  jour, 
afin  que  cela  nc  Iraine  point. 

»  Je  nai  point  eu  de  nouvelles  de  Flandre  de- 
puis  avoir  renvoie  le  trompette  de  M.  le  marquis 
de  Caracene,  et  dds  que  j'enaurai  de  Voire  Emi- 
nence, sur  le  sujet  de  la  restitution  des  places  (1), 
jepartirai  incontinent.  J'ecris  a  M.  Le  Tellier  que, 
comme  par  toule  la  Picardie,  dans  les  villes  oij 
est  I'infanlerie ,  on  a  oblige  les  habilans  qui  ne 
veuleut  pascomposerdesuslensiles,  a  fairechau- 
fer  les  soldals  a  leur  feu  ,  et  a  leur  donner  de  la 

(1)  II  existe,  aux  Archives  du  rojaume,  plusicurs 
minutes  do  letlrcs  derites  de  la  main  de  Turenne,  et  re- 
latives a  la  restitution  des  places,  apres  le  traits  des 
Pyr6n(5es. 

La  Bii)lioth6que  historique  de  Fontette  mentionne 
aussi  un  volume  de  Ictties  de  Turenne  (1638-1651),  qui 
existait  dans  la  Bibliotheque  de  Boulhiilier,  dveque  de 
Troyes ;  mais  on  ignore  ce  qu'elles  sont  devenues. 

(2)  litre  original ,  signd  dc  la  main  de  Turenne ,  por- 
tant  quittance  de  ladile  sommc,  pour  son  traitement  de 
I'annde  1(560  (Bibliotheque  du  Roi ). 

(3)  Original  et  signature  autograpiie  de  Turenne  (Bi- 
bliotheque du  Roi).  Les  dons  du  Roi  n'dtaient  pas  tou- 
jours  des  sommes  d'argcnt,  comme  on  le  voit  par  la 
letlrc  suivante  de  Louis  XIV. 

Leltre  de  Loins  XIV  a  HI.  de  Vautortc. 

»  M.  dc  Vautortc,  nicltant  on  consrd^ration  les 
grandes  despenses  que  mon  cousin  le  vicomte  de  Tu- 


chandel'.e,  M.  de  Vilemonti6  n'y  peul  pas  obliger 
ceux  de  Soissons  qui,  voulanl  faire  deserter  les 
soldals,  les  empechenl  de  se  chaufer  s'ils  n'a- 
chellentle  bois.  Dans  les  grandes  villes,  comme 
I'infanlerie  depend  enli^rement  des  habilans, 
s"il  n'y  a  uu  temperament  entre  eux  et  les  sol- 
dals, on  lie  gardera  que  les  officiers  et  les  gar- 
cons  de  boutiques  pour  passer  a  la  reveue. 

»  Turenne.  » 

Le  d6sint6ressement  du  raarechal  de  Turenne 
el  sa  g^nereuse  liberality  I'empech^rent ,  malgr6 
les  charges  imporlaules  qu'il  exerca,  d'acqu6rir 
jamais  de  grandes  richesses;  sa  fortune  6lail  plus 
que  mediocre  pour  un  horame  oblige  de  represen- 
ter  selon  le  rang  qu'il  occupail  dans  le  monde.  Son 
litre  de  colonel-g6n6ral  de  la  cavalerie  de  France 
ne  lui  valail  que  sept  mille  deux  cents  livres  par 
an  (2).  Aussi  le  roi  pourvoyail-il  g6nereusement,  au 
commencement  dechaque  campagne,  a  ce  qu'exi- 
geail  I'exiguile  desressources  financi^res  d'undes 
premiers  honimes  de  son  royaume,  exignil6  suf- 
fisammenl  indiqu^e  du  resle  par  le  modesle  6tat 
de  sa  maison.  C'eslce  que  prouve  le  litre  suivant : 

«  Nous,  Henri  de  la  Tour  d'Auvergne,  vicomte 
de  Turenne ,  g^n^ral  de  I'armee  du  Roi ,  confes- 
sons  avoir  recu  coraplant  la  somme  de  Irenle  mil 
livres  en  louis  d'or  el  d'argent  a  nous  ordonn6e 
par  S.  M.  pour  nous  meltre  en  equipage  la  pre- 
senle  annee  1667,  pour  vaquer  a  son  service  en 
ladile  quality  (3).  » 

Sans  abandonner  tousles  litres  et  honueurs  dus 
ou  pretendus  par  la  maison  de  La  Tour  d'Auver- 
gne, Turenne  se  raontra  loujours  extremement 
r6serv6  sur  ce  point;  des  litres  de  gloire  bien 
plus  r6els  et  surtout  moins  conlestables  devaient 
naturellemenl  I'y  disposer.  On  sail  qu'il  avail  d6- 
fendu  ,  bien  jeune  encore ,  a  ses  camarades  de 
I'armee  d'llalie,  de  lui  donner  le  tilve  d^ A llesse 
auquelil  pouvaitprelendre  (4).Le  due  et  lecardi- 

renne  ,  mar(?chal  de  France ,  est  oblige  de  faire  en  com- 
mandant nion  armde  d'Aliemagne  ,  et  ayant  sceu  qu'il  y 
a  une  bonne  quantitc  de  vin  qui  a  estd  recueilly  dans  les 
tours  de  I'Archeveche  de  Mayence,  et  d'autres  qui  sont 
dans  le  party  et  au  service  des  ennemis ,  en  consi^quence 
qui  me  sont  acquis  et.conOsquds,  j'ay  rdsolu  ,  par  I'ad- 
vis  de  la  Reine  r(5gente  madame  ma  mere ,  den  grati- 
fier  mohdit  cousin  le  vicomte  de  Turenne.  Et  je  vous 
escris  celte  lettre  pour  vous  dire  que  vous  lui  fassiez  - 
dellivrer  et  mettre  en  son  pouvoir,  tous  et  chacun  les 
vins  qui  ont  estd  recueiilis  dans  lesdites  terres  et  que 
vous  jugerez  cstre  subjet  a  confiscation.  Et  la  prc^sente 
n'estant  pour  autres  fins ,  je  ne  vous  la  feray  plus  longue 
que  pour  prior  Dicu  qu'il  vous  ait ,  M.  de  Vautorte  ,  en 
sa  sainte  garde. 
»  Escrit  a  Amiens ,  le  9  juin  1646. 

»  Louis.  » 

(4)   Le  litre  d'Attcsse  Domcsiique  <^lait  dans  cetle 
maison  depuis  le  pcre  dc  Turenne. 


ET    SL'll    SES    MKWOIRES. 


327 


iial  (Je  Bouillon  ,  ses  neveux  ,  exalldreol  au 
conlraire  jusqu'i  I'excSs  ces  pretentions  de  su- 
zerainet6  eld'ancienuele,  plus  ou  moins  fondles, 
de  la  niaison  de  La  Tour  d'Auvergne.  Des  epi- 
grarames  en  grand  nombre  furentr^pandues  con- 
tre  eux  a  ce  sujet ;  nous  u'en  citerons  que  la  sui- 
vante: 

Quoi!  faudra-l-il  que  chaqucjour 
Les  Bouillons  faliguent  la  cour 
De  quelque  incarlade  nouvelle ! 
Si  tu  veux  mettre  a  la  raison  , 
Grand  Roy!  cette  folle  maison  , 
Du  rang  qui  trouble  leur  cervelle 
Pr^cipite  ces  orgueilleux! 
Leur  insolence  est  sans  pareille  : 
Remets-les  comme  leurs  ayeux  (1) ! 

Mais  Louis  XIV ,  fatigu6  de  Taffeclation  des 
Bouillon  a  vanter  raneiennet6  de  leur  race,  ine- 
nara  bientdt  de  faire  examiner  d'autorite  I'au- 
thenticite  des  litres  de  cette  maison.  Le  cardinal 
61uda  cepi^ge,  qui  pouvait  oCfrir  plus  d'unecueil 
i  ses  orgueilleuses  pretentions,  et  confia  ,  sous  le 
sceau  du  secret,  tous  les  litres  g6neaIogiques  qu'il 
poss6dait  a  un  affid^  serviteurde  sapersonne.Ou 
crut  m6rae  qu'ils  avaient  6t6  remis  a  Rome  entre 
les  mains  des  jesuites.  D'exactes  perquisitions  fu- 
rent  ordonn^es  par  le  lloi ;  les  letlres  suivantes 
nous  apprennent  que  ce  prince  y  mit  de  I'insis- 
tance,  et  qu'il  attachait  de  I'importance  a  la  de- 
couverte  et  a  la  saisie  de  ces  papiers. 

«  Les  ordres  dont  vous  m'honorez  de  la  part 
du  Roy,  touchant  la  decouverte  que  Sa  Majesty 
souhaile  eslre  faile  des  litres  et  des  tables  de  la 
maison  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  que  cette 
Eminence  marque,  dans  sa  leltre  ecriteaM.  Vail- 
lant,  avoir  d^pos^s  en  celle  ville  en  un  lieu  seur, 
ne  me  paroissent  pas  faciles  a  ex6cuter ;  et  quoy- 
que  je  ra'applique  uniquement  a  examiner  les 
moyens  les  plus  convenables  pour  y  reussir,  je 
me  trouve  aussy  pen  ^claire  que  le  premier  jour, 
parce  que,  ne  pouvanf  confier  mou  secret  a  per- 
sonne ,  il  faut  que  je  travaiile  moy  seul  a  decou- 
vrir  ce  qu'on  a  pris  soin  de  cacher  avec  beau- 
coup  de  precautious. 

»  Jene  trouve  pas  que  M.  lecardinalde  Bouillon 
se  soil  procure  pendant  son  sejourbeaucoup  d'amis 
sur  lesquelsil  ait  puassez  compter  pour  leur  con- 
fier un  deposit  qu'il  marque  luy  estre  si  important. 
Le  Pape  paroissoit  estre  dans  ses  interests;  mais 
depuis  son  exaltation  il  n'a  pas  fait  voir  un  grand 
empressement  a  le  favoriser  et  ne  s'est  em ploye  que 
froidemeiit  pour  luy;  c'est  ce  qui  ine  fail  croire 
que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  ,  qui  marque  dans 
sa  lettre  avoir  renvoy6  a  Rome,  apres  son  retour 


en  France,  ses  litres  el  ses  tables  pour  y  estre  con- 
serves tr^s  soigneusement  et  secrdtemeni,  ne  les 
aura  pas  confies  a  Sa  Sainlet6.  Je  me  persuade 
plutot  qu'il  les  aura  adress^s  aux  jesuites,  qui  ont 
tousjours  est6  dans  ses  interests  en  ce  point,  chez 
qui  il  a  pris  un  logement  qu'il  a  occupe  pendant 
son  dernier  sejour  en  cette  ville  et  qu'il  tient  en- 
core actuellement ;  c'est  le  petit  palais  du  Novi- 
tiat,  ou  sont  ses  meubles  et  oii  quelques-uns  de 
ses  domestiques  demeurent.  II  ne  pouvoit  les  de- 
poser  en  des  mains  plus  seures  que  celles  de  ces 
pdres,  et  il  est  a  pr^sumer  qu'eu  ce  cas  il  a  deu 
estre  bien  asseure  de  la  fid61ite  de  ceux  qu'il  eu 
a  charges.  L'avocat  Sardini,  qui  fait  ses  affaires 
en  ce  pays,  n'est  pas  une  personne  assez  consi- 
derable pour  avoir  arrests  le  choix  de  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon  sur  luy,  dans  une  affaire  qu'il 
marque  luy  estre  si  importante.  Je  ne  vols  done 
que  le  Pape,  les  jesuites,  et  peut-estre  M.  le  car- 
dinal Barberin,  a  qui  il  puisse  avoir  confi6  ses  li- 
tres et  ses  tables :  ce  dernier  doit  estre  fort  de  ses 
amis,  puisqu'il  tient  cliez  luy, cbaque  semaine,  une 
congr{>gation  a  laquelle  assistent  les  personnes 
qui  sont  chargees  des  interests  de  M.  le  cardinal 
de  Bouillon,  pour  rendre  compte  de  I'estat  de  se.s 
affaires ,  de  la  r6cepte  de  ses  revenus  et  de  I'cm- 
ploy  qui  pent  en  avoir  este  fait.  Cette  marque  de 
conOance  pourroit  bien  avoir  attire  I'autre  sur  le 
cardinal  Barberin,  d'autant  plus  que  ,  ayant  em- 
brass6  un  party  oppos6  a  la  France  ,  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon  aura  cru  pouvoir  s'assurer  en- 
tiferement  sur  luy. 

))  A  regard,  Monseigneur,  de  ce  que  vous  me 
faites  I'honneur  de  m'escrire  de  me  servir  du  ca- 
nal de  M.  Alexandre  Albani  ,  en  cas  que  je 
puisse  aussy  seurement  compter  sur  luy  que  sur 
moy-raesme ,  je  prendray  la  liberie  de  vous  re- 
presenter  que  je  ne  vois  pas  qu'il  soil  a  propos  de 
prendre,  sur  son  compte,  le  succes  que  pourroit 
avoir  le  secret  que  je  lui  communiquerois.  Je  ne 
doute  point  de  sa  partialite  pour  la  France;  je 
d6couvre  journellement  qu'il  a  un  bon  coeur, 
qu'il  a  une  profonde  et  sincere  v^n^ration  pour 
la  personne  du  Roy,  et  qu'il  auroit  un  tr^s  sen- 
sible plaisir  d'avoir  lieu  de  signaler  son  z^le  pour 
le  service  de  Sa  Majesto;  mais  je  craius  que  le 
Pape  ne  tire  quelquefois  adroitement  de  luy  des 
notions,  qu'il  ne  luy  confieroit  peut-etre  pas  s'il 
s'apercevoit  du  dessein  de  Sa  Saintet6,  et  que  son 
peu  d'exp6rience  ne  luy  pcrmet  pas  de  connol- 
tre.  Je  sray  qu'il  a  du  credit  et  des  liabitudes  en 
cette  cour,  et  qu'il  ne  me  seroit  pas  inutile  fi'il 
vouloit  agir  de  bonne  foy  ;  mais  je  croirois  agir 
moy-mesme  imprudemment  si  je  faisois  une  d6- 


(1)  Nous  avons  lrouv(5,  dans  la  collection  dc  chansons 
ilile  de  Maurepas ,  a  la  Bihlioth^quc  du  Roi .  le  couplet 
suivant,  «fait  par  M.  «le  Turenne,  pour  Madame,  sur 
iinc(*clipse  qu'un  hermite  dc  Fontainebleau  ,  dans  son 
sermon,  avoit  invit(5  d'aller  voir  sur  une  haiileur,  ou  I'on 
ne  irouva  ni  Thermite ,  ni  I'^dipsc  :  » 

<' rhilis  m'aimnii  ,  elie  a  chanKf', 


Son  coeur  est  infidelie; 
Mais  sa  beauts  m'en  a  vange  , 

Ellc  a  change  comme  elle, 
Ainsi  qu'Agnez  et  le  corps  morl 

Madame  ,  co  me  scmble  , 
L'^clipsc  et  i'hcrmitc  d'acconi 

S'en  sont  ali^s  ensemble.  » 


328 


^01IC1•    SLR    LE    VICOMTE    bE    Tl/IU'NNE 


marcLe  aussy  delicate  sans  un  ordre  pr6cls,  siir 
lequel  j'auray  Ihonneur  d'allendre  vostre  res- 
ponse. 

»  J'auray  cependant  toutte  I'allenlion  possible 
^vous  informer  dislinclemenlde  loul  ce  qui  vien- 
dra  k  ma  connoissance,  el  je  conlinueray  a  pren- 
dre des  lumidres  et  a  faire  sur  celle  niali^re 
tou(es  les  reflexions  qu'elle  m6rile  par  rapport 
au  service  du  Roy. 

»  J'ai  1  Iionneur  d'estre  avecun  profond  respect, 
Monseigneur,  vostre  Ir^s-humble,  tr6s-ob6issant 
et  lr(^s-ol)lig6  serviteur, 

»  Delacuausse. 

»  A  Rome,  ce  12  mars  1712  (I).  » 

«  J'ay  eu  I'honneur  de  voir  dimanche  el  lundy 
dernier  M.  Alexandre  Albani,  el  de  discourir 
aniplemenl  avcc  luy  louchaiit  I'afTaire  que  vous 
m'avcz  ordonn6  de  luy  communiquer.  Je  luy  ay 
coufiC'  seulement  qu'il  s'agil  de  trouver  des  pa- 
piers  que  le  cardinal  de  Bouillon  amis  en  d6post 
enlre  les  mains  de  quelque  personnc  qui  de- 
meure  acluellement  en  celte  ville,  sans  luy  expli- 
quer  de  quelle  nature  ils  sonl;  je  luy  ay  repr6- 
sent6  forlemenl  combien  il  seroit  agr6able  au 
Roy  que  celte  d^couverte  se  fit,  et  qu'il  ne  pou- 
voil  trouver  une  occasion  plus  favorable  de  signa- 
ler son  z6le  pour  le  service  de  Sa  Majest6.  Je  luy 
ay  fail  connoistre  I'iniporlauce  du  secret  ;je  crois 
I'avoir  convaincu  de  la  L6cessil6  qu'il  y  a  de  re- 
inuer  toutes  sorles  de  machines  pour  procurer 
le  succ^s  de  raCTaire  dont  il  est  question.  II  y  est 
eutr6  aussy  viveraent  que  je  pouvois  I'esperer; 
il  n'estpas  disconvenu  que  lePape  nepuisse  avoir 
quelque  connoissance  de  ce  depost ,  mais  il  ne 
croit  pas  qu'il  Tail  enlre  les  mains;  et  il  a  fait  \k- 
dessus  une  reflexion  assez  judicieuse,  qui  est  que 
depuis  le  depart  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
de  celte  ville,  il  ne  paroit  pas  que  Sa  Saintel6 
soil  entr6e  beaucoup  dansses  inl6resls,  ny  qu'elle 
ayl  enlretenu  un  commerce  avec  luy  qui  puisse 
faire  soupronner  que  ce  cardinal  luy  ai t  envoy6  ces 
papiers  pour  les  conserver.  A  regard  du  cardinal 
Barberin,  quoyqu'il  soil  cbarg6  du  soin  de  ses 
aflaires,  il  n'est  pas  le  seul  qui  ayl  sa  confiance, 
el  j'apprends  que  M.  le  cardinal  Bichi  est  aussy 
en  commerce  avecluy,et  qu'il  a  toujours  est6 
son  inlime  ami;  mais  tons  ces  motifs  ne  nous  ont 
pas  senibl6  suffisans  pour  exclure  les  j6suites,  et, 
apr<^s  plusicurs  reflexions,  noussommes  convain- 
cus  que  le  depost  ne  pouvoit  avoir  est6  confi6  en 
des  mains  plus  seures  que  cclles  de  ces  \)(ives  ,  il 
estapr6sumerqueM.  le  cardinal  dc  Bouillon,  qui 
a  toujours  est6  ami  de  la  soci6l6,  n'aurapaschoisi 
un  autre  d6positaire.  II  s'agil  done  pr6senlement 
de  scavoir  qui  est  le  j6suite  qui  a  le  plus  de  part 
dans  la  confiance  de  ce  cardinal,  el  c'esl  sur  eel 
article  que  nous  sommes  demeur6s  d'accord  de 
(ravailler.  J'aiappris  quele  pere  Sardinicstceluy 

;1)  Kn  tele  de  cfUo  (Jc^peclic  ,  aiiisi  que  dc  la  sui- 
vaiilc.  tonics  Ics  (lrmcliiffr(4cs,  on  lit  :  Dechiffrcs  vous- 
tnesme  ei  seal 


de  la  soci6te  qui  entretient  commerce  avec  luy  , 
el  qu'aucune  affaire  de  ce  cardinal  ne  se  fait  qu'ou 
ne  luy  en  donne  part;  j'ay  communique  ma  pen- 
see  a  M.  le  cardinal  de  LaTremouilleen  luy  ren- 
dant  vostre  leltre,  et  il  est  entre  dans  mon  sen- 
timent :  ou  que  le  p^re  Sardi  a  place  ce  depost 
dans  les  archives  de  la  societe,ou  qu'aumoinsil  a 
connoissance  du  lieu  ou  il  se  Irouve.  II  sera  Ires- 
difficile  que  je  puisse  me  faciliter  un  accez  aupr^s 
de  ce  pere,  qui  est  ruse  et  qui  aura  de  la  deffiance 
de  moy,  scachant  quelelloy  me  fait  I'honneur  de 
m'employer.  J'ay  fait  scavoir  a  M.  Alexandre 
Albani  celte  decoaverte,  mais  il  ne  pourra  guere 
m'estre  utile  presenfement,  parce  qu'il  devra  ac- 
compagner  le  Papequi  ira  a  Caslelgandolphe  sur 
la  fin  de  la  semaine  procbaine.  Je  dois  vous  aver- 
tir,  Monscigneur,  que  M.  le  cardinal  de  La  Tt-e- 
raouille  ignore  que  j'aye  communique  celte  affaire 
a  M.  Alexandre  Albani,  el  que  celuy-ci  est  dans 
le  mSme  eas  a  regard  du  premier. 

»  J'auray  I'honneur,  Monseigneur,  devous  in- 
former exaclement  de  toutes  les  decouverteset  de 
toutes  les  demarches  que  je  feray.  Plus  j'examine 
cette  affaire  etplusje  prevois  de  difficultes  a  la 
conduire  a  une  fin  beureuse  ;  il  ne  d^pendra  pas 
de  mes  soins  et  de  raon  attention  que  Sa  Majesie 
ne  soil  servie ,  el  peut-estre  que  le  temps  fera 
nallre  une  occasion  favorable  pour  y  reussir. 

»  J'ay  I'honneur  d'estre  avec  un  profond  res- 
pect, Monseigneur,  vostre  tres-hurable,  Ir^s- 
obeissant  el  lres-oblig6  serviteur  , 

»  Delachalsse. 

»  M.  Alexandre  Albani  m'a  fait  I'honneur  de 
passer  aujourd'hui  chezmoy,et  nous  sommes 
convenus  que  s'il  est  vray  que  le  p^re  Sardini  ait 
toute  la  confiance  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon , 
il  faudra  chercher  les  moyens  de  s'inforraer  au- 
pres  de  luy ,  car  je  ne  consenliray  pas  de  confier 
noslre  secret  a  qui  que  ce  soil  sansun  ordre  pre- 
cis de  Vostre  Grandeur.  » 

Ce  ne  fut  pas  nonplus  la  seulefoisque  le  cardi- 
nal de  Bouillon  lultadadresse  et  de  ruseconlre  le 
roideFrance,a  qui  il  ne  pouvait  pardonnerl'exil 
auquel  il  ful  condamne  (1G85),  et  la  perte  der6v6- 
che  de  Liege,  que  Louis  XIV  deslinailaun  autre 
cardinal.  Aussi  chercha-t-il  a  se  venger  du  Roi 
par  lous  les  moyens  qui  se  presenterent  a  lui; 
il  se  faisait  un  secret  i)laisir  de  senier  et  d'en- 
Irelenir.  la  discorde  dans  la  maison  royale  de 
France.  L'espril  d'iiilrigue  et  de  turbulence  des 
Bouillon  s'eiait  refugi6  dans  la  tete  du  cardinal 
de  ce  nom  ;  Turenne  en  6lail  exempt. 

Dans  ses  Menioires  on  lit  de  grandes  choses 
racon tees  avec  simplicile;  ils  sont  d'un  si  haul 
inierei,  que  nous  ne  concevons  pas  pourquoi  ils 
n'ont  pas  ete  inseres  dans  les  deux  prec6dentes 
colleclions.  C'esl  une  omission  que  nous  nous 
sommes  fait  un  devoir  de  reparer. 

Les  Memoires  du  vicomle  de  Turenne  furent 
imprimes  en  1735  ,  a  la  suite  de  I'hisloire  de  ce 
personuage  par  Ramsay.  lis  n'ont  pas  ete  re- 


ET    Sim    SKS    MKMOUIKS. 


3'2'.ii 


produils  depuis.  L'6dileur  ne  donne  aucune  des- 
cription du  manuscrit;  niais  Ton  juge,  par  unc 
note  qui  se  trouve  a  la  page  xxiv  de  son  Edition , 
qu'il  dut  SB  servir  des  manuscrils  autographes; 
raulhenticil6  de  I'ouvrage  publi6  elait  d'ailleurs 
garantie  par  la  proleclion  du  cardinal  de  Bouil- 
lon, a  qui  il  est  dedi6. 

II  nous  restail  cependant,  comme  uouveaux 
^dileurs,  un  dernier  devoir  a  remplir :  celui  de 
cherclier  ce  m6me  manuscrit  aulograplie,de  nous 
assurer  s'il  exislait,  el  d'en  faire  la  comparaison 
avec  riniprim^.  C'est  avec  regret  que  nous  som- 
raes  obliges  de  declarer  que  nous  n'avons  pas  pu 
remplir  completemenl  ce  devoir. 

Le  manuscrit  autographc  des  Memoires  du  ma- 
r^chal  de  Turenne  (1)  existe  enlre  les  mains  d'un 
de  MM.  les  pairs  de  France  ;  nous  avons  vu  ce 
manuscrit.  II  consisle  en  une  liasse  de  feuillels 
isoles,  de  format  petit  in-folio,  attaches  ensemble 
par  un  cordon  pique  au  bas  de  la  marge  gauche; 
ious  ces  feuillets ,  qui  ne  nous  ont  pas  paru  en 
ordre,  sont  Merits  de  la  mfirae  main,  que  nous 
croyons,  d'apres  un  court  examen  ,  etrebiencelle 
du  marechal;  un  cahier  de  trois  ou  quatre  feuil- 
les  de  petit  papier  a  lettre,  est  avec  le  gros  dos- 
sier qui  est  en  papier  fort  ordinaire;  ce  cahier 
contient  la  relation  particuliere  d'une  des  batailles 
livrees  par  le  marechal  de  Turenne,  et  le  tout  est 
tr6s  soigneusement  enferm6  dans  une  riche  cas- 
sette, en  bois  6tranger,  orn^e  de  sculptures  en 
raetaux.  II  nous  a  paru  que  la  premiere  page  des 
M6moires  commencait  par  le  mot  el,  ce  qui  fait 
supposer  ou  qu'il  manque  quelque  chose  au  ma- 
nuscrit ,  ou  bien  que  ses  feuillets  ne  sont  pas  tons  a 
leur  veritable  place.  Du  reste,  quelle  est  I'iden- 
tit6  du  texte  imprim6etdu  lexte  manuscrit?  Qu'y 
a-t-ildeplus  ou  deraoinsdans  I'unou  dans  I'autre 
deces  textes?  Nous  ne  saurions  le  dire,  car  nous 
n'avons  pas  6t6  assez  heureux  pour  obtenir  la 
permission  de  les  collationner. 

Nous  avons  cherche  cependant  a  accroitre  I'in- 
teret  de  notre  nouvelle  edition,  au  moyen  de 
quelques  documents  in§dits  relatifs  au  marechal 
de  Turenne.  L'habitude  que  sa  mdre  lui  avail 
fait  prendre  des  sa  jeunesse  de  rendre  corapte  de 
sa  conduite,  dans  des  leltres  tongues  el  fr^quen- 
les,  le  mar6chal-general  de  France  la  conserva 
toute  sa  vie.  Ces  lettres  devaienl  contenir  des 
inspirations  loutes  du  moment  et  rappeler  des 
actions,  grandes  ou  petites,  favorables  ou  raal- 
heureuses,  de  la  vie  du  grand  Turenne;  mais 
ces  mouvements  divers  ne  pouvaient  pas  se  re- 
Irouver  dans  des  Memoires  rediges  dans  le  si- 
lence du  cabinet.  Cest  ce  qui   nous  a  d^lermi- 

(1)  On  trouve  aussi  au  Dcp6t  de  la  Guerre  une  copie 
manuscrite  des  Memoires  de  Turenne ,  contenant  les 
annees  1(543  a  1649;  mais  elle  est  moins  complete  que 
I'iinprimc  ,  et  pourrail  bien  n'clrc  qu'iui  extrait  fait  sur 


n6s  a  inlercaler  dans  ces  M6moires,  loutes  les 
fois  que  nous  I'avons  pu,  des  lettres  in6dites  du 
marechal,  relatives  aux  6v6nements  qui  y  sont 
racont^s ,  et  qui  fournissent  ou  des  details  plus 
circonstancies ,  ou  des  observations  int6ressantes 
louchant  aux  6v6nements  rappel^s  dans  ces 
monies  Memoires,  ou  bien  a  d'aulres  fails  qui 
y  ont  6te  oublies  ou  neglig6s  par  le  marechal. 
Nous  y  avons  joint  aussi  des  lettres,  des  in- 
structions el  des  ordres  6man6s  du  roi  LouisXIV 
et  de  ses  minislres.  11  nous  a  paru  ensuile  qu'il 
ne  serait  pas  sans  intdrfit  de  rapprocher  parfois 
les  passages  des  M6moires  de  Turenne,  relatifs  a 
certains  6venements,  avec  les  relations  r6dig6es 
par  ses  ennemis  ou  par  ses  adversaires,  tels  que  le 
prince  de  Cond6  ,  ou  les  officiers-gen^raux  de  ce 
m^me  prince  :  ces  documents  seronl  mis  en  note 
a  la  suite  de  noire  Edition.  Enfiu  le  marechal  de 
Turenne  ayantpass6  sous  silence  tous  les  fails  qui 
serapportaienl  a  sa  jeunesse,  etn'ayantcommenc6 
ses  Memoires  qu'a  la  fin  de  rann6el643,  cette  la- 
cunenousa  paru  pouvoir  elre  reraplie  utileraent, 
pour  lelecteurel  pour  la  renommdeduraar6chal,au 
moyen  des  relations  qu'il  adressailasam^reetqui 
se  trouvent  dans  les  lettres  publi6es  en  1782  par  le 
comte  de  Grimoard(2),  en  deux  volumes  in-folio. 
Ces  lettres  contiennenl  la  relation  naive  des  combats 
el  des  si6ges  auxquels  Turenne  assista  d6s  I'an- 
nee  1627,  et  Ton  y  reconnait  les  traces  vivanles  de 
loutes  les  impressions  qu'il  dut  6prouver  a  ses  de- 
buts danslacarri^remilitaire.  II  ne  nous  a  pas  paru 
non  pl'js  qu'il  fut  sans  int6ret  d'^tudierles  mou- 
vements et  les  developpemenls  du  caractere  du 
plus  grand  homme  de  guerre  de  son  temps,  dans 
ces  lignes  qu'il  Iracait  lui-m^rae,  presque  sur  le 
champ  de  balaille,  empreiutes  cons6quemment 
de  ces  traits  particuliers  qui  font  quelquefois 
pressentir  I'homme  de  g6nie.  Le  Recueil  de 
Grimoard  se  trouve  rarement  dans  des  biblio- 
Ihdques  parliculieres;  loutefois  nous  n'en  avons 
extrail  que  des  fragments,  auxquels  nous  avons 
ajout6  d'aulres  documents  in6dits.  La  Biblioth^- 
que  du  Roi  n'en  possede  qu'un  tr6s-petil  nom- 
bre  d'originaux;  mais  I'extrSme  obligeance  de 
M. legeneral  baron  Pelet,  direcleur  du  d6p6t  de  la 
guerre ,  nous  est  venue  en  aide,  en  nous  perrael- 
tant  decousulter  librement  les  pieces  hisloriques 
confiees  a  son  zele  et  a  sa  science.  Le  cabinet  de 
M.  F.  Feuillet  nous  a  ele  aussi,  comme  en  d'aulres 
occasions,  une  utile  ressource ,  el  il  nous  a  6t6 
possible  ,  avec  ces  secours,  de  rendre  cette  nou- 
velle Edition  des  Memoires  de  Turenne  plus  digne 
du  public  et  du  h6ros  lui-ra6me. 

A.  C. 


le  lexte  des  Memoires  de  Turenne  publics   en  1735. 
(2)  Lettres  et  Memoires  du  marechal  de  Turenne. 
Paris ,  1782 ,  2  vol.  in-folio.  Nous  y  avons  ajout6  plu- 
sicurs  documents  inc^dils. 


LETTRES 

DU    VICOMTE    DE    TURENNE, 


POUR    SERVIR 


D'lNTRODUGTION  A  SES  MEMOIRES. 

J  627— 1613. 


Les  Memoires  du  mareclml  vicomte  de  Tu- 
renne  ne  commencent  qu'en  I'anuee  1643  ;  il 
y  a  douc  passe  sous  silence  tons  les  faits  qui  se 
rapportenta  sa  jeiinesse.  Nous  avons  cru  pou- 
voir  utilement,  pour  le  lecteur  et  pour  la  me- 
raoire  du  marechal ,  remplir  cette  lacune  au 
moyen  des  lettres  qu'il  ecrivit  pendant  ses  pre- 
mieres campagnes.  Elles  nous  ont  ainsi  dis- 
penses de  nous  etendre  ,  dans  une  Notice  spe- 
ciale ,  sur  des  temps  et  des  evenements  dont 
le  jeune  Turenne  pouvait  etre  lui-meme  This- 
torien ,  et  le  plus  fidele  de  tous ,  sans  nul 
doute.  L'interet  qui  s'attaehe  a  de  semblables 
documents  est  toujours  plus  attrayant  que  la 
Notice  raerae  la  mieux  redigee.  En  i627  ,  Tu- 
renne etait  dans  sa  seizieme  annee  et  comman- 
dait  une  compagnie. 


Le  vicomte  de   Turenne   a  la   cluchesse    de 
Bouillon ,  sa  mere. 

23Aoutl627. 

«  Madame, le  Roi  s'etant  approche  et 

etant  venu  a  Chanteloup  ,  je  pourrai  plus  com- 

modement  y  aller Le  Roi  eut  avant-hier  un 

acces  de  fievre  de  dix  ou  douze  heures  et  fort 
violent;  elle  lui  avoit  quitte  depuis  huit  jours. 
II  a  grande  envie  de  s'en  aller  vers  I'ile  de 
Rhe.  Monsieur  s'y  en  va  jeudi....  Madame  De- 

floges me  dit  (hier)  qu'elle  avoit  oui  dire 

qu'on  avoit  dit  au  Roi  que  GroU  etoit  pris.  M.  de 

Hauterive  ecrit  qu'on  est  deja  dans  le  fosse 

Je  tacherai ,  par  mon  obeissance ,  de  vous  don- 
ner  du  contentement,  comme  etant,  Madame, 
voire ,  etc.  > 

A  la  me  me. 

10  Mai  16-29. 
'  Madame ,  j'ai  rccu  aujourd'hui  cello  qui 


vous  a  plu  me  faire  riionneur  de  m'ecrire  du 
23  avril.  M.  le  prince  (d'Orange)  arriva  ici  le 
premier  mai,  oil  on  n'a  vu  autre  chose  si  ce 
n'est  le  camp  retranche.  Je  suis  assez  mai  loge 
ici,  etant  dans  une  cbambre  avec  M.  le  mar- 
quis de  La  Force  et  tout  son  train L'armee 

marcha  quatre  jours  devant  que  de  venir  a  Bois- 
le-Duc,  qui  etoit  la  plus  belle  (marche)  que 
Ton  ait  jamais  vue  dans  le  paj's.  Je  marchai  un 
jour  dans  la  compagnie  de  M.  de  Maisonneuve 
et  passai  devant  M.  le  prince.  On  n'ose  rien 
mander  a  cause  des  ennemis.  Je  finirai  tout 
court. 

»  Au  camp  devant  Bois-le-Duc.  » 


A  la  meme. 


15  Mai  1629. 


«  Madame ,. . . .  je  ne  pus  I'autre  semaine  ache- 
ver  la  mienne  que  je  fermai  en  grande  bate , 
parce  que  mon  frere  m'envoya  querir,  a  onze 
heures  du  soir,  vingt  cornettes  de  cavalerie 
devant  mouter  a  cheval,  sur  un  avis  que  M.  le 
prince  avoit  eu  de  quelque  secours  qui  devoit 
entrer  dans  Bois-le-Duc.  Nous  en  revinmes  sur 
les  dix  heures  du  matin  ,  ayant  eu  grande  pluie 
qui  a  continue  un  jour  ou  deux ,  n'y  ayant  ce- 
pendant  nulles  maladies.  Mon  frere  avoit  trouve 
bon  queje  memissedans  la  compagnie  de  M.  de 
Maisonneuve.... ;  mais  je  n'y  fus  pas  cependant. 
Les  soldats  ne  sont  point  encore  du  tout  fati- 
gues. M.  le  marechal  de  Chatillon  arriva  ici 
avant  bier,  et  quatre  ou  cinq  capitaines  francois 
avec  lui.  II  a  sejourne  deux  jours  a  La  Haye ,  a 
cause  du  jei'me  qui  se  fit  par  tout  le  pays  il  y  aura 

apres-demain  huit  jours M.  le  prince  s'en 

va  se  promener  tous  les  jours  aupres  du  retran- 
cbement Nous  ne  sommes  revenus  (aujour- 
d'hui) qu'a  huit  heures  du  soir  de  la  promenade,  et 
avons  ete  fort  long-temps  a  pied  sur  une  digue 
que  Ton  a  faitc  sur  le  marais ,  asscz  pres  d'un 


33  2 


l.KITRHS     1)11    MCOMTI-:    1)F     TI!RF.%^F. 


lort,  sans  que  Ton  u'en  tire  pas  uu  coup,  lis 
laissenttout  leinoude  en  un  si  grand  repos,  que 
Ton  ne  court  pas  plus  de  danger  qu'a  Sedan. 
Mon  frere  est  loge  dans  le  retranchement ,  et 
ai  grande  commodite  d'aller  chez  lui ,  n'etant 
qu'a  cent  pas  d'ici.  Je  vas  souvent  avec  lui 
quand  il  va  visiter  ses  gardes.  II  a  traite  au- 
jourd'hui  ies  colonels  de  sa  brigade,  parmi  les- 

quels  il  est  parfaitement  bien Je  mange  d'or- 

dinaire  a  la  table  de  M.  le  prince ,  qui  s'en  va 
demain  diner  au  quartier  du  comte  Ernest ,  ou 
je  crains  ne  pouvoir  pas  aller,  parce  que  mes 
chevaux  n'en  pen  vent  plus,  etant  tous  Ies  jours 
deux  fois  dessus. 

»  Au  camp  de  Vucht.  » 

A  la  me  me. 

22  Mai  1629. 

"  Madame,....  nous  avons  I'autre  semaine, 
M.  de  La  Force  et  moi,fait  le  tourde  toutelacir- 
con vallation,  a  quoi  on  emploie  huit  heures  a  tou- 
jours  marcher.  Nousavions  desseinde  diner  avec 
M.  le  comte  Ernest ,  que  nous  ne  trouvames  pas 
chez  lui.  M.  le  princea  etedepuis  cela  a  Huen- 
sen,  qui  est  atrois  lieues  d'ici,  dont  II  en  fit  bien 
deux  a  pied,  parce  qu'il  faut  passer  une  digue  ou 
Ies  chevaux  ne  vont  point.  11  fit  ce  voyage  pour 
visiter  une  lie  de  Hemort,  dont  M.  de  Brique- 
maut  connoitra  bien  le  nom ,  etant  d'assez 
grande  consequence,  empechant  ies  enuemis 
d'assieger  cette  ville-la.  11  partit  du  grand  ma- 
tin pour  y  aller,  n'ayant  point  voulu  le  dire  le 
soir,  de  peur  que  ceux  de  Breda ,  en  etant  aver- 
tis,  n'envoyassent  quelques  partis.  On  en  prend 
de  part  et  d'autre  tous  Ies  jours,  mais  si  petits  que 
cela  ne  vaut  pas  la  peine  d'en  parler.  Je  mange 
toujours  avec  M.  le  prince  qui ,  a  tout  ce  que 
le  monde  dit,  n'a  jamais  ete  plus  gai  dans  ar- 
mee  que  dans  celle-ci ;  et  aussi  tout  lui  reussit 
a  souhait,  et  principalement  ses  ouvrages,  des- 
quels  il  se  loue  fort  et  qui  sont  paracheves 

»  Du  camp  de  Vucht.  » 


A  la  me  me. 


19  Juiii  1029 


«  Madame,....  on  demeure  ici  au  memeetat, 
si  ce  n'est  que  Ies  ennemis  s'api)rochent  et  sont 
a  deux  journees.  M.  le  prince  est  alle  ce  matin 
vers  le  quartier  ou  on  Ies  attend,  voir  s'il  est 
en  etat,  et  ne  reviendra  que  sur  le  soir.  II  fit 
partir  hier  des  compagnies  de  chaquc  nation 
pour  aller  a  une  ile  a  deux  lieues  d'ici 

>>  ])u  cnmp  de  Vucht.  » 


A  la  h/etne. 

9  Juillet  1629. 

«  Madame, il  y  a  cinq  ou  six  jours  que 

le  comte  Henry  de  Bergue  donna  une  grande 
alarme  par  tous  Ies  quartiers,  pour  faire  entrer 
quinze  cents  hommes  dans  la  ville.  On  leur 
avoit  dit  cela  tout  aise  ;  mais  voyaut  qu'ils  eu- 
troient  dans  I'eau  jusques  au  cou  ,  et  qu'il  y 
avoit  des  gens  qui  Ies  attendoient ,  lis  s'en  re- 
tournerent ,  ayant  laisse  quelques  mousquets. 
Ce  matin  leur  cavalerie  s'approcha  des  retran-- 
chemens;  quelques-uns  des  notres  en  sorlirent, 

la  oil  M.  de  Maure  fut  tue Le  bruit  a  couru 

ici  que  j'aurois  sa  compagnie.  Mon  frere  m'a 
bien  dit  qu'il  en  verroit  le  sentiment  de  M.  le 
prince.... 

"  Du  camp  de  Vucht.  » 

A  la  me  me. 

30  Juillet  1629. 

"  Madame,...  Ies  ennemis  etant  entres  dans 
le  Velau ,  a  leur  abord  il  s'y  est  fait  un  assez 
grand  combat.  Le  comte  Stirum ,  que  I'ou  avoit 
euvoye  pour  leur  empecher  le  passage  de  la  ri- 
viere, Ies  attaqua  comme  ils  etoient  a  moitie, 
et  fut  repousse  avec  perte  de  quelques  deux 
cents  hommes  et  force  officiers  blesses.  II  n'y 
avoit  que  quatre  compagnies  d'infanterie  fran- 

coise On  y  a  envoye  le  comte  Ernest  avec 

deux  mille  chevaux  et  quinze  mille  hommes  de 
pied ,  qui  gardent  Ies  villes  du  pays  et  se  for- 
tifient  aux  lieux  avantageux ,  tellement  qu'a 
cette  heure  on  n'a  pas  beaucoup  a  craindre  de 
ce  c6te-la.  II  y  est  venu  par  bonheur  bien  dix 
mille  hommes  ( depuis  quinze  jours  que  Ton  a 
ete  en  ce  quartier-la)  du  debris  de  la  guerre  de 
Dannemarck.  Lambermonta  mille  hommes  qu'il 
dit  avoir  amenes ,  qui  pourtant  ne  lui  veulent 
pas  trop  bien  obeir.  On  Ies  a  recus  en  service  et 
mis  dans  Ies  villes 

«  Au  camp  de  Vucht.  » 


A  la  meme. 


6  Aoat  1629. 


<-  Madame, on  volt  ici  tous  Ies  jours  des 

grands  d'Allemagne  nouveaux.  L'ambassadeur 
du  due  de  Brandebourg  passe  devant  le  fils  du 
roi  de  Dannemarck.  Ils  sont  toujours  chez  M.  le 
prince,  qui  Ies  fait  passer  devant  lui  ;  mais  ses 
affaires  le  divertissent  si  fort  qu'il  ne  leur 
parle  pas  sou\  ent,  Le  comte  Henri  de  Bergues  a 
rompuson  pont  sur  I'lsscI  et  a  marche  dans  le 


'OLU    SEIWIR    U  l.MllOULCTiO.\    A    StS    MKiMOlBliS. 


;^;]3 


Velau.  La  necessite  est  si  grande  dans  son  ai- 
mee,  qu'il  aura  peine  a  y  siibsister.  II  n'entre- 
prend  rien  encore.  Lambermont  m'a  ecrit  de- 
puis  deux  ou  trois  jours  que  force  de  ses  sol- 
dats  s'etoient  debandes ,  et  me  prie  de  parler  a 
M.  le  prince  pour  qu'il  lui  fut  permis  de  les 
reprendre  ou  il  les  trouveroit.  II  n'y  a  rien  de 
plus  avance  pour  moi  a  la  charge  de  feu  M.  de 
Maure  qu'auparavant,  mon  frere  n'en   ayant 

point  parle  depuis  la  premiere  fois 

»  Au  camp  de  Vucht.  » 


A  la  meme. 


13  Aout  1629. 


«  Madame, depuis  que  je  me  suis  donne 

I'honneur  de  vous  ecrire  ,  il  s'est  passe  ici  fort 
peu  de  choses,  cette  traverse  qu'ils  avoient  opi- 
niatre  ayant  ete  quittee  des  mardi.  L'on  a  mar- 
chande  ces  jours  ici  une  galerie  qui  doit  etre 
faite  dans  quinze  jours,  au  bout  desquels  on 
espere  une  reddition  prompte  de  la  ville,  ce 
qu'un  homme  qui  etoit  de  consideration  la 
dedans  et  quelques  lettres  interceptees  font  ju- 
ger.  Un  gentilhomme  francois,  fort  riche,  est 
mort  la  dedans  ,  d'une  blessure  qu'il  avoit  re- 
cue  quand  il  fut  pris  prisonnier ;  les  pretres  ,  a 
ce  que  l'on  dit.  Tout  extremement  tourmcnte... 
L'extraordinaire  chaud  rend  tout  le  monde 
inutile  I'apres-dine  et  fait  beaucoup  de  mal  aux 
blesses.  Nous  fumes ,  M.  de  Tonins  et  moi , 
avant-hier,  Yoir  madame  la  princesse,  qui  n'est 
qu'a  une  lieue  et  demie  de  ce  quartier  ici ,  et 
nous  dincimes  avec  elle ;  c'est  la  plus  courtoise 
princesse  du  monde,  et  qui  se  fait  la  plus  aimer 
dans  le  pays.  II  y  a  deux  jours  que  l'on  surprit 
deux  espions  qui  sortoient  de  la  ville  avec  des 
lettres  de  Grobendonck  a  rinfante,qui  ont  ete 
deehiffrees ,  par  lesquelles  il  fait  connoltre  ses 
necessites ,  et  qu'il  sera  contraint  de  se  rendre 
s'il  n'est  bientot  secouru.  II  y  a  quelques  volon- 
tairesqui  commencent  a  se  lasser  ets'en  retour- 

^nent  en  France 

»  Au  camp  de  Vucht.  » 


A  la  mcme. 


21  Aout  1029. 


M.  le  prince,  que  I'entreprise  de  Wesel  avoit 
reussi  ,  qu'il  y  etoit  deja  entre  quatre  mille 
hommes,  le  gouverneur  pris;  cela  est  de  si 
grande  consequence,  que  quand  MM.  les  Etats 
voulussent  choisir  une  ville,  ils  n'en  prendroicnt 
pasd'autre  que  celle-la. 
»  Au  campde  Vucht.  » 


A  la  mcme. 


28  Aout  1629. 


«  Madame,....  on  a  garni  d'hommes  tons  les 
bords  des  rivieres  et  les  passages ,  et  laisse  jus- 
ques  ici  I'ennemi  en  repos.  Une  petite  ville  s'est 
rendue  au  comte  Ernest  sans  resistance ,  oil  il 
a  trouve  force  vivres.  Celui  qui  commandoit 
dedans  sera  puni.  Une  autre,  qui  valoit  bien 
moins,asouff('rt  deux  assauts  et  n'est  pasencore 
prise.  On   apporta    bier   njuvelles  assurecs   a 


"Madame, je  me  suis  extremement  re- 

joul  de  votre  heureuse  arrivee  a  Sedan,  que 
nous  n'avons  apprise  qu'un  jour  plus  tard  qu'a 
I'accoutumee,  les  lettres  n'etant  venues  que  ce 
matin ,  auquel  mon  frere  est  revenu  de  la 
guerre,  n'ayant  demeure  que  trente  heures  de- 
hors. Je  ne  I'ai  su  qu'apres  qu'ils  ont  ete  par- 
tis ;  mais  quand  meme  cela  eiit  ete ,  il  n'avoit 
point  d'envie,  a  ce  que  je  crois ,  de  m'y  mener. 
M.  le  marquis  de  La  Force  y  etoit ,  et  quelques- 
uns  des  volontaires ;  mais  point  M.  de  Duras. 
M.  de  Staqnenbrouc  commandoit  le  parti  ;  ils 
ont  rencontre  cent  chevaux  et  cent  hommes  de 
pied  ,  qui  se  sont  peu  defendus  ,  la  partie  n'e- 
tant pas  egale.  Un  pays  couvert  qui  etoit  la  au- 
pres  a  empeche  qu'on  en  ait  pris  la  plupart  :  tous 
les  officiers  I 'ont  ete.  Le  comte  de  Stirum  est  a 
Arnbeim ,  il  y  est  a  I'extremite ,  jusqu'a  ue 
point  parler  ,  et  est  encore  fort  malade.  Les  en- 
nemis  ont  quitte  Amersfort ,  et  en  la  quittant 
l'on  pillee.  Ceux  d 'Utrecht  ont  pris  garnison 
dedans.  On  a  envoye  des  gens  de  guerre  dans 
Wesel  et  force  munitions.  Cette  prise  a  deja 
contraint ,  en  partie,  le  comte  Henry  de  Bergues 
de  sortir  du  Velau.  M.  le  prince  d'Orange  est 
alle  aujourd'hui  a  Crevecceur.  II  fait  ce  voyage 
assez  rarement,  n'y  allant  que  tous  les  sept 
ou  huit  jours  une  fois  ;  il  part  d'assez  bon 
matin  et  revient  a  cinq  ou  six  heures  du  soir. 
Madame  la  princesse  a  ete  dans  presque  tous 
les  quartiers  de  I'armee,  hors  dans  celui-ci,  la 
femme  du  comte  Guillaume  I'ayant  priee  a  faire 
collation  dans  celui  de  son  mari. .. 
»  Au  camp  de  Vucht.  » 

A  la  meme. 

19  Seplembre  1629. 

«  Madame  ,  la  derniere  fois  que  je  me  donnai 
I'honneur  de  vous  ecrire  ,  on  ne  s'attendoit  pas 
a  un  si  grand  accident  que  celui  de  la  mort  de 
M.  deVassignac,  qui,  une  heure  devant,  sepor- 
toit  mieux  qu'il  n'avoit  fait ;  on  en  attribua  la 
cause  a  la  veine-cave  qui  s'est  pourrie.  J'ai  un 
si  extraordinaire  ressentiment  de  ce  malbeur, 


334 


LElTlibS    Dli    VICOMTE    DE    TUl\EiNi\E 


qu'il  est  impossible  de  m'oter  cette  pensee  ,  et 
toutes  les  choses  qu'il  ni'a  jamais   dites  me 
reviennent  ineessamraent  a  la  raemoire.  Je  ta- 
cherai  de  les  effect uer  ,  et  m'assurerai  par  ce 
moyen  de  ne  vous  etre  pas  desagreable.  II  etoit 
extremeraent  aime  chezM.  le  prince ,  qui  m'en 
a  demande  lui-meme  une  fois  ou  deux  des  nou- 
velles;  son  frere  en  a  une  affliction  incroyable. 
J'ecris  a  M.  de  Vassignac  et  montrerai  la  lettre 
a  mon  frere ,  de  qui  je  suis  en  peine  pour  le 
grand  deplaisir  qu'il  en  aura.  On  a  trouve  a- 
propos  de  le  faire  enterrer  ici ,  ou  madame  la 
princesse  et  la  reine  de  Boheme  sont  depuis 
deux  jours  :  elles  vinreut  pour  voir  sortir  ceux 
de  Bois-le-Duc ,  qui  fut  lundi  fort  tard  ;  11  y 
avoit  de  grandes   rejouissances  pour  tout  le 
monde  ,  hors  pour  raoi  qui,  a  cette  heure,  n'en 
pent  avoir  beaucoup.  Ces  dames  ont  couche  les 
deux  nuits  ici  a  I'armee ,  durant  lesquelles  j'ai 
prete  mon  lit  a  la  soeur  de  madame  la  princesse, 
et  I'ai  fait  tendre  la  ou  elle  a  voulu.  Elles  iront 
aujourd'bui  coucher  a  Bois-le-Duc ,  dont  les  ba- 
bitans  ont  eu  telle  capitulation  qu'ils  ont  voulu, 
bors  la  liberie  de  la  religion.  On  a  laisse  quel- 
ques  couvens  de  religieuses  ,  mais  chasse  tous 
les  gens  d'eglise.  Ceux  de  guerre  ont  emmene  six 
pieces  de  canon.  lis   etoient  quelque   quinze 
cents  de  sains.   La  ville  est  fort  belle  et  presque 
aussi  grande  que  Reims.  On  dit  que  M.  le  prince 
demeurera  encore  ici  quelques  quinze  jours , 
durant  lesquels  toutes  les  dames  qui  y  sont  y 

demeureront 

»  Au  camp  de  Bois-le-Duc.  > 


A  la  meme. 


2  Octobrc  1629. 


«  Madame,....  on  ne  parle  plus  tant  depar- 
tir  que  Ton  faisoit.  Le  comte  Henri  de  Bergues 
a  passe  le  Rhin  et  la  Meuse  avecson  armee  ,  et 
est  a  quelque  douze  lieues  d'ici. 

»  Au  camp  de  Vucht.  » 


A  la  meme. 


2  Octobre  1629. 


»  Madame, on  parle  de  notre  partement 

'd'ici ,  mais  on  n'est  pas  assure  du  jour.  Le 
comte  Ernest  marcha  bier  avec  les  troupes  qu'il 
a  ,  qui  peuvent  bien  etre  de  quinze  mille  bom- 
mes  de  pied  ;  on  dit  qu'il  s'en  va  droit  au  fort 
sur  risscl.  M.  le  prince  est  a  cette  beure  a  Bois- 
le-Duc,  oil  on  fait  des  prieres  generales  et  par 
tout  ce  pays-ci.  Je  m'en  vas  tout  a  cette  beure 
au  precbe  a  Teglise  qu'on  a  destinee  pour  le 
preche  francois.  Madame  la  princesse  lie  s'cn 


ira  pas  d'ici  tant  que  I'armee  y  demeurera. 
>'  Au  camp  de  Vucht.  » 

A  la  meme. 


22  Octobre  1629. 

«  Madame,....  on  est  extremement  embar- 
rasse  sur  le  depart ,  toute  I'armee  s'en  allant 
demain ,  et  M.  le  prince  aussi ,  a  ce  que  Ton 
dit ,  se  promener  a  W  esel.  On  ne  pent  pas  sa- 
voir  combien  de  temps  durera  ce  voyage.  Les 
troupes  ne  sont  pas  fachees  de  s'en  aller  en  gar- 
nison  ,  car  elles  sont  fort  affoiblies.... 

.'  Au  camp  de  Vucht.  » 

A  la  meme. 

12  Novembre  1629. 

'  Madame,....  durant  ce  voyage  de  M.  le 
prince  ,  il  y  aeu  pen  de  moyen  d'ecrire,  n'ayaut 
pas  sejourne  un  jour  en  aucun  lieu.  Comme  on 
etoit  a  Emeric,  il  y  vint  une  petite  armee  bien. 
inopinee  que  M.  d'Hauterive  commandoit.  J'a- 
vois  envoye  une  malle  le  matin  devant  a  We- 
sel ,  et  me  fallut  aller  avec  lui  sans  rien  por- 
ter ;  si  on  eut  ete  long-temps  dehors  on  eut  eu 
assez  d'incommodite  ;  mais  tout  ne  dura  que 
trois  jours ,  durant  lesquels  on  alia  devant  un 
petit  chateau  qui  ne  tint  que  quinze  heures  :  il 
s'appelle  Rheingleboure ;  il  sortit  deux  cents 
hommes  de  la-dedans  :  cela  incommodoit  We- 
sel,  n'y  ayant  qu'une  beure  de  la,  ouje  m'ea 
allai  trouver  M.  le  prince  qui  partit  le  lende- 
main,  et  fut  par  eau  en  deux  jours  a  La  Haye, 
M.  de  Staquenbrouc  est  alle  assieger  un  cbei- 
teau  qui  ne  vaut  pas  grand'  chose  ,  appele  Bu- 
ric,  justeraent  de  I'autre  cote  de  la  riviere. 

»  Le  roi  et  la  reine  de  Boheme  sont  a  Rhenen. 
On  s'etonne  fort  quel  divertissement  ils  peu- 
vent prendre  ;  ils  y  font  batir  une  maison  qui 
coutera  beaucoup  et  dont  la  depense  sera  inu- 
tile ,  la  ville  etant  fort  vilainc. 
"  A  La  Haye.   > 

.A  la  meme. 

1"  Septembre  1630. 

«  Madame, mon  regiment  a  passe  au- 
jourd'bui devant  le  Roi,  qui  I'a  trouve  fort  beau, 
et  a  dit  qu'il  I'ctoit  autant  que  le  sien  des  gar- 
des ;  il  I'a  voulu  voir  compaguie  par  compa- 
gnie  ;  il  m'a  commande  de  la  de  me  mettre  dans 
son  carrosse  pour  aller  chez  la  Reine  sa  mere  , 
qui  m'a  dit  que  le  Roi  etoit  fort  content  demon 
regiment ,  et  M.  le  cardinal  (  de  Richelieu  ) 
aussi...  11  merecut  fort  bien...  M.  de  La  Ville- 
aux-Clers  me  dit  que  le  Roi  m'avoit  ecrit...  je  lui 


POLR   SEllVia    D  ir>Tn01iL!CTI0N    A    SES    MKMOIJJHS. 


335 


dis  que  je  n'avois  point  recu  de  lettre  ;  il  m'as- 
siira  que  mon  regiment  n'etoit  parti  de  Cham- 
pagne que  par  le  commandement  du  Roi  ,  et 
qu'il  m'en  avoit  ecrit  pour  m'en  prevenir,  et 
trouva  fort  etrange  que  M.  le  marechal  de  Maril- 
lacne  m'avoit  point  donue  lalettre...  LaReine, 
mere  du  Roi ,  m'a  fort  demande  de  vos  nou- 
velles,  et  la  Reine  m'a  fait  fort  bonne  chere.... 
Je  «*ois  partir  dans  deux  ou  trois  jours  pour  al- 
ler  en  Picmont. 
..-  A  Lyon.  >• 

A  la  meme. 

18  Seplembre  1630. 

«  Madame ,  j'ai  ete  extremement  f^che  de 
n'avoir  pas  pu  me  donner  I'lionneur  de  vous 
ecrire  depuis  Montmelian,  Nous  avons  ton  jours 
marche  ,  et  ai  joint  mon  regiment  a  deux  jour- 
nees  de  la,  a  cause  qu'allant  seul  on  ne  trouve 
pas  de  maison  ou  se  mettre.  Nous  avons  campe 
deux  jours  depuis  etre  entre  en  Piemont,  et , 
avant  que  d'avoir  joint  Tarmee,  on  a  fait  recrue 
de  cinq  cents  hommes.  Je  suis  loge  depuis  deux 
jours  a  une  lieue  du  quartier  de  M.  de  Schom- 
berg ;  j'ai  une  petite  maison  pour  moi ,  et  ies  sol- 
dats  sont  huttes  tout  autour,  Toute  I'armee  est 
ecartee  comme  cela.  Je  fus  en  arrivnnt  voir 
M.  de  Schomberg ,  qui  me  promit  de  gratifier 
raon  regiment  en  tout  ee  qui  lui  seroit  possible, 
et  m'offrit  sa  chambre  pour  y  mettre  mon  lit. 
Je  trouve  I'air  de  ce  pays-ci  excellent ,  Ies  ma- 
ladies n'y  etant  pas  grandes  ,  comme  on  en  fait 
courir  le  bruit.  Les  eaux  n'y  valent  rien  ,  et  le 
vin  vieux  est  excessiveraent  cher ;  le  nouveau 
s'y  donne  pour  rien  ,  mais  il  n'est  fait  que  de- 
puis deux  ou  trois  jours.  Les  raisins  sont  en  la 
plus  grande  abondance  du  monde,  et  le  pays 
fort  bon.  Comme  mon  regiment  arriva  pres  de 
Veillane  ,  on  fit  commandement  d'y  laisser  tons 
les  drapeaux  ,  hors  un  et  le  bagage ,  et  de 
prendre  tons  les  hommes  sains  des  regimens  de 
Tarniee  pour  aller  secourir  Casal.  Ou  devoit  par- 
tir le  lendemain  ,  et  toute  I'armee  avoit  laisse 
son  bagage.  Le  soir,  le  marquis  de  Breze,  que 
Ton  avoit  envoye  a  Casal  pour  faire  la  treve,  re- 
vint  et  rapporta  qu'elle  etoit  conclue  jusqu'au 
quinzieme  d'octobre,  et  que  le  marquis  de  Spi- 
nola  etoit  entre  dans  la  ville  et  le  chateau ,  et 
non  dans  la  citadelle.  Les  troupes  du  marquis 
sont  fort  affoiblies,  et  il  n'a  point  fait  de  circon- 
vallation  pour  se  raffraichir.... 
»  Au  camp  de  Brain.  » 

A  la  meme. 

19Septembre  1629. 
'  Madame,....   mon  regiment  part  demain 


matin  ,  et  s'en  va  a  huit  lieues  d'ici  demeurer 
trois  semaines  en  garnison  ,  jusqu'a  la  fin  de  la 
treve,  dont  je  vous  ai  mande  les  conditions.  Les 
maladies  d'ici  diminuent  fort....  MM.  de  Schom- 
berg et  de  La  Force  sont  demeures  seuls  pour 
commander,  M.  de  Montmorenci  et  M.  d'Effiat 

s'en  etant  en  alles Par  I'accord  ,  le  marquis 

(de  Spinola)  est  entre  dans  le  chateau  et  ville 
de  Casal ,  et  non  dans  la  citadelle ,  laquelle  il  a 
ravitaillee  pour  un  mois,  qui  est  le  temps  de  la 
treve.  Si  la  paix  ne  se  fait  dans  ce  temps-la,  ils 
donnent  quinze  jours  pour  secourir  la  citadelle, 
et  sinon  elle  capitule.  On  ne  parle  pas  la-dedans 
de  Montmelian.  M.  de  Schomberg  a  pris  le  soin 
de  choisir,  pour  garnison  de  mon  regiment ,  le 
meilleur  quartier  de  tons,  oil  je  vas  avec  lui  de 
Piemont ;  et  meme  dans  la  resolution  de  secou- 
rir Casal ,  il  m'avoit  dit  de  choisir  un  capitaine 
de  mon  regiment  pour  commander  les  enfans 
pcrdus  de  toute  I'armee. 
')  Au  camp  de  Brain. » 

A  la  meme. 

■!0Oclobrel630. 

«  Madame,  ....  nous  nous  preparons  de  partir 
pour  aller  a  Casal  dans  six  jours ,  a  la  fin  de  la 
treve  qui  finit  le  1.5.  Tout  le  monde  envoya  bier 
son  bagage  a  Chateau-Dauphin ,  et  on  porte  au 
lieu  de  cela  grande  quantite  de  vivres.  II  y  a 
pour  huit  jours  d'armee  d'ici  la.  Je  suis  en  un 
assez  bon  quartier  et  parfaitement  bien  loge 
dans  une  maison  d'un  seigneur  du  pays,  ou  il  y 
a  Grangers,  citronniers,  force  fontaines  et  quan- 
tite de  belles  allees.... 

"  A  Agnes.  » 


A  la  meme. 


12  Octobre  1630. 

»  Madame, la  treve  se  rompt  apres-de- 

main.  On  part  le  meme  jour  pour  aller  a  Casal. 
On  porte  provisions  de  vivres  pour  quinze  jours. 
La  plupart  croient  que  la  paix  se  fera  en  chemin. » 

A  la  meme. 

27  Octobre  1630. 

«  Madame, je  ne  puis  faire  qu'un  mot, 

quoiqu'il  y  ait  force  choses  a  mander.  Nous 
avons  marche  depuis  le  quartier  ou  j'etois  douze 
jours,  et  sommes  arrives  a  une  lieue  de  Casal 
sans  que  personne  ne  nous  en  empechat.  Les  en- 
nemis ,  depuis  la  treve,  s'etoient  un  pen  retran- 
ches  et  nous  attendoient.  Notre  armee  se  mit 
en  bataille,  et  comme  on  en  etoit  a  trois  cents 
pas ,  et  le  commandement  fait  de  donner,  les 


3:5(; 


LfcTTKKS    UU    VICOWTE    DE    TLllENNE 


Espagnols  accepterent  la  paix  qu'ils  avoient  re- 
fusee  depiiis  que  nous  marchions ,  ne  nous  ayant 
jamais  crus  assez  hardis.  Le  sommaire  de  la  paix 
est,  qu'ils  rendront  Casal  et  s'en  iront  dans  deux 
jours  :  ce  que  nous  ferons  aussi  dans  le  meme 
temps  en  France.  Je  m'en  irai  devant  mon  regi- 
ment, en  posteou  ajournee,laouleRoi  sera.... 
»  Devant  Casal.  » 

A  la  mcme. 

30  Novembre  1630. 

'<  Madame,....  j'allai  avee  MM.  de  Duras  et 
de  Ronci  trouver  le  Roi  a  Saint-Germain,  ou  il 
demeure  presque  toujours.  II  me  fit  fort  bonne 
chere,  et  me  demanda  comme  je  m'etois  porte 
en  ce  pays-la,  et  qu'il  etoit  bien  aise  de  ce  que 
j'etois  revenu  en  si  bonne  sante.  Je  vis  aussi 
M.  le  cardinal  (de  Richelieu),  qui  me  recutfort 
bien.  Un  capitaine  du  regiment  de  Piemont , 
nomme  M.  de  Montsolins,  m'a  extremement 
oblige,  ayant  dit  au  Roi  et  a  tout  le  raonde  toute 
sorte  de  bien  de  moi.  J'espere  aller  dimanche, 
apres  le  preche,  a  Saint-Germain,  ou  je  cou- 
cherai  et  aurai  le  .moyen  de  voir  M.  le  garde- 
des-sceaux,  les  secretaires  d'Etat  et  M.  le  car- 
dinal de  La  Valette  qui  ne  bouge  d'aupres  du 
Roi ;  il  ne  bouge  aussi  d'aupres  de  M.  le  cardi- 
nal (de  Richelieu),  oil  il  est  fort  bien  :  je  lui  te- 

moignerai  toute  sorte  d'affection On  tient 

la  paix  assuree  en  Piemont,  tellement  que  mon 
regiment  reviendra.  M.  de  Marillac  est  arrete 
assurement  en  Piemont.  On  dit  qu'onl'emmene. 
M.  de  Riscarat  a  fait  un  refus  de  rendre  la  ci- 
tadelle  de  Verdun.  On  lui  a  fait  encore  un  autre 
commandement,  auquel  on  ne  salt  pas  encore 
ce  qu'il  a  repondu.  On  fait  courir  un  bruit 
que  le  Roi  fera  bientot  un  voyage  :  on  dit  que 
c'est  a  Compiegne.  Ceux  de  la  religion  sont 
fort  bien  a  cette  heure  ;  on  ne  leur  en  parle 
point  du  tout.  C'est  a  cette  heure  le  vrai  temps 
de  pouvoir  faire  quelques  affaires  si  on  en  avoit, 
et  a  ne  pas  quitter  le  Roi.  La  maison  de  Lor- 
raine est  dans  un  grand  decri.  Je  suis  fort  in- 
commode ,  n'ayant  ni  gens  ni  carrosse.  Le  der- 
nier est  le  plus  commode  de  tons  ici ,  car,  sans 
cela  ,  on  ne  pent  pas  faire  une  visite  ni  une  af- 
faire a  temps,  allant ,  comme  je  fais,  a  I'emprunt. 

"  A  Paris.  » 

A  la  meme. 

21  Janvier  1631. 

'<  Madame,...  mon  I'rere  fut  trouver  le  Roi  a 
Sivri ,  lequfl  etniita  la  chasse,  il  alia  chez  M.  le 
cardinal ,  qu'il  aUeiidit  assez  longtemps  chez  lui. 


Au  retour  de  la  promenade  il  lui  fit  toutes  les 
bonnes  cheres  qu'il  se  pent  et  I'embrassa  vingt 
fois  ,  le  conviant  de  I'aimer...  De  la  il  retourna 
a  Sivri  trouver  le  Roi,  qui  le  recut  assez  bien. 
II  etoit  tout  attentif  a  leurer  des  oiseaux ,  ce  qui 
etoit  un  mauvais  temps  pour  faire  la  reverence; 
mais  on  ne  pouvoit  pas  en  prendre  un  autre... 
M.  de  Toiras  s'en  va  en  Italic  relever  M.  de  La 
Force,  sans  y  mener  de  troupes.  LeMazarinest 
ici ,  et  est  encore  incertain  s'il  y  aura  au  prin- 
temps  paix  ou  guerre... 
>'  A  Paris.  ■■> 


A  la  meme. 


24  F^vrier  1631. 


"Madame,...  onn'eut  qu'hier  au  soir  ,  fort 
tard,  la  nouvelle  du  partementdu  Roi  de  Com- 
piegne. Un  secretaire  deM.  de  Schomberg,  qui 
etoit  en  un  logis  oii  j'etois  aujourd'hui ,  m'a  tout 
conte,quiest  que,  depuis  que  la  Reine  mere 
est  a  Compiegne,  le  Roi  lui  a  fait  parler  tons  les. 
jours  d'accommodement  avec  M,  le  cardinal. 
M.  de  Schomberg  eut  premierement  cette  com- 
mission ;  mais  il  pria  qu'on  lui  en  donnjit  un 
autre  pour  I'aider,  qui  fut  M.  le  garde-des- 
sceaux.  Eux  deux  luiont  propose  toutes  choses, 
et  mesmement  I'eloignement  de  M.  le  cardinal, 
si  cela  la  pouvoit  contenter.Elle  a  dit  qu'elle  ne 
le  pouvoit  etre  de  ricn  ,  et  a  montre  grand  re- 
froidissement  durant  les  huit  jours  qu'elle  a 
ete  a  Compiegne.  La  dessus  le  Roi  est  parti 
pour  s'en  revenir  ,  et  a  commandea  M.  le  ma- 
rechal  d'Estrees  d'aller  prier  la  Reine  mere  de 
se  retirer  a  Monceaux  ou  a  Moulins.  On  y  a 
laisse  six  compagnies  des  gardes  pour  I'y  ac- 
compagner,  et  le  marechal  d'Estrees  I'y  doit 
nicner.  On  ne  sait  ce  qu'elle  lui  a  repondu,  ny 
lequel  des  deux  elle  a  choisi.  Madame  la  prin- 
cessede  Conti  a  commandement  de  se  retirer  a 
Eu  ,  qui  est  a  Madame  mere,  et  le  premier  me- 
decin  de  la  Reine  mere,  a  qui  elle  se  fioit  fort, 
a  ete  amene  dans  la  Rastille....  M.  d'Epernon 
devoit  faire  a  ce  soir  une  assemblee  fort  magni- 
fique,  mais  elle  a  ete  rompue  par  ce  changement 
la.  Monsieur,  ace  qu'on  dit,  est  toujours  a 
Orleans.  Madame  la  connetable  a  eu  comman- 
dement dese  retirer  de  la  cour.  L'abbe  de  Foix 
a  ete  mis  dans  la  Rastille.  M.  le  marechal  de 
Toiras  n'est  pas  encore  parti  pour  I'ltalie...  On 
est  sur  la  conteste  que  M.  de  Marillac  soit  juge 
par  commissaires  ouau  parlement;  s'il  Test  par 
les  premiers ,  ce  sera  tampis  pour  lui.  Entre  ci 
et  huit  jours  peut-etre  il  arrivera  d'autres 
choses... 

»  A  Paris.  " 


no  I  15    SERVIR    d'iNTRODDCTIOIN    a    SES    MEMOliiES. 


3:^: 


A  la  me  me. 


13  Aoutl631. 


"Madame,...  pour  lesnouvellesd'Allemagne, 
elles  sont  ici  fort  incertaiues.  On  dit  toujours 
que  le  roi  de  Suede  fait  de  grands  progres,  mais 
que  les  autres  princes  lesecourent  bienmal.  On 
dit  qu'il  a  passe  I'EJbe.  II  y  a  quelques  \olon- 
taires  d'ici  qui  sont  alles  le  trouver  au  camp  de 
Drun.  " 

A  la  mime. 

ISAoCit  1631. 

"Madame,...  il  y  a  eu  une  alarme  aHuesden 
depuis  deux  jours  un  homme  incounu  y  vint 
porter  un  coffre  dans  un  bateau ,  et  dit  qu'il 
viendroit  s'y  raettre  dans  deux  heures  pour  aller 
a  Dort;  cependantil  se  sauva  sur  les  dix  heures 
du  soir.  Le  coffre,  qui  etoit  plein  de  feu  d'arti- 
fice,  prit  et  fit  sauter  le  bateau  sans  en  endom- 
mager  pas  un  autre.  On  n'a  pris  cet  homme  ni 
su  qui  il  etoit.  On  a  d'excellenles  nouvelles  du 
roi  de  Suede:  la  premiere,  que  Ton  tieut  tres- 
certaine,  est  qu'il  a  attaque  quatre  mille  che- 
vaux  de  Tilli  en  un  quartier  et  les  a  entiere- 
raent  defaits  ,  tue  celui  qui  les  commandoit,  pris 
Picolomini  prisonnier ,  qui  etoit  en  Italic  avec 
les  troupes  de  I'Empereur  ;  I'autre  nouvelle,  qui 
est  venue  depuis ,  dit  que  Tilli ,  voulant  pren- 
dre revanche  de  cet  affront ,  alia  attaquer  le  roi 
de  Suede ,  qu'il  trouva  retranche ,  et  perdit  sept 
mille  morts  sur  la  place  :  dans  pen  de  jours  on 
le  saura  certainement.  On  ne  parle  point  de  de- 
loger  d'ici... 

»  Au  camp  de  Drun.  » 


A  la  me  me. 


17  Aout  163J. 


"Madame,....  les  ennemis  out  marche  depuis 
deux  jours  et  sont  a  cette  heure  aupres  de 
Bergues;  on  croit  qu'ils  out  quelques  desseins 
qu'on  saura  dans  deux  ou  trois  jours.  On  a  fait 
partir  deux  mille  hommes  d'ici  pour  se  jeter 

dans  Bergues La  bonne  nouvelle  du  roi  de 

Suede  se  confirme  tous  les  jours... 

»  Au  camp  de  Drun.  » 

A  la  meme. 

2  Seplembre  1631. 

"  Madame, on  ne  dit  rlen  du  tout  de  la 

treve,  il  n'y  a  pas  appareuce  qu'elle  se  fasse  si 
tot.  On  fait  courir  le  bruit ,  ces  jours  ici ,  que 
les  ennemis  veulent  encore  marcher  ;  ils  sont  a 
octte  heure  pres  d'Anvers;  la  saison  est  trop 

in.    C.    D.    M.,    T.    111. 


avancee  pour  qu'ils  puissent  rien  faire  du  tout... 
»  Au  camp  de  Drun.  » 

A  la  meme. 

22  Septembre  1631. 

«  Madame  , nous  sommes  toujours  ici  au- 
pres de  Bergues ,  ou  le  mauvais  temps  nous  a 
pris  aujourd'hui ;  rennemi  a  deja  retire  une 
partie  de  ses  troupes  en  garnison,  les  unes  a 
Breda,  les  autres  en  Flandres,  et  a  encore  un 
reste  d'armee  a  quatre  lieues  d'ici ,  devers  An- 
vers.  On  croit  que  nous  partirons  bientot  d'ici 
pour  nous  mettre  en  garnison 

>'  Au  camp  de  Bergues.  » 

A  la  meme. 

26  Septembre  1631. 

«  Madame, les  ennemis  avoient,  il  y  a 

deux  ou  trois  jours,  un  dessein  qui  est  absolu- 
ment  rompu :  ils  etoient  sortis  d'Anvers  avec 
cent  bateaux  ou  six  vingts ,  commandes  par  le 
comte  Jean :  c'etoient  tous  hommes  choisis ,  et 
rinfante  avec  la  Reine  mere  les  virent  sortir 
d'Anvers.  lis  etoient  cinq  ou  six  mille  hommes 
sur  les  bateaux  ;  ils  pousserent  les  vaisseaux  de 
guerre  qui  tachoient  de  les  empecher  de  sortir 
du  canal ,  et  de  grand  matin  nous  les  vimes  pa- 
roitre  a  un  quart  de  lieue  de  la  ville.  On  com- 
manda  en  meme  temps  des  gens  de  guerre  pour 
aller  se  saisir  de  quelques  iles ,  ou  on  avoit  peur 
qu'ils  ne  fissent  une  descente.  Apres  on  fit  tii  er 
les  colonels  de  I'armee ,  pour  savoir  qui  com- 
manderoit  les  gens  de  guerre  que  Ton  envoya 
sur  des  bateaux  :  il  echut  a  M.  de  Maisonneuve ; 
je  fus  aussi  commande  avec  un  autre  capitaine 
de  son  regiment.  Nous  les  poursuivlmes  jusqu'a 
la  nuit  avec  perte  de  quelques  bateaux  des  en- 
nemis, et  point  du  tout  des  notres.  A  la  fin,  a  la 
pointe  du  jour,  voyant  qu'on  les  pressoit  trop , 
le  comte  Jean  prit  une  petite  chaloupe  et  se 
sauva  avec  quatre  ou  cinq  des  principaux  de 
I'armee  au  Prinsland,  qui  n'est  qu'a  deux  lieues 
de  la ;  le  reste  de  I'armee  se  voyant  sans  ordre 
et  sans  pilotes  qui  connussent  ces  eaux-la,  une 
partie  s'echouerent  sur  des  bancs  de  sable , 
I'autre  fut  prise  ;  fort  peu  de  tues  et  de  noyes. 
II  y  a  cinq  colonels,  environ  vingt  capitaines 
pris,  beaucoup  de  lieutenans  et  d'enseignes , 
trois  mille  cinq  cens  prisonniers  dans  Bergues ; 
tous  les  bateaux  pris ,  et  je  crois  qu'il  ne  s'est 
pas  sauve  cinquante  hommes ;  on  fit  hier  des 
feux  de  joie ,  car  on  compare  ceci  a  la  prise  de 

Bois-le-Duc 

»  Au  camp  de  Bergues.  » 

22 


3  38 


LETTRES    DU    VICOMTE   DE   TL'RENISE  , 


A  la  meme. 


6  Oclobre  1631. 


«  Madame, il  commence  a  cette  heuie  k 

y  avoir  quelqucs  malades  a  I'arm^e,  qui  ue  peut 
pas  demeurer  fort  long-temps  ici ,  a  cause  que 
la  saison  est  avancee ,  et  ie  temps  commence  a 

tHre  icl  bien  froid On  tient  la  defaite  de 

Tilly  toute  constante  ,  a  cause  qu'elle  vient  de 
tous  cotes  et  se  racontc  de  meme  facon,  qui  est 
qu'il  a  perdu  quatorze  mille  hommes  de  morts 
sur  la  place;  mais  aussi  a  defait  six  mille  hom- 
mes du  due  de  Baviere ,  et  que  Ie  roi  de  Suede 
etant  arrive  la-dessus  ,  a  pris  tout  son  canon  , 
son  bagage,  et  il  a  ete  contraint  de  se  sauver 
blesse  a  un  bras,  comme  on  dit ;  il  y  en  a  qui 
mandent  qu'il  a  ete  pris ;  ce  seroit  Ie  retablisse- 
ment  presque  entier  de  toutes  les  affaires  d'AI- 
lemagne 

..  A  Bergues.  » 

A  la  mSnie. 

26  Janvier  163-2. 

..  Madame ,....  Ie  roi  de  Boheme  part  aujour- 
d'hui  pour  aller  trouver  Ie  roi  de  Suede  qui  est 
a  Mayence.  J'ai  vu  un  gentilhomme  qui  n'en 
fait  que  revenir  ;  il  dit  qu'il  demeureva  la  en- 
core un  mois  ou  six  semaines  pour  faire  reposer 
son  armce  qui  est  autour  de  la  ;  une  partie  de 
ses  troupes  bloqucnt  Frankendal,  ou  il  y  a  forte 
garnison  du  roi  d'Espagne.... 

>.  A  La  Have.  » 


A  la  meme. 


1  Avril  163-2. 


"Madame,....  je  ne  rencontrerai  pas  ici  Ie 
cardinal  de  la  Vallette  ;  a  cause  de  cela  je  ne  vis 
qu'avant  hier  M.  Ie  cardinal,  et  hier  Ie  Roi.  Le 
premier  me  dit  qu'il  falloit  que  mon  frere  parlat 
iranchcment,  et  qu'en  ce  eas  il  seroit  sa  caution 
aupres  du  Roi.  II  me  dit  aussi : « Vous  n'irez  pas 
a  la  Bastille  pour  cette  fois ;  mais  ne  vous  gou- 
vernez  pas  toujours  de  meme  que  vous  avez 
fait.  "  .Te  vis  le  Roi ;  je  lui  dis,  par  le  conseil  de 
M.  le  cardinal  de  La  Vallette,  que  j'etois  venu 
I'assurer  de  I'obeissance  de  mon  frere  a  son 
service  ;  il  me  dit  a  Tor ei lie  :  -<  Vous,  soyez  le 
bien-venu  !  je  veux  oublier  absolument  ce  qui 
s'est  passe  et  ne  m'en  plus  ressouvenir  jamais; 
je  suis  fort  aise  de  vous  voir  ici.  >■  II  se  mit  apres 
a  me  parler  de  mon  regiment,  et  me  dit  qu'il 
avoit  oui  dire  qu'il  etoit  fort  beau  ,  et  beaucoup 
de  choses  sur  ce  sujet.  Monsieur  le  premier  , 
(>t  tout  le  monde,m'ont  fait  des  caresses  extraor- 


A  la  meme. 


10  Avril  1632. 


A  la  meme. 


29  Avril  1632. 


«  Madame,....  M.  de  Marillac  a  ete  mis  au- 
jourd'hui  sur  la  sellette ,  et  n'ayant  pas  voulu 
repondre ,  cela  a  retarde  son  proces  deux  ou 
trois  jours.  Apres  cela,  le  Roi  prendra  quelque 
nouvellc  resolution  ;  mon  frere  n'ayant  pas  pre- 
te  son  serment ,  et  I'armee  n'etant  pas  en  cam- 
pagne,  je  n'aurois  demande  mon  conge;  mais 
des  qu'elle  y  sera  ou  qu'on  en  parlcra  ,  je  ne 


dinaires.  Je  retournai  de  la  voir  M.  le  cardinal, 
qui  me  lira  a  part  et  me  demanda  si  le  Roi 
ne  m'avoit  pas  fait  faire  bonne  chere;  il  me  dit 
apres  cela  qu'il  m'assuroit  que  les  affaires  de 
mon  frere  se  feroient ,  et  apres  me  demanda 
des  nouvelles  de  Hollande.  On  a  envoye  faire 
cesser  les  levees  de  M.  de  Lorraine ;  s'il  ne 
donne  contentement ,  le  Roi  pourrolt  bien  aller 
vers  ces  quartiers.  On  parle  ici  que  Monsieur 
leve  extremement ,  et  qu'il  a  epouse  en  secret 
la  princesse  Catherine  (de  Lorraine),  cela 
donne  un  peu  d'apprehension;  je  ne  parle  point 
du  tout  ici  de  m'en  aller;  je  ne  I'oserois  faire 
que  quand  M.  le  prince  d'Orange  ecrira ,  cc 
qui  devroit  etre  quand  on  se  mettra  a  la  cam- 
pagne....  Je  crois  qu'on  fortifiera  I'armee  qui 
n'est  pas  de  plus  de  six  mille  hommes  de  pied  ; 
si  vous  allez  en  Hollande,  vous  consulterez si 
on  doit  presser  mon  retour ;  les  affaires  sont  si 
chaugeantes,  que  je  conseillerois  cette  semaine 
que  oui ,  et  peut-etre  1 'autre  que  non.  II  faut 
au  moins  le  faire  de  facon  qu'on  ne  donne  pas 
de  soupcon....  Ceux  qui  gouvernent  paroissent 
bien  empeches,  au  moins  ils  sont  fort  tristes. 
11  me  semble  que  c'est  une  etrange  saison  pour 
vous  en  aller  en  Hollande;  le  Roi  s'en  allant 
en  ses  quartiers,  j'ai  peur  qu'il  n'y  ait  beaucoup 

de  desordre  a  mon  regiment 

»  A  Paris.  » 


'<  Madame,....  je  mande  a  mon  frere  qu'il 
me  semble  que  Ton  doit  bien  prendre  garde  au  , 
temps  que  M.  le  prince  d'Orange  ecrira  pour 
me  faire  retourner  en  Hollande  ;  si  c'est  si  t6t 
et  devant  qu'on  aille  a  I'armee ,  cela  donnera 
du  soupcon  assurement ;  c'est  pourquoije  se- 
rois  d'avis  qu'on  attendit  pour  voir  un  peu  quel 
cours  prendroient  les  affaires  de  mon  pere  ,  et 
aussi  que  I'armee  etant  a  la  campagneaux  Pays- 
Bas ,  on  eiit  plus  de  raison  de  songer  a  s'en  re- 
tourner.... 

>i  A  Paris.   - 


POUR    SEBVm   d'iNTRODUCTION    a    SES    MEMOIRES. 


339 


perdrai  pas  de  temps  et  serai  fori  aise  que  M.  le 
prince  d'Orange  sache  que  je  lie  demeure  pas 
pour  raon  plaisir....  Le  Roi  a  temoigne  une 
grande  joie  de  la  defaite  de  Tilly  ,  et  m'a  beau- 
coup  parle....  Le  Roi  me  fait  graiides  caresses , 
et  quand  il  vient  a  propos  dit  beaucoup  de 

bien  de  moi ;  je  ne  m'en  glorifie  pas  guere 

>/  A  Paris.  » 

Au  due  de  Bouillon,  sonfrere. 

6  Mai  1632. 

n  Mon  cher  frere ,  le  matin  que  M.  de  Lorme 
partit ,  M.  le  cardinal  de  la  Vallette  s'en  alia 
en  grande  h^te  et  prit  le  chemln  de  Metz  ;  j'a- 
vois  veille  avec  lui  jusqu'a  minuit ;  un  quart 
d'heure  apres  que  je  fus  sorti  de  chez  lui ,  Rot- 
tru  le  vint  trouver  de  la  part  de  M.  le  cardinal, 
qui  le  fit  partir  a  trois  heures  de  la  ;  on  ne  sait 
pas  encore  certainement  ce  que  c'est.  Le  Roi 
part  luridi  sans  faute ,  et  s'en  va  en  grande  di- 
ligence en  Champagne  ou  Picardie  ;  il  y  a 
grande  rumeur  ,  on  ne  parle  pas  moins  que  de 
rompre  entre  les  deux  couronnes  ;  je  crois  que 
tout  au  moins  il  y  aura  guerre  contre  M.  de 
Lorraine.  J'ai  demaude  a  M.  le  cardinal  qui 
me  commaudoit  de  revenir ,  et  qu'il  savoit  bien 
que  j'etois  venu  ici  en  dessein  de  m'en  retour- 
ner,  et  m'a  dit  :  «  Le  Roi  ne  part  que  lundi ,  je 
vous  verrai  devant  ce  temps-la  et  vous  dirai  ce 
qu'il  trouve  bon  que  vous  fassiez ,  selon  ce  que 
je  saurai  de  lui....  »  On  m'a  dit  en  secret ,  a  ce 
soir,  qu'on  a  envoye  a  Paris  un  exempt  et  six 
gardes ;  il  faut  que  ce  soit  pour  prendre  quel- 
qu'un.  M.  d'Effiat  va  commander  I'armee  de 
Champagne  avec  M.  de  La  Force.... 

>'  Saint-Germain.  " 

4  sa  mere,  la  duchesse  de  Bouillon. 
29  Mai  1632. 

«  Madame, I'armee  s'en  va  demain  cou- 

cher  a  une  lieue  d'ici ;  c'est  vers  le  chemin  de 
Venio  et  de  Maestricht.  On  a  commandement 
de  prendre  des  vivres  pour  cinq  jours.... 

"  A  Nimesue.  >< 


A  la  meme. 


3  JuiD  1632. 


"  Madame,....  nous  arrivames  ici  aupres  de 
Venlo  ,  mardi  sur  le  soir  ,  et  u'y  a  eu  pendant 
ces  deux  jours  que  sept  a  huit  hommes  tues. 
On  est  a  cette  heure  en  capitulation  ,  et  on  croil 
que  les  gens  de  guerre  sortiront  demain  de  la 


ville.  M.  le  comte  Ernest  a  ete  a  Buremont,  que 
Ton  croit  deja  rendu,  n'etant  pas  si  fort  que 
cette  ville  ici ;  nous  ne  croyons  demeurer  ici 
qu'un  jour  ou  deux  ;  il  est  incertain  apres  cela 
quel  chemin  on  prendra....  Cette  armee  ici  est 
la  plus  forte  que  je  crois  qu'on  ait  jamais  vue 
ensemble  en  ce  pays.... 
»  Aupres  de  Venlo.  » 


A  la  m4me. 


16  Juillet  1632. 


«  Madame, mon  frere  revint  hier  de 

quatre  lieues  d'ici,  ou  M.  le  prince  I'avoit  en- 
voye avec  cavalerie  et  infanterie  pour  attaquer 
un  chateau  entre  ici  et  Liege ,  que  je  crois  qu'il 
a  pris.... 

«  Au  camp  devant  Maestricht.  » 

A  la  mime, 

21  Septembre  1632. 

«  Madame  , on  parle  de  notre  partement 

d'ici ,  mais  on  croit  que  ce  n'est  pas  pour  re- 
tourner  en  Hollande  si  tot.  Les  etats  de  Brabant, 
que  Ton  dit,  viendront  ici ,  feront  bien  changer 
les  affaires  ,  n'en  pouvant  juger  autre  chose  ,  si 
ce  n'est  la  paix  ,  la  treve  ,  ou  de  chasser  entie- 
rement  les  Espagnols  du  pays.  On  m'ecrit  de 
Sedan  que  la  peste  a  rendu  la  ville  extreme- 
ment  deserte ;  j'ai  grande  envie  de  savoir  si  le 
froid  qu'il  fait  ne  la  diminuera  pas.  Le  bonheur 
a  ete  si  grand  qu'elle  ne  s'est  point  mise  dans 
le  chateau.... 

»  Au  camp  de  Maestricht. » 

A  la  meme. 

23  D^embre  1632. 

«  Madame  ,....  c'est  aujourd'hui  que  MM.  les 
Etats  commencent  atraiter...  II  y  a  huit  (mem- 
bres)  choisis  qui  finiront  le  traite ,  et  oot  fait 
serment  de  ne  dire  a  personne  du  monde  rien 
de  ce  qui  se  passe.  On  leur  a  fait  preparer  une 

chambre  ou  ils  s'assembleront  tons  les  jours 

La  mort  du  roi  de  Suede  passe  pour  assuree  ; 
mais  il  est  incertain  qui  a  gagne  ou  perdu  le 
combat.... 

»  A  La  Haye.  » 

A  la  meme. 


«  Madame,... 
d'bui  et  sera  de 


26  Decembre  1632. 

,  le  due  d'Arscot  part  aujour- 
retour  le  dixieme  de  I'autre 

22. 


340 


LETTRES    DU    VICOMTE    DE    TURENNE  , 


mois;  c'est  en  partie  a  cause  des  fetes,  et  en  par- 
tie  pour  aller  rapporter  a  I'lnfante  les  proposi- 
tions que  MM.  les  Etats  lui  ont  faites.  On  dit 
qu'il  y  a  sept  mille  hommes  du  roi  d'Espagne 
vers  Limbourg ;  on  croit  que  c'est  pour  passer 
vers  le  Palatinat.  Je  crains  que  mon  frere  ne 
parte  pas  de  Maestricht  avant  que  ces  troupes 
soient  bien  eloignees  de  cesquartlers-1^.... 
»  A  La  Haye.  » 


A  la  meme. 


8  Janvier  1633. 


«  Madame  , . . . .  mon  frere  a  eu  son  conge  de 
M.  le  prince  d'Orange;  c'est  pourquoi  je  le  crois 
deja  parti,  si  ce  n'est  que  les  troupes  du  comte 
Jean,  qui  est  vers  le  Luxembourg, ne  s'arretent. 
Le  due  d'Arscot  ne  sera  de  retour  ici  qu'au 
quinzieme  de  ce  mois ;  on  fait  courre  le  bruit 
qu'on  a  trouve  de  dela  les  conditions  de  la 
treve  fort  rudes.  On  ne  dit  rien  ici  de  la  Reine- 
raere  ni  de  Monsieur.  J'ai  recu  a  ce  soir  une 
lettre  du  Roi  qui  me  mande  de  retrancher  deux 
compagnies  de  mon  regiment. 

«  A  La  Haye.  » 


A  la  meme. 


19  Avril  1633. 


"Madame,....  iasemaine  passee  j'ai  fait  un 
tour  jusqu'a  Utrecbt  pour  voir  ma  compagnie 
avant  le  partement  de  I'armee ,  qui  sera  d'au- 
jourd'hui  dans  buit  jours  ;  si  les  deputes  qui  re- 
viennent  cette  semaine  deBruxelles  ne  veulent 
consentir  aux  articles  qu'on  Jeur  a  donnes  en 
partant,  qui  sont  de  demander  Juliers,  Rhein- 
berg ,  Gueldre,  Breda,  et  qu'il  n'yentreau- 
cune  troupe  espagnole  dans  le  pays  jusqu'a  ce 
que  la  treve  soit  achevee ,  ceux  qui  y  sont  a 
cette  heure  y  demeureront ;  ils  font  aussi  beau- 
coup  d'apprets  pour  la  campagne.,.. 

»  A  La  Haye.  » 


A  la  meme. 


'66  Avril  1633. 


«  Madame ,....  je  recus  la  semaine  passee  la 
lettre  qu'il  vous  a  plu  me  faire  I'bonneur  de 
m'ecrire  ,  par  ou  vous  me  teraoignez  la  grande 
apprehension  que  vous  avez  des  bruits  qui  cou- 
rent  de  mon  frere ;  ce  qui  m'a  empecbe  de  vous 
les  mander,  a  ete  la  pensee  que  j'ai  eue  que 
d'autres  le  feroient ,  et  craignant  aussi  que 
mon  fr^re  ne  m'en  sut  mauvais  gre;  jenepense 
pas  qu'on  me  puisse  jamais  reproeher  de  lui 
avoir  applaudi  en  cette  affaire,  si  ce  n'est  lors- 


que  je  ne  pensois  pas  qu'elle  all^t  si  avant ;  il 
m'en  voudroit  un  jour  du  mal  ,  et  je  serois  le 
plus  mechant  du  monde  de  parler  si  fort  contre 
ma  conscience ;  je  vous  puis  bien  jurer  qu'il 
n'en  a  parle  a  qui  que  cesoit  ici  ,  qui,  bien  loin 
de  I'y  flatter,  ne  lui  ait  dit  que  ce  seroit  Taf- 
faire  la  plus  prejudiciable  ;  qu'il  etoit  possible 
qu'il  reconnut  bien  cela  lui-meme.  Mais  un 
amour  de  cinq  ans  avec  une  tres-bonnete  et 
tres-avisee  et  habile  fille  est  bien  malaise  a  rom- 
pre ;  je  ne  crois  pas  qu'il  ait  rien  signe ,  c'est 
pourquoi  il  n'y  a  rien  que  sa  volonte  seule  a 
changer.  II  partit  avant-hier  au  matin  pour 
aller  a  Maestricht ,  et  M.  le  prince  demain  pour 
aller  a  I'armee.  Les  deputes  sont  attendus  ce 
soir  ,  qui  apparemment  ne  s'arreteront  point.... 
»  A  La  Haye.  » 


A  la  meme. 


15  Mai  1633. 


«  Madame,....  nous  sommes  ici  en  un  lieu 
d'oii  vous  ne  sauriez  avoir  des  nouvelles  de  I'ar- 
mee de  long -temps;  le  chemin  plus  court  seroit 

par  Maestricht On  arriva  bier  devant  Rhin- 

berg.  M.  le  prince  a  pris  le  meme  quartier  que 
feu  M.  son  frere  et  M.  le  marcfuis  de  Spinola 
quand  ils  la  prirent.  l\  y  en  a  cinq  :  un  de 
I'autre  cote  du  Rhin  ou  commande  M.  Dide , 
celui  de  M.  Brederode ,  du  comte  Maurice  et 
du  comte  de  Solms.  Le  comte  Guillaume  est 
alle  ,  a  ce  c^u'on  dit,  vers  la  Flandre  avec  huit 
mille  hommes  de  pied.  H  a  ete  fait  marechal- 
de-camp  par  le  consentement  de  toutes  les  pro- 
vinces. II  y  a  trois  deputes  arrives  a  La  Haye ; 
le  due  d'Arscot  n'en  est  pas  du  nombie ,  mais  il 
est  attendu  tons  les  jours.  On  croit  qu'ils  ap- 
portent  de  Bruxelles  le  consentement  aux  pro- 
positions  que  MM.  les  Etats  leur  avoieut  don- 
nees  pour  y  apporter  :  de  sorte  que  Ton  croit 
que  la  treve  se  fera.... 

»  Au  camp  pres  de  Rhinberg.  » 


A  la  meme. 


21  Juilletl633. 


«  Madame,....  vous  aurez  bien  su  la  defaite 
des  troupes  de  Merode  par  le  landgrave  de 
Hesse  et  le  due  de  Lunebourg ;  il  a  ete  tue  cinq 
mille  hommes  de  pied  des  siens  morts  sur  la 
place ;  tons  les  drapeaux ,  canons  et  bagages 
pris,  etsoixante-quinze  cornettes  de  cavalerie  : 
de  sorte  qu'il  n'y  a  plus  d'armee  en  Allemagne 
pour  I'Empereur  que  celle  de  Walstein.  Cela  est 
de  grande  importance  pour  le  recouvrement  du 
Palatinat 

>  A  Boxtel.  >' 


POUR    SERVIR    D  ItSTUODLCTION    A    SES    MEMOIRES. 


341 


A  la  me  me. 


9  Aoul  1633. 


«  Madame, .•••  madame  la  princesse d'Orange 
est  alleefaire  un  voyage  a  La  Haye;on  I'attend 
ici tousles  jours.  C'etoit  au  temps  que  les  Etats 
d'Hollande  etoient  assembles,  qui  I'ontete  pour 
resoudrede  deux  choses:  cequ'on  repondroit  ;i 
M.  de  Charnace  ,  et  si  on  renverroit  les  quatre 
deputes  du  Brabant  qui  sont  demeures  de 
reste  a  La  Haye.  II  y  a  un  colonel  allemand 
de  ces  troupes  ici ,  qui  est  aupres  du  ehancelier 
Oxenstierna,  pour  lui  demander  de  la  cavalerie 
pour  emmener  ici,jusqu'a  trois  mllle  chevaux. 

On  en  aura  la  reponse  au  premier  jour On 

ra'a  dit  que  le  Palatinat  est  assez  bien  remis. 
M.  I'Electeur  ne  songe  pas  encore  a  y  aller  : 
tout  le  monde  approuve  fort  cela ,  car  on  croit 
que  ,  vivant  avec  M.  I'administrateur,  il  seroit 
bien  malaise  qu'il  ne  prit  de  son  humeur,  que 
I'on  tient  fort  basse 

a  A  Boxel.  » 

A  la  meme. 

22  D^cembre  1633. 

«  Madame ,  je  suis  arrive  aujourd'hui  de  fort 
bonne  heure  a  Metz ,  ne  nous  etant  arrive  nul 
accident  par  les  cliemins.  J'ai  vu  apres-dlne 
madame  la  rcarechale  ,  madame  la  marquise  de 
La  Force  et  madame  de  Boiste ,  qui  sont  (ogees 
ensemble,  ouj'ai  su  qu'on  leur  a  mande  au- 
jourd'hui de  Saint-Avau  ou  est  I'armee ,  que 
M.  d'Arpajon  en  part  avec  vingt  compagnies  de 
cavalerie  et  deux  regimens  de  gens  de  pied, 
pour  mettre  cette  infanterie  en  garuison  dans 
Philisbourg,  qui  se  met  en  la  protection  du  Roi, 
et  qui,  par  ce  moyen,  fait  en  aller  les  Suedois 
qui  I'avoient  tenue  assiegee  il  y  a  long-temps. 
On  croit  aussi  que  M.  le  marechal  de  La  Force 
prendra  avec  I'armee  la  meme  route.  Mon  re- 
giment est  a  quatre  lieues  d'ici  sur  le  chemin 
de  Sainl-Avau.  Je  demeurerai  tout  demain  ici, 
et  pourrai ,  apres  demain  ,  m'en  aller  vers  ce 
chemin-la 

»  A  Metz. » 

A  la  meme. 

12F^vrierl63i. 

'<  Madame  ,....  j'aiete  aChantilli  voir  le  Roi, 
oiije  n'ai  demeure  qu'une  heure.  II  m'a  fait 
fort  bonne  chere  et  se  loue  extremement  de 

mon  regiment J'ai  vu  aussi  M.  le  cardinal, 

qui  m'a  fait  grandes  caresses.  J'ai  su,  depuis 
ma  derniere ,  que  mon  frcre  n'a  pas  deraande  la 


permission  du  Roi  pour  son  mariage :  ueanmoins 
on  n'y  est  pas  contraire;  mais  on  dit  que ,  puis- 
qu'il  I'a  fait  sans  le  demander,  on  ne  le  lui  veut 
pas  permettre  etant  fait.  Alais  ,  qui  me  I'a  dit , 
m'a  fait  promettre  de  n'en  parler  a  personne.  Je 
ne  suis  pas  du  tout  si  inconnu  que  je  pensois. 
M.  le  cardinal  de  La  Valette  me  teraoigne  une 

amitie  et  confiance  extremes J'ai  fait  la 

reverence  a  la  Reine,  qui  m'a  fort  entretenu.... 
«  A  Paris.  » 

4  la  meme. 

17  Avril  1634. 

«  Madame, jefus,  raercredi dernier, voir 

M.  le  cardinal  a  Ruel,  qui,  me  parlant  du  ma- 
riage de  mon  frere ,  dit  que  le  Roi  avoit  con- 
sent ,  et  qu'il  falloit  le  pardonner  a  I'amour. 
Ensuite  de  cela ,  il  me  dit  qu'il  vouloit  avoir 
soin  de  me  marier.  On  a  eu  nouvelles  que  le 
prince  Thomas  (de  Savoie)  a  pris  le  parti  du 
roi  d'Espagne  :  les  uns  disent  qu'il  est  alle  a 
Milan,  et  les  autres  en  Flandre.  II  y  est  arrive 
aujourd'hui  deux  courriers  de  Piemont;  on  ne 
sait  pas  encore  ce  qu'ils  ont  apporte.  M.  de  Toi- 
ras,n'etant  plus  paye  de  ses  appointemens,  a 
demande  permission  au  Roi  de  prendre  parti 
avec  eux  qui  lui  offroient  quelques  avantages. 
Le  conseil  se  tient  apres-demaiu.  On  croit  que 
c'estsur  ces  nouvelles  d'ltalie 

»  A  Paris.  » 

A  la  meme. 

16  Juillet  1634. 

«  Madame,....  je  couche  au  quartier  du  Roi 
a  ce  soir,  ce  qui  ne  m'etoit  pas  arrive ,  depuis 
le  siege,  que  fort  rarement....  On  attend  bien 
fort  les  mines  :  ce  qui  pourroit  donner  une 
prompte  fm  a  ce  siege 

«  A  La  Motte.  » 

A  la  meme. 

9  Novembre  1634. 

«  Madame, nous  sommes   toujours  au 

meme  lieu  ;  il  y  vint  bier  un  courrier  de  la  cour, 
qui  n'a  rien  apporte  ,  si  ce  n'est  de  faire  hater  le 

pont  de  Philisbourg C'est  ici  le  plus  beau 

pays  du  monde  :  nous  y  sommes  fort  bien  lo- 
ges...  Mon  regiment  est  en  fort  bon  etat  et  si  fort 
que  je  ne  I'aye  jamais  vu.  M.  Hebron  vint  hier 
aMayence  ou  est  le  ehancelier  (Oxenstierna). 
Toute  I'armee  suedoise  esten-deca  du  Rhin,qui 
fait  toujours  mine  de  vouloir  repasser.... 

»  A  Landau.  » 


34  2 


LETTBES    DU   VICOJITF.   DE    TURENNE 


A  la  meme. 

30D^cembrel6a4. 

'<  Madame, Tarm^e  a  ete  a  Heidelberg, 

d'ou  six  mille  iraperiaux  sont  sortis  avec  com- 
position. On  a  pris  douze  pieces  de  canon 

Je  m'en  vas  deraain  dans  Heidelberg  avec  trois 
regimens  que  je  commande ,  et  je  ne  crois  pas 
que  ce  soit  pour  long-temps  ,  car  toute  I'armee 
repassera  bientot  le  Rhin ,  qui  a  si  fort  charie 
qu'il  a  rompu  tout  notre  pont.  On  croit  qu'il  se 
prendra  aujourd'hui  ou  demain. 

"  A  Manheim.  » 

A  la  mime. 

17  Janvier  1635. 

«  Madame , j'ai  toujours  ete  a  Heidelberg 

depuis  que  je  vous  le  mandai.  Tout  le  grand 
fauxbourg  est  brul6.  La  ville  n'est  pas  trop  en 
mauvais  etat.  Pour  tout  le  pays  de  M.  I'Electeur, 
tantdeca  que  dela  le  Rhin,  qui  s'etoit  deja  bien 
remis,  est  entierement  ruine  par  les  Imperia- 
listes,  les  Suedois  et  notre  armee ;  desorte  qu'on 
passeroit  dans  cent  villages  sans  trouver  un 
paysan.  Le  pont  est  refait  a  Manheim  ,  de  sorte 
qu'on  attend  ordre  de  la  cour  pour  savoir  ce 
qu'on  aura  a  fair e 

'•  A  Heidelberg.  » 

A  la  meme. 

%  F^vrier  1635. 

'<  Madame,....  j'etois  sorti  il  y  a  sept  ou  huit 
jours,  etj'avois  marche  jusquesvers  Francfort; 
mais  la  prise  de  Philisbourg  a  ete  cause  qu'on 
m'a  renvoye  ici.  Hs  I'ont  emporte  fort  facile- 
ment,  endonnant  de  tons  c6tes  sur  les  glaces; 
le  gouverneur  est  pris.  Ensuite  de  cela  ils  pas- 
serent  avant-hier  le  Rhin  sur  la  glace ,  vis-a-vis 
de  Spire;  mais  je  crois  que  le  degel  les  fera  re- 
passer  bien  promptement.  L'armee  des  Suedois 
est  jointe  a  cette  heure  avec  celle-ci.  On  prend 
dans  cet  instant  une  resolution  avec  le  due 
Bernard  (de  Saxe- Weimar)  et  le  chancelier 
(Oxenstierna)  de  ce  qu'on  a  a  faire....  Je  com- 
mence actuel lenient  k  entendre  presque  tout 
I'allemand. 

»  A  Heidelberg.  « 


A  la  meme. 


15  F^vricr  1635. 


tend  que  le  pont  soit  refait  pour  repasser.  On 
tient  ceci  pour  constant,  queM.  de  Lorraine  sen 
va  avec  une  armee  en  Lorraine.  Si  cela  est, 
vous  le  saurez  bien  plus  tot  que  nous.  Jene  crois 
pas  pour  cela  qu'on  abandonne  ce  pays-ci.  W  y 
a  toujours  garnison  de  I'Empereur  dans  Spire, 

qui  n'est  qu'a  trois  lieues  d'ici J'ai  demeure 

deux  jours  a  Frankendal ,  et  ai  vu  M.  I'admi- 
nistrateur  de  qui  I'etat  est  deplorable ,  car  il  ne 
tire  quoique  ce  soit  de  son  pays  ,  et  n'a  presque 
plus  rien  pour  vivre  :  je  suis  fort  en  ses  bonnes 
graces....  Je  crois  que  nous  nous  mettrons  dans 
de  petites  villes  et  y  sejournerons  quelque 
temps,   durant  lequel  on  verra  si  on  pourra 

prendre  Spire 

»  A  Landau.  » 

A  la  meme. 

1«  Mars  1635. 

'<  Madame ,. . .  je  reviens  hier  de  six  lieues  d'ici, 

ou  etoit  M.  le  marechal  de  La  Force Mon 

regiment  a  demeure  dix  ou  douze  jours  ici; 
c'est  une  ville  qui  est  fort  belle  et  qui  ne  se  sent 
pas  trop  de  la  guerre.  Tous  les  lieux  fermes  sont 
presqu'en  cet  etat ,  mais  les  villages  sont  entie- 
rement ruines.  II  y  a  pres  du  tiers  des  soldats 
de  l'armee  malades  :  ce  n'est  pas  que  I'air  soit 
mauvais,  mais  a  cause  du  froid  qu'ils  ont  recu... 
Mon  regiment  est  un  des  moins  deperis  de  l'ar- 
mee; il  ne  laisse  pasde  I'etrebeaucoup....  II  n'y 
a  point  une  si  bonne  garnison  en  France  que 
celle  ou  je  suis  a  cette  heure,  c'est  entre  Ha- 

guenau   et   Landau Vous  aurez  bien    su  , 

comme  M.  de  Lorraine  est  repasse  dela  le  Rhin. 
II  fait  semblant  de  vouloir  revenir  au  printemps. 
avec  de  plus  grandes  forces.  L'armee  suedoise 
est  demeuree  dela  le  Rhin.... 

'^  A  Weissembourg.  » 


A  la  meme. 


16  Mars  1635. 


"  Madame,....  il  y  a  quelque  partie  de  l'ar- 
mee de  deca  le  Rhin  ,  dont  je  suis  ;  le  reste  at- 


«  Madame , nous  sommes  au  siege  de  Spire 

depuis  quatre  ou  cinq  jours;  toute  l'armee  est 
campee  autour;  le  beau  temps  nous  favorise 
bien.  On  emporta  hier  au  soir  un  fort  que  les 
ennemis  avoient  sur  la  riviere  et  qui  leur  en 
6te  la  communication  :  ce  qui  est  absolument 
leur  perte,  car  ils  jettoient  tous  les  jours  des 
gens  dedans  par  la.  lis  avoient  trois  cens  hom- 
mes  dedans,  ils  ont  ete  presque  tous  tues  ou 

prisonnicrs M.  le  marechal  de  Brcz6  me   ! 

rend  force  bons  services  a  la  cour; je  ne  sais  si^^ll 
cela  produira  quelque  chose Je  ne  crois  pas    ■" 


POUR   SEBVIB   D  INTRODUCTION    A    SBS    MEMOIRES. 


343 


que  Spiic  puisse  tcnir  plus  de  cinq  ou  six  jours 
au  plus. 
»  Devant  Spire.  » 


A  la  meme. 


n  Mars  1635. 


«  Madame ......  depuis  la  prise  dc  Spire  nous 

somraes  revenus  dans  nos  garnisons  ordinaires ; 
M.  le  marechal  de  Brez^  aeerit  a  la  cour  depuis, 
et  m'y  a  rendu  de  fort  bons  offices;  il  a  meme 
demande  quelque  chose  pour  moi ;  je  ne  sais  si 
cela  reussira ;  c'est  sans  lui  avoir  parle;  il  ne 
faut  pas,  s'il  vous  plait,  en  rien  temoigner, 
parce  que  c'est  facheux  de  paroitre  trompe  en 

ce  qu'on  a  cru  qui  arriveroit On  parle  que 

nous  retournerons  bientot  en  Lorraine On  a 

laisse  Spire  aux  Suedois  ;  tons  les  soldats  de  de- 
dans ont  ete  pris  a  discretion,  et  les  officiers 
prisonniers:  il  y  avoit  deux  mille  cinq  ccns 
hommes  dedans. 

'  A  Landeau.  » 


A  la  meme. 


30  Mars  1635. 


«  Madame, quand  je  me  donnois  I'hon- 

neur  de  vous  ecrire,  il  y  a  cinq  ou  six  jours,  je 
ne  pensois  pas  que  I'armee  retourn^t  si  prompte- 
ment  en  Lorraine :  mon  regiment  s'eu  va  en 
quartier  a  Dieuse,  qui  n'est  qu'a  une  bonne 
journee  de  Metz  ;  M.  le  marechal  de  Breze  s'en 
va  avec  quelques  troupes  d'un  autre  cote  de 
la  Lorraine.  Je  crois  qu'a  ce  printemps  il  se 
s6parera  tout  ^  fait  d'avec  M.  le  marechal  de 
La  Force.  II  ecrivit  a  la  cour  par  M.  de  Monso- 
lins  ,  et  demanda  que  j'allasse  servir  de  mare- 
chal-de-camp  dans  son  armee  :  beaucoup  de  mes 
amis  ont  vu  la  lettre;  il  temoignepour  cela  une 
ehaleur  extraordinaire ;  je  ne  crois  pas,  pour  moi, 
que  cela  reussisse.  Je  suis  bien  heureux  qu'il 
me  veuille  du  bien ,  car  il  est  ami  au  dernier 
point,  et  est  a  la  cour  en  grande  consideration. 
J'ai  ^crit  a  M.  le  cardinal  de  La  Valette  que  je 
le  suppliois  de  me  donner  ses  avis ,  si  je  devois 
aller  a  Paris ,  et  lui  mande  que  je  ne  trouverois 
pas  a  propos  d'y  etre  dans  le  temps  que  Ton  a 
demande  quelque  chose  pour  moi ,  parce  qu'en 
etant  refuse  on  est  vu  de  plus  mauvais  ocil,  et 
il  semble  que  Ton  n'est  alle  la  que  pour  le  de- 
mander.  Je  n'en  ai  jamais  dit  un  mot  a  M.  le 
marechal  de  Breze ,  et  seulement  il  ne  vouloit 
pas  que  jc  susse  qu'il  eut  rien  ecrit  de  moi ;  c'est 
une  chose  tout-a-fait  sccicte  dans  rarmee  :  cela 
ne  se  faisant  point ,  je  ne  voudrois  ,  pour  rion 
au  monde,  qu'on  le  siit.  Je  crois  ([uc  je  ne  ferai 


pas  mal  de  demeurer  quelques  jours  dans  mon 
quartier,  attendant  quelque  nouvelle  de  la  cour 
ou  de  M.  de  Brez6,  qui  sera  a  Bamberviller.  A 
moins  d'une  chose  fort  pressee  pour  aller  a  Pa- 
ris ,  je  m'en  irai  k  Sedan 

>)  D'aupres  de  Bousviller. » 


A  la  meme. 


14  Avril  1635. 


«  Madame , je  pensois  partir  demain  pour 

m'en  aller  a  Sedan,  mais  comme  j'etois  au  Pont- 
a-Mousson,  ou  M.  le  cardinal  de  La  Valette 
etoit  alle  voir  M.  le  marechal  de  Breze ,  qui 
est  parti  pour  s'en  aller  a  la  cour  ,  les  nouvelles 
sont  venues  que  M.  de  Lorraine  avoit  passe  le 
Rhin  avec  une  partie  de  ses  troupes  et  que  le 
reste  suivoit;ce  qui  oblige  M.  de  La  Force  de 
s'en  aller  avec  une  partie  de  I'armee  prendre 
sesquartiers  vers  Bamberviller,  d'oiiil  ne  bou- 
gera  pas  et  y  laissera  rafralchir  son  armee  ,  si 
M.  de  Lorraine  n'avance  pas  plus  avant.  Ceux 
de  Thionville  commencent  a  venir  piller  les 
villages  ici  autour.  On  tient  pour  certain  que 
le  marquis  d'Aitona  est  asscz  fort  dans  le  Luxem- 
bourg ,  de  sorte  qu'il  semble  que  ce  soit  un  con- 
cert pour  entrer,  M.  de  Lorraine  et  lui ,  en  meme 
temps  dans  la  Lorraine.  Je  crois  que  mon  re- 
giment viendra  ici  pour  quinze  jours  ou  trois 
semaines  ,  pour  se  rafraichir,  et  peut-etre  aussi 
que  dans  ce  temps-la  il  s'y  pent  presenter  quel- 
que chose  a  faire  ici  autour M.  de  Breze  te- 

moigne  une  envie  si  extreme  que  j'aille  servir 
dans  son  armee  aupres  de  Mc^zieres ,  que  je  ne 
sais  cequi  en  sera 

..  A  Metz.  » 


A  sa  sceur. 


20  Avril  1635. 


K  Ma  chere  soeur, je   recus   hier   votre 

lettre,  et  vous  puis  assurer  que  j'eusse  fait  le 
voyage  de  Sedan  avec  grand  plaisir ;  car,  hors 
le  contentement  de  voir  Madame,  quantite 
d'autres  choses  m'y  convioient;  pour  ce  voyage- 
ci,cela  est  tout-a-fait  impossible,  ear  je  pars 
dans  deux  heures  pour  aller  coucher  entre  Nanci 
et  le  Pont-a-Mousson,  et  de  la  a  Bamber- 
viller: car  M.  de  La  Force  met  ses  troupes  en- 
semble ,  sur  I'avis  que  M.  de  Lorraine  vient 
droit  a  lui;  d'autres  discnt  qu'il  s'en  va  assieger 
Montbelliard.  Le  Roi  etant  parti  de  Paris,  et 
n'y  ayant  personne  de  ceux  qui  font  les  affaires 
de  mon  frere  qui  suivent  la  cour,  j'ecrirai  a 
M.  Boutbiller  le  fils,  ou  a  M.  Scrvicn ,  pour  les 
supplier  de  faire  considerer  a  M.  le  cardinal  de 


344 


LETXHES    DU    VICOJITE    DE    TUBENNE  , 


quelle  consequeuce  il  est  de  laisser  Sedan  avec 
si  peu  de  garnison,  et  je  demanderai  que  mon 
IVere  leve  une  compagnie  de  chevaux-legers 
pour  y  raettre ,  et  encore  quelques  compagnies 
de  gens  de  pied;  car  assurement  la  guerre  s'en  va 

se  declarer Je  ne  sais  si  on  fera  quelque 

chose  pour  moi  a  la  cour;  le  moyen  de  n'etre 
pas  trompe,  c'est  de  ne  faire  fondement  sur 

riende  ces  choses-la Je  continue  a  recevoir 

toutes  sortes  de  civilites  de  M.  le  marquis  et  de 

raadame  la  marquise  de  La  Force 

»  A  Metz.  » 


A  sa  mere. 


7  Juin  1635. 


«  Madame,. . .  je  suis  fSche  que  mon  frere  n'ait 
pas  fait  son  voyage  de  la  cour ;  cela  eut  peut- 
etre  servi  a  le  faire  employer  dans  cette  guerre. 
Nous  primes  hier  un  chateau  pres  de  Porentru, 
ou  il  y  avoit  cinq  cens  hommes.  Je  crois  que 
cette  armee  ici,  s'il  n'y  arrive  quelque  chose  de 
nouveau ,  pourroit  bien  etre  envoyee  en  Lor- 
raine pour  se  rafraichir  quelque  temps.  M.  le 
cardinal  de  La  Valette,  a  ce  que  je  crois,  en 
commandera  une  au  premier  jour;  cela  n'est  pas 

tout-a-fait  public M.  de  Lorraine  a  repasse 

le  Rhin ;  il  n'est  demeure  de  deca  que  quelques 
garnisons  dans  deux  ou  troispetites  places » 


A  la  me  me. 


26  Juin  1635. 


«  Madame,...  comme  I'armee  s'en  alloit  en 
Lorraine  pour  se  rafraichir,  je  m'en  suis  venu 
ici  avec  M.  le  cardinal  de  La  Valette.  Nous  ar- 
rivames  hier  au  soir.  J'ai  ete  aujourd'hui  a  Ruel, 
avec  lui ,  voir  M.  le  cardinal  qui  m'a  fait  extre- 
mement  bonne  chere,  etm'a  dit  que  j'allois  etre 
marechal  de  camp  dans  I'armee  que  M.  le  car- 
dinal de  La  Valette  va  commander ,  qui  sera 
composee  de  douze  compagnies  des  gardes  qui 
sont  en  Lorraine ,  de  nouveaux  regimens  et  de 
quelques  troupes  que  Ton  prendra  a  M.  de  La 
Force ,  et  on  lui  rendra  d'autres  places.  Le  comte 
de  Guicbe  servira  aussi  dans  cette  armee  la.  Je 
n'eusse  paspu  recevoir  une  plus  grande  joie.  J'i- 
rai  demain  voir  le  Roi  a  Fontainebleau.  M.  le 
cardinal  m'a  dit  si  affirmativement  que  le  Roy 
I'avoit  fait ,  que  je  crois  ne  devoir  plus  dou- 
ter.  Je  ne  crois  pas  demeurer  ici  plus  de  sept  pu 
huit  jours ;  car  M.  le  cardinal  de  La  Valette 
croit  parti r  en  cc  temps  la  pour  aller  assembler 
I'arnK'c... 

>•  A  Parifi.  .- 


A  la  meme. 


Juillell635. 


«  Madame,...  M.  le  cardinal  de  La  Valette 
part  demain  pour  assembler  des  troupes  de  Lan- 
gres  et  les  mener  vers  Vic ,  qui  est  le  rendez- 
vous de  sou  armee.  Le  passage  du  Rhin  de  Ga- 
lus  I'oblige  a  ce  partement  si  prompt.  J'ai  vu 
leRoia  Fontainebleau,  qui  m'afait  extremement 
bonne  chere  et  m'a  confirme  ce  que  M.  le  car- 
dinal m'avoit  dit... 

>'  A  Paris.  » 


A  la  mime. 


20  Juillet  1635. 


«  Madame,...  M.  le  cardinal  de  La  Valette 
vit  hier  M,  le  due  de  Veimar ,  a  trois  lieues 
d'ici.  Je  crois  que,  sur  cette  conference  ,  notre 
armee  marchera  bientot ;  toute  I'infanterie  est 
arrivee,  mais  rien  qu'une  partie  de  la  cavalerie. 
Je  crois  que  mon  regiment  quittera  I'armee  de 
M.  de  La  Force  au  premier  jour ,  et  viendra 
joindre  celle-ci ,  comme  il  en  a  I'ordre...  Je  ne 
croyois  pas  partir  aujourd'hui;  mais  je  m'en  vais 
a  cette  heure  au  Pont-a-Mousson,lerendez-vous. 
des  troupes ,  et  demain  je  crois  que  nous  allona 
joindre  les  troupes  du  duo  Bernard  vers  Deux- 
Ponts,..  J'ai  vu  M.  I'administrateur  et  M.  des 
Deux-Ponts  chez  eux.  lis  se  rejouissent  bien  de 
ce  que  les  troupes  du  Roi  avancent.  M.  de  La 
Force  est  a  Epinal ,  et  M.  de  Lorraine  a  Renxi- 
remont... 

«  A  Metz. » 


A  la  meme. 


15  Aoat  1635. 


«  Madame,...  nous  avons  pris  depuis  deux 
jours  un  petit  lieunommeBinghen,  sur  le  Rhin, 
a  trois  lieues  de  Mayence  ,  et  y  sommes  encore, 
parce  que  nous  ne  manquons  pas  de  vivres.  On 
a  eu  nouvelles  assurees  ,  a  ce  soir,  que  le  land- 
grave de  Hesse  marche  pour  nous  venir  joindre. 
On  dit  ici  que  M.  d'Angouleme  est  arrive  a  ! 
Nanci ,  pour  servir  dans  I'armee  de  M.  de  La 
Force  avec  lui....  M.  le  cardinal  de  La  Valette 
m'envoie  pour  empecher  qu'ou  ne  prenne  cette 
ville. 

»  Au  camp  de  Binghen.  » 

A  la  meme. 

« 

16  Scptcinbre  1635.    * 
<  Madame,...  je  levins  hier  de  dehors  avec  la 


POLU    SEKVm    D  INTRODUCriON    A    SES    MEMOIKES. 


345 


cavalerie ;  il  y  eut  quelques  troupes  de  I'ennemi 
battues  proche  Francfort.  On  n'a  eu  ici  nuUe 
necessite  de  pain  ,  raais  toutes  les  autres  choses 
sont  cheres... 
»  Au  camp  pres  de  Mayeuce. » 

A  la  meme. 

30  Octobre  1635. 

n  Madame,...  uous  sommes  revenus  bien 
promptement  de  notre  voyage...  Presque  toute 
I'armee  a  perdu  son  bagage ,  ou  pris  par  les  en- 
nemis,  ou  abandonne  par  la  lassitude  des  che- 
vaux.  Plus  des  deux  tiers  des  offieiers  n'ontrap- 
porte  que  ce  qu'ils  avoient  sur  eux.  Ce  voyage 
ici  a  presque  ruine  tout  le  raonde...  S'il  nous 
faut  remarcher  au  premier  jour,  comme  il  y  a 
apparence,  avec  quelques  troupes  que  le  Roi 
enyoye,je  serai  en  un  etrange  equipage...  Nous 
partons  aujourd'hui  au  Pont-a-Mousson.  M.  le 
cardinal  de  La  Valette  est  parti  ce  matin  pour 
aller  trouver  le  Roi.  II  y  sera  de  retour  dans 
deux  jours... 

» A  Metz. » 


A  la  meme. 


18  Oclobre  1635. 


passer.  II  s'ouvrira  k  lui  de  beaucoup  de  choses 
qu'il  nepeut  pas  ecrire,  et  peut-etre  sera-t-il  bien 
aise  de  le  voir.  11  est  vrai  que  s'il  avoit  pris 
cette  resolution  ,  que  Ton  apprehende  tant ,  il 
pourroit  bien  s'en  aller  a  la  cour  ,  car  je  ne  sais 
pas,  cela  etant ,  s'il  voudroit  s'en  retourner  a 
Maestricht... 
"AToul." 

.4  la  meme. 

12  Janvier  1636. 

« Madame,...  notre  voyage  vers  1' Alsace  a  ete 
retarde.  M.  le  cardinal  deLa  Valette  devoit  par- 
tir  aujourd'hui ;  M.  leduc  de  W^eimar  lui  manda 
hier  au  soir  que  force  troupes  s'etoient  assem- 
blees  vers  le  Luxembourg  et  marchoient  droit 
(a  lui),  ce  qui  I'obligeroit  de  se  retirer ,  si  Ton 
ne  I'appuyoit.... ;  de  sorte  que  Ton  met  quelques 
troupes  ensemble  ici  autour ,  pour  voir  le  dessein 
de  I'ennemi.  J'y  ai  ete  envoyepour  cela  etpour 
y  prendre  ordre  de  M.  le  due  de  AYeimar... 

»A  Saint-Mihel. » 


"Madame,...  on  remet  aujourd'hui  I'armee 
ensemble :  ce  sera  pour  marcher  demain.  Je  ne 
crois  pas  que  nous  fassions  long  voyage.  Nous 
ne  nous  eloignerons  pas  de  I'eveche  de  Metz  ni 
de  la  Lorraine.  II  est  arrive  beaucoup  de  trou- 
pes a  I'armee  de  M.  de  La  Force  qui  marche 
aujourd'hui.  Galas  est  vers  la  riviere  de  Saare, 
et  M.  de  Lorraine  a  trois  ou  quatre  lieues  d'ici, 
avec  quelque  cavalerie...  On  a  dit  ici ,  mais  il 
n'y  a  rien  de  certain,  que  les  troupes  de  I'Em- 
pereur  passoient  la  Moselle  et  tiroient  vers  le 
Luxembourg... 

» Au  Pont-a-Mousson. » 

A  la  meme. 

10  D^cembre  1635. 

'<  Madame,,.,  j'ai  mene  M.  de  Rohan  avec  moi 
jusqu'a  Toul ,  et  I'y  ai  retenu  un  jour  ou  deux 
plus  que  je  ne  pouvois ,  attendant  M.  le  cardinal 
de  La  Valette ,  et  de  pouvoir  savoir  les  nouvelles 
qu'il  a  recues  par  un  courrier  qui  lui  est  venu  de 
la  cour.  J'ecris  une  lettre  a  mon  frere,  et  je  ju- 
gerois  fort  a  propos  que  M.  de  Rohan  y  allat 
faire  un  tour.  On  dit  que  les  ennemis  ont  pris 
Lirabourg  et  s'assemblent  aupresde  Maestricht. 
Cela  pourroit  bien  I'obliger  d'y  revenir ;  de  sorte 
que  je  crois  que  vous  pouvez  aiscment  I'y  faire 


A  la  meme. 


26  Janvier  1636. 


'<  Madame,...  jen'eusleslettresqu'hier,parce 
que  je  revenois  de  sept  ou  huit  lieues  d'ici ,  ou 
j'avois  mene  deux  regimens  allemans;  encore 
que  j'eusse  ete  jusqu'a  Verdun ,  je  vous  supplie 
de  considerer  comme  il  etoit  impossible  que  j'al- 
lasse  a  Sedan ,  M.  le  cardinal  de  La  Valette 
ayant  toujours  cru  me  mener  au  voyage  avec 
lui ,  et  qu'il  ne  seroit  besoin  de  laisser  personne 
pour  commander  les  troupes  qui  demeuroient, 
puisqu'on  ne  parloit  point  d'ennemis.  M.  le  due 
de  Weimar  lui  manda,  deux  jours  devant  son 
partement ,  que  les  ennemis,  s'etant  assembles 
dans  le  Luxembourg  ,  marchoient  droit  a  lui,  et 
leprioit  de  me  laisser  avec  lui  pendant  son 
voyage.  Je  fus  le  trouver  aussitot ,  et  ai  fait  as- 
sembler toute  I'infanterie  de  I'armee  aupres  de 
Saint-Mihel.  En  effet,  les  ennemis  ont  quatre 
ou  cinq  mille  chevaux  a  trois  heures  de  ses  quar- 
tiers,  ou  il  y  a  aussi  deux  regimens  de  I'armee 
deM.  le  cardinal  de  La  Valette,  que  je  m'en 
vas  demain  visiter;  n'y  ayant  ici  personne  que 
moi  avec  toutes  les  troupes ,  ilest  impossible  que 
je  m'en  eloigne  avant  son  retour... 

» A  Saint-Mihel.  » 

A  la  meme. 

28  Mai  l()3(): 
•■  Madame,...  jc  vins  hier  ici  trouver  M.  Iccar 


3  1  n 


LETTRES   DU    VICO 


dinal  de  La  Valelte,  qui  vient  de  Paris.  On  a 
permis  a  M.  de  Cliarnace  de  pouvoir  faire  le 
voyage  de  Coblens  avec  mon  frere.  lis  comman- 
deront  par  jour ;  e'est  une  chose  bien  faeheuse  ; 
ear  dans  la  mauvaise  intelligence  ou  ils  sont , 
il  lui  nuira  en  tout  ce  qu'il  pourra.  II  ne 
sut  cela  qu'en  partaut,  car  il  avoit  tou- 
jours  cru  y  aller  seul.  M.  le  comte  de  Guiche 
ne  sert  plus  dans  cette  armee.  II  sera  avec  M.  le 
due  de  Weimar  ,  comrae  etoit  M.  de  Feuquie- 
res.  M.  le  comte  (de  Soissous)  etM.  le  cardinal 
de  La  Valelte  sont  a  cette  heure  tout-a-fait  mal 
ensemble ,  et  meme  jusqu'a  une  rupture  entiere. 
M.  le  prince  (de  Conde)  est  entre  avec  son  armee 
dans  la  Franche-Comte  ;  je  crois  qu'il  va  assie- 
ger  Dole...  II  n'est  pas  encore  assure  si  mon 
frere  viendra  servir  dans  I'armee  de  M.  le  comte 
(de  Soissons)... 
» A  Bar. » 


MTE    DE   TURENNE  , 

I'armee  ;  je  vas  en  caiossc  et  quelquefois  a  che- 
val ,  et  n'ai  plus  de  douleur  a  la  main.  Le  chi- 
rurgien  espere  que  lemouvement  reviendra  bien 
libre,  mais  il  ftuit  du  temps... 
»  A  Lixim.  « 

Ala  meme. 

15  Septembre  1636. 

«  Madame,...  je  m'en  vas  trouver  M.  le  due 
de  Weimar,  sur  une  nouvelle  qui  est  arrivee. 
L'armee  est  a  cette  heure  dans  un  fort  bon 
pays  oil  on  trouve  des  vivres  en  abondance... 

»  A  Coblentz.  » 


A  la  meme. 


i"  Juin  1636. 


«  Madame,...  les  troupes  sont  arrivees  aHa- 
guenau  et  y  ont  porte  le  bled  pour  le  ravitail- 
ler.  On  n'a  rencontre  que  quelques  regimens  des 
ennerais  qu'on  a  battus...  M.  le  cardinal  de  La 
Valette  m'a  dit ,  a  ce  matin ,  qu'il  falloit  que  je 
m'en  retournasse  au  camp  de  I'armee,  oil  il  n'y 
a  point  de  marechal -de-camp... 

»  A  Haguenau. » 

A  la  mSme. 

11  Juillel  1G36. 

»  Madame,...  je  me  donne  I'honneur  de  vous 
ecrirecemot,  de  peur  que  vous  ne  soyez  en 
peine  de  moi.  Je  fus  un  peu  blesse  avant-hier 
devant  Saverne.  II  n'y  avoit  que  deux  jours  que 
j'y  etois  arrive  avec  des  troupes  ;  c'est  au  bras 
gauche...  Je  n'en  serai  point  estropie  ,  je  remue 
fort  bien  tons  les  doigts... 

» Devant  Saverne.  » 


A  la  meme. 


29  Juillel  1636. 


«  Madame,...  ma  blessure  me  tientplus  long- 
temps  au  lit  que  je  ne  pensois  ;  toutes  lesgrandes 
douleurs  sont  passees...  II  n'y  est  point  arrive 
d'accident.  L'armee  est  campee  a  quatre  heures 
d'ici...  Si  I'armcerepasse  les  montagnes ,  je  m'en 
jrai  avec  et  ne  demeurerai  pas  ici... 

"  A  Saverne.  » 


A  la  meme. 


ft  Aout  163G. 


«  Madamc;...  je  suis  parti  de  Saverne  avec 


A  la  meme. 


i"  Oclobre  1636. 


«  Madame,...  l'armee  du  Roi  est  toujours  a 
Monsaujon ,  et  celle  de  I'Empereur  a  deux  heu- 
res d'ici,  Je  crois  que  la  saison  sera  bien  avan- 
cee  avant  qu'ellcs  entrent  dans  les  quartiers  d'hi- 
ver.  On  ne  manque  pas  de  vivres  et  a  assez  bon 
marche... 

« A  Monsaujon.  » 

A  la  meme. 

26  Novembie  1636. 

"  Madame, (les  ennemis)  sont  a  cette  heure 

retires  dans  la  (Franche)  Comte,  au-dela  de  la 
riviere  de  Sa6ne.  On  attend  nouvelles  de  Paris 
avant  que  de  mettre  les  troupes  en  garnison ,  ce 
qui  sera  au  premier  jour.  On  prendra  presque 

les  memes  quartiers  que  I'annee  passee Je 

crois  (que  M.  le  cardinal  de  La  Valette)  s'en  ira 
a  Paris  dans  quelque  temps.  II  m'a  dit  qu'il  faut 
que  je  demeure  a  l'armee 

»  Au  camp  de  Coilli. « 


A  la  meme. 


7  Avril  163T. 


«  Madame, il  n'y  anulles  nouvelles  ici ,  si 

ce  n'est  que  l'armee  navale  a  fait  une  descentc 
dans  les  lies  que  les  ennemis  tenoient.  Je  soupai 
hier  au  soir  avec  M.  le  cardinal  de  La  Valette 
qui  revenoit  de  Ruel ;  je  ne  crois  pas  qu'il  parte 
d'un  mois  pour  aller  a  l'armee.  M.  le  due  de 
Weimar  se  separe  de  la  sienne  cette  annee.  On 
lui  donne  M.  Du  Hallier  avec  quelques  troupes 
francoises '' 

>'  A  Paris.  » 


i 


A  la  meme. 


27  Juin  1637. 


"  Madame, on  travaille  ici  a  faire  une  ligiic 


rOlIR    SERVIR    d'intBODLCIIOIN    a    SES    MEMOIRES. 


847 


de  circonvallation.  Les  ennemis  out  un  camp 
aupres  de  Valenciennes,  mais  qui  est  encore 

fort  foible 

»  A  Landreci.  » 


A  la  meme. 


21  Juillet  1637. 


«  Madame, ce  valet  de  chambre voiis 

dira  ce  qui  se  passe  a  ce  siege ,  dont ,  selon  tou- 
tes  les  apparences ,  on  verra  la  fin  en  peu  de 
jours.  II  y  a  ici  la  plus  grande  abondance  de 
toutes  choses  qu'on  ait  jamais  vue  dans  aucune 
armee  en  France 

»  Au  camp  devant  Landreci.  -> 


A  la  meme. 


26  Juillet  im' 


«  Madame,  je ne  croyois pas que  cette  place 

se  prit  si  tot ;  ils  en  sont  sortis  aujourd'hui.  A 
cette  heure  que  cette  armee  est  libre,  on  est 
capable  de  faire  d'autre  progres  ,  si  les  ennemis 
ne  s'y  opposent  avec  de  plus  grandes  forces  que 
celles  que  Ton  a  vues  jusqu'ici ;  la  prise  de  cette 
place  doit  les  facber  extremement ,  car  on  peut 
faire  contribuer  jusqu'aux  portes  de  Cambrai , 
de  Mons  et  de  Valenciennes.  On  attend  ordre  de 

la  cour  pour  savoir  ce  que  I'armee  deviendra 

Onn'a  pas  encore  nouvelle  ici  que  M.  le  prince 
d'Orange  ait  rien  entrepris.  On  tient  toute  son 
armee  embarquee  vers  la  Zelande ,  mais  le  vent 
a  toujoursete  contraire 

»  A  Landreci.  " 


A  la  meme. 


29  Juillet  1637. 


■  Madame, il  y  aura  demain  huit  jours  que 

cette  ville  commenca  a  capituler.  M.  de  Vaube- 
court  en  est  gouverneur  et  son  regiment  dedans. 
Celui  qui  etoit  alle  a  la  cour  pour  savoir  ce 

I  que  I'armee  deviendroit ,  est  revenu  ;  je  ne  sais 
pas  encore  ce  qu'il  a  apporte  ,  parce  qu'il  n'est 
arrive  qu'a  ce  soir,  et  que  c'est  au  quartier  de 

'  deia  I'eau.  Des  que  nous  commencerons  a  mar- 
cher je  vous  le  manderai.  On  a  eu  nouvelles 
que  le  prince  d'Orange,  ayant  trouve  le  vent 
contraire ,  est  alle  assieger  Breda ,  et  que  la  cir- 
convallation est  commencee 

"  Au  camp  de  Landreci.  » 

A  la  meme. 

11  Aoul  1637. 

■  Madame,. . . .  larmee  est  a  Maubeuge  (que  Ton 


a  pris) ,  six  lieues  plus  avant  que  Landreci  et 
a  trois  beures  de  Mons  ;  il  y  a  apparence  que 
Ton  fera  quelques  secours  ici.  Picolomini  est  ar- 
rive a  Mons,  et  n'a  emmene  que  quatre  regi- 
mens de  cavalerie,  qui  peuvent  faire  douze  ou 
quinze  cens  chevaux  ,  et  six  regimens  d'infan- 
terie ;  on  le  salt  certainement  par  beaucoup  de 
prisonniers.  Toute  la  plus  grande  force  des 

Pays-Bas  est  encore  vers  Breda Picolomini 

a  renvoye  force  soldats  sans  rancon  ,  qu'il  avoit 
pris,  aliant  querir  de  la  paille.  On  lui  a  renvoye 
aussi  quelques  officiers  des  siens.  On  n'a  point 

de  nouvelles  assurees  de  Breda 

»  Au  camp  de  Maubeuge.  » 


A  la  meme. 


30  aout 1637. 


«  Madame, une  partie  de  I'armee  est  par- 
tie  aujourd'hui  pour  aller  assieger  Avesnes.  Je 
suis  demeure  ici  avec  M.  de  Candale ,  avec  I'au- 
tre  partie.  Picolomini  est  toujours  aupres  de 
Mons,  et  a  aussi  quelques  troupes  en  Flandre  avec 
lui ;  ils  disent ,  dans  cette  armee  ,  que  le  cardi- 
nal infant  assiege  Venio  et  Parmont,  et  tiennent 
Breda  pour  perdu  ;  peut-etre  que  M.  de  Candale 
pourroit  me  laisser  ici  et  s'en  aller  au  siege 
(d' Avesnes).  M.  de  Bussi  est  arrive  a  Guise  avec 
quelques  troupes  ;  on  est  aussi  fortifie  de  trois 
regimens  qu'avoit  M.  Lambert ,  que  Ton  dit 

qui  a  servi  dans  I'armee  de  M.deChatillon 

Dans  le  plan  de  la  circonvallation  de  Breda, 
raon  frere  y  comraande  un  quartier.  J'etois,  il  y 

a  cinq  ou  six  jours ,  a  la  prise  d'une  ville  qui 

s'appelle  Beaumont 

»  A  Maubeuge.  » 

A  la  meme. 

10  Octobre  1637. 

«  Madame,....  je  marchai  hier  de  Maubeuge 
avec  I'armee  qui  y  etoit ;  celle  qui  etoit  a  Lan- 
dreci vint  joindre.  Les  ennemis  tacherent  d'em- 
pecher  la  jonction  ,  mais  foiblement  et  avec 
perte  de  leurs  gens....  On  a  eu  quelque  necessite 
a  Maubeuge  ,  mais  pas  si  grande  que  Ton  en  a 
fait  courre  le  bruit.  Je  pense  que  I'armee  mar- 
chera  demain ;  on  ne  sait  pas  encore  de  quel 
cote 

»  Au  camp  de  Landreci.  » 

A  la  memr. 

22  Mars  1638. 
«  Madame,....  fj'informc)   particulicrcment 


3-18 


LETTRES    DU    VICOMTE    DE   TURENNE  , 


la  cour,  par  les  lettres  que  j'ecris,  de  I'etat  au- 
quel  j'ai  trouve  les  troupes  que  le  Roi  ieve  ici , 
apres  que  leur  quartier  a  ete  enleve.  J'ai  cru 
que  cela  etoit  assez  d'importance  pour  faire  pas- 
ser quelqu'un  expres.  J'attendrai  leurs  ordres 
la-dessus.... 
»  A  Liece.  » 


A  la  meme. 


10  Avril  1638. 


«  Madame,....  j'atteuds  avec  impatience 

de  savoir  eequ'ils  m'ordonneront  de  la  cour.... 
J'ai  recu  une  lettre  de  M.  le  cardinal  de  La  Va- 
lette,  par  laqueile  il  me  mande  comme  M.  de 
Crequi  a  ete  tue  d'un  coup  de  canon  ,  et  qu'il  a 
ordre  d'aller  en  Italie  tort  promptement.  Par 
les  premieres  lettres  ,  je  pourrai  savoir  ce  que 
je  deviendrai.... 

»  A  Maestricht.  » 


A  la  meme. 


30Juilletl638. 


«  Madame  ,....  je  passai  hier  le  Rhin  a  Neu- 
bourg ,  au-dessus  de  Rrisac  ,  et  n'ai  presque 
point  perdu  de  soldats,  pour  avoir  marche  par 

les  plus  grandes  chaleurs  qu'il  est  possible 

M.  le  due  de  Weimar  verra  demain  les  troupes 
quej'aiamenees. ... 

"  Pres  Neubourg.  >. 


A  la  meme. 


2Aoiit  1638. 


«  Madame,....  je  vous  dirai  comme  je  suis 
arrive  a  Fribourg,  ou  estM.  le  due  de  Weimar, 
avec  les  troupes  que  Ton  m'a  commande  de  lui 
amener ,  n'a,vant  perdu  presque  personne  pour 
un  si  grand  chemiu..., 

«  A  Fribourg.  » 


A  la  meme. 


llAoiitl638. 


«  Madame,....  craignant  que  vous  ne  soyez 
en  peine  a  cause  de  la  bataille  qui  se  donna 
avant-hier,  je  me  donne  I'honneur  de  vous  faire 
ce  mot....  On  a  pris  onze  canons  des  ennemiset 
quelque  vingt  cornettes  ou  drapeaux.  Savelli 
et  Goetz  etoient  joints  ensemble....  Les  enuemis 
ont  bien  perdu  douze  ou  quinze  cents  chariots... 

»  Au  camp,  pres  Capel.  » 

A  la  meme. 

23  Septembrc  1638. 
Madame  ,....  je  nc  vous  ai  pas  writ  ,  y  ayant 


dix  ou  douze  jours  que  j'ai  une  fievre  fort  chan- 
geante  ;  il  semble  qu'elle  me  veuille  quitter.  Je 
suis  a  Colmar  ,  a  trois  heures  du  camp.  M.  le 
due  de  Weimar  a  ete  raal ,  et  est  gueri.... 
»  A  Colmar.  » 


A  la  meme. 


17  Octobre  1638. 


«  Madame  ,....  j'ai  eu  une  maladie  qui  m'a 
retenu  assez  long -temps  a  Colmar.  Je  crois 
m'en  aller  demain  au  camp ,  ayant  ete  quelque 
temps  sans  fievre....  J'ai  eu  ordre,  lacampagne 
etant  passee  ,  de  m'en  retourner  trouver  le  Roi. 
M.  de  Weimar  a  defait  toute  la  cavalerie  de 
M.  de  Lorraine  ,  pris  vingt  cornettes  et  du  ca- 
non.... 

"  A  Colmar.  » 


A  la  meme. 


26  Oclobre  1638i 


«  Madame ,....  il  y  a  huit  jours  que  je  suis  arvi 
riv6  au  camp  ;  je  suis  ,  Dieu  merci  ,  assez  bienr 
refait  pour  une  si  facbeuse  maladie  ;  le  lende- 
main  ,  les  ennemis  vinrent  se  camper  vis-a-vis> 
Dimanche  dernier  ils  attaquerent,  et  apres  avoir 
gagne  deux  forts  ,  les  Francois  les  leur  repri- 
rent.  lis  font  etat  d'avoir  perdu  plus  de  douze 
cents  hommes;  c'a  ete  un  assez  grand  combat ;, 
les  Francois  ont  fort  bien  fait.  (  Les  ennemis  ); 
se  sont  retires  deux  heures  plus  loin.  On  a 
beaueoup  de  bonheur  jusqu'ici  ;  mais  les  choses. 
changent  bien  aisement....  J'ai  permission  de- 
m'en  aller  apres  la  fin  de  la  campagne 

»  Au  camp  de  Brisac.  « 


A  la  meme. 


10Noyembrel638., 


«  Madame, les  ennemis  se  sont  un  peu 

eloignes;  ceux  de  Brisac  paroissent  etre  ea 
grande  necessite.  On  a  emporte  quelques  lleux 
forts  qu  ils  tenoient  ces  jours  passes.... 

>'  Devant  Brisac.  » 


A  la  meme. 


6  D^cenibre  1638. 


»  Madame,....  il  est  arrive  ici  un  secours  de 
I'armee  de  M.  de  Lougueville  ,  depuis  cinq  ou 
six  jours  ;  c'etoit  toute  iufanterie....  Dans  peu 
de  jours  le  siege  fiuira.  Ce  ne  pent  etre  que 
bien  ,  a  moins  qu'il  n'arrive  un  grand  malheur. 
Nous  sommes  ici  fort  bien  huttes  et  en  etat  de 
demeurer  long-temps  ,  a  moins  que  les  ennemis. 
jie  nous  en  chassent.... 

"  Au  camp,  devant  Brisac.  - 


POUR    SEBVIU    b'lMRODl'CTION     V    SES    MEMOIRES. 

Alameme.  Alameme. 


3 '4  9 


18  Decembre  1638. 

n  Madame,....  (on  va)  porter  a  la  cour  lanou- 
velle  de  la  prise  de  Brisac.  On  y  est  entre  au- 
jourd'hui ;  la  raoitie  de  ceux  de  dedans  sont 
morts  de  faira.  II  y  a  eu  une  extreme  necessite. 
Je  partirai  dans  quelques  jours  ,  et  suis  un  peu 
incommode  de  la  fievre  quarte  qui  demeure  re- 
glee  ,  et  ai  souvent  les  autres  jours  des  acces  de 
fievre  le  soir.  Je  n'ai  pas  bouge  du  camp,  et 
n'ai  pas  laisse  de  sortir  tous  les  jours  a  I'ordi- 
naire. . . . 

'•  Au  camp  de  Brisac.  » 


A  la  meme. 


20  Avril  1639. 


«  Madame, les  affaires  sont  toujours  en 

mauvais  etat  en  Italie  ;  les  ennemis  ay  ant  pris 
depuis  peu  Verrac  et  Cressentin  ,  tout  le  monde 
commence  a  partir  d'ici  pour  aller  a  I'armee. 
On  fait  passer  force  troupes  en  Piemont.... 

»  A  Paris.  » 


A  la  meme. 


29  AYrill639. 


« Madame,...  il  y  a  huit  ou  dix  jours  que  je 
suis  arrive  a  Pignerol ,  et  ai  trouve  la  treve  faite 
jusqu'au  24  octobre ,  aux  conditions  que  toutes 
choses  demeureroient  en  I'etat  qu'elles  etoient 
durant  la  guerre,  a  savoir :  la  \'ille  de  Turin  aux 
ennemis,  et  la  citadelle  au  Roy.  On  n'a  pas  en- 
core su  de  la  cour  s'ils  I'approuvent.  On  dit 
qu'elle  devoit  etre  a  Lyon  dans  trois  ou  quatre 
jours,  si  ce  traite  ici  ne  I'a  fait  retourner.  Tou- 
tes les  troupes  sont  demeurees  en  ce  pays.  J'ai 
vu  madame  ( la  duchesse  de  Savoie),  qui  est  a 
cette  heure  a  Saluce,  en  assez  mauvais  etat,  si 
apres  cette  treve  on  ne  trouve  quelqu'accom- 
modement  pour  elle... 

»  A  Pignerol.  » 

A  la  meme. 

15  Septembre  1639. 

«  Madame,...  M.  le  cardinal  de  La  Valette 
est  raalade  depuis  quatre  ou  cinq  jours  ;  je  crains, 
comme  son  mal  a  commence,  qu'il  ne  lui  dure 
quelque  temps.  Les  troupes  des  ennemis  et  les 
notres  sont  dans  les  quartiers  sans  nulle  inter- 
ruption de  la  treve.  Madame  de  Savoie  doit  etre 
a  cette  heure  aupres  du  Roi ,  a  Lyon  ;  je  pen.se 
que  des  qu'elle  I'aura  vu  elle  reprendra  le  che- 
min  de  la  Savoie. 

>■  A  Pignerol.  » 


5  Octobre  1639. 

"Madame,...  il  faut  necessairement  qu'il  y 
ait  de  mes  lettres  perdues ;  je  me  suis  donne 
riionneur  de  vous  ecrire  depuis  la  mort  de  M.  le 
cardinal  de  La  Valette...  II  doit  passer  ,  un  de 
ces  jours,  douze  ouquinzecompagnies  du  regi- 
ment des  gardes  du  Roi ,  et  quelqu'autre  infan- 
terie.  La  treve  finissant  le  24  de  ce  mois,  je  vous 
manderai  quels  officiers  d'armee  demeureront 
ici,  et  celui  qu'on  enverra  pour  y  commander... 

» A  Pignerol.  » 

.4  la  meme. 

13  Octobre  1639. 

"Madame,...  M.  le  cardinal  (de  Richelieu) 
m'a  mande  qu'il  a  parie  au  Roi  pour  me  donner 
le  regiment  de  cavalerie  de  feu  M.  le  cardinal 
de  La  Vallette,  et  qu'il  me  I'aaccorde...  M.  le 
comte  d'Harcourt  arrive  demain ,  qui  a  deja  dit 
a  plusieurs  de  mes  amis  a  Grenoble ,  qu'il  veut 
fort  bien  vivre  avec  moi... 

»  A  Pignerol.  » 

A  la  meme. 

4  Novembre  1639. 

"Madame,...  nous  avons  pris  une  grande 
ville  nommee  Chier,  dans  laquelle  toute  I'armee 
est  logee  et  avec  grande  abondance  de  vivres... 
II  y  a  aujourd'hui  huit  jours  que,  les  deux  ar- 
raees  s'etant  trouvees  en  campagne ,  notre  cava- 
lerie eut  quelqu'avantage  sur  les  ennemis...  On 
ne  parle  plus  ici  de  \k  treve;  mais  je  crois  que 
le  mauvais  temps  fera  bientot  retirer  les  ar- 
mees... 

» A  Chier.  » 


A  la  meme. 


9  Novembre  1639. 


«  Madame,...  pour  ce  qu'il  vous  plait  que  je 
vous  mande  de  la  maladie  de  M.  le  cardinal  de 
La  Valette ,  il  est  mort  d'une  grande  fievre  con- 
tinue... Nous  sommes  toujours  a  Chier,  et  je 
crois  que  notre  armee  et  celle  de  nos  ennemis  se 
retireront  bientot... 

«  A  Chier.  » 


A  la  meme. 


3  Mai  1640. 


"Madame,...  je  n'ai  pas  le  temps  de  vous 
mander  autre  chose  si  ce  n'est  que  Ton  a  gagne 
une  bataille  centre  M.  le  marquis  de  Leganes 
quiassiegeoitCasal.  II  aperdu  plusdecinqmiile 


350 


LETTRES    DU    VICOMTE    DE    TLBENNE  , 


hommes ,  tons  Espagnols  naturels ,  avec  son  ca- 
non et  son  bagage.  Nousavons  beaucoup  perdu, 
mais  pas  approchant. . . 
>>  Au  camp  de  Caillon.» 


A  la  mSme. 


16  Aoat  1650. 


«  Madame,....  on  demeure  assez  en  repos, 
quoique  les  ennemis  soient  assez  proches.  Je 
pense  que,  dans  quinze  jours  ou  trois  semaines, 
on  vena  la  fm  de  ceci....  Je  verrai  dans  quelque 
temps,  apres  le  siege  de  Turin  ,  si  je  demeurerai 
en  Italic  cet  hiver.... 

»  Devant  Turin.  » 

A  la  meme. 

20  Novembre  1640. 

«  Madame,....  j'avois  dit  a  quelqu'uns  de 
mes  gens  de  vous  mander  I'etat  de  ma  maladie, 
qui  a  ete  extremement  grande  de  douleurs  d'es- 
tomac  les  plus  \iolentes  du  monde ,  avec  une 
fievre  presque  continue,  m'ayant  dure  a  Turin 
pres  de  eiuq  semaines.  Etant  retombe  deux  ou 
trois  fois  et  ne  pouvant  trouver  de  soulagement , 
je  )ne  suis  resolu  de  me  faire  porter  a  Lyon ,  es- 
perant ,  par  le  changement  d'air  et  les  medecins 
qui  y  sont ,  de  trouver  du  soulagement. 

»  J'ai  fait  huit  journees  sans  arreter,  durant 
lesquelles  je  me  suis  trouve  quitte  de  mes  dou- 
leurs ,  et  suis  venu  en  brancart,  ayant  passe  les 
montagnes  fort  heureusement.  Je  m'arreterai  a 
Lyon  ou  aupres.... 

>>  Depuis  mon  depart ,  je  me  suis  aussi  trouve 
quitte  de  la  lievre.  J'ai  laisse  une  partie  de  mon 
equipage  en  Piemont,  ou  j'etois  destine  de  de- 
meurer  cet  hiver,  M.  le  comte  de  Harcourt  ve- 
nant  a  Paris. 

»  A  Chamberi.  >- 

A  mademoiselle  de  Bouillon ,  sa  saur. 

3  Juillet  1642. 

«  Ma  chere  Socur,  je  n'ai  jamais  en  ma  vie  eu 
nouvelle  qui  m'ait  touche  si  sensiblement  que 
celle  de  savoir  comme  mon  frere  a  ete  arrete  a 
Casal  parordredu  Roi.  II  y  a  mille  choscs  a 
dire  que  Ton  ne  sauroit  mire;  mais  il  n'y  a 
rien  qui  soit  si  capable  d'aigrir  la  cour  contre 
mon  frere  que  de  ne  se  pas  bien  gouverner  a 
Sedan  ;  il  faut,  a  mon  avis,  bien  prendre  garde 
a  cela,  et  a  ne  donner  nulsujet  de  soupcon.  Pour 
moi ,  je  n'aurai  jamais  d'autre  pensee,  sinon  que 
Sedan  soit  conserve  a  mon  frere  et  a  ses  enfans. 
Quoique  j'aie assez  d'ambition  pour desirer  avoir  ! 


une  fortune  plus  grande  que  celle  que  j'ai,  je  ne 
desirerai  jamais  m'agrandir  par  ce  moyen-la. 
J'envoie  ce  gentilhomme  a  Sedan  pour  savoir 
des  nouvelles  de  madame  et  de  vous ,  et  de  raa 
belle-soeur.  Un  voyage  que  Douteville  a  fait  de 
la  part  de  mon  frere  a  la  cour,  a  donne  beau- 
coup  de  soupcon.  J'etois  aux  eaux  dans  ce 
temps-la.  Je  suis  persuade  que  vous  croyez  bien 
que  mon  affliction  est  aussi  grande  que  celle  de 
ceux  qui  emplissent  une  feuille  de  papier  a 
parler. 

»  On  me  mande  de  la  cour  qu'il  est  tr6s- 
certain  que  mon  frere  avoit  part  dans  cette  ca- 
bale  de  M.  le  Grand  (ecuyer ) ;  et  M.  le  cardinal 
m'a  mande  qu'il  me  fera  voir  comme  mon  frere , 
deux  mois  apres  son  accommodement ,  avoit 
deja  commence  a  se  mettre  dans  cette  affaire. 
Monsieur  a  ecrit  a  la  cour  et  prie  qu'on  lui 
veuille  pardonner.  Voyant  le  commencement 
de  tout  ceci,  j'ai  prie  mon  frere  cent  fois, 
quand  je  retournai  de  Sedan  a  Paris ,  qu'il 
prit  garde  a  lui ,  et  qu'il  ne  fit  nuUe  chose  qui 
put  donner  soupcon.  II  ne  me  temoigna  jamais 
qu'il  eut  aucune  part  avec  M.  le  Grand. 

»  Au  camp  devant  Perpiguan.  » 

A  la  meme. 

7Fdvrierl6i3. 

«  Ma  chere  Soeur,  si  vous  pouviez  faire  quel- 
ques  ventes  de  bois  ,  cela  m'accommoderoit  ex- 
tremement ,  car  je  suis  oblige  d'emprunter  de 
I'argeut  pour  vivre,  et  de  le  prendre  a  interet, 
qui  est  une  chose  que  vous  savez  qui  incommode 
fort. 

»  M.  le  prince  d'Orange  m'a  fait  faire  de 
grands  complimens  par  Benevent,  et  d'une  telle 
facon ,  que  vous  jugerez  bien ,  quand  il  vous  le 
dira  ,  qu'il  auroit  joie  de  m'obliger.  Si  ma  sceur 
de  Duras  vouloit  envoyer  son  second  fils ,  en 
cas  que  M.  le  prince  d'Orange  temoignat  le  de- 
sirer, je  lui  en  ecrirois,  et  je  tacherois  de  I'obli- 
ger  a  en  prendre  un  soin  particulier,  en  cas 
qu'on  le  lui  envoyat.  Que  ma  soeur  de  Duras 
m'en  ecrive  son  sentiment,  le  mien  ne  s'eloigne 
pas  de  cela.  Je  ne  me  suis  pas  hate  de  presenter 
au  Roi  son  fils  aine ,  parce  que  d'ordinaire, 
etant  aussi  grand  qu'il  est ,  on  ne  va  guere  chez 
le  Roi  que  quand  on  doit  sortir  de  I'academie 
pour  aller  a  I'armee. 

»  A  Paris.  » 

Lettre  du  Roi  au  vicomie  de  Turenne. 

«  Mon  cousin  ,  vous  ayant  donne  le  comman- 
dement  du  corps  de  trouppes  de  cavallerie  et 


POLH    SERYIR    d'iMRODI  CTIOX    A    SES    MEMOIBES, 


351 


d'infanterie  dont  j'ai  resolu  de  fortifier  raon 
arraee  d'ltalie ,  et  ayant  desire  de  le  composer 
tant  des  regimens  de  Vaubecourt ,  du  marquis 
deBreze  etde Douglas,  d'infanterie  deTreilly, 
de  Magalotti et  de  Bouillon ,  de  cavallerie ,  jay 
donne  seulement  ordre  de  passer  en  Piedmont 
auxdeux  regimens  de  cavallerie  et  d'infanterie 
que  vous  commandez ,  et  de  ceux  d'infanterie 
de  Laval  et  d'Effiat.  J'ai  bien  voulu  vous  en 
donner  advis  par  cette  lettre ,  et  vous  dire  que 
nion  intention  est  que  vous  ayez  le  commande- 
raent  particulier  desdites  trouppes,  en  I'absence 
de  mon  cousin  le  prince  Thomas ;  et  soubs  son 
authorite,  en  sa  presence ,  que  lorsqu'il  vous  or- 
donnera  dejoindre  mon  armee  avec  ledit  corps, 
vous  le  fassiez  incontinent ,  en  conserviez  neant- 
moins  en  ladite  armee  le  commaudement  parti- 
culier sur  ledit  corps ,  ainsi  que  le  sieur  Du 
Plessis  -  Praslin  le  gardera  sur  le  reste  des 
trouppes  de  ladite  armee,  aussy  soubs  I'aucto- 
rite  de  mondit  cousin,  et  qu'en  touttes  occasions 
vous  agissiez  suivant  les  ordres  de  mondit  cou- 
sin', et  de  si  bon  concert  avec  ledit  sieur  Du 
Plessis  Praslin,  que  cette  separation  de  commau- 
dement ne  puisseaucunementprejudicieramon 
service  ny  empecherou  refroidir  I'execution  des 
desseins  auxquels  madite  armee  devroit  estre 
employee;  que  pour  servir  soubs  vous,  dans  cet 
employ,  j'ai  choisi  le  sieur  Magalotti ,  marechal- 
de-camp,  me  remettant  a  vous  de  prendre  des 
aydes-de-camp  a  votre  choix  ;  et  que ,  lorsque 
vous  agirez  separement ,  vous  demanderez  ung 
des  sergens  de  battaille  qui  sont  en  I'armee , 
a  mondit  cousin,  auquel  je  me  remets  de  ce  que 
je  pourrois  au  surplus  vous  prescrire  sur  votre 
employ  pardela.  Etcommejemepromets  beau- 
coup  des  services  que  vous  m'y  rendrez,  aussi 
je  vous  asseure  qu'ils  me  seront  en  tres-parti- 
culiere  recomraandation ,  priant  Dieu  qu'il  vous 
ayt,  mon  cousin  ,  en  sa  sainte  et  digne  garde. 
»  Escript  a  Paris ,  le  27*'  mars  1643. 

"  Louis. 
•'  Et  plus  bas  :  Le  Tellieb.  » 

!  M.  le  vicomte  de  Turenne  a  mademoiselle  de 
Bouillon ,  sa  scmr. 

28  Mars  1643. 

'<  Ma  chere  Soeur,  il  me  semble  que  je  n'ai 
rien  a  vous  mander,  pour  repondre  a  tout  ce 
que  vous  m'avez  ecrit.  Je  mande  a  mon  pere 
que  je  n'ai  point  voulu  approfondir  avec  MM.  les 
ministres  la  raison  pour  laquelle  on  n'en  parte 
point.  Je  dois  etre  encore,  cette  campagne ,  lieu- 
tenant-general avec  M.  de  La  Meillerave.  Le  Roi 


prend  occasion ,  sur  la  religion ,  a  temoigner 
qu'il  ne  veut  rien  faire  pour  moi ;  il  faut  encore 
achever  cette  campagne.  On  parte  fort  de  la 
paix  et  d'une  suspension  d'armes,  et  beaucoup 
plus ,  je  vous  assure ,  que  de  mon  mariage. 

»  Quand  ma  soeur  de  Duras  n'enverroit  pas 
son  second  fits  en  Hollande,  jeserois  bien  d'avis 
que  I'aine  fiit  avec  moi  a  I'armee, deux  outrois 
mois  avant  I'autre ,  car  il  me  semble  que,  quand 
deux  freres  sont  ensemble ,  ils  ne  se  quittent 
jamais ,  et  cela  les  empeche  d'etre  tant  connus 
que  quand  ils  sont  seuls.  Je  n'ai  pas  besoin  de 
grande  rhetorique  pour  vous  persuader  que  vous 
me  ferez  tres-grand  plaisir  si  vous  pouvez  m'en- 
voyer  de  I'argent  de  ce  pays  ou  vous  etes. 

»  Adieu ,  chere  Soeur,  aimez-moi  toujours , 
et  soyez  assuree  que  vous  etes  parfaitement 
aimee  de  moi. 

»  A  Paris.  » 


^4  la  meme. 


4  Avril  1643. 


«  Ma  chere  soeur,  j'ai  dit  a  la  Fercade  d'en- 
voyer  le  changement  de  I'ordre  pour  la  route 
des  gens  de  guerre  qui  passoient  a  Castillon ;  je 
vous  ai  envoye  un  chiffre  et  pourrai  par  la 
vous  mander  quelque  chose  quand  je  saurai 
que  vous  I'aurez  recu.  Pour  ce  qui  est  du  ma- 
riage ,  vous  croyez  bien  que  je  n'y  aurois  avan- 
ce  chose  du  monde  sans  vous  le  faire  savoir  : 
je  pretends  passer  jusqu'a  I'hiver  prochain  sans 
un  engagement  entier,ne  sachant  comme  toutes 
choses  iront  entre  ce  temps-ci  et  celui-la  ;  je 
I'ai  fait  dire  comme  cela  a  M.  de  La  Force. 

»  M.  de  Chavigny  m'a  fait  dire  qu'il  seroit 
bien  aise  de  me  parler  apres-diner ;  je  ne  sais 
ce  que  ce  pent  etre.  On  parte  extiemement  de 
la  paix  et  d'une  suspension  d'armes ;  je  crois 
que  le  dernier  sera  assurement  bieutot.  S'il  n'y 
avoit  point  de  changement ,  je  partirois  d'ici 
dans  le  dix-sept  ou  le  dix-huit  de  ce  mois ;  mais 
comme  dans  cette  semaine  on  ne  voit  presque 
personne,  je  vous  le  manderai  certainement 
dans  huit  jours. 

»  A  Paris.  » 


A  la  meme. 


18  Avril  1643. 


«  Ma  chere  soeur,  je  vous  puis  assurer  qu'a 
mon  retour  d'ltalie,  qui  sera,  s'il  plait  a  Dieu  , 
a  la  fm  de  la  campagne,  seton  que  Ton  men  a 
assure ,  je  vous  irai  voir  en  Guienne  ,  si  vous 
y  etes  encore  ,  et  si  vous  etes  a  Paris  avec  ma 
belle-soeur  ,  j'en  aurai  une  joie  extreme  ,  etant 
tres-aise  que  vous  puissiez  voir  comme  toutes 


3.32 


LKTTKKS    UU    ViCOMTE    ])E    TUllEIN^E, 


choses  voiit ;  car  on  ne  peut  pas  donner  d'avis 
assure  sur  les  choses  que  Ton  ne  voit  pas  ;  je 
passerai  certainement  par  la  Guienne  ,  si  vous  y 
etes,  avant  que  de  retourner  a  Paris  ;  j'aurois 
une  joie  non  pareille  de  vous  entretenir.  II  faut 
que  les  choses  changent  fort  pour  que  les  af- 
faires de  mon  frere  aillent  bien  ;  et  rien  ne  m'a 
tant  fait  resoudre  a  prendre  Temploi  que  j'ai , 
que  Tembarras  de  ne  savoir  que  devenir.  Mon 
frere  part  de  la  cour  pour  s'en  aller  au  pays ;  je 
me  suis  tres-bien  separe  d'avee  lui ,  et  je  ne  sais 
ce  que  vous  aurez  oui  dire  ;  mais  il  n'a  nul  su- 
jet  de  se  plaindre  de  moi.  Je  n'ai  nul  engage- 
ment de  mariage ,  tout  etant  remis  a  Thiver  qui 
vient.  J'ai  avec  moi  sept  regimens  d'infanterie 
et  cinq  de  cavalerie  ;  les  deux  miens  en  sont , 
devant  prendre  I'ordre  de  M.  le  prince  Thomas 
quand  je  serai  joint  avec  lui.  J'ai  fait  M.  de 
Varennes  capitaine  de  mes  gardes.  » 


A  la  me  me. 


19Avrill643. 


«  Ma  chere  soeur  ,  je  n'ai  point  recu  de  vos 
lettres  cette  semaine  ,  ni  de  personne  du  cote 
ou  vous  etes.  II  me  semble  que  I'armee  ou  je 
devois  aller  se  retarde  fort ;  je  pense  que  c'est  a 
cause  de  la  sante  du  Roi.  Selon  Tapparence  , 
toutes  choses  vont  bien  changer  ;  ce  n'est  pas 
en  effet  que  je  trouve  le  Roi  si  mal  que  tout  le 
monde  meme  le  dit  ici ;  je  crois  qu'il  en  court 
d'etranges  bruits  au  lieu  ou  vous  etes.  Quoique 
vous  voyez  que  je  ne  receive  nul  bienfait  de  la 
cour,  je  ne  laisse  pas  de  croire  que  M.  le  car- 
dinal Mazarin  est  fort  de  mes  amis  ;  hors  les  in- 
terets  de  M.  de  La  Meilleraye ,  j'ai  ete  fort  aise 
de  I'eloignement  de  M.  Des  Noyers.  M.  d'En- 
ghien  (1)  est  parti  pour  aller  a  I'armee. 

»  A  Paris.  » 


A  la  meme. 


16Mail6i3. 


'(  Ma  chere  soeur ,  vous  saurez  par  celle-ci 
comme  le  Roi  est  raort  jeudi  a  troisheures  apies 
midi ;  il  est  veritable  que  jamais  personne  du 
monde  n'a  fait  une  si  belle  fin  et  si  constante. 
Pour  I'affliction  de  la  cour,  elle  y  a  ete  tres-me- 
diocre.  La  Reine  vinthier  en  cette  ville ;  il  y  a 
de  tres-grandes  cabales  pour  faire  changer  le 
conseil  etabli  du  temps  du  Roi  :  dans  huit  jours 
on  verra  ce  qui  en  sera,  et,  pour  moi,  dans  fort 
pen  jesauraice  queje  deviendrai.  Jem'imagine 
que  ma  belle-soeur  viendra  ici  ,  et  si  je  ne  vas 
point  a  I'armee  cet  ete  ,  je  vous  coiivierois  d'y 
venir;  nous  nous  eonsulterons,  ma  sopur  de  La 

(1)  Depuis,  le  Granfl-Condc^. 


Tremouille  et  moi,  pour  vous  donner  notre  avis 
sur  votre  sujet ;  je  crois  que  le  temps  viendra 
auquel  on  pourra  etre  en  quelque  consideration. 
Je  vous  manderai ,  la  semaine  qui  vient ,  toutes 
les  choses  qui  me  concernent  en  toutes  les  fa- 
cons  ;  je  vous  envoie  une  lettre  que  M.  de  Ma- 
chaut  m'ecrit ,  et  afln  de  vous  dire  quelle  en  est 
la  raison  :  c'est  que  m'ayant  mande  qu'il  avoit 
eu  des  discours  avec  madame  la  princesse  d'O- 
rauge  sur  mon  sujet ,  et  de  telle  consequence , 
qull  seroit  a  propos  queje  les  susse,  je  lui  ecri- 
vis  que  s'il  vouloit  que  je  lui  envoyerois  un 
chiffre  ;  la  dessus  ,  il  me  recrivit  la  lettre  que 
je  vous  euvoye.  Je  m'imagine  que  ce  qu'il  veut 
dire  se  rapporte  a  ce  qu'il  me  marque  a  la  mar- 
ge ,  touchant  les  bruits  qui  courent  en  Hol- 
lande  ;  je  pense  que  vous  entendez  bien  ce  que 
je  peux  dire.  Mon  frere  arrivera  ce  matin ;  je 
m'en  vas  le  trouver  :  il  attendra  chez  madame 
de  La  Tremouille  et  logera  dans  mon  logis  qui 
est  beau. 
»  A  Paris.  » 


A  la  meme. 


30  Mai  1643. 


«  Ma  chere  soeur ,  je  vous  dirai  que  je  suis 
pret  a  partir,  dans  quatre  ou  cinq  jours,  pour 
m'en  aller  en  Italic.  Je  n'ai  point  pu  le  refuser, 
la  Reine  me  I'ayant  commande  et  assure  que  je 
serois  marechal  de  France  a  la  fin  de  la  campa- 
gne.  J'y  vas  avec  neuf  regimens  qui  y  marchent 
de  France ,  et  les  deux  miens  et  celui  de  M.  le 
comte  de  Laval ,  qui  me  joindront  en  ce  pays-lA. 
Je  commanderai  ce  corps  a  part ,  en  prenant 
I'ordre  de  M.  le  prince  Thomas.  Je  viens,  tout^ 
cette  heure,  de  parler  a  la  Reine  de  I'affaire  de 
mon  frere ;  elle  a  eu  de  fortes  impressions  contre 
cela ;  il  sera  bien  mal  aise  qu'elle  en  revienne. 
Monsieur  dit  qu'il  sert  mon  frere  en  ce  qu'il 
peut.  Pour  vous  dire  vrai ,  c'est  la  plus  difficile 
chose  qui  soit  maintenant  a  faire  a  la  cour.  Mon 
frere  est  en  doute  de  ce  qu'il  fera ,  ou  de  s'en 
aller,  ou  de  demeurer  dans  cette  ville.  Je  lui  ai 
temoigne,  et  a  tout  le  monde  ici,  combien  mes 
interets  me  touchoient  pen  au  prix  dessiensetde 
ceux  de  notre  maison.  Je  crois  qu'il  a  eu  entiere 
satisfaction  de  moi  en  cela  ,  et  j'ai  eu  le  bonheur 
de  pouvoir  demeurer  ici  assez  long-temps  pour 
voir  quel  train  peut  prendre  son  affaire.  Vous 
pouvez  juger  combien  il  lui  doit  etre  sensible  de 
voir  la  Reine  et  Monsieur  tout  puissans  ,  et  d'a- 
voir  perdu  Sedan  pour  I'amour  d'eux ,  sans  trou- 
ver a  cette  heure  de  jour  pour  y  rentrer.  La 
Reine  effectivement  a  toute  sorte  de  bonne 
volont6,  mais  on  lui  a  fait  la  chose  de  si  grand 


POUR    SERVIU    1)  INTRODUCTION    A    SES    MEMOTRF.S. 


3',r? 


prejudice  a  TEtat,  qu'elle  n'y  ose  rien  faire. 
Quant  a  ce  que  la  Heine  m'a  dit  que  je  serois 
raarechal-de-Fiance,  c'estsans  lui  en  avoir par- 
le;au  contraire,  j'ai  dit  partout  que  je  ne  de- 
manderois  jamais  rien  si  on  ne  donnoit  satisfac- 
tion a  mon  frere.  Je  vous  irai  voir  au  pays. 
»  A  Paris.  » 

Lettre  du  Roi  au  vicomte  de  Turenne. 

«  Mon  cousin ,  ay  ant  cy-devant  escrit  a  mon 
cousin  le  prince  Thomas  de  Savoye  pour  lui 
faire  prendre  le  commandement  general  de  mon 
armee  en  Italic ,  et  jugeant  a  propos ,  pour  I'au- 
toriser  d'autant  plus  ,  de  lui  confirmer  la  meme 
auctorite  par  mes  lettres-patentes ,  je  le  lui  ay 
fait  expedier  par  Tadvis  de  la  Reyne  regente , 
raadame  ma  mere ,  luy  donnant  pouvoir  de  com- 
mander mesdites  armees  en  chef,  en  qualite  de 
mon  lieutenant-general  representant  ma  per- 
sonue ,  et  tout  ainsi  que  les  avoit  feu  mon  oncle, 
leduc  de  Savoye,  du  Roy  deffunl,  monseigneur 
et  pere,  que  Dieu  absolve j  de  quoy  j'ai  bien 
voulu  vous  donner  advis  et  vous  dire  que  vous 
ayez  a  le  recognoistre  et  luy  obeir  en  ladite  qua- 
lite  de  general  desdites  armees  en  tout  ce  qu'il 
vous  commandera  pour  le  bien  et  advancement 
de  mon  service ,  et  qu'en  touttes  occasions  vous 
agissiez  en  qualite  de  mon  lieutenant-general 
en  son  absence,  et  soubs  lui  en  sa  presence, 
dans  le  corps  que  vous  commandez  ;  et  la  pre- 
sente  n'estant  pour  autre  subjet,  je  prie  Dieu 
qu'il  vous  ayt ,  mon  cousin  ,  en  sa  sainte  et  di- 
gne  garde. 

»  Escrit  a  Paris  ,  le  29  juin  164  3. 

»  Louis. 
>'  Et  plus  bas  :  Le  Tellier.  » 

Le  vicomte  de  Turenne  a  Mademoiselle  de 
Bouillon ,  sa  sceur. 

25  D^cembre  1643. 

«  Ma  chere  sceur,  je  vous  ecris  par  M.  Du 
'  Plessis  Besancon,  que  j'ai  prie  de  vous  voir;  il 
porte  un  memoire  detoutes  les  choses  necessai- 
res  pour  cette  armee,  lequel  il  m'a  promisd'ap- 
puyer;  il  vous  montrera  ce  memoire,  et  je  vous 
supplie  de  me  mander  quel  les  sont  les  choses  sur 
quoi  on  fait  difficulte. 


"  Souvencz-vous  ,  s'il  vous  plait,  de  chercher 
quelque  bon  medecin  pour  me  I'envoyer  :  on 
lui  donneroit  ici  de  fort  bons  gages. 

>'  Si  vous  voyez  mademoiselle  de  Rohan,  vous 
pouvez  lui  dire  que  je  ne  manquerai  pas  d'avoir 
soin  des  terres  de  M.  de  Birkenfeldt,  et  que 
M.  de  Lorraine  I'a  fait  menacer  depuis  pen  de 
les  briiler  s'il  ne  lui  paie  une  grande  contribu- 
tion ;  par  le  premier  qui  ira  aupres  de  M.  de 
Lorraine,  je  lui  en  ferai  parler. 

>>  Vous  pouvez  dire  a  madame  la  princesse  , 
qui  m'avoit  coramande  de  faire  ses  recomman- 
dations  a  M.  de  Montansier,  comme  Hasfeldt 
I'a  emmene  assez  loin  d'ici ,  je  n'ai  pas  laisse  d'y 
envoyer  :  on  le  traite  fort  bien.  Je  suis  scrvi- 
teur  tres-humble  a  mademoiselle  de  Rambouil- 
let ,  a  qui  vous  pouvez  aussi  dire  ces  uouvelles- 
la.  Ma  belle-soeur  m'excusera  bien  si  je  ne  lui 
ecris  point;  je  pretends  que  ces  lettres  ici  servi- 
ront  pour  elle ,  qui  a  tout  sujet  de  satisfaction 
sur  le  chapitre  dont  elle  me  paria  tant  en  ve- 
nant. 

»  J'ai  songe  qu'il  seroit  bon  que  M.  le  comte 
de  Laval  vit  si  M.  de  Melun  voudroit  quitter 
son  regiment  d'infanterie ,  qui  est  en  ce  pays ; 
il  est  fort  bon  ,  et  M.  de  Laval,  avecdes  recrues, 
auroit  un  des  meilleurs  regimens  de  France; 
j'en  ferai  parler  a  M.  Le  Tellier. 

»  De  Brissac. » 

A  la  meme. 

29D6cembrel643. 

«  Ma  chere  sceur,  j'ai  recu  la  votre  du  1 2  de- 
cembre,  et  n'ai  pas  grand'chose  a  vous  dire, 
vous  ayant  ecrit,  il  y  a  deux  jours,  par  M.  de 
Besancon  ;  je  vous  supplie  que  Ton  sollicite  ces 
deux  compagnies  d'augmentation  pour  mon  re- 
giment de  cavalerie;  il  en  faut  parler  a  M.  Le 
Tellier. 

»  Je  vous  prie  de  faire  compliment  de  ma 
part  a  M.  de  Ch^tillon  sur  I'affaire  de  son  fils, 
si  vous  jugez  que  cela  soit  necessaire.  Vousavez 
tres-bien  fait  de  repondre  a  M.  de  Varennes  que 
je  n'avois  jamais  oui  parler  de  ces  deux  char- 
ges. Encore  que  j'aie  ecrit  par  M.  de  Besancon  , 
depuis  quatre  jours ,  je  n'ai  pas  laisse  de  faire  a 
cette  lieure  une  tres-grande  depcche  a  M.  Lc 
Tellier. 

»  A  Colmar.  » 


111.    C.    D.    M.,   T.   111. 


23 


MEMOTRES 


MARECHAL    VICOMTE    DE    TURENNE. 


LivRE  prp:mier. 


DES  GUERRES  EN  ALLEMAGNE. 


Apres  le  siege  de  Thionville  (l),  que  M.  le 
due  d'Engliien  fit  avec  succes ,  il  conduisit  lui- 
meme  sur  les  bords  du  Rhin  cinq  ou  six  mille 
homraes  qui  joignirent  I'armee  d'Allemagne, 
eommandee par  leraarechal de  Guebiiant.  Quel- 
que  temps  apres ,  M.  le  due  d'Enghien  revint  a 
Paris,  et  M.  de  Guebriand  assiegea  Rotewil  (2), 
ou  il  fut  grievement  blesse  et  mourut  peu  de 
jours  apres. 

M.  de  Rantzau  ,  qui  eoramandoit  le  eorps  de 
M.  le  prince ,  ayant  pris  le  commandement  de 
I'armee,  marcha,  apres  la  prise  de  Rotewil,  a 
Dutliogue  (3),  ou  il  fut  mis  en  deroute  par  I'ar- 
mee de  Raviere  ,  et  fait  prisonnier.  Toute  la  ca- 
valerie  Allemande  se  retira  avec  peu  de  perte 
jusqu'au  Rhin ;  mais  I'infanterie  qu'on  avoit 
laissee  dans  Rotewil  se  rendit  a  discretion  ,  et 
celle  qui  etoit  dans  le  corps  de  I'armee  fut 
presque  entiereraent  dissipee. 

[  Pendant  le  siege  de  Trin ,  le  Roy  ecrivit  a 
M.  de  Turenne  en  ces  terraes  (4)  : 

«  Mon  cousin ,  ayant  sujet ,  pour  les  dernieres 
nouvelles  que  j'ay  recues  du  siege  de  Trin  ,  de 
**croire  qu'avec  I'ayde  de  Dieu  la  place  sera  bien- 
tost  en  ma  puissance  ,  si  elle  n'y  est  des  a  pre- 
sent, et  dans  la  satisfaction  que  j'ai  du  progres 
de  nos  armes  en  Italic ,  auxquels  je  scay  que 

I)  10  Aoutiew. 

(2)  IDNovembre. 

(3)  24  D(5cembrc. 

(4)  On  pourra  remarquer  une  grande  difff^rence  d'or- 
Ihographe  enlre  les  M^raoires  imprim(^s  de  Turenne  et 
ses  lellres  inddiles  que  nous  publions ,  ainsi  que  cer- 
laines  expressions  vieillies  que  Ton  Irouve  dans  les  lel- 
tres  du  Roi ;  malgri?  cellc  singularity,  nous  n'avons 
pas  cru  devoir  rien  rhangcr  aux  deux  tcxles. 


vous  avez  notablement  contribue  par  votre  ta- 
lent et  conduicte,  ne  desirant  pas  vous  retenir 
par  dela,  la  saison  estant  si  advaucee  qu'il  n'y 
a  pas  d'apparence  que  mes  affaires  y  puissent 
rccevoir  aucun  prejudice  par  votre  absence ,  je 
vous  faicts  cette  lettre ,  par  I'advis  de  la  Reyne 
regente ,  madame  ma  mere,  pour  vous  dire  que 
son  intention  et  la  mienne  est  qu'incontinant 
apres  la  prise  de  Trin ,  vous  vous  rendiez  pres 
de  moi ,  ou  je  pourrai  avoir  occasion  de  me  ser- 
vir  de  votre  personne ;  et  vous  asseurant  que 
j*ay  un  contentement  tres-entier  du  service 
que  vous  m'avez  rendu  en  toutes  occasions, 
memement  depuis  que  vous  estes  par  dela;  et 
sur  ce ,  je  prie  Dieu  qu'il  vous  ayt ,  mon  cousin, 
en  sa  sainte  et  digne  garde. 

»  Ecrit  a  Paris,  le  7  septembre  1643. 

»  Sign6  Lours. 

»  Et  plus  bas:  Le  Tellieb. 

»  J'ajoute  ce  mot  pour  vous  dire  que  mon 
intention  est  que  le  corps  que  vous  comman- 
dez  demeure  uni  au  reste  de  mon  armee  d'lta- 

lie  {5). 

»  Louis.  »] 


(5)  On  voil,  par  celte  lettre ,  une  double  precaution 
prise  par  Mazarin  contre  le  vicomte  de  Turenne ,  sous 
pr(5texte  des  meilleures  occasions  que  le  Roi  aurail 
d'employer  les  lalens  de  Turenne.  Mais  le  veritable  mo- 
tif de  ce  rappel,  que  Ton  regarda  comme  une  disgrace . 
fut  que  le  due  de  Bouillon ,  son  frere  ,  m^conlent  de  la 
cour,  avail  pris  du  service  dans  rarm^e  du  Pape,  avec 
le  litre  de  g6n6ralissime  d'Urbain  VIII ,  a  Rome ,  et 
que  Ton  craignait  le  voisinage  des  deux  fr^res  ,  chacuri 
a  la  tele  d'uiie  arm(?e  en  Italic. 

23. 


:?.5r. 


MEMOIRES    l)t'    VICOMTK 


M.  de  Turenne  etaiit  revenu  du  siege  de 
Trin  a  Paris,  M.  le  cardinal  Mazariu ,  qui 
commencoit  a  gouverner,  I'envoya  querir  et 
lui  dit  que  le  Roi  le  destinoit  pour  commander 
en  Allemai2;ne  ;  desorte  qu'il  se  tint  pret  a  par- 
tir  trois  ou  qiiatre  jours  apres ,  quoiqu'ii  fut 
fort  incommode  dun  reste  de  maladie  qui  avoit 
dure  depuis  la  fin  du  siege  de  Brisac,  sans 
I'empecher  pourtant  d'alier  tous  les  etes  en 
campagne.  Comme  cette  defaite  de  I'armee  du 
Roi  et  la  prise  de  Rotewil  arriverent  au  mois 
de  decembre,  les  ennemis  n'entreprirent  plus 
rien  cette  campagne,  et  M.  de  Turenne  etant 
arrive  le  meme  mois  a  Colmar,  y  fit  venir  les 
officiers  et  songea  aux  raoyens  de  remettre  I'ar- 
mee (1). 

[  L'iustruction  suivante  lui  avait  ete  remise  a 
son  depart  de  Paris ,  au  sujet  des  affaires  d'Al- 
lemagne : 

n  Le  Roi  et  la  Reine  regeute ,  sa  mere ,  etant 
obliges  de  remplir  au  plus  tot  le  commandement 
de  I'armee  d'Allemagne,  qui  s'y  trouve  vaccant 
par  le  deces  du  sieur  comte  de  Guebriand  ,  ma- 
reehal  de  France,  arrive  de  la  blessure  qu'il  a 
recue  a  la  prise  de  Rotewil ,  au  grand  deplaisir 
de  Leurs  Majestes,  qui  avoient  une  entiere  sa- 
tisfaction de  ses  services  ,  elles  ont  incontinent 
considere  pour  cet  effet  le  sieur  vicomte  de  Tu- 
renne ,  marechal  de  France  ,  comme  une  per- 
sonne  tres-capable  de  servir  Leurs  Majestes  a 
Tavantage  de  cet  Etat  et  h  I'approbation  pu- 
blique,  dans  eel  employ,  non  seulement  parce 
qu'il  a  toutes  les  qualites  qui  peuvent  etre  de- 
sirees  pour  une  charge  de  si  grand  poids  et  con- 
sequence, et  qu'il  a  toujours  fait  paraitre  une 
fidelite  singuliere  au  service  de  Sa  Majeste,  sans 
qu'aucuns  interests  particuliers  Ten  ayent  ja- 
mais pu  divertir,  que  parce  qu'il  s'est  acquis  beau- 
coup  de  connoissance  des  affaires  d'Allemagne, 
et  une  estime  et  creance  particulieres  entre  les 
principaux  de  I'armee,  pendant  qu'il  a  suivi  le 
feu  Roi,  de  glorieuse  memoire,  soubs  le  comman- 
dement de  feu  monseigneur  le  due  de  Weymar, 
aux  occasions  singulieres  qui  se  sont  offertes  a 
Namel  en  la  prise  de  Brissac.  Et  comme  les  allies 
de  cette  couronne  sont  sans  doute  dans  I'altente 
que  la  Reyne  ait  fait  un  choix  pour  cette  charge, 
digne  de  son  jugement  et  de  I'affection  qu'elle  a 
au  bien  de  la  cause  commune  pour  laquelle  les 
armeesduRoy  ontestejusques  a  present  si  heu- 
reusement  employees,  il  y  a  tout  sujet  d'esperer 
qu'ils  apprendront  celui  dudil  sieur  marechal 


(1)  Turenne  passe  ici  sous  silence  les  gdni^rcuxelTorls 
qu'il  (il  pour  remettre  I'armee;  I'abbc  Ilaguenet,  qui  le 
savail  (hi  cardiiial  do  nouiilon  ,  el  I'V^nioiit  d'Ahlan- 


DE    TLBli^NE.    [lG4  3] 

de  Turenne  avec  un  entier  applaudissement ; 
Leurs  Majestes  luy  ayant  done  faict  donner  le 
pouvoir  de  ladite  charge  ,  en  qualite  de  lieute- 
nant-general representant  la  personne  du  Roy 
en  ladite  armee  d'Allemagne,  bien  qu'il  soit  si 
ample  qu'il  ne  s'y  puisse  rien  ajouster,  et  qu'il 
n'y  ait  rien  a  prescrire  a  une  personne  si  bien 
intentionnee,  qui  a  une  parfaite  cognoissance 
des  affaires  de  la  guerre ,  et  qui  scait  I'etat  pre- 
sent de  celles  d'Allemagne,  neantmoins,  affin 
de  n'obmettre  aucune  chose  de  ce  qui  le  peut 
satisfaire  et  eclaircir  de  ce  que  Leurs  Majestes 
ont  resolu  pour  le  bien  et  advancement  de  leur 
service,  elles  lui  ont  voulu  faire  donner  le  pre- 
sent memoire  pour  luy  servir  d'instruction. 

»  Ledit  sieur  marechal  est  invite  par  Leurs 
Majestes  de  faire  la  plus  grande  diligence  qu'il 
lui  sera  possible,  pour  aller  se  mettre  en  pos- 
session du  commandement  de  I'armee,  parce 
que  sa  presence  est  du  tout  necessaire  pour  la 
conserver,  pour  rassurer  les  esprits  apres  le  de- 
ceds  dudit  sieur  marechal  de  Guebriant ,  et  I'ac- 
cident  qui  est  arrive  a  I'un  des  quartiers-gene- 
raux  de  I'armee.  En  suitte  de  ce  malheur,  et 
pour  arreter  le  cours  des  diversions  que  les  en- 
nemis pourroient  faire  pour  s'en  prevaloir,  ledit 
sieur  marechal  scait  que  I'intention  de  Leurs 
Majestes  est  de  ne  rien  obmettre  de  ce  qui  est 
en  leur  puissance  pour  soutenir  les  affaires  d'Al- 
lemagne, et  qu'elles  veulent  meme  les  embras- 
ser  par  preference  a  toutes  autres ,  cognoissant 
assez  de  quelle  importance  elles  sontau  bien  et 
au  repos  de  toute  la  chretiennete,  et  a  la  repu- 
tation de  cet  Etat ,  et  corabien  cela  est  neces- 
saire pour  porter  ses  allies  a  agir  puissamment 
et  les  unir  de  plus  en  plus  inviolablement  avec 
cette  couronne.  C'est  pourquoi  il  doit  estre  cer- 
tain que  tout  ce  qu'il  jugera,estant  sur  le  lieu  , 
qu'il  faudra  faire  pour  remettre  I'armee  en  bon 
etat  ,  et  la  rendre  autant  ou  plus  puissante 
qu'elle  ait  este  jusques  a  present ,  sera  effectue ; 
considerant  neantmoins  ce  qui  se  peut  faire  par 
deca ,  et  aportant  sur  cela  tout  le  menage  pos- 
sible ,  affin  que  les  grandes  depenses  que  Ton 
est  oblige  de  faire  de  toutes  parts,  pour  main- 
tenir  puissamment  la  reputation  et  les  avanta- 
ges  de  cette  couronne ,  n'empechent  pas  I'exe- 
cution  de  ce  qu'il  pourra  proposer. 

»  Des  a  present ,  Leurs  Majestes  donnentordre 
en  toute  diligence  a  ce  qui  se  pourra  faire  sur 
les  lieux  ,  en  attendant  I'arrivee  dudit  sieur  ma- 
rechal, y  envoyant  le  sieur  Du  PlessisBesancon, 


court  le  racontent;  et  c'est  la  le  premier  tiait  par  oii  le 
vicomte  so  fit  connaiire  aux  Weymariens. 


MEMOIHKS    DL    VICOMTK    UE    TlJHE^lMi.     [ll)40] 


357 


sergent  de  bataille  des  armees  du  Roy,  pour  faire 
ce  qu'il  pourra  pour  advancer  la  delivrance  des 
prisonniers  de  guerre  ,  qui  sont  es  mains  des 
ennemis ,  soit  en  payant  leur  rancon  suivant  \ 
le  quartier  etabli  en  Allemagne,  auquel  on  ne 
croit  pas  que  les  ennemis  veuillent  contre- 
venir,  puisqu'ils  ne  le  sauroient  faire  sans  rom- 
pre  leur  foi ,  ou  bien  par  escliange  des  prison- 
niers qui  sont  au  pouvoir  de  Sa  Majeste,  con- 
tre  ceux  qu'ils  tiennent;  mais  comme  la  voye 
de  la  rancon  et  du  quartier  accoutume  est  la 
plus  courte,  Ton  lui  prescrit  de  s'y  arreter 
et  ne  pas  faire  ouverture  de  I'autre  voye ,  que 
quand  on  verra  ne  le  pouvoir  obtenir  par  celle- 
la.  Et  au  cas  qu'a  I'arrivee  dudit  sieur  marechal 
il  n'ait  ete  encore  rien  avance  pour  la  delivrance 
desdits  prisonniers  de  guerre,  il  envoy  era  vers 
les  ennemis  pour  traicter  de  leur  rancon  en  la 
maniere  susdite ,  et  employera  toutes  les  voyes 
qu'il  estimera  plus  a  propos ,  pour  faire  cepeu- 
dant  savoir  aux  prisonnieis  que  I'on  fera  tout 
ce  qui  se  pourra  pour  les  retirer  au  plus  tot ,  et 
particulieremeut  aux  principaux  ,  meme  au  co- 
lonel Widerhold,  gouverneur  de  Hohenviel. 

"  Pour  cet  effet,  ledit  sieur  Du  Plessis  a 
charge,  avec  les  sieurs  de  Tracy,  commandeurs- 
generaux  ,  ayant  soin  des  places  d'Alsace  et  du 
Brisgau  ,  de  faire  que,  par  leur  credit,  il  fasse 
fournir  I'argent  necessaire  pour  la  rancon  des- 
dits prisonniers.  lis  ont  aussi  ordre  de  faire  ce 
qu'il  leur  sera  possible  pour  le  retablissement  des 
troupes  et  pour  remettre  les  officiers  et  soldats 
de  I'armee  en  etat  et  equipage  de  servir.  A  quoi , 
comme  au  payement  desdites  rancons,  Leurs 
Majestes  desirent  que  Ton  emploj^e  I'argent  le 
plus  clair  qui  se  trouvera  par  dela  des  fonds 
qu'elle  y  a  en  voyes,  soit  des  cent  mil  livres  qui 
sont  portees  avec  ledit  sieur  marechal  pour  les 
necessites  les  plus  pressantes  de  I'armee ,  soit 
dessoixante  rail  livres  destinees  pour  remettre 
les  regimens  de  cavallerie  qui  se  sont  trou- 
ves  avec  le  general-major  Roze  au  rencontre 
qu'il  a  eu  centre  les  ennemis ,  ou  des  autres 
sommes  que  I'on  a  deja  fait  lever  au  sieur  de 
Tracy. 

»  S'il  arrivoit  que  les  ennemis  fissent  difli- 
culte  d'effectuer  la  dellivrance  des  prisonniers, 
suivant  le  quartier-general  estably  et  toujours 
observe  en  Allemagne,  ledit  sieur  marechal 
s'en  plaindra  hautement,  et  partout  ou  il  verra 
estre  a  propos,  comme  d'un  manquement  de  foy 
dont  on  est  resolu  de  prendre  revanche  aux  oc- 
casions qui  en  peuvent  arriver,  etil  en  donnera 
incontinent  advis  a  Leurs  Majestes,  affin  qu'elles 
prennent  les  voyes  convenables  pour  en  faire 
1  cognolstrc  leur  resscntimcnt  au  due  de  Kavici'e 


et  ailleurs,  ou  elles  verront  que  cela  pourra  estre 
utile. 

»  Lesdits  sieurs  d'Ossonville  etde  Tracy  sont 
charges  en  outre ,  par  I'instruction  dudit  sieur 
Du  Plessis ,  qui  leur  est  commune ,  de  s'employer 
necessairement  a  tout  ce  qu'ils  verront  estre  a 
faire  pour  la  conservation  des  troupes  de  I'ar- 
mee, et  pour  celle  de  Rotewil,  avec  charge 
d'envoyer  au  due  de  Wirtemberg,  qui  y  com- 
mande,  I'argent  qu'ils  jugeront  necessaire  pour 
lui  donner  moyen  de  reparer  et  munir  la  place , 
faire  subsister  la  garnison  et  I'exhorter  a  une 
bonne  deffense  si  les  ennemis  I'attaquent ;  Leurs 
Majestes  leur  donnant  pouvoir  de  se  servir  a 
cette  fin  desdits  fonds  el  de  supleer  par  leur 
credit  a  ce  qu'il  leur  pourroit  manquer  ,  avec 
asseurance  qu'elles  feront  rembourser  ce  qu'ils 
auront  juge  estre  absolument  necessaire  pour 
cela,  mesnageant  toujours  autant  qu'il  sera  pos- 
sible les  finances  du  Roy. 

» lis  ont  aussy  ordre  de  dresser  des  memoires 
bien  particuliers  de  I'etat  de  chaque  corps,  tant 
d'infanterie  que  de  cavallerie  francoise  et  estran- 
gere,  et  de  ce  qu'il  faudra  pour  les  remettre  en 
bon  estat  de  servir ,  et  d'assurer  tous  les  officiers 
qui  ont  perdu  leur  equipage ,  qu'on  les  assistera 
autant  que  I'estat  present  des  affaires  le  pent 
permettre ,  et  generalement  de  faire  tout  ce 
qu'ils  jugeront  a  propos  pour  rasseurer  et  re- 
mettre un  chacun  dans  le  service  et  dans  le  deb- 
voir.  Mais  ce  ne  sont  que  des  preparalifs  pour 
soulager  ledit  sieur  marechal  et  advancer  les 
choses  autant  qu'il  se  pourra,  en  attendant  son 
arrivee ;  Leurs  Majestes  voulant  que  lorsqu'il 
sera  sur  les  lieux  il  en  ordonne  et  dispose  ainsi 
qu'il  advisera  bon  estre ,  se  souvenant  d'envoyer 
aussytost  qu'il  sera  arrive  vers  ledit  due  de  Wir- 
temberg ,  pour  le  bien  affermir  dans  la  resolu- 
tion de  conserver  la  place,  Tassurer  de  toute 
I'assistance  dont  11  aura  besoin  pour  cela  ,  et  la 
luy  donner  effectivement  autant  qu'il  se  pourra. 
Et  il  sembleque,  lui  fesanttenir  quelque  argent, 
il  aura  moyen  de  tirer  des  villes  Suisses  des  mu- 
nitions de  guerre,  qui  est  ce  qu'on  croit  luy 
pouvoir  plus  tost  manquer, 

»  Ledit  sieur  marechal  scaura  que ,  pour  faire 
les  revues  des  troupes  des  anciens  corps  de  la- 
dite  annee ,  Leurs  Majestes  font  presentement 
envoyer  un  fonds  de  trois  cens  soixante-onze 
mil  livres,  qui  est  la  meme  somme  qui  a  este 
donnee  par  chacune  des  annees  passees  depuis 
le  traicte  de  Rrisac ,  pour  la  meme  fin ;  Leurs 
Majestes  se  reservant  de  pourvoir  aux  recrues 
des  corps  des  renforts  de  ladite  armee  ,  selou  les 
advis  que  ledit  sieur  marechal  leur  donnera  de 
cc  qui  s'y  pourra  faiic. 


o.iS 


>IE\10ll!i;s    in     MCOWTE    l)E    ti>ek>m;.      1643 


•'  Et  comme  U  impoite  beaiicoup  d'avoir  I'ceil 
a  I'cmploy  dudit  fonds  et  de  faire  que  les  chefs 
n'en  protitent  pas ,  comme  il  est  arrive  quelque- 
fois,  Leurs  Majestes  desirent  que  ledit  sieur 
marechal  tienne  main  a  ce  que  ladite  somme  de 
trois  cens  soixante-onze  mil  livres  soit  effec- 
tivement  employee  a  remonter  les  cavaliers  qui 
ont  perdu  leurs  chevaux  ,  a  remplir  lesdits  an- 
ciens  corps  de  I'armee ,  tant  de  cavallerie  que 
d'infanterie ,  et  a  les  rendre  complets  de  bons 
soldats  et  bien  armes  ,  du  nombre  dont  ils  doi- 
vent  estre ;  qu'en  ce  faisant  il  preime  garde  s'il 
y  a  quelque  regiment  de  cavallerie  ruyne  qui  soit 
commande  par  quelque  personne  mal  affection- 
nee  au  service  de  Sa  Majeste ,  ce  qu'on  ne  croit 
pas,  mais  il  en  pourra  estre  informe  par  ledit 
sieur  de  Tracy  ou  par  le  sieur  de  Rocqueserviere, 
sergent  de  bataille  ,  et  autres  officiers  qu'il  trou- 
vera  sur  les  lieux.  En  ce  cas,  il  ne  luy  faut 
rien  donner,  preuant  pour  pretexte  le  manque- 
ment  des  fonds,  a  cause  de  la  necessite  presente 
des  affaires  du  Roy  ,  ou  tel  autre  qu'il  estimera 
a  propos ;  en  un  mot,  I'iutention  de  Leurs  Ma- 
jestes est  que  ledit  sieur  marechal,  en  ce  qui 
concerne    la    distribution    desdits    trois    cens 
soixante-onze  mil  livres,  taehe  de  se  prevaloir 
pour  le  service  de  Sa  Majeste  de  I'estat  present 
des  affaires,  et  de  la,  donnant  aux  corps  dont 
les  chefs  sont  les  plus  affectionnes  au  service  du 
Roy,  de  quoi  se  rendre  complets ,  et  laissant 
foiblir  ceux  qui  ont  fait  paroistre  des  sentimens 
contraires,  s'il  est  bien  informe  qu'il  y  en  ait 
quelques-uns  ;  et  neantmoins  ,  tout  cela  est  re- 
mis  a  sa  prudence,  pour  en  user  ainsy  qu'il  le 
ponrra  et  le  trouvera  bon. 

"  Que ,  comme  il  a  sujet  de  croire  que  les  regi- 
mens d'infanterie  francois  ,  italiens ,  ecossois  ou 
liegeois,  qui  ont  passe  en  Allemagne  avec  le  sieur 
comte  de  Ranzau ,  y  demeureroient  inutiles  en 
I'estat  auquel  ils  sont ,  Leurs  Majestes  desirent 
que  ledit  sieur  marechal  fasse  repasser  dans  le 
royaume  le  regiment  royal  d'infanterie  ita- 
lienne ,  et  celui  d'infanterie  liegeoise  de  Guiche ; 
qu'il  retienne  les  soldats  francois  qui  se  trouve- 
rontdans  ledit  corps,pour  en  fortifier  les  vieilles 
brigades  de  I'armee  ;  que  des  regimens  d'infan- 
terie  de  la  Reyne,  de  Thorigny ,  de  Coigny  et 
de  Folleville,  il  en  forme  un  seul  qui  demeurera 
soubs  la  charge  dudit  sieur  de  Folleville ,  comme 
le  plus  propre  a  servir  assiduement  en  ladite  ar- 
mee  et  a  faire  les  recrues  necessaires  pour  les 
remettre  en  bon  estat,  luy  permettant,  pour  cet 
effet,  de  revenir,  s'il  le  juge  a  propos,  et  lors 
Ton  luy  donnera  les  expeditions  qui  luy  ont  ete 
[)romises  pour  la  charge  de  sergent  de  bataille, 
et  pour  une  pension  dc  deux  mil  livres  ;  sinon,  et 


eu  cas  que  ledit  sieur  marechal  desire  le  retenir, 
lesdites  expeditions  luy  seront  envoyees. 

»  Que  pour  le  regiment  de  la  Reyne,  il  envoye 
les  officiers  par  deca  remettre  leurs  corps,  les 
asseurant  de  la  satisfaction  que  Leurs  Majestes 
ont  de  leurs  services  ,  et  que  Ton  leur  donnera 
de  bons  quartiers  et  de  I'argent  pour  restablir 
leurs  compagnies  au  nombre  qu'elles  etoient, 
voulant  entretenir  le  regiment  avec  les  mesmes 
prerogatives  et  advantages  qui  lui  ont  este  ac- 
cordes  lors  de  sa  creation ,  dont  il  asseurera  le 
sieur  marquis  de  Vitry,  de  la  part  de  Leurs 
Majestes. 

>>  Et  pour  ceux  de  Thorigny  et  de  Coigny ,  il 
les  envoyera  aussy  avec  asseurance  que  Ton  les 
gratiffiera  et  employera  aux  occasions  qui  s'en 
presenteront;  et  pour  ce  qui  concerne  lesdits 
regimens  de  la  Reyne ,  Thorigny ,  Coigny  et 
Folleville,  les  depesches  necessaires  seront  cy- 
jointes. 

»  Le  colonel  Colas  ayant  propose  de  remettre 
son  regiment  d'infanterie  allemande  a  deux  mil 
hommes,  ledit  sieur  marechal  aura  a  en  traicter 
avec  luy  aux  meilleures  conditions  qu'il  se  pour- 
ra, lesquelles  Leurs  Majestes  feront  ponctuelle- 
ment  effectuer  avec  cette  intention  neantmoins, 
de  laquelle  ledit  sieur  marechal  doit  estre  infor- 
me ,  de  retirer  ce  regiment  lorsque  Ton  n'en  aura 
plus  absolument  besoin  en  I'armee. 

«  Que  pour  le  regiment  des  gardes  escossoises, 
ledit  sieur  marechal  en  fera  former  autant  de 
compagnies  qu'il  s'y  trouvera  de  soldats  pour 
les  composer  de  cent  cinquante  hommes  cha- 
cune ,  et  renvoyera  le  colonel  et  les  autres  offi- 
ciers par  deca  pour  travailler  a  des  recrues,  a 
remettre  ce  qui  servira  en  Allemagne,  jusqu'^ 
douze  cents  hommes ,  qui  sera  environ  la  moilie 
du  regiment,  dont  I'autre  moitie  servira  dans 
le  royaume,  Leurs  Majestes  luy  recommaudant 
d'avoir  un  soin  particulier  de  ce  corps  et  de  ca- 
resser  le  colonel  et  les  autres  olficiers  autant 
qu'il  se  pourra. 

..  11  fera  aussy  repasser  dans  le  royaume  le  re- 
giment de  cavallerie  de  la  Reine  et  ceux  des  es- 
trangers  qui  ont  passe  le  Rhin ,  avec  le  sieur 
comte  de  Ranzau ,  qu'il  verra  n'estre  pas  en  estat 
de  se  pouvoir  maintenir  en  Allemagne ,  et  pren- 
dra  soin  de  detromper  les  officiers  desdits  regi- 
mens de  cavallerie  estrangere ,  de  I'opinion  que 
les  ennemis  leur  ont  voulu  donner  que  le  Roi 
avoit  dessein  de  les  reformer ,  en  ayant  faict 
courir  le  bruit  artificieusement  pour  les  divertir 
du  service  du  Roy  et  lesattirer  a  leur  party,  bien 
que  liutention  de  Leurs  Majestes  soit ,  non  seu- 
Icment  de  les  couserver ,  mais  d'augmenter  par 
de  nouvcllcs  levees  ks  corps  dc  ceux  qui  en 


MEMOIRKS    t)U    VICOMTB 

pouiTont  faire  ,  par  ies  habitudes  qu'ils  out  dans 
leurs  pays. 

>.  xAJais  de  tout  ce  qui  est  diet  cy-devant  pour 
faire  rcpasser  dans  le  royaume  iesdites  troupes 
d'infanterie  et  de  eavallerie,  Leurs  Majestes  se 
reraetteut  audit  sieur  marechal  d"en  user  ainsy 
qu'il  estimera  plus  a  propos,  trouvant  bon  qu'il 
retienne  par-dela  tous  iesdits  corps ,  en  quelque 
estat  qu'ils  soieut,  s'ii  juge  qu'ils  luy  soient 
utiles,  soit  pour  prendre  Ies  quartiers  de  I'ar- 
mee ,  soit  pour  quelque  autre  service  qu'il  verra 
estre  a  faire ;  et  quand  il  aura  resolu  d'en  faire 
repasser  quelques-uus ,  il  en  donuera  advis ,  afin 
que  I'on  luy  envoye  Ies  routtes  et  Ies  ordres  ne- 
cessaires  pour  leur  passage  et  logenient. 

"  Et  parce  qu'en  uu  lieu  advance  comme  Ro- 
tewil  et  proche  des  postes  ,  qu'il  y  a  apparenee 
que  Ies  ennemis  voudront  occuper,  il  semble 
que  Ton  pourroit  esperer  de  faire  des  soldats  ,  le- 
dit  sieur  marechal ,  escrivant  au  sieur  due  de 
Wirtemberg,  aura  a  luy  faire  demander  ce  qui 
se  pourroit  faire  en  cela ,  et  a  faire  tenter  la 
chose,  si  elle  est  estimee possible. 

»  Que  cependant  Ton  juge  qu'un  des  bons 
nioyens  et  des  plus  faciles  pour  remettre  quel- 
ques  brigades  de  I'arraee,  ou  Ies  rendre  plus  for- 
tes qu'elles  ne  sont ,  sera  de  tirer  mil  ou  douze 
cents  hommes  des  places  de  Brisgau  et  de  I'Al- 
sace,concertant  la  chose  avecles  sieurs  d'Erlac 
et  d'Ossonville,  et  demeurant  d'accord  avec  eux 
de  ce  que  Ton  dounera  a  chaque  gouverneur 
pour  rempiacer  Ies  hommes  qu'il  aura  fournis. 
»  Ledit  sieur  marechal  scait  que  Leurs  Ma- 
jestes ont  destine  Ies  regimens  d'infanterie  et  de 
eavallerie  qu'il  commande  pour  fortifier  ladile 
arraee  ,  et  ils  auront  ordre  de  marcher  aussy- 
tost  qu'il  le  mandera  aux  officiers;  raais  comme 
il  leur  faudra  du  temps  pour  se  raffraiehir  et 
faire  leurs  recrues  ,  ledit  sieur  marechal  se 
souviendra  de  ne  Ies  tirer  de  leurs  gamisons 
que  quand  il  jugera  qu'ils  pourront  estre  prets  a 
marcher. 

•'  Leurs  Majestes  font  outre  cela  faire  une 
levee  de  deux  mille  Irlandois  pour  servir  en  la- 
dite  armee,  laquelle  Ton  pressera  incessam- 
raeut ,  et  que  Ton  espere  estre  preste  au  prin- 
temps  prochain. 

>'  Lorsque  ledit  sieur  marechal  aura  reeognu 
I'effet  auquel  se  trouve  I'artillerie  de  I'arraee  et 
I'equipage  d'icelle,  et  aura  besoin  d'avoir  des 
pieces  et  de  reparer  ledit  equipage,  il  en  don- 
uera advis  a  Leurs  Majestes  pour  y  estre  pour- 
veu  selou  la  necessite  qu'il  y  aura  ;  et  cepen- 
dant, s'il  en  estoit  presse,  il  en  pourra  tirer  de 
Brisac  avec  Ies  munitions  necessaires,  agissant 
de  concert  a>ec  ledit  sieur  d'Krlac,  el  I'oii  fera 


DE   TURE.>i^E.    [16-13]  359 

donner   ordre  aussytost  h  Ies  reraplacer  par 
Nancy. 

>'  Ledit  sieur  marechal  estant  en  I'arraee 
aura  un  soin  particulier  de  faire  valoir  ce  que 
Leurs  Majestes  ont  fait  et  desirent  faire  pour  le 
bien  et  advantage  des  affaires  d'Allemagne  ; 
comme  elles  y  ont  envoye  uu  prince  du  sang 
avec  la  principale  armee  de  I'Estat  pour  faire 
passer  des  forces  capables  d'establir  I'armee 
dans  de  bons  quartiers ,  Ies  depenses  qu'elles 
ont  faictes  pour  faire  joindre  ce  renfort ,  que  la 
perte  dudit  sieur  marechal  de  Guebriant  iiy 
Ies  accideus  qui  sont  arrives  ensuite  de  ce  mal- 
heurue  rallentissent  eu  rien  I'affection  de  Leurs 
Majestes  en  cela ,  comme  aussy  Ies  soins  que 
Ton  preud  pour  la  delivrauce  des  prisonniers 
que  la  fortune  de  la  guerre  a  fait  tomber  ez 
mains  des  ennemis ,  et  qui  a  donne  assez  d'au- 
tres  advantages  a  ladite  armee  pour  ne  se  pas 
laisser  abattre  eu  cette  occasion  ,  rechauffant 
uu  chacun  dans  le  service  de  Sa  Majesty,  etfai- 
sant  connoistre  a  tous  Ies  officiers  qui  ont  eu 
part  aux  accideus  arrives  a  ladite  armee  depuis 
son  retour  au-dela  du  Rhin,  combien  Ton  com- 
patit  par  deca  a  ce  qui  Ies  touche  ,  et  comme 
Ton  espere  qu'ils  en  auront  bientost  reveuche, 
taut  par  Ies  moyens  que  Leurs  Majestes  leur 
donneront  de  restablir  leurs  equipages  et  leurs 
troupes ,  que  par  la  jonction  de  celles  qui  se- 
ront  envoyees  audit  sieur  marechal  pour  rendre 
ladite  armee  autant  ou  plus  considerable  qu'elle 
ait  jamais  ete. 

»  II  faudra  aussy  qu'il  imprime  fortement 
dans  I'esprit  de  tous  Ies  chefs  et  officiers  de 
I'armee,  que  Ies  employs  qu'ils  ont  au  service  de 
Sa  Majeste  leur  seront  conserves  durant  la 
paix,  aussy  bien  que  pendant  la  guerre  ;  et  que 
le  repos  duquel  la  France  jouira  ,  la  paix  se 
faisant ,  sera  le  commencement  de  I'abondance, 
et  la  nouvelle  puissance  que  cet  Estat  acquerera 
par  la  decharge  d'une  infinite  de  depenses , 
pouvant  alors  donner  moyen  de  Ies  recompen- 
ser  de  leurs  services  ,  et  de  leur  faire  de  plus 
grands  advantages  que  ceux  qu'ils  ont  a  present, 
la  Reyne  estimant  faire  beaucoup  pour  I'Estat, 
de  Ies  conserver  en  tout  temps  au  service  du 
Roy  et  Ies  attacher  de  plus  en  plus  aux  inte- 
rets  de  cette  couronne. 

»  Comme  Leurs  Majestes  donnent  auctorite 
audit  marechal  de  faire  tout  ce  qu'il  verra  etre 
necessaire  pour  le  maintien  de  I'armee ,  aussy 
elles  desirent  qu'il  considere  bien  soigneuse- 
ment  Ies  moyens  qu'il  aura  a  employer  pour  cet 
effect ;  et  parce  que  la  difference  qu'il  y  a  en- 
tre  Ies  litres  et  fonctions  de  charges  des  officiers 
generaux  du  corps  allciiiand  ttde  ceux  des  regi- 


auo 


MKMOIUHS    1>L    MCOMTi:    l)t     lllU-.^Mi.    ^1043] 


mens  de celte  uation,  ct  entic celles  des  oflioiers 
tVancois  ,  est  a  cause  de  divers  ineonveniens  et 
contestations ,  et  qu'il  sembleroit  utile  que  dans 
uue  raerae  armee  le  service  fut  uuiforrae,  Leurs 
Majestes  desirent  que  ledit  sleur  marechal  ad- 
vise s'il  seroit  expedient  d'establir  des  ofQciers- 
majors  francois  dans  Tarmee  et  dans  les  regi- 
mens de  la  nation  ,  avec  le  raeme  titre  et  auc- 
torite  qu'out  ccux  qui  coramandent  les  Alle- 
raands,  et  de  reudre  leurs  Ibnctions  et  leur 
nombre  egaux  ,  et  qu'il  leur  donne  sur  cela  ses 
bons  advis  pour  y  faire  ce  qui  sera  juge  pour 
le  mieux. 

"  Qu'au  surplus  ,  comme  il  n'est  pas  possible 
de  prevoir  les  choses  de  si  loiug,  ue  sachant 
pas  I'estat  present  auquel  est  Tarmee,  ny  le  de- 
tail de  ce  qui  s'est  passe  depuis  le  deces  dudit 
sieur  marechal  de  Guebriant  ,  bien  que  Ton  ait 
advis  qu'il  n'y  a  point  eu  de  combat ,  ny  d'au- 
tre  perte  que  celle  du  quartier-general ,  on  ne 
sauroit  rien  prescrire  audit  sieur  mareclial  de 
ce  qu'il  aura  a  faire  pour  I'establissement  des 
quartlers  et  de  la  subsistance  des  troupes ,  ny 
pour  les  desseins  auxquels  il  pourra  les  em- 
ployer; Leurs  Majestes  ont  seulement  a  lui  dire, 
sur  ce  sujet,  que  si  les  ennemis  tournent  leurs 
forces  vers  I'armee  de  la  couronne  de  Suede , 
a  quoy  il  n'y  a  pas  d'apparence  ,  veu  que  I'e- 
chec  que  I'arraee  de  Sa  Majeste  a  receu  ne  I'a 
pas  notablement  affoiblie ,  qu'ils  auront  un 
grand  chemiu  a  faire  pour  cela  en  une  saison 
fort  contraire  ;  qu'apres  une  longue  campagne, 
les  chefs  voudront  se  reposer  et  jouir  des  ad- 
vantages des  quartiers  d'hyver  ,  qui  est  d'ail- 
leurs  le  seul  moyen  de  maintenir  leur  armee  5 
que  le  due  Charles  voudra  prendre  des  quartiers 
d'hyver  de  son  cote  ,  et  Hasfeld  du  sien,  quand 
bien  les  troupes  de  I'Empereur  auroient  quel- 
qu'autre  dessein  ;  et  si ,  nonobstant  ces  rai- 
sons  ,  ils  alloient  vers  Tartenson  ,  ou  s'eloi- 
gnoient  de  telle  sorte  que  ledit  sieur  marechal 
vistjoura  aller  prendre  des  quartiers  au-dela 
du  Rhin ,  Leurs  Majestes  desirent  qu'il  le  fasse. 
Et  pour  cet  effet,  sur  les  advis  qu'il  leur  en  don- 
nera,  elles  feront  apporter  une  diligence  ex- 
traordinaire a  tout  ce  qui  sera  a  faire  de  par 
deca,  affin  de  remettre  I'armee  en  estat  de 
marcher ;  jnais  s'il  arrivoit  que  les  ennemis  s'o- 
pini^trassent  a  empecher  I'armee  du  Roy  de 
prendre  pied  au-dela  du  Rhin  ,  et  quils  se  trou- 
vassent  en  estat  de  le  faire  ,  en  ce  cas  Leurs 
Majestes  se  remettent  entierement  audit  marechal 
de  faire  ce  qu'il  trouvera  estre  plus  advanta- 
geux ,  comme  aussi  de  prendre  les  resolutions 
qu'il  verra  estre  les  meilleures,  selon  I'estat  et 
la  f'.)rce  d<.'s  ennemis ,  ct  les  executer  au  temps 


et  en  la  maniere  qu'il  jugera  a  propos  ,  ue  dou- 
tant  pas  qu'usant  de  sa  bonne  conduite  accous- 
tumee  ,  il  ne  sache  si  bien  prendre  ses  mesures 
et  ses  advantages  que  toutes  choses  ne  luy  reus- 
sissent. 

»  Ledit  sieur  marechal  aura  a  considerer  que 
le  Roy  a  un  tres-grand  interest  a  soulager  I'AI- 
sace,  parce  qu'elle  fouruit  une  bonne  partie  de 
rentretenementdesgarnisons  des  places  du  pays, 
et  que  I'armee  n'est  pas  apparemment  en  estat 
d'aller  occuper  des  quartiers  dans  I'Allemagne  ; 
I'on  estime  qu'il  ne  peut  prendre  de  meilleure 
resolution  pour  son  logement ,  que  de  suivre  ce 
qu'a  fait  monsieur  le  due  de  Weymar  en  pa- 
reille  occasion ,  en  se  saisissant  des  montagnes 
du  comte  de  Bourgongne  et  de  tout  le  pays,  qui 
est  depuis  Pontarlier  jusqu'a  INozeroy,  a  la  fa- 
veur  du  chateau  de  Joux ,  dans  lequel  il  y  a 
garnison  pour  le  service  de  Sa  Majeste,  d'ou 
Ton  pourra  faire  des  courses  dans  tout  le  comte, 
et  tirer  la  subsistance  de  I'armee  ,  sans  que  les 
gens  de  guerre  puissent  reveuir  en  France  sans 
conge  ,  y  ayant  des  passages  estroits  et  faciles  a 
garder. 

»  En  faisant  le  logement  des  troupes  de  I'ar- 
mee dans  la  Franche- Comte  ou  en  telle  autre 
part  qu'il  verra  estre  plus  a  propos  ,  il  fera  un 
si  bon  establissement  pour  la  subsistance  de 
ladite  armee,  que  les  troupes  ne  viennent  pas  a 
ruyner  les  quartiers  oil  elles  logeront  comme 
elles  ont  accoutume  ,  et  qu'il  s'y  conserve  des 
vivres  pour  tout  le  temps  qu'il  jugera  qu'elles 
auront  a  y  demeurer.  A  quoi  il  faudra  qu'il  1 
pourvoye  avec  auctorite,  parce  que  les  officiers 
allemands  ue  raauqueront  pas  de  vouloir  d'a-  i 
bord  tirer,  s'ils  peuvent,  toute  la  subsistance  j 
des  habitans  des  lieux,  tant  pour  en  profiler  ,  I 
qu'affin  que,  le  pays  estantruyne ,  on  ne  puisse 
leur  refuser  des  quartiers  dans  le  royaume  ;  et 
comme  ils  font  ordinairement  des  courses  a  dix 
ou  douze  lieues  de  leurs  quartiers,  il  faudra 
qu'il  fasse  des  deffeuses  bien  expresses  a  tous 
les  chefs  et  officiers  de  courir  dans  le  royau- 
me ,  ny  dans  la  Lorraine  et  autres  lieux  de  I'o- 
beissance  ou  protection  de  Sa  jNIajeste,  et  qu'il 
les  fasse  observer  avec  tant  de  severite  qu'aucun 
n'ose  y  contreveuir. 

»  Lorsqu'il  pourra  faire  desloger  I'armee  de 
I'Alsace  ou  des  autres  lieux  de  ces  quartiers-la, 
il  donnera  ordre  audit  sieur  d'Ossonville  de  ti- 
rer, s'il  se  peut  ,  quelque  somme  d'argeut  des 
communautes  qui  seront  dechargces  du  loge- 
ment des  troupes,  afin  de  subvenir  a  une  partie 
de  la  despense  de  dela  ,  et  soulager  d'autant 
nances  de  Sa  Majeste. 

•>  Ledit  ^icui-  d'Os>son\illt'  Rvoit  propose  une 


MEMOIUES    UIJ    VICOaITE    i)E    TLHEN.NE.     [1G43] 


t'Dtreprisc  sur  Worms  ,  par  intelligence  ;  sur 
quoy  ledit  sieur  mareschal  se  fera  informer  par 
ledit  sieur  d'Ossonville  de  I'estat  de  la  chose 
et  des  raoyens  qu'il  aura  de  I'executer  :  ce  que 
Ton  remet  audit  sieur  mareschal ,  et  de  faire 
selon  qu'il  jugera  a  propos. 

w  Ledit  sieur  mareschal  scaura  que  la  Reyne 
a  fait  depecher  vers  madame  la  landgrave  de 
Hesse ,  et  escrire  au  general  Tartenson  et  a 
I'ambassadeur  Salvins,  ministre  de  la  couronne 
de  Suede  ,  corame  aussi  a  tous  ceux  qui  servent 
le  Roy  du  coste  d'Allemagne,  pour  les  infor- 
mer de  ce  qui  se  faict  pour  y  soustenir  les  af- 
faires communes  de  Sa  Majeste  et  de  ses  allies  , 
et  empecher  que  les  ennerais  ne  se  prevaillent 
en  nul  endroit  de  ce  qui  est  arrive  :  sur  quoy, 
comme  sur  toutes  occurences  ,  ledit  sieur  ma- 
reschal establira  et  entretiendra  bonne  corres- 
pondance,  tanta  vec  les  ambassadeurs  et  pleni- 
poteutiers  envoyes  a  Munster  pour  le  traicte  de 
la  paix  generale  ,  et  les  autres  ministres  de  Sa 
Majeste  employes  hors  le  royaume,  qu'avec  la- 
dite  dame  landgrave  de  Hesse ,  et  les  ministres 
et  chefs  des  armees  de  la  couronne  de  Suede  et 
des  autres  allies  de  Sa  Majeste,  se  servant  pour 
cela  des  mesmes  voyes  qu'il  scaura  dudit  sieur 
de  Tracy  avoir  este  tenues  par  le  feu  sieur 
mareschal  de  Guebriant. 

>'  II  gardera  aussi  une  correspondance  parti- 
culiere  avec  le  sieur  d'Erlac,  et  luy  temoignera 
que  Leurs  Majestes  fontgrande  estime  de  sa  per- 
sonne  ,  et  se  confient  entierement  en  sa  fideiite 
et  affection  a  leur  service  ;  et  il  pourra  s'ouvrir 
et  retraicter  de  toutes  choses  avec  ledit  sieur 
de  Tracy  pour  ce  qui  concerne  I'armee,  et  ledit 
sieur  d'Ossonville  pour  ce  qui  regarde  les  places 
de  dela,  comme  personnes  tres-fideles  et  intelli- 
gentes,  et  qui  ont  bonne  connoissance  de  tou- 
tes les  choses  qui  se  sont  passees  depuis  long- 
temps  en  Allemagne  ,  et  de  ce  qui  regarde  les 
interets  et  le  service  de  Sa  Majeste,  leur  tes- 
raoignantbien  particulierement  que  Ton  a  une 
ontiere  satisfaction  de  leur  conduicte  et  de  leur 
iservice. 

»  Ledit  sieur  mareschal  sera  informe  que  Ton 
a  donne  divers  advis  au  Roy  pour  rendre  sus- 
pecte  laconduite  du  sieur  Tarapudel,  lieutenant- 
general  commandant  la  cavalerie  de  ladite  ar- 
armee ;  mais  que  Ton  ne  s'y  est  aucunement 
arreste ,  Leurs  Majestes  ayant  toujours  fait  une 
estime  particuliere  de  sa  personne  et  de  sa  fide- 
lite,  et  n'ayant  jamais  pu  croire  qu'un  homme, 
({ui  a  de  si  bonnes  qualites,  fiit  capable  d'avoir 
aucunes  pensees  contre  son  debvoir  ;  et  Ton  a 
juge  que  c'estoit  quelque  effet  des  artifices  ac- 
coutumes  des  ennemis  pour  nous  donner  des 


361 

deffiances  de  ceux  mesme  qui  sont  les  mieux 
intentionnes;  si  bien  que  cecy  n'est  marque  au- 
dit sieur  mareschal  que  corame  un  simple  advis, 
et  afin  que  cela  ne  lesurprenne  pas;  Leurs  Ma- 
jestes desirant  qu'il  considere  particuliere- 
ment et  fasse  beaucoup  d'estat  dudit  sieur  Tam- 
padel ,  et  luy  tesmoigne  qu'ils  ont  une  entiere 
satisfaction  de  ses  services. 

»  Et  il  n'obmettra  rien  pour  entretenir  tt 
augmenter,  s'il  se  pent,  I'affeclion  de  tous  ceux 
qui  sont  employes  par  dela  au  service  de  Leurs 
Majestes  et  dans  les  places,  a  la  conservation 
desquelles  Leurs  Majestes  luy  commandent 
aussy  de  veiller  et  de  pourvoir  tres-soigneuse- 
ment,  selon  I'autorite  qui  lui  en  est  donnee  par 
son  pouvoir ,  et  comme  a  une  des  choses  les  plus 
solides  et  importantes  qui  sont  a  faire  par  dela, 
et  notamment  pour  la  conservation  de  Rotewil, 
et  pour  empecher  que  la  prise  du  gouverneur  de 
Hohenwil  ne  prejudicie  point  a  la  seurete  d'une 
si  importante  place  ,  pour  laquelle  ledit  sieur 
mareschal  pourra  scavoir  dudit  sieur  d'Osson- 
ville ce  qu'il  y  aura  a  faire. 

»  La  bonne  conduite  dudit  sieur  mareschal  en 
toutes  les  choses  qui  ont  regarde  la  reputation 
de  cette  couronne  et  le  service  et  contentement 
du  Roy  ,  dans  les  employs  qu'il  a  eus  et  raeme 
en  ce  qui  a  concerne  la  religion  catholique  , 
fait  que  Leurs  Majestes  estiment  superflu  de 
luy  recommander  la  protection  et  le  bon  trai- 
tement  de  ceux  qui  en  font  profession ,  en 
quelque  part  qu'il  soit  avec  les  armees  de  Sa 
Majeste. 

»  Et  neanmoins ,  comme  ledit  sieur  mares- 
chal fait  profession  de  la  religion  pretendue  re- 
formee,  Leurs  Majestes  ont  estime  luy  devoir 
faire  connoitre  qu'il  n'y  a  rien  qu'elles  ayent 
plus  a  cceur  que  de  continuer  a  favoriser  les 
catholiques ;  que  leur  intention  est  que  dans 
le  camp  il  fasse  dire  la  messe  et  faire  I'exercice 
public  de  la  religion  catholique  ,  tout  ainsi 
qu'il  s'est  pratique  pendant  que  M.  le  due  de 
Longueville  et  ledit  feu  mareschal  de  Gue- 
briant ont  commande  ladite  armee. 

»  Qu'en  toutes  les  prises  des  places  ,  occupa- 
tions de  quartiers  et  autres  occasions,  il  main- 
tienne  les  princes  ecclesiastiques  ,  religieux  et 
religieuses  ,  en  la  jouissance  de  tous  les  biens  , 
eglises,  maisons  et  privileges  qui  leur  appar- 
tieunent,  et  qu'il  donne  a  entendre  a  un  chacun 
qu'il  en  a  ordre  bien  expres  de  Leurs  Majestes, 
et  leur  face  en  effet  toute  la  faveur  et  assistance 
qui  seront  en  son  pouvoir,  en  sorte  que  Ton  ne 
puisse  pas  croire  qu'il  ait  en  cela  dessentimens 
contraires  a  ceux  de  Leurs  Majestes. 

>'  Pour  conclusion  ,  ledit  sieur  mareschal  do- 


.3G:i 


MEMOIRES    UL     MCOMTB    1)E    TLREIN.NE.    [1644] 


aieurera  tres-asseure  que  Leurs  Majestes  auront 
un  ressentiment  particulier  des  services  qu'elles 
se  promettent  de  recepvoir  de  luy  ,  dans  uu 
employ  duque!  les  fonctions  sont  si  estendues 
et  importantes  a  cet  Estat  et  au  bien  de  toute  la 
chretiente  ,  et  qu'elles  auront  un  singulier  plai- 
sir  de  Ton  reconnoistre  en  ce  qu'elles  pourront 
faire  pour  son  contentement  et  advantage. 

»  Faict  a  Paris  ,  le  8  deeembre  1643.  »  ] 

L'Alsace  etant  trop  ruinee,  M.  de  Turenne  en- 
tra  au  mois  de  Janvier  dans  les  montagnes  de 
Lorraine,  ou  il  mit  I'armee  en  quartiers :  il  les 
elargit  ensuite  par  la  prise  de  deux  petites  places 
nommees  Luxeul  et  Vesoul ,  dans  la  Franche- 
Comte,  oil  il  laissatrois  ou  quatre  regimens.  On 
recut  dans  I'hi ver  de  I'argent  de  la  cour,  avec  quoi 
et  I'aide  des  quartiers  I'armee  se  mit  en  bon  etat, 
c'est-a-dire  la  cavallerie ;  car  pour  I'infanterie 
il  fut  fort  difficile  de  la  remettre  dans  I'hiver. 

M.  de  Turenne ,  etant  alle  a  Brisac  ,  trouva 
que  M.  d'Erlac,qui  en  etoit  gouverneur,s'etoit 
retire  dans  une  maison  de  campagne  qu'il  avoit 
en  Suisse ,  et  avoit  laisse  une  lettre  que  Ton  don- 
na a  M.  de  Turenne ,  quand  il  arriva  dans  le 
chateau,  par  laquelle  il  lui  mandoit  que,  croyant 
que  le  ministre  avoit  quelque  soupcon  de  lui ,  il 
etoit  sorti  de  la  place  et  qu'il  la  lui  remettoit 
entre  les  mains,  le  priant  de  lui  envoyer  sa 
femme.  M.  de  Turenne  fut  un  peu  surpris  de  la 
conduite  de  M.  d'Erlac,  qui  quittoit  un  si  bel 
etablissement  par  un  soupcon  fort  mal  fonde ; 
mais  croyant  qu'il  seroit  indigne  de  lui  de  pro- 
fiter  de  Taction  de  M.  d'Erlac  pour  se  rendre 
maitre  de  son  gouvernement ,  il  lui  envoya 
M.  de  Traci  pour  le  prier  de  revenir  ,  et  troisou 
quatre  jours  apresM.  d'Erlac  revint  dans  sa  place 
que  M.  de  Turenne  lui  remit  entre  les  mains ,  et 
en  partit  quelques  jours  apres  (1).  J'ai  raconte 
ceci  pour  montrer  combien  il  est  etrange  qu'un 
hommme  sage  comme  M.  d'Erlac  (qui  avoit 
ete  etabli  a  Brisac  par  M.  le  due  de  Weymar,  et 
que  Ton  croyoit  maitre  dans  une  place  que  la 
cour  regardoit  avec  grande  jalousie)  la  quittoit, 
et  en  rendoit  un  autre  maitre  en  un  instant ,  sans 
aucun  sujet. 

[Avant  de  partir  de  ladite  place,  Turenne 
recut  la  lettre  suivante  de  la  Beine  ,  au  sujet  de 
M.  d'ErJac : 

«  Mon  cousin,  ayant  sceu  que  ledit  sieur  d'Er- 
lac s'est  retire  de  Brisac ,  en  suitte  de  la  lettre  qui 
luy  a  este  escrite  au  nom  du  Boy ,  monsieur  mon 
fils,  pour  I'advertir  de  vostre  arrivee  par  dela 
et  du  pouvoir  qui  vous  a  este  donne ,  comme  si 

(1)  L'aclion  est  d'aulant  plus  belie  que  Turenne  avail 
IJort  d^sir^  etre  gouverneur  de  celtc  place. 


ce  qu'elle  contenoit  luy  avoit  donne  quelque  me- 
contentement,  je  lui  renvoye  son  nepveu  ,  qu'il 
a  depesche  sur  ce  subject  vers  moy ,  pour  luy 
faire  cognoistre  qu'ayant  examine  ce  qui  a  este 
faict  en  cela ,  j'ay  trouve  qu'il  n'y  a  rien  qui  ne 
soit  dans  les  termes  des  pouvoirs  donnes  a  ceux 
qui  vous  ont  precede  en  la  charge  de  general  de 
I'armee  du  Boy ,  raondit  seigneur  et  fils,  en  Alle- 
raagne,  et  je  luy  tesmoigne  que  s'il  a  quel- 
qu'autre  raison  de  n'estre  pas  content ,  je  I'en- 
tendray  volontiers  et  luy  donneray  de  bon  coeur 
toute  satisfaction  raisonnable ,  le  considerant  en 
effet  comme  un  homme  de  particulier  merite  et 
qui  a  tousjours  bien  et  fidelement  servi ;  et  je  luy 
mande  que  je  desire  qu'il  retourne  audit  Brisac 
pour  coutinuer  a  exercer  sa  charge ,  tout  ainsy 
qu'il  a  faict  par  le  passe.  Cependant ,  comme  il 
importe  grandement  de  ne  pas  laisser  cette  place 
en  aucun  peril,  mon  intention  est  que,  si  le  sieur 
d'Erlac  differe  d'y  retourner  ,  vous  donniez  tous 
les  ordres  que  vous  jugerez  necessaires  pour  la 
seurete  de  cette  place  :  ce  que  je  recommande 
tres-particulierement ,  et  au  surplus  d'user  du 
pouvoir  qui  vous  a  este  donne  sur  les  places  de 
dela,  comme  vous  scavez  qu'a  fait  M.  de  Lon- 
gueville,  et  depuis  feu  M.  le  marechal  de  Gue- 
briant ,  et  en  sorte  que  ledit  sieur  d'Erlac  en  par- 
ticulier ayt  plustot  occasion  de  s'en  louer  que  du 
contraire.  A  quoy  ne  doubtant  pas  que  vous  ne 
satisfassiez  selon  votre  bonne  conduite,  je  n'ad- 
jousteray  rien  a  cette  lettre  ,  que  pour  prier  Dieu 
qu'il  vous  ayt ,  mon  cousin  ,  en  sa  sainte  et 
digne  garde. 

»  Escript  a  Paris,  le  1*^'  Janvier  1G44. 

»  Anne. 

»  Et  plus  bas:  Le  Tellieb.  > 

M.  de  Turenne  rendit  compte  a  Son  Emi- 
nence de  I'etat  des  affaires  de  I'armee  et  de  co 
qu'il  aurait  de  mieux  a  faire  pour  I'avantage  du 
Boi ,  par  les  lettres  suivantes : 

.4  Monseigneur  le  cardinal  Mazarin. 

"  Je  renvoye  a  Vostre  Eminence  ce  gentil- 
homme  et  luy  diray  que  j'ay  fort  entretenu  M.  de 
Smitberg,  touchant  ce  qu'il  pouvoit  faire  pour 
la  levee  ;  tout  ce  qu'il  pent ,  c'est ,  en  cas  qu'il  ait 
une  ville  ou  quelque  bon  quartier  (ce  qu'on  ne 
luy  peut  fournir  icy),  d'y  faire  peu  a  peu  des 
gens,  et  il  est  impossible  qu'il  puissc  seulement 
avoir  cinq  cents  hommes  prests  pour  le  temps  . 
de  la  campagne.  i 

»  J'assure  Vostre  Eminence  qu'encore  qu'on 

n'ayt  point  eu  d'argent  pour  les  recrues,  il  y  a 

1  beaucoup  de  capitaines  qui  donneront  dix  escus 


ME.UOIHKS    Ull     VICOMTE    UK    TUllEiNM;.    [l(i44] 


303 


pour  un  soldat  d'infauterie;  maison  n'en  trouve 
point. 

«  M.  de  Smitberg  s'en  est  retourne  a  Stras- 
bourg; quand  je  croiray  qu'il  pourra  faire  quel- 
ques  gens,  je  luy  envoyeray  quelque  peu  d'ar- 
gent,  eomme  mille  rixdalersau  plus;  maisa  moins 
d'un  lieu  pour  mettre  les  soldatz ,  il  consumeroit 
cela  en  vain ;  et  de  quelque  facon  que  ce  soit ,  11 
ne  faut  s'attendre  d'avoir  ce  reginoent  la  qu'a  la 
fin  de  la  carapagne,  ce  qui  est  quelquefois  assez 
necessaire  en  ce  temps-la. 

»  Je  fais  grand  Ibndement  sur  ce  corps  des 
Suisses  que  Vostre  Eminence  envoyera  ici ,  je 
luy  rends  graces  tres-humbies  de  I'augmentation 
de  raon  regiment  de  cavalerie. 

»  Celuy  de  cavalerie  de  M.  de  Guebriant  est 
un  peu  affoibli  a  cause  des  prisonniers,  dont  il 
en  est  neanmoins  revenu  quelques-uns ;  le  lieu- 
teoant-colouel  ira  trouver  Vostre  Eminence , 
qui  est  un  bon  soldat  et  catbolique ;  je  ne  croy 
j)as  qu'il  faille  qu'elle  augmente  ce  regiment 
de  compagnies ,  a  cause  de  la  jalousie  des  au- 
tres,  mais  seulement  qu'elle  leur  fasse  quelque 
gratification  de  cbevaux  dans  quelque  temps. 
»  Celuy  d'infanterie  u'est  compose  pour  capi- 

'  taines  que  de  soldats  de  fortune ,  qui  ont  grand 
soin  de  leur  compagnie ;  il  se  reudra  un  des  meil- 

'  leurs  regimens  de  France. 

»  Pour  ce  qui  est  de  ce  qu'on  a  rapporte  qu'il 
manquoit  beaucoup  d'officiers  a  cette  armee, 
j'assure  Vostre  Eminence  que  c'est  celle  ou 
j'ay  jamais  este  ou  il  y  a  le  moins  d'absens ,  et 
hors  les  maistres  de  camp  de  Melun  et  de  Ne- 
tancourt,  dequi  les  lieutenans-colonels  etprin- 
cipalement  du  dernier,  font  fort  bien  leur  deb- 
voir ;  il  n'y  a  personne  d'absent.  II  y  avoit  beau- 
coup  d'officiers  de  cette  deffaite  que  j'eusse  bien 
Ivoulu  placer ,  mais  il  n'y  a  pas  eu  moyen. 
»  Je  n'ay  point  advis  que  lesenneraisveuillent 
relascher  aucun  prisonnier ;  je  m'enquerray  de 
M.  Colas,  que  Ton  m'a  dit  qu'ils  ont  mene  a  In- 

!i  golstat. 

»  Une  parlie  des  officiers  allemans  estoit  hier 

I- assemblee  pour  resoudredes  quartiers;  ils  raar- 
cheront  dans  trois  ou  quatre  jours  pour  s'es- 
largir  un  peu.  J'asseure  Vostre  Eminence  qu'ils 
estoient  dans  de  si  mauvais  quartiers  ,  que  pres- 
que  tous  les  cavaliers  acheptoient  leur  pain  dans 

|:  la  Suisse,  et  qu'il  n'y  avoit  pas  un  seul  paysan 
dans  les  villages.  Je  crois  qu'ils  serviront  avec 
I'afection  que  Ton  peut  desirer. 

j  » II  faut  que  les  choses  changent  avant  que 
Ton  puisse  songer  a  mettre  un  lieutenant-gene- 
ral au-dessus  d'eux :  cela  est  manifestement  con- 

I  tre  leur  traicte. 

1      »  J'envove  a  M.  Lc  Tellier  un  memoire  dc  ce 


que  cousteront  les  chariotz  et  barnois  des  cbe- 
vaux ,  ayant  mis  dans  le  memoire  de  M.  d'Osson- 
ville  ce  que  vaudront  les  canons  avec  tout  leur 
train ,  qui  a  este  envoye  par  M.  de  Besancon. 

"  Monsieur  de  Lorraine  est  fort  soUicite  par 
don  Francisco  de  Melos  de  marcher  vers  I'eves- 
che  de  Treves ,  et  j'ay  veu,  par  des  lettres  que  la 
garnison  de  Saverne  a  prises ,  comme  il  avoit 
dessein  de  se  mettre  dans  le  pays  de  Liege ;  on 
les  envoye  a  M.  Le  Tellier,  et  y  en  a  une  partie 
en  ch  iff  res. 

»  Je  ne  doubte  point  que  les  Suedois  ne  sortent 
de  Dannemarc  avec  une  tres  puissante  armee. 

»  Je  croy  qu'il  faudroit  que  Ton  put  donner  a 
la  cavallerie,  dans  la  fin  du  mois  prochain  ,  les 
deux  demy-montres  ,  pour  se  raccommoder,  afin 
qu'ils  peussent  mener  de  bonne  beure  les  cbe- 
vaux dans  les  quartiers ,  qui  ne  serviront  point 
s'il  faut  marcher  aussitost  qu'ils  seront  acheptez, 
outre  qu'estant  pressez  on  ne  pourra  point  en 
avoir  le  nombre  qu'il  faut. 

»  Quand  cette  armee  icy  u'a  point  de  bons 
quartiers ,  elle  est  de  plus  grande  depense  qu'au- 
cune;  mais  aussi  il  y  a  une  chose  qui  n'est  en 
pas  une  autre,  qui  est  que  Ton  n'a  point  a  crain- 
dre  qu'ils  se  debandent  en  quelque  temps  que  ce 
soit,  pourveu  que  i'on  leur  donne  moyen  de  sub- 
sister. 

»  J'ai  veu  ce  que  Vostre  Eminence  me  mande 
par  le  chiffre  ;  je  I'assure  qu'on  ne  perdra  point 
de  temps  de  profiler  des  occasions  qui  se  pre- 
senteront  pour  le  service  du  Roy  :  quand  on  de- 
meure  quelque  temps  en  un  lieu ,  on  y  a  tous 
les  jours  de  nouvelles  lumieres.  J'assure  au 
moins  Vostre  Eminence  de  deux  choses ,  qui  est 
de  ma  fidelite  et  de  mon  affection. 

»  Je  suis  de  long-temps  des  amis  de  M.  de 
Bellenave,  etpuis  certifier  qu'il  est  forthomme 
d'honneur ;  si  Vostre  Eminence  le  vouloit  faire 
servir  en  France,  elle  enauroit  beaucoup  de  sa- 
tisfaction. Elle  salt  bien  aussi  que  je  suis  parti- 
culierement  amy  de  M.  de  Rusigny  ;  si  elle  ne 
fait  rien  pour  luy  de  plus  solide ,  je  la  supplie 
que ,  dans  le  commencement  de  la  campagne , 
selon  queje  me  donneray  Thonneur  de  luy  es- 
crire ,  il  puisse  venir  icy,  en  cas  que  ses  affaires 
luy  permettent  de  faire  cette  despense  ,  et  je  le 
scauray  et  le  demauderay  a  Vostre  Eminence. 

»  Je  continueray,  Monseigneur,  a  vous  im- 
portuner  et  vous  supplier  tres  humblement  de 
vouloir  servir  aupres  de  la  Reyue  M.  le  comte 
de  Rosny,  qui  est  une  personne  qui  merite  beau- 
coup. 

»  M.  Le  Tellier  m'a  mande  comme  on  a 
donne  a  M.  de  Tracy  un  regiment  de  dragons  ; 
je  croy  qu'il    faudroit   trouver  quclquun   en 


3G-1 


MEMUIBES    bl     VICOMTE    OE    TLRE>NE.    [  I  64-1^ 


France  qui  en  levat  six  compagnies  :  celuy  de 
Rose  estant  de  sis  ,  ii  y  en  avoitun  cliaque  aile, 
et  les  quatre  compagnies  demeuroient  aiix  vi- 
vres.  Cest  bien  difficile  de  raaintenir  des  dra- 
gons. Je  croy  quil  est  fort  necessaire  d"avoir 
promptemeut  de  Targent  pour  lachapt  des 
bleds. 

>'  Je  suplie  tres-hurablement  Vostre  Emi- 
nence de  croire  que  personne  du  nioude  ne 
pent  estre  plus  son  serviteur  ni  son  oblige  que 
je  suis ,  et  que  toute  ma  \ie  je  ferai  cette  pro- 
fession-la, sans  qu'ii  puisse  y  avoir  de  change- 
ment.  Je  m'engage  a  cela  aupres  d'elle  de  tres- 
bon  coeur,  et  luy  proteste  que  je  serai  toute  ma 
vie ,  Monseigneur,  vostre  tres-bumble ,  tres- 
obeyssant  serviteur, 

"  Colraart,  le  23  Janvier  1644. 

»  TUBEXNE.   " 

A  Son  Eminence. 

'^  Encores  que  je  doibve  euvoyer  M.  de  Ro- 
queserviere  a  la  cour,  peu  de  temps  avant  que 
i'on  mette  en  campagne ,  pour  dire  ce  qu'il  me 
semble  estre  de  plus  utile  a  faire  en  ce  pays 
pour  le  service  du  Roi ,  je  ne  laisseray  pourtant 
de  dire  a  Vostre  Eminence  qu'ayant  servy  dans 
les  autres  armees,  et  scachant  par  ce  moyen  de 
quelle  utilite  peuvent  estre  les  efforts  que  Ton 
feroit  de  ce  coste-la,  je  la  peus  assurer  qu'un 
dessein  que  Ton  peut  avoir  en  ce  pays,  est  la 
chose  de  toutes  qui  peut  donner  plus  de  repos  a 
la  France,  et  mettre  les  affaires  en  tel  estat  que 
du  coste  de  I'Allemagne  il  y  auroit  fort  peu  a 
craiudre,  et  on  pourroit  y  entrer  quand  on  vou- 
droit,  sans  que  les  armees  de  lEmpereur  peus- 
sent  que  fort  difficilement  venir  en  France  :  ce 
seroit  la  prise  des  places  qui  sont  au  bas  du 
Rhyn. 

»  Je  diray  premierement  a  Vostre  Eminence 
de  quelle  importance  cela  est,  et  apres  luy  feray 
voir  que ,  toutes  les  annees  precedentes ,  il  n'a 
tenu  qu'a  cinq  ou  six  mille  liommes  de  plus. 

»  Vostre  Eminence  scait  com  me  on  a  tout  le 
haut  du  Rhyn  depuis  les  Suisses  et  tenant  le  bas 
de  mesme ;  toutte  TAlsace,  le  Palatinat  de  deca 
le  Rhyn ,  la  Lorraine  et  le  comte  de  Rour- 
gongne,  demeurent  avec  peu  de  travail  possible, 
comme  les  environs  de  Paris.  Larmee  d"Alle- 
magne  en  tireroit  les  contributions  ,  le  pays  es- 
tant un  peu  remis  ,  et  y  auroit  ses  quartiers  re- 
glez  comme  larmee  de  Raviere  fait  dans  le 
Wurtemberg ;  et  outre  cela,  on  a  toujours  I'en- 
tree  d'Allemagne  par  deux  ou  trois  endroits  les 
plus  beaux  du  monde.  Quand  meme  ,  en  ce 
temps,  on  rcndroit  le  pays  a  M.  dc  Lorraine  .  II 


seroit  incapable  de  faire  aucun  raal ,  et  leRhyn 
ser\iroit  de  borne  d'un  coste,  comme  la  Some 
fait  du  coste  de  la  Picardie  ,  j'entends  jusques  a 
I'endroit  ou  clle  se  joint  avec  la  Moselle.  Je  pre- 
suppose que  Ton  prendroit  aussy  Treves,  de 
sorte  que ,  du  coste  d'Allemagne ,  il  ne  resteroit 
aux  ennemis  que  celuy  de  Colougne. 

>'  On  peut  dire  que  Ton  a  tenu  Spire  ,  Vorms 
et  Mayence,  et  que  Ton  ne  les  a  peu  conserver; 
la  raison  est  parce  qu'on  ne  tenoit  pas  le  haut 
du  Rhyn ,  qui  ruynera  toujours  ceux  qui  tien- 
nent  le  bas,  quand  on  s"y  voudra  opiniastrer,  et 
qu"il  n"y  arrivera  pas  de  mauvais  evenemeus 
desquels  on  ne  peut  pas  respondre. 

"  II  est  tres-certaiu  que  la  force  des  ennemis 
rendra  ce  dessein  plus  difficile  ,  mais  c'est  seu- 
lement  pour  faire  cognoistre  a  Vostre  Eminence 
que ,  quand  il  se  rencontrera  jour,  ce  n'est  pas 
une  chose  a  negliger,  puisque,  restans  maistres 
de  ces  places-la,  des  que  vous  serez  forts,  vous 
pourez  entrer  en  Allemagne,  et  estans  foibles,  au 
moins  vous  les  empescherez  de  passer,  et  pour- 
rez  tourner  quelles  forces  vous  voudrez  en  Ita- 
lic et  Espagne  ,  ayant  peu  a  craindre  du  coste 
du  Rhyn,  quand  vous  voudrez,  avec  une  armee 
raisonnable ,  vous  mettre  sur  la  deffensive. 
Pour  ce  qui  est  de  la  facilite  quis'est  rencontree 
les  annees  precedentes,  les  ennemis  ayant  tou- 
jours abandonne  ces  places-la  sans  nulle  gar- 
nison ,  si  on  avoit  quelque  avantage  cette  annee 
ou  qu'on  put  les  tirer  loin  de  la,  laissant  Spire, 
Vorms  et  Mayence,  depourveuz  comme  de  cous- 
tume  ,  il  faudroit  faire  un  petit  corps  en  Bour- 
gongne ,  quand  les  armees  se  mettroyent  en 
campagne  ,  qui  se  joindroit  aux  garnisons  d'Al- 
sace,  et  feroit  peut-estre  cest  effect  avec  peu  de 
resistance.  Ce  corps  -  la  serviroit  toujours  ,  en 
cas  que  les  choses  changeassent ,  a  renforcer  ou 
soustenir  quelque  autre  armee. 

»  Je  m'asseure  que  Vostre  Eminence  trouvera 
que  cette  depense  de  chevaux  sera  fort  bien  em- 
ployee, et  recongnois  tres-bien,  en  touttes  cho- 
ses, le  soin  particulier  quelle  prend  de  ce  qui 
concerue  ceste  armee.  M.  de  Tracy  est  pleine- 
ment  informe  de  touttes  choses ;  je  puis  asseurer 
Vostre  Eminence  qu'il  sert  avec  grandissime  af- 
fection et  fidelite.  Je  crois  qu'il  suffira  dans 
cette  armee  davoir  quatre  generaux-majors  : 
deux  pour  la  cavalerie ,  et  deux  attachez  a  Tin- 
fanterie  qui  est,  a  mon  advjs,  en  tres-bon  ordre, 
au  lieu  d'a voir  des  marescbaux-de-carap,  comme 
en  France ,  qui  servent  par  jour,  I'un  defaisant 
ce  que  I'autre  a  faict  le  jour  precedent.  Pour 
cest  autre  charge  dont  Vostre  Eminence  mes- 
crit,  M.  de  Tracy  luy  en  parlera.  Si  M.  de  Mar- 
sin  me  joint ,  luy  et  iSl.  Rozen  pourront  servir  a 


MEMOIBKS    LM      VICOMTE    HE    TURK^^'F.     (lG44 


scr, 


la  cavalerie,  et  M.  Schiraberth  et  M.  de  Roque- 
serviere  a  rinfanterie. 

).  Je  croy  qu'il  seroit  fort  expedient  que  M.  de 
Smitberg  eust  le  gouvernement  de  Haguenau  : 
c'est  la  place  la  plus  advancee  vers  le  bas  du 
Rhyn;  etde  la  ,  comme  il  est  tres-intelligent  et 
fort  capable  de  servir,  il  pourroit  faciliter  la 
prise  de  ces  places-la  et  trouver  raoyen  de  te- 
nir  les  batleaux  plus  bas  que  Strasbourg ,  a  cause 
que  nous  avons  toujours  cette  incommodile 
qu'il  leur  faut  demander  passage,  et  ainsi  les 
desseius  sont  decouverts. 

»  Je  viens  d'apprendre  par  deux  divers  en- 
droits ,  que  les  ennemis  vout  assieger  de  force 
Uberlingen  ;  je  supplie  tres-humblement  Vostre 
Eminence  de  croire  que  je  ne  suis  pas  en  estat 
de  la  secourir.  J'ay  envoye  des  officiers  des  en- 
virons de  la  pour  voir  s'ils  pourront  lever  quel- 
ques  soldats  qui  se  debandent  de  leur  arraee, 
peut-estre  que  cela  nous  sera  advantageux  et 
que  leurs  trouppes  s  y  ruyneront ,  m'attendant 
bien  que  M.  le  vicomte  de  Courval  s'y  deft'endra 
fort  bien  ,  et  qu'il  y  fera  tout  son  possible. 

»  Je  ne  fais  point ,  par  mes  lettres  ,  de  com- 
plimens  a  A'ostre  Eminence,  ne  doubtant  point 
qu'elle  nesoit  persuadee  que  personue  au  monde 
ne  peut  estre  davantage  son  serviteur  tres- 
humbleque  je  le  suis.  Je  la  supplie  tres-humble- 
ment de  respondre  a  la  Reine  que  personne  du 
monde  ne  sera  plus  obeissant  a  tons  ses  com- 
mandemens  que  je  le  serai  toute  ma  vie,  Mon- 
seigneur,  vostre  tres-humble  et  tres-obeissant 
serviteur. 

>'  A  Remiremont,  le  29  fevrier  1644. 

»  TUBE>XE.    " 

A  Monacigncur  le  cardinal  Maz-arin. 

«  IMonseigneur,  j'ai  rcceu  en  mesme  temps 
les  lettres  qu'il  a  pleu  a  Vostre  Eminence  me 
faire  I'honneur  de  m'escrire  des  16,  22  et  25. 
J'avois  demeure  ces  deux  jours  avant  que  M. 
'd'Erlac  vInt,  et  estoit  vers  le  haut  du  Rhin  ou 
il  est  fort  necessairc.  11  est  arrive  cette  apres- 
dlsuee ;  je  I'ai  fort  cntretenu  et  demande  ses 
avis  sur  toutes  choses.  II  ne  faut  pas  s'attendre, 

{\)  Lettre  de  la  Reine  au  vicomte  de  Turenne,  ausujet 
de  laretraite  du  due  de  Bouillon  hors  du  royauinc. 

«Mon  cousin  ,  Ic  Iraiclement  que  j'ai  fait  h  nion  cou- 
sin Ic  due  de  Bouillon  .  vostre  frere  ,  depuis  la  morl  du 
feu  Roy,  nion  seigneur,  et  la  hont^  donl  j'ai  use  envcrs 
luy,  onlassez  faicl  cognoisire  lesdesseins  ijue  j'ay  eus  de 
gralificr,  non  seuieiiicnl  sa  personne.  mais  aussi  toute 
sa  maison :  je  luy  ai  donne  lout  le  temps  (jn'il  a  desir^  ci 
au-dela  de  loiile  patience  pour  acconinioiler  1  nrriiirede 


a  mon  advis ,  que  I'intelligence  puisse  etre  fort 
bonne  entre  M.  d'Ossonville  et  lui ,  et  tant 
seulement  travailler  a  ce  que  cela  ne  prejudicie 
point  au  service ;  et  en  effet,  je  les  vols  tons  por- 
tes  a  faire  que  cela  n'ynuise  point. 

»  J'ai  escrit  d'ici  a  M.  Hem  ,  pour  lui  man- 
der  comme  il  est  eschaniie;  et  en  effet  tons 
les  Allemands  reconnoissent  bien  I'obligation 
qu'ils  out  a  la  Reine  de  les  preferer  aux  Fran- 
cois. 

»  Sur  ce  que  M.  Eouchet  m'a  dit ,  que  le  ge- 
neral-major Ebressein  venoit  au  service  du  Roi, 
je  suis  oblige  de  dire  a  Vostre  Eminence  qu'il 
est  en  tres  bonne  reputation,  et  passe  pour  aussi 
bon  officier  qu'il  y  en  ait  en  Allemagne. 

»  Je  mandea  M.  Le  Tellier  comme  il  sera 
necessaire  que  les  troupes  qui  me  doivent  venir 
joindre  soient  dans  le  G  d'avril,  ou  au  plustard 
au  commencement  de  mai,  dans  le  Barrois,  crai- 
gnant  que  les  ennemis  n'entreprennent  quel- 
que  chose  dans  le  commencement  des  herbes,  la 
plupart  de  ces  places  ne  pouvant  pas  attendre 
long-temps  un  secours,  et  aussi  en  cas  qu'A- 
biosinpente  [sic]  ne  fut  pas  pris  ,  on  verroit  si 
on  pourroit  le  secourir  ou  faire  une  diversion. 

»  Je  n'ai  point  encore  dit  a  I'armee  que  Ton 
lui  donne  des  cbevaux  ,  afm  qu'ils  fassent  tons 
leurs  efforts  avec  la  derniere  rnontre  qu'ils  ont 
receue,pour  se  racommoder ;  et  en  effet,  il  faut 
avouer  que,  hors  le  regiment  de  Hem ,  de  qui 
j'en  ai  envoye  chercher  ie  lieutenant-colonel, 
lesautres  font  beaucoupdedepenses  pour  se  met- 
tre  en  bon  estat;  et  avec  les  mille  cbevaux  j'es- 
pere  qu'il  n'y  aura  pas  un  cavallier  dedemonte. 
II  y  a  encore  trois  ou  quatre  cents  vieux  caval- 
liers  de  cette  arraee  prisonniers  ,  que  les  enne- 
mis traittent  si  mal  qu'ils  les  obligent  tons  les 
jours  a  prendre  parti.  On  m'a  dit  de  plusieurs 
cndroits  qu'ils  vendoient  quinze  cents  prison- 
niers au  baron  de  Conpet,  pour  les  raener  a  Ve- 
nise ;  j'en  ai  escrit  a  M.  de  Merci ;  je  pense  qu'il 
seroit  bon  de  faire  dire  aux  Espagnols  que  Ton 
\cndra  les  leurs  aux  Suedois  pour  les  faire  tra- 
vailler aux  mines  en  Suede. 

>'  J'ai  veu  ,  de  la  facon  dont  il  a  pleu  a  Votre 
Eminence  me  mander,  qu'elle  a  agi  dans  I'af- 
faire  de  mon  frerc  (l)  :  je  la  supplie  tres-hura- 

Sedan  .  en  sorte  qu'il  eust  (out  le  conlenlemenl  qu'il  en 
pourroit  pretcmlre  pour  luy  et  les  siens.  outre  le  bien 
solideque  je  ui'eslois  dispos(?e  de  luy  faire,  au  nom  du 
Roy,  monsieur  nion  (ils.  J'avois  resolu  de  luy  assurer 
tous  les  honneurs  et  advantages  qu'il  pourroit  raisonna- 
liK'ment  desirer;  mesme  je  ni'cslois  propose  d'y  adjous- 
ler  des  employs  qui  ne  se  donnent  qu'a  ceux  auxquels 
on  se  confie  sans  re.-erve  et  (ju'on  eslime  parfailenii  nt. 
Cependant ,  comme  il  mc  faisoit  faire  des  remerciemens 
t!e  toutes  les  grAcesqueje  luy  avois  accordees ,  qu'on 


300 


ilEMOlUES    l)i;    VICOMTF.    UF.    TlKK^^l•.    [l()44' 


blement  de  ne  se  point  lasser  de  lui  tesnioigner 
de  la  bonne  \olonte;pource  qui  estdc  moij'en 
recois  tant  de  temoignages,  que  je  ne  ferai  ja- 
mais autre  profession  que  d'en  estre  fort  estroic- 
tement  oblige. 

..  J'ai  escrit  a  M.  Toussenson  ,  et  ferai  en 
sorte  d'avoir  un  chiffre  avee  lui ;  11  est  tres-eer- 
tain  que  cette  armee  s'est  mise  en  un  point  oil 
clle  n'a  point  encore  este  depuis  dix  ans ;  et  si 
en  sortant  de  Danemarc  il  ne  laissoit  point  d'en- 
nemis  derriere  lui,  et  qu'il  peust  y  avoir  une  paix 
ou  treve  entre  eux  ,  son  entree  en  Danemarc  se- 
roit  la  chose  la  plus  avantagcuse  qui  eust  pu  ar- 
river  pour  les  affaires  d'AUemagne. 

«  Je  fais  marcher  M.  Rose  dans  sept  ou  huit 
jours  vers  le  Comte,  et  j'irai  par  un  autre ;  je 
n'ai  pas  voulu  aller  tout-a-fait  dans  les  monta- 
gnes,  afin  de  donner  la  main  aux  quartiers  que 
j'ai  en  Lorraine  ,  que  je  ne  puis  pas  quitter  tout- 
a-fait,  n'y  ay  ant  pas  assez  de  fourrage  en  Comte 
pour  entretenir  tant  de  troupes. 

»  Je  suis  tres-aise  de  ce  que  Vostre  Eminence 
a  fait  resoudre  d'envoyer  icy  les  dragons  d'Au- 
rilli ;  cela  fortifiera  le  corps  des  dragons  qui  fut 
tout  ruine  I'annee  passee  dans  le  marquisat  de 
Bade  oii  on  les  avoit  laisses.  Je  ne  sais  si  on  a 
doniie,  a  la  cour,  conge  a  M.  le  marquis  de 
Bade ;  si  cela  n'est  pas  et  qu'il  s'en  soit  alle  en 
Suede  sans  rien  dire,  je  crois  qu'il  seroit  bon 
de  pourvoir  a  son  regiment ,  et  en  ce  cas-la  fe- 
rois  savoir  a  Votre  Eminence  quel  lieutenant- 
colonel  y  seroit  le  plus  propre ,  estant  neces- 
saire  d'en  prendre  un  du  corps  de  la  cavallerie. 
Jesupplie  tres-humblement  Vostre  Eminence  de 
ne  mettre  jamais  en  doute  que  je  ne  sois  tres- 
veritablement  et  sans  aucune  reserve ,  Monsei- 
gneur,  vostre  tres  humble  et  tres  obeissant  ser- 
viteur. 

»  A  Brisac,  ce  15  mars  1G44.] 

»  TURENM?.    » 

M.  de  Turenne  passa  done  Thiver  dans  les 
montagnes  de  Lorraine,  et  au  printeraps, ayant 

me  donnoit  de  sa  part  do  nouvelles  asseuranccs  de  sa 
fid(51il6  au  service  du  Roy,  monsieur  men  fils ,  et  fei- 
gnoil  voujoir  s'approcher  de  moy  pour  parachever  1'^- 
change  qui  sc  traictoit,  j'ai  eu  advis,  en  mcme  temps, 
qu'il  esloit  sorti  du  royaume  "  avee  toule  sa  famiilc, 
sans  ma  permission  ;  et  voyant  qu'il  a  quitlc  des  advan- 
tages si  considerables ,  sa  rctraicte  me  fait  croire  qu'il  a 
projectd  des  dcsseins  de  se  procurer,  aux  dcpens  de 
I'Estal,  quclque  chose  de  plus  grand  que  ce  qui  iuy  es- 
loit promis ;  et  comme  je  scjay  que  vous  n'avez  aueune 
part  a  sa  conduite,  et  qu'clle  ne  changera  en  ricn  I'af- 

*  Lc  line  do  Pioiiillon  (ill  prrndic  du  sciviic  dans  rarmee  du 


scuquily  avoit  deux  millechevauxsous  legene- 1 
ral-major,  baron  de  Merci ,  au-delade  laForet-  \ 
Noire,  dans  deux  bourgs  a  la  source  du  Da-; 
nube,  il  passa  le  Rhin  a  Brisac,  et  ayant  en-; 
voye  M.  Rosen  devant  avee  quatre  ou  cinq' 
regimens  ,  il  defit  cette  cavalerie  ,  prit  trois  ou 
quatre  cens  prisonniers  et  beaucoup  d'ofliciers  : , 
le  restesesauva  aupres  de  I'arraee  des  Bavarois, : 
qui  etoit  devant  un  chateau  nommeHohenwiel, 
qu'ils  vouloient  affamer  ou  traitter  avee  le  gou- 
verneur  ,  la  place  etant  presque  imprenable  par 
force,  a  cause  de  sa  situation. 

[Les  soldats  delagarnison  de  Brisac  s'etant 
mutines,  et  M.  de  Turenne  en  ayant  rendu 
compte  ,  on  lui  envoya  I'instruction  suivante  : , 

»  Le  Roy  et  la  Reyne  regente,  sa  mere,  ayant  i 
eu  advis  de  la  mutinerie  extreme  commise  par 
les  soldats  de  la  garnison  de  Brisac  ,  et  jugeant 
assez  la  consequence  d'une  telle  entreprise , 
Leurs  Majestes  ont  estime,  avee  I'advis  de  tout ! 
leur  conseil ,  que ,  pour  en  connoitre  les  causes 
qui  ne  peuvent  pas  se  penetrer  de  si  loing,  et  y 
employer  les  remedes  necessaires  qui  despen- 
dent  de  I'estat  auquel  sont  les  choses  sur  les 
lieux  ,  elles  devoyent  s'en  remettre  au  sieur 
marechal  de  Turenne,  lieutenant-general  pour 
le  Roy  en  son  armee  ,  qui ,  par  sa  prudence  et 
son  auctorite,  saura  bien  prendre  les  expediens 
([ui  seront  les  plus  seurs  et  les  plus  advantageux 
au  service  de  Sa  Majeste. 

»  Qu'on  ne  doute  pas  que  ledit  sieur  raares- 
chal  ne  soit  bien  particulierement  informe  de 
tout  ce  qui  s'est  passe  a  Brisac  en  cette  occasion, 
et  jusqu'a  quel  point  d'audace  du  soldat  s'est  por- 
te;  mais  pour  Iuy  aider  afaire  ses  conjectures  et 
Iuy  donner  toute  la  cognoissance  que  Ton  a  icy 
de  I'affaire ,  Ton  Iuy  envoye  copie  de  tout  ce 
que  le  sieur  d'Erlac  et  le  sieur  d'Ossonville  ont 
escrit ;  il  verra  bien  qu'il  n'est  pas  possible  de 
tirer  aucun  esclaircissement  asseure ,  et  conse- 
quemment  de  prendre  une  resolution  determinee. 
»  Si ,  bien  que  Leurs  Majestes  desirent  que 
ledit  sieur  mareschal  travaille  premierement 
a  recognoistre  ce  qui  a  veritablement  donne 

leclion  que  vous  avez  tesmoignee  jusqu'ici  au  bien  de 
I'Estat  par  vos  services ,  j'ay  bien  voulu  vous  faire  cellc- 
cy  pour  vous  dire  qu'elle  ne  diminuera  en  rien  la  con- 
Gance  entiere  que  j'ay  prise  en  vous  ,  et  que  je  d(5sire  de 
plus  en  plus  vous  en  donner  des  marques,  comme  de  la 
reconnoissance  que  jay  de  vos  services,  et  vous  tesnioi- 
gner en  toutes  occasions  combien  j'affectionne  vostre 
personne  ct  ceux  qui  vous  touchent,  qui  seront  en  estat 
de  recepvoir  des  elTels  de  la  bienveiilance  du  Roy,  mon- 
sieur mon  fils,  et  de  la  mienne.  C'est  le  seul  sujet  de  cette 
d<^pcche,  a  laquelle  je  n'adjoulerai  rien,  me  remcttant  a 

ce  que  lc  sieur vousdiradc  ma  part,  priant  Dieu 

qu'il  vous  ait  en  sa  sainte  et  digne  garde. 
»  Escrit  a  Paris  le  13  avtil  16U.  n 


MEMOIUKS    Ull    VICOMTE    I)E    TliRE^'NE.     [1644] 


lieu  a  ce  desordrc  ;  s'il  est  venu  par  induction 
des  chefs,  et  dequi,  pom-  quelle  raison  et  a 
quelle  liu;  ou  si  c'est  par  interest ,  ou  brutalite 
des  soldats ,  quoiqu'ils  ayent  este  si  bien  traites 
depuis  que  Brisac  est  en  I'obeissance  du  Roy, 
qui!  leur  est  deub  tres-peu  de  chose  de  leur 
solde. 

>.  Et  parceque  la  fidelite  et  Taffection  que  le 
sieur  d'KrIac  a  faiet  cognoistre  depuis  tant  d'an- 
nees,  en  toutes  occasions,  vers  cette  couronne,  et 
la  profession  qu'il  a  toujours  faicte  d'homme 
d'honneur,  et  de  s'atlacher  fort  ponctuellement 
a  son  debvoir,  ne  permettent  pas  de  croire  qu'il 
a  vouiu  contribuer  indirectemeut,  ny  en  aucune 
maniere  que  ce  soit,  a  une  action  si  prejudi- 
ciable  au  service  du  Roy,  il  semble  que  le  seul 
soubcon  que  Ton  pourroit  prendre,  seroit  que 
ledit  sieur  d'Erlac  ,  ayant  fait  paroistre  beau- 
coup  d'animosite,  depuis  quelque  temps,  contre 
le  sieur  d'Ossonville,  ne  se  soit  pas  employe 
avec  toute  la  chaleur  qu'il  pouvoit  a  arrester  le 
coors  de  la  violence  des  soldats  en  cette  occa- 
sion ,  pour  faire  accuser  le  sieur  d'Ossonville 
de  mauvaise  conduite  en  I'administration  des 
choses  qui  lui  ont  ete  commises,  a  faire  voir 
qu'il  a  peu  de  credit ,  meme  avec  ceux  de  son 
regiment,  et  quiservent  particulieremeut  sous 
sa  charge. 

>  Auquel  cas,  ledit  sieur  mareschal  verra  s'il 
pourra,  par  son  amitie,  raccommoder  lesdits 
sieurs  d'Erlac  et  d'Ossonville  ensemble,  et  I'in- 
tention  de  Leurs  Majestes  est  que ,  pour  cet  ef- 
fet,  il  adjouste  aux  ordres  qu'il  scait  avoir  este 
cy-devant  donnes  pour  regler  I'employ  dudit 
sieur  d'Ossonville  a  la  satisfaction  dudit  sieur 
d'Erlac  ,  tout  ce  qu'il  estimera  a  propos  pour 
couper  racine  a  tous  leurs  differens :  a  quoi  Ton 
croit  qu'il  ne  parviendra  pas ,  apres  toutes  les 
diligences  que  Ton  a  faictes  pour  cela ,  et  qui 
sont  demeurees  inutiles. 

»  Mais  s'il  recognoist  qu'il  faille  absolument 
donner  quelqu'autre  employ  audit  sieur  d'Os- 
sonville, et  que,  sans  cela.  Ton  soit  en  danger 
de  tomber  en  de  pareils  inconveniens,  il  dounera 
ses  advis  de  ce  qu'il  estimera  devoir  estre  faict, 
pour  eu  meme  temps  assurer  entierement  Bri- 
sac, et,  en  separant  ledit  sieur  d'Ossonville 
d'avec  ledit  sieur  d'Erlac ,  ne  pas  manquer  a 
aucune  des  choses  qui  sont  necessaires  pour  la 
seurete  du  service  de  Sa  Majeste. 

»  Qu'en  quelque  maniere  que  la  chose  soit 
arrivee,ron  estirae  que  les  soldats  doivent  estre 
chastles  d'une  si  audacieuse  rautinerie ,  pour 
esviter  que  les  garnisons  voysines  et  de  toutes 
les  autres  places  de  I'obeissance  de  Sa  Majeste  , 
ne  prennenl  le  meme  chemiii  de  se  faire  raison 


o67 

a  leur  fantaisie  ;  mais  pour  y  proceder  avec 
toute  la  prudence  necessaire,  il  fault  que  si  le 
raal  est  arive  par  la  mauvaise  intrigue  ou  jalou- 
sie desdits  sieurs  d'Erlac  et  d'Ossonville,  et  que 
ledit  sieur  mareschal  puisse  faire  cesser  leurs  di- 
visions par  un  bon  accommodement ,  en  ce  cas, 
il  concerte  avec  eux  et  les  cappitaines  et  offi- 
ciers  de  la  garnison  comme  quoy  et  en  quelle 
maniere  il  faudra  faire  ce  chastiment. 

»  Que,  s'il  recognoist  qu'il  faille  necessaire- 
ment  separer  ledit  sieur  d'Ossonville  d'avec  le- 
dit sieur  d'Erlac ,  Ton  estime  que  le  chastiment 
des  soldats  doit  estre  differe  jusqu'a  ce  que  Ton 
puisse  envoyer  une  autre  personne  avec  un 
regiment  pour  tenir  la  place  dudit  sieur  d'Os- 
sonville et  du  corps  qui  depend  de  luy,  si  ce 
n'est  que  ledit  sieur  mareschal  jugera  que  Ton 
pust,  entirant  le  regiment  d'Ossonville,  lerem- 
placer  de  celuy  de  M.  le  cardinal  Mazarini,  qui 
y  demeureroit  jusques  a  ce  que  Ton  y  eust  au- 
trement  pourveu  :  de  quoy  Ton  se  remet  audit 
sieur  mareschal ;  et  s'il  voit  qu'il  faille  atten- 
dre  I'etablissement  d'un  autre  regiment  d'in- 
fanterie  francoise  dans  Brisac  pour  faire  ce 
chastiment,  il  en  donnera  ses  bons  advis  k 
Leurs  Majestes  ,  et  en  recevra  incontinent  leurs 
ordres. 

»  Que  ledit  sieur  mareschal ,  recognoissant 
qu'il  y  aitde  I'impossibilite  a  reconcilier  lesdits 
sieurs  d'Erlac  et  d'Ossonville ,  voye  s'il  sera 
utile  ou  non  au  service  de  Sa  Majeste  d'establir 
ledit  sieur  d'Ossonville  en  quelqu'autre  charge 
dans  I'Alsace  et  hors  du  gouvernement  de  Bri- 
sac ,  pour  ne  pas  tirer  de  I'employ  un  homme 
que  Ton  scait  y  avoir  servy  avec  capacite  et  af- 
fection. 

»  Qu'enfm  ledit  marechal  advise  s'il  seroit  a 
propos  de  donner  audit  sieur  d'Erlac  un  autre 
employ  que  celuy  auquel  il  est,  qui  le  pust  sa- 
tisfaire  davantage,  soit  pour  I'honneurou  pour 
I'utilite;  et  sur  tout  cela,  Leurs  Majestes  desi- 
rent  que  ledit  sieur  mareschal  considere  bien 
soigneusement  ce  qui  sera  de  plus  sur  et  de  plus 
advantageux,  et  leur  en  faire  scavoir  ses  senti- 
mens ,  ne  voulant  rien  espargner  de  ce  qui  sera 
possible  pour  se  mettre  en  repos  de  la  seurete 
d'une  place  de  telle  importance  qu'est  Brisac. 

»  Qu'encores  que  ledit  sieur  mareschal  voye 
assez  comrae  il  fault  estroitement  garder  le  se- 
cret en  toute  cette  affaire ,  mesme  a  I'esgard 
du  dessein  de  faire  chastier  les  soldats ;  neant- 
moins  elles  ont  bien  voulu  luy  dire  qu'il  n'en 
donne  aucune  cognoissance  a  qui  que  ce  soit,  si 
ce  n'est  au  sieur  de  Tracy,  auquel  il  en  pourra 
communiquer  selon  qu'il  verra  estre  a  propos. 
..  C'est  tout  ce  que  Leurs  Majestes  luy  peu- 


vent  mandersurcesujet,  croyant  mesrae  qu'une 
partie  de  ces  choses  sera  superfine,  et  qu'il  y 
aura  deja  pourveu  selon  qu'il  I'aura  peu  faire; 
et  s'il  trouve  que  Ton  ait  obmis  en  la  presente 
instruction  quelque  poinct  essentiel  dont  Texe- 
cution  ne  puisse  souffrir  de  delay,  elles  luy  don- 
uent  tout  pouvoir  d'y  mettre  I'ordre  qu'il  verra 
bon  estre  ;  sinon ,  elles  desirent  qu'il  leur  en 
fasse  scavoir  ses  pensees  et  ses  advis  au  plus 
tost,  et  11  recepvra  en  toute  diligence  leurs  reso- 
lutions, luy  recommandant  d'embrasser  cette 
affaire  avec  autant  d'affection  et  de  soin  qu'elle 
est  de  consequence  ,  Leurs  Majestes  s'en  repo- 
sans  entiereraent  sur  luy,  et  avecune  confiance  si 
parfaite ,  qu'elles  se  promettent  qu'il  n'obmet- 
tra  rien  de  ce  qu'il  verra  estre  necessaire  et  ad- 
vantageux  pour  parvenir  a  leur  fin,  qui  est  I'en- 
tiere  seurete  de  Brisac,  I'asseurant  qu'elles  en 
auront  un  ressentiment  tres-particulier. 
>.  Fait  a  Paris,  le  22  avril  1G44.  »  ] 
Au  mois  de  mai ,  les  Bavarois  se  trouvant  en 
tres-bon  etat ,  a  cause  des  bons  quartiers  qu'ils 
avoient  eus,  et  de  la  quantite  de  soldats  a  qui 
ils  avoient  fait  prendre  parti  apres  la  defaite  de 
I'hiver  passe,  ils  vinrent  assieger  Fribourg  ,  qui 

(I)  Turenne  leiidit  comple  a  Mazarin  du  passage  du 
Rhin  par  son  arm^e,  en  ces  termcs : 

«  J'avois  mande  a  Vostre  Eminence  conime  je  passerois 
leRhyn  avec  les  Irouppes  sans  bagage;  c'estoilsurl'advis 
qu'il  y  avoil  deux  millc  chevaux  a  la  teste  des  quartiers 
(ie  rarm(5e  de  Baviere,  et  qu'ils  n'avoientderriere  cela 
que  I'infanterie ,  leur  cavalerie  n'estant  pas  encore  au 
rendez  vous  g(5n6ral ;  cela  estoit  cause  que  j'avois  men^ 
de  I'infanlerie  ,  csp^rant  qu'apres  avoir  battu  ces  deux 
millc  chevaux  je  pourrois  passer  au  quarlier-g^neral  et 
s(5parer  leur  cavalerie  de  leur  infanterie.  Pour  ccst  ef- 
fect, ayant  pass6  le  Rhyn  avec  beaucoup  de  diligence 
et  marchdjusques  a  Fribourg,  je  destachay  M.  Rosen 
avec  quelques  regimens,  lequel  marcha  droit  au  quar- 
tieroii  Gaspard  de  Mercy,  comme  g^n^ral-major,  com- 
mandoit  ces  deux  mille  chevaux;  lequel ,  ayant  este  ad- 
verly  par  une  sauve-garde,  qu'il  y  venoit  un  party, 
croyant  qu'il  estoit  foible,  ne  se  retira  point;  ce  qu'il 
eust  peu  faire  en  perdant  son  bagage  ;  de  sorte  qu'ayant 
attendu  M.  Rosen  ,  il  fut  rompu.  II  y  a  un  colonel , 
nomm(5  Galesky,  prisonnier ;  un  major,  trois  capitaines 
et  d'aulres  officiers .  sept  ^tendards  ct  pres  de  mille  che- 
vaux pris. 

»  La  grande  diligence  de  M.  Rosen  a  est(5  bien  uliUe  . 
car  il  a  march^  trcnte  lieues  de  France  sans  faire  re- 
paistre  les"  chevaux.  Je  le  suivois  de  deux  ou  trois 
lieures.  Le  regiment  de  Vostre  Eminence  a  pris  le  colo- 
nel et  trois  estendars ;  le  lieutenant-colonel  estoit  ma- 
lade  ;  celuy  du  r(^giment  du  marquis  de  Baden  ayant 
fort  mal  faict  son  debvoir,  et  aussi  le  major,  je  les  ay 
faicl  mcctre  en  arrests;  cela  passera  devanl  le  conseil 
de  guerre.  II  y  en  a  bien  aussi  quelcjucs-uns  qui  ont  tes- 
moign(i  se  souvenir  de  I'affaire  de  Dutlingen.  Nous 
avons  trouve  soixante  prisonniers  des  nostrcs  qui  n'a- 
voient  point  pris  parly,  et  plus  de  deux  cens  qui  avoient 
pris  party  avec  los  onnemis  .  lesquels  sont  revenus;  il  y 


WE.MOIf^KS    Dll    VICOMTR    UE    Ti;EEN\F..    [l044] 


est  une  place  a  cinq  lieues  de  Brisac  ,  au  bord 
des  montagnes  de  la  Foret-Noire.  M.  de  Turenne, 
outre  la  garnison  qui  etoit  de  trois  ou  quatre 
cens  homnfies,y  en  avoit  mis  autant,  tires  des 
regimens  d'infanterie  francoise.  Ayant  scu  que 
I'ennemi  etoit  devant  cette  place ,  il  donna 
promplement  rendez-vous  a  I'armee  aupres  de 
Brisac  ,  oil  il  passa  le  Rhin  ,  esperant  qu'il  trou- 
veroit  les  enncmis  separes. 

II  pouvoit  y  avoir  dans  I'armee  du  Boi  cinq 
mille  chevaux  et  quatre  ou  cinq  mille  hommesde 
pied,  avec  quinzeou  vingt  pieces  de  canon,  dont 
on  n'eiit  pas  pu  mener  un  si  grand  nombre  s'il 
eut  fallu  faire  une  longue  marche;  mais  comme 
on  n'avoit  que  cinq  ou  six  lieues  a  faire  pour 
approcher  de  I'ennemi ,  on  les  transporta  tous. 
L'armee,  ayant  passe  la  nuit  a  Brisac  et  marche 
cnsuite  en  diligence,  s'approcha  a  deux  heures 
de  I'ennemi,  qui  fit  promptement  revenir  les  fou- 
rageurs.  M.  de  Merci  ne  fut  pas  sitot  instruit  du 
passage  de  I'armee  a  Brisac  qu'il  auroit  pu  I'etre. 
Comme  il  n'y  avoit  que  ce  seul  lieu  ou  on  pou- 
voit traverser  le  Rhin  (1),  il  auroit  ete  aise  d'en 
etre  averti  par  les  partis  que  Ton  dolt  toujours 
tenir  sur  un  passage  ;  mais  a  la  guerre  il  arrive 

en  aplusde  deux  cens  tues  et  autant  de  prisonniers. 

»  J'appris  par  eux  que  la  cavalerie  de  I'ennemy  s'as- 
sembloit,  ce  jour-la,  ou  bien  le  lendemain  ,  aupres  de 
I'infanterie,  ce  qui  ma  empeschd  de  passer  outre;  ils 
avoient  apparemmcnt  dessein  de  marcher  a  Fribourg  ou 
au  haul  du  Rhin  ;  je  ne  sgay  si  cela  changera  leur  des- 
sein. 

»  M.  d'Eriac  ne  croit  point  a  ce  Iraitt^  du  gouverne- 
ment  de  Hoenwiel ;  n^antmoins  c'est  un  homme  qui  a 
toujours  est6  maistre  de  la  place,  et  n'a  jamais  voulu 
recevoir  ny  M.  le  due  de  Veymar,  ny  qui  que  ce 
soil  plus  fort  que  luy.  C'est  un  bon  chasteau ,  mais  il 
n'est  sur  nul  passage.  Je  croy  qu'il  a  voullu  faire  une 
neutrality,  ne  nous  croyant  plus  en  estat  de  rien  faire 
en  AUemagne. 

»  J'envoyerai ,  par  la  premiere  voye ,  les  estendars ,  et 
La  Forcade  les  pr^sentera  a  Vostre  Eminence.  Je  n'ay 
pas  creu  necessaire  de  faire  faire  un  voyage  exprez 
pour  cela.  Je  supplie  tres-humblement  Vostre  Emi- 
nence que  Ton  fasse  dire  a  M.  le  marquis  de  Baden  de 
venir  a  son  r(?giment ,  ou  qu'on  me  permette  de  le  don- 
ncr  a  quelqu'un  des  olTiciers  de  ceste  arm^e.  J'avois 
creu  pouvoir,  avec  les  prisonniers,  rachepter  le  lieute- 
nant-colonel de  Vostre  Eminence  ;  mais  j'ay  songd  de- 
puis  que  Ton  debvoit  retirer,  dans  ce  commencement, 
ceux  de  celle  armee  les  premiers.  C'est  vostre  tres-hum-  ,ii 

» Turenne. 


ble  el  tres-ob(5is^ant  servileur, 


»  J'envoie  a  Vostre  Eminence  une  letlre  de  M.  d'Er- 
iac ,  par  laquelle  elle  verra  I'estat  de  Hoenwiel;  cela 
si'est  de  consdquence  que  dans  le  bruit  que  les  ennemis 
en  feront  courre ,  comme  si  toutes  les  places  d'Allema- 
gne  en  debvoient  faire  de  mesme.  Je  la  supplie  de  se 
souvenir  de  faire  remplacer  le  regiment  de  Gui ,  qu'on 
asseure  ne  vouloir  point  venir. 

»  S  Juin  ir.i'r  » 


AIEMOIRES    Dli     VICOMIK    L'E    TinK.\AE.    [  I  (i  M  | 


souveiit  des  accideiis  aux  capitaines  les  plus  ex- 
perimeutes,  contre  lesquels  on  auroit  raison  de 
discourir  beaiicoup ,  si  I'experience  ne  faisoit 
voir  que  les  plus  habilessont  ceux  qui  font  seu- 
lement  le  moins  de  fautes.  L'armee  du  Roi  s'ap- 
procha  de  eelle  des  Bavarois,  et  les  trouva  en 
batailledans  une  plaine  pres  de  Fribourg  :  lis 
n'avoieiit  eu  le  temps  que  de  s'appliquer  au 
siege  de  la  place  ou  ils  etoient  depuis  huit  jours, 
raais  point  encore  de  se  saisir  des  postes  avan- 
tageux  qu'ils  avoient  negliges,  necroyant  point 
que  l'armee  du  Roi  put  etre  enetat  de  venir  si- 
tot  a  eux.  M.  de  Turenne,  voyant  qu'une  mon- 
tagne  qui  commandoit  la  plaine  oil  etoit  leur 
armee ,  et  qui  pouvoit  donner  communication 
a  Fribourg,  n'etoit  point  occupee  par  i'ennemi, 
ordonna  aux  regimens  de  Montausier  et  de  Me- 
zieres,  qui  faisoient  un  bataillon  de  mille 
honimes,  d'y  marcher,  et  fit  avancer  le  reste 
de  I'infanterie  pour  les  soutenir. 

[  M.  de  Turenne  ecrlvit  en  ce  temps-la  a  Son 
Eminence  : 

«  Je  me  suis  donne  I'honneur  d'escrire  a 
Vostre  Eminence  ,  il  y  a  trois  ou  quatre  jours  , 
et  luy  mandois  Tadvantage  que  Ton  avoit  eu  sur 
une  partie  des  ennemis  qui  continuent  toujours 
le  siege  de  Fribourg,  oil  ils  se  ruinent  beaucoup 
d'iufanterie. 

»  De  sorte  qu'il  serable  qu'ii  sera  plus  advan- 
tageux  de  tourner  ses  sorties  sur  le  Rhin,  apres 
la  prise  de  Gravelines ,  que  si  on  fust  venu 
dans  le  commencement  de  la  saison  ,  parce  que 
l'armee  de  Gallas  se  trouvera  engagee  contre 
Tartenson;  ou  bien,s'il  ne  rentre  point  en  Allema- 
gne,  elle  attaquera  apparemraent  quelque  place , 
comme  Leipsic,  Erfort  ou  Olmutz  ;  et  comme 
cela  se  trouve  engage  loing  du  Rhin  ,  outre  que 
l'armee  de  Baviere  sera  diminuee  de  beaucoup, 
estant  certain  qu'elle  estoit  de  dix-huit  mille 
hommes  quand  elle  est  sortie  de  ses  quartiers  , 
si  Ton  ne  tasclie  ,  avec  de  grandes  forces  ,  de  se 
rendre  maistre  du  Rhin ,  cette  annee  les  choses 
deviendront  bien  plus  difficiles;  car  il  ne  iaut 
point  que  Ton  se  flalte  de  croire  que  I'Allema- 
gne  soit  si  espuisee;  il  est  vray  qu'elle  n'est 
point  si  riche  qu'elle  a  este.  L'Empereur  de 
Baviere,  demeurant  maistre  de  Suabe,  Wir- 
teraberg ,  Haut-Palatinat  et  Franconnie  ,  peut 
maintenir  de  fort  belles  armees  bien  traic- 
tees,  sans  qu'i!  despense  rien  que  ce  qu'il  pren- 
dra  sur  le  pays. 

«  II  faudroit  que  l'armee  que  Ton  envoyeroit 
vlnt  par  Sancerre,  et  descendant  I'Alsace,  nous 
consulterions  ensemble  ce  qui  seroit  pour  le 
raieux ,  et  qu'elle  eust  un  bon  equipage  de  vi- 
vresetd'artillcrie.  Si  c'est  M.  le  ducdEnghien, 

Ml.  C.   V.    M.,  T.   Ill 


3r.<) 

je  luy  obeiray  comme  je  dois;  si  c'est  une  autre 
personiie,  je  contribueray  de  tout  pour  me  bien 
accommoder  avec  elle. 

»  Si  on  attend  dans  I'arriere-saison  ,  cela 
sera  entierement  inutile  ,  a  moins  d'un  effort ; 
cette  graude  armee  est  d'une  grande  fortune. 
II  est  certain  que  cette  armee  se  diminuera  , 
et  que  celle  de  I'ennemy  s'augmentera  extreme- 
ment  faute  de  quartier,  et  aussy  estant  certain, 
dans  la  mauvaise  opinion  qu'ils  prendront  des 
affaires,  qu'il  leur  faudra  tousjours  repasser  le 
Rhin  ,  et  quils  auront  ties-grande  difficulte  de 
se  pouvoir  maintenir  I'hiver. 

»  Pour  les  vivres,  on  en  trouvera  en  Alsace 
avec  de  I'argent ,  et  aussi  des  munitions  de 
guerre,  excepte  des  boulets  qu'il  faudra  porter, 
et  envoyer  quelqu'un  devant  pour  faire  les 
achapts  uecessaires ;  on  trouvera  aussy  a  Brisac, 
des  pieces  d'artillerie  en  bon  estat ,  mais  il 
faut  mencr  les  chevaux. 

"  Si  ce  n'eiit  este  en  autre  lieu  qu'ici,  I'infan- 
terie nouvelle  n'eiit  pu  subsister  faute  de  cha- 
riots de  vivres ;  il  me  faudroit  au  moings  deux 
cens  chevaux.  II  faut  faire  toutes  les  voitures 
pour  les  chevaux  que  Ton  prend  dans  les  vllles, 
ce  qui  coiite  extremement;  de  sorte  qu'il  faut  que 
cette  armee  fasse ,  avec  de  I'argent ,  ce  que 
celle  des  ennemis  faict  aux  despends  du  pays 
qu'ils  ont  derriere  eux. 

»  M.  Rosen  envoit  un  corps  qui  est  avec  luy 
proposer  la  levee  d'un  regiment  de  dragons,  il 
ne  demande  pas  tout  I'argent  qu'il  faut  pour 
cela  ,  mais  en  luy  avancant  deux  cens  pistol  les 
par  compagnie,  et  I'asseurant  que  le  regiment 
venant  un  peu  en  bon  estat ,  on  I'assisteroit  du 
reste,  j'asseure  Vostre  Eminence  qu'il  y  mettra 
plutot  du  sien  que  de  mettre  celuy  du  Roy  dans 
sa  bource.  II  sert  avec  grande  affection  et  me- 
rite  bien  que  Vostre  Eminence  s'asseurant,  par 
cet  homme  qu'il  envoie ,  que  la  Reine  luy  don- 
nera  quelque  recompense. 

»  II  est  tres  -  necessaire  d'avoir  de  bons 
dragons  dans  cette  armee ;  les  ennemis  en 
ont  plus  de  quinze  cens,  et  M.  Rosen  est 
plus  capable  de  faire  cette  levee  que  qui  que  ce 
soit. 

»  M.  d'Erlack  a  tesmoigne  a  Chalevoy  qu'il 
avoit  envie  de  se  retirer  ,  et  demandoit  combien 
on  avoit  donne  a  des  gouverneurs  en  France. 
Ce  n'a  este  qu'un  discours  qui  a  neanmoins  este 
assez  avant.  Je  croy  qu'il  n'y  a  pas  de  danger 
de  continuer  a  luy  en  faire  parler  sous  mains. 
Votre  Eminence  me  raandera  ce  qu'on  voudroit 
faire  pour  luy ;  en  ce  cas  ce  n'est  pas  une  chose 
a  faire  esclater  a  cette  heure  ;  personne  n'en 
salt  rien.  Je  croy  qu'il  n'y  a  personne  plus 

If  4 


370 

propre  pour  cette  charge  que  M.  d'Aumoiit ,  il 
a  toutes  les  qualites. 

•>  Je  ne  double  pas  que  Votre  Eminence 
u'ait  donne  ordre  a  une  monstre  pour  cette  ar- 
mee  ;  je  la  supplie  de  croire  que  cela  est  tout-a- 
fait  necessaire  et  que  les  officiers  ont  enaploye 
tout  I'argent  qu'on  leur  a  donne  et  ce  qu'ils 
ont  pris  en  Lorrayne  pour  se  remettre,  et  qu'ils 
sont  en  grande  necessite.  lis  m'ont  demande  si 
je  n'aurois  point  de  nouvelles  de  leur  argent. 
Je  crois  que  dans  peu  de  temps  ils  me  viendront 
trouver  pour  cela.  L'armee  de  Baviere  n'a 
donne  que  quatre  mois  cet  hiver,  et  en  faire 
toucher  un  a  cette  heure ,  il  pourroit  arriver  un 
accident ,  a  moins  que  d'avoir  bientot  de  I'ar- 
gent. 

»  Je  supplie  Vostre  Eminence  ,  M.  de  Tracy 
quittant ,  de  vouloir  avoir  icy  une  personne  a 
qui  elle  se  fie  pour  le  maniement  des  finances  ; 
car  ,  a  moins  d'eviter  beaucoup  de  frais  par  la 
commodite  des  quartiers  ,  les  parties  inopinees 
qui  ue  sont  point  dans  les  autres  armees,  comme 
I'achapt  de  bleds,  gages  des  commis ,  leurs 
despences  dans  les  villes,  les  gages  des  officiers 
d'artillerie,  entretien  des  chevaux  ,  I'achapt  des 
munitions,  payement  de  rancons,  sont  des  des- 
pences, si  grandesque  cela  ne  se  pent  pas  ima- 
giner.  Je  ne  scaurois  encore  avoir  assez  de  valets 
pour  le  peu  des  chevaux  que  Ton  a  pour  I'artil- 
lerie,  et  si  je  m'asseure  qu'il  en  a  couste  plus 
de  huict  cens  pistolles.  Vostre  Eminence  peut  s'i- 
maglner  les  autres  despences  a  proportion  ;  de 
sorte  que  si ,  outre  la  monstre,  on  n'envoye  de 
i'argent  pour  parer  les  extraordinaires ,  on 
demeurera  entierement  court. 

»  Vostre  tres-humble  et  tres-obeissant  ser- 
viteur. 

»  Du  camp  de  Schalstadt ,  20  juillet  1044. 

»    TUBENNE.  »] 

L'ennemi  s'etant  appercu  qu'on  marchoit  vers 
cette  montagne,  envoya  commander  a  quinze 
ou  vingt  mousquetaires  qui  etoient  en  garde  a 
demi-cote ,  de  monter  sur  le  sommet  de  la  mon- 
tagne :  ils  y  arriverent  avant  les  deux  regimens 
francois,  etfirent  une  dechargesur  eux  comme 
ils  montoient.  Les  Francois,  qui  ne  voyoient 

(1)  Le  conitc  de  Merci,  fr^re  du  baron  de  ce  nom. 

(2)  Avant  Tarriv^e  du  due  d'Enghien  a  Parmec  d'Al- 
lemagne.  on  avail  r<5pandu  le  bruit  dc  la  contrariety 
(Iprouv^c  par  Turenne  a  cette  nouvcllc.  Des  que  Tu- 
rcnnc  en  fut  inrorm^,  il  s'empressa  de  protester  conire 
ce  bruit  par  la  lettre  suivante  : 

«  Forcade  me  mande ,  et  d'autres  aussi ,  que  i'on  dit 
que  je  ne  suis  pas  bien  avec  M.  d'Enghien,  et  que  je  nc 


MEMOlllES    1)1     VICOMTR    DE   TLRENi^iE.    ||G44! 


pas  le  derriere,  croyant  que  toute  I'infanterie 
de  l'ennemi  arrivoit  sur  cette  montagne,  pri-i 
rent  I'epouvante  ,  et  marchant  en  desordre  par ; 
des  lieux  fort  rudes  ,  deux  enseignes  commen-  j 
Cerent  a  descendre  avec  leurs  drapeaux ,  et  aus- 
sitot  tout  le  bataillon,au  lieu  de  monter,  cotoyai 
la  montagne,  et  les  ennemis  eurent  le  temps 
de  faire  une  seconde  decharge  a  laquelle  tout 
le  bataillon  plia  et  descendit  la  montagne.  M.  de 
Turenne ,  qui  etoit  au  has   et  qui  commencoit 
a  faire  monter  d'autres  regimens ,  voyant  le  ba- 
taillon qu'il  avoit  envoye  revenir  en  confusion, 
et  que  cela  avoit  donne  le  temps  a  d'autre  in- 
fanterie  de  l'ennemi  de  monter  a  cette  monta- 
gne ,  ne  songea  plus  a  ce  dessein  ,  et  commenca 
a  se  retirer  a  une  petite  hauteur,  a  trois  ou  qua- 
tre cens   pas  de  la ,  afin  de  s'y  mettre  en  ba- 
taille.  II  y  cut  pendant  quelque  temps  un  peu  i 
de  confusion,  doiit  l'ennemi  eiitpu  profiler,  s'il  \ 
n'eut  pas  ele  applique  a  s'emparer  de  ce  poste. 

M.  de  Turenne  se  campa  sur  la  hauteur,  fit 
casser  les  deux  enseignes  qui  avoient  donne  I'e- 
pouvante, et  demeura  quelque  temps  dans  ce 
poste,  a  la  vue  des  ennemis  qui  continuerent 
le  siege.  II  y  eut  encore  quelques  escarmouches 
et  un  combat  de  cavalerie  assez  considerable, 
ou  sept  ou  huit  cens  chevaux  de  l'ennemi  furent 
defalts :  mais  l'armee  de  l'ennemi  etant  beau- 
coup  plus  forte  que  celle  du  Roi  (1),  M.  de  I 
Merci,  qui  en  etoit  general ,  conlinua  le  siege,  | 
et  M.  de  Turenne,  ayant  manque  cette  pre-  j 
miere  occasion,  ne  crut  pas  qu'il  eut  raison  de 
rien  hazarder  pour  la  secourir,  et  se  retira  a  une 
heure  et  demie  de  la  dans  le  temps  que  la  viile 
capituloil.  II  pouvoit  y  avoir  cinq  ou  six  cens 
hommes  commandes  par  M.  de  Kanofski ,  qui 
se  retirerent  a  Brisac,  apres  la  capitulation. 

M.  de  Turenne  eut  nouvelle  en  ce  temps-la 
que  M.  le  due  d'Enghien  (2)  avoit  ordre  de  mar- 
cher a  Brisac  avec  son  armee ,  qui  etoit  com- 
posee  de  six  mille  hommes  de  pied  et  de  trois 
mille  chevaux  (3).  Ce  prince,  ayant  passe  le 
Rhin ,  vint  au  camp  de  M.  de  Turenne,  qui 
pouvoit  etre  a  (|uatre  ou  cinq  heures  de  Brisac. 

[  Ce  fut  aussi  en  ce  temps-la  que  M.  de  Tu- 
renne recutde  la  cour  un  memoire,  par  lequel 
on  lui  demandait  ce  qu'il  y  avail  a  faire  au  sujet 
de  la  mesintelligence  dessieursd'Erlac  et  d'Os- 

serois  pas  bien  aise  de  me  joindre  a  lui.  Je  vous  prie, 
si  vousoyez  parler,  de  K^moigner  que  je  ne  suis  pas  si 
impertinent  que  ccia,  el  que  c'est  un  honneur  que  j'ai 
loujours  recherche  extremement.  » 

(3)  Le  marquis  de  La  Moussaie  dit  qu'il  y  avail  quatre 
mille  chevaux  dans  I'iirmee  du  due  d'Enghien.  On  a  de 
ce  meme  pcrsonnagc  une  relation  de  la  campagne  de 
Fribourg;  elle  a  Hi  irnprim^e  dans  le  tome  deuxieme 
de  rHistoire  de  Turenne,  dc  Ramsay. 


MKMOIRES    in     VICOMTE   DB    TURENNE.    [1644] 


sonvllle  a  Brisac ,  en  raeme  temps  qu'on  lui 
maodait  des  nouvelles  des  autres  armees  du 
Roi: 

<■  Le  Roy  ayaiit  cousidere  combieu  il  importe 
de  pourvoir  a  la  conservation  de  Brisac ,  et  que 
par  tous  les  advis  qui  viennent  de  ce  coste-la, 
niesme  parceux  de  M.  le  marechal  du  Turenne, 
il  n'est  pas  possible  de  restablir  la  bonne  corres- 
pondance  necessaire  entre  les  sieurs  d'Erlac  et 
d'Ossonville ,  pour  bien  servir  ensemble,  Sa  Ma- 
jeste  a  resolu,  par  I'advis  de  la  Reyne  regente, 
sa  niere,  demettre,  en  la  charge  de  lieutenant 
au  gouvernement  de  Brisac,  une  autre  personne 
que  leditsieur  d'Ossonville. 

>'  Et  parce  qu'il  a  fait  cognoistre  sa  eapacite 
et  fidelile  en  toutes  occasions,  et  que  Leurs  Ma- 
jestes  seront  bien  aises  qu'il  continue  de  servir 
aux  quartiers  ou  il  est,  Ton  a  estime  que  Ton 
luy  pourroit  donuer  la  charge  de  lieutenant  pour 
Sa  Majeste  au  commandement  de  la  Basse-Al- 
sace, et  lorsque  le  sieur  de  Montausier  sera  en 
liberie,  traiter  avec  luy,  pour  avoir  comman- 
dement dans  Schelestat,  pour  le  sieur  d'Osson- 
ville ,  mesrae  que  Ton  y  pourroit  adjouster  un 
brevet  de  marechal-de-camp,  sans  en  faire 
neantmoins  les  fonctions  dans  I'armee ,  mais 
seulement  pour  marque  d'honneur  et  de  la  sa- 
tisfaction que  Ton  a  de  ses  services ;  ou  bien  que, 
comme  il  a  fait  la  charge  de  commissaire-gene- 
ral  dans  le  gouvernement  de  Brisac  et  dans 
I'Alsace  ,  le  Montbeliardetpays  voisins  qui  sont 
en  I'obeissance  de  Sa  Majeste,  on  pourroit  aussi 
I'eraployer  en  la  charge  de  commissaire-gene- 
ral  en  I'armee  d'Allemagne,  que  fait  a  present 
le  sieur  de  Tracy  ;  et  au  meme  temps ,  on  a  es- 
time que  ledit  sieur  de  Tracy ,  qui  a  tesmoigne 
desirer  d'estre  descharge  de  cet  employ,  pour- 
roit bien  remplir  ladite  charge  de  lieutenant 
a  Brisac  ,  Ton  a  aussi  jette  les  yeux  sur  le  sieur 
Du  Plessis-Besancon ,  I'un  et  I'autre  ayant  la 
eapacite,  I'affection  et  toutes  les  parties  qui  sont 
necessaires  pour  se  bien  acquitter  de  cet  employ, 
tt  ne  manquant  pas  d'adresse  pour  bien  vivre 
avec  ledit  sieur  d'Erlac,  qui  est  peut-etre  la 
qualite  la  plus  necessaire. 

>'  Mais  comme  Ton  ne  veut  rien  faire  en  cela 
que  par  I'advis  dudit  sieur  marechal ,  Ton  a  re- 
lOlu  de  I'attendre  pour  y  prendre  resolution ,  et 
iftin  que  ledit  sieur  d'Ossonville,  ayant  servy 
•omme  il  a  faict,  soit  content  de  ce  que  Ton 
era  pour  luy,  Ton  desire  que  ledit  sieur  mare- 
•hal  essaye  de  descouvrir  ce  qu'il  desireroit  le 
)lus  ,  soit  de  servir  en  I'armee  ou  dans  le  pays 
'il  il  est,  et  ou  il  sera  specialement  applique. 
I  »  Et  le  tirant  de  Brisac  ,  Ton  croit  qu'il  sera 
i»bsolument  necessaire  den  faire  sortir  son  resi- 


.37  1 

ment,  et  d'y  faire  entrer  un  autre  corps  fran- 
cois  de  pareille force,  conforraement  au  traicte, 
estant  a  craindre  que  ceux  qui  se  sont  sousleves 
une  fois  ne  retombent  en  mesme  faute  ,  et  Bri- 
sac estant  de  telle  consequence  qu'il  s'en  faut 
une  fois  pour  touttes  mettre  en  repos. 

»  Et  afin  que  le  regiment  d'Ossonville  puisse 
fortifier  I'armee  du  sieur  marechal  de  Turenne, 
Sa  Majeste  donnera  la  levee  d'un  regiment  fran- 
coisa  celuy  qui  sera  choisy  pour  lieutenant  au 
gouvernement  de  Brisac:  a  quoy  il  trouvera 
d'autant  plus  de  facilite  ,  que  les  soldats  auront 
a  servir  dans  une  place  oil  la  garnison  est  fort 
bien  entretcnue;  mais  comme  il  pent  y  avoir 
des  soldats  francois  du  regiment  d'Ossonville 
qui  ne  voudront  pas  sortir  de  Brisac,  y  ayant 
leurs  families  ,  il  faudra  diminuer  le  foud  de  la 
levee  du  regiment  qu'on  mettra  sur  pied ,  ou 
bien  obliger  le  marechal-de-camp  de  jetter  dans 
le  regiment  d'Ossonville  autant  de  soldats  qu'il 
en  demeurera  de  maries  dans  Brisac. 

"Qu'on  neprescrit  pas  audit  sieur  marechal  ce 
qu'il  auraa  faire  en  ce  suject  avec  ledit  sieur  d'Er- 
lac ,  soit  pour  luy  faire  valoir  ce  changement  , 
soit  pour  en  tirer  advantage  pour  le  service  du 
Boy,  ny  comme  quoy  il  doibt  s'en  ouvrir ,  et  y 
agir  avec  luy  ,  parce  que  le  cognoissant  comme 
je  fais,  et  voyant  toutes  ces  choses-la  de  plus 
pres,  il  scaura  bien  choisir  cequi  sera  pour  le 
mieux:  de  quoy  Ton  se  remet  a  sa  prudence;  et 
afin  qu'il  ne  soit  engage  a  rien  a  I'endroit  de 
ceux  qui  ont  interest  en  cette  affaire  et  en  ces 
propositions ,  Ton  n'en  escrit  rien  audit  sieur 
d'Erlac,  ny  auxdits  sieurs  de  Tracy  et  d'Osson- 
ville. S'il  ne  juge  pas  a  propos  de  changer  ledit 
sieur  de  Tracy  ,  soit  pour  I'utilite  de  son  service 
dans  I'armee  ,  soit  pour  autre  condition,  et  qu'il 
approuve  le  choix  dudit  sieur  Du  Plessis-Be- 
sancon ,  Ton  I'envoyera  aussitost  trouvcr  ledit 
sieur  marechal. 

»  Et  parce  que  ledit  sieur  marechal  doit  agir 
de  concert  avec  M.  le  due  d'Enghien,  il  est 
necessaire  qu'il  soit  informe  que  les  derniersor- 
dres  qui  luy  ont  este  envoyes  sont :  qu'il  observe 
incessamment  les  desseins  et  la  marche  des  en- 
nomis  qui  sont  vers  le  Luxembourg;  que  si  le 
due  Charles  et  le  general  Beck  joignent  leurs 
forces  pour  marcher  du  coste  de  Flandres,  il  les 
suive,  et  laisse  un  corps  en  Champagne  pour 
couvrir  cette  frontiere,  proportionne  a  celuy 
que  les  ennemis  pourront  faire  demeurer  dans 
le  Luxembourg  ,  ou  ils  envoyent  vers  la  Flan- 
dres une  partie  seulement  de  leurs  trouppes ;  qu'il 
fasse  marcher  vers  la  Picardie  celles  qu'il  esti- 
mera  a  propos  ;  et  qu'en  cas  qu'il  marche  de  ce 
coste-la  en  personne  ,  et  avec  ses  principales  for- 


37  2 

CCS,  il  donne  advis  ;uulit  sieiir  inait'chal  de  sa 
marche,  affin  que,  s'il  estoit  necessaire  ,  il  des- 
tache  quelque  corps  pour  empechcr  avec  plus  de 
seui^ete  lesentreprisesdes  ennemis  de  ce  coste-la. 
>.  Sy  bicn  qu'en  cas  que  M.  le  due  d'Enghien 
soil  oblige  d'aller  en  personne  vers  la  Picardie, 
il  sera  de  la  prudence  et  affection  au  service  de 
Sa  Majeste  dudit  sieur  marechal,  de  deslachcr 
un  corps  pour  envoyer  du  coste  du  Luxembourg 
pour  y  tenir  les  ennemis  en  consideration ,  et 
d'adviser  aussy,  sy,  pour  favoriser  le  passage  , 
dans  le  royaume  des  troupes  commandees  par 
le  sieur  de  Marsin  ,  il  ne  pourroit  pas  envoyer 
un  corps  qui  s'advanceroit  vers  luy  ,  faisant  le 
tout  de  concert  avec  ledit  sieur  due. 

"  Ledit  sieur  mareclial  scaura  aussi  que,  fai- 
sant joindre  amondit  sieur  due  le  corps  de  trou- 
pes liegeoises  conimande  par  ledit  sieur  de 
Marsin  ,  on  faict  estat  que  raondit  sieur  due  aura 
jusquesa  douze  on  treize  mille  hommes  effectifs, 
tant  de  cavalerie  que  d'infanterie  ,  aflin  qu'a- 
pres  que  le  siege  de  Graveline  sera  en  bon  es- 
tat ,  il  puisse,  selon  qu'il  concertera  avec  ledit 
sieur  marechal ,  s'employer  au  dessein  projette 
vers  la  Moselle,  ou  a  celuy  du  Haut-Rhin  ,  en 
envoyant,  meme  des  a  present,  quatre  cens  che- 
vaux  d'artillerie,  outre  les  trois  cens  qu'il  a, 
pour  faire  un  esquipage  capable  de  se  porter  par- 
tout. 

"Ledit  sieur  marechal  aura  este  informe  de  la 
difficulte  qu'a  faite  le  regiment  de  Guy,de  join- 
dre son  armee,  apprehendantde  passer  le  Rhin, 
soubs  pretexte  de  la  pretendue  contravention 
aux  alliances  des  cautions  de  Suisses,  et  de  la 
deffenseexpresse  qui  en  a  este  faite  au  colonel 
et  officiers  dudit  regiment:  snr  quoy  il  a  este  or- 
donne  audit  colonel  d'aller  servir  en  ladite  ar- 
mee, tandis  qu'elle  sera  au-dela  du  Rhin.  Et 
comme  ledit  sieur  marechal  ne  doibt  faire  son 
passage  au-dela,  qu'il  ne  soit  favorise  de  I'armee 
dudit  sieur  due,  I'intention  de  Sa  Majeste  est  que, 
quand  il  sera  en  estat  et  que  les  affaires  per- 
mettront  qu'il  passe  le  Rhin  ,  il  fasse  marcher 
ledit  regiment  vers  ledit  sieur  due,  lequel  iui  en 
envoyera  un  autre  en  echange  de  celuy-lji. 

»  Ledil  sieur  marechal  scaura  aussy  qu'on  a 
envoye- ledit  sieur  Du  Plessis-Resancon,  de  nou- 
veau ,  vers  le  due  Charles,  pour  tcicher  de 
tirer  quelque  conclusion  des  ouvertures  qu'il 
luy  a  faites,  temoignant  toujours  de  vou- 
loir  entendre  a  un  accommodement ,  quoy- 
que  Ton  soit  bien  adverty  qu'il  traitle  avec 
les  ennemis;  qu'il  les  a  de  nouveau  assures  de 
son  affection  et  service,  et  que  deja,  en  execu- 
tion de  ce  qu'il  leur  a  promis  ,  il  a  loge  ses  trou- 
pes proche  de  Trevn^s ;  mais  comnie  il  y  a  bean- 


MEMOIUFS    ni;    VIC.OMTF.    OB    TUBRNKE.    [1644] 


coup  de  legerete  et  d'incertitude  en  ses  pensees,  ! 
il  pent  aussytost  prendre  un  party  qu'un  autre,  ' 
et,  trouvant  son  compte  avec  nous,abandonner  • 
les  ennemis ;  toutet'ois,  comme  il  est  difficile  que  . 
la  chose  reussisse,  il  n'y  faut  faire  aucun  fon- 
dement,  et  il  importe  que  ledit  sieur  marechal 
prenne  ses  mesures;  d'ailleurs  il  scaura  seule- 
ment  une  chose  assuree  l<i-dessus,  qui  est   que 
le  due  et  celuy  de  Baviere  se  sont  promis  reci- 
proquement :  le  premier ,  de  passer  le  Rhin  sy 
ledit  sieur  marechal  y  prend  sa  marche;  et  Tau- 
tre  d'envoyer  des  forces  au-dela  du  Rhin,  si  Ton 
attaque  La  Motte. 

-.  On  n'obmettra  rien  de  ce  qui  sera  possible 
pour  attacher  ledit  sieur  due  a  la  France:  en 
quoy  on  ne  considere  pas  principalement  sa  per- 
sonne ny  ses  troupes,  mais  bien  la  facilite  que 
son  accommodement  nous  donneroit  pour  I'exe-  i 
cution  des  desseins  que  Ton  pourroit  faire  du  I 
coste  de  Spire ,  Worms  et  de  Mayence.  Ledit  ! 
sieur  marechal  apprendra  tout  ce  qui  s'advan- 
cera  par  la  voye  de  mondit  sieur  due  d'Enghien, 
plus  tot  qu'il  n'en  pourroit  estre  informe  du  coste 
de  la  cour ,  ledit  sieur  Du  Plessis-Resancon 
ayant  ordre  de  rendre  compte  de  tout  ce  qu'il 
fera  audit  sieur  due  ,  qui  en  donnera  advis  au- 
dit sieur  marechal ,  qui  aura  un  soin  particulier 
de  luy  faire  souvent  savoir  de  ses  nouvelles, 
ainsi  qu'il  luy  donnera  des  siennes ,  pouvant 
prendre  divers  advantages  sur  les  ennemis  en 
agissant  toujours  de  concert. 

» Les  nouvelles  que  nous  avons  deGravelines, 
sont  que  Ton  travaille  puissamment  a  la  circon- 
vallation ;  que  le  secours  d'hommes  qui  y  est 
enlre  par  mer  n'est  pas  capable  d'en  retarder 
le  succes,  duquel  on  a  toute  bonne  esperance ,  et 
Ton  n'obmet  rien  de  ce  qui  est  juge  necessaire 
pour  I'advancer. 

>'En  Catalogue,  leschosesse  trouvent  en  beau- 
coup  meilleurs  termes  que  les  premiers  advis  '  1 
que  Ton  en  avoit  ens  ne  I'avoient  faict  juger, 
ainsy  que  ledit  sieur  marechal  I'apprendra  par 
I'extrait  qui  sera  cy  joint  des  dernieres  depe- 
ches  qui  en  sont  venues  d'ltalie;  Ton  a  advis 
que  M.  le  prince  Thomas  se  met  en  campagne 
dans  le  Milanois  ,  et  ainsy  Ton  estime  de  toutes 
parts  que  Ton  fera  quelque  chose  advantageuse 
durant  cette  campagne. 

»  Faict  a  Ruel ,  le  I3juin  1644.  »] 

L'armee  de  I'ennemi ,  apres  la  prise  de  Fri- 
bourg,  etoit  dem.euree  dans  son  camp  :  on  I'en- 
voya  reconnoitre ,  aussi  bien  que  tous  les  clie- 
mins  dans  les  montagnes  et  les  bois,  pour  tacher 
de  se  mettre  entre  Fribourg  et  les  Bavarois , 
et  deseendre  par  la  dans  la  plaine.  M.  le  due 
d'Enghien  resolut  d'altaquer  avec  son  armee 


MKMOIBES    DL    MCOMTE    l)E    Tl  I'.KNMi.    [|G-I4j 


373 


des  postes  oil  M.  de  Merei  avoit  tiois  ou  quatre 
re'Tinicns  d'infanterie,  sur  une  hauteur,  a  la  tete 
de  son  camp ,  et  oidonna  a  M.  de  Turenne  d'al- 
ler,  avec  I'armee  qu'il  commandoit ,  par  les  bois 
et  les  montagnes  ,  pour  tacher  cVentrer  dans  la 
plaineoii  rcnnemi  etoit,  et  le  prendre  par  le 
tlanc.  On  eonviut  d'attaquer  trois  heures  devant 
la  nuit. 

M.  le  prince  ,  ayant  fait  attaquer  la  haulciir 
avec  son  infanterie,  fut  repousse  au  commence- 
ment ;  maisapres,  y  etant  alle  kii-meme  avec 
beaucoup  de  vigueur  et  avec  des  corps  qui  sou- 
tenoient  ceux  qui  avoient  ete  repousses,  il  em- 
porta  ces  postes  et  delit  ces  trois  ou  quatie  regi- 
mens, ou  il  y  avoit  plus  de  deux  mille  hommes, 
et  y  perdit  beaucoup  de  gens  ,  et  la  nuit  etant 
survenue ,  il  s'arreta  au  meme  endroit. 

M.  de  Turenne  ,  a  la  tete  de  son  armee,  en- 
tra  dans  le  defile,  et  s'approcha  de  la  plaine  ou 
les  ennemis  etoient  en  bataille  :  il  les  chassa 
d'abord  d'un  bois  et  puis  d'une  bale,  et  les  re- 
poussa  de  p^te  en  poste  jusqu'a  I'entree  de  la 
plaine.  LeS'lJavarois  perdirent  beaucoup  de  gens, 
et  se  retii'erent  a  quarante  ou  cinquante  pas  au 
plus  de  notre  infanterie  ,  ayant  toute  leur  cava- 
lerieet  leur  corps  d'infanterie  de  la  seconde  li- 
gne  pour  les  soutenir.  Les  deux  armees  demeu- 
rerent  ainsi  Tune  devant  I'autre,  les  Bavarois 
n'osant  plus  venir  aux  mains  contre  ces  regi- 
mens, qui  les  attendoient  avec  leurs piques,  et 
les  Francois  n'osant  entrer  plus  avant  dans  la 
plaine,  n'ayant  point  de  cavalerie  pour  les  sou- 
tenir. 

On  combattit  de  cette  facon  plus  de  deux 
heures  avant  la  nuit  avec  grande  perte  de  cote 
et  d'autre.  L'infanterie  du  Roi  avoit  derriere 
elle  le  bois  qui  donnoit  un  grand  pretexte  pour 
seretirer;  mais  elle  ne  s'affoiblit  point,  quoi- 
qu'on  ne  put  jamais  faire  entrer  qu'un  escadron 

I  de  cavalerie  pour  la  soutenir,  n'y  ayant  pas 

'  d'espace  pour  se  mettre  en  bataille. 

La  nuit  ne  fit  point  cesser  le  combat,  et  les 
troupes,  de  part  et  d'autre,  demeurerent,  avec 
un  feu  continuel ,  a  la  distance  de  quarante  pas, 
jusqu'au  jour,  pendant  plus  de  sept  heures. 
Dans  cet  endroit  il  y  eut ,  de  I'armee  du  Roi , 

,  plus  de  quinze  cens  hommes  hors  de  combat , 
et  de  la  part  de  I'ennemi,  plus  de  deux  mil- 
le cinq  cens  (1).  M.  de  Roqueserviere ,  sergent 
de  bataille,  y  fut  blesse  a  mort;  M.  d'Au- 

1  (1)  MM.  (le  La  Moussaic  et  Puffendorf  font  monter 
!  I'armee  dc  Merci  a  quiiizc  miile  hommes,  donl  il  y  avail, 
selon  le  dernier,  neiif  mille  fanlassins  :  il  fallait  done 
qu'il  y  cut  plus  de  trois  mille  tu^s  a  cette  action  ,  puis- 
qu'il  n'y  avail  que  deux  mille  cinq  cents  tu(*s  a  Tatlaque 
de  Turenne,  douze  cents  dans  la  seconde  journec,  ol 


luont,  lieutenant-general,    y  agit  tres-bien. 

Un  peu  devant  le  jour,  on  vit  que  leur  mous- 
queterie  se  rallentissoit  :  c'est  qu'ils  avoient 
laisse  quelques  gens  pour  tirer,  afin  qu'on  ne 
s'appercut  pas  de  leur  retraitte ,  toute  leur  ar- 
mee marchant  vers  une  montagne  qui  est  proche 
de  Fribourg.  lis  avoient  apprehende,  avec  rai- 
son,  que  M.  le  prince,  ayant  ete  empeche  de 
marcher  plus  avant,  par  la  nuit,  le  jour  venant 
ne  les  attaqu^t  dans  la  plaine  de  son  cote. 
Comrae  il  fit  assez  clair  pour  voir  d'une  distance 
de  cent  pas,  on  fit  avancer  quelques  soldats 
dans  la  plaine ,  qui  dirent  que  I'ennemi  s'etoit 
retire;  et,  lejour devenant  plus  grand,  M.  de 
Turenne  deboucha  dans  la  plaine ,  et  vit  aussi 
M.  le  prince  qui  y  entroit  de  son  cole.  Les  ar- 
mees s'etant  Jointes ,  M.  le  prince  ne  jugea  pas  a 
propos  que  Ton  marchat  ce  jour-la  a  la  monla- 
gne,  ou  les  Bavarois  s'etoieut  campes  de  nou- 
veau  ,  qui  n'etoit  pas  a  plus  d'une  heure  de  leur 
premier  camp.  II  alia  seulement  se  promener 
assez  proche  de  lamontagne,  oil  les  ennemis, 
ayant  deja  loge  leur  canon,  tirerent  plusieurs 
coups  sur  ceux  qui  s'avancoient. 

II  est  certain  que  si  on  eiit  marche  a  eux , 
qu'on  les  eiit  trouves  en  grande  confusion  ;  mais 
Tinfanteriedu  Roi  etoit  siabbatuepar  le  combat 
de  toute  la  nuit,  et  par  la  quantite  d'officiers  et 
de  soldats  tues  ou  blesses,  qu'elle  n'etoit  pas  en 
etat  d'entreprendre  aucune  action  considerable. 
On  demeura  ce  jour-la  dans  le  camp;  et  on  dit 
que  la  plupart  des  officiers  geueraux  de  I'ennemi 
etoient  d'avis  de  prendre  ce  temps  pour  se  reti- 
rer  par  les  montagnes  derriere  Fribourg ,  et  y 
laisser  garnison  ;  neanmoinsM.  de  Merci  I'em- 
porta  :  il  y  demeura,  y  fit  abbattre  quelques 
bois  pourempecher  faeces,  et  fit  faire  de  petits 
travaux  aux  iieux  les  plus  avantageux. 

Le  lendemain  de  tres-grand  matin ,  I'armee 
que  M.  de  Turenne  commandoit  ayant  I'avant- 
garde ,  il  detacha  sept  ou  huit  cens  mousquetai- 
res  commandes  par  M.  de  L'Echelle, sergent  de 
bataille  de  I'armee  de  M.  le  prince  (qui  tenoit  la 
place  de  M.  de  Roqueserviere,  blesse  le  jour 
auparavant) ,  et  huit  ou  dix  escadrons  de  cava- 
lerie conduits  par  M.  Deubatel  (2),  lieutenant- 
general,  avec  quatre  petites  pieces  de  campagne, 
qui  marcherent  a  la  tete  du  corps  de  I'armee. 
Gomme  on  approcha  de  la  montagne  ou  etoit 
I'ennemi,  on  y  trouva  quelques  mousquetaires 

tres  peu  a  la  troisieme ;  et  cependant  il  ne  s'en  (5lait  re- 
retire  que  six  mille  de  toute  I'armee  de  Merci,  selon  Tu- 
renne. 

(2)  Peut-etre  est-ce  le  meme  que  le  marquis  de  La 
Moussaie  nomme  Pu  Tubal. 


374 


MEJIOIEES    1)L    MCOMTK    I)t    Tl  P,Ei\M- 


1G-I4i 


qui  gardoienl  de  petits  postes  avantageux,  et 
qui  se  retiroient  vers  leurs  corps  quand  ils 
etoient  presses,  pendaut  que  I'ennemi  tiroit  beau- 
coup  de  canon. 

La  marche  ayant  ete  fort  courte ,  quand  on  se 
trouva  dans  cet  etat,  il  n'etoit  au  plus  que  liuit 
heures  du  matin  ,  de  sorte  qu'on  avoit  beaucoup 
de  temps,  etant  dans  les  grands  jours  de  I'ete. 
On  resolut  qu'en  s'ouvrant  fort  a  la  main  droite, 
on  feroit  place  a  I'armee  de  M.  le  prince  (que 
commandoit  sous  lui  M.  le  marechal  de  Gra- 
mont)  pour  doubler  a  la  gauche,  et  on  se  raet- 
troit  en  telle  disposition ,  que  la  montagne  pour- 
roit  etre  attaquee  en  meme  temps  par  divers 
endroits.  Toutes  les  troupes  de  Tennemi ,  tant 
cavaleriequ'infanterie,s'etaDt  retirees  et  resser- 
rees  vers  la  montagne ,  apres  une  assez  grande 
escarmouche,  on  fit  halte.  Le  canon  de  la  mon- 
tagne ne  faisoit  pas  beaucoup  de  mal ,  parce  que 
les  troupes  francoises  n'etoient  pas  dans  un  defile. 

Dans  ses  entrefaites ,  un  olficier  de  Flextein 
qui  etoit  commande  avec  cinquante  chevaux 
pour  aller  voir  la  conlenance  de  I'ennemi ,  sur 
une  hauteur  a  cote  de  I'armee  du  Roi,  vint  aver- 
tir  M.  de  Turenne  qu'il  voyoit  une  grande  con- 
fusion parmi  les  Bavarois ,  et  que  leur  bagage 
marchoit.  M.  de  Turenne  le  dit  a  M.  le  prince , 
lequel  croyant  que  Ton  ne  s'eloigneroit  pas  trop 
pour  voir  cela ,  et  que  Ton  pourroit  s'en  servir 
pour  la  disposition  de  I'attaque ,  il  s'y  en  alia  et 
M.  de  Turenne  avec  lui,  ayant  dit  aux  troupes 
en  passant  devant  elles  ,  que  Ton  reviendroit  in- 
continent, et  qu'il  falloit  attendre  eelles  de  M. 
le  prince  avant  que  d'attaquer. 

II  y  avoit  environ  deux  mille  pas  du  lieu  ou 
etoient  les  troupes  de  la  droite  jusqu'a  la  hau- 
teur ou  etoit  cet  officier  Flextein.  Comme  Ton 
etoit  a  regarder  la  contenance  de  I'armee  des 
ennemis  qui  paroissoient  en  grande  confusion , 
en  entendit  une  grande  salve  qu'ils  faisoient,  et 
en  meme  temps  un  bruit  de  trompettes  et  de 
timbales.  M.  d'Espenan  qui  commandoit  I'infan- 
terie  de  M.  le  prince,  arrivant  au  has  de  la 
montagne  ,  et  voyant  un  petit  travail  assez 
avance  dans  lequel  I'ennemi  avoit  quelques 
mousquetaires,  et  par  lequel  on  u'avoit  pas 
juge  necessairede  commencer  une  attaque,  en- 
voyaquelque  infimterie  pour  s'en  saisir,  sans 
attendre  les  ordres  de  M.  le  prince  ni  de  M. 
le  marechal  de  Gramont ,  pensant ,  a  ce  que  je 
crois  ,  que  la  chose  n'auroit  pas  une  si  grande 
suite ,  ou  peut-etre  aussi  pour  se  faire  valoir  par 
quelque  petite  action.  C'est  ce  qui  obligea  I'en- 
nemi a  faire  une  si  grande  decharge  de  la  mon- 
tagne sur  ces  troupes  qui  s'avancoient  en  meme 


Le  corps  de  I'avant-garde  de  M.  Dubatel  , 
ou  etoit  M.  de  L'Echelle  (auxquels  M.  de  Tu- 
renne avoit  parle  en  allant  avec  M.  le  prince, 
et  dit  expressement  qu'il  ne  falloit  bouger  de 
sou  poste,  et  qu'il  reviendroit  incontinent), 
commenca  a  marcher  vers  la  montagne ,  et 
ayant  passe  quelque  abatis  de  bois  que  Tennemi 
avoit  fait,  s'avanca  vers  un  travail  oil  etoit  M. 
Merci  avec  tout  le  corps  de  son  infanterie,qui, 
n'etant  attaque  que  par  cec6te-la,  a  cause  que 
la  chose  etoit  faite  sans  ordre ,  s'y  opposa  avec 
tout  ce  qu'il  avoit.  C'est  en  cet  etat-la  que  M.  le 
prince  et  M.  de  Turenne,  revenant  avec  lui,  trou- 
verent  les  choses ,  y  ayant  couru  a  toute  bride 
sur  le  bruit  que  Ton  avoit  entendu. 

II  n'y  avoit  personne  de  I'armee  de  M.  le 
prince  arrive,  que  ce  peu  de  mousquetaires 
dont  M.  d'Espenan  s'etoit  servi  pour  prendre  ci 
petit  travail ,  et  toute  I'infanterie  de  M.  de  Tu 
renne,  qui  ne  montoit  pas  a  trois  mille  hommes,  ■ 
n'etoit  pas  engagee  contre  ce  fort,  raais  etoit 
assez  loin  de  la  sans  ordre  de  ce  qu'ils  avoient 
a  faire.  M.  le  prince  demeura  avec  ce  premier 
corps  qui  etoit  deja  repousse ,  tout  proche  de 
cette  redoute  de  I'ennemi,  et  ainsi ,  comme  on 
peut  juger,  tres-expose,  n'y  ayant  qu'un  regi- 
ment decavalerie,  qui  etoit  celui  de  Flextein, 
pour  soutenir  cette  infanterie ,  et  qui  etoit  sous 
le  feu  de  toute  I'infanterie  de  I'ennemi  avec  une 
Constance  admirable  ,  et  aussi  il  y  perdit  la 
moitie  de  ses  gens. 

M.  de  Turenne  alia  a  son  infanterie  qui  n'e- 
toit pas  engagee,  pour  aider  a  la  retraitte  de 
ceux  qui  avoient  attaque,  ou  pour  attaquer,  s'il 
en  etoit  encore  temps ,  et  que  ceux-ci  ne  fus- 
sent  pas  entierement  repousses.  Comme  il  avan- 
coit,  I'etat  de  lachose  fit  connoitre  que  toutce 
qu'il  y  avoit  a  faire  etoit  de  demeurer  ferme  un 
peu  hors  la  porlee  du  mousquet,  et  attendre 
I'infanterie  de  M.  le  prince. 

On  demeura  en  cette  posture  assez  long-temps, 
parce  qu'il  en  faut  beaucoup  pour  donner  or- 
dre a  une  attaque  dans  les  lieux  difficiles  et  qui 
ne  se  voient  pas  bien  les  uns  les  autres.  Ensuite 
M.  le  prince  trouvabonqueM.de  Turenneallat 
avec  son  infanterie  :  M.  le  marechal  de  Gra- 
mont devoit  donner  par  le  flanc,  ou  soutenir 
avec  la  cavalerie,  si  I'attaque  cut  reussi.  On 
marcha  droit  a  I'abatis  de  bois  qui  etoit  dans 
le  milieu  de  la  montagne  ,  et  vis-a-vis  de  la 
gauche  oil  etoit  I'armee  deM.  le  prince.  Les  re- 
gimens de  cavalerie  de  Turenne  et  de  Traci 
soutenoient  I'infanterie  de  M.  le  prince,  qui  fut 
repoussee  apres  un  combat  tres-opiniatre ,  ou 
cette  cavalerie  fit  des  merveilles  en  endurant  le 
feu  sanss'ebranler. 


e    ,.. 

i 


MEMOIRES    nu    VICOMTE    Dli    Tl'BKNNB.    [l(J44] 


375 


M.  de  Turenue,  qui  avoit  M.  deTouruon  au- 
pres  de  lui ,  manda  diverses  fois  a  M.  le  prince 
quequelque  chose  que  i'on  souffrit  11  tacheroit 
de  ne  pas  se  retirer  entierement  qu'ii  ne  Mt 
nuit.  II  est  certain  que  si  I'ennemi  eiU  pu  juger 
bien  sainement  de  la  confusion  des  troupes  du 
Roi,  toute  I'armeeetoit  perdue,  au  moins  toute 
I'infanterie.  Celle  de  M.  de  Turenne  fut  menee 
aussi  a  celte  montagne,  dans  le  temps  que  celle 
de  M.  le  prince  attaquoit ;  mais  les  soldats 
^toient  si  rebutes ,  qu'ils  s'approcherent  fort 
peu  de  Tennemi. 

Ce  dernier  combat  dura  bien  deux  heures , 
et  finit  a  la  nuit,  I'ennemi  ne  bougeant  point  de 
son  poste.  Les  Bavarois  y  perdirent  beaucoup 
de  monde ,  et  entre  autres ,  Gaspard  de  Merci , 
general -major,  frere  du  comte;  mais  leur  perte 
ne  fut  pas  si  grande  que  celle  des  armees  du 
Roi  dont  I'infanterie  fut  presque  toute  ruinee. 
Cependant,  comme  I'ennemi  avoit  presque  perdu 
la  moilie  de  son  infanterie  deux  jours  aupara- 
vant ,  et  qu'il  n'avoit  pas  passe  celui  la  sans 
grand  echec  ,  il  ne  lui  restoit  gueres  d'infante- 
rie.  Sans  cet  accident  qui  arriva  par  I'attaque  de 
M.  d'Espenan  centre  I'ordre ,  et  qui  mit  tout 
en  confusion ,  I'infanterie  des  deux  armees  du 
Roi  donnant  de  front  a  la  montagne  ,  selon  la 
disposition  que  I'on  y  alloit  mettre,  I'armee  de 
I'ennemi  etolt  perdue  et  ne  pouvoit  pas  resister. 
Dans  I'aimee  francoise  il  y  eut  un  tres-grand 
norabre  d'officiers  tues ,  M.  de  L'Echelle  et 
M.  de  Mauvili ,  sergens  de  bataille,  et  presque 
tous  les  commandans  des  corps  et  une  partie 
des  officiers  de  I'infanterie. 

La  nuit  ayant  separe  les  deux  armees  qui 
n'etoient  qu'a  cinquante  pas  I'une  de  I'autre  , 
au  moins  les  corps  plus  avances,  celle  du  Roi 
retourna  au  camp  d'ou  elle  etoit  partie.  On  en- 
voya  a  Brisac  un  nombre  infini  de  blesses  ,  et 
on  en  fit  venir  des  vivres;  et  le  lendemain,  ou 
deux  jours  apres,  on  apprit  que  I'armee  de  I'en- 
nemi, ayant  deloge  de  cette  montagne  et  laisse 
garnison  a  Fribourg,  marchoitdans  \q.  Schwartz- 
Walt  qui  est  la  foret  noire  ,  pour  aller  au  pays 
de  Wirtembcrg,  Comme  le  pays  par  ou  il  fal- 
loit  passer  et  plein  de  grands  defiles  ou  on  a 
de  la  peine  a  faire  marcher  du  bagage  ,  on  re- 
solut  de  partir  avec  I'armee  pour  surprendre  les 
ennerais ;  et  pour  cet  effet  M.  Rosen  fut  com- 
mande  avec  huit  escadrous ,  et  partit  trois  ou 
quatre  heures  avant  I'armee.  Comme  il  etoit 
tres-bon  officier  et  fort  experimente,  il  eut  or- 
dre  ou  d'attaquer  quelques  troupes  que  I'ennemi 
avoit  separees  pour  la  facilite  de  sa  marche  , 
ou  d'arreter  le  corps  de  I'armee  en  le  harcelant , 
et  par-l^  donner  le  temps  a  I'armee  du  Roi  de 
s'avancer. 


L'armee  du  Roi  partit  k  la  pointe  du  jour , 
laissant  son  bagage  avec  quelques  troupes  pour 
le  garder,  en  suivant  la  route  de  M.  Rosen,  qui 
etoit  parti  vers  le  minuit.  Apres  qu'on  eut  mar- 
che cinq  ou  six  heures  dans  des  pays  tres-diffi- 
ciles  et  oii  souvent  il  falloit  que  les  cavaliers 
missent  pied  a  terre  pour  passer  a  la  file,  on 
arriva  sur  une  petite  hauteur.  M.  le  prince  y 
etoit ,  et  I'armee  de  M.  de  Turenne  avoit  I'a- 
vant-garde.  On  vit  a  un  quart  de  lieue  de  la  les 
troupes  de  M.  Rosen  dans  un  vallon  ,  et  sur  le 
haut  d'une  montagne  (  que  M.  Rosen,  a  cause 
qu'il  etoit  dans  le  fond  ,  ne  pouvoit  pas  voir  ) 
cinq  ou  six  mille  hommes  au  plus,  qui  etoit 
toute  I'armee  de  I'ennemi  qui  se  retiroit.  On  vit 
un  peu  apres  M.  Rosen  avec  ses  huit  escadrons 
qui  faisoient  six  censchevaux,qui  commenca  a 
suivre  I'ennemi,  et  monter  cette  montagne  qui 
etoit  assez  etendue.  M.  de  Turenne,  par  I'ordre 
de  M.  le  prince ,  envoya  en  diligence  La  Berge 
qui  etoit  un  gentilhomme  a  lui ,  pour  dire  a 
M.  Rosen  que  c'etoit  toute  I'armee  de  I'ennemi 
qui  marchoit  sur  la  montagne.  Avant  qu'il  ar- 
rivat  aupres  de  M.  Rosen  ,  lui,  qui  ne  voyoit 
que  quelques  troupes  de  I'arriere-garde ,  s'en 
etoit  si  fort  approche,  que  M.  de  Merci,  voyant 
qu'il  n'etoit  pas  soutenu ,  et  que  la  premiere 
troupe  de  I'armee  du  Roi  etoit  a  un  quart  de 
lieue  de  la,  et  que  I'on  deiiloit  un  a  un  pour 
former  le  premier  escadron  (  ce  qui,  comme  on 
scait ,  consomme  un  tres-grand  temps) ,  tourna 
avec  tout  le  corps  de  ses  troupes  contre  M.  Ro- 
sen ;  mais  quelques  escadrons  de  I'ennemi 
ayant  voulu  s'avancer  devant  leur  infanterie,  la 
cavalerie  de  M.  Rosen  les  repoussa  ,  et  les  sui- 
vant en  ordre  ,  trois  ou  quatre  bataillons  firent 
une  decharge  sur  lui ,  ce  qui  arreta  sa  cavalerie 
sans  neanmoins  la  mettre  en  confusion  ;  se 
voyant  tres-proche  du  corps  des  ennemis ,  et 
leur  front  incomparablement  plus  grand  que  le 
sien  ,  il  commenca  a  se  retirer.  Deux  ou  trois 
escadrons  de  la  seconde  ligne  soutinrent  les 
premiers  qui  furent  fort  peu  ebranles  par  un  si 
grand  feu  ,  et  apres  avoir  perdu  quatre  ou  cinq 
etendarts  ,  ils  se  retirerent  assez  doucement  en 
ordre. 

La  cavalerie  des  ennemis  n'osa  pas  les  pous- 
ser  vigoureusement  de  peur  de  s'eloigner  trop 
de  leur  infanterie;  ou  bien  parce  qu'etant  en- 
core etonnes  des  combats  des  jours  precedens , 
leur  principal  dessein  fut  de  se  retirer  sans 
eombattre.  Ces  premiers  escadrons  de  Rosen 
ayant  ete  soutenus  par  ceux  de  la  seconde  li- 
gne ,  et  tout  le  corps  de  I'ennemi ,  cavalerie  et 
infanterie,  continuant  a  marcher  contre  eux ,  et 
etant  a  quarante  ou  cinquante  pas  les  uns  des 


.3  7G 


MKMOIKES    1)1      VICOMTE    DE    TLI\E.N>E.    [iGl'l] 


HUti'cs  3  ils  se  retiiereiit  euviron  cinq  ou  six 
oens  pasmeles  avec  rennemi,  qui  seservoit  plus 
du  feu de son  iafanteiie  que de sa cavalerie.  C'est 
une  des  actions  que  j'aie  jamais  vues ,  ou  les 
troupes  ont  temoigne  le  moindre  etonnement 
pour  en  avoir  tant  de  sujet  :  ce  qui  seroit  im- 
possible a  d'autres  troupes  qu'a  celles  qui  ont 
vu  beaucoup  de  batailles  ,  et  qui  ont  eu  sou- 
vent  du  bonheur  et  du  malheur.  L'ennemi,  qui 
vit  qu'il  y  avoit  deja  deux  escadrons  de  I'avant- 
garde  de  I'armee  du  Roi  formes  sur  la  hauteur 
ou  j'ai  dit  qu'ils  defiloient ,  commenca  a  sar- 
reter ,  et  un  peu  apres  a  prendre  sa  marche 
pour  se  retirer. 

La  cavalerie  de  Rosen,  qui  avoit  ete  repoussee, 
n'etant  point  en  etat  de  suivre  l'ennemi,  parce 
qu'il  n'y  avoit  point  de  corps  assez  considerable 
de  I'armee  du  Roi  qui  eiit  passe  le  defile  pour  la 
soutenir,  fit  halte ;  et  M.  de  Merci  se  retira  vers 
un  bois  qui  etoit  a  douze  ou  quinze  cens  pas  du 
lieu  du  combat ,  d'ou  il  prit  sa  marche  par  les 
montagnes  vers  le  pays  de  Wirtemberg. 

On  eut  avis  de  quelques  bagages  de  l'ennemi, 
qui  etoit  avec  trois  ou  quntre  cens  chevaux  a 
une  heure  de  la,  qui  prenoit  une  autre  marche 
que  ce  corps  de  M.  de  Merci  ;  M.  Doubaret , 
qui  etoit  lieutenant-general  de  la  cavalerie  alle- 
mande,  s'y  en  alia  avec  quatre  ou  cinq  regi- 
Uieus  de  cavalerie  ;  et  comnie  les  troupes  de 
l'ennemi  qui  etoient  avec  ce  bagage  les  virent , 
ils  se  retirerent  vers  le  corps  de  I'armee,  et  per- 
dirent  peu  de  leurs  gens  :  tons  ces  bagages  fu- 
rent  pilles ,  mais  une  partie  des  chevaux  qui  les 
raenoient  se  sauva.  On  logea  cette  nuit-la  dans 
les  montagnes  sans  avancer.  Comme  tout  ce  qui 
restoit  d'infanterie  etoit  accoutume  a  avoir  son 
pain  ,  et  non  pas  a  le  faire,  comme  les  vieilles 
troupes  qui  ont  servi  long-temps  eu  Allemagne, 
on  ne  pouvoit  pas  suivre  l'ennemi  dans  le  pays 
de  Wirtemberg ,  ou  on  n'avoit  pas  de  magazins, 
et  on  ne  s'eloigna  pas  du  Rhin.  Apres  avoir  en- 
voye  M.  de  Palluau ,  marechal-de-carap  dans 
I'armee  deM.  le  prince  ,  prendre  un  petit  cha- 
teau qui  incommodoit  Fribourg ,  on  retouina 
avec  I'armee  par  le  meme  chemin  par  lequel  on 
etoit  venu ,  et  on  se  logea  aux  environs  du  meme 
camp  dont  on  etoit  parti  pour  suivre  l'ennemi 
dans  la  montagne.  Reaucoup  d'officlers  furent 
d'avis  d'attaquer  Fribourg,  oil  l'ennemi  avoit 
laisse  cinq  ou  six  cens  hommes  de  garnison ,  et 
d'achever  la  campagne  par  cette  action.  Les 
affaires  etant  dans  une  telle  situation,  que,  si  on 
eiit  demeure  encore  quelques  jours  aupres  de 
Fribourg,  le  manque  de  fourages  auroit  oblige 
la  cavalerie  a  repasser  le  Rhin ;  on  crut  que 
I'esprit  ou  cloit  rennemi,  et  son  cloignement  du 


bord  du  Rhin  ,  devoient  faire  songer  a  des  cho- 
ses  plus  considerables  que  de  reprendre  Fri- 
bourg :  ainsi  M.  le  prince  trouva  a  propos  que 
M.  de  Turenne  allat  a  Rrisac,  pour  concerter 
avec  M.  d'Erlac  ,  qui  en  etoit  gouverneur  ,  des 
moyens  de  faire  descendre  sur  le  Rhin  de  I'ar- 
tillerie  ,  des  munitions  de  guerre  et  des  vivres 
pour  attaquer  Philisbourg,  pendant  que  I'armee 
iroit  par  le  marquisat  de  Rade  ,  laissant  le  Rhin 
a  gauche  pour  investir  la  place  ,  ce  qui  fut  mis 
en  execution  ;  et  les  batteaux,  ayant  ete  charges 
avec  deux  ou  trois  cens  raousquetaires  pour  es- 
corter  ce  convoi ,  descendirent  le  Rhin ,  ceux  de 
Strasbourg  leur  ayant  donne  passage  sous  leur 
pont.  L'armee  laissa  tons  ses  blesses  qui  etoient 
en  tres-grand  nombre  a  Rrisac ,  commenca  a 
marcher  vers  Philisbourg  ;  et  n'ayant  aucune 
nouvelle  de  l'ennemi,  qui  etoit  a  plus  de  vingt 
heures  de-la  dans  des  quartiers  pour  se  raccom- 
moder,  on  envoya  des  sauvegardes  dans  beau- 
coup  de  petites  villes,  et  dans  quelques-unes  les 
bagages  de  quelques  regimens  de  cavalerie,  avec 
les  cavaliers  a  pied ,  et  Ton  alia  investir  Philis- 
bourg avec  I'infanterie  ,  qui  u'etoit  pas  compo- 
see  en  tout  de  plus  de  cinq  mille  hommes  de 
pied  ,  et  de  la  cavalerie  qui  se  trouva  en  bon 
etat ,   le  reste  ayant  ete  envoye ,  comme  j'ai 
deja  dit ,  dans  des  quartiers. 

[M.  de  Turenne  fut  informe,  parunelettredu 
Roi,  du  traite  qui  etait  sur  le  point  d'etre  conclu 
avec  le  due  Charles  ;  on  lui  laissait ,  du  reste  , 
plein  pouvoir  d'eutreprendre  ce  qu'il  jugerait 
utile  au  service  du  Roi,  et  on  lui  promettait  des 
renforts  d'infanterie  : 

«  Mon  cousin  ,  comme  le  bien  et  I'advantage 
de  mes  affaires  en  Allemagne  est  ce  qui  m'a 
porte  principalement  avec  Tad  vis  de  la  Reyne 
regente,  madame  ma  mere,  a  renouer  I'accom- 
modement  avec  le  due  Charles  de  Lorraine, 
aussy  veux-je  faire  scavoir,  par  advance,  que 
cette  negociation  est  en  termes  d'une  bonne 
conclusion  ,  tons  les  points  essentiels  en  estant 
adjusles  et  ne  restant  que  quelques  deraandes 
particulieres,  sur  lesquelles  la  Reyne,  ma- 
dite  dame  et  mere ,  luy  ayant  donne  des  res- 
ponses tres  -  raisonnables,  en  luy  renvoyant 
ses  rainistres  avec  le  sieur  Du  Plessis-Besancon, 
je  ne  doubte  pas  qu'il  n'en  demeure  satisfait  et 
que  je  n'aye  bientost  advis  qu'il  aura  signe  le 
traicte ;  ce  n'est  pas  que  je  me  sois  en  rien  re- 
lache  de  ce  qui  a  este  estime  necessaire  pour  ma 
reputation  et  pour  la  seurete  de  I'execution  de 
ce  dont  Ton  est  con  venu  ,  ne  m'obligeant  a  luy 
rendre  que  ce  qui  luy  avoit  este  promis  par  le 
dernier  traicte  faict  avec  luy  par  le  feu  Roy, 
mon  seigneur  et  pere,  et  aux  mesmes  termes,  y 


MEiMOlKES    UIJ    VICOMTE    UB    TUBENiAE.    [161-4 


377 


ayant  mesme  cecy  de  plus,  qu'il  remette  La  Motte 
en  mou  pouvoir  et  que  le  razeraent  en  deraeure 
en  ma  disposition  ;  mais  il  est  vraiquelaRoyne, 
madite  dame  et  mere,  et  moy,  avons  de  bon 
coeur  facilite  cet  accommodement,  autant  que  la 
raison  I'a  pu  permettre,  pour  oster  un  obstacle 
assez  considerable  a  nos  desseins  en  Allemagne, 
y  moyenner  le  passage  de  Tarmee  dudict  due 
contre  les  ennemis ,  et  tirer  tout  Tadvantage  et 
I'assistance  qu'il  se  pourra  de  sa  personne  et 
des  places  qu'il  tient  vers  le  Rhin,  ainsi  que 
de  ses  forces  :  sur  quoy  ledict  sieur  Du  Plessis- 
Besaucon  a  ordre  d'adjuster  toutes  choses  avec 
luy,  en  sorte  que  vous  puissiez  en  profitter  au- 
tant qu'il  se  pourra ,  et  je  I'ay  blen  expresse- 
ment  charge  de  vous  douner  advis  de  la  signa- 
ture dudict  tiaicte ,  ainsi  que  de  tout  ce  qu'il 
traictera  pour  ce  qui  regarde  I'employ  des  troup- 
pes  dudict  due  Charles. 

»  Quant  a  ce  que  \ous  pouvez  entreprendre , 
Ton  n'estime  pas  qu'il  y  ait  rien  a  vous  dire  de 
particulier,  parce  que  vous  pouvez  mieux  que 
personne  juger  sur  les  lieux  ce  qui  se  pent 
faire  de  plus  utile  et  de  plus  glorieux  a  mesar- 
mees,  et  prendre  vos  mesures  pour  I'executer; 
mais  seullement  qu'il  faut  que  vous  ayez  pour 
but  de  vous  rendre  maistre  de  bons  quartiers 
ou  vous  puissiez  seurement  et  comraodement 
faire  subsister  les  troupes  de  raon  arraee  pen- 
dant I'hiver. 

"  Que  pour  cet  effet ,  je  feray  tres-vollontiers 

un  effort  pour  vous  envoyer  encore  quelque  in- 

fanterie  de  troupes  que  je  faicts  presentement 

mettre  sur  pied ;  mais  comme  I'aversion  des 

Francois,  de  servir  en  Allemagne,  s'augmente 

de  plus  en  plus,  il  y  a  beaucoup  de  sujet  d'ap- 

prehender  que  la  despense  qui  s'y  fera  et  les 

soins  que  Ton  en  prendranesoient  du  toutinuti- 

les ;  en  quoy  neantmoins  la  perte  du  temps  et 

de  I'argent  ne  me  touchera  pas  a  I'egal  du  des- 

plaisir  que  je  recevrois  de  veoir  cette  impossibi- 

lite  a  vous  donner  le  secoursque  je  desirerois,  et 

dont  je  recognois  assez  que  vous  auriez  besoing 

pour  mettre  a  effect  les  desseins  que  votre  ge- 

nerosite  et  votre  affection  a  mon  service  vous 

peuvent  faire  concevoir. 

"  Pour  tout  ce  qui  concerne  ,  au  surplus,  la 
subsistance  de  I'arraee  et  les  autres  officiers  des 
quartiers  ou  vous  estes,  vous  verrez  par  les  lettres 
du  sieur  Le  Tel  Her,  comme  la  uecessite  pre- 
sente  et  Taccablement  des  despenses  qui  s'of- 


frent  de  tout  coste  n'empechent  pas  que  i'on  ne 
pourvoye  (1),  aussi  ponctuellement  qu'il  se 
pent,  a  celle-la  et  a  tout  ce  qui  y  est  uecessaire  ; 
a  quoy  me  remettant ,  je  n'adjousteray  rien  a 
celle-cy  que  pour  prier  Dieu  qu'il  vous  ait,  mon 
cousin  ,  en  sa  saincte  et  digne  garde. 
>'  Escrit  a  Paris  ,  le  19  juillet  1641. 

»  Louis, 

»  Et  plus  bas :  Le  Telliek."] 


11  y  avoit  dans  la  place  de  Philisbourg  six  ou 
sept  cens  hommes  de  pied  et  environ  quatre- 
vingts  chevaux  :  on  employa  les  premiers  jours 
a  faire  un  chemin  pour  ailer  aux  batteaux  qui 
venoient  de  Brisac ,  les  bords  du  Rhin  etant 
fort  remplis  de  bois  et  de  petites  isles.  Aussi- 
tot  qu'on  eut  fait  debarquer  le  canon  et  les  mu- 
nitions de  guerre  et  de  bouche,  on  ouvrit  deux 
tranchees  :  une  de  I'armee  de  M.  le  prince,  et 
I'autre  de  M.  de  Turenne. 

Les  assieges  firent,  le  second  ou  le  troisieme 
jour,  une  sortie  sur  la  tranchee  de  M.  le  prince, 
dont  ils  etonnerent  au  commencement  la  tete ; 
mais  on  se  remit  pen  de  temps  apres  :  I'infante- 
rie  etoit  tellement  rebutee  de  tons  les  combats 
donnes  a  Fribourg ,  qu'assurement  on  n'auroit 
pas  reussi  a  prendre  une  place  qui  auroit  fait 
une  grande  resistance.  Les  deux  tranchees  se 
continuerent  jusques  sur  le  fosse ,  avec  assez 
peu  de  perte.  M.  de  Tournon ,  qui  etoit  mare- 
chal  de  camp  dans  I'armee  de  M.  le  prince ,  y 
fut  tue  :  c'etoit  une  personne  de  grande  qua- 
lite  ,  et  il  n'y  avoit  pas  de  jeune  homme  qui  eut 
plus  d'ambitiou  et  de  merite. 

Les  ennemis  ne  firent  point  de  resistance  a 
leur  contrescarpe ,  qui  n'etoit  pas  palissadee 
ni  en  etat  de  se  bien  defendre ;  mais  comme  ils, 
avoient  une  petite  fausse-braie ,  un  fosse  plein 
d'eau  ,  assez  large  et  profond ,  et  beaucoup  de 
canon  ,  ils  crurent  qu'ils  empecheroient  long- 
temps  les  assiegeans  a  passer  le  fosse ;  mais 
comme  on  avoit  quantite  de  fascines,  et  que  le 
canon  avoit  ete  loge  des  deux  cotes  sur  la  con- 
trescarpe, pour  tirer  aux  flancs  ,  on  avanca  la 
galerie,  c'est-a-dire  la  digue  de  fascines  (qui 
n'etoit  pas  couverte  comme  en  HoUande), 
bien  pres  de  leur  fausse-braie  :  ce  que  I'ennendi 
voyant ,  et  que  Ton  seroit  attache  le  lendemaln 
au  corps  de  la  place  qui  n'etoit  pas  revelu,  ils 
battirent  la  chamade. 


(1)  Turenne  ecrivait  a  sa  sceur  une  Icttre  en  .lale  du      I'armee .  (5tant  une  chose  enlierement  ^'^f'^^'^-^;^ 
aOjuiUel,  par  laquelleon  voitauconlraire  qu'il  se  plaint      les  point  cela  a  des  personnesqui  pu.sscnt  It  'ed.cs  «^a« 
'^  II  sexprime  ainsi      MM.  les  minislresoroicnt  querela  decrie  les  alTaiies.  ft 


du  d^numenl  complel  de  son  armee 
a  ce  sujet : 

«  Picssez  fort  la  cour  pour  avoir  une  rnonire  pour 


cela  ne  sort  de  rien.  » 


JJEMOIBES    DV    VICOMTE    DE    TUKENMi.    [lG4  4] 


Durant  le  siege  ,  des  qu'on  cut  fait  iin  pont 
sur  le  Rhin ,  avee  les  batteaux  qui  etoient  ve- 
nus  de  Biisac,  on  fit  passer  doiize  on  quinze 
cens  hommes  au-dela  du  Rhin,  qui  prirent  Ger- 
mesheim,ou  il  y  avoit  une  petite  garnison.  On 
s'approcha  ensuite  de  Spire,  qui  en  est  a  deux 
ou  trois  lieues ;  la  ville,  qui  est  fort  grande  ,  se 
trouvant  sans  garnison,  se  rendit,  n'y  ayant 
de  ee  cote  du  Rhin  aucun  corps  des  ennemis. 

Le  gouverneur  de  Philisbourg  ayant  capitule 
sous  les  conditions  ordinaires ,  que  la  garnison 
sortiroit  armee  et  seroit  menee  a  Hailbron, 
ville  imperiale  a  douze  heures  de  la,  M.  le 
prince  entra  dans  Philisbourg  avec  M.  le  mare- 
chal  de  Gramont.  Le  lendemain  de  la  prise  de 
la  place,  M.  de  Turenne  passa  le  Rhin  avec 
toute  la  cavalerie  allemande  et  cinq  cens  mous- 
{|uetaires  commandes ;  et  ayant  appris  que  les 
Espagnols  qui  tenoient  Frankendal ,  place  de 
1  electeur  palatin ,  a  trois  heures  de  Spire ,  at- 
tendoient  quelque  cavalerie  du  cote  de  Luxem- 
bourg ,  il  y  envoya  M.  de  Flexsteim  avec  trois 
regimens,  qui  rencontra  le  colonel  Savari  avec 
cinq  cens  chevaux,  qui  vouloit  entrer  dans  la 
place :  il  le  prit  prisoncier  et  defit  une  partie 
de  sesgens.  M.  de  Turenne  continua  sa  marche 
vers  Worms,  qui  se  rendit,  n'y  ayant  per- 
sonne  dans  la  place ;  et  ayant  passe  outre ,  Op- 
penheim  se  rendit  aussi.  Cralgnant  que  I'en- 
nemi  ne  lit  entrer  quelqu'un  dans  Mayence ,  qui 
est  le  poste  de  dessus  le  Rhin  le  plus  considera- 
ble, a  cause  du  voisinage  de  Francfort,  et  de  la 
communication  que  cette  place  donne  avec  les 
Hesslens,  il  marcha  jour  et  nuit  sans  bagages, 
et  arriva  le  matin  assez  proche  de  la  place, 
dans  laquelle  il  savoit  qu'il  n'y  avoit  point  de 
garnison  de  I'Empereur  ni  de  Baviere,  mais  seu- 
lement  quelques  gens  que  le  chapitre  entrete- 
noit.  II  envoya  promptement  un  trompette  avec 
un  gentilhomme  pour  parler  a  messieurs  du 
chapitre. 

Dans  le  meme  temps ,  M.  de  Turenne  apprit 
qu'il  y  avoit  mille  dragons  de  I'armee  de  Ba- 
viere ,  sous  le  colonel  Wolfs,  qui  etoit  de  I'autre 
c6te  du  Rhin  ,  et  demandoient  a  messieurs  de 
Mayence  des  batteaux  pour  y  entrer  :  ce  qui 
I'obligea  a  approcher  plus  pres  de  la  ville  avec 
ses  troupes,  et  a  envoyer  d'autres  personnes  a 
messieurs  du  chapitre  ,  pour  les  presser  de  de- 
puter  quelqu'un  pour  venir  traitter  ;  ce  qui  fut 
fait.  M.  de  Turenne  leur  dit  que  s'ils  neman- 
doient  promptement  a  ces  troupes  de  Baviere 
de  se  retirer,  qu'il  ne  continueroit  plus  le  traitte , 
et  que  s'il  voyoit  le  moindre  batteau  passer  en 
decade  I'eau,  (|u'il  feroit  altaquer  la  placode 
tous  les  coles.   lis  rdsolu rent  de  eapiluler,  n'y 


ayant  point  de  chef  pour  leur  faire  prendre  au- 
cune  resolution  vigoureuse.  Aussitot  les  dragons- 
de  Tarmee  de  Baviere  se  retirerent,  et  M.  de 
Turenne  manda  a  M.  le  prince ,  qui  etolt  de- 
meure  a  Philisbourg,  I'etat  auquel  etoient  les 
choses,  lequel  s'y  en  vint  en  diligence,  accom-' 
pagne  de  beaucoup  d'officiers  :  il  signa  la  capi- 
tulation ,  qui  etoit  aussi  avantageuse  pour  le 
chapitre  et  les  bourgeois  qu'ils  le  pouvoient  sou- 
haiter.  L'electeur,  qui  etoit  dans  le  parti  de 
I'Empereur,  s'etoit  retire  a  Francfort,  scachant' 
le  siege  de  Philisbourg.  II  y  avoit  une  petite 
place  nommee  Binghen ,  a  quatre  heures  de 
Mayence,  dans  le  has  du  Rhin,  qui  se  rendit 
en  meme  temps ;  et  a  douze  ou  quinze  lieues  de 
la  ,  on  recut  des  sauve-gardes  ,  hors  au  chateau 
de  Creutznac,  oil  il  y  avoit  deux  cens  hommes.; 

M.  le  prince  demeura  quatre  ou  cinq  jours  a; 
Mayence,  et  y  recut  un  envoye  de  madame  la 
landgrave  de  Hesse,  et  beaucoup  de  deputes  des 
lieux  qui  sont  aux  environs;  et  y  ayant  laisse 
trois  ou  quatre  cens  hommes  sous  le  vicomte: 
de  Courval ,  qui  se  mirent  dans  la  citadelle ,  qui 
ne  valoit  rien,  et  oil  on  a  beaucoup  fait  travail- 
ler  depuis  ,  il  s'en  retourna  a  larmee,  qui  etoit 
a  Philisbourg,  oil  on  ramena  toutes  les  troupes 
que  M.  de  Turenne  avoit  emmenees  a  Mayence. ; 
On  laissa  aussi  peu  de  gens  a  Oppenheim  dans 
le  chateau  ,  et  deux  ou  trois  cens  hommes  dans 
Worms. 

On  ne  mit  point  de  plus  fortes  garnisons  dans 
ces  places,  parce qu'il  n'y  avoit  point  d'ennemis 
de  ce  cote  du  Rhin  ,  hors  dans  la  ville  de  Fran- 
kendal ,  ou  il  y  avoit  sept  ou  huitcens  hommes. 
M.  de  Lorraine  avoit  seulement  laisse  deux  ou 
trois  cens  hommes  dans  Landau ,  qui  est  une 
ville  imperiale  a  quatre  heures  de  Philisbourg. 
M.  le  prince  trouvaa  proposd'eovoyer  M.  d'Au- 
mont,  lieutenant-general  dans  I'armee  de  M.  de 
Turenne  ,  pour  la  prendre  avec  trois  ou  quatre 
mille  hommes  commandes,  et  quatre  pieces  de 
canon.  Le  lendemain  de  la  tranchee  ouverte, 
M.  d'Aumont  y  recut  une  blessure  dont  il  mou- 
rut,  apres  s'etre  fait  porter  a  Spire.  II  avoit 
servi  cinq  ou  six  ans  en  France  de  marechal- 
de-cantip ,  et  n'avoit  ete  fait  lieutenant-general 
que  cette  campagne-la  en  Allemagne.  C'etoit 
une  personne  de  grande  qualite,  nourri  dans  la 
cour,  et  qui  etoit  assez  capable  et  dans  la  guerre 
et  dans  ce  qui  regardoit  le  progres  de  sa  for- 
tune :  il  vivoit  fort  bien  avec  M.  de  Turenne, 
et  mourut  avec  beaucoup  de  fermete. 

Comme  on  apprit  sa  mort  a  Philisbourg, 
iM.  le  prince  trouva  bon  que  M.  de  Turenne  s'en 
allat  au  siege  ,  oil  il  y  avoit  eu  peu  de  genstues, 
et  la  place  se  rendit  deux  ou  trois  jours  apres  : 


MEMOIBES    l)V    VICOMT 

M.  le  prince  y  vint  faire  un  tour  diirant  le  siege. 
On  envoya  la  garnison  dans  des  chateaux  que 
M.  de  Lorraine  tenoit  dans  ies  montagnes ,  et  y 
ayant  laisse  deux  ou  trois  cens  liommes,  tout 
se  rejoignit  au  corps  a  Phiiisbourg,  dont  M.  le 
prince  obtint  a  la  cour  le  gouvernement  pour 
M.  d'Espenan.  Le  mois  d'octobre  etant  assez 
avance,  M.  le  prince  se  retira  en  France  avec 
son  armee ,  passant  par  Keyserslauter  et  Deux- 
Ponts,  et  raarchant  droit  a  Metz,  et  ne  laissa 
que  quelques  regimens  d'infanterie  nouveaux  , 
dont  Ies  officiers  de  I'armee  d'AIIemagne  retin- 
rent  avec  beaucoup  de  peine  Ies  soldats,  Ies  of- 
ficiers francois  ayant  eu  leur  conge.  Toute  la 
cavalerie  francoise ,  qui  n'etoit  plus  en  etat  il  y 
avoit  deja  quelque temps,  s'en  retourna,  et  cinq 
ou  six  des  plus  vieux  regimens.  M.  de  Tu- 
renne  demeura  a  Phiiisbourg  avec  I'armee,  et 
fit  prendre  garde  autant  qu'il  leput  sur  le  pont, 
qu'il  ne  passat  plus  personne  des  que  M.  le 
prince  eut  fait  passer  ceux  qu'il  vouloit  amener 
avec  lui. 

Quelques  jours  apres ,  M.  de  Merci ,  qui  com- 
mandoit  I'armee  de  Baviere ,  et  qui  s'etoit  ra- 
fraichi ,  et  I'avoit  raccommodee  dans  le  pays  de 
Wirtemberg  ,  scachant  que  M.  le  prince ,  avec 
une bonne  partiede  I'armee  ,  s'en  etoit  retourne 
en  France ,  rassembia  ses  troupes ,  marcha  vers 
Heidelberg,  et  envoya  prendre  quelques  dra- 
gons que  M.  de  Turenne  avoit  mis  dans  Man- 
heim ,  qui  est  une  grande  place  sur  le  Rhin 
presque  toute  demolie ;  ensuite  il  fit  passer  le 
Rhin  a  quelques  troupes,  et  fit  semblant  d'y 
faire  un  pont  de  batteaux  ,  dans  le  dessein  d'at- 
tirer  I'armee  du  Roi  pour  couvrir  toutes  ces 
places  de  nouvelle  conquete,  ou  il  y  avoit  peu 
de  garnison,  comme  Spire,  Worms  et  Mayence, 
etainsi,  degarnissant  Phiiisbourg,  de  I'atta- 
quer,  en  se  logeant  entre  le  Rhin  et  la  place  ,  ce 
qui  est  aise  a  faire ,  y  ayant  un  espace  de  plus 
d'une  portee  de  mousquet. 

M.  de  Turenne,  voyant  qu'il  etoit  necessaire 
de  repasser  le  Rhin  pour  couvrir  ces  places , 
laissa  deux  mille  hommes  de  pied  dans  un  camp 
sous  Phiiisbourg,  pour  en  empecher  le  siege, 
et  ayant  pris  quelques  mousquetnires  comman- 
des  avec  toute  sa  cavalerie,  il  repassa  le  Rhin, 
mnrcha  a  Spire,  et  envoya  promptement  mille 
ehevaux  dans  Worms  et  Mayence  pour  renfor- 
cerces  garnisons. 

Laplace  de  Frankendal,  qui  est  entre  Spire 
et  Worms ,  incommodoit  beaucoup  la  commu- 
nication de  ces  deux  places  :  M.  de  Turenne 
craignit  que  M.  de  Merci,  en  repassant  le  Rhin 
a  Manheim ,  ne  s'en  servit  comme  d'un  maga- 
ziu ,  et  n'en  tirat  du  canon  et  des  munitions 


E    hH  TLIKE.\.\E.    [1G44]  ;J79 

pour  reprendre  Worms  et  Mayence,  ce  qui  as- 
suiement  eiit  ete  fort  aise;  mais  M.  de  Merci 
n'en  lit  rien,  par  des  raisons  que  Ton  ne  peut 
pas  bien  penetrer,  dont  je  crois  que  la  meilleure 
est  que  I'armee  de  Raviere  a  toujours  craint  de 
passer  le  Rhin  et  de  se  miner  par  le  manque 
de  fourages  et  de  vivres ,  qui  etoit  si  grand  que 
de  Phiiisbourg  a  Mayence ,  en  deca  du  Rhin ,  il 
n'y  a  rien  de  seme,  et  rien  a  manger  pour  Ies 
ehevaux  que  dans  Ies  villes.  II  est  certain  d'ail- 
leurs  que  Worms  et  Mayence  etoient  si  foibles 
de  garnison  qu'elles  n'eussent  pas  tenu  deux 
jours;  mais  il  arrive  souvent  qu'on  ne  scait  pas 
I'etat  des  choses,  c'est  ce  qui  empecha  aussi 
M.  de  Merci  de  faire  passer  le  Rhin  a  tout  son 
corps  :  il  n'y  eut  que  peu  de  troupes  qui  vinrent 
en  deca ,  et  tout  le  corps  demeura  entre  Heidel- 
berg et  Manheim. 

Les  choses  demeurerent  quelques  jours  en  eel 
etat,  et  M.  de  Turenne,  voyant  qu'il  n'y  avoit 
plus  a  craindre  que  I'armee  de  Baviere  passat 
le  Rhin,  et  que  toute  la  cavalerie  se  ruinoit 
faute  de  fourage ,  garda  seulement  trois  ou  qua- 
tre  regimens  de  cavalerie  sans  bagage ,  qu'il 
mit  dans  les  villes ,  a  qui  il  faisoit  fournir  quel- 
que paille,  et  fort  rarement  de  I'avoine ,  et  en- 
voya tout  le  reste  de  sa  cavalerie  dans  les  mon- 
tagnes de  la  Lorraine ,  ayant  ecrit  a  la  cour 
pour  leur  faire  donner  desquartiersd'hiver  dans 
ce  pays ,  et  dans  les  eveches  de  Metz ,  Toul  et 
Verdun ,  gardant  toute  I'infanterie  avec  lui  en 
Allemagne,  et  laissant  un  corps  de  deux  mille 
hommes  sous  Phiiisbourg,  jusqu'a  ce  qu'il  scut 
que  I'armee  de  Baviere  fut  separee :  ce  qui  ne  fut 
que  dans  le  mois  de  decembre. 

Peu  de  temps  apres  que  M.  de  Turenne  eut 
renvoye  cette  cavalerie,  il  apprit  que  M.  de 
Lorraine  passoit  la  Moselle  avec  cinq  ou  six 
mille  hommes,  et  avoit  investi  un  escadron  de 
cavalerie  dans  Castelnau,  et  un  autre  dans  Si- 
meren  ,  deux  petiles  places  dans  le  Hundstruck, 
a  quatreou  cinq  heures  de  la  Moselle,  ou  M.  de 
Turenne  avoit  cnvoye  ces  deux  escadrons  pour 
trouver  du  fourage.  Celui  de  Castelnau  demeura 
dans  cette  petite  place,  qui  ne  fut  point  atta- 
quee ,  celui  de  Simeren  se  retira  a  Mayence 
avec  peu  de  perte.  M.  de  Turenne  ,  qui  ne  pou- 
voit  plus  faire  revenir  sa  cavalerie  ,  et  aussi  qui 
ne  pouvoit  pas  prendre  celle  qu'il  avoit  postee 
dans  les  villes  du  Rhin,  M.  de  Merci  etant  en- 
core ensemble  audela  ,  s'en  alia  vers  Mayence 
avec  quatre  ou  cinq  cens  ehevaux  ,  et  apprit  en 
chemin  que  M.  de  Lorraine  avoit  attaque  Ba- 
charach,  qui  est  une  petite  place  sur  le  Rhin, 
ou  il  y  avoit  cent  hommes  de  garnison  :  il  n'e- 
toit  pas  en  etat  do  la  secourir;  neantnioins  il 


380  MEWOIRES    Dli    VICOMTE 

etoit  bien  aise  de  faire  croire  a  M.  de  Lorraine 
qu'il  y  marchoit  avee  beaucoup  de  gens.  Etant 
arrive  pres  de  Binghen  ,  qui  n'en  est  qu'a  trois 
heures,  il  envoya  des  partis  et  des  sauve-gardes 
en  divers  iieux  pour  preparer  des  vivres  pour 
I'armee  ,  et  lit  meme  entrer  quelques-uns  de  ses 
gardes  dans  le  chateau,  qui  crierent  aux  Lor- 
rains  que  I'armee  venoit  :  M.  de  Lorraine  leva 
le  siege  et  se  retira  au-dela  de  la  Moselle.  II 
etoit  demeure  deux  cens  hommes  dans  le  cha- 
teau de  Creutznac,  qui  a  au-dessous  une  assez 
jolie  ville ;  et  ce  chateau  efant  un  poste  tres-con- 
siderable  entre  le  Rhin  et  la  Moselle.  M.  deTu- 
renne  crut  qu'en  logeaiit  son  infanterie  dans  la 
ville,  etayant  le  convert  et  des  vivres,  il  feroit 
le  siege  durant  I'hiver  assez  commodement.  II  y 
demeura  en  effet  avec  mille  homme  de  pied  et 
deux  cens  chevaux ,  et  en  quinze  ou  seize  jours 
le  chateau  se  rendit  apres  une  assez  graude  re- 
sistance. 

Ce  fut  enviion  vers  le  milieu  du  mois  de  de- 
cembre  que  les  quartiers  furent  donnes  en  Lor- 
raine, en  Alsace  et  le  long  du  Rhin  ,  ou  le  pays 
etoit  si  ruine,  qu'en  vingt  lieues  on  ne  pouvoit 
pas  trouver  a  nourrir  un  cheval ,  hors  dans  les 
grandes  villes,  qui  etoient  fort  miserables  par 
les  quartiers  d'hiver  des  Lorrains,  et  en  quel- 
que  petit  chateau  ouildemeuroitquelque  homme 
de  qualile  qu'on  ne  vouloit  pas  entierement 
achever  de  ruiner. 

[1645J  M.  de  Turenne  crut  qu'il  etoit  bon 
qu'il  n'allat  pas  a  la  cour  pendant  I'hiver,  afin 
d'etre  en  etat  de  se  mettre  en  campagne  plus  tot ; 
etM.  le  cardinal  I'ayant  trouve  bon,  il  demeura 
a  Spire.  De  la  ,  il  envoya  prier  M.  de  La  Ferte, 
gouverneur  de  Lorraine,  debater  le  payeraent 
des  quartiers  d'hiver  aux  troupes;  M.  de  La 
Ferte  le  fit  tres-ponctue!lement  dans  tons  les 
Ueux  de  son  gouvernement,  et  leur  fit  donner 
trois  mois  de  paye. 

[Dans  cet  intervalle,  M.  de  Turenne  rendit 
compte  a  Son  Eminence  de  I'etat  de  Tarmee  et 
des  pays  voisins,  et  des  projets  que  Ton  pou- 
voit former  pour  la  procbaine  campagne,  par  les 
lettres  suivantes  : 

«  On  m'a  mande  comme  on  voulloit  mettre 
un  autre  lieutenant  de  Roy  dans  Philipsbourg 
a  la  place  de  Decourt,  qui  y  est  a  cette  beui-e.  Je 
supplie  Vostre  Eminence  que  ce  ne  soit  point 
sans  que  celuy  qui  y  entrera  hiy  donne  une  re- 
compense raisonnable;  il  est  hors  d'estat  de  ser- 
vir  a  la  campagne  ,  ayant  perdu  un  bras.  Je  ne 
double  point  qu'il  ne  plaise  a  Vostre  Eminence 
s'en  souvenir  quand  on  luy  en  parlera.  J'ay  este 
bien  aise  que  M.  d'Anisy  allast  faire  un  voyage 
fi  Paris;  il  dira  a  Voslre  Eminence  comme  on 


DE  tl;bei\i\e.   [164  5] 

a  renvoye  deux  de  ses  capitaines  qui  ne  nieri 
toient  point  d'entrer  dans  ce  corps-la  ;  si  on  ei 
pouvoit  trouver  quatre  autresqui  pussent  fair 
de  bonnes  compagnies,  le  regiment  feroit  deu 
bataillous.  M.  d'Anisy  sert  avec  grand  soin  e 
affection. 

>'  J'ai  faict  passer  un  regiment  de  eavaleri 
et  un  d'infanterie  de  dela  le  Rhin  ;  ils  sout  re 
tranchez  dans  un  village,  el  ils  lirent  subsis 
tance  du  pays  d'Armstadt  ;  j'en  feray  encor 
passer,  si  je  peux,  un  ou  deux  de  cavalerie 
cela  ne  se  fait  pas  sans  danger  d'estre  enlevez 
niais  c'estqu'outre  qu'ils  ne  peuvent  plus  vivr 
en  deca  ,  il  faut  lascher  de  laisser  le  pays  ui 
peu  libre,  pour  faire  semer  autour  des  vivres 
Une  partie  de  cavalerie  de  nos  gens  ont,  a  I: 
null  passee,  defaict  une  de  trenle  des  ennerai 
au-dela  du  Rhin. 

»  M.  de  Baviere  faict  encore  donner  a  cest' 
beure  des  chevaux  a  sa  cavalerie,  y  en  estan 
mort  beaucoup  des  deux  mille  cinq  cens  qu'i 
donna  apres  la  prise  de  Philipsbourg;  ils  on 
envoye  mille  chevaux  vers  la  Boheme  conlr( 
les  Suedois,  soubs  la  couduitte  d'un  coloue 
nomme  Sporick.  L'infanterie  de  Galas,  dan: 
Magdebourg ,  est  entierement  ruynee ;  les  Impe 
riaux  font  un  corps  en  Boheme  du  reste  di 
Galas,  des  trouppes  de  Saxe,  de  celles  de  Has 
feldt  et  dequelques  trouppes  qui  estoient  contrc 
Ragotsky ;  les  gens  commandez  de  Baviere  s( 
vont  encore  joindre  a  cela. 

»  Dans  la  fin  dece  mois  j'envoyeray  quelqu'ui 
a  Vostre  Eminence,  pour  luy  dire  ma  pensec 
pour  ce  que  Ton  pent  faire  en  ce  pays.  Je  la  sup 
pile  tres-hurablement  de  ne  point  retarder  : 
envoyer  de  I'argent  pour  I'aehapt  des  bleds, 
craignant  que  cela  me  vienne  dans  un  temps  on 
nous  ne  pourrons  rien  tirer  de  dela  le  Rhin. 

>'  Je  suis  oblige  de  dire  a  Vostre  Eminence 
que  M.  de  Courval  n'est  pas  si  propre  a  vivre 
dans  un  lieu  oil  il  faut  estre  politique  qu'a  def- 
fendre  une  place.  11  est  fort  brave  homme  et  bon 
olTicieis,  maisil  ne  s'accommodeavec  personne 
et  fait  beaucoup  de  choses  sans  jugeraent.  Je 
lui  en  ay  fait  trois  ou  quatre  reprimandes;  je 
croyois  qu'il  y  estoit  plus  propre  que  je  ne  le 
trouve,  allant  trop  visle  pour  un  lieu  comme 
ce!iiy-cy  est.  Monseigneur,  vostre  tres-burable 
et  Ires-obeissant  serviteur, 

»  Mavence,  18  Janvier  1045.  » 


'■  Turenine. 


All  meme. 


"  J'ay  recu  la  lellre  qu'il   a  pleu  a  Vostre 
Eminence  me  faire  I'bonneur  de  m'escrire  par 


1 


MKMOiKKs   i)i:   \i(.OMTi:   m-   T^lu■^^^ 


«<; 


38  I 


M.  de  Grandru  ,  et  recois  toiijours  tant  de  te- 
inoignnges  de  I'honneur  deson  souvenir,  que  je 
serois  bien  incredule  si  j'en  estois  en  aucun 
double.  Je  la  supplie  aussi  de  croire  que  je  res- 
sens  cela  comme  je  doibs. 

>'  Je  supplie  encore  Vostre  Eminence  d'ap- 
puyer  aupres  de  madame  la  landgrave  de  Hes- 
sen ,  pour  Tenvoy  de  ses  deux  brigades  d'in- 
fanterie,  alors  que  je  Iny  demanderay  ;  elle  a 
toiijours  temoigne  voulloir  apporter  tres-grande 
facllite  a  touttes  les  choses  qui  dependoient  d'elle, 
et  estre  fort  recognoissante  des  obligations 
qu'elle  a  a  la  France. 

..  Vostre  Eminence  scait  bien  que  je  n'ay 
point  propose  de  donner  de  I'argent  aux  officiers 
de  Tinfanterie  pour  les  recrues ,  a  cause  du  peu  de 
gens  que  Ton  meine ,  et  de  la  quantite  d'argent 
que  cela  couste  :  ce  n'est  pas  qu'ii  ne  soil  be- 
soiu  quelquefois  de  se  resoudre  a  envoyer  des 
soldats  de  France,  encore  qu'ils  coustent  beau- 
coup  ,  puisque  je  vois  que  les  soldats  qu'on  tire 
de  Francfort  (d'ou  on  en  a  eu  quarante  ou  cin- 
quante)  reviennent  a  douze  et  quinze  escuz  sans 
les  frais;  c'est  pourquoy,  si  on  trouvoit  quelque 
regiment  d'infanterie  vacquant  en  France,  et  le 
donner  a  M.  de  Courval,  il  s'accommoderoit 
avec  moins  de  depense  qu'a  en  faire  un  nouvcau, 
et  cela  me  renforceroit  d'un  bon  nombre  d'in- 
fanterie qu'il  faut  laisser  de  I'armeede  Mayence. 

»  Madame  la  landgrave  de  Hessen  m'a  es- 
crit  sur  le  subjet  des  contributions  de  la  Haute 
Hessen  ,  mais  c'est  plus  pour  I'advenir  que  pour 
le  present ,  car  on  n'a  pas  tire  un  son  de  dela  le 
Rbin,  si  ce  n'est  Tentretenneraent  de  deux  regi- 
mens a  M.  le  prince  de  Darmstadt,  ou  elle  ne  de- 
raande  rien. 

»  11  y  a  le  Ryngau  ,  qui  est  un  petit  pays  de 
trois  heures  de  long,  auquel  on  n'a  point  touche  : 
c'est  le  seul  pays  qui  faict  subsister  Mayence 
et  qui  paye  les  cinq  cens  hommes  de  garnison. 

»  Je  croy  que  M.  de  Tracy,  devant  revenir 
en  ce  pays ,  sera  party  de  Paris.  II  eust  este  fort 
a  desirer  qu'on  eust  peu  faire  venir  une  somme 
dans  ce  bas  du  Rhyn  ,  a  cause  de  la  comraodite 
qu'on  trouve  en  de  certains  temps  d'achepter 
des  bleds  et  autres  cboses  necessaires  que  Ton 
ne  trouve  plus  aprez.  Je  le  luy  feray  scavoir  lors- 
qu'il  sera  arrive  a  Brisack. 

»  Je  rends  tres-humbles  graces  a  Vostre 
Eminence,  de  quoy  11  luy  a  pleu  parler  a  la 
Royne  pour  une  pension  a  M.  de  Bauvau. 

»  J'ay  envoye  un  trompette  a  M.  de  Mercy, 
et  luy  ay  escrit  touchant  les  prisonniers  ,  et  en 
envoyeray  un  autre  a  M.  Tartenson  touchant 
eeux  qu'il  a.  Je  suis  tres-aise  que  Ton  envoye 
un  intendant  qui  ait  rs'j,nrd  au\  places  et  a  la 


direction  de  la  subsistancedes  trouppesdans  les 
garuisons  et  des  contributions,  et  croy  cela  en- 
tierement  necessaire.  Je  suis  oblige  de  dire  a 
Vostre  Eminence  qu'il  faut  de  I'argent  a  la  gar- 
nison de  Philipsbourg,  laquelle  ne  peut  point 
tirer  de  contributions. 

»  M.  de  Charlevois  part  pour  travailler  a  sa 
levee  ;  je  supplie  Vostre  Eminence  que  Ton  luy 
donne  inoyen  de  la  faire  ,  pouvant  tirer  par  la 
de  I'infanterie  du  regiment  d'Ossonville ,  qui 
est  fort  bon  ,  et  croy  qu'elle  ne  trouvera  pas 
mauvais  que  je  luy  dise  que  je  croy  qu'il  est  ne- 
cessaire de  donner  moyen  a  M.  de  Charlevois 
d'estre  dans  I'employ,  en  faisant  quelque  de- 
pense ,  estant  une  charge  ou  il  faut  estre  avec 
quelque  respect  avec  les  officiers ,  ledit  sieur 
de  Charlevois  estant  une  persoune  a  qui  on  se 
peut  bien  fier,  et  qui  a  I'esprit  tres-bien  faict. 

»  J'ay  veu,  par  la  lettre  de  M.  Le  Tellier, 
comme  M.  d'Espenan  demande  le  gouvernement 
du  Bas-Palatinat.  Je  supplie  tres-humbleraeut 
Vostre  Eminence  que  Ton  aille  reserve  avec 
eux  pour  ces  choses-la  ,  car  c'est  une  personne 
qui  a  toujours  este  apprehendee  pour  ses  facons 
de  faire,  aymant  de  faire  brouillerie  dans  tons 
les  lieux  oil  il  est ;  il  vit  tres-bien  avec  moy  : 
mais  c'est  la  coustume,  d'estre  bas  en  presence  , 
et  de  faire  beaucoup  d'intrigues  de  loin. 

»  Pour  ce  qui  est  de  Mayence  ,  en  faisant 
donner  vingt  mille  francs  a  M.  de  Gourval ,  il 
mettra  ce  lieu-la  en  assez  bon  estat :  ce  qui  est 
tres-necessaire  de  faire ,  estant  un  fort  mechant 
lieu  pour  se  deffendre,  quoyqu'on  y  ait  travaille 
autant  que  Ton  a  peu.  Je  rends  tres-humbles 
graces  a  Vostre  Eminence  de  ce  qu'elle  a  ob- 
tenu  de  la  Royne  pour  moy  ;  je  \oudrois  estre 
assez  bien  dans  mes  affaires  pour  ne  pas  don- 
ner ces  importunites. 

»  II  est  arrive  un  accident  a  M.  de  Gourval: 
je  I'avois  envoye  prendre  un  chateau  nomme 
Hoffen,  ce  qu'il  fit,  et  luy  avois  dit  qu'il  pourroit 
passer  jusques  a  Ursel ,  qui  est  a  deux  heures 
plus  avant,  en  cas  qu'il  y  eust  peu  de  gens  de- 
dans: et  en  effect  il  n'y  avoit  que  quarante  sol- 
dats, et  ayant  faict  tirer  son  canon  deux  jours  de 
suite,  les  soldats  et  paysans  raccommodoient  la 
bresche ;  en  sorte  qu'il  ne  pouvoit  pas  y  faire 
donner,  craignant  que  cela  ne  donnast  le  temps 
aux  ennemis  d'y  venir  pour  la  secourir,  luy 
n'ayant  que  six  cens  hommes  en  tout,  j'en- 
voyai  un  ayde-de-camp,afin  qu'il  se  retirast  Ja 
nuit ;  luy,  n'ayant  point  de  nouvelles  d'aucun 
socours  considerable  ,  il  creut  bien  faire  d'at- 
tcndre  au  matin  ,  auquel  temps  il  partit;  ily  an- 
tra cestenuict-la,  dans  la  ville,  cent  chevaux  et 
cinquante  mousquetaires,  lesquels ,  avec  ceux 


382 


MEMOIKKS    DV    VICOMTE    DE   TUftE^NE.    [l04.'j] 


de  la  ville ,  sortirent  et  mirent  sos  gens  en  con- 
fusion, et  luy  prirent  ses  deux  pieces  de  canon ; 
il  fut  deux  fois  entre  les  mains  des  ennerais  et 
se  sauva.  Les  ennemis  y  ont  prisdeux  cens  pri- 
sonniers  que  I'on  aura  pour  la  rencon.  M.  de 
Couival  y  a  faictce  qu'il  a  peu  de  sa  personne, 
et  seavoit  bien  que  les  ennemis  n'estoient  pas 
lamoitie  si  forts  que  luy  :  ce  qui  est  cause  qu'il 
les  a  si  fort  raeprisez. 

»  Je  manderay  a  MM.  de  Strasbourg  et  a 
ceux  de  vostre  regiment  de  cavalerie ,  ce  ((ue 
Vostre  Eminence  m'en  escrit;  je  ne  double  pas 
que  ceux  de  Vorms  et  de  Spire  m'envoyent  a  la 
cour  pour  le  mesme  choix  ;  elles  n'ont  chacune 
qu'un  regiment  d'infanterie,  et  j'oste  deux  com- 
pagnies  de  mon  regiment,  qui  estoient  a  Spire 
sur  le  clerge,  sans  sea  voir  aucun  lieu  ou  les  met- 
tre;  ces  villes  ont  tres  grandes  raisons  de  se 
plaindre,  raais  j'advoueque  jene  scay  nul  expe- 
dient pour  les  soulager  presentement ,  estant 
oblige,  quand  mesme  on  auroit  d  autres  quar- 
ters, de  laisser  ce  qu'il  y  a  dedans  a  cause  de 
Franckendal.  Si  Vostre  Eminence  juge  neces- 
saire  que  par  dessus  les  marechaux  de  camp  il  y 
aytun  lieutenant-general ,  jecroy  que  M.  d'Hoc- 
quincourt  y  sera  plus  propre  que  M.  deMontau- 
sier,  a  cause  de  quelques  escritssur  I'affaire  de 
Tutlingen. 

»  Vostre  Eminence  cognoist  bien  mieux  que 
moy  M.  le  marquis  de  Pomart,  qui ,  a  ce  que  je 
croy  ,  n'a  pas  eu  d'employ  de  touttes  ces  guer  • 
res  icy.  Je  crains  qu'il  ne  se  lassat  bientost  de 
celle-cy.  Vostre  Eminence  trouve  bon  que  je  luy 
dise  mes  sentimens  sur  les  choses,  elle  scait, 
apres  cela  ,  comme  je  me  porteray  avec  joye  a 
tout  ce  qu'elle  ordonnera. 

»  J'ay  envoye  un  trompette  pour  scavoir  de 
M.  de  Mercy  un  lieu  pour  traitter  de  I'eschange 
des  prisonniers. 

»  Je  scay  bien  que  quand  Vostre  Eminence 
songe  a  la  depense  de  ceste  armee  qu'elle  trouve 
que  cela  va  bien  haut,  mais  je  la  supplie  de 
considerer  que,  de  toute  la  campagne  jusques  au 
mois  de  mars,  toutte  I'armee  n'aura  touche  qu'une 
montre  et  dans  le  plus  mauvais  pays  du  monde. 
»  Je  suis  tres  asseure  que  la  cavalerie  alle- 
mandeen  deviendra  plus  difficile  une  autre  fois, 
estant  certain  que  depuis  le  commencement  des 
guerres  d'Allemagne  ils  ne  se  sont  point  vus  en 
telle  extremite,  estant  hors  de  doubte  que  la 
cavalerie  francoise  eust  deserte  il  y  a  tres  long- 
temps  ,  et  ce  n'est  pas  parce  que  le  Hoy  y  est 
oblige,  raais  par  la  necessite  toute  pure,  qu'il  est 
neeessairede  payer  regulierement  les  troismon- 
tres  et  demie  a  I'armee. 

» J'ay  deux  ou  trois  regimens  de  cavalerie  cy  •  > 


auprez  qui  ne  passent  pas  chacune  cent  cava- 
liers montez. 

•'  Je  supplie  Vostre  Eminence  de  vouloir  ecou- 
ter  M.  de  Gharlevois,  qui  cognoist  de  long-temps 
cette  armee  sur  le  sujet  de  sa  pauvrete ;  je  crains 
effectivement  beaucoupque  s'ilsse  voientprests 
de  retomber  dans  une  meme  necessite,  qu'ils  ne 
prennent  une  mauvaise  resolution.  lis  ont  sou- 
fert  et  soufriront  encore  faute  d'argent,  en  un 
point  que  cela  n'est  pas  croyable;  je  suis  oblige 
de  dire  a  Vostre  Eminence  que  je  ne  crois  pas 
qu'il  y  ait  en  France  une  personne  plus  propre 
pour  I'emploi  de  Brisac  que  M.  de  Gharlevois. 
»  Je  supplie  tres-humblement  Vostre  Emi- 
nence de  demander  a  la  Royne  que  M.  Du  Pas- 
sage serve  icy  de  sergent  de  bataille;  encore  que 
Vostre  Eminence  le  cognoisse  bien,  je  I'assure- 
ray  pourtant  qu'il  n'y  a  pas  un  plus  honeste  gen- 
tilhomme  en  France  ny  plus  homme  d'honneur. 
M.  de  Lamet  demeureraavec  les  regimens  fran- 
cois  de  cavalerie,  y  estant  beaucoup  plus  propre 
que  pour  I'infanterie  ;  je  demande  cela  tres-in- 
stammentaVostre  Eminence,  que  M.  Du  Passage 
vienne  icy  servir;  il  s'en  va  a  ceste  heure  a  Pa- 
ris et  m'a  promis  de  revenir  bientost ,  des  qu'il 
aura  pleu  a  Vostre  Eminence  luy  faire  donner 
ses  expeditions. 

»  Madame  la  landgrave  de  Hessen  m'avoit 
escrit  que  ses  trouppes  revenoient  avant  que 
M.  de  Grandru  fut  de  retour;je  ne  peux  pas 
encore  bien  juger  de  quel  coste  M.  de  Tarten- 
son  se  tournera,  et  ne  croy  pas  que  jusques  icy 
il  ayt  de  trop  bous  quartiers.  J'ay  icy  uu  regi- 
ment de  cavalerie  que  je  seray  oblige  de  reu- 
voyer  vers  le  pays  Messin ;  c'est  la  derniere  ex- 
tremite qui  me  le  fait  faire ,  car  si  j'avois  raoyen 
d'empescher  que  les  chevaux  ne  raourussent  point 
de  faim,  j'entretiendrois  les  cavaliers  avec  du  pain 
jusques  au  printemps ;  et  icy  quand  on  laisse  ruy- 
ner  les  regimens,  ils  s'en  vont  trouver  les  enne- 
mis, et  il  n'y  a  point  d'argent  capable  de  lever 
des  trouppes  qui  puissent  servir  comme  celles- 
cy.  J'envoye  M.  de  Beauregard  pour  faire  sca- 
voir a  Vostre  Eminence  que  M.  de  Tartenson, 
promettant  de  se  rendre  fort  au  printemps  ,  et 
ne  point  rplascher  du  lieu  oii  il  est,  mais  s'ad- 
vancer  plus  avant,  que  je  croy  qu'il  sera  plus  a 
propos  que  je  passe  le  Rhyn  dans  la  fin  d'avril, 
m'estant  aussy  bien  impossible  de  subsister  de 
deea  en  corps  d'armee,  les  quartiers  ne  pouvant 
plus  supporter  les  trouppes. 

•'  II  faudroit  pour  cela  que  j'eusse  deux  milie 
hommes  de  pied  pour  pouvoir  en  laisser  mille 
dans  Mayence  et  cinq  cens  dans  Vorms,  et  au- 
tant  dans  Spire,  n'esfant  point  raisonnable  de 
passer  le  Rhyn  quo  bien  fort. 


MKMOIBES    l)U    VICOMTE    1)E    THREiWE.     inj-l," 


38:} 


» II  seroit  a  propos  qu'euce  temps-la,  de  Tar- 
meequi  ira  vers  Treves  il  s'y  advance  quelques 
trouppes  vers  la  Moselle, ;  fin  de  convrir  ce  pays 
ici  qui  courroit  danger  de  ce  coste-la. 

«  La  conqueste  de  toutte  la  Moselle,  j'entends 
de  Treves,  Coblentz  et  Hoimestein,  est  tout-a- 
fait  liecessaire  pour  pouvoir  garder  ce  pays. 

»  Quant  a  Franckendal ,  estaiit  un  grand  siege 
par  force,  et  lepays  d'autourfort  ruyne,jecrain- 
drois  de  me  raettre  en  estat  de  ne  pouvoir  plus 
passer  le  Rhyn,  et  il  est  certain  que  si  M.  Tar- 
tenson  veut  agir  en  ceteraps-Ia,que  lesennemis 
luy  tomberoient  tous  sur  les  bras. 

»  Je  suis,  Monseigneur,  vostre  tres-humble 
et  tres-obeissant  serviteur. 

» A  Mayence  ,  ce  4  fevrier  1645. 

"TUREMNE.  » 

A  Son  Eminence. 

«  Je  nae  donne  I'honneur  d'escrire  celle-cy  a 
Vostre  Eminence  par  M.  Douval ,  qui  vient  de 
prison ;  il  est  en  tres  bonne  estime  dans  ceste 
armee,  et  je  le  tiens  homme  de  fort  bon  sens; 
il  a  ires  grande  envie  de  remettre  so)i  regiment, 
et  suis  asseure  que  si  Vostre  Eminence  a  le  loisir 
de  luy  parler,  qu'elle  en  fera  beaucoup  de  cas,  et 
j'aimerois  mieux  ceste  brigade  hirlandoise  que 
si  on  m'en  envoyast  deux  francoises.  Je  tasche- 
ray  de  la  bien  maintenir. 

»  Je  suis  venu  ici  a  Saverne  pour  gaigner  sept 
ou  huit  jours  de  temps  ,  que  Ton  eusl  perdus  s'il 
eust  fallu  queM.  de  Tracy  me  fust  venu  trouver 
en  bas  du  Rhyn  et  qu'il  s'en  retournast  de  la  a 
Strasbourg.  Je  I'ay  trouve  fortsatisfait  des  bon- 
tez  que  Vostre  Eminence  a  cues  pour  luy ,  et  il 
est  sans  doubte  que  c'est  une  personne  qui  pent 
servir  fort  utileraent  en  ce  pays,  y  estant  fort 
cogneu  et  estime  de  tout  le  monde. 

» J'ay  receu  hier  une  lettre  de  deux  gentils- 
hommes  qui  sont  venuzen  Lorraine  pour  haster 
le  payement  des  trouppes ;  je  leur  ay  mande 
qu'ils  ne  les  fissent  point  partir  qu'ils  n'eusseiit 
ordre  du  Roy ,  et  il  seroit  tres  necessaire  que 
Vostre  Eminence  escrivit  promptement  a  M.  de 
La  Ferte  qu'il  fit  payer  aux  trouppes,  tant  de 
Lorraine  que  de  Barrois,  les  quatre  mois ,  sca- 
voir :  decerabre,  Janvier  ,  febvrier  et  mars ;  car, 
je  vous  I'asseure,  qu'il  y  a  quatre  corapagnies  de 
mon  regiment  de  cavalerie  qui  n'ont  toucheque 
quinze  jours  de  subsistance  de  tout  I'hyver;  la 
haste  avec  laquelle  il  faut  que  les  trouppes  mar- 
chent,  ayant  receu  si  tard  leur  argent,  empeschera 
qu'elles  ne  pourront  pas  estre  en  I'estat  que  j'a- 
vois  espere:  ce  qui  me  faict  encore  plus  supplier 
Vostre  Eminence  dc  voulloir  m'envoyer  un  re- 


giment de  cavalerie  a  la  place  de  celuy  d'Au- 
mont ;  j'avois  demande  celuy  du  Quaslin  ou  bien 
quelque  autre  qui  fvit  bon. 

»  Je  supplie  aussi  Vostre  Eminence  pour  ce 
peu  d'infanterie  que  j'avois  demande  par  M.  de 
Montaut ,  et  aussi  de  se  souvenir  qu'il  y  aitquel- 
qu'un  avec  des  trouppes  qui  observe  ce  que  les 
ennemis  feront  vers  la  Moselle. 

»  M.  d'Erlack  m'a  mande  qu'il  ne  pouvoit  pas 
laisser  sortir  les  compagnies  de  Halstein,  et  qu'il 
recevoitson  argent  si  tard  qu'il  luy  estoit  impos- 
sible de  faire  des  hommes ;  je  supplie  Vostre  Emi- 
nence qu'il  recoive  un  ordre  exprez  pour  sortir 
ces  compagnies  ou  pour  donner  trois  cens  hom- 
mes effectifs  alleraans  quand  je  les  demanderay, 
et  seroit  bon  qu'il  eust  promptement  cest  ordre- 
la.  Je  croy  que  les  Suisses  ne  feroient  point  diffi- 
culte  d'aller  a  Mayence  siVostre  Eminence  voul- 
loit  en  faire  envoyer  trois  compagnies  dans  la 
ville,  cela  ne  fouleroit  poi)it  les  habitans  et  se- 
roit fort  advanlageux  en  ce  rencontre. 

»  Le  cheval  d'ltalie  et  la  jument  qu'il  a  pleu 
a  Vostre  Eminence  de  m'envoyer,  dontje  luy 
en  rends  graces  tres-hurables,  sont  aussi  beaux 
et  bien  faicts  qu'il  se  pent ;  j'ay  une  obligation 
tres-parliculiere  a  Vostre  Eminence  du  soin 
qu'elle  a  de  touttes  mes  alffiires,  et  de  la  pensee 
qu'elle  a  euede  supplier  la  Royne,  depuispeu,de 
faire  quelque  chose  pour  moy  ;  je  voudrois  que 
tout  le  monde  Ten  pressat  aussi  peu  que  je  feray, 
ayant  tout  subject  derecognoistre  labonte  qu'elle 
a  eue  pour  moy  etd'estre  tres-content,  outre  tous 
ses  bienfaicts ,  de  la  confiance  qu'elle  a  en  moy. 

» Je  n'ay  point  encor  de  response  de  madams 
la  landgrave  de  Hessen;  je  luy  ay  envoye  un 
ayde-de-camp. 

»  Je  supplie  tres-hurablement  Vostre  Emi- 
nence de  faire  que  M.  Douval  emmene  les  qua- 
tre compagnies  de  Hedin  et  quatre  cens  Hirlan- 
dois  que  Ton  dit  estre  arrivez  en  France;  il 
pourra  aussi  rassembler  des  Hirlandois  qui  sont 
dans  les  trouppes  de  France,  et  ne  demande 
qu'un  lieu  d'assemblee  et  point  d'argent  pour 
cela;  c'est  vostre  tres-humble  et  tres-obeissant 
serviteur , 

«  A  Saverne  ,  le  10  mars  1645. 

•'  TURENNE.  »] 

De  cette  maniere,  la  cavalerie,  qui  montoit  a 
cinq  mille  chevaux,  et  I'infanterie  a  cinq  ou  six 
mille  hommes  de  pied  ,  avec  douze  ou  quinze 
pieces  de  canon  ,  furent  prets  vers  la  fm  du 
mois  de  mars  de  repasser  le  Rhin  sur  un  pont 
de  batteaux  que  Ton  fit  faire  a  Spire. 

[  Avant  de  partir  de  cette  ville,  M.  de  Tu- 


oSt 


MRMOllW.S    bi:    VICOMTK    UK    Tl  ht;.\>E. 


1(U. 


renne  adressa  au  cardinal  Mazarin  la  lettre  sui-  I 
vante  en  date  du  25  mars  :  j 

«  Je  no  me  siiis  pas  voullu  haster  de  mander  ! 
a  Vostre  Eminence  la  defaite  de  I'armee  impe-  | 
riale  ,  par  M.  Tartenson  ,  on  ne  la  scait  encores  \ 
que  par  les  ennemis;  il  est  incertain  ce  que  \ 
I'armee  de  Baviere  fera.  M.  de  Mercy  est  alie  a 
Munick  en  poste ,  et  doit  estre  de  retour  dans 
le  Wurtemberg  depuis  trois  ou  quatre  jours. 

«  M.  Dutot  est  revenu  de  prison  :  je  croy  que 
s'il  plaisoit  a  la  Royne  de  voulloir  luy  accorder 
le  brevet  de  marescha!  de  bataille ,  affm  qu'il 
I'exerceat  I'hyver  qui  vient ,  a  Tissue  de  la  cam- 
pagne  ,  que  cela  seroit  tres-raisonnable ,  outre 
qu'il  est  personne  de  merite ,  et  il  a  faict  uue 
perte  si  grande  de  ses  deux  freres  en  la  der- 
niere  occasion  ,  que  cela  merite  bien  quelque 
recognoissance.  Son  regiment  se  maiutient  fort 
bien  ,  et  comme  je  u'ay  pu  luy  donuer  d'hom- 
mes,  s'il  plaisoit  a  Vostre  Eminence,  dans  deux 
ou  trois  mois  ,  luy  en  donner  deux  ou  trois  cens 
des  garuisons  ,  il  feroit  une  tres-bonne  brigade. 
»  M.  d'Espenan  ,  en  casque  je  m'advance  un 
peuavant  avec  I'armee,  abienenviequejen'aye 
plus  rien  a  voir  aux  trouppes  qui  demeurcront  le 
long  du  Rhin  ;  je  voudroisque  les  affaires  alias- 
sent  assez  bien  pour  Ten  pouvoir  bien  esloigner 
avec  seurete ;  a  quoy  je  contribueray  tout  ce 
qui  depend  de  raoy.  Je  suis  asseure  que  s'il 
croyoit  que  Vostre  Eminence  y  adjouste  foy, 
qu'il  travailleroit  de  tout  son  coeur  a  faire  de 
grands  memoires,  et  je  suis  la  personne  du 
monde  qui  prend  le  moins  de  precautions  con- 
tre  cela,  et  je  ne  me  suis  jamais  trouve  en  lieu 
oil  il  fallut  faire  des  manifestes ;  j'ay  grand  peur 
qu'il  ne  m'y  instruise. 

»  Je  ne  m'advance  que  bien  foible,  n'ayant 
point  eu  de  nouvelles  des  gens  de  raadame  la 
Landgrave  de  Hessen  ,  et  laissant  des  trouppes 
dans  touttes  les  places. 

»  Pourvu  que  les  affaires  aillent  bien  de 
dela  le  Rhin  ,  on  n'a  plus  rien  a  craindre  que 
vers  la  Moselle,  de  sorte  que  je  croy  plus  neces- 
saire  que  jamais  de  s'en  rendre  maistre.  Cette 
campagne  il  faut,  cela  estant ,  que  Francken- 
dal  tombe  de  luy-meme,  et  je  feray  touttes 
choses  possibles  pour  me  maintenir  dela  le 
Rhin  ;  je  n'y  marche  pas  presentement  en  trop 
bon  estat ,  mais  la  conjonclure  des  affaires  le 
deraande  absolument ;  et  je  m'asseure  que  Vos- 
tre Eminence  se  souviendra  de  me  soustenir 
avec  des  renforts,  autant  qu'il  se  pourra,  et  la 
supplie  tres-humblement  de  croire  que  je  n'en 
demanderay  jamais  d'inutiles. 

»  On  memande  de  Paris,  que  Ton  pressc  mon 
frcre  pour  des  debtcs  de  la  maison  de  La  Marck  ; 


je  supplie  tres-humblement  Vostre  Eminence 
de  voulloir  que  ma  soeur  de  Bouillon  luy  en 
parle ,  et  aussi  de  cent  mille  francs  que  Ton 
luy  doibt  pour  des  bledz  que  Ton  dit  avoir  este 
deffendu  a  M.  de  Montauron  de  luy  payer ; 
Vostre  Eminence  scait  bien  I'interest  que  j'y 
doibs  prendre.  Je  la  supplie  tres-humblement 
de  ne  point  souffrir  qu'il  recoive  ces  mauvais 
traictemens. 

»  J'ay  sceu  comme  M.  de  La  Tremouille  a  eu 
quelque  demesle  en  Bretaigne;  je  supplie  tres- 
humblement  Vostre  Eminence  de  ne  le  voulloir 
point  abandonner  en  ce  rencontre;  elle  scait, 
qu'outre  I'interest  de  M.  de  La  Tremouille,  celuy 
de  ma  soeur  ra'est  extremement  cher.  M.  de 
Vautorte  est  arrive  icy,  que  je  trouve  tres-hon- 
neste  homme  et  fort  raisonnable.  C'est,  Mon- 
seigneur,  vostre  tres-humble  et  tres-obeissant 
serviteur, 

»  A  Spire,  ce  26  mars  1645. 

»    TUBENNE.  » 

Le  vicomte  de  Turenne  continua  d'informer 
Son  Eminence  des  differentes  nouvelles  qu'il 
recevoit  des  dispositions  des  princes  d'Allema- 
gne,  ainsi  que  de  I'etat  de  son  armee: 

«  LesieurGroeviusquej'avoisenvoyetrouver 

madame  la  Landgrave,  est  revenu  aujourd'hui  et 

'■  m'a  apporte,  comme   elle  faisoit  difficulte  de 

donner  ces  deux  brigades  ,   disant  force  rai- 

1  sons,  dont  la  principale  est  qu'elle  n'a  pas  recu 

satisfaction   sur   le   payement.   Elle  ne    laisse 

;  pas  d'avoir  rendez-vous  aupres  de  Cassel ;  de 

,  sorte  que,  s'il  plaist  a  Vostre  Eminence  luy 

I  faire  donner  satisfaction  la-dessus  ,  je  ne  doubte 

pas  qu'elle  ne  les  envoye  tout  aussytost. 

I       "  Je  croy  que  Vostre  Eminence  aura  recu  la 

i  lettre  par  laquelle  je  luy  mandois  comme  le 

!  regiment  de  Montausier  a  refuse  de  m'envoyer 

i  des  gens  commandes  que  je  luy  ay  demandes  ; 

'  si  ce  regiment  est  destine  pour  une  autre  armee, 

je  ne  m'en  serviray  point ,  des  que  les  trouppes 

i  de  madame  la  Landgrave  seront  arrivees,  je  les 

I  renvoyeray  a  leur  garnison. 

j       '■  Pour  .ce  qui  est  de  la  cavalerie  ,  I'ennemy 

,  ayant  este  affoibly  par  la  derniere  bataille,  il 

i  ne  seroit  pas  raisonnable  que  j'en  demandasse 

:  de  francoise ,  ny  aussy  d'entreprendre  de  faire 

I  lever  un   regiment  allemant  nouveau ,  ayant 

1  vu  qu'il  est  impossible  que  des  trouppes  nou- 

I  velles ,  de  quelque  nation  qu'elles  soyent ,  se 

mettent  en  estat  de  servir  qu'au  bout  de  trois  ou 

quatre  ans ;  mais  si  on  pent  estre  en  pays  pour 

cela,  en  donnanta  cinq  ousix  regimens allemans, 

a  chacun  une  compagnie  pour  les  mettre  a  neuf , 


MEMOlllES    DU    VICOMTE 

ils  s'efforceroient  a  faire  trois  escadrons  cha- 
cun ,  et  ainsi,  avec  le  temps,  on  pourroit  mesme 
se  passer  d'un  ou  deux  regimens  de  cavalerie 
fraucoise  :  ce  que  je  dis,  est  en  cas  que  les  Glio- 
ses ail  lent  bien. 

»  L'armee  de  Baviere  est  ensemble  sur  le  Nec- 
ker ;  on  asseure  que  Jean  de  Werts  revient  avec 
tout  ce  qu'il  a  peu  sauver  de  la  bataille.  M.  de 
Baviere  fait  aussy  advancer  quelques  trouppes 
qu'il  a  levees  dons  son  pays  et  quelqu'infanterie 
venue  d'ltalie.  Desque  j'auray  l'armee  ensemble, 
qui  sera  dafiS  peu  de  jours,  je  verray  quelle  re- 
solution il  prendra.  Vostre  Eminence  pent  juger 
en  quel  estat  je  suis  d'infanterie ,  laissant  les 
places  garnies.  M.  d'Ossonville  m'avoit  fait  par- 
ler  de  supplier  Vostre  Eminence  pour  avoir  le 
gouvernement  d' Alsace  ,  en  cas  que  M.  de 
Montausier  le  quittast ,  ayarit  celuy  de  feu 
M.  de  Brasac,  Je  n'y  trouve  qu'uu  seul  incon- 
venient ,  qui  est  que  c'est  bien  pres  de  IM.  d"Er- 
lac  ;  mais ,  s'il  se  pouvoit  trouver  quelque  chose 
pour  luy,  ce  seroit  une  grande  charite,  car  il 
est  fort  mal  en  ses  affaires  et  il  a  tres-bien  servy. 

»  Je  me  donneray  I'honneur  de  mander  a 
Vostre  Eminence  commeje  feroistoutes  les  cho- 
ses  qui  dependroyent  de  moy,  affin  de  contri- 
buer  a  bien  \ivre  avec  M.  le  marquis  de  Pomar. 

»  II  y  a  quelque  chose  en  suitte  de  ce  que 
Vostre  Eminence  me  mande  la-dessus,  qui  est  en 
chiffre,  que  je  ne  peux  pas  presentement  faire 
dechiffrer,  n'ayant  pas  le  chiffre  avec  moy. 

"  Pour  ce  que  Vostre  Eminence  me  mande 
de  ce  que  ma  belle-sceur  dit ,  je  croy  qu'elle  est 
bien  persuadee  que  je  ne  suis  point  capable  de 
sortir  de  men  debvoir.  Je  la  supplieray  toujours 
de  traicter  mon  frere  le  plus  favorablement  qu'il 
sera  possible,  ne  paroissant  point  qu'il  fasse  rien 
contre  le  service  du  Roy.  C'est ,  Monseigneur, 
vostre  tres-humble  et  tres-obeissant  serviteur. 

»  Dourlac,  31  mars  1645. 

«    TUBEIVNE. 

»  Si  Vostre  Eminence  vouloit  faire  donner  le 
gouverneraent  de  Haute-Alsace  ,  en  cas  que 
M.  de  Montausier  le  quitte ,  a  M.  Doubatel, 
on  ne  seroit  point  oblige  de  luy  donner  de  re- 
compense ,  et  cela  feroit  voir  aux  Allemans  que 
Ton  donne  quelque  chose  de  solide,  ce  qui  les 
contenteroit  tres-fort. 

»  Je  croy  qu'il  seroit  bon  de  donner  toujours 
quelque  chose  pour  travailler  a  Philipsbourg, 
d'autant  que  la  saison  sera  bonne.  Ce  que 
M .  d'Espenan  a  fait  faire  a  este  a  fort  bon  mar- 
die;  il  n'a  rien  tire  de  tout  I'hyver  des  contri- 
butions ,  et  la  garnison  a  rescu  du  pain  seul  ;  a 
I'advcnir,  luy  et  M.  le  lieutenant  informeront 
N'ostrc  Eminence  de  ce  quo  Ton  pouria  tirer. "  ] 

III.    C.    D.     M,    T.     111. 


DE    TUEElNr<E.    [I645j  385 

M.  de  Turenne  avoit  presse  le  temps  de  se 
mettre  en  campagne ,  a  cause  que  l'armee  de 
Baviere  avoit  detache  un  corps  de  trois  ou  qua- 
tre  mille  hommes,  pour  fortifier  rarniee  de 
I'Empereur ,  sous  le  commandement  de  M.  de 
Bauschemberg,  general  de  I'artillerie ,  et  de 
Jean  de  Wert ,  dans  la  bataille  de  Tabor  ,  ou 
M.  Tartenson  defit  et  prit  prisonnierle  general 
Hatzfelt,  apres  avoir,  dans  le  commencement  de 
la  meme  annee,  mine  l'armee  de  I'Empereur  (l) 
dans  divers  combats  ,  par  une  suite  de  conduite 
fondeesur  une  grande  exierience,  et  accom- 
pagnee  d'un  grand  courage  et  d'un  grand  juge- 
ment,  ce  qui  est  fort  superieur  au  gain  d'une 
bataille.  L'armee  du  Roi  ayant  done  passe  le 
Rhin  ,  on  fut  trois  ou  quatre  jours  a  se  mettre 
ensemble,  vers  Phortzheim, petite villedu  pays 
de  AVirtemberg,  a  trois  ou  quatre  heures  de  la 
riviere  de  INekre  ,  derriere  laquelle  etoit  M.  de 
Merci ,  avec  un  corps  ,  a  ce  que  jecrois  ,  de  six 
ou  sept  mille  hommes ,  n'ayant  point  hate  ses 
recrues  ,  et  ayant  laisse  rafraichir  ses  troupes 
dans  des  lieux  un  peu  eloignes,  en  attendant 
que  la  saison  fut  avancee ,  et  que  les  herbes 
donnassentplusde  commoditea  sonarmee  de  se 
rassembler.  M.  de  Turenne,  ayant  appris  qu'il 
y  avoit  des  gues  a  la  riviere,  partit  de  bon  ma- 
tin ,  et  y  etant  arrive ,  se  campa  de  bonne 
heure,  non  pas  vis-a-vis  du  lieu  ou  les  enne- 
mie  etoient  logcs ,  mais  a  deux  heures  plus  bas, 
et  la  passa  sans  nulle  difficulte. 

M.  de  Merci,  qui  ne  crut  pas  que  son  armee 
etoit  en  etat,  se  retira  vers  la  Souabe,  et  M.  de 
Turenne  ,  ayant  suivi  sa  marche  ,  passa  aupres 
d'Hailbron  ,  ou  les  ennemis  avoient  garnison  , 
et  arriva  a  Suabeschal  avant  M.  de  Merci,  qui 
avoit  ses  marechaux-des-logisa  la  porte  de  la 
ville  :  mais  comme  M.  de  Turenne  fit  promp- 
tement  avancer  ses  dragons,  les  bourgeois  ou- 
vrirent  les  portes,  comme  ils  le  font  toujours 
au  plus  fort  et  a  celui  qui  arrive  le  premier. 
Comme  il  n'avoit  avance  aux  portes  de  la  ville 
qu'avec  la  cavalerie,  et  qu'il  avoit  laisse  son 
infanteriea  trois  heures  de  la,  avec  le  baga^e 
qui  n'avoit  pas  pu  suivre  ,  a  cause  de  la  longue 
marche,  il  craignit  que  M.  de  Merci,  ayant 
nouvelle  de  sa  separation,  n'envoy^t  altaquer 
cette  infanterie,  avec  laquelle  il  n'etoit  de- 
meure  que  deux  regimens  de  cavalerie.  Ainsi , 
apres  avoir  laisse  ses  dragons  pour  garder 
la  porte,  il  retourna  promptement,  lanuit,  au 
lieu  oil  il  croyoit  que  I'infanterie  seroit  de- 
raeuree.  M.  de  Merci,  ne  doutant  point  que  ce 
ne  fut  toute  l'armee  qui  etoit  arrivee  a  Suabes- 

(1;  Cl'Uc  arni(5c  ^tait  cornmandee  par  Ic  g('ri(?ral  Galas. 

2.'i 


38(1 


MKMoIKKS    nr    TICOMIE     1)R    TliRE:^NE. 


in; 


dial ,  avoit  continue  a  marcher  plus  avant  vers 
Binkespuhel  et  Feuchtwang.  On  ne  laissa  pas 
neanmoins,  quand  I'infanterie  fut  arrivee ,  de 
continuer  a  suivre  les  ennemis,  laissant  le  ba- 
gage  dans  la  ville ;  raais  sans  I'apprehension 
que  Ton  cut  pour  I'infanterie  ,  je  suis  persuade 
que  si  la  cavalerie  eut  raarche  d'abord  apres 
M.  de  Merci ,  qu'elle  I'eut  arrete  dans  sa  mar- 
ehe ,  qu'elle  eiit  donne  ten^ps  a  I'infanterie  de 
venir,  et  que  I'on  eut  combattu  avec  avantage. 
On  se  contenta  de  suivre  I'ennemi  cinq  ou  six 
lieues  sans  aucune  rencontre  considerable  ,  que 
dequelques  petits  partis.  M.  de  Turenne  etant 
revenu  a  Suabeschal  ,  y  deraeura  deux  ou  trois 
jours  ,  d'oii  il  marcha  vers  la  riviere  du  Tauber 
a  Mariendal ,  autour  duquel  il  y  a  plusieurs  pe- 
tites  villes  ,  d'oii  Ton  pent  tirer  beaucoup 
de  subsistance ;  il  s'y  arreta  afin  d'avoir  der- 
riere  lui  la  Hesse,  dont  il  esperoit,  dans  I'ete, 
tirer  des  troupes  pour  envoyer  dans  TAIleraa- 
gne.  II  paroissoit  aussi  que  Ton  s'eloignoit  plus 
de  I'ennemi  qui  etoit  vers  Feuchtwang ,  et  Ton 
croyoit  qu'il  se  separeroit  pour  se  rafraichir , 
ayant  tout  le  derriere  libre  du  haut  Palatinat  et 
de  la  Baviere. 

[Le  Roi  informa,  vers  ce  temps,  M.  de  Tu- 
renne du  projet  de  voyage  de  M.  le  due  de  Wur- 
temberg  en  Souabe,  par  la  lettre  suivante  : 

«  Mon  cousin,  ayant  sceu  le  dessein  qu'a 
mon  cousin  le  due  de  Wurtemberg  d'aller  en 
Souabe,  avec  esperance  que  son  voyage  pro- 
duira  quelque  bon  effect  pour  la  cause  com- 
mune ,  je  faicts  cette  lettre  pour  vous  dire ,  par 
I'advis  de  la  Royne  regente ,  madame  ma  mere, 
que  je  trouve  bon  et  desire  que  vous  teniez 
correspondance  avec  luy ,  et  luy  aydiez  a  ceque 
vous  verrez  pouvoir  reussir  au  bien  et  advan- 
tage de  cette  couronne  et  des  princes  mes  allies; 
et  la  presente  n'estant  pour  autre  fin  ,  je  prie 
Dieu  qu'il  vous  ait,  mon  cousin,  en  sa  sainte 
et  digne  garde. 

»  Escrit  a  Paris,  le  19  avril  164  5.  »  ] 
Des  que  I'armee  fut  arrivee  a  Mariendal  , 
commc  c'etoit  dans  la  lin  du  mois  d'avril ,  et 
qu'il  n'y  avoit  point  encore  d'heibes  ,  on  pressa 
fort  M.  de  Turenne  de  permettre  que  la  cava- 
lerie se  s^pariit  dans  les  petites  villes   ou  on 
taisseroit  son  bagage  au  premier  ordre ,  et  qu'on 
viendroit  promptement  au  rendez-vous.  Pour 
dire  vrai ,  le  trop  de  facilite  a  ne  point  faire  pA- 
tir  la  cavalerie,  faute  de  fourrage,   la  grande 
envie  qu'ils  se  missent  promptement  en  bon 
etat,  plusieurs  officiers  assurant  que  chacuii 
dans  son  lieu  acheteroit  des  chevaux  pour  les 
demontfcs,  et  aussi  I'eloignement  de  Tenncmi 
qui  etoit  a  pres  de  dix  beures  de  la,  les  partis 


rapportant  qu'ils  etoient  separes ,  firEint  b^- 

SOUDRE  M.  DE    TUBENIN'E    MAL    A    PKOPOS    (l)      a 

les  envoyer  dans  de  petits  lieux  fermes.  II  re- 
tint  neanmoins  I'infanterie  et  le  canon  a  une 
demi-lieuede  Mariendal  ,  et  envoya  M.  Rosen 
avec  quatre  ou  cinq  regimens  a  Rotembourg, 
sur  le  Tauber,  qui  est  a  plus  de  quatre  heures 
de  Mariendal,  mais  les  autres  regimens  etoient ci 
deux  et  trois  heures  plus  loin. 

Le  lendemain  que  I'ordre  fut  donne  pour  se 
separer,M.  d€  Turenne  voyant  bien  qu'il  n'y 
avoit  point  assez  de  certitude  de  la  separation 
de  I'ennemi ,  pour  avoir  donne  lieu  a  la  reso- 
lution prise ,  envoya  ordre  a  M.  Rosen  de  se 
rapprocher  avec  les  regimens ;  et  hors  ce  qui 
etoit  a  deux  beures  plus  loin  ,  il  fit  revenir  les 
autres  regimens ,  excepte  nouveau  Rosen  et 
Vousvors  qui  etoient  extremement  loin ,  I'un 
pour  observer  I'armee  de  Baviere ,  et  I'autre 
vers  la  Franconie,  a  cause  de  la  garnison  de 
Schvveirifurt.  Le  premier  ne  fut  pas  assez  dili- 
gent pour  rejoindre ,  et  I'autre  n'eut  presque 
pas  de  nouvelles  du  combat. 

M.  de  Turenne,  etant  presque  dans  la  certi- 
tude que  Tennemi  feroit  la  marcheque  Ton  ap- 
prit  qu'il  fit,  allase  promener  le  jour  avant  le 
combat  avec  la  grande  garde  ,  a  trois  lieues  sur 
le  chemin  par  lequel  I'ennemi  pouvoit  I'atta- 
quer.  Etant  revenu  fort  tard  ,  et  M.  Rosen  s'e- 
tant  rapproche  avec  plus  de  la  moitie  de  la  ca- 
valerie ,  il   apprit  a   deux  heures  de  I'apres 
minuit ,  par  un  parti,  que  I'ennemi  avec  tout 
le  corps  de  I'armee  avoit  quitte  Feuchtwang  ,  e£ 
raarchoit  droit  a  lui ;  c'etoit  le  deuxieme  de 
mai.  En  meme  temps,  il  envoye  ordre  aux  re- 
gimens de  cavalerie  qui  Etoient  a  deux  ou  trois 
heures  de  la,  de  marcher  ,  et  il  dit  a  M.  Rosen 
de  monter  a  cheval  et  de  s'en  aller  a  la  grande 
garde,  et  faire  assembler  promptement en-deca 
du  bois  toutes  les  troupes  qui  en  etoient  proche. 
Malgre  cet  ordre,  M.  Rosen  passe  le  bois  qui 
pouvoit  avoir  cinq  ou  six  cents  pas ,  et  mande 
a  la  cavalerie  de  le  venir  joindre  au-dela  du 
bois;  ce  qu'il  n'eut  pas  fait  assurement  s'il  cut 
cru  I'armee  de  I'ennemi  si  proche ,  car  il  est 
certain  que  si  elle  se  fut  mise  ensemble  en-deca 
du  bois ,  on  se  seroit  retire  sans  corabattre. 

M.  de  Turenne,  qui  n'avoit  pas  demeure  plus 
d'un  quart-d'heuredans  le  quartierpourdonner 
ses  ordres  a  toutes  le  troupes,  monte  a  cheval , 
et  ne  trouvant  plus  la  grande  garde ,  la  suit  au 
travers  du  bois,  et,  etant  au-dela,  il  vit  sept  ou 

(1)  Voila  le  style  des  grands  hommes  :  ils  avouent  in- 
g(5nument  ieurs  fautes  et  ne  les  dissimuicnt  point  quand' 
,  la  V(?ril6  le  demande.  (A.  E.) 


MEMOIKKS    1)11    \  ICO  Ml 

huit  regimens  de  sa  cavalerie  qui  composoient 
ce  qu'il  y  avoit  d'arrive,  que  M.  Rosen  raet- 
toit  en  bataille,  et  jettant  la  vue  plus  loin,  il 
vit  I'avant-garde  de  I'ennenai  qui  sortoit  d'un 
autre  bois  sur  un  assez  grand  front,  a  un  petit 
quart-d'heure  de  iui.  Quoique  la  chose  fiit  assez 
surprenante,  et  qu'elie  ne  presageoit  rien  de 
bon  dans  la  suite  ,  il  ne  crut  pas  qu'il  y  eut  rien 
a  faire  qu'a  se  mettre  en  bataille  avec  une  par- 
tie  de  I'armee ,  corame  si  elle  y  avoit  ete  toute, 
n'ayant  pas  encore  assez  de  gens  ensemble  pour 
marcher  a  I'ennemi ,  son  infanterie  ne  commen- 
cant  qu'a  arriver.  L'ennemi  etoit  trop  proche 
pour  changer  de  posture  et  se  mettre  derriere 
le  bois  ;  ainsi  il  ne  songea  qu'a  se  servir  de  I'a- 
vantage  du  lieu  ,  et  y  ayant  un  petit  bois  a 
main  droite  de  la  plaine  ou  etoit  la  cavalerie, 
il  y  mit  son  infanterie  qui  n'etoitpas  composee 
deplus  de  trois  mille  hommes.  M.  deSmitberg 
et  M.  Du  Passage  la  commandoient,  et  comme 
ce  lieu-la  servoit  comme  d'aile  droite,  il  se  con- 
tenta  de  laisser  deux  escadrons  derriere  ce 
bois,  et  mit  toute  sa  cavalerie  sur  une  ligne 
avec  deux  escadrons  de  seconde  ligne,  a  la 
main  gauche  du  grand  bois.  M.  Rosen  se  mit 
tout  a  fait  a  I'aile  droite  de  cette  ligne ,  et  M. 
de  Turenne  a  la  gauche. 

On  attendit  l'ennemi  en  cette  posture,  lequel 
en  peu  de  temps  descendit  dans  la  plaine,  et 
mettant  son  infanterie  au  milieu  des  deux  ailes 
de  sa  cavalerie ,  M.  de  Merci,  qui  etoit  general 
de  i'armee ,  se  met  a  la  tete  ,  et  marche  droit 
au  bois ,  ayant  par  ce  raoyen  son  aile  gauche 
qui  ne  pouvoit  pas  bien  agir  qu'il  ne  fut  maitre 
du  bois;  mais  comme  il  ne  pouvoit  d'abord  voir 
la  situation  du  lieu ,  il  mettoit  son  armee  en  ba- 
taille comme  on  fait  d'ordinaire.  Comme  il 
fut  a  cent  pas  du  bois ,  et  que  I'infanterie  n'a- 
voit  point  encore  fait  de  decharge  ,  M.  de  Tu- 
renne marcha  avec  sa  cavalerie  au-devant  de 
I'aile  droite  de  l'ennemi ,  dont  tous  les  esca- 
drons furent  rompus,  et  la  seconde  ligne  fut 
ebranlee.  Dans  ce  meme  temps ,  I'infanterie  de 
l'ennemi  avancant  vers  le  petit  bois ,  celle  de 
I'armee  du  Roi  nefit  qu'une  decharge  et  se  jeta 
en  confusion  dans  le  bois ;  ainsi ,  I'aile  gauche 
de  l'ennemi  trouva  le  moyen  d'avancer  a  la  fa- 
veur  du  bois  que  son  infanterie  avoit  g^gne.  La 
cavalerie  de  Tarmee  du  Roi ,  qui  ne  voyoit  plus 
devant  elle  que  trois  escadrons  de  reserve  de  l'en- 
nemi, la  premiere  et  seconde  ligne  etant  en  confu- 
sion, apercut  tous  ses  fantassins  qui  avoient  jete 
les  armes,  et  les  escadrons  de  l'ennemi  qui  se  for- 
moient  derriere  elle.  En  meme  temps ,  la  confu- 
sion commenea  a  s'y  mettre ,  et  bientot  apres  la 
deroule  fnt  entiere  ;  M.  Rosen  y  fut  pris,  ayant 


E    UK    TL'REINAE.    [KN,')]  3^7 

tres-bien  fait  son  devoir  et  toute  la  cavalerie 
aussi.  M.  de  Turenne  se  retira  dans  le  grand 
bois  ,  ayant  ete  fort  presse  par  deux  cavaliers 
de  demander  quartier,  et  ayant  perce  tout  au 
travers  avec  deux  ou  trois  personnes  avec  Iui , 
il  trouva  au-dela  du  bois  trois  regimens  de  ca- 
valerie, Duras,  Beauveau  et  Traci  arrives  ;  et 
par  malheur  quantite  de  cavaliers  ayant  fait 
saigner  leur  chevaux  a  cause  de  la  saison  ,  les 
regimens  ne  purent  monter  assez  tot  a  cheval 
pour  venir  au  combat. 

A  ces  regimens  il  s'y  joignit  bien  douze  ou 
quinze  cens  chevaux  des  regimens  qui  avoient 
ete  rompus,  et  M.  de  Turenne,  les  ayant  mis  en 
bataille  ,  vouloit  aller  centre  les  ennemis,  s'ils 
eussent  promptement  passe  le  bois ;  mais  voyant 
qu'ils  se  donnoient  assez  de  temps  pour  se  re- 
mettre  en  posture  apres  le  combat ,  et  que  toute 
son  infanterie  etoit  perdue,  et  qu'il  ne  restoit 
que  trois  regimens  qui  n'eussent  pas  combattu  , 
il  aima  mieux  sauver  ce  qui  restoit,  quoiqu'il 
le  fit  avec  assez  de  peine.  Ainsi  il  commanda  a 
M.  de  Beauveau  de  marcher,  avec  son  regiment 
et  toute  la  cavalerie  allemande  qui  restoit  du 
combat ,  droit  au  Mein ,  et  Iui  donna  ordre  de 
s'arreter  a  I'entree  du  pays  de  Hesse:  ce  qui 
pourroit  etre  a  quinze  ou  seize  heures  de  la  ;  il 
demeura  lui-meme  avec  ses  deux  regimens  de 
Duras  et  Traci ,  pour  la  retraitte  et  pour  donner 
aux  autres  le  temps  de  passer  le  Tauber ,  ou  il 
y  avoit  divers  gues  :  ce  qui  se  fit  comme  il  I'a- 
voit  pense.  Aussit6t  qu'il  vit  toute  cette  cava- 
lerie assez  loin  pour  n'etre  plus  en  danger,  il 
songea  a  se  retirer  aussi.  Les  ennemis,  ayant 
appercu  ces   deux  regimens  qui  se  retiroient 
seuls,  vinrent  de  tous  cotes  pour  leur  couper  le 
chemin ;  mais  M.  de  Turenne  se  retira  avec 
assez  d'ordre  jusques  sur  le  Tauber ,  qui  etoit 
dans  la  meme  campagne ,  et  Ton  repoussa  deux 
ou  trois  fois  les  ennemis  qui  vouloient  suivre 
par  le  meme  gue  par  lequel  on  avoit  passe.  A 
la  fin ,  en  ayant  trouve  divers  autres ,  on  fut 
oblige  de  prendre  son  chemin  avec  de  petites 
troupes ,  apres  avoir  perdu  une  partie  des  eten- 
darts.  Ces  deux  regimens  ,  particulierement  ce- 
lui  de  Duras,  qui  avoit  rarriere-garde  ,  fit  dans 
cette  occasion  tout  ce  qui  se  pent  de  hardi  et  de 
vigoureux.  M.  de  Turenne  se   retira  d'abord 
avec  quinze  ou  vingt  officiers  ou  cavaliers  ,  et 
peu  de  temps  apres  avec  une  troupe  de  cent  ou 
cent  cinquante  chevaux,  avec  laquelle  ayant 
marche  toute  la  nuit  et  passe  le  Mein  a  gu6 ,  il 
alia  le  lendemain,  vers  le  soir,  rejoindre  sa  ca- 
valerie vers  la  Hesse.  L'ennemi  prit  une  grande 
partie  de  I'infanterie  ,  tout  le  bagage,  dix  pieces 
de  canon  et  douze  ou  quinze  cens  cavaliers  ou 

25. 


)8.S 


ME3I0IBES    DU    VICOMTK    DE   Tt.llEiV>E.    [1645] 


officiei'S  de  cavalerie.  M.  de  Montausier,  M.  de 
Smitberg  et  M.  Du  Passage  furent  pris,  etl'en- 
nemi  demeura  quelques  jours  sans  bouger. 

M.  de  Turenne  ,  croyant  que  quelque  corps 
de  cavalerie  pourroit  le  suivre  ,  demeura  un 
jour  ou  deux  dans  le  bols  avec  douze  on  quinze 
cens  chevaux  ;  mais  n'ayant  rien  vu  paroitre, 
il  avanca  jusques  sur  les  frontieres  de  la  Hesse, 
oil  madame  la  Landgrave  lui  envoya  prompte- 
ment  M.  Geis  ,  qui  commandoit  ses  troupes, 
avec  deux  de  ses  conseillers,  pour  tacher  a  lui 
persuader  de  se  retirer  vers  le  Rhin,  lui  alle- 
guant  qu'il  assuroit  par  la  les  places  qu'il  avoit 
iaissees  degarnies  ,  et  qu'il  joindroit  plutot  les 
troupes  que  Ton  devoit  envoyer  de  France  pour 
le  renforcer.  Mais  ces  conseillers  taisoient  la 
principale  raison  qui  poussoit  la  Landgrave  a 
souhaitter  que  I'armee  marchat  vers  le  Rhin  : 
c'etoit  qu'elle  craignoit  d'attiier  la  guerre  dans 
son  pays ,  et  ne  vouloit  pas  mettre  silot  son 
armee  en  campagne  ;  mais  M.  de  Turenne,  qui 
scavoit  que  ce  qu'il  faisoit  etoit  le  seul  moyen 
de  faire  que  toutes  les  troupes  hessiennes  le  joi- 
gnissent,  et  de  faire  sortir  M.  Konigsmarc  de 
ses  quartiers,  s'opiniatra  a  ne  pas  changer  de 
resolution  ,  et  lui  manda  que  si  I'ennemi  mar- 
choit  a  lui  qu'il  se  retireroit  tout  au  travers  de 
la  Hesse,  et  qu'a  quelque  prix  que  ce  fut ,  il 
n'iroit  point  vers  le  Rhin,  et  entreroit  plut6t 
vers  le  pays  de  Bi  unswic.  l\  fit  aussi  scavoir  la 
meme  chose  a  M.  Konigsmarc,  qui  etoit  dans 
ses  quartiers,  a  dix  ou  douze  lieues  dcrriere 
Cassel  sur  le  Weser.  Ce  general  avoit  les  memes 
intentions  que  les  Hessiens,  de  ne  point  se 
meltre  sitot  en  campagne,  et  ne  souhailtoit 
point  que  la  guerre  fut  attiree  vers  ces  quar- 
tiers-la;  mais  la  fermete  de  M.  de  Turenne  le 
fit  resoudre  a  se  remettre  ensemble. 

M.  de  Turenne,  ayant  fait  retirer  ses  troupes 
dans  la  comle  de  Waldec,  alia  jusques  a  Cas- 
sel, oil  il  recut  beaucoup  de  civilites  de  ma- 
dame la  Landgrave ,  et  coimut  que  tout  ce 
qu'il  avoit  oui  dire  d'elle  etoit  veritable,  qu'elle 
avoit  beaucoup  de  jugement,  de  courage  et  de 
conduite  en  loutes  ses  actions.  Elle  fit  rassem- 
bler  ses  troupes,  qui  montoient  a  six  mille 
hommes,  laissant  ses  places  i-emplies,  et  M.  Ko- 
nigsmarc, qui  avoit  plus  de  quatre  mille  hom- 
mes ,  s'avanca  aussi  sans  perdre  de  temps. 

I  Ce  fut  de  Cassel  que  M.  de  Turenne  rendit 
compte  au  cardinal  Mazarin  de  cette  raalheu- 
reuse  affaire  de  Maricndal ,  en  appelant  toute 
la  severite  du  ministre  sur  lui  seul  : 

«  Je  croy  que  Vostre  Eminence  scait  bien 
dans  quels  sentimens  je  suis  de  ce  qui  est  ar- 
rive ,  et  hors  I'esperanee  que  j'ay  de  pouvoir. 


dans  le  malheur,  remettre  les  choses  en  quel- 
que estat,  il  ne  me  pourroit  rester  nulle  conso- 
lation. J'envoye  a  Vostre  Eminence  un  me- 
moiredes  choses  que  je  croy  qui  pourront  re- 
mettre ceste  cavalerie  ;  pour  I'infanterie  ,  je  la 
croy  toute  perdue  ;  mais  je  n'ay  jamais  eu  trois 
mille  hommes  de  pied  en  contant  les  officiers. 

>>  Ce  malheur  ne  m'empeschera  point  de  tas- 
cher  acontribuer  a  remettre  les  choses  en  tout 
ce  qui  dependra  de  moy;  et  aussi  lorsque  la 
Royne  et  Vostre  Eminence  jugeront  que,  par  le 
malheur  que  j'ay  ,  ou  pour  d'autres  considera- 
tions ,  il  ne  sera  pas  necessaire  de  se  servir  de 
moy,je  la  supplie  qu'elle  passe  aisement  par 
dessuz  la  consideration  de  I'honneur  qu'elle  me 
faict  de  m'aymer ,  estant  certain  que  je  rece- 
vray  cela  comme  je  le  doibs. 

»  Je  me  persuade  que  Vostre  Eminence  croit 
bien  que  j'ay  faict  en  ce  combat  ce  que  j'ay  peu. 
Je  me  suis  retire  avec  un  gentilhomme  ;  les  au- 
tres  et  les  aides-de-camp  qui  estoient  avec  moy 
ayant  este  tues  ou  prisouniers,  et  n'y  ayant  plus 
de  tiouppes  au  champ  de  bataille,  j'allay  par 
un  bois  rejoindre  les  trouppes  a  Mergenthein  ; 
et  ayant  fait  passer  toutte  la  cavalerie  par  un 
passage,  je  demeuray  avec  trois  trouppes  dcr- 
riere, qui  furent  a  la  fin  coupees,  et  apres  avoir 
donne  temps  aux  autres  de  gaigner  chemin, 
j'en  pris  un  au  hazart  par  la  montagne ,  et  ay 
esle  trois  jours  a  rejoindre  les  autres  qui  estoient 
devant  moy;  M.  de  Tracy  demeura  avec  moy; 
et  outre  beaucoup  de  coeur  qu'il  a  tesmoigne,il 
travaille  avec  tres-grande  affection  pour  la  re- 
paration de  touttes  choses  ety  sert  icy  tres  utile- 
ment.  J'envoye  a  Vostre  Eminence  le  sieur  de 
Mepas,  qui  luy  dira  particulierement  en  quel 
estat  sont  touttes  choses,  la  suppliant  me  croire 
tousjours  tr:s  veritablement ,  Monseigneur, 
vostre  tres-humble  et  tres-obeissant  serviteur. 

»  A  Brunsvink  en  Hesse,  le  lo  may  1645. 

»  TlJnElv^E.  » 

Mais  le  Roi  ecrivait  a  M.  de  Turenne  avant 
meme  de  connaitre  parfaitement  les  details  de 
cette  deroute,et  ne  lui  temoignade  I'inquietude 
quepourcequi  pouvait  etre  arrive  a  sapersonne: 

'<  Mon  cousin ,  sur  I'advis  que  j'ay  receu,  des 
avant-hyer,  que  les  enuemis  vous  ont  attaque 
avec  toutes  leurs  forces  dans  voire  quartier- 
general,  et  qu'il  y  a  eu  perte  de  votre  coste, 
bien  que  cette  nouvelle  m'ait  este  rapportee 
avec  beaucoup  de  confusion  et  d'incertitude, 
neantmoings,  dans  I'apprehension  oil  je  suis 
qu'il  n'y  ait  eu  du  mal,  ne  voulant  perdre  au- 
cun  moment  de  temps  pour  y  remedier,  je  fais 
advancer  le  sieur  de  Marsin  vers  le  Rhin,  avec 


IIEMOIKKS    Dli    VICOMTE    DK    TIKENNE.    [1645] 


le  corps  de  cavallerie  qui  est  soubs  sa  charge  , 
et  je  faicts  que  raon  cousin  le  due  d'Enghien  , 
qui  se  preparoit  desja  a  se  rendie  en  raon  ar- 
raee  de  Luxembourg,  dont  les  troupes  seront  as- 
semblees  dans  le  20*"  du  present  mois,  aux  en- 
virons de  Verdun  et  dans  le  Barrels,  presseson 
depart  pour  marcher  a  grandes  journees  du 
meme  coste  du  Rhin  ;  de  sorte  que  j'espere  qu'il 
y  sera  avant  que  les  ennerais  y  puissent  rien  en- 
treprendre,  et  qu'avec  les  forces  qu'il  aura  il 
sera  en  estat  de  soustenir  puissamment  toutes 
choses  par  dela.  Outre  cela,  je  faicts  haster  les 
troupes  que  vous  scavez  que  j'avois  destinees 
pour  servir  le  long  du  Rhin  ,  soubs  le  sieur  de 
Bellenave,  y  en  ayant  quelques-unes  qui  doib- 
vent  estre  maintenant  arrivees  avec  luy  en  ces 
quartiers-la  ,  el  je  mande  audit  sieur  de  Belle- 
nave,  comme  aussy  aux  sieurs  d'Espenan  et  de 
Vautorte,  que  si  vous  n'estes  sur  les  lieux,  ils 
fassent  en  votre  absence  tout  ce  qu'ils  verront 
estre  necessaire  et  a  propos,  et,  agissant  de  con- 
cert avec  le  sieur  d'Erlac,  pour  asseurer  les  pla- 
ces tenues  par  raes  armees  deca  et  deia  du  Rhin, 
recueillir  ceux  qui  viendront  de  mon  armee 
d'AUemagne,  rassembler  et  restabllr  les  trou- 
pes qui  auront  souffert  quelque  echec,  empe- 
cher  qu'aucun  ne  quitte  le  service,  et  ne  rien 
obmettre  de  tout  ce  qu'ils  verront  estre  a  faire 
pour  prevenir  les  suittes  de  I'advantage  que  les 
ennemis  ont  pu  recevoir,  en  attendant  que  Ton 
sache  au  vray  ce  qui  s'est  passe  en  cette  occa- 
sion, dans  laquelle  la  plus  grande  peine  que  je 
ressens,  avec  la  Reine  regente,  madite  dame  et 
mere,  est  de  ce  qui  sera  succedea  vostre  per- 
sonne,  etje  vous  asseure  qu'elle  et  moy  nous 
consolerons  facilemeiit  de  tout  le  mauvais  e\e- 
nementque  Dieu  aura  permis,  pourvu  qu'il  luy 
ait  plu  de  vous  garantir  ,  sachant  tres-bien  qu'il 
ne  peut  estre  arrive  par  aucuu  del'fault  de  vostre 
part,  et  que,  si  vous  estesen  lieu  et  en  estat  pour 
agir,  les  choses  seront  bientost  relevees,  comme 
je  le  puis  desirer;  et  sur  ce  je  prie  Dieu  qu'il  vous 
ait,  mon  cousin,  en  sa  sainte  etdigne  garde. 
»  Escrit  a  Paris,  le  14  may  1645.  » 
Turenne  envoya  un  officier  a  Mazarin  pour 
lui  rendre  compte  de  I'etat  de  I'armee  et  pren- 
dre ses  ordres  a  ce  sujet ;  le  meme  officier  por- 
tait  la  lettre  suivante  : 

A  Son  Eminence. 

"  Jugeant  qu'il  est  necessaire  que  Vostre  Emi- 
nence soit  particulierement  informee  de  touttes 
choses,  et  aussi  qu'elle  sera  bien  aise,  pour  rc- 
mettre  les  affaires ,  de  conferer  avec  les  pcr- 
sonnes  qui  en  sauront  plus  particulierement  tons 


les  moyens ,  j'ay  prie  M.  de  Treves  de  s'en  al- 
ler  a  la  cour.  Quoyque  ce  soit  un  voyage  tres- 
dangereux,  il  a  souhaitte  le  voulloir  faire,  pou- 
vant  tesmoigner  en  effet  qu'il  travaille  avec  af- 
fection extreme  au  retablissement  de  touttes 

CllOS3>. 

»  Vostre  Eminence  croit  bien  que  je  n'auray 
point  au  monde  de  plus  grand  soin  que  de  faire 
touttes  les  choses  qui  se  pourront,  avec  ce  qui 
me  reste ,  et  qu'avec  ce  qu'il  luy  piaira  envoyer 
de  renfort,  suivant  la  necessite  des  aflaires, 
j'espere  que  Dieu  me  fera  la  grace  de  rendre 
quelque  bon  ser\ice,  apres  le  malheur  que  j'ay 
eu ,  qui  est  la  seule  chose  au  monde  que  je  sou- 
haitte, estant,  Monseigneur,  vostre  tres-humble 
et  tres-obeissant  serviteur. 

"'  A  Wesser,  16  may  1645. 

»   TUBENIME.    « 

Le  Roi  transmit  encore  a  M.  de  Turenne  ses 
ordres  sur  ce  qu'il  y  avait  a  faire  dans  la  con- 
joncture  presente;  ilssont  eontenus  dans  les  let- 
tres  suivantes  : 

«  Mon  cousin ,  les  premieres  nouvellesque  la 
Reyne  regente,  madame  ma  mere,  et  moi  avons 
receues  de  vostre  combat  contre  I'armee  de  Ba- 
viere  ont  este  rapportees  avectant  d'incertitude 
etde  confusion,  et  on  a  este  si  long-temps  sans 
en  avoir  d'esclaircissemens,  que  nous  en  avons 
este  dans  une  extreme  peine,  non-seulement 
parce  qu'il  sembloil  que  le  mal  fust  beaucoup 
plus  grand  qu'il  ne  se  trouve,  par  la  grace  de 
Dieu ,  mais  particulierement  a  cause  que  Ton 
n'avoit  aucun  advis  de  ce  qui  avoit  succede  a 
vostre  personne.  A  present  que  j'apprens,  par 
diverses  lettres,  que  vous  estes  arrive  a  Cassel , 
que  vous  avez  rallie  et  sauve  une  bonne  partie 
de  la  cavallerie  de  I'armee,  avec  plusieurs  prin- 
cipaux  officiers;  que  la  perte  que  vous,  avez 
faicte  n'estarrivee  que  pour  n'avoir  pas  eu  toutes 
les  troupes  de  I'armee  avec  vous,  plusieurs  of- 
ficiers ne  s'estant  pas  rendus  avec  leurs  corps 
pres  de  vous  dans  le  temps  que  vous  leur  aviez 
ordonne ;  et  que  si  les  forces  des  ennemis  vous 
ont  oblige  de  ceder,  cen'a  este  que  pour  avoir 
prevalu  en  grand  nombre  sur  vous,  et  apres 
avoir  souffert  une  notable  perte;  quoique  j'aye 
tousjours  bien  juge  qu'il  n'y  avoit  aucun  man- 
quementde  vostre  part,  cognoissant  avec  quelle 
vigilance ,  valeur  et  conduite  vous  agissez ; 
neantmoins,  cem'estune  singuliere  consolation 
et  repos  d'esprit  de  scavoir,  en  gros,  comme  la 
chose  s'est  passee ,  en  attendant  que  j'en  ap- 
prenne  le  particulier,  et  d'estre  asseure  que 
Dieu  vous  a  preserve  dans  un  si  grand  peril , 
avec  beaucoup  de  mes  fideles  serviteurs  que  je 


:vjo 


MKMOIlilS     1)1!    \!COMTK    DE    TlJrtK>l>h. 


[,G45] 


recognoistray,  Dieu  aidant,  du  service  qu'ils 
m'ont  rendu  en  cette  occasion,  comme  je  feray 
chastier  ceux  qui  seront  notes  pour  y  avoir 
manque;  et  j'espere  que  vous  serez  bientost  en 
lieu  d'oii  vous  pourrez  vous-mesme  travailler  au 
restablissement  de  mon  armee  et  de  mes  trou- 
pes, pour  estre  en  estat  de  ne  laisser  passer  la 
campagne  sans  prendre  vostre  revenche  sur  les 
ennemis.  Cependant ,  afm  de  ne  rien  obmettre 
pour  cela  de  ma  part,  je  \ous  repeteray  icy  ce 
que  je  vous  avois  mande  par  le  sieur  de  Beau- 
vais  Plezian ,  lequel  je  vous  ay  despeche  incon- 
tinent apres  les  premiers  advis  de  cet  accident, 
qui  est  que  j'ay  faict  advancer  le  sieur  de  Mar- 
sin  avecmil  chevaux  effectifsdu  coste  da  Rhin, 
et  le  courier  que  je  luy  avois  despeche  est  de  re- 
tour,  qui  a  rapporte  qu'il  estoit  desja  advance 
sur  ce  cherain,  J'ay  aussy  sceu  que  le  sieur  de 
Belienave  est  arrive  en  ces  quartiers-la  a\ec  le 
corps  que  vous  savez  que  je  faisois  former  soubs 
sa  charge.  En  attendant  qu'il  vous  pustjoindre, 
je  faicts  que  mon  cousin   le   due  d'Enghien, 
part  dans  deux  jours  de  cette  ville  pour  se  ren- 
dre  en  mon  armee,  qu'il  commands,  dont  tou- 
tes  les  troupes  ont  leur  rendez-vous  dans  le  Ver- 
dunois  et  le  Barrois  ,  et  seront  ensemble  au  20 
de  ce  mois,  pour  de  la  marcher  aux  plus  gran- 
desjournees  qu'il  pourra  en  Allemagne;  etj'ai 
donne  ordre  par  ledit  sieur  de  Beauvais  Plezian 
aux  sieurs  d'Eyrenan,  de  Marsin,de  Belienave 
et  de  Vauxtorte  et  au  sieur  d'Erlac  de  faire  tout 
ce  qui  leur  sera  possible  pour  recueillir  les  de- 
bris des  trouppes  qui  ont  pris  part  au  combat, 
empecher  qu'aucunne  quitte  le  service,  ayder  a 
les  remettre  et  a  maintenir  celles  qui  sont  retour- 
nees  en  leur  entier,  et  faire  tout  ce  qu'il  faudra 
faire  pour  la  seurete  des  places,  en  sorte  que  I'ac- 
cident  qui  est  arrive  ne  puisse  produire  aucune 
suite  prejudiciable  a  mon  service  en  ces  quar- 
tiers-la ,  en  attendant  que ,  par  I'arrivee  de  mon 
cousin  le  due  d'Enghien,  toutes  chosesy  soyent 
eutierement  asseurees ,  et  que  vous  puissiez  vous 
y  rendre  pour  vous  employer  a  tout  ce  qui  sera 
necessaire  pour  restablir  mon  armee  d'Allema- 
gne.  Je  mande  aussi  a  mes  ambassadeurs  pleni- 
potentiaires  pour  la  paix  de  faire  toutes  les  in- 
stances convenables  en  mon  nom  aupres  des 
ministres  d6  la  couronne  de  Suede  et  du  general 
Tartenson,  afm  qu'ils  donnent  des  prisonniers 
qu'ils  ont  pour  servir  a  I'eschange  des  nostres , 
k  condition  de  faire  payer  aux  officiers  de  I'ar- 
mee  de  Suede  le  prix  de  la  rancon  de  ceux  qui 
sont  leurs  prisonniers ,  sur  le  pied  du  quartier- 
general  :  en  quoy  ils  trouveront  leur  compte , 
comme  Ton  y  remontrera  I'advantage  de  mon 
service;  et  si  vous  pouvez,  de  vostre  coste, 


m'envoyer  cet  eschange  par  cette  voye,  ou  par 
la  rancon  des  prisonniers  que  le  general  Merci  a 
en  son  pouvoir,  je  crois  que  je  n'ay  pas  besoin 
de  vous  exciter  de  le  faire,  mais  seulement  je 
vous  asseure  que  tout  ce  que  vous  proraettrez 
de  ma  part  en  cela  sera  ponctuellement  execute ; 
vous  reiterant  encore  que  je  recois  une  par- 
faicte  joye  de  ce  que  Dieu  vous  conserve  pour 
me  continuer,  et  a  cet  Estat ,  les  services  utiles 
que  vous  m'avez  rendus  jusques  icy,  et  dont  j'ay 
une  entiere  satisfaction,  priant  Dieu  qu'il  vous 
ayt,  mon  cousin ,  en  sa  sainte  et  digne  garde. 
»  Escrit  a  Paris ,  le  22  may  l64r>.  » 

A  Monsieur  de  Turenne. 

«  Mon  cousin,  ayant  sceu  que  I'Empereur  a 
relache  mon  cousin  I'archevesque  de  Tresve, 
apres  I'avoir  detenu  prisonnier  depuis  plusieurs 
annecs,  et  qu'il  espere  de  rentrer  dans  ses  Estats 
et  biens ,  dont  les  ennemis  de  cette  couronne 
I'ont  despouille,  ce  qui  a  este  la  premiere  cause 
de  I'ouverture  de  la  presente  guerre ,  j'ai  bien 
voulu  vous  faire  cette  lettre  pour  vous  dire  ,  par 
I'advis  de  la  Royne  regente ,  madame  ma  mere, 
que  mon  intention  est  que,  si  mondit  cousin  I'ar- 
chevesque de  Tresves  passe  au  lieu  ou  vous  se- 
rez, ou  dans  les  places  et  le  pays  tenus  par  mes 
armees ,  en  Allemagne,  vous  lui  rendiez  tt  fas- 
siez  rendre  les  mesmes  honneurs  que  vous  faic- 
tes  a  moy-mesme  :  a  quoy  n'estimant  pas  que 
j'ay  rien  de  particulier  a  adjouster,  je  ne  vous 
feray  la  presente  plus  longue  que  pour  prier 
Dieu  qu'il  vous  ayt ,  mon  cousin ,  en  sa  sainte 
et  digne  garde. 

«  Escript  a  Paris,  le  26  mai  1645.  ] » 
M.  de  Turenne,  ayant  eu  nouvelle  que  M.  de 
Merci ,  s'etant  approche ,  avoit  attaque  Kin- 
chaim  (l),  petite  place  a  I'entree  de  la  Hesse, 
manda  au  gouverneur  que  s'il  pouvoit  tenir 
cinq  ou  six  jours,  qu'il  seroit  secouru :  cequi 
lui  fit  prendre  la  resolution  de  ne  se  pas  rendre, 
quoiqu'il  y  eut  une  assez  grande  breche  faite. 
Les  Francois,  ayant  joint  M.  Konigsmarc  et  les 
Hessiens,  marcherentdroit a I'ennemi ,  qui  leva 
le  siege  environ  le  dix  ou  douzieme  jour  apres 
que  la  bataille  de  Mariendal  avoit  ete  donnee. 
M.  de  Turenne  pouvoit  avoir  de  reste  trois  ou 
quatre  mille  chevaux  et  seulement  douze  ou. 
quinze  cens  hommes  de  pied  qu'il  avoit  ramas- 
ses;  I'ennemi  s'etant  retire  vers  la  Franconie, 
les  trois  armees  demeurerent  quelques  jours 
dans  le  pays  de  M.  le  landgrave  des  Darmstadt. 

(1)  On  n'a  pu  lire  dans  roriginal  Ic  nom  de  la  ville 
assi^g^c,  mais  PuRendorf  I'appelle  Kirehaim.  (A.  E.) 


MEMOIRES    DL    VlCO.Mlfi    UK    TUUU.NAE. 


lOJoJ 


3iJI 


Dans  ce  temps-la  on  eul  nouvellesque  M.  le  due 
d'Enghien  ,  avec  sept  ou  huit  mille  honimes, 
marchoit  vers  le  Rhiii,ce  ((ui  obligea  M.  de 
Tureune  ,  joint  avec  M.  Koaigsmare  et  les  Hes- 
siens,  d'aller  dans  le  pays  de  Darmstadt ,  et  de- 
la  dans  le  Bergstras  pour  le  joindre. 

[M.  de  Turenne  en  informa  Son  Eminence 
par  la  lettre  suivante  : 

«  Je  me  suis  donne  I'lionneur  d'eserire  deux 
ou  trois  fois  a  Vostre  Eminence  par  la  voye  de 
Mayence,  mais  mes  lettres  out  ete  perdues, 
dans  lesqueiles  il  n'y  avoit  rien  de  consequent, 
ayant  perdu  mes  chiffres,  comme  je  I'ay  mande 
a  Vostre  Eminence. 

»  Je  croy  qu'il  y  aura  desja  long-temps  que 
M.  de  Tracy  sera  arrive  a  la  cour;  depuis  son 
partement ,  j'ay  joinct  les  trouppes  de  madame 
la  landgrave  de  Hessen ,  et  celles  de  Konig- 
smarc.  Ce  que  I'ennemi  ayant  seu,et  s'estant 
trouve  engage  devant  Kirkelne,  il  en  a  leve  le 
siege,  et  s'est  retire  au  Mayn,  ou  il  est  a  ceste 
heure  retranche  devant  Asehastembourg ;  ayant 
par  ce  moyen  laisse  le  chemin  de  Mayence 
libre ,  j'eo  ay  faict  venir  les  trouppes  qui  y  es- 
toifiut ;  ce  qui  est  sorty  de  Brisac ,  a  sca- 
voir,  d'Ossonville  et  des  quatre  compagnies  de 
M.  d'Erlack  ,  approche  cinq  cens  honnnes;  les 
six  compagnies  de  Vostre  Eminence,  qui  sont 
sorties  de  Mayence,  font  quatre  cent  cinquante, 
et  les  nouvelles  cent,  et  le  regiment  Bellenave 
quatre  cens  hommes ;  de  sorte  qu'avec  ce  que 
je  peux  avoir  de  reste  de  I'infanterie,  il  me  fuut 
couter  a  deux  mille  hommes  de  pied ,  de  cava- 
lerie ;  j'ay  trois  mille  cinq  cens  chevaux ,  et 
avec  la  montre,  on  pourra  faireestat  de  quatre 
mille  effectifs. 

"  J'ay  trouve  de  I'argent  h  Francfort  pour 
payer  les  regimens  qui  se  sont  trouves  au  com- 
bat, ayant  remis  les  autres  a  Strasbourg,  ou 
ils  ont  envoye  querir  leur  argent. 

»  Je  croy  que  Vostre  Eminence  ne  juge  pas 
raisonnable  que  Ton  leur  eust  diminue  sur  ce 
qu'ils  ont  perdu;  car  outre  qu'il  eust  este  im- 
possible de  les  faire  condescendre  a  cela,  je 
I'asseure  qu'ils  employeront  tout  I'argent  que 
Ton  leur  donnera  a  se  remettre  ;  et  depuis  la  ba- 
laille  il  leur  a  fallu  travailler  comme  aupara- 
vant  sans  esquipage ,  ce  qui  les  eust  ruynes  en- 
tierement,  sans  le  grand  soin  qu'ils  ont  pris. 

»  A  ce  qui  pourra  servir  d'infanterie ,  je  leur 
feray  donner  la  montre ,  et  aux  autres  officiers 
qui  n'auront  point  de  soldatz,  j'ay  parle  a 
M.  de  Vautorte,  qui  leur  fera  donner  une  pe- 
tite subsistance  sur  les  villes  le  long  du  Rhyn  , 
en  attendant  que  Ton  les  reraette. 

>'  Je  croy  que  M.   de  ^'etancourt  pourroit 


mieux  que  personne  remettre  son  regiment,  et 
il  luy  reste  icy  un  assez  bon  nombre  de  soldatz; 
il  faudroit  que  ce  fiit  I'aisne  qui  s'en  meslat ,  il 
en  viendroit  asseurement  a  bout. 

»  Siquelqu'un  vouUoit  prendre  celuy  deMe- 
lun ,  il  y  reste  de  bons  officiers  et  cent  cin- 
quante  soldatz,  qui  sont  dans  les  places  le  long 
du  Bhyn;  avec  un  quartier  en  France,  je  croy 
qu'il  pourroit  se  remettre ;  je  manderay  a  Vostre 
Eminence  ce  que  se  pourra  faire  la-dessus ;  pour 
le  mien,  je  ne  scaurois  pas  respondre  de  le 
raccommoder  que  dans  I'hyver  ,  si  ce  n'est  que 
des  a  present  on  me  voullut  donner  un  quartier 
en  France ,  ou  j'envoyeray  des  officiers.  Les 
officiers  de  la  cavallerie  allemande  me  sont  ve- 
nuz  trouver,  qui  disent  qu'a  moins  de  mille 
escuz  par  compagnie  ,  il  leur  est  impossible  de 
les  bien  remettre ;  estant  deca  le  Rhyn ,  ils 
esperent  trouver  des  cavaliers ;  outre  que  les 
ennemis  sont  obligez  de  rendre  les  prisonniers 
par  un  quartier  signe ,  je  croy  que  si  on  pent 
faire  cet  effort ,  il  est  tout-a-fait  necessaire  de 
leur  donner  cette  satisfaction. 

«  M.  de  Tracy,  qui  est  la ,  est  entlerement 
informe  de  toutes  choses. 

»i  M.  de  Marsin  s'est  trouve  icy  quand  nous 
etions  ensemble,  M.  Konigsmarc,  celuy  qui 
coramande  les  troupes  de  Hesse ,  et  moy,  qui 
pourra  faire  scavoir  a  M.  le  due  d'Enghien 
toutes  choses ,  et  mesme  I'ira  trouver  en  Sa- 
verne  pour  luy  dire  ce  de  quoy  nous  sommes 
convenuz. 

»  M.  de  Beauvals  est  arrive  icy,  qui  m'a  dit 
les  bontez  que  Vostre  Eminence  a  pour  moy, 
de  quoy  je  luy  suis  oblige  en  un  point  qui  ne 
se  peutpas  exprimer,  et  je  luy  pens  bien  asseu- 
rer  qu'un  des  plus  grands  deplaisirs  dans  mon 
malheur  a  este  celuy  que ,  outre  le  service  du 
Roy,  Vostre  Eminence  en  aura  ressenti  pour 
mon  particulier. 

»  Je  croy  qu'elle  aura  sceu  comme  les  enne- 
mis n'ont  point  profite  de  leur  victoire,  ce  qui 
ne  laisse  pas  d'apporter  beaucoup  d'incommo- 
dite  pour  les  depenses  extraordinaiies  que  Ton 
sera  oblige  de  faire,  desquelles  M.  de  Tracy 
scait  le  destail ,  et  je  supplie  tres-humblement 
Vostre  Eminence  d'en  voulloir  considerer  la 
consequence. 

»  Je  m'asseure  qu'elle  jugera  qu'il  a  este  as- 
sez advantageux  detirer  touttes  les  trouppes  en 
deca  du  Rhyn ,  pour  la  consequence  de  la  chose 
mesme,  et  la  reputation  d'Allemagne;  car  es- 
tant soutenu,  on  pent  faire  un  estat  asseurede  ne 
point  repasser  le  Rhyn ,  qui  estoit  ce  qu'il  y 
avoit  le  plus  a  craindre. 

»  S'il  plaisoit  a  Vostre  Eminence  que  I'on  fit 


3<>2 


MEMOIIU.S    1)L    MCOMTE    IjK    Tl.i;K.\NK.    [ifi'J.S] 


donner  dcs  lieux  d'assemblee  et  de  Targeiit 
au  regiment  de  Vostre  Eminence,  a  scavoir  , 
six  compagnies,  MeIun,Netancourt,  et  au  mien, 
j'y  renvoyerois  les  officiers,  et  retiendrois  ce 
qui  se  trouve  de  soldatz  icy.  C'est,  Monsei- 
gneur,  vostre  tres-humble  et  tres-obeissant  ser- 
viteur. 

»  Au  camp  de  Ferknheim  ,  18  juin  1645. 

»    TUKENNE.  >'] 

M.  d'Enghien  passa  ie  Rhin  vers  Spire ,  et  il 
l"ut  resolu  que  les  armees  jointes  marcheroient 
vers  Ie  Nelicre ,  et  que  Ton  t^chcroit  d'arriver 
a  Hailbron  avant  Tennemi.  On  mareha  en 
grande  diligence  avec  un  gros  corps  de  cavale- 
ric  d'avant-garde  a  une  heure  d'Hailbron,  ou 
Ton  vit  I'armee  ennemie  qui  arrivoit  de  I'autre 
cotedu  Neckre,  et  qui  se  mettoit  en  bataille 
sur  un  coteau  de  vignes  aupres  de  la  ville :  ce 
qui  fit  faire  alte  a  Tavant-garde.  On  atteudit 
Tinfanterie  qui  etoit  assez  eloignee,  et  Ton 
campa  ce  soir  en  ce  lieu.  Voyant  qu'on  ne  pou- 
voit  pas  attaquer  Hailbron  ni  passer  Ie  Nekcre 
en  cet  endroit-la  ,  toute  I'armee  des  eunnemis 
y  etant  opposee  ,  on  mareha  a  Vimpsen  ,  pe- 
tite ville  sur  Ie  Nekcre,  a  deux  beures  au-des- 
sous  d'Hailbron;  ou  mit  promptement  Ie  canon 
en  batterie  ,  et  la  ville  se  rendit.  II  me  semble 
qu'il  n'y  avoit  pas  plus  de  trois  cens  honimes 
dans  la  place. 

L'ennemi,  voyant  que  Ton  avoit  par  ce  moyen 
un  passage  sur  Ie  Nekcre,  laissa  une  bonne 
garnison  a  Hailbron ,  se  retira  et  alia  camper  a 
Feuchtwang  ,  ou  il  fit  quelques  retranchemens. 
L'armee  du  Roi ,  laissant  peu  de  gens  dans 
Vimpsen,  passa  Ie  Nekcre:  M.  Ivonigsraarc, 
voyant  les  ennemis  eloignes  ,  et  bien  aise  d'etre 
a  part  en  Franconie,  feignit  d'etre  mecontent 
de  M.  Ie  prince,  sans  aucun  sujet  legitime  (I), 
s'en  separa  sans  prendre  conge  de  lui ,  mareha 
deux  jours  vers  Ie  Mein  sans  s'arreter,  et  on 
n'eiit  plus  aucune  nouvelle  de  lui.  C'est  un 
homrae  nourri  dans  la  guerre  ,  accoutume  aux 
grands  commandemens  ,  assez  glorieux  et  inte- 
resse,  et  qui  veut  que  toutes  choses  dependent 
si  fort  de  lui ,  qu'il  s'accommode  difficilement 
avec  ses  superieurs ,  et  tend  toujours  a  se  sepa- 
rer.  Au  reste ,  c'est  une  personne  qui  a  de 
grands  talens  pour  la  guerre ,  et  qui  a  servi 
tres-dignement  la  couronne  de  Suede.  M.  de 
Turenne  ne  pent  que  se  louer  de  la  facon  dont 
il  en  usa avec  lui,  en  recevant  ses  ordres,  avant 
que  M.  Ie  prince  fiit  arrive, 

(1)  Le  vicomtc  cache  toujours  les  faules  dcs  aulrcs 
on  relevant  les  sicnnes.  (A.  E.) 


Apies  son  depart,  les  Hessiens  demeurans 
avec  nous,  on  mareha  a  Rottembourg  sur  le 
Tauber,  ou  Ton  sejourna  quelques  jours.  M.  de 
Merci  se  retira  plus  avant  dans  le  pays  vers 
Dinkespuhel,  oil  il  laissa  trois  ou  quatre  cens 
hommes,  et  se  campa  a  trois  ou  quatre  lieues 
de  la,  derriere  des  bois,  Peu  de  jours  apres , 
I'armee  du  Roi  arriva  aupres  de  Dinkespuhel , 
et  forma  le  desseiu  de  I'atttaquer ;  on  fit  avan- 
cer  des  mousquetaires  dans  dcs  maisons  rui- 
nees,  et  Ton  y  ouvrit  quelque  tranchee  ;  naais 
avant  minuit  un  officier  prisonnier,  qui  s'etoit 
sauve  de  I'armee  de  Raviere  ,  vint  avertir  M.  de 
Turenne  que  M.  de  Merci,  crojant  que  I'armee 
du  Roi  s'attacheroit  au  siege  de  Dinkespuhel , 
marchoit  toute  !a  nuit ,  et  etoit  a  deux  heures 
de  la ,  derriere  les  bois.  M.  de  Turenne  alia 
promptement  en  avertir  M.  d'Enghien ,  qui 
resolut  de  laisser  tout  le  bagage  avec  deux  ou 
trois  regimens  de  cavalerie,  et  de  partir  inconti- 
nent avec  toute  I'armee,  pour  suivreM.  de  Merci. 

On  partit  a  une  heure  apres  minuit :  M.  de 
Turenne  avoit  I'avant-garde  ,  et  on  traversa  un 
bois  ;  M.  d'Enghien  y  etoit  et  avoit  laisse  M.  le 
raarechal  de  Gramont  avec  son  armee  a  lar- 
riere-garde.  En  sortantdu  bois,  lejour  etoit  deja 
assez  grand  pour  voir  une  petite  troupe  des 
Ravarois  ,  et  peu  de  temps  apres ,  en  la  pous- 
sant ,  on  decouvrit  quelques  escadrons  enne- 
mis ,  lesquels ,  ayant  vu  la  tete  de  notre  avant- 
garde,  se  relirerent  en  diligence  vers  le  corps 
de  leur  armee,  dont  ces  troupes  etoient  I'a- 
vant-garde :  de  sorte  que ,  si  Ton  ne  fut  pas 
parti  de  trop  bonne  heure,  on  les  eut  trouves 
dans  la  marche,  et  par  consequent  en  fort  mau- 
vaise  posture.  lis  s'arreterent  derriere  plusieurs 
etangs ,  se  mirent  aussitot  en  bataille ,  et  ayant 
place  leur  canon ,  commencerent  a  faire  des 
travaux  a  leur  tete  et  a  se  retrancher. 

L'armee  du  Roi  se  mit  aussi  en  bataille  au 
sortir  du  bois,  mais  elle  ne  put  aller  a  eux  que 
par  des  defiles.  On  fit  avancer  le  canon  qui 
les  incommoda  assez;  mais  le  leur,  qui  etoit 
deja  place,  nous  fit  beaucoup  plus  de  mal.  La 
journee  se  passa  toute- entiere  a  se  canonuer  de 
part  et  d'autre  avec  assez  de  perte.  Le  lende- 
main ,  deux  heures  devant  le  jour,  nous  nous 
retir^mes  par  Ie  merae  chemin  par  lequel  nous 
etions  venus  :  c'etoit  par  un  defile  dans  le  bois. 
L'ennemi  ne  suivit  qu'avec  quelque  cavalerie, 
et  il  n'y  eut  qu'une  escarmouche,  quoiqu'il  y 
eut  un  temps  auquel  il  eut  pu  defaire  une  partie 
de  notre  arriere-garde.  On  repassa  done  le  bois 
et  on  alia  joindre  le  bagage  aupres  de  Dinkes- 
puhel ,  ou  Ton  campa ;  mais  ne  jugeant  pas  a 
propos  de  s'arreter  a  une  si  petite  place ,  on  re- 


MKAIOIHES    nil    VICOMTE     Dli    TliRK^IVR.     [  I  Glo] 


solut  de  marcher  a  Nordlingen  ,  et  cl'y  aniver 
avant  reunemi ,  ce  qui  etoit  fort  aise.  Le  leu- 
demaiu  I'armee  partit  de  bonne  heure  et ,  ayant 
marche  deux  ou  trois  heures,  arriva  vers  les 
neuf  heures  du  matin  dans  la  plaine ,  assez  pro- 
che  de  IVordlingen  ;  n'y  \oyant  rien  paroitre , 
on  resolut  de  faire  halteavec  queique  intention 
d'y  camper,  mais  pas  encore  avec  ordre  de  de- 
charger  le  bagage  ni  de  tendre  les  tentes. 
Comme  M.  de  Turenne  s'avanca  dans  la  plaine 
avec  une  petite  garde,  et  que  M.  le  prince  alia 
aussi  se  promener  fort  pres  de  la  avec  nn  autre, 
iltombasur  un  parti  allemand  qui  rodoit,  et 
eramena  deux  ou  trois  prisonniers  qui  dirent 
que  i'armee  de  I'ennemi  passoit  un  ruisseau  a 
une  heure  de  la  pour  s'approcher  de  Nordlin- 
gen,  M.  de  Turenne  joignit  promptement  M.  le 
prince ,  et  ayant  appris  qu'il  n'y  avoit  point  de 
ruisseau  entre  le  lieu  ou  I'ennemi  passoit  et  ce- 
lui  oil  Ton  etoit,  on  envoya  a  I'armee  pour  or- 
donner  que  personne  ne  s'ecartat.  M.  le  prince 
et  M.  de  Turenne  s'avancerent  encore  avec  pen 
de  gens  pour  reconnoitre  et  apprendre  plus  cer- 
tainement  ce  que  faisoit  I'ennemi  et  s'il  conti- 
nuoit  sa  marche.  La  plaine  est  si  raze  et  s'e- 
tend  si  loin  que  Ton  ne  craignoit  pas  de  s'a- 
vancer  avec  peu  de  gens. 

M.  de  Merci,  qui  commandoit  I'armee  de 
Baviere,  a  laquelle  s'etoit  joint  un  corps  de  six 
ou  sept  mille  hommes  de  I'Empereur ,  com- 
raande  par  le  general  Gleen  ,  etant  arrive  sur  le 
bord  d'un  ruisseau  a  neuf  heures  du  matin  ,  et 
jugeant,  comme  il  etoit  vrai ,  que  I'armee  du 
Roi  etoit  campee  aupres  de  Nordlingen  que 
nous  voulions  assieger,  crut  qu'en  passant  ce 
ruisseau  sans  bagage  il  pourroit ,  avec  siirete  , 
s'approcher  de  Nordlingen ,  a  cause  des  mon- 
tagnes  et  des  avantages  qu'il  pouvoit  prendre 
avec  son  armee  ;  il  se  persuada  aussi  qu'on  ne 
I'attaqueroit  point  ce  jour-la,  et  qu'ainsi  il 
auroit  le  temps  de  se  retraneher  :  ce  qu'il  etoit 
accoutume  de  faire  en  grande  diligence,  n'ayant 
ordinairement  a  la  suite  de  son  armee  d'autres 
charriots  que  ceux  de  munition  de  guerre  et 
ceux  dans  lesquels  etoient  les  outils.  II  conti- 
nua  done  sa  route  et  se  posta  a  trois  ou  quatre 
cens  pas  du  ruisseau,  sur  une  montagne  (1)  qui, 
a  I'endroit  oil  il  I'abordoit,  etoit  assez  haute, 
mais  qui  descendoit  insensiblement  vers  un 
village  {•!).  Pour  se  servir  du  lieu  selon  la  force 
de  son  armee  et  la  situation  du  terrain  ,  il  com- 
menca  a  ranger  son  aile  droite,  composee  d'un 

(1)  Montagne  de  Vineberg. 

(2)  Le  village  se  nommc  Allerheim. 


393 

corps  de  lE;upereur  et  de  quelques-unes  de  ses 
troupes  ,  depuis  I'endroit  de  la  montagne  qui 
approche  le  plus  du  ruisseau  jusqu'au  village, 
ayant  deux  regimens  d'infanterie  et  son  canon 
au  lieu  oil  commencoit  son  aile  droite.  Dans 
I'endroit  oil  I'aile  droite  finissoit ,  I'infanterie 
s'etendoit  en  bataille  derriere  le  village,  et ,  dans 
Taction  combattit  presque  toute  pour  le  defen- 
dre;  mais  au  commencement  il  ne  fut  occupe 
que  par  quelques  mousquetaires  commandes 
dans  I'eglise  et  au  clocher.  Ensuite  de  I'infan- 
terie qui  etoit  sur  deux  lignes  de  meme  que  la 
cavalerie,  I'aile  gauche,  composee  de  la  cavalerie, 
de  Baviere,  et  commandee  parM.  Jean  de  Wert, 
finissoit  vers  un  petit  chateau  un  peu  eleve  (3) 
autour  duquel  il  y  avoit  de  linfaoterie  qui  fer- 
moit  la  gauche  de  I'armee ,  de  meme  que  ces 
deux  regimens  d'infanterie  fermoient  la  droite. 
L'espace  entre  le  village  et  le  chateau  etoit  une 
plaine  oil  sepouvoient  bien  tenir  douzeou  treize 
escadrons.  C'est  en  cet  ordre  que  se  mit  M.  de 
Merci,  tant  pour  combattre  que  pour  camper 
si  on  n'etoit  pas  venu  a  lui. 

M.  le  prince,  ayant  vu  que  i'armee  de  I'en- 
nemi passoit  le  ruisseau  ,  manda  aux  troupes  de 
se  tenir  pretes  a  marcher,  et  etant  confirme, 
par  les  partis  et  par  sa  vue  meme,  que  Tennemi 
ne  s'eloigneroit  pas  trop  de  vouloir  combattre , 
il  passa  I'endroit  derriere  lequel  il  avoit  un 
grand  avantage,  et  manda  a  toute  I'armee  de 
marcher.  Sur  le  midi ,  I'armee  s'avanca  dans 
cette  grande  plaine  ,  et  vers  les  quatre  heures 
du  soir  on  vint  en  presence  :  il  fallut  assez  de 
tems  pour  s'etendre  et  se  mettre  en  etat  de  com- 
battre. Ce  village  qui  etoit  devant  I'armee  en- 
nemie  donnoit  avec  raison  differentespensees,ou 
de  I'attaquer,  ou  de  marcher  vers  les  deux  ailes 
avec  la  cavalerie  seulemeut ;  mais  comme  la 
chose  n'est  pas  assez  sure  d'attaquer  des  ailes 
sans  pousser  en  meme  temps  I'infanterie  qui  est 
au  milieu  ,  ou  ne  jugea  pas  a  propos  ,  queique 
difficulte  qu'il  y  eiit  a  attaquer  le  village  ,  d'al- 
ier  au  combat  avec  la  cavalerie  sans  que  I'in- 
fanterie marchat  de  meme  front  :  et  comme  ie 
village  etoit  plus  de  quatre  cens  pas  plus  a\  ance 
que  le  lieu  ou  etoit  leur  armee ,  on  crut  qu'ii 
falloit  faire  halte  avec  les  deux  aiies  pendant 
que  I'infanterie  combattroit  pour  emporter  les 
premieres  maisons  de  ce  village  et  s'en  rendre 
maitre ,  ou  du  moins  d'une  partie.  Pour  cet 
effet,  on  fit  avancer  le  canon,  afin  qu'on  ne  fut 
pas  endommage  de  celui  de  I'ennemi  sans  I'in- 


(3)  PulTendorf  el  tous  les  autresdiscnt  que  le  chateau 
etait  sur  une  hauteur  ou  colline,  nomniec  la  colline 
d'Allerheim. 


:ut 


JliC.MOUiiiS    Dll    VICOMTE    DK     ILUEiNMi.       1045 


commoder  avec  le  notre ;  mais  comme  celui 
qui  est  place  a  beaucoup  d'avantage  sur  eeux 
qui  marchent  ,  a  cause  qu'il  faut  toujours  atle- 
ler  les  chevaux  pour  avancer,  ce  qui  fait  perdre 
beaucoup  de  temps ,  celui  de  rennerai  incom- 
modoit  plus  qu'il  ne  recevolt  de  dommage. 

En  cette  disposition,  I'infanterie  de  Tarmee  du 
Roi  marcha  droit  au  village;  I'aile  droite  etant 
opposee  a  I'aile  gauche  de  I'ennemi  dans  la 
plaine  ,  et  I'aile  gauche  a  la  droite  de  I'ennemi 
qui  etoit  sur  cette  montagne,  laquelle  descendoit 
insensiblement  au  village.  L'infanterie  trouva 
assez  peu  de  resistance  aux  premieres  maisons ; 
raais  quand  elle  entra  plus  avant,  trois  ou  quatre 
regimens  de  Tennemi  (  dont  une  partie  occupoit 
le  cimetiere  et  I'eglise,  et  I'autre  avoit  perce  les 
maisons)  firent  un  si  grand  fm  ,  qu'elle  s'arreta 
tout  court  et  commenca  a  plier ;  on  la  se- 
conda  d'autres  regimens ,  et  M.  de  Merci,  qui 
etoit  derriere  le  village ,  fit  soutenir  la  sienne 
par  d'autres  corps  :  ainsi  le  combat  devint  fort 
opiniatre ,  avec  beaucoup  de  perte  de  part  et 
d'autre,  mais  moins  de  celle  de  Tennemi ,  a 
cause  qu'il  etoit  loge  dans  les  maisons  percees  ; 
et  meme  pendant  que  sa  premiere  ligne  combat- 
toit  dans  le  village  ,  la  seconde  travailloit  sur  la 
hauteur.  Ces  expediens  ne  reussirent  point , 
raais  ils  montrent  beaucoup  d'habilete  et  de 
sang  froid  dans  le  general.  M.  le  prince  vint 
souvent  dans  le  village,  y  eut  deux  chevaux 
blesses  sous  lui  et  plusieurs  coups  dans  ses  ha- 
bits. II  laissa  M.  le  marechal  de  Grammont  a 
I'aile  droite  de  sa  cavalerie.  M.  de  Turenne  fai- 
soit  aussi  ce  qu'il  pouvoit  pour  faire  avancer 
l'infanterie  qui  etoit  dans  le  village  proche  de 
son  aile.  M.  de  Bellenave,  marechal-de-camp 
de  son  armee,  y  fut  tue  ;  M.  de  Castelnau,  ma- 
rechal-de-bataille  ,  dans  celle  de  M.  le  prince  , 
fut  tres  -  dangereuseraent  blesse  ,  aussi  bien 
qu'un  tres-grand  norabre  d'officiers.  Dans  le 
fort ,  et  sur  la  fin  de  ce  combat ,  M.  de  Merci , 
general  de  I'armee  de  Baviere ,  recut  un  coup 
de  mousquet  dont  11  mourut  sur  le  champ  ,  et 
je  crois  que  quand  I'aile  gauche  de  I'ennemi , 
que  commandoit  Jean  deWert,  avanca  contre  la 
cavalerie  de  M.  le  prince  ,  qu'on  ne  scavoit  pas 
sa  mort :  le  combat  ayant  dure  plus  d'une  heure 
dans  le  village  ,  ou  quelques  escadrons  etoient 
employes  pour  seconder  l'infanterie,  I'aile  gau- 
che de  I'ennemi  commenca  a  marcher. 

On  a  souvent  dit  qu'il  y  avoit  eu  quelques 
fautes  en  passant  quelques  fosses  qu'il  y  avoit 
entre  les  ailes ,  mais  je  ne  trouve  pas  cela  con- 
siderable ,  ear  toute  I'aile  droite  de  I'armee  du 
Uoi  etoit  en  bataille  et  voyoit  devant  elie  celle 
de  reniicmi,  laquelle,  en  venant  au  petit  pas  au 


combat,  ne  trouva  pas  grande  resistance.  Quoi- 
que  M.  le  marechal  de  Grammont  y  fit  tout  ee 
qui  se  pouvoit ,  il  fut  fait  prisonnier ,  n'ayant 
pu  faire  le  devoir  a  la  seconde  ligne  non  plus 
qu'a  la  premiere. 

M.  le  prince,  qui  etoit  fort  proche  du  village, 
passa  a  I'aile  de  M.  de  Turenne,  lequel ,  voyant 
que  I'attaque  du  village  ne  reussissoit  point , 
et  que  la  cavalerie  de  I'aile  gauche  de  I'ennemi 
marchoit  a  la  cavalerie  francoise ,  s'avanca  avec 
son  aile  vers  la  montagne ,  et  ayant  parte  un 
instant  avec  M.  le  prince  ,  il  lui  dit  que  s'il 
lui  plaisoit  de  le  soutenir  avec  quelques  esca- 
drons de  la  seconde  ligne  et  les  Hessiens  ,  qu'il 
marchoit  pour  alier  a  la  charge  ;  M.  le  prince 
y  ayant  consenti,  M.  de  Turenne  continua  de 
monter  la  montagne  a  la  tete  du  regiment  de 
Flextein.  Etant  a  cent  pas  de  I'ennemi ,  il  vit  en 
se  tournant  que  toute  la  cavalerie  francoise  et 
l'infanterie  qui  avoit  ete  poussee  du  village, 
etoit  entierement  mise  en  deroute  dans  la 
plaine. 

Comme  M.  de  Turenne  continuoit  k  monter 
la  montagne  avec  huit  ou  neuf  escadrons  de 
front ,  l'infanterie  que  I'ennemi  avoit  aux  deux 
extremites  de  I'aile  fit  une  decharge ,  et  le 
canon  eut  loisir  de  faire  trois  ou  quatre  de- 
charges  ,  les  premieres  a  balle ,  et  la  der- 
nieie  avec  des  cartouches,  dont  le  cheval  de 
M.  Turenne  fut  blesse ,  et  il  en  eut  un  coup 
dans  sa  cuirasse  ,  et  une  partie  des  officiers  du 
regiment  de  Flextein,  et  le  colonel  meme,  fu- 
rent  blesses  avant  que  de  venir  a  la  charge 
contre  un  regiment  de  cavalerie  qui  etoit  de- 
vant lui.  Cela  n'empecha  pas  que  toute  I'aile, 
etant  marchee  d'un  front ,  ne  renvers^t  toute  la 
premiere  ligne  de  I'ennemi  avec  plus  ou  moins 
de  resistance  de  quelques  escadrons;  et  la  se- 
conde ligne  de  I'ennemi  soutenant  la  premiere 
qui  etoit  renversee,  le  combat  fut  fort  opiniatre: 
on  n'avoit  qu'un  escadron  ou  deux  dans  la  se- 
conde ligne ,  et  les  Hessiens  qui  etoient  a  la 
reserve  etoient  un  peu  loin  :  cela  fut  cause 
que  Ton  fut  un  peu  pousse  ,  mais  sans  deroute; 
car  les  escadrons  etoient  toujours  en  ordre  ,  et 
meme  quelques-uns  avoient  de  I'avantage  sur 
ceux  de  I'ennemi ;  mais  leur  grand  nombre 
I'emportoit. 

Les  Hessiens  arriverent,  et  M.  le  prince  a 
leur  tete  agissoit  avec  autant  de  courage  que  de 
prudence.  La  cavalerie  weymarienne,  voyant 
les  Hessiens  approcher,  se  rallia,  et  on  chargea 
tout  d'un  temps  tout  le  corps  de  la  cavalerie 
ennemie  qui  s'etoit  mis  sur  une  seUle  ligne ; 
on  la  rompit ,  tout  le  canon  qui  etoit  sur  cette 
montagne  fut  pris,  et  les  regimens  d'infanterio 


MKiMOIUfcS    bli    VICOMTK    UE    Tl.'RE?(NE.    [l(H')] 


3U.» 


qui  ^toient  avec  I'aile  droite  furent  defaits  ,  et 
le  general  de  I'armee  de  I'Empereur  ,  nomme 
Gleen  ,  pris. 

D'ua  autre  cote ,  toute  la  eavalerie  de  M.  le 
prince  ,  premiere  et  seconde  lignes,  et  meme  sa 
reserve  comraandee  par  le  chevalier  de  Chabot, 
et  toute  rinfanterie  qui  s'en  etoit  fuie  dans  la 
plaine  etant  chassee  du  village ,  fut  entiere- 
ment  defaite  :  Jean  de  Wert  laissa  suivre  la 
vietoire  de  ce  c6te-la  par  deux  regimens ,  qui 
pousserent  nos  troupes  deux  lieues  jusqu'au  ba- 
gage,  et  revinrent  pour  seconder  son  aile  droite, 
ou  pour  arreter  la  deroute.  Si  au  lieu  de  retour- 
ner  par  le  meme  endroit,  en  laissant  le  village 
a  main  gauche ,  ils  eussent  marche  dans  la 
plaine  droit  a  la  eavalerie  weymarienne  et  hes- 
sienne,  Ton  n'auroit  pas  ete  en  etat  de  faire  au- 
cune  resistance,  et  le  desordre  se  seroit  mis 
tres-facilement  dans  notre  aile  gauche  ainsi  en- 
veloppee. 

Comme  la  eavalerie  de  M.  de  Wert  coramenca 
a  reveuir  derriere  le  village  ,  le  soleii  etoit  deja 
couche,  et  la  nuitvenant  incontinent  apres,  les 
deux  ailes,qui  avoient  battu  c-e  qui  etoit  devant 
eux  ,  demeurerent  en  bataille  Tune  devant  I'au- 
tre ;  et  comme  la  eavalerie  de  I'armee  du  Roi 
etoit  un  peu  plus  avancee  que  le  village,  quel- 
ques  regimens  de  I'ennemi ,  qui  etoient  dans  le 
cimetiere  et  dans  I  eglise,  se  rendirent  a  M,  de 
Turenne,  et  sortirent  de  la  sans  armes  a  I'entree 
delanuit,  sans  scavoir  que  leurs  troupes  n'e- 
toient  pas  a  cinq  cens  pas  de  la. 

La  eavalerie  demeura  une  partie  de  la  nuit 
fort  proche  I'une  de  I'autre  dans  la  plaine ,  les 
gardes  avancees  de  part  et  d'autre  n'etant  pas  a 
einquante  pas  I'une  de  I'autre.  A  une  heure  apres 


(1)  Turenne  rendit  compte  a  sa  soeur  de  la  fameuse 
bataille  de  Nordlingue,  par  la  letlre  suivante  : 

«  Ma  chere  soeur,  jevousdirai,  avant  loutes  nouvelles, 
que  je  ne  vous  crois  aucunement  chang(5e  pour  m'avoir 
fait  des  r^primendes ,  et  je  vous  jure  que,  quand  je  suis 
negligent  a  vous  ^crire ,  c'est  I'assurance  enliere  que  j'ai 
que  vous  m'aimerez  loujours  sans  pouvoir  changer. 

»  On  donna  avant-hier,  pres  de  Nordlingue,  la  plus 
grande  bataille  qui  se  soil  vue  depuis  la  guerre.  La  ea- 
valerie fran^oise  avoit  la  droite,  et  moi  la  gauche  avec 
ma  eavalerie.  La  droite  a  et^  entierement  defaite , 
comme  aussi  Tinranterie  francoise;  nous  avons  eu, 
Dieu  merci ,  plus  de  bonheur  k  la  gauche ,  et  y  avons 
gagn6  le  champ  de  bataille,  pris  presque  tout  le  canon 
des  ennemis,  et  Gl^en,  qui  commandoit  Taile  droite 
des  Bavarois ,  y  a  6te  fait  prisonnier  ;  M.  le  due ,  par  le 
plus  grand  bonheur  du  monde,  apres  avoir  eu  deux 
chevaux  tu^s  sous  lui ,  et  un  peu  bless(5  au  bras,  s'en 
Vint  du  c6t6  ou  j'^lois  un  peu  devant  que  le  c6t(5  oil  il 
avoit  r(5solu  de  se  tenir  fiit  rompu.  II  l^moigne  etre  assez 
salisfait  de  ce  que  j'ai  fait  en  cette  occasion.  Vous  sgau- 
rez  par  les  relations  tous  ceux  qui  sent  morls  et  prison- 


minuit  I'armee  des  ennemis  commenca  a  se  re- 
tirer,  n'en  ayant  pas  plus  de  raison  que  celle  du 
Roi ,  si  ce  n'est  qu'ils  avoient  perdu  leur  gene- 
ral; on  n'entendit  pas  beaucoup  de  bruit,  car 
ils  n'avoient  pas  de  bagage  :  je  crois  qu'ils 
n'emmenerent  que  quatre  pelites  pieces  de  ca- 
non; tout  le  reste,  qui  etoit  douze  ou  quinze, 
demeura  sur  le  champ  de  bataille.  A  la  pointe 
du  jour  on  ne  vit  plus  personne  ,  et  on  scut  que 
les  ennemis  s'etoient  retires  vers  Donawert, 
petite  ville  ou  il  y  a  un  pont  sur  le  Danube  a 
quatie  heures  de  la.  M.  de  Turenne  les  poursui- 
vit  jusqu'a  ia  vue  de  Donawert ,  avec  deux  ou 
trois  mille  chevaux. 

L'armee  du  Roi  y  eut  toute  son  aile  droite 
battue  et  toute  son  infanterie  entierement  mise 
en  confusion  ,  hors  trois  bataillons  hessiens  qui 
etoient  a  la  reserve  ;  et  je  crois  qu'il  y  eut  bien 
trois  a  quatre  mille  hommes  de  pied  tues  sur  la 
place.  De  I'armee  de  I'ennemi,  toute  I'aile  droite 
fut  battue ,  trois  ou  quatre  regimens  d'infante- 
rie,  qui  etoient  meles  avec  elle,  defaits,  deux 
qui  se  rendirent  dans  reglise,  beaucoup  de  gens 
tues  dans  le  village ,  et  presque  tout  son  canon 
pris.  Pour  parler  de  la  perte  des  hommes  ,  je 
crois  que  celle  que  fit  I'armee  du  Roi  fut  plus 
grande  que  celle  de  I'ennemi.  M.  le  marechal  de 
Grammont  fut  pris  d'un  cote,  et  le  general 
Gleen  de  I'autre,  et  un  tres-grand  nombre  d'of- 
ficlers  et  beaucoup  d'etendarts;  notre  eavalerie 
allemandedes  vieux  corps  fit  tres-bien  ,  comme 
aussi  les  regimens  de  Duras  etde  Traci  (i). 

On  fut  quelques  jours  sans  pouvoir  mettre 
ensemble  plus  de  douze  ou  quinze  cens  hommes 
de  pied  de  toute  I'infanterie  francoise.  Apres 
avoir  demeureun  jour  ou  deux  aupresde  Nort- 

niers.  On  a  eu  nouvelle  de  M.  le  marechal  de  Gram- 
mont, que  les  ennemis  ont  mene  en  Baviere,  oil  leur 
armee  s'est  retirde ,  c'est-a-dire  sur  le  Danube ,  apres 
avoir  quitt^  le  champ  de  bataille.  Pour  leur  perte,  elle 
a  ^te  plus  grande  que  la  notre  ,  quoique  I'armee  fran- 
coise ait  ^t^  entierement  repouss^e ;  je  suis  bien  assure 
que  Ton  ne  dira  pas  autrcment  a  Paris ,  que  la  eavalerie 
allemande  n'ait  entierement  gagn6  la  bataille.  M.  le  due 
m'a  fait  la-dessus  plus  de  complimens  devant  toute  I'ar- 
mde  que  je  ne  scaurois  vous  dire,  ni  aussi  exprimer  ce 
qu'il  a  fait  en  cetie  occasion  de  sa  personne,  et  de  cceur 
ct  de  conduile.  J'avois  quatre  bataillons  d'infanterie  , 
deux  que  commandoit  M.  de  Chabot  pour  soutenir 
I'armee  de  M.  le  due  ,  et  deux  autres  aupres  de  son  in- 
fanterie; mais  la  eavalerie  francoise,  en  s'enfuyant ,  a 
emport^  tout  ccla,  de  sorle  qu'il  n'est  rest(5  que  la  ea- 
valerie allemande  et  les  Hessiens.  M.  le  due  ne  scauroii 
assez  se  louer  des  Allemands ,  et  en  effet  il  leur  a  obli- 
gation de  la  vie  et  de  la  libert(i.  II  n'est  pas  croyable 
comme  il  me  fait  I'honneur  de  bien  vivre  avec  moi ;  je 
vous  supplie  de  l(:-moigner  a  madame  la  princesse  et  k 
madamc  de  Longueville  combicn  je  lui  en  suis  oblige. 
»  Au  camp  de  Nordlingue  ,  ce  8  aoul  ICi.J.  » 


sno 


MF.MOIKES    Dli    VICOMTE    l)E    TUBEMXE.    |IG-15| 


liiigen ,  M.  Ic  prince,  scachanl  que  les  bour- 
geois y  etoient  ies  plus  forts  et  que  I'ennemi  n'y 
avoitque  quatre  cens  homines,  resohit  de  I'atta- 
quer;  les  habitans  de  laville  demanderent  a  ca- 
pituler  des  la  premiere  nuit;  mais  je  croisqu'on 
retint  leurs  armes.  On  demeura  sept  ou  huit 
jours  a  Nortlingen  ,  qui  est  une  assez  grande 
et  bonne  ville,  ou  Ton  se  raccommoda  beau- 
coup  :  on  y  trouva  des  armes,  assez  de  chevaux 
pour  les  equipages  ,  des  barnois  et  beaucoup  de 
medicamens  pour  les  blesses.  Apres  y  avoir 
laisse  une  fort  petite  garnison,  on  alia  attaquer 
Dinkespuhel ,  qui  ne  se  defendit  que  trois  jours. 
Quand  on  vouloit  se  rapprocher  du  Neckre  et 
du  Rhin  a  cause  de  Tetat  de  Tarmee ,  et  pour 
pouvoir  toucher  quelque  argent ,  M.  le  Prince 
tomba  malade  aupres  de  Dinkespuhel ,  et  suivit 
la  marchede  I'armeejusqu'aupres  de  Hailbron, 
d'ou  on  lui  donna  de  la  cavalerie  pour  I'emme- 
ner  a  Philisbourg  ,  ou  it  fut  fort  malade;  il 
s'en  retourna  de  la  en  France ,  laissanl   M.  le 


(1)  Le  plcin  pouvoir  donne  a  Turenne  (1643)  pour 
commander  en  Allemagne  ,  etaitainsi  confu  : 

«  Louis,  par  la  grace  de  Dieu,  Roy  de  Fr.ince  et  de 
Navarre,  a  lous  ceu\  qui  ccs  prdsentes  lettres  veiront,  sa- 
lut.  Apres  la  perte  sensible  que  nous  avons  I'aicte  de  la 
personne  de  noslre  tres-cher  et  ame  cousin,  le  comte  de 
Guebriant,  mar^chal  de  France,  nostre  lieutenant-ge- 
neral en  noslre  aim(5c  d'Allemagne,  qui  est  dec{5dd 
d'une  blessure  quil  a  receue  en  prenant  la  place  de 
de  Rotwil,  et  de  qui  la  vaieur  et  la  reputation  avoient 
beaucoup  contribu(^  aux  succes  de  nos  amies  en  Alle- 
magne, nous  avons  consid^re  qu'il  n'y  avoit  rien  de 
plus  important  a  nostre  service  et  a  cet  Estat,  que  de 
remplacer  lecommandement  de  Tarmeedune  personne 
qui  eust  toutcs  ics  qualites  necessaires  pour  se  bien  ac- 
quittcr  d'une  charge  dont  les  fonctions  regardent  non 
seulement  I'advantuge  el  le  repos  de  cet  Estal ,  mais  ce- 
luy  de  toute  la  chrestiennele  etde  la  cause  commune, 
pour  laquelle  nous  souslenons  la  guerre  dcpuis  si  long- 
temps  avcc  nos  allies  conlre  les  ennemis  de  cette  cou- 
ronne  et  les  leurs;  et  ayantjelt6   ies  yeu.v  sur  divers 
subjects  pour  en   clioisir  un  qui  fust  capable  d'un  em- 
ploy de  cede  consequence  ,  nous  avons  eslim6  ne  pou- 
voir faire  un  plus  digne  choix  que  nostre  tres-cher  et 
bien-am(5  cousin  le  vicomte  de  Turenne  ,  mar(5chal  de 
France,  de  qui  la  naissance  relevce  et  les  belles  et  g^- 
n^reuses   actions    qu'il  a  faicies  dans    Ies  principaux 
commandemens  que  le  feu  Roy,  mon  tres-honore  sei- 
gneur et  pere ,  de  gloi  ieuse  memoirc ,  que  Dieu  absolve, 
luy  a  di verses  fois  donnes  sur  ses  arm(5es,  dedans  et 
dehors  le  Royaiiine,  I'ont  faict  beaucoup  consid(5rer  a 
nous,  I'ont  faict  jugcr  ni^cessaire  a  cette  rharge  ,  ayant 
faict  cognoistre  sa  vaieur,   prudence,  experience   au 
faict  de  la  guerre  ,  vigilance  el  hsureuse  conduicte  dans 
I'  Allemagne ,  es  batailles  qui  y  out  et6  donndes  par  nos 
arm(''es ,  soubs  ic  conmiandement  de  nostre  tres-cher 
cousin  le  due  de  Saxe-de-Weymar,  devant  el  depuis  la 
prise  (h;  Brisac ,   a  laquelle  il  a  beaucoup  conlribue, 
agissant  aiors  (.'ans  un  corps  dc  nos  troupes  soubs  nos- 
tredit  cousin  ,  ou  il  s'est  acquis  une  parliculiere  cr('ance 
enire  les  principaux  chefs  el  olllciers  qui  sont  encore  a 
prj'sont    employe's  en  ladite  arm6e  ,  ct  depuis  dans  le 


marechal  de  Gramraont  pour  commander  son 
armee,  laquelle  demeura  jointe  avec  celle  d'Al- 
lemagne que  commandoit  M.  de  Turenne  (I). 
lis  se  camperent  aupres  d'Hailbron  :  comme 
I'ennemi  y  avoit  mille  hommes  de  garnison,  et 
qu'il  y  avoit  jette  encore  quelqu'infanterie,  Ton 
ne  se  crut  pas  en  etat  de  rassieger,  et  on  de- 
meura autour  de  la  place  huit  ou  dix  jours  pour 
attendre  quelques  convois  de  Philisbourg  et  de 
i'argent.  Quand  ces  convois  furent  arrives,  ou 
avanca  avec  I'armee  par  la  comte  de  Hohenloe 
jusqu'a  Suabeschal ,  a  dessein  d'y  attendre  I'hi- 
ver  et  de  prendre  des  quartiers  dans  la  Souabe, 
en  poussant  I'armee  de  Baviere  au-dela  du  Da- 
nube. L'armee  de  I'ennemi  se  lenoit  assez  pres 
du  Danube  au  commencement;  mais  un  peu 
apres  elle  vint  camper  a  cinq  ou  six  heures  de 
I'armee  du  Roi ,  pour  empecher  les  fourages. 
On  demeura  douze  ou  quinze  jours  en  cette 
disposition ,  jusques  assez  avant  dans  le  mois 
d'octobre. 


commandement  de  nos  armies ,  en  Lorraine ,  Espagne 
et  Italic  ,  et  a  tousjours  monslrd  une  fld61it6  el  affection 
singuliere  a  nostre  service ,  sfavoir  faisons ,  que  nous  , 
pour  ces  causes  el  autres  considerations,  a  ce  nous 
niouvanl,  de  I'advis  de  la  Reyne  regente,  nostre  tres- 
honoree  dame  et  mere ,  nous  avons  nostredit  cousin  ,  le 
marechal  de  Turenne  ,  faict ,  constitud  et  esiabli ,  fai- 
sons, consliluons  et  establissons,  par  ces  patenles  si- 
gn^es  de  nostre  main,   nostre  lieutenant-general,  re- 
presenlant  nostre  personne  en  nostredite  armee  d'Alle- 
magne; et  ladile  charge  luy  avons  donnee  et  octroyee, 
donnons  el  oclroyons,  avec  pleins  pouvoirs  de  comman- 
der aux  gens  de  guerre ,  aulant  de  cheval  que  de  pied , 
frangois  et  estrangers ,  dont  elle  est  ou  sera  cy-apres 
composee;  icelle  exploicler  ainsy  que  nostredit  cousin 
verra  estre  a  propos  pour  le  faict  de  nos  intentions; 
faire  vivre  lesdicls  gens  de  guerre  en  bon  ordre  .  disci- 
pline el  police;  en  faire  faire  les  monstres  et  revues  par 
les  commissaires   et  connoisseurs    ordinaires  de  nos 
guerres  ,  suivant  nos  Eslats;  et  en  leur  absence,  y  en 
commettre  d'extruordinaires;  commander  aux  ofliciers 
de  I'artillerie,  des  vivres  de  nostredite  armee,  et,  avec 
les  forces  d'icelle ,  assieger  el  faire  battre  les  villes, 
places  et  chateaux  qui  refluseront  de  nous  obeir ;  donncr 
assauls,  les  prendre  a  telle  composition  qu'il  advisera  ; 
s'opposer  par  la  force  aux  entreprises  qu'il  estimera 
estre  au  prejudice  de  nostre  service  ou  contraires  a  nos 
intentions;  livrer battailles,  rencontres,  escarmouches, 
et  faire  tous  autres  actes  et  exploits  de  guerre  que  be- 
soin  sera;  faire  punir  et  chastier  Ics  transgresseurs  dc 
nos  ordonnances  selon  la  rigueur  d'icclles;  ordonner  des 
payemens  desdits  gens  de  guerre  et  autres  despenses  de 
nostredite  armee,  suivant  nos  Eslats  et  Ies  fonds  que 
nous  onlonnerons  a  cet  effect;  en  expedier  les  ordon- 
nances necessaires,  lesquelles  nous  avons  des  a  present 
validees  et  auctorisees,  validons  et  auctorisons  par  ces 
|)resentes ;  comme  aussy  commander  aux  gouverneurs 
dc  Brisac  et  autres  places  tenues  par  nos  armees  en 
Allemagne ,  el  a  leurs  lieutenans  et  autres  qui  y  auront 
commandcmcnl  en  leur  absence ,  et  a  toutcs  nos  trou- 
pes qui  sont  et  scront  cy-ajires  en  garnison    es  dites 
places,  et  dans  Irs  pays,  villes,  places  ct  chasteaux  qui 


MEMOIBES    DU    VICOMTE    1)K    TL'llEMNE.    [I645J 


Les  Suedois  avoient  gagne  au  commence- 
ment de  la  campagne  la  bataille  de  Tabor,  et 
avoient  ensuite  assiege  Brin.  lis  y  trouverent 
une  si  grande  resistance,  qu'ils  y  ruinerent  leur 
armce  et  furent  contraints  de  se  separer  de 
Ragotski  (1),  prince  de  Transylvanie,  qui  etoit 
venu  a  leur  secours ,  et  avcc  Tassistance  duqucl 
ils  n'avoient  pu  reussir  a  la  prise  de  la  place. 
Le  siege  de  Brin ,  assez  proche  de  Vienne,  avoit 
oblige  Tarniee  de  I'Empereur  de  couvrir  ses 
pays  hereditaires  ;  mais  quand  le  siege  fut  leve, 
I'armee  des  Suedois  se  retira  vers  la  Silesie  pour 
se  rafraichir.  Ce  fut  cu  ce  temps  que  M.  de  Ba- 
viere ,  voyant  que  I'armee  du  Roi  avancoit  vers 
le  commencement  de  Phiver  en  Allemagne,  et 
craignant  qu'elle  n'y  prit  ses  quarliers  ,  envoya 
demander  du  secours  a  I'Empereur,  le  mena- 
cant  de  s'accorder  avec  le  Roi  s'il  ne  lui  en- 
voyoit  piomptemeut  un  renfort  considerable. 
M.  r'archiduc  parlit  avec  six  ou  sept  mille  che- 
vaux  et  quelques  dragons ,  ne  menant  point 
d'infanterie  a  cause  de  la  longueur  du  chemin 
et  de  la  diligence  qu'il  vouloit  faire;  et  se  cou- 
vrant  du  Danube  qu'il  laissoit  a  sa  main  droite, 
il  vint  a  grandes  journees  a  Donavert. 


sont  et  seront  cy-apres  soubs  iiostre  domination  cl  pro- 
tection audit  pays;  leur  ordoiincr  ce  qu'ils  auront  a 
faire  pour  nostre  service,  mcsnie  de  fouinir  Ics  ca- 
nons ,  poudres  et  auties  munitions  de  guerre  dont  nos- 
Iredit  cousin  pourra  avoir  besoin  pour  Tempioy  de  nos- 
tredile  armee ,  a  la  reserve  de  ce  qui  sera  necessaire 
pour  la  seuret^  des  places ;  et  g^neraiement  faire  ,  com- 
mander et  ordonner  en  toutes  les  choses  susdites ,  tout 
ainsy  que  nous-mesme  ferions ,  ou  faire  pourrions,  si 
nous  en  personne  y  cstions,  jafoit  que  le  cas  re- 
quist  mandement  plus  special  qu'il  n'est  contenu  en 
cette  prdsente.  Si  doHnons  en  mandement  a  lous  niar(5- 
chaux-de-camp,  colonels,  tant  de  cavalerie  que  d'in- 
fanterie ,  franrois  ou  estrangers ,  licutenans  et  autres 
ofliciers  de  lartillerie  ,  g(^n^raux  des  vivres ,  ou  commis 
a  I'excrcice  de  leurs  cliarges ,  cappitaines ,  chefs  et  corn- 
mandans  de  nos  gens  de  guerre,  de  quelque  nation 
qu'ils  soyent ,  tant  a  la  campagne  que  dans  les  garni- 
sons ,  et  tons  autres  nos  ofliciers  et  subjects  qu'il  appar- 
tiendra,  de  connoistre  nostredit  cousin  en  ladite  quality 
de  nostre  lieutenant-g(?neral,  comme  nostre  personne, 
car  tel  est  nostre  plaisir :  en  lesmoing  de  quoy  nous 
avons  faict  mettre  nostre  seel  a  cesdites  patentes.  Donn6 
a  Paris,  le  3  d(^cembre  mil  six  cens  quarante-trois,  et 
de  nostre  regne  le  premier.  » 

(1)  II  se  separa  desSu(^dois ,  fit  la  paix  avec  I'Empe- 
reur, et  se  retira  dans  la  Hongrie ,  selon  PufTendorf,  De 
rebus  Suecicis. 

(■2)  Le  Roi  (^crivit  au  mardchal  de  Turenne  «sur  les 
advis  que  Ton  a  eus  que  les  ennemis  veulent  entre- 
prendre  sur  Piiilisbourg ,  et  pour  luy  ordonner  de 
pourvoir  a  la  seurel^  de  ladite  place ,  »  le  19  ddcembre 
I6i5  : 

«  Mon  cousin ,  ayant  eu  advis  certain  que  les  ennemis 
fortiffient  leurs  garnisons  d'Eilbron  ,  d'Eilderberg  et 
autres  places  de  ces  quartiers-la  ,  a  dessein  d'entrepren- 
dre  sur  Philishnnrg  pendant  les  glaces;  qu'ils  out  mis 


397 

L'armee  du  Roi  etoit  toujours  campee  aupres 
de  Suabeschal ,  et  on  apprit ,  par  un  officier  qui 
sortoit  de  prison,  qu'il  venoit  un  corps  conside- 
rable de  l'armee  de  I'Empereur  joindre  ceile  de 
Baviere  :  ce  qui  obligea  M.  de  Turenne  de  con- 
venir  avec  M.  le  marechal  de  Gramont  qu'il 
failoit  se  retirer  vers  le  Neckre ,  et  de  la  vers 
le  Rhin.  Quelques  beures  apres  ,  le  meme  bruit 
fut  confirme  par  quelque  cavalerie  qui  etoit  a 
Dinkespuhel  :  ce  qui  hata  encore  davantage  la 
marche.  On  decampa  quatre  heures  avant  la 
nuit,  cinq  ou  six  heures  apres  avoir  fail  partir 
le  bagage ;  on  marcha  par  la  comte  de  Hohen- 
loe  vers  le  Neckre ,  vis-a-vis  de  Vimpfen ,  oil 
Ton  avoit  laisse  garnison  depuis  sa  prise;  et 
quoique  la  riviere  ne  fut  presque  pas  gueable , 
en  une  nuit  et  un  jour  on  passa  avec  toute  l'ar- 
mee a  la  nage  ,  la  cavalerie  portant  I'infanterie 
en  croupe;  le  grand  front,  rompant  I'eau ,  la 
rendoit  moins  rapide,  quoique  profondc.   On 
perdit  quelque  bagage  ,  mais  pen  de  soldafs ,  et 
on  se  trouva  pres  de  Vimpfen.  Comme  on  crai- 
gnoit  que  I'ennemi  ne  passat  a  Haiibron  et  ne 
rencontrat  l'armee  du  Roi  dans  sa  marche  ,  on 
se  hata  de  gagner  Phiiisbourg  (2). 

Bamberg,  qui  a  csle  cy-devant  gouverneur  de  ladite 
place,  en  liberty,  pour  servir  a  cette  entreprise  par  le 
moyen  de  la  parfaicte  cognoissance  qu'il  a  des  defl'aults 
de  sa  fortification  ;  bicn  que  je  croye  que ,  par  vostre  vi- 
gilance ,  vous  aurez  aussi  este  adverty  des  mesmes  cho- 
ses ,  et  que  vous  ne  manquerez  pas  de  prevenir  les  in- 
conveniens  qui  en  pourroient  arriver,  ndantmoins,  la 
conservation  de  cette  place  csiant  de  la  consequence  que 
vous  sfavez  mieux  que  personne ,  ct  voulant  ne  ricn 
obmettre  pour  I'asseurcr,  je  vous  faicts  cette  despeche 
par  ce  courrier  expres  ,  pour  vous  dire,  par  i'advis  de 
la  Reine  r^'gente,  madame  ma  mere,  qu'encores  que 
j'aye  subject  d'avoir  toute  confiance  au  sieur  de  Court, 
qui  commande  a  present  dans  la  place  en  I'absence  du 
sieur  d'Espenan  ,  en  qualitc  de  lieutenant  au  gouverne- 
ment  d'icelle,  toutesfois  ,  comme  il  importe  en  ces  oc- 
casions que  ceux  qui  commandent  dans  les  places  ayent 
grande  auctorit^  et  enhance  avcc  les  gens  de  guerre  ,  et 
que  le  nom  seul  d'un  homme  est  capable  d'empecher 
mesme  que  Ton  ne  pense  a  I'attaquer,  je  desire  que,  si 
vous  jugez  qu'il  soil  necessaire  de  mettre  une  personne 
en  ladite  place,  qui  y  commando  par-dessus  ledit  sieur  de 
Court,  a  cause  de  I'absence  dudit  sieur  d'Espenan, 
vous  choisissiez  pour  cela  celuy  que  vous  adviserez  ,  et 
I'establissiez  audit  commandement,  selon  I'auctorite  que 
vous  en  avez,  luy  donnant  vos  ordres  bien  particuliers  sur 
tout  ce  qu'il  aura  a  faire  pour  la  garde  de  ladite  place  , 
et  vous  servant ,  a  cette  fin  ,  de  la  lettrc  particuliere  el 
expresse  que  je  vous  adresse  ,  pour  cette  fin  ,  pour  ledit 
sieur  de  Court ;  laquelle  ,  autremeut ,  vous  supprimerez, 
et  luy  ordonnerez  de  s'employer  de  telle  sorte  a  la  garde 
de  ladite  place  .  que  vous  jugiez  qu'il  ne  sera  pas  besoin 
d'y  suppleer  par  la  presence  ny  par  les  soins  d'un  autre, 
luy  prescrivant  bien  express(?ment  tout  ce  qu'il  aura  a 
faire,  et  observant  en  cela  de  pr^ferer  la  conservation  de 
Phiiisbourg  a  toute  autre  consideration; 
»  Qu'outre  I'infanterie  qui  est  prescntement  en  ladite 


Jean  de  Wert ,  qui  avoit  passe  k  Hailbron 
avec  un  corps  de  cavalerie,  n'osant  pasattaquer 
Tarmee,  quoiqu'elle  marehat  avec  une  assez 
longue  file,  elle  arriva  sous  Philisbourg  oil  elle 
sejourna  deux  jours.  Comme  il  n'y  avoit  point 
encore  de  batteaux  pour  faire  un  pont  sur  le 
Rhin ,  M.  de  Turenne ,  croyant  qu'il  n'y  avoit 
que  le  corps  de  cavalerie  de  M.  de  Wert  qui 
eut  passe  le  Neckre ,  et  que  le  reste  de  I'armee 
de  1  Empereur  et  de  Baviere  ne  s'avanceroit 
point  quand  ils  scauroient  I'armee  du  Roi  sous 
Philisbourg,  dit  a  M.  le  marechal  deGramont, 
que  I'on  pouvoit  aller  vers  Grabow ,  a  deux 
beures  de  la  ,  et  qu'il  esperoit  prendre  encore 
ses  quartiers  sans  repasser  le  Rhin.  M.  le  mare- 
chal de  Gramont  y  consentit,  ne  voulant  point 
faire  aucune  difficulte  sur  ce  qui  faciliteroit  les 
moyens  d'hiverner  en  Allemagne,  et  merae 
voulant  toujours  laisser  a  M.  de  Turenne  ,  en 
s'en  retournant,  les  troupes  du  corps  de  M.  le 
prince  qu'il  lui  demanderoit :  ainsi  on  marcha 
sans  repasser  le  Rhin  vers  Grabow,  a  deux 
heures  de  Philisbourg;  et  ayant  sejourne  un 
jour  entier,  on  apprit  vers  le  soir  que  toute 
I'armee  de  I'ennemi  marchoit  vers  Philisbourg. 
Comme  il  n'y  avoit  que  ce  passage-la  pour  aller 
repasser  le  Rhin,  on  partit  a  I'entree  de  la  nuit ; 
et  comme  a  la  pointe  du  jour  I'arriere-garde  de 
I'armee  du  Roi  approchoit  de  Philisbourg ,  on 
vit  I'avant-garde  de  I'ennemi  arriver  dans  la 
plaine ,  a  une  demie-heure  de  la  place.  On  res- 
place,  vous  y  en  mcttiez  tol  nombre  que  vous  estimerez 
n^cessaire  pour  la  tenir  dans  une  etitiere  seuret^;  et  si 
vous  jugez  que  pour  la  mieux  maintenir  il  faille  la  rele- 
ver  de  temps  en  temps,  vous  y  donniez:  I'ordre  que  vous 
trouverez  bon; 

»  Que  vous  fassiez  entrer  dans  la  place  ce  qui  reste 
des  compagnics  de  cavallerie  du  sieur  d'Espenan  ,  et  si 
vous  voyez  qu'il  y  faille  davantage  de  gens  de  cheval , 
vous  y  en  envoyiez  de  tel  corps  de  I'armee  que  vous  ad- 
viserez ,  et  les  fassiez  aussi  relever  si  vous  le  croyez  n^- 
cessaire; 

»  Que  pour  faire  loger  commod^menf  en  ladite  place 
rinfanteiie  et  mcsme  la  cavallerie,  en  sorle  qu'elles  ne 
d^p^rissent  point ,  vous  fassiez  accommoder  le  logement 
ainsi  qu'il  conviendra,  et  y  fassiez  employer  le  foods  de 
six  mil  livres  que  j'envoyeau  sieur  de  Vautorte  a  cette 
fin; 

»Que,  pour  I'entretenemcnt  de  la  cavallerie  dudit  sieur 
d'Espenan,  je  mande  audit  sieur  de  Vautorte  d'y  faire 
employer  ce  qu'il  conviendra  des  deniers  qui  provien- 
dront  des  contributions  du  pays  au-dela  du  Rhin,  el  que, 
«'il  ne  suffisoit,  il  y  satisfasse  par  le  moyen  des  fonds  que 
je  luy  ay  envoy^s,  luy  ayant  faict  tenir  par  le  retour  du 
sieur....  {sic)  ce  qu'il  fault  pour  la  solde  et  prest  de 
Jadite  garnison  pendant  les  quatre  premiers  mois  de 
I'ann^e  prochaine,  sur  le  pied  de  mil  homnies  d'infanle- 
tie,  sans  que  cela  vous  oblige  a  rc^duire  ladite  garnison 
audit  nombre  de  mil  hommes,  desirant  que  vous  la  ren- 
diez  aussi  forte  (piil  sera  bcsoin  pour  asseurer  la  place 
e'nlieromenl;  el  si  \o»is  y  envoyez  i)lus  de  gens  que  lodil 


>1F.M0IUKS    DU    MCOMIL;    de    TLiUEN.NE.     [104.5] 


serra  en  merae  temps  toute  I'armee  entre  la  place 
et  le  Rhin  ,  et  on  commenca  a  s'y  retrancher. 

M.  I'archiduc,  avec  ce  corps  de  I'Empereur 
et  toute  I'armee  de  Baviere  ,  se  campa  a  une 
demie-heure  de  la  place,  ou  il  demeura  deux 
jours  ,  pendant  lesquels  on  fit  venir  des  bat- 
teaux de  Spire ;  mais  n'en  ayant  pas  la  quantite 
qu'il  falloit  pour  faire  un  pont,  on  ne  fit  passer 
que  la  cavalerie  et  le  bagage  a  la  faveur  du  re- 
tranchement  et  du  canon  de  la  place  :  ce  que 
voyant  I'armee  de  I'ennemi,  il  marcha  vers 
Virapfen ,  ou  on  avoit  laisse  M.  de  Rochepaire 
avec  six  cens  hommes  et  le  gros  canon  de  I'ar- 
mee. M.  de  Turenne ,  qui  etoit  demeure  sous 
Philisbourg  avec  toute  son  infanterle  et  un 
pen  de  cavalerie ,  fit  faire  un  pont  sitot  que 
la  quantite  de  batteaux  necessaire  fut  venue  , 
raanda  promptement  a  sa  cavalerie  de  revenir 
a  Philisbourg ,  et  supplia  M.  le  marechal  de 
Gramont,  qui  etoit  alle  a  Landau,  de  lui  en- 
voyer  ce  qu'il  y  avoit  de  Francois  de  cavale- 
rie :  ce  qu'il  lit;  mais  il  ne  vint  pas  plus  de 
cinq  cens  chevaux  de  la  cavalerie  allemande  , 
une  partie  ayant  refuse  a  leurs  officiers  de  mar- 
cher. Ainsi  le  dessein  ne  put  pas  reussir  :  sans 
cet  accident  on  eut  defait  toute  I'infanterie  de 
I'ennemi,  qui  prit  Vimpfen  en  sept  ou  huit 
jours  par  composition,  et  se  retira  ensuite  dans 
ses  quartiers. 

Les  deux  armees  de  I'Empereur  et  de  Baviere 
s'etant   separees,  M.    de  Turenne  repassa  le 

nombre  de  mil  hommes ,  ledit  sieur  de  Vautorte  fera 
payer  tous  les  pr^sens  et  effectifs  par  le  moyen  desdits 
fonds ,  et  sur  les  advis  qu'il  donnera  de  la  dcspense  qui 
aura  dt^  faicte  desdits  fonds ,  il  sera  incontinent  rem- 
placd; 

»  Que,  comme  ledit  sieur  d'Espenan  a  rcnda  divers 
bons  tcsmoignages  de  la  personne  du  sergent-major  dc 
place,  j'ai  trouve  bon  de  luy  donner  une  commission 
pour  y  commander,  eneasquil  vint  a  arriver  faulte  du- 
dit sieur  de  Court,  laquelle  Je  remetsa  vous  de  lui  don- 
ner si  vous  I'estimez  a  propos; 

»  Que,  s'il  y  avoit  d'autres  choses  a  faire  en  ladite  place 
pour  ne  la  laisser  en  aucun  pdril,  vous  y  pourvoyiez  en 
sorte  qu'il  n'y  manque  rien,  et  queje  puisse  scavoir,  par 
le  retour  dc  ce  courrier,  qye  j'en  doibsestre  avec  la  Royne 
regente,  madite  dame  et  mere,  dans  un  parfaitrepos; 

»  Que  le  vieomte  de  Corral  ayant  reprdsenteS  que  la 
garnison  qui  est  dans  Mayence  est  beaucoup  en  des- 
soubs  du  nombre  qu'il  doibt  y  avoir,  vous  y  ayez  esgard 
et  y  pourvoyiez  effectivement  selon  que  vous  cognoistrez 
qu'il  en  sera  besoin,  comme  aussi  que  vous  preniez  soin 
que  toules  les  places  de  ces  quartiers-la  soyent  garddes  , 
munies  de  toutes  choses  et  en  I'estat  convenable  pour  n'y 
apprdhender  aucune  surprise :  de  quoy  me  reposant  sur 
vos  soins  accoustumds  et  sur  vostre  affection  a  mon  ser- 
vice, je  n'adjouslerai  rien  a  cette  lettre,  que  pour  prier 
Dieu  qu'il  vous  ait ,  mon  cousin  ,  en  sa  sainle  et  digne 
garde. 

»  Escril  a  Paris,  le  li>  decembre  Ifiij. » 


mf:moihi:s   uii  vicomte  de  T^RE^^^: 


Rhin ;  il  ne  erut  pas  a  propos  de  chatier  les  re- 
gimens allemands,  tous  les  corps  etant  cou- 
pables;  et  aussi  il  est  certain  que  quand  il  leur 
envoya  I'ordre  de  revenir  sur  le  Rhin  ,  il  ne  les 
en  croyoit  pas  si  eloignes  qu'etoit  le  lieu  ou  ses 
ordres  les  trouverent.  M.  le  marechal  de  Gra- 
mont  s'en  retourna  en  France  avec  toute  I'ar- 
rnee  de  M.  le  prince;  et  M.  de  Turenne  ,  sea- 
chant  que  I'arraee  de  Flandre  etoit  fort  occu- 
pee  ,  et  qu'il  n'y  avoit  point  de  troupes  dans  le 
Luxembourg,  resolut,  dans  le  mois  de  noverabre, 
d'aller  a  Treves,  scachant  qu'il  y  avoit  fort  peu 
de  garnison  :  n'ayant  pas  pu  mener  plus  de 
quinze  cens  hommes  de  pied  et  toute  la  cavale- 
rie ,  il  ecrivit  a  M.  le  cardinal  pour  le  supplier 
de  lui  envoyer  quelques  regimens  de  I'armeede 
M.  le  prince,  qui  etoit  aupres  de  Metz  :  ce  qu'il 
fit;  mais  il  ne  se  trouva  pas  plus  de  sept  ou 
huit  cens  fantassins  qui  pouvoient  marcher.  On 
fit  aussi  transporter  par  le  Hundstruck  deux  ou 
trois  pieces  de  canon  avec  beaucoup  de  peine. 
M.  de  Turenne ,  apres  avoir  fait  avertir  M.  I'E- 
lecteur  de  Treves,  qui  etoit  a  Coblentz ,  de  se 
rendre  a  Treves ,  s'approcha  de  la  place ,  et 
I'ayant  investie  du  cote  de  Luxembourg  par  un 
corps  de  cavalerie,  elle  se  rendit  la  seconde 
nuit  de  I'ouverture  de  la  tranchee. 

[  M.  de  Turenne  ecrivit  au  cardinal  Mazarin 
la  lettre  suivante ,  a  ce  sujet  : 

«  Je  recus  hier  au  soir  la  lettre  qu'il  a  pleu  a 
Vostre  Eminence  me  faire  I'honneur  de  m'ecrire 
par  le  sieur  Grotius  ;  j'eusse  envoye  quelqu'un 
vers  Vostre  Eminence,  sur  le  subject  des  quar- 
tyers  ,  si  ce  n'est  que  M.  d'Auteville  ,  qui  vient 
de  Munster  et  s'en  va  a  la  cour,  portera  celle- 
cy  a  Vostre  Eminence,  et  le  sieur  de  Paris  me 
fera  scavoir  ce  qu'il  a  pleu  a  Vostre  Eminence 
de  resoudre  la-dessus. 

»  Depuis  la  prise  de  Treves,  je  passay  avec 
quelques  regimens  de  cavalerie  etquelque  infan- 
terie  commandee  sur  le  pont ,  et  envoyai  M.  Du 
Passage  a  une  petite  ville  nommee  Grevemaker, 
qui  est  sur  laMozelle  ,  la  seule  que  les  ennemis 
y  avoient  entre  Metz  et  Coblentz,  qu'il  prist 
apres  qu'elle  eust  souffert  quelques  coups  de  ca- 
non ;  on  a  fait  prendre  party  a  quatre-vingts 
hommes  qui  estoient  dedans.  Dans  ce  temps-la, 
trois  ou  quatre  cens  chevaux  qu'ils  out  dans  le 
Luxembourg   entrerent  dans  un  quartyer  ou 
j'avois  trois  regimens ,  dont  ils  furent  aussitot 
chassez  par  les  mesmes  regimens ,  qui  n'y  ont 
perdu  qu'un  cavalier  tue  et  deux  prisonniers, 
et  deux  lieutenans-colonels  de  tuez;  les  Cravat- 
tes  y  ont   perdu  deux  ou  trois  officiers ,  et  se 
retirerent  comme  cela  dans  un  bois. 

■  Je  mo  suis   donne  Thonncur  de  mander  a 


[•645]  30') 

Vostre  Excellence  comme  je  ne  puis  pas  laisser 
des  regimens  en  dela  de  la  Mozelle,  estant  au- 
tantqu'ilz  y  seroient  enlevez ,  et  d'y  passer  avec 
toute  I'armee ;  en  I'estat  qu'elle  est ,  on  y  rece- 
vroit  un  affront ,  la  cavalerye  n'estant  point  en 
estat  d'agir  qu'elle  ne  soit  commandee. 

»  Je  crois  que  Vostre  Eminence  juge  bien  que, 
parce  qu'elle  afaitcette  campagne,  elle  ne  peust 
qu'estreen  tres-mauvais  estat,  aprez  avoir  re- 
passe  le  Rhin,  et  il  y  a  des  regimens  qui  n'ont 
point  trouve  de  foing  qu'aupres  de  Treves,  et 
ce  temps  la  a  dure  quinze  jours  ;  et  hors  du  grain 
que  les  cavaliers  vont  achepter  tres-cherement 
par  leur  chevauche ,  je  ne  crois  pas  que  j'en 
eusse  amene  un  seul  a  Treves. 

»  La  Mozelle  estant  presque  toute  a  M.  I'E- 
lecteur  de  Treves,  et  voyant  comme  Vostre  Emi- 
nence a  intention  qu'il  soit  bien  traitte  ,  on  n'a 
pas  pu  luy  refuser  de  ne  loger  personne  sur  ses 
terres.  Son  pays  fournira  dix  mille  escus  pour 
entretenir,  durant  Thyver,  un  regiment  sur  la 
Mozelle;  j'y  ay  aussi  mis  un  regiment  de  cava- 
lerie dans  quelques  terres  qui  ne  luy  appartien- 
nent  pas  ;  je  pretends  faire  entretenir  deux  regi- 
mens d'infanterie  a  M.  de  Darmstadt  :  ce  sera 
une  petite  guerre  qu'il  faudra  faire  pour  I'y  es- 
tablir ,  et  un  regiment  nouveau  est  ruine  avant 
que  d'estre  establi. 

»  Quand  je  maude  a  Vostre  Eminence  qu'on 
ne  pent  faire  venir  un  regiment  dans  un  pays, 
c'est  qu'il  n'y  a  pas  de  quoy  faire  subsister  qua- 
tre hommes ;  je  la  supplie  done  tres-humblement 
que,  si  elle  ne  pent  pas  donnerles  quartyers  et 
I'argent  quiseroit  necessaire,  de  vouloir  plus- 
tost  retirer,  des  quatre  regimens, deux,  qui  se- 
roient Beauveau  ,  Ossonville  et  mesme  Tracy. 
En  casque  M.  de  Tracy  ne  s'en  voulust  pas  def- 
faire  entre  les  mains  de  mon  nepveu,  et  qu'il  ne 
revintplus,  j'ay  et  je  garderai  seuleraent  huict 
ou  dix  regimens  d'infanterie:  cela  estant ,  Vos- 
tre Eminence  pourroit  ne  me  rien  donner  du 
Barrols ,  en  se  logeant  cet  hy ver  dans  la  Lor- 
raine :  ce  qu'il  est  impossible  de  faire  autrement 
pour  conserver  les  regimens.  On  pourroit  I'an- 
nee  qui  vient ,  au-dela  du  Rhin  ou  au  pays  de 
Luxembourg  et  Cologne,  se  mettre  en  sorte  qu'il 
n'y  auroit  plus  de  quartyers  en  Lorraine. 

» Ayant  laisse  presque  tout  mon  equipage  a 
Bingnen ,  mon  chiffre  y  est  demeure.  Parce 
qu'il  plaist  a  Vostre  Eminence  me  dire ,  touchanfe 
M.  de  Marsin  ,  sur  le  gouvernement,  je  vols  k 
peu  pres  quelle  est  I'intention  de  Vostre  Emi- 
nence, laquelle,  comme  elle  saura  particuliere- 
raent  I'estat  de  Treves,  jugera  si,  dans  I'estat 
present,  un  gouvernement  avec  une  grande  gar- 
nison pourroit  s'accommoder  avec  I'intention  de 


400 


MEMOlKfiS    DU    VICOMTE 


M.  I'Electeur,  et  vivre  comme  en  neutralite 
avec  I'Empereur,  lequel  a  bien  offert  de  se  reti- 
rer  a  Metz,  si  le  Roy  vouloit  mettre  beaucoup 
de  gens  dans  sa  place;  mais  comme  son  resta- 
blissement  dans  sa  place  fera  uu  bon  effect  par 
le  bon  traittement  qu'il  auroit ,  s'il  avoit  bon 
subject  de  se  plaindre,  cela  en  feroit  nn  tout 
contraire,  faisant  voir  a  toutlemonde  qu'ayant 
moyen  de  la  contester,  on  luy  donne  du  de- 
goust. 

>.  II  n'entre  la  dedans  qu'un  lieutenant-colo- 
nel allemand,  qui  s'est  trouve  auprez  de  moy, 
de  sorte  que  quand  Vostre  Eminence  jugera  a 
propos  qu'il  y  ayt  quelque  changement ,  ii  sera 
aise  de  le  retirer  et  y  mettre  celuy  dont  je  crois 
que  Vostre  Eminence  me  parle. 

»  M.  I'Electeur  de  Treves  a  desja  cscript  pour 
Armenstin,  et  celuy  de  Cologne  tesmoygne 
consentir  a  la  reddition  de  cette  place  :  cela  est 
de  telle  consequence  aux  ennemis,  que  je  ne 
doubte  point  qu'ilz  ne  trainent  cette  affaire  en 
longueur. 

»  M.  d'Auteville  s'estoittrouve  au  commen- 
cement que  M.  I'Electeur  ari'iva ,  et  a  servy 
avec  beaucoup  d'intelligence  en  toutes  les  cho- 
ses  qu'il  y  a  eues  a  faire  auprez  de  luy. 

»  Ensuitte  de  ce  que  Vostre  Eminence  parle 
de  M.  le  marquis  de  Pomas,  je  croys  que  cequi 
est  enchiffreesttouchantM.  d'Oquincourt;  elle 
scait  bien  que,suivant  queje  luyay  escript,  c'est 
nnepersonne  que  j'eslime  beaucoup  ,  et  quand 
il  plaira  a  la  Heine  de  luy  donner  un  employ, 
J'auray  joye  de  servir  avec  luy,  et  ne  doubte 
pas  qu'il  n'y  reussisse  fort  bien  ,  et  je  I'assiste- 
ray  en  tout  ce  qui  dependra  de  moy. 

"  J'envoye  a  Vostre  Eminence  le  traicte  qui 
a  este  faict  avec  M.  I'Electeur  de  Treves,  sous 
le  bon  plaisir  de  Sa  Majeste ,  et  supplie  tres- 
bumblement  Vostre  Eminence  queje  puisse  avoir 
resolution  pour  les  quartyers,  I'asseurant  que 
si  je  savois  un  pays  a  pouvoir  demeurer  quelque 
temps,  je  serois  bien  aise  d'en  laisser  un  pen 
couler ;  et  comme  il  me  semble  que  les  ennemis 
se  resolvent  tons  a  tourner  contre  M.  de  Tar- 
tenson  ,  ruinant  autant  qu'ilz  peuvent  a  quinze 
et  vingt  lieues  du  Khin,  et  croyant  avoir  qua- 
trc  ou  cinq  moys  de  temps  a  agir  contre  luy,  en 
se  mettant  dans  les  quartyers,  et  se  raccommo- 
dant  deux  moys,  on  pourroit  apres  cela  trouver 
un  lieu  oil  Ton  feroit  une  grande  diveision  etou 
on  ne  manqueroit  pas  tout-a-fait  de  fourage. 

>'  M.  de  Vautorte  est  arrive  depuis  sept  jours  et 
ne  bougera  plus  d'un  moys.  M.  I'Electeur  de 
Treves  est  fort  satisfait  de  sa  negociation,  et  je 
croys  qu'il  servira  tres-utilemcnt  dans  cetto  ar- 
niee. 


DE    TUREN^E.    [1645] 

»  Avant  que  Ton  sceust  que  la  Reine  vouloit 
faire  un  present  a  M.  I'Electeur,  il  avoit  pro- 
mis  de  faire  donner  par  son  pais  dix  mille  escus 
pour  ayder  a  I'entretien  d'un  regiment  pendant 
Ihyver,  de  sorte  qu'il  n'est  pas,  ce  me  semble, 
a  propos  de  luy  en  donner  dans  ce  temps  que 
Ton  fait  donner  du  sien  ;  mais  comme,  par  un 
discours  qu'il  a  fait  a M.  de  Vautorte,  du  Roy 
Francois  premier ,  qui  a  donne  un  buffet  de 
vermeil  dore  a  un  electeur  de  Treves ,  pour 
le  remercier  de  sa  voix  pour  I'Empire,  a  tes- 
moigne  qu'il  auroit  fort  agreable  quelque  pre- 
sent comme  cela,  ne  se  servant  a  cette  heure 
que  de  vaisselle  d'etain,  je  crois  que  Vostre  Emi- 
nence trouvera  aussi  a  propos  de  convertir  un 
argent  qu'on  lui  veult  donner  en  quelque  pre- 
sent; et  comme  ilne  pent  soiiffrir  que  de  I'in- 
commodite  destrouppes  que  je  commande,  j'o- 
serois  supplier  Vostre  Eminence  que  j'eusse  or- 
dre  de  luy  faire  les  gratifications  que  Ton  voudra 
a  la  cour ;  je  ne  me  suis  engage  d'obtenir  pour 
luy  quoy  que  ce,  soit. 

» II  desiroit  aussi  fort  d'avoir  le  droict  de 
souverainete ,  ou  plustost  de  franc-alleu  sur 
trois  villages  de  Lorraine,  dont  il  est  parle  au 
memoire  que  vous  porte  M,  d'Auteville.  C'est, 
Monseigneur  ,  vostre  tres  -  bumble  et  tres- 
obeissant  serviteur. 

»  1645. 

»  TUREINNE. 

"Depuis  ma  lettre  escrite,  M.  d'Auteville 
estant  prest  de  partyr  en  ne  m'ayant  point  mons- 
tre  les  demandes  que  faisoit  M.  I'Electeur  de 
Treves ,  je  les  luy  ay  demandees  ,  et  ay  un  pen 
trouve  mauvais  de  quoy  il  ne  me  les  faisoit  point 
voir  et  partoit  sans  me  les  monstrer,  M.  I'Elec- 
teur de  Treves,  croyant  qu'il  me  les  avoit  com- 
muniquees.  M.  de  Vautorte  en  a  este  aussi  scan- 
dalise. Ce  n'est  qu'un  manque  dans  la  forme, 
car  il  n'y  a  pas  chose  de  consequence  a  vouloir 
cacher.  Cela  faict  queje  croys  que  M.  d'Aute- 
ville part  un  peu  chagrin  ,  voyant  bien  qu'il  a 
manque,  ce  queje  luy  ay  tesmoigne;  de  sorte 
(|u'afin  que  ces  affaires-la  soient  conduittes 
par  une  Sicule  personne,je crois  qu'il  est  a  pro- 
pos que  Vostre  Eminence  la  cominette  (si  elle  le 
trouve  ainsy  bon)  a  M.  de  Vautorte,  et  qu'il 
pourra  aisement  venir  le  trouver  quand  il  aura 
quelque  chose  de  presse. 

»  Outre  que  j'avois  desja  commence  d'en 
user  de  la  facon ,  je  continueray  a  faire  toutes 
les  choses  qui  pourront  donner  de  la  satisfac- 
tion a  M.  I'Electeur  de  Treves."  ] 

[1646]  M.  de  Turenne  remit  M.  TElecleur  a 
Tieves,  et  y  sejourna  sept  ou  huit  jours;  il  fit 


MEMOir.ES    1)U    MCOMTE     1)E    TUUE^^E.    [l(i4(j] 


10  ( 


faire  un  reduit  aiipres  du  pont  ou  il  laissa  cinq 
cens  hommes  ;  doima  dcs  quartiers  le  long  de  la 
Moselle,  et  retourna  sur  le  Rhin  au  chateau  d'O- 
bervesel,  devant  lequel  il  avoit  laisse  M.  Du  Tot, 
marechal-de-camp ;  apres  ud  assez  long  blocus , 
ce  chateau  se  rendit;  toute  I'armee  ayant  ete 
distribuee  le  long  du  Rhin  et  de  la  Moselle ,  et 
quelque  cavalerie  envoyee  en  Lorraine ,  M.  de 
Turenne  retourna  au  commencenaent  de  fevrier 
a  la  cour. 

M.  le  cardinal  Mazarin  etoit  alors  maitre  des 
affaires  :  le  Roi  etoit  fort  jeune  ,.et  la  Reine 
mere  avoit  une  entiere  confiance  en  M.  le  car- 
dinal. Corame  M.  de  Turenne  etoit  fort  bien 
avec  lui,  il  approuvoitpresque  tons  ses  projets 
de  campagne ,  et  principalement  dans  une  guerre 
eloignee  de  la  cour  comme  celle  d'Allemagne. 
Ainsi  il  avoit  trouve  bon  que  M.  de  Turenne 
concertat  avec  M.  Tartenson ,  general  des 
Suedois  ,  que  les  armees  de  France  et  de  Suede 
se  joignissent  au  commencement  de  la  prochaine 
campagne ,  pour  remedier  aux  inconveniens  que 
Texperience  avoit  appris  etre  presque  infailli- 
bles  pendant  ieur  separation.  Les  deux  armees 
agissant  toujours  separement,  I'une  vers  les 
pays  hereditaires ,  et  I'autre  le  long  du  Rhin  , 
ou  dans  le  cercle  de  Souahe,rarraee  de  I'Empe- 
reur  et  celle  de  Baviere  etant  au  milieu ,  eu- 
voyoient  des  secours  contre  celle  qui  les  pres- 
soit  le  plus ,  et  rendoient  presque  infruclueux 
tous  les  avantages  que  Ton  avoit  par  des  com- 
bats. Comme  le  fruit  principal  que  Ton  peut 
tirer  des  victoires  est  de  gagner  un  pays  pour 
avoir  des  quartiers ,  et  d'augmenter  son  armee 
en  diminuaut  celle  de  I'ennemi ,  qui  avec  unpeu 
de  patience  se  mine  peu  a  peu  ,  on  ne  pouvoit 
pas  tirer  ce  fruit,  parce  que  le  renfort  que  les 
armees  ennemies  se  renvoyoient  mutuellement 
faisoit  perdre  tous  ces  avantages ,  au  lieu  que 
i'armee  de  France  et  de  Suede,  se  joignant,  pou- 
voient  se  concerter  de  maniere  a  ne  so  stparer 
plus ,  que  suivant  les  mouvemens  des  armees  op- 
posees ,  et  dans  une  distance  a  pouvoir  se  re- 
joindrequand  celles  des  ennemis  se  mettroient 
ensemble.  Ainsi  M.  de  Turenne  concerta  avec 
M .  Tartenson ,  que,  vers  le  mois  de  mai,  il  vien- 
droit  avec  Tarmeesuedoisedansla  Hesse,  et  que 
I'armee  du  Roi ,  passant  le  Rhin  au-dessous  de 
Mayence ,  se  joindroit  vers  la  comte  de  Nassau. 

L'incommodite  de  la  goutte  et  une  longue  in- 
disposition obligerent  M.  Tartenson  a  se  reti- 
rer  en  Suede  ,  apres  avoir  acquis,  dcpuis  la  raort 
de  M.  Banier,  toute  la  reputation  qu'un  grand 
homme  peut  avoir  par  le  gainde  diversesbatail- 
les  ,  par  la  ruine  d'unc  grande  armee  ennemie 
qu'il  reduisit  a  rien  ,  et  par  une  estime  g<^nerale 

III.  C.    1).    M.,  T.     111. 


de  prudence ,  de  cceur  et  d'habilete  :  il  laissa  le 
commandement  de  I'armee  a  M.  \\^raiigel,qui, 
ayant  passe  une  partie  de  I'hiver  a  prendre  quel- 
ques  petites  places  vers  la  Westphalie ,  se  trouva 
en  Hesse  au  commencement  du  printcmps. 

M.  de  Turenne  demeura  six  semaines  a  la 
cour;  M.  de  Bouillon  ,  son  frere,  etoit  a  Rome, 
et  ses  affaires  n'etant  pas  encore  ajustees  ,  M.  le 
cardinal  offrit  a  M.  de  Turenne  le  duche  de 
Chateau-Thierri,  qui  devoitentrer  dansl'echange 
de  Sedan ,  en  I'assurant  que  son  acceptation  ne 
nuiroit  pas  aux  affaires  de  monsieur  son  frere, 
et  que  Ton  donneroit  une  autre  terre  a  sa  place; 
mais  M.  de  Turenne ,  persuade  que  cet  avautage 
rallentiroit ,  s'il  n'empechoit  pas  la  conclusion 
de  I'echange  de  Sedan ,  convint  avec  M.  le  car- 
dinal qu'il  ne  prendroit  rien  jusqu'a  ce  que  les 
affaires  de  monsieur  son  frere  fussent  achevees. 
II  retourna  done  au  mois  d'Avril  sur  le  Rhin, 
fit  assembler  toute  I'armee  dans  le  commence- 
ment de  mai,  et  fitdescendre  un  pont  de  ba- 
teaux aupres  de  Bacharach  ,  pour  aller  joindre 
les  Suedois  dans  la  Hesse.  Apres  avoir  tout  con- 
certe  pour  cette  jonction  ,  M.  le  cardinal  Maza- 
rin lui  envoya  un  gentilhomme  nomme  Sainl- 
Aignan ,  pour  lui  dire  que  M.  de  Baviere  ayant 
donne  assurance  a  messieurs  les  plenipoten- 
tiaires  aMunster,  que  son  armee  ne  joindroit 
pas  celle  de  I'Empereur,  si  celie  du  Roi  ne  pas- 
soit  pas  le  Rhin  ,  le  Roi  lui  commandoit  de  ne 
pas  traverser  ce  fleuve;  le  meme  gentilhomme 
lui  fit  entendre  que  la  pensee  de  la  cour  etoit 
d'assieger  Luxembourg.  M.  de  Turenne,  croyant 
que  ce  seroitla  perte  entiere  des  affaires  d'Al- 
lemagne,  se  contenta  de  ne  pas  passer  le  Rhin, 
pour  ne  point  contrevenir  si  promptement  a  un 
ordre  expres,  et  deux  jours  apres  que  ce  gentil- 
homme fut  retourne,  le  pont  de  bateaux  rompit 
par  une  grande  crue  d'eaux. 

[Le  meme  gentilhomme  remit  a  M.  de  Tu- 
renne le  memoire  suivant  touchant  I'etat  de  la 
negociation  de  la  paix  generale ,  en  ce  qui  coii- 
cernaitles  affaires  de  I'Empire,  datedu  27  avril 
1G46: 

«  Le  Roy  ,  par  I'advis  de  la  Royne  regenle , 
sa  mere,  desirant  faire  scavoir  au  sieur  vicomle 
de  Turenne  ,  marechal  de  France,  lieutenant- 
general  pour  Sa  Majeste,  en  son  armee  d'Alle- 
magne, I'estat  de  la  negociation  de  la  paix  ge- 
neralle,  ence  qui  concerne  les  affaires  de  I'Em- 
pire, a  cause  du  rapport  qu'elles  peuvent  avoir 
avec  ce  que  ledit  sieur  marechal  pouvoit  entre- 
prendre  en  Allemagne;  bien  que  Sa  Majeste 
voye  que  M.  due  de  Longueville  et  les  sieurs 
comte  d'Avaux  et  de  Servien,  plenipotentiaires 
de  sa  part  pour  ladlfe  paix  ,  informeront  ledit 

•iG 


402 


:\iK.\:n!iu.s  nv  vicomte  dv.  tiiuknne.  [1040] 


sieiir  marechal  de  ce  qu'ils  traicleront  a  i'es- 
gard  de  I'Allemagne,  Sa  Majeste  a  voullu  liiy 
faire  adresser  le  present  memoire  pour  cette  fin. 

«  Les  plenipotentiaires  del'Einpereur  avoyent 
faict  oftVir,  par  les  raediateurs  de  ladite  nego- 
ciation,aux  plenipotentiaires  de  Sa  Majeste, 
pour  la  satisfaction  qu'elle  peut  pretendre  dans 
rAlIemagne,a  cause  de  la  petite  guerre,  de 
cedder  a  Sa  Majeste  la  haute  et  basse  Alsace, 
ot  le  Zuntgau  ,  sous  les  litres  de  landgraviat 
de  I'Alsace,  a  condition  que  ledit  pays  relevera 
de  I'Empire ,  et  d'autant  que  les  plenipoten- 
tiaires de  France  ont  declare  aux  mediatcurs 
que  cat  accommodement  no  seroit  pas  accepte 
de  la  part  de  Sa  Majeste,  si,  entre  autres  condi- 
tions, la  ville  et  forteresse  de  Brizacne  denieure 
a  ceste  couronne ,  en  I'estat  auquel  elle  est  a 
present,  etque  les  plenipotentiaires  de  I'Empe- 
reur  ont  diet  n'avoir  pas  un  pouvoir  suffisant 
de  leur  maistre  pour  quitter  ladite  place;  il  a 
este  despechea  la  cour  imperiale  sur  ce  subject; 
et  au  mesme  temps ,  les  plenipotentiaires  de 
France  ont  despeche  vers  Sa  Majeste ,  pour  sea- 
voir  si  elle  se  relascberoit  de  la  pretention  du 
Brisgawet  des  villes  forestieres  qui  sonttenues 
par  ses  armees. 

»  Et  comme  Sa  Majeste  est  bien  advertie  que 
I'Empereur  est  resolu  de  consentir  a  la  cession 
de  Brisac  ,  et  que  Sa  Majeste  ,  pour  faciliter  de 
sa  part  tout  ce  qui  peut  apporter  la  paix  a  la 
chrestiente ,  autant  qu'il  sera  possible  et  juste 
pour  se  disposer  a  laisser  le  Brisgaw  et  les  villes 
forestieres  de  Brisac  ,  et  la  ville  de  Neufbourg , 
qui  est  necessaire  pour  la  communication  de 
Brisac  et  Basle,  soubz  certaines  conditions, 
neantmolngs ,  que  Sa  Majeste  remit  a  ses  pleni- 
potentiaires d'adjuster,  et  ausquelles  Sa  Majeste 
se  promit  qu'il  n'y  aura  pas  de  difficulte,  parce 
qu'elle  les  reduit  toutes  dans  I'equite  et  la  rai- 
son  ,  il  semble  que  ,  s'il  ne  survient  d'ailleurs 
quelque  obstacle  au  traicte  pour  ce  qui  regarde 
I'Allemagne  ,  Ton  en  doibt  bientost  esperer  une 
bonne  issue,  puisqu'au  mesme  temps  les  pleni- 
potentiaires de  I'Empereur  alloient  faire  offrir 
a  ceux  de.la  couronne  de  Suede,  pour  satisfac- 
tion, les  deux  Pomeranies  et  le  port  Wismar. 

»  Les  plenipotentiaires  de  France  ont  ad- 
jouste  a  cela  que  les  ministres  du  due  de  Ba- 
viere  avoyent  represente  et  insiste  que,  les  af- 
faires s'acheminant  si  heureusement  a  la  paix  , 
il  falloit  accorder  une  suspension  d'armes  au 
moins  de  trois  sepmaines,  afin  qu'en  attendant 
les  responses  defmitives  sur  les  choses  dont 
les  plenipotentiaires  n'avoient  pu  convenir,  il 
ne  fut  rien  entrepris  dans  la  guerre  dont  I'eve- 
nement  estant  favorable  a  Tun  et  a  r.tuire,  il 


arrivast  quelque  changement  a  la  face  des  af- 
faires et  de  nouvelles  difficultes  a  laccommo- 
dement. 

»  Que  sur  cela  les  plenipotentiaires  de  France 
auroyent  faict  entendre  que  si,  apres  qu'ils  en 
avoient  confere  avec  les  ministres  alliez  de  cette 
couronne,  ils  les  trouvoyent  disposes  a  ladite 
suspension,  ils  ne  s'en  eloigneroyentpas,  pourvu 
qu'on  ne  fust  point  oblige  d'en  rien  mettre 
par  escrit  et  qu'on  se  contentat  de  mander 
de  part  et  d'autre  aux  generaux  des  armees  de 
n'entreprendre  aucun  acte  d'hostilite  pendant 
le  temps  que  la  suspension  devoit  durer. 

"  Et  par  ce  qu'il  se  pourroit  faire  que  Ton 
avoit  desja  arreste  cette  courte  suspention  ,  on 
bien  que  Ton  en  conviendroit  au  premier  jour, 
il  est  necessaire  de  pourvoir  a  ce  qu'il  soit  ponc- 
tuellement  satisfait  a  ce  qu'il  sera  promis  de  la 
part  de  Sa  Majeste. 

>'  II  a  aussi  este  propose  par  les  Imperiaux  , 
en  consentant  a  la  cession  des  deux  Alsaces  et 
du  Zuntgaw,  de  faire  une  suspension  generalle 
dans  I'Empire  ,  pendant  laquelle  la  paix  debvra 
estre  traitee  et  conclue  a  I'esgard  de  tous  les 
estats  dont  il  est  compose. 

»  Et  sur  ce  point ,  Sa  Majeste  ordonne  a  ses 
plenipotentiaires  que  la  satisfaction  de  la  France 
et  de  la  Suede  estant  une  fois  asseuree,  et  les 
interests  du  prince  Palatin  et  ceux  de  madam e 
la  landgrave  de  Hesse  estant  adjustez ,  Sa  Ma- 
jeste aura  pour  agreable  qu'ils  consentent  de  sa 
part  a  une  suspension  d'armes  de  telle  duree 
qu'ils  adviseront,  afinque  ce  pendant  Ton  puisse 
terminer  tous  Ics  poinctz  qui  peuvent  regarder 
le  dedans  de  I'Empire  ,  et  contenter  les  princes 
et  estats  catholiques  et  protestans,  sur  lesquels, 
en  quoy  faisant ,  Ton  prendra  toutes  les  pre- 
cautions possibles  pour  empescher  que  le  Roy 
catholique  ne  se  prevail  le  des  trouppes  de  I'Em- 
pereur directement  ou  indircctement :  ce  que 
Ton  espere  pouvoir  faire  d'autant  plus  facile- 
ment  et  seurement ,  que  les  forces  de  I'Empe- 
reur luy  seront  necessaires  pour  s'opposer  a 
celles  duTurc,  aussi  bien  du  coste  de  laCarin- 
thie  et  de  ses  autres  estats  patrimoniaux  ,  que 
vers  la  Hongrie;  et  apres  la  conclusion  de  ce 
traite ,  Ton  viendroit  a  une  bonne  et  seure  exe- 
cution des  choses  promises  de  toutes  parts. 

»  Faict  a  Paris,  le  2G  avril  164G.  « 

Lettre  de  Sa  Majeste  a  31.  le  marechal  de  Tu- 
renne,  pour  Imj  adresser  ledit  Memoire,  et 
faire  ce  qui  deppendra  de  luy  en  conse- 
quence. 

"  Mon  cousin,  vous  aprendrcz,  par  le  me- 


Mr.MOlUIiS    DV    VICOMTE    V)E    TUKENNE.     [l64C] 


moire  qui  sera  ey-joinct,  le  bon  achemineraent 
de  ia  negociation  de  la  paix  a  Tesgard  de  I'Al- 
lemagne  ;  et  comme  je  desire  contribuer  tout  ce 
que  je  puis  equitablement  pour  y  parvenir,  et 
parce  qu'il  importe  que  vous  vous  conformiez 
a  ce  qui  sera  commence  en  mon  nom  sur  ce  sub- 
ject par  mon  cousin  le  due  de  Longuevilie  et  les 
sieurs  d'Avaux  et  de  Servien  ,  mes  plenipoten- 
tiaires  pour  le  traicte  de  ladicte  paix ,  je  vous 
faicts  celte  leltre  par  I'advis  de  la  Royne  re- 
gente ,  madame  ma  mere ,  pour  vous  dire  que 
mon  intention  est  que,  soit  qu'iis  conviennent 
d'une  suspension  d'armes  de  pareil  temps,  pour 
attendre  la  responce  de  I'Empereur  et  la  mienne 
sur  les  choses  qui  sont  demeurees  ce  pendant 
indecises,  soit  qu  apres  cela  ils  ne  tombent  d'ac- 
cord  d'une  plus  longue  suspension  pour  termi- 
ner toutes  les  choses  qui  regardent  les  princes 
et  estats  catholiques  et  protestans  de  I'Empire 
dans  cettc  paix,  vous  ayez,  sur  les  advis  que 
vous  aurez  recus  ou  recevrez  de  mesdits  pleni- 
potentiaires  de  ce  qu'iis  seront  convenus  de  vive 
voixou  par  escrit,  a  I'observer  ponctuellement, 
tout  ainsi  que  si  vous  y  aviez  receu  ordre  expres 
etparticulierementde  ma  part,  sansrien  entre- 
prendre  au  prejudice  de  I'une  et  de  Tautre  sus- 
pension ,  et  neanlraoings  vous  tenant  toujours 
presdu  Rhin,afin  de  donner,  parce  moyen,cha- 
leur  a  la  negociation  ,  et  que,  par  la  proximite 
de  mes  armees,  tous  ceux  du  party  contraire 
soient  obliges  a  persister  dans  le  bon  dessein 
qu'iis  temoignent  presentement  de  tenir  a  la 
conclusion  de  la  paix ;  et  comme,  par  vostre  der- 
niere  lettre,  il  parroist  que  vous  nescauriez  estre 
en  estat  de  passer  le  Rhin  plus  tost  qu'a  la  fin 
du  mois  de  may  prochain ,  11  n'arrivera  pas 
grand  prejudice  d'executer  ladite  premiere  sus- 
pension ,  quand  ,  par  Tartiffice  de  ceux  qui  ne 
desirent  pas  la  paix ,  elle  u'auroit  aucuue  autre 
suitte ;  et  cependant  il  arrivera  que  touttes 
choses  seront  adjustees,  et  que  I  on  aura  la  paix, 
ou  bien  ce  traite  presentement  propose  sera 
rompu  ,  et  vous  agirez  en  Allemagne,  ou  bien, 
durant  cette  premiere  tresve  ,  les  poinis  princi- 
paux  estant  adjustes,  la  seconde  tenant  a  ce 
faire ,  vous  pourrez  cependant  marcher  vers  le 
Luxembourg  et  attaquer  la  ville  capitale  de  ce 
duche,  ou  bien  y  execuler  les  autres  desseins 
que  vous  jugerez  estre  les  plus  advantageux  et 
reuscibles ,  m'informant  en  ce  cas  de  ce  que 
vous  estimerez  y  devoir  faire  ,  en  observant  que 
vous  aurez  grande  facilite  a  excuter  tout  ce  que 
vous  y  voudrez  entreprendre  ,  parce  que  les  en- 
nemis  estant  attaquez  dans  la  Flandic  par  I'ar- 
mee,qui  sera  commandee  par  mononcle  Icduc 
d'Orleans  ,  et  par  ccllc  que  mon  cousin  le  due 


4(13 

d'Auvergne  commaudera ,  et ,  d'autre  cosle,  par 
I'armee  des  Estats  des  provinces  unies ,  il  n'y  a 
pas  d'apparence  qu'iis  fassent  une  resistance 
considerable  dans  le  Luxembourg ,  ayanta  def- 
fendre  des  places  et  des  pays  dont  la  consi- 
gnation leur  est  beaucoup  plus  chere  et  plus 
sensible  que  de  celui-la.  C'est  ce  que  je  vous  di- 
ray  par  cette  lettre  ,  priant  Dieu  qu'il  vous  ayt, 
mon  cousin  ,  en  sa  sainte  et  digne  garde. 
»  Escripta  Paris,  le  dernier  avril  164G.  >-] 
Pendant  qu'on  racommodoit  le  pont  de  ba- 
teaux ,  M.  de  Turenne  apprit  que  I'armee  dc 
I'Empereur  et  de  Baviere  s'etant  jointes  en  Fran- 
conie ,  marchoient  droit  aux  Suedois  dans  la 
Hesse,  et  jugea  que  sa  jonction  avec  eux  etoit 
imposible  en  passant  par  le  pont  de  Bacharach. 
Connoissant  qu'il  n'avoit  point  d'autre  passage 
sur  le  Rhin  que  dans  les  villes  que  messieurs  les 
Eiats  de  Hollande  tenoient,il  envoya  quelquc? 
legimens  d'infanterie  a  Mayence,  ou  il  laissa 
M.Du  Passage,  partit  deux  jours  apres  qu'il 
scut  la  marchede  I'enuemi ,  manda  a  M.  le  car- 
dinal par  un  secretaire  la  resolution  qu'il  pre- 
noit,  et  alia  passer  la  Moselle  cinq  ou  six  heures 
au-dessus  de  Coblents,  a  giie,  et  de  la  par  le 
pays  de  Cologne  et  de  Meurs  a  Rhimberg,  et  en- 
suite  a  Wesel ,  ayant  envoyeun  gentilhomrae  a 
M.  le  prince  d'Orange  et  a  messieurs  les  Estats 
pour  leur  demand(  r  le  passage. 

II  y  avoit  douze  ou  quatorze  jours  de  marche 
d'oii  il  etoit  parti  jusqu'a  Wesel ,  oil  il  trouva 
madame  de  Longuevilie  qui  alloita  Munster;  il 
marcha  deux  jours  avec  I'armee  sur  la  route  de 
celte  princesse  ,  et  de  la,  passant  par  Lipstadt 
que  les  Hessiens  tenoient ,  il  envoya  avertir 
M.  Wrangel  ( qui  etoit  aux  frontieres  de  la 
Hesse)  du  temps  qu'il  pourroit  le  joindre.  L'ar- 
raee  avoit  marche  plus  d'un  mois  a  fort  grandes 
journees ,  durant  lequel  temps  celle  de  I'Empe- 
reur et  de  Baviere  ayant  approche  des  Suedois, 
n'osa  pas  les  attaquer  a  cause  des  postes  avan- 
tageux  qu'iis  prirent.  I\  y  eut  quelques  petits 
combats,  mais  pas  un  de  considerable;  et 
M.  ^yrangel  se  gouverna  avec  beaucoup  de  pru- 
dence et  de  resolution.  Comme  lesarraeesenne- 
mies  scurent  que  I'armee  de  France  approchoit, 
ils  se  retirerent  a  cinq  ou  six  hemes  des  Sue- 
dois, et  se  camperent  aupres  de  Fridberg,  pe- 
tite ville ,  dans  laquelle  ils  mirent  deux  ou  trois 
censhommes.  L'armee  du  Roi  joignit  celle  des 
Suedois,  quise  mirent  en  bataille  a  son  arrivee. 
II  y  avoit  plus  de  dix  mille  chevaux  et  six  ou 
sept  mille  hommes  de  pied,  et  bien  soixante 
pieces  de  canon.  M.  de  Turenne  soupa  chez 
M.  Wrangel  avec  beaucoup  de  rcjouissance  ,  et 
ayant  seulem«nt  sejourne  un  jour  a  cause  du 

'2C>. 


MEMOlUKi:;    UV    VICOMTE    tVt    TUllENMi.    [lG-l6] 


404 

manque  de  fourage,  rarniee  du  Roi  prit  I'avant- 
Sarde  le  premier  jour,  etM.  de  Tiirenne  donna 
le  mot;  ensuite  il  le  donnoit  par  ecrit  pour  une 
semaine  et  M.  Wrangel  pour  I'autre ,  se  I'en- 
voyant  aiusi  I'un  chez  i'autre  par  quefque  adju- 
dant ,  sans  qu'il  y  eut  jamais  aucune  division  : 
on  marcha  eu  deux  jours  pres  des  ennemis  qui 
etoient  campes  au  lieu  que  j'ai  dit.  lis  faisoient 
aiors  trois  salves  pour  le  jour,  a  ce  que  je  crois, 
de  ia  naissance  de  I'Emperenr ,  et  on  voyoit  par 
la  que  ieur  corps  etoit  considerable,  lis  avoient 
bien  quatorzemiilechevaux  ,  dix  mille  hommes 
de  pied  et  plus  deeinquante  pieces  de  canon.  On 
s'approcha  a  un  quart  de  lieue  d"eux,  et  on  ne 
jugea  pas  a  propos  de  ies  attaquer  dans  un 
camp  oil  ils  etoient  peu  retranches ,  mais  fort 
avantageusement  postes. 

Apres  quelque  escarmouclie,  iejour  que  i'ar- 
raeearriva  presd'eux ,  on  vint  camper  fort  pro- 
clie  des  murailles  de  Frldberg  ,  ou  ils  avoient 
trois  ou  quatre   cens  hommes  de    garnison. 
Comrae  ceux  de  la  vilie  tiroient  a  I'entree  de  ia 
nuit  sur  dessoldats  qui  dans  le  temps  du  cam- 
pement  vont  querir  du  bois ,  je  ne  doute  pas 
que  I'ennemi  ne  crut  que  i'on  faisoit  des  appro- 
clies  avec  intention  d'assieger  la  place ,  dout  la 
prise  n'eut  ete  gueres  difficile  5  mais  a  I'entree 
de  la  nuit ,  M.  de  Turenne  et  M.  Wrangel 
ayant  confere  ensemble  sur  ce  qu'il  seroit  plus 
avanlageux  de  faire ,  ils  se  debattirent  quelque 
temps  si  i'oun'iroit  pas  par  le  Bergstras ,  en  lais- 
sant  Francfort  a  main  gauche ,  pour  tacher  d'ar- 
river  a  Hailbron  devant  I'ennemi ,  et  avoir  en- 
suite  une  entree  dans  le  pays  de  Wirtemberg. 
On  jugea  enfin  que  i'ennemi,  ayant  un  chemin 
plus  court  a  faire  ,  y  arriveroit  avant  nous ;  et 
qu'ayant  toujours  le  Danube  et  le  bon  pays  der- 
rierelui ,  il  n'abandonneroit  jamais  que  ce  qu'il 
auroit  ruine.  Au  contraire,  Ies  armees  francoise 
et  suedoise  n'ayant  derriere  elles  que  ies  bords 
du  Rhin,qui  est  un  pays  entierement  epuise,  se- 
roient  au  commencement  de  i'hiver  contraintes 
de  reprendre  chacune  ses  aneiens  quartiers  ,  et 
de  laisser  a  I'armee  de  I'Empereur  et  de  Baviere 
iesleurs  qui  etoient,  outreles  payshcreditaires, 
Ies  cercles  deSouabc,  dcFranconie  et  la  Baviere, 
qui  sont  des  pays  sans   comparaison  meilleurs 
que  Ies  bords  du  Rhin ,  le  pays  de  Thuringe 
et  de  Brunswic,  ou   Ies  armees  francoise  et 
suedoise  avoient  accoutume  de  se  retirer.  Cette 
difference  donne  des  avantages  pour  la  pro- 
chaine  campagne  ,  parce  que  Ies  soldats  vien- 
nentchercher  Ies  armees  qui  sont  dans  lesbons 
pays,  et  que  Ton  y  retablit  fadloment  ceux  que 
I'on  a.  Apres  avoir  ete  quelque  temps  en  suspens, 
il  fut  resolu  que  I'on  envoieroit  mille  chevaux 


avec  cinq  cens  dragons  pour  se  saisir  du  poste 
de  Bonnameis ,  qui  est  un  petit  bourg  a  deux 
heures  de  Francfort ,  sur  la  petite  riviere  de  Nid, 
laquelle  etant  passee  sans  que  I'ennemi  s'y  op- 
posat,  on  pourroit  ensuite  arriver  aussitot  qu'eux 
a  la  riviere  du  Mein  ,  ou  Ies  combattre  en  che- 
min s'ilsprenoient  cette  marche. 

Lcs  troupes,  etant  arrivees  a  Bonnameis  et 
n'ytrouvant  que  quelques  dragons  qui  defen- 
doient  le  passage,  s'en  saisirent  et  du  bourg. 
Un  corps  de  cavalerie  de  I'ennemi  que  comman- 
doit  M.  de  Wert,  etant  arrive  un  peu  tard  et 
voyant  le  poste  pris  ,  fit  alte  assez  proche  de  la. 
Les  armees  jointes  marcherent  le  lendemain 
trois  heures  devant  le  jour;  celle  du  Roi  avoit 
i'avant-garde,  et  ayant  cotoye  dans  la  nuit  et 
dans  le  commencement  dujour  celle  de  I'ennemi, 
on  ne  Ieur  vit  prendre  d'autre  resolution  que  de 
se  meltre  sous  ies  amies.  On  a  un  peu  blame 
M.  I'archiduc  d'avoir  efe  trop  long-temps  a  pren- 
dre parti :  ce  qui  lui  coiita  bien  cher,  car,  pen- 
dant qu'il  faisoit  haite  dans  son  camp  ,  I'armee 
marehoit  toujours,  et  ayant  trouve  le  poste  de 
Bonnameis  occupe  par  ceux  que  I'on  avoit  en- 
voyes  devant,  on  fit  promptement  raccommoder 
le  passage,  et  M.  de  Wert,  qui  s'etoit  avance 
pour  s'en  saisir,  commenca  a  se  retirer  vers  le 
gros  de  I'armee  ennemie. 

Cependant  on  passa  quoiqu'avec  beaucoup  de 
difficulte  en  divers  endroits,  et  M.  Konigmarc 
ayant  trouve  un  passage  a  main  gauche  ,  que 
I'armee  francoise  avoit  iaisse ,  pour  pouvoir  pas- 
ser par  un  plus  grand  front,  renversa  plusieurs 
troupes  de  M.  deWert  qui  se  retiroient.  Comme 
il  n'etoit  encorequedeux  heuresaprcsmidi,quoi- 
que  i'on  cut  bien  fait  six  heures  de  chemin  avec 
une  grande  armee  et  un  tres-grand  bagage,  on 
marcha  encore  trois  heures  ce  jour-la  ,  toujours 
en  intention  de  couper  a  i'ennemi  le  chemin  du 
Mein ;  ce  qui  reussit  par  la  lenteur  a  se  resou- 
dre  :  de  sorte  que  le  soir  on  arriva  entre  Franc- 
fort et  Hanau ,  en  un  lieu  qui  6toit  le  raoyen  a 
I'ennemi  de  pouvoir  se  retirer  vers  le  Mein  sans 
combattre. 

L'armee  etant  partie  deux  heures  devant  le 
jour  au  moisd'aout,  avoit  fait  ncuf  heures  de 
chemin.  Comme  on  avoit  commande  au  bagage 
de  prendre  tout  a  fait  a  la  main  droite  ,  et  qu'il 
etoit  convert,  on  ne  s'en  mit  pas  beaucoup  en 
peine  et  il  arriva  le  lendemain.  Ainsi,les  enne- 
mis avec  toutes  les  forces  de  I'Empire  se  vi- 
rent  en  un  jour  hors  d'etat  de  pouvoir  plus  al- 
ier  ni  en  Franconie  ,  ni  en  Souabe,  ni  en  Ba- 
viere, ayant  toute  I'armee  confcderee  entre  eux 
et  ces  pays- la.  Mais  comme  on  craignoit  qu'a 
ia   faveur  d'une  petite  riviere  qui  coule  vers 


IVIEMOIRES    1>V;    VICOMTIC 

Hanaii ,  ils  ne  piisseut  encore  marcher  vers  As- 
chaffembourg ,  qui  est  sur  leMein  ,  on  partit  le 
lendemain  avant  le  jour  avec  une  partie  de 
rarnice,  commandant  au  reste  de  suivre,quoi- 
qiie  fort  affoiblie  par  la  marche  du  jour  prece- 
dent, et  Ton  arriva  a  une  petite  ville  sur  ce 
ruisseau.  Les  ennemis  y  avoient  mis  quelques 
gens,  et  le  lieu  etant  assez  proche  du  derriere  de 
!eur  camp,  il  yavoit  apparence  quMIs  alloient 
marcher  pour  gagner  Aschaffembourg  :  mais 
comme  ils  virent  I'armee  ennemie  passer  de 
grand  matin  ,  ils  fireut  halte  dans  leur  camp  , 
leur  bagage  attele,  retirerent  leurs  troupes  de 
cette  petite  ville,  et  defendirent  le  ruisseau  sur 
lequel  elle  est  situee  avee  quelques  gens  com- 
mandt'S. 

L'armee  francoise  et  suedoise  arriva  toute  sur 
le  midi  aupres  de  ce  ruisseau  5  etayant  fait  ve- 
uir  du  canon  et  fait  retirer  un  escadron  impe- 
rial qui  le  souffrit  avec  une  patience  incroyable, 
I'ennemi  demeura  de  nouveau  dans  son  camp. 
Les  choses  a\oientainsi  entierement  change  de 
face  dans  une  seulejournee.  Comme  il  yavoit 
un  petit  bois  qui  couvroit  une  partie  du  camp 
des  Imperiaux,  onne  voyoit  pas  bien  leurs  mou- 
vemens  ;  aussitot  qu'ils  virent  qu'on  leur  avoit 
pris  le  devant ,  ils  firent  marcher  leur  bagage 
vers  Faidberg  ,  et  suivirent  a  I'entree  de  la  nuit 
le  meme  chemin  ,  tirant  vers  la  Hesse ,  dans  le 
dessein  apparemment,  s'ils  avoient  ete  poursui- 
vis ,  d'aller  vers  la  Westphalie  ou  vers  Cologne. 
On  balanca  quelque  temps  quel  parti  on  pren- 
droit  de  lessuivre  ou  de  profiler  de  I'occasion 
de  prendre  des  postes  considerables  dans  les 
cercles  de  Franconie ,  de  Souabe  et  de  Baviere. 
Ilestcertainque,  suivant  le  premier  parti,  on  les 
auroit  ramenes  aupres  de  Cologne  avec  quelque 
perte  dans  leur  retraitte  5  mais  comme  I'Empe- 
reur  et  M.  de  Baviere  avoient  le  temps  d'en- 
yoyer  des  ordres  dans  les  pays  que  je  viens  de 
dire ,  et  qu'il  n'y  avoit  point  de  temps  a  perdre, 
les  affaires  etant  changees  en  un  quart-d'heure, 
on  resolut  de  marcher  vers  le  Mein. 

M.  de  Turenne  fit  joindre  M.  Bu  Passage, 
qu'il  avoit  laisse  vers  May ence,  quand  il  prit  ce 
grand  tour  par  \Yesel  avec  deux  mille  horames 
et  marcha  a  Aschaffembourg ,  qui  est  un  beau 
passage  sur  le  Mein  ,  dans  lequel  il  yavoit  deux 
cens  hommes  qui  se  rendirent  incontinent.  Apres 
avoir  passe  le  Mein ,  I'armee  francoise  prit  la 
droite  et  la  suedoise  la  gauche ,  marchant  a  huit 
ou  dix  lieues  Tune  de  I'autre.  La  premiere  assie- 
gea  Schorendorf ,  qu'elle  prit  en  trois  jours ,  et 
alia  a  Lawinghen  sur  le  Danube,  que  personne 
ne  gardoit;  fautre  prit  Nordlingen,  marcha  a 
Donawert,  ou  elle  passa  le  Danube  comme  la 


in:  Tir>E\\E.   [\(UG]  iOo 

francoise  a  Lawinghen  ,  y  ayant  des  ponts  dans 
ces  deux  lieux ,  et  trouvant  des  vivres  abon- 
damment  partout.  LesSuedois  laisserent  garni- 
son  dans  Nordlingen,  et  les  Francois  dans 
Schorendorf  et  dans  Lawinghen  ,  en  passant  et 
sans  sejourner.  Les  Suedois  traverserent  le  Lech 
sur  le  pont  de  Rain,  qui  n'est  qu'a  trois  ou  qua- 
tre  lieues  de  Donawert,  et  investirent  la  place 
dans  laquelle  M.  do  Baviere  avoit  mis  douze 
ou  quinze  cens  hommes  de  milice ,  qu'on  ap- 
pelle  chasseurs,  parce  qu'ils  ont  une  casaque 
verte. 

M.  de  Turenne  scachant  qu'il  n'y  avoit  per- 
sonne dans  Ausbourg,  envoyaM.  de  Beauveau 
avec  cinq  cens  chevaux  pour  parler  a  ceux  de 
la  ville,  ayant  passe  lui-meme  a  Lawinghen 
avec  I'armee.  Ceux  d'Ausbourg  firent  entrer 
M.  de  Beauveau,  laissant  les  cavaliers  a  la  porte, 
et  commencerent  a  parler  de  la  composition 
pour  se  mettre  entre  les  mains  des  Francois  et 
des  Suedois.  Dans  ce  temps  M.  W'^rangel ,  qui 
avoit  commence  les  approches  de  Rain  et  avoit 
trouve  de  la  resistance ,  comme  il  arrive  ordi- 
nairement  les  premiers  jours  quand  on  a  affaire 
a  des  milices  ,  envoya  prier  M.  de  Turenne  d'y 
marcher  promptement,  lequel,  croyant  que  ceux 
d'Ausbourg  tireroient  peut-etre  la  negociation 
en  longueur ,  tandis  qu'une  des  deux  armees 
etoit  engagee  au  siege  de  Rain ,  s'en  alia  en  di- 
ligence, etfitrevenir  M.  de  Beauveau;  comme 
la  trauchee  des  Suedois  etoit  ouverte  depuis  trois 
ou  quatre  jours,  il  en  ouvrit  une  le  soir  qu'il 
arriva  ;  la  seconde  ou  troisieme  nuit ,  se  trou- 
vant tout  proche  d'un  bastion ,  ceux  de  dedans 
ayant  battu  la  chamade  de  son  cote,  qui  etoit  le 
plus  avance ,  la  garnison  sortit  au  nombre  de 
pres  de  deux  mille  hommes  qui  avoient  beau- 
coup  tire  et  s'etoient  fort  mal  defendus. 

M.  Wrangel  paria  souvent  dans  le  temps  du 
siege  de  Rain  avec  M.  de  Turenne,  sur  celuiqui 
mettroit  un  gouverneur  dans  Ausbourg  ;  il  etoit 
d'accord  de  partager  la  garnison;  mais  il  ajouta 
que  le  feu  roi  de  Suede  ayant  tenu  cette  place  , 
il  restoit  quelques  droits  aux  Suedois,  pour  y 
commander,  plusqu'au  Roi.  Je  crois  que  la  pen- 
see  que  les  Francois,  s'en  rendant  les  maitres, 
voudroient  y  mettre  quelqu'un  pour  y  comman- 
der,  fut  une  des  principales  raisons  qui  obligea 
M.  Wrangel  a  presser  tant  M.  de  Turenne  de 
venir  a  Rain  :  neanmoins  il  n'y  eut  jamais  de 
contestation  aigre  entre  M.  de  Turenne  et 
M.  Wrangel ;  et  je  pense  que  I'affaire  eut  ete 
reglee  de  cette  facon ,  que  Ton  eut  tire  au  sort  a 
qui  mettroit  un  gouverneur  dans  la  place ;  mais 
comme  la  ville  de  Rain  fut  reudue  ,  ou  les  Sue- 
dois mirent  garnison, on  apprit  que  Rover,  etant 


<ion 


MEMOIISKS    Dll    VICOMTK    DK    TUni\M:.     [KUC)] 


parti  do  Memmingiien,  etoit  entre  avec  doiize  ou 
quinze  cens    homines  dans   Ausbonrg;  on  ne 
laissa  pas  d'y  marcher  pour  voir  si  Ton  ne  piit 
I'investir  dans  les  sept  ou  huit  jours  de  temps 
qu'il  falloit,  avant  que  les  armees  imperiale  et 
bavaroise  pussent  entrer  dans  hi  Baviere,  ayant 
pris  le  tour  par  la  Turinge  (I)  et  par  le  haut  Pa- 
latinat.  On  repassa  le  Lech ,  on  prit  ses  quar- 
tiers  aupres  d'Ausbourg ,   et  Ton  ouvrit  deux 
tranchees  du  cote  des  Francois  et  une  des  Sue- 
dois;  on  trouva  que  le  fosse  etoit  fort  large  et 
fort  profond  ,  et  les  difficultes  a  passer  etoient 
d'autant  plus  grandes  qu'on  manquoit  de  toutes 
les  ehoses  necessaires,  corame  il  arrive  dans 
une  armee  de  campague.  On  n  avoit  pas  perdu 
plus  decinq  ou  six  cens  hommes  ,  et  Ton  etoit 
deja  sur  le  bord  du  fosse,  quand  on  apprit  que 
les  armees  imperiale  et  bavaroise  etoient  a  deux 
heures  de  la ;  on  avoit  scu  tous  les  jours  les 
journees  qu'elles  faisoient ,  et  leur  marche  avoit 
ete  moins  rapide  qu'clle  ne  dut  I'etre  :  on  resolut 
de  ne  quitter  le  siege  qu'a  la  derniere  extremite. 
On  voyoit  bien  que  si  I'armee  ennemie  s'appro- 
choit  de  la  riviere,  qu'on  ne  pourroit  pas  gar- 
dei- les  postes  entre  la  riviere   et  laville,et 
qu'ainsi  la  place  seroit  secourue  ;  mais  comme 
on  espere  toujours  qu'un  ennemi  ne  fera  pas  tout 
ce  qu'il  pent ,  ouTouloit  attendre  qu'il  prit  la  re- 
solution de  marcher  jusques-la  avant  que  de 
lever  le  siege.  On  fit  bruler  beaucoup  de  villa- 
ges pour   I'empecher   d'approcher,  de  peur  de 
manquer  de  fourage.  Le  meme  jour  que  les  ar- 
mees imperiale  et  bavaroise  arriverent,  M.  de 
Turenne  et  M.  Wrangel  passerent  I'eau  de  leur 
cote  avec  deux  mille  chevaux  ,  et  de  rinfanterie 
derriere,  pour  escarmoucher  les  Imperiaux  dans 
la  plaine  et  les  empecher  d'approcher  de  la  ri- 
viere; dans  I'esperance  que  cet;  expedient  reus- 
siroit ,  on  fit  retrancher  le  regiment  de  Turenne 
au-dela  de  I'eau,  qui  en  dix  heures  fit  unfort  sur 
lequel  onmitdu  canon.  Les  ennemis,  ayant  re- 
pousse quelques-unesdenos  troupes  qui  etoient 
dans  le  bois  a  la  tete  du  fort,  n'oserent  I'atta- 
quer ;  mais,  la  nuit  s'approchant,  ilss'etendirent 
pour  se  camper  tout  le  long  de  la  riviere  ,  ou 
I'espace  etoit  si  etroit  que  I 'on  n'y  pouvoit  de- 
meurer  de  I'autre  cote  entre  ladite  riviere  et  la 
ville  ,  que  dans  unetranchee;  c'est  ce  que  Ton 
avoit  fait  quand  il  n'y  avoit  point  d'armee  en- 
nemie; mais  lorsqu'elle  futarriveesur  lesbords 
du  Lech,  on  ne  pouvoit  plus  yrester  a  cause  des 
deux  feux  de  I'ennemi  et  de  la  place,  ni  meme 
defendre  le  passage  de  la  riviere  ni  la  tranchee. 

(1)  PiiU'endoif  (lit  par  la  Franconie ;  la  Turinge  pa- 
rall  un  grand  d(^lour  pour  une  ;irme»'  qui  ('tail  prcss^p. 


Au  ciimniencement  de  la  nuit,  on  retira  ce 
qui  etoit  dans  cette  tranchee,  et  on  mit  toute 
I'armee  ensemble  entre  le  quartier  des  Suedois 
et  des  Francois.  On  retira  le  canon  des  batte- 
ries, et  ayant  envoye  le  bagage  avec  les  bles- 
ses et  le  gros  canon,  a  la  pointe  du  jour,  dans 
une  plaine  a  une  heure  d'Ausbourg,  on  lui  com- 
manda  d'y  faire  halte;  on  commencaa  marcher 
a  deux  heures  de  soleil ;  les  ennemis  entrant  en 
meme  temps  dans  la  ville  par  le  cote  de   la  ri- 
viere, qui  etoit  gueable  et  que  I'on  avoit  aban- 
donne,  il  ne  s'y  passa   rien  de  considerable. 
Quand  on  se  fut  retire  a  une  heure  de  la  ville, 
on  se  mit  en  bataille  et  on  tira  deux  coups  de 
canon  pour  montrer  que  Ton  etoit  resolu  a  com- 
battre,  si  I'ennemi  vouloit  s'avancer.  Ce  strata- 
geme  est  plus  utile  pour  encourager  le  commun 
des  soldats  ,  que  pour  les  gens  plus  eclaires  ,  qui 
scavent  bien  que  quand  une  armee  delogeavec 
beaucoup  de  canon  et  de  bagage  de  devant  une 
place,  et  qu'elle  passe  de  grandes  campagnes, 
Ton  peut  la  combattre  avantageusement.  Apres 
avoir  demeure  tout  le  jour  en  ce  lieu-la,  on 
alia  camper  a  deux  heures  d'Ausbourg,  et  le 
lendemain  ,  apres  avoir  fait  marcher  le  bagage, 
on  alia  a  une  heure  et  demiede  Lawinghen,  ou 
on  resolut  de  camper  pour  faire  fortifier  la  place : 
en  effet,  les  Francois  et  les  Suedois  entreprirent 
de  faire  chacun  quatre  ravelins  autour  de  la 
ville,  qui  est  dans  une  tres-belle  assiete,  et  qui 
n'a  que  des  murailles  sans  rempart,   mais  un 
pont  sur  le  Danube  ;  on  y  envoya  deux  ou  trois 
mille  hommes  y  travailler  tous  les  jours,  qui 
mirent  en  douze  ou  quinze  jours  tous  ces  rave- 
lins en  defense,  et  M.  de  Turenne  mit  dans  la 
place  le  sieur  de  Grotius  avec  huit  cens  hom- 
mes de  son  armee. 

Dans  ce  temps-la  I'armee  de  I'Empereur  etde 
Baviere,  commandee  par  M.  I'archiduc,  etoit 
entre  Aushonrget  Landsberg,  oil  M.  de  Baviere 
envoya  beaucoup  de  chevaux  pour  remonter  les 
cavaliers,  des  armes,  des  souliers  et  des  habits 
a  I'infanterie.  Les  deux  armees  s'avancerent  au 
commencementde  novembre  versMemminghen, 
avec  intention  de  s'approcher  d'Ulm  et  d'en 
tirer  des  vivres  a  la  faveur  des  places  d'Hail- 
bron,  de  Tubingen  et  d'Ausbourg,  qu'ils  tenoient 
dans  la  Souabe  et  dans  le  pays  de  Wirtemberg; 
et  ayant  une  armee  plus  forte  que  celle  des  Fran- 
cois et  Suedois ,  ils  esperoient  de  s'approcher  de 
nous  qui  avions  consomme  tous  nos  fourages  au- 
pres de  Lawinghen,  et  de  nous  faire  retirer  jusque 
dans  la  Franconie,  leur  laissant  tous  les  quar- 
tiers  dela  Souabe,  Lawinghen,  Rain,  Sehoren- 
dorf  et  Nordlingen,  tellement  abandonues,  que 
dans  rhiver  ilss'en  scroient  rcndus  mailres  sans 


faire  de  siege  ;  de  cette  maniere  toute  la  cam- 
pagne  auroit  ete  rendue  inutile,  au  commence- 
ment de  I'hivei",  qui  est  le  temps  qui  decide  en 
Allemagne,  parce  qu'il  rend  maitre  d'un  pays  a 
la  faveur  duquel  Ton  peut  raccommoder  et  re- 
faire  une  armee. 

M.  de  Turenne  etM.Wrangel,  prevoyant  bien 
que  de  la  resolution  qu'ils  preudroient  depen- 
doit  le  bon  ou  mauvais  succes  des  affaires  d'Al- 
lemagne,  resolurent,  quoique  I'armee  fiit  fort 
diminuee  par  les  fatigues  et  la  perte  des  che- 
vaux  ,  le  manque  d'armes  et  d'habits  dans  I'in- 
fanterie ,  et  malgre  les  neiges  et  les  mauvais  che- 
mins,  de  marcher  a  Tennemi  aupres  de  Mem- 
raingen  pour  le  combattre ,  ou  pour  voir  en  pre- 
sence quel  parti  ils  devoient  prendre.  Danseette 
vue  on  delogea  d'aupresdeLawinghen,  et  coiitre 
I'opinion  de  la  plupart  des  officiers  et  la  croyance 
de  toute  rarmee  qui  s'imaginoit  qu'on  retour- 
neroit  dans  la  Souabe  et  de  la  en  Franconie,  on 
fit  une  petite  journee  en  avant ,  et  le  lendemaia 
on  s'approcha  a  une  heure  de  I'ennemi,  qui  de- 
meura  dans  son  poste.  Comme  il  avoit  de  grands 
defiles  et  des  marais  devant  lui,  on  ne  crut  pas 
devoir  I'attaquer,  et  Ton  marcha  vers  Landsberg 
et  la  Baviere.  M,  de  Turenne  et  M.  Wrangel 
laisserent  tout  un  jour  deux  mille  chevaux  de- 
vant I'ennemi  pour  couvrir  leur  marche  et  pour 
leur  persuader  qu'on  alloit  I'attaquer  ,  et  par  la 
Tempecher  de  troubler  notre  passage.  On  assure 
que  rien  n'ajamaistantaigri  ui  tant  excite  M.  de 
Baviere  a  faire  la  paix  ,  que  de  voir  I'armee  des 
confederes,  au  commencement  de  I'hiver,  en- 
Yoyer  des  partis  aux  portes  de  Munick ,  et  de 
n'avoir  point  de  nouvelles  des  armees  de  I'Em- 
pereur  et  de  la  sienne ,  pour  qui  il  avoit  fait  de 
si  grandes  depenses,  et  qu'il  croyoit,  comme  il 
eloit  vrai ,  beaueoup  superieure  a  la  notre. 

On  cotoya  une  partie  du  jour  I'armee  de  I'en- 
nemi, et  ayant  envoye  le  bagage  vers  le  Lech  , 
on  marcha  ensuite  en  grande  diligence  jusques 
aupres  de  Landsberg,  ou  Ton  trouva  le  pontdes 
ennemis  qui  n'etoit  pas  rompu.  On  fit  passer 
dessus  quelques  troupes  a  la  hate ,  et  ayant  scu 
qu'il  n'y  avoit  que  cent  chevaux  dans  Landsberg, 
qui  est  une  fort  mauvaise  place,  et  que  I'en- 
nemi y  avoit  tons  sesvivres,  on  la  fit  sommer  et 
on  I'obligea  a  se  rendre  :  sans  perdre  de  temps , 
on  fit  passer  pendant  la  nuit  et  le  jour  suivant 
toute  I'armee  sur  le  pont  que  les  ennemis  avoient 
laisse,  ct  on  envoyatrois  mille  chevaux  aux  por- 
tes de  Munich ,  ou  etoit  M.  de  Baviere,  qui  n'a- 
voit  plus  aucune  communication  avec  son  armee. 

Les  ennemis  s'etant  apercii  assez  tard  que 
I'on  marchoit  vers  le  Lech ,  voulurent  suivre ; 
mais  ils  apprirent  que  Ton  avoit  passe  la  riviere 


MKMOIUKS    Dli    MCOMTE    1)K     ILKL.XXK.    [lG40i  -107 

et  que  Landsberg  etoit  pris.  lis  furent  bien  em- 


barrasses a  prendre  une  resolution :  a  la  fin  ils 
s'approchereut  d'Ausbourg,  et  ensuite,  faute  de 
vivres  et  de  fourages,  ils  se  retirerent  dans  la 
Baviere,  et  les  armees  francoise  et  suedoise  se- 
journerent  aupres  de  Landsberg  pres  de  cinq 
semaines. 

M.  de  Baviere  ne  voulut  pas  voir  M.  I'arehi- 
duc  qui  marcha  vers  Ratisbonneavec  I'armee  de 
I'Empereur ,  et  laissa  I'armee  de  Baviere  dans 
son  pays.  L'electeur  irrite  prit  alors  la  resolu- 
tion de  faire  la  paix ,  et  de  laisser  aux  confede- 
res  tout  I'Empire ,  pourvu  qu'il  conservat  ses 
Etats.  Cette  resolution  a  laquelle  lanecessite  I'a- 
voit  reduit  eut  eu  un  grand  succes  sans  les  me- 
sures  que  les  affaires  de  Flandre  obligerent 
M.  le  cardinal  Mazarin  de  prendre,  a  quoi  se 
meiereut  aussi  beaueoup  de  cabales  de  religieux 
du  cote  de  Rome ,  sous  pretexte  que  la  ruine  de 
la  maison  d'Autriche  etoit  celle  de  la  religion 
catholique  en  Allemagne  :  ce  qui  n'etoit  pour- 
tant  qu'une  fausse  couleur  ;  car  le  Roi  eut  main- 
tenu  les  catholiques  en  Allemagne,  de  meme  que 
la  maison  d'Autriche  eut  empeche  les  Suedois 
de  faire  aucun  changement  dans  les  constitu- 
tions de  I'Empire,  et  auroit  accorde  aux  protes- 
tans  les  memes  libertes  dont  la  maison  d'Autri- 
che les  laissoit  jouir. 

L'armee  quitta  eufin  Landsberg ,  et  se  rap- 
procha  de  Memmingen ,  avec  intention  de  vi- 
vre  de  ce  cote  du  Danube  autant  que  Ton  pour- 
roit,  afin  qu'il  restat  assez  de  pays  au-dela  pour 
y  demeurer  jusqu'au  printemps.  CependantM.  de 
Turenne  fit  prendre  par  M.  d'Hocquincourt  le 
chateau  de  Tubingen,  et  ayant  appris  que  les 
ennemis  avoient  quelque  corps  pres  de  Rain  , 
Wrangel  et  lui  y  allerent  avec  cinq  ou  six 
mille  chevaux,  et  defirent  sept  ou  huit  cens 
de  I'ennemi,  M.  NYrangel  s'avanca  aussi  pres 
de  Lindau,  qu'il  ne  trouva  pas  a  propos  d'as- 
sieger. 

Dans  ce  temps-la  M.  de  Baviere  ayant  fait 
proposer  a  Munsterle  dessein  qu'il  avoit  de  s'ac- 
coramoder  avec  les  couronnes  confederees,  M.  de 
Croissi  vint  trouver  M.  de  Turenne ;  et  le  lieu 
d'Ulm  ayant  ete  choisi  pour  le  traitte ,  M.  de 
Bauschemberg ,  general  de  I'artillerie  ,  y  vint 
de  la  part  de  M.  de  Baviere,  et  M.  de  Traci  et 
M.  de  Croissi  de  la  part  du  Roi.  Les  armees  de- 
meurerent  quelque  temps  assez  proche  du  lieu 
des  conferences;  a  la  fin  il  fut  conclu  que  M.  de 
Baviere  mettroit  Hailbron  entre  les  mains  du 
Roi ,  et  Memmingen  entre  les  mains  des  Sue- 
dois ,  et  promettoit  de  se  separer  entierement 
des  interets  de  I'Empereur,  de  ne  le  point  assis- 
ter  de  ses  troupes,  de  donner  passage  ct  vivres 


408 


I^IEMOIUKS    DL    VlCOilTE    OK    TUaKNNE.     [JGJ7 


a  celles  du  Roi  pour  aller  dans  les  pays  licredi- 
taires. 

Eq  ce  temps-la  ,  I'Empereiir  se  trouvoit  avec 
quatre  ou  cinq  mi  lie  hommes  de  pied  et  cinq  ou 
six  mille  chevaux;  les  arraees  francoise  et  sne- 
doise ,  an  contraire  ,  montoient  a  treize  ou  qua- 
torze  mille  hommes  de  pied  ,  et  a  vingt  mille 
chevaux,  apres  avoir  ete  raccommodees.Le  coeur 
de  I'hiver  et  la  grande  distance  qu'il  y  a  de  la 
Souahe  dans  les  pays  hereditaires  empecherent 
qu'on  ne  put  se  servir  qu'au  printemps  de  cet 
avantage. 

[(G4  7]  Apres  que  la  paix  fut  faiteavec  M.  de 
Baviere,  I'armee  du  Roi  se  mit  en  quartier  dans 
les  pays  qui  lui  tomberent  en  partage  des  con- 
quetes  qu'elle  avoit  faites  la  campagne  prece- 
dente  avec  les  Suedois.  Comme  I'armee  de  I'Em- 
pereur  se  trouva  fort  affoiblie  par  la  separation 
de  celle  de  Baviere ,  elle  se  retira  dans  les  pays 
hereditaires ,  non  pas  tant  pour  se  rafraichir 
que  pour  s'eloigner  des  confederes. 

[  Le  Roi  adressa  a  M.  de  Turenne  les  ordres 
suivauts,  «sur  ce  qu'il  aura  a  faire  avec  I'armee 
qu'il  commandoit,  ensuitte  du  traitte  faict  avec 
le  due  de  Baviere:  » 

«  Mon  Cousin  ,  aiant  sceu  que  raon  cousin  le 
due  de  Baviere  a  rattifie  le  traitle  de  cessation 
d'armes,  faict  a  Ulm  avec  les  deputes  de  la  part 
de  cette  couronne  et  de  celle  de  Suede,  et 
comme  par  cet  accomodement  les  affaires  d'Al- 
lemagne  sont  aux  termes  que  je  puis,  avec  mes 
alliez,  le  desirer,  je  me  trouve  oblige  ,  par  les 
efforts  extraordinaires  que  font  les  Espagnols 
du  coste  de  Flandres,et  dans  I'incertitude  ou  je 
suis  si  I'armee  de  messieurs  les  Estats  des  pro- 
vinces unies  des  Pays-Bas  se  mettra  en  cam- 
pagne cette  annee ,  d'employer  de  ce  coste-la 
mou  armee  que  vous  commandez  ;  c'est  pourquoi 
je  vous  depesche  ce  porteur  expres  ,  par  I'advis 
de  la  Reine  regente  ,  madame  ma  mere,  pour 
vous  dire  que  mon  intention  est  que  vous  vous 
acheminiez  le  plus  tost  qu'il  vous  sera  possible, 
avec  madite  armee,  dans  le  Luxembourg,  pour 
y  agir  conformement  a  ce  que  mon  cousin  le 
cardinal  Mazarin  vous  a  faict  entendre  plus 
particulierement  de  ma  part,  en  vous  despes- 
chaut  le  sieur  de  Paris ; 

..  Que  si  j'apprends  par  son  retour  qu'il  y  ait 
sujet  d'arrester  I'execution  de  ce  dessein,  ou 
que  je  voye  que  vous  proposiez  quelqu'autre 
chose  qui  soit  plus  advantageuse  a  mon  service, 
je  vous  renvoyerai  incontinent  ledit  sieur  de 
Paris  ,  pour  vous  faire  seavoir  quelle  sera  ma 
derniere  resolution ; 

.'  Qu'en  passant  llailbron  vous  pourvoiroz  au 
gouverncment  de  la  place ,  y  eslablissant  un 


officier  pour  y  commander,  de  la  fidelite  et  des 
autres  bonnes  qualitez  duquel  vous  serez  bien 
asseure  ,  ety  laissant  soubz  sa  charge  une  gar- 
nison  suffisante ,  avec  les  munitions  necessaires 
pour  la  tenir  dans  une  e))tiere  seurete ; 

»  Que  vous  mettrez  dans  Schorenders,  Lau- 
minghen  et  Thubinghen ,  qui  sont  tenues  par 
mes  armees,  des  commandans  fideles  et  capa- 
bles ,  avec  les  garnisons  qui  leur  seront  neces- 
saires pour  la  garde  et  defense  d'icelles  ,  desi- 
rant  que,  si  vous  jugez  qu'il  faille  tirer  desdites 
places  ceux  qui  y  commandent  a  present ,  avec 
les  garnisons  qui  y  sont,  et  y  en  establir  d'aus- 
tres ,  vous  y  fassiez  les  changemens  que  vous 
advisercz,  me  remettant  entierement  sur  vous 
de  donner  tons  les  ordres  que  vous  jugerez  a 
propos  pour  asseurer  lesdites  places,  en  sorte 
que,  lorsque  vous  vous  en  esloignerez  ,  elles  ne 
puissent  demeurer  en  aucun  peril ,  et  que  j'en 
sois  du  tout  en  repos ; 

»  Que  vous  laissiez  en  ces  quartiers-la  le  sieur 
d'Hoquincourt,  si  vous  le  jugez  necessaire  et  a 
propos ,  et  avec  lui  les  troupes  dont  il  pourra 
avoir  besoin  pour  la  conservation  des  places  et 
du  pays  ;  et  il  semble  que  cela  soit  d'autant  plus 
necessaire  que ,  jusques  a  ce  que  les  choses  qui 
ont  este  promises  par  ledit  traitte  de  cessation 
d'armes  soient  executees,  il  est  bon  de  retenir 
des  forces  qui  soient  considerables  de  ce  coste-la. 
»  J'espere  aussi  que  cela  n'empeschera  pas  que 
vous  n'ameniez  dans  le  Luxembourg  une  armee 
considerable ,  tant  parce  que  vous  pourrez  faci- 
lement  augmenter  vos  forces  par  le  moyen  des 
troupes  que  niondit  cousiji  le  due  de  Baviere 
a  resolu  de  licentier  avec  intention  de  vous  en 
laisser  profiler,  que  parce  que  je  fais  travailler 
a  former  avant  vostre  arrivee  un  bon  corps  de 
troupes  d'infanterie  sur  ma  frontiere  de  Cham- 
pagne, pour  vous  joindre  et  fortifier  notablement. 
»  Et  j'estime  que  ce  que  vous  aurez  a  faire 
pour  les  establissemens  necessaires  a  la  seurete 
desdites  places,  n'apportera  pas  beaucoupde  re- 
tardement  a  vostre  marche,  laquelle,  a  la  ve- 
rite ,  je  seray  bien  aise  que  vous  fassiez  le  plus- 
tost  que  vous  pourrez  ,  "mais  je  n'attends  pas  que 
ce  soit  aussitot  que  cet  ordre  vous  sera  rendu ; 
car  si  vous  jugez  a  propos  de  differer  vostre 
depart  pour  quelqucs  jours,  par  des  considera- 
tions importantes  a  mon  service ,  et  mesme  si 
vous  estimiez  qu'un  plus  long  sejour  de  vostre 
personne  fut  necessaire  en  ces  quartiers-la ,  je 
trouve  bon  que  vous  vous  arrestiez  a  ce  que  vous 
verrez  etre  le  plus  avantageux  a  mon  service, 
dont  vous  m'informerez  bien  particulierement  et 
des  raisons  qui  vous  y  auront  porte,  afin  que 
vous  puissiez  recevoir  mes  ordres  plus  precis  sur 


MEMOIUKS    l)U    Vir.OMTE    I>F.    TURE\.NE,     [IC47] 


U)'J 


ce  que  vous  aurez  a  faire.  Cependant ,  comme  je 
ne  desire  pas  que  mon  armee  d'Allemagne  de- 
meure  plus  long-temps  joiute  a  celle  de  Suede 
pour  faire  de  plus  grands  progrez  ,  veu  raesme 
que  les  plenipotentiaires  de  I'Empereur  sont  con- 
venus  avec  les  miens  et  eeux  de  la  couronne  de 
Suede ,  des  satisfactions  que  Ton  a  demandees  a 
I'esgard  de  TEmpire,  je  desirerois  en  casque 
vous  jugeassiez  necessaire  de  demeurer  encore 
quelque  temps  par  dela  ,  que  vous  fassiez  mar- 
cher sans  retardement  vers  le  Luxembourg,  un 
corps  de  deux  rail  chevaux  effectifs  au  moins , 
coinmandez  par  un  bon  chef,  lequel  vous  rejoin- 
droit  au  mesme  temps  que  vous  repasseriez  le 
Rhin  avec  madite  armee.  Et  quant  aux  autres 
choses  dont  je  pourrois  vous  dire  plus  particu- 
iierement  mon  intention  et  mes  motifs  touchant 
Testat  present  des  affaires  d'Allemagne,  la  ne- 
gociation  de  la  paix  a  Munster  et  Osnabruck , 
la  necessite  et  les  raisons  qui  m'obligent  a  faire 
reveuir  mon  armee au-deca  du  Rhin,  la  conduite 
que  vous  devez  tenir  avec  le  general  Wrangel 
sur  cette  occasion  ,  et  la  maniere  dont  vous  lui 
debvez  parler  de  vostre  marche  vers  ces  quar- 
ticrs  ,  je  m'en  remets  a  ce  que  mondit  cousin  le 
cardinal  Mazarin  vous  a  escrit  par  iedit  sieur  de 
Paris  ,  et  a  cequ'il  vous  mande  encore  presente- 
ment ,  me  promettant  bien  que  vous  vous  por- 
terez  a  executer,  selon  vostre  affection  et  dili- 
gence accoustumee ,  tout  ce  qui  sera  le  plus  utile 
a  mon  service  dans  la  conjoncture  presente,  et  il 
ne  me  reste  qu'a  vous  assurer  que,  comme  Ton  ne 
peutagir  plus  prudemment  et  utilemcnt  que  vous 
avez  faict  en  toutes  les  affaires  et  occurences  con- 
siderables qui  se  sont  offertes  depuis  vostre  pas- 
sageau-deladu  Rhin,  etvostrejonctional'armee 
de  Suede, qui  a  produict  les  bons  effects  que  Ton 
commence  a  voir,  aussi  il  ne  se  pent  rien  adjous- 
ter  a  la  satisfaction  qui  m'en  demeure  et  au  de- 
sir  que  j'ai  de  vous  en  recognoistre  en  toutes  les 
occasions  qui  s'en  presenteront ;  et  sur  ce  je  prie 
Dieu  qu'il  vous  ait,  mon  cousin,  en  sa  saincte  et 
digne  garde. 

»  Escript  a  Paris,  le  15  avril  1047.  » ] 
Cette  foiblesse  des  enuerais  engagea  la  cour  a 
retirer  I'armee  d'Allemagne,  ayant  ete  sollici- 
tee  par  les  partisans  de  Baviere ,  qui  suggeroient 
que  la  continuation  de  la  guerre  contre  I'Empe- 
reur alloit  entierement  a  la  mine  de  la  religion 
catholique ;  que  les  Suedois  seuls  pi  ofiteroient 
de  cette  decadence  de  I'Empire ;  que  le  Roi  reti- 
rant  son  armee,  on  laisseroit  les  choses  dans  un 

(1)  Montre  signiQe  un  mois  de  paie. 
(2)  Leltre  du  Roy  a  M.   le  mareschal  de  Turcnnc , 
pour  hdj  dire  que ,  lorsqu'il  aura  passe  le  lihin 
avec  I'armee  d'Allemayne ,  il  prenne   un   poste 


equilibre  que  la  France  devoit  souhaiter  :  de 
sorteque  ni  la  maison  d'Autriche  ni  les  Suedois 
ne  seroient  les  maitres ;  et  que  M.  de  Baviere, 
les  voyant  affoiblir  tons  deux  ,  et  conservant 
son  armee ,  feroit  toujours  pencher  la  balance 
du  cote  que  la  France  souhaiteroit.  Le  besoin 
que  le  Roi  avoit  de  troupes   en  Flandre  ,  a 
cause  du  grand  corps  qu'on  avoit  envoye  sous 
M.  le  prince  en  Catalogue,  obligeoit  aussi  a 
prendre  ce  parti.  M.  de  Turenne  avoit  remontre 
au  contraire,  par  divers  envoyes,  que  la  perte 
de  la  maison  d'Autriche  etoit  presque  sure  par 
la  reunion  des  armees  de  France  et  de  Suede, 
et  par  la  separation  de  celle  de  Baviere,  qui  avoit 
laisse  I'armee  de  I'Empereur  presque  reduite  a 
rien:  qu'on  remedieroit  bien  a  la  crainte  que  la 
France  avoit  de  rendre  les  Suedois  trop  puis- 
sans,  par  le  partage  qu'on  feroit  des  conquetes; 
que  la  France,  tenant  une  partie  de  I'Allemagne, 
et  conservant  I'amitie  de  M.  de  Baviere,  seren- 
droit  arbitre  des  affaires  en  Allemagne-,  que  si 
on  en  sortoit  avec  I'armee ,  on  laisseroit  M.  de 
Baviere  maitre  des  affaires ,  et  en  etat  de  se 
tourner  contre  les  Suedois  quand  il  voudroit. 

Malgre  toutes  ces  raisons ,  M.  de  Turenne 
eut  ordre  de  marcher  en  Flandre;  il  avoit  bien 
prevu  que  la  cavalerie  allemande feroit  difficulte 
de  le  suivre ,  a  cause  de  cinq  ou  six  montres  (1) 
qui  etoient  dues.  Ce  qu'il  avoit  rcpresente  a  la 
cour  qui ,  ne  se  trouvant  point  en  etat  de  donner 
aucune  somme  considerable,  promit  seulement 
une  montre  ,  laquelle  meme,  a  cause  de  la  diffi- 
culte que  firent  les  marchands   d'accepter  les 
lettresde  change,  ne  fut  paspreteau  temps  que 
I'armee  devoit  marcher  ;  M.  de  Turenne,  pour  y 
remedier,  envoya  la  cavalerie  dans  de   bons 
quartiers,  leur  distribua  tout  le  pays,  les  traitta 
le  mieux  qu'il  lui  fut  possible  ,  et  s'en  alia  avec 
Tinfanterie  francoise  prendre  Hocst  et  Stenheira 
et  d'autres  petites  places  qui  assuroient  ses  con- 
quetes le  long  du  Rhin ;  apres  quoi  il  recut  un 
ordre  expres  de  ne  point  perdre  de  temps  pour 
marcher  en  Flandre.  M.  de  Turenne  avoit  cru 
que  les  principaux  officiers  de  la  cavalerie  alle- 
mande devoient  etre  contens  ,  ayant  fait  M.  de 
Flextein  general-major,  donne  le  gouvcrnement 
de  Schorendof  a  M.  "de  Rousmaorns  ,  et  obtenu 
a  la  cour  pour  M.  Rosen ,  qui  etoit  sorti  depuis 
pen  de  prison  ,  la  charge  de  lieutenant-general 
de  la  cavalerie  qu'avoit  M.  Dubatel.  L'armee 
eut  rendez-vous  a  Philisbourg,  on  elle  passa  le 
Rhin  (2)  sans  faire  aucune  difficulte;  et  on  mar- 
kers IHaes  trick  ou  Luxembourg  ,  et  qu'il  laisse  vers 
Ic  Rhin  un  officier  jwur  commander  : 
«  Mon  cousin  ,  j'ai  appiis  avec  beaucoup  ilc  satisfac- 
lioii  que  \r)us  ^ou5  inellcz  eiicslal  (Je  niarciicr  au  dora 


I  10 


MEMOIRKS    L'L'    VICOMTF.    I>li     I  LltK.N  .\£. 


161: 


cha  entre  Strasbourg  et  Saverue,  ou  M.  Rosen 
qui  n'avoit  bouge  de  cliez  lui  depuis  sa  sortie  de 
prison  ,  vlnt  trouver  M.  de  Turenne. 

Le  repos  que  la  cavalerie  avoit  eu  dans  ses 
quartiers  ,  Ic  voisinage  de  la  maison  de  M.  Ro- 
sen oil  les  officiers  alloient  de  temps  en  temps  , 
et  I'eloignement  de  M.  de  Turenne  ,  qui  ne 
pouvoit  pas  y  avoir  I'oeil ,  firent  faire  a  beau- 
coup  d'officiers  force  raisonnemens  coutre  le 
voyage  de  France  ;  M.  Rosen  y  portoit  aussi  les 
csprits,  non  pas  peut-etre  qu'il  souhaitat  uue 

(lu  Rhin  avec  mon  armic  d'Allcmagne,  et  je  vous  faicls 
cetic  Icltre  pour  vous  dire,  par  radvis  de  !a  Royne  regen- 
te,  madamc  ma  mere  ,  que  mon  intention  est  que  vous 
vous  acheminiez  le  plus  tost  qu'il  yous  sera   possible 
avec  madite  arm^e  vers  la  Mozelle ,  pour  ailer  prendre 
un  poste  d'ou  vous  puissiez  vous  porter   a  Luxem- 
bourg ou  a  Maeslrich,  suivantlesordres  que  je  vous  en- 
voyeray  ;  que  vousordonniez  et  laissiez  un  oflicier  prin- 
cipal pour  avoir  soin  de  la  conservation  des  places  te- 
nues  par  mcs  armees  en  Allemagne  et  des  garnisons  qui 
y  sont,  et  qu'il  pourvoye  a  tout  ce  qui  pourra  estre  ne- 
cessaire  au  faict  de  la  guerre,  en  vostre  absence,  suivant 
les  ordres  que  vous  luy  en  laisserez,  etenmedonnantavis 
de  la  personne  que  vous  aurez  choisie  pour  cet  efTet;  s'il 
est  besoin  de  luy  donner  quelque  expedition  de  ma  part 
pour  I'auctoriser  davantage ,  je  la  luy  envoyeray  aux 
termes  que  vous-mesme  Jugerez  a  propos.  C'est  ce  que 
Je  vous  diray  parcette  lettre,  priant  Dieu  qu'il  vousayt, 
mon  cousin,  en  sa  sainte  et  dignc  garde. 
»  Escrit  a  Amiens,  le  20  may  1647.  » 

(i)  Memoir e  envoy e  a  monseigneur  le  mareschal  de 
Turenne,  touchant  la  desobeissance  d'aucuns  des 
regimens  du  corps  ancien  de  I'armee  d' Allemagne, 
sur  I'ordre  qui  leur  a  ete  donne  de  marcher  vers  la 
Flandre : 

«  Le  Roy  ayant  entendu  la  relation  que  le  sieur  de 
Paris  a  faitc  detout  ce  qui  s'est  passd  en  I'armcJe d'Allc- 
magne dansle  temps  que  le  sieur  mareschal  de  Turenne 
avoit  pris  sa  marche  pour  venir  en  Flandre  avec  ladite 
armde,  et  ayant  sceu  comme  ledit  sieur  mareschal  n'a- 
voit peu  jus{iu'aiors  disposer  a  ce  voyage  les  rcistres  du 
corps  ancien  des  troupes  du  fou  due  de  Weymar,  quoi- 
qu'il  n'y  cutobmis  aucun  soin  ni  diligence,  Sa  Majeste, 
par  I'advis  de  la  Reyne  r(^gente,  sa  mere,  luia  voulu  faire 
sfavoir  ses  intentions  sur  cette  occurrence  par  le  pre- 
sent mcmoirc. 

»  Sa  Majesty  dc'sirc  que  ledit  sieur  mareschal  continue 
a  employer  son  autoriteetsoncr(5dit,  cl  qu'il  fasse  de  nou- 
veaux  eflbrlz  pour  disfjoser  tous  ceux  de  ladite  armee  a 
venir  en  Flandre,  leur  faisant  cognoistie  qu'ils  nc  peu- 
\cnt  jamais  renclrc  a  Sa  Majeste  une  preuvc  de  leur 
obdissance  qu'elle  considerc  davantage,  ny  lui  (!onncr 
une  |)lus  grandc  satisfaction; 

»  Qu'il  commence  a  regagner  lesdils  reistrcs  en  leur 
pardonnant  leur  mulinerie,  les  asscurant  de  lout  le  bon 
et  favorable  traictemcnl  possible  en  continuant  a  servir 
Sa  Majeste  avec  la  fid(5litc  ct  obi^issance  qu'ils  doibveni; 
(lu'il  se  serve  du  fonds  de  la  monstrc  qui  est  presenlc- 
nientsurle  Rhin,  pour  detacher  les  plus  diiiciles  ciopi- 
niastrcs  d'avec  les  austres  et  les  ranger  lous  a  la  rai- 
gon;  qu'il  donne  plus  aux  cavaliers  qu'aux  ollicicrs, 
s'il  voit  que  cela  puissc  r(^ussir,  et  qu'il  ne  fasse  dis- 
tribuer  I'argent  de  la  monstrc  qu'en  la  manierc  qu'il 
eslimcra  plus  utile  pour  ce  dessein  ;  que  mesme  il  fasse 


entiere  mutinerie,  mais  afin  que  la  grande  dif- 
lic'uite  que  les  Allemans  feroient  de  marcher  en 
Flandre,  obligeat  la  cour,  ou  a  leur  payer  les 
montres  dues ,  ou  a  les  laisser  en  Allemagne. 
Le  lendemain  que  M.  Rosen  fut  arrive,  on 
donna  ordre  a  tous  les  regimens  de  passer  la 
montagnede  Saverne ;  et  M.  de  Turenne,  ?yant 
M.  Rosen  avec  lui ,  apprit  ,  en  approchant  de 
Saverne,  que  le  vieux  regiment  de  Rosen  ne 
vouloit  pas  marcher  (1) ;  il  y  envoya  M.  Rosen, 
dont  il  n'avoit  aucun  soupcon  ,  et  ensuite  il  y 

des  gratifications  particuliercs  sur  ledit  fonds  au  lieute- 
nant-g('n(5ral  Roze.  au  general-major  Ohem,  et  austres 
qu'il  advisera,  et  qu'il  leur  promette  des  pensions  et  en- 
tretenemens  pendant  la  paix,  pour  quelles  sommeseten 
la  manierc  quMl  vcrra  estre  necessaire  pour  les  porter  a 
marcher  tous  ensemble  par  deca; 

»  Que  si ,  apres  avoir  emploi^  loutes  les  persuasions  et 
les  graces  qu'il  verra  conveuir  pour  les  induire  a  rendre 
cette  obcissance  et  donner  ce  contentementaSa  Majesty, 
il  n'y  pent  parvenir,  Sa  Majesty  veut  que  par  tous  moyens, 
et  mesme  leur  faisant  des  gratifications  sur  ladite  mons- 
trc, etleurdonnant  des  asseurances  de  pensions,  comme 
il  est  marqu^  ci-desssus,  il  tache  de  les  obliger  a  s'ad- 
vanccr  jusques  sur  la  Mozelle  et  dans  le  Luxembourg, 
parce  que  celadonnera  beaucoup  de  jalousie  aux  enne- 
mis,  et  leurfera  sans  double  detacher  un  corps  des  ar- 
mees qu'ils  ont  en  Flandre ;  outre  que  ce  sera  beaucoup 
epargner  les  quartiers  que  les  troupes  de  SaMajestden 
Allemagne  occupent  presentemenl,  dont  i'on  aura  be- 
soin pendant  Ihive, ; 

»  Que  si  ledit  sieur  mareschal  ne  pcut  gagner  sur  eux, 
qu'ils  viennentau  mnins  jusqu'en  Luxembourg,  Sa  Ma- 
jeste? approuvc  qu'il  leur  accorde  de  demeurer  au-dcla 
du  Rhin,  dans  les  posies  et  quartiers  qu'il  jugera  le  plus 
advantageux  pour  Ic  service  de  Sa  Majeste  et  le  bien  de 
ses  alliez  ,  d'autant  mesme  que  non  seulement  Ton  con- 
tentcra  beaucoup  ceux  de  ladite  armee  en  consentant  a 
ce  qu'ils  ddsirenl,  et  les  laissant  en  de  bons  quartiers  ■ 
ou  ils  sc  puissent  bien  restablir  et  accommodcr,  et  ou 
on  les  pourra  confirnier  plus  facilement  dans  lob^issan- 
ce  el  le  service  qu'ils  doivent  a  Sa  3Iajeste  .  mais  aussI 
que  ccia  servira  a  contenter  monsieur  le  due  de  Baviere, 
lequel  ne  pourroit,  sans  peine  efapprebension,  voires- 
loigner  do  I'Allemagne  toutcs  les  forces  de  Tarm^e  de  Sa 
Majeste,  dans  un  temps  auquel  les  Impt^riaux  font  pa- 
roitre  beaucoup  de  mauvaise  volonte  centre  luy ;  que 
Ton  satisfera  aussi  les  Su(5dois  ,  et  particulierement  le 
mareschal  Wrangel,  qui  ne  se  croyoit  pas  sans  dinger, 
voyatit  que  toute  raiinee  de  Sa  Majesl^  quittera  I'Allc- 
magne,  ct  que  madame  la  Landgra\e  en  rccevra  de  sa 
part  une  satisfaction  ec  repos  qui  ne  seront  pas  m^- 
diocres;   . 

»  Que  comme,  en  s'accommodant  de  cetlesorte  a  ce 
que  dcsircnt  ceux  de  ladite  cavalerie  vvcymarienne,  il 
leur  pourroit  rcster  quehjue  soupcon  que  Sa  Majeste  ne 
leur  pardonneroit  leur  desobi^issance  que  pour  un  temps 
et  (lu'elle  pourroit  les  en  faire  punir  a  I'advenir,  elle  a 
cstime  que,  jjour  y  remi^dier,  il  seroit  bon  que  ledit  ma- 
reschal cut  pardcvers  luy  uue  expedition  contenant  le 
pardon  qu'elle  leur  accorde  en  termes  cxpres,  avec  pro- 
mcsse  qu'elle  executcra  tout  ce  qu'il  leur  promettra  de 
sa  part  en  general  ct  en  particulicr,  alin  de  s'en  servir 
selon  qu'elle  I'estimera  a  propos ; 

»  Que  si  ledit  sieur  mareschal  ne  pent  faire  autre  chose 
que  de  hiisscr  ladite  cavalerie  sur  le  Rhin ,  I'intenlion  de 


MjijIOIlll.S    DU    VICOMTK     DE    lUlU.NNK.    [1617 


411 


alia  lui-meme;  et  n'ayant  rien  pu  obteiiird'eux,     ordre  a  toute  la  cavalerie  de  marcher,  persuade 
il  passa  la  montague  avec  l*iulanterie,et  envoya     que  s'il  s'arretoit  pour  la  rautiuerie  de  ce  regi- 


Sadite  Majesty  est  qu'il  marche  aussitost  aj)res  quecelte 
d^pesche  luy  aura  esle  rendue .  ct  sans  pcrdrc  aucun 
moment  de  temps,  avcc  toute  rinfanlerie  de  I'ai  mee  d'Al- 
lemagne  et  Ics  cinq  regimens  de  cavalerie  qui  sontprez 
de  suivre,  et  ellejuge  qu'il  sera  fort  advantageux  a  son 
service,  meme  pour  ester  au  public  la  cognoissance  que 
cette  cavalerie  ajt  rendu  une  dc^sobeissance  g^'n^rale, 
que  ledit  sicur  mareschal  emploie  tous  les  nioyens  pos- 
sibles pour  obliger  les  officiers  de  ladite  cavalerie  qu'il 
cognoilra  estre  les  mieux  intention<?s,  a  se  separer  et  de- 
tacher des  autres,  et  a  le  suivre  au  moins  avec  deux  re-  ' 
gimens  pour  venir  en  Flandre,  leur  donnant  toute  asseu- 
rance  qu'avant  la  fin  de  la  campagne  ils  auront  ordre  de 
retourner  dela  le  Rbin  et  de  rejoindre  les  autres  regi- 
mens de  I'ancien  corps  de  ladite  armee.  Et  Sa  Majeste 
estime  ce  point  de  telle  consideration,  quelle  veut  que 
ledit  sieur  mar^chal  n'obmelie  rien  pour  le  faire  reus- 
sir,  faisanl  cognoistre  a  ceux  qu'il  pourra  atlirer  a  luy, 
qu'ils  seront  Iraittez  le  plus  favorablement  qu'il  sera 
possible  ,  et  qu'avec  un  peu  de  patience  ils  auront  satis- 
faction du  payemcnt  d'une  partie  des  monstres  qu'ils 
pr^tendenf,  et  que  Ton  prendra  un  soin  particulier  de 
leur  fortune  ; 

»  Que  si  ledit  sicur  marechal  est  oblige  de  laisser  sur 

le  Rhin  la  plus  grande  part  des   troupes  dudit   ancien 

corps  de  cavalerie  ,  Sa  Majeste  croit  qui!  sera  bon  qu'il 

y  fasse  aussi  demeurer  le  sieur  Rose ,  commandant  la 

cavalerie,  et  le  general-major  Ohem  ,  avec  les  sieurs  de 

Schemitberg,  de  Vautorte  et  de  Varennes;  qu'il  leur 

donne  ses  ordres  pour  I'employ  de  ladile  cavalerie  dans 

Jes  occasions  qui  s'offriront  de  ce  cosle-la,  ct  pour  la  faire 

loger  et  subsister    dans  le    meilleur   ordre  qu'il  sera 

possible  ;  sur  quoy  Sa  3Iajeste  remet  n^antmoins  audit 

sieur  marechal  de  faire  ce  qu'il  estimera  plus  a  propos; 

que  si  ledit  sieur  marechal  croit  qu'il  soil  bon  que  ledit 

sieur  de  Tracy  demeure  aupres  desdites  troupes,  pourl.i 

mesme  fin  ,  il  luy  en  donnera  I'ordre,  et  luy  fera  rendre 

la  depeche  que  Sa  Majeste  luy  adresse  pour  ledit  sieur 

de  Tracy  ;  sinon,  et  s'il  juge  plus  a  propos  de  le  mener 

avec  luy,  il  la  pourra  supprimer ;  que  si  pour  remettre  et 

contenir  la  cavalerie  de  Tancien  corps  allemand  dans  le 

debvoir,  ledit  sieur  marechal  estimoit  que  sa  personnc 

fut  n^cessaire  au-dela  du  Rhin  ,  Sa  Mnjeste  trouve  bon 

qu'il  y  demeure  ;  mais  en  ce  cas  elle  veut  et  luy  ordonne 

qu'il  envoye,  en  la  plus  grande  diligence  qu'il  se  pourra, 

le  sieur  d'Hoquincourt  avec  toute  I'infanterie  de  ladite 

armee  et  les  cinq  regimens  de  I'ancienne,  qui  sont  pretz 

a  marcher,  avec  asseurance  que  ledit  d'Hoquincourt 

retournera  vers  luy  aussitost  que  la  campagne  sera  finie, 

et  aura  plusde  troupes  qu'il  n'en  aura  amene,  parce  que 

Ton  luy  fera  joindre  plusieurs  Irlandois  nouvellement 

levez ,  et  d'aulres  corps  que  Sa  Majrstea  destinez  par 

dela  pour  fortifier  ladite  armee,  et  qui  sont  prc^parez  a 

cet  effect.  Mais  Sa  Majeste  entend  que  ledit  sieur  ma- 

rcJchal  ne  s'arreste  pas  en  Allemagne,  sy  ce  n'csl  que  sa 

personne  y  soil  absolument  necessaire,  et  que  sans  cela 

ladite  cavalerie  fut  entierement  perdue;  aulrement  elle 

desire  que  ledit  sieur  marechal  vienne  luy-mesme  avec 

lesdites  troupes  en  Flandre  ,  parce  que  le  bruict  qu'il  y 

fera  en  personne  sera  capable  de  faire  croire  que  toutes 

choses  seront  en  meilleur  estat ,  et  que  le  corps  qu'il 

conduira  sera  plus  fort  et  considerable  que  Ton  ne  le  ju- 

gera  s'il  est  commande  par  un  autre  chef; 

»  Que  ledit  sieur  marechal,  venant  par  de(;a  avcc  toute 
I'infanterie  de  ladite  armee  et  lesdils  cinq  regimens  de 
cavalerie,  prennc  sa  route  le  long  de  la  fronlicrc  de 


Champagne ,  el  par  le  chemin  le  plus  court ,  sur  lequel 
Sa  Majestd  luy  fera  preparer  du  pain,  et  il  en  envoyera 
prendre  dans  les  villcs  pres  desquelles  il  passera  ;  et 
parce  que  Sa  Majeste  a  estim6  necessaire,  pour  seconder 
et  fortifier  la  cr^ance  dudit  sieur  marechal  aupres  de  ceux 
de  ladite  armee,  d'envoyer  par  dela  une  personne  expres 
de  sa  part  sur  cette  occasion  ,  elle  a  voulu  lui  depecher 
le  sieur  de  Mondevergues,  auquel  elle  a  toute  confiance , 
el  lui  a  faict  donner  des  letlres  de  creance  sur  luy  ,  tant 
pour  ledit  lieutenant-general  Rose,  que  pour  ledit  sieur 
Ohem  ct  autres  chefs  principaux  de  ladite  arm^e,  dont  les 
noms  ont  esle  laissez  en  blanc  pour  estre  remplis  sui- 
vanlce  qui  sera  ordonn^  par  ledit  sieur  marechal,  lequel 
prescrira  audit  sieur  de  Montdevergues  ce  qu'il  devra 
dire  auxditz  officiers  gen^raux  et  aux  colonels  desdits 
corps  de  cavalerie,  pour  les  porter  a  ce  que  Sa  Majesty 
desire  et  pour  agir  aupres  de  chacun  d'eux  comme  il  sera 
le  plus  convenable  en  cette  occasion. 

»  Ledicl  sieur  de  Paris  a  rapports  que  Ton  a  faict  courre 
beaucoup  de  mauvais  bruicts  du  traittemenl  qui  a  esl6 
faict  par  de^a  aux  regimens  de  Bambaket  deBoniiicausen, 
et  Ton  ne  double  pas  que  ledit  sieur  marechal  ne  sga- 
che  combien  ils  sont  ^loignez  de  la  v^rite.  Mais  elle  veut 
luy  faire  reniarquer  qu'on  leur  a  donn6  de  I'argent,  et 
en  outre  des  chevaux  pour  les  nionler,  el  tout  ce  qui  a 
esle  necessaire  pour  les  remettre  en  eslal  de  servir.  En 
sorte  qu'ils  auroient  este  ires-marris  de  n'estre  pas  venus 
d' Allemagne  servir  par  de?a,  et  qu'il  y  auroit  de  la  peine 
a  les  faire  retourner  de  dela  :  ce  qu'il  sera  bien  a  propos 
que  ledit  sieur  marechal  public  et  empeche  la  continua- 
tion de  ces  mauvaises  nouvelles ,  qui  ne  se  sont  sem^es 
parmy  ces  troupes  que  pour  pr^judicier  au  service  de  Sa 
Majeste  et  desgouter  ceux  qui  y  sonl  afleclionnez.  Ledit 
sieur  marechal  aura  sceu  ce  que  ledit  de  Paris  a  rap- 
port6  touchanl  la  personne  dudit  Bonnicausen  ,  qui  est 
qu'il  est  all^  servir  I'Empereur,  et  cela  estant ,  Sa  Ma- 
jeste seroit  en  pensee  de  donner  le  comrnandement  de 
son  regiment  de  cavalerie  a  quelque  bon  officier  qui  en- 
tenditla  langue,  comme  seroit  le  sieur  de  Sirot.  On  sera 
pourtant  bien  aise  de  sgavoir  si  ledit  sieur  marechal 
croiroil  qu'il  y  eut  inconvenient  en  cela. 

»  Faict  a  Amiens ,  le  26  juin  16i7.  » 

A  M.  le  marechal  de  Turenne,  pour  lui  dire  que,  soil 
que  le  regiment  des  corps  anciens  de  cavalerie  de 
I'armee  d' Allemagne  demeure  sur  le  Rhin  ,  ou 
qu'il  demeure  sur  la  Mozelle ,  il  marche  avec  le 
reste  des  troupes  vers  la  Flandre ,  ou  qu'il  y  en- 
votje  le  sieur  d' Hoquincourt : 

«  Mon  cousin  ,  bien  que  par  le  memoire  que  je  vous 
ay  envoy(5  en  vous  d^peschant  I;'  sieur  de  Montevergues, 
il  y  a  trois  jours,  je  vous  aye  assez  faict  cognoistre  que, 
si  vous  ne  pouvez  faire  venir  en  Flandre  toutes  les  trou- 
pes de  cavalerie  et  d'infanlerie  de  mon  armee  d'Allema- 
gne,  mon  intention  estoit  que  vous  vous  acheminassicz 
en  Flandre  avec  I'infanterie  de  madite  armde  et  les 
cinq  rc^gimens  qui  estoient  pretz  a  vous  suivre  ,  soil  que 
les  neuf  regimens  de  cavalerie  du  corps  ancien  de  ladite 
arm^e  qui  faisoient  difficult^  de  vous  suivre.vinssentsur 
la  Mozelle,  ou  que  vous  fussiez  oblige  de  les  laisser  au- 
dela  du  Rhin,  noantmoins,  doubtant  que  la  chose  vous 
ayt  este  assez  expliquec  par  ledit  rnomoire,  j'ay  bien 
voulu  vous  depescher  cc  courier  expres  pour  vous  dire, 
par  I'advis  de  la  Reyne  regentc,  madame  nia  mere  ,  que 
mon  intention  pM  (jue  .  soit  que  Icsdits  regimens  de- 


4J2 


MEftl'JIUES    DU    VICOMTE    HE    TURENNE.    [1G47 


TTient ,  ce  retardement  donneroit  lieu  aux  au- 
tres  d'en  faire  de  meme.  II  ne  passa  de  la  cava- 

meurent  au-deia  du  Rhin  ou  qu'ils  viennent  seulement 
sur  la  Mozelle ,  vous  ayez  en  ce  cas  a  marcher  en  Fian- 
dre  avec  le  reste  des  troupes  de  madile  arm^e ,  tanl  de 
cavalerie  que  d'infanterie,  sy  ce  n'est  que  vous  jugiez 
que  vostre  presence  soil  absolument  nc^cessaire  avec  les- 
dils  ii'gimens  de  cavalerie  pour  empescher  leur  perte, 
auquci  cas  vous  donnerez  le  commandement  de  toules 
les  troupes  d'infanterie  ct  du  reste  de  la  cavalerie  au 
sieur  d'lloquincourl  pour  amener  le  tout  en  Fiandre, 
ainsy  qu'il  est  plus  parlicuiierement  expliqu6  par  ledil 
niemoire,  auquel  me  remeltant,  je  ne  vous  feray  la  pr^- 
sente  plus  longue  que  pour  prier  Dieu  qu'il  vous  ait, 
mon  cousin,  en  sa  saincte  et  dignc  garde. 
»  Escrit  a  Amiens,  le  29  juin  16i7.  » 

Memoire  envoy e  a  monsieur  le  marechal  de  Turenne 
sur  ce  qu'il  auroit  a  faire  tourhant  la  dcsobeis- 
sance  de  Vancien  corps  de  cavalerie  de  I'armce  d'Al- 
lemagne. 

«  Le  Roy ,  ayant  sceu  ce  qui  a  esle  rapporl6  par  le 
sieur  de  Ravigny  de  ce  qu'a  faict  la  cavalerie  du  corps 
ancicn  de  I'arm^e  d'Allemagne  depuls  le  depart  du  sieur 
de  Paris,  que  ladite  cavalerie  a  donne  a  entendre  au 
sieur  mar(5chal  de  Turenne  qu'estant  payee  de  deux 
monstres .  elle  serviroit  aux  lieux  et  en  la  forme  qui  luy 
seroit  ordonnee  par  ledit  sieur  marcichal ,  et  quels  sont 
les  sentimens  dudit  sieur  marecbal  sur  cette  affaire,  Sa 
Majcste,  par  I'advis  de  la  Rcyiie  regente,  sa  mere,  la 
voulu  informerde  ses  intentions  par  le  present  memoire. 

))  Bien  qu'il  soit  dificile,  apres  I'effort  que  Ton  a  faict 
pourdonner  iine  monstre  entiere  a  ladite  arm^e  ,  d'en 
faire  fournir  une  seconde  a  ladite  cavalerie;  qu'apres 
ce  qui  s'est  passe  il  semble  qu'il  fiit  pen  convenable  a 
la  dignit(i  de  Sa  Majesle  de  cbercher  avec  beaucoup 
de  soins  et  de  peine  a  contenter  des  gens  qui  se  sont 
portez  a  une  d^sob^issance  si  ouverte  et  a  une  ex- 
tr^mit^  si  prejudiciable  a  son  service ,  n^antmoins  Sa 
Majesty  feroil  encore  un  dernier  effort  pour  donner  sa- 
tisfaction a  ladite  cavalerie,  si  elle  jugeoit  qu'apres cela 
elle  s'en  peust  mieux  asseurer  que  devSnt.  Mais  comme 
il  y  a  apparence  que.  quelque  despense  que  Ton  fist  pour 
les  contenter,  ils  ne  retombassent  encore  dans  une  mesme 
faule,  ayant  receu  un  sy  notable  avantage  ensuitte  de 
celle-cy  ,  Sa  Majesty  cstime  qu'il  faut  sortir  de  celtc  af- 
faire par  des  expediens  qui  luy  rendent  le  service  de  ce 
corps  plus  asseur^.  Celui  qui  a  estd  propose  par  ledit 
sieur  marechal  de  Turenne  de  licentier  les  mutins  de 
ladile  cavalerie,  et  d'annuler  le  traittd  geni^ral  qui  a  esle 
cy-devant  fait  avec  le  corps  enlier  de  ladite  cavalerie, 
apres  la  mort  du  due  de  VVeymar,  scmblcroit  fort  a  pro- 
pos;  mais  pour  le  faire  r(5ussir,  I'onestime  qu'il  faudroit 
tascherde  retirer  le  lieutenant-general  Roseetquelques- 
uns  des  offuiers  i)rincipaux  qui  sont  avec  les  mutins, 
parce  que  ce-seroit  un  moyen  de  s'asseurer  qu'ils  n'i- 
roient  pas  prendre  party  avec  les  enn'nnis. 

»  Qu'ensuitte  il  faudroit  faire  publier  une  ordonnance 
portant  (jue  tous  les  officiers  et  .soldats  qui  ont  eu  part 
a  la  niutinerie  auroient  a  rcntrcr,  dans  trois  jours,  dans 
leurdebvoir;  qu'en  ce  faisant  ils  auroient  abolition  de 
Icurs  crimes  et  (pi'il  leur  seroit  pr(^scntement  payd  une 
monstre,  une  autre  dans  quelque  temps,  et  encore  une 
autre  dans  la  fin  de  la  presenle  annee,  a  condition  tou- 
tesfois  qu'ils  serviroient  desormai.s  ct  serviroieiil  lout 
ainsy  (pie  les  autres  troupes  etrangeres  cstans  a  la  snide 
dc  Sa  Majesit*,  sans  qu'il  fut  plus  faict  de  mention  du 


lei'ie  allemande  que  le  regiment  de  Turemie ;  le 
vieux  regimeiil  de  Rosen  ayant  envoye  aussi- 

traitt(5  qui  a  est^  cy-devant  faict  avec  le  corps  entier  do 
laditte  cavalerie  ,  lequel  demeureroit  r^voqu^  de  leur 
consentement ;  et  a  I'esgard  de  ceux  qui  manqueroienta 
rentrer  dans  leur  debvoir,  dans  ledit  temps  de  trois 
jours,  ils  seroient  rdpules  infidelles  a  Sa  Majeste  et  punis 
comme  telz. 

»  Que  si  ledit  sieur  marc^chal  croit  qu'il  peust  r^ussir 
de  separer  ses  cavaliers  des  corps  mutinez  d'avec  les  offi- 
ciers ,  il  faudroit  pour  cet  effect  qu'il  fit  publier  quecha- 
que  cavalier  qui  se  viendroit  rendre  pres  de  luy  auroit 
son  pardon  ,  et  en  outre  trente  rischdalles ,  et  seroit  in- 
corpor^  aux  regimens  qui  se  trouveront  avec  ledit  sieur 
marechal,  ou  bien  dans  ceux  qu'il  formeroitdc  nouveau, 
et  que  Ton  traitteroit  de  la  mesme  sorte  les  officiers  qui 
se  d^lacheroient  d'avec  les  mutinez,  les  employantpar 
forme  d'augmentation  avec  les  troupes  qui  sont  dans 
I'obeissance ,  ou  bien  les  faisant  entrer  dans  celles  de 
nouvelle  levee  ,  et  qu'il  cxecutast  effeclivement  cette  pro- 
mcsse  ;  que  si ,  en  ce  faisant ,  Ton  pouvoit  retirer  les 
deux  tiers  des  mutinez ,  Ton  croit  que  ce  seroit  un  effect 
tres-consid^rable,  puisque  Ton  auroit  aboly  ledit  traittti 
g(5n(5ral ,  Ion  espargneroit  beaucoup  d'argent  et  Ton  se 
d^livreroit  de  I'apprehension  que  Ton  peut  justement 
avoir,  qu'ils  ne  retombent  dans  une  pareille  d^sobeis- 
sance,  et  ce  pourroit  estre  dans  une  occasion  en  laquellc 
ilz  feroient  encore  plus  de  prejudice  au  service  de  Sa 
Majesty  ,  outre  qu'il  seroit  difficile  que  d^sormais  ils  con- 
tinuassent  vers  ledit  sieur  marechal  la  meme  creance 
qu'ilz  ont  eue  en  luy  par  le  pass(5 ,  ny  aussy  qu'il  se  con- 
fiast  plus  en  eux,  et  il  se  Irouveroit  qu'il  auroit  plus 
cousin  a  Sa  Majesty  pour  les  contenter  qu'il  ne  faudroit 
pour  remettre  sur  pied  un  corps  autant  ou  plus  conside- 
rable que  celui  que  Ton  a  eu,  quand  toute  cette  cavale- 
rie a  este  dans  I'obeissance. 

»  Sur  ce  que  dessus,  Sa  Majesty  se  remet  entierement 
a  ceque  ledit  sieur  marechal  jugcra  estre  le  plus  a  pro- 
pos  et  plus  advantageux  a  son  service,  observant  qu'il 
se  doibt  attachcr  surtoul  au  licentiement  des  mutins , 
pourveu  qu'en  ce  faisant  il  puisse,  par  argent  et  parson 
entremise  et  credit,  conserver  la  plus  grande  partie  d'i- 
ceux  ,  en  sorte  qu'il  y  ayt  presque  les  mesmes  forces,  et 
que  Sa  Majeste  ne  soit  plus  lenue  audit  traitte. 

))  Quant  audit  sieur  marechal,  Sa  Majeste  approuve  la 
resolution  qu'il  a  prise  de  ne  point  marcher  avec  la  ca- 
valerie et  I'infanterie  qui  s'etoit  advancee  au-defa  du 
Rhin ,  afin  de  s'employer  aussy  forlement  qu'il  estoit 
necessaire  afin  d'empecher  la  cavalerie  allemande  de  sor- 
tir tout  a  fait  de  son  debvoir. 

»  Et  quoyque  Sa  Majeste  luy  aitmande,  par  le  sieur 
de  Montdcvergues,  de  venir  par  deca  avec  rinfanlcrio 
de  I'armee  et  la  cavalerie  qui  I'avoit  suivy,  et  de  faire 
que  la  cavalerie  qui  estoit  demeuree  vers  le  Rhin  s'a- 
vancast  sur  la  Mozelle  et  dans  le  Luxembourg ,  neant- 
moins  a  present  Sa  Majeste  desire  que ,  pour  obliger  les 
enncmis  a  lirer  de  Fiandre  une  partie  des  forces  qu'ilz 
y  ont  presentemcnt,  qu'aussytost  qu'il  aura  termine  I'af- 
faire  de  cette  cavalerie  mutinee ,  il  se  porte  ,  s'il  se  peut, 
avec  loutes  les  troupes  d'infanterie  et  de  la  cavalerie  de 
I'armee  du  Roy  dans  le  Luxembourg ;  qu'il  tasche  d'y 
dcmeurer  un  niois  ou  six  sepmaines,  entrei)renant  sur 
Arlon  ,  Rastongue  et  autres  places  qu'il  jugera  pouvoir 
prendre,  parce  qu'outre  qu'il  fera  une  diversion  consi- 
derable, il  ruinera  ledit  pais  de  Luxembourg,  prcndra 
quehjue  posle  sur  eux,  ct  soulagera  les  quartiers  neees- 
saires  pour  la  subsislance  de  I'armee  d'Allemagne,  sans 
s'esloigner  des  places  el  du  pays  qu'il  faul  conserver  de 


MEMOIBES    DL    VICOMTE    DE   TWRENNE 

t6t  aux  autres  regimens  allemans,  ils  se  joigni- 
rent  tous  a  lui  en  deux  hemes.  Le  lendemain , 


ce  costHa ;  et  estant  en  lieu  pour  y  relourner  en  six 
jours  toutcs  les  fois  que  le  besoin  s'en  offrira,  ceia  don- 
nera  de  la  satisfaction  au  due  de  Baviere  el  a  nos  ailiez 
en  Allemagne,  qui  nous  eussent  vcu  esloigner  du  Rhin 
avec  peine,  et  de  la  crainte  a  nos  ennemis,  qui  pensoient 
desja  pouvoir  profiter  de  nostre  dloignenienl  du  Rhin. 
L'on  eslime  aussi  que  ledit  sieur  marechal  se  doibld'au- 
tant  plustdt  porter  dans  le  Luxembourg,  qu'il  n'y  a  pr(5- 
sentement  ricn  a  faire  par  les  armes  du  Roy  en  Allema- 
gne; qu'il  ne  Irouvera  point  d'obslade  considerable  a 
faire  la  guerre  dans  ce  pays-la  ,  et  que  Ton  a  sccu  ,  par 
une  lettre  du  sieur  de  Tracy  que  Rose  luy  a  faict  cognois- 
tre,  qu'il  n'y  auroil  pas  de  difllculte  a  faire  ailer  ladite  ca- 
valerie  mulinee  dans  le  Luxembourg,  si  bien  qu'il  scm- 
ble  qu'en  quelque  facou  qu'il  sorte  de  rall'aire  de  ladite 
cavalerie ,  il  luy  sera  facile  de  la  faire  venir  de  ce  coste- 
la.  Et  cette  diversion  est  jug6e  si  utile  ct  necessaire  par 
Sa  Majest(^,  qu'elle  desire  que  si,  lors  de  la  reception  de 
cette  d^pesche,  ledit  sieur  mari^chal  estoit  en  marche 
pour  veuir  par  deca ,  suivant  ce  qui  luy  a  est(5  mand^ 
par  ledit  sieur  de  Monldevcrgues ,  il  relourne  vers  le 
Luxembourg  pour  executer  ce  qui  est  port(5  ci-dessus ; 
qu'en  ce  faisant ,  il  envoye  par  deca  un  corps  de  mil  ou 
douze  cents  chevaux ,  et  s'il  pent  y  en  faire  marcher  jus- 
ques  a  quinze  cens,  Sa  Majest6  en  recevroit  beaucoup 
de  contentement ,  et  mcsme  elle  d^sireroit  que  ce  fulde 
ceux  qui  se  sont  mutin^s,  veu  que  par  cc  moien  ledit 
sieur  marechal  seroildelivre  de  gens  qui  seront  tousjours 
capables  de  faire  d'autres  fautes ,  demeurant  tous  en- 
semble, et  nous  en  recevrions  un  renforl  considerable 
sans  avoir  sujet  d'apreheniler  qu'ilz  se  revoltassent,  es- 
tans  joints  a  une  grande  armee  que  Sa  Majcste  a  en 
Flandre.  Et  a  la  fin  de  la  campagnc  Ion  renvoycroit  au- 
dit sieur  marechal ,  non-seulement  ladite  cavalerie,  mais 
aussy  d'autres  regimens  de  cavalerie  et  un  corps  d'infan- 
terie  estrangere  pour  augmenter  le  nombre  de  la  slcnne, 
et  luy  donner  moyen  de  prendre  ses  quartiers  d'hiver 
auxdespens  des  ennemis  et  avec  tout  advantage. 

»  Et  comme  il  est  tres-important  au  service  du  Roy 
que  ladite  cavalerie  soit  au  plustot  par  dcca  ,  elle  desire 
qu'il  I'y  fasse  marcher  sans  perdre  aucun  moment  de 
temps  ,  la  faisant  passer  dans  le  royaume  par  le  plus 
court  chemin,  se  remeltant  a  luy  de  la  faire  commamler 
par  tel  offlcier  qu'il  advisera,  soit  frangois  ou  estranger. 
»  Sur  ce  que  ledit  sieur  de  Ravigny  a  dit  pardcfa  que 
le  sieur  d'Hoquincourt  ayant  pens6  que  son  emploi,  en 
quality  de  lieutenant-g(5neral  en  I'armdc  d'Allcmagne  , 
avoit  donn6  jalousie  au  sieur  Rose  et  avoit  cause  une 
partie  de  son  mecontentement,  s'est  retire  a  Nancy  pour 
donner  facilite  audit  sieur  marechal  de  ramener  ledit 
Rose  et  les  autres  chefs  de  ladite  cavalerie  a  leur  debvoir, 
et  y  attendre  les  ordres  de  Sa  Majesl(5 ;  elle  Irouve  bon 
que  si  cet  esloignement  du  sieur  d'Hocquincourt  pcul 
servir  a  faire  rentrer  les  Allemans  dans  I'ob^issance  ,  le. 
dit  sieur  marc^chal  promelte  audit  sieur  Rose  ce  qu'il 
jugera  a  propos  sur  ce  suject,  et  en  doiinera  avis  par 
dega,  afin  que  Sa  Majesle  fasse  sgavoir  audit  sieur  d'Ho- 
quincourt ce  qu'il  aura  a  faire,  son  intention  estant  de 
le  consid^rer  pour  un  autre  employ  tel  que  Taffection 
qu'il  a  faict  paroitre  dans  celui  qu'il  a  eu  jusques  a  pre- 
sent en  Allemagne,  et  mesme  en  cette  occasion,  le  peut 
meriter,  luy  s^acbant  beaucoup  de  gr^  de  sa  conduite 
en  cette  occurrence.  Comme  cc  qui  a  est^  mand<5  audit 
sieur  marechal  par  ledit  sieur  de  Montdevergues  est  dif- 
ferend  en  beaucoup  dcchoses  du  contenu  cy-dessus,  Sa 
^Iajest(^  desire  qu'il  s'arreste  a  ce  qui  est  poi  te  par  le 


[J647J  413 

les  prineipaux  officiers  de  I'aj  mee  viurent  trou- 
ver  M.  de  Turenne ,  et  demanderent  toutes  les 


present  memoire  en  toutes  les  choses  qui  sont  contraires 
a  ce  qui  luy  a  este  mand(5  auparavant ,  et  a  ce  qu'il  luy 
sera  diet  par  ledit  sieur  de  Paris,  auquel  Sa  Majesty  se 
remet  de  faire  entendre  particulierement  audit  sieur 
mar(5chal  I'estat  present  de  nos  affaires  en  Flandre,  en 
Catalogne  et  partout  ailleurs,  et  particulierement  comme 
les  ennemis  ont  pris  fort  a  leur  advantage  I'advis  qu'ilz 
out  eu  de  la  mutinerie  arriv(5e  dans  le  corps  de  la  cavale- 
rie allemande ,  au  lieu  qu'auparavant  ils  se  tenoient  per- 
dus  dans  la  Flandre  ,  sy  I'arraee  commandite  par  ledit 
sieur  marechal  se  fut  advanc^e  dans  le  Pays-Bas,  ainsi 
qu'il  avoit  ete  r^solu  ;  et  pour  fin  ,  Sa  Majeste  recom- 
niande  de  rechef  audit  sieur  marechal  de  faire  partir 
promptement  lesdits  corps  de  cavalerie  qu'elle  luy  or- 
donne  d'envoyer  par  deca,  et  de  s'advanccr  en  personne 
avec  le  reste  de  I'armee  dans  le  Luxembourg,  comme 
estant  chose  tres-importante  au  service  de  Sa  Majesle. 
»  Faict  a  Amiens ,  le  4juillet  1647.  » 

Addition  a,  ladite  Instruction. 

«  Sa  Majesty  faict  joindre  au  present  memoire  des 
lettres  pour  le  licentyement  des  regimens  de  cavalerie 
de  Rose ,  Saupadel ,  Oem  ,  Rushorm ,  Fleksleim,  Betz  , 
Schutz  ,  Vikesteim  et  dragons  de  Rose,  afin  que  ledit 
sieur  mareschal  puisse  s'en  servir  pour  ceux  et  ainsy 
qu'il  verra  estre  a  propos. 

»  En  suit  la  tencur  desdites  lettres  dudit  jour. 

»  Monsieur  le  colonel  Rose,  ayant  est6  bien  informe 
comme  les  ofHciers  et  chevaux-legers  de  vostre  regi- 
ment ont  reffuse  d'obeir  aux  ordres  qui  luy  ont  est^  don- 
nez  par  mon  cousin  le  marechal  de  Turenne,  mon  lieu- 
tenant-g^ndral  en  mon  armee  d'Allcmagne,  en  suite  de 
ceux  qu'il  avoit  receus  de  moi  de  passer  au  Pais-Bas  avec 
maditte  arm(5e  qui  s'est  mise  en  devoir  de  le  faire,  et  dont 
la  marche  n'a  este  retardde  que  par  cette  mutinerie,  au 
grand  prejudice  de  mon  service,  et  ne  voullant  pas  qu'une 
si  notable  d(Jsobdissance  demeure  sans  chastiment,  j'ay 
resolu  de  licentier  vostre  regiment  par  forme  de  puni- 
tion,  et  je  vous  faictz  cette  lettre  pour  vous  dire  ,  par 
I'advis  de  la  Reyne  regente,  madame  ma  mere,  queaus- 
sylost  que  vous  I'aurez  reccue,  vous  ayez  a  faire  retirer 
et  separer  tous  les  officiers  et  chevaux-legers  de  vostre- 
dit  regiment  de  cavalerie,  les  licenlyant  et  congediant 
pour  aller  ou  bon  leur  semblera,  comme  inutiles  a  mon 
service,  ayant  desplaisir  de  ce  que,  par  leur  faule  insigne, 
ils  se  soient  rendus  indignes  de  la  continuation  du  bon 
traittement  que  j'avois  dcssein  de  leur  faire  s'ils  eussent 
continue  a  me  servir  comme  par  le  pass6,  et  s'ils  eussent 
pu  profiler  du  bon  exemple  que  vous  leur  avez  donnd , 
estant  au  surplus  bien  satisfaict  de  vostre  conduite  en 
particulier  et  de  vos  services,  et  ddsirant  les  recognois- 
tre  aux  occasions  qui  s'en  offriront;  sur  quoi,  me  remel- 
tant a  mon  cousin  le  mareschal  de  Turenne  de  tout  ce 
que  je  pourrois  adjouter  a  cette  lettre ,  je  ne  vous  la  fe- 
ray  plus  longue  que  pour  prier  Dieu  qu'il  vout  ayt, 
monsieur  le  colonel  Rose,  en  sa  saiiicle  garde. 
»  Escript  a  Amiens,  le  4  juillet  1647.  » 

Ordre  portant  pouvoir  a.  monsieur  le  marechal  de 
Turenne  de  pour  voir  aux  demandes  dela  cavalerie 
allemande. 

«  Le  Roy,  ayant  appris  par  I'officier  qui  luy  a  estd  des- 
peche  de  la  part  des  haultz  et  has  officiers,  et  gc^ndrale- 
mcnt  de  ceux  <le  toutes  con  'ilions  des  regimens  de  ca- 


^f  I 


M  K  M 0 1 K  KS    I) L     \  1  CO  M  I  R    I)  I,    1 1  l\ E  .\  N  II 


IG-J 


montres  dues :  il  lenr  lit  connoitre  qu'il  etoit 
impossible  qu'ils  pussent  toucher  de  I'argent 

Valerie  de  son  armee  d'Allemagiie,  s^parcz  des  autres 
troupes  de  ladite  armde,  el  par  les  leltres  et  memoires 
dont  ilz  out  charge  ledit  officicr,  comme  ilz  ont  cu  plu- 
sieurs  considerations  sur  lesquelles  ilz  ont  est^  portez  a 
ne  pouvoir  marcher  vers  la  Flandre  ,  et  a  falre  plusieurs 
demandes  et  propositions  a  Sa  Majesty,  et  particuliere- 
ment  que  leurs  Equipages  ne  s'estant  pas  trouvez  en  cs- 
lat  de  f;iire  cc  voyage,  et  n'estant  pas  en  pouvoir  de  les 
restablir,  ilz  ont  esl6  contrainctz  a  demander  de  grandes 
sommes  pour  cet  effect  a  Sa  Majeste  sur  ce  qui  leur  est 
deub,  sans  que  pour  cela  ilsse  veuillent  aucunement  d(5- 
partir  du  service  qu'ils  sont  obliges,  par  leur  ancien  ser- 
mcnt,  de  rendrea  Sa  Majesty  ;  lequcl  au  contraire  ils 
ont  renouvell(5  sur  cette  occasion,  et  ont  protest^  qu'ils 
vouloient  vivre  et  mourir  pour  le  service  de  cette  cou- 
ronne,  a  I'exclusiondc  tous  autres  princes,  suppliansSa 
Majesty  d'oublier  ce  qui  s'est  passe  en  cette  derniere 
action ;  et  Sa  Majestd  aiant  este  bien  aisc  d'entendre  leur 
bonne  disposition,  sepromettant  qu'ils  lui  en  donneront 
des  effects  et  se  remettront  actuellenient  dans  leur  deb- 
voir,  Sa  Majesty ,  par  I'advis  de  la  Reyne  r^gentc,  sa 
mere,  ayant  donnd  tout  pouvoir  au  sicur  vicomte  de 
Turenne,  mar^chal  de  France ,  son  lieutenant-gdn^ral 
et  reprcsenlant  sa  personne  en  son  arm^e  d'Allemagnc, 
de  terminer  les  difficultt's  qui  ont  est(5  el  pourronl  estre 
meues  a  I'esgard  desdits  r(5gimens  de  cavalerie  ,  et  de 
promettre  dc  faire  ex(^culer,  au  nom  de  Sa  Majest6,  tout 
ce  qui  sera  a  faire  sur  cette  occasion  ,  a  renvoy^  et  ren- 
voye  audit  sieurmardchal  les  officicrs  tant  majors  qu'au- 
tres,  et  gen(?ralement  tous  ceux  de  ladite  cavalerie  alie- 
mande  s^pares  des  autres  troupes  de  ladite  arm^e,  pour 
leur  estre  pourveu  sur  leurs  plaintes  et  demandes,  selon 
qu'il  advisera  et  verra  estre  raisonable  et  possible  a  Sa 
Majestd,  les  assurant  qu'elle  fera  ponctuellement  execu- 
ler  tout  ce  qui  leur  a  cst(5  ou  sera  promis  par  ledit  sieur 
mar(5cbal  au  nom  de  Sa  Majeste'',  en  se  remettant  a  son 
service  et  dans  I'obdissaiice  qu'ils  lui  ont  promise  et  ju- 
r^e;  etque,  nioiennant  ce,  tout  ce  qui  s'est  pass^  de  leur 
part  sera  non  seulement  efface  de  la  m^moire  de  Sa  Ma- 
jesie  et  mis  a  pcrpeluel  oubly.mais  ne  diminuera  en 
rien  le  gre  que  Sa  Majest(5  leur  s^ait  de  leurs  services  ; 
mesme  que  la  paix  arrivant ,  elle  les  consid^rera  parti- 
culiercment  pour  continuer  a  les  entretenir  a  son  ser- 
viced les  gratlifler  dans  un  temps  auquel  elle  aura  les 
moiens  de  le  faire,  qui  lui  sont  rctranchez  par  les  lon- 
gueurs de  la  prescnte  guerre,  et  la  continuation  des  ex- 
cessivesdespenses  qu'elle  a  caus(5es  a  cet  eslat;  sur  quoi, 
comme  sur  toutes  les  autres  choses  qu'ils  peuventd(^sircr 
de  Sa  Majeste,  ils  scauront  plus  particulierement  ses 
intentions  par  ledit  sieur  marckbal,  auquel  elle  se  remet 
enlieremeiit. 
»  Faict  a  Dieppe  ,  le  5»  jour  d'aoustl6'i7.  » 

A  Monsieur  le  marechal  de  Turenne,  pour  faire  ame- 
ner,  de  Philisbourg  a  Nancy  ,  le  lieutenant- general 
Rose. 

«  Mon  cousin,  ayanl  r^solu  dc  faire  amener  de  Phi- 
lisbourg a  Nancy  le  lieutenant-g(?neral  Roze,  et  ayant 
cstim6  qu'il  seroil  bon  de  confier  cette  conduite  au  sicur 
de  Court ,  lieutenant  au  gouvernement  de  Philisbourg  , 
depuis  cette  place  jusqucs  a  Saverne,  et  au  lieutenant 
du  sieur  de  La  Fert(5-Sennelcrre ,  ou  audit  oflicier 
qui  commandera  sa  compagnie  de  chevaux-l<?gers, 
pour  le  mener  dans  la  citadelle  dc  Nancy  ou  il  sera 
gaid(^  jusqucs  a  nouvcl  ordre ;  je  mandc  au  sieur  de 
l-a  ("lavi6re  de   dnniier  les  ordres  n(^<'e$saiies  an  sieur 


avant  que  d'entrer  en  campagne ;  mais  s'ils 
marchoient,  il  leur  promettoit  de  tirer  toutes  les 

de  Court  pour  conduire  ledit  Rose  de  Philisbourg  a  Sa- 
verne, et  de  faire  marcher  avec  lui  sa  compagnie  de 
chevaux-l^gers,  et  ce  qu'il  pourra  tirer  de  troupes  de  sa 
garnison  pour  servir  a  son  escorte.  J'ordonnc  en  memo 
temps  au  sieur  de  La  Fert^-Senneterre  d'envoyer  sa 
compagnie  de  chevaux-legers  audit  Saverne,  avec  ordre 
a  celui  qui  la  commande  de  se  charger  de  la  personne 
dudit  Rose  :  ce  que  j'ai  bien  voulu  vous  faire  sgavoir  par 
cette  lettre,  et  mesme  vous  adresser  toutes  celles  que 
j'ai  faites  pour  cette  conduite,  et  y  adjouster  celle-ci 
pour  vous  dire,  par  I'advis  de  la  Reine  regente,  madame 
ma  mere  ,  que  si  vous  estimez  qu'il  soil  besoin  de  plus 
grandes  forces  que  lesdites  compagics  pour  mener  ledit 
Rose  en  toute  seurelc?,  vous  ayez  a  y  pourvoir  el  a  pres- 
crirc  audit  sieur  de  La  Claviere  et  aux  chefs  des  troupes 
que  vous  choisirez  pour  y  servir,  ce  qu'ils  auront  a 
faire,  et  mesme  qu'ils  ayenta  recognoistre  ledit  sieur  de 
Court,  et  ensuite  celui  qui  commandera  ladite  compagnie 
dudit  sieur  de  La  Ferte-Scnueterre ;  que  vous  fassiez 
que  ces  troupes  se  rendent  a  Philisbourg  sans  estre  ad- 
verlics  jusques  la  de  ce  qu'elles  auront  a  faire,  afin  que 
k'ur  marche  et  le  temps  de  leur  depart  ne  soient  point 
cogneus ;  et  n'obmettcz  rien  de  ce  que  vous  jugerez  ne- 
cessaire  pour  la  seurele  dc  cette  conduite,  en  sorle  qu'il 
ne  puisse  arriver  faule  de  la  personne  du  sieur  Rose :  de 
quoy  je  me  repose  princii)alement  sur  les  ordres  que 
vous  y  donnerez.  Je  vous  diray  aussi  que  mon  intention 
est  que  vous  fassiez  remettre  es  mains  dc  I'ollicier  qui 
commandera  ladite  compagnie,  les  papiers  qui  ontest(^ 
trouves  avec  le  secr(5taire  du  due  de  Vendosmc  lors- 
qu'il  a  et(^  arrests  ,  desquels  ledit  officier  se  chargera. 
Et  sur  ce  je  pric  Dieu  qu'il  vous  ait,  mon  cousin,  en 
sa  saincte  el  digne  garde. 
»  Escrita  Fontainebleau,  le28  septembre  1647.  » 

A  Monsieur  le  marechal  de  Turenne,  pour  lui  dire  de 
marcher  vers  le  Rhin  avec  I'armee  d'Allemagne  et 
de  laisser  dans  le  Luxembourg  un  corps  de  trois 
cens  chevaux  qui  recognoistra  M.  de  MaroUes. 

«  Mon  cousin  ,  ayant  eu  advis  que  le  due  de  Baviere 
a  ronipu  avec  la  couronne  de  Suede  la  neutrality  dont 
il  estoit  convenu,  et  vostre  presence  et  celle  de  mon  ar- 
mee  estant  neccssaires  en  Allemagne,  sur  cette  occur- 
rence, j'ay  bien  voulu  vous  faire  cette  lettre,  pour  vous 
dire,  par  I'advis  de  la  Reyne  regente,  madame  ma  mere, 
qu'aussitost  que  vous  I'aurez  receue,  vous  ayez  a  pren- 
dre vostre  marche  vers  le  Rhin  et  a  le  repasser  avec 
madite  armee,pour  vous  emploier  a  ceque  vous  verrez 
estre  plus  avantageux  a  mes  affaires  et  a  celles  tie  mes 
aliiez,  selon  la  cognoissancc  que  vous  avcz  de  I'estat 
dc  toutes  choses  de  ce  coste-la  ,  et  suivant  les  advis 
que  vous  recevrcz  dc  mos  plenipoteniiaires  a  Munster, 
auxquelsj'ay  mande  de  concerter  ce  qui  sera  a  faire  en 
cette  occasion  avec  les  plenipoteniiaires  de  la  couronne 
de  Suede,  et  dc  vous  en  adverlir;  a  quoi  je  de.>;ire  que 
vous  vous  conformiez.  Que  vous  laissiez  dans  Ic  Luxem- 
bourg et  aux  environs  de  Thionvillc  trois  cens  chcvaux, 
soil  en  corps  de  rc^giment  ou  en  gcnscommandez,  aiiisy 
que  vous  cstimerez  i>lus  a  propos,  soubz  la  charge  d'un 
officier  que  vous  choisirez  pour  cet  effect,  auquel  vous 
donnerez  ordre  de  faire,  avec  ladite  cavalerie  ,  tout  ce 
que  ledit  sieur  de  Marolles,  gouverneur  de  Thionvillc 
el  mart'chal  de  cmip,  leur  ordonnera  pour  mon  ser- 
vice; 

))    One  cnnitne  ccltc  cavalerie  no  sera  que  pour  obscr- 


l\li':M0I15F.S    lUJ    VICOMTP.    DK    TMvKN.XE.    [lG47] 


assurances  de  la  cour  pour  leur  entier  payement. 
lis  s'en  retournerent  avec  cette  repouse.  Le  len- 
deraain ,  il  envoya  M.  Rosen  et  M.  de  Traci 
pour  ieur  representer  le  prejudice  que  leur  re- 
sistance apporteroit  aux  affaires  du  Roi ,  et 
raeme  au  payement  de  leurs  montres,  s'ilslais- 
soient  passer  la  campagne  sans  rendre  aucun 
service  a  la  France. 

Quand  messieurs  Rosen  et  Traci  furent  arri- 
ves aupres  de  la  cavalerie,  les  officiers  d'en- 
tr'eux  qui  avoient  etc  les  plus  lies  avec  M.  Ro- 
sen ,  lui  remontrerent  que  I'affaire  etoit  a  un 
point  qu'il  n'y  avoit  plus  d'accommodemcnt  a 
esperer,  et  que,  s'il  ue  prenoit  le  parti  de  se 
raettre  a  leur  tete,  ils  en  choisiroient  quelqu'au- 
tre  ,  et  qu'ainsi  il  demeureroit  parmi  les  Fran- 
cois sans  aucune  consideration.  M.  Rosen  prit 
le  parti  de  deraeurer  avec  eux  ,  disant  que  les 
troupes  le  retenoient  par  force ;  mais  M.  de 
Traci  vint  relrouver  M.  de  Turenne,  qui,  ayant 
vu  partir  la  meme  nuit  le  bagage  de  M.  Rosen 
pour  aller  joindre  la  cavalerie  revoltee,  ne  douta 
plus  qu'il  ne  fut  de  concert  avec  les  Allemans. 
Le  lendemain  ,  sa  maniere  d'agir,  en  envoyant 
des  ordres  par  tout  le  pays  ,  et  en  se  faisant  re- 
connoitre des  troupes  corame  general ,  fit  voir 
bien  clairement  son  dessein.  Tl  envoya  querir 
des  batteaux  a  Sti-asbourg,  que  les  habitans  lui 
accorderent,  a  cause  des  menaces  qu'il  leur  fit 
de  bruler  tons  leurs  villages  s'ils  les  lui  refu- 
soient ;  il  marcba  ensuite  pour  repasser  le  Rhin. 
M.  de  Turenne,  ayant  appris  ses  demarches, fit 
neuf  lieues  d'AIIemagne  en  un  jour,  avec  trois 
mille  hommes  de  pied  et  les  quatre  regimens  de 
cavalerie  francoise,  et  le  sien  allemand  ,  et  ar- 
riva  tout  aupres  de  cette  cavalerie  qui  commen- 
coit  a  passer  le  Rhin.  Fort  etonnes  de  la  promp- 
titude de  sa  marche ,  et  de  le  voir  si  pres  d'eux, 
ils  envoyerent  des  officiers  deputes  ,  qui  dirent 
que  si  on  laissoit  la  cavalerie  repasser  le  Rhin 
comme  ils  Tavoient  promis ,  qu'ensuite  ils  fe- 
roient  lout  ce  que  M.  de  Turenne  leur  comman- 
deroit ;  il  fut  quelque  temps  en  doute  s'il  les 
chargeroit  ou  leur  permettroit  de  repasser  le 
Rhin.  lis  etoient  en  telle  confusion,  qu'il  n'y 
avoit  rien  a  craindre  a  prendre  le  premier  parti : 
le  procede  meme  de  M.  Rosen  ,  que  M.  de  Tu- 
renne avoit  toujours  trnitte  si  favorablement, 
meritoit  un  juste  ressentiment ;  mais  la  promesse 
que  la  cavalerie  faisoit  de  retourner  au  service 

ver  le  general  Bek  et  s'opposer  a  ce  cju'il  pourroit  en- 
liepienclre  surma  frontiere,  vous  prcsciiviez audit  sieur 
(le  Marolles  ce  qu'il  aura  a  faire  pour  cette  fin,  et  onion- 
iiiez  a  lofQcier  quiservirasoubzluy  de  vous  aller  rejoin- 
dre  lorsque  les  troupes  que  j'ay  faict  detacher  de  nion 
arini^e  de  I'laiidre.  composecs  de  celles  qui  soiit  snubz 


4  1 ,1 

du  Roi,  et  leloignement  qu'avoit  M.  de  Tu- 
renne de  vouloir  prendre  une  vengeance  par- 
ticuliere,  lui  firent  consentir  a  permettre  que 
les  mutins  repassassent  le  Rhin  ;  apres  quoi  ils 
se  separerent  en  diverses  caballes.  M.  Rosen 
n'etant  plus  leur  maitre  ,  une  partie  des  officiers 
voulut  revenir  servirle  Roi;  mais  les  cavaliers, 
ne  voulant  plus  les  suivre  et  craignant  le  cha- 
timent ,  elurent  des  cavaliers  pour  les  comman- 
der, et  ne  reconnurent  plus  leurs  officiers. 

Pendant  ce  temps-la ,  la  campagne  s'avancant 
en  Flandre  ,  M.  de  Turenne  y  envoya  les  qua- 
tre regimens  francois  de  cavalerie  qui  lui  res- 
toient,  et  s'en  alia  avec  douze  ou  quinze  per- 
sonnes  avec  lui ,  au  lieu  ou  etoient  les  Allemans, 
jugeant  bien  que,  dans  la  confusion  ou  ils  etoient, 
personne  n'auroit  assez  de  credit  pour  lui  faire 
un  deplaisir.  II  passa  le  pont  de  Strasbourg  ,  et 
s'en  alia  au  quartier  de  M.  Rosen ,  ou  etoient 
loges  quatre  regimens  de  cavalerie  ;  M.  Rosen 
vintau-devant  de  lui  avec  beaucoup  d'officiers, 
fort  embarrasses  au  commencement.  M.  de  Tu- 
renne alia  diner  avec  lui  dans  une  hotellerie  au 
bout  du  pont  de  Strasbouig,  dans  le  dessein  de 
le  mener  promptement  en  deca  du  pont ,  et 
ainsi  se  saisir  de  lui ;  mais  le  nombre  d'officiers 
qui  etoient  avec  M.  Rosen  ayant  empeche  M.  de 
Turenne  d'executer  ce  dessein  ,  il  resolut  d'al- 
ler  coucher  au  quartier  de  M.  Rosen  ,  et  d'at- 
tendre  un  temps  plus  propre.  Les  regimens 
qui  etoient  au  quartier  de  M.  Rosen  ,  scachant 
la  venue  de  M.  de  Turenne  ,  monterent  a  che- 
val  etse  retirerent  avec  une  grande  confusion; 
mais  ayant  ete  assures  que  M.  de  Turenne  ve- 
noit  coucher  dans  leurs  quartiers  sans  aucunes 
troupes  avec  lui ,  ils  revinrent  vers  le  soir.  M.  de 
Turenne  soupa  chez  M.  Rosen  ,  avec  quantite 
d'officiers ,  et  dans  la  bonne  chere  et  le  vin  , 
toutes  chosps  furent oubliees  en  apparence.  Quoi- 
que  les  cavaliers  fussent  dans  leurs  quartiers 
avec  les  officiers ,  ils  ne  laissoient  pas  nean- 
ntioins  d'avoir  des  deputes  (c^est  ainsi  qu'ils  les 
appeloient )  choisis  d'entr'eux  pour  les  comman- 
der ,  et  les  officieis  n'avoient  plus  de  part  aux 
resolutions  qu'ils  prenoient.  On  avertit  M.  de 
Turenne  a  rainuit  que  les  cavaliers  vouloient 
marcher  vers  le  marquisat  de  Baden,  pour  s'e- 
loigner  davantage  du  pont  de  Strasbourg.  Re- 
solu  de  s'en  aller  avec  eux  ,  il  marcha  avec  tous 
les  officiers  a  la  tete  des  escadrons  ,  et  envoya 

la  charge  du  sieur  vicomtc  de  Lamet,  que  d'autres  dont 
j'ay  rdsolu  de  vous  fortifier,  passeront  ences  quartiers-la 
I)our  marcher  vers  vous.  C'est  ce  que  jc  vous  diray  par 
cette  lettre,  priant  Dieu  qu'il  vous  ayt,  mon  cousin,  en 
sa  saincte  et  digne  garde. 
»  Fsoripl  a  Fnntainehlean,  Ic  11  oriobre  IfiH.  » 


416 


MEMOIKES    l)V    VICOMTi: 


les  quartiers-mattres  au  logeraent  avec  la  garde, 
n'y  ayant  aucun  officier  qui  eut  du  credit :  ce 
qui  eut  paru  aux  personnes  qui  n'en  scavoient 
pas  le  fond,  une  chose  contrefaite  a  plaisir,  pour 
dissimuier  queique  intention  contraire  a  ce  qui 
paroissoit. 

On  marcha  deux  jours  de  cette  facon,  et  le 
troisieme ,  comme  on  pensoit  sejourner,  toute  la 
eavalerie  se  trouva  a  neuf  heures  du  matin  au 
quartier-general  :  ils  envoyerent  des  deputes  a 
M.  de  Turenne ,  pour  lui  demander  les  montres 
dues;  il  montaacheval,s'en  alia  lestrouver,  et 
leur  dit,  a  la  tete  des  escadrons  ,  que  de  deman- 
der un  argent  comptant,  c'etoit  demander  I'im- 
possible,  et  qu'en  repassant  le  Rhin  ,  ils  iroient 
au-devant  de  leur  payement ;  ils  demanderent  a 
M.  de  Turenne  s'il  leur  en  repondoit ;  lui,  ne 
voulant  s'engager  a  rien  qu'a  ce  qui  pouvoit  etre 
execute,  ne  leur  donna  d'autre  parole  que  de 
payer  la  montre  qui  etoit  prete  ,  et  de  faire  ce 
qu'il  pourroit  afin  qu'ils  fussent  payes  du  reste. 
Apres  cette  reponse ,  ils  firent  semblant  de  vou- 
loir  se  saisir  de  la  personne  de  M.  de  Turenne, 
lequel,  voyant  bien  la  chose  etre  hors  d'appa- 
rence,  demeura  avec  eux  ,  et  leur  commanda  de 
se  retirer  dans  leurs  quartiers  d'ou  ils  etoient 
partis  le  matin.  M.  Rosen,  qui  etoit  toujours  avec 
M.  de  Turenne  ,  perdoit  tons  les  jours  son  cre- 
dit aupres  de  tous  les  officiers  principaux  de  ce 
corps ;  comme  on  ne  s'adressoit  plus  a  lui  pour 
aucun  commandement ,  il  en  fut  beaucoup  che- 
que, et  tacha  de  persuader  a  M.  de  Turenne  de 
se  retirer  a  Stolhoffen,  lui  representant  le  peu 
de  surete  qu'il  y  avoit  pour  lui ,  et  qu'il  envoye- 
roit  de  la  ses  ordres  avec  la  meme  autorite  qu'e- 
tant  present.  M.  de  Turenne  ne  voulut  point 
s'eloigner  des  troupes ,  et  logeoit  toujours  chez 
Mc  Rosen  ,  n'ayant  aucun  equipage  ,  mais  seu- 
lement  quatre  personnes  avec  lui ,  atin  d'oter 
tout  sou  peon  ;  mais  aussi  M.  Rosen  n'avoit  pas 
un  si  grand  credit  qu'il  ne  fut  aise  de  voir  que 
les  troupes  ne  prendroient  pas  son  parti  quand 
il  seroit  arrete. 

On  arriva  a  huit  lieues  de  Philisbourg  ,  dans 
une  petite  ville  nommee  Etiingen,  ou  un  regi- 
ment d'infanterie  des  mutins  faisoit  la  garde  : 
M.  de  Turenne  fit  venir  la  nuit  cent  mousque- 
taires  de  Philisbourg ,  leur  commanda  de  se 
trouver  a  la  pointe  du  jour  a  I'ouverture  de  la 
porte,s'y  en  alia  lui-raeme ,  personne  n'etant 
leve  dans  le  quartier,  en  laissa  cinquante  a  la 
jjorte ,  ordonna  a  la  garde  de  poser  les  armes , 
et  envoya  les  cinquante  autres  chez  M.  Rosen  ; 
apres  I'avoir  fait  lever,  il  le  fit  marcher  a  I'in- 
stant  a  Philisbourg,  le  fuisant  embarquer  sur  le 
Rhin,  a  deux  lieues  du  qunrlicr.  II  envovci  que- 


DE  Tl]aE^^E.   [IG17] 

rir  en  meme  temps  tous  les  officiers  qui  com- 
mandoient  les  regimens  de  eavalerie  ,  a  qui  il 
dit  qu'il  avoit  fait  arreter  M.  Rosen  ,  et  leur 
commanda  de  ne  le  plus  reconnoitre.  II  trouva 
une  parfaite  obeissance  dans  tous  les  officiers , 
qui  promirent  qu'ils  feroient  ce  que  M.  de  Tu- 
renne leur  commanderoit.  La  meme  mutinerie 
demeura  cependant  parmi  les  cavaliers  ;  mais 
depuis  la  prise  de  M.  Rosen ,  il  ne  leur  resta 
personne  pour  les  commander  :  tous  les  offi- 
ciers ,  jusqu'aux  caporaux  ,  demeurerent  aupres 
de  M.  de  Turenne ;  deux  regimens  meme  ren- 
trerent  dans  le  devoir,  et  ne  voulurent  point 
suivre  les  autres  ,  qui  marcherent  vers  laFran> 
conie  ,  ayant  elu  des  chefs  parmi  les  mutines. 

M.  de  Turenne  les  suivit  avec  tous  les  offi- 
ciers et  avec  quelques  escadrons ,  et  au  bout 
de  quelques  jours  ,  il  les  atteignit  dans  la  vallee 
du  Tauber  ;  comme  c'etoit  un  pays  ferre ,  il  ne 
craignit  point  de  les  approcher,  quoiqu'ils  fus- 
sent en  beaucoup  plus  grand  nombre  ;  eux  qui 
croyoient  qu'il  n'osat  les  attaquer,  commence- 
rent  a  defiler  pour  gagner  une  montagne.  M.  de 
Turenne  les  ayant  vus,lit  charger  leur  nrriere- 
garde ;  les  autres  qui  etoient  engages  dans  le 
passage  voulurent  rebrousser  en  diligence,  mais 
on  les  mit  en  telle  confusion  qu'on  les  rompit 
entierement :  M.  de  Turenne  pensa  etre  pris  a 
une  premiere  charge  qu'il  avoit  faite  avec  quinze 
ou  vingt  chevaux  ;  on  tua  deux  ou  trois  cens 
hommes ,  et  on  en  prit  autant  de  prisonniers  ; 
ce  qui  etoit  engage  par  dela  le  passage  s'en  alia 
en  diligence  a  la  riviere  du  Mein,  et  une  partie 
de  ce  debris ,  hors  quatre  regimens  ,  joignit 
queique  temps  apres  les  Suedois. 

Comme  la  campagne  n'etoit  pas  achevee  en 
Flandre ,  ou  M.  de  Turenne  avoit  envoye  la  ea- 
valerie qui  lui  restoit  apres  la  mutinerie  des  Al- 
lemans,  il  raccommoda  avec  ce  debris  tous  les 
regimens ,  hors  deux  ;  mit  des  officiers  dans 
toutes  les  compagnies  ,  et  leur  donna  des  cava- 
liers qui  avoient  ete  pris,  ou  qui  s'etoient  venus 
rendre  apres  le  combat  des  mutines.  II  marcha 
ensuite  dans  le  Luxembourg  avec  son  infanterie 
et  ces  regimens  raccommodes ;  mais  il  recut  or- 
dre  de  la  cour  de  ne  pas  passer  outre ,  et  d'y 
faire  seulement  une  diversion  ,  en  prenant  quel- 
ques mechans  chateaux  :  ce  qu'il  fit ,  et  obligea 
M.  Bee  de  se  separer  de  I'armee  de  Flandre , 
avec  un  corps  de  quatre  ou  cinq  mille  hommes, 

L'hiver  approchant  et  otant  tout  moyen  aux 
uns  et  aux  autres  de  rien  faire  dans  ce  canton  , 
M.  de  Turenne  apprit  que  les  choses  etoient  bien 
changees  en  Allemagne,  et  que  M.  de  Baviere, 
voyant  I'Empercur  prcssc  par  Irs  Suedois ,  avoit 
lompu  le  traite  fait  avec  les  deux  couronnes,  et 


vf':>!o:kes  uv   vicomte  ue  TrrvE.\r<F,    [1648^ 


4t 


avoit  cnvoye  son  arraee  joiudre  celle  de  I'Empe- 
reur,  pousse  les  Suedois  jusques  dans  le  pays  de 
Brunswick,  regagne  beaucoup  de  pays  que  Ton 
avoit  conquis  quand  les  armees  de  France  et  de 
Suede  se  joignirent  I'annee  d'auparavant.  Cette 
nouvelle  obligea  la  cour  de  lui  envoyer  des  or- 
dres  de  retourner  en  Allemagne.  Ayant  appris 
sur  sa  route  que  la  garnison  de  Frankendal  as- 
siegeoit  AVorms  ,  11  envoya  un  corps  de  cavale- 
rie  qui  en  fit  lever  le  siege,  et  marcha  vers 
Mayence  ,  et  prit  dans  sa  marche  le  chateau  de 
Falkestem.  II  fit  faire  un  pont  sur  ie  Rhin  au- 
pres  d'Oppenheim ,  et  demeura  dans  le  pays  de 
Darmstadt  bien  avant  le  mois  de  Janvier,  en  at- 
tendant que  les  Suedois  fussent  en  etat  de  mar- 
cher ;  mais  I'etat  de  leur  armee  ne  le  permet- 
tant  pas ,  et  ayant  besoin  de  quelque  temps  pour 
remettreet  reraonter  leur  cavalerie,  M.  de  Tu- 
renne  fut  oblige  de  se  retircr  vers  Strasbourg. 

[IG-IS]  Ayant  eu  permission  d'aller  a  la  cour, 
et  ayant  distribue  des  quartiers  en  Lorraine  pour 
rarmee,il  etoit  preta  partir  pour  la  France,  lors- 
(jue  Madame  la  landgrave  de  Hesse  lui  envoya 
un  gentilhomme  qui  avoit  ordre  de  lui  dire 
que  I'armee  des  Suedois  etoit  en  etat  de  marcher, 
pourvu  que  celle  du  Roi  repassat  le  Rhin  pour 
lajoindre.  C'etoit  un  grand  contre-temps  d'etre 
oblige  de  marcher  huit  jours  par  le  pays  dont  il 
etoit  venu  ,  et  qui  etoit  entierement  ruine ,  avec 
une  armee  bien  delabree  qui  s'attendoit  d'avoir 
des  quartiers  pour  se  remettre  5  neaumoins  M.  de 
Turenne  crut  Taffaire  si  importante  qu'il  se  con- 
tenta  d'envoyer  M.  de  Vautorte  a  la  cour ,  pour 
lui  apprendre  qu'il  alloit  repasser  le  Rhin  et  la 
prier  de  I'assister.  11  donna  dix  jours  pour  re- 
mettre I'artillerie ,  envoya  en  Suisse  chercher 
des  chevaux ,  retourna  a  Mayence  dans  le  mois 
de  fevrier ,  y  repassa  le  Rhin  et  alia  dans  la  Fran- 
conie  joindre  les  Suedois,  quoiqu'il  fut  huit  jours 
pendant  cette  marche  sans  trouver  presque  de 
paille  pour  les  chevaux.  Pour  I'infanterie,  il  com- 
manda  que  Ton  fit  des  manteaux  a  cause  que 
la  saison  etoit  fort  rude  ;  de  sorte  qu'il  se  trouva 
au-dela  du  Rhin  avec  quatre  mille  hommes  de 
pied,  quatre  mille  chevaux  et  vingt  pieces  de 
canon ,  avec  douze  ou  quinze  places  conquises , 
en  fort  bon  etat. 

Quelque  temps  avant  que  de  passer  le  Rhin, 
M.  de  Turenne  ecrivit  a  M.  le  due  de  Baviere 
et  lui  mandaque,  des  qu'il  s'etoit  declare  contre 
les  Suedois,  le  Roi  avoit  resohi  de  rompre  de  sa 
part  letraite  qui  s'etoit  fait  avec  lui.  M.  de  Tu- 
renne scavoit  bien  quel'intenlion  de  la  cour  etoit 
qu'il  fit  ce  qu'il  pourroit  contre  I'Empereur; 
mais  il  n'avoit  point  d'ordre  expres  de  declarer 
la  guerre  a  M.  de  Baviere.  Comme  le  bruit  se 

III.    C.     D.     M.,    T.    III. 


repandit  dans  toute  I 'Allemagne  que  Ton  s'en- 
tendoit  toujours  en  France  avec  M.  de  Raviere, 
il  crut  qu'une  declaration  ouverte  rassureroil  les 
Suedois  et  tons  les  princes  allemans  allies  de  la 
France,  et  Ton  approuva  cette  demarche  a  la 
cour. 

L'armeedu  Roi,  se  trouvant  au-dela  du  Rhin, 
marcha  en  laissant  la  riviere  du  Mein  a  ladroite, 
et  joignit  les  Suedois  entre  la  Hesse  et  la  Fran- 
conie.  Apres  cette  jonction ,  un  corps  de  Hes- 
siens  ,  qui  etoit  venu  avec  les  Suedois,  s'en  re- 
tourna au  pays  de  Hesse,  et  les  deux  armees  pas- 
serent  le  Mein.  Celles  de  I'Empereur  et  de  Ra- 
viere ,  qui  s'etoient  affoiblies  par  de  petits  sieges 
dans  la  Hesse,  apres  avoir  pousse  les  Suedois  , 
s'en  retirerent  en  diligence  vers  le  Danube ,  re- 
passerent  ce  fleuve  et  se  mirent  a  convert  d'ln- 
golstadt,  place  qui  appartenoit  a  M.  de  Baviere. 
Les  armees  de  France  et  de  Suede  s'arreterent 
sur  le  bord du  Danube, oil  Ton  sejourna  quelques 
jours  dans  I'incertitude  oil  Ton  iroit.  M.  Wran- 
gel  qui  commandoit  I'armee  de  Suede  avoit  des- 
sein  d'aller  dans  le  haut  Palatinat ;  mais  comme 
M.  de  Turenne  craignoit  qu'insensiblement  le 
progres  de  la  guerre  ne  le  menat  vers  la  Bo- 
heme,  et  que  par  la  on  s'eloigneroit  trop  de  la 
Souabe,  qui  etoit  le  seul  lieu  dont  il  pouvoit  ti- 
rer  les  choses  necessaires  pour  I'armee,  ne  vou- 
lut  point  y  aller.  On  fut  quelques  jours  en  nego- 
ciation  sans  qu'il  pariit  neanmoins  rien  d'altere 
dans  les  esprits  ;  on  se  separa  ensuite  n'etant 
point  d'accord.  Les  Suedois  marcherent  a  I'en- 
tree  du  haut  Palatinat ,  et  M.  de  Turenne  avee 
I'armee  du  Roi  s'en  alia  entre  la  Franconie  et 
I'eveche  de  Bamberg,  scachant  bien  que  les  Sue- 
dois n'iroient  pas  seuls  en  Boheme,  et  se  tenant 
assez  pres  deux  pour  pouvoir  les  rejoindre  quand 
iis  auroient  change  de  pensee.  Les  cavaliers  mu- 
tines  dont  j'ai  parle,  que  Ton  avoit  charges  sur 
le  Tauber,  qui  etoient  avec  les  Suedois,  obli- 
geoient  aussi  M.  de  Turenne  a  ne  pas  s'eloigner 
de  la  Souabe.  H  y  en  avoit  bien  quatre  cens  qui 
s'etoient  remis  dans  I'armee  du  Roi ,  et  les  Sue- 
dois, craignant  deperdre  le  reste,  vouloientat- 
tirer  I'armee  francoise  dans  une  guerre  eloignee 
du  Rhin  et  du  Danube  ,  afin  par-lade  degoiJter 
le  reste  des  Allemans  qui  n'esperoient  plus  I'ar- 
gent  qui  leur  pourroit  venir  de  France,  et  les 
quartiers  que  M.  de  Turenne  leur  avoit  promis 
dans  la  Souabe.  Les  regimens  meme  des  mutines 
qui  etoient  dans  I'armee  des  Suedois ,  causoient 
tous  les  jours  de  petits  desordres  entre  les  offi- 
ciers  des  armees ;  mais  11  n'y  parut  rien  au  pro- 
cededes  generaux,  qui  sevoyoient  tous  les  jours. 
II  s'y  passa  la-dedans  force  petites  choses  qui 
seroicnt  trop  iongues  a  ecrire. 

27 


MEMOIBES    Dli    VICOMTE    DE   TUREIS^E.    [l6-»8j 


4  IS 

Les  Suedois ,  ayant  vu  que  I'armee  du  Roi  de- 
meuroit  aux  frontleres  de  I'eveche  de  Bamberg, 
et  ne  jugeant  pas  devoir  s'eloigner  davantage  des 
Francois,  se  donnerent  rendez-vous  vers  Rot- 
terubourg  sur  le  Tauber,  et  marcherent  ensem- 
ble pour  se  rafraichir  aux  frontieres  de  Wirtem- 
bero-.  Apres  y  avoir  sejourne  environ  trois  se- 
maines ,  scaehant  que  les  armees  de  I'Empereur 
et  de Baviere  etoient  vers  Ulm ,  ils  y  marcherent. 
Comme  on  arriva  aupres  du  Danube ,  les  armees 
ennemies  qui  etoient  au-dela  passerent  un  pont 
aupres  d'Ulm ,  ou  il  y  eut  quelque  escarmouche , 
et  le  lendemain  continuerent  leur  route  entre 
Lawingen  et  Ausbourg  ,  et  se  camperent  a  trois 
lieues  de  Lawingen  ,  place  que  le  Roi  tenoit  sur 
le  Danube. 

Les  armees  du  Roi  et  de  Suede  marcherent 
droit  a  Lawingen  ou  M.  de  Turenne,  M.  Wran- 
gel  et  M.  Konigsmarc  laisserent  I'armee  qui  se 
campa  a  une  lieue  de  Lawingen ,  prirent  trois 
mille  chevaux  avec  eux ,  et  passerent  le  pont  pour 
aller  reconnoitre.  Comme  ils  eurent  traverse  le 
marais  qui  est  au-dela  de  Lawingen  ,  qui  dure 
bien  une  lieue ,  ou  il  faut  toujours  defiler ,  ils 
firent  halte  et  envoyerent  un  parti  pour  scavoir 
ce  que  faisoient  les  ennemis :  au  bout  de  deux 
heures  il  rapporta  que  leur  armee  etoit  campee 
a  une  heure  et  demie  de  la ,  qu'ils  n'avoient  point 
d'alarme,  que  tous  leurs  chevaux  etoient  a  la  pa- 
ture,  et  qu'il  n'avoit  rencontre  aucun  parti  qui  eut 
decouvert  les  trois  mille  chevaux  ,  ni  qui  put  voir 
si  les  armees  confederees  etoient  arrivees  pres  de 
Lawingen.  On  delibera  qucique  temps  si  avec 
les  trois  mille  chevaux  on  pousseroit  la  grande 
garde  ,  ou  si  on  tomberoit  sur  leurs  chevaux  qui 
etoient  a  la  pature ;  mais  on  resolut  de  demeu- 
rer  la  nuit  en  un  lieu  convert  avec  les  trois  mille 
chevaux,  et  d'envoyer  des  adjudans  avec  I'ordre 
aux  armees  de  marcher  toute  la  nuit ,  de  laisser 
leur  bagage  dans  le  quartier  et  de  se  rendre  au 
point  du  jour  au  lieu  ou  on  les  attendoit.  Cela 
reussit  comme  on  I'avoit  propose ,  et  a  deux  heu- 
res du  jour  les  armees  etant  arrivees,  celle  du 
Roi  ayant  I'avant-garde ,  ou  marcha  droit  au 
camp  des  ennemis,  en  detachant  mille  chevaux 
commandes  pour  les  engager  au  combat.  Comme 
on  arriva  pres  de  leur  camp,  on  vit  qu'il  bruloit 
et  qu'il  y  avoit  environ  trente  escadrons  en  halte 
et  quelques  bagages  qui  fdoient  par   un  bois. 
Dans  le  temps  qu'on  avancoit  en  diligence,  quel- 
ques uns  de  ces  escadrons  s'approchoient  du  bois, 
et  les  mille  chevaux  commandes  commencerent 
a  escarmoucher  ;  mais  comme  il  y  avoit  de  I'in- 
fanterie  dans  le  bois  et  que  les  escadrons  enne- 
mis se  revirerent  fort  a  propros ,  ils  ne  s'embar- 
lasserent  gueres  de  ces  commandes  qui  furcnt 


fort  souvent  repousses.  Le  regiment  de  ca\a- 
lerie  de  M.  de  Turenne  s'etant  avance  pour  sou- 
tenir  les  commandes,  chargea  I'infanterie  de 
I'ennemi  dans  le  bord  du  bois,  et  en  ayant  tue 
quelques-uns,  leur  cavalerie  se  mit  en  confusion. 
C'etoit  I'arriere-garde  de  Montecuculli  qui  com- 
mandoit  une  aile  de  I'armee  de  I'Empereur  : 
on  ne  pent  pas  se  mieux  comporter  qu'il  faisoit 
en  cette  retraite  ;  mais  comme  la  cavaleiie  de 
I'armee  du  Roi  et  des  Suedois  arrivoit  de  tous 
cotes,  il  fut  impossible  que  la  confusion  ne  vint 
a  la  fin  a  cette  arriere-garde ,  laquelle  fut  poussee 
a  travers  ce  bois.  Dans  une  plaiue  au-dela,  Me- 
lander,  general  de  I'armee  de  I'Empereur,  emme- 
na  deux  mille  mousquetaires ,  quelque  cavalerie 
et  du  canon  pour  soutenir  cette  arriere-garde,  et 
arreta  quelque  temps  notre  cavalerie ;  a  la  fin 
Melander  fut  tue,  et  sa  cavalerie  repoussee dans 
un  autre  bois  par-dela  la  plaiue.  Son  infanterie 
etoit  au  bord  du  bois ;  mais  les  Suedois  ayant 
pris  avec  leur  cavalerie  un  chemin  a  gauche,  la 
couperent  au  milieu  du  bois ,  la  cavalerie  de  I'ar- 
mee du  Roi  passa  par  la  plaine  par  oil  elle  vou- 
loit  se  retirer:  de  sorte  que  dans  la  plaine  et  dans 
lebois  les  ennemis  perdirent  cette  infanterie  avec 
huit  pieces  de  canon ,  beaucoup  d'etendarts  et 
une  partiede  leurs  bagages.  On  les  suivit  bien 
une  heure  et  demie  depuis  la  mort  de  Melander ; 
et  apres  que  leur  cavalerie  se  fut  un  pen  reraise 
ensemble ,  car  leur  infanterie  etoit  a  plus  de 
quatre  heures  derriere,  on  vit  au-dela  d'un  ruis- 
seau  fort  creux  six  ou  sept  escadrons  de  I'en- 
nemi qui  faisoient  halte.  On  n'y  trouva  point  de 
passage  que  celui  qu'ils  gardoient,  qui  etoit 
fort  etroit.  Comme  on  eut  fait  halte  on  vit  ve- 
nir  trois  bataillons  d'infanterie  qui  vinrent  s'y 
fortifier;  et  sur  les  hauteurs,  loin  de  la,  on 
voyoit  quelques  troupes  et  du  bagage  tout  en 
desordre.  On  attendit  le  canon  pour  faire  delo- 
ger  la  cavalerie  et  I'infanterie  ennemies  qui  se 
retranchoient ;  mais  on  tira  avec  quinze  ou  vingt 
pieces  contre  cette  infanterie  et  cette  cavalerie, 
dont  il  y  en  eut  plus  de  la  moitie  tues  sur  la  place 
sans  que  les  ennemis  quittassent  le  passage.  Les 
escadrons  ne  faisoient  que  changer  de  place ,  et 
Ton  voyoit  un  escadron  de  six  vingts  ou  centcin- 
quante  chevaux  reduit  a  cinquante  ou  soixante , 
sans  s'ebranler. 

Le  regiment  d'infanterie  de  Turenne  voulut 
gagner  le  passage,  mais  il  y  perdit  cent  cin- 
quante hommes  et  fut  oblige  de  se  retirer  sans 
I'emporter.  C'etoit  M.  le  due  Ulric  de  Wirtem- 
berg  qui  commandoit  cette  cavalerie  comme 
general-major,  et  qui  certainement  sauva  le 
reste  des  armees  de  I'Empereur  et  de  Baviere. 
On  se  lassa  de  tirer  eontre  lui  avec  ce  nombre 


ISIEMOIEKS    Dll    VICOMTE    DE    TLRENNE 


(le  pieces  qui  n'etoient  eloignees  que  d'une  pe- 
tite portee  de  mousquet.  Les  troupes  de  I'enne- 
mi ,  qui  avoient  ete  iin  peu  ebranlees ,  se  ras- 
surerent  ensuite,  et  perdirent  plus  de  la  moitie 
de  leurs  gens  a  coups  de  canon,  sans  temoigner 
d'epouvante.  On  voyoit  cependant  I'armee  de 
I'ennemi  qui  tachoit  de  se  rasspmbler  sur  une 
hauteur,  a  une  demi-lieue  du  passage,  et  qui 
cnvoya  des  gens  pour  relever  les  troupes  qui 
avoient  ete  si  ruinees  du  canon ;  mais  il  n'y  en 
vint  qu'une  partie ,  Tautre  ayant  ete  dissipee  et 
nyant  pris  la  fuite  par  les  coups  d'artillerie 
qu'on  leur  tiroit  quand  on  les  voyoit  venir  en 
corps.  Comme  on  avoit  suivi  I'ennemi  plus  de 
quatre  heures  et  avec  grande  diligence,  le  corps 
d'infanterie  neput  arriver  qu'un  peu  devant  la 
nuit ,  et  ainsi  on  ne  la  put  pas  employer  a  for- 
cer ce  passage.  L'ennemi ,  des  qu'il  commenca 
a  faire  obscur,  se  retira  avec  le  reste  de  son 
armee  sous  Ausbourg ,  (jui  n'etoit  qu'a  deux 
heures  de  la,  et  y  passa  la  riviere  du  Lech. 

Od  sejourna  le  lendemain ,  et  on  marcha  le 
jourd'apres  au  pont  de  Rain,  qui  est  une  place 
que  M.  de  Baviere  tenoit  sur  le  Lech  ,  a  cinq 
heures  au-dessous    d' Ausbourg.  Les    ennemis 
mirent  le  feu  au  pont  et  demeurerent  avec  leur 
armee  de  I'autre  cote  de  I'eau,  au  meme  lieu  oii 
Tiili  avoit  taehe  de  defendre  le  passage  au  Roi 
de  Suede ,  et  nous  avancames  le  canon  et  mimes 
des  mousquetaircs  au  meme  lieu  oil  Gustave 
avoit  loge  les  siens.  Apresune  escarmouche  qui 
dura  depuis  midi  jusqu'a  !a  nuit ,  les  ennemis 
se  retirerent  de  leurs  postes  sans  bruit  et  mar- 
cherent  avec  toute  leur  armee  vers  Munich.  Le 
lendemain  matin  on  fit  passer  un  gue  a  la  cava- 
lie  suedoise  et  a  celle  du  Roi ,  commandee  par 
M.  de  Duras,  au  nombre  de  mille  chevaux; 
mais  avec  grande  difficulte,  parce  que  ce  gue 
ne  valoit  rien.  Ce  detachement  suivit  les  enne- 
mis pendant  deux  ou  trois  lieues ,  et  fit  quelques 
prisonniers  a  leur  arriere-garde.  Toute  I'armee 
passa  au  pont  de  Rain  que  Ton  fit  raccommoder 
et  que  les  ennemis  abandonnerent ,  et  on  mar- 
cha vers  Neubourg.  On    laissa  pour  garder  le 
pont  de  Rain  deux  mille  hommes  commandes 
par  M.  de  Laval  ,  general- major  dans  Tarraee 
du  Roi ;  on  campa  la  nuit  a  Neubourg,  et  Ton 
marcha  le  lendemain  vers  Frisiogen,  qui  est  sur 
la  riviere  d'Iser.  Les  ennemis  se  trouvcreiit  en- 
core de  I'autre  cote,  ayant  abandonne  la  ville 
de  Frisingen  qui  est  en  deca  :  on  s'y  logea  et 
I'on  tenta  divers  passages  sur  I'lser.  Alors  les 
ennemis  se  retirerent  derriere  la  riviere  d'Inn  , 
apres  avoir  mis  un  bon  nombre  de  leur  iiifante- 
rie  dans  Munich ,  dans  Weissembourg  et  dans 
Iiigo'.stadt. 


[1648]  419 

M.  de  Baviere,  en  ce  temps-la  ,  quitta  Mu- 
nich oil  il  etoit,  se  retira  derriere  la  riviere 
d'Inn ,  et  s'en  alia  avec  fort  peu  de  suite,  dans 
un  age  fort  avance,  dans  I'archeveche  de  Saltz- 
bourg  ,  ou  il  fut  a  peine  recu  qu'il  songca  a  pas- 
ser dans  le  Tyrol.  Les  arraees  traverserent  I'Iser 
et  marcherent  sur  I'lnn  ou  I'on  ne  put  attaquer 
Weissembourg,  a  cause  du  nombre  d'infanterie 
qui  etoit  dedans.  Alors  on  marcha  plus  has,  le 
long  de  la  meme  riviere,  pour  selogeraMuldorf, 
oil  on  fit  toutes  choses  possibles  pour  la  passer  ; 
mais  comme  elle  etoit  beaucoup  plus  large  et 
plus  profonde  que  le  Lech  et  riser,  et  que  Ton 
n'avoit  point  de  batteaux ,  on  ne  put  jamais 
planter  des  pilotis  dans  I'eau  ,  quoiqu'il  y  eiit 
une  fort  petite  resistance  de  I'autre  cote  ,  de  la 
part  des  ennemis,  qui  ne  parurent  qu'au  nombre 
de  quinze  cens  ou  deux  mille  tout  au  plus. 

Les  armees  de  France  et  de  Suede  n'avoient 
jamais  penetre  si  avant,  et  il  etoit  d'une  ex- 
treme consequence  de  passer  la  riviere  d'Inn  ,  a 
cause  du  pays  d'Obernperg  qui  en  est  fort 
proche ,  et  qui  est  des  terres  hereditaires  de 
TEmpereur,  que  I'on  eut  certainementfait  sou- 
lever  :  on  sejourna  quinze  jours  aMuldorf,  du- 
rant  lequel  temps  et  celui  qui  s'etoit  passe  de- 
puis la  raort  de  Melander,  I'Empereur  avoit  fait 
de  grandes  levees,  et  M.  de  Baviere  avoit  en- 
voye  beaucoup  de  chevaux  a  Passaw  pour  re- 
monter  la  cavalerie,  ou  M.  de  Picolomini,  qui 
fut  envoye  pour  commander  les  armees,  les 
mit  ensemble;  et  apres  avoir  amasse  un  corps 
tres  -  considerable ,  qui  pouvoit  bien  etre  de 
neuf  ou  dix  mille  hommes  de  pied  et  de  quinze 
mille  chevaux ,  avec  beaucoup  de  canon  ,  il 
passa  le  Danube  a  Passaw,  et  les  armees  oppo- 
sees  se  trouverent  a  cinq  ou  six  heures  les  unes 
des  autres. 

On  ne  jugea  pas  a  propos  d'attendre  I'ennemi 
sur  rinn  ,  mais  plutot  sur  I'Iser,  ou  on  a\oit  la 
commodite  de  moulins;  ainsi  on  marcha  a  Din- 
gelsing,  qui  est  sur  User,  ou  Ton  campa.  Les 
ennemis  vinrent  a  Lindaw,  qui  en  est  a  une 
heure  et  demie  sur  la  meme  riviere.  Les  ar- 
mees du  Roi  et  des  Suedois  commencerent  a  se 
retrancher,  et  les  Suedois  a  faire  deux  ponts  sur 
riser  aveo  des  pilotis ,  qui  furent  acheves  en 
quatre  ou  cinq  jours.  Les  offieiers  de  I'artilie- 
rie  de  I'armee  du  Roi  apprireut  d'eux  a  en  faire 
de  meme;  de  sorte  qu'il  y  eut  trois  ponts  faits 
sans  avoir  de  batteaux  et  sur  une  riviere  fort 
creuse  et  assez  large.  Les  bleds  etant  murs, 
I'infanterie  alloit  battre  le  grain  quand  la  cava- 
lerie alloit  au  fourage  ,  de  sorte  qu'il  n'y  avoit 
point  de  necessite.  On  demeura  quatre  sen^aines 
dans  le  camp,  les  ennemis  etant  fort  pres  et  les 

27. 


420  MEMOiaiS    nil    VICOMTE 

gardes  a  la  vue  les  unes  des  autres  :  il  s'y  passa 
fort  souvent  des  actions  dans  les  convois  de 
fourages  et  dans  les  partis  (1). 

Durant  ce  temps-la ,  I'armee  de  I'ennemi  di- 
minuoit  beaucoup  plus  que  la  notre  :  quand  on 
arriva  dans  ce  camp  ,  elle  etoit  beaucoup  supe- 
rieure  ;  raais  au  bout  des  quatre  semaines,  elle 
avoit  perdu  beaucoup  de  gens.  M.  Konigsmarc, 
qui  s'etoit  separe  avec  quelques  troupes  deux 
jours  apres  la  defaite  de  Melander,  s'etant  em- 
pare  de  Pragues,  les  Imperiaux  y  envoye- 
rent  peu  de  troupes ;  raais  la  prise  de  cette 
ville  leur  abattit  beaucoup  le  coeur.  On  de- 
meura  en  Baviere  jusqu'a  ce  que  les  raauvais 
temps  de  I'arriere-saison  obligerent  I'armee 
de  se  retirer.  II  y  arriva  durant  ce  temps- 
la  un  accident  aux  Suedois ,  par  une  chasse 
que  M.  Wrangel  voulut  faire  aupres  de  Mu- 
nich ,  ou  il    perdit  quelques  etendarts ,  sept 


(1)  Les  details  de  cette  irruption  en  Kaviere ,  que 
Ton  trouve  dans  I'histoire  du  viconitc  do  Turcnne,  par 
Ramsay,  ont  ^U  pris  dans  une  relation  manuscritc  faite 


DE    TimF,N\E.    [IG-IS] 

ou  huit  cens  chevaux  et  quantite  d'offlciers. 
Apres  que  les  armees  furent  sorties  de  la  Ba- 
viere ,  on  repassa  le  Lech  aupres  de  Landsberg ; 
on  tra versa  le  Danube  a  Donawert,  et  Ton  alia 
vers  Aischtet,  en  tirant  vers  le  haut  Palatinat. 
Pendant  cette  irruption  en  Baviere ,  ou  il  y  eut 
beaucoup  de  pays  conquis  et  beaucoup  d'interets 
differens,  il  n'y  eut  jamais  rien  qui  causat  la 
moindreaigreur.L'infanteriedemeuroittoujours 
au  centre,  et  la  cavalerie  de  chaque  armee  rou- 
loit  d'une  aile  a  I'autre.  Les  officiers  generaux 
des  deux  armees  commandoient  a  leur  tour  aux 
detacheraens,et  par  la  il  n'y  avoit  aucune  diffi- 
culte.  Comme  cette  campagne  avoit  fort  gene 
I'Empereur  et  M.  de  Baviere,  ilspresserent  fort 
la  paix,  qui  se  conclut  bientot  a  Munster.  Alors 
M.  de  Turenne  se  retira  avec  I'armee  vers  la 
Souabe,  et  les  Suedois  marcherent  dansle  pays 
de  Nuremberg. 

par  un    officier  qui  sorvit  pendant  toute  cette  cam- 
pagne;  elle  fesait  partic  des  papicrs  du  mai(5clial. 


LIVRE     DEUXIEME 


DES    GUERRES     EN     FRANCE. 


[164'j]  Apres  la  conclusion  de  la  paix  de 
AVestphaiie,  I'armee  du  Roi  se  retira  dans  ses 
quartiers  de  Souabe  etde  Wirtemberg,  et  M.  de 
Turenne  y  demeura  pendant  I'hi ver.  Dans  cet  in- 
tervalle  les  brouilleries  de  Frances'echaufferent 
et  parvinrent  aim  tel  point,  que  la  Reine  fit 
sortir  le  Roi  hois  de  Paris,  et  Tarmee  royale  prit 
ses  quartiers  toutautour  dela  viiie,  avecdessein 
de  raffamer.  M.  le  prince  de  Conti ,  M.  de  Lon- 
gueville,  M.  d'Elbeuf,  M.  de  Bouillon  (l)  et 
quantite  de  personnes  demeurerent  dans  la  ca- 
pilale ,  persuadees  que  dans  une  minorite  on  ne 
pouYOit  pas  entreprendre  une  chose  de  si  grande 

(1)  Dans  ce  merae  lemps  la  Reine  ^crivit  successive- 
luent  les  lettres  suivantes  a  Turenne  au  sujet  du  due  de 
liouillon  : 

«  Mon  cousin,  quoiqu'il  vienne  d'arriver  un  bruit  de 
Paris  que  M.  voire  frere  a  pris  parti  avee  le  parlement, 
qui  est  a  present  dans  une  rebellion  toute  d^claree  ,  je 
oe  puis  y  ajouter  foi  quand  je  fais  reflexion  qu'il  scavoit 
ce  que  j'ai  resolu  pour  ce  qui  regarde  voire  ^tablisse- 
ment,  el  cequeje  voulois  faire  pour  sesinterets  particu- 
liers  et  pour  ceux  de  toute  la  famille.  Mais,  quoi  qu'il  en 
soil,  je  suis  si  assur^e  que  non  seulement  vous  n'y  pron- 
drez  aucune  part,  mais  que  vous  d^testercz  son  action , 
si  elle  setrouvoit  veritable,  queje  ne  vous  faisces  lignes 
a  autre  fln  que  pour  vous  temoigner  la  conGance  cntiere 
que  j'ai  en  vous,  et  vous  assurer  de  la  continuation  de 
mon  affection  ,  me  remettant  du  surplus  a  mon  cousin 
le  cardinal  Mazarin,  queje  s^ai  mieux  que  pcrsonne  etre 
le  meilleur  de  vos  amis;  cependant  je  demeure  votre 
bonne  cousine, 

»  Anne. 

»  A  Sainct-Germain-en-Laye,  le  11  Janvier  16'i9.  » 

Au  mcme. 

«  Mon  cousin,  la  faute  ou  est  retomb(5  votre  frere,  le 
due  de  Bouillon  ,  dans  le  temps  raeme  qu'il  scavoit  que 
j'avois  fait  ou  r(^solu  lout  ce  qui  pouvoit  regarder  ses 
avantages  el  ceux  de  sa  maison  ,  me  louche  principale- 
ment  pour  le  ddplaisir  queje  srai  qu'elle  vous  causera  ; 
car  pour  le  reste  ,  je  suis  tclloment  persuad^e  de  votre 
affection  et  de  votre  aliachement  aux  int^rets  du  Roi 
monsieur  mon  Qls,  et  aux  miens,  queje  suis  certaine  que 
voire  zele  augmentera  plutot  dans  ces  conjonclures . 
qu'il  n'est  a  craindre  qu'aucune  consideration  de  proxi- 
mil6  y  puisse  apporter  la  moindrc  alt(5ration.  Assurcz- 
vous  aussi  queje  redoublerai  les  effets  de  ma  confiance 
el  de  ma  bonne  volont^,  et  que  voire  consideration  me 
sera  loujourssi  recommandable,  queje  ne  ferai  point 
de  diffjculte,  quelque  grand  que  soil  le  crime  de  voire 


consequence  sans  la  participation  des  princes 
du  sang  et  des  grands  du  royaurae,  Aussit6t  on 
envoya  quelqu'un  de  la  cour  a  M.  de  Turenne 
pour  scavoir  ses  sentimens,  qui  ne  les  deguisa 
point ;  il  manda  meme  a  M.  le  cardinal  Maza- 
rin de  ne  plus  faire  aucun  fondement  sur  son 
amitie  s'il  continuoit  d'agir  ainsi ;  que  ,  quand 
il  passeroit  le  Rhin  avec  I'armee  pour  retourner 
en  France ,  ce  ne  seroit  qu'avec  le  dessein  de 
procurer  la  paix ,  et  nullement  pour  aider  a 
soutenir  une  action  qu'il  ne  croyoit  point  que 
Ton  diit  entreprendre  si  legerement. 

II  se  passa  quinze  jours  ou  trois  semaines 

frere,  de  faire  pour  votre  ^gard  seul  ce  que  vous  pouvez 
so.uhaiter  pour  les  honneurs  de  la  maison,  et  me  remet- 
tant a  ce  que  j'ai  charge  mon  cousin  le  cardinal  Mazarin 
de  vous  mander,  je  demeure,  avec  beaucoup  de  ten- 
dresse,  voire  bonne  cousine, 

»  Anne. 

»  A  Sainct-Germain-en-Laye,  le  28 Janvier  1649.  » 

Au  meme. 

«  Mon  cousin ,  quoique  je  vous  aye  d^ja  mand^  les 
bonnes  intentions  que  j'ai  pour  vous ,  et  a  voire  consi- 
d^ralion  pour  toute  voire  maison,  j'ai  voulu  n^anmoins, 
dans  I'occasion  du  voyage  du  sieur  de  Ruvigni  par  dela, 
vous  faire  celle  leltre  pour  vous  les  expliquer  encore 
plus  particulierement.  Je  vousdirai  done,  louchant  les 
honneurs  de  votre  maison,  que,  des  la  premiere  fois  que 
je  vous  verrai ,  je  vous  ferai  jouir,  sans  autre  delai,  des 
pr(5rogatives  dont  il  avoit  6l^  remis  de  parler  apr^s  la 
majority  du  Roi ,  monsieur  mon  fils.  A  regard  de  la  sou- 
verainete  de  Sedan,  el  pour  ce  qui  concerne  le  due  de 
Bouillon,  voire  frere,  quoique  sa  faule  soil  aussi  grande 
quelle  se  peut  concevoir,  d'aulant  plus  qu'il  n'ignoroit 
pas  les  intentions  favorables  pour  toulce  qui  pouvoit  le 
regarder,  je  ne  me  disposerai  pas  seulement  a  I'oublier 
et  a  la  pardonner,  pour  I'amour  de  vous ,  des  qu'il  ren- 
trera  en  son  devoir,  mais  pour  la  meme  raison  je  le  ferai 
jouir  des-lors  desdites  prt^rogatives  qui  avoient  616  re- 
mises a  la  majority ;  et  louchant  r(5change  de  Sedan  ,  il 
y  sera  iraite  aussi  favorablement,  et  aux  memes  con- 
ditions qui  avoient  6l6  arret^es  en  dernier  lieu.  'Vous  de- 
vez  prendre  loules  ces  avances  pour  une  pure  marque 
d'affection  que  je  vous  porle,  el  elre  assure  qu'en  toules 
aulres  rencontres  ouj'aurai  lieu  de  vous  obliger,  vous 
n'en  recevrez  pas  des  effets  moins  soliJcs  ;  cependant  je 
demeure  votre  bonne  cousine  , 

»  Anne. 

»  ASaincl-Germain-tMi-Laye,  le  29  Janvier  IGVJ.  » 


422 


ME.MOIEKS    DU    VICOMTK    DE    TllRKiMN'I 


dans  Ics  voyages  de  la  cour  a  I'armee,  ct  de  Tar- 
mee  a  la  cour.  M.  de  Tiirenne  ne  voulant  rien 
donner  a  entendre  a  la  cour  que  ce  qui  etoit  sa 
veritable  intention,  ni  faire  croire  au\  ministrcs 
qu'il  vouloit  dependre  eutierement  d'euxquand 
il  seroit  arrive  en  France,  pour  autoriser  une 
entreprise  qu'il  ne  croyoit  pas  legitime  en  aucun 
temps,  et  principalement  dans  une  minorite  , 
d'autaut  plus  que  personne  encore  n'avoit  pris 
les  armes  conlre  le  Roi ,  ni  temoigne  aucune 
desobeissance  ouverte.  Ilyavoit,  a  laverite, 
des  compagniesqui  avoient  marque  I  rop  de  cha- 
leur;  raais  c'etoit  plutdt  par  des  intcrets  parti- 
culiers  que  par  un  dessein  fornae  de  se  revolter 
contre  la  cour. 


(l)LeUie  du  Roi  a  Monsieur  Ic  mar^chal  de  Turenne, 
touchant  les  affaires  du  Roy  en  AUemagne  : 

«  Mon  cousin  ,  aiant  appris  I'estatdes  affaires  de  dela 
par  le  retour  du  sieur  Millet,  j"ay  bien  vouiu  voiis  faiie 
cetle  lettre  pour  vous  dire,  par  I'advis  de  la  Reyne  re- 
gente,  madame  ma  mere,  queje  trouve  bon  que  vous 
retiriez  auprez  de  vous  les  deux  regimens  de  cavalerie 
qu'il  vous  avoit  esli  mande  d'envoyer  au  sieur  d'Erlac  , 
n'aiant  pas  besoin  a  present  de  plus  de  troupes  que  cel- 
les  qui  sont  prez  de  moi ,  pourreduirele  prettendu  par- 
lement  et  ceux  de  Paris  a  la  raison  ;  que  mon  intention 
est  que  vous  n'obmelticz  aucune  ciiose  pour  forlifler 
mon  arm^e,  afln  que,  la  paix  d'AlIemagnc  eslanl  execu- 
Ue  ,  comme  je  n'en  double  pas  qu'eiie  ne  soil  au  plus 
tard  avant  la  mi-mars,  et  en  joignant  aux  troupes  de 
raon  armt'e,  el  a  cclles  qui  sont  soubz  la  charge  particu- 
liere  dudit  sieur  d'Erlac,  les  garnisons  des  places  que 
vous  rendrez  ,  vous  soyiez  en  estat  de  servir  puissam- 
ment  contre  les  Espagnols,  en  cas  qu'ils  s'opiniastrassent 
A  la  conlinualion  do  la  guerre  ;  que  cependant  vous  ap- 
portiez,  de  voslre  part,  tout  ce  qui  d^pendra  de  vous  pour 
faciliter  I'execution  de  cctte  paix,  et  pour  vous  prevaloir 
pour  mon  service  du  licentyement  des  troupes ,  taut  de 
I'armee  de  la  couronne  de  Suede,  que  de  cclles  de  I'Em- 
pereur  et  de  Bavicrc,  estant  ties  asseur^  que  le  sieur 
Hervard  emploiera  vulonticrs  lout  son  credit  pourfour- 
iiir  quelque  somme  considerable  pour  cesujet; 

»  Et  que,  jusqu'a  I'entiere  exdcution  de  ladite  paix,  il 
n'est  pas  a  prupos  que  vous  repassicz  le  Rliin,  veu  mes- 
mes  que  I'ambassadcur  de  ma  soeur  la  reyne  de  Suede, 
pres  de  moi,  est  venu  expies  me  trouvcr  en  ce  lieu  pour 
me  faire  de  fortes  instances  afin  de  laisser  mon  arm^e 
au-dcia  du  Rliin,  apr^hendant  que  les  bruif-ts  de  Paris 
ne  m'obligenta  I'appeler  par  deca  ; 

»)  Que  je  d(^sire  plus  que  jamais  de  donner  satisfaction 
aux  troupes  dont  elle  est  composee,  apres  avoir  rendu  des 
services  considerables,  comme  elle  faict  dans  I'Alle- 
magne,  et  que  sy,  pourl'obliger  a  repasser  le  Rliin,  il  est 
n(5cessaire  que  le  sieur  Hervard  s'engage  en  sou  nom 
pour  ce  que  vous  jugerez  a  propos  de  promettre  a  madile 
arm^e,  je  suis  asscur^  qu'il  le  fcra  selon  queje  lui  ay 
prescrit  et  qu'il  a  bien  exprcss^ment  promis  a  son  d^- 
I)art  d'aupres  do  moi ;  que,  lorsque  vous  verrez  la  paix 
d'Allemagne  proche  de  son  enlicre  execution,  vous  me 
depeschiez  une  personne  expressc  pour  m'en  donner  ad- 
vis,  afin  que  par  son  retour  je  puisse  vous  faire  s^avoir 
la  marche  que  vous  aureza  lenir,  et  la  manierc  avcc  la- 
(juelle  ilsera  pourvcu  a  la  subsistance  de  mon  armee; 


[1649] 

M.  de  Tu'cnne,  ayaut  fait  connoJtre  ses  sen- 
timens  a  la  cour,  paria  aux  ofiiciers,  et,  hors 
deux  ou  trois  regimens,  tons  promirent  de  mar- 
cher ou  il  vouloit.  Aussitot  que  la  cour  scut  qu'il 
alloit  passer  le  J\liin,  elle  se  decouvrit  tout  a 
foit,  ce  qu'elle  n'avoit  pas  fait  jusqu'alors, 
n'ayant  envoye  d'autre  ordre  que  celui  de  ra- 
mener  Tarmee  en  France  quand  la  paix  seroit 
faite  en  AUemagne  (l).  La  cour  envoya  done 
des  ordres  expres  a  tons  les  officiers  de  ne  plus 
reconnoitre  M.  de  Turenne,  fit  tenir  trois  cans 
mille  ecus  sur  le  Rhin  ,  et  promit  de  payer  les 
quatre  ou  cinq  montresdues;  ce  qui,avec  la 
sollicitation  de  M.  d'Erlac  (2),  ebrania  six  regi- 
mens allemans,  qui  allerent  pendant  toute  la 


c'est  ce  que  je  vous  diray  par  celte  lettre ;  priant  Dieu 
qu'il   vous  ayt,    mon  cousin,  en  sa  saincle  et  digne 
garde. 
»  Escrit  a  Sainct-Germain-cn-Laye,  le8  f^vrier  1649.)) 

(2)  Lettre  de  Louis  XIV,  au  sujet  du  mar^chal  de  Tu- 
reune,  a  M.  d'Erlac. 

«  Monsieur,  sur  les  divers  soub(-ons  ct  les  advis  que 
j'ay  ens  que  le  marechal  de  Turenne  est  engage  dans 
les  desseins  du  due  de  Bouillon  ,  son  frere,  qui  s'est  (16- 
clard  par  dega  contre  mon  service,  j'adresse  mes  ordres 
aux  sieurs  Hervard  et  Millet ,  afin  de  concerter  avec 
vous  sur  les  moyens  de  le  faire  arrester  et  de  conserver 
mon  arm(5e  d'Allemagne  a  mon  service ;  et  j'ay  bien 
voulu  vous  faire  cette  lettre  ,  pour  vous  dire  ,  par  I'ad- 
vis dela  Reyne  r^gente ,  madame  ma  mere,  que  vous 
aycz  a  vous  employer  avec  I'addresse  convenable  pour 
vous  assurer  de  la  personne  dudict  marechal,  selon  et 
ainsi  que  vous  adviserez  ,  avec  lesdicts  sieurs  Hervard 
et  Millet ,  et  le  ferez  mettre  en  lieu  seur,  oil  il  soit  tenu 
soubz  bonne  et  seure  garde  jusqu'a  nouvel  ordre ;  quo  , 
soit  que  vous  arrestiez  ledict  marechal  ou  non ,  vous 
ayez  apres  les  assurances  que  vous  donneront  les  sieurs 
Hervard  et  Millet ,  qui  sont  engages  pour  mon  service , 
a  prendre  le  commandement  de  madicte  arm^e,  en  ver- 
tu  do  I'ordre  qui  sera  ci-joinct,  et  pour  employer  a  en 
detacher  los  troupes  et  les  parliculiers  qui  pourroient 
estre  a  la  devotion  dudict  mareschal,  en  sorle  qu'il  ne 
soit  suivi  d'aucun,  s'il  se  pent,  et,  meremettant  auxdicts 
sieurs  Hervard  et  Millet  de  ce  que  je  pourrois  vous  en 
donner  plus  particulierement  en  cette  occasion  ,  je  vous 
asseure  que  le  service  que  vous  me  rendrez  me  sera  aussi 
considerable  qu'il  est  important;  et  sur  ce  je  prie  Dieu 
qu'il  vous  ayt ,  monsieur.  d'Erlac  ,  en  sa  saincle  garde. 
))  Escrit  a  Sainct-Germain-en-Laye ,  le  16  janvicr 
16'i9. 

»  Louis. 

V  Et  plus  bas :  Le  Tellier.  )> 

Ordre  pour  faire  recognoistre  ledict   sieur  d'Erlac 
par  les  troupes  de  I'armee  d'Allemagne. 

«  Le  Roy  cslant  bien  inform^  que  le  sieur  vicomte  de 
Turenne  ,  mareschal  de  France  et  lieutenant-general 
pour  Sa  Majestc  en  son  armee  d'Allemagne,  a  est6  sy 
mal  conseille  que  de  s'engager  a  prendre  paity,  ainsi 
que  le  due  de  Rouillon,  son  frere  ,  avec  les  factieux  qui 


MEMOIBES    DU    VICOMTE    DE    TUREiXIVR.    [l649] 


4  2:5 


nuit  le  joindre  a  Brisac;  trois  regimens  d'infan- 
terie  se  mirentsoiisPhilisbourg.  II  ne  resta  avee 
M.  de  Turenne  que  la  moitie  de  I'armee  et  en- 
core fort  ebranlee ,  excepte  cinq  ou  six  regimens. 
Lui,  voyant  qu'il  ne  pouvoit  plus  marcher  pour 
executer  les  desseins  qu'il  s'etoit  proposes ,  et 
ne  voulant  pas  aussi  alier  a  la  cour  pour  les  rai- 
sons  dites  ci-dessus,  donna  ordre  a  quelques 
officiers  generaux ,  demeures  aupres  de  lui , 
d'emmener  lerestedes  troupes  joindre  M.  d'Er- 
lae.  II  se  retira  (1)  avec  quinze  ou  vlngt  de  ses 
amis  en  HoIIande,  ou  il  demeura  un  raois  (2) 
jusqu'a  ce  qu'il  eut  appris  que  le  traitte  de  Ruel 
6toit  fait;  alors  il  s'embarqua  en  Zelande  ,  alia 
descendre  a  Dieppe,  et  de  la  vint  en  poste  a 
Paris. 
Quoique  raccommodement  fut  fait ,  les  partis 


se  sont  soulevez  dans  le  parlement  dc  la  ville  de  Paris, 
centre  I'autorit^  et  le  service  de  Sa  Majesty  ,  el  ledicl 
mareschal  ayant,  en  ce  faisant,  fauss^  son  serment  et 
conlrevfnu  a  son  debvoir  nature!,  et  a  ceiui  dcs  charges 
etdu  commandement  dontSa  Majeste  I'avoit  honors  en 
ladicte  arm^e  ,  laquelie  Sa  Majesty  estime  et  considere 
autant  que  les  grands  et  signalez  services  que  celle  cou- 
ronne  en  a  receus  le  meritent,  et  voulant  pourvoir  a  ce 
que  les  gens  de  guerre  de  ladicte  arm^e  ne  soient  des- 
ceus  et  engages  aux  desseins  dudict  mareschal ,  par  le 
credit  qu'il  s'est  acquis  sur  eux,  et  a  faute  de  sgavoir  les 
intentions  de  Sa  Majesty  ,  en  sorte  qu'il  n'en  puisse  ar- 
river  aucun  pr(?judice ,  Sa  Majesty,  par  I'advis  et  aiant 
adress^  ses  ordres  au  sieur  d'Erlac,  gouvcrneurde  Bris- 
sac  et  son  lieutenant-gdn^ral  en  ladicte  arniee  ,  en  I'ab- 
sence  dudict  mareschal ,  et  soubs  son  autoiil6  en  sa  pre- 
sence; sur  cetle  occasion,  a  ordonn^  et  ordonne  tres- 
expressement  aux  g^neraux-majors  de  cavalerie  et  d'in- 
fanterie,  et  autres  chefs  et  offlciers  des  troupes ,  tant  de 
cheval  que  de  pied,  de  quelque  nation  qu'elles  soient , 
dont  elle  est  composee,  de  recognoislre  ledict  sieur 
d'Erlac  enla  dictequaiitede  lieutenant-general  pour  Sa 
Majesty ,  repr^sentant  sa  personne  en  ladicte  arm^e ,  et 
de  luy  ob^ir  comme  ils  feroient  a  la  propre  personne  de 
Sa  Majeste,  les  asseurant  quelle  leur  en  s^aura  beau- 
coup  de  gr^,  et  qu'eile  recognoistra  les  prcuves  qu'ils 
continuent  de  lui  donner  de  leur  affection  a  son  service. 
»  Faict  a  Sainct-Germain-en-Layc ,  le  16  Janvier 
1649. 

»  Louis. 

»  Et  plus  bas :  Le  Tellier.  » 

(1)  Le  Roy  (5crivail  a  ce  sujet  au  prince  Palatin  : 
«  Mon  cousin,  j'ay  esl^adverty  par  les  lettrcsdu  sieur 
baron  d'Avaugour,  mon  resident,  comme  vous  avez  esl6 
surpris  de  voir  le  mareschal  de  Turenne  s'estre  tant  ou- 
bli(5  de  son  devoir ,  que  d'avoir  sollicit^  Tarmee  qu'il 
commandoitd'embrasserle  party  de  la  rebellion,  et  em- 
ployer les  gens  de  guerre  qui  sont  a  masolde,  contre 
mes  propres  interels;  que  vous  ne  vous  estes  pas  content^ 
de  rcgarder  cet  accident  comme  une  chose  faschcuse , 
mais  que  vous  avez  voulu  contribuer  au  remede,  en  fai- 
sant marcher  deux  mil  chevaux  pour  en  assistcr  le  sieur 
d'Erlac,  qui  avoit  recu  les  ordres  du  commandement  de 
toute  mon  armce,  affln  qu'il  se  peust  servir  de  ce  ren- 
fort  pour  contenir  ceux  qu'on  tascheroit  de  s^parer  du 
corps.  II  estarriveque  la  fid^lit(5des  Alleraansa  paruen 


etoient  demeures  dans  de  grandes  defiances  I'un 
de  I'autre.  La  cour  songeoit  a  la  earapagne  qui 
commencoit  en  Flandre,  et  laissoit  les  affaires 
au  dedans  du  royaume  dans  une  situation  fort 
mal  assuree.  M.  de  Turenne  s'y  en  alia  deux 
jours  apres  etre  arrive  a  Paris;  et  comme  le 
dessein  de  M.  le  cardinal  etoit  de  tout  dissimuler 
tant  que  la  campagne  dureroit ,  et  que  le  refroi- 
dissement  qui  commencoit  entre  M.  le  prince 
et  lui  faisoit  agir  la  cour  avec  moins  de  hau- 
teur, M.  de  Turenne  y  fut  assez  bien  recu ,  y 
vecut  a  son  ordinaire ,  et  comraenca  d'entrer  en 
quelque  liaison  avec  M.  le  prince,  qui  n'alla 
point  commander  I'armee  cette  campagne  ,  mais 
qui  fit  un  voyage  enBourgogne.  M.  de  Turenne 
passa  I'ete  quelquefois  a  Paris  et  d'autres  fois 
a  Corapiegne  ou  etoit  la  cour.  II  recevoit  beau- 

ce  rencontre,  et;que ledict  nnareschalde Turenne  n'apas 
plustost  manifest^  son  dessein  qu'il  s'est  trouve  aban- 
donn^  de  tons  et  s'est  retire  avec  ses  gardes ;  n^ant- 
moins ,  cette  prompte  disposition  que  vous  avez  eue  de 
m'obliger,  a  faict  son  effect ,  en  ce  que  j'ay  recogneu  le 
fond  de  votre  coeur  et  celuy  de  la  reyne  de  Suede  ,  ma 
soeur  et  cousine,  de  laquelie  vous  avez  suivi  les  mouve- 
mens :  c'est  ce  qui  m'a  engage  a  lui  faire  une  leltre  ex- 
presse  pour  laremercier,  et  vousescris  celle-cy  par  I'ad- 
vis de  la  Reyne  r^genle,  madame  et  mere,  pour  vous  te- 
moigner  le  ressentiment  que  j'ay  dune  faveur  si  signa- 
l^e,  et  que  je  ne  manqueray  jamais  a  la  recognoislre  par 
lous  moyens  possibles ,  vous  asseuranl  de  mon  affection 
Ires  parliculiere,  et  que  vous  en  recevrez  les  effects  en 
toutes  rencontres  ,  ainsy  que  ledicl  sieur  d'Avaugour 
vous  donnera  des  asseurances  plus  particulieres  de  ma 
part ;  auquel  me  remeltant  de  tout  ce  qu'il  a  charge 
de  vous  dire  sur  les  occurrences  pr^sentes ,  je  prieray 
Dieu ,  etc. 
))  Le  27  mars  1649,  a  Sainct-Germain.  » 

(2)  La  retraite  de  Turenne  en  Hollande  fut,  plus  lard  , 
utile  a  la  France  ,  comme  on  le  voit  par  la  leltre  sui- 
vanle ,  que  le  Roi  lui  ^crivit  au  sujet  des  affaires  de 
I'ann^e  1651 : 

«  Mon  cousin,  ayanl  sujel  decroire  que  la  proposition 
qui  m'a  est^  faite  par  ma  cousine  la  duchesse  de  Lon- 
gucville,  de  la  part  de  mon  cousin  I'archiduc  Leopold  , 
d'une  suspension  d'armes  pour  la  campagne  de  Luxem- 
bourg et  riviere  de  Meuze  ,  pourroit  s'estendre  a  une 
gen^rale  ,  et  par  un  temps  durant  lequel  on  pourroit 
Iraictcr  et  conclurela  paix  d'entre  lescouronnes,  je  n'ay 
pas  voulu  n^gliger  une  occasion  qui  paroil  favorable  a 
ci ;  d^sirant  concourir  autant  qu'il  me  sera  possible 
a  I'avancement  d'un  si  bon  ceuvre ,  j'envoye  exprcs  le 
sieur  Croisy,  conseiller  d'Estal  en  nostre  cour  de  parle- 
ment ,  pour  Iraicter  ladicte  suspension  generale  avec  les 
deputes  de  I'archiduc  qui  s'y  doivenl  trouver;  et  parce 
que  vous  pouvcz  beaucoup  contribuer  au  succes  de  cette 
negotiation,  je  vous  escris  celie-cy,  par  I'advis  de  la 
Royne  r^gente ,  madame  ma  mere .  pour  vou*  dire 
qu'ayant  expliqu(5  bien  particulierement  mes  intentions 
audict  sieur  de  Croizy,  vous  pouvez  lui  donner  cr^ance 
et  confiance  entiere  en  lout  ce  qu'il  vous  dira  de  ma 
part;  auquel  me  remettanl,  je  prieray  Dieu  qu'il  vous 
ayt ,  mon  cousin,  en  sa  sainte  garde. 

»  A  Paris,  le  ll^jour  dc  mars  1651.  » 


4-2i 


MKMOIKES    OL'    VICOMTE    UE    TLKENNU    j  I  650] 


coup  (le  civilites  de  M.  le  cardinal ,  et  s'etoit 
souvent  eclairci  avec  liii  sur  tout  le  passe  ,  raais 
sans  entrer  dans  aucun  engagement  d'amitie 
avec  lui.  Leministre  ne  voulant  point  donnerde 
soupcon  a  M.  le  prince,  n'avoit  point  parle  clai- 
rement  a  M.  de  Turenne ;  et  M.  de  Turenne 
n'ayant  point  pris  ses  suretes  avec  M.  le  cardi- 
nal, et  voyant  qu'il  avoit  toujoiirs  quelque  re- 
serve avec  lui ,  penchoit  plus  du  c6te  de  M.  le 
prince. 

All  commencement  de  la  campagne  ,  I'armee 
d'Allemague  refusa  d'obeir  a  M.  d'Erlac,  de 
sorte  qu'il  fut  oblige  de  la  quitter.  Les  officiers 
envoyerent  des  deputes  a  la  cour  pour  la  sup- 
plier de  deux  choses  :  Tune  de  leur  payer  ce  qui 
etoit  du  ,  et  I'autre  de  renvoyer  M.  de  Turenne 
pour  les  commander;  mais  elle  eluda  la  derniere 
demande.  Apres  la  levee  du  siege  de  Cambrai  il 
ne  se  passa  rien  de  considerable  pendant  tout  le 
reste  de  la  campagne.  Le  Roi  revint  a  Paris ,  et 
la  cour  etoit  si  pleine  de  factions  que  son  auto- 
rite  dirainua  beaucoup.  M.  le  prince  revint  de 
Bourgogne ,  et  quelque  temps  apres  il  se  brouilla 
ouvertement  avec  M.  le  cardinal.  Toute  la  cour 
prenant  parti,  M.  de  Turenne  alia  chez  M.  le 
prince ,  et  par  la  fit  une  declaration  ouverte 
d'etre  de  ses  amis ,  ce  qui  I'engagea  dans  la  suite 
a  prendre  part  avec  lui  dans  sa  bonne  ou  mau- 
vaise  fortune.  II  y  eut  en  ce  temps  la  divers 
raccomraodemens  de  M.  le  prince  avec  la  cour 
dont  il  prit  le  parti ,  pour  pousser  a  bout  M.  le 
le  coadjuteur.  Durant  unmois  ou  six  semaines, 
il  n'y  eut  presque  )  as  de  jour  que  les  affaires  ne 
prissent  une  dit'terente  face,  tanlot  a  Tavantage, 
tantot  au  desavantage  de  M.  le  prince ;  mais 
comme  je  ne  peux  pas  entrer  dans  le  detail  de 
ces  matiercs  ,  je  me  contenterai  de  dire  que  la 
cour ,  n'etant  pas  satisfaite  du  procede  de  M.  le 
prince ,  se  lia  avec  tous  ceux  qui  lui  vouloient 
du  mal ,  quietoient  en  tres-grand  nombre. 

[1G50]  Ces  raccomodemensavee  la  cour  ayant 
attire  toute  la  caballe,  M.  le  cardinal  s'en  servit 
adroitement  pour  la  regagner,  et  concerta  avec 
ceux  qui  en  etoient  les  principaux  cbefs  et  qui 
avoient  grand  credit  sur  I'espritdeM.  leducd'Or- 
leans ,  les  moyens  de  faire  arreter  M.  le  prince, 
llytrouvoit  d'ailleursun  tres-grand  obstacle  par 
la  liaison  qui  etoit  entre  M.  le  prince  etM.  de  la 
Riviere  qui  avoit  un  grand  pouvoir  sur  I'esprit 
de  M.  le  due  d'Orleans.  M.  le  cardinal  surmouta 
enfin  ces  difficultes;  et  ayant  gagne  M.  le  due 
d'Orleans,  on  fit  arreter  un  jour  de  conseil  M.  le 
le  prince,  M.  le  prince  de  Conti  et  M.  de  Longue- 
ville ,  qu'on  lit  inener  par  les  gendarmes  du  Roi 
au  bois  de  Viiiccnncs. 

M.  de  Turcinu' avoil  hicn  vii  dans  ces  dei  niors 


temps  que  M.  le  prince  se  brouilloit  avec  tout  le 
monde  ,  et  qu'il  donnoit  grand  sujet  de  mecon- 
tentement  a  la  cour,  par  le  mariage  de  madame 
de  Richelieu,  et  en  soutenant  Jersei  contre  la 
reine.  M.  le  cardinal  faisoit  faire  de  temps  en 
temps  de  grands  compliraens  a  M.  de  Turenne, 
lui  promettant  qu'il  iroit  commander,  s'il  le  vou- 
loit,  la  campagne  prochaine,  I'armee  de  Flan- 
dre  ;  et  scachant  que  depuis  quelques  jours  il 
n'alloit  plus  gueres  chez  M.  le  prince  (qui  en 
effet  ne  lui  faisoit  plus  de  part  de  sa  conduite), 
M.  le  cardinal  esperoit ,  comme  il  lui  a  dit  de- 
puis ,  qu'il  ne  se  mettroit  pas  si  promptement 
dans  les  interets  de  M.  le  prince.  A  I'instant 
meme  que  le  prince  fut  arrete,  M.  ie  cardinal 
euvoya  M.  de  Ruvigni  trouver  M.  de  Turenne, 
pour  I'assurer  qu'il  y  avoit  suiete  cntiere  pour 
lui ,  et  lui  promit  beaucoup  de  bons  traitemens 
en  tout  ce  qui  le  concerneroit.  M.  de  Turenne, 
quoiqu'il  fut  peisuade  qu'il  y  avoit  surete  pour 
lui  a  la  cour,  et  qu'il  fiit  bien  vrai  que  M.  le 
prince  ne  vivoit  pas  trop  bien  avec  lui  depuis 
quelque  temps,  ne  voulant  pas  abandonner  le 
prince  dans  son  malheur,  partit  la  nuit  qu'il  fut 
arrete  avec  quatre  gentilshommes ,  et  n'ayant 
point  d'argent,  s'en  alia  chez  M.  de  Varennes 
qui  lui  preta  six  cens  pistoles  et  I'accompagna  a 
Stenai.  M.  deChamilli,  qui  y  commandoit  pour 
M.  Ie  prince,  recut  M.  de  Turenne  dans  la  ville 
avec  beaucoup  de  joie :  trois  ou  quatre  jours 
apres  la  cour  lui  envoya  Paris  pour  le  con- 
vier  a  retourner  avec  toutes  les  promesses  que 
Ton  pent  faire  ;  mais  ne  pouvant  se  contenter 
I'espiit  s'il  entendoit  a  aucune  negociation  du- 
rant le  malheur  de  M.  le  prince  ,  il  renvoya  Pa- 
ris sans  vouloir  rienecouter,et  resolut  de  pren- 
dre toutes  les  voies  pour  obliger  la  cour  a  rela- 
cher  M.  le  prince ,  et  de  n'oublier  rien  pour  faire 
apprehender  les  malheurs  que  pouvoit  causer 
son  long  emprisonnement. 

II  envoya,  suivant  cette  resolution,  a  toutes  les 
troupes  qui  etoient  a  M.  le  prince  et  a  tous  les 
gouverneurs  qu'il  croyoit  mecontens  de  la  cour 
ou  qui  etoient  de  ses  amis.  De  tous  il  ne  put  at- 
tirer  que  vingt  ou  tr-ente  ol'ficiers  ;  et  des  per- 
sonnes  dq  qualite  il  y  eut  M.  de  Duras  et  M.  de 
Boutteville  qui  etoient  dans  les  interets  de  M.  le 
prince.  j\I.  de  Turenne  envoya  aussi  aux  trou- 
pes qui  avoient  servi  sous  lui  en  Allemagne  et 
qui  etoient  dispersees  en  divers  endroits,  mais 
il  ne  put  gagner  que  trois  regimens  d'infanterie : 
celui  de  la  couronne ,  celui  de  Turenne  et  celui 
Du  Passage,  qui  quitterent  la  Lorraine,  marche- 
renten  corps  avec  leur  bagage  et  le  viment  join^ 
dre  a  Stenai.  Le  regiment  de  Beauvau-Cavale- 
I'ie  vouloit  venir  joindre  son  colonel  qui  vint 


»1E\10I11I.S     Ui;    \lCOMTli     DK     TIM'.F.WF,.     [inrjOl 


4'29 


tiouver  M.  de  Turenne ,  dans  les  inlerets  de  qui 
il  a  toujours  ete ;  mais  on  enferma  ce  regiment 
dans  line  ville  ,  et  ce  qui  s'en  put  sauver  le  vint 
trouver.  On  logea  ces  troupes  aupres  de  Stenai 
dans  des  quartiers ;  M.  de  Turenne  n'ayant  pas 
voiiiu  presser  les  comraandans  de  Stenai,  de 
Clermont  et  de  Damvilliers  d'en  recevoir,  de 
peur  qu'il  ne  semblat  vouloir  mettre  de  ses  gens 
dans  les  places  de  M.  Je  prince  ,  et  aussi  parce 
que  les  commandans  n'eussent  pas  voulu  les  re- 
cevoir a  cause  de  la  disposition  de  leurs  garni- 
sons.  Celle  de  Damvillers  commenca  a  se  decla- 
rer contre  M.  le  prince,  et  les  soldats  priient 
M.  le  chevalier  de  La  Rochefoucault ,  leur  com- 
mandant, en  criant  vive  le  Roi.Quelques  jours 
apres,  M.  de  La  Ferte  s'etant  approche  de  Cler- 
mont, les  soldats  de  la  garnison  firent  prison- 
niers  leurs  ol'ficierset  se  rendirent  maitres  de  la 
place  qu'ils  livrerentaM.  de  La  Ferte.  Ceux  de 
Stenai  voulant  en  faire  de  meme,  m.  de  Tu- 
renne remontra  a  M.  de  La  Moussaye  I'impor- 
tance  qu'il  y  avoit  de  s'assurer  de  la  citadelle. 
On  y  laissa  entrer  huitcompagniesdu  regiment 
de  Turenne ,  qui  I'ont  toujours  gardee  et  en 
ont  ete  les  maitres  jusqu'a  la  sortie  de  prison  de 
M.  le  prince,  entre  les  mains  de  qui  ils  la  re- 
mirent. 


(1)  Nous  ne  donnerons  que  le  preambule  de  ce  traits 
dont  I'original  existe  aux  nianuscrils  de  la  Bibliolhe- 
que  du  Roi.  On  le  trouve  du  reste  lextuellement  dans 
le  recucil  impiim^  du  comte  Grimoard  : 

«  L'experience  de  tant  d'annees  et  les  prcuves  que  Ton 
en  voit  tous  les  jours  ,  ayant  donn^  a  tout  le  moiide  une 
connoissance  indubitable  que  I'aversion  obstin^e  que 
M.  le  cardinal  Mazarin  a  pour  la  paix  des  deux  couron- 
nes,  et  qui  est  si  grande  qu'elie  I'a  oblige  a  se  porter  a 
cette  resolution  extreme  et  violente  de  se  saisir  des  per- 
sonnes  de  MM.  les  princes  de  Conde  et  de  Conty  et  de 
M.  le  due  de  Longueville,  sur  le  doute  et  la  crainle  quils 
nc  le  troublassenl  ou  I'empeschassent  de  continuer  I'in- 
juste  dcssein  qu'il  fait  de  lenir  toute  la  ciiresticntc  dans 
le  feu  etdans  le  sang,  pour  la  seule  consideration  deses 
interests  parliculiers  et  pour  des  fins  etdes  passions  op- 
posdes  au  bien  general  et  aux  ddsirs  de  tous  les  bons 
sujets  des  deux  couronnes;  et  depuis,  ledit  sieur  cardinal 
ayant  encore  tente  divers  efforts  pour  aiigmenter  ces 
obstacles  et  pour  opprimer,  sous  les  mesmes  pretextes , 
S.  A.  madanie  la  duchesse  de  Longueville,  sans  respecter 
ni  son  sexe,  ni  le  sang  royal ,  I'ayant  obligee,  tant  pour 
sa  propre  conservation  et  pour  la  liberie  de  MM.  les 
princes ,  ses  freres,  et  de  M.  le  due ,  son  mary  ,  coninie 
aussy  pour  arrester  le  cours  des  nialheurs  qui  ensuite  de 
lels  attentats  menacoient  la  France  ,  derassembler  ce 
quelle  pouvoit  de  forces,  et  avec  M.  de  Turenne ,  qui  y  a 
contribue  de  sa  part  de  ses  bonnes  intentions  etde  tous  les 
efforts  de  son  credit  et  de  son  pouvoir ,  de  recourir  a  Sa 
Majesty  Gatholiquc  par  Tentreniisedu  s^renissimearchi- 
duc  Guillaume  ,  aOn  qu'il  luy  plCit  les  ddfendre  et  les 
assisler  en  I'exi^cution  d'une  entreprise  cgalenient  legi- 
time et  glorieuse,  puisquelle  n'a  aucun  autre  but  ni  fon- 
dement  que  d'etablir  une  paix  juste  et  egalc  ,  et  par  con- 
sequent sure  entre  les  deux  rois  ,  et  de  procurer  la  li- 


II  ne  resta  que  cette  place  pour  soutien  de 
tout  le  parti ;  M.  de  Turenne  en  donna  le  com- 
mandemcnt  a  M.  de  Varennes ,  en  qui  11  s'est 
toujours  fie  sans  aucune  reserve.  On  fut  oblige 
d'avoir  recours  aux  Espagnols  apres  avoir  recu 
une  disgrace.  Le  regiment  Du  Passage  fut  de- 
fait  en  voulant  entrer  a  Stenai ;  mais  la  compa- 
gnie  des  gardes  de  M.  de  Turenne  ,  que  le  lieu- 
tenant nomme  La  Berge  commandoit,  passa  en 
plein  jour,  forca  cinq  cens  chevaux,  et,  perdant 
la  moitie  de  ses  gens  ,  entra  dans  Stenai  apres 
avoir  fait  Taction  la  plus  vigoureuse  qui  se  soit 
\ue.  M.  de  Turenne  demanda  a  entretenir  le 
gouverneur  de  Montmedi ,  ce  qui  se  fit  le  lende- 
main.  Ayant  parle  franchement  de  la  facon  dont 
il  s'etoit  engage  dans  cette  affaire  et  du  chemin 
qu'il  y  vouloit  tenij',  il  a  toujours  trouve  dans  c6 
gouverneur  et  en  M.  le  comte  de  Fuensaldagne 
(qui  gouvernoit  toutes  choses  en  Flandres  quoi- 
que  I'archiduc  y  fut) ,  une  parfaite  sincerite,  en 
cachant  neanmoins  leur  impuissance  a  avoir  de 
I'argent.  Cette  conference  avec  le  gouverneur  de 
Montmedi  futsuivie  premierement  d'un  secours 
de  quinze  cens  clievaux  et  de  quelque  infante- 
rie  que  Ton  jetta  dans  Dun  ,  et  ensuite  du  traitte 
que  raadame  de  Longueville  et  M.  de  Turenne 
firent  avec  M.  I'archiduc  (l),  ratifie  par  le  roi 

berte  de  mesdits  sieurs  les  princes  et  mondit  sieur  le  due 
de  Longueville:  ce  qui  non-seulement  est  honorable, 
mais  encore  utile  el  agrcable  a  la  France  ; 

»  Sa  Majesle  CathoJique  se  portant  favorablement 
a  de  si  bons  dcsseins  ,  puisqu'il  est  naturel  et  bienseant 
a  un  si  grand  monarque  de  donner  sa  protection  a  des 
princes  persecutes  contre  toute  sorte  de  justice  et  de  rai- 
son  ,  et  de  chercher  tous  les  moyens  possibles  d'arriver 
a  ladite  paix  que  Sa  Majeste  Catholique  a  toujours  tant 
souhaitee  et  a  laquelle  elie  a  si  puissamment  travailie , 
bien  que  jusques  a  cette  heure  g'ait  este  inutilement  a 
cause  des  oppositions  de  mondit  sieur  le  cardinal,  a  pro- 
niis  et  accorde  libreraent  les  assistances  que  Ton  luy  a 
demand^es  pour  procurer  un  effet  si  bon  et  si  salutaire  ; 
et  afin  que  Ton  en  convint  mieux,  M.  don  Gabriel  de 
Tolede,  muni  d'un  plein  pouvoir  de  mondit  sieur  I'archi- 
duc ,  a ,  pour  et  au  nom  et  de  la  part  de  Sa  Majesty  Ca- 
tholique, traicte,  conclu  et  consenty  avec  S.  A.  madame 
la  duchesse  de  Longueville  et  mondit  sieur  de  Turenne, 
ce  qui  se  trouve  contenu  dans  les  articles  de  son  plein 
pouvoir  cy  insure,  ainsi  qu'il  en  suit: 

«  Leopold  Guillaume  .  par  la  grace  de  Dieu  archiduc 
d'Autriche ,  due  de  Bourgogne  et  gouverneur  et  ca- 
pitaine-general  des  Pays-Bas  pour  le  Hoy  mon  sei- 
gneur. 

»  Par  la  presente,  je  donne  plein  pouvoir  au  mestre- 
de-camp  don  Gabriel  de  Tolede  et  Analos ,  que  j'en- 
voyea  madame  la  duchesse  de  Longueville,  afin  qu'au 
nom  de  Sa  Majest6  et  au  mien  il  puisse  trailer  el  con- 
clure  quelque  ipaite  ou  convention  que  ce  puisse  estrc 
avec  ladite  dame  duchesse  el  avec  ceux  qui  suivront  ce 
parly,  et  pour  rentier  accomplissenient  de  ce  qu'il  trai- 
tera  et  concluera,  je  m'oblige,  en  foy  de  prince,  de  I'ap- 
prouver  et  de  le  ralifier  ;  en  Icmoin  de  quoi  j'ay  fail  ex- 
pedior  la  presente  que  j'ay  signee  dc  nui  nioin,  et  icelle 


4  2(5 


d'Espan  e.  Cctte  princesse  ,  apres  la  prison  de 
M.  le  prince ,  s'etant  retiree  en  Normandie  ,  et 
de  la  ayant  passe  en  Hollande ,  s'en  vint  par  le 
pays  de  Liege  a  Stenai ,  et  se  logea  a  la  citadelie 
qui  fut  toujours  gardee  par  quelques  soldats 
de  la  vieille  garnison  et  par  les  huit  compagnies 
du  regiment  de  Turenne  ,  sans  neanmoins  que 
cela  I'ait  jamais  choquee.  M.  de  Turenne  de- 
ineura  toujours  dans  une  parfaite  intelligence 
avec  elle,  depuis  le  commencement  jusqu'a  la 
sortie  de  prison  de  M.  le  prince. 

Pour  commencer  la  negociation  ,  M.  de  Tu- 
renne et  M.  le  comte  de  Fuensaldagne  se  virent 
dans  la  ville  de  Marche,  et  la  perte  de  Cler- 
mont et  de  Damvillers  I'ayant  un  pen  refroidi , 
I'obligea  a  pi'csser  fort  pour  avoir  la  citadelie 
de  Stenai,  qui  etoit  le  seul  lieu  qui  restoit  au 
parti.  Quoique  M.  de  Turenne  n'eut  d'autre  res- 
source  que  dans  les  Espagnols ,  11  risqua  plutot 
de  rompre  la  negociation  que  de  livrer  un  lieu 
dans  lequel  il  put  etre  hors  de  leur  pouvoir 
quand  il  le  vouloit :  et  commeson  dessein  avoit 
toujours  ete  de  ne  demeurer  avec  eux,  qu'autant 
que  la  parole  qu'il  avoit  donnee  de  travailler 
a  la  liberte  de  M.  le  prince  I'y  obligeoit ,  il  etoit 
bien  aise  de  demeurer  en  lieu  ou  il  piit  disposer 
de  lui.  Ainsi ,  apres  une  contestation  de  six  se- 
maines,ilne  conclut  rien  a  Marche,  durant 
les  trois  jours  qu'il  y  demeura  avec  M.  de 
Fuensaldagne ;  niais  la  negociation  continua 
par  le  moyen  de  dom  Gabriel  de  Tolede,  en- 
voye  a  Stenai  pour  traitter  avec  madame  de 
Longueville  et  M.  de  Turenne.  Le  traitte  fut 
conclu,dans  lequel  M.  de  Fuensaldagne  promet- 
toit,  au  nom  du  Roi  Catholique,  et  madame  de 
Longueville  et  M.  de  Turenne  promettoient  en 
leur  nom  ,  de  ne  se  point  accommoder  que  M.  le 
prince  ne  fut  hors  de  prison  et  que  Ton  n'eutoffert 
une  paix  juste,  egale  et  raisonnablea  I'Espagne. 

Les  choses  etant  aches  ees  de  cette  facon ,  on 
se  prepara  pour  la  campagne.  Les  Espagnols 
essayerent  d'obliger  M.  de  Turenne  a  demeurer 
avec  une  armee  dans  la  Champagne  pendant 
qu'ils  agiroient  en  Picardie  ;   mais    lui ,   sca- 


fait  sceller  du  sceau  royal  dc  mes  armes ,  et  contresigner 
du  secretaire  d'Eslat  soubsign^. 

»  Sign(i  Leopold  Gcillaume. 

»  (Scellc  a  costt'du  sceau  dc  mondilsieur  I'archiduc) , 
et  plus  bas: 

»  Sign6  AuGUSTiN  Navarro  Burena. 

»  A  RruxcUes ,  le  14  de  f^vrier  1C50.  » 

(1)  On  r(5pandit  vers  cc  temps-la  le  couplet  suivant : 

Voici  vcriir  Turenne',  rcculle , 
.lullo. 


MEiMOIRES    OV    VICOMTE    DE    TUBKNNE.    [iGJO] 

chant  bien  que  leur  pensee  etoit  de  profiter  des 


divisions  de  la  France  pour  reprendre  les  places 
que  le  Roi  tenoit  sur  eux  ,  et  que  s'il  demeu- 
roit  avec  un  coips  separe ,  I'armee  du  Roi  tom- 
beroit  tout  entiere  sur  lui,  il  airaa  mieux  pren- 
dre le  parti  de  se  joindre  au  corps  de  I'armee 
d'Espagne  ,  afin  de  les  obliger  d'attaquer  les 
villes  de  France ,  ou  d'entrer  dans  le  royaurae 
pour  faire  diversion  a  la  guerre  de  Rordeaux  , 
ou  pour  animer  les  amis  de  M.  le  prince  qui 
etoient  dans  le  royaume.  Apres  qu'il  eut  joint 
I'armee  d'Espagne ,  on  alia  assieger  le  Cate- 
let  (i),  qui  ne  dura  que  trois  jours;  ensuite, 
ayant  appris  qu'une  partie  de  la  cavalerie  qui 
etoit  dans  Guise  en  etoit  sortie ,  on  I'alla  assie- 
ger sept  ou  huit  jours  apres ,  en  presence  de 
I'armee  du  Roi ,  qui ,  s'etant  assemblee ,  s'ap- 
procha  de  I'armee  d'Espagne. 

Les  deux  armecs  etoient  presque  du  meme 
nombre,  a  scavoir :  de  dix  ou  douze  mille 
horn  mes  et  de  six  ou  sept  mille  chevaux.  Les 
pluyes  qui  survinrent  gaterent  tons  les  chemins, 
et  le  peu  de  chariots  de  vivres  qu'avoient  les 
Espagnols,  mit  I'armee  en  une  telle  necessite  de 
pain,  que  Ton  ne  put  travailler  que  fort  lente- 
ment  au  siege  :  des  le  commencement  les  soldats 
n'avoient  qu'une  seule  ration  de  pain  en  trois 
jours;  mais  sur  la  fin  la  necessite  devint  si 
grande  ,  qu'elle  les  obligea  de  lever  le  siege  et 
de  se  retirer  a  deux  lieues  de  la,  ou  les  soldats 
de  I'infanterie  eurent  beaucoup  de  peine  a  se 
trainer ,  a  cause  de  la  foiblesse  ou  le  manque  de 
pain  les  avoit  reduits. 

Apres  que  Ton  eut  eu  des  vivres  et  que  Ton 
eut  sejourne  sept  ou  huit  jours  dans  ce  camp  , 
on  alia  attaquer  laCapelle,  que  Ton  prit  en 
dix  jours;  et  ensuite,  le  temps  de  la  moisson 
etant  venu ,  I'armee  marcha  vers  Vervins;  et 
M.  de  Turenne  s'etant  avance  avec  deux  mille 
chevaux  pour  voir  la  conteiiance  de  I'armee  du 
Roi ,  qui  etoit  a  Marie ,  il  apprit  qu'elle  en  etoit 
delogee  et  qu'elle  marchoit  derriere  les  marais 
de  Liesse  ;  il  fit  connoitre  a  M,  I'archiduc  ,  qui 
arriva  au  camp,  que  si  on  avancoit  encore  a 


Monte  sur  tamulle, 
Prends  ton  habit  gris , 
Crainlequ'on  te  bride 
A  la  grcve  a  Paris.    - 
Porte  cochcre 
No  dure  guere 
Contrc  gens  de  telle  inaniere, 
Fiere, 
Qui  taille  croupiere 
Aux  soldats  de  Mazarini , 
Et  oui  par  lii  niordieniie!  jarnidicnne! 
Vertudienne! 
Oui ! 


MEMOIUES    nu    VICOMTE    DE    lUHRKNE,     [16501 


427 


deux  lieues  de  Vervins  ,  qu'assurement  I'ai-niee 
de  France  se  mettroit  en  quelque  mauvaisc  pos- 
ture, et  qu'elle  donneroitlieu  d'entrepreudre 
quelque  chose  sur  elle.  M.  I'archiduc  marcha 
deux  lieues  par  dela  Vervins ,  oil  Ton  apprit 
que  I'armee  du  Roi  continuoit  a  se  retirer. 
M.  de  Turenne  prit  trols  mille  clievaux  et 
marcha  a  Chateau-Porcien  et  Rhetel,  qui  se 
rendirent;  d'oii  il  manda  a  I'armee  d'Espagne 
(jue  Ton  trouveroit  a  vivre  sur  la  riviere  d'Aisne, 
oil  elle  s'avanca,  et  mitune  garnison  dans  Rhe- 
tel de  huit  cens  horames,  et  Delliponti ,  qui 
etoit  fort  estime  en  Flandre ,  pour  y  comman- 
der. Comme  le  sejour  de  I'armee  autour  de  la 
ville  ruinoit  entierement  tousles  bleds  et  otoit 
le  moyen  a  la  garnison  de  subsister,  M.  de  Tu- 
renne fut  d'avis  de  s'en  eloigner  et  de  remon- 
ter  le  long  de  la  riviere  d'Aisne  ,  en  s'appro- 
chant  de  Paris  et  de  I'armee  du  Roi  qui  s'etoit 
retiree  vers  Rheims  :  son  intention  etoit  tou- 
jours  que  Tarmee  d'Espagne  entrat  le  plus  a\ant 
qu'il  se  pourroit  dans  le  royaurae,  croyant  que 
M.  le  prince,  qui  etoit  dans  le  bois  de  Vin- 
cennes,  seroit  mene  a  Paris,  et  qu'ainsi  il  ne 
seroit  plus  a  la  disposition  de  la  cour;  et  espe- 
rant  aussi  que  si  on  le  laissoit  au  bois  de  Vin- 
cennes ,  peut-etre  apres  quelque  bon  succes  ,  il 
pourroit  obliger  I'armee  d'Espagne  de  marcher 
jusques  la.  M.  de  Turenne  ne  donnoit  conseil 
aux  Espagnols  pour  les  mouvemens  de  leur  ar- 
mee,  que  suivant  les  marches  que  faisoit  I'ar- 
mee du  Roi  et  selon  que  la  guerie  le  permet- 
toit;  car  les  armees  etant  egales,  conseiller  en 
partant  de  la  Gapelle  de  marcher  jusqu'a  Paris  , 
ayanttout  contraire  en  France  et  personne  ne  se 
declarant  pour  M.  le  prince,  auroit  paru  si  em- 
porte,  qu'il  eut  perdu  tout  credit  aupres  d'eux. 
Apres  avoir  done  marche  jusqu'a  Neufchatel 
sur  la  riviere  d'Aisne,  les  Espagnols  firentavec 
raison  difficulte  de  la  passer  avec  toute  leur 
armee,  parce  que  celle  du  Roi  etant  entre 
Rheims  et  Soissons,  derrierela  riviere  de  Vesse, 
ils  ne  voyoient  aucune  apparence  de  rien  exe- 
cuter,  et  que  leur  infanterie  patissoit  beau- 
coup,  n'ayant  plus  le  moyen  de  faire  venir  des 
convois ;  M.  de  Turenne  ,  laissant  a  Neufchatel 
le  corps  de  I'armee,  prit  trois  mille  chevaux  et 
cinq  cens  mousquetaires  pour  voir  en  quelle 
posture  seroit  I'armee  du  Roi :  il  apprit ,  apres 
avoir  marche  quelque  temps  ,  qu'elle  etoit  a 
Rheims  ,  et  que  M.  d'Hocquincourt  etoit  a 
Fisraes,  derriere  la  riviere  de  Vesse,  avec  dix 
regimens  de  cavalerie,  et  qu'il  y  avoit  cent 
mousquetaires  dans  la  ville;  il  s'y  en  alia  en 
diligence ,  et  apres  une  grande  resistance  a  un 
pont  ou  il  trouvaa  droite  et  a  gauche  des  gues 


pour  la  cavalerie,  il  rompit  enlieremtut  tons 
les  regimens  qui  s'opposoient  a  son  pas^age,  fit 
quatre  ou  cinq  cens  prisonniers,  et  obligea 
M.  d'Hocquincourt,  apres  avoir  tres-bien  fait, 
de  se  retirer  a  Soissons  avec  beaucoup  de  peine. 
L'infauterie  qui  etoit  dansFismes  se  reudit,  et 
M.  de  Turenne  manda  a  I'archiduc  ce  qui  s'e- 
toit passe  ,  et  que  s'il  iui  plaisoit  de  s'avancer 
a  Fismes  avec  I'armee,  qu'assurement  elle  y 
subsisteroit  tres-bien ,  y  ayant  beaucoup  de 
moulins  sur  la  riviere  et  une  tres-grande  quan- 
tite  de  grains  et  de  bestiaux. 

L'armee  d'Espagne  y  marcha ,  et  on  fit  avau- 
cer  M.  de  Routeville  jusqu'a  la  Ferte-Milon , 
qui  mit  des  sauve-gardes  dans  ce  village.  Voyant 
I'armee  de  France  renfermee  dans  Rheims,  un 
corps  derriere  la  Marne,  et  le  chemin  de  Paris 
libre,  M.  I'archiduc  et  M.  de  Fuensaldagne  se 
fussent  assurement  resolus  d'y  marcher,  si  M.  le 
prince  fut  demeure  a  Vincennes ;  mais  on  ap- 
prit qu'apres  de  grandes  contestations  entre 
M.  LeTellier  et  M.  le  ducd'Orleans,  qui  vouloit 
faire  mener  M.  le  prince  a  la  Rastille,  que 
M.  LeTellier  I'avoit  emporte ,  et  que  M.  le 
prince  avoit  ete  conduit,  avec  une  tres-petite 
escorte,  aMarcoussi,  a  huit  lieues  de  Paris, 
sur  le  chemin  d'Orleans.  Alors  il  n'y  avoit  plus 
de  raison  de  marcher  a  Paris  avec  le  corps 
de  I'armee  ,  et  il  auroit  ete  inutile  et  dangereux 
d'y  aller  avec  des  gens  detaches,  a  cause  de 
I'armee  du  Roi ,  qui  eut  pu  en  detacher  un  plus 
grand  nombre  et  laisser  tout  son  bagage  dans 
les  villes  ;  ce  que  I'armee  d'Espagne  ne  pouvoit 
pas  faire. 

On  envoya  de  Fismes  faire  des  propositions 
de  paix  :  dom  Gabriel  de  Tolede  fut  a  Paris,  et 
M.  de  Verderonne  vint  a  Fismes ,  de  la  part  du 
ducd'Orleans;  mais  tout  cela  ne  produisit  au- 
cun  effet.  Pendant  ce  temps  on  eut  avis  que  le 
traitte  etoit  conclu  a  Rordeaux ,  ou  le  Roi 
etoit  alle  lui-meme  avec  M.  le  cardinal  Maza- 
rin  :  M.  de  Rouillon  ,  qui  y  avoit  la  principale 
autorite,  y  gouverna  les  affaires  du  parti  avec 
I'approbation  d'un  chacun  ,  et  s'y  conduisit  avec 
toute  la  vigueur,  prudence  et  fermete  qui  se 
peut  dans  une  conjoucture  si  difficile. 

L'armee  d'Espagne  sejourna  un  mois  a  Fis- 
mes, afin  de  voir  si  ces  propositions  de  paix  ne 
produiroient  aucun  effet  a  Paris.  Apres  ce  temps- 
la,  on  tint  conseil  pour  scavoir  quelle  ville  de 
-  la  fi  ontiere  on  devoit  assieger  en  se  retirant  :  les 
Espagnols  avoient  dessein  d'aller  a  Rocroi ; 
mais  M.  de  Turenne  fut  d'avis  d'aller  pluioc  a 
Mousson  ,  vilie  sur  la  Meuse  ,  a  deux  lieues  de 
Stenai ,  qui  servoit  beaucoup  a  sa  conservation, 
et  qui  etendoit  un  peu  plus  les  quartiers  d'hi- 


428 


WEM011U.S    I)L:     VICOWTK    DK    TUllKMtK.    [l650] 


ver  sur  cette  frontiere.  Aiiisi  on  detacha  le  mar- 
quis de  Masingen,  mestre-de-camp-general  de 
I'armee  d'Kspagne ,  avec  trois  mille  hommes  de 
pied  et  deux  mille  chevaux,  pour  aller  assie- 
ger  Mouson.  Le  reste  de  I'armee  demeura  sur 
la  riviere  d'Aisne  ,  pour  couvrir  le  siege  et  ob- 
server I'armee  du  Roi  qui  s'etoit  assemblee 
vers  Chalons.  Corame  le  siege  lira  fort  en  lon- 
gueur, a  cause  des  grandes  pluies  et  du  peu 
d'artillerie  qu'avoient  les  Espagnols,  M.  le  ma- 
rechal  Du  Plessis ,  qui  commandoit  I'armee  du 
Roi ,  marcha  diligemment  par  Verdun,  dans 
le  dessein  de  secourir  Mousson  :  ce  qui  obligea 
I'armee  d'Espagne  d'aller  au  siege.  M.  de  Tu- 
renne  demeura  avec  trois  mille  chevaux  pour 
le  couvrir,  n'y  ayant  point  de  circonvallalion, 
et  etant  necessaire  de  tenir  I'ennemi  loin  ,  de 
peiir  qu'il  n'entreprit  quelque  secours.  A  la 
lin  ,  apres  sept  semaines  de  siege  ,  durant  une 
tres-mauvaise  saison,  la  ville  de  Mouson  se 
rendit. 

Apres  la  prise  de  Mouson ,  I'armee  d'Espagne 
demeura  fort  affoiblie  par  la  longueur  du  siege, 
qui  ne  Unit  que  fort  avant  dans  le  mois  de  no- 
vembre ;  M.  de  Turenne  voyoit  bien  que  dans 
le  dessein  que  les  generaux  espagnols  avoient 
de  se  retirer  dans  leurs  quartiers  d'hiver,  il  per- 
droit  Rhetel  et  Ghateau-Porcien pendant  I'hiver, 
et  que  les  troupes  allemandes,  que  les  Espa- 
gnols avoient  levees  depuis  peu ,  periroient  par 
les  raauvais  quartiers  que  Ton  a  accoutume  de 
donner  en  Flandre  :  il  conseilla  a  M.  le  comte 
de  Fuensaldagne  de  laisser  toute  I'armee  entre 
la  riviere  de  Meuse  et  celle  d'Aisne ;  mais 
n'ayant  pu  I'y  determiner,  il  demeura  lui-meme 
sur  la  frontiere  avec  cinq  regimens  allemans 
de  cavaleiie  nouvellement  leves,  qui  faisoient 
environ  deux  mille  chevaux,  et  avec  deux  bri- 
gades des  Lorrains,  dont  I'une  etoit  commandee 
par  M.  de  Fauge ,  et  I'autre  par  le  comte  de 
Ligneville  ,  qui  avoit  ete  defait  par  M.  le  ma- 
rechal  de  La  Ferte.  Ces  deux  brigades  faisoient 
deux  mille  ciaq  cens  chevaux  et  mille  chevaux 
du  corps  que  M.  de  Turenne  avoit  leve  en  Alle- 
magne.  Pour  I'infanlerie ,  elle  etoit  composee 
de  deux  mille  cinq  cens  hommes;  une  partie 
Wallons,et  I'autre  Lorrains,  n'y  ayant  point 
d'infanterie  francoise  que  le  regiment  de  Tu- 
renne, commande  par  Relbese;  celui  de  la  Cou- 
ronne,  par  Rochepare,  et  celui  de  Stenai  com- 
mande par  le  comte  de  Quintin  :  avec  ces  trou- 
pes et  six  pieces  de  campagne,  M.  de  Turenne 
demeura  entre  la  Meuse  et  I'Aisne.  Outre  celles- 
la  ,  M.  I'archiduc  laissa  douze  cens  hommes  dc 
pied  dans  Rhelel  et  deux  cens  chevaux  sous 
Ic  commandement  de  Delliponti ,  qui  etoit  scr- 


gent-major-general  de  balaille  et  homme  de 
grande  reputation  en  Flandre. 

L'armee  du  Roi ,  durant  le  siege  de  Mouson  et 
quelque  temps  apres,  demeura  dans  la  Cham- 
pagne a  se  rafraichir ,  et  y  attendit  toutes  les 
troupes  qui  avoient  ete  a  Rordeaux  :  quand  on 
les  eut  rassemblees,  elle  se  trouva  forte  de  six 
a  sept  mille  chevaux  et  de  huit  mille  hommes  de 
pied,  et  Ton  resolut  de  venir  attaquer  Rhetel. 
C'etoit  assez  avant  dans  le  mois  de  decembre : 
I'armee  arrivadevant  la  place  le  vendredi ,  et  le 
samedi  on  commenca  a  faire  les  approches.  On 
prit  d'abord  un  fauxbourg ,  on  s'approcha  le 
long  des  raaisons  pres  de  la  muraille,  et  Ton 
battit  une  tour  de  la  porte  avec  une  piece  de 
douze;  ensuite,  ayant  trouve  les  poutres  du 
pont ,  ausquelles  il  ne  manquoit,  pour  s'en  pou- 
voir  servir,  qu'a  mettre  des  planches  dessus, 
les  assiegeans  le  firent  et  s'attacherent  a  la 
porte  :  lis  en  furent  repousses  la  premiere  fois; 
mais  y  etant  retournes  ,  les  assiegeans  battirent 
la  chamade  et  demanderent  a  parlementer  le 
mardi  au  matin  :  tout  le  corps  de  I'armee  etoit  de 
I'autre  cote  de  la  riviere ,  et  avoit  laisse  deux 
regimens  pour  faire  une  fausse  attaque  qui 
reussit. 

M.  de  Turenne ,  scachant  que  I'armee  du  Roi 
marchoit  au  siege  de  Rhetel ,  voulut  y  arriver 
deux  ou  trois  jours  apres ,  afin  de  trouver  I'ar- 
mee separee  dans  ses  quartiers  autour  de  la 
ville ,  les  tranchees  ouvertes  et  le  canon  en  bat- 
terie :  ce  qui  affoiblit  toujours  beaucoup.  Apres 
avoir  marche  quatre  journees ,  le  mardi  il  fit 
sept  grandes  lieues  pour  arriver  a  la  vue  deRe- 
thel ,  ayant  oui  le  canon  le  matin  et  n'y  ayant 
nulle  apparence  que  la  ville  fiit  en  etat  d'etre 
forcee  si  tot :  il  arriva  a  une  beure  de  nuit  a  une 
lieue  de  la  ville;  apres  avoir  pousse  quelque 
cavalerie,  il  fit  quelques  prisonniers,  qui  lui 
dirent  que  la  ville  etoit  rendue  ;  il  demeura 
toute  la  nuit  en  bataille  ,  et  fit  tirer  deux  coups 
de  canon  pour  voir  si  les  assieges  ne  repon- 
droient  point.  Comme  on  fut  sept  ou  huit  heures 
sans  entendre  de  bruit ,  et  que  les  prisonniers 
s'accordoient  tons  a  dire  que  la  ville  etoit  ren- 
due, on  n'en  douta  plus,  et  I'armee  reprit  le 
chemin  par  lequel  elle  etoit  venue  ,  et  alia  loger 
a  quatre  lieues  de  la  dans  une  vallee,  n'ayant 
pas  le  moyen  de  demeurer  dans  la  Champagne 
faute  d'eau  et  de  convert. 

Le  mardi  que  la  ville  se  rendit  et  le  lende- 
main  I'armee  du  Roi  se  mit  ensemble  et  mar- 
cha une  partie  de  la  nuit  du  mercredi  au  jeudi ; 
le  matin  elle  arriva  a  la  vue  des  Cravates  que 
^L  dc  Turenne  avoit  laisses  une  demie  lieue 
derriere  lui.  Sur  cotte  nouvelle  il  fit  incontinent 


MKMOIllES    DU    VICOMTE 

remonter  ses  troupes  siir  les  hauls  de  Champa- 
gne ,  et  comme  Tarmee  du  Roi  marchoit  dans 
la  plaine ,  il  la  c6toya  pres  d'une  heure  a  uue 
demie  portee  de  canon ,  les  Lorrains  n'etant  pas 
encore  arrives ,  qui  avoient  ete  un  peu  longs  a 
sortir  du  quartier.  Quoique  ses  forces  ne  fussent 
pas  egales ,  on  ne  pouvoit  prendre  d'autre  parti 
que  celui  de  combattre  :  les  regimens  allemans 
avoient  I'aile  droite ,  et  la  cavalerie  de  M.  Tu- 
renne  avoit  I'aile  gauche ,  les  Lorrains  n'etant  pas 
encore  arrives.  Les  armees  marcherent  bien  une 
heure  de  cette  facon,  M.  deTurenne  ne  crai- 
gnant  rien  ,  parce  que  rinfanterie  du  Roi  n'etoit 
pas  encore  assez  pres  pour  faire  prendre  la  re- 
solution au  general  de  marcher  a  lui.  Bientot  les 
Lorrains  arriverent,  et  M.  de  Turenne ,  voulant 
eviter  que  I'armee  du  Roi  n'eut  le  temps  de 
mettre  son  infanterie  dans  Tintervalle  de  ses 
deux  ailes ,  fit  promptement  mettre  la  cavale- 
rie lorraine  a  sa  main  gauche  sur  deux  lignes  , 
dont  il  y  avoit  douze  escadrons  a  la  premiere, 
et  huit  a  la  seconde  ;  il  marcha  droit  a  I'aile 
droite  de  I'armee  du  Roi.  M.  de  Beauveau,  M.  de 
Duras,  M.  de  Bouteville  et  M.  de  Montausier 
commandoient  les  escadrons  de  la  premiere  li- 
gne  du  corps  de  M.  de  Turenne.  Les  Lorrains  , 
qui  etoient  commandes  par  leurs  olficiers,  \in- 
rent  doubler  si  promptement  a  la  gauche ,  qu'ils 
ne  donnerent  le  temps  a  la  cavalerie  de  I'armee 
du  Roi  de  leuropposerque  trois  escadrons,  parce 
qu'ils  avoient  toujours  regie  le  premier  escadron 
de  leur  aile  droite  au  corps  de  M.  de  Turenne 
seul ;  cela  etoit  cause  aussi  qu'ils  avoient  beau- 
coup  d'escadrons  aupres  de  leur  infanterie ,  et 
par  la  le  meme  avantage  contre  la  cavalerie  de 
M.  de  Turenne  ,  que  les  Lorrains  avoient  contre 
eux. 

En  cette  disposition  on  marcha  a  la  charge, 
et  toute  la  premiere  ligne  approcha  la  tete  des 
chevaux  les  uns  contre  les  autres ,  sans  tirer : 
il  y  eut  quantite  d'officiers  tues  de  cette  pre- 
miere charge ,  et  presque  tons  les  escadrons  de 
I'armee  du  Roi  de  la  premiere  ligne  furent  rom- 
pus ,  mais  avec  si  grande  resistance  que  ceux 
des  Lorrains  etoient  presque  aussi  rompus 
qu'eux.  Les  escadrons  de  I'armee  du  Roi  qui 
etoient  pres  de  I'infanterie ,  demeurerent  en- 
tiers  ,  n'ayant  pas  combattu ;  mais  toute  la  pre- 
miere ligne  des  Lorrains,  composee  desept  esca- 
drons ,  se  mit  en  desordre  contre  les  trois  fran- 
cois  qui  lui  etoient  opposes ;  il  y  eut  aussi  quelque 
escadron  qui  passa  dans  I'intervalle  I'un  de 
I'autre. 

M.  de  Turenne  n'avoit  de  ses  troupes  que 
deux  escadrons  de  la  seconde  ligne,  dont  la 
premiere  fut  rompue  par  un  escadron  passe  dans 


DE    lUREXSE,    [1650]  429 

I'intervalle,  son  colonel  ayant  etetue;  I'autre, 
commande  par  le  major,  passa  en  avant  et  en 
rompit  deux  de  I'ennemi ;  toute  la  seconde  ligne 
des  Lorrains  se  mela  avec  la  premiere  ,  de  sorte 
que  quand  la  seconde  ligne  de  I'armee  du  Roi , 
qui  etoit  composee  de  tons  les  regimens  de  la 
vieille  armee  d'Allemagne,  vinten  bon  ordre, 
elle  les  trouva  en  grande  confusion.  M.  de  Tu- 
renne, qui  avoit  voulu  mener  les  escadrons  de  la 
premiere  ligne  a  la  charge,  et  puis  retourner  a 
sa  seconde  ligne,  fut  oblige  par  la  grande  resis- 
tance a  se  meler ,  de  sorte  que  son  cheval  fut 
blesse  de  deux  coups,  et  ainsi  il  n'etoit  plus  en 
etat  de  se  porter  en  aucun  lieu  qu'au  petit  pas. 
Messieurs  de  Beauveau,  de  Bouteville,  de  Duras, 
de  Montausier ,  ayant  rompu  les  escadrons  qui 
leur  etoient  opposes ,  marcherent  jusques  aupres 
du  canon ,  et  rompirent  quelques  escadrons  de  la 
seconde.  Cependant  a  i'aile  droite  deM.  de  Tu- 
renne, commandee  par  la  Fauge ,  cinq  regi- 
mens allemans  eurent  quelque  avantage  a  la 
premiere  charge ;  mais  ensuite  toutes  les  troupes 
se  mirent  en  confusion  et  commencerent  a  pren- 
dre la  fuite  ,  ce  qui  donna  moyen  a  quelques 
escadrons  de  I'aile  gauche  de  I'armee  du  Roi  de 
revenir  a  I'aile  droite  ;  et  la  seconde  ligne  ayant 
raarche  aux  Lorrains  qui  etoient  deja  en  grande 
confusion,  ils  prirent  la  fuite.  M.  de  Fauge, 
apres  avoir  tres  bien  fait  son  devoir,  fut  fait 
prisonnier;  le  comte  de  Ligneville  blesse  de 
deux  coups  au  travers  du  corps ;  le  prince  pa- 
latin  tue ,  et  deux  autres  colonels.  M.  de  Tu- 
renne ,  qui  avoit  marche  entrejes  Lorrains  et  ses 
troupes ,  se  trouva  dans  ce  desordre  au  com- 
mencement seul ,  tous  les  gentilshommes  qui 
etoient  avec  lui  s'etaiit  meles  a  cause  de  la 
grande  resistance;  il  fut  reconnu  souvent,  et 
son  cheval  blesse  encore  de  deux  autres  coups , 
des  cavaliers  lui  demandant  s'il  vouloit  avoir 
quartier  :  La  Berge,  son  lieutenant  des  Gardes, 
le  joignit ;  ils  furent  suivis  de  sept  on  huit  ca- 
valiers, dont  trois  prirent  M.  de  Turenne  et 
quelques  autres  son  lieutenant ,  mais  ils  s'en  de- 
melerent  heureusement ,  et  ayant  mis  hors  de 
combat  quelques  -  uns  de  ceux  qui  les  atta- 
quoient ,  ils  commencerent  a  se  retirer  un  peu 
de  la  presse ;  il  n'y  avoit  plus  de  troupes  de 
M.  de  Turenne  en  ce  lieu  la ,  et  il  etoit  au  mi- 
lieu des  escadrons  de  I'armee  du  Roi.  La  Berge, 
pour  I'empecher  d'etre  pris ,  avoit  ete  oblige 
quelquefois  de  dire  qu'ils  etoient  eux  deux  de 
I'armee  du  Roi,  et  que  c'etoient  des  Alle- 
mans qui  ne  les  connaissoient  pas  qui  les  avoient 
voulu  tuer.  Enfin ,  par  un  bonheur  extraordi- 
naire, on  les  laissa  aller;  le  cheval  de  M.  de 
Turenne  etoit   blesse  de   cinq    coups.   Bient6t 


'130 


apres  il  trouva  Lavau  ,  major  du  regiment  de 
Beauveau ,  qui  lui  prcta  lui  cheval ,  et  11  se 
sauva  au  milieu  des  plaines  de  Champagne 
sans  que  personne  le  suivit.  Les  deux  ailes  de 
son  armee  avoient  ete  rompues  et  toute  I'lnfan- 
terie  avoit  jete  les  armes,  excepte  le  regiment 
de  M.  de  Turenne  ,  qui ,  sans  vouloir  avoir  de 
quartier,  se  melaavec  Tinfanterie  de  I'armee  du 
Roi ,  et  tous  les  officiers  et  soldats  furent  tues 
ou  faits  prisonniers ,  apres  avoir  tenu  ferme  une 
heure  entiere  sans  aucune  cavalerie  pour  le 
soutenir.  Dom  Estevan  de  Gamare ,  general 
d'artillerie  d'Espagne,  se  trouva  aupres  de  I'in- 
fanterie,  ou  il  futpris,  aussi  bien  que  M.  de 
Bouteviile  et  M.  de  Quintin  qui  commandoit  le 
regiment  de  Bourgogiie. 

Les  choses  etant  entierement  desesperees , 
M.  de  Turenne  ne,  put  se  retirer  par  le  plus 
court  chemin  vers  la  riviere  d'Aisne ,  a  cause 
des  troupes  du  Roi ,  qui ,  en  suivant  les  fuyards 
de  I'aile  droite  ,  lui  avoient  coupe  le  chemin  ;  il 
fut  oblige  de  s'en  aller  par  les  plaines  de  Cham- 
pagne ,  et  arriva  a  Bar-le-Duc  avec  cinq  cens 
chevaux  qu'il  avoit  rencontres  sur  sa  route; 
apres  avoir  demeure  six  heures  a  Bar ,  et  donne 
oidre  a  la  cavalerie  qui  etoit  venue  avec  lui,  et  a 
M.  de  Duras ,  qui  arriva  un  pen  apres  avec  cent 
chevaux  ,  de  se  retirer  dans  le  Luxembourg  ,  il 
s'en  alia  avec  douze  ou  quinze  des  mieux  mon- 
tes,  droit  a  Montmedi ,  oil  il  trouva  une  partie 
de  la  cavalerie  sauvee  de  la  bataiile,  leur  don- 
na quelques  quartiers  aux  environs ,  et  envoya 
rendre  compte  de  toutes  choses  a  Bruxelles.  II 
manda  en  meme  temps  a  madame  de  Longue- 
ville  a  Stenai  qu'il  etoit  a  Montmedi ,  et  I'as- 
sura  que  si  I'armee  du  Roi ,  apres  le  gain  de  la 
bataiile  ,  marchoit  vers  Stenai ,  qu'il  s  y  en  iroit 
aussitot  avec  les  troupes  qu'il  retenoit  aupres 
de  Montmedi ,  qui  n'est  qu'a  deux  lieues  de 
Stenai.  M.  de  Turenne  ne  voulut  pas  aller  sitot 
a  Stenai ,  de  peur  que  les  Espagnols  ne  crussent 
qu'il  ne  se  fioit  pas  entierement  a  eux  apres  la 
perte  du  combat,  ou  bien  qu'il  avoit  si  mau- 
vaise  opinion  des  affaires  qu'il  etoit  bien  aise 
de  chercher  a  se  mettre  promptement  en  un 
lieu ,  d'oii  on  pourroit  plus  aisement  songer 
a  un  accommodement ;  la  connoissance  aussi 
des  affaires  de  Flandre  lui  faisoit  voir  qu'il 
valoit  bien  mieux  demeurer  dans  un  lieu  oil 
les  Espagnols  etoient  les  maitres,  que  d'aller 
a  Stenai,  parceque,  quoique  M.  de  Fuensal- 
dagne ,  de  qui  tout  dependoit  en  Flandre ,  ap- 
puyat  tout  le  parti ,  neanmoins  tous  les  gens 

(1)  Apres  sa  sortie  do  |)risoii ,  le  prince  de  Cond(^  ecri- 
vil  a  Turenne  les  lellrcs  suivantcs : 


MEMOIRKS    DU    VICOiMTE    DE    TIIBENM'.    [l650] 

dupays,  qui  vouloient  toujours  que  Ton  em- 
ployat  les  forces  d'Espagne  a  reprendre  les 
places  que  le  Roi  tenoit  en  Flandre  ,  et  non 


point  a  favoriser  le  parti ,  se  servoient  de  ce 
mauvais  evenement  pour  appuyer  leur  opinion 
et  decourageoient  M.  de  Fuensaldagne.  Si  M.de 
Turenne,  apres  ce  malheur ,  y  eiit  encore  ajoute 
la  mefiance  en  s'en  allant  a  Stenai,  il  est  sans 
doute  que  M .  de  Fuensaldagne  eiit  change  de 
mesures  ,  et  qu'il  evit  fallu  songer  a  un  accom- 
modement honteux.  Mais  la  chose  prit  toute  une 
autre  face  ,  et  scachant  que  M.  de  Turenne  etoit 
a  Montmedi ,  et  tous  les  oflkiers  de  I'armee  te- 
moignant  etre  fort  contens  de  lui ,  on  lui  en- 
voya de  la  part  de  M.  I'archiduc  un  pouvoir 
pour  disposer  de  toutes  les  charges  de  ceux  qui 
avoient  ete  tues  a  la  bataiile,  et  les  quartiers 
tels  qu'il  les  demanda  pour  ses  troupes. 

Pen  de  temps  apres ,  M.  de  Turenne  s'en  alia 
voir  madame  de  Longueville  a  Stenai ,  oil  ils 
rcsolurent  ensemble  de  demeurer  dans  la  meme 
pensee  jusqu'a  la  liherte  de  M.  le  prince.  M.  de 
Lorraine  etM.  de  Fuensaldagne  vinrent  ensuite 
a  Namur  pour  conferer  avee  M.  de  Turenne  : 
ils  demeurerent  quatre  jours  ensemble  pour  don- 
ner  ordre  aux  quartiers  des  troupes,  et,  s'en 
etaut  retournes  a  Bruxelles,  M.  de  Turenne 
voulut  traitter  a\ec  M.  I'electeur  de  Cologne 
pour  des  quartiers  dans  le  pays  de  Liege;  mais 
n'ayant  pu  s'accommoder,  il  y  mena  ses  trou- 
pes. 

Durant  ce  temps  la  les  desordres  recom- 
mencerenta  Paris ,  et  il  y  eut  grande  apparence 
de  la  liberie  de  M.  le  prince.  Comme  il  y  a 
beaucoup  de  gens  qui  ont  ecrit  particulierement 
toutes  les  caballes  qui  se  formerent  alors  ,  je 
n'en  dirai  rien,  mais  seulement  que  M.  de  Tu- 
renne, etant  bien  averti  qu'il  y  auroit  bientot 
un  changement ,  demeura  aupres  de  ses  trou- 
pes ,  ou  dans  les  lieux  un  pen  loin  de  Bruxel- 
les. Comme  il  etoit  diipar  les  Espagnols  plus  de 
trois  cens  mille  escus  pour  accomplir  le  traitte 
fait  avec  eux,  M.  de  Fuensaldagne  en  offrit 
cent  mille  a  M.  de  Turenne  ;  mais  il  ne  jugea 
pas  a  propos  de  les  recevoir ,  dans  un  temps  oil 
les  affaires  I'obligeroient  peut-etre  a  chercher 
les  moyens  de  sedegager  d'avec  les  Espagnols. 
Peu  apres  il  api^rit  par  le  sieur  de  La  Berge,que 
Madame  de  Longueville  lui  envoya^  que  M.  le 
prince  etoit  sorli  du  Havre  et  etoit  alle  a  Pa- 
ris (1)  ;  il  scut  aussi  en  meme  temps  que  M.  le 
cardinal  Mazarin  ,  etant  parti  de  la  cour,  etoit 
alle  au  Havre,  croyant  engager  M.   le  prince 

Premiere  leltre. 
«  Les  obligations  que  je  vous  ai  sonl  si  grandes  que 


MEMOIHF.R    UU    VICOMTE    DE   TUKKNNE.    [l(i,>l 


431 


dans  ses  inter^ts ,  et  voulant  persuader  qu'il  lui 
donnoit  sa  liberie ,  quoiqu'il  y  fut  oblige  paries 
remontrances  dii  parlement  et  la  liaison  de 
M.  d'Orleans  etdu  cardinal  de  Retz.  M.  le  car- 
dinal, n'a\ant  pu  reussir  dans  ceprojet,  espera 
que  la  Reine  sortiroit  avee  le  Roi  hors  de  Paris 
pour  I'aller  trouver  vers  la  Champagne ;  mais 
elle  en  fut  empechee  par  les  gardes  que  M.  d'Or- 
leans et  le  peuple  firent  faire  devant  le  Palais- 
Royal  ;  ce  qui  obligea  M.  le  cardinal  d'aller  a 
Sedan,  ensuite  au  pays  de  Liege,  et  de  la  a 
Cologne,  dont  11  revint  comme  il  sera  dit  ci- 
apres. 

M.  de  Turenne  ,  qui  etoit  a  la  Roche  en  Ar- 
denne ,  s'en  alia  incontinent  a  Stenai ,  pour 
chercherlesmoyensde  satisfaire  a  I'autre  clause 
dii  traitte  d'Espagne  ,  qui  etoit,  apres  la  liberie 
de  M.  le  prince,  de  travailler  a  une  paix  juste, 
egale  et  raisonnable.  II  envoya  avertir  M.  le 
comte  de  Fuensaldagne ,  qu'encore  que  M.  le 
prince  fut  en  liberie ,  qui  etoit  le  premier  arti- 
cle du  traitte,  et  que  Ton  put,  sur  ce  qu'on  y 

je  n'ai  point  de  paroles  pour  vous  t^moigner  ma  recon- 
noissance.  Je  souhaile  avec  passion  que  vous  me  don- 
niez  lieu  de  m'en  revancher.  Je  vous  jure  que  ce  sera 
la  chose  du  mondc  que  je  ferai  de  meilleur  coeur,  et  que 
Je  ferai  toutes  choses  pour  vous  servir.  Je  me  remets  a 
ce  que  je  mande  a  ma  soeur  pour  les  affaires,  et  je  ne 
vous  dirai  ici  autre  cliose  si  ce  ii'est  que  vous  pouvez 
disposer  absolument  de  mon  service,  et  que  vous  etes 
I'homme  du  monde  quej'honore  le  plus  et  que  j'aime 
avec  le  plus  de  lendresse  et  de  passion , 

»  Louis  de  UouKBOTf. 

0  Je  vous  prie  d'assurer  MM.  de  Beauveau  ,  de  Duras 
ct  de  Grandprd  de  mon  service,  et  MM.  de  Saint- 
Romain  et  Sarrasin ,  et  tous  les  officiers  qui  vous  ont 
suivi. 

»  Ce20fdvrier  1651.  » 

Deuxieme  lettre  au  tneme. 

«  Monsieur , 

»  J'ai  recu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  I'honneur  de 
m'^crire,  et  vii  celle  que  vous  avez  ^crite  a  ma  sa?ur ;  je 
m'assure  qu'elle  vous  mande  au  long  I'ctat  de  toules 
choses;  je  vous  suppiie  de  me  faire  sgavoir  le  plus  sou- 
vent  que  vous  pourrez  ce  qui  se  passera  de  dela,  soil 
pour  la  treve  ,  soil  pour  la  suspension  d'armes.  Les  af- 
faires icin'ont  pas  encore  pris  I'assiette  qu'on  pourroit 
souhailer ,  et  nous  y  Iravaillons  au  mieux  qu'il  nous  est 
possible :  je  vous  en  ferai  sgavoir  le  detail  au  premier 
jour.  Le  contrat  de  M.  de  Bouillon  sera  signe  dans  quel- 
ques  jours  a  sa  satisfaction.  II  restoit  un  article  que  j'ai 
fait  resoudre  avant-hier,  qui  i'avoit  arrets  jusques  ici 
et  qui  (Jtoit  tres-important  :  c'^toit  pour  faire  jurer 
monsieur  votre  frere :  foi  de  prince ;  si  bien  que  tout  est 
a  cette  heure  conclu.  Pour  vos  intt^rets  parliculiers,  ma 
soeur  m'en  a  entretenu  fort  au  long;  j'y  travaillerai 
comme  je  dois,  et  je  vous  jure  qu'ils  me  seront  plus 
chers  toujours  que  les  miens ,  et  que  jc  ferai  loutes  cho- 
ses pour  vous  le  temoigner.  Nous  vous  envoyons  quel- 


avoit  manque  en  tous  les  temps  a  I'egard  des 
sorames  promises ,  prendre  un  pretexte  bien  rai- 
sonnable de  se  degager  du  second ,  que  nean- 
moins  la  raaniere  obligeante  dont  il  en  avoit 
toujours  use,  et  la  connoissance  certaine  que  ce 
n'etoit  que  la  necessite,  et  non  la  mauvaise  yo- 
lonte  qui  I'avoit  oblige  a  manquer,  feroient 
qu'il  ne  partiroit  point  de  Stenai  qu'apres  avoir 
donnetoutle  temps  raisonnable  pour  travailler 
a  ce  second  article.  Etant  arrive  a  Stenai,  il 
trouva  des  lettres  que  M.  le  prince  ecrivoit  a 
madame  de  Longueville ,  par  lesquelles  il  te- 
moignoit  souhailer  fort  de  la  voir  et  faisoit 
de  grands  complimens  a  M.  de  Turenne  sur 
tout  ce  qui  s'etoit  passe. 

[1651]  Peu  de  jours  apres  ,  madame  de  Lon- 
gueville parlit  pour  s'en  aller  a  Paris ,  ayant 
envoye  a  Rruxelles  pour  faire  savoir  aux  Espa- 
gnols  qu'elle  travailleroit  de  bon  coeur  a  la  paix, 
et  les  rcmercioit  de  I'assistance  qu'ils  avoient 
donnee  pour  la  liberie  de  M.  le  prince.  M.  de  Tu- 
renne demeura  a  Stenai  et  ne  fut  point  embar- 

qu'argent ;  mandez-nous  librement  ce  doni  vous  aurez 
besoin,  etnous  y  pourvoirons  a  I'heure  meme.  Assurez- 
vous ,  je  vous  conjure  ,  de  mon  extreme  amiti^  ,  et  con- 
tinuez-moi  la  voire,  puisque  je  su  s  plus  qu'homme  du 
monde ,  Monsieur,  voire  tres-alTectionn(5  servileur , 

»  Locis  DE  Bourbon. 
»  A  Paris,  ce  18  mars  1651.  » 

Troisieme  lettre  au  meme. 

«  L'embarras  des  affaires,  ainsi  que  vous  I'aurez  d^ja 
appris  par  monsieur  votre  frere  ,  m'empeche  de  vous 
pouvoir  repondre  bien  posilivement  sur  I'affaire  de  la 
paix,  aussi  faut-il  allendre  le  retour  de  celui  qu'on  a 
envoys  a  Bruxelles  pour  sgavoir  si  I'archiduc  a  pouvoir ; 
mais  il  me  semble  que  vous  avez  d^ja  assez  de  sujet  de 
prendre  vos  mesures  avec  les  Espagnols  pour  vous  reti- 
rer.  3Ionsieur  votre  frere  s'est  charge  de  vous  faire  s^a- 
voir  tous  nos  sentimens  la-dessus ;  nous  en  avons  eu  une 
longue  conference  avec  ma  soeur  ensemble  ;  cependant 
je  vous  supplie  de  me  faire  sgavoir  a  peu  jires  le  temps 
auquel  il  faudra  que  je  lienne  mon  monde  pret  pour  en- 
trer  a  Stenai ,  et  comme  on  en  usera  pour  la  ville  et  les 
choses  qu'il  faudra  metlre  dans  la  place ,  soil  pour  les 
munitions  de  bouche ,  soil  pour  celles  de  guerre:  j'en 
ai  donne  le  gouvernement  a  M.  de  Marsin ,  je  crois  que 
vous  ne  dcsaprouverez  pas  le  choix  que  j'en  ai  fait.  \ous 
voycz  qu'il  est  necessaire  que  je  sgache  ces  choses-Ia  un 
peu  de  bonne  heure,  crainte  d'etre  surpris.  Je  donnerai 
ordre  au  plus  tot  pour  vous  faire  a\oir  satisfaction  pour 
vos  troupes,  mais  je  n'ai  pu  encore  le  faire,  Monsieur  et 
moi  ne  voyans  pas  encore  la  Reine.  Vos  autres  int^rels 
me  sont  plus  chers  et  plus  consitJdrables  que  les  miens, 
et  je  ne  vous  fais  pas  un  compliment  quand  je  vous  as- 
sure que  je  vous  le  ferai  paroitre  de  telle  maniere  que 
vous  le  souhaiterez. 

»  Jesuis,  Monsieur,  votre  tres-affectionnd  servileur, 


»  Louis  de  Bourbon. 


»  A  Paris,  ce  18  avril  1651.  » 


432 


[EMOIBES    UU    >'ICOMTE    UK    TUUENlNE.     [lG5l] 


rasse  de  ce  que  madame  de  Longueville  en  par- 
toit;  ce  n'est  pas  qu'ils  ne  fiissent  en  bonne 
intelligence ,  mais  n'etant  point  fort  presse  pour 
sesinterets  particiiliers ,  il  ne  vouloit  sortir  de 
I'affaire  qu'avec  honneur.  II  ecrivit  a  M.  le 
prince  qu'il  trouvoit  fort  a  propos  que  Ton  en- 
voytit  promptement  quelque  personne  de  consi- 
deration ,  avec  ordre  de  travailler  a  la  paix  ,  et 
qu'il  nejugeoit  point  qu'on  put  se  retirer  de 
bonne  grace  d'avec  les  Espagnols  avant  que 
d'avoir  fait  voir,  par  des  effets  reels, que  Tony 
songeoit  tout  de  bon  et  que  Ton  faisoit  des  ou- 
vertures  raisonnables.  On  envoya  de  la  cour 
M.  de  Croissi  a  Stenai ,  et  par  les  instances  que 
M.  de  Turenne  fit  a  Bruxelles,M.  I'archiduc 
envoya  M.  Friquet.  On  pressa  fort  cette  nego- 
ciation  ,  et  Ton  proposa  ,  du  cote  de  la  France, 
que  M.  le  due  d'Orleans  iroit  avec  un  plein  pou- 
voir  sur  la  frontiere  avec  des  personnes  nom- 
inees,  si  M.  I'archiduc  y  vouloit  venir  avec  le 
raeme  pouvoir  de  la  part  du  roi  d'Espagne ,  que 
les  Espagnols  avoient  toujours  dit  qu'il  avoit. 
D'ailleurs  M.  de  Tuienne  fit  scavoir  a  M.  le 
comte  de  Fuensaldagne  que  Ton  satisferoit  I'Es- 
pagne  par  raport  au  Portugal  et  a  la  Catalogue, 
pourvu  que  les  aulres  conditions  de  la  paix  fus- 
sent  raisonnables ;  mais  on  connut  bien  qu'il 
n'y  avoit  point  de  pie iti  pouvoir  en  Flandre,  et 
qu'apparemment  les  grandes  esperances  que 
Ton  avoit  concues  en  Espagne  des  guerres  civi- 
les  de  France,  avoient  otetoute  pensee  de  son- 
ger  promptement  a  la  paix. 

Apres  deux  mois  de  negociation,  M.  de  Tu- 
renne manda  a  M.  de  Fuensaldagne  ,  qu'ayant 
fait  de  son  cote  tout  ce  a  quoi  il  s'etoit  oblige 
pour  la  paix  ,  qu'il  s'en  alloit  a  Paris ;  11  le  re- 
mercia  en  raeme  temps  de  I'assistance  qu'il  avoit 
recue  du  Roi  d'Espagne ,  et  de  la  civilite  avec 
laquelle  il  en  avoit  use  envers  lui  en  toutes  ren- 
contres, et  lui  fit  dire  aussi  qu'il  donneroit  or- 
dre a  troisou  quatrecens  chevaux  qui  lui  etoient 
restes  de  la  bataille  de  Rhetel  et  qu'il  avoit  fait 
lever  en  Allemagne,  de  le  venir  trouver  en 
France. 

Pendant  le  sejour  de  M.  de  Turenne  a  Stenai, 
apres  le  depart  de  madame  de  Longueville ,  il 
sentit,  par  les  differentes  lettres  de  M.  le  prince 
etpar  les  avis  qu'il  avoit  de  Paris,  qu'il  chan- 
geoit  souvent  de  pensee  depuis  sa  sortie  de  pri- 
son, souhaittantquelquefois  queM.  de  Turenne 
vint  bientot  a  Paris ,  et  d'autres  fois  desirant 
qu'il  demeuriit  a  Stenai ,  suivant  I'envie  qu'il 
avoit,  ou  de  ravoir  promptement  la  place  que 
M.  de  Turenne  par  son  retour  lui  cut  remise  en- 
tre  les  mains,  ou  de  continucr  en  liaison  avec 
les  Espagnols.  Quand  madnme  de  Longueville 


partit  de  Stenai ,  elle  voulut  engager  M.  de  Tu- 
renne a  lui  donner  sa  parole  de  demeurer  tou- 
jours dans  les  interets  de  M.  le  prince;  mais 
lui  qui  croyoit ,  apres  avoir  montre  durant  la 
prison  de  M.  le  prince  un  si  grand  desinteresse- 
ment,  pouvoir  agir  suivant  qu'il  le  trouveroit 
plus  a  propos,  dit  a  madame  de  Longueville 
qu'il  ne  pouvoit  pas  en  donner  ,  mais  qu'apres 
avoir  fait  sortir  ses  gens  de  Stenai,  remis  la 
place  entre  les  mains  de  M.  le  prince  ,  et  satis- 
fait  aux  Espagnols  touchant  I'article  de  la  paix, 
qu'il  s'en  iroit  a  Paris  ou  il  verroit  le  prince  et 
prendroit  la  ses  mesures.  En  effet,  M.  de  Tu- 
renne, depuis  que  madame  de  Longueville  fut 
partie  ,  jusqu'a  ce  qu'il  s'en  allat  a  Paris,  n"a 
point  voulu  avoir  d'autre  conduite  que  de  don- 
ner tout  le  temps  necessaire  pour  bien  sortir 
d'avec  les  Espagnols  touchant  I'article  de  la 
paix,  n'ayant  eu  nuile  impatience  d'aller  a  Pa- 
ris, oil  neanmoins  il  scavoit  bien  que  tons  ceux 
du  parti  deM.  le  prince  prenoient  des  mesures 
pour  leurs  interets  particuliers ;  mais  il  ne 
croyoit  pas  que  de  songer  aux  siens  ,  en  se  ha- 
tant  d'y  aller ,  piit  bien  s'accorderavec  le  temps 
qu'il  vouloit  donner  pour  convaincre  les  Espa- 
gnols que  I'empechement  a  la  paix  venoit  de 
ce  que  M.  I'archiduc  n'avoit  pas  un  plein  pou- 
voir de  traitter.  M.  de  Turenne  en  ayant  ete 
pleinement  instruit ,  et  convaincu  qu'il  etoit 
inutile  de  demeurer  davantage  a  Stenai ,  en  par- 
tit  et  retourna  a  Paris.  Scachant  que  M.  le 
prince  et  beaucoup  de  personnes  de  qualite  vou- 
loient  venir  au  devant  de  lui ,  sans  al'fecter  qu'il 
ne  le  desiroit  pas,  il  arriva  a  Paris  un  jour  plus 
tot  qu'il  ne  I'avoit  dit ,  n'aimant  point  ces  sortes 
d'honneurs ,  qui  assurement  sont  de  mauvaise 
grcice  quand  on  vient  d'avec  les  Espagnols  et 
que  Ton  entre  en  un  lieu  oil  le  Roi  et  la  Reine 
demeurent. 

En  ce  temps  la ,  la  Reine  ne  se  gouvernoit 
en  secret  que  par  les  conseils  de  M .  le  cardinal , 
quoique  au  dehors  tout  paroissoit  s'opposer  a 
son  retour  en  France.  Le  parlement  meme  fai- 
soit souvent  des  remontrances  la-dessus ;  et  quoi- 
que le  Roi  et  la  Reine  y  repondoient  qu'on  pou- 
voit s'assurer  que  le  cardinal  ne  seroit  plus  rap- 
pelea  la  cour,  tons  ceux  cependant  qui  vouloient 
obtenir  des  griices  de  la  Reine  s'adressoient  a 
M.  le  cardinal  a  Cologne.  M.  le  prince  tenoit 
souvent  des  conseils  a  I'hotel  de  Longueville, 
etoit  assez  bien  avec  M.  le  due  d'Orleans,  et 
alloit  fort  rarement  au  Palais-Royal.  M.  le  car- 
dinal, quand  il  le  fit  sortir  du  Havre,  crut  qu'il 
s'ajusteroit  avec  lui.  Depuis  qu'il  fut  arrive  a 
Paris  ,  il  temoigna  \ouloir  achever  le  mariage 
de  M.  le  prince  de  Conti  avec  mademoiselle  de 


MEMOinr.s  nu  mcomte 

Chevreuse  ,  qui  cloit  unc  des  eondilions  sui-  la- 
(juelle  M.  le  coadjuteur  avoit  travail  le  a  sa  liberte. 
Quand  M.  de  Tiircnncarriva  a  Paris,  le  mariage 
otoit  rompu,  M.  le  coadjuteur  eloit  fort  mal 
avec  M.  le  prince,  qui,  desirant  le  gouverne- 
ment  de  Guyenne  pour  lui ,  et  de  Provence  pour 
M.  le  prince  de  Conti ,  se  rapprochoit  un  peu  de 
la  cour,  sans  avoir  pourtant ,  a  cc  qu'il  disoit, 
aucune  communication  avec  M.  le  cardinal ; 
mais  il  est  bien  vrai  que  madame  de  Longue- 
ville  etM.  le  prince  de  Conti  negocioient  avec 
le  ministre  par  le  moyen  de  madame  la  prin- 
cesse  palatine ,  et  promettolent  que  M,  Ic  prince 
se  radouciroit  pour  le  retourdc  M.  le  cardinal, 
si  I  avoit  ce  qu'il  demandoit. 

M.  le  prince  vint  voir  M.  de  Turenne  des 
qu'il  le  scut  arrive,  le  mena  au  Louvre  et  de  la 
diner  avec  lui,  et  apres  on  s'assembia  a  I'or- 
dinaire  a  Tholel  de  Longueville  ;  mais  M.  de 
Turenne,  apres  ce  jour-la,  ne  voulut  plus  y 
rotourncr  ,  ayant  aisement  reconnu ,  et  par  les 
avis  qu'il  avoit  ens  u  Stenai ,  et  par  ce  qu'il 
vit  a  Paris,  qu'il  ne  s'agissoit  que  d'inte- 
lets  parliculiers  et  de  belles  apparences  au 
dehors  qui  pourroient  tromper  ceux  qui  ne 
voyoient  pas  clair.  M.  le  prince  assuroit  M.  de 
Turenne  qu'il  scroit  toujours  pret  a  lui  rendre 
le  memo  service  qu'il  venoit  de  reeevoir  de  lui, 
et  le  vouloit  fort  engager  a  avoir  des  pretentions 
a  la  cour,  qu'il  promettoit  de  solliciter  avec 
soin.  Cependant  les  troupes  du  Uoi  ayant  recu 
de  bons  quartiers  d'hiver  et  etant  retablies  , 
celles  de  M.  de  Turenne ,  qui  seulcs  avoient 
travaille  pour  la  liberte  de  M.  le  prince  ,  de- 
meuroient  sans  nul  etablissement  ni  quartiers. 
M.  le  prince  s'offrit  bien  d'en  parler,  mais  il 
ne  s'y  interessa  pas  comme  une  chose  qui  le 
touchoit  de  pres. 

Tl  faudroit  parler  fort  au  long  si  Ton  vouloit 
dire  tons  les  changemens  d'interels  qui  se  fi- 
rent  dans  les  principaux  personnages  de  la 
cour.  Elle  etoit  en  un  etat  bien  bas  ,  se  mefiant 
de  presque  tons  les  gens  de  qualite  qui  y  al- 
loient,  et  n'osant  faire  aucune  action  de  vigueur 
en  arretant  ni  meme  en  temoignant  aucune 
mauvaise  volonte  a  personne.  M.de  Turenne, 
ayant  agi  en  toute  rencontre  contre  les  interets 
de  M.  le  cardinal  de  Mazarin ,  n'avoit  nuHe 
pensee  de  se  raccommoder  avec  lui  etnefaisoit 
aucune  diligence  a  se  mettre  bien  avec  la  Reyne; 
mais  il  voyoit  si  peu  de  re|^le  dans  les  pensees 
de  M.  le  prince,  qu'il  ne  vouloit  prendre  aucun 
nouvel  engagement  avec  lui.  Long-temps  meme 
apres  son  retour  a  Paris  ,  madame  de  Longue- 
ville ayant  voulu  scavoir  de  lui  sil  demeure- 
roit  dans  les  interets  de  M.  le  prince,  il  lui  dit 

III.    C.    D.    M.,    T.    III. 


DE    TURENNE.    [lOJl]  433 

que  ce  qu'il  avoit  fait  par  le  pass6  lui  donnoit 
lieu,  le  voyant  en  liberte,  de  bien  mcditer 
avnnt  que  de  s'engager  de  nouveau.  II  demeura 
toujours  dans  cette  disposition  ,  voyant  assez 
souvent  M.  le  prince,  qui  vivoitfort  bien  avec 
lui ,  mais  qui  etoit  si  combattu  de  diverses  pen- 
sees,  que  M.  de  Turenne  ne  crut  point,  quoi- 
qu'il  s'accommodat  ou  qu'il  rompit  avec  la 
cour  ,  pouvoir  prendre  de  liaison  sure  avec  lui. 
Ce  n'est  pas  que  M.  le  prince  ne  lui  temoigndt 
beaucoup  de  reconnoissance  ,  et  qu'en  effet  il 
n'ait  toujours  cu  beaucoup  d'ostime  pour  lui  et 
autant  d'amitieque  pour  personne  ;  mais  M.  de 
Turenne  songeoit  qu'il  n'etoit  pas  raisonnable 
de  s'engager  contre  la  cour  a  une  suite  d'af- 
faires ,  dont  il  scavoit  que  le  but  n'etoit 
que  de  procurer  les  interets  d'un  petit  nom- 
bre  de  personnes,  sans  aucune  vue  du  bien 
public. 

Ces  considerations  I'ont  toujours  fait  demeu- 
rer  ferme  a  ne  se  point  mettre  dans  le  parti  de 
M.  le  prince  ,  depuis  sa  sortie  de  prison  ;  elles 
ne  I'ont  pas  oblige  non  plus  a  faire  des  I'ccher- 
ches  du  cote  de  la  cour.  II  souhaitloit  que  les 
affaires  vinssent  en  etat  que  M.  de  Bouillon  et 
lui  pussent  s'y  raccommoder;  mais  il  ne  faisoit 
pour  cela  aucun  pas  contre  la  bienseancc.  Pen- 
dant I'absence  de  M.  le  cardinal  ,  ceux  qui 
avoient  le  plus  de  pouvoir  ne  souhaittoient  pas 
que  M.  de  Bouillon  et  M.  de  Turenne  s'atta- 
cliassent  fort  a  la  cour  ,  et  quoique  M.  le  prince 
fit  de  grandes  avances  aux  deux  Acres  ,  M.  de 
Turenne  avoit  dans  I'esprit  que  toutes  choses  lui 
etoient  meilleures  que  d'entrer  dans  son  parti  , 
apres  les  choses  passees,  et  vouloit  vivre  a  I'a- 
venir  eioigne  de  toute  caballe. 

Quelque  temps  avant  que  M,  le  prince  eut  le 
gouvernement  de  Guyenne  ,  et  sur  la  difficulte 
que  Ton  fit  a  la  cour  de  donner  celui  de  Pro- 
vence a  M.  le  [)rince  de  Conti  ,  les  soupcons 
commencerent  a  augmeuter  de  part  et  d'autre , 
et  la  caballe  qui  soutenoit  M.  le  prince  dans 
ses  pretentions  commenca  a  s'affoiblir.  M.  le 
prince  vo\ant  qu'elle  ne  pouvoit  pas  lui  procu- 
rer ce  qu'il  desiroit ,  se  tourna  contre  elle  et 
se  lia  plus  qu'auparavant  avec  M.  le  due  d'Or- 
leans ,  avec  les  mecontens  et  avec  madame  de 
Longueville,  qui  n'etoit  pas  satisfaite  de  ce 
que  Ton  differoit  de  donner  le  gouvernement 
de  Provence  a  M.  le  prince  de  Conti,  et  qui 
n'avoit  pas  beaucoup  d'envie  de  retourner  eu 
Normandic.  Toutes  ces  choses  ayant  oblige 
M.  le  prince  a  n'aller  plus  chez  la  Reine  ,  il  eut 
avis  que  dans  ce  dernier  refroidissement  il  y 
avoit  eu  quelques  murmures  sourds  qu'on  vou- 
loit I'arrelcr  ;  ces  bruits  ,  joints  a  une  allarme 

•2H 


4U 

qu'ii  eut  iinenuit,  que  Ton  avoit  vu  quelques 
soldats  marcher  vers  I'hotel  de  Conde,  Toblig^- 
reut  de  s'en  aller  de  grand  matin  a  Saint-Maiir, 
a  deux  lieues  de  Paris. 

Cette  journee-la  tons  ceux  qui  etoient  en- 
tierement  attaches  a  ses  interets  s'en  allerent  le 
trouver,  et  M.  de  Turenne  alia  chez  la  Reine. 
Comme  durant  le  peu  de  jours  qu'il  demeura  a 
Saint-INIaur  on  paria  de  negociations,  et  que 
beaucoup  de  gens  Talloient  voir  qui  ne  lui 
avoient  donue  aucune  parole,  JM.  de  Turenne 
s'y  en  alia  aussi  ;  il  eut  un  eutretien  de  deux 
heures  avec  lui  dans  le  pare  oil  ils  se  promene- 
rent  tons  deux  ,  et  il  n'y  eut  point  de  compli- 
mens  que  M.  le  prince  ne  kii  fit, en  temoignant 
le  grand  desir  qu'il  avoit  qu'il  vouliit  eutrer 
avec  lui  dans  le  parti,  dont  il  lui  montroit  la 
grandeur  par  la  quantite  de  provinces  qui  se 
declareroient  pour  lui ,  et  par  I'etat  ou  etoit  la 
cour.  M.  de  Turenne  demeura  dans  sa  pre- 
miere pensee  de  ne  prendre  aucun  engage- 
ment, et  ne  voulut  pas  s'eclaircir  avec  lui  sur 
les  raisons  qui  I'empechoient  d'entrer  en  cette 
affaire;  lesquelles  en  effet  etoient  de  telle  na- 
ture qu'on  les  garde  en  soi  pour  y  conformer 
sa  conduite  ,  et  non  point  pour  les  divulguer  , 
scachant  bien  qu'elks  ne  feroient  aucun  effet, 
et  ayant  une  entiere  connoissance  du  naturel 
des  personnes  qui  devoient  entrer  dans  la  ca- 
balle. 

Quelque  temps  apres  ,  M.  le  prince  revint  a 
Paris  toujours  fort  mal  avec  la  cour;  ensuite  les 
negociations  n'ayant  rien  produit,  il  s'en  alia  a 
Montrond  avec  M.  le  prince  de  Conti  et  ma- 
dame  de  Lougueville  ;  enfin  en  Guyenne,  oil  il 
commenca  a  se  declarer  ouverlement  contre  la 
cour.  Les  principaux  ministres  qui  s'etoient  op- 
poses aux  etablissemens  de  M.  le  prince,  I'a- 
voient  pousse  aulant  qu'ils  avoient  pu  a  sortir 
de  Paris ;  et  quand  il  faisoit  quelques  ouver- 
tures  daccoramodement,  ils  les  tournoient  du 
mauvais  cote  ,  toute  cette  cabal  le  souhaitant  son 
eloignement  et  que  les  choses  se  portassent  a 
I'extremite  contre  lui.  Ces  messieurs  ne  trou- 
voitint  pas  aussi  leur  compte  que  M.  de  Bouillon 
et  M.  de  Turenne  demeurassent  a  la  cour. 
Dans  ce  temps- la  clle  alia  a  Bourges  et  de  la  a 
Poitiers  en  se  cachant  aux  deux  freres ,  persua- 
dee  que  ce  traittement  les  mettroit  dans  le  parti 
de  M.  le  prince  ou  dans  celui  de  M.  d'Orleans 
qui  se  formoit  a  Paris.  M.  de  Turenne  fut  tou- 
jours d'avis  de  demeurer  plutot  quelque  temps 
inutile  que  d'entrer  dans  toutes  ces  intrigues. 

[1652]  Ccpendant  INI.  le  due  d'Orleans  et  le 
parlement  de  Paris  etoient  allarmes  du  retour 
de  M.  le  cardinal  Mazarin^  qui ,  ayant  demeure 


MEMOIBES    DU    VICOMTE    DE   TUBENIVE.    [1652] 


en  Allemagne  depuis  la  sortie  de  prison  de  M.  le 
prince ,  s'en  revint  joindre  la  cour  a  Poitiers , 
avec  quatre  ou  cinq  mille  hommes  qu'il  avoit 
leves ,  et  de  quelques  troupes  qu'il  avoit  prises 
sur  la  frontiere.  M.  de  Bouillon  etoit  au  plus 
fort  de  ses  affaires  qu'il  sollicitoit  au  parlement: 
ce  qui  retint  M.  de  Turenne  a  Paris  un  mois 
plus  qu'il  n'eut  desire,  car  il  vouloit  arriver  k 
la  cour  en  meme  temps  que  M.  le  cardinal 
Mazarin.  Aussitot  que  les  affaires  de  M.  de 
Bouillon  furent  conchies ,  M.  de  Turenne,  s'en 
allant  a  Poitiers,  scavoit  que  la  cour  seroit  si 
changee  par  le  retour  du  cardinal  que  M.  de 
Bouillon  et  lui  y  seroieut  bien  recus  ,  M.  le 
cardinal  ayant  toujours  ecrit  des  choses  fort 
avantageuses  pour  eux  des  qu'il  scut  qu'ils  n'e- 
toient  point  embarques  avec  M.  le  prince ,  au 
lieu  que  ceux  qui  environnoient  le  Roi ,  dans 
I'absence  du  cardinal ,  n'avoient  cherche  qu'a 
nuire  aux  deux  freres. 

M.  de  Turenne  trouva  la  cour  entierement 
gouvernee  par  M.  le  cardinal  ;  mais  les  affaires 
etoient  dans  un  grand  trouble,  tant  par  la  guerre 
que  M.  le  prince  faisoit  en  Guyenne  que  par 
les  troupes  de  M.  le  due  d'Orleans  ,  qu'il  avoit 
fait  rassembier  sur  la  riviere  de  Loire.  D'ail- 
leurs  le  parlement  de  Paris  avoit  mis  a  prix  la 
tete  de  M.  le  cardinal  Mazarin  ,  et  s'etoit  en- 
tierement lie  aux  interets  de  M.  le  due  d'Or- 
leans. La  cour  quitta  Poitiers  pour  aller  a  Sau- 
mur ,  escortee  des  troupes  que  M.  le  cardinal 
avoit  emmenees.  M.  lemarechal  d'Hocquincourt 
les  mena  ensuite  devant  Angers,  qui  se  rendit 
apres  quelques  jours  de  siege,  et  on  prit  aussi 
le  pont  de  Ce.  La  cour  s'en  alia  de  la  a  Tours  et 
ensuite  a  Blois.  Dans  le  temps  meme  M.  de  Ne- 
mours emmena  six  mille  hommes  de  Flandre, 
composes  des  troupes  de  M.  le  prince  ,  et  de  re- 
gimens allemans  que  les  Espagnols  lui  avoient 
donnes.  lis  ne  trouverent  aucune  difficulte  a 
traverser  la  France  ,  n'y  ayant  point  de  troupes 
a  leur  opposer,  et  vinrent  joindre  les  troupes 
de  Gaston  pres  d'Orleans,  laquelle  ville  ,  par 
I'arrivee  de  Mademoiselle  ,  demeura  dans  le 
parti  des  princes. 

Dans  Ces  circoustances,  la  cour  asserabla  des 
troupes  qui  etoient  vers  Montrond  et  en  fit  ve- 
nir  de  Champagne,  et  M.  de  Turenne  en  ac- 
cepta  le  commandement.  On  crut  a  la  cour  qu'il 
feroit  difficulte  que  M.  le  marechal  d'Hocquin- 
court le  piit  joindre  avec  le  corps  qui  avoit  ra- 
mene  M.  le  cardinal  Mazarin  ;  mais  voyant 
qu'il  falioit  aller  au  bien  des  affaires  ,  dans  un 
temps  ou  elles  etoient  en  si  mauvais  etat ,  il 
n'en  fit  point  de  scrupule,  et  deux  jours  apres, 
craignant  que  I'ennemi  ne  se  saisit  du  pont  de 


MEMOIBES   DU    VICOMTE   DE    TURENNE.    [l652] 


4:55 


Gergeau,  il  s'y  en  alia.  M.  de  Palluau  y  etoit 
arrive  uu  jour  auparavant  par  son  ordre  et 
iuoit  fait  roinpre  uue  partie  du  pout.  Conime 
M.  de  Turenne  y  arriva  avec  fort  peu  de  gens, 
I'arraee  du  Roi  etant  a  six  ou  sept  lieues  de  la  , 
il  fit  raccommoder  le  pont  pour  donner  jalousie 
aux  enuemis  et  faire  croire  qu'il  vouloit  les 
attaquer  ,  ne  croyant  pas  que  de  leur  cote  ils 
songeassent  a  forcer  ce  pont.  Cela  ne  I'erapecha 
pas  d'y  marcher ;  il  ne  s'y  trouva  au  commen- 
cement que  deux  cens  mousquetaires  du  regi- 
ment d'Uxelles ,  sans  munitions.  On  se  hata 
d'y  fciire  marcher  trois  ou  quatre  regimens 
d'infanterie  qui  etoient  a  deux  heures  de  la ; 
mais  durant  le  temps  qu'ils  furent  a  y  arri- 
ver ,  les  ennemis  firent  leur  plus  grand  effort 
et  emporterent  plus  de  la  moitie  du  pont.  M.  de 
Turenne ,  M.  le  marechal  d'Hocquincourt  et 
beaucoup  d'officiers  firent  une  barricade  dans 
ce  qui  leur  resta  du  pont ,  n'ayaut  plus  de  sol- 
dats  qui  pussent  tirer,  faute  de  munitions  ,  et 
le  canon  des  ennemis  les  incommodant  beau- 
coup.  M.  de  Longpre  y  fut  blesse  d'un  eclat ,  et 
beaucoup  d'officiers.  Enfin,apres  avoir  soutenu 
ce  poste  long-temps  contre  toutes  les  troupes 
del'ennemi,  les  regimens  arriverent :  ce  qui 
obligea  les  ennemis  a  demeurer  de  I'autre  cote 
de  I'eau.  La  cour  passoit  assez  proche  de  la 
pour  aller  a  Sulli,  et  on  fut  plus  de  trois  beures 
avant  que  cette  infanterie  arrival  :  si  I'ennemi 
eut  fait  un  effort  a  cette  barricade,  il  auroit 
certainement  emporte  le  pont  et  eut  fait  courir 
grand  hazard  a«  Roi  et  a  la  Reine,  qui  eussent 
i'te  obliges  de  se  sauver  avec  peine ,  I'armee 
n'etant  pas  ensemble.  On  rompit  le  pont  de 
Oergeau ,  et  corame  celui  de  Gien  etoit  de 
grande  consequence  ,  on  y  raarcha  avec  toute 
I'armee,  qui  y  passa  deux  jours  apres  la  riviere 
de  Loire ,  et  la  cour  vint  s'y  etablir. 

On  eut  nouvelle  en  meme  temps  que  M.  le 
prince  etoit  venu  de  Guienne  joindre  son  armee 
avec  six  ou  sept  personnes  avec  lui ;  et  apres  que 
les  rebelles  eurent  fait  grandes  rejouissances  de 
sa  venue,  il  marcha  a  Montargis,  qui  se  rendit 
aussitot ,  n'y  ayant  personne  dedans.  Son  ar- 
mee etoit  forte  de  six  a  sept  mille  homnies  de 
pied  etcinq  mi  He  chevaux,  composee  de  troupes 
de  M.  d'Orleans  ,  des  siennes  et  de  ce  renfort 
de  Flandre.  Celle  du  Roi  avoit  quatre  a  cinq 
mille  hommes  de  pied  et  quatre  mille  chevaux. 
C'etoit  au  mois  d'avril ,  et  il  n'y  avoit  pas  raoyen 
de  subsister  ensemble  a  cause  du  fourage ;  de 
sorte  que  I'armee  du  Roi ,  apres  avoir  passe  la 
riviere  de  Loire  a  Gien  ,  marcha  derriere  le  ca- 
nal de  Rriare  pour  pouvoir  un  peu  s'clargir. 
M.  le  marechal  d'Hocquincourt  se  logea  a  Ble- 


neau  avec  toutes  ses  troupes ,  et  M.  de  Turenne 
avec  les  siennes  a  Briare  ;  le  lendemain  il  s'en 
alia  diner  a  Bleneau  avec  M.  le  marechal  d'Hoc- 
quincourt, qui  lui  dit  qu'ayant  envoye  des  par- 
tis vers  Chateau-Renard ,  on  lui  avoit  rapporte 
que  M.  le  prince  marchoit  vers  la  Bourgogne. 
Comme  M.  de  Turenne  I'eut  quitte  et  fut  re- 
venu  a  son  quartier,  il  scut,  a  sept  heures  du 
soir,  par  un  horame  que  M.  le  marechal  d'Hoc- 
quincourt lui  envoya ,  que  M.  le  prince  marchoit 
droit  a  Bleneau;  et,  en  effet,  M.  le  prince, ayant 
appris  que  les  quartiers  du  marechal  etoient  un 
peu  separes,  marcha  droit  aChatillon,  et  de  la 
au  canal  sur  lequel  M.  le  marechal  d'Hocquin- 
court avoit  loge  ses  dragons :  le  prince,  les  ayant 
emportes  sans  nu lie  resistance,  passe  le  canal 
avec  toute  son  armee  a  I'entree  de  la  nuit.  M.  le 
marechal  d'Hocquincourt ,  ne  croyant  pas  que 
sa  marche  put  etre  si  diligente ,  et  se  fiant  sur 
ce  que  ses  dragons  tiendroient  plus  de  temps 
au  passage  du  canal ,  avoit  un  peu  attendu  avant 
que  de  rassembler  ses  troupes;  mais  etant  averti 
que  les  dragons  etoient  attaques  sur  le  canal ,  il 
raanda  promptement  sa  cavalerie  qui  etoit  fort 
proche  de  lui  et  marcha  oil  etoit  I'alarme.  H 
trouva  M.  le  prince  passe,  et  voulant  s'opposer 
a  lui  derriere  un  village  qui  etoit  deja  assez  loin 
du  passage,  il  chargea  deux  ou  trois  fois  avec 
sa  cavalerie  qui  fut  rompue ;  son  infanterie, 
n'ayant  pas  eu  le  temps  de  venir  au  rendez- 
vous ,  se  retira  dans  Bleneau.  Le  peu  qui  se 
trouva  en  campagne  fut  dissipe ;  mais  comme 
c'etoit  la  nuit ,  la  cavalerie  ne  perdit  pas  beau- 
coup de  gens :  son  bagage  fut  tout  pille  ;  et  les 
ennemis  n'osant  les  suivre  que  lentement,  M.  le 
marechal  d'Hocquincourt ,  apres  avoir  fait  tout 
ce  qui  se  pent  dans  Taction ,  se  retirant  avec 
une  bonne  partie  aupres  de  Bleneau,  marchoit 
sur  le  chemin  de  Saint-Fargeau. 

M.  de  Turenne,  des  qu'il  fut  averti  que  I'en- 
nemi marchoit,  envoya  promptement  a  sa  ca- 
valerie ,  qui  etoit  dans  trois  ou  quatre  villages 
a  uue  lieue  de  lui ,  et  leur  manda  de  se  rendre 
entre  Bleneau  et  Ozouer  ou  etoit  M.  deNavailles 
avec  quatre  regimeus.  Pour  lui,  il  s'y  en  alia  en 
diligence  avec  I'infanterie  qu'il  avoit  dans  son 
quartier.  Comme  il  arriva  sur  les  hauteurs  au- 
pres d'Ozouer,  il  apprit ,  par  des  gens  qu'il  en- 
voya a  M.  le  marechal  d'Hocquincourt  pour  lui 
dire  qu'il  marchoit,  que  I'ennemi  etoit  en  pleine 
marche  entre  Ozouer  et  Bleneau.  H  vit  deux 
ou  trois  des  quartiers  de  M.  le  marechal  d'Hoc- 
quincourt en  feu  ;  et  comme  c'etoit  la  nuit,  on 
entendoit,en  s'eloignant  un  peu  des  troupes,  les 
timballeset  les  tambours  de  I'ennemi.  Quelques 
gens  s'etoient  voulu  flatter  que  ce  n'etoit  qu'un 

I'S. 


i:i(i 


MF.iMOIUriS    1)V    VICOMTE 


tort  parti ;  mais  on  connut  bien  en  ce  temps- 
la  que  toute  Tarmee  de  M.   le  prince  y  etoit. 
M.  deTurenue  n'avoit  aupres  de  lui  que  deux 
regimens  de  cavalerie  et  deux  mille  hommes 
de  pied  ,  tonte  la  cavalerie  n'etant  pas  encore 
au  rendez-vous,  qui  etoit,  comme  j'ai  dit, 
entre   Ozouer  et   Bleneau ;   neanmoins  M.  de 
Turenne ,   voyant  que  s'il  n'alloit  au-devant 
de  sa  cavalerie  elie  seroit  coupee  par  i'enne- 
nii  et   par  la  son  armee  mise  en  deroute  et 
toiitcs  les  affaires  perdues ,  jugea  qu'a  la  faveur 
de  la  nuit  il  pouvoit  hasarder  cette  marche  , 
quoique  fort  proche  de  I'ennemi,  et  s'en  alia 
vers  Bleneau  ,  esperant  trouver  sa  cavalerie  en 
chemin.  On  n'avoit  point  de  guides,  et  on  ecou- 
toit  de  temps  en  temps  pour  scavoir  si  on  ne 
s'approchoit  pas  trop  de  larmee  ennemie.  A  la 
pointe  du  jour  il   se  trouva  dans  une  grande 
eampagne  ,  et  resolut  d'y  attendre  sa  cavalerie 
qu'il  vit  paroitre  comme  le  soleil  se  leva.  Des 
qifil  I'eut  joint  ,  il  aima  bien  mieux  marclier 
droit  a  W.  le  prince,  quoiqu'inferieur  a  lui  de 
deux  tiers  en  troupes,  que  de  I'attendre  et  lui 
donner  le  temps  de  defaire  entierement  M.  le 
marecha!  d'Hocquincourt.  Comme  ileut  marche 
un  quart  de  lieue  dans  la  plaine,  il  trouva  un 
petit  bois ,  et  commanda  a  sa  cavalerie  et  a  son 
infanterie  de  faire  hake  en-deca  ,  et  avec  six 
escadrons  il  passa  au-dela  et  vit  toute  Tarmee 
de  M.  le  prince  qui  s'avancoit,  ayant  cesse  de 
poursuivre  M.  le  marecha!  d'Hocquincourt ,  sur 
I'avis  qu'il  cut  que  M.  de  Turenne  marchoit  a 
Ini.  II  commenca  a  faire  repasser  ces  six  esca- 
drons, scachant  bien  que,  s'il  vouloit  opiuiatrer 
a  ce  petit  bois  M.  le  prince,  il  n'avoit  pas  de 
linfanterie  capable  de  soutenir  contre  la  sienne , 
et  que  M.  le  prince  apres  avoir  chasse  par  le 
feu  soil  infanterie  hors  du   bois,  la  cavalerie 
seule  feroit  peu  de  resistance  ,  et  surtout  apres 
avoir  ete  endommagee  par  le  feu  qu'il  cut  fallu 
essuyer  en  soutenant  I'infanterie. 

Avant  que  iSi.  le  prince  arrivat  dans  le  bois, 
M.  de  Turenne  fit  retirer  toute  son  infanterie  et 
semit  en  bataille  dans  une  telle  distance  que  I'in- 
fanterie de  M.  le  prince,  qui  etoit  dans  le  bois, 
ne  pouvoit  pas  I'endomraager,  et  de  maniere 
aussi  qu'il  ne  pouvoit  pas  se  mettre  en  bataille, 
ne  lui  ayant  pas  laisse  assez  de  terrain.  On  de- 
raeura  quelque  temps  en  presence  ,  M.  le  prince 
ayant  etendu  ses  deux  ailes  ,  et  faisant  conte- 
uance  de  vouloir  passer  en  bataille  ce  petit  bois, 
ou  il  n'y  avoit,  pour  venir  a  M.  de  Turenne, 
qu'une  petite  cl>aussee  qu'on  releve  pour  discer- 
ner  les  heritages. 

Comme  on  eut  demeure  quelque  temps  en 
celtc  posture  ,  et  (juc  I'armee  de  M.  le  prince  ne 


paroissoit  plus  dans  le  bois ,  M.  de  Turenne, 
croyant  qu'elie  marchoit  a  couvert  et  qu'elle 
vouloit  gagner  un  lieu  plus  eloigne  de  lui  oil 
elle  pourroit  se  mettre  en  bataille,  marchadans 
la  plaine  vers  le  lieu  ou  les  ennemis  filoient; 
mais  M.  le  prince,  croyant  qu'il  se  retiroit  , 
commenca  a  faire  passer  son  armee  :  ce  que 
M.  de  Turenne  ayant  vu,  fait  en  diligence  tour- 
ner  tele,  et  revient  en  bataille  au  meme  lieu 
qu'il  avoit  quitte;  mais  il  empecha  de  charger 
les  ennemis.  M.  le  prince  repassa  en  meme 
temps  la  chaussee,  et  M.  de  Turenne,  ayant  fait 
avancer  son  canon ,  fit  un  grand  effet  sur  les 
troupes  des  ennemis ,  dout  il  y  eut  quautite 
d'officiers  et  de  soldats  tues. 

En  ce  temps-la,  M.  le  marechal  d'Hocquin- 
court ,  s'etant  bien  doute  que  M,  de  Turenne  ne 
se  seroit  pas  retire,  arriva  avec  sa  cavalerie,  au 
lieu  de  repasser  la  riviere  de  Loire ,  comme 
beaucoup  de  pcrsonnes  lui  conseilloient.  M.  de 
Bouillon  vint  aussi  avec  beaucoup  de  personnes 
de  qualite  de  la  cour  qui  etoit  a  Gien,  ou  quel- 
ques  gens  s'etoient  sauves,  assurant  que  rarmee 
etoit  entierement  defaite.  On  attendit  en  pre- 
sence les  uns  des  autres  jusqua  la  nuit ,  et  on 
se  retira  de  part  et  d'autie,  I'armee  du  Roi  a 
Briare,  et  celle  de  M.   le  prince  a  Chalillon, 
qui ,  n'ayant  point  altaque  I'infanterie  demeu- 
ree  dans  Bleneau  ,  vint  la  nuit  d'apres  rejoindre 
I'armee.  M.  le  prince  partitquclques  jours  apres 
de  Chatillon;  son  armee  gagua  Montargis,  et 
il  s'en  alia  a  Paris,  oil  il  crut  sa  presence  ne- 
cessaire.  L'armte  du  Uoi  ayant  marche  a  Saint- 
Fargeau  ,  M.  de  Turenne  crut  qu'en  faisant  une 
grande  diligence,  celle  du  prince  ne  prendroit 
pas  en  son  absence  si  prorapteraent  une  resolu- 
tion de  marcher,  et  qu'on  pourroit  gagner  le 
devant,  se  mettre  entre  Paris  et  les  ennemis, 
pour  assurer  au  Roi  Corbeil  et  Melun,  empe- 
cher  les  recrues  qu'on  faisoit  a  Paris  de  venir  a 
I'armee  des  princes  ,  leur  oter  la  communica- 
tion de  cette  capitale ,  et  par  la  causer  la  perte 
totale  du  parti. 

La  cour  alloit  par  Auxerre  et  par  Sens  pour 
gagner  Melun  ,  pentlant  que  I'armee,  laissant 
Montargis  a  gauche,  approchoit  assez  pres  pour 
donner  jalousie  a  I'armee  des  princes, et,  mar- 
chant  jour  et  nuit ,  arriva  a  Moret ,  oil  Ton  ap- 
prit  que  les  ennemis ,  partaut  de  Montargis, 
vouloient  gagner  par  La  Ferte  un  ruisseau  qui 
passe  a  Villeroi ;  mais  ayant  deloge  trop  tard , 
comme  M.  de  Turenne  I'avoit  prevu,  faute  de 
chefs  et  de  ne  pouvoir  se  resoudre  assez  tot, 
I'armee  du  Roi  passa  la  riviere  a  Moret,  et  de 
la,  marchant  par  Fonlainebleau,  arriva  a  La 
Ferto  une  heurc  avant  celle  des  princes,  qui. 


>1EM0IRF.S    Dll    VICOMTE    DE    TUBEN^K.    [iGiS] 


n'osant  plus  conlinuei-  son  cliemin  vers  Villeroi, 
tourua  j\  gauche  vers  Estampes,  oil  elle  se  mit 
a  couvert ,  apres  avoir  laisse  executer  son  des- 
sein  a  I'armee  du  Roi,  qui  se  logea  a  Chartres  , 
ou  Ton  prit  quantite  de  prisonniers  qui  alloient 
de  Paris  a  i'armee  des  rebelies. 

La  cour  vint  a  Melun,  et  M.  deTurenne  etoit 
fort  d'avis  qu'elle  s'en  allat  droit  a  Paris  ,  ou 
Monsieur  et  M.  le  prince  etoient  sans  troupes 
ct  ne  pouvoient  plus  faire  aucun  fondement  sur 
leur  armee  :  d'ailleurs  il  y  avoit  dans  la  ville 
de  si  grandes  caballcs  contr'eux  ,  que  le  peuple 
n'eut  pas  pris  les  amies  contre  le  Roi  appuje  de 
son  armee.  Tl  y  cut  des  raisons  qni  Ten  cmpe- 
cherent,qui  n'etoient  pas  sans  apparence :  ainsi 
le  Roi  s'en  alia  a  Sainct-Germain  (i) ,  ou  ,  avec 
des  compagnies  des  gardes  et  des  gens  comman- 
desde  I'armee,  on  prit  presque  tons  les  passages 
aupres  de  Paris ,  apres  avoir  defait  qnelques 
partis  qui  en  etoient  sortis,  et  les  avoir  repous- 
ses jusqu'aux  portes  des  fauxbourgs. 

[Quelques  jours  apres  son  arrivee  a  Saint-Ger- 
main, le  Roi  ecrivit  a  M.  de  Turenne  pour  or- 
donner  d'empecher  le  pillage  que  fcsaient  les 
troupes  de  I'armee  qu'il  comraandait: 

»  Mou  cousin ,  recevant  des  plaintes  de  toutes 
parts  des  desordres  extremes  que  coramettent 
les  troupes  de  mon  armee  que  vous  commandez , 
s'escartant  de  leur  camp  et  allant  piller  a  la 
campagne  et  dans  les  villages ,  n'espargnant 
pas  meme  les  maisons  seigneurialles,  et  ne 
voullant  point  souffrir  la  continuation  de  cette 
licence ,  si  prejudiciable  t^  mon  service  et  au 
repos  de  mes  subjects ,  je  vous  fais  cette  lettre 
pour  vous  dire  que  mon  intention  est  qu'aussy- 
tost  que  vous  I'aurez  recue,  vous  ayez  a  faire 
un  ban  portant  deffense  tres  expresse ,  sur 
peine  do  la  vye  ,  a  tons  officiers,  chevaux-legers 
ot  soldats  de  s'ecarter  de  leur  camp  pour  aller 
piller  dans  la  campagne,  et  a  establir  un  corps 
de  garde  a  la  teste  de  votre  carap,de  cinquante 
chevauxjcoramandes  par  de  bons  officiers,  qui 

(1)  Avant  (J'allev  a  Saint-Germain ,  la  cour  s(5jouriia 
quelque  temps  a  Corbeil,  comnie  on  Ic  volt  par  la  let(re 
suivanle,  adress^eau  mar^chal  deTurenne,  et  dans  la- 
(juelie  on  lui  donne  «ordre  d'cnvoyer  sur  le  chemin  dc 
Corbeil  a  Saint-Germain  les  troupes  pour  Tescorte  du 
Roi  allant  audit  Saint-Germain  :  » 

«  Mon  cousin ,  je  vous  faicts  cette  letUe  pour  vous 
(lire  que  vous  ayez  a  envoyer  demain ,  de  tres  grand 
matin,  a  Chilly,  la  compagnie  de  gendarmes  ct  celle 
dc  chevaux-I(^gers  de  la  Royne,  madame  ma  mere,  ct 
celle  de  chevaux-legers  de  mon  cousin  le  cardinal  Maza- 
rini,  pour  servir  a  mon  escorle ,  allant  dudit  Chilly  a 
Saint-Germain 

»  Et  que  ,  pour  io  menic  cITet,  vous  fassiez  aussi  trou- 
vcr  dc  tres  grand  malin  ,  a  Bicvre  ,  les  unze  compagnies 


s'cmployent  a  empescher  les  picorenrs  de  s'ecar- 
ter,  et  parliculierement  du  coste  de  Paris,  et  a 
arrester  ceux  qui  revicndront  charges  de  butin , 
desirant  que  les  fassiez  mettre  entre  les  mains  de 
leurs  officiers  pour  etre  punis  sur  le  champ,  sui- 
vant  la  rigueur  de  nos  ordonnances ;  et  parce 
que  les  troupes  qui  ont  cscorte  !a  ducliesse  de 
Chdtillon,  allant  a  Paris,  ont  commis  divers 
desordres  en  retournant  joindre  I'armee,  ct 
qu'entre  autrcs  choses  lis  ont  pris  neuf  che- 
vaux  au  fermier  de  la  maison  de  Berny ,  ap- 
partenant  au  sieur  de  Bellievre,  president  en 
ma  cour  de  parlement,  et  cinq  en  celle  de 
Seaux ,  appartenant  au  sieur  marquis  de  Ges- 
vres,  capitaine  des  gardes  demon  corps,  je 
veux  et  entends  que  vous  obligiez  I'officier  qui 
commandoit  ladite  escorte  de  les  faire  reslituer 
et  que  vous  Ten  rendicz  responsable  en  son  pro- 
pre  et  prive  nom;  et  affin  que  vous  soyez  in- 
forme  de  cequi  se  passe  icy,  je  vous  diray  qu'en 
suite  de  la  proposition  que  mon  frere  le  roi  de 
la  Grande-Bretagne  me  fist  a  Corbeil,  d'en- 
teudre  a  un  accomraodement  avec  mon  oncle 
le  due  d'Orleans  et  le  prince  de  Conde  ,  laquelle 
j'accepfay  tres  vollontiers,  ilsont  envoye  vers 
nioy,en  ce  lieu,  le  due  de  Rohan  et  les  sieursde 
Chavigny  el  Goulas,  lesquels  ayant  entendu 
cette  apres-dmee,  ils  ont  fait  des  propositions 
si  esloignees  de  raison  qu'il  n'y  a  point  d'appa- 
rence  qu'il  en  puisse  reussir  aucun  accommodc- 
raent,  et  ils  se  doivent  retourner  a  Paris  de- 
main  matin  pour  revenir  le  meme  jour  au  soil-. 
C'est  ce  qui  m'oblige  de  vous  dire  que  je  desire 
que  vous  redoubliez  vos  soins ,  essay iez  de  pren- 
dre sur  les  enuemis  tons  les  advantages  pos- 
sibles, et  surtout  que  vous  empechiez  que,  soubs 
pretexte  de  ce  pourparler  d'accommodement, 
les  officiers  des  troupes  ne  quittent  mon  armee. 
A  quoy  m'assurant  que  vous  donnerez  I'ordre 
necessaire  ,  selon  vos  soins  et  vos  aiTectioiis 
accoustumees ,  je  ne  vous  feray  la  present*; 
plus  longue  que   pour   prier  Dieu  qu'il    vous 

du  r(5giment  de  mes  gardes  fran^oises,  et  deux  decehii  de 
Suisses,  pour  my  altendrea  mon  passage  et  me  suivro 
jusqu'a  Saint-Germain ,  les  faisant,  pour  cet  edet ,  mar- 
cher dans  la  nuit,  en  sorte  qu'ils  s'y  |)uissent  rendre 
pr^cis^ment  a  huicl  heures  du  malin,  desirant  que  les 
(Equipages  de  la  cavalerie  suivent  ladite  infanterie.  Jc 
vous  dirai  aussi  que  je  donne  preseniemenl  onire  au  re- 
giment d'infantcrie  ecossaise  de  Douglas  et  aux  con)pa- 
gnies-  de  celuy  de  la  couronne  d'aller  joindre  madilc 
arm^e,  etje  vous  adresse  des  copies  de  louslesordresquc 
je  ieur  ai  iaitexpc^dier,  aGn  que  vous  cnvoyiezau-devant 
i  pour  les  recevoir ,  en  sorte  qu'il  ne  leur  puisse  arrivcr 
I  d'inconv(5nient ;  c'est  ce  queje  vous  dirai  par  cclte  lel- 
,  tre ,   priant    Dieu  qui!   vous  ayl,   mon  rousin ,   en  «a 
j  saintc  et  digne  garde. 
^      »  Escripl  a  Corbeil .  ic  2(3  avril  1052.  » 


438  MEMOIRES    DL    VICOMTE   DE   TLREr!?*E.    [l652] 

ayt,  raon  cousin ,  en  sa  sainte  et  digne  garde. 
»  EscriptaSaint-Germain-en-Laye,le28avriI 

1652. 

»  Louis. 

»  Et  plus  bas  :  Le  Tellier.  » 


Cette  lettre  preceda  de  quelques  jours  seule- 
menl  la  suivante,  adressee  aussi  a  M.  le  mare- 
chal  deTurenne,  sur  des  exces  com  mis  par 
des  cavaliers  de  Tarmee  qu'il  commandait ,  qui 
avalent  tue  de  sang-froid  des  habitants  de  Me- 
lun  qui  allaient  a  la  recherche  de  leuis  bes- 
tiaux  pris : 

«  Mon  cousin  ,  j  ai  receu  avee  un  tres  grand 
desplaisir  la  plainte  qui  m'a  este  faite  par  les 
habitans  de  Melun  ,  avec  une  lettre  du  sieur  vi- 
comte  de  Montbas  ,  qui  me  confirme  ce  que  la- 
dite  plainte  contient,  qui  est  que,  le  onzieme  du 
present  mois,soixanteou  quatre-vingts  chevaux 
legers  allemands ,  et  autres  troupes  etrangeres 
de  raon  armee  que  vous  commandez ,  ayant 
emmene  cent  cinquante  vaches  des  environs 
de  ladite  vjlle,  dont  les  habitans  avoyeut  desja 
perdu  plusieurs  chevaux  de  labour,  qui  leur 
avoyent  este  aussy  emmenez;  et  plusieurs  des 
plus  notables  bourgeois  de  ladite  ville  estant  al- 
les  avec  des  pauvres  gens ,  a  qui  ces  vaches  ap- 
partenoient,  tons  sans  armes ,  pour  les  retirer 
des  mains  de  ceux  qui  lesavoient  voles,  en  leur 
offrant  de  I'argent  pour  cet  effet ,  ils  auroyent 
lue  de  sang-froid  plusieurs  desdits  habitans  et 
pauvres  gens  qui  estoient  avec  eux ;  ce  qui,  avec 
raison  ,  a  telleraent  touche  ladite  ville,  qu'il  en 
pourroit  arriver  beaucoup  de  prejudice  a  mon 
service ,  s'il  n'y  estoit  pourveu  ;  et  voullant  que 
les  coupables  de  cette  cruaute  et  viollances 
soyent  punis  ,  et  traiter  favorablement  ceux  de 
ladite  ville  ,  non  seulement  en  cette  occasion  , 
raais  en  toutes  autres ,  pour  les  preuves  qu'ils 
ra'ont  toujours  rendues  et  qu'ils  me  donnent 
continuellement  de  leur  fidelite  et  affection  a 
raon  service,  je  vous  fais  cette  lettre  pour  vous 
dire  qu'aussytost  que  vous  I'aurez  rccue,  vous 
ayez  a  faire  rechercher  exactement  dans  touies 
les  troupes  de  cavallerie  de  madite  armee ,  qui 
sont  les  cavallieis  et  autres  qui  sont  allez  audit 
Melun  y  enlever  des  bestiaux  ,  et  out  tue  iesdits 
habitans ;  que  vous  les  fassiez  arrester  et  punir 
aussy  exemplairementque  leur  insigne  crime  le 
merite ,  et  que  cependant  vous  fassiez  restituer 
auxdits  habitans,  et  particulierement  tous  les 
chevaux  et  bestiaux  qui  leur  ontete  pris,  comme 
vous  le  verrez  plus  particulierement  par  la  let- 
tre cy  jointe  dudit  sieur  de  Montbas,  a  laquelle 
me  remettant,  je  vous  asseure  que  le  soing  que 
vous  en  prendrez  me  sera  aussy  agreable  que  la 


chose  est  de  consequence  pour  la  justice  et  le 
bien  de  raon  service  ;  desirant  que  vous  me  fas- 
siez scavoir  s'il  aura  este  satisfait  a  ce  qui  est 
en  cela  de  ma  volonte.  Et  sur  ce  je  prie  Dieu 
qu'il  vous  ayt,  mon  cousin,  en  sa  sainte  et 
digne  garde.  » ] 

L'armee  des  princes  demeura  quelque  temps 
a  Estampes  et  celle  du  Roi  a  Chartres  :  comme 
Mademoiselle  a  son  retour  d'Orleans  resta  a 
Estampes  deux  jours,  et  que  Ton  eut  avis  que 
l'armee  des  princes  n'avoit  pas  ete  au  fourage, 
voulant  faire  revue  devant  elle,  et  que  le  meme 
jour  qu'elle  viendroit  a  Chartres  pour  passer  a 
Paris  avec  un  passeport,  l'armee  iroit  au  fou- 
rage ,  M.  de  Turenne  proposa  a  M.  le  marechal 
d'Hocquincourt,  qui  le  trouva  fort  apropos,  de 
laisser  tout  le  bagage  a  Chartres ,  de  marcher 
toute  la  nuit ,  et  de  se  trouver  a  deux  ou  trois 
heures  de  jour  aupres  d'Estampes  ,  pour  voir  ce 
qu'il  y  auroit  a  entreprendre.  M.  de  Turenne 
espera  toujours  que  M.  le  prince  n'etant  point  a 
l'armee,  les  ol'ficiers-generaux  ne  prendroient 
pas  une  fort  bonne  posture  devant  un  ennemi  ; 
cequi  arriva:  l'armee  des  princes  n'alla  point  au 
fourage ,  et  Mademoiselle  ne  la  vit  en  revue  que 
le  matin  que  les  troupes  du  Roi  approcherent 
d'Estampes.  L'armee  des  princes  etoit  assure- 
ment  beaucoup  plus  forte  que  celle  du  Roi.  On 
marchaendiligence,esperant  la  trouver  en  cam- 
pagne  ,  et  M.  le  marechal  d'Hocquincourt  avoit 
1 'avant-garde.  En  arrivant  sur  le  haut  d'Es- 
tampes, on  vit  que  lesennemisse  retiroientdans 
la  ville;  on  continua  a  marcher  jusques  sur  la 
hauteur  du  fauxbourg ,  ou  Ton  vit  beaucoup 
d'infanterie  et  quelques  escadrons  ;  on  appercut 
en  meme  temps  sur  une  hauteur,  derriere  le 
fauxbourg,  beaucoup  de  cavalerie  en  bataille; 
mais  comme  il  y  a  deux  ou  trois  fauxbourgs  , 
une  ville  assez  grande,  un  pays  coupe  de  deux 
ruisseaux ,  et  beaucoup  de  hauteurs ,  on  pouvoit 
mal  aisement  discerner  la  posture  de  I'ennemi. 
On  resolut  d'attaquer  ce  fauxbourg  ou  etoit  ce 
corps  d'infanterie  qui  avoit  fait  un  retranche- 
ment  tout  autour,  et  il  y  avoit  un  ruisseau  de- 
vant. Le  combat  fut  fort  opiniatre :  M.  le  comte 
Broglio,  M.  de  Xavailles  et  M.  de  Yaubecourt 
y  firent  tres-bien ,  et  linfanterie  combattit 
long-temps  a  coups  de  main  ;  quoique  celle  du 
Roi  y  fit  parfaitement  son  devoir,  ce  ne  fut  que 
le  regiment  de  Turenne  qui  emporta  a  la  gauche 
I'infanterie  des  ennemis  :  beaucoup  d'ofliciers 
et  de  soldats  des  autres  regimens  s'etant  joints 
a  leurs  drapeaux  ,  quatre  ou  cinq  regimens  de 
cavalerie  entrerent  dans  le  fauxbourg  et  rom- 
pirent  la  ca\..i^rie  de  I'ennemi  qui  soutenoit 
son  infanterie  ;  on  fit    ;   enure    au  regiment 


MEMOIRES    DU    VICOMTE    DE    TMBENNE.    [lG52] 


d'Uxelles  le  poste  du  faiixbourg  qui  regardoit 
la  ville,  ou  le  regiment  de  Son  Altesse  et  de 
Languedoc  etant  enferraes,  faisoient  de  grands 
efforts  pour  reprendre  le  poste ,  afin  de  pouvoir 
ensuite  seconder  leurs  gens  dans  le  fauxbourg  : 
une  fois  meme  le  regiment  dUxelles  avoit  ete 
si  ebranlequ'il  commencoit  a  quitter  son  poste. 
M.  de  Turenne ,  ayant  rencontre  le  regiment 
de  cavalerie  du  mestre-de-camp ,  marcha  en 
diligence  avec  lui  pour  soutenir  ce  regiment , 
et  lui  fit  reprendre  son  poste  qu'il  garda  tou- 
jours  depuis.  M.  le  marechal  d'Hocquincourt 
fit  tres-bien  dans  le  fauxbourg  ;  et  apres  trois 
heures  de  combat ,  on  defit  entierement  neuf 
regimens  d'infanterie  et  quatre  ou  cin(f  esca- 
drons  de  cavalerie,  on  prit  deux  mille  prison- 
niers  et  quantite  d'officiers. 

Des  que  Taction  du  fauxbourg  fut  passee ,  la 
cavalerie  de  I'ennemi ,  qui  etoit  sur  une  hauteur, 
rentra  dans  la  ville;  I'armee  du  Roi  s'en  alia  a 
une  lieue  de  la  et  le  lendemain  a  Chartres ;  deux 
jours  apres  on  se  logea  a  Palaiseau,  afin  d'oter 
raieux  la  communication  de  Paris  au  corps  d'ar- 
mee  qui  etoit  a  Estampes ,  et  on  commanda 
quelque  cavalerie  de  I'armee  pour  ailer  trouver 
la  cour  qui  etoit  a  Saint-Germain  ,  avec  lequel 
corps  et  quelques  compagnies  des  gardes,  M.  de 
Turenne  reprit  TIsle-Adam ,  ensuite  Saint-De- 
nis ,  oil  on  laissa  garnison ,  et  Ton  poussa  tout 
ce  qui  etoit  sorti  de  Paris  jusques  dans  les  por- 
tes,  apres  avoir  fait  beaucoup  de  prisonniers. 
M.  le  due  d'Orleans  et  M.  le  prince  etant  a  Pa- 
ris ne  pouvoient  avoir  aucun  secours  de  leur 
armee  et  n'avoient  aupres  d'eux  que  quelques 
recrues. 

Corame  il  n'y  avoit  plus  que  les  troupes  de- 
meurees  a  Estampes  qui  donnoient  vigueur  a 
Paris  et  a  toutes  les  villes  du  parti  en  deca  de 
la  Loire,  M.  de  Turenne  crut  qu'il  falloit  s'y 
attacher  principalement,  et  les  obliger  ou  a  sor- 
tir  d'Estampes,  afin  qu'il  put  leur  livrer  ba- 
taille,  ou  lesy  miner  par  la  famine  :  il  demanda 
leschoses  necessaires  a  la  cour;  mais  elle  ne  put 
fournir  a  beaucoup  pres  ce  qu'il  failoit  pour 
avoir  les  outils  et  les  munitions  de  guerre.  Mal- 
gre  ce  manquement,  M.  de  Turenne  crut  qu'il 
ne  devoit  pas  rorapre  sou  entreprise ,  et  qu'il  n'y 
avoit  point  de  temps  mieux  employe  qu'a  tacber 
de  dissiper  ce  corps  d'armee ,  qui  etoit  le  fonde- 
ment  de  la  guerre  civile.  II  marcha  done  avec 
I'armee  du  Roi  et  allase  loger  sur  une  raonta- 
gne  tout  pres  d'Estampes  :  en  y  arrivant  de 
bonne  heure,  il  prit,  avant  qu'il  fut  nuit,  tou- 
tes les  maisons  qui  sont  hors  la  ville ,  apres 
beaucoup  d'escarmouches. 

II  y  avoit  dans  la  ville  trois  a  quatre  mille 


439 

hommes  de  pied  et  trois  mille  chevaux.  II  logea 
les  troupes  que  M.  le  marquis  d'Hocquincourt 
avoit  commandees,  et  qui  s'en  etoit  alle  a  son 
gouvernement ,  a  main  droite,  sous  les  ordres 
de  M.  de  Navailles  ,  et  se  posta  lui-meme  a  main 
gauche  ,  tenant  toutes  les  hauteurs  du  cote  d'Es- 
tampes ;  il  ne  voulut  pas  s'eloigner  d'un  ruis- 
seau  de  I'autre  cote  que  Ton  n'y  tut  bien  retran- 
che.  On  commenca  a  faire  une  ligue  contre  la 
ville ,  qui  n'en  etoit  eloignee  que  d'une  bonne 
portee  de  mousquet ;  on  n'avoit  pas  besoin  d'en 
faire  par  le  dehors,  n'y  ayant  point  d'ennemi 
en  campagne  a  craindre.  Ceux  de  la  ville  fai- 
soient souvent  des  sorties ;  et  comme  le  travail 
alloit  fort  lentement,  a  cause  du  defaut  des 
outils,  a  peine  le  pouvoit-on  mettre  en  etat 
d'empecber  les  chevaux  de  la  sauter  presque 
partout.  En  un  jour  que  les  soldats  etoient  au 
travail  avec  sept  ou  huit  escadrons  pour  les 
soutenir,  les  assieges  sortirent  de  la  ville,  en 
tuerent  quatre-vingts  ou  cent,  pousserent  la 
garde  de  ces  sept  ou  huit  escadrons  et  vinrent 
fort  avant  :  presque  toute  la  cavalerie  etoit  au 
fourage,  mais  tons  les  officiers  y  coururent,  et 
on  les  repoussa  assez  vigoureusement :  il  y  eut 
beaucoup  de  gens  tues  de  part  et  d'autre. 

Les  lignes  ayant  ete  achevees,  on  s'appliqua 
a  empecher  la  cavalerie  de  I'ennemi  de  sortir 
de  I'autre  cote  de  la  ville  pour  aller  au  fourage  ; 
on  prit  les  postes  pour  les  resserrer  en  cet  en- 
droit,  et  il  s'y  passatous  les  jours  quelques  ac- 
tions. Les  bleds  de  la  Beausse,  qu'on  avoit  ra- 
masses  dans  Estampes,  faisoient  subsister  les 
assieges  quelque  temps ;  mais  a  la  fin  lis  com- 
mencoient  a  etre  fort  incommodes  pour  les  fou- 
rages,  lorsque  M.  de  Turenne  apprit  que  M.  de 
Lorraine,  qui  avoit  rassemble  ses  troupes  en 
Alsace  et  en  Flandre,  s'etoit  engage  dans  le 
parti  des  princes  et  qu'il  marchoit  vers  Paris. 
Comrae  il  avoit  assure  d'abord  qu'il  venoit  pour 
servir  la  cour,  on  lui  donna  des  vivres  par  toute 
la  France  pour  son  passage.  Cette  nouvelle  fit 
changer  a  M.  de  Turenne  toutes  ses  raesures ; 
et  estimant  qu'il  neput  raieux  employer  la  cam- 
pagne qu'a  dissiper  I'armee  des  princes,  qui 
s'etoit  trouvee,  un  mois  auparavant,  plus  forte 
que  celle  du  Roi,  et  composee  de  vieux  regi- 
mens, il  songea  a  faire  quelque  effort  contre 
Estampes ,  pour  voir  s"il  pourroit  I'emporter 
avant  le  temps  que  M.  de  Lorraine  approche- 
roit,  scachant  bien  que,  des  qu'il  seroit  a  sept 
ou  huit  lieues,  il  falloit  se  relirer.  N'ayant  point 
d'equipage  d'artillerie ,  on  lui  envoya  les  che- 
vaux du  Roi,  de  la  Reine  et  des  personnes  de 
qualite,  et  on  commenca  a  faire  une  batlerie  : 
les  ennemis  avoient,  devant  la  rauraille qu'on 


4  !0 


UKJIOIUES    ]JL     VICOMTE    UE    TLREN.XK.     [lG.'>l>] 


vouloit  battro,  unc  graiule  demi-lune,  qu'on 
emporta  la  nuit  apres  un  tres-grand  combat ;  on 
en  demeura  raaitres  jusqu'au  jour,  et  au  soleil 
leve  les  ennemis  ressortirent  de  la  ville,  et 
ceux  qui  gardoient  la  demi-lune  ayant  pris  I'e- 
pouvante,  I'ennemi  la  regagna  :  il  n'y  avoit 
point  de  trancliee  pour  y  alier,  ni  rien  de  cou- 
vert  qu'un  vallon  ,  qui  en  etoita  deux  cens  pas. 
Toute  I'infanterie  etoit  rebutee ,  et  par  le  com- 
bat de  la  nuit ,  et  par  la  perte  de  la  demi-lune. 
M.  de  Turenne  voyant,  a  la  pointe  du  jour,  que 
I'ennemi  laissoit  le  logement  de  la  demi-lune  en 
repos,s'en  alia  cbez  lui ,  raais  ayant  entendu 
I'allarme  il  revint  en  graude  diligence;  il 
commanda  a  sou  regiment  d'infanterie  d'aller 
reprendre  la  demi-lune,  leque!  mettant  sesdra- 
peaux  a  la  tete,  sans  aucunes  troupes  qui  le  se- 
condassent,  marcba  par  la  eampagne,  et  souf- 
tVanttout  le  feu  de  la  courtine ,  entra  dans  le 
fosse  de  la  demi-lune  eboulee  par  le  travail  de 
la  nuit,  monta  en  haut,  planta  sesdrapeaux  sur 
le  parapet,  y  entra,  en  cbassa  les  ennemis  et 
y  etablit  un  logement.  Cette  action  se  fit  a  la  vue 
de  toute  I'armee ,  et  fut  estimee  une  des  plus 
belles  qui  sesoient  faites  depuis  la  guerre.  Les 
assieges  laisserent  les  choses  en  cet  etat  jusqu'a 
deux  heures  apres  midi  :  a!ors  ils  sortirent  de 
nouveau  avec  quatre  bataillons  et  vingt  esca- 
drons  de  cavalerie,  dans  le  dessein  d'aller  a  la 
batterie  et  de  reprendre  la  demi-lune;  mais, 
apres  un  combat  qui  dura  fort  long-temps ,  et 
ou  il  y  eut  beaucoup  d'officiers  et  de  soldats 
lues  ou  blesses  de  part  et  d'autre,  ils  se  retire- 
rent  dans  la  ville  sans  avoir  eu  aucun  avantage: 
on  demeuraainsi  raaitres  de  la  demi-lune  ,  dont 
on  continua  d'abattre  les  defenses. 

Vers  le  fauxbourg  ou  le  regiment  des  gardes 
faisoit  son  attaque ,  on  pratiquoit  un  logement 
pour  attacher  le  mineur  aux  murailles  de  la  ville; 
((uandon  apprit  que  M.  de  Lorraine  (ayant  con- 
ciu  son  traitle  avec  les  princes  qui  le  pressoient 
de  bater  le  secours  d'Estampes)  marcboit  en  di- 
ligence a  Paris ,  il  vint  se  loger  avec  sou  armee 
sur  la  riviere  de  Seine,  un  peu  plus  haut  que 
Charenton  ;  on  lui  fit  promptement  amener 
un  pont  de  batteaux  de  Paris.  M.  de  Turenne, 
ne  pouvant  plus  demeurer  devant  Estampes , 
ayant  un  ennemi  derriere  soi ,  sans  lignes  de 
circonvallation  ni  moyen  d'aller  au  fourage, 
manda  a  la  cour  qu'il  etoit  oblige  de  lever  le 
siege.  Comme  il  n'avoit  point  d'equipage  d'ar- 
tillerie ,  on  lui  renvoya  de  la  cour  des  chevaux. 
En  deux  ou  trois  voyages  11  retira  son  canon 
des  batteries,  et  fit  emmeuer  toutes  les  muni- 
tions a  deux  lieues  d'Estampes,  dans  un  petit 
bourg  forme,  rt  apres  il  s'y  retira  avec rurmee. 


Comme  M.  de  Lorraine  scut  que  Ton  avoit 
leve  le  siege  d'Estampes,  il  dcmeura  dans  son 
poste,  et  faisant  valoir  aux  princes  qu'il  avoit 
fait  lever  le  siege,  il  recommenca  a  negocier 
avec  la  cour  ;  mais  comme  il  a  continue  cette 
raaniere  d'agir  depuis  qu'il  est  sorti  de  son 
pays,  on  ne  faisoit  aucun  fondement  la-dessus. 
M.  de  Turenne  ayant  avis  qu'il  n'etoit  point 
retranche  et  qu'il  etoit  loge  dans  une  plaine , 
apres  avoir  sejourue  quatre  jours  depuis  la  levee 
du  siege  d'Estampes ,  commanda  a  sou  bagage 
de  le  suivre  a  Corbeil ,  ou  il  le  laissa.  Ayant 
eu  avis  que  M.  de  Lorraine  avoit  marche  a  Vil- 
leneuve-Saint-Georges,  qui  etoit  un  bien  meil- 
leur  poste,  il  continua  sa  marche  ,  traversa  un 
bois,  et  scut  que  toute  I'armee  de  Lorraine, 
ayant  pris  I'allarme,  etoit  logee  sur  une  hau- 
teur et  avoit  un  ruisseau  devant  elle  qui  n'e- 
toit point  gueable.  M.  de  Turenne,  raalgre  cet 
avantage,  marcha  a  lui  plus  tot.  En  arrivaut  sur 
une  hauteur,  vis-a-vis  du  camp  de  M.  de  Lor- 
raine, le  ruisseau  cntre  deux ,  il  envoya  des  par- 
tis le  long  de  I'eau ,  pour  voir  sil  n'y  avoit  point 
de  pont  ou  de  gue  ;  ayant  appris  qu'a  une  demi- 
lieue  du  camp  des  ennemis  11  y  avoit  un  pont 
que  Ton  pouvoit  raccommoder,  il  y  marcha  eu 
diligence ,  y  fit  remettre  quelques  planches  ,  et 
s'etantempare  d'une  maison  au-dela,  commenea 
a  faire  defiler  ses  soldats  un  a  un  sur  ce  pont. 

M.  de  Lorraine  ne  vouloit  pas  bouger  de  son 
camp,  ayant  fait  faire  en  diligence  six  redou- 
tesdu  cote  de  la  plaine,  et  etant  convert  par  les 
(lanes  de  la  riviere,  d'uu  bois  et  du  ruisseau. 
Les  troupes  du  Roi  etoient  deja  passees  a  I'en- 
tree  de  la  nuit;  et  M.  de  Turenne,  voyant  que 
s'il  ne  gagnoit  le  pont  sur  la  Seine,  que  M.  de 
Lorraine  avoit  fait  monter  avec  lui,  I'armee 
d'Estampes  vieudroit  joindre  ce  prince,  avoit 
hate  sa  marche  pendant  toute  la  nuit  par  dts 
defiles ,  et  se  trouva  au  point  du  jour  avec  toute 
I'armee  dans  la  plaine,  ou  il  n'y  avoit  plus  rien 
qui  put  I'empecher  daller  au  camp  des  enne- 
mis. Si  I'armee  des  princes  eut  joint  celle  des 
Lorrains  ,  il  ne  falloit  pas  que  I'armee  du  Roi 
se  retirat,  mais  que  la  cours'en  servit  pour  I'es- 
corter  a  Lyon.  Les  choses  etoient  dans  une  situa- 
tion si  critique,  que  deux  ou  trois  heures  au- 
roient  pu  changer  la  face  des  affaires.  Quand  le 
point  du  jour  fut  venu  ,  on  se  remit  un  peu  de 
I'embarras  cause  par  une  marche  pendant  la 
nuit  ,  et  Ton  s'avanca  eu  ordre  droit  au  campde 
M.  de  Lorraine.  Ce  prince,  ayant  negocie  a  son 
ordinaire  tous  les  jours  precedens,  envoya  sun 
capitaine  des  gardes  trouver  M.  de  Turenne 
des  qu'il  scut  qu'il  marchoit  a  lui ;  cependanl 
il  faisoit  travaillor  a  faire    les  lignes  entie  ses 


JIKtiOIBFS    nU    VICOMTE    Dl-    TL'REiN.NE.    [lG52] 


4i\ 


redoutcs  dii  cote  de  la  plaiiie.  M.  do  Deaufort 
etoit  dans  son  camp  avec  mille  ou  douze  cens 
hommes  des  troupes des  princes.  M.  de  Turenne 
sentit  d'abord  que  ce  capitaine  des  gardes  ne 
venoit  que  pour  retarder  sa  marche  ,  et  conime 
il  n'y  avoit  rien  si  fort  a  craindre  qu'une  uego- 
ciation  ,  sans  s'approcher  dii  carap  des  Lorrains, 
il  ue  perdit  pas  un  moment  et  s'avanca  vers  le 
eamp,voulant  s'assurer  avant  toutes  choses  si 
les  troupes  d'Estampes  ne  passoient  pas  sur  le 
pout ,  et,  a  quelque  prix  que  ce  fiit ,  altaquer 
M.  de  Lorraine  avant  qu'eiles  I'eussent  joint, 
toutes  les  affaires  de  France  dependant 
de  la. 

Ou  etoit  biea  a  une  lieue  et  demie  du  camp 
quand  le  capitaine  des  gardes  arriva  a  Tarmee 
du  Roi ,  et  Ton  demeura  pres  de  trois  heures 
avant  que  rarmee,qui  mart'hoit  en  hatailie, 
flit  tout  proche  du  campdeM.  de  Lorraine.  Alors 
le  capitaine  des  gardes  s"eu  retourna,  et  revint 
souvent  apres  trouver  M.  de  Turenne,  qui  ne 
vouloit  entendre  a  aucune  negociation  ,  a  moins 
queM.  de  Lorraine  ne  sortit  de  France  avec  son 
armee.  Le  roi  d'Angleterre(lj,  qui  etoit  arrive  le 

(1)  Le  Roi  envoja  an  niai(5clial  tie  Turenne  des  «  ordies 
sur  la  cessation  d'arnies  accoidee  aux  enticniis  pendant 
huit  jours,  par  rcnlremisedu  roi  de  la  Grande-Bre- 
tagne. » 

«  Du  7<^  de  juin  1652,  a  Melun. 

»  Mon  cousin  ,  le  roy  de  la  Grande-Bretagne  m'ayant 
faicldiverses  et  pressantes  instances  pour  une  cessation 
d'arnies  par  de^a  pendant  quelques  jours,  me  faisanl 
cognoitre  que  par  ce  moycn  il  pourroit  s'employer  uli- 
lemenl  pour  menager  un  bou  accomniodemenl  qui,  res- 
lablissant  le  calme  dans  le  royaunie,  pourroit  donncr 
lieu  a  une  paixg(5nerale,j'ayaccordeiadite  cessation  d'ar- 
mcs  pour  huit  jours,  a  commencer  de  domain  huitieme 
du  present  mois ,  a  la  priere  dudit  Roy  ,  et  pour  cctle 
bonne  On ;  ce  que  j'ay  faict  d'autanl  plus  volontiers,  qu'il 
m'a  asscurc  que  le  due  de  Lorraine  le  seconderoit 
avec  grand  soin  pour  y  parvenir ,  ledit  Roy  ayant 
mesme  tird  parolle  positive  dudit  due  que,  ladile  cessa- 
tion estant  accordde ,  il  ne  passcra  pas  la  riviere  de 
Seyne,  ou  s'il  I'avoitpassee  avec  son  armee  ou  partie  d'i- 
ceile,  il  la  repasseroit;  et  que  quand  mesme  mon  oncle, 
le  due  d'Orldans,  et  le  prince  de  Conde,  refuseroient  de 
donnerlcs  ordres  neccssaires  aux  trouppes  qui  sont  dans 
Estampes  pour  cetlc  cessation ,  il  ne  laisseroit  pas 
d'observer  ce  que  dessus.  Et  desirant  faire  cx(!'cuter 
ponctuellement  de  ma  part  ladite  cessation  .  je  vous  fais 
cctle  ieltrc  pour  vous  dire  qu'aussitost  que  vous  I'aurez 
recue ,  vous  ayez  a  vous  retirer  avec  mon  arm(5e  de 
devanlEstampes,  dont  vous  ferez  savoir  la  cause  a  ceux 
qui  y  commandcnt ,  sans  que  rappasence  du  prompt 
succes  de  I'entreprise  que  vous  failes,  par  le  bon  ordrc 
que  vous  y  aurez  donne,  estant  loge  a  la  porte  de  ladile 
viilc,  ni  aucune  autre  consiiieration  vous  fassc  retarder 
voire  depart  d'un  seul  moment ;  que  de  la  vous  aliiez 
prendre  le  poste  que  vous  jugerez  estre  le  plus  commode 
pour  faire  subsistcr  madilo  armee  pendant  cetle  suspen- 


soir  dans  le  camp  de  M.  de  Lorraine,  cnvo^a 
aussi  de  ses  geus  trouver  M.  le  due  d'York,  qui 
etoit  avec  M.  de  Turenne  ,  Icquel  auroit  mioux 
aimecombaltreque  de  soutfrir  que  I'armee  d'Es- 
tampes joignit  M.  de  Lorraine  ;  mais  il  desiroit 
bien  plus  encore  le  faire  sortir  de  France  avec 
son  armee  et  le  separer  entierement  de  celle 
des  princes,  que  de  bazarder  un  combat  dou- 
teux.  Par  ie  cote  de  la  plaine,  qui  etoit  le  seul 
lieu  accessible  pour  venir  au  camp,il  y  avoit 
un  bois  a  la  main  droite ,  la  riviere  a  gauche  , 
et  au  front  six  redoutcs  achevees ,  lequel  front 
eloit  si  etroit  queM.  de  Lorraine,  outre  trois 
lignes  de  cavalerie,  avoit  encore  mille  chevaux 
de  reserve;  son  infanterie  etoit  dans  les  redou- 
tcs et  cinq  cens  raousquetaires  dans  le  bois.  II 
etoit  de  quiuze  eseadrons  plus  fort  que  larmce 
du  Roi ,  qui  avoit  aussi  quinze  cens  liommes  de 
pied  plus  que  lui.  C'etoit  une  situation,  commo 
il  parut  pen  de  temps  apres  ,  oil  une  petite  ar- 
mee pouvoit  en  combatti'e  une  bien  forte  avec 
avantage  ;  neanmoins  M.  de  Lorraine,  voyant 
Tarmee  du  Roi  a  une  demie  portee  de  canon  de 
lui  ,  et  tous  les  gens  detaches  pour  I'attaque  du 


tion  ,  et  pour  I'employer  ensuite.  Sur  quoi  je  vous  ferai 
scavoir  mes  intentions,  et  par  ce  que  je  charge  le  sieur 
de  Varcnne  de  cette  despeche  ,  je  me  rcmcts  sur  lui  de 
ce  que  je  pourrois  adjouler,  el  de  dire  qu'oulre  ce  qui 
est  portd  ci-dcssus,  vous  prenicz  entiere  crdance  a  ce 
quil  vous  dira  de  ma  pari.  Et  sur  ce  je  prie  Dieu  qu'il 
vous  ait ,  mon  cousin  ,  etc.  » 


A  Monsieur  le  marechal  de  Turenne  ,  pour  lui  dire 
de  continuer  la  marche  de  I'armee,  sans  faire  acte 
d'hostilite  centre  les  troupes  du  due  de  Lorraine. 

«DulOjuin1652. 

))  Mon  cousin ,  vous  sgavcz  commc  j'avois  envoys  le 
sieur  de  Beaujeu  vers  mon  frereleducde  Lorraine,  et  le- 
dit de  Beaujeu  m'ayant  rapporte,  hicr  au  soir,  assurance 
de  sa  part  qu'il  se  rendroit  aujourd'hui  pres  (ie  moi  avec 
mon  frere  ie  roi  <ie  la  Grande-Bretagne,  je  rcnvoye  prc- 
senlemenl  ledit  sieur  de  Beaujeu  vers  mondit  frere  ie 
due  de  Lorraine,  pour  le  convier  d'ed'ecUier  ce  dont  il  a 
donnd  parole.  El  I'ayant  charge  de  vous  aller  trouver 
pour  vous  informer  plus  particulierement  de  ce  qui  s'esl 
passe  avec  ledit  due ,  j'ai  bien  voulu  vous  faire  celtc 
letlre  pour  vous  dire  que  mon  intention  est  que  vous  con- 
tinuiez  voire  marche  avec  mon  armee  que  vous  com- 
mandez,  ainsi  que  je  I'ai  aiiprouve  et  re'solu  ,  et  ndanl- 
moins  sans  faire  aucun  acle  d'hostilite  contre  les  trou- 
pes de  mondit  frere  le  due  tie  Lorraine  ;et  qu'ayatit 
commande  audit  de  Beaujeu  de  relourner  vers  vous ,  ce 
soir,  pour  vous  faire  scavoir  si  ledit  due  ex6culera  ce 
qu'il  a  promis ,  j'entends  qu'en  cas  que  ledit  de  BtNU- 
jcu  VOUS  rapporte  qu'il  n'esl  pas  en  resolution  et  en  dis- 
position de  le  faire.  vous  ayez  a  executer  les  rt^solutioiis 
qui  furent  bier  prises  avec  vous. 

»  Et  sur  ce  je  prie  Dieu ,  etc.  » 


44  2 

bois  et  des  redoutes,  et  d'autres  qui  marchoient 
droit  a  son  pont ,  qu'il  avoit  sous  liii  a  Ville- 
neuve-Saint-Geoiges,  mandaa  M.  de  Turenne 
qu'il  signeroit  tout  presentemeut  de  sortir  de 
France.  Aussilot  M.  de  Turenne  envoya  de  I'in- 
fanterie  se  saisir  du  pont  sur  la  Seine,  ayant 
fait  dire  par  M.  de  Varennes,  qu'avant  toutes 
choses  il  vouloit  en  etre  assure.  Eusuite  on  fit 
fairehalte  a  I'armee,  et  les  deux  generaux  signe- 
rent  le  traitte  par  lequel  il  fut  dit  que  M.  de 
Lorraine  mareheroit  tout  presentement  avec  son 
armee  et  sortiroit  de  France  en  douze  jours, 
suivant  la  route  dont  il  etoit  convenu.  M.  de 
Lorraine  laissa  M.  le  comte  de  Ligneville  et  son 
capitaine  des  gardes  en  otage  pour  la  surete  de 
sa  parole,  et ,  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  sur;  son 
armee  prit  une  marche  dans  laquelle  elle  lais- 
soit  celle  du  Roi  en  etat  d'empecher  sa  jonction 
avec  I'armee  des  princes,  quand  il  eut  voulu 

(1)  A  Monsieur  le  marechal  de  Turenne,  sur  le  traicte 
qu'il  a  fait  avec  le  due  de  Lorraine  pour  sa  retraitte 
hors  le  royaume. 

«  Du  16  juin  1652. 

»  Mon  cousin ,  ayant  estc  informe  par  le  sieur  de 
Beaujeu  du  traile  que  vous  avez  fait  avec  mon  fierc  le 
due  de  Lorraine,  et  de  lout  ce  qui  s'est  passe  en  celle 
occasion  ,  jay  bien  voullu  vous  tesmoigner  par  celte 
letlre,  qucj'ay  cnliercrnent  approuv(5  iedit  Iraicte  el  que 
mon  intention  est  qu'il  soil  ponclueiletnent  ex(5cutc;  que 
pour  eel  elTel  je  reiivoye  vers  vous  ledit  sieur  de  Beau- 
jeu ,  el  vous  adrcsse  un  memoire  contenanl  la  roulte 
que  doibl  lenir  ledit  due  avec  son  armee,  en  se  retirant 
vers  ie  Luxembourg ;  <pie  j'envoye  aussi  presentement 
vers  vous  le  sieur  de  Bczan<;on  pour  accompagner  ledit 
due  dans  sa  marche  et  faire  fournir  aux  trouppes  de  son 
armee  ies  vivres  necessaires ,  en  s'employant  a  ce  que 
ledit  sieur  due  les  continue  dans  le  meilleur  ordre  qu'il 
se  pourra. 

))  Et  par  ce  que  j'ordonne  audit  sieur  de  Beaujeu 
d'agir  aupres  duiiil  due  pour  la  conclusion  du  traicle 
particulier,  des  conditions  duquel  il  est  convenu  avec 
luy,  suivant  linstructionque  jeluy  ay  fuict  donner,  et  les 
ordrcs  que  vous  eiitendriez  y  debvoir  adjouster,  je  me 
remets  a  ladite  instruction  et  a  ce  qu'il  vous  dira  de 
ma  part  sur  ce  qui  coiicernc  cetle  airaire ,  di^sirant  que 
vous  luy  doniiiez  enlierc  creance.  Je  vous  diray  seulle- 
menlquen  cas  que  Icdict  due  dilTdrast  d'executer  ce  qui 
est  por(^  par  le  ir  .ict(!  que  vous  avez  faict  avec  luy,  ou 
qu'il  y  conlrcvinst,  re  que  je  ne  croy  qui  arrive  ,  mon 
intention  est  que  vous  chavgiez  son  armee  et  prenniez 
sur  luy  tous  les  advantages  que  vous  pourrez ,  sans  y 
perdre  aucun  moment  de  temps.  Et  sur  ce  je  prie  Dieu 
qu'il  vous  ayl,  mon  cousin  ,  etc.  » 

Instruction  donnee  an  sieur  de  Beaujeu ,  s'en 
allant  vers  M.  de  Turenne.  touchant  le  traicte  du 
due  de  Lorraine. 

«  Le  Roy  ayant  esle  informti,  par  ie  sieur  de  Beaujeu, 
du  traicte  qu'a  faict  M.  de  Turenne,  marechal  de  France, 
lieutenant-genc'ral  pour  Sa  Majesty  en  son  armee,  ser- 
vm;  prep  sa  p''r:;onnp,  avec  3i.  le  due  de  Lorraine,  Sa 
Majesld  la  enlitMemeni  approuve  ,  et  voullanl  qui!  soil 


MEMOIRES    DU    VICOMTE    DE    lURErSNE.    [  1 652] 


rompre  son  traite(]).  Uneheure  apres  le  traitte 
signe  ,  I'armee  de  M.  de  Lorraine  commenca  a 
defiler  hors  de  ses  retranchemens  et  a  mar- 
cher devant  I'armee  du  Roi  qui  demeuroit  en 
bataille  ;  elle  suivit  sa  route  suivant  le  traitte. 
On  permit  a  M.  de  Reaufort  de  s'en  aller  a  Pa- 
ris avec  ce  qu'il  avoit  de  troupes  des  princes, 
dont  laplupart  se  mirent  dans  I'armee  du  Roi 
pendant  que  le  traitte  se  siguoit.  L'armee  d'Es- 
tarapes  comraencoit  a  paroltre  de  I'autre  cote 
de  I'eau  ,  et  voyant  I'armee  du  Roi  entrer  dans 
le  camp  de  M.  de  Lorraine,  qui  prit  la  route  de 
Rrie  ,  elle  marcha  vers  Paris  pour  se  mettre  en 
surete  et  se  logea  vers  Saint-Cloud. 

Apres  que  I'armee  du  Roi  eut  sejourne  deux 
jours  a  Villeneuve  elle  marcha  vers  Lagni ,  oil 
elle  passa  la  riviere  et  se  logea  pres  de  Dam- 
martin  ,  afin  d'empecher  le  passage  d'un  corps 
de  troupes  qu'on  disoit  devoir  arriver  de  Flan- 

ex^cul(5  selon  sa  forme  et  teneur,  Sa  Majestd  a  r^solu  de 
renvoyer  ledict  sieur  de  Beaujeu,  sur  ce  subject,  vers 
ledict  sieur  de  Turenne,  el  luy  a  faict  donner  le  pre- 
sent memoire  pour  luy  servir  d'inslruction. 

»  Sa  Majeste,  pour  I'execution  dudicl  iraicte,  adresse 
a  M.  de  Turenne  un  memoire  des  lieux  oil  mondit  sieur 
de  Lorraine  doibl  loger ,  en  se  retirant  du  royaume  et 
marchant  vers  le  Luxembourg  ,  et  pour  I'accompagner 
et  faire  fournir  les  vivres  aux  Irouppes  de  son  armde 
par  les  habitans  des  lieux  ,  Sa  Majeste  ayant  choisy  Ie 
sieur  de  Bezangon,  elle  I'envoye  aussy  vers  M.  de  Tu- 
renne pour  recevoir  ledict  mdmoire,  avec  un  ordre  de 
Sa  Majesty  de  ce  qu'il  aura  a  faire  en  accompagnant  le- 
dict due,  lequel  serajoinct  audict  memoire. 

»  Et  par  ce  que  ledict  due  est  convenu  avec  Iciict 
sieur  de  Beaujeu  des  conditions  du  lraict(5  qui  le  con- 
cerne  en  particulier,  I'intenlion  de  Sa  Majesle  est  qu'au- 
paravant  que  ladicte  roulte  et  ordre  de  Sa  3Iajeste 
soyenl  deslivrez  audict  sieur  de  Bezangon  ,  M.  de  Tu- 
renne essaye  d'induire  ledict  due  a  se  rendre  aupres  de 
Sa  Majeste  pour  signer  ledict  traicle  ,  et  qu'il  convienne 
avec  lui  d'un  posieoii  ledict  due  laissera  ce  pendant  les 
Irouppes  de  son  armee,  observant  de  le  choisir,  en  sorte 
que  ledict  due  ne  puisse  avoir  jalouzie  de  I'armde  de 
Sa  Majesty  pendant  qu'il  sera  absent  de  la  sienne. 

»  Et  en  cas  que  ledict  due  fasse  difTicuIl^  de  venir 
trouver  Sa  Majeste,  elle  desire  qu'il  luy  propose  de  sa 
bourhe  avec  M.  le  cardinal  Mazarin,  lequel  s'advancera 
au  lieu  dont  Ion  conviendra,  avec  pouvoir  de  Sa  Majesty 
de  conciure  et  signer  ledict  traicle  avec  luy. 

>>  Que  si  ledict  due  relluze  de  faire  ce  traicte^  particu- 
lier et  qu'il  ne  veuillc  pas  laisscr  d'executer  celuy  qu'il 
a  faict  presentement  pour  sa  marche ,  linlenlion  de 
Sa  Majest(5  est  que  ledict  sieur  de  Turenne  rexccule  de 
sa  pari ,  el  mette  es  mains  dudicl  sieur  de  Bezangon  la 
roulte  et  I'ordre  de  Sa  Majesle  pour  i'accompagner, 
suivant  le<lict  traict<5;  quen  ce  qui  sera  a  faire  avec  le- 
dict due  en  celle  occasion  ,  ledict  sieur  de  Beaujeu  exe- 
cute les  oidres  qui  luy  seronl  donncz  par  M.  de  Turenne, 
auquci  il  fera  voir  la  prt^sente  instruction  ,  et  se  remet- 
lant  aux  ordres  dudict  sieur  de  Turenne  de  ce  qu'il 
y  pourroit  adjouster,  ledict  sieur  de  Beaujeu  sera  asseur^ 
quelle  luy  sgaura  beaucoup  de  gr6  des  services  qu'il 
continueia  de  luy  rendre  en  cetle  occasion. 

»  FalGl  a  Mclun  ,  le  1(>  juin  L'^-i  » 


JIEMOIRES    DU    VICOMTE    DE    TURE^^E.     [l6o2] 


443 


dre,  en  coulant  le  long  de  la  riviere  d'Oise  ;  M.  le 
prince  meme  s'etoit  saisi  de  Poissi ,  afm  de  lui 
donner  moyen  de  le  joindre. 

La  courapres  avoir  demeure  quelque  temps  a 
Melun  s'en  viut  a  Lagni  {i),  oil  M.  le  marechal 
de  LaFertevint  lajoindreavec  troismillehom- 
mes.  On  s'en  alia  a  Saint-Denis ,  on  la  cour  de- 
meura ,  et  on  fit  promptement  venir  des  bat- 
teaux  de  Pontoise  pour  faire  un  pent  a  Epinai, 
afin  de  pouvoir  marcher  a  I'arraee  de  M.  le 
prince,  qui  etoit  campee  aupres  de  Saint-Cloud, 
On  trouva  une  isle  dans  laquelle  on  fit  passer 
des  mousquetaires  sur  un  pont  de  batteaux,  et 
ensuite  on  passa  I'autre  bras.  M.  le  prince  vint 
avec  quelques  escadrons  et  deux  ou  trois  cens 
mousquetaires  pour  empecher  le  passage  ,  mais 
voyant  qu'il  y  avoit  beaucoup  de  canon  deja 
loge ,  et  des  mousquetaires  que  M.  le  marechal 
de  La  Ferte  avoit  fait  retrancher  en  diligence  de 
I'autre  cote  de  I'eau  ,  il  se  retira  en  son  camp, 
et  a  I'entree  de  la  nuit  fit  passer  son  armee  sur 
deux  ponts  qu'il  avoit  a  Saint-Cloud  ,  et  mar- 
cha  dans  I'intention  d'alleraCharenton,  croyant 
que  le  pont  etant  acheve ,  I'armee  du  Roi  y 
passeroit  toute  la  nuit ,  et  qu'ainsi  la  riviere  se- 
roit  toujours  entre  les  armees;  mais  le  plus 
grand  corps  de  Tarrat^e  etoit  encore  en-deca  de 
I'eau. 

La  cour  eut  un  faux  avis  de  Paris  que  I'armee 
des  princes  marchoit  deja  par  derriere  Mont- 
martre  et  cotoyoit  lesfauxbourgs  de  Saint-Mar- 
tin ;  M.  le  cardinal  en  fit  promptement  avertir 
M.  de  Turenne  qui  s'en  vint  en  diligence  a 
Saint-Denis  toute  la  nuit,  et  commanda  que 

(1)  Lettre  da  Roy  a  M.  le  marechal  de  Turenne,  pour 
luy  dire  de  marcher  avec  I'armee  qu'il  commande  a 
Lagny  et  de  Id  d  Ponthoise,  et  sur  ce  qu'il  y  aura  a 
faire. 

«  Du  21  juin  1652 ,  a  Melun. 

»  Mon  cousin ,  croyant  que  vous  aurez  march^  a 
Lagny,  suivant  ce  que  vous  avez  sfcu  estrc  de  mon  in- 
lenlion  ,  je  vous  faiclz  cette  lettre  pour  vous  dire  que 
j'eslime  que  vous  devez  parlir  des  domain  matin  dudit 
lieu  de  Lagny  pour  alier  a  Ponthoise  ,  afin  d'empecher 
la  jonclion  des  irouppes  des  princes,  qui  sont  pr^sente- 
ment  campees  a  Poissy  et  a  Saint  Cloud,  a  celies  des 
Espagnols  venant  de  Flandre  ; 

»  Que  si,  estant  audict  lieu  de  Ponthoise,  vous  apre- 
niez  que  les  trouppes  des  princes  n'ayent  point  pass(5 
la  riviere  de  Seyne  audict  lieu  de  Poissy,  en  ce  cas  vous 
la  veniez  passer  a  Melun  ; 

»  Que  si,  ailantaudict  Ponthoise,  vousapreniez  que  les 
trouppes  des  princes  ayent  passe  ladicle  riviere  de  Seyne, 
vous  marchiez  droit  a  Creil  pour  y  passer  la  riviere 
d'Oise,  et  alliez  ensuilte  vous  posli^r  avec  mon  armee 
surla  riviere  du  Terrain  qui  passe  a  Beauvais,  pour  em- 
pecher la  jonclion  des  trouppes  desdicts  princes  a  celies 
des  Espagnols,  et  combattre  cellos  qui  so  pr^senleront 
les  premieres  et  que  n  .    irouverez  i?  plus  a  propos  ; 

»  Que  comnie   mon  onde  le  due  d'Elbeuf  el  mcs 


I'armee  le  suivft ;  il  manda  aussi  a  ce  qui  etoit 
dans  I'isle  de  repasser  en  diligence.  M.  le  ma- 
rechal de  La  Ferte ,  a  cause  que  toutes  ses  trou- 
pes avoient  passe  I'eau  ,  ne  put  suivre  que  cinq 
ou  six  heures  apres.  Ainsi ,  a  la  pointe  du  Jour, 
toute  I'armee  du  P»oi ,  hors  le  corps  de  M.  le 
marechal  de  La  Ferle,  se  mit  en  batailledans  la 
plaine  entre  Saint-Denis  et  Paris.  M.  de  Turenne 
s'etantavance  avec  dix  ou  douze  chevaux  passa 
au  travers  de  la  Chapelle,  et  vit  I'infanterie  de 
I'arriere-garde  du  prince  et  quelques  escadrons 
qui  marchoient  pres  du  fauxbourg.  On  croyoit 
le  corps  de  I'armee  enneraie  beaucoup  plus 
avance  vers  Saint-Antoine  et  Charenton  ;  mais 
la  nuit  I'ayaut  arrete  au  cours  de  la  Reine  mere, 
elle  ne  put  commencer  sa  marche  qu'a  la  pointe 
du  jour.  Comme  done  M.  de  Turenne  eut  \u 
I'arriere-garde ,  il  fit  promptement  avancer  quel- 
ques escadrons  de  cavalerie  et  commanda  au 
reste  de  I'armee  de  suivre.  On  les  joignit  vers 
le  fauxbourg  Saint-Martin ;  et  comme  leur  in- 
fanterie  filoit  toujours,  on  chargea  quatre  ou 
cinq  escadrons  de  I'arriere-garde  que  Ton  rom- 
pit,  et  on  prit  beaucoup  d'officiers  et  de  cava- 
liers prisonniers  ;  on  continua  a  les  suivre  tout 
le  long  des  fauxbourgs  jusqu'aupres  celui  de 
Saint-Autoine.  II  y  avoit  une  partie  de  leur 
avant-garde  qui  etoit  deja  vers  Charenton ; 
mais  ayant  eu  I'alarme,  elle  vint  se  mettre  en 
bataille  aupres  du  fauxbourg  Saint-Antoine  ou 
I'arriere-garde  la  joignit.  M.  le  prince  fit  aussi 
tourner  son  canon ;  et  comme  la  cavalerie  de 
I'armee  du  Roi  avancoit ,  il  en  fit  tirer  quelques 
voices  contre  elle  qui  attendoit  que  I'infanterie 

cousins  les  marechaux  d'Eslr^es,  d'Aumont ,  sont  bien 
adverlis  de  la  marche  que  doibvent  faire  les  ennemis, 
vous  teniez  correspondance  avec  eux  et  que  vous  em- 
ployiez  le  sieur  d'ibgy  en  tout  ce  que  vous  jugercz 
bon  esire  pour  mon  service ; 

»  Que,  partant  de  Lagny.  vous  y  laissiez  le  sieur  de 
Mespas  avec  son  regiment  de  cavallerie,  pour  servir 
dans  le  corps  de  Irouppos  command^  par  mon  cousin  le 
marechal  de  La  Ferte-Senneterre,  lequel  y  doibiarriver 
lundy  procbain,  auquol  jour  je  partiray  de  cette  viile  et 
me  rendray  en  celle  de  Meaux ;  et  comme  jay  toute  con- 
Oance  en  voire  prudence  et  bonne  conduite,  et  qu'il  sera 
besoin  que  vous  changiez  de  resolution  selon  les  mou- 
vemens  que  vous  feront  les  ennemis,  je  romets  a  vous 
de  prendre  celle  que  vous  jugerez  la  meilleure  ,  scion  les. 
advis  que  vous  aurez  de  ce  que  feront  les  ennemis,  ap- 
prouvant  des  a  present  lout  cc  que  vous  rcscudrez  et 
fercz  sur  cos  occurrences,  sans  que  vous  vous  arrctiez 
aucunement  sur  la  seurete  de  ma  personne ;  laquelle 
(  Dieu  aydant )  sera  entiere  oil  je  seray,  et  di^sirant  seu- 
loment  que  vous  me  lenicz  adverty  de  ce  que  vous  feroz 
et  me  donniez  voire  bon  advis  comme  quoy  je  debvray 
employer  le  corps  commande  ;;»r  mon  cousin  le  mard- 
ohal  de  La  Fcrle-Senneterre  lorsqu'il  sera  a  Lagny,  me 
remettant  au  sieur  de  Vareunes  de  ce  {na  je  pourrois 
adjouster  a  la  prc'senle.  Et  sur  ce  je  prie  Dieu,  etc.  a 


411 


MRMOIRKS    Dll    VICOMTt:    DE    TDBKNM-:.    [Mi.'.S] 


arrivAt,  laqucllc,  a  cause  Ues  grands  delilcs 
qu'il  y  a  autourde  Paris,  dcmcura  un  pcu  long- 
temps  a  venir  ,  et  donna  le  loisir  a  M.  le  prince 
de  faire  retircr  toutes  scs  troupes  dans  le  fanx- 
bourg  ,  oil  il  trouva  toutes  les  rues  qui  avoieut 
des  bairicades  faites:  ce  qui  lui  fut  d'un 
grand  avantage.  Ces  barricades  s'eloicnt  taifes 
h  dessein  par  les  Parisiens,pour  se  garantir  des 
coureursdc  I'armee  de  M.  de  Lorraine,  pendant 
qu'il  etoit  a  \  ilieneuve-Saint-Gcorges.  M.  le 
prince  fit  mcltre  son  infanterie  derriere  les  mu- 
railles  les  plus  avancees,  ct  les  fit  percer  afin 
que  les  niousciuetaires  pussent  tirer  ,  et  il  se  mit 
en  tres-bonne  posture. 

Comme  rinfanterie  de  I'armee  du  Roi  arriva, 
onavoit  cru  ({u'il  seroit  meilleur  d'attendre  le 
canon;  mais  la  quautite  de  personnes  de  la 
cour  qui  pressoient ,  comme  s'il  n'y  avoit  qu'a 
avancer  pour  defaire  entierement  les  ennemis  , 
obligea  M.  de  Turenne  de  commander  un  bon 
nombre  d'infanterie  des  gardes  ei  d'aulres  regi- 
mens avee  les  gendarmes  et  chevaux-legers  du 
Hoi,  et  d'autres  regimens  de  cavalerie ,  pour 
donner  par  deux  rues  differentes.  On  emporta 
les  premiers  retranchemens ;  mals  comme  il 
failoit  passer  un  a  un  ,  et  que  Ton  se  mettoit  en 
confusion  pour  suivre  I'ennemi ,  on  trouva  dans 
les  rues  plus  larges  un  corps  de  cavaleiie  oil 
M.  le  prince  se  trouva  el  beaucoup  de  person- 
nes de  qualite,qui,  chargeant  cette  cavalerie  et 
infanterie  qui  entra  en  desordre,  les  repoussa 
sans  resistance  jusqu'a  I'entree  du  fauxbourg. 
M.  de  Saint-Maigrin,  lieutenant  des  chevaux-le- 
gers de  la  garde,  y  fut  lue  ( i ).  On  attaquoitaussi 
en  meme  temps  cette  infanterie  de  M.  le  prince, 
passee  derriere  les  murailles  et  dans  les  mai- 
sons  ;  le  combat  fut  fort  opiniatre  et  on  les  em- 
porta en  beaucoup  de  lieux  ,  niais  ce  fut  apres 
que  le  canon  fut  arrive:  on  y  prit  meme  deux 
cens  hommes  dans  une  maison ;  mais  les  corps 
des  regimens  dc  I'ennemi  demeurerent  toujours 
derriere  k's  grandes  traverses  du  tauxbourg 
d'oii  ils  avoient  reehasse  les  nolres.  On  leur 
prit,  a  la  main  gauche,  une  barricade  que  Ton 
garda,  oii  il  y  eut  beaucoup  de  leurs  soldats 
tues ;  mais  on  ne  put  pas  passer  outre  eu  aucun 
endroit ,  toute  riufaulerie  ayant  ete  fort  rebu- 
tee  dans  ces  attaques.  Kn  effet,  M.   le  prince 


(i)  Le  Roy  escrivit.  Ii'  5  juillet,  «  a  niossiours  les 
mf\r(5cliaiix  de  Turenne  ct  La  FerK^'-Sennelerre,  pour  en- 
voyer  un  rolle  de  eenx  qui  fnrent  tues  ou  l)less(5s  au 
coinliat  du  fauWouig  Saiiiet-Anloiiie.  » 

«  Mini  cousin  ,  desiiant  estic  infurnie  (|i,i  sont  les 
officicrs  de  tnun  iiiinee  que  vcus  comniande/  qui  onl 
esl(5  lues  ou  Idesses  en  I'allaqiie  de  celle  des  princes, 
fiuele  le  deuxietn'"  du  pr(?s('nt  nioi< ,  ct  faire  dresser  une 


efant  presse,  trouva  par  hazard  un  fauxbourg 
bien  barricade ,  son  dessein  ayant  etc  d'aller 
passer  au  pont  de  Charenton. 

Comme  on  etoit  I'un  devant  I'autre,  le  corps 
de  M.  le  marechal  de  La  Ferte  arriva  :  on  re- 
solut  de  faire  encore  une  attaque  gcnerale,  etant 
renforce  de  ces  troupes-la,  Mais  en  ce  temps  la 
ville  de  Paris  ayant ,  par  la  sollicitation  de  Ma- 
demoiselle, ouvert  les  portes  a  I'armee  dcM.  le 
prince  ,  clle  marcha  par  le  milieu  de  la  ville  et 
s'en  alia  vers  le  fauxbourg  Saint-Jacques.  Le 
Roi  etoit  venu  de  Saint-Denis  et  demeura  sur 
une  hauteur  jusqu'a  la  nuit ;  et  comme  on  eut 
marche  pour  cette  seconde  attaque, on  ne  trouva 
plus  de  troupes  dans  ce  fauxbourg  ,  ce  qui  obli- 
gea I'armee  a  se  retirer  avec  le  Roi  a  Saint- 
Denis. 

Pendant  que  I'armee  des  princes  logeoit  au- 
tour  du  fauxbourg  Saint-Jacques,  il  arriva  un 
grand  desordre  dans  la  Maison-de- Ville  de  Pa- 
ris. Le  mauvais  etat  des  affaires  des  princes 
leur  fit  presser  I'armee  d'Espagne  de  partir  de 
riandre  pour  venir  a  leur  secours  :  elle  partit 
d'aupres  de  Cambrai ,  et,  passant  entre  Salnt- 
Quentin  etHam ,  s'en  vint  a  Chauni,  oil  M.  d'EI- 
beuf  s'etant  enferme  avec  buit  cens  chevaux , 
ils  le  prirent  prisonnier  de  guerre,  et,  en  gardant 
des  otages,  laisserent  venir  les  cavaliers  a  pied 
et  prirent  tons  leurs  equipages  et  chevaux.  M.  de 
Lorraine,  qui  etoit  demeure  sur  la  frontiere  de 
France  depuis  ce  qui  s'etoit  passe  a  Villeneuve- 
Saint-Georges ,  marcha  aussitot  par  la  Cham- 
pagne pour  joindre  I'armee  d'Espagne,  laquelle, 
apres  la  prise  de  Chauni,  s'en  vint  a  Fismes 
joindre  M.  de  Lorraine. 

La  cour  etoit  a  Saint-Denis  quand  on  apprit 
la  marche  de  I'armee  d'Espagne ,  et  on  envoya 
en  Normandie  pour  scavoir  si  le  lloi  seroit  recu 
a  Rouen;  mais  le  mauvais  etat  de  ses  affaires, 
cause  par  la  marche  de  I'armee  d'Espagne,  fit 
croire  qu'il  n'y  auroit  point  de  si'irete  pour  le 
Roi  a  Rouen.  On  avoit ,  pen  de  jours  aupara- 
vant,  parle  de  traitter  avec  M.  le  prince.  M.  de 
Turenne  etoit  d'avisque  Ton  se  rel.achat  dans 
beaucoup  de  cboses  ,  et  que  ,  pourvu  que  I'au- 
torite  du  Roi  demeurat  entiiire  apres  I'accom- 
modement ,  que  Ton  ne  pourroit  pas  lui  donner 
trop  de  ehoscs  pour  sortir  de  cette  affaire  ;  mais, 


relation  exaclc  dc  lout  cc  qui  s'est  passe'  en  celle 
journc'c ,  je  vous  faicls  cctlc  Iclire  pour  vous  dire 
que  vous  aycz  a  tirer ,  des  eomniandans  dc  chaque 
corps,  un  niemoire  bien  i)arliculicr,  contenant  les  nonis 
ct  la  quaiitc;  des  oniciers  <pii  ont  eslt'  Uk's  ou  bicssc's  en 
celle  occasion,  pour  en  dresser  un  menioire  {general  et 
une  relation  exaclc  ou  loulcs  les  partieulaiil(5s  dc  cette 
action  soyenl  exprimc^es  ct  presentees.  » 


MKMOIRKS    DL    MC.OMTE    UK    Tlr,R^^F.     flGoSi 


■i-ir, 


qiioiqu'on  se  rclachat ,  la  marclie  des  Espagnols 
lui  avoit  ote  toute  pcnte  a  s'accommoder.  La 
c'our  se  troiivoit  dans  une  extreme  peine  ;  I'ar- 
mee  du  Roi  ne  montoit  pas  a  plus  de  huit  mille 
hommes ;  celle  des  princes  etoit  de  cinq  mille  a 
Paris  ,  et  celle  des  Espagnols  ,  jointe  aux  Lor- 
rains,  etoit  de  \ingt  mille.  La  Normandie  ne 
voiiloit  point  recevoir  le  Roi.  Le  soir  qu'on  cut 
cette  nouvelle,  M.  de  Turenue  etoit  au  camp  , 
et  etant  vcnu  le  leudemain  a  Saint-Denis,  il 
apprit  que  la  resolution  avoit  ete  prise  de  s'en 
aller  avec  la  cour  vers  la  Bourgognc  et  vers 
Lvon ,  menant  seulement  deux  mille  hommes 
pour  Tescorter.  II  scut  cette  nouvelle  pai'  M.  de 
Ruvigni ,  et  lui  dit  aussitot  que  tout  etoit  perdu 
si  on  prenoit  cette  resolution  :  11  avoit  assez  de 
connoissance  des  affaires  de  Flandre  pour  sca- 
voir  tres-bien  que  le  Roi ,  en  se  relirant  par 
dela  Paris ,  douneroit  occasion  aux  Espagnols 
de  savancer  vers  Soissons  et  Compiegne ,  qui 
u'eussent  pas  resisle  aprcs  le  depart  de  la  cour 
pour  Lyon.  II  croyoit,au  contraire,  que  si  le 
Roi  se  resolvoita  demeurer  sur  la  riviere  d'Oise, 
et  que  son  armee  marchat  vers  Compiegne, 
toute  Tarmee  d'Espagne  u'oseroit  marcher  a 

(I)  HHemoire  envoye  a  Messieurs  les  marcchaux  de 
Turenne  et  de  La  Ferte-Senneterre,  sur  les  nouvel- 
les  que  Von  a  apprises  des  ennemis  et  de  leurs  des- 

<(Du'i8juiIletl652. 

»  Le  Roy  ayanl  s^u  parte  chevalier  tie  Hezangon,  qui 
vient  d'arriver  d'aupres  du  due  dc  Lorraine,  que  leuit 
due  est  post(5  a  six  lieucs  de  rarniee  d'Espagne  ,  qui  est 
vers  Noslre-Dame  de  Liesse,  et  que  leiiit  due  diet  que 
si  les  Espagnols  s'approclient  de  lui ,  il  aura  de  la  peine 
des'empcsclierde  les  joindre;  qu'en  tout  cas,ee  ne  sera 
que  pour  s'advanccr  avec  eux  jusques  a  la  Fert(5-Milon, 
pour  leur  donner  nioyen  dc  d(5taciier  le  corps  qu'ils  ont 
deslin<5  pour  faire  joindre  a  celuy  que  les  princes  ont 
aux  environs  de  Paris  ;  de  sorie  que,  par  ce  que  Ton  ap- 
prcnd  de  la  marche  du  comle  de  Fuensaldagnc  avec  la- 
dite  armee  d'Espagne,  des  discours  que  ledit  due  licnt, 
el  des  letlres  intercepldcs  dudil  de  Fucnsaldagne,  par- 
ticulierement  de  la  derniere  qui  a  esle  envoyee  auxdits 
inarechaux,  i'on  pent  juger  assurrment  qu'encorcs  que 
le  Roy  aU  envoye  audit  due ,  par  les  sieurs  de  Joyeuse 
et  Rertct,  tout  ce  qu'il  a  tcsmoigne  des'rer  pour  son  ac- 
commodcmenl,  neanlmoins  il  sejoindra  avec  les  Espa- 
pagnols,  et  qu'ils  fcronl  tous  ensemble  ce  que  lesdits 
sieurs  marechaux  auronl  vu  par  la  derniere  letlrc  que 
ledit  Fuensaldagnc  a  projelle;  Ijion  que  Sa  Majeste  ne 
double  pas  que  Icsdils  sieurs  marechaux  ne  fcissenl  ce 
qui  sera  dc  plus  advantageux  a  son  service ,  loules- 
fois  a  eslime  a  propos  de  leur  faire  scavoi? ,  par  le  pre- 
sent niemoire,  ce  quelle  jugc  debvoirestre  fait  sur  cette 
occasion. 

»  II  semble,  qu'en  cas  que  la  jonction  de  I'armde  d'Es- 
pagne avec  celle  de  Lorraine  se  fasse,  et  que  les  Espa- 
gnols destaclienl  un  corps  pour  envoyer  auxdils  princes, 
il  seroit  necessairc  que  lesdiis  marechaux  sc  vinssent 
poster  soubsLagny,  pour  observer  rarm^e  des  ennemis, 
empcscher,  autani  (juiis   le  pourront ,  la  jonction  du 


Paris  ,  de  pcur  de  laisser  toute  la  Flandre  de- 
garnie  et  1 'armee  du  Roi  entre  elle  et  eux  ; 
que  sMIs  envoyoient  un  secours  considerable  a 
M.  le  prince,  leur  armee  en  raeme  temps  se 
retireroit  en  Flandre  et  ne  demeureroit  pas  au 
milieu  de  la  France  qu'avec  un  corps  beaucoup 
plus  i'ort  que  I'armee  du  Roi.  M.  de  Turenne 
croyoit  done  qu'il  n  y  avoit  point  d'autre  salut 
pour  I'Etat  que  de  demeurer  avec  le  Roi  entre 
Paris  et  I'armee  d'Espagne.  II  avoit  encore  la 
peusee  qu'a  toute  extremite ,  le  Roi ,  avec  un 
corps  d'armee,  etoit  bien  mieux  dans  une  de 
ses  places  de  la  riviere  de  Somme ,  qu'en  s'en 
allant  vers  Lyon  ,  pour  laisser  une  conquete 
sure  aux  Espagnols  ,  depuis  la  Flandre  jusqu'a 
Paris.  On  scavoit  aussi  la  mauvaise  volonte 
de  la  Normandie,  ct  que  I'etonnement  etoit  si 
grand  partout ,  qu'il  y  avoit  peude  villes  ouon 
n'eut  ouvert  les  portes  aux  ennemis  :  ce  qui 
obligea  M.  de  Turenne  d'aller  trouver  M.  le 
cardinal,  qui  donna  tout  aussitot  dans  son  sens; 
et  allaut  voir  la  Reine,  qui  n'a  jamais  trouve 
dc  conseil  trop  hasardeux  ,  on  resolut  que  la 
cour  iroit  a  Pontoise  et  que  I'armee  marcheroit 
en  diligence  a  Compiegne  (i).  Aussitot  qu'elle  y 


corps  qui  sera  detache  de  I'armc'e  d'Espagne  a  celui  des 
princes,  se  remettant  neantmoins  a  eux  de  faire  ce  que 
par  leur  prudence  ils  verront  estrc  pour  le  mieux. 

»  Que  cependant,  qu'ils  demeurent  joints  ensemble 
avec  le  sieur  mart'ehal  d'Aumont,  jusques  a  ce  qu'ils 
voyent  cerlainement  quel  est  le  dessein  des  ennemis,  et 
qu'ils  aient  subject  de  prendre  une  autre  resolution  sc- 
ion les  mouvemens  qu'ils  feront,  sans  que  ledit  sieur 
marechal  de  La  Ferle-Senneterre  se  destache  pour  ve- 
nir  avec  Tarmce  qu'il  commande  a  Lagny  ,  comme  Sa 
Majeste  luy  avoit  mandc  de  faire  sur  I'advis  qu'elle  avoit 
de  la  marche  de  I'armee  des  princes  dans  la  Brie,  qui 
n'a  pas  cslc  conQrmee. 

»  Pour  cette  fois ,  Sa  Majeste  mande  prdsentement 
audit  mareschal  d'Aumont,  de  demeurer  joinct  avec 
lesdiis  sieurs  mar(?chaux,  et  de  ne  pas  relourner  sur  la 
frontiere  que  de  concert  avec  eux. 

»  Sa  Majeste  luy  mande  aussi  que  si  lesdits  sieurs  ma- 
rechaux jugeoicnt  avec  luy  qu'il  fust  a  propos  qu'ils  sc 
separassent,  elle  desireroit  que  pour  incommoder  les 
ennemis  dans  leur  pays,  pendant  leur  s(^jour  dans  le 
royaume,  qu'il  s'advan^ast  avec  les  troupes  qu'il  a  pres 
de  luy  vers  Saincl-Quenlin,  ou  en  telle  autre  postc  qu'il 
trouveraplus  a  propos,  pourentrerdans  leur payset s'en 
retirer  lorsqu'il  les  y  vcrroit  relourner,  et  dont  il  pust 
asseurer  les  places  qu'ils  pourroient  atlaquer,  ayant 
piincipalement  I'anlsur  Sainct-Qucntin  el  sur  Arras. 

»Que,  pouresire  plus  en  cstat  de  lescndommager,  il 
tirast  dc  Sainct-Quentin  et  de  Ilam  les  gens  de  guerre 
qu'il  y  a  jelt(5s,  ct  demandant  au  sieur  marechal  d'Hoc- 
quincourl  les  troupes  dont  il  le  pouvoit  assister.  el  aux 
gouverneurs  des  places  fronlieres  les  compagnies  de 
cavalleric  qu'ils  commandent. 

»  Quil  mist  aussi  ensemble  ce  qu'il  pourroit  de  pay- 
sans  de  la  Thirache,  qui  sont  gens  aguerris  el  capables 
de  faire  ic  degast  chez  les  ennemis,  pour  sc  venger  de 
celui  qu'ils  ont  soulTert. 


arriva,  on  apprit  par  les  partis  que  I'ennemi , 
ayant  prls  Chauni ,  marchoit  a  Fismes  ,  etant 
joint  a  M.  de  Lorraine.  M.  le  marechal  de  La 
Ferte  prit  quelque  cavalerie  et  s'en  alia  vers 
Chauni  que  les  ennemis  abandonnerent,  n'etant 
pasun  lieu  a  yarder.  II  s'en  revintpar  Soissons, 
que  Ton  assura  par  des  troupes  que  Ton  y  mit. 
Les  Espagnols  etant  a  Fismes  ,  et  la  communi- 
cation n'etant  pas  libre  entre  Paris  et  eux  ,  ils 
virent  que  s'lls  vouloient  y  ailer,  comme  M.  le 
prince  les  en  pressoient  fort, ils  ne  le  pourroient 
laire  qu'avec  toute  I'armee ,  a  quoi  lis  ne  pou- 
voient  pas  consentir  ;  d'ailleurs  ils  oe  pou- 
voient  en  envoyer  un  detachement  considerable 
vers  Paris,  sans  elre  rencontre  par  I'armee  du 
Roi.  Toutes  ces  considerations  unies  leur  firent 
resoudre  a  retourner  en  Flandre  et  a  laisser 
un  coi'ps  de  troupes  a  M.  de  Lorraine,  qui  de- 
ineura  sur  la  frontiere. 

En  ce  temps-la,  M.  de  Turenne  ayant  eu  avis 
comme  M.  de  Bouillon,  qui  etoit  a  Pontoise 
avec  la  cour,  etoit  fort  malade,  s'y  en  alia  en 
diligence;  il  y  arriva  le  huitieme  jour  de  sa 
maladie,  laquelle  alia  toujours  en  empirant  : 
un  transport  an  cerveau  I'empecha  de  parler 
pendant  les  derniers  jours ,  mais  il  conserva  tou- 
jours beaucoup  de  connoissance.  II  fut  fort  aise 
de  voir  M.  de  Turenne  ,  qui ,  outre  I'etroite 
amitie  qui  etoit  entre  eux  ,  faisoit  une  double 
perte,  vu  la  posture  en  laquelle  M.  de  Bouillon 
etoit  a  la  cour.  En  ces  derniers  temps,  il  s'etoit 
fait  encore  plus  particulierement  connoitre  pour 
6tre  tres-capable  degrandes  affaires,  et,  si  on 
peut  le  dire,  avoit  pris  une  maniere  d'agir  bien 
au-dessus  de  tons  les  autres ,  M.  le  cardinal 
Mazarin  ayant  une  particuliere  confiance  en 
lui ;  et  comme  le  ministre  avoit  un  grand  cre- 
dit sur  I'esprit  du  Roi  et  de  la  Reine  ,  ce  n'etoit 
que  par  son  raoyen  que  Ton  pouvoit  se  rendre 
considerable  a  la  cour.  M.  de  Bouillon  vecut 
jusqu'au  quatorzieme  jour  de  sa  maladie,  et 
mourut,  laissant  un  extreme  deplaisir  a  tons 
ceux  qui  aimoient  le  bien  de  I'Etat.  M.  de 
Turenne  en  futtouche  tres-sensiblement,  I'ayant 
toujours  aime  et  ayant  ete  aime  de  lui  tres- 
parfaitement. 

Dans  le  temps  que  M.  de  Turenne  etoit  a 
Pontoise  ,  on  apprit  que  I'armee  d'Espagne  s'e- 


»  Qu'il  eust  toujours  une  particuliere  correspondance 
avec  lesditssieursmarf'chaux,  el  que,  ses(?paiantd'eux, 
il  Icur  renvoyast  les  troupes  commandoes  par  le  sieur 
de  La  Salle,  y  compris  ce  que  comraande  le  sieur  mar- 
quis de  Bdthune,  pour  servir  avec  eux,  comme  avant 
qu'elles  I'eussent  joinct. 

»  A  quoy  Sa  Majesty  adjoustera  seulement  quelle 
cstimc  que,  lorsque  lesdits  mardchaux  seront  vers  la 


MEMOIRES    UU    VICOMTE    DE    TUflENNE.    [165*2] 


tolt  retiree ,  et  que  M.  de  Lorraine  etoit  de- 
meure  avec  le  renfort  que  les  Espagnols  lui 
avoient  laisse.  Comme  il  y  avoit  toujours  quel- 
que negociation  de  la  cour  avec  les  princes  et 
avec  le  parlement ,  on  fit  connoitre  que  si  M.  le 
cardinal  Mazarin  s'eloignoit ,  que  toutes  choses 
se  raccommoderoient.  En  faisant  proposer  cela 
de  la  part  des  princes ,  on  laissoit  entendre 
qu'il  pourroit  revenir  un  jour,  et  que  ce  n'etoit 
seulement  que  pour  montrer  au  public  que  Ton 
n'avoit  jamais  voulu  s'accommoder  sans  que  le 
ministre  sortit  de  France  ,  puisque  son  retour 
a  la  cour  etoit  le  pretexte  de  la  guerre.  M.  de 
Turenne  ,  a  qui  il  en  parla  fort  confldemment, 
ne  le  dissuada  point  de  la  pensee  qu'il  avoit 
d'aller  a  Sedan;  mais  il  lui  conseilla  toujours 
de  dire  que  c'etoit  pour  en  revenir.  M.  de  Tu- 
renne ne  vouloit  point  etre  dans  un  interet  que 
Ton  auroit  affoibli  en  le  desavouant.  II  savoit 
bien  d'ailleurs  que  beaucoup  de  gens  se  servi- 
roient  de  la  dissimulation  dont  la  cour  et  M.  le 
cardinal  voudroient  qu'on  usat ,  en  disant  qu'il 
ne  rcviendroit  point,  pour  travailler  plus  ou- 
vertement  a  empecher  tout  de  bou  qu'il  ne  re- 
vint  ;  et  hors  le  Roi  et  la  Reine  qui  desiroient 
son  retour,  il  y  en  avoit  fort  peu  dans  la  cour 
qui  ne  travaillassent  de  bon  cceur  a  I'emp^- 
cher. 

M.  le  cardinal  partit  de  Pontoise,  les  choses 
etant  disposees  de  la  facon  que  j'ai  dit ;  M.  de 
Turenne  et  M.  Le  Tellier  s'en  allerent  avec  lui 
jusqu'ou  etoit  I'armee ,  ou  il  prit  quelque  escorte 
pour  s'en  aller  vers  Sedan.  M.  Le  Tellier  retour- 
na  a  la  cour,  et  M.  de  Turenne  deraeura  a  I'ar- 
mee ,  qui  s'avanca  ensuite  vers  Dammartin , 
pour  se  mettre  entre  Paris  et  I'armee  de  M.  de 
Lorraine ;  lequel ,  en  I'absence  de  M.  le  cardinal , 
commenca  a  negocier  a  la  cour.  Quoiqu'elle  ne 
s'y  fiat  pas  entierement,  elle  ne  laissa  pas  d'e- 
couter  ses  propositions  ;  et  comme  il  falloit  que 
I'armee  ne  s'eloignat  pas  trop  de  Pontoise  ou 
etoit  la  cour,  a  cause  de  I'armee  des  princes 
qui  etoit  a  Paris,  elle  ne  raarcha  pas  vers  la 
Champagne  pour  pousser  M.  de  Lorraine  hors 
du  royaume ,  a  la  faveur  des  villes  que  Ton 
avoit  pour  soi ;  mais  M.  le  prince  ayant  envoye 
de  la  cavalerie  pour  faire  lever  le  siege  de  Mont- 
rond  ,  on  fit  partir  huit  escadrons  de  I'armee 


Brie,  il  faut  qu'ils  fassent  joindre  a  eux  les  trouppes 
eslant  soubs  la  charge  du  sieur  de  Montbas  et  celles 
venues  nouvcllement  d' Alsace,  estant  soubs  celle  du  sieur 
Biron,  suivant  les  ordres  qui  en  ont  cstO  adressOs  audit 
sieur  marc^clial  de  La  Ferte,  se  remettant  toujours ,  Sa 
Majesty,  sur  la  prudence  desdils  sieurs  mar^chaux,  de 
tout  ce  quelle  leur  pourroit  prcscrire. 
»  Faict  Ic  28  de  juillet  1652.  » 


MEMOIRES    UV    VlCOMTE    DE   TLBENKB.    [ll)5'i] 


du  Roi  pour  aller  trouver  M.  de  Palluau  qui 
etoit  devant  Montrond. 

Cependant  M.  de  Lorraine ,  qui  avoit  pro- 
rais  aux  Espagnols  de  se  joindre  a  I'armee  des 
princes  qui  etoit  a  Paris ,  faisoit  traitter  avec  la 
cour  (1) ,  afiii  qu'on  ne  fit  point  attention  aux 
mouvemens  de  son  armee.  Quoique  celle  du  Roi 
I'observat ,  neanmoins  les  assurances  qu'il  don- 
noit  d'un  accoranaodement  prompt  faisoient 
qu'on  nagissoit  pas  avec  tant  de  mefiance  ;  de 
sorte  qu'il  partit  des  environs  de  Chalons  et 
marcha  en  diligence  par  la  Brie  ,  pour  gagner 
la  riviere  de  Seine  entre  Corbeil  ot  Paris.  L'ar- 
mee  du  Roi  passa  la  Marne  a  Lagni,  et  quoique 
beaueoup  inferieure  a  celle  de  M.  de  Lorraine, 
on  vouloit  s'opposer  a  son  passage  vers  Paris. 
M.  de  Turenne  voulut  marcher  le  lendemain 
du  passage  de  la  Marne  ,  dans  la  pensee  que 
M.  de  Lorraine  s'avancoit  sans  en  avoir  de  cer- 
titude ;  mais  comme  on  se  relache  quelquefois, 
on  sejoarna  ce  jour-la,  et  le  lendemain  de  bon 
matin  on  trouva  M.  de  Lorraine  tout  proche  de 
Brie-Comte-Robert.  Si  on  eut  marche  le  jour 
precedent,  on  I'auroit  devance;  mais  les  avant- 
gardes  s'etant  trouvees  les  unes  pres  des  autres 
vers  Brie-Comte-Robert,  il  se  hata  de  gagner 
le  poste  de  Villeneuve,  oil  il  avoit  dessein  de 
se  raettre ,  afin  d'avoir  communication  avec 
Paris. 

M.  de  Turenne  ,  qui  etoit  a  I'avant-garde  , 
apres  avoir  un  pen  attendu  M.  le  mareehal  de 
LaFerle,  fut  d'avis  de  marcher  promptement 
pour  arriver  au  poste  de  Villeneuve  -  Saint- 
Georges  avant  M.  de  Lorraine.  En  effet ,  on  y 
marcha  avec  tant  de  diligence  que  Ton  arriva 
en  meme  temps  que  son  armee ;  mais  comme  il 
avoit  un  ruisseau  a  passer,  et  qu'il  vit  quelques 
escadrons  de  I'armee  du  Roi  sur  la  hauteur  de 
Villeneuve ,  il  demeura  de  I'autre  cote,  et  toute 
I'armee  du  Roi  arriva  le  soir  au  camp  de  Ville- 
neuve-Saint-Georges.  On  scut  dans  le  village 
qu'il  y  avoit  desbatteaux  qui  descendoient  vers 
Paris  ;  et  comme  il  etoit  d'une  consequence  ex- 
treme d'en  avoir,  ou  pour  faire  un  pont,  ou  pour 
passer  avec  des  troupes  au-dela  dc  I'eau,  M.  de 

(1)  Le  Roy  ^crivit  la  leltre  suivanfc  a  messieurs  les 
marcchaux  de  Turenne  et  de  La  Firl(5-Senneterrc , 
pour  leur  dire  de  laisser  relirer  le  due  de  Lorraine  avec 
son  armee  ,  dans  le  cas  oil  il  leur  donneroit  Tasseurance 
de  se  separer  de  Tinldret  des  princes. 

«  Mcs  cousins  ,  le  sicur  de  Joyeuse  Saint-Lambert 
s'en  aliynt  retrouver  mon  frere  le  due  de  Lorraine,  et 
I'ayant  charge  de  lui  faire  cognoislre  qu'en  se  s^parant 
avec  son  arm(5ede  I'interest  et  des  trouppes  des  princes, 
jelui  ferai  donner  seurete  pour  se  relirer  avec  les  sien- 
nes,  j'ai  bien  voullu  vous  le  faire  savoir  par  cctle  lettre, 
ctvousdire  qu'en  cas  que  ledit  sieur  de  Joyeuse  vous 


4  17 

Turenne  envoya  le  long  de  I'eau  et  les  fit  re- 
monter  avec  une  peine  extreme  vis-a-vis  de 
Viileneuve-Saint-Georges.  M.  le  prince  s'a- 
vanca  a  Charenton ,  croyant  que  M.  de  Lor- 
raine etoit  arrive  a  Villeneuve-Saint-Georges, 
suivant  qu'il  lui  avoit  raande  le  matin  en  par- 
tant  de  son  camp;  ayant  envoye  trois  ou  quatre 
de  ses  gens  qui  vinrent  se  jetter  dans  I'armee  du 
Roi,  croyant  que  c'etoit  celle  de  M.  de  Lorraine, 
il  reprit  toute  la  nuit  un  autre  chemin,  et  joi- 
gnit  avec  ses  troupes  M.  de  Lorraine  vis-a-vis 
d'Ablon.  M.  de  Turenne  et  M.  le  mareehal  de 
La  Ferte  ,  n'ayant  pu  empecher  cette  jonction  , 
resolurent  d'attendre  ,  dans  le  camp  de  Ville- 
neuve ,  le  parti  que  les  ennemis  prendroient, 
s'etant  assures  des  batteaux  ,  et  esperant  qu'en 
quelque  lieu  que  I'ennemi  se  mit,  ayant  un 
pont  sur  la  riviere ,  ils  Irouveroient  toujours 
quelque  expedient  de  se  mettre  en  bonne  pos- 
ture. La  chose  n'etoit  pas  sans  grande  difficulte  , 
mais  comme  on  etoit  si  pres  de  I'ennemi,  il  n'y 
avoit  rien  de  moins  sur  que  de  songer  a  une  re- 
traite.  Comme  M.  le  prince  et  M.  de  Lorraine 
se  furent  joints  ,  ils  marcherent  pour  prendre  le 
meme  chemin  qu'avoit  fait  M.  de  Turenne 
quand  il  avoit  oblige  M.  de  Lorraine  a  traitter. 
On  croyoit  ce  jour-la  qu'ils  attaqueroient  le  camp 
comme  on  I'avoit  cru  le  jour  de  leur  jonction. 
L'armee  du  Roi  n'avoit  que  vingt-huit  escadrons 
et  cinq  mille  hommes  de  pied  ;  les  ennemis 
avoient  quatre-vingts  escadrons  et  huit  mille 
fantassins.  Au  lieu  d'attaquer,  ils  vinrent  se  re- 
trancher  a  une  portee  de  canon  du  cote  de  la 
plaine  ,  et  songerent  a  affamer  I'armee  du  Roi 
et  a  empecher  les  fourages ,  ayant  laisse  dans 
Ablon  cent  cinquante  mousquetaires  pour  em- 
pecher la  communication  de  la  riviere.  lis 
croyoient  qu'en  veuant  se  logcr  si  pres  avec 
I'armee,  on  n'entreprendroit  pas  de  sortir  du 
camp  ni  de  les  attaquer.  Comme  on  ne  pouvoit 
pas  demeurer  dans  le  camp  sans  avoir  la  riviere 
libre,  on  resolut  d'aller  prendre  cos  cent  cin- 
quante mousquetaires.  L'on  partit  la  nuit ,  et 
a  la  pointe  du  jour  le  chateau  se  trouva  pris 
avant  que  I'armee  des  princes  put  etre  en  ba- 

donne  asseurance  de  cette  s(?paration  de  la  part  dudit 
due,  je  trouve  bon  et  desire  que  vous  le  laissiez  marcher 
avec  sonarm<!e,  sans  le  suivre  ni  rien  entreprendrecon- 
tre  lui  ni  ses  trouppes :  ce  qu'il  observera  de  sa  part  en- 
vers  les  miennes;  et  que  pour  faire  que  mon  cousin  le 
mareehal  de  L'Hospilaln'apporle  point  d'obstacle  deson 
costc  a  sa  marche,  je  vous  adressc  une  leltre  pour  lui 
pour  cette  fin,  laquelle  vous  lui  fcrez  tenir  avec  I'advis 
de  ce  que  vous  aurez  sceu  dudit  sieur  dc  Joyeuse;  a  quoi 
me  remettant,  je  ne  vous  ferai  la  pr^sente  plus  longue , 
que  pour  prierDieu qu'il  vous  ayt.mes  cousins,  en  sa 
saincte  et  digne  garde.  » 


}  ;s 


MEMOiUES    1)U    VICOMTE 


taille.  Si  die  etoit  dcmcuree  u  son  premier 
poste  eiitrc  Villciieuve  et  Corboil ,  il  est  certain 
(ju'au  bout  de  quatre  jours  il  auroit  fallu  que 
i'armee  du  Roi  se  retirat  en  grande  confusion 
vers  Lagni ,  ne  pouvant  avoir  de  pain  de  muni- 
tion que  par  la  commodite  de  la  riviere. 

Apres  que  le  pont  de  batteaux  tut  fait,  on 
travailla  encore  a  un  autre,  etant  impossible 
([ue  les  fourrageurs  se  servissentd'un  seul  pont : 
ct  comme  ce  lieu  avoit  ete  fort  mine  par  I'ar- 
mee do  M.  de  Lorraine  quelque  temps  aupara- 
vant ,  les  trois  ou  quatre  premiers  jours  que  les 
armees  etoient  en  presence,  tous  los  chevaux 
de  celle  du  Roi  ne  mangeoient  que  desfeuilles  de 
vigne;  de  soite  que  !M.  lo  prince  crut  qu'en  la 
serrant  de  pres  avee  le  nombre  de  cavalerie 
qu'il  avoit ,  il  seroit  impossible  que  Ton  put 
subsister  que  fort  peu  de  jours  dans  ce  poste.  II 
fit  aussi  deux  ponts  entre  Villeneuve  et  Charen- 
tou  ,  pour  empecher  les  fourrageurs  qui  alloient 
dans  le  Longboyeau  ;  mais  apres  avoir  bien  fait 
palissader  tous  nos  retranebemens,  on  envoyoit 
une  bonne  partie  de  la  cavalerie  au  fourrage,  qiii 
alloit  des  deux  cotes  de  la  riviere,  et  ainsi  les 
cnnemis  ne  pouvoientleur  dresser  d'embuscade 
sure.  On  envoya  M.  de  Vaubecourt  a  Corbeil 
avee  quelques  troupes,  lesquelles,  avee  d'autres 
qui  vinrent  de  Montrond,  faisoient  environ  deux 
mille  en  tout.  Corbeil  servit  ainsi  d'un  entre- 
pot pour  les  fourrageurs,  lesquels  apres  avoir 
charge  demeuroient  a  ce  village,  et  on  leur 
faisoit  scavoir  du  camp  de  quel  cote  de  la  riviere 
il  falloit  qu'ils  revinssent.  Comme  les  armees 
etoient  si  proclies  que  I'ou  vo^'oit  ce  qui  sortoit 
du  camp  de  I'cnnemi,  les  fourrageurs  de  I'ar- 
mee  du  Roi  partoient  la  nuit  et  demeuroient 
deux  jours  debors.  Les  troupes  logees  a  Corbeil 
leur  donnoient  toute  cette  facilite  ,  sans  quoi 
certainement  on  n'eiit  pas  pu  demeurer  dans  le 
camp;  on  fit  aussi  en  ce  temps- la  descendre 
quelques  batteaux  de  foin  ,  ce  qui  fit  demeurer 
cinq  semaines  dans  le  camp.  II  y  avoit  souvent 
des  escarmouches  entre  les  armees ,  mais  elles 
n'etoient  pas  considerables  ,  et  jamais  aucun 
convoi  des  fourrageurs  ne  fut  rencontre  par  les 
ennemis  ,  qui  etoient  tous  les  jours  dehors  avee 
une  partie  de  leur  cavalerie. 

A  la  fin,  les  chemins  devinrent  si  mauvais 
par  les  pluies  continuelles  ,  que  les  chevaux  ne 
pouvoient  plus  allerau  fourrage  si  loin;  desorte 
(pie  Ton  fut  oblige  de  songer  a  deloger.  On  avoit 
fait  faiie  beaucoiip  de  ponts  sur  la  riviere  qui 
etoit  au  bas  du  camp,  sur  le  cbemin  de  Corbeil 
oil  on  vouloit  se  retirer.  Au  commencement  de 
la  nuit ,  on  fit  marcher  tout  le  bagage  vers  Cor- 
beil ,  ct  trois  heures  .ipres  toute  I'armee  decampa 


DE    TLBENXE.    [lG.'>2j 

sans  que  I'ennemi  en  cut  connoissance  que  le 
lendemain  qu'on  arriva  a  Corbeil ,  oil  on  avoit 
fait  faire  quelques  redoutes  par  M.  de  Vaube- 
court, sur  une  hauteur,  pour  y  recevoir  I'armee 
quand  eile  arriveroit.  On  ne  sejourna  point  a 
Corbeil  qu'un  jour,  et  le  lendemain  on  marcha 
vers  la  Brie,  pour  ensuite  gagner  la  riviere  de 
Marne  au  dessus  de  Paris ,  et  tacher  d'aller  vers 
rOise  ,  la  cour  etant  a  Mantes  en  ce  temps-la. 

M.  le  prince  eloit  parti  de  son  camp  quelques 
jours  auparavant  la  marche  de  Tarmee  du  Roi , 
a  cause  d'un  ])eu  d'indisposition,  et  on  a  fort 
dit  que  sans  cela  il  I'auroit  attaquee  dans  sa  re- 
traite;  mais  il  est  certain  que  de  la  maniere 
qu'elle  selit,  on  ne  pouvoitpas  combattre  entre 
le  camp  et  Corbeil.  L'armee  du  Roi  marcha  en- 
suite  vers  Meaux,  et ,  passant  la  riviere  de  Mar- 
ne ,  alia  se  poster  aupres  de  Senlis.  Celle  des 
princes,  en  partant  de  Villeneuve-Saint-Georges, 
se  logea  entre  Paris  et  Dammartin  ;  et  certaine- 
ment les  diverses  negociations ,  et  meme  les 
passe-temps  de  Paris,  empecherentM.  le  prince 
de  prendre  bcaueoup  d'avantages  qu'il  n'auroit 
pas  negliges  en  une  autre  occasion.  Apres  quel- 
ques jours  d'indisposition  ,  il  resolut  de  partir 
avee  son  armee  et  celle  de  M.  de  Lorraine  des 
environs  de  Paris,  et  s'en  alia  sur  la  frontiere 
de  Champagne  :  M.  le  comte  de  Fuensaldagnc 
I'attendoit  avee  I'armee  d'Espagne  aupres  de 
Laon.  On  s'est  assez  etonne  de  ce  qu'il  quittoit 
Paris  si  aisement,  etant  certain  que  c'est  unfort 
grand  avantage  de  s'y  maintenir,  quand  on  est 
assez  malheureux  pour  faire  la  guerre  a  son 
Roi ;  mais  les  diverses  caballes  qui  n'alloient 
pas  a  son  but,  et  un  peu  de  manque  de  vue 
pour  les  choses  qui  devoient  suivre  son  depart, 
aussi  bien  que  les  esperances  qu'il  concevoit  de 
sajonction  avee  les  Espagnols,  I'obligerent  a 
quitter  Paris.  Une  autre  chose  y  convioit  fort 
M.  le  prince  :  touche  de  la  facon  dont  M.  d(^ 
Lorraine  vivoit  avee  son  armee ,  et  las  des  af- 
faires du  parlement,  il  desiroit  se  mettre  dans 
une  maniere  de  vivre  semblable  a  celle  de  M. 
de  Lorraine.  Ainsi  ils  mareherent  ensemble 
et  joignirent  M.  de  Fuensaldagnc  aupres  de 
Laon ;  comme  on  avoit  mis  cinq  cens  hommes 
de  I'armee  du  Roi  dans  La  Ferte-Milon,  ils  pas- 
serent  tout  aupres  sans  I'attaquer. 

L'armee  du  Roi,  qui  etoit  en  ce  temps-la  au- 
pres de  Senlis  ,  et  d'ou  Ton  avoit  envoye  de  I'in- 
fanterie  sous  M.  le  comte  d'Estrees  pour  semet- 
tie  dans  Laon,  ne  bougea  point  de  son  poste, 
attendant  la  resolution  des  ennemis  apres  leur 
jonction.  Comme  Paris  resta  un  pen  cbranle  par 
reloignementde  M.  le  prince,  quoiqucM.  d'Or- 
leansy  deiaeurast ,  la  cour  recevoit  divers  avis 


i 


MEMOinfiS    i)(i    VICOMTK    UK     It  :.I'.\M- 


l(io2i 


I  M> 


pour  sa  conduite,  selon  ies  diverses  vues  que 
ceux  qui  etoient  a  Paris  avoient ,  ou  pour  I'y 
fairealler  ou  pour  Ten  empecher  ;  Ies  courtisans 
etoient  meme  partages  sur  ce  sujet,  chacuu 
ayant  diverses  pensees :  ce  qui  seroit  trop  long 
a  deduire.  M.  de  Turenne  ayant  sou  I'etat  des 
choses,  fit  agreer  a  M.  le  marechal  de  La  Ferte 
de  demeurer  a  I'armee  ,  et  il  s'en  aila  a  la  cour , 
ou  la  Reine  lui  ayant  demande  a  son  arrivee 
son  sentiment ,  si  le  Roi  devoit  aller  a  Pa- 
ris, n'y  ayant  qu'elle  et  le  Roi  presens,il  lui 
conseilla  de  u'en  point  perdre  le  temps ;  et 
comme  il  avoit  laconnoissance  de  I'etat  de  I'ar- 
mee, et  du  peu  de  moyeiis  qu'il  y  avoit  d'avoir 
del'argent  pour  la  remettre  sansetrea  Paris,  il 
pressa  fort  cette  raison  qu'il  joiguit  a  bcaucoup 
tfautres  ,  qui  etoient  que  I'autorite  du  Roi  etoit 
si  diminuee  que  Ton  ne  vouloit  plus  le  recevoir 
en  aucune  grande  ville;  que  si  I'hiver  se  pas- 
soit  sans  aller  a  Paris ,  toute  la  France  se  soule- 
veroit;  que  le  Roi  n  ayant  plus  d'armee  ni  d'ar- 
gent ,  ni  de  quartiers  pour  en  remettre  une  sur 
pied,  ce  qu'il  avoit  ensemble  se  reduiioit  peu  a 
peu  a  rien,  Ies  officiers  quittant  tons  Ies  jours 
faute  de  subsistance.  Ces  raisons  persuaderent 
la  Reine,  de  sorte  que  la  cour  quitta  Mantes 
et  s'en  alia  coucher  a  Saint-Germain  ,  ou  Ton 
sejourna  trois  ou  quatre  jours,  durant  lequel 
temps  il  y  vint  des  deputes  de  la  bourgeoisie  de 
Paris  pour  supplier  le  Roi  d'y  venir.  M.  de 
Cbateauneuf  y  vintaussi,  mais  avec  une  diffe- 
rente  intention  5  car  il  vouloit  bien  que  le  Roi 
allat  a  Paris ,  mais  il  souhaitoit  qu'on  y  laissat 
Monsieur  ,  qui  soutenoit  la  caballe  opposee  au 
retour  de  M.  le  cardinal ,  et  qui  ne  vouloit  se 
raccommoder  avec  la  cour  qu'a  condition  que 
le  ministren'y  revint  plus.  M,  de  Cbateauneuf 
pretendoit  que  le  Roi  ne  verroit  point  Gaston 
Ies  premiers  jours ;  mais  qu'apres  tons  Ies  in- 
teressesaempecber  le  retour  de  M.  le  cardinal, 
unis  en  cela  seul  et  separes  d'ailleurs  en  tout, 
s'accorderoient  ensemble  a  supplier  le  Roi  de  ne 
point  faire  revenir  M.  le  cardinal ,  et  ne  deman- 
deroient  autre  grace  que  celle-la.  Le  Roi  et  la 
Reine  envoyerent  en  ce  temps-la  M.  d'Aligre  a 
Paris;  mais  il  s'en  revint  a  Saint-Germain ,  sans 
avoir  rien  recu  de  positif  sur  la  negociation. 

M.  de  Turenne  et  M.  Le  Tellier  etoient  alors 
ceux  a  qui  la  Reine  avoit  le  plus  de  confiance  : 
ilsfurent  d'avis  de  continuer  la  resolution  d'aller 
a  Paris,  sans  scavoir  celle  que  Monsieur  pren- 
droit.  On  lui  envoya  une  personne  de  confiance, 
pour  lui  dire  que  le  Roi  etoit  en  chemin  et  qu"il 
arriveroit  le  soir  a  Paris;  cet  envoye  revint,  et 
trouva  le  Roi  et  la  Reine  entre  Saint-Cloud  et  le 
bois  de  Roulognc,  et  rapporta  que  Monsieur  ne 

III.  C.    U.    M.,  T.   Ill 


prenoit  aucune  resolution  que  celle  de  demeurer 
a  Paris.  Sur  cela  on  fit  arreter  le  carrosse  de  la 
Reine,  laquelle  etant  avec  le  Roi  fit  sortir  Ies 
femmes  qui  etoient  dans  son  carrosse,  etcom- 
mandaatrois  ou  quatre  pcrsonnes  qui  etoient 
la  de  s'approcher  pour  dire  leur  avis.  Ceux  qui 
s'y  rencontr^rent  furent  le  prince  Tbomas  , 
M.  le  marecbal  de  Villeroi,  M.  le  marecbal  Du 
Plessis  et  M.  de  Turenne,  lequel  fut  d'avis  de 
continuer  son  cbemin,  et  que  le  Roi  et  la  Reine 
allassent  ensemble  jusqu'a  la  Croix  du  Tiroir; 
que  de  la  la  Reine  s'en  iroit  au  Louvre  et  le 
Roi  droit  au  Luxembourg,  ou  etoit  Monsieur 
pour  le  convier  de  venir  ou  I'emmener  meme 
avec  lui  au  Louvre,  etant  certain  que  Monsieur 
n'attendroit  point  cela  et  qu'il  s'en  iroit,  qui 
est  ce  qu'on  demandoit.  II  eiit  etc  fort  dange- 
reux  de  laisser  Monsieur  au  Luxembourg  ;  car 
au  bout  de  deux  jonrs,  Ies  rejouissances  qui  ar- 
rivent  aux  entrees  du  Roi  etant  passees,  Ies 
cboses  eussent  change  de  face,  et  il  cut  ete 
hors  du  pouvoir  du  Roi  de  faire  sortir  Monsieur 
de  Paris,  et  principalement  ayant  pour  lui  le 
pretextespecieux  de  n'avoir  rien  a  demander, 
si  ce  n'etoit  que  M.  le  cardinal  ne  revint  plus 
a  la  cour.  C'est  ce  qui  obligeoit  IVr.  de  Turenne 
a  conseiller  qu'il  falloit  se  servir  de  I'entree  du 
Roi  a  Paris  pour  en  faire  sortir  Monsieur. 

On  partit  d'aupres  du  bois  de  Boulogne  en 
cette  resolution  ;  le  Roi  monta  a  cheval  pour 
faire  son  entree  a  Paris  ,  et  manda  a  Monsieur, 
par  M.  Damville,  ce  qui  avoit  ete  resolu  ;  lequel, 
apprenant  que  le  Roi  dans  une  demie  beure 
alloit  y  entier,  I'envoya  supplier  de  trouvei- 
bon  qu'il  y  demeurat  encore  cette  nuit-la  ,  et 
que  le  lendemain  il  partiroit  de  bon  matin. 
M.  Damville  vint  retrouver  le  Roi  comme  il 
marcboit  et  etoit  pret  d'entrer  au  faubourg; 
de  sorte  que ,  dans  cette  assurance  du  depart  de 
Monsieur  le  lendemain,  il  s'en  alia  au  Louvre, 
ou  M.  le  cardinal  de  Retz  et  tout  ce  qu'il  y  avoit 
de  gens  de  qualite  a  Paris  I'attendoient,  pen- 
dant qu'une  foule  incroyable  de  peuple  mar- 
cboit au-devant  de  lui. 

Dans  le  temps  que  M.  de  Turenne  demeura 
a  Paris,  qui  ne  fut  que  cinq  ou  six  jours,  il 
vit  M.  le  cardinal  de  Retz,  qui  lui  temoigna 
soubaitter  de  se  raccommoder  avec  M.  le  cardi- 
nal ,  et  lui  paria  du  mariage  de  mademoiselle 
de  Retz  avec  son  neveu,  le  priant  meme  de  le 
faire  scavoir  a  M.  le  cardinal ,  et  I'assurant  qu'il 
le  prendroit  pour  temoin  dans  toutes  Ies  circoii- 
stances  de  cette  liaison.  M.  de  Turenne,  qui  sca- 
voit  bien  que  de  s'entremettre  d'une  affaire 
comme  celle-la  ,  lui  etoit  assez  inutile,  et  qu'il 
lui  en  pouvoit  bien  plus  aiscment  arriver  de 


460 

I'embarras  que  quelque  fruit  considerable,  dit 
a  M.  le  cardinal  de  Retz  qu'il  feroit  avertir 
M.  le  cardinal,  qui  etoit  a  Sedan  ,  bien  exacte- 
raent  de  tout  ce  quil  lui  avoit  dit ,  et  que  s'il 
y  avoit  une  reponse  positive,  qu'il  la  lui  feroit 
bientot  scavoir;  mais  que  s'il  n'avoit  point 
promptement  de  ses  nouvelles,  qu"il  ne  fit  aucun 
fondement  sur  cette  negociation,  et  qu'il  prit 
ses  mesures  comme  n'attendant  aucune  reponse 
par  lui. 

M.  de  Turenne  etoit  persuade  que  M.  le  car- 
dinal de  Retz  vouloit  s'accommoder  tout  debon 
en  ce  temps-la  ,  et  ne  doutoit  point  que  si  une 
personne  de  grande  creance  en  eiit  voulu  faire 
son  affaire ,  qu'il  n'eiit  pu  y  reussir;  mais  M.  de 
Turenne  partit  peu  de  jours  apres  de  Paris,  et 
M.  le  cardinal  de  Retz  n'ayant  personne  de  la 
cour  a  qui  11  se  fiat ,  ni  qui  se  fiat  a  lui ,  en  se 
donna  tant  de  soupcon  de  part  et  d'autre  que 
les  mesures ,  au  bout  de  deux  ou  trois  mois  , 
furent  prises  de  I'arreter  :  ce  qu'on  fit  un  jour 
qu'il  vint  au  Louvre  ,  ou  il  n'entroit  qu'avec 
grande  mefiance  depuis  quelque  temps.  M.  de 
Turenne,  ayant  envoye  M.  de  Varennes  trouver 
M.  le  cardinal ,  lui  fit  dire  tout  ce  qui  s'etoit 
passe  entre  lui  et  M.  le  cardinal  de  Retz ,  dont 
il  n'eut  aucune  reponse,  de  sorte  qui!  ne  se 
mela  plus  du  tout  de  cette  negociation.  II  partit 
de  Paris  et  alia  rejoindre  larraee  aupres  de 
Seulis,  apres  avoir  dit  auRoi  qu'il  esperoit  em- 
p^cber  que  les  ennemis  oe  prissent  leurs  quar- 
tiers  d'hiver  en  France. 

Les  ennemis  etoient  aupres  de  Laon ,  d^oii  ils 
partirent  en  grande  diligence  et  allerent  in- 
vestir  Rhetel,dans  lequel  il  y  avoit  peu  de  gens: 
la  ville  fut  prise  en  peu  de  jours.  Toutes  les 
armees  des  ennemis  jointes  ensemble  montoient 
bien  a  vingt-cinq  raille  hommes ;  celle  du  Roi 
ne  passoit  pas  dix  mille.  Eile  marcha  le  long 
de  la  Marne,  et  approchant  de  Chalons  on  ap- 
prit  que  les  ennemis,  apres  la  prise  de  Rbe- 
tel ,  avoient  assiege  Sainte  -  Menebould  ,  dans 
lequel  aussi  il  se  trouva  peu  de  gens;  mais  ils 
firent  une  bonne  resistance.  Quand  on  en  scut 
la  prise ,  I'armee  du  Roi  etoit  aupres  de  Vitri 
et  n'osoit  pas  s'approcher  de  trop  pres  de  celle 
des  ennemis,  qui  de  Sainle-Menebould  mar- 


MEMOlRtS    DU    VICOMTF.    DK   TL'RE.NNE.    [lG52] 


cherent  a  Bar-le-Doc  ,  ou  M.  de  Turenne  avoit 
jete  six  cens  bommes  de  pied,  et  selon  qu'il 
connoissoit  la  situation  de  la  vllle  et  du  chateau, 
il  falloit  qu'une  armee  se  separat  pour  I'atta- 
quer  ;  de  sorte  qu'il  resolut  de  marcher  au  se- 
cours,  quoiqu'il  criit  que  toute  I'armee  d'Espa- 
gne  y  etoit  avec  M.  le  prince  :  elle  etoit  nean- 
moins  partie  de  Saiote-Menehould  i^,  avoit 
passe  la  Meuse  et  s'etoit  retiree  dans  le  Luxem- 
bourg. M.  de  Turenne,  qui  etoit  aupres  de 
Vitri  quand  I'armee  du  prince  alia  devant  Bar, 
marcha  toute  la  nuit  droit  a  Saint-Dlsier ,  d'oii 
il  vouloit  partir  apres  avoir  un  peu  fait  reposer 
les  troupes ,  pour  aller  secourir  Bar,  qui  n'en 
est  qu'a  trois  lieues;  mais  il  apprit  que  la  basse 
ville  ayant  ete  surprise,  le  chateau  s'etoit  rendu 
en  vingt-quatre  heures.  II  est  certain  que  M.  le 
prince  entreprit  ce  siege-la  n'y  ayant  pas  beau- 
coup  songe,  et  on  n'a  point  vu  d'action  ou  il 
ait  commis  I'armee  avec  si  peu  d'egard  comrae 
en  celle-la ,  etant  tres-constant  que  si  le  siege 
eiit  dure,  comrae  il  le  devoit  selon  toutes  les 
apparences,  il  ne  pouvoit  pas  sauver  son  canon, 
et  il  est  fort  vraisemblable  que  son  armee  ne  se 
fut  pas  retiree  bien  aisement. 

M.  de  Turenne ,  ayant  appris  la  prise  de  Bar 
et  que  I'armee  d'Espagne  n'etoit  plus  avec  M.  le 
prince ,  resolut  de  s'approcher  de  lui  et  de  le 
combattre  au  premier  lieu  ou  il  en  trouveroit 
I'occasion.  Ainsi  il  marcha  a  Vaucouleurs ,  afin 
de  se  trouver  du  meme  cote  de  la  riviere  de 
Meuse  que  M.  le  prince  ,  qui ,  apres  avoir  pris 
le  chateau  de  Void ,  s'approcha  de  Toul.  II  y 
avoit  quelques  jours  que  M.  d'Elbeuf  avoit  joint 
I'armee  du  Roi  avec  deux  mille  hommes  des 
troupes  de  Picardie  ou  de  nouvelles  levees: 
avec  ce  renfort  I'armee  marcha  a  Vaucouleurs, 
ou  elle  passa  la  ^i^iere  de  Meuse,  afin  d'etre  du 
meme  cote  qu'etoit  M.  le  prince;  et  le  lende- 
raain  matin  on  marcha  vers  Void ,  d'ou  ayant 
deloge  des  la  nuit ,  le  prince  se  retira  a  Com- 
merci,  qui  etoit  un  lieu  dont  il  s'etoit  saisi  et 
oil  il  y  a  deux  bons  chateaux.  Mais  ayant  scu 
que  I'armee  du  Roi  continuoit  sa  marche  apres 
lui,  il  y  laissa  garm'son  et  se  retira  le  long  de 
la  Meuse  a  Saint-Mihel,  grande  ville  dont  les 
murailles  etoient  a  demi-demolies.  II  t^cha  de 


(1)  Le  Roy  ^crivit  a  Messieurs  les  marechauxde  Tu- 
renne et  La  Ferl(?  Sennelerre.  la  leUre  saivante,  «  au  su- 
jtl  fles  iiicendics  que  font  les  ennemis  des  villages 
voisins  de  Sainclc-Mcnnehoud.  » 

B  Du  23  ddiembrc  1652 

u  Mes  cousins,  ayant  sreu  que  les  Irouppes  de  rarm(''C 
ennemie.  commandec  par  Ic  prince  de  Conde,  onl  brusle 
plusieurs  villages  des  environs  do  Saincte-Mennehoud, 
el  entre  autres  de  ceux  quiapparlicnnenl  au  sicurcomtc 


I  de  Vaubecourt,  je  vous  faicts  celle  leltre  pour  vous  dire 

I  que  vous  aycz  a  faire  entendre  audit  prince  dc  Conde, 

I  par  un  trompettc,  que  si  lesditcs   Irouppes  bruslent 

I  dans  mon  royaumc,  qui  est  une  maniere  dc  faire  la 

I  guerre  nonpratiquee  jusqu'a  present  par  les  Espagnols , 

;  jay  resoiu  de  faire  user  des  mesmes  voyes  contre  les 

biensduilit  prince  de  Conde,  el  dans  les  lieux  qui  luy 

appartieiinenl  el  a  vcui  <lc  son  party,  silues  dans  mon 

royaumc;  sur  quoy  vous  me  ferez  scavoir  ce  qu'il  vous 

aura  repondu  ,  et  la  prcsente,  etc. » 


MKMOir.ES    DU    VICOMTE    1)E    TliREN.\E. 


1653 


4.51 


trouver  quelque  lieu  propre  a  se  poster ;  raais 
comme  il  n'avoit  pas  beaueoup  d'infanterie,  et 
qu'on  ne  lui  donna  pas  le  temps  de  se  retran- 
cher,  il  fut  oblige  de  se  retirer  jusqu'a  Damvii- 
ler,  qui  est  une  place  qu'il  tenoit  a  la  fiontiere 
de  Luxembourg,  ayant  laisse  de  son  infanterie 
dans  Bar-le-Duc,  dans  Ligni ,  dans  Void  et  dans 
Coramerci ,  qui  tiennent  tout  un  canton  de 
pays.  A  la  faveur  de  ces  places,  il  pensoit  y  faire 
hiverner  son  armce,  ou,  si  Ton  en  attaquoit 
une,  que  se  mettant  a  convert  d'une  autre,  il 
incommoderoit  fort  les  assiegeans,  a  cause  de 
I'hiver  dans  lequel  on  eloit  entre.  Mais  M.  de 
Turenne,  qui  voyoit  bien  par  lespetites  places 
qu'il  prenoit,  et  ou  il  mettoit  des  gens,  quelle 
doit  son  intention,  marcha  toujours  droit  a  lui, 
laissant  les  places  sans  les  attaquer ,  et  ainsi , 
en  cinq  ou  six  jours  de  temps ,  il  Tobligea  de  se 
retirer  dans  le  pays  de  Luxembourg. 

M.  le  marechal  de  La  Ferte  (1)  arriva  en  ce 
temps-la  de  Nanci  a  Saint-lMihel :  cette  marche, 
rompant  a  M.  le  prince  toutes  ses  mesures,  lui 
fit  perdre  Tesperance  d'hiverner  ni  en  Champa- 
gne, ni  sur  les  frontieres  de  Lorraine.  Ayant 
separe  sa  cavalerie  et  sou  infanterie  de  tons  les 
corps  qu'il  avoit  laisses  dans  les  places,  il  ne  les 
put  rejoindre ,  et  une  partie  de  cette  infanterie 
fut  prise  pendant  Thiver  a  discretion. 

De  Saint- iMihel  on  marcha  devant  Ligni  et 
-levant  Bar,  ou  arriva  M.  le  cardinal  Mazarin , 
qui  avoit  toujours  demeure  a  Sedan  depuis  son 
depart  de  Pontoise.  Ou  laissa  quelque  infanterie 
pour  attaquer  Ligni;  et  ayant  emporte  la  basse- 
ville  de  Bar  par  assaut,  le  siege  dura  dix  ou  douze 
jours  a  la  haute  ville  et  au  chateau.  M.  le  prince 
\int  avec  quelque  cavalerie  jusqu'a  Vaubecourt; 
mais  comme  il  scut  qu'on  marclioit  a  lui ,  il  se 
retira  a  Damviller.  x\pres  sept  ou  huit  jours  de 
siege  et  d'une  fort  bonne  defense,  Bar  et  Ligni 
se  rendirent  a  discretion,  avec  sept  ou  huit  re- 
'  gimens  qu'il  y  avoit  dans  ces  deux  lieux.  De  la 
j  I'armee  marcha  vers  Sainte-Menebould;  mais 
la  rigueur  de  la  saison  et  le  nombre  d'hommes 
^  (lu'il  y  avoit  dans  cette  place  empecherent 
qu'on  ne  I'assiegeat ;  la  gelee  etoitsi  forte  qu'il 


(1)  Voycz  les  Memoires  de  M.  Ic  due  dYorck,  dans 
cc  volume  ,  a  la  suile  de  coux  de  Turcnnc. 

(2)  Nous  avons  donnc?,  dans  reditioii  des  Memoires  de 
ce  cardinal ,  les  ordrcs  du  Roy  ,  Perils  de  sa  main  ,  pour 
s'emparer  de  la  personne  du  coadjuteur  ,  mort  ou 
vif,  en  cas  de  r(?sislance  de  sa  pari.  (  Page  415  de  notrc 
(5diUon,  tome  I"  de  la  3«  scric  de  la  Collection  de  MM.  Mi- 
chaud  et  Poujoulat.  ) 

(3)  Turenne  ne  parle  pas,  dans  ses  ML^moircs,  du  m^- 
contentement  qui!  diit  ^prouver,  si  on  en  croit  lacorres- 
pondancc  suivanlo,  pour  n'avoir  pas  ct**  informed  dc  I'ar- 
reslalion  liu  caniinal  de  Ret/.. 


y  mourut  beaueoup  de  soldats  de  froid  en  raar- 
chant.  La  meme  saison  obligea  a  ne  point  assie- 
ger  Bhetel,  etant  impossible  de  travailler  a  la 
terre  :  d'ailleurs  I'armee  de  M.  le  prince,  qui 
s'etoit  jointe  au  corps  que  les  Espagnols  avoient 
ramene  quand  il  alia  assieger  Bar,  empecha 
aussi  que  Ton  ne  fit  ce  siege ,  parce  q?.  •  les  en- 
nemis,  qui  tcnoient  Chateau-Portien,  auroient 
pu  facilement  secourir  la  place.  Pour  ne  pas 
faire  un  si  grand  siege ,  on  alia  faire  ce  vu  de 
Chateau-Portien,  qui  dura  six  ou  sept  jours, 
que  lesassieges  deraanderent  pour  avertir  M.  le 
prince  s'il  les  vouloit  secourir;  le  prince,  qui 
etoit  loge  avec  toute  son  armee  et  celle  d'Es- 
pagne  a  Aubenton  et  Rumigni,  qui  n'en  est  eloi- 
gne  que  de  six  ou  sept  lieues,  tint  conseil  la- 
dessus  et  resolut  enfin  de  ne  pas  marcher,  de 
sorte  que  Chateau-Portien  se  rendit.  On  de- 
meura  presque  toutes  les  r.uits  du  siege  a  la 
campagne  avec  toute  I'armee,  par  ies  plus 
grands  froids  qu'il  est  possible  d'endurer. 

L'armeedes  ennemis  scachant  la  prise  de  Cha- 
teau-Portien, marcha  a  Vervins,  qu'ilsprirent, 
n'y  ayant  que  trente  bommes  de  garnison.  L'ar- 
mee  du  Pioi  marcha  droit  a  Marie ,  et  de  la  p 
Vervins,  ou  les  ennemis  n'ayaut  laisse  qu'un 
regiment  d'infanterie  et  un  de  cavalerie,  la 
place  se  rendit  en  douze  beures;  les  ennemis  se 
retirerent  dans  Icur  pays ,  et  on  donna  des 
quarters  a  I'armee  du  Roi  dans  toutes  les  pro- 
vinces. 

[1G53]  M.  le  cardinal  Mazarin, qui  etoit  venu 
a  I'armee  au  commencement  du  siege  de  Bar,  ne 
quitta  point  I'armee  que  le  siege  de  Vervins  ne 
fut  fini ,  vers  la  fin  de  fevrier;  apres  quoi  il  s'en 
retourna  a  Paris ,  ou  I'autorite  du  Roi  etoit  af- 
fermie  depuis  sonretour.  La  prise  de  M.  le  car- 
dinal de  Retz  (2) ,  qui  fut  arrete  durant  I'hiver 
et  en  I'absence  de  M.  le  cardinal  Mazarin  ^3) , 
avec  sa  participation,  et  conformement  a  ses 
ordres,  n'avoit  cause  nulle  emotion  :  il  etoit  en 
prison  dans  le  chateau  de  Vincennes.  11  ne  se 
fit  nul  changement  considerable  a  la  cour  pen- 
dant I'hiver;  on  euvoya  une  partie  dc  I'armee 
dans  les  provinces,  et  il  demeura  peu  de  troupes 

An  pere  Arnolfiny  a  Cambray. 

«  Paris,  18 Janvier  1G53. 

»  Le  mareschal  de  Turenne  est  mal  salisfait  de  M.  le 
cardinal,  ence  quil  n'a  point  cu  de  part  au  secret  de 
lemprisonnemcnt  du  cardinal  de  Rctz,  quon  avoit  con- 
fix a  31.  d'Elbeuf  ct  au  mareschal  de  La  FeTl6,  aflln  de 
faire  advancer  les  troupes  du  costd  de  Paris  en  cas  de 
ndcessite;  et  rest  ce  qui  a  empesche  qu'on  n'ait  este 
droit  a  M.  le  Prince  av.int  la  joiiction  de  vos  troupes. 

»  L'abbe  Fouquel  cslde  retour  depuis  troisjonrs  d'au- 

2!). 


\f>'2 


\:r.\i<)llUS     Dli     \!<OMTK     1)F.    TlliK:-.Mi. 


IG^ 


snr  les  iVontieres ;  el  conime  on  ctoit  rent  re  fort 
tard  dans  les  quartiers  d'hiver,  tant  du  cote  des 
Espagnols  que  de  celui  du  Roi ,  on  ne  se  mit 

pres  de  son  Eminence;  on  apprendra  par  lui  la  resolution 
de  M.  le  cardinal  pour  leslablissement  d'un  conscil  de 
linances  dont  Servien  et  le  procurcur-g^nc^ral  pr(}- 
tondcnl  cstre  les  chefs,  et  Bourdeaux  et  M(^nardeaii 
nouveaux  dirccleurs.  Cette  r('"sohilion  de  M.  le  cardinal 
pouiroit  bien  clianfier  aussibien  quecelle  d'estieici  lun- 
ili  ou  mardi ,  que  I'on  ne  cioit  pas  pouvoir  estre  de 
(luinzc  jours ,  pose  le  cas  qu'il  y  vienne  .  ayant  lentc  de 
lairc  sortir  le  lloy  de  Paris  il  n'y  a  pas  bien  long-temps; 
a  quoi  il  n'a  ]ias  trouve  toute  la  complaisance  et  la  dis- 
position possible  ;  et  il  pr(5voit  bien  que  les  esprits  Gom- 
inencent  a  se  recLaiill'er  ,  que  les  rentes  luiseroienl  une 
pierre  d'achopjiement.  !l  n'a  encore  rien  decide  pour  le 
fait  de  la  surintendance.  On  recbcrclie  ici  fort  (Iroissy, 
pour  Tarresler,  et  mesmc  une  lettre  qu'il  cscrivoit  a 
IJoideaux  a  este  interceptec,  par  laquelle  on  le  prc^tcnd 
fort  criminel. 

»  Le  parlcment  veut  s'assembler  toiichant  les  con- 
freres exiles,  mais  on  Icur  promet  leur  letour  bien- 
tost.  » 

On  voit  aussi  ,  par  cette  Icltre  ,  que  si  le  cardinal  de 
Rctz  fut  arrete  en  I'absencc  de  Mazarin  ,  ce  ne  fut  pas 
sans  son  ordre,  puisque  trois  jours  avant  I'arreslationdc 
Rctz  ,  I'abb^  Fouquet  revenait  d'aupresdu  cardinal  mi- 
nistre. 

(1)  Turenne,  dansses  M(?moires,nous  raconte  les  prc- 
paratifs  de  la  cour  pour  s'opposer  au  prince  de  Condc^, 
et  les  Icttres  suivantes  pcuven!  servir  a  donner  une  id^e 
de  la  position reelle  du  prince  et  de  I'elat  de  son  parti, 
soit  en  Flandrc ,  soil  a  Bordeaux. 

A  Monsieur  Lenet. 

((  S.  A.  ne  ressent  plus  aucune  incommodil^  de  scs 
douleurs  passees ;  je  croy  que  les  eaues  de  Spa  ,  dont 
elle  se  sert,  tons  les  jours,  font  un  bon  effect.  IVos  aflai- 
res ,  pour  la  campagnc  ,  s'advancenl  fort  par  do(;a.  S.  A. 
part  lundi  procliain  de  Bruxelles  pour  aller  a  Anvcrs. 
Si  enire  cy  etle  procliain  ordinaire  il  y  a  ici  quelqiie 
chose  de  nouvcau,  je  ne  manquerai  de  vous  le  mander, 
estant  la  personnc  du  monde  qui  aime  le  plus  voslre  sa- 
tisfaction et  a  contenter  vostre  curiosit(?. 

»  Tenez-moi  lousjours,  s'il  vous  plaisi,  dans  rhonncnr 
de  vos  bonnes  graces. 

»  Bruxelles  ,  le  20  mai  1G.') !. 

»  Caillet. 

»M.  TArchiduc  donne  le  bal  demain.  on  mouse  igneur 
le  prince  et  lout  ce  qu'il  y  a  de  beau  nionde  assislera  ; 
on  n'est  pourtanl  pas  bien  asseure  que  les  i)rincesses  et 
grandesd'Espagne,  qui  sont  iti ,  s'y  tronvent .  a  cause 
(!es  rangs  qu'elles  se  dispulent  les  uuos  aux  autres;  ce 
qui  est  cause  (|ue  S.  A.  n'en  a  pas  encore  invito  une 
seule ,  la  pluspart  des  piiucessrs  s'estant  mis  dans  la 
teste  que  les  visitesde  S.  A.  regleroient  leurs  rangs;  ce 
que  S.  A.  n'a  pas  voulu  decider.  » 

Lctlre  de  Son  Altesse  a  Monsieur  Lcnet . 

«  J'ai  rcru,  par  le  dernier  ordinaire,  les  duplicata  et 
triplicala  de  vos  despesches  du  premier  de  ce  mois ,  ei 
telles  que  vous  m'a\ez  escrilcs  du  8  et  du  15  ,  sur  les- 
quelles  je  n'ay  rien  a  respondre  ,  vous  ayant  mande  par 
nies  pr(^C(^dcntes  tout  ce  que  je  pourrois  vous  dire  par 
celie-ci.  Seuliinent  vous  dirai-je  re  que  je  vous  ay  desja 


en  eampaiiiie  qu'assez  avant  dans  le  mois  de 
Jnin.  M.  le  prince  tenoit(l)  Saitite-Menehouid  et 
Rhetel  sur  la  riviere  d'Aisne  ,  qui  sont  des  pos- 

faict  sgavoir  par  deux  ou  trois  fois ,  el  a  madame  de 
Tourville,  en  responce  a  sa  premiere  lettre,  quelles  es- 
toientmes  intentions  sur  la  reformation  des  maisons  de 
ma  femme  et  de  mon  CIs ,  vous  ayanl  remisa  vous  et  a 
elle  le  pouvoir  d'enretrancher  lous  ceux  dont  vous  croi- 
riez  qu'on  se  pourroit  passer ;  de  quoi  je  vous  laisse  en- 
core une  entiere  disposition.  Je  vous  mandois  aussi  que 
le  pourvoi  eiit  estd  inutile ,  et  qu'il  falloit  s'en  passer 
commeje  fais,  de  quoi  je  trouve  ma  despence  grande- 
ment  diminu6c.  Pour  le  regard  de  mon  fils,  je  suis 
d'advis  qu'il  soitlogeavec  ma  femme  et  que  vous  gardicz 
aupres  de  lui  ceux  que  vous  me  marquez ,  mon  inten- 
tion estant,  conime  je  vous  I'ay  desja  escrit,  que  Lafon- 
taine  continue  a  dcmeurer  aupres  de  lui  avec  rassiduit(5 
qu'il  a  fait  jusques  a  cette  heure  ,  el  que  jM.  d'Auteuil . 
tant  qu'il  y  sera  ,  fusse  simplement  sa  charge  sans  entre- 
prendre  de  se  rendre  maistre  de  la  maison  de  mon  fils . 
dont  je  veux  que  ma  femme  soit  seule  la  maislresse.  Et 
bien  que  j'aie  dansl'esprit  de  me  delTaire  de  M.  d'Au- 
teuil. je  no  puis  neanlmoins  gouster  I'expedient  que  vous 
m'en  donncz  ,  ni  ayant  point  d'apparencc  que  soubs  pre- 
texle  de  la  reformation  d'une  maison  ,  Ion  commence 
par  le  principal  dorr.eslique  ,  qui  seroit  le  traitter  avec 
un  peu  trop  d'infainie  :  il  faut  trouver  un  moycn  un 
peu  plus  lioiinorable.  Je  croy  qu'il  seroit  bon  de  I'en- 
voyer  en  queique  ncgociation,  ou  du  cosle  de  Paris  oa 
bien  ailleurs,  dont  le  pretexiefustquelquesn^gociations; 
car  estant  une  fois  esloisne,  il  sera  bien  plus  facile  d'em- 
pescher  son  retour  aupres  de  mon  fils,  etc'est  un  moyen 
qu'il  vaut  bien  mieux  tenir  que  de  le  chasser  honteuse- 
menl;  alors  je  serai  bien  aise  que  M.  de  Marchin  en 
jirenne  soing  de  temps  en  temps,  s'il  me  veut  faire  ce 
piaisir  ,  sans  que  cela  le  destourne  de  son  application  et 
de  scs  soings  pour  la  guerre  ,  pour  laquelle  j'ai  toute 
creancc  et  toute  confiance  en  lui. 

»  D^sabuzez-vous  encore  une  fois  de  Tcsp^rance  que 
vous  avez  en  ceste  escadre  de  Dunquerque  ,  ne  consis- 
tanlen  tout  qu'en  quatre  fregallcs  dont  je  vous  ay  desja 
escrit. 

»  Je  vous  envoie  le  billet  de  crcance  pour  Yilars;  je 
vous  envoie  aussi  une  seconde  letlre  de  M.  le  president 
de  Gourgues,  aquije  vous  prie  do  faire  compliment  dc 
ma  part .  estant  bien  fasche  du  mauvais  traictementdu- 
quel  il  sc  plaint;  il  faut  que  M.  de  JSIarchin  el  vous  le 
menagiez  ,  en  sorte  que  la  paix  venanl  a  sc  faire,  ce  ne 
soit  pas  une  personne  irreronciliable. 

»  L'on  m'a  escrit  de  Paris  qu'un  nommcLa  Clayetie 
avoit  este  envoye  de  Guycnne  a  la  cour  parM.  de  Mar- 
cliin  ,  et  qu'il  nc^gocioit  queique  chose  de  sa  pari;  vous 
jiouvez  croire  si  je  suis  aisd  a  persuader  la  dcssus,  et 
vous  vous  imaginez  bien  de  quelle  sorle  j'ai  refu  un  ad- 
vis  de  cette  nature.  Je  vous  prie  de  le  dire  a  M.  de 
Marchin  et  de  I'asseurer  que  tcl  bruicl  ne  sera  capable 
de  me  donner  le  nioiiidre  ombragc  de  lui.  Si  neanl- 
moins La  Clayelte,  ou  quelqu'autre,  avoit  este  despeche 
veis  Paris,  je  serois  bien  aise  d'en  scavoir  le  subject  , 
aflin  de  pouvoir  plus  asscurement  respondre  a  tons  ceux 
qui  sc  mesleroient  dc  faire  courir  de  si  faux  et  de  si  nom- 
breux  bruicls. 

))1I  ne  me  resle  plus  a  vous  dire  que  la  Roync  ayant 
traicle.  des  Ian  passe  ,  avec  ie  lieutenant-colonel  Bar- 
douille,  pour  la  lev^e  deson  r(5giment  de  dragons,  el  Ic 
lieutenant-colonel  s'estant  si  mal  acquitte  de  ce  qu'il  dc- 
voit,  qu'on  a  est^  contrainct  de  le  faire  arresler,  cela  a 
empeschf^  que  Ic  ri'ginienl   ne  s'esi   pas  mis  sur  pied  ; 


MKMOlilKS     U5      NK.OMIK 

It's  fort  considerables  pour  entrer  en  b'ranee, 
et  principalement  Rhetel ,  y  ayant  de  la  une 
communication  aisee  par  La  Capelle,  que  les 
Kspagnols  tenoient,  aux  autres  places  du  Pays- 
IJas ;  et  M.  le  prince  tenoit  aussi  Stcnai  sur  la 
Meuse,  qui  liii  donnoit  la  communication  du 
Luxembourg.  M.  de  Turenne,  qui  scavoit  bien 
ia  consequence  de  ce  poste-la,  par  la  connois- 

au  defaul  dc  quoi  j'ai  propose  a  Barclouille  <Je  icloiir- 
ner  en  Guyenrie  avec  les  cavaliers  que  j)  envoye,  el  que 
M.  (Ic  Marchin  lui  pourroil  dotiiier  jusques  a  cent  cin- 
quanle  f!c  ces cavaliers  pour  faire  un  regiment,  ce  qu'ii 
n'a  pas  voulu  accepler;  el  m'ayanl  demanded  son  co!igf5 
pour  se  retirer  cliez  lui,  je  le  lui  ai  accordc,  et  coninie  je 
Sfai  qu'il  est  considere  dc  M.  de  Marchin,  j'ai  es  i  l)ien 
aise  de  vous  dire  cornme  la  cliose  s'est  pass^c  ,  afin  que 
vous  la  lui  faciez  entendre. 

»  Je  vous  envoye  encore  une  Ictlre  de  Cliouppcs ,  par 
laquelle  vous  verrez  les  plainles  qu'il  fait  de  vous  ei  de 
M.  de  3Iarchin  ;  failes-la  voir  a  mon  frere  et  a  ina  sa'ur 
affin  qu'ils  ne  trouvent  pas  esirange  si  je  Ic  prends  au 
•not  pour  son  conge.  Failes-leur  voir  aussi  la  leltre  que 
j'escris  a  Chouppes  ,  et  s'ils  jugent  a  propos  qu'elle  lui 
soil  reudue ,  vous  la  fermerez  el  la  lui  rendrcz.  Pour  la 
leltre  que  j'escris  a  ma  sa'ur  et  a  mon  frere ,  el  que  je 
vous  envoie  loute  ouverle,  vous  la  cacheterez  avant 
de  la  leurrcndre,  sans  qu'ils  scachenlque  vous  aycz  vcu 
ce  qu'elle  contient. 

»  A  Bruxelles,  le  dernier  de  may  1653. 

»  Louis  de  Boiubon.  » 


Alt  Mesme. 


«7Juin  1653. 


»  Je  siiis  bien  aise  d'avoirappiis  par  vostre  despesclie 
du  22  du  pass6,  I'arrivee  de  I'argent  el  des  Irlandois, 
eslantdcux  secours  qui  uc  vous  doivenl  pas  cstrc  pcu 
utiles:  le  plus  advantageux  de  tous  eslant  I'armec  na- 
valle,  et  touie  I'esperance  du  salut  de  Bordeaux  eslant 
rond<5  la-dcssus,  il  faut  que  vous  la  faciez  entrer  le  plus 
(iiligeniment  que  vous  pourrez.  Vous  trouverez  dans  ce 
pacqiiet  uue  letlre  que  j'escris  pour  ce  subject  a  don 
Louis,  laquelle  vous  adresserez  par  un  courricr  expres 
a  i^L  le  comic  de  Fiesque  ,  en  cas  qu'il  y  ail  quelque 
chose  qui  I'ait  oblig(5  d'aller  droict  en  Espagne  sans 
passer  par  Borddux,  et  que  vous  sfachiez  qu'il  soil 
arriv(5;  sinonvous  1  adresserez  a  Saint-Agoulin.  Jc  vous 
envoie  aussi  une  coppie  de  la  dernicre  despcsche  de  dom 
Louis  au  cornle  de  Fuensaldagne,  avec  celle  du  m(5moire 
qu'il  lui  a  envoye,  qui  contient  en  destail  lout  le  secours 
que  vous  devezaltendre  de  I'armt^e  navallc  d'Espagne  ; 
vous  verrez  par  la  si  cela  se  rapporle  a  ce  que  Ton  vous 
en  mande  de  Madrid  ;  car  le  comle  de  Garcie  me  dit ,  il 
y  a  quelque  temps,  qui' le  marquis  de  Saincte-Croix , 
son  beau-frere,  n'iroit  pas  a  Bordeaux  ,  el  que  I'admi- 
ral  ni  les  gallons  ne  serolent  pas  du  secours.  A  la  veri- 
le  la  lellre  qu'il  en  avoit  recue  est  dc  vieille  dalle,  el  la 
resolution  peut  avoir  cliange  dcpuis  ce  temps -la.  Je 
croy  que  vous  aurez  aussi  bientost  quelques secours  d' An- 
glelerre,  <,'tje  serois  bien  aise  qu'il  pusl  joindre  celui 
d'Espagne  pour  enlrer  en  riviere  avec  d'aulant  |)lus  de 
force.  II  ne  faul  pas  (pie  cctle  esp^^ance  vous  face  relas- 
clier  dc  la  moindie  panic  de  cecpie  vous  |)ouvez  atleii- 
dro  dc  celui  d'Es|)agnc  ;  car  iclui  d'Anglctcrre  n'esi  pas 
encore  asseurc. 


1)1-    ri  r.i;>M:.    [105;^]  4,1:} 

sauce  qu'il  en  avoit  eue  durant  la  guerre  qu'il 
faisoit  apres  la  prison  de  M.  le  prince,  fit  trou- 
ver  bon  a  M.  le  cardinal  qu'en  assemblant  I'ar- 
mee  du  Roi ,  il  allat  assieger  Rhetel ,  pour  6ter 
par  la  aux  ennemis  le  moyen  de  joindre  I'armee 
qui  etoit  dans  le  Luxembourg  et  celle  qui  etoit 
sur  la  Sambre ,  derriere  la  Capelle.  L'armee 
du  Roi  se  logea  (1)  en  passant  la  riviere  d'Aisne, 

))  Vous  ne  Sfauriez  croirelajoye  quej'ay  d'apprendre 
que  vous  el  M.  de  Marchin  commciicez  a  vous  bien  re- 
rnctlre  avec  mon  frere  el  ma  sosur ;  c'est  ce  que  j'ai  tous- 
jours  souhaitte  avec  grande  passion  ,  mon  intention  es- 
lant, commejc  vous  I'ai  desja  tesmoign(5,  que  vous  vi- 
viez  avec  eux  dans  le  dernier  respect  et  la  derniere  d(5- 
ference ;  mais  aussi  je  crois  qu'ils  vous  feronl  cette  jus- 
tice a  I'un  et  al'aulre,  que  de  soubsmeltre  a  voslre 
pouvoir,  sous  leur  aucthorit^ ,  toute  la  disposition  des 
irouppcsct  des  finances.  Enfin  ne  n^gligez  ricn  de  loutes 
les  choscs  qui  pourront  contribucr  a  leur  satisfaction  ct 
a  I'establissement  dune  parfaite  union  ,  ny  ayant  rien 
(jui  me  melle  lant  en  peine  que  les  divisions,  si  pelites 
qu'ellespuissent  etre,  bien  que  vous  m'escriviez  que  j'cn 
doibs  elre  en  repos.  J'escris  sur  ce  subject  a  mon  frere 
et  a  ma  soeur ;  j'escris  aussi  au  chevalier  de  Thodias  et 
a  Vilars ,  auxquels  vous  rendrez  mes  lettres. 

»  Quant  au  r^glement  des  maisons  dc  ma  femme  ct 
de  mon  fils,  je  vous  en  ay  desja  mand(^  mes  volontcs  fort 
amplement ,  ct  je  vous  reitererai  seulemeiit,  par  celle 
letlre,  que  je  veux  que  mon  fils  loge  avec  ma  femme  ,  et 
que  tous  leurs  doracstiques  soient  cong^di^s  jusques  a  la 
palx,  a  la  reserve  de  ceux  qui  sont  absolument  ncces- 
saires. 

»  Notre  rcndez-vous  d'arm^e  est  pris  pous  le  15  de  ce 
mois ,  et  nous  marcherons  pour  enlrer  en  France  bien- 
tost apres.  Ne  vous  cstonncz  pns  si  durant  la  campagne 
je  ne  vous  cscris  pas  si  r(5guliercmcnt  que  je  fais  a  pre- 
sent, car  les  occasions  CM  seront  beaucoup  nioins  fr6- 
quenlcs  qu'elles  ne  sont  ici ,  et  je  vous  prie  que  pendant 
la  campagne  vous  ne  m'escriviez  en  chilTres  que  les 
choses  qui  seront  d'importance  et  succinctcment ,  car  je 
n'aurois  pas  ieloisirde  les  deschidrer  si  elles  estoienl 
trop  longues.  Jc  crois  que  vous  cnlcndrez  bientost  parler 
de  nous  et  de  bonne  sorle. 

»  ;V  Bruxelles ,  le  7  juin  1653. 

»  Louis  ue  BouRI^o^.  » 

(1)  Des  le  1"  aousl  1653,  I'avis  suivantdc  la  inarche 
dc  rarm(5e  fust  envoye  a  M.  Le  Tellier. 

«  Messieurs  de  Turenne  eldeLa  Ferle  vont  marcher 
vers  Reihel ,  bien  qu'une  bonne  parlie  des  trouppcs  du 
premier  ne  I'ayent  point  encores  joincl,  etquel'aulren'a 
aucunes  nouvelles  de  celles  de  Bourgogne  ,  mesme  que 
monsieur  d'Espernon  ,  par  ses  Icilres  du  11  ,  ne  mandc 
point  qu'elles  ayenl  receu  ordre  lie  marcher;  mais  on  en 
laissera  aux  uns  et  aux  autres  pour  suivre  a  mcsurc. 
qu'elles  arriveroni, 

»  Quand  on  sera  a  Reihel ,  on  vena  ce  qu'il  y  aura  a 
faire  lant  par  les  forces  que  Ton  aura  que  les  nouvelles 
que  Ton  apprendra  des  ennemis ,  desqucis  jusqu'a  pre- 
sent on  n'en  a  point  de  certaincs;  mais  comme  il  csl 
impossible  derien  entrcprcndre  sans  munitions  de  guer- 
re, il  est  de  la  derniere  importance  qu'on  en  envoje 
promptcment,  puisque  jusqu'a  present  on  n'a  point  de 
nouvelles  des  cent  chevaux  ni  du  sieur  Deshayes  qui 
debvoient  eslre  parlis  de  Paris  il  y  a  dix-iiuil  jours,  et 
que  le  niarosch.il  dc  La  Ferti^na  quelrois  millesixccns 


4  .->( 

a  trois  lieues  plus  avaut  que  Rhetel ,  qui  etoit 
justemeut  I'endroit  ou  I'arraee  de  Flandre  et 
celle  de  Luxembourg  devoientse  joiudre. 

M.  de  Turenne,  qui  avoit  ete  long-temps  a 
Stenai ,  voyoit  fort  bien  que  les  ennemis  pou- 
voient  penser  se  joindre  en  ce  lieu-la ,  et  con- 
noissoit  que  cette  jonction  etant  empechee  par 
i  armee  du  Roi,  il  faudroit  deux  ou  trois  jours 
au  raoins  aux  ennemis  pour  se  resoudre  si  1  ar- 
mee qui  etoit  sur  la  Sambre  iroit  en  Luxem- 
bourg, ou  si  celle  du  Luxembourg  passeroit  la 
Meuse  pour  joindre  celle  de  la  Sambre;  et  que  , 
selon  Tun  ou  I'autre  parti,  il  falloit  quatre  ou 
cinq  jours  au  moins  pour  la  marche  du  corps 
qui  iroit  joindre  I'autre  :  ce  qui  donnoit  huit  ou 
neufjours  desurete  pour  entreprendrele  siege  de 
Rhetel ,  sans  avoir  I'armee  des  ennemis  sur  les 
bras.  On  eutreprit  done  ce  siege  avec  la  moitie 
de  i'armee  du  Roi ;  M.  le  marechal  de  La  Ferte 
y  etoit  aussi  avec  une  partie  de  son  armee. 

II  n'y  avoit  que  huit  ou  neuf  cens  hommes 
dans  Rhetel  ;  on  prit  les  dehors  en  arrivant,  et 
!e  siege  ne  dura  que  trois  jours.  II  n'y  a  rien  eu 
dans  toutes  ces  dernieres  campagues  de  guerre 
de  plus  considerable  que  d'avoir  assemble  I'ar- 
mee du  Roi  dans  le  pays  au-dela  de  Rhetel,  et 
d'avoir  empeche  M.  le  prince  de  commeiicer  la 
carapagne  sur  la  riviere  d'Aisne  ;  il  avoit  cette 
annee-la  une  armee  beaucoup  plus  forte  que 
eelle  du  Roi.  La  guerre  de  Bordeaux  continuoit 
encore,  et  s'il  avoit  marche  sous  Rhetel  et  I'a- 
Noit  conserve ,  ayant  a  sa  main  gauche  la  Meuse, 
ou  il  tenoit  Mouson  et  Stenai,  et  a  la  main  droite 
la  frontiere  des  Pays-Bas  ,  d'oii  il  pouvoit  tirer 
des  vivres,  il  auroit  ete  impossible  de  eouvrir 
tous  les  pays  qui  lui  etoient  exposes,  comme 
Verdun,  Saint-Dizier  et  Vitri,d'un  cole,  et  de 
I'autre,  Guise,  Laon  et  Soissons,  et  en  tele , 
Rlieims  et  Chalons.  L'armee  du  Roi  u'avoit  pas, 
cette  campagne-la ,  plus  de  six  a  sept  mille  hom- 
mes de  pied ,  avec  lesquels  il  falloit  tenir  ia  cam- 
pagne  et  garnirles  places.  M.  de  Turenne,  plus 
d'un  mois  avant  que  de  partir  de  Paris,  consi- 


livres  de  poudrc,  au  lieu  des  six  mille  qu'on  lui  debvoit 
louinir ,  et  du  plomb  et  dc  la  meschc  a  proportion. 

»  Le  regiment  du  comte  de  Dampierre  est  enti^  dans 
Verdun,  qui  mcllra  ccstc  place  enquclque  sortecii  seu- 
ret6,  et  on  verra  de  faire  de  mesme  pour  Yitri  et  Saint- 
Dizier. 

»  On  envoye  I'estat  des  troupes  dc  rarmdc  que  coni- 
rnande  M.  de  Turenne,  qui  ncsont  point  encore  arrivees 
au  rendez-vous  ,  afin  qu'il  plaise  a  lacour  envoyer  pour 
les  faire  diligentcr. 

»  I!  est  n^cessaire  aussi  de  faire  commandement  aux 
officiers  qui  sonl  a  Paris  dc  s'en  venir  promptement  a 
Hheirns ,  oil  ils  apprendroat  des  nouvclles  de  I'ar- 
nidc. 


MEAiOIRES    1)1!     VICO.UTE    1)K    TLBIiiNMi.    [1(55:]' 


deroit  I'entree  de  M.  le  prince  par  Rhetel  Gomme 
le  plus  grand  mal  qui  piit  arriver;  c'est  pour- 
quoi  des  qu'en  assemblant  I'armee  du  Roi  aupres 
de  Chalons,  il  scut  que  M.  le  prince  faisoit  le 
rendez-vous  de  la  sienne ,  il  envoya  a  M.  le  ma- 
rechal de  La  Ferte  ,  qui  etoit  aupres  de  Sainte- 
Menehould,  pour  le  prier  de  marcher:  ce  qu'il 
fit;  et  lui,  par  un  autre  cote,  s'en  alia  passer  a 
Chateau-Portien  et  se  logea  vers  le  chateau  dc 
Ghaumont,  oil  il  y  avoit  deux  cens  hommes  des 
ennemis  qui  se  rendirent  a  discretion  ,  d'oii  Ton 
alia  assieger  Rhetel  le  lendemain. 

M.  !e  prince,  a  qui  les  mesures  furent  rom- 
pues ,  n'ayant  pas  assez  vu  la  consequence  de 
Rhetel ,  entra  en  France  par  la  frontiere  de  Pi- 
cardie  avec  une  armee  de  trente  mille  hommes, 
ou  il  trouva  de  grands  obstacles,  et  ou  certaine- 
ment  il  n'y  avoit  pas  la  meme  facilite  a  faire 
quelque  chose  de  considerable  que  du  cote  dc 
la  Ghampagne  ,  quand  on  a  Rhetel  et  les  autres 
places  de  la  Meuse ,  comme  Mouson  et  Stenai. 
On  etoit  bien  avant  dans  le  mois  de  juin  quand 
on  prit  Rhetel ;  ce  qui  ota  I'excuse  d'etre  pre- 
venu  a  se  raettre  en  campagne;  raais  souvent  les 
personnes  les  plus  habiles  font  des  fautes  qu'il 
est  plus  aise  de  remarquer  que  de  prevenir. 

Apres  la  prise  de  Rhetel ,  comme  I'armee  des 
ennemis  s'etoit  mise  ensemble  vers  la  Gapelle, 
I'armee  du  Roi  tourna  de  ce  c6te-ia  et  alia  lo- 
ger  aupres  de  Vervins.  En  ce  temps -la ,  le  Roi , 
avec  M.  le  cardinal,  vint  a  I'armee,  qui  se  lo- 
gea a  Riberaont ,  comme  on  scut  que  celle  des 
ennemis  marchoit  a  Fonsomme.  Pendant  le  se- 
jourdu  Roi  dans  son  armee  a  Ribemont,  celle 
des  ennemis  fut  toujours  a  Fonsomme;  et  les 
gardes  des  deux  armees  n'etoient  qu'a  un  quart 
de  iieue  I'une  de  I'autre  :  on  demeura  cinq  ou 
six  jours  de  cette  maniere,  apres  quoi  le  Roi 
s'en  alia  a  Paris. 

Les  ennemis,  qui  avoient  sejourne  a  Fon- 
somme ,  ayant  donne  les  ordres  necessaires  pour 
la  provision  de  leurs  vivres  et  pour  le  corps 
qu'ils  laissoient  dans  le  pays ,  marcherent  et  en- 


»  II  n'y  a  pas  un  grain  dc  poudre  ni  aucun  (Equipage 
d'arliiicrfe  pres  M.  de  Turenne,  de  sorte  qu'il  faudroit 
que  les  cent  chevaux  marchassent  en  diligence  a  Rlieims, 
lesquels  il  a  crcu  estre  partis  il  y  a  longtemps,  et  faire  sui- 
vre  le  rcste  au  pluslot. 

»  II  faudroit  scavoir  de  M.  le  grandmaitre  oii  on 
pourra  prendre  des  munitions  de  guerre  au  besoing. 

»  Comme  on  ne  si-ail  point  ou  a  marche  le  corps  de 
Tarmee  quo  commando  31.  de  Turenne,  qui  est  alle  en 
Picaruie,  on  supplie  la  cour  de  faire  en  sorte  qu'il  ob- 
serve tellement  la  marche  de  Tarmac  des  ennemis  qu'ils 
puissent  joindre  cello  du  Roy  (.'want  que  les  ennemis 
enlrent  en  France. » 


MEMOIJRES    UU    VICOMTB    VE   TllREIS^E.    [lOoS] 


trereiil  eu  Trance  avec  un  bon  nombre  de  pion- 
niers,  et ,  laissant  la  riviere  de  Somme  a  leur 
main  droite  ,  et  !a  riviere  d'Oise  a  leur  gauche, 
passerent  a  une  lieue  de  Ribemont ,  et  allerent 
loger  entre  Saiot-Quentiu  et  Ham.  L'armee  du 
Roi  marcha  le  meme  jour  et  alia  loger  a  Acheri, 
qui  est  a  une  lieue  de  La  Fere ,  laissant  ce  jour- 
la  la  riviere  d'Oise  entre  elle  et  les  ennemis.  Le 
lendemain ,  leur  armee  marcha  de  grand  matin, 
et  laissant  Ham  a  main  droite  ,  s'avancoit  vers 
Ghauni.  Elle  etoit  fart  considerable,  ayant  seize 
raille  hommes  de  pied  ,  onze  raille  chevaux,  et 
trente  a  quarante  pieces  de  canon ,  sans  comp- 
ter un  troisieme  corps  qui  etoit  aux  environs 
de  Cambrai.  Cette  marche  menacoit  beaucoup 
de  lieux  ,  car  ils  pouvoient  aller  ou  a  Compie- 
gne ,  ou  prendre  les  postes  qui  sont  entre  Com- 
piegne  et  Pontoise ,  sur  la  riviere  d'Oise,  comme 
Greil  et  Pont-Sainte-Maxence,  et  de  la  s'avan- 
cer  jusqu'aux  portes  de  Paris  pour  y  mettre  tou- 
tes  choses  eu  confusion  ,  les  esprits  y  etant  fort 
chancelans,  et  le  Roi  n'etant  pas  en  siirete  si  l'ar- 
mee de  I'eunemi  eu  eCit  ete  proche.  lis  pouvoient 
aussi  aller  a  Beauvais ,  ou  il  n'y  avoit  point  de 
garnison ;  et  lepeu  d'infanterie  qu'il  y  avoit  dans 
l'armee  du  Roi  avoit  oblige  a  ne  mettre  per- 
sonne  dans  Saint-Quentin  ,  ni  a  Ham,  ni  a  Pe- 
ronne,  ni  dans  les  autres  places  de  la  Somme, 
sur  I'une  desquelles  ils  se  fussent  facilemeut  jet- 
tes  si  l'armee  du  Roi  se  fut  eloignee  d'eux. 

M.  de  Turenne  fut  d'un  sentiment  contraire 
a  celui  de  toute  l'armee ,  et  M.  le  marechal  de 
La  Ferte  y  entra  :  c'etoit  de  ne  point  continuer 
a  suivre  la  riviere  d'Oise  pour  couvrir  Com- 
piegne  ,  Crei!  et  Pont-Sainte-Maxeuce ,  parce 
qu'on  exposoit  par-la  aux  ennemis  celles  des 
\illes  sur  la  Somme  qu'ils  auroient  voulu  as- 
sieger  ,  mais  de  passer  la  riviere  d'Oise  du 
meme  cote  qu'etoient  les  ennemis  et  dese  loger 
a  deux  heures  d'eux  dans  un  camp  fort  sur.  II 
faut  considerer  que  n'y  ayant  que  sept  mille 
hommes  de  pied  dans  l'armee  du  Roi  et  point 
d'infanterie  dans  les  places  ,  qu'on  ne  les  pou- 
voit  sauver  qu'en  se  tenant  toujours  pres  de 
I'ennerai ,  et  lui  donnant  a  juger  que  Ton  arri- 
veroit  toujours  douze  ou  quinze  heures  apres 
lui  devaut  la  place  qu'il  voudroit  assieger.  Si 
ou  avoit  mis  de  I'infanterie  dans  les  places , 
l'armee  n'auioit  ose  se  tenir  en  campagne  pres 
de  I'enuemi ,  et  ainsi  elle  lui  auroit  donne  le 
raoyen  d'entreprendre  tout  ce  qu'il  auroit  juge 
a  propos.  M.  le  prince  commandant  l'armee  en- 
nemie,on  pouvoit  s'attendre  a  toutes  les  vigou- 
reuses  resolutions  qu'il  y  a  a  prendre  ,  quand 
.  un  eunerai  se  separe  et  qu'il  laisse  tant  de  lieux 
exposes.  II  valoit  done  mieux  se  resoudre  a 


cotoyer  toujours  I'ennemi  (  quoique  cela  fut  un 
peu  dangereux  )  que  de  prendre  un  des  deux 
autres  partis  qu'on  proposoit  :  c'etoit  de  mar- 
cher avec  l'armee  vers  Compiegne  sans  passer 
I'Oise ,  ou  de  jeter  de  I'infanterie  dans  les  pla- 
ces ,  et  de  s'eloigner  de  I'ennemi  avec  la  cava- 
lerie.  Par  le  premier  il  est  certain  que  les  enne- 
mis auroient  pu  assieger  la  place  la  plus  consi- 
derable sur  la  Somme ,  ayant  un  corps  pres  de 
Cambrai  avec  des  piouniers  du  pays  toujours 
prets,  et  l'armee  du  Roi  u'auroit  pu  y  arriver 
que  quatre  ou  cinq  jours  apres  eux.  Par  I'au- 
tre  ,  I'ennemi  auroit  eu  moyen  de  marcher  a 
Paris ,  ne  voyant  point  d'armee  en  corps  ,  ou 
bien  auroit  assiege  une  place  ou  il  n'auroit  eu 
qu'une  plus  forte  garnison  a  craindre ,  mais 
point  d'armee  a  apprehender.  J'insiste  un  peu 
la-dessus,  parce  qu'assurement  la  resolution  de 
passer  la  riviere ,  de  ne  mettre  personne  dans 
les  places ,  et  de  s'aller  loger  proche  de  I'enne- 
mi, a  rendu  cette  entree  en  France  de  nul  effet; 
et  souvent ,  pour  apprehender  trop  de  choses , 
on  prend  des  partis  differens  de  eelui-ci  qui 
reussissent  fort  mal.  Ce  n'est  pas  que  celui-la 
soit  bien  sur ,  car  un  ennemi  peut  marcher  a 
vous  et  combattre  ;  mais  quand  on  a  une  bonne 
armee ,  quoique  plus  foible  ,  et  que  I'ou  prend 
bien  garde  comme  on  campe  et  aux  mouvemens 
de  I'ennemi ,  c'est  le  parti  le  plus  assure. 

L'armee  de  I'ennemi  marcha  de  Chauui  a 
Roye,  et  celle  du  Roi  aupres  de  Noyon  ne  se 
retrancha  point,  mais,  regardant  bien  a  ce  que 
les  ennemis  faisoient ,  se  logea  toujours  en  des 
lieux  assez  avantageux.  On  scut  qu'ils  atta- 
quoient  Roye,  oil  il  n'y  avoit  point  de  soldats; 
le  siege  dura  deux  jours  ,  et  Ton  ne  songea  pas 
a  secourir  la  place,  n'etant  qu'une  petite  ville 
qu'on  ne  pouvoit  pas  garder.  Quand  ils  eurentpris 
Roye ,  ils  commencereut  a  etre  fort  embarrasses 
de  la  resolution  qu'ils  prendroient :  ils  n'osoient 
s'avancer  dans  le  pays  ou  ils  n'avoient  point  de 
places  ,  pendant  qu'une  armee  ennemie  logeoit 
a  trois  heures  d'eux.  lis  ne  pouvoient  aussi  at- 
taquer  une  place  sur  la  Somme ,  oil  il  faut  se 
separer  a  cause  des  marais ,  et  ou  l'armee  du 
Roi  flit  arrivee  le  meme  jour.  Comme  Corbie 
ne  vaut  rien  ,  M.  de  Turenne  y  envoya  cinq 
cens  chevaux  sous  M.  de  Schomberg. 

Eu  ce  temps-la  on  prit  une  lettre  que  Ton  en- 
voya a  la  cour  pour  dechiffrer,  par  laquelle  on 
scut  certainement  que  les  ennemis ,  avant  que 
de  ne  rien  entreprendre  ( leurs  premieres  me- 
sures  ayant  manque  ),  vouloleut  faire  venir  un 
corps  de  Cambrai  avec  uuc  grande  quantite  de 
vivres ;  et  comme  on  s'enquit  diligemment  par 
Bapaumes  de  ce  qui  se  faisoit  a  Cambrai ,  on 


i:>v> 


MEilOir.KS    1)1     VICOM'JE    I)K    Tli.K.N.Xt..     [IGSS] 


scul  que  Ic  corps  etoit  pret  a  partir,  L'arraee 
du  Roi  laissant  son  bagage  pour  la  suivre,  passa 
la  Sorame  a  Ham  ,  et  marchant  vers  Peronne , 
M.  de  Turenne  s'avanca  avec  cinq  mille  che- 
vaux  jusques  aiipres  de  Bapaumes  pour  atten- 
dre  ce  corps,  qui,  ayant  eu  nouvelle  de  cette 
marche  ,  se  retira  a  Cambrai.  L'armee  de  I'en- 
nemi  ,  sacbant  que  Ton  etoit  entre  eux  et  leur 
convoi ,  et  ayant  perdu  le  temps  d'avancer 
dans  le  pays  ou  d'attaquer  une  place  manquant 
de  vivres  ,  quitta  Rove  et  marcha  pour  repas- 
ser  la  Somme  a  Cerisi ,  qui  est  entre  Peronne 
et  Corbie  ,  ayant  jete  beaucoup  de  fascines  sur 
le  marais.  En  moins  de  vingt-quatre  beures 
toute  l'armee  avec  le  bagage  fut  passee  du 
cote  de  leur  pays,  et  ayant  appris  que  l'ar- 
mee du  Roi  etoit  logee  a  une  heure  de  Peronne 
proche  du  mont  Saint-Quentin  sans  etre  retran- 
chee  ,  ils  partirent  la  nult  et  marcberent  tout 
droit  avec  resolution  de  combattre.  On  fut  quel- 
que  temps  en  doute  s'ils  quittoient  tout-a-fait  les 
ponts  qu'ils  avoient  faits  pour  passer  la  Somme, 
mais  on  vit  par  leur  marcbe  qu'ils  les  abandon- 
noient  entierement. 

L'armee  du  Roi  avoit  le  front  a  un  ruisseau  ; 
mais  les  ennemis  marchoient  pour  le  prendre  a 
la  source,  qui  n'etoit  qu'a  une  demie  beure  du 
champ,  etainsi  venoient  par  le  flanc  de  Tarraee. 
C'etoit  celle  de  M.  le  mareclial  de  La  Ferte  qui 
etoit  du  Cote  que  les  ennemis  venoient,  et  il  etoit 
impossible  de  se  mettre  en  bonne  posture  de- 
vant  eux  ,  la  situation  du  lieu  ne  le  permettoit 
pas  et  donnoit  un  grand  avantage  aux  ennemis 
qui  avoient  le  moyen  de  s'etendre.  M.  de  Tu- 
renne avanea  ,  ayant  M.  le  chevalier  de  Crequi 
avec  lui  et  deux  ou  trois  de  scs  gens  pour  re- 
connoitre les  ennemis.  Ayant  vu  qu'ils  prenoient 
leur  marche  et  qu'il  n'y  avoit  point  de  temps 
a  perdre  ,  il  fit  cousiderer  a  M.  le  marechal  de 
La  Ferte  la  raauvaise  posture  ou  il  etoit,  et 
etant  retourne  a  son  armee,  qui  etoit  a  I'aile 
droite  et  un  pen  plus  loin  de  celle  des  ennemis, 
il  envoya  Varennes ,  qui  faisoit  la  charge  de 
marechal-des-logis  de  l'armee  ,  pour  voir  com- 
ment etoit  fait  le  pays  par-dela  un  petit  bois  : 
il  reconnut  que  c'etoit  une  assez  grande  plaine 
oil  une  partie  de  l'armee  pourroit  etre  en  ba- 
taille  ,  et  que  les  ennemis  ne  I'avoient  pas  en- 
core occupee ,  mais  commencoient  a  y  faire 
avancer  quelques  escadrons,  et  que  le  bois  pour 
y  aller  etoit  fort  clair.  M.  de  Turenne  envoya 
aussitot  avertir  M.  le  marechal  de  La  Ferte  qu'il 
raarchoit  a  cette  plaine  et  lui  demander  s'il  lui 
plaisoit  y  venir  prendre  la  gauche  :  ce  qu'il  ju- 
gea  fort  a  propos  ,  et  ainsi  M.  de  Turenne  com- 
menca  a  marcher  d'anprcs  du  mont  Saint-Quen- 


tin ,  el  avec  un  grand  front,  passant  au  Iravers 
du  bois,  arriva  dans  un  vallon  a  cote  :  il  se  mit 
en  bataille  dans  ce  vallon  ,  ou  faisant  promptc- 
ment  travailler  I'infanterie  a  cinq  ou  six  redou- 
tes  a  la  tete  de  l'armee ,  en  deux  heures  on  fut 
bien  retranche. 

L'armee  de  I'ennemi,  voyant  celle  du  Roi  en 
cet  etat ,  et  ayant  ete  obligee  de  faire  un  pe« 
d'halte  pour  attendre  son  infanterie ,  demeura 
sans  avancer ,  et  apres  quelques  escarmouches 
commenea  a  se  loger  sur  une  hauteur  a  un  quart 
de  lieuede  l'armee  du  Roi.  Lanuit  suivante  on 
avanea  les  travaux.  On  a  dit  que  ce  jour  M.  le 
prince  vouloit  combattre ,  mais  que  les  Espa- 
gnols  Ten  empecherent  :  je  crois  que  la  diffi- 
culte  vint  par  leur  longue  marche ,  et  que  l'ar- 
mee du  Roi  ayant  change  de  poste ,  cela  les 
obligea  a  faire  un  grand  tour  qui  leur  fit  perdre 
du  temps  et  en  donna  a  celle  du  Roi  de  se  bien 
retrancber  :  ce  qui  etant,  il  n'y  avoit  plus  d'ap- 
parence  que  ni  M.  le  prince  ni  les  Espagnols 
eussent  voulu  combattre.  II  est  vrai  qu'avant 
que  d'avoir  change  de  poste  l'armee  du  Roi 
couroit  grand  danger  ,  les  ennemis  ayant  toutes 
les  hauteurs  sur  elle;  et  assurement  Ton  auroit 
combattu  ce  jour-la  avec  mauvais  succes.  On 
demeura  deux  ou  trois  jours  en  presence  ,  s'y 
faisant  beaucoup  d'esearmouches;  et  au  boat 
de  ce  temps  les  ennemis  marcherent  droit  a 
Fonsomme  ,  et  envoyerent  trois  mille  chevau:i 
sous  M.  de  Duras  pour  investir  Guise. 

L'armee  du  Roi,  ayant  vu  le  matin  que  Ten- 
nemi  marchoit,  passa  la  riviere  de  Somme  a 
Peronne  ,  et  on  fit  sept  lieues  ce  jour-la.  M.  de 
Turenne  fit  marcher  en  diligence  M.  de  Beau- 
jeu  pour  entrer  dans  Guise  avec  deux  mille 
chevaux.  Les  ennemis  avoient  le  chemin  plus 
court  de  la  moitie  que  l'armee  du  Roi  pour  ar- 
river  a  Guise,  mais  leur  armee  s'arreta  a  trois 
beures  de  la,  sur  la  difficulte  que  firent  les  Lor- 
rains  de  faire  ee  siege ;  du  moins  on  a  dit  que 
ce  fut  la  le  sujet  qui  suspendit  leur  marche  :  il 
est  certain  que  s'ils  I'eussent  continuee  ils  y  se- 
roient  arrives  un  jour  avant  l'armee  du  Roi,  et 
on  ne  scait  pas  si  M.  de  Beaujeu  y  auroit  pu 
entrer.  Ce  dessein  ayant  manque ,  ils  s'en  vin- 
rent  loger  a  Caulaincourt ,  qui  est  entre  le 
Castelet  et  Ham ,  et  l'armee  du  Roi  aupres 
de  Ham ,  la  riviere  de  Somme  entre  deux , 
oil  ayant  sejourne  plus  de  quinze  jours  et 
tenu  beaucoup  de  conseils  avec  M.  I'archi- 
duc  qui  les  \int  joindre ,  ils  partirent  en 
diligence  ,  et ,  laissant  Guise  a  leur  main  gau- 
che ,  ils  allerent  assieger  Roci  oi ,  ou  la  situa- 
tion est  si  avantageuse  pour  celui  qui  arrive 
le  premier,  a  cause  des  grands  bois  qui  sont  au- 


IIEMOIKFS     I)t    >lCOMiE     hE    TIHK>\E.        1  CiS 


45: 


tour  de  la  place ,  que  Ton  ne  voulut  pas  y  mar- 
cher avec  Tarmee  pour  la  secourir  ,  et  on  airaa 
mieux  assieger  Mouson  ,  ou  on  arriva  en  tres- 
grande  diligence ;  lestranchees  s'etant  ouvertes 
en  raerae  temps  aux  deux  places  ,  Mouson  fut 
pris  quatre  ou  cinq  jours  avant  Rocroi.  Les  en- 
nemis  y  avoient  seize  cens  hommes  et  des 
raeilleurs  regimens  de  Tarmee.  On  ne  lit  point 
de  circonvallation ,  et  on  ouvrit  la  tranehee  le 
soil-  que  Ton  y  arriva.  Le  siege  dura  dix-sept 
jours;  et  comme  on  marchoit  vers  Rocroi ,  on 
eut  uouvelie  qu'ii  capituloit.  Les  enuemis  apres 
la  prise  se  retirerent  plus  avant  dans  leur  pays , 
et  dans  la  pensee  que  l"on  eut  qu'ils  pourroient 
assieger  la  Bassee  ou  Bethune,  n'ayant  plus  que 
cela  a  faire,  on  y  mit  un  si  grand  nombre  d'in- 
fanterie  qu'ils  ne  purent  assieger  ni  I'uue  ni 
I'autre. 

Les  affaires  de   Bordeaux  etant  finies  cet 
ete-la  ,  ii  en  \  inl  qut'lques  troupes  du  R.oi ,  avec 


lesquelles  et  ses  gardes  francoises  et  suisses , 
Sa  Majeste  fit  faire  le  siege  de  Sainte-Mene- 
hould  par  MM.  d'Uxelles ,  Castelnau  et  de  >a- 
vailles.  I\L  de  Turenne  raarcha  pour  couvrir  la 
Picardie  et  les  places  de  Flandres,  et  M.  le 
marechal  de  La  Ferte  alia  vers  la  Meuse  pour 
s'opposer  a  M.  de  Lorraine ,  qui  venoit  avec 
quelques  troupes  pour  secourir  Sainte-Mene- 
hould  ,  dont  le  siege  continua  jusqu"au  commen- 
cement de  decembre.  Les  troupes  y  furent  assez 
rebutees  par  les  sorties  et  par  le  mauvais  temps, 
et  on  croit  que  le  feu  qui  se  mit  aux  poudres 
des  assieges  ne  nuisit  pas  a  la  prise  de  la  place. 
Ainsi  I'hiver  vint ,  et  les  armees  se  retirerent 
de  part  et  d'autre,  I'armee  du  Roi  ayant  pris, 
durant  la  campague,  Rhetel ,  Mouson  et  Sainte- 
Menehould  ,  et  les  ennerais,  Rocroi  seuleraent , 
quoiqu'il  n"y  eut  entre  elles  aucune  proportion 
de  forces,  celles  des  ennemis  etant  beaucoup 
plus  considerables. 


LlVHb:   TROISIEME. 


DES     GUERRES    EN     FLANDRE. 


L'hiver  se  passa  sans  qu'il  y  eut  rien  de  con- 
siderable a  la  cour,  et  I'autorite  resta  toute  en- 
tiere  entre  les  mains  de  M.  le  cardinal  Mazariu. 
Au  printemps  (1),  le  Roi  alia  se  faire  saerer  a 
Rheiins,  ou  on  resolut  de  prendre  le  regiment 
des  gardes  francoises  et  suisses ,  et  quatre  ou 
cinq  autres  regimens  d'infanterie,  avec  douze 
ou  quinze  ceus  chevaux ,  et  d'en  donner  le  com- 

(1)  C'est  aussi  vers  ce  temps  que  Ton  publia  une  «  de- 
claration centre  les  gens  de  guerre  et  autres  servant  les 
cnnemis  el  M.  le  prince  de  Cond6  ,  qui  seroienl  trouves 
dans  Paris  et  a  dix  lieues  a  la  ronde :  » 

«  Du  15  avril  1654. 

))  Louis ,  par  1r  grace  de  Dieu  roy  de  France  et  de 
Navarre,  a  tous  ceux  qui  ccs  presentes  lettres  verront , 
salut :  Comnie  depuis  que  le  prince  de  Conde  a  pris  les 
armes  centre  nous,  et,  s'estant  joint  aux  Espagnols,  en- 
nemis  de  cctte  couronne,  et  eu  le  commandement  de 
leurs  armees ,  ct  receu  d'eux  son  entretenement  et  celui 
des  troupes  qui  dependent  de  luy,  11  ne  s'est  pas  contents 
d'entreprendre centre  nous  et  nes  subjets  les  actes  d'hos- 
lilil6  qui  se  pratiquent  ordinairemenl  a  la  guerre  ,  mais 
a  envoye  des  gens  expres  dans  nos  villes  cl  places  et 
dans  nes  provinces  les  plus  advancees  dans  nostre  royau- 
me  porter  des  paquets  et  faire  des  messages ,  lever  des 
gens  de  guerre,  d^bauchcr  ceux  de  nes  trouppes ,  faire 
et  enlreprendre  telles  autres  pratiques  et  menees  contre 
noire  service,  envoyant  jusqu'a  netre  bonne  viile  de  Pa- 
ris et  aux  environs  des  gens  de  ses  trouppes  et  de  ceiles 
des  ennemis,  lesquels  y  ayant  entr6  avec  toule  liberie  . 
comme  11  est  fort  ays^  dans  une  si  grande  villc  oil  I'a- 
bord  est  libre  a  tout  le  monde  ,  y  ont  enlevc  des  prison- 
niers  jusqu'aux  portes  de  ladile  viile  el  iceux  menes  aux 
places  estant  au  pouveir  des  ennemis  el  dudit  prince  de 
Cende ,  ou  ils  oni  tire  d'eux  de  grosses  ranfons,  apres 
les  avoir  tenus  rigoureusement  en  prison  et  lue  Ics  au- 
tres qui  leur  faisoienl  resistance;  et  queique  les  defen- 
ses pontes  par  nos  ordennances  les  deussent  retenir  el 
cmpescher  dc  conlinuer  cos  pratiques  et  entreprises 
centre  nos  subjects  et  netre  service ,  sans  s'exposer  a 
la  peine  de  nosdites  ordennances  et  declarations  qui  ont 
ete  depuis  suivies  de  la  condamnation  rendue  centre 
ledit  prince  de  Conde  et  aucuns  de  ses  complices  el  ad- 
iierans,  n^antmoins  aucuns  d'eux  n'onl  pas  delaissc , 
prenant  advantage  de  I'impunite  du  passe,  de  conlinuer 
cHcore  dans  la  nieme  audace  ,  el  estant  guides  par  les 
ennemis  et  par  les  gens  dudil  prince  de  Conde,  ne  lais- 
sent  de  venir  jeurnellement  avec  eux  jusques  dans  nos 
maisons  royales  et  autres  lieux  ou  nous  nous  trouvons  ; 
en  serte  qu'il  iniporte  a  la  securite  de  noire  personnc, 
aussi  bien  qu'a  celle  de  nostre  Estat,  d'arrcster  ie  cours  de 
res  entreprises.  el  vnulant  y  pourvoir  par  noire  aucterite, 


mandement  a  M.  Fabert ,  pour  faire  le  siege  de 
Stenai ;  il  fut  resolu  aussi  que  le  Roi  iroit  a 
Sedan ,  alln  d'en  etre  procbe ;  que  Tarraee  se 
tiendroit  sur  la  frontiere  de  Champagne,  pour 
pouvoir  se  rendre  aussitot  a  Stenai ,  si  celle  des 
ennemis  passoit  dans  le  Luxembourg  ;  et  qu'en 
cas  qu'ils  entreprissent  queique  chose  vers  les 
frontieres  de  Flandre  ,  on  put  aussi  marcher  de 

ainsi  qu'une  chose  de  celle  consequence  le  requiert: 
scavoir  faisens  que  nous,  pour  ces  causes  et  au- 
tres bonnes  considerations  a  ce  nous  mouvans ,  avons 
did  ,  declare  el  ordonne,  disons,  declarons  el  erdon- 
nens,  par  ces  presentes ,  sign^es  de  nostre  main  ,  voul- 
lons  et  nous  plaisl  que  tous  gens  de  guerre  et  autres  , 
comme  aussi  tous  vagabonds  et  gens  sans  adveu,  scrvans 
les  ennemis  de  celle  couronne ,  faulteurs  et  adh^rans 
dudit  prince  de  Cende,  soil  nos  subjects  ou  estrangers, 
qui  seront  trouves  dans  nolredite  viile  el  faubourgs  dc 
Paris  et  a  quinze  lieues  a  la  ronde  d'lcelle  ,  vingt-quatre 
heures  apres  la  publication  des  presentes,  seront  pris  el 
aprehendes  el  iraictes  comme  espions  selon  la  rigueur 
de  nos  erdonnances;  et  a  celte  fin,  le  proces  a  eux  faicl 
en  dernier  ressorl  par  les  juges  presidiaux  et  prevosts  dc 
nes  Ires  chers  cousins  les  marechaux  de  France,  et 
qu'incontinenl  et  sans  delay  il  en  sera  faicl  une  recher- 
che exacle  en  ladile  viile  el  faubourgs  de  Paris,  et  pro- 
cede  a  la  capture  el  punition  d'iceux  de  ladile  qualite. 
DelTcndons  en  outre  a  tous  nos  subjects,  de  queique  es- 
tat, dignite  et  condition  qu'ils  soienl,  de  leur  donner 
logement.  rctraicte,  vivres  ni  assistances  quelconques, 
sous  crime  de  leze-majeste.  Si  donnons  en  mandemenl 
a  nos  ames  et  feaux  les  gens  tenant  noire  cour  de  parle- 
raenl  de  Paris ,  que  ces  presentes  ils  aient  a  faire  lire  , 
publicret  enregistrer,  el  le  centenu  en  icelles  garder 
et  observer  selen  leur  forme  el  teneur ,  mesme  de  pro- 
ceder  et  faire  proceder  a  ladite  recherche ,  perquisition 
et  punition  desdits  espions  par  lesdits  prevosls  des  ma- 
rechaux el  autres  nos  ofliciers  qu'il  appartiendra,  car  lei 
est  nostre  plaisir.  En  tesmoin  de  quoi  nous  avons  fait 
mettre,  etc.  » 

Une  lettredu  secretaire  du  prince  de  Conde  nous  ap- 
prend  aussi  qu'il  y  avail  deja  de  grandes  conferences 
pour  la  campagne  qui  allait  s'ouvrir  entre  les  Espagnols 
el  le  prince  de  Conde.  Caillet  ecrivait  le  9  mai  1654 : 

«  A  ce  mesme  instant  je  viens  de  la  cour  parler  a 
menseigneur  I'archiduc  ,  et  ensuite  de  ce  que  monsieur 
le  president  Viele  m'a  dit  de  la  part  de  monsieur  le 
prince,  ai  mande  I'heure  pour  !a  conference  a  tenir  sur 
les  choses  de  la  campagne ;  et  pour  ne  se  treuver  fort 
bien,  il  supplie  monsieur  le  prince  que  ce  puisse  estre 
pour  demain  pour  les  dix  heures  du  matin:  ce  que  je 
veus  prie  de  vouloir  bien  adviser  a  monsieur  le  prince. 

»  Caillkt.  » 


4(iO 


>;i:.\i<)ii!Es  m    \ico.mtk  u\.   iirknak. 


103  1 


ce  cote.  II  n"y  avoit  pas  dapparencequeles  en- 
neniis  fissent  un  siege  aussi  considerable  que 
celui  d'Arras.  On  croyoit  que  s'iis  ne  marchoient 
pas  vers  Stenai ,  ils  ne  pouvoient  entreprendre 
que  le  siege  de  Betluine  ou  de  La  Bassee,  et  alors 
oil  auroit  assiege  quelque  place  sur  la  frontiere, 
comme  la  Capelle  ou  Landreeies. 

Dans  le  temps  que  I'armee  du  Roi  etoit  aupres 
de  La  Fere,  on  apprit  par  M.  Mondejeu,  gou- 
verneur  d'Arras,  qu'il  etoit  investi,  sans  qu'il 
en  eiit  eu  auparavant  le  moindre  avis.  Dans  les 
guerres  de  Dandre ,  cela  se  peut  aisement, 
parceque,  le  pays  etant  loi't  serre,  les  places 
sont  si  pres  les  unes  dcs  autres,  que  les  ennemis 
peuvent  en  nienacer  beaucoup  a  la  fois,  et  les 
gonverneurs  ne  scavent  pas  a  laquelle  on  veut 
s'attacher.  A  la  reserve  de  cent  chevaux  que 
1\L  de  Mondejeu  avoit  dans  la  place,  toute  sa 
cavalerie,  composee  do  cinq  cens  chevaux, 
etoit  dans  un  camp  volant  que  commandoit 
M.  de  Barre  ,  qui  etoit  sur  la  riviere  d'Authie, 
aupies  de  Dourlens,  et  avoit  ordre  de  couvrir 
les  places  d'Arras,  de  Bethune  et  de  La  Bassee, 
II  avoit  mis  son  infanterie  dans  les  deux  der- 
iiieres  places,  comme  etant  les  plus  eloignees  et 
les  plus  difficiles  a  secourir  en  cas  que  I'ennemi 
les  eiit  assiegees ,  et  11  croyoit,  aussi  bien  que 
le  gouverneur  d'Arras,  qu'il  auroit  toujours 
assez  de  temps  pour  entrer  dans  la  place  avant 
que  d'etre  investie,  parce  que  c'est  un  pays  de 
plaine  et  qu'il  n'en  etoit  pas  trop  eloigne.  II  ne 
put  pas  y  reussir  les  deux  ou  trois  premiers 
jours,  mais  ensuite,  ayant  envoye  M.  d'Equan- 
court  avec  quatro  cens  chevaux,  et  M.  de  Saint- 
Lieu  avec  un  pareil  nombre,  par  differens  en- 
droits  et  a  un  jour  distant  I'un  del'autre,  tous 
deux  essayerent  de  se  jetter  dans  la  place  avec 
beaucoup  de  hardiesse;  mais  ayant  trouve  la 
cavalerie  de  I'ennemi  qui  les  attendoit  sur  deux 
lignes,  la  moitie  de  leurs  gens  fut  prise  ou  con- 
trainte  de  retourner,  et  I'autre  moitie  entra  dans 
la  place  avec  eux.  M.  de  Turenne  fit  aussi  de- 
tacher de  son  annee  le  chevalier  de  Crequi  avec 
cinq  cens  chevaux  ,  composes  de  son  regiment, 
de  celui  de  Bouillon,  et  de  gens  commandes , 
qui,  apres  avoir  fait  un  grand  tour,  ayanl  trou- 
ve une  barriere  du  camp  des  ennemis  qui  n'e- 
toit  pas  fermee,  y  entra,  et,  quoiqu'il  lut 
charge  par  leur  cavalerie  ,  il  se  jetta  dans  la 
place  avec  deux  cens  cinquante  chevaux  :  une 
grande  partie  des  autres  fut  faite  prisonniere 


'I )  La  lcv(-o  (111  silage  d'Arras  f»l  une  alTairc  assez  iiii- 
|>iii  (.Mile  |)(iiir  qiic  I'liihloiie  ne  dedainne  pascei  laiiies  jiai  ■ 
linilai  lies  de  dt^tail  (|ue  lOii  Irouve  dans  les  lellre.s  de  Tu 
ifiine.  Nous  en  cileinns  leinicilernenl  (|uelqiie>-iin.-s  : 


(t  sa  derniere  troupe,  commandee  par  un  colo- 
nel ,  fut  perdue  dans  la  nuit  et  ne  le  put  pas 
suivre. 

Quand  on  scut  que  cette  cavalerie  etoit  entree 
dans  Arras ,  on  lut  quelque  temps  en  doute  si 
les  ennemis  continueroient  le  siege;  mais  on 
apprit  ([u'ils  faisoient  travailler  a  leurs  lignes, 
et  que  ce  secours  n'avoit  empeche  que  quelques 
jours  I'ouverture  de  la  tranchee.  L'armee  du  Roi 
s'avanca  aupres  de  Peronne  ,  et  comme  on  crai- 
gnoit  de  ue  pouvoir  pas  en  tirer  tous  les  vivres 
iiecessaires,  M.  de  Turenne  ne  fut  pas  d'avis 
que  Ton  s'approcluU  du  camp  des  ennemis  qu'a- 
pres  que  I'on  auroit  donne  tel  ordie  aux  vivres 
que  I'on  ne  fiit  pas  oblige  de  combattre  I'ennemi 
dans  ses  lignes  sans  raison ,  ni  de  se  retirer 
faute  de  subsistance.  Pour  le  premier,  il  n'y 
avoit  pas  d'apparence  de  combat! re  une  armee 
beaucoup  plus  forte,  qui  n'avoit  point  ouvert 
de  tranchee,  et  par  consequent  point  affoiblie 
ni  par  la  desertion,  ni  par  la  wecessite,  ni  par 
un  grand  nombre  de  gens  que  I'on  perd  dans 
un  siege;  et  pour  I'autre,  il  etoit  clair  que  de 
s'approcher  de  renuemi  pour  etre  apres  oblige 
de  s'en  retirer,  feroit  un  tres-mauvais  effet  et 
dans  l'armee  et  dans  la  ville  assiegee.  Sans  ces 
inconveniens,  il  est  sans  doute  qu'il  eut  ete 
prudent  de  se  rendre  bienlot  aupres  des  enne- 
mis apres  qu'ils  furent  devant  la  place,  parce 
qu'on  leur  eut  empeche  de  faire  un  grand  ma- 
gazin  de  vivres  dans  leur  camp  ;  mais  on  crut 
ce  dernier  inconvenient  moindre  que  les  autres. 

M.  le  cardinal ,  qui  etoit  avec  le  Roi  a  Sedan 
durant  le  siege  de  Stenai,  pensa  s'en  venir  a 
Peronne  ;  mais  11  y  envoya  M.  Le  Tellier.  M.  de 
Turenne  et  M.  le  marechal  de  La  Ferte  virent 
ce  ministre  le  matin  qu'ils  marcherent  vers  le 
camp  de  I'ennemi ,  et  s'assurerent  tout-a-falt 
que,  lui  etant  sur  la  frontiere,  toutes  ehoses 
seroient  bien  reglees  pour  la  subsistance  de 
l'armee  qui  s'eloigna  de  neuf  lieues,  alia  lo- 
ger  a  la  porlee  du  canon  du  camp  des  ennemis, 
et  se  mit  entre  eux  et  Douai  ,  d'oii  ils  tiroient 
tous  leurs  vivres.  L'armee  du  Roi  n'avoit  pas 
plus  de  quatorze  ou  quinze  mille  bommes ,  et 
celle  des  ennemis  passoit  \ingt-cinq  mllle. 
M.  de  Turenne,  a  cause  de  la  foiblesse  de  l'ar- 
mee efdu  peu  d'equipage  d'artillerie  et  de 
vivres,  ne  fut  jamais  d'avis  d'entreprendre 
autre  chose  d'abord  ,  que  le  secours  d'Arras  (i), 
dont  il  a  toujours  cru  que  le  siege  seroit  difti- 

.1  Monsieur  Le  Tellier. 

<(  Monsieur,  nn  gcnlillioinnie  qui  est  a  M.  Ic  eomle 
de  nniulio  sen  va  a   la  eour;  il  y  a  deja  quelques  .jours 


ME,\;0!«hS    1)11     TICOMTK     1)K     VMU.NNK.    ri().)4 


4r,\ 


cile,  etquesi  Tarmee  du  Roi ,  assuree  dos  vi- 
vres,  s'approchoit  du  camp  des  Espagnols,  elle 

qu'il  est  parti  de  La  Bassee.  On  est  dans  I'attente  de  sa- 
voir  si  M.  le  chevalier  de  Crequi  sera  entr^  dans  Arras. 
II  y  a  aiissi  un  autre  corps  considerable  qui  y  est  mar- 
che,  dc  sorte  que  dans  deniain  au  soir  on  sera  esciairci 
de  choses  bien  importantcs  au  regard  de  ce  siege  la.  On 
a  envoys  ies  lettresdu  Roy  aux  gouverneurs ,  afin  qu'ils 
Assent  promlemcnt  sortir  ies  Iroiippes.  M.  Du  Bac  m'a 
mand6  aujourd'hui  que  le  gouveriieur  d'Esdin  avoit  fait 
difliculte  de  laisser  toules  cellcs  du  regiment  de  Picar- 
die  qu'il  y  avoit  mis  ;  comme  nous  niarchcrons  aupres 
de  Tennomi  ,  on  manquera  de  voitures  pour  Ies  vivres. 
On  fait  dici  toulce  qu'on  pent  pour  cela  ;  mais  il  seroit 
necessairc  d'une  personne  d'aulorife  de  la  part  dc  Son 
Eminence.  Je  suis  fort  incommode  de  n'avoir  personne 
iti  qui  fasse  la  charge  d'infendant  quand  on  est  pres 
des  viiles.  Le  pain  se  fournitbien  aisem.enl;  mais  quand 
on  sera  esloigne.  il  me  sera  bien  necessairc  de  laisser  un 
homme  d  autoril^  sur  la  frontiere.  II  n'y  a  ricn  au  mon- 
de  que  Ton  ne  fasse  pour  pouvoir  empescher  qu' Arras 
ne  se  ponie.  J'escrivis  a  Son  Eminence  hier,  et  on  nc 
manquera  pas  de  I'informer  de  ce  qui  sera  arrive  a  ces 
deux  derniers  secours  que  Ton  a  cnvoyes.  Je  suis  tres- 
vdrilablement ,  Monsieur,  votre  i:eshumble  el  tres- 
alTectionne  serviteur, 

»  TCRENNE, 

»  Au  camp  de  Coliincourt ,  le  8  juillet  Ifioi  » 

Au  mcme. 

((Monsieur,  je  ne  sais  si  vous  avez  sceu  que,  pendant 
que  monsieur  le  marquis  de  La  Monstale  travailioit  a  se 
faire  recevoir  a  Rennes,  ii  y  est  arrive  une  grande  ^meute 
qui  ne  leregardoit  pas,  et  mesme  ils  ont  raz(5  le  temple 
qui  estoit  aupres  dc  la  ville.  Ceux  qui  ne  lui  vouloient 
pas  de  bien  ont  tournc^  cetle  aCfaire  centre  lui,  et  lep;ir- 
lements'est  excus6  sur  ces  grands  desordresa  ne  vouloir 
recevoir  scs  leltres.  M.  le  mareclial  de  La  Meiileraye 
lui  a  conseilli^  d'aiier  a  la  cour,  et  I'a  asseur(5  de  toule 
assislance  en  cas  qu'il  eust  des  ordres  du  Roy.  Jevous 
supplie  tres-humblement,  Monsieur,  de  vouloir  le  consi- 
dclMcr,  et  dagir  en  cctte  affaire  avecquelque  bonl^,  lui 
disant  le  meiileur  chemin  (|ue  vous  croirez  qu"il  ait  a  te- 
nir  pour  venira  bout  d'une  affaire  qui  est  si  juste;  vous 
m'obi  gercz  trd'S-sensiblement.  C'est ,  Monsieur,  voire 
Ires-humble  el  tres-affectionnd  serviteur, 


»  TURENNE.  » 


Au  meme. 


pourroit  peut-etre  ensuite  tiouver  le  moyen  de 
forcer  leurs  lignes.  II  ne  fut  point  de  ropinion 

le  regiment  <le  son  frere  ,  a  defifail  un  parti  de  I'ennemi 
de  trente  chevaux  ;  il  en  avoit  autant. 
»  Au  camp  de  Mouchy-le-Preux  ,  le  19  juillet  1654  » 

Au  meme. 

n  Du  20  juillet  16Ji. 

»  On  fit  hier  au  soir  passer  deux  cents  chevaux  qui 
all(''rent  trouver  M.  Broglio,  afin  qu'il  vint  prendre  le 
poste  de....  On  n'en  a  pas  encore  dc  nouvelles. 


«  Je  vous  envoye  ces  leltres  que  Son  Altesse  a  receues 
d' Arras,  et  n'ai  rien  a  ajouter  aux  deux  duplicalas  que 
je  vous  envoye.  Hier  on  a  dc'ja  fait  un  pont  sur  la  Scarpe, 
el  il  n'est  pas  necessairc  de  cetle  quantile  de  batteaux  ; 
il  sera  loujours  bon  den  faire  venir  quelques-uns  a  Ba- 
paume.  Une  bateric  des  ennemis  de  huict  pieces  a  com- 
mence a  tirer  ce  matin,  et  des  prisonniers  de  I'ennemi  di- 
rent  hier  aux  n6lres  que  M.  le  prince  avoit  voulu  venir 
au  devant  de  Tarmce.  mais  que  Ies  Espagnols  avoient  de- 
sire decontinuer  le  si^ge.  Je  suis  tres-veritablemenf ,  Mon- 
sieur, voire  Ires-humbie  et  Ires  afl'ectueux  serviteur , 

»   TCBENNE. 

))  Vous  ferez  plaisir  a  M.  de  Nogenl  de  mander  a  la 
cour  que  son  fils.  quis"ai»polle  IJeaubrun,  capitaiiie  dans 


»    TCRENNE.    » 


Au  meme. 


(( Jevous aimande hier  qu'il  n'esloit  pasbesoinde  faire 
venir  des  bateaux,  parce  que  nous  faisons  des  pouts  sans 
cela  sur  la  Scarpe ;  mais  je  vous  supplie  de  faire  avec  le 
temps  un  amas  d'oulils  a  Bapaume. 

»    TURENNE. 

»  Au  camp  de  Mouchy-le-Preux,  ce  20  juillet  165'». 

»  II  faut  userde  plus  de  diligence  qu'on  pourra  pour 
faire  venir  Ies  vivres.  » 

Au  meme. 

((  Monsieur,  je  me  donne  I'honneur  de  vous  faire  ce 
mot  par  M.  de  Ciron.  Le  convoi  qui  est  arrivij  a  Ba- 
paume nous  assistera  extremement,  et  vous  voyez  bien 
qu'il  estoit  bien  necesi^aire  qu'il  y  eust  une  personne 
d'aulorit()  sur  la  frontiere.  Je  crois  que  vous  aurez  sceu 
comme  quatre  ou  ciuq  cents  chevaux  qui  portoient  de  la 
poudre  se  sont  briiles,  c'est-a-dire  une  panic,  et  le  resle 
a  jel(5  la  poudre  et  Ies  boulets  qu'ils  avoient.  M.  de 
Beaujcu  est  alld  avec  un  corps  considerable  vers  Bethune 
pour  cmpccher  Ies  convois  d'Aire  et  de  Saint-Omer.  On 
a  veu  une  assez  grande  necessity  de  loules  choses  a  I'en- 
nemi ,  Irois  ou  qu;itre  jours  apres  que  nous  sommes  ar- 
rives a  ce  poste  ici.  lis  tachent  de  surmonler  ces  diffi- 
cult(>s  par  des  convois  qu'ils  pr(^parent  de  tous  Ies  cosies; 
il  ont  fait  passer  dc  la  poudre  sur  le  chemin  deCambray 
a  Arras,  que  trois  ou  quatre  cents  chevaux  portoient 
devant  eux.  Vous  jugez  bien  (ie  I'incommodit^  qu'ils 
refoivent  en  faisant  un  si  grand  siege.  Toules  ces 
choses  ici  sont  fort  douleuses  ;  on  y  fera  le  mieux  que 
I'on  pourra.  Cenendant  ils  ne  tirent  presque  plus  de 
canon  contre  la  vilie  ;  ils  attendent  assurement  des  mu- 
nitions :  pour  cela  on  est  loujours  a  cheval  pour  Ies  en 
empecher.  Comme  vous  escrivez  a  Son  Eminence  ce 
qui  se  passe  ,  on  ne  lui  ecrit  pas  si  souvent.  Je  suis  tres- 
verilablement ,  Monsieur,  voire  tres-humble  et  tres- 
affectionne  serviteur, 

»   TORENNE. 

»  An  camp,  ce23 juillet  1654.  » 
Au  meme. 

((  Monsieur,  je  n'eslois  pas  au  quarlier  quand  voslrc 
lettre  a  esl6  apportee  ;  je  ne  suis  rcvenu  que  le  soir,  es- 
tant  alle  promener  a  Lens  oil  j'envoye  la  cavalerie  avec 
un  ordre  d'allcr  avec  cclle  qui  est  a  Bapaume  droit  au 
mont  Saint-Quentin  ,  oii  ils  se  rendronl  le  dimanche  au 
matin  ,  d'ou  ils  escorteronl  Ics  charreltcs  jusques  a  Ba- 
paume ,  el  de  la  ledil  Vould  aura  I'ordre  de  Ies  ramener 


'162 

commune ,  qu'il  faut  faire  agir  Ics  Francois  d'a- 
bord  ,  persuade  qu'ils  out  la  meme  patience  que 
les  autres  nations  quand  on  les  conduit  bien. 
En  deux  jours  on  arriva  a  la  vue  du  camp 

ct  tl'cn  prendre  ce  qu'il  Irouvera  a  propos.  Je  suis.  Mon- 
sieur, voire  tres-liumble ,  etc., 

»    TUREKNE. 

»  Au  camp  de  Mouchy-le-Preux,  Ic  25  juillell654.  » 
All  meme. 

«  Monsieur,  je  m'assure  que  vous  avez  beaucoup  de 
d(iplaisir  de  la  perle  de  M.  dc  Beaujeu  (voyez  ci-apres 
la  letlre  a  Mazaiin) ;  jc  vous  assure  que  le  Roy  y 
a  perdu  un  des  meiileurs  ofQciers  de  France,  et  en 
mon  parliculier  j'en  ai  un  extreme  regret.  Des  que 
j'aurai  iine  relation  certainc  du  combat,  je  vous  I'en- 
voycrai ;  il  a  este  fort  opiniastre  ;  il  y  a  plus  de  deux 
cens  prisonniers  de  I'eunemi,  et  beaucoup  d'officiers; 
comme  M.  de  Beaujeu  attendoit  le  convoi  d'Aire  ,  cette 
cavallerie  de  I'ennemi  sortanl  du  camp,  le  vindrent  at- 
taqucr  a  la  pointe  du  jour.  J'avois  neuf  ou  dix  esca- 
drons  avec  M.  de  Beaujeu ,  qui  est  ce  qu'il  avoit.  Je 
suis  v(?ritablement ,  Monsieur,  votre  tres- humble  et 
tres-affectionn(5  serviteur, 

»  Tl'RENNE . 

»  Au  camp ,  ce  26  juillet  1654. 

»  Je  vous  suplie.  Monsieur,  d'escrire  pour  le  regiment 
de  M.  de  Beaujeu  en  faveur  deM.  de  La  S^villie,  qui  en 
est  premier  capitaine  etqui  est  un  tres-brave  petit  hom- 
me  qui  a  fort  bien  fait  en  cette  occasion  avec  son  regi- 
ment ;  il  est  parent  de  M.  de  Beaujeu.  » 

A  Monsieur  Le  Tellier. 

«  Au  camp  de  Moucby-le-Preux ,  le  30  juillet  1654. 

»  Monsieur,  j'aurois  toujours  retenu  ce  message  de 
P(^ronne  pour  voir  sil  n'y  auroit  rien  de  nouveau  a  vous 
mander,  mais  comme  par  Bapaume  on  pourra  toujours 
vous  le  faire  savoir,  je  le  renvoye.  II  faut  que  la  lettre 
soit  perdue,  par  laquelle  je  vous  mandois  comme  j'ai  rc- 
Cu  les  lellres  inlercepl^es  que  I'on  vous  avoit  envoyees. 
Les  ennemis  sont  depuis  cinq  ou  six  Jours  aux  premieres 
palissades  et  ne  tirent  presque  plus  de  canon;  hors  les 
trois  ou  quatre  premiersjours,  ils  n'ont  lir(5  qu'avec  deux 
pieces.  Tous  ceux  qui  se  viennent  rendre,  liisent  qu'ils 
ontgrande  peine  a  advancer  pardela  ces  palissades  la, 
el  asseurement  qu'ils  perdent  beaucoup  de  gens,  etil  ya 
une  grande  distance  de  la  au  foss6  de  la  ville.  Je  crois 
que  deux  ou  trois  personnes  qu'on  avoit  envoyees  sont 
entr(5es  dans  la  ville;  on  I'a  vu  par  les  signaux  qu'on  leur 
avoit  dit  de  faire  quand  ils  y  seroient.  On  n'a  pas  eu  de 
nouvcllesde  la  ville  depuis  celles  que  je  vous  ai  envoycfes; 
mais  en  avons  tous  les  jours  par  les  prisonniers  ou  par 
ceui  qui  se  viennent  rendre  comme  ceux  de  dehors 
avancent.  M.le  comte  Broglioet  M.  de  Lislebonne  sont 
avec  un  corps  consid(?rable  vers  Saint-Pole.  II  est  bien 
nialays^  d'empescher  la  cavallerie  qui  passe  charg(5e  de 
qui'lque  chose;  ce  sont  toutes  plaines  et  il  n'y  a  pas  un 
dt^ffilc  ni  passage ;  on  y  fait  ce  que  Ton  pent.  Les  enne- 
mis lirent  de  grandes  assistances  du  costt^  de  Saint-Pole 
el  des  gouvernemcns  dc  Hesdin  et  d'Ourlens.  On  a  esl(5 
oblig(5  d'envoycr  ces  messieurs  avec  un  corps  consid(^- 
rahle,  pour  prendre  des  posies  en  ce  pays-la  et  pour  faire 
bru.Mer  les  villages  (|iil  rontribuent  aux  ennemis.  Comme 
ics  ennemis  sa^enl([u'on  esl  alToibii  de  cavallerie,  ils 


ME.M01fiES    Di;    VICOMTE    DE    TURENNE.    [lGo4] 


des  ennemis ,  pies  d'une  hauteur  qui  s'appelle 
Moi/chi-le-  Preiix.  Comme  les  Espagnols  y 
avoient  quelque  cavalerie ,  on  craignit  d  abord 
qu'ils  ne  se  missent  derriere  en  bataille ,  pour 

prennent  peut-estrc  le  temps  de  faire  passer  le  convoi ; 
on  sera  alerte  pour  les  en  empescher.  Les  ennemis  au- 
roienl  de  tout  en  abondance  si  on  n'estoit  pas  ici;  et 
ayant  a  faire  a  une  forte  garnison,  et  ayanl  une  ville  bien 
fortifi^e  et  une  arm(?e  lout  pres  d'eux  ,  cela  assur^ment 
a  porte  de  grandes  difficultes.  II  est  nialays^  de  parler 
avec  certitude  de  lout  ccci.  Je  vous  supplie  me  conti- 
nuer  I'lionneur  de  vos  bonnes  graces  et  de  me  croire  , 
Monsieur  ,  vostre  tres-humble,  etc. 


»  TCRENNE.  n 


All  meme. 


«  Du  camp  de  Mouchy-le-Preux,  le  5  aoust  165i. 

»  On  m'a  assure  qu'il  doibt  bienlost  d(5barquer  deslr- 
landois  a  Dunkerque  qui  viennent  d'Espagne;  c'est  un 
corps  assez  considerable  ;  on  m'a  dit  qu'on  est  en  traictc 
avec  celui  qui  les  commande :  je  crois  qu'il  seroit  fori 
bon  de  voir  de  bonn£  heure  avant  qu'il  eust  joinct  I'ar- 
m^e,  ce  que  Ton  pourra  faire  avec  lui,  et  je  crois  que 
M.  Scrvien  saura  la  chose  du  bail  que  Ton  a  fail  avec  lui 
ici.  Qui  euslpu  empescher  aux  ennemis  ces  levies  d'lr- 
landois  ou  les  atlirer  a  soi ,  leur  inclination  les  y  por- 
tant,  les  ennemis  n'eussentpu  enlreprendre  rien  de  con- 
siderable cette  annee,  II  est  arrive  ce  matin  un  homme 
envoy^  de  M.  de  Mondprix  ;  il  a  avails  la  letlre  que  Ion 
pourra  avoir  a  ce  soir,  si  press6  que  nous  !e  crojions,  et 
assure  que  les  ennemis  ne  sont  pas  si  pres  du  foss^; 
M.  le  chevalier  de  Crequi  fait  la  dedans  tout  ce  qui  se 
pent  faire  ;  il  dit  qu'il  a  esl^  depuis  deux  jours  un  peu 
blesse.  J'ai  re^u  celle  du  4  aoust.  Le  sieur  Des  Hayes 
m'a  dit  n'avoir  rien  laisse  a  Peronne  de  lout  ce  qu'il  faut, 
quand  il  sera  arrive  dc  Compiegne  a  P(5ronn6 ,  pour  le 
faire  voilurer  a  Bapaume. 

>)  TCREMJE.)) 

Au  meme. 

«  Au  camp  de  Mouchy-le-Prcux ,  le  6  aoust  1654. 

»  Je  vousescrivis  hierau  soir  au  sujet  deccs  Irlandois; 
on  dit  qu'ils  doivent  arriver  a  Dunquerque ;  il  seroit 
fort  n^cessaire,  s'il  vous  plaisoil,  de  savoir,  parlemoyen 
de  M.  de  Charost  ou  par  quelque  autre  voie,  le  temps 
qu'ils  arrivenl  a  Dunquerque  ,  cl  que  vous  nous  en  acl- 
vertissiezpromptemenl:  c'est  un  corps  d'infanterie  assez 
considerable  pour  les  pr^venir  a  enlreprendre  sur  les 
lignes  avant  qu'ils  y  I'ussent  entr^s. 


»  TUBE>">E.  » 


Aumeme. 


«  Au  mesme  camp ,  7  aoust  1654. 

»  Jc  supplie  M.  Le  Tellier  de  voulloir  faire  envoyer 
a  Bapaume  les  munitions  qu'il  a  destinies  d'y  faire 
porter ;  il  seroit  bon  qu'elles  y  fussent  devant  samedi 
au  matin  sans  faule,  et  que  Ics  chareltes  qui  les  auront 
menees  a  Bapaume  vinsscnt  jusqu'au  camp  avec  I'escor- 
le  que  Ion  leur  donnera  a  Bapaume :  c'est  pour  (?viter 
la  longueur  du  temps  d'en  advertir  de  Bapaume  ici  el 
de  leur  envoyer  des  chareltes. 


MEMOIEES    DU    VICOMTK    DE    T'JRENNE.    [l6o4J 


empecher  celle  du  Roi  de  passer  un  ruisseau; 
mais  comme  ce  ruisseau  etoit  loin  de  la  place , 
ils  ne  le  llrent  point ,  parce  qu'il  auroit  fallu  le- 
ver le  siege  ,  ce  qui  ne  pouvoit  se  faire  si  promp- 
tement  que  Tarmee  du  Roi  n'eut  eu  le  temps  de 
se  raettre  en  bonne  posture  et  faire  apprehender 
avec  raison  Tissue  dun  combat.  On  a  nean- 
raoins  dit  queM.  le  prince  avoit  voulu  le  faire  , 
mais  que  les  Espagnols  n'y  voulurent  pas  con- 
sentir.  Aussitot  que  leurs  tj-oupes  nous  virent 
faire  divers  ponts  sur  le  ruisseau  ,  ils  se  reti- 
rerent  dans  leur  camp  apres  quelques  escar- 
mouches,  et  I'armee  du  Roi,  s'etant  avancee  sur 
la  hauteur,  commenca  a  s"y  fortifier:  ce  qui 
fut  fait  dans  la  fm  de  ce  jour-la  etdans  lanuit 
suivante. 

Le  camp  avoit  son  aile  droite  sur  la  Scarpe, 
oil  on  lit  aussi  promptement  des  ponts  pour 
comniuniquer  a  La  Bassee  et  empecher  les  vi- 
vres  de  Douai.  Tout  le  front  du  camp  tenoit 
I'entre-deux  de  la  Scarpe  et  d'uu  petit  ruisseau 
qui  descend  a  Arleux  ,  et  par  le  moyen  de  la 
cavalerie  on  gardoit  autant  que  Ton  pouvoit  le 
chemin  de  Cambrai  et  de  Douai,  qui  n'etant 
que  des  piaines,  onempechoit  bien  qu'il  ne  vint 
(les  chariots ,  mais  non  pas  que  des  cavaliers  ne 
portassent  en  croupe  des  munitions  de  guerre. 
On  manda  aussi  au  comte  de  Broglio,  gouver- 
iieur  de  La  Bassee ,  de  se  venir  Loger  a  Lens  , 
avec  quinze  cens  ou  deux  mille  homraes  de 
garnison  ;  et ,  par  ce  moyen  ,  on  empechoit  les 
vivres  par  le  cote  de  Douai  et  de  Lisle;  il  y 
avoit  le  cote  de  Saint-Paul  qui  demeuroit  fort 
libre,par  oil  les  ennemis  pouvoient  avoir  la 
communication  avec  Aire  et  Saint-Omer.  Des  le 
soir  que  Ton  arriva  avec  I'armee  a  Mouchi-le- 
Preux ,  on  ecrivit  au  gouverneur  de  Hedin  de 
raettre  des  gens  dans  Saint-Paul ;  et  si  cela  eut 
etefait,  le  siege  d'Arras  auroit  assurement  ete 
leve  sans  qu'on  eut  ete  oblige  d'attaquer  les 
lignes;  mais,  ou  les  interets  particuliers,  ou  la 
foiblesse  de  la  garnison  de  Hedin  empecherent 
le  gouverneur  de  le  faire.  On  y  eut  cependaut 
lemedie  sans  la  mort  de  M.  de  Beaujeu  ,  qui, 
ayant  ete  promptement  envoye  avec  douze  cens 
chevaux  et  quelque  infauterie  du  comte  de  Bro- 
glio, pour  garder  le  cote  de  Saint-Paul ,  rencon- 
tra  les  ennemis  qui  alloient  faire  un  convoi  a 
Aire,  et  sept  ou  huit  cens  chevaux  I'ayant  atta- 
que  a  la  pointe  du  jour,  comme  ses  gens  repais- 
soient ,  il  fut  mis  en  desordre  et  tue  sur  la  pla- 
ce (1) ;  mais  ses  gens  s'etant  rallies,  les  ennemis 

(1)  Tiirenne  rendit  comptc  a  Mazarin  du  combat  oil 
M.  de  Beaujeu  pcrdil  la  vie,  par  la  leltre  suivante  : 
«  IVIonsieur,  je  ne  doutc  pas  que  Voire  Eminence  ne 


■iG3 

furent  battus  et  beaucoup  des  leurs  tues  ou  pris 
prisonniers.  Comme  les  n6tres  n'eurent  plus  de 
chefs,  ils  s'en  revinrent  a  Bethune,  et  ne  mar- 
cherent  point  oil  ils  avoient  ete  commandes. 
Dans  cet  iutervalle,  les  ennemis  euvoyerent 
promptement  de  I'infanterie  dans  Saint-Paul :  ce 
qui  mit  ce  lieu  en  etat  de  n'etre  pas  pris  sans 
que  I'armee  y  aliat ;  et  Ton  ne  pouvoit  quitter 
le  cote  de  Douai ,  parce  que  les  deux  lieux  sont 
justement  a  I'opposite. 

Comme  cette  cavalerie  fut  retournee  a  Be- 
thune, M.  de  Turenne  envoya  pour  la  com- 
mander M.  de  Lislebonne ,  qui  la  mena  a  Per- 
nes,  pour  empecher  la  communication  du  camp 
des  ennemis  avec  Aire;  mais  le  cote  de  Saint- 
Paul  demeuroit  toujours  libre  ,  d'oii  ils  tiroient 
beaucoup  de  commodites.  M.  le  comte  de  Bro- 
glio essaya  de  prendre  cette  place;  mais  il  fut 
repousse  avec  perte.  Les  choses  resterent  quel- 
que temps  dans  cette  assiette,  les  ennemis  trou- 
vant  degrandes  difficultes  au  siege,  a  cause  de 
la  resistance  des  assieges  et  de  I'armee  du  Roi, 
qui  etoit  toujours  campee  pres  d'eux.  Comme 
ou  scavoit  tons  les  jours  les  progres  du  siege,  on 
ne  s'appliqua  qu'a  empecher  les  convois,  sans 
essay er  de  forcer  les  lignes,  jusqu'a  ce  que  les 
assieges  fussent  fort  presses  :  on  scavoit  que 
I'armee  des  Espagnols  diminuoit  beaucoup ; 
mais  leur  circonvallation  ne  pouvoit  gueres  etre 
en  meilleur  etat.  II  ne  s'y  passa  done  rien  de 
fort  considerable  pendant  I'espace  d'un  mois, 
hors  quelques  poudres  qui  se  brulerent  comme 
les  ennemis  les  poitoient  en  croupe,  et  quelques 
petits  convois  qui  furent  rencontres;  tout  ce  qui 
venoit  de  Cambrai  a  leur  camp  y  arrivoit  par 
des  cavaliers  qui  passoient  la  nuit;  et  quoique 
notre  cavalerie  fut  sur  les  avenues  pour  les  at- 
tendre,  on  ne  les  rencontroit  jamais  ,  parce  que 
les  environs  sont  de  grandes  piaines.  Cependant 
les  assieges  deffendoient  bien  leurs  dehors ,  et 
repousserent  trois  ou  quatre  fois  les  ennemis  a 
une  premiere  palissade  fort  loiude  la  place,  et 
gardoient  si  bien  leur  terrain  qu'au  bout  de 
sept  semaines  de  tranchee  ouverte,  les  ennemis 
n'en  etoieut  que  sur  la  contrescarpe  d'une  demi- 
lune qui  est  devant  le  fosse ,  et  n'avoient 
pris  qu'un  ouvrage  a  corne  dont  il  falloit 
s'emparer  avant  que  d'aller  a  cette  demi-lune  : 
les  assieges  faisoient  tout  ce  qui  se  peut  faire 
pour  se  bien  deffendre.  M.  le  chevalier  deCre- 
qui,M.  d'Equancourt  et  M.  de  Saint-Lieu  furent 
blesses  dans  les  dehors,  ou  ils  servoient  tres- 

soit  bien  louch^o  de  la  perte  de  M.  de  Beaujeu  :  elie  y  a 
perdu  un  serviteur  bien  atrectionn(5 ,  et  assurement  je 
n'ai  point  cognu  un  plus  brave  ni  un  meilleur  officier 


bieii  iM.de  Mondejeu  se  conduisoit  aussi  bien 
qu'un  gouverneiir  peut  faire. 

Le  siege  de  Stenai  continuoittoujours ,  et  tiroit 
un  pen  en  longueur  par  la  bonne  defense  des 
assieges.  M.  de  Turenne  et  M.  le  marechal  de 
La  Ferte,  vo\  ant  que  les  ennemis  ne  laissoient 
pas  d'avancercelui  d'Arras,  quoiqu'avec  beau- 
coup  de  difficulte,  resolurent  de  donner  aux 
lignes ,  y  etant  aussi  poussez  par  les  nouvelles 
qu'ils  avoient  recucs  de  Mondejeu  ,  qui  faisoit 
seniblant  d'etre  un  peu  pluspressequ'ilne  Tetoit 
eneffet:  il  n'estpasetrange  quelesgouverneurs 
en  usent  ainsi ,  parce  que,  n'etant  pas  assures 
que  les  ennemis  n'attaqueront  pas  avec  plus  de 
vigueur ,  et  si  leurs  gens  ue  se  relacheront  pas 
dans  la  defense,  ils  veuient  toujours  mettre  les 
choses  an  pis ,  et  faire  entendre  qu'ils  se  defen- 
dront  moins  de  temps  qu'ils  ne  le  peuvent  en 
effet.  Onavoitdga  commande  de  tenir  pretes 
toutesles  fascines  etlesclayes  pourattaquer  les 
lignes  le  jour  d'apres,  lorsqu'on  apprit  le  soir 
que  Stenai  capituloit;  et  M.  le  cardinal  manda 
que  le  Roi  marcheroit  en  diligence  a  Peronne, 
et  envoyeroit  toutes  les  troupes  qui  avoient  servi 
au  siege  de  Stenai  pour  renforcer  I'armee.  M.  de 
Turenne  fut  d'avis  d'attendre  ce  renfoi  t ,  parce 
que  Ton  scavoit  tres-certainement  que  la  ville 
pourroit  encore  se  defendre ,  et  on  etoit  si  pro- 
che  des  ennemis  qu'il  ne  pouvoit  rien  arriver 
dont  on  ne  fut  averti  tous  les  jours.  M.  le  cardi- 
nal voulut  aussi  pressentir  si  M.  de  Turenne  ne 
seroit  pas  clioque  si  M.  le  marecbal  d'Hocquin- 
court  alloit  commander  les  troupes  quivenoient 
du  siege  de  Stenai ;  mais  dans  une  situation 
aussi  importante,  M.  de  Turenne  croyoit  qu'il 
ne  pouvoit  pas  y  avoir  trop  de  troupes  ni  trop 
de  chefs;  M.  le  marechal  de  La  Ferte  fut  aussi 
du  meme  avis.  Ces  tioupes  done  marcherent  en 
grande  diligence  apres  la  reddition  de  Stenai, 
passerent  la  Somme,  et  faisant  d'assez  grandes 
journees  vinrent  aupres  de  Bapaume. 

Deux  jours  avant  leur  arrivee,  M.  le  due 
d'Yorket  M.  dc  Joyeuse,  qui  etoit  colonel  ge- 
neral de  la  cavalerie  legere,  etant  alles  prome- 

que  lui ;  on  envoiera  a  Voire  Eminence  la  relation  du 
fombal  qui  a  csIl'  fort  opiniAlrc.  Le  premier  capitaine 
ilu  rf^gimonl  dc  Reaujeu  s'appelle  M.  de  La  S^villie, 
que  Ion  lienl  un  lrcs-l)rave  genliihomme,  et  qui  com- 
mande ce  regiment-Li  avec  bcaucoup  dc  repulation  ;  11 
cstoitau  combat  avec  le  regiment;  on  m'a  dil  qu'il  a 
fort  bien  faicl.  .le  crois  que  s'il  plaisoit  au  Roi  de  le  gra- 
tificr  du  rc'giment,  ([ue  ce  scroll  une  chose  bien  raisonna- 
Me.  On  informc  lous  les  jours  M.  Le  Tellier  de  ce  qui  se 
passe,  qui  en  fail  i»aii  a  Voire  Eminence.  On  continucra 
;i  faire  lout  ce  de  quoi  on  s'avisera  ,  sachant  combien 
lalTaire  d'Arras  est  considerable.  Je  supplie  Ires-hum- 
Memenl  Voire  EiuinciKc  de  mecroire,  avec  une  vc^ritd 


MKMOiKhs  i>i     M(:o.\irh   i)K   lllU-^^H.  [IC>,'>4] 


ner  avec  M.  de  Turenne  aupres  du  camp  des 
ennemis,  assez  proche  du  quartier  de  M.  ie 
prince ,  virent  deux  troupes  un  peu  eloignees  de 
leur  grande  garde  ;  M.  de  Castelnau  s'y  trouva 
aussi  avec  quelques  volontaires  ,  et  voulant  pous- 
ser  ces  troupes ,  on  fit  avancer  un  escadron  de 
notre  garde  pour  soutenir  les  volontaires ,  les- 
quels  s'etant  engages,  ces  deux  troupes  retour- 
nerent ,  et,  ayant  rencontre  une  ravine,  mirent 
ces  messieurs  en  quelque  confusion  avec  leurs 
carabines  et  commencerent  a  les  suivre.  L'es- 
cadron  qui  les  soutenoit  prit  I'epouvante,  de 
sorte  qu'ils  seretirerent  deux  ou  trois  cens  pas 
assez  presses  des  ennemis.  II  y  eut  sept  ou  huit 
volontaires  blessez  ou  prisonniers;  M.  de  Joyeuse 
fut  aussi  blesse  d'un  coup  de  carabine  au  bras; 
on  croyoit  au  commencement  sablessure  legere, 
mais  ayant  ete  porte  a  Paris ,  il  en  mourut  au 
bout  de  six  semaines.  Aussitot  qu'on  scut  que 
les  troupes  de  Stenai  etoient  a  trois  lieues 
du  camp  des  ennemis ,  M.  de  Turenne  alia 
joindre  M.  le  marechal  d'Hocquincourt  avec  deux 
mille  chevaux;  comme  ils  eurent  avis  que  les 
ennemis  attendoient  un  grand  couvoi  de  Saint- 
Paul,  ils  logerent  la  nuit  a  Aubigni ,  qui  est  a 
trois  heures d'Arras  ,  et  le  lendemain  ils  allerent 
vers  Saint-Paul ,  que  Ton  prit  en  arrivaut.  On  y 
apprit  que  les  ennemis  attendoient  trois  mille 
hommes  pour  mener  le  convoi,  et  que  meme  le 
siege  alloit  lentement,  faute  de  munitions  de 
guerre  :  cela  les  obligea  a  faire  des  efforts  pour 
couper  ce  convoi ,  parce  que  si  on  I'avoit  fait  les 
ennemis  eussent  leve  le  siege. 

Apres  que  Saint-Paul  fut  pris,M.  de  Tu- 
renne et  M.  le  marechal  d'Hocquincourt  batti- 
rent  tout  un  jour  I'abbaye  de  Saint-Eloi ,  ou  les 
ennemis  avoient  cinq  cens  hommes  qui  se  ren- 
dirent  a  discretion;  comme  elle  n'etoit  distante 
que  d'une  petite  heure  du  camp  des  ennemis, 
et  que  M.  le  marechal  de  La  Ferte  etoit  demeure 
a  Mouchi-le-Preux  avec  I'armee,  on  a  assure 
que  M.  le  prince  avoit  voulu  tomber  sur  le  corps 
qui  attaquoit  I'abbaye  du  Mont-Saint-Eloi ,  et 
que  les  Espagnols  ne  I'avoientpas  trouve  a  pro- 

et  sinct'ritd  tout  enliere,  Monsieur,  de  Voire  Eminence, 
le  Ires-humble  el  ires-obeissant  servileur. 


»  Turenne. 


»  Au  camp,  ce  25  juillet. 


))  Je  supplie  Ires-humblemenl  Voire  Eminence  de 
demandcr  a  Sa  Majesty  la  compagnie  d'infanterie  de 
M,  de  Beaujeu  ,  qui  peut  etre  de  quarante  ou  cinqiianle 
hommes,  pour  cstrc  incorpor(^e  dans  le  regiment  de  la 
Couronnc. 

»  Ti'KKNm:. 

»  Ce-ifijuillcMOr)'!.  » 


MEMOIBKS    DU    VICOMTR    UB    TURENNE.    [iG^jj] 


pos,  mais  on  rencoDtre  souvent  des  obstacles 
dans  une  grande  circonvallation  et  apres  un 
long  siege,  qui  empechent  d'executer  les  meil- 
leurs  projets. 

Cora)ne  le  Mont  Saint-EIoi  fut  rendu  ,  M.  le 
marechal  d'Hocquineourt  commenca  a  se  re- 
trancher  au  camp  de  Cesar ,  et  M.  de  Turenne 
s'enretournajoindre  I'arraeea  Mouchi-le-Preux, 
en  marchant  tout  le  long  des  lignes  de  I'ennemi 
plus  de  deux  heures.  II  n'en  sortitque  desescar- 
moucheurs  que  M.  de  Castelnau  alia  reconnoi- 
tre de  fort  pres,  et  la  cavalerie  niarcha  tout  ce 
temps-la  a  la  portee  du  canon  des  pieces  de 
trois.  On  vit  tout  ce  cote  de  lignes  assez  de- 
garni,  qui  etoit  le  quartier  de  Dom  Fernando 
Soils ;  et  assurement  cette  marche  donna  beau- 
coup  de  connoissance  pour  I'altaque  et  pour  le 
chemin  qu'il  falloit  prendre  pour   y  donner. 
M.  de  Turenne  etant  arrive  au  camp,  envoya 
dire  a  M.  le  marechal  de  La  Ferte  que  la  cava- 
lerie de  Tennemi,  qui  avoit  voulu  mener  le  con- 
\oi ,  prenoit  le  chemin  de  Douay ,  et  qu'ap- 
paremraent   ils    essayeroient  d'entrer   la  nuit 
dans  les  lignes.  11  donna  tons  les  ordres  neces- 
saires  pour  I'empecher ,  ayant  fait  monter  toute 
la  cavalerie  a  cheval ;  mais  par  la  faute  d'un  of- 
ficier  ,  qui  etoit  poste  sur  la  route  avec  un  petit 
corps  de  cavalerie ,  et  qui  n'en  donna  point  d'a- 
vis,M.  de  Boutteville,  qui  commandoit  cette 
cavalerie  chargee  de  poudres  et  de  grenades, 
entra  dans  les  lignes ;  ce  qui  ayant  ete  scu ,  il  fut 
resolu  de  faire  I'attaque  le  lendemain.  Apres 
avoir  considere  toutes  choses  ,  on  trouva  qu'il 
etoit  a  propos  de  donner  avec  les  armees  toutes 
de  front,  et  la  nuit ,  M.  de  Turenne  ayant  tou- 
jours  ete  d'avis  de  ne  point  tenter  par  divers 
c6tes,parce  que  chacun  s'attend  a  donner,  et 
ainsi  on  laisse  souvent  passer  le  temps,  et  le  jour 
vient ;  d'ailleurs,  quand  on  ne  se  voit  point ,  on 
entre  aisement  en  soupcon  que  les  autres  sont 
repousses.  Le  jour  les  ennemis  mettent  toutes 
leurs  troupes  ensemble ,  mais  la  nuit  ils  n'osent 
point  entierement  degarnir  leurs  quartiers;  la 
plus  grande  difficulte  qui  s'y  rencontre ,  c'est 
que  les  marches  de  nuit  sont  difficiles ,  et  il  est 
aise  de  se  perdre;  c'est  pourquoi  il  faut  que  les 
camps  soient  proche  des  lignes  de  I'ennemi,  afin 
de  ne  pas  tomber  dans  cet  inconvenient. 

On  marcha  done  a  I'entree  de  la  nuit  :  M.  de 
Turenne  avoit  I 'avant-garde,  et  ayant  passe  la 
Scarpe  sous  le  quartier  de  M.  le  marechal  de 
La  Ferte ,  qui  avoit  commande  que  Ton  y  fit 
quantite  de  ponts.  On  prit  le  meme  chemin  que 
Ton  avoit  fait  en  revenant  du  Mont  Saint-Eloi; 
on  etoit  bien  averti  de  I'etat  des  lignes  de  I'en- 
nemi ;  ils  avoient  partout  un  fosse  perdu,  creux 

III.    C.    n.    M.,    T.    III. 


46.S 

decinq  ou  six  pieds,  et  large  de  huit  ou  neuf, 
et  entre  ce  fosse  et  celui  de  la  ligne  il  y  avoit 
un  espace  de  quatre  ou  cinq  pas  remplis  de 
trous  ou  puits  ronds  ,  et  profonds  de  trois  ou 
quatre  pieds ,  et  environ  d'un  pied  de  diame- 
tre ;  quand  on  les  avoit  passes,  on  rencontroit  la 
ligne  qui  etoit  a  I'ordinaire  avec  un  fosse  de 
sept  ou  huit  pieds,  et  un  parapet  de  la  hauteur 
ordinaire;  on  avoit  mis  entre  les  trous  comme 
depetitespalissades,  hautesseulementd'uu  pied 
etdemi,  pour  erabarrasser  davantage  les  che- 
vaux. 

On  resolut  de  donner  avec  I'infanterie  sur 
deux  lignes  ;  et  on  avoit  donne  a  ehaque  batail- 
lon  de  la  premiere  ligne  quatre  ou  cinq  esca- 
drons  pour  porter  les  fascines  et  les  clayes  que 
Ton  vouioit  mettre  sur  les  trous  :  la  cavalerie 
portoit  aussi  des  outils.  Ayant  marche  a  une 
petite  deml-lieue  de  la  ligne,  il  n'y  avoit  plus 
que  deux  petites  heures  devant  lejour.  L'armee 
de  M.  de  Turenne  se  rangea;  celle  de  M.  le  ma- 
rechal de  La  Ferte  se  mit  a  la  main  gauche  ; 
M.  le  marechal  d'Hocquineourt  venoit  aussi 
d'aupres  du  Mont  Saint-Eloi  pour  donner  sur 
le  meme  front.  On  s'approcha  a  deux  cents  pas 
de  la  ligne  sans  donner  I'allarrae ,  et  deux  cents 
horames  qui  etoient  a  la  tete  de  ehaque  batail- 
lon  de  la  premiere  ligne,  aborderent  le  premier 
fosse  :  on  leur  fit  une  fort  legere  decharge  ,  et 
neanmoins  si  les  bataillons  n'eussent  marche 
au  meme  instant  pour  seconder  ces  gens  com- 
mandes,  its  se  fussent  renverses  :  on  ne  trouva 
presque  point  de  resistance;  mais  toutes  les 
troupes  avoient  concu  cette  action  comme  une 
chose  si  difficile  ,  qu'il  n*y  avoit  que  les  offi- 
ciers  et  quelques  soldats  qui  s'opiniaitroient  a 
s'attacher  au  parapet ,  et  le  reste  des  regimens 
demeuroit  a  la  campagne  sans  en  oser  appro- 
cher.  De  l'armee  de  M.  le  marechal  de  La  Ferte, 
il  n'y  eut  que  quelques  regimens  qui  allerent 
jusqu'au  dernier  fosse  ;  mais  pas  un  n'entra  par 
son  attaque  :  quand  on  eut  force  la  ligne  a  leur 
main  droite,  ils  vinrent  entrer  par  la.  On  de- 
meura  bien  une  demi-heure  a  combler  les  fos- 
ses, la  cavalerie  qui  etoit  derrieie  les  bataillons 
meltant  pied  a  terre  ,  et  portant  les  clayes  et 
les  fascines ,  durant  lequel  temps  il  y  avoit 
beaucoup  de  bruit  de  timballes  etde  trompettes 
derriere  la  ligne  ;  mais  un  fort  petit  feu. 

M.  le  comte  de  Broglio,  M.  de  Castelnau  et 
M.  Du  Passage  commandoient  I'infanterie  de  la 
premiere  ligne  de  M.  de  Turenne  ;  M.  de  Ron- 
cheroUes  deux  bataillons  de  la  seconde,  et 
M.  le  due  d'York,  M.  de  Lislebonne  et  M.  d'E- 
clainvilliers  etoient  avec  la  cavalerie,  laquelle, 
aussit6t  que  rinfantcrie  se  fut  rendue  mnftresse 

30 


'I  en 

de  la  liguc  ,  commenca  a  eiitrer  par  une  bar- 
riere  ,  mcnant  Ics  chevaux  en  main  ;  et ,  un 
pen  apres  ,  Ics  regimens  qui  etoient  sur  la  pre- 
miere ligne  ,  qui  etoient  ics  gardes-suisscs,  Pi- 
cardie,  La  l-euillade,  Plessis-Praslin  et  Tu- 
renne  ,  ay  ant  fait  chacun  leur  passage  ,  la  ca- 
valerie  qui  etoit  destinee  pour  suivre  ehaque 
regiment  d'infanterie  ,  entra  par  le  passage  que 
ces  regimens  lui  avoient  fait. 

II  etoit  fort  peu  devant  le  jour  quand  les  ou- 
vertures  de  la  ligne  furent  faites,  et  les  ordres 
etoient  donnes  que  la  cavalerie,  apres  etre  en- 
tree, formeroit  ses  escadrons  pres  de  la  ligne,  a 
la  faveur  de  I'infanterie  qui  demeureroit  en  ba- 
taille  ;  mais  la  grande  Joie  que  les  troupes  eu- 
j-ent  de  se  voir  dans  la  ligne  ,  et  que  I'ennemi 
prenoit  Tepouvante,  comme  aussi  I'esperance 
du  butin,  obligeoient  tous  Ics  soldats  de  courir  en 
confusion  dans  le  camp,  Tinfanterie  a  piller  , 
et  la  cavalerie  a  suivre  quelques  escadrons 
ennemis  qui  se  retiroient  du  cote  du  quarticr 
des  Lorrains. 

L'armee  de  M.  le  mareclial  d'Hocqulncourt 
s'etant  un  peu  egarec  a  cause  de  Tobscurite  de 
la  luiit,  donna  aux  lignes  un  peu  apres  la  pre- 
miere attaque ,  et  I'emporta  avec  fort  peu  de 
difliculte.  M.  le  marechal  de  La  Ferte,  des  qu'il 
vit  un  passage  ouvert ,  entra  avec  sa  cavalerie 
et  s'avanca  avec  quelques  escadrons  ,  coulant 
dedans  la  ligne  a  la  main  gauche  :  11  y  avoit 
aussi  quelques  officierset  soldats  de  notre  infan- 
terie  qui  le  suivoient  fort  en  desordre. 

M.  le  prince  ayant  passe  par  le  quailier  des 
Espagnols,  menoit  de  la  cavalerie  au  secours  de 
la  ligne  ;  il  y  avoit  aussi  de  son  infanterie  qui 
le  suivoit ;  mais  ayant  vu  la  ligne  emportee 
en  si  peu  de  temps  ,  et  tout  son  camp  deja  en  si 
grand  desordre ,  on   dit  que  M.  Tarcbiduc  lui 

(1)  Turonne  fut  cotniilimenle  jiar  uii  grand  tiombrc 
de  personnngcs  sur  cellc  Icv^e  de  siege;  nous  nc  rappor- 
terons,  surccsujct,  que  les  deux  loUres  suivanlcs  : 

Lettre  du  landjrnie  de  Ucsse  au  vicomte  de 
I  uremic. 

«  Monsieur,  ccs  lignes  neserviront  que  pour  t(^moigner 
a  Voire  Altesse,  comnie  la  nouvelle  decetle  fameuse  le- 
v(5c  du  si(^gc  d' Arras  donl  I'lieureux  succes  est  du  prin- 
cipalemenl  a  voire  courage  el  conduile  ,  n'est  pas  sitdt 
venue  jusques  .1  moi  quej'en  ai  congu  une  joie  d'aulant 
plus  parfaiie  que  vous  connoisscz  de  longuc  main  I'in- 
l(5rcl  que  je  prons  a  ce  qui  vous  louche,  elparliculiere- 
mrnla  la  gloircquo  \ous  accpK^rez  par  vos  belles  actions. 
Je  prieDieu,  Monsieur,  que  les  suites  qui  les  doivenl 
rouronner  soionl  (^galeincril  hcureuscs  ,  el  qu'elies  con- 
linuenl  d'etre  aussi  avanlageuscs  pour  le  l)ien  des  afTai- 
res  de  voire  Roi,  (|ue  glorieuses  a  vous-m<^me  et  ,i  tous 
reux  (|ui  out  Ihonneur  de  vous  apparlenir.  Je  me  dis  de 
le  nombre  par  la  qualit(^ ,  Monsieur  ,  de  Voire  Altesse, 


MEMOIKES    or    VICOMIE    UK    TURENM:.     [lfio4] 


ayant  demande  ce  qu'il  lui  couseilloil  de  faire  , 
il  lui  repondit  qu'il  croyoil  qu'il  devoit  se 
relirer.  Pour  lui ,  il  marcha  droit  ou  etoit  M.  le 
marechal  de  La  Ferte  ,  qui  fut  oblige  de  faire 
retirer  ses  escadrons.  M.  de  Turenne  avoit  ras- 
semble  quelques  troupes,  voyant  bien  que  si  les 
ennemis  revenoient  il  y  arriveroit  une  grande 
confusion  ;  tout  ce  qu'il  put  faire  fut  de  les  ras- 
surer,  quand  la  cavalerie  ,  qui  s'etoit  avancee  , 
s'en  revint  apres  avoir  fait  passer  la  ligne  a 
deux  pieces  de  \ingt-quatre.  11  est  certain  que 
si  M.  le  prince  eut  pu  mener  quelques  regimens 
d'infanterie  avec  sa  cavalerie ,  il  eut  oblige 
toute  l'armee  du  Roi  a  se  jeter  dans  Arras,  tant 
la  confusion  etoit  grande  des  que  Ton  fut  entre 
dans  les  lignes  ;  mais  comme  I'epouvante  etoit 
tres-grande  dans  son  armee  ,  tout  ce  qu'il  put 
faire  ce  fut  de  pousser  cette  cavalerie  de  M.  de 
La  Ferte ,  et  de  prendre  beauooup  de  prison- 
niers  de  I'infanterie  que  j'ai  dit  qui  I'avoit  suivi, 
et  donner,  par  ce  moyen,  le  loisir  a  beaucoup 
d'infanterie  espagnole  de  se  retirer  ,  les  uns  a 
Cambrai,  les  autres  a  Douai.  Pour  la  cavalerie, 
ils  en  perdirent  fort  peu  ,  mais  ils  laisserent 
pres  de  soixante  pieces  de  canon  ou  dans  leurs 
tranchees  ou  sur  leurs  lignes  :  je  crois  qu'il  y 
eut  bien  deux  ou  trois  mille  soldats  de  leur  in- 
fanterie tues  ou  prisonniers  et  tout  leur  ba- 
gage  perdu.  De  l'armee  du  Roi  il  y  eut  quel- 
ques officiers  tues  ou  blesses  et  trois  ou  quatre 
cents  soldats  ;  de  prisonniers  il  y  en  eut  quel- 
ques-uns ,  et  des  officiers  des  gardes.  Quand 
INL  le  prince  se  retira  ,  toute  Tarmeedu  Roi  se 
mit  a  piller  le  camp  des  ennemis;  de  sorte  qu'on 
ne  les  suivit  pas  phis  loin  que  leur  circonvalla- 
tion. 

La  cour,  qui  etoit  a  Peroune  ,  vint  a  Arras 
cinq  ou  six  jours  apres  la  levee  du  siege  ( I) ;  et 

le  Ires-humble  el  Ircs-alTeotionne  cousin  el  serviteur, 

»  L.VNDGUAVE    DE   HeSSE. 

»  A  Cassel ,  ce  4  septembre  1654.  » 
Letlre  du  due  Frangois  de  Lorraine  an  vicomte. 

«  Monsieur,  je  croi'qu'aprcs  la  pari  que  j'ai  promis 
a  Voire  Allcsse  dc  prendre  a  tous  ses  inl^rets ,  il  est 
superflu  de  lui  tdmoigner  ma  joie  pour  les  bons  succes 
de  ses  glorieuses  enlreprises,  puisqu'elle  en  doit  etre 
persuadcc  dailleurs,  el  qu'a  moins  que  je  voulusse  re- 
nonccr  a  moi-meme,  je  ne  sc.iurois  que  je  ne  ressenle 
comme  miens  propres  tous  ses  bonheurs.  J'ai  sf  u  avec 
quel  avanlage  vous  en  avez  voulu  rendre  participant 
mon  fds,  el  la  gonerosil(5  avec  laquelle  vous  en  avez  mii 
a  son  endroil ;  mais  je  vous  supplie  aussi  de  croire  que 
j'en  ai  tous  les  senlimens  qucjedois,  el  que  Voire  Al- 
tesse ne  pouvoicnl  obliger  personne  qui  lui  soil  plus  v^- 
rilablement  acquise  que  nous,  je  fcrai  gloire  en  mon  par- 


MEMOIUKS    1)U    VICOMT 

comme  on  ne  pouvoit  pas  faire  de  grands  sieges, 
n'ayant  nuls  preparatifs  pour  cela,  et  toute  I'ar- 
mee  de  I'ennemi  s'etant  retiree  dans  leurs 
places,  le  Roi  reprit  le  chemin  de  Paris.  M.  le 
mareehal  de  La  Ferteet  M.  le  raarechal  d'Hoc- 
quincourt  le  suivirent.  M.  de  Tiirenne  passa 
I'Escaut  entre  Cambrai  et  Bouchain  ;  et  ayant 
marche  jiisques  aiipres  de  Conde  ,  11  snt  que  le 
Quesnoi,  dont  les  ennerais  avoient  fait  raserles 
dehors,  etoit  fort  degarni  de  gens ;  il  marcha 
trois  lieues  en  arriere ,  et  le  prit  le  second  jonr  ^ 
ensuite  il  s'avanca  a  Binehes,  mechante  ville 
quiserendit;  il  y  demeura  douze  ou  quinze 
jours ,  ayant  laisse  une  garnison  au  Quesnoi 
dont  il  ne  s'eloigna  pas  jusqu'au  niois  de  no- 
vembre,  y  ayant  fait  faire  divers  convois  ,  a 
cause  qu'elle  est  fort  avancee  dans  le  pays. 

[  Ce  fut  de  cette  ville  que  M.  de  Turenne 
ecrivit  line  lettrea  Son  Eminence  sur  les  opera- 
tions de  Parmee ;  elle  est  du  mois  do  septembre  : 

<<  Apres  avoir  passe  I'Escaut ,  entre  Cambrai 
et  Bouchain  ,  je  suis  venu  aupres  de  Valen- 
oiennes,  et  croyant  que  le  Quesnoi  est  une 
place  que  Ton  peust  fort  bien  garder  et  qui  est 
de  consideration  ,  et  qui  peust  donner  moyen  a 
faire  d'autres  choses ,  faisant  des  magasins,  je 
suis  arrive  aujourd'hui  pres  de  la  place.  Jene 
sals  pas  les  gens  qui  sont  dedans;  le  corps  de  la 
place  est  aussi  bon  que  d'aucune  des  places 
frontieres ;  il  n'y  a  point  de  dehors,  et  il  est  im- 
possible que  Ton  puisse  jamais  rien  faire  en 
avant  sans  avoir  ceste  place-la.  On  ouvre  la 
tranchee  a  ce  soir. 

»  Monsieur  le  prince  est  h  Valenciennes  avec 
les  Lorrains  et  une  partie  de  sa  cavalerie;tout 
le  reste  de  Tarmee ,  hors  ce  qu'ils  ont  jette 
dans  les  places,  pent  estre  ensemble  a  Valen- 
ciennes en  dix  heures.  J'avois  envoye  cinq  cents 
ehevaux  vers  Conde  ;  ils  ont  trou\e  des  troupes 
derriere  la  riviere,  etjen'ai  pas  voulu  employer 
trois  ou  quatre  jours  qu'il  me  falloit  pour  pas- 
ser la  riviere  et  prendre  la  place ,  parce  que, 
apres  cela  n'ayant  nulle  communication  avec  la 
frontiere,  il  me  falloit  revenir  pour  avoir  un 
convoi. 

»  M.  le  prince  a  presentement  la  direction 
de  toutes  choses  sur  la  frontiere  ;  I'archiduc 
s'estant  retire  a  Bruxelles. 

»  M.  Brochet  mandera  a  V.  E.  le  suject 
pourquoi  il  servira  Guise. 

"  Ce  G  septembre  1G54. 

»    TUREININE.    » 


ticulierdeme  faire  paroilre  loujours  comm\j  jc  suis, 
Monsieur,  voire  tres-humble  servilcur, 

»  Le  dcc  Fka>(;ois  de  LoRRAmE  » 


E   DE    TUUEINiNE.    [1054]  ^G7 

'<  Depuis  ma  premiere  ecrite ,  la  ville  du 
Quesnoi  s'est  rendue;  il  n'y  avoit  dedans  qu'une 
compagnie  et  ses  habitaus  :  je  mets  M.  Des- 
pense  dedans  en  attendant  les  ordres  dela  cour; 
et  comme  il  est  de  grande  consequence  d'avoir 
une  personne  dans  le  voisinage  de  Valenciennes 
quivivedoucement,  je  suis  assure  ques'il  plaist 
au  Roi  y  laisser  M.  Despense ,  qu'il  feratout  ce 
qiii  se  pent  pour  conserver  la  place  ,  laquelle  a 
besoin  de  beaucoup  de  reparations  et  d'un 
homme  fort  diligent.  Elle  pourra  servir  a  de 
grandes  choses  si  on  la  raaintient  ,  de  quoi  je 
crois  qu'on  peut  venir  a  bout ,  pourveu  que 
Ton  s'y  applique ;  je  crois  mesme  qu'une  per- 
sonne de  sa  religion  ,  en  ce  lieu-la  ,  peut  pro- 
duire  quelque  bon  effet  a  Valenciennes. 

>'  M.  Brochet  ne  s'en  va  pas  a  Guise  a  cause 
que  Ton  va  donner  la  demi-montre  ;  j'cnvois  de- 
main  y  querir  un  convoi  ;  le  pain  de  munition 
valoit  deja  un  escu  ,  quoique  Ton  en  donnast  a 
I'infanterie.  On  I'achevera  de  faire  moudre  icy 
au  jour,  et  quand  le  convoi  sera  arrive  on  verra 
de  quel  eoste  on  fait  marcher  et  en  quelle  dis- 
position I'ennemi  se  met.  Comme  M.  Du  Pas- 
sage venoit  investir  le  Quesnoi  ,  il  a  battu  un 
parti  de  soixante  ehevaux  des  Lorrains ;  on 
nous  en  prend  quelques-uns  au  fourage  en  ce 
pays. 

»  Au  Quesnoi ,  le  0  septembre  1654. 

»    TUREN^E.    »  ] 

M.  le  prince  ayant  engage  les  Espagnols  u 
mettre  leur  armee  ensemble,  douze  ou  quinze 
jours  apres  leur  defaite  a  Arras ,  et  ayant  les 
places  et  les  rivieres  pour  lui ,  il  se  tint  tou- 
jours  a  deux  ou  trois  heures  de  I'armee  du  Roi ; 
de  sorte  que,  pour  conserver  le  Quesnoi,  le  for- 
tifier et  le  garnir  de  munitions  de  guerre  et  de 
bouche,  il  y  eut  de  tres-grandes  difticultes,  et 
I'armee  pcitit  beaucoup.  II  est  certain  que  , 
sans  la  defaite  d'Arras ,  qui  rend  toujours  pour 
quelque  temps  les  armees  moins  entrepre- 
nantes,  on  n'eut  pu  conserver  le  Quesnoi :  aussi, 
sans  M.  le  prince,  les  Espagnols  ne  se  seroient 
pas  remis  en  corps  d'armee ,  et  il  auroit  pu  ar- 
river  beaucoup  de  desordre  dans  leur  pays  ; 
mais  leur  armee  etant  rassemblee,  on  ne  pou- 
voit pas  marcher  vers  Bruxelles  et  le  Brabant. 
La  carapagne  finit  ainsi  ,  en  conservant  le 
Quesnoi ,  et  les  armees  se  retirerent  de  part  et 
d'autre. 

Encore  que  Ton  fut  sorti  depuis  peu  des 
guerres  civiles  ,  les  hi  vers  se  passoient  fort 
tranqiiillement ,  y  ayant  neanmoins  beaucoup 
de  personnes  ennuyees  ou  mecontentes  du  mi- 

30. 


46S 


MR»1(»IIU>    in      VKOMIR    IK    TUIl^.^^R.    [  l()r>4 


nistere  de  M.  le  cardinal  Mazarin  ;  mais  les 
inaux  et  les  iiicommodites  que  chaeun  avoit 
ressentis  dans  ces  desordres  du  dedans  du 
royaume,  rcndoient  tons  lesparticuliers  si  clair- 
voyans  que  les  discours  des  gens  tui  bulens  ne 
pouvoient  plus  les  emouvoir  :  eomme  quand  il 
arrive  de  giandes  revolutions  ,  il  semble  que 
tons  croyent  qu'ilssont  au  pire  etat  qu'ils  puis- 
sent  elre  ,  ainsi  ,  au  sortir  des  guerres  civiles, 
denouveaux  troubles  recommencent  raremcut, 
a  cause  des  malheurs  qu'ou  vient  d'eprouver. 

[1055]  Dans  I'hiver  qui  suivit  cette  campagne, 
il  y  eut  unc  mesintelligence  qui  dura  assez  long- 
temps  entre  la  cour  et  le  parlement  sur  le  sujet 
des  lys,  qui  est  une  monnoie  que  le  Roi  vouloit 
fairefaire,  et  a  quoi  le  parlement  s'opposoit  ; 
et  comme  les  choses  sembloient  se  porter  tout- 
a-faital'aigreur,  M.  le  cardinal ,  en  presence 
duRoi,  pria  M.  de  Turenne  d'aller  trouver 
M.  le  premier  president,  a  cause  de  I'assemblee 
qui  devoit  se  faire  le  lendemain  (l).  M.  de 
Turenne  trouva  des  expediens  pour  tout  accom- 
moder,  souhaittant  fort  que  les  choses  ne  pas- 
sassent  pas  a  I'extreraite;  outre  que  cela  eut 
erapeche  les  desseins  de  la  campagne,  il  est  cer- 
tain que  M.  le  prince  en  Fiandre  ,  et  M.  le 
cardinal  de  Retz  a  Rome  ,  avoient  beaucoup  de 
partisans  a  Paris  ;  tous  ensemble  eussent  ren- 
du les  choses  malaisees  k  raccommoder  ,  si 
elles  fussent  allees  a  une  rupture  ouverte.  La 
cour  partit  de  Paris  pour  aller  a  Compiegne,  et 
de  la  h  La  Fere  :  Paris  etoit  plutot  las  des 
troubles  que  gueri  de  ses  prejuges.  M.  le  cardi- 
nal de  son  naturel  aimoit  a  tenir  toutes  choses 
en  balance  ,  a  se  raccommoder  avec  ceux  qui 
avoient  quelque  sujet  de  mecontenlement  ,  et  a 
menager  les  esprits  qu'il  ne  pouvoit  gagner. 

Pendant  que  le  Roi  etoit  a  La  Fere  ,  son  ar- 
raee  se  rassembia,  et  en  meme  temps  celle  des 
ennemis.  M.  de  Turenne  prit  quelques  troupes 
et  mena  deux  convois  au  Quesnoi  ;  il  vit  bien 
que  si  on  n'assiegeoit  Landrecies  qu'il  seroit 
impossible  de  maintenir  le  Quesnoi  ,  et  que 
c'etoit  la  la  conquete  la  plus  proportionnee  aux 
forces  que  Ton  avuit.  M.  le  cardinal  fut  dans 
le  meme  sentiment ;  et  on  y  fit  venir  M.  le  raa- 
rechal  de  La  Ferte  ,  de  qui  I'armee  s'assembla 
vers  Laon.  M.  le  prince  etM.  I'archiduc  etoient, 
il  yavoit.plusdequinze jours,  horsdeBruxelles, 
et  toute  k'ur  armee  au  rendez-vous ;  celle  de 
M.  le  prince  sur  la  Sambre  a  cinq  ou  six  heures 

(1)  Le  vicomtc  passe  toujours  rapidcmenl  el  sous  si- 
Iciicp  les  services  qu'il  rend  a  I'Elat.  Cc  Tut  rinflucncc  dc 
son  notn  qui  amena  Ic  rapprochement  dc  la  cour  el  du 
parlement.  On  a  pu  voir  aussi,  dans  les  passages  nou- 
veaux  <le  noire  (Edition  des  M(?moires  dcHelz  el  de  Pierre 


de  Landrecies ,  et  celle  de  M.  I'archiduc  au- 
pres  de  Mons  ,  n'etant  separees  que  de  quatre 
ou  ciuq  heures  Tune  de  I'autre  ,  et  les  deux 
ensemble  a  peu  pres  d'egale  force  a  celle  du 
Roi ;  en  sorte  qu'il  etoit  fort  dangereux  de  com- 
mencer  un  siege  presque  en  leur  presence; 
mais  la  situation  de  Landrecies  contribuant  a 
y  pouvoir  reussir  plus  aisement  qu'a  une  autre 
place,  a  cause  que  le  Quesnoi ,  qui  est  plus 
avance,  cloignoit  un  peu  les  ennemis  et  les 
empechoit  de  marcher  si  aisement  pour  s  oppo- 
ser  au  siege ,  on  resolut  a  i'entreprendre.  M.  de 
Turenne  ayant  donne  rendez-vous  a  Tarmt'c 
qu'il  commandolt  aupres  de  Guise,  et  M.  Ic 
marechal  de  La  Ferte  au  meme  lieu  ,  on  so 
trouva  a  trois  heures  apres  midi  avec  toute  I'ar- 
mee a  une  portee  de  canon  de  Landrecies. 

M.  de  Turenne  n'avoit  point  voulu  mettre 
I'armee  ensemble  avant  ce  rendez-vous  a  Guise, 
parce  qu'il  est  certain  que  sa  separation  en  di- 
vers quartiers  faisoit  que  I'ennemi  avoit  I'oeil 
de  plus  d'un  cote.  Si  I'armee  du  Roi  eut  ete  en- 
semble, celle  de  I'ennemi  s'en  seroit  approchee ; 
et  ainsi,  n'etant  pas  inegales  en  forces,  il  eut  ete 
impossible  d'entreprendre  aucun  siege.  La  pre- 
miere nouvelle  qu'en  eurent  les  ennemis  fut  que 
I'armee  du  Roi  etoit  devant  Landrecies,  ou  ils 
avoient  jette  depuis  peu  deux  regimens  d'infan- 
terie;  de  sorte  qu'il  y  avoit  quinze  cens  hom- 
mes  de  pied  et  plus  de  cent  chevaux  dans  la 
place  :  neanmoins,  leur  premiere  pensee  fut  d'y 
euvoyer  quelque  secours  encore  et  se  mettre 
promptement  ensemble.  M.  le  prince  et  M.  I'ar- 
chiduc s'etant  vus  pour  en  conferer,  la  tentative 
du  secours  ne  reussit  pourtant  pas  ,  a  cause  qu'il 
y  eut  quelque  difficulte  a  rassembler  les  troupes. 

L'armee  du  Roi  etant  arrivee  devant  la  place, 
travailla  avec  tant  de  diligence  a  la  circonvalla- 
tion  qu'elle  fut  achevee  en  trois  jours.  M.  le 
marechal  de  La  Ferte  etant  tombe  malade  au- 
pres de  Guise ,  y  demeura  deux  jours,  et  le  troi- 
sieme  il  vint  rejoindre  son  armee  au  camp.  Dans 
les  cinq  premiers  jours  on  fit  une  telle  diligence 
que  la  circonvallation  fut  en  etat ,  et  qu'il  y  eut 
des  vivres  dans  le  camp  pour  un  mois.  M.  le 
prince, qui  avoit  la  principale  part  dans  les  re- 
solutions de  I'armee  de  Fiandre,  crut  qu'en 
marchaht  en  diligence  et  se  mettant  entre 
Guise  et  Landrecies  ,  qu'il  seroit  impossible  que 
I'armee  du  Roi  eut  investi  la  place  en  un  camp 
nomme  Vadeucourt,  et  erapechat  bien  que  ron 

Lend,  comment,  a  celle  meme  dale,  le  cardinal  d'un 
r6l6  el  le  prince  de  Cond^  de  I'aulre  ,  iScherenl  de  pro- 
filer du  mecontenlement  g(^neral ,  donl  ils  etaienl  du 
resle  parfailement  iiiformds. 


MEMOIilKS    1)11    VICOMTK    DE    TliUF.XNE. 


IG54J 


4V,0 


ne  fit  plus  de  convois ;  mais  il  y  avoit  suffisam- 
ment  cle  loutes  chosespour  achever  le  siege.  On 
voiilut  donuer  rallarme  an  Roi  et  a  la  Reine , 
qui  etoient  a  la  Fere,  a  cause  de  cotte  approche 
(les  enneniis ;  mais  le  cardinal  lesayant  rassures, 
ils  partirent  pour  aller  a  Laon  avcc  moins  de 
precipitatiou  qu'ils  n'auroient  fait  daus  le  pre- 
mier mouvement.  II  agit  ainsi  a  cause  que  beau- 
coup  de  gens  disoient  que  la  personne  du  Roi 
n'etoit  pas  en  surete  a  la  Fere. 

La  tranchee  s'ouvrit  a  Landrecies  le  huitieme 
jour,  et  y  ayant  deux  attaques,  une  de  M.  de 
Turenne  et  I'autre  de  M.  le  marechal  de  La 
Ferte ,  le  troisieme  jour  on  arrlva  sur  la  con- 
trescarpe  d'un  ouvrage  a  come  que  les  ennemis 
defendirent  fort  mal  :  on  y  fit  deux  logemens, 
on  deseendit  le  fosse  de  la  corne,  et  apres  y 
avoir  attache  des  mineurs  et  fait  sauter  les  deux 
faces,  on  emporta  toute  la  tete  de  I'ouvrage.  Les 
ennemis  avoient  un  retranchement  au  milieu  ; 
on  coula  dans  I'epaisseur  du  parapet ;  Ton  con- 
duisit  des  tranchees  pour  aller  aux  demi-lunes 
qui  etoient  aux  deux  cotes  de  I'ouvrage  a  corne. 
Tous  ces  ouvrages  furent  avances  avec  tant  de 
diligence  et  avec  si  peu  de  perte ,  que  le  dix- 
septieme  jour  apres  la  tranchee  ouverte  les  mi- 
nes jouerent  aux  deux  bastions  de  la  place ;  et 
apres  avoir  fait  de  petits  logemens  au  bas  des 
breches ,  les  nssieges  se  rendirent  et  sortireut  au 
bout  de  deux  jours  avec  bonne  composition  ,  au 
nombre  d'enviion  douze  cens  hommes  qui  ne 
s'etoient  pas  trop  bien  defendus. 

L'arraee  de  I'ennemi  nefit  durant  ce  temps-la 
rien  de  considerable  :  ils  envoyerent  souvent 
contre  les  fourageurs  ou  ils  ne  reussirent  pas 
trop  bien.  M.  de  Bouteville  fut  battu  par  le  mar- 
quis de  Renel  et  le  comtede  Grandpre  (1),  qui 
commandoient  I'esoorte  des  fourageurs  de  I'ar- 
mee  du  Roi.  Celledes  ennemis,  qui  etoit  a  Ya- 
dencourt,  ayant  appris  que  Landrecies  capitu- 
loit,  se  retira  en  diligence  vers  Cambrai :  on 
entendit  toute  la  nuit  qu'ils  apprirent  oette 
nouvelle,  grand  bruit  dans  leur  camp,  et  assure- 
mentparmi  le  commundes  soldats  il  y  avoit  un 
peu  d'etonnement. 

Apres  la  prise  de  Landrecies,  le  Rois'en  vint 
a  Guise,  et  on  fit  investir  la  Capelle;  nean- 
moins,  apres  que  Ton  eiit  fait  considerer  a  M.  le 
cardinal  le  peu  d'importance  de  la  place ,  et 
comme  apres  sa  prise  on  pourroit  difficilement 
eutrer  dans  le  pays ,  parce  que  la  saison  s'avan- 
coit  et  que  I'armee  de  I'ennemi  ruineroit  les 
lieux  par  oii  il  falloit  que  celle  du  Roi  passat , 

fl)  Depuis  marechal  de  Joycusc. 

(2)  Ici  Tnrennc  passe  sous  silence  les  excelienls  avis 


il  trouva  bon  que  le  Roi  marchSt  avec  son  ar- 
mee  pour  entrer  dans  le  pays  cnnemi ,  et  on  ju- 
gea  qu'il  n'y  avoit  point  de  lieu  plus  commode 
pour  les  vivres  que  le  long  de  la  riviere  de  Sam- 
bre.  Le  Roi  s'avanca  jusqu'a  Thuyn.  M.  de  Cas- 
telnau  alia  se  saisir  d'un  poste  aupres  de  Dinan, 
lequel  on  croyoit  pouvoir  garder;  mais  ayant 
trouve  qu'il  ne  se  pouvoit  fortifier,  on  fabaa- 
donna.  De  la  le  Roi  ,s'en  vint  aupres  deBavay, 
oil  on  tint  un  conseil  de  guerre  pour  voir  ce 
qu'il  y  avoit  a  faire.  Quelques-uns  de  la  cour 
eussent  bien  desire  que  Ton  eut  assiege  Avennes; 
mais  n'y  ayant  point  de  preparatifs ,  M.  de  Tu- 
renne ni  M.  le  marechal  de  La  Ferte  n'en  fu- 
rent point  d'avis  ;  de  sorte  que  Ton  regarda  aux 
moyens  de  passer  I'Escaut  pour  s'approcher  de 
I'ennemi ,  et  voir  s'il  donneroit  ouverture  a  faire 
quelque  chose  ,  ou  en  se  separant  dans  les  pla- 
ces ,  ou  en  s'opposant  au  passage  de  la  riviere. 
Les  Espagnols  avoient  tellement  inonde  le 
pays  depuis  Valenciennes  jusqu'a  Conde,  et  de 
Conde  jusqu'a  Saint-Guillain,  qu'il  n'y  avoit  pas 
d'apparence  de  tenter  le  passage  en  ces  endroits, 
et  leur  armee  etoit  derriere  pour  I'empecher  ;  de 
sorte  que  Ton  resolut  de  marcher  en  diligence 
entre  Bouchain  et  Valenciennes  (2).  M.  le  mare- 
chal de  La  Ferte  avoit  I'avant-garde ,  et  etant 
parti  la  nuit  d'aupres  de  Bavay,  il  arriva  vers  le 
midi  a  un  lieu  nomrae  Neuville,  ou  ayant  jette 
deux  ponts  ,  et  ne  trouvant  point  de  resistance, 
il  commenca  a  y  faire  passer  son  armee,  dont 
quelques  escadrons  etoient  deja  au-dela  de  I'eau  , 
quand  M.  de  Turenne  arriva  dans  la  fin  du  jour, 
et  la  nuit  les  armees  passerent  I'eau  avec  leur 
bagage.  Une  partie  de  la  cavalerie  de  I'ennemi 
s'avanca  a  une  demi-lieue  de  la  ;  mais  voyant 
que  I'armee  passoit,  elle  se  retira  aupres  de  Va- 
lenciennes oil  le  corps  de  leur  armee  etoit  ar- 
rive ce  jour-la.  Ils  jetterent  la  nuit  quelque  in- 
fanterie  dans  Bouchain  et  commencerent  a  se 
retrancher  ;  mais  ils  le  firent  sans  etre  bien  re- 
solus  a  garder  ce  poste  si  I'armee  du  Roi  venoit 
a  eux  ;  en  sorte  que  le  lendemain,  comme  ils  vi- 
rent  qu'on  marchoit  droit  a  leur  camp ,  ils  com- 
mencerent a  faire  filer  leur  avant-garde  droit  a 
Conde;  et  comme  on  n'a  d'ordinaire  pas  envie 
de  se  retirer  que  Ton  ne  scache  assurement  si 
c'est  toute  I'armee  qui  marche ,  et  que  I'on  se 
flatte  souvent  que  c'est  seulement  un  corps  de 
cavalerie,  M.  le  prince  resta  un  peu  long-temps 
avec  son  arriere-garde.  Comme  on  ne  voyoit 
pas  leurs  mouvemens ,  on  croyoit  qu'ils  vou- 
loient  demeurer  dans  le  retranchement,  etM.  de 

qu'il  donna  dans  le  conseil  de  guerre,  et  que  Ton  trou- 
vera  menlionnes  dans  les  M(5inoires  du  due  d'Yorck. 


J  70 

Turenue  attendoit  le  canon  et  Tinfanterie  pour 
k's  attaquer.  Cependant  il  faisoit  avancer  M.  de 
Castelnau  avec  son  corps  pour  se  saisir  d"un 
bois  proche  de  leur  camp ,  et  vouloit  qu'il  avan- 
eat  dans  leur  flanc ,  qui  paroissoit  un  peu  de- 
t'ouvert,  n'y  ayant  que  la  tete  de  leur  camp  re- 
tranche,  et  ceilanc  ne  I'etantpas.  CommeM.  de 
Castelnau  avancoit,  il  vit  que  I'armee  de  I'en- 
nemi  se  retiroit  et  qu'il  n'y  avoit  plus  que 
([uelques  escadrons  dans  le  camp ;  il  le  manda 
a  INI.  de  Turenne  qui  lui  envoya  ordre  de  sui- 
vre  avec  son  corps.  En  quittant  le  camp  des 
cnuemis  pour  aller  vers  Conde  ,  pays  fort 
etroit  (I),  M.  le  prince,  ayant  laisse  filer  toutes 
les  troupes  ,  etoit  demeure  avec  sept  ou  huit  es- 
cadrons a  I'arriere-garde.  L'armee  de  Tennerai 
n'avoit  pas  mene  de  bagage  au  camp  de  Valen- 
ciennes ,  ce  qui  leur  donnoit  grande  facilite  a  se 
retirer  (2).  M.  de  Castelnau  s'avauca  avec  quel- 
ques  escadrons  des  siens ,  dont  un  ou  deux 
ayant  passe  un  defile,  M.  le  prince  retourna  lui- 
nieme  avec  peu  de  gens  et  fit  repasser  en  con- 
fusion ce  qui  avoit  deja  passe  le  defile.  On  es- 
carmoucha  un  peu  a  cette  arriere-garde ,  et  il  ne 
s'y  fit  rien  autre  chose;  car  I'ennemi  ayant  passe 
la  riviere  d'Escaut  aupres  de  Conde ,  laissa  deux 
mille  hommes  dans  la  place,  et  se  retira  deux 
heures  devant  le  jour  vers  Tournai. 

L'avant-garde  de  l'armee  du  Roi  arriva  fort 
tard  a  la  vue  de  leur  camp  ,  I'Escaut  etant  en- 
tre  ces  deux  arraees.  Ce  fut  cette  nuit-la  que 
M.  de  Turenne  ecrivita  M.  le  cardinal  qui  etoit 
avec  le  Roi  au  Quesuoi ,  et  lui  fit  une  relation 
de  ce  qui  s'etoit  passe  [  par  la  lettre  suivante  : 

M.  de  Turenne  a  M.  le  cardinal. 

«  V.  E.  seeut  hiercorame  M.  le  marechal  de 
La  Ferte  fist  faire  hier  le  pont  sur  I'Escaut ;  je 
le  trouvai  comme  la  cavalerie  achevoit  de  pas- 
ser, et  a  ce  matin  toute  l'armee  a  este  au-deca. 
J'ai  marche  sur  les  huit  heures  du  matin  ;  on  a 
trouve  l'armee  de  I'ennemi  dans  un  vieux  camp 
proche  dc  Valenciennes  ;  ils  y  ont  fait  travail- 
ler  toute  la  nuit ,  et  c'est  le  plus  beau  poste  du 
monde.  II  y  a  eu  grande  contestation  entre 
M.  le  prince  et  les  Espagnols  :  le  premier  vou- 
lant ,  a  ce  qu'il  diet ,  y  demeurer ;  enfin  les  Es- 
pagnols font  emporte  ,  et  ont  marche  ;  ils  n'a- 
voient  point  de  bagages  avec  eux  ,  ce  qui  est 
cause  qu'ils  n'ont  point  fait  de  pcrte  conside- 
rable. On  a  suivi  leur  arriere-garde  presqu'a 
Conde  ,  oil ,  ayant  rompu  le  pont,  leur  dernier 

(1)  II  appelle  Ic  pays  fori  6troit  lorsqu'il  s'y  trouve 
beaiicoup  dc  df'fJWs,  rivieres,  canaitx,  bois  ou  hauteurs. 


Mii-Monirs  uv   mcommc  df-  tiuenne.  [1655] 


escadron  apasse  a  la  nage ;  ils  ont  laisse  le  canon 
a  Valenciennes  ne  pouvant  le  retirer  ,  et  y  ont 
aussi  mis  de  la  trouppe,  desorte qu'ils  sont  ex- 
tremement  foibles.  Des  que  le  canon  et  les  ponts 
seront  arrives  ,  on  travaillera  a  un  pont  sur 
I'Escaut.  Les  ennemis  sont  loges  sur  la  hauteui" 
de  Conde  ;  il  n'y  a  que  la  riviere  entre  les  ar- 
mees.  On  travaillera  aussi  a  un  pont  sur  I'Es- 
caut, plus  haut  que  Conde  ,  pour  la  communi- 
cation du  Quesnoi.  On  a  toujours  passe  en 
suivant  les  ennemis  soubs  le  canon  de  Valen- 
ciennes. Je  ne  sais  s'ils  se  resoudront  de  de- 
meurer a  Conde  ;  on  n'a  point  trouve  de  fou- 
rage  depuis  estre  parti  de  Banag.  M.  le  prince 
vient  presenlement  de  demander  un  passeport 
pour  un  ehirurgien  et  pour  M.  de  Rochefort, 
qui  est  blesse  ;  il  y  a  eu  quelques  volontaires  et 
quelques  cavaliers  blesses.  C'est  M.  de  Cas- 
telnau a  qui  j'ai  faict  suivre  I'arriere-garde  de 
M.  le  prince.  II  a  trouve  qu'on  a  fait  assez 
grande  diligence  ;  si  les  basteaux  et  le  canon 
estoient  arrives  j'aurois  fait  travailler  cette 
nuit  au  pont  qui  est  tout  proche  du  camp 
des  ennemis;  on  verra  demain  si  les  en- 
nemis se  veulent  retrancher  soubs  Conde.  De 
garder  la  riviere  je  ne  crois  pas  qu'ils  le  puis- 
sent ;  ils  n'ont  presque  plus  d'infanterie  avec 
eux.  Cette  lettre  est  par  un  garcon  qui  passe  la 
riviere  a  nage  ;  j'arrive  presentement  proche  de 
Conde.  Les  ennemis  avoient  mis  des  gens  dans 
Bouchain  ,  et  ont  un  regent  espagnol  dans 
Cambray  et  un  autre  dans  Douay.  On  s'esclai- 
cira  demain  de  beaucoup  de  choses ,  et  on  verra 
le  dessein  des  ennemis  ,  c'esta-dire  s'ils  s'opi- 
niatrent  a  garder  Conde  avec  leur  armee  ,  ou 
s'ils  en  delogeront. 

» Aucamp,  pres  de  Conde,  ce  f  1  aoiit  1655.'-] 
La  lettre  tombant  entre  les  mains  de  M.  le 
prince,  il  trouva  fort  mauvais  deux  choses: 
I'une ,  qu'elle  marquoit  qu'il  ne  vouloit  pas 
quitter  le  poste  de  Valenciennes;  et  I'autre, 
qu'un  des  escadrons  de  I'arriere-garde  des  en- 
nemis avoit  passe  I'Escaut  a  la  nage.  Ce  qui 
obligea  M.  de  Turenne  a  mander  la  pre- 
miere circonstauce ,  ce  fut  que  beaucoup  de  gens 
de  condition  ayant  parle  aux  gens  de  M.  le 
prince  a  I'arriere-garde,  ils  dirent  le  soir  a  M.  de 
Turenne  que  si  M.  le  prince  eutetecru,  il  n'eut 
pas  quitte  le  poste  de  Valenciennes;  et  pour  ce 
qu'il  mandoit  de  I'escadron  qui  avoit  passe  a 
nage,M.  de  Saint-Lieu,  colonel,  le  lui  avoit 
dit  quand  il  I'aborda.  En  effet ,  quand  I'ennemi 
rompit  son  pont  sur  I'Escaut ,  il  y  avoit  quel- 

(2)  Ici  Turenne  cache  la  faute  de  Castelnau,  conimc 
il  lait  les  bonnes  actions  qu'il  fait  lui-memc.  (A  E.) 


MEMOIRES    DU    MCOMTE    1)E    TIUENKE. 


IG5i 


17  I 


ques  gens  qui  passerent  a  nage.  Pour  le  reste 
de  la  relation  ,  M.  de  Turenne  ne  se  noraraoit 
en  lien  ,  ni  n'appuyoit  pas  sur  la  retraitte  preci- 
pitee  des  ennemis,  ni  sur  le  raauvais  parti  qu'ils 
prirentdevenir  a  un  poste  au-devant  de  I'armee 
du  Roi ,  pour  le  quitter  en  sa  presence,  et  en- 
suite  entrer  dans  une  telle  confusion  ,  qu'ils 
abandonnerent  toutes  les  rivieres  et  les  pays  du 
monde  les  plus  avantageux  ,  ayant  une  armee  , 
laquelle,  s'ils  ue  I'eussent  pas  affoiblie  en  pre- 
uant  jalousie  de  leurs  places  sans  sujet ,  n'etoit 
pas  inferieure  a  celle  du  Roi. 

M.  le  prince  se  seutit  fort  pique  de  cette  re- 
lation et  envoya  un  trompette  a  M.  de  Turenne 
avec  une  lettre  fort  piquante,  par  laquelle  il  lui 
mandoit  que  s'il  avoit  ete  a  I'avant-garde  de 
son  armee  pendant  que  lui  etoit  a  I'arriere-garde 
de  la  sienne ,  il  eiit  raieux  vu  les  choses  et  n'en 
eut  jamais  dit  de  si  eloignees  de  la  verite.  [  Voi- 
ci  cette  lettre  : 

Lettre  de  M.  le  prince  a  M.  de  Turenne. 

«  Monsieur ,  je  vous  advoue  que  je  n'ay  pas 
eu  une  petite  surprise  quand  une  lettre ,  que 
vous  ecrivez  a  M.  le  cardinal  Mazarin ,  m'est 
tombee  entre  les  mains.  Je  vous  en  envoie  la  co- 
pie,  afin  que  vous  voyiez  que  je  n'ay  pas  pen  de 
subject  de  me  plaindre  devous.  Jene  trouverai 
jamais  estrange  qnand  vous  tirerez  sur  nous 
tous  les  advantages  que  vous  pourrez ,  quand 
ils  seront  veritables ;  et  meme  quand  je  les 
vois  augmenter  dans  les  relations  de  M.  Re- 
naudot,  je  donneray  cela  a  la  coutume ;  mais  de 
voir  dans  une  lettre  escrite  et  signee  de  vostre 
main  que  la  retraite  que  nous  fimes  derniere- 
ment  a  este  si  precipitee  que  notre  dernier  es- 
cadron  a  este  oblige  de  passer  la  riviere  a  nage, 
que  nous  avons  laisse  le  canon  a  Valenciennes 
pour  ne  I'avoir  peu  retirer,  et  que  j'aydit  qu'il 
y  avoit  une  grande  contestation  entre  les  Espa- 
gnols  et  moy  ,  pour  deraeurer  au  poste  de  Va- 
lenciennes ,  ce  sont  des  choses  si  eloignees  de 
la  verite  ,  qu'a  moins  que  de  cognoistre  parti- 
culierement  vostre  escriture,  je  n'aurois  pas  cru 
que  cette  lettre-la  vint  de  vous.  Je  n'ai  parle 
qu'a  messieurs  les  comtes  de  Guiche  ,  de  Vi- 
vonne,  Du  Piessis  ,  prince  de  Marcillac  ,  Puis- 
Guillen  ,  de  Ranty,  Fortelesse ,  Du  Fay  et  Du 

(1)  Cetle  lettre  fut  redigee  par  P.  Lenet;  il  en  Gl 
remettre  la  minute  au  prince  de  Cond^  qui  I'approuva, 
f  oinme  on  le  volt  par  la  lettre  suivante  du  secretaire  du 
prince  : 

«  Son  Altesse  s'(5tant  trouv^e  occupiJc  en  bonne  com- 
pagnic  Chez  Madame  de  Grimberg ,  dans  le  temps  que 
votrp  letlre.  escripto  du  jour  d'hier,  est  arriviie.eUe 


Bouchet.  lis  sont  tous  trop  gens  d'honneur  pour 
dire  que  je  leur  ay  parle  de  la  contestation  que 
vous  dites  ,  et  je  me  soubmets  volonticrs  a  leur 
tesmoignage.  De  vingt  ou  vingt-huit  pieces  de 
canon  que  nous  avons  dans  I'armee ,  nous  en 
avons  envoye  deux  a  Valenciennes  avecle  corps 
de  trouppes  que  nous  y  avons  laisse  ;  et  si  nous 
avons  bien  retire  les  autres ,  il  me  semble  que 
ces  deux-la  seroient  aussi  bien  venues  si  nous 
I'avions  voulu  ,  puisqu'effectivement  vous  foa- 
vez  que  vous  ne  nous  avez  pas  presses.  Si  vous 
aviez  este  a  la  teste  de  vos  trouppes  ,  comme 
j'etois  a  la  queue  des  miennes  ,  vous  auriez  veu 
que  nostre  dernier  escadron  n'a  pas  passe  la  ri- 
viere a  nage.  M.  le  marquis  de  Persan  et  comte 
de  Duras  estoient  a  la  teste,  et  moi  je  passay  avee 
ceiui  qui  I'a  passe  immediatement  auparavant,  et 
je  vous  assure  que  nous  ne  vlmes  pas  une  seule 
de  nos  trouppes  dans  toute  la  prairie  et  qu'il  n'y 
avoit  quequelques  debandes.  Je  ne  crois  pas  que 
M.  deCasteluau  vous  I'aitdict.  II  scaittrop  bien 
que  depuis  le  premier  pont  ou  il  attaqua  nos  trou- 
pes, el  les  ne  se  laisserent  pas  pousser  et  quil  les 
suivit  jusques  a  la  riviere,  au  petit  pas,  etque  ses 
escadrons  u'approcherent  pas  les  uostres  de  deux 
mille  pas  du  depuis.  Ces  Messieurs ,  dont  je 
vous  ay  parle  cy-dessus  ,  qui  sont  de  vostre  ar- 
mee ,  furent  assez  long-temps  avec  moy,  et  je 
leur  laissai  assez  voir  nostre  marche  pour  qu'ils 
en  rendent  tesmoignage.  Enfin,  je  ne  pretens  pas 
tirer  advantage  d'une  retraicte  qui  n'as  pas 
este  belle  ,  parce  que  nous  n'avons  pas  este 
pressez ;  mais  aussi  je  pretens  que  vous  n'en 
tiriez  pas  des  choses  qui  ne  sont  pas  veritables. 
J 'ay  cru  ,  pour  satisfaire  a  ce  que  je  doibs  a 
mon  honneur  ,  vous  devoir  mander  cecy  et 
vous  prier,  quand  vous  parlerez  a  une  aucto- 
rite  des  actions  ou  j'auray  quelque  part ,  de  les 
vouloir  dire  dans  la  verite;  j'en  ay  toujours  use 
de  meme  dans  eel  les  ou  vous  en  avez  eu,  et  quand 
vous  avez  servi  sous  moy,  et  depuis  que  nous 
nous  faisons  la  guerre  ;  j'en  userai  toujours  de 
mesme  et  seray  ,  etc.  (i). 

»  Louis  de  Bourbon.  •>] 

M.  le  prince  ecrivit  aussi  a  beaucoup  d'of- 
ficiers  de  I'armee  du  Roi ,  comme  voulant  faire 
un  manifeste,  et  manda  a  M.  le  marechal  de 

m'a  pri^  elle-meme  d'y  rdpondrc.  Elle  m'a  seulemenl 
command^  devous  dire.  Monsieur^  qu'elle  approuvoit 
toutes  les  choses  que  vous  aviez  faitcs.  Je  m'envaistout 
prdsentement  chez  M.  Ic  due  de  Fuensaldagne.  Pour  la 
lettre  que  vous  demandcz,  jc  tAcherai  de  vous  I'envoyer 
demain  par  la  barque  du  matin. 

»  Caim.et.  » 


4  7-2 


MEMOIRF.S    l)U    \ICOiMTE    DE    TUBKNNE.    [  1 655] 


La  Terte  que  iM.  de  Turenne  ne  parloit  pas  de 
lui  en  bons  terraes  dans  sa  relation. 

[  Les  lettres  a  M.  de  La  Ferte  et  a  M.  de 
Castelnau  etoient  ainsi  eoncues  : 

Lettre  de  M.  le  prince  a  M.  le  marechal 
de  La  Ferte. 

«  Monsieur ,  je  vous  envoie  la  copie  d'une 
lettre  de  M.  de  Turenne  a  M.  le  cardinal  Maza- 
riii ,  dont  Torlglnal  m'est  tombe  entre  les  mains, 
par  laquelle  vous  verrez  ce  qu'il  dit  de  ee  qui 
s'est  passe  dernierement  a  notre  retraite ;  je 
crois  que  si  vous  aviez  eu  I'avant-garde  vous 
n'en  auriez  pas  use  de  meme ,  car  vous  I'auriez 
veu,  ou  si  vous  n'y  eussiez  peu   arriver  vous 
vous  en  seriez  faict  informer  par  des  personnes 
qui   I'auroient  veu.    II   diet  que  nous  avons 
este  si  presses,  que  mon  dernier  escadron  a 
passe  la  riviere  a  nage ,  que  nous  avons  laisse 
nostre  canon  a  Valenciennes  pour  ne  I'avoir  peu 
retirer,   et  que  j'ai   diet  que  j'avois  eu  une 
grande  contestation  avec  les  Espagnols  pour 
demeurcr  au  poste :  pour  le  dernier  ,  je  prends 
a  temoin  messieurs  le  prince  de  Marcillac,  comte 
de  Guiche,  Puis-Guillen,  Ranty,   Du  Plessis, 
Vivonne,  FortelesseetDu  Fay,  si  jeleur  en  ay 
jamais  parle,  et  ce  sont  pourtant  les  seuls  a  qui 
j'ay  parle  dans  la  marche ;  pour  le  canon ,  nous 
avons  este  si  peu  presses  que  nous  aurions  este 
bien  miserables  de  le  laisser.  II  est  vrai  que  de 
vingt  a  vingt-cinq  pieces  que  nous  avons  a  I'ar- 
mee,  nous  en  avons  envoye  deux  a  Valenciennes 
avec  le  corps  de  troupes  que  nous  y  avons  laisse, 
et  qui  est  a  present  retourne  icy ;  pour  I'affaire 
du  dernier  escadron ,  M.  de  Castelnau  scait  bien 
que  du  depuis  le  premier  pont  ou  nous  tournames 
et  ou  ses  trouppes  ne  passerent  que  long-temps 
apresque  nous  I'eiimes  quitte,ses  escadronsne 
virent  plus  les  nostres ,  et  tous  ces  messieurs  que 
je  vous  ay  nommes ,  et  qui  marcherent  long- 
temps  avec  mon  dernier  escadron ,  virent  que 
nostre  retraicte  ne  se  fit  jamais  qu'au  petit  pas. 
Je  passay  la  riviere  avec  le  penultieme  escadron, 
et  MM.  de  Persan  et  de  Duras  avec  le  dernier ;  je 
vous  assure  qu'ils  n'ont  point  este  obliges  de  se- 
cher  apres  avoir  passe  la  riviere  d  nage  ,  et  que 
nostre  pont  ne  fust  defaict  que  long-temps  apres 
qu'il  fust  passe.  Je  ne  vous  dis  point  cecy  pour 
tirer  aucun  advantage  de  notre  retraicte;  nous 
avons  este  si  peu  presses  qu'elle  ne  le  merite 
pas.  Je  vous  dis  seulement  pour  vous  desabuser 
d'une  impression   que  vous  pourriez  avoir  si 
M.  de  Turenne  vous  avoit  dit  la  mesme  chose 
qu'il  a  cscriptea  M.  le  cardinal  Mazarin.  Je  ne 
demaiide  ny  louange  ni  vitupere ,  vous  scavez 


assez  ce  terme-la  et  vous  n'ignorez  pas  quels 
doivent  estre  mes  sentimens  dans  ce  rencontre. 
Je  vous  demande  la  continuation  de  vostre 
amitie  et  de  me  croire  toujours,  etc. 

»  Louis  de  Bourbon.  » 

Letlre  de  M.  le  prince  a  M.  de  Castelnault. 

«  Monsieur,  je  vous  envoie  la  copie  d'une 
lettre  que  M.  le  marechal  de  Turenne  escrit  a 
M.  le  cardinal  Mazarini ,  qui  m'est  tombee  entre 
les  mains :  je  ne  puis  mieux  m'adresser  qu'a 
vous  pour  vous  demander  lesmoignage  de  la 
verite  de  ce  qui  s'est  passe  dans  notre  retraicte, 
puisque  je  vous  ay  toujours  creu  fort  homme 
d'honneur  et  que  vous  avez  veu  de  fort  pres 
tout  ce  qui  s'est  passe;  je  ne  vous  parle  pas  de 
ce  qu'il  dit  que  j'aye  diet  que  j'avois  eu  une 
grande  contestation  avec  les  Espagnols  pour 
demeurer  aux  postes ;  MM.  de  Marcillac ,  de 
Guiche,  de  Puis-Guillen,  Du  Plessis,  de  Vi- 
vonne, Fortelesse  ,  Du  Bouchet ,  de  Ranty  et 
Du  Fay,  qui  sont  les  seuls  a  qui  j'ai  parle, 
scavent  bien  que  je  ne  leur  en  ay  rien  dit ;  je  ne 
vous  parleray  point  aussi  de  ce  qu'il  dit  du  ca- 
non. Vous  scavez  bien  que  quand  vous  avez 
paru  il  y  avoit  long-temps  que  nostre  artillerie 
estoit  partie  et  que  vous  ne  I'aviez  pas  seule- 
ment veue  ,  et  que  nous  en  avons  envoye  deux 
pieces  seulement  a  Valenciennes  avec  le  corps 
que  nous  y  laissames  en  partant ;  mais  je  par- 
leray du  dernier  escadron ,  qu'il  dit  qui  a  passe 
la  riviere  a  nage;  vous  scavez  ,  Monsieur,  que 
depuis  le  premier  pont  ou  vous  nous  attaqu^tes 
fort  vigoureusement  et  ou  les  trouppes  que  j'y 
avois  ne  le  defendirent  pas  mal,  vos  escadrons 
n'ont  plus  suivy  les  nostres  que  de  deux  mille 
pas ;  quand  vous  parlastes  a  M.  de  Persan  nos 
trouppes  estoient  presque  passees ,  et  ces  mes- 
sieurs ,  a  qui  vous  permites  de  s'advancer  jus- 
qu'a  moy ,  vous  auront  peu  dire  qu'ils  ne  virent 
plus  que  trois  escadrons  au-dela  de  I'eau;  vos 
escadrons  ne  parurent  dans  la  prairie  que  long- 
temps  apres  que  tous  les  nostres  furent  passes  , 
et  je  passay  a  la  teste  du  penultieme,  et  MM.  de 
Persan  et  de  Duras  a  la  teste  du  dernier.  Je 
m'assure;  Monsieur,  que  si  on  vous  en  parle 
vous  en  direz  la  verite;  peut-estreque  si  le  reste 
de  I'avant-garde  vous  eust  suivy  de  plus  pres, 
que  vous  nous  auriez  embarrasses  davantage. 
Mais  vous  scavez  que  nous  nous  sommes  retires 
fort  a  nostre  aise  et  qu'hors  le  petit  combat  qui 
fut  au  premier  pont,  rien  ne  nous  a  deub  obliger 
a  aller  plus  vite  que  le  pas.  Je  ne  demande  au- 
cun honneur  de"  cctte  retraicte ,  mais  je  ne  pre- 


!HK\!Onu-S    Dll    VICOMTE    DE    TUREIN^E.    [  I  055] 


tends  point  aussy  avoir  de  blasme ;  je  vous 
crois  trop  homrae  d'houneur  et  trop  de  nies 
amis  pour  en  parler  autrement ,  et  je  vous  prie 
de  croire  que  personne  ii'est  tant  que  moi ,  etc. 
»  Au  camp  de  Tournay  ,  ce  18  aoust  1655. 

»  Louis  de  Bouebon.  »] 

M.  de  Turenne  recut  la  lettre  de  M.  ie 
prince  devant  beaucoup  d'officiers  et  la  leur 
montra  aussitot ,  sans  rien  dire  sur  I'heure 
au  trompette.  En  effet,  la  lettre  ne  le  facha 
pas ,  sentant  qu'il  n'avoit  rien  fait  contre  I'es- 
time  qu'il  a  pour  M.  de  Conde,  ui  contre  le 
respect  que  Ton  doit  a  un  prince  du  sang ; 
mais  il  vit  bien  que  les  choses  ne  lui  ayant  pas 
reussi,  il  s'echauffoit  sur  une  matiere  bien  le- 
gere.  Aussi,  comme  M.  le  prince  passoit  uu  peu 
les  bornes  de  ce  qui  se  pratique ,  M.  de  Turenne 
dit  a  son  trompette  qu'il  le  feroit  punir  s'il  lui 
apportoit  de  semblables  lettres  a  I'avenir.  II  ne 
recrivit  point  a  M.  le  prince  qui ,  dans  la  fin  de 
cctte  campagne  et  dans  la  suivante ,  temoigna 
beaucoup  d'aigreur  contre  lui ,  et  ils  ne  s'ecri- 
virent  plus  comme  ils  avoient  fait  les  annees 
precedentes. 

On  passa  I'Escaut  aupres  de  Conde,  et  comme 
il  etoit  inutile  de  suivre  Tenneraiqui  se  mettoit 
sous  Tournai ,  on  attaqua  Conde  ,  qui  fut  pris 
le  troisieme  jour  de  la  tranchee  ouverte.  Les 
fortillcations  n'en  etoient  pas  bonnes  ,  et  il  n'y 
avoit  que  de  petits  travaux  qui  ne  valoient 
gueres  mieux  qu'un  retranchement  de  camp; 
mais  comme  ily  avoit  deux  mille  hommes  dans 
la  place ,  ils  fireut  grand  feu  quand  on  travail- 
loit,  et  tuerent  beaucoup  de  soldats  et  deux 
capitaines  aux  gardes  ,  avec  d'autres  officiers. 
Durant  ce  siege  ,  M.  de  Bussi ,  etant  alle  pour 
escorter  les  fourageurs  avec  trois  regimens  de 
cavalerie,  en  se  retirant,  fut  charge  par  quel- 
que  cavalerie  de  I'armee  de  I'ennemi  qui  etoit 
venue  a  Valenciennes,  et  fut  battu  avec  fort  peu 
de  resistance. 

On  etoit  si  fort  avance  dans  le  pays  de  I'en- 
nerai  qu'il  avoit  jalousie  pour  toutes  les  places: 
en  les  garnissant  de  troupes  ,  il  n'osoit  s'appro- 
cher  en  corps  d'armee  ,  et  il  lui  arrivoit  ce  qui 
arrive  ordinairement,  qui  est  que  Ton  craint 
beaucoup  plus  d'un  ennemi  qu'il  nepeutexecu- 
ter  ;  et  quoique  Ton  ait  une  grande  experience, 
on  ne  laisse  pas  d'apprehender  des  choses  que 
Ton  scait  bien  que  Ton  ne  feroit  pas  si  on  etoit 
a  sa  place ;  mais  comme  il  arriveroit  de  grands 
maux  si  un  ennemi  faisoit  plus  qn'on  ne  pense , 
on  aime  mieux  remedier  a  ce  que  meme  on  croit 
qu'il  ne  peut  pas  faire.  L'ennemi  cnvoya  un 


473 

corps  pour  couvrir  Bruxelles.  Comme  I'armee 
du  Roi  avoit  beaucoup  de  peine  a  avoir  des 
vivres  sans  s'avancer  plus  loin  que  Cond^,  elle 
alia  assieger  Saint-Guillain  ,  qui  n'en  est  qu'a 
trois  lieues ,  et  oil  les  vivres  pouvoient  venir 
avec  facilite. 

Le  Roi ,  qui  avoit  demeure  au  Quesnoi  du- 
rant cette  marche  de  I'armee ,  vint  au  siege  de 
Saint-Guillain,  qui  fut  pris  en  peu  de  jours:  on 
donna  la  meme  capitulation  qu'a  Conde ,  qui 
fut  d'en  laisser  sortir  la  garnison  et  la  conduire 
a  la  plus  prochaine  place.  Le  Roi  ,  apres  avoir 
demeure  huitou  dix  jours  a  I'armee,  retourna 
ii  Guise ,  et  son  armee  demeura  plus  de  six  se- 
maines  a  faire  travailler  a  la  fortification  de  ces 
deux  places ,  et  a  faire  venir  des  convois  pour 
les  munir.  II  falloit  que  tons  les  vivres  vinssent 
de  Guise ;  car,  encore  que  Landrecies  et  le 
Quesnoi  donnassent  de  la  facilite  pour  les  con- 
vois ,  c'etoient  des  conquetes  si  nouvelles  et  si 
depourvues  de  vivres  ,  qu'il  falloit  leur  en  ap- 
porter  de  France  et  pour  I'armee  aussi :  de  sorte 
qu'il  y  avoit  quatre  places  auxquelles  il  falloit 
fournir  le  courantetravitailler  pour  tout  I'hiver, 
et,  outre  cela ,  donner  le  pain  tons  les  jours: 
ce  qui  fit  qu'on  acheva  la  campagne  avec 
peine. 

[  Vers  ce  temps ,  M.  de  Turenne  ecrivit  a 
M.  le  cardinal  Mazarin  cequi  suit  : 

'<  J'eus  nouvelles  hier  au  soir  de  Conde  ,  par 
lesquelles  M.  de  Castelnau  me  manda  que  Ton 
venoit  de  lui  amener  des  prisonniers  qui  di- 
soient  que  I'armee  des  ennemis,  apres  avoir  este 
deux  jours  ensemble  a  Sense,  avoit  marche  dans 
les  villages,  Les  Lorrains  sont  vers  Tournai, 
et  M.  le  prince  et  les  Espagnols  alloient  se 
mettre  derriere  Athe.  Je  ne  crois  pas  que,  pour 
leur  marche ,  ils  perdent  la  pensee  d'assieger 
Conde;  mais  ils  veulent  attendre  que  I'armee 
du  Roy  ne  soil  pas  si  proche ;  cependant  lasai- 
son  s'avance  et  ne  sera  plus  propre  a  faire  des 
sieges  par  force  ;  comme  le  mauvais  temps  les 
fait  separer  ,  il  rend  aussi  les  chemins  bien  dif- 
ficiles  pour  les  convois;  je  verrai  avec  MM.  Ga- 
gon  et  Jaquier  ce  que  Ton  peut  avoir  de  voi- 
tures.  J'ai  mande  a  Votre  Eminence  que  le 
dernier  convoi  mene  a  Landrecies  n'estoit  que 
de  cinq  ceus  sacs  ,  el  les  deux  siens  menes  par 
des  chevaux  de  vivres  ,  qui  sont  si  foibles  ,  et 
ceux  de  I'artillerie ,  qu'ils  ne  peuvent  pas  mar- 
cher, et  le  mauvais  chemin  outre  cela ,  fait  que 
I'onne  peut  presque  pas  voiturer ;  cent  charettes 
et  des  chevaux  de  rouliers,  qui  fussent  frais,  me- 
neroient  cliacun  huitou  neuf  sacs,  et  je  crains 
que  tons  les  chevaux  de  la  frontiere  ne  puis- 
sent  faire  en  tout  I'hiver  ce  que  feroient  une 


17  » 


MEMOIIU'S    nu    VICOMTE    l>K    TIREN.NE. 


ig; 


levee  tie  chevaux  comme  celle-la.  M.  de  Cas- 
telnau  ne  m'a  demande  que  de  la  meche  et  des 
boulets  ,  j'en  ai  envoie  quatre  milliers;  et  pour 
les  boulets  on  attend  le  beau  temps  pour  les  faire 
partir.  Comme  Tarraee  oblige  a  emploier  beau- 
coup  de  voituies,  et  que  son  sejour  si  avance 
n'est  pas  necessalrc,  les  ennemls  estant  separes, 
je  me  reculerai  pour  voir  I'effortque  je  puisse 
faire  avec  les  chevaux  de  vivres,  dans  Merci,et 
despaysans  (sic). 

.'  Au  campde  Besancon,  ce  20  octobre  1(555. 

"  TUBEANE. 

»  On  a,  depuis  deux  jours,  battu  trois  petits 
partis  des  ennemis  qui  venoient  autour  de  I'ar- 
mee.  J'ai  diet  a  J.  Lon,  capitaineau  regiment  de 
LaVillette,  de  prendre  la  poste  pour  porter 
eette  lettre  a  Votre  Excellence.  »  ] 

Les  ennemis  crurent  long-temps  que  Ton  vou- 
loit  avancer  vers  Bruxelles ,  ce  qui  leur  ota  la 
pensee  d'empecher  nos  convois;  d'ailleurs  ils 
furent  quelque  temps  a  se  remettre  du  mauvais 
succes  de  lacampagne  :  a  la  fin,  neanmoins,ils 
se  lassemblcrent  et  vinrent  sur  la  riviere  de 
Sambre.  M.  de  Turenue,  ayant  mis  plus  de 
quatre  mille  hommes  de  pied  dans  les  places 
conquises  ,  demeura  jusqu'au  sept  ou  huitieme 
novembre  en  campagne.  M.  de  Castelnau  resta 
a  Conde  (1)  avec  un  corps  d'infauterie  d'environ 
deux  mille  cinq  cens  hommes.  L'armee  se  retira 
vers  Ribemont ,  le  mauvais  temps  empechant 
qu'il  n'y  put  venir  de  convois,  a  cause  que  les 
chemins  etoient  trop  rorapus.  Comme  il  se  reti- 
roit,  il  vint  un  secretaiie ,  nomme  Ronseret, 


(l)On  voil,  par  la  lettre  suivantedu  prince  deCond^, 
qu'il  6lait  asscz  exacteraent  informS  des  nouvelles  de 
l'armee  du  Roi : 

A  Monsieur  Lenet. 

«  J'avois  laiss(5  dans  Conde  un  genlilhomme  nommS 
Isaull,  avec  son  frere,  qui  6toit  capitaine  dans  le  regi- 
ment d'Enghien  cavaileric,  et  qui  avoit  este  blessi^  a  la 
retraicte  de  Valenciennes;  comme  cclui-ci  est  venu  a 
mourir  de  sa  bk-ssure  .  les  ennemis  m'ont  envoys  son 
frere,  qui  diet  avoir  pari(5  a  quantity  d'officiers  de  leur 
arm^e;  il  m'asseure  qu'ils  n'ont  pas  pr(?sentemenl  pins 
de  liuil  mille  hommes  de  pied  en  lout  et  que  leur  caval- 
lerie  est  aussi  fort  diminuee  ;  qu'il  ne  croit  pas  que  leur 
dessein  soil  d'entreprendre  plus  aucune  chose,  et  qu'ils 
laissent  sculement  le  marquis  de  Castelnau  dans  !e 
pays,  avec  quelques  trouppes,  et  que  le  roslc  dc  leur  ar- 
m6e  s'en  va  dans  des  quarlicrs  de  rafraicliissemcnt ,  ou 
au  moins  pres  de  la  frontiere.  II  did  qu'ils  font  bcaucoup 
plus  d'estat  de  Guilhain  que  de  Cond^;  que  leur  dessein 
esldc  tascher  a  ronscivcr  lun  et  I'autre;  mais  qu'ils  ne 
croient  pas  pouvoirconscrver  Conde  ,  que  leur  dessein 
est  pourtanl  de  mainlenir  autanl  qu'ils  le  pounout.Je 
ne  \  (lus  rinnne  ccs  nouvelles  que  comme  je  les  ai  rcfues ; 


queM.  le  cardinal  lui  envoyoit,  pour  lui  dire 
que  M.  d'Hocquincourt  etoit  alle  a  Peronne,  et 
que  Ton  avoit  avis  qu'il  traittoit  avec  les  Espa- 
gnols  pour  cette  place  et  pour  Ham.  Ronseret 
faisoit  aussi  entendre  a  M.  de  Turenne  que  I'on 
souhaitteroit  qu'il  s'approchat  de  Peronne  avec 
l'armee;  mais  il  ne  lui  porta  nul  ordre  expres. 
M.  de  Turenne  lui  dit  qu'il  croyoitques'il  s'ap- 
prochoit  avec  l'armee ,  cela  obligeroit  M.  d'Hoc- 
quincourt a  prendre  quelque  resolution  extreme , 
et  que  la  chose  pouvant  se  raccommoder,  il  ne 
falloit  rien  faire  qui  precipitat  la  resolution  de 
M.  d'Hocquincourt.  L'armee  de  I'ennemi  n'etoit 
pas  ruinee,  ayant  toujours  demeure  dans  son 
pays ;  mais  celle  du  Roi  etoit  fort  affoiblie  par 
les  longues  fatigues,  par  le  manque  des  vivres 
et  par  la  distance  des  lieux  d'ou  il  falloit  faire 
venir  les  convois ;  de  sorte  que  c'etoit  un  etrange 
contre-temps  d'apprehenderen  ce  temps-la,  avec 
raison ,  que  M.  le  prince  et  l'armee  espagnole 
eussent  a  leur  disposition  Peronne  et  Ham,  deux 
places  sur  la  Somme ,  et  des  entrees  tres-consi- 
derables  pour  porter  la  guerre  jusqu'aupres  de 
Paris  et  dans  la  INormandie. 

La  presence  de  M.  le  prince  durant  cette  con- 
joncture  rendoit  la  guerre  en  partie  civile.  M.  de 
Turenne,  qui  alia  trouver  la  cour  a  Compiegne, 
conseilla  a  M.  le  cardinal  de  ne  point  faire  ap- 
procher  l'armee  de  Peronne,  et  de  ne  point 
donner  sujet  a  M.  le  marechal  d'Hocquincourt 
a  entrer  en  liaison  avec  les  ennemis.  M.  le  car- 
dinal avoit  souvent  sur  le  coeur  de  voir  que  le 
Roi  traitat  avec  un  de  ses  sujets  qui  demandoit 
deux  cens  mille  ecus  ,  et  que  le  gouvernement 
d'une  de  ces  deux  places  demeurat  a  son  fils; 


mais  tout  ce  que  je  vous  puis  dire  est  que  ce  genlilhom- 
me est  un  garcon  d'honneur  et  de  condition,  en  qui  on 
se  peut  fier  ;  cela  estant  ainsi ,  je  crois  que  si  nous  son- 
geons  de  bonne  heure  a  nous  raeltre  en  eslat  de  repren- 
dre  Cond^,  en  preparant  les  choses  nccessaires  pour  cet 
effet ,  nous  n'y  aurons  pas  beaucoup  de  peine.  Jerz6 
vous  debvoit  advertir  de  tout  cela,  affin  qu'il  n'y  ait  rien 
donl  vous  ne  soyez  informe. 

»  J'ai  enfin  obtenu  de  ces  messieurs  dc  la  ville  qu'ils 
recevroient  demain  ie  regiment  des  Cerariens ;  ils  tra- 
vaillent  aux  billets.  II  sera  bon  poui  tant  d'envoyer  un 
ordre  de  M.  I'archiduc,  car  ils  le  demandent  fort. 

»  Dancart  a  diet  quele  cantadore  des  vivres  lui  avoit 
donn(5  ordre  de  ne  plus  donner  de  pain  a  la  cavallerie  et 
mesme  de  ne  pas  faire  leur  descortc  avec  eux ;  si  cela 
est,  nous  la  perdrons  toute,  car  il  n'y  a  plus  de  bled  a  la 
campagne  et  je  fis  relirer  dans  la  ville  tout  ce  qui  estolt 
aux  environs  et  dans  tous  les  chasteaux.  Je  m'asseure 
(|ue  les  habitans  de  la  ville  el  du  pays  el  le  gouverne- 
ment se  loueronl  du  bon  ordre  qu'on  tient  dans  Ic  pays, 
ou  je  vous  asseure  qu'on  n'a  pris  quoi  que  ce  soit;je 
vous  prie  d'y  pourvoir,  aulrement  les  trouppes  se  ruine- 
ront. 

»  Du  camp  pres  Tournay,  le  30  aousl  au  soir.  » 


MEMOIRP.S    DU    VICOMTE    1)K    TlJHEiMVK.    [  1 65G] 


mais  quandou  regardoit  Peroune  et  Ham  entre 
les  mains  de  M.  le  prince  ,  toute  I'armee  d'Es- 
pague  prete  a  le  soutenir,  et  I'assiette  dcs  esprits 
de  presque  toutes  ies  personues  de  qualite  de 
France ,  qui  ne  demandoient  qu'un  desordre , 
ou  pour  se  mettre  centre  la  cour,  ou  pour  se 
faire  achetter  tres-cher,  M.  de  Turenne  crut  de- 
voir porter  Tesprit  de  M.  le  cardinal  a  un  ac- 
commodement.  M.  le  prince  et  une  partie  de 
I'armee  d'Espagne  vinrent  a  Cambrai ,  et  il  y 
eut,  durant  quiuze  jours,  aupres  de  M.  le  ma- 
rechal  d'Hocquincourt ,  des  envoyes  du  Roi  et 
des  Espagnols ,  a  qui  il  donuoit  des  audiences 
separees  ,  ne  se  cachant  point  aux  uns  ni  aux 
autres  ce  que  chaque  parti  lui  offrolt ,  comme 
s'ii  eut  ete  libre  de  choisir.  Madame  de  Chatil- 
lon  ,  qui  a\oit  menage  M.  le  marechal  d'Hoc- 
quincourt pour  les  interets  de  M.  le  prince, 
ayant  ete  arretee ,  le  marecbal ,  qui  en  etoit 
amoureux ,  se  bata  de  faire  son  accommode- 
ment  avec  le  Roi ,  de  peur  qu'on  ne  traitat  raal 
cette  ducbesse.  C'est  une  longue  bistoire  dont 
je  n'entre  point  dans  le  detail  :  il  suffit  de  dire 
que  le  traite  fut  enfm  conclu,  et  qu'il  fut  arrete 
que  Ton  donneroit  a  M.  d'Hocquincourt  deux 
ceus  mille  ecus  et  qu'il  remettroit  Peronne  et 
Ham  entre  les  mains  du  Roi.  On  accorda  le  gou- 
vernement  de  la  premiere  a  son  fils,  en  qui 
M.  le  cardinal  avoit  beaucoup  de  confiance. 

M.  le  prince ,  qui  s'etoit  avance  a  deux  ou 
trois  beures  de  Peronne  ,  et  qui ,  le  reste  du 
temps,  demeuroit  avec  un  corps  d'armee  aupres 
de  Cambr!'i ,  se  retira  vers  la  Sarabre ,  ayant 
appris  le  traite.  On  fut  en  doute  s'il  attaqueroit 
la  ville  de  Conde  ou  Saint-Guillain  en  se  reti- 
raut ,  et  pour  cela  I'armee  du  Roi  s'etoit  avan- 
eee  jusqu'aupres  de  Saint-Quentin  5  mais  ayant 
appris  qu'il  se  retiroit  plus  avant  dans  le  pays, 
le  Roi ,  apres  avoir  ete  a  Ham  et  a  Peroune 
avec  M.  le  cardinal ,  retournaa  Paris,  et  M.  de 
Turenne  le  suivit  deux  jours  apres ,  les  quar- 
tiers  d'biver  ayant  ete  distribues  a  I'armee. 

Ce  fut  cet  biver-la  que  Ton  commenca  a 
mettre  lacavalerie  dans  les  villages,  lui  faisant 
payer  sur  les  tallies  a  raison  de  vingt  sols  par 
cavalier,  et  un  nombre  certain  de  places  pour 
les  officiers,  ce  qui  empechoit  la  depense  des 
remises  de  I'argentet  faisolt  qu'il  n'y  eut  point 
de  nou-valeurs.  Les  troupes  se  faisoient  payer 
sur  les  lieux ,  et  les  cavaliers,  etant  disperses 
paries  villages,  leur  servoient  de  sauve-garde 
et  y  depensoient  une  bonne  partie  de  I'argent 
qu'ils  en  tiroient  :  ce  qui  a  fait  que  beaucoup 
de  villages  du  plat  pays  ont  laboure  avec  plus 
d'assurance  ,  et ,  contre  I'opinion  commune  , 
une  partie  dcs  villages  do  Champagne  se  sont 


reiuis  par  cette  nouvelle  facon  de  distribuer  Us 
troupes. 

Cet  biver  se  passa  dans  une  entiere  confiance 
du  Roi  et  de  la  Reine  pour  M.  le  cardinal ,  qui 
avoit  toujours  une  grande  consideration  pour 
M.  de  Turenne  ,  lequel  scavoit  autant  que  per- 
sonne  les  interets  de  la  cour  les  plus  caches ,  et 
assurement,  dans  une  affaire  difficile,  il  eut  eu 
la  principale  confiance,  M.  le  cardinal ,  n'etaut 
nullement  contraint  par  le  Roi  ni  par  la  Reine, 
et  ayant  une  parfaite  connoissance  de  tons  les 
esprits  de  la  cour,  vivoit  selon  les  sentimens 
dans  lesquels  il  scavoit  qu'un  chacun  etoit , 
ayant  une  maniere  toute  particuliere  de  mener 
les  esprits  a  son  point. 

[1606]  Les  convois  que  Ton  avoit  mis  dans 
Conde  et  dans  St.-Guillain,  et  le  soin  que  M.  de 
Castelnau  prit  pendant  tout  I'biver  d'en  faire  en- 
trer  beaucoup  de  petits  par  la  comraodite  du 
Quesnoi ,  mirent  ces  places  en  etat  de  n'avoir 
point  de  necessite  jusqu'au  mois  de  mai,  auquel 
temps  M.  de  Turenne,  etant  sorti  de  Paris,  s'en 
alia  a  la  frontiere  et  vint  a  Conde,  y  menant  un 
grand  convoi.  Eu  dix  ou  douze  jours  on  mit  une 
quantite  de  vivres  dans  les  places  avancees, 
suffisamment  pour  y  entretenir  I'armee  et  les 
garnisons.  Les  ennemis  n'etant  point  en  campa- 
gne,  il  n'y  eut  aucunedifficulte  pour  ces  convois. 
Le  Roi  vint  a  La  Fere,  et  M.  le  cardinal 
ayant  souvent  parle  a  M.  de  Turenne  des  des- 
seins  de  la  campagne ,  on  avoit  remis  jusqu'a 
ce  qu'on  fut  sur  la  frontiere ,  pour  voirce  qu'on 
pourroit  entreprendre.  M.  le  marechal  de  La 
Ferteenvoya  son  corps  de  Lorrains;  mais  s'e- 
tant  trouve  incommode  lui-meme,  il  ne  put 
venir  a  I'armee  que  quelque  temps  apres.  La 
venue  de  dom  Juand'Autricbe,  etant  comme  un 
nouvel  etablisseraent ,  avoit  empecbe  les  enne- 
mis de  se  mettre  de  bonne  heure  en  campagne  : 
cela  fit  songer  a  des  entreprises  un  pen  vastes. 
M.  de  Turenne  proposaaM.  le  cardinal  d'aller  a 
Tournai ,  et  de  I'attaquer  s'il  etoit  degarni ,  ou 
si  on  le  trouvoit  trop  bien  pourvu,  de  revenir  in- 
vestir  Valenciennes  :  le  ministre  ne  s'y  opposa 
point ,   quoiqu'il  eut  assez    de  raisons  pour 
craindre  un  mauvais  succes ;  mais  il  vouloit 
bien  basarder  quelque  chose,  persuade  qu'a  la 
guerre  il  faut  toujours  tacher  de  faire  de  nou- 
velles  conquetes ,  et  que ,  des  que  Ton  se  re- 
lache,  on  court  risque  de  tout  perdre.  l\  y  avoit 
beaucoup  de  troupes  et  de  recrues  qui  n'avoient 
pas  encore  joint  I'armee;  mais  comme  les  en- 
nemis n'etoient  pas  ensemble,  il  n  etoit  pas  dan- 
gereux  d'avancer  dans  leur  pays ;  de  sorte  que 
M.  de  Turenne  ayant  rassemble  ce  qui  etoit  sur 
la  frontiere,  marcha  en  grande    diligence  a 


Air, 

Coiide ,  et  de  la  jusqu'a  deux  lieues  de  Tournai 
avec  toute  la  cavalerie  ,  faisant  siiivre  I'infan- 
terie,  le  canon  et  tout  I'equipage  des  vivies 
queM.  le  marquis  d'Uxellescomniandoit.  Quand 
on  fut  alle  par  dela  Mortagne,  ayant  envoye 
M.  deCastelnau,  qui  passa  par  Saint-Guillain 
avec  une  partie  de  la  cavalerie,  pour  investir 
Tournai,  M.  de  Turenne  scut  qu'il  y  avoit 
quelques  regimens  de  I'ennemi  campes  aupres 
de  Tournai;  et  conime  la  pensee  de  I'attaquer 
n'etoit  que  sur  ce  qu'il  seroit  sans  gainison 
(n  y  ayant  point  d'apparence  de  faire  nn  siege 
qui  durat  quelque  temps,  si  avaut  dans  le  pays 
ennemi,  et  par  consequent  si  eloigne  de  ses 
vivres  et  de  ses  munitions  de  guerre),  il  re- 
tourna  a  Conde;  et  ayant  laisse  son  pont  a  Mor- 
tagne  ,  qui  est  situe  a  I'endroit  oil  la  Scarpe  et 
TEscaut  se  joignent,  avec  un  corps  de  troupes 
pour  attendrequatre  millehommes  qui  venoient 
du  coted'Arras,  il  marcha  le  ienderaain  matin 
devant  Valenciennes ,  ayant  donne  ordre  a  ce 
corps  laisse  a  Mortagne  ,  et  aux  troupes  qu'il 
attendoit,  de  I'y  venir  joindre. 

II  n'y  avoit  pas  dans  Valenciennes  plus  de 
mille  hommcs  de  pied  et  deux  cens  chevaux  ; 
mais  comme  c'est  une  grande  ville,  la  bour- 
geoisie pouvoit  servir  de  troupes.  M.  de  Tu- 
renne lit  passer  M.  le  marquis  d'Uxelles,  qui 
commandoit  le  corps  de  M.  le  marechal  de  La 
Ferte  dans  I'isle  de  Saint-Amand,  et  lui  or- 
donna  de  s'avancer  jusqu'a  I'Escaut ,  au-dessus 
de  la  ville  ,  sur  le  chemin  de  Bouchain.  II  mar- 
cha lui-meme  par  les  campagnes  qui  regardent 
le  Quesnoi  et  Cambrai,  et  investit  la  place  par 
ce  cote.  II  y  avoit  en  ce  teraps-la  fort  peu  de 
difficulte  a  se  communiquer  par  le  haut  de  la 
riviere;  et.le  meme  soir  que  M.  de  Turenne 
arriva  devant  la  place  ,  il  passa  sur  un  pont  qui 
fut  fait  au  quartier  de  M.  le  marquis  d'Uxelles, 
et  laissa  M.  de  Castelnau  au-dessous  de  la  ville  ; 
on  fit  quitter  aux  ennemis  deux  redoutes  qu'ils 
tenoient  au-dessous  de  la  ville,  de  facon  que, 
des  la  premiere  unit,  la  place  etoit  assez  bien 
fermee.  On  commenca,  des  le  lendemain  matin, 
a  travailler  a  la  circonvallation  ;  le  troisieme 
jour  il  y  avoit  assez  de  terre  remuee  partout 
pour  empecher  un  petit  secours  d'entrer  dans  la 
ville;  quoique  Ton  parlat  de  quelque  retenue 
d'eau  quLse  pouvoit  faire  a  Bouchain  ,  on  n'a- 
voit  jamais  cru  qu'elle  fut  si  grande  qu'on  la 
vitdepuis.  Les  ennemis  tenterent  un  i)etit  se- 
cours de  sept  ou  huit  cens  hommes,  la  troisieme 
nuit,  par  le  quartier  des  Lorrains  ;  mais  il  n"y 
cntra  personne  :  quehiues-uns  furcnt  pris,  et  le 
reste  sc  retira  a  Bouchain. 

Lc  cinquiemc  ou  sixieme  jom-,  la  circonval- 


WEMOlllES    UV    VICOMIE     1)R    TIKKK.VE.    [l(''.>6] 


lation  fut  en  tres-bon  etat ;  premierement  avec 
un  seul  fosse,  et  apres  avec  un  double  fosse  et 
des  palissades;  mais  comme  il  n'y  avoit  pas 
beaucoup  d'infanterie  pour  une  si  grande  en- 
ceinte ,  tout  ne  pouvoit  pas  se  trouver  en  egaie- 
ment  bon  etat ;  on  travailloit  seulement  aux 
principales  avenues,  et  ce  qui  n'etoit  pas  si  fa- 
cile a  attaquer  se  raccommodoit  apres.  On  com- 
menca les  deux  ou  trois  premiers  jours  a  voir 
croitre  la  riviere  entre  Bouchain  et  Valen- 
ciennes, et  se  deborder  dans  la  prairie ;  mais 
ayant  fait  porter  quantite  de  fascines  ,  on  tenoit 
le  passage  libre ;  si  on  eut  vu  au  commencement 
I'eau  haute,  comme  elle  le  devint  depuis,on 
n'auroit  pas  songe  a  faire  une  communication 
ni  a  s'engager  au  siege  :  comme  elle  croissoit 
peu  a  peu  ,  on  y  remedioit  par  un  soin  conti- 
nue! ,  et  presque  toute  la  cavalerie  de  I'armee 
portoit  deux  ou  trois  fois  par  jour  des  fascines , 
outre  des  regimens  entiers  qui  y  furent  occupes. 
A  la  fin,  il  y  eut  plus  de  mille  pas  de  distance 
oil  il  y  avoit  partout  plus  de  dix  pieds  d'eau  , 
et  en  certains  endroits  beaucoup  davantage. 
Dans  tout  cet  espace  on  fit  un  pont  de  fascines 
flottant  dans  quelques  endroits,  et  en  d'autres 
attache  avec  des  piquets ,  sur  lequel  I'infante- 
rie  a  toujours  passe,  et  la  cavalerie  des  qu'il 
etoit  un  peu  raccommode;  il  y  venoit  quelque- 
fois  de  telles  crues  que  Ton  etoit  dans  I'eau  jus- 
qu'a la  ceinture  sur  la  digue;  mais,  par  le  tra- 
vail de  I'armee,  cela  se  raccommodoit  lemerae 
jour;  c'etoit au-dessus  de  la  ville,  et  cependant 
au-dessous  on  fit  des  ponts  de  communication  , 
en  sorte  que  le  neuvierae  jour  on  etoit  en  etat 
d'ouvrir  la  tranchee.  Les  vivres  que  Ton  avoit 
meues  dans  les  places  avancees  faisoient  qu'il  y 
en  avoit  d'abondance  dans  le  camp  ,  et  de  mu- 
nitions de  guerre.  Les  ennemis  ne  purent  jetter 
aucun  secours  dans  la  place,  quoiqu'elle  soil 
au  milieu  de  toutes  leurs  villes  fortifiees.  Comme 
M.  de  Turenne  eut  avis  qu'ils  s'etoient  assem- 
bles aupres  de  Douai  et  qu'ils  alloient  marcher 
vers  le  camp,  on  retarda  de  trois  jours  I'ouver- 
lure  de  la  tranchee,  afin  d'avoir  plus  de  temps 
de  travailler  a  la  digue  et  a  la  circonvallation. 
L'ennemi  attendoit  aussi  que  la  tranchee  fiit 
ouverte  pour  s'approcher  le  lendemain  ;  ils  vin- 
rent  d'a'bord  se  loger  a  une  lieue  de  Tarmee, 
et,  continuant  a  marcher,  ils  se  posterent au- 
dessus  du  camp  des  Lorrains,  a  une  demie  por- 
tee  de  canon  des  lignes :  leur  armee  etoit  un 
peu  plus  foible  que  celle  du  Roi ;  ils  avoient  au 
moins  vingt  mille  hommes.  La  grande  etendue 
de  la  circonvallation  et  la  difficulte  de  rassem-^ 
bier  les  quartiers  oterent  le  moyen  de  songer 
seulement  que  Ton  put  les  attaquer;  ils  sc  re^ 


MEMO!UES    D[)    VICOMTK     DK    TL'CE.NNE.    [|056] 


trancherent  des  lem^mejour;  et  on  m'a  dit 
que  dom  Juan  d'Autriche  avoit  voulu  attaquer 
les  lignes  en  arrivaiit :  elles  se  rendirent  bien 
meilleures  par  leur  presence,  et  il  arriva  a 
M.  de  Navailles  encore  quatre  cens  hommes  de 
pied,  ce  qui  obligea  a  faire  une  avance  a  la 
ligne,  afln  de  gagner  une  petite  hauteur  qui 
etoit  entre  les  ennemis  et  ie  camp  des  Lorrains. 
On  demeura  sept  ou  luiit  jours  de  cette  facon; 
la  tranchee  ouverte  dans  un  grand  front  faisoit 
qu'on  etoit  fort  incommode  du  canon  de  la 
\ille;  neanmoins  on  avanca  fort  les  premiers 
jours  et  on  perdoit  fort  peu  de  gens ;  mais 
comrae  on  approchoit  des  travaux  de  I'ennemi  , 
oncommencaa  perdre  beaucoup  de  travailleurs; 
il  y  avoit  deux  attaques,  et  les  ennemis  ne 
firent  point  de  sortie  considerable.  Quand  on 
approcha  de  la  contrescarpe  des  dehors  ,  ils  la 
defendirent  tres-bien ,  et  on  fut  repousse  trois 
ou  quatre  fois  en  s'y  voulant  loger;  les  enne- 
mis de  dehors  n'etant  campes  qu'a  une  demi- 
portec  de  canon  de  I'armee  du  Roi,  obligeoient 
M.  de  Turennea  ne  pas  deraeurer  a  la  tranchee 
des  que  la  nuit  venoit,  ce  qu'il  eut  fait  sans 
cela  ;  et  il  a  toujours  tenu  pour  certain  que  les 
ennemis  donneroient  aux  lignes ;  de  sorte  que 
comme  il  ne  manquoit  rien  pour  continuer  Ie 
siege,  il  ne  Ie  pressoit  pas  comme  la  principale 
affaire  :  on  jugea  a  peu  pres  du  temps  que  les 
ennemis  donneroient  aux  lignes ,  et  que  ce  se- 
roit  I'avancement  du  siege  qui  leur  feroit  pren- 
dre leur  parti. 

M.  Ie  marechal  de  La  Ferte  \int  a  I'armee 
huit  ou  dix  jours  apres  la  tranchee  ouverte  , 
etant  encore  un  peu  indispose ;  il  fit  fort  tra- 
vailler  aux  lignes  de  son  quartier  (1)  et  a  la 
digue  dont  j"ai  parle ;  et  au  bout  de  trois  se- 
maiues  de  tranchee  ouverte,  a  I'attaque  de  M.  de 
Turenne  il  y  avoit  une  braiche  sur  Ie  bord  du 
fosse  de  la  place ,  et  une  autre  braiche  dans  Ie 
fosse  de  la  demi-lune ;  et  a  I'attaque  de  M.  Ie 
marechal  de  La  Ferte  on  avoit  pris  une  tenaille. 
Ceux  de  la  ville  avoient  fait  leurs  grands  ef- 
forts ;  et  on  voyoit  bien  que  depuis  trois  ou 
quatre  jours  ils  commencoient  a  se  relacher. 
Enfin  les  ennemis  prirent  Ie  matin  les  arraes, 
et  on  vit  marcher  leurs  bagages  vers  Bouchain; 
on  ne  douta  point  qu'ils  ne  donnassent  la  nuit 
aux  lignes :  leur  camp  etoit  sur  une  eminence 
au-dessus  du  quartier  des  Lorrains  ;  ils  avoient 
a  leur  main  gauche  I'Escaut,  sur  lequel  ils 
avoient  fait  cinq  ou  six  pouts,  la  riviere  etant 

(1)  On  ne  peut  assez  rdpdier  ni  admirer  Ie  silence  du 
viiomlede  Turenne  sur  toules  les  faules  de  sesrivaus  : 
celle  du  marc'clial  de  La  Fcrlc  causa  ie  secours  dc  Va- 


411 

fort  etroite;  et  a  leur  main  droite  ils  avoient  un 
petit  ruisseau  qui  vient  de  devers  Ie  Quesnoi 
et  qui  separoit  les  Lorrains  des  autres  quartiers 
de  M.  de  Turenne;  les  ennemis  avoient  fait 
aussi  divers  ponts  sur  ce  ruisseau. 

On  attendit  toute  la  premiere  nuit ,  ay  ant  ete 
averti  par  un  homme  qui  se  vint  rendre,  qu'ils 
vouloient  marcher  versle  quartier  de  M.  Ie  ma- 
rechal de  La  Ferte.  Ce  que  M.  de  Turenne  pou- 
voit  faire  ,  c'etoit  de  tenir  de  Tinfanterie  prete 
a  marcher  sur  la  digue  ,  avec  ordre  de  passer, 
si  on  attaquoit  Ie  quartier  de  dela ,  ou  de  mar- 
cher en  deca  au  lieu  ou  ils  verroient  que  se- 
roit  I'attaque.  Dans  une  circonvallation  tres- 
grande,it  n'y  avoit  pas  plus  de  douze  mille 
hommes  de  pied ,  et  il  falloit  de  I'infanterie  aux 
deux  attaques ;  de  facon  qu'il  etoit  impossible 
d'avoir  aucun  endroit  bien  garni :  mais  on 
coraptoit  sur  un  grand  corps  de  cavalerie  der- 
riere  la  ligne,  etsur  I'infanterie  qui  marcheroit 
promptement  de  renfort ,  et  aussi  sur  ce  que 
ceux  qui  attaquent  s'embarrassent  souvent  eux- 
memes  ,  pour  petite  que  soit  la  resistance. 

La  premiere  nuit  se  passa  sans  allarme  :  tout 
Ie  jour  du  lendemain  on  vit  I'ennemi  en  bafaille 
sans  bagage,  et  la  nuit  vint  que  Ton  etoit  dans 
la  meme  disposition  oil  Ton  avoit  ete  Ie  jour 
precedent.  M.  de  Turenne  etoit  au  quartier  qui 
regardoit  celui  des  ennemis;  et  M.  Ie  marechal 
de  La  Ferte  ayant  pousse  leur  garde  et  pris 
quelques  prisonniers,  ils  lui  rapporterent  qu'on 
devoit  attaquer  son  quartier;  mais  ayant  les 
ennemis  en  presence,  sans  qu'il  y  eut  rien  qui 
les  empechat  d'etre  en  une  demi-heure  devant 
les  retranchemens ,  il  ne  pouvoit  rien  changer  a 
la  disposition  premiere.  On  etoit  aussi  averti 
qu'il  y  avoit  un  corps  de  trois  ou  quatre  mille 
hommes,  sous  M.  de  Marsin,  a  Saint-Amand, 
qui  devoient  faire  une  attaque  a  part.  M.  de 
Turenne  a  toujours  cru  que  les  ennemis  tente- 
roient  une  grande  attaque  au  front  des  Lor- 
rains ,  ou  ils  pouvoient  venir  en  bataille  en  sor- 
tant  de  leur  quartier ;  et  que  cependant  M.  de 
Marsin ,  avec  ce  corps  de  Saint-Amand  ,  mar- 
cheroit dans  I'isle  au-dessous  de  la  ville  ;  ce  qui 
etoit  deux  grandes  lieues  de  distance  I'un  de 
I'autre,  etainsi  sans  moyen  dese  pouvoir  assis- 
ter.  Dom  Juan  d'Autriche  et  M.  Ie  prince  ayant 
pris  Ie  dessein  d'attaquer  I'armee  de  M.  Ie  ma- 
rechal de  La  Ferte ,  commencerent  a  passer  la 
riviere  a  I'entree  de  la  nuit ,  laissant  a  leur  or- 
dinaire les  gardes  a  la  tete  de  leur  quartier : 


lenciennes;  c'esl  Ie  marquis  de  Puysegur  qui  Ie  raconle 
ilans  ses  Memoircs. 


•J7.S 

celiii  des  Lorrains  etoitsiproche  de  celui  desen- 
nemis,  que  Ton  avoit  ferrae  toutes  les  grandes 
barrieres,  ft  il  n'y  avoit  en  tout  le  front  du 
camp  des  Lorrains  que  deux  sorties,  ou  il  ne 
passoit  qu'un  cheval  de  front;  ce  qui  etoit  cause 
que  Ton  ne  tenoit  la  nuit  que  dix  ou  douze  che- 
vaux  hors  des  lignes.  L'ennemi  n'etant  pas  de- 
oouvert ,  passa  la  riviere  d'Escaut ;  et  M.  le  ma- 
rechal  de  La  Ferte  n'ayant  fait  tenir  personne 
liors  des  lignes ,  dans  la  croyance  qu'il  avoit  que 
cela  etoit  inutile,  l'ennemi  passa  I'eau  ,  se  mit 
en  bataille,  les  Espagnols  a  main  droite,  et 
M.  le  prince  a  gauche. 

La  premiere  allarme  que  Ton  entendit,  fut 
quand  ils  arriverent  au  premier  fosse  du  retran- 
cheinent  :  ils  y  donnerentdans  un grand  front, 
et  emporterent  la  ligne  avec  peu  de  resistance 
de  Tinfanterie,  qui  fut  fort  mal  secondee  de  la 
cavaleiie.  Au  premier  coup  de  mousquet ,  deux 
regimens  de  M.  de  Turenne  passerent  la  digue, 
et  qualre  autres  suivoient;  mais  le  regiment  de 
V^ervins,  qui  arrivale  premier,  trouva  toutes  les 
troupes  de  l'ennemi  entrees  dans  la  ligne,  dans 
I'obscuritede  lanuit;  quoique  M.  le  marechal 
de  La  Ferte  y  vint  avec  quelques  escadrons,  il 
y  trouva  la  confusion  si  grande  qu'il  n'y  put 
laire  aucun  effet.  Toutes  les  troupes  de  l'enne- 
mi comblerent  les  deux  fosses,  rorapirent  les 
palissades,  et,  le  jour  arrivant,  ilsmarcherent  a 
la  ville  de  Valenciennes,  et  firent  poursuivre 
toutes  les  troupes  qui  s'enfuyoient  par  leur  ca- 
valerie  :  une  grande  parlie  de  I'arniee  du  ma- 
rechal de  La  Ferte  fut  faite  prisonniere  et  le 
reste  se  sauva  a  Conde,  quoique  le  marechal 
cut  fait  tout  ce  qui  se  pouvoit :  ce  qui  causa  la 
grande  perte,  fut  qu'il  n'y  avoit  qu'un  pont,  ou 
les  bagages  s'embarrasserent.  Les  deux  regi- 
mens que  M.  de  Turenne  avoit  fait  passer  sur  la 
digue ,  ayant  ete  defaits  par  l'ennemi  deja  entre 
dans  la  ligne  ,  les  autres  s'arreterent  sur  la  di- 
i:ue,  ou  M.  de  Turenne  arriva  un  peu  apres  le 
commencement  du  combat,  lequel  ne  dura  pas 
vm  (|uart  d'heure,  depuis  le  temps  que  les  en- 
nemis  vinrent  au  bord  du  fosse  jusqu'a  celui 
qu'ils  furent  en  bataille  dans  les  relranchemens. 

Dans  ce  moment  lejour  vint ;  M.  de  Turenne, 
ne  sachant  pas  assurement  ce  qui  s'etoit  passe, 
y  ayant  envoyeen  diligence  ses  gardes,  qui  fu- 
rent tous  pris  ou  tues ,  personne  ne  vint  assez  a 
temps  pour  defendre  la  ligne.  Comme  on  vit, 
par  des  cris  de  joye  qui  se  faisoient  a  Valen- 
ciennes, que  la  ville  etoit  secourue,  et  parce 
([u'll  n'y  avoit  plus  de  feu  a  la  ligne  qu'elle 
etoit  forcee,  il  envoya  en  diligence  aux  tran- 
clices  afin  quo  Ton  se  retirdt;  mais  comme  il 
y  avoit  plus  dune  lieuc  de  la,  on  y  arriva  un 


MEMOlllES    DU    VICOMTE    DE    TUREMNE.    [l65G] 


peu  tard,  et  quelques  troupes  de  l'ennemi  avoient 
deja  passe  dans  la  ville;  de  sorte  qu'il  perdit  la 
moitie  des  troupes  qui  y  etoient,  Lejour  deve- 
nant  plus  grand ,  on  vit  toute  I'armee  de  Ten-  , 
nemi  en  bataille  qui  marchoit  droit  a  la  ville. 
M.  de  Turenne  retira  I'infanterie  qui  etoit  sur 
la  digue ,  et  commanda  que  Ton  prit  tout  le  ca- 
non qui  etoit  sur  les  lignes,  se  servant  des  che- 
vaux  qui  etoient  de  garde  pour  mener  les  pieces 
dun  lieu  a  un  autre,  en  cas  d'attaque  :  il  com- 
manda aussi  que  Ton  fit  abattre  les  lignes;  et 
marchant  avec  les  Lorrains  vers  le  quartier  de 
M.  de  Casteluau,  il  fit  sortir  M.  de  Navailles; 
et  ainsi  on  se  rejoignit  au  bord  des  retranchemens. 

Les  ennemis  fnent  passer  un  corps  de  cava- 
lerie  dans  la  ville,  et  M.  le  prince  passa  lui- 
meme  en  diligence,  pendant  que  M.  de  Tu- 
renne, faisant  rompre  la  ligne  en  quanlite  d'en- 
droits ,  et  ayant  fait  ferme  avec  quelques  esca- 
drons ,  sortit  des  retranchemens ,  y  laissant 
quelques  tentes  et  bagages.  Comme  on  se  ras- 
sembloit  de  tant  de  cotes,  il  etoit  impossi- 
ble qu'il  n'y  eut  un  peu  de  confusion  d'abord; 
neanmoins,  a  une  demi-heure  de  la  ville,  on  se 
mit  en  bon  ordre;  ce  que  les  troupes  de  l'en- 
nemi voyant,  s'arreterent  et  ne  suivirent  pas 
avec  grande  ardeur,  trouvant  en  beaucoup  d'en- 
droits  quelque  chose  a  prendre. 

[  Le  marechal  de  La  Ferte-Senneterre  ecrivit, 
au  cardinal  Mazarin,au  sujet  du  secours  de  Va- 
lenciennes, la  lettre  suivante  : 

"  Je  suis  au  desespoir  de  sursivre  ^  la  perte 
des  lignes  de  Valenciennes  et  de  celle  de  ces 
compagnies  de  gens-d'armes  et  de  chevau-le- 
gers  de  Vostre  Eminence ,  ou  le  principal  es- 
cheq  est  ton)be,  aussy  bien  que  sur  celles  quy 
portent  mon  nom ,  pour  la  fermete  qu'elles  ont 
eue  de  faire  leur  debvoir  ;  il  nous  estoit  aise  de 
fuir,  et  non  pas  de  nous  retirer,  en  gens  de 
guerre,  la  digue  ne  pouvant  supporter  de  la 
cavalerie,  et  le  coste  de  la  berge  estant  tout 
submerge  par  la  levee  des  escluzes  de  la  ville. 

"  Auparavant  d'informer  Vostre  Eminence  du 
destail  comme  tout  s'est  passe ,  je  crois  debvoir 
attendre qu'elle  I'aytestepar  une  personne  moins 
interessee  que  moy.  M.  le  prince,  dont  je  suis 
prisonnier,  m'a  donne  la  parolle  qu'il  m'enver- 
roit  sur  la  mienne  dans  le  ifj  d'aoust.  Je  m'en 
rapporte.  Du  moins  sais-je  bien  que  ce  ne  sera  pas 
pour  rien.Jerattendraiveniravecgrande  patience 
et  flegme.  Et  je  puis  asseurer  Vostre  Eminence 
que  c'est  une  affaire  que  je  me  suis  veu  venir 
de  loing,  a  laquelle  il  n'y  avoit  pas  choix  de 
party.  Je  seray  toute  ma  vie,  avec  la  derniere  re- 
signation, deVostrc  Eminence,  en  quelque  lieu  oil 
me  porte  ma  destince,  Monseigneur,  votre  tres- 


MEMOIBES    DU    VICOMTE    UE    TLIllE^NE.    [leTjOj 


humble,  ties-obeissant  serviteur  et  tres-fidelle 
creature. 

»  La  Ferte-Senneterre. 

»  De  Mons,  ce  19  juillet  1656.  » ] 

On  marcha  au  Quesnoi  avee  cinq  ou  six  pie- 
cesde  canon  :  les  ponts  du  dessous  de  la  riviere, 
vers  Pisle  dontj'ai  parle,  s'etant  rompus ,  les 
troupes  de  M.  le  marechal  de  LaFerte  ne  pou- 
voient  se  retirer  vers  le  quartier  de  M.  de  Tu- 
renne,  ou  M.  de  Marsin,  qui  avoit  fait  une  atta- 
que  avec  ses  troupes  de  Saint-Amand,  fut  re- 
pousse. Le  desordre  etant  commence  dans  I'ar- 
mee  du  Roi  de  Tautre  cote ,  fut  aussi  cause  de  la 
grande  perte  de  I'armee ,  parce  qu'il  aidoit  a 
leur  couper  le  chemin  du  pont ;  et  apres  avoir 
pris  M.  le  marechal  de  La  Ferte,  qui  avoit  tres- 
bien  fait,  et  presque  tous  les  officiers-generaux, 
et  quantite  d'autres  de  son  armee ,  les  ennemis 
s'arreterent  a  Valenciennes ,  n'ayant  gueres 
poursuivi  avec  leur  cavalerie.  Toute  I'armee  du 
Roi  croyoit  qu'on  passeroit  au-dela  du  Quesnoi , 
qu'on  s'en  iroit  vers  Landrecies  et  sur  les  fron- 
tieres  de  France  :  le  bagage  commencoit  deja  a 
flier  par  de  la  le  Quesnoi ;  mais  M.  de  Turenne 
envoya  quelques  troupes  pour  le  faire  arreter , 
et  ayant  choisi  un  camp  proche  de  la  ville,  s'y 
logeacette  nuit.  Le  lendemain  de  grand  matin, 
il  fit  raettre  Tarmee  en  bataille  pour  regler  les 
ailes  de  la  cavalerie  et  les  bataillons  de  I'infan- 
terie,  afin  que  Ton  se  mit  ensemble  et  que  Ton 
se  rassurat;  car  quoiqa'il  n'y  eut  de  perte  no- 
table que  dans  Farmee  de  M.  le  marechal  de  La 
Ferte,  il  ne  laissoit  pas  d'y  avoir  un  grand 
etonnement.  Quoique  le  bruit  fut  que  les  enne- 
mis alloient  assieger  Conde  ,  M.  de  Turenne 
croyoit  bien  qu'ils  pourroient  venir  a  lui,  et  I'o- 
pinion  de  I'armee  n'etoit  pas  que  Ton  attendit. 
lis  recurent  le  lendemain  de  la  levee  du  siege 
un  renfort  de  deux  mille  homraes  de  pied  al- 
lemans.  Apres  avoir  donne  un  jour  entierpour 
se  remettre  en  ordre  et  se  debarrasser  de  leurs 
prisonniers,  ils  marcherent  droit  a  I'armee  du 
Roi.  II  est  certain  que  si  M.  de  Turenne  n'eut 
'  craiut  que  la  perte  du  Quesnoi,  il  se  seroit  re- 
tire sur  les  frontieres ,  mais  il  voyoit  une  si 
grande  suite  a  cette  retraite ,  par  le  meconteu- 
tement  general  qu'elle  causeroit  en  France,  et 
dans  la  cour  meme ,  et  par  la  presence  de  M.  le 
prince,  qu'il  aima  mieux  attendre  les  ennemis 
que  de  commencer  une  retraite  qui  eut  attire 
tantd'accidens. 

II  falloit  passer  deux  petits  ruisseaux  pour 
venir  du  chemin  par  oil  venoient  les  ennemis 
au  camp  oil  etoit  I'armee  du  Roi ;  et  comme  on 
scait  bien  que  les  armees  ne  s'approchcnt  Tune 


479 

de  I'autre  qu'avec  beaucoup  de  precautions,  et 
que  cela  donne  du  temps,  M.  de  Turenne  com- 
manda  que  Ton  ne  prit  point  les  armes;  mais  que 
Ton  se  tint  pret ,  craignant  que  par  la  marche 
de  quelque  bagage  il  ne  se  fit  quelque  me- 
chante  contenance  ;  et  aussi  il  vouloit  faire  voir 
a  son  armee  qu'il  n'y  avoit  rien  a  craindre ,  en- 
core que  lennemi  approchat.  M.  de  Turenne 
en  discourut  avee  les  officiers  generaux;  mais 
on  ne  tint  point  de  conseil  de  guerre  pour  sca- 
voir  si  on  demeureroit  dans  ce  poste,  ou  si  on 
se  retireroit.  L'ennemi  s'approcha  a  une  portee 
de  canon  de  I'armee  du  Roi  ;  M.  de  Turenne 
s'avanca  avec  quelques  regimens  de  la  grande 
garde;  et  l'ennemi,  voyant  toutes  les  tentes 
tendues ,  et  la  grande  garde  a  la  tete ,  vit  bien 
que  I'armee  n'etoit  pas  delogee,  en  quoi  ils  fu- 
rent  trompes  ,  ayant  commande  trois  mille  che- 
vaux  pour  la  suivre ,  et  n'ayant  jamais  doute 
qu'apres  la  defaite  de  Valenciennes  (scachant 
bien  que  ce  qui  estoit  reste  de  I'armee  de  M .  le 
marechal  de  La  Ferte  etoit  a  Conde) ,  que  I'ar- 
mee du  Roi  ne  seretiratdevant  eux.  II  est  vrai 
qu'il  etoit  venu  quinze  cens  hommes  joindre 
I'armee  du  Roi  le  jour  qu'elle  partit  de  Valen- 
ciennes, lesquels  etoient  destines  pour  mener 
un  convoi  au  siege. 

L'armee  de  l'ennemi,  arrivant  un  peu  tard, 
ne  songea  ce  jour-la  qu'a  se  loger ;  et  M.  de  Tu- 
renne ,  n'ayant  point  d'outils  pour  faire  de  grands 
travaux,  et  n'en  voulant  point  faire  de  petits 
qui  n'eussent  temoigne  que  de  la  craiute  et 
n'eussent  donne  que  peu  de  surete,  ne  fit  pas 
travailler.  Les  ennemis  demeurerent  deux  jours 
en  presence  sans  avoir  rien  tente  :  tout  ce 
temps-la  on  avoit  nouvelle  qu'ils  vouloient  atta- 
quer  I'armee,  et  aussi  qu'ils  pensoient  a  marcher 
entre  le  Quesnoi  et  Landrecies  ,  pour  empecher 
les  vivres  et  les  fourages  de  I'armee  du  Roi;  au- 
quel  cas  M.  de  Turenne  etoit  d'avis  de  s'opposer 
a  cette  marche  des  ennemis  et  de  combattre , 
quoique  cela  panit  un  peu  temeraire  en  I'etat 
qu'etoit  I'armee;  mais  en  prenaiit  le  parti  de  de- 
meurer  au  Quesnoi,  il  falloit  ne  se  relacher  en 
rien. 

Deux  ou  trois  mille  hommes  qui  s'etoient  sau- 
ves  de  I'armee  de  M.  le  marechal  de  La  Ferte  a 
Conde,  ayant  passe  a  Saint-Guillain,  vinrent  a 
•  Landrecies  et  de  la  au  Quesnoi,  le  second  jour 
que  les  armees  etoient  en  presence;  de  sorte 
que  les  ennemis ,  ne  jugeant  pas  a  propos  de 
rien  entreprendre  ,  marcherent  vers  Cond^. 
M.  de  Turenne,  voyant  qu'ils  delogeoient,  en- 
voya mille  chevaux  charges  de  farine  a  Saint- 
Guillain  et  a  Conde  :  dans  la  derniere  place  il 
y  avoit  beaucoup  de  vivres  au  commencement 


480 

du  siege  de  Valenciennes,  mais  M.  de  Turenne 
en  avoit  fait  venir  une  grande  quantite  pour 
avoir  toutes  ses  provisions  dans  son  camp. 

M.  Du  Passage ,  qui  comraandoit  dans  Con- 
de,  n'avoit  retenu  que  deu.v  mille  cinq  cens 
hommesries  ennemis  trouverent  beaucoup  de 
facilite  a  assieger  cette  place,  qui  ne  servoit 
qu  a  aider  a  couserver  les  conquetes ;  mais  le 
siege  de  Valenciennes  etant  leve ,  elle  deraeuroit 
si  enclavee  dans  leur  pays,  qu'il  etoit  fort  aise 
a  I'ennemi ,  sans  separer  leurs  quartiers  ,  d'em- 
pecher  qu'ou  ue  la  secourut;  ainsi  ils  prirent 
leurs  quartiers  les  uns  apres  les  autres,  n'etant 
pas  en  peine  qu'on  y  put  jetter  des  vivres ,  a 
cause  de  la  situation.  M.  de  Turenne  enmitdans 
Saint-Guillain,  voyant  I'impossibilite  de  secou- 
rir  Conde;  et  ayant  eu  nouvelle  du  gouverneur 
qu'il  n'y  avoit  des  vivres  que  pour  dix  ou  douze 
jours,  ne  crut  pas  qu'en  I'etat  ou  etoit  I'armee 
qu'il  flit  raisonnable  de  rien  entreprendre  :  11  en 
dit  son  sentiment  a  M.  le  cardinal ,  qui  le  trouva 
a  propos ,  I'ayant  vu  a  Guise  la-dessus  ;  mais 
conime  le  gouverneur  avoit  plus  de  vivres  qu'il 
n'en  falloit,  et  que  le  siege  tira  en  longueur, 
M.  le  cardinal  fut  d'avis  que  M.  de  Turenne 
marchcit  vers  I'Escaut ,  et  laissa  a  son  choix ,  ou 
de  donner  jalousie  au  Catelet ,  ou  de  marcher 
vers  la  Lys. 

Cette  marche  se  fit  dans  le  temps  que  Conde 
etoit  pret  a  capituler  et  a  dessein  de  sauver  les 
troupes  qui  y  etoient.  M.  de  Turenne ,  ayant 
passe  I'Escaut ,  marcha  a  Arras  et  de  la  sur  la 
riviere  de  Lys ;  et  il  eut  attaque  Saiut-Venant , 
s'il  n'eut  eu  nouvelle  que  Conde  etoit  rendu.  La 
capitulation  de  la  garnison  fut  qu'elle  seroit  ra- 
menee  en  France  par  le  pays  de  Luxembourg. 
Les  ennemis ,  apres  avoir  donne  trois  ou  quatre 
jours  de  temps  a  abattre  les  fortifications  ,  mar- 
cherent  assez  proche  de  Cambrai  pour  donner 
jalousie  qu'ils  vouloient  entrer  en  France,  ou  , 
en  cas  que  I'armee  du  Roi  allat  couvrir  la  fron- 
tiere,  attaquer  Bethune  ou  La  Bassee.  M.  le  car- 
dinal avoit  fait  tous  les  efforts  possibles  pour 
remonter  la  cavalerie  depuis  Taction  de  Valen- 
ciennes. II  fit  mettre  de  cette  cavalerie  qu'il 
avoit  remontee  dans  les  places  de  la  frontiere , 
et  M.  de  Turenne  ne  bougea  point  de  Lens ,  qui 
est  a  quatre  lieues  d'Arras  et  trois  de  La  Bassee. 

Les  ennemis  s'etant  rafralchis  quelques  jours 
dans  les  plaines  entre  Cambrai  et  Bapaume , 
marcherent ,  laissant  Arras  a  leur  gauche,  pour 
s'en  venir  vers  Lens  ,  oil  M.  de  Turenne  avoit 
demeure  dix  ou  douze  jours  avec  dessein  d'y 
attendre  les  ennemis;  mais  comme  il  vit  qu'ils 
pouvoient  venir  par  des  hauteurs,  a  la  faveur 
desquelles  ils  cloieut  maitres  d"im  passage  on 


MEMOIBKS    DU    ViCOMTE    DE    TURENNE.    [IG5G] 


Ton  pouvoit  les  combattre,  et  qu'il  falloit,  faute 
de  fourage ,  deloger  de  Lens  devant  eux ,  il 
aima  mieux  en  partir  avant  qu'ils  fussent  en  pre- 
sence; et  comme  il  scut  leur  arrivee  a  trois 
lieues  de  lui,  il  marcha  vers  Bethune.  II  voyoit 
fort  bien  que  cela  faisoit  un  mauvais  effet  dans 
I'esprit  de  I'armee ,  encore  un  peu  etonnee  de 
se  retirer  sur  la  venue  de  I'ennemi ;  mais  ayant 
considere  la  necessite  qu'il  y  avoit  dedecamper, 
il  ne  s'arreta  point  a  ce  scrupule.  II  avoit  vu  sur 
la  carte  un  lieu  nomme  Houdaiu  qui  etoit  dans 
la  situation  qu'il  desiroit ,  pour  avoir  Arras  as- 
sez proche  de  soi  et  donner  la  main  a  Bethune 
et  a  La  Bassee  :  mais  y  etant  arrive,  il  y  trouva 
une  grande  difficulte  pour  abreuver  les  che- 
vaux  et  un  campement  fort  incommode;  de 
sorte  qu'il  se  retrancha  un  peu  la  nuit ,  et  le 
lendemain  alia  chercher  un  lieu  plus  propre  h 
se  loger,  qui  etoit  la  Bussierc,  distant  d'une  lieue 
de  Houdain.  Comme  il  scut,  par  des  prisonniers, 
que  les  Espagnols  etoient  arrives  a  Lens  avec 
intention  de  le  suivre  ,  bien  glorieux  de  sa  re- 
traitte ,  et  croyant  qu'ils  le  feroient  tou jours 
marcher  devant  eux  ,  M.  de  Turenne  crut  que 
le  lieu  de  Houdain  etoit  mcilleur  pour  altendre 
I'ennemi ,  non  pas  qu'il  fut  trop  avantageux 
pour  combattre  ,  mais  sa  principale  raison  etoit 
que  Ton  y  avoit  Arras  derriere  soi  pour  en  avoir 
des  vivres.  En  demeurant  a  la  Bussiere ,  et  I'en- 
nemi se  logeant  a  Houdain ,  il  en  6toit  toute  la 
communication  :  de  facon  que  partant  a  minuit, 
afin  qu'au  point  du  jour  il  pi!it  etre  en  bataille 
(croyant  que  I'ennemi  y  marcheroit  de  bonne 
heure) ,  il  s'avanca  avec  I'armee  vers  Houdain, 
et  mettant  I'aile  droite  sur  une  hauteur,  I'in- 
fanterie  et  I'aile  gauche  descendoient  dans  la 
plaine,  prenant  la  distance  qu'il  faut  quand  on 
se  met  en  bataille.  II  y  avoit  un  ruisseau  der- 
riere ;  mais  M.  de  Turenne  ne  le  voulut  pas 
passer,  craignant  que  I'ennemi  ne  se  mft  devant 
La  Bassee,  dont  la  situation  est  telle,  qu'y  arri- 
vant  dix  heures  devant  I'ennemi ,  il  est  mal- 
aise de  la  secourir,  et  M.  de  Turenne  vouloit 
etre  en  etat  d'y  arriver  bientot  apres  I'ennemi ; 
ce  que  le  defile  du  ruisseau  eut  empeche. 

A  huit  ou  neuf  heures  du  matin ,  les  ennemis 
commencerent  a  paroltre  environ  a  une  lieue  et 
demie  de  I'armee  du  Roi :  aussitot  qu'ils  la  vi- 
rent  en  bataille,  ils  firent  halte  plus  de  trois 
heures,  et  tinrent  conseil ,  apres  lequel  ils  mar- 
cherent droit  a  nous.  On  croyoit  combattre  ce 
jour-la;  mais  la  nuit  venant,  ils  se  mirent  en 
bataille  a  un  petit  quart  de  lieue  de  nous,  eten- 
dant  leurs  ailes  de  cavalerie  et  leur  infanterie 
dans  le  meme  ordrc  que  celle  qui  leur  etoit  op- 
poseo.  Dar.s  la  nuit ,  M.  de  Turenne  voulut  se 


MEMOIRES    DIJ    VICOMTE 

saisir  d'lin  village  et  y  mettre  son  infanterie , 
afin  de  changer  la  forme  de  I'aile  gauche  qu'il  ne 
trouvoit  pas  bien  placee.  Apres  avoir  perdu  trois 
ou  qiiatre  heures  dans  cet  embarras  ,  il  crut  que 
le  raeilieur  etoit  de  laisser  i'armee  comme  elle 
efoit ,  et  lit  faire  en  deux  heures  quelques  petits 
redans  a  la  tete  de  I'aile  gauche.  On  dit  que 
I'ennemi  s'etoit  approche  croyaut  que  nous  nous 
retirions.  Confirae  le  jour  vint,  les  ennemis  vin- 
rent  reconnoitre,  et  il  y  eut  quelques  escar- 
mouches  ,  en  quoi  se  passa  toute  cette  journee. 
Le  leudemainau  matin  ils  marcherent  vers  Lens 
avec  beaucoup  d'ordre  :  comme  ce  sont  de  gran- 
des  plaines  ,  cela  empeche  la  confusion  dans  la 
marche.  II  y  eut  assez  d'escarmouches  dans 
leur  retraite ,  ce  qui  commenca  uu  peu  a  faire 
changer  la  situation  des  esprits  dans  les  deux 
armees.  M.  de  Turenne  an  camp  de  Lens  avoit 
fait  souvent  faire  I'exercice  a  I'infanterie ;  ce 
qui  y  avoit  remis  un  peu  de  vigueur.  Les  enne- 
mis allerentse  loger  aupres  de  Douai ,  d'ou  quel- 
ques jours  apres  ils  detacherent  un  corps  d'in- 
fanterie  pour  aller  assieger  Sainl-Guillain  pen- 
dant qu'ilscouvriroient  le  siege  avec  leur  armee  ; 
la  situation  du  pays  leur  donnoit  cette  facilite 
et  rendoit  le  secours  de  la  place  impossible  ; 
comme  ils  attaquoient  aussi  avec  peu  de  gens,  le 
reste  de  leur  armee  suffisoit  pour  empecher 
qu'on  n'entreprit  rien  en  Flandre.  M.  de  Tu- 
renne, des  que  I'ennemi  fut  deloge  de  devant 
lui,  envoya  Saint-Martin  ,  lieutenant  de  I'artil- 
lerie,  trouver  M.  le  cardinal  qui  etoit  a  La  Fere, 
afin  de  donner  ordre  a  tenir  de  I'artillerie  prete 
et  des  outils  emmanches ,  dans  la  pensee  que 
M.  de  Turenne  eut  qu'il  pourroit  assieger  La  Ca- 
pelle  qui  etoit  si  eloignee  du  lieu  ou  il  etoit, 
qu'il  croyoit  que  les  ennemis  n'en  auroient  au- 
cun  soupcon.  M.  le  cardinal  ayant  laisse  au 
choix  de  M.  de  Turenne  les  mesures  qu'il  falloit 
prendre,  il  partit  d'aupres  de  Bethune,  passa  par 
Arras  ,  fit  semblant  de  marcher  vers  la  riviere 
de  Somme  ,  pour  derober  sa  marche  a  la  garni- 
son  de  Cambrai ,  et,  coulant  tout  du  long  de  la 
riviere,  laissa  son  infanterie  derriere  et  alia  in- 
vestir  LaCapelle. 

M.  le  prince  avoit  detache  un  corps  sous  le 
corate  de  La  Suze  ,  qui  devoit  se  jetter  dans  la 
place;  mais  etant  loge  a  deux  heures  de  La  Ca- 
pelle  ,  et  n'ayant  point  de  nouvelles  de  I'armee 
du  Roi ,  il  n'entra  point,  et  ne  I'essaya  qu'apres 
avoir  appris  que  la  ville  etoit  investie.  M.  de 
Turenne  avoit  pris  en  passant  quinze  cens  hom- 
mes  de  pied  qui  venoient  de  Conde,  avec  lesquels 
et  la  cavalerie  on  commenca  a  se  retrancher. 
Quelques  troupes  du  corps  de  M.  de  La  Suze  ta- 
eherent  inutilement  d'y  entrer  la  premiere  nuit; 

lit.    C.    D.    M,    T.    III. 


DE    TUREKNE.    [lG5G]  415  j 

mais  la  seconde ,  le  fils  de  M.  de  Chamilli ,  gou- 
verneur,  s'y  jetta  avec  environ  qnatre-vingts 
ehevaux ,  apres  avoir  passe  tout  au  travers  des 
escadrons  qui  etoient  autour  de  la  place.  L'in- 
fanterie  arriva  le  second  jour  apres  la  cavalerie ; 
et  comme  il  n'y  avoit  pas  plus  de  deux  cens 
hommes  dans  la  place  ,  on  emporta  en  une  nuit 
la  contrescarpe 5  on  prit  trois  demi-lunes,  et  pas- 
sant le  fosse,  on  attacha  des  soldats  au  bastion, 
qui  etant  tres-bien  revetu  ,  ils  ne  s'y  purent  pas 
tenir.  Tons  ces  dehors  que  Ton  prit  etoient  tres- 
bien  fraises  et  palissades ;  cependant  les  enne- 
mis s'etant  rassembles  a  Saint-Guillain  ,  reso- 
lurent  de  faire  lever  le  siege  de  La  Capelle,  et  y 
marcherent  en  diligence  dans  I'esperance  qu'ils 
pourroient  retomber  sur  Saint-Guillain  ,  la  si- 
tuation du  pays  donnant  sujet  de  se  fier  sur  ces 
mesures. 

M.  de  Turenne  scut  que  toute  I'armee  des  en- 
nemis, ayant  leve  le  siege  de  Saint-Guillain,  ar- 
rivoit  a  Avesnes ,  une  heure  apres  que  tons  les 
dehors  de  La  Capelle  furent  emportes  ;  cela  obli- 
gea  a  presser  le  siege.  Quoique  la  place  de  La 
Capelle  fiit  fort  petite  ,  la  circonvallation  avoit 
plus  de  trois  lieues  de  tour ;  mais  comme  il  y 
avoit  des  bois  autour  de  !a  place  qui  empechoient 
qu'une  armee  ennemie  ne  put  donner  jalousie 
pour  tous  les  endroits  ,  on  fit  travailler  en  dili- 
gence a  la  tete  par  oil  I'ennemi  pouvoit  venir,  qui 
avoit  un  grand  front;  et  la  nuit ,  comme  on  ne 
craignoit  pas  la  place,  on  en  tenoit  I'armee 
fort  pres,  afin  d'aller  promptement  au  quartier 
d'ou  les  ennemis  s'approcheroient.  lis  s'avance- 
rent  sans  perdre  temps  a  une  heure  de  la  cir- 
convallation; mais  etant  fort  fatigues  d'unepluye 
continuelle  pendant  deux  jours  de  marche  qu'ils 
avoient  faite  en  grande  diligence  ,  ils  ne  trou- 
verent  pas  a  propos  de  combattre  ,  et  demeure- 
rent  deux  jours  a  cette  distance  du  camp  de 
I'armee  du  Roi.  Les  soldats  qui  s'etoient  avan- 
ees  la  premiere  nuit  jusqu'a  la  muraille  du  bas- 
tion ,  n'ayant  pu  y  demeurer,  ou  y  fit  des  tious 
a  coups  de  canon ,  dans  lesquels  les  mineurs  se 
logerent ,  et  la  place  se  rendit  le  quatrieme  jour 
en  presence  de  I'armee  ennemie. 

Apres  la  reddition  de  La  Capelle,  M.  le  prince 
envoya  de  ses  troupes  dans  Rocroi,  et  les  Espa- 
gnols  se  sentirent  hors  d'etat  de  retourner  sitdt 
devant  Saint-Guillain.  lis  allerent  se  loger  a 
Maubcuge  ,  et  le  Roi  avec  M.  le  cardinal  arri- 
vant  a  Guise,  ils  trouverent  a  propos  de  faire 
Jeter  un  grand  convoi  dans  Saint-Guillain.  II  y 
avoit  grande  apparence  que  les  ennemis  se  re- 
mettroient  dans  leur  vieux  camp,  devant  cette 
place ,  qui  etoit  fort  avantageux ,  pour  empe- 
cher que  Ton  n'y  allat  avec  le  convoi  et  raeme 


MKMOIin-S    in     VICOMTR    OF.   Tl'nK>IVE.    [idol] 


482 

avcc  rarmee;  ncanmoins  M.  Ic  cardinal  iie 
laissa  pas  de  croire  que  le  Roi  devoit  hazardcr 
ce  voyage.  II  partit  done  de  Guise  avec  I'ar- 
mee ,  ct  venant  se  loger  aupres  du  Quesnoi  le 
lendemain,  M.  de  Turenne  s'etant  avance  a  une 
heure  de  la  place, y  envoya  M.  de  Castelnau  avec 
(|uatre  ou  cinq  cens  hommes  de  pied  ,  des  vivres 
pour  liuit  niois  el  beaueoup  de  munitions  de 
guerre.  L'eniiemi,  ne  s'etant  pas  Irouve  en  etat 
de  I'empecher,  marcha  aupres  de  Mons  qui 
n'est  qu'a  une  heure  de  Saiut-Guillain  ,  et  se 
inontra  devant  la  place  deux  lieures  apres  que 
les  troupes  qui  avoient  mene  le  coiivoi  furent  re- 
tirees. II  y  avoit  un  mediant  chateau  que  Ton 
prit  dans  cette  marche.  De  la,  le  Roi  s'en  alia  a 
Guise,  et  comme  la  saison  etoit  fort  avancee,  il 
retourna  a  Paris  hientot  api  es. 

Les  ennemis  ne  furent  plus  en  etat  d'assieger 
Saint-Guillain  ,  et  I'armee  du  Roi  demeura  dans 
le  Cambresis  jusqu'au  commencement  de  no- 
vembre;  alors  elle  repassa  la  Somme  pour  se 
mettre  dans  ses  quartiers  en  France,  et  celle 
de  I'ennemi  se  retira  entre  Mons  et  IXamur,  oil 
apres  avoir  deraeure  quelque  temps  dans  les  vil- 
lages ,  on  la  separa  dans  les  pays  ou  elle  a  ac- 
coutume  d'etre.  L'armee  du  roi  fut  distribuee 
dans  les  villages ,  et  on  commenca  cette  annee- 
la  a  y  mettre  de  I'infanterie  ,  a  qui  on  donnoit 
des  places  comme  a  la  cavalerie  ,  tant  aux  offi- 
ciers  qu'aux  soldats. 

[1657]  Pendant  rhiver(l),  les  ennemis  ayant 
pratique  des  intelligences  avec  quelques  ofliciers 
irlandois  qui  etoient  dans  Saint-Guillain ,  et  qui 
leur  avoient  promis  de  faire  revolter  les  soldats 
quand  ils  en  approcheroient ,  viorent  se  mettre 
autour  de  la  place  avec  quelques  troupes  tirees 
des  garnisons  ,  et  attaquerent  les  dehors  qu'ils 
emporterent.  Quoique  Tintelligence  ne  reussit 
point,  ils  continuerent  le  siege  et  prirent  la  place 
en  six  ou  sept  jours  de  tranchee  ouverte.  M.  de 
Schomberg  y  commandoit  avec  une  garnison  de 
six  cens  hommes ,  et  s'en  revint  avec  capi- 
tulation au  Quesnoi.  II  n'y  eut  rien  de  fort  con- 
siderable a  la  cour  cet  hiver^  oil  le  plein  pouvoir 
demeuroit  entre  les  mains  de  M.  le  cardinal 
Mazarin. 

Le  traite  ayant  ete  fail  avec  le  protecteur 
d'Anglelerre,  il   promit  de  fournir  six  mille 


(1)  Nous  avons  placd  a  la  Gn  dcsMcimoircsde  Tuicnnc 
tous  les  documents  in(^(Jils  (lesa!ui(5es  1(557  ct  1658;  ct 
ceux  qui  se  rapportent  a  Tannic  16r)9,  servent  a  com- 
pleter lesMdmoires  du  mar(^chal  et  a  conduire  la  nar- 
ration jusqu'a  la  fin  de  1059  ,  ('poquc  du  trait(i  des  Py- 
r6n{5es.  On  pourra  done,  par  ces  M(imoires  ,  suivre  i'his- 
toire  du  mardchai  de  Turenne  raconlde  parlui-memc, 
comme  on  relrouve  celle  du  grand  Condc,  pour  le  temps 


hommes  que  le  Roi  payeroit,  pour  entreprendre 
le  siege  de  Dunkerque  ou  de  Gravelines  ,  et  Ton 
convint  que  la  premiere  que  Ton  prendroit  lui 
seroit  remise  entre  les  mains,  et  que  si  c'etoit 
Gravelines,  que  ce  lui  seroit  un  otage  jusqu'a 
ce  que  Dunkerque  futpris,  qu'on  lui  mettroit 
entre  les  mains  ,  et  Gravelines  seroit  rendu 
au  Roi. 

L'armee  se  mit  en  campagne  au  commence- 
ment de  mai ,  avec  intention  de  faire  ce  qui  se 
pourroit  du  cote  de  la  mer.  M.  de  Turenne  fut 
quelque  temps  a  Amiens  avant  la  cour,  afin  d'as- 
sembler  l'armee.  La  lenteur  des  officiers  a  faire 
leiM's  recrues  ,  et  celle  des  Anglois  qui  ne  debar- 
querent  aupres  de  Calais  que  bien  avant  dans  le 
mois  de  mai  ,  donnerent  du  temps  aux  ennemis 
d'etre  ensemble  en  Flandre.  Comme  le  Roi  ne 
tenoit  aucun  passage  pour  y  entrer,  on  n'espe- 
roit  le  succes  des  entreprises  du  c6te  de  la  mer, 
que  parce  qiJ'elles  se  feroient  de  si  bonne  heure, 
que  l'armee  des  ennemis  ne  pourroit  pas  etre 
rassemblee.  Ces  mesures  furent  rompues  du  c6te 
de  la  Flandre ,  qui  est  un  pays  si  serre  ,  qu'il 
n'y  a  point  de  prqjct  apparent  a  y  faire  ,  quand 
on  n'y  tient  point  de  passage,  et  qu'il  y  a  une 
armee  ennemie  pour  s'y  opposer.  M.  le  Marechal 
de  La  Ferte  etoit  avec  un  corps  d'armee  vers  le 
Luxembourg  ,  afin  d'attaquer  Arlon  ,  s'il  le 
trouvoit  degarni ,  ou  tout  au  moins  avec  in- 
tention d'y  arreter  le  corps  d'armee  de  M.  le 
prince  qui  hivernoit  depuis  quelques  annees 
en  ce  pays-la  et  en  ceux  de  Gueldres  ,  Juliers 
et  Rrabant. 

M.  le  cardinal  vint  a  Amiens  ,  ou  M.  de  Tu- 
renne resolut  avec  lui  que  l'armee  marcheroit 
vers  la  Lys  ;  que  le  Roi  s'en  iroit  a  Montreuil , 
afin  de  donner  jalousie  a  I'ennemi  du  cole  de  la 
mer,  et  que  I'on  retourneroit  tout  d'un  coup  sur 
Cambrai  qui  etoit  entierement  degarni.  Pour 
donner  plus  d'apparence  a  ce  dessein  ,  et  faire 
que  les  ennemis  ne  pourvussent  pas  a  Cambrai , 
il  falloit  que  les  Anglois  ne  debarquassent  qu'au 
meme  temps  que  l'armee  du  Roi  arriveroit  de- 
vant Cambrai ,  parce  qu'autrement  le  sejour  de 
l'armee  dans  le  Boulenois  auroil  donne  du  soup- 
con  a  I'ennemi  que  I'on  marchandoit  a  entrer 
en  Flandre ,  et  incontinent  le  feroit  songer  a 
mettre  des  gens  dans  Cambrai ,  ou  I'on  pouvoit 


de  sa  jeunessc,  dans  le  r(5cit  de  Pierre  Lenet,  et  dans 
ses  longues  Icttres  en  forme  dc  m<5moires,  pour  les  annees 
oil  il  fit  la  guerre  au  roi  de  France.  Les  trois  premiers 
volumes  de  la  3'  s(5rie  de  la  Collection  dc  MM.  Michaud 
et  Poujoulat,  sont  done  consacr(^s  aux  trois  grandes  re- 
nommdesdu  legne  de  Louis  XIV,  a  trois  personnages 
qui  prirent  tous  une  part  tres  active  aux  troubles  de  la 
Fronde  :  le  cardinal  de  Relz.  le  grand  Cond('  ot  Turenne. 


MEMOIHES    DU    VICOJITE    1)E    Tl  RENIN E.    [IGoT] 


483 


aller  en  deux  jours  demarche.  De  Tautre  c6te, 
on  ne  jugeoit  pas  a  propos  que  M.  le  marechal 
de  La   Ferte  repassat  la  Meuse  et  quittat  le 
Luxembourg,  de  peur  que  M.  le  prince  avec 
son  corps  d'armee ,  voyant  qu'il  avoit  la  lete 
tournee  pour  venir  en  Flandre ,  ne  marchat 
aussi  vers  Cambrai  Ces  considerations  faisoient 
que  M.  de  Turenne ,  sans  ies  Anglois  et  sans 
I'armee  de  M.  le  marechal  de  La  Ferte,  vouloit 
se  mettre  devant  Cambrai ,  aimant  mieux  ha- 
zarder  a  y  laisser  entrer  quelque  secours ,  et 
en  ce  cas-la  ne  continuer  pas  le  siege,  que  de 
decouvrlr  son  dessein  en  y  allant  avec  plus  de 
precaution ,  et  en  faisant  approclier  Ics  Anglois 
et  M.  de  La  Ferte  :ce  qui  auioit  engage  Ies  en- 
nemis  a  mettre  la  place  dans  un  etat  que  Ton 
n'auroit  pu  songer  a   I'attaquer.   Etant  parti 
d'aupres  de  Bethune ,  il  marcha  avec  toute  sa 
cavalerie,  et  en  un  jour  et  une  nuit  il  arriva 
devant  la  place  ,  ayant  passe  I'Escaut  au-dessus 
de  la  ville,  et  fait  le  tour  de  la  citadelle.  II  len- 
contra  M.  de  Castelnau  qu'il  avoit  envoye  avec 
une  bonne  partie  de  la  cavalerie  entre  Cambrai 
et  Bouchain  ,  et  I'infanterie  etant  arrivee  avec 
un  pont  de  batteaux,  le  soir  du  meme  matin  que 
M.  de  Turenne  y  etoit  avec  la  cavalerie  ,  on  fit 
en  une  heure  le  pont  pour  se  communiquer ,  et 
ayant  distribue  Ies  outils  le  meme  jour,  on  cora- 
menca  a  sept  heures  du  soir  a  travailler  aux  li- 
gnes.  On  n'avoit  aucune  langue  de  I'ennemi ,  et 
M.  de  Turenne  scavoit  bien  qu'avec  toute  la  di- 
ligence qu'une  cavalerie  pent  faire ,  celle  des 
Espagnols  en  Flandre  ne  pouvoit  y  etre  que  le 
lendemain  ,  auquel  temps  il  croyoit  pouvoir  etre 
ferme  ou  par  des  lignes  ,  ou  par  Ies  bagages  de 
I'armee  et  par  Ies  charettes  de  vivres,  de  raa- 
niere  que  nulle  cavalerie  ennemie  ne  pouvoit 
passer.  Comme  il  venoit  du  cote  de  la  Flandre 
pour  investir  Cambrai ,  il  ne  scavoit  rien  de 
M.  le  prince,  qu'il  croyoit  vers  la  Meuse.  M.  de 
Conde,  presse  par  Ies  Espagnols  de  marcher  en 
Flandre,  qu'ils  aimoient  mieux  sauver  et  laisser 
courir  hazard  aux  places  du  Luxembourg,  ar- 
riva le  meme  matin  avec  toute  sa  cavalerie  a 
Valenciennes ,  que  M.  de  Turenne  arrivoit  de- 
vant Cambrai ;  et  en  ayant  ete  averli  par  divers 
couriers  du  gouverneur  qu'il  envoya  a  Bouchain, 
comme  il  commenca  a  voir  paroitre  I'armee  du 
Roi,  et  aussi  par  Ies  coups  de  canon  de  la  cita- 
delle et  de  la  ville ,  il  s'en  vint  a  Bouchain  avec 
sa  cavalerie ,  qui  n'est  qu'a  deux  heures  de  Va- 
lenciennes, et  il  y  en  a  autant  de  la  a  Cambrai. 
II  arriva  vers  Ies  dix  heures  du  matin  a  Bou- 
chain, \it  tout  ce  jour-la  I'armee  du  Roi  defilcr 
vers  Cambrai  ;  et  quoique  beaucoup  de  gens  lui 
conseillassent  d'altendre  des  troupes  d'Espngne 


pour  secourir  la  place  ,  il  jugea  bien  que  la  dif- 
ficultes'augmenteroit ,  s'il  donnoit  le  temps  de 
travailler  aux  lignes ;  des  la  meme  nuit  que  Ton 
avoit  investi  Cambrai,  sur  Ies  onze  heures  du 
soir,  il  marcha  par  Ies  plaines,  qui  est  le  seul 
pays  qu'il  y  ait  autour  de  Cambrai ,  droit  a  la 
citadelle,  avec  pres  de  trois  mille  chevaux  sans 
infanterie. 

M.  de  Turenne,  averti  a  I'entree  de  la  nuit 
qu'il  etoit  arrive  neuf  escadrons  de  cavalerie  a 
Bouchain  ,  crut  que  c'etoient  des  troupes  d'Es- 
pagne  qui  vouloient  entrer  dans  la  place  ,  et 
pensant  qu'ils  eviteroient  le  lieu  ou  etoit  le 
camp,  pour  prendre  le  tour  et  entrer  sans  ren- 
contrer  personne,  il  s'alla  poster  dans  I'endroit 
ou  ils  devoient  passer  avec  sept  ou  huit  regi- 
mens de  cavalerie ,  laissant  toutes  Ies  troupes 
etendues  le  long  de  la  plaine.  On  ne  scait  pns 
bien  si  M.  le  prince  fut  egare  par  le  guide  qui 
vouloit ,  a  ce  qu'on  dit ,  le  mener  par  un  autre 
endroit,  pour  eviter  le  camp,  mais  ii  s'en  vint 
par  le  grand  chemin  de  Bouchain  a  la  citadelle. 
II  avoit  vingt-cinq  ou  vingt-six  escadrons  ,  trois 
escadrons  de  front ,  et  Ies  autres  derriere  sur 
trois  colonnes.  lis  ne  trouverent  a  leur  chemin 
que  quatre  ou  cinq  escadrons  de  cavalerie  de 
I'armee  du  Roi ,  qui  ayant  fait  quelques  dechar- 
ges ,  et  une  partie  ne  s'opposant  pas  au  front , 
Ies  laisserent  passer  avec  pen  de  perte.  Un  es- 
cadron  de  Clerembaut,  avec  lequel  etoit  M.  de 
Varenne,  chargea  celui  ou  etoit  M.  le  prince, 
le  suivit  jusques  sur  la  contrescarpe  de  la  cita 
delle  et  fit  beaucoup  de  prisonniers ;  il  y  en  eut 
aussi  quelques-uns  qui  se  trouverent  embarras- 
ses dans  I'obscurite  de  la  nuit;  mais  M.  le  prince 
se  trouva  une  heure  devant  le  jour  sur  Ies  fosses 
de  la  citadelle  avec  toutes  ses  troupes  ,  a  la  re- 
serve de  vingt-cinq  ou  treute  officiers  et  trois  ou 
quatre  cens  cavaliers  qu'il  perdit.  M.  de  Tu- 
renne etoit  fort  eloigne  de  la,  et  on  lui  avoit 
amene  le  lieutenant-colonel  du  regiment  d'En- 
ghien,  qui  fut  pris  comme  M.  le  prince  entroit 
dans  le  camp.  Ayant  marche  vers  ce  cote ,  il  ne 
put  pas  apprendre  avant  qu'il  flit  jour,  s'il  etoit 
entre  ou  non  un  corps  dans  Cambrai. 

Le  jour  commencant  a  paroitre,  M.  de  Tu- 
renne vit  toutes  Ies  troupes  de  I'ennemi  en  ba- 
tai lie  sur  la  contrescarpe  de  la  citadelle,  et  or- 
donna  aussitot  a  M.  de  Castelnau,  qui  etoit  de 
I'autre  cote  de  I'Escaut ,  de  repasser  en-deca,  et 
ne  delibera  pas  a  lever  le  siege, ne  I'ayant  en- 
trepris  que  sur  I'assurance  qu'il  trouveroit  pen 
de  gens  dans  la  place ,  et  persuade  que  s'il  bai- 
toit  le  secours  des  Espagnols,  qui  ne  pouvoit 
pas  etre  fort  considerable  la  premiere  ni  la  se- 
eondenuit,  qu'il  pourroit  continuer  aisemenl  le 

31. 


48  1 


MEUOIRKS    1)U    VICOMTE    HE    TtJRENNE.    [(6o7 


siege ;  mais  rarrivee  de  M.  le  prince  a  Bouchain, 
le  jour  quMI  investit  Cambrai ,  et  !a  resolution 
que  le  prince  prit  d'entrer  lui-meme  dans  la 
place  (ce  qui  fiit  une  chose  fort  hardie)  rompit 
tout-a-fait  les  mesures  de  M.  de  Turenne ,  et  To- 
bligea  d'assembler  toutes  les  troupes.  Ayant 
leve  tous  les  ponts  de  I'Escaut,  et  remis  dans 
les  chariots  tout  ce  qui  put  etre  decharge  dans 
un  blocus  d'une  nuit ,  il  commenca  a  marcher 
entre  Cambrai  et  le  Catelet. 

Comme  M.  de  Castelnau  avoit  acheve  de  pas- 
ser I'Escaut  et  qu'il  rechargeoit  son  pont ,  il  y 
parut  quelque  cavalerie  de  I'armee  d'Espagne, 
que  M.  le  prince,  etant  arrive  a  Bouchain,  avoit 
fait  hater.  II  n'y  eut  aucune  escarmouche  con- 
siderable a  I'arriere-garde,  et  I'armee  du  Roi, 
apres  avoir  sejourne  deux  jours  aupres  de  Cam- 
brai ,  se  rapprocha  de  Saint-Quentin  ou  le  Hoi, 
quietoitenPicardie,  am' vaquelques  jours  apres. 
Cette  tentative  de  Cambrai  ayant  donne  le  temps 
aux  ennemis  de  se  mettre  ensemble ,  les  entre- 
prises  depuis  la  mer  jusqu'a  I'Escaut  devinrent 
comme  impossibles;  desorte  que  Ton  fit  avan- 
cer  les  Anglois  vers  Saint-Quentin  ,  qui  avoient 
debarque  au  nombre  de  pres  de  six  mille  hom- 
mes ,  et  le  Roi  y  vint  avec  M.  le  cardinal ; 
M.  de  Turenne  y  etant  alle  ,  il  fut  resolu  que 
Ton  en voyeroit  proposer  a  iM.  le  marechal  de 
La  Ferte  d'attaquer  Arlon  ou  Montmedi,  croyant 
que  I'attaque  d'une  petite  place  en  Luxembourg 
pourroit  faire  prendre  un  mauvais  parti  a  Ten- 
nemi :  ce  que  Ton  aimoit  mieux  faire  que  de  se 
mettre  devant  une  grande  place ,  apres  avoir 
donne  le  temps  aux  Espagnols  de  se  rassem- 
bler,  ce  qui  lui  auroit  donne  moyen  ou  d'entrer 
en  France ,  ou  d'attaquer  quelque  place  que 
Ton  ne  pouvoit  pas  bien  garnir,  quand  une  ar- 
mee  est  occupee  a  un  grand  siege  et  qu'elle  a 
beaucoup  de  places  a  garder.  C'est  ce  qui  fit 
prendre  la  resolution  d'attaquer  Montmedi  ,  a 
quoi  M.  le  marechal  de  La  Ferte  donna  les 
mains  ;  et  quoiqu'il  y  eutde  grandes  difficultes 
a  cause  du  roc  ,  neanmoins  on  se  flatta  que  Ton 
y  trouveroit  peu  de  gens,  comme  eneffet  il  n'y 
avoit  pas  plus  dequatre  censhommes. 

M.  de  Turenne  envoia  quatre  raille  hommes 
de  pled  a  M.  le  marechal  de  La  Ferte,  et  fit 
approcher  de  lui  le  corps  des  Anglois,  afin  de 
s'opposer  .a  I'armee  des  ennemis ;  et  mettant 
quelque  infanterie  dans  Landrecies  et  dans  le 
Quesnoi ,  il  se  tint  a  la  tcHe  de  la  fronticre  afin 
d'empeeher  que  les  ennemis  n'entreprissent  de 
secourir  Montmedi ,  ni  de  rien  faire  de  conside- 
rable. Le  siege  done  commenca,  et  M.  de  Tu- 
renne y  marcha  une  fois  avec  sa  cavalerie  ,  sur 
un  avis  que  renncmi  marchoit  entre  la  Sambre 


et  la  Meuse  poury  aller.  II  y  retourna  une  se- 
conde  fois,  toute  I'armee  de  I'ennemi  ayant  ete 
jusqu'a  Charlemont  qui  est  sur  la  Meuse ,  d'ou 
ils  retournerent  en  diligence  par  la  Flandre  jus- 
qu'a Calais,  pour  une  eutreprise  qu'ils  avoient 
sur  cette  place,  laquelle  manqua;  et  M.  le  car- 
dinal ,  qui  etoit  a  La  Fere  avec  le  Roi ,  envoya 
promptement  des  mousquetaires  de  Sa  Majeste 
a  Ardres ,  lesquels,  avec  de  la  cavalerie  que 
M.  de  Castelnau  y  envoya  aussi ,  empecherent 
que  I'ennemi ,  apres  avoir  manque  son  entre- 
prise  sur  Calais,  ne  s'arretat  a  Ardres;  maiss'e- 
tant  rafraichis  pres  de  quinze  jours  ,  ils  se  rap- 
procherent  encore  de  la  frontiere  et  vinrent  jus- 
qu'a Ribemont. 

Le  siege  de  Montmedi  dura  beaucoup  plus  que 
Ton  ne  I'avoit  cru  ,  a  cause  des  rochers  qui  se 
trouvoient  pres  de  la  contrescarpe ;  en  sorte  que 
les  ennemis  ,  etonnes  de  la  longueur  du  siege, 
apres  toutes  ces  tentatives  pour  la  secourir  et 
d'avoir  marche  a  Calais ,  se  resolvoient  encore 
de  faire  semblant  d'entrer  en  France ,  apres 
avoir  envoye  M.  de  Marcin  avec  un  corps  en 
Luxembourg, pour  tacher  de  secourir  Montmedi; 
mais  ils  nedemeurerent  qu'un  jour  a  Ribemont, 
et  se  retirerent  de  la  dans  leur  pays.  M.  de  Tu- 
renne envoya  encore  un  renfort  de  troupes  a 
Montmedi ;  de  sorte  qu'apres  plus  de  deux  mois 
de  tranehee  ouverte  la  place  se  rendit ,  les 
ennemis  n'ayant  rien  entrepris ,  et  leur  armee 
s'etant  fort  ruinee  en  diverses  marches  qui 
avoient  fort  mal  succede.  On  avoit  reste  quel- 
que temps  dans  une  fort  mauvaise  opinion  du 
siege  de  Montmedi ,  ce  qui  obligea  le  Roi  de 
s'en  approcher ;  et  ensuite  la  Reine,  qui  etoit  de- 
meuree  a  La  Fere,  s'y  en  alia  trouver  le  Roi, 
lequel  fut  toujours  a  Stenai ,  allant  de  temps  en 
temps  se  promener  pour  voir  le  siege. 

Quand  la  place  se  rendit ,  toute  I'armee  des 
ennemis  etoit  entre  la  Sambre  et  la  Meuse,  et 
M.  le  cardinal  proposa  a  M.  de  Turenne  le  siege 
de  Rocroi :  ce  que  les  ennemis  jugeant  faisable, 
s'en  approcherent  avec  toute  leur  armee.  M.  de 
Turenne  etoit  a  quatorze  ou  quinze  lieues  de 
I'endroit  ou  etoit  la  cour,et  scavoit  bien  que 
Ton  n'avoit  rien  de  regie  pour  les  entreprises , 
la  cour  croyant  toutes  choses  bonnes ,  pourvu 
qu'elles  pussent  reussir;  mais  lui,  voyant  que 
I'ennemi  s'etoit  avance  vers  Rocroi ,  resolut  de 
marcher  de  grand  matin ,  de  les  prevenir ,  et 
d'arriver  en  Flandre  avant  eux.  II  avertit,  en 
commencant  a  marcher  ,  M.  le  cardinal  de  son 
dessein  ;  et  toutes  les  troupes  de  M.  le  mare- 
chal de  La  Ferte,  tant  celles  qui  etoientdeson 
corps  que  celles  qu'on  lui  avoit  envoyees,  de- 
meurerent  aupres  de  Montmedi,  a  la  reserve  de 


MEMOIRES    Dl)    YICOMTE    DE    TLREN^E.    [lG57] 


485 


la  cavalerie  que  M.  de  Lislebonne  etM.  de  Va- 
rennes  comraandoient.  En  partant  deRumigni, 
il  prit  sa  marche  aupres  d'Avesnes ,  et  de  la 
passa  la  Sambre  a  Amieus,  ou  il  iie  sejourna 
que  le  temps  qu'il  falloit  pour  donner  loisir  de 
repaitre.  II  passa  aupres  du  Quesnoi ,  et  alia 
traverser  I'Escaut  a  la  Neuville,  a  une  heure 
au  dcssous  de  Bouchaiu ,  d'ou  il  alia  loger  a 
Sailli  sur  la  Scarpe  ,  et  euvoya  de  la  ,  des  la 
nuit,  M.  de  Castelnau  investir  Saint- Venant, 
lui  ayant  donne  ordre  de  passer  de  I'autre  cote 
de  la  Lys.  M.  de  Turenne  arriva  en  meme  temps 
en  deca  avec  toute  la  cavalerie  et  quelques 
raousquetaires  commandes.  On  fit  de  la  Sam- 
bre, en  trois  jours,  la  marche  jusqu'a  Saint-Ve- 
nant;  le  premier  a  la  Neuville  aupres  de  Bou- 
ehain  ,  le  second  a  Sailli  sur  la  Scarpe,  et  le 
troisieme  devant  Saint- Venant. 

M.  de  Turenne  scavoit  bien  qu'il  ne  pourroit 
gagner  le  devant  a  reuuemi  que  d'uu  jour  ,  le- 
quel,  pouvant  marcher  par  son  pays,  ne  seroit 
point  retarde  en  sa  marche  :  ce  qui  i'ut  cause 
qu'il  ne  voulut  pas  assieger  Armantieres ,  parce 
que  I'ennemi  eut  pu  y  etre  un  jour  plus  totqu'a 
Saint-Veuant.  Cette  diligence  que  fit  I'armee  du 
Roi  ne  fut  point  retardee  par  le  bagage  que 
Ton  avolt  presque  tout  renvoye,  a  la  reserve  de 
quelques  chariots  et  du  canon  qui  marehoient 
avec  I'armee.  M.  de  Ciron  qui  le  conduisoit  eut 
ordre  de  M.  de  Turenne  de  prendre  desoutilsqui 
devoient  etre  a  Saint-Quentin ,  et  de  s'en  veiiir 
par  Arras  et  Bethune  droit  a  Saint- Venant. 

Comme  I'armee  y  fut  arrivee,  on  trouva  la 
place  assez  degarnie ,  u'y  ayant  pas  plus  de 
trois  cens  hommes ;  et  comme  on  n'avoit  pu 
mener  que  fort  peu  de  munitions  et  de  vivres 
de  guerre  avec  I'armee,  M.  de  Turenne  fit 
promptement  venir  ce  qu'il  put  de  La  Bassee  et 
de  Bethune.  M.  le  prince  et  dom  Juand'Autri- 
che  ue  perdirent  pas  de  temps ,  et  ayant  marche 
sans  bagage,  leur  avant-garde  arriva  a  quatre 
heures  de  Saint-Venant ,  le  jour  d'apres  que 
I'armee  du  Roi  etoit  arrivee  devant  la  place , 
ou  Ton  manquoit  de  toules  choses  pour  un 
siege.  M.  de  Turenne  prit  de  la  cavalerie  et 
s'en  alia  a  La  Bassee ;  d'ou  apres ,  en  repassant 
a  Bethune,  il  mena  quelques  vivres  aucamp  et 
un  peu  de  munitions  de  guerre. 

L'armee  de  I'ennemi  arriva  toute  entiere  de- 
vant la  place,  le  troisieme  jour  apres  celle  du 
Roi.  L'on  eut  avis  ce  jour-la  que  le  bagage  de 
I'armee  ,  conduit  par  sept  ou  huit  regimens  de 
cavalerie  et  quinze  cens  hommes  de  pied ,  etoit 
parti  d'Arras  et  venoit  au  camp.  M.  de  Turenne 
envoya  cinq  cens  chevaux  au  devant ,  et  manda 
a  M.  de  Ciron  qui  le  conduisoit,  de  prendre  le 


tour  par  Lilers ,  ou  il  campa  le  soir  a  une  heure 
et  demie  de  Saint-Venant;  et  le  lendemain 
M.  de  Ciron ,  en  etant  parti  assez  tard ,  s'en 
vint  le  matin  trouver  M.  de  Turenne,  avec 
une  partie  des  troupes  qu'il  avoit  mises  a  I'a- 
vant-garde  ,  n'ayant  pas  nouvelles  desennemis, 
dont  un  corps  de  mille  ou  douze  cens  chevaux 
renforce  des  garuisons  d'Aire  et  Saint-Omer, 
sous  la  conduite  de  M.  de  Bouteville,  eurent 
nouvelle  par  Aire  que  ces  bagages  etoient 
campes  aupres  de  Lilers,  et  etant  parti  de  la 
Motte-au-Bois,  s'en  vinrent  par  Aire  droit  a  Li- 
lers; ils  trouverent  le  bagage  dans  la  marche, 
une  partie  etant  deja  assez  presdu  camp.  Comme 
ce  sont  tons  defiles  oil  la  tetene  pent  pas  secourir 
la  queue,  trois  regimens  de  cavalerieet  le  regi- 
ment d'infanterie  d'Alsace,  qui  etoit  a  I'arriere- 
garde,  furent  charges  par  cette  cavalerie  ,  rum- 
pus, et  une  partie  du  bagage  pris;  on  sauva 
beaucoup  de  chevaux,  mais  il  y  eut  beaucoup  de 
regimens  qui  firent  une  perte  fort  considerable. 
On  n'en  eut  que  bien  tard  I'allarme  au  camp  , 
et  beaucoup  de  cavalerie  y  courut  en  desordre  ; 
ilsprirent  quelques  prisonniers  de  I'ennemi  qui 
s'etoient  trop  arretes  et  qui  n'eurent  pas  le 
loisir  de  piller  le  reste  du  bagage. 

II  y  eut  tout  ce  jour-Ia  beaucoup  d'abatte- 
meut  u  cause  de  cette  perte;  il  y  arriva  nean- 
moins  des  outils  avec  lesquels  on  commenca  a 
travailler  en  diligence ;  et  comme  le  pays  est 
fort  convert  et  serre,  les  ennemis  ne  pouvoient 
ni  voir  I'etat  auquei  etoit  I'armee  du  Roi ,  ui 
s'elargir  pour  venir  en  bataille  I'attaquer,  quoi- 
qu'ils  fussent  fort  proclies  et  qu'on  ne  flit  pas 
retranche  ;  on  ne  rassembla  aucun  quartier  , 
mais  on  se  fioit,  en  leur  opposant  peu  de  trou- 
pes, a  la  difficulte  qu'ils  avoient  a  venir. 

La  trauchee  n'etoit  pas  ouverte,  et  I'ennemi , 
croyant  que  c'etoit  sa  presence  qui  I'empechoit , 
vint  se  loger  a  une  portee  de  canon  d'un  village 
par  lequel  on  entroit  au  camp ,  et  qui  etoit  le 
lieu  leplus  aise  a  I'attaquer.  11  trouva,  en  ve- 
nant s'y  loger ,  qu'il  y  arrivoit  quelques  cais- 
sons qui  portoient  du  pain  de  Bethune.  Trois  es- 
cadrons  ,  qui  les  conduisoient ,  se  mirent  a  I'ar- 
riere-garde,  et  faisant  entrer  le  convoi  en  siirete, 
furent  charges  par  beaucoup  d'escadrous  de 
I'ennemi  qui  faisoient  I'avant- garde  de  leur 
armee ,  et  furent  renverses  jusques  dans  la  bar- 
riere  qui  etoit  au  village  ,  dont  quelques  cha- 
rettes  de  vivandiers  ,  qui  marehoient  apres  le 
convoi,  empechoient  I'entree.  C'etoit  a  quatre 
heures  apres  mldi ,  et  cela  vint  si  promptement , 
qu'il  n'y  eut  que  quelques  mousquetaires  qui 
etoient  a  la  barriere  qui  tirerent  quelques  coups. 
Toute  I'infanterie  etant  au  travail,  se  trouva 


■IHt) 


MKMOIIieS    1)1      NICCJ-MIK    I)i:    Tl'ltK^M: 


[Hi37] 


fort  loin  de  ce  lieu-hi.  M.  de  Tureime  etuit  dans 
le  camp,  qui  courut  au  bruit  et  u'a\  oit  que  douze 
ou  quinze  persoiines  avec  lui  ,  entre  lesqiielles 
etoit  M.  d'Humieresqui,  s'avancant,  arriva  a 
la  barriere  ou  les  ennemis  etoient  deja.  M.  de 
Turenne  y  arriva  en  meme  temps;  de  maniere 
que  les  ennemis ,  qui  n'avoient  point  de  dessein 
forme  sur  le  camp,  se  retirerent  vers  le  leur  qui 
n  etoit  pas  a  plus  de  mille  pas  de  la.  S'ils 
avoient  eu  des  dragons  ou  de  I'infanterie  a  leur 
avant-garde ,  il  est  certain  qu'ils  pouvoient  en 
ce  temps-la  mettre  une  grande  confusion  dans 
I'armee  qui  etoit  fort  separee.  M.  de  Turenne  , 
voyant  que  Tennemi  n'avoit  autre  dessein  que 
de  Tempecher  d'ouvrir  la  tranchee  et  sauver 
par  ce  moyen  la  place,  par  Tapprehension  que 
Ton  avoit  du  voisinage  de  leur  armee  ,  dans  un 
temps  que  celle  du  Roi  n'etoit  ni  plus  d'a  moitie 
retranchee ,  nl  pourvue  de  cboses  necessaires 
pour  un  siege  ,  connut  fort  bien  que  le  retarde- 
ment  ne  feroit  que  rendie  les  clioses  plus  diffi- 
ciles  ,  et  6ter  les  raisons  d'entreprendre  au  lieu 
d'en  fournir  ,  de  sorte  qu'il  ouvrit  la  tranchee 
des  le  soir  meme. 

La  place ,  quoique  de  consequence  aux  enne- 
mis, a  cause  du  passage  de  la  Lys,  n'etant  pas 
de  celles  qui  puissent  faire  apprehender  leseve- 
nemens  des  grands  sieges ,  I'enuemi  ne  prit  pas 
de  resolution  cette  nuit ;  il  demeura  tout  le  jour 
dans  son  camp.  Apres  quclques  escarmouches  , 
etapres  que  M.  le  due  d'Yorck  et  M.  le  due  de 
Glocestre  eurent  parle  avec  beaucoup  d'offi- 
ciers  francois  de  leur  connoissauce ,  la  nuit  sui- 
vante,  les  Espagnols  marcberent  en  diligence 
devant  Ardres ,  ayant  envoye  le  jour  aupara- 
vant  les  troupes  qui  etoient  vers  Aire ,  pour  in- 
vestir  la  place. 

Toute  la  nuit  que  les  ennemis  delogerent,  on 
ne  put  pas  scavoir  leur  dessein  ,  et  meme  la  nuit 
d'apres,  n'ayant  point  d'autre  nouvelle  que  celle 
qu'ils  marchoient  vers  Aire  ;  on  crut  qu'ils  fai- 
soient  le  tour  du  camp  pour  I'attaquer  par  un 
autre  c6te ;  de  sorte  que  les  tranchees  ne  s'avan- 
coient  qu'a  I'ordinaire :  mais  aussitot  que  M.  de 
Turenne  s^ut  qu'ils  arrivoient  devant  Ardres , 
il  fit  emporter  la  contrescarpe  par  son  regiment 
d'infanterie  qui  etoit  de  garde  (I).  II  y  avoit  un 
grand  fosse  plein  d'eau  poury  aller;  de  maniere 
qu'il  s'y  uoya  quelques  soldats ,  et  on  fit  le  lo- 
gement,  sans  le  combler  qu'apres  qu'il  fut  fait : 
on  y  perdit  bien  cent  soldats  et  pres  de  vingt- 
cinq  ol'fieiers  tues  ou  blesses.  Les  assiegcs  qui  en 
faisoient  leur  capiiale  defense  s'y  opini^trerent 


(1)  Lc  Viooinlc  tail  ici  la  lii-lle  action  qu'il  fit,  en  faisant 
coupor  sa  vaissdic  pout  la  distiibiier  aux  soldats.  (A.E.) 


fort ,  et  ce  fut  une  des  plus  difficiies  actions  qui 
se  soit  vue  dans  les  sieges.  Cela  pressa  si  fort  les 
ennemis ,  que  la  garde  qui  suivit  ayant  encore 
emporte  un  ouvrage,  ils  demanderent  a  capi- 
tuler  ,  voyant  toute  la  cavalerie  de  I'armee  qui 
portoit  des  fascines  pour  remplir  le  fosse  de  la 
place.  M.  de  Turenne ,  ayant  parle  aux  otages  a 
la  tete  du  travail,  pressa  si  fort  la  reddition, 
que  dans  une  beure  on  fut  maitre  d'une  porte. 
II  commanda  a  I 'instant  a  quatre  ou  cinq  mille 
chevaux  de  marcher  a  Ardres  en  passant  pres 
des  portes  d'Aire  ,  afin  que  la  place  tirat  le  ca- 
non ;  I'armee  qui  etoit  devant  Ardres  vit  que 
Saint- Venant  etoit  pris  ,  et  ainsi  cessa  de  con- 
tinuer  le  siege.  C'est  ce  qui  en  effet  sauva  la 
place  ;  car  les  ennemis,  sachant  qu'il  n'y  avoit 
que  des  dehors  en  etat  de  defense ,  ne  firent 
qu'une  faute ,  qui  etoit  de  ne  pas  les  emporter 
la   premiere  nuit  qu'ils   arriverent  ;  mais   les 
ayant  altaques  la  seconde  et  ne  trouvant  per- 
sonne  pour  les  defendre,  ils  descendirent  la 
meme  nuit  dans  le  fosse  par  trois  endroits ,  la 
descente  n'etant  pas  difficile,  et  attacherent  des 
mineiirs  a  une  courtine  et  a  un  bastion  :  ce  fut 
cette  meme  nuit-la  qu'ils  entendirent  le  canon  a 
Aire,  et  firent  sommer  diverses  fois  la  place ,  et 
eurent  nouvelle  le  matin  que  toute  I'armee  du 
Roi  marchoit  a  Ardres ;  ils  crurent  ainsi  que 
I'avant-garde  etoit  I'armee  meme  ,  prirent  I'al- 
larme  et  se  retirerent  dans  la  Flandre  sur  les 
onze  heures  du  matin  le  meme  jour  5  ils  laisse- 
rent  quelques  mineurs  attaches  au  bastion  ,  et 
quelques  postesd'infanteriequ'ils  ne  purent  reti- 
rer  le  jour.  II  est  certain  qu'Ardres  auroit  ete 
pris,  n'y  ayant  pas   deux  cens    hommes  dans 
la  place,  si  on  I'avoit  assiegee  selon  les  regies. 
M.  de  Turenne  ayant  marche  ce  jour-la  sept 
lieues  avec  I'armee  ,  apprit  le  soir  que  celle  des 
ennemis  s'etoit  retiree  en  Flandre  ;  apres  s'etre 
rafralehi  trois  jours  ,  il  retourna  par  Saint-Ve- 
nant  passer  la  Lys,  et  fit  prendre  La  Motte-au- 
Bois,  chateau  qui  incommodoit  fort  Saint- Ve- 
nant, et  commanda  qu'on  le  fit  raser  ;  sachant 
que  I'armee  de  I'ennemi  etoit  pres  de  la  Golme, 
mais  incertain  si  elle  avoit  passe  ,  et  esperant 
en  trouver  une  partie  en  deca  ,  il  laissa  son  ba- 
gage  dans  le  camp  ,"avec  ordre  de  marcher  jus- 
qu'a  Cassel  et  d'y  demeurer  ,  et  lui ,  avec  I'ar- 
mee, alia  en  un  jour  depuis  Merville  jusqu'a  La 
IJerge  ;  le  teirips  fut  si  mauvais  ,  qu'il  n'y  eut 
qu'une  partie  de  I'avant-garde  qui  y  put  arriver 
avec  peu  d'ordre.  On  apprit ,  par  des  prison- 
iiiers,  que  toute  I'armee  des  ennemis  etoit  au- 
dela  de  la  riviere,  et  on  les  fut  reconnoitre  le 
lendemain  5  on  vit  qu'ils  achevoient  de  s'y  re- 
trancher;  et  le  temps  etant  perdu  d'entreprendre 


MEMOIRES    1;IJ    \  ICUiMTL    1>K    JLKEA^K.    [1657] 


487 


quelque  chose  ,  I'ainiee  alia  a  Wate  ,  ou  M.  de 
Turenne  ayant  appris  que  les  ennemis  quit- 
toient  le  poste  de  Bourbourg  et  avoient  garde 
le  fort  de  Riipt,  il  empetha  par  sa  diligence 
quils  lie  coupassent  les  digues  ,  resolut  de  pas- 
ser la  Colme  et  d'assieger  Mardyck.  11  envoya 
le  sieur  Talou  a  Londres,  pour  en  faire  la  pro- 
position a  M.  le  protecteur,  ayant  toujours  eu 
ordre  de  la  cour  de  s'approeher  de  la  nier  quand 
il  le  pourroit,  et  sachant  bien  que  c'etoit  Tin- 
tentiou  d'executer  le  Iraite  fait  au  commence- 
ment de  la  campagne.  Comme  on  ne  peut  agir 
que  selon  le  temps  que  I'ennemi  donne  ,  M.  de 
Turenne  crut  ne  devoir  pas  negliger  celui-ci  , 
quoique  la  saison  fut  fort  avancee  ,  pour  com- 
mencer  des  concjuetes  en  Flandre. 

Le  mois  de  septembre  fut  presque  fini  quand 
M.  Talon  alia  en  Angleterre.  On  prit  neanmoins 
le  fort  d'Hennin  ,  qui  etoit  un  passage,  et  Ton 
l)repara  toutes  les  choses  necessaires,  tant  vi- 
vres  qu'artillerie  ,  pour  entreprendre  un  siege. 
L'armee  sejourua  neuf  ou  dix  jours  a  Wate , 
pendant  lesquels  il  ne  se  passa  rien  de  conside- 
rable ;  ce  sejour  fit  croire  aux  ennemis  que  Ton 
ne  songeoit  pas  a  aller  plus  avant ;  de  sorte 
qu'ils  avoient  resolu  d'abord  de  faire  sauter  le 
fort  de  Mardyck  ,  et  avoient  commence  a  creu- 
ser  des  mines  sous  les  bastions,  raais  se  flattant 
cnsuite  que  I'incommodite  de  la  saison  et  la 
difficulte  des  chemins  empecheroient  le  siege 
de  la  place ,  ils  firent  cesser  le  travail  et  y  mi- 
rent  garuison.  M.  de  Turenne,  qui  ne  pouvoit 
assieger  ni  Gravelines  ,  ui  Duukerque  ,  dans 
une  saison  avancee  ,  la  premiere,  a  cause  de  la 
bonte  de  la  place  ,  et  la  deruiere  ,  a  cause  que 
Tcnnemi  etoit  campe  sous  ses  murs  ,  resolut 
d'aller  a  Mardyck  ,  sans  avoir  de  nouvelles  po- 
sitives de  ce  que  pensoit  M.  le  protecteur  ;  il 
savoit  bien  que  la  flotte  d'Angleterre  etoit  a  la 
rade  ,  et  aimoit  mieux  comraencer  une  chose  , 
quoique  tres-difficile  ,  que  d'achever  la  cam- 
pagne sans  rien  faire  davantage  :  ainsi,  ayant 
envoye  son  bagage  sous  Calais  avec  cinq  ou  six 
regimens  de  cavalerie ,  il  marcha  a  Mardyck. 
J  11  falloit  quetoute  l'armee  passcit  sur  une  digue 
et  savanc^t  dans  un  pays  ou  il  n'y  avoit  dere- 
traite  que  par  le  meme  chemin  par  lequel  on  al- 
loit ;  on  commanda  a  toute  la  cavalerie  de  por- 
ter des  palissades,  et  a  I'infanterie  des  fascines, 
n'y  ayant  point  de  bois  aupres  de  Mardyck  , 
lequel  est  si  proche  de  Dunkerque,  oil  etoit 
l'armee  des  ennemis ,  qu'il  falloit  planter  des 
palissades  en  y  arrivant. 

(i)  On  publia  vers  ce  meme  lemps  la  relation  de  la 
jortse  de  Mardyck  par  le  mareclial  de  Turenne  ,  avec 
\es  articles  accordes  au  gouierneur  de  cette  impor- 


Les  ennemis  avoient  dans  la  place  six  ou  sept 
cens  hommes  ,  composes  de  trois  regimens  ita- 
liens,  et  le  reste  d'Espagnols  et  de  Walons.  On 
fut  deux  jours  que  les  vaisseaux  ne  pouvoient 
pas  entrer  dans  la  fosse ,  a  cause  du  vent,  et 
que  Ton  voyoit  passer  des  batteaux  qui  alloient 
de  Dunkerque  a  Mardyck  :  ce  qui  rendoit  le 
siege  fort  difficile  ;  et  aussi  le  manque  de  four- 
rage  faisoit  voir  que  l'armee  ne  pourroit  pas  y 
demeurer  long-temps.  M.  de  Turenne  balanca 
un  jour  entier  s'il  commeuceroit  le  siege,  et 
M.  de  Castelnau  I'y  ayant  determine ,  Ton  reso- 
lut d'ouvrir  la  tranchee  et  d'emmener  du  ca- 
non pour  battre  le  fort  du  bois.  Voyaut  que  les 
ennemis  vouloient  I'abandonner  ,  quelque  cava- 
lerie courut  sur  le  bord  de  la  mer ,  entre  les 
deux  forts ;  ayant  ote  par  ce  moyen  la  com- 
munication de  la  mer,  on  poursuivit  avec  plus 
de  plaisir  la  resolution  qui  etoit  prise  d'ouvrir 
la  tranchee  :  ce  qui  se  fit  cette  nuit  ou  les 
gardes  entrerent ,  et  on  s'approcha  fort  pres  de 
la  contrescarpe.  Le  lendemain  on  y  fit  une  at- 
taque  generale,  et  on  I'emporta  de  tous  les  co- 
tes ;  et  s'y  etant  loge ,  on  commenca ,  sans 
perdre  de  temps ,  a  la  percer  pour  descendre 
dans  le  fosse  de  la  place  ;  le  matin  ,  comme  on 
y  jetoit  des  fascines  pour  le  combler,  les  en- 
nemis demanderent  a  capituler,  et ,  n'elant 
point  recus  a  se  rendre  que  prisonniers  de 
guerre ,  apres  avoir  rompu  deux  ou  trois  fois 
en  cinq  ou  six  heures  la  treve  ,  ils  acceplerent 
la  capitulation  ,  et  sortirent  le  lendemain  au 
matin  tous  prisonniers  de  guerre ,  excepte  le 
gouverneur  et  un  capitaine  espagnol  venu  en 
otage,  que  M.  de  Turenne  renvoya  ;  on  laissa 
seulement  aller  a  Dunkerque  quelques  officiers, 
pour  solliciter  la  liberie  des  autres  ,  qui  fureiit 
reuvoyes  en  France  et  disperses  dans  les  villes. 

Apres  la  prise  de  Mardyck  (l),  la  conserva- 
tion en  etoit  bien  plus  difficile  que  n'en  avoit 
ete  la  conquete ,  parce  que  M.  de  Turenne  avoit 
mieux  aime  passer  par-dessus  beaucoup  de  con- 
siderations ,  pour  entreprendre  quelque  chose, 
que  d'achever  la  campagne  sans  rien  faire. 
Comme  il  avoit  marche  au  siege  de  Mardyck 
sans  avoir  de  reponse  positive  de  M.  le  protec- 
teur, s'il  vouloit  faire  les  choses  necessaires 
pour  sa  conservation  ,  la  place  etant  prise,  il  se 
rencontra  beaucoup  de  difficultes  a  prendre  un 
parti.  L'ambassadeur  d'Angleterre  ,  qui  etoit  a 
la  cour ,  arriva  dans  cet  intervalle  ,  et  apporta 
les  ordres  a  M.  de  Turenne  de  faire  toutes 
choses  possibles  pour  le  siege  de  Dunkerque 

tante  place  ,  oii  les  nostres  out  fait  plus  de  six  cens 
prisonniers  ,  oitre  lesquels  se  trouient  deux  cent 
quarante-deux  officiers. 


488 


ou  de  Gravelines ;  qnoique  I'un  et  I'autre  fussent 
impossibles,  ncnnmoins  M.  le  cardinal  etoit 
bien  aise  de  coiifenter  M.  le  protecteur  en  fai- 
sant  la  proposition  ;  I'armee  ennemie,  campee 
sous  Dunkerqiie ,  empechoit  de  songer  a  ce 
siege.  INI.  de  Turenne  resolut  line  fois  de  de- 
menrei-  quelques  jours  dans  le  camp  ,  pour  for- 
tifier iMiU'dyck ;  raais  le  manque  de  fourage  et 
le  temps  qu'il  faut  pour  mettre  en  etat  une  place 
denuee  de  toutes  choses ,  lui  faisoient  songer 
aussi  a  raser  la  place ;  mais  ce  parti  ,  quoique 
le  plus  sur,  avoit  de  si  mauvaises  consequences, 
a  cause  de  lalliance  avec  les  Anglois  ,  qu'il  ne 
put  s'y  resoudre  ;  il  se  trouva  dans  cette  situa- 
tion oil,  lorsqu'il  n'y  a  rien  de  bon  a  faire,  on 
se  contente  de  choisir  le  raoins  mauvais.  J'ai 
oublie  dedire  que  M.  de  Schomberg  avoit  ete 
laisse  a  Bourbourg  avec  pres  de  deux  mille 
hommes,  pour  garder  le  passage  et  conserver 
cette  place  qui  etoit  entierement  rasee ;  mais 
elle  donnoit  autant  de  difficultea  etre  miseen 
etat  que  Mardyck.  M.  de  Turenne  crut  qu'en 
s'approchant  de  Gravelines  il  pourroit  peut- 
etre  trouver  moyen  de  I'iDvestir  et  d'y  passer 
tout  I'hiver,  et  par  ce  moyen  conserver  Mar- 
dyck et  Bourbourg ;  mais  sa  pensee  n'etoit  pas 
bien  fondee ,  et  dans  tout  ceci  il  n'y  avoit 
aucuns  principes  bien  siirs  sur  lesquels  on  piit 
former  une  resolution  ;  il  arriva  aussi  qu'il  pint 
beaucoup  la  nuit  et  le  jour  que  I'armee  decam- 
pa;  de  sorte  qu'il  fut  impossible  de  s'arreter 
pres  de  Gravelines,  et  I'armee  repassa  au-dela 
de  Bourbourg,  oil  les  chemins  devinrent  si 
mauvais  que  Ton  fut  oblige  de  laisser  le  ca- 
non. Toute  I'armee  ,  et  principalement  I'infau- 
terie  ,  se  debanda  entierement  pour  aller  cher- 
cher  des  lieux  ou  il  y  avoit  du  bois  pour  se 
chauffer,  apres  avoir  eie  trois  jours  sur  des  di- 
gues ,  avec  des  incommodites  qui  ne  se  peu- 
vent  exprimer  ;  personne  dans  ce  temps-la  ne 
vouloit  demeurer  a  Bourbourg,  et ,  sans  M.  de 
Schomberg  qui  y  resta,  il  est  certain  qu'il  eiit 
fallu  abandonner  la  place.  M.  de  Varenne  avoit 
ete  blesse  a  Mardyck. 

M.  de  Turenne ,  voyant  qu'il  falloit  ceder 
au  mauvais  temps,  laissa  pres  de  deux  miile 
hommes  a  Bourbourg ,  sept  ou  huit  cens  An- 
glois a  Mardyck,  et  marcha  a  Buminghen  , 
lieu  le  plus  proche  oil  il  piit  trouver  de  la  terre 
ferme  pour  camper ,  et  resolut  de  faire  des  che- 
mins pour  porter  les  provisions  de  la  a  Bour- 
bourg, esperant  que  le  sejour  de  I'armee  dans 
ce  poste  pourroit  empecher  le  siege  de  Mar- 
dyck; il  douloit  neanmoins  lui-nieme  de  la 
reussite ,  et  personne  ne  croyoit  la  chose  fai- 
sable  ;  en  effet ,  I'entreprise  etoit  difficile  :  c'e- 


JIEMOIBES    DU    VICOMTK    DE    TURENNE.    [1657] 

toit  dans  le  mois  d'octobre 


Bourbourg  etoit 
une  place  rasee  qui  manquoit  de  tout ;  il  fal- 
loit accommoder  les  canaux  pour  aller  depuis 
Calais  a  la  Biviere  d'Aa,  et  y  dresser  des  forts 
et  des  ponts ;  enfin ,  il  falloit  envoyer  les  sol- 
dats  du  camp  de  Buminghen  a  trois  grandes 
heures  de  Bourbourg  ,  pour  travailler  a  tous  les 
ouvrages,  sans  qu'il  y  eiit  en  aucun  lieu  ni 
bois ,  ni  convert.  Le  long  sejour  de  I'armee 
dans  ce  camp,  qui  dura  pres  de  six  semaines, 
donna  de  la  facilite  a  tous  cestravaux.  Jaquier, 
munitionnaire  general,  se  chargea  de  rendre  les 
canaux  navigables ,  et  en  vint  a  bout  avec  le 
travail  de  beaucoup  de  gens  de  Calais.  M.  de 
Castelnau  et  M.  le  marquis  dUxelles  entrepri- 
rent  chacun  un  fort  sur  la  riviere  d'Aa  ,  qu'ils 
mirent  en  etat ,  avec  des  ponts  sur  la  riviere  , 
et  M.  de  Schomberg  fit  travailler  a  sa  place. 

Les  ennemis,  se  flattant  toujours  que  I'armee 
se  retireroit ,  n'atlaquerent  point  Mardyck. 
L'ambassadeur  d'Angleterre  etoit  fort  en  peine 
de  la  place  ,  et  s'il  devoit  demander  qu'on  I'a- 
handonnat ;  il  avoit  fort  souhaite  que  Tarmee 
du  Boi  retournat  a  Mardyck  pour  fortifier  la 
place  ;  il  en  voyoit  fort  bien  I'impossibilite , 
mais  il  vouloit  se  decharger  de  sa  garde.  M.  de 
Turenne,  voyant  que  les  ennemis  negligeoient 
la  place  ,  avoit  propose  d'y  envoyer  des  mi- 
ncurs  pour  faire  sauter  les  bastions  ;  mais 
l'ambassadeur  d'Angleterre  ayant  represente 
que  cette  conduite  feroit  voir  a  M.  le  protec- 
teur que  Ton  ne  vouloit  point  conlinuer  le  trai- 
te,  M.  de  Turenne  resolut  de  hasarder  plutot  la 
prise  de  la  place  par  les  ennemis  ,  que  d'encou- 
rir  une  mesintelligence  assuree  avec  les  An- 
glois ;  il  y  envoya  done  deux  ou  trois  cens 
Francois  pour  se  poster  sur  la  contrescarpe , 
qui  etoit  demeuree  pres  d'un  mois  dans  un  tel 
etat ,  que  les  ennemis  I'auroient  emportee  en 
six  heures. 

Quelques  jours  apres  que  les  Francois  y  fu- 
rent  entres ,  les  ennemis  firent  une  tentative, 
dont  on  n'a  pas  pu  bien  scavoir  la  raison  ,  si  ce 
n'est  qu'ils  avoient  quelque  intelligence  dans  la 
place;  ils  ne  raserent  point  le  has  fort ,  comma 
ils  le  pouvoient,  demeurerent  toute  la  nuit  assez 
pres  de  la  contrescarpe  sans  y  faire  d'attaque , 
et  se  retirerent  avec  perte  de  quelques  gens; 
cela  ne  laissa  pas  de  donner  beaucoup  de  cou-  . 
rage  aux  assieges:  on  se  ranima  en  Angleterre 
pour  la  conservation  de  la  place.  M.  de  Turenne 
y  envoya  encore  quelque  infanterie  ;  et  il  y  vint 
quelques  palissades  de  Londres ,  avec  lesquelles 
on  fit  travailler  au  has  fort. 

Vers  la  fin  du  mois  de  novembre ,  I'armee 
du  Roi  fut  obligee  de  se  retirer  de  Buminghen, 


MEMOIRES    DU    VICOMTR    DK   TUnEi\>"E.    [1658] 


489 


et  celle  desennemis,  qui  avoit  toujours  et6  cam- 
pee  derriereDunkerque,  se  retira  aussi  dans  son 
pais,  sans  avoir  pu  rien  entreprendre.  M.  le 
prince  etant  tombe  malade,  se  fit  porter  aGand, 
ou  il  fut  en  danger  ;  mais  s'etant  retabli ,  on  le 
mena  a  Bruxelles.  Com  me  M.  de  Turenne  fai- 
soit  retirer  I'armee  vers  le  Boulenois ,  il  scut  par 
M.  le  cardinal,  qui  avoit  de  tres-bonnes  in- 
telligences en  Flandre ,  que  ies  ennemis  avoient 
toujours  dessein  dattaquer  Mardyck  pendant 
rhiver,  que  I'armee  du  Roi  ne  pourroit  plus  se- 
courir  la  place;  c'est  pourquoi  il  y  envoya  un 
renfort  d'infanterie  francoise ;  et  Ies  regimens 
n'ayant  plus  gueres  de  soldats  ( la  desertion 
etant  venue  ,  a  cause  que  Ton  n'avoit  rien  tou- 
ehe  durant  toute  la  campagne,  ce  qui  n'avoit 
jamais  ete  depuis  le  commencement  de  la  gueire), 
on  fut  oblige  de  commander  des  officiers  de  cha- 
que  corps  ,  sans  soldats  ,  ce  qui  ne  s'etoit  point 
encore  fait ;  et  depuis,  le  Roi  y  envoya  tous  ses 
mousquetaires  avec  Ies  compagnies  de  gendar- 
mes et  chevau-legers  de  M.  le  cardinal  et  ses 
gardes.  Comme  M.  de  Turenne  revint  avec  I'ar- 
mee sur  la  frontiere,  M.  le  marechal  d'Aumont, 
qui  etoitdans  son  gouvernement  du  Boulenois, 
eut  ordre  de  s'en  aller  a  Mardyck  ,  ou  il  de- 
meura  bien  avaut  dans  le  mois  de  Janvier. 

Les  ennemis,  ayant  vu  toutes  ces  precautions, 
n'entreprirent  rien  et  se  contenterent  de  faire 
hiverner  presque  toute  leur  arraee  dans  la  Flan- 
dre ,  tant  pour  ne  pas  perdre  temps  a  attaquer 
cette  place  quand  ils  en  trouveroient  I'occa- 
sion  ,  que  pour  etre  plus  pres  pour  s'opposer  a 
I'attaque  des  villes  de  Flandre,  quand  le  Roi, 
favorise  des  Anglois  ,  le  voudroit  entreprendre. 
Son  armee  demeura  jusqu'au  commencement  de 
Janvier  sur  lesfrontieres,  apres  quoi  elle  fut  se- 
paree  a  I'ordinaire  dans  ses  quarliers  en  diverses 
provinces  de  France.  M.  le  prince,  qui  avoit  ete 
en  quelque  danger  a  Bruxelles  ,  commenca  ase 
porter  mieux  ;  et  les  generaux  ennemis  s'y  ras- 
semblerent,  ayant  laisse  leurs  frontieres  du  cote 
de  la  Flandre  avec  des  garnisons  beaucoup  plus 
fortes  qu'a  I'ordinaire. 

[  1 658]  Au  commencement  de  mars  (l),  legou- 
verneur  de  Hedin  etant  mort,  on  donna  ce  gou- 
vernement a  M.  de  Moret.  Le  major,  se  trouvant 
aParis,  vint  aussitot  le  trouver  pour  recevoir  ses 
ordres  ,  et  s'en  alia  ensuite  sans  aucun  soupcon 
dans  la  place  ;  M.  de  Moret  y  alia  fort  peu  de 
jours  apres ,  et  on  lui  refusa  la  porte :  on  apprit 
qu'il  y  avoit  long-temps  que  ce  major  s'etoit 
rendu  maitre  de  I'esprit  d'une  partie  des  offi- 
ciers ,  et  voyant  que  le  gouverneur  etoit  mal 

(1)  Voyez  ci-(iessus  la  note  de  la  page  482. 


sain  ,  avoit  pense  h  s'emparer  de  la  place.  M.  le 
marechal  d'Hocquincourt,  depuis  fort  long-temps 
mecontent  en  Picardie ,  etant  un  bomme  qui 
prenoit  des  resolutions  fort  legerement,  s'en  alia 
a  Hedin ,  scachant  les  intentions  de  Defargues  , 
major  de  la  place ,  y  demeura  quelque  temps 
sans  y  avoir  aucun  pouvoir ,  et  de  la  alia  trou- 
ver M.  le  prince  en  Flandre.  Ceux  de  Hedin,  ne 
trouvant  plus  de  surete  a  se  raccoraraoder  avec 
M.  le  cardinal  apres  ce  qu'ils  avoient  fait,  trait- 
terent  avec  M.  le  prince  et  avec  les  Espagnols , 
qui  leur  envoyerent  des  troupes  qu"ils  ne  recu- 
rent  point  dans  la  viile ,  mais  ils  les  mlrent  quel- 
que temps  dans  un  camp  fort  proche ;  et  insen- 
siblement,  apres  beaucoup  d'allees  et  de  venues 
pour  negocier  a  Bruxelles,  ils  les  introduisirent 
dans  leurs  fauxbourgs  ;  ils  traiterent  durant 
tout  ce  temps-la  a  la  cour ;  mais  on  vit  bien  que 
c'etoit  pour  gagner  du  temps,  et  pour  diminuer 
I'envie  qu'on  avoit  de  les  aller  attaquer  promp- 
tement. 

L'armee  du  Roi  n'etant  point  encore  en  etat 
de  se  mettre  en  campagne  ,  M.  le  cardinal  vit 
que  cette  negociation  ne  pouvoit  nuire  a  rien. 
Le  temps  arriva  que  les  troupes  sortirent  de 
leurs  quartiers,  et  que  le  Roi  s'en  vint  a  Amiens 
avec  la  Rtine.  On  eut  par  un  commis  de  M.  !e 
Tellier,  nomrae  Carlier,  qui  avoit  fait  divers 
voyages  a  Hedin ,  des  nouvelles  qui  donnerent 
moins  d'esperauce  que  jamais  que  la  ville  s'ac- 
commodat  avec  le  Roi.  Cette  nouveaute  com- 
mencoit  a  leveiller  beaucoup  de  gens  en  France, 
oil  naturellement  il  se  trouve  toujours  des  me- 
contens;  d'ailleurs  la  longue  guerre  et  la  disette 
oil  etoient  les  provinces ,  par  la  continuation  des 
grandes  charges  et  tallies,  donnoient  sujet  au  peu- 
ple  de  souhaitler  un  changement  dans  le  minis- 
tere,  et  il  le  souhaittoit  avec  tant  d'ardeur , 
qu'il  ne  regardoit  pas  s'il  lui  seroit  avantageux 
ou  dommageable. 

1\  y  avoit  eu  auparavant  des  assemblees  de 
noblesse  en  diverses  provinces,  avec  quelques 
gentilshommes  pour  chefs,  et  surtout  eu  Nor- 
mandie.  Quoique  madame  de  Longueville  fut 
dans  une  devotion  si  grande  qu'elle  ne  se  me- 
loit  d'aucunecaballe,neanmoins  son  esprit  avoit 
tant  d'ascendant  sur  les  personnes,  qu'elle  les 
faisoit  pancher  du  cote  oil  elle  avouoit  bien  que 
son  inclination  la  portoit,  c'est-a-dire  du  cote 
de  M.  son  frere.  La  retraite  aussi  quelquefois, 
comme  le  grand  monde,  faiteclore  Ies  semences 
des  plus  grandes  affaires. 

Leschoses  etoient  ainsi  desesperees  quand  la 
cour  vint  a  Amiens,  ou  le  Roi  demeura  quel- 
ques jours,  et  on  y  assembla  une  partie  de  I'ar- 
mee. En  ce  temps-la ,  se  fit  cette  entreprise  sur 


4U0 


MEMOIUKS    nil    VICOMTK     Oh     1L»E>\K.     [iGoS' 


Ostende,  ou  M.  lo  marechal  d'Aumont,  qui 
avoitetedurant  ihiverquelque  temps  dansMar- 
dyck ,  s'engagea  ,  sur  la  parole  de  quelques  pe- 
titesgens,  qui  furenttrompes  grossierement  par 
ceux  d'Ostende ,  lesquels,  a.yaiit  joue  une  farce 
dans  la  ville,  firent  semblant  d'arreter  leurgou- 
verneur,  crierent :  Vive  le  Roi!  dans  les  rues, 
et  dirent  mille  injures  des  Espagnols  ;  ces  gens 
credules  allerent  trouver  M.  d'Aumont,  comme 
il  etoit  a  la  rade  avee  douze  ou  quinze  cens  hom- 
mes,  et  I'ayant  assure  qu'il  etoit  maitre  de  la 
ville  s'il  vouloit  y  venir,  luy,  sans  prendre  au- 
cun  otage  ,  entra  sur  le  pont  avcc  une  partie  de 
ses  gens ;  les  Espagnols ,  qui  etoient  caches  dans 
les  caves,  en  sortirent,  et  fermant  le  havre, 
prirent  cinq  ou  six  censhommes  avec  M.  le  ma- 
rechal d'Aumont;  mais  le  reste,  qui  n'etoit  pas 
entre,  se  retira  dans  les  navires. 

Cetteentreprise  d'Ostende  manquee,  avec  I'aF- 
I'aire  de  Hedin  ,  faisoit  concevoir  de  grandes 
esperances  a  M.  le  prince,  et  fit  commencer  la 
carapagne  avec  de  fort  mechantes  appareuces  de 
succes.  La  cour  meme,  qui  se  trouvoit  en  ce 
temps-la  a  I'armee,  decrioit  au  moins  pour  la 
plupart  les  affaires  autant  ou  plus  que  les  autres. 
Quoique  la  plupart  des  ofliciers  de  I'armee  n'e- 
toient  pas  encore  venus,  le  Roi  s'approcha  de 
Hedin  avec  dix  ou  douze  mille  hommes  ;  ceux 
de  dedans  ayant  quelques  troupes  espagnoles 
eampees  dans  les  dehors,  sortirent  pour  escar- 
moucher  ,  et  on  tira  le  canon  sur  le  Roi  meme  , 
qui  s'etoit  avance;  de  maniere  que,  par  cette  de- 
claration si  ouverte,  on  ne  songea  plus  a  traitter 
avec  Hedin  ,  mais  a  s'y  conduire  comme  avec 
une  place  cniicmie. 

Dnrant  I'hiver,  M.  le  cardinal  avoit  traitte 
avec  I'ambassadeur  d'Angleterre  ,  qui  pressoit 
extremement  que  Ton  s'engage^t  devant  Dunker- 
que,  et  on  avoit  signe  les  articles,  par  lesquels 
il  fut  arrete  que  Dunkerque  seroit  mis  entre 
les  mains  des  Anglois;  qu'ils  fourniroient  six 
mille  hommes  de  pied  et  tiendroient  la  mer 
avec  leur  armee  navale.  Le  traitte  n'etoit  que 
pour  un  an,  dans  lequel  ils  devoient  continuer 
le  meme  secours  par  tcrre,  aider  aussi  par  mer 
au  siege  de  Gravelines,  qui  devoit  demeurerau 
Roi ,  et  ne  pretendre  point  a  d'autre  place  qu'a 
eellede Dunkerque.  M.  le  cardinal  souhaittaque 
Ton  marchat  en  Elandre,  et  M.  de  Turenne, 
sansscavoir  si  on  pourroit  assieger  Dunkerque, 
ou  si  on  s'arreteroit  a  Rergues,  desiroit  aussi  de 
(aire  voir  naivemcnt  aux  Anglois  que  Ton  fai- 
soit tout  son  possible  pour  I'execution  du  traitte. 
l-c  Roi,  qui  etoit  campe  a  une  petite  heure  de 
Ill-din  ,  sVn  alia  rejoindre  la  Reinea  Monlrei'iil, 
pour  rrlourner  ensemble  a  Calais,  aveedcux  on 


tiois  mille  hommes  que  M.  de  Castelnau  com- 
mandoit ;  et  i\J.  de  Turenne,  avec  sept  ou  huit 
niilte  hommes,  prit  !e  chemin  de  Saint-Venant 
pour  y  passer  ia  Lys ,  et  ensuite  marcher  vers 
Rergues  et  Dunkerque. 

En  arrivant  aupres  de  Bethune  ,  11  apprit  de 
M.  le  marquis  de  Crequi,  qui  en  etoit  gouver- 
nour,  qu'il  y  avoit  deux  ou  trois  regimens  de 
I'ennemi  dans  Cassel,  a  cinq  heures  de  Saint- 
Venant  sur  le  chemin  de  Rergues;  il  lui  donna 
sept  ou  huit  cens  chevaux  et  quelques  mous- 
quetaires  commandes,  avec  lesquels  s'avancant, 
il  prit  dans  Cassel  deux  regimens  d'infanterie 
irlandois,  qui  faisoieut  deux  ou  trois  cens  hom- 
mes. M.  de  Turenne y  arriva  pen  de  temps apres 
avec  I'avant-garde ,  et  a  cause  des  mauvais 
chemins  il  y  sejourna  un  jour  pour  atlendre  son 
bagage;  et  s'il  eut  cru  tons  ceux  du  pays,  il 
n'en  auroit  point  mene  ,  non  plus  que  le  canon, 
a  cause  de  la  difficulte  qu'il  trouveroit  par  les 
chemins  ,  lesquels  avoient  ete  rendus  plus  mau- 
vais qu'a  I'ordinaire,  a  cause  du  grand  hiver 
qui  avoit  dure  si  long- temps.  Au  mois  de  mai , 
M.  de  Turenne  voyant  bien  que  la  diligence 
etoit  fort  necessaire ,  et  apprenant  par  les  pri- 
sonniers  que  i'armee  enuemie  n'etoit  pas  ensem- 
ble ,  il  fit  suivre  toute  la  nuit  le  bagage ,  et  fai- 
sanl  raccoramoder  les  chemins  ,  s'avanca  sur  la 
Colme  ,  et  laissant  Rergues  a  main  gauche,  mar- 
cha  par  des  pays  fort  inondes,  aupres  d'une  pe- 
tite redoute  que  les  ennemis  gardoient  avec 
trente  hommes  et  un  capitaine;  on  fit  un  pas- 
sage sur  la  riviere  ,  et  ayant  trouve  quelques  pil- 
liers  sur  lesquels  on  mit  des  planches,  on  y 
raena  quelques  chevaux  par  la  bride :  ce  que 
voyant  ceux  de  la  redoute  et  qu'on  s'y  avancoit 
avec  cinquante  ou  soixante  mousquetaires ,  ils 
se  rendirent.  C'etoit  le  seul  passage  dont  on  put 
se  servir,a  cause  du  pays  inonde  qui  est  entre 
Furnes  et  Rergues.  On  ne  voyoit  de  la  a  Dun- 
kerque rien  que  de  I'eau  ,  et  M.  de  Turenne 
s'en  retourna  avec  peine  a  son  quartier  qui  etoit 
a  une  heure  de  la  ,  ayant  laisse  M.  de  Rellefons, 
lieutenant-general,  avec  quelque  infanterie,  afin 
de  reconnoitre  les  chemins  de  la  a  Dunkerque. 

H  n'y  avoit  aucun  homme  dans  le  pays  qui 
dit  qu'il  y  eiit  un  clremin ;  et  M.  de  Turenne  , 
ayant  cnvoye  ce  soir-la  M.  de  Varenne  le  long 
de  la  Colme,  laissa  Rergues  a  droite,  pour  voir 
s'il  y  auroit  moyen  de  communiquer  par-la  avec 
Mardick  ,  ou  etoit  M.  de  Castelnau.  II  lui  rap- 
porta  qu'a  cause  des  eaux  on  ne  pouvoit  point 
passer  :  toute  la  nuit  se  passa  sans  qu'il  crut  qu'il 
y  eut  aucune  apparence  de  pouvoir  aller  vers 
Dunkerque.  Le  matin,  ^L  de  Rellefons  lui 
ujanda  que   les  ennemis   avoient  quitte    une 


MEMOUitS    DV    MCO-MTU    Ul.    VLllli.N-NE.     [  I  G.iS] 


491 


autre  redoute  pres  de  Bergues ,  et  qu'il  y  avoit 
une  digue  par  laquelle  il  croyoit  que  Ton  pou- 
\oit  aHer  vers  les  forts ,  entre  Bergues  et  Dun- 
kerque.  Les  ennemis ,  depuis  la  prise  de  Mar- 
dick  ,  avoient  travaiile  sur  la  digue  de  Ber- 
gues a  Dunkerque,  a  deux  grands  forts  qui 
etoient  a  une  telle  distance,  qu'il  est  certain 
qu'etant  en  etat  de  defense ,  on  ne  put  point 
assieger  Bergues  ni  Dunkerque  sans  les  pren- 
dre, n'etant  chacun  qu'a  une  portee  de  canon 
Tun  de  I'autre  ,  et  a  la  nierae  distance  chacun 
de  ces  deux  villes.  On  n'avoit  point  eu  d'infor- 
niation  juste  de  leur  etat ;  de  maniere  que  cela 
avoit  toujours  paru  le  plus  grand  obstacle  pour 
le  siege  de  Dunkerque  ;  mais  ,  comme  j'ai  dit , 
la  resolution  etoit  prise  de  faire  toutes  choses 
pour  repondre  avec  uetteteau  traite  dcs  Anglois. 

M.  de  Turenne  se  trouva  de  grand  matin 
avec  toute  I'armee  a  cette  redoute  qui  avoit 
ete  prise  le  soir  auparavant ,  et  faisant  ac- 
commoder  le  pont  sur  la  Colme  ,  on  s'avanca 
vers  ces  forts,  Les  prisonnieis  de  la  redoute 
avoient  dit  que  I'un  etoit  en  etat  de  defense  et 
I'autre  hors  d'etat.  A  pres  avoir  fait  contibler 
beaucoup  de  fosses  ,  les  ennemis  ,  voyant  que 
I'armee  s'avancoit  entre  Bergues  et  Dunkerque, 
commeucerent  a  abandoniier  les  forts  et  la  di- 
gue. M.  de  Castelnau  etant  arrive  avec  les  trois 
mille  hommes  qui  etoient  partis  avec  le  Roi  et 
trois  mille  anglois,  etant  des  le  jour  auparavant 
a  une  portee  de  canon  des  ennemis ,  ils  firent 
sortir  deux  bataillons  de  Dunkerque  ,  et  envi- 
ron six  ou  sept  cens  chevaux  pour  defendre  le 
canal  et  les  forts. 

L'armee  s'approchant  avec  beaucoup  de  dif- 
ficulte  entre  Bergues  et  Dunkerque  ,  les  enne- 
mis furent  pris  par  derriere,  et  leurs  forts  n'e- 
tant point  en  defense,  ils  se  retirerent  a  Ber- 
gues et  a  Dunkerque  ,  mais  la  plus  grande  par- 
tie  entra  dans  la  derniere  place.  M.  de  Tu- 
renne ayant  mar(!he  avec  peu  de  gens  sur  cette 
digue ,  envoya  proraptement  un  de  ses  gens  a 
nage ,  pour  avertir  M.  de  Castelnau  comme  il 
avoit  passe.  II  s'en  vint  le  trouver  aussitot ;  et 
comme  il  falloit  a  I'instant  se  resoudre  au  siege 
de  Bergues  ou  de  Dunkerque,  le  premier  etant 
fort  aise  et  I'autre  fort  difficile,  M.  de  Turenne, 
eroyant  que  si  on  perdoit  ce  moment  que  Ton 
ne  pourroit  jamais  y  revenir  ,  resolut ,  malgre 
toutes  les  difficultes  ,  d'aller  a  Dunkerque.  On 
ne  put  pas  y  marcher  ce  jour-la,  a  cause  des 
eaux  et  des  canaux  ;  mais  ayant  travaiile  aux 
ponts  sur  la  Colme ,  sur  le  canal  de  Houscote  a 
Dunkerque  et  sur  celui  de  Furnes  a  la  meme 
ville  ,  on  se  trouva  le  lendemain  a  deux  heures 
apres  midi  aupres  des  dunes. 


Toutes  les  troupes  de  I'eunemi  qui  Etoient 
dans  le  voisinage  s"y  jeterent ,  de  facon  qu'il 
se  trouva  dans  la  place  environ  deux  mille  deux 
cens  hommes  de  pied  et  sept  a  huit  cens  che- 
vaux :  M.  le  marquis  de  Lede  y  etoit  aussi 
entre  le  jour  auparavant  que  I'armee  y  arriva. 
M.  le  prince  et  don  Juan  etoient  encore  a  Bruxel- 
les,  persuades  que  I'entreprise  etoit  impossible, 
puisque  nous  n'avions  ni  Bergues  ,  ui  Furnes  , 
ni  Gravelines ,  dont  la  premiere  n'etoit  dis- 
tante  que  d'une  heure  ,  I'autre  de  trois,  la  der- 
niere de  quatre ;  et  la  saison  empechant  qu'il 
n'y  eut  aucune  herbe  pour  faire  paitre  les  che- 
vaux. On  commenca ,  des  ce  soir-la,  a  prendre 
les  quartiers ;  et  durant  les  cinq  ou  six  pre- 
miers jours,  si  quelque  officier  general  des  en- 
nemis avec  un  peu  de  troupes  se  fut  mis  a  Furnes 
ou  a  Bergues ,  difficilement  eiit-on  pu  faire  les 
communications  avant  qu'il  y  fut  entre  beaucoup 
de  troupes  dans  la  ville  :  mais  I'ennemi  ayant  cru 
au  commencement  que  I'on  assiegeroit  Bergues, 
et  ayant  ensuite  appris  le  siege  de  Dunkerque  , 
envoya  seulement  deux  ou  trois  regimens  sous 
de  raechans  offlciers,  qui,  ayant  ordre  d'entrer 
dans  la  ville ,  demeurerent  a  Bergues  ,  mandant 
I  impossibilite  d'executer  ce  qu'on  leur  comman- 
doit.  LesEspagnolsresolurent  alors  d'asserabler. 
promptement  I'armee  pour  venir  au  secours. 

Les  premiers  jours  on  essuya  de  tres-grandes 
difficultes  par  I'assiette  du  camp,  a  cause  des 
communications,  par  le  manque  de  bois  pour 
les  soldats,  et  par  celui  du  fourage  pour  la  ca- 
valerie.  Comme  on  n'avoit  que  la  mer,  il  est 
impossible  d'en  tirer  les  assistances  necessaires, 
a  cause  de  la  difficulte  des  debarquemens  ,  et 
aussi  les  Anglois ,  hors  quelques  canons  et  cinq 
mille  hommes  d'infanterie  qui  ont  tres-bien  ser- 
vi,  apporterent  fort  peu  de  commoditesau  siege. 
Le  Boi,  qui  etoit  a  Calais,  des  qu'il  scut  que 
Ton  etoit  devant  Dunkerque,  pressa  M.  le  cardi- 
nal ,  qui  y  donna  les  mains ,  de  maniere  qu'ils 
vinrent  dans  le  vieux  fort  de  Mardyck,  trois 
jours  apres  que  Ton  fut  arrive  devant  Dunkerque 
oil  I'armee  prit  ses  quartiers.  M.  de  Turenne  se 
logea  dans  les  dunes  aupres  de  I'etang  ,  et  re- 
tint  une  bonne  partie  des  troupes  avec  lui  de- 
puis la  mer  jusqu'au  canal  de  Furnes,  ou  il 
posta  un  regiment  d'infanterie  dans  le  grand 
fort  entre  Bergues  et  Dunkerque  avec  peu  de 
cavalerie  ,  et  un  corps  de  troupes  du  cote  de  la 
mer  ,  par  ou  les  ennemis  pouvoient  venir. 

M.  de  Castelnau  demeura  au-dela  du  canal 
de  Bergues  avec  les  troupes  qu'il  avoit  menecs 
avec  lui  et  les  Anglois.  II  y  eut  des  difficultes 
extremes  a  faire  des  ponts  de  communication  : 
I'ennemi  sortoit  quclquefois  de  la   ville  avec 


Ii)2 


MEMOIBES    DU    VICOMTK    DE    TUKENNE.    [l658] 


sept  ou  huit  escadrons;  mais  comrae  il  n'y  avoit 
point  de  tranchce  ouverte  ,  on  n'etoit  pas  assez 
pres  de  lui  pour  pouvoir  rien  entieprendre. 

Ces  premiers  jours  ayant  ete  trcs-dilficiles,  il 
commenca  a  venir  au  camp  quelques  barques 
avec  des  vivres,  et  ensuite  de  J'avoine  pour 
la  cavalerie  qui  etoit  du  cote  des  dunes  :  ii 
y  vint  aussi  des  outiis  et  quelques  palissades, 
avec  quoi  on  travailla  a  la  circonvallalion  qui 
ne  valut  jamais  rien  ,  et  principalement  du  cote 
des  dunes.  On  fit  aussi  une  estacade  de  gros  pi- 
liers  ,  lies  par  des  chaines  que  les  matelots  an- 
glois  venoient  aceommoder ,  lesquels  ne  pou- 
voient  jamais  resister  aux  grandes  marees 
quand  il  y  avoit  beaucoup  de  vent.  Mais  toutes 
les  nuits  la  cavalerie  etoit  de  garde  sur  le  bord 
de  la  mer  ;  on  mettoit  des  caissons  quand  la 
mer  s'en  alloit  ,  et  on  les  otoit  avec  les  chevaux 
quand  elle  revenoit ;  de  sorte  qu'il  n'y  demeu- 
I'oit  jamais  d'espace  vuide.  L'armee,  qui  etoit 
fort  foible  au  commencement,  grossissoit  peu  a 
peu  par  beaucoup  de  troupes  qui  \inrent  de 
France.  On  avoit  trouve  a  propos  de  commencer 
le  siege  avec  peu  de  troupes  ,  plutot  qu'en  les 
attendant  de  donner  du  temps  aux  enncmis  de 
se  rassembler  :  ce  qui  assurement  auroit  rompu 
le  dessein ,  leur  etant  aise  de  pourvoir  a  une 
place  comme  Dunkerque ,  et  voyant  bien  que 
ce  n'etoit  que  par  la  que  la  France  maintenoit 
I'alliance  des  Anglois  ;  mais  I'affaire  de  Hedin 
et  d'Osteude  leur  avoit  donne  de  la  securite. 
Le  Roi  fut  quelques  jours  a  Mardick ,  ou  M.  le 
cardinal  faisoit  pourvoir  a  toutes  les  munitions 
de  guerre  et  avoines  pour  la  cavalerie,  et  a 
faire  apporter  par  mer  des  fascines  et  des  plates- 
formes.  Comme  on  commenca  a  parler,  avant 
que  la  tranchee  fiit  ouverte  ,  que  les  ennemis 
s'assembloient ,  11  conseilla  tres-prudemment 
au  Roi  de  s'en  relourner  a  Calais ,  n'y  ayant 
aucun  lieu  ou  il  put  demenrer  surement,  et  ce 
siege-la  etant  par  la  situation  du  pays  d'une 
telle  condition  que  la  retraite  etoit  comme  im- 
possible ,  s'il  arrivoit  du  malbeur  a  un  quar- 
tier  de  l'armee. 

Trois  ou  quatre  jours  aj.res  le  depart  du  Roi, 
de  la  Reine  et  de  Monsieur ,  on  ouvrit  la  tran- 
chee du  cole  des  dunes  ,  dont  on  se  servoit 
comme  de  place  d'armes.  La  premiere  nuit ,  les 
ennemis  lirent  une  sortie  avec  toute  leur  eava- 
lerie  :  on  eut  beaucoup  d'allarmes  en  placant 
les  travailleurs  ,  et  les  Anglois  ,  qui  n'etoient 
pas  fort  accoutumes  aux  sieges  ,  quittoient  le 
travail  et  couroient  aussitot  a  leurs  amies. 
Comme  les  premieres  nulls  ne  sont  gueres  dan- 
gereuses  ,  on  ne  perdit  prcsque  personne.  On 
vit  le  matin  toute  la  cavalerie  des  ennemis  de- 


dehors ,  et  la  face  de  la  ville  etant  grande  de  ce 
cote-la ,  les  ennemis  avoient  bien  vingt  pieces 
de  canon  qui  voyoient  les  tranchees  ;  de  sorte 
que  jusqu'a  onze  heures  ou  midi ,  la  cavalerie 
ennemie  s'avancant  a  la  faveur  du  canon  ,  pa- 
roissoit  comme  des  troupes  en  campagne ,  les 
unes  devant  les  autres;  mais  des  qu'elle  vouloit 
approeher  des  tranchees  ,  la  cavalerie  du  Roi 
larepoussoitavec  tant  de  vigueur,  qu'en  diver- 
ses  sorties  que  les  ennemis  ont  faites  ,  ils  n'ont 
pas  eu  le  moindre  avantage ;  et  quoique  notre 
cavalerie  perdit  beaucoup  par  le  canon  et  meme 
par  la  mousqueterie ,  en  approchant  de  la  con- 
tresearpe  ,  on  les  a  toujours  pousses  jusques  sur 
le  bord. 

Les  Suisses  releverent  les  gardes  ,  et  le  qua- 
trieme  jour  que  Picardie  etoit  en  garde  et  que 
le  regiment  du  Plessis  avoit  la  tele  de  la  tran- 
chce ,  il  faisoit  un  si  grand  vent  que  Ton  ne 
pouvoit  pas  voir  a  cause  du  sable.  Les  enne- 
mis sortirent ,  raserent  un  peu  le  bout  de  la 
tranchee ,  et  blesserent  ou  tuerent  cent  hom- 
mes  des  notres.  Les  Anglois  avoient  une  attaque 
a  la  main  gauche,  et  la  cinquieme  ou  sixieme 
nuit  on  fut  sur  les  bords  des  premieres  palissa- 
des ,  que  les  Anglois  attaquerent  fort  vigoureu- 
sement ;  mais  quoiqu'iis  allassent  bardiment 
sur  les  palissades,  ils  ne  scavoient  pas  s'y  loger, 
et  revenoient  toujours  dans  les  tranchees  avec 
beaucoup  de  perte ;  on  I'a  aussi  essaye  trois  ou 
quatre  fois  du  cote  des  Francois  sans  y  reussir. 
Vers  le  sixieme  ou  septieme  jour  de  la  tranchee 
ouverte  ,  M.  deTurenne  eut  avis  que  les  enne- 
mis s'assembloient ,  et  que  M.  le  prince  et  dom 
Juan  arrivoient  a  Furnes  avec  l'armee. 

On  ne  pouvoit  rien  faire  de  bon  du  cOte  des 
dunes  pour  la  circonvallalion  ;  et  quoique  Ton 
en  prit  quelques-unes  avancees ,  on  en  voyoit 
toujours  d'aulres  qui  incommodoient;  et  I'incer- 
titude  si  un  eunemi  viendra  encore  par  quelque 
cote,  fait  toujours  paroilre  les  choses  nioins 
dangereuses  que  quand  on  le  voit  en  presence. 
Les  assieges  avoient  fait  diverses  sorties  avec 
leur  cavalerie  ;  mais  ils  furent  toujours  repous- 
ses avec  tant  de  vigueur  par  la  cavalerie  de  l'ar- 
mee du  Roi ,  que  cela  les  empechoit  de  rien 
faire  de  consequence;  mais  on  perdit  toujours 
de  bons  officiers ,  et  principalement  par  leur 
canon,  dont  ils  demeurerent  long-temps  les  mai- 
tres.  Tons  les  officiers  generaux ,  qui  etoient 
M.  de  Schomberg,  M.  de  Crequi,  M.  de  Va- 
renne,  M.  d'Humiers  ,  M.  de  Bellefons,M.  de 
Gadagne  ,  se  signaloient  toujours  oil  ils  se  ren- 
controient,  et  le  marquis  de  Crequi  fit  tres-bien 
a  une  ou  deux  sorties  de  cavalerie  ,  dans  I'une 
desquelles  M.  le  comte  de  Guiche  ,  mestre-de- 


MEMOIHES    DU    VICOMTE    UK    TliRU^■^E.    [iGGSl 


4  03 


camp  aux  gardes,  fut  blesse  ,  comme  il  y  etoit 
couru  volontaire  :  M.  le  comte  de  Soissons  eut 
aussi  un  cheval  tue ,  et  pensa  etie  pris  prisoQ- 
niertoutprochedespalissadesdelacontrescarpe. 

Au  hiiit  ou  neuvieme  jour  de  la  tranchee  ou- 
\erte,  on  avoit  deja  pris  quelques  palissades 
avancees  sur  le  glacis  de  la  contrescarpe,  et 
essaye  quelques  logemens ,  oil  on  n'avoit  pu  se 
maintenir,  lorsqu'ou  vit  un  corps  de  cavalerie 
qui  s'avancoit  le  long  des  dunes  :  on  ne  scavoit 
pas  si  c'etoit- toute  I'arinee.  M.  de  Tiirenne 
niarcha  avec  pen  de  gens  le  long  de  la  mer  ) 
dans  ce  temps-la  ils  pousserent  la  garde  de  I'au- 
t re  cote  des  dunes,  qui  n'etoit  que  d'un  regi- 
ment de  cavalerie ;  et  M.  le  marechal  d'Hoc- 
quincourt,  s'etant  avance  avec  les  coureurs,  re- 
cut  un  coup  de  raousquet  par  quelques  soldats 
avances  a  un  petit  travail ,  dont  il  mourut  le 
soir.  On  ne  scut  pas  seuleraent  qu'il  fiit  blesse, 
que  par  des  trompettes  qui  vinrent;  et  cette 
cavalerie  se  retira  aupres  de  I'Abbaye  des  du- 
nes, qui  est  assez  proche  de  Furnes,  oil  etoit 
I'armee  des  enuemis,  environ  a  deux  heures 
du  camp. 

Les  Suisses  entrerent  ce  jour-la  aux  tran- 
chees ,  et  on  ne  put  pas  se  rendre  maitre  de  la 
contrescarpe.  Le  lendemain  on  vit  toute  I'ar- 
mee des  ennemis  qui  marchoit  dans  les  dunes, 
et  cet  avantage  qu'elles  leur  donnoient  pour 
s'approcher  du  quartier-general ,  se  faisoit  en- 
core bien  mieux  voir  quand  I'ennemi  etoit  pro- 
che; de  sorte  que  M.  de  Turenne  s'avanca  de 
sept  ou  huit  cens  pas  seulement,  au-devant  de 
son  quartier  avec  les  troupes  qui  y  etoient, 
laissa  toutes  les  autres  dans  la  circonvallation, 
et  occupa  une  haute  dune,  ou  il  craignoit  que 
les  ennemis  ne  vinssent  se  mettre;  fit  prompte- 
ment  planter  des  pieux  sur  I'estang  vis-a-vis 
de  ce  lieu,  I'autre  estacade  lui  devenant  inutile, 
a  cause  qu'il  avoit  fait  avancer  ses  troupes.  On 
fit  aussi  quelque  petit  retranchement  sur  le  haut 
des  dunes  en  presence;  raaison  pent  bien  juger 
que  tons  ces  travaux-la  ne  pouvoient  etre  guere 
bons,  etant  faits  en  si  pen  de  temps ,  et  que  des 
I  piliers  plantes  a  la  hate  ou  la  maree  revenoit , 
ne  pouvoient  gueres  bien  tenir. 

L'ennemi,  s'etant  avance  a  une  demi-heure  de 
ce  lieu  ouM.  de  Turenne  s'etoit  mis  avec  I'ar- 
mee,  fithalte,  eton  vit  bien  qu'il  falloit  loger. 
Dom  Juan  d'Autriche  avoit  la  main  droite  qui 
regardoit  la  mer,  etM.  le  prince  de  Conde  avoit 
la  gauche  qui  alloit  sur  le  canal  qui  vient  de 
Furnes  a  Dunkerque.  II  y  a  de  cet  espace-la 
environ  quinze  cens  pas  de  dunes  qui  sont  ac- 
cessibles,  mais  inegales,  Testaug  a  la  main 
droite ,  et  a  la  main  gauche  une  prairie  de  douze 


ou  quinze  cens  pas,  traversee  de  petils  fossez 
qui  vontjusqu'au  canal  de  Furnes.  M.  le  prince 
fit  facilement  la  communication  de  ces  petits 
fossez ,  et  deux  ou  trois  heures  devant  la  nuit 
il  fit  un  pont  sur  le  canal  avec  beaucoup  de 
barques  qui  lui  vinrent  de  Furnes;  et  ce  pont 
tenoit  a  son  aile  gauche.  M.  de  Turenne,  allant 
le  long  de  ce  canal ,  les  vit  travailler  au  pont 
et  le  faire  en  une  heure.  II  fit  retirer  toutes  les 
gardes  avancees  de  ce  c6te-la,  et  voyant  I'avan- 
tage  que  l'ennemi  auroit  de  marcher  d'un  c6t6 
et  d'un  autre  du  canal  vers  Dunkerque ,  il  sentit 
a  I'instant  qu'il  n'y  avoit  rien  a  faire  que  de 
comballre  les  ennemis ;  il  envoya  ses  ordres  a 
tons  les  quartiers,  pour  se  rendre  deux  heures 
devant  le  jour  au  sien.  II  commanda  aux  An- 
gloisqui  etoient  entre  Dunkerque  et  Mardick, 
d'euvoyer  leur  bagage  sous  le  fort,  et  aux  trou- 
pes qui  etoient  en-deca  du  canal  de  Dunkerque 
a  Bergues,  de  mettre  le  leur  sous  un  grand  fort 
que  les  ennemis  avoient  commence  I'hiver,  et 
que  Ton  gardoit. 

Comme  il  y  avoit  six  ou  sept  canaux  entre 
les  quartiers,  il  etoit  bien  plus  facile  a  ceux  de 
Dunkerque  de  faire  quelque  sortie  sureux  quand 
ils  etoient  affoiblis,  et  ainsi  il  etoit  fort  dange- 
reux  de  laisser  une  grande  circonvallation  sans 
troupes,  ceux  de  la  ville  pouvant  mettre  le  feu 
au  camp  et  rompre  les  ponts  de  communication. 
Outre  cela,  la  tranchee  le  mettoit  en  grande 
peine ;  car  une  sortie  des  assieges  et  un  elonne- 
ment  de  troupes  qui  se  croyoient  abandonnees, 
I'armee  marchant  au-devant  de  l'ennemi ,  I'au- 
roit  oblige  a  lever  le  siege.  D'ailleurs,  comme 
on  etoit  tout  proche  du  chemin  convert  de  la 
contrescarpe,  et  qu'il  y  avoit  deja  quelques  tra- 
verses de  glacis  prises,  les  sorties  etoient  fort  a 
craindre,  parce  qu'on  ne  pent  plus  sortir  des 
tranchees  quand  la  tete  est  poussee  ,  et  la  con- 
fusion s'y  met  aisement.  L'ennemi  ayant  toutes 
les  contrescarpes  et  le  feu  de  la  place ,  au  lieu 
que  les  tranchees  etoient  fort  resserrees,  et  si 
avancees  que  la  cavalerie  ne  pouvoit  plus  agir, 
on  ne  pouvoit  pas  remedier  a  cela  et  continuer 
son  dessein  de  combattre  qu'en  faisant  entrer, 
comme  Ton  fit,  une  bonne  garde  de  tranchees, 
qui  fut  deux  bataillons  de  gardes  francoises  ,  qui 
eurent  ordre  d'essayer  a  se  loger  sur  la  contres- 
carpe, comme  les  jours  precedens.  Les  Anglois 
entrerent  aussi  a  la  main  gauche  avec  une  bonne 
garde,  et  il  y  eut  huit  escadrons  de  cavalerie 
commandes  pour  y  etre  de  renfort. 

Les  troupes  marcherent toute  la  nuit,  selon 
I'ordredonne,  et  les  dernieres  furent  un  pen 
devant  le  jour  au  quartier  de  M.  de  Turenne. 
La  nuit  se  passa  de  celte  facon,   les  ennemis 


401 


MKMOIEES    UU    VICOMT 


ayant  seuleraent  envoye  donner  line  allarme  ou 
deux.  II  s'y  trouva,  de  Tarmee  du  Rol,  sans 
compter  ce  qui  demeura  au  camp  ,  aux  bagages 
et  a  la  tranchee,  huit  a  neuf  mille  hommes  de 
pied  et  cinq  ou  six  mille  chevaux.  II  y  avoit  dix 
bataillons  francois  et  six  anglois ,  et  deux  ba- 
taillons  francois  meles  dans  I'aile  droite  de  la 
cavalerie,  et  des  mousquetaires  francois  et  an- 
glois dans  I'aile  gauche  avec  dix  pieces  de  ca- 
non, dont  cinq  alloient  a  I'aile  droite,  entre  les 
dunes  et  la  prairie ,  et  les  cinq  autres  le  long  de 
I'estang,  lequel  etoit  trcs-large,  parce  que  la 
meretoit  basse.  II  y  avoit  cinquante-quatre  es- 
cadrons  de  cavalerie  legere  et  quatre  de  gen- 
darmes. 

Les  premieres  lignes  de  I'aile  droite  et  de  I'aile 
gauche  etoient  composees  chacune  de  quatorze 
escadrons;  les  secondes  lignes;  dedix  chacune , 
quatre  escadrons  de  gendarmes  qui  soutenoient 
rinfanterie,et  six  escadrons  de  reserve  quimar- 
choient  a  une  assez  grande  distance  derriere 
toute  I'armee.  La  premiere  ligne  d'infanterie 
etoit  de  dix  bataillons,  et  la  seconde  de  six  ,  qui 
n'avoient  point  de  commandes  devant  eux  que 
cinquante  mousquetaires  des  gardes ,  pour  faire 
un  pen  eloigner  la  cavalerie  ennemie  qui  etoit 
en  petites  troupes  sur  les  dunes,  un  peu  loin  de 
leur  armee. 

M.  de  Castelnau  commandoit  I'aile  gauche  et 
avoit M.  deVarennesquimenoitlapremiere ligne 
de  la  cavalerie;  et  comme  les  Lorrains  en  faisoient 
unepartie,  M.  de  Ligneville  commandoit  quel- 
ques  escadrons  pies  de  Tinfanterie.  M.  le  mar- 
quis de  Crequi  commandoit  les  escadrons  de  la 
droite  de  I'aile  droite,  et  M.  d'Humieres  etoit 
avec  ceux  qui  etoient  proches  de  I'infanterie. 
M.  de  Schomberg  commandoit  la  seconde  ligne 
de  I'aile  gauche,  etM.  d'Esquehcourt  la  seconde 
ligne  de  I'aile  droite.  M.  de  Richelieu  etoit  a  la 
reserve,  et  M.  de  Gadagne  commandoit  la  pre- 
miere ligne  de  I'infanterie,  etM.  de  Bellefons 
la  seconde.  L'infanteric  angloise  de  la  premiere 
et  seconde  lignes  etoit  commandee  par  M.  le 
general  Lockart,  ambassadeur  d'Angleterre  en 
France ,  et  par  M.  Morgan ,  general-major. 

A  une  heure  de  jour  on  sortit  en  cet  ordre  de 
ce  lieu ,  ou  M.  de  Turenne  s'etoit  avance  le  jour 
precedent  dans  les  dunes,  et  oil  les  troupes  I'e- 
toient  venu  joindre  lanuit;  et  comme  les  gardes 
des  deux  armees  se  voyoient ,  des  que  I'armee 
du  Roi  commenca  a  monter  sur  la  premiere  du- 
ne, les  cnnemis  furent  promptement  avertis  de 
sa  marche;  de  nianiere  que  Ton  vit  revenir  en 
diligence  que!(|ues  chevaux  qui  etoient  a  la  pa- 
.ture,  et  forniei-  les  escadrons  et  bataillons  qui 
'  etoient  dans  le  camp  sans  bagage.  Lenr  armee 


li  DE  TlKE^^E.    [1658] 

etoit  demeuree  comme  le  jour  precedent  :  dom 
Juan  d'Autriche  a  la  main  droite ,  avec  le  mar- 
quis de  Caracene  et  le  due  d'Yorck  ,  le  due  de 
Glocestre  et  dom  Estevan  deGamare;  et  a  la 
main  gauche,  M.  le  prince  de  Conde  avec  ses 
officiers-generaux  ,  M.  de  Coligni ,  M.  de  Bou- 
teville,  M.  de  Persan,  M.  de  Guitaut  et  M.  le 
comte  de  La  Suze  ;  M.  de  Marsin ,  qui  etoit  le 
seul  officier-general  qui  y  manquoit,  etoit  avec 
un  petit  corps  vers  le  Luxembourg.  La  cavalerie 
de  I'aile  gauche,  qui  etoit  fort  etendue  vers  le 
canal ,  ne  pouvant  pas  etre  employee  dans  cette 
prairie  a  cause  des  fosses ,  M.  le  prince  la  mit 
sur  cinq  ou  six  lignes  depuis  les  dunes  jusqu'a 
ces  fosses,  ou  ni  les  uns  ni  les  autres  ne  pou- 
voient  marcher  que  deux  ou  trois  escadrons  de 
front.  II  mit  deux  bataillons  dans  un  lieu  un  peu 
convert,  tout  devant  sa  cavalerie;  et  apres,  en 
remontant  les  dunes  ,  il  commencoit  a  y  en 
avoir  jusqu'a  ce  qu'ils  joignissent  I'infanterie  de 
dom  Juan  d'Autriche,  laquelle  alloit  jusqu'au 
bord  des  dunes  qui  regarde  I'estang,  et  toute 
sa  cavalerie  etoit  derriere  son  infanterie  ,  de  la- 
quelle il  avoit  avance  un  bataillon  espagnol  sur 
une  dune  assez  haute ,  qui  etoit  pres  de  cent  pas 
devant  toutes  les  autres. 

On  les  vit  se  ranger  en  cet  ordre-la  :  comme 
I'armee  du  Roi  marchoit  a  eux ,  et  comme  la 
hauteur  des  dunes  empechoit  de  voir  tons  leurs 
mouvemens,  M.  de  Turenne  croyoit  qu'il  y 
avoit  beaucoup  de  cavalerie  derriere  leur  infan- 
terie, et  on  lui  dit  apres,  que  M.  le  prince,  qui 
avoit  cinq  ou  six  lignes  les  unes  derriere  les  au- 
tres, en  vouloit  prendre  quelqu'une  pour  met- 
tre  derriere  son  infanterie,  comme  en  effet  ses 
gardes  y  etoient ,  et  encore  quelques  escadrons. 
Le  canon  de  I'ennemi  n'etoit  pas  encore  venu  , 
et  il  devoit  arriver  ce  soir-la  avec  leur  bagage; 
et  il  pouvoit  y  avoir  dans  leur  armee  neuf  a  dix 
mille  chevaux  et  cinq  a  six  mille  hommes  de 
pied.  M.  le  prince  courut  lui-meme  avertir 
dom  Juan  que  I'drmee  du  Roi  marchoit,  et  il  lit 
mettre  ses  troupes  en  ordre  avec  toute  la  dili- 
gence qu'il  se  pent. 

Les  choses  etant  disposees  des  deux  c6tes , 
I'armee  du  Roi  marchoit  au  petit  pas,  et  I'en- 
nemi etant  assez  empeche  a  se  mettre  en  ba- 
taille,  tons  les  officiers-generaux  y  etoient  oc- 
cupes ,  et  on  voyoit  bien  qu'il  n'en  venoit  point    j 
a  leurs  gardes  avancees,  lesquelles  se  retiroient    1 
vers  I'e  gros  de  I'armee  sans  escarmoucher.  On    j 
voyoit  bien  aussi  que  plus  de  diligence  a  mar- 
cher apporteroit  un  grand  avantage ,  otant  ton- 
jours  a  I'ennemi  un  temps  de  se  mettre  en  or- 
dre ;  mais   un  corps  d'armee  qui    marche  en    i 
balaille  ne  pent  aller  qu'un  certain  pas  regie, 


MKMOinES    Dtl    VICOMTE 

et  souvent  il  faut  un  peu  attendre  les  iins  et  les 
autres  pour  se  pouvoir  ranger.  On  avoit,  comme 
j'ai  dit,  dans  I'armee  du  Rol ,  cinq  pieces  de 
canon  a  chaque  aile,  qui  marchoient  a  la  tete 
des  premiers  escadrons,  et  etoient  a  une  dis- 
tance raisonnabie  de  i'eunemi.  On  tiroitun  coup 
ou  deux  de  chacuue,  et  apres  on  attelloit  en  di- 
ligence pour  reprendre  la  tete  des  escadrons.  On 
fit  quatre  ou  cinq  decharges  avant  que  de  join- 
dre  les  ennerais. 

Les  Anglois  qui  etoient  a  I'aile  gauche  ^  trou- 
vaut  les  premiers  cette  dune,  qui  etoit  plus 
avancee,  monterent  avec  deux  bataillons  pour 
I'attaquer ,  et  ils  eurent  quelque  temps  les 
piques  croisees,  avec  les  Kspagnols ;  raais  la 
grande  resolution  avec  laquelle  ils  les  atta- 
quereut,  et  quelques  commandes  d'infanterie 
du  corps  anglois  qui  vinrent  par  le  flanc,  obli- 
gea  un  regiment  espagnol  a  se  mettre  en  con- 
fusion et  a  s'enfuir  :  e'etoit  celui  de  don  Gas- 
pard  Boniface. 

La  cavalerie  de  I'ennemi  soutint  assez  bien 
au  commencement  son  infauterie;  raais  les  re- 
gimens de  cavalerie  de  I'aile  gauche ,  ayant 
promptement  secouru  les  Anglois,  et  aussi  quel- 
ques escadrons  des  notres  ayant  pris  le  long 
de  I'estang,  vinrent  se  mettre  entre  les  deux 
lignes  de  I'ennemi :  ce  qui  les  mit  en  confu- 
sion ,  etant  aussi  charges  vigoureusement  a  la 
tete ,  dans  le  temps  que  les  Anglois  etoient 
montes  sur  la  dune,  et  que  ce  regiment  espa- 
gnol et  celui  qui  le  soutenoit  commencoient  a 
reculer.  Les  gardes ,  les  Suisses ,  les  regimens 
de  Picardie  et  de  Turenne  commencoient  a  at- 
taquer  I'infauterie  qui  etoit  devant  eux  ,  et  les 
quatre  escadrons  de  Tavant-garde  marcherent 
a  ce  qui  avoit  la  tete  du  corps  de  M.  le  prince. 
Son  infanterie  ne  fit  qu'une  fort  mechante  de- 
charge,  et  I'infanterie  de  I'armee  du  Roi  netira 
presque  pas ,  et  ne  se  mit  en  nulle  confusion  pour 
les  rompre.  La  cavalerie  rompit  aussi  les  pre- 
miers escadrons  de  Tennemi  avec  peu  de  resis- 
tance ,  et  poussant  trop  avant ,  elle  fut  ramenee 
par  celle  de  Tennemi,  oil  M.  le  prince  se  trou- 
vant,  il  y  eut  un  temps  ou  les  choses  furent  un 
peu  en  balance.  Toute  la  cavalerie  de  I'ennemi 
avancant  en  bon  ordre ,  a  cause  de  ce  petit 
succes  ;  mais  n'y  ayant  eu  que  quatre  escadrons 
pousses,  la  cavalerie  se  trouvoit  derriere  en 
bon  ordre  ,  et  les  gardes  et  les  Suisses  qui 
avoient  trouve  fort  peu  de  resistance ,  et  qui 
etoient  en  fort  bon  ordre  (quoique  les  derniers 
eussent  ete  charges  par  les  gardes  a  cheval  de 
M.  le  prince,  dont  il  en  demeura  une  partie 
sansqu'ils  entrasseiit  dans  le  bataillon),  setour- 
nerent  un    peu  a  droite   el  rccurciit    avec  un 


HE  TinFNNr.    [1658]  495 

fort  grand  feu  cette  cavalerie  de  M.  le  prince 
qui  s'avancoit.  Le  regiment  de  Montgommeri , 
infanterie  ,  qui  etoit  aussi  mele  dans  I'aile 
droite,  fit  une  decharge  ,  et  ces  regimens  pous- 
ses se  remirent.  M.  le  prince  y  eut  son  cheval 
blesse  et  en  prit  diligemment  un  autre;  la  con- 
fusion commencant  deja  dans  ses  troupes,  il 
eut  grand"  peine  a  sesauver.  MM.  de  Bouteville 
et  Coligni  y  furent  pris  ;  M.  de  Meille  pris  et 
blesse,  dont  il  mourut  peu  de  jours  apres. 

Ceci  arrivant  un  peu  apres  que  la  confusion 
se  fut  mise  dans  I'aile  droite  des  ennemis,  toute 
leur  armce  se  mit  en  desordre  sans  se  rallier, 
et  hors  quelques  escadrons  qui  se  debanderent , 
toute  I'armee  les  suivit  un  quart  d'heure  en 
fort  bon  ordre  :  une  partie  de  leur  infanterie  se 
sauva  par  la  main  gauche  dans  le  marais;  tout 
le  reste  fut  pris  :  il  y  eut  bien  entre  trois  et 
quatre  mille  prisonniers  de  I'ennemi,  et  mille 
au  plus  tues  ou  blesses.  De  Tarmee  du  Roi ,  il  y 
eut  quelques  officlers  et  cavaliers  tues  des  es- 
cadrons de  la  droite  ,  et  de  la  gauche  des  deux 
ailes ,  quelques  soldats  et  officiers  de  I'infante- 
rie angloise,  et  peu  du  reste  de  I'infanterie. 

Comme  on  etoit  engage  au  siege ,  on  ne  put 
pas  suivre  fort  long-temps  ;  neanmoins  la  cava- 
lerie poussa  jusqu'aupres  de  Furnes  ,  derriere 
laquelle  place  les  ennemis  se  retirerent  et  s'y 
arreterent ,  scachant  bien  que  I'armee  du  Roi 
s'arreteroit  au  siege  :  il  s'y  sauva  qiiantite  de 
prisonniers  ,  que  les  cavaliers  et  les  officiers 
laissoient  aller  pour  rancon  ;  et  on  scut  depuis 
que  presque  tons  les  officiers  de  I'ennemi  le 
furent  dans  le  combat ;  don  Juan  et  le  marquis 
de  Caracene,  M.  le  due  d'York  et  M.  le  due  de 
Glocestre ,  son  frere ,  etoient  a  I'aile  droite,  qui 
firent  tres  bien  ,  mais  ils  furent  obliges  de  se 
sauver  avec  les  autres. 

M.  de  Turenne,  retournant  au  camp,  envoya 
M.  de  Pertuis  en  porter  la  nouvelle  au  Roi,  qui 
etoit  a  Calais,  lequel  re\int  le  lendemain  a 
Mardyck,  et  le  siege  se  continua.  Les  assieges 
n'ayant  point  relache  de  leur  vigoureuse  resis- 
tance, trois  jours  apres  la  bataille,  M.  le  mar- 
quis de  Crequi  se  logea  avec  le  regiment  de  Tu- 
renne sur  la  contrescarpe,  ou  on  perdit  beau- 
coup  de  gens ;  et  depuis  cela,  M.  de  Schom- 
berg,  M.  de  Varenne,  M.  d'Humieres,  M.  de 
Bellefons  et  M.  de  Gadagne  avancerent  a  leur 
garde  autant  qu'il  se  pouvoit.  Comme  il  y  avoit 
beaucoup  de  traverses  ,  il  n'y  avoit  point  de 
garde  ou  il  ne  fallut  faire  quelque  chose  de  fort 
vigoureux  a  decouvert.  Les  Anglois  qui  etoient 
a  main  gauche,  quoiqu'ils  fissent  tres  bien  leur 
devoir,  ne  purent  jamais  se  loger  sur  la  con- 
trescarpe qu'apresqu'elle  fut  abandonnee.  M.  de 


4!»r> 


»lEMOIKi;i>    UU    VICOJITB    DE    TURE^^"E. 


1668 


Casteliiau  ,  qui  avoit  agi  avec  beaucoup  d'utilite 
et  de  vigueur  diirant  tout  le  siege,  futblesse, 
allant  au  fort  Leou,  dont  II  mourut.  Comme 
depuis  la  bataille  on  ne  craignoit  plus  d'engager 
beaucoup  d'iufanterie  devant  la  ville,  on  avoit 
comnunice  une  attaque  a  ce  fort,  qui  servit 
plutot  a  une  diversion  qu'a  autre  chose  ,  on  fit 
aussi  abandoiuier  aux  enneniis  un  fort  de  bois, 
dans  lequel  ils  avoient  du  canon ,  aussi  bien  que 
tout  le  long  d'une  digue  qui  avancoit  dans  la 
mer,  de  quoi  ils  ineommodoient  fort  la  tran- 
chee  ;  mais  ils  le  quitterent  bientot ;  de  maniere 
que  six  ou  sept  jours  apres  la  bataille,  qui  etoit 
le  dix-huitienie  de  Touverture  de  la  tranchee, 
comme  on  etoit  loge  au  pied  de  leur  dernier 
ouvrage ,  ils  demanderent  a  capituler.  On  scut 
que  le  marquis  de  Lede  etoit  mort  le  meme 
jour ,  ayant  ete  blesse  cinq  ou  six  jours  aupa- 
ravant. 

Le  Roi  etant  depuis  cinq  ou  six  jours  a  Mar- 
dyck,  vint  le  lendemain  avec  M.  le  cardinal  au 
quartier  de  M.  de  Turenue,  oil  les  otages  etant 
donnes  ,  la  capitulation  fut  signee,  et  la  garni- 
son  sortit  uu  jour  apres  et  fut  conduite  a 
Saint-Omer  :  11  y  restoit  mille  homraes  de  pied 
en  sept  ou  huit  regimens ,  et  six  a  sept  cens 
chevaux.  La  ville  fut,  selon  le  traite,  remise 
aux  Anglois ,  et  deux  jours  apres  M.  de  Tu- 
renne  raarcha  a  Bergues.  Les  ennemis  etoient 
demeures  a  Furnes,  et  avoient  laisse  huit  ou 
neuf  cens  homraes  dans  Bergues.  Le  Roi,  qui 
n'avoit  bouge  de  Mardyck  depuis  la  prise  de 
Dunkerque  ,  y  vint  comme  I'armee  y  arrivoit ; 
et  la  tranchee  etant  ouverte  le  lendemain ,  11 
vint  encore  se  promener  au  quartier  de  M.  de  Tu- 
renne,  et  11  paroissoit  bien  qu'il  avoit  fort  mnuvais 
visage ;  et  en  effet,  11  eut  des  le  soir  une  grande 
fievre  ,  et  avoua  qu'il  en  avoit  quelque  ressenti- 
ment  depuis  deux  jours  sans  I'avoir  voulu  dire  : 
c'est  la  ou  sa  grande  maladie  commenca;  et 
etant  porte  a  Calais  ,  il  y  fut  a  rextreraile. 

La  premiere  nuit  de  la  tranchee  a  Bergues, 
on  emporta  une  redoute  que  les  ennemis  avoient 
proche  de  leur  contrescarpe ,  et  on  se  logea  en  un 
lieu ,  avec  toute  la  garde  de  la  tranchee  ,  ou  on 
ne  pouvoit  pas  aller  de  jour.  Le  lendemain , 
M.  de  Schomherg  commanda  la  garde :  on  em- 
porta la  contrescarpe  et  tons  les  travaux  de 
dehors ,  et  on  se  logea  sur  le  bord  du  fosse ,  le- 
quel on  commenca  a  remplir,  et  il  fit  mener 
du  canon  a  decouvert  pres  de  la  porte ;  de  sorte 
que  ccux  de  la  ville  ,  demandant  a  capituler ,  ne 
furent  recus  que  prisonniers  de  guerre.  II  y 
a\oit  cinq  vieux  regimens  d'iufanterie  et  un 
regiment  de  cavalerie  dans  la  place,  qui  fai- 
soient  entre  huit  et    neuf  cens  hommes.  Des 


qu'ils  eurent  demande  a  capituler  ,  et  qu'lls 
virent  qu'on  ne  les  voulolt  recevoir  que  pri- 
sonniers de  guerre ,  il  leur  prit  un  si  grand 
etonnement ,  que  beaucoup  se  jeterent  dans  le 
marais  pour  se  sauver  ;  mais  ils  furent  repris 
par  les  soldats ,  et  le  reste  jettoit  les  armes  et 
abandonna  tous  ses  postes  le  long  des  mu- 
railles ;  et  si  M.  de  Turenue  n'y  fut  arrive , 
on  alloit  piller  la  ville:  on  fit  enfermer  tous 
ces  soldats  et  officiers,  et  ils  furent  envoyes  en 
France  par  Calais.  Le  lendemain  M.  de  Turenne 
scachant  que  rennemi  quittoit  les  environs  de 
Furnes,  y  envoya  M.  de  Varenne  avec  deux 
mille  homraes,  et  suivit  quatre  ou  cinq  heures 
aprs  ,  avec  fort  pen  de  gens.  Ceux  de  Furnes 
ayant  tire  quelques  coups ,  voyant  qu'ils  etoient 
abandonnes  par  leur  armee  qui  etoit  a  Nieu- 
port,  et  qu'elle  n'y  avoit  laisse  que  quatre- 
vingts  hommes ,  se  rendirent  a  un  trompette 
qu'il  leur  envoya ,  apres  avoir  fort  menace  les 
bourgeois  qu'ils  seroient  pilles  s'ils  se  defen- 
doient,  et  dans  I'instant  mesme  M.  de  Turenne 
entra  dans  la  ville,  et  renvoya  cesquatre-vingts 
hommes  a  Nieiiport,  oil  etoit  don  Juan  d'Au- 
triche.  II  y  demeura  cette  nuit-la  ,  parce  qu'ils 
ne  se  rendirent  qu'a  une  heure  de  nuit ,  et  s'en 
retourna  le  lendemain  de  grand  matin  au  camp; 
et  comme  il  avoit  tenu  M.  le  marquis  de  Crequi 
a\ec  un  corps  a  Rosebrugh  ,  qui  est  sur  le  che- 
min  de  Bergues  a  Ypres,  il  lui  ordonna  de  pren- 
dre le  chemin  de  Dixmuyde  par  le  dedans  du 
pais ;  et  lui ,  il  marcha  le  long  de  la  digue  droit 
a  la  Fintelle  et  a  la  Kenoque ,  oii  se  separe  le 
canal  qui  va  a  Ypres  et  a  Dixmuyde. 

Les  ennemis  ,  qui  depuis  la  prise  de  Bergues 
s'etoient  retires  entre  Nieuport,  Dixmuyde  et 
Ypres  ,  vouloient  garder  ces  canaux  la ;  mais  la 
raarche  si  prompte,qui  ne  leur  donnoit  au- 
cun  temps ,  les  empechoit  d'oser  s'arreter  en 
aucun  lieu,  n'ayant  pas  eu  le  temps  de  s'ac- 
commoder.  Ils  commencoient  a  travailler  a  une 
redoute  a  la  Kenoque ,  et  11  y  avoit  quelque 
cavalerie  derriere ;  et  comme  c'est  un  pays  ou 
on  ne  va  que  par  des  digues  ,  le  premier  fortifie 
en  un  lieu  y  a  grand  avantage ;  mais  le  peu  de 
temps  qu'ils  avoient  pour  disposer  de  leurs  af-  ^ 
faires ,  les  faisoit  foujours  prendre  des  partis 
auxquels  on  voyoit  bien  que  la  necessite  les 
obligeoit ,  et  ainsl  lis  etoient  toujours  embar- 
rasses des  que  Ton  s'avancoit ,  etant  aise  de 
connoitre  qu'ils  ne  s'arretoient  que  dans  I'espe- 
rance  qu'ils  avoient  que  Ton  n'iroit  pas  plus 
avant ,  et  leur  bagage  etoit  toujours  quatre  ou 
cinq  heures  derriere  eux.  L'armee  du  Roi 
ayant  done  fait  une  grande  marche  de  Bergues 
a  la  Kenoque,  oil  un  tiers  de  nos  troupes  passa 


IIEMOIRES    DU    VICOMTE     1)E    TlllENNE,    [iCOS] 


-10 ; 


a  nage  pour  prendre  des  bestiaux  qui  etoient 
au-dela ;  on  raarcha  le  lendemain  de  grand 
matiu  vers  Dixmuyde,  qui  n'en  est  qu'a  uue 
bonne  heure ,  et  oil  on  ne  va  aussi  que  par  des 
digues. 

La  \ille  avoit  ete  fort  negligee,  etant  au  coeur 
du  paj'S,  et  Ton  eommencoit  depuis  huit  ou  dix 
jours  a  en  raccommoder  les  contrescarpes.  M.  le 
prince,  qui  demeura  long-temps  a  nne  porte 
pour  voir  arriver  Tarmee  du  Roi  ,  vit  bien  qu'il 
n'etoit  pas  en  etat  de  la  defendre  ;  il  y  laissa  , 
neanmoins,  trois  ou  quatre  cens  bommes,  avec 
ordre ,  comme  ii  parut  depuis  ,  de  se  rendre  en 
cas  que  Ton  passat  la  riviere  et  qn'ils  vissent 
que  Ton  format  le  siege.  L'armee  de  Tennemi 
etoit  entre  cettc  place  et  Nieuport  ;  raais  ayant 
mis  des  gens  dans  Ypres,  ils  s'etoient  beaucoup 
affoiblis  ,  et  outre  cela  ils  ne  trouvoient  pas 
i\  propos ,  a  cause  de  1  etonnement  de  leurs 
troupes  ,  de  faire  tete  en  aucun  endroit ,  quel- 
que  serre  qu'il  liit. 

L'armee  du  Roi  fit  un  pont  aupres  de  Dix- 
muyde; et  ayant  fait  passer  quelques  troupes 
pour  sommef  la  ville  ,  M.  de  Moret  arriva  en 
ce  temps-la ,  euvoye  par  M.  le  cardinal  a  M.  de 
Turenne  ,  pour  lui  dire  que  le  Roi  etoit  a  I'ex- 
tremite  ,  et  qu'il  n'entreprit  rien  avant  que  de 
savoir  Tetat  de  la  maladie  de  Sa  Majeste;  peut- 
etre  que  Ton  eut  songe  a  passer  la  riviere  ,  si  la 
ville  ne  se  fiit  rendue.  Leshabitans  envoyerent 
demander  a  capituler,  et  M.  de  Turenne  permit 
a  la  garnison  de  se  retirer  a  leur  armee  ou  a 
Nieuport;  ce  qu'elle  fit.  M.  le  cardinal  mandoit 
a  M.  de  Turenne  de  lui  envoyer  quelques  com- 
pagnies  des  gardes  et  deux  ou  trois  des  Suisses : 
ee  qu'il  fit.  M.  le  comte  de  Soissons  s'en  alia 
avec  ces  compagnies  de  Suisses.  On  etoit  fort 
en  peine  de  la  maladie  du  Roi ,  et  toute  l'armee 
avoit  les  seotimens  qu'elle  devoit ,  resolue  de 
demeurer  dans  son  devoir  si  quelque  raalheur 
arrivoit.  Comme  e'est  une  cbose  qui  regarde  le 
detail  de  la  cour  ,  beaucoup  de  personnes  qui  y 
etoient  pourront  parler  de  toutes  les  circon- 
stances,  lesquelles  M.  de  Turenne  a  fort  bien 

^sues.  Le  Roi  a  toujours  dans  cette  extremite 
temoigne  une  grandetendresse  a  M.  le  cardinal, 
iequel  fut  un  jour  ou  deux  en  peine  des  dispo- 
sitions de  Monsieur,  auquel  il  parla  de  tres- 
bon  sens,  et  lui  dit  qu'il  savoit  qu'il  y  avoit  des 
gens  qui  caballoient  avec  lui  sur  la  maladie  du 
Roi ,  et  que  si  quelque  malbeur  arrivoit,  quil 
ne  falJoit  pas  qu'il   se  nut  en  peine  ,  ni  douter 

que  lui  et  tout  le  royaume  ne  se  soumissent, 
M.  le  cardinal  ,  contre  qui  on  crie  ,  comme  on 

fait  dordinaire  contre  ceux  qui    gouvernent , 

trouva  beaucoup  d'amis  en  ce  temps-la.  Tly  eut 

IT!.  C     n.    M.,  T.     III. 


quelques  femmes  a  qui  la  Reine  sut  fort  mau- 
vais  gre  des  discoursqu'ellesavoient  tenus  du- 
rant  la  maladie  du  Roi ,  et  de  leur  curiosite  de 
voir  comme  il  se  portoit.  Le  Roi  fut  deux  jours 
a  I'extremite  ,  et  revint  par  du  vin  emctique  , 
parlant  dans  ses  reveries  fort  souvent  de  l'ar- 
mee. II  commenca  apres  un  grand  effort  de  na- 
ture a  repreudre  un  pen  de  vigueur,  et  il  n'y 
eut  d'alarme  que  ces  deux  jours;  car  les  rejouis- 
sances  recommencerent  apres  ,  et  Ton  envoya 
des  courriers  partoutannoncer  la  convalescence 
de  Sa  Majeste. 

M.  de  Turenne  ne  bougea  de  farmee  aupres 
de  Dixmuyde,  et  recevoit  tons  les  jours  de 
M.  le  cardinal  des  lettres  sur  fetat  ou  etoit  le 
Roi ,  dont  la  maladie  fit  arreter  farmee  neuf 
ou  dix  jours  ,  sans  rien  entreprendre.  On  fit 
seulement  avancer  M.  le  marquis  de  Crequi 
fort  proche  de  Nieuport.  L'ennemi  croyant  que 
c'etoit  le  corps  de  I'ar.mee  ,  quitta  son  camp  qui 
etoit  a  une  demi-heure  de  Nieuport,  derriere  un 
canal  ou  il  eommencoit  a  se  retrancber ,  et  se 
separa.  M.  le  marquis  de  Caracene  entra  a 
Nieuport  avec  une  bonne  partie  de  I'infanterie; 
M.  le  prince  s'en  alia  a  Ostende  ,  et  dom  Juan 
a  Bruges.  Sans  la  maladie  du  Roi  ,  M.  de  Tu- 
renne se  seroit  mis  entre  Nieuport  et  Ostende 
le  meme  jour  que  fennemi  se  separa ;  et  comme 
on  a  su  depuis  qu'ils  n'avoient  ni  vivres  ni  mu- 
niti(ms  de  guerre  dans  cette  place,  et  qu'on 
pouvoit  couper  tous  leurs  convois,  il  est  certain 
que  Ton  eut  pris  les  deux  tiers  de  l'armee  d'Es- 
pagne  avec  un  peu  de  patience. 

Le  Roi  commeneant  a  se  mieux  porter  ,  M.  le 
cardinal  manda  a  J\[.  de  Turenne  qu'il  s'en  ve- 
noit  a  Bergues,  et  le  pria  de  s'y  en  venir.  C'etoit 
dans  le  commencement  du  moisde  juillet,  etM.  le 
marecbal  de  La  Ferte  ,  qui  avoit  assemble  son 
corps  ordinaire  de  troupes  ,  qui  pouvoit  mooter 
en  tout  c\  cinq  ou  six  mille  bommes  ,  etoit  vers 
Lens  ,  et  M.  le  cardinal  lui  avoit  promis,  des  le 
commencement  de  la  campagne,  qu'il  prendroit 
quelque  temps  pour  lui  laire  faire  un  siege;  de 
sorte  qu'il  lui  manda  de  s'en  venir  a  Cassel,  et 
M.  le  cardinal  s'y  trouva  avec  M.  de  Turenne; 
M.  Le  Tellier  y  etoit  aussi  ;  et  devant  que  de 
partir  de  Bergues,  on  etoit  convenu  qu'il  n'y 
avoit  point  d'autre  place  a  assieger  que  Grave- 
lines  ,M.  de  Turenne  ayant  fait  voir  a  M.  le 
cardinal  qu'il  esperoit   couvrir  avec   farmee 
Bergues  ,    Furnes  et  Dixmuyde  ,  et  qu'il  pou- 
voit douner  la  main  a  Gravelines  ,  si  l'ennemi 
y  alloit :  ce  qu'on  ne  pouvoit  pas  faire  au  siege 
d'aucune  autre  place,  ou  il  eut  fallu  s'eloigner 
davantage  des  villes  conquises.  J'avois  oublie 
dp  dire  que  M.  de  Turenne  avoit  deja  vu  une 

32 


MEMOIRKS    DL     \  ICOMTE    DK    TUKli?<NE.    [l65S^ 


-4!)  8 

I'ois  M.  le  cardinal  a  Bergues  depuis  la  maladie 
du  Roi  ,  ou  il  lui  avoit  conte  tout  ce  qui  s'y 
etoit  passe.  Le  rainistre  laissa  partir  le  Roi  pour 
aller  a  Paris  avec  la  Reine ;  Sa  Majeste  etoit 
encore  fort  foible ,  mais  elle  se  remit  fort 
promptement ;  et  le  cardinal ,  voulaut  voir  en- 
core commencer  quelque  chose  avant  que  de 
s'en  aller  ,  allongea  son  sejour  dans  le  pays  jus- 
qu'a  la  prise  de  Gravelines.  On  alia  done  a 
Cassel  ,  ou  etoit  M.  le  mareclial  de  La  Ferte  , 
qui  dit  a  M.  Ic  cardinal,  que  ,  pourvu  qu'il  de- 
meuratdans  le  voisinage,  il  entreprendroit  ce 
qu'il  voudroit,  et  ainsi  il  fit  marcher  des  troupes 
pour  investir  Gravelines. 

Depuis  la  bataille  de  Dunkerque ,  I'ennemi 
avoit  retire  sa  mcilleure  infanterie  de  Grave- 
lines ,  et  ayant  le  coeur  du  pays  a  defendre ,  n'a- 
voit  laisse  dans  cette  place  que  sept  ou  huit 
cens  hommes.  M.  de  Turenne  envoya  sept  ou 
huit  regimens  d'infanterie  pour  le  siege  ,  et  de- 
meura  aupres  de  Dixmuyde.  M.  le  marquis  de 
Crequi  etoit  tou jours   avec  un   corps  detache 
pres  de  Nieuport,  ou  M.  le  due  d'York  et  M.  le 
marquis  de  Caracene  furent   plus  d'uu  mois , 
M.  le  prince  a  Osteude  ,  et  dom  Juan  a  Bruges, 
et  M.  le  prince  de  Ligne  a  Ypres.  L'armee  du 
Roi   ne  s'affoiblissoit  que   par  les  maladies , 
quoiqu'il  fallut  aller  tous  les  jours  au  fourrage 
et  que  Ton  fit  beaucoup  de  courses  dans  le  pays. 
M.  de  Turenne  envoya  M.  de  Varenne,  lieu- 
tenant-general ,  que  M.    le  mareehal   de  La 
Ferte  lui  demanda  comme   une  personne  qui 
entendoit  tres-bien  les  sieges.  Le  troisieme  ou 
quatrieme  jour  apres  la  tranchee  ouverte ,  il 
fut  tue  d'un  coup  de  canon.  11  avoit  ete  toute  sa 
vie  avec  M.    de  Turenne  ,  et  c'etoit  un  des 
meilleurs  officiers  qu'il  y  eut  en  France.  M.  le 
comte  de  Moret  fut  aussi  tue  du  meme  coup.  II 
etoit  lieutenant  des  gendarmes  de  M.  le  cardi- 
nal ,  et  devoit  avoir  le  gouvernement  de  Grave- 
lines. M.  de  Turenne  I'aimoit  tendrement ,  et 
il  n'y  avoit  point  de  gentilhomme  en  France  a 
qui  il  cut  sitot  ouvert  son  coeur  ,  lui  ayant  re- 
connu  en  diverses  affaires  un  procede  fort  sin- 
cere ,  accompagne  de  beaucoup  de  jugement , 
sans  laquelle  qualite  toutes  les  autres  ,  et  prin- 
cipalement  a  ia  cour,  se  rendent  inutiles  et  a 
soi  et  a  ses  amis.  II  n'est  pas  croyable  combien 
il  eu  a  etc  touche,  comme  d'une  perte  qui  ne  se 
repare  point. 

On  ne  fit  presque  point  de  circonvallatiou  a 
Gravelines  ,  a  cause  que  Tarmee  du  Roi  cou- 
vroit  le  siege.  On  demeura  trois  scmaines  de- 
vant  la  place  ,  et  la  tranchee  avoit  ete  ouverte 
pros  do  quinze  jours  avant  que  Ics  ennemis 
ohangeassenl  de  posture.  lis  avoicnt  toujours  eu 


un  corps  sous  M.  de  Marsin  ,  qui  regardoit  le 
Luxembourg ,  lequel  ils  firent  rapprocher  de  la 
Flandre  ,  et  leverent  trois  ou  quatre  mille 
hommes  de  pied  vers  le  Brabant ;  tout  cela  se 
trouva  pret  a  marcher  vers  le  temps  que  j'ai 
dit.  lis  avoieut  au  commencement  de  la  cam- 
pagne  un  corps  de  cavalerie  qui  passoit  douzo 
mille  chevaux  ;  ils  I'estimoient  quatorze  mille  ; 
lequel  s'etant  raccommode  ,  et  ayant  beau- 
coup de  regimens  qui  n'avoient  pas  ete  a  la 
bataille  de  Dunkerque  ,  leur  armee  s'assembia 
vers  Bruges ,  et  s'approchant  de  la  Lys  pour 
s'eloigner  du  cole  de  Dixmuyde  ,  ou  etoit  l'ar- 
mee du  Roi ,  ils  y  joignirent  M.  de  Marsin  , 
avec  une  partie  de  ses  nouvelles  levees ,  pas- 
serent  par  Ypres  oil  etoit  le  corps  de  M.  lo 
prince  de  Ligne  ,  ct  s'avancerent  vers  Pope- 
ringue  en  corps  d'armee,  ou  etoient  tous  les 
generaux. 

M.  de  Turenne ,  voyant  que  le  cote  de  Nieu- 
port et  d'Ostende  se  degarnissoit  de  troupes 
pour  composer  Tarmee  ,  changea  de  posture  . 
et  fit  marcher  M.  le  marquis  de  Crequi  avec 
sou  corps  ,  qui  etoit  proche  de  Nieuport ,  a  la 
Fintelle  ,  pour  se  tenir  a  la  tete  de  l'armee  de 
I'ennemi  ,  qui  etoit  a  Poperingue  et  qui  s'a- 
vancoit  a  Rosebrugh.  Ce  corps  avoit  ordre  d(' 
renvoyer  ses  bagages  au  camp  ,  et  etoit  des- 
tine pour  Dixmuyde  ,  y  tenant  toujours  la  main 
par  des  dragons  et  de  la  cavalerie  qui  etoit  a  1;; 
Kenoque ,  de  peur  que  i'ennemi ,  qui  avoit  tout 
son  bagage  sous  Ypres ,  ne  derobat  une  mar- 
che,  laissant  Bergues  a  main  droite  ,  pour  al- 
ler secourir  Gravelines,  eloignee  seulement  dc 
six  a  sept  heures. 

M.  de  Turenne  tenoit  deux  brigades  de  ca- 
valerie a  Mardyck  ,  qui  avoient  ordre  de  mar- 
cher a  Gravelines  des  qu'ils  auroient  langue 
des  ennemis ;  et  lui ,  avec  peu  de  troupes ,  se 
tenoit  aupres  de  Dunkerque  ,  d'ou  il  avoit  re- 
pandu  de  petits  corps  separes  jusques  par  dela 
Furnes.  On  laissoit  toujours  une  garde  devant 
Dixmuyde ,  et ,  de  I'autre  cote  ,  ce  qui  etoit  a 
Mardyck  voyoit  le  camp  de  Gravelines  ;  il  y  a 
bien  deux  lieues  de  I'un  a  I'autre ;  mais  c'est  le 
pays  qui  fait  que  Ton  pent  se  gouverner  de 
cette  facon.  L'ennemi  ne  pouvant  le  traverser 
qu'en  faisant  des  ponts ,  on  etoit  libre  a  se  se- 
conder sur  une  grande  digue  ;  les  bagages  qui 
etoient  a  cote  n'embarrassoient  point,  et  ces 
corps  ,  a  une  demi-heure  ou  une  heure  les  uns 
des  autres  ,  etoient  aussi-tot  secourus  par-dessus 
la  digue  ;  et  la  connoissance  du  pays  fait  voir 
que  Ton  ne  peut  pas  se  mettre  entre  deux. 

On  demeura  en  cette  posture-la  jusqu'a  la 
fin  du  siege  de  Gravelines,  qui  dura  vingt-cinq 


MEMOlllES    liV    VICOaiTE    DE    TliRENNE. 


I608] 


4<)'.) 


ou  viug-six  jours  de  tranchee  ouverte.  M.  le 
marquis  d'Uxellesy  fut  tue,  qui  etoit  un  homme 
de  merite  ,  et  qui  etoit  des  premiers  lieute- 
tenans-generaux  de  France.  II  y  eut  bien  aussi 
huit  ou  neuf  cens  hommes  tues  ou  blesses  au 
siege  ;  et  comme  c'est  une  des  meilleures  places 
qui  se  puisse  voir  y  quoiqu'il  y  eut  fort  peu  de 
gens  dedans  ,  ils  ne  laisserent  pas  de  faire  une 
resistance  qui  donna  assez  de  peine. 

Les  ennemis  qui  etoient  a  Rosebrugh,  ayant 
scu  que  Gravelines  capituloit ,  se  retirerent 
vers  Ypres  ,  et  de  la  le  long  de  la  Lys.  M.  le 
cardinal ,  qui  avoit  demeure  durant  tout  le  siege 
a  Calais  ,  et  qui  avec  un  grand  soin  faisoit  four- 
nir  toutes  choses ,  quoiqu'il  ne  parut  pas  qu'il  y 
eut  aucun  preparatif  au  commencement ,  s'en 
vint  a  Dunkerque  avant  que  de  s'en  retourner 
trouver  le  Roi.  On  est  oblige  de  dire  qu'il  n'y 
a  personne,  ni  qui  travaille  tant ,  ni  qui  trouve 
tant  d'expediens  avec  une  grande  nettete  d'es- 
prit  pour  terminer  beaucoup  d'affaires  de  diffe- 
rentes  sortes.  Beaucoup  de  personnes  qui  au- 
roient  ete  en  sa  place  s'en  seroient  retournees 
avec  le  Roi  apres  la  prise  de  Dunkerque ,  ou 
il  s'en  vint  ainsi  que  j'ai  dit,  et  ou  M.  de  Tu- 
renne  le  trouva. 

M.  le  marechal  de  La  Ferte,  apres  la  prise 
de  Gravelines ,  laissa  ses  troupes  a  deux  ou  trois 
lieutenans-generaux  et  s'en  retourna  en  France, 
oil  il  avoit  des  affaires.  On  renvoya  deux  ou 
trois  regimens  d'infanterie  aupres  de  Hedin  , 
oil  il  demeuroit  un  corps  d'armee  de  dix  mille 
chevaux  et  de  neuf  a  dix  mille  hommes  de 
pied,  etun  assez  bel  equipage  d'artillerie  et  de 
vivres  pour  la  campagne.  M.  le  cardinal  resta 
un  jour  entier  a  Dunkerque,  et  le  Roi ,  qui  s'e- 
toit  arrete  quelques  jours  a  Corapiegne,  et  qui 
etoit  entierement  remis,  le  pressoit  de  I'aller 
trouver  en  diligence  a  Fontainebleau  ,  oil  il 
s'en  alloit  avec  la  Reine  et  toute  la  cour.  M.  le 
cardinal  dit  a  M.  de  Turenne  de  faire  les  cho- 
res qu'il  trouveroit  etre  le  plus  a  propos,  sou- 
haitant  que  Ton  put  faire  en  sorte  de  laisser 
beaucoup  de  troupes  dans  le  pays  ,  I'avertissant 
seulement  qu'il  avoit  eu  avis  certain  que  les 
ennemis  ,  apres  la  prise  de  Dunkerque ,  s'atten- 
doient  assez  a  perdre  Armentieres. 

M.  de  Turenne  etoit  toujours  d'avis  qu'on 
laissat  quelques  troupes  aupres  de  Hedin  ,  afin 
que  s'il  ne  reussissoit  a  rien  de  considerable 
dans  lepays,  que  Ton  put,  en  fortifiant  ce  corps- 
la,  faire  un  blocus  a  Hedin  tout  I'hiver,  et  cefut 
la  raison  pour  laquelle  on  y  envoya  ces  regi- 
mens. On  destinoit  M.  le  marechal  de  Schu- 
lemberg  pour  avoir  la  direction  de  cette  entre- 
prise.  Dans  ces  pensees ,  M.  le  cardinal  partit 


de  Dunkerque  pour  s'enaller  a  Paris,  et  M.  de 
Turenne  retourna  joindre  I'armee  qui  etoit  a 
quatre  heures  de  Dunkerque.  L'ambassadcur 
d'Angleterre  demeura  dans  cette  place  avec  une 
grande  garnison.  II  y  eut  au  plus  deux  mille 
soldats  anglois  sous  M.  Morgan  qui  suivirent 
I'armee,  et  M.  de  Turenne  ordonna  au  corps 
de  M.  le  marechal  de  La  Ferte  de  le  suivre  a 
Dixmuyde. 

L'embarras  de  la  sortie  de  Gravelines  les  re- 
tint  un  jour ;  mais  comme  c'est  un  pays  etroit, 
oil  Ton  ne  fait  que  s'embarrasser  d'attendre 
trop  de  troupes  a  un  rendez-vous,  il  passa  avec 
I'armee,  et  alia  logerau-dela  de  Dixmuyde,  ou 
ayant  laisse  ordre  a  M.  de  Schomberg  de  met- 
tre  ensemble  sept  ou  huit  regimens  qu'il  lui 
laissa  pour  demeurer  sous  les  places  de  Dix- 
muyde, Furnes  et  Bergues ,  il  marcha  avec  I'ar- 
mee a  Thiel ,  qui  est  a  mi-chemin  entre  Bruges 
et  Gand,  avec  dessein  de  marcher  sur  laLyset 
sur  I'Escaut,  laissant  I'ennemi  loin  derriere  lui, 
qu'il  scavoit  avoir  dessein  de  couvrir  Armen- 
tieres et  Courtrai ;  afin  qu'en  donnant  jalousie 
de  ces  grandes  places  de  Gand  et  de  Bruges,  il 
le  fit  separer  ou  prendre  une  posture  qui  lui 
donneroit  occasion  de  faire  quelque  chose  de 
considerable.  L'ennemi ,  apres  la  prise  de  Gra- 
velines ,  s'etoit  loge  au-dela  de  la  Lys  et  avoit 
laisse  un  grand  corps  dans  Ypres ,  a  sa  tete. 
M.  de  Turenne ,  ayant  un  grand  corps  de  cava- 
lerie  a  I'avant-garde ,  arriva  a  Thiel  de  bonne 
heure,  commanda  que  I'armee  y  logeat,  et  passa 
outre ,  marchant  droit  a  Deynse ,  oil  il  scavoit 
qu'il  y  avoit  un  pont  sur  la  Lys  5  de  la  il  vou- 
loit ,  sans  s'arreter  avec  cette  avant-garde,  mar- 
cher droit  a  Oudenarde  ,  quoiqu'il  n'eiit  pas  ete 
dans  lepays,  le  scachant  tres-bien  et  par  les 
gens  du  pays  et  par  les  cartes ;  mais  a  I'entree 
de  la  nuit  le  guide  le  perdit,  de  maniere  qu'il 
fut  oblige  de  retourner  au  quartier ,  bien  marri 
d'avoir  manque  le  dessein  d'Oudenarde.  II  ne 
laissa  pas  neanmoins  d'envoyer  M.  de  Gastion 
avec  cinq  ou  six  regimens  a  Deynse  sur  la  Lys, 
avec  ordre  d'envoyer  des  partis  vers  Oudenarde, 
persuade  qu'il  n'y  avoit  pas  d'apparence  de  mar- 
cher plus  outre ,  sans  attendre  I'arriere-garde 
qu'il  avoit  laissee  a  huit  ou  neuf  heures  de  la. 

On  sejourna  deux  jours  a  Tiel ,  et  comme 
M.  de  Turenne  scut  que  ces  troupes  de  I'arriere- 
garde  arrivoient  a  une  heure  dela,  il  partit  de 
grand  matin  avec  toute  I'armee ,  laissant  le  ba- 
gage  a  Tiel ,  et  ce  corps  de  M.  le  marechal  de 
La  Forte  qui  faisoit  I'arriere-garde ,  le  venant 
joindre  a  la  pointe  du  jour  avec  la  reserve  de 
I'armee  qui  y  demeura  ,  il  commanda  a  toi't  ce 
corps  d'y  camper  ,  ayant  fait  seulement  changer 

32. 


oOO 


MEMOir.£S    Dll    VICOMTE    DE    TLHENAE.    [1658] 


le  camp,  ensorte  qu'il  put  etre  plus  sur  et  plus 
pret  a  deloger ,  pour  Ic  venir  joindre  au  premier 
ordre  ;  et  marchant  lui-meme  a  la  pointe  du 
jour  avec  une  partie  de  Tarmee ,  sans  bagage,  il 
"passa  la  riviere  de  la  Lys  a  Deynse  ,  oii  11  ap- 
prit  qu'il  etoit  arrive  un  corps  de  cinq  ou  six 
regimens  de  I'ennemi  a  Oudcnarde.  Ayant  en- 
voye  beaucoup  de  partis  pour  donner  jalousie  a 
lennemi  de  tous  les  cotes,  et  laisse  encore  quel- 
(jues  regimens  sous  M.  deGastion  a  Deynse,  il 
marcha  le  memejour  a  Gavie,  qui  est  un  cha- 
teau sur  I'Escaut  a  trois  heures  de  Deynse  ,  ou 
il  arriva  encore  de  fort  bonne  heure.  L'ennemi 
u'ayant  pas  eu  le  temps  de  s'assembler  derriere 
I'Kscaut,  il  n'y  parut  que  clnquante  chevaux. 
n  s  y  devoit  trouvcr  beaucoup  de  paysans ;  mais 
les  marches  promptes  ne  donnent  loisir  qu'aux 
raisonuemens ,  sans  laisser  de  temps  pour  ap- 
porter  les  reraedes.  De  quatre  ou  cinq  mille  pay- 
sans qui  avoient  ordre  de  se  trouver  a  ce  pas- 
sage ,  il  n'y  en  cut  que  deux  ou  trois  cens  qui 
s'enfuirent  aussitot ,  a  la  reserve  de  cinquante 
qui  se  mirent  dans  le  chateau  qui  etoit  de  I'au- 
tre  cotede  I'eau. 

Comme  les  dragons  de  I'armee  du  Roi  arrive- 
rent  sur  le  bord  de  I'eau,  et  la  cavalerie  de  I'a- 
vant-garde  ,  il  y  cut  d'abord  pres  de  deux  cens 
chevaux  qui  passerent  la  riviere  a  la  n age  sous 
le  chateau ,  dont  ceux  de  dedans  furent  si  ef- 
iVayes  qu'ils  se  rendirent  tous  aussitot.  M.  de 
Tureune  fit  passer  ensuite  quatre  regimens  de 
la  brigade  de  Podwitz  avec  tous  les  corps  des 
regimens  ,  et  on  courut  jusqu'a  quatre  lieues  de 
Bruxelles.  Quelques  regimens  de  l'ennemi,  qui 
passoient  vers  Gand  ,  laisserent  leur  bagage,  et 
cela  mit  une  telle  confusion  ,  que  les  regimens 
qui  etoient  sous  Oudcnarde  marcherent  aussi 
vers  Bruxelles.  C'etoit  Dom  Antoine  de  La  Cueva 
qui  les  commandoit,  qui  en  cut  I'ordre.  On  fit 
travailler  aussi  au  pont  de  bateaux  sur  I'F^scaut, 
et  M.  de  Turenne  n'etoit  pas  encore  resolu  a 
rien  ,  quand  le  lendemain  de  grand  matin  il 
scut,  par  un  homme  qui  etoit  envoye  du  gou- 
verneur  d'Oudenarde  pour  demander  des  sau- 
ves-gardes  ,  comme  la  cavalerie  en  etoit  sortie. 
II  prit  aussitot  mille  chevaux  et  deux  cens  dra- 
gons et  passa  TEscaut ,  envoya  dire  au  gouver- 
iieur  par  M.  de  Madaillan  ,  qui  servoit  d'aide- 
de-camppres  de  lui,  qu'il  alloit  I'assieger,  et 
qu'il  se  decid^t  a  demeurer  neutre  et  a  donner 
passage  a  I'armee.  11  s'approchade  la  ville  avec 
cptte  cavalerie  et  fit  saisir  par  ses  dragons 
quelques  maisons  tout  prochc  de  la  porte.  11  y 
cut  un  temps  que  Ton  crut  que  le  gouverneur 
se  reudroit ;  mais  voyant  le  peu  de  gens  qu'il 
y  avoit,  il  rccommenca  a  tirer.  M.  de  Purenne, 


apres  avoir  demeure  trois  ou  quatre  heures  pro- 
che  de  la  place ,  et  voyant  qu'il  y  avoit  si  peu 
de  gens  dedans ,  resolut  de  s'y  en  venir  avec 
I'armee ,  et  commanda  a  un  parti  de  trois  cens 
chevaux,  sous  le  lieutenant-colonel  de  Bouillon, 
d'aller  de  I'autre  cote  de  I'eau  pour  empecher 
qu'on  y  jettat  des  troupes  prr  Courtrai.  II  s'en 
alia  lui-meme  a  I'armee,  ayant  envoye  querir 
sept  ou  huit  cens  mousquetaires  pour  fortifier 
M.  d'Humiercs  qui  n'avoit  que  deux  cens  dra- 
gons. Comme  il  etoit  a  une  heure  de  la,  ceux  de 
la  ville,  ne  voyant  que  fort  peu  de  gens  pres  de 
leurs  portes,  firent  une  sortie  sur  les  dragons  , 
et  en  tuerent  quelques-uns  ,  mirent  le  feu  aux 
maisons  et  les  en  chasserent.  M.  de  Turenne 
pensa  en  chemin  qu'il  y  avoit  quelque  danger 
de  laisser  ce  corps-la  si  proche  de  la  ville,  ct 
que  les  ennemis  auroient  le  temps  de  faire  pas- 
ser un  corps  par  Tournai  :  c'est  pourquoi  il  ren- 
voya  Saint-Martin  ,  marechal-des-logis  de  la 
cavalerie,  dire  a  M.  d'Humiercs  qu'il  se  retircit 
a  moitie  chemin  de  la  ville  a  I'armee  :  ce  qu'il 
fit  a  Tentree  de  la  nuit ;  et  le  lendemain  de 
grand  matin  ,  ayant  travaille  a  defaire  le  pont 
toute  la  nuit,  I'armee  marcha  tout  le  long  de 
i'eau ,  en  remontant  droit  a  la  ville ,  faisant 
tirer  le  pont  apres  soi. 

Le  lieutenant-colonel  de  Bouillon  battit  a  la 
pointe  du  jour  deux  regimens  qui  vouloient  en- 
trer  dans  la  ville.  La  cavalerie  de  I'un  des  deux 
fut  toute  prise,  mais  les  dragons  y  entrerent, qui 
n'etoientpas  plusde  cent.  L'armee  arriva  debon- 
ne  heure  devant  la  ville  du  cote  de  Courtrai,  et  le 
corps  qui  avoit  ete  le  jour  auparavant  de  I'autre 
cote  ,  cut  ordre  de  s'avancer  a  son  meme  poste ; 
etM.  de  Turenne,  ayant  passe  I'eau  enbatteau, 
le  pont  n'etant  pas  fait,  alia  visiter  les  postes; 
et  etaut  desceuda  le  long  de  la  cote  ,  il  y  vit  un 
lieu  oil  il  pouvoit  venir  des  gens  tout  a  convert 
de  Courtrai ;  il  y  fit  venir  des  dragons  du  Roi. 
Comme  il  visitoit  ces  lieux-la  avec  trente  ou 
quarante  chevaux ,  s'etant  un  peu  eloigne  du 
lieu  ou  il  avoit  laisse  les  dragons  ,  trois  regi- 
mens de  cavalerie  ,  sous  M.  de  Chamilli,  que 
M.  le  prince  avoit  commandes  pour  entrer  dans 
la  ville,  ariiverent  enplein  jour  au  lieu  ou  on 
ne  faisoit  que  de  mettre  les  dragons.  M.  de  Pe- 
guilain ,  qui  les  commandoit,  s'y  etant  rencon- 
tre, ils  tinrent  ferme  dans  une  rue:  ce  qui  ar- 
reta  tout  court  cette  cavalerie,  laquelle  prit  aus- 
sitot I'epouvante.  II  n'y  en  entra  pas  un  dans 
la  ville ,  et  M.  de  Chamilli  fut  pris  avec  la  moi- 
tie de  ses  gens.  C'etoit  le  regiment  de  Conde  et 
deux  autres  regimens,  lesquels  ayant  voulu  ve- 
nir de  I'autre  cote  de  I'eau  ,  le  gouverneur  de  la 
place  les  avoit  envoye  avertir  qu'il  n'y   avoit 


MEMOIBKS    I)L    VICOMTE    UF.    TLIREN.VE.     [lG58] 


>()l 


ptTSonnt.'  dii  cole  quiis  aborderent ,  comme  en 
t'ffet  Ics  troupes  ne  faisoient  que  d'y  arriver  un 
quart  d'heure  auparavant.  On  scut ,  par  les  pri- 
souniers,  comme  les  ennemis  s'etoient  fort  sepa- 
res;  et  ainsi  on  vit  bien  que  saus  lignes ,  ni 
presque  de  communication  sur  I'Escaut,  que 
par  un  petit  pont  que  Ton  fit  la  nuit,  que  Ton 
pourroit  aisement  prendre  la  place. 

M.  de  Tureune  avoit  mande,  le  jour  aupara- 
vant, a  tout  le  corps  qui  etoit  demeure  a  Tiel 
avec  le  bagage,  de  marcher  droit  a  Oudenarde, 
de  facon  qu'il  y  arriva  lesoirmeme;  et  ayant  ou- 
vert  la  tranchee,  la  nuit,  en  trois  endroits  diffe- 
rens ,  et  approche,  en  deux  heures,  d'une  demi- 
lune que  Ton  alloit  prendre,  ceux  de  la  ville 
demanderent  a  capituler  :  on  les  recut  comme 
les  bourgeois  le  demandoient ;  mais  trois  legi- 
mens,  qui  etoient  entres  de  Courtrai  le  jour 
qu'on  s'etoit  approche  de  la  \ille  de  Tautre 
cote  de  I'eau ,  ne  furent  point  recus  a  autre  com- 
position que  prisonniers  de  guerre. 

Oudenarde  etoit  une  ville  ou  il  y  avoit  un 
Ires-grand  peuple ,  mais  ou  il  manquoit  de  tout 
pour  sa  defense  :  aussi  est-elle  si  fort  au  milieu 
du  pays,  qu'eile  n'etoit  pas  estimee  comme  une 
ville  de  guerre.  Comme  c'etoit  une  conquete 
fort  avancee ,  la  conservation  en  paroissoit  as- 
sez  difficile  durant  Ihiver,  et  M.  de  Turenne 
fut  en  doute  un  peu  de  temps  s'il  s'avanceroit 
vers  Bruxelles  avec  I'armee,  ou  s'il  retourneroit 
sur  la  Lys ,  ou  il  scavoit  bien  que  Menin  etoit 
une  place  a  pouvoir  accommoder,  et  dont  la  si- 
tuation dounoit  beaucoup  de  facilite  pour  la 
communication  de  Dixmuyde  a  Oudenarde. 
Aussi ,  il  ne  scavoit  si ,  en  marchant  prompte- 
ment  sur  la  Lys,  il  ne  trouveroit  pas  occasion 
d'entreprendre  sur  Courtrai.  Ce  qui  I'empecha 
d'avancer  vers  Bruxelles  ,  qu'il  eut  espere  pou- 
voir prendre,  c'est  que,  n'ayant  qu'un  equi- 
page de  campagne  et  pour  deux  ou  trois  jours 
de  vivres  ,  il  ne  pouvoit  faire  un  siege  ;  de  ma- 
niereque  la  moiudre  resistance  qu'il  eut  trouvee, 
etant  oblige  d'epuiser  tout  ce  qu'il  y  avoit  de 
vivres  dans  Oudenarde ,  et  la  ville  n'etant  point 
k  fortifiee,  il  eut  fallu  se  retirer  en  arriere  et 
quitter  le  pays  au-devant  d'Oudenarde  et  Oude- 
narde meme;  au  lieu  que  se  raettant  en  ar- 
riere, il  vivoit  par  ce  qu'il  lui  venoit  de  la  mer, 
et  prenoit  des  mesures  plus  siires  pendant  six 
semaines  ou  deux  mois  pour  la  conservation 
d'Oudenarde.  II  y  laissa  seulement  deux  regi- 
mens de  cavalerie  et  quatre  cens  hommes  de 
I)ied  sous  M.  de  Rochepaire  ,  et  marcha  le  len- 
demain  que  la  ville  fut  rendue.  En  remontant 
I'Escaut ,  qu'il  laissoit  a  gauche  ,  il  fit  suivre 
des  batleaux  ,  comme  s'il  cut  voulu  faire  uji 


pont  pourassieger  Tournai  ou  pour  entrer  dans 
le  Brabant.  II  avoit  toujours  laisse  M.  de  Gas- 
sion  avec  douze  ou  quinze  cens  hommes  pour 
garder  le  pont  de  Deynse  sur  la  Lys  ;  il  lui  en- 
voya  ordre  de  le  venir  joindre  au  camp ,  a  une 
heure  et  demie  d'Oudenarde,  d'ou  il  vouloit 
partir  a  minuit,  esperant  que,  par  une  marche 
prompte  et  qui  ne  seroit  pas  vue  ,  il  trouveroit 
quelque  chose  d'important  a  faire  sur  la  Lys. 

On  n'eut  nouvelle  que  quatre  heures  devant 
le  jour  que  M.  de  Gassion  arrivoit,  et  comme  on 
ne  vouloit  pas  marcher  sans  scavoir  oil  il  etoit , 
pour  ne  le  pas  laisser  trop  en  arriere  ,  on  par- 
tit  seulement  deux  heures  devant  le  jour,  en 
prenant  assez  long-temps  le  chemiii  de  Tournai 
ou  etoit  M.  le  prince,  dom  Juan  et  une  paitie 
des  troupes  etant  marches  vers  Bruxelles;  on 
fut  environ  a  midi  aupres  de  Menin.  C'etoit  au 
commencement  de  septembre;  M.  de  Turenne 
ayant  envoye  trente  chevaux  de  sa  garde  povir 
scavoir  si  les  ennemis  etoient  a  Menin;  ils  lui 
amenerent  deux  prisonniers,  qui  lui  dirent  que 
M.  le  prince  de  Ligne  etoit  a  une  heure  et  de- 
mie de  la ,  avec  deux  mille  hommes  de  pied 
et  quinze  ou  seize  cens  chevaux  du  meme 
cote  de  la  riviere.  II  commanda  les  regimens 
de  cavalerie  qui  etoient  a  I'avant -garde,  pour 
les  engager  :  c'etoit  celui  du  comte  de  Roye 
et  de  Melun  ;  et  comme  il  y  avoit  beaucoup 
d'officiers  qui  venoient  au  logement  ,  ils  pous- 
serent  aussi  avec  les  premieres  troupes  com- 
mandees.  On  les  suivit  au  grand  galop  avec 
la  cavalerie  qui  ne  marchoit  pas  ce  jour-la  en 
trop  bon  ordre.  M.  le  prince  de  Ligne  avoit 
toujours  ete  avec  ce  corps  dans  Ypres,et  comme 
I'ennemi  crut  que  I'armee  du  Roi  vouloit  aller 
vers  Bruxelles ,  ce  prince  devoit  entrer  dans 
Tournai  quand  M.  le  prince  en  partiroit  pour 
joindre  dom  Juan  vers  Bruxelles ;  il  etoit  en 
halte  des  le  matin  en  campagne  pour  se  gou- 
verner  suivant  ce  qu'il  apprendroit  par  Tour- 
nai ,  ou  par  des  partis  qu'il  avoit  envoyes  vers 
I'armee  du  Roi ,  qui  retournerent  saus  aucune 
langue,  hors  une  seule  qui  arrivoit  dans  le 
temps  qu'on  commencoit  a  pousser.  Si  on  avoit 
attendu  que  quelques  troupes  fussent  ensemble 
pour  charger,  il  est  sur  que  les  ennemis  au- 
roient  eu  le  temps  de  se  retirer;  mais  M.  de 
Turenne  ayant  commande  aux  premiers  de  s'en- 
gager  sans  attendre  ni  dragons  ni  infanterie  ,  il 
leur  Ota  tout  moyen  de  songer  a  autre  chose 
qu'a  faire  tete  comme  ils  se  trouvoient  disposes 
le  long  du  chemin ;  tout  ce  pays  la  etoit  fait  de 
facon  que  Ton  ne  peut  y  aller  que  deux  ou  trois 
de  front.  Les  premiers  ([ui  aborderent  furint 
des  officiers  qui  avoicnt  pousse  a  la  tete ,  dont 


5  0-2 

quelques-mis  luient  tues.  Les  regimeusde  I'en- 
nemi ,  de  Droot  et  de  Louvigoy,  ayant  moute 
a  cheval ,  repousserent  an  commencement  les 
premieres  troupes  de  la  garde.  Le  comte  de 
Rove  se  trouva  a  la  tete  de  son  regiment ,  qui 
fit  fort  bien  ,  et  chargea  le  regiment  de  Lou- 
vigny,  dont  le  raestre-de-camp  fut  tres-dange- 
reusement  blesse  et  fait  prisonnier.  Le  comte 
de  Roye  y  recut  deux  coups  de  pistolet  aux 
deux  jambes  et  rompit  les  premiers  escadrons 
de  I'ennemi  :  les  regimens  de  la  Reine ,  Rennel 
et  Crequi,  suivoient,  a  la  tete  desquels  M.  d'Hu- 
mieres  et  M.  de  Gadagne  se  mirent ,  et  le  regi- 
ment de  dragons  de  La  Ferte.  Les  ennemis  , 
voyant  que  les  troupes  se  secondoient  les  unes 
les  autres  de  si  pros,  eommencerent  ase  mettre 
en  confusion.  Leur  infanterie  ,  qui  etoitdansdes 
camps  fermes ,  ne  fit  qu'une  mechante  decharge 
et  commenca  a  jetter  les  armes.  On  les  suivit 
jusqu'a  un  pont  sur  la  Lys ,  qui  est  a  un  cha- 
teau ,que  les  ennemis  tenoient ,  nomme  Corn- 
mines,  lis  avoient  quelque  bagage  et  des  cha- 
riots de  vivres  qui  leur  etoient  venus  de  Lille  , 
qui  aiderent  encore  a  les  mettre  en  confusion. 
Ainsion  prit  presque  toute  leur  infanterie,  leurs 
armes  et  leurs  drapeaux  ;  et  pour  la  cavallerie, 
il  ne  s'en  sauva  que  trois  ou  quatre  cens  che- 
vaux  a  Ypres  avec  le  prince  de  Ligne,  et  quel- 
ques  cent  ou  cent  cinquante  se  retlrerent  aLille, 
de  raille  ou  douze  cens  chevaux  qu'ils  etoient , 
et  de  douze  ou  treize  cens  hommes  de  pied,  dont 
presque  tons  les  officiers  furent  pris,  mais  beau- 
coup  de  soldats  dans  les  haies  sans  armes. 
Corarae  chacun  est  d'ordinaire  bien  aise  de  par- 
ler,  quoique  ce  soit  au  desavantage  de  son  parti, 
il  y  eut  divers  prisonniers  qui  dirent  que  la 
ville  d'Ypres  etoit  degarnie.  M.  de  Turenne  vou- 
lut  au  commencement  faire  avancer  du  canon 
pour  prendre  le  chateau  de  Commines ,  mais  il 
changea  apres  de  pensee,  M.  d'Humiere  lui 
ayant  dit  que  Ton  pouvoit  faire  quelque  chose 
a  Ypres.  Ainsi  Ton  y  marcha,  de  peur  que,  des 
la  meme  nuit ,  il  n'y  entrat  des  gens  d'Armen- 
tieres,  ou  de  la  garnison  ordinaire  qui  etoit 
renforcee  par  les  troupes  de  Saint-Omer  et  Aire, 
arrivees  depuis  deux  jours,  ou  par  celles  de  M.  le 
prince  aTournai ,  qui  n'en  estqu'a  cinqheures. 
D'ailleurs  un  secretaire  de  M.  le  prince  de 
Ligne  €\y<int  etc  pris,  on  trouva  sur  lui  diverses 
lettres  de  M.  le  prince,  ecrites  de  Tournai  le 
jour  auparavant,  et  la  nuit  avant  le  combat,  par 
lesquelles  il  mandoit  la  marche  de  M.  de  Tu- 
renne on  remontant  I'Escaut;  mais  quoique 
beaucoup  de  gens  aient  dit  qu'il  I'avoit  averti 
de  repasser  la  Lys ,  et  de  se  mettre  en  lieu  pour 
pouvoir  entrcr  dans  Ypres,  ccla  ne  paroissoit 


MKMOIHES     l)L     MCOMTK     DE     IIHC^NE.     [I6JS] 


pas  par  ces  lettres.  En  effet ,  dans  des  guerres 
de  campagne,  il  est  impossible  de  pouvoir  pres- 
crire  justement  a  un  corps  separe  comme  i! 
doit  se  gouverner  dans  chaque  action ,  parce 
que  tons  les  differens  mouvemens  de  I'ennemi , 
et  les  diverses  connoissances  que  Ton  en  a , 
doivent  faire  changer  de  conseil ,  et  on  ne  pent 
donner  a  un  homme  qui  commande  que  cer- 
taines  regies  generales ,  le  reste  dependant  de 
sa  conduiteet  de  la  fortune.  Ainsi  M.  le  prince, 
a  ceque  je  crois,  n'avoit  rien  prescrit  determi- 
nement  a  M.  le  prince  de  Ligne  ,  qui  avoit  en- 
voye  divers  partis  pour  prendre  langue  de  I'ar- 
mee  du  Roi ;  mais  ceux  de  Menin  fermerent  la 
porte  a  un  de  ces  partis,  de  peur  qu'il  ne  pillat 
la  ville  ,  et  un  autre  n'ayant  pris  aucune  lan- 
gue ,  n'arriva  dans  le  camp  des  ennemis  qu'un 
moment  avant  que  nos  premieres  troupes  eom- 
mencerent a  les  charger.  Ce  fut  la  grande  dili- 
gence avec  laquelle  on  marcha  aux  ennemis  qui 
les  empecha  d'avoir  nouvelles  par  leurs  partis. 

Afin  done  d'empecher  qu'il  ne  se  jettat  per- 
sonne  dans  Ypres,  M.  de  Turenne  envoya 
promptement  dire  a  la  brigade  de  M.  de  Pod- 
witz ,  qui  etoit  composee  de  huit  ou  dix  esca- 
drons ,  et  qui  n'etoit  pas  ce  jour-la  a  I'avant- 
garde ,  de  faire  rafraichir  leurs  chevaux  una 
heure  ou  deux ,  pendant  lequel  temps  il  s'en 
alia  a  Menin  pour  demander  le  passage  pour  les 
troupes;  et  comme  c'etoit  une  place  a  demi- 
rasee ,  les  bourgeois  n'en  firent  aucune  diffi- 
culte.  II  y  a  un  pont  sur  la  Lys,  ou  ,  ayant  fait 
raccommoder  quelque  pen  deciiose,  M.  de  Pod- 
witz  passa  avec  douze  ou  quinze  cens  chevaux 
le  jour  meme  du  combat ,  et  fut  presqu'a  Ten- 
tree  de  la  nuit,  ou  au  moins  avant  qu'elle  fut 
finie  ,  devant  Ypres,  sur  le  chemin  qui  venoit 
d'Armentieres.  En  y  arrivant  il  vitun  regiment 
de  deux  ou  trois  cens  dragons  qui  venoient 
d'Armentieres  pour  y  entrer,  et  leur  fit  couper 
en  diligence  le  chemin  ,  de  sorte  qu'il  n'y  entra 
que  sept  ou  huit  hommes  ;  le  reste  fut  pris  ou  se 
retira  a  Armentieres.  M.  de  Turenne  avoit  aussi 
envoye  M.  de  Saint-Lieu  des  le  soir,  avec  une 
brigade  de  cavalerie ,  pour  se  mettre  sur  le 
chemin  de  Gand  a  Ypres;  mais  ils  ne  rencon- 
trerent  personne. 

L'arrnee  campacette  nuit-la  aupres  de  Menin, 
qui  est  a  quatre  heures  d'Ypres  ;  M.  de  Turenne 
commanda  que  Ton  se  tint  pret  sans  marcher, 
en  attendant  qu'un  corps  qu'il  avoit  laisse  pour 
faire  tete  a  Tournai  et  pour  couvrir  les  bagages 
de  l'arrnee ,  I'eiit  joint ,  ou  au  moins  qu'il  sciit 
qu'il  6toit  en  marche.  Le  matin  on  entendit 
grand  bruit  au  camp ,  comme  d'un  magasin  qui 
avoit  saute,  et  on  apprit,  par  des  gens  qui 


MBMOIKES   DU    VlCOMlE    l)E   TIJUENNE.    jl6o8 


603 


etoient  sur  un  doolier,  que  c'etoit  a  Ypres  :  cela 
lit  encore  htiter  la  resolution  d'y  aller.  M.  de 
Tureune  laissa  dans  Menin  mille  homines  de 
pled  et  cinq  cens  chevaux,  envoya  ordre  a  M.  de 
(iassion  (qui ,  avec  huit  cens  hommes  de  pied 
et  cinq  cens  chevaux ,  etoit  parti  de  Deynse  et 
avoit  rejoint  le  corps  qui  etoit  aupres  de  Tour- 
nai ) ,  d  aller  prendre  a  Oudenarde  ce  qui  y  etoit 
reste  de  troupes,  etant  trop  foible.  11  marcha 
lui-meme  droit  a  Ypres,  commandant  que  tout, 
excepte  ce  qui  etoit  demeure  a  Menin  et  ce 
qu'il  avoit  envoye  a  Oudenarde,  marchat  avec 
le  bagage.  L'armee  ne  put  arriver  que  fort  tard 
devant  Ypres.  Douze  ou  quinze  cens  hommes 
etoient  aussi  demeures  sous  M.  Schoraberg, 
pour  garder  les  places  de  Bergues ,  Furnes  et 
Dixmuyde  ,  a  qui  ordre  fut  envoye  de  venir  a 
Ypres ,  et  de  s'approcher  de  l'armee ,  mettant 
ces  places  en  surete.  M.  de  Turenne  etoit  fort 
foible  arrivant  devant  Ypres ,  et  il  vouloit  con- 
server  Oudenarde  ,  qui  n'etoit  point  en  etat  de 
defense,  et  Menin,  qui  etoit  le  seul  passage 
qu'il  eiit  sur  la  Lys.  Comme  M.  le  cardinal  etoit 
parti  de  Dunkerque,  il  avoit  trouv€  a  propos, 
et  M.  de  Turenne  en  etoit  d'avis,  de  laisser  quel- 
ques  regimens  d'infanterie  a  M.  le  marechal  de 
Schulemberg ,  pour  voir  si  on  pourroit  faire  un 
blocus  a  Hedin.  On  scavoit  bien  que  Ton  pou- 
voit  faire  etat  d'avoir  encore  deux  ou  trois  mille 
hommes  d'infanterie  de  ce  cote-la ;  et  I'ennemi 
etoit  en  si  mauvais  etat  par  la  bataille  des 
dunes ,  par  le  combat  du  prince  de  Ligne  ,  et 
par  tant  de  regimens  defaits  et  tant  de  partis 
battus ,  que  Ton  pouvoit  hasarder  d'attaquer 
une  grande  place  avec  peu  de  gens.  II  n'y  avoit 
pas  d'outils  pour  se  retrancher,  et  M.  de  Tu- 
renne avoit  commande  a  quelques  regimens  de 
cavalerie  d'eu  chercher,  en  marchant  par  les 
maisous  abandonnees  des  paysans. 

Lc  soir  que  l'armee  arriva  devant  Ypres  on 
ne  trouva  point  du  tout  de  fourage  5  mais  le 
matin  M.  de  Turenne  fit  le  tour  de  la  ville ,  et 
toutes  les  troupes  arriverent.  Ou  rompit  quel- 
ques avenues  le  mieux  que  Ton  put ,  et  quoique 
Ion  apprit  qu'il  y  avoit  six  ou  sept  cens  chevaux 
dans  la  ville  avec  le  prince  de  Ligne,  on  se 
llatta  un  peu  sur  le  nombre  d'infanterie ,  que 
Ton  crut  n'etreque  de  trois  ou  quatre  cens  hom- 
mes, mais  que  Ton  vit  de  mille  ou  douze  cens, 
dont,  a  la  verite,  il  y  avoit  beaucoup  de  milice: 
et  ainsi  on  s'engagea  a  s'y  attacher.  M.  Talon  , 
intendant  de  l'armee ,  fut  envoye  a  Dunkerque 
et  Gravelines,pour  faire  venir  des  outils  et  des 
munitions  de  guerre  et  du  canon ,  n'y  ayant 
rien  do  tout  cela  en  la  quantite  qu'il  faut  pour 
un  siege  dans  une  armce  dc  campagne.  M.  de  Tu- 


renne n'avoit  pas  dessein  de  s'attacher  a  Ypres, 
comme  pour  y  borner  toute  la  campagne,  etd'a- 
bandonner  Menin  et  Oudenarde;  il  scavoit  bien 
que  la  foiblesse  de  I'ennemi  arrivee  par  tant  de 
pertes ,  I'avoit  mis  en  etat  de  n'etre  plus  craint 
comme  Test  une  armee  qui  pent  entreprendre , 
quand  celle  qui  lui  est  opposee  est  engagee  a  un 
siege.  Le  commencement  du  siege  d'Ypres  etoit 
comme  une  espece  de  blocus ,  tantparce  que  les 
outils  et  munitions  manquoient ,  que  parce  qu'il 
etoit  resolu  d'en  partir  avec  une  par  tie  de  l'ar- 
mee, si  i'ennemi  entreprenoit  quelque  chose. 
Pour  etre  plus  assure  de  Menin,  qui  etoit  le  seul 
passage  pour  aller  a  Oudenarde,  des  que  M.  de 
Schomberg  fut  arrive  avec  douze  ou  quinze  cens 
hommes  qu'il  avoit  aupres  de  Dixmuyde,  il  I'en- 
voya  avec  deux  regimens  de  cavalerie  et  deux 
d'infanterie ,  pour  renforcer  la  garnison  de  Me- 
nin, qui  etoit  une  place  qui  ne  pouvoit  etre 
maintenue  que  par  beaucoup  d'hommes;  il  y 
avoit  toujours  eu  mille  ou  douze  cens  chevaux 
detaches  qui  avoient  ete  a  Saint- Venant.  lis  re- 
curent  les  ordres  de  M.  le  marechal  de  Schu- 
lemberg, gouverneur  d'Arras,  que  M.  de  Tu- 
renne pria  de  s'avancer  sur  la  Lys  pendant  qu'il 
feroit  le  siege  d'Ypres.  Ce  marechal  marcha  avec 
cette  cavalerie  et  quelques  regimens  demeures 
aupres  de  Hedin ;  et  tirant  pres  de  deux  mille 
hommes  de  pied  de  sa  garnison  d'Arras,  il  vinl 
camper  a  deux  heures  d'Ypres ,  et  le  lendemain 
marcha  a  Menin.  M.  de  Turenne  laissa  aussi 
sous  ses  ordres  les  troupes  qui  y  etoient ,  en 
ayant  seulement  retire  M.  de  Schomberg  avec 
deux  regimens  d'infanterie ,  en  ayant  fort  peu 
pour  le  siege. 

Deux  jours  apres  il  vint  quelques  outils  du 
cote  de  Calais,  et  M,  le  marechal  de  Schulem- 
berg en  mena  aussi  deux  ou  trois  mille.  Apres 
avoir  fait  quelques  fosses  devant  les  avenues  les 
plus  aisees,  on  commenca  le  siege,  ouvrant  la 
tranchee  a  la  faveur  d'une  grande  hauteur  qui 
est  a  cinq  cens  pas  de  la  place ,  et  derriere  la- 
quelle  on  pent  raettre  beaucoup  de  troupes  a 
convert;  on  ouvrit  deux  tranchees,  dont  les 
gardes  eurent  la  tete  d'une,  et  les  troupes  de 
M.  le  marechal  de  La  Ferte,  qui  etoient  sous 
deux  ou  trois  lieutenans-generaux ,  eurent  la 
tete  de  I'autre.  J'oubliois  a  dire  que  la  cavalerie 
de  la  ville  avoit  fait  le  soir  auparavant  une  sor- 
tie ,  ou  M.  de  Charost  fut  fort  blesse ,  et  quel- 
ques officiers  ;  mais  la  sortie  n'eut  point  d'effet, 
les  assieges  ayant  ete  repousses  jusques  sur  les 
palissades  de  la  coutrescarpe.  Toutes  les  per- 
sonnes  de  condition  y  coururent  et  y  fireut 
tres-bien.  Lc  second  jour  de  la  tranchee  ons'ap- 
procha  fort  de  la  coutrescarpe  ,  et  le  troisieme  , 


iOl 


MEJIOIRES    DU    VICOMTfi    DB    TL'lUiNNE.    [1658] 


ci-oyant  qu"!!  failoit  diligcnter,  de  peiir  que  les 
ennemis  n'eussent  le  loisir  de  se  reconnoitre  et 
de  faire  queique  entreprise,  on  pour  le  secours 
de  la  place,  n'y  ayant  point  de  circonvallation, 
on  par  queique  diversion,  M.  de  Turenne  reso- 
lut  de  faire  emportcr  la  contrescarpe,  et  renforca 
les  deux  attaques  de  cinq  cens  Anglois ,  dont  il 
y  avoit  environ  quiuze  cens  dans  le  camp.  A  I'en- 
tree  de  la  nuit ,  les  ayant  misderriere  cette  hau- 
teur entre  les  deux  attaques,  ils  marcherent  en 
meme  temps  que  les  Francois  et  aborderent  la 
rontrescarpe  par  un  front  de  trois  cens  pas,  avec 
beaucoup  de  grenades.  Les  ennemis  ne  firent 
pas  beaucoup  de  resistance,  ayant  mis  une  par- 
tie  de  leurs  forces  dans  les  demi-lunes,  dans 
Tunedesquelles  etoitM.  le  prince  de  Ligneavec 
b3aacoupd'ofriciers.  Les  Francois  et  les  Anglois, 
ne  se  contentant  pas  d'etre  maitres  de  la  con- 
trescarpe ,  attaquerent  les  demi-lunes  et  en  pri- 
rent  trois ;  quelques  officiers  de  I'ennemi  ayant 
etc  pris  prisonniers ,  M.  le  prince  de  Ligne  se 
sauva  avec  peine  dans  la  ville,  sur  une  planche 
qui  traversoit  le  fosse  plein  d'eau.  II  y  eut  un 
capitaine  anglois  qui ,  les  suivant  dans  la  ville , 
et  croyant  I'etre  des  siens  ou  des  Francois ,  fut 
pris,  y  etant  entre  assez  avant.  Au  point  du 
jour ,  toutes  les  contrescarpes  du  front  des  atta- 
ques et  trois  demi-lunes  etant  prises,  on  s'y 
trouva  loge ,  quoiqu'avec  peu  de  communication 
pour  y  aller.  M.  de  Schomberg  ,  M.  de  Gada- 
gne  et  jM.  d'Humieres  servireut  a  I'attaque  des 
gardes ,  qui  agirent  toutes  les  nuits  avec  beau- 
coup de  vigueur  ;  et  M.  de  Bellefons ,  M.  Du 
Coudrai-Montpensier  et  M.  Du  Brezis  servoient 
a  Fattaque  de  Piemout,  qui  firent  aussi  tres- 
bien  leur  devoir. 

La  quatrieme  nuit  se  passa  a  faire  les  commu- 
nications pour  aller  aux  contrescarpes  et  aux 
demi-lunes ,  et  a  descendre  au  fosse  de  la  place. 
La  einquieme  ,  la  cavalerie  ayant  porte  beau- 
coup de  fascines,  et  le  fosse  de  la  ville  commen- 
cant  a  se  remplir  a  I'attaque  des  gardes  ,  ceux 
de  la  ville  demanderent  a  capituler ;  et  M.  le 
colonel  Droot  fut  envoyeaM.  de  Turenne,  avec 
quelqucs-uns  des  principaux  bourgeois.  II  ac- 
corda  une  capitulation  fort  honorable  a  M.  le 
prince  de  Ligne ,  qui  sortit  le  leudemain  avec 
deux  pieces  de  canon,  six  ou  sept  cens  chevaux, 
et  onze  ou  douzc  cens  hommes  de  pied ,  qui  fu- 
rent  conduits  a  Courtrai.  Comme  le  siege  alia 
fort  vite,  on  y  pordit  mille  hommes  ,  qui  furent 
tues  ou  blesses  avec  beaucoup  d'officiers.  Le 
siege  ne  dura  que  cinq  Jours;  et  durant  les  sept 
ou  huitque  I'on  avoit  demeure  devant  la  place 
avant  que  d'ouvrir  les  tranchees,  les  ennemis, 
\u'  croyant  pas  que  Ton  sc  resoudroit  a  Talla- 


quer,  n'avoient  pris  aucunes  mesures  pour  la 
secourir ,  ni  meme  pour  etre  en  etat  de  se  trou- 
ver  en  bonne  posture  quand  elle  seroit  prise  : 
de  sorteque  M.  le  prince  de  Ligne  et  dom  Juan 
d'Autriche  se  trouverent  a  Tournai  aussi  empe- 
ches  apres  le  siege  d'Ypres  que  devant ,  voyant 
bien  que  la  saison  n'obligeroit  pas  sitot  I'armee 
du  Roi  de  sortir  de  la  Flandre.  M.  de  Turenne, 
pour  ne  pas  perdre  de  temps,  envoya  des  le  jour 
de  la  capitulation  deux  raiile  hommes,  pour  at- 
taquer  le  chateau  de  Commines  sur  la  Lys,  qui 
est  fort  bon  ,  et  un  passage  considerable;  et  le 
lendemain  que  la  garnisonfut  sortie  d'Ypres  ,  i! 
marcha  avec  toute  I'armee,  en  s'avancant  sur 
la  Lys  pour  favoriser  le  siege.  C'etoit  le  colonel 
des  gardes  ecossoises,  nomme  Rutherfort,  qui 
commandoit,et  qui ,  en  trois  jours,  obligea  ceux 
du  chateau  a  se  rendre ,  dont  il  sortit  quatre- 
vingts  hommes. 

M.  de  Turenne  y  ayant  laisse  garnison  ,  passa 
le  lendemain  la  Lys  avec  I'armee,  dont  la  cava- 
lerie etoit  fort  fatiguee,  ayant  beaucoup  man- 
que de  fourage  devant  Ypres  ;  il  s'arreta  entre 
la  Lys  et  I'Escaut,  dans  un  lieu  nomme  Tur- 
coin  ,  ou  il  demeura  cinq  ou  six  jours ,  y  ayant 
trouve  beaucoup  de  grain  ;  il  donna  duraiit  ce 
temps  des  ordres  pour  la  fortification  de  Menin 
et  d'Oudenarde.  C'etoit  a  la  fin  du  mois  de  sep- 
tembre ,  et  quoique  la  saison  fut  fort  avancee, 
il  failoit  mettre  Oudenarde ,  ou  il  n'y  avoit  ricn 
de  commence,  en  etat  de  defense ,  etant,  comme 
chacun  scait ,  a  quatre  heures  de  Gand  et  a  sept 
de  Bruxelles  ;  lesmaisons  de  deux  ou  trois  faux- 
bourgs  venans  sur  le  bord  des  fosses ,  et  y  ayant 
une  montagne  du  cote  de  Bruxelles,  qui  com- 
mande  a  une  demie  portee  de  mousquet  tout  un 
cote  de  la  ville,  personne  ne  seauroit  demeurer 
hors  des  murailles  ,  ni  de  I'autre  cote  du  fosse, 
qui  est  plein  d'eau. 

M  le  marechal  de  Schulemberg  ayant  de- 
meure a  Menin  jusqu'a  cinq  ou  six  jours  apres 
la  prise  d'Ypres  ,  s'en  retourna  a  Arras ,  a  cause 
de  I'incommodite  de  ses  gouttes ,  laissant  toutes 
les  troupes  qu'il  avoit  emmenees  ,  meme  celles 
de  sa  garnison,  a  Menin.  M.  de  Turenne,  apres 
avoir  demeure  quelques  jours  a  Turcoin,  et  laisse 
senlemeut  mille  ou  douze  cens  hommes  dans 
Ypres ,  sans  desarmer  aucuns  habitans ,  se  fiant 
sur  I'armee  qui  restoit  toujours  opposee  a  celle 
de  I'ennemi  ,  marcha  sur  I'Escaut  a  un  lieu 
nomme Epiere,  entre  Oudenarde  et  Tournai;  et 
ayant  fait  remonter  des  batteaux  d'Oudenarde, 
il  y  fit  deux  ponts,  se  voulant  appliquer  princi- 
paleraent  a  la  fortification  d'Oudenarde  ,  et  a  le 
pourvoir  de  munitions  de  guerre  dont  il  man- 
quoit  beaucoup.   Pour  cet  eifet ,  il  en  fit  vcnir 


MEiMOUlES    I)U    VICOMTE    DE    TUUENNE.     [lG38j 


de  France  par  Dunkerqne  a  Ypres,  M.  le  car- 
dinal, a  qui  il  avoit  raande  toutes  choscs,  etant 
bienaise  des  bons  succes,  donnoit  lesordresne- 
cessaires  pour  cela. 

La  raarche  de  I'armee  du  Roi  sur  I'Escaut 
remit  les  enneraisdans  leur  premiere  confusion : 
M.  le  prince  demeura  a  Tournai ;  dom  Juan  d'Au- 
tricheet  le  marquis  deCaracenes'enallerentavec 
quelque  partiedes  troupes  a  Bruxelleset  a  Tenre- 
raonde,  qui  est  un  lieu  sur  I'Escaut  entre  Anvers 
et  Gand,  pour  lequel  les  ennemis  craignoient 
extreraemeut.  lis  rairent  quelques  troupes  sur 

»  la  riviere  du  Tenre  pour  couvrir  Bruxelles  ,  en 
attendant  (faute  de  scavoir  ni  de  pouvoir  rien 
faire  demieux)  que  les  mauvais  temps  obligeas- 
sent  I'armee  du  Roi  de  se  retirer.  Le  lieu  oil  elle 
etoit  campee  etoit  fort  plein  de  fourage,  tanteu 
deca  qu'au-dela  de  I'eau;  et  le  pain  de  munition 
qui  venoit  par  Ypres ,  remontoit  sur  I'Escaut 
par  Oudenarde.  Ce  fut  seulement  des  lors  que 
Ton  commenca  a  travailler  de  bonne  facon  aux 
fortifications  d'Oudenarde.  M.  de  Rochepaire, 
que  M.  de  Turenne  avoit  laisse  poury  comman- 
der, etoit  un  hommetres-intelligent,  de  ma- 
niere  qu'il  trouva  beaucoup  depaysans;et  le 
chevalier  de  Clerville  ,  fort  entendu  aux  fortifi- 
cations, y  etant  envoye,  on  commenca  de  grands 
travaux  qui,  dans  I'opinion  d'un  chacun,  ue 
pouvoient  pas  etre  en  etat  avant  que  I'armee  se 
retirat;  mais  les  ouvrages  avancoientau-dela  de 
toute  attente  :  il  y  avoit  plus  de  mille  paysans 
qui  travailloient  tons  les  jours,  outre  les  soldats, 
et  I'armee  etoit  a  quatre  ou  cinq  lieues  d'eux, 
pour  couvrir  les  travaux:  c'etoit  une  distance 
assez  grande  pour  ne  pas  miner  les  environs , 
et  par  la  incommoder  la  garnison  durant  I'hiver. 
L'armee  demeura  pres  de  quatre  semaines  dans 
ce  camp  sur  le  bord  de  I'Escaut ;  et  comme  elle 
etoit  a  trois  heures  de  Tournai,  ou  etoit  M.  le 
prince  avec  peu  d'infanterie,  mais  deux  ou  trois 
mille  chevaux,  et  a  quatre  de  Courtrai ,  ou  il 
y  avoit  un  grand  corps  de  cavalerie,  il  se  pas- 
soit  tons  les  jours  de  petites  actions  et  aux  fou- 
rages  et  aux  partis  qui  se  rencontroient ,  dans 

I  lesquels  I'armee  du  Roi  avoit  toujours  de  I'avan- 
tage. 

Dans  le  commencement  de  uoverabre ,  dom 
Juan  d'Autriche  ayant  eu  avis  que  I'armee  du 
Roi  vouloit  decamper  d'Epiere,  ou  elle  avoit 
demeure  quatre  semaines ,  s'en  vint  a  Courtrai 
avec  le  marquis  de  Caracene ,  et  quelque  cava- 
lerie qu'il  avoit  amenee  d'aupres  de  Gand, 
croyant  par-la  hater  davantage  par  son  appro- 
che  la  retraite  de  I'armee.  M.  de  Turenne  avoit 
resolu  de  demeurer  tout  le  temps  qui  se  pour- 
roit  dans  cc  camp  ,  et  aprcs  de  passer  au-dela  de 


SO', 

I'Escaut,  du  cote  de  Bruxelles,  quoique  la  sai- 
son  etoit  si  avancee  que  cela  parut  fort  difficile. 
Ce  qui  robligeoit  ainsi  a  allonger  le  plus  qu'il 
pourroit  la  campagne,  c'est  qu'il  avoit  recu  des 
lettres  de  M.  le  cardinal ,  qui  lui  mandoit  que 
le  Roi  et  la  Reine  partoient  de  Paris  pour  aller 
a  Lyon ,  ayant  vu  les  affaires  de  Flandre  si 
bienetablits,  ety  ayant  quelque  temps  qu'il  avoit 
promis  a  madame  de  Savoye  que  le  Roi  feroit 
ce  voyage  pour  voir  madame  la  princesse  Mar- 
guerite ,  du  mariage  de  laquelle  avec  Sa  Ma- 
jeste  on  lui  avoit  donne  esperance  depuis  quel- 
que temps.  M.  de  Turenne  voulant  done  con- 
tiuuer  le  plus  qu'il  pourroit  la  campagne ,  quoi- 
que dans  une  tres  -  mauvaise  saison  et  fort 
avancee,  il  passa  I'Escaut,  et  apprit  le  soir, 
avant  que  de  passer  le  pont ,  que  dom  Juan 
etoit  arrive  a  Courtrai :  ce  qui  ne  lui  fit  pas 
changer  de  resolution  ,  au  contraire  ,  lui  en 
donna  plus  d'envie  ,  afin  de  le  faire  retourner  a 
Bruxelles.  Des  la  pointe  du  jour,  I'armee  com- 
menca a  passer  le  pont.  II  avoit  commande,  a 
I'entree  de  la  nuit,  M.  de  Podwitz  avec  deux 
mille  chevaux  et  quelques  dragons  ,  pour  aller 
passer  la  riviere  de  Tenre ,  qui  est  a  quatre 
heures  de  I'Escaut  et  a  pareille  distance  de 
Bruxelles.  Les  ennemis  avoient  deux  ou  trois 
regimens  derriere  ,  plutot  pour  avertir  du  pas- 
sage que  pour  le  defendre.  M.  de  Podwitz  prit 
une  partie  d'un  regiment  d'infanterie  qui  vou- 
loit se  retirer  et  se  logea  dans  Gramont ,  que 
les  Espagnols  abandonnerent.  M.  de  Turenne, 
apres  avoir  passe  I'Escaut,  ne  s'eloigna  pas  de 
la  riviere  avec  I'infanterie  et  le  bagage  de  I'ar- 
mee ,  avec  lequel  il  laissa  aussi  quelque  cava- 
lerie pour  observer  Tournai ,  ou  etoit  toujours 
M.  le  prince  ;  il  s'en  alia  avec  une  parlie  de  la 
cavalerie  vers  Ninove,  et  envoya  M.  de  Lisle- 
bonne  avec  deux  mille  chevaux  et  deux  cens 
hommes  de  pied ,  pour  voir  si  on  pourroit  obli- 
ger  ceux  d' A  lost  d'ouvrir  ses  portes.  Deux  cens 
fantassins  que  les  ennemis  avoient  mis  dans  la 
place ,  ayant  empeche  les  bourgeois  de  se  ren- 
dre,  M.  de  Turenne  manda  a  M.  de  Lislebonne 
de  le  venir  joindre  a  Ninove ,  ne  voulant  point 
dans  cette  saison  entreprendre ,  avec  quelque 
danger  de  n'y  pas  reussir,  des  choses  qu'il 
croyoit  inutiles ,  n'ayant  pas  intention  de  con- 
server  cette  place.  Le  mois  de  novembre  etant 
deja  avance ,  on  ne  songea  plus  a  rien  entre- 
prendre,  parce  qu'il  falloitse  restraindre  a  ce 
que  Ton  avoit  pris,  de  peur  de  tomber  dans  Tin- 
convenient  que  I'hiver  eut  produit,  qui  etoit 
que  le  corps  de  I'armee  sortant  du  pays,  ou  il 
etoit  impossible  qu'elle  hivernat  toute  eutiere, 
si  on  eut  voulu  conserver  des  postes  oil  il  ne 


lalloit  pas  uu  siege  pour  les  reprendrc  ,  ne  pou- 
\ant  plus  etre  secourus  par  I'armee,  on  les  cut 
perdus  saus  doute  avcc  les  gens  qu'on  y  auroit 
mis ,  et  en  meme  temps  sa  reputation ,  pour 
avoir  si  mal  pris  ses  mesures;  ainsi ,  quoique 
lennemi  criit  que  Ton  songeat  a  garder  Ninove 
et  Gramont ,  M.  do  Turennen'a  jamais  eu  cette 
pensee  :  il  vouloit  seulemeut  y  laisser  des  trou- 
pes, pendant  que  I'armee  seroit  en  des  lieux 
oil  elle  pourroit  les  soutenir,  jugeant  aussi  fort 
necessairc  do  I'aire  ruiner  autant  qu'il  se  pour- 
roit ces  lieux,  alin  que  Tennemi  n'y  piitpastenir 
(les  troupes  durant  rhiver,ou  que,  s'il  le  faisoit, 
ce  fut  en  petit  iiombre  et  avee  Incommodite  ; 
d'ailleurs ,  ce  corps  de  trois  ou  quatre  mille  che- 
vaux  etant  hors  de  I'armee,  cela  donnoit  plus 
de  commodite  pour  les  fourrages ,  resserroit 
dom  Juan  et  le  marquis  ce  Caracene  dans 
Bruxelles ,  avec  un  corps  de  troupes ,  oii  ils  nc 
se  tenoient  pas  en  grande  surete ;  reduisoit  leur 
armee ,  dans  leur  propre  pays  ,  a  souhaitter  au- 
tant le  quartier  d'hiver  que  celle  du  Roi,  et  les 
rendoit  ainsi  ineapables  de  rien  entreprendre 
surles  places  conquises  quand  on  seroit  retourne 
en  France.  Les  troupes  qui  etoient  dansTournai 
et  Courtrai  etoient  telleraent  incoramodees, 
({u'elles  avoient  plus  besoin  de  s'en  aller  vers 
la  Meuse  et  de  sortir  de  Flandre  pour  se  rafrai- 
chir  que  celles  du  Roi  de  s'en  aller  en  France. 

On  demeura  tout  le  mois  de  novembre  dans 
ces  lieux  ,  et  cependant  on  travailloit  a  Menin  , 
raais  avec  moins  d'application  qu'a  Oudenarde, 
dans  laquelle  place  M.  de  Turenne  laissa  sept 
ou  huit  cens  chevaux,  et  deux  ou  trois  raille 
hommes  dc  pied. 

Au  commencement  de  decembre,  I'armee 
passa  la  Lys  Harlebeck,  a  une  beure  de  Cour- 
trai,  au-dessus  d'Ypres;  les  places  de  Dun- 


MKMOllUS     Ul     \I(;()MTK    liK    Ti:HKN.Mi.     [  1  Gob] 


kerque  ,  Gravelines,  Bergues,  Furncs  et  Dix- 
muyde  se  trouvoient  si  eloignees  de  I'ennemi 
que  Ton  ne  songeoit  a  les  maintenir  qu'avee 
des  garnisons  ordinaires.  Le  Roi  etoit  alors  a 
Lyon ,  et  M,  de  Turenne  pouvoit  retenir  eu 
Flandre  ou  envoyer  en  France  toutes  les  trou- 
pes qu'il  jugeoit  a  propos ,  parce  que  le  Roi  et 
M.  le  cardinal  avoient  trouve  bon  qu'il  fit  ce 
qu'il  decideroit.  II  laissa  six  a  sept  cens  che- 
vaux et  quinze  cens  hommes  de  pied  dans  Me- 
nin ,  auxquels  commandoit  M.  de  Bellefons;  il 
s'en  alia  a  Ypres ,  y  menant  douze  compagnies 
de  gardes  francoises  et  six  regimens  de  cava- 
lerie.  II  laissa  eu  tout  cent  compagnies  de  cava- 
lerie  dans  les  places  conquises ,  et  bien  la  moi- 
tie  de  I'infanterie ,  qui  consistoit  en  cinq  mille 
hommes.  II  conduisit  I'armee  jusqu'a  Etaire, 
d'oii  elle  relourna  en  France  sous  la  conduite 
de  M.  de  Lislebonne,  deM.  de  Wirtemberg  el 
de  M.  DuCoudrai,  qui  ramenoit  le  corps  de 
Lorraine.  II  revint  a  Ypres,  ou  il  demeura  jus- 
qu'au  commencement  de  fevrier  [ICio];  alors 
il  laissa  M.  d'Humieres  a  Y  pres  ,  a  qui  le  Roi  en 
avoit  donne  le  commanderaent  a  sa  priere; 
M.  de  Bellefons  dana  Menin  ,  avec  ordre  d'avoir 
I'oeil  a  Oudenarde  ;  et  M.  de  Schomberg  a  Ber- 
gues ,  Fumes  a  Dixmuyde.  La  communication 
demeurant  libre  entre  toules  ces  places,  le  corps 
anglois,  qui  pouvoit  etre  de  quinze  cens  hom- 
mes, fut  renvoye  a  Amiens,  et  la  garnison  de 
Dunkerque  demeuroit  forte  de  pres  de  trois 
mille  hommes  de  pied  avec  trois  cens  che- 
vaux. M.  de  Turenne,  voyant  que  les  choses 
pouvoient  aisement  subsister  de  cette  facon, 
les  places  etant  pourvues  de  toutes  choses  du- 
rant I'hiver,  et  le  commerce  etant  libre  par 
tout  le  pays ,  revint  enfin  a  Paris ,  ou  il  arriva 
deux  jours  apres  le  retour  du  Roi  de  Lyon. 


DOCUMENTS    INEDITS 


POCB  SERVIR  DE  COMPLEMENT 


AUX   MEMOIRES 


DU    VIGOMTE    DE    TURENNE, 


POLK    LES    ANNIES    1657,     1658    ET    1659. 


1657. 
Lellre  au  minulre  Le  Tellicr. 

«  Monsieur  ,  comme  Son  Eminence  sera  infor- 
ixi6e  du  detail  de  ce  qui  s'est  passe  ici,  je  nevous 
en  entreliendrai  pas  et  vous  suplierai  de  rae  conti- 
nuerl'honneur  de  vos  bonnes  graces.  Ce  que  les 
Anglois  ont  manqu6  d'argent  apresque  cause  un 
accident  en  presence  des  enneniis  ,  et  le  niauvais 
tempsel  le  raanquede  paiement  les  fait  tomber  tout 
d'un  coup.  II  y  a  eu  trois  ou  quatre  jours  durant 
des  choses  assez  difficiles  a  Saint- Venant ;  quand 
I'armde  de  I'ennemi  est  arriv^e  a  une  heure  de 
moi,  jen'avois  ni  vivres,  ni  munitions  de  guerre, 
et  pas  un  quart  de  la  ligne  faite,  et  a  leur  front 
point  du  tout. 

»  Je  vous  suplie  de  croire  que  je  suis  tr^s-sin- 
c^rement,  Monsieur,  votre  tr6s-humble,  etc. 

»  TuRENNE. 

»  Ce  31  aoiit. 

»  L'infanlerie  a  tesmoigu6  beaucoup  de  vigueur 
devant  Saint- Venant;  si  laville  eust  tenu  un  jour 
de  plus ,  Ardres  6toit  perdu  ;  il  est  necessaire  ou 
qu'ony  lienne  des  troupes  de  I'armee,  ou  qu'uue 
personne....  » 

Aumeme. 

«  Monsieur,  j'ai  receu  les  lettres  qu'il  vous  a 
plu  m'6crire  avec  la  lettre  et  les  ordres  du  Roy , 
touchantles  officiersqui  s'en  sontalles  sanscong6 
ou  qui  n'ont  point  servi  pendant  la  carapagne, 
pour  I'execution  desquels  ordres  je  crois  qu'il  se- 
roit  besoing  d'avoir  descoraraissaires,  afin  qu'ils 
vissent  dans  chaque  corps  ce  qu'il  y  manque  d'of- 
ficiers,  el  je  dirai  la-dessus  ceux  a  qui  j'ai  donn6 
cong6.  On  ne  doit  point  excuser  ces  choses-la ; 
raais  je  vous  asseure  que  I'extrfime  n6cessit6  fait 
que  beaucoup d'officiers  se  retirent.  Ilsembleque 
I'ennemi  preune  le  parti  de  voir  retirer  I'arm^e 
du  Roy ,  et  ensuite  d'entreprendre  quclque  cbose  : 


il  n'y  a  que  del'argenlqui  puisse  fairedemeurer 
les  officiers  et  les  soldats.  L'hiver  et  le  pays  en- 
nemi  obligent  bien  a  se  retirer ;  mais  quand  on  a 
les  moyens  on  demeure  derriere  quelque  temps 
ensemble  ,  et  cela  donne  beaucoup  de  jalousie  a 
I'eunemi.  La  cour  est  si  61oign6e  d'icy  que  toutes 
choses  sont  chang^es  avant  d'avoir  une  response: 
c'est  ce  qui  m'empeche  de  raander  a  Son  Emi- 
nence le  detail  debeaucoupde  choses  qui  se  passent 
avec  lambassadeur  d'Angleterre ;  car  en  deux  ou 
trois  jours  les  affaires  changeut  tout  a  fait,  et  cela 
feroit  concevoir  de  bonnes  ou  de  mauvaises  esp6- 
rances  sur  lesquelles  on  feroit  fonderaeut;  dans 
une  affaire  tr^s-difficile  comme  celle-cy,  je  ferai 
ce  que  je  pourrai. 

»  Nous  faisons  ici  bien  des  Iravaux  et  des  forts, 
et  des  canaux  nouveaux  qui  sont  entierementn6- 
cessaires,  et  a  quoi  rien  n'est  contraire  que  la 
saison.  Vous  direz,  s'il  vous  plait,  a  Son  Emi- 
nence que  ce  qui  m'a  empeche  d'attaquer  le  fort 
de  Linck,  c'est  que  le  temps  que  j'y  eusse  em- 
ploy6  m'6toit  plus  n6cessaire  a  autre  chose,  qui 
est  au  travail  des  communications  de  Bourbourg, 
et  peut-^tre  encore  qu'il  sera  trop  court.  Pour  le 
temps  que  j'ay  demeur6  a  Wate ,  je  me  pr6parois 
pour  M ardyck,  et  comme  Teunerai  avoit  pourveu  a 
Linck,  j'eusse  pu  ais6ment  m'y  m6compter  de 
beaucoup  de  jours.  M.  Talon  est  all6  a  Mardyck , 
j'y  ay  aussi  envoy6  des  Francois  pour  y  travail- 
ler;  les  Anglois  y  faisant  fort  mauvaise  garde. 
J'ay  receu  ce  que  vous  m'envoyez  pour  M.  Jac- 
quier,  ce  qui  estoit  fort  n6cessaire ,  et  M.  d'Or- 
messou  a  envoye  en  diligence  pour  les  cinquante 
mille  francs  que  le  comrais  de  M.  de  Charon  a 
entre  les  mains.  Je  crois  qu'il  estoit  a  Paris,  ou 
peut-6trevous  aurez  aussi  mand6  qu'il  en  partist, 
en  cas  qu'il  fust  relourn6  avec  son  argent.  M.  le 
prince  et  don  Juan  d'Autriche  sont  a  Dunkerque 
et  a  Bergue ,  et  toute  I'arra^e  est  derriere  eux 
dans  les  quartiers,  qui  avanceront  des  que  Ton 
fera  quelque  mouvement  en  arri^re,  a  quoy  la 
saison  obligera.  II  est  impossible  que  Mardyck  ne 
demeure  fort  cxpos6 ;  I'ambassadeur  d'Angleterre 


oOS 


l>t)i;i  MKNTS    KNEIHTS    RtLATlFS    Al  \    ME.NiOIRES 


a  eu  besoing  tie  divers  mouvemeus  la-dessus,  donl 
jescriray  le  detail  a  Sou  Einineuce.  Jay  esl6  un 
soir  a  Calais  pour  oela. 

»  Au  camp  dc  Ruiiiiiiglicii.  le  25  oclobre  1657. 

»  TcnEANE. 

»  Oil  iremploye  point  d'argenl  iiuilillement. 
inaisje  vous  assure  que  jeinpruiile  de  tousles 
oostes.  car  on  Iravaille  en  beaucoup  d'endroits; 
joubliois  a  vous  dire  que  le  roy  d'Aiiglcterre  est 
a  Duiikerque.  J"ai  beaucoup  de  joie  de  ce  que  la 
sante  de  M.  le  cardinal  est  ineilleure.  » 

A  u  mcme. 

«  Monsieur,  je  vous  envoie  la  copie  de  la  letlre 
que  j'escris  a  Son  Eminence:  vous  verrez  par  la 
lestat  des  choses,  comme  je  lui  luande  le  retour 
de  M.  Locart  pour  savoir  comme  M.  le  prolec- 
teur  preudra  a  I'avenir  I'affairede  Mardyck  ;  car 
il  ne  se  Hiut  pas  lasher  d'y  euvoyer  des  horames 
et  d'y  faire  travailler  ;  vous  voyez,  3Ionsieur . 
commecetle  affaire  des  vivres  presse;je  croisque 
vous  aurez  receu  celle  parlaquelle  je  vous  escri- 
vois  comme  il  esloit  uecessaire  qu'il  vous  pleust 
d'cnvoyer  ici  des  commissaires.  M.  Talon  est  a 
Bourbourg.  c'est  ce  qui  est  cause  qu'il  n'escrit  pas 
par  cette  voie ;  jusqu'a  ce  que  lennemi  soil  se- 
pare.je  crois  qu'il  ne  faut  passenger  a  faire  mar- 
cher des  troupes  hors  de  ce  pays  icy ;  les  gardes  s'a  t- 
tendent  deja  a  estre  a  Calais  :  il  seroit  necessaire 
il'avoir  promptement  ordre  du  Roy  pour  les  y  me- 
ner,  et  les  Suisses  a  Ardres.  M.  de  AJarost  ma- 
voit  dil  que.  lui  s'en  allant  a  Paris,  il  craisnoil 
que  les  gardes  n'eussent  quelques  differens  avec 
son  lieutenant  de  Roy:  mais  jai  prie  M.  de  Par- 
det.  qui  est  alle  aujourdhui  a  Calais,  den  parler 
par  advance  a  M.  de  Marost,  et  lui  dire  comme 
les  gardes  ne  faisaut  point  de  gardes  dans  Calais, 
et  estant  comme  troupes  de  I'armee.  quelles  n'au- 
rout  rien  a  demesler  avec  le  lieutenant  de  Roy. 
et  quils  y  vivront:  en  sorle  quils  sonl  assures 
quil  u'aura  nul  sujcl  de  se  plaindre.  Jai  oublie 
de  mander  aM.  le  cardinal  que  beaucoup  deper- 
sonues  qui  vienneul  de  I'armee  de  lennemi  as- 
sured que  M.  le  prince  avoit  la  fievre  ;  il  est  cer- 
tain qu'il  est  alle  enquelque  ville,  derriere  I'ar- 
mee: on  ne  sait  pas  s'il  passeradela  a  Bruxelles. 
Tous  les  autres  g^neraux  sent  a  Dunkerque  jus- 
qu'a ce  que  lennemi  soitsepare:  tout  ceci  est 
fort  incertain.  La  communication  a  Mardvck  est 
impossible  dans  le  mauvais  temps,  de  sorte  qu'il 
faul  que  ce  soil  la  fortification  de  la  place  et  la 
mer  qui  la.defendenl.  Jay  veu  M.  de  Lamoignon. 
qui  est  venu  jusque  dans  mon  quarlier,  donl  j'ai 
eu  beaucoup  de  joie;  il  s'en  est  retourne  a  Bou- 
logne. M.  dOrmeston  est  a  Calais,  qui  Iravaille 
avec  grand  soin  pour  les  cboses  donl  je  le  prie. 

»  Je  suis  de  lout  raon  coeur.  Monsieur,  voire 
tres-humblc,  etc. 

>•  Ce  31  octnbre  lt>57. 

)>  TlHEKNF. 


»  Je  vous  suplie  de  parler  a  Sou  Eminence,  atin 
que  la  compagnie  de  cavallerie  de  M.  de  Made- 
villier  ne  soil  pas  reformce;  c'est  un  desmeilleurs 
ofliciers  de  France ,  et  qui  n'a  rien  que  cela.  » 

-i  Son  Eminence  tnonseigneur  le  cardinal  Mazarin. 

«  N'ayant  point  de  response  de  la  lellre  que  je 
me  suis  donne  Ibonneur  d'escrire  a  Voire  Emi- 
nence par  M.  de  Coulauge,  je  luy  d^peobe  en  di- 
ligence Fiscial  sur  ce  qui  coucerne  les  vivres. 
M.  Jacquier.  disant  qu'il  n'a  point  d'argeut  pour 
ce'te  avance  qu'il  faut  faire  pour  melire  dans 
Bourbourg  :  el  qua  moins  qu'il  ne  plaise  a  Voire 
Eminence  luy  faire  donuer  de  Targenlcomptant. 
ou  que  sou  frere  lui  mande  de  Paris  qu'il  est 
lombe  d'accord  avec  M.  le  surintendant,  qu'il  lui 
es<  impossible  de  faire  cette  avance-la  :  et  comme 
Ion  voit  aussi  par  ses  estats  que  la  fournilure  de 
I'armee  fiuit  au  cinquieme  de  novembre,  il  de- 
maude  un  ordre  d'augmeutation  de  fouds.  A'otre 
Eminence  voit  bien  comme  ces  choses  pressent, 
el  que  sans  cela  tout  deraeure  entierement.  On 
Iravaille  icy  a  deux  forts  sur  la  riviere .  aux 
communications  de  Bourbourg  par  eau ,  et  a 
faire  des  ponts  el  a  mettre  la  place  en  seuret6. 
On  ne  peut  plus  demeurer  icy.  et  je  ne  vois  au- 
cune  autre  posture  a  se  mettre  que  d'avoir  les 
gardes  dans  Calais .  les  Suisses  a  Ardres ,  el 
toute  I'infanlerie  la  plus  proche  que  Ion  peut, 
jusqu'a  ce  que  I'enuemi  se  separe.  Pour  la  caval- 
lerie. il  la  faudra  mettre  derriere  pour  quelques 
jours,  lemieux  que  Ton  pourra.  Mardyck  a  este 
quelques  jours  entierement  neglige  par  les  An- 
glois ;  depuis  j'y  ai  envoye  quatre  cens  Francois, 
et  M.  Talon  y  a  este.  de  sorte  que  Ion  y  Iravaille 
presentemeut.  L'ambassadeur  d'Angleterre  doit 
reveuir  tous  les  jours;  je  lattendois  afin  de  me 
donner  I'houneur  d'escrire  a  Voire  Eminence  avec 
plus  de  fondemenl  de  lout  cecy,  qui  est  qu'il  est 
fort  uecessaire  de  scavoir  comment  M.  le  protec- 
teur  prend  a  coeur  la  conservation  de  Mardyck  ; 
car  en  faisant  lout  ce  que  Ion  peut,  et  personne 
ne  remettant  rien  sur  I'autre,  c'est  tout  ce  que 
Ton  peut  faire  que  de  le  conserver.  M.  Lokard  est 
Ires  bien  instruil  el  peut  faire  prendreaM.  lepro- 
tecteur  des  mesures  bien  seures.  La  situation  du 
pays,  et  pour  Bourbourg  et  pour  Mardyck,  donne 
des  difficultesque  Ion  ne  peut  surmouter  qu'avec 
une  grande  patience  et  de  la  depense.  II  est  cer- 
tain que  Ion  n'est  point  vole  et  que  Ton  ne  donne 
qu'au  necessaire.  L'armee  est  dans  une  n^cessit('' 
qui  ne  se  peut  pas  dire,  et  si  Ion  relache  avant 
le  temps,  tout  ceque  Ton  a  fait  est  inutile.  M.  dt' 
Castelnau  agil  avec  beaucoup  de  zele  et  de  capa- 
city:  cinq  soldals .  qui  sonl  vcnus  se  rendre  aa- 
jourd'hui.  disenl  que  les  ennemis  out  deja  mar- 
che  Irois  fois  pour  insuller  Mardyck  :  tout  cecy  est 
fort  delicat,  mais  si  Ton  a  les  moyens  d'avoir  pa- 
tience, on  lassera  peut-etre  les  ennemis.  Celle-ci 
est  simplemenl  pour  les  affaires  des  vivres ,  ce 
qui  presse  au  dernier  point.  .Je  suplie  Ires-bum- 


I)U    VICOMTF.    I)E    Ti;nF.X.\E. 


1657] 


iOO 


blement  Voire  Eminence  qu'il  lay  plaise  y  voo- 
loir  donner  ordre  sans  perdre  de  temps.  II  seroit 
bien  necessairc  d'avoir  promptemenl  un  ordre  da 
Roy  pour  mellre  les  gardes  Francoises  dans  Ca- 
lais cl  les  Suisses  dans  Ardres.  M.  de  Charosteu 
use  le  plus  obligeamnient  da  monde  pour  loute 
chose.  II  est  impossible  de  prendre  presentement 
d'aulres  mesures  que  celles  de  demeurer  vers 
Ardres ,  Calais  et  Boulogne  le  plus  que  Ton  peut. 
el  lacher  de  faire  craindre  a  lennemi  denlrepren- 
dre  sur  Mardyck,  oil  Ton  fait  travailler  autant  que 
Ion  pent.  II  y  a  trois  ou  quatre  forts  quil  faudra 
garder  pour  la  coraraunicalion  de  Bourbourg. 
qu'il  faut  pourvoir  de  tout,  et  donner  moyen  a 
ceax  qui  comraandent  dedans  el  aa\  soldats  dy 
demeurer.  On  a  raccoramode  les  canaux  qui  y 
vont  de  Calais ,  dout  les  conimunicalions  sonl  Ires 
difficiles.  Voire  Eminence  scait  bien  que  dans  la 
saison  el  du  long  des  digues,  qui  durent  beau- 
coup,  quecela  ne  se  fail  point  sans  bien  de  la  de- 
pense  ;  toutes  choses  sonl  incerlaines  jusqua  ce 
que  I'ennerai  soil  retire.  L'armee  fait  au-dela  du 
possible  dans  la  necessite  oii  elle  esl.  La  caval- 
lerie  n'a  point  eu  de  pain.  Je  suplie  tres-hum- 
bleraent  encore  une  fois  Voire  Eminence  de  voa- 
loir  prompteraent  donner  ordre,  et  pour  le  ma- 
gazin  de  Bourbourg,  en  faisantconlenler  M.  Jac- 
qain,  et  pour  la  conlinaation  da  pain. 

»  On  a  licentie  Tartillerie:  je  ne  reliens  qa'un 
petit  estal  de  quatre-vingls  chevaux  et  de  deux 
raille  francs  doftlcier  pour  le  raois  de  novembre. 
Jai  este  fort  en  peine  de  la  nialadie  de  Voire 
Eminence,  et  jesuis  asseure  qu'elle  me  fait  I'bon- 
neur  de  ne  pas  douter  qae  les  douleurs  qu'elle  a 
eaes  me  loucheut  lres-sensib!emenl. 

))  La  communication  a  Mardyck  esl  impossible 
par  lerre  dans  le  maavais  temps,  de  sorte  qu'il 
faat  que  ce  soil  la  fortification  de  la  place  el  la 
mer  qiji  la  defendenl. 

»  TCBEN.NE.  » 

A  Monsieur  Le  Tellier. 

«  Monsieur,  j'ai  receu  la  Icttre  qu'il  vousa  pla 
mescrire  pour  envoyer  cinq  compagnies  de  gar- 
des francoises  a  Paris  ,  a  quoy  je  vous  dirai  que 

.  le  moindre  detachenjent  d  infanterie  presente- 
ment amencroil  beaucoup  de  soldais:  et  quoyque 
je  sache  bien  que  cet  affoiblissemcnt  d  iufaule- 

I  rie  n"esl  pas  fori  considerable ,  neanmoins  il  est 
de  grandc  consequence  que  lennemi  ne  saclie 
pas  qu'il  y  parte  des  corps  de  l'armee;  car  c'esl 
un  temps,  el  a  cause  de  la  saison,  el  a  cause  des 
chemins,  que  Ton  pretend  sen  faire  plus  ap- 
prehender  que  leur  faire  da  mal ;  et  comme  ces 
compagnies  da  Luxembourg  pourronl  prompte- 
menl rejoindre  ,  je  vous  suplie  de  faire  consi- 
derer  a  Son  Eminence  que  la  force  de  linfan- 
lerie,  Ihyver  en  ce  pays  icy,  sera  des  gardes 
francoises  el  des  Suisses.  Ou  ne  pent  pas  croire 
comme  les  Anglois  tombenl  nialades  et  sonl  en 
peu  de  temps  liorsde  service:  il  yen  a  aassi  beau- 


coup  qui  desertenl  de  Bourbourg  etde  Mardyck; 
el  jusqu'a  ce  qu'il  y  ait  passe  quelque  temps,  il 
faudra  souslenir  tous  ces  pelits  forts  par  descom- 
rnandes  des  gardes  el  des  Suisses;  rennerai,peut- 
elre  avec  le  temps  rendra  par  sa  separation  la 
chose  plus  aisee,  mais  on  ne  pent  parler  que  des 
choses  presentes.  J'ai  parte  a  M.  Talon,  qui  ren- 
dra comple  a  Son  Eminence  et  a  vous  de  eel  ordre 
pour  la  reformation.  Jecrois  qu'il  ny  a  guere  d'of- 
ficiers  de  cavallerie  ou  d  infanterie  qui  ne  soient 
venus  oa  lost  ou  lard  a  la  campagne,  et  hors 
toutes  ces  compagnies  qui  viudrent  fort  foibles  a 
Amiens  el  donl  jay  euvoye  festal,  je  ne  sache 
rieu  a  dire.  Je  sais  bien  quil  y  a  beaucoup  de 
compagnies  de  cavallerie  francoise  qui  neviennent 
point  a  l'armee  assez  forles  en  cavalliers,  et  tout 
ce  quo  Ton  peut  faire  cesl  de  les  nomnier  au  com- 
raeucemeut.  Pour  linfanterie,  on  fait  I'estat  au- 
quel  ellevienl  en  campagne,  et  vous  sravezbien 
qu'ils  ny  touchent  pas  beaucoup  d  argent  pour 
faire  des  recrues  ni  pour  chausser  leurs  soldats;  de 
sorte  que  ia  seule  chose  qu'il  y  a  a  leur  dire,  c'esl 
en  ce  temps-la;  car,  pour  a  celte  heure.  il  n  y  a 
qu'il  les  plaindre  de  la  misere  oil  ;ls  sout.  J"ay  dil  a 
M.  Talon  que,  des  quil  aura  des  commissaires. 
il  prenne  linformalion  la  plus  exacte  qu  il  pourra 
des  regimens  et  vous  lenvoye  promptemenl. 

»  Je  vous  suplie  de  croire  que  je  suis,  Monsieur, 
voire  Ires-humble,  etc. 

»  TCBB>>E. 

»  1"  Xovembre  1657.  » 

A  u  meme, 

«  Monsieur,  j'ay  receu  la  lellre  qu'il  vous  a  p!u 
m'escrire  par  le  sieur  de  La  Barge  el  ne  vous  re- 
pliqueray  point  loutes  les  choses  que  jay  mandees 
a  Son  Eminence  dans  I'incommodile  qu'il  a :  je  ne 
crois  pas  quelon  luy  doive  conseiller  ung  voyage 
icy.  Je  ne  sais  pas  le  detail  de  ce  que  les  ennemis 
ont  p^rdua  Mardyck;  les  Anglois  ont  esle  si  lenls 
a  faire  venir  leurs  palissades  pour  travailler  au 
bas  fort,  qui  esl  ce  qui  donne  sujecl  dappreheu- 
der.  II  faut  que  je  me  retire  daus  Ardres  oa  vers 
leBouUenois;  et  pour  soulenircelleguerre,  nesen 
point  relacher  duraut  Ihiver,  il  faut  faire  estal 
de  laisser  loute  linfanterie  en  Picardie,  el  lenir 
les  corps  payes  a  Calais,  Ardres  el  Boulogne;  on 
ne  revient  plus  a  ces  choses  icy  quaiid  on  s  en  re- 
lache.  Les  plus  pelits  eslals  Irouvent  de  la  faci- 
lile  a  lenir  de  I'infanlerie.  parce  que  ce  nest  une 
depense  excessive:  el  les  Francois  presentement 
se  contenleroient  d  une  paye  petite,  pourvu  qu'il 
y  ayt  moyen  de  vivre  ,  mais  il  faut  que  ces  clio- 
ses-la  soient  sui  vies.  Jeneserois  point  d" avis,  jus- 
qu'a ce  que  Tennerai  soil  separe ,  d'envoyer  des 
troupes  fort  loin .  parce  que  cela  erameneroil  tons 
les  soldats.  M.  de  Charaux  demande  uug  regle- 
meut  pour  les  gardes  avec  le  lieutenant  de  Roy; 
je  crois  qu'il  seroit  necessaire  avant  de  les  en- 
voyer a  Calais.  Je  raande  a  M.  le  cardinal  que 
j'ai  faict  payer,  pour  le  mois  de  novembre,  pour 


>10 


DOCUMENTS    IM'UITS    lltLATUS    AUV    MliMOlRES 


deux  niille  francs  dofficiers  d'arlillerie,  et  que 
jairetenu  qualrc-vingtschevaux  pour  Iravailler  a 
beaucoup  ilc  choses  necessaires  ,  a  quoy  jay  faiet 
aussidonner  ui.t,^  mois.  On  a  payG  les  Francois  dc 
Bourboureel  Mardvck pour quinze jours;  lesoffi- 
ciers  qui  sontall6sa  Mardyck  onl  eu  quelque 
chose  de  plus;  si  je  vous  conlois  le  detail  de  lous 
lestravaux  d'ici,  il  n'yauroil  pas  de  fin;  vous  les 
verrez  bien  par  I'argent,  duquel  je  vous  assure 
que  pcrsonnenes'enrichilclenused'un  Ires  grand 
management,  ct  avec  de  Ires-grandes  diflicuUes 
par  la  saison  et  par  beaucoup  d'aulres  circon- 
stances;  c'esl,  Monsieur. voire  Irds-hunible,  etc. 

»  TCRENNE. 

))Aucampdc  Ruminghen,  le6novembrel657.» 

Au   mem". 

«  Monsieur  ,  j'escris  a  Son  Eminence,  et  me 
donne  I'honneur  de  vous  faire  ce  mol :  je  suis 
venu  a  Calais ,  on  on  a  embarqu6  sept  ou  huil 
cens  hommes  de  renfort  pour  Mardyck ;  je  crois 
que  dans  deux  ou  trois  jours,  si  I'ennerai  ne  I'at- 
taque,  ce  que  je  ne  pense  pas,  qu'ils  se  r§sou- 
dronla  se  relirer  et  meltre  leurs  trouppes  plus 
en  arri^re ;  vous  pourez ,  par  les  nouvelles  de 
plusieurs  gens  deFlandre,  savoir  a  quoi  I'en- 
iierai  se  dispose;  je  crois  qu'i!  n'y  auroit  pas  de 
temps  a  perdre  d'envoyer  les  quarliers.  Je  raaudc 
a  M.  le  cardinal  qu'il  me  semble  que  Ton  pour- 
roit  meltre  deux  ou  trois  regimens  d'infanterie 
dans  le  Boulonnois  et  en  loger  bon  norabre  a 
Abbeville;  c'est  un  bon  endroit  que  ce  coin  de 
Normandie  el  dePicardie;lepays,  depuis  Amiens 
jusqu'a  Boulogne,  en  deoa  de  la  Somme,  n'a  pas 
este  ruin6  ;  on  pourroit  y  meltre  beaucoup  de  ca 
vallerie.  II  faudra  necessairemenl  quelqu'un  qui 
ait  I'oeil  en  hiver  a  Bourbourg  el  aux  forts  qui 
en  font  la  communication.  Je  crois  que  pour 
Mardyck,  quand  les  Anglois  verronl  les  bastions 
en  estal,  qu'ils  ne  le  n^gligeront  plus  et  en  pren- 
dronl  beaucoup  de  soin.  Je  mande  a  Son  Emi- 
nence que  je  crois  qu'elle  Irouvera  bon ,  si  les 
ennemis  se  retirent,  que  I'on  m'envoye  men  cong6. 
J'ai  vu  avecM.  d'Ormesson  I'estat  de  la  despense 
et  du  paienienldes  Anglois;  il  vous  en  inforniera 
particuli^rement,  elje  vous  suplierai  d'estre  bien 
peTsuad6  que  personne  ne  vous  honore  plus  que 
je  fais,  el  que  je  suis  sinc^rement.  Monsieur, 
voire  tr6s-humble  el  tr6s-a(rectionn6  servileur , 


»  TuRENNE. 


«  Ce  17  novembre  1757.  « 


Au  mcmp. 


«  Monsieur,  vous  aurez  sceu  ce  que  M.  le  car- 
dinal m'cscrivit  par  ce  gentilhomme  qu'il  m'a  en- 
voy6  ;  si  ces  nouvclles-la  coiilinuenl ,  par  I'ordi- 
naire  suivant,  je  feral  tout  ce  qui  se  poura  ,  afin 
que  si  on  no  ppul  pas  demeurer  avanc6  comnie 


je  suis,  je  demeure  au  raoins  un  peu  en  arriere  . 
qui  sera  vers  les  lieux oil  seronlles  quarliers. Vous 
verrez,  par  la  copie  d'uue  lettre  que  j'envoie,  en 
quel  estal  est  Mardyck;  ily  a  bien  deux  mille hom- 
mes pr6sentemenl;  j'en  ay  envoy6  unepartiedfes 
que  le  bas-forl  a  est6  en  estal  de  defense,  scavoir : 
le  sieur  de  La  Barque,  pour  dire  I'eslat  des  cho- 
ses  icy.  Quand  je  croirai  que  les  ennemis  assiege- 
ronl  Mardyck,  je  ne  serois  pas  bien  aise  que  I'ar- 
m6e  flit  s6par6e  ni  eslre  a  Paris ;  quand  cela  ne 
sera  point,  j'ai  assez  d'affaires  pour  souhaiter  de 
demeurer  icy.  Vous  me  ferez  la  grace  de  lui  par- 
ler  de  cette  conformile-la  ,  et  de  me  croire  Ires- 
sincerement.  Monsieur,  voire  tr^s-humble, 

»  TcRENNE. 

»  Je  crois  qu'il  seroil  bon  d'envoyer  prompte- 
menl  un  rdglemenl  pour  le  lieutenant  de  Roi  de 
Calais  avec  les  gardes.  » 

Au  meme. 

«  Monsieur,  comme  les  troupes  ne  peuvent  plus 
demeurer  a  cette  teste  icy,  il  seroil  entidremenl 
n^cessaire  que  Ton  envoyasl  proraplemenl  les  or- 
dres  des  troupes  qui  doivenl  demeurer  dans  le 
Boulonnois:  j'enlens  de  I'infanlerie,  car  je  ne 
scais  pas  si  on  y  laissera  d'aulres  regimens  de 
cavallerie  que  celui  de  Villequier.  Je  pen^e  que 
vous  eles  bien  persuad6  de  la  necessite  que  les 
troupes  onl  d'aller  en  quarlier;  avec  cela  il  est 
tout  a  fait  necessaire  que  quelqu'un  demeure: 
j'eulens  un  lieulenanl-gen6ral.  Tout  ce  qu'il  y 
aura  a  faire,  si  I'ennemi  atlaquoit  Mardyck,  ce  se-  j 
roil  de  faire  erabarquer  les  gardes  qui  sonl  a  Ca-  \ 
lais;  ils  feront  assur^meul  la  mfirae  chose  d'An- 
glelerre.  Pour  vous  dire  ce  que  je  pense,  je  ne 
crois  pas  que  les  ennemis  osenl  I'attaquer,  il  y  a 
plus  de  deux  mille  hommes  effectifs  dedans;  j'y 
ai  pres  de  vingt  officiers  de  mon  regiment  d'in- 
fanterie. II  y  a  vingt  vaisseaux  au  port,  et  des 
Iroupes  de  France  et  d'Anglelerre  presles  a  y 
meltre :  tout  cela  est  necessaire ,  mais  aussi  c'est 
une  grande  entreprise  en  hiver  a  des  gens  qui 
onl  si  peu  d'infanterie.  Je  n'ai  rien  a  ajouster  k 
ce  que  vous  aura  dit  le  sieur  de  La  Barque ,  sur 
ce  qui  regarde  mon  corps  el  les  ordres  du 
quarlier  d'hiver,  qui ,  assur^ment,  eu  esgard  aux 
troupes,  ne  peut  pas  eslre  Irop  press6.  Faites 
moy  Ihonneur  de  me  croire  Ir6s-v6ritablement,  J| 
Monsieur,  voire  Ir^srhumble,  etc.  ^ 

»  TcR^NNE. 

»  A  Ardres,  ce  25  novembre  1657. 

»  Monlosier  a  escrit  a  quelqu'un  de  mes  gens 
que  Ton  lui  avoil  parl6  de  reforme  de  mon  regi- 
ment de  cavallerie.  Ce  n'est  pas  que  je  fasse  de 
coinparaison  a  ccluy  du  Roy  ui  de  M.  le  cardi- 
nal, mais  jamais,  quand  les  aulres  sont  demeu- 
r6s  a  douze  compagnies.  il  n'a  esf6  au-dcssus;  il 


l)U    MCOMTE    DR    Tiar.NNF.. 


I()57] 


I  f 


fail  preseulenienl  (rois  bons  escadrons.  Je  vous 
reconiniande  la  compagnie  de  M.  de  Madvil- 
liers.  » 

Au  me  me. 

((  Monsieur,  je  reuvoie  le  sieur  de  Coulange, 
qui  arriva  hier;  je  fais  marcher  toule  la  cavalle- 
rie,  qui  ne  peul  plus  subsisler,  vers  Nanci  elHes- 
din,et  garde  seulemeulle  regiment  de  LaFerle 
d'infanterie;  pour  le  resle  de  Tinfanlerie,  je  I'eu- 
voierai  entre  Calais  et  Boulogne,  craignant  de 
faire  marcher  en  dela  quclques  regimens  qui  de- 
raeureroienl  dans  le  Boulounois.  Je  m'en  vais  de- 
raain  a  Calais  en  bateau  ,  renvoiaut  mes  gens  vers 
Monlreuil;je  verrai  la  quelque  jour  ,  s'il  n'y  a 
rien  de  nouveau  du  cosl6  de  Mardyck.  11  y  est 
marche,  il  y  a  sept  ou  huit jours,  de  linfanterie 
de  I'ennemi  qui  s'en  va  vers  le  Hainaut:  on  as- 
seure  qu'il  y  a  sept  regimens  ;  je  crois  qu'ils  sont 
fort  foibles,  mais  n^anmoins  ils  en  auroienf  be- 
soin  s'ils  vouloient  assi^ger  pr^sentement  Mar- 
dyck. La  chose  s'y  rend  tons  les  jours  plus  mal- 
aisde  pour  eux.  J'envoie  encore  beaucoup  d'offi- 
ciers  a  Mardyck,  affin  que  I'ennemi  ait  cetfe  nou- 
velle-la  en  m^me  temps  qu'il  apprendra  que  la 
cavallerie  s'esloigne.  Ou  donne  dix  escus  aux 
lieutenans  et  qainze  francs  aux  sergens  qui  s'em- 
barqueot.  Je  trouve  ici  un  chacun  de  bonne  vo- 
lonte  dans  la  plus  grande  misdre  du  raonde  :  ce 
sont  des  choses  qui  ont  leur  fin.  Je  vous  supplie 
tr^s-bumblement,  comine  il  est  raalais6  que  I'on 
ne  sache  par  beaucoup  d'avis  deFlandres,  la  pen- 
s6e  pr^senle  des  ennerais  sur  Mardyck,  de  vouloir 
me  mander,  ou  supplier  M.  le  cardinal  qu'il  le 
fasse  faire ,  el  que  je  puisse  en  savoir  des  nou- 
velles.  Les  lellres  me  trouveront  a  Monlreuil  ou 
a  Boulogne,  ou  peut-estre  a  Calais.  S'il  ne  vous 
plaisoit  point  m'envoier  les   leltres  expres,   il 
les  faudroit   seulement   faire  tenir  chez  moi  a 
Paris. 

»  La  plus  n6cessaire  chose  pour  celui  qui  de- 
meure  en  ce  pays  ici,  c'est  d'avoir  un  ordre  afin 
que  les  gardes  qui  sont  a  Calais,  et  les  Suisses 
qui  sont  a  Ardres  ,  fissent  ce  qu'il  leur  ordonne- 
roit  pour  sortir  promptement  au  secours  de  Mar- 
dyck ou  de  Bourboorg.  Je  ne  vois  que  cela  en  ce 
pays  icy  de  capital;  el  si  le  cardinal  me  parle  de 
M.  le  mar6chal  d'Omont,  j'en  serois  Ires  aise. 
II  y  marche  deux  vieux  regimens  d'Anglelerre  a 
leur  coste,  qui  seront  sous  les  ordres  du  cheva- 
lier Reiuolds  qui  commande  a  Mardyck  ;  mais  je 
ne  srais  pas  la  restriction  qu  il  y  aura,  el  s'il  les 
pent  faire  venir  quand  il  veul.  Je  louche  a  M.  le 
cardinal  un  mot  de  la  reforme  ;  assur6menl  11 
faudroit  en  voir  un  peu  le  detail ,  que  je  scay  qui 
est  Ires  fascheux  ;  mais  aussi,  par  une  regie  gene- 
rate ,  il  y  a  des  gens  a  qui  on  fera  la  plus  grande 
injustice  du  monde,  a  des  personnes  d'infanterie 
m6me  et  de  cavallerie,  qui  ont  de  bonnes  cora- 
pagnies,  et  qui  seront  reforraes  aprds  avoir  bien 
servi  une  longue  campagne  sans  argent. 


»  Je  vous  supplie  Ir^s-hurablemenlde  me croire. 
Monsieur,  voire  Ires-humble,  etc. 

'»  TlREN>E. 

»  A  Ardres,  ce  27  novembre  1657. 

»  II  seroit  fort  u6cessaire  si  M.  le  mar^chal 
d'Omont  ne  prend  pas  sitost  le  comraandemeni 
de  ces  troupes  icy,  qu'il  y  eust  un  ordre  pour 
M.  de  Charost,  afin  de  faire  promptement  eni- 
barquer  ou  envoyer  a  Bourbourg  deux  ou  Irois 
cens  horames  des  gardes,  s'il  voit  qu'ils  en  ayent 
besoin,  et  aussi  un  raSme  ordre  a  M.  de  Rou- 
ville  d'envoyer  des  Suisses  a  Bourbourg  si  M.  de 
Schomberg  les  deraande.  » 

Au  memc. 

«  Monsieur,  suivant  les  ordres  du  Roi,  j'en- 
voie a  Calais  deux  compagnies  des  gardes  fran- 
coises;  c'est  M.  de  Renouart  qui  les  comman- 
dera,  qui  se  rcnconire  le  premier  faisant  eslat, 
etjen'ay  point  d'ordre  coulraire  de  faire  parlir, 
quand  je  m'en  irai,  les  compagnies  de  Pradel , 
Pleurs  ,  Pusange,  Havarion  el  Autrequan,  dont 
les  quaire  premieres  sont  devant  Podwitz;  j'en- 
voie aussi  cinq  compagnies  de  gardes  suisses  a 
Ardres,  suivant  I'ordre  que  j'en  ai.  Celle-ci  est 
pour  M.  H6berl,  qui  a  appris  la  mort  de  M.  Cha- 
san ,  son  fr^re,  estime  fort  brave  garoon.  Je  me 
suis  donn6  I'honneur  de  vous  escrire  hier  par 
M.  de  Coulange  en  m'en  allant;  il  est  fort  n6- 
cessaire  qu'il  deraeure  icy  quelque  lieulenant- 
gen6ral,  afin  de  donner  ordre  a  ce  qui  pourroit 
survenir.  Je  crois  que  vous  apprendrez  que  I'en- 
nemi ne  songe  pas  a  Mardyck  pr^senlement.  Je  ne 
vois  icy  que  M.  de  Sinville  cl  M.  d'Elarcour, 
M.  de  Caslelnau  s'en  allant;  on  saura  ces  jours 
icy  si  I'infanlerie  de  I'ennemi  se  retire. 

»  Je  suis  de  tout  raon  coeur,  Monsieur,  voslre 
tres-hurable,  etc. 

»  TURENNE.   » 

Au  me  me. 

«  Monsieur,  je  ne  vous  ferai  que  ce  mot  pour 
vous  dire  corame  j'ai  destine  les  regimens  d'Er- 
bouville,  de  B^thune  et  de  Dampierre  pour  de- 
meurer  dans  Bourbourg  ;  les  regimens  s'y  atten- 
dent.  Jecroyois  m'estre  donne  I'honneur  de  vous 
le  mander.  Je  respons  a  M.  le  cardinal  sur  les 
choses  qu'il  m'a  fait  I'honneur  de  me  mander.  Je 
n'ajousterai  rien  a  celle-ci ,  que  I'assurance  de  la 
continuation  de  mes  services.  Monsieur,  voire 
tres-humble  et  tr6s-affectionn6  serviteur , 


»  Tdrekne, 


»  Ce  5d6cerabre  1657.  » 


Au  menu. 


«  Monsieur,  je  vous  supplie  tres-humblemen? 
de  vouloir  faire  employer  Desroches  en  Picardie- 
Saint-Marlin   lui  a  dit  que  s'il  vous   plaist  le 


r)i2 


DOCLiMENTS    IlNliDlTS    BELATIFS    ALX    MEMOIllES 


faire  employer  en  Noriuandie ,  il  sera  fort  aise 
que  I'aulre  dcnieure  en  ce  pays  icy.  J'ai  fait  avec 
le  sicur  Sugnier  leslat  du  pain  pour  I'iufanterie, 
qui  ne  nionle  qua  cinq  millecinq  ccns  rations,  Ji 
coraraencer  du  temps  que  je  suis  arriv6  ;  je  crois 
qu'il  y  en  a  si  peu  deffeclifs,  que  cetle  quantit6 
leur  suffira  bleu. 

»  Si  on  denieuroit  plus  long-temps  ensemble, 
les  regimens  qui  sont  log^s  vers  Dornsens  au- 
roienl  peine  a  subsisler;  mais  je  crois  qu'il  faut 
voir  encore  quelqucs  jours  le  mouvement  de 
lenueini  avant  que  de  rien  changer.  J'altends  de 
sravoir  des  nouvelles  de  ce  que  devient  le  corps 
de  troupes  de  I'ennemi,  qui  est  vers  la  Lys,  avant 
que  de  faire  marcher  aucunes  troupes;  il  yades 
gens  d'armcs,etle  regiment  escossois  que  j'ai 
lrouv6  a  Amiens,  que  j'ai  laiss6  marcher. 

»  Je  suis  de  lout  nion  coeur,  Monsieur,  voire 
tr6s-humble,  etc. 

»  TURENNE. 

»  A  Amiens,  ce  21  decembre  1657.  « 
Au  meme. 

»  Monsieur ,  j'ai  receu  hier  une  leltre  de  Son 
Eminence,  par  laquelle  elle  me  mandoit  quevous 
m'escriviez;  mais  je  u'ai  point  receu  la  lettre,  il 
faut  qu'elle  soit  en  cliemin.  C'est  un  aide-de-camp 
qui  porlecelleleKrequej'avois  laiss6aBourbourg 
pourassisterM.  de  Schomberg  ;  il  n'a  rien  touch6 
du  tout ;  j'eu  escris  a  Son  Eminence.  Je  lui  ai  donn6 
un  memoire  de  trois  ou  qualre  articles  ,  en  quoi 
consisleiit  loutcs  ses  demandes.  Le  principal  est 
queM.  dOrmesson  ne  manque  pas  d'argent ;  rien 
aussi  ne  leur  est  plus  n^cessaire  que  des  habits  ; 
il  y  p^rira  beaucoup  de  soldats  de  n'en  avoir  pas 
eu  de  bonne  heure.  Sur  ce  que  M.  le  cardinal 
m'escril  du  quartier  d'hiver,  je  consulterai  avec 
M.  dcPi^lre,  pour  voir  s'il  se  pourroit  trouver  de 
I'argent  pour  tenir  ensemble  quelques  troupes  de 
celles  qui  hivernent  dans  les  quartiers  icy  :  il  n'y 
a  que  ce  moyen  seul  d'eu  relenir,  qui  est  de  les 
])ayer  et  de  leslaisser  dans  les  villages;  c'est  prin- 
cipalemenl  les  officiers  qui  n'ont  pas  un  sou.  Pour 
de  I'infdnterie,  je  n'en  sache  plus;  les  soldats  sont 
si  raallraitos  durant  la  catnpagne  qu'au  coramen- 
c.MTient  de  Ihiver  ils  ne  s«nt  en  estat  de  servir. 
Uu  argent  complantne  raccommode  point  lescho- 
scs,  il  faut  une  suile;  et  ouire  cela,  I'opinion  con- 
firmee que  chacun  a  que  les  troupes  qui  demeu- 
rcnt  dans  les  lieux  ou  il  faut  servir  sont  les  plus 
abandonn6es ,  fait  prendre  un  train  aux  choses 
qu'il  n'y  a  que  des  preuves  coulraires  par  les  ac- 
tions qui  puissent  faire  changer  de  pensee. 

»  Je  suis  de  tout  mon  coeur.  Monsieur,  voire 
(res-humble,  etc. 

»  TuRENNE. 

»  A  Amiens,  ce  22  d6cembre  16.57.  » 

An  nu'mr. 
(I  Monsieur,    depnis  vous  avoir  escrit,   il  y   a 


deux  heures  par  un  aide-de-camp  qui  vient  de 
Bourbourg,  j'ai  pense  a  M.  Pifetre  et  aux  rece- 
veurs  des  Elections  de  cetle  g6n6ralit6;  je  Irouve 
que  Ton  pourroit  meltre  ensemble  toute  la  caval- 
lerie  de  celle  g6neralit6  et  qu'ils  leur  avanceronl 
cinq  cens  livres  par  compagnie,  en  I'envoyant 
au-dela  de  Hesdin,  dans  des  lieux  oil  ils  ne  tirent 
rien.  Pour  ce  qui  va  dans  la  g6n6ralil6  de  Sois- 
sons,  j'envoyerois  tous  les  brigadiers  qui  y  vont, 
la  cavallerieenlreSaint-Quentin  et  Ham,  qui  est 
une  Election  d'ou  ou  ne  tire  presque  rien.  II  fau- 
droit  que   Tinlendanl  qui  est  dans  cetle  g6n6ra- 
lile-Ia  envoyast  au  moins  mille  francs  par  com- 
pagnie promplement  a  loutes  ces  Irouppes-la.  Ce 
qui  va  en  Lorraine  et  Champagne,  je  le  relien- 
drai  quelques  jours  dans  le  Vermandois,  dont  on 
ne  tire  aussi  presque  rien.  La  plus  grande  diffi- 
culte  est  pour  ce  qui  va  en  Normandie;  car   ils 
ne  peuvent  demeurer  que  sur  la  Picardie  ou  Nor- 
mandie, et  dans  toufes   les  deux  ils   ruineront 
tous  les  quarliers.   II  faudroit  que  de  celle  g6- 
neralit6on  envoyast  promplement  au  moins  mille 
francs  par  compagnie  de  cavallerie,  el  qualre  cens 
francs  pour  I'infanterie.  II  ne  se  pent  pas  qu'avec 
lout  cela  la  Picardie  ne  s'en  sente  beaucoup,  et 
les  discours  sont  bien  plus  ais6s  que  I'ex^cution. 
Pour  les  troupes  qui  doiveul  aller  en  Auvergnc 
el  Bourbonnois  et  Nivernois,  il  faudroit  les  lais- 
ser  marcher,  j'enlens  la  cavallerie  ,  y  en  ayanl 
icy  assez,  et  on  reliendroit  I'infanterie  quelques 
jours,   ccci  n'eslanl  qu'une  pensee  qui  ne  pent 
pas  durer  long-lemps  faulede  fourage  pour  la  ca- 
vallerie; et  s'iln'est  pourvu  promplement  par  de 
I'argent  pour  les  troupes  des  gen6raliles  de  Sols- 
sons  et  de  Normandie  ,  il  est  impossible  qu'elles 
deineurent  en  corps,  les  officiers  n'ayant  pas  le 
moyen  non  plus  que  les  cavalliers  de  faire  ferrer 
leurs  chevaux.  J'ai  fait  donner  du  pain  a  la  ca- 
vallerie, et  ai  envoye  M.  de  Podwilzavec  cinq 
regimens  a  la  teste  du  pais.  Je  ferai  marcher 
apr^s-demain  les  regimens  de  la  g^n^ralite  de 
Soissons;  pour  celle  de  Normandie  il  faudroit,  ou 
que  les  receveurs  envoyassent  promplement  de 
I'argent,  ou  que  Ton  eu  avancast,  que  Ton  rc- 
prendroit  sur  eux. 

»  J'escris  uneletlre  toute  conforme  aceci  a  Son 
Eminence,  et  suis  de  lout  mon  cceur.  Monsieur, 
voire  tr^s-humble,  etc. 

»  TuRENNE. 

»  A  Amiens ,  ce  22  decembre  1657. 

»  11  seroil  bon  d'avoir  promplement  response. 
J'ajouterai  seulement  une  chose  que  je  ne  mande 
pas  a  M.  le  cardinal,  qui  est  que  les  trois  regi- 
mens de  Picardie,  la  Marine  et  mon  regiment 
que  j'ai  trouv6  en  dela  d'Abbeville,  tirant  vers  la 
Normandie,  et  qui  y  demeurent,  perdroienl  tous 
leurs  soldats  si  on  les  faisoit  avancer;  tout  ce  qui 
se  pent,  est  de  les  laisser  la  lani  que  I'ennemi  sera 
ensemble.  » 


DU    VICOMTE    DE    TUHKNNE.    [iGoS] 


-n 


Au  m4me. 


«  Monsieur,  il  y  a  un  genlilhonime  qui  eslavec 
raoi  de  cetfe  ann^e,  arriv6  du  lieu  que  j'avois 
(cnu  a  Mardyck  et  qui  s'esloit  fori  brouille  avec 
M.  Talon,  et  qui  meraeescrivit  conlre  lui ;  je  I'ai 
trouv6  icy  qui  portoit  des  lettres  do  cr6aace  ,  el 
comme  il  esl  parti  en  meme  temps  que  ce  genlll- 
horame  de  M.  Ic  cardinal ,  qui  doit  eslre  arriv6 
hier  a  Paris,  je  ne  lui  ai  point  voulu  donner  de 
lettres  pour  y  aller,  u'estanl  pas  bien  aise  qu'il  se 
serve  de  mon  nora  pour  parler  conlre  une  per- 
sonne  que  je  suis  persuad6  y  avoir  fait  ce  qu'il  a 
pen  ;  dans  un  lieu  abandonn6  un  lenips  aux  An- 
glois,  on  ne  pent  quelquefois  pas  y  faire  davan- 
tage.  M.  Pietre  vous  envoie  le  meraoire  de  ce 
que  je  lui  ai  dit  qu'il  fit  partir  en  diligence  pour 
aller  a  Mardyck;  j'ai  creu  queceseroil  gagner  du 
temps,  et  c'est  toujours  une  despense  n^cessaire 
a  faire  que  des  niousquets,  des  outils  et  du  plomb ; 
pourdelam6cheeldes  grenades, on  n'en  pent  pas 
avoir  sans  ordre  de  la  cour.  Je  crois  qu'il  seroil 
D^cessaire  que  M.  Jacquier  retint  cent  cinquanle 
chevaux  a  la  frontiere,  afin  que  cela  fust  prest  s'il 
falloit  se  raeltre  ensemble  dans  les  places  d'Ar- 
ras,  Belhune  et  La  Bassee;  on  trouveroit  des  che- 
vaux pour  du  canon,  avec  cette  disposition.  Je 
reviendrai  au  premier  bruit.  Les  ennerais  com- 
mencent  a  se  s^parer  beaucoup,  mais  il  n'y  a  pas 
apparence  que  ce  soil  pour  enlrer  tout  a  fail  en 
quartier  d'hiver ;  c'est  pourquoi  il  faut  assuremenl 
le  plus  de  troupes  que  Ton  peul  a  la  frontiere.  II 
n'y  a  que  I'infanlerie,  qui  est  comme  reduite  a 
rien.  Si  sur  la  fin  des  carapagnes  on  la  soutenoit 
avec  quelques  moyens,  elle  ue  se  r6duiroit  pas  en 
cet  estat-la;  et  ce  ne  sont  pas  des  choses  ou  on 
puisse  reraedier  promptement,  qui  est  ce  que  Ton 
deraande  toujours  a  la  cour.  Tout  ce  que  je  scau- 
rois,  c'est  de  donner  promptement  ordre  a  quelques 
regimens  afin  qu'ils  envoyassent  aux  recrues, 
lesquelles,es(ant  dans  le  quartier  d'hiver  et  dans 
des  villages,  pourroient  se  maintenir.  11  arrivera 
aussi  un  bou  eflfet,  c'est  que  Mardyck  se  raetlant 
en  eslal,  I'armee  des  ennemis  ne  pourra  plus  I'at- 
taquer,  quand  meme  on  ne  seroil  pas  si  prest  a 
estre  en  campagne.  Je  suis  de  lout  moncoeur. 
Monsieur ,  voslre  tr^s-humble  et  lres-ob6issant 
serviteur, 

»  Tdbenne. 

»  A  Amiens ,  ce  24  decembre  1657.  » 

Au  meme. 

«  Monsieur,  il  y  a  M.  de  Cugnac  qui  esl  pri- 
sonnier  a  Amiens,  quioffre,en  lui  permettant 
de  s'en  retourner  de  dela,  de  faire  rendre  la  li- 
berie k  M.  de  Gadaigne  el  de  payer  de  dela  sa 
rancon;  el  que  s'il  n'y  pent  pas  faire  consentir  du 
coste  oil  il  va,  qu'il  s'en  vicndra  se  remellre  en 
prison.  Je  croy  que  c'est  une  chose  ou  il  n'y  a 
pas  de  difficulte  ,  el  estaut  parent  de  ma  femme, 
je  serois  bien  aise  d'oblenir  cela  pour  lui.  Mon- 

III.    C.     D.     M.,    T.    TU. 


sieur,  voslre  Ires-humble  cl  lr^s-ob6issanl  servi- 
leur, 

«  Tl :Rr.>NE. 

><  A  Amiens  ,  ce  29  decembre  1657.  » 

Au  meme. 

«  Monsieur,  le  sieur  du  Fresnoym'amonlr6  les 
ordres  de  la  r^forme ,  que  j'ai  aussi  appris  par  la 
lettre  qu'il  vous  a  plu  m'escrire.  Je  crois ,  sauf 
voslre  meilleur  avis  ,  qu'il  seroil  mieux  de  les  re- 
former dans  leurs  quartiers  d'hiver,  car  les  trou- 
pes eslant  encore  en  dela  de  la  Somrae,  il  s'en 
iroit  assurement  des  gens  du  cosle  des  ennemis. 
J'escris  aussi  une  lellre  conforme  a  celle-ci  a  Son 
Eminence,  laquelle  j'envoie  par  le  meme  cour- 
rier,  el  je  lui  mande  que  ,  comme  les  regimens 
de  Podwitz  el  Rochepaire  sont  tous  allemands,  que 
je  crois  qu'il  ne  trouvera  pas  mauvais  que,  dans 
le  quartier  d'hiver  qu'ils  recoivent  pour  quaire 
compagnies,  qu'ils  enlreliennent  ce  qu'ils  pour- 
ronl  de  leurs  deux  autres  compagnies;  car  des 
Francois  se  peuvent  meltre  dans  cellecompagnie 
reformee  du  Roy,  mais  des  Allemands  il  faut 
qu'ils  s'en  retournent  dans  leur  pays.  M.  le  ma- 
rechal  de  La  Ferte  n'en  reforme  point,  ni  de  son 
regiment  ni  de  Bignon,  et  pourveu  qu'il  n'en 
couste  pas  davanlage  au  Roy,  je  crois  que  le  but 
n'est  pasde  les  licenlier,  mais  de  diminuer  la  d6- 
pense.  Jepretens  dans  mon  regiment  de  cavalle- 
rie  faire  subsister  lepaiementde  dixcompagnies; 
le  resle  le  mieux  que  je  pourrai,  que  je  crois 
estre  la  chose  du  monde  la  moins  defendue.  J'ai 
vu,  dans  restablissement  du  quartier  d'hiver  im- 
prime,  comme  les  compagnies  d'infanterie  sont 
payees  a  vingl  hommes.  II  vous  plaira  mander  aux 
inlendans  que  si  les  regimens,  comme  Picardieel 
mon  regiment,  en  m^nenl  davanlage  dans  le  quar- 
tier, que  Ton  ne  soil  pas  oblige  de  les  licenlier. 
Je  vous  supplie  Ires-humblement  de  faire  co- 
gnoislre  a  Son  Eminence,  ainsi  que  je  I'ai  man- 
de, que  je  suis  fort  louche  de  voir  nommer  ces 
capilaines  M.  Rochepaire  et  Podwitz,  qu'il  y  a  dix 
ans  qui  sont  avec  moi.  Si  j'avois  plus  de  bien  que 
je  n'ai,  je  n'en  serois  pas  embarrasse,  car  je  leur 
trouverois  moyen  de  se  relirer.  Je  viens  de  voir 
comme  les  deux  capilaines  de  Rochepaire,  qui  sont 
retranches,  sont  pr6sens  el  onl  toujours  trds-bien 
servi,  et  un  de  Podwitz  ;  car  pour  I'aulre  corapa- 
gnie,  je  crois  qu'elle  est  vacanle.  Je  vous  avoue 
qu'il  me  seni^ble  que  le  Roy,  ne  payant  pas  quel- 
ques compagnies,  doit  au  moins  laisser  la  satis- 
faction au  coronet  de  faire  comme  il  I'entend.)) 

(Sans  date,  1657. ) 

1658. 

A  Son  Eminence. 
«  A  Cassel ,  ce  mercrcdi  ^2  mai  1058. 
»  J'ai  dit  h  M.  le  marquis  di-  Croqui  d'oscriro 


14 


DOCUMENTS    INEDITS      BELATIFS    AIX    MEMOIRF.S 


par  la  voie  de  B6lhune ,  quoiqu'elle  soil  bien  lon- 
gue.  En  y  arrivant  avcc  larra^e,  j'appris,  par  ua 
de  ces  parii?,  qu'il  y  avoit  un  grand  corps  a  Cas- 
sel ;  jc  le  fis  parlir  iiiconlineut  avec  des  gens 
commandos  des  gardes,  oii  esloil  M.  ie  comte  de 
•  iuiclie  cf  los  deux  compagnies  des  Suisses  qui 
sont  a  Saint-Venant.  Je  suivis  apres  avec  quel- 
ques  troupes,  croyant  qu'il  y  auroit  un  grand 
corps  aCassel,  y  ayant  aussi  fait  avancer  M.  de 
Varenne;  il  ne  s'y  trouva  que  le  regiment  de 
Glocestrc ,  avec  quelques  commandes  de  Mus- 
coi,  qui  faisoient  environ  Irois  cens  homnies, 
avec  linfanlcrie  et  quelques  officiers  qui  onl  6(6 
conduits  a  B6thune.  On  en  a  fait  uue  lisle  bien 
exacte.  II  y  avoit  aussi  quelque  munition  de 
guerre,  et  comme  on  ne  peut  pas  surcharger  r6- 
quipage,  il  en  a  est6  envoye  deux  ou  trois  rail- 
liers  de  poudre  a  B6lhune,  eton  fera  prendre  le 
plorab  et  la  m6c!ie  qui  restent  aux  soldals.  Les 
cbemins  sont  si  rorapus  par  lapluie,  qu'il  est 
impossible  de  dire  de  quelle  mauiere  on  peut 
avancer  le  canon  ni  les  pontons ,  ne  pouvanl  pres- 
que  pas  marcher.  Je  crois  que  I'ennemi  n'a  pas 
encore  gueres  de  gens  ensemble;  raais  comme  le 
pays  est  petit,  les  choses  changent  d'un  jour  a 
I'autre.  Le  pays  entre  Bergue  et  Furne  est  fort 
inonde.  Je  ne  puis  ricn  dire  de  posilif  de  ma  mar- 
che,  car  le  canon,  les  pontons,  le  bagage  ont  de- 
raear6  dehors  cette  nuit  et  ne  scauroient  pres- 
que  marcher.  Je  crois  qu'il  y  a  pr6sentement  fort 
pea  de  gens  sur  le  canal  de  Dunkerque  a  Bergue, 
raais  il  y  en  peut  marcher  par  Ypres  et  Furnes, 
de  qaoi  je  n'avois  pas  de  nouvelles.  Ces  cinq 
derniers  jours  de  pluie  ont  tout  gasl6,  et  asseu- 
r6raent  sans  cela  j'aurois  fait  une  diligence  de 
qnoi  I'ennemi  auroit  receu  du  pr6judice.  Je  tas- 
cherai  de  marcher  aujourd'hui  de  Cassel,  et  avan- 
cerai  sur  le  chemin  d'ici  a  Bergue;  tout  le  pays 
d'autour  est  inonde,  et  il  n'y  resle  delibre  que  le 
chemin  de  Bergue  a  Dunkerque,  et  une  hauteur 
qui  regarde  la  Flandre.  Ou  m'a  dit  a  Cassel  que 
ces  forts  entre  Dunkerque  et  Bergue  ne  sont  point 
en  estat ;  mais  je  scais  bien  que  le  canal  est  fort 
grand  et  le  parapet  fort  bon.  J'escris  un  dupli- 
cala  de  ceci  fi  M.  de  Castelnau,  par  des  soldats 
que  jenvoic  lout  droit  a  Barbone. 

»  Tdrenne.  » 

A  u  meme. 

«  Du  camp  dc  Dunkerque  ,  le  27  may  1658. 

»  Le  vice  admiral  d'Angleterre  a  est6  icy  a  ce 
matin  et  a  emmene  des  ouvriers  avcc  une  grande 
chalne;  il  n'avoit  point  de  palissades  :  j'ai  e{6 
<)blig6  de  prendre  le  peu  de  bois  que  mes  gens 
avoient  pris  dans  une  maison.  Les  gribancs  ni  les 
besardres  ne  peuvent  pas  rester  sur  I'estang  sans 
se  rompre.  Je  crois  que  de  bonnes  palissades,  si 
on  en  porle  demain  au  matin  de  Mardyck , 
que  Ton  soutiendra  avec  des  graiues,  pourront 
suffire.  11  faudroit  aussi  de  pelils  bastimens  an- 
g'lois,  doD(  lis  ODt  fort  peu. 


»  II  faut  une  extreme  quantit6  d'avoine,  e(  le? 
premiers  jours  que  Ion  en  manque  raettent  les 
chevaux  si  bas  qu'ils  ne  se  peuvent  presquepas 
remetfre;  ce  qui  est  vcnu  de  loin  ne  suffit  pas 
pour  deux  r6gimens  pour  deux  jours.  Je  scais 
bien  qui!  est  difficile  d'en  avoir  pour  une  armee, 
mais  il  est  certain  que  I'ambassadeur  d'Angle- 
terre a  pris  des  mesures  Irop  courles  pour  les  pro- 
visions, et  que  Ton  ne  (rouve  rien  a  acheter  dans 
toufe  I'armee  uavaie;  et  quand  on  est  en  n6ces- 
sit6,  il  n'y  a  que  les  choses  effectives  qui  servent; 
il  n'a  pas  seulement  du  charbon  que  Ton  achele- 
roit  au  prix  de  lor.  11  faut  une  quantit6  de  fas- 
cines qui  ne  se  peut  pas  dire,  et  de  planches  et 
de  bois  propres  a  servir  aux  plaleforraes  et  aux 
ponls. 

»  Dans  I'equippage  d'artillerie  qui  est  venu 
avec  moi,  il  n'y  a  pas  d'officiers  pour  assi6ger  le 
moindre  chateau ,  et  il  est  difficile  de  (rouver  en 
peu  de  (emps  pour  fouruir  a  deux  bonnes  atla- 
ques.  Dans  les  lieux  environnes  de  places  de 
leunemi  comme  on  est,  il  ne  faut  pas  languir 
dans  les  atiaques,  car  les  accidens  ne  sont  pas  r6- 
parabies  comme  aux  si6ges  qui  ne  se  font  pas  k 
la  teste  I'ennemi. 

»  II  faut  un  inlendant,  ou  quelqu'un  qui  en 
fasse  la  charge.  Je  n'ai  qu'un  seul  aide-de-camp 
pay6,  qui  est  Tissiot. 

»  II  est  n6cessaire  d'envoyer  en  diligence 
beaucoup  d'outils;  il  n'y  a  presque  que  les  peles 
n6cessaires.  J'envoierai  le  comple  de  ccux  quo 
j'avois  port6s  avec  moi ,  qui  sont  distribu^s. 

»  II  faut  encore  de  petiles  pieces  pour  meltre 
a  la  circonvallation,  et  (res  grand  nombre  de 
grosses  pour  le  si6ge.  Je  crois  que  Son  Eminence 
voit  bien  celui  de  Dunkerque  comme  un  des  plu>i 
grands  et  des  plus  considerables  qui  se  puissent 
faire ,  par  toutes  ces  circonstances,  et  dix  fois  plus 
difficile  que  celui  qui  a  este  fait.  Je  la  supplie 
tres  humbleraent  de  ne  faire  compte  que  sur  les 
choses  bien  eflfectives,  afin  que  les  choses  puis- 
sent r6ussir  a  la  satisfaction:  car  ceci  se  doit  faire 
avec  abondance,  ayant  aifaire  a  un  ennemi  puis- 
sant, estant  environn6  de  beaucoup  de  places  de 
I'ennemi,  et  la  place  que  Ton  at(aque  ayant  uuc 
grande  garnison.  Tout  ce  de  quoi  j'ai  parl6  est 
n6cessaire,  a  un  point  que  Ton  peut  sans  cela  re- 
cevoir  fort  ais6ment  un  affront;  et  en  un  lieu 
comme  celui-ci,  ils  ne  sont  point  a  demi.  II  fau- 
droit que  Ton  fit  des  efforts  extraordinaires  d'An- 
gleterre; tout  le  quartier  des  Anglois  n'occupe 
que  ce  que  faisoit  la  milice  de  Boutiuois  a  I'autre 
si6ge,  et  encore  on  les  aide  avec  de  la  cavallerle. 
11  faut  faire  estat  davoir  de  I'avoine  lous  les 
jours  pour  sept  ou  huict  mille  chevaux. 

»    TniENNE.    » 

Au   meme. 

«  Cc  4  juin  au  matin. 

»  Comme  on  ouvre  la   Iraiichil^e  a  co  soir,  j'ai 


DU    VICOMTE    DF.    TUHENiVE.    [l658] 


psl6  a  ce  malin  pour  voir  le  lieu  le  plus  propre, 
ct  aynnt  fail  avanccr  des  troupes  sur  les  dunes, 
Tennenii  a  tir6  beaucoup  de  canon,  et  ils  ont  as- 
seuremenl  plus  de  vingt  pieces  qui  regardenl  la 
face  que  Ton  atlaque.  Je  supplie  Votre  Eminence 
de  donner  les  ordres  nccessaires  afin  que  les  niu- 
nilions  ne  manqucnt  point,  et  principaleraenl  les 
boulels.  L'ambassadeur  d'Anglelerre  m'aditqu'il 
a  renvoid  aux  dunes  les  pieces  de  quarante-huit; 
je  lui  ai  dit  de  les  redemander,  et  a  nioins  d'a- 
voir  une  granrle  quantite  de  canons,  ce  si^ge  icy 
tireroit  en  grande  longueur. 

»  Les  enneniis  ont  beaucoup  de  travaux  avan- 
c^s,  et  M.  le  marquis  de  Heide  menage  aussi 
hien  son  terrain  qu'homme  du  monde.  Votre 
Eminence  voilbien  qu'il  faut  beaucoup  d'infante- 
rie  et  de  munitions,  afin  que  Ton  soit  rafraicbi  de 
troupes  en  temps ;  de  son  coste  on  fera  tout  ce 
que  Ton  pourra. 

»  II  y  a  des  compagnies  de  gendarmes  passees 
a  Bourbonne.  Je  crois  que  celle  de  Votre  Emi- 
nence y  est,  et  on  me  mande  que  Ton  ne  srait 
ce  qu'est  devenu  M.  de  Courtin  et  s'il  est  mort 
ou  prisonnier,  les  ennerais  les  ayant  attaqn6s  sur 
la  digue  pres  de  Bourbonne.  Je  pense  qu'ilsn'ont 
perdu  personne ,  M.  de  Schomberg  estant  avec 
de  rinfanterie  a  son  rencontre.  Le  regiment  de 
Mongomerie  n'y  est  pas;  je  crois  que  le  meil- 
leur  seroit  de  le  faire  embarquer  a  Casins ,  et 
I'envoyer  icy.  II  est  bien  necessaire  de  faire  veoir 

a  M la  grandeur  de  ce  siege,  afin 

qu'il  songe  a  envoyer  encore  des  troupes. 

))  On  n'a  point  de  nouvelles  des  boulets  de 
vingt-quatre,  ni  s'ils  sont  a  la  rade. 

»  Je  redirai  encore  a  Votre  Eminence,  comme 
une  cbose  Ir^s  importante,  qu'il  faut  cliarger 
dans  des  besauches  les  cboses  nccessaires  pour 
ce  camp;  et  si  on  est  oblige  d'en  mettre  dans  de 
grands  vaisseaux  ,  il  faut  qu'ils  abordent  a  Mon- 
dei,  d'ou  on  les  fera  passer  aucamp. 

»  Je  supplie  tres-bumblement  Voire  Eminence 
de  songer  a  ceci  comme  a  un  grand  siCge,  lequel 
on  tachera  d'abreger  autant  que  Ton  pourra; 
mais  a  la  mani^re  dont  sout  fails  les  dehors  des 
ennerais,  ils  les  defendront  long-temps. 


»    TUKKNNE.    » 


Au  mcme. 


«  Monsieur,  comme  on  voyoit  bien  que,  par 
les  soins  que  Votre  Eminence  avoit  pris,  rien  as- 
seurement  ne  devoit  manquer  dans  le  camp  de- 
vant  le  siege ,  j'ai  dit  depuis  quelque  temps  a  M. 
La  Force  de  lui  en  mander  les  nouvelles,  u'ayant 
point  eu  de  besoiu  de  faire  scavoir  autre  chose  a 
Votre  Eminence.  Je  crois  que  quaud  celui  que 
M.  le  marCchal  de  La  Force  envoye  et  La  Berge 
arriveront,  que  vous  aurez  seu  par  Guise  la  prise 
de  la  place  ,  qui  estoit  r6duite,  quand  elle  s'est 
rendue,  a  la  derniere  extr6mit6.  Toute  I'armCe, 
lant  au  siCge  qu'a  la  traneb6e,  a  travaille  avec 


.■515 

toute  la  diligence  el  la  vigueur  que  Ton  srauroit 
souhaiter;  etquoique  la  necessity  soit  trt!s  grande, 
on  n'a  pas  oui  dire  une  parolle  deplainfe.  Comme 
Votre  Eminence  se  trouve  lout  proche  d'ici,  en 
attendant  descavoir  d'elle  ce  que  le  Roi  veut  que 
Ton  fasse,  tant  pour  la  garnison  de  la  place  que 
pour  I'emploi  del'armCe,  il  faut  presenteraenl 
quelque  temps  pour  raser  les  Iranchees  el  la  cir- 
convallation  et  raccommoder  les  brdches.  Je  crois 
que  le  corps  de  M.  de  Conserolles  devoit  venir 
joindre.  J'ai  envoy6  presenteraenl  M.  de  Castel- 
nau  avec  le  sien  prendre  Eraeri,  qui  est  un  fort 
bon  chateau  a  deux  lieues  d'ici.  J'ai  beaucoup  de 
joie  de  ce  que  je  pense  que  Voire  Eminence 
aura  quelque  satisfaction  de  ce  que  les  choses  so 
sont  passees  si  heureusement. 

»  11  est  arrive  un  raalheur  au  Quesnoy :  Guion- 
net  s'estant  sauv6  par  I'inlelligence  de  quelques 
gens  dont  il  y  en  a  de  pris;  sans  la  difficulte  des 
escortes  je  I'eusse  fait  passer  en  France  ;  estant 
bien  gard6  au  Quesnoy,  je  le  croyoisbien  en  seu- 
rete  pour  quelque  temps. 

w  On  a  eu  nouvelles  que  les  ennerais  ont  mar- 
ch6  vers  le  Castelel;  ils  s'en  vont  se  reraeltre 
derriere  I'Escaut.  On  dil  qu'a  Paris  on  n'a  lant 
parl6  conlre  I'entreprise  de  Landrecies  :  loules 
choses  ont  6te  si  abondantes  ,  qu'il  n'y  a  eu  sujet 
de  douter  du  succes,  quand  les  ennemis  ont  laiss6 
mettre  I'armee  du  Roi  aulour  de  la  place  sans 
s'y  opposer.  Comme  on  a  emprunte  de  I'argenl 
pour  les  depenses,  je  ferai  faire  un  raemoire  bien 
exact  de  ce  que  Ton  doit ,  afin  qu'il  plaise  a  Vo- 
tre Eminence  faire  ordonner  le  payement.  II  y  a 
quantite  de  personnes  qui  ont  tres  bien  servi  icy, 
dont  vous  serez  informe  par  d'autres  commoditCs. 
Je  me  contenterai  de  continuer  a  Voire  Eminence 
la  protestation  de  mes  services  f res-humbles  el 
I'assurer  que  je  I'honore  avec  le  respect  que  je 
dois.  C'est,  Monsieur,  voire,  etc. 

»  Au  camp,  ce  14  juin. 

»   TcRENNE.    » 

Au  me  me. 

«  A  Bergue ,  ce  2  juillet  1658. 

»  Vostre  Eminence  seusl  bier  par  M.  de  Mo- 
ret,  comme  je  fis  dire ,  suivanl  quelle  avoit  trou- 
ve a  propos ,  a  la  garnison  de  Bergue  que  Ton  ne 
les  recevroil  que  prisonniers  de  guerre,  ce  qu'iis 
accepterent  sur  le  soir;  je  les  ai  fait  parlir  a  ce 
matin,  et  M.  Talon  les  a  raenCs  pour  les  embar- 
quer a  Mardyck.  II  y  a  cinq  regimens  dinfanterie 
et  trois  compagnies  de  cavallerie;  il  ne  s'en  re- 
tourne  a  I'armCe  que  le  commandant  de  chaque 
regiment.  Comme  ils  virenl  qu'ils  n'avoienl  point 
d'autre  capitulation,  tons  les  soldats  rompirent 
leurs  armes,  el  meme  il  s'en  jetta  dans  le  maret 
vers  Line,  ou  il  s'y  est  sauve  douze  ou  quinze 
officiers,  et  on  en  repril  quelques-uns,  et  laissd- 
rent  entrer  qui  vouloil  dans  la  ville  sans  quo 
j'eusse  rien  sign6.   J'ai  couch6  la  nuil  dans  la 

33. 


ville  pour  cx6culcrles  choses  en  ordre.  Cest  une 
assez  mechante  place ,  el  hors  le  soulien  de  Dun- 
kerqae ,  elle  ne  pourroit  se  soutenir  conlre  ua 
si6se  un  peu  con?id6rabIe.  J  y  fais  enlrer  le  re- 
giment dinfanlerie  de  Cl^rambaul  et  laisse  la 
chose  en  cat  es(at-la  jusqu'a  ce  que  Yoslre  Emi- 
nence me  mande  ce  que  le  Roy  ordonne  touchant 
celui  qui  y  commando. 

»  11  y  a  pres  de  vingt  milliers  de  poudre  et 
d'autres  munitions  a  proportion,  deux  pieces  de 
viDgt-qualre  un  peu  gaslees,  et  deux  couleuvri- 
nes ,  point  du  tout  de  grains.  Je  croyois  pouvoir 
dire  a  Yoslre  Eminence  que  les  munitionnaires 
disent  quils  ne  voyent  pas  beaucoup  de  jour 
pour  la  fournilure  en  ce  pays  ici;  mais  comnie 
on  a  la  mcr,  on  pent  y  remedier  prompleraent. 
Laconsommalion  est  grande  el  la  campagnenest 
pasavanc^e:  quand  on  nest  pas  en  avance  on 
tombe  dans  de  grands  inconv6niens ,  et  il  faut 
demeurer  lout  court.  Je  crois  que  je  raanoeuvre- 
rai  vers  Honelot,  et  de  la  pcut-elre  sur  le  chemin 
d'Ypres,  pour  voir  si  I'ennemi  ne  quitlera  pas 
Furne,  et  quelle  conlenance  il  fera  a  sa  teste. 

))  J'ai  escrit  a  M.  Lorant  pour  avoir  des  mortiers 
pour  Line;  c'esl  un  lieu  qui  ne  doit  pas  occuper 
beaucoup  de  gens  a  I'assieger,  et  on  ne  pent  y 
aller  que  sur  une  digue. 

y>  J'envoie  ce  genlilliomrae  a  Yoslre  Eminence, 
par  qui  elle  me  fera  Ihonneur  de  raander  ce 
qu'elle  trouvera  a  propos  que  Ton  fasse  pour  Ber- 
gae,  et  elle  apprendra  des  nouvelles  de  la  saute  du 
Roy,  et  elle  me  donnera  par  lui  ses  ordres,  me 
faisant  Ihonneur  de  m'escrire  ce  qu'elle  juge  a 
propos  touchant  la  marche. 

M   TCRENXE.    )) 

Au  vie  me. 

«  Le  long  temps  qu'ily  a  queje  ne  me  suis  pas 
donn6  Thonneur  descrire  a  Yostre  Eminence, 
est  cause  que  j'ai  assez  de  choses  a  lui  mander 
tout  d'un  coup.  Je  lui  avois  mande  commejavois 
laiss6  M.  de  Gassion  a  Deinse;  j'y  passai  la  ri- 
viere de  Lys  et  marchai  avec  I'avanl-garde  jusques 
sur  I'Escaut,  vis-a-vis  dun  chateau  nomme  Gau- 
vre,  enlre  Gand  et  Oudenverde;  il  n'y  avoit  que 
des  paysans  de  I'autre  cosle  et  cinquanle  che- 
vaux ;  ils  avoient  eu  ordre  le  matin  d'assembler 
beaucoup  de  paysans  pour  fortifier  le  passage. 
Comme  les  basteaux  n'cstoient  point  arrives 
assez  lost,  et  que  Ion  eust  nouvelles  qu'il  y 
paroissoit  de  la  cavallerie  de  I'aulre  eosle ,  la 
l)rigade  de  M.  de  Podwilz  passa  a  nage;  ils 
coururent  .fori  avant  dans  le  pays  et  prirent  le 
bagage  d'un  regiment  qui  passoit.  Jens  nouvel- 
les, le  matin  ,  comme  la  cavallerie  qui  esloit  sous 
Oudenverde  s'esloi I  retiree  ;  je  passai  I'Escaut  avec 
peu  de  troupes ,  pensant  les  faire  rendre  ;  ce!a  en 
fust  sur  le  point,  raais  a  la  fin  ils  ne  le  voulurent 
pas.  Mais  doulant  quils  envoicroient  quelque 
cavallerie  de  I'aulre  cosle  de  I'eau  pour  enlrer 
danslavillc,  j'cnvoiai  le  lieutenant-colonel  de 


DOCLMENTS   IMil;lTS    RELATIfS    ALX    MEMOIBES 


Buillon,  qui  deffit  un  regiment  de  cavallerie  qu; 
vouloit  y  entrer  ,•  un  de  dragons  passa ,  qui  se  jela 
dans  la  ville.  Jen  approchai,  le  lendemain  ,  le 
pont  de  bateaux  ,  el  comme  j'allois  porter  les  dra- 
gons du  Roy  dans  un  village,  un  quart  d'beure  apres 
qu'ilsy  furent,  Irois  regimens  venoieul  en  pleiue 
course  pour  s'yjeller.quiesloient  celui  de  Conde. 
de  lloUac  et  Louis  Leire.  M.  dePequillin  fit  Ires 
bien  et  les  arresla  dans  la  rue  du  village ;  en  suite 
de  quoi  M.  d'Huraieres  lessuivit  avec  sa  cavalle- 
rie, et  prirenl  la  plusparl  de  ces  trois  regimens, 
etM.deChamilli  et  Bleausne,officiers.  L'infante- 
rie  elant  arrivee,  je  fis  ouvrir  la  Iranchee  le  soir. 
et  la  meme  nuit  restonnemenl  prenaut  a  ceux  de 
dedans,  ils  demanderent  a  capiluler  et  se  rendi- 
rent  prisonniers  de  guerre.  11  y  avoit  le  regiment 
de  La  Suse,  un  de  I'arm^e  d'Espagne  el  celui  dc 
dragons  qui  esloit  entr6,  tous  trois  fort  foibles. 
Les  habilans  n'ont  pas  voulu  se  dcffendre  et  ont 
este  Ires-bien  Iraites;  la  ville  n'est  pas  bien  forte, 
mais  se  pourroit  bien  accommoder.  Yoslre  Emi- 
nence scait  la  consequence  de  la  place  ;  ma  pen- 
s6e  esloit  de  laisser  peu  de  gens  dedans,  et  de 
ne  ra'en  pas  esloigner  jusqu'a  ce  que  j'eusse  veu 
ce  qui  me  pourroit  reussir  davantage ,  pour  pren- 
dre des  raesures  plus  seures ;  et  pour  cela ,  je  n'y 
ai  s^journe  qu'un  jour  el  y  ai  laisse  M.  de  Uoche- 
paire,  que  je  croiois  le  plus  propre  que  j'eusse 
ici,  avec  deux  couipagnies  de  Suisses,  le  regi- 
ment de  Brelagne,  le  regiment  de  cavallerie  de 
Rochepaire  et  celui  de  Caslelnau.  Je  suis  per- 
suade que  personne  n'est  si  capable  de  bien  vivre 
avec  ces  babi tans-la  que  M.  de  Rochepaire,  et 
en  sera  trds-bien  traile.  Quand  Tarm^e  y  aest6, 
j'allai  loger  a  une  heure  et  demiedela,  le  long 
de  I'Escaut ,  sur  le  cherain  de  Tournai ,  et  en  par- 
tis deux  heures  devanl  le  jour  pour  venir  sur  la 
Lys,  afin  de  voir  avec  I'armee  comme  Menin  se 
pouvoit  accommoder,  ayant  laisse  le  corps  deM.le 
niarechal  de  La  Ferte  pour  faire  teste  a  Tournai. 
Jaimois  mieux  voir  quel  eslablisseraent  je  pou- 
vois  prendre  que  de  courir  vers  Bruxelles  ,  ou  je 
ne  doute  pas  que  lespouvanle  ne  soil  grande,  et 
avec  raison  ;  car  il  esloit  fori  aise  d'y  aller  avec 
I'armee  ,  et  je  crois  aussi  de  la  prendre,  I'ennemi 
n'y  ayant  peu  jelter  personne  a  cause  que  jestois 
devant  lui.  Comme  j'arrivois  aupr^s  de  Menia 
avec  quelques  regimens  de  I'avant-garde,  j'ap- 
pris  que  M.  le  prince  de  Eigne,  avec  son  corps, 
esloit  a  deux  heures  de  la;  je  fis  promptemenl 
dcbander  le  peu  de  gens  qu'il  y  avoit  a  la  teste 
pour  les  engager,  ou  il  se  trouva  quelques  offi- 
ciers  qui  venoient  au  logemenl .  et  le  frere  deM. 
Colbert  y  fnt  pris  ,  ayant  pousse  fort  vigoureuse- 
menl.  M.de  Gadaigne  et  AI.  dHumieres  marche- 
rent  avec  les  premiers  escadrons  au  grand  galop. 
Le  regiment  du  comle  de  Trie  soufeuoit  ces  deban- 
des  de  cavallerie  el  esloit  a  la  teste  de  tout ;  el  ce 
qui  esloit  devant  lui  ayant  este  repousse  ,  il  alia 
a  la  charge  par  un  c'lemin  estroit  conlre  le  regi- 
ment de  Souvigui,  donl  le  maislre-de-camp  le 
reout  Ires-bien;  mais  neanlmoins  son  regiment 


DU    VICOMTE    DE   TURENXE.    [1658] 


17 


fut  rompu,  el  le  comic  de  Trie  blesse  de  deux 
coups  de  pistolet  aux  deux  jarnbes  el  son  cheval 
de  six,  ne  quiltanl  poiut  la  (esle  du  n'-gimenl; 
Souvigui  ful  pris  par  le  corale  de  Trie ,  ayaut  es- 
te  bless6  de  Irois  coups,  dont  Lapalue,  capilaine 
reform^au  r^gimeul  de  la  Reiue,  lui  en  donna  uq 
qui  lui  cassa  le  bras,  qu'il  lui  faudra  couper , 
s'il  n'en  meurt.  Je  crois  que  Voslre  Eminence  a 
oui  parler  de  Souvigni,  qui  est  asseurement  un 
des  plus  eslimes  qui  serve  euFiandre,  de  quel- 
que  nation  que  ce  soil.  Quoique  I'ennemi  eusl  sept 
regimens  d'infanlerie  posies  dans  les  bales,  el 
bien  deux  cens  cbevaux  des  raeilleures  troupes 
de  Flandre,  la  cavallerie  de  Tavant-garde  les 
enoporta  ,  el  M.  d'Humiere  el  M.  de  Gadaigne  y 
firent  aussi  bien  qu'il  se  peul,  M.  de  Gensin  y  a 
aussi  Ires-bien  faict,  et  M.  de  Renet ,  avec  ses  re- 
gimens de  la  Reine,  le  sien  el  Crequi  :  il  est  cer- 
tain qu'il  ne  s'y  peul  rien  voir  de  plus  vigoureux 
que  ce  que  Ton  y  a  fiiit;  el  quoique  ce  soil  moo 
neveu ,  je  ne  feindrai  point  de  dire  a  Vostre  Emi- 
nence que  le  comte  de  Trie  s'y  est  fort  signale, 
el  Souvigni  m'a  dit  qu'il  n'a  jamais  veu  un  plus 
brave  bomme. 

»  La  deroute  comraencanl,  on  les  a  suivisplus 
de  Irois  lieues;  loute  I'infanlerie  a  este  prise 
ou  s'est  jelee  dans  les  bales ;  ils  avoienl  lous  leurs 
bagages  et  soixaule  ou  quatre-vingts  cbariots  de 
vivres;  il  yalresgrande  quantite  d'officiers  pris. 
Le  frere  de  M.  Colbert  ful  relache,  et  on  ni'a  as- 
sure que  ce  qu'il  avoit  dil  aux  ennemis,  qu'il  n'y 
avoit  que  qualre  cens  cbevaux  des  nostres,  c'est 
ce  qui  a  esle  cause  qu'ils  ont  allendu  sans  se  re- 
lirer.  M.  de  Chalais  se  signale  toujours  dans  lou- 
tes  les  occasions;  11  y  a  eu  quelques  officiers  des 
nostres  blesses decelle  premiere  charge,  ouon  fut 
repouss6  deux  fois.  Le  prince  de  Ligoe  s'est  sauve 
avec  grande  peine;  les  simballes  sonl  prises  et 
tous  ses  gens,  et  n'y  avoit  des  troupes  de  M.  le 
prince  que  le  regiment  de  Rochefort ,  dont  lous 
les  officiers  sonl  pris;  le  comie  de  Beulin  el  Cas- 
car,  deux  coronels  diufanterie,  sonl  pris,  et  aussi 
bien  pour  ceux  la  que  pour  les  aulres  precedens, 
comme  ou  est  au  milieu  de  la  Flandre  el  que  Ton 
lie  scail  ou  les  laisser,  il  n'est  pas  croyable  com- 
bien  il  s'en  perd,  el  je  suis  oblige  d'en  laisser  aller 
sur  leur  parolie. 

»  Comme  j'ai  sceu  qu'Ypres  estoil  entiferement 
d^garni,  je  men  suis  approcbe;  et  ayaul  envoi6 
I  M.  de  Podwilz  devant,  des  I'instanl  raeme  que 
M.  le  prince  de  Ligne  avoit  esle  baltu  ,  11  a  deffait 
un  regiment  de  dragons  qui  vouloil  y  entrer.  Je 
suis  asseure  que  si  ou  avoit  peu  assembler  tous 
ces  prisonniers,  il  yenauroileu  comme  a  une  ba- 
taille.  Ce  queje  ra'approche  d'Ypres  est  sans  au- 
tre fondement,  sinon  que  n'y  entrant  personne, 
les  bourgeois  pourroienl  aiseraenl  s'espouvanler, 
el  une  si  grande  espouvante  des  ennemis  me  don- 
nera  pent  eslre  raoiea  de  conserver  dans  ce  temps- 
la  Menin  el  Oudenverde ;  et  comme  ce  sont  choses 
oil  on  ne  va  que  par  les  rencontres  de  chaque 
jour,  il  n'y  a  rien  de  si  incerfain.  J'envoic  le  che- 


valier de  Clerville,  qui  passe  par  Saint- Venant, 
afin  de  me  faire  promplement  lia5.ler  le  corps 
qu'avoil  M.  de  Chu:ienberg  ,  a  quijen  escris,  afiu 
qu'il  vint  se  loger  a  Menin,  qui  est  un  lieu  qu'il 
faut  absolumenl  garder  pour  la  communication 
d'Oudenverde,  oil  on  Irouvera  assez  de  vivres; 
mais  il  y  manque  de  munilion,  Je  crois  que  quand 
I'affaire  d'Ypres  ue  reussiroil  pas,  qu'avec  de 
I'application  et  en  inedanl  beaucoup  de  munition 
et  beaucoup  de  Iroupes  dans  Menin  el  dans  Ou- 
denverde, que  Ton  conserveroil  ces  lieux-la. 
Vostre  Eminence  scail  Ires-bien  quelle  en  est 
la  consequence.  Comme  j'ai  sceu  que  M.  de 
Chusenberg  n'est  engage  a  rien  ,  cela  fait  que 
je  parte  de  celle  infanterie  ici ,  car  si  cela  estoil, 
on  ne  pourroit  pas  songer  aux  raemes  choses. 

»  J'escris  ceci  a  Yostre  Eminence  ,  arrivant 
aupres  d'Ypres,  et  n'y  Irouvant  nul  fourage  el 
volant  cent  inconv^niens  qui  peuvenl  arriver  a 
ces  places  avancees,  a  moins  qu'elles  ne  soient 
promleraent  renforcces.  Je  srai  aus?i  Ires-bien 
que  les  ennemis  sont  fort  foibles  et  forlabballus. 
Don  Juan  est  alle  a  Bruxelles;  M.  le  prince  est 
a  Tournai ;  on  a  Irouve  au  secretaire  de  M.  le 
prince  de  Ligne  les  leltres  qu'il  escrivoil  a  loules 
iieures  a  soii  raaistre.  Les  ennemis  avoienl  eu- 
voie  leurs  bagages  sous  Yalenciennes. 

•  »   TtRENNE. 

))  Au  camp,  ce  13  seplembre  1658.  » 

Au  nu'me. 

«  Depuis  que  je  me  suis  donn§  I'bouneur  d'es- 
crire  a  Voslre  Eminence  par  le  chevalier  de  Cler- 
ville ,  je  suis  demeure  au  loin  d'Ypres  et  ai  fail 
Iravailler  a  me  fermer,  avec  le  peu  d'outils  que 
I'ou  peul  porter  a  la  compagne.  Jusques  ici  il  n'y 
estentre  personne,  et  ddsque  les  outils  m'arri- 
veront,  ou  par  Sainl-Venanl  ou  par  Furnes  ,  je 
ferai  ouvrir  la  tranchee.  Je  verrai  aussi  quelle 
munition  M.  Talon  me  fera  venir  de  Gravelines 
el  Calais.  J'ai  tire  six  railliers  de  poudre  de  Dix- 
mude. 

»  Je  receus  bier  une  leltre  de  Dunkerque  , 
par  laquelle  on  me  mandoit  que  monsieur  le 
protecleur  estoil  morl.  J'en  disle  premier  la  nou- 
velle  a  M.  Morgan,  dont  le  fils  a}n6  avoit  est6 
declare  protecleur;  il  a  pense  a  ses  coronels,  el 
il  n'y  aura  pour  cela  nul  bruict  parmi  eux ,  et  je 
crois  qu'ils  seliendronl  parmi  eux  aux  plus  gran- 
des  affaires  d'Augleterre,  souhailant  fort  que  les 
choses  demeurenl  entre  les  mains  du  fils  du 
protecleur.  J'ai  envoie  un  bomme  de  creance  a 
M.  I'ambassadeur  d'Angleterre,  qui  n'est  pas  en- 
core de  retour. 

»  M.  le  mardchal  de  Chuserabergarriva  bier  avec 
la  cavallerie  qui  avoit  esle  a  Saint- Venant,  et 
quinze  cens  homraes  de  la  place,  en  complant 
deux  cens  de  Bapaume.  II  s'avancera  avec  cela 
el  un  corps  que  j'y  ai  deja  a  Menin,  afin  de  soute- 
nir  ce  poslc-la  et  emp^cher  que  rcnnemi  n'aill.e 


ji3 


U0CLME!<TS    IWEDITS    RELATIFS    AUX    MEMOIRF.S 


a  Oudenverde.  J'avois  d^ja  M.  de  Schoinberg  a 
Menin  pour  cela,  ct  uu  corps  assez  considerable 
a  Oudenverde.  11  n'y  a  pas  plaisir  a  sc  flatter, 
iiiais  si  I'on  prend  Spols  en  luainlenant  Meuin  et 
Oudenverde,  jc  suis  asseur6  que  Vostre  Eminence 
ne  trouvcra  pas  cela  nial.  Un  secours  dans  Ypres 
ou  une  eutreprise  sur  les  aulres  places  change- 
roil  cela. 

))  Sur  la  inort  de  M.  leprotecteur,Vostre  Emi- 
nence nie  fera  I'honneur  de  m'entretenirs'il  y  a 
un  autre  train  a  prendre  que  celui  dans  lequelje 
srai  Lien  qu'elle  est,  qui  est  delre  bieu  aise  que 
Ja  puissance,  en  Anglclerre,  demeure  entre  les 
mains  de  ceux  qu'elle  croira  eslre  le  raoins  bien 
avcc  les  Espagnols.  Je  ne  vois  pas  ce  que  les  Es- 
pagnolspeuveutfaire  si  on  maintient  Oudenverde; 
ondit  loujours  ces  chosesla,  mais,  a  mon  avis,  ce 
ne  peut  pas  avoir  ete  avec  tant  de  raison  qu'a 
cetle  heure.  Je  ne  doute  pas  que  la  raort  de 
M.  le  protecteur  ne  leur  doiine  de  grandes  esp6- 
rauces;  mais  elle  vient  quand  leurs  afl"aires  sout 
bien  bas. 

))IlpIairaaVostre  Eminence  envoierdel'argent, 
el  corame  je  lui  ai  mande,  il  u'y  a  point  de  mu- 
nitions du  tout  a  Menin  et  tr6s-peu  a  Oudenverde; 
!e  temps  peuldevenir  mauvais,  el  en  Flaudre  il 
n'y  a  point  de  remede  centre  cela.  Je  ne  doule 
pas  que  Vostre  Eminence  ne  les  pr6vienne  par  les 
ordres  d'envoyer  promtement  des  munitions.  On 
a  fait  mfime  avec  grande  peine  deux  cens  pri- 
sonniers  a  Dixmude  ;  on  en  a  laisse  a  Oudenyerde, 
et  comrae  ou  les  a  pris  fort  avant  dans  la  Flan- 
dre,  el  quece  soutdes  .  .  . ,  a  moins  de  les  en- 
chaisner  on  ne  pouvoit  pas  les  niener;  les  regi- 
mens ne  peuvenl  pas  se  remellre  de  cetle  cara- 
pagne. 

»  Je  crois  avoir  maud6  a  Vostre  Eminence  que 
le  prince  de  Ligne  esl  dans  Ypres,  el  Druot,  qui 
est  un  tr6s-bon  officier;  il  y  a  plus  de  trois  cens 
chevaux,  et  je  ne  pense  pas  qu'il  y  ail  plus  de 
trois  cens  licmmes  de  vieille  infanterie,  mais 
beaucoup  de  bourgeois  et  de  la  riuilice.  J'espere 
que  M.  Talon  me  fera  veuir  du  canon  ;  je  n'ai  que 
qualre  pieces  de  vingt-qualre  avec  des  munitions 
pour  la  campagne;  il  y  a  grande  difficult^  d'en 
faire  venir  par  Saint- Venant. 

»  Ce  18  septembre  1658. 

»  TURENNE.  » 

A  Monsieur  Le  Tellier. 

«  Monsieur,  il  y  auroit  bien  des  relations  k 
faire  de  tout  ce  que  par  bonheur  il  se  rencontre 
que  Ton  fail  en  ce  pays.  J'envoie  le  sieur  de  Ma- 
daillonlrouver  M.  le  cardinal,  alin  qu'il  luiplaise 
informer  Sa  Majesle  comme  Ypres  vient  de  de- 
mander  a  capituler.  M.  d'Humieresa  escrit,  il  ya 
quelques  jours,  a  Son  Eminence  pour  le  gouver- 
ncment ;  je  lui  en  parle  d'une  facon  pour  lui  faire 
connoistre  qu'il  ne  srauroit  pas  m'obliger  plus 
scnsiblcnienl  que  de  lui  faire  cetle  grace  de  le  lui 
procurer  aupres  de  Sa  Majesl6.  Je  vous  supplie 


trds-humblemenl  de  vouloir  bieu  lui  servir,  et  il 
m'a  serable  que  M.  le  cardinal  esl  tout  a  fail  bien 
persuade  de  lui.  Je  ne  vous  fais  que  ce  mot  en 
baste  pour  cela  ,  el  je  vous  supplie  de  me  conli- 
nuer  I'honneur  de  vostre  amiti6.  C'esl,  Monsieur, 
vostre  tres-bumble ,  etc. 

»  TuRENNE. 

))  Au  camp  devanl  Ypres,  ce  24  septembre 
1658.  )) 

Capilulalion  faicte  a  la  reduction  de  la  ville 
d' Ypres,  du  26  septembre  1658,  avec  le  clerge 
de  la  ville. 

«  Articles  accord^s  par  M.  de  Turenne,  g6n6ral 
de  I'armee  du  Roy  aux  ecclesiasliques  d'Ypres  : 

»  1.  Premi^reraent  ,  que  dans  ladile  ville 
d'Ypres  et  diocese  d'Ypres  sera  privalivement 
admise  el  exercee  la  religion  catholique,  aposto- 
lique  et  romaine,  meme  entre  les  gens  de  la  mi- 
lice  ,  et  qu'au  meme  effet  ne  sera  commis  en  icelle 
ville  autre  gouverneur  que  de  la  raesme  religion, 
subject  de  Sa  Majeste  tr^s-chretienne ,  et  sans 
qu'on  puisse  transporter  aucuns  des  manans  de 
ladite  ville  en  la  subjection  d'aulre  sup6rieur  qui 
ne  soil  de  ladile  religion; 

»  2.  Que  les  images  miraculeuses  de  Noslre- 
Dame,  reliques,  reliquaires,  vases  sacr^s,  clo- 
ches, tant  celles  de  la  ville  que  celles  qui  y  sont 
refugiees,  ornemens  el  aulres  ustensiles,  tant 
concernant  le  service  divin  ou  public  que  la 
decoration  des  ^glises  estanl  en  cetle  ville  ou 
diocese,  ne  seronl  transporles  ailleurs  en  facon 
que  ce  soil;  ainsi  deraeureronl  a  ceux  a  qui  ils 
appartiennent,  le  lout  sans  charge  d'aucune  re- 
demption ; 

3.  Que  r^veque,  doyen  et  chanoines  de  I'^glise 
calhedrale ,  leurs  suppcsls ,  abbes ,  prevosts ,  ab- 
besses ,  chapitres ,  religieux ,  religieuses ,  confrc- 
ries  et  toutes  aulres  personnes  ecclesiasliques, 
6glises ,  hopilaux,  pauvres  escoles,  tables  el  bieus 
des  pauvres  ,  mouls-de-piele  el  toutes  aulres  fon- 
dalious  pieuses,  de  quel  eslat,  condition,  ordro 
qu'ilspuissent  elre,  lanlde  la  ville  que  du  diocese, 
demeureront  el  seronl  maiutenus  en  leurs  digni- 
t6s,  honueurs,  privileges,  qualites  seigneuriales, 
juridictions  ,  ordres,  administration,  franchises, 
exemptions,  fonctions  et  collations  des  digniles, 
prebeudes,  benefices  el  offices  quelconques,  sans 
autre  charge  qu'auparavanl;  le  raesme  sera  ob- 
serve au  regard  de  leurs  successeurs,  et  ne  s'in- 
Iroduira  de  droit  de  regale  ou  autre  jusqu'a  pre- 
sent non  pratique; 

)>4.  II  sera  libre  audit  6vesque  d'aller  par  tout 
son  diocese  pour  faire  ses  visiles  el  autres  fonc- 
tions episcopales,  el  a  telle  fin  choisir  lieu  de  de- 
meure en  telle  ville  ou  bourgade  de  sou  diocese 
qu'il  Irouvera  convenir; 

»  5.  Seronl  aussi  lesdils  ecclesiasliques  maiute- 
nus en  possession  delous  leurs  biens,  soienl  mcu- 
b!es  ou  iamieubles,  rentes,  actions  el  credits,  eu- 


DU    VICOMTE    Dii 

semble,  or  et  argent  monnoy6  et  non  monuoye, 
de  perinissioii  ou  billon  ,  enseignemensel  papiers, 
et  toules  autres  clioses  a  eux  apparfenant,  sans 
auciine  exception,  selon  qu'ils  en  out  jouy  au- 
paravanl; 

»  6.  De  nieme  tons  les  bourgeois  et  habitans 
de  la  ville,  et  les  r^fugies  et  enfermc's  ci»  icelle, 
soieni  ecclesiastiques  ou  seculiers,  de  quel  eslatou 
condition  qu'ils  puissent  6lre,  y  con)prins  les 
absens  ou  rofugies  ailleurs,  reliendront  pareille- 
nient  la  paisible  propriel6  et  jouissance  de  tous 
leurs  raeubles,  bagues,  joyaux,  vaisselle,  or  et 
argent  nionnoye  et  non  monnoye,  toutestain, 
airain,  avec  tous  autres  ustensiles,  nuls  exceptes, 
Irouves  en  leurs  maisons  ou  ailleurs,  el  genera- 
lenient  de  tous  leurs  bieus,  meubles  el  iinineu- 
bles,  de  quelle  qualile  el  condition  ils  puissent 
estre,  sans  que  lesdils  habitans  ou  refugies  puis- 
sent estre  recharges,  touchant  lesdils  meubles,  ou 
iuquieles  par  les  gens  de  la  guerre,  ui  aussi  les 
meubles  illec  refugies  qui  suivront  librementaux 
propri^taires  ,  elcelasans  aucune  reconnaissance 
ou  redemption  a  qui  que  ce  soil; 

»  7.  Entreront  aussi  lesdils  ecclesiastiques,  ha- 
bitans et  absens,  en  la  possession  et  jouissance 
eiiliere  de  tous  leurs  bieus,  quels  qu'ils  soyent, 
qui ,  a  cause  de  cette  guerre  ,  pourroient  avoir 
esteconfisquesou  an  notes,  ensemble  desarrerages 
qui  u'auront  este  rerus,  nonobslant  que  le  Roy 
en  auroit  dispos6  ou  fait  raercede  ou  recompense 
^autres  personnes  ,  soil  pour  la  propriety,  soil 
pour  le  revenu  annuel,  et  eela  en  vertu  du  pre- 
sent lraicle,sans  qu'il  soitbesoin  a  cet  efTectd'ob- 
tenir  autre  acte  ou  provision.  Et  comme  il  pour- 
roil  arriver  qu'on  rencontreroit  quelquedifficulte 
de  rentrer  en  la  jouissance  des  biens  confisques 
ou  annotes,  Sa  Majestesera  (r6s-bunib!emenl  sup- 
pliee  de  faire  dep6cher  lettres  particulieres  vers 
les  occupans,  comme  il  a  este  fait  en  I'an  1648  ; 

))  8.  Sera  pourveu  aux  abbayes ,  prelatures  et 
autres  cloislres  et  dignit6s  de  la  ville  el  du  diocese 
comme  ci-devant,  et  ensuitle  de  la  bulle  d'erec- 
tion  de  I'ev^che  d'Ypres,  la  doyeunie  venanl  a  vac- 
quer,  sera  a  I'election  dudit  chapitre  cathedral , 
s'il  en  a  le  droit ; 

»  9.  Tous  les  cloislres  et  raonasleres ,  lant 
d'horames  que  de  fiUes,  ne  seront  conlrainls  de 
changer  en  aucune  faconde  regime ,  ains  deraeu- 
reront  sujets  aux  memes  superieurs  comme  a 
*  present,  el  ne  pourronl  les  religieux  et  religieu- 
ses,  sans  Tautorite  de  leurs  superieurs  de  cette 
province  de  Flandre,  estre  tires  de  leurs  cloislres 
ni  envoyes  en  France  ou  ailleurs,  pour  admellre 
des  estrangers  en  leur  place  au  convent ; 

»  10.  Ne  seront  aussi  les  ecclesiastiques  moles- 
l6s  a  cause  du  sermeut  aux  charges  quelconques 
qui  n'out  este  pratiquees  du  temps  quits  estoieut 
sujects  au  Roy  catholique; 

nil.  Les  bourgeois  el  habitans  de  la  ville  el 
les  refugies  en  icelle ,  de  quelle  condition  et  qua- 
lit6  qu'ils  soyent,  ne  pourronl  estre  forces  a  por- 
ter les  armes  centre  leur  voIont6,  ui  envoyes  en 


TURKNNK.    [1658]  519 

colonic ,  ni  tenus  pour  esclaves ,  ains  pour  sujets 
du  Roy,  avec  la  mesme  qu'ils  ouleueauparavant 
sous  leRoy  catholique; 

»  12.  Seront  observes,  selon  leur  forme  et  Ic- 
neur,  les  concordats  fails  respectivemenl  parceux 
du  chapitre  et  tie  la  cour  episcopale  avec  ladite 
ville, en  date  du  premier  juin mil  cinqcensvingt- 
deux  el  du... 

»  13.  Que  I'evesque  et  ceux  du  chapitre  cathe- 
dral, et  tous  aulres  ecclesiastiques  habitans  de  la 
ville  d'Ypres  et  leurs  maisons,  seront  a  (oujours 
libres  et  exempts  de  logement  des  soldats  et  con- 
tribution pour  rentretieu  d'iceux ,  aussi  duraiit 
leur  absence  et  vacation,  ensuille  de  ce  qu'il  a 
este  accorde  par  le  Roy  pour  lam aison dudit eves- 
que,  en  date  du  11  decembre  164S.  Et  a  cet  eflfet, 
lettres  de  sauve-garde  seront  presentemenl  ex- 
pedites pour  estre  altachees  a  leurs  portes,  afin 
que  personne  n'eu  pretende  cause  d'ignorance, 
comme  il  a  est6  fait  audit  au  1648,  maintenant 
lesdits  ecclesiastiques  a  loujours  libres  el  exempts 
de  guet  el  garde,  et  leurs  viniliers,  debitant  leur 
vin  en  leur  cave,  jouironl  en  lout  ce  que  dessus 
de  la  mesme  franchise; 

»  14.  Lesdils  ecclesiastiques  seront  exempts, 
comme  dil  est,  de  touslogeraens  des  soldats,  et  a 
regard  du  logeraeut  de  cour,  ils  jouironl  de  leurs 
privileges  a  I'adveuir  comme  ils  en  jouissoient 
lorsque  ladite  ville  estoit  en  rob6issance  du  Roy 
catholique; 

»  15.  El  quant  aux  supposts  de  ladite  cour  Epis- 
copale, ils  ne  seront  logeables  ou  taxables  plus 
avantque  ceux  du  magistral  de  ladite  ville; 

))  16.  Que  les  articles  accord6s  aux  bourgeois 
habitans  d'Ypres  ou  y  r6fugies .  touchant  la  li- 
berie de  demeurer  sous  la  juridiclion  du  Roy ,  ou 
de  s'en  retirer  en  dedans  le  terme  de  deux  ans 
et  de  disposer  de  leurs  biens  el  autres  points  ac- 
cordes,  faisant  ou  lendanl  en  faveur  ou  privilege 
des  bourgeois  ou  habitans  de  la  ville  d'Ypres, 
soul  pareillement  accordes  auxdits  ecclesiasti- 
ques. 

»  Son  Altesse  a  promis  et  proraet ,  au  nom  de 
Sa  Majeste  tres-chretienne,  de  faire  observer  et 
maintenir  tout  ce  que  dessus  poncluelleraenl  et 
inviolablement. 

»  TURENNE. 

»  (Et  cachete  de  son  cachet  en  cire  rouge.) 

»  Et  plus  bas: 

»  Par  Son  Altesse, 

»  Du  HoM. 

»  Faict  au  camp  devaiit  Yprcs,  le  25  septeni- 
bre  1658.  » 

A  Monsieur  Le  Tellier. 

»  Au  camp  ti'Vprcs,  ce  27  septembre  1658. 

»  Monsieur,  j'envoye  ce  capitaine  de  mon  r6- 


'.'  0 


nOCLM£>TS    l?iEDITS    UELAXliS    ALX     MEWOIUES 


giment  d'infaiilerie,  qui  s'appelle  Perrin,  ponr 
porter  la  capilulalion  d' Vpres.  II  y  a  pr^s  de  Irois 
sepmaines  que  je  iiai  point  rereu  de  leltres  de 
Son  Eminence.  II  y  avoit  dans  la  place  plus  de 
gens  que  je  ne  pensois;  cela  raouloit  a  huit  cens 
hommes  de  pied,  dont  cinq  cens  estoient  de  ces 
nouvelles  levees,  e(  bien  cinq  cens  chcvaux.  J'a- 
vois  fait  quelque  feu  de  ligne  autour  de  la  place, 
et  je  raande  a  M.  le  cardinal  qu'outre  deux  niille 
escus  que  M.  de  Laffaye,  qui  estoit  a  SaintVe- 
nant,  ra'avoit  prestes,  on  n'a  depense  que  peu 
de  chose  ,  dont  je  n'ai  pas  encore  le  coniple.  Pour 
des  munitions  de  guerre,  il  n'y  a  este  employe  que 
^i\  milliers  de  poudre,  outre  ce  que  j'avois  a  la 
carapagne.  La  ville  a  tenu  cinq  jours  de  (ranch^e 
nuverte  et  on  a  perdu  assez  de  gens  ;  il  y  a  beau- 
coup  de  malades,  ayant  laiss6  des  gens  a  Ouden- 
verde  et  Menin;  je  u'avois  pas  cinq  mille  hom- 
mes de  pied  en  tout.  La  circonvallation  est  bien 
aussi  grande  quecelle  d'Arras.  Jecrois  quemet- 
(ant  des  hommes  et  des  munitions  dans  Ouden- 
verde ,  qu'il  se  raainliendra  Ihiver;  il  faut  en 
Fiandre  que  les  places  le  fassent  d'elles-memes. 
On  y  travaille  fort ,  mais  comme  cette  place  est 
de  plus  de  consequence  qu'aucune  que  le  Roy  ait 
jamais  tenuc  en  Fiandre  ,  il  faudroil  de  surplus , 
pour  y  faire  (ravailler,  que  les  peuples  y  vis- 
sent  de  I'abondance.  La  conservation  de  ce  lieu- 
la  doit,  anion  advis,  faire  une  revolution  en  Fian- 
dre. On  me  raande  que  M.  de  Mesrae  a  eu  ordre 
de  se  retirer  dignoi ;  j'en  suis  bien  marri;  vous 
savez  qu'il  a  eu  la  bont6  de  prendre  cognoissance 
des  affaires  de  nostre  maison.  On  dit  que  vous 
venez  a  Compi^gne  et  k  Amiens,  et  je  vous  de- 
mande  la  continuation  de  I'honneur  de  vostre  sou- 
venir, etque  vous  me  croiez,  Monsieur,  vostre 
tr^s-humble,  etc. 

»  Tdrenne.  » 

Capilulalion  accordec  auv  gens  de  guerre  sortant 
de  la  ville  d'Ypres. 

«  1".  Preraieremeut ,  qu'ils  sortiront  jeudy 
vingt  six  de  septerabre,  a  sept  heures  du  matin, 
avec  amies  et  bagages,  enseignes  deployees,  ran- 
ches alluniees  a  deu\  bouts,  tambours  battans, 
bale  en  boucbe,  deux  pieces  de  canon  a  leur  clioix, 
avec  des  munitions  pour  tirer  chacun  douze  coups 
et  les  chevaux  n6cessaires  pour  les  tirer; 

»  2.  Qu'ils  serout  conduits  par  le  chemin  le 
plus  court,  en  toute  assurance,  jusqu'a  la  ville  de 
Court  ray ; 

»  3.  Que  pour  coramencer  leurs  bagages  et  de 
loutes  aulres  pcrsonnes  qui  voudront  sortir  de  la 
ville  avec  eux,  lour  seront  fourniscent  chariots; 

))  4.  Quenuls  officiers  ny  soldats,  de  quelle  na- 
tion que  ce  soit,  ayant  servi  le  parti  contraire, 
ne  pourront  cstre  relenus  ni  inqui6t6s,  sous  quel 
|)retexte  que  ce  puisse  estre; 

»  5.  Que  les  prisonniers  de  part  et  d'autre , 
faits  pendant  le  si6gc,  seront  rcmis  promtement 
en  liljcrlo: 


))  6.  Que  les  malades  el  blesses  qui  ne  pour- 
ront pas  sortir  de  la  ville  y  resleront  jusques  a 
leur  guerison  ,  et  lors  seront  conduits  a  la  ville  la 
plus  prochaine  de  rob6issance  de  Sa  Majeste  ca- 
tholique; 

»  7.  Que  toutes  munitions  de  guerre  seront  rai- 
ses 6s-mains  de  bonne  foi; 

»  8.  Qu'ostages  seront  laiss^s  des  deux  cosl6s 
pour  raccoraplissement  du  present  traicte. 

»  TaRTANCON  ,  LE  PRINCE  DE  LiGNE.  » 

Au  mime. 

«  Monsieur ,  j'ai  receu  des  lettres  de  Son  Emi- 
nence par  lesquelles  il  me  mande  comme  le 
voyage  du  Roy  est  resolu  pour  Lyon.  Comme  la 
Royne  y  va  ,  il  est  malais6  qu'il  ne  soit  pas  long, 
et  dansl'arrifere-saison  ou  Ton  entre,  il  ne  se  peut 
pas  que  beaucoup  de  cavallerie  et  quelques  r^gi- 
raens  d'infanterie  ne  retombent  vers  la  fronti^re. 
J'escris  sur  cela  a  M.  le  cardinal,  afin  que  Ton  y 
Irouve  quelque  fonds  pour  faire  subsister  les 
trouppes,  en  attendant  quelacour  revienne  pour 
donner  ordre  aux  quarliers  d'hiver ;  mais  si  vous 
passez  jusqu'en  Janvier  sans  revenir,  et  qu'il  n'y 
ait  ni  argent  ni  ordre  pour  les  quarliers  sur  les 
fronti^res,  on  se  mettra  en  estat  de  ne  pouvoir 
pas  estre  si  tost  en  campagne,  et  il^est  certain 
que  les  ennemis  en  profiteront.  Vous  scavez  bien 
au  vray  s'il  y  viendra  un  corps  considerable  d'Al- 
lemagne  eten  quel  temps.  II  ne  faut  pas  se  lais- 
ser  surprendre  par  cela,  ni  qu'il  nous  trouve  en 
mauvais  estat,  car  ils  reprendroient  des  postes 
oil  Ton  ne  pourroit  plus  revenir.  On  pourroit 
faire  travailler  de  bonne  heure  aux  recreues  aux 
regimens  qui  demeurent  en  Fiandre.  Je  suis 
oblig6  de  vous  dire  que  Darapierre  est  un  des 
bons  qui  soit  en  ce  pays-ci.  J'ai  recu  la  commis- 
sion pour  M.  d'Huraieres,  et  feiaiexecutercequi 
est  port6  par  I'ordre  du  Roy  pour  la  corapagnie 
de  Catteville.  Je  mande  a  M.  le  cardinal  que  Ton 
pourroit  mettre  Sassy  a  Menin.  Comme  il  me 
parte  de  Rubertiere,  il  semble  qu'il  n'y  ait  pas 
de  difficulte  pour  son  aCfaire  de  major  a  Ypres. 
II  a  toute  sa  vie  servi  dans  le  regiment  de  Pied- 
mont, el  je  ne  le  connois  que  de  cette  ann^e,  mais 
ilestt^ortcapable.Je  raande  a  Son  Eminence  qu'en 
attendant  les  ordres  du  Roy,  j'ai  envoye  M.  de 
Madaillon  pour  servir  de  major  a  Oudeverde. 
Je  uen  connois  de  pVus  propre  que  lui  a  servir 
en  un  lieu  comrae  celui-la.  II  y  m^ne  sa  corapa- 
gnie el  il  la  fera  fort  bonne  pour  marcher  en  cam- 
pagne avec  M.  le  chevalier  de  LaHilli6re.  J'escris 
a  M.  le  cardinal  pour  avoir  de  I'argent  pour  I'in- 
fanterie  qui  denieure  en  Fiandre.  II  est  tr6s- 
n^cessaire  de  leur  en  donner  en  les  eslablissant, 
car  apr^s  cela,  quelque  argent  qu'il  yait,  on  ne 
les  fait  pas  revenir.  Je  n'ai  point  aussi  de  nou- 
velles de  cette  avoine  qui  devoit  estre  envoyee  h 
Ypres ;  on  avoit  fait  son  corapte  sur  six  raillesacs. 
Je  ne  doute  pas  que  M.  Colbert  n'ait  donnd  les 


HI    VICOHTE    DE    TLfiEKNE.    [iGiS] 


521 


assurances  a  M.  Jacquier  pour  la  continuation  de 
son  pain.  Des  gens  qui  vont  faire  Taraorce  en 
Dauphiue,  ne  sout  d'ordinaire  gu6re  inquietspour 
cfe  qui  se  passe  en  Fiandre. 

»  Conservez-raoi  Ihonneur  de  vos  bonnes  gra- 
ces, et  niecroyez  ,  Monsieur,  voslre  Ires  humble 
et  tres-alTectionne, 

»  TORENNE. 

»  Au  camp  d'Epiers,  ce  25  oclobre  1658.  » 
Au  me  me. 

(i  Monsieur,  j'escris  a  Son  Eminence  ce  qui 
s'est  pass6  depuis  que  je  suis  deca  I'Eseaut,  et  je 
ne  doute  pas  que  vous  ne  sachiez  par  tous  les 
advis  qui  viennent  des  Pays-Bas ,  que  les  eunemis 
sont  fort  empeches;  mais  comme  ils  sont  tous 
dans  leurs  places ,  Ihiver va  metlre  fin  a  tout,  et 
on  alonge  le  temps  autant  que  Ton  peut.  Je  crois 
que  Ton  recevra  ici  de  vos  nouvelles  pour  le  paie- 
ment  des  troupes,  et  je  ne  m'esloignerai  point  de 
Flaiidre  ou  de  la  fronli^re,  que  je  ne  sache  le 
Roi de  retour.  J'avois  oublie  de  mander  a  Son  Emi- 
nence que  Ton  a  descouvert  un  lieutenant  de  Lou- 
ville,  qui  avoit  ept6  dans  la  corapagnie  d'un  bas- 
tard de  M.  de  Maiiicamp,  qui  avoit  intelligence 
avec  M.  le  prince ;  il  avoit  este  a  Tournai  et  de- 
voit  faire  enlever  la  grand'garde.  Ou  donne  ad- 
vis de  quelque  detachement  de  I'arm^e  ou  de 
quelque  convoi;  c'est  son  caporal  a  qui  il  s'etoit 
coufi6,  qui  I'a  descouvert.  Je  n'estois  pas  a  I'ar- 
mee  et  estois  all6  vers  Graramont.  M.  Ducou- 
drai  m'a  adverti  comme  il  estoit  arreste  ,  et  j'ai 
niande  que  Ton  le  fit  juger  promptement :  il  a  est6 
condamne  a  estre  pendu  et  a  estre  execute  au- 
jourd'hui.  M.  de  Coligni  m'a  envoye  demander 
aujourd'hui  un  passeport  pour  aller  de  Tournai  a 
Bruxelles,  ou  est  dora  Juan  avec  le  marquis  de 
Caracene,  et  Monsieur  le  prince  aTournai.  Jecrois 
qu'ils  hasteront  fort  leurs  troupes  d'AUemagne, 
et  je  m'imagine  qu'ils  empescheront,  s'ils  peu- 
vent,  les  troupes  de  I'Erapereur  de  s'engager 
centre  les  Su^dois,  afin  de  pouvoir  les  attirer  en 
deca  plus  aisement ,  et  que  si  le  roi  de  Su^de  n'en 
veut  qu'a  I'electeur  de  Braudebourg,  ils  pour- 
roient  bien  le  laisser  faire:  I'evenement  du  si^ge 
de  Copenhaguedecidera  toutcela.  Jevous  supplie 
de  faire  souvenir  M.  le  cardinal,  que  le  voyage  du 
Iloi  estant  long,  comme  il  y  a  apparence,  il  faut 
I  necessairement  de  I'argent  pour  soutenir  un  corps 
de  troupes  ensemble.  L'armee  empesche  que  I'on 
ne  puisse  pas  tirer  des  contributions,  de  sorte 
que  si  Ton  n'est  pas  assiste  dans  la  finde  la  cam- 
pagnesur  le  quartier  dhiver,  les  troupes  peri- 
ront  extrfiraemeut.  II  y  a  plus  de  douze  ceus 
liommes  qui  travaillent  tous  les  jours  a  Ouden- 
verde,  et  l'armee,  qui  en  est  proche,  empesche 
que  Ton  ne  puisse  rien  tirer  du  pays.  Je  suis 
Ires-veritableraeut,  Monsieur,  voire  lr6s-hum- 
ble  et  tres-affectionne  serviteur, 

»  TURENNE. 

5)  €e  5  novcmbre  1658.  » 


Au  mime. 


loNovembre. 


«  Monsieur,  j'envoie  cct  officier  du  regiment 
du  Plessis  d'iufanterie  ;  je  vous  supplie  tres-hum- 
bleraent  de  lui  ordonner  le  plus  que  vous  pourrez 
pour  son  voyage;  c'est  un  des  meilleurs  officiers 
de  I'infanterie.  II  a  une  lettre  pour  son  Eminence, 
dont  j'ai  envoye  le  duplicala  par  I'ordinaire.  Jo 
n'ai  point  eudes  nouvelles  des  ordres  que  Ton  a 
donues  en  partant  pour  donner  de  I'argent  aux  trou- 
pes en  les  mettant  dans  les  villes  ;  outre  ce  qui  es- 
toit  dans  Oudenverde,  j'y  ai  mis  quatre  compa- 
gnies aux  gardes,  le  regimen  tdePagni  el  le  Catalan, 
et  les  regimens  de  cavallerie  de  Melin  ct  La  Vil- 
letle,et  deuxLorrains,  qui  font  six  regimens  avec 
les  deux  de  Rochepaire  et  Casleluau.  II  n'est  pas 
croiableles  travaux  quelona  fails  a  ce  tie  place-la; 
le  chevalier  deClerville  les  a  fort  bien  pris  et  y  a 
agi  avec  soin.  Je  verrai,  estant dela  la  Lys,  ceque 
je  laisserai  de  cavallerie  dans  les  villes;  car  tout 
ce  que  Ion  a  pu  faire ,  c'est  de  demeurer  en  cara- 
pagne  le  plus  quil  se  peut,  el  on  ne  scauroit  pas 
en  Flaudre  laisser  les  troupes  hors  des  villes,  a 
raoins  que  d'avoir  pris  lout  le  pays.  M.  le  prince 
est  a  Bruxelles  avec  don  Juan  et  le  marquis  de 
Caracene;  ils  ont  resserre  depuis  pen  les  troupes 
qu'ils  avoienl  prises,  des  portes jusqu'au  foss6, et  si 
1  hiver  n'empeschoit  pas  de  demeurer,  on  est  lel- 
lement  au  milieu  deux  qu'ils  ne  peuvent, jusqu'i 
la  Mouse,  s'assembler  en  aucun  eudroil.  M.  de  la 
Beauvoisi  sen  ira  bieulost;  il  a  este  bien  aise  de 
voir  avec  un  pen  de  loisir  toutes  choses,  el  la  co- 
gnoissance  qu'ila  du  pays  fail  qu'ileujugemieux 
qu'un  autre.  Je  demeurerai  a  Ypres  jusqu'a  ce 
que  j'aie  des  nouvelles  du  retour  de  la  cour.  Je  ne 
scaurois  pasdire  si  lescnnemis  ferout  repasser  la 
Meusea  leurs  troupes,  au  moins  a  une  parlie;  je 
crois  que  c'est  selon  les  nouvelles  quilsauront  des 
secoursd'AIlemague,  car  s'ils  venoienl  bieulost ;  je 
pense  qu'ils  ne  s'eslargiroient  pas  beaucoup,  afin 
d'estre  prfits  a  metlre  en  campagne.  A  son  arri- 
v6e  la  Fiandre  leur  a  refuse  de  I'argent,  el  il  est 
certain  qu'un  pays  ne  peut  pas  eslre  plus  pr6s 
d'un  changemenl:  ils  ont  presenlement  I'hiver 
devant  eux,  et  le  temps,  selon  que  Ton  sen  sert, 
apporte  bien   du  changement  aux  affaires.    Je 
raande  a  Son  Eminence  comme  on  a  fail  executer 
un  lieutenant  de  Louville,  qui  I'avoit  este  du  bas- 
tard de  M.  de  Manican,  et  qui  avoit  intelligence 
avec  M.  le  prince  pour  enlever  quelques  gardes. 
II   y  a  eu  depuis  une  entreprise   sur  Dixmude 
descouverle.  II  sera  necessaired'unreglement  du 
Roi   pour  les  contributions  de  Fiandre.  Ypres 
est  le  plus  blesse  presenlement;  ceux  de  Saint- 
Venant  se  faschent  d'estre  reserves,  mais  la  na- 
ture dela  chose  y  obligera;  le  sejour  de  l'armee 
fait  que   rien  n'a   pris   d'assielte  assuree;  mais 
quaud  on  le  pourra,  il  sera  fort  aise  dy  pour- 
voir  et  avec  moyeu  de  conlenter  en  parlie  un 
chacun.  Je  vous  supplie  de  me  conlinuer  I'hon- 
neur  de  vos  bonnes  graces  el  me  croire  tris-ve- 


i2'2 


DOCUMENTS    INEDITS    RKLATIFS    ADX    MEMOIBES 


rilablement ,  Monsieur ,  voire  Ir^s-hurable  et  tr^s- 
affeclionne  serviteur, 

»  TrRKNNE. 

»  II  y  est  venu  un  officier  anglois  qui  m'a  dit, 
qu'il  a  vu  ,  en  passant  dans  la  chambre  du  nou- 
veau  protecteur,  M.  Fairfaix,  M.  Lambert  et  M. 
Buquinguam.  Jai  envoi6  querir  a  Saint- Venant 
les  fonds  pour  les  nouveaux  Anglois  ;  il  y  a  long- 
feraps  que  les  vieux  n'ont  reru  d'argent;  ilscora- 
niencent  a  en  estre  fort  chagrins,  et  cela  ne  peut 
pas  durer.  » 

Au  mcme. 

«  Du  camp  d'Isengheim,  le  2i  novembre  1658. 

»  Monsieur,  j'ai   receu  les  deux  letlres  qu'il 
vous  a  plu  me  (aire  I'bonneur  de  ra'escrire,  qui 
sont  toutes  deux  du  1"  novembre.  Je  vous  eu- 
voie  en  diligence  I'esfat  des  troupes  que  je  fais 
estat qui  pourront  demeurer  en  ce  pays ,  et  comrae 
il  est  un  peu  grand  pour  la  cavallerie ,  en  cas 
qu'il  y  eust  de  la  difficulte  de  les  y  mainlenir, 
vous  ordonnerez,  s'il  vous  plaist,  que  Ton  re- 
serve quelques  quarliers.  J'ay  envoie  scavoir  a 
Bergues  si  j'y  pourrois  metlre  les  regimens  de 
Wirlemberg.  Je  n'ay  receu  cet  estat  pour  Oude- 
narde  qu'en  dera  de  la  Lys;  et  ouire  cela,  ce  qui 
y   est  demeure   de  cavallerie  y  est  bieu    plus 
propre,  ces  regimens  de  Wirtemberg,  qui  sont 
nouveaux,  ne  se  maintenant  pas  si  bien  que  les 
vieux  regimens,  et  eslant  n^cessaire  d'avoir  des 
gens  effectifs  dans  celte  garnison-Ia.  Je  vous  en- 
voie I'estat  des  officiers  d'artillerie  que  j'ai  rete- 
nus,etce  qu'il  leurfautet  pour  les  chevaux,  pour 
le  mois  de  novembre;  et  aussi  ce  qui  a  esle  or- 
donn6  sur  une  somme  de  Irenle  six  mille  livres, 
qu'un  cummis  extraordinaire  a  apport^e  a  Me- 
nin  pour  les  nouveaux  Anglois ,   pour  les  regi- 
mens ^cossois  de  la  garde  ,   pour  celui  de  Dou- 
glas, et  pour  les  Catalans.  J'ai  escrit,  en  envoyant 
le  vieux  corps  anglois  ,  a  M.  d^rmesson  ,  et  en 
son  absence  a  M.  Pi^tre  et  a  M.  de  Bar,  pourleur 
r6ception  ,  et  aux  premiers  pour  I'ordre  du  loge- 
nienl;  et  comme  j'avois  nouvelle  d'une  somme  de 
cinquante  mille  francs  qui  vient,  et  que  leur 
moismonle,  selon  la  derniere  revue ,  a  (rente- 
qualre  mille  francs,   laquelle  s'estant   Irouv^e 
avoir  pass6  jusqu'a  Menin  ,  et  les  Anglois  ayant 
pass6  outre,  j'escriray  a  MM.  les  surintendans 
pour  les  supplier  de  remplir  lesdictes  dix  mille 
livres,  lesquelles  on  employera  icy  a  des  usages 
n6cessaires.  Je  mande  a  Son  Eminence  comme 
je  renvoie  le  regiment  d'Artois,  sur  la  priere  que 
M.  le  mar6cbal  de  Schulemberg  m'en  a  faite  , 
s'estant  presque  tout  ruin6.  Comme  on  dit  qu'on 
ne  met  point  de  quartiers  en  Normandie,  je  ne 
vous  diray  rien  pour  mon  r6giment  de  cavallerie 
et  celui  d'infanlerie,  si  ce  nest  de  vous  supplier 
qu'ils  soient  des  mieux  et  pas  trop  esloign^-s.  Jc 
vous  assure  que  les  villes,  a  moins  d'un  argent 
qui  vienue  (oujours  a  point  uouim'^,  ce  qui  nc  se 


fait  jamais  quand  il  a  a  passer  par  diverses  raainsi 
sont  la  ruine  des  troupes.  Une  marque  d'un  m^- 
chant  officier  ,  c'est  quand  quelqu'un  diet  quit 
fait  aussi  bon  dans  les  villes,  parce  qu'il  ne  sc 
soucie  que  d'avoir  de  I'argent  et  point  du   tout 
d'avoir  des  soldals,  qui  lui  sont  a  charge  durant 
I'hyver  ,   et  pourveu  qu'il  mene  douze  ou  quiuze 
gueux  de  recrues,  a  qui  il  n'a  pas  doune  la  moi- 
tie  de  ce  que  le  Roy  donne,il  croit  avoir  salisfait 
et  estre  asseure  de   n'estre  pas  cass6.  Ce  que 
vous  voyez  que  la  cavallerie   se  maintient   si 
bien  a  cetle  heure,  c'est  que  Ton  garde  durant 
I'hyver  beaucouf)  plus  de  cavallerie  que  Ton  n'a 
jamais  fait;  el  autrefois  les  capitaines  refaisoieut 
presque  toutes  leurs  compagnies  au  printemps, 
et  on  ne  se  maintenoit  pas  si  bien  avec  qualre 
demies  montres  durant  lacampagne,  que  Ton  fait 
a  celte  heure   sans  rien   toucher.  II  y  a  toute  la 
m6me  raison  pour  I'infanterie.  M.  Jacquier  est  a 
Arras,  malade,  el  je  n'ai  encore  eu  aucunes  nou- 
velles  de  celte  fourniture  d'avoine  a  Ypres.  Vous 
verrez,  par  Teslat  des  troupes  qui  demeurenl,  lo 
nombre  de  celles  qui  s'en  iront.  II  y  reste  fort 
peu  de   regimens  d'infanlerie  ,  et  je  crois  que, 
pour  quelques-uns  de  ceux   d'Oudenarde,   que 
Ion  pourroitleur  fairefaire  des  recrues  de  bonne 
heure.  Ce  qui  reste  dans  les  regimens  d'infanle- 
rie qui  sont  ici,  sont  de  bons  bommes,  et  je  crois 
que,  leur  dounant  les  moyens,  ils  se  raetlront 
chacun  a  plus  de  qualre  cens  hommes.  Je   ferai 
marcher  un  de    ces  jours   lous  les  regimens  en 
France;  je  demeurerai  a  Ypres  ,  et  il  est  bien  n^- 
cessairc  qu'ils  Irouveul  leurs  quartiers  a  la  fron- 
li6re.  Je  vous  envoie  aussi  I'eslal  des  regimens 
que  j'ai  donnes  a  M.  de  Genlis  pour  escorter  les 
Anglois  jusqu'a  Amiens,  et  n'ai  rien  a  vous  ad- 
jousler  que  I'assurance   de  mon  souvenir  Iri^-s- 
humble,    eslant   Ires-veritablement ,    Monsieur, 
voire  Ires-humble  et  tres-affectionn6  serviteur, 

»  TCRENNE. 

»  Je  ne  scais  pas  encore  s'il  y  pourra  demeu- 
rer plus  ou  moins  de  cavallerie  a  Bergues,  et  si 
j'y  laisserai  le  ri^^giment  de  Gassion.  Je  necomple 
point  les  deux  regimeiis  deCrequi  et  de  Broglie, 
que  je  renvoyerai,  I'un  a  B^tliune  et  I'autre  a 
Bassee.  Je  crois  qu'il  en  faudra  laisser  encore 
quelqu'uns  a  Saint- Venant.  On  pourra  peut-elre 
se  trouver  un  peu  court  pour  Ypres,  car  il  u'y  a 
point  de  fourage. 

»  Je  vous  supplie  de  vous  souvenir  du  sieur  de 
Sain  I -Martin,  niarochal-des-logis,  general  de 
la  cavalerie,  afin  qu'il  puisse  estre  mis  comme 
lannde  pass6e.  » 

Au  meme, 

«  Monsieur,  j'ai  recu  la  lellre  qu'il  vous  a  plu 
me  faire  I'honneur  de  m'escrire  du  17  mars,  et 
deux  jours  auparavanl  j'avois  faict  parlir  le  nc- 
veu  de  M.  de  Montpezat,  avec  I'estat  des  troup- 
pcs  qui  demeurenl  en  ce  pays  icy ,  el  comme  il 


Dl)    VICOMTE    DE    TURENINE.     [1058] 


n'y  a  que  sept  r^giraens  d'iufanterie  ,  sans  La 
Ferle,  qui  s'en  retournent ,  je  m'asseure  qu'ils 
Irouveroiit  leurs  ordres  sur  la  fronti^re  pour  leur 
quarlier.  J'ay  respondu  a  un  nienioire  que  M. 
Talou  ni'a  mande ,  et  comnie  il  y  a  des  regimens 
de  cavalerie  qui  demeurent  en  ce  pays  ici,  dont 
vous  avez  onvoy6  les  quartiers,  j'cnvoyerai  le 
reste  des  trouppes ,  el  ainsi  ils  demeureront  li- 
bres.  Je  crois  qu'ayanl  si  peu  d'infaiilerie  a  lo- 
ger,  que  vous  pourriez  les  inettre  sur  la  fron- 
tiere  de  Picardie  el  aux  bords  de  la  Normandie,  et 
en  supl6anl  avec  de  I'argenl  a  ce  que  vous  ne  les 
eslendez  pas  lanl ,  vous  pourriez  les  nietlre  en 
estat  de  marcher  de  bonne  lieure ;  car  je  ne  doule 
pas  que  si  I'ennemi  tire  du  secours  d'AlIemagne, 
quil  ne  vienne  bieulost  aux  places  avanc^es,  et 
e'est  si  fort  au  milieu  de  son  pays  qu'il  peul  le 
faire  en  loute  saison.  Si  Tarni^e  du  Roy  est 
preste,  on  a  aussi  eel  avantage  que  Ton  y  peul 
subsisler  comme  eux,  pourvu  que  cela  ne  dure 
pas  Irop  long-leraps  en  attendant  les  lierbes.  Le 
travail  d'Oudenarde  ne  peut  plus  s'avancer  faute 
d'argent,  et  a  la  separation  de  I'armee,  s'il  y  en 
eusl  eu ,  cela  eusl  sauve  beaucoup  de  solJats  qui 
d^serlent  les  garnisons.  Je  croyois  toujours  qu'il 
en  viendroit  avaut  qu'il  se  fallOit  un  peu  esloi- 
gner.  Les  enuerais  se  raettenl  enlre  Bruxelles  et 
Namur,  pour  se  raccoramoder  et  voir  le  temps 
qu'ils  pourroient  faire  quelque  cliose.  Je  ferai 
partir  toules  les  trouppes  qui  out  leurs  ordres  de 
quarlier,  el  les  aulresaussilost  apres,  ne  pouvaut 
pas  les  lenir  ensemble.  Pour  la  cavallerie,  ils 
sortenl  de  campagne  eu  tr^s  bon  estat  ;  vous  pou- 
vez  bleu  juger  que  les  officiers  sont  Ires  pauvres, 
mais  les  cavaillers  soul  tres-bien  monies  el  bien 
vestus.  M.  le  cardinal  me  mande  que  la  cour 
eera  de  retour  a  Noel. 

»  II  y  a  beaucoup  de  malades  dansl'infanterie, 
mais  point  de  desertion.  Je  crois  qu'ils  trouve- 
rontdes  soldats  cetle  annee,  au  moins  ceux  qui 
s'y  appliquerout.  J'allends  avec  impatience  de 
sravoir  comme  toules  choses  se  passeront  au 
voyage.  II  se  confirme  de  tous  les  cosies  que  le 
Roy  de  Suede  a  ete  baltu  sur  mer  par  les  Hol- 
laiidois.  Je  vous  supplie  de  croire  que  je  suis  trds- 
veritableraent ,  Monsieur,  etc. 

»    TUKENNE. 

»  Du  camp  de  Moildle,  le  29  novembre  1658.  » 

Au  meme. 

«  Monsieur,  depuis  m'eslre  donn6  I'honneur 
de  vous  escrire ,  un  garde  que  javois  envoy6  a 
MM.  les  surintendans  est  de  retour,  par  lequel 
ils  m'escrivent  que  les  cinq  cent  mille  francs 
pour  envoyer  en  Flaudre  soul  lout  presls ,  mais 
qu'ils  attendenl  un  ordre  de  la  cour  pour  ren- 
voi de  ladite  somme.  Les  avoines  que  M.  Jac- 
quier  devoit  fournir  a  Ypres  ont  aussi  reru  du 
relardement,  dont  on  escrit  a  M.  Colbert  a  Paris. 
Jc  fais  marcher  tcutes  les  troupes  a  la  fronti^re  , 


523 

tant  cavallerie  qu'infanterie,  a  la  reserve  de  ceux 
qui  demeurent  dans  ce  pays  icy,  dont  je  vous  ay 
envoye  I'eslat,  et  celles  pour  lesquelles  vous 
m'avez  envoy6  les  quartiers  y  marchent ;  le  reste 
qui  ne  I'a  pas  reru  atlendra  la  distribution  a  la 
frontiere.  Je  mande  a  M.  le  cardinal  qu'il  n'y  a 
rien  de  plus  important  que  ,  suivant  les  nouvel- 
les  que  vous  avez  de  Flandre,  vous  fassiez  de- 
meurer  tous  sur  la  frontiere,  ou  escarter  davan- 
tage  les  regimens  d'iufanterie  qui  s'en  retourne- 
rout ;  si  vous  les  mellez  dans  les  villes ,  ils  per- 
dront  tous  leurs  vieux  soldats  el  n'auronl  que  des 
recrues  au  printemps;  a  faute  de  I'argenl  pour  les 
payer,  on  pourroil  les  serrer  dans  des  bourgs  et 
leur  donner  pr'^mptement  les  recrues,  afin  qu'ils 
se  metteut  en  estat.  Vous  verrez  bien  le  dessein 
desennemis,  et  s'il  est  d'attendre  les  trouppes 
d'AlIemagne  avaut  que  d'agir.  Je  demeure  a 
Ypres,  et  je  vols  bien  qu'il  seroit  plus  sur  de  re- 
lenir  loute  rinfanterie,  mais  aussi  on  n'auroit 
pas  d'armee  au  printemps.  Ce  relardement  d'ar- 
gent fait  perdre  bien  des  soldats  de  garnison , 
et  il  n'y  auroit  rien  eu  de  plus  capital  que  de  le 
recevoir  trois  semaiues  auparavaut  que  les  trou- 
pes qui  doivent  s'en  retourner  fussent  parlies. 
Failes-moi  Ihonneur  de  croire  que  je  suis  Ires 
cerlaiuement,  Monsieur,  voire  Ires-humble,  etc. 

»   TURENNE. 

»  A  Neufve-Egiise,  ce  2  decembre  IG  8.  » 


IGS'J. 
A  Monsieur  Le  Tellier. 

« Monsieur,  j'ai  sceu  deM.  deVilosel  comme  les 
ordres  ont  ^te  envoyes  a  mon  regiment  d'iufan- 
terie qui  estoit  demeure  a  la  frontiere,  et  de  M. 
d'Ormesson,  que  le  regiment  de  Gonterie  estoit 
pass6  a  son  quarlier  de  Sontegne.  Je  ne  vois  plus 
de  troupes  a  la  frontiere  qui  n'ayent  leurs  quar- 
tiers. D6s  que  le  payement  aura  616  fait  a  Me- 
nin  el  a  Oudeuarde,  on  vous  en  envoyera  I'eslat. 
J'ai  fail  donner  mille  livres  par  compagnie  de  ca- 
vallerie; il  y  en  a  cenlcinquanle,  et  ne  comptant 
les  quatre  d'Arras  ,  six  de  Relhune  et  six  de  La 
Bassee.  Ou  a  donne  cinq  cens  livres  aux  meslres- 
de-camp  presens,  el  deux  cens  livres  pour  I'es- 
tat-major  des  regimens  oil  il  n'y  en  a  point,  et 
cinq  cens  francs  a  chaque  brigadier,  dont  il  n'y  eu 
a  que  deux ,  qui  sont  M.  de  Penne  et  M.  de  Beau- 
voisi;  rinfanterie  ira  a  plus  de  cent  mille  francs, 
et  on  a  fait  outre  cela  dix  mille  francs  aux  Ila- 
liens,  et  quelques  suppl6mens  aux  Escossois.  II 
commencera  demain  a  y  arriver  de  la  farine  de 
Dunkerque,  et  pour  un  si  grand  corps  de  caval- 
lerie comme  celuy  qui  est  en  ce  pays-icy,  le 
fourage  a  este  fourni  par  ordre  sans  y  manqucr. 
Je  crois  que  monsieur  le  cardinal  aura  reru  une 
lettre  par  laquelle  je  lui  raaudois  qu'il  y  est  ar- 


52* 


DOCUMENTS    I^E1)1TS    BELATIFS    ALX    MEMOIRES 


riv6  un  grand  d^sordre  dans  deux  places  del'en- 
nemi ,  a  Alosl  et  a  Terremonde.  Les  bourgeois 
et  les  regimens  espagnols  se  sont  ballus.  On 
raande  que  de  celui  de  Meuesses  il  y  a  eu  quaire 
capitaines  de  tu6s.  On  a  envois  de  Bruxelles  le 
vicomle  dePienne,  sergentde  balaille,  pour  ap- 
paiserce  desordre-la;  cela  est  venu  pour  les  bil- 
lets donl  les  r<^gimens  espagnols  out  acouslurae 
de  prendre  un  nonibre  excessif ,  el  c'est  en  quoi 
leur  quarlter  d'hiver  sera  valant  beaucoup.  Si 
vous  voyez  de  dela  que  les  choses  se  disposenl  a 
la  continuation  de  la  guerre  ,  il  sera  fort  n^ces- 
saire  de  faire  donner  de  bonne  heure  I'argent 
pour  les  recroes  de  I'iufanterie,  car  les  officiers 
prennent  pretexte  ,  et  avec  raison  ,  de  retarder 
leur  niarclie  pour  des  quarliers;  et  quand  ils  par- 
tent,  avantqu'elles  soieut  arrivces,  elles  viennent 
en  si  petit  nombre  eten  si  raauvais  eslat  qu'elles 
sont  presque  inuliles.  Corame  vous  n'estes  point 
de  relour  a  Paris,  je  n'ai  pas  adress6  beaucoup 
d'officiers  pour  les  recrues ;  mais  si  voire  s^jour 
a  Lyon  est  plus  long,  en  mandant  a  M.  de  Ve- 
soul  a  quels  regimens  on  en  veut  donuer  pr6- 
sentenient,  et  lui  rae  le  faisanlsravoir,  je  donne- 
rai  ordre  a  ce  qui  est  de  ce  pays-ci  pour  ceux  qui 
sont  en  France;  je  crois  qu'il  en  faut  souvent  de 
nouvelles.  Vous  ferez,  s'il  vous  plaist,  consid^rer  a 
M.  le  cardinal  qu'il  n'y  a  pas  beaucoup  de  regi- 
mens d'infanteriefranroise,  et  que  le  nombre  des 
compagnies  a  est6  dimiuu6;  de  sorte  que  si  vous 
en  laissiez  sans  recrues,  vous  u'auriez  pas  beau- 
coup dinfanlerie ;  il  n'y  a  pas  d6serte  de  soldals, 
mais  il  en  est  mort  un  grand  nombre  dans  les 
bdpitaux  deblessures  ou  de  maladies.  A  \pres, 
on  en  a  enterr6  plus  de  sept  cens ;  ils  font  courir 
le  bruict  en  Flandre  qu'ils  traiclent  avec  I'An- 
gleterre  ;  mais  je  ne  vois  rien  sur  quoi  on  puisse 
poser  de  fondement ;  les  troupes  de  I'ennemi  se 
sont  mises  ces  jours  passes  en  quarticrs  d'biver, 
et  toutes  clioses  dependent  de  ce  qui  se  fait  a 
Lyon,  ouje  crois  que  le  commencement  de  Jan- 
vier fcra  resoudre  toutes  clioses;  car  asseurement 
le  s^jour  de  la  cour  plus  long  que  ce  lemps-Ia  , 
pourroit  donner  beaucoup  d'avantage  a  1  ennemi, 
ct  je  ne  doute  pas  qu'il  n'obligeat  aussi  les  allies 
a  penser  a  eux.  Le  million  dor  a  este  remis  a 
Anvers  :  on  dit  que  M.  le  prince  eu  a  quatre 
cens  mil  escus.  Je  vous  supplie  Irds-humblement 
de  continuer  a  croire  que  je  suis  tres-sincere- 
menl ,  Monsieur ,  voire  tri^s-humbie  el  tr^s-affec- 
tioim6  servileur , 

»  TcnE>>'E. 
»  A  Yprcs,  4  Janvier  1659.  » 

All  vtcme. 

«  Monsieur,  je  crois  que  vous  aurez  roreu  les 
liMlres  que  je  ine  suis  donne  1  bonneur  de  vous 
escrire  sur  eel  argent  qui  est  arriv6  ,  vous  man- 
flant  en  gros  comme  on  le  distribuoif ,  allendanl 
que  les  garnisons  soient  toutes  pai^es  pour  rous 


en  envoier  le  detail.  La  saison  de  la  fortification 
eslanl  pass^e,  le  chevalier  de  Clerville  s'en  re- 
tourne ;  il  y  a  fort  bien  travaille  ct  avec  grand 
soin  ;  si  vous  n'estiez  pas  a  la  fin  de  Janvier  a  Pa- 
ris, il  seroit  d'une  extreme  consequence  que  Son 
Eminence  donnast  ordre ,  et  a  ce  qui  concerne  ce 
pays  icy  pour  les  vivres  ,  munitions  de  guerre  et 
eutreleueraeut  des  troupes,  et  aussi  pourl'armeo 
qui  est  relournee  en  France,  afin  qu'elle  soil 
press6e  de  bonne  heure,  estant  d'une  consequence 
extreme  de  Teatre  plustosl  que  les  eunemis,  et 
cela  consiste  a  donner  de  I'argent  proinptemenl 
pour  les  receveurs  de  I'infanlerie  des  corps  qui 
sont  en  ce  pays  ici ,  et  a  raccommoder  ceux  qui 
sonl  alies  en  France,  el  comme  il  y  depend  beau- 
coup des  Anglois,  entrerprompteraeul  en  affaires 
avec  eux,  si  ou  estasseure  de  !a  paix.  Vous  voyez 
bien  que  le  relardementde  donner  des  raoyens  a 
I'arraee  de  se  remeltre  el  de  trailer  avec  les  An- 
glois, est  d'un  grand  prejudice,  eslanl  certain  qu'a- 
pres  le  parteraenl  de  don  Juan,  M.  le  prince  el  le 
marquis  de  Caracenene  perdrout  pas  un  moment 
de  temps.  Ou  a  recu  trois  mille  sepliers  d'avoine 
quele  sieur  Jacquier  a  faitfournira  Duukerque, 
qui  sont  arrives  ici ,  et  j'ai  envoye  une  des  deux 
compagnies  suisses  qui  esloit  a  Bergue,  qui  est 
celle  d'Affoi,  a  Oudenarde.Depuis  que  le  renfort 
est  arrive  de  ces  quatre  cens  homraes  de  Brouage, 
donl  il  y  en  a  bien  moilie  hors  de  service,  le 
sieur  Robertot  a  recu  des  ordres  pour  le  pain  de 
munition  dans  les  places;  et  comme  je  crois  que 
cela  ralentira  beaucoup  ceux  qui  en  faisoient  la 
fourniture,  il  sera  necessaire,  dans  le  mois  qui 
vienl,  qu'il  y  ait  de  largenl  pour  la  fourniture 
des  garnisons  ou  que  Ton  traile  avec  des  gens  qui 
s'en  chargenl;  car  hors  Oudenarde,  les  garnisons 
de  ce  pays  ici  commenceront  dans  le  mois  de  mars 
a  n'avoir  plus  de  pain.  On  soulient  les  choses  dans 
le  commencement  de  I'hiver,  mais  vers  le  prin- 
temps  il  faul  degraudes  ressources  d'argenl  pour 
meltre  les  choses  en  estal.  Je  maiide  a  M.  le  car- 
dinal comme  I'ambassadeur  d'Angleterre  me 
raande  qu'il  s'en  va  relirer  un  balaillon  a  Duu- 
kerque, de  ceux  qui  esloient  a  Amiens,  ou  il 
ne  demeurera  que  trois  regimens.  Le  prolecteur 
en  reliranl  deux  de  ceux  de  Dunkerque,  ce 
pourroit  bien  eslre  faute  d'argent,  ou  ayant  des- 
sein  d'envoier  des  troupes  aux  Suedois;  peut-etre 
aussi  qu'estant  presl  a  renouveller  leur  Iraiie,  ils 
veulenl  se  faire  recherclier.  Le  parlemenl  doilse 
lenir  a  la  fin  de  ce  niois,  el  il  est  difficile  a  juger 
quels  seroul  leurs  senlimeus;  on  assure  uean- 
moins  qu'il  sera  compose  de  beaucoup  d'officiers 
de  I'armee.  On  mande  que  M.  le  cardinal  a  eu 
bien  fori  la  goulle.  Je  vous  supplie  de  me  conti- 
nuer I'honneur  de  vos  bonnes  graces,  et  rae  croire 
tres-veritablement.  Monsieur ,  voire  (res-humble 
el  Ires-aQeclionue  servileur, 

»  TURENNE. 

»  A  Ypres,  ce  II  Janvier  1G59.  » 


DU    VICOMTR    DE    TURENNE.    [lG50] 


Au  me  me. 


«  Monsieur,  j'escris  a  Son  Eminence ,  el  je  lui 
mande  qu'ayanlscea  que  le  Roy  el  lui  arriverout 
^  Paris,  el  qu'il  avoil  lrouv6  bon  que  j'y  allasse, 
que  je  suis  parli  (le  Flandres  ,  y  ayant  laisse  les 
ciioses  en  eslat  de  n'y  avoir  rieu  a  craindre,  si 
ce  n'esl  que  i'ennemi  fit  venir  une  arm^eou  qu'il 
levast  exlraordiiiaireraeul  dans  le  pays;  leurs 
Iroupessonl  enlrecs  depuis  peu  dans  des  garni- 
sons  forlruinees.  Je  niandeaussi  a  Son  Eminence 
corame  j'ai  rencontre  une  voilure  de  trois  cens 
luilie  livres  ,  partie  d'Amiens,  et  qu'elle  sera  rae- 
n6e  avec  les  escorles  n^cessaires  jusqu'a  Ypres, 
et  on  n'y  louchera  point  jusqu'a  ce  que,  sur  I'estal 
des  troupes  que  je  vous  donnerai,  vous  ayezen- 
voye  de  nouveaux  ordres  pour  le  paieraent.  Vous 
pouvez  estre  asseure  que  ce  retardement  ne  nuira 
a  quoi  que  ce  soil.  J'ai  passe  par  Arras;  M.  le  ma- 
r^chal  de  Chusleraberg  est  venu  me  conduire  fort 
loing,  et  ra'a  dit  qu'il  esperoit  venir  a  Paris  dans 
les  premiers  jours  du  caresrae.  J'aurai  beaucoup 
de  joie  d'avoir  I'honneur  de  vous  voir  et  de  vous 
assurer  que  je  suis  toujours  tr^s-sincereraent , 
Monsieur,  voire  Ires-hnmble  et  tr^s-aCfectionne 
serviteur, 

1)  Tlrenne. 
»  A  Amiens,  ce  26  Janvier  1659.  » 

Au  me  me. 

«  Monsieur,  je  viens  de  scavoir  par  M.  de  Ru- 
vigni  que  M.  le  chancelier  n'avoit  point  escril 
par  le  dernier  ordinaire ,  mais  qu'il  a  assur^  que 
ce  seroil  par  celui  d'aujourd'hui,  sur  I'affaire  du 
sinode ;  et  conime  vous  avez  recu  celle  que  je 
m'estois  donne  I'honneur  de  vous  escrire ,  j'espere 
que  le  brevet  du  Roy,  sign6  par  M.  de  La  Yril- 
li^re,  aura  este  envoye  apr^s  la  reception  des 
Retires  precedenles,  vous  assuranl  que  M.  le  chan- 
celier el  M,  le  procureur  general  sont  conveuus 
dul5oclobre  pour  le  jour,  et  pour  la  personue  de 
M.  Magdelaine  ,  el  pour  le  lieu.  M.  le  chancelier 
avoil  dilau  commencement  qu'il  valloit  mieuxque 
ce  fusi  Saiimur  a  cause  du  chasleau;  mais  quaud 
on  a  pens6  que  Ion  souhailoit  plus  que  ce  fust 
Loudun,  il  laissa  aller  la  chose;  tout  cc  queje 
craios  est  qu'en  relardanl  la  response  le  brevet 
*  ne  soil  retarde ,  et  des  que  les  choses  vieillissenl, 
il  est  a  craindre  qu'elles  ne  changenl;  j'espere 
que  cette  lellre  sera  inutile  parce  que  le  brevet 
aura  este  expedie  e(  quil  sera  en  chemin.  J  ai 
retarde  ici  quelques  jours  a  cause  de  la  maladie 
de  ma  sogur;  je  m'en  vais  demeurer  a  Yerneuil, 
et  je  pense  queje  serai  oblige  des^parer  les  trou- 
pes de  la  frontiere  dans  les  villages.  Surle  retar- 
dement de  cette  entrevue  a  la  frontiere ,  on  a  fait 
courir  beaucoup  de  bruits,  comrae  si  cela  devoil 
donner  quelque  alteinte  a  la  paix,  et  il  est  aussi 
public  que  Ion  parle  de  la  jeune  infanterie  au  lieu 
de  Taisnee.  Tout  est  ici  fort  calme;  mais  jai  veu 


des  lettres  de  Londres,  du  12  aoust,  qui  disent  que 
la  province  d'Erfort  s'estoit  declareepour  le  Roy. 
On  saura  dans  quelques  jours  la  disposition  de 
M.  le  prince  en  Flandre;  on  assure  fort  qu'il  ne 
doute  point  de  son  accomraodemenl  avec  satis- 
faction. 

))  Je  suis  tr6s-v6ritablement,  Monsieur,  voslre 
(r^s-humble,  etc. 

»  TcBEiNNE. 

»  A  Paris,  ce  17  aoust  1G59.  » 
Au  meme. 

«  Monsieur,  je  suis  revenu  faire  un  tour  de 
Verneuil  icy,  pour  quelques  affaires  a  la  cham- 
bre  des  comptes,et  je  pars  demain  pour  m'en 
aller  en  Picardie ;  on  m'a  assur6  que  le  roi  d'An- 
glelerre  est  en  quelque  lieu  sur  les  fronlieres 
incognu.  Je  voudrois  de  bon  coeur  qu'on  lepuisse 
assisler  a  son  restablissemenl;  il  est  Ires-certain 
qu'il  y  a  un  souleveraent  presque  g^n^ral  contre 
le  parlemeut;  mais  corame  il  a  I'arm^e  pour  lui, 
cela  est,  en  beaucoup  de  lieux  ,  sans  effet,  el  il 
n'y  a  qu'en  une  seule  ville,  qui  s'appelle  Ches- 
ter, oil  il  s'y  est  bien  assemble  six  millehommes, 
contre  lesquels  Cambert  va  avec  des  troupes 
qu'il  a  lirees  de  Londres;  et  si  ces  souleves 
pouvoienl  avoir  un  succes,  et  que  le  parti  du 
Roy  put  prendre  pied,  il  y  auroil  grande  appa- 
reuce  a  son  restablissemenl.  Le  parlemeut  cepen- 
dant  ne  s'oublie  pas,  16ve  de  tons  cosies,  el  ceux 
qui  sontarmC's  les  premiers  ont  beaucoup  d'avan- 
tage  dans  un  pays  ou  il  n'y  a  pas  de  places.  On 
croit  que  les  flottes  obligeront  les  deux  Rois  a 
s'accorder  contre  le  gr6dc  tons  deux,  et  que  celle 
arraee  iraperiale ,  qui  estoit  destin^e  pour  la  Flan- 
dre, s'en  va  attaquer  les  Suedois  dans  la  Ponie- 
ranie ,  ce  qui  est  une  rupture  toule  ouverte  de  la 
paix  de  Munster.  II  y  est  venu  une  personue  ou 
deux  de  M.  le  prince  secr^teraenl  a  Paris,  et  ce 
quel'on  peut  recueilliret  avec  quelque  certitude, 
cest  qu'il  veut  s'accorder,  et  il  commence  a  de- 
mander  des  avis  comme  il  se  doit  gouverner  en 
revenant.  Je  ferai  le  mieux  que  je  pourrai  a  la 
frontiere,  el  peul-estre  que  je  serai  quelque  jour 
a  Paris  suivanl  que  j'y  aurai  a  faire ;  il  n'y  a  pr6- 
sentement  rien  du  tout  de  considerable;  on  n'y 
parle  point  d'argent  du  lout,  et  nous  attendons 
ce  que  Ion  fera  dedela,  et  on  lachera  de  s^  gou- 
verner le  raieux  que  Ton  pourra  dans  un  si  grand 
changemenl  de  scene. 

»  Faites-iuoi  I'honneur  de  me  croire  tres  cer- 
taineraent.  Monsieur,  vosfre  Ires-humble,  etc. 

»  TCRENNE. 

»  J'ai  receu  un  mot  de  M.  le  cardinal  le  lende- 
main  apres  la  premiere  conference,  el  on  a  sceu 
la  suite  des  autres  par  toulcs  les  nouvelles  de  la 
,  ville. 

I       >)  A  Paris,  ce  28  aousl  1059.  » 


52n. 


DOCUMEXTS   INEDITS    RELATIFS    AUX    MEMOIRES 


Au  rncme. 


«  Conime  jc  ni'en  vas  demain  en  Picardie ,  et 
que  Ton  m'a  dil  que  vous  iie  reviendrez  pas  a  ce 
soirjevous  sui)lie  de  nieniander  si  M.  le  cardinal 
vous  a  parlcdun  sinode  donl  ii  niavoit  dit  qu  il 
vous  enfrelieiidroil  en  sen  allant,  afin  que,  sui- 
vant  ce  que  vous  nianderez,  je  lui  en  escrive.  Je 
pa.-serai  a  Cliantilli  oii  je  coucherai ,  et  je  ferai 
jjcut  esire  un  lour  jusques  aux  villcs  de  Flandre 
jiour  m'cn  revenir  a  Fontainebleau.  Je  vous  su- 
|)Iie  dc  nie  mander  ce  qui  se  pourra  escrire,  de 
oc  qucapporlera  ce  courier  que  Ion  allend  vers 
Orleans,  et  nie  croyez  tres-sincerement  voslre 
tres-humble,  e!c. 

«  TcRENNE. 

»  On  dit  a  Paris  que  Leuct  assure  fort  que 
laccominodenient  de  M.  Ic  prince  se  rendra  biea 
[)lus  avantageux  par  leutrevue.  » 

Au  wcme. 

«  Monsieur ,  vous  avcz  receu  une  leKre  que 
je  me  suis  donne  I'lionneur  de  vous  escrire,  il  y 
a  huicl  jours,  touchant  rcslablissenient  de  la  ca- 
vallerie  ;  j'escris  a  Son  Eminence,  etje  lui  niande 
que  comme  on  n'a  mis  Tinfanlerie  dans  les  vil- 
lages que  pour  lui  donner  le  moyen  de  passer  la 
campagne  sans  argent;  a  cette  beure,  que  cetfe 
raisoncesse,  queje  crois  quil  ordonnera  qu'elle 
soil  mise  dans  les  villes.  On  a  mandc  de  Paris  que 
M.  le  surintendant  est  parti  pour  la  cour,  et  cela 
donne  sujecf  de  croire  ce  qui  s'escrit  de  touscostes, 
qu'elle  passera  une  bonne  parlie  de  Tbiver  en  ce 
pays,  et  qu'on  y  veut  travailler  pour  les  fonds 
des  quarliers  d'biver  et  d'autres  despenses.  Je 
continuerai  a  vous  dire  ce  que  j'ai  niand^  aussi  a 
Son  Eminence ,  quil  scroit  fort  n6cessaire  d'avoir 
dans  le  commencement  de  noverabre  lesquartiers 
pour  les  trouppes,  car  aulrement  on  d^solera 
toute  la  province,  et  il  est  certain  qu'on  ne  doit 
pas  faire  estat  cet  hivcr  du  logement  de  dela  la 
Sorame;  on  leur  a  donn6  le  niieux  que  Ion  a  pen 
le  moyen  de  semer,  mais  c'est  tout  ce  qui  leur 
rcsle  de  bien,  et  vous  savez  que  c'est  pr6s  de  la 
moilie  de  la  Picardie.  Je  ne  mande  pas  a  Son  Emi- 
nence ce  detail,  qui  est  qu'il  n"y  a  eu  personne 
dans  le  gouvernement  de  Montreuil,  ni  leBou- 
lonnois  ;  mais  ce  premier  ne  consiste  qu'en  pen 
de  villages  tons  ruin^s  par  ceux  deHesdin.  Le 
gouvernement  d'Arras,  de  B(5t!iune  et  de  Ba- 
paume  n'ont  pas  recu  aussi  de  logement.  Si 
vous  failcs  les  quartiers  d'biver  de  dela,  comme 
je  n'en  doutc  pas,  je  vous  supplie  de  vous 
souvenir  de  Saint-Martin  et  de  Ilaulevine  ; 
et  comme  dans  celle  fin  de  guerre  je  n'ai  pas  peu 
me  deffaire  de  tons  mes  gens,  il  me  seroit  bien 
n6ccssaire  d'avoir  un  quarticravec  lasubsistance 
pour  eux;  jc  les  ai  a  present  tous  h  Amiens  ou  a 
Paris,  et  n'en  ai  que  dix  ou  douze  dans  un  vil- 
lage. Ce  cooimencement  daffairc  de  M.  le  due 


d'Yorck  m'a  coijt6  dix  mille  francs;  si  cela  eu;-t 
dur6  ,  j'aurois  trouv6  cinquante  mille  escus  en  co 
pays  avec  beaucoup  de  facility.  II  ne  faut  pas,  s'il 
vous  plaist ,  parler  de  ces  dix  mille  francs.  II  y  a 
long-temps  que  Ton  fait  courir  mille  ditT^^rens 
bruits  de  ce  que  Ton  a  resolu  de  donner  a  M.  Ic 
prince;  nous  verrons  en  I'absence  de  la  cour 
comme  sera  son  retour.  On  ne  sait  rien  ici  de 
Bruxelles;  je  crois  aussi  qu'ils  n'y  font  rien  qu'at- 
lendrece  qu'on  resoudra  d'eux  de  dela;  je  suplic 
M.  le  cardinal  dese  souvenir  de  ce  dontje  luiai 
parl6 ,  et  que  la  paix  el  celle  nouvelle  forme  me 
donneroient  quelque  mortification  ,  sans  I'assii- 
ranee  de  I'lionneur  de  sa  bonne  volonle  pour  m(i 
en  ce  rencontre.  II  n'y  a  rien  de  considerable  du 
cosl6  d'Anglelerre  ni  de  Flandre;  pour  ce  qui  so 
passe  en  Allemagne,  vous  en  esles  inform^  tri-s 
promplement  par  Paris.  On  atlendra  de  savoir 
les  resolutions  qui  se  prendronl  pour  le  retour 
de  la  cour,  et  suivant  cela  j'escrirai  a  M.  le  car- 
dinal el  ferai  sur  le  sujetde  M.  le  prince,  s'il  re 
tournoit ,  la  cour  eslant  loin,  ce  que  je  croiraiqui 
lui  conviendra,  el  a  moi  aussi;  ayanl  I'honneur 
d'esfre  cogneu  ,  je  crois  eu  esire  bien  enlendu. 

»  Je  suis  tres-v6ritablemeul,  Monsieur,  voslre 
tr(;s-humble,  etc. 

«  TuBESNNE. 

»  A  Amiens  ,  ce  3  octobrc  1659.  » 

Au  meme. 

«  Au  camp  ,  le  5  octobre  1G59. 

»  Monsieur,  j'ai  receu  les  deux  letlres  que  vous 
ra'avez  fail  I'bonneur  de  m'escrire  par  M.  de  Ma- 
daillou.M.  d'Humieres  est  lombe  fort  malade,  et 
reviendra  des  que  sa  sante  lui  pourra  permettre. 
Sur  la  lelire  que  Sou  Eminence  lui  avoil  escrile 
loucbant  Ypres ,  il  avoil  pens6  d'y  mettre  pour 
major  La  Robertiere,  qui  en  est  fort  capable,  et 
donl  M.  le  cardinal  a  fort  ou'i  parler;  j'en  escris 
en  cette  conformile  a  Sou  Eminence,  et  je  lui 
mande  aussi  que  Vassi  est  un  bon  soldat ,  mais 
n'a  point  la  capacite  d'estre  major  dans  une  si 
graude  place;  cela  est  fort  important  pour  le  ser- 
vice du  Roy ,  et  fori  considerable  a  M.  d'Humieres 
qu'il  y  ait  un  borame  enlendu  dans  la  place;  La 
Robertiere  Test  des  plus  que  Ton  puisse  trouver 
et  cognoisire  pour  cela.  Je  suis  tres-aise  de  la 
nouvelle  que  vous  me  mandez  toucbant  la  place 
que  Ton  va  remplir.  Son  Eminence  me  parloit 
d'un  voyage  du  Roy  ;  mais  I'armee  n'estanl  pas 
en  estat  d'agir,  veu  la  saison,  je  lui  mande  que 
je  ne  crois  pas  quil  y  ail  raison  de  le  faire,  ne 
voyant  nul  profit  apparent  qu'on  en  peust  tirer, 
car  le  temps  vient  que  Ton  ne  pent  plus  marcher 
en  Flandre,  et  les  grandes  villes  commencent  a 
prendre  vigueur  n'ayanl  plus  d'armde  a  crain- 
dre;  ce  n'est  pas  que  la  conservation  des  places 
prises  ne  puisse,  avec  le  lemps,  faire esp^rer  un 
cbangement.  Jc  vous  dcmande  la  continuation  dc 


nv    XICOV.TV.    DE   TIRENNE.    (iGoO] 


.'i27 


vos  bonnes  graces,  ctquc  vous  me  croiez,  Mon- 
sieur, voire  tres-humble ,  elc. 

»  TURENNE.   » 

All  wcme. 

«  Monsieur,  je  donne  la  leKre  de  licetitienient 
pour  la  conipagnie  de  Caleville  ,  dans  Ic  regimenl 
du  Roy,  et  le  cornelle  de  la  compagnie  el  le  ma- 
rechal  de  logis  eslant  deux  vieux  officiers  que  ie 
corps  ne  voudroil  pas  perdre,  ils  m'onl  prie  qu'ils 
sepeusseut  faire  recevoir  a  deux  places  vacanles 
par  raorl ,  depuis  peu,  des  niesmos  ciiarses,  I'un 
niar^chal-de-logis  de  Charost,  et  I'autre  cornelle 
de  Vibrai.  Je  croi  que  Sa  Majesle  ne  le  Irouvera 
pas  mauvais;  vous  Ten  averlirez,  s'il  vous  plaist, 
afiQ  que  s'il  coraniandoil  le  conlraire,  on  les  ren- 
voyast  chez  eux ;  ce  sonl  deux  des  plus  anciens 
officiers  du  regimenl,  y  ayant  este  cavalliers  el 
fort  eslimes.  Je  suis ,  de  lout  mon  coeur,  Mon- 
sieur, voire  tres-humble,  etc. 

»  TURENNE. 

»  Ce  27  octobre  1659.  » 

Au  wcini'. 

«  Monsieur,  je  n'ai  rien  a  ajoutcr  a  ce  que  je 
nie  donnai  Thonneur  de  vous  escrirc  il  y  a  Irois 
jours  :  je  vous  envoie  encore  une  copie  de  celle 
que  j'escris  a  M.  le  cardinal ;  jen  ai  recu  une 
de  lui  aujourd'liui ,  par  laquelle  il  me  mande 
qu'il  sera  nccessaire  que,  des  qu'il  n'y  aura  plus 
rien  a  faire  ici ,  que  je  m'en  aille  vers  vos  quar- 
tiers,  et  m'offre  de  se  servir  de  son  equippage; 
je  ne  veux  pas  en  mener,  j'altendrai  de  voir  tout 
r6gle  en  ce  pays  icy,  ce  qui  ira  assez  en  longueur. 
.Te  suis  de  tout  mon  coeur,  Monsieur,  voire  tres- 
liurable,  etc. 

»  TrnENNE. 

»  A  Amiens,  ce  30  octobre  1659.  » 

A  Monsieur  fc  cardinal  Mazarin. 

«  A  Amiens ,  ce  30  octobre  1(559. 

))  Je  me  suis  donne  I'bonneur  d'escrire  a  Voire 
Eminence  il  y  a  Irois  jours,  el  je  lui  mandois 
k  coratne  M.  Talon  m'ayanl  dil  qu'il  vouloil  en- 
voyer  son  fr^re  la  Irouver,  j'allendois  de  lui  man- 
der  par  lui  ce  que  je  pensois  du  detail  de  I'enlre- 
tien  des  Irouppes  ,  et  mfime  je  lui  ai  sp6cifi6 
quelque  chose  par  celle  derniere  lellre.  M.  de 
Eeauvize  envoie  a  celle  heure  un  capilaine  de  son 
regiment,  tanl  pour  la  supplier  de  se  souvenir 
de  luy ,  que  pour  offrir  ce  qu'il  pourroit  avoir 
pour  enlrer  en  quelque  chose.  J'ai  rocu  a  ce  ma- 
tin une  lellre  de  Voire  Eminence,  du  19  octobre, 
par  laquelle  il  lui  plait  de  me  parler  de  la  refor- 
mation des  troupes;  et  comme  elle  ne  trouve  pas 
que  celle  diminution  du  tiers  soil  assez  grande  , 


je  lui  avois  mand6  par  ma  pr^c6dente ,  sans  le 
savoir,  comme  Ton  pent  relrancher  la  moilie  du 
payement ,  justemenl  tant  de  la  cavallerie  que 
de  I'infanlerie  ,  el  je  crois  que  c'esl  la  diminution 
des  depeuses  qu'elle  a  voulu  faire  en  mellanlles 
compagnies  de  cavallerie  asoixanle  maislres,  et 
enlrelenanl  des  officiers  reformes  dans  les  com- 
pagnies, outre  ceux  qui  lescommandent.  Je  sup- 
plie  tr^s-humblenient  Voire   Eminence   d'etre 
persuad^e  qu'il  y  a  une  difference  notable  enlre 
les  corps  dont  les  officiers  demeurent  a  la  tele  des 
compagnies,  el  ceux  dans  lesquels  on  en  reforme; 
et  comme  il  est  tres-vrai  que  la  grande  depensc 
est  des  officiers  ,  ils  se  conlenleronl  d'aussi   peu 
de  places  qu'on  voudra  leur  donner,  demeurans 
dans  les  compagnies,  et  un  lieutenant,  un  cor- 
nelle, poussaul  la  chose  jusque-la,  n'aura  pas 
deux  ou  trois  places  dans  la  m6me  compagnie; 
et  si  on  a  besoin  de  Irouppes  au  prinlemps,  on 
trouve  les  corps  en  eslat,  au  lieu  que,  reformant 
des  compagnies ,  ce  qu'il  y  a  de  bons  officiers  s'en 
vont,  et  les  Irouppes  cbangent  de  telle  facon   que 
ce  n'est  plus  la  merne  chose.  En  donnanl  Irente- 
cinq  rations  a  chaque  compagnie  par  jour,  a  rai- 
son  de   dix-huit  sols  la  ration,  cela  ne  monle 
qu'a  quatre  milie  sept  cens  vingt-cinq  livres,  ce 
qui  est  moins  que  la  raoili6,  et  les  regimens  do 
qui  on  ne  feroil  point  de  consideration  dans  quel- 
ques  armees,  on  pourroit   les  casser.  Hors  la 
pens6e  que  j'ai  que  peut-estre  Voire  Eminence 
serait  bien  aise  d'avoir  de  bonnes  Irouppes  au 
prinlemps,  et  un  peu  de  pitie  des  officiers,  de  les 
voir  reformer,    et  que  Voire  Eminence  soil  si 
loing  ,  je  n'ai  interet  qu'a  mon  regiment  de  ca- 
vallerie et  a  celuy  dinfanlerie,  et  j'ose  bien  m'at- 
tendre  que  Voire  Eminence  ne  me  refuseroit  pas 
de  leur  donner  la  moilie  de  ce  qu'ils  ont  touch6 
I'ann^e  passee,  tant  a  I'un  qu'a  I'autre.  Je  n'ay 
ni  place  ni  moyen  de  les  faire  subsister.  Voire 
Eminence  comprend  bien  qu'avec  cela  il  n'y  a 
rien  de  si  ais6  que   d'accommoder  des  officiers » 
et  je  ra'assure  aussi  qu'oulre  I'esgard  a  la  bonte 
des  corps,  elle  fait  nn   peu   de  difference  des 
meslres-de-camp.  II  y  a  ici  Grance  ,  dinfanlerie, 
qui  n'est  presque  rien.  M.  le  procureur-general 
revenanl,   si  on  pouvoil  a  peu  pres  scavoir  les 
fonds  dont  il  pent  faire  estat,  et  que  Ton  put  voir 
clair  pour  deux  ou  Irois  mois ,  Voire  Eminence 
jugeroit  si  elle  veut  reformer  divers  regimens, 
et  on   gagneroil  le  prinlemps  avec  le  moins  de 
depensc  que  Ton  pourroit.  Les  ennemis  parlenl 
de  meltre  leurs  Irouppes  dans  les  villes ,  el  Voire 
Eminence  aura  sceu  comme  I'armee  en  Angle- 
terre  a  establi  un  conseil  d'officiers  et  chasse  le 
parlemenl.  La  garnison  de  Dunkerque  a  recognu 
ce  nouvei   eslablissement   d'officiers.    On   aura 
loeil  le  plus  qu'il  se  pourra  a  ce  qui  se  fera  dans 
celle  place-la.  Je  serois  exlremement  aise  d'avoir 
Ihonneur  d'aller  Irouver   Voire    Eminence   au 
pays  ou  elle  est;  quand  loutes  choses  seront  r6- 
glees  ici ,  je   m'y  en  irai  tout  aussitosl ;   mais 
comme  cela  tircraen  longueur,  si  elle  m'ordonne 


528 


DOCUMENTS    INEDITS    Rr.LATIFS    AUX    MF.MOIRES 


de  parlir  plus  (osl,  jc  me  nieltrai  en  cherain  d6s 
que  j'aurai  rcceu  ses  onires.  » 

A  Monsieur  Le  Tellicr. 

«  Monsieur,  il  y  a  le  regiment  du  comic  de 
Troie  qui  de  cinq  compagnies  a  esl6  remis  a 
(rois  par  la  r^forme ;  il  y  en  a  quanlil6  qui  de  cinq 
out  esle  remis  a  quaire,  el  je  vous  assure  qu'il 
n'y  en  a  pas  un  qui  approclie  de  la  force  de  ce- 
lui-la.  Je  vouspupiie  lr6s-humblement  d'en  par- 
ler  h  M.  le  cardinal ,  ct  lui  represenler  comme  il 
a  entrelenu  lliiver  dernier  une  compagnie  a  ses 
d6penses,  et  il  n'est  pas  si  bien  trait6  que  beau- 
coup,  ayantle  meillenr  regiment  de  Famine. 

))  C'est,  Monsieur,  vostre  Ires-humble  et  tr6s- 
aneclionn6 , 

»  TUBENNE. 

»  A  Amiens,  ce  5  novembre  1659.  » 

Au  mcme. 

a  Monsieur ,  vous  saurez  par  M.  de  La  Bourlie 
loutes  les  nouvelles  de  ce  pays  icy  ,  et  comme  je 
suis  assez  en  peine  de  n'avoir  point  eu  de  vos 
nouvelles  depuis  estre  parli  de  Paris ,  et  cela  con- 
siste  en  deux  articles,  qui  est  d'avoir  de  I'argent 
pour  les  troupes  qui  demeurent  dans  les  garni- 
sons,  et  savoir  oh  se  meltront  celles  que  je  serai 
oblig6  de  renvoyer  a  la  fronti^re  de  Picardie;  il 
eust  est6  bien  necessaire  qu'en  quittant  Oude- 
narde  on  eust  peu  leur  laisser  de  I'argent,  car 
il  n'y  aura  pasde  seuret6  pour  les  convois,  et  on 
renvoyera  avec  grande  peine  des  soldats  que  Ton 
maintiendroit  avec  peu ,  et  les  comraencemens 
donnent  I'envie  de  quitter  une  garnison  ou  d'y 
demeurer.  Je  ne  pourrois  pas  croire  que  je  n'aye 
de  vos  nouvelles  un  de  ces  jours  par  lesquelies  je 
saclie  que  vous  envoyez  quelques  fonds.  On  est 
fort  incertain  de  savoir  icy  quand  le  Roy  revien- 
dra.  Ma  pensee  seroi!,  s'il  arrive  a  Paris  dans  le 
commencement  de  Janvier  ou  devant,  que  lais- 
sant  tout  mon  ^^npiippage  en  cepays,  quej'allasse 
promplement  y  faire  un  voyage,  el  suivant  les 
nouvelles  je  reviendrois  tout  aussitost.  Les  cho- 
ses  demeurent  dans  la  meme  disposition  ;  lout 
depend  de  la  facon  dont  se  passeront  leschoses  a 
Lyon.  Je  vous  suplie  Ires-liumblement  de  faire 
savoir  cbez  moi  a  Paris  ce  que  Ton  pent  dire  de 
la  longueur  de  vosire  voyage  el  des  autres  cir- 
conslances,  et  mc  faire  I'bonncur  de  me  croire 
avec  beaucoup  d'inclination  et  desinc6rite,  Mon- 
sieur, voslrc  trf;s-humble ,  etc. 

»  TuRENNE. 

))  Au  camp,  ce  20  novembre  1659.  » 
Au  mcme. 
«  A  Amiens ,  cc  i  fl<5ccmbie  1659. 
))  Monsieur,  j'ai  rcceu  a  ce  matin  lous  ics  pa- 


quets  de  la  r6forme  par  un  de  vos  couriers,  et  les 
officiers  ont  est6  trdsaises  de  la  voir  si  mediocre, 
et  je  vous  assure  que  je  me  suis  r^joui  comme 
d'une  grande  affaire,  que  mon  regiment  d'iufan- 
terie  ail  esle  conserve  a  vingt  compagnies  :  cela 
ne  me  fera  pas,  s'il  vous  plaist,  passer  dans 
vostre  esprit  pour  une  personne  qui  est  aise  de 
peu  de  chose.  J'ai  est6  en  Flandre,  et  toules  cho- 
ses  se  disposeront  pour  le  mieux,  attendant  les 
nouvelles  du  temps  que  je  m'en  irai.  II  y  a  une 
personne  de  grande  qualile  qui  ni'a  escript  pour 
la  conservation  dune  compagnie  qui  est  a  la  queue 
d'un  regiment;  cela  ne  se  pent  pas  dans  I'ordre, 
ayant  dcja  mand6  qu'elle  ne  fust  pas  des  conser- 
v6es.  Je  suplie  tr^s-humblemenl  M.  le  cardinal 
de  me  faire  la  grace  de  me  donner  rentrelfeue- 
ment  de  cette  compagnie-la  ,  et  je  lui  raande  que 
la  chose  m'est  assez  importaule  pour  Pen  importu- 
nercommejefais,  etque  si  Ion  trouveladifficultd 
du  logement,  qu'avec  I'argent  que  coule  une  com- 
pagnie on  la  pent  meltre  dans  une  ville.  Vous 
verrez ,  quand  j'aurai  I'honneur  de  vous  voir, 
qu'il  me  seroit  fort  facbeux  que  M.  le  cardinal 
ne  me  I'accordast  pas.  On  fera  pour  le  regiment 
de  mestre-de-camp  ce  que  vous  ordonnerez  par 
M.  de  Lespine  ;  et  je  vous  suplie  de  me  croire, 
Monsieur,  vostre  tres-humble,  etc. 

»  TuRENNE. 

»  Sur  ce  que  j'ai  veu  que  vous  escrivez  a 
M.  Talon  sur  deux  affjiires  qui  sont  arriv^es, 
I'une  au  Quesnoy  et  I'aulre  a  Bapaume,  je  lui 
mande  qu'estant  impossible  qu'il  aille  pr^sente- 
nient  sur  les  lieux  ,  que  j'escrivois  a  M.  Carlier 
comme  vous  le  mandez  sur  le  sujecl  du  Quesnoy, 
et  aussi  au  lieutenant  du  roi  de  Bapaume,  pour 
savoir  la  v6ril6  touchant  I'affaire  de  Cambrai.  Je 
mande  aussi  a  M.  le  cardinal,  que  ces  Anglois 
qui  sont  a  Abbeville,  sont  dans  la  plus  grande 
necessit6  qu'il  est  possible,  el  qu'en  les  licenliant, 
il  seroit  bien  n^cessaire  de  leur  donner  quelque 
chose  pour  les  relirer  des  hostelleries,  et  aussi 
pour  assembler  ces  soldats  des  garnisons  pour  les 
metlre  dans  les  regimens  des  gardes  ^cossoises 
et  de  Douglas;  il  faudroit  quelque  peu  d'argent 
sur  la  frontitjre  pour  cela,  mais  je  ne  crois  pas 
que  je  sois  en  ce  pays  quand  cela  arrivera.  Sur 
ce  qu'il  vous  plait  me  mander  de  I'entretien  des 
troupes  durant  Thiver,  je  ferai  savoir  aux  com- 
missairesordonn6s  pour  cela,  ou  leur  prescrirai , 
s'ils  n'en  ont  point  d'ordre,  ce  qu'ils  paieront 
d'effectif  aux  regimens  que  vous  me  marquez 
qui  doivcnt  eslrc  paies  au-dessus  de  vingt  par 
compagnie.  On  observera  toules  les  remarques 
que  vous  faites,  et  il  en  sera  us6  ,  a  I'esgard  du 
chevalier  de  Machaul,  comme  laReine  I'ordonne. 
Ce  n'est  pas  de  celle  compagnie-Ia  que  je  veux 
parler  a  M.  le  cardinal,  je  me  suis  souvenu  de 
m'en  expliqucr  ici  de  pour  que  vous  ne  le  croyez. 
On  dil  tons  les  jours  ici  que  M.  le  prince  s'en  va 
passer,  el  ayant  en  ses  passeports  cela   est  as- 


DU   VICOMTE    DE    TURENNE.    [l659] 


529 


sezcroyable.  Si  jesuis  encored  la  fron(i6re  quand 
il  passera  ,  je  I'irai  voir  a  la  premiere  viile  ou  il 
abordera.  II  ne  s'y  est  rien  passe  du  (out  cet  6t6 
qui  Tail  concern6 ;  vous  savez  avec  quelle  naive- 
te je  suis  sur  sou  sujel ,  y  ajoutaul  le  respect  que 
je  lui  dois.  » 

Au  meme. 

«  Monsieur,  Vausiii,  qui  fait  les  affaires  des 
troupes  de  Lorraine  ,  m'a  prie  de  donner  un  bil- 
let pour  reteuir  quaraute-cinq  mille  livres,  qui 
est  mille  francs  par  compagnie,  y  en  ayant  ce 
norabre-la  de  leurs  troupes  en  Flandre;  je  I'ai 
donn6  de  mani^re  qu'il  preudra  cet  argent-la  a 
Luzarche.  Le  sieur  Jossier,  qui  s"en  va  avec  la 
voiture ,  y  esloit  present  quand  je  I'ai  fait ;  il  y  a 
aussi  un  billet  de  nioi  pour  retenir  qualre  mille 
francs  pour  le  regiment  de  Marcon  ,  ce  qui  fera 
quaraute-neuf mille  francs;  s'il  vous  plaist  le 
faire  savoir  en  Flandre,  afin  que,  dans  la  distri- 
bution de  I'argent,  on  ne  donne  pas  plus  qu'il  ne 
faut  aux  troupes  lorraines ;  vous  savez  comme  il 
y  part  tous  les  jours  un  courier  pour  Amiens , 


de  faron  que  vos  lettres  pourront  estre  en  Flan- 
dre long-temps  avant  I'argent. 
»  Ce  saraedi  an  soir.  »  Tdrenke.  b 

Au  mcme. 
«  A  Amiens,  ce  30  d^cembre  1659. 

))  Monsieur,  je  vous  envoie  la  copie  de  la  lellre 
que  j'escris  a  Son  Eminence,  et  je  n'ai  rien  h 
vous  ajouter  autre  chose.  On  dit  que  M.  le  prince 
mene  aveclui  Marcin,  Bouteville,Guitaut  et  Per- 
san.  Je  voudrois  bien  que  les  affaires  d'ici  me 
permissent  de  m'en  aller  a  la  cour  presentement 
ou  dans  peu  de  jours:  ce  qui  me  fait  craindre  le 
retardement,  e'est  que  Ton  m'assure  que  M.  le 
marquis  de  Caracene  n'a  point  d'ordre  encore 
pour  la  restitution  des  places.  Vous  voyez  bieu 
de  quelle  consequence  il  m'estque  M.  le  cardinal 
ait  regie  mon  affaire  avant  ce  temps  ici;  je  vois 
bien  ensuite  de  ceci  le  train  que  les  affaires  peu- 
vent  prendre.  Je  vous  supplie  tr^s  humblement 
de  coutinuer  a  m'y  obliger  en  ce  que  vous  pour- 
rez ;  c'est,  Monsieur  ,  voire  tres-hurable  et  tres- 
affectionn6  serviteur, 

»  Tdrenne.  » 


FIN    DES    MEMOIURS    DU    VICOMTE    DE    TlIliEN.ME. 


I 


111.    C.    !). 


1.   III. 


3  1 


MEMOIRES 

DU    DUG    D'YORCK 

811  n 

LES    jiyfiNEMENS    ARRIVES   EN    FRANCE 

PENDANT  LES  ANNIES  1652  A  1659. 


u. 


MOTLCE 


LES   MEMOIRES  DU  DUG  DTORCK. 


Le  due  d'Yorck  (1),  plus  c616bre  encore  par  ses 
malheurssous  le  nom  de  Jacques  II,  vint  expier 
deux  fois  en  France ,  les  faules  coramises  par  les 
derniers  Stuarts  sur  le  trone  d'Angleterre.  Sa 
malheureuse  activity  pr6cipita  le  d6noiiraent  si 
fatal  de  cette  illustre  et  antique  race.  Mais  au  mi- 
lieu des  catastrophes  qui  travers^renl  sa  vie, 
Jacques  avaitconstararaent  consign6par  6crit  les 
6v6neraents  auxquels  il  avail  assist^,  et  neuf  ou 
dix  volumes  de  manuscrits  de  sa  main  avaient 
6t6  le  fruit  de  cette  joornaliere  resignation.  Objet 
de  toute  la  sollicitude  du  royal  annaliste,  ces  M6- 
nioires  6chapp6rent  deux  fois  au  naufrage  de  sa 
fortune.  Une  sorte  defatalitesemblapourtants'at- 
tacher  aux  ecrits  m§me  des  Stuarts  :  deposes  au 
college  des  Ecossaisa  Paris,  ils  y  6taient  encore 
lorsqu'^clata  la  revolution  francaise,  et  ils  ne 
purent  cette  fois  Stre  preserves  de  la  destruction. 
lis  furent  confies  a  un  ami  du  sup6rieur  de  ce 
college;  mais  en  attendant  une  occasion  favo- 
rable de  les  faire  passer  en  Angleterre,  cette 
personne  fut  arret^e.  Un  d6p6t  pareil  6tait  plus 
que  suffisant  pour  raotiver  contre  le  receleur  les 
plus  dangereuses  accusations,  dans  un  moment 
ou  la  terreur  pesait  sur  la  France,  etla  femme  de 
ce  fiddle  depositaire  s'en  debarrassa  en  les  brii- 
lant. 

Ainsi  p6rit  la  source  originate  de  tant  de  ren- 
seignemeuts  precieuxsur  lesdernidres  ann6es  de 
la  dyuastie  des  Stuarts. 

Mais  bien  avant  la  destruction  de  ces  m6moires, 
Jacques  II  en  avail  extrait  tous  les  r^cits  qui  se 
rapportaient  aux  ev^nements  arrives  en  France , 
duranl  son  premier  s6jour  dans  ce  pays ,  c'est-a- 
dire  pendant  les  ann6es  1652  a  1659.C'est  cet  ex- 
trait  m6me  qui  a  6te  imprira6  sous  le  litre  de 
Memoires  du  due  d'Yorck,  et  que  nous  reprodui- 
sons  a  la  suite  des  Memoires  de  Turenne. 

L'authenticite  de  cet  ^crit  du  due  d'Yorck  a  6te 
6tablie  d'une  manidre  trop6vidente  par  la  pre/ace 
que  le  cardinal  de  Bouillon  a  6crite  en  t6le  de  ces 
Memoires ,  et  par  le  cerlifical  du  superieur  du 

(i)  Jacques,  due  d'Yorck,  flls  de  Charles  I",  roi  de  la 
Grande-Bretagne ,  et  d'Henrietle-Marie  de  France,  Glle 
de  Henri  IV,  roide  France,  naquit  au  palais  de  Saint- 
James,  le  24  octobre  1633  ;  il  mourut  dansl'exil  aSaint- 
Germain-en-Laye,  le  16  scplernbrc  1701. 

(•2)  Nous  nous  sommes  servis,  pour  notre  Edition  ,  du 
lextc  publid  par  Ramzay  a  la  suite  de  I'bisloirc  de  Tu- 


coll6ge  des  Ecossais  k  Paris,  pour  qu'il  soil  n6- 
cessaire  de  s'6tendre  aujourd'hui  davanlage  sur 
leur  valeur  historique.  Nous  nous  bornerons  done 
a  reproduire  lei  ces  deux  documents  (2). 


I, 


PREFACE  DU  CARDINAL  DE  BOUILLON. 

«  Le  Roi  d'Angleterre  Jacques  II  m'ayant  fait 
riionneur  de  me  raconter,  dans  rann6e  1695, 
plusieurs  particularit6s  et  quelques  actions  con- 
siderables de  la  vie  de  feu  M.  de  Turenne,  mon 
oncle,  qui  m'^toient  inconnues,  n'etant  pasrap- 
port6es  dans  les  M6moires  que  j'ai  de  lui,  Merits 
de  sa  propre  main  (3),  je  pris  la  confiance  de  t6- 
moigner  a  ce  prince  que  j'etois  bien  fach6  que 
mon  profond  respect  pour  lui  ne  me  permit  pas 
de  le  supplier  tr^s-humblement  de  vouloir,  par 
I'amitie  qu'il  conservoit  pour  feu  M.  de  Turenne, 
metlre  par  6crit,  aux  heures  qui  lui  seroient  les 
moins  incommodes,  ces  particularit6s  et  ces  ac- 
tions dont  je  n'avois  aucuqe  connoissance ;  et  je 
lui  ajoutai  queje  prendrois  la  liberie  dedemander 
cette  favour  a  tout  autre  qu'a  Sa  Majest6  ,  que  je 
devois  encore  plus  respecter  que  la  m6moire  de 
feu  M.  de  Turenne,  que  j'avois  regard^e  jusqu'a 
ce  moment-la  comme  la  chose  du  monde  qui  ra'6- 
toit  la  plus  ch^re;  sur  quoi  Sa  Majest6,  par  uu 
effet  tout  particulier  d'une  bonte  et  g6n6rosit6 
sans  egale,  me  dit  qn'elle  me  feroit  avec  joye  ce 
plaisir,  le  plus  161  qu'il  lui  seroit  possible,  en  me 
confiantrafirae  que,  comme  elle  avoit  d6ji  6crit 
en  anglois  assez  exacteraent,  par  ann6e,  les  me- 
moires de  sa  propre  vie ,  elle  en  tireroit  et  tradui- 
roit  en  francois  tout  ce  qui  concerneroit  les  cam- 
pagnes  qu'elle  avoit  faites  dans  I'armee  de  Fran- 
ce, commandee  par  M.  de  Turenne,  et  de  celles 
qu'elle  avoit  faites  ensuite  aux  Pays-Bas  dans 
I'armee  d'Espagne,  jusqu'a  la  publication  de  la 
paix  des  Pyrenn^es,  et  au  retablissement  du  Roi 
Charles  II ,  son  fr^re ,  sur  le  Irene  de  la  Grande- 

renne(2vol.  in-4°,  1735 ).  La  famille  de  Bouillon  lui 
ayant  communique  un  grand  norabre  de  documents  pour 
I'hisloiredu  mar^chal ,  il  est  probable  qu'elle  aura  remis 
en  meme  temps  les  Memoires  du  due  d'Yorck. 

(3)  Cette  ddclaration  du  cardinal  dc  Bouillon ,  I6ve 
toule  incertitude  sur  I'existcnce  des  manuscrits  aulo- 
graphcs  de  Turenne,  conlenant  les  mi'moires  de  sa  vie. 


:n 


WOIICK    StIB    I.rS    MKMOIHi;S    Dll    Dl-C    D  VOUCK. 


Krclagne.  Je  fus  {igK'aMemcnt  surpris  le  vingt- 
«opli6nic  du  niois  dc  Janvier  de  I'aim^e  suivaiilc 
uiil  six  ecus  qualre-vingl-sei/.e,  lorsqu'6lanl  all6 
a  Saiiil  Geniiain-en-Layc  rcndrc  mes  respecls  a 
«-e  grand  ol  saint  \W\  ,  il  nic  mcna  dans  son  ca- 
binet, <iu  il  nic  dil  qu'il  m'avoit  fail  venir  pour 
nie  lenir  la  parole  qu'il  ni'avoit  doiinre  I'annee 
pr^'ci''(ien!e,  et  tnc  niit  en  ni^nie  Icnips  cnlrc  ies 
niains  le  |)rC'senl  livre,  dans  lequcl  il  ni'assu- 
ra  qu'il  avoil  recueilli  lout  ce  qu'il  avoil  reniar- 
<|u6  dans  ses  .M<Muoires  an  sujcl  de  feu  M.  de 
Turennc.  depuis  raiin6c  mil  six  cens  cinquanle- 
deu\  inclusivenieni,  jusqu'en  inilsi\censsoi\anlc; 
qu'il  men  faisoit  un  don  avcc  plaisir,  (anl  par 
lappoila  lam6moire  de  feu  M.  dc  Turcnne,  qu  il 
me  dil  lui  devoir  6lre  loule  la  vie  lies-cherc  el 
Ir6s-pr6cicuse,  parce  qu'il  le  regardoil  commc  le 
plus  parfail  el  le  plus  grand  lionime  qu'il  eul  ja- 
mais connu,  el  le  meilleur  ami  qu'il  en!  jamais 
ku  (1),  que  |>ar  rapporl  a  rami(i6  donl  il  mliono- 
loil  en  p;ir  iculier,  il  nie  recommanda  cependanl 
flo  nc  donncr  jamais  a  qui  que  ce  soil,  duranl 
Kinvivanl,  la  leclure  de  ces  M6moires.  Apres 
avoir  rendu  a  Sa  Majesle  Iris-humbles  aclions  de 
traces  de  ce  bienf.iil,  je  lui  proniis  d'execuler  cc 
(ju'elle  venoil  dc  m'ordonner,  et  je  lai  Ires-fidc- 
Jement  obser>6  tant  qu'il  a  y6cu.  Ce  don  de  la 
main  d'unsi  grand  lloi  mc  paroit  si  considerable 
pl  si  honorable  |)0ur  la  m6moire  de  feu  M.  de  Tu- 
fcnne,  et  pour  toute  noire  maison,  que  dis  ce 
jour-la,  commc  j'eus  I'honncur  de  le  dire  a  Sa 
Atajesl6  en  recevant  d'ellc  ce  pr6cieux  don,  je 
J  ris  la  r^'solulion  dc  Icsubslituer  un  jour  a  pcr- 
p6tuil6  h  Vnlwd  de  noire  maison,  et  c'esl  cc  que 
je  fais  aujourd'hui,  6(ant  a  Home,  le  seizieme  du 
luois  de  f^vrier  de  I'annee  mil  sepl  cens  quinze, 
y  ayanl,  par  un  effel  de  la  Providence  divine, 
iolrouv6  ce  pr^'cicux  livre  que  je  ne  croyois  ja- 
Hiais  rcvoir. 

»  Sign6  Le  cardinal  dk  Bouillon, 
»  Doyen  du  SacrcS  Co'k^gc.  » 

(1)  Le.  i!uc  il'Yorck  nc  se  trompa'l  ])as ;  voici  en  qncis 
icrincs  Ic  iniii(?(lial  de  Turcnne  en  parlait  dans  une 
Icllri'  qu'il  dcrivit  de  (Calais,  le  10  d^cenibrc  1C59  : 

¥  IMonsieur  le  due  d'Yoick  est  ici  d(^guis(5.  il  y  avoit 
I  iMiicoup  (le  bruil  en  Anglelerie.  On  avoil  pris  ies  ar- 
mes  pour  ic  roi  Charles  dans  la  province  dc  Cliesler  ; 
ULiis  le  corps  cpii  s'tHoil  assemble  a  M  enlicrenienldd- 


II. 


CERTIFICVT   DE8   SrPEniKmS   DU   COLLEGE   DBS 
KCOSSOIS   A   PARIS. 

«  Nous  soussign^s,  prelrcs  adminislrateurs  du 
Colbae  dos  Ecossois  dans  rUni\ersile  de  Paris, 
aseavoir:  Louis  Inessc,  ci-devant  prender  au- 
moiiier  de  la  feue  reine  dc  la  Cirande-IJrclagne, 
etancien  principal  du  college;  Charles  AVhyll'ord, 
principal;  Thomas  Inesse,  sous  principal ;  Geor- 
ges Incsse,  procurcur,  et  Alexandre  Smith,  pr6- 
fet  des  eludes dudit  college;  certifionsa  tous  ceux 
a  qui  il  apparliendra .  que  Ies  Memoires  ci-des- 
susde  feu  roi  Jacques  II,  de  la  Graiide-Brelagne, 
sont  conformesaux  Memoires  originaux  anglois, 
Merits  de  la  proprc  main  de  Sa  Majcsic  ,  et  con- 
serves, en  vertu  dun  brevet  s»g!«c  de  sa  main, 
dans  Ies  archives  de  imtredil  college;  et  nous 
susdils,  cerlilions  en  outre  qtie  le  manuscriJci- 
dessus,  revu  et  corrig6  par  le  snsdil  roi  Jacques, 
traduit  parson  ordre,  <lonne  de  sa  main  a  feu 
S.  A.  E.  le  cardinal  de  Bouillon  ,  le  27  du  mnis  dc 
Janvier  liiOG,  el  ecril  de  la  main  du  sieiir  Demps- 
ter, I'un  des  s-ecretaires  de  Sadite  Majeste,  es5 
conforme  par  Ies  fails,  details,  circonstances,  re- 
flexions ,  el  generalenienl  tout  (le  tour  du  style 
seul  et  I'ordre  dc  la  relation  exeeptes),  a  une  se- 
conde  traduction  des  memes  Memoires  anglois 
originaux,  faite  par  I'ordre  de  la  feue  reine  de  la 
Grande-Bretagne,  signec  de  sa  main  ,  caclielee 
du  sceau  desesarmes,  conlre>ignee  par  mylord 
Caryll,  secretaire  d'etat,  le  J4  novembre  1704, 
el  donnce  le  15  Janvier  \~{)'),  par  le  susdil  Louis 
Inesse  AS.  A.  E.  le  cardinal  de  Bouillon,  pone 
servir  a  I'liistoire  du  vicomte  de  Turcnne.  En 
foi  dc  quoi ,  nous  avons  siiJine  Ies  presentes ,  el  y 
avons  apj)ose  le  sceau  dudit  college. 

»  Fail  a   laris,  ce  vingl-quatrc  d^ccmbrc  mil 
sepl  cens  Irente-quatre. 

»,  Sign6L.  Lnessb,  Cii.  Whvtford,  Thom. 
Ik  ESSE,  Geor.  Inesse,  AI.  Smith.  » 

fait  paries  troupes  du  parlement commandoes  par  Lam- 
bert. J'eusse  rendu  a  la  maison  royale  deSluarl  unsor- 
xice  fort  considcralde  si  I'all'aire  eul  un  peu  dur6  ;  j'a- 
vois  niemc  fait  (|U(i(jucs  avanees  pour  cela .  doiil  vons 
verrez  Ies  parlies  ;  si  je  nesuis  rernljourse  par  la  cour,  il 
ne  f.iul  pas  parler  de  cela;  niais  cette  d(?laile  renveisc 
pour  le  present  loutcs  mes  vues. 

»)  TUCENTIK.  »  « 


■.>o^^Oo 


MEMOIRES 


DU    DUG    D'YORCK. 


i-i>og-" 


LIVRE  PREMIER. 
DES  GUERUES  CIVILES  EIN  FRANCE. 


[1652].  Le  due  d'Yorck  ^tolt  en  France  au- 
pres  de  la  Reine  sa  mere  ,  en  1()52,  lorsque  le 
retour  du  cardinal    Mazarin   ayant  rendu  la 
cour  irreconciliabie  avec  les  cnnemis  de  ce  mi- 
nistre ,  ce  prince  jugeant  que  la  guerre  ailoit  se 
rallumer  avec  beaucoup  de  violence  ,  et  ayant 
nne  extreme  passion  de  se  rendre  capable  de 
servir  un  jour  utilement  le  Roi  son  frere  ,  il  re- 
solut,  s'il  pouvoit  obtenir  sa  permission  et  celle 
de  la  Reine ,  de  faire  la  campagne  en  qualite  de 
volontaire  dans  Tarmee  du  Roi  de  France.  Le 
chevalier  Berkeley  fut  le  sen!  qui  ue  s'opposa 
point  a  ce  dessein  a  la  premiere  proposition  qui 
en  fut  faite  ;  mais  a  force  d'insister  ,  on  y  con- 
sent't.  Cependant  il  restoit une difficulte  bien  plus 
difficile  a  vaincre  que  la  premiere;  rien  n'etoit  si 
rare  que  I'argent :  la  cour  de  France  etoit  alors  a 
Angers ,  et  dans  une  fort  grande  necessite ;  tel- 
lement  que,  sans  le  secours  de  trois  cens  pistoles 
que  lui  preta  un  gentilhomme  gascon  ,  nomme 
Gautier,  qui  avoit  servi  en  Angleterre,  il  lui 
auroit  ete  impossible  de  se  mettre  en  carapagne. 
Avec  cette  petite  somme  on  travail  la  a  son 
equipage  :  le  Roi  son  frere  lui  donna  un  attelage 
de  six  chevaux,que  le  lord  Crofts  avoit  amenes 
de  Pologne ;  ils  etoient  trop  petits  pour  le  ca- 
rosse,  et  servirent  a  monter  deux  ou  trois  valets 
de  pied  et  autant  de  palfreniers  ;  on  ioua  deux 
raulets  pour  porter  jusqu'a  I'armee  un  lit  de 
camp  et  le  petit  bagage.  Le  due  ne  devoit  etre 
accompagne  que  du  chevalier  Berkeley  et  du 
colonel  Werden  ,  et  il  n'avoit  pas  un  seul  che- 
val  de  main  ,  pour  pouvoir  en  changer  en  cas 
de  necessite.  Ce  peu  de  preparatifsse  firent  ai- 
sement  avec  le  secret  qu'il  falloit  pour  ne  point 
etre  arrete ,  corame  il  en  auroit  couru  risque ,  si 
son  dessein  d'aller  a  I'armee  du  Roi  avoit  ete 
decouvert;  outre  qu'il   ne  pouvoit  pas,  avec 
bienseance,  prendre  conge  du  due  d'Orleans  son 


oncle  ,  pour  aller  servir  dans  le  parti  contraire 
au  sien.  Pour  eviter  cet  inconvenient ,  ce  prince 
alia  avec  le  Roi  son  frere  a  Saint-Germain-en- 
Laye ,  sous  pretcxte  de  chasse;  et  apres  y  avoir 
reste  deux  ou  trois  jours,  il  se  mit  en  chemin  le 
vingt-un  d'avrilpour  aller  joindre  I'armee. 

II  passa  au  travers  du  fauxbourg  Saint-An- 
toine  ,  et  ne  put  aller  la  premiere  nuit  plus  loin 
que  Charenton.  Lejoursuivantil  alia  a  Corbeil. 
En  arrivant  au  fauxbourg ,  il  y  trouva  quelques 
compagnies  du  regiment  aux  gardes,  ausquelles 
les  habitans  de  la  ville  avoient  ferme  les  portes. 
Le  due  d'Yorck  etant  fort  incertain  d'y  etre 
recu  lui-meme,  hazarda  de  s'y  presenter  :  on 
lui  fit  beaucoup  de  difficultes;  mais  a  force  de 
bonnes  paroles ,  on  lui  permit  d'entrer  a  pied  , 
a  condition  qu'il  laisseroit  ses  chevaux  dans  le 
fauxbourg.  Ensuite  ayant  representeaux  magis- 
trats  les  dangers  auxquels  ils  s'exposoient ,  en 
continuant  de  refuser  I'entree  aux  troupes  du 
Roi  ,  ils  se  laisserent  a  la  fin  persuader  ,  quoi- 
qu'il  fut  constant  que  s'ils  eussent  persiste ,  la 
cour,  qui  etoit  alors  arrivce  a  Melun  ,  auroit  eu 
bien  de  la  peine  a  s'emparer  de  la  place  ,  tant  a 
cause  de  sa  forte  situation  que  du  voisinage  de 
Paris  ;  et  si  le  Roi,  par  cette  avanture  imprevue 
ne  s'en  etoit  rendu  le  maitre ,  ses  affaires  en 
auroient   beaucoup  souffert,  au  lieu   que  ce 
poste  lui  fut  dans  la  suite  d'une  tres-grande 
utilite  en  plusieurs  occasions. 

Aussitot  que  la  cour  fut  informee  que  ses 
troupes  etoient  entrees  dans  Corbeil,  elle  quitta 
Melun  pour  s'y  rendre  :  le  due  d'Yorck  y  etoit 
reste  pour  I'attendre,  et  son  arrivee  lui  procuraun 
petit  secours  d'argent  dont  il  avoit  grand  besoin, 
n'ayant  pas,  en  arrivant  dans  cette  ville,  vingt 
pistoles  de  reste.  Son  equipage  fut  augmente 
d'un  eheval  et  de  deux  mulcts.  II  partit  le  meme 
soir  pour  Ghartres  avec  plusieurs  volontaires 


536 


MEMOIUES    DU    DUG    D  YORCK 


de  la  coiir  qui  raccompagnoient ,  et  il  y  trouva 
I'armee  qui  n'etoit  arrivee  que  peu  d'heures 
avant  lui.  Avant  que  de  commenccr  la  relation 
de  cette  campagne  et  de  celles  qui  la  suivirent, 
il  est  necessaire  de  repiendre  unpeu  plus  haul 
pour  expliquer  I'etat  des  affaires  en  France. 

La  cour  etoit  reduite  au  commencement  de 
cctte  annee  aux  dernieres  extremites  :  le  nombre 
des  sujets  fideles  a  leur  Roi  etoit  petit;  ceux  meme 
qui  par  leur  interet  devoient  etre  le  plus  atta- 
ches au  salut  de  I'Etat ,  etoient  les  principaux 
instrumens  des  troubles  qui  le  dechiroient,  sous 
le  pretexte  specieux  ,  qui  a  ete  dans  tons  les 
temps  celui  des  rebellions,  d'eloigner  de  la  per- 
sonne  du  Roi  les    mauvais  conseillers.   Pour 
rendre  cette  plainte  plus  plausible  ,  on  decla- 
moit    principalcment  centre  le  ministre ,    en 
criant  qu'il  etoit  honteux  a  la  France  de  se  lais- 
ser  gouverner  par  un  etranger ,   pendant  que 
taut  de  princes  du  sang  etoient  et  plus  propres 
et  plus  capables  que  le  cardinal  de  soutenir  le 
ministere.  Ces  princes  etoient  a  la  tete  des  me- 
contens  ,  suivis  de  la  plupart  des  seigneurs  et 
des  personnes  les  plus  qualifiees  du  royaume  : 
les  villes  les  plus  considerables  et  la  plupart 
des  parlemens  s'etoient  declares  pour  eux  ;  et 
quoique  le  due  de  Longueville  n'eut  pas  pris 
ouvertement  aucun  parti ,  on  scavoit  bieu  qu'il 
panchoit  avec  toute  la  Normandie  du  cote  de 
celui  des  princes  ,  et  qu'il  n'affectoit  la  neutra- 
lite  que  pour  se  ranger  sans  peril  du  cote  des 
plus  forts  :  quelques  propositions  qu'on  lui  piit 
faire  de  la  part  du  Roi ,  il  trouva  toujours  des 
excuses  pour  les  eluder  et  pour  se  dispenser 
de  le  recevoir  dans  Rouen,  lorsque  les  villes  les 
plus  considerables  ne  vouloient  lui  ouvrir  leurs 
portes,  et  que  les  plus  petites  ,  comme  Corbeil, 
suivoient  le  meme  exemple  ,  tant  le  poison  etoit 
universellement  repandu  dans  le  royaume. 

Les  Espagnols,  toujours  attentifs  a  proliter 
des  desordres  de  la  France,  ne  negligeoient  rien 
pour  les  fomenter  dans  I'esperance  de  regagner 
en  peu  de  temps  les  places  qu'elle  leur  avoit 
prises ,  et  qui  lui  avoit  coiite  tant  d'annees ,  tant 
de  travaux  ,  de  sang  et  d'argent ;  il  y  a  meme 
beaucoup  d'apparence  qu'ils  avoient  de  plus 
vastes  desseins ,  et  qu'ils  se  flattoient  d'accabler 
entieremcnt  cette  monarchic ,  ou  au  moins  de 
I'affoiblira  un  point  qu'elle  ne  seroit  pas  ca- 
pable de  les  attaquer  de  long-temps  ;  mais  ils 
prirent  de  fausses  mesures,  et  leurs  precau- 
tions, toujours  outrees,  firent  echouer  tons  leurs 
projets.  Outre  I'argent  et  les  promesses  magni- 
flques  qu'ils  repandoient  parmi  les  chefs  des 
inecontens,  ils  envoyerent  de  Flandre,  pour  for- 
tifier larmec  des  princes ,  des  troupes  sous  le 


[1652] 

commandement  du  due  de  Nemours ,  qui  6toit 
alle  expres  a  Bruxelles  pour  demander  du  se- 
cours.  Elles  entrerenten  France  au  commence- 
ment du  printemps ,  au  nombre  d'environ  sept 
mille  hommes  ,  cavalerie  et  infanterie ,  et  pas- 
serent  la  Seine  a  Mantes,  dont  le  due  de  Sully 
etoit  gouverneur  ,   et  qui  auroit  pu ,  s'il   eut 
voulu ,  leur  refuser  passage  et  retarder  beau- 
coup  leur  jonction  avec  I'armee  des  princes  as- 
semblee  aux    environs   de  Montargis.   Depuis 
cette  jonction  et  la  prise  d'Angers  par  les  trou- 
pes du  Roi ,  il  ne  se  passa  rien  de  considerable 
jusqu'a  I'affaire  de  Blesneau  ,  excepte  que  M.  de 
Turenne,  que  ces  memoires  regardent  particu- 
lierenient ,  prevint  le  dessein  que  les  ennemis 
avoient  de  se  rendre  maitres  de  Gergeau  :  ils 
s'etoient  deja  saisis  d'un  bout  du  pont  et  n'au- 
roient  point  tarde  a  s'emparer  de  la  place ,  qui 
n'avoit  pour  toute  defense  qu'une  porte  et  un 
fort  petit  nombre  de  soldats ,  si  M.  de  Turenne 
n'y  etoit   arrive   fortuitement   avec  assez    de 
troupes  pour  empecher  Texecution  de  ce  projet, 
dont  le  succes  leur  auroit  ete  fort  avantageux. 
lis  furent  obliges  de  se  retirer  avec  quelque 
perte ,  dont  la  plus  considerable  fut  celle  de 
M.  Sirot,  lieutenant-general ,  un  de  leurs  meil- 
leurs  officiers. 

La  cour  alia  ensuite  a  Glen  ,  ou  I'armee  passa 
la  Loire  et  prit  des  quartiers  a  I'entour  de 
Blesneau.  Celle  des  princes  s'avanca  a  Lorris. 
Ce  fut  dans  cet  interval  le  que  le  prince  de 
Conde  partit  secretement  de  Guienne  ,  ou  ses 
affaires  etoient  en  mauvais  etat ,  pour  venir 
a  Paris  ou  sa  presence  etoit  plus  necessaire. 
II  nefut  accompagne  dans  ce  dangereux  voyage 
que  de  quatre  ou  cinq  personnes  :  a  peine  y 
fut-il  arrive  qu'il  fut  oblige  de  partir  pour  se 
mettre  a  la  tete  de  I'armee  des  princes;  et 
ayant  ete  informe  de  I'etat  ou  etoient  les  trou- 
pes du  Roi,  il  resolutde  les  attaquer  dans  leurs 
quartiers  qu'ils  avoient  ete  obliges  d'etendre 
au  large  pour  la  commodite  des  fourages.  M.  de 
Turenne  avoit  les  siens  a  Briare  ,  et  ceux  du 
marechal  d'Hocquincourt  etoient  a  Blesneau. 
Ce  dernier  ayant  eu  avis  que  I'armee  des  prin- 
ces venoit  a  lui ,  ordonna  a  ses  troupes  ,  en  cas 
d'allarme,  de  marcher  au  rendez-vous  qu'il 
leur  avoit  marque  entre  les  quartiers  de  M.  de 
Turenne  et  les  siens  ;  il  envoya  en  meme  temps 
des  gardes  avancees  vers  les  ennemis ,  et  posta 
des  dragons  dans  un  passage  ,  par  oii ,  suivant 
toute  apparence,  ils  devoient  venir.  M.  de 
Turenne,  ayant  aussi  ete  informe  de  leur  des- 
sein, allalui-meme  trouver  M.  d'Hocquincourt, 
qui  etoit  le  plus  expose  ,  pour  Ten  averlir. 
Les  dragons  sur  lesquels  on  s'etoit  repose,  ct 


MEMOIRES    DU    DUG    D  VORCK. 


IG521 


537 


qu'on  crut  pouvoir  arreter  Tennemi  au  passage, 
le  soutinrent  mal  ;  soit  par  lachete  ou  par  tra- 
hison ,  iis  ne  furent  pas  plutot  attaques  qu'ils 
abandonnerent  le  poste.  M.  le  prince  poursui- 
vant  son  avantage,  tomba  sur  le  quartier  de 
M.  d'Hocquincourt,  qui  ne  resista  pas  loug- 
temps  et  fiit  force ,  mais  avec  assez  peu  de 
perte  de  part  et  d'autre.  Les  troupes  battues  se 
sauverent  a  la  faveur  de  la  nuit ,  perdirent  tous 
leurs  bagages ,  et  leur  terreur  fut  si  grande  , 
qu'elles  oublierent  le  rendez-vous  qu'on  leur 
avoit  donne  :  la  nuit  enapecha  les  ennemis  de 
les  poursuivre  ;  mais  ils  comptoieut  de  battre  , 
des  qu'il  feroit  jour,  M.  de  Turenne  qu'ils 
scavoient  etre  pres  d'eux,  s'il  ne  se  retiroit 
pas.  Le  royaume  entier  auroit  ete  dans  un  peril 
extreme ,  si  cette  armee  eiit  ete  mise  en  de- 
route  :  le  Roi  pouvoit  diflicilement  eviter  de 
tomber  avec  toute  sa  cour  entre  les  mains  des 
princes  ;  et  tout  etoit  a  craindre  dans  un  temps 
ou  I'ambition  de  quelques  grands  ne  connoissoit 
point  de  bornes. 

Aussitot  que  M.  de  Turenne  fut  averti  de 
Tapproche  des  ennemis ,  il  sortit  de  ses  quar- 
ters ,  marcha  au  rendez-vous ,  envoyant  en 
meme  temps  de  petits  partis  qui  ne  tarderent 
pas  de I'inl'orraer  que  les  quaitiers  de  M.  d'Hoc- 
quincourt avoient  ete  forces.  La  nuit  fut  si 
obscure,  qu'il  ne  put  pas  bien  conuoitre  le  poste 
qu'il  avoit  pris.  II  etoit  dangereux  d'avancer , 
les  ennemis  etant  si  pres ;  et  la  retraite  u'etoit 
pas  moins  hazardeuse  parce  qu'il  ue  connoissoit 
pas  assez  le  pays ;  il  craignoit  d'intimider  ses 
troupes  et  de  les  mettre  en  desordre  :  il  prit  le 
parti  de  rester  ou  il  etoit,  dans  I'esperance  de 
donner  par  la  a  ses  troupes  dispersees  le  temps 
de  le  rejoindre.  A  la  pointe  du  jour ,  en  decou- 
vrant  les  ennemis,  il  remarqua  avec  bien  de  la 
joye  qu'il  pouvoit  occuper  uu  poste  tres  avanta- 
geux,  ou  ils  ne  pouvoient  venir  I'attaquer  qu'en 
passant  un  defile  fort  etroit. 

II  mit  derriere  ce  defile  sa  petite  armee  en 
bataille ,  ayant  un  bois  d'uu  cote  et  un  grand 
etang  de  I'autre.  Quelques  officiers  lui  propose- 
rent  de  poster  le  long  du  bois  des  petits  partis 
d'infanterie,  pour  mieux  defendre  les  passages. 
II  ne  suivit  point  cet  avis  ,  parce  que ,  comme  il 
le  dit  depuis  au  due  d'Yorck,  I'infanterie  des  en- 
nemis etant  de  moitie  plus  nombreuse  que  la 
sienne,  iis  n'auroient  pas  eu  beaucoup  de  peine  a 
la  chasser  du  bois ,  ce  qui  I'auroit  oblige  d'aller 
la  secourir,  et  I'auroit  si  fort  engage  qu'il  n'au- 
roit  pu  eviter  la  defaite  entiere  de  ses  troupes. 
II  jugea  plus  a  propos  de  laisser  le  bois  degarni, 
s'eloigna  de  plus  de  la  portee  du  mousquet  en- 
tre le  bois  et  le  defile  ;  et  dans  cette  situation 


attendit  I'ennemi  qui,  lui  voyant  prendre  de  si 
justes  mesurcs,  n'osa  point  I'attaquer.  On  de- 
meura  de  part  et  d'autre  en  bataille ,  se  conten- 
tant  de  s'observer  et  de  se  canonner,  jusqu'a  ce 
que  M.  de  Turenne  feignant  de  se  retirer,  I'en- 
nenii  crut  trouver  I'occasion  de  le  charger  et 
marcha  en  bataille  au  defile.  Quinze  ou  vingt 
escadrons  I'avoient  deja  passe,  quand  M.  de 
Turenne,  faisant  volte-face,  marcha  a  eux  et  les 
obligea  de  se  retirer  avec  d'autant  plus  de  de- 
sordre et  de  precipitation  qu'ils  n'avoient  point 
d'autre  parti  a  prendre  pour  eviter  d'etre  entiere- 
ment  tallies  en  pieces;  et  comme  le  gros  de 
leur  armee  s'etoit  avance  aupres  du  defile,  I'ar- 
mee  du  Roi ,  reprenant  son  premier  poste ,  fit 
avec  son  canon  une  terrible  execution  sur  les 
ennemis  ,  qui  etoient  en  foule  I'un  dessus  I'au- 
tre ;  cette  canonnadedura  tout  le  reste  dujour. 

Les  troupes  du  marechal  d'Hocquincourt  ar- 
riverent  enfin  sur  le  soir ,  et  joignirent  M.  de 
Turenne ,  qui  etoit  encore  en  presence  des  en- 
nemis ,  et  la  partie  ne  fut  plus  si  inegale.  On  ne 
scait  point  qui  se  retira  le  premier  ;quoi  qu'il 
en  soit ,  M.  de  Turenne  ,  dans  cette  action  im- 
portante ,  sauva  par  sa  conduite  et  par  sa  fer- 
mete  I'Etat ,  qui  n'avoit  point  de  ressource  si 
cette  armee  eiit  ete  defaite,  et  qui  au  moins  au- 
roit souffert  des  secousses  dent  il  se  seroit  dif- 
ficilement  releve. 

Apres  ce  combat,  le  prince  de  Conde  quitta 
I'armee  pour  aller  a  Paris  ,  ou  il  fut  recu  avec 
de  grands  applaudissemens,  son  parti  exagerant 
ses  avantages  fort  au-dela  de  ce  qui  en  etoit. 
Son  absence  prejudicia  beaucoup  aux  interets 
de  la  caballe;  il  ne  resta  personne  pour  com- 
mander I'armee  en  chef ;  M.  de  Tavannes  ne 
commandoit  que  les  troupes  de  M.  le  prince  , 
M.  de  Valon  celles  du  due  d'Orleans ,  et  M.  de 
Clinchamps  les  Espagnols  :  quoiqu'ils  eussent 
tous  trois  egalement  du  courage  et  de  la  capa- 
cite,  aucun  d'eux  n'avoit  assez  de  tete  pour  cou- 
duire  une  armee;  et  il  arriva  ce  qui  arrive  tou- 
jours  lorsque  Ton  ne  reconnoit  point  uu  chef  au- 
quel  toutes  les  troupes  obeissent ;  quoique  I'in- 
teret  fut  commun  ,  les  vues  etoient  differentes, 
et  la  jalousie  gatoit  tout.  M.  de  Turenne  etoit 
trop  habile  pour  ne  pas  profiler  de  cette  mesin- 
telligence  :  quoique  les  armees  ne  fussent  point 
a  une  grande  distance  I'une  de  I'autre,  il  scut 
amuser  les  ennemis  et  regler  ses  mouvemens  si 
a  propos ,  que  faisant  de  grandes  marches  de 
concert  avec  la  cour,  il  se  glissa  adroitement 
entre  eux  et  Paris ;  et  quoiqu'il  eut  un  grand 
tour  a  faire,  sa  diligence  fut  telle  qu'il  arriva  a 
Chartres  le  vingt-quatrieme  avril,  que  les  enne- 
mis u'ctoicnt  qu'a  Etampcs.  La  cour  alors  pou- 


>3.S 


WEMOIRES    nil    Die    d'^OUCK.    ri(i.)2| 


voit  aller  a  Paris,  comme  il  avoit  ete  resolu  ; 
les  personnes  les  plus  considerables  du  parti  du 
Roi  dans  cette  ville,  et  nieme  ie  cardinal  de 
Retz,  etoient  de  cet  avis;  mais  soil  que  la  cour 
manquat  de  resolution  ,  soit  que  les  artilices  des 
enneniis  du  cardinal ,  qui  vouloient  Teffrayer  , 
prevalussent ,  elle  resta  a  Melun,  et  vint  a  Cor- 
beil  a  peu  pres  au  meme  temps  que  M.  de  Tu- 
renne  arriva  a  Chartres  avec  I'armee,  ou  le  due 
d'\'orck  le  joignit. 

Quelques  jours  se  passerent  sans  qu'il  arrivat 
rien  d'important :  les  partis  qu'on  envoyoit  vers 
Etampes ,  anienoient  sou  vent  des  elievaux  qu'ils 
cnlevoient  an  fourrage,  et  des  prisonniers  qui 
rapporterent  que  toute  I'armce  ennemie  etoit 
en  quartier  dans  la  ville  et  dans  le  fauxbourg. 
Mademoiselle  envoya  un  trompette  a  M.  de  Tu- 
renne,  lui  demander  un  passeport  pour  aller  a 
Paris:  elle  venoit  d'Orleans,  que  sa  presence 
et  son  credit  avoient  fait  declarer  pour  les  prin- 
ces, et  ne  pouvoit  retourner  a  Paris  sans  passer 
au  travers  des  deux  armees.  M.  de  Turenne  fit 
quelque  difficulte  de  lui  accorder  le  passeport 
sans  la  permission  de  la  cour,  ou  il  depecba  un 
expres ;  mais  avant  son  retour,  ayant  considere 
qu'il  pouvoit  tirer  quelque  avantage  de  la  de- 
raande  que  cette  princesse  lui  faisoit ,  et  sa- 
chant  lejour  qu'elle  devoit  arriver  a  Etampes, 
il  lui  envoya  un  passeport.  On  scut  par  des  par- 
tis que  lesennemis  n'avoient  point  ete  au  fou- 
rage  depuis  deux  ou  trois  jours  ,  d  oil  M.  de  Tu- 
renne conjectura  qu'elle  devoit  voir  I'armee  en 
bataille  ce  jour-la,  qui  etoit  le  troisieme  de 
mai ;  que  le  lendemain  elle  partiroit  pour  Paris  ; 
que  les  ennemis  n'allant  au  fourage  que  le  qua- 
trieme ,  ils  seroient  obliges  d'en  faire  un  grand 
apres  I'avoir  differe  si  long-temps ;  que  comme 
la  plupart  des  olficiers-generaux  ne  manque- 
roient  point  d'accompagner  Mademoiselle  une 
partie  du  chemin ,  ce  fourage  se  feroit  sans  beau- 
coup  de  precautions.  Toutes  ces  circonstances 
ayant  ete  bien  considerees ,  il  resolut  avec 
M.  dHocquincourtde  marcher  toute  la  nuit  avec 
I'armee  :  on  ne  laissa  dnns  Chartres  que  cent 
chevaux  et  un  regiment  d'infanterie  pour  gar- 
der  la  ville  et  le  bagage.  En  une  heure  de  temps 
toute  I'armee  fut  en  mouvement  :  on  commenca 
a  marcher  a  huit  heures  du  soir  avec  un  grand 
silence  etbeaucoup  d'ordre  :  le  dessein  etoit  de 
se  poster  enlre  I'armee  ennemie  et  Orleans, 
pourcouper  les  fourrageurs  qu'on  crut  trouver 
en  campagne  de  ce  c6te-!a. 

On  passa  tous  les  defiles  avant  le  lever  du 
soleil ;  M.  d'Hocquineourt  menoit  I'avant-garde, 
etanl  son  tour.  II  fallut  faire  un  petit  circuit 
pour  se  rneltre  enlre   Etampes  et  Orleans ;  et 


I'armee  y  etant  arrivee  ,  commencoit  a  se  met- 
tre  en  bataille,  lorsque  des  coureurs  qui  avoient 
ete  envoyes  a  la  decouverte,  rapporterent  que 
les  ennemis,  au  lieu  d'etre  au  fourage ,  avoient 
a  une  lieue  de  la  leur  armee  en  bataille,  dans 
une  plaine  au-dessus  d'Etampes.  On  prit  aussi- 
tot  le  parti  de  marcher  a  eux,  dans  la  resolu- 
tion de  les  combattre;  mais  des  qu'ils  appercu- 
rent  I'armee  du  Roi ,  dont  la  marche  leur  avoit 
ete  jusques-la  inconnue,  ils  commencerent  a  so 
retirer  dans  la  ville  ;  on  fit  avancer  la  cavalerie 
au  grand  trot,  dans  I'esperance  de  charger  I'ar- 
riere-garde  avant  qu'elle  put  etre  a  convert ;  et 
I'infanterie  et  le  canon  eurent  ordre  de  suivre 
avec  toute  la  diligence  possible. 

Les  ennemis,  au  lieu  d'aller  ce  jour-la  au 
fourage,  comme  on  I'avoit  juge,  flrent  sortir 
leur  armee  pour  la  faire  voir  en  bataille  a  Ma- 
demoiselle ,  qui  devoit  partir  le  matin.  Quand 
leurs  generaux  appercurent  I'armee  du  Roi ,  ils 
lui  demanderent  son  avis;  elle  repondit,  qu'ils 
eussent  a  suivre  les  ordres  de  M.  le  due  d'Or- 
leans et  du  prince  de  Conde  ,  et  se  mit  aussitot 
en  chemin.  lis  firent  rentrer  i'armee  dans  la  ville 
avec  tant  de  diligence,  qu'avant  que  M.  de  Tu- 
renne et  M.  d'Hocquincourt  eussent  gagne  la 
hauteur  au-dessus  de  la  ville,  les  ennemis 
etoient  en  surete.  Cette  retraite  precipitee  fit 
prendre  une  nouvelle  resolution  d'attaquer  les 
fauxbourgs:  on  envoya  ordre  a  I'infanterie  de 
s'y  disposer  en  marchaut,  et  de  faire  ses  deta- 
chemens. 

Etampes  est  situe  dans  un  fond ;  une  petite 
riviere  coule  le  long  de  ses  murailles  et  va 
tomber  dans  la  Seine  a  Corbeil  ;  le  cote  de  la 
ville  et  du  fauxbourg  qui  est  sur  la  droite  en  ve- 
nant  de  Chartres,  est  commande  par  une  petite 
hauteur,  dont  toute  la  plaine  se  pent  decouvrir 
du  haut  d'une  tour  ronde  des  plus  elcvees 
qui  se  voyent;  les  murailles  sont  flanquees  de 
pelites  tours  ,  qui  ne  sont  point  a  I'epreuve  du 
canon ;  elles  ne  sont  entourees  que  d'un  fosse , 
sec  du  cote  de  Chartres  ;  le  fauxbourg  vers  Or- 
leans est  enviroune  de  la  riviere  et  d'un  ruis- 
seau  qui  se  joignent  a  la  porte  d'Orleans,  par 
laquelle  seule  la  viHe  peut  avoir  communica- 
tion avec  ce  fauxbourg.  Les  ennemis  y  avoient 
neuf  regimens  d'infanterie,  entre  autres  ceux 
de  Conde ,  de  Conli  et  de  Bourgogne;  les  trou- 
pes auxiliaires  des  Pays-Bas,  scavoir:  Berlo, 
Pleur ,  Vange,  La  Motte,  Peluitz ,  etc. ,  et  envi- 
ron cinq  cents  chevaux.  lis  s'y  etoient  retran- 
ches  a  la  faveur  du  ruisseau  qui  couvroit  tout 
un  cote  ,  a  la  reserve  d'un  petit  espace  pres  de 
la  porte,  ou  ils  avoient  cleve  une  bonne  ligne. 

J/infanterie  de  I'armee  du  Roi  attaqua  les  en- 


MEiMOlRES    DU    DUC 

nemis  en  arrivant;  elle  altendit  a  peine  le  ca- 
non ,  dont  on  lira  deux  ou  trois  coups  centre 
les  retranchemens ,  plutot  pour  faire  connoitre 
qu'il  etoit  arrive  que  pour  I'execution  qu'on 
en  pouvoit  attendre.  L'infanterie  de  M.  d'Hoc- 
quincourt,  qui  avoit  la  droite ,  fit  son  attaque 
ducote  du  ruisseau  :  ellemarchajusciu'au  bord, 
essuyaut  le  feu  des  enneniis  ;  mais  des  officieis 
I'ayaut  sonde  avec  leurs  piques  ,  et  trouve  plus 
profond  qu'on  n'avoit  cru  ,  on  se  retira  en  bon 
ordre,  et  on  marcha  un  peu  plus  haut  vers  un 
moulin. 

M.  de  Turenne  fit  attaquer  par  M.  de  Ga- 
dagne,  lieutenant-colonel  du  regiment  de  la 
marine  ,  pres  de  la  ville  a  la  gauche  ,  qui  n'e- 
tant  defendue  que  d'une  ligne,  fut  emporlee 
sans  beaucoup  de  resistance.  II  n'y  eut  que  cet 
endroit  qui  fut  raal  defendu,  quoiqu'il  fut  le 
plus  de  consequence;  car  etant  pris,  il  n'y 
avoit  plus  de  communication  enlre  la  ville  et  le 
fauxbourg.  On  fit  immediatement  apresdes  bar- 
ricades au  travers  de  la  rue  ,  \is-a-vis  la  porte  : 
M.  de  Turenne  fit  entrer  par  la  toute  son  in- 
fanterie,  qui  fit  des  passages  a  la  cavalerie,  a  la 
tete  de  laquelle  entra  le  marechal  d'Hocquin- 
court ;  mais  il  etoit  venu  avec  tant  de  precipita- 
tion ,  qu'il  oublia  de  donner  ses  ordres  au  reste 
de  son  aile  sur  ce  qu'elle  avoit  a  faire,  tellement 
qu'elle  suivoit  toute entiere  dans  le  fauxbourg, 
si  M.  de  Turenne,  s'en  etant  apercu,  ne  fut 
alle  les  arreter  tous,  a  la  reserve  de  deux  ou 
trois  des  premiers  escadrons  qui  etoient  deja  en- 
tres.  II  leur  ordonna  d'aller  occuper  la  hauteur 
ou  sa  cavalerie  etoit  postee,  parcequ'il  en  avoit 
dans  le  fauxbourg  plus  que  suffisamment  pour 
soutenir  Tinfanterie;  et  s'il  y  en  etoit  entre  un 
plus  grand  nombre,  lesennemisqui  etoient  dans 
la  ville  en  auroient  pu  prendre  avantageen  sor- 
tant  par  I'autre  porte  ,  et  tomber  sur  la  cavale- 
rie qui  etoit  en  dehors ;  car  sans  compter  ce 
qu'ils  avoient  de  troupes  dans  le  fauxbourg,  ils 
avoient  dans  la  ville  autant  de  cavalerie  et  d'in- 
fanterie  qu'il  y  en  avoit  dans  I'armee  du  Roi. 

Cependant  le  regiment  de  Picardie  avec  le 
•  reste  de  l'infanterie  de  INI.  d'Hocquincourt , 
passa  le  ruisseau  au  moulin  ,  attaqua  les  enne- 
mis  vigoureusement ,  qui  se  defendirent  de 
raeme ,  et  apres  avoir  ete  forces,  firent  ferme 
de  muraille  en  muraille  et  de  poste  en  poste. 
D'un  autre  cote ,  l'infanterie  de  M.  de  Turenne 
ayant  acheve  la  traverse  contre  la  ville ,  tourna 
a  droite  et  attaqua  en  fianc  le  regiment  de 
Bourgogne  qui  defendoit  la  ligne;  mais  quoi- 
que  I'attaque  fut  des  plus  violentes  et  que  Ic 
canon  les  desolat,  ils  disputerent  opiniatrement 
toHles  les  murailles  qui  servoieut  de  clotures 


d'yorck.  [I6o2]  iS'J 

aux  jardins,  dont  les  derri^res  aboutissoieul  a 
la  ligne  :  ils  y  avoient  fait  des  ouvertures  pour 
passer  six  hommes  de  front,  en  raarchant  le 
long  de  cette  ligne.  Ce  fut  la  oil  leur  resistance 
futsi  vigoureuse,  qu'ils  chasserent  les  attaquans 
des  murailles  qu'ils  avoient  gagnees,  les  re- 
pousserent  si  loin  et  les  mirent  dans  un  si  grand 
desordre ,  que  sans  le  regiment  de  Turenne,  qui 
arreta  leur  irapetuosite  et  donna  le  temps  aux 
aulres  de  se  rallier,  on  couroit  risque  de  per- 
dre  tout  I'avantage  qu'on  venoit  de  gagner  ; 
mais  I'effort  des  ennemis  ayant  ete  soutenu , 
on  les  poussa  derechef  de  muraille  en  muraille, 
jusqu'a  la  derniere ,  ou  reprenant  vigueur  ,  ils 
repousserent  une  seconde  fois  les  attaquans  dans 
un  clos  voisin  et  en  firent  un  grand  carnage. 

On  les  avoit  poursuivis  la  derniere  fois  avec 
trop  d'ardeur  et  si  peu  d'ordre ,  que  les  cava- 
liers et  les  fantassins  etoient  pesle-mesle.  Les 
ennemis  ne  pousserent  pas  plus  loin  leur  avan- 
tage ;  ils  se  contenterent  d'avoir  conserve  leur 
derniere  muraille,  pendant  que  Ics  attaquans 
se  rallierent  a  I'abri  de  celle  qui  etoit  la  plus 
proche,  de  sorte  qu'il  resta  un  clos  entre  deux: 
on  se  contenta  pour  un  temps  de  faire  grand 
feu  de  part  et  d'autre.  Le  due  d'Yorck,  qui  etoit 
present  a  cette  chaude  attaque ,  y  vit  un  offi- 
cier  des  ennemis,  nomme  Dumont,  qui  etoit 
major  de  Conde,  entreprendre  une  action  ca- 
pable d'arreter  le  cours  de  cette  victoire ,  s'il 
eut  ete  soutenu  :  il  sortit  de  son  rang  la  pique 
a  la  main  ,  et  s'avancant  vingt  pas ,  qui  etoit  la 
largeur  de  I'enclos,  il  s'exposa  a  tout  le  feu 
des  attaquans;  mais  n'etant  suivi  de  personne, 
il  fut  contraint  de  se  retirer.  II  fit  jusqu'a  trois 
fois  cette  dangereuse  manoeuvre  sans  recevoir 
la  moindre  blessure;  elle  donna  de  I'emulation 
aux  troupes  du  Roi.  11  etoit  dangereux  d'aller 
droit  a  la  breche  ou  a  I'ouverture ,  qui  etoit 
defendue  par  tant  de  braves  gens.  Un  officier 
dont  on  a  oublie  le  nom ,  sortit  de  I'ouverture 
de  la  muraille  que  les  attaquans  occupoient ,  et 
a  la  vue  des  ennemis  s'avanca  jusques  contre 
celle  qu'ils  defendoient ;  il  fut  suivi  d'autant  des 
siens  qui  purent  se  raettre  a  convert  du  feu. 
L'enclos ,  comme  il  a  deja  ete  reraarque ,  etoit 
etroit ,  et  il  n'y  avoit  plus  qu'une  muraille 
entre  les  deux  partis.  II  se  fit  la  une  maniere  de 
combat  singuliere :  la  muraille  etant  batie  de 
grosses  pierres ,  on  se  les  rouloit  les  uns  sur  les 
autres,  et  elle  commencoit  a  diminuer  conside- 
rablement ,  lorsque  les  troupes  du  Roi  ayant 
reconnu  une  petite  hauteur  d'oii  on  pouvoit 
battre  les  ennemis  a  revers,  on  tira  sur  eux 
si  a  propos,  que,  se  voyant  attaques  en  flanc  et 
de  front,  et  la  place  n'etant  pas  tenable,  ils 


MEMOIBES    DU    DIJC    DYOBCK.    [I652] 


540 

abandonnerent  leur  derniere  muraille  et  se  re- 
tirerent  dans  une  eglise  voisine ,  ou  le  regiment 
de  Picardie  avoit  aussi  pouss6  ceux  qu'il  avoit 
attaques ;  ils  ne  pouvoient  pas  s'y  defendre  et 
demandercnt  quartier,  qui  leur  fut  accorde. 
Leui-  cavalerie  passa  ie  ruisseau  et  se  sauva, 
apres  avoir  perdu  le  baron  de  Briole  qui  la 
commandoit,  et  le  comte  de  Furstemberg,  qui 
furent  tues. 

Pendant  qu'on  combattoit  dans  le  fauxbourg , 
les  ennemis  qui  etoient  dans  la  ville  ilrent 
queiques  sorties  pour  forcer  la  barricade,  et 
pousserent  si  \ivement  les  troupes  du  Roi ,  que 
si  M.  de  Turenne  ne  s'etoit  avance  lui-meme 
pour  les  soutenir  avec  un  escadron  de  sa  cava- 
lerie jusqu'a  la  portee  du  pistolet  de  la  ville , 
la  barricade  couroit  grand  risque  d'etre  em- 
portee.  Tout  dependoit  dece  poste,  dont  la perte 
auroit  entraine  la  defaite  entiere  des  troupes 
qui  etoient  actuellement  aux  mains  dans  le  faux- 
bourg ;  mais  le  secours  que  M.  de  Turenne 
donna  si  a  propos,  les  munitions  qu'il  fit  dis- 
tribuer,  et  la  fermete  de  M.  de  Gadagne,  ren- 
dirent  inutiles  les  efforts  des  ennemis,  qui 
firent  encore  deux  autres  sorties  ,  ou  ils  furent 
repousses  avec  perte. 

Des  neuf  regimens  d'infanterie  que  les  enne- 
mis avoient  dans  ce  fauxbourg, a  peine  se  sauva- 
t-il  un  homme  :  il  y  en  cut  neuf  cens  de  tues  et 
dix-sept  cens  prisonniers.  Les  principaux  de 
cesderniers  furent:  Briol,  marechal-de-camp, 
Montal ,  qui  commandoit  le  regiment  de  Conde, 
Dumont ,  major  du  meme  regiment ,  que  le 
due  d'Yorck  recounut  etre  le  meme  qui  s'etoit 
distingue  avec  tant  de  bravoure  a  I'attaque  de 
la  derniere  muraille ,  le  baron  de  Berlo ,  mare- 
chal  de  bataille ,  Vange ,  Pleur,  La  Motte. 
L'armee  du  Roi  perdit  au  nioins  cinq  cens 
hommes ,  parmi  lesquels  il  n'y  eut  personne  de 
remarque  ;  le  jeune  comte  de  Quince  recut  un 
coup  de  mousquet  au  travers  du  corps ,  et  le 
comte  Carlo  de  Broglio  un  dans  le  bras ,  dont 
ils  guerirent  tons  deux. 

Cette  action  fut  egalement  bardie  et  heu- 
reuse;  les  generaux  ne  Tauroient  point  entre- 
prise  s'ils  eussent  connu  la  foiblesse  de  leur  in- 
fanterie ,  qui  ne  montoit  pas  a  deux  mille  hom- 
mes, au  lieu  qu'elle  devoit  etre  au  moins  de 
cinq  mille;  la  marche  s'etant  faite  soudaine- 
ment  et  dans  I'obscurite ,  tons  les  soldats  qui 
etoient  en  detachement  ne  purent  joindre  Tar- 
mee  que  quand  I'attaque  fut  finie.  Les  ennemis 
avoient  trois  mille  hommes  d'infanterie  dans  la 
ville,  et  un  pareil  nombre  dans  le  fauxbourg  , 
sans  la  cavalerie ;  mais  le  desordre  qu'on  re- 
raarqua  parmi  cux  en  arrivant  sur  la  hauteur  , 


la  confusion  avec  laquelle  ils  se  retirerent,  et 
le  peu  de  concert  qu'il  y  a  d'ordinaire  ou  le 
commandement  est  divise ,  determinerent  pro- 
bablement  a  les  attaquer. 

Si  les  ennemis  avoient  ete  attentifs  sur  les 
fautes  de  l'armee  du  Roi ,  ils  eussent  pu  profiter 
d'une  belle  occasion  de  la  defaire  dans  sa  re- 
traite.  M.  d'Hocquincourt ,  sans  se  mettre  en 
peine  si  M.  de  Turenne  le  suivoit  avec  I'arriere- 
garde,  qu'il  fut  long-temps  a  rassembler ,  a 
cause  du  grand  nombre  de  soldats  qui  s'amu- 
soient  a  piller  le  fauxbourg,  marcha  avec  I'avant- 
garde  ,  sans  faire  aucune  halte ,  droit  a  Etrechi : 
les  ennemis  pouvoient ,  sortant  de  la  porte  de 
Paris ,  se  mettre  entre  I'un  et  I'autre  et  les 
battre  tous  deux  ;  mais  ils  se  contenterent  d'at- 
taquer  I'arriere-garde  comme  elle  se  retiroit 
du  cote  de  la  barricade ,  et  la  presserent  si  vi- 
vement  que  M.  de  Turenne  fut  oblige  d'y  al- 
ler  en  personne  avec  de  la  cavalerie  pour  la 
degager.  En  arrivant  sur  la  hauteur ,  le  cheva- 
lier Berkeley  I'avertit  que  I'avant-garde  etoit 
partie;  a  quoi  il  repondit,  en  haussant  les 
epaules  ,  qu'il  etoit  trop  tard  d'y  remedier.  Le 
danger  etoit  d'autant  plus  grand  qu'on  avoit 
I'embarras  des  prisonniers  qu'on  amenoit.  On 
marcha  avec  toute  la  diligence  possible,  et  la 
crainte  ue  cessa  qu'en  arrivant  a  Etrechi.  Le 
lendemain  toute  l'armee  retourna  a  Chartres. 

Ce  succes  releva  considerablement  les  affaires 
du  Roi  et  le  courage  du  cardinal ,  qui  envoya 
ordre  a  M.  de  Turenne  de  bloquer  les  ennemis 
dans  Etampes,  oil  ils  commencoient  a  mauquer 
de  fourages.  Avant  que  tout  put  etre  pret ,  ceux 
autour  de  Chartres  etant  entierement  consom- 
mes ,  il  fallut  que  l'armee  marchat  a  Palaiseau  , 
ou  elle  resta  jusqu'au  vingt-six ,  qu'elle  vint 
camper  pres  d'Etrechi ,  et  le  lendemain  elle 
s'avanca  a  une  lieue  d'Etampes.  On  travailla  a 
une  ligne  de  contrevallation  a  la  portee  du 
mousquet  de  la  place ,  sur  la  croupe  de  la  mou- 
tagne  ;  aussitot  que  les  ennemis  s'en  apper- 
curent ,  ils  firent  de  frequentes  sorties  pour  in- 
terrompre  I'ouvrage  ,  dans  I'une  desquelles  ils 
couperent  environ  cent  travailleurs  avant  que 
la  garde  put  etre  a  cheval ;  mais  ils  furent  vi- 
goureus^ment  repousses  par  le  marquis  de  Ri- 
chelieu qui  la  commandoit.  Le  lendemain ,  les 
lignes  furent  presque  achevees  :  elles  ne  purent 
etre  que  mediocres ,  a  cause  de  la  qualite  du 
terrain  fort  pierreux  et  du  manque  d'outils  et 
de  bois ,  n'y  en  ayant  point  du  tout  aux  envi- 
rons. 

On  logea  de  I'infanterie  dans  les  mines  du 
fauxbourg  ,  que  les  ennemis  avoient  brule 
quand  ils  scurent  qu'on  rctournoit  les  attaquer. 


MEMOIBKS    DU    DUC    o'vOBCK.    [1652] 


L'armee  etoit  campee  plus  pres  de  la  place  que 
la  portee  clu  canon ,  qui  n'incommodoit  point , 
parce  qu'elle  est  dans  un  fond  ;  mais  les  enne- 
mis  pouvoient  decouvrir  du  haut  d'une  tour 
fort  elevee ,  dont  on  a  dcja  parle  ,  tout  ce  qui  se 
passoit  dans  le  camp,  ce  qui  leur  etoit  fort 
avautageux.  On  dressa  un  pont  sur  la  riviere 
pour  les  empecher  d'aller  au  fourage,  et  on  se 
disposoit  a  en  faire  plusieurs  autres  qui  les  au- 
roient  resserres  et  affames  en  peu  de  temps, 
lorsque  le  due  de  Lorraine  vint  rompre  toutes 
ces  mesures.  Ce  prince  avoit  donue  au  cardinal 
des  assurances  si  positives  de  demeurer  attache 
a  ses  interets ,  qu'il  envoya  ordre  au  marechal 
de  La  Ferte ,  gouverneur  de  la  Lorraine  ,  de 
permettre  au  due  de  rassembler  ses  troupes , 
qui  etoient  dispersees ;  mais  elles  ne  furent  pas 
plutot  en  corps  qu'il  marcha  droit  en  France 
et  se  declara  pour  les  princes  ,  avec  lesquels  il 
avoit  traitte  secretement  dans  le  meme  temps 
qu'il  etoit  en  negociation  avec  le  cardinal. 

Ce  contre-temps  obligea  M.  de  Turenne  a 
changer  de  dessein  et  a  attaquer  Etampes  de 
vive-force  ,  prevoyant  que  ,  s'il  ne  la  prenoit 
pas  proraptement ,  le  due  de  Lorraine  viendroit 
la  secourir.  On  travailla  dans  cette  vue  avec 
toute  la  diligence  possible  a  elever  des  batte- 
ries, les  unes  sur  les  lignes  et  d'autres  dans 
le  fond ,  contre  la  porte  d'Orleans  ,  qu'on  bat- 
tit,  et  en  meme  temps  a  la  muraille  entre  cette 
porte  et  la  grande  tour ,  dans  le  dessein  d'in- 
sulter  un  ouvrage  avance  que  les  ennemis  y 
avoieut  fait  un  peu  plus  pres  de  la  porte  que  de 
la  tour.  La  nuit,  M.  de  Gadagne,  avec  mille 
hommes  commandes,  y  donna  I'attaque  ,  et 
iipres  quelque  resistance  s'en  rendit  maitre  sans 
perte  considerable ,  quoique  les  murailles  de  la 
place  ne  fussent  qu'a  la  portee  du  pistolet.  On 
avoit  fait  sortir  du  camp  de  la  cavalerie  qu'on 
placa  entre  la  ville  et  les  lignes  du  cote  de  la 
hauteur  ,  pour  empecher  que  M.  de  Gadagne 
ne  fut  surpris  par  derriere  ;  on  la  fit  rentrer  a 
la  pointe  du  jour ;  mais ,  aussitot  que  le  soleil 
fut  leve ,  les  ennemis  sortlrent  le  long  du  fosse 
pour  attaquer  I'ouvrage  par-derriere  pendant 
que  de  la  place  on  I'attaquoit  de  front.  Quoi- 
que M.  de  Gadagne  fit  tout  ce  qu'on  pouvoit 
attendre  d'ua  bon  officier ,  il  en  fut  chasse  et 
ne  fit  sa  retraite  qu'avec  beaucoup  de  peine  le 
long  du  fosse  ,  vers  une  barricade  qu'il  avoit 
fait  faire  devant  la  porte  d'Orleans  ;  on  le  crut 
perdu  ,  parce  qu'il  ne  revint  pas  d'abord  avec 
ses  gens ;  aussi  n'echappa-t-il  que  par  un  grand 
bonheur,  s'etant  trouve  engage  au  milieu  de  la 
cavalerie  des  ennemis  avec  deux  on  trois  ser- 
gcns  et  autant  de  mousquetaires  ,    qui  ne  I'a- 


5^1 

bandonnerent  point   et  I'aiderent  avec   beau- 
coup  de  bravoure  a  se  degager.  II  ne  fut]  point 
blesse,  quoiqu'il  reciit  plus  de  vingt  coups  d'e- 
pee  et  de  pique  dans  son  buffle,  dont  la  bonte 
le  preserva.  M.  de  Turenne  etoit  alle  au  camp 
quand  cette  affaire  arriva  ,  ayant  ete  toute  la 
nuit  dans  les  lignes ;  des  qu'il  entendit   I'al- 
larme  ,  il  fit  marcher  toute  I'infanterie  de  son 
quartier  ,  et  son  regiment  arrivant  le  premier , 
il  lui  ordonna  de  regagner  I'ouvrage ;  ce  regi- 
ment marcha  aussitot  a  la  vue  des  deux  ar- 
mees,  et  sans  qu'on  fit  la  moindre  diversion, 
ni  qu'on  tirat  un  seul  coup  de  canon  pour  favo- 
riser  I'attaque ,  il  avanca  precede  de  quelques 
soldats  commandes,  de  ceux  qui  avoient  ete 
chasses  de  I'ouvrage  ;  mais  un  capitaine  de  Pi- 
cardie  qui  les  conduisoit  ayant  ete  tue,  ils  s'en- 
fuirent  et  entrainerent  avec  eux  une  partie  des 
mousquetaires  de  la  gauche  du  regiment.  Get 
accident  ne  fut  point  capable  de  le  rebuter.  Les 
capitaines  prirent  en  main  les  drapeaux  et  al- 
lerent  a  la  tete  de  leurs  soldats  sans  tirer  un 
coup,  jusqu'a  ce  qu'ils  arriverent  au  pied  de 
I'ouvrage ,  qui  etoit  plein  d'ennemis.  Alors  les 
attaquans  firent  une  decharge   de  toute  leur 
mousqueterie  ,  et  s'etant  avances  a  la  longueur 
de  la  pique  ,  ils  chargerent  I'ennemi  avec  tant 
de  resolution  et  de  bravoure  qu'ils  emporte- 
rent  I'ouvrage  et  s'y  logerent;  ilsne  perdirent 
qu'un  capitaine  de  leur  regiment ,  un  ou  deux 
officiers  subalternes  et  peu  de  soldats  ,  quoi- 
qu'ils  eussent  long-temps  essuye  le  feu  des  en- 
nemis que  rien  n'empechoit  de  tirer  juste,  puis- 
que ,  pendant  toute  cette  action  ,  on  ne  tira  pas 
un  seul  coup  de  canon  ni  de  mousquet  du  cote 
de  l'armee  du  Roi.  Tous  ceux  qui  furent  te- 
moins  de   cette  action  avouerent   qu'ils  n'en 
avoient  jamaisvuune  plus  bardie  etpluschaude; 
M.  de  Turenne  lui-rneme  et  les  officiers  lespfus 
experimentes   crurent  qu'il  auroit  ete  impos- 
sible de  pousser  si  loin  la  bravoure  ,  si  les  dra- 
peaux n'avoient  toujours  ete  devant  les  yeux 
des  soldats ;  et  ce  fut  en  partie  ce  qui  ensuite 
determina  les  regimens  a  en  prendre  de  nou- 
veaux  ,  les  vieux  corps  aussi  bien  que  les  autres 
ayant  jusques-la  affecte  une  gloire  mal  enten- 
due  d'avoir  leurs  drapeaux  si  dechires  ,  que  le 
plus  souvent  il  ne  restoit  que  le  baton.  Le  re- 
giment de  Turenne  etoit  le  seul  qui  en  avoit 
alors  de  plus  entiers  ,  sans  excepter  les  gardes- 
francoises  ;  car  il  n'y  avoit  point  de  Suisses 
dans  cette  armee. 

II  sembloit,  apres  cette  affaire,  qu'on  dut 
etre  en  repos  le  reste  de  cette  journee ;  mais 
les  ennemis,  so  souvenant  de  la  facilite  avec  la- 
quelle  ils  avoient  regagne  fouvrnge  le  matin  , 


Tjjn  MliMOlUiiS    UU    1>LC 

et  eu  considciant  I'imporlance,  resoluicnt  de 
raltaquer  une  seconde  fois  et  d'insulter  en 
meme  temps  les  lignes.  L'apres-midi ,  sur  les 
trois  heiires  ,  ils  sorlirent  avec  vingt  escadrons 
et  cinq  bataillons.  M.  de  Turenne  ,  qui  heureu- 
semeut  se  trouva  dans  les  lignes ,  commanda 
aux  troupes  de  marcher  a  leurs  postes,  et  en- 
voya  ordre  a  toute  Tinlanterie  qui  etoit  au 
camp  de  le  venir  joindre  ;  cependant ,  pour  ga- 
gner  du  temps,  il  (It  sortir  des  lignes  trois  es- 
cadrons commandes  par  le  comte  de  Rennel  , 
pour  ciiarger  le  premier  corps  des  ennemis  qui 
approehoit :  cequ'il  fit  avec  beaucoup  de  fer- 
mete  ,  jusqu'a  ce  que  ne  pouvant  plus  soutenir 
une  partie  si  inegale,il  fut  pousse  jusques  dans 
les  lignes memes,  dont  le  fosse  etoit  si  peu  con- 
siderable que  des  cavaliers ,  qui  ne  purent  point 
entrer  par  favenue,  sauterent  par-dessus  ,  et  il 
y  eut  fort  peu  de  chevaux  qui  y  toraberent.  Le 
comte  de  Schomberg  ,  qui  n'etoit  alors  que  vo- 
lontaire,  fut  blesse  au  bras  droit  en  faisant 
ferme  dans  I'avenue  ,  a  laquelle  11  n'y  avoit 
point  de  barriere,  parce  qu'il  ne  s'etoit  pas 
trouve  assez  de  bois  dans  le  pays  pour  en  faire 
une.  M.  de  Turenne,  dans  le  temps  qu'il  fit  sor- 
tir le  comte  de  Rennel ,  avanea  lui-meme  avec 
deux  escadrons  qui  lui  restoient  vers  Tavenue, 
croyant  que  I'ennemi  y  feroit  ses  principaux  ef- 
forts. Les  choses  se  trouverent  dans  un  triste 
etat :  il  ne  venoit  point  de  troupes  au  secours; 
Tennemi  approehoit  avec  trois  bataillons  et  plu- 
sieurs  escadrons ,  dont  quelques-uns  n'etoient 
qu'a  la  portee  du  pistolet ,  attendant  I'lnfanterie, 
qui  n'etoit  qu'a  demi-portee  du  mousquet.  II 
n'y  avoit  dans  les  lignes  pour  se  defendre  que 
deux  escadrons  de  cavalerie,  quelques  senti- 
nelles  d'espace  en  espace,  qui,  au  lieu  d'in- 
commoder  les  ennemis  ,  faisoient  voir  beaucoup 
de  foiblesse;il  n'y  avoit  point  de  canonniers  aux 
batteries,  et  point  d'esperance  d'aucun  renfort 
considerable  d'infanterie  qui  put  arriver  dans 
une  necessite  si  pressante ,  la  plupart  ayant  etc 
envoyes  au  fauxbourg  d'Orleans  a  cause  de  Tac- 
tion du  matin.  On  se  croyoit  enfin  si  pres  d'etre 
attaque  ,  que  le  due  d'Yorck  ,  qui  montoit  un 
cheval  d'amble,  ne  crut  point  avoir  le  temps 
d'en  changer,  quoiqu'on  lui  en  cut  amene  un  de 
bataille ,  ni  de  prendre  ses  arraes ,  qu'il  se  fit 
mettre  etant  a  cheval.  II  arrlva  dans  le  meme 
moment  deux  cens  mousquetaires  du  regiment 
aux  gardes  :  c'etoit  tout  ce  qu'on  avoit  pu  ra- 
masser  au  camp,  M.  de  Turenne  leur  recom- 
manda,  sans  s'amuser  a  tirer  tons  ensemble, 
de  bien  ajuster  leurs  coups  :  ce  qu'ilsfirent  si  a 
propos,  que  jamais  un  si  petit  nombre  de  sol- 
dats  n'a  fait  lant  d'execulion  ;  ils  jetterent  bas  a 


u'vuuciv.   [iGo2j 

la  premiere  decharge  tant  d'officiers  et  de  ca- 
valiers ,  et  eclaircirent  tellement  les  trois  pre- 
miers escadrons,  qu'ils  jugerent  a  propos  de 
s'eloigner.  lis  tirerent  ensuite  sur  I'infanterie, 
qui  avancoit  toujours;  mais  par  bonheur  elle 
trouva  eu  avancant  un  petit  rideau  qui  la  cou- 
vroit  jusqu'a  la  tete,  dont  I'abri  lui  parut  si 
agreable  ,  que  ui  exhortation,  ni  coups,  ni  me- 
naces ne  furent  point  capables  de  la  faire  aller 
plus  avant ;  elle  se  contenta  de  faire  grand  feu 
sur  les  lignes,  jusqu'a  ce  que  la  cavalerie  des 
autresquartiers  arrivant  au  secours  des  lignes, 
les  ennemis  songerent  a  se  retirer. 

lis  ne  furent  pas  plus  heureux  a  I'attaque  de 
I'ouvrage,  car  ayant  plus  de  chemiu  a  faire 
pour  y  arriver,  ceux  qui  le  gardoient  eurent  le 
temps  de  se  preparer  a  les  recevoir.  M.  de  Tract , 
qui  commandoit  la  cavalerie  allemande  qui  etoit 
au  service  du  Roi  de  France ,  ayant  ete  averti 
dans  son  quartier  de  ce  qui  se  passoit,  jugea  a 
propos  de  marcher  entre  les  lignes  et  la  ville  ; 
il  rencontra  ceux  des  ennemis  qui  alloient  atta- 
quer  I'ouvrage  ;  quoiqu'il  n'eut  que  quatre  es- 
cadrons ,  et  qu'il  fut  fort  inferieur  eu  nombre  , 
il  les  chargea  si  brusquement,  que,  les  ayant 
arretes,  il  donna  le  temps  a  d'autres  troupes 
commandees  par  le  marquis  de  Richelieu  de 
le  venir  seconder.  Avec  ce  renfort  les  ennemis 
furent  charges  une  seconde  fois  et  forces  de  se 
retirer  en  grand  desordre;  mais  comme  ils 
etoient  pres  de  la  ville ,  il  auroit  ete  dangereux 
de  les  pousser  trop  loin.  La  plupart  des  troupes 
du  Roi  arrivant  aux  lignes,  et  les  ennemis  se 
retirant,  plusieurs  officiers  presserent  M.  de 
Turenne  de  les  poursuivre,  auxquels  il  repon- 
dit  que,  comme  ils  etoient  trop  pres  de  leurs 
murailles ,  on  ne  pourroit  pas  leur  faire  grand 
mal,  et  qu'on  s'exposeroit  a  perdre  trop  de 
monde ,  et  au  danger  d'etre  force  de  se  retirer 
en  desordre. 

Les  ennemis  furent  si  maltraites  dans  cette 
entreprise,  ou  ils  perdirent  beaucoup  de  monde 
et  plus  de  soixante  officiers ,  qu'il  ne  leur  prit 
plus  envie  de  se  commettre  davantage.  On  les 
pressa  vivement  du  cote  de  la  porte  d'Orleans 
et  de  I'ouvrage  avance  qu'on  leur  avoit  pris  ,  et 
le  mineur  etoit  deja  loge  a  la  muraille  quand 
on  apprit  que  M.  de  Lorraine  marchoit  avec 
toute  la  diligence  possible  vers  Paris  ,  et  qu'on 
lui  preparoit  un  pout  de  batteaux  un  peu  au- 
dessus  de  Charenton.  Cette  nouvelle  obligea 
M.  de  Turenne  a  lever  le  siege ,  pour  ne  pas 
s'exposer  a  etre  enferme  entre  deux  armees  en- 
nemies;  on  retira  d'abord  le  canon  des  batte- 
ries qui  etoient  les  plus  proehes  de  la  ville; 
mais  on  etoit  si  mal  fourni  d'atlelages   que , 


MEMOlUtS    1)U    DUi;    U'VOXICK.    [idol'J 


quoique  la  cour  eftt  envoye  tons  les  chevaux  de 
carosse  qui  s'y  trouverent,  jusqu'a  ceux  du 
Roi  et  de  la  Reine  ,  qu'on  ne  put  faire  raarchei" 
que  la  moitie  de  rartillerie  le  jour  qu'on  decam- 
pa,  et  il  fallut  attendre  le  retour  des  chevaux 
pour  emmener  I'autre. 

On  commenca  ,  le  sept  juin ,  I'armee  etant  en 
bataille,  a  retirer  les  troupes  qui  etoient  dans 
Touvrage  avance  ;  M.  de  Navailles,  qui  y  com- 
mandoit ,  fit  sa  retraite  en  bon  ordre ,  quoique 
I'eunemi  le  pressat  assez  vivement.  Ensuite  I'ar- 
meese  mit  en  marche,  apres  avoir  mis  le  feu 
aux  huttes  ;  pendant  que  la  premiere  ligne  fai- 
soithalte,  laseeonde  avancoit  environ  cinq  cens 
pas ,  apres  quoi  elle  faisoit  volte-face  \ers  la 
ville;  ensuite  la  premiere  s'ebranloit  et  mar- 
choit  a  petits  pas ,  jusqu'a  ce  qu'elle  eiit  gagne 
lesintervallesde  la  seconde  ligne,  et  continuant 
jusqu'a  ce  qu'elle  fut  arrivee  par  dela  ,  a  la  dis- 
tance de  cinq  cens  pas,  elle  faisoit  halte  et  volte- 
face  du  cote  de  I'ennemi,  comme  avoit  fait  la 
seconde ,  qui  recommencoit  le  merae  mouve- 
raent.  De  cette  maniere  I'armee  se  retira  I'es- 
paee  d'une  lieue,  et  le  spectacle  en  etoit  fort 
beau.  Les  ennemis  suivirent  la  premiere  ligne 
dans  son  premier  mouvement ,  escarmouchant 
en  grand  nombre ;  raais  ensuite  ils  n'entrepri- 
rent  rien  qui  put  donner  de  I'inquietude.  L'ar- 
raee,  etant  arrivee  a  Etrechi ,  y  resta  deux  ou  trois 
jours;  elle  fut  camper  ensuite  a  Iterville  pres 
de  Corbeil ,  et  de  la  a  Ralancourt,  ou  M.  de 
Turenne  ayant  appris  que  le  due  de  Lorraine 
etoit  arrive  a  Villeneuve-Saint-Georges,  il  mar- 
cha  promptement ,  dans  le  dessein  de  I'attaquer 
avant  qu'il  put  etre  joint  par  les  ennemis  qu'on 
avoit  laisses  dans  Etampes.  Le  quatorze  ,  I'ar- 
mee passa  la  Seine  a  Corbeil ,  et  fit  taut  de  dili- 
gence qu'elle  surprit  i'ennemi  lorsqu'il  s'y  at- 
tendoit  le  moins.  Ce  fut  sur  les  deux  heures 
apres  midi  qu'on  se  trouva  en  presence ;  mais 
on  ne  put  point  combattre,  parce  qu'il  se  trou- 
va un  ruisseau  entre  deux,  qui  tombe  de  la  Brie 
dans  la  Seine ;  on  le  cotoya  sans  perdre  de  temps 
jusqu'a  ce  qu'on  trouvat  un  passage.  L'armee 
^  marcha  toute  la  nuit ,  et  ,  laissant  les  forets  sur 
la  gauche  ,  I'avant-garde  arriva  a  la  pointe  du 
jour  a  Gros-Bois.  Beaujeu ,  qui  etoit  envoye 
par  le  cardinal  aupres  du  due  de  Lorraine,  y 
vint  avec  Dagecourt,  capitaine  des  gardes  de 
ce  prince,  trouver  M.  de  Turenne,  pour  lui 
faire  des  propositions  de  sa  part ,  dont  la  prin- 
cipale  et  la  plus  pressante  etoit  qu'il  n'avancat 
point ;  mais  il  ne  se  laissa  point  surprcndre  a 
ses  artifices  ,  il  continua  sa  marche ,  et  ayant 
appris  que  le  roi  d'Angleterre  etoit  arrive  la 
raeme  nuit  dans  I'armee  du  due  ,  pour  travailler 


a  la  negociaiion  qui  etoit  sur  le  tapis  entre  lui 
et  le  cardinal ,  il  pria  le  due  d'Yorck  de  I'y  al- 
ler  trouver  :  ce  qu'il  accepta  d'autaut  plus  vo- 
lontiers  que  le  Roi ,  son  frere  ,  lui  avoit  fait 
dire  qu'il  seroit  bien  aise  de  lui  parler,  et  qu'il 
avoit  la  parole  de  M.  de  Lorraine  pour  son  re- 
tour. 

Ce  qui  causa  la  venue  du  roi  d'Angleterre  a 
I'armee  du  due  de  Lorraine,  fut  la  priere  qu'il 
fit  il  Sa  Majeste  d'etre  le  mediateur  entre  lui  et 
la  cour  de  France,  de  vouloir  etre  le  garantdu 
traitte  qui  etoit  sur  le  point  d'etre  conciu,  et  a 
cet  effet  de  lui  faire  I'honneur  de  venir  a  son 
armee,  pour,  apres  I'affaire  consommee,  le  mener 
a  la  cour,  qui  etoit  a  Melun.  Le  roi  d'Angle- 
terre, ayant  recu  a  Paris  la  lettrede  M.  de  Lor- 
raine par  laquelle  il  lui  faisoit  ces  propositions, 
fut  immediatement  les  communiquer  a  la  Reine 
sa  mere,  qui  etoit  a  Chaillot;  comme  elle  con- 
noissoit  que  ce  due  agissoit  rarement  de  bonne 
foi ,  elle  ne  fut  point  d'avis  que  le  Roi  fut  sa 
caution ;  mais  la  passion  qu'il  avoit  de  contri- 
buer  a  une  affaire  qui  pouvoit  etre  si  avanta- 
geuse  a  la  cour ,  le  determina  par  dessus  toute 
autre  consideration.  II  partit  dans  le  meme  ins- 
tant ,  prcnant  dans  son  carosse  les  lords  Ro- 
chester, Jermin  et  Crofts ;  il  apprit,  en  arrivant 
a  Charenton,  que  les  deux  armees  etoient  en  pre- 
sence ,  et  on  croit  qu'il  y  trouva  un  expres  du 
due  pour  le  prier  de  se  hater.  En  arrivant  a 
Villeneuve-Saint-Georges,  il  trouva  ce  prince 
fort  intrigue  et  inquiet ,  a  cause  du  voisinage 
importun  de  M.  de  Turenne.  Ce  fut  alors  que 
M.  de  Beaujeu  et  le  capitaine  des  gardes  lui  fu- 
rent  envoyes  avec  les  propositions ;  cependant, 
dans  I'incertitude  du  succes  du  traitte ,  M.  de 
Lorraine  se  prepara  au  combat :  il  se  posta  avec 
tout  I'avantage  que  le  terrain  pouvoit  lui  don- 
ner; il  fit  faire  pendant  la  nuit  avec  une  dili- 
gence extreme  cinq  redoutes  pour  couvrir  le 
front  de  son  armee ,  qui  etoit  d'environ  cinq 
mille  hommes  decavalerie  et  trois  mille  d'infan- 
terie,  avec  un  petit  train  d'artillerie;  il  mit  la 
plus  graude  partie  de  son  infanterie  dans  les 
cinq  redoutes,  et  le  reste  en  reserve  derriere 
celle  du  milieu  en  un  gros  bataillon;  la  plupart 
de  son  canon  etoit  sur  une  hauteur  au-dessus  de 
la  ville,  proche  d'une  justice ;  sa  cavalerie  etoit 
sur  deux  lignes  derriere  les  redoutes;  il  avoit 
un  grand  bois  a  sa  droite,  la  ville  a  sa  gauche, 
par  ou  on  ne  pouvoit  point  I'attaquer,  parce 
qu'il  y  avoit  une  hauteur  fort  escarpee ;  dans 
cette  situation  ,  ou  il  monlra  beaucoup  d'expe- 
rience  et  d'habilete,  il  attendit  le  combat  ou  la 
conclusion  du  traitte. 

Le  due  d'Yorck,  en  arrivant  a  Villeneuve- 


H 


MEMOiaES   TiV    DUG    fj'yORCK.    [lG52 


Saint-Georges,  fut  trouver  le  Roi  son  frere,  qui 
lui  dit  C6  qui  I'y  avoit  nmene,  et  le  pria  de  met- 
tre  tout  en  usage  pour  faire  reussir  le  traitte,  de 
maniere  qu'il  put  se  tirei*  avec  honneur  d'une 
affaire  si  t'pineuse,etant  fort  embarrasse  sur  le 
parti  qu'il  devoit  prendre  en  cas  que  les  deux 
armees  en  vinssont  aux  mains;  il  ne  lui  conve- 
noitpoint,a  la  vei lie  d'une  bataille,de  se  retircr 
sans  en  partager  I'honneur ;  le  due  de  Lorraine 
I'avoit  invite  a  venir  I'aider  a  faire  son  traitte 
avec  la  France;  il  lui  avoit  des  obligations  par- 
ticulieres,  et  se  trouvoit  dans  son  quartier,  oil 
il  avoit  logc  une  nuit;  d'un  autre  cote,  il  etoit 
sous  la  protection  da  Roi  de  France  et  dans  ses 
Etats ;  il  en  recevoit  pension  ,  qui  est  le  seul  se- 
cours  apparent  qu'il  cut  dans  cette  conjoncture 
pour  subsister;  niais  la  principale  consideration 
etoit  qu'en  combattant  pour  le  due  de  Lorraine, 
il  sembleroit  soutenir  la  rebellion  contre  un  roi 
legitime  ,  et  pour  cette  meme  raison  il  n'y  de- 
meuroit  qu'avec  une  extreme  repugnance ,  con- 
noissant  le  mauvais  effet  que  cela  pouvoit  faire 
dons  le  monde  :  cependant  il  ne  voyoit  point 
comment  il  se  pouvoit  retirer  avec  honneur. 
Dans  cette  perplexite,  il  demanda  au  due 
d'Yorck  quelle  proposition  il  apportoit.  Leduc 
lui  repondit  en  pen  de  mots,  queM.  deTurenne 
demandoit  qu'on  cess^t  immediatement  de  tra- 
vailler  au  pont  que  M.  de  Lorraine  faisoit  faire 
sur  la  Seine ;  qu'il  s'engageat  de  sortir  des  ter- 
res  de  France  dans  quinze  jours ,  et  qu'en  meme 
temps  il  engageat  sa  parole  de  ne  jamais  donner 
aucun  secours  aux  princes ;  qu'a  I'egard  du  pre- 
mier article ,  M.  de  Varenne ,  qui  etoit  venu 
expres  avec  lui ,  avoit  ordre  d'en  voir  lui-meme 
I'execution,  et  que  sans  ce  preliminaire  M.  de 
i'urennene  vouloit  rien  entendre.  Le  Roi,  qui 
scavoit  les  engagemens  que  M.  de  Lorraine 
avoit  avec  les  princes ,  repondit  qu'il  craignoit 
fort  que  ce  due  ne  voulut  jamais  signer  des 
conditions  si  dures;  le  due  d'Yorck  repliqua 
que  M.  de  Turennen'en  demordroit  assurement 
pas.  Dans  le  meme  temps,  M.  de  Lorraine  en- 
tra  dans  la  chambre  ;  le  due  d'Yorck  lui  pre- 
senta  aussitot  le  projct  du  traitte;  il  le  recut 
d'un  air  railleur,  qui  lui  6toit  ordinaire,  mais 
qui  etoit  un  pen  force  pour  le  coup  :  il  consentit 
d'abord  au  premier  article ,  et  envoya  sur-le- 
champ  up  officier  avec  M.  de  Varenne  pour 
faire  cesser  I'ouvrage  du  pont;  mais  pour  les 
aulres,  il  protesta  que  rien  ne  le  pourroit  obli- 
ger  a  se  soumettre  a  des  conditions  si  honteuses. 
Le  due  lui  demanda  s'il  souhaittoit  qu'il  portat 
cette  reponse  ;  il  repondit  qu'il  n'en  pouvoit 
point  donner  d'autrc,  et  s'imaginant  que  ce 
jeune  prince  avoit  plus  d'inclinalion  pour  une 


bataille  que  pour  un  accommodemenl ,  il  pria 
le  roi  d'Angleterre  d'envoyer  avec  lui  le  lord 
Jermin ,  pour  essayer  d'obtenir  de  M.  de  Tu- 
renne  des  conditions  plus  supportables. 

M.  de  Turenne  cependant  ne  perdoit  point 
de  temps ,  et  avancoit  avec  tant  de  diligence 
que  le  due  d'Yorck  et  le  lord  Jermin  trouverent, 
a  une  lieue  des  Lorrains ,  son  armee  qui  mar- 
cboittoujoursen  bataille.  Ce  prince  lui  rapporta 
la  reponse  de  M.  de  Lorraine,  et  le  lord  Jermin 
n'obmit  rien  de  ce  qu'il  crut  capable  de  le  faire 
desister  de  ce  qui  paroissoit  trop  rude  dans  ses 
propositions;  mais  il  n'en  voulut  rien  reiacher, 
et  Jermin  retourna  porter  au  due  le  resultat  de 
sa  tentative.  11  pria  instamment  le  due  d'Yorck 
d'y  retourner  avec  lui,  dans  I'esperance  de  ga- 
gner  du  temps,  etque  M.  de  Turenne  n'atlaque- 
roit  point  qu'il  ne  fut  revenu  avec  une  reponse 
finale;  mais  il  le  refusa  absolument,  I'assurant 
que  ce  general  n'etoit  pas  capable  de  perdre  son 
temps ,  puisqu'il  scavoit  que  I'armee  d'Etampes 
le  suivoit  de  si  pres  qu'on  craignoit  a  tout  mo- 
ment de  la  voir  paroitre  de  I'autre  cote  de  la  ri- 
viere; qu'ainsi  il  ne  doutoit  point  que  les  deux 
armees  seroient  engagees  avant  qu'il  put  etre 
de  retour  ;  il  ajouta  en  souriant  que  sa  prc%ence 
ne  hateroit  pas  le  due  de  Lorraine  flfinir  plus  tot 
I'affaire ,  et  que  I'approche  de  M.  de  Turenne  le 
determineroit  bien  mieux  a  la  conclure.  Le 
lord  Jermin  partit,  et  I'arra^e,  continuant  de 
marcher,  n'etoit  pas  plus  eloignee  des  ennemis 
que  la  portee  du  canon,  quand  le  roi  d'Angle- 
terre vint  lui-meme  trouver  M.  de  Turenne 
pour  faire  les  derniers  efforts.  Le  vicomte  pria 
Sa  Majeste  de  I'excuser  s'il  insistoit  toujours  sur 
les  memes  conditions  qu'il  avoit  envoyees ,  et 
ajouta  qu'il  etoit  persuade  qu'elle  s'interessoit 
trop  fortement  au  bien  des  affaires  de  son  Roi , 
pour  le  presser  davantage  d'y  rien  changer.  Les 
armees  etoient  si  proches  que  tons  les  momens 
etoient  precieux ;  c'est  pourquoi  le  roi  Charles 
pria  M.  de  Turenne  d'envoyer  pour  la  derniere 
foisa  M.  de  Lorraine;  il  y  consentit,  et  M.  de 
Gadagne  fut  charge  de  porter  les  conditions  en 
ecrit ,  et  de  lui  dire  qu'il  falloit  ou  les  signer  ou 
combattre.  11  partit,  et  trouva  M.  de  Lorraine 
sur  la  hauteur,  pres  de  la  Justice,  oil  il  avoit 
fait  dresser  des  batteries.  Ce  prince  ,  ayant  lu 
le  papier  qu'il  lui  presenta,  cria  a  ses  canoniers 
de  tirer ;  mais  il  parut  bien  qu'on  leur  avoit  au- 
paravant  defendu  d'obeir.  M.  de  Gadagne  lui 
dit  nettementqu'ils  n'oseroient  point,  et  lui  re- 
peta  ce  qu'il  lui  avoit  dit  en  I'abordant,  qu'il 
falloit  signer,  ou  qu'il  alloit  etre  attaque  dans 
I'instant;  sur  quoi  le  due  de  Lorraine  signa  en- 
fin  le  traitte ,  et  M.  de  Gadagne  s'en  retourna  le 


iwKMOir.Ks  i)U   Di'c  i;"vonrf..    [1G52] 


porter  a  M.  de  Turenne  qui,  au  moment  qu'il 
Je  reciit ,  fit  faire  halte  a  son  armee ,  envoya 
demander  des  otages ,  et  que  le  due  fit  marcher 
ses  troupes  :  il  donna  M.  de  Lignevilie  et  M.  Da- 
gecourt,  son  capitaine  des  gardes,  pour  garans 
de  fexecution  du  traltte,  qui  devoient  etreren- 
dus  aussitot  que  M.  de  Vaubecourt,  qui  eut 
ordre  de  suivre  les  Lorrains,  donneroit  avis 
qu'ils  seroient  sortis  des  terres  de  France. 

Le  roi  d'Angleterre,  apres  la  ratification  du 
traitte,  fut  voir  I'armee  deM.  de  Turenne,  alia 
ensuite  prendre  conge  du  due  de  Lorraine  et 
retourna  a  Paris.  A  peine  fut-il  parti  que  les 
deux  generaux  se  rencontrerent;  apres  quelques 
complimens  reciproquement  froids ,  ils  se  sepa- 
rerent,  M.  de  Lorraine  fit  immediatement  apres 
marcher  son  armee ,  pendant  que  celle  de  M.  de 
Turenne  resta  en  bataille;  les  Lorrains  entre- 
rent  a  sa  vue  dans  un  long  defile  fort  etroit,  ou 
ils  etoient  a  la  discretion  des  Francois;  mais 
M.  de  Turenne  cloit  plus  religieux  observateur 
de  sa  parole  que  M.  de  Lorraine ,  dont  les  trou- 
pes ne  furent  pas  plutot  dans  le  defile,  que  I'ar- 
mee des  princes  parut  de  I'autre  cote  de  la  Seine, 
iaquelle  ayant  ete  informee  de  ce  qui  venoit  de 
se  passer  marcha  a  Paris. 

M.  de  Turenne  resta  quelques  jours  a  Ville- 
neuve-Saint-Georges ;  il  en  partit  le  2 1  de  juin, 
marcha  a  petites  journees  a  Lagui,  ou  il  passa 
la  Marne  le  l'"'"  de  juiilet,  et  fut  camper  a  La 
Chevrette ,  a  une  lieue  de  Saint-Denis ,  ou  etoit 
la  cour.  Le  raarechal  de  La  Ferte  avoit  joint 
I'armee  a  Villeneuve-Saint-Georges  avec  trois 
ou  quatre  regimens  de  cavalerie  et  deux  d'infan- 
terie,  dont  un  etoit  a  lui ,  et  I'autre  celui  de 
Wall;  il  avoit  amene  ces  troupes  de  Lorraine. 

Le  due  de  Beaufort,  grand  favori  de  la  po- 
pulace de  Paris,  avoit  ete  joindre  M.  de  Lor- 
raine a  Viileneuve- Saint -Georges  avec  cinq 
cens  Parisiens  a  cheval ,  ausquels,  par  le  traitte, 
il  etoit  perrais  de  se  retirer;  mais  n'etant  point 
fait  mention  de  leur  general ,  il  ne  se  crut  point 
en  surete ,  et  ne  voulant  point  faire  epreuve  de 
la  generosite  de  M.  de  Turenne,  il  prit  un 
trompette  avec  lui,  passa  la  Seine  et  courut 
a  Paris  ou,  pour  irriter  le  peuple  contra  le 
roi  d'Angleterre,  il  fit  entendre  malicieusement 
que  e'etoit  a  sa  persuasion  que  le  due  de  Lor- 
raine avoit  signe  le  traitte.  Si  Sa  Majeste  y  con- 
tribua,  comme  il  etoit  de  son  interet ,  il  n'cn 
fut  pas  originairement  la  cause ,  puisque  M.  de 
Lorraine  le  pria  instamment  de  venir  I'aider  a 
!e  conclure.  Cependant  ce  bruit  fit  telle  impres- 
sion sur  la  multitude,  que  ni  le  roi  ni  la  reine 
d'Angleterre,  ni  aucun  Anglois  de  leur  cour 
n'oserent,  pendant  plusieurs  jours,  sortir  du 

III.    C.     1).     M.,    T.    III. 


54 

Louvre,  ni  meme  regarder  par  les^fenelres ,  de 
peur  de  s'attirer  quelque  insulte,  ou  au  moins 
quelques  injures;  et  I'animositedu  peuple  aug- 
menta  a  un  point  que  Leurs  Majestes  furent 
contraintes  de  quitter  la  ville  secretement,  et 
de  se  retirer  a  Saint-Germain  jusqu'a  ce  qu'elle 
fut  appaisee. 

L'armee  des  princes,  ne  pouvant  plus  tenir 
la  campagne  contre  I'armee  du  Roi,  apres  avoir 
manque  sa  jonction  avec  les  Lorrains,  fut  cam- 
per pres  de  Saint-Cloud,  derriere  la  Seine. 
M.  de  Turenne,  n'ayant  plus  d'autres  ennemis 
sur  les  bras ,  resolut  de  les  attaquer  partout,  et 
fit  travailler  a  un  pont  de  batteaux  le  meme 
jour  qu'il  arriva  a  La  Chevrette.  Comme  la 
Seine  y  est  fort  large,  il  fallut  du  temps  pour 
le  faire;  et  pour  empeeher  que  les  ennemis  n'in- 
terrompissent  I'ouvrage,  les  deux  regimens 
d'infanterie  de  M.  de  La  Ferte  furent  postes 
dans  une  ile  a  la  pointe  de  Iaquelle  on  vouloit 
passer.  Les  ennemis  n'oserent  rien  entrepren- 
dre;  I'armee  du  Roi  avoit  I'avantage  du  terrain 
de  son  cote,  qui  etoit  plus  eleve  que  I'autre- 
ils  ne  s'opposerent  ni  a  la  construction  du  pont 
ni  au  passage.  II  est  vrai  qu'ils  firent  d'abord 
quelque  mouvement  comme  s'ils  eussent  eu 
quelque  dessein  :  ils  logerent  environ  cent  sol- 
dats  derriere  un  petit  rideau,  et  firent  avancer 
quelques  escadrons  pour  les  soutenir;  mais  le 
canon  les  fit  eloigner  bien  vite;  les  soluats  ,  se 
croyant  en  surete,  resterent  dans  leur  poste 
d'ou  ils  faisoient  feu  sur  les  travailleurs.  La 
Fitte,  major  du  regiment  de  cavalerie  de  La 
Ferte,  hardi  et  bon  officier,  trouva  un  endroit 
qui  n'etoit  point  profond,  et  I'ayant  passe  a  la 
nage  avec  cinquante  nuutres,  coupa  la  retraile 
aux  cens  fautassins,  en  tail  la  la  plupart  en  pie- 
ces, embarqua  dans  un  batteau  le  reste  qu'il 
avoit  fait  prisonniers,  et  repassa  sans  perdre  un 
homme,  avant  que  les  ennemis,  que  le  canon 
avoit  eloigues  a  une  distance  considerable,  pus- 
sent  venir  au  secours  de  leurs  gens.  Depuis 
cette  tentative,  ils  ne  jugerent  pas  a  propos  d'en 
faire  d'autres;  et  pour  leur  en  oter  I'euvie,  on 
fit  passer  dans  I'isle  un  renfort  d'infanterie, 
avec  quelques  pieces  de  campagne.  M.  le  prince, 
desesperant  d'empecher  le  passage  a  I'armee  da 
Roi ,  dont  le  pont  pouvoit  probablement  etre 
acheve  le  lendemaiu,  resolut  de  marcher  a  Cha- 
renton  et  de  s'y  poster  derriere  la  Maine  :  pen- 
dant que  sa  cavalerie  passoit  sur  le  pont  de 
Saint-Cloud,  son  infanterie  passa  sur  un  pont 
de  batteaux  qu'il  avoit  fait  construire  pour  faire 
plus  de  diligence  ;  il  marcha  au  travcrs  du 
bois  de  Boulogne,  mais,  arrivant  a  la  porte 
dc  la  Gonfcreiice,  les  Parisiens  refuserent  pas- 


40 


MEMOIRES    DU    DL'C    d'vOKCK.    [1052] 


.vige  ;  il  fut  oblige de  marcher  autour  de  la  ville, 
comme  il  se  Tetoit  propose,  s'il  ne  pouvoit  point 
passer  au  t ravers. 

M.  deTurenne,  ayant  ete  promptemeut  in- 
forme  dc  toutes  choses  par  un  expres  que  les 
amis  du  Roi  cnvoyerent  de  Paris,  et  qu'ils  fi- 
rent  desccndre  dans  un  panier  de  dessus  les 
murailles,  parce  que  les  portes  eloient  fermees  , 
il  (it  marcher  I'armee  du  Roi,  fut  Irouver  ie 
cardinal  a  Saint-Denis,  avec  lequel  il  fut  resolu 
(jue  Tarraee  continueroit  de  marcher  avec  toute 
la  diligence  possible  pour  attaquer  M.  Ic  prince 
avaut  qu'il  put  gagner  Charenton.  On  ue  jugea 
pas  a  propos  d'attendre  ni  le  canon  ni  I'infante- 
rie  de  M.  de  La  Ferte,qui  etoient  dans  I'isle,  le 
moindre  delai  pouvant  faire  perdre  une  si  belle 
occasion.  En  arrivaut  a  La  Chapel  le  ,  on  decou- 
vrit  rarriere-gardedeseunemis  :  M.  de  Turenne 
s'avanca  pour  les  reconnoitre,  et  trouvant  que, 
pour  favoriser  leur  retraite ,  ils  avoient  poste 
de  Tinfanterie  dans  les  moulins  et  dans  de  pe- 
tites  maisons  a  I'entree  du  fauxbourg  Saint-De- 
nis, il  fit  avaucer  des  mousquetaires,  qui  les 
chasserent  dans  le  moment,  et  donnerent  lieu  a 
la  cavalerie  de  charger  leur  arriere-garde  dans 
la  rue  meme;  elle  se  defendit  d  abord  avec  assez 
de  resolution ,  mais  elle  fut  enfin  mise  en  de- 
route;  la  plupart  des  officiers  furent  tues  ou 
prisonniers,  entr'autres  Desmarais,  marechal- 
de-camp,  qui  avoit  recu  plusieurs  blessures,  et 
le  comte  de  Choiseuil,  capitaine  de  cavalerie. 
La  perte  fut  si  peu  considerable  du  cote  de  I'ar- 
mee du  Roi ,  qu'il  n'y  eut  que  le  marquis  de 
Lisbourg,  lieutenant- colonel  de  Streff,  blesse 
d'un  coup  de  mousquet  au  travers  du  corps. 

Apres  I'heureux  succes  de  cette  premiere  at- 
tacjue,  on  poussa  les  ennemis  si  vivement , 
qu'ayant  atleint  le  reste  de  leur  arriere-garde , 
qui  etoit  encore  de  deux  ou  trois  cens  chevaux  , 
vers  I'hopital  de  Saint-Louis,  on  en  taiila  la 
plus  grande  partie  en  pieces  avant  qu'ils  pus- 
sent  rcjoindre  le  corps  de  leur  armee,  qui  se  re- 
tiroit  dans  le  fauxbourg  Saint-Antoine. 

Le  prince  de  Conde  se  trouva  force  de  pren- 
dre ce  parti ,  ne  voyant  point  d'apparence  de 
pouvoir  gagner  Charenton,  attendu  la  vigueur 
avec  laquelle  on  le  poussoit  :  ce  fut  pour  lui 
un  grand  bonheur,  dans  une  si  grande  extre- 
mite,  de  trouver  si  a  propos  dans  ce  fauxbourg 
de  bons  retranchemens  que  les  hahi tans  y  avoient 
fails  depuis  la  guerre  civile  pour  leur  propre 
surete,  sans  quoi  son  armee  etoit  perdue  sans 
ressource.  II  n'eut  que  le  temps  de  poster  ses 
troupes,  tant  il  etoit  suivi  de  pres  par  cellcsdu 
Roi,  dont  I'ardeur  futarretee  par  les  barricades 
de  la  rue  qui  s'etoient  trouvees  toutes  faites;  et 


I'infanterie,  ne  pouvant  pas  etre  encore  arrl- 
vee ,  donna  le  loisir  aux  ennemis  de  se  meltre 
en  bataille  dans  la  grande  rue. 

Le  Roi ,  le  cardinal  et  toute  la  cour,  arrivc- 
rent  dans  cet  entretemps  sur  la  hauteur  de  Cha- 
ronne,d'ou,  comme  d'un  amphiteatre,  ils  furent 
les  spectateurs  de  la  suite  de  celte  scene  san- 
glante.  Aussitot  qu'ils  virent  Tinfanterie  arri- 
\ee,  ils  envoyerent  ordre  a  M.  de  Turenne 
d'attaquer,  quoique  ni  I'infanterie  de  M.  de  La 
Ferte,  ni  le  canon  ne  fussent  point  arrrives,  et 
que  Ton  manquat  de  toutes  choses  necessaires 
pour  rompre  les  murailles,  combler  les  retran- 
chemens et  enfoncer  les  barricades.  M.  de  Tu- 
renne les  fit  prier  inutilement  de  se  donner  pa- 
tience ,  representant  que  I'ennemi  ne  pouvoit 
lui  echapper,  si  les  Parisiens ,  dont  on  croyoit 
etre  assure ,  ne  lui  ouvroient  leurs  portes  ;  que 
le  temps  qu'il  falloit  pour  avoir  le  canon  n'en 
donneroit  pas  assez  au  prince  de  Conde  pour  se 
fortifier  davantage;  qu'il  etoit  dangereux,  en 
attaquant  sans  les  choses  necessaires,  de  rece- 
voir  un  echec  qui  feroit  avorter  I'entreprise  im- 
manquable  d'elle-meme ,  quand  le  canon,  les 
pioches  et  les  autres  instrumens  a  remuer  la 
terre  ,  qui  ue  pouvoient  plus  tarder  long-temps, 
seroient  arrives;  mais  I'impatience  de  la  cour 
Temportasur  toutes  ces  raisons:  M.  de  Bouillon 
meme,  qui  avoit  nouvellement  fait  sa  paix  avec 
le  cardinal,  pressa  M.  de  Turenne,  son  frere,  plus 
que  personne  ,  son  sentiment  etant  qu'il  valoit 
mieux  suivre  aveuglement  les  ordres  de  la  cour, 
que  de  s'exposer  a  la  censure  de  certains  coor- 
tisans ,  capables  de  jeter  dans  I'esprit  du  Roi 
des  soupcons  qu'il  voulut  epargner  le  prince  , 
quelque  irreconciliables  qu'ils  fussent  dans  le 
fond ,  apres  ce  qui  s'etoit  passe.  M.  de  Turenne 
n'etoit  pas  encore  assez  bien  dans  I'esprit  du 
Roi,  et  dans  cette  reputation  de  probite  qu'il 
a  acquise  depuis,  pour  oser  refuser  d'obeir  a 
des  ordres  qui  n'etoient  point  de  son  goiit,  et  i! 
ne  se  fioit  pas  encore  sur  sa  capacite  et  son  expe- 
rience autant  comme  il  fit  dans  la  suite  eo  plu- 
sieurs occasions. 

Les  gardes  francoises  et  le  regiment  de  la  ma- 
rine, soutenus  des  gendarmes  du  Roi  et  des 
chevaux-legcrs ,  attaquerent,  a  la  droitedetout, 
la  barricade  d'une  rue  qui  aboutissoit  a  la  grande 
rue  du  fauxbourg  ou  est  le  marche  ;  le  succes 
repondit  a  la  bravoure  des  attaquans  :  quoique 
les  murailles  fussent  bordees  a  droite  et  a  gau- 
che ,  et  les  maisons  remplies  de  soldats  ,  on 
emporta  la  barricade  ,  et  on  chassoit  les  enne- 
mis dc  maison  en  maison ,  lorsque  Tambition 
imprudente  du  marquis  de  Saint-Maigrin,  qui 
commandoit  les  gendarmes  et  les  chevaux-le- 


MEMOIURS    UU    DUG    d'vORCK.    [1G52] 


547 


gers )  renilit  ce  premier  avantage  inutile  :  il 
voulut  partager  la  gloire  de  I'iufaDterie ;  etcrai- 
guaut  qu'il  ii'y  en  eut  point  pour  lui  de  re.ste , 
il  passa  avec  precipitation  dans  cette  rue  au  tra- 
vers  des  soldats  ,  sans  leur  donuer  le  temps  d'a- 
chever  de  deloger  les  ennemis,  et  penetra  en 
poussant  les  fuyards  presque  jusqu'au  marche 
oil  M.  le  prince  etoit  en  personne ,  qui  remar- 
quant  la  faute  qu'avoit  commise  cette  cavalerie, 
se  mit  a  la  tete  de  vingt-cinq  officiers  ou  vo- 
lontaires  qui  se  trouvoieut  aupres  de  lui ,  la 
chargea  si  brusquement  qu'elle  se  mit  en  desor- 
dre ,  se  renversa  sur  Tinfanterie ,  et  essuya  tout 
le  feu  que  les  ennemis  faisoient  des  fenetres. 
Ceux  des  troupes  du  Roi  qui  eloient  entresdans 
les  premieres  maisons  voyant  ce  desordre ,  les 
abandonnerent ,  et  les  ennemis,  reprenant  cou- 
rage ,  les  poursuivirent  jusqu'a  la  premiere  bar- 
ricade ,  que  la  presence  de  M.  de  Turenne  em- 
pecba  d'etre  reprise ,  comme  I'avoient  ete  toutes 
!es  autres. 

Saint-Maigrin  ne  fut  pas  le  seul  qui  paya  par 
sa  mort  la  peine  de  sa  temerite ;  le  marquis  de 
Nantouillet  et  plusieurs  personnes  de  quaiite  y 
furent  aussi  tues  sur  la  place  ;  beaucoup  d'autres 
moururent  ensuite  de  leurs  blessures,  entre  les- 
quels  furent  M.  deManccini,  neveudu cardinal, 
qui  promettoit  beaucoup,  et  Fouillou,  enseigne 
des  gardes  de  la  Reine.  Les  deux  regimens  d'in- 
fanterie  avoient  ete  si  raal  menes ,  que  tout  ce 
qu'on  put  en  attendre  fut  qu'ils  gardasseut  la 
premiere  barricade  qu'ils  avoient  prise. 

Le  regiment  d'infanterie  de  Turenne  fut  em- 
ploye a  I'attaque  de  quelques  maisons  et  jardins 
que  Tennemi  occupoit  sur  la  gauche  ;  les  deux 
regimens  d'Uxelles  et  de  Cariguan  ,  qui  ue  com- 
posoient  qu'un  bataillon  ,  insuiterent  un  peuplus 
loin  ,  encore  sur  la  gauche ,  les  murailles  d'un 
jardiu  qui  aboutissoit  a  la  grande  rue ;  et  sur  la 
gauchedetout  le  restede  I'iufanterie  commandee 
par  M.  de  JNavailles ,  cousistant  dans  les  regi- 
mens de  Picardie ,  Plessis-Praslin  ,  Douglas  et 
Bellecense ,  attaqua  la  barricade  qui  etoit  du 
cote  de  la  riviere  proche  le  jardin  de  Ram- 
bouillet. 

Les  ennemis  furent  d'abord  chasses  de  plu- 
sieurs postes  par  le  regiment  de  Turenne  ;  mais 
le  mauvais  succes  de  la  droite  I'empecha  de 
pousser  plus  loin,  et  il  se  contenta  de  conserver 
ce  qu'il  avoit  gagne.  Un  escadron  compose  des 
regimens  de  Clare  et  de  Richelieu,  qui  devoit  le 
soutenir,  surpris  d'une  grele  de  mousqueterie 
des  ennemis,  qui  d'une  muraille  voisine  le  pre- 
noit  en  flanc  et  lui  tua  beaucoup  de  moude  ,  se 
mit  en  desordre  et  prit  la  fuite ;  mais  les  officiers 
courant  apres  les  fuyards  ,  les  arreterent ,  et  en 


un  moment  les  firent  retourner  a  leur  poste  en 
bon  ordre ,  oil  ils  se  comporterent  pendant  tout 
le  reste  de  Taction  avec  une  bravoure  extreme  , 
et  d'autant  plus  extraordinaire  qu'il  arrive  tres- 
raremeut  que  des  troupes  qui  ont  ete  une  foia 
saisies  de  pcur  fassent  bonne  figure  le  reste  dc 
la  journee.  Get  escadron  fut  si  maltraite ,  qu'il 
n'y  eut  pasun  capitaiue  qui  ue  fut  tue  ou  blesse  ; 
du  regiment  de  Richelieu  il  ne  resta  en  vie 
que  La  Loge  ,  capitaine-lieutenant ,  blesse  d'un 
coup  de  mousquet  au  travers  du  corps,  dont  il 
guerit. 

Les  regimens  d'Uxelles  et  de  Carignan  donne- 
rent  de  leur  cote  a  pen  pres  dans  le  raeme  temps 
que  se  faisoient  les  autres  attaques :  les  deux 
lieutenans-colonels  furent  tues  d'abord ;  mais 
cela  ne  les  empecha  point  d'aller  droit  a  la  mu- 
raille, raalgre  le  grand  feu  qu'on  faisoit  sur  eux  ; 
ils  se  mirent  dans  les  intervales  des  trous  au 
travers  desquels  les  ennemis  tiroient  :  il  se  re- 
nouvella  dans  cet  eudroit  un  combat  a  pen  pres 
serablable  a  celui  de  la  derniere  muraille  des 
jardins  du  fauxbourg  d'Etampes ;  les  mousquets 
ne  pouvant  pas  faire  beaucoup  d'execution ,  on 
se  rouloit  les  pierres  Tun  sur  I'autre,  on  tiroit 
les  pistolets ,  et  on  fourroit  les  epees  au  travers 
de  ces  trous ,  et  le  manque  d'instrumens  a  de- 
mclir  la  muraille  fut  cause  que  cette  manoeuvre 
dura  long-temps.  Cependant  la  cavalerie  qui 
soutenoit  cette  attaque  se  tint  vis-a-vis  de  la 
grande  rue ,  hors  de  la  portee  du  mousquet , 
pour  empecher  que  les  ennemis  ne  sortissent  de 
la  barricade  qu'ils  y  avoient ,  pour  charger  I'in- 
fanterie  qui  etoit  contre  la  muraille,  et  on  ne 
jugea  pas  a  propos  de  ne  rien  entreprcndre  con- 
tre cette  barricade,  parce  qu'etant  defendue 
par  les  maisons  voisines  que  les  ennemis  occu- 
poient ,  il  etoit  difficile  et  d'ailleurs  inutile  de 
la  prendre  s'ils  n'etoient  auparavant  chasses  de 
ces  maisons. 

M.  de  Navailles,  de  son  c6te,  emporta  la  bar- 
ricade qui  lui  etoit  opposee ;  il  n'y  trouva  pas 
beaucoup  de  resistance,  et  delogea  les  ennemis 
des  maisons  qui  etoient  aux  environs.  On  s'etoit 
contente  d'abord  de  s'y  maintenir  sans  pousser 
plus  avanl ,  parce  qu'on  trouva  que  les  ennemis 
avoient  poste  a  I'opposite  ,  dans  une  place  assez 
large ,  une  partie  de  leur  cavalerie ,  et  qu'il  y 
avoit  derriere  des  jardins  et  des  maisons  garnis 
d'infanterie.  Les  ennemis  jugerent  aussi  qu'il  y 
auroit  eu  de  la  temerite  pour  eux  d'attaquer  ks 
troupes  du  Roi,  et  prirent  le  parti  de  se  retirer  der- 
riere les  maisons  et  les  jardins  que  leur  infanterie 
occupoit;  mais  M.  d'Eclinvilliers,  marechal  de 
camp,  prenant  leur  retraite  pour  une  fuite, 
passa  au  travers  de  la  barricade  gaguee  avec  la 

35. 


<s 


cavalerie  qu'il  commandoit,  pour  les  aller  pour- 
suivre ;  ils  firent  dans  le  meme  temps  volte-face, 
et  scacliant  qiron  ne  pouvolt  venir  a  eux  que 
deux  a  deux  ,  ils  la  chargerent  avant  qu'il  put 
escadronncr,  lorsqu'il  n'avoit  que  la  raoitie  de 
son  monde  passe,  le  battirent ,  le  firent  prison- 
nier,  lui  tuerent  plusieurs  officiers  et  cavaliers  ; 
et  apres  avoir  poursuivi  le  reste  jusqua  la  bar- 
ricade ,  ils  se  retirerent  au  grand  trot ,  essuyant 
un  asscz  grand  feu  de  Tinfauterie  des  troupes 
clu  Roi  qui  s'etoit  einparee  des  raaisous. 

Le  canon  et  I'infanterie  de  M.  de  La  Ferte 
aniverent  a  pen  pres  dans  ce  tems-la  :  les  deux 
regimens  curent  ordre  anssitot  de  relever  les 
gardes  francoises  et  la  marine  qui  avoieut  ete  si 
maltraites ,  et  de  garder  les  postes  qu'on  avoit 
gagnesdecec6te-la  :  le  canon,  dont  il  n'y  avoit 
que  six  pieces,fiitconduitaux  moulinsqui  etoient 
nn  peu  plus  pres  que  la  portee  du  mousquet  de 
Tentree  de  la  grande  rue,  oil  on  commenca  a  ti- 
rer  avec  beaucoup  de  succes  sur  les  soldats  et  les 
bagages  dont  elle  etoit  remplie,  et  disparurent 
en  un  instant ;  ensuite  on  battit  les  maisons  qui 
commandoient  le  passage  a  la  barricade  ;  comme 
elles  etoient  legerement  baties ,  cbaque  boulet 
passoit  a  travers ;  neanmoins  les  ennemis  s'y 
maintinrent  avec  tant  d'opiniatrete  qu'on  ne  put 
alors  les  en  deloger,  et  firent  toujours  grand 
feu  des  feuetres  et  des  trous  que  le  canon  avoit 
perces. 

Pendant  cette  canonnade ,  on  entendit  subi- 
tement  un  grand  bruit  de  mousqueterie  qui  ve- 
noit  de  I'attaque  oil  commandoit  M.  de  Navail- 
les;  M.  de  Turenne  y  courut;  mais  I'affaire 
etoit  finie  avant  qu'il  y  arrivat :  jamais  il  n'y  en 
eiit  une  plus  cbaude  pour  le  temsqu'elle  dura, 
ni  un  feu  plus  violent.  Voici  quelle  en  fut  I'oc- 
casion.  M.  de  Beaufort  avoit  employe  presque 
tout  le  matin  a  haranguer  les  Parisiens  pour 
les  exhorter  d'ouvrir  leurs  portes  a  M.  le  prince 
et  a  ses  troupes  :  son  eloquence  ayant  ete  inutile, 
il  sort  it  et  ne  put  apprendre  en  arrivant  au 
fauxbourg  ce  qui  s'y  etoit  deja  passe,  la  cha- 
leur  de  Taction  oil  Saint-Maigrin  avoit  ete  tue , 
la  bravoure  avec  laquelleM.  le  prince  et  les  per- 
sonnes  de  qualite  qui  I'avoient  accompagne  s'e- 
toient  signales,  sans  etre  animes  d'une  noble 
emulation  ;   il  resolut  de  faire  quelque  chose 
d'aussi  rcniiirquable,  et  proposa  a  M.  de  Ne- 
mours, a\ec  lequel  il  etoit  en  querelle,  de  re- 
prendre  la  barricade  que  M.  de  Navailles  avoit 


fl)  II  exisic  aux  Archives  dn  royaume  un  f'-lal  nomi- 
natildcs  pcrsonncs  turos  ou  Mnssdes  dans  Ic  |)arli  dii 
lUii  ol  dans  cclui  dii  pi  ince  dc  Cond6  ,  pendant  le  com- 
bat du  faabourg  Saint-Anloinc. 


Mr'MoiHT'S   ou   i)i;c   d'vouck.  [I0o2] 

emportee ,  comme  une  action  de  la  derniere  irn- 


portance  pour  le  parti.  M.  de  Nemours  accepta 
la  proposition  ,  et  on  se  mit  aussitot  en  etat  de 
I'executer ;  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  personnes  de 
qualite  qui  etoit  encore  en  etat  de  combattre,  les 
suivirent :  ils  se  mirent  tons  deux  a  la  tele  d'un 
bon  corps  d'infanterie  et  marcherent  avec  beau- 
coup  de  resolution  et  de  bravoure  a  la  barricade : 
le  regiment  de  Picardie  etoit  poste  derriere.  II  y 
avoit  une  maison  de  cbaque  cote  du  passage  par 
oil  les  ennemis  devoient  venir ;  le  regiment  de 
Du  Plessis-Praslin  etoit  dans  I'une ,  et  celui  de 
Douglas  dans  I'autre  :  ils  ne  laisserent  pas  de 
passer  avec  beaucoup  d'intrepidite  et  de  bra- 
voure entre  ces  deux  feux  ,  qui  fureut  violens 
et  continus,  sans  s'arreter,  jusqu'a  ce  qu'ils  arri- 
verent  a  la  barricade ;  mais  ils  y  trouverent  une 
si  vigoureuse  resistance,  qu'ils  ne  purent  s'en 
rendre  maitres  ;  ils  furent  repousses  avec  grande 
perte  :  M.  de  Nemours  y  recut  plusieurs  blessu- 
res  et  cut  un  doigt  emporte  d'un  coup  de  mous- 
quet ayant  la  main  sur  la  barricade;  M.  de 
La  Rochefoucault  recut  uncoupau  coin  de  I'oeil, 
dont  la  balle  sortit  au-dessous  de  I'autre,  et 
courut  risque  de  les  perdre  tons  deux ;  M.  de 
Guitaud  recut  un  coup  de  mousquet  dans  le 
corps.  II  y  eut  plusieurs  autres  personnes  de 
qualite  blessees  et  tuees  ,  dout  les  noms  out  ete 
oublies  (J) :  M.  de  Flamarin  futde  ces  derniers  , 
et  une  avanture  trop  remarquable  ne  permet  pas 
de  I'oublier.  Des  diseurs  de  bonne  avanture  lui 
avoient  predit  qu'il  mourroit  la  corde  au  col ;  ce 
qui  est  centre  la  coutume  de  France ,  oil  on 
coupe  la  tete  aux  gentilshommes  qui  y  sont  con- 
daranes  a  mort :  cependant  il  eut  le  malheur 
d'accomplir  la  prediction  ,  si  on  pent  appeller 
ainsi  les  contes ridicules  de  cette  sorte  de  gens, 
dont  Dieu  neanmoins  pent  bien  se  servir  quel- 
quefois  pour  punir  des  curiosites  de  cette  na- 
ture, qui  sont  toujours  criminelles  (2).  Cegen- 
tilhomme  etant  tombe  d'un  coup  de  mousquet , 
et  ayant  ete  laisse  pour  mort  aupres  d'une  des 
maisons  que  les  troupes  du  Roi  occupoient ,  les 
soldats  jugeant  a  la  richesse  de  ses  habits  qu'il 
avoit  la  bourse  garnie  a  proportion ,  avoient  fort 
envie  de  Taller  depouiller ;  mais  les  ennemis  qui 
etoient  dans  des  maisons  voisines,  ne  leur  per- 
mettant  point  de  le  faire  sans  trop  de  danger, 
ils  s'aviserent  d'attacher  au  bout  d'une  pique 
une  corde,  et  y  faisant  un  nceud  coulant ,  ils  la 
lui  passerent  a  Teutour  de  la  tete  ,  et  Tattirerent 


(2)  On  n"en  jugcait  pas  dc  meme  a  la  cour  dc  Rome , 
car  (ous  los  ans  on  envoyait  au  jeiine  roi  Louis  XIV, 
de  la  part  du  Sainl-Pere  ,  I'horoscope  de  sa  vie  pour 
rann(ic  dans  iaquellc  il  allait  entrer. 


MiiMOIUES    DU    DLC    D  VOUCK 


^  eux  de  celte  raaniere,  dans  la  maison,  comrae 
a  expiroit. 

M.  de  Tiirenne  trouvaenarrivautque  I'enne- 
nii  avoit  ete  repousse  et  que  le  poste  etoit  en 
bonetat;  il  retourna  a  la  batterie  des  moulins, 
malgre  le  feu  de  laquelle  les  ennemis  tenoienl 
toujours  bon  dans  les  maisons  a  la  gauche  de 
la  barricade,  a  son  egard.  On  decouvrit  un  en- 
droit  qui  n'etoit  pas  garde ,  par  ou  on  pouvoit 
attaquer  les  maisons  par  derriere  ;  commetoute 
I'infanterie  etoit  employee  a  Tattaque ,  M.  de 
Turenne  fit  mettre  pied  a  terre  aux  cavaliers  , 
qui  insulterent  les  maisons  si  a  propos  et  avee 
tant  de  valeur ,  que  de  plus  de  cent  bommes 
des  ennemis  qui  les  avoient  si  long-temps  de- 
fendues  ,  il  n'y  en  eut  pas  un  qui  ne  fiit  tue  ou 
pris. 

Au  meme  moment  que  les  cavaliers  commen- 
cerent  cette  attaque  ,  les  deux  regimens  d'Uxel- 
Ics  et  de  Carignan ,  qui  avoient  toujours  com- 
battu  centre  la  muraille  des  jardins,  d'une  raa- 
niere si  bizarre ,  commencerent  a  se  rendre 
maitres  de  quelques-uns  des  trous  que  les  enne- 
mis avoient  defendus  avec  beaucoup  d'opinia- 
trete.  On  les  avoit  enfin  beaucoup  elargis  sans 
autre  secours  que  celui  des  mains,  qu'il  avoit 
fallu  faire  suppleer  au  defaut  de  leviers  et  d'au- 
tres  instrumens  :  sur  quoi  les  ennemis  jugeant 
qu'on  avoit  dessein  de  les  forcer  par  ces  ouver- 
turcs,  abandonnerent  toute  la  muraille,  quoi- 
qu'il  y  eiit  dans  le  jardin  un  escadron  pour  les 
soutenir  :  les  attaquans  s'en  etant  appercu , 
lirent  un  feu  si  violent  que  la  cavalerie ,  suivant 
Texemple  des  fantassins  ,  se  rait  en  fuite ;  mais 
n'y  ayant  qu'un  espace  fort  etroit  pour  se  reti- 
rer,etchacun  s'empressant  a  qui  se  sauveroit 
le  premier ,  ils  boucherent  le  passage ,  et  y  res- 
terent  du  temps  entasses  confusement  cavalerie 
et  infanterie  :  on  lit  grand  feu  sur  eux;  la  mu- 
raille fut  abattue,  ils  perdirent  beaucoup  de 
monde ,  et  ceux  qui  etoient  postes  derriere  la 
barricade  a  I'entree  de  la  graude  rue  ,  surpris 
de  voir  en  meme  temps  les  jardins  de  leur  gau- 
che forces  ,  et  le  feu  qu'on  faisoit  sur  eux  des 
maisons  qui  etoient  a  leur  droite ,  prirent  I'e- 
pouvante  et  abandonnerent  la  barricade,  dont 
les  tr(>upes  du  Roi  s'emparerent.  On  ne  jugea 
pas  a  propos  de  les  poursuivre  dabord  ,  parce 
qu'on  avoit  resolu  de  donner  une  attaque  gene- 
rale  de  tons  cotes  ;  on  prepara  toutes  cboses  pour 
ceteffet,  pendant  qu'on  donnoit  le  temps  aux 
troupes  de  respirer  et  de  se  remettre  un  pen 
des  fatigues  de  tant  d'aclions  ,  que  la  chaleur 
etouffante  qu'il  faisoit  ce  jour-la  rendoit  chau- 
des  de  toute  maniere. 

Tout  otant  dispose  en  bon  ordie  ,  cl  le  signal 


[1052]  5  49 

de  trois  coups  de  canon  donne  ,  on  commenca 
I'attaque  :  M.  de  La  Ferte  coramandoit  la  droite 
et  M.  de  Turenne  la  gauche.  Ce  dernier  avan- 
cant  avec  un  gros  corps  de  cavalerie  et  d'infan- 
terie ,  avoit  resolu  de  prendre  un  pen  sur  la 
gauche  du  cote  de  la  Bastille ,  et  d'attaquer  un 
endroit  ou  il  esperoit  ne  point  trouver  de  fortes 
barricades ;  mais  comme  on  etoit  pres  d'atta- 
quer ,  la  Bastille  lira  sur  les  troupes  du  Roi , 
au  grand  etonnement  de  tons  ceu'^  qui  s'etoient 
flattes  que  Paris  demeureroit  neutre,  et  qu'eile 
ne  donneroit  point  retraite  aux  ennemis.  On 
avoit  commence  de  soupconner,  ce  qui  se  trouva 
aussitot  apres  etre  veritable  ,  que  les  Parisiens 
avoient  ouvert  leurs  portes  aux  princes;  car  ea 
attaquant  les  barricades ,  les  ennemis  ne  firent 
point  mine  de  les  vouloir  defendre  ;  ils  se  reti- 
rerent  de  leurs  postes  en  bon  ordre  ,  ne  laissant 
a  chacun  que  pen  de  soldats,  qui  a  mesure  qu'on 
avancoit  a  eux  les  abandonnoient  pour  suivre 
leurs  gens  dans  la  ville  :  on  poursuivit  les  der- 
niers  jusqu'aux  portes ,  et  les  generaux  ne 
voyant  plus  rien  a  faire ,  prirent  le  parti  de  re- 
tourner  a  la  Chevrette,  ou  ils  avoient  laisse 
leurs  bagages ,  pour  rafraichir  les  troupes ,  et 
on  y  fit  conduire  les  blesses. 

On  ne  peut  pas  dire  exactement  combien  on 
perditde  monde  dansce  combat; on  croitqu 'ou- 
tre les  blesses,  qui  furent  en  grand  nombre,  il 
y  eut  entre  huit  ou  neuf  cens  hommes  de 
tues;  outre  les  personnes  de  qualite  qui  le  fu- 
rent ,  dont  il  a  deja  ete  fait  mention ,  il  y  en 
eutplusieurs  autres  dont  on  a  oublie  les  noms, 
de  meme  que  des  blesses  :  le  comte  d'Estrees, 
marechal-de-camp;  Pertuys,  capitaine  des  gar- 
des de  M.  de  Turenne ;  le  colonel  ^Yorden ,  gen- 
tilhomme  du  due  d'Yorck;  Lisbourg,  lieute- 
nafit-colonel  de  Streff ;  le  chevalier  de  la  Neu- 
ville,  et  plusieurs  autres ,  guerirent  de  leurs 
blessures.  On  a  estime  que  les  ennemis  eurent 
plus  de  mille  hommes  tues  sur  la  place  ,  parmi 
lesquels  il  y  eut  un  grand  nombre  d'oificiers 
et  de  gens  de  qualite ;  de  ces  derniers ,  hors 
M.  le  prince ,  le  due  de  Beaufort  et  le  prince  de 
Tarante ,  il  n'y  en  eut  aucun  qui  ne  iiit  ou  tue 
ou  blesse. 

Le  prince  de  Conde  n'avoit  jnmais  mieux 
rempli  les  devoirs  d'uu  grand  capilaine  et  d'un 
soldat  intrepide  que  dans  cette  occasion  ;  jamais 
il  ne  s'etoit  expose  a  de  si  grands  perils ,  et  ce 
fut  effectivement  son  courage  qui  sauva  dans 
les  comraencemens  de  Taction  son  armee  d'une 
cntiere  defaite.  II  a  depuis  avoue  auduc  d'Yorck 
qu'il  ne  s'etoit  jamais  trouve  si  long-temps  dans 
le  danger  ;  mais  ce  qui  rendit  sa  gloire  plus  ecla- 
tante  ,  c'est  qu'il  cut  affaire  a  M.  de  Turenne  , 


:>3o 


MEAlOlItlia    DU    DUC 


que  tout  le  mondo  convient  avoir  ete  le  plus 
grand  capitaine  de  sou  siecle,  et  qu'on  peut  avec 
justice  comparer  aux  plus  celebres  qui  I'ayent 
jamais  precede. 

Ce  qui  determina  les  Parisiens  a  refuser  Ten- 
tree  aux  troupes  de  M.  le  prince  ,  quand  elles 
se  presenterent  a  la  porte  de  la  conference  ,  fu- 
reut  les  raisons  suivantes ,  que  les  fideles  sujets 
du  Roi  firent  repandre  par  toute  la  ville :  que 
quoiqu'on  fut  enneml  du  cardinal  et  qu'on 
soulmitat  sa  pcrte  ,  il  seroit  indigne  de  la  gloire 
dont  lis  se  piquoient  d'etre  bons  Francois ,  de 
souffrir  qu'une  armee,  composee  en  partie  de 
troupes  espagnoles  ,  entrat  dans  leurs  muraii- 
les;  que  ce  seroit  un  spectacle  odieux  et  capa- 
ble d'exciter  parmi  le  peuple  une  sedition  dan- 
gercuse,  que  les  croix  de  Bourgogne  qu'on  n'a- 
voit  coutume  de  voir  que  dans  Notre-Darae  , 
fussent  portees  en  triomphe  au  milieu  de  leur 
ville;  qu'il  sembleroit  qu'on  se  fut  deja  soumis 
au  joug  des  Espagnols,  quand  on  ne  verroit  par- 
tout  que  des  echarpes  rouges,  qui  rappelleroient 
le  souvenir  honteux  de  les  y  avoir  soufferts  pen- 
dant la  rebellion  ,  deguisee  sous  le  titre  specieux 
d'une  Sainte-Ligue  ;  qu'il  etoit  enfin  centre  I'in- 
teret  de  cette  capitale  d'y  recevoir  une  armee 
sous  quelque  pretexte  que  ce  put  etre. 

Quand  la  bataille  comraenca  dans  le  faux- 
bourg  Saint-Antoine  ,  les  harangues  de  mon- 
sieur de  Beaufort  ne  purent  rien  obtenir.  M.  le 
due  d'Orleans,  croyant  que  tout  fut  perdu,  avoit 
fait  fermer  son  palais,  et  tenoit  derriere  ses  jar- 
dins  ses  carosses pretspour  se  sauver  a  Orleans; 
mais  Mademoiselle,  i)Ieine  de  courage  et  de  reso- 
lution, considerant  que  la  defaite  deM,  le  prince 
entratnoit  la  ruine  de  tout  le  parti, fut  a  I'Hotel- 
de-Ville  et  paria  si  vivement  aux  magistrats 
qui  y  etoient  assembles  ,  que  ses  raisons,  jointes 
aiix  clameurs  et  aux  menaces  de  la  populace 
qui  I'avoit  suivie  ,  arracherent  du  marechal  df. 
L'Hopital  et  du  prevot  des  marchands  I'ordre  a 
la  bourgeoisie  qui  gardoit  la  porte  Saint-An- 
toine, de  I'ouvrir  et  de  laisser  entrer  dans  la 
ville  I'armee  de  M.  le  prince.  Elle  porta  cet  or- 
dre  elle-meme  ,  le  voulut  voir  executer  ,  et  en- 
trant eusuite  dans  la  Bastille ,  fit  tirer  sur  les 
troupes  du  Roi.  Ce  fut  ainsi  que  le  courage  de 
cette  princcsse  sauva  Ic  prince  de  Conde  et 
son  armee.. 

II  arriva,  deux  jours  apres  cette  affaire,  un 
grand  desordre  dans  Paris ,  a  I'occasion  d'un 

(1)  Nous  avons  publid,  dans  notrc  Edition  des  M(5moi- 
rcs  de  Rclz,  Ic  textc  du  traite  dunion  conclu  cnlrc  la 
\illc(ie  Paris,  Ic  due  d  Or!(?an3  ct  Ic  prince  dc  Gondii. 
Voycz  page  370,  a  la  nolo. 

'?)  Lcnof  ,dans  la  partie  nouvcllc  de  ses  McJinoircs, 


n'vORCK.    [1652] 

conseil  qui  se  tint  dans  I'Hdtel-de-Ville,  poury 
faire  declarer  le  due  d'Orleans  lieutenant-gene- 
ral du  royaume ,  pour  y  conclure  une  union 
qui  fut  indissoluble  (l),  jusqu'a  ce  que  le  car- 
dinal fut  banni  de  France  ,  pourretablir  le  due 
de  Beaufort  gouverneur  de  Paris ,  en  la  place  du 
marechal  de  L'Hopital ,  et  pour  deposer  LeFe- 
vre  de  sa  charge  de  prevot  des  marchands ,  et 
la  donner  a  Broussel ;  mais  ce  qui  devoit  affer- 
mir  la  faction ,  fut  une  des  principales  causes 
de  sa  ruine.  II  se  leva  tout  d'un  coup  une  emo- 
tion si  violente  qu'ellefaillit  a  exterminer  toute 
I'assemblee.  Une  multitude,  composee  de  per- 
sonnes  de  toutes  sortes  de  conditions  ,  vint  avec 
impetuosite  dans  la  place  de  Greves,  criant 
qu'ils  vouloient  que  les  affaires  se  terminassent 
au  gre  du  prince  de  Conde ;  qu'on  leur  livrat 
tons  les  partisans  du  cardinal  Mazarin  ;  comme 
ils  virent  qu'on  n'avoit  pas  beaucoup  d'egard  a 
leurs  demandes  ,  ils  se  mirent  en  devoir  de  for- 
cer la  Maison-de-Ville,  et  le  marechal  de  L'Ho- 
pital ,  seconde  de  quelques  personnes  resolues , 
en  ayant  defendu  I'entree ,  la  populace  mit  le 
feu  aux  portes,  qui  s'eteudit  en  peu  de  temps; 
ils  tiroient  sur  tons  ceux  qui  paroissoient  aux 
fenetres ,  en  tuerent  plusieurs.  D'autres,  appre- 
hendant  moins  la  fureur  de  ce  peuple  que  I'hor- 
reur  des  flammes  dont  ils  etoient  menaces  ,  et 
s'abandonnanta  sa  misericorde,  en  furent  im- 
pitoyablement  massacres,  sans  distinction  de 
parti ;  il  confondoit  le  frondeur  avec  le  roya- 
liste ,  et;,  par  un  juste  jugement  de  Dieu  ,  il  en 
perit  beaucoup  plus  des  premiers  que  des  der- 
niers. 

Tous  ceux  qui  ont  ete  soupconnes  d'avoir 
excite  cette  sedition,  I'ont  egalement  desavouee, 
se  la  rejettant  les  uns  sur  les  autres ;  et  quoique 
le  prince  de  Conde  ait  toujours  soutenu  de  n'y 
avoir  point  trempe  (2),  toute  la  haine  en  retomba 
sur  lui  et  sur  ses  partisans ,  et  personne  ne  ciut 
M.  le  due  d'Orleans  capable  d'y  avoir  eu  au- 
cune  part.  Ce  desordre  fut  suivi  d'un  autre  acci- 
dent, qui  fut  encore  d'un  grand  prejudice  a  la 
Fronde.  Le  due  de  Nemours  fut  tue  en  duel  par 
le  due  de  Beaufort,  les  liaisons  du  sangn'ayant 
pu  appaiser  la  haine  mortelle  qu'ils  se  por- 
toient  depuis  si  long-temps.  Pendant  que  cette 
sanglante'tragedie  se  passoit  dans  le  centre  du 
royaume  ,  les  Espagnols  ,  se  servant  de  I'occa- 
sion ,  reprirent  en  peu  de  temps  plusieurs  places 
qu'ils  avoient  perdues  les  annees  precedeutes.  lis 

que  nous  avons  publics  (tome  ii  de  la  iii«  s(5ric  do  la 
Collection  do  MM.  Michaud  ct  Poujoulat),  soutient 
aussi  que  le  prince  dc  Cond6  a  toujours  il6  faussemout 
accuse  d'avoir  pris  part  a  la  scHlition  ,  ct  qu'il  y  fut  en- 
lieremcnt  (^Irangcr, 


MEMOinES    DtJ    DUG    u'vORCK.    [(6o2] 


,S\ 


entrereut  de  bonne  heure  en  campagne ;  et  ne 
trouvant  point  de  troupes  capables  d'arreter 
leurs  progres  ,  ils  les  poussereut  sans  beaucoup 
de  difficultes. 

La  com- ,  qui  demeura  quelque  temps  a  Saint- 
Denis,  fut  alarmee  au  dernier  point  d'npprendre 
que  I'archiduc,  a  la  sollicitation  des  princes  ,  se 
disposoit  a  marcher  en  France  au  commence- 
ment de  juiilet,  avec  une  armee  de  plus  de 
vingt-cinq  mille  hommes,  Apres  piusieurs  de- 
liberations sur  un  danger  si  pressant ,  il  fut  re- 
solu,  vers  le  15  juiilet  ,  que  la  cour  et  I'armee 
qui  etoit  trop  foible  pour  resister  a  des  forces 
si  considerables  ,  marcheroient  dans  deux  jours 
pour  se  retirer  a  Lyon. 

Le  due  d'Yorck  et  M.  de  Turenne  vinrent  a 
Saint-Denis  le  meme  jour  que  cette  resolution 
avoit  ete  prise  dans  le  conseii.  Avant  que  d'al- 
Jer  a  la  cour,  ils  furent  chez  M.  le  due  de 
Bouillon,  pour  apprendre  de  lui  ce  qui  avoit 
ete  arrete :  il  dit  a  M.  de  Turenne  qu'il  etoit 
d'opinion  que  la  cour  ne  pouvoit  chercher  son 
salut  ailleurs  qu'a  Lyon :  que  les  raisons  qui  I'a- 
voient  determinee  a  prendre  ce  parti ,  etoient 
qu'il  n'y  avoit  point  d'autre  ville  ou  le  Roi  put 
^tre  en  surete,  puisque  c'etoit  la  seule  grande 
ville  qui  vouliit  le  recevoir;  que  I'armee  espa- 
gnole ,  a  laquelle  on  n'etoit  pas  en  etat  de  re- 
sister,  venant  en  France,  il  etoit  dangereux 
qu'elle  n'enfermat  la  cour  et  i'armee  entre  elle 
et  Paris  5  que  taut  que  la  personne  du  Roi  se- 
roit  en  surete  ,  on  pouvoit  tout  esperer,  comme 
tout  etoit  a  craindre  si  elle  tomboit  entre  les 
mains  des  princes  ou  des  Espagnols;  que  Lyon 
etoit  I'endroit  de  la  France  d'ou  on  pouvoit  le 
mieux  faire  tete  aux  enncrais,  puisque  tons  les 
environs  etoient  devoues  aux  interets  du  Roi. 

M.  de  Turenne ,  au  contraire ,  tiouva  cet 
expedient  dangereux ;  il  dit  que  la  retraite  de 
la  cour  entraineroit  infailliblement  la  perte  de 
loules  les  places  frontieres  de  Picardie,  Cham- 
pagne et  Lorraine,  qui  tenoient  pour  le  Roi; 
que  ces  provinces  se  voyaut  abandonnees , 
chacune  ne  songeroit  qu'a  s'accommoder  avec 
I  les  Espagnols  ou  avec  les  princes  ;  que  les  uns 
ou  les  autres  auroient  tout  le  temps  d'en  retirer 
tout  I'avantage  qu'il  ieur  plairoit ;  qu'il  etoit 
extremement  dangereux  qu'une  pareiile  situa- 
tion d'affaires  u'inspirat  aux  peuples  des  pen- 
sees  de  diviser  la  France,  au  moins  cette  partie 
dont  ils  se  trouveroient  en  possession  ;  qu'apres 
que  les  princes  se  seroient  ainsi  etablis  ,  leurs 
forces  augmentant  en  meme  temps  que  Ieur 
reputation,  la  cour  perdroit  i'un  et  I'autre,  et 
seroit  a  la  veille  d'etre  entierement  chassee  du 
royaurae.  11  conclut ,  apres  piusieurs  autres  rai- 


sons ,  que  le  parti  le  plus  prudent  et  le  plus  sur 
etoit  que  le  Roi  se  retirat  a  Pontoise  avec  la 
garde  qui  avoit  coutume  de  I'accompagner,  qui 
suffiroit,  le  poste  etant  ais^  a  garder,  pour  le 
mettre  a  convert  des  entreprises  des  Parisiens , 
qui  probablement  n'en  viendroient  point  a  cette 
extremite,  puisqu'ils  gardoient  des  bienseances 
qui  marquoient  toujours  du  respect;  que  la  cour 
etant  ainsi  en  surete ,  il  marcheroit  avec  I'ar- 
mee a  Compicgne  pour  observer  le  mouvement 
des  Espagnols ,  et  qu'il  esperoil ,  a  la  faveur  de 
cette  ville  et  des  rivieres  qui  I'environnent,  re- 
tarder  au  moins  leurs  progres ,  s'il  ne  les  arre- 
toit  point  tout  court.  II  ajouta  qu'il  etoit  sur  que 
les  Espagnols ,  naturellement  soupconneux  et 
sujets  a  des  precautions  outrees,  le  voyant 
avancer  a  eux,  ne  manqueroient  point ,  avec  les 
raffinemens  ordinaires  de  Ieur  prudence,  de  s'i- 
maginer  du  mystere  dans  cette  demarche,  et  de 
croire  qu'on  n'oseroit  point  I'hazarder  sans  de 
bons  fondemens,  et  que  I'opinion  qu'ils  out  du 
temperament  de  la  nation,  Ieur  feroit  crain- 
dre que  les  princes  ne  negotiassent  quelque  tiai- 
te  secret ,  dont  ils  seroient  les  victimes.  M.  de 
Turenne  ramena  aisement  son  frere  a  son  sen- 
timent: ils  furent  ensemble  trouver  le  cardi- 
nal qui  s'y  rendit  aussi ,  apres  en  avoir  pese  et 
concu  la  solidite.  Le  voyage  de  Lyon  fut  rompu ; 
el  le  17  juiilet  la  cour  alia  a  Pontoise;  I'armee 
marcha  en  trois  jours  a  Compiegne ,  et  campa 
sous  les  murailles  de  cette  ville. 

L'armee  espagnole  s'etoit  avancee  jusqu'a 
Chauni,  oil  le  due  d'Elbeuf  se  laissa  enfermer  si 
mal  a  propos,  avec  sept  ou  huit  cens  chevaux, 
qu'il  avoit  assembles  dans  sou  gouvernement  de 
Picardie,  que  quand  il  crut  pouvoir  se  retirer  a 
Tapproche  des  ennemis ,  ils  lui  couperent  les 
passages;  et  la  place  etant  foible,  il  fut  oblige 
de  capiluler  apres  deux  jours  de  siege,  a  con- 
dition que  ses  cavaliers  sortiroient  a  pied  ,  et 
qu'ils  laisseroient  leurs  chevaux  aux  Espagnols. 

M.  de  Turenne  avoit  sagement  prevu  que  sa 
demarche  arreteroit  les  ennemis ;  apres  la  prise 
de  Chauni ,  oil  ils  ne  mirent  point  de  garnison , 
ils  n'entreprirent  point  d'autre  siege  de  ce  cote- 
la  ,  ou  ils  pouvoient  en  faire  sans  opposition  ,  et 
se  contentercnt  de  manger  le  pays.  On  a  cru 
qu'ils  jugereut  qu'il  etoit  bicn  plus  de  Ieur  inte- 
retde  reprendre  les  places  qu'ils  avoient  perdues 
en  Flandre,  que  de  faire  des  conquetes  dans  la 
France;  ils  considererent  que  les  princes  se- 
roient assez  forts  avec  les  secours  qu'ils  pour- 
roient  Ieur  envoyer,  pour  tenir  tete  au  Roi,  au 
lieu  que  s'ils  les  mettoient  en  etat  de  I'accabler, 
ce  prince  se  trouveroit  dans  la  necessite  de  se 
mettre  entre  les  mains  des  rebelles;  ce  qui,  reu- 


iiKvoinrs  !)[j   i.i  c  i)"vor.c.x.  [lf).')2l 


iiissaut  les  forces  des  deux  partis  ,  Its  obligeroit 
de  iacher  prise,  et  de  rendre  tout  ce  qu'ils  au- 
roient  conquis ,  qui  seroit  trop  eloigiie  des  Pays- 
Eas  pour  etre  secouru;  ils  craignirent  de  pren- 
dre I'ombre  pour  la  chose.  Si  ce  ne  furent  point 
la  leurs  vues,  leur  conduite  au  moins  donna 
lieu  de  le  croire.  lis  rctournerent  en  Fiandre , 
y  prirent  plusieurs  places,  et  laisserent  sur  les 
I'rontieres  le  due  de  Lorraine  avec  ses  troupes 
et  un  detachement  des  leurs  ,  commande  par  le 
due  de  Wirtemberg,  pour  etre  a  portee  de  se- 
courir  les  princes  quand  on  le  jugeroit  a  propos. 
Aussitot  que  les  Espagnols  furent  retournes 
cliez  eux,  M.  de  Turenne  revint  aux  environs 
(le  Paris.  L'armee  des  princes  campoit  sous  ses 
niurailles ;  elle  n'etoit  pas  assez  forte  pour  hazar- 
der  une  bataiile,  et  elle  craignoit  qu'en  s'eloi- 
gnant  de  celte  vilie,  ie  parti  du  Roi ,  qui  aug- 
inentoittous  les  jours,  ne  \int  a  prevaloir  ;  Ta- 
uimosite  des  Parisiens  se  ralentissoit;  ils  com- 
mcncolent  a  ouvrir  les  yeux  et  a  reconnoitre 
qu'ils  avoient  ete  seduits;  et  ce  qui  contribuoit 
le  plus  a  les  faire  rentrer  dans  leur  devoir,  fut 
la  sortie  du  cardinal  hors  du  royaume  :  11  s'etolt 
dispose  a  cette  retraite  en  arrivant  a  Pontoise  , 
la  jugeant  necessaire  pour  les  interets  du  Roi 
et  pour  les  siens  particuliers ;  par  la  il  otoit  tout 
pretexte  a  la  rebellion  ;  son  retablissementetoit 
certain  si  les  affaires  de  Sa  Majeste  reprenoient 
le  dessus;  il  coraptoit  sur  la  fermete  de  la 
Pieine ,  que  rien  ne  pouvoit  ebranler ;  il  scavoit 
que  sa  parole  etoit  inviolable  :  Jamais  princesse 
ifavoit  raontre  plus  de  grandeur  d'ame  ,  plus  de 
Constance  et  de  resolution  dans  les  plus  grands 
perils;  elles  etoient  telles  qu'il  ne  s'en  trouve 
])oint  dans  I'histoire  de  plus  heroiques.  On  a  cru 
neanmoins  que  le  cardinal  auroit  couru  grand 
risque  de  ne  point  etre  appelle  si  M.  de  Bouillon 
avoit  vecu  plus  long-temps;  sa  grande capacite, 
jointe  a  celle  de  M.  de  Turenne ,  qui  se  trouvoit 
a  la  tete  de  l'armee,  pouvoit  lui  fiayer  le  che- 
nsin  au  ministere.  II  n'est  pas  siir  que  les  deux 
fi  eres  a3'ent  eu  ce  dessein  ;  mais  il  est  constant 
qu'ils  etoient  les  seuls  capables  de  soutenir  le 
poids  des  affaires  dans  une  conjoncture  si  diffi- 
cile. Quoi  qu'il  en  soit,  la  mort  de  M.  de  Bouil- 
lon arreta  ces  discours  et  la  craiute  ou  I'espe- 
rance  d'un  pareil  changement. 

L'armee  du  Roi  arriva  a  Tillet ,  a  une  lieue 
de  Goncsse ,  vers  le  commencement  d'aout ; 
elley  demeura  jusqu'a  la  fin  du  meme  mois, 
M.  de  Turenne  jugeant  ce  poste  avantageux 
pour  observer  Tarniee  des  princes ,  qui  se  tenoit 
toujours  aupres  de  Paris,  et  pour  empecher  la 
jonction  des  secours  que  les  Espagnols  pour- 
ruient  envoycr.  II  fut  cnfin  avcrli  que  le  due  de 


Lorraine  revenoit  une  seconde  fois  avec  ses 
troupes  et  le  detachement  d'Espagnols  sous  le 
commandement  du  due  de  Wirtemberg ,  et  qu'il 
avoit  pris  le  chemin  de  Champagne  et  de  Brie  , 
pour  joindre  l'armee  des  princes;  il  marcha 
aussitot  vers  la  Marne  ;  et  ayant  appris  en  che- 
min que  les  Lorrains  avancoieiit ,  l'armee  passa 
la  riviere  a  Lagni  ,  etcampa  au  petit  village  de 
Saint-Germain  ,  pres  de  Cressi  en  Brie.  M.  de 
Turenne  recut  oidre  de  la cour  d'y  rester  jusqu'a 
nouvel  ordre ,  et  de  ne  rien  entreprendre  contre 
M.  de  Lorraine,  a  moins  qu'il  n'entreprit  de 
marcher  vers  Paris ,  en  decampant  d'ou  il  etoit, 
et  qu'en  ce  cas  il  fit  de  son  mieux  pour  empe- 
cher  sa  jonction  avec  les  princes.  Get  ordre 
etoit  fonde  sur  ce  qu'on  etoit  en  negociatiou 
avec  M.  de  Lorraine  ,  qui  avoit  euvoye  son  se- 
cretaire pour  le  conclure,  avec  promesse  en 
meme  temps  qu'il  demeureroit  ou  il  etoit,  et 
qu'il  n'avanceroit  pas  jusqu'a  ce  qu'on  fut  con- 
venu,  ou  que  le  traitte  fut  rompu.  II  esperoit 
amuser  la  cour,  la  troraper  par  ses  artifices ,  et 
trouver  I'occasion  ou  d'entrer  dans  Paris ,  ou  de 
joindre  les  princes  sur  le  chemin ,  sans  en  ve- 
nir  a  une  bataiile.  M.  de  Turenne,  qui  le  con- 
noissoit  mieux  que  la  cour,  ne  donna  pas  comme 
elle  dans  le  piege  ;  il  dit  au  secretaire  de  M.  de 
Lorraine,  qui,  en  passant  pour  aller  rendre 
compte  a  son  maitre  de  I'etat  de  la  negociation  , 
lui  apporta  lui-meme  I'ordre  en  question , «  Que 
les  'promesses  de  M.  de  Lorraine  et  rien  etoient 
pour  lui  la  meme  chose.  »  En  effet ,  pour  prou- 
ver  la  bonne  opinion  qu'il  en  avoit ,  il  resolut  de 
marcher  le  lendemain  ,  5  septembre,  a  Brie- 
Comte-Robert ,  pour  etre  plus  a  portee  de  lui 
couper  chemin  en  cas  qu'il  vouliit  marcher, 
comme  il  croyoit  qu'il  le  feroit,  et  que  suivant 
sa  coutume  il  manqueroit  a  sa  parole :  il  dit 
confidemment  au  due  d'Yorck  que ,  quoique 
ses  ordres  fussent  positifs  de  ne  point  quitter 
sou  poste ,  il  etoit  si  persuade  que  ie  due  de 
Lorraine  vouloit  tromper  la  cour,  et  qu'il  etoit 
de  I'interet  du  Roi  son  maitre  que  l'armee  mar- 
chat  ,  qu'il  aimoit  mieux  hazarder  sa  tete  en 
desobeissant ,  que  de  donner  lieu  a  M.  de  Lor- 
raine d'aller  a  son  but  et  de  le  duper.  L'armee 
decampa  le  matin ,  et  les  marechaux-des-logis 
arrivant  a  Brie-Comte-Robert ,  trouverent  ceux 
des  ennemis  qui  faisoient  la  meme  chose,  leur 
armee  etant  deja  en  marche  pour  y  venir  cam- 
per la  meme  nuit.  lis  rctournerent  dans  le  meme 
moment  pour  en  informer  M.  de  Turenne  qui, 
avec  I'avant-garde  de  l'armee ,  avoit  passe  un 
defile;  il  en  envoya  aussitot  avertir  M.  de  La 
Feite ,  qui  ce  jour-la  menoit  I'arriere-garde ,  et 
le  fit  prier  de  le  venir  trouver  pour  consulfcr 


wr.MO'.i'.ns  Di!  hvc 

ensemble  siir  te  qui  etoit  a  faire ;  et  comme  il  | 
lie  venoit  pas  assez  \ite ,  il  alia  a  sa  rencontre, 
et  le  trouva  au  detiie  :  ils  resolurent,  au  lieu 
d'alier  a  Brie-Comte-Piobert,  de  marcher  direc- 
tcment  a  Viileneuve-Saint-Georges.  M.  de  Tu- 
renne  prit  les  devans  avec  toute  sa  cavaierie,  or- 
donna  a  rinfanterie  de  le  suivre  eu  toute  dlli- 
jience  avec  le  canon ,  et  pria  M.  de  La  Ferte 
d'en  faire  autant;  il  craignoit ,  avec  raison ,  que 
M.  de  Lorraine  ,  qui  connoissoit  I'importance 
du  poste ,  ne  le  gagnat  avant  lui ,  et  il  ne  dou- 
toit  pas  que  ses  marechaux-deslogis  I'avertis- 
sant  de  la  rencontre  qu'ils  avoient  faite  des  siens, 
ne  lui  fissent  prendre  le  raeme  parti.  Sa  con- 
jecture se  trouva  veritable  :  quelque  diligence 
qu'il  fit,  I'avant-garde  du  due  arriva  plus  tot  que 
lui  dansYilleneuve-Saint-George  ,etil  se  erut  si 
assure  du  poste ,  qu'il  envoya  a  M.  le  prince  une 
lettre  datee  du  meme  lieu  ,  pour  I'informer  qu'il 
s'en  etoit  rendu  maitre ;  le  due  d'Yorck  I'apprit 
ensuite  de  rofficier  qui  I'avoit  portee,  etantavec 
1\L  de  Turenne  lorsqu'un  parti  qui  I'avoit  fait 
prisonnier  le  lui  amena  dans  Villeneuve-Saint- 
George ,  et  cet  homrae  fut  si  surpris  d'y  trouver 
I'armee  du  Roi ,  qu'il  ne  pouvoit  comprendre 
que  cela  fut  possible. 

Quoique  les  Lorrains  eussent  gague  les  de- 
vans ,  qu'ils  fussent  raaitres  de  la  ville,  et 
qu'une  partie  de  leurs  troupes  eussent  passe 
I'Yeres  ,  M.  de  Turenne  arrivant  avec  son 
avant-garde  sur  la  hauteur  qui  coramande  le 
bourg  et  les  rivieres,  les  chassa  et  s'empara  du 
pont.  Leur  armee  etoit  deja  si  proche  de  I'autre 
cote  de  cette  petite  riviere,  qu'elle  tira  le  canon 
sur  les  premiers  escadrons  des  troupes  du  Roi , 
quand  ils  arriverent  sur  le  haut  de  la  monta- 
gne,  dont  I'avant-garde  leur  servit  plus  que  la 
diligence.  M.  de  La  Ferte  arriva  sur  le  soir 
avec  le  reste  de  I'armee;  et  les  ennemis  ayant 
manque  le  poste ,  se  retirerent  une  lieue  plus 
haut  le  long  de  la  riviere,  vis  a- vis  le  chateau 
d'Ablon ,  ou  M.  le  prince  les  joignit  pen  de 
jours  apres,  ayant  fait  passer  ses  troupes  sur 
deux  ou  trois  grands  batleaux  qu'il  trouva  par 
basard  sur  la  riviere. 

Ce  fut  alors  que  les  ennemis  etant  plus  forts 
de  la  moitie  que  M.  de  Turenne,  compterent 
sur  une  victoire  certaine  ,  le  tenant  comme 
dans  un  cul-de-sac  entre  la  Seine  et  I'Yeres , 
oil  ils  ne  croyoient  pas  qu'on  put  leur  echaper  : 
ils  scavoient  que  n'ayant  dans  ses  caissons  que 
pour  quatre  ou  cinq  jours  de  pain  tout  au  plus  , 
et  les  fourages  lui  manquant ,  il  ne  pouvoit  en 
tirer  d'aucun  endroit ,  tout  le  pays  des  environs 
etant  mine,  et  ils  esperoient  de  finir  la  guerre 
sans  coup  ferir;  mais  M.  de  Turenne  avoit  cu 


I/VOUCK.    [IG5:2]  5;,3 

le  bonheur  d'arreter  a  Villeneuve-Saint-George, 
la  nuit  merae  qu'il  y  arriva ,  vingt-quatre  ou 
vingt-cinq  batteaux  qui  furent  le  salut  de  I'ar- 
mee ,  parce  qu'ils  servirent  a  faire  des  ponts  sur 
la  Seine. 

On  lie  perdit  point  de  temps :  le  premier  pont 
fut  acheve  en  deux  ou  trois  jours  avec  des  tra- 
vaux  de  I'autre  cote  de  la  Seine  pour  le  couvrir ; 
et  le  second  fut  acheve  peu  de  jours  apres.  On 
surmonta  des  difficultes  qui  paroissoient  invin- 
cibles ;  on  n'avoit  ni  bois  ni  argent ;  I'indus- 
trie  des  olficiers  d'artillerie  et  la  liberalite  des 
joueurs  suppieerent  a  I'un  et  a  I'autre  :  ces  der- 
niers  preterent  trois  cens  pistoles ,  I'intendant 
de  I'armee  n'ayant  pu  fournir  une  si  petite  som- 
me  ;  les  autres  abattirent  les  maisons  du  bourg 
pour  en  prendre  les  poutres  et  les  planches. 
Cette  communication  de  I'autre  cote  de  la  Seine 
donna  du  fourage  a  la  cavaierie ,  qui  en  avoit 
manque  des  le  premier  jour.  Pour  se  mettre 
d'autant  plus  en  etat  de  maintenir  ce  poste  ,  on 
se  retrancha  du  cote  de  Limai ,  qui  etoit  le  seul 
par  oil  les  ennemis  pouvoient  attaquer  I'armee  ; 
elle  etoit  couverte  d'un  bois  sur  sa  droite  ;  elle 
avoit  la  Seine  a  la  gauche ,  I'Yeres  la  garantis- 
soit  par  derriere  ;  ainsi  n'ayant  que  son  front  a 
gaider  ,  qui  etoit  vis-a-vis  de  Limai  et  de 
Gros-Bois,  il   ne   failut  que  faire  des  lignes 
entre  les  cinq  redoutes  que  le  due  de  Lorraine 
y  avoit  elevees ,  et  qui  etoient  encore  entieres. 
Pendant  qu'on  travailloit  a  ces  retranche- 
mens  et  a  la  construction  des  ponts,  I'armee 
ennemie  decampa ,  apres    avoir  mis  garnison 
dans  Ablon  ,  et  marcha  du  cote  de  Brie  ,  dans 
le  dessein  d'y  passer  I'Yeres,  pour  enfermer 
I'armee  du  Roi  de  tous  cotes.  Lorsqu'elle  fit  ce 
mouvement,  M.  de  Turenne  trouva  a  propos 
de  faire  attaquer  le  chateau  d'Ablon ,  pour  as- 
surer la  communication  par  eau  avec  Coibeil , 
d'ou  il  esperoit  tirer  toute  sorte  de  provisions  : 
pour  cet  effet  M.  de  Rennel  fut  envoye  avec 
un  detachement  de  cavaierie  et  d'infanterie  et 
deux  pieces  de  canon  ;  mais  avant  qu'il  fut  ar- 
rive au  chateau  ,  M.  de  Turenne  qui  I'avoit  vu 
passer ,  fut  averti   qu'on   decouvroit  quelques 
escadrons  des  ennemis  entre  le  bois  et  Limai. 
II  envoya  ordre  aussitot  a  Rennel  de  revenir  au 
camp,  et  monta  sur  la  hauteur  pour  reconnoitre 
I'ennemi ,  croyant  d'abord  qu'il   venoit  a  lui : 
en  y  arrivant,  il  appercut  I'infanterie  qui  com- 
mencoit    a   paroitre ;  et  pour  mieux  juger  si 
leur  dessein  etoit  de  I'attaquer  immediatement^ 
il  se  mit  avec  le  due  d'Yorck  parmi  les  escar- 
moucheurs,  qui  eloignerent  ceux  des  ennemis  , 
et  donnerent  lieu  d'observer  de  plus  pres  leur 
conlenance  :  M.  de  Turenne  qui  ne  voyoit  pas 


r>rj  i 


MEMOIRBS    DU    DUG    I)  VOUCSv. 


16:.2] 


hlcn  de  loin ,  ne  se  liant  point  a  ses  propres 
yciix  ,  pria  le  due  d'Yorck  de  bien  examiner  ce 
qu'ils  faisoient :  ce  prince  fut  le  premier  qui 
Tavertit  qu'ils  se  retranchoient  5  ce  qui  lui  ayant 
etJ  confirrae  par  plusieurs  autres ,  il  retourna 
au  camp  fort  satisfait  de  ce  que  les  ennemis 
n'attaquoient  point  ses  lignes,  qui  n'etoient  pas 
enco.e  perfectionnees ;  ii  y  fit  travailler  sans 
reiilche ,  et  ordonna  de  les  palissader ;  ce  qui 
ayant  ete  execute  en  six  heures  de  temps ,  on 
jugea  a  propos  d'ouvrir  les  redoutes  en  dedans, 
parce  que ,  de  la  maniere  que  les  Lorrains  les 
avoient  faites,  il  eut  ete  difficile  de  les  re- 
prendre  si  les  ennemis  s'en  fussent  rendu  les 
maitres. 

Dans  le  merae  temps  que  le  prince  de  Conde 
marcha  avec  son  armee  a  Limai ,  le  due  de 
Lorraine  avec  la  sienne  avauca  au  haut  de 
rVeres  entre  Brie  et  I'armee  du  Roi ,  qu'ils 
crurent  tenir  bloquee ,  de  sorte  qu'elle  ne  pou- 
voit  leur  echapper  dans  peu  de  temps ,  ne  dou- 
tant  point  ou  de  I'affamer  ou  de  la  reduire  a  en- 
trepreudre  quelque  action  desesperee.  Apres  que 
M.  le  prince  eut  acheve  ses  retranchemens ,  qui 
^toient  fort  profonds  et  a  la  portee  du  canon  de 
ceux  de  M.  de  Turenne ,  sa  principale  applica- 
tion fut  de  faire  un  pont  de  batteaux  une  lieue 
au-dessous  dessiens,  pour  interrompre  les  fou- 
rageurs ,  et  empecher  la  communication  avec 
Gorbeil  de  I'autre  cote  de  la  Seine ,  pendant  que 
M.  de  Lorraine  avoit  des  parlis  continuellemeut 
en  campagne  pour  I'empecher  du  cote  de  Brie ; 
mais  avant  que  le  pont  des  ennemis  fut  acheve , 
on  se  reudit  maitre  du  chateau  d'Ablon ,  qui 
rendit  toutes  leurs  precautions  iuutiles  ,et  assura 
par  eau  la  communication  avec  Gorbeil ;  on  fit 
aussi  bonne  provision  de  fourage  que  Tou  en- 
leva  a  une  bonne  distance  entre  Juvisi  et  Paris. 

Le  pont  des  ennemis  etant  lini ,  les  foura- 
geurs  ne  purent  sortir  qu'avec  de  grosses  es- 
cortes  d'infanterie  et  de  cavalerie ,  ce  qui  etoit 
d'autant  plus  penible ,  qu'il  falloit  aller  si  loin 
qu'ils  ne  pouvoient  revenir  le  meme  jour.  Les 
generaux  s'aviserent  enlin  d'un  expedient  qui 
etoit  et  plus  aise  et  moins  hazardeux.  Deux 
mille  cbevaux  qui  eloient  venus  a  Gorbeil  , 
apres  la  prise  de  Montrond  ,  eurent  ordre  d'y 
rester:onen  detachoit  tons  les  jours  de  petits 
partis  qui  lodoient  en  descendant  de  I'un  et 
de  I'autre  cote  de  la  riviere,  et  qui  se  rencon- 
tranl  avec  ceux  du  camp  qui  faisoient  la  meme 
chose  en  remontant,  chacun  retournoit  de  son 
cote  apres  s'etre  communique  ce  qu'ils  avoient 
decouvert ;  et  quand  ceux  du  camp  rapportoient 
<iu'il  n'y  avoit  point  de  danger,  on  faisoit  sor- 
tir les  fourageurs   qui  alloient  par-dela  Gor- 


beil ,  y  passoient  la  riviere  d'Essone ;  apres  quoi 
ils  fourageoient  a  leur  aise ,  passoient  la  nuit  en 
siirete ,  revenoient  a  la  ville ,  et  retournoient  au 
camp  de  I'un  ou  de  I'autre  cote  de  la  Seine,  ou 
ils  etoient  averlis  qu'il  n'y  avoit  point  de  risque. 

Gette  methode  fut  suivie  avec  tant  d'exacti- 
tude  et  tant  de  bonheur ,  qu'il  n'arriva  point 
d'accident  a  aucun  des  convois  ,  et  on  pent  dire 
avec  verite  que  la  monarchic  francoise  etoit  re- 
duite  a  cette  extremite  ,  que  son  salut  dependoit 
de  chacun  de  ces  convois ,  la  perte  d'un  seul 
etant  capable  de  causer  celle  de  toute  I'armee. 

Durant  ce  blocus  ,  les  petits  partis  de  I'armee 
du  Roi  poussoient  leurs  courses  fort  loin  du  cote 
d'Orleans ,  et  alloient  quelquefois  jusqu'aux 
portes  de  Paris,  ce  qui  incoramodoit  beaucoup 
cette  grande  ville  ,  dont  le  commerce  etoit  in- 
terrompu  de  ce  c6te-la,  pendant  que  de  I'autre 
les  troupes  des  princes  ne  la  pilloient  pas  moins. 
Les  Parisiens  supporterent  quelque  temps  ce 
voisinage  importun  avec  assez  de  patience ,  sur 
les  promesses  que  leur  faisoit  le  prince  de  Gonde 
de  les  en  delivrer  bientot ,  et  de  terminer  la 
guerre ,  en  forcant  M.  de  Turenne  a  se  sou- 
mettre  avec  ses  troupes ;  mais  I'effet  ne  repon- 
dant  point  aux  esperances  dont  on  les  repaissoit 
journellement ,  ils  pancherent  plus  que  jamais 
du  cote  de  la  cour,  et  reprirent  des  sentimens 
plus  conformes  a  leur  devoir :  ils  firent  de  se- 
rieuses  reflexions  sur  I'aveuglement  avec  lequel 
ils  se  laissoient  devorer  par  des  etrangers,  sans 
qu'il  put  leur  en  revenir,  ni  a  la  nation  ,  aucun 
autre  avantage  que  d'etre  les  dupes  de  quelques 
esprits  ambitieux  qui  n'avoient  en  vue  que  de 
les  engager  dans  leurs  desseins  d'usurper  I'au- 
torite  royale. 

Les  partisans  de  la  cour  profitant  de  ces  heu- 
reuses  dispositions  ,  fomenterent  adroitement  la 
mesintelligence  qui  commencoit  a  naitre  entre 
les  Parisiens  et  les  princes  ;  le  cardinal  de  Retz 
n'obmeltoit  rien  de  son  cote  pour  I'augmenter : 
on  se  souvenoit  toujours  du  massacre  de  I'llo- 
tel-de- Ville;  et  plusieurs  desordres  qui  arri- 
verent  faisant  connoitre  I'inclination  des  peu- 
ples,  les  boutte-feux  qui  les  avoient  si  souvent 
mis  en  mouvement  contre  I'interet  du  Roi ,  per- 
dirent  tout  credit ,  ce  qui  relevant  le  courage  de 
ses  sujcts'  fideles  ,  ils  firent  voir  aux  autres  le 
precipice  ou  I'ambition  des  princes  alloit  les 
jeter. 

La  prudence  des  generaux  ayant  assure  les 
fourages  de  Tarmee  du  Roi ,  et  les  retranche- 
mens etant  tels  qu'il  auroit  ete  dangereux  aux 
ennemis  d'entreprendre  de  les  forcer,  il  ne 
se  passa  rien  pendant  le  blocus  que  de  fre- 
quentes  escarmouchcs  qu'on  ne  pouvoit  ^viter , 


MEMOIRF.S   DU    r>DC 

a  cause  de  la  proximite  des  lignes  de  Tune  et  de 
I'autre  armee.  II  y  en  cut  line  entre  autres  as- 
sez  considerable ,  et  qui  pensa  les  engager,  mal- 
gre  les  generaux,  de  part  et  d'autre.  Le  due 
d'Orleans  etant  venu  voir  celle  des  princes ,  les 
jeunes  gens  de  qualite  qui  I'avoient  accompagne, 
voulurent  niontrer  leur  bravoure  et  sortircnt 
des  lignes  pour  faire  le  coup  de  pistolet  centre 
les  troupes  du  Roi  qui ,  les  voyant  venir  en 
grand  nombre ,  sortirent  aussi  pour  les  com- 
battre ;  la  cavalerie  escarmouchoit  dans  la  plai- 
ne,  et  les  fantassins  se  disperserent  dans  les 
vignes  qui  regnent  depuis  le  bas  du  coteaujus- 
qu'au  haut  de  la  montagiie  pour  faire  la  meme 
chose.  L'al'faire  devint  si  serieuse,  et  les  volon- 
taires  de  part  et  d'autre  s'approeherent  de  si 
pres,  que  M.  de  Turenne  fut  oblige  de  deta- 
cher le  marquis  de  Richelieu  ,  avec  plusieurs 
petits  pelotons  de  cavalerie,  pour  aller  les  de- 
gager;  M.  le  prince  s'en  etant  apercu,  lit  faiie 
de  son  cote  la  meme  chose.  II  y  eut  de  part  et 
d'autre  plusieurs  tues  et  blesses.  Un  capitaine 
de  Douglas,  nomme  Tivy  ,  qui  fut  pris,  s'e- 
chappa  pen  de  jours  apres ,  et  apporta  a  M.  de 
Turenne  la  nouvelle  que  le  prince  de  Conde 
etant  tombe  malade,  s'etoit  lait  porter  a  Paris 
oil  les  prineipaux  de  sa  faction  s'efforcoient 
toujours  de  le  ranimer  par  les  esperances  de 
la  ruine  de  I'armee  du  Roi.  S'ils  le  crurent  ain- 
si ,  ils  se  tromperent  bien  grossierement ,  car 
plus  elle  resta  a  Villeneuve-Saint-Georges ,  plus 
eile  eut  abondance  de  toutes  choses  qui  lui  ve- 
noient  de  Corbeil. 

II  se  fit  dans  cet  entretems  une  tres-belle  ac- 
tion par  le  sieur  Seguin ,  capitaine  de  cavalerie 
dans  le  regiment  deBeauveau  :  il  alloit  souvent 
en  parti,  et  etant  sorti  cette  fois  avec  cent 
maitres,  il  se  mit  en  embuscade  pour  surpren- 
dre  les  fourageurs  de  I'ennemi,  et  les  ayant 
laisse  arriver  et  se  mettre  a  I'ouvrage,  il  alloit 
pour  les  enlever  ,  lorsque  ,  decouvrant  fort 
pres  de  lui  un  escadron  sur  la  hauteur ,  il  fut 
pour  le  charger,  croyant  qu'il  fiit  le  seul  qui  les 
escortoit ;  mais  en  approchant  il  en  trouva  quatre 
I  autres  :  il  prit  immediatement  son  parti ,  dit  en 
peu  de  paroles  a  ses  gens  qu'il  etoit  trop  tard 
de  songer  a  la  retraite ,  et  qu'il  falloit  chcrcher 
son  salut  dans  iapoinfe  de  I'epee.  II  les  divisa 
en  cinq  petits  corps,  chacunsur  deux  rangs,  et 
attaqua  les  ennerais  avec  tant  de  vigueur,  qu'il 
les  mit  en  deroule ,  en  tua  soixante  sur  place ,  fit 
cinquante  prisonniers,  et  defit  ainsi ,  malgre 
une  si  grande  inegalite  ,  le  vieux  regiment  de 
Wirtemberg,  dont  le  major  et  deux  capitaines 
furent  du  nombre  des  prisonniers. 

La  cour  qui  etoit  a  Pontoisc  ou  a  Saint-Ger- 


d'yorck.  [1652]  555 

main  ,  menageoit  toujours  ses  intelligences  dans 
Paris ,  d'oii  elle  etoit  bien  informee  de  ce  qui  s'y 
passoit ,  et  du  mecontentement  desParisiens,  de 
ce  que  les  princes  entretenoient  la  guerre  a 
leurs  portes;  et  la  negotiation  etant  sur  un  bon 
pied,  elle  envoya  demander  aux  deux  generaux 
s'ils  croyoient  pouvoir  degager  I'armee  du  poste 
ou  elle  etoit  sans  rien  hazarder,  et  trouver  le 
moyen  de  joindre  le  Roi  pour  favoriser  le  trait- 
te  qui  etoit  sur  le  tapis  avec  les  Parisiens. 

On  travailla  aussitot  a  disposer  toutes  choses 
pour  decamper  :  on  fit  dresser  douze  ponts  sur 
la  petite  riviere ,  sous  pretexte  de  favoriser  les 
fourages  ,  et  on  envoya  ordre  aux  troupes  qui 
etoient  a  Corbeil  de  faire  quelques  redoutes  sur 
la  hauteur  qui  est  devant  la  ville,  pour  persua- 
der davantage  aux  ennemis  qu'on  ne  songeoit 
qu'a  assurer  les  fourageurs  de  tons  cotes.  Tou- 
tes ces  choses  etant  executees  ,  on  comraanda  , 
le  4  octobre,  une  beure  avant  le  coucher  du 
soleil ,  que  toutes  les  troupes  se  preparassent  a 
marcher  ;  des  qu'il  fut  nuit ,  on  fit  passer  les 
bagages  vers  Corbeil  avec  un  grand  silence,  par 
le  chemin  le  plus  bas,  le  long  de  la  Seine;  on 
avoit  mis  a  la  tete  de  la  cavalerie  et  des  dra- 
gons, avec  ordre,  en  arrivaut  pres  de  la  ville, 
dese  mettre  en  bataille  sur  la  hauteur,  derriere 
les  redoutes. 

Quand  les  bagages  eurent  passe  les  ponts,  les 
troupes  les  suivirent  en  bon  ordre  5  les  gardes  et 
les  sentinelles  ne  furent  relevees  qu'apres  que 
toute  I'armee  fut  de  I'autre  cote  de  la  petite  ri- 
viere ,  et  on  rompit  les  ponts  pour  empecher  les 
ennemis  de  s'en  servir  et  de  suivre  I'armee  du 
Roi,  s'ils  eussent  decouvert  sa  retraite;  mais 
bien  loin  de  la  soupconner,  ilsavoientresolu,  ce 
meme  soir,  d'insulter  le  lendemain  le  regiment 
de  Neltencour  qui  etoit  avec  une  garde  de  qua- 
rante  chevaux  dans  I'ouvrage  qui  couvroit  de 
I'autre  cote  de  la  Seine  les  tetes  des  deux  ponts ; 
pour  en  venir  mieux  a  bout,  ilsavoient  prepare 
de  grands  trains  de  bois  qu'ils  laisserent  deri- 
ver  d'une  lieue  en  haut  au  milieu  de  la  riviere  , 
afin  que  le  choc  qu'ils  donneroient  coiitre  les 
ponts  les  put  entrainer.  La  chose  reussit ;  le 
regiment  de  Nettencour  voulant  passer,  comme 
il  en  avoit  recu  I'ordre,  les  trouva  rompus,  et 
M.  de  Turenne  en  ayant  ete  averti,  lui  fit  or- 
donner  d'aller  a  Corbeil  le  long  de  la  riviere, 
ne  jugeant  pas  a  propos  de  retarder  pour  cet  ac- 
cident la  marche  des  troupes  ;  il  passa  heureuse- 
ment  a  Corbeil,  etjoignit  I'armee.  Le  lendemain 
un  peu  devant  le  jour,  les  soldats  ennemis  etant 
alios  pour  attaquer  I'ouvrage  ,  furent  fort  snr- 
pris  de  le  trouver  abandonne ;  mais  ils  le  furent 
bien  davantage  de  ne  plus  voir  I'armee  du  Roi ; 


i.3f. 


MEMOIUKS    DC     DIG    1)  YORCK. 


1632] 


ils  furent  les  premiers  qui  en  averlirent  leurs 
generaux :  il  etoit  trop  tard,  etquand  ils  I'eussent 
scu  plutot ,  lis  ne  poiivoient  pas  lui  faire  grand 
mal,  parce  qu'apres  qirelle  eut  marche  wn  pen 
plus  d'une  lieue  ,  le  terrain  lui  etoit  si  favora- 
ble ,  quelle  n'avoit  plus  rien  a  craindre;  elle 
etoit  couverte  d'un  cote  de  la  Seine,  et  de  la  fo- 
ret  de  Sennard  de  I'autre  ;  Tespace  entre  deux 
n'etoit  pas  si  large  qu'elle  ne  put  le  remplir,  de 
sorte  que  les  ennemis  ne  pouvoient  la  deborder 
ni  I'attaquer  en  llanc  ,  et  plus  on  approchoit  de 
Corbeil ,  plus  le  terrain  se  retrecissoit.  Toute 
larmee  y  arriva  avant  le  lever  du  soleil ;  quoi- 
qu'on  ne  diit  y  rester  qu'une  uuit  pour  se  repo- 
ser ,  on  fit  des  relranehemens  palissades  pour 
n'etre  point  surpris  ,  s'il  prenoit  en  vie  aux  en- 
nemis decombattre.  Le  lendemain  C,  au  matin  , 
on  raarcha  a  Ghaume,  ou  on  arriva  le  soir,  dans 
le  dessein  d'aller  passer  la  Marne  a  Meaux,  et 
de  joindre  ensuite  la  eour  ou  a  Pontoise  ou  h 
Saint-Germain.  Gettejournee  futpeuible  etdan- 
gereuse  :  les  ennemis  pouvoient  attaquer  Tar- 
mee  s'ils  eussent  voulu.  On  marcha  toujours  de 
maniere  qu'en  un  quart  d'beure  de  temps  toute 
I'armee  pouvoit  etre  en  bataille  :  Tavant-garde 
alloit  sur  deux  colonnes  ,  le  premier  escadron  a 
la  tete  de  la  colonne  de  la  gauche  etoit  le  pre- 
mier de  la  premiere  ligne  ,  et  celui  a  la  tete  de 
la  colonne  droite  etoit  le  premier  de  la  seeonde 
ligne,  suivant  Tordre  de  bataille  ;  on  observoit 
les  distances  ordiuaires ,  comme  si  on  avoit  ete 
pret  a  combattre.  L'infanterie  suivoit  dans  le 
meme  ordre  la  cavalerie :  la  premiere  ligne  d"in- 
t'anterie  suivoit  la  premiere  de  cavalerie,  et  la 
seeonde  de  meme  ;  les  gendarmes  marchoient 
suivant  leur  poste  entre  les  deux  lignes  d'infan- 
terie,  et  I'autre  aile  de  cavalerie  suivoit  l'in- 
fanterie dans  le  meme  ordre,  de  sorte  que  I'en- 
nemi  paroissant ,  I'armee  se  trouvoit  prete  a  le 
lecevoir  en  tournant  a  gauche.  L'artillerie  et  les 
caissons  marchoient  sur  la  droite  de  l'infanterie, 
et  les  bagages  sur  la  droite  de  tout.  Les  enne- 
mis n'ayant  rien  entrepris  ce  jour-la,  ou  mar- 
cha ensuite  avec  moins  de  contrainte  a  Presle , 
Tournam  et  Quince;  et  le  11  ,  ayant  passe  la 
Marne  pres  de  Meaux,  on  campa  le  meme  soir 
i\  Boretz,  de-la  on  marcha  a  Montl'eveque,  et 
ensuite  a  Courteuil  ou  on  etoit  a  couvert  de  la 
riviere  qui  y  passoit. 

Gette  retraite  si  surprenante  pour  les  enne- 
mis ,  acheva  de  ruiner  leurs  affaires  aupres  des 
Parisiens  ,  qui ,  las  de  supporter  le  poids  d'une 
guerre  qui  les  aceabloit,  souhaittoient  de  plus 
en  plus  de  la  voir  linir  par  le  retour  du  Roi, 
ilont  les  amis  prolitoieul  d'une  si  favorable  con- 
joncture.  Le  prince  de  Condeet  le  due  An  Lor- 


raine jugerent  qu'il  n'etoit  pas  de  leur  interet 
de  demeurer  davantage  aux  environs  de  Paris, 
puisqu'un  plus  long  sejour  acheveroit  de  leur 
faire  perdre  le  peu  d'amis  qui  leur  restoient , 
et  qu'ils  ne  pouvoient  conserver  qu'en  s'eloi- 
gnant;  dailleurs  Thiver  avancoit,  et  le  pays 
etoit  si  mine,  qu'il  eiit  ete  presque  impossible 
d'y  faire  subsister  leurs  troupes. 

Ces  considerations  et  peut-etre  quelqucs  au- 
tres  qu'on  ne  scait  pas,  determinerent  les  prin- 
ces a  quitter  Paris;  ils  ne  trouverent  point  de 
meilleur  expedient  que  de  faire  hiveruer  leurs 
troupes  en  Ghampagne  et  en  Lorraine,  les  Es- 
pagnols  devant  les  joindre  a  Rhetel ,  pour  les 
aider  a  prendre  les  places  qui  seroient  necessai- 
res  pour  couvrir  et  assurer  leurs  quartiers.  A 
regard  du  due  d'Orleans  et  de  Mademoiselle, 
il  fut  arrete  qu'ils  resteroient  a  Paris  et  qu'ils 
employeroient  leur  credit  et  leurs  efforts  pour 
empecher  cette  \ille  d'y  recevoir  le  Roi.  Toutcs 
ces  resolutions  furent  aussitot  mises  en  execu- 
tion, car  I'armee  du  Roi  n'etant  encore  qu'a 
Gourteuil  pres  de  Senlis,  vers  le  14octobre, 
celle  des  ennemis  passa  aupres,  prenant  le  che- 
min  de  la  Champagne. 

La  cour  crut  qu'il  etoit  alors  de  son  interet 
de  retourner  a  Paris,  et  M.  de  Turenne  alia 
expres  a  Saint-Germain  pour  la  determiner  a 
prendre  ce  parti ;  il  en  representa  la  necessite, 
que  I'occasion  etant  favorable  il  falloit  en  pro- 
iiter  ,  et  ne  pas  donner  le  temps  aux  Parisiens 
de  revenir  du  degout  qu'ils  avoient  pour  les 
princes,  que  leur  absence  et  I'eloignement  de 
leurstroupes  pouvoient  dissiper :  il  fit  concevoir, 
pour  appuyer  son  opinion  ,  qu'il  n'y  avoit  point 
d'esperance  de  trouver  des  quartiers  d'hiver 
pour  les  troupes,  si  le  Roi  ne  se  rendoit  maitre 
de  Paris ;  que  sans  cela  on  ne  seroit  point  en 
etat  de  faire  tete,  la  campagne  suivante ,  aux 
forces  des  ennemis,  qui  seroient  tres  nombieu- 
ses ;  que  si  Paris  refusoit  de  recevoir  le  Roi, 
toutes  les  autres  villes  suivroient  son  exemple  ; 
enfin  il  conclut  en  assurant  que  tout  dependoit 
du  bon  et  du  raauvais  succes  de  cette  affaire. 
Ses  raisons  qui  ne  sont  ici  touchees  que  legere- 
ment,  parurent  si  fortes  au  conseil,  qu'elles  fu- 
rent approuvees.  La  cour  partit  de  Saint-Ger- 
main, et  etant  arrivee  au  bois  de  Roulogne  par 
le  pout  de  Saint-Gloud  ,  les  autres  etant  rompus, 
il  vint  des  personnes  de  Paris  qui  s'adresserent 
a  quelques  raembres  du  conseil  pour  repre- 
senter  que  I'entreprise  etoit  dangereuse ,  et 
qu'on  hazardoit  temerairement  la  personne  du 
Roi.  Ces  messieurs  prirent  I'allarme  et  furent 
au  carosse  de  la  Reiue  dans  lequel  etoit  le  Roi , 
pour  dissuader  leurs  Majesles  d'aller  plus  loin. 


MEMOIIIRS   DU    DUG 

Le  carrosse  arr^ta  :  on  appela  M.  de  Turenne  et 
le  reste  du  conseil ,  pour  deliberer  sur  ce  qui 
etait  a  faire  :  tons  etoieut  d'opinion  qu'il  falloit 
retourner  a  Saint-Germain;  il  n'y  eut  que  M.  de 
Turenne  qui  persista  dans  la  premiere  rcsoiu- 
lion  et  dans  lesraisons  qui  I'avoientfait  prendre, 
ajoutant  qu'apres  la  demarche  qu'on  venoit  de 
faire,  le  retour  seroit  egalement  prejudiciable 
aux  affaires  du  Roi  et  a  son  honneur ;  qu'il 
marqueroit  un  manque  de  resolution  qui  ren- 
droit  la  cour  meprisable ,  oteroit  le  courage  aux 
amis,  releveroit  celui  de  ses  eunemis;  que  tout 
seroit  a  craiudre  d'un  changeraent  ou  il  paroi- 
troit  tant  de  timidite,  et  qu'il  regardoit  ceux 
qui  etoient  venus  apporter  cet  avis  ou  corame 
des  ennemis  converts,  qui  vouloient  empecher 
que  le  Roi  n'entrat  dans  Paris,  ou  comme  des 
esprits  foibles  ,  dont  les  sentimens  ne  devoient 
point  etre  suivis. 

La  Reine,  qu'il  etoit  difficile  d'effrayer,  et 
dont  le  courage  etoit  a  toute  epreuve  ,  suivit 
I'opinion  de  M.  de  Turenne  contre  I'avis  de 
tout  le  reste  du  conseil  :  elle  dit  que  dans  une 
occasion  si  importante  ,  il  valoit  mieux  s'expo- 
ser  elle  et  son  fils  aux  dangers  qu'il  pouvoit  y 
avoir  ,  que  de  perdre  leur  reputation  par  une 
action  aussi  honteuse  que  seroit  leur  retour, 
qui  ruineroit  entierement  leurs  affaires,  et  qu'il 
ne  falloit  jamais  esperer  de  rentrer  dans  Paris 
si  on  perdoit  cette  occasion.  II  fut  resolu  d'y 
aller  :  le  Roi  s'avanca  a  la  tete  de  ses  gardes, 
entra  dans  la  ville  par  la  porte  Saint-Honore  , 
et  au  lieu  de  I'opposition  dont  on  avoit  voulu 
lui  inspirer  la  peur ,  il  ne  trouva  partout  que 
des  acclamations  qui  marquoient  la  joye  publi- 
que  ,  et  il  fut  accompagne  jusqu'au  Louvre  par 
une  foule  de  peuple  qui  ne  cessoit  de  crier 
Vive  le  Roi!  Pendant  que  Sa  Majeste  entroit 
par  une  porte ,  M.  le  due  d'Orleans  sortit  par 
une  autre  ,  et  Mademoiselle  qui  etoit  rentree 
dans  son  appartemenl  des  Tuilleries  ,  eut  ordre 
de  sortir  de  Paris,  auquel  elle  obeit. 

M.  de  Turenne  retourna  aussitot  a  I'armee  , 
et  sur  la  fin  du  raois  se  mit  en  marche  pour 
suivre  les  ennemis  qui  s'etoient  empares  de 
Chateau-Porcien  et  de  Rhetel-sur-l'Aisne,  ou 
ils  trouverent  peu  de  resistance;  de  la  ils  furent 
attaqiier  Sainte- Menehoult  qui  se  defendit 
bien  ;  mais  elle  fut  enlin  forcee  de  se  rcndre  a 
composition  :  il  n'y  avoit  outre  la  garnison  or- 
dinaire que  quatre  compagnies  du  regiment 
d'Yorck ,  qui  s'y  jetterent  avant  qu'elle  fut 
investie.  Quand  I'armee  des  princes  quitta  les 
environs  de  Paris,  on  envoya  avec  quflque  ca- 
valerie  des  troupes  de  INL  de  La  Ferte ,  le  regi- 
ment d'infanterie  qui  portoit  son  nom  ,  et  celui 


n'vOUCK.    [lCo2)  r^;^^ 

d'Yorck ,  avec  ordre  de  marcher  en  toute  dili- 
gence ,  et  de  se  jetter  dans  Sainte-Menehoult  et 
les  places  du  Barois.  Le  marechal  alia  lui-meme 
a  Nanci  pour  defendre  autant  qu'il  pourroit 
son  gouvernement ,  ou  il  jugeoit ,  comme  il  ar- 
riva  effectiveraent ,  qu'ils  avoient  dessein  d'e- 
tablir  leurs  quartiers  d'hiver, 

Dans  la  marche  de  I'armee  du  Roi  vers  la 
Champagne,  elle  campa  le  2  novembre  a  Ba- 
lieux  ou  elle  fut  obligee  de  rester  un  jour ,  a 
cause  que  les  soldats  trouvant  dans  le  chemin 
une  grande  quantlte  de  vins  nouveaux ,  ils 
s'euy vrerent  si  generalement ,  qu'il  n'en  vint 
point  au  quartier  sulfisamment  pour  mooter  la 
garde  ordinaire  chez  le  general  et  chez  le  due 
d'Yorck.  Apres  les  avoir  rassembles,  on  mar- 
cha  le  4  a  Dizy ,  proche  Epernai ,  ou  on  passa 
laMarne,  le  5,  pour  se  couvrir  de  cette  ri- 
viere ,  les  ennemis  etant  alors  aux  environs  de 
Rhetel  ou  le  comte  de  Fuensaldagne  les  avoit 
joints  avec  une  partie  considerable  de  I'armee 
d'Espagne,  ce  qui  obligeoit  M.  de  Turenne  de 
se  tenir  toujours  a  une  distance  raisonnable  ,  et 
derriere  quelque  riviere  ou  quelque  defile,  pour 
ne  point  courir  risque  d'etre  surpris.  Le  6 , 
I'armee  marcha  a  Cheppes  oil ,  apres  avoir 
campe  trois  ou  quatre  jours ,  elle  repassa  la 
Marne  et  campa  a  Vitry-Ie-Brusle.  Le  1G  ,  elle 
marcha  a  Vitry-le-Francois,  reglant  toujours  ses 
mouvemenssur  ceux  des  ennemis. 

Ce  fut  pendant  que  I'armee  du  Roi  faisoit  ces 
differens  camperaens  que  Sainte-Menehoult  fut 
prise  ,  vers  le  \  3  novembre  :  les  ennemis  y  li- 
centierent  les  troupes  du  due  d'Orleans  qui 
etoient  dans  leur  armee,  et  leur  permirent  de 
retourner  en  France,  a  condition  qu'ils  ne  ser- 
viroient  point  le  Roi  le  reste  de  cette  campagne, 
ni  aucune  autre  de  ce  c6te-la  :  on  les  fit  mar- 
cher vers  les  quartiers  qui  leur  furent  assignes 
en  Picardie,  et  I'annee  suivante  ils  servirent 
dans  les  armees  sur  les  autres  frontieres  de 
France. 

Les  ennemis  furent  ensuite  assieger  Bar-le- 
Duc;  M.  de  La  Ferte  y  avoit  envoye  un  nomme 
Roussillon  pour  y  commander  ,  avec  une  garni- 
son capable  de  defendre  la  place  plus  long-temps 
qu'il  ne  fit  :  il  fut  neanmoins  assez  vain  pour 
refuser  un  renfort  de  cinq  ceus  hommes  que 
M.  de  Turenne  avoit  envoye  a  Saint-Disier 
pendant  le  siege  de  Sainte-Menehoult,  avec 
ordre  d'aller  a  Bar-le-Duc  ,  si  le  gouverneur  en 
avoit  besoin  ;  il  remercia  M.  de  Turenne  du 
soin  qu'il  prenoit  de  lui,  I'assura  qu'il  etoit  en 
bon  efat  si  I'ennemi  osoit  I'attaquer  ,  ce  qu'il 
reitera  ([uaiid  il  fut  invcsti  ,  avec  promessc  de 
rendre  bon  compte  de  la  place.  Cette  uouvelle 


558 


MERJOIRES    DU   DUG    d'yOBCK.    [1G52] 


fut  apportee  le  18  ix  M.  dc  Tiirenne,  qui  etoit 
encore  a  Vitry-le-Francois  ;  il  decampa  aus- 
sitot  pour  Taller  secourir  avec  toute  la  dili- 
gence possible  ;  et  pour  empecher  que  I'enuemi 
ne  fut  averti  de  son  approche ,  il  repassa  la 
Marne  a  Vitry  ,  et  cotoyant  la  riviere  qui  etoit 
a  sa  gauche,  il  arriva  a  la  pointe  du  jour  a 
Saint-Disier ;  il  y  fit  halte  pendant  six  heures 
pour  reposer  ses  troupes  ,  et  dans  le  moment 
qii'on  alloit  se  raettre  en  niarche,  il  recut  avis 
que  la  ville  et  le  chateau  s'ctoient  rendus;  ce 
qui  fit  arreter  I'armee. 

Cette  nouvelle  fut  d'autant  plus  desagreable 
qu'elle  rompit  le  dessein  qu'on  avoit  forme , 
non-seulement  de  secourir  la  place,  mais  en- 
core de  battre  les  ennemis  ,  ou  de  les  forcer  a 
une  retraite  si  precipitee ,  qu'au  moiiis  lis  y 
auroient  perdu  canon  et  bagage.  Jamais  enlre- 
prise  n'avoit  ete  plus  judlcieusement  concertee; 
oar,quoique  I'armee  du  Roi  fut  de  beaucoup  in- 
ferieure  en  nombre  a  celle  des  ennemis  ,  le  ter- 
rain etoit  si  avantageux  du  cote  qu'on  marchoit 
a  eux,  qu'on  ne  couroit  point  de  risque,  le  pays 
etant  couvert  de  bois. 

M.  de  Turenne  avoit  six  mille  homraes  effec- 
tifs  d'infanterie  bien  disciplines;  rarmee  avoit 
ete  renforcee  de  cavalerie  aussi  bien  que  d'infan- 
terie qu'on  avoit  tiree  des  garnisons  d'Artois  , 
de  Picardie  et  d'autres  cndroits  qui  pouvoient 
s'en  passer  depuis  que  les  ennemis  etoient  sor- 
lis  du  coeur  de  la  France.  A  la  faveur  des  bois, 
et  par  la  diligence  de  la  niarche  ,  on  tomboit 
sur  les  ennemis  lorsqu'ils  y  songeoient  le 
inoins  ,  et  il  leur  auroit  servi  de  peu  d'en  etre 
avertis;  car  la  situation  de  la  place  est  telle,  et 
tel  est  le  desavantage  du  poste  pour  les  assie- 
geans  contre  une  arraee  qui  vient  secourir  la 
place ,  que  les  retranchemens  y  sont  inutiles  et 
ne  peuvent  se  defendre;  les  bois  s'etendent  en 
longueur  a  une  lieue  de  la  ville;  il  y  a  entre  le 
bois  et  le  chtiteau  une  plaine  spacieuse,  sur  le 
niveau  de  laquelle  est  situe  le  chateau  ,  et  la 
ville  haute  est  sur  le  bord  d'une  descente  qui 
conduit  a  la  basse  ville ;  dans  le  fond  qui  est 
etroit  et  entre  deux  collines ,  coule  un  petit 
ruisseau  ,  et  I'escarpe  de  chaque  cole  est  rude 
el  difficile;  de  sorte  que  les  troupes  du  Roi 
n'auroient  eu  a  combattre  que  contre  les  enne- 
mis qui  etoient  de  leur  cote  du  ruisseau,  et  qui 
auroient  fort  mal  passe  leur  temps  entre  i'armee 
qui  les  auroit  altaques  et  le  chateau,  et  entre  le 
bois  et  le  chateau ,  et  leur  retraite  n'y  pouvoit 
se  faire  qu'avec  tant  de  confusion  qu'ils  se  se- 
roient  cuibutes  I'un  I'autrc. 

Quaud  M.  de  Turenne  forma  ce  dessein  ,  il 
crut  trouver  toute  Tarmee  ennemie  ensemble  , 


et  ne  scavoit  pas,  comme  il  I'apprit  depuis,  que 
Fuensaldagne,  avec  la  plus  grande  partie  de  ses 
troupes,  s'etoit  retire,  ne  scachant  point  I'armee 
du  Roi  aussi  forte  qu'elle  etoit ,  et  croyant  que 
le  prince  de  Conde  et  le  due  de  Lorraine  etoient 
assez  forts  pour  prendre  le  Barois  et  y  etablir 
leurs  quartiers  d'hiver.  Un  si  beau  coup  fut 
manque  par  I'indiscretion  de  M.  de  Roussillon  , 
qui  se  laissa  enlever  les  quatre  meilleuies 
compagnies  de  sa  garnison  dans  la  basse  ville  , 
quoiqu'elle  fut  defendue  d'une  assez  bonne  mu- 
raille  ,  et  environnee  d'un  fosse  plein  d'eau  :  il 
pouvoit  au  moins  soutenir  jusqu'a  ce  qu'il  y  eut 
breche  ;  mais  I'ennemi  s'en  etant  rendu  maitre 
le  meme  jour  qu'il  arriva  devant  la  place  ,  et 
ne  jugeant  pas  a  propos  de  faire  son  attaque  de 
ce  c6te-la,  il  eleva  le  lendemain  une  batterie  du 
cote  de  la  plaine  contre  le  chateau  ;  et  a  peine 
commenca-t-elle  a  tirer,  que  le  gouverneur,  sans 
meme  attendre  qu'il  y  eut  breche  ,  demanda  a 
capituler  et  convlnt  de  sortir  le  lendemain  de 
la  place. 

M.  de  Lorraine  perdit  a  ce  siege  M.  Fauge  , 
lieutenant-general  et  le  meilleur  officier  de  son 
armee  ,  qui  fut  tue  la  unit  apres  la  prise  de  la 
basse  ville  :  il  soupoit  avec  le  prince  de  Conde 
dans  une  maison  assez  pioche  de  la  ville  haute, 
et  faisant  debauche  il  s'enyvra  si  fort,  que  dans 
I'aeces  d'une  vaine  bravoure,  il  sortit  par  une 
porte  de  derriere ,  une  serviette  autour  de  la 
tete ,  pour  se  faire  mieux  remarquer  ,  et  pour 
que  les  assieges  eussent  a  tirer  sur  lui ;  le 
prince  de  Conde  et  le  chevalier  de  Guise  cou- 
rurent  apres  pour  le  faire  rentrer  ;  mais  avant 
qu'ils  pussent  le  joindre,  il  recut  un  coup  de 
mousquet  qui  le  tua. 

La  prise  si  prompte  de  Bar-le-Duc  donna  le 
temps  aux  ennemis  de  s'eraparer  de  Ligny,  Voyd 
et  Commerci,  parce  queM.  de  Turenne,  ne  sca- 
chant point  le  depart  de  Fuensaldagne,  n'osoit 
trop  s'approcher  de  leur  arraee  :  on  resta  pour 
cette  raison  deux  ou  trois  jours  a  Saint-Disier, 
pendant  lesquelsils  firent  ces  uouveaux  progres; 
et  ces  trois  places  n'ayant  que  de  foibles  garni- 
sons ,  ne  firent  que  peu  ou  point  de  resistance. 

L'armee  du  Roi  avanca  de  Saint-Disier  a 
Stainville,  ou  elle  fut  jointe  par  un  renfort  d'un 
regiment  de  cavalerie  de  trois  cens  maitres ,  et 
d'un  regiment  d'infanterie  de  douze  cens  hom- 
mes  des  troupes  du  due  de  Longueville,  du  re- 
giment de  cavalerie  et  de  la  compagnie  d'or- 
donnauce  du  comte  de  Bristol.  Quoique  ces 
troupes ,  excepte  la  compagnie  d'ordonnance , 
ne  fussent  que  de  nouvelles  levees  incapables  de 
rendre  de  grands  services  ,  le  nombre  ne  laissa 
pas  de  donner  dc  la  reputation.  Ce  ne  fut  qu'a 


MEMOIRES    DU    DUC 

Stainville,  et  le  25  denovembre,  qu'on  apprit 
le  depart  du  comte  de  Fueiisaldagne;  sur  quoi 
M.  de  Turenne  resolut  de  livrer  bataille  aux  en- 
iiemis  ,  et  eu  cas  qu'ils  voulussent  I'eviter  ,  les 
obliger  a  quitter  les  quartiers  d'hiver,  dans  les- 
quels  ils  se  croyoient  si  bien  etablis,  qu'ils  en 
avoient  deja  fait  la  repartition  :  la  suite  va  faire 
voir  combien  ils  s'etoient  trompes;  car,quand  on 
avanca  a  eux  le  lendemain,  ils  se  trou\erent  si 
peu  en  etat  de  s'3^  maiutenir ,  que  n'osant  faire 
tete  a  M.  de  Turenne  ils  decamperent  subite- 
ment,  passerent  la  Meuse  aupies  de  Vovd,  ou 
M.  le  prince  fut  averti  qu'on  marchoit  a  lui ,  et 
laissant  la  riviere  sur  la  gaucbe  ,  avancereut  en 
toute  diligence  vers  Luxembourg  :  on  les  suivit 
de  si  pres ,  que  le  plus  souvent  I'armee  du  Roi 
arrivolt  a  midi  011  ils  avoient  passe  la  nuit  prece- 
deute.  Ou  les  poussa  ainsi  jusqu'au  30,  qu'on  ar- 
riva  le  matin  a  Saint-Mihel :  on.  ne  jugea  pas  a 
propos  de  les  poursuivre  plus  loin ,  puisqu'etant  a 
couvert  de  leur  pays,  ils  etoient  bors  de  danger. 
M.  de  Turenne  ne  songea  plus  qu'a  chercber 
les  moyens  de  rafraicbir  son  armee  ,  particulie- 
rement  I'infanterie,  que  tant  de  raarclies  penibles 
avoient  beaucoup  barrassee,  et  qui  manquoit  de 
pain  :  les  ennemis,  qu'on  avoit  toujours  suivis, 
avoient  mange  le  pays  partout;  les  caissons 
etoient  vides,  et  il  n'etoit  pas  possible  aux 
commissaires  des  vivres  d'en  fournir  alors.  II  en 
envoya  demander  aux  babltaus  de  Saint-Mibel , 
qui  ayant  fait  difficulte  d'obeir,  sur  uue  preten- 
due  impossibilite  d'en  fournir  une  assez  grande 
quantite  en  un  jour,  il  se  trouva  oblige ,  pour 
ne  pas  laisser  perir  de  faim  son  armee ,  de  faire 
entrer  dans  la  ville  son  infanterie,  les  gendarmes 
et  le  canon  ,  et  de  distribuer  sa  cavalerie  dans 
les  villages  aux  environs.  Quoiqu'on  y  restat 
peu  de  temps ,  cela  fit  beaucoup  de  bien  aux 
troupes;  mais  M.  de  La  Ferte,  en  ayant  ele 
informe,  vint  lui-meme  de  Nanci ,  qui  en  etoit 
eloigne  de  dix  ou  douze  lieues ,  pour  prier  M.  de 
Turenne  de  se  retirer,  se  tenant  si  offense  qu'il 
eiit  pris  des  quartiers  dans  cette  ville-Ia,  qu'il 
ne  lui  pardonua  pas  de  long-temps,  et  cette 
I  raesintelligence  fut  dans  la  suite  tres-prejudi- 
ciable  aux  affaires  du  Roi.  II  fallut  partir  le 
lendemain  de  I'arrivee  du  marecbal ,  dont  la 
colere  augmentant  sur  les  plaintes  que  les  habi- 
tans  lui  lirent  contre  quelques  soldats  ,  il  suivit 
la  marcbe  des  troupes,  accompagne  de  ses 
gardes,  a  la  tete  desquels  il  cbargeoit  les  trai- 
neiirs,  comme  s'ils  eussent  ete  ennemis,  et 
continuant  ce  manege  jusqu'au  quartier  des 
gendarmes ,  qui  n'eloient  point  encore  ni  en 
ordre  ni  en  marcbe ,  un  de  la  compagnie  du 
comte  de  Bristol ,  nomm^  Manwaring ,  qui  ne 


d'yorck.  [1062]  559 

le  connoissoit  pas ,  voyant  la  violence  avec  la- 
quelle  il  frappoit ,  crut  que  c'etoient  les  enne- 
mis, et  lui  presenta  le  pistolet  dans  le  ventre 
dont  I'amorce  ,  beureusement  pour  I'un  et  pour 
I'autre,  manqua  :  le  pauvre  gendarme  fut  bless6 
de  cinq  ou  six  coups  et  couche  par  terre ,  mais 
il  en  guerit.  Eerkeley,  cornette  de  la  meme 
compagnie,  en  fut  quitte  a  meiileur  marche  ; 
le  grand  bru't  que  faisoit  le  marecbal  lui  fit 
croire,  aussi  bien  qu'a  Manwaring,que  les  enne- 
mis etoient  entresdans  la  ville;  il  avanca  le  pis- 
tolet a  la  main  au  coin  de  la  rue;  mais  recon- 
noissant  le  marecbal ,  il  le  baissa  aussitot  et  Ic 
salua,  et  comme  il  en  etoit  connu  ,  il  se  tira 
mieux  d'afiaire  que  le  gendarme. 

On  arriva ,  le  soir,  a  un  petit  village  appelle 
Villotte  ;  le  lendemain  on  marcha  aThionville  , 
entre  Bar  et  Ligni.  Le  meme  soir  on  envoya  un 
detachement  de  cavalerie  et  d'infanterie  avec 
du  canon  ,  et  toutes  les  choses  necessaires  pour 
attaquer  cette  derniere  place ;  on  eleva  d'abord 
la  batterie  plus  pres  que  demie-portee  du  mous- 
quet  desmurailles ;  on  fit  des  tranchees  a  droite 
et  a  gauche  pour  mettre  finfanterie  a  couvert , 
et  un  epaulement  pour  la  surete  de  la  cavalerie : 
tons  ces  ouvrages  furent  perfectionnes  avant  le 
lever  du  soleil.  Les  batteries  commencerent  aus- 
sitot atirer;  il  y  eut  une  breche  raisonnable 
avant  la  nuit;  la  difficulte  etoit  de  passer  le 
fosse  qui  etoit  plein  d'eau ,  profond  et  si  large, 
que  le  debris  de  la  breche  n'avoit  pu  le  combler  : 
on  ne  laissa  pas  de  donner  I'assaut ,  et  a  force 
de  planches,  d'echelleset  de  longues  poutres  , 
on  passa  le  fosse,  et  on  arriva  a  la  breche,  que 
I'ennemi  abandonna  aussitot  pour  se  retirer 
dans  le  chateau  ,  qui  etoit  plus  fort.  Le  lende- 
main M.  de  Turenne  marcha  avec  ses  troupes 
a  Bar-le-Duc  ,  laissant  M.  de  La  Ferte  avec  les 
sieunes  au  siege  du  chateau  de  Ligni. 

La  meme  nuit  qu'on  arriva  a  Bar,  on  dressa 
une  batterie  contre  la  basse  ville  ,  a  la  faveur 
de  quelques  maisons  qui  etoient  presque  sur  le 
bord  du  fosse  ,  n'y  ayant  qu'un  t res-petit  che- 
min  entre  deux  :  le  canon  tira  des  le  matin ,  et 
quoiqu'il  fut  petit  et  en  petit  nombre ,  n'y  en 
ayant  que  deux  de  douze,  un  de  huit  et  deux  de 
six  livres  de  balle,  comme  les  pieces  etoient 
renforcees,  et  qu'on  pouvoit  leur  donner  double 
charge,  M.  de  Champfort ,  lieutenant  d'artille- 
rie,  en  fit  un  si  bon  usage,  qu'au  coucher  du 
soleil  il  y  eut  uue  bonce  breche. 

Le  regiment  de  Picardie  devoit  y  donner  I'as- 
saut sous  les  ordres  de  M.  de  Tot,  le  plus  an- 
cien  lieutenant-general  de  France ,  et  le  seul 
qui  etoit  dans  cette  armee.  La  breche  etoit 
contre  la  porte  a  la  droite  en  entrant ,  qui  n'e- 


5(iO 


MEMOIKF.S    L)U    DIG 


toil  flanquee  que  de  deux  petites  tours  rondes 
qui  etoient  a  cote  :  on  prefera  de  battre  cet  en- 
droit  a  tout  autre,  pour  n'avoir  point  I'embarras 
de  combler  le  fosse,  et  paree  qu'il  auroit  fallu 
faire  ailleurs  uue  plus  giniide  breche,  qui  eut 
emporte  plus  de  temps  qu'on  ue  vouloit  y  em- 
ployer, au  lieu  que  par  la  on  avoit  la  facilite  de 
passer  le  fosse  sur  ie  pont  de  la  place,  et  de 
sauter  en  bas  ou  etoit  le  pont-levis  du  guichet, 
d'oii  on  se  pouvoit  couler  le  long  de  la  muraille 
pour  aller  a  la  breche  qui  n'etoit  pas  loin. 

Tout  etant  ainsi  dispose ,  M.  de  Turenne  fit 
tirer  deux  ou  trois  decharges  de  son  canon  sur 
la  tour  de  la  porte,  qui  seule  defendoit  la  breche, 
et  dont  la  ruine  auroit  rendu  I'attaque  plus  ai- 
see.  M.  de  Tot ,  qui  eut  ordre  de  la  commencer, 
au  lieu  de  faire  marcher  d'abord  les  gens  com- 
niandes  et  de  rester  lui-meme  avec  le  corps  du 
detachement,  comme  il  avoit  bu ,  suivant  sa 
coutume ,  unpen  trop  pour  un  commandant, 
il  suivit  le  sergent  qui  menoit  la  tete  de  I'at- 
taque; en  sautant  de  la  petite  porte  du  guichet, 
il  fut  tue  d'un  coup  de  mousquet.  Cette  place 
etoit  fatale  aux  ivrognes  ;  mais  le  due  d'Yorck 
rend  cette  justice  a  la  nation,  d'assurer  que  le 
pauvre  M.  de  Tot  a  ete  le  seul  officier  francois 
qu'il  ait  jamais  vu  ivre  dans  les  armees.  Cet 
accident  ne  tarda  rien  :  les  attaquans  passerent 
a  la  file  par  le  guichet,  et  arrivant  a  la  breche 
nialgre  le  feu  des  ennemis  ,  que  le  canon  ne  put 
point  deloger  de  la  tour  de  la  porte ,  ils  empor- 
terent  non  seulement  la  breche,  mais  les  chas- 
serent  encore  des  barricades  qu'ils  avoient  faites 
derriere  et  dans  les  rues ,  les  poursuivant  jus- 
qu'a  la  \ille  haute. 

Un  accident  qui  arriva  au  gouverneur,  qui 
s'appelloit  Despiller,  contribua  beaucoup  a  la 
prise  de  cette  basse  ville  :  ne  croyant  pas  qu'on 
voulut  donner  I'assaut  ce  soir-Ia ,  il  etoit  reste 
a  la  ville  haute;  mais  le  bruit  de  I'attaque  I'ayant 
oblige  d'y  venir,  et  faisant  marcher  deux  cens 
homraes  pour  fortifier  ceux  qui  defendoient  le 
poste ,  son  cheval  s'abbatit  en  descendant  a  la 
basse  ville,  et  lui  meurtrit  si  violemment  la 
jambe  ,  qu'il  fut  contraint  de  se  faire  porter  en 
haut.  On  ne  perdit  pas  beaucoup  de  monde  a 
cetassaut;  il  n'y  eut  personne  de  remarque, 
outre  M.  de  Tot ,  que  le  marquis  d'Angeau  ,  vo- 
lontaire ,  qui  fut  tue ;  M.  Poliac ,  premier  capi- 
taine  de  Picardie  ,  qui  commandoit  le  regiment 
en  I'absence  des  officiers  majors ,  eut  un  coup  de 
mousquet  dans  I'epaule  ,  et  Godonviller,  capi- 
taine  au  meme  regiment,  en  recut  un  dans  le 
ventre;  ils  en  guerirent  tons  deux. 

Le  cardinal  Mazarin  arriva  au  camp  ce  jour- 
la  ,  et  y  amena  un  renfort  de  troupes  qui  avoient 


D'vor.cK.  [1G52] 

eletirees  dediverses  places,  et  etoient  coraman- 
dees  par  le  due  d'Elbeuf  et  le  raarechal  d'Au- 
mont.  Le  cardinal  vit  prendre  la  basse  ville, 
qui  servit  de  pen  pour  la  prise  de  la  ville  et  du 
chateau  ,  et  qu'on  n'attaqua  que  pour  y  mettre 
finfanterie  a  convert ,  la  saison  etant  trop  ri- 
goureuse  pour  camper  :  on  y  trouva  abondance 
de  vin  et  de  pain,  dont  on  avoit  grand  besoin. 
Pour  la  cavalerie ,  elle  fut  mise  en  de  bons 
quartiers  dans  le  pays,  aux  environs  et  assez 
pres  de  la  ville. 

Quoique  la  gelee  fiit  violente  ,  le  prince  de 
Conde  resolut  de  tenter  le  secours  de  la  place; 
on  fut  averti  de  bonne  heure  de  sa  marche,  et 
il  fut  arrete  par  le  cardinal  et  les  generaux  que 
j\L  de  Turenne  et  M.  de  La  Ferte  marcheroient 
au-devant  de  I'ennemi  avec  la  plupart  de  la  ca- 
valerie ,  environ  trois  mille  fantassins  et  six 
pieces  de  campagne ,  et  que  le  cardinal  les  sui- 
vroit  a  quelquedistance,  pendant  que  MM.  d'El- 
beuf et  d'Aumont,  avec  le  reste  des  troupes, 
continueroient  le  siege. 

On  apprit  que  les  ennemis  venoient  par  le 
chemin  de  Vaubecourt ,  qui  n'est  eloigne  que 
de  cinq  lieues  de  Bar-le-Duc.  L'armee  du  Roi 
marcha  a  eux  ;  M.  de  Turenne,  conduisant 
I'avant-garde ,  avanca  jusqu'a  Condit  qui  n'est 
qu'a  une  lieue  et  deraie  de  Vaubecourt.  Dans  le 
moment  que  les  premieres  troupes  y  entrerent 
pour  y  prendre  leurs  quartiers,  on  eut  avis,  par 
un  parti  qui  amena  des  prisonniers  ,  que  le 
prince  de  Conde  etoit  nouvelleraent  arrive  dans 
Vaubecourt,  oil  il  devoit  rester  lanuit,  ne  sea- 
chant  point  qu'on  etoit  si  proche ;  M.  de  Turenne 
en  envoya  aussitot  avertir  le  marechal  de  La 
Ferte ,  et  lui  dire  qu'il  etoit  de  sentiment  d'al- 
ler  immediatcment  attaquer  les  ennemis,  qu'on 
trouveroit  assurement  en  grand  desordre ;  que 
le  quartier  etant  rempli  de  vin  et  de  toutes 
sortes  de  provisions,  les  commandans  pour- 
roient  difficilement  rassembler  leurs  troupes  et 
faire  monter  les  cavaliers  a  cheval ,  et  que  leur 
surprise  seroit  si  grande  de  se  trouver  attaques 
dans  le  temps  qu'ils  croyoient  l'armee  du  Roi 
bien  loin  ,  qu'on  obtiendroit  une  victoire  aisee  : 
mais  au  lieu  de  consentir  a  cette  proposition,  il 
vint  lui.-meme  dire  a  M.  de  Turenne  qu'il  ne 
croyoit  pas  qu'il  convint  d'entieprendre  une 
affaire  de  si  grande  importance  sans  la  partici- 
pation du  cardinal ,  qui  n'etoit  pas  loin  ,  et  qu'il 
etoit  d'avis  qu'il  falloit  I'en  avertir  pour  rece- 
voir  son  consenlement  avant  de  rien  faire.  M.de 
Turenne  fut  oblige,  malgre  lui  de  prendre  ce 
parti  :  on  depecha  un  expres  au  cardinal  pour 
I'informer  de  vive  voix  de  la  belle  occasion  qui 
se  presentoit;  il  le  renvoya  en  diligence  porter 


MEMOlllES    1>U    DIH:    d'\ORCK.    (llio'i] 


soneonsentemcnt;  mais  quoiqu'il  ne  fut  eloigne 
que  d'uiie  iieue  ou  deux  tout  au  plus,  i'occasion 
se  perdit ,  car  dans  le  raomeut  qu'on  marchoit 
aux  ennemis ,  un  autre  parti  rapporta  qu'il  y 
avoit  lieu  de  eroire  que  le  prince  avoit  decampe , 
parce  que  le  bourg  etoit  tout  en  feu  et  que  la 
garde  avancee  ne  paroissoit  plus.  On  reconnut , 
en  avancant,  que  Vaubecourt  briiloit  effective- 
ment,  et  un  autre  parti  confirma  que  les  enne- 
mis seretiroient  avec  une  extreme  precipitation; 
sur  quoi  M.  de  Turenne  rebroussa  cbemin  pour 
ramener  les  troupes  dans  leur  quartier,  ne  ju- 
geant  pas  a  propos  d'avancer  plus  loin.  Le  len- 
demain  on  apprit  par  des  habitans  de  Vaube- 
court que  le  prince  de  Coude,  ayant  ete  informe 
de  I'approche  de  M.  de  Turenne ,  fit  battre  la 
generale  et  sonner  a  cheval ,  et  que  ,  voyant  le 
peu  de  diligence  que  faisoient  ses  troupes  pour 
quitter  un  si  bon  gite ,  il  fit  mettre  le  feu  a 
chaque  coin  du  bourg  pour  les  faire  deloger 
plus  promptement.  Ce  danger  echappe  si  heu- 
reusement  le  rendit  plus  circonspect  dans  la 
suite ;  il  ne  jugea  pas  a  propos  de  rcster  plus 
long-temps  dans  ce  pays- la  ,  voyant  que  I'armee 
du  Roi  etoit  assez  nombreuse  pour  continuer 
deux  sieges  a  la  fois ,  et  venir  en  merae  temps 
avec  la  moitie  des  troupes  a  sa  rencontre. 

Quand  on  fut  informe  que  les  ennemis  avoient 
tout  a  fait  vuide  le  pays ,  M.  de  La  Ferte  re- 
tournaa  Bar  avec  la  plupart  de  i'infanterie  et 
une  partie  de  la  cavalerie,  et  M.  de  Turenne 
mit  le  reste  en  quartiers  a  Contrusson ,  Revi- 
gny-aux-Vaches,etautres  villages  quin'etoient 
qu'a  quatre  lieues  de  Bar.  Le  cardinal  prit  son 
quartier  dans  le  village  de  Fains,  a  une  Iieue 
de  laville;  il  y  resta  durant  le  siege,  qui  ne 
dura  plus  long-temps  apres  la  retraite  du  prince 
de  Conde.  Les  assiegeans  souffrirent  neanraoins 
qu'on  fit  deux  breches  avant  de  parler  de  se 
rendre;  a  la  premiere  qu'on  crut  insultable,  les 
soldats  trouverent  en  y  montaut  a  I'assaut,  qu'il 
y  avoit  de  I'autre  cote  une  pique  de  profondeur 
qu'on  ne  pouvoit  point  sauter ,  ce  qu'on  n'avoit 
pu  discerner  de  dehors.  On  fut  oblige  de  dres- 
*  serunenouvelle  batterie  du  cote  du  chateau,  ou, 
apres  avoir  fait  une  breche  assez  considerable, 
les  assieges  capitulerent ,  rendirent  la  ville 
haute  et  le  chateau  ,  et  deraeurerentprisonniers 
de  guerre.  Ceci  arriva  vers  le  15  de  decem- 
bre.  On  pent  tirer  de  I'inutilite  de  la  premiere 
breche  dont  on  vient  de  parler ,  une  lecon  dont 
les  gouverneurs  de  places  peuvent  profiter  pour 
les  defendre  :  Tart  pent  faire  ce  que  fait  ici  la 
nature  du  terrain;  car  si  une  muraille  est  rai- 
sonnablement  forte  et  a  de  bons  fondemens,  on 
peut  couper,  derriere  I'endroit  qui  est  battu  en 

III.    C.    D.    M.,    T.    HI. 


breche,  un  fosse  bien  profond  et  escarpe,  (jui 
la  rendra  inutile  aux  assiegeans. 

II  se  trouva  parmi  les  troupes  que  M.  de  Lor- 
raine avoit  mises  en  garnison  dans  Bar-le-Duc,un 
regiment  irlandois  d'infanterie  ,  qui  se  voyoit 
en  danger  de  resler  long-temps  prisonnier  de 
guerre,  leur  colonel  etant  niort  le  jour  que  la 
place  s'etoit  rendue  ;  le  lieutenant-colonel,  qui 
se  sauva,  envoya  offrir  ses  services  au  due 
d'Yorck,en  cas  qu'il  obtint  du  cardinal  la  liberte 
du  regiment,  ce  qui  avoit  ete  accorde  :  les  deux 
compagnies  dont  il  etoit  compose ,  avec  tons 
les  officiers  ,  furent  incorpores  dans  le  i-egiment 
de  ce  prince  qui  etoit  a  Ligni ,  ou  ils  furent  en- 
voy es. 

Apres  la  prise  de  Bar-le-Duc ,  les  troupes  du 
marechal  de  La  Ferte  marcherent  a  Ligni  pour 
hater  la  prise  du  chateau ,  dont  le  siege  avoit 
ete  pousse  lentement  pendant  que  I'autre  duroit : 
on  coramencoit  a  battre  en  breche ;  mais  avant 
qu'elle  fut  suffisante,  les  boulets  mauquans,  les 
assieges  en  fortifierent  le  haut  d'une  forte  pa- 
lissade.  Alors  M.  de  La  Ferte  fit  attacher  le 
mineur  au  meme  endroit  oil  les  mines  de  la 
muraille  favorisoient  son  logement ;  en  peu  de 
temps  sa  mine  fut  prete  a  jouer  :  les  regimens 
d'Yorck  et  de  Douglas  furent  commandes  pour 
attaquer  aussitot  qu'elle  auroit  fait  son  effet,  et 
le  regiment  de  La  Ferte  avoit  ordre  de  les  soute- 
nir.  Lecomte  d'Estree,  qui  commandoit  I'atta- 
que ,  fit  marcher  sans  attendre  que  la  fumee 
fut  dissipee  pour  voir  I'effet  de  la  mine  :  on 
passa  sur  la  glace  le  fosse  qui  etoit  fort  large ; 
quand  on  vint  a  la  breche  on  s'appercut,  mais 
trop  tard,  que  la  mine  n'avoit  emporte  la  partie 
exterieure  de  la  muraille  que  jusqu'a  I'endroit 
que  les  assieges  avoient  palissade  ;  il  n'y  avoit 
pas  moyen  d'avancer  ;  on  fit  retirer  les  trou- 
pes ,  mais  par  surcroit  de  malheur  la  glace 
rompit  sous  les  pieds  des  soldats  ;  la  plupart 
toraberent  dans  I'eau  du  fosse,  ce  qui  donna  loisir 
aux  assieges  de  faire  grand  feu  sur  eux.  Ainsi , 
faute  d'un  peu  de  patience  pour  reconnoitre  I'et- 
fet  de  la  mine,  le  regiment  d'Yorck  perdit  qua- 
tre capitaines,  quelques  lieutenans  et  enseignes 
et  environ  cent  soldats;  et  celui  de  Douglas, 
deux  capitaines  et  pres  de  cinquante  soldats, 
sans  les  blesses.  On  attacha  la  nuit  le  mineur 
pour  la  seconde  fois,  et  le  lenderaain,  22,  le 
chateau  capitula  et  se  rendit  aux  memes  con- 
ditions que  Bar-le-Duc. 

Le  cardinal,  que  ces  succes  mettoient  en  gout, 
souhaitta  de  les  pousser  plus  loin  ,  et  qu'on  ter- 
minat  la  campagne  par  la  prise  de  Sainte-Me- 
nehoult.  Apres  avoir  laisse  de  bonnes  garnisons 
dans  Ligni  et  Bar-le-Duc ,  et  en  avoir  repare  les 

3G 


;(;2 


MKMOiRES    UU    DUG    o'vORCK.    [1G.';3] 


hieclu's  aiitant  que  la  saison  le  pouvoit  per- 
meltre ,  I'armce  parlit  de  Contrusson  le  27, 
et  arriva  le  leiulemain  a  Sommyeure  ,  ou  ellc 
rcsla  jusqu'au  30.  On  etoit  oblige  diirant  cette 
marche  de  cantonner  les  troupes  dans  Ics  villa- 
ges ,  la  rigueur  de  I'hiver  ne  permettant  pas  de 
camper.  La  gelee  fut  si  violente  le  jour  qu'on 
arriva  a  Sommyeure,  que  les  cavaliers  furent 
obliges  de  marcher  a  pied  pour  s'echauffcr  : 
trcnte  ou  quarante  soldats  perirent  ce  jour-lade 
I'exces  du  froid;  car  aussitot  que  quelqu'un  de 
ceux  qui  n'etoient  pas  bien  vetus  s'asseyoit  pour 
se  reposer,  le  froid  iesaisissoit ,  etil  ne  pouvoit 
plus  se  relever  :  le  due  d'Yorck  en  vit  plusieurs 
geles  a  mort ,  et  il  en  seroit  peri  un  bien  plus 
grand  nombre  sans  le  soin  que  prirent  les  offi- 
ciers  de  faire  mettresur  des  chevaux  ceux  qu'ils 
voyoient  prets  a  succomber  ,  pour  les  porter 
jusqu'aux  premiers  villages,  ou  on  en  sauva 
plusieurs  en  leur  donnant  de  I'eau  de  vie  ou 
d'autres  liqueurs.  Ce  qui  rendoit  ce  froid  plus 
vif  et  plus  penetrant ,  c'est  qu'on  niarchoit  dans 
ces  vastes  plaines  de  Champagne,  ou  11  n'y 
avoit  aucun  abri  contre  un  vent  de  nord-est 
percant  qui  souffloit  directement  au  Yisage  : 
ce  fut  aussi  ce  qui  empecha  le  siege  de  Sainte- 
Menehoult. 

M.  de  Turenne  representa  au  cardinal  les  dif- 
ficultes  qu'il  y  avoit  pour  I'entreprendre  dans 
un  temps  si  cruel,  qu'on  ne  pouvoit  pas  y  trou- 
ver,  comme  a  Bar  et  a  Ligni,  ou  mettre  I'infante- 
rie  a  convert ,  ni  du  fourage  aux  environs  pour 
la  cavalerie  ,  puisqu'il  n'y  avoit  point  de  faux- 
bourgs,  etque  le  pays  avoit  ete  mange  par  les 
cnnemis;  que  la  place  etant  bonne  et  munie 
d'une  grosse  garnison ,  il  faudroit  y  mettre  le 
siege  dans  les  formes  ,  et  qu'au  lieu  de  terminer 
glorieusement  la  campague ,  on  hazardoit  la 
ruine  entiere  de  I'armee  et  de  lever  honteuse- 
ment  le  siege. 

[1653]  Le  cardinal  se  rendit  enfin  a  de  si  fortes 
raisons  ,  marcha  du  cote  de  Rhetel  par  Miocour 
et  de  Grivy ;  et  le  premier  jour  de  I'annee  1 653 
on  passa  la  nuit  a  Attigny ,  qui  est  situee  sur 
la  riviere  d'Aisne,  qu'on  passa  le  lendemain 
pour  venir  a  Saux-aux-Bois.  On  trouva  I'eu- 
treprise  de  Rhetel  presqu'aussi  difficile  que 
celle  de  Sainte-Menehoult;  ce  qui  fit  prendre 
le  parti  d'attaquer  Chateau  -  Porcien ,  deux 
lieues  plus  has,  parce  qu'on  y  trouvoit  les 
memes  fucilitcs  qu'au  siege  de  Bar-le-Duc ,  n'y 
ayant  que  le  chateau  qui  fut  de  defense ,  et  la 
\ille  ,  qu'on  comptoit  enlever  d'abord,  pouvant 
contenir  et  mettre  a  couvcrt  assez  de  troupes 
pour  en  faire  le  siege. 

M.  de  Turenne  arriva  le  6  Janvier  a  Son, 


ou  il  mit  en  quartierseldans  Ics  villages  circon- 
voisins  la  plupart  de  la  cavalerie  et  une  parlie 
de  son  infanterie  :  il  n'y  a  qu'une  lieue  et  demie 
de  la  a  Chateau-Porcien  ,  et  c'etoit  le  posle  le 
plus  propre  pour  empecher  qu'on  ne  jeltat  du 
secours,  et  le  cardinal  logea  a  Balhan.  Le  due 
d'Yorck  n'ayant  pas  ete  tout  le  temps  a  ce  siege, 
il  n'en  sera  point  fait  ici  de  detail ,  et  on  ne  rap- 
portera  que  ce  qui  se  passa  aux  quartiers,  oil  le 
service  fut  rude ,  a  cause  de  I'approche  du 
prince  de  Conde ,  qui  vint  pour  taclier  de  faire 
lever  le  siege.  Pour  Ten  empecher,  toute  la  ca- 
valerie qui  etoit  cantonnee  aux  environs  de  Son 
avoit  ordre  dy  marcher  tons  les  soirs ,  d'y  res- 
ter  toute  la  nuit,  et  de  rentrer  dansses  quartiers 
apres  le  lever  du  soleil :  la  cavalerie  du  mare- 
chal  de  La  Ferte  faisoit  la  meme  chose  ,  et  cette 
manoeuvre  fatiguante  dura  autant  que  le  siege, 
qui  heureusement  ne  fut  pas  bien  long.  La  ville 
ayant  ete  prise  d'abord ,  on  ne  tarda  point  a 
attacher  le  mineur  au  chateau  ;  quand  la  mine 
fut  prete,  le  gouverneur,  qui  s'appelloit  Dubuis- 
son ,  capitula  et  convint  de  rendre  la  place 
dans  quatre  jours,  si  elle  n'etoit  pas  secourue. 
Les  ennemis,  qui  en  furent  avertis,  s'avancerent 
jusqu'a  Chaumont  pour  tenter  le  secours :  on 
crut  le  dernier  jour  qu'on  en  viendroit  aux 
mains;  les  partis  rapporterent qu'ils  marchoient 
pourattaquer  les  troupes  du  Roi ;  on  les  mit  en 
bataille  dans  le  passage  sur  la  plaine  au-dessus 
du  chateau;  elles  y  resterent  jusqu'a  midi, 
qu'on  apprit  que  I'ennemi  s'etoit  retire  ,  et  une 
heure  apres  le  chateau  se  rendit ,  suivant  la  ca- 
pitulation ,  que  la  rigueur  de  la  saison  procura 
plus  honorable  a  la  garnison  qu'elle  n'eut  ete 
dans  uu  autre  temps  ;  elle  fit  souhaiter  d'avoir 
la  place  a  quelque  prix  que  ce  fiit ,  toute  I'armee 
etant  extraordinairement  fatiguee ,  et  le  pays 
aux  environs  ruine.  L'infanterie  souifroit  plus 
que  le  reste  ;  on  ne  pouvoit  lui  fournir  regu- 
lierement  le  pain  ;  le  commissaire  des  vivres 
n'avoit  pu  faire  de  magasins  dans  aucune  des 
\illes  voisines,  et  le  soldat  etoit  contraint  de 
manger  de  la  chair  de  cheval ,  d'autres  mechan- 
tes  nourritures,  et  particulierement  des  troncs 
de  choux ,  qu'ils  appelloient  le  pain  du  car- 
dinal. 

Cependant  lorsqu'ils  crurent  entrer  dans  les 
quartiers  d'hiver,  apres  avoir  passe  I'Aisne  le 
13,  et  avoir  ete  cantonnes  a  Poilcourt  ct 
dans  les  villages  voisins  ,  ensuite  a  Prouiili  en- 
tre  Rheims  et  Fismes ,  ou  on  demeura  deux  ou 
trois  jours ,  le  cardinal  ordonnaque  I'armee  rc- 
tournat  du  cote  de  I'Aisne,  qu'elle  passat  le 
20  a  Pont-a-Vere  pour  aller  reprendre  Ver- 
vins,  dont  les  Espagnolss'etoient  cmparcsrete 


I 


!V1K MOIRES    DU    DliC 

precedent  et  y  avoieut  mis  garnison.  La  place 
n'etoit  pas  assez  forte  pour  soutenir  im  siege, 
raais  le  quarlier  etoit  bon  et  pouvoit  incommo- 
der  ie  pays  d'alentour ,  ce  qui  fit  souhaitter  au 
cardinal  qu'on  ne  quitlat  point  la  campagne 
qu'eile  nc  fut  prise.  Jamais  soldats  ni  officiers 
meme  ne  mareherent  a  une  entreprise  avec 
plus  de  repugnance  et  de  murmures  :  apres 
a\oir  supporte  toute  la  rigueur  de  la  gelee,  on 
ne  pouvoit  soutenir  que  bien  impatiemment  la 
fatigue  du  degel  ,  au  travers  d'un  pays  mon- 
tueux,  dont  la  terre  glaise  rendoit  les  chemins 
iinpraticables,  particuiierement  entre  Pont-a- 
Vere  et  Laon ,  oil  les  bagages  resterent  dans  la 
boue ;  et  quoiqu'apres  avoir  surraonte  ces  diffi- 
eultes  on  entrat  dans  un  pays  plus  ouvert ,  la 
continuation  du  degel  rendit  les  chemins  egale- 
ment  mauvais  partout.  Cette  marche  ruina  la 
plupart  des  equipages  et  fit  perdre  beaucoup  de 
bagages  et  de  chevaux. 

On  arriva  le  25  a  Voulpaix,  a  une  lieue 
de  Vervins.  Leduc  d'Yorck,  qui  suivoit  M.  de 
Turenne  partout ,  etant  alle  avec  lui  recon- 
noitre la  place ,  et  s'etant  avance  fort  pres 
avec  un  gentilhomme  pour  mieux  faire  ses  re- 
marques  ,  il  prit  un  petit  parti  de  cavalerie  de 
la  place  pour  etre  de  I'armee,  et  ne  reconnut 
son  erreur  que  quand  les  ennemis  etant  appro- 
ches  a  la  portee  du  pistolet ,  ils  tirerent  dans  le 
moment  qu'il  alloit  s'engager  au  milieu  d'eux; 
mais  leur  precipitation  lui  donna  le  temps,  et  au 
gentilhomme  qui  Taccompagnoit,  de  se  sauver. 

Le  lendemain  ,  on  detacha  environ  mille  fan- 
tassins  et  deux  cens  chevaux  pour  commencer 
I'attaque  de  la  place,  dont  la  garnison  etoit  de 
neuf  cens  horames ,  six  cens  d'infanterie  et 
trois  cens  de  cavalerie.  M.  de  Bassecour ,  colo- 
nel et  brave  homme ,  en  etoit  gouverneur.  Les 
assiegeans  se  logerent  la  premiere  nuit  a  convert 
des  maisons  et  des  jardins  qui  sont  contre  la 
ville  ;  le  jour  suivant  on  dressa  une  batterie  sur 
le  soir ,  ce  qui  obligea  les  ennemis  de  capituler , 
a  condition  de  sordr  de  la  place  avec  armes  et 
bagages. 

Ce  petit  siege  couta  pen  ou  point  de  monde : 
quoiqu'il  fut  fort  court,  on  murmuroit  toujours 
de  ce  qu'apres  la  prise  de  Chateau -Porcien  on 
n'avoit  pas  envoye  les  troupes  directement  en 
quartier  d'hiver  ;  et  comme  I'ennemi ,  suivant 
sa  coutume  ,  disoit  des  injures  du  haut  des  mu- 
railles  de  Vervins  contre  le  cardinal,  les  sol- 
dats ,  au  lieu  de  prendre  son  parti ,  ne  repon- 
dirent  jamais  qu'Amen  a  toutes  leurs  impreca- 
tions. Le  28  au  matin,  M.  de  Turenne  ayant 
vu  sorlir  Bassecour  avec  sa  garnison  ,  et  ayant 
pris  possession  de  la  place  ,  fit  marcher  I'ar- 


d'yOHCK.      [|().>3]  5(;3 

mee  a  Creci-sur-Serre  et  de  la  a  Laon  d'ou 
toutes  les  troupes  furent  envoyees  a  leurs  quar- 
tiers  d'hiver;  et  le  cardinal,  les  generaux  et 
toutes  les  personnes  de  qualite  prirent  le  che- 
min  de  Paris ,  ou  iis  arriverent  le  3  fevrier. 
C'est  ainsi  que  finit  cette  longue  campagne ,  pen- 
dant laquelle  M.  de  Turenne  acquit  une  gloire 
immortelle,  en  sauvant  plusieurs  fois  la  mo- 
narchic par  ses  conseils ,  par  sa  conduite  et  par 
sa  valeur. 

La  campagne  precedente  ayant  ete  si  penible 
et  si  longue ,  celle  de  cette  annee  ne  put  com- 
mencer que  tard  :  I'armee  du  Roi  etoit  entree  la 
derniere  dans  ses  quartiers  d'hiver  ,  et  la  plu- 
part des  troupes  avoient  ete  distribuees  dans  le 
Poitou,  I'Anjou,  la  Marche  et  dans  d'autres 
provinces  aussi  eloignees :  neanmoins  elle  pre- 
vint  les  ennemis ,  et  fit  le  siege  de  Rethel  avant 
qu'ils  scussent  qu'elie  etoit  assemblee. 

Cette  ville  est  situee  sur  la  riviere  d'Aisne  qui 
arrose  une  partie  de  la  Champagne,  et  apres 
avoir  coule  dans  ces  plaines,  les  plus  vastes  qui 
soient  dans  cette  partie  de  I'Europe,  elle  perd 
son  uom  en  tombant  dans  la  riviere  d'Oise.  La 
place  etoit  considerable  alors  par  I'entree  qu'eile 
donnoit  aux  ennemis  dans  toute  cette  province 
et  la  facilite  de  pousser  leurs  courses  jusqu'au\ 
portes  de  Paris  ,  et  d'etendre  fort  loin  les  con- 
tributions; quoique  le  prince  de  Conde  en  eut 
confie  le  gouvernement  au  marquis  de  Persan  , 
fort  brave  officier,  et  que  la  garnison  parut  suf- 
fisante  ,  elle  ne  I'etoit  pas  a  proportion  de  I'im- 
portance  de  la  place  et  du  danger  oii  elle  etoit 
d'etre  attaquee :  mille  hommes  davantage  en 
auroient  rendu  le  siege  plus  difficile,  et  pou- 
voient  au  moins  la  faire  tenir  assez  long-temps 
pour  donner  celui  de  la  secourir. 

M.  de  Turenne,  profitant  de  cette  faute,  fii 
attaquer  brusquement  le  dehors  des  la  premiere 
nuit ,  lorsque  les  ennemis  s'y  attendoient  le 
moins.  Le  gouverneur  et  les  officiers  principau  v 
qui  y  etoient,  dans  le  dessein  d'observer  ou  les 
assiegeans  feroient  leurs  approches,  furent  si 
surpris  de  se  voir  insultez  de  tous  cotez  et  avec 
tant  de  vigueur,  qu'ils  ne  purentpas  faire  grande 
resistance;  les  dehors  furent  emportes,  et  le 
gouverneur  pensa  y  etre  pris  avant  qu'il  put  se 
retirer  dans  la  ville. 

Quoique  le  fosse  fut  bon  et  les  ouvrages 
hauts ,  comme  ils  n'etoient  que  de  terre ,  et  que 
les  palissades  n'etoient  plantees  que  sur  le  para- 
pet oil  elles  sont  le  moins  necessaires,  les  as- 
siegeans y  marchoient  plus  volontiers ,  parce 
que  ,  y  etant  une  fois  arrives ,  I'avantage  etoit 
egal  de  part  et  d'autre  pour  attaquer  comme  pour 
defendre,  et  le  plus  grand  nombre  I'emportoit: 

;]G. 


KM 


HKMOIRFS    nil    DUG 


on  y  perdit  cependant  plusieurs  soldals  et  qviel- 
ques  officiers.  Mais  les  assieges  ,  dont  toiite  I'es- 
perance  consistoit  dans  la  defense  des  dehors, 
nvoient  perdu  courage  apres  en  avoir  ete  chas- 
ses ;  on  eleva  ensuite  des  batteries  si  pres  des 
murailles,  qui  n'etoient  point  des  plus  fortes, 
([u'on  y  fit  en  peu  de  temps  deux  breches  qui 
obligerent  les  assieges  de  capituler  le  8  juil- 
let.  lis  sortlrent  le  lendemain  avec  armes  et  ba- 
gages,  et  furent  conduits  a  la  garnison  espa- 
gnole  la  plus  proche.  L'armee  resta  deux  ou 
trois  jours  pour  reparer  les  breches;  et  apres 
avoir  pourvu  la  ville  de  toutes  les  choses  ne- 
cessaires  ,  et  y  avoir  laisse  une  bonne  garnison , 
("lie  marcha  vers  Guise  sur  ce  qu'on  avoit  ete 
informe  que  les  ennemis  avoient  marque  leur 
rendez-vous  aux  environs.  Etant  campee  le 
1 1  aupres  de  Noircourt,  on  fut  averti  par  un 
oxpres  du  gouverneur  de  Rocroy ,  qu'une  par- 
tie  de  leur  armee,  qui  marchoit  au  rendez-vous, 
s'etoit  cantonnee  dans  plusieurs  villages  aux  en- 
virons de  Chimay  ,  Glajon  et  Terlon  ,  de  I'autre 
cote  des  Ardennes;  les  generaux  resolurent  de 
marcher  a  eux  avec  toutes  les  troupes  et  quel- 
ques  pieces  de  campagne,  ne  laissant  que  cinq 
ou  six  cens  hommes  pour  la  garde  des  bagages. 
M.  de  Turenne,  qui  conduisoit  I'avant-garde,  fit 
toute  la  diligence  possible  ;  niais  en  arrivant  a 
Nost,  presque  au  bout  de  laforet,  il  scut  par 
des  prisonniers  qu'un  petit  parti  lui  amena,  que 
les  ennemis  avoient  ete  avertis  de  son  dessein  et 
de  sa  marche :  ainsi  on  jugea  a  propos  de  retour- 
ner  a  Noircourt ;  et  apres  avoir  employe  trois 
jours  dans  cette  marche,  on  rejoignit  les  ba- 
gages le  quatorze. 

Toute  l'armee  marcha  le  17  a  Haris ,  et 
dela  a  Saint-Algis,  oii  le  roi  de,  France  et  le 
cardinal  Mazarin  la  joignirent ;  le  25  elle  cam- 
pa  a  Ribemont ,  et  on  apprit  que  l'armee  d'Es- 
pagne,  forte  au  moins  de  trente  mille  hom- 
mes, avec  une  artillerie  et  des  provisions  pro- 
portionnees,  s'etant  assemblee  aupres  de  I'Ar- 
bre-de-Guise  ,  marchoit  pour  entrer  en  France. 
II  se  tint  un  conseil  en  presence  du  Roi  et  du 
cardinal  pour  deliberer  sur  la  conduite  qu'on 
devoit  tenir  contre  une  armee  si  puissante ,  celle 
de  Sa  Majeste  n'etant  que  de  six  mille  fantassins 
et  d'environ  dix  mille  chevaux.  Plusieurs  opi- 
nerent  demiettre  toute  I'infanterie,  a  la  reserve 
d'un  detachement  de  mille  hommes,  dans  les 
villes  frontieres  ,  avec  quelque  cavalerie,  etque 
le  corps  de  cavalerie  et  le  detachement  d'infan- 
terie  seroient  toujours  aux  trousses  des  ennemis 
pour  enlever  leurs  fourrageurs,  leur  couper  les 
vivres  et  les  fatiguer  de  sorte  qu'ils  ne  pussent 
point  faire  le  siege ;  d'autres  au  contraire  etoient 


D'vOnCK.     |l()53] 

de  sentiment  qu'il  ne  falloit  point  separer  l'armee 
avec  laquelle  on  pourroit  defendre  le  passage  des  \ 
rivieres  ,  s'ils  avaneoient  dans  le  pays  ;  qu'il  se- 
roit  d'une  dangereuse  consequence  de  leur  lais- 
ser  prendre  le  chemin  de  Paris ,  qui  ne  venoit 
que  d'etre  reduit  a  I'obeissance  du  Roi ,  pen- 
dant que  Bordeaux  etoit  encore  en  rebellion. 

M.  de  Turenne  proposa  un  avis  contraire  a 
tons  deux  ;  il  jugeoit  que  le  premier  etoit  dan- 
gereux  ,  parce  qu'en  divisant  les  forces  les  en- 
nemis pouvoient  aisement  chasser  le  peu  qu'on 
en  auroit  en  campagne,  faire  tout  a  leur  aise 
le  siege  qu'il  leur  plairoit,  et  se  retrancher  de 
sorte  qu'avant  qu'on  put  avoir  rassemble  toutes 
les  troupes  ,  il  ne  seroit  plus  possible  de  les  for- 
cer ;  que  la  diversion  qu'on  entreprendroit  de 
faire  en  attaquant  une  de  leurs  places ,  devien- 
droit  inutile  ,  puisqu'ils  auroient  assez  de  temps 
pour  achever  leur  siege  et  venir  secourir  la 
place  que  les  troupes  du  Roi  auroient  attaquee, 
quelque  peu  considerable  qu'elle  put  etre.  A 
regard  du  second  ,  qu'il  n'etoit  pas  possible  de 
defendre  le  passage  des  rivieres  qpntre  une  ar- 
mee si  superieure  en  infanterie ;  que  cette  con- 
duite intimideroit  les  troupes,  qui  craindroient 
d'etre  forcees  dans  leurs  pos'es,  et  qu'elle  fe- 
roit  encore  un  bien  plus  meehant  effet  dans  Pa- 
ris et  dans  les  provinces;  que  son  sentiment 
etoit  qu'il  falloit  tenir  l'armee  enfiere  et  obser- 
ver les  ennemis  d'aussi  pres  qu'on  pourroit ,  de 
maniere  qu'on  put  eviter  le  combat ;  que  par  ce 
moyen  on  les  empecheroit  de  faire  aucun  siege 
de  consequence  ,  parce  qu'ils  n'oseroient  separer 
leurs  forces,  et  qu'avant  qu'ils  pussent  s'etre 
reti'anches  et  avoir  fait  leur  pont  de  communi- 
cation ,  on  choisiroit  par  ou  les  attaquer  ;  qu'il 
ne  croyoit  pas  qu'ils  eussent  dessein  d'entrer 
bien  avant  dans  le  pays  ,  parce  que  les  troupes 
du  Roi  etoient  en  etat  de  leur  couper  les  convois, 
sans  lesquels  il  leur  seroit  impossible  de  subsis- 
ter.  Ces  conseiisde  M.  de  Turenne  furent  sui- 
vis,  et  la  cour  s'etant  retiree,  on  les  mit  aussi- 
tot  en  execution. 

Les  Espagnols  avancerent  d'abord  entre  la 
Seine  et  I'Oise,  vinrent  camper  a  Fonsomme  et  a 
Fervaques.  Us  passereiit  le  premier  jour  d'aoust 
a  la  vue  de  l'armee  du  Roi ,  marchant  vers  Ham, 
la  Somme  a  leur  droite ;  et  ayant  campe  a  Saint- 
Simon  et  a  Clastres ,  ils  employerent  un  jour 
entier  a  passer  les  defiles.  M.  de  Turenne, a  leur 
approche  ,  fit  mcttre  l'armee  en  bataille;  et 
voyant  qu'ils  passoient  outre ,  il  la  fit  marcher  le 
long  de  la  riviere  aupres  de  laquelle  elle  etoit, 
jusqu'a  Mayot,  proche  La  Fere.  Le  lendemain 
on  travailla  tout  le  jour  a  faire  des  ponts  pour 
I'infanterie  et  des  passages  pour  la  cavalerie  , 


MEMOIRES   1)U    DUC    DVORCK.    [(65S] 


5tir> 


dans  le  dessein  de  passer  cette  riviere ,  si  les 
onnemis  avaucoient  davantage  dans  le  pays :  on 
scut  le  lenderaain  matin  qu'ils  marchoient  tou- 
jours  en  avant.  M.  de  Turenne  \'ouliit  recon- 
noitre iui-meme  quelle  route  ils  prenoient  avant 
de  passer  la  riviere ;  et  s'etant  avance  avec  mille 
chevaux  pour  mieux  penetrer  leur  dessein ,  il 
envoya  ordre  ensuite  a  toute  I'armee  de  le  suivre 
en  marchant  le  long  de  la  riviere ;  elle  cam- 
pa  le  3  aoust  a  Fargnier ,  etant  suflisarament 
eouverte  par  des  bois  du  eote  des  ennemis ;  et 
sur  ce  qu'on  apprit  qu'ils  s'etoient  avances  jus- 
qu'a  Roye ,  elle  raarcha  vers  Noyon  ,  ou  elle 
arriva  le  5.  On  apprit  que  Roye  avoit  ete  prise 
et  pillee ;  il  n'y  avoit  dedans  que  les  bourgeois 
qui  ne  laisserent  point  de  se  defendre,  et  ne  se 
rendirent  qu'apres  que  les  batteries  furent  dres- 
sees,  que  le  canon  eut  tire.  Le  i),  on  fit  avancer 
I'armee  a  Magny ,  oil  le  pays  etant  fort  cou- 
vert  et  serre,  il  n'y  avoit  rien  a  craindre.  De  la 
on  envoya  M.  de  Schomberg  avec  les  gen- 
darmes ,  au  norabre  de  deux  cent  cinquante 
chevaux  ,  et  cent  fantassins  pour  se  jeter  dans 
Corbie.  On  mit  aussi  trois  cens  bommes  dans 
Peronne,  et  ce  furent  les  seals  detachemens 
qu'on  envoya  dans  des  places  pendant  toute  la 
campagne. 

On  futinforme  que  les  ennemis  s'approchoieut 
de  Corbie,  sur  quoi  on  se  posta  le  10  a  Eper- 
ville ,  procbe  de  Ham ;  a  peine  y  fut-on  arrive 
qu'on  eut  avis  que  le  comte  de  Megen  devoit 
sortir  le  lendemain  de  Cambray  avec  trois  mille 
hommes  pour  conduire  aux  Espagnols ,  entre 
Peronne  et  Corbie  ,  un  grand  convoi  de  vivres  , 
des  pionniers  et  toutes  les  munitions  neces- 
saires  pour  un  siege.  L'armee  decampa  un  peu 
avant  le  coucher  du  soleil ,  passa  la  Somrae  a 
Ham  ,  et  raarcha  toute  la  nuit  dans  le  dessein 
d'intercepter  le  convoi.  Pour  faire  plus  de  dili- 
gence, la  cavalerie  prit  les  devans^  on  n'en 
laissa  que  fort  peu  avec  I'infanterie ,  qui  avoit 
ordre  de  suivre  avec  I'artillerie  et  les  bagages. 
La  cavalerie  arriva  a  Peronne  a  la  pointe  du 
jour  ;  on  en  tira  les  trois  cens  hommes  d'infan- 
terie  qu'on  y  avoit  jettes ,  et  tons  ceux  dont  la 
garnison  pouvoit  se  passer,  et  continuant  de 
marcher  vers  Rapaurae ,  on  fit  halte  a  deux  ou 
trois  lieues  de  cette  place,  et  on  envoya  des 
partis  vers  Cambray  pour  reconnoitre  la  marche 
du  convoi ;  mais  a  midi  ils  rapporterent  qu'il 
etoit  rentre  dans  la  place  ,  sur  ce  que  ,  peu  de 
temps  apres  en  etre  sorti ,  les  ennemis  avoient 
scu  que  les  troupes  du  Roi  venoient  a  eux.  On 
apprit  en  meme  temps  que  I'armee  espagnole 
s'etoit  avancee  vers  la  Somme  pres  de  Rray;  sur 
quoi  on  retourna  joindre  I'infanterie  au  village 


de  Manancouit,  oil  coule  un  petit  ruisseau  qui 
passe  par  Mont-Saint-Quentin  et  tombe  dans  la 
Somme  procbe  de  Peronne;  on  y  campa  la  nuit, 
et  ayant  eu  avis,  le  lendemain  12  au  matin  , 
que  les  ennemis  jettoient  des  ponts  sur  la  ri- 
viere le  long  de  laquelle  ils  campoient,  on  ju- 
gea  a  propos  de  se  retirer  un  peu  en  arriere ,  le 
long  du  meme  ruisseau,  a  Alesne,  pres  du 
Mont-Saint-Quentin,  dans  la  resolution  toutefois 
qu'en  cas  que  I'ennemi  passat  la  Somme,  on  pos- 
teroit  I'armee  un  peu  au-dessus  de  Manancourt , 
dans  un  lieu  que  les  deux  generaux  avoient 
marque  pour  la  mettie  en  bataille  des  que  I'en- 
nemi approcheroit.  Quoique  la  chose  eiit  ete 
ainsi  arretee  par  tons  deux,  elle  fut  changee 
par  I'un  sans  attendre  ra\is  de  I'autre.  M.  de 
Turenne,  suivant  sa  coutume,  sortit  de  son 
quartier  le  13  au  lever  du  soleil,  peu  accompa- 
gne  ,  pour  visiter  la  garde  de  cavalerie  qui  etoit 
de  I'autre  cote  du  ruisseau;  et  n'y  recevant  au- 
cune  nouvelle  des  partis  qu'il  avoit  envoyes  la 
nuit  pour  lui  rapporter  ce  qu'ils  decouvriroient 
des  mouvemens  des  ennemis,  il  alia  a  Peronne 
pour  y  detacher  des  partis  de  I'autre  cote  de  la 
Somme,  ne  croyant  pas  qu'il  fiit  possible  que 
les  ennemis  avancassent  vers  I'armee  du  Roi 
sans  en  avoir  ete  averti  par  Rapaume,  ou  par 
quelqu'un  de  ses  partis,  lis  avoient  neanmoins 
fait  tant  de  diligence  que  leur  avant-garde  avoit 
passe  Rapaume  avant  la  pointe  du  jour,  de  raa- 
niere  qu'il  ne  fut  pas  possible  aux  partis  qui  se 
trouverent  coupes  de  tous  cotez  ,  de  donner  au- 
cun  avis.  Les  gardes  avancees  de  M.  de  La 
Ferte  donnerent  la  premiere  alarme,  que  ce 
marechal  prit  si  chaudement,  qu'au  lieu  de 
marcher  pour  occuper  le  terrain  dont  on  etoit 
convenu  le  jour  precedent,  il  fit  marcher  I'aile 
gauche ,  qu'il  devoit  commander,  au  travers  de 
I'aile  droite,et  la  fit  aller  vers  Peronne,  pen- 
dant que  cette  derniere  commencoit  a  avancer 
vers  le  terrain  qui  lui  avoit  ete  marque.  Les 
choses  etoient  dans  ce  desordre  quand  M.  de 
Turenne  retourna  de  Peronne ,  lequel  trouvant 
que  M.  de  La  Ferte  rangeoit  sa  gauche  pres 
du  Mont-Saint-Quentin  ,  il  fit  avancer  son  aile 
droite  pour  la  joindre,  etant  trop  tardde  mar- 
cher au  premier  poste ,  parce  quo  les  enne- 
mis en  etoient  deja  fort  pres,  et  avancoient 
avec  d'autant  plus  de  joye  qu'ils  connoissoient 
I'avantage  qu'ils  avoient  de  trouver  I'armee  de 
France  en  plaine ,  ou  elle  ne  pouvoit  pas  eviter 
le  combat.  En  effet ,  elle  auroit  ete  infaillible- 
ment  battue  si  elle  y  fut  restee ;  car  quoique 
I'ordre  de  bataille  fiit  excellent ,  suivant  la  nou- 
velle methode  ,  la  seconde  ligne  etant  a  une 
distance  proportionnee  a  la  premiere ,  y  ayaiit 


or,  5 


11 II  bon  corps  de  reserve  de  douze  escadrons  et 
de  deux  batailloiis  derriere  le  tout,  et  Taile 
gauche  etant  rangee  au  pied  du  Mont-Saint- 
Quentin.  Cependant  les  ennemis  etant  beaucoup 
superieurs  en  nombre,  ils  pouvoient  prendre  la 
droite  en  flanc ,  le  premier  eseadron  de  cette 
aile  n'etant  qu'a  la  portee  du  pistolet  d'une  col- 
line,  dont  Tennemi  gagnant  la  hauteur  pouvoit 
la  desoler  de  son  canon  et  de  sa  mousqueterie , 
et  la  charger  ensuite  en  flanc. 

M.  de  Turenne  n'etoit  pas  le  seul  qui  con- 
noissoit  le  danger;  toute  la  droite  de  Tarmee 
en  etoit  dans  une  consternation  extreme,  et  ja- 
mais on  n"a  vu  une  craiute  d'etre  battu  plus 
universelle.  II  courut  aussitot  qu'ils'en  appercut 
a  M.  de  La  Ferte ,  pour  I'avertir  que  si  I'armee 
restolt  dans  cette  situation  elle  seroit  absolu- 
raeut  defaite ;  qu'ii  etoit  resolu  de  marcher  aux 
ennemis  au  haut  de  la  montagne ,  puisqu'on  ne 
pouvoit  etre  ailleurs  dans  un  terrain  plus  desa- 
vantageux  que  celui  oil  on  etoit ;  qu'il  n'y  avoit 
pas  d'autre  moyen  de  redonner  courage  aux  sol- 
dats  et  qu'il  le  prioit  de  le  suivre.  II  revint  im- 
mediatement  a  sa  droite,  a  la  tete  de  laquelle 
il  monta  aussitot  sur  la  hauteur ,  et  en  y  arri- 
vant  avec  les  premiers  escadrons,  il  en\ioya 
M.  de  Varenne,  ancien  officier  fort  experimente, 
qui  avoit  servi  sous  lui  dans  toutes  ses  ciimpa- 
gues  d'AUemagne ,  et  en  qui  il  avoit  beaucoup 
de  confiance ,  pour  reconnoitre  le  terrain  ou  on 
devoit  marcher.  A  peine  eut-on  avance  un  mille 
qu'il  rapporta  a  son  general  qu'il  avoit  decou- 
vert  un  poste  fort  avantageux  qui  n'etoit  pas 
elojgne.  M.  de  Turenne  y  fut,  et  trouva  qu'il 
etoit  tel  en  effet  que  I'ennemi  n'oseroit  I'y  atta- 
quer  :  il  y  avoit  sur  la  droite  un  ruisseau  qui 
vient  de  Roiset  et  tombe  dans  la  Somme  un 
pen  au-dessus  de  Peronne;  la  gauche  etoit  bor- 
nee  par  une  montagne  si  escarpee  qu'on  ne  la 
pouvoit  monter  ni  a  cheval  ni  a  pied  ,  et  la  di- 
stance entre  deux  ne  pouvoit  contenir  que  vingt 
ou  trente  escadrons.  II  y  avoit  devant  un  petit 
vallon  ,  et  du  cote  du  ruisseau  un  ravin  que  la 
cavalerie  n'auroit  pu  passer  qu'avec  peine ;  le 
village  le  plus  pres  s'appelle  Tincour  ou  Buires. 

La  difference  du  poste  changea  la  contenance 
dasoldat,il  reprit  sa  gayete  ordinaire ,  et  les 
ennemis  ne  Ty  auroient  pas  attaque  impune- 
nient ;  ear,-  quoiqu'ils  fussent  presque  deux  con- 
treun,  ontravailla  aussitot  a  cinq  redans,  dont 
chacun  pouvoit  contenir  cent  hommes,  et  on 
placa  toute  I'artillerie  de  maniere  que  les  enne- 
mis auroient  essuye  le  feu  de  trente  pieces  de 
canon  avant  qu'ils  eussent  pu  voir  I'armee  du 
Koi ,  qui ,  etant  derriere ,  pouvoit  les  charger  a 
son  choix ,  avec  de  la  cavalerie  ou  do  I'infante- 


MEJIOIUES    DU    DUG    i/yOKCK.    [iGoS] 

lie,  dans  un  terrain  si  etroit,  que  laile  droite, 


commandee  par  M.  de  Turenne  ,  formoit  quatre 
ou  cinq  lignes  qui  se  soutenoient  Tune  laiitre, 
pendant  que  M.  de  La  Ferte ,  qui  avoit  sa  gau- 
che rangee  le  long  du  haut  de  la  montagne, 
pouvoit  seconder  la  droite  en  cas  de  necessite. 

Ce  fut  sur  les  deux  ou  trois  heures  apres  midi 
qu'on  commenca  de  voir  I'armee  espagnole  mar- 
chant  en  bataille,  et  avancant  par  I'extremite 
d'un  bois  qui  s'etendoit  depuis  la  portee  du 
mousquet  des  redaps  de  I'armee  de  France,  tout 
le  long  du  sommet  de  la  montagne  qui  etoit  sur 
la  gauche,  et  qui  resserroit  le  terrain  par  oii 
elle  croyoit  aller  I'attaquer  d'abord  ;  mais  quaiid 
elle  en  fut  environ  a  une  demi-lieue  elle  lit 
halte ,  et  la  plupart  de  I'infanterie  courut  an 
ruisseau  pour  y  etancher  la  soif  ardente  qu'elle 
souffroit ,  n'ayant  point  trouve  d'autre  eau  de- 
puis qu'elle  avoit  quitte  la  Somme. 

On  a  scu  depuis  que  le  prince  de  Gonde  -vou- 
loit  attaquer  en  arrivant ,  mais  que  le  comte  de 
Fuensaldagne  s'y  opposa,  representant  la  lassi- 
tude des  troupes,  prineipalement  de  I'infanterie, 
apres  une  marche  si  penible  dans  un  pays  aussi 
sec  que  la  saison  etoit  chaude;  qu'elle  ne  pou- 
voit combattre  que  le  lendemain,  vu  la  difficulty 
qu'il  y  auroit  de  la  retirer  de  la  riviere  pour  la 
remettre  en  bataille;  que  le  repos  d'une  nuit  la 
remettroit  de  la  fatigue  de  la  journee  ,  qu'un  si 
petit  delai  ne  gateroit  rien ,  puisque  I'armee  de 
France  ne  pouvoit  leur  echapper ;  que  si  pen  de 
temps  ne  pouvoit  pas  lui  suffire  pour  rien  faire 
qui  la  mit  en  siirete ,  et  que  le  reste  de  I'apres- 
midi  seroit  employe  a  la  reconnoitre  et  a  re- 
soudre  par  ou  on  attaqueroit. 

Le  prince  ceda  a  des  raisons  si  fortes,  Tarnu'e 
espagnole  campa  la  nuit  en  bataille;  mais  les 
officiers-generaux  trouverentle  lendemain  celle 
du  Roi  si  avautageusement  postee ,  qu'ils  ne  | 
songerent  plus  a  I'attaquer.  Elles  furent  trois 
ou  quatre  jours  en  presence ,  dans  une  escar- 
mouche  presque  continuelle,  qui  n'aboutit  a 
rien.  Le  13  d'aout,  on  entendit  a  la  pointe  du 
jour  sonner  le  boutte-selle  et  battre  la  generale 
dans  I'armee  ennemie ;  celle  de  France  se  mit 
aussitot  sous  les  armes  ,  et  M.  de  Turenne  alia 
lui-meme  avec  deux  escadrons  vers  leur  camp , 
pour  observer  leur  marche  et  juger  quelle 
place  ils  avoieut  dessein  d'assieger.  Etant  arrive 
a  la  moitie  du  chemin  entre  les  deux  armees,  il 
y  laissa  un  eseadron ,  et  avancant  un  peu  plus 
loin  il  s'arreta ,  et  envoya  le  due  d'Yorck  avec 
M.  de  Castelnau  et  douze  autres  ofliciers  et 
volontaires  parfaitement  bien  montez,  pour  ap- 
procher  des  ennemis  autant  qu'il  seroit  possible, 
a^cc  ordre  de  ne  point  combattre,  et  de  se  re- 


MEMO]  RES    DU    DUC    d'vOSCIV.    [I053] 


r^<;7 


tircr  cu  cas  qu'oii  vint  u  les  pousser.  lis  entrerent 
clans  le  camp  meme  des  enncmis  jusqu'aux 
liuttes  de  rinfantoiie  avant  que  Tarriere-garde 
de  la  cavaleiie  fiit  dehors,  lis  s'arreterent  et 
observerent  a  leur  aise  le  raouvement  de  toute 
I'armee;  ensuite  ils  avaucerent  jusqu'a  la  por- 
leedu  pislolel  des  derniers  escadrons,  sans  que 
de  part  ni  d'autre  on  se  mit  en  devoir  de  s'in- 
qiiieter;  et  apres  avoir  reconnu  clairement  qu'ils 
marchoient  vers  Saint-Quentin ,  ils  vinrent  re- 
joiudre  jM.  de  Turenne,  qui  envoya  aussilot 
M.  de  Beaiijeu ,  un  des  lieulenans-generaux , 
avec  douze  cens  ehevaux  et  six  eeus  fantassins  , 
pour  sejettei-  on  dans  Guise,  qu'il  jugea  qu'ils 
avoient  dessein  d'assieger,  ou  dans  telle  autre 
place  qui  lui  paroitroit  qu'ils  voulussent  atta- 
quer.  Beaujeu  fit  tant  de  diligence  qu'il  entra 
dans  Guise  au  moment  que  la  cavaleiie  des  en- 
ueniis  parut  pour  I'investir;  se  voyant  ainsi 
prevenus,  ils  abandounereut  I'tntreprise ,  et 
apres  avoir  reste  quelques  jours  aux  environs 
de  cette  place ,  ils  retournerent  sur  leurs  pas , 
et  furent  camper  a  Caulancourt,  a  une  licue  de 
I'abbaye  de  Verraand,  et  a  deux  de  Saint- 
Qiieutio. 

Aussitot  que  M.  de  Beaujeu  fut  detache,  toute 
I'armee  se  mit  en  marche ;  on  fit  passer  les  ba- 
gages  au  travers  de  Peronne  ,  et  Teunemi  etant 
a  telle  distance  qu'on  ue  craiguoit  i)oint  qu'il 
vint  tomber  sur  I'arriere-garde  avant  qu'on  eut 
j)asse  la  Somrae ,  toute  i'armee  defila  au  travers 
de  la  ville,  et  quoiqu'elle  soit  assez  longue  el 
qu'il  n'y  ait  qu'un  pont,  M.  de  Turenne  ne 
laissa  pas  d'avancer  le  meme  soir  avec  lavant- 
garde  jusqu'a  Caulancourt,  a  une  lieuede  Ham ; 
ce  qui  fit  le  meme  effet  que  si  I'ai'iiere-garde , 
qui  ne  put  y  arriver  que  le  lendemain  matin  ,  y 
avoit  ete  en  meme  temps ,  parce  que  les  enne- 
mis  crurent  que  toute  I'armee  etoit  ensemble, 
comme  M.  de  Turenne  I'avoit  assure  a  ceux  qui 
luirepresenterent  qu'ellene  pouvoit  pas  arriver 
le  soir  a  Caulancourt,  en  leur  repondautqu'elant 
couvert  de  la  Somme,  les  partis  ennemis  ne 
pourroient  la  decouvrir  et  en  rendre  compte  que 
par  les  feux ,  dont  le  grand  uombre  ne  leur  lais- 
seroit  aucun  doute  que  toute  I'arinee  ne  fut  en- 
semble. Aussi  faut-il  lui  rendre  cette  justice , 
que  jamais  general  ne  prit  dans  les  marches  de 
plus  justes  mesures  et  ne  penetra  mieux  dans 
les  desseins  de  I'ennemi.  Cette  diligence,  aussi 
bien  que  celle  de  M.  de  Beaujeu ,  empecha  le 
siege  de  Guise. 

Les  Kspagnols  etant  ainsi  deconcertcs  ,  on  ne 
jugea  pas  a  propos  d'avancer  plus  loin;  on  se 
tint,  depuis  la  dcrnicre  allarmc  ,  plus  que  jamais 
sur  scs  gardes;  et  Ics  ennemis  etant  venus  cam- 


per a  Caulancourt,  sur  ce  que  JM.  de  Turenne 
fut  averti  que  les  fourageursprenoient  Ihabitude 
de  passer  le  ruisseau,  derriere  lequcl  etoit  leur 
armee,  et  qu'ils  alloient  vers  Ham  avec  peu  d'es- 
corte,  il  ordonna  a  M.  de  Castelnau  d'alleravec 
inille  ehevaux  pour  tacher  de  les  surprendre.  H 
partit  le  soir  avec  dix  escadrons,  et  marcha  a 
Ham,  oil,  etant  arrive  aux  portes,  au  lieu  de 
passer  outre,  il  s'y  arreta  jusqu'a  la  pointc  du 
jour,  qu'il  fit  passer  au  travers  de  la  ville  dewK 
petits  partis  pour  aller  a  la  decouverte;  il  les 
suivit,  et  lui  avant  ete  rapporte  que  les  enne- 
mis etoient  au  fourage,  il  envoya  ordre  a  sa  ca- 
valerie  d'avancer ;  mais  avant  qu'elle  eut  passe 
la  ville  et  qu'on  put  aller  a  eux  ,  ils  prirent  I'ai- 
larme  a  la  vue  des  partis ,  et  se  retirerent  n'ayant 
perdu  que  vingt  ou  trente  hommes.  Ainsi,  ce 
que  M.  de  Turenne  avoit  si  bien  projette  man- 
qua  par  lafaute  du  commandant,  qui ,  quoique 
galand  homme  d'ailleurs  et  bon  officier  d'in- 
fanterie,  ne  scavoit  point  mener  la  cavalerie. 

Au  lieu  de  retourner  au  camp,  comme  il  le 
devoit  faire  apres  avoir  manque  le  coup,  il 
avanca  dans  la  plaine  jusqu'a  une  demi-lieue  de 
I'armee  ennemie ,  et  y  fit  halle  pendant  une  bon- 
ne heure :  cette  faute  exposoit  le  detachement  a 
une  defaite  inevitable,  si  les  ennemis  en  eussent 
profile  comme  ils  le  pouvoient ;  il  n'y  avoit  pas 
un  seul  officier,  ni  meme  un  cavalier  qui  n'en 
craignit  la  consequence  :  la  plaine  etoit  si  de- 
couverte, que  les  Espagnols  pouvoient  compter 
jusqu'au  dernier  homme,  voir  au  moins  qua 
une  lieue  et  demie  derriere  il  n'y  avoit  personne 
pour  les  soutenir,  et  rien  ne  pouvoit  les  empe- 
cher  de  passer  le  ruisseau.  M.  de  Castelnau , 
apres  avoir  reste  la  si  long-temps  sansnecessite, 
se  retira,  et  mit  dans  un  village  malhabilement 
une  embuscade  de  cent  ehevaux ,  n'etant  pas 
probable  que  les  ennemis  laissassent  passer  le 
ruisseau  a  leurs  gens  apres  une  allarme  si  re- 
cente.  Cependaut  M.  de  Turenne,  inquiet  de 
ce  qu'on  tardoit  si  long-temps,  -vint  lui-raeme 
avec  quatre  ou  cinq  escadrons  et  environ  quatre 
cens  fantassins ,  passa  au  travers  de  Ham ,  et , 
avancaut  au-dela,  disposa  ses  troupes  de  nia- 
niere  qu'elles  pussent  favoriser  la  retraite  de 
M.  de  Castelnau,  si  les  ennemis  I'eussentpousse; 
mais  il  ne  fut  pas  long-temps  sans  le  voir  revenir 
en  meilleur  etat  qu'il  ne  croyoit. 

L'armee  du  Roi  resta  dans  ce  camp  jusqu'au 
l"  deseptembre,  que  Ton  fut  inforrae  que  I'en- 
nemi avoit  decampe  de  Caulancourt  pour  aller 
assieger  Rocroi ,  et  qu'un  gros  detachement  de 
cavalerie  avoit  pris  les  devans  pour  I'investir 
et  erapecher  ([u'on  n'y  jellat  du  secours  :  la  gar- 
nison  en  etoit  foible,  ct  la  place  etant  situee 


.<;s 


MEMOir.KS   1)1'    DVC    u'voiicK.   f  I(Jd:5 


dans  une  petite  plaiiie  environnee  de  bois  ,  qui- 
conque  y  est  poste  le  premier  pent  aisement  em- 
pecher  d'y  passer;  et  ce  fut  inutilement  qu'on 
tenta  de  la  secourir. 

On  resolut;  pendant  que  ies  ennemis  seroient 
occupes  a  ee  sieiie ,  de  faire  ceiui  de  Mouson. 
L'armee  passa  I'Oise  a  La  Fere,  et  arriva  le 
f)  seplembre  a  Remilli ,  a  une  lieue  de  Mouson. 
Le  lendemain  on  passa  la  riviere  au-dessous  de 
la  ville,  et  chacun  prit  ses  quartiers :  M.  de  Tu- 
renne  au-dessous,  et  M.  de  La  Ferte  au-dessus. 
La  cavaierie  du  premier  s'etendoit  sur  une  ligne 
depuis  la  riviere  jusqu'au  haut  de  lamontagne, 
un  peu  hors  de  la  portee  du  canon  de  la  place  , 
et  il  campoit  luimeme  avec  son  infanterie  et  ses 
gendarmes  dans  une  petite  vallee  a  demi-portee 
du  canon;  et  dans  un  vallon  plus  etroit  et  plus 
pres  de  la  ville,  il  posta  Ies  deux  regimens 
d'Yorck  et  de  Guienne,  et  y  fit  ouvrir  la  tran- 
chee  la  meme  nuit.  M.  de  La  Ferte  commenea 
ses  approches  en  meme  temps  ;  mais  ses  troupes 
se  posterent  un  peu  plus  loin  de  la  place  que 
celles  de  M.  de  Turenne. 

Mouson  est  situee  sur  la  Meuse ,  entre  Stenai 
et  Sedan;  elle  a  un  pout  couvert  d'un  ouvrage 
acorne;  la  ville  est  fortifiee  dune  bonne  mu- 
raille  ancienne,  flanquee  de  tours  rondes  ,  dont 
quelques-unes  sont  assez  grosses,  et  celle  qui  est 
du  cote  de  la  montagne  Test  plus  que  toutes  Ies 
autres;  elleaun  tres-bon  fosse  sec,  qui  presque 
partout  est  bien  palissade  dans  le  milieu,  et 
lecote  exterieur  est  revetu  de  pierres  de  taille; 
le  cote  de  la  ville  le  plus  eloigne  de  la  riviere 
etant  commande  d'une  montagne,  est  defendu 
d'une  enveloppe  de  trois  ou  quatre  bastions  et 
d'un  demi-bastion,  et  des  deux  cotes,  jusqu'a 
la  riviere,  il  y  a  plusieurs  demi-lunes  et  autres 
dehors. 

La  garnison  etoit  d'environ  quinze  cens  bom- 
mes  d'infanterie  et  de  deux  ou  trois  cens  che- 
vaux  :  le  gouverneur  etoit  un  vieux  colonel  al- 
lemand  nomme  Wolf.  La  plupart  de  cette  gar- 
nison avoit  ete  mise  dans  la  place  par  le  comte 
de  Briol ,  un  des  officiers  du  prince  de  Conde, 
qu'il  avoit  detache  en  marchant  a  Rocroi ,  avec 
un  corps  de  troupes,  pour  se  jetter  dans  Mou- 
son ,  Stenai,  Clermont  et  Sainte-Menehoult, 
qui  etoit  a  lui ,  ne  doutant  pas  que  I'armee  du 
Hoi  n'en  assiegeat  une ;  et  Briol ,  jugeant  a  sa 
marche  qu'elle  alloit  a  Mouson ,  se  contenta  d'en 
augmenter  la  garnison ,  et  garda  le  reste  des 
troupes  qu'on  lui  avoit  donnees  pour  pourvoir  a 
la  surete  des  autres  places. 

Les  approches  furent  poussees  la  premiere 
nuit  assez  loin,  et  avec  peu  de  perte,  par  le  re- 
{iimcnt  de  Picardie,  et  on  eleva  une  batterie 


de  cinq  ou  six  pieces  de  canon.  La  nuit  sui- 
vante,    Ies  regimens   de   La  Feuillade  et  de 
Guienne  monterent  la  tranchee  et  I'avancerent 
considerablement  :  dans  le  meme  temps,  un  re- 
giment d'infanterie,  qui  etoit  poste  dansquel- 
ques  maisons  aupres  du  pont,  eut  ordre  d'insul- 
ter  I'ouvrage  a  corne  qui  lecouvroit;  I'ennemi 
jugea  a  propos  de  se  retirer,  et  il  fut  emporte 
sans  peine  et  sans  perte.  Ce  fut  le  tour  du  regi- 
ment de  Turenne  la  troisieme  nuit;  il  poussa 
la  trancliee  si  loin  ,  que  la  nuit  suivante  les  re- 
gimens d'Yorck  et  de  Palluau  arriverent  jus- 
qu'au bord  du  fosse  des  dehors,  et  attacherent 
le  raineur  a  la  face  du  demi-bastion  de  I'enve- 
lope,  apres  avoir  coupe  les  palissades  du  fosse: 
il  travailla  jusqu'apres  midi,  qu'il  appela  pour 
demander  de  la  chandelle  et  a  boire,  sans  quoi 
il  ne  pouvoit  plus  travailler.  Un  sergent  d'Yorck 
lui  porta  I'un  et  I'autre  ,  a  la  faveur  d'un  grand 
feu  de  mousqueterie  qu'on  fit  pendant  qu'il  alia 
et  revint.   Le  regiment  de  Picardie  monta  la 
tranchee  pour  la  seconde  fois  la  nuit  du  14  an 
15.  Ce  jour-la  le  due  d'Yorck,  allant  a  la  tete 
des  ouvrages,  accorapagne  de  messieurs  d'Hu- 
miereset  de  Crequi  et  de  quelques  autres,  pen- 
dant le  peu  de  temps  qu'ils  resterent  dans  la 
premiere  batterie,  un  bouletde  canon,  tire  de 
la  place,  passa  entre  trois  barils  de  poudre  sans 
y  mettre  le  feu ,  qui  auroit  fait  sauter  tout  ce  qui 
etoit  dans  la  batterie ;  mais  le  danger  passa  si 
vite  qu'on  n'eut  pas  le  temps  de  I'apprehender. 
M.  de  Turenne,  observant  que  les  assiegcs  ne 
faisoient  pas  si  grand  feu  de  I'envelope  comme 
de  coutume,  crut  qu'ils  y  avoient  peu  de  monde 
et  qu'ils  la  vouloientabandonner,  jugeant  que  la 
mine  etoit  piete  a  jouer;  il  ordonna  qu'un  ser- 
gent, suivi  de  quelques  soldats,  montat  sur  le 
soir  par  I'endroit  dont  la  fraise  avoit  ete  brisee 
par  le  canon,  pour  reconnoitre  si  les  ennemis 
abandonnoient  I'envelope  :  le  sergent  y  fut,  et 
rapporta  que  les  ennemis  s'etoient  retires  comme 
M.  de  Turenne  I'avoit  juge.  On  fit  feu  sur  le  peu 
d'ennemis  qui  y  restoient ,  et  ils  se  retirerent 
dans  la  ville.  Les  assiegeans  occuperent  aussitot 
le  fosse  de  I'envelope  et  se  contenterent  de  faire 
des  places  d'armes  pourse  loger  et  faire  feu  sur 
la  ville  :  Les  ennemis  en  firent  cette  nuit-la  un 
fort  grand  de  dessus  les  murailles;  mais  ce  fut 
sans  beaucoup  d'effet ,  parce  que  les  assiegeans 
etoient  a  couvert. 

II  arriva  au  camp,  le  lendemain,  un  batail- 
lon  de  dix  compagnies  du  regiment  des  gardes, 
commande  par  M.  de  Vautourneu;ils  monterent 
la  tranchee,  suivant  leur  privilege,  la  meme 
nuit,  relevant  le  regiment  de  Picardie.  M.  de 
Castelnau,  qui  etoit  alors  le  seul  lieutenant-gC' 


MEMOlttES   Dl!    DLC    d'vOBCK.    [l6o;i] 


neral  dans  I'arm^e,  fut,  suivant  sa  coiitume, 
pour  commander  :  les  gardes  refuserent  de  lui 
obeir ,  pretendans  ne  devoir  etre  commandes 
que  par  le  general.  M.  de  Turenne,  etant  infor- 
me  de  cette  contestation  ,  fut  pour  tacher  de  I'a- 
juster;  raais  trouvant  Vautourneu  opiniatre  ,  il 
pria  M.  de  Gasteinau  de  se  retirer  a  sa  tente, 
lui  disant  qu'ayant  fatigue  beaucoup  la  nuit 
precedente,  il  avoit  besoin  de  repos,  et  qu'il 
resteroit   pour  lui  a  la  tranchee  :  Castelnau 
obeit.  M.  de  Turenne  demeura ;  et  ne  voulant 
pas  decider  la  question,  il  depeclia  un  courrier 
pour  en  informer  la  cour,  qui  ordonna  aux  gar- 
des d'obeir  au  lieutenant-general ;  et  cet  ordre 
etant  arrive  avant  que  ce  fut  leur  tour  de  mon- 
terune  seconde  fois  ,  il  n'y  eut  plus  de  dispute. 
Celle-!a  fut  avantageuse  pour  le  service  du  Roi : 
les  gardes ,  se  piquans  d'honneur,  et  etant  en- 
courages par  la  presence  du  general ,  avancerent 
beaucoup  leurs  travaux ;  lis  firent  non-seule- 
ment  une  blinde  le  long  du  fond  du  fosse  de 
Tenvclope,  par  le  moyen  des  palissades  qu'ils  y 
trouverent,  qui  s'etendoient  directement  jusqu'a 
la  grande  tour,  mais  ils  y  firent  encore  uu  loge- 
ment  depuis  I'endroit  ou  le  fosse  de  I'envelope 
se  joignoit  a  celui  de  la  ville  jusqu'a  la  demi- 
lune sur  la  droite,  que  les  ennemis  abandonne- 
rent ,  et  d'ou  on  eut  dessein  de  passer  dans  le 
fosse  de  la  ville  pour  y  attacher  le  mineur. 

Jusqu'ici  on  avoit  avance  avec  assez  de  dili- 
gence et  de  succes ;  mais  on  trouva  ,  a  la  des- 
cente  du  fosse  de  la  place,  plus  de  difficultes 
qu'on  n'avoit  cru.  La  nuit  suivante  on  tacha  de 
continuer  les  travaux  avec  la  promptitude  ac- 
coutumee ,  en  faisant  un  logement  contre  les 
palissades  qui  etoient  au  milieu  du  fosse;  lors- 
qu'on  le  crut  perfeetionne ,  les  ennemis  en  chas- 
serent  les  assiegeans  avec  une  grele  de  grena- 
des et  une  pluye  de  feu  d'artifice  et  defeu  ordi- 
naire si  continuelle,  qu'il  fut  impossible  d'y 
rester.  Ce  mauvais  succes  ne  rebuta  point  :  on 
suivit  opiniatrement  le  dessein  de  se  loger,  mais 
on  y  employa  deux  nuits  inutiiement  :  quand 
I'ouvrage  etoit  acheve ,  les  ennemis  jettoient  tant 
de  feux  d'artifice  et  de  matieres  combustibles  , 
qu'ils  detruisoient  tout  ce  qu'on  avoit  fait.  On 
fut  oblige  de  chercher  quelqu'autre  expedient 
moins  dangereux.  On  tenta  la  nuit  suivante  la 
descente  du  fosse,  en  poussant  obliquement, 
d'ou  on  etoit  loge,  une  tranchee;  mais  on  se 
trouva  expose  au  feu  d'un  canon  que  les  enne- 
mis tiroient  d'un  flanc  si  bas,  que  I'artillerie  des 
assiegeans  nepouvoit  le  demonter ;  et  on  trouva 
de  plus,  quand  on  fut  a  moitie  chemin  ,  la  mu- 
railledont  il  a  deja  ete  parle,  qui  arretoit  tout 
court,  sans  le  secoursdu  canon  du  flanc  qui  de- 


soloit ,  et  qui ,  des  qu'il  fut  jour,  ruina  toutes 
les  blindes  qu'on  avoit  faites.  Ainsi  il  fallut 
avoir  recours  a  la  vieille  raethode ,  de  creuser 
un  puits  dans  le  logement  qui  avoit  ete  fait  dans 
le  fosse  de  la  demi-lune ,  pour  descendre  par  ce 
moyen  dans  le  fond  du  fosse  :  on  y  travailla 
avec  tout  I'empressement  imaginable  ,  et  on 
s'efforca  d'attacher  le  mineur  a  la  muraille  de 
la  ville,  a  la  faveur  des  madriers  accommodes 
a  I'epreuve  du  feu  ;  on  les  poussa  jusques  con- 
tre la  muraille;  le  mineur  commenca  a  y  tra- 
vailler,  ayant  a  ses  cotes  des  barils  remplis  de 
terre  ,  pour  le  preserver  de  la  mousqueterie  des 
flaucs,  pendant  que  les  madriers  le  garantis- 
soient  du  feu,  des  pierres  et  des  grenades  que 
Ton  jettoit  sans  cesse  ;  ce  qui  n'auroit  pu  le  de- 
loger,  si  les  ennemis  ne  se  fussent  avises  d'une 
nouvelle  invention,  en  attachant  une  borabe  a 
une  chaine  qu'ils  firent  descendre  contre  les  ma- 
driers :  le  feu  y  prit  si  a  propos,  qu'elle  les  fit 
tons  sauter,  et  ils  jelterent  ensuite  une  si  gran- 
de quantite  de  feu  que  le  mineur  fut  brule. 

Celui  de  I'autre  attaque  ne  fut  pas  plus  heu- 
reux  :  M.  de  La  Ferte  voulant  se  hater ,  I'avoit 
fait  attacher  au  corps  de  la  place  avant  qu'il  y 
eiit  un  logement  de  fait  contre  la  muraille  pour 
le  garantir  ;  les  ennemis  le  decouvrirent,  et  I'e- 
toufferent  de  la  fumee  qu'ils  firent  a  I'embou- 
chure  de  son  trou ,  qui  etoit  deja  si  profond  , 
que  le  feu  ne  le  put  point  atteindre.  li  fit  pen- 
dant ce  siege  une  pluye  continuelle  et  des  tem- 
petes  si  violenles  qu'elles  renverserent  sou- 
vent  les  blindes  et  eboulerent  des  endroits  de 
la  tranchee ,  qui  etoit  presque  partout  pleine 
d'eau,  et  il  se  passoit  rarement  trois  heures  sans 
pluye. 

Lorsqu'on  commenca  a  creuser  le  puits  dans 
le  fosse  de  la  demi-lune ,  on  attacha  en  meme 
temps  le  mineur  au  pied  de  la  grande  tour ,  a  la 
faveur  des  madriers  :  il  eut  plus  debonheur  que  le 
premier ,  il  se  logea  ;  mais  avant  que  ses  cham- 
bres  fussent  perfectionnees,  il  envoya  avertir 
M.  de  Turenne  qu'il  entendoit  les  ennemis  qui 
contreminoient,  et  qu'ils  arriveroient  a  lui  dans 
peud'heures,  et  beaucoup  plus  tot  qu'il  ne  pou- 
voit  finir ;  on  lui  ordonna  de  mettre  quelques 
barils  de  poudre  dans  le  trou  qu'il  avoit  fait,  et 
de  le  boucher  le  mieux  qu'il  seroit  possible  ;  ce 
qui  fut  execute.  M.  de  Turenne  ne  pretendoit 
que  ruiner  la  contremine  des  assieges ,  et  sca- 
voit  que  cela  n'abattroit  point  la  tour;  et  comme 
la  poudre  devoit  faire  son  effet  en  arriere  ,  il  fit 
eloigner  ceux  qui  pouvoient  courir  quelque 
danger,  et  se  retira  lui-meme  avec  ceux  qui 
I'accompagnoient ,  a  la  premiere  batterie,  qui 
etoit  a  demi-portee  de  mouscjuet  de   la  tour. 


oU) 


MEMOIRES    DU    DUC    U'VOUCK.    [iCiS] 


On  niit  le  feu  a  hi  miue  ,  qui  fit  tout  I'effet 
qu'on  avoit  attcudu  ;  die  elargit  seulement  le 
trou  qu'avoit  fait  lemincur,  tua,  comme  on  le 
scut  depuis  ,  les  contre-mineurs  des  ennemis  , 
etjetta  plusieurs  grosses  pierres  avec  autant 
de  violence  qu'auroit  pu  faire  le  canon  :  quel- 
ques-unes  donnerent  contre  la  ballerlederriere 
laquelie  M.  de  Turciine,  le  due  d'Vorck  et  d'au- 
tres  sY'toient  mis  a  couvert,  et   ils  en  virent 
plusieurs  voler  beaucoup  plus  loin.  On  renvoya 
onsulte  le  mineur  a  son  trou ,  avec  un  sergent 
pour  le  defendre  ,  et  six  soldats  qui  s'y  loge- 
rentsans  danger  :  cela  s'executa  de  jour.  Quand 
il  fut  nuit,  on  jugea  a  propos  douvrir  le  puits 
qui  etoit  creuse  au  niveau  du  fond  du  fosse  de 
la  place  ,  car  il  auroit  fallu  trop  de  temps  pour 
continuer  a  le  creuser  jusqu'a  la  muraille  ;  sa 
profondeur  le  mettoit  a  couvert  du  canon  et  de 
la  mousqueterie ,  et  on  ne  croyoit  pas  qu'il  y 
eut  autre  chose  a  craindre  que  les  grenades  , 
Ics  feux  d'artifice  ou  le  feu  ordinaire ;  mais  a 
peine  fut-il  decouvert ,   que  les  ennemis  s'en 
ctant  appcrcus  a  la  lumiere  des  feux  qu'ils 
avoieut  allumes,  pour  voir  ce  qui  se  faisoit  dans 
le  fosse,  qu'ils  roulerent  du  haut  des  murailles 
le  long  de  deux  pieces  de  bois  qu'ils  avoient  at- 
tachees  ensemble ,  une  borabe  qui  tomba  dans 
I'ouverture  du  puits,  tua  quatre  ou  cinq  hom- 
mes  qui  y  travailloient ,  et  ebranla  si  violem- 
ment  le  logement  qui  etoit  au-dessus  ou  M.  de 
Turenne  ,  le  due  d'Yorck  ,  quelques  officiers  et 
plusieurs  volontaires  etoieut  alors,  qu'ils  cru- 
rent  dans  le  moment  qu'il  seroit  entierement 
ruine  :  il  subsista  neanraoins;  mais  on  fut  plus 
d'un  quart-d'beure  avaut  qu'on  put  y  aller  tra- 
vailler ,  a  cause  de  la  furaee  et  de  la  poussiere; 
et  quoique  les  assieges  continuassent  de  tirer 
incessamment  dessus  ,  et  de  jeter  une  infinite 
de  grenades ,  de  toutes  sortes  de  feux  ,  et  des 
bombes  de  temps  en  temps ,  dont  aucune  n'a- 
dressa  si  juste  que  la  premiere ,  on  ue  laissa 
point  de  pousser  la  tranchee  jusqu'aux  palissa- 
des  qui  etoicnt  au  milieu  du  fosse ;  mais  la 
(juantite  prodigieuse  de  feu  qui  tomboit  conti- 
nuellement,  obligea    de  couvrir  le   puits  de 
planches,  de  fascines  et  de  terre  pour  la  surete 
des  travailleurs.  Quand  on  fut  au  pied  de  la  pa- 
lissade,  on  fut  oblige  de  se  cacher  sous  terre 
pour  evitcr  les  feux  que  les  ennemis  y  jettoieut 
sans  cesse ,  et  enlin  ou  attacha  le  mineur  au 
corps  de  la  place. 

On  perdit  celte  nuit-Ia  beaucoup  de  monde  ; 
M.  de  La  Feuillade  fut  blesse  d'une  grenade  a 
la  tote ;  un  coup  de  mousquet  ayant  perce  le 
logement  ,  la  bale  efllcura  la  tele  de  M.  d'ilu- 
mieres,  passa  au  travers  de  la  jambe  d'un  pion- 


nier  et  frappa  enfin  la  botte  du  due  d'"i  orek  , 
sans  lui  faire  aucun  mal.  M.  de  Turenne  resta 
toute  la  nuit  sur  la  place  ,  et  il  est  certain  que 
sans  sa  presence  la  chose  n'auroit  point  reussi. 
M.  de  La  Ferte  avoit  de  son  cote  si  fort 
avance  son  attaque,  que  sa  mine  etant  prete  le 
Jour  suivant ,  on  la  fit  sauter  I'apres-midi  : 
M.  de  Turenne,  avec  plusieurs  de  ses  officiers  et 
volontaires,  alia  par  curiosite  voir  quel  effet  elle 
produiroit,  mais  il  n'entra  point  dans  les  tran- 
ehees.  La  mine  avoit  ete  faite  a  Tangle  entre  la 
tour  et  la  muraille  ,  et  I'intention  etoit  de  ren- 
verser  non-seulement  I'angle ,  mais  encore  les 
parties  de  la  muraille  et  de  la  tour  qui  en 
etoient  les  plus  proches.  Quand  elle  eut  saute  et 
que  la  fumee  fut  dissipee  ,  on  vit  qu'elle  n'a- 
voit  abattu  que  Tangle  et  la  muraille  ,  et  que 
la  tour,  a  laquelie  il  n'y  avoit  qu'une  fente  ,  etoit 
encore  debout ;  mais  ayant  fait  tirer  six  coups 
de  canon  a  la  fois  de  la  batterie  qui  etoit  sur  le 
bord  du  fosse  ,  cette  partie  de  la  tour  tomba  et 
appaisa  la  colere  de  M.  de  La  Ferte,  dont  Tim- 
patience  iuquieta  beaucoup  le  chevalier  de  Cler- 
ville  ,  ingeuieur  ,  qui  avoit  la  conduite  de  Tat- 
taque.  La  tour  n'etant  point  tombee  d'abord , 
rait  le  marechal  en  furie  5  il  menaca  le  pauvre 
ingenieur,  qui  ne  se  tira  d'affaire  qu'en  abal- 
tant  avec  le  canon  ce  que  la  mine  avoit  deja 
ebranle  de  la  tour.  La  breche  etant  bonne,  on 
y  fit  un  logement  la  nuit ;  ce  qui ,  joint  aux 
deux  mines  qui  etoieut  pretes  a  jouer  a  Tattaque 
de  M.  de  Turenne  ,  determina  le  gouverneur  a 
battre  la  chamade  le  lendemain  matin  :  il  en- 
voya  des  officiers  pour  dresser  la  capitulation  , 
et  il  fut  convenu  qu'il  sortiroit  le  lendemain 
avec  sa  garnison  ,  armes  et  bagages  ,  pour  etre 
conduit  a  Moutmedi. 

Ce  siege  dura  dix-sept  jours  de  tranchee  ou- 
verte  :  on  y  perdit  peu  de  monde  ,  mais  beau- 
coup de  chevaux  ,  a  cause  du  mauvais  temps 
et  que  le  terrain  ou  on  campoit  etoit  une  terre 
fort  grasse.  II  n'y  eut  personne  de  qualite  tue 
que  le  vidame  de  Laon  ,  neveu  de  M.  de  Tu- 
renne ,  second  fils  dn  comte  de  Roussi,  qui 
recut  un  coup  de  mousquet  dans  la  tete  en  mon- 
tant  la  tranchee.  La  promptitude  avec  laquelie 
les  Francois  poussent  les  sieges  et  prennent  les 
places  ,  se  doit  particulierement  attribuer  aux 
peines  que  se  donnent  leurs  generaux;  au  lieu 
que  le  due  d'Yorck  a  reinarque  que  ceux  des 
Espagnols  s'en  rapportent  a  un  sergent  de  ba- 
taille  ou  a  quel{[u'autre  officier  inferieur  ,  par 
les  avis ,  et ,  pour  ainsi  dire,  par  les  yeux  des- 
quels  ils  se  gouvernent.  M.  de  Turenne  vouloit 
tout  voir  lui-mcmc  ;  il  alloit  reconnoitre  en 
personne  et  de  bien  pres  les  villes  qu'il  vouloit 


MEMOIRES    DU    DUC    d'vOKCK.    [i6;>3] 


571 


assieger ;  il  raarquoit  toujours  I'endroit  oil  il 
falloit  ouvrir  la  tranchee,  et  y  etoit  present  5  il 
ordonuoit  de  quel  cote  il  la  falloit  pousser ,  y 
allolt  reglement  matin  et  soir;  le  soir,  pour  re- 
soudre  ce  qui  etoit  a  faire  durant  la  nuit ,  et  le 
niatin,pour  voir  si  sesordres  avoient  ete  suivis, 
ayant  toujours  avec  lui  un  lieutenant-general 
ou  marechal-de-camp  qui  devoit  commander  la 
tranchee  pour  I'instruire  de  ses  intentions ;  il 
retournoit  pour  la  seconde  fois  a  la  tranchee 
apres  souper ,  et  y  restoit  plus  ou  moins  de 
temps ,  suivant  que  sa  presence  y  etoit  neces- 
saire.  La  diligence  du  general  excite  necessai- 
rement  tons  les  officiers  de  I'armee  a  une  grande 
application  a  ce  qui  est  de  leur  devoir.  M.  de 
Turenne  n'avoit  pas  un  seul  ingenieur  a  son  at- 
taque  :  qiiand  il  en  avoit  dans  d'autres  sieges  , 
il  ne  s'en  servoit  que  comme  d'inspecteurs  sur 
les  travaux  :  la  plupart  des  officiers  scavoient 
comme  on  doit  pousser  la  tranchee  et  faire  un 
logement ;  il  y  a  un  capitaine  de  mineurs  qui  a 
soin  de  les  conduire  suivant  les  ordres  qu'on 
lui  donne.  Le  due  d'Yorck  a  reconnu,  non-seu- 
lement  par  sa  propre  experience  ,  mais  encore 
par  celle  des  plus  habiles  dans  le  metier  de  la 
guerre ,  qu'un  general  ne  se  doit  jamais  reposer 
entierement  sur  quelque  ingenieur  que  ce  puisse 
etre  pour  la  conduite  de  la  tranchee ,  parce 
qu'il  n'est  pas  raisonnable  de  croire  qu'un 
homme,  qui  doit  y  etre  a  tout  moment ,  veuille 
s'exposer  autant  que  des  officiers  qui ,  n'y  al- 
lant  qu'a  leur  tour ,  se  piquent  plus  aisement 
d'honneur  et  d'emulation  pour  faire  avancer  les 
travaux ,  outre  qu'ils  en  acquierent  plus  de  ca- 
pacite  pour  tout  ce  qui  regarde  un  siege.  Le  feu 
prince  d'Orange  qui  suivoit  une  maxime  toute 
opposee  ,  en  se  confiant  uniquement  a  ses  in- 
genieurs ,  et  n'employant  ses  officiers  qu'a  la 
defense  des  tranchees ,  en  avoit  peu  qui  en- 
tendissent  bien  a  assieger  une  place,  a  moins 
que  ce  ne  fut  quelque  personne  dont  I'applica- 
tion  et  I'induslrie  suppleat  au  defaut  de  la  pra- 
tique :  ainsi  peu  d'officiers  ont  jamais  acquis 
beaucoup  d'experience  parmi  les  HoIIandois,  et 
les  habiles  qui  ont  servi  avec  eux  avoient  ap- 
pris  ce  qu'ils  scavoient  dans  d'autres  pays. 

On  ne  fit  point  de  lignes  de  circonvallation 
au  siege  de  Mouson  ,  cela  auroit  emporte  trop 
de  temps,  et  auroit  donne  aux  ennemis  le  temps 
de  finir  le  leur  et  de  venir  toraber  sur  I'armee 
du  Roi  avant  qu'elle  eut  acheve  le  sien  :  la  pe- 
tite riviere  de  Chiers  la  couvroit  du  cote  du 
Luxembourg ,  et  empechoit  les  ennemis  de 
pouvoir  jetter  du  secours  daus  la  place  :  le 


jour  meme  qu'elle  fut  prise,  qui  etoit  le  27  5 
I'armee  marcha  a  Amblemont  pour  tenter  de 
faire  lever  le  siege  de  Rocroi  :  elle  avanca  jus- 
qu"a  Varnicourt,  ou  on  apprit  que  la  ville  s'ctoit 
rendue. 

Apres  ces  deux  sieges,  il  ne  se  passa  rien  (]ii 
considerable  entre  les  deux  armees  durant  ie 
reste  de  cette  campagne.  Outre  que  la  saison 
etoit  trop  avancee  pour  entreprendre  un  siege 
de  quelque  consequence  ,  les  Espagnols  avoient 
beaucoup  plus  souffert  devant  Rocroi  que  les 
Francois  devant  Mouson.  M.  de  Turenne  les 
observa  toujours  de  pres ;  ils  ne  firent  que  des 
marches  et  des  contre-marches,  consommerent 
les  fourages  sur  leur  frontiere ,  et  les  Francois 
en  firent  autant  de  I'autre  cote  de  la  Somme. 

Pendant  qu'on  amusoit  ainsi  les  ennemis,  la 
cour  ayant  ramasse  quelques  troupes,  outre 
celles  de  la  maison  du  Roi  et  quelques  autres 
qui  furent  detachees  de  I'armee,  elle  fit  faire 
le  siege  de  Sainte-Menehoult.  M.  de  Navallle 
commandoit  la  maison  du  Roi,  M.  de  Caste!- 
nau  les  troupes  que  M.  de  Turenne  avoit  en- 
voyees,  M.  d'Uxelles  celles  qui  avoient  ete  de- 
tachees du  regiment  de  M.  de  La  Ferte ;  mais 
quoique  MM.  de  Navaille  et  d'Uxelles  fussent , 
generalement  parlant ,  autant  capables  qu'an- 
cuns  autres  lieutenans-generaux  en  France ,  et 
que  M.  de  Castelnau  entendit  parfaitement  bien 
a  faire  un  siege,  ils  ne  purent  neanmoins  ja- 
mais s'accorder  ensemble  ,  et  le  cardinal  fut 
oblige  d'envoyer  le  marechal  duPlessis-Prasliu 
pour  y  commander  en  chef;  apres  quoi  le  siege 
fut  pousse  avec  plus  de  succes  qu'auparavanl. 
M.  de  La  Ferte  avec  la  plupart  de  sa  cavalerie 
marcha  pour  empecher  le  due  de  Lorraine  de 
jetter  du  secours  dans  la  place ,  sur  les  avis 
qu'on  eut  qu'il  avancoit  de  ce  c6te-la  avec  son 
armee. 

M.  de  Turenne  ayant  fait  camper  ses  troupes 
derriere  la  Somme  entre  Roye  et  Corbie,  le  due 
d'Yorck  voyant  la  campagne  finie  de  ce  c6te-la, 
prit  conge  de  M.  de  Turenne  pour  aller  au  siege 
de  Sainte-Menehoult;  mais  ayant  ete  oblige  de 
passer  par  Chalons-sur-Marne,  oil  etoit  la  cour, 
il  y  fut  arrete,  sur  tant  de  differens  pretextes, 
que  malgre  ses  empressemens  la  ville  capitula 
avant  qu'il  piit  partir.  Ce  prince  accompagna  ie 
Roi  de  France  au  chateau  de  Ham  ,  a  deux 
lieues  de  Sainte-Menehoult,  ou  il  fut  avec  Sa 
Majeste  voir  les  approches  et  la  breche  qu'on 
avoit  faite  au  corps  de  la  place  avant  qu'elle  bat- 
tit  la  chamade. 


i 


LIVRE    DEUXIEME. 


DES    GUERRES    EN     FLANDRE. 


[165-4]  L'armee  de  France,  commandee  par 
M.  de  Turenne  et  le  mareehal  de  La  Ferte  ,  ne 
futpas  assemblee  assez  tot  pour  empecher  les 
Espagnols  d'assie^er  Arras  :  ils  investirent  cette 
place  le  3  de  juillet  avec  mie  armee  de  trente- 
deux  mille  hommes ,  et  toutes  les  choses  neces- 
saires  pour  une  entreprise  de  cette  importance. 
II  y  a  beaucoiip  d'apparence  que  I'avis  qu'ils  eu- 
rent  de  la  foiblesse  de  la  garnison ,  les  deter- 
mina  a  ee  siege;  mais  elle  ne  I'etoit  pas  assez 
pour  empecher  que  le  gouverneur  ne  put  en- 
core defendre  ses  dehors,  quelque  grands  qu'ils 
fussent. 

Les  deux  generaux  firent  un  detachement 
d'environ  mille  chevaux  pour  jetfer  dans  la 
place:  Saint-Lieu  y  entra  le  premier  avec  en- 
viron deux  cens  maitres,  et  passa  au  travers  du 
quartier  du  prince  de  Conde  le  premier  ou  le 
second  jour  apresqu'elle  futinvestie.  Deux  jours 
apres ,  le  baron  d'Equancourt  fit  la  meme  chose 
a  la  tete  de  trois  cens  chevaux  par  le  quartier 
du  due  de  Lorraine  5  et  le  chevalier  de  Crequi 
avec  le  reste  s'ouvrit  peu  de  jours  apres  le  pas- 
sage au  travers  du  quartier  des  Espagnols , 
avant  que  leurs  lignes  fussent  achevees :  on  n'osa 
point  tenter  d'y  faire  entrer  de  Tinfanterie,  ix 
cause  que  la  piaine  qui  regne  a  I'entour  de  la 
ville  I'auroit  aisement  fait  decouvrir  aux  en- 
nenus. 

Une  autre  raison  qui  fit  entreprendre  le  siege 
d'Arras ,  c'est  que  les  Francois  ayant  commence 
celui  de  Stenai ,  les  ennemis  espererent  finir  le 
leur  avant  que  celui-la  fut  acheve  ,  et  qu'il  oc- 
cuperoit  tant  de  troupes  qu'on  ne  seroit  pas  en 
etat  de  les  interrompre.  En  effet ,  l'armee  du 
Roi  etoit  si  foible,  que  n'osant  se  commettre 
dans  un  pays  ouvert  avec  une  armee  si  supe- 
rieure  ,  elle  se  tint  proche  de  Peronne  jusques 
vers  le  IG  de  juillet,  qu'on  apprit  que  les  en- 
nemis avoient  presque  acheve  leurs  lignes:  le 
due  d'Yorek  y  arriva  avant  qu'elle  se  mit  en 
raarche,  pour  servir  en  qualite  de  lieutenant- 
general  sous  M.  de  Turenne;  et  prit  son  jour , 
suivant  la  datte  de  sa  commission  ,  comme  le 
plus  jeune  qui  servoit  dans  cette  armee. 


Elle  campa  le  premier  jour  de  sa  marche  h 
Sains  pres  de  Sauchi-Cauchi,  entre  Cambrai  et 
Arras  ,  a  enviioii  cinq  lieues  de  cette  derniere 
place;  le  lendemain  elle  marcha  a  Mouchi-le- 
Preux.  M.  de  Turenne  prenoit  ce  detour  pour  se 
couvrir  de  quelque  ruisseau ,  afin  que  si  les  en- 
nemis venoient  a  lui  il  put  eviter  le  combat :  il 
eut  la  precaution,  en  arrivant  au  ruisseau,  qui 
etoit  a  demi-lieuede  Mouchi,  d'ordonnera  l'ar- 
mee d'y  rester  en  bataille  et  de  ne  le  point  pas- 
ser que  sur  le  soir.  II  fut  avec  de  la  cavalerie  et 
des  dragons  reconnoitre  le  terrain  ou  il  vouloit 
camper .  et  observer  si  les  ennemis navoient pas 
dessein  de  I'attaquer.  On  passa  le  ruisseau  fort 
tard,  et  on  travailla  toute  la  nuit  a  se  retran- 
eher  avec  tant  de  diligence ,  cavalerie  et  infan- 
terie,  chacun  devant  soi ,  qu'on  se  trouva  des  le 
lendemain  en  quelque  maniere  en  etat  de  de- 
fense ;  mais  quand  les  lignes  furent  achevees  il 
n'y  eut  plus  rien  a  craindre.  Le  poste  etoit  tres- 
avantageux  ,  le  front  proporlionne  au  nombre 
des  troupes ;  le  ruisseau  couvroit  la  gauche  et  la 
Scarpe  etoit  a  la  dioite  ;  et  quand  meme  les  en- 
nemis fussent  venus  attaquer  l'armee  avant 
qu'elle  fut  retranchec,  on  etoit  en  etat  de  les  re- 
cevoir  malgre  I'inegalitedu  nombre,  parce qu'on 
avoit  assez  bonne  opinion  de  la  vaieur  des  trou- 
pes ,  pour  ne  les  pas  craindre  quand  ils  ne  pou- 
voient  point  les  prendre  en  flanc  en  debordant 
la  ligne.  Le  due  d'Yorek  a  entendu  depuis,  etant 
en  F'landre  et  ailleurs  ,  plusieurs  personnesbki- 
mer  les  Espagnols  de  ce  qu'ils  n'attaqueient 
point  les  Francois  le  premier  jour  qu'ils  prirent 
ce  poste.  Quelques-uns  ont  prctendu  que  le  prince 
de  Conde  en  fit  la  proposition;  mais  cela  n'est 
pas  bien  sur :  quoi  qu'il  en  soit,on  marcha  avec 
la  meme  precaution  que  si  on  eut  ete  sur  que  les 
ennemis  eussent  voulu  combattre. 

M.  de  Turenne  avoit  son  quartier  a  Mouchi  , 
ou  etoit  la  plupart  de  son  infanterie  ;  sa  cavale- 
rie etoit  campee  sur  deux  lignes,  et  s'etendoit 
avec  le  reste  de  son  infanterie  jusqu'au  ruis- 
seau. M.  de  La  Ferte  avoit  le  sien  a  la  droite 
detout  en  has  ,  du  cote  de  la  Scarpe,  au  village 
de  Peule,  aupres  duquel  campoit  une  partie  de 


r>7  4 

son  infantcrie:  Tautie  etoit  ii  Moiichi  et  sa  ca- 
valerie  sur  deux  ligncs  eiitre  run  et  I'autre  vil- 
lage; le  corps  de  reserve  etoit  dans  sa  place  or- 
dinaire, derriere  le  quartier  de  M.  de  Turenne 
([ui  etoit  au  milieu  de  tout.  Mouchi  etoit  line 
iiaiiteur  qui  decouvroit  et  commandoit  le  fond 
ou  couloit  d'un  cote  la  Scarpe  et  celui  oil  etoit 
le  ruisseau;  teilcmeut  que  Tenuemi  ne  pouvoit 
approcher  de  jour  qu'apres  avoir  essuye  le  feu 
de  toute  I'artillerie  qui  etoit  plantee  sur  cette 
hauteur ;  et  pour  assurer  davantage  les  deux 
extremites  des  lignes  ,  on  y  avoit  poste  de  I'in- 
fanterie  aussi  bien  que  dans  le  centre  des  ailes 
de  cavalerie. 

Quand  les  lignes  furent  achevees  ,  on  envoy  a 
presque  tous  les  soirs  de  gros  partis  de  cavalerie 
pour  empecher  la  communication  des  convois  : 
car  quoique  les  eunemis ,  en  arrivant  devant 
Arras ,  fussent  pourvus  abondararaent  de  toutes 
sortes  de  provisions ,  autaut  que  les  arraees 
avoient  couturae  de  I'etre  en  ce  temps-la,  un  si 
grand  corps  de  troupes  avoit  toujours  besoin  de 
quelque  chose ,  soit  que  la  poudre  leur  man- 
quat  ou  qu'ils  en  voulussentuue  surabondance 
de  provision.  Des  que  I'armee  du  Roi  fut  aMou- 
ciii ,  ils  detacherent  continuellement  des  partis 
pour  leur  en  apporter  de  Cambrai,  Douai  et 
d'autres  places  voisines :  on  envoya  inutilement 
des  partis  pour  les  couper;  on  n'avoit  jamais  le 
bonheur  de  les  surprendre  parce  que  le  pays 
etoit  trop  decouvert.  Les  partis  etoient  rare- 
ment  de  moins  de  mille  ou  douze  cens  chevaux 
sous  le  commaudement  d'un  lieutenant-gene- 
ral; ceux  qu'on  detachoit  de  I'armee  de  M.  de 
Turenne  se  postoient  ordinairement  entre  le 
camp  des  ennemis  et  Bapaume,  dans  quelque 
vallee  ou  autre  lieu  oil  on  pouvoit  difficilement 
les  decouvrir.  On  avoit  de  tous  cotes  de  petites 
gardes  avancees  qui  alloient  a  la  decouverte ,  et 
des  sentinelles  partout  pour  n'etre  pas  surpris. 
M.  de  La  Ferte,  dont  les  partis  alloient  entre  les 
ennemis  et  Lens,  faisoit  observer  la  meme  chose; 
mais  ils  ne  furent  pas  plus  heureux  que  les  autres. 

Neanraoins  uu  convoi  des  ennemis  manqua 
par  un  etrange  accident.  Une  nuit  que  M.  de 
Turenne  visitoit  avec  le  due  d'Yorck  les  gardes 
avancees,  ilsappercurent  une  lueur  soudaine  et 
\iolente ,  semblable  a  celle  de  la  poudre ;  il  sem- 
bloitquee'etoit  au  quartier  de  M.  de  La  Ferte; 
mais  en  avancant  de  ce  c6te-la  pour  s'informer 
de  ce  que  ce  pouvoit  etre,  les  sentinelles  qui 
t  toient  sur  la  hauteur  de  IMouchi ,  qui  avoient 
vu  la  meme  chose ,  assurerent  que  la  chose 
s'etoit  passee  beaucoup  plus  loin  dans  la  plaine 
qu'ils  ne  s'etoient  imagines,  et  qu'il  falloit  que 
CO  iut  aupres  de  Lens.  Le  lendomain  au  matin 


MEMOIUES    Di;    DUG    c'VOfiCK.     [iG.J-l] 


on  en  fut  eclairci,  et  on  apprit  qu'uu  regiment 
tout  entier  de  cavalerie  de  cent  vingt  maitres 
allant  de  Douai  au  camp  des  ennemis  ,  et  tous 
les  officiers  aussi  bien  que  les  cavaliers,  portant 
chacun  un  sac  de  poudre  en  croupe  ,  outre  qua- 
tre-vingts  chevaux  charges  de  grenades  que  des 
paysans  a  pied  conduisoient ,  avoient  tous  ete 
billies,  sans  qu'on  put  scavoir  comment  cet  ac- 
cident etoit  arrive.  Ce  fut  un  triste  spectacle  de 
voir  arriver  ces  pauvres  malheureux,  les  visages 
hideux  et  defigures ,  et  le  reste  du  corps  briile 
a  un  point  qu'il  y  en  eut  peu  qui  en  guerirent. 
Des  partis  qui  coururent  oil  ils  avoient  appercu 
le  feu  ,  amenerent  au  camp  tous  les  hommes 
dans  lesquels  il  y  avoit  encore  quelque  signe  de 
vie,  quelques  chevaux  des  moins  briiles,  et  la 
paire  detimballesqui  apparteuoit  a  ce  regiment. 

Le  due  d'Yorck  trouva  depuis  en  Flandre  un 
lieutenant  de  cavalerie  qui  lui  expliqua  com- 
ment cet  accident  etoit  arrive.  Ce  prince  ayant 
demande  a  cet  officier  par  quel  hazard  il  avoit 
le  visage  briile  ,  il  repondit  que  c'etoit  par  de  la 
poudre  ,  dans  un  tel  temps ,  aupres  d'Arras ;  et 
le  questionnant  sur  les  particulariles,  il  dit  qu'e- 
tant  a  I'arriere-garde  du  regiment,  il  appercut 
un  cavalier  qui  avoit  a  sa  bouche  une  pipe  de 
tabac  allume,  sur  quoi  il  courut  a  lui ,  et  la  lui 
otant  adroitement,  il  la  jetta  a  terre,  et  don- 
nant  quelques  coups  de  plat  d'epee  au  cavalier 
qui,  etant  y  vre,  mit  le  pistolet  a  la  main  et  le  lui 
presenta;  qu'il  se  jetta  promptement  a  has  de 
son  cheval ,  apprehendant  la  suite ,  et  que  le 
cavalier  tirant  en  meme  temps  sur  lui,  il  mit 
le  feu  au  sac  de  poudre  qu'il  avoit  derriere  son 
cheval ,  qui  en  sautant  le  communiqua  au  sac 
du  cavalier,  et  successivement  a  tout  le  regi- 
ment ;  mais  qu'etant  pied  a  terre  ,  il  en  echappa 
mieux  que  les  autres,  dont  la  plupart  furent 
tues  sur  le  champ,  et  qu'il  en  fat  quitte  pour 
avoir  le  visage,  les  mains,  et  quelqu'autres 
parties  du  corps  briilees. 

Le  marquis  de  Richelieu  rencontra  un  jour 
un  autre  convoi  des  ennemis  sous  le  commande- 
ment  du  comte  de  Lorges;  mais  le  comte  se  fit 
jour  au  travers  des  troupes  du  marquis,  le  bat- 
tit,  prit  trois  ou  qualre  de  ses  capitaines  ,  ne 
perdit  que  douze  chevaux  charges  de  poudre , 
et  gagna  les  lignes  des  assiegeans  avec  le  reste. 
Une  autre  rencontre  fut  beaucoup  plus  desavan- 
tageuse,  par  la  perte  qu'on  fit  de  M.  de  Beau- 
jeu ,  lieutenant-general :  il  etoit  en  parti  avec 
huit  cens  chevaux  ,  et  ayant  ete  averti  que  les 
ennemis  vouloient  faire  passer  un  convoi  dans 
leur  camp  par  le  chemin  de  .  .  .  .  ily  alia,  y 
arriva  a  la  pointe  du  jour ,  a  peu  pres  dans  le 
meme  temps  qu'un  corps  des  ennemis  egal  au 


MEMOJRES  nu  t>uc  b'vorck.   [iGot] 


57. 


sien  ,  commaiule  par  M.  Droot ,  colonel ,  qui  ne 
scavoit  point  que  les  Francois  y  etoient ,  et  scs 
cavaliers  ayant  mis  pied  a  terre  en  attendant 
des  nouvelles  du  convoi ,  sans  scavoir  que  Droot 
ctoit  si  proche  d'eux,  lis  se  trouverent  attaques 
si  inopinement  et  si  brusquement,que  les  deux 
premiers  escadrons  furent  renverses  avaut  qu'ils 
pussent  monter  a  cheval.  Beaujeu  fut  tue  en 
allant  mettre  en  ordre  I'escadron  le  plus  proche, 
que  les  ennemis  rompirent  aussi;  et  sans  le  re- 
giment de  Beauveau  qui  tint  ferme  ,  et  battit  le 
premier  escadron  des  ennemis  qui  avoit  fait  le 
desordre ,  tout  le  parti  auroit  ete  entierement 
defait.  Get  avantage  donna  le  temps  aux  autres 
de  se  mettre  en  bataille ,  et  de  recevoir  I'at- 
taque  qui  ne  fut  pas  fort  vigoureuse,  Droot 
aj^ant  ete  blesse  a  celle  du  regiment  de  Beau- 
veau. Les  ennemis  ne  scachant  point  la  force 
du  parti  auquel  ils  avoient  affaire,  jugerent  a 
propos  de  se  retirer;  les  Francois  ne  songerent 
point  a  les  poursuivre,  et  auroient  cru  s'etre 
assez  heureusement  tires  d'affaire  sans  la  mort 
de  M.  de  Beaujeu.  Le  nombre  des  tues  et  des 
blesses  fut  petit  de  part  et  d'autre ;  il  y  eut  plus 
de  desordre  que  de  mal ,  et  on  pent  dire  qu'en 
cette  occasion  les  deux  partis  furent  battus. 

Le  due  d'Yorck  etant  a  lie  en  parti  a  son 

tour enleva  un  autre  parti 

des  ennemis.  II  npprit  en  retournant  vers  le 
camp  ,  par  un  petit  detachement  qu'il  avoit  fait, 
que  cent  chevaux  des  ennemis  s'etoient  mis  en 
embuscade  un  pen  devant  le  jour  dans  un  village 
prochain  ;  il  marcha  aussitot  de  ce  c6te-la  avec 
tout  sou  parti ,  et  approchant  du  village  autant 
qu'il  se  pouvoit  sans  etre  decouvert ,  il  envoya 
quelques  cavaliers  pour  les  attirer  hors  de  I'em- 
buscade,  avec  ordre,  quand  ils  avaneeroient 
pour  les  charger,  de  se  retirer ;  ce  qu'ils  execu- 
terent  avec  tant  d'adresse ,  que  les  ennemis  se 
ti'ouverent  engages  tout  contre  les  troupes  du 
Roi  avant  qu'ils  s'en  appercurent,  tellement 
qu'il  n'en  echapa  pas  un  qui  ne  fut  pris. 

Pendant  que  toutes  ces  choses  se  passoient 
hors  des  deux  camps ,  les  ennemis  ayant  fini 
leurs  lignes  le  14,  ouvrirent  la  tranchee  la 
meme  nuit ,  pousserent  le  siege  avec  toute  la 
diligence  possible,  et  presserent  la  place  si  vi- 
vement  que  quelque  vigoureuse  resistance  que 
fit  M.  de  Moudejeu,  qui  en  etoit  gouverneur,  et 
qui  etoit  seconde  avec  toute  la  bravoure  imagi- 
nable par  messieurs  de  Saint-Lieu,  de  Crequi 
et  d'Equancourt,  les  Espagnols  ne  laissoient  pas 
de  gagner  tons  les  jours  du  terrain  :  ils  etoient 
maitres  le  .  .  .  d'aoiit  des  ouvrages  exterieurs 
et  interieurs  de  la  corne  de  Guiche  ,  et  le  gou- 
verneur envoyoit  souvent  des  messagers  pour 


informer  de  I'etat  de  la  place ,  dont  quelques- 
uns  arriverent  au  camp:  un  d'eux  ayant  avale 
la  lettre  qu'il  apportoit ,  envelopee  dans  un  mor- 
ceau  de  plomb,  afin  qu'en  cas  qu'il  fut  pris,  on 
ne  put  rien  trouver  sur  lui ,  et  arrivant  lorsqu'on 
etoit  fort  inquiet  d'apprendre  ce  qui  s'etoit  passe 
ce  pauvre  homme  ne  rendant  point  le  plomb  ] 
quoiqu'on  lui  eut  donne  plusieurs  mcdecincs, 
M.  de  La  Fertc  cria  tout  en  colere :  ilfaut  evan- 
trer  le  coquin;  ce  malheureux ,  qui  I'entendit 
de  la  porteou  il  etoit,  en  eut  si  grande  peur, 
qu'il  rendit  dans  le  moment  son  plomb,  et  les 
nouvelles  qu'on  y  trouva  firent  differer  I'attaque 
des  lignes  juscju'a  I'arrivee  des  troupes  qui 
etoient  devant  Stenai. 

Arras  n'etoit  pas  si  presse  qu'on  I'avoit  cru 
sur  des  lettres  des  ennemis  qu'on  avoit  inter- 
ceptees,  dans  lesquelles  ils  mandoient  en  Flan- 
dre  qu'ils  seroient  maitres  de  la  place  le  jour 
de  la  Saint-Laurent  au  plus  tard  ;  ce  qui ,  joint 
aux  nouvelles  qu'on  eut  en  meme  temps  que  le 
siege  de  Stenai  u'avancoit  pas  autant  qu'on  I'a- 
voit espere,  et  qu'ainsi  il  u'y  avoit  point  d'ap- 
parence  qu'on  put  avoir  les  troupes  qui  y  etoient 
employees  avant  ce  jour-la ,  avoit  fait  prendre 
aux  generaux  la  resolution  de  ne  les  pas  atlen- 
dre  et  d'attaquer  les  lignes  sans  elles. 

On  continua  sur  ce  pied  les  preparatifs  ,  pour 
s'en  servir  quand  on  le  jugeroit  a  propos,  et  on 
ordonna  aux  escadrons  et  aux  bataillons  de  se 
fournir  chacun  d'un  certain  nombre  de  fascines 
et  de  clayes  dans  deux  joui's  ^  on  fit  celte  provi- 
sion ,  parce  que  les  ennemis  avoient  creuse  de- 
vant les  fosses  de  leurs  lignes,  six  rangs  de 
trous  d'enviroD  deux  pieds  de  diametre  et  de 
trois  de  profondeur,  pour  empecher  la  cavalerie 
d'en  approcher,  et  on  esperoit  avec  les  clayes 
rendre  ces  trous  inutiles  ;  mais,  comme  on  vient 
de  le  dire ,  ces  craintes  se  dissiperent  par  les 
nouvelles  qu'on  recut  du  gouverneur  d'Arras 
et  par  celles  qu'on  eut  le  jour  suivant  du  camp 
devant  Stenay,  que  la  place  seroit  bientot  prise. 

Le d'aout,  on  eut  avis  que  le  mare- 

chal  d'Hocquincourt ,  qui  avoit  succede  au  com- 
raandement  de  I'armee  depuis  que  M.  Faber 
avoit  pris  Stenay,  avancoit,  etsouhaittoit  d';ip- 
prendre  s'il  vieudroit  joindre  la  grande  armee, 
ou  s'il  iroit  camper  dans  quelqu'autre  lieu  ;  sur 
quoi  on  lui  repondit  que  M.  de  Turenne,  avec 
quinze  escadrons ,  iroit  au-devant  de  lui,  et  que 
s'il  vouloit  avancer  avec  sa  cavalerie  a  un  cer- 
tain endroit ,  ils  iroient  ensemble  reconnoitre 
un  poste  sur  le  ruisseau  de  Crinchon ,  aupres 
de  Rivieres ,  oil  on  esperoit  qu'en  se  retran- 
chant  un  peu  ,  I'armee  de  M.  le  marechal  d'Hoc- 
quincouit  y  seroit  en  surele. 


:>7r. 


MEMOinES   lui   bi'c  d'yoi'.ck.  [1054 


J.es  deux  gt'm'raux  se  rencontrerent ,  le  17 
(Vaout ,  a  rendi'oit  dont  on  etoit  convenu  ;  mais 
au  lieu  d'aller  reconnoitre  leposte,  sur  I'avis 
({u'ils  eurent  qu'il  venoit  aux  ennemis  un  grand 
convoi  par  le  chemin  de  Saint-Pol ,  sous  le  com- 
raandement  de  M.  de  Boutteville,  lis  marche- 
rent  dans  le  meme  instant  avec  toute  leur  cava- 
lerie  pour  le  couper,  et  envoyerent  ordre  a  I'in- 
fanterie  de  M.  d'Hocquincourt ,  a  son  canon  et 
a  ses  bagages ,  qui  etoient  alors  aupres  de  Ba- 
paume,  de  marcher  en  toute  diligence  vers 
Saint-Pol ,  par  le  chemin  de  Buquoy,  le  long 
des  bois  ,  parce  quMIs  n'avoient  point  de  cava- 
lerie  pour  les  soutenir ;  mais  en  arrivant  aupres 
de  Saint-Pol ,  on  apprit  que  les  ennemis  ,  ayant 
ete  avertis  de  la  marche  des  troupes  du  Roi , 
avoient  fait  rentrer  le  convoi  dans  Aire.  Les 
deux  generaux  nejugerent  pas  a  propos  d'aller 
plus  loin ;  mais  pour  ne  pas  perdre  tout-a-fait 
leur  peine,  ils  resolurent  de  s'emparerde  Saint- 
Pol,  ou  les  ennemis  avoient  laisse  quatre  ou 
cinq  cens  cavaliers  demontes ,  et  d'attendre  I'in- 
fanterie  pour  I'attaquer,  le  poste  etant  de  con- 
sequence. C'etoit  par  la  que  les  ennemis  avoient 
fait  passer  surement  la  plupart  de  leurs  con- 
vois.  Cette  place  leur  servit  pour  se  rafraichir 
dans  la  communication  continuelle  qu'il  y  avoit 
eu  entre  leur  armee  et  leurs  garnisons  ch-con- 
voisines.  II  etoit  important  de  la  prendre,  et 
elle  ne  couta  que  fort  peu  de  temps  et  de  peine  ; 
oar  des  que  I'infanterie  et  le  canon  furent  arri- 
ves et  les  batteries  dressees ,  les  ennemis  ca- 
pitulerent,  et,  si  on  ne  se  trompe,  furent  faits 
prisonniers  de  guerre. 

Le  lendemain ,  qui  etoit  le  I'j,  I'armee  re- 
tourna  du  cote  des  lignes  et  campa  a  Aubigny, 
oil  etant  arrivee  de  bonne  heure,  M.  de  Turenne, 
suivant  sa  coutume,  prit  un  escadron  ou  deux 
de  cavalerie  et  marcha  vers  les  lignes  des  en- 
nemis; etant  arrive  aupres  d'un  vieux  camp 
des  Romains,  que  les  gens  du  pais  appellent  le 
camp  de  Cesar ,  oil  la  Scarpe  et  un  petit  ruis- 
seau  se  joignent,  il  trouva  que  les  ennemis  y 
avoient  une  garde  avancee,  qui,  s'etant  retiree 
de  I'autre  cote  du  ruisseau  ,  lui  donna  la  facilite 
de  reconnoitre  a  loisir  ce  poste ,  qui  n'etoit 
eloigne  des  lignes  que  de  deux  portees  de  ca- 
non :  il  le  trouva  si  propre  pour  son  dessein 
qu'il  proposal  a  M.  d'Hocquincourt  de  s'en  sai- 
sir,  le  trouvant  beaucoup  m.eilleur  que  celui  de 
Rivieres.  Le  lendemain  on  y  marcha;  M.  d'Hoc- 
((uineourt,  pour  y  etre  plus  cnsurcte,  lit  tirer 
line  ligiie  depuis  la  riviere  jusqu'au  ruisseau  , 
et  trouvant  que  les  ennemis  avoient  poste  en- 
viron cin;[  cens  hommes  dans  I'abbaye  du  Mont- 
Saint-Kloy,  qui  etoit  vis-a-vis,  de  I'autre  cote 


de  cette  riviere,  il  r^solut  de  I'attaquer  le  jour 
suivant,  malgre  la  proximite  des  lignes  des  as- 
siegeans,  atin  que,  s'en  etant  rendu  maitre,  il 
put  d'autant  plus  les  resserrer.  II  passa  pour 
cet  effet  de  bon  matin  la  riviere  ,  qui  n'etoit  pas 
profonde  en  cet  endroit ,  et  rangea  ses  troupes 
en  bataille  entre  I'abbaye  et  les  lignes,  a  la  re- 
serve de  I'infanterie  qui  etoit  commandee  pour 
I'attaque.  Les  ennemis  d'abord  firent  mine  de 
vouloir  defendre  les  murailles  du  dehors  ;  mais 
a  I'approche  de  I'infanterie  ils  les  abandonne- 
rent,  se  retirant  dans  le  dedans  de  I'abbaye, 
qui  etoit  fermee  d'une  vieille  muraille  fort 
bonne  et  flanquee  de  tours  rondes.  On  fit  aus- 
sitot  dans  la  muraille  du  dehors  des  embrasures 
pour  le  canon ;  mais  comme  on  trouva  qu'il  eloit 
a  une  distance  trop  eloignee  pour  faire  une 
execution  suffisante,  on  approcha  une  petite  bat- 
terie  qui  n'etoit  pas  beaucoup  meilleure  qu'une 
blinde,ony  conduisit  du  gros  canon  qui  en 
peu  d'heures  fit  une  breche.  Cependant  les  gar- 
des fiancoises  et  suisses  s'etant  coules,  a  la  fa- 
veur  d'une  allee  d'arbres  et  des  murs  d'un  petit 
jardin ,  jusqu'a  la  portee  d'un  pistolet  du  pied 
de  la  muraille  principale,  ils  y  attacherent  le 
mineur,  auquel  on  porta  ,  pendant  qu'il  se  lo- 
geoit ,  des  planches  pour  se  couvrir,  et  afin  qu'il 
travaillat  avec  plus  de  siirete,  ils  s'avancerent 
a  decouvert  pendant  un  demi-quart  d'heure, 
faisant  grand  feu  sur  les  trous  de  la  muraille 
principale  de  I'abbaye,  par  oil  les  ennemis  ti- 
roient,  et  se  retirerent  ensuite  sans  avoir  perdu 
que  peu  de  monde.  Le  regiment  de  la  marine 
trouva  dans  le  meme  temps  le  moyen  de  se  lo- 
ger,  a  la  faveur  d'une  petite  levee  de  terre, 
contre  la  tour  que  le  canon  battoit,  ce  qui  obli- 
gea  les  ennemis  de  capituler  et  de  se  rendre 
prisonniers  de  guerre.  M.  d'Hocquincourt  se  re- 
tira  ensuite  au-dessous  du  ruisseau  ,  au  camp  de 
Cesar,  et  M.  de  Turenne  retourna  a  son  camp 
avec  ses  quinze  escadrons  et  deux  compagnies 
de  dragons. 

II  resolut,  en  chemin  faisant,  de  reconnoitre 
les  lignes  des  ennemis  de  ce  c6te-la.  II  y  mar- 
cha droit  en  descendant  du  Mont-Saint-Eloy,  et 
en  etant  approche  a  la  demi-portee  du  canon  , 
il  les  cotoja  toujours  a  la  meme  distance  le  long 
de  la  Scarpe,  jusqu'a  ce  qu'il  les  eut  observes 
autant  qu'il  le  jugea  necessaire  de  ce  c6te-la  ; 
cependant  les  ennemis  firent  grand  feu  de  leur 
canon  ;  il  n'y  eut  point  d'escadron  qui  ne  perdit 
deux  ou  trois  hommes  sans  les  chevaux ;  et 
quelques  vieux  ofiicicrs  murmurerent  de  ce 
qu'on  les  exposoit  ainsi  pour  rien ,  a  ce  qu'ils 
croyoient :  c'est  la  seule  fois  que  le  due  d'Yorck 
ait  entendu  ,  pendant  qu'il  a  servi  dans  les  ar- 


MEMOIRES    DU    DUC    D  YORCK 


mees  de  France ,  bl^mer  M.  de  Turenne  d'ex- 
poser  son  monde  sans  uecessite.  Mais  ces  mes- 
sieurs recounurent  leur  faute  apres  qu'on  eut 
force  les  lignes,  puisque  ce  fut  dans  ce  temps-la 
(ju'il  choisit ,  en  s'exposant  iui-meme  aussi  blen 
que  les  autres,  i'endroit  par  oil  on  les  attaqua ; 
fts'il  nes'etoit  pasapproche  avec  toutes  les  trou- 
pes qu'il  avoit  avec  lui ,  les  gardes  avancees  des 
ennemis  ne  se  seroient  point  retirees  comrae 
elles  firent ,  et  il  n'auroit  pu  reconnoitre  toutes 
choses  avec  tant  d'exactitude.  II  avanca  si  pres 
avec  queiques  officiers  voiontaires ,  que  le  che- 
val  de  milord  Germain  fut  tue  sous  lui  d'un  coup 
de  mousquettire  des  lignes,  dont  labalie,  apres 
avoir  passe  au  travers  du  corps  de  eet  animal , 
le  blessa  rudement  a  la  jambe. 

M.  de  Turenne  remarqua  que  le  quartier  de 
dom  Fernando  Solis  etoit  le  moins  fortifie,  et  le 
plus  foible  en  monde  ,  et  resolut  d'y  faire  la 
principale  attaque.  Pendant  qu'on  dcscendoit 
du  mont  Saint-Eloy,  queiques  officiers  prirent 
la  liberte  de  lui  dire  qu'il  s'exposoit  beaucoup 
en  allant  si  pres  des  ennemis  dans  un  pais  de- 
couvert,  et  ils  pouvoient  compter  jusqu'a  un 
homme,  sortir  de  leurs  lignes,  I'attaquer  et  le 
defaire.  II  avoua  qu'ils  le  pouvoient,  qu'il  n'au- 
roit pas  ose  hasarder  autant  du  c6te  du  prince 
de  Conde ;  mais  qu'ayant  servi  avec  les  Espa- 
gnols,  il  connoissoit  leur  flegme  et  leur  cou- 
tume ;  qu'il  etoit  sur  qu'a  son  approche  Fer- 
nando Solis  n'oseroit  rien  entreprendre  de  son 
chef;  qu'il  envoyeroit  au  eomte  de  Fuensalda- 
gne  qui  etoit  gouverneur  des  armes;  que  le 
comte  iroit  Iui-meme  ,  ou  en  envoyeroit  avertir 
I'archiduc ,  qui  ne  mauqueroit  pas  de  faire  prier 
le  prince  de  Conde ,  dont  le  quartier  etoit  di- 
rectement  oppose  ausien,  d'y  venir  deliberer 
dans  un  conseil  qu'il  feroit  assembler  pour  re- 
soudre  ce  qui  ^toit  a  faire;  et  que  pendant  que 
ces  consultations  se  feroient  enlre  tant  de  per- 
sonnesdifferentes,  on  auroit  loisir  de  reconnoi- 
tre leurs  lignes  sans  autre  danger  que  celui  du 
canon ,  et  de  se  retirer.  Tout  se  passa  comme 
M.  de  Turenne  I'avoit  prevu  :  les  Espagnois  ob- 
serverent  toutes  ces  formalites ,  et  resolurent 
dans  leur  conseil  de  I'attaquer  quand  il  n'en 
etoit  plus  temps  ;  le  prince  de  Conde  a  dit  depuis 
au  due  d'Yorck  toutes  ces  particularites. 

Les  generaux  recurent  uue  lettre  du  gouver- 
neur, par  laquelle  il  les  avertissoit  qu'il  ne  lui 
restoit  que  fort  peu  de  poudre,  et  que,  s'il  n'e- 
toit  promptement  secouru  ,  il  seroit  force  de  ca- 
pituler.  Ces  nouvelles  haterent  la  resolution  qui 
fut  prise  d'attaquer  les  lignes  :  on  ne  s'y  seroit 
jamais  determine  sans  M.  de  Turenne ,  qui  n'a- 
voit  en  vue  que  le  bien  public  et  le  service  du 

III.  C.  D.    M.,  T.   III. 


[1654]  577 

Roi ,  au  lieu  que  la  plupart  des  autres  officiers 
generaux  n'avoient  point  d'autre  motif  que  ce- 
lui de  leurs  interets  particuliers,  qui  les  firent 
se  declarer  ouvertement  contre  cedessein,  et 
opposer  toutes  les  raisons  dont  ils  purent  s'aviser. 
M.  de  La  Ferte,  M.  d'Hocquincourt,  gouverneur 
de  Peronne,  M.  de  Navailles,  gouverneur  de 
Bapaurae,  M.  de  Bar,  gouverneur  de  Dourians, 
et  presque  tons  les  autres  ,  a  la  reserve  du  due 
d'Yorck  et  du  comte  de  Broglio ,  regardoient 
cette  entreprise  comme  un  coup  de  desespoir,  et 
ne  I'approuvoient  point ,  pretendant  se  discul- 
per,  si  I'entreprise  ne  reussissoit  i)as ,  en  disant 
qu'ils  avoient  ete  d'un  sentiment  contraire. 

M.  d'Hocquincourt  et  ses  officiers  proposerent 
de  ne  faire  qu'une  simple  tentative  sans  pousser 
I'affaire,  comrae  un  expedient  pour  sauver  Tlion- 
neur  de  I'armee  ,  ne  croyant  pas  qu'il  fut  possi- 
ble de  reussir.  M.  de  La  Ferte ,  apres  meme  que 
la  chose  fut  resolue ,  envoya  un  trompette  a 
M.  de  Turenne ,  dans  le  dessein  de  I'intimider, 
comme  il  parut  par  la  maniere  dont  il  s'y  prit: 
le  trompette  entra  brusquement  dans  la  tente 
du  Aicomte  pendant  qu'il  soupoitavec  plusieurs 
officiers ,  et  dit  tout  haut  que  son  maiti-e  I'en- 
voyoit  pour  lui  rendre  compte  de  ce  qu'il  avoit 
vu  dans  les  lignes  des  ennemis  d'oii  il  revenoit  • 
qu'il  se  croyoit  oblige  en  conscience  de  lui  en 
faire  un  rapport  fidelle ;  que  les  ennemis  avoient 
considerablement  eleve  leurs  retranchemens  ; 
que  le  fosse  exterieur  seroit  tres-difficile  a  pas- 
ser ;  que  par  de  la  ils  avoient  creuse  tout  le  long 
plusieurs  rangs  de  trous ,  dans  les  intervalles 
desquels  ils  avoient  fiche  des  pieux  ;  que  les  li- 
gnes etoient  bien  bordees  de  troupes  pour  les 
defendre.  M.  de  Turenne  lui  commanda  de  se 
retirer,  lui  disant  que ,  si  ce  n'etoit  le  respect 
qu'il  avoit  pour  son  maitre ,  il  I'auroit  fait  met- 
tre  aux  fers  pour  avoir  paile  de  la  sorte.  Cette 
description,  faite  ainsi  publiquement,  auroit  pu 
effrayer  ceuxqui  l'entendirent,s'ils  n'en  avoient 
connu  la  source  et  le  motif  ;  mais  de  pareils  ar- 
tifices n'etoient  point  capables  d'ebranler  la  fer- 
mete  de  M.  de  Turenne  ,  et  leur  foiblesse  le  con- 
firmoit  d'autant  plus  dans  sa  resolution.  II  con- 
vainquit  ceux   qui  s'opiniatrerent  a   ne  faire 
qu'une  tentative  ,  qu'au  lieu  de  sauver  leur  re- 
putation elle  seroit  en  effet  toute  contraire,  puis- 
qu'en  faisant  une  fausse  attaque  sans  la  pousser, 
il  seroit  visible  a  tout  le  monde  qu'on  n'auroit 
pas  voulu  combattre,  et  on  les  blameroit  avec 
justice  d'avoir  sacrifie  inutilemeut  deux  ou  trois 
cens  hommes  qu'on  y   perdroit.  II  representa 
qu'en  poussant  I'affaire  tout  de  bon  ,  on  n'atta- 
quoit  pas  un  seul  endroit  des  lignes  avec  moins 
de  quinze  bataillons  de  front ;  que  quelquesuns 


JS 


MEMOIRES    DU    DUG    d'vORCK.    [lOol 


ne  ti'ouveroient  aiicune  opposition  ,  ou  tout  au 
plus  un  petit  nombre  de  gens  disperses  ,  qui 
n'etant  point  capables  de  resister,  on  pourroit 
s'etablir,  et  donner  lieu  aux  troupes  procbaines, 
qui  n'auroient  pu  forcer  le  cote  qui  leur  etoit  op- 
pose ,  d'entrer  par  le  meme  endroit  et  d'y  faire 
un  passage  a  la  cavalerie;  qu'en  attaquant  la 
nuit,  aucun  quartier  des  ennemis  n*oseroit  "ve- 
nir  au  secours  d'un  autre ;  que  chacun  crai- 
gnant  pour  soi  a  cause  des  fausses  attaques , 
personne  n'bazarderoit  de  quitter  son  terrain  , 
et  ne  secoureroit  tout  au  plus  que  son  plus  pro- 
che  voisin  ,  jusqu'a  la  pointe  du  jour,  avant  le- 
quel  on  se  seroit  fait  un  passage  au  travers  de 
leurs  lignes ;  que  la  seule  chose  qu'il  apprebcn- 
doit  etoit  qu'il  n'arrivat  quelque  accident  ou 
quelque  desordre  en  marchant  aux  ennemis ; 
mais  qu'il  etoit  sur  que,  si  on  etoit  une  fois  range 
dans  les  endroits  oil  il  pretendoit  attaquer,  on  ne 
manqueroit  point  de  les  forcer  :  ce  qui  donna  le 
plus  de  poids  a  tant  de  bonnes  raisons ,  c'est 
que  la  cour  vouloit  absolument  qu'on  entreprit 
le  secours.  II  fut  enlin  resolu  malgre  les  detours 
et  la  repugnance  de  ceux  qui  s'y  etoient  opposes. 
Le  jour  fut  pris  pour  la  veille  de  saint  Louis  , 
et  quoiqu'il  n'y  eiit  que  les  trois  generaux  qui  le 
scussent,  toiUe  I'armee  eut  ordre  de  se  tenir 
prete  ,  de  se  pourvoir  de  fascines,  de  clayes  et 
de  toutes  les  cboses  necessaires  pour  cette  en- 
treprise.  On  fit  des  prieres  publiques  a  la  tete  de 
cbaque  bataiilon  et  de  chaque  escadron  pendant 
plusieurs  jours;  jamais  ii  ne  s'est  vu  dans  une 
armee  tant  de  marques  d'une  veritable  devotion, 
tant  de  confessions  et  communions. 

Peu  de  jours  avant  I'attaque  ,  M.  de  Turenne 
ne  perdoit  aucune  occasion  de  s'entretenir  avec 
les  officiers  de  la  maniere  dont  il  s'y  falloit 
prendre  ,  et  de  la  resistance  qu'on  pourroit  pro- 
bablemeut  trouver.  II  les  instruisoit  de  ce  qu'il 
falloit  faire,  suivant  les  differentes  occasions 
et  les  accideus  qui  pourroient  arriver ;  il  leur 
recommanda  surtout  de  tenir  les  soldats  en  bon 
ordre ,  quand  ils  seroient  entres  dans  les  lignes ; 
de  ne  les  point  laisser  avancer  trop  vite  ,  parce 
(jue  ce  seroit  le  moment  le  plus  cbatouilleux , 
et  le  temps  de  crise  ;  d'observer  une  grande  at- 
tention et  une  exacte  discipline,  y  ayant  plus 
de  danger  d^en  etre  chasse  qu'il  n'y  auroit  de 
peine  a  y  entrer,  parce-qu'il  falloit  s'attendre 
que  toutes  les  forces  ennemies  des  quartiers  voi- 
sins  du  lieu  qui  seroit  force  ,  y  tomberoient  sur 
les  altaquans ;  qu'il  ne  falloit  point  songer  d'al- 
ler  droit  a  la  villc;  qu'il  falloit  au  contraire  mar- 
cher le  long  de  la  Hgne,  eten  chasser  les  enne- 
mis, avant  que  d'aller  aux  amis.  On  pourroit 
croire  que  c'es    de  cetle  maniere  d'entretiens 


des  generaux  ,  que  les  bistoriens  leur  font  faire 
de  grandes  et  de  longues  harangues  sur  le  point 
de  donner  les  batailles  ,  lorsqu'ils  y  songeoient 
le  moins  ;  au  lieu  que  ces  discours  familiers  , 
comme  ceux  que  faisoit  M.  de  Turenne  aux  ge- 
neraux et  aux  officiers,  paroissent  bien  plus  uti- 
les, et  instruisent  d'autant  raieux  ,  qu'on  a  le 
temps  de  faire  les  objections  et  de  les  eclaircir. 
Le  due  d'Yorck  est  temoin  que  M.  de  Turenne 
en  usa  ainsi ,  mais  il  ne  scait  pas  si  les  deux  au- 
tres  generaux  firent  la  meme  chose  de  leur  cote. 
Tout  ce  qu'il  y  avoit  de  personnes  de  qualite 
a  la  cour,  capables  de  tirer  I'epee,  voulurent  par- 
tager  I'honneur  et  le  danger  d'une  si  grande  ac- 
tion. Deux  jours  auparavant,  quelques-unsd'eux 
qui  avoient  dine  dans  la  tente  de  M.  d'Humie- 
res  avec  M.  de  Turenne,  ou  se  trouvoit  aussi  le 
due  d'Yorck,  demanderent  de  voir  les  lignes 
des  ennemis;  M.  de  Turenne  monta  a  cheval  et 
fut  a  peine  hors  de  scs  lignes,  qu'on  appercut 
un  parti  qui  en  poursuivoit  un  des  ennemis  qui 
etoit  tombe  sur  les  fourageurs  qui  retournoient 
au  camp  :  M.  de  Turenne  ,  les  ayant  observes  , 
ordonna  a  ces  messieurs  de  se  mettre  entre  les 
fuyards  et  leurs  lignes  pour  les  couper,  et  com- 
manda  en  meme  temps  a  la  garde  avancee  de 
les  soutenir ;  mais  les  ennemis ,  etant  bien  mon- 
ies, gagnerent  leur  garde  avant  qu'on  put  les 
joindre;  et  comme  on  les  suivoit  toujours,  ils 
rentrerent  dans  leur  camp  et  abandonnerent 
quelques  soldats  qui  coupoientdes  fascines  dans 
un  petit  bois  ,  a  demi-portee  de  canon ,  et  qu'on 
fit  prisonniers.  M.  de  Turenne  seservit  de  cette 
occasion  pour  reconnoitre  cet  endroit  de  leurs 
lignes  qu'il  n'avoit  pas  encore  vu ;  mais  il  neput 
y  arreter  long-temps,  a  cause  du  grand  feu  de 
leur  canon  et  de  la  diligence  avec  laquelle  on  les 
vit  monter  a  cheval  :  c'etoit  le  quartier  du 
prince  de  Conde.  On  se  retira ;  on  mareha  vers 
le  chateau  de  Neuvilie-Saint-Vat,  eloigne  d'une 
lieue,  dans  lequel  on  avoit  de  I'infanterie;  et 
en  descendant  de  la  hauteur,  on  appercut  a  en- 
viron une  lieue  I'escorte  des  fourageurs ,  qui 
etoit  de  douzeescadrons  ,  commandee  par  M.  de 
L'Islebonne,  qui  retouunoit  au  camp;  et  voyant 
en  meme  temps  de  la  cavalerie  eunemie  sortir 
des  lignes,  M.  de  Turenne  se  detourna  un  peu 
de  son  chemin  et  mareha  vers  M.  de  L'Isle- 
bonne, a  qui  il  envoya  ordre  de  venir  a  lui  avec 
toute  la  diligence  possible,  esperant,  si  les  en- 
nemis avancoient,  de  pouvoir  les  regaler  :  car, 
outre  I'escadron  de  la  garde,  il  avoit  encore 
avec  lui  environ  soixante-dix  officiers  et  volon- 
lontaires  ;  mais  les  ennemis  resterent  sur  lehaut 
de  la  montagne,  a  la  portee  du  canon  de  leurs 
lignes.  Lo  prince  de  Conde  y  vint  Ini-memeavec 


MEiwoinrs  Du   dug  d'voeck.  [1G54] 


environ  quatorzeescadrons,  ct  M.  de  Turenne, 
voyant  qu'ils  ne  suivoientpas  plus  loin,envoya 
ordre  a  M.   de  L'Islebonue  de  retourner  au 
camp,  renvoya  Tescadrou  de  la  garde  a  son 
poste,  et  s'en  alia  avec  les  officiers  et  volontai- 
res  au  chateau  de  Neuville.  II  n'eut  pas  fait 
beaucoup  de  chemin  qu'il  se  detacha  quelques 
coureurs  de  la  hauteur  oil  le  prince  de  Conde 
etoit  encore,  pour  gagner  le  haul  d'une  autre 
eminence  sur  laqueile  marchoit  M.  de  Turenne, 
afm  de  decouvrir  quelles  forces  il  avoit  derriere 
lui ;  ce  qu'ayant  remarque ,  et  ne  voulant  pas 
que  les  enneniis  pussent  voir  qu'il  n'etoit  soute- 
nu  de  personne ,  il  ordonna  a  une  dixaine  de 
volontaires  d'aller  a  eux  :  MM.  Germain  ,  Ber- 
klei,  Bicara,  Trigomar  etoient  de  ce  nombre; 
le  leste  de  la  troupe  escadrona  sur  la  montagne 
et  fit   face  a  I'ennemi ;  mais  les  jeunes  vo- 
lontaires ,  ne  s'etant  pas  coutentes  de  fairs  ce 
qu'on  leur  avoit  ordonne,  suivirent  ces  cava- 
liers ecartes  plus  loin  qu'ils  nedevoient,  jus- 
qu'au  fond  qui  etoit  entre  eux  et  les  ennemis. 
Le  prince  de  Conde  detacha  aussitot  uq  esca- 
dron  qui  etoit  le  regiment  d'Estrees,  a  la  tete 
duquel  etoit  le  due  de  Wirtemberg ,  pour  leur 
couper  la  retraite:  ce  qui  obligea  M.  de  Turenne 
de  detacher  son  petit  escadron  pour  les  degager. 
II  fit  courir  de  rechef  apres  de  M.  de  L'Islebonue 
pour  lui  ordonner  de  venir  a  lui ,  et  envoya  le 
raeme  ordre  a  I'escadron  de  la  garde.  Ce  fut 
tout  ce  qu'on  put  faire  pour  debarrasser  les  vo- 
lontaires; mais  pour  les  sauver,  il  falloit  char, 
ger  le  due  de  Wirtemberg ,  dont  on  delit  I'es- 
cadron, malgre  Tinegalite  du  nombre.  On  le 
poursuivit  en  bas  dans  une  petite  prairie  et  sur 
une    petite   hauteur,  ou  les   cavaliers  faisant 
A  olte-face ,  ils  firent  une  decharge  de  leurs  ca- 
rabines qui  arrela  un  pen  les  poursuivans,  dont 
il  y  eut  quelques-uns  de  tues.  Les  ennemis  re- 
prirent  courage  et  chargerent  une  seconde  fois 
avec  taut  de  vigueur,  que  le  petit  escadrou  plia, 
fut  pousse  et  oblige  de  tourner  le  dos.  L'esca- 
dron  de  la  garde  qui ,  en  retournant  a  son  poste, 
avoit  vu  le  commencement  de  Taction ,  arriva 
ausecours;  aussitot  le  due  d'Yorck  et  M.  de 
Joyeuse  se  mirent  a  leur  tete  pour  les  faire  char- 
ger I'ennemi  en  flanc;  mais  a  peine  eurent-ils 
commence ,  que  tout  Tescadron  s'enfuit ,  et  les 
laissa  tous  deux  engages  avec  deux  ou  trois  de 
leurs    domestiques.    Dans  le  meme  moment, 
M.  d'Arci,  gentilhomme  de  quality,  ayant  eu 
son  cheval  tue  sous  lui,  on  tacha  de  le  degager ; 
le  due  d'Yorck  I'appella;  mais  voyant  un  che- 
val qui  n'etoit  point  monte ,  il  fit  ce  qu'il  put 
pour  I'attraper,  et  y  perdit  tant  de  temps ,  que , 
bien  que  ce  prince  el  M.  de  Joyeuse  fissent  leurs 


efforts  pour  le  mettre  h  couvert,  ce  fut  en  vain- 
et  pour  s'y  etre  opiniatres  trop  long-temps ,  ils 
furent  en  grand  danger  d'etre  pris,  ne  se  sau- 
verent  qu'avec  peine,  et  M.  de  Joyeuse  eut  le 
malheur  de  recevoir  un  coup  de  mousquet  au 
travers  du  bras ,  dont  il  mourut  ensuite.  Le  due 
d'Yorck  se  tira  d'affaire  sans  aucun  raal ;  my- 
lord  Germain  pensa  etre  pris  en  tachant  de  sau- 
ver un  gentilhomme  nomme  Beauregard ,  dont 
le  cheval  avoit  ete  tue ;  il  voulut  le  prendre  en 
croupe  sur  le  sien  ,  mais  le  cheval ,  ne  voulant 
point  porter  double ,  se  cabrant  et  bondissant , 
il  fut  jett6  bas;  Germain  lui  dit  de  se  tenir  a 
son  etrier,  et  le  tira  quelque  peu  hors  des  enne- 
mis; mais  etant  poursuivi  de  trop  pres,  il  fut 
oblige  de  le  laisser,  et  Beauregard  fut  fait  pri- 
sonnier.  M.  Berklei  aida  a  sauver  M.  de  Castel- 
nau  ,  dont  le  cheval ,  ayant  recu  cinq  coups ,  ne 
le  tira  qu'a peine  des  mains  des  ennemis:  ce  que 
Berklei  ayant  remarque,  il  descendit  de  son 
cheval  qu'il  lui  donna ,  monta  celui  du  page  de 
Castelnau,et  eut  beaucoup  de  peine  a  se  sauver. 
On  fut  poursuivi  une  demi-Iieue  par  les  enne- 
mis, jusqu'a  ce  que  M.  de  L'Islebonne  arriva 
enfin  avec  ses  douze  escadrons  ;  les  ennemis , 
qui  I'appercurent,  eurent  le  temps  de  se  retirer 
sans  etre  obliges  de  courir.  Outre  d'Arci  et  Beau- 
regard ,  il  y  en  eut  d'autres  faits  prisonniers ,  et 
presque  tous  les  pages  qui  portoientlesmanteaux 
de  leurs  maitres;  mais  il  y  eut  peu  de  tues  et  de 
blesses. 

Toutes  choses  etant  pretes  pour  I'attaque  des 
lignes  ,  il  fut  resolu  de  faire  le  principal  effort 
sur  les  quartiers  de  Fernand  Solis  ,  comme  etant 
le  plus  foible  et  le  plus  eloigne  de  celui  du  prince 
de  Conde.  Ce  quartier  etoit  au  septentrion ,  au- 
dessus  de  la  ville ,  et  joignoit  celui  du  comte  de 
Fuensaldagne.  Pour  favoriser  ce  dessein,  il 
avoit  ordonne  trois  fausses  attaques  en  trois  dif- 
ferens  endroits,  en  on  devoit  coramencer  une 
heure  avantle  jour,  le  25  d'aoiit.  Pour  executer 
cette  grande  entreprise ,  M.  de  Turenne  et  M.  de 
La  Ferte  commencerent  a  passer  la  Scarpe  avec 
I'avant-garde  de  leurs  troupes  ,  par  le  quartier 
de  M.  de  La  Ferte,  comme  le  soleil  se  couchoit : 
c'etoit  le  jour  de  M.  de  Turenne  pour  conduire 
Tarmee.  Quoiqu'il  y  cut  loin  a  marcher  pour  ar- 
river  au  lieu  destine  pour  I'attaque,  il  n'arriva 
aucune  confusion  dans  le  chemin.  La  premiere 
ligne  d'infanterie  passa  le  pontqui  etoit  sur  la 
gauche  de  tout  et  le  plus  pres  des  ennemis  ;  la 
cavalerie  qui  devoit  la  soutenir  passa  sur  le  pont 
qui  etoit  au-dessous,  a  la  droite  de  celui-la;  sur 
le  Iroisierae,  le  corps  de  reserve  de  cavalerie  et 
d'infanterie ;  et  sur  le  quatrieme  pont  passa  I'ar- 
tillerie  avec  tout  ce  qui  en  depend  :  de  cette  nia- 

37. 


;s<) 


MEMOIKES    nU    DUG 


uiere,  en  faisant  seulement  face  siir  la  ^tauehe, 
I'armee  se  trouvoit  en  bataille  prete  a  donner, 
Chaque  bataillon  avoit  ses  pionnieis  et  ses  de- 
tachemens  a  la  tete ,  et  chaque  cavalier  avoit 
derriere  soi  deux  fascines  pour  les  porter  a  I'in- 
fanterie ,  quand  elle  en  anroit  besoin.  Le  bagage 
eut  ordre  de  ne  point  bouger  du  camp  jusqu'a 
ce  qu'il  fit  grand  jour  :  on  n'y  avoit  point  laisse 
de  troupes,  et  il  devoitsuivre  comrae  il  pourroit. 

Cette  marche  fut  faite  avec  tant  d'ordre  et 
d'exactitude,  qu'on  arriva  precisement  au  lieu 
et  a  I'heure  qu'on  devoit  joindre  M.  d'Hocquin- 
court  avec  ses  troupes  :  on  ne  fit  dans  tout  le 
chemin  qu'une  alte  qui  ne  dura  pas  long-temps ; 
on  ne  donna  aucune  allarme  aux  ennemis  qui 
put  leur  faire  appercevoir  la  marche  de  I'armee, 
et  les  mousquetaires  cacherent  soigneusement 
leurs  meches  allumees.  Le  due  d'Yorck  eut  la 
curiosite  d'avancer  a  quelque  distance  de  I'in- 
fanterie  pour  decouvrir  s'il  paroitroit  du  feu ,  et 
n'en  vit  point  du  tout.  A  I'egard  de  I'ordre  de 
bataille ,  on  s'etendra  principalement  sur  les  par- 
ticularites  des  troupes  que  conduisoit  M.  de  Tu- 
renne  :  il  divisa  egalement  les  huit  lieutenans- 
generaux  entre  la  cavalerie  et  I'infanterie,  qui 
en  avoient  chacune  quatre;  il  en  posta  trols  a 
la  premiere  ligne  d'infanterie ,  composee  de 
cinq  bataillons.  Le  comte  de  Broglie  comman- 
doit  Picardie  et  les  Suisses,  qui  etoient  les  deux 
bataillons  de  la  droite;  M.  de  Gastelnau  raenoit 
les  bataillons  dePlessis,de  Turenne,qui  avoient 
la  gauche,  et  M.  Du  Passage  celui  de  La  Feiiil- 
lade,  qui  etoit  au  centre  de  la  cavalerie,  qui  les 
devoit  soutenir,  au  nomhre  d'environ  vingt-qua- 
tre  escadrons;  M.  de  Bar  menoit  la  droite  der- 
riere M.  de  Broglie  ;  le  due  d'York  etoit  a  la 
gauche  derriere  M.  de  Gastelnau,  et  M.  d'Eclin- 
villers  etoit  au  milieu  ;  M.  de  Roncherolles  etoit 
a  la  tete  de  trois  bataillons  qui  faisoient  le 
corps  de  reserve  d'infanterie,  et  celui  de  huit 
escadrons  de  cavalerie  etoit  sous  les  ordres  de 
M.  de  L'Islebonne. 

M.  de  La  Ferte ,  qui  s'^toit  mis  a  la  gauche , 
avoit  une  ligne  de  six  bataillons,  deux  lignes 
de  cavalerie  derriere,  et  son  corps  de  reserve 
n'etoit  que  de  cavalerie.  M.  d'Hocquincourt , 
qui  etoit  a  la  droite ,  avoit  quatre  bataillons  sou- 
tenus  d'une  ligne  de  cavalerie ,  derriere  laquelle 
etoit  une  seconde  ligne  d'infanterie  de  quatre 
autres  bataillons,  avec  quelque  cavalerie  sur  les 
ailes ,  et  un  petit  corps  de  reserve  qui  n'etoit 
que  de  trois  ou  quatre  escadrons. 

II  devoit  y  avoir  trois  fausses  attaques  :  la  pre- 
miere, composee  des  troupes  de  M.  de  Turenne, 
etoit  de  deux  bataillons  des  regimens  d'Yorck 
et  de  Dillon,  et  six  escadrons,  le  tout  com- 


D'yORCK.    [l6.>-4j 

mande  par  M.  de  Traci ,  qui  eut  ordre  d'appro- 
cher  le  plus  pres  qu'il  pourroit  du  quartier  du 
prince  de  Gonde  sans  etre  decouvert ;  de  ne  point 
donner  qu'il  n'entendit  qu'on  avoit  attaque  du 
cote  de  M.  de  Turenne,  et  alors  de  marcher 
droit  a  la  barriere  de  ce  cote-la,  qu'on  lui  avoit 
raontrequelques  jours  auparavant,  et  de  tacher 
de  s'ouvrir  un  passage  pour  entrer  dans  iaville. 
La  fausse  attaque  des  troupes  de  M.  de  La 
Ferte,  commandee  par  M.  de  La  Guillottiere, 
devoit  tomber  sur  le  quartier  du  comte  de 
Fuensaldagne  avec  deux  bataillons,  six  esca- 
drons, deux  compagnies  de  dragons  et  deux 
pieces  de  canon.  Gelle  de  M.  d'Hocquincourt 
etoit  la  moindre,  n'etant  que  de  quatre  esca- 
drons coramandes  par  M.  de  Saint-Jean ,  qui 
devoit  la  faire  du  cote  du  due  de  Lorraine. 

M.  de  Turenne,  etant  arrive  au  rendez-vous, 
y  trouva  M.  d'Hocquincourt  en  personne,  qui 
lui  dit  que  ses  troupes  arriveroient  incessam- 
ment,  et  le  pria  de  differer  I'attaque  d'un  mo- 
ment :  M.  de  Turenne  repondit  qu'il  ne  pouvoit 
point  attendre,  vu  qu'on  etoit  si  pres  des  lignes, 
que  I'ennemi  ne  pouvoit  pas  manquer  de  le  de- 
couvrir bientot,  et  le  pria  de  le  suivre  en  toute 
diligence,  quand  ses  troupes  seroient  arrivees; 
et  les  siennes  etant  rangees ,  il  les  conduisit  lui- 
meme  a  cheval  pour  attaquer. 

La  nuit  etoit  belle,  le  temps  serein  ;  lalune, 
qui  avoit  eciaire  pendant  la  marche  ,  se  coucha 
dans  le  moment  qu'on  arriva  au  lieu  destine  ; 
elle  avoit  a  peine  disparu  que  la  nuit  devint 
obscure  et  qu'il  se  leva  un  petit  vent  frais  ,  qui 
empecha  les  ennemis  de  rien  voir  ni  de  rien 
entendre.  lis  ne  jcurent  riende  la  marche,  jus- 
qu'a  ce  qu'on  I'ut  a  derai-portee  de  canon  de 
leurs  lignes.  Ge  fut  alors  que  Tinfanterie  en  ba- 
taille decouvrit  tout  d'un  coup  les  meches  al- 
lumees :  elles  formoient  une  illumination  d'au- 
tant  plus  eclatante  que  le  vent  les  soufflant  les 
faisoit  flamber  au  milieu  des  ombres  de  la  nuit , 
et  les  soldats  qui  marchoient  serres  venant  a 
s'entrechoquer,  le  feu  en  sortoit  avec  plus  d'a- 
bondance,  et  le  vent  agitant  les  etincelles  en 
augmentoit  la  lumiere.  Aussitot  que  les  ennemis 
I'appercurent,  ils  tirerent  trois  coups  de  canon 
et  allumerent  des  fallots  le  long  de  la  ligne. 
L'infanterie  fit  aussitot  son  attaque ;  mais,  sans 
la  vigueurdes  officiers  qui  les  menoient,  et  la 
cavalerie  qui ,  etant  a  leurs  talons,  les  obligeoit 
a  bien  faire,  ils  ne  se  seroient  point  acquittes 
deleur  devoir  avec  cette  bravoure  dont  jusques- 
la  le  due  d'Yorck  avoit  toujours  ete  temoin  , 
car  jamais  ils  n'avoient  marque  tant  de  repu- 
gnance qu'en  cette  occasion  :  ils  marcherent 
neannioins    sans   s'arreter  jusqu'au    pied   des 


MEMOIEES    DU    DUC    d'VOECK.    [1654] 


681 


ligoes,  oil  ils  ne  trouverent  point  autant  de  re- 
sistance qu'ils  se  I'etoient  imagine.  Les  cinq 
bataillons  se  rendiient  maitres  en  peu  de  temps 
de  I'endroit  qu'ils  attaquoient.  Ceux  qui  etoient 
destines  a  faire  des  passages  pour  la  cavalerie 
y  travaillerent  aussitot :  chaque  escadron ,  apres 
avoir  porte  ses  fascines  au  pied  des  trous  qui 
lui  etoient  opposes  ,  ou  I'infanterie  les  prenoit 
pour  combler  les  deux  fosses,  faisoit  volte-face, 
et  alloit  se  mettre  en  bataille  a  quaraute  pas  en 
arriere  ,  attendant  pour  avancer  quand  les  pas- 
sages seroient  faits.  Dans  cet  ent re-temps ,  un 
homrae  vint  dire  a  I'oreille  du  due  d'Yorck  ,  a 
la  gauche  de  I'attaque ,  que  M.  de  Turenne  etoit 
blesse,  que  les  affaires  n'alloient  pas  bien  sur  la 
droite  5  sur  quoi ,  pour  encourager  I'infanterie 
et  leur  faire  connoitre  que  la  cavalerie  etoit  pres 
d'eux ,  ce  prince  donna  ordre  aux  timballiers 
et  aux  trompettes  des  escadrons  ,  a  la  tete  des- 
quels  il  etoit,  de  battre  et  de  sonner :  ce  qui 
fut  ensuite  execute  par  le  reste  de  la  cavalerie  , 
et  anima  beaucoup  I'infanterie ;  mais  son  esca- 
dron et  celui  qui  etoit  aupres  en  souffrirent. 
Les  ennemis,  qui  etoient  dans  un  redan  sur  la 
gauche,  firent  grand  feu  sur  I'endroit  ou  ils 
avoient  entendu  le  bruit ,  et  le  timballier  de  I'es- 
cadron  ou  il  etoit  fut  le  premier  tue.  Ce  fut  alors 
que  M.  de  La  Ferte ,  qui  n'avoit  pas  mis  ses 
troupes  en  ordre  aussitot  que  M.  de  Turenne , 
commenca  son  attaque ;  mais  soit  qu'il  fut  moins 
heureux,  soit  qu'il  trouvat  plus  de  resistance, 
quoique  les  officiers  eussent  mene  I'infanterie 
avec  beaucoup  de  resolution  jusques  dans  le 
fosse,  ils  ne  purent  point  forcer  les  lignes,  fu- 
rent  repousses,  s'enfuirent  et  chercherent  a  se 
mettre  a  convert  de  la  cavalerie  que  comman- 
doit  le  due  d'Yorck. 

Le  desordre  fut  fort  grand ,  les  officiers  d'un 
cote  se  plaignoient  qu'ils  avoient  ete  abandon- 
nes  de  leurs  soldats  ,  et  ceux-ci  croyoient  qu'ils 
avoient  suivi  leurs  officiers  qui  n'avoient  point 
fait  leur  devoir.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'ils 
furent  battus  et  que  la  cavalerie  souffrit  beau- 
coup de  leur  mauvais  succes,  car  le  feu  des 
meches  de  I'infanterie  attira  sur  les  cavaliers 
toute  la  mousqueterie  des  ennemis  beaucoup 
plus  violemment  qu'auparavant.  Cependant  I'in- 
fanterie de  I'attaque  de  M.  de  Turenne  ayant 
acheve  un  passage  pour  la  cavalerie,  et  le  regi- 
ment qui  porte  son  nom  ayant  trouve  une  bar- 
riere  qu'il  ouvrit  et  qui  lui  epargna  la  peine  de 
faire  un  autre  passage,  M.  de  Turenne  ,  qui  en 
fut  averti ,  ordonna  a  M.  d'EcIinvillers  de  pas- 
ser le  premier  avec  quatre  escadrons  que  le  due 
d'Yorck  devoit  soutenir ;  il  y  entra  avec  les 
trois premiers;  et  comme  le  quatrlemey  entroit 


aussi ,  ceux  qui  avoient  battu  I'infanterie  de 
La  Ferte,  etant  venus  le  long  de  la  ligne,  arri- 
verent  a  cette  barriere  ,  et  n'y  voyant  que  cet 
escadron  qui  entroit,  ils  firent  sur  eux  une  de- 
charge  de  mousqueterie  et  jetterent  quantite  de 
grenades ,  et  Bodervitz ,  colonel  allemand ,  qui 
le  commandoit,  etsou  major,  ayant  ete  blesses, 
cet  escadron  fut  repousse ,  et  les  ennemis  fer- 
mereut  la  barriere  sur  le  due  d'Yorck ,  qui , 
ne  pouvant  point  passer,  raarcha  sur  la  droite 
le  long  de  la  ligne,  jusqu'a  ce  qu'il  trouva  un 
autre  passage  par  lequel  il  entra  a  la  tete  du 
regiment  de  cavalerie  de  Turenne,  qui ,  dans 
cette  occasion ,  ne  faisoit  que  deux  escadrons  ; 
et  trouvant  les  huttes  des  ennemis  en  feu  ,  que 
Bout-de-Bois,  colonel  de  La  Feuillade,  s'etoit 
avise  fort  a  propos  d'y  faire  mettre ,  il  avanca 
plus  loin  pour  observer  a  la  faveur  de  cette  lu- 
miere  si  les  ennemis  etoient  encore  en  bataille 
derriere  :  ils  y  avoient  effectivement  quelque 
cavalerie,  mais  I'obscurite  les  empecharecipro- 
quement  de  se  decouvrir,  et  ce  prince  passa  pres 
d'eux ,  sans  en  etre  vu  ,  avec  deux  escadrons; 
mais  le  troisieme  ,  qui  etoit  du  regiment  de 
Beauveau ,  tomba  sur  eux,  les  battit  et  prit  leur 
colonel ,  qui  etoit  le  marquis  de  Conflans.  Im- 
mediatement  apres ,  le  jour  commenca  a  pa- 
roltre ;  le  due  d'Yorck ,  avancant  toujours  , 
penetra  jusqu'a  la  contrevallation,  ou ,  ne  trou- 
vant point  de  passage  vers  la  ville,  il  la  cotoya, 
I'ayant  toujours  a  sa  gauche  ,  et  n'en  rencontra 
point  qu'en  arrivant  a  la  riviere  au-dessus  de  la 
ville,  qui  separoit  le  quartier  de  Lorraine  de  ce- 
lui de  Fernand  Solis ,  et  trouvant  que  personne 
n'etoit  encore  entre  dans  le  quartier  de  Lorraine, 
il  changea  d'avis  et  jugea  qu'il  etoit  a  propos  de 
passer  le  pont  et  d'y  aller :  ce  qu'il  entreprit  avec  les 
deux  escadrons  de  Turenne  seulement,  le  reste 
des  troupes  qui  devoient  les  suivre  s'etant  ega- 
rees.  II  avanca  jusqu'a  la  tente  du  prince  Fran- 
cois de  Lorraine  sans  trouver  aucune opposition, 
et  ce  ne  fut  que  de  la  qu'il  commenca  a  decou- 
vrir quatre  ou  cinq  escadrons  des  ennemis  en 
bataille  sur  une  hauteur,  a  la  portee  du  mous- 
quet;  sur  quoiil  fit  halte jusqu'a  ce  qu'il  lui  vfnt 
du  secours  ,  rangea  ses  deux  escadrons  sur  un 
front  qui  occupoit  la  distance  qu'il  y  avoit  entre 
les  tentes  et  les  lignes,  et  envoya  trois  ou  quatre 
personnes  pour  cliercher  et  lui  amener  la  cava- 
lerie qui  lui  manquoit.  Pendant  qu'il  les  atten- 
doit,  le  due  de  Buckingham  vint  lui  demander 
pourquoi  il  ne  vouloit  pas  pousser  la  victoire  et 
charger  cette  cavalerie  qui  etoit  devant  lui.  Ce 
prince  repondit  qu'il  ne  vouloit  pas  recevoir  un 
affront  et  se  commettre  temerairement ;  que  ce 
qu'il   voyoit    d'ennemis   etoit  double  de    son 


4S2 


MEMOIKtS    DU    DUG    d'yOBCK.    [1G.')4 


nombre  ,  sans  ce  qu'il  pouvoit  y  avoir  derriere 
la  hauteur  sur  Inquclle  ils  etoient ;  qu'en  avan- 
^ant,  si  on  etoit  battu,  les  ennemis  s?  ren- 
droient  maitres  des  ponts  qu'on  venoit  de 
passer,  les  romproient,  et  que  par  ce  moyen  ils 
se  sauveroient  eux  et  leur  bagages;  que  s'ils 
venoient  le  charger  oii  il  etoit ,  la  partie  seroit 
bien  egale ,  parce  qu'ils  ne  pouvoient  pas  le 
prendre  en  flanc ,  outre  qu'il  avoit  I'avantage 
du  terrain ;  en  un  mot ,  qu'il  attendoit  a  tout 
moment  de  la  cavalerie ,  et  que ,  quand  elle  ar- 
riveroit,  il  iroit  charger  les  ennemis.  Les  im- 
portunites  de  Buckingham  ne  servirent  de  rien; 
le  due  d'Yorck  resta  ainsi  quelque  temps  en  pre- 
sence des  ennemis  ,  se  regardant  I'un  I'autre, 
et  la  cavalerie  qu'il  attendoit  n'arrivoit  point. 
Cepeudantquelques-uns  de  ses  cavaliers,  s'etant 
ecartes  ,  tomberent  sur  la  tente  du  prince  Fran- 
cois, oil  ils  trouverent,  outre  sa  vaisselle,  de 
I'argent  qu'il  y  avoit  pour  un  mois  de  paye  de 
ses  troupes.  On  pensa  le  payer  bien  cherement , 
car  les  autres  cavaliers ,  entendant  le  bruit  que 
faisoient  leurs  camarades  en  prenant  cet  argent, 
quitterent  lesrangs  I'un  apres  I'autre  pour  aller 
partager  le  pillage,  malgre  les  defenses  et  les 
menaces  de  leurs  officiers,  qui  seuls  resterent 
aupres  du  prince  :  ce  qui  se  passant  a  la  vue  des 
ennemis,  il  s'attendoit  a  tout  moment  d'etre 
charge  et  battu.  Etant  dans  cet  embarras,  et 
ne  voyant  revenir  aucun  de  ceux  qu'il  avoit 
envoyes  pour  lui  amcner  de  la  cavalerie,  il  crut 
qu'il  etoit  necessaire  d'y  aller  lui-meme;  il  re- 
commanda  a  M.  de  Montallieur,  lieutenant- 
colonel  de  Turenne  de  tenir  bon  sur  la  hauteur 
jusqu'i  son  retour,  courut  et  trouva  de  I'autre 
c6te  du  pont  le  second  escadron  de  Villequier, 
qui  alloit  vers  la  ville;  il  I'arreta,  et,  se  met- 
tant  a  la  tete ,  il  repassa ;  mais  a  peine  la  queue 
de  I'eseadron  avoit  passe  le  pont,  et  la  tete  com- 
mence a  escadronner  au  bout  dime  petite  chaus- 
see ,  que  la  cavalerie  qu'il  avoit  laissee  pour 
faire  face  a  I'ennomi  descendit  la  hauteur  en 
desordre  :  ce  qui  donna  si  fort  I'epouvante  a 
I'eseadron  de  Villequier,  qu'ils  prirent  aussi  la 
fuite ,  sans  qu'il  fut  possible  de  les  arreter.  Le 
due  d'Yorck  ,  se  trouvant  ainsi  abandonne  et 
voyant  quatre  escadrons  de  I'autre  cote  du  pont, 
le  repa«sa  dans  I'intention  de  revenir  et  de  les 
amener  dans  le  quartier  de  Lorraine;  mais 
avant  qu'il  les  eiit  pu  conduire  au  pont ,  le  ma- 
rechal  d'Hocquincourt  y  etoit  arrive  avec  toute 
sa  cavalerie ,  et  plusieurs  escadrons  des  deux 
nutres  armees  qui  commencoient  a  le  passer;  il 
jugea  qu'il  y  auroit  assez  de  cavalerie  de  ce 
c6te-h\,  et,  au  lieu  de  les  suivre ,  marcha  d'un 
autre  c6te,  entre  lacontrevallation  et  la  ville. 


vers  le  quartier  du  comte  de  Fuensaldagne,  avec 
ses  quatre  escadrons ,  deux  desquels  etoient  de 
gendarmes  commandes  par  M.  deSchomberg, 
et  les  deux  autres,  le  regiment  deGesvres,  sous 
M.  de  Querneux.  Etant  arrive  sur  une  hauteur 
d'ou  il  pouvoit  voir  tout  autour  de  soi ,  il  decou- 
vrit  sur  une  hauteur,  entre  les  deux  lignes,  plu- 
sieurs escadrons  de  cavalerie  en  bataille,  qui 
faisoient  face  a  I'endroit  ou  il  etoit.  Ce  prince 
crut  d'abord  qu'ils  etoient  ennemis;  mais  voyant 
un  escadron  vetu  de  rouge,  il  changea  d'opi- 
nion  et  les  prit  pour  les  chevaux-legers  du  Roi 
ou  pour  ses  gendarmes;  sur  quoi  il  marcha  a 
eux  pour  les  joindre  ,  jugeant  par  leur  conte- 
nance  qu'ils  faisoient  face  a  I'ennemi ,  qu'il  ne 
pouvoit  pas  decouvrir  lui-meme ,  y  ayant  sur  sa 
gauche  une  hauteur  qui  Ten  empechoit ;  mais  en 
arrivanten  has,  comme  il  commencoit  a  remon- 
ter  I'autre  hauteur,  un  officier  lui  vintdire  de  la 
part  de  M.  de  Turenne  de  Taller  joindre  inces- 
samment,  et  que  ceux  qu'il  avoit  pris  pour  amis 
etoient  les  ennemis  qui  lui  faisoient  face,  et  qu'il 
avoit  grand  besoin  d'etre  renforce.  Le  prince 
retourna  sur  ses  pas  ,  joignit  fort  a  propos  avec 
ses  quatre  escadrons  M.  de  Turenne  ,  qui  n'en 
avoit  que  trois  avec  lui ,  et  un  bataillon  de  gens 
rallies,  que  I'ennemi  ou  le  pillage  avoit  ecartes, 
etqui  n'etoient  bons  que  pour  faire  montre. 

II  est  a  propos  de  rapporter  ici  comment  ce 
general  se  trouvoit  en  cette  posture ,  et  ce  qui 
I'avoit  amcne  a  cet  endroit-la.  M.  de  La  Ferte, 
ayant  ete  repousse  dans  son  attaque,  entra, 
comme  il  a  deja  ete  dit ,  par  I'endroit  ou  on 
avoit  passe  avant  lui ,  et  ayant  dessein  de  faire 
quelque  chose  de  considerable  ,  il  se  mit  a  la 
tete  de  dix  ou  douze  escadrons ,  partie  de  ses 
troupes ,  et  les  autres  de  celles  de  M,  de  Tu- 
renne. II  etoit  deja  grand  jour,  et  il  marcha 
entre  les  deux  lignes  vers  le  quartier  du  comte 
de  Fuensaldagne  ;  il  avanca  dans  le  meme 
temps  avec  I'infanterie  de  ses  troupes  et  de 
celles  de  M.  de  Turenne,  parmi  lesquelles  etoit 
le  bataillon  des  gardes  francoises  ,qui  etoit  do 
I'armee  de  M.  de  La  Ferte;  mais  il  venoit  fort 
en  desordre  le  long  de  la  ligne  de  contrevalla- 
tion.  11  y  avoit,  dans  une  plaine,  de  la  cavalerie 
ennemie  ep  bataille,  qui  ne  bougeoit  pas;  M.  de 
La  Ferte  I'ayant  appercue,  descendit  de  la  hau- 
teur ou  il  etoit  pour  les  attaquer ;  M.  de  Tu- 
renne, qui  arriva  dans  cet  entre-temps  dans 
I'endroit  d'ou  il  venoit  de  partir,  fut  bien  cha- 
grin de  le  voir  ainsi  avancer,  et  auroit  bien 
voulu  I'arreter,  mais  il  etoit  trop  tard  :  tout  ce 
qu'il  put  faire  fut  d'arretcr  deux  bataillons  qui 
le  suivoicnt,  et  de  rallier  cclui  des  gardes  :  il 
dit  a  ceux  qui  etoient  autour  de  lui  qu'il  crai- 


MEMOniES    DU    DLC    d'vOUCK.    [1G54] 


683 


gnoit  fort  que  La  Ferte  ne  se  fit  battre,  et  qu'a- 
pres  cela  il  n'eut  lui-meme  beaucoup  de  peine 
a  maintenirle  terrain  ou  il  se  trouvoit.  La  chose 
arriva  com  me  il  I'avoit  prevu  :  M.  de  La  Ferte 
futbattu;etdans  lememe  temps  que  lesennemis 
lechargerent,  iis  detacherentdelacavalerie  pour 
dissiper  I'lnfanterie  qui  etoit  entre  les  lignes; 
ils  en  taillcreut  la  plupart  en  pieces,  prirent 
plusieurs  officiers  aux  gardes ;  mais  ils  ne  pour- 
suivirent  point  leur  avantage,  et  ne  fireut  meme 
pas  mine  de  vouloir  avancer  sur  la  hauteur  o\i 
etoit  M.  de  Turenne ,  et  au  contraire  se  reti- 
rerent  dans  la  plaine  d'ou  ils  etoient  partis  pour 
charger  M,  de  La  Ferte. 

Les  affaires  etoient  dans  cet  etat,  quand  le 
due  d'Yorck  joignit  M.  de  Turenne ,  qui  lui  or- 
donna  d'avancer  entre  les  deux  lignes ,  et  d'e- 
tendre  ses  escadrons  sur  la  gauche  de  ceux 
qui  y  etoient  en  bataille;  il  lui  lit  le  recit  de 
tout  ce  qui  venoit  d'arriver ,  et  lui  dit  qu'il 
craignoit,  si  les  ennemis  pouvoient  rassembler 
de  I'infanterie,  qu'ils  ne  viussent  leur  donner 
de  I'occupation,  y  ayant  peu  de  fond  a  faire  sur 
celle  qu'ils  avoient  avec  eux.  11  lui  demauda 
ensuite  ou  il  avoit  ete,  ce  qu'etoit  devenu  son 
regiment  de  cavalerie,  et  ce  prince  lui  rendit 
compte  de  tout  ce  qui  lui  etoit  arrive ,  et  aux 
autres  avec  lesquels  il  s'etoit  rencontre.  Dans  ce 
meme  temps  environ,  sept  pieces  de  canon  etant 
entrees  dans  les  lignes  ,  joignirent  fort  a  pro- 
pos  M.  de  Turenne  avec  quelques  escadrons,  et 
on  tira  sur  les  ennemis  avecsucces.  II  n'etoit  pas 
neaumoins  sans  inquietude ,  apprehendant  tou- 
jours  qu'ils  ne  vinssent  avec  de  I'infanterie ;  car 
voyant  le  peu  d'ordre  qu'observoit  sa  cavalerie, 
et  presque  toute  Tinfanterie  en  confusion  et 
occupeeau  pillage,  a  un  point  qu'il  n'y  avoit  que 
le  peu  de  monde  qui  etoit  avec  lui  qui  fiit  en 
bonne  contenance ,  ce  n'etoit  point  sans  sujet 
qu'il  craignoit  une  revolution  et  un  retour  de 
Ibrtune  ,  s'il  venoit  a  etre  baltu  avec  ce  peu  de 
troupes;  mais  cette  inquietude  ne  dura  pas 
long-temps  apres  que  le  canon  eut  commence  a 
tirer ;  car,  soit  que  les  ennemis  ne  trouvassent 
point  la  place  tenable  ou  ils  etoient ,  soit  pour 
quelqu'autre  raison,  ils  ne  jugerent  point  a 
propos  d'y  rester;  environ  demi-heure  apres 
qu'on  eut  tire  sur  eux  le  premier  coup  de  canon, 
ils  se  retirerent ;  on  vit  neanmoins  une  fois  pa- 
roitre  leur  infanterie  ,  mais  elle  disparut  aussi- 
tot ,  et  ce  fut  peu  de  temps  auparavant  que  la 
cavalerie  se  retirat. 

Le  due  d'Yorck  a  scu  depuis,  par  des  person- 
nes  qui  etoient  avec  le  prince  de  Conde,  qui 
fut  rhomme  qui  donna  taut  d'inquieUide  a  M.  de 
Turenne,  et  le  seul  des  generaux  ennemis  qui 


fit  ce  qui  se  passa  de  plus  considerable,  qu'il 
eut  dessein,  s'il  avoit  pu  rencontrer  deux  batail- 
lons  d'infanterie,  de  venir  charger,  comme 
M.  de  Turenne  Tavoit  cru  ;  qu'il  avoit  une  fois 
ramasse  ceux  qu'on  vitparoitre;  mais  qu'etant 
venus  a  la  portee  du  canon,  il  fut  impossible 
de  les  faire  avancer.  G'est  une  chose  digne  de 
remarque ,  que  ces  deux  grands  hommes ,  sans 
avoir  ete  avertis  ni  I'un  ni  I'autre  qu'ils  fussent 
en  presence,  le  jugerent  neanmoins,  etlecrurent 
sur  leur  conduite  mutuelle.  M.  de  Turenne  as- 
sura  que  le  prince  de  Conde  etoit  sur  I'autre 
hauteur ,  parce  que  tout  autre  auroit  pousse  les 
troupes  qu'il  battit  d'une  autre  maniere  :  le 
prince  de  Conde  dit  de  son  cole  la  meme  chose 
de  M.  de  Turenne,  et  que  si  c'avoit  ete  tout  au- 
tre que  lui,  il  I'auroit  assurement charge. 

Cette  meme  consideration  empecha  M.  de 
Turenne  de  poursuivre  le  prince  de  Cond6 
quand  il  se  retira,  et  de  le  presser  sur  son  ar- 
riere-garde;  il  se  contenta  de  ce  qui  s'etoit 
passe  ,  et  ne  voulut  point  tenter  plus  avant  la 
fortune,  puisque  son  principal  dessein  6toit 
execute;  mais  M.  Bellefonds,  avec  quelque  ca- 
valerie de  la  garnison  de  la  place ,  n'eut  pas  la 
meme  discretion  :  il  voulut  faire  quelque  expe- 
dition sur  I'arriere  garde  du  prince,  pendant 
qu"il  passoit  la  riviere  pour  entrer  dans  le  quar- 
tier  de  I'archiduc ,  et  il  fut  recu  si  vertement, 
qu'il  fut  oblige  de  se  retirer  avec  perte.  Le 
prince  passa  a  son  aise ,  le  reste  des  troupes  prit 
exemple  de  ce  mauvais  succes ,  et  ne  voulut 
plus  hazarder  de  le  charger.  Apres  qu'il  eut 
passe  au  travers  du  vieux  camp  de  M.  de  Tu- 
renne, il  rallia  ses  troupes  ecartees  derriere  le 
ruisseau  ,  et  marcha  a  Cambrai.  L'archiduc  et 
le  comte  de  Fueusaldagne  se  sauverent  a  Douai 
avec  un  escadron  ou  deux  tout  au  plus ;  ils  pas- 
serent  au  travers  du  bagage,  ou  l'archiduc  fut 
reconnu  par  quelques  domestiques  de  M.  de  Tu- 
renne ,  et  si  on  y  avoit  laisse  seulement  un  esca- 
dron ,  on  auroit  pu  probablement  le  prendre 
prisonnier. 

Les  troupes  de  M.  d'Hocquincourt  n'arrive- 
rent  au  reudez-vous  que  connme  le  jour  com- 
mencoit  a  poiudre;  il  insulta  les  lignes  sur  la 
droite  de  I'endroit  par  oil  le  due  d'Yorck  etoit 
entre  ,  et  y  trouva  peu  ou  point  de  resistance  ; 
la  principale  occupation  de  son  infanterie  fut 
de  faire  un  passage  pour  sa  cavalerie,  a  la  tete 
de  laquelle  le  marechal  entra,  et  marcha  direc- 
tement  au  pont ,  qu'il  passa  pour  entrer  dans  le 
quartier  de  Lorraine,  apres  que  le  due  d'Yorck 
eu  fut  sorti.  La  plupart  de  la  cavalerie  des  deux 
autres  armees  le  suivit ,  et  il  ne  trouva  point 
d'oppositiou  qu'on  arrivant  au  ruisseau  qui  se- 


JS4 

paroit  le  quartier  de  Lorraine  decelui  du  prince 
de  Coude;  ii  y  ti'ouva  M.  de  Marsiu  en  balaiile 
de  I  autre  cote  avec  plusieurs  escadrons ,  qui 
Tarretereut  ua  temps  considerable  ;  lesennemis 
avoient  de  Tinfanterie  ou  des  carabiniers  qui 
defendireut  ie  passaiie  si  long-temps,  que  la 
plupart  de  i'infanterie  de  ce  quartier-la  eut  le 
loisir  de  se  sauver;  et  lorsque  la  cavalerie  qui 
etoit  sortie  de  la  ville  Toblijieade  se  retirer,  11 
le  fit  avec  tant  d'ordre,  qu'il  sortit  des  ligues 
sans  etre  rompu,  se  servant  toujours  de  ses  fan- 
tassins  ou  de  ses  carabiniers,  comme  il  avoit 
fait  au  ruisseau  :  en  sortant  des  lignes,  il  les 
placa  derriere,  d'ou  ilstirerent  sur  la  cavalerie 
des  attaquans,  qui,  n'etant  point  menee  en  bon 
ordre,  etoit  tenue  en  respect  par  le  feu  des  en- 
nemis,  a  la  faveur  duquel  Marsin  se  retira  en 
bon  ordre,  et  joigiiit  ie  prince  de  Conde  dans 
le  temps  qu'il  rallioit  sou  monde  ,  comme  il  a 
deja  ete  dit. 

Environ  dans  Ie  meme  temps  que  M.  de 
Marsin faisoitsa  retraite,  M.  deMondejcu,  gou- 
verneur  d'Arras  ,  etant  sorti  de  la  place,  quel- 
ques  vieux  officiers  I'ayant  appercu  le  prierent 
de  les  vouloir  mettre  en  meilleur  ordre,  parce 
que  M.  d'Hocquincourt  et  les  autres  officiers 
generaux ,  qui  etoient  presens,  n'avoient  pas 
trop  bien  fait  leur  devoir;  mais  il  le  refusa  ab- 
solument ,  disant  qu'il  n'etoit  venu  la  que  comme 
volontaire;  qu'il  n'etoit  pas  raisonnable  qu'il 
prelendit  en  aucune  raaniere  partager  la  gloire 
de  ce  jour  avec  ceux  a  qui  seuls  il  appartenoit 
de  conduire  leurs  troupes;  qu'a  son  egard  ,  il 
avoit  acquis  assez  de  reputation  dans  la  resis- 
tance que  sa  place  avoit  faite  ,  et  qu'il  n'etoit 
venu  qu'avec  intention  de  rendre  service  a  ceux 
qui  I'avoient  secouru  avec  tant  de  bravoure. 

II  reste  a  faire  un  detail  de  ce  qui  se  passa 
aux  fausses  attaques ;  celles  de  M.  de  La  Ferte 
et  de  M.  d'Hocquincourt  suivirent  ponctuelle- 
ment  leurs  ordres  ,  et  il  ne  leur  arriva  rien  de 
con^ide^able,  sinon  que  la  premiere  eut  la  meil- 
leure  partie  du  butin  qui  se  trouva  dans  le 
quartier  du  comte  de  Fuensaldagne,qu'ellede- 
voit  attaquer.  Celle  de  M.  de  Turenne  ne  fut 
pas  si  heureuse  ;  M.  de  Traci  qui  la  comman- 
doit ,  suivant  exactement  ses  ordres ,  eut  un 
sort  bien  different ;  car  lui  ayant  ete  ordonne 
de  marcher  sans  bruit  dans  un  fond  a  la  demi- 
portee  du  canon  des  lignes,  et  d'y  rester  sans 
rien  entreprendre ,  que  quelque  temps  apres  que 
M.  de  Turenne  auroit  commence  la  sienne, 
dont  onsupposoit  qu'il  devoit  entendre  le  bruit, 
il  arriva  tout  autrement  a  cause  que  le  vent  etoit 
contraireet  assez  grand;  il  ne  put  rien  entendre, 
et  le  jour  etant  venu  ,  il  supposa  que  quelque 


MEMOIBES    DU    DtC    d'YORCK.    [l65lj 


accident  avoit  empech6  rexecution  du  dessein  ; 
il  resolut  neanmoins  de  rester  encore  quelque 
temps  dans  son  poste,  et  vit  enfin  de  la  cavale- 
rie qu'il  crut  que  les  ennemis  envoyoient  a  la 
decouverte  ;  peu  de  temps  apres  il  appercut  un 
ou  deux  escadrons  qu'il  prit  pour  la  garde 
avancee  qui  alloit  a  son  poste  ;  mais  en  \oyant 
sortir  encore  un  plus  grand  nombre ,  il  crut 
avoir  ete  decouvert  par  les  ennemis  ,  et  qu'ils 
venoient  tomber  sur  lui ;  sur  quoi  il  donna  or- 
dre a  ses  deux  bataillons  de  se  sauver  de  leur 
mieux  dans  le  chateau  de  INeuville  qui  etoit 
proche ,  et  avec  sa  cavalerie  il  se  retira  vers  Bn- 
paume.  II  fit  beaucoup  de  chemin  avant  qu'il 
put  s'appercevoir  de  son  erreur ;  I'infanterie  qui 
s'etoit  retiree  dans  le  chateau  la  reconnut  plus  tot 
que  lui :  ils  remarquerent  que  la  plupart  de  la 
cavalerie  du  quartier  de  Lorraine,  et  plusieurs 
de  celui  du  prince  de  Conde  ,  se  reliroient  par 
le  chemin  qui  conduit  a  Cambrai ;  ils  detache- 
rent  les  aide-majors  de  chaque  regiment ,  avec 
chacun  cinquante  hommes,  pour  escarmoucher 
contre  les  ennemis  dans  leur  passage ;  mais  s'e- 
tant  trop  avances ,  la  cavalerie  des  ennemis  les 
environna  et  les  tua  tous. 

On  ne  pent  pas  dire  fort  exactement  ce  qu'il  y 
eutde  monde  de  tue  de  part  et  d'autre ;  ce  qui 
en  parut  dans  les  lignes  n'alloit  point  a  plus  de 
quatre  cens  hommes  :  on  ne  perdit  aucun  gene- 
ral; il  n'y  eut  de  colonel  que  M.  dePuymarais, 
qui  I'etoit  de  la  cavalerie,  qui  fut  tue  :  il  etoit 
fils  de  M.  de  Bar ,  lieutenant-general ,  et  avoit 
beaucoup  de  bravoure.  On  perdit  peu  de  capi- 
taines.  L'escadron  d'Ecllnvilliers  qui  avoit  si 
mal  fait  deux  ou  trois  jours  auparavant,  lors- 
que M.  de  Joyeuse  fut  blesse,  fut  le  plus  mal- 
traite  ;  il  etoit  un  de  ceux  que  M.  de  La  Ferte 
avoit  avec  lui  quand  il  se  fit  battre ,  et  voulant 
apparemment  retablir  sa  reputation  ,  il  chargea 
alors  si  vigoureusement,  que  les  autres  ayant 
plie  avant  lui ,  il  souffrit  beaucoup  plus,  et  la 
plupart  de  leurs  officiers  furent  tues  sur  la 
place.  Le  nombre  des  blesses  ne  fut  pas  grand ; 
M.  de  Turenne  recut  une  contusion  et  un  coup 
de  mousquet  dans  ses  arraes ,  et  eut  un  cheval 
tue  sous  lui.  Ou  ne  se  souvieot  point  que,  hors 
M.  de  Broglie,  qui  eut  la  cuisse  percee  d'une 
balle,  il  n'y  eut  aucun  des  autres  generaux 
blesse;  peu  d'officiers  subalternes  le  furent.  Les 
volontaires  se  tirerent  heureuseraent  d'affaire  : 
il  n'y  eut  que  le  marquis  de  Brevaute  et  La 
Clotte  qui  furent  grievement  blesses,  et  en 
moururent ;  ils  etoient  avec  le  marquis  d'Hu- 
mieres ,  qui  fut  attaque  vivement  par  un  esca- 
dron  des  ennemis  ;  Biscara  et  quelques  autres 
furent  fort  blesses ,  de  meme  le  chevalier  d« 


MEMOIBES    DU    DUG   d'vORGK.    [lG54j 


685 


Saint-G6  et  d'autres  officiers  de  son  regiment. 
Du  cote  des  eiinemis  il  n'y  eut  de  leurs  ge- 
neraux  de  blesse  et  pris  que  le  baron  de 
Bryolle,  un  des  marechaux  de  camp  du  prince 
de  Conde :  c'etoit  un  brave  vieiiiard,  qui  bien 
qu'il  eut  le  malheur  d'etre  pris  en  combattant 
contre  son  Roi ,  montra  neanmoins,  peu  de  jours 
avant  mourir ,  qu'il  n'etoit  point  rebelle  dans 
son  cceur  ,  et  qu'il  ne  I'etoit  que  par  accident : 
il  envoya  chercher  son  fils ,  qui  avoit  ete  fait 
prisonnier  avec  lui ,  lui  dit ,  quelqiies  heures 
avant  d'expirer  ,  comment  il  avoit  ete  entraine 
dans  le  mechant  parti ,  et  lui  commanda,  sous 
peine  de  sa  malediction ,  de  ne  se  laisser  jamais 
seduire,  sous  quelque  pretexte  que  ce  put  etre, 
a  prendre  les  armes  contre  son  souverain  ;  cette 
exhortation  d'un  pere  mourant  le  toucha  si  vi- 
vement ,  qu'il  protesta  vouloir  etre  bou  sujet ; 
sur  quoi  il  fut  mis  en  liberte. 

On  fit  environ  trois  mille  prisonniers;  on  en 
prit  quinze  cens  dans  le  quartier  de  Lorraine : 
ils  etoieut  dans  uue  redoute  ou  ils  se  trou- 
verent  enveloppes  ;  on  trouva  soixante  -  trois 
pieces  de  canon  dans  les  lignes,  de  toute  sorte 
de  calibre,  et  tout  ce  qui  appartenoit  a  un  si 
grand  train  d'artillerie,  tout  le  bagage  des  en- 
nemis  fut  pris  ;  les  soldats  trouverent  un  grand 
butin ,  tous  les  officiers-generaux  de  cette  ar- 
mee  se  faisant  servir  en  vaisselle  d'argent ,  et 
chacun  etant  oblige  d'avoir  grand  equipage , 
sans  quoi  on  ne  pouvoit  subsister  dans  une  si 
grande  armee ;  la  quantite  en  etoit  si  conside- 
rable, que,  quand  I'armee  passa  I'Eseaut  quel- 
que temps  apres  sous  Carabrai ,  on  compta  plus 
de  sept  mille,  tant  cbarretles  que  chariots  con- 
verts ,  quoique  I'armee  ne  fut  pas  alors  de  plus 
de  vingt  mille  hommes ,  an  lieu  que  quand  on 
fut  pour  forcer  les  lignes  ,  elie  etoit  de  quatorze 
mille  fantasslns  ,  onze  mille  chevaux  et  quatre 
cens  dragons. 

Le  jour  apres  que  la  ville  fut  secourue,  le 
due  d'Yorck  fut  envoye  avec  denx  mille  che- 
vaux a  Peronne ,  ou  etoit  la  cour ,  pour  I'escor- 
ter  a  Arras,  on  elle  resta  quelques  jours,  pen- 
dant lesquels  I'armee  campa  dans  les  lignes  des 
ennemls  :  on  se  servit  de  leurs  huttes ,  et  on  y 
trouva  une  si  grande  abondance  de  fourage , 
que  les  ennemls  avoient  amasse ,  qu'il  ne  fut 
pas  besoin  d'en  aller  chercher  pendant  qu'on  y 
resta. 

Le  dernier  jour  d'aout ,  I'armee  marcha  vers 
Cambrai ,  campa  a  Sauchi-Cauchi ,  et  la  cour 
retourna  en  meme  temps  a  Peronne.  Le  3  sep- 
terabre  I'armee  marcha  a  Thun-Saint-Martin , 
on  elle  passa  I'Eseaut  sur  un  pont  qui  y  fut  jette. 
Le  lendemain  elle  s'avanca  jusqu'a  Saulfoi,  a 


moitie  chemin  cntre  Cambrai  et  Valenciennes. 
Le  jour  suivant  elle  campa  ^  Kievrain ,  et  le 
seize  elle  tomba  sur  le  Quesnoy,  entre  Valen- 
ciennes et  Landrecies  :  il  y  avoit  un  gouver- 
neur;  mais  la  garnison  etoit  petite,  la  place 
d'elle-meme  n'etoit  pas  forte;  les  dehors  en 
avoient  ete  demolis  a  la  maniere  espagnole  ; 
c'est-a-dire  ,  pour  la  mettre  seulement  hors 
d'etat  de  defense  ,  et  pour  la  pouvoir  retablir 
aisement.  Cette  ville  se  rendit  des  le  lendemain; 
on  fit  aussitot  travailler  a  reparer  les  dehors ; 
on  y  ajouta  de  nouveaux  ouvrages  ;  et  apres  y 
avoir  laisse  une  forte  garnison ,  on  marcha  a 
Bavay ,  et  le  1 1  septembre  on  arriva  devant 
Binche ,  qui  se  rendit  le  meme  jour ,  n'y  ayant 
que  les  bourgeois.  On  y  resta  jusqu'au  22 , 
dans  I'intention  seulement  de  manger  le  pays  , 
et  pour  donner  le  temps  de  fortifier  le  Ques- 
noy. 

Pendant  ces  marches,  M.  de  Turenne  donna 
plus  d'occupation  aux  lieutenans-generaux  qu'ils 
n'avoient  coutume  d'en  prendre;  avant  cela  il 
n'y  avoit  que  celui  de  jour  qui  etoit  en  mouve- 
ment ,  et  les  autres  ne  faisoient  qu'accompagner 
le  general ;  mais  il  ordonna  alors  que ,  de  meme 
que  celui  qui  etoit  de  jour  marchoit  a  la  tete  de 
la  cavalerie  de  I'avant-garde ,  celui  qui  auroit  ete 
releve  marcheroit  aussi  a  la  tete  de  I'infanterie , 
et  celui  qui  avoit  ete  releve  avant  lui ,  a  la  tete 
de  I'autre  aile  de  cavalerie ,  qui  faisoit  I'arriere- 
garde ;  ainsi  il  y  avoit  tous  les  jours  trois  lieu- 
tenans-generaux en  exercice.  11  trouva  cet  ordre 
si  aise  et  si  avantageux,  que  le  due  d'Yorck  le 
lui  a  toujours  vu  pratiquer,  tant  qu'il  est  reste 
depuis  avec  lui  dans  le  service  de  France.  11  les 
avertit  de  plus  que,  lorsqu'ils  arriveroient  a  un 
defile  ou  a  un  ruisseau  ,  ils  n'arreteroient  point , 
jusqu'a  ce  que  ceux  qui  etoient  devant  eux 
fussent  passes  de  I'autre  cote  ;  mais  qu'il  se  fe- 
roit  un  passage  particulier  sur  la  droite  ou  sur 
la  gauche,  observant  toujours  de  mettre  I'avant- 
garde  entre  eux  et  le  cote  par  ou  les  ennemis 
pouvoient  venir.  II  pouvoit  ainsi  faire  de  plus 
longues  marches ;  et  depuis  ce  temps-la  on  passa 
toujours  les  deliles  par  trois  endroits  a  la  fois. 
Les  cravattes  des  ennemis  furent  fort  importuns 
pendant  cette  marche ;  il  etoit  dangereux  de 
s'ecarter  le  moins  que  ce  put  etre  :  ils  avoient 
quelquefois  la  hardiesse  de  se  fourrer  deux  ou 
trois  jusques  dans  les  rangs,  et  quand  ils  le  pou- 
voient, ils  enlevoient  toujours  quelqu'un.  .  .  . 
On  s'etonna  pendant  cette  marche  qu'une  ar- 
mee victorieuse  et  si  considerable  u'entreprit 
pas  un  siege  d'importance  cette  meme  annee ; 
mais  on  ne  consideroit  pas  que  la  saison  etoit 
fort  avancee ,  et  que,  quoique  le  Quesnoy  ne  fCit 


5.S{) 


MEMOIBES    1)U    DUG    d'yORCK.    [1634 


pas  de  lui-meme  considerable  ,  cette  place  favo- 
risoit  beaucoup  les  desseins  qu'on  avoit  pour  la 
eampagne  prochalne,  pour  laquelle  M.  de  Tu- 
renne  avoit  deja  forme  son  plan  ;  le  dessein 
etoit  hardi  de  pretendre  conserver  cette  place  , 
situee  au  milieu  du  pays  ennemi,  et  ce  fut  ce 
qui  rendit  le  projet  des  operations  de  I'annee 
suivante  plus  aise  a  executer ,  et  particuliere- 
ment  le  siege  de  Landrecies. 

Les  ennemis  rassemblerent  sous  le  canon  de 
Mons  les  debris  de  leur  armee ,  d'ou  ils  deta- 
choient  continuel lenient  des  partis  pour  inquie- 
ter  les  fourageurs  de  I'armee  de  France ,  pen- 
dant qu'elle  resta  a  Binche ;  mais  M.  de  Tu- 
j-enne  y  donna  si  bon  ordre ,  qu'ils  ne  flrent  pas 
grand mal,  quoique  leurs  cravattes  voltigeassent 
incessamment  autour  du  camp,  et  dressassent 
de  continuelles  embuscades :  il  s'en  follut  peu 
qu'ils  n'enlevassent  un  jour  une  garde  de  cava- 
lerie qu'on  avoit  avancee  du  c6te  de  Mons;  elle 
t'toit  de  quatre  escadrons  postes  derriere  un 
ruisseau,  et  avoit  une  petite  garde  de  trente 
raaitres  sur  une  bauteur  de  I'autre  cote.  Le  due 
d'Yorck,  allant  la  visiter,  trouva  que  quatre 
autres  escadrons  la  relevoient;  il  passa  le  ruis- 
seau  a  la  tete  du  detachement  qui  alloit  relever 
la  petite  garde,  et  etant  arrive  a  son  poste  ,  on 
vit  environ  trente  cavaliers  ennemis  venir  d'un 
bois  qui  etoit  sur  la  gauche  5  mais  quand  ils 
furent  a  demi-portee  de  canon,  ils  retournerent 
en  arriere,  comme  s'ils  eussent  craint  qu'on  ne 
les  suivit  :  M.  d'flumieres  et  quelques  autres 
officiers  de  la  mcme  garde  qui  etoient  un  peu 
avances ,  se  mirent  a  galopper ,  et  ceux  qui 
ctoient  plus  pres  de  ce  prince  ayant  propose  de 
poursuivre  les  ennemis,  et  voyant  les  autres 
apres,  coururent  aussi  sans  demander  s'il  I'ap- 
prouvoit  ou  non  ;  sur  quoi  il  courut  lui-meme  a 
toute  bride  ,  et  ayant  gagne  la  tete  de  tons,  il 
cut  toutcs  les  peincs  du  raonde  a  arreter  leur 
ardtur :  ils  murmurerent  et  se  piaignirent  de  ce 
(lu'il  les  empechoit  d'enlever  tout  le  parti  ; 
mais  il  les  assuraqu'en  les  arretant ,  il  les  avoit 
garantis  d'uiie  embuscade,  et  qu'il  n'etoit  pas 
probable  que  les  eiuiemis  fussent  venus  si  pres, 
s'ils  n'avoient  eu  le  dessein  de  les  attirer ;  en  ef- 
let,  a  peine  les  eut-il  arretes  ,  que  les  ennemis 
brent  volte-face  ,  et  tacherent  a  les  engager  en 
oscarmouchant;  mais  quand  ils  virent  qu'il  n'y 
avoit  rien  a  gagner  ,  ils  se  retirerent  vers  Mons , 
et  un  moment  apres  on  vit  deux  cens  chevaux 
les  suivre ,  qui  s'etoient  caches  dans  un  petit 
fond,  derriere  un  bois  qui  n'etoit  pas  loin  ,  etou 
les  ennemis  vouloient  les  surprendre.  M.  d'llu- 
inieres  et  les  autres  ol'liciers  remercierent  le 
prince  de   ce  qu'il  n'uvoit  pas  pcrmis  qu'ils  al- 


lassent  plus  loin ,  parceque,  pour  peu  qu'ils 
eussent  avance  davantage,  ils  auroient  ete  pour 
la  plupart  faits  prisonniers,  parce  que  la  grande 
garde  ,  qui  etoit  de  I'autre  cote  du  ruisseau , 
n'eut  jamais  pu  venir  assez  a  temps  pour  les 
degager ,  le  defile  pour  passer  le  ruisseau  et  le 
village  au-dela  duquel  la  petite  garde  etoit  pos- 
tee,  etant  si  long,  que  i'affaire  auroit  ete  finie 
avant  qu'on  eut  pu  arriver  a  leur  secours. 

On  a  oublie  de  dire  que ,  quand  I'armee  partit 
d'Arras,  les  deux  autres  marechaux  I'avoient 
quitte.  M.  de  Turenne  ,  apres  avoir  consume  les 
fourages  autour  de  Binche ,  jugea  a  propos  de 
retourner  au  Quesnoy ,  et  de  prevenir  les  pluies 
qui  auroient  rendu  le  chemin  fort  difficile  pour 
le  canon  et  la  vaste  quantite  de  bagages  qui 
suivoient  I'armee  ;  il  marcha  vers  MaubeUge  , 
parce  que  le  pays  entre  Binche  et  cette  place 
est  plus  ouvert  et  moins  embarrasse  de  defiles 
que  le  chemin  dcBavay,  par  ou  il  auroit  tou- 
jours  eu  a  ses  trousses  le  prince  de  Conde ,  qui 
I'auroit  d'autant  plus  gene  ,  qu'il  etoit  dange- 
reux  de  faire  devant  lui  un  faux  pas ;  et  il  etoit 
a  craindre  que  ,  I'armee  I'ayant  sur  ses  ailes  ,  il 
ne  trouvat  quelque  occasion  pendant  la  marche 
de  I'attaquer  avec  avantage. 

M.  de  Turenne,  lejourqu'il  decampa, fit  mar- 
cher les  bagages  a  la  pointe  du  jour  avec  six  ou 
huit  escadrons ,  et  les  dragons  de  M.  de  La 
Ferte,  qui  marchoient  a  la  tete  ou  sur  les  ailes, 
suivant  la  necessite :  a  peine  fureut-ils  en  mou- 
veraent  qu'il  les  suivit  avec  son  avant-garde  j 
et  pour  etre  d'autant  plus  hors  d'insulte,  il  mar- 
cha avec  plus  d'ordre  et  de  precaution  qu'il 
n'avoit  jamais  fait :  sa  marche  etoit  disposee  de 
manlere  qu'il  pouvoit  a  toute  heure  se  mettre  en 
un  moment  en  ordre  de  bataille  ,  sans  la  raoin- 
dre  confusion. 

Sur  la  droite  detout,  marchoit  la  premiere 
ligne  de  I'aile  qui  avoit  I'avant-garde  ce  jour- 
la  ;  sur  la  gauche ,  etoit  |a  moitie  de  la  premiere 
ligne  d'infanterie ,  sur  la  gauche  de  laquelle 
etoit  la  seconde  ligne  de  cavalerie  de  I'aile  qui 
faisoit  I'avant-garde  ;  sur  la  gauche  encore, 
marchoit  I'autre  moitie  de  la  premiere  ligne 
d'infanterie,  sur  la  gauche  de  laquelle  etoit 
I'autre  aile  de  cavalerie  et  la  seconde  ligne 
d'infanterie;  et  enfin  sur  la  gauche  de  tout 
etoit  le  corps  de  reserve  de  cavalerie :  de  sorte 
qu'il  marchoit  de  front  quatre  bataillons  etcinq 

escadrons,  chaque  file  ou  coloune  etant  de 

bataillons  et  de escadrons. 

Le  gros  canon  etoit  a  I'avant-garde,  et  quel- 
ques petites  pieces  etoient  a  I'arriere-garde : 
quand  on  venoit  a  quelque  defile  ,  I'arricre- 
garde  faisoit  volte-face  avec  s>es  pieces  de  cam- 


HEMOIKES    DU   DUG   d'YOKCK.   [1654] 


587 


pagne  pendant  que  I'avant- garde  defiloit,  la- 
quelle  etant  passee ,  faisoit  aussi  volte-face  , 
laissant  un  espace  suffisant  anx  autres  qui  de- 
voient  suivre,  pour  se  mettre  en  bataille  a  me- 
sure  qu'ils  passoient;  ils  restoient  en  cetordre 
jusqu'a  ce  que  tout  fut  passe ,  et  ensuite  toute 
I'armee  s'ebranloit  en  meme  temps  pour  conti- 
nuer  sa  marche.  Apres  qu'elle  eutavaneeun  pen 
plus  d'une  lieue  ,  on  decouvrit  environ  quarante 
escadrons  des  ennemis  qui  approchoient  sur  la 
droite :  ie  gros  de  cette  eavalerie  avanca  plus 
pres  que  la  portee  du  canon ,  y  ayant  nean- 
moins  un  petit  ruisseau  entre  deux  ;  ils  se  con- 
tenterent  de  faire  passer  leurs  cravattes,  avecun 
escadron  ou  deux  pour  ies  soutenir  ;  les  cravattes 
approcherent  si  pres,  que  plusieurs  soldats  sor- 
tirent  de  leurs  rangs  et  se  mirent  dans  les  in- 
tervales de  la  eavalerie  pour  escarmoucher;  ils 
ne  laisserent  pas  de  suivre  toujours  jusqu'a  ce 
que  I'armee  arriva  a  un  passage  assez  pres  de 
Maubeuge,  esperant  toujours  trouver  I'occasion 
de  donner  quelque  echec ;  mais  M.  de  Turenne 
prit  tant  de  soin  et  regla  sa  marche  avectantde 
precaution ,  que  bien  que  le  prince  de  Conde  fut 
en  personne  a  la  tete  de  cette  eavalerie,  il  ne 
put  jamais  mettre  un  seul  escadron  dans  le  moin- 
dre  desordre  :  il  fit  presser  un  pen  les  dernieres 
troupes  a  ce  passage  aupres  de  Maubeuge ;  mais 
voyant  la  promptitude  avec  laquelle  elles  re- 
tournoient,  et  le  bon  ordre  qu'elles  gardoient 
toujours,  il  se  retira  et  les  laissa  en  repos,  deses- 
perant  de  retirer  aucun  profit  de  cette  marche  ; 
ii  ne  passa  point  le  defile ,  pour  ne  pas  s'exposer 
mal  a  propos  ,  et  retourua  a  son  camp.  11  etoit 
nuit  avant  qu'on  arrival  a  Maubeuge  ;  et  quoi- 
que  le  camp  fiit  marque  entre  la  villeet  les  bois, 
la  grande  obscurite  et  la  confusion  des  bagages 
fut  cause  qu'il  y  en  eut  beaucoup  dans  le  cam- 
pement ,  et  d'autant  plus  que  le  terrain  n'avoit 
que  peu  d'etendue:  personne  ne  put  reconnoitre 
le  quartier  qui  lui  avoit  ete  destine ;  et  M.  de 
Turenne  n'y  pouvant  apporter  de  remede ,  il 
placa  deux  ou  trois  bataillons  entre  les  bagages, 
du  cote  que  les  ennemis  pouvoient  venir,  de- 
meura  toute  la  nuit  debout  avec  eux ,  et  des 
qu'il  fit  jour  il  remit  I'armee  dans  son  ordre ;  et 
le  meme  jour,  qui  etoit  le  vingt-trois  ,  elle  mar- 
ch a  a  Bavay.  Le  regiment  entier  des  cravattes 
ennemis  poursuivit  un  petit  parti  jusqu'a  I'avant- 
garde,  et  s'engagea  si  fort  qu'il  courut  risque 
d'etre  entierement  pris :  les  deux  premiers  esca- 
drons coururent  a  eux ,  et  les  poursuivirent  si 
vivement  qu'ils  ne  trouverent  pas  d'autre  moyen 
de  se  sauver  qu'en  se  jettant  dans  les  bois;  plu- 
sieurs abandonnercnt  leurs  chevaux  pour  ne  pas 
etre  pris  eux-m(}mes  ;  neanmoins  ils  perdirent 


plus  d'hommes  et  de  chevaux  dans  cette  occa- 
sion ,  qu'ils  n'ont  jamais  fait  devanl  et  apres  dans 
aucune  autre. 

L'armee  etant  arrivee  ci  Bavay  ,  on  travail  I  a 
a  demolir  lesmurailles  de  cette  petite  ville,  que 
les  habitans  avoient  abandonnee  la  premiere  fois 
qu'elle  y  campa.  11  y  a  quatre  anciens  chemins 
des  Remains  qui  y  aboutissent :  elle  n'est  qu'a 
trois  ou  quatre  lieues  du  Quesnoy ,  et  auroit  pu 
incommoder  si  les  ennemis  y  eussent  mis  des 
troupes  pendant  I'hy ver.  De  Bavay  I'armee  mar- 
cha  a  Baudignies  ,  et  campa  pres  du  Quesnoy  ; 
elle  y  resta  jusquau  28  qu'elle  alia  a  Ca- 
teau-Cambresis ,  apres  avoir  consomme  les  fou- 
rages  des  environs  du  Quesnoy.  Pendant  le 
temps  qu'elle  y  resta,  les  travaux  en  furent  per- 
fectionnes,  et  les  raagasins  remplis  de  toutes 
choses  necessaires  ,  de  maniere  qu'il  auroit  et6 
tres-difficile  aux  ennemis  d'y  rien  entreprendre 
apres  qu'on  seroit  entre  en  quartier  d'hyver. 

Pendant  que  I'armee  campa  a  Cateau-Cam- 
bresis,une  escorte  qui  couvroit  les  fourageurs 
pensa  ^tre  defaite.  Le  comte  de  Renel  qui  la 
commandoit  fut  fait  prisonnier  a  la  premiere 
charge  ,  en  mf  ttant  en  bataille  les  premiers  es- 
cadrons que  les  ennemis  renverserent ;  et  si  les 
autres,  qui  etoient  de  vieilles  troupes,  comme 
La  Valette ,  Grammont  et  d'autres ,  n'avoient 
soutenu  vigoureusement  et  avec  beaucoup  de 
bravoure,  tout  auroit  ete  taille  en  pieces  et  les 
fourageurs  en  grand  peril ;  mais  quoiqu'ils  vis- 
sent  leur  commandant  pris  et  leurs  premiers 
escadrons  en  deroute  ,  ils  marcherent  fierement 
aux  ennemis  ,  les  obligerent  de  se  retirer  sans 
rien  entreprendre  davantage  ,  et  ramcnerent  les 
fourageurs  au  camp  sans  en  avoir  perdu  aucun. 
Le  parti  qui  les  avoit  attaques  etoit  sorti  de  Cam- 
bray  ,  les  forces  etoient  a  peu  pres  egales  ,  et  si 
les  ennemis  avoient  pousse  leur  premier  avan- 
tage  ,  ils  auroient  defait  I'escorte  entiere,  et  au- 
roient  pris  autant  de  fourageurs  qu'ils  en  au- 
roient pu  emmener.  Cette  aventure  obligea  M.  de 
Turenne  de  prendre  a  I'avenir  plus  de  precau- 
tion pour  les  assurer;  deux  ou  trois  jours  apres 
il  voulut  aller  lui-meme  les  couvrir  dans  le 
meme  endroit  ou  M.  de  Benel  avoit  ete  pris  :  il 
mena  avec  lui  vingt  escadrons,  deux  bataillons, 
et  quatre  pieces  de  campagne  ,  esperant  que  les 
ennemis  y  viendroient  avec  le  meme  nombrequc 
la  premiere  fois.  II  ne  se  trompa  point  dans  sa 
conjecture.  Peu  de  temps  apres  avoir  poste  ses 
troupes  pour  la  surete  des  fourageurs  ,  on  aper- 
cut  six  escadrons  des  ennemis  qui  sortoient  d'un 
bois  assez  proche  ou  ils  s'etoient  erabusques :  ils 
vinrent  au  grand  galop  comme  s'ils  eussent  eu 
dessein  de  tombcr  sur  deux  ou  trois  escadrons 


588 


MEMOIBES    DV    DUC    I>  YORCK. 


1655] 


des  gendarmes  qui  etoient  postes  dans  Im  petit 
fond,  entre  Ics  bois  et  iin  village  oil  plusieiirs 
fourageurs  chargeoieut  leur  trousse.  M.  de  Tu- 
renne  etoit  lui-meme  dans  ce  village  avec  une 
grande  partie  de  sa  cavalerie  et  iin  bataillou 
d'infanterie  ;  mais  y  ayant  un  petit  passage  en- 
tre lui  et  I'endroit  ou  etoient  les  gendarmes  que 
commandoit  M.  de  Schomberg,  si  les  ennemis 
I'avoient  attaque  brusqueraent,  il  auroit  ete 
battu  avant  qu'on  eiit  pu  venir  a  son  secours: 
ainsi,  considerant  le  danger  ou  il  etoit ,  il  crut 
ne  se  pouvoir  tirer  d'affaire  que  par  une  conte- 
nance  bardie,  et  marcha  droit  aux  eimemis 
qui,  le  voyant  avancer  avec  tant  de  fierte,  et  ne 
pouvant  decouvrir  ce  qu'il  pouvoit  y  avoir  dans 
le  fond  d'oii  il  etoit  parti ,  s'imaginerent  qu'il  y 
avoit ,  suivant  toute  apparence ,  d'autres  trou- 
pes derriere  eux  pour  les  soutenir ,  et  se  retire- 
reit  aussitot  dans  le  bois :  M.  de  Schomberg  en 
fut  fort  aise  ,  et  s'arreta  sur  une  petite  hauteur 
sans  se  mettre  en  devoir  de  les  poursuivre ,  n'e- 
tantpasassez  fort,  et  ne  pouvant  point  scavoir  si 
les  ennemis  n'avoient  point  d'autres  troupes  dans 
le  bois.  On  lui  envoya  d'autres  troupes  pour  le 
fortifier ,  et  il  resta  la  jusqu'a  ce  que  les  foura- 
geurs eurent  acheve  ,  et  qu'on  commenca  a  s'en 
retourner. 

On  envoya  depuis  toujours  de  grosses  escor- 
tes  avec  les  fourageurs  ;  les  ennemis  n'entrepri- 
rent  plus  de  les  inquieter  ,  et  le  soin  qu'on  prit 
des  convois  qu'on  envoya  au  Qaesnoy  empecha 
les  Espagnols  de  songer  a  les  enlever.  Le  due 
d'Yorck  eut  le  commanderaent  du  dernier  qu'on 
y  introduisit  pendant  qu'on  etoit  a  Cateau-Cam- 
bresis ;  on  y  resta  encore  quelques  semaines  sur 
la  frontiere ,  ou  on  prit  les  deux  chateaux  d'An- 
villers  et  de  Girondelle  proche  de  Rocroy :  on 
lesdemolit,  et  ensuite  on  se  retira  en  quartier 
d'hyver,  la  saison  etant  si  avancee  qu'il  n'etoit 
plus  a  craindre  que  les  ennemis  entreprissent 
rien  sur  le  Quesnoy. 

[  1 G55]  Cette  campagne  commenca  par  le  siege 
de  Landrecies ;  aussitot  que  les  Francois  investi- 
rent  cette  place  ,  les  ennemis  se  posterent  entre 
cette  ville-Ia  et  Guise,  dans  le  dessein  de  leur  oter 
la  communication  avec  leur  pais ;  mais  la  pre- 
caution de  M.  de  Turenne,  qui  avoit  fait  rem- 
plir  de  bonne  heure  les  magasins  du  Quesnoy  de 
toutes  les  choses  necessaires  pour  le  siege,  em- 
pecha les  Espagnols  de  pouvoir  beaucoup  lui 
ouire.  Les  convois  alloient  etvenoient  du  Ques- 
noy au  camp  sans  peine  et  sans  danger ,  et  tout 
le  mal  se  reduisit  a  empecher  que  quelques  offi- 
ciers  et  volontaires  pussent  s'y  rendre.  Le  due 
d'Yorck,  que  des  affaires  avoientarrete,  fut  de 
ce  nombre :  ainsi  on  ne  fera  point  de  relation 


particuliere  de  ce  siege,  ni  un  detail  fort  exact 
de  toute  cette  campagne,  parce  que  ce  prince  a 
perdu  un  papier  qui  auroit  beaucoup  aide  a  sa 
memoire  en  plusieurs  choses  qu'il  a  presente- 
ment  oubliees.  II  resta  a  La  Fere  attendant  I'oc- 
casion  de  quelque  convoi  qui  put  favoriser  le 
desir  impatient  qu'il  avoit  de  se  trouver  a  ce 
siege;  mais  il  auroit  ete  trop  dangereux  de  ten- 
ter le  passage;  il  n'y  eut  que  M.  de  La  Feuil- 
lade  qui  osa  I'hazarder,  et  qui  fut  pris  et  bless6' 
dangereusement :  son  mauvais  succes  ota  I'en- 
vie  desuivre  son  exemple  ,  et  on  ne  songeaplus 
a  passer  ,  jusqu'a  ce  que  les  ennemis  decampe- 
rent  un  jour  ou  deux  avant  que  la  place  se  rendit. 

Ce  siege  fut  heureux  pour  les  soldats ;  les  as- 
siegez  se  contenterent  de  se  d<ifendre  a  I'ordi- 
naireet  dans  les  formes.  lis  n'entreprirent  rien  de 
vigoureux  ,  et  on  perdit  moins  de  monde  qu'on 
ne  pouvoit  probablement  esperer  d'un  siege  de 
cette  consequence;  ils  capitulerent  des  que  la 
mine  eut  fait  breche  a  la  face  d'un  bastion  ,  et 
on  ne  se  souvient  pas  s'il  y  fut  fait  un  logement ; 
on  ne  perdit  d'ofiicier  de  consequence  que  M.  de 
Tracy  ,  mestre-de-camp ,  qui ,  comme  le  plus 
ancien  ,  commandoit  la  cavalerie  allemande. 

Apres  que  la  ville  fut  rendue  ,  I'armee  resta 
encore  quelques  jours  pour  combler  les  lignes 
et  reparer  la  breche  et  les  dehors.  Cependant 
les  ennemis  se  retirerent  chez  eux  entre  Mons 
et  Valenciennes  derriere  les  rivieres ,  et  ne  se 
croyant  point  en  etatde  risquer  une  bataille,  ils 
ne  se  proposerent  que  d'observer  le  mouvement 
des  Francois,  et  d'empecher  qu'ils  ne  fissent 
quelqu'autre  siege  de  consequence. 

Quand  I'armee  fut  prete  a  decamper  ,  le  Roi 
et  le  cardinal  y  vinrent,  etelle  descendit  lelong 
de  la  Sambre  jusqu'a  La  Bussiere  ,  petite  ville 
dependante  du  pays  de  Liege,  a  une  lieue  de 
Thuyn.  Apres  avoir  employe  quelques  jours  a 
cette  marche ,  et  en  avoir  reste  un  ou  deux  a 
La  Bussiere,  ou  retourna  sur  ses  pas,  et  pas- 
sant par  Avenes  on  investit  LaCapelle  ;  ensuite, 
n'estimant  point  qu'elle  fiit  d'assez  grande  im- 
portance ,  on  changea  d'avis ;  on  passa  la  Sam- 
bre et  on  avanca  dans  le  Haynault  jusqu'a  Ba- 
vaj',  oil  on  arriva  le  U  d'aoust :  cette  place 
est  entre  Mons  et  le  Quesnoy.  On  eut  dessein 
d'avancer  plus  avant  dans  le  pays ,  et  de  passer 
la  Haisne ;  mais  apres  avoir  envoye  reconnoitre 
les  passages  ,  on  trouva  que  les  ennemis  y 
avoient  fait  de  grands  retranchemens  et  para- 
pets, et  de  distance  en  distance  des  plattes-for- 
mes  a  trois  ou  quatre  cens  pas  les  unes  des  au- 
tres  ,  qui  regnoient  le  long  de  la  riviere  depius 
Saint-Guislain  jusqu'a  Conde.  Les  ennemis  ont 
uii  avantage  parlieulier  pour  faire  ccs  retran- 


MEMOTRES    DU    DUG   d'yORCK.    [16o5] 


clicmens  en  Flandre ;  car,  outre  leurs  troupes 
qu'ils  y  eraployent,  ils  y  font  travailler  leurs 
paysans  qui ,  apportant  leurs  beches  et  les  autres 
instrumens  dont  ils  scavent  se  servir  pour  rele- 
ver  leurs  fossez,  font  en  peu  de  jours  des  tra- 
vaux  fort  profonds  et  d'une  vaste  etendue ;  ce 
qui  donnoit  plus  de  difticulte  a  forcer  ceux-ci, 
etoit  celle  de  pouvoir  meme  approcher  de  la  ri- 
viere ,  le  pays  etant  fort  bas  et  rerapli  de  fossez ; 
et  a  raoins  d'y  faire  de  nouveaux  passages,  il 
n'y  avoit  que  le  chemin  de  la  chaussee  qui  con- 
duisoit  au  pont  de  Haisne.  Neanmoins,  dans  un 
conseil  qui  se  tint  en  presence  du  Roi ,  ou  se  trou- 
verent  le  cardinal,  M.  de  Turenne,  les  mare- 
chauxde  La  Ferte,  de  Villeroy ,  de  Gramraont 
et  Du  Plessis,  et  ou  le  due  d'Yorck  fut  appelle, 
on  fut  sur  le  point  de  resoudre  de  forcer  le  pas- 
sage au  pont  de  Haisne ,  le  cardinal  ayant  re- 
presenle  combien  il  auroit  ete  glorieux  de  I'exe- 
euter,  et  d'avoir  passe  la  riviere  a  la  barbe  d'une 
armee  formidable  ;  mais  le  sentiment  de  M.  de 
Turenne,  qui  etoit  contre  cette  entreprise,  pre- 
valut ,  soit  par  la  complaisance  qu'on  eut  pour 
lui ,  soit  par  la  force  de  ses  raisonnemens  ;  il  en 
lit  voir  les  difficitltez  telles,  que  les  ennemis 
avoient  un  double  avantage:  il  dit  qu'on  pou- 
voit,  a  la  verite,  les  forcer,  mais  qu'on  y  per- 
droit  trop  de  monde ;  que  cette  consideration 
n'etoit  pas  la  seule  qui  I'obligeoit  a  dissuader 
cette  entreprise  ;  qu"il  croyoit  qu'on  pouvoit 
i'executer  sans  hazarder  la  vie  de  tant  de  sol- 
dats,  en  passant  I'Escaut  un  peu  au-dessous  de 
Bouchaiu  ;  qu'on  laisseroit  Valenciennes  sur  la 
droite ;  qu'on  raarcheroit  a  Conde  ou  on  passe- 
roit  I'Escaut  une  seconde  fois ;  qu'ainsi  on  pren- 
droit  les  ennemis  en  flanc,  et  que  les  grands 
retrancbemens  des  Espagnols  deviendroient  inu- 
tiles.  Ces  raisons  auxquelles  il  en  ajouta  beaucoup 
d'autres ,  ramenerent  le  cardinal  et  tous  les  au- 
tres du  conseil  a  son  opinion:  on  marcha  aussi- 
t6t  de  Bavay  a  Bouchain ,  et  sur  I'avis  qu'en 
eurent  les  ennemis,  ils  marcherent  en  meme 
temps  vers  Valenciennes. 

Le  13,  sur  I'apres-midi ,  I'armee  arriva  a 
Neuville-sur-rEscaut ;  le  meme  jour  les  ennemis 
passerent  la  riviere  a  Valenciennes,  et  se  pos- 
terent  fort  avantageusement ,  ayant  leur  droite 
couverte  des  bois  de  Saint-Amand  ,  et  la  ville 
sur  leur  gauche  :  ils  avoient  devant  eux  une 
vieille  ligne  sur  le  mont  Azin  ,  qui  s'etendoit  de 
la  ville  jusqu'aux  bois  ;  et  au  lieu  de  disputer  le 
passage  de  la  riviere ,  ils  travaillerent  a  repa- 
rer  cette  ligne  qui  se  trouva  le  lendemain  en 
bon  etat  de  defense.  Cependant  I'armee  de 
France  passa  la  riviere  sur  un  pont  de  bateaux, 
et  le  14  au  matin  marcha  aux  ennemis,  apres 


•589 

avoir  laisse  des  troupes  avec  les  bagages  pour 
les  assurer  contre  les  courses  de  la  garnison  de 
Bouchain ;  mais  toutes  ces  peines  furent  inu- 
tiles. 

Le  due  d'York  a  scu  depuis,  de  quelques  offi- 
ciers  qui  etoient  alors  dans  I'armee  espagnole  , 
qu'ils  s'etoient  propose  de  defendre  ce  poste  ; 
que  le  prince  de  Conde  s'opposa  a  la  resolution 
qu'on  avoit  prise  d'y  marcher  ,  a  moins  qu'on 
n'eut  dessein  de  le  soutenir,  quand  on  y  seroit 
arrive  ;  qu'il  dit  nettement  aux  Espagnols  qu'il 
ne  bougeroit  point ,  s'ils  ne  lui  permettoient  de 
prendre  ce  parti ;  qu'ils  lui  en  donnerent  toutes 
les  assurances  qu'il  pouvoit  souhaiter;  qu'il  leur 
predit  qu'immanquablement  les  Francois  mar- 
cheroient  a  eux  quand  ils  seroient  dans  ce 
poste-Ia ,  et  qu'alors  il  seroit  trop  tard  de  songer 
a  la  retraite,  puisque  par-la  on  exposeroit  I'ar- 
mee a  une  defaite  entiere.  Les  Espagnols  ne 
laisserent  pas  d'insister  toujours  et  promirent 
de  defendre  le  poste.  On  les  y  trouva  en  effet ; 
les  partis  informerent  de  la  maniere  de  leur 
carapement ;  on  marcha  a  eux  aussitot  que 
I'armee  fut  mise  en  bataille,  et  etant  arri- 
ves a  une  lieue  de  leurs  retrancbemens  ,  on  fit 
alte  pour  attend  re  le  canon  et  les  munitions  qui 
suivoient  derriere. 

Cependant  M.  de  Turenne  marcha  avec  un 
escadron  ou  deux  pour  reconnoitre  leurs  lignes, 
etenapprochaa  la  porteedu  canon.  Les  ennemis 
tirerent  sur  lui  leurs  plus  grosses  pieces  :  ce  qui 
le  confirma  dans  I'opinion  qu'il  avoit  qu  ils 
vouloient  defendre  ce  poste  ;  il  ordonna  a 
M.  de  Castelnau  de  marcher  avec  son  camp- 
volant  compose  d'en^iron  douze  escadrons  et 
de  deux  ou  trois  batai lions  ,  et  de  se  poster  sur 
la  droite  des  ennemis  dans  le  grand  chemin  de 
Saint-Amand ,  pour  tacher  de  les  attaquer  en 
flanc  lorsqu'on  les  attaqueroit  de  front.  A  peine 
M.  de  Castelnau  fut-il  arrive  dans  I'endroit 
qu'on  lui  avoit  marque ,  qu'il  s'appercut  que  les 
ennemis  se  retiroient  vers  Conde  ;  et  sur  ce 
qu'il  en  fit  avertir  M.  de  Turenne,  il  eut  ordre 
de  donner  sur  leur  arriere-garde  pour  retarder 
leur  marche  ,  s'il  etoit  possible,  alio  qu'il  eut  le 
temps  de  venir  lui-meme  avec  le  corps  d'armee. 
On  ne  scut  que  les  ennemis  se  retiroient  que 
par  I'avis  que  M.  de  Castelnau  en  donna,  parce 
que  le  terrain  qui  est  entre  les  deux  armees 
etant  une  hauteur  sur  laquelle  ils  avoient  eleve 
leurs  lignes ,  on  ne  pouvoit  voir  que  les  troupes 
qu'ils  vouloient  bien  montrer. 

II  est  probable  qu'aussitot  que  I'archiduc  et 
le  comte  deFuensaldagne  scurent  que  les  Fran- 
cois avoient  passe  la  riviere  et  qu'ils  mar- 
choient  a  eux  ,  ils  se  repentirent  de  s'etre  en- 


i)0 


MEMOIRES    DU    DUC    D'vOnCK.    [iG.jii] 


gages  si  avant.  Quoiqu'il  eu  suit,  ils  resolurent 
de  retourner  a  Conde  et  d'y  passer  la  riviere  : 
ils  prirenl  ce  parti  sans  consiilter  le  priuce  de 
Conde  ,  et  le  premier  avis  qu  il  en  eut ,  fut  par 
un  adjudant  qui  viut  lui  dire  que  I'areliiduc  se 
retiroit ;  qu'il  le  prioit  de  prendre  soin  de  i'ar- 
riere-garde  et  de  couvrir  la  retraite  ,  quoique 
ce  fut  le  tour  des  Espagnols  de  la  soutenir ;  et 
pour  avoir  moius  d'embarras,  ils  llrent  entrer 
leur  gros  canon  dans  Valenciennes,  et  ne  mene- 
rent  avec  eux  que  de  petites  pieces  de  cam- 
pagne. 

Si  M.  de  Castelnau  eut  fait  son  devoir  , 
conime  il  le  pouvoit ,  en  suivant  ses  ordres  ,  le 
prince  de  Conde  auroit  ete  reduit  h  de  grandes 
extremites  :  il  est  vrai  qu'il  ne  manqua  point 
du  cote  du  courage  et  que  ce  ne  fut  que  dans  la 
conduite.  II  marcha  si  promptement ,  qu'etant 
arrive  au  pont  de  Beverage,  oil  un  ruisseau  qui 
vient  des  bois  tombe  dans  TEscaut  de  I'autre 
cote  de  Valenciennes ,  et  ou  M.  de  Marsin  etoit 
poste  avec  quelques  escadrons  et  des  dragons  , 
il  n'attendit  point  son  infanterie,  mais  s'efforca 
avec  sa  cavalerie  seuie  de  forcer  le  passage.  li 
attaqua  le  pont  deux  ou  trois  fois  ,  et  ayant  ete 
repousse  avec  quelque  perte,  il  se  trouva  eon- 
traint  d'attendre  son  infanterie  qui  u'avoit  pii 
venir  assez  a  temps ,  a  cause  que  la  cavalerie 
avoit  occupe  le  chemiu  devant  elle.  Onand  les 
ennemis  virent  approeher  son  infanterie ,  ils 
se  retirerent  et  le  iaisserent  maitre  du  pont 
qu'il  passa.  M.  de  Turenne  arriva  dans  le  meme 
temps  avec  son  avant-garde  a  I'arriere-garde 
de  M.  de  Castelnau,  auquel  il  envoya  plusieurs 
ordres  reiteres  de  presser  les  ennemis  pour  ar- 
reter  leur  raarche  autant  qu'il  seroit  possible 
pour  les  joindre ;  mais  de  Castelnau  se  laissa 
amuser  par  quelques  officiers  du  prince  de 
(^onde  qui,  etant  a  la  queue  de  leurs  troupes  et 
le  voyant  avancer  a  la  tete  des  siennes ,  deman- 
derent  a  lui  parler  sur  parole ;  a  quoi  ayant 
consenti ,  parce  que  c'etoient  de  ses  anciennes 
connoissances,  il  ordonna  a  ses  troupes  de  faire 
alte  pour  quelque  temps ,  et  pendant  qu'ils  se 
complimenterent ,  le  prince  de  Conde  hala  ses 
troupes  de  passer,  et  de  Castelnau  fut  pris  pour 
dupe.  Un  homme  qui  etoit  reste  sur  le  haut 
d'un  petit  coteau  ayant  fait  signe  a  ces  officiers, 
ils  prirent  conge  du  lieutenant-general  et  galop- 
perent  apres  leurs  troupes.  Cette  civilite  hors 
de  saison  donna  le  temps  aux  ennemis  de  passer 
la  riviere  avant  qu'on  piit  les  joindre.  M.  de 
Turenne  arriva  quelque  temps  apres  a  Tendroit 
oil  M.  de  Castelnau  avoit  range  ses  troupes  a 
la  portee  du  canon  de  la  riviere ,  au-dela  de 
latiuelle  il  vit  I'arraee  eu  bataille  proche   de 


Conde.  M.  de  Castelnau  lui  fit  un  recit  de  ce 
qui  s'etoit  passe ,  et  ajouta  que  le  dernier  esca- 
dron  des  ennemis  avoit  ete  oblige  de  passer  la 
riviere  a  la  nage  pour  se  sauver ;  cette  meprise 
causa  quelque  aigreur  entre  M.  le  priuce  et 
M.  de  Turenne  par  un  accident  qui  arriva  quel- 
ques jours  apres. 

Les  ennemis  rompirent  les  ponts  apres  avoir 
passe  la  riviere,  et  marcherent,  autant  qu'on 
pent  s'en  souvenir ,  I'apres-midi  du  meme  jour 
vers  Tournai.  L'armee  de  France  campa  cette 
nuit-la  a  Frane  pres  de  Conde  ,  et  le  lendemain 
on  travailla  a  construire  des  ponts  une  lieue 
au-dessous  de  la  ville  ,  pour  I'attaquer  aussit6t 
qu'ils  seroieut  acheves.  On  resolut  d'abord  que 
les  troupes  que  commandoient  MM.  de  Castel- 
nau et  d'Uxellesseroient  seules  employees  a  ce 
siege,  pendant  que  les  deux  marechaux  avec  le 
reste  de  l'armee  le  couvriroient  et  feroient  tete 
aux  ennemis.  On  commenca  suivant  ce  projet 
a  faire  les  approcbes  ;  mais  la  premiere  nuit  on 
trouva  tant  de  resistance  ,  la  grande  quatite  de 
raonde  qu'il  y  avoit  dans  la  place  suppleant  a 
sa  foiblesse ,  que  les  deux  marechaux ,  etant 
avertis  qu'il  y  avoit  trop  d'ouvrage  pour  si  peu 
de  troupes,  vinrent  eux-raemes  pour  pousser 
une  des  attaques  ,  laissant  I'autre  a  la  conduite 
de  MM.  de  Castelnau  et  d'Uxelles. 

Les  assioges  avoient  briile  les  maisons  d'un 
petit  faubourg ,  qui  etoient  devant  la  porte  ; 
mais  n'ayant  point  eu  le  temps  d'en  abattre  les 
murailles  ,  elles  servirent  d'un  abri  fort  favora- 
ble pour  ouvrir  la  trancbee  a  un  !peu  plus  de 
demi-portee  de  mousquet  de  la  place.  Un  ba- 
taillon  des  gardes  la  monta  la  premiere  nuit ; 
il  etoit  coramande  par  Vautourneux,  le  plus 
ancien  capitaine  des  dix  compagnies ;  et  a  I'at- 
taque  du  lieutenant-general,  monta  le  regiment 
de 

La  nuit  suivante  un  bataillon  Suisse  monta  la 

trancbee  a  une  attaque,  et  le  regiment  de 

a  I'autre.  On  poussa  les  travaux  des  deux  cotes 
jusqu'a  la  portee  du  pistolet  de  la  ville ,  et  on 
perdit  au  moins  autant  de  monde  cette  nuit-la 
que  la  precedente.  La  suivante ,  un  autre  ba- 
taillon des  gardes  releva  les  Suisses  a  I'attaque 
des  marechaux  ,  et  a  celle  des  iicutenans-gene- 

raux  ,  le  regiment  de On  fit  une  faute  a 

la  premiere,  qui  causa  la  perte  de  bien  du 
monde.  M.  de  La  Ferte  etoit  de  jour,  et  allant 
sur  le  soir  a  la  tranchee  pour  y  voir  I'etat  des 
choses ,  il  crut  qu'on  etoit  assez  proche  pour 
faire  un  logement  au  pied  des  palissades  qu'il 
jugea  ,  aussi  bien  que  tous  les  autres  officiers  , 
etre  en-deca  du  fosse  sur  le  bord.  It  ordonna 
qu'on  s'y  logeJit :  ou  se  mit  en  devoir  de  le  faire 


JIEMOIBES    DU    DUC 

des  qu'il  fut  uuit;  mais  on  arriva  au  foss6  sans 
y  trouver  de  palissades,  et  on  reconnut  qu'elles 
etoient  sur  la  berrae  ;  on  ne  laissa  pas  de  pas- 
ser le  fosse  qui  n'etoit  ni  profond  ni  large ;  on 
s'efforca  de  se  loger  sur  la  berme  au  pied  des 
palissades  ;  on  y  trouva  beaucoup  de  resistance, 
et  apres  avoir  perdu  beaucoup  de  soldatset  d'of- 
ficiers,  il  fallut  se  retirer  et  se  contenter  de 
faire  un  logement  sur  le  bord  du  fosse.  II  ne 
fautpas  s'etonner  de  cette  meprise,  le  fosse  etant 
etroit  et  les  palissades  etant  ordinairement  po- 
sees  le  long  de  la  banquette  du  chemin  couvert 
on  crut  qu'elles  y  etoient ,  et  il  eut  ete  tres-dif- 
ficile  avec  les  meilleurs  yeux  du  monde ,  de 
juger  a  une  certaine  distance  I'endroit  precise- 
nient  ou  elles  etoient  plantees.  Le  comte  de 
Henning ,  gouverneur  de  la  place ,  demanda  le 
lendemain  a  capituler,  et  ou  convint  qu'il  sor- 
tiroit  le  jour  suivant  avec  armes  et  bagages. 
Ainsi  il  evacua  la  place,  le  19,  avec  environ  deux 
mille  bomraes  d'infanterie  et  quelque  cavalerie. 
Pendant  ce  siege,  M.  de  Bussi-Rabutin,  mes- 
tre-de-camp ,  I'ut  envoye  escorter  les  fourageurs 
avec  sept  ou  buit  escadrons :  il  les  posta  de 
I'autre  cote  de  I'Escaut  devant  les  villages  ou  on 
fourageoit.  Sur  le  soir ,  quand  on  eut  presque 
fini ,  et  que  la  plupart  des  fourageurs  etoient  i  e- 
tournes  au  camp  avec  leurs  trousses,  Bussi 
ayant  apercu  deux  escadrons  des  ennemis,  il  lui 
prit  envie  de  les  charger,  a  quoi  il  se  trouva 
particulierement  excite  par  plusieurs  volontai- 
res  et  personnes  de  qualite  qui  etoient  avec  lui , 
entre  iesquels  etoient  le  prince  de  Marsillac  et 
le  comte  de  Guicbe ;  il  marcha  a  eux  avec  tons 
les  escadrons ;  les  ennemis  se  retirerent  assez 
precipitamment,  et  lorsqu'en  les  poursuivant  il 
les  eut  presque  atteints,  ils  flrent  soudainement 
volte-face ,  et  on  decouvrit  en  meme  temps 
douze  oil  quatorze  escadrons  des  ennemis  qui 
sortoient  d'un  fond  ou  ils  s'etoient  mis  en  em- 
buscade.  Bussi ,  aussi  bien  que  les  autres ,  fut 
si  surpris ,  qu'il  ne  trouva  point  d'autre  parti  a 
prendre,  que  de  crier  :  Au  defile!  La  partie  n'e- 
toit point  tenable;  tous  les  escadrons  firent 
d'eux-memes  la  meme  manoeuvre,  s'ecriant  de 
main  en  main  :  Au  defile  !  ils  se  rompirent,cou- 
rurent  a  toute  bride  et  se  rallierent  en  arrivant 
au  defile.  Les  ennemis  se  contenterent  de  ce 
qu'ils  purent  prendre  dans  la  poursuite,  et  ne 
les  presserent  pas  fort  loin.  Cette  cavalerie  etoit 
la  meilleure  de  I'armee  de  France,  composee 
d'anciens  officiers  et  de  vleux  cavaliers  ;  et  s'ils 
avoient  pris  tout  autre  parti,  la  perte  auroit  ete 
beaucoup  plus  considerable  :  elle  ne  fut  que 
d'environ  cent  maitres  et  d'un  etendart  ou 
deux  du  regiment  royal ,  Iesquels  ayant  ete  pris 


J)'V0KCK.    [iCiiJo]  5,,  J 

par  les  troupes  du  prince  de  Conde,  il  les  ren- 
voya  au  Roi  par  un  de  ses  trompettes ;  mais 
Sa  Majeste  ne  voulut  pas  les  recevoir  ,  et  les 
corapagnles  qui  les  avoient  perdus  marcberent 
sans  etendart  pendant  tout  le  reste  de  la  cam- 
pagne. 

Ce  fut  vers  ce  temps- la  qn'une  lettre  que 
M.  de  Turenne  avojt  ecrite  au  cardinal  fut  in- 
terceptee(i),  par  laquelle  il  donnoit  un  detail 
de  ce  qui  s'etoit  passe  dans  la  retraite  des  Es- 
pagnols  aupres  de  Valenciennes.  Le  prince  de 
Conde  entre  les  mains  duquel  elletomba,  I'ayant 
lue,  cuvoya  un  trompette  porter  une  lettre  qu'il 
ecrivit  a  ]\I.  de  Turenne,  pleine  d'expressions 
dures.  II  marquoit  entre  autres  chosesque,  s'il 
n'avoit  pas  connu  son  ecriture,  il  auroit  plutot 
cru  la  relation  qu'il  envoyoit  au  cardinal  faite 
par  un  gazetier  que  par  un  general ,  et  finissoit 
par  cette  invective,  que  si  M.  de  Turenne  avoit 
ete  a  la  tete  de  son  armee ,  pendant  que  lui- 
meme  etoit  a  I'arriere-garde  de  la  slenne,  il  au- 
roit vu  le  contraire  de  ce  qu'il  avoit  eerit,  puis- 
qu'aucun  de  ses  cavaliers  n'avoit  ete  force  de 
passer  la  riviere  a  la  nage  pour  se  sauver. 

M.  de  Turenne  fut  irrite  en  lisant  cette  let- 
tre ,  et  dit  au  trompette  qu'il  ne  devoit  pas  se 
charger  de  papiers  de  cette  nature  ;  qu'il  I'aver- 
tissoitque,  s'il  faisoit  une  pareille  faute  a  I'ave- 
nir,  ni  sa  livree,  ni  son  caractere  ne  le  garan- 
tiroient  du  traittement  qu'il  meritoit;  qu'il  le 
vouloit  bien  laisser  retourner  pour  cette  fois, 
quoiqu'il  meritat  d'etre  puni  pour  avoir  ose  ap- 
porter  un  papier  si  injurieux.  On  croit  que  le 
prince  ne  fut  pas  long-temps  sans  scavoir  que 
M.  de  Turenne  n'avoit  ecrit  que  ce  que  de  Cas- 
telnau  lui  avoit  dit ;  neanmoius  il  n'y  eut  plus 
entre  eux  les  memes  egards  et  menagemens  qui 
s'observenttoujours  entre  des  personnes  de  cette 
qualite,  qui  commandent  I'un  coutre  I'autre: 
ils  ne  vecurent  plus  avec  cette  civilite  recipro- 
que,  comme  ils  avoient  fait  auparavant,  et 
et  jusqu'a  la  conclusion  de  la  paix  ils  ne  furent 
jamais  sincerement  reconcilies. 

Apres  la  prise  de  Conde,  oil  on  laissa  une  gar- 
uison  suffisante,  I'armee  marcha  le  20  a  Saint- 
Guislain  et  en  fit  le  siege.  M.  de  Turenne  prit 
son  qiiartier  au  village  de  Horn,  et  M.  de  La 
Ferte  etablit  le  sien  de  I'autre  cote  de  la  riviere ; 
le  Roi  et  le  cardinal  vinrent  a  ce  siege,  et  lo- 
gerent  au  chateau  de  Bossut,  un  peu  au-dessous 
de  la  ville  sur  la  meme  riviere.  La  situation  de 
cette  place  est  forte ,  etant  dans  un  pays  fort 


(1)  Voyez  la  partie  nouvelle  des  Memoires  de  Turenne, 
pages  470—72  de  ce  volume,  ou  Ion  liouve  les  letlres  de 
Turenne  et  du  prince  de  Cond^  a  ce  sujcl. 


.192 


MEMOiRES  nti   nuc   D  YOnCK.   KSAol 


has  ,  la  riviere  de  Haisne  passe  au  travers  ;  de 
sorle  qu'elle  pent  inonder  la  plupart  des  envi- 
rons, comme  les  ennemis  le  flrent  alors,  ce  qui 
incommoda  beaucoup  les  tranchees.  II  fut  aussi 
tres difficile  de  faire  les  lignes  de  circonvalla- 
tion,  a  cause  qu'on  ne  pouvoit  construire  les 
ponts  de  communication  qu'avec  beaucoup  de 
peine;  les  tranchees  se  comblerent  d'eau  quand 
on  approchadela  place  ;  I'eau  etant  aussi  haute 
que  le  terrain  ,  on  ne  pouvoit  ni  le  creuser  ni 
s'en  servir  pour  se  couvrir,  tellement  que  les 
approches  n'etoient ,  a  proprement  parler,  que 
des  blindes  de  fascines;  neanmoins,  malgre  tous 
ces  obstacles,  la  place  fut  emportee  en  trois  jours 
de  tranchee  ouverte. 

Quand  les  generaux  arriverent  a  leur  quar- 
tier  a  Horn,  la  nuit  etoit  si  noire  qu'ils  ne  scu- 
rent  qu'au  matin  qu'ils  n'etoient  eloignes  de  la 
ville  que  d'une  petite  portee  de  canon  ,  qui  les 
eveilla  de  bonne  heure ;  et  les  maisons  qu'on  leur 
avoit  marquees  n'etant  baties  qu'a  la  legere,  ils 
enfurentbient6tdeloges,particulierement  M.Du 
Passage  qui  fut  oblige  d'en  chercher,  comme 
beaucoup  d'autres,hors  de  la  portee  du  canon. 
Le  due  d'Yorck  fut  le  seul  qui  se  hazarda  de 
rester  dans  la  sienne  ,  qui  n'etant  qu'a  un  peu 
plus  de  la  portee  du  mousquet  de  la  place  ,  ils 
n'y  tirerent  point,  supposant  que  personne  ne 
voudroit  y  loger ,  et  il  y  resta  fort  en  siirete 
pendant  le  siege. 

Les  gardes  francoises  ,  comme  le  regiment  le 
plus  ancien  de  I'armee  ,  monterent  la  trani;hee 
les  premiers  suivant  la  coutume.  II  arriva  dans 
ce  siege  une  dispute  entre  M.  de  Montpezat,  le 
plus  ancien  lieutenant-general ,  et  le  grand- 
maltre  de  I'artillerie ,  sur  ce  que  le  premier 
envoyant  ses  ordres  a  I'autre  pour  avoir  quel- 
ques  outils  dont  il  avoit  besoin  pour  la  conti- 
nuation de  la  tranchee,  la  premiere  nuit  qu'elle 
fut  ouverte  ,  le  grand-maitre  refusa  d'obeir , 
pretendant  qu'il  ne  devoit  recevoir  d'ordre  que 
du  general  meme;  M.  de  Montpezat  s'en  etant 
plaint  lejour  suivant,  la  contestation  fut  deci- 
dee  en  faveur  des  lieutenans-generaux;  aussi 
long-temps  qu'il  restaa  I'armee,  il  ne  fit  plus  de 
fonction  de  grand-maltre;  on  lui  donna  un  bre- 
vet de  lieutenant-general ,  et  il  ne  servit  qu'en 
cette  qualite; 

On  perdit  peu  de  soldats  en  ce  siege ;  on  ne 
se  souvient  point  qu'il  y  eut  aucun  officier  con- 
siderable de  tue.  M.  le  chevalier  de  Crequy  et 
M.  de  Varenne  furent  blesses,  et  quelques  au- 
tres,  comme  M.  de  Chavigny  ,  aide-major  du 
regiment  des  gardes  ,  qui  depuis  s'est  fait  pere 
de  rOratoire;  la  blessure  du  chevalier  de  Cre- 
quy, qu'il  recut  a  lat^te,  fut  dangereuse  ,  mais 


il  en  guerit ;  Varenne  recut  la  sienne  a  I'attaque 
de  M.  de  Turenne,  en  s'entretenant  avec  le  due 
d'Yorck.  On  poussa  les  approches  en  trois  nuits, 
jusquau  bord  du  fosse,  et  le  lendemain  ,  qui 
etoit  le  25  ,  le  gouverneur  de  la  place  ,  dom  Pe- 
dro Savali ,  demanda  a  capituler. 

Pendant  que  I'armee  de  France  etoit  occu- 
pee  a  ce  siege,  les  Espagnols  diviserent  la  leur  ; 
I'archiduc  et  le  comte  de  Fuensaldagne ,  avec 
la  plupart  de  I'infanterie  espagnole  et  quelque 
cavalerie ,  se  posterent  a  Notre-Dame  de  Halle ; 
le  prince  de  Conde  avec  la  plupart  de  ses  trou- 
pes a  Tournay  ;  les  Lorrains  a  Ath  ,  et  le  prince 
tie  Ligne  avec  quatre  ou  cinq  mille  hommes  k 
Mons.  La  saison  se  trouvant  trop  avancee,  on 
ne  jugea  pas  a  propos  de  rien  entreprendre  da- 
vantage  ;  on  resta  plusieurs  jours  dans  les  me- 
mes  quartiers  qu'on  avoit  pris  au  siege  de  St.- 
Guislaiu.  La  cour  partit  peu  de  jours  apres 
qu'elle  fut  rendue  ;  pendant  le  sejour  qu'on  y 
fit ,  on  s'appiiqua  a  la  fortifier ,  et  Conde  en 
meme  temps ;  et  pour  empecher  les  ennemis 
d'assieger  ces  deux  places  dans  I'hiver ,  on  con- 
somma  tous  les  fourages,  et  on  mangea  le 
pays  aux  environs;  on  n'envoya  point  de  deta- 
chement  pour  couvrir  les  fourogeurs  qui  fut 
moindre  de  deux  mille  chevaux,  il  y  avoit 
toujours  un  lieutenant-general ;  M.  de  Turenne 
y  alloit  quelquefois  lui-raeme.  Quoique  les  en- 
nemis fussent  toujours  aux  aguels,  ils  n'enle- 
voient  jamais  qu'un  homme  ou  deux  qui  le  plus 
souvent  etoient  des  maraudeurs.  Pour  relancer 
et  contenir  les  cravattes  qui  donnoieut  le  plus 
de  peine  ,  M.  de  Turenne  ordonna  qu'on  deta- 
cheroit  de  chaqne  escadron  trois  ou  quatre  offi- 
cieis  des  mieux  montes  pour  accompagner  les 
fourageurs,  afin  que  quand  ils  les  apercevroient 
ilspussent  se  joindre  vingt  ou  trente  ensemble 
qui  suffiioient  pour  dissiper  ces  coureurs.  Les 
fourageurs  se  trouverent  ainsi  moins  exposes 
qu'auparavant,  et  on  enleva  beaucoup  de  cra- 
vattes. 

Le  dernier  fourage  qu'on  fit  fut  le  plus  grand 
de  tous  et  le  plus  dangereux  :  il  fallut  aller 
jusqu'a  Chievres  et  a  L'abbaye  de  Cambron  ;  le 
premier  en.droit  n'etoit  pas  a  plus  d'une  bonne 
lieue  d'Ath.  Le  due  d'Yorck  commandoit  les 
troupes  qui  I'escortoient ;  comme  il  fallut  mar- 
cher au  milieu  des  quartiers  des  ennemis,  et 
fort  loin  du  camp  ,  on  lui  donna  quarante  esca- 
drons,  cinq  bataillonset  deux  pieces  de  canon. 
Ce  prince  usa  de  toutes  les  precautions  possibles: 
il  envoya  devant  le  jour  un  parti  de  cavalerie 
vers  un  grand  bois  au  travers  duquel  il  falloit 
necessairement  passer  ,  avec  ordre  d'y  arreter 
les  fourageurs,  et   de  les  empecher  d'avancer 


MKMOiRis  T)U   mc  d'vorck.   [I Goo] 


son 


plus  loin  ,  jasqu'a  ce  qiril  fut  arrive  avec  les 
trou[)es  quil  commandoit ;  cela  fut  execute:  il 
passa  au  travers  du  bois ,  et  les  rangea  en  ba- 
taille  sur  la  plaine  avant  que  les  fourageurs  fus- 
sent  dans  le  bois  ;  il  y  laissa  un  bataillon  pour 
empccher  que  quelque  parti  de  la  garnison  de 
Mons  ne  put  les  enlever  a  leur  tour  quand  ils 
seroient  charges.  11  leur  fit  deleudre  de  s'ecar- 
ter  ui  de  marcher  plus  vite  que  I'escorte  ,  et  or- 
donna  de  suivre  sur  le  meme  front  a  droite  et  a 
gauche  des  escadrons ;  on  marcha  dans  cet  or- 
dre  jusqu  a  ce  qu'on  arrivat  a  environ  une  lieue 
de  Chievres.  II  y  avoit  bien  dix  mille  foura- 
geurs ,  la  plupart  la  faulx  a  la  main ,  leurs  of- 
ficiers  a  la  tete ,  et  qui  formoient  un  front  d'en- 
viron  un  quart  de  lieue  ;  mais  qiiand  ils  ar- 
riverent  a  la  vue  du  pays  qui  n'avoit  point  ete 
fourage,  11  ne  fut  pas  possible  de  les  empecher 
de  se  debander  et  de  fourager  avec  toute  la 
precipitation  imaginable ,  ce  que  le  due  ayant 
observe  ,  il  laissa  sur  la  plaine ,  ou  il  se  trouvoit 
alors  aupres  d'un  village  ,  le  reste  deson  infan- 
terie  et  quelques  escadrons  avec  les  deux  pieces 
de  canon ,  et  avec  la  plupart  de  la  cavalerie  il 
courut  au  grand  trot  apres  les  fourageurs ,  et 
pendant  quils  estoient  a  I'ouvrage  il  se  posta 
devant  eux  entre  Chievres  et  Brugelet  pour  les 
couvrir  du  cote  d'Ath  ,  et  envoya  le  comte  de 
Grandpre  avec  de  la  cavalerie  de  I'autre  cote, 
avec  ordre  de  se  poster  au  village  de  Leuze  pour 
les  garantir  contre  les  partis  qui  pouvoient  ve- 
nir  de  Mons. 

II  n'est  pas  hors  de  propos  de  faire  ici  men- 
tion du  grand  ordre  et  de  la  justice  qui  s'obser- 
vent  entre  les  fourageurs.  Celui  qui  entre  le  pre- 
mier dans  un  champ  ou  dans  une  prairie  en  est 
dans  une  possession  incontestable  ,  et  aucun  au- 
tre ne  s'en  approchera  qu'a  une  distance  suffi- 
sante  pour  lui  fournir  de  quo!  faire  sa  trousse 
et  charger  son  cheval ;  et  quiconque  entre  le 
premier  dans  une  grange,  ou  vient  a  une  meule 
de  foin,  personne  ne  se  piesente  pour  I'inter- 
rompre  ou  pour  prendre  la  moindre  chose,  jus- 
qu'a  ce  qu'il  ait  son  affaire,  tellement  que  le 
premier  venu  est  le  premier  servi.  II  survint 
une  allarmesur  le  midi,  causee  par  M.  de  Ro- 
chepaire,  qui  retournoit  au  camp  avec  un  parti 
de  mille  clievaux  sans  avoir  fait  aucune  chose  ; 
on  crut  d'abord  que  c'etoient  les  ennemis.  Le 
due  d'Yorck  le  pria  de  rester  avec  lui ,  dans  la 
pensee  qu'il  pourroit  en  avoir  affaire. 

Tons  les  fourageurs  ayant  charge  leurs  clie- 
vaux ,  on  retourna  au  camp  sans  autre  perte 
que  d'une  dixaine  ,  qui,  ayant  passe  leruisseau 
(le  Cambron  contre  les  defenses ,  furent  enlevez 
par  un  petit  parti  ennemi.  Ce  prince  a  sen  de- 

111.     C.    1).     M.,    T.     111. 


puis  du  prince  de  Ligne  ,  et  de  quelques  autrcs 
officiers  de  I'armee  espagnole,  qu'ils  avoient 
resolu  de  tomber  ce  jour-la  sur  les  fourageurs 
de  I'armee  de  France,  et  avoient,  pour  ceteffet, 
etabli  un  rendez-vous  pour  la  cavalerie  qui  etoit 
a  Tournay  ,  Mons  et  Ath  ;  mais  qu'on  fit  tant 
de  bruit  en  sortant  du  carap  avec  les  foura- 
geurs, que  quelques  partis  du  prince  de  Ligne 
lui  rapporterent  que  I'armee  etoit  en  marche  ; 
qu'il  en  fit  avcrtir  les  troupes  qui  s'etoienl  as- 
semblees  au  rendez-vous  ,  et  qu'elles  retourne- 
rent  dans  leurs  quartiers  ,  appreheudant  d'etre 
rencontrees  par  I'avant-garde  :  cette  encur  ga- 
rantit  ,  suivant  toute  apparence  ,  I'escorte  d'un 
grand  danger;  elle  se  seroit  difficilement  tiree 
d'affaire  si  toute  cette  cavalerie  I'avoit  attaquee. 

Peu  de  jours  apres,  tout  le  pays  des  environs 
etanT  mange  ,  I'armee  passa  la  riviere  et  campa 
a  Outrage  le  14  septembre.  Le  19  elle  marcha 
a  Leuze ;  on  y  resta  le  temps  qu'il  fallut  pour 
consommer  les  fouragcs  qui  etoient  aux  envi- 
rons ,  et  cependant  on  prit  le  chateau  de  Brif- 
feil ,  dont  la  garnison  ne  se  rendit  qu'apres 
qu'elle  vit  le  canon  en  batterie.  On  jugea  en- 
suite  a  propos  de  sortir  du  pays  ennemi ,  et  on 
marcha,  le  26,  a  Pommereuil ,  pres  du  pont  de 
Haisne.  Le  lendemain,  apres  avoir  passe  la  ri- 
viere on  campa  a  Anirt-sur-l'Haisneau,  a  envi- 
ron une  lieue  de  Kievrain  ,  qui  est  sur  le  meme 
ruisseau  :  ce  quartier-la  et  les  environs  avoient 
ete  tellement  manges ,  que  des  la  premiere 
nuit  il  fallut  aller  fourager  a  deux  lieues  pour 
trouver  seulement  de  la  paille  ;  il  ne  sembloit 
pas  qu'on  put  seulement  y  subsister  trois  jours  , 
neanmoins  on  y  en  resta  quinze  sans  qu'il  man- 
quat  aucune  chose.  Ce  fut  I'effet  de  la  precau- 
tion qu'eut  M.  de  Turenne,  etant  a  Leuze,  d'or- 
donner  d'y  faire  provision  de  grains ,  dont  on 
ne  chargea  pas  seulement  les  chariots  de  I'ar- 
mee, mais  chaqiie  cavalier  en  apporta  un  sac  en 
croupe  :  ce  qui  la  fit  subsister  si  long-temps  dans 
un  si  maigre  pays,  oil  on  n'alla  point  au  fou- 
rage plus  de  trois  fois  :  le  due  d'Yorck  y  com- 
manda  encore  le  dernier,  et  fut  oblige  d'aller 
pres  de  Bouchain  ,  avant  de  pouvoir  trouver 
aucune  chose ;  la  plupart  des  fourageurs  n'ap- 
porterent  que  de  la  paille. 

Apres  qu'on  eut  acheve  les  fortifications  qu'on 
ajouta  a  Conde  et  a  St-Guislain,  et  en  avoir  rem- 
pli  les  magasins  de  toutes  sortes  de  pro\isions , 
I'armee  marcha  le  12  d'octobre  a  Barlaimont , 
et  le  22  a  I'abbaye  de  Marolles  :  on  crut  y  rester 
quelque  temps  ;  mais,  sur  ce  qu'on  fut  informe 
que  quelques  troupes  enuemies  venoient  de  ce 
c6te-la  ,  on  trouva  a  propos  de  marcher  a  Van- 
degies-au-Bois,  ou  M.  de  Turenne  recut  ordre 

38 


o*)4 


MEMOIHES    ULl    DlC    DVORCK.    llGSo' 


de  marcher  vers  ia  Fere,  sur  ce  que  la  cour 
nvoit  deoou\  ert  que  le  raai-echal  d'Hocquiucourt 
etoit  en  traitte  avec  le  prince  de  Coiide,  pour  lui 
livrer  Ham  et  Perouiie,  dont  il  etoit  gouverueur; 
et  en  arrivant,  le  l  de  no\enibre  ,  a  Mouy  ,  il 
recut  ordre  du  cardinal  do  quitter  I'armee  ,  et 
d'aller  joindre  la  cour  a  Compieyne  ,  pour  deli- 
berer  sur  ce  qui  seroit  a  faire  en  cas  que  le 
marechal  d  Hocquincourt  n'acceptat  point  les 
oflVcs  que  le  Roi  lui  avoit  fait  faire  ,  et  qu'il  in- 
troduisit  les  enneniis  dans  ces  deux  places  im- 
portantes. 

M.  de  Turenne  partit  et  laissa  au  due 
d'Yorck  le  coramandement  de  I'arraee  :  il  etoit 
le  seul  lieutenant-general  qui  y  fut  reste ,  tons 
les  autres  ayant  eu  conge  de  la  quitter ,  sur  ce 
qu'il  n"y  avoit  plus  d'appaicnee  daucune  ac- 
tion. Ainsi  ce  prince  se  trouva  commander 
Tarmee  dans  le  merae  temps  que  la  paix  eutre 
la  France  et  Cromwel  fut  condue  et  publiee ,  et 
que,  par  un  des  articles  de  ce  traite  ,  il  devoit 
etre  nommement  banni  du  royaume.  L'armee 
resta  quelques  jours  a  Mouy  ;  le  due  recut  ordre, 
le  10,  de  la  conduire  a  Mondecour,  entre  Noyon 
et  Chauni.  M.  de  Turenne  y  retourna  le  14  , 
apres  que ,  par  raccommodement  fait  avec 
M.  d'Hocquincourt ,  la  cour  fut  hors  d'inquie- 
tude  de  ce  c6te-la ,  et  donna  permission  a  ce 
prince  de  quitter  l'armee. 

Le  cardinal  le  recut  a  Compiegne  parfaite- 
ment  bion  ;  il  s'excusa  de  la  paix  qui  avoit 
ete  conclue  avec  Crom^vel ,  sur  ce  qu'il  y  avoit 
ete  oblige  par  une  necessite  indispensable  pour 
le  bien  de  I'Etat  et  la  surete  de  la  couronne ;  il 
lui  dit  qu'il  n'avoit  conclu  une  ligue  avec  lui 
que  pour  empecher  Teffet  de  celle  que  les  Espa- 
gnols  avoient  proposee,  par  laquelle  ils  offroieut 
de  I'aider  a  prendre  Calais  ,  pour  la  lui  laisser 
entre  les  mains ;  qu'il  avoit  fallu  prevenir  les 
consequences  d'un  traitte  si  dangereux  en  s'ac- 
commodant  avee  lui ;  mais  que,  nouobstant  les 
clauses  qui  avoient  ete  inserees  contre  ce  prince 
dans  la  paix  qui  avoit  ete  conclue,  il  trou\eroit 
toujours  le  Roi  dans  les  memes  sentimens  d'es- 
time  et  d'amitie  pour  lui.  II  doit  cette  justice  a 
la  memoire  du  cardinal ,  d'avouer  qu'il  auroit 
ete  un  ministre  fort  mal  habile  ,  s'il  n'avoit , 
dans  une  conjoncture  si  delicate,  engage  Crora- 
wel  dans  les.interets  de  son  maitre  ,  qui  auroit 
eu  lieu  d'etre  fort  meconteut  de  lui  ,  s'il  avoit 
laisse  echapper  cette  importante  occasion. 

Ce  prince  partit  le  23  pour  Paris  ,  oil  la  cour 
retourna  pen  de  jours  aprts.  Le  cardinal,  pour 
ne  pas  le  rcduire  a  la  necessite  facheuse  de  sor- 
tir  de  France ,  considerant  combien  il  etoit 
procbe  parent  du  Roi ,  et  petit-lils  ,  comme  lui. 


de  Henri  IV  ,  envoya  demander  a  Cromvvel  son 
cousentement  pour  qu'il  put  continuer  de  ser- 
vir  dans  les  armees  de  France  :  le  ministre  crai- 
gnoit  d'ailleurs  que  si  le  due  d'Yorck  sortoit  du 
royaume  ,  les  Irlandois  qui  etoient  dans  le  ser- 
vice ne  le  suivissent :  Cronnvel  consentit  qu'il 
servit  .  pourvu  que  ce  fi'it  en  Italic  ou  en  Cata- 
logue, ne  croyant  pas  qu'il  fut  de  son  interet 
qu'il  se  trouv^l  dans  une  armee  ou  il  devoit  en- 
voyer  un  corps  considerable  de  troupes  angloi- 
ses  ;  et  on  lui  proposa  de  commander  en  qualite 
de  capitaine-general  sous  le  due  de  Modene  , 
qui  etoit  generalissime  des  troupes  francoises  en 
Italic. 

[l6oG]  Quand  la  cour  fut  retournee  a  Paris  , 
ou  temoigna  au  due  d'Yorck  non-seuleraent  le 
desir  qu'on  avoit  de  le  retcnir  dans  le  service  ; 
mais  que  si  Cromwel  ne  vouloit  pas  consentir 
aux  propositions  qu'on  lui  avoit  faites  sur  ce 
snjet,  la  pension  de  ce  prince  lui  seroit  toujours 
egalement  payee  en  quelque  endroit  qu'il  put 
se  retirer  ,  pourvu  qu'il  ne  servit  point  contre  la 
France.  II  accepta  ensuite  I'offrequi  lui  fut  faite 
de  servir  en  Italic  comme  capitaine-general  , 
sous  le  due  de  Modene,  generalissime  des  trou- 
pes de  France  et  de  Savoy e  en  Piemont ;  il 
avoit  une  forte  inclination  d'acquerir  de  phis 
en  plus  de  I'experienee  dans  les  amies  ,  et  la 
tendre  aniitie  que  sa  tante,  la  duchesse  de  Sa- 
voye  ,  lui  avoit  temoignee  en  toutes  occasions  , 
lui  faisoit  embrasserce  parti  avec  d'autant  plus 
d'agrement,  qu'il  avoit  beaucoup  de  reconnois- 
sance  pour  ses  boutes,  et  qu'ellesouhaittoit  pas- 
sionnement  de  I'avoir  aupres  d'elle. 

Au  commencement  de  fevrier.  .  .  .  , 
sur  la  nouvelle  que  le  Roi  d'Angleterre  etoit 
alle  de  Cologne  en  Flandre ,  tons  les  colonels 
irlandois  qui  avoient  servi  dans  les  armees  de 
France  sous  M.  de  Turenne  et  M.  de  La  Ferte, 
ecrivirent  au  due  d'Yorck  ,  pour  I'assurer  qu'ils 
etoient  prets  de  faire ,  en  bons  siijels  et  en  gens 
d'honneur,  tout  ce  qu'il  leur  ordonueroit:  il  les 
en  remereia ,  leur  recommanda  de  ne  point 
souffrir  en  aucune  maniere  que  leurs  soldats 
passassent  en  Flandre  par  bande  ou  a  la  file  , 
quoique  les  Espagnols  vinssent  a  les  en  solli- 
ciler,  a  I'occasion  de  ce  que  le  Roi  s'etoit  re- 
tire chez  eux ,  et  qu'ils  conservassent  leurs  regi- 
mens eutiers,  tant  pour  le  service  de  Sa  Majeste, 
quand  il  en  seroit  besoin  ,  que  pour  leur  propre 
avantage  ,  outre  que  leurs  soldats  ne  pouvoient 
point  se  disperser  tant  qu'il  seroit  en  France , 
sans  porter  un  grand  prtjudice  a  ses  affaires 
particulieres ,  et  que  quand  i!  seroit  temps  de 
se  servir  de  leurs  offres  ,  il  les  en  feroit  avertir. 

Quand  on  scut  que  le  Roi  d'Angleterre  etoit 


MEMOIRES    DU    DUC    d'yORCK.    [lG57j 


non-seulement  en  Flandre  ,  nivJs  qu'il  avoit  si- 
gne  un  traitte  avec  TEspagne,  tout  le  monde 
erut  que  le  due  d'Yoick  s'y  retireroit  aussi.  Ce 
prince  avoit  coutume  de  s'entretenir  confldem- 
raent  de  ses  affaires  avec  M.  de  Turenne  ,  qui 
le  eonseilla  d'ccrire  au  Roi  son  frere  ,  pour  lui 
representer  qu'ayant  servi  en  France  ,  y  ayant 
recu  son  education  ,  et  contracte  amitie  avec  les 
personnes  les  plus  considerables  a  la  cour  et 
dans  les  armees  ,  dont  le  credit  pourroitetre  un 
jour  utilemcnt  employe  pour  I'avantage  de  Sa 
Majeste ,  11  croyoit  qu'il  etoit  de  son  interet  de 
lui  perniettre  de  rester  eu  France,  au  lieu  qu'en 
la  quittaiit ,  il  hazardoit  d'y  perdre  et  les  amis 
et  le  credit  qu'il  y  avoit ;  qu'il  ue  croyoit  pas 
pouvoir  lui  rendre  de  grands  services  en  Flan- 
dre ,  ou  il  suffisoit  aux  Espagnols  que  Sa  Ma- 
jeste et  le  due  de  Giocester  y  fussent ;  outre 
qu'il  n'avoit  ete  fait  aucune  mention  de  lui  dans 
le  traitte ,  et  qu'ils  n'avoient  point  temoigne 
souhaitter  qu'il  fut  de  la  partie ,  que  s'ils  ve- 
noient  a  le  demander  dans  la  suite  ,  Sa  Majeste 
pouvoit  consentir  secreteraent  qu'il  restat  en 
France,  etparoitre  facliee  contre  lui  de  sa  deso- 
beissance  apparente  ;  que  cela  satisferoit  les 
Espagnols ,  et  que  cette  connivence  ne  seroit 
eonnue  que  de  celui  qui  en  porteroit  la  proposi- 
tion et  le  consentement. 

Le  due  d'Yorck  gouta  fort  cet  avis  ,  le  com- 
muniqua  a  la  Reine  sa  mere,  qui  I'approuva,  et 
il  resolut  d'envoyer  Charles  Berkeley  en  faire 
la  proposition  au  Roi  son  frere  ;  raais  le  Roi , 
bien  loin  de  consentir  a  la  demande  du  due,  lui 
envoya  immediatement  un  ordre  absolu  de  le 
venir  joindre  en  Flandre  avec  toute  la  diligence 
possible.  II  obeit  aussit6t ,  et  la  cour  de  France 
y  consentit. 

[1657]  Le  commencement  de  cette  campagne 
fut  fort  glorieux  au  prince  de  Conde.  Comme  il 
faisoit  la  revue  de  sa  cavalerie  a  La  Bussiere  sur 
la  Sambre,  d'oii  elle  devoit  alier  au  rendez-vous 
general  de  I'armee  ,  il  fut  averti  que  M.  de  Tu- 
renne et  M.  de  La  Ferte  avoient  assiege  Cambrai, 
qu'il  scavoit  n'avoir  qu'une  foible  garnison  :  il 
marcha  immediatement  et  sans  hesiter  pour  ta- 
cher  de  la  secourir  ,  avant  que  les  Francois  pus- 
sent  etre  informes  de  sa  marche  et  qu'ils  eus- 
sent  perfectionne  leurs  lignes.  II  prit  ses  mesu- 
res  de  raaniere  qu'il  arriva  la  nuit,  et  quoique 
les  Francois  fussent  a  cheval  et  en  bon  ordre  , 
il  se  fit  un  passage  au  travers  des  deux  lignes 
de  cavalerie  qui  se  trouverent  dans  son  che- 
min  et  qui  ne  purent  arreter  un  corps  de  troupes 
si  considerable,  dont  I'unique  affaire  etoit  de 
penetrer  jusqu'a  la  ville  :  ce  qui  fut  execute 
avec  fort  peu  de  pcrte.  II  arriva  a  la  contres- 


carpe  ,  et  le  comte  de  Salazar ,  gouverneur  de 
la  place ,  s'attendoit  si  peu  a  ce  secours  ,  que 
le  prince  de  Conde  fut  long-temps  a  la  palissade 
avant  qu'on  lui  ouvrit  les  barrieres  :  cette  sur- 
prise fut  d'autant  plus  agreable  pour  lui  ,  qu'il 
n'etoit  pas  un  grand  soldat ,  que  sa  garnison 
etoit  foible ,  et  que  s'il  n'avoit  ete  secouru  dans 
ce  temps-la ,  il  alloit  abandonner  la  ville  pour 
defendre  la  citadelle.  Cette  place  etoit  d'ordi- 
naire  pourvue  de  monde,  et  ce  qui  causa  qu'elle 
ne  le  fut  point  alors  ,  fut  I'opinion  qu'eurent  les 
Espagnols  que  Cromwel  envoyant  six  mille 
hommes  de  ses  troupes  pour  se  joindre  aux 
Francois,  ils  avoient  dessein  d'attaquer  quel- 
que  place  maritime.  Ainsi  ils  fortifierent  toutes 
leurs  garnisons  de  ce  cote-  la,  et  le  cardinal ,  ayant 
ete  informe  que  celle  de  Cambrai  etoit  foible  , 
crut  I'occasion  d'autant  plus  favorable  pour  la 
prendre  ,  qu'il  avoit  de  longue-main  une  forte 
passion  d'en  devenir  I'eveque  et  le  prince  :  et 
veritablement,  sans  I'extreme  diligence  et  le 
parti  que  prit  subitement  et  par  hasard  le  prince 
de  Conde  de  la  secourir ,  elle  etoit  prise  ;  car 
s'il  s'etoit  trouve  a  Bruxelles ,  lorsque  les  Espa- 
gnols furent  avertis  du  siege  ,  les  Francois  au- 
roient  acheve  leurs  lignes  avant  qu'ils  eussent 
pu  deliberer  et  resoudre  sur  les  moyens  de  le 
faire  lever.  M.  de  Turenne,  qui  avoit  compte  sur 
la  lenteur  et  la  gravite  ordinaire  des  Espagnols, 
fut  extremement  surpris  de  la  promptitude  du 
prince  de  Conde ,  et  ayant  appris  par  quelques 
prisonniers  le  nombre  et  la  qualite  des  troupes 
qui  etoient  entrees  dans  la  ville ,  jugea  a  propos 
d'en  lever  le  siege ,  et  en  donna  avis  a  la 
cour.  Le  prince  de  Conde,  y  ayant  laiss6  une 
garnison  sufiisante  ,  retourna  a  Bruxelles  et  en- 
voya le  reste  de  ses  troupes  au  rendez-vous 
general^  qui  etoit  aupres  de  Mons. 

Ce  mauvais  succes  deconcerta  les  mesures 
que  les  Francois  avoient  prises  pour  cette  cam- 
pagne :  ils  abandonnerent  le  dessein  d'entre- 
prendre  aucun  autre  siege  considerable.  lis  di- 
viserent  leur  armee  :  M.  de  La  Ferte  avec  une 
partie  fut  attaquer  Montmedi ,  et  M.  de  Turenne 
avec  I'autre  marcha  du  cote  de  la  mer  pour  join- 
dre I'infanterie  angloise  qui  etoit  debarquec  ; 
apres  quoi  il  retourna  sur  ses  pas  pour  observer 
les  mouvemens  des  Espagnols ,  qui  quitterent, 
le  19  de  juin,  le  voisinage  de  Mons  pour 
aller  camper  sur  la  Sambre,  un  peu  au-dessus 
de  Thuyn.  Le  22  ,  I'armee  passa  la  ri- 
viere ;  le  lendemain  elle  campa  proche  de  Phi- 
lippeville,  faisant  mine  de  vouloir  secourir 
Montmedi.  M.  de  Turenne  se  hdta  de  gagner 
les  devans;  le  dessein  etoit  de  I'amuser  et  de 
lui  donner  le  change,   en  tombant  sur  Calais 


:>'.it; 


VEMOIBES    nu    DI  C    I)  VOl'.CN. 


IG57] 


({uou  esperoit  emporter  en  peu  d'heures  par  un 
endroit  dont  on  connoissoit  la  foiblesse.  Les  Es- 
pagnols  meditoient  ce  dessein  des  avant  le  de- 
part de  I'aicliiduc ,  qui  avolt  envoye  des  inge- 
nieurs  deguises  pour  reconnoitre  les  defauts  de 
place.  Ilsn'avoient  pu  encore  trouver  Toccasion 
de  I'attaquer;  ils  crurent  enfin  y  reussir,  et 
avoient  pris  des  mesures  si  justes,  que.  I'entre- 
prise  paroissoit  immanquable  :  elle  futconduite 
;nec  tant  de  secret ,  que  les  ennemis  n'en  eu- 
rent  pas  le  moindre  soupcon.  On  avoir  laisse  en 
qaittant  iMons  uu  corps  de  cavalerie  derriere  , 
qui ,  avec  I'infanlerie  qu'on  pouvoit  tirer  des 
garnisons  voisines ,  suffisoit  pour  commencer 
1  affaire. 

Apres  avoir  engage  M.  de  Turenne  a  s'avan- 
cer  vers  Moutraedi  ,  I'armee  d'Kspagneretourna 
subitement  sur  ses  pas  et  se  mit  en   marche 
vers  Calais  le   2C.    Dom  Juan  ,  le  prince  de 
Conde  et  Caracene  prirent  les  devans  avec  la 
cavalerie  par  le  plus  court  chemin  ,  et  laisse- 
rent  leduc  d'Vorels.  et  Marsin  avec  Tinfanteiie 
pour  suivre  en  toute  diligence.  Le  bagage  et  le 
canon  niarehoieut  plus  avant  dans  le  pais  :  le 
prince  de  Ligne  avoit  ete  clioisi  pour  I'execu- 
tion  de  cette  entreprise  et  pour  en  avoir  la  prin- 
cipale  conduite;  il  fut  envoye  un  jour  devatit  la 
marche  de  Tarraee  pour  se  mettre  a  la  tete  des 
troupes  qu'on  avoit  laissees  derriere  pour  cet 
effet.   Le  due  d'Yorck  marcha    la   premiere 
nuitjusquu  Tilli  avec  I'infanterie;  le  ii7  ,   il 
arriva    au    fauxbourg    de   Mons  ;    le  28  ,    a 
Bruxelles  ;  le   29  ,    avant    passe    I'Escaut    a 
Tournai ,  il  vint  camper  a    Pont-a-Bouvines  ; 
le   31  ,   il   marcha   le    long   des   murailles  de 
Lille,   passa    la  Lys  a   Arraentieres    et   cam- 
pa  a    Nieukerke.    Le  lendemain^    l'"'"  juiilet , 
il  arriva  a    Hasebrouk  ,  et  le  2,  aAr{|ues,  a 
une  lieue  de  Saint-Omer,  ou  en  arrivant  il  se 
proposoit  d'etre  avant  la  nuit  devant  Calais  ; 
mais  il  recut  une  lettre  de  dom  Juan ,  par  la- 
quelle  il  lui  mandoit  que  I'entreprise  avoit  man- 
que, et  lui  ordonnoit  de  rester  a  Arques  jus- 
({u'a   nouvel  ordre.    Le  prince  de  Ligne  etoit 
soTti  de  Gravelines  aussitot  qu'il  fut  nuit  pour 
executer  le  dessein  a  la  maree  basse ,  en  se  sai- 
sissant  de  la  partie  de  la  place  hors  des  murail- 
les qui  joignoit  au  quai ,  apres  quoi  on  se  pou- 
voit rendre  maftre  de  la  villeen  moins  de  douze 
heures ;  mais  il  arriva  une  demi-heure  trop  tard, 
et  I'eau  se  trouva  si  haute  qu'il  fut  impossible 
de  passer,  et  il  fut  oblige  de  se  retirer  sans  avoir 
fait  aucune  chose  que  de  donner  une  chaude  al- 
larme  a  la  ville  et  montrer  au  gouverneur  I'en- 
(hoit  de  sa  place  le  plus  foible,  qu'il  prit  soin 
cnsuit«  de  fortifier  de  maniere  a  6tcr  aux  Es- 


pagiiols  I'esperauee  de  la  pouvoir  surprendre. 
Cette  grande  marche  n'ayaut  produit  aucun 
effet,  la  cavalerie  et  I'infanterie  se  rejoignirent 
a  Querne,a  une  lieue  d'Aire,  le  4  juiilet, 
et  le  canon  et  les  bagages  y  arriverent  un  jour 
ou  deux  apres.  L'arraee  marcha  le  6  a  Boure  , 
proche  Liilers,  y  resta  quelques  jours  et  fut 
camper  vers  le  12  a  Brouai ,  le  lendemain  a 
Lens  ,  ensuite  a  Reu  sur  la  Scarpe ,  et  le  15 
a  Sauchi-Cauchi  entre  Arras  et  Cambrai ,  et 
apres  y  avoir  carape  jusqu'au  21  ,  elle  mar- 
cha a  Marcoin. 

Pendant   qu'on  perdit  ainsi  le  temps  a  faire 
tant  de  marches  inutiles,  M.  de  La  Ferte  con- 
tinua  le  siege  de  Montmedl  qui  fit  plus  de  resis- 
tance qu'il  n'avoit  attendu  ,  la  place  etant  forte 
et  ayant  une  bonne  garnison.  M.  de  Turenne  de 
son  cote  observoit  les  raouvemens  des  Espagnols, 
sans  pourtant  s'eloigner  du  siege,  pour  empe- 
cher  qu'on  ne  jettat  du  secours  dans  la  ville. 
L"armee,  etant  decampee   de  Marcoin,  le  27, 
marcha    au    Catelet  ,    le    lendemain    a    Fer- 
vaques    ,  le  29  a  Origni  sur    TOise,  ou  elle 
ne   resta  qu'un   jour  ;  elle  alia  camper   en- 
suite  a  Eglancourt  jusqu'au  8   d'aout  qu'elle 
marcha  a  Feron;  le  lendemain  a  Macon,  pro- 
che de  Chimai,  et  le   10  a  Aublin,  a  une  lieue 
de  Marienbourg  ,  ou  on  scut  la  prise  de  Mont- 
rnedi,  qui  se  defendit  avec  tant  de  bravoureet 
d'opiniatrete,  qu'elle  ne  capitula  qu'apres  que 
les  ennemis  se  furent  loges  dans  un  bastion  et 
y  eurent  dresse  une  batterie  de  six  canons.  On 
apprit  en  m^me  temps  que  M.  de  Turenne  mar- 
choit  en  Flandre  pour  y  entreprendre  un  siege  ; 
il    fallut   recommencer   a  marcher   le  14  ,  et 
on  n'arreta  point  jusqu'au  20  ,  qu'on  arriva  a 
Calonne  sur  la  Lys,  a  une  lieue  de  Saiwt-Venant, 
que  M.  de  Turenne  avoit  assiege,  et  dont  les 
lignes  etoient  deja  si  avaneees,  que  cette  consi- 
deration et  la  disproportion  des  forces  ne  per- 
mirent  point  d'entreprendre  le  secours  de  cette 
place.  On  s'etudia  seulement  a  couper  les  vivres 
aux  ennemis  et  a  empecher  le  passage  d'un  con- 
voi  de  quatre  ou  cinq  cens  chariots  qui  devoit 
passer  le  lendemain  de  Bethune  a  leur  armee. 
On  jugea  a  propos  pour  cet  effet  de  deeamper 
et  de  se  poster  a  IMontbernenson  par  ou  il  etoit 
absolument  necessaire  qu'il  passassent.  Le  pays 
par  ou  on  devoit  marcher   etant  fort  convert  et 
entrecoupe  de  hayes  et  de  fosses,  on  commauda 
des  travailleurs  pour  marcher  avec  des  beches 
et  des  haches  a  la  tete  de  chaque  regiment,  et 
lour  faire  des  passages  ,  afin  que  I'armee  put  en- 
trer  en  bataille  dans  la  plaine  qui   u'etoit  qu'a 
la  portee  du  canon  des  ennemis.  On  etoit  pret  a 
deeamper  des  la  pointc  du  jour ,  et  neanmoins 


MK5I0IP.es    1)11    DL'C    d'vOHCK.    [IOoTJ 


on  Jie  marcha  que  sur  le  niidi  :  la  raison  de  ce 
delai  est  d'autant  plus  difficile  a  de\iner  ,  que  le 
succes  du  desseiii  dependoit  de  la  diligence. 
On  ne  manqua  point  d'en  avertir  doni  Juan  ,  et 
le  due  d'Yorck  lui  representa  que  le  moindre 
retardement  donueroit  lieu  au  convoi  dVntrer 
dans  les  lignes  ;  inais  pour  tout  ce  qu'on  put 
dire,  I'amiee  ne  s'ebrania  que  \ers  midi.  Le 
prince  de  Ligne ,  general  de  la  eavalerie  ,  etoit 
A  la  tete  de  la  droite,  le  prince  de  Conde  a  la 
gauche,  et  le  due  d'Yorck,  que  dom  Juan  avoit 
priede  faire  ce  jour-la  la  fonction  de  mestre- 
de-camp-general ,  etoit  a  la  tete  de  I'infanterie. 
Dom  Juan  et  le  marquis  de  Caracenemarchoient 
devant  avec  leurs  troiscompagnics  de  gardes, 
jusqu'a  ce  ({u'arrivant  aupres  de  la  plaine ,  lis 
voulurent,  suivaut  leur  coutume,  faire  la 
sieste. 

L'armee  ne  pouvoit  aller  que  lentement  dans 
un  pays  si  fourre  ;  neanmoins  le  due  d'Yorck 
n'avoit  plus  qu'un  enclos  a  passer  pour  ar river 
avec  I'infanterie  dans  la  plaine,  lorsqu'il  apper- 
cut  le  convoi  des  ennemis  ,  qui  descendant  de 
Montbernenson  marchoit  en  toute  diligence  pour 
gagner  les  lignes.  Ce  prince  ayant  passe  la  der- 
nlcrehaye  fit  mettreson  infanterie  en  bataille  , 
et  voyant  que  le  prince  de  Ligne  etoit  aussi 
dans  la  plaine  avec  quatre  ou  cinq  escadrons  ,  il 
I'envoya  avertir  de  I'approche  du  convoi ,  et 
qu'il  n'avoit  qu'a  marcher  pour  le  prendre  en- 
tierement ,  les  ennemis  n'ayant  que  trois  esca- 
drons d'escorte  ;  il  repondit  qu'il  voyoit  la  chose 
aussi  bien  que  lui;  que  rien  n'etoit  plus  aiseque 
denlever  le  convoi ;  mais  qu'il  n'osoit  I'attaquer 
sans  ordre  de  dom  Juan  ou  du  marquis  de  Ca- 
racene.  Le  due  Tut  trouver  lui-meme  le  piince 
de  Ligne,  le  conjura  de  ne  point  perdre  une  si 
belle  occasion  pour  etre  trop  scrupuleux  ;  mais 
il  repliqua  qu'il  ne  connoissoit  point  jusqu'ou 
alloit  laseverite  espagnole;  qu'en  attaquant  sans 
ordre  il  pourroit  lui  en  coiUer  la  tete,  prineipa- 
lement  s'il  ne  reussissoit  pas,ou  qu'il  vint  a 
recevoir  le  moindre  affront.  Leduc  lui  repondit 
qu'il  n'y  avoit  point  de  mauvais  succes  a  crain- 
dre;  que  M.  de  Turenne  pouvoit  bien  faire  sor- 
tir  quelque  eavalerie  ,  mais  qu'il  n'hazarderoit 
point  d'envoyer  son  infanterie  hors  des  lignes. 
II  ajouta  que  si  lesEspagnols  venoient  a  I'in- 
quieter  pour  cette  action,  il  consentoit  d'en 
prendre  tout  le  blame  sur  soi-meme,  et  qu'il 
pouvoit  legitimement  s'exeuser  de  ne  I'avoirfait 
que  par  obeissance  pour  lui ,  puisqu'il  faisoit  ce 
jour-la  la  charge  de  mestre-de-camp-general  ; 
mais  toutes  ces  raisons  ne  purent  rien  gagner 
sur  le  prince  de  Ligne  :  I'occasion  se  perdit.  Le 
convoi  qui  reconnut  Icdiuiger  redoubia  sa  dili- 


597 

gence,  et  quaiid  la  plupart  des  chariots  furent 
entres  dans  les  lignes,  les  trois  compagnies  des 
gardes  vinrent  se  joindre  au  prince  de  Ligne  , 
avec  ordre  d'attaquer  le  convoi ;  il  ne  prit  avec 
lui  que  la  compagnie  de  ses  propres  gardes.  Le 
due  d'Yorck  y  envoya  la  sienne;  mais  les  qua- 
tre premieres  ,  conduites  par  le  comte  de  Col- 
manar, neveu  deCaracene,  jeune  et  sans  expe- 
rience ,  marcherent  si  precipitamment  et  en 
desordre,  que  si  les  trois  escadrons  ennemis 
eussent  voulu  disputeile  terrain  ,  ilslesauroient 
battus.  Berkeley,  capitaine  des  gardes  du  due, 
qui  voyoit  leur  mauvaise  manoeuvre ,  les  suivit 
en  bon  ordre  et  leur  fut  d'une  grande  utilite  , 
car  les  trois  escadrons  francois  ayant  ele  forces, 
ils  les  poursuivirent  avec  la  meme  imprudence 
qu'ils  avoient  marche  a  eux  ,  et  s'engagerent 
avec  eux  pesle-mesle  jusques  dans  les  lignes 
dont  les  ennemis  n'avoient  pas  eu  le  temps  de 
fermer  la  barriere  ;  mais  ils  en  sortirent  plus 
vite  qu'ils  n'y  etoient  entres ,  et  s'enfuirent 
sans  s'arreter  jusqu'a  ce  qu'ils  eurent  gagne  la 
compagnie  de  Berkeley,  qui  s'etoit  avancee  jus- 
qu'a la  portee  du  mousquet  des  lignes.  lis  se 
rallierent  et  devinrent  si  ptudens  et  si  flegma- 
tiqucs ,  que,  sans  se  piquer  de  conserver  le 
poste  d'honneur  qui  leur  appartenoit ,  ils  lais- 
serent  a  Berkeley  celui  de  faire  I'arriere-garde, 
et  ils  revinrent  dans  cet  ordre  joindre  l'armee 
qu'ils  trouverent  en  bataille  dans  la  plaine  a  la 
portee  du  canon  des  ennemis  ,  ou ,  apres  avoir 
reste  quelque  temps,  elle  se  retira  un  peu  en 
arriere  et  fut  camper  a  Montbernenson.  Les  en- 
nemis ne  perdirent  point  un  seul  chariot  de 
leur  convoi  ;  ils  eurent  quelques  hommes  tues, 
blesses  et  prisonniers.  Le  marquis  de  Benty  , 
hoinme  dequalite,  et  Quierneux,  qui  comman- 
doit  le  regiment  de  Gesvres,  moururent  de 
leurs  blessures. 

Apres  avoir  manque  le  convoi  et  considere 
que  les  ennemis  etoient  trop  forts  pour  pouvoir 
espererde  forcer  leurs  lignes,  on  delibera  sur 
ce  qui  etoit  a  faire  pour  les  obliger  a  lever  le 
siege ,  ou  quelle  place  on  pouvoit  attaquer  et 
prendre  avant  qu'ils  I'eussent  fini  :  la  chose  fut 
anetee  dans  nn  conseil  de  guerre  qui  fut  tenu 
le  lendemain  du  jour  qu'on  arriva  a  Montber- 
nenson. On  resolut  d'aller  assieger  Ardres  , 
mais  on  en  remit  I'execution  jusqu'au  2.'*  ,  de 
peur  que  les  ennemis,  n'ayant  point  encore  ou- 
vert  la  tranchee  ,  ne  quittassent  cette  entreprisc 
pour  venir  engager  dom  Juan  a  combattre  mal- 
gre  lui.  Ce  delai,  dont  la  raison  etoit  foible,  fut 
fort  prejudiciable ;  M.  de  Turenne  ne  perdit 
point  de  temps  et  fit  ouvrir  la  tranchee  la  me- 
me nuit  qu'on  arriva  a  Montbernenson.  L'ar- 


598 

mee  en  partit  le  26  au  matin ,  et  arriva  de- 
vant  Ardres  le  27  avant  midi.  On  s'attacha 
d'abord  a  etablir  les  quartiers  pour  empe- 
cher  qu'il  n'entrat  du  secours  dans  la  place  ,  ou 
on  scavoit  qu'il  n'y  avoit  pas  plus  de  trois  cens 
fantassins.  On  perdit  ce  jour-la  et  la  unit  a  tra- 
vailler  a  une  circonvallation,  qui ,  au  jugement 
de  tout  le  monde ,  etoit  fort  inutile ,  au  lieu  que 
si  on  avoit  attaque  la  place  cette  nuit-la  ,  ou 
I'auroit  probablement  emportee. 

Cette  lenteur  des  Espagnols  m'engage  a  une 
digression  qui  peut  eutrer  ici  fort  a  propos,  pour 
s'etonner  moins  des  fautes  qu'on  leur  a  deja  vu 
commettre  et  de  celles  qui  suivront.  Dom  Juan 
observoit  en  campagne  les  meiiies  formalites 
((ue  s'il  avoit  ete  a  Bruxelles :  il  etoit  partout 
d'un  acces  egalement  difficile  ;  il  dormoit,  com- 
me  il  a  deja  ete  reraarque ,  aussi  bien  que  le 
marquis  de  Caracene,  fort  pres  de  la  plaine 
quandle  convoi  passoit,  et  leurs  doraestiques, 
qui  le  virent  descendre  la  montagne  aussi  bien 
que  le  reste  de  I'armee,  n'oserent  jamais  les 
eveiller  pour  les  en  avertir  ;  mais  ce  qui  doit 
surprendre  davantage ,  c'est  que  dom  Juan  et 
le  marquis,  qui  avoient  tons  deux  beaucoupde 
bon  sens ,  d'esprit  et  de  bravoure  ,  pussent  s'at- 
tacher  a  des  formalites  qu'ils  scavoieut  bien 
etre  prejudiciables  au  service  de  leur  maitre  et 
a  leur  propre  reputation.  Le  marquis  etoit  un 
fort  bon  officier  ,  avoit  servi  long-temps  ,  passe 
par  tons  les  degies ,  et  devoit  sa  fortune  a  son 
merite ,  et  si  dom  Juan  n'avoit  pas  eu  le  mal- 
heur ,  pour  ainsi  dire  ,  d'etre  eleve  corarae  fils 
d'Espagne,  il  etoit  done  de  qualites  capables 
d'en  faire  uu  grand  bomme ;  mais  les  scrupu- 
leuses  formalites  gatoient  tout.  Quaud  Tarniee 
marcboit,  ils  n'alloient  a  la  tete  que  quand  I'en- 
uemi  etoit  en  presence.  Quand  les  troupes  etoient 
a  moitie  sorties  du  camp ,  ils  montoient  a  che- 
val ,  marcboient  a  la  tete  de  leurs  trois  compa- 
gnies  de  gardes  ,  droit  aux  quartiers  qui  leur 
avoient  ete  marques ,  sans  se  mettre  en  peine 
de  I'armee ,  ui  de  reconnoitre  la  situation  du 
terrain,  ni  de  scavoir  les  quartiers  des  geueraux. 
Ainsi  dans  une  allarme ,  ou  a  I'approche  des  en- 
nemis ,  ils  ne  connoissoient  ni  le  camperaent, 
ni  memeoii  etoit  la  grand'garde,  ni  les  gardes 
avancees.  Dora  Juan  avoit  coutume  le  plus  sou- 
vant  en  arrivant  a  son  quartier ,  quelque  bonne 
heure  qu'il  fut ,  de  se  mettre  au  lit;  il  y  sou- 
poit  et  ne  se  levoit  pas  jusqu'au  matin.  Quand 
I'armee  ne  marchoit  pas,  il  sortoit  et  montoit 
rarementa  cbeval. 

Mais  pour  revenir  au  siege  d'Ardres ,  il  se 
lint  uu  conseil  dc  guerre  au  quartier  du  mar- 
quis dc  Caracene ,  pour  resoudrc  par  oil  on  at- 


MEMOIBES    DU    DUC    d'yORCK.    [  1 657  J 


taqueroit  la  place.  Quand  les  geueraux  furent 
assembles  ,  on  les  fit  tons  monter  au  baut  d'une 
tour  qui  s'y  trouvoit ,  d'ou  on  les  pria  de  re- 
connoitre la  place  avec  des  lunettes  d'approehe ; 
et  sans  examiner  la  chose  de  plus  pres ,  on  re- 
solut  que  les  Espagnols  attaqueroieut  une  demi- 
lune entre  deux  bastions ;  que  le  due  d'Yorck 
feroit  la  sienne  a  celui  de  la  droite  ,  et  le  prince 
de  Conde  a  celui  de  la  gauche  ,  et  que  ,  pour  m.' 
point  perdre  de  temps,  on  feroit  en  sorte  d'atla- 
cher  cette  nuit  meme  le  mineur  au  corps  de  la 
place. 

Le  due  d'Yorck  et  le  prince  de  Conde ,  ne  se 
contentant  point  d'avoir  vu  la  place  du  baut  de 
la  tour ,  furent  la  reconnoitre  de  plus  pres.  Don 
Juan  et  le  marquis  n'allerent  point  en  persoune 
reconnoitre  leur  attaque ,  ils  envoy erent  seule- 
ment  un  major  de  bataille  pour  leur  en  rendre 
compte ,  n'etant  point  la  coutume  des  generaux 
espagnols  de  s'exposer  en  de  semblables  occa- 
sions. Toutes  ehoses  etant  disposees  ,  on  com- 
raenca  les  attaques  des  lesoir,  apres  un  signal 
qui  fut  donne  du  quartier  de  don  Juan.  Les  as- 
sieges  n'ayant  point  de  monde  pour  defendre 
leurs  dehors ,  on  avanca  sans  peine  jusqu'au 
pied  du  fosse ,  ou  on  fit  un  logement  avant  de 
tenter  d'attacher  le  mineur.  Le  regiment  du  due 
d'Yorck  fut  employe  a  I'attaque  de  ce  prince ; 
le  lord  Muskery,  qui  le  commandoit ,  avoit  un 
capitaine  et  quelques  soldats  des  autres  batail- 
lons  pour  le  rendre  plus  fort.  Le  due  prit  soin 
de  lui  envoy er  des  fascines  et  tout  ce  qui  lui 
etoit  necessaire ,  et  etant  alle  ensuite  visiter  les 
travaux  avec  le  due  de  Glocester ,  il  trouva  que 
le  lord  Muskery,  avoit  lout  mis  en  bon  etat ; 
qu'il  avoit  presque  fini  sou  logement  au  bord  du 
fosse  vis-a-vis  la  pointe  du  bastion ,  et  qu'il 
avoit  deja  loge  le  corps  du  bataillon  dans  le 
fosse  du  ravelin  qui  couvroit  la  pointe  du  bas- 
tion. Ce  prince  crut  qu'il  etoit  temps  d'attacher 
le  mineur ;  mais  ayant  appercu  au  clair  de  la 
lune  qu'il  y  avoit  de  I'eau  dans  le  fond  du  fosse , 
il  envoya  un  sergent  pour  le  sonder,  qui  rap- 
porta  que  cette  eau  n'etoit  pas  assez  profonde 
pour  empecher  les  mineurs.  II  les  fit  descendre 
dans  le  fosse  avec  un  sergent  et  quelques  soldats 
pour  porter,  les  madriers  a  la  faveur  desquels  ils 
devoient  se  loger.  Le  jour  commencaut  a  pa- 
roitre  ,  ce  prince  et  le  due  de  Glocester  se  reti- 
rerent  et  retournerent  a  leurs  quartiers.  On  ne 
donnera  point  de  detail  des  autres  attaques  ,  et 
on  dira  seulement  qu'ayant  eu  le  meme  sucees 
et  ayant  attache  leur  mineur,  on  ue  doutoit 
point  que  la  place  ne  se  rendit  en  moins  de 
vingt-quatre  heures.  On  fut  dire  a  don  Juan  et 
au  marquis  de  Caracene,  qui  etoit  en  carossc 


MEMOTRBS    DU    DUC 

deriiere  leurs  attaques, hors  de  la  portee  du  ca- 
non ,  que  le  prince  de  Conde  et  le  due  d'Yorck 
etoient  alles  visiter  les  travaux;  don  Juan  re- 
pondit:  Ao  Iiuzen  ben ,  ils  nefontjKis  bien. 

Le  matin ,  un  peu  apres  le  soleil  leve ,  on  eut 
avis  de  la  prise  de  Saint-Venant  et  que  M.  de 
Turenne  avancoit  pour  venir  secourir  Ardres. 
On  assembia  immediatement  un  Junto ^  et  on 
resolut  aussitot  de  lever  le  siege.  L'embarras 
etoit  de  retirer  les  troupes  des  attaques;  on 
n'avoit  pas  eu  le  temps  de  faire  des  travaux  et 
des  tranchees ,  pour  la  communication ,  ainsi 
ils  ne  pouvoient  en  sortir  qua  decouvert.  On 
commenca  par  retirer  les  mineurs:  ce  qui  fut 
execute  a  Tattaque  du  due  par  les  soins  du  lord 
INIuskery ,  qui ,  avant  de  faire  connoitre  aux  of- 
ficiers  qui  etoient  avec  lui ,  les  ordres  qu'il  avoit 
recus,  fit  dire  aux  mineurs  de  revenir  le  mieux 
qu'ils  pourroient,  et  que  pour  favoriser  leur  re- 
traite  il  feroit  faire  grand  feu  sur  les  assieges. 
II  fitcroire  aux  soldats  qu'il  les  retiroit,  parce 
qu'il  avoit  ete  averti  que  cet  endroit  etoit  con- 
treniine,  et  ils  arriverent  au  logement,  a  la  fa- 
veur  du  feu  de  la  mousqueterie  ,  sans  aucun  ac- 
cident. II  declara  ensuite  I'ordre  qu'il  avoit  re- 
cu  ,  et  leur  commanda ,  quand  il  donneroit  le 
mot,  de  se  retirer  avec  toute  la  diligence  pos- 
sible jusqua  un  endroit  qu'il  leur  marqua,hors 
de  la  porteedn  mousquet,ou  ils  devoient  se  ral- 
Mer.  Le  due  d'Yorck  de  son  cote  commanda 
trente  maitres  avec  un  lieutenant  pour  s'appro- 
cher  de  la  place  autant  qu'ils  pourroient  sans 
s'exposer,  jusqu'a  ce  qu"il  vit  les  soldats  revenir 
de  I'attaque ,  et  alors  de  galop|)er  parmi  eux 
pour  apporter  les  ofticiers  ou  soldaJs  qui  vien- 
droient  a  tomber.  Le  due  les  suivit  pour  voir 
executer  ses  ordres ,  et  trouva  que  comme  ses 
soldats  se  retiroient  de  I'attaque,  le  lieutenant 
et  ses  cavaliers  se  tenoient  tranquillement  der- 
riere  une  have  a  la  portee  du  mousquet  de  la 
place  ;  le  due  galoppa  au  lieutenant  pour  lui  rei- 
terer  I'ordre  qu'il  lui  avoit  donne;  il  obeit,  et, 
pour  reparer  sa  faute ,  marcha  jusqu'au  bord  du 
fosse  ,  et  quoique  les  assieges  fissent  grand  feu , 
il  n'y  eut  d'ofticiers  que  le  capitaine  Keith  et  peu 
de  soldats  blesses  ,  dont  il  n'en  mourut  aucun  : 
ce  qui  fut  aussi  heureux  qu'extraordinaire.  On 
perdit  quelques  mineurs  aux  autres  attaques; 
et  apres  qu'on  se  fut  retire  partout  avec  fort 
peu  de  perte ,  on  fit  marcher  des  bagages  vers 
Gravelines,  et  toute  I'armee  suivit.  Cettemar- 
che  fut  extremement  penible.  En  arrivant  sur 
le  bord  du  plat  pays,  on  fut  oblige  de  faire  halte 
jusqu'a  ce  que  le  canon  et  le  bagage  fussentsur 
la  seule  digue  ou  chaussee  qui  conduit  de  Po- 
lincove  a  Gravelines,  que  les  grandes   pluies 


d'yorck.  [ler}/]  599 

avoient  rendue  presque  impralicable.  La  pluie 
qui  continuoit  sans  cesse ,  la  tempete,  I'obscu- 
rite  de  la  nuit,  le  chemin  gras  et  bourbeux,  et 
les  frequentes  haltes  qu'il  fallut  faire,  desolerent 
les  troupes  et  les  mirent  dans  un  si  grand  de- 
sordre ,  qu'il  ne  fut  pas  possible  aux  officiers 
d'empecher  ies  soldats  de  se  debander  et  (le 
chercher  du  convert  oil  ils  pouvoient.  11  ne  se 
trouva  pas  le  matin  dix  bommes  ensemble  de 
chaque  regiment ;  tout  ce  qu'on  put  faire,  fut 
de  les  rassembler  le  lenderaain.  Le  30,  I'lir- 
mee  canipa  a  Broukerke;  celle  de  France  eut 
sa  part  du  mauvais  temps  la  nuit  qu'ils  mar- 
cherent  dans  la  plaine  de  Saint-Omer  pour  ve- 
nir a  Ardres,  lorsque  celle  d'Espagne  en  leva 
le  siege.  Le  3 1 ,  on  passa  a  Colme ,  et  on 
mit  les  troupes  en  quartier  a  Dringam  et  dans 
les  villages  circonvoisins ,  pour  les  remettre  un 
peu  de  tant  de  fatigues.  Le  pays  etoit  si  coupe 
qu'il  eut  ete  tres-difficile  d'y  camper  en  bataille; 
mais  I'ennemi  etoit  si  eloigne  qu'il.  n'y  avoit 
point  de  risque.  Le  2  septeuibre  on  marcha 
vers  Mont-Cassel ,  et  les  troupes  ayant  ete  cau- 
tonnees  dans  ies  villages  aux  environs  ,  on  y 
resta  jusqu'au  7,  qu'ayant  appris  que  M.  de  Tu- 
renne etoit  vers  La  Motle-aux-Bois  ,  ou  fit  mar- 
cher I'armee  a  Wonnhout,  oil  on  eut  avis, 
le  12  ,  que  les  Francois  avoient  pris  La  jNlotte- 
aux-Bois,  et  qu'ils  s'approchoient  une  seconde 
fois  de  I'armee.  Elle  repassa  la  Colme  le  jour 
suivant,dans  la  resolution  de  defendre  le  pas- 
sage de  cette  riviere  le  long  de  laquelle  on 
campa.  Les  Espagnols  etoient  postes  depnis  le 
fort  de  Link  jusques  vers  Spirker ;  le  poste  du 
due  d'Yorck  s'etendoit  ensuite  depuis  I'endroit  ou 
leur  quartier  se  terminoit  jusqu'a  Bergue-Saint  • 
Vinox,  et  le  prince  de  Gunde  ensuite  jusqu'a 
Bergue  meme.  Ou  rompit  tons  les  ponts  et  ou 
fit  des  travaux  derriere  les  gues,  jusqu'au  17, 
qu'ou  apprit  que  M.  de  Turenne  avancoit  pour 
les  prendre  en  flanc ,  ayant  passe  la  Colme  au- 
dessus  de  Liuck.  On  detacha  aussitot  la  plupart 
des  regimens  d'Espagnols  natifs  avec  quelque 
cavalerie  pour  se  jeiter  dans  Gravelines.  Les 
trois  regimens  italiens  de  don  Tito  del  Prato,  qui 
ies  commandoit,  furent  envoyes  au  fort  de  Mar- 
dick  ,  et  le  reste  de  I'armee  se  retira  derriere 
le  canal  qui  va  de  Bergue  a  Dunkerque.  Le 
prince  de  Conde  ayant  son  quartier  a  Bergue, 
don  Juan  a  Dunkerque,  et  le  due  d'Yorck  a 
Oudekerke  ,  on  planta  le  canon  tout  le  long  du 
canal,  oil  Ton  trouva  des  batteries  toutes  pretes. 
Un  jour  ou  deux  apres  que  les  Espagnols 
eurentquitte  la  Colme,  les  Francois  arriverent 
devant  Mardick  et  I'assiegerent.  Ce  fut  en  par- 
tic  en  execution  du  traite  fait  avec  Cromvvel  , 


«J00 


MKMOlKliS    DU    DUC    D  VOKCR. 


iGr,7 


par  lequel  ils  s'engageoient  de  le  mettre  eu 
possession  de  quelque  place  maritime  de  la 
Flaodre,  et  Mardick  etoit  la  seule  qu'ils  pou- 
voient  attaquer  dans  une  saison  si  avancee,  vu 
le  soin  qu'on  avoit  pris  de  munir  Graveliues  et 
Dunlverque  de  toutes  les  choses  necessaires  pour 
uue  loDgue  et  vigoureuse  defense. 

Les  Francois  en  arrivant  devant  Mardick 
travaillerent  immediatement  a  leurs  lignes  du 
cote  de  Dunkerque  et  a  leurs  approches  du  cote 
du  fort.  Les  fourages  ayant  ete  consommes  aux 
environs ,  ils  fureut  obliges  le  lendemain  matin 
d'en  aller  chercher  dans  les  trols  grandes  fer- 
mes  qui  n'etoient  qu'a  derai-porlee  du  canon 
des  retranchemens  des  Espagnols,  et  qui  avoient 
ete  preservees  par  le  credit  que  trouverent  au- 
pres  de  quelques  officiers  de  I'armee  les  pro- 
prietaires  de  ces  maisons  :  il  y  avoit  meme  une 
garde  extraordinaire  pour  empecher  qu'on  y 
touchat.  Celui  qui  la  commandoit  ne  put  pas  ne 
point  juger,  quand  il  vit  les  Francois  eu  appro- 
cher  avec  de  la  cavalerie  et  de  I'infanterie,  a 
quelle  intention  ils  y  venoient;  raais  suivant 
la  couturae  des  Espagnols ,  il  se  retira  sans 
oser  mettre  le  feu  dans  lesfermes,  parce  qu'il 
n'en  avoit  point  d'ordre.  Le  canon  des  lignes 
ayant  tire  quand  I'avant-garde  des  ennemis  ap- 
procha  ,  le  due  d'Yorck ,  dont  le  quartier  n'etoit 
eloigne  que  d'un  demi-mille  de  la  ,  y  accourut , 
trouva  qu'ils  travailloient  deja  a  se  couvrir  et 
a  se  retrancher  pour  se  defendre  si  on  venoit 
les  attaquer ,  et  rencontrant  le  prince  de  Ligne 
<iui  faisoit  ce  jour  la  la  fonction  de  mestre-de- 
carap-general ,  il  lui  demanda  ce  qu'il  avoit  des- 
seiu  de  faire  ,  et  s'il  vouloit  laisser  fourager  les 
ennemis  tranqulllement  devant  sesyeux.  II  re- 
pondit ,  corame  a  sou  ordinaire  ,  que  sans  les  or- 
dres  du  marquis  de  Caracene  ou  de  don  Juan  , 
il  n'osoit  rien  eutrepreudre;  et  sur  ce  que  le  due 
lui  repliqua  qu'avant  qu'ils  pussent  arriver  ,  les 
Francois  seroient  retranches  et  qu'on  ne  pour- 
roit  plus  les  deloger  ni  bruler  le  fourage  ,  il  re- 
pondit  que  cela  etoit  vrai ,  mais  qu'il  u'entre- 
prendroit  rien  sans  des  ordres  positifs.  Le  due 
lui  dit  qu'il  alloit  done  lui-meme  attaquer  les 
ennemis  avecses  propres  troupes  ,  le  priant  seu- 
lemeut  de  faire  border  sa  ligne  par  son  infan- 
terie  ^  mais  il  repondit  encore  que  le  pont  etant 
dans  le  quartier  des  Espagnols,  il  ne  pouvoit 
pas  lui  permettre  d'y  passer,  parce  que  s'il  y 
avoit  quelque  chose  a  faire ,  c'etoit  aux  Espa- 
gnols a  I'exei'uter ;  ainsi  toutes  les  propositions 
ne  servirent  a  rien.  Pendant  qu'on  attendoit  les 
oidresde  Dunkerque,  les  Francois  fouragerent 
sans  autre  inquietude  que  celle  du  canon  ((ui 
lira  toujours  sur  eux  ,  dont  le  bruit  (It  venir  de 


Bergue  le  prince  de  Conde.  Le  due  d'Yorek  Tin- 
forma  aussitot  de  ce  qui  s'etoit  passe  entre  lui 
el  le  prince  de  Ligne,  il  n'en  fut  point  du  tout 
surpris  ,  et  assura  le  due  que  ,  quand  il  auroit 
servi  aussi  long-temps  que  hii  avec  les  Espa- 
gnols ,  il  s'accoutumeroit  a  leur  voir  commettre 
beaucoupde  fautes  considerables  sans  s'en  eton- 
ner,  Les  ennemis ,  apres  avoir  fourage  tant 
qu'il  leur  plut,  se  retirerent  et  laisserent  der- 
riere  eux  environ  cent  chevaux  que  le  canon 
leur  avoit  tues.  On  ne  scait  point  combien  d'hom- 
mes  ils  perdirent ,  mais  on  ne  trouva  aucun 
corps  mort ,  soit  qu'ils  les  eussent  emportes , 
soit  qu'ils  les  eussent  enterres  sur  la  place  dans 
quelque  endroit  qu'on  ne  put  decouvrir. 

Deux  ou  trois  jours  apres,  le  fortde  Mardick 
se  rendit  et  fut ,  en  consequence  du  traitte  fait 
avec  Cromwel ,  mis  le  lendemain  entre  les 
mains  de  Reynold;  et  peu  de  temps  apres  les 
Francois,  ayant  repare  les  brechesetcomble  les 
travaux  ,  se  retirerent  en  quartier  de  rafraichis- 
semens  et  de  fourages  dans  leur  pays.  L'armee 
d'Espagne  continua  de  camper  oil  elle  etoit,  et 
on  pubiia  qu'on  reprendroit  Mardick.  La  mala- 
die  causee  par  le  mauvais  air  fut  si  generale, 
qu'a  la  reserve  des  Espagnols  naturels,  peu 
d'officiers  et  de  soldats  furent  exempts  de  fievre, 
et  plus  de  la  moitie  se  trouverent  dans  un  meme 
temps  incapables  de  lendre  aucun  service.  Les 
troupes  que  commandoit  le  due  d'Yorck  en 
furent  les  plus  maltraittees ;  il  fut  presque  le 
seul  des  otficiers  ou  volontaires  de  qualite  et  de 
toute  sa  raaison  qui  n'en  fut  point  attaque.  Le 
due  de  Glocester  quitta  I'armee  ,  malade ,  et  le 
prince  de  Conde  le  fut  a  un  point  que  les  me- 
decins  craignirent  pour  sa  vie.  Peu  de  temps 
apres  le  roi  d'Angleterre  vint  a  Dunkerque  solli- 
citer  dom  Juan  au  sujet  de  quelques  affaires  pa r- 
ticulieres  ,  et  pour  le  faire  souvenir  de  quelques 
promesses  qu'il  avoit  faites  a  Sa  Majeste  par 
rapport  a  I'Angleterre. 

Les  Anglois  qui  etoient  dans  Mardick  tra- 
vaillerent a  I'eparer  les  anciennes  fortifications 
autour  du  fort  :  ce  qui  leur  etoit  d'autant  plus 
facile  que  les  fosses  n'avoient  point  ete  combles. 
et  que  Ton  n'avoit  applani  qu'une  petite  partie 
du  parapet.Dom  Juan,  en  ayant  ete  averti ,  re- 
solut  d'y  marcher  un  soir  avec  toute  I'armee, 
pour  rasereu  un  jour  les  ouvrages  qu'ils  avoient 
eleves  en  un  mois.  C'etoit  plus  par  ostentation 
et  pour  faire  croire  au  peuple  qu'il  avoit  des- 
sein  de  repreudre  ce  fort ,  que  dans  I'espe- 
rauce  que  cela  cut  aucune  suite.  Le  jour  ayant 
ete  arrete  pour  cette  expedition ,  ii  sortit  de 
Dunkerque  le  soir  a  la  tete  de  Tarmee ,  accom- 
pagne  du  roi  d'Angleterre  :  I'obscurite  etoit  si 


MEMOIRES    DU    DUG    b  VORCK. 


Ki.OSl 


601 


grande  qu'il  fallut  marcher  aux  flambeaux.  Les 
ennemis,  qui  les  appercurent ,  crurent  qu'on 
alloit  les  escalader  ou  au  moins  les  assicger,  et 
se  preparerent  a  se  defendre  ,  allumant  des  fal- 
lots  autour  du  fort.  Quand  on  arriva  un  peu 
plus  pres  que  la  portee  du  canon  ,  I'armee  etei- 
gnit  les  siens.  Sa  Majeste ,  dom  Juan  et  le  mar- 
quis de  Caracene  arreterent  avec  la  cavalerie, 
pendant  que  I'infanterie  avancoit ;  les  Espagnols 

etant  commandes  par ,  marechal  de 

bataille,  marcherent  a  I'endioit  des  dehors  qui 
regardent  Dunkerque;  le  comte  de  Marsin  avec 
I'infanterie  du  prince  de  Conde ,  du  cote  qui  re- 
garde  Gravelines  ,  et  le  due  d'Yorck  ,  a  la  tete 
de  la  sienne,  se  posta  au  milieu  des  deux. 
Quand  on  approcha  du  fort ,  les  ennemis  firent 
un  feu  continuel  de  canon  et  de  mousqueterie, 
et  les  petites  fregates  qui  etoient  dans  le  fosse 
ue  cesserent  pas  aussi  de  tirer.  L'infanterie  en 
sout'frit  peu  ,  parce  qu'elle  se  mit  d'abord  a  I'a- 
bri  des  anciens  dehors;  mais  les  balles  qui 
passoient  par  dessus  elle  tomberent  dans  la 
cavalerie  et  y  tuerent  du  monde  et  des  chevaux. 
Sa  Majeste  s'etant  avancee  pour  voir  ce  que  fai- 
soit  Finfanterie,  le  marquis  d'Ormond,  qui  I'ac- 
compagnoit,  eut  son  cheval  tue  sous  lui  d'un 
coup  de  canon.  Ghaque  corps  en  arrivant  a  son 
poste  fit  passer  sestravailleurs  avec  des  soldats 
detaches  pour  les  soutenir;  mais  le  fosse  etant 
trop  profond  du  cote  du  due  d'Yorck ,  il  fut 
oblige  de  leur  falre  prendre  le  tour  par  I'at- 
taque  des  Espagnols;  cependant  il  le  fit  com- 
bler  avec  des  fascines  ,  et  fit  faire  un  passage 
pour  pouvoir  les  soutenir,  si  les  ennemis  sor- 
toient  sur  eux.  Dans  le  moment  que  les  travail- 
leurs  commencerent  a  applanir  les  ouvrages, 
les  soldats  detaches  firent  un  feu  continuel 
contre  les  ennemis ;  ce  qu'ils  continueient  jus- 
ques  vers  la  pointe  du  jour  que  les  dehors  etant 
rases ,  on  se  retira  en  bon  ordre  et  on  arriva 
a  Dunkerque  lorsqu'il  commenca  a  faire  grand 
jour.  Les  ennemis  furent  assurement  plus  sur- 
pris  de  la  retraitte  que  de  I'approche ,  et  ils  s'at- 
tendoient  si  peu  qu'on  les  quittat ,  que  les  Es- 
pagnols etoient  deja  partis  que  la  garnison 
tiroit  encore;  il  n'y  eut  pas  plus  de  vingt  ca- 
valiers ,  un  capitaine  du  regiment  de  Glocester 
et  trois  ou  quatre  soldats  de  tues  ;  il  y  en  eut 
huit  ou  dix  de  blesses.  Les  Anglois,dans  le  fort, 
comrae  on  I'a  su  depuis,  n'eurent  qu'un  homme 
de  tue  ,  et  ils  crurent  si  fort  qu'on  les  alloit  as- 
sieger,  qu'ils  depecherent  un  courrier  a  M.  de 
Turenne  pour  Ten  avertir.  II  assembla  ses 
troupes  qui  etoient  en  quartiers  de  fourage, 
et  se  mit  en  marche  pour  les  venir  seconrir; 
mais,  sur  I'avis  ([u'il  eut  ((ue  les  Kspngnols  s'e- 


toient  retires ,  il  retourna  dans  ses  quartiers. 

Quelques  jours  apres  on  fit  une  tentative  pour 
enlever  les  fregates  angloises  qui  etoient  dans 
le  fosse  :  on  avoit  eu  dessein  d'abord  de  les 
bruler  ;  mais  la  chose  s'etant  trouvee  trop  dif- 
ficile ,  on  resolut  d'essayer  de  surprendre  les 
deux  plus  grosses,  la  Rose  et  le  Veritable- Amoin\ 
de  six  ou  de  huit  pieces  de  canon  chacune.  On 
arma  pour  cet  effet  douze  chalouppes  ,  qui  sor- 
tirent  dans  un  temps  fort  calme.  Dom  Juan  iit 
avertir  le  Roi  et  le  due  d'Yorck ,  et  ils  lurent 
le  long  de  la  mer,  accompagnes  de  toutes  les 
personnes  de  qualite  et  des  principaux  officiers, 
pour  voir  quel  seroit  le  succes  de  cette  entre- 
prise  :  il  faisoit  une  espece  de  brouillard.  Etant 
arrives  vis-a-vis  des  fregates,  on  entendit  crier 
en  anglois  :  De  quel  bord  est  la  chalouppe  ?  Le 
matelot ,  voyant  qu'on  ne  lui  repondit  point  et 
qu'une  autre  chalouppe  alloit  aborder  la  fre- 
gatte ,  donna  I'allarme ,  et  tira  un  coup  de  ca- 
non qui  cassa  la  jambe  d'un  des  rameurs  ;  cet 
accident  et  quelques  coups  de  mousquet  qui  fu- 
rent tires  en  meme  temps  dounereut  I'epouvante 
aux  chalouppes,  qui  se  retirerent  honteusement 
sans  vouloir  rien  enlrepreudre  davantage. 

Le  roi  d'Angleterre ,  ayant  acheve  ce  qu'il 
avoit  a  faire  avec  dom  Juan  et  le  marquis  de 
Caracene ,  alia  a  Bruges  ,  et  ensuite  a  Gand  et  a 
Bruxelles.  Le  due  d'Yorck  resta  a  Dunkerque 
pour  commander  I'armee.  On  avoit  toujours  en- 
tretenu  les  peuples  dans  I'esperance  qu'on  re- 
prendroit  Mardick  ;  pour  obtenir  plus  faci  le- 
nient un  subside  considerable  de  la  province  de 
Flandre,  et  pour  rendre  la  chose  plus  vraisem- 
blable,  ou  fit  de  grands  magasins  de  fascines  , 
de  gabions  et  de  toutes  les  choses  necessaires 
pour  un  siege.  Neanmoins  il  y  eut  ordre  d'en- 
voyer  les  troupes  le  premier  jour  de  I'an  dans 
les  quartiers  d'hyver,  et  le  due,  qui  etoit  reste 
a  Dunkerque  tout  ce  temps -la,  retourna  a 
Bruxelles  peu  de  jours  apres  que  dom  Juan  et 
le  marquis  de  Caracene  y  lurent  arrives. 

[1658]  Au  commencement  du  printemps,  on  ne 
songea  plus  a  Bruxelles  qu'aux  preparatifs  pour 
la  campagne  ,  et  comme  la  saison  avancoit ,  les 
Espagnols  s'appliquerent  a  munir  les  places  les 
plus  exposees.  On  etoit  informe  de  toutes  parts 
que  les  Francois  entreprendroient  celte  annee 
un  siege  considerable;  les  Espagnols  eurent 
beaucoup  d'inquietude ,  car,  n'ayant  pas  sufli- 
samment  d'inianterie  pour  garnir  toutes  leurs 
places,  il  falloit  en  laisser  quelques-uues  avec 
de  foibles  garnlsons.  Le  Roi  les  sollicita  ins- 
tamment  de  renforcer  celles  de  Dunkerque,  leur 
faisant  entendre  qu'on  lui  mandoit  d'Angleterre 
que  la  premiere  entreprise  seroit  le  siege  de 


C02 


MKMOIBES    DU    DUG    d'yORCK.    [KJ.58] 


eette  place ;  que  Cromwel  en  solHcitoit  forte- 
ment  les  Francois ;  que  tout  se  preparoit  pour 
cet  effet  en  France  et  en  Angleterre,  et  quedes 
lettres  qu'H  avoit  fait  intercepter  lui  confir- 
moientces  avis.  Sa  Majeste  ne  se  contenta  point 
de  leur  donner  une  fois  ces  avertisseraens  ,  elle 
les  reiteroitchaque  semaine  sur  la  continuation 
des  avis  qu'elle  recevoit  d'Angleterre;  raais  les 
Espagnols  n'y  ajouterent  point  de  foi ,  croyanJ; 
qu'ils  etoient  faux  et  qu'ils  etoient  donnes 
dans  le  dessein  de  leur  faire  degarnir  Cambray 
ou  quelques  autres  places  du  dedans  du  pays, 
lis  etoient  encore  si  allarniesde  I'entreprisesur 
Cambray  de  I'annee  derniere ,  que  toutes  les 
raisons  du  Roi  ne  purent  point  prevaloir  sur 
leurs  craintes ,  tant  leur  prevention  etoitgrande 
que  le  cardinal  avoit  toujours  les  raemes  vues 
sur  cette  place ,  et  que  rien  n'etoit  capable  de 
lui  faire  changer  ce  dessein,  quelqu'engage- 
raent  qu'il  put  avoir  avec  Cromwel ,  a  moins 
que  la  place  ne  fut  si  bien  munie  qu'il  jiigeat  le 
succes  impossible. 

Cette  opinion  et  plusieurs  raisonnemens  plus 
specieux  que  convainquans  ,  leur  firent  croire 
que  Dunkerque  ne  couroit  point  de  risque  cette 
annee.  lis  negligerent  d'y  raettre  une  bonne 
garnison  et  les  munitions  necessaires;  et  re- 
pandant  en  meme  temps  la  plupart  de  leur  in- 
fanterie  dans  Aire  et  Saint-Omer,  sur  les  fron- 
tieres  du  Haynaut ,  et  renforcant  la  garnison 
de  Cambray  d'un  corps  considerable  de  cava- 
lerie  et  d'infanterie  ,  ils  negligerent  tellement 
Dunkerque,  qu'ils  laisserent  meme  imparfaits 
deux  forts  a  quatre  bastions  chacun  ,  qu'ils 
avoient  commences  sur  le  canal  entre  Bergue  et 
cette  ville-la ,  qui  en  auroient  rendu  le  siege 
beaucoup  plus  difficile,  puisque.  les  ennemis 
eussent  ete  obliges  de  prendre  I'un  de  ces  deux 
forts  avant  de  pouvoir  assieger  la  place  dans 
les  formes. 

On  ne  pent  s'empecher  de  faire  cette  re- 
marque,  que  de  toutes  les  fortiiications  de  cette 
nature ,  ou  retranchemens ,  que  les  Espagnols 
ont  faits  pour  la  defense  des  rivieres,  on  ne 
leur  en  a  jamais  vu  tirer  aucune  utilite  ,  soit  a 
cause  qu'ils  ne  les  acbevoient  point  a  temjjs  , 
soit  parce  qu'ils  n'avoient  point  assez  d'hommes 
pour  les  defendre ,  ou  que  les  Francois  ,  par 
des  marches  imprevues ,  venoicnt  les  attaquer 
en  flanc,  comme  il  a  ete  rapporte  en  I'annee 
1655.  II  est  verltabiement  fort  difficile  d'en 
faire  aueuns  dans  ce  pnys-la  dont  on  puisse 
tirer  avantage  ;  car  I'armee ,  qui  est  supe- 
ricure  et  maltresse  de  la  campagne,  trou- 
vera  toujours,  avec  un  pen  de  patience,  les 
moycns  de  forcer  les  passages ,  ou  d'entrer  par 


quelqu'autre  endroit  dans  le  pays  ennemi  :  d'ou 
il  faut  conclure  qu'un  general  ne  doit  point 
mettre  toute  sa  confiance  sur  de  pareilles  pre- 
cautions ,  quoiqu'il  y  ait  des  occasions  ou  el  les 
peuvent  etre  necessaires. 

Les  Francois,  suivant  leur  coutume,  en- 
trerent  cette  annee  les  premiers  en  campagne, 
et,  en  marchant  a  Dunkerque,  ils  firent  pri- 
sonniers  de  guerre  le  regiment  du  due  de  Glo- 
cester  dans  Casse!  ou  il  avoit  ete  imprudemment 
envoye  ,  la  place  n'etant  d'aucune  defense  ,  par 
M.  de  Bassecour,  marechal-de-bataille,qui  com- 
mandoit  toutes  les  troupes  dans  les  environs.  II 
fit  marcher  en  meme  temps  le  regiment  d'infan- 
terie du  due  d'Yorck,  fort  d'environ  cinq  cens 
hommes,  avec  quelques  autres  regimens  foibles 
et  de  la  cavalerie ,  qui  etoient  en  quartier  a 
Hondscotte,  pour  se  jetter  dans  Saint-Omer, 
qu'il  croyoitque  les  ennemis  vouloicnt assieger; 
mais  quand  par  leur  marche  il  decouvrit  qu'ils 
en  vouloient  a  Dunkerque ,  il  voulut ,  mais  trop 
tard ,  y  jetter  du  secours  :  tout  ce  qu'il  put  faire 
fut  d'y  entrer  lui-meme  avec  un  peu  de  ca- 
valerie. 

Le  marquis  de  Leede,  gouverneur  de  la  place, 
s'y  jetta  presque  en  meme  temps  avec  beaucoup 
de  peine  :  11  avoit  ete  a  Bruxelles  y  solliciter  des 
secours  d'hommes  et  de  munitions ,  et  il  y  etoit 
encore  quand  on  recut  les  premieres  nouvelles 
que  les  Francois  marchoient  a  Dunkerque.  On 
ordonna  alors  aux  troupes  qui  etoient  a  Nieu- 
port,  Furnes  et  Dixmuyde,  pour  lesquelles  pla- 
ces ils  avoient  eu  de  la  crainte  sans  sujet ,  de 
marcher  a  Dunkerque,  a  la  reserve  du  regiment 
d'infanterie  du  roid'Angleterre,  d'environ  qua- 
tre cens  hommes  ,  qui  etoit  a  Dixmuyde  ;  mais 
ils  ne  purent  point  y  entrer  ,  la  ville  etoit  dej;i 
bloquee ;  le  marquis  de  Leede  s'y  trouva  as- 
siege  :  la  force  consistoit  dans  de  grands  dehors 
qui  n'eloientque  de  terre et  qu'il  etoit  aise  dap- 
procher  ;  la  garnison  n 'avoit  aucune  proportion 
avec  le  vaste  terrain  qu'il  falloit  defendre :  elle 
n'etoit  que  de  mille  hommes  d'infanterie  et  huit 
cens  chevaux  ;  il  n'y  avoit  que  fort  peu  de  pou- 
dre  et  d'autres  provisions.  La  nouvellecertaine 
de  ce  siege  ayant  ete  apportee  a  Bruxelles,  sur 
la  fin  de  may,  n'etonna  pas  peu  les  Espagnols  , 
principalement  quand  ils  scurent  qu'il  n'y  avoit 
aucune  esperance  d'y  pouvoir  jetter  du  secours 
par  mer,  parce  que  la  tlotteangloise,  commandee 
par  le  general  Montaigu ,  fermoit  I'entree  du 
port.  Le  seul  moyen  qui  restoit  pour  sauver  cette 
ville,  etoit  d'assembler  I'armee;  on  resolut  pour 
cet  effet,  dans  un  conseil  de  guerre  oil  assiste- 
rent  tons  les  offieiers  generaux,que  le  rendez- 
vous general  scroll  a  Ypres  ;  les  ordres  furciit 


MEMOIEES    DU    DUG    d'vOKCK.    [ 


envoyes  a  toutes  les  troupes  d'y  marcher  en  di- 
ligence ;  et  le  7  de  juin,  I'armee  et  les  generaux 
s'y  trouverent.  On  vint  camper  le  9  a  Nieuport , 
le  lendemain  entre  Oudekerque  et  Furnes,  on  le 
raarechal  d'Hocquincourt  arriva  :  il  etoit  noii- 
vellcment  venu  de  France  par  Hedin.  Cette  ville, 
apres  la  mort  du  gouverneur,  s'etoit  revoltee  a 
la  persuasion  du  lieutenant  de  Roi  et  de  son 
beau-frere  :  ils  avoient  appelle  les  Espagnols  a 
leur  secours,  avec  lesquels  ils  convinrent  do 
leur  livrer  la  place ,  moyennant  une  certaine 
somme  qui  leur  fut  payee  ,  et  les  Espagnols  en 
prirent  possession.  Le  raarechal  d'Hocquincourt 
avoit  de  lougue  main  une  correspondance  se- 
crette  avec  le  lieutenant  de  Roi ,  par  rapport  au 
dessein  qu'il  avoit  de  se  revolter  et  d'attirer 
dans  son  parti  la  plupart  de  la  noblesse  et  des 
peuples  du  Vexiu  et  de  la  basse  Normaudie  ; 
mais  ces  menees  furent  decouvertes  avant  qu'il 
put  en  venir  a  I'execution :  tel  estordinairement 
le  sort  de  semblables  entreprises  ;  il  se  trouva 
force  de  chercher  son  salut  dans  la  fuite,  et  il  y 
trouva  la  mort.  On  a  cru  que,  si  cette  campogne 
n'avoit  ete  si  desavantageuse  pour  les  Espa- 
gnols, il  y  auroit  eu  un  soulevement  en  ces 
quartiers-la. 

Pour  revenir  aux  mouvemens  de  I'armee 
d'Espagne  ,il  fut  resolu,  le  U,  dans  un  conseil 
de  guerre ,  auquel  assisterent  dom  Juan  ,  le 
prince  de  Conde ,  le  marquis  de  Caracene ,  le 
marechal  d'Hocquincourt,  le  prince  de  Eigne 
(dom  Estevan  de  Gamare  et  le  due  d'Yorck  ne 
s'y  etant  point  trouves  par  accident ) ,  que  , 
le  13,  on  marcheroit  dans  les  dunes  avectoute 
I'armee,  aussi  pres  des  lignes  des  ennemis  qu'il 
se  pourroit ;  qu'on  y  camperoit  pour  etre  en  etat 
de  les  attaquer  quand  on  le  jngeroit  a  propos  ; 
que,  le  12,  tons  les  officiers  generaux  marche- 
roient  avec  deux  mille  soldats  commandes  pour 
reconnoitre  le  terrain  et  marquer  le  carapement. 

Mais  avant  d'entrer  plus  loin  dans  ce  detail , 
il  faut  rapporter  ce  qui  se  passa  dans  le  conseil 
de  guerre,  parce  que  la  plupart  de  ceux  qui  y 
assisterent  ont  voulu  se  disculper  et  s'excuser 
d'avoir  donne  I'avis  qui  fut  suivi ,  ou  d'avoir 
consent!  a  la  resolution  qu'on  y  prit.  Le  due 
d'Yorck  scait  ce  qui  suit  d'une  personne  qui 
etoit  de  ce  conseil ,  et  qui  aussi  bien  que  les  au- 
tres  a  souhaite  de  desabuser  le  monde  de  I'o- 
pinion  qu'on  auroit  pu  avoir  qu'il  y  eiit  con- 
sent!. Qand  tons  les  officiers  generaux  furent 
assls,dom  Juan  leur  exposa  le  sujet  pourquoi 
il  les  avoit  assembles ,  qui  etoit  pour  les  con- 
suiter  sur  les  moyens  de  secourir  Dunkerque.  H 
leur  representa  I'etat  de  la  place  et  la  necessite 
d'eu  fairc  promptemcnt  lever  le  siege  ,  et  s'etant 


1058 J  GO 3 

etendu  sur  ces  deux  chefs  ,  il  proposa  de  fairc 
marcher  I'armee  a  Zudcote ,  et  de  camper  dans 
les  dunes  le  plus  pres  des  lignes  des  ennemis 
qu'il  seroit  possible ,  pour  pourvoir  trouver 
I'occasion  de  les  attaquer  a  propos.  Cette  propo- 
sition fut  suivie  d'un  long  silence  ,  et  personne 
ne  se  levant  pour  s'y  opposer,  dom  Juan  dit : 
«  Puisque  je  vois  que  vous  approuvez  ce  que 
je  viens  de  proposer ,  examinons  presente- 
ment  la  maniere  et  le  temps  d'y  marcher.  »  En- 
suite  il  fut  resolu  d'aller  le  lendemain  reconnoi- 
tre les  lignes  des  ennemis  et  le  terrain  pour 
camper. 

Les  generaux  furent  envoyes  le  12,  comme 
il  avoit  ete  resolu,  avec  quatre  mille  chevaux  et 
I'infanterie  detachee  pour  reconnoitre  les  lignes 
des  assiegeans  et  choisir  le  terrain  pour  le 
campement  de  I'armee.  On  fit  halte  a  Zudcote 
pour  marquer  le  camp  ;  ensuite  le  due  d'Yorck, 
le  marquis  de  Caracene  et  dom  Estevan  de  Ga- 
mare traversereut  les  dunes  avec  quelque  cava- 
lerie  jusqu'au  bord  de  la  mer,  pendant  que 
M.  de  Boutteville  etoit  alle  avec  les  cravattes  le 
long  du  grand  chemiu  entre  les  dunes  et  les 
prairies ,  s'avancant  si  pres  vers  la  garde  de 
cavalerie  des  ennemis  qu'il  escarmoucha  avec 
eux  et  les  obligea  de  reculer,  ce  qui  donna  lieu 
de  reconnoitre  leurs  lignes. 

Comme  il  revenoit  pour  faire  son  rapport  aux 
generaux,  il  rencontra  le  marechal  d'Hocquin- 
court ,  qui  le  pria  instamment  de  retourner  en- 
core une  fois  et  qu'il  vouloit  charger  la  garde 
de  cavalerie  des  ennemis.  M.  de  Boutteville  eut 
beau  lui  dire  qu'il  avoit  observe  tout  ce  qu'on 
pouvoit  soubaitter;  qu'il  amenoit  meme  quel- 
ques  prisonniers  qu'il  avoit  enleves  dans  les  du- 
nes :  toutes  ses  raisons  ne  gagnereut  rien  sur 
son  opiniatrete,  et  il  insista  si  fortement ,  que 
Boutteville  ne  put  point  le  refuser.  Get  ente- 
tement  ne  I'exposa  pas  seulement  au  peril ,  mais 
attira  encore  tous  les  officiers  generaux  a  une 
fort  grande  distance  de  leurs  troupes  ;  car  le 
prince  de  Conde,  le  voyant  aller  aux  lignes ,  le 
suivit ;  dom  Juan  appreuant  qu'il  y  marchoit , 
en  fit  de  meme,  et  le  due  d'Yorck,  quoiqu'il  eiit 
observe  avec  le  marquis  tout  ce  qui  se  pouvoit, 
sur  ce  qu'on  lui  dit  que  ces  messieurs  alloient 
vers  les  lignes  ,  galloppa  pour  les  rejoindre,  et 
arriva  dans  le  moment  que  M.  d'Hocquincourt 
poussoit  la  garde  avancee  des  ennemis  et  la 
faisoit  reculer.  Ce  fut  dans  cette  action  que 
Henry  Jermin,  du  cote  des  Espagnols,  et  le  mar- 
quis de  Blanquefort,  neveu  de  M.  de  Turenne  , 
a  present  comte  de  Feversham,  du  cote  des 
Francois ,  furent  tous  deux  blesses  a  la  cuisse. 
Le  marechal  d'Hocquincourt  s'etoit  avance  jus- 


i'O  i 


MRMOIRES    I)U    UlC    i/yOHCK.    [i('»')S] 


qu'a  la  portee  du  mousquetd'une  redoute,  quaod 
les  ennemis  parurent  sur  une  hauteur  un  peu 
en  deca  de  leurs  lignes  ;  et  dans  le  moment  que 
le  due  d'Yorck  approchoit  de  lui ,  ce  marechal 
recut  un  coup  de  moiisquet  dans  le  ventre,  tire 
delaredoute,  et  mourut  sur-le-champ.  On  se 
retira,  les  ennemis  avancerent,  et  le  prince  de 
Conde,  n'etant  pas  sur  qu'on  put  eraporter  le 
corps ,  s'empressa  d'ofer  les  paplers  qui  etoient 
dansses  poches.  Un  gentilhomme  du  marechal 
pria  le  due  de  (aire  volte-face  pour  lui  donner 
les  moyens  d'enlever  le  corps  de  son  maitre  :  ce 
prince  fit  tete  aux  ennemis,  le  corps  fut  emporte 
avec  beaucoup  de  peine,  ce  qu'ils  auroient  pu 
empecher  en  poussant  un  peu  vigoureusement ; 
mais  tons  les  officiers  generaux  auroient  encore 
couru  grand  risque  d'etre  fails  prisonniers.  TIs  n'a- 
voient  avec  eux  que  les  cravattes,  quin'etoient 
point  capahles  de  soutenir  une  charge  vigou- 
reuse ,  et  ils  etoient  eioignes  du  gros  de  leurs 
troupes  de  plus  d'un  mille.  Le  marquis  de  Cara- 
cene  vint  avec  trois  compagnies  de  gardes  pour 
les  secourir ,  mais  le  danger  etoit  passe :  il  blama 
la  temerite  avec  laquelleon  s'etoit  expose.  On 
retourna  a  I'armee ,  mais  si  etonnes  du  raalheur 
arrive  au  marechal  d'Hocquincourt ,  que,  sans 
songer  a  reconnoitre  davantage  les  lignes  des 
ennemis,  et  sans  meme  parler  de  quelle  maniere 
on  pretendoit  les  attaquer,  on  se  retira  par 
Furnes. 

Leiendemain,  I'armee  marcha  au  lieu  destine 
pour  le  campement.  Elle  avoit  sa  droite  vers  la 
mer,  la  gauche  le  long  du  canal  de  Furnes  ;  I'in- 
fanterie  formoit  une  ligne  au-devaiit  de  la  cava- 
lerje  ,  qui  s'etendoit  depuis  les  dunes  les  plus 
proches  de  la  mer  jusqu'aux  fosses  qui  sont  le 
long  du  canal.  La  cavalerie  etoit  jsur  deux  li- 
gnes derriere  rinfanterie  ,  et  on  avoit  laisse  le 
bagage  a  Furnes.  L'artillerie  n'etoit  pas  encore 
arrivee,  ni  tons  les  outiis  pour  remuer  la  terre  : 
a  peine  y  avoit-il  de  la  poudre  suffisamment 
pour  rinfanterie  ;  ainsi  depourvue  de  tout  ce 
qui  etoit  le  plus  necessaire  pour  un  combat ,  on 
campa  a  une  moindre  distance  des  lignes  des 
ennemis  que  deux  fois  la  portee  du  canon. 

L'avant-garde  de  I'armee  arriva  au  camp  sur 
les  onze  heures  du  matin.  On  a  scu  depuis  qu'il 
etoit  nuit  avant  que  M.  de  Turenne  put  croire 
que  les  Espagnols  eussent  meme  le  dessein  d'y 
venir  camper;  maisenfin  on  lui  amena  un  pri- 
sonnier  qui  lui  confirma  qu'ils  y  etoient;  sur 
quoi ,  sans  balancer  un  moment ,  et  sans  consul- 
ter  personne  ,  il  resolut  de  marcher  le  lende- 
main  au  matin  pour  les  combattre.  II  envoya 
ordre  a  ses  troupes  de  se  tenir  pretes,et  aux 
Anglois  qui  etoient  vers  Mardick  de  le  venir 


joindre.  lis  marcherent  toute  la  nuit  ayanl  un 
grand  circuit  a  faire  ,  et  arriverent  a  la  poiule 
du  jour  au  lieu  qui  leur  avoit  ete  marque. 

Pendant  que  les  Francois  se  preparoient  tout 
de  bon  a  donner  bataille ,  les  Espagnols  etoient 
aussi  tranquilles  dans  leur  camp  que  s'ils  avoient 
ete  fort  eioignes  de  I'ennemi.  On  ne  deffendit 
point  le  soir  d'aller  au  fourage,  comme  c'est  la 
coutume  jusqu'a  ce  qu'on  scache  I'intention  du 
general ,  et  les  officiers  generaux  se  doutoient 
si  peu  du  dessein  des  ennemis,  ou  al'fectoient  si 
fort  dene  les  point  craindre,  que  le  due  d'Yorck, 
soupant  ce  soir  la  avec  le  marquis  de  Caracene, 
et  temoignant  qu'il  n'approuvoit  point  la  ma- 
niere du  campement  sans  lignes  etsans  la  moin- 
dre chose  qui  les  couvrit ,  et  qu'il  croyoit  que  si 
les  Francois  ne  lesattaquoient  point  cettememe 
nuit,  ils  livreroient  infailliblement  bataille  le 
lendcmain  matia,  le  marquis  et  dom  Estevan 
de  Gamare  repondirent  que  c' etoient  ce  qu'ils 
demandoient ;  et  le  due  leur  repliqua  qull 
connoissoit  si  bien  31.  de  Turenne,  qu'il  pro- 
mettoit  qu'ils  auroient  satisfaction.  En  effet , 
le  lendemain  matin  sur  les  cinq  heures,  la  garde 
avancee  vint  avertir  qu'ils  avoient  vu  de  la  ca- 
valerie sortir  des  lignes  des  ennemis,  et  qu'ils 
croyoient  qu'ils  venoient  attaquer  I'armee.  On 
la  fit  mettre  aussilot  sous  les  armes,  et  les  ge- 
neraux allerent  les  reconnoitre.  Le  due  d'Yorck 
arriva  le  premier  a  la  ^ardc  avancee ,  et  ayant 
pousse  jusqu'aux  vedettes,  il  vit  clairement  ct 
distinctement  que  I'armee  ennemie  sortoit  des 
lignes  ;  leur  cavalerie,  avec  quatre  petites  pieces 
decampagne,  avancoit  le  long  du  grand  chemiu 
entre  les  dunes  et  les  prairies  ;  I'infanterie  fran- 
coise  sortoit  sur  la  gauche  ,  ayant  applani  quel- 
ques  endroits  de  leur  ligne  autant  qu'il  falloit 
pour  faire  sortir  un  bataillon  de  front;  et  plus 
sur  leur  gauche  proche  de  la  mer  avancoient  les 
Anglois ,  que  ce  prince  reconnut  par  leurs  ha- 
bits rouges.  II  retourna  sur  ses  pas  pour  infor- 
mer les  generaux  de  toutes  ces  circonstances , 
et  rencontra, avant  d'arriver  au  camp,  dom  .luan 
qui  lui  demanda  quel  pouvoit  etre  le  dessein 
des  Francois;  le  due  lui  repondit  qu'ils  se  pre- 
paroient a  donner  le  combat.  Dom  Juan  temoi- 
gna  de  n'en.  rien  croire,  et  dit  qu'ils  vouloient 
seulement  enlever  la  garde  avancee.  Le  due  I'as- 
sura  que  ce  n'etoit  point  la  coutume  des  Fran- 
cois de  marcher  avec  un  si  grand  corps  d'infan- 
terie,  compose  des  gardes  francoises  et  suisses  , 
des  regimens  de  Picardie  et  de  Turenne ,  qu'il 
connoissoit  par  leurs  drapeaux  aussi  bien  que 
les  Anglois  par  leurs  habits  rouges,  et  avec  un  si 
gros  corps  de  cavalerie  et  de  l'artillerie  a  la 
tete,  pour  forcer  simplement  une  grande  garde. 


aiF.MOlfiES    DIJ    DUG    D'yORCK.    [1658] 


(H); 


T;e  prince  de  Contle,  arrivant  dans  le  merae  in- 
stant, rapporta  a  dom  Juan  les  nnemes  circon- 
stnnces  que  le  due  d'Yorck  ,  et  voyant  le  due 
rie  Glocester,  ii  lui  demanda  s'il  s'etoit  jamais 
trouve  a  une  bataille ;  11  repondit  que  non  ,  et 
le  prince  lui  dit :  «  Dans  une  demi-heure  vous 
verrez  conoment  nous  en  perdrons  une.  »  On 
ne  pouvoit  plus  douter  du  dessein  des  ennemis  : 
tous  les  officiers  generaux  se  rendirent  chacun 
a  leur  poste  pour  les  combattre,  ou  on  etoit  avec 
Tavantage  du  terrain,  qu'on  eiit  perdu  en  avan- 
cant  plus  loin  vers  eux. 

L'infanterie,  au  nombre  d'environ  six  mille 
hommes,  divisee  en  quinze  bataillons,  etoit  toute 
sur  une  ligne ,  a  la  reserve  de  deux  regimens. 
Elle  s'etendoit  depuis  une  haute  dune  pioche  de 
la  mer  tout  au  travers  des  autres  dunes  jus- 
qu'aux  prairies  qui  sont  contre  le  canal  de  Fnr- 
nes.  Les  Espagnols  naturels  avoieut  la  droite 
de  tout ;  le  regiment  de  dom  Gaspard  Boniface 
etoit  poste  sur  la  plus  haute  dune  proche  de  la 
mer  ;  celui  de  dom  Francisco  de  Meneses,  qui 
etoit  derriere,  faisoit  face  a  la  mer,  pour  empe- 
cher  que  les  ennemis  n'attaquassent  en  flanc  : 
sur  la  gauche  de  Boniface  etoit  le  regiment  de 
dom  Diego  de  Gomez,  que  commandoit  alors 
dom  Antonio  de  Cordoue;  sur  sa  gauche  sui- 
voient  les  regimens  de  Seralvo  ;  ceux  du  roi 
d'Angleterre  et  du  lord  Bristol,  qui  ne  corapo- 
soient  qu'un  bataillon ;  ensuite  celui  du  due 
d'Yorck  commande  par  Muskery.  II  y  avoit 
derriere  ces  deux  bataillons  les  regimens  de  Ri- 
chard Grace,  et  du  lord  Willoughby,  qui  ne 
faisoient  qu'un  bataillon  qui  servoit  de  reserve  ; 
sur  la  gauche  du  regiment  d'Yorck  etoient  trois 
regimens  wallons,  un  bataillon  allemand  com- 
pose de  quatre  regimens,  et  ensuite,  sur  la  der- 
niere  dunetirant  vers  le  canal  de  Furnes,  sui- 
voient  le  regiment  de  Guilau,  allemand  ,  le  pre- 
mier de  l'infanterie  du  prince  de  Conde ;  et  les 
autres,  qui  composoient  trois  bataillons,  etoient 
ranges  entre  les  dunes  et  le  canal ,  dans  les 
prairies  du  cote  du  grand  chemin.  Toute  l'in- 
fanterie qui  etoit  postee  sur  les  dunes  avoit  un 
grand  avantage ,  en  ce  que  les  ennemis  ne  pou- 
voient  venir  a  eux  qu'en  montant  ces  hauteurs 
de  sable  avec  beaucoup  de  fatigue ;  de  huit  mille 
hommes  de  cavalerie  qu'il  devoit  y  avoir,  il  y 
en  avoit  plus  de  la  moitie  au  fourage  qui  ne  re- 
tourna  qu'apres  la  deffaile.  La  cavalerie  espa- 
gnole  etoit  sur  deux  lignes  derriere  l'infanterie 
entre  les  dunes;  celle  du  prince  de  Conde  etoit 
derriere  son  infanterie  entre  les  duues  et  les 
prairies  :  comme  il  y  avoit  plusieurs  endroits 
oil  on  ne  pouvoit  mettre  que  trois  ou  quatre  es- 
cadrons  de  front ,  on  ne  pent  dire  precisement 


sur  combien  de  lignes  elle  etoit  ran  gee ,  et  ce 
fut  dans  cette  situation  qu'on  attendit  les  en- 
nemis. 

Leur  infanterie  etoit  sur  deux  lignes  de  sept 
bataillons  chacune:  la  premiere,  commandee  par 
M.  de  Gadagne,  lieutenant-general ,  etoit  com- 
posee  d'un  bataillon  des  gardes  francoises  qui 
avoit  la  droite ,  et  marchoit  le  long  des  dunes 
du  cote  du  grand  chemin  ;  ensuite  un  bataillon 
des  gardes  suisses  qui  marchoit  sur  les  dunes  ; 
le  regiment  de  Picardie  et  celui  de  Turenne,  qui 
etoit  le  dernier  des  troupes  francoises  de  cette 
ligne  qui  etoit  terminee  par  trois  regimens  an- 
glois,  dont  le  dernier  s'etendoit  jusqu'aux  du- 
nes les  plus  proches  de  la  mer;  et  devant  chaque 
bataillon  de  cette  premiere  ligne  marchoient  les 
enfans  perdus. 

II  y  avoit  cinq  ou  six  escadrons  entre  les  deux 
lignes  de  cette  infanterie,  et  leur  aile  droite, 
composee  d'autant  d'escadrons  que  le  terrain  en 
pouvoit  contenir,  marchoit  le  long  du  grand 
chemin  ou  les  dunes  finissoient ,  commandee 
par  le  marquis  de  Crequy,  lieutenant-general ; 
et  en  beaucoup  d'endroits  ,  il  n'y  avoit  que  trois 
ou  quatre  escadrons  de  front :  quatre  pieces  de 
canon  ,  comme  il  a  deja  ete  dit ,  etoient  a  la  tete 
de  la  cavalerie  de  la  droite.  L'aile  gauche  de 
k'ur  cavalerie,  commandee  par  M.  de  Castelnau, 
marchoit  le  long  de  la  mer  avec  deux  pieces  de 
campagne ;  et  plusieurs  fregates  legeres  de  la 
flotte  angloise,  s'approchant  de  la  cote  autant 
que  la  maree  le  pouvoit  permettre,  tiroient  sans 
cesse  le  canon  sur  les  troupes  espagnoles  qu'ils 
pouvoient  decouvrir  dans  les  dunes. 

Les  Anglois  que  commandoit  Morgen  ,  mare- 
chal-de-camp ,  attaquerent  les  premiers ,  le  ge- 
neral Lockart  etant  avec  M.  de  Castelnau  a  la 
tete  de  Taile  gauche.  Un  peu  avant  qu'ils  char- 
gerent,  dom  Juan  envoya  prier  le  due  d'Yorck 
d'aller  a  la  droite  et  de  prendre  un  soin  parti - 
culler  de  I'endroitou  il  voyoit  avancer  les  x\n- 
glois  :  il  y  marcha ,  et  ne  prit  des  troupes  du 
milieu  de  la  ligne  ou  il  etoit ,  que  sa  compagnie 
de  gardes  ,  et  cent  hommes  detaches  du  regi- 
ment qui  se  trouvoit  le  plus  pres ,  avec  deux 
capitaines  et  des  subalternes  pour  en  renforcer 
les  Espagnols  naturels.  II  les  posta  aupres  de 
BonifacCj  oil  il  jugeoit  que  seroit  le  principal 
effort ,  et  qu'il  etoit  le  plus  de  consequence  de 
soutenir,  parce  que  c'etoit  la  plus  haute  dune, 
et  qu'elle  avancoit  un  peu  plus  que  les  autres 
voisines,  outre  qu'elle  les  commandoit.  Ce  fut 
tout  ce  que  ce  prince  put  faire  avant  que  les 
Anglois  attaquassent ;  ils  avancerent  avec  beau- 
coup de  fierte  et  de  courage;  mais  avec  taut  de 
chaleur,  qu'ayant  dcvance  les  Francois,  ils  au- 


r,o! 


MEMOIRES    DU    DUG    u'vOUCK.    jlGoSl 


roient  paye  cheremenl  cettc  bravoure  temeraire, 
si  on  avoit  profile  de  leur  imprudence  ;  mais 
ceux  qui  pouvoient  tirer  avantage  de  cettefaute, 
soit  qu'ils  ne  la  remarquassent  point ,  soit  qu'ils 
dissent  quelque  raison  qivon  ne  scait  point, 
n'envoyerent  point  de  cavalerie  pour  ies  pren- 
dre en  flanc,  et  laisserent  echapper  cette  occa- 
sion. Ce  fut  le  regiment  de  Lockart  qui  chargea 
k's  Espagnols  de  Boniface.  Fenwick,  qui  en 
etoit  lieutenant-colonel ,  etant  arrive  au  pied 
de  la  dune ,  la  trouvant  fort  escarpee,  fit  halte 
pour  donner  lieu  a  ses  troupes,  en  prenant  lia- 
leine,  de  monter  ensuite  avee  plus  de  vigueur. 
Pendant  qu'ils  se  preparoient  ainsi,  leurs  en- 
fans  perdus,  s'ouvrant  sur  la  droite  et  sur  la 
gauche  pour  donner  lieu  au  gros  de  monter  sur 
la  hauteur,  firent  un  feu  continuel  sur  Boni- 
face ,  et  aussitot  que  le  regiment  s'ebranla  pour 
attaquer,  ils  commenceront  par  un  grand  cri. 
Le  lieutenant-colonel  tomba  d'abord  d'un  coup 
de  mousquet  qu'il  reeut  au  travers  du  corps,  ce 
qui  n'empecha  point  le  major,  nomme  Hinton  , 
de  conduire  le  bataillon  ,  qui  n'arreta  point  jus- 
qu'a  ce  qu'il  fut  a  la  longueur  de  la  pique ,  et 
malgre  la  resistance  vigoureuse  des  Espagnols, 
({ui  avoient  I'avantage  de  la  hauteur,  et  qui 
etoient  frais ,  au  lieu  que  Ies  Anglois  etoient  fa- 
tigues et  presque  hors  d'haleine  d'avoir  grimpe 
Ies  sables;  Boniface  fut  chasse  au  has,  laissant 
sur  la  place  sept  capitaines  ,  de  onze  qu'il  avoit; 
ot  Klaughter  et  Farel ,  Ies  deux  capitaines  du 
detachement  que  le  due  d'Yorck  avoit  joint  a 
08  regiment,  et  plusieurs  offlciers  reformes 
dont  la  plupart  etoient  piquiers.  Les  Anglois, 
outre  leur  lieutenant-colonel,  perdirent  beau- 
coup  d'officiers  et  de  soldats.  Apres  s'etre  re- 
poses peu  de  temps,  ils  descendirent  de  la  dune: 
ce  que  le  due  d'Yorck  ayant  observe ,  il  fut  les 
charger  avec  ses  gardes  et  ceux  de  dom  Juan  ; 
et  etant  arrive  a  la  longueur  de  la  pique,  il 
trouva  que  le  terrain  ne  permettoit  pas  de  les 
enfoncer  qu'avec  une  peine  extrem.e.  II  ne  laissa 
pas  de  tenter  la  fortune ,  mais  ce  fut  sans  suc- 
ces;  il  fut  repousse:  tons  ceux  qui  se  trouve- 
rent  a  la  tete  de  sa  compagnie  furent  ou  tues  ou 
blesses ;  et  sans  la  bonte  de  ses  armes,  qui  le 
sauverent,  il  y  seroit  demeure.  Les  officiers  de 
sa  compagnie  furent  plus  heureux  que  ceux  de 
oelle  de  dom  Juan:  il  n'y  cut  que  Berkley,  qui 
etoit  capitaine  de  la  premiere ,  qui  fut  blesse. 
Le  comte  de  Colmenero  ,  qui  etoit  capitaine  de 
la  derniere  ,  fut  le  seul  qui  se  tira  d'affairc  sans 
accident ;  tons  les  autres  officiers  furent  ou  tues 
ou  blesses  ,  et  les  gardes  si  maltraittes,  que  le 
due  ne  put  jamais  les  rallier.  Il  en  rassembia 
quaranlc  dcs  siens,  qui  etoient  encore  en  etat 


de  combattre ,  avec  lesquels  i)  marcha  au  regi- 
ment de  Boniface ,  ou  dom  Juan ,  et  ensuite  le 
marquis  de  Caracene,  avoient  tache  de  rallier 
les  fuyards ;  mais  n'ayant  pu  en  venir  a  bout , 
ils  s'etoient  retires.  Quand  le  due  arriva  a  ce 
regiment ,  ses  premiers  efforts  ne  purent  point 
I'arreter.  11  appercut  un  nomme  Elvige  ,  lieu- 
tenant du  regiment  du  roi  d'Angleterre,  qui 
etoit  du  detachement  des  Anglois  dont  Boniface 
avoit  ete  renforce:  il  lui  demanda  ce  qu'etoit 
devenu  son  capitaine ;  il  lui  repondit  qu'il  etoit 
le  seul  officier  qui  restat  sans  etre  blesse.  Ce 
prince  lui  ordonna  de  rester  avec  lui  et  d'as- 
sembier  ses  soldats.  II  leur  cria  tout  haut  que 
le  due  etoit  la :  tons  ceux  qui  purent  I'entendre 
le  vinrent  joindre.  Le  due  vit  en  meme  temps  le 
major  du  regiment  espagnol ,  il  I'appela  et  lui 
dit  que  ses  soldats  devoient  suivre  I'exeraple  de 
ce  peu  d'Anglois  qu'il  voyoit,  et  que  c'etoitvi- 
lain  aux  Espagnols  de  fuir  pendant  que  les 
autres  tenoient  bon.  Ce  reproche  les  arreta,  et 
ils  se  mirent  aussitot  en  bon  ordre.  Le  marquis 
de  Caracene,  arrivant  dans  cet  entre-temps ,  de- 
manda au  due  d'Yorck  pourquoi  il  ne  chargeoit 
point  I'ennemi  avec  sa  cavalerie ;  il  repondit 
qu'il  I'avoit  deja  fait ,  mais  qu'il  avoit  ete  battu. 
II  ajouta  que,  dans  la  situation  ou  etoit  I'en- 
nemi, il  etoit  impossible  de  I'attaquer,  et  lui 
montra  en  meme  temps,  de  derriere  la  dune 
voisine,  que  ce  qu'il  lui  disoit  etoit  juste. 

Le  marquis  s'etant  retire  aussitot,  le  regi- 
ment de  Lockart  avanca ,  non  pas  directement, 
mais  en  tournant  sur  la  gauche ,  et  on  le  perdit 
de  vue,  a  cause  de  I'inegalite  du  terrain  et  de 
I'interposition  d'une  dune ;  mais  le  due  avoit  a 
peine  rassemble  le  regiment  de  Boniface  et  le 
peu  de  cavalerie  qui  lui  restoit ,  que  le  batail- 
lon anglois  se  trouva  sur  une  meme  ligne  avec 
les  Espagnols  sur  leur  droite ,  et  il  n'y  avoit 
qu'une  dune  entre  deux.  Le  due  fit  face  vers  la 
mer ,  et  marchant  a  la  tete  de  son  infanterie ,  il 
vit ,  en  arrivant  sur  le  haut  d'une  dune,  que  Us 
Anglois  la  montoient  de  I'autre  cote.  Ce  prince 
ordonna  aussitot  au  major  de  Boniface  de  les 
charger  de  front ,  pendant  qu'avec  ses  quarante 
gardes  il  alloit  les  attaquer  en  flanc:  ce  qu'il  fit 
si  brusquement  qu'il  entra  dans  le  bataillon  , 
y  fit  beaucoup  d'execution ,  et  le  poussa  jus- 
qu'au  bord  de  la  derniere  dune  le  long  de  la 
mer.  Le  bataillon  de  Boniface  voyant  les  An- 
glois rompus ,  au  lieu  de  les  charger,  ayant  de- 
couvert  du  haut  de  la  dune  que  toute  I'armec 
etoit  en  deroute  ,  chacun  s'enfuit  comme  il  put , 
mais  il  ne  s'en  sauva  que  fort  peu. 

C'est  une  chose  remarquable  que  ,  quand  !e 
bataillon  Anglois  fut  rompu  ,  pas  un  homme  ne 


WEMOIHES    UU    DUG    d'vORCK.'  [  1 G58] 


demanda  quarlier  et  ne  jetta  ses  armes ;  chacun 
se  defendit  jusqu'au  bout ,  et  on  n'etoit  pas 
inoins  ea  danger  des  coups  de  crosses  de  mous- 
quet  que  du  feu  qu'on  en  avoit  essuye.  Un 
soldat  auroit  infaillibleinent  assomme  le  due 
d'Yorck  d'un  coup  qu'il  lui  portoit,  s'il  ne  I'a- 
voit  rompu  en  lui  dechargeant  un  coup  d'epee 
sur  le  visage,  qui  le  renversa  par  terre.  L'epee 
du  due  de  Glocester,  son  frere ,  qui  I'avoit  suivi 
et  seconde  toute  la  journee  avec  une  bravoure 
digne  de  ses  ancetres ,  lui  ayant  tombe  des 
mains,  par  un  accident  dont  on  ne  se  souvient 
point ,  un  gentilhorame  nonime  Villcneuve , 
ecuyer  du  prince  de  Ligne  ,  qui  etoit  aupres  de 
lui,  Tayant  vu  tomber,  descendit  de  cheval,  la 
ramassa  et  la  donna  au  due ,  qui ,  le  pistolet  ^ 
la  main,  le  defendit  jusqu'a  ce  qu'il  fut  re- 
monte ;  mais  immedialeraent  apres ,  ce  pauvre 
gentilhoinme  recut  un  coup  de  mousquet  au 
travers  du  corps ;  on  le  tira  de  la  melee ,  et  il 
cut  le  bonheur  de  guerir  de  celte  blessure. 

Un  escadron  francois  etant  entrc  dans  les 
dunes  pendant  que  le  due  d'Yorck  chargeoit  les 
Anglois ,  11  se  trouva  oblige  de  se  retirer  promp- 
tement:  ils  alloient  le  prendre  en  flauc,  et  lui 
auroit  coupe  infailliblemeut  la  retraite  si  dans 
le  meme  temps  le  prince  de  Ligne  ne  les  avoit 
charges.  II  ne  les  defit  point,  mais  les  ayant 
arretes,  cela  facilita  ia  retraite  du  due,  et  en- 
suite  le  prince  de  Ligne  se  retira  lui-meme. 

Le  regiment  de  Boniface  ne  fut  pas  le  seul 
raalheureux :  tons  les  autres  regimens  d'Espa- 
gnols  uaturels  se  trouvereiit  enveloppes  par  la 
cavalerie.  Les  Anglois  ne  les  chargerent  point 
comma  ils  auroient  du ,  en  marchant  directe- 
raent  a  eux.  Deux  de  ces  regimens  anglois, 
voyant  la  resistance  que  faisoit  Boniface,  se 
contenterent  de  marcher  sur  le  flanc  et  de  ti- 
rer  sur  les  autres  Espagnols  naturels  en  pas- 
sant ,  et  en  marchant  sur  la  hauteur  de  la  meme 
dune  apres  le  regiment  de  Lockart. 

Pendant  que  les  choses  se  passoient  ainsi  le 
long  de  la  mer,  I'aile  gauche  ne  fut  pas  raoins 
maltraittee.  Les  quatre  pieces  de  campagne  que 
les  ennemis  avoient  fait  avancer  le  long  du 
grand  chemin  ,  firent  une  terrible  execution  et 
sur  la  cavalerie  et  sur  I'infanterie.  Les  gardes- 
francoises  et  le  regiment  de  la  couronne,  qui 
etoit  commande  par  M.  de  Montgommeri,  fu- 
rent  tires  de  la  seconde  ligne  par  M.  de  Tu- 
renne  ,  places  a  la  droite  des  gardes  dans  la 
prairie,  et  attaquerent  trois  petits  batailions 
des  Espagnols  entre  les  dunes  et  le  canal ,  qui , 
apres  une  foible  resistance  ,  s'enfuirent.  La  ca- 
valerie francoise ,  pour  profiler  de  ce  desordre  , 
avanea   devant    Tinfanterie,   faisant  un    front 


60  7 

aussi  large  que  le  terrain  pouvoit  le  permettre  , 
et  etoit  conduite  par  le  marquis  de  Crequi ', 
lieutenant-general;  mais  celle  du  prince  de 
Conde  lavint  charger  si  vigoureusement,  qu'elle 
futforcee  de  se  retirer  derrlere  I'infanterie,  qui, 
avancant  en  boii  ordre,  empecha  de  pousser 
plus  loin  cet  avantage.  Les  ennemis  furent 
ainsi  repousses  jusqu'a  la  troisieme  fois  ;  mais 
il  fallut  enfm  ceder,  parce  que  la  cavalerie  fran- 
coise etoit  soutenue  de  son  infanterie  ,  et  celle 
du  prince  de  Conde  avoit  abandonne  la  sienne. 
Ce  prince  se  retira  apres  avoit  fait  tout  ce  qui 
se  pouvoit,  et  en  general  et  en  soldat ,  jusques- 
la  que  dans  la  troisieme  attaque  il  fut  en  grand 
danger  d'etre  pris. 

A  regard  de  ce  qui  se  passa  sur  la  droite  du 
prince  de  Conde  ,  dans  les  dunes ,  entre  lui  et 
les  Espagnols  naturels,  le  regiment  de  Guiscard 
ne  fit  point  ferme  pour  soutenir  I'attaque  des 
Suisses :  i!  tira  pendant  que  les  ennemis  ctoient 
encore  a  une  fort  grande  distance.  Une  partie 
prit  la  fuite,  et  les  quatre  batailions  qui  etoient 
proche  firent  la  meme  chose  sans  attendre  les 
ennemis.  Cette  infame  poltronnerie,  et  la  de- 
faite  de  Boniface ,  jetta  I'epouvante  dans  la  ca- 
valerie qui  etoit  derriere;  la  plus  grande  partie 
prit  la  fuite  sans  avoir  vu  I'ennemi ;  les  ofliciers 
firent  inutilement  des  efforts  pour  les  arreter : 
mais  le  pen  qui  tint  ferme  se  battit  avec  beau- 
coup  de  valeur,  comme  on  le  verra  dans  son 
lieu. 

Le  regiment  qui  suivoit  les  trois  dont  on  a 
parle  ,  etoit  celui  du  due  d'Yorck  :  il  tint  ferme 
un  pen  plus  long-temps  que  ses  voisins  sur  la 
gauche;  mais  une  voix  s'etant  elevee  derriere, 
que  I'infanterie  eut  a  se  sauver,  ce  bataillon  se 
rompit,  les  soldats  abandonnerent  leurs  offi- 
ciers  et  prirent  la  fuite.  Le  colonel  Grace  , 
voyant  ce  desordre  ,  crut  devoir  songer  a  sau- 
ver son  regiment,  fit  volte-face,  se  retira  en 
trois  divisions,  et  tenant  ainsi  tout  son  monde 
en  bon  ordre ,  il  eut  le  bonheur  de  gagner  ie 
canal  de  Furnes,  le  long  duquel  il  fit  sa  retraite 
sans  perdre  un  seul  homme  ;  mais  le  regiment 
d'Yorck  eut  un  sort  bien  differend :  quoique 
M.  de  Saint-Roch,  avec  son  regiment  de  cava- 
lerie ,  eut  charge  et  battu  les  gendarmes  du  cat  - 
dinal ,  tuant  de  sa  propre  main  Du  Bourg ,  qui 
les  commandoit,  ceux  qui  devoient  le  soutenir 
I'ayant  abandonne,  et  voyant  d'autres  escr- 
drons  qui  venoient  le  charger,  il  fut  force  de 
se  retirer  comme  il  put.  La  cavalerie  qui  le 
poursuivoit  joignit  bientot  apres  le  regiment 
d'Yorck,  dont  il  ne  se  sauva  pas  un  homme, 
hors  mylord  Muskery,  qui  le  commandoit.  A 
pen  pres  dans  ce  nieme  temps- la ,  le  vicux  colo- 


(508 


MEMOIUES    DU    L)LC    L»  VORCK.    I  I 


6,'>S] 


nel  Michel,  mestre-de-camp  allemand  ,  chargea 
avec  son  escadion  le  bataillon  de  Turenne, 
niais  il  ne  put  jamais  I'enfoncer,  et  il  soutint  ses 
efforts  avec  taut  dordrc  ct  de  fermete ,  que  Mi- 
chel fut  tue  avec  la  plupart  de  ses  officiers ,  et 
sou  regimeut  repousse,  sans  autre  pertedu  cote 
de  celui  de  Turenne,  que  du  lieutenant-colonel 
Belbese ,  qui  fut  tue  a  la  tete  de  ses  piquiers 
d'nn  coup  de  pistolet.  Hors  ces  deux  regimens, 
on  nese  souvient  point  qu'il  y  en  ait  eu  d'aufre 
de  la  cavalerie  espaguole  qui  ait  fait  son  devoir 
en  cette  bataille. 

Pour  revenir  au  due  d'Yorck  ,  il  songea  a  la 
retraite  quand  il  se  vit  entoure  de  tons  cotes  par 
la  cavalerie  trancoise,  sans  aucunes  troupes 
pour  les  combattre,  et  ue  scachant  point  ce  qui 
pouvoit  s'etre  passe  sur  la  gauche,  oil  etoit  le 
prince  de  Conde,  il  resolut  d'y  aller  :  il  n'avoit 
pas  avec  lui  plus  de  vingt  chevaux ,  le  reste  de 
ses  gardes  s'etant  retire  avec  le  lieutenant,  apres 
qu'on  eut  quilte  les  Anglois.  Ce  petit  nombre 
contribua  plus  qu'aucune  autre  chose  a  le  faire 
echapper ;  il  en  avoit  suffisamraent  pour  ne  pas 
craindre  les  coureurs  ennemis  et  leurs  gens 
ecartes,  et  n'en  avoit  pas  assez  pour  donner  en- 
vie  de  le  venir  observer  :  plusieurs  crurenttel- 
lement  qu'il  etoit  des  leurs,  que  comme  il  naar- 
choit ,  il  rencontra  quatre  ou  cinq  cavaliers  qui 
attaquerent  unde  ses  officiers  nomme  Victor,  qui 
etoit  lieutenant;  il  crut  que  c'etoit  de  la  cavalerie 
du  prince  de  Conde, et  leur  cria  en  francois :  Lais- 
sez-le  aller^c'estun  de  nos  Anglois ; sur  quoi  ils 
le  relacherent,  lui  rendirent  son  epee  qu'ils  lui 
avoient  prise,  et  se  retirerent  dans  la  croyance 
(jue  le  due  etoit  un  de  leurs  officiers.  Ils  etoient 
de  Tarraee  de  France  :  on  etoit  dans  I'erreur  de 
part  et  d'autre ,  et  le  due  ne  reconnut  la  sienne 
que  quand  Victor  lui  dit  ensuite  que  c'etoient 
des  ennemis.  Ce  prince  continua  son  chemin , 
et  fit  si  bien  qu"il  passa  au  trot  au  travers  de 
I'armee  de  France,  jusqu'a  ce  qu'il  joignit  le  co- 
lonel Grace  et  son  regiment  avant  qu'il  eut  tra- 
verse les  dunes ;  et  passant  aupres  des  regimens 
de  Turenne  et  de  Picardie,  il  trouva.,  en  arri- 
vant  au  grand  chemin ,  le  long  des  dunes,  tou- 
tes  les  troupes  du  prince  de  Conde  en  deroute. 

Le  due  d'Yorck  ne  se  tira  d'affaire  qu'avec 
beaucoup  de  difficultes,  car  la  foule  des  fuyards 
etant  fort  grande  dans  le  village  de  Zudcote  , 
au  travers  duquel  passoit  le  grand  chemin,  il 
ne  vit  point  d'autre  moyen  de  se  degager  qu'en 
prenant  un  autre  chemin  autour  du  village. 
M.  de  Morieul,  un  colonel  des  troupes  de  M.  le 
prince,  que  le  due  rencontra  en  quittant  les  du- 
nes, n'ayanlpas  voulu  suivre  son  exemple,  fut 
p'.-is  un   instant  apres.   Ce  prince   regagna   le 


grand  chemin  de  I'autre  cote  du  village,  ou  il 
trouva  dom  Juan  ,  le  prince  de  Conde  et  le  mar- 
quis de  Caracene ;  on  fut  oblige  de  faire  volte- 
face  ,  pour  donner  le  temps  a  dom  Juan  de  mon- 
ter  un  autre  cheval ,  le  sien  etant  devenu  boi- 
teux  par  accident;  apres  quoi  on  picqua  des 
deux ,  et  on  n'arreta  plus  que  quand  les  enne- 
mis cesserent  de  poursuivre. 

Tons  les  officiers-generaux,  excepte  dom 
Estevan  de  Gamare ,  agirent  avec  beaucoup  de 
bravoure  pendant  cette  bataille.  Dom  Juan 
resta  si  long-temps,  qu'il  courut  risque  d'etre 
pris,  et  le  marquis  n'echappa  qu'avec  beaucoup 
de  peine  :  un  cavalier  ennemi  saisit  la  bride  de 
son  cheval  avant  qu'il  fut  hors  des  dunes;  mais 
lui  ayant  decharge  un  coup  de  canne  dans  les 
yeux,  il  I'etourdit  de  maniere  qu'il  lacha  les 
rencs  et  donna  le  loisir  au  marquis  de  se  sau- 
ver.  On  a  deja  parte  de  la  vigueur  aveclaquelle 
le  prince  de  Ligne  avoit  charge  les  ennemis ; 
mais  on  ne  se  souvient  pas  comment  il  se  sauva; 
et  quant  a  dom  Estevan  de  Gamare,  qui  eom- 
mandoit  en  qualite  de  mestre-de-camp-general , 
il  ne  cessa  point  de  courir  a  toutes  jambes  jus- 
qu'a ce  qu'il  arriva  a  Nieuport. 

On  n'a  point  encore  rien  dit  du  bataillon  qui 
etoit  compose  du  regiment  du  roi  d'Angleterre 
et  de  celui  du  comte  de  Bristol ,  et  ce  seroit  faire 
injustice  au  premier  des  deux  de  passer  ce  qui  suit 
sous  silence.  lis  etoient  postes,  comme  il  a  ete 
dit ,  a  la  gauche  des  Espagnols  naturels  :  quand 
tout  fut  en  deroute  sur  leur  droite  et  sur  leur 
gauche,  la  partie  du  bataillon  qui  composoit  le 
regiment  du  Roi,  tous  Anglois,  deraeura  ferme, 
quoique  tous  les  soldats  du  regiment  de  Bristol, 
qui  etoient  irlandois,  se  fussent  enfuis  aussi  bien 
que  leurs  officiers,  qui  prirent  le  raeme  parti 
quand  its  virent  qu'ils  ne  pouvoient  point  les 
arreter,  a  la  reserve  de  Stroud,  anglois,  qui 
etoit  capitaine-lieutenant,  qui  se  vint  mettre 
avec  ses compatiiotes  ,  doot  le  lieutenant-colo- 
nel et  le  major  les  avoient  au.ssi  bien  abandonnes 
que  les  Irlandois,  le  premier,  sous  pretexte  d'al- 
ler  chercher  desordres,  et  I'autre  pour  quelque 
cause  qui  ne  valoit  pas  mieux.  II  arriva  au  lieu- 
tenant-colonel ce  qu'il- meritoit;  car  ayant  ete 
rencontre  par  des  cavaliers  francois  ecartes,  ils 
le  blesserent  d'un  coup  de  mousqueton  sous 
I'oeil :  la  balle  lui  ressortoit  par  le  col ,  et  n'en 
echappa  qu'a  grande  peine;  il  fut  demonte,  et 
ayant  ete  rencontre  par  hazard  par  un  des  gar- 
des du  due  d'Yorck,  irlandois,  et  le  seul  qui 
s'etoit  mal  comporte  dans  cette  occasion ,  il  le 
tira  d'embarras.  Tous  ces  accidens  n'etonnerent 
point  le  regiment  du  roi  d'Angleterre;  ils  reste- 
rent  dans  lour  terrain,  quoiqu'ils  vissent  passer 


MEMOIRES    DU    UUC    d'vORCK.    [iGoS] 


sur  leur  gauche  toute  la  premiere  ligne  de  I'ar- 
mee  de  Fiance,  et  sur  leur  droite,  les  Angloisde 
Crorawel.  M.  de  Rambure,  qui  commandoit  la 
seconde  ligne,  avancant  avec  elle  a  la  tete  de 
son  regiment ,  alloit  attaquer  le  regiment  du  roi 
d'Angleterre ;  raais  le  ^'oyant  seul ,  il  avanca 
un  peu  devant  ses  troupes  pour  lui  offrir  quar- 
tier;  les  officiers  repondirent  qu'ils  avoient  ete 
postes  dans  cet  endroit  par  le  due,  et  qu'ils 
etoient  resolus  de  s'y  maintenir  aussi  long-temps 
qu'ils  pourroient ;  il  leur  repliqua  que  leur  re- 
sistance seroit  vaine ,  puisque  toute  leur  armee 
etoit  en  deroute;  ils  repondirent  derechef  qu'ils 
ne  devoient  point  la-dessus  en  croire  leurs  en- 
nemis  ;  sur  quoi  il  leur  offrit ,  s'ils  vouloient  en- 
voyer  un  ou  deux  officiers ,  qu'il  les  meneroit 
sur  une  dune,  d'oii  ils  verroient  eux-memes  que 
ce  qu'il  leur  disoit  etoit  vrai.  Le  capitaine  Tho- 
mas Cook  et  Aston  furent  detaches  :  il  les  mena 
sur  la  hauteur,  d'ou  ils  virent  qu'ils  etoient  les 
seuls  qui  restoient  de  toute  I'armee.  lis  furent 
en  faire  leur  rapport  au  regiment ;  sur  quoi  ils 
offrirent  de  mettre  les  armes  has,  a  condition 
qu'ils  ne  seroient  point  mis  entre  les  mains  des 
Anglois,  et  qu'ils  ne  seroient  ni  depouilles  ni 
souilles,  ce  qui  leur  fut  accorde;  et  M.  de  Ram- 
bure leur  en  ayant  donne  sa  parole,  qui  fut 
exactement  tenue ,  ils  se  rendirent  et  se  trou- 
verent  bien  plus  beureux  que  I'autre  regiment 
qui  les  avoit  abandonnes,  dont  la  plupart  fu- 
rent tues  et  le  reste  pris  et  depouille. 

II  n'y  eut  pas  plus  de  quatre  cens  hommes 
tues  dans  cette  bataille  du  cote  des  Espagnols , 
dont  les  principaux  furent  le  comte  de  La  Mot- 
terie ,  le  colonel  Michel ,  la  plupart  des  capi- 
taines  de  Boniface ,  un  de  Saralvo ,  un  autre  de 
Gomez,  dom  Francisco  Romero  ,  avec  deux  ou 
trois  de  ses  officiers;  des  troupes  du  roi  d'An- 
gleterre, trois  capitaines,  quelqueslieutenanset 
enseignes,  et  des  brigadiers  de  la  compagnie 
des  gardes  du  due  d'Yorck.  Le  prince  de  Conde 
ne  perdit  personne  de  qualite  que  le  comte  de 
Meilie,  lieutenant-general ,  et  peu  de  capitaines. 
Des  Espagnols,  furent  pris  le  marquis  de  Sa- 
ralvo, Risbourg,  Conflans,  Belleveder,  le  prince 
de  Robec ,  dom  Antonio  de  Cordoue,  dom  Juan 
de  Tolede ,  don  Joseph  Manriquez  ,  don  Louis 
de  Zuniga ,  le  baron  de  Limbec ,  Darchem  et 
Baynes,  tons  mestres-de-camp  de  cavalerie  ou 
colonels  d'infanterie,  M.  de  Montmorency,  ca- 
pitaine des  gardes  du  prince  de  Ligne  :  la  plu- 
part ne  furent  pris  que  parce  qu'ils  furent  aban- 
donnes par  leurs  troupes,  et  qu'ils  ne  voulurent 
point  s'enfuir  avec  elles.  II  n'echappa  que  peu 
de  capitaines  et  officiers  subalternes  des  regi- 
mens espagnols  naturels ,  qui  se  comporterent 

III.    C.    D.    M.    T.    III. 


GOfi 

en  braves  gens;  mais  de  leur  cavalerie,  ils  ne 
perdirent  point  d'officiers  a  proportion.  Du  re- 
giment du  due  d'Yorck,  mylord  Muskery  fut  le 
seul  ofiicier  qui  echappa,  et  des  soldats  il  n'en 
revintqu'unevir.gtaine  ;  le  regiment  du  Roi  fut 
entieremcnt  pris;  il  n'en  revint  que  tres-peu  de 
celui  du  comte  de  Bristol ,  mais  il  ne  perdit  que 
cinq  ou  six  de  ses  gardes. 

Quant  aux  principaux  officiers  du  prince  de 
Conde ,  MVL  de  Coligny  et  de  Boutteville ,  lieu- 
teuans-generaux,  furent  fails  prisonniers  avec 
Meilie,  qui  mourut  de  ses  blessures,  et  M.  Des- 
roches,  capitaines.  II  ne  perdit  que  fort  peu  de 
son  infanterie,  qui  ne  fit  rien  qui  vaille  :  elle 
etoit  le  long  du  canal ,  ce  qui  lui  facilif.a  les 
raoyens  de  se  sauver.  Sa  cavalerie  souffrit  peu, 
quoiqu'elie  combattit  avec  beaucoup  de  valeur, 
et  il  ne  perdit  pas  un  seul  colonel.  On  ne  scait 
pas  combien  les  ennemis  perdirent  de  monde, 
le  nombre  en  fut  peu  considerable  :  ils  n'eurent 
d'officiers  tues  que  Betbese,  lieutenant-colonel 
du  regiment  de  Turenne,  cavalerie,  Dubourg, 
dont  on  a  deja  parle ,  et  M.  de  La  Berge,  major- 
general  de  I'infanterie.  Des  Anglois  de  Crom- 
vvel,  Fenwick  et  Lockart,  lieutenans-colonels, 
et  deux  capitaines,  furent  lues,  et  quelques 
lieutenans  et  enseignes  blesses.  La  reconnois- 
sance  oblige  de  ne  pas  oublier  ici  que  M.  de  Ga- 
dague,  lieutenant-general  de  I'armee  de  France, 
qui  commandoit  I'infanterie,  ayant  oui  dire 
apres  la  deffaite,que  le  due  d'Yorck  avoit  ete 
pris  par  les  Anglois  ,  il  prit  deux  ou  trois  esca- 
drons  qui  etoient  commandes  par  ses  intimes 
amis,  et  traversa  les  dunes  pour  aller  a  eux, 
dans  la  resolution  de  le  retirer  de  leurs  mains 
ou  de  gre  ou  de  force,  s'il  y  avoit  ete;  mais  il 
eut  bien  de  la  joye  de  trouver  que  c'etoit  un 
faux  bruit.  Les  Espagnols  avoient  heureusement 
laisse  le  canon  et  les  bagages  a  Furnes,  ou,  en 
arrivant  apres  la  deffaite ,  on  crut  la  perte  bien 
plus  considerable  qu'elle  u'etoit  ;  mais  la  plu- 
part des  officiers  d'infanterie  et  des  soldats  se 
sauverent  des  mains  des  ennemis.  Dom  Antonio 
de  Cordoue  et  plusieurs  officiers  de  remarque 
furent  de  ce  nombre,  ceux  qui  les  avoient  pris 
les  ayant  relachez  pour  un  peu  d'argent. 

M.  de  Turenne,  apres  sa  victoire,  rentra  dans 
ses  lignes ,  continua  le  siege ,  et  la  place  ne 
tarda  pas  a  se  rendre.  Elle  auroit  dure  davan- 
tage  si  le  marquis  de  Lede  n'avoit  ete  blesse  et 
ne  flit  mort  peu  de  jours  apres.  On  apprit  a  Fur- 
nes, le  26  ,  que  Dunkerque  avoit  capitule,  et 
I'armee  marcha  le  meme  jour  a  Nieuport :  en 
y  arrivant,  tons  les  regimens  se  trouverent  aussi 
complets  qu'avant  la  bataille,  hors  celui  du  roi 
d'Angleterre  et  les  Espagnols  naturels.  On  tint 

39 


610 

aussitot  conseil  pour  rt'soudre  ce  qu'il  y  avoit  a 
faire  :  dom  Juan  proposa  de  poster  I'armee  le 
long  du  canal  entre  Nieuport  et  Dlxmude ,  et 
de  tacher  d'en  deffendre  le  passage.  Ceux  qui 
parlerent  apres  lui  furcnt  du  meme  avis,  et  les 
autres  ne  s'y  opposerent  point  directement; 
mais  quand  ce  fut  au  due  d'Yorck  a  parler,  il 
opina  contre  et  donna  ses  raisons  ,  represen- 
tant  qu'on  n'avoit  point  un  corps  d'infanterie 
suffisant  pour  deffendre  le  poste  contre  une  ar- 
armee  victorieuse;  que  les  troupes  etoient  inti- 
midees  par  une  deffaite  toute  recente;  qu'il  fal- 
loit  considerer  a  quelles  extremites  on  seroit  re- 
duit  si  on  etoit  force ;  qu'il  seroit  presque  im- 
possible d'assurer  et  de  conserver  les  grandes 
villes  ;  que  les  ennemis  seroicnt  en  etat  de  choi- 
sir  celles  qu'il  leur  plairoit  de  prendre,  et  que 
beaucoup  d'autres  iuconveniens  resulteroient 
d'une  entreprise  si  hasardeuse.  II  proposa  en- 
suite  de  diviser  I'armee  ,  d'en  mettre  les  trou- 
pes dans  les  grandes  villes  du  voisinage  qui 
etoient  les  plus  exposees  ;  qu'ainsi  celle  qui  se- 
roit attaquee  pourroit  faire  une  vigoureuse  re- 
sistance ,  et  se  deffendre  au  moins  si  long-teraps 
que,  quand  elle  viendroit  a  etre prise,  il  seroit 
trop  tard  pour  les  ennemis  d'entreprendre  un 
autre  siege,  et  que  pendant  qu'ils  seroient  occu- 
pez  a  en  faire  un,  on  auroit  le  loisir  de  rassem- 
bler  les  troupes ,  de  profiler  des  occasions  qui 
pourroient  se  presenter.  On  delibera  sur  cette 
proposition,  et  il  fut  resolu  de  diviser  I'armee  : 
le  due  d'Yorck  et  le  marquis  de  Caracene  furent 
laissez  dans  Nieuport  qu'on  cro3'oit  que  les  en- 
nemis assiegeroient ,  avec  deux  miile  hommes 
d'infanterie  et  autant  de  cavalerie.  Le  prince 
de  Conde  fut  a  Ostendc  avec  un  corps  de  trou- 
pes suffisant  pour  deffendre  cette  forte  place. 
Dom  Juan  se  jetta  dans  Bruges  avec  de  I'infan- 
terieet  un  corps  considerable  de  cavalerie,  et 
le  prince  de  Ligne  avec  le  reste  des  troupes  en- 
tra  dans  Ypres.  Le  due  d'Yorck  sortant  du  con- 
seil de  guerre ,  le  prince  de  Conde  lui  demanda 
pourquoi  il  se  hazardoit  a  contredire  dom  Juan 
comme  il  venoit  de  faire;  il  lui  repondit  que  c'e- 
toit  parce  qu'il  n'avoit  pas  envie  d'etre  oblige 
uneseconde  fois  de  s'enfuir  comme  a  la  bataille 
des  dunes. 

Les  troupes  s'etant  separees  suivant  la  repar- 
tition ci-dessus ,  M.  de  Turenne  vint  peu  de 
jours  apres  a  Dixmude  dans  le  dessein  de  passer 
le  canal  qui  va  de  A'ieuport  a  Ostende  pour  en 
couper  la  communication.  Tout  etoit  pretpour 
faire  le  siege  de  cette  premiere  place  ,  lorsque 
M.  de  Turenne  recut  ordre  du  cardinal  d'at- 
tendrejusqu'a  nouvel  ordre,  le  Roi  etant  dan- 
gereusement  malade  a  Calais  :  cet  accident  sauva 


MEMOIRES    I>L    DUG    D'\OnCK.    [l658] 


Nieuport;  il  n'y  avoit  pas  dans  la  place  pour 
quinze  jours  de  munitions  quand  M.  de  Crequi 
arriva  dans  le  voisinage,  tant  la  negligence  des 
Espagnols  avoit  ete  si  extraordinaire ;  mais 
deux  jours  apres  il  en  arriva  d'Ostende.  Pour 
se  mettre  en  etat  de  soutenir  plus  long-temps 
le  siege ,  on  travailla  a  faire  une  nouvelle  con- 
trescarpe,  cinq  demi-lunes  et  une  langue  de 
serpent  au  deladu  canal  qui  embrassoit  les  an- 
ciens  dehors:  ce  qui  fut  acheve  en  huit  jours. 
Ensuite  on  lacha  les  ecluses  pour  inonder  le 
pays  ;  mais  cela  ne  fit  pas  I'effet  qu'on  avoit  es- 
pere ,  parce  que  le  terrain  autour  de  la  place 
etoit  plus  haut  qu'on  ne  croyoit ;  cependant  on  en 
tira  encore  quelque  utilite.  L'armee  de  France 
resta  a  Dixmude ,  et  M.  de  Crequy  a  la  portee 
du  canon  de  Nieuport  pendant  tout  le  temps  que 
le  roi  de  France  fut  en  danger.  Les  generaux 
de  Karmee  d'Espagne  s'assemblerent  dans  cet 
entrelemps  a  Plaskendal ,  village  sur  le  canal 
entre  Bruges  et  Nieuport,  et  resolurent  qu'aussi- 
tot  que  I'armee  ennemie  quitteroit  Dixmude, 
dom  Juan,  le  prince  de  Conde  et  le  marquis  de 
Caracene  asserableroient  a  Bruges  autant  de 
troupes  qu'on  en  pourroit  tirer  des  places  oil 
I'armee  avoit  ete  distribuee,  pour  observer  les 
mouvemens  de  M.  de  Turenne;  que  le  due 
d'Yorck  resteroit  a  Nieuport  avec  un  corps  de 
cavalerie  pourcouvrir,  autant  qu'il  seroit  pos- 
sible, cette  place,  Ostende  et  Bruges.  Ce  prince, 
en  revenant  a  Nieuport  avec  le  marquis  de  Ca- 
racene, eutune  chaude  allarme  qui  les  fit  gal- 
lopper  tous  deux,  pres  de  trois  milles,  de  peur 
d'etre  coupes  avant  de  pouvoir  gagner  la  ville  ; 
ce  fut  M.  de  Varenues,  lieutenant-general  de 
I'armee  de  France ,  qui  la  lui  donna  en  faisant 
passer  quelques  cavaliers  de  I'autre  cote  du  ca- 
nal pour  le  reconnoitre. 

Peu  de  jours  apres,  I'armee  de  France  quitta 
Dixmude,  mais  M.  de  Crequy  ne  bougea  point 
de  son  camp.  Le  marquis  de  Caracene ,  en  con- 
sequence de  la  resolution  qui  avoit  ete  prise , 
alia  joindre  dom  Juan  et  le  prince  de  Conde, 
avec  quelques  escadrons  et  I'infanteiie  espa- 
gnole  qui  s'etoit  echappee  ou  rachetee  des  mains 
des  Francois.  Peu  de  temps  apres,  M.  de  Crequy 
se  retira  du  voisinage  de  Nieuport  pour  aller 
joindre  M.  de  Turenne;  mais  sans  un  accident 
il  ne  seroit  pas  retourne  a  son  aise.  Le  due 
d'Yorck  ayant  ete  averti,  sur  le  midi,  qu'il  plioit 
bagage  ,  il  fut  lui-meme  pour  le  reconnoitre ,  et 
ordonna  en  meme  temps  qu'on  fit  un  detache- 
ment  de  six  cens  fantassins  pour  le  venir  join- 
dre incessamment  dans  la  contrescarpe  avec 
toute  la  cavalerie,  ayant  dessein  de  tomber  sur 
I'arriere-garde  de  M.  de  Crequy.  Ce  prince  de- 


MEMOIRES    OU    DUG 

couvrit  qii'il  decampoit  efrecti\ement,  que  les 
bagages  etoient  dcja  partis,  et  les  troupes  en 
mouvemcnt ;  il  envoya  chercher  rinfanterie 
qu'il  avoit  fait  commander  ,  sa  compagnie  des 
gardes  et  deux  ou  trois  escadrons  :  la  eavale- 
rie  arriva ,  mais  I'infanterie  fut  si  lente,  qu'a- 
vant  qu'elle  fut  venue,  les  ennemis  etoient  si 
eloignes  de  la  ville ,  qu'il  auroit  ete  dangereux 
de  les  attaquer.  Ainsi  il  ne  se  passa  qu'une  le- 
gere  escarmouche  entre  quelques  soldats  ecartes 
et  quelques  volontaires  a  cheval,  qui,  sans  avoir 
recu  aucun  ordre ,  cliargerent  un  petit  parti  de 
cavalerie  qui  couvroit  I'arriere-garde  sur  la  di- 
gue. Un  des  pages  du  due,  qui  s'appelloit  Little- 
ton, s'engagea  si  chaudement  qu'il  fut  fait  pri- 
sonnier. 

Le  retardement  de  I'infanterie  empecha  I'exe- 
cution  du  dessein  de  ce  prince.  Un  petit  navire 
charge  de  vin  et  d'eau -de-vie  etant  echoue  le 
matin  sur  la  cote,  tons  les  soldats  y  allerent  a 
la  maree  basse,  et  s'etant  enivres  il  ne  fut  pas 
possible  aux  officiers  de  les  assembler  pour  le 
temps  qui  avoit  ete  ordonne. 

Le  due  d'Yorck  ne  s'etant  pas  trouve  a  ce  qui 
se  passa  le  reste  de  cette  campagne ,  on  n'en 
fera  point  de  detail ;  on  se  contentera  de  dire 
en  peu  de  mots  que  le  corps  d'arraee  que  com- 
mandoit  le  prince  de  Ligne  aupres  d'Ypres 
fut  surpris  et  deffait  par  M.  de  Turenne ,  qui 
tailla  en  pieces  toute  son  infanterie ,  et  le 
poursuivit  jusques  dans  Ypres,  qu'il  assiegea 
et  prit  en  peu  de  jours;  il  marcha  ensuite 
a  Oudenarde  dont  il  se  rendit  maitre  :  la  place 
n'etoit  pas  forte,  mais  elle  etoit  de  conse- 
quence. II  y  laissa  une  forte  garnison  de  meme 
qu'a  Deynse  et  dans  la  plupart  des  places  sur 
la  Lys ;  ainsi  cet  echec  du  prince  de  Ligne 
causa  plus  de  dommage  aux  Espagnols  que  la 
perte  de  la  bataille  des  dunes  ;  car,  excepte  la 
prise  de  Gravelines,  les  Francois  auroient  fait 
peu  de  progres  pendant  le  reste  de  cette  cam- 
pagne, apres  Tinaction  dans  laquelle  ils  etoient 
demeures  pendant  la  maladie  du  Roi  a  Calais ; 
mais  cette  seconde  victoire  les  mit  en  etat  de 
prendre  plusieurs  places,  comrae  le  due  d'Yorck 
en  fut  informe  depuis  par  une  personne  qui 
pouvoit  le  scavoir. 

Peu  de  temps  apres  que  le  marquis  de  Cre- 
quy  eut  decarape  des  environs  de  Nieuport ,  le 
due  d'Yorck  marcha  avec  ses  troupes  aux 
fauxbourgs  de  Bruges  ,  reglant  ses  mouvemens 
sur  ceux  des  ennemis ,  et  se  tenant  toujours  de 
I'autre  cote  du  canal  pour  ne  pas  s'engager  mal 
a  propos  dans  quelque  mauvais  pas ,  en  pre- 
nant  garde  surtout  de  se  conserver  une  commu- 
nication libre  avec  les  places  qui  lui  avoient  ete 


d'vop.ck.   [iGoS]  fil  1 

confiees.  Le  16  de  septembre  il  retourna  a 
Nieuport,  ou  il  recut  I'agreable  nouvelle  de  la 
mort  de  Cromwel.  II  envoya  aussitot  prier  dom 
Juan  d'envoyer  quelque  autre  prendre  le  com- 
mandement  qu'il  avoit,  parce  qu'il  etoit  abso- 
lument  necessaire  qu'il  allat  trouver  le  Roi, 
son  frere,  a  Bruxclles,  sur  ce  changement  des 
affaires  en  Angleterre.  M.  de  Marsin  fut  envoye 
pour  le  relever,  et  etant  arrive  a  Nieuport,  le 
due  en  partit  aussitot  et  ne  retourna  plus  a  I'ar- 
mee  ,  la  saison  etant  trop  avancee  lorsqu'il  fut 
en  etat  de  quitter  le  Roi;  et  sa  presence  ne  se 
trouvant  plus  necessaire  dans  son  departcment, 
et  toutes  les  troupes  s'etant  retirees  de  part  et 
d'autre  dans  leurs  quartiers  d'hiver,  il  alia  voir 
la  princesse ,  sa  soeur,  a  Breda,  avec  laquelle 
il  resta  quelque  temps. 

La  mort  de  Cromwel  et  les  suites  qu'on  pou- 
voit en  prevoir  ( son  fils  Richard  n'ayant  ni  la 
vigueur,  ni  la  capacite  de  son  pere )  releverent 
le  courage  des  royalistes ,  que  le  mauvais  suc- 
ces  des  entreprises  qu'ils  avoient  faites  pour  le 
retablissement  du  Roi  avoient  beaucoup  ab- 
batu.  lis  oublierent  tous  les  dangers  qu'ils 
avoient  courus,  et,  meprisant  ceux  auxquels 
ils  alloient  s'exposer,  ils  travaillerent  tout  de 
nouveau  ,  et  crurent  eufin  avoir  trouve  le  mo- 
ment favorable  d'executer  leur  dessein ;  mais 
de  nouveau  tous  leurs  projets  echouerent.  Le 
roi  Charles  alia  incognito  q\\  Espagne  a  Fonta- 
rabie,  ou  Ton  travailloit  a  la  paix  des  Pyren- 
nees.  Le  due  d'Yorck  se  retira  a  Boulogne-sur- 
Mer.  Quelque  temps  apres  le  capitaine  Thomas 
Cook  lui  apporta  des  lettres  de  la  Reine ,  sa 
mere  :  ces  lettres  donnoient  avis  au  due  que 
M.  de  Turenne,  qui  etoit  aux  environs  d'A- 
miens,  souhaittoit  de  I'entretenir  sur  les  affaires 
d'Angleterre.  Le  due  se  rendit  secretement  a 
Amiens,  et  M.  de  Turenne  lui  dit,  en  arrivant, 
qu'il  auroit  bien  souhaitle  de  parler  au  Roi , 
son  frere  ;  mais  que,  puisqu'il  n'avoit  pu  decou- 
vrir  ou  il  etoit ,  il  lui  rendroit  le  meme  service 
en  la  personne  du  due.  II  lui  offrit  son  regiment 
d'infanterie  qu'il  devoit  rendre  de  douze  cens 
hommes  effectifs,  et  les  gendarmes  ecossois, 
pour  passer  en  Angleterre  avec  ce  prince,  des 
amies  pour  armer  trois  ou  quatre  mille  hommes , 
six  pieces  de  campagne,  des  munitions  a  pro- 
portion ,  et  des  vivres  pour  la  subsistance  de 
cinq  mille  hommes  pendant  six  semaines  ou 
deux  mois;  qu'il  feroit  trouver  des  vaisseaux 
pour  transporter  le  tout  en  Anglerre,  etdonne- 
roit  des  passeports  pour  faire  marcher  a  Bou- 
logne et  y  embarquer  des  troupes  que  le  due 
avoit  en  Flandre ,  a  mesure  qu'on  auroit  des 
vaisseaux  ;  que  cependant  il  les  falloit  faire  ve- 


012 


MEMOIBES    DU    DUC    d'vOBCK.    [iCSS 


nir  u  Sahit-Omer  on  elles  trouveroient  les  passe- 
ports  ;  et  pour  faire  les  prepnicitifs  plus  sure- 
ment,  il  offrit  de  mettre  sa  vaissclle  d'argent 
rn  gage  et  d'employer  tout  son  credit  pour 
trouver  luie  somme  capable  de  pousser  I'affaire 
avec  succes ;  il  conclut  d'une  maniere  toute 
obligeantc  ,  en  disant  au  prince  qu'il  pouvoit 
aisement  croire  qu'il  n'avoit  iii-dessus  aucim 
ordre  du  cardinal ,  qui  etoit  a  la  conference ,  et 
que  ce  qu'il  faisoit  etoit  par  une  pure  inclina- 
tion qu'il  avoit  pour  lui  et  pour  sa  maison 
royale.  Le  due  d'Yorck  accepta  la  proposition 
avec  beaucoup  de  joie  et  ne  perdit  point  de 
temps  a  choisir  I'endroit  du  debarquement. 

Toutes  ces  choses  ayant  etc  resoiues  et  raises 
en  bon  chemin  ,  M.  de  Turenne  donna  au  due 
une  lellre  pour  le  lieutenant  de  roi  de  Boulogne, 
auqiiel  il  ordonnoit  de  lui  fournir  tous  les  vais- 
seaux  qui  se  trouveioient  dans  son  gouverne- 
raent ,  jusqu'aux  bateaux  pecheurs.  La  Reine  , 
sa  mere ,  lui  en  procura  une  autre  du  raarechal 
d'Auraonta  la  raeme  personne  et  pour  la  meme 
llu ,  et  I'affaire  fut  si  avancee,  qu'on  etoit  a 
la  veille  du  jour  qui  avoit  ete  pris  pour  I'embar- 
quement,  et  que  le  due  de  Bouillon  et  le  comte 
d'Auvergne ,  neveuxde  M.  de  Turenne,  etoieut 
venus  joindre  le  prince  pour  Taecompagner  en 
qualite  de  volontaires  dans  cette  expedition , 
lorsqu'il  recut  nouvelle  de  la  defaite  des  roya- 
listes  par  Lambert ;  sur  quoi  il  partit  de  Bou- 


logne pour  aller  trouver  M.  de  Turenne  qui 
etoit  a  Montreuil ,  et  qui ,  ayant  ete  informe  de 
cet  accident ,  ne  jugea  pas  a  propos  qu'on  en- 
trepiit  aucune  chose  dans  cette  facheuse  con- 
joncture.  II  lui  conseilla  d'avoir  patience  et 
d'attendre  une  meilleure  occasion  ,  qui  ne  pou- 
voit pas  tarder  long-temps,  vu  la  brouillerieet 
la  confusion  qui  devoient  necessairement  arri- 
ver  en  Angleterre.  Le  due  insistoit  neanraoins 
pour  y  passer,  croyant  que  le  Roi ,  son  frere , 
etoit  debarque  dans  le  West  ou  dans  le  pays  de 
Galles;  qu'il  pouvoit  etre  en  danger,  et  qu'en 
ce  cas  il  n'y  avoit  pas  de  moyeu  de  le  tirer  d'em- 
barras  et  de  le  sauver,  ou  de  lui  donner  lieu 
d'entreprendrequelque  chose  d'important,  qu'en 
faisant  une  diversion;  mais  toutes  ces  raisons 
ne  purent  point  gagner  sur  lui  de  le  laisser  par- 
tir  ;  et  sur  ce  qu'il  Ten  prioit  de  la  maniere  du 
monde  la  plus  pressante,  il  repliqua  qu'il  etoit 
sur  que  le  Roi  n'etoit  point  passe  en  Angleterre; 
et  que,quand  il  seroit  vrai  qu'il  y  fut,  11  n'etoit 
pas  raisonnable  que  le  due  se  hasardat  dans  une 
entreprise  ou  il  n'y  avoit  pas  la  moindre  appa- 
rence  de  succes.  II  lui  conseilla  de  retourner  en 
Flandre  et  d'y  attendre  des  nouvelles  d' An- 
gleterre et  du  Roi,  son  frere;  et  scachant  qu'il 
n'avoit  point  d'argent ,  il  lui  donna  trois  cens 
pistoles  et  un  passeport.  Ainsi  finit  cette  entre- 
prise. 


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Michaud,   Joseph  Frangois 


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