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Full text of "Oeuvres"

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f^ AGl^l^ 



i^:': 



' Ki ■ 



OE U V R E s 



D E 



DUMARSAIS. 



270.5 

pesr 






DES TROPES 

o u 
DES DIFÉRENS SENS 

Dans lesquels on peut prendre uti même 
mot dans une même langue^ 

Oiiprage ut/le pour t intelligence des 
auteurs y et qui peut serpîr ci^în^ 
troduction à la rhetoriqua et à la 
logique% ' 



Tome IIL a 



pensées , peuvent être réduites sons 
«ept articles ^ qui sont : 
. 1^. La corioissance de la proposi- 
tion et de la période 3 ^n tant qu^elles 
sont composées de mots /dont les ter- 
minaisons et Parangement leur font si- 
gnifier ce qu'on a dessein qu'ils signi- 
fient : 

120, L'orthographe* 

5^. La prosodie , c'est-à-dire , la 
partie de la grammaire qui traite de 
la prononciation des mots , et de^ la 
quantité des* syllabes- 

4^. L'étymologie. 

5^. Les préliminaires de la syntaxe : 
j'apèle ainsi' la partie qui traite de la 
nature des mots et de leurs propriétés 

frammaticales , c'est-à-dire , des nom- 
res y des genres , des persones , des 
terminaisons ; elle contient ce qu'où 
àpèle les rudiniens* 
6^. La syntaxe* 

70. Enfin , la conoîs§ance des di- 
férens sens dans lesquels un même 
mot est employé dans ime même langue. 
La conoissance de ces diférens sens est 
tiécessaire, pour avoir une véritable in- 



tellîgence des mots , en tant que signes 
de nos pensées : ainsi j^ai cru qu\in 
traité sur ce point apartenoit à la grain- 
•maire , et qu^il ne faloit pas ateiidi^e que 
les enfans eussent passé sept ou huit ans 
dans Pétude dulafin, pour leur aprendre 
ce que c'est que le sens propre et le 
sens figuré 5 et ce qu'on entend par Mé- 
taphore ou par Métonymie. 

On ne peut faire aucune question 
sur les mots qui ne puisse être ré- 
duite sous quelqu'un de ces sept articles. 
Tel est le plaii que je me suis fait^ il 
y a long-temps , de la grammaire. ^ 

Mais y quoique ces difér'entes parties 
soient liées entre elles ^' de telle sorte 
qu'en les réunissant toutes ensemble , 
elles forment un tout qu'on apèle Granv- 
TTZûj/r^/ cependant chacune en particu- 
culier ne supose nécessairement que les 
conoissàrices qu'on a aquises par l'usage 
de la vie. 11 n'y a guère que les pré- 
liminaires de la syntaxe qui doivent 
précéder nécessairement la syntaxe ; 
les autres parties peuvent aler asse2{ 
indiférament Tune avant l'autre : ainsi 
cette partie de grammaire que je donô 

a iij 



aujourd'hui 5 ne suposant point les autres 
parties 5 et pouvant facilement y être 
ajoutée , doit être regardée corne un 
traité particulier sur les tropes et sur 
les diférèns sens dans lesquels on peut 
prendre un même mot* 

Nou$' avons dès traiiés particuliers 
sur Torthographe , sur la prosodie , ou 
quantité 5 sur la syntaxe, etc. : en voici 
un sur les tropes. 

Je rapèle quelquefois dans ce traité 
certains points y èri disant que j^en ai 
parlé plus au long ou dans la syntaxe y 
ou dansquelqu'autre partie d.e la gram- 
%iaire; on doit me pardoner de ren- 
voyer ainsi à des ouvrages qui ne sont 
point encore imprimés , parce qu'en 
ces ocasions je ne dis rien qu'on ne 
puisse bien entendre sans avoir recours 
aux endroits que je rapèle^ j'ai cru que 
puisque les autres parties suivront celle- 
ci , il y auroit plus d'ordrç et de liai- 
son entre elles , à suposer pour quelque 
tems ce que j'espère qui arivera. 



▼IJ 



AVERTISSEMENT 

De Fauteur. 

i EU dé f ems après que ce livre parut 
pour la première fois ^ je rencontrai par 
hazard un home riche qui sortoit d'une 
maison pour entrer dans son carosse. 
Je viens 5 me dit-il en passant, d'en- 
tendre, dire beaucoup de bien de votre 
Histoire des Tropes. Il crut que les 
Tropes étoient un peuple. Cette aven-r 
ture mé fit faire réflexion à ce que 
bien d'autres persones m'avoient déjà 
dit^ que le titre de ce livre n'é toit pas 
entendu de tout le monde ; mais après 
y avoir bien pensé , j'ai vu qu'on en 
pou voit dire autant d'un grand nombre 
d'ouvrages auxquels les auteurs ont 
conservé le. nom propre de là science 
ou de l'art dont ils ont traité. 

D'ailleurs, le mot de Tropes u^est 
pas un terme que j'aie inventé , c'est 
un mot conu de toutes les persones qui 
ont fait le cours ordinaire des études , 

a ir 



VIIJ 

et les autres qui étudient les belles- 
lettres françoîses trouvent ce mot dans 
toutes nos rhétoriques. 

Il n'y a point de science ni d'art 
qui lie soit désigné' par un nom par- 
ticulier, et qui n'ait des termes con- 
sacrés , incorius aux persones à qui ces 
sciences et ces arts sont étrangers. Les 
termes servent à abréger , à mettre de 
Tordre et de la précision y quand une 
fois ils sont expliqués et entendus. Seu- 
lement la bienséance, et ce qu'on apèle 
Vaproposy exigent qu'on ne fasse usage 
de ces termes quWec des persones qui 
sont en état de les entendre , ou qui 
Veulent s^en instruire , ou enfin , quand 
il s'agit de la doctrine à laquelle ils apar- 
tiènent. 

JPai ajouté dans cette nouvelle édi- 
tion y l'explication des noms que les 
grammairiens donent aux autres figures , 
tant à celles qu'ils . apèlent Jtgures de 
dictions ^ dictionum Jîgurœ ^ (^k celles 
qu'ils noment figures de pensées, ^- 
gurœ sententiarum. 

Cète addition ne sera pas inutile , du 
moins à une sorte de persones j et 



Î3t 

pour le prouver 5 je vais raconter en 
peu de mots ce qui y a doné lieu. 

J^alaî voir , il y a quelque tems , un 
jeuiie home qui a bon esprit ^ et qui gi 
aquis avec Vàge assez de lumières et 
d*expériencë pour sentir qu'il lui seroit 
utile de revenir sur ses pas ^ et de re- 
lire les auteurs classiques. Les jeunes 
gens qui comencent leurs études ^ et 
qui en fournissent la carrière y n*ont 
pas encore assez de consistance y du 
moins comunément /pour être touchés 
des beautés des auteurs qu'on leur fait 
lire, ni môme pour en saisir le sens. 
il seroit à souhaiter que le goût des 
plaisirs et les ocupations de leur état 
leur laissassent le loisir d'imiter le jeune 
home dont je parle. 

Je le trouvai sur Horace. H avoit sur 
son biu-eau THorace de M. Dacier , 
celui du P. Sanadon , et celui des ^^- 
Tiorujn avec les notes de Jean Bon. 
Il en étoit à rOde XIII.. du V^ Livre 
Horrida tempes tas. Horace au troisième 
vers nunc mare ^ nunc sjluœ, fait ce 
dernifer mot de trpis syllabes sy-lu-œ. 
M. Dacier ne fait aucune remarque sur. 
ce vers j le P. Sanadon se contente de 



dire ç^Horace a fait ici ce mot de 
trois syllabes j et que ce n'est pas la 
première J^ois que ce Ppëte Va employé 
ainsi. Jean Bon ajoute qu^Horace a 
fait ce mot de trois syllabes par t)ié- 
rèse y per Diœresin. Mais qu'est - ce 
que faire un mot de trois syllabes par 
Diérèse? c'est ce que Jean Bon n'ex- 
plique pas, me dit ce jeune home* 
Y a-t-il là quelque mystère ? Ne vous 
en dit -il pas assez , lui répliquai- je , 
quand il vous dit que le mot est ici 
de trois syllabes? Oui, me répondit-ij*, 
si le comentateur en demeuroit - là ; 
mais il ajoute que c'est par Diérèse-;, 
et voilà ce que je n'entends point. Dans 
un autre endroit il dit que c'est par 
Aphérèse , ailleurs par Epenthèse^ etc. 
Je voudrois bien , ajouta le jeune 
home ,. que puisque ces termes SQiit 
en usage chez les grammairiens ^ ils 
fussent exphqués dans quelque recueil 
où je puisse avoir recours au besoin. 
Ce fut ce qui me fît venir la pensée 
d'ajouter l'explication de ces termes à 
celle des Tropes. 

Come les géomètres ont doné des 
noms partiçuhers aux diférejites sortes 



d'angles ^ de triangles et de figures 
-géométriques ^ angle obtus , angle ad- 
jacent^angles verticaux^triangle ùoscèle, 
triangle oxjgone , triangle scalène j 
triangle amblygone ^ etc. , de même les 
grammairiens ont doné des noms par- 
ticuliers aux divers changemens qui 
arivent aux lettres et aux syllabes des 
mots. Le mot ne paroît pas alors sous 
sa forme ordinaire ; il prend , pour 
ainsi dife ^ /une nouvelle figure à laquelle 
les grammairiens douent un nom par- 
ticulier. J'ai cru qu'il ne seroit pas 
inutile d'expliquer ici ces diférentes 
figures 5 en faveur des jeunes gens , qui 
en trouvent souvent lesnonis dans leurs 
lectures 5 ^'^Vi.^ y trouver l'explication djO 
ces noms. 

On me dira peut-être quç Je m'ar^^ 
rête ici quelquefois à des clioses trpp 
aisées et trop comunes. Mais les jeu- 
nes gens 5 pour qui principalement ce 
livre a été feiitj, ne viènent pas dans 
le monde avec I3 conoissance des choses 
comunes , ils ont besoin (deies aprendre, 
et l'on doit les leur montrer av^c soin, 
si l'on veut. les., passer ^.la.çphoissancQ 



^'1 

de celles qui sont plus dificîles et pluîr 
élevées, parce que celles-ci suposent 
nécessairement celles-là. C'est dans le 
discernement de la liaison, de la dé- 
pendance , de Pencliaînement et de la 
subordination des cônoissances , que 
consiste le talent du maître. 

D'auti'es, au contraire, trouveront 
que ce traité contient des réflexions 
qui sont au - dessus de la portée des 
jeunes gens, mais je les suplie d'ob- 
server que je supose toujours que les 
jeunes gens ont des maîtres. Mon ob- 
jet est que les maîtres trouvent dans 
cet ouvrage les réflexions et les exemples 
dont ils peiivent avoir besoin , si ce 
n^est pour eiixr-mêmes , au moins pour 
leurs élèves. C'est ensuite aux maîtres 
à régler Pùsage de ces réflexions et 
de ces éxeiaiples, selon les lumières, 
les talens' et la portée de l'esprit de 
leurs disciples. C'est céte conduite qui 
écarte les épinies , qui dohe le goût 
des lettres.; de là l'amour de la lec- 
ture , d'où tiait nécessairement l'ins- 
truction , et Pinstruction . fait ' le bon 
citoyen , quand un intérêt sordide et 
mal Qjjjendu n'y forme pas d'opposition* 



E R R ATA 

De Fauteur^ 



J B ne croîs pas qu'ici v ait de fan,tes typographique^ 
dans cet ouvrage par l'attention des împrimeuVs , ou 
s'il yena , elles ne sont pas bien considérables. Cepen- 
dant , come il n'y a point encore en France de manière 
uniforme d'orthographier, je ne doute pas que cha- 
cun y selon ses préjuges , ne trouve ici un grand 
nombre de fautes. 

Mais , i^. mon cher lecteur, avez-vous jamais mé- 
dité «ur l'orthographe ? Si vous n'avez point fait de 
réflexions sérieuses sur cette partie de la grammaire; 
si vous n'avez qu'une orthographe de hazard et d'ha- 
bitude , permettez - moi de vous prier de né point 
vous arêter à la manière dont ce livre est orthogra- 
phié , vous vous y acoutumerez insensiblement. 

a^. Etes-vous partisan de ce qu'on apèle anciène 
orthographe? Prenez donc la peine de mettre des 
lettres doubles qui ne se prononcent point , dan» 
tous les mots que vous trouverez écrits sans ces doubles 
lettres. Ainsi , quoique selon vos principes il faille 
avoir égard à l'étymologie en écrivant , et que tous 
nos anciens auteurs, tels que Yillehardouîn , plus 

5 roches des sources que nous , écrivissent home , de 
omo, perv'ïone de persona, honeur de /lonor , doner 
de donare , naturéle de naturalis , etc. cependant 
ajoutez une mhhomey et doublez les autres consones, 
malgré l'étymologie et la prononciation , et donez le 
nom de novateurs à ceux qui suivent l'anciène pra- 
tique. ^ 
\ Ils vous diront peut-être que les lettres sont des 
signes , que tout signe doit sigjiifier quelque chose : 
qu'ainsi une lettre double qui ne marque ni l'étymo- 
logie , ni la prononciation d'un mot, est un signe qui 
iLe signifie nen ^ n'importe : ajoutez - les toujours ^^ 



satisfaites vos yenx , Je ne veux rîen qui tous blesse; 
et pourvu que vous vous douiez la peine d'entrer dans 
le sens de mes paroles , vous pouvez faire tout ce qu'il 
vous plaira des signes qui servent à Texprimer, 

Vous me direz peut-être que je me suis écarte de 
Tusa^epréscnt^ mais je vous suplied'observer, i^. Que 
je n*ai aucune manière dVcrire qui me soit particu- 
lière , et qui ne soit autorisée par l'exemple de plu« 
sieurs auteurs de réputation. 

0?. Le ?• Bufier prétend même que le grand nombre 
des auteurs suit aujourd'hui la nouvêle orthographe , 
c'est-à-dire, qu'on ne suit plus exactement l'anciène* 
J'ai trouvé la nouvèle ortliographe y dit-il , (Gramm. 
Franc, pag. 388. ) dans plus des deux tiers des livres 
qui s impriment depuis dix ans. Le P. Bufier nome 
les Auteurs de ces livres. Le P. Sanadon ajoute que 
depuis la suputation du P. Bufier le nombre des par* 
tisans de la nouvélc orthographe s'est beaucou^aug- 
mente et s'augmente encore tous les jours* ( Poésies 
d'Horace. Préface , page xvii. ) A:nsi , mon cher 
lecteur , je conviens que je m'éloigne de votre usage j 
mais , selon le P. Bufier et le P. Sanadon , je me con- 
forme à l'usage le plus suivi. 

5^. Etes- vous partisan delà nouvèle orthographe? 
Vous trouverez ici à réformer. 

Le parti de Fanciine orthographe et celui de la 
Bouvèic se subdivisent en bien des oranches: de quel- 
que côté que vous soyez, retranchez ou ajoutez toutes 
les lettresqu'il vous plaira , et ne me condanez qu'après 
que vous aurez vu mes rabons dans mon Traité de 
l'orthographe. 



DESTROPES 

o u 
DES DIFÉRENS SENS 

Dans lesquels on peut prendre un même 
mot dans une même langue* 

PREMIÈRE PARTIE. 
Des Tropes en général. 

ARTICLE PREMIER. 
Idées générales des figures. 

jr3 VANT que de parler des Tropes eu par-, 
ticulier, je dois dire un mot des figures en 
général ; puisque les Tropes ne sont qu'une 
espèce de figures. 

On dit comunément que les figures sont, 
des manières de parler éloignées de celles 
qui sont naturèles et ordinaires: ^ixe ce sont 
de certains tours et de certaines façons de 
s'exprimer^ qui s^ éloignent en quelque cliose 



tn 
rtûm. 



l6 OÉ t* V ft fe S . 

de ta manière comune et simple de pârlëf i 
ce aui ne veut dire autre chose, sinon quô 
les ngures sont des manières de parler éloignées 
de celles qui ne sont pas fi^rées, et qu'en un 
tnot les figures sont des figures, et ne sont pas 
ce qui n'est pas figures» 

D'ailleurs^ biea loin que les figures soient 
dés tnanières de parler éloignées de celles qui 
sont nalurèles et ordinaires , il ny a rien de si 
naturel î de si ordinaire et de si comun que les 
oq. di u figures dans le langage des homes. M^ de 
rt ei^u Bretteville après avoir dit que les figures ne ' 
a.\/ sont autre chose que de certains tours d'eoc^ 
pression et de pensée dont on ne se sert point 
comunément , ajoute « qu'il il'y a rien de si 
» aisé et de si n3tureL J'ai pris souvent plaisii^ 
M dit-il, à entendre des paysans s'entretenir 
M avec des figures de discours si variées , si 
» vives, si éloignées du vulgaire, que j'avois 
)) honte d'avoir si long-tems étudié l'éloquence, 
M voyant en eux une certaine rhét(/rique de 
» nature beaucoup plus persuasive et plus élo- 
M quenle que toutes nos rhétoriques artifi* 
» cièles ». 

En éfet, je suis persuadé qu'il se fait plus 
de figures un jour de marché à la halle , qu'il 
fie s^en fait en plusieurs jours d'assemblées aca- 
démiques. Ainsi , bien loin que les figures 
•'éloignent du langage ordinaire des homes> ce 
^eroit, au contraire , les façons de parler sans 
figures qni s'en éloigneroient , s'il étoit pos- 
sible de faire un discours où il n'y eût que 
des expressions non figurées. Ce sont encore les^ 
façons de parler recherchées , les figures dépla- 
' ^C5 et tirées* de loin ^ qui s'écartent de la 

manière 



1>^E ïy V MÀKSÀIS» tj 

manière comune et simple de parler; c^me 
les parures afectées s'éloignent de la manière 
de s'ha)3iller, qui est en usage parmi les ho-" 
nêtes gens. 

Les apôtres étoient persécutés, et ils sou-' 
froîent patienment les persécutions. Qu'y a-t-il 
de plus naturel et de moins éloigné du langage 
oroinaire, que la peinture que fait S. Paul de 
cette situation et de cette conduite des apô- 
tres (i)? «On nous maudit^ et nous bénissons: 
M on nous persécute, et nous soufrons la per- 
» sécution : on prononce des blasphèmes 
« contre nous , et nous répondons par des 
» prières ». Quoiqu'il y ait dans ces paroles de 
la simplicité, de 'la naïveté, et qu'elles ne 
s'éloignent en rien du langage ordinaire , ce- 
pendant elles contiènent une fort belle figure 
qu'on apèle antithèse, c'est*à-dire , oposition: 
maudir est oposé à bénir, persécuter à sow. 
frir, blasphèmes k prières. 

Il n'y a rien de plus comun que d^adresser 
la parole à ceux à qui l'on parle , et de leur faire 
des reproches quand on n'est pas content de 
leur conduite (3). O nation incrédule et mé^ 
chante! s'écrie Jesus-Christ, /w^^wa^ à quand 
serai'-je avec vous ! jusques a quand aurai^je 
à vous soufrir! C'est une figure très-simple 
qu'on apèle apostrophe. 

(i) Maledicimur , et benedicîraus : persecutî6nem 
pâtûnur, et sustinémus : blasphemâmur^.etobsecrà'* 
mus. I.' Cor. c. 4* ^* i^. 

(2) O generâtîo incrëdula et pervërsa, quo usque 
ero vobiscum ! Quo usqùe pàtiar vos. Matt. c, i^» 
t;. i6. 

Tome nu B 



ï8 OE U V R E s 

3râîs. fu- ]yj^ Flêchier au comencertient de son oraison 
Turque! fuTïèbrede M. de Turène, voujant dontr une 

9r44. idée générale des exploits de son héros, dit 
« conduites d'armées , sièges de places , prises 
» de villes, passages de rivières , attaques har- 
» dies, retraites honorables , campemens bien 
» ordonés , coml^ats soutenus , batailles ga- 
' ») gnées , énemis vaincus par la force, dissipés 

» par ^adresse , lassés par une sage et noble 
» patience : où peut-on trouver tant et de si 
» puissans eiKemples , que dans les actions d'un 
» home , etc. » ? 

11 me semble qu'il n ja rien dans ces paroles 
qui s'éloignedulangagemilitairele plussimple; 
c'est là cependant une figure qu'on apèle coaz- 
geries^ amas, assemblage. M. Flêchier la ter- 
mine encetexemple, par une autre figure qu'on 
apèle interrogation y qui est encore une façon de 
parler fort triviale dans le langage ordinaire. 
Dans TAndrièné de Térence , Simon se 

Anir.acL ctoyant trompé par son fils , lui dit : Quid ais 

Sc.3.t> 3. omnium... Que dis-tu le plus . . . vous vojez 
que la proposition n'est point entière, mais le 
sens fait voir que ce père vouloit dire à son fils : 
(^ue diS'tu le plus méchant de tous les homes? 
Ces façons déparier dans lesquelles il est évi- 
dent qu'il faut supléer des mois, pour achever 
d'exprimer une pensée que la vivacité de la 
passion se contente de faire entendre , sont fort 
ordinaires dans le langage des homes. On apèle 
cette figure Ellipse , c'est-à-dire, omission. 

11 y a, à la vérité, quelques figures qui ne 
sont usitées que dans le style sublime : telle est 
la prosopopée y qui consiste à faire parler un 
tnort , une persone absente ,. ou même ks 



Ï)E DtJ MARSAIS. I9 

chosesinatiimées. «Ce tombeau s'ouvriroît, ces ^ Oraisott 

» ossemens se rejoindrpient pour me dire :^i. dcMon* 

» Pourquoi viens-tu mentir pour moi , qui ne tausicn 

» mentis jamais pour persone? Laisse -moi 

>) reposer dans le sein de la vérité , et ne viens 

» pas troubler ma paix, par la flaterie que j'ai 

» haïe ». C'est ainsi que M. Fléchier prévient , 

ses auditeurs^ et les assure par cette prosopopée, 

que la flaterie n'aura point de part dans l'éloge 

qti'il va faire de M. le duc de Moalausier. 

Hors un petit nombre de figures semblables, 
réservées pour le style élevé , les autres se 
trouvent tous les jours dans le style le plus 
simple, et dans le langage le plus comun,. 

Qu'est-ce donc que les figures? Ce mot se 
prend ici lui-même dans un sens figuré. C'est 
une métaphore. Figure dans le sens propre > 
est la forme extérieure d'uq. corps. Tl'ous les 
corps sont étendus; mais outre cette propriété 
générale d'être étendus, ils ont encore chacun 
leur figure et leur forme particulière, qui fait 
que chaque corps paroît à nos yeux diférent 
d'un autre corps : il en est de même des exprès^ 
sions figurées; elles font d'abord conoître ce 
qu'on pense; ^llcs ont d'abord cette propriété 
générale qui convient à toutes les phrases et à 
tous les assemblages de mots, et qui consiste à 
signifier quelque chose, en vertu de la construc- 
tion gr.'immaticaie; mais de plus les expressions 
figurées ont encore une modification particu- 
lière qui leur est propre, et c'est en vertu de 
cette modification particulière, que l'on fait 
une espèce à part de chaque sorte de figure. 

L'anthiihèse, par exemple, est distinguée 
des autres manières de parler, en ce que dans 



cet assemblage de mots qui forment rantillièse, 
les mots sont oposés les uns aux autres; ainsi 
quand on renconti'e des- exemples de ces sortes 
aopositions de mots, on les rapporte à TauLi- 
thèse. 

L'apostrophe est diférente des autres énoft- 
ciations, parce que ce n^estquedan^ l'apostro- 
phe qu'on adresse tout d'un coup la parole à 
quelque persone présente^ ou absente , etc. 

Ce n'est que dans la prosopopée que Ton fait 
parler les morts , les absenS , ou les êtres inani- 
més : il en est de même des autres figures, elles 
ont chacune leur caractère particulier, qui les 
distingue des autres assemblages de mots , qui 
font un sens dans le langage ordinaire des 
homes. 

Les grammairien^ et les rhéteurs ayant fait 
àes observations sur les diférentes manières de 
parler, ils ont fait des classes particulières de 
ces diférentes manières;, afin de mettre plus 
d'ordre et d'arangement dans leurs réflexions. 
Les manières de parler^dans lesquelles ils n'ont 
remarqué d'autre propriété que celle de faii:e 
conoître ce qu'on pense, sont apelées simple- 
ment phrases, expressions ^ périodes; mais 
celles qui expriment non seulement des pensées, 
mais encore des pensées énoncées d'une ma- 
nière particulière qui leur donc un caractère 
propre , celles-là, dis- je , sont apelées Jïgures, 
parce qu'elles paroissent, pour ainsi dire, sous 
une forme particulière, et av^c ce caractère 
propre qui les distingue les unes des autres, et 
' ri ^^ ^^^^ ^^ ^"^ n'est que phrase ou expression, 
oimag! de M. de la Bruyère dit (c qu'il j a de certaines 
l'esprit, A choses dout la médiocrité est insuportable : 



r> V, DU MARSÀIS. 21 

» la poésie , la musique , la peinture , et Je dis- 
» cours public ». Il n'y a point là de figure ; 
<:*est-à-dire, que toute cette phrase ne fait 
autre chose qu'exprimer la pensée de M. de la 
Bruyère., sans avoir de plus un de ces tours qui 
ont un caractère particulier. Mais quand il 
t^oute, « Quel suplice que d'entendre déclamer 
» pompeusement un froid discours, ou pro- 
» noncer de médiocres vers avec emphase»! 
c'est la même pensée; mais de plus elle est 
exprimée sous la forme particulière de la sur- 
prise , de l'admiration , c'est une figure. 

Imaginez- vous pour uh moment une multi- 
tude de soldats, dont les uns n'ont que l'habit 
ordinaire qu^ils avoient avant leurengagement, 
et les autres ont l'habit uniforme de leur régi- 
ment: ceux-ci ont tous un habit qui les dis- 
tingue, et qui fait conoître de quel régiment ils 
sont; les uns sont habillés de rouge, les autres 
de bleu , de blanc , de jaune , etc. 11 en est de 
même des assemblages de mots qui composent 
le discours; un lecteur instt'uit raporte un t'el 
mot, une telle phrase à une telle espèce de fi- 
gure^ selon qu'il y reconoît la forme, le signe , 
le caractère de cette figure; les phrases et les 
mots^ qui n'ont là marque d'aucune figure par- 
ticulière , sont corne les soldats qui. n ont 
l'habit d'aucun régiment : elles n'ont d'autres 
modifications que celles qui sont nécessaires 
pour faire conoître ce qu'on pense. 

11 ne faut point s'étoner si les figures , quand 
elles sont employées à propos , douent de la vi- 
vacité , de la force, ou de la grâce au discours j 
car outre la propriété d'expi^imer les pensées , 
corne tous les auti'es assemblages de mots , elles 

BS 



33 OE U V R E S 

ont encore, si j'ose parler ainsi , l'avantage de 
leur habit, je veux dire, de leur modification 
particulière, qui sert à réveiller Fatention, à 
plaire, ou à loucher. 

Mais , quoique les figures bien placées embé- 
lissent le discours, et qu'elles soient , pour ainsi 
dire, le langage de l'imagination et des passions;- 
il ne faut pas croire que le discours ne tire ses 
beautés que des figures. Nous avons plusieurs 
exemples en tout fjenre d'écrire, où toute la 
la beauté consiste dans la pensée exprimée sans 
figure. Le père des trois Horaces ne sachant 
point encore le motif de la fuite de son fils^ 
aprend avec douleur qu*il n'a pas résisté aux 

Corneille. j^pQjg (^;yj,Jy^.ç<5^ 

AcUiUc.s. Que ^vouliez - njoiis quilfît contre trois î 
lui dit Julie, QuHl mourût ^ répond le père, 
id. Ni- Dans une autre tragédie de Corneille , 

^?^^^^ , Prusias dit qu'en une ocasion dont il s'agit, il 
veut se conduire en pere^ en mari. iNe soj ea 
fil l'un ni l'autre, lui dit Nicomède : 

Prusias* ^ 

ït que doîs-je être? 

Roi. 

Il x\*y a point là de figure, et il j a cependant 
beaucoup de sublime dans ce seul mot : voici 
un exemple plus simple. 

En vain pour satisfaire h. nos iâches envies , 
a4 cr c. ^Q^jg passons près des rois tont le tems de nos vies , 
èhr. du^ Ps "^ souffrir des mépris , h plojer les genoux: 
tXLV. ^^ qu'ils peuvent n'est rien ; ils sont ce que nous soraes , 

Véritablement homes. 
Et meurent come nous. 



DE DU M A R S A I S. ^S 

Je pouroîs raporter * un grand nombre 
d'exemples pareils , énoncés sans figure , et 
dont la pensée seule fait le prix. Ainsi, qunnd 
on dit que les figures embélissent le discours , 
on veut dire seulement,que dans lesocasions où 
les figures neseroient point déplacées^Je môme 
fonds de pensée sera exprimé d'une manière 
ou plus vive ,ou plus noble, ou plus agréable 
par le secours des figures , que si on rexprimoit 
sans figure. 

De tout ce que je viens dé dire, on peut for- 
mer cette définition des figures: Les Figukes 
sont des manières de parler distinctement des 



a 
fa 



utres par une modincalion particulière, qui 
ait qu'on les réduit chacune à une espèce à 
part , et qui les rend ou plus vives , ou plus 
nobles, ou plus agréables que les manières de 
parler , qui expriment le même fonds de pensée^» 
sans avoir d'autre modification particulière^ 



B4 



34 OE tJ V R E S 



ARTICLE IL 

Division des figures. 

r^Uixmt ^^N divîse les figures en figures dépensées , 
abi't, sitiC figurée sententidrum , Schérnata ; et en fi- 
idc. guresde mots^, yi^tin^ verbôrlim. 11 y a cette 

diférence, dit Cicérori (i), entre les figures 
de pensées et les figures de mots , que les fi- 
gures de pensées dépendent. uniquement du 
tour de Timagination ; elles ne consistent que 
dans la manière particulière de. penser ou de 
6âPtir^ ensorte que la figure demeure toujours 
la même , quoiqu'on viène à changer les mots 
qui l'expriment, Jje quelque manière que M. 
rlêchier eût fait parler M. de Montausier dans 
la prosppopée que j'ai raportée ci-dessus , il 
auroit fait une prosopopée. Au contraire, les 
figures de mots sont telles que si vous changez 
les paroles, la figure s'évanouit ; par exemple , 
lorsque parlant d'une armée navale , je dis 
qu'elle étoit composée de cent voiles ; c'est 
une figure de mots dont nous parlerons dans la 
suite ; voiles est là pour vaisseaux : que si je 
substitué le mot de vaisseaux à celui de voiles^ 
j'exprime également ma pensée; mais il ivy a 
plus de figure. 



(i) Interconformatî6neraverb6rum et sententiârum 
hoc {nterest , quàd verbéram t611itur , si verba mu— 
taris , sententiârum përmapet , quibusciimque verbis 
uti y élis. Cic» de Orat. Lf.JIL n. 201. alUer LII^ 



D E' 1> U M A R s À I s.- 25 

\ 

^ ■' ' ' ■ m ' ' t ' _ ^ ■ , 

ARTICLE I I L 
Division des figures de mots. 

Il y a quatre diférentes sortes de figures qui 
regardent les mots. 

!"• Celles que les grammairiens âpèlenty?- 
gures de. diction: elles regardent les change- 
mens qui arivent dans les lettres ou dans les 
sjUabes dos motsj telle est, par exemple, la 
syncope , c'est le relranchemeHt d'une lettre ou 
d'une sjllabe.au milieu d'un mot, sauta virûm 
pour virôrum. 

2°, Celles qui regardent uniquement la cons- 
truction ; par exemple, lorsqu Horace, parjant 
de Cléopatre , dit monstrum , quœ. .. nous dA^ L. i. Oi^ 
sons en français la plupart dés homes disent , ^7- *'• ^^* 
et non pas dit. On fait alors la construction 
selon le sens. Cette figure s'apèle sylicpse. J'ai 
traité ailleurs de ces sortes de figures, ainsi je 
n'en p^arlerai point ici. 

3°. Il y a quelques figures de mots, dans 
lesquelles les mots conservent leur signification 
propre, telle est la répétition , etc. C'est aux 
rhéteurs à parler de ces isdrtes de figures, aussi 
bien que des figures de pensées. Dans les unes 
et dans les autres, la figure ne consiste point" 
dans le changement de signification des mots , 
ainsi elles ne sont point de mon sujet. 

4*^. Enfin, il y a des figures de mots qu'on 
apèle tropes ; \es mots prènent par ces figures 
des significations diférentes de leur signification 
propre. Ce sont là les figures dont j'entreprens 
de parler dans cette partie de la grammaire. 



^6 



OE U V R E s 



ARTICLE IV. 

Définition des Tropes. 

JLjf.s Tropes sont des figures par lesauelles cgi 
fait prendre à un mot une sifirnification , qui 
n'est pas précisément la signification propre de 
ce mot : ainsi pour entendre ce que c est qu'un 
trope , il faut comencer par bien comprendre 
ce que c'est que la signification propre d'un 
. mot; nous l'expliquerons bien- tôt. 

Ces figures sont a pelées ^ro/;e^ du grec tropos, 
V^^* ^onvérsio ^ dont la racine est trepo ^ verto, je 
tourne. Elles sont ainsi apelées , parce que 
quand on prend un mot dans le sens figuré, on 
le tourne^ pour ainsi dire , afin de lui faire 
signifier ce qu'il ne signifie point dans le sens 
propre : voiles dans le sens propre ne signifie 
point vaisseaux , les voiles ne sont qu'une 
partiedu vaisseau: cependant 'yoiVf?^ se dit quel- 
^miefois pour vaisseaux , come nous l'avons 
déjà remarqué. 

Les tropes sont des figures , puisque ce sont 
des manières de parler , qui, outre la propriété 
de faire conoître ce qu'on pense , sont encore 
distinguées par quelque diférence particulière, 
qui fait qu'on les raporte chacune à une espèce 
à part, ' 

II y a dans les tropes une modification ou di- 
férence générale qui les rend tropes, et qui -les 
distingue des autres figures : elle consiste en 
ce qu'un mot est pris dans une signification qui 
n'est pas précisément sa signification propre ^ 



DE DU MARSAIS. 27 

mais de plus chaque trope difore d'un autre 
trope, et cette -dilërence particulière consiste 
dans la manière dont un mot s'écarte de sa 
signification propre : par exemple, // ny a 
plus de Pf rénées ^ dit Louis XIV d'inmjor- 
téle mémoire, lorsque son petit -fils le duc 
d'Anjou , aujourd'hui Philippe V, fut apelé à la 
couronne d'Espagne. Louis XIV vouloit-il 
dire que les Pyrénées avoient été abimécs ou 
anéanties? nulebient : persone n'entendit cette 
expression à la lettre , et dans le sens propre i 
elle avoit un sens figuré. Boileau faisant allu- 
sion , à ce qu'en 1664 le roi envoya au secours 
de l'empereur des troupes qui défirent les 
Turcs, et encore à ce que sa majesté établit la 
compagnie des Indes, dit : 

Quand je vois ta sagesse ^ Dîscoun 

hendrea VAiPle éperdu sa première vigueur , ^^ joi. 

La France sous tes lois ïnaitriser Ja fortune, . ^ 

Et nos vaisseaux domtant Tun et Tautre Neptune 

Ni V Aigle ni Neptune ne se prènent point 
là dans le sens propre. Telle est la modification 
ou diférence générale, qui fait que ces façons 
de parler sont des tropes. 

Mais quelle espèce particulière de trope ? 
cela dépend de la manière dont un mot s'écarte 
de sa signification propre pour en prendre une 
autre. Les Pyrénées dans le sens propre, sont 
de hautes montagnes qui séparent la France et ' 
l'Espagne. Il n^y a plus de Pyrénées y c'est-à- 
dire , plus de séparation , plus de division , 
plus de guerre : il n'y aura plus à l'avenir 
qu'une bone intelligence entre la France et 
l'Espagne : c'est une métonymie du signe , ou 



«.5 



5ti ©E U V R E 5 /i 

une métalepse : les Pyrénées ne seront plus uwi: 
signe de séparation. -, 

L'aîf^le est le symbole de l'Empire j rcrope^! 
rêur porte un aigle à deux têtes dans ses ar*i 
moiries : ainsi, dans l'exemple que ^e viens dtf 
raporter , V aigle signifie l'Allemagne.^ C'est le j 
signe pour la chose signifiée : c'est une méto- 
nymie, j 

Neptune étoit le dieu de la mer, il est prisdan^ , 
le même exemplepour l'Océan, pour la merdes: 
Indes orientales et occidentales : c'est encore j 
une métonymie. Nous remarquerons dans W] 
suite ces ditérences particulières qui font les- 
diférentes espèces de tropes. i 

Il j a autant de tropes qu'il y a de manières; 
diférentes, par lesquelles on doneàun mot une' 
signification qui n'est pas précisément la signi-- 
fication propre de ce mot. Aveugle dans le sens.y 

Propre, signifie une persone qui est privée de 
usage de la vue : si je me sers de ce mot pour v 
marquer ceux qui ont été guéris de leur aveu- 1 
if«//. f. glement, come quand Jesus-Christ a dit , le^ 
aveugles iH>lent^ alors aveugles n^est plus dan 
le sens propre , il est dans un sens que les phi-' 
losophes apèlent ^ens divisé: ce sens divisé est 
un trope, puisqu'alors arei/gr'e^ signifie ceux 
qui ont été aveugles , et non pas ceux qui le sont« 
Ainsi outre les tropes dont on parle ordinaire- 
ment , î'ai cru qu'il ne seroit pas inutile ni 
étranger à mon sujet, d'expliquer encore ici les j 
autres sens dans lesquels un même mot peut ^ 
être pris dans le discours. 



©EDl/MARSAIS. HQ 



ARTICLE V. 

Le traité des Tropes est du ressort de la 
grammaire. On doit cdnoitre les Tropes 
pour èien entendre les auteurs^ et pour 
avoir des conoissances exactes dans Part 
de parler et d^ écrire. 

xjlu reste ce traité me paroi t êtrç une partie 
Bssentièle de la grammaire puisqu'il est dt^ 
pesso4't de la grammaire de faire entendre la vé- ^ 
piUihle signification des mois , et en quel sens ils 
lont employés dans le discours. 

Il n'est pas possible de bien expliquer l'auteur 
même le plus facile, sans avoir recours aux 
conoissances dont je parle ici- Les livres que 
Ton met d'abord entre les mains descomençans, 
aussi-bien que les autres livres , sont pleins de 
mots pris dans des sens détournés et éloignés 
ie la première signification de ces mots; par 
Exemple : 

Tftyre, tu pâtulœ , r^qubans sub t^gmîne fagî, Virg.Ecl 

Sjlvëstrem^ ténui, musam medifdris^ avénâ. x. v, i. 

\ Vous méditez une muse , c*est-à-dlre , une . 
chanson , vous <vous exercez à chanter. Les 
[muses, étoient regardées dans le paganisme 
come les déesses qui inspiroient les poètes et 
pies musiciens : ainsi Muse se prend ici pour la 
chao6on même, c'est la causse pour l'éfet j c'est 
une métonymie particulière, qui étoiten usage 
^n latin ; nous l'expliquerons dans la suite. 



5o OE U V R £ s , 

, Avéna dans, le sens propre, veut dire clô 
T as eine : xi\^\s parce que les bergers se servi- 
rent de petits tiijaux de blé ou d'aveine pour 
en faire une sorte de iiute, corne font encore 
\^^ enfaos à la campagne; de là par extettsion 
on a apelé asséna un chalumeau, une fjute dé 
berger. 

On trouve un grand^ nombre de ces sortes de 
figures dansIclNcuvcau Testament, dans Timi- 
(■ tation de J. C. dans les'fables de Phèdre, en un 
mot, dans les livres même qui sont écrits le 
plus simplement, et par lesquels on comence : 
ainsi je demeure toujours convaincu que cette 
partie n*est point étrangère à la grammaire, et 
qu'un grammairien doit avoir une conoissance 
détaillée des tropes. 
Réponse Je cottviens , si l'on veut, qu'on peut bien 
ne objcc- parler sans jamais avoir apris les noms particu- 
liers de ces figures. Combien de persone^ se 
servent d'expressions métaj^horiques , sans sa- 
voir précisément ce que c'est que métaphore ? 
C'est ainsi qu'il y avoit plus de no ans que 
Molière jg BoUrffeois-Gentilhome disoit de la prose ^ 
ntii. act. sansqu iLen sûtnen.i^esconoissances ne sont 
çc. 4» d'aucun usage pour faire un compte, ni pour 
bid. act. bien conduire une maison , comeditM% Jour- 
^- dain, mais elles sont litileset nécessaires à ceux 
qui ont besoin de l'art de parler et d'écrire; 
elles mettent de l'ordre dans les idées qu'on se 
forme des mots; elles servent à démêler le vrai 
* sens des paroles, à rendre raison du discours, 
et douent de la précision et de la justesse. 

Les sciences et les arts ne sont que de* ob- 
servations sur la pratique : l'usage et hi pra- 
tique oat précédé toutes le^ sciences et tous 

I 



[. se, 



D E D y M A K s A I s. Ùl 

les arts ; mais les sciences et les arls ont 
ensuite perfectioné la pratique- Si Molière 
navoit pas étudié lui-mtrne les observations 
détaillées de Tartde parler et d'écrire, ses pièces 
n auroient été que des pièces informes , où le 
génie, à la vérité, auroit paru, quelquefois; 
mais qu'on auroit renvoyées à Fenfance de la 
eomédie : ses talens ont été perfectionés parles 
observations, et c'est Tart môme qui lui a apris 
à saisir le ridicule d'un art déplacé. 

On voit tous les jours des persones qui chan- 
tent agréablement , sajis conoître les notes, les 
clés., ni les règles de la musique, elles ont 
chanté pendant bien dès années des sol et des 
fa, sans lé savoir; faut-il pour cela qu'elles 
rejètent les secours qu'elles peuvent tirer de la 
musique , pour perfectioner leur talent ? 

Nos pères ont vécu sans conoître la circula- 
tion du sang; faut-il négliger la conoissance 
de l'analomie? et ne faut-il plus étudier la 
physique, parce qu'on -a respiré pendant plu- 
sieurs siècles sans savoir que l'air eût de la pe- 
santeur et de rélasticité ? Tout a son tems 
et ses usages, et Molière nous déclare dans ses 
préfaces , qu'il ne se moque quç des abus et du 
ridicule. 



52 OE U V R Z'S 



ARTICLE Vr. 

\ 

Sens propre 'p sens figuré. 

xVvANT que d'entrer dans le détail de chaque 
trope, il est nécessaire de bien comprendre Ja 
diférence qu'il jf a entre le sens propre et le sens 
figuré. 

Un mot est employé dans le discours, ou 
darts le sens propre, ou en général dans un 
sens figuré, quel que puisse être Je nom que les 
rhéteurs danent ensuite à ce sens figuré. 

Le sens propre d\mmot, c'est la première 
signification du mot. Un mot est pris dans le 
sens propre, lorsqu'il signifie ce pourquoi il a 
été premièrement établi ; par exemple : le Jeu 
brûle , la lumière nous éclaire ^ tous ces mots 
là sont dans le sens propre. 

Mais , quand un mot est pris dans un autre 
-sens , il paroît alors, pour ainsi dire , .sous une 
forme empruntée, sous une figure qui n'est pas 
^a figure naturèlé , c'est-à-dire, celle qu'il a eue 
d'abord ;alorson dit que ce mot est au figuré; par 
exemple : Le feu de vos yeux , le jeu de Vinia-* 
gination , la lumière de V esprit, la clarté d^un 
discours. 

Mas(jue àansle sens propre^signifieune sorte 
.de couverture de toile cirée ou de quelque 
autre matière, qu'on se met sar le visage pour 
se déguiser ou pour se garantir des injures de 
J'air. Ce n^est point dans ce sens propre que 
Malherbe .prenoit le mptde masque ^ lorsqu'il 

disoit 



DE D U M A R S A I S. 55 

disoît qu'à la cour il -^ avoit plus de masques 
que de visages : masques est là dans un sens li- 
gure , et se prend pour persanes dissimulées , 
pour ceux qui cachent leurs véritables senli- 
mens , qui se démontent , pour ainsi dire , le 
visage , et prènent des mines propres à marquer 
une situation d'esprit et de cœur toute autre 
que celle où ils sont éfectivement. * ^ 

Ce mot "voiac (dooc) ^ a élé'd'abord établi 
pour signifier le son qui sort de la bouche des 
animaux , et sur-tout de la bouôhe des'homes. 
On dit d'un home , qu'il a la voix ii^âle ou fé- 
minine, douce ou rude, claire ou enrouée, 
forble ou forte , enfin aiguë , flexible , grêle-, 
cassée, etc. En toutes ces ocasions, "voiac est 
pris dans le sens propre, c'est-à-dire , dans le 
^ens pour lequel ce mot a été d'abord établi ; 
mais quand on dit que le mensonge ne sauroff 
étoujer la ^)oix de la vérité dans le fond de 
de nos cciewr^;., alors voix est au figuré; il se 
prend pour inspiration intérieure , remords , 
etc. On dit aussi que tant que le peuple juif 
écouta la voix de Dieu y c'est-à-dire, tant 
qi/il obéit à ses commandeipens , il en fut 
assisté. Les brebis entendent la voix du pas^ 
teur, on ne veut pas dire seulement qu'elles 
reconoîssent sa voix et la distinguent delà voix 
d'un autre home, ce qui seroit le sens propre ; ' 
on veut marquer principalement qu'elles lui 
obéissent, ce qui estje sens figuré. La voix du 
sang , la voix de la nature ^ c'est-à-dire, les 
mouvemens intérieurs que nod^ ressentons à 
l'ocasion de quelque accident arrivé à un pa- 
rent , etc. La voix du peuple est la voix de 
Dieu , c'est-à-dire, que le sentiment du peuple, 
TomellL ^ C 



S4 OE F T K E s 

dans les matières qui soflt de son ressort, est le 
véritable sentiments 

C'est par la voix qu'on dit son avis dans les 
délibérations , dans les élections , dans les 
assemblées où il s'agit de juger ; ensuite , par 
extension , on a apelé a;oia:,\e sentiqient d'un 
particulier, d'un ]uge ; ainsi ep ce sens, ojoia: 
signifie am, opinion , sufra^e, il a eu toutes 
les "voioc , c'est-à-dire , tous les sufrages ; 6r/- 
guer les voicc , la pluralité des voiao ; il uau'^ 
aroit mieuac , s'il étoit possible , peser les â)oix 
que de les compter, c'est-à-dire , qu'il vau- 
uroit mieux suivre l'avis /de ceux qui sont les 
plus savans et les plus sensés^ que de se laisser 
entraîner au sentiment aveugle du plus grand 
nombre. 

Voix y signifie aussi darts un sens éteiidu,g^^ 
mis sèment ^ prière. Dieu a écouté la voix de 
soiipeuple y etc . 

Tous ces diférens sens du mol.'voix, qui ne 
sont pas précisénjent le premier sen§ , qui seul 
est le sens propre, sont autant de sens figurés. 



1^ B DU M A n S A I 5\ S5 



ARTICLE VII. 

Réflexions générales sur le sens figuré. 
I. 
Origine du sens figuré. 

JLa liaison qu'il y a entre les idées accessoires, 
je veux dire , entre les idées qui ont raport les 
unes aux autres, est la source et le principe des 
divers sens figurés que Ton donc aux mots. Les 
objets qui font sur nous des impressions, sont 
toujours acompagnés de diférentes circons- 
tances qui nous frapent , et par lesquelles nous 
désignons souvent, ou les objets mêmes qu'elles 
n'ont fait qu'acompagner, ou cewx dont elles 
nous réveillent le souvenir. Le nom propre de 
l'idée accessoire est souvent plus présent à 
l'imagination que le nom de l'idée principale ; 
etjou vent aussi ces idées accessoires ; désignant 
les objets avec plus de circonslaoces que ne fe- 
roient les noms propres de ces objets , les 
peignent ot^avec plus aénergie, ou avec plus 
d'agrément, De-là le signe pour la chose signi- 
fiée , la cause pour l'éfet , la partie pour le tout, 
l'antécédent pour le conséquent, et les autres 
Aropes dont je parlerai dans la suite. Come 
l'une de ces idées ne sauroit être réveillée sans 
exciter l'autre, il arive que l'expression figurée 
est aussi facilement entendue que si Ton se ser- 
voit du mot propre ; elle est même ordinaire- 
ment plus vive et plus agréable quand elle est 



50 CBEUVRB5 ♦ 

<nnployée à propos , parce qu'elle réveille plus 
(Fune image; elle atache ou amuse Timagina- 
tiou et doue aisément à deviner à l'esprit. 

I I. 

Usages oit éfets des tropes. 

1°. Un des plus fréquens usages des tropes , 
c'est de réveiller une idée principale, par le 
moyen de quelque idée accessoire : c'est ainsi 
qu'on dit cent voiles pour cent vaisseaux; cent 
feux pour cent maisons; il aime la bouteille, 
c'est-à-dire, il aime le vin ; le fer pour Tépée j 
la plume oulestjle pour la manière a écrire ;etc# 

a^. Les tropes clonent plus d'énergie à nos 
expressions. Quandnoussomes vivement frapés 
de quelque pensée, nous nous exprimons rare-/ 
nient avec simplicité; l'objet qui nous ocupe 
se présente à nous avec les idées accessoires 

3ui l'acompagnent; nous prononçons lès noms 
e ces images qui nous frapent ; ainsi nous 
avons naturèlement recours aux tropes,. d'où 
il arive que nous fesons mieux sentir aux autxes 
ce que nous tentons nous-mêmes : de là viènent 
ces façons de parler , il est enflante de colère ^ 
il est tombé dans une erreur grossière , Jlétrir 
la réputation, s^ enivrer de plaisir y etc. 

5V. Les tropes ornent le discours. M. Fiéchier 
voulant parler de l'instruction qui disposa M. 
le duc de iVlontausier à faire abjuration de l'hé- 
résie, au lieu de dire simplement qu^il se fit 
instruire, que les ministres de J. C. lui apri- 
rent les dogmes do la religion catholique , 
et lui découvrirent les erreurs de l'hérésie ^ 
s'exprime ^n ces termes : «Tombez, tombez , 



DE De M A R S A I S. ^7 

)) voiles importuns qui lui couvrez la vérité de 
)) nos mystères : et vous, prêtres de Jésus- 
» Christ, prenez le glaive de la parole , et cou- 
» pez sagement jusqu'aux racines de Terreur , 
» que la naissance et l'éducation avoient fait 
» croître dans son ame. Mais par combien de 
)) liens étoit-il retenu » ? 

Outi-e l'apostrophe > figure dépensée, qui 
se trouve dans ces paroles , les tropes en font le 
principal ornement : Tombez voiles, couvrez, 
prenez le glaire y coupez jusqu^auoc racines , 
croître , liens , retenu; toutes ces expressions 
sont autant de tropes qui forment des images^, . " 

dont fimagination est agréablement ocupée. ^ 

4^« Les tropes rendent le discours plus noble: 
Jes idées comunes aijxquelles nous somes acou- 
tumés^ n'excitent point en nous ce sentiment 
d'admiration et de surprise- qui élève Famé : 
en ces ocasions on a recours aux idées acces- 
soires , qui prêtent ^ pour ainsi dire , des habits 
plus nobles à ces idées comunes. Tous les 
homes meurerit également; voilà une pensée 
cornune : Horaee a dit : 

Pâllida mors ^ aequo puisât pede pâuj|&rum tabëmas ^^^^« ^• 
jKegdmque tarres» ^^^ 4- 

Orvsait la paraphrase simple et n^turèle que 
Malherbe a fait de ces vers. 

hsL ihort a des rigueurs à nu41e autre pareilles^ 

On a beau la prier: ^^^^„^,^ 

La cruele qu elle est se bouche les oreilles yi. 

Et nous laisse crier. • ^^ 

Le pauvre en sa cabane ^ où le chaume le cbuvre , 

Est sujet à ses loix, 
Et la garde qui veille aux bariéres du Louvre , 

rî'en défend pas nos r-ois. - 

• G 3 



38 ' OE U V R E 6» 

Au litîu de dire que c'est un. Phénicien qui a 
inventé les caractères de l 'écriture, ce qui seroît 
une expression trop simple pour la pd|^«ie^ 
Brébeufadit: 

Pharsale, C'est de lui que nous vient cet art ingënieux , 
liv. iiiA , Y>Q peindre la parole^ et de parler aux jeux, 
Et par les traits divers de figures tracées> 
Doner de la couleur et du corps aux pensées (i)- 

5°. Les tropes sont d'un grand usage pour 
déguiser des idées dures , désagréables , tristes, 
ou contrc^ircs à la modestie ; on en trouvera des 
exemples dans ^article de l'euphémisme , et 
dans celui de la périphrase. 

6°« Enfin les tropes enrichissent une langue 
«n multipliant l'usage d'un même mot j ils 
douent à un mot une signification nouvèle, isoit 
parce qu'oYi l'unit avec d'autres mots, auxquels 
souvent il ne se peut joindre dans le sens 
propre, soit parce qu'on s'en sert par exten- 
sion et par ressemblance, pour supléer aux 
termes qui manquent dans la langue. 
Manière Mais il ne faut pas croire avec quelques 
d'enseigner savans, que les tropes n'aient cT abord été in" 
et d'etudîer ^^j^i^s que par nécessité , à cause* du défaut 

les belles- . » i' iC i . . *^ yi 

lettre», par ^^ «^ '« disette des mots propres , et qu ils 
M. RoUin, aient contribué depuis à la beauté et a Vor^ 
et cirercfdl ^^^^^^^^ ^^^ discours , dc même à peu près que 
Oratore ,'n. Ics ojétemens ont été employés dans le comen-- 
i55, ^"^^^^^ cément pour couvrir le corps et le défendre 

XXXVIII. ' ' -^ 

Voss. inst. ■ 

» orat. L. IV. " ' ""'*- 

c. . n. 14. ^^^ Phœnices primi, famae si créditur, ausi 
Mansiiram , rùdibus, vocem signàre/figùris. 

LuciLrf. Lîb* iiu v* 220. 



DEDÙMARSAIS. 5(J 

contre le froid, et ensuite ont sen^i à Vembé'^, 
liret à l* orner. Je ne croîs pas qu'il y ait un 
assez grand nombre de mots qui supléent à 
ceux qui manquent, pourpouvoir dire que tel 
ait-été le premieretleprincipal usage des tropes. 
D'ailleurscen'estpointlà, cemesemble,la mar- 
che, pour ainsi dire, delà nature ^Timagination a 
trop de part dans le langage et dans la conduite 
des homes, pour avoir été précédée ente point 
par la nécessité. Si nous disons d'un home qui 
marche avec trop de lenteur, qu7/ am plus 
lentement (]u^ une tortue ; d'un autre , qu'/7 va 
plus vite que le vent; d'un passioné, qu7/ se 
laisse emporter au tondent de ses passions, etc. 
c'est, que la vivacité avec laquelle nous res- 
sentons ce que nous voulons e:xj)rimer, excite 
en nous ces images; nous en somes odupés les 
premiers , et nous nous en servons ensuite 
pour mètre en quelque sorte devant les yeux 
des autres ce que nous voulons leur faire en- 
tendre. Les homes n'ont point consulté s'ils 
avQÎent ou s'ils n'avoientpas des termes propres 
pour exprimçr ces idées , ni si l'expression fi- 
gurée seroit plus agréable que l'expression 
propre; ils ont suivi les mouvemens de leyir 
imagination , et ce que leur inspiroit le désir 
de faire sentir vivement aux autres ce qu*ils 
sentoierit eux-mêmes vivement. Les rhéteurs 
ont eYisuite remarqué que telle expression étoit 
plus noble, telle autre plus énergique, celle-là 
plus agréable, celle-ci moins dure ; en ua mot,, 
ils ont fait leurs observations sur le langage des 
homes. 

Je prendrai la liberté, à ce sujet, de m'a- 
rêter un moment sur une remarque de p>ia 

C4 



4-0 OE U V R E s 

d'importance : c'est que , pour faire voir que 
."^oXWn.Yon substitue quelquefois des termes figurés 
^«^ "> P' à la place des mots propres qui marimient , ce 
qui est Ir^s-véritable , Cicéron , Quintilien 
et M. Rollin , qui pense et qui parle come 
ces grands homes, disent que c'est^tzrem/^ri/Az^ 
et par métaphore qu^on a apelé gemma le 
bourgeon de la vigne: parce , disent-ils , quil 
n\r ai'oit point de mot propre pour t exprimer. 
Mais ji nous en croyons les étymologistes , 
gemma est le mcft propre pour signifier le bour- 
geon de la vigne , et c'a été ensuitç par figure 
que les Latins ont doné ce^nom aux perles et 
aux pierres précieuses^ En éfet, c'est toujours 
le plus comun etie plus conu qui est le propre, 
et qui se prête ensuite au sens figuré. Les la- 
boureurs du pays latin conoissoient les bour- 
geons des vignes et des arbres , et leur avoient 
doné un nom avant que d'avoir vu des perles 
et des pierres précieuses : mais corne on dona 
•ensuite , par figure et par imitation , ce même 
nom aux perles et aux pierres précieuses , et 
qu'aparemment Cicéron , Quintilien fet M.^ 
Rollin ont vu plus de perles que de bourgeons 
d^ vignes , ils ont cru que le nom de ce qui leur 
étoit plus conu, étoit le nom propre ^ et que 
le figuré étoit celui de ce qu'ils conoissoient 
moins (i). 

(i) Verbi translâtîo institùta est în6piae causa , fre- 
queiitâtâ delectati6nis. Nam gemmàre vîtes y luxùriem 
esse in lierhisy lœlas ségetes y étiam rustici dipunt. 
^Cic. de Orator. L, m. n. i55. aliter xxxvrii. 

Necessitàteriistici dicunt gemmamin vitibus. Quîd 
enim dîcerent aliud? QuinùL inslit. orat. lib, \iiu 
cap, 6. Metaph. 



B K DU M A R S A 1 S. /\l 

• III. 

Ce quon doit obsen^er , et ce qu^on doit 
éi^iter dans Fusage des tropes, et pourquoi 
ils plaisent. 

Les tropes qui *ne produisent pas les éfets 
que Je viens de remarquer, sont défectueux. 
Ils doivent sur-tout être clairs , faciles , se pré- 
senter naturèlement, et n'être mis en œuvre 
qu'en tems et Jieu. Il ny a rien de plus ridicule 
en tout genre, que Fafectalion et le défaut de 
convenance. Molière, dans ses Précieuses, nous 
fournit un grand nombre d'exemples de ces 
expressions recherchées et déplacées. La con- 
venance demande qu'on dise simplemiht à un 
laquais, doriez des sièges y sans aler chercher 
le détour de lui direj voiturez^nous ici les lcs Pn 
comodités de la conç^crsation. De plus, les Rîd. sc. i 
idées accessoires ne jouent point , si j'ose parler 
ainsi, dans le langage des Précieuses de Molière, 
ou ne jouent point come elles joueat dans l'ima- 
gination d-un home sensé : Le conseiller des j^id. se. ^ 
grâces^ pour dire le miroir: contentez Fensne ibid. se i 

Gemma est id quod in arb6rîbus tiinicscit cum pa- 
rère incipiunt, à geno , id est , gigno : hinc Margarita 
et deinceps omnis iapis pretiosus dicitur gemma.*... ^ 
quod hrabet quoque Percîttus , eu jus hœc sunt verba^ 
u iapillos gemmas vocavére à similitiidine gemxnârum 
)) quas în vflibus sive arbôribus cdrnimus 5 gcmmôe 
ï> enim propriè suntpùpuli quos primo vîtes emittunt; 
» et gemmâre vîtes dicuntur , dam gemmas emittunt ». 
Martinii Lexicon , voce gemma. 

Gemma Voulus vitîs proprié. 2. gemma deinde gé- 
nérale nomen est lâpîdum pretiosùrum. Bas. Fabrl 
Thesaur. v. gemma. 



4^ OE U V R E s ^ 

qiia ce fauteuil de vous embrasser ^ poùr^ire 
asseyez-vous. * 

Toutes ces expressions tirées de loin et hors 
de leur place , marquent une trop grande 
contention d'esprit , et font sentir toute la 
peine qu'on a eue à les rechercher : elles ne 
sont pas , s^l est permis de parler ainsi , à 
l'unisson du bon sens , je veux dire qu'elles 
sont trop éloignées de la manière de penser 
de ceux qui ont Fesprit droit et juste , et qui 
sentent les convenances. Ceux qui cherchent 
trop Fornement dans le discours , tombent sou- 
vent dans ce défaut, sans s'en apercevoir; ils 
4 se savent bon gré d'une expression qui leur pa- 

roît brillante et qui leur a coûté, et se per- 
suadonf que les autres en doivent être aussi 
satisfaits qu'ils le sont eux-mêmes. 

On ne doit donc se servir de tropos que 
lorsqu'ils se présentent naturèlement à l'esprit j 
qu'ils sont tirés du sujet; que les idée*^ acces- 
soires les font naître; ou que les bienséances les 
inspirent : ils plaisent alors , mais il ne faut 
point les aler chercher dans la vue de plaire. 
Manière ^ Je ne crois donc pas que ces sortes de figures 
tomTn^%P^^^^^^^^ extrêmement j par T ingénieuse har^ 
J47. diesse quily a dealer au loin chercher des 

expressions étrangères à la place des natu^ 
rèles qui sont sous la main , si l'on peut parler 
ainsi- Quoique ce soit là une pensée de Cîcéron, 
adoptée par M. Rollin, je crois plutôt que les 
expressions figurées dorient de la grâce au dis- 
cours, parce que , come ces deux grands homes 
Ib.p. 248. ie remarquent, elles donent du corps , pour 
ainsi dire, aux choses les plu$ spirituèles , et 
les font presque toucher au doigt et à l'œil par 



DE DU MARSÂIS. 4^ 

les images qu elles en tracent à l'imagination; 
en un mol, par les idées sensibles et accessoires. 

IV. 

Suite des réflexions générales sur le 
sens figuré. 

1°. Il n j a peut-être poinfde mot qui nçse 
prène en quelque sens figuré, c'est-à-dire , 
éloigné de sa signification propre et primitive. 

Les mots les plus comuns et qui reviénent 
souvent dans Je discours, sont ceux qui sont 
pris le plus fréquemment dans un sens figuré , 
et qui ont un plus granc^nombre de ces sprtes 
de sens: tels sont co/)[?^, ame, tête^ couleur y 
avoir y faiw , etc. 

:2°. Un mot ne conserve pas dans la traduc- 
tion tous les sens figurés qu'il a dans la langue 
originale : chaque langue a des expressions fi.- 
gurées qui lui sont particulières, soit parce que 
ces expressions sont tirées de certains usages 
établis dans un pays, et înconus dans un autre; 
soit par quelqu'autre raison purement arbi- 
traire. Les diférens sens figurés du mot voioc , 
que nous avons remarqués , ne sont pas tous en 
usage en*- latin ; On ne dit point voa: poursu- 
frage. Nous disons porter envie , ce qui ne seroit 
pas entendu en latin par /erre im^idiam : au 
contraire , morem gérere alicui ^ est une façon 
de parler latine , qui ne seroit pas entendue en 
français , si on se contentoit delà rendre mot à 
mot , et que Tort traduisît, porter la coutume 
à quelquun, au lieu de dire, faire voir à quel- 
qu'un qu'onseconformeàsongoût,àsa manière 



45 OE U V R E s 

envoyez loin de vous vos larriles , votre colère , 
comeon renvoie tout cedontonveutse défaire. 
Que si en ces ocasions nous disons plutôt, n^- 
tenez vos larrhcs , retenez votre colère , c^est 
que, pour exprimer ce sens, nous avons recours 
à une métaphore prise de Taction que Ton fait 
quand T)n relient un cheval avec le frein, ou 
quand on empêche qu'une chose ne tombe ou 
ne s'échape. Ainsi il faut toujours distinguer 
les deux sortes de traductions dont j'ai parlé 
ailleurs. Quand on ne traduit que pour faire 
entendre la pensée d'un auteur, on doit rendre, 
^'il est possiÎ3le, figure par figure, sans s'atachcr 
à traduire liléralement;.mais quand il s'agit de 
doner l'intelligence d'une langue , ce qui est le 
but des dictionaires, on doit traduire litérale-^ 
ment, afin de faire entendre le sens figuré qui 
est en usage en cette langue a l'égard d'un 
certain mot ; autrement, c est tout confondre : 
' \its dictidnâires nous diront que aqua signifié 

le feu , de la même manière qu'ils nous disent 
que m/i^ere veut dire arêter ^ retenir; car en- 
fin les Latins crioient aqua s , aquas ^ c'est-à- 
Vrrhâvi- dire , offerte aquas y quand le feu avoit pris à 
las, Téïa jg^ maison^ct nous crions alors au feu , c'est- 
a^Vop" à-dire , acourez au feu pour aider à l'éteindre. 
4. El. 9. Ainsi , quand il s'agit d'aprendre fà langue d'un 
. ^^: ^'^ auteur, il faut d'abord doner à un motsa signi- 
l"^"^^"^fication propre , c'est-à-dire , cellç^u^il avoit 
luitBcro- dans l'imagination de Tauteur qui s^test servi, 
ius.ibid. çj. ensuite on le traduit, si l'on veut, selon k 
traduction des pensées, c'est-à-dire, à la ma- 
nière dont on rend le même fonds de pensée, 
selon l'usage d'une autre langue. 

Mittere ne signifie donc point en latin retenir p 



DE DU M A n. S A I S. fyj 

non plus que péllere , qui veut dire chasser. 
Si Térence a dit Idcrymas mitte^ Virgile a En. 2. r. 
dit dans le même sens , Idcrymas diléctœ pelle ^^^' 
Creûsceé Chassez les lariî(|||'de Creuse, c'est- 
à-dire, les larmes que vous répandez pour 
Famour de Creuse, cessez de pleurer votre 
chère Creuse , retenez les larmes que vous ré- 
pandez pour l'amour d'elle , consolez- vous, 

Mittere ne veut pas dire non plus en latin 
écrire: et quand on trouve mittere epistolam 
aUcui , cela veut dire dans le latin, envojet 
une lettre à quelqu'un , et nous disons plus 
ordinairement , écrire une lettre à queUjuun. 
Je ne finirois point si je voulois raporter ici 
un plus grand nombre d'exemples du peu 
d'exactitude de nos meilleurs dictionaires ; 
merces punition , noœ la mort, puhns le ba- 
reau , etc. 

Je voudrois donc que nos dictionaires do- 
n^ssent d'abord à un mot latin la signification 
propre que ce mot avoit dans l'imagmation des 
auteurs latins : qu^ensuite ils ajoutassent les di- 
vers sens figurés que les Latins donoient à ce 
mot. Mais quand il arive qu'un' mot joint à un 
autre,formeuneexpressionfîgurée,un sens, une 
pensée que nous rendons en notre langue , par 
une image diférente de celle qui étoît eu usage 
en latin ; ak)rs je voudrois distinguer : 

1°. Si l'explication litérale qu'on a déjà donée 
du mot latin , suffit pour faire entendre à la 
lettre l'expression figurée , ou la pensée litéi- 
rale du latin ; en ce cas , je me contenterois 
de rendre la pensée à 'notre m*anière ; par 
exemple : mittere envoyer , mitte iram , retenez 
ïotre colère, mittere epistolam alicui , écrire 
•une lettre à quelqu^un. 



48 CE U V R E s 

Provincia , province , de pix) ou prociil , 
et de 'vincire lier , obliger , ou selon d'autres , 
de vincere , vaincre : c'étoit le nom généri- 
que que les Romràpjjâonoient aux pajs dont 
ils s'étoient rendus maîtres hors de l'Italie. On 
dit dans le sens propre, pronnciain cdpere ^ 
suscipére , prendre le gouvernement d'une 
province , en être fait gouverneur ; et on dit 
par métaphore , provinciam suscipére ^ être 
dans un emploi , dans une fonction , faire 
cr. Phor. quelque entreprise. Provinciain cepisti du-^ 
. I. se. 2. pam ^ tu t'es chargé d'une mauvaise comission, 
d'un emploi dificile. 

2^. Mais lorsque' la façon de parler latine est 
trop éloignée de la française, et que la lettre 
n'en peut pas être aisément entendue, les dic- 
tionaires devroient l'expliquer d'abord litéra- 
lement, et ensuite ajouter la phrase française 
qui répond -à la latine; par exemple: làterem 
cruduni laçcire , laver une brique crue , c'est- 
à-dire , perdre son tems et sa peine ^ perdre 
son latin. Qui iaveroit une brique avant qu'elle 
fût cuite, ne feroit que de la boue et perdroit 
la brique.Onne\ioitpasconclure de cet exemple, 
que jamais lai^dre ait signifié en latin perdre , 
ni latertems ou peine. 

Au reste , il est évident que ces diverses 
^ignificatiorxs qu'tine langue done 4 un même 
mot d'une autre langue , sont étrangères* à ce 
mot dans la langue originale; ainsi elles .ne 
sont point de mon sujet: je traite seulement 
ici des diférens sens que l'on done à un même 
mot dans uife même langue , et non pas des 
diférentes im.ages dont on peut se servir en tra— 
duisant^pour exprimer lemêmefondsdepensée. 

DES 



jbfi t>tJr MAKSAlSk 49 

DÈS TROPES. 

SECONDEPARTIK 

Des Tropes en particulier». 

Là CÀTACUR£â£> 

Abus y eϞension^ ou imitation. 

jLiES langues les plus riches n^ont point un tknàx^ii»tt\ 
ûSsez grand nombre de mots pour exprimer ^^'^j^*^* 
chaque idée particulière, par un terme qui ne 
soit que le signe propre de cette idée; ainsi i 
Ton est souvent obligé dVmprunter le mot 
propre de quelqu^autre idée, qui a le plus de 
raport à celle qu'on veut exprimer ; par exem* 
pie : Tusage ordinaire est de clouer des fers 
sous les pies des chevaux, ce qui s'apèleyèrrer 
un cheval ^ que s'il arive qu'au lieu de fer on 
se serve d'argent, on dit alors que les chevaux 
sont ferrés a argent , plutôt que d'inventer ua 
nouveau mot qui ne serpit pas entendu î on ' 
ferre aussi d'argent uqe cassette y etc. alors 

{errer signifie par extension , garnir d'argent au 
ieu de fer* On dit de même aler à che\>al sur 
Tome II L D 



5o OE U V R E s 

un hdton y c'est-à-dire, se mettre sur un bâton 
de la même manière qu'on se place à cheval. 

\oT. 2. Liidere par ittipar ; equitâre în ariindîne longâ. 

3.V.34. . ^ 

Dans les ports de mer on dit rhdtir un vais-- 
seau ^ quoique le mot de bdtir ne se dise pro- 
prement que des maisons ou autres édifices: 
:n. 2.V. Virgile s'est servi à'œdificdre , bâtir, en par- 
lant du cheval de Troie; et Çicéron a dit> 
3ic. pro cedijicdre classent , bâtir une flote, 
^Mani- JUieu dit à ISldise^je. ferai pleuvoir pour 
vous des pains du ciel, et ces pains c'étoit 
la mâne : Moïse, en la montrant, dit aux Juifs: 
xod. ch. "voilà le pain que Dieu vous a doné pour 
' V. 4. vivre. Ainsi la mâne fut apelée pain par ex- 
tension. 

Parricida , parricide , se dit en latin et en 
français , non seulement de celui qui tué son 
père , ce qui est le premier usage ae ce mot j 
mais il se dit encore par extension de celui 
qui fait mourir sa mère , ou quelqu'un de ses 
paréns , ou enfin quelque persone sacrée. 

Ainsi la catachrèse est un écart que cer- 
tains mots font de leur première signification, 
pour en prendre une autre qui y a quelque 
raport , et c'est aussi ce qu'on apèle eacten-^ 
sion.: par exemple ; feuille se dit par exten- 
sion ou imitation des choses qui sont plates 
et minces , corne les feuilles des plantes ; on 
dit une feuille de papier y une feuille de fer 
blanc j une feuille (T or y une feuille d'étain, 
<ju^on met derrière les miroirs : une feuille 
de carton; le talc se lève par feuilles ; les 
feuilles d\in patavèïit ^ etc. 



DE 1> U M A R S À I S* 5l 

La langue , qui est le principal organe de 
IsL parole , a doné son nom par métonymie 
et par extension au mot générique dont on 
se sert pour marquer l-es idiomes , le langage 
des diférentes nations : langue latine , langue 
française. 

Glace y dans le sens propre, c'est de Teau 
gelée : ce mot signifie ensuite par extension^ 
un verre poli , une glace de miroir , une glace 
de ca rosse. 

Qlace signifie encore une sorte, de compo- 
sition de sucre et de blanc d'oeuf, que Ton 
coule sur les biscuits, ou que Ton met sur 
les -fruits confits. 

Enfin , glace se dit encore au pluriel, d'une 
sorte de liqueur congelée. 

Il y a même des mots qui ont perdu leur 
première signification, et n'ont retenu que 
celle qu'ils ont eue par extension : fiorir yjlo^ 
rissant y se disoient autrefois ^es arbres et 
des plantes qui sont en fleurs; aujourd'hui on 
dit plus ordinairement ^eizr/r au propre, et 
Jlorir au figuré : si ce n^està l'infinitif, c'est au 
moins dans les autres modes de ce verbe; 
alors il signifie être en crédit, en honeur, en 
réputation : Pétrarque Jlorissoit vers le mi- 
lieu du XIV*. siècle : une armée florissante ; 
un empire florissant. « La langue grèque, dit 
» Madame Dacier, se maintint encore assez 
y> florissante jusqu'à la pri^e de Constanti- 
1) nople en i453». 

Prince, en latin princeps y signifioit seule- 
. ment autrefois , premier , principal ; mais au- 
jourd'hui en françois il signifie un souverain^ 
ou une persone de maison souveraine. 

Da 



•5:2 ©E U V R K s - / 

Le mot iniperàtor y empereur, ne fut d'a- 
bord qu'un titre d'honeur que les soldats do- 
noient dans le camp à leur général, quand 
il s^étoit distingué par quelque expédition mé- 
morable : on n'avoit atache à ce mot aucune 
idée de souveraineté, du tems même de Jules 
César, qui avoîtbien la réalité de souverain f 
mais qui gouverrtoit sous la forme de Tanciène 
république. Ce mot perdit son anciène signi- 
fication vers la fin du règne d^ Auguste , ou 
peut-être même plus tard. 

Le mot latin succùrrere , que nous tradui- 
sons par secourir , veut dire proprement courir 
sous ou sur. Cicéron s'en est servi plusieurs 
fois en ce sens ; succùrram atque suhihoè 
Cït,2iàkii, Quidauid succùrrit lihet scribere , et Sénê- 
L.i4.Epist. qyg (j^j. ^J^çIqs ^i nomen non succùrrit. t/o- 

I.subnnem. * , j , -, 

Scncc. Ep. 'wz/îo^ salutamus ; « lorque nous rencontrons 
»"• » quelqu'un et que son nom ne nous vient 

» pas dans dans Tesprit , nous Tapelons Mon- 
» sieur». Cependant come il faut souvent se 
hâter et courir pour venir au secours de quel- 
qu'un, on adoné insensiblement, à ce mot par 
extension, le sens d^ aider ou secourir* 
^rirm Pétcre , selon Perizonius , vient du greC 

îtIto^*/ pefo et petomai , dont le premier signifie /om- 
Pcriz. m ^ ^j. j'^yj-pg voler; ensorte que ces verbes 

Sanct. min. ' . . « . * r^ 

lib. 4. c. 4. marquent une action qui se rait avec erort et 
n. 46» mouvement vers quelque objet; ainsi : 

i^. Le premier sens de pétere y c^est aler 
njersy se porter ai^ec ardeur vers un objet ; 
ensuite on done à ce mot par extension 
plusieurs autres sens , qui sont une suite du 
J)remier. 

a"".. Il signifie souhaiter d'aç^oir^ briguer p 



DE bu MARSAIS. 55 

demander ; pétere consulatum , briguer le 
consulat ; pétere nùptias alicùjus, rechercher 
une persone en mariage. 

3^/ Aler prendre; unde mihi petam cibum.Tcr. Heaut. 

4". Alewers quelqiCun; et en conséquence ^' ^* ^^' 
le f râper, Pataquer. Virgile a dit: malo me^^^'^''-^^* 
Qalatêa petit y et Ovide , à populo saxis prœ-^ ^^'^g- *^* 
tereùnte petor. 

5^. Enfin pétere veut dire par extension , 
aler en quelque lieu, ensorle que ce lieu soit 
lobjet de nos demandes et de nos mouve- 
mens. Les ^compagnons d'Enée , après leur 
naufrage , demandent à Didon qu'il leur soit 
permis- de se mètre en état d'aler en Italie^ 
dans le Latium, ou du moins dealer trouver 
le roi Aceste. 

i ^ . • ' ' 

f .•_ Itàlîam lœti Latiiimque petâmus. Vîrg. M.nm 

\ i.v. 558. 

F At fréta Sicâniae saltem sedësque parâtas , 

f Unde hue advécti , regémque petàmus Acësten» ' ^ 

[ La réponse de Didon est digne de remarque : 

Seu vos Hespérîam magnam Saturnîdque arva ^ 
Sive Erjrcis fines, regëmque optâtis Acésten. 

OÙ vous voyez qvJoptdtis explique petdmus. 

Advértere signifie tourner vers : adç'értere ^hu^;, . 
agmen urbi, tourner son armée vers la ville ;^'^^^- 
nas^em adi^értere , tourner son vaisseau vers 
Quelque endroit, y aborder : ensuite on l'a 
ait par métaphore de Tesprit j advértere dni" 
mum, adçértere mentem; tourner Tesprit vers 
quelque objet, faire atention , faire réflexion , 
considérer : on a même fait un mot composé 

D5 



54 OE U V R E s ^ . 

de dnimum et d^advértere ; anim-advértere ^ 
considérer , remarquer , examiner. 

Mais parce qu'on tourne son esprit, son 
ressentiment, vers ceux 'qui nous ont ofen- 
sés , et qu'on veut punir ; on a doné ensuite 
par extension le sens de punir à animadyér^ 
tere ; uerbéribus animadvértehant in cives i 
^^^^"^^'^ils tournoient leur ressentiment, leur colère, 
avec des verges contre les citoyens ; c'est-à- 
dire , qu'ils condanoient au fouet les citoyens* 
Remarquez qu^dnimus se prend alors dans le 
sil. Fab. sens de colère. Animiis y dit Faber, se prend 
:s.v. «««-souvent pour cette partie de l'ame , quce ini'^ 
petus habet et motus^ 

Ira furor brevis est ; ânimui:n rege ^ qui nîsi paret 
lor. Ub. Imperat ; hune frenis , hune tu compésee c^lënâ. 
ipist, 2. ^ ' ' ^ 

^^* Ces sortes d'extensions doivent être auto- 

risées par l'usage d'une langue, et^ ne sont 
pas toujours réciproquesdans une autre langue; 
c'est-à-dire, que le mot françois ou alemand, 
qui répond au mot latin, selon le sens propre , 
ne se prend pas toujours en françois ou en ale- 
mand dans le même sens figuré que l'on done 
au mot latin : demander répond à pétere ^ 
cependant nous ne disons point demander pour 
ataauer y ni pour alerà^, 

Ôppido dans son origine est le datif d^ôppi-^ 
dum y ville; ôppido pour la ville, au datif. 
Les laboureurs en s^entretenant ensemble, dit. 
Festus , se demandoient l'un à l'autre , avez-- 
vous fait bone récolte? Sœpè respondebdùar^^ 
quantum 'vel ôppido satis esset , j'en aurois. 
pour nourir toute la ville: et de là est venu 
t{u'on ^ dit ôppido adverbidieiuent; pour bc^kU-* 



DE DU M A R 5 A I S. 55 

coup ; hinc in consuetùdinem "venit ut dice-^ 
rétuFy oppido p^o valdè , multùm. Festus. v. 
Oppido. 

JDont vient de undè , ou plutôt de de undèy • 
come nous disons delà , dedans. Aliquid dé-- ajTT°^!* 

1 . ,, , 11» 'i> Adclph.act. 

aeris unae utatur, donez-lui un peu d argent 5. se. 9. t. 
dont il puisse vivre en le metant à profit ; ce «4. 
mot ne se prend plus aujourd'hui dans sa signi- 
fication primitive; on ne dit pas la ville dont 
je a)iens f maïs d^od Je viens. 

Propinàre, boire à la santé de quelqu'un , 
est un mot purement grec , qui veut dire à 
la lettre , boire le premier. Quand les anciens 
vouloiént exciter quelqu'un ^ boire, et faire 
à peu près à son égard ce que nous apelons 
boire à la santé ; ils prenoi^nt une coupe 
pleine de vin , ils en bu voient un peu les pre- 
miers , et ensuite ils présentoient la coupe à 
celui qu'ils vouloiént exciter à boire (i). Cet 
usage s'est conservé en Flandre , en Rolande^ 
et dans le Nord : on fait l'essai , c'est-à-dire , 
qu'avant de vous présenter le vase , on en boit 
un pçu, pour vous marquer que vous pouvez ea 
boire sans rien craindre. Dé là, par exten- 
sion, par imitation, on s'est servi de propi^ 
ndre , pour livrer quelqu^un , le trahir pour 
faite plaisir à un autre; le livrer ^ le doner 
come on done la coupe à boire après avoir 

(ï) Hic regfna gravem gcmmis aurôque pop6scît ,. 

Impletitque mero pdteram • . . .. 

— — et ia mensa làticum libâvit honorem,, 
Primâque libâto summo tenus âttigit ore : 
Tum Bitiœxledit incrépitans; ille impiger hausit 
Spumântem pàteram;t et pleno se prùluit auro. 

JEn. I. ySa» 

D4 



56 . OE U V R E s 

fait Tessaî. Jetons le livre ^ dit Térence, en 
ir.Eun. se Servant par extension du mot propino , mo- 

V. SCÇ-* » . . ... . . 

ièrc. 



^'^^^^^ {jiiez^vous de lui tajit qu il uous plaira^ hune 



vobis deridéndum. propino. 

Nous avons vu dans la cinquième partie 
de cette grammaire, que la préposition su- 
pléoit aux raports qu'on ne sauroit mar- 
quer par les terminaisons des mots; qu'elle 
marquoit un raport général ou une circon- 
stance générale , qui étbit ensuite déter- 
minée par le lùot qui suit la préposition. 

Or, ces raports ou circonstances générales, 
sont presque infinies, et le nombre des pré- 
positions est extrêmement borné j mais pour 
supléer à celles qui manquent , on done di-. 
vers usages à la même préposition. 

Chaaue préposition a sa première signifî- 
tion , elle a sa destination principale , son pre- 
mier sens propre j et ensuite par extension , 
par imitation , par abus ♦ en un mot par ca- 
tachrèse ^ on la fait servir à marquer d'autres 
raports qui ont quelque analogie avec la des- 
tination principale de la préposition , et qui 
sont dufisament indiqués par le sens du mot 
qui esjt lié à cette préposition j par exemple : 

La préposition in est une préposition de 
lieu , c'est-à-dire , que son premier usage est 
de marquer la circonstance générale d'être 
dans un lieu : César fut tué dans le sénat j^ 
entrer dans une maison > serrer dans une 
cassette^ , 

Ensuite on considère par métaphore les di- 
férentes situations de l'esprit et du corps, les di- 
férens états de la fortune, en un mot, les di-^ 
férentes manières d'être> corne autant de lieux 



, JEn, 



DE DU MARSAIS. 5j 

OÙ l'home peut se trouver j et alors on dit par 
extension , être dans la Joie, dans la crainte , 
dans le dessein ^ dans la bone ou dans la 
maui^aise fortune , dans une parfaite santé , 
dans le désordre^ dans Vépée , dans la robe , 
dans le doute , etc. 

On se sert aussi de cette préposition pour 
marquer le tems : c'est encore; par extension , 
par imitation ; on considère le tems come un 
lieu , nolo me in têmpore hoc videat senex , 
c'est le dernier vers du quatrième acte de l'An- 
driène de Térenee. 

Ubi et ibi sont des adverbes de lieu j on les 
fait servir aussi par imitation pour marquer le 
tems , hœc ubi dicta , après que ces mots furent ^"Iv^ 
dits , après ces paroles. Non tu ibi natum? ^^^^^^^ 
{obfurgasti) n'alâtes-vous pas sur le champ And. act. i! 
gronder votre fils ? ne lui dites-vous rien alors? sc.i.v. 122. 

On peut faire de pareilles observations sur 
les autres prépositions , et sur un grand nombre 
d'autres mots^ 

w La préposition après ,' dit M. l'abé de 
» Dang«au,marquepremièrement postériorité Feuille yo* 
)) de lieu entre des persones ou des choses ..^^J*/^ *^J ï* 

^. y - - préposition 

» marcher après quelquun ; le valet court après. 
» après son maître ; les conseillers sont assis 
M après les présidens.n 

Ensuite , considérait les honeurs , les ri- 
chesses , etc. come des êtres réels , on a dit, 
par imitation , courir après les honeurs , sou^ 
pirer après sa liberté. 

« Après, marque aussi postériorité de tems , 
» par une espèce d'extension de la quantité de 
» lieu à celle du tems ^ Pierre est arrivée après 
» x/âfçi/ej. Quand un home marche après un 



58 OE U V R E s 

» autre, il arrive ordinairement plus tard; 
» après demain , après dîné , etc. 

» Ce tableau est fait d'après le Titien^^Ce 
» paysage est fait diaprés nature : ces façons 
» de parleront raport à la postériorité de. tems* 
» Le Titien avoit fait le tableau avant que le 
j) peintre le copiât; la nature avoit formé le 
» paysage avant que le peintre le représentât. » 
C'est ainsi que les prépositions latineis à et 
sub marquent aussi le tems , corne je Fai fait 
voir en parlant des prépositions. 

w II me semble., dit M. Tabé de Dangeau , 
» qu^il seroit fort utile de fairç voir coment on 
» est venu à doner tous ces divers usages à un 
» même mot ; ce qui est comun à la plupart 
» des langues. » 

Le mot d'heures a'pa > n'a signifié d'abord 

que le tems ; ensuite par extension il a signifié 

,les quatre saisons dfe Tannée. Lorsqu'Homère. 

iiiad.L. V. jit; q^je depuis le comencement des tems les 

•24; ' ^^^ heures veillent à la garde du haut Olympe y 

et que le soin des portes du ciel leur est confié i 

Rem. p. madame Dacier remarque qu'Homère apèle les 

^'^^' heure's ce que nous apelons les saisons. 

Herod.L.2. Hérodote dit que les Grecs ont pris des 

Babyloniens l'usage de diviser le jour en douze 

Pline, L. 7. parties. Les Romains prirent ensuite cet usage 

c. 6a. (Je3 Grecs; il ne fut introduit chez les Romains 

qu'après la première guerre punique : ce fut 

vers ce tems-là que par une autre extension 

l'on dona le nom à' heures aux douze parties da 

jour et aux douze parties de la nuit j celles-ci 

étoient divisées en quatre veilles, dont chacune 

comprenoit trois heures. 

Dans le langage 'de l'église^ les jours de la 



DE DU MÀKSAlS.i Sg i 

semaine qui suivent le dimanche, sont apelés 
fériés par extension. 

Il y avoit parmi les anciens des fêtes et des 
fériés : les fêtes étoient des jours solemnels où 
l'on faisoit des jeux et des sacrifices avec 
pompe ; les fériés étoient seulement des jours 
de repos où Ton s'abstenoit du travail. Festus 
prétend que ce mot yient à Jerléndis uîctimis^ 

L'anée chrétiène començoit autrefois au jour 
de Pâques ; ce qui étoit fondé sur ce passage 
de S. JPaul : Quômodb Christus resurréxit à Rom. c. 6. 
môrtuis , ita et nos in noyitdte "vltœ ambu^"^' ^' 
lémus. 

L'empereur Constantin ordona que Ton s'abs- 
tîendroit de toute œuvre servile pendant la 
quinzaine de Pâques , et que ces quinze jours 
seroient fériés : cela fut exécuté du moins pour 

première semame ; ainsi tous les jours de 
cette première semaine furent yene^. Le len- 
demain du dimanche d'après Pâques fut la 
seconde férié , ainsi des autres. L'on dona en- 
suite par extensioYi , par imitation , le nom de 
férié seconde , troisième ^ quatrième ^ etc. aux 
autres ]o*urs des semaines suivantes , pour 
éviter de leur donner les noms profanes -des 
dieux des payens. 

C'est ainsi que chez les Juifs le nom de sabat 
( sabbatuni ) qui signifie repos , fut doné au 
septième jour de la semaine , en mémoire de 
ce qu'en ce jour Dieu se reposa , pour ainsi 
dire , en cessant de créer de nouveaux êtres : 
ensuite par extension on dona le même nom 
k tous les jours de la semaine , en ajoutant 
f rentier , second , troisième , etc. prima , ^e— 
blinda ^ etc. sabbatôrum. Sabbatum se dit aussi 



6o OE U V R E s 

de la semaine. On dona encore ce nom â 
chaque septième année , qu'on apela année 
sabatique ^ et enfin àFannee qui ariv oit après 
sept fois sept ans, c'étoit le jubilé des Juifs; 
tems de rémission , de restitution , où chaque 
particulier rentroit dans, ses anciens héritages 
aliénés, et où les esclaves devenoient libres. 

Notre verbe a/er, signifie dans le sens propre , 
se transporter (Tan lieu à un autre ; mais en- 
suitç dans combien de sens figurés n'est-il pas 
employé par extension! Tout mouvement qui 
aboutit à quelque fin j toute manière de pro- 
céder , de se conduire , d'atteindre à quelque 
but ; enfin tout ce qui peut être comparé à 
des , voyageurs qui vont ensemble, s'exprime 
par le verbe aler'y je vais ^ ou je vas ; aler 
4 ses fins y aler droit au but : // ira loin y 
c'est-à-dire , il fera de grands progrès , aler 
étudier y aler lire y etc. 

Des^oir y veut dire dans le sens propre , être 
obligé parles loioc à payer ou à faire quelque 
chose : on le dit ensuite par extension de tout 
ce qu'on doit faire par bienséance , par poli- 
tesse y nous dei^ons aprendre ce que nous rfe- 
vons aux autres , et ce que les autres nous 
doivent. 

Des^oir se dit encore par extension de ce 
qui arivera , corne si c'étoife une dette qui dût 
être payée ; je dois sortir : instruisez-vous 
de ce que vous êtes ^ de ce que vous n^étes 
pas, et de ce que vous deuez être , c'est-à-dire, 
de ce que vous serez , de ce à quoi vous êtes 
destiné. 

Notre verbe auxiliaire as^oir ^que nous avons 
pris des Italiens, vient dans son origine du 



B£ DU MAKdAtS. 6l 

rerbe hab'ére , avoir , posséder. César a dît Casarpram 
au il envoya au devant toute la cavalerie qu'il f"*' '^î"''*^" 
avoit assemblée de toute la province , quem ^^m ex omni 
coactum habébat. Il dit encore dans le même provhciâ 
sens , avoir les fermes tenues à bon marché ^'^^^^^^^ **' 
c'est-à-dire , avoir pris les fermes à , bon c^sar de 
marché , les tenir à bas prix. Dans la suite on bcUo Gaiiu 
s'est écarté de cette signification propre à^ avoir ^ "^^ VecnàHa 
et on a joint ce verbe par métaphore et par />art/o prétio 
abus , à un supin , à un participe ou adjectif , redemptaha^ 
ce sont des termes abstraits dont on parle i,^[^' *°* 
come de choses réelles : amàvi , j'ai aimé , hàbeo Nostram 
amdtum : aimé est alors un supin, un nom *^°^""'^- 

» 1 • . 1 u • •/? tiarahabcnt 

qui marque le sentiment que le verbe signi.he ; despicâtam. 
je possède le sentiment d'aimer , come un autre Ter. Eun. 
possède sa montre. On est si fort acoutumé à **^^-^-*^-^' 
ces façons de parler , qu'on ne fait plus aten- ^' ^^' 
tion à i anciène signification propre d'avoir; on 
lui en done une autre qui ne signifie avoir que 
par figure , et qui marque en deux mots le \ 
mênie sens que les Latins exprimoient en un 
seul mot. Nos grammairiens qui ont toujours 
raporté notre grammaire à la grammaire la- 
tine , disent qu'alors avoir est un verbe auxi- 
liaire , parce qu'il aide le supin ou le participe 
du verbe à marquer le même tems que le verbe 
latin signifie en un seul motr 

Etre ^ avoir , faire , sont les idées les plus 
simples, les plus comunes , et les plus inté- 
ressantes pour l'home : or les homes parlent 
toujours deloutpar comparaison à eux-mêmes; 
de là vient que ces mots ont été le plus dé- 
tournés à des usaiges diférens : être assis , être 
aimé ^ etc. avoir de l'argent , avoir peur , 



62 , OE U V R E s 

avoir honte , aç^oir quelque chose faite , et 
en moins de mots , avoir fait* 

De plus , les home3 réalisent leurs abstrac- 
tions ; ils en parlent^ par imitation , corne ils 
.parlent des objets réels : ainsi ils se sont servis 
du mot avoir en parlant de choses inanimées 
et de choses abstraite^. On dit cette- mile a 
deuac lieues de tour , cet ouvrage a des dé-* 
fauts; les passions ont leur usage; il a de 
V esprit y il a de la vertu : et ensuite par imi- 
tation et par abus , // a aimé ^ il a Lu , etc. 

Remarquez en passant que le verbe a est 
alors au présent , et que la signification du 
prétérit n^est que dans le supin ou parti- 
cipe. 

On a fait aussi du mot il un terme abstrait^ 
qui représente une idée générale , Tétre en 



général; il V a des homes qui disent, illud 

Îjuod est , ioi habet hômines qui dicunt : dans 
a bone latinité on prend un autre tour , come 



nous Tavons remarqué ailleurs. 

Notre il dans ces façons de parler , répond au 
T. Lîv. L. res des Latins : Prôpiùs metum resfùerat , la 
1. n. 85. chose avoit été proche de la crainte : c'est- 
à-dire , ily avoit eu sujet de craindre. Res ita 
se habet y '\\ est dXnsu Res tua dgitur , \\ s'agit 
de vos intérêts , etc. 

Ce n'est pas seulement la propriété à! avoir ^ 

Îu'on a atribuée à des êtres inanimés et à 
es idées abstraites , on leur a aussi atribué 
celle de o^ow/o/r : on dit : cela veut dire y au 
lieu de cela signifie ; un tel verbe veut un tel 
cas ; ce bois ne veut pas brûler ; cette clé ne 
veut pas tourner, etc. Ces façons de parler 



t 



DE DU MAIISAIS. 65 

figurées sont si ordinaires , qu'on ne s'aperçoit 
pas même de la iîgure. 

La signification des mots ne leur a pas été 
donée dans une assemblée générale de chaque 
peuple , dont le résultat ait été signifie à 
chaque particulier qui est venu dans le monde ; 
Cela s'est fait insensiblement et par Féduca- 
tion : les enfans ont lié la signification des 
mots aux idées que l'usage leur a fait conoître 
que ces mots signifioient. 

1°. A mesure qu'on nous a doné du pain , et 
qu'on nous' a prononcé le mot pain ; d'un côté 
le pain a gravé par les jeun son in*age dans 
notre cerveau , et en a excité l'idée : d'un autre 
côté le son du mot pain a fait aussi son impres- 
sion par les or'eilJes , de sorte que ces deux ' 
idées accessoires , c'est-à-dire , excitées en 
nous en même-tems , ne sauroient se réveiller 
séparément , sans que l'une excite Tautre. 

3°, Mais parce que la conoissance des autres 
mots qui signifient des abstractions ou des opé- 
rations de l'esprit , né nous a pas été donée 
d'une manière aussi sensible ; que d'ailleurs 
la vie des hommes est courte , et qu'ils sont 
plus ocupés de leurs besoins et de leur bien 
être , que de cultiver leur esprit , et de perfec- 
tioner leur langage ; come il y a tant de variété 
et d'inconstance dans leur situation , dans leur 
état ^ dans leur imagination , dans les diférentes "^ 
relations qu'ils ont les uns avec les autres ; que 



{)ar la dificulté que les homes trouventà prendre 
es idées précises de ceux qui pp rient , ils re- 
tranchent ou ajoutent pjftsque toujours à ce 



qu'on leur dit j que d'ailleurs la mémoire n'est 
ni assez fidèle, ni assez" scrupuleuse pour re- 



64 cas tî V K s ^ , 

tenir et rendre exactement les mênnes mots et 
les mêmes sons, et que les organes tle la pa* 
rôle, n'ont pas dans tous les homes une con- 
formation assez uniforme pour exprimer les 
sons précisément de là même manière ; enfin 
come les langues ne sont point assez fécondes 
pour fournir à chaque idée un mot précis qui 
y réponde : de tout cela , il est arivé que les 
enfans se sont insensiblement écartés de la 
manière de parler de leurs pères, come ils se 
sont écartés de leur manière de vivreet des'ha- 
biller ; ils ont lié au même mot des idées difé- 
rentes et éloignées j ils ont doné à ce même 
mot des signifîcal^ns empruntées ^ et y ont 
ataché un tour diférent aimagination : ainsi 
les mots n'ont pu garder long-tems une sim- 
plicité qui les restraignît à un seul usage ; c'est 
ce qui a causé plusieurs irrégularités aparentes 
dans la grammaire et dans le régime des mots; 
on n'en peut rendre raison que par la cônois- 
sance de leur première origine, et de l'écart , 
pour ainsi dire, qu'un mot a fait de sa première 
signification et de son premier usage: ainsi, 
cette figure mérite une attention particulière; 
elle règne en quelque sorte sur toutes les autres 
.figures. 

Avant que de finir cet article, je croîs qu'il 
n'est pas inutile d'observer que la catachrèse 
n'est pas toujours de la même espèce. 

i^. Il y a la catachrèse qui se fait lorsqu'on 
done à un mot une signification éloignée, qui 
n'est qu'une suite <i^^^ signification primitive : 
c'est ainsi que succùrrere signifie aider ^ se- 
courir : Pétere , ataquer : Jknimadç^értere , 
punir : ce qui peut souvent être raporté à la 

métalepse, 



t) B t) V J( JL H 3 A t 5é 65 

tnétalepse^ dont nous parlerons dans la suitCé 
n^ La seconde espèce de catachrèse n'est 

{)roprement qu'une sorte de métaphore , c'est 
orsqu'il y a imitation et comparaison , coipe 
quand on dhfsrret dP argent ^ feuillls de pa^ 



\ 



Tome ///. 



MiTUv/uiiëL 



6d OB y y n E $ 

jL ▲ M £ T. 9 li Y M I E. 

LiE mot de métonymie signifie transposition , 
Change- ou changement de^ nom , un nom pour un 
"^^«^^ f autre. 

nom, de ^ , 

ftim, qui, tin ce, seus , cette hgure comprend tous les 
dans la autres tfopcs ; car dans tous les tropes , un mot 
tion°!^m!ir- n'étant pas pris dans-le sens qui lui est propre, 
que ' chau- il réveille une idée qui pouroit être exprimée 
cément, «tp^p^jQ autre mot. INous remarquerons dansja 
i^lm. *^* suite ce qui distingue proprement la métonymie 
des autres tropes. 

Les maîtres de Fart restraîgnenl la métonymie 
aux usages suivans. 

1°. La cause pour l^efet; par exemple : 
vivre de son travail , c'est-à-dire , vivre de ce 
qu'on gagne en travaillant. 

Les païens regardoient Cérès come la dées3e 
qui avoit fait sortir le blé de la terre ^ et qui 
avoit apris aux homes la manière d'en faire dtt 
pain : ils croyoient que Bacchus étoît le Dieu 
qui avoit trouvé l'usage du vin j ainsi , ils do- 
n oient au blé le nom de Cérès ^et au vin le nom 
de Bacchus ; on en trouve un grand nombre 
d'exemples dans les poètes : Virgile a dit , un 
Virg. Rn, qjieuœ jBacChus , pour dire du vin vieux, /m- 
?»▼• 219- pléntur véteris Èacchi. Madame des Hou- 
lières a fait une balade dont le refrein est. 

L'amour languit sans Bacchus et Cërés. 

C'est la traduction de ce passage de Térence^ 



D. E t) V M À n S A I Se 67 

Sine Cérere^etLehirofriset f^enus. C'est-à-dire, '^*'^- ^'*"- 
qu on ne songe guère a faire 1 amour quand oa 
n'a pas de quoi vivre. Virgile a dit : 

Tum Cërerem corriiptam undîs cerealiâque arma -*». i , y^ 
Expédiant fessî rerum, *8*^ 

Scarron , dans sa traduction burlesque , se 
sert d'abord de la même figure ; mais voj^ant 
bien que cette façon de parier ne seroit point 
entendue en notre langue^ il en ajoute Texpli- 
cation : . ^ 

Lora fat des vaisseaux descendae Scarron ^ 

Toute la Cërès corompue j Vùrgile tra. 

En langage un peu plus humain , ^"^** ^* *• 
Cest ce de quoi l'on fait du pain« 

Ovide a dit , qu'une lampe prête dP s'éteindre se * 

rallume quand on y verse Pallas (i), c'est-à- 
dire , de 1 huile : ce fut Pallas^ selon >l0 feble ^ 
qui la première fit sortir l'olivier de la terre ^ 
et enseigna aux homes l'art de faire de l'huile ; 
ainsi , Pallas se prend poUr l'huile , corne Bac- 
chus pour le vin: 

On raporte à la même espèce de figure les 
{açons de parler , où le nom des dieux du Paga- 
nisme se prend pour la chose à qfioi ils prési- 
dotent , quoiqu'ils n'en fussent pas les inven- 
teuTS. Jupiter seprend pour l'air , Vukain pour 
le feu : ainsi ^ pour dire , où vas- tu avec ta lan- 
terne ? Plante a dit , quo dmbulas tu , qui VuU Plaut. 
ednum in cornu conclûsum geris ? Où vas-tu ^™P^- ^^^• 
toi quiyortes Vulcain enfermé dans une corne ? 185/ * ' 

(i) Cujué ab all6qaiiâ anima hœc moribiinda revixit, 
fj t vigii infusa Pàllade flamma solet» 

Otio. Trist. 1. jy.El. 5, t. 4. 
E a 



68 OR U Y R E s 

^ Xn. 5 , V. Et Virgile yfurit Fulcànus ; et encore ^u pre- 
mier livre des Géorgiques , voulant parler du 
vin cuit ou du résiné que fait une ménagèfe de 
la campagne , il dit Qu'elle se sert de Yùlcain 
pour dissiper Thumiaité du vin doux. 

Georg. I , Aut dulcU musti Y ulcâno dëcoquit hum6rem* 
t. 295. 

Neptune se prend pour la mer; Mars , le 
dieu de la guerre , se prend souvent pour la 
guerre même , ou pour la fortune de la' guerre , 
pour Tévènement des combats , Tardeur, l'a- 
vantage des combatans. Les historiens disent 
souvent qu'on a combatu avec un Mars égal , 
œquo Marte pugndtum est , c'est-à-dire , avec 
un avantage "égal; ancipiti Marte y^vec un 
succès doutefix : vçirio Marte , quand Tavan-* 
tage est tantôt d'un côté et tantôt de l'autre. 
. C'est encore prendre là cause pour Téfet , 

3ue de dire d'un général ce qui , à la lettre ,'ne 
oit être entendu que de son armée ; il en est 
dfe même lorsqu'on donc le non^ de l'auteur à 
ses ouvrages : il a lu Cicéron , Horace , Virgile ; 
c'est-à-dire , les ouvrages de Cicéron , etc. 
. Jésus-Christ lui-même s'est servi de la mé- 
tonymie en ce sens , lorsqu'il a dit , parlant ^ 
lue , c. XVI , des Juifs ; ils ont IVIoïse et les prophètes , c'est- 
^- ^9- à-dire^ ils oijtles livres de Moïse et ceux des 
prophètes. 

On done souvent le nom de l'ouvrier à l'ou- 
vrage; on dit d'un drap que c'est un Vari'Rohais, 
un Rousseau , un Pagnori , c'est-à-dire , un 
drap de la manufacture de Van-Robais , ou de 
celle de Rousseau , etc. C'est ainsi qu'on done 
le nom du peintre au tableau : on dit^ j'ai vu 
un beau Rembrant ^ pour dire un beau tableau 



t)JSDVMAn5.AlS. 69 ^ 

fait par le Rembrant. On dit d'un cucieux en 
estampes , qu'il a un grand nombre de Callots , 
c'est-rà-dire , un grand nombre d'estampes gra- 
vées par Callot. * * .^ 

On trouve souvent dans récriture sainte , 
Jacob, Israël, Juda, qui sont des nouas de 
patriarches , pris dans un sens étendu pour 
marquer tout le peuple juif. M. Fiéchier , 
parlant du sage et vaillant Machabée, auquel 
il compare M. de Turène , a dit « cet home qui Oraisonf». 
D icéjouissoit Jacob par ses vertus et par ses ^I xurèntî' 
» exploits». JVzco^^ c'est-à-dire, le peuple juif* 
Au lieu du nom de Féfet , on se sert souvent 
du nom de la cause instrumentale qui sert à le 
produire : ainsi , pour dire que quelqu'un écrit 
bien, c'est-à-dire, qu'il forme bien les carac- 
tères de l'écriture , on dit qu'// a une belle 
main. 

La plume est aussi une cause instrumentale- 
de l'écriture , et par conséquent de la compo- 
sition j ainsi plume se dit par métonymie , dfe . • 
la manière de former les caractères de récriture^ 
et de la manière de composer. 

Plume se prend aussi pour l'auteur même ; 
c^est une bone plume, c'est-à-dire ^ c'est un 
auteur qui écrit bien : c^est une de nos nieil^ 
leures plumes , c'est-à-dire , un de nos meil- 
leurs auteurs. - , : 
Style, signifie aussi par figure la manière 
d'exprimer les pensées* 

Les anciens avoientdeux manières de former 
les caractères de l'écriture ; Tune éloit pingendo, 
eji peignant les lettres , ou sur des feuilles d'ar-^ 
bres, ou surdes peaux préparées^ou sur lapetit« 

E5 



JO pE tr T R E $ 

membrane intérieure de Técorce de certains 
arbres j cette membrane s'apèle en latin liber ^ 
d'où vient /zVnej ou sur de petites tablètes faites 
,) de l'arbrisseau papirus , ou sur de la toile , etc, 

Ws écrivoient alors avec de petits roseaux y et 
dans la suite ils se servirent aussi de plumes 
tome nous. , 

L'autre manière d'écrire des anciens , étoit 
incidéndo , en gravant les lettres sur des lames 
de plomb ou de cuivre , ou bien sur des ta- 
blètes de bois , enduites de cire. Or pour 
graver les lettres sur ces lames ou siyr ces ta- 
lètes , ils se servoient d'un poinçon , qui étoit 
pointu par un bout et aplati par l'autre : la 
pointe servoit à graver , et l'extrémité aplatie 
servoit à éfacer ; et c'est pour cela qu'Horace a 
Ib. X , lat. dit stjrlum uértere, tourner le style , pour dire , 
^' ^^* éfacer, coriger , retoucher à un ouvrage. Ce 
Pc îùyAt poinçon s'apeloit Stylus , style , tel est le sens 
lumna , propre de ce mot 2 dans le sens figuré , il sifi'nifie 

lumella ,1 *^ '-i j> • i " r^y J^ 

\tt coione. ^^ manière o exprimer les pensées. C est en ce 
sens que l'on dit , le style sublime , le style 
simple , le style médiocre , le style soutenu , 
le style grave , le style comique , le style poé*'» 
tique , le style de la conversation , etc. 

Outre toutes ces manières diférentes d'ex- 
primer les pensées , manières qui doivent con- 
venir aux sujets dont on parle, et que pour cela 
on apèle style de convenance , il y a encore le 
style personel : c'est la manière particulière 
dont chacun exprime ses pensées. On dit d'un 
auteur que son style est clair et facile ^ ou , au 
contraire , que son style est obscur , embar- 
rassé ;, etc» ; on reconoit un auteur à son stjrle , 



DE DV MARIAIS. ^1. 

e'est-à<-dire , à sa manière d'écrire , corne oik 
reconoit^n home à sa voix > à ses gestes, et à sa 
démarche. 

Style se phend encore pour les diférentes 
manières de faire les procéaures selon les difé- 
rens usages établis en chaque jurisdîction'c In 
style du palais , le stylé du c<^n$eil .^ le style dei 
notaires , etc. Ce mot a encore plusieurs au ireb 
usages qui yiènent par A^tensiôn de ceux dent , .^ 
nous venons de parler. 

Pinceau , outre son sens propre , se dit aussi 
quelquefois par métonymie , corne plume et 
style : on dit d'un habile peintre ^ que c'est uà 
savant pinceau. 

Voici enc61*e quelques exemples tirés de i^f 
l'écriture sainte > où la cause est prise pour Féfet* 
Si peccdverit anima , portahit inttjuUdtem tevit.c.v^ 
suant y elle portera son iniquité , c'est-à-dire^^* "" 
la peine de son iniquité. Iram Domini portdba Mkh. c. 

Î^uôniam^ peccdvi j où vous voyez que par la çp- ^" » ^' 9* 
ère du seigneur , il faut entendre la peine qui 
Qst une suite de la colère. Nofi mordoitur opus Levit. c. 
mercendrii tui apud te usque manè ^ opus,^"''^-^^* 
Touvrage , c'est-à-dire , le salaire ^ la récom- 
pense qui est due à l'ouvrier à cause de soft 
travail. Tobie a dit la même chose à son fils 
tout simplement : Quicùmçue tibi dUquid Tob. c.iv, 
operdtusfùeritjt statim eimercédem restitue jj' "^' 
et merces mercendrii tui apud- te omnino non 
remdneat. Le prophète Osée dit ^ que les prê- 
tres mangeront les péchés du peuple ^y^eccrfira o»*^« » «• 
pôpuli mei càmedent , c'est-à-dire , les vie- *^ ' ^* ^' 
times ofertes pour les péchés. 

uP. L'éFET POUR LA CAUSE : come lorsque 
Ovide dit que le mont PélK)n n'a point d'om- 



lUm, L .ya OK tJ T R B 5 

* ^* * 'bres , nec hahet Pélion umbras ; c'est-à-dîre j 
qu'il n'a point d'arbres , qui sont la cause de 
1 ombre; i ombre , qui est Véfet des arbres , e^ 
prise ici pour les arbres mêmes. 

Dans la Genèse , il est dit de Rébecca ^ <pi® 
deux^nations étoient en elle (i) ; c'est-à-dire, 
Ësaii et Jacob , les pères des deux nations ; Jacob 
des Juifs y Esati des Iduméeils. 

ç^ jij^jl^ Les poètes disent ta pâle mort y les pâles 
maladies ,\sL mort et les maladies rendent pâle. 
Palliddmque Pyrénen , la pâle fontaine de 
Pyrène ; c'étoit^une fofttaiiie consacrée aux 
Muses. Lîaplication à la poéfsie rend pâle come 
toute autre application violente. Par la même 

ï, t. VI, raison , Virgile a dit la triste vieillesse, 

7^' Pallentes habitant morbi trlstisque Senëctus. 

>, i. Od.'gj. Horace , pdllida mors. La mort , la maladie 
et les fontainçs consacrées aux" Muses, ne sont 
point pâles , mais elles produisent la pâleur : 
ainsi > on done à la cause une épithète ^ui ne 
convient qu'à Téfet. 

S^.LECONTfcNilWT POUR LE CONTENU : COmô 

quand on dit, //«/me la bouteille ^c^esl-à-direu 
il aime le vin. Virgile dit aue Didon a^ant 
. présenté à Bitias une coupe d or pleine de vin , 
£itias la prit et se laya^ s^afx>sa de cet or plein ; 
c'est-à-dire , de la liqueur conténrue dans cettc^ 
coupe d'or, 

». t , V. . ^ 

« ,•....., ille fmpiger au&ît . 

Spumàntem pâtera^m , et pleno se pr61uît auro. 

Auro est pris pour la coupe, c'est la matière 

(i) Puae gentes sunt in litero tuo , et duo pôpuli ex 
T^ntre tuo cUvidëntur^ . 

Gçif. ç. XX Y > Yt a3« 



9 



DE nu MAnsAis. 73 

pour la chose qui en est faite ; nous parlçrons 
Bientôt de cette espèce de figure , ensuite la 
coupe est prise pour le vin. ^ 

Le ciel ^ où les anges et les saints jouissent de 
la présence de Dieu ,.se prend souvent pour 
Dieu même : Implorer te secours du ciçl ; Pater, pec 
grâce au ciel : fai jpéché contre* le ciel et\^^ i^ co^ 
contre vous ^ dit Fenrant prodigue à son père, ramtc.Luc, 
L»e ciel se pread aussi pour les dieux du paga-p ^^^T'^' *^' 

niSme* , • . in conspec-. 

La terre se tut devant Alexandre ; c est-à^ tu cjus. 
dire, les peuples de la terre se soumirent à^^"^-^*'^ 
lui : Rome cfésaprouua la conduite d^Appius , ' ' ' 
c'est •* à- dire , les Romains désaprouvèrent : 
Toute V Europe s^e^t réjouie à la naissance du 
dauphin j c'est-à-dire , tous les peuples de 
TEurope se sont réjouis. - 

Lucrèce a dit que les chiens de chasse met- 
toient une forêt en mouvem'ent (i) ; où Ton 
voit qu'il prend la forêt pour les animaux qui 
3ont dans la forêt. 

Un nid se prend aussi pour les petits oiseaux 
qui sont encore au nid, 

Carcer, prison , se dit en latin d'un home 
qui ipérite la prison^ 

4°. Le nom du heu , où une chose se fait, 
se prend pour la chose mesme : on dit un 
Caudebec , au lieu de dire , un chapeau fait 4 
Caudebec , ville de Normandie. 

On dit de certaines étofes , cest une Mar»^ 
veille, c'est-à-dire, une étofe de la manufacture 



( % ) Sepire plagis saltum canibiisque ciëre. 



74 OE U V K E s 

de Marseille : cest une Perse ^ c'est-à-dirè , 
une toile peinte qui vient de Perse. 

A propos de ces sortes de noms , j^obserreraî 
ici une méprise de M- Ménage , c^i a été suivie 

• par les auteurs du dictionaire universel ^ apelé 
comunéipent dictionaire de Trévoux j c'est ad 
sujet d'unfe sorte de lame d'épée qu'on apèlia 
olinde : les olindes nous viènent d'Alemagne, 
et sur-tout de la ville de Solingen , dans le 
cercle de Westphalie : on prononce SoUngùe. 
Il y a àparence que c'est du nom de cette ville 
que les épées dont je parle ont été apelées des 
olindès par abus. Le nom d^olinde-y nom roma- 
nesque , étoit déjà conu , come le nom de Sîhie; 
ces sortes d'abus sont assez ordinaires en fait 

^d'étymologie. Quoi qu'il en soit , M. Ménage 
et les autears du dictionaire de Trévoux n'ont 

5 oint rencontré heureusement , quand ils ont 
it que les olindés ont été ainsi apelées de la 
n^iUe d"^ Olinde dans le Brésil ^ a où ils nous 
disent, que ces sortes de lames sont ^venues. 
Les ouvrages de fer ne viènent point de ce 

Eays-là : il nous vient du Brésil une sorte de 
OIS que nous apelons Brésil , il en vient aussi 
du sucre, du tabac , du baume/ de l'or', de 
l'argent, etc. j mais on y porte le fer de l'Europe, 
et sur- tout le fer travaillé. 

La ville de Damas, en Syrie, au pié du mont 
Liban , a dpné son nom à une sorte de Sabres ' 
ou de couteaux qu'on y fait : il a un vrai 
damas , c'est-à-dire , un sabre ou un couteau 
qui a été fait à Damas. 

On done aussi le nom de damas à une sorte 
d'étofe de soie, qui a été fabriquée originaire- 
ment dans la ville de Damas ; on a depuis 



DE DU MARSAIS. yS 

imité cette sorte d^étofe à Venise , à Gènes , a 
Lyon j etc. j ain^i , on clit damas de Venise , de 
Lyon, etc. ; On done encore ce nom à une sorte 
de prune , dont la peau est fleurie de façon 
qu'elle imite Tétofe dont nous venons de 
parler. 

Fayënce est une ville d^Italîe dans la Ro^ 
magne : on y a trouvé la manière de faire une 
sorte de vaisselle de terre vernissée qu'on apèle 
de la fayence ; on a dit ensuite par méto- 
nymie > qu'on fait de fort belles fayences en 
Holande 9 à Nevers^.à Rouen, etc. 

C'est ainsi que le lycée se prend pour les 
disciples d'Aristote , ou pour la doctrine qu'A- 
ristote enseignoit dans le lycée. Le portique 
se prend pour la philosophie que Zenon en- 
seignoit a ses disciples dans le portique. 

Le lycée' étoit un lieu près d Athènes, où 
Aristote enseignoit la philosophie en se pro- 
menant avec ses disciples j ils furent apelés 
Péripatéticiens du grec peripàteo,, je me pro- »rf/»/«-<Ti 
mène : çn ne pense point ainsi dans le lycée, , ^^.^^^^ 
c'est-à-dire, que les disciples d' Aristote ne *"'"*' '"** 
sont point de ce sentiment. 

Les anciens avoient de magnifiques portiques 

Sublics où Hs aloient se promener; c'étoient 
es galeries Ëksses , soutenues par des colones 
ou par des arcades , & peu près corne la 
place royale de Paris, et.come les cloîtres 
de certames grandes maisons religieuses. Il y 
en avoit uh entr'autres fort célèbre à Athènes , 
où le philosophe Zenon tenoit son école : ainsi 
par le portique , on entend souvent la philo- 
sophie de Zenon , la doctrine des stoïciens } 



76 OB XJ y R E s 

car les disciples de Zenon furent apelés 5/oi- 
t$d. ciens dugrec5^oa, ç^\s\^mÇi.e portique^ Le 
portique nest pas toujours d! accord avec le 
lycée , c'est-à-dire, que les sentimens de 
Zenon ne sont pas toujours conformes à ceux 
d'Aristote. 

Rousseau , pour dire que Cicéron , dans sa 
maison de campagne , meditoit la philosophie 
d'Aristote et celle de Zenon , s'explique en ccss 
termes : 

C'est-là que ce romain , dont Vëloquente voîx , 
D'un joug presque certain , sauva sa république ^ 
Fortifioit son cœur dans l'étude des loix , 
isseau , Et du Ljrc^e et du Portique. 

' ^ * Académus laissa , près d^Athènes, un héritage 
où Platon enseigna la philosophie. Ce lieu fut 
apelé académie , du nom de son ancien pos- 
sesseur ; de-là la doctrine de Platon fqt apelée 
Vacadémie. On done aussi par extension le 
nom â!académie à diférentes assemblées de 
savans qui s'apliquent à cultiver les langues ^ 
les sciences ou les beau3^ arts. 

Robert Sorbon, confesseur et aumônier de 
S. Louis ^ institua 9 dans Tuniversité de Paris, 
cette fameuse école de théologie, qui, du nom 
de son fondateur, est apelée Sôr^gne : le nom 
de Sorbone se prend aussi par fleure pour les 
docteurs de Sorbone, ou pour les sentimens 
qu'on y enseigne : La Sorbone enseigne que 
ta puissance ecclésiastique ne peut oter aux^ 
rois les courones que Dieu a mises sur leurs 
têtes , ni dispenser leurs sujets du serment 

jan. c. de fidélité. Regnum meum non est de hoc 

'•''•'^•mundo. 



BBDÙ MAR5AI5. 77 

5^. Lë SIGIfE FOUR LA CHOSE SIGNIFIEE^ 

Dans ma vieillesse languissante , Quînauh. 

Le sceptre que je tiens pèse à ma main tremblante, phaëton 

ace. II, K« 5« 

C'est-à-dire , je ne suis plus dans un âge con- 
venable pour me bien aquiter des soins que 
demande la royauté. Ainsi le sceptre se prend 
pour Fautorité royale»; U bdfon de maréchal 
de France , pour la dignité de maréchal de 
France; le chapeau de' cardinal , et même 
simplement/e chapeau se dit pour le cardinalat. 
Uépée se prend pour la profession mili- 
taire ; la robe pour la magistrature , et pour 
Tétat de ceux qui suivent le bareau. 

A la fin j'ai quitte la rebe pour Tépëe. Corn. Lt 

Menteur « 

Cicéron a dit que les armes doivent céder à ^^^' » » »c. 1/ 
la robe^ ^' *' 

Cédant arma togœ; concédât laùrea linguœ. 

C'est - à - dire , comme il l'explique lui- 
même > (i) que la paix l'emporte sur la guerre , 
et que les vertus civiles et pacifiques sont pré- 
férables aux vertus militaires. 

« La lance, dit Mézerai., étoit autrefois la MézeraL 
» plus noble de toutes les armes dont se ser- ""'• ^^ 
M vissent les gentîlshome^ françois ». La que-y<,/. tom/3' 
nouille étoit aussi plus souvent qu'aujourd'hui p. 900- 
entre les mains des femmçs : de là on dit en 
plusieurs ocasions lance , pour signifier un 
kome^ et quenouille pour marquer une femme : 



(i ) More poetârum locutus hoc intëllîgî volui ^ bellum 
ac tumùltum pacî atque 6tio concessiirum. 

Ciç. Orat* inPison. n. 75 , aliter xxx» 



78 oe U V R R 5 

jief qui tombe de lance en quenouille ^ c^est* 
à-dîre , fief qui passe des mâles aux femmes* 
Le royaume de France ne tombe point en 
quenouilhe y c^est-à-dire, qu'en France les 
lemmes ne succèdent point à la courone : mais 
les foyalimes d'Espagrie , d'Angleterre et d<e 
Suède , tomber» l en quenouille : les femmes 
peuvent aussi succéder à l'empire de Moscovie. 
C'est ainsi que du temps des Romains , les 
faisceauœ se prenoient poiir Tautorité consu-* 
laire ; les aigles romaines > pour les armées des 
Aomains qui avoient des aigles pour enseignés. 
L'aigle, qui est le plus fort des oiseaux de proie, 
étoit le symbole de la victoire chez les Eg^- 
tiens. 
Saïust. Saluste a dit que Catilina , après avoir rangé 
il- son armée en bataille , fit un corps de réserve 
des autres enseignes, c'est-à-dire^ des autres 
troupes qui lui restoient^ réllqua signet ih sulh 
sidiis drctiùs côllocat. 

On trouve souvent dans les auteurs latins 
pubes , poil folet , pour dire la jeunesse , les 
jeunes gens ; c'est ainsi que nous disons ^mî«* 
lièrement à un jeune home , "vous êtes une 
jeune barbe; c'est- à- dire , vous n'avez pas 
encore assez d'expérience. Canities , les cke- 
' 3. Rcg. veux blancs , se prend aussi pour la vieillesse. (*) 
i , V. 6. jVb/î dedùces canitiem ejus ad inferos* (**) 
^^^'n^' JDeducétis canos meos cum dotùre ad kh* 
ferosi. 

Les divers symboles don% les anciens se sent 
servis , et dont nous nous servons encore quel- 
quefois pour marquer ou certaines divinités , 
ou certames nations , ou enfin les vices et les 
vertus , ces symboles , dis- je , sont soayent em- 



38 



BS DU MARSAI5. 79 

^ployés pour marquer la chd3e dont ils sont le 
symbole. 

En vaîn au Lion belgique Boil^ai» , 

Il Toit V^igle germanique S>^^ *^\}^ 

Uni sous les Léopards. P"*' ^^^"^ 



mur» 



Par le lion belgique , le poète entend les pro- 
rinces-unies des Pajrs-Bas ; par Vaigle germa- 
nique , il entend F Allemagne j eti)ar les léo^ * 
partis , il désigne l'Angleterre, qui a des léo- 
pards dans ses armoiries. 

Mais qui fait enfler la Sambre , 14. ibkL 

Sous les Jumeaux ëfrayés 7 

Sous les Jumeauœj c^est-à-dire , à la fin du 
mois de mai et au comencement du mois de 
juin ; le xxÀ assiégea Namur le 36 de mai 1692 , , 
et la yiUe fut prise au mois de juin suivant* 
Chaque mois de Tannée est désigné par un 
signe vis-à-vis duquel le soleil se trouve depuis 
le ni d'un mois ou environ, jusqu'au ai du 
mois suivant. 

Sunt Arîes , Taûms , Génaînî , Cancer, Léo , Vîrgo, 
Librâque* Scdrpias , Arcftenens, Caper , Amphora , 
fisces. 

A ries y le bélier , comence vers le âi du mois 
de mars^ ainsi de suite. 

<t Les villes , les fleuves, les régions et même Momf. An- 
» les trois parties du monde avoient autrefois *'**• '''P^^i- 
» leurs symboles , qui étoient corne des ar-p. l'ss."' 
» moiries par lesquelles on les distinguoit.lcs 
» unes des autres. 

Le trictent est le symbole de Neptune : le 
pan est le symbole de Junon : Tolive ou Folivier 
«st le symbole de la paix et de Minerve, déesse 



8ô • ofc t; V k È & ' 

des téaiix arts : le laurier étoit le sj^mbole dé 
la victoire : les vainqueurs étoient couronés 
de laurier, même les vainqueurs dans les arts 
et dans les sciences , c'est-à-^dire , ceux qui s^y 
distinguoienl au-dessus des autres. Peut-être 
qu'on en usoit ainsi à l'égard de ces dernier^ j| 
parce que le laurier étoit consacré à Apollon , 
dieu de la poésie et des beaux artç. Les poètes 
étoient sous la protection d'Apollon et de Bac- 
chus; ainsi ils étoient couronés, quelquefois- 

►r. 1. 1 , de laurier , et quelquefois de lierre, doctdrunt 

^^^-'^S'^éderœ prœmia fràntium. 

'. aussi ^ ', f. ^, ., 11 ji^ 

roioguc -La palme etoit aussi le symbole de la vic- 

Pcrsc. toire. On dit d'un saint, qu'il a remporté là 

palme du martyrCé II j îa dans cette expression 

une métonymie ; palme se prend peur i;ic- 

toire > et de plus , l'expression est métapho*- 

rique ; la victoire dont on veut parler est une 

victoire spirituèle. 

itiq. ex- » A l'autel de Jupiter , dit le P. de Montfau* 

,tom.2, j, con , on mettoit des feuilles de hêtre ; à celui 

^^' » d'Apollon^ de laurier ; à celui de Minerve, 

» d'olivier.; âj'autel de Vénus, de myrte; à 

» celui d'Hercule , de peuplier ; à celui de 

M Bacchus , de lierre ; à celui de Pan , des 

» feuilles de pin ». 

6°. Le nom abstrait pour t.E dONCREl*. 

J'explique dans un article exprès , le sens ab^ 
trait et le sens concret j j'observerai seulement 
ici que blancheur est un terme abstrait; miais 
quand je dis que ce papier est, blanc , blanô 
est alors un terme concret. Ufi nouvel esclavage 
se forme tous les jours pour vous , dit Horace; 
c'est-à-dire, vous avez toiis les jours de nou- 

. liv. 2. vg^^j^ esclaves. Tibi sérvitus crescit nova. 

*'"''' Séryitms 



» s B tt M A R S À I S. 8l' 

Sêrvitus est un abstrait ^ au lieu de servi, ou 
'noyi amatàres qui tibi serviant. Invidid major ^ Hor.iiv. «, 
au-dessus de Tenvie, c'est-à-dire, triomphant ^^' ^°- 
de mes envieux, 

Custôdia y garde , conservation , se prend en s.n. i. ix / 
latin pour ceux qui gardent, noctem custôdia"^' *^^" 
ducit insômnem. 

jSpes , Tespérance , se dit souvent pour ce 
qu'on espère, Spes qiiœ différtur affligit dni-^ ^^ov. c 
manu ^ xiii,v. n. 

Petitio , demande , se dit aussi pour la chose i. Reg. «. 
demandée. Dédit mihi dôminus petitiônem^^^' ^''' 
iïieam. 

C'est ainsi que Phèdre a dit : Tua calàmi" Lib. i,fab. 
tas non setitiret , c'est-à-dire , tu calamité^ ^' 
sus non sentires. Tua calàmitas est un terme 
abstrait, au lieu que tu calamitosus est le con- 
cret. Credens colli longitùdinem^ , pour collum * ^^'^- ^'^^• 
langum : et encore corvi stupor '^*, qui est '«« ibid. 
l'abstrait, pour connus stùpidus , qui est le con- fab. i3.* 
cret. Viriijile a dit de même, ferri rif^or^^^^^"^"^^^^^^^* 
qui est 1 abstrait j au heu aejerrunt rigidum , 
qui est le concret. 

7°. Les parties du corps qui sont rfvgardées 
corne le siège des passions et des senti mens in- x^ 
teneurs , se prenent pour les sentimens meities : et càiuda » 
c'est ainsi qu'on dit, z'/a du cœur y c'ost-à-dire , habct cor» 
du courage. 'tt^T, 

Observez que les anciens regard.oîentlecœur sc.4, v. 71! 
corne le si觧 de la sagesse , dé l'esprit , de sî est mihi 
l'adresse : ainsi habet cor ^ d.^ns Plante , rie ^rV/fL^ /* 
veut pas dire comme parmi nous , elle a du de Cinteiu^ 
courage, mais elle a de l'espji'it; vir coridàtus , fj'"' 
veut dire en latin , Un homQ dç sens , qui a un teract. ?' 
bon discernement. ic 2yv. 3.' 

Tome II L F 



82 OB U V R E s 

Cornutus , philosophe stoïcîeA , qui fut ^é 
maître de Perse, et qui a été ensuite fe comen- 
tateur de ce poète , fait cette remarque sur ces 
paroles de la première "satyre : Sum petuldnti 
splene cachinno. « Physici dicunt homines 
» splene ridére, felle irâsci, jécore amdre, 
» corde Siîpere et pulmone jactàri. » Aujour- 
d'hui on a d'autres lumières. ^ 
Perse. Perse dit que le a)entre , c'est-à-dire , la faiS, 
*^^^' le besoin , a fait aprendre aux pies et aux cor" 
beaux à parler. 

La cer^èle se prend aussi pour l'esprit, le 
> quanta jugement; O la belle tête! s'écrie le renard 
""•"'dans Phèdre : Quel doina^e , elle ri a point 

rumnon , ./ryv'Ti» r ^ \' »' 

et. Ph. de cervele l On dit d un étourdi , que c est une 
1 fab. 7. tête sans cervèle : Ulysse dit à Euryale , selon 
dyss. T. la traduction de madame Dacier : Jeune home, 
^' *^* njqus ai^ez tout l'air d'un écerç'elé , c'est-à- 
dire, come elle l'explique dans ses savantes re- 
marques, vous ai^ez tout Pair d'un homme peu 
sage. Au contraire , quand on dit , c*est un 
home de tête , cest une bone tête , on veut 
dire que celui dont on parle, est un habile 
home, un home de jugement. La tête lui a 
tourné y c'est-à-dire , qu'il a perdu le bon sens, 
la préseT;ice d'esprit. As^oir de la tête ^ se dit 
aussi fîguréinent d'un opiniâtre : Tête de fer ^ 
se dit d^un homme apliqué sans relâche , et 
encore d'un entêté. 

La langue j qui est le principal organe de 
^ la parole , se prend pour la parole : cest une 
méchante langue ^ c'est-à-dire, c'est un mé- 
disant ; a^'o/r la langue bien pendue , c'est avoir 
le talent de la parole , c'est parler facilement. 
Ô°. Le nom du maître de la maison se prend 



D B B TT M. A R s A t s. 85 

aussi pour la maison qa^il occupe. Virgile a 

dit : Jam pràximus ardet Ucdlegon, c'esl-à- jEû. a,i 

dire , le feu a déjà pris à la imaison d'Ucalégon. 3i». 

On done aussi aux pièces de monoie le 
nom du souverain dont elles portent Tem- 
preînle. Dwc^n^o^ Philippos reddat aùreos : PUnt.Bti 
qu'elle rende deux cens Philipes d W : nous ^^*^' *^^- ^ 
dirions deux cens Louis d'or. »c,«,v.8< 

Voilà les principales espèces de métonymie. 
Quelques-uns y ajoutent la métonymie, par 
laquelle on nome ce qui précède pour ce qui 
mit, ou ce qui suit pour ce qui précède; c'est 
ze qu'on apèle l'Antécéde^t pour le Con- 
séquent , ou Lii Conséquent pour l'Anté- 
cédent ; on en trouvera des exemples dans la 
métalepse , qui n'est qu'une espèce ae métony- 
mie à laquelle on a aoné un nom particulier : 
au lieu qu'à l'égard des autres espèces de méto- 
nymie ,dont nous venons de parler , on se con- 
tente dédire métonymie de la cause pour l'éfet; 
métonymie du contenant pour le contenu; mé- 
tonymie du signe ^etc« 



f ^ 



/ 

84 €œ U V B. E s 



ni. 

La Métalepse, 

MiT«[xi»4/ff, J_| A métalepse est une espèce de métonymie , 

^rr!!lit!t , P^^ laquelle on explique ce qui suit pour faire 

trans. xa/*' entendre ce qui précède ; ou ce qui précède 

^*y»^cfl/io. pQ^r faire entendre ce qui suit : elle ouvre ^ 

•>fjf«/t#»:f pour ainsi dire, la porte, dit Quintilien, afin 



Iiut.orat.l.?^^yp^fPf^^^^^^ 



une idée à une autre, eor dlio 



vni , c. 6. în àliudvLam prœstat; c'est Tantécédent pour 
le conséquent , ou le conséquent pour Fanlécé* 
dent, et c'est toujours le jeu des idées acces- 
soires dont Tune réveille l'autre. 

/ Le partage des biens se fesoit souvent et se 

fait encore aujourd'hui , en tirant au sort : Josué 
* se servît de celte manière de partager (i). 

Le sort précède le partage; de là vient que 
sors y en latin, se prend souvent pour le par- 
tage même, pour la portion qgi est échue en- 
partage; c'est le nom de l'antécédent qui esk 
donne au conséquent. 

Sors signifie encore jugement , arrêt ; c'étoit 
le sort qui décidoit , chez les Romains , du 
rang dans lequel chaque cause devoit être 



(i) Camque surrexfssent vîrî , ut pérp^erent ad des- 
cribëndam terram , prœcëpit eis Josue dicens : circufte 
terram et descrïoite eam ac reverlfmini ad me j ut hic ^^ 
çoranx domino , in Silo mit ta m vobis sorlem. 

JosiJ£^ ch. 'x.yiii, Y* 8. 



Crédii 



o 



D E D U M A R S À t s; * 8!S 

plaîdée (ij: ainsi quand on a dit sors pour 
jugement , on a pris Fantécédent pour le con- 
séquent. 

Sortes, en latin, se prend encore pour un 
oracle , soit parce qu'il y avoit des oracles qui 
se rendoient par le sort, soit^arce que les ré- 
ponses des oracles étoient come autant dé juge- 
mens qui régloient Ja destinée , le partage , l'état 
de ceux qui les consultoient. 

On croit avant que de parler : le crois, dit 
le prophète, et c est pour cela <jue je parle. 11 quod i< 
n'j a point la de métalepse ; mais il y a une tus sum 
métalepse quand on se sert de parler ou de "^'7* 
<//re, pour signifier croire; direz-vous après 
cela que je ne suis pas de vos amis? c^est-à-dire , 
croirez-vous ? aurez-vous sujet de dire? 

Cedo veut dire dans le sens propre, ye cède, 
je me rens : cependant par une métalepse de 
l'antécédent pour le conséquent , cedo signifie 
souvent, dans les meilleurs auteurs, dites ou 
donnez : cette signification vient de ce que 
<|uand quelqu'un veut nous parler, et que nous 
parlons toujours nous - mêmes , nous ne lui 
douons pas le tems de s'expliquer : écoutez- 
moi, nous dit-il; hé bien, je vous cède, je vous 
écoute, parlez; cedo, die. 



(i) Ex more româno nan audîebântur causœ , nîsi 
persortemordinàtœ.Tëmpore enimquo csmsœ audie- 
b4ntur, conveniébant omnes ^ unde et concilium : et 
ex sorte diërum 6rdinem accipiëbaot ^ quo post dies 
triginta suas causas exequerëntur , unde est urnam 
movetm SEh,y IV s in. illud f^irgilii : 

Nec vero hœ sine sorte datœ , sine jiidice sedes. 

Mn.^U v, V. 45i* 
F 3 



86 • OE u V R « s , 

Quand on veut nous donner quciqne chose; j 
nous refusons souvent par civilité ; on nous 
presse d'accepter, et enfin nous répondons, yc 
wous cède , je vous obéis , je me rens , donnez , 
cedo y da ; cedo , qui est le plus poli de ces 
deux mots , est dfcmeuré tout seul aans le lan- ' 
gage ordinaire , sans être suivi de die ou de rfa, 
qu on suprime par ellipse : cedo signifie alors 
ou Tun ou Tautre de ces deux mois , selon le 
sens ; c'est ce qui précède pour ce qui suit ; et 
voilà pourquoi on dit également cerfo,soît qu'on 
parle à une seule personne ou à plusieurs ; car 
tout l'usage de ce mot, dit un ancien grammài- 
Corncl. rien , c'est de demander pour soi , cedo sibi 

• ï^d'a^ctô.;^^^^^*^ ^^ ^^^ immobile. 

Tcs lin^uae On rapopte de même à la métalepse ces 
latlnae , p. façous de paHcr : 77 oublie les bienfaits y c'est- 
i^^ '^'""à-dire, il n'est pas recoiinoissant. Soutenez" 
njous de notre convention^ c'est-à-dire, ob- 
servez notre convention : Seigneur^ ne ^ous 
ressouvenez point de nos fautes , c'est-à-dire, 
ne nous en punissez point , accordez-nous en 
Qucmom. le pardon : Je ne vous conois pas ^ c'est-à- 
"*" ??°\^"dire, je ne fais aucun cas de vous, îe vous 
Tant et* lu- méprise , vous êtes -à mon égard come n'étant 

distant. point. 

Plante. Jia été , // a vécu , veut dire souvent il est 
iv™s^.Vv. ^^^'^^ s c'est l'antécédent pour le conséquent. 

Rac. Mi- • • • • • • C'en est fait, madame, et j'ai vëcQ, 

thrid. act.v. , , ,. . 

ic. dcrn. c est*à-dire, je me meurs. 

Un mort est regreté par ses amis ; ils vou- 
droient qu'il fût encore en vie , ils souhaitent 
celuinqu'ils ont perdu , ils le désirent : ce sen- 
timent supose la mort^ ou du moins l'absence 



* B s D U. M A R 5 A I s. 8j 

de la persone qu'on regrète. Ainsi la mort , la 
perte on P absence sont Tantécédentjet/e désir, 
le regret , sont le conséquent. Or , en latin , 
desîdarîy être souhaité , se prend pour être 
mort, être perdu , être absent , c'est le con- 
séquent pour Tantécédent, c'est une métalepse. 
Ex parte Alexandri triginta omninb et duo ; Q- Cï 
du selon d'autres, trecenti omninb , ex pedi^\^]^^ ^' 
tibusdesiderdti sunt ; du côté d'Alexandre, 
il n'y eut en tout que trois cens fantassins 
de tués, Alexandre ne perdit que trois cens 
bornes d'infanterie. Nulla ndvis desiderabdtur: Cacsar, 
aucun vaisseau n'étoit désiré, c'est-à-dire, au-^ 
cun vaisseau ne périt, il n'y eut aucun vaisseau 
de perdu. 

« Je vous avois promis que je ne serois que 
V cinq ou six fours à la campagne, dit Horace 
» à Mécénas , et cependant j y ai déjà passé 
» tout le mois d'Août, » 

Quinque dies tibî polHcîtus me rure futurum , Hor. l. 

Sextiiem totum ^ mendax , desideror. ep. 7. 

Où vous VOUS voyez que desideror veut dire ^ 
par métalepse , je suis absent de Rome , je me 
tiens à la campagne. 

Par la même figure , desiderdri signifie en- 
core manquer ( dejfïcere ) être tel que les autres 
aient besoin de nous. « Les Thébains ,par des. 
» intrigues particulières > n'ayant point mis 
» Epaminondas à la tête de leur armée, reco- 
» nurentbientôt le besoin qu'ils avoient de sou 
» habileté dans l'art militaire : » desiderdri Com.Ni 
cœpta est Epaminôndœ diligéntia. Cornélius fj*^" '3^ 
Népos dit encore que Ménéclide , jaloux de la 
' gloire d'Epaminondas^ exhortoit continuèle- 

'F4 



8d oc u V n E s 

ment les Thébains à la paix^ afin qu^b ne 
sentissent point le besoin qu'ils ayoient de ce 

fénéral. Hortdri solébat Thebdnos j ut pacem 
ello antefefrent, ne illius imperatôris ôpera 
desiderarétur. 

, La métalepse se fait donc lorsqu'on passe 

, -> conie par degrés d'une signification à une autre : 

t ' par exemple , quand Virgile a dit , après quel- 

Tost âii- ques épis, c'est-à-dire, après quelques années : 

quot mea ]es éois suDoscntle teuis de la moissou - le tcms 

Tcgna VI- • - 1^ y -tjff i> r f 1 

^dens mira- oe la moissou supose lete , et lete supose la 
bor arfstas , révolution de Tannée. Les poètes prènent les 
vITo/ ^ ' hivers > les étés , les moissons , les autones ,et 
toijt cequi n'arivequ'unefois en une année pour 
Tannée même. Nous disons , dans le discours 
ordinaire , dest un ^in de quatre feuilles ,'poMV 
dire , c'est un vin de quatre ans ; et dans les 
Cout de^^^*'*^'"®^ ^^ trouve Bois de quatre feuilles ^ 
ï^oudun , c'est-à-dire , bois de quatre années, 
tit. i4i art. Aiusi , le nom des diférentes opérations de 
^* Tagriculture se prend pour le tems de ces opé- 

rations , c'est le conséquent pour l'antécédent ; 
la moisson se prend pour le tems de la moisson y 
la vendange pour le tems de la vendange j il 
est mort pendant la moisson ^ c'est-à-dire, 
* dans le tems de la moisson. La moisson se fait 
ordinairement dans le mois d'août; ainsi, pat 
métonymie ou métalepse , on apèle la moisson 
Y août y qu'on prononce \cA ; alors le tems dans 
lequel une chose se fait , se prend pour la chose 
même , et toujours à cause de la liaison que les 
idées accessoires ont entre elles. 

On raportè aussi à cette figure ces façons de 

Ï)àrler é&^ poètes , par lesquelles ils prènent 
'antécédent pour le conséquent^ lorsqu'aulieu 



BK DUMARSAI5. 8g| 

Tune description , ils nous mettent devant les 
^eux le fait que la description supose. 

« O Ménalque ! si nous vous perdions , dit 
) Virgile ( i ) , qui énxailleroit la terre de fleurs ? 
►) qui feroit couler les fontaines sous une ombre 
verdoyante ? » c'est-à-dire, qui chanteroit la 
terre émaillée de fledrs? Qui nous en feroit des 
lescriptions aussi vives et aussi riantes que celles 
ijue vous en faites ? Qui nous peindroit come 
vous ces ruisseaux qui coulent sous une ombre 
inerte? 

Le même poète a dit (2) , que « Silène en- 
tt velopa chacune des sœurs de Phaéton avec 
» une écorce amère , et fit sortir de terre de 
grands peupliers ; » c'est-à-dire , que Silène 
chanta d'une manière si vive la métamorphose 
des sœurs de Phaéton en peuplier, qu'on croyoit 
voir ce changement. Ces façons de parler peu- 
vent être raportées à l'hypotypôse dont nous 
parlerons dans la suite. 



(i ) Quis càneret njrmphas ? Quis humum floréntibu9 

herbis ' 

Spârgeret, aut vfridi fortes îndiiceret umbrft? ♦^' 

ViRG. EcL IV , v« 19. 

(2) Tarn Phaetontiadàs circiimdat amàrœ 
Gùrticis , atque aolo procëraa ërigit alnos. 

ViRG. EcU VI, V. 6a# 



9© OE U V R E 5 



I y. 

La Synecdoque (i-). 

5t/f#it/ox» . . ^ terme de synecdoque signifie compréhen- 
^mpré- sion, coiiception : en éfet, dans la synecdoque 



nsion 



^t^t^^t (0 On ëcrît ordinairement Sj^necdoche , voici les 

raisons qui me déterminent à ëcrîre Synecdoque* 

I®. Ce mot n'est point un mot vulgaire qui soit dans 
la bouche des gens du monde ^ ensorte qu'on puisse 
les consulter pour conoître l'usage qu'il faut suivre 
par raport à la prononciation de ce mot. 

a®. Les gens de lettres que j'ai consultes le pro- 
noncent âif<^rerament , les uns (lisent synecdoche à la 
françoise j corne roche y et les autres soutiènent , avec 
Richelet, qu'on doit prononcer synecdoque. 

3^. Ce mot est tout grec ii/rijuTox» ^ il faut donc 
le prononcer en conservant au x sa prononciation 
originale^ c'est ainsi qu'on prononce et qu'on ëcrit 
é-TTox^y monaraue y fjLovifx^', et /^ora^x*'^ 5 Pentateuque, 
wfrraTft'Xoç ; Andromaque , A'rJ'pojLtxy^t » Télémaque , 
T^xs|Lcaxo<; , etc. On conserve la même prononciation 
dans écho , 'Hx*' école ^schola 'ï.yohvi etc. 

Je croîs donc que synf cdoque étant un mot scien- 
tifique qui n'est point dans l'usage vulgaire , il faut 
récrire d'une manière qui n'induise pas à une pro- 
nonciation peu convenable à son origine. 

4*^. L'usage de rendre par ch le x ^^^ Grecs , a 
introduit une prononciation françoise dans plusieurs 
mots que nous avons pris des Grecs. Ces mots étant 
devenus comuns , et l'usage ayant fixé la manière de 
les prononcer et de les écrire , respectons l'usage , 
prononçons catéchisme , machine , chimère , archi" 
diacre , architecte j etc. corne nous prononçons chi 
dans les mots François : mais encore un cow^ y sjrnec" 
doque n'est point un mot vulgaire , écrivons donc et 
prononçons synecdoque» 



i 



DB J> V MARSAIS.^ gx 

3n fait concevoir à Tesprit plus ou moins que 
[e mot dont, on se sert ne signifie dans le sens 
propre. > 

Quand j au lieu de dire d'un home qu'il aime 
le a)in , je dis qu'il afme la bouteille^ c'est une 
simple métonymie^ c'est un nom pour un # 
autre : mais, quand je dis cent voiles pour certt 
vaisseaux^ non seulement je prens un nom 
pour un autre , mais je done au mol ^voiles une 
signification plus étendue que celle qu'il a dans 
le sens propre; je prens la partie pour le tout. 

La synecdoque est donc une espèce de méto- 
nymie, par laquelle on done une signification 
particulière à un mot , qui , dans le sans propre^ 
a une signification plus générale; ou^ au con- 
traire, on done une signification générale à un 
mot qui , dans le sens propre , n'a qu'une signi- 
fication particulière. En un mot, dans la méto- 
nymie, je prens un nom pour un autre, au 
lieu que, dans la synecdoque, je prends le plus 
pour le moins, ou le moins pour le plus. 

Voici les diférentes sortes de synecdoques 
que les gramniairiens ont remarquées. 

I. Synecdoque du genre : cotne quand on 
dit, les mortels pour les hommes, le terme de 
mortels devroit pourtant comprendre aussi les 
animaux qui sont sujets à la mort aussi bien 
que nous : ainsi, quand, par les mortels, on 
n'entend que les homes, c'est une synecdoque 
du genre : on dit le plus pour le moins. Edaia 

Dans l'écriture sainte, créature ne signifie ™".»*<*«'>* 
ordinairemei\|t que les homes; c'est encore ce pJ^Jj^j^J^ 
qu'on appelé la synecdoque du genre , parce evangëUu 

Su^alors un mot générique ne s'entenu que ^^^^ 5f* 
'une espèce particulière ; créature est un mot c. T$\y.\ 



ga OE II V R B s 

générique , puisqu'il comprend toutes les es-? 

I)èces de choses créées^lesarbres^lesanimaux^ 
es métaux^ etc. Ainsi lorsqu'il ne s'entend que 
des hoioes^ c'est une synecdoque du genre, 
c'est-à-dire, que sous le nom du genre, on ne 
conçoit , on h exprime qu'une espèce particu- 
* Hère ; on restraint le mot générique à la simple 
signification d'uji mot qui ne marque qu'une • 
espèce. 

Nombre , est un mot qui se dit de tout assem- 
blage d'unités : les Latins se sont quelquefois 
servis de ce mot en le restraignant à une espèce 
particulière. 

i^. Pour marquer l'harmonie , le chant : il 

y a dans le chant une proportion qui se compte, 

\v9/aSç. Les grecs apèlent aussi riithmos tout ce qui se 

fait ^vec une certaine proportion : Quiaquid 

certo modo et ratiônefit. 

îrg. Ecl Numéros mémîni , si verba tenërem. 

V.45. 

» Je me souvîfens de la mesure, de l'harmo- 

» nie , de la cadence , du chant, de Fair ; mais 

M je n'ai pas retenu les paroles ». 

2*^. NumeniSy se prend encore en particulier 

pour les vers ; parce qu'en éret les vers sont 

composés d'un certain nombre de pies ou de 

crsc sat. sjUabes : Scribimus numéros, nous fesons des 

^* ^* vers. 

3^. En françois nous nous servons aussi de 
nombre ou de nombreux , pour marquer une 
certaine harmonie , certaines mesures , pro- 
portions ou cadences , qui rendent agréables 
à l'oreille un air, un vers, une période , un 
discours. Il j a un certain nombre qui rend les 
périodes harmonieuses. On dit d'une période 



1>^ DUMARSAIS. 9? 

elle est tort nombreuse , numerôsa ordtio ; cic. Orai. 
st-à-dire , que le nombre des syllabes qui la î** lvui,«û. 
nposent est si bien distribue , que 1 oreille 
estfrapée agréablement : nùmérus a aussi 
te signification en latin •//zora^/(}/ié»numerus Cic. Or»t. 
inè , £[rœcè iv^fjii'; , inésse dicitur. . . . • Ad "• ^^ » •'*** 
mandas aures > ajoute Ciceron , numeri ab iji. 
2tore quœruntur : et plus bas il s'exprime 
ces termes : Aristôteles versinn in oratiône 
tatesse , nùmerum jubet. Aristole ne veut 
int qu'il se trouve un vers dans la prose , 
jst-à-dire^ qu'il né veut point que, lorsqu'on 
rit en prose , il se trouve dans le discours le 
èmè assemblage de pies, ou le même nombre 
syllabes qui fprment un vers. Il veut cepen- 
nt que la prose ait de l'harmonie ; mais une 
rmonie qui lui soit particulière , quoiqu'elle 
ipende également du nombre des syllabes et 
î Farangeinent des mots. 
II. 11 y a au contraire la Synecdoque de 
ESPECE : c'est lorsqu^un mot qi^i , dans le sens 
*opre, ne signifie qu'une espèce particulière , 
! prend pour le genre ; c'est ainsi qu'on apèle 
iielquefois o^o/e^ir fin méchant home. C'est 
ors prendre le moins pour marquer le plus. 
Il y avoit dans la Thessalie, entre le mont 
>ssa et le mont Olympe , une fameuse plaine 
pelée Tempe y qui passoit pour un à^s plus 
eaux lieux de la Grèce ; les poêles grecs et 
tins se sont servis def ce mot particulier pour 
marquer toutes sortes de belles campagnes, 
« Le doux someil , dit Horace , n'aime point 
le trouble qui tègne chez les grands ; il se 
plaît dans les [petites maisons de bergers, à 
l'ombre d'un ruisseau ^ ou dans ces agréables 



94 CE U V R B s 

» campagnes, dont les arbres ne sont agitai 
w que par le zéphjrre » ; et pour marquer ces 
campagnes , il se st;rt de Tempe : 

Hon l. 3 , ^ ^ ^ Somniis agrëstium 

•d.ï,v. «2. Lenis virôrura /non hùmîles domoa 

Fasîidil , umbrosàmque ripara , 
Non zcphj ï\6 agilâla Tempe, 

Le mot de coi^is et le mot d'ame se prênent 
aussi quelquefois séparément pour tout Thome: 
on dit populairement , sur-tout dans les pro- 
vinces, ce corps-là pour cet home-là; ^oilà 
\ un plaisant corps , pour dire , un plaisant per- 

soriage. On dit aussi qu7/^ a cent mille ornes 
dans une "ville ^ c'est-à-dire, cent mille babi-. 
Cen. C.46, tans. Omnes ànimœ domûs Jacob , toutes les 
V. 27 1 ibid. personnesde k famille de Jacob. GénuiC séxâe» 
^' * * cim animas , il eut seize en fans. 

III. Synecdoque dans le nombre; c^est 
lopsqu'on met un singulier pout un plurier, ou 
un plurier pour un singulier. 

I®. Le Germain révolté ^ c'est-à-dire ^ le* 
Germains, les Alemans , Vénemi "vient à nous, 
c'est-à-dire , les cnemisé Dans les historiens 
latins , on trouve souvent pedes pour pêdites r 
le fantassin pour les fantassins, 1 mfanterie. 

2°. Le plurier pour le singulier. Souvent, dans 

le style sérieux , ont dit nous ^ au lieu de je, 

Quoddic-et de même, // est écrit dans les prophètes , 

^^^"^^^''^ c'est-à-dire, dans un livre de quelqu'un des 

Matt. c'a , prophètes. 

▼• «3. 50. Un nombre certain pour un nombre in- 

certain. // me Ca ditj dix fois , "vint fois , cent 
fois y mille fois y c'est-à-dire, plusieurs fois. 
4°- Souvçnt^ pour faire un compte rond; oa 



D E B V M A R S A I 5* qS 

[oute OU Ton retranche ce qui empêche que 
î compte rte soit rond : ainsi on djt la version 
les septante j au lieu de dire la version des 
oixante et douze interprètes, qui, selon les 
pères de Téglise, traduisirent Fécriture sainte 
en grec , à la prière de Ptolémée Philadelphe , 
roi d'Egypte, environ trois cens ans avant J. C. 
Vous voyez que c'est toujours ou le plus pour 
le moins, ou au contraire témoins pour le plus. 

IV. La partie pour le tout, et le tout 
POUR LA partie. Aiusi la tête se prend quel- 
quefois pour tout rhqme : c'est ainsi qu'on dit 
comunément y on a pajé tant par tête y c'est- 
à-dire , tant pour chaque personne; une tête 
si chère , c'est-à-dire , une personne si pré- 
cieuse , si fort aimée. 

Les poêles disent, après quelques moissons, 
fuelques étés y quelques hivers y c'est-à-dire, 
iprès quelques années. 

U onde y dans le sens propre, signifie une 
'^ague, un flot; cependant les poètes prènent 
;e mot ou pour la mer, ou pour Teau d'une ri- 
ière, ou pour la rivière môme. 

Vous juriez autrefois que cette onde rebéle Quîiuult, 

Se Éeroit vers sa source une route nouvèJe , I$is, a«. i. 

Plutôt qu'on ne verroiL votre cœur dégage i ic. 3. 

Vojez couler ces (lois dans cette vaste plaine ; 
C'est le même penchant qui toujours les entraîne j 
Leur cours ne change point , et vous avez changé. 

Dans les poètes latins, la poupe ou la proue 
d'un vaisseau se prènent pour tout le vaisseau. 
On dit en françois cent voiles, pour dire cent 
vaisseaux : Tectumy le toît , se prend en latin 
pour toute la maison : yEncan in régiu ducit Virg. En. 
tecta y elle mène l^aée dans son palais. * ' ^- ^^^* 



gB OE U V R E S 

La porte , et même le seuil de la porte ^ se 
prènent aussi en latin pour toute 'la maison^ 
tout le palais , tout le temple. C'est'peut-être 

Sar celte espèce de synecdoque qu'on peut 
oner un sens raisonable à ces vers de Virgile : 

JEn. I, V. ']^um foribus Dîvœ, média testùdine templi , 
^9- Septa armis , soliôque alte aubnixa resëdit. 

Si Didon étoit assise à la porte du temple, /(5n- 
bus Divœ j cornent pouvôit-elle être assise en 
même-temps sous le milieu de la voûte jméêUd 
tesdùdinc'! C'est que, -par foribus Z>tV<e,;ii 
faut entendre d'abord en général le temple; 
elle vint au temple , et se plaça sous la voûte. 

Lorsqu'un citoyen romain étoit fait esclave, 
ses biens apartenoient à ses héritiers; mais s'il 
revenoit dans sa patrie , il rentroit dans la pos- 
session et jouissance de tous ses biens : ce droit, 
qui est une espèce de droit de retour, s'apeloit 
en latin Jus postliminii; Aeposty après, et de 
limen^ ïe seuil de la porte, Fentrée. 

Porte y par synecdoque et par antonomase, 
signifie aussi la cour du Grand Seigneur , de 
Tempereur Turc» On Ait faire un traité açec 
la Porte, c'est-à-dire, avec la cour ottomane 
C'est une façon de parler qui nous vient de; 
Turcs : ils noment Por/e par excélence la port< 
du sérail ; c'est le palais du sultan ou empe 
reur Turc , et ils entendent par ce mot, ce qa 
nous apelons la Cour. 

Nous disons , il j" a cent feux dans ce vil 
lage, c'est-à-dire, cent familles. 

On trouve aussi des noms de villes , d 
fleuves ^ ou de pays particuliers , pour de 

non» 



î) fi 11 tJ M A n. s A 1 s. 97 

tiotns de pfovinc^s et de nations (i). Les Pélas-^ 
giens^ lefCÀrgiens , les Doriens> peuples parti- 
culiers de lia Grèce , se prènent pour tous les 
Grecs , dans Virgile et dans les autres poètes 
anciens* 
On voit souvent , dans les poètes , le IHbre (2) 

Î)Our les Romains ; le Nil y pour les Egyptiens; 
a Seine, pour les François* 

* Chaque climat produit àes favoris de Mars > * Boilca 

La Seine a des Bourbons > le Tibre a des Oësars. Ep. i. 
** Fouler aux pies Torgueil et du Tage et du Tibre* ** Jdn 

DîscOii 

Par /e Tage ^ il entend les Espagnols ; le au toI. 
Tage est une des plus célèbres rivières d'Es- 
pagne* 

V * On se sert souvent du nom de la matière 

!)our marquer la chose qui en est faite 2 
é pin ou quelqu'autre arbje se prend dans les 
poètes pour un vaisseau; on dit comunément 
de l*arg^t y pour des pièces d'argent, de la 
àionoicé ILe Jer se prend pour Fépée : périt 
par le fer. Virgile s est servi de ce mot pour le 
ioc de la charue : 

At prius ignôtum ferro quam scfndimus œquor. % Geoi 

M. Boileau ^ dans son ode sur la prise de ^ 
Namur, a dit, V airain y pour dire les canons. 

Et par cent bouches horribles 
Li'airMn^ sur ces monts terribles, . 
Vomit le fer et la mort. 

.(1) Éurus ad aur6ram Nabathaeàque régna recësslt* 
OviD. Meiam* 1. i,v. 61» 

C^) Cum Tlberî , Nflo gràtia nullà fuat, Prop. 1. 2. 
^•ieg. 35 , V. 2o« Fer Tiberim Komânos , per Nilum 
^gyptios intelligito* Beroaldé in Propert. 

Tome III, G 



5o. 



98 OE U V R E s 

}J airain j en latin œs , se prend aussi fréquen- 
ment pour la monoie, les richesses : la première 
monoie des Romains étoit de cuivVe : œs alié'- 
nurriy le cuivre d'autrui^ c'est-à-dire, le bic!!n 
d'autrui, qui est entre nos m^ainSj nos dettes^ 
ce que nous devons. 

Enfin œra se prend pour des vases de cuivre, 
pour des trompètes , des armes , en un mot, 
pour tout ce qui se &ît de cuivre. 

Dieu dit à Adam, tu es poussière, et tu re- 
Gcn.c.3, tournerai en ponssièTe ^pulvis es et inpùli^erem 
'^* res^ertéris y c cst-à-dire, tu as été fait de pous- 
sière , tu as été formé d'un peu de terre. 

Virgile s'est servi du nom de réléphant, pour, 
marquer simplement de Tivoire (i) ; c'est ainsi 

3u^ nous disons tous les jours un castor y pour 
ire un chapeau fait de poil de castor, etc. 
Le pieux Enée , dit Virgile (2) , lança sa 
îastc , pi- haste avec tant de force contre Mézence , qu'elle 
'Y p°^f' perça le boucliei" fait de trois plaques de cuivre, 
ontfaJ- ^ et qu'elle traversa les piquures de toil|5, et l'ou- 
n , tome vrage fait de trois taureaux , c'est-à-dire, de 
P* ^^' trois cuirs. Cette façon de parler ne seroitpas 
entendue en notre langue. 

Mais il ne faut pas croire qu'il soit permis de 
prendre indiférenment un nom pour un autre, 



(i) . . • l^x auro y solidôque elephânto. 

Georg. III, V. 26. 
Dona dehinc auro grâvia sectuque elephànto. 

u4En. m , v. 464» 
(2^ Tum pîus Mné^s hastam jacit : îlla perorbem 
^re cavum trfplici per Knea terga , trîbiisque 
Trânsiit intëxtum tauris opus. 

/Œn. 1. X, Y» 785. 



• 



D£ DU MARSAIS. 99 

soit par métonymie, soit par synecdoque : il 
faut, encore un coup , que les expressions fi- 
gurées soient autorisées par l'usage ; ou du 
moins que le sens litéral qu'on veut faire en- 
tendre , se présente naturèlement à l'esprit 
sans révolter la droite raison , et sans blesser 
les oreilles acoutumées à la pureté du langage. 
Si l'on disoit qu'une armée navale étoit com- 

{)osée de cent mâts , ou de cent avirons , au 
ieu de dire cent ^voiles , pour cent vaisseaux, 
on se rendroit ridicule : chaque partie ne se 
prend pas pour le tout , et chaque nom géné- 
rique ne se prend pas pour une espèce particu- 
lière , ni tout nom d'espèce pour le genre ; c'est 
l'usage seul •qui donne à son gré. ce privilège 
à un mot plutôt qu'à un autre* 

Ainsi , quand Horace a dit que les combats 
sont en horreur aux mères , bella mdtribus Hor. i. i , 
detestdta y je suis persuadé que ce poète n'a ^^•"'^***' 
voulu parler précisément que des mères. Je vois 
une mère alarmée pour son fils , qu'elle sait 
être à la guerre, ou dans un combat dont on 
vient de lui aprendre la nouvèle : Horace ex- 
cite ma sensibilité en me fesant penser aux 
alarmes où les mères sont alors pour leurs en- 
fans j il me semble même que cette tendresse 
des mères est ici le seul sentiment qui ne soit 
pas susceptible de foiblesse ou de quelque autre 
interprétation peu favorable : les alarmes d'une 
maîtresse pour son amant n'oseroient pas tou- 
jours se montrer avec la même liberté que la 
tendresse d'une mère pour son fils. Ainsi , 

Îuelque déférence que j'aie pour le savant 
'. Sanadon, j'avoue que je ne saurois trouver 
une synecdoque de l'espèce dans bella mdCri'^^' 

G 2 



lOÔ OR U V R E s , 

hus detestdta. Le P. Sanadon croit que md" 

Poésies tribus comprend ici même les jeunes filles. 

îoradc , Voîci Sa traductîon : Les combats ,' qui sont 

' ' ^' '* pour les femmes un objet d'horreur. Et dans 

p. 12. les remarques, il dit que « les mères redoutent 

» la guerre pour leurs époux et pour leurs en- 

?) fansj mais les jeunes filles, ajoute-t-il , ne 

» DOIVENT pas moins la redouter pour les ob- 

» jets d'une tendresse légitime que la gloire . 

» leur enlève en les rangeant sous les drapeaux 

)) de Mars. Cette raison m'^a fait prendre twû- 

» très dans la signification la plus étendue, 

)) come les poètes Font souvent employé. Il 

» me semble , ajoute-t-il , que ce sens fait ici 

j) un plus bel éfet. » 

II ne s'agit pas de doner ici des instructions 
aux jeunes filles , ni de leur aprendre ce qu'elles 
doivent faire , lorsque la gloire leur enlève les 
objets de leur tendresse, en les rangeant sous 
les drapeaux de Mars , c'est-à-dire , lorsque 
leurs amans sont à la guerre ; il s'agit de ce 
qu'Horace a pensé : or, il me semble que le 
terme de mères n'est relatif qu'à en/ans ; il ne 
Fest pas même à époux , encore moins aux oè- 
jets a une tendresse légitime. J'ajouterois vo- 
lontiers que les jeunes filles s'oposent à ce 
qu^bn les confon.de sous le titre de mères; mais, 

Jjour parler plus sérieusement, j'avoue que, 
orsque je lis dans la traduction du P. Sanadon 
que les combats sont pour les femmes un oh- 
jet d'horreur y je ne vois que des femmes épou- 
vantées; au lieu que les paroles d'Horace me 
font voir une mère ateriarie : ainsi je ne sens 
j)oint que l'une de ces expressions puisse jamais 
être rimage de l'autre j et bien loin que la tra- 



D£ DU MARSAIS. lOI 

ductîon du P. Sanadon fasse sur moi un plus 
bel éfet , je regrète le sentiment tendre gu elle 
me fait perdre. Mais revenons à la synecdoque. 
Come il est facile de confondre cette figure 
avec la métonymie , je crois qu'il ne sera pas inu-^ 
tile d'observer ce qui distingue la synecdoque 
de la métonymie, c'est i^. Que la synecdoque 
fait entendre le plus par un mot qui, dans le 
sens propre, signifie le moins , ou au contraire 
elle lait entendre le moins par un mot qui j 
dans le sens propre , marque le plus* 

2®. Dans 1 une et dans l'autre figure^ il y si 
une relation entre l^objet dont on veut parler , 
et celui dont on emprunte le nom ; car s'il n'y 
avoit point de raport entre ces objets , il n'y 
auroit aucune idée acceasoire , et par con- 
séquent point de trope : mais la relation qu'il 
y a entre les objets , dans la métonymie , est 
de telle sorte , que l'objet dont on emprunte 
le nom , subsiste indépendament de celui dont 
il réveille l'idée , et ne forme point un enr 
semble avec lui. Tel est le raport qui se trouve 
entre la cause et Véfet , entre l'auteur et soiji 
ouvrage , entre Gérés et le blé ; entre le con^ 
tenant et le contenu , come entre la bouteille 
et Iç vin : au lieu que la liaison qui se trouve 
entre les objets dans la synecdoque, supose 
que ces objets forment un ensemble come le 
tout et la partie; leur union n'est point un 
simple raport, elle est plus intérieure et plus 
indépendante : c'est ce qu'on peut remarquer 
dans les exen^ples de l'une et de l'autre de ces 
figures. 



G 3 



I02 OE Û V R E S 



V. 

l'A N T O N O M A s E. 

y^J^l'^pll^l-M^\T!iTo'SomÀS-E est ufic espèce de synecdoque 
minâtio : par laquelle on met un nom comun pour un 
nom^pour j^q^^ propre , ou bien un nom propre pour un 
ttWi,pour ,nom comun. Dans le premier cas, on veut faire 
contre , et entendre que la persone ou la chose dont on 
nom^^'^'V^^^^ excèle sur toutes celles qui peuvent être 
comprises sous le nom comun ; et dans le se- 
coua cas, on fait en tendre que celui dont on parle 
ressemble à ceux dont le nom propre est cé- 
lèbre par quelque vice ou par quelque vertu. 
l. Philosophe , orateur ^ poète , roi, "ville^ 
monsieur y sont des noms comuns; cependant 
Tantonomase en fait des noms particuliers qui 
équivalent à des noms propres. 

Quand les anciens disent le philosophe , ils 
entendent Aristote. 

Suand les Latins disent V orateur ^ ils en- 
ent Cicéron. 

Quand ils disent le poète , ils entendent 
Virgile. 

Les Grecs entendoîent parler de Démos- 
tliène, quand ils disoient Y orateur y et d'Ho- 
mère, quand ils disoient le poète. 

Quand nos théologiens disent le docteur an^ 
géliquej ou l'ange de l'école , ils veulent par- 
ler ae S. Thomas. Scot est apelé le docteur 
subtil y S. Augustin le docteur de la grâce. 

Ainsi on done par excélence et par antono-^ 



DE DU M A II S A I S. îo3 

mase, le nom de la science ou dé Tart à ceux 
qui s'y sont le plus distingués, 

Oans chaque royaume , quand on dit sim- 

Î)lement le roi ^ on entend le roi du pays où 
'on est ;\quand on dit la avilie , on entend la 
capitale du royaume , de la province ou du 
pays dans lequel on demeure, 

Quô te, Mœri , pedes ? an quà rîa ducit în urbem? . Virg. 

, IX , V. I 

Urbem , en cet endroit , veut dire la ville de 
Mantoue : ces bergers parlent par raport au 
territoire où ils demeurent. Mais qajmd les 
anciens parloient par raport à Tempire ro- 
main , alors par urbem ils entendoient la ville 
de Rome. 

Dans les comédies grèques > ou tirées du 
grec, la ville ( astu ) veut dire Athènes: to acw, 
An (i) in astu venit ? Est-il venu à la ville ?"'^^*; *"' 
Cornélius Népos , parlant de Thémistpcle et^^J]^*'^ 
d'^Alcibiade , s^est servi plus d'une fois de ce 
mot en ce sens (a). 

Dans chaque famille , monsieur y e\xl dire le 
maître de la maison. 

Lès adjectifs ou épithètes sont des noms com- 
muns, que Ton peut apliquer aux diférens ob- 
jets auxquels ils conviènent; Tantonomase en 
fait des noms particuliers : F invincible ^ le con^ 
quérant , le grande le juste, le sage y se 

(i) Tëren. Eun.act. v, se. vi , selon madame Da-^ 
cier, et se. 5, V. 17 , selon ks éditions vulgaires. 
(2) Xerxesprôtinus accessit astu. 

Corn. Nep. Themist. 4^ 
Alcibiades postquam astu yenitt idem», Alcib. 6. 

a /. 



io4 -" oi; U V R E s 

disent par antonomase, de certains princes^ 
ou d'autres persones particulières, 
-Liv, 1. Tite-Li vç apéle couvent Annibal le Cartha^' 
ginois; le Carthaginois , dit-il , avoit un grand 
nombre d^homes , abundfibat multitùdine hô-^ 
minum Pœnus. Didon dit à sa soeur ( i ) > 
a)ous mettrez sur le bûcher les armes que le 
perfide a laissées ^ et par ce perfide'elle entend 
Enée. 

Le destructeur de Carthageet de Numance^ 
signifie^ par antonomase, Scipion Enailien, 

lien est de mêmedes noms patronymiques 
dont j'ai parlé ailleurs ; ce sont des noms tirés du 
nom du père ou d'un aïeul, et qu'on done aux 
déscendans : par exemple, quand Virgile apèle 
1. 1. V , Enée AnchisiadeSy ce nom est donné à Enée par 
antonomase ; il est tiré de son père, q-ui s'ape- 
loit Anchise. Diomède , héros célèore dans 
l'antiquité fabuleuse, est souvent appelé Tydi^ 
des , parce qu'il étoit fils de Tjdée , roi des 
Etoliens. 

Nous avons un recueil ou abrégé des loix des 
anciens François , qui a pour litre , heœ sdlica: 

f)armi ces loix il y a un article (2) qui exclut 
es femmes de la succession aux terres saliques ,^ 
ç'est-à-dire , aux fiefs : c'est une loi qu'pn n'a 



(i) Arma vîri^ ihàlamo quae fixa rellquît 
Iinpius«.« super impônas. 

y^n. 1. lY , y. 49^. 

('i) De terra verô sdlîcâ , nulla p6rtio hcereditâtîs 
inulieri véuiat , sed ad virilem sexum tota terrœ hœ-» 
^•ë^itas pervéniat, 

/yçx Sdlica% art,62 , dç Alode. § 6* 



37 



DE DU MARSAIS. Io5 

observée inviolablemehtdans la suite qu'à l'é- 
gard des femmes qu'on a toujours excluses de 
la succession à la courone. Cet usage , toujours 
observé , est ce qu'on apèle auj.ourd'hui loi sa-^ . 
lique par antonomase , c'est-à-dire , que nous 
douons à la loi particulière d'exclure les femmes 
de la courone, un nom que nos pères donèrent 
autrefois à un recueil général de loix. 

II. ta seconde espèce d'antonomase est lors- 
qu'on .prend un nom propre pour un nom co- 
ïnun 3j ou pour un adjectif. 

Sardanapale^ derpier roi des Assyriens, 
yiyoit dans une extrême molesse ; du moins 
tel est le sentiment comun : delà on dit d'ua 
voluptueux;, c^ est un Sardanapale. ^ 

L'empereur Néron fut un prince de mau- 
vaises mœurs , et barbare jusqu'à faire mourir 
sa propre mère , delà on a dit des princes qui 
lui ont ressemblé , c'est un Néron. 

Caton , au contraire , fut recommandable 
par l'austérité dé ses mœurs : delà S. Jérôme Hier. i. 
a dit d'un hypocrite- c'est un Caton au dehors, ^P* '^'^^ 

Tvr ' •^ *^j j . Ttr /-.>-> Monach. 

tin i\ eron.au dedans , i/i^z/jf rfero^Jons Lato. sub. fin, 
Méçénas , favori de l'empereur Auguste , ï-^g^- p- 
protégeoit les gensde lettres : on dit aujour- ^Ys.^ Ulu 
d'hui d'un seigneur qui leur accorde sa protec- 1718. p. 
tion , cest uu Mécénas. "^^^' 

M?iîs sans un Mëcënas , à quoi sert un Auffuste ? Boileav 

■ - ^ . - . ^. ^ Sat.i,v.8 

ç'est-^-dire , s^xis. uu protecteur. 

Irus étoit un paiivre de l'île d'Ithaqde , qui Homcr 
étoit à la suite des amans de Pénélope; il a^^""'^' 
donélieu au proverbe des anciens., plus paui^re 
qu'Irus. Au contraire, Crésus ^^ roi de Lydie, 
fut un priace çj^tr^ipement riche; de là on 



106 OE U V R K s 

trouve dans les poêles Irus pour nn paurre^ 
et Crésus pour un riche. 

Ovid.Trist. Irus et est subite qui laoàà Crœsas erat* 
111. Elcg. 7. • • • . Non distat Crœsus ab Iro* §• 
V. 42. 
S PropcTt. Zoïle fut un critique passioné et jaloux ; son 
4,"! 39.*^' nom se dit encore (i) d'un home qui a les 
, mêmes défauts r ^ ""'"'^ "" "^ — ^-—''- ^"' 




un critique 
tiqué Homère; 
et avec passion ; mais Arîstarque Ta critiqué 
avec un sage discernement , qui Ta fait regar- 
der come le modèle des critiques. On a dit de 
ceux qui Font imité qu'ils étoient des Aris* 
tarques. 

Rousseau , £t de moi-méme Aristarque încomode ; 

Ep. 1 , aux 

Muses. C est-à-dire , censeur. Lisez vos ouvrages, 
dit Horace (2) à un ami judicieux; il vous en 
fera sentir les défauts , il sera pour vous un 
Aristarque. 

Thersite fut le plus malfait , le plus lâche ^i 
le plus ridicule de tous les Grecs : Homère a 
rendu les défauts de ce grec si célèbres et si 



(i) Ingënium magni detrëctat livor Homëri : 
Quisquis es , ex iUo , Zclïle , nomea babes. 

OviD. Remed. amor. v. 365. 

(2) Vîr bonus ac prudens versus reprehëndet inertes ^ 
Culpâbit duroSy inc6mptîs àdlinet atrum 
Transvërso calamo signum ^ arabîtiôsa recidet 
Ornamënta , parum claris lucem dare coget y 
Arguet ambiguë dictum \ mutânda notàbît , 
Fiet Aristârchus» 

lioRAT. art. poet. "%. 444- 



DE DU M A U S A I €. I07 

conus , que les anciens ont souvent dit un 
Thersite , pour un home diforme , pour un 
home raéprisable. C'est dans ce dernier sens^^^^g^ ^^.^ 
que M. de la Bruyère a dit : « Jetez-moi dans caract. de 
» les troupes come un simple soldat , je suis Stands. 
)) Thersite ; metez-moi à la tête d'une armée 
» dont j'aie à répondre à toute l'Europe, je suis 
)) Achille ». 

Edipe , célèbre dans les tems fabuleux pour 
avoir deviné l'énigme du Sphinx , a doné lieu à 
ce mot de ïérence, Da^us sum, non OEdipiis. '^^^' ^"^' 

' '^ act. I , »c. s 

Je suis Dave , seigneur , et ne suis pas Edipe. 

C'est-à-dire, je nesai point deviner les discours 
énigma tiques. Dans notre Andrièn/efrançoise, 
on a traduit , , 

Je suis Dave , monsieur , et ne suis pas devin : A.«*d- >«* 

I, se. 3. 

ce qui fait perdre l'agrément et la justesse de 
l'oposition entre Dave et Edipe : Je suis Da^^e , 
donQyç ne suis pas Edipe , la conclusion est 
justej au lieu que ,je suis Dave , donc je ne 
suis pas devin ; la conséquence n'est pas bien 
tirée , car il pouroit être Dave et devin. 

M- Saumaise a été un fameux critique dans 
le dix-septième siècle : c'est ce qui a doné lieu 
à ce vers de Boileau , 

Aux Saumaîses futurs préparer des tortures , Boileau 

Epit. à so 

c'est-à-dire, aux critiques , aux comentatèurs i^l^^^ ^^^ 
à venir. 

Xantippe , femme du philosophe Sôcrate , 
étoit d'une humeur fâcheuse et incomode< on 



.r' 



IIO . OE U V K E s 

V L 

La comunication dans les paroles. 

Ke/y^nc JLi E S rhéteurs parlent d'une figure apelée 
K coin- simpleraent comunication ; c'est lorsque fora- 
"*^.^*,\ teur s'adressant à ceux à qui il parle . paroîtse 
moiûs. comuniquér, s ouvrir a eux , les prendre eux- 
mêmes pour juges ; par exemple : en quoi 
a)Ou$ ai'-je doné lieu de vous plaindre ? /?^- 
pondez-moi , que pouvois-je faire de plus ? 
Qu^auriez-vous fait en ma place ? etc. Eq ce 
sens la comunication est une figure de pensée, 
et par conséquent elle n'est pas de mon sujet. 
La figure dont je veux parler est un trope, 

f)ar lequel on fait tomber sur soi-même ou sur 
es autres , une partie de ce qu'on dit : par 
exemple , un maître dit quelquefois à ses dis- 
ciples , nous perdons tout notre tenis , au lieu 
de dire , vous ne faites que vous amuser. 
QiiavonS'-nousfait ? veut dire en ces ocasions , 
qu^ai^ez'tvousfait?A.\msï nous dans ces exemples 
n'est pas le sens propre , il ne renferme point 
celui qui parle. On ménage par ces expressions 
l'amour propre de ceux à qui on adresse la 
parole , en paroissant partager avec eux le 
blâme de ce qu'on leur reproche ; la remon- 
trance étant moins personèle , et paroissant 
comprendre celui qui l'a fait , en est moins 
aigre, et devient souvent plus utile. 

Les louanges qu'on se done blessent toujours 
l'amour propre de ceux à qui Ton parle. 11 y a 



DE DU MARSAIS. III 

plus de modestie à s^éaoncer d'une manière qui 
fasse retomber sur d'autres une partie du bien 
qu'on veut dire de soi : ainsi un capitaine dit 
quelquefois que sa compagnie a fait telle ou 
telle action , plutôt que d'en faire retomber la 
gloire sur sa seule persone. 

Onpeut regardercettefigurecome uneespêce 
particulière de sjrnecdocjue , puisqu'on dit le 
plus pour tourner Tatention au moins* 



îi^ OEtJVnÉs 

VIL 

La LiTOTis* 



A/TCT»f 

Tos sim 



_, ijÀ litote ou diminution^ est un trope pat 

ex , nu- lequel on se sert de mots^ <jui , à la lettre^ 
s , VI is. parojssen t afoiblir une pensée dont on sait bien 
que les idées accessoires feront sentir toute la 
force : on dit le moins par modestie ou par 
égard ; mais on sait bien que ce moins réveillera 
du plus. 
Corn, le Quand Chîmène dit à Rodrigue > nja ^ je né 

d. act.lll, >. . 11 1 ' r ' j-L'-'i 

^ te nais point , elle lui lait entendre Dien plus 

que ces mot^-là ne signifient dans leur sem 
1 idée propre. 

Il en est de même de ces façons de parler ^/^ 
ne puis "VOUS louer y c'est-à-dire, je blâme 
votre conduite : Je ne méprise pas vosprésenSf 
signifie que j'en fais beaucoup de cas : // nW 
pas sot y veut dire, qu'il a plus d^sprit que 
vous ne croyez : il ri est pas poltron , fait en- 
tendre qu'il a du courage : Pythagore n^est 
pas un auteur méprisable (i) , c'est-à-dire^ 
que Pjlhagore est un auteur qui mérite d'être 
estime. Je ne suis pas diforme (2) , veut dire 
modestement qu'on est bien fait , ou du moins 
qu'on le croit ainsi. 

On apèle aussi cette figure exténuation : elld 
est oposée à l'hyperbole. 

(1) Non sôrdidus autor natiirœ verlque. 

HoR« 1. 1 > ode 28* 

(2) Nec sum âdeô inforxnis. 

YiRG.^c/. a, y. 25* 
VIIK 



DE DU SfARSAlS. llS 

— 1^— *— I | - I ■ . I ■ Il m 

V I I i. 

L^Hyperbolk. 

JL n s Q u £ nous somes vîvemenl|Prapés de t'jrt^jèù) 
quelque idée que nous voulons représenter , et^^P"^®^* 
que les termes ordinaires nous paroissent trop 
Ibibles pour exprimer ce que nous voulons dire^ 
Dous nous servons de mots , qui^ â les prendre 
à la lettre , vont au-delà de la vérité , et repré- 
sentent le plus ou le moins pour faire entendre 
quelque excès en grand ou en petit. Ceux qui 
nous entendent rabatent de notre expression ce 
qu'il en faut rabatre , et il se forme dans leur 
esprit une idée plus conforme à celle que nous 
voulons y exciter , que si nous nous étions 
servis de mots propres : par exemple , si nous 
voulons faire comprendre la légèreté d'un che- 
val qui court extrêmement vite, nous disons 
qu'// "va plus /vite que le "vent. Cette figure 
s'apèle hyperbole , mot grec qui signifie excès • 

Julius Solinus dit qu'un certain Lada étoit 
d'une si grande légèreté , qu'il ne laissoit sur le 
sable aucun vestige de ses pieds (î). 

Virgile dit de la princesse Camille , qu'elle 
surpassoit les vents à la course , et qu'elle eût 
couru sur des épis de blé sans les faire plier ^ 



(i) Prîmam palmam velocîtûtîs ^ Ladas quidam adëp«> 
lus est , qui ita supra cavum piilyerem cursilàvit , ut 
arënis pendéntibus nulla indicia relinqueret vesti-« 
giùrum. Jul. Solin. c. 6* 

Tome IIL H 



Ïl4 OE U V R E. s 

OU sur les flots de la mer sans y enfoncer , et 
même sans se mouiller la plante des pieds (i). 
Au contraire , si Ton veut faire entendre 
qu'une persone marche avec une extrême len- 
teur , on dit qu'elle marche plus lentement 
qu'une tortue. 
Eddcam II y a plusieurs hyperboles dans récriture 
vos ad ter- sainte : plllr exemple , je "vous donerai une 
tcm lactc et terre ou coulent des ruisseaux de lait et de 
mtWt.ï.xQd, miel , c'est-à-dire, une terre fertile : et dans 
*^Fâciam se- ^^ Genèse il est dit : Je multiplierai tes enfans 
mcn tuum en aiissî gi^and nombre , que les crains de 
sicut v"^^""^- poussière delà terre. S. Jean , à la un de son 
G^T«. cVi3 évangile (3) , dit que si Ton racontoit en détail 
▼. 16. ' les actions et les miracles de Jésus-Christ , il 
ne croit pas que le monde entier pût contenir 
les livros qu'on en pouroit faire. 

L'hyperbole est ordinaire aux Orientaux. Les 
jeunes gens en font-plus souvent usage que les 

Eersones avancées en âge. On doit en user&o- 
rementetavec quelque corectif ; par exemple, 
en ajoutant, /?attr ainsi diœ ; si l'on peut 
• parler ainsi. ' ' 
Caract.des « Les esprits vifs , pleins de feu , et qu'une 
TV^it^ ^^ ^ vaste imagination emporte hors des règles et 



(1) nia vel întâctœ ségetîs per siirtrma volâret 
Grâmina, nec téneras cursu lœsi^set arîstas ,^ 
Vel mare per mëdium fluctu suspënsa tuménti 
Ferret iter , cëleres nec tingeret œquore plantas. 

JifeVi. 1. VII ,V. 808. 

fa) Sunt autem. et àlia multa quee fecit Jésus , q«œ 
si scribântur per singula , nec ipsum arbitrer mundum 
câpere posse.eos^ qui scribëndi sunt libros. 

JOAN. XXI ^ y* 25* 



DE -D V MARSAIS. Il5 

» delà justesse, ne peuvent s'assouvir d'hyper- 
» boles )) , dit M. de la Bruyère. 

Excepté quelques façons de parler comunes 
et proverbiales , nous usons très - rareaient 
d'hyperboles en françois. On en trouve quel- 
ques, exemples dansle style satyrique et badin , 
et quelquefois même dans le style sublime et 
poétique : Des ruisseau^ de larmes coulèrent Ficchî 
des yeux de tous les habit ans. ^T^V 

«/ y \ • 1 • nebrc de i 

« Lés Grecs (i) avoient une grande passion de Turéi 
» pour l'hyperbole , corne on le peut voir dajas Exorde. 
^) leur anthologie , qui en est toute ^emplie, 
M Cette figure est, la ressource des petits esprits 
» qui iécrivent pour le bas peuple. » 

. Juv^nal ëlevé dans les cris de l'école , Boil. A 

Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole» poétique 

chant. X» 

f< Mais quand on a du génie et de l'usage du 
» monde , on ne se sent guère de goût pour ces 
» sortes de pensées fausses et outrées ». 



(i) 'Traité fie la vraie et delà fausse beauté dans les 
ouvrages d* esprit. C'est une traduction que Kichelet 
nous a donée de la dissertation que messieurs de P. R. 
ont mise à la Xèie de leur Delécius Epigràmmatiwi» 



Ha 



\Il6 0£ u y H K 5* 

~ ». — Il ■■ I ■.. Il' I ■ ■ - - '^^ 

IX. 

L'HYPOTYPOSEé 

tVoTw- JLj* iiYPOTYPOSE est UH mot grec qui signifier 

*«yiç : image, tableau. C'est lorsque, dans les descrip- 

f*^™^Jl' tions, on peint les faits dont on parle, come si ce 

ieiineo : qu on dit ctoit actuèljement devant les yeux ; on 

ÛToitt*, Tt/- montre , pour ainsi dire , ce qu'on ne fait que 

vo»jiguro, pg^Qj^j-çp . Qj^ done, en quelque sorte , Torigiiial 

pour la copie , les objets pour les tableaux : 

vous en trouverez un bel exemple dans le récit 

delà mort d'Hippoljte. 

Rac. Phc- Cependant , sur le dos de la plaine liquide, 
dre. act. v , S'éiève à gros bouillons une montagne numide ; 
^" ' L'onde aproche , se brise , et vomit à nos yeux 

Parmi les flots d'écume, un monstre furieux; 
jSon front large est armé de cornes menaçantes , 
Tout son èorps est couvert d'écaillés jaunissantes; 
Indomptable taureau., dragon impétueux, 
5a croupe se recourbe en replis tortueux : 
Ses longs mugisseraens font trembler le rivage j 
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage j 
La terre s'en émeut , l'air en est infecté , 
Le flot qui l'aporta recule épouvanté. 

Ce dernier vers a paru afecté ; on a dit que les 
flots de la mer aloient et venoient sans le motif 
de l'épouvante, et que, dans une ocasion aussi 
triste que celle de la mort d'un fds , il ne con— ^ 
venoit point de badiner avec une fiction aus^^ 
peu naturèle. Il est vrai que nous avons plusieu fS 
exemples d'une semblable prosopopée ; mais i* 



©E DU MARS Aïs. II7 

est mieux de n*en faire usage que dans les oca- 
sionsoù il ne s'açit que d'amuser Hmaginalion^ 
et non quand^ il faut toucher le cœur. Les 
iigures qui plaisent^ dans un épithalame , dé- 
plaisent dans une oraison funèbre ; la tristesse ^^^ j^^ 
doit parler simplement , si elle veut nous in- v^^^ v. 97. 
téresser : mais revenons à Thypotypose. 

Remarquez que tous les verbes de cette 
narration sont au présent , l'onde aproche , se 
ème,etc.,c'est ce qui fait Thypotypose, Fimage^ 
la peinture ; il semble que l'action se passe sou^ 
vos yeux. - 

M. Tabé Ségui^ dans son panégyrique dé 
S. Louis , prononcé en présence de l'académie 
françoise , nous fournit jencore un bel exemple 
d'hypotypose , dans la description qu'il fait du 
départ de S, Louis , du voyage de ce prince ^ 
et de son arivée en Afrique. 

« Il part baigné de pleurs , et comblé des 

» bénédictions de son peuple : déjà gémissent sj^J^^i^'J 

» les ondes sous le poids de sa puissante flote j 1729, p.2a. 

)) déjà s'ofrent à ses yeux les cotes d'Afrique ; 

» déjà sont rangées en bataille les innombrables 

» troupes des Sarasins. Ciel et terre , soyez 

» témoins des prodiges de sa valeur. Il se jette 

» avec précipitation dans les flots , suivi de soa 

» armée que son exemple encourage , malgré 

» l^s cris éfroyables de l'énemi furieux , au 

» milieu des vagues et d'une grêle de dards 

» qui le couvrent : il s'avance come un géant 

» Vers les champs où la victoire l'apèle : il prend 

» terre , il aborde , il pénètre les bataillons épais 

» des barbares ; et couvert du bouclier invi- 

>^ sible du dieu qui fait vivre et qui fait mourir , 

^ £rapant d'un bras puissant à droite et à gau- 

H 3 



» che ^ écartant la mort , et la renvoyant à 
» rénemi , il semble encore se multiplier dans 
» chacun de ses soldats. La terreur que les infi^ 
-» dèles croyoient porter dans les cœurs des 
» siens , sVmpare d'eux-mêmes. Le Sarasin 
» éperdu , le blasphème à la bouche , le déses- 
» poir dans le cœur, fuit , et lui abandone le 



)) rivage ». 



Je ne mets ici cette figure au rang des tropes^ 
que parce qu^il y a quelque sorte de trope â 
parler du passé come s'il étoit présent ; car 
d'ailleurs les mots qui sont employés dans celte 
figure, conservent leur signification propre. De 
plus , elle est si ordinaire , que j'ai cru qu'iJ 
xi'étoit pas inutile de la remarquer ici. 



» •!../:. ^. . 







BE Jf V n A K S X 1 $0 ÎI9 

X. ' '" 
La MixÂPiioRi:. 

A métaphore est une figure par laquelle on utr^^ipi^ 
nsporte , pour ainsi dire , la signification transUtio : 
)pre d'un nom à une autre signification q^ix^ia^e/o* 
lui convient qu'en vertu d'une Comparaison 
[' est dans Tesprit. Un mot pris dans un sens 
taphorique ; perd sa signification propre ^ et 
prend une nouvèle qui ne se présente à 
iprit que parja comparaison que Fon fisiit " 
re ]e sens propre de ce mot , et ce qu'on lui 
npare : par exemple , quand on dit que le 
nsonge se pare soui^ent des couleurs de la 
nté , en cette phrase y couleurs n'a plus sa 
nification propre et primitive ; ce mot na 
rque plus cette lumière modifiée qui- hôus 
: voir les objets ou blancs , ou rouges , ou 
nés , etc. : il signifie les dehors , les apa^ 
ices ; €t cela par coi«paî*aiso;î entre le sens 
)pre de Couleurs , et i^s dehors que prend 
home qui nous en- impose «ous le masque 
la sincérité. Les couleurs font conoître les 
ets sensibles , elles en font voir les dehors et 
aparences : un home quîment , imite quel- 
^fois si bien la contenance et les discours de 
iii qui ne ment pas , que lui trouvant les 
mes dehors , et, pour ainsi dire , les mêmes 
ileurs y nous croyons qu'il nous dit la\érité : 
si corne noua jugeons qu'un objet qui nous -— 

oît blanc est blanc . de même nous somes 

H4 






..>no\ «-.i- -11. 



Il iitiiti« > . . : 
lU* l'M'Ilirîîî. 

'.♦f ri II /a hirn.crv dv V*. '"" . 
. -*- • :* firjs nit'l.iplior: ; .-rzir 
.»:':'. ". :k . '^<:: '»*- siris pr . :. r. . : 



.if 



T) E DU M A E. S A I S. 131 

soit par le secours du compas , de la règle , ou 
dequelqu'autre instrument qu'on apèle me^fire. 
Ceux qui prènent bien toutes leurs précautions 
pour ariver à leurs fins , sont comparés à ceux 
qui mesurent quelque quantité j ainsi on dit 
*par métaphore quUIs ont bien pris leurs me- 
sures. Par la même raison , on ait que les per^ 
sortes d'une condition médiocre ne doivent 
pas se mesurer aç^ec les grands , c'est-à-dire , 
vivre come les grands , se comparer à eux , 
corne on compare une mesure avec ce qu'on, 
veut mesurer. On doit mesurer sa dépense à 
son res^enu ; c'est-à-dire , qu'il faut régler sa 
dépense sur son revenu j la quantité du revenu 
doit être corne la mesure de la quantité de la 
dépense. 

Come une clé ouvre la porte d'un aparte- 
ment , et nous en done l'entrée , de même il y 
a des conoissances préliminaires qui ouvrent, 
pour ainsi dire , l'entrée aux sciences plus pro* 
fondes : ces conoissances ou principes sont 
apelés clés par métaphore ; la grammaire est 
la clé des sciences : la logique est la clé de la 
philosophie. 

On dit aussi dune ville fortifiée , qui est sur 
une frontière , qu'elle est la clé du royaume , 
c'est-à-dire , que l'énemî qui se rendroit maître 
de cette ville, seroit à portée d'entrer ensuite 
avec moins de peine dans le royaume dont on 
parle. 

Par la même raison , l'on done le nom de 
p/^ 9 en termes de musique , à certaines mar- 
ques ou caractères que l'on met au comence- 
ment des lignes de musique : ces marques font 
conoître le nom que Ton doit doner aux noies i 



laO CE U V R E 5 

souvent la dupe d'unesincéri té aparente;etdans 
le tems qu^un imposteur ne fait que prendre les 
dehors d home sincère^ nous croyons qu'il nous 
parle sincèrement. 

Quand on dit la lumière de V esprit , ce mot 
de lumière est pris métaphoriquement ; car 
come la lumière^ dans le sens propre, nous fait 
voir les objets corporels , de même la faculté 
de conoître et d'apercevoir éclaire Tesprit , et le 
met en état de porter des jugemens sains. 

Metipho- La métaphore est donc une espèce de trope; 

- quam j^ ^^^j. Jq^j; ^^ g^ ^gj.^- ^j^j^^ \^ métaphore est 

ant , nos pris daus uu autre sens que dans le sens propre;- 
ransiatiô- // q^i ^ pour. aiusi dire , dans une demeure em< 
Tomo mn-' P^^^^^^ 9 ^^^ "^ ancien, ce qui est comun e9 
uàtum ver- esscutiel à tous les tropes. > = 

îum quo j)e plus , ilj a uDc sorte de comparaison ou 
^l'îT^x/A"' auelaue raport équivalent entre le mot auaud 



-am 
IJraeci 




on dit d'un home en colère , c'est un lion 9 
lion est pris alors dans un sens métaphorique; 
on compare l'home en colère au lion , et voit) 
ce qui distingue la métaphore des autres figurefl 

li y a cette diférence entre la métaphore 
la comparaison , que dans la comparaison 
se sert de termes qui font conoître que Te 
compare une chose à une autre , par exemple 
si Ton dit d'un home en colère , €[\ïil est con 
lin lion j c'est une comparaison ; mais quac 
on dit simplement c^est un lion , la com[ 
son n'est alors que dans l'espril et non 
termes } c'est une 1 

Mesure} 
d'uaeqiiâi. 



T) E DU M A E. S A I S. 131 

Oit par le secours du compas , de la règle , ou 
àequelqu'autre instrument qu'on apèle me^fire. 
Ceux qui prènent bien toutes leurs précautions 
pour ariver à leurs fins , sont comparés à ceux 
çii mesurent quelque quantité j ainsi on dit 
^r métaphore qu'Us ont bien pris leurs me- 
jures. Par la même raison , on ait que les pen- 
iones d'une condition médiocre ne dois^ent 
pas se mesurer apec les grands , c'est-à-dire , 
yivre corne les grands ^ se comparer à eux , 
"^^e on compare une mesure avec ce qu'on, 
it mesurer. On doit mesurer sa dépense à 
i revenu ; c'est-à-dire , qu'il faut régler sa 
dépense sur son revenu ; la quantité du revenu 
âûit être corne la mesure de la quantité de la 
^fipense. 
Corne une clé oavre la porte d'un aparte- 
Bent , et nous en dune Ventrée , de même il y 
idcs conoissances préiiniinaires qui ouvrent, 
]?ur ainsi due , Fcntrce aux sciences plus pro- 
tides : CCS cûnoîssances ou principes sont 
elés clés par métapiiore ; la grammaire est 
/e des sciences : la logique est la clé de la 
îosopliie- 

0n dit aussi du ne ville fortifiée , qui est sur 
e frontière , qu 'elle est ia clé du royaume , 
st-à-dire , que réDêmi qui se rendroit maître 
►cette ville , seroit a portée d'entrer ensuite 
moins de peine dans le royaume dont on 

la même rabon , Ton donc le nom de 
*n termes je ©oaic^iie , à certaines mar- 
ia caraclères que 1 on met au cumence- 

r,-r-.. . 1- f) I 1 jy. ces marques tout 
^i , l1 douer aux nolei- 



Xl4 OE U V R E. 5 

pu sur les flots de la mer sans y enfoncer , et 
même sans se mouiller la plante des pieds (i)* 
Au contraire , si Ton veut faire entendre 
qu^une persone marche avec une extrême len- 
teur , on dit qu'elle marche plus lentement 
qu'une tortue. 
Edùcam II y a jalusieurs hyperboles dans l'écriture 
Vos ad ter- g^intc ; np exemple , je "vous donerai une 
tem Ucitti terre ou coulent des ruisseaux de lait et de 
mtWt.txoL miel , c'est-à-dire, une terre fertile : et dans 
c. 3 , V. 17. j^ Genèse il est dit : Je multiplierai tes en fans 

Fâciam se- . r ^ J 

xncn tuum en oiissi g^^und nombre , que les grains de 
sicut v^^yfc- poussière delà terre. S. Jean , à la fin de son 
gTw. cVi3 évangile (2) , dit que si Ton racontoit en détail 
▼. 16. ' les actions ^t les miracles de Jésus-Christ , il 

ne croit pas que le monde entier put contenir 

les livros qu'on en pouroit faire. 

L'hyperbole est Ordinaire aux Orientaux. Les 

jeunes gens en font-plus souvent usage que les 

Êersones avancées en' âge. On doit en userao- 
rementetavec quelque corectif; par exemple, 
en ajoutant-, v/?o«r ainsi diœ ; si l'on peut 
• parler ainsi. ' 
Caract.des « Les esprits vifs , pleins de feu , et qu'une 
v^r^i^ ^^ ^ Vaste imaginabiôh emporte hors des règles et 



(i) lUa vel întâctœ ségetîs per siirtïma volâret 
Grâmînay nec téneras cursu lœsi^set aristas ,^ 
Vei mare per médium flùctu suspënsa tuméntî 
Ferret iter , céleres nec tingeret œquore plantas. 

JifeVi. 1. vil ,'v. 808. 

(2) Sunt autem. et âlia tniilta quœ fecit Jésus , qoae 
sî scribântur per singula , nec ipsunoi arbitrer mundaia 
càpere posseeos^ qui scribëndi sunt libres. 

JOAN. XXI . y. 25* 



DE DDT MAR5AIS. Il5 

» delà justesse, ne peuvent s'assouvir d'hyper- 
#) boles )) , dit M. de la Bruyère. 

Excepté quelques façons de parler comunes 
et proverbiales , nous usons très - raremeat 
d'hyperboles en françois. On en trouve quel- 
que3 exemples dansle style satyrique et badin , 
et quelquefois même dans le style sublime et 
poétique : Des ruisseau^ de larmes coulèrent Ficchîer. 
des yeux de tous les habit ans. Oraison fu- 

•4 , ^ / \ . 1 . nthxt de M. 

« Lés Grecs (i J avoient une grande passion de Turènc. 
w pour l'hyperbole , corne on le peut voir dans Exordc. 
w leur anthologie , qui ea est toute ^emplie. 
» Cette figure est. la ressource des petits esprits 
» qui iécrivent pour le bas peuple. » 

• Juvënal ëlevé dans les cris de l'dcole , Boil. Art. 

Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole. poétique , 

chant. X» 

f< Mï^îs quand on a du génie et de l'usage du 
» inonde , on ne se sent guère de goût pour ces 
» sortes de pensées fausses et outrées ». 



(i) Traité ^e la vraie et de la fausse beauté dans les 
ouvrages d'esprit. C'est une traduction que Kichelet 
nous a donëe de la dissertation que messieurs de P. R. 
ont mise à la tête de leur Deléclus Epigràmmatam. 



Ha 



Ml6 



OE U V R K? 5- 



IX. 

L'Hypotypose. 

r^roTi/- J-j* H YPOT Y POSE est un mot ffrec quî signifie 

^etTif : image , tableau. C'est lorsque, dans les descrip- 

f^lrvT^s^i lions, on peint les faits dont on parle, come si ce 

deiineo : qu'on dit étoit actuèlpment devant les yeux ; on 

ÙTTo sub, ru' niontre , pour ainsi dire , ce qu^on ne fait que 

wmjiguTO, j^g^Qj^j-çj, . Qjj done, en quelque sorte , rorigiiial 

pour la copie , les objets pour les tableaux : 

vous en trouverez un bel exemple dans le récit 

de la mort d'Hippoljte. 

Rac. Phè- Cependant , sur le dos de la plaine liquide, 
«rc. act. V , S'élève à gros bouillons une montagne numide ; 
^" ' L'onde aproche , se brise , et vomit à nos yeux 

Parmi les flots d'écume, un monstre furieux; 
jSon front large est armé de cornes menaçantes , 
Tout son èorps est couvert d'écaillés jaunissantes; 
Indomptable taureau., dragon impétueux , 
Sa croupe se recourbe en replis tortueux : 
Ses longs mugisseraens font trembler le rivage ; 
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage j 
La terre s'en émeut , l'air en est infecté , 
Le flot qui l'aporta recule épouvanté. 

Ce dernier vers a paru afecté ; on a dit que les 
flots de la mer aloient et venoient sans le motif 
de l'épouvante, et que, dans une ocasion aussi 
triste que celle de la mort d'un fils , il ne con- 
venoit point de badiner avec une fiction aussi 
peu naturèle. Il est vrai que nous avons plusieurs 
<îxemples d'une semblable prosopopée j mais il 



Hor. Art 



DE DU M A n 5 A I S. II7 

5St mieux de n*en faire usage que dans les oca- 
;ionsoù il ne s'agit que d'amuser rimaginalion, 
ît non quand^ il faut toucher le cœur. Les 
igures qui plaisent^ dans un épithalame , dé- 
plaisent dans une oraison funèbre ; la tristesse 
loit parler simplement , si elle veut nous in- ?^^^ v. 97 
iéresser : mais revenons, à Thypotypose. 

Remarquez que tous les verbes de cette 
larration sont au présent , l'onde aproche , se 
^rwe,etc.,c'estce qui fait Thypoty pose, Firnage, 
a peinture ; il semble que Faction se passe sou^ 
?os yeux. - 

M. Tabé Séguî, dans son panégyrique de 
5. Louis , prononcé en présence de l'académie 
rrançoise , nous fournit encore un bel exemple 
i'hypoty pose , dans la description qu'il fait du 
iépart de S. Louis , du voyage de ce prince , 
et de son arivée en Afrique. 
« Il part baigné de pleurs , et comblé des 
bénédictions de son peuple : déjà gémissent s.Lmiu,e 
les ondes sous le poids cie sa puissante flote j 1729, p. 2: 
déjà s'ofrent à ses yeux les cotes d'Afrique ; 
») déjàsontrangéesen bataille les innombrables 
» troupes des Sarasins. Ciel et terre , soyez 
» témoins des prodiges de sa valeur. Il se jette 
M avec précipitation dans les flots y suivi de son 
» armée que son exemple encourage , malgré 
les cris éfroyables de l'énemi furieux , au 
milieu des vagues et d'une grêle de dards 
qui le couvrent : il s'avance come un géant 
vers les champs où la victoire Tapèle : il prend 
terre , il aborde, il pénètre les bataillons épais 
» des barbares j et couvert du bouclier invi- 
» sible du dieu qui fait vivre et qui fait mourir , 
» frapant d'un bras puissant à oroite et à gau- 

H 5 







Il8 CE tJ^V R E s 

» che 9 éeartant la mort , et la renvoyant â 
» rénemi , il semble encore se multiplier dans 
» chacun de ses soldats. La terreur que les inft** 
» dèles croyoient porter dans les cœurs des 
» siens , s'empare d'eux-mêmes. Le Sarasin 
» éperdu , le blasphème à la bouche , le déses- 
» poir dans Ife cœur > fuit , et lui abandone le 
j) rivage ». 

Je ne mets ici cette figure au rang des tropeSy 
que parce qu'il y a quelque sorte de trope à 
parler du passé come s'il étoit présent } car 
d'ailleurs les mots qui sont employés dans celte 
figure, conservent leur sâgnificatioti propre. De 
plus , elle est si ordinaire , que j'ai cru qu'il 
Il 'étoit pas inutile de la remarquer ici« 



» » -Mi. 71, <». 






DE EfU MAR5AIS- tlQ 

TTTiTrr I. ~ I li n 

X. ' '; . 

La m i t à p h o r e. ' 



A métaphore est une figure par laquelle on utrA<p9pi, 
isporte , pour ainsi dire , la signification transiâdo : 
pre d'un nom à une autre signification q^^ix^àlX^T 
îui convient qu'en vertu d'une ^Comparaison 

est dans l'esprit. Un mot pris dans un sens 
::apbDrique ; perd sa signification propre , et 
prend une nouvèle qui ne se présente à 
prit que par la comparaison que l'on fait " 
re le sens propre de ce mot , et ce qu'on lui 
ipare : par exemple , quand on dit que le 
isonge se pare souvent des couleurs de la 
ité ^ en cette phrase ^ couleurs n'a plus sa 
lification propre et primitive ; ce mot ne 
-que plus cette lumière modifiée quihôus 

voir les objets ou blancs , ou rouges , ou 
les , etc. : il signifie les dehors , les apa^ 
ces ; et cela par cojmparaiso/i entre le sens 
pre de couleurs , et les dehors que prend 
borne qui nous en* impose «ous le masque 
a sincérité. Les couleurs font conoître les 
?ts sensibles , elles en font voir les dehors et 
iparences : un home qui ment , imite quel- 
fois si bien la contenance et les discours de 
[i qui ne ment pas , que lui trouvant les 
nés dehors , et, pour amsi dire , les mêmes 
leurs y nous croyons qu'il nous dit laVérité : 
i corne nou^ jugeons qu'un objet qui nous " 
ni blanc est blanc j^ de même nous somefi 

H4 



laO CE U V R E 3 

souvent la dupe d'unesincérité aparente; etdans 
le tems qu^un imposteur ne fait que prendre les 
dehors d home sincère, nous croyons qu'il nous 
parle sincèrement. 

Quand on dit la lumière de V esprit , ce mot 
de lumière est pris métaphoriquement j car 
come la lumière, dans le sens propre, nous fait 
voir les objets corporels , de même la faculté 
de conoître et d'apercevoir éclaire Tesprit , et le 
met en état de porter des jugemens sains. 
Metipho- La métaphore est donc une espècç de trope; 
ram quam j^ ^^^j. j^^^j. ^^ ^^ ^^^^ ^^^^ j métaphore est 

Orxci vo- . , . A^ 

cant , nos pris daus uu autre sens que dans le sens propre; 
transiatiô- // Q^t ^ pour aiusi dire , dans une demeure emr 

domo mu-^' Z^^"'*^^^ 9 ^^^ ^^ ancien, ce qui est comun et 

tuàtum vcîn essentiel à tous les tropes. 

bum quo j)e -plus , ilj a unc sorte de comparaison ou 

quiT^Vcr" quelque raport équivalent entre le mot auquel 

Tiu». f<rj/ttj , on done un sens métaphorique, et l'objet â 

V. McUpho-q^Qj Qjj veut Tapliquerj par exemple, quand 

on dit d'un home en colère , c'est un lion , 

lion est pris alors dans un sens métaphorique ; 

on compare l'home en colère au lion , et voilà 

. ce qui distingue la métaphore des autr.es figures. 

Il y a cette diférence entre la métaphore et 

la comparaisoa 9 que dans la comparaison on 

se sert de termes qui font conoître. que l'on 

compare une chose à une autre j par exemple , 

si l'on dit d'un home en colère , qu'// est come 

un lion , c'est une comparaison ; mais quand 

on dit simplement c'est un lion , la comparai-i- 

son n'est alors que dans l'esprit et non dans les 

terme* j c'est une métaphore. 

Mesurer y dans le sens propre, c'est juger 
d'une quantité inconue par une quantité conue^ 



DE n V M A E. s A I s. 131 

soit par le secours du compas , de la règle , ou 
dequelqu'autre instrument qu'on apèle me^fire. 
Ceux qui prènent bien toutes leurs précautions 
pour ariver à leurs fins , sont comparés à ceux 
qui mesurent quelque quantité ; ainsi on dit 
par métaphore quUIs ont bien pris leurs me- 
sures. Par la même raison , on ait que les pen- 
sones d^une condition, médiocre ne doii^ent 
pas se mesurer a\^ec les grands , c'est-à-dire , 
vivre come les grands , se comparer à eux, 
corne on compare une mesure avec ce qu'on, 
veut mesurer. On doit mesurer sa dépense à 
son revenu ; c'est-à-dire , qu'il faut régler sa 
dépense sur son revenu ; la quantité du revenu 
doit être corne la mesure de la quantité de la 
dépense. 

Come une clé ouvre la porte d'un aparte- 
inent , et nous en done l'entrée , de même il y 
a des conoissances préliminaires qui ouvrent, 
pour ainsi dire , l'entrée aux sciences plus pro- 
rondes : ces conoissances ou principes sont 
apelés clés par métaphore ; la grammaire est 
la clé des sciences : la logique est la clé de la 
philosophie. 

On dit aussi d'une ville fortifiée , qui est sur 
ane frontière , qu'^elle est la clé du royaume , 
:'est-à-dire , que l'énemi qui se rendroit maître 
3e cette ville , seroit à portée d'entrer ensuite 
ivec moins de peine dans le royaume dont on 
parle. 

Par la même raison , l'on done le nom de 
olé , en termes de musique , à certaines mar- 
ques ou caractères que l'on met au comence- 
ment des lignes de musique : ces marques font 
conoître le nom que l'on doit doner aux noies i 



f 32 OE U V R E 5^ 

elles donent,pour ainsi dire, Tentrée du chant: 
Quand les métaphores sont régulières ^ il 
n'est pas dificile de trouver le raport de com- 
paraison. 

La métaphore est donc aussi étendue que h 
comparaison ; et lorsque la comparaison ne 
seroit pas juste ou seroit trop recherchée ^ la 
métaphore ne seroit pas régulière. 

Nous avons déjà remarqué que les langues 
n'ont pasautantde mots que nous avons d'idées; 
cetixi (lisète de mots a doné lieu à plusieurs 
inétaphores ; par exemple : le cœur tendre j 
lit cœur dur , un rayon de miel , les rafom 
d'une; roue^ etc. : l^imagination vient, poiur 
ainsi dire , au secours de cette disète ; elle sxk* 
plée par les images et les idées accessoires 901 
mots que la langue ne peut lui tburnir; et il 
cirive même ^ corne nous l'avons déjà dit , qae 
<:rs images et ces idées accessoires ocupentl e»^ 
prit plus agréablement que si l'on se serroitde 
moLs propres , et qu'elles rendent le discours 
plus eficrgique ; par exemple y quand on dit 
d'un home endormi , qu't/ est. enseveli dans 
le stuncil , cette métaphore dit plus que si l'oo 
disoit simplement qu'il dort : les Grecs sur- 
//rirent Troie ensevelie dans le ^vin et dansl^ 
someil. 

\'iig. /Tn. Inv&dunt urbem somno vinoque sepiiltam. 

nomarqucz , i**. que dans cet exemple, sepûh 
tant a un sens tout nouteau etdiférent de son 
sens ]>ropr«.«î 3^. Sepûltam fi'a ce nouveau sens; 
que i>arce qu'il est joint à somno vinôque; 
avec; lesquels il ne sauroit être uni dans le sens . 
pr'>pr<î ; car ce n'est que par unenouyèle itmoB 



DE DU MARS'AIS. isS 

de termes que les mots se donent le sehs mé- 
taphorique. Lumière n'est uni dans le sens 
propre, qu'avec le feu , le soleil et les autres 
objets lumineux ; ccliii qui , le premier, a uni 
lumière à esprit ^ a doné à lumière un sens 
métaphorique , et en a fait un mot nouveau par 
ce nouveau sens. Je voudrois qiie l'on pût doner 
cette interprétation a ces paroles d'Horace : 

Dixerîs egrégié^ notum si câllida yerbum ^^^' ^^^ 

Reddiderit junctiira novum* Poct. v.47. 

La métaphore est trùs-ordlnaîre ;. en voici 
encore quelques exemples : on dit dans le sens 

Sropre^ s'ervyçrer de quelque liqueur ; et Ton 
it par métaphore , s'ényvrer de plaisirs : la 
boTie fortune ènji^re les sots , c'est-à-dire , 
qaelle leur fait perdre la raison , et leUr fait 
oublier leur premier état. 

Nç vous enyvrez point des ëloges flateur» Boil. Art 

Q^ue vous donc un amas de vains admirateurs. Poet. chan 

te peuple, qui jamais n'a conu la prudence , 4- 

S'enjrvroit folement de sa vaine espérance. - ' Hcnriade 
• • * chant 7. 

Doner unfrèln à ses passions , fc'(?st-à-dire , 
n'en pas suivre lou« les mouvemens , les mo- 
dérer , lés retenir corne on retient un cheval « 
avec le frein , qui est un riiorceau de fer qu'on 
oaet dans la bouchedu cheval. 

Mènerai , parlant dé l'hérésie , dit qu'iV était Abrégé d 
nécessaire aaracher cette zizanie , c est-à- ^f p^^'^* 
dire > cette semence de division ;. zizanie est François 11 
là dans un sens métaphorique : c'est un mot P 992. 
grec qui veutdire j^(^ro/e, mauvaise herbe qui 
croît parmi les blés ^ et qui leur est nuisible. 
Zizanie n est point en usage au propre , mais 



Î24 OE tJ V R E S' 

il se dit par métaphore pour discorde , mésin^ 
telligence , diç^ision : semer la zizanie dans 
une famille* 

Maù^ria , matière , se dit dans le sens propre, 
de la substance étendue considérée come prin- 
cipe de tous les corps j ensuite on a apelé 
matière , par imitation et par métaphore , ce' 

aui est le sujet ^ l'argument , le thème d'un 
iscours , d'un poème , ou de quelqu'autre ou- 
vrage d'esprit. 

\^ * '^^ ^sopus auctor, quam xAatérîam rëpperit , 
Hanc c^o poliyi yërsibus Senàriis. 

Tai poli la matière , c'est-à-dire , j'ai doné 
l'agrément de la* poésie aux fables qu'Esope a 
inventées avant moi. Cette maison est oien 
riante , c'est-à-dire, elle inspire la gaieté 
come les persones qui rient, ha fleur de ta 
jeunesse ; le feu de l'amour; Faveuglèmerd 
de r esprit ; Le fil dHun discours ; le fil des 
af aires. 

C'est par métaphore que les diférentes clas- 
ses , ou considérations , auxquelles se réduit 
tout ce qu'on peut dire d'un sujets sontape- 
léeslieuao comunsen rhétorique et en logique , 
loci communes. Le genre , l'espèce , la cause , 
les éfets , etc. , sont des lieux comuns , c'est-à- 
dire , que ce sont come autant de célules où tout 
le monde peut aler prendre , pour ainsi dire, 
la matière d'un discours , et des argumens sur 
toutes sortes de^sujets. L'atention que l'on fait 
sur ces diférentes classes, réveille des pensées 
que l'on n'auroit peut-être pas sans ce secours. 

Quoique ces lieux comuns ne soient pas d'ua 



DE DU MARSAIS. 1^5 

jgrand usage dans la pratique , il n'est pourtant 
pas inutile de les conoître ; on en peut faire 
usage pour réduire un discours à certains chefs ; 
mais ce qu'on peut dire pour et contre sur ce 
point , n'est pas de mon sujet. 

On apèle aussi en théologie, par métaphore, 
loci theolôgici , les difércntes sources ou les 
ihéologiens puisent leurs argumens. Telles sont 
l'écriture samte , la tradition contenue dans les 
écrits des saints pères , les conciles , etc. 

En terme de cnjrmie , règne se dit par mé- 
taphore , de chacune des trois classes sous les- 
quelles les chymistes rangent les êtres naturels. 

i^. Sous le règne animal ^ ils comprènent les 
animaux. 

2®. Sous le règne ^végétal y les végétaux^ 
c'est-à-dire, ce qui croît, ce qui produit, 
corne les arbres et les plantes. 

5^. Enfin , sous le règne minéral , ils com- 
prènent tout ce qui vient dans les mines. 

On dit aussi par métaphore , que lagéogra^ 
phie et la chronologie sont les aeux yeuœ de 
^histoire. On personifie l'histoire , et on dit que 
la géographie et la chronologie sont à l'égard 
de l'histoire , ce que les yeux sont à Tégard 
d'unepersone vivante ; par l'une elle voit , pour 
ainsi dire , les lieux , et par l'autre les tems : 
c'est-à-dire , qu'un historien doit s'apliquer à 
faire conoître les lieux et les tems dans lesquels 
se sont passés les faits dont il décrit l'histoire. 

Les mots primitifs d'où les autres sont déri- 
vés ou dont ils sont composés , sont apelés 
racines , par métaphore : il y a des dictionaires 
où les mots sont rangés par racines. On dit 
aussi par métaphore , parlant des vices ou des. 



Î26 OE Ù V R E 5 

vertus y jeter de profondes racines^ pour dîiW 
s'afermir, , 

Calus , dureté , durillon , en latin callum^ 
se prend souvent dans un sens métaphorique; 
Cîc. Tusc. Lahor quasi callum qiioddam obdùcit dolôri, 
2,num. 36. Jit Cicéron : le travail fait corne une espèce de 
calus à la douleur , c'est-à-dire , que le travail 
nous rend moins sensibles à la douleur. Et aa 
tuoisiéme livre des Tusculanes , il s'expriine 
Tusc. 1. 3 , de cette sorte : Magis me modérant Corinthi 
n. 53 .aliter sulnlo aspèctcc pavietiuœ p quàin ipsos Corin" 
thios , quorum dnîmis duttùrna cogitdtio cal- 
lum vetustâtis obdùacerat. Je fus plus touché 
de voir tout d'un coup les murailles ruinées 
de Corinllie, que ne Fétoient les Corinthiens - 
racme , auxquels Thabitude de voir tous les 
jours depuis long-Lems leurs murailles abatues, 
avoit aporlé le calus de Tanciéneté ; c'est-4- 
dire , que les Corinthiens, acoutumés à voir 
leurs murailles ruinées , nVîtoient plus touchés 
de ce malheur. C'est ainsi que callére\ qui, 
dans le sens propre , veut dire avoir des àw 
rillons , être endurci , signifie ensuite , par 
extension et par métaphore , savoir bien y co- 
noîtrc parfaitement y ensorte qu'il se soit fait 
corne un calus dans Tesprit par raporl:à quel- 
Tcr. Hcautque conoissance. Quo pacto id fieri sùleat 
aci. m , se. càlleo* La manière dont cela se fait , a fait un 
'*^' '^' calus dans mon esprit; j'ai médité sur cela, 
je sai à merveille CT)ment cela se fait 5 je suis 
Id. Aicip. maître passé , dit madame Dacier. Illùis seii^ 
act. 4, se. I. sum câileo f j'ai étudié son humeur j je suis 
^* ^^* acoutumé k sgs manières, je sai le prendre 
come il faut. * 

fut^ se dit au propre , de la faculté de voir. 



DE DU MJLnSAIS. tlj 

Bt par extension , de la manière de regarder les 
objets : ensuite on done par métaphore, le nom 
de vue aux pensées , aux projets, aux desseins : 
avoir de grandes vues ^ perdre de vue une 
entreprise , n^y plus penser. 

Goût y se dit au propre du sens par lequel 
nous recevons les impressions de s^s saveurs. 
La tangue est Forgane du goût ; avoir le goût 
dépravé , c^est - à - dire , trouver bon ce qiie 
comunément les autres trouvent mauvais , et 
trouver mauvais ce que les autres trouvent bon. 

Ensuite on se sert du terme de goût , par 
métaphore , pour marquer le sentiment infé- 
rieur dont l'esprit est afecté à l'ocasion de quel- 
que ouvrage de la nature ou de Fart. L'ouvrage 
plaît ou déplaît , on Faprouve oii on le désa- 
prouve ; c'est le cerveau qui est Torgane de ce. 
goût-là : le goût de Paris s est trouvé conforme 
au goût d'Athènes , dit Racine dans sa préface 
dlphigénie ; c'est-à-dire , come il le dit lui- 
même , que les spectateurs ont été émi>s à Paris 
des mêmes choses qui ont mis autrefois en lar- 
mes le plus savant peuple de la Grèce. 

Il en est du goût pris dans le sens figuré , 
come du goût pris dans le sens propre. 

Les viandes plaisent ou -déplaisent au goût , 
sans qu'on soit obligé de dire pourquoi : un 
ouvrage d!esprit , une pensée , une expression 
plaît ou déplaît , sans que noms soyons obligés 
de pénétrer là raison «du senûment dont nous, 
somesafectés. 

Powr se bien- conoître en mets et avoir ua 

S eût sûr , il faut deux choses , .1°. un organe 
élîcat j 2°. de l'expérience , s'être trouvé sou- 



laS OE r V u i: s 

vent dans les bones tables ^ etc. : on est aloM 
plus en état de dire pourquoi un mets est bon 
ou*^inauvais. Pour être conoîsseur en ouvrage 
d'esprit, il faut un bon jugement , c'est un 
présent de la nature ; cela dépend de la dispo- 
sition des organes ; il faut' encore avoir faitde$ 
observations sur ce qui plaît ou sur ce qui dé- 
plaît ; il faut avoir su alier Tétude et la médi- 
tation avec le comerce des persones éclairées : 
alors on est en état de rendre raison des règles 
et du goût. 

Les viandes et les assaisonemens qui plaisent 
aux uns , déplaisent aux autres ; c'est un éfet 
de la diférente constitution des organes du goût. 
Il j a cependant sur ce point un goût général, 
auquel il faut avoir égard , c'est-à-dire , qu'il 
y a des viandes et des mets qui sont plus géné- 
ralement au goût des persones délicates : il en 
est de même des ouvrages d'esprit ; un auteur 
ne doit pas se flater d'atirer à lui tous les su- 
frages , mais il doit se conformer au goût gé- 
néral des persones éclairées qui sont au fait. 

Le goût , par raport aux viandes , dépend 
beaucoup de l'habitude et de l'éducation ; il 
en est de même du goût de l'esprit : les idé^B 
exemplaires que nous avons reçues dans notre 
jeunesse , nous servent de règle dans un âge 
plus avancé ; telle est la force de l'éducation , 
de l'habitude, et du préjugé. Les organes, 
acoutumés à une telle impression , en sont 
fiâtes de telle sorte , qu'une impression difé- 
rente ou contraire les aflige : ainsi , malgré 
l'examen et les discussions , nous continuons 
souvent à admirer ce qu'on nçus a fait admirer 

dans 



DB DU M \ K S A ï Ss X^Q 

dans le5 premières années de notre vie; et de 
là peut-être les deux partis , l'un des anciens , 
lautre des modernes ^ 

RemafYfues sur le maUvms usage des 
métaphoxes. 

Les métaphores sont défectueuses , 

I®. Quand elles sont tirées de sujets bas. Le 
P% de Colonia reproij^e à Tertulien d'avoir dit 
que le déluge universel Jut la lessive de la 
nature {i). 

n^ Quand elles sont forcées , prises de loin , 
et que le raport n'est point assez naturel , ni 
la- comparaison assez sensible : cerne quand 
Théophile a dit : je baignerai mes mains dans 
les ondes de tes cheveux : et dans un autre en- 
droit , il dit (jfue la charue écorche la plaine* 
i< Théophile, dit M. delà Bruyère , charge Caract. 
M ses descriptions , s'apesantit sur les détails ; ^,** °"^' 
M il exagère , il passe le vrai dans la nature , il ^*^" ' 
» en fait le roman ». 

On peut raporter à la même espèce les mé- 
taphores qui sont tirées^ de sujets peu conus. 

3^« Il faut aussi avoir égard aux convenances 
des diférens styles ; il y a des métaphores qui 
conviènent au style poétique, qui seroientaé- 
placées dans le style oratoire : Boileau a dit : 

Acour«z troupe savante ; -. , 

Hes sons que ma Ivre enfante j^i ^^^ 'J^ 

• Ces arbres sont réjouis. Namur. 

(i) Ignobilitâtîs vîtîo laborâre vidëtur cëlebris illa 
Tertulliâni metâphora, <juâ dildvium appëllat natùraç 
|«neràle lixlvium. De arfe met. p* 148. 

Tomel/A l 



de 



l5o OB V V R E s 

On ne diroit pas en prose quune lyre en* 

fante des sons. Cette observation a lieu aussi à 

regard des autres tropes; par exemple : Lumen^ 

dans le sens propre , signifie lumière : les poètes 

latins ont doné ce nom à Toeil par métonymie ; 

les yeux sont Torgane de la lumière, et sont, 

pour ainsi dire , le flambeau de notre corps. 

tucirna ^^ jeune garçon fort aimable étoit borgne ; il 

poris tut avoit une sœur fort belle, qui a voit le même 

ôcuius défaut : on leur apliqua ce distique , qui fut fait 

y 3^ a une autre ocasion sous le règne de Philippe II , 

roi d'Espagne. 

ParVe puer^ lumen quod habes conc<$de aorôri : 
Sic tu cœcus Amor , sic erit illa Venus* 

Où vous voyez que lumen signifie Vœil\ il n jr 
a rien de si ordinaire dans les poètes latins , que 
de trouver lùmina pour les yeux; mais ce. mot 
ne se prend point en ce sens dans la prose. 
4°* ^^ peut quelquefois adoucir une meta- 

Ehore y en la changeant en comparaison , ou 
ien en ajoutant quelque corectif : par exemple, 
en disant pour ainsi dire , si F on peut parler 
ainsi , etc. « L'art doit être , pour ainsi dire , 
» enté sur la nature ; la nature soutient Fart et 
» lui sert de base ; et l'art embélit et perfec- 
}\ tione la nature ». ^ 

5®. Lorsqu'il y a plusieurs métaphores de 
suite , il n'est pas toujours nécessaire qu'elles 
soient tirées exactement du même sujet > come 
on vient^de le voir dans l'exemple précédent : 
enté est pris delà culture des arbres; soutien, 
base , sont pris de l'architecture ; mais il ne 
faut pas qu'on les prène de sujets oposés , ni 
que les termes métaphoriques^ dontl un est dit 



D£ V V MAHSAISV iSf 

de Tautre , excitent des idées (juî ne puissent 
point être liées , come si Ton disoit d'un orateur^ 
d'est un torrent qui s*alume , au lieu de dire , 
c'est un torrent qui entraine. On a reproché à 
Malherbe d^avoir dit : 

Prens ta fouclre, Louis ^ et ya come un lîon« y \^^'q{^ 



Malh. 1. 1. 
^ lesob. 
servationt 



lifaloit plutôt dire co/weJw;?/7er. fur^cr^Ô& 

Dans les prenxières éditions du Cid^ Chimèné ^^^ de Mal 
disoit ; '_ ^«'*>«- 

Maigre des feux ai beaux qui rompent ma colère. ' ' 

Feux et rompent ne vont point enseihble : c'est 
une'observation de l'académie sur les Vers du 
Cid. Dans les éditions suivantes , on a mis. 
troublent au lieu dé rompent ; je ne sai si cette 
correction répare la première faute. 

Ecorce , dans le^ sens propre , est la partie 
extérieure des arbres et des fruits, c'est leur 
couverture : ce mot se dit fort bien dans un 
sens métaphorique ^ pour marquer les dehors ^ 
l'aparençe des choses ; ainsi I oH dit <}ue les 
ignoranss*arétentà fécorce, qu^ïlss*atacheni'p 
qvJils s'amusent à récorce. Remarquez que 
tous ces verbes s'arétent , s^atachent^ s^amu-^ 
sent , conviènent fort bien avet écorce pris au 
propre ; mais vous na diriez pas au propre , 
forulre t écorce ; fondre se dit de la glace ou 
du métal , vous ne devez donc pas dire au figuré 
fondre V écorce* J'avoue que cette expression 
me paroît trop hardie dans une ode de Rous- 
seau : pour dire que Thiver est passé ^ et que 

I a 



ïSl OE t V H E s 

les glaces sont fondues , il s^exprime de cette 
sorte : ' 

l-iv. 3. L'hîver , qui si long^tems a fait blanchir nos plaines , 
Ode 6, N'enchaîne plus le cours des paisibles ruisseaux j 
£t les jeunes zëphirs de leurs chaudes haleines 
Ont fondu Vécorce des eaux* 

6®. Chaque langue a des métaphores particu- 
lières qui ne sont point en usage dans les autres ^ 
langues; par exemple, les Latins disoient d'une 
armée , dextrum et sinistrum cornu , et hous 
disons Vaîle droite et Vaîle gauche. 

Il est si vrai que chaque langue a ses méta- 
phores propres et consacrées par Fusage , que 
si Yous en changez les termes par les équivalens 
même \jui en aprochent le plus , vous vous 
rendez ridicule. 

Un étranger qui , depuis deVenu un de nos 
citoyens , s'est rendu célèbre par ^^^ ouvrages , 
écrivant dans les premiers tems de son arfvée 
en France, à son protecteur , lui disoit : jWb/i- 
seigneur y "vous a\^ez pour moi des boj'aux de 
père ; il vouloit dire des entrailles. 

On dit mettre la lumière sous le boisseau, 

pour dir^ cacher ses talens , les rendre inutiles ; 

Poëmede l'auteur du poème de la Madeleine ne devoit 

7* p! i*j7, donc pas dire ^ mettre le flambeau sous le mai» 



DE DU MÀRSAIS, lS5 

XL 
La Sylleps£.:0. ratoire:» 

JL A syllépse oratoire es% une espèce 4e mé- s^xjuhfi* 
taphore ou de comparaison ^ par laquelle u^i pompreUn* 
même mot est pris en deui sens dans la rnémé ^JJ/ Zxt^^* 
phrase , Ifup au propre , l'autre au figure ; par x^M»» 
éxenaple, Gorydon dit que Gâlathée est'potir^*'"/''*^*^^ 
lui plus douce que le thym du mont Hyblâ(i); 
ainsiparle ce bergerdans ùnèêglbgue deVirgîle: 
le mot doux est au propre par raport au thym , 
et il est au figuré par raport à l-impressioii que 
ce berger dit que Galathée fait sur lui. Virgile 
fait dire ensuite à un autre berger, et moi quoi'* 
que je paroisse à Galathée plus amer que les^ 
herbes de Sardaigne , etc. (2). Nos oergers 
disent plus aigre quun citron ojerd. 

Pyrrhus , fils d'Achille , Tun des princij)aux 
chers des Grecs , et qui eut le plus de part à 
Terabrasement de la ville de Troie , s'exprime 
en ces termes dans Tune des plus belles pièces 
de Racine : 

Je soufre tous les maux que j'ai faits devant Troie ; Rac. Am 

Vaincu, charge de fers, de regrets consume, drom. acu 

Brtilé de plus de. feux que \e n en aiumai. i , &c. 4., 

Brdlé est au propre par raport aux feux que 

— * - 

(1) . . . Galathœa thymo mihi dùlcîor Hyblaî. 

ViRo. EcL 7, V. 37. 

(3O • • • egô SardiSis videar tibî amârîor herbîs. 

Jbid. v« 41» 

15 



l54 OB IT y K E s 

Pyrrhus aluma dans la Tille de Troie ; et il est 
au figuré , par raport à la passion violente que 
Pyrrhus dit qu'il ressentoit pour Andromaque. 
n y a un pareil jeu de mots dans le distique 
qui e^ grare sur le tombeau de Despautère : 

Hic iacet unôculus visu prœst&ntîor Argo^ 
Komen Joânnes coi niniyita fuit. 

Fïsu est au propre par raporti^ Argus ^ à qui h 
Êdble done cent yeux ; et il est au figure par 
laport à Despautère : Fauteur de Tépitaj^ea 
youlu parler de la yue de Tcsprit. 

Au reste cette figure îpue trop sur les mots 
pour ne pas demander bien de la circonspec- 
tion ; il faut éviter les jeux de mots tropafectés 
et tirés de loin. 



B B PU >I A R 5 A I S, l35 

XII. 
L'ALLEGbKIE. 

JL'allégorie a beaucoup de raport avec la axv»>«^;« . 
métaphore ; Tallegorie n'est même qu'une mé- muUtio, fi- 
taphore continuée.' lu^Td^d. 

L'allégorie est un discours qui est d'abord tur,àUudsî^ 
présenté sous un sens propre , qui paroît tout gmficitut , 
autre que ce qu'on a dessein de faire entendre ^ ^juj^'^ ' 
et qui cependfant ne sert que de comparaison /)!•, vd 
pour doner l'intelligence d un autre sens qu'on *>^^«^» * 

* , • • . - narro can- 

n exprime point. ciônor,vei 

La métaphore joint le^mot figuré â quelque *xx» , âiia ; 
terme propre ; par exemple , le feu de "vos ^^J^^^^^l^ 
yeux ; yeux est au propre , au lieu que dans ' 
l'allégorie tous les mots ont d'abord un sens 
figure ; c'est-à-dire , que tous les mots d'une 
phrase ou d'un discours allégorique forment 
d'abord un sens litéral qui n'est pas celui qu'on 
a dessein de faire entendre : les idées accès* 
soires dévoilent ensuite facilement le véritable 
sens qu'on veut exciter dans l'esprit ; elles dé- 
masquent , pour ainsi dire y le sens litéral étroit^ 
elles en font l'aplicatioir. 

Quand on a cofnencé une allégorie , on doit 
conserver, dans la suite du discours, l'image 
dont on a emprunté les premières expressions. 
Madame des Houlières , sous l'image d'une 
bergère qui parle à ^zs brebis , rend compte à 
ses- enfans de tout ce qu'elle a fait pour leur 
procurer des établissemens^ et se plaint ten- 

14 



i36 OE V y K t s 

drement^ sous cette image ^ delà dureté de la 
fortunes 

Isies de Dans ces prés fleuris 

des Qii'arose la S^e ^ ^ 

l. T. 2 , Cherchez qui Tons mène , 

5* Mes chères brebis : 

, J'ai fait pour vous rendre 
- LéMestin plus doux , 
Ce qu'on peut atendre 

D'une amitié tendre ; . 

Mais son long couroux 
Détruit , èmpoisone C 

* Tous mes soins p<mr tous y , 

Et vous abandone 
Aux fureurs des loup^ 
Seriez»- vous leur proie^ 
, • Aimable troupeau ! * 

, Vous de ce hameau 

* L'honeur et la joie ,' 

^<^^^* ^^^ Ç^*^ *t beau , 
> Me donie^ sans cesse 

Sur rherbète épaisse 
Un plaisir nôuvfean !" 
Que je vous regrète !• 
. Mais il faut céaer ; 

Sans chien , sans houlète , 
Puis-je vous garder ? 
L'injuste fortune 
Me les a ravis. 
Envain j'importune 
Le ciel par mes cris ; 
Il rit de mes craintes , 
^ Et sourd à mes plaintes , ' 
Houlète , ni chien , 
Il ne me rend rien. 
Fuissiez-^vous y contentes^ 
Et sans mon secours , 
Passer d'heureux iours y 
Brebis înocentes^ 
Brebis mes amours. 
Que Pau vaus défeiide ^ 



X 



.T>E DU WAItSAIS, iSj 

Hélas ! il le sait ; 
Je ne lui demande 
Que ce seul bienfait. < 

Oui f brebis chéries , 
Qu'avec tant de soin 
J'ai toujours nouries , 
Je prens à tëmoin 
Ces bois , ces prairies , 

Que si les faveurs • 

*^Du Dieu des pasteurs 
Vous gardent d'outrages , - 
Et vous font avoir 
Du matin au soir 
De gras pâturages j 
J'en conserverai 
Tant que je vivrai 
La douce mëmoiré ; 
Et que mes .'chansoBîs 
En mille façons 
Porteront sa gloire , 
Du rivage heureux , 
Où , vif et pompeux , 
Jj'astre qui mesure 
Les nuits et les jours , 

Començant son cours 

Rend à la nature 
Toute sa parure ; 
Jusqu'en ces climats , 
Où y sans doute ^ las 

D^ëclaîrer le monc^d-, — - 

Il va chez Thétis 
Balumer dans l'onde 
Ses feux amortis, 

!^ette allégorie est toujours soutenue par des 
iges (jui toutes ont raport à rimage princi- 
e par où la figure a comencé j ce qui est 
entiel àrallégorie ( i ), Vous pouvez entendre 



[) Jdquoque imprimîsest custodiëndum 9 ut quo ex 
ère cœpéris translatiénis^ hoc d^inas. Multi finim ^ 



l58 OE U V R E $ 

à la lettre tout ce discours d'une bergère , oui , 
touchée de ne pouvoir mener ses brebis dans 
de bons pâturages y ni les proserver de ce qui 
peut, leur nuire , leur adresseroit la parole, et 
se plaindroit à elles de son impuissance ; mais 
ce senBf tout vrai qu'il paroît , n'est pas celui 

Sie'madame des Houlières avôit dans Tesprit; 
le étoil ocupée dès besoins de ,ses en^ns, 
voilà ses brebis : le chien dont elle parle, c'est 
son mari qu'elle avoit perdu : le dieu Pan c'est 
le roi. 
DacicT , Cet exemple fait voir combien est peu juste 
Eovrcs J3 remarque de monsieur Dacier, qui prétend 

Horace , > *f/^ . . #• •*\. m. 

i,p.2ii,9" "^^ allégorie qui rempuroU toute une 

?ois. éd\u pièce , est un monstre, et qu'ainsi l'ode i4 du 

î^s- I, livre d'Horace , O newis réfèrent , etc. , n'est 

guint. 1.8, point allégorique, quoi qu en ait cru Quin- 

.6,aUcg. tilien et les comentateurs. Nous avons des 

pièces entières toutes allégoriques. On peut 

voir dans l'Oraison de Cicéron contre Pison (i), 

un exemple de l'allégorie , où , corne Horace, 

Cicéron compare la république romaine à ua 

vaisseau agité par la tempête. 



cum înftium & t empestât e sunipsérunt , inc^ndio aot 
rufnâ ffniunt j quœ est inconseqaëntia rerum fœdb- 
siraa. Quint. 1. 8^ c. 6. Allegoria» 

(i) Neque tam fui tfmidus , ut qui in màxîmîs tur- 
bfnibfus ac flûctibus Reiptiblîcœ navem gubern^ssemi 
salvâmque îiï.portu collocàssem ; frontis tuce nubëcu- 
lam , tum coUëgœ tui contaminâtam spfritum pertî- 
méscerenî. Alios ego vidi ventes, âliasprospcxi anlnio 
pt\)cëllas : "Slîîs impendëntibus tempestâtibus noa 
ees^i^M^ed hifi unum tae pro omnium saldte ôbttïli. 
Cic. in Pis. n. ir, aliter, 20 eti 2i. 



J> T. D TT M A RSA I S. ijg 

L'allégorie est fort en usage dans les pro- 
verbes. Les proverbes allégoriques ont d^abord 
un sens propre qui est vrai , mais qui n'est pas 
ce qu'on veut principalement faire entendre : 
on dit famnièrement , tant va la cruche à 
Peau 9 qu^à la fin elle se brise; c'est-à-dire, 
<Jue, quand on^âfron^e trop souvent les dan- 
gefs , à la fin on y pérît ; ou que quand oa 
s'expose fréquenment aux ocasions de pécher ^ 
àVL finit par y succomber. 

Les fictions que l'on débitecome des histoires 
pour en tirer quelque moralité , sont des allé- 
gories qu'on apèle apologues y paraboles ^ oa 
fables morales ; telles sont les fables d'Esope. 
Ce fut par un apologue que M énénius Agrippa 
rapela autrefois la populace romaine , qui , mé- 
contente du sénat y s'etoit retirée sur une mon- 
tagne. Ce que ni l'autorité des lois, ni la dignité 
des magistrats romains n'avoîent pu faire ^ se 
fit parles charmes de l'apologue. 

Souvent les anciens ont expliqué , par une 
histoire fabuleuse, les éfets naturels dont ils 
ignoroient les causes , et. dàn^ la suite on a 
doné des sens allégoriques à ces histoires. 

Ce n'est clos ^a, vapeur qui produit le tonçrre.^ , Boîlrn 

C'est Jupiter armé pour ëfrayer la terre ; Art. Poë 

tJn orage terrible aux yeux des matelots ^ chantai. 

C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots ; 
Echo n'est plus un son qui dans l'air retentisse , ' 

C*est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse» 

Cette manière de philosopher flate Timagina- 
tion ; elle amuse le peuple , qui aime le mer- 
veilleux j et elle est bien plus facile que lès re- 
cherches exactes que l'esprit méthodique a 
introduites dans très derniers teïns. Les ama- 



q^O OE U T R E s 

leurs de la simple vérité aiment bien mietit 
avouer qu'ils ignorent , que de fixer ainsi leur 
esprit à des ilîusions. 

Les chercheurs de la pierre philosophale 
s^expriment aussi par allégorie dans leurs 
livres; ce qui done à ces livres un air de mys- 
tère et de profondeur que la simplicité de la 
vérité ne pouroit jamais leur concilier. Ainsi 
ils couvrent sous les voiles mystérieux de Tai- 
légorie, les uns leur fourberie, et les autres 
leur fanatisme , je veux dirç leur foie persua- 
sion. En éfet^.la nature n'a qu'une voie danlj 
ses opérations, voie unique que Fart peut conr- 
trefaire à la vérité , mais qu il ne peut jamais 
imiter parfaitement. Il est aussi impossible de 
faire de Tor par un moyen diférent de celui 
dont la nature se sert pour former Tor ^ qu'il 
est impossible de faire un grain de blé d'une 
manière diférente de celle qu'elle emploie pouç 
produire le blé. 

Le terme de ^matière générale n'est qu'une 
idée abstraite qui n'exprime rien de r^el, c'est- 
à-dire , rien qui existe hors de nptre imagina- 
tion, irn'y a point dans la pâture une matière 
générale dont l'art puisse faire tout ce qu'il 
veut : c*ést ainsi qu'il n'y a point une blancheur 

générale d'où l'on puisse former des objet$ 
Jancs.C^est des divers objets blancs qu'est ve- 
nue ridée de blancheur, come nous rexpliqûe-* 
rons dans la suite, 'et c'^tdesî divers corps par* 
ticuliers, dont nous somei^ afectés en tant de 
manières diférentes , que s'est formée en nous 
l'idée abstraite de matière générale. C'est pas-» 
ser de Tordre idéal à l'ordre physique^ ^u^ 
d'imaginer un aiutre système* 



DE D tr M A n s A I s. t4i 

■es énigmes sont aussi une espèce d allégo- 
nous«en ayons de fort belles en vers fran- 
• L'énigme est un discours (jui ne fait point 
noitre 1 objet à quoi il convient , et c'est cet 
ît qu'on propose à deviner. Ce discours ne 
; point renfermer de circonstance qui n« 
viène pas au mot de Ténigme. 
observez que Ténigme cache avec soin ce 
peut la dévoiler; mais les autres espèces 
léçories ne doivent point être des énigmes^ 
s doivent être exprimées de manière qu'on, 
ise aisément en faire l'aplication. 



j4^ 0£ U y a £ s 

XIII. 

L'AlI«U6IOï(« 

Aiiddcfr. JLiES allusions et les jeux de mots ont encore 
ad, etiù- j^ raport avec rallégorie. L'allégorie présente 
un sens et en fait entendre un autre; c'est ce 
qui arrive aussi dans les allusions , «t dans b 
plupart des jeux de mots , rei altérius ex àl^ 
tera notdtio^ On feit allusion à l'histoire , à,la 
fable, aiyt coutumes^ et quelquefois même on 
joue sur les mots. 

ïrnriadc , Ton Toi , jeune Biron , te sauve enfin ]a vie ; 

Aax 7. Il t'arache sanglant aux fureurs des soldats , 

Dont les coups redoubles achevoient ton trëpas: 
Tu vis j songe du moins à lui rfester fidèle. 

Ce dernier vers fait allusion à la malheureuse 
conspiration du maréchal de Biron; il en ra- 
pèle le souvenir. 

Voiture étoit fils d'un marchand de vin /Un 
jour qu'il jouoit aux proverbes avec des drames, 
Hist. dc^^^dame des Loges lui dit : Celui-là ne ixaut 
Kckà. 1. 1 , rien , percez-nous en d*un autre. On voit que 
^ï7» cette dame fesoit une maligne allusion aux to- 
neaux de vin ; car percer se dit d'un toneau , et 
non pas d'un proverbe; ainsi, elle réveilluit 
malicieusen^ent dans l'esprit de l'assemblée le 
souvenir humiliant de la naissance de Voiture. 
C'est en cela que consiste l'allusion ; elle ré- 
veille les idées accessoires. 

A l'égard des allusions qui ne consistent que 
dans un jeu de mots; il vaut mieux parler et 



D£ DU MAUSAIS* t/fi 

jcrîre simplement que de s'amuser à des jeux 
le mots puérils , froids et fades : eu voici ua 
îxemple dans cette épitaphe de Despautère. 

[jrammàticam scivit^ multos docùitque per annos ^ 
Declin&re tamen non pôtuit tùmuium* 

Voxxs voyez que Fauteur joue sur la double si- 
gnification de declindre. 

Il sut la grammaire^ il Tenseigna pendant' 
plusieurs années , et cependant , il ne put 
décliner le mot tùmulus. Selon cette tra- 
duction , la pensée est fausse^ car Despautère 
savoit fort bien décliner tùmulus. 

Que si Ton ne prend poi:.t tùmulus matérié- 
lement, et qu'on le prône pour ce qu'il signifie, 
c'est-à-dire , pour le tombeau ^ et par méto- 
nymie pour ta mortf alors il faudra traduire \ 
que , malgré toute la conoissance que Des- 
paufére avoit de la grammaire , il ne put éviter 
là mort : ce qui n'a ni sel , ni raison ; car on 
sait bien que la grammaire n'exente pas de la 
nécessité ae mourir* 

La traduction est l'écueil de ces sortes de 
pensées. Quand une pensée est solide, tout ce 
qu'elle a de réalité se conserve dans la traduc* 
lion j mais quand toute sa valeur ne consiste 

3ue dans un jeu de mots , ce faux brillant se 
issipe par la traduction. 

Ce n'est pas toutefois qu'une muse un peu fine Eoilcaui, 

^ Sur un mot , en passant , ne joue et ne badine ) ^^^- ^o*^'* 

Et d'un ^ns détéarnë n'abuse avec succès : ^^^'^^ 2. 

Mais fuyez sur ce point un ridicule excès. Giles Ro. 

bla, iiiitif du 

Dans le placet que M. Robin présenta au roi ^.^^^P'^^^^^ 

. ^ . ^ 1 , ^ - \> l .<cad -aie 

pour être mamtenu dans la possession a une d'Arles. - 



l/|4 OE U V ». E s 

île qu'il a voit dansle Rhône , il s'exprime ed 
ces termes : 

Qu'est-ce en ëfet pour toi , grand monarque, des 
Gaules , 

Qu'un peu de sable et de gravier ? 
Que faire de mon île? Il n'y croît que des saules } 

£t tu n'aimes que le laurier. 

Saules est pris dans le sens propre > et laurier 
dans le sens figuré ; mais ce jeu présente â l'es- 
prit une pensée très-fine et très-solide. Il faut 
pourtant observer qu'elle n'a de vérité que 

{)armiles nations ou le laurier est regardé come 
e symbole de la victoire^ 

Les allusions doivent être facilement aper- 
çues; Celles que nos poètes font à la fable sont 
défectueuses , quand le sujet auquel elles ont 
raport n'est pasconu. Malherbes > dans ses 
stances à M. du Périer pour le consoler ^e la 
mort de sa fille ^ lui dit 2 

toc^îcs de Tithon n'a plus les ans qui le firent cigale , 
lia! herbe , Et Pluton aujourd'hui , 

• ^*' Çans égard du passe les mérites ëgale 

D'Archemore et de lui. 

Il y a peu de lecteurs qui conoîsseht Arche- 
more ', c est un enfant du tems fabuleux. Sa 
riourice l'ayant quité pour quelques momens^ 
un serpent vint et Tétoufa. Malherbe veut dire^ 
que Tithon , après une longue vie , s'est trouvé 
à la mort au même point qu'Archemore, qui 
ne vécut que peu de jours. 

L'auteur du poème de la Madeleine , dans 
une apostrophe. à l'amour profane, dit, par- 
lant de Jésus-Christ : 

P « , page jpoisquç cet AntérQ$ t'a «i bien désarmé s 



©E DU MARSAIS. lJ^5 

Le mot d'Antéros n'est guère conu que des sa- 
vans; c'est un mot grec qui signifie contré»- 
amour. CétoÎL une divinité du paganisme, le 
dieu vengeur d'un amour méprisé. 

Qe poème de la Madeleine est rempli de jeux 
de mots, et d'allusions si recherchées que, 
malgré ]e respect du au sujet , et là bone in- * * 
tention. de l'auteur, il est dificile qu^en lisant 
cet ouvrage',oh nesoit point afectécome on l'est 
â la lecture d'un ouvrage burlesque. Les figures 
doivent venir, pour ainsi dire, a elles-mêmes; 
elles doivent naître du sujet, et se présenter 
naturèlement à l'esprit , corne nous Tavo.ns re- ^ • 
marqué ailleurs. Quand c'est l'esprit qui va les 
chercher, elles déplaisent , elles étonent , et sou- 
vent font rire par l'union bizare de deux idées , 
dont l'une ne devoit jamais être assortie avec - 
U'autre. Quicroiroit, parexemple, que jamais le 
jeu de piquetdûtentrerdans un poème fait pour 
décrire la (yénitence et la charitéde sainte Made- 
leine , et que ce jeu dût faire naître la pensée 
de se doner la discipline. 

Piquez-vous seulement de jouer au piquet , Poëmc 

A celui que j'enten^ qui se fait sans caquet j . * la Madeii 

J'entens que vous preniez par (o'\s la discipliné , ne, l. 3 , 

Et qu^avec ce beau jeu vous fassiez bone mine*" ' 42« 

On ne s'étend pas non plus à trouver les termes 
de grammaire détailles dans un ouvrage qui 
porte pour titre , le nom de sainte Madeleine, 
ni que l'auteur imagine je ne sai quel raport 
entï'e la grammaire et les exercices de cejtte 
sainte; cependant une tête de mort et une dis- 
cipline sont les RUDiMENsdé Madeleine, 
Tome m. • K 



X46 OE ,U V K E s 

bid.l.a^p. Et regardant toujours ce tét de trëpass^ ^ 

8,19, etc. £Ue YQit LE FUTUR dauS CC PRESENT PASSlf , ' ^ 

£t c'est sa discipline , et tous ses châtimens , 
Qui lui font comencer ces rudes rudimeas. ^ 
Ce qui la fait trembler pour son GRAMMAiRisif ^ 
C'est de voir, par un cas du tout déraisonnable; 
Quefson amour lui rend la mort ind]£glinablb , 
£t qu'ACTiF come il est aussi bien qu'excessif 
Il le rend à ce point d'impassible passif. ' 
O que Tamo.ur est grand , et ia douleur amére , 
Quand un v^irbe passif fait toute sa grammaire? 
La muse pour cela me dit , non sans raison , 
Que toujours la première est sa coprjuGAisorr. 

Sachant* bien qu'en aimant elle peut tout prétendre » 
Come tout ense<igner , tout lire , et tout entendrEi 
Pendant qu'elle s'ocupe à punir le forfait 
De son tems prétérit qui ne fut qu^iMPARFAiT^ 
Tems de qui le futur réparera les pertes 
Par tant d aflictions et de peines soufertes 5 
Et le PRESENT est tel , que c'est I'inhicatif , 
D'un amour qui s'en ya jusqu'à I'infinitif. 
Puis par un optatif, ah ! plût à Dieu, dit-elle^ 
Que je n'eusse jamais ^té si Criminelle ! . 

Prenant arec plaisir , dans l'ardeur qui la brûle-. 
Le fouet pour discipline , et la croix pour fiêrule. 

Vous voyez qu'il n'oublie rien. Cet ouvrage 
est rempli d'un nombre infini d'allusio/is aussi 
recherchées , pour ne pas dire «nussi puériles^ 
Le défaut de jugement qui empêche de sentir 
ce qui est ou ce qui n'est pas à propos , et le 
désir mal entendu de montrer de Fesprit et de 
faire parade de ce qu'on sait , enfantent ces 
productions ridicules. 

MoUèrc , Q^ 3^^jç gg^p^ ^ ^^j^^ ^^ f^jj vanîtë , 
lisant, act. g^^^ ^^ j^^^ caractère et de la vérité : 



DE Dtr IkÂUSAIS. i47 

Ce nVst que jeux de xnota , qu'afectation pare ^ 
Et ce n'est pas ainsi que parle la nature* 

J'ajouterai encore ici une remarque , à propos 
de Tallufion ; c'est que nous avons en notre 
langue un grand nombre de chansons ^ dont 
le sens litéral^ sous une apârence de simplici- 
té^ est rempli d'allusions obscènes. Les au- 
teurs de ces productimis sont coupables d'une 
infinité ["de pensées dont ils se deshonorent 
dans l'esprit des honêtes gens. Ceux qui, 
daasdes ouvrages sérieux tombent par simpli- 
cité dans le même inconvénient que les feseurs 
de chansons , ne sont guère moins repréhea- ^ 
sibles , et se rendent plus lûdicules. 

Qu^tilien , tout païen qu'il étoit^ veut que Quint, ins- 
non seulement on evit« les paroles obscènes , 1\'* ^T*h 
niais encore tout ce qui peut réveiller des idées nisu. 
d'obscénité» Obscœnitas n)ero non à ^verbis 
tantùm abésse débet , sed étiam ù signlfica-' 
tiàne^ 

« On doit éviter avec soin en écrivant, dit- 
» il ailleurs (i), tout ce qui peut doner lieu à 

(i) Hoc vitium nanLiftunruy , vocâtur, ^ive mlplA consue- 
Uidine in obscœnum inteîléctum sermo detortus est... 
dicta sanctè et antique ridënlur à nobis : quam cul- 
pam non scribëntium quidem jiidico, sed legëntium: 
tamen vitânda; quàtenus verba honësta moribus per- 
didimus ^ et eyincëntibus étiam vfliis cedëndum esti 
Stye junctiira deformiter sonat... àliœ conjuuctiones 
âliquid sfmile faciunt quas përsequi longum est ^ in eo 
v^tio quodvilândumdicimuSjCommorântes^Seddivfsîo 
quoque affert eândera injùriam pudoi i. Nec scripto 
modo id àccidit j sed ëtiam sensu plerique obscoetné 
intelligere , iiisi câveris , ciipiunt , ac ex verbis quœ 
longissimè ab obscœnitàle absunt , occasi6nem tur- 
pitùdinis râpere. 

QuiNT# lasu Orat* lib. vni; c. 3 , de Ornàtu. , 

F 2 



à^S OE U V R E S' 

» des allusions deshonêtes. Je sal bien que ces 
» interprétations viènent souvent dans Fesprit 
» plutôt par un éfet de la.corruption du cœur 
» de ceux qui lisent , que par la mauvaise vo- 
yt lonté de celui qui écrit; mais un. auteur sage 
» et éclairé doit avoir égard à la foiblesse de 
» ses lecteurs , et prendre garde de faire naître 
» de pareilles idées dans leur esprit ; car enfin 
» nous vivons aujourd'hui dans un siècle oiiYi- 
» magination des homes est si fort gâtée , qu'il 
» y a un grand nombre de mots qui étoient 
» autrefois très-honétes , dont il ne nous est 
» plus permis de nous servir par l'abus qu'on 
» en faijt ; de sorte, que, sans une attention 
» scrupuleuse de la part de celui qui écudt^ ses 
» lecteurs trouvent malignement à rire en sa- 
)) lissant leur imagination avec des mots , qui, 
» par eux-mêmes^ sont très-éloignés de Tobs- 
» cénité. . 



** 



DE DU MARSAIS* 1^9 



XIV. 

L^I R O N I E^ 

• 

JL' IRONIE est une figure par laquelle on f'^»"'*» 
veut faîre entendre lecontraire dei:e qu'on dit : f^^l^^^^^l]^ 
ainsi lés mots dont on se sert dans Tironie ne; 
sont pas pris dans le sens propre et litéral. ^ '•"!']> 

M, Boileau, qui n'a pas rendu a Quinaulf 
toute la justiceque le public lui a renclue depuis^ 
a dit par ironie : 

Je le déclare donc , Quinault est un Virgile. Boilcau,' 

Sat. IX. 

Il vquloit dire un mauvais poète. 

Lés idées accessoires sont d'un grand usage 
dans l'Ironie : le ton de la voix , et plus encore 
la conoissance du mérite ou du démérite per- 
sonel de quelqu'un , et de la façon de penser 
de celui qui parle, servent plus à faire conoître 
l'ironie , que les paroles dont on se sert. Un 
liome s'écrie , oh le bel esprit ! Parle-t-il de 
Cicéron , d'Horace? Il n'y a point là d'ironie ; 
les mots sont pris dans le sens propre. ParW- 
t-il de Zôïle? C'est une ironie. Ainsi l'ironie 
fait une satyre avec les mêmes paroles dont le 
discours ordinaire* fait un éloge. 

Tout le monde sait ce vers du père de Clii- 
mène dans le Cid : 

A de plus hauts partis Rodrigue doit prétendre. Com. Cid. 

act. i,sc.3. 
C'est une ironie. On en peut remarquer plu- 
sieurs exemples dans Balzac et dans Voiture» 

R S 



l5o ΠU V R B .5 

Je ne saî si l'usage que ces auteurs ont fait de 
cette iîgure , seroit aujourd'^hui-aussi bien reçu 
qu'il Ta été de leur tems. 

Cicéron comence par une ironie roraison 
pour Ligarius. Novum crimen ^ Cài Cœsar^ 
et ante hune diem inaudrtum,^ elc* Il y a 
aussi dans Toraison contre Pison un fort bel 
exemple de Tironie : c'est à l'ocasion de ce que 
Pison disoit jC[ue s'il n'ayoitpas triomphé de la 
Macédoine > c'étoit parce qu'il n'avoit }amafi& 
souhaite les honeurs du triomphe. « Que Poi)*- 
;» pée est malheureux , dit Cicéron (i) ^dene 
V pouvoir profiter de votre conseil ! Oh ! qu'il 
» a eu tort de n'avoir point eu de goût pour 
y) votre philosophie ! Il a eu la folie de trioi*- 
1) pher trois fois. Je rougis , Crassus'i de votre 
» conduite. Quoi, vous avez brigué l'honeur du 
» triomphe avec tant d'empressement 1 etc. » 



(i) Non est {ntegrum Cn. Pompëio , consdio jam 
%xi\ tuo ; erràvit enim. Non guslârat istam tuam phi- 
losôphiam j^ ter, jam homo stultus , triumphàTÎt , etc* 
Cic. in Pison.. n. 5oj, xxiy» 



DE DU MARS AI S. l5l 

" .■■■Il , m ■ • > • ■ . , I. , 

X V. 

l'Euphémisme» 

X-j'euph£misme est une ïîgure par laquelle on ^p»/^^^ 
déguise des idées désagréables , odieuses , ou n?"* ^^^ 
tristes, sous des noms qui ne sontpoint les noms tio : discou 
propres de ces idées : ils leur servent come de '^^ *** ^ 
toile, et ils en expriment en àparence de pln^fil^^lt^ 
agréables , de moins choquantes, ou de -plusteusement, 
honêtes selon le besoin ; par exemple > ce seroit **^^*-^*^^ 
reprocher à un ouvrier ou à un valet la bassesse 
de son état , que de Tapeler ouvrier o\x valet ; 
on leur done d'autres noms plus honêtes quji 
ne doivent pas être pris dans le sens propre* 
C'est ainsi que le boureau est apelépar honeur > 
le maître des hautes œuvres. 

C'est par la même raison qu'on done à cer- 
taines étofes grossières le nom d'étofes plus 
fines ; par exemple , on apèle velours de Jffau^ 
riène une sorte d'étofe de gros drap qu'on fait 
en Mauriène , province de Savoie , et dont les 
pauvres Savoyards sont habillés. Il J a aussi 
une sorte d'étofe de fil dont on fait des meubles 
de campagne; on honore cette étofe du nom de 
damas de Caiioc , parce >qu'elle se fabrique au 
pays de Caux , en Normandie. 

Un ouvrier qui a fait la besogne pour laquelle 
on Ta fait venir , et qui n'atend plus que son 
paiement pour se retirer, au lieu de àxvepayez'^ 
moi , dit par euphémisme , navez-^vous plus 
rien à m^ordoner ? 

K 4 ,^^ 



1^2 OE U V R E S 

- Nous disons aussi , Dieu vous assiste , Dieu 
vous bénisse , plutôt que de dire y je nai rien 
à vous doner. 

Souvent pour congédier quelqu'un , on lui 
dit, voilà qui est bien, je vous remercie, 
plutôt que de lui dire alez i^ous-en» 

Les Lalins se servoient dans le même sens de 
leur rectè , qui , à la lettre , signifie bien , au 
lieu de répondre qu'ils n'avoient rien à dire. 
« Quand nouis ne voulons pas dire ce que nous 
» pensons , de jDeur de faire de la peine à celui 
» qui nous intérôge , nous nous servons du 
» mot de rectjè , dit Donat (i) »• 

Sostrata , dans Térencc* (2) , dit à son fils 
Pamphile , pourquoi pleurez-vous ? QuavSTr 
cous, mon fils ? Il répondit , rectè mater. Tout 
oja bien y ma mère. Madame Dacier traduit , 
rien , ma mère , tel est le tour/rançois. 

Dans une autre comédie de Tçrence , Cliti- 
phon dit que quand sa maîtresse lui demande 
de l'argent , il se tire d'afaire en lui répondant 
rectè , c'est-à-dire , en lui douant de belles es- 
pérances : car , dit-il , je noserois lui avouer 
que je nai rien ; le mot de rien .est- un mot 
funeste. 



{\) Rectè dicimud cum sine injuria interrogàntis 
âliquid rcticémus. 

Donat. in Terent. Hecyr. act. 3 , se. 2, v. 20. 

(2)8. Quidlàcrymas? Quîd es tam trislis? P. rectè 
mater. Ter. Hecyr. act. 5 , se. 2. 

Tum , quod df^m éi , recte est : nam niliîl ess^ mihiy 
relfgio est dlcere. 

Heaut. act. 2 , se. I , V. 16 , et selon madame 
.Dacier^ act i , se. 4^ Y« i6« 



DE D U M A'R S A I S. l55 

Madame Dacier a mieux aitûé 4Taduire > 
lorsqu'elle me demande de V argent ^ je ne fais 
que marmoter entre les dent^ ; car je titcd 
garde- de iui dire que je n* ai pas le sou. 

Si madamç Dacier eût été- plus entendue 
qu'elle ne Fétoit en galanterie , elle auroit bien 
senti que marmoter entre les dents n'étoit pas 
une contenance trop propre à faire naître dans 
une coquète l'espérance a un présent • 
. Il y avoit toujours un vei*be sous-entendu 
aTec rectè. Rectè ddmonès *. Ego istœc rectè * ^^^^' "cu 
ut fiant ^idero ^"^ïHectè saâdes *^** etc. 5^ Z*'* * ' ""' 

A l'égard du rectè de la deuxième scène du **ib.act. 2, 
troisième acte de THécyre , il faut sous-entendre ^^^lï* ^^* 
ovî/vdleo y rectè "vàleo , ou rectè mihi cônsulo , j^^t. 5, ^%c!% 
ou enfin quelqu'autre mot pareil , corne res v. 43. 
henè se hahet y etc. Pamphile -vouloil; exciter 
cette idée dans Tesprit de sa mère pour en 
éluder la demande. 

• Pour ce qui est de l'autre rectè j Clitîphon Hcaut. acu 
vouloit faire entendre à sa maîtresse qu'il avoit * ' ^^' ^* 
des ressources pour lui trouver de l'argent; * 

que tout iroit bien, et que ses désirs serbient 
enfin satisfaits.' 

Ainsi , quoique madame Dacier nous dise ^^^^ ^" 
que nous n avons point de mot en notre langue guTîa^cTa 
qui puisse exprimer la force de ce rectè ^ jedu3.act.de 
crois qu'il répond à ces façons de parler , cela l'^ccyrc. 
i;a bien , cela ne vc^pas si mal que vous 
pense'z ; courage j il y a espérance , cela est 
bon; tout ira bien , etc.; ce sont -'là autant 
d'euphémismes. , . ' 

Dans toutes, les nations policée^ , on a' tou- 
jours évité \^s termes qui expriment des idées 
déshoAetes. Les persones peu instruites croient; 



l54 ei5 U T 11 Jt 5 

que tes Latins n'aroient pas cette délicatesse r 
c'est une erreur» Il est Yrai qu'aa)ourd''bui on 
a quelquefois recours au latin pour exprimer 
des idées dont on n'oseroit dire le ipot propre , 
en françois ; mais c'est que^ coxne nous n'avons 
apris les mots latins que dans les livres ^ ils se 
présentent à nous avec une idée accessoire d'é- 
rudition et de lecture , qui s'empare d'abord de 
l'imagination ; elle la partage , elle envelope^ 
•en quelque sorte , Timage déshonête ; eUe 
" l'écarté , et ne la fait voir que de loin : ce sont 
deux objets que l'on présiente alors à Timagi- 
.^ nation , dont le premier est le mot latin qui 

couvre l'idée qui le suit ; ainsi ces mots servent 
eome de voile et de périphrase à ces idées peu 
honêtes : au lieu que come nous somes acoa- 
tumés aux mots de notre langue , l'esprit n'est 
pas partagé. Quand on se sert des termes pro- 
pres , il s ocupe directement des objets que ces 
termes signifient. Il en étoit de même à Fégard 
des Grecs et des Romains , les honêtes gens 

* ménageoient les termes come nous les ména- 

geons en françois , et leur scrupule aloit même 
quelquefois si loin , qu'ils évitoient la rencontre 
des syllabes , qui , jointes ensemble ^ auraient 
Or»L.n. pu reveiller des idées déshonêtes. Quià siiUt 
xr V ' ^^^" dicerétur , obscœniùs concùrrerent litterœ , 

îbst. Orat. dit Cicéron ; et Quintilien a fait la même re- 
'i.vwi,€. 3. marque. -^ . 

« Ne devrois-tu pomt mourir de honte , dit 
» Chrêmes à son fils (i) , d'avoir eu Tinsolence 

(i)Nonmihîperfailàcîas addùcere ante 6culos...pudet 
Dicere hâc prœsente verbum turpe ; at te id nuUo 

modo. 
Pûdait fâcere. Hbaux* acîé 5, scd 4 ^T* ^^ 



DE D i; M A R s A I s. l55 

D d^amener à mes y^ux , dans ma propre mai- 
)) son j une. • • • • je n'ose prononcer un mot 
» deshonête en présence de ta mère , et tu as 
» bien osé comètre une action' infâme dans 
1) notre propre maison ! » . 

C'étoit par ia même figure qu'au lieu de dire , 
je "VOUS ahandone , je ne me mets point en 
peine de vous,, je vous quitte / les anciens 
disoient souvent : vivez y portez-^ous bien. 
Vii^ez forêts (i) , cette expression , dans len- 
droit où Virgile s'en est servi , ne marque pas 
un souhait que le berger fasse aux forêts j il 
veut dire simplement qu'il les abandone. 

Ils disoient aussi quelquefois , avoir vécu , 
avoir été , s^en être aie , avoir passé par la 
vie , ( vitâfunctus ) (3) > au lieu de dire être 



Ego servo et servâbo Platônis vereciindiam. Itaque 
tectis verbîs , ea ad te scrfpsi , quœ apertissimis agunt 
Stoîci* Illi ëtiam crépitus aiunt sequè Hberos y ac 
ructus , esse oportëre. Cic. 1. ix« EpisU 22* 

JE,q\xi eâdem modéstiâ , p6tiu8 cum muUere fiiisse^ 
(Juàm concubufssé , dicëbant. 

Yarro de ling. laU 1. y. sub. fin. 

Mos fuit^ res turpes et fœdas prolitu, honestîorum 
convestfrîer dignitàte. Arnob. 1. y. 

(i) Omnîa yel mëdium fiant mare , y f vite sylvse. 

Virg. EcL viii, y. 58. 

Tâleant , qui inter nos dîssidium yoluntl 

Ter. And. act. ly, se. 2, y. i5. 

Castra peto 2 yaleâtque Venus , yaleàntque pilelloe. 
TiBULL. 1* 2. £1. o> y. 9* 

(2) Fungî fungor^ signifie passer par j, dans un sens 
métaphorique : être délivré de , s'être aquité de. 



i56 OE U V R E s 

mort f le terme de mourir leur paroissoit^ en 
certaines ocasions , un mot funeste. 

Les anciens portoient la superstition jusqu^à 
croire qu'il y avoit des mots , dont la seule 
prononciation pouvoit étirer quelque malheur: 
come si les. paroles , qui ne sont qu'un air mis 
en mouvement , pouvoient produire , par elle^ 
mêmes , quelqu'autre éfet dans la nature , que 
celui d'ejfçiterdans Tair iin ébranlement , qui, 
se comuniquant a Forgane de rouïe , fait nakre 
dans Tesprit des homes les idées dont ils sont 
convenus par l'éducation qu'ils ont reçue. 

Cette superstition paroissoit encore plus dans 
les cérémonies de la religion : on craignoit de 
doner aux dieux quelque nom qui leur fût 
désagréable. On étoit averti (i) au commence- 
ment du sacrifice ou de la cérémonie , de pren- 
dre garde de prononcer aucun mot qui pût 
atirer quelque malheur ^ de ne dire que dç 
bones paroles , boncL/uerba yj^n , enfi'^ d'être 
favorable de la langue , fai^éte 'linguis , ou 
lingud, ou ore ; et de garder plutôt le silence 
que de prononcer quelque miot funeste qui P^ 



(i) Malé oitiin&tis pàrclte Verbîs , ou selon d* autres. f 
malé nomînâtis* Hor* 1. 5 ^ od. i4* 

Favëte linguis* Hon. 1* 5, od. i» 

Ore favéte omnes* ViRG. AEln. 1. 5 , v- 71. 

Diçâmus bona yerba , venit natàlîs , ad aras. 
Quisquîs ades , linguà , vîr muliërque fave. 

TiBULif 1. 2. EL 2, y. I» 

Prospéra lax 6ritur , lînguisque anîmfsque fayëte, 
Nunc dicénda bono , sunt bona verba , die. 
OyiD. FusU 1. 1 , y. 71» 



D E D U M A R S A I S. l5j 

déplaire aux dieux : et c'est de là que/ai^éte 
linguis , signifie , par extension ^faites silence. 

Par la même raison , ou plutôt par le même 
fanatisme, lorsqu'un oiseau avoit été de boiii 
augure , et que ce qu'on devoit atendre de cet 
heureux présage^ etoit détruit par un augure 
contraire , ce second augure ne s'apeloit point 
mauvais augure ; mais simplement. Vautre 
augure (i) ou Vautre oiseau. C'est pourquoi, 
dit Festus, ce terme alteryeut dire qqelquefois 
contraire , mauvais. 

Il y avoit des mots consacrés pour les sacri- 
fices , dont le sens propre et literal étoit bien 
diférent de ce qu'ils signifioient dans ces céré- 
monies superstitieuses ; par exemple : mactdre^ 
qui veut dire magis auctdre , augmenter da- 
vantage , se disoit des victimes qu'piî sacrifîoit* 
On n avoit garde de se servir alors d'un mot 
qui pût faire naître l'idée funeste de la mort ; 
on se servoit par euphémisme , de mactdre , 
augmenter; soit queles victim^%ugmentassent 
alors en honeur , soit que leur volume fut grossi 
par les ornemens dont on les paroit ; soit enfin 
que le sacrifice augmentât en quelque sorte 
rhoneur qu'on rendoit aux dieux. Nous avous 
sur ce point un beau passage de Varron , que 
l'on peut voir ici au bas de la page (2), 



(i) Alter, etpro non bono pénitur , ut in augdriis , 
altéra cum appellâtur avis quse litique prospéra non 
est j sic alter nonnùnquampro advérso dicitur et malo. 

Festus , V» alter. 

(2) Mactdre , verbum est sacr<jrum , >«t7' 6«^»^/«7vu«? , 
dictum , qua«i magis augere ^ ut adolére ^ undè et - 



ï53 t>E u V n 1» s 

De même , parce que cremdri , être brAîé , 
auroit été un mot de mauvais augure , et que 
Tautel croissoit ^ pour ainsi dire , par les herbes, 
par les entrailles deà victimes , et par tout ce 
(ju'on metoit dessus pour être brûlé ; au lieu 
Aësciintde dire on brûle sur les autels ^ ils disoient, 
busarae. ^ autcls croissent , cdiTadoléreetadoléscerèf 
I,. 379. signment proprement Cfx>£^^re»; et ce n est que 
par euphémisme que ces mots signifient brûler. 
C'est ainsi que les persones du peuple disent 
quelquefois dans leur colère , gue le bon Dieu 
ofous emporte , n'osant prononcer le nom du 
malin esprit. 

Dans l'écriture sainte , le mot de bénir est 
tnis quelquefois au lieu de maudire ^ qui est 
précisément le contraire. Come il n'y a rien de 
plus afreux à concevoir , que d'imaginer quel- 
qu'un qui s'emporte jusqu'à des imprécation^ 
sacrilèges contre Dieu même; au lieu du terme 
de maudire ^ on a mis le contraire par eu- 
phémisme. * 

Naboth ', n'ayant pas voulu vendre au roi 
Âchab une vigne qu il possédoit , et qui étoit 
rheritage de ses pères, la reine Jézaljel, femme 
d'Achab > suscita deux faux témoins , qui dépo- 
sèrent que IN aboth a voit blasphémé contre Dieu 



magméntum quasi majus augméntum : nam hôstîae 
tangùntur moiâ salsâ , et tum immolâtœ dicuntur \ 
cum verà ictœ sunt et aliquid ex iliis fn aram datum 
est, mactdtœ dicuntur per laudatiônem y itémque boni 
vminis sîgnilîcati6nem. £t cum iliis mola salsa impé- 
nitur, dicitur macte esto^ Varro de vitâ Pop. Rom. 
L 2 , dans Les fragmens qui sont à lajin des œuvres 
de Varron, de l'édition de J. Janson, Amst. 1725^ 
pag. 63. 



DS BU MÂUSAIS* 1^9 

et contre le roi : or , récriture , pour exprimer 
ce blasphème , fait dire auic témoins^ que 
Nabot h a béni Dieu et le roi (i). 

Job dit dans le même sens , peut-^êtré que 
mes enfans ont péché , et çuUls ont béni Dieu 
dans leur cœur (2). 

C'est ainsi que dans ces paroles de Virgile ^ ^^f" ^ "* 
auri sacra famés , sacra se prend pour eare- 
crdbilis , selon Servius , soit par euphémisme^ 
soit par extension ; car il' est à observer que 
souvent par extension , sacer vouloit dire exé- 
crable^ Ceux que la justice humaine avoitcan- 
dânés f et ceux qui se dévou oient pour le peu- 
ple , étoient regardés corne autant de persooes 
Aprées. De là , dit Festus (3) , tout méchant 
nome est apelé sacer. O le maudit boufon , 
dit Afranius , en se servant de sacrum : $ O S ^™?" 
sacrum scufram , et malum. Et Plaute^ P^r-Lo^i^îî 

p. l5i2. 

— : — Flaut. Pce« 

(i) Virî diab^lîci dixérunt contra eum testîmônium ^^ •" 
coram multitiidine 3 benedixit Naboth Deuiu et 
Regem* Reg. lU/Cy 21^ y. jo et i3« 

(a) Ne forte peccàyennt filii mei et benedixerînt 
Dec in cordibus suis* Job. i , y« 5« 

(3) Homo sacer îs est , quem p^pulus judicâvît ob 
malefKcium , neque fas est eum immola ri,. ••• ex q4M» 
quiyis homo > malus atque improbu.s ^ sacer appellâri 
soiet* Fkstus- y. sacer* 

Massîlîënses ^ qu^tîes pestil^ntiâ laboràbant ^ unas 
se ex paupëribus offerébat , alëndu* anno întegro pii- 
biicis et purîôribus cibis. Hic pôsteà , ornâtus yer- 
bënis et yëstibus sacrU y circumducebâtur per totam 
civititem , cum execratiônibus ^ ut in ipsum reckie- 
reat luala totius civitâlis ; et sic projiciebâtur. 

âxRyius in y^n^ lll, y» Sj* 



l 



160 OE U V 11 E s 

lant d'un marchand d'esclaves , s'exprime en 
ces termes : Hômlni ( si leno est homo ) quwnr ' 
tum hôminum terra sùstinet , sacérrimo* 
' On peut encore raporter à l'eu phémisme ces 
périphrases ou circonlocutions , dont uri orateur 
délicat envelope habilement une idée , qui, 
toute simple , exciteroit peut-être dans l'esprit 
de ceux à qui il parle , une image ou des sent»- 
mens peu favorables à son dessein principal. 
Cicéron n'a garde de dire au sénat , que le^ 
domestiques de Milon tuèrent Clodius (1) : 
« Ils firent^ dit- il , ce que tout maître eât 
j> voulu que ses esclaves eussent fait en pareHIe 
» ocasion ». De même ^ lorsqu'on ne done pas 
à un mercenaire tout Targent qu'il demanm 
au lieu de dire , Je ne veuoc pas ^ous R 
doner da^a?itage , souvent on lui dit, par eu-? 
phémisme ,ye s^ous en donerai da^'antage une 
autrefois ; cela se trompera : je chercherai les 
ocasions de "vous récompenser , etc. 



(î) Fecérunt îd servi Mil6nîs.... quod suos qujsqn» 
servos in Vd^i re fâcere volufsset, , 

Cic. pro Milàne , num* 29. 



XVI. J 



DE DU MA USAI 5. l6l 



XVI. 

L'Antiphrase. 

JLj'euphémisme et Tironie ont doné Heu aux 

Î grammairiens d'inventer une figure qu'ils apè- 
ent antiphrase , c'est-à-dire , contre-vérité ; 
par exemple : la mer noire suîète à de fréquens 
naufrages , et dont les bords etoient habités par 
des homes extrêmement féroces , étoit apelée 
Pont^Euxin , c'est-à-dire , mer favorable à •yf^fôr . 
ses hôtes ^ mer hospitalière. C'est pourquoi g^*P*^^|"^ 
Ovide a dit que le nom de cette mer étoit un VhospitalUél 
menteur. 

Quem tenet Eiixlni y mendax cogn6mine y littus* Ovî. Triit» 
JEt ailleurs : Pontus, Eaxini falso n6mine dictus. ^^ ' *f* 

Sanctius et quelques autres ne veulent point ei.x3 v.uiû 
mètre l'antiphrase au rang des figures. Il y a en 
éfet je ne sai quoi d'oposé à l'ordre naturel , de 
nomer une chose par soil contraire , d'apeler 
lumlneuac un objet , parce qu'il est obscur j 
l'antiphrase ne satisfait pas l'esprit. 

Malgré les mauvaises qualités des objets ^ les 
anciens qui personifioient tout , leur donoient 
quelquefois des noms flateurs^ come pour se 
rendre favorables , ou pour se faire un bon 
augure , un bon présage. . . 

Ainsi c'étoit par euphémisme , par supersti- 
:lon , et non par antiphrase , que ceux qui 
iloiént à la mer que nous apelons aujourd'hui 
!a mer noire , la nomoient mer hospitalière , 

Tome UL L 



102 Ofi U V K E S 

c'est-à-dire , mer qui ne nous sera point fu- 
neste , qui nous sera propice , où nous serons 
bien reçus ; mer qui sera pour nous une mer 1 
hospitalière , quoiqu'elle soit comunément pour 1 
les autres une mer funeste. 

Les trois déesses infernales , filles de TErèbe 
et de la Nuit^ qui , selon la fable, filent la trame 
de nos jours ^ étoient apelées les Parques ; de 
l'adjectif parcus , quia parce nobis a)itam 
tribuunt. Chacun trouve qu'elles ne lui filent 
pas assez de jours. D'autres disent qu'elles ontg 
été ainsi apelées , parce que leurs fonctions 
sont partagées ; Parcce y quasi partitœ. 

Clotho colum rëtinèt , Lâchesis net , et Atropos 
occat. 

Ce n'est donc point parantiphrase, ^£i/a némini 
parcunt , qu'elles ont été apelées Parques. 
Les furies, Alecto , Tisiphone et Mégère, 
* ont été apelées Euménides , du grec eumeneiSp 
tvfitmç, jy^jrj^^çQipg ^ douces , bienfesantes. La comune 
opinion estque cenom neleur fut doné qu'après 
qu'elles eurent cessé Jde tourmenter Orestequi 
avoit tué sa mère. Ce prince fut , dit-on , le 
premier quiles apeia Euménides. Ce sentiment 
Poésies ^^^ adopte par le P. Sanadon. D'autres préten- 
d'Horacc , dent que les furies étoient apelées Euménides 
"^^ ' ' P^5*^long- tems avant qu'Oreste vînt au monde; 
mais d'ailleurs cette aventure d'Oreste est rem- 
plie de tant de circonstances fabuleuses , que 
j'aime mieux croire qu'on aapelé les furies Ku' 
ménides par euphémisme , pour se les rendre 
favorables. C'est ainsi qu'on traite tous les jours 
de bones et de bienfesantes les personcs les plus 



bE DtJ MA USAI S» l63 

aigres elles plus dlficiles dont on veut apaiser 
I emportement , ou obtenir quelque bienfait. 

On dit encore qu^un bois sacré est apelé 
lucus p par antiphrase j car ces bois étoientf'orl: 
sombres , et lucus vient de luccre , luire ; mais 
si lucus vient de lucére , c'est par une raisoa 
contraire à ^antiphrase ; car come il n'étolt 
pas permis ^ par respect , de couper de ces bois , 
ils etoient fort épais ^ et par conséquent fort 
sombres ; ainsi le besoin, autant que la supers- 
tition , avoit introduit Tusage dy alumer des 
flambeaux. 

Mnnes > les mânes , c'est-à-dire , les âmes 
des morts, et dans un sens plus étendu, les 
habitans des enfers, est encore un mot qui a 
doné lieu à Taiitiphrase. Ce mot vient de Tan- 
cîen adjectif manus , dont on se servoit au ^"^"* » 
lieu de bonus^ Ceux qui prioient les mânes , man^/"""^' ' 
les apeloient ainsi pour se les rendre favorables. Nonîusc. i, 
yhs 6 mihi mânes este boni j c'est ce que'*-^^^- 
Virgile fait dire à Turnus. Ainsi, tous lesiingfVat. i! 
exemplesdonton prétend autoriser Tantiphrase, 3 , iaitio. 
se raportent , ou à Tcuphémisme , ou à l'ironie ; "^'"g- ^"^ 
come quand on dit a raris , c est une muete 
des Aa/e^,. c'est-à-dire , une femme qui chante 
pouille, une vraie harangère des haies ; muèle 
est dit alors par ironie. 



La 



l66 OE U T R E s * 

forme plus gracieuse pu plus noble : c*est ainsi 
qu'au lieu de dire simplement à la pointe du 
jour , les poètes disent : 

cnriadc , L'Aurore cependant au visage vermeil y. 
Ouyroit dans l'Orient le palais du soleil : 
La nuit en d'autres lieux portoit ses voiles sombrer ^ 
Les songes voltigeans fuioient avec les ombres. 

Madame Dacier comence le XVIP. livre dé 
rodjrssée d'Homère par ce vers : 

Dès que la belle Aurore eut anoncë le Jour. 

niade , Et ailleurs elle dit : w La brillante aurore sor- 
^'*' » toit à peine du sein de rOcéan, pour annoncer 
» aux Dieux et aux homes le retour du soleil ». 
Pour dire que le jour finît, qu'il est tard^ 
€ze/(:'e^/?^ra^c/^,Virgiledit qu'on voit déjà fumer 
de loin les cheminées, que déjà les ombres 
s'alongent et semblent tomber des montagnes. 

.i,v.83. Et jam summa procul villàrura ciilmina fumant p 
Majorësque càdunt altis de montibus umbrœ. 

Boileau a dit par imitation : 

.utrin , Les ombres cependant sur la ville ëpandues 
2. Du faite des maisons descendent dans les rues. 

On pourra remarquer un plus grand nom^bre 
d'exemples pareils dans les auteurs. Je me con- 
tenterai d'observer ici qu'on ne doit se servir 
-de périphrases que quand elles rendent le dis- 
cours plus noble ou plus vif par le secours des 
images. 11 faut éviter les périphrases qui ne pré- 
sentent rien de nouveau, qui n'ajoutent aucune 
idée accessoire , elles ne servent qu'a rendre le 
discours languissant : si après avoir dit d'un 



DE DU M, A R S A I S. 167 

home acablé de remords , qu'il est toujours^ 
triste , vous vous servez de quelque périphrase 
qui ne dise autre chose, sinon que cet home -est 
toujours sombre , rêveur , mélancolique et^dfi 
mauvaise humeur y vous ne rendez guère votre 
discours plus vif par de telles expressions^ 
Mt Boileau , sur un sujet pareil , a fait , d'après 
Horace, une espèce de périphrase qui tire tout 
son prix de la peinture' dont elle, ocupe Timagi- 
nation du lecteur. 

Ce fou rempli d'erreurs que le trouble acoinpagne. Ep. v. 
£t malade a la ville ainsi qu'à. la capipague , 
En vain monte à cheval pour tromper son ennui , Pôst eqx 

Le chagrin monte en croupe et galope avec lui. tem 8cd< 

. atra curî 

Le même poëte , au lieu de àive ^ pendant aue oa/i\v." 
je suis encore jeune^ se sert de trois péri- 
phrases qui expnnient cette même pensée sous 
trois images diférentes. 

Tandis que libre encor , maigre les destinées , Sat. x. 

Mon corps n'est point courbe sous le faix des années j 
Qu'on ne voit point mes pas sous l'âge chanceler^ 
Et qu'il reste à la Parque enpor de quoi filer. 

On doit aussi éviter \es périphrases obscures 
et trop enflées (^i). Celles qui ne servent ni à 
la clarté ni à Tornement du discours , sont dé- 
fectueuses. C'est une inutilité désagréable 
qu'une périphrase à la suite d'une pensée vive, 
claire, solide et noble. L'esprit qui a été frapé 



(i) Ut cùm decôfum habet , perfphrasîs , îta cùni în 
vltium incidit , vff>t<r<r(iKoyiA dicitur : obstat enim quid- 
quid non àdjuvat. 

QuiTST. Instit. Orat» L viiii, cô. 

L4 



l68 OE W T R E s 

d'une pensée bien exprimée , n'aime point à la 
retrouver sous d autres formes moins agréables, 
qui rie lui aprènent rierï^e nouveau , ou rien 
C[ui Tintéresse, Après que le père des trois Ho- 
races, dans l'exemple que j'ai déjà raporté, 
Pagcaa. a dit qu'il mourût ^ il en <^evoit demeurer là, 
et ne pas ajouter : 

• Ou qu'un beau d^âespoîr enfin le secourût* 

Marot, dans une de ses plus belles épîtres, 
raconte agréablement au roi François I, le 
malheur qu'il a eu d'avoir été volé par son va- 
let ^ qui lui avbit pris son argent^ ses habits et 
^ son cheval; ensuite il dit : 

Et néanmoins ce que je vous en mande , 

N'est pour vous faire ou requête ou demande : 

Je ne veux point tant de gens ressembler , 

Qui n'ont souci autre que d'assembler ; 

Tant qu'ils vivront ils demanderont ^ eux : 

Mais je comence à devenir honteux y 

Et ne yçux point à vos dons m'aréter. 

Je ne dis pas y si voulez rien prêter y 

Que ne le prèrie : il n'est pomt de prêteur , 

S'il veut prêter , qu'il ne fasse un dëbteur* 

Et savez-vous , sire, coment je paie , 

Nui ne le sait si premier ne l'essaie* 

Vous me devrez , si je puîs , de retour 5 

Et vous ferai encores un bon tour ; 

A celle fin qu'il n'y ait faute nulle , 

Je vous ferai une belle cëdu le y 

A vous payer y sans usure il s'entend , 

8uand on verra tout le monde content ; 
u si vous voulez , à payer ce sera , 
Quand votre los et renom cessera. 

Voilà où le génie conduisit Marot, et voilà où 
Tarfc devoit le faire arrêter* Ce qu'il dit ensuite 



p E DU M A U S A I S. 169 

que les dewc princes loralns le pleigeront , et 
encore 

Avisez donc , sî vous avez désir 

De rien prêter , vous me ferez plaisir : 

Tout cela , dis-je , n'ajoute plus rien à la pen- Ck. de 
sée ; c'est ce que Cicéron apèle ^verhàrum "^^l^^^^' ly,^ 
optimorum atque omatissimôrum sànitus ind- ter Si.* 
nis. Que s'il y avoit quelque chose de plus à 
dire , ce sont les douze derniers vers qui font 
un nouveau sens > et ne sont plus qu'une pé- 
riphrase qui regarde l'emprunt. 

Voilà le point principal de ma lettre , 
Vous savez tout , il n'y faut plus rien mettre , 
Rfen mettre la^ ! Certes et si ferai y 
En ce faisant mon style j'enflerai , 
Disant , ô roi amoureux des neuf Muses y 
Roi y en qui sont leurs sciences infuses^ 
Roi , plus que Mars , d'honeur enyironë ^ 
Roi , le plus roi qui fut onc courôn<? ; 
Dieu tout puissant te doint , pour t'estrcner , 
Les quatre coins du .monde à gouverner , 
Tant pour le bien de la ronde machine , 
Que pour autant que sur tous en es digne. 



3' 



4°. On se sert de périphrase par nçcessité , 
uand il s'agit de traduire , et que la langue 
u traducteur n'a point d'expression propre 
qui réponde à la langue originale : par exemple , 
pour exprimei: en latin une péruque , il faut 
dire coma adscit/tia /une chevelure emprun- 
tée , des cheveux qu'on s'est ajustés. 11 j a en la- 
tin des verbes qui n'ont point de supin , et par 
conséquent point de participe; ainsi ^ au heu 
de s'exprimer par leparticipe, on est obligé de 
recourir à la périphrase yore ut; esse jutu^ 
mm ut : j'en ai doné plusieurs exemples dans 
la sjntaxe. 



fJO OK U T R £ 5 



XVIII- 

L^H TFALI.AGi:« 



V. 



iRGiLE 9 pour dire mettre à la voile , a dît : 

'rTëQ>:tutcYk , * dare clâssibus austros : Tordre naturel de- 

toimutio. laandoit qu'il dît plutôt , dare classes austrisn 

«*^w^ij*ir! Cicéron , dans Voraison pour Marcellus> dil 

aoi. 2,pas&. â César qu'on n'a jamais vu dans la ville son 

*^^n!*^i ^P^^ vuide du foureau , glddium vdgina và^ 

u,r.6z. cuumin urhenon a)idimus. Il ne s^agit pas da 

fonds de la pensée ^ qui est de, faire entendre 

. que César n avoit exercé aucune cruauté dans 

)a ville de Rome ; il s'agit de la combinaisoa 

des paroles qui ne paroissent pas liées entre 

elles corne elles le sont dans le langage ordi* 

naire , car vdcuus se dit plutôt du foureatt 

que de Tépée. 

Ovide comence ses métamorphoses parées 
paroles : 

In nora fert ànimiis mut&tas dicere forsiaa 
C6rpora. 

La construction est dnimusfert me ad dicere 
formas mutàtas in nova côrpora. Mon génie 
me porte à raconter les formes changées ea 
de nouveaux corps ;. il étoit plus naturel de 
dire , à raconter les corps y c'est-à-dire y à pat^ 
1er des corps changés en de noiwèles formes» 

Vous voyez que dans ces sortes d'expres- 
sions les mots ne sont pas construits ^ ni com- 
binés entr'eux corne ils le deyroient être selon 



DE DU MARSAIS. 17! 

a destination des terminaisons et de la cons- 
ruction ordinaire. C'est cette transposition ou ' 

ihangeoient de construction qu'on apèle /y^- 
fallage ^ mot grec qui signifie changement. ^ 

Cette figure est bien malheureuse ; les rhé- inst Orat. 
«urs disent que c'est aux grammairiens à en iiv,c. i3, 
Mrler , grammaticàrum potius schéma est 
juàm tropus , dit Vossius j et les grammairiens 
a renvoient aux rhéteurs • Uhjpallage y à "vrai De»fig. de 
dire y n*est point une figure de grammaire ,^^^^^'^^^'^ 
lit la no u vêle méthode de P. R. dest un trope, '^' 
>ïi une figure (félocution . 
. Le changement qui se fait (lans la construc- 
tion des mots par cette^gure , ne regarde pas 
lear signification ; ainsi , en ce sens^ cette fi- 
gure n'est point u» trope, et doit être mise 
îans la classe des idiotismes , ou façons de par- 
ler particulières à la langue latine : mais j'ai 
:ru qu'il n'étoit pas inutile d'en faire mention 
3armi lei tropes. Le changement que l'hypal- 
age fait dans la combinaison et dans la cons- 
ruclion dfes mots , eist une sorte de trope ou 
le conyirsion. Après tout , dans quelque rang 
[û'on juge à propos dé placer l'hypallage , il 
st certain que c'est une lîgure très-remar- 
pable. 

Souvent la vivacité de l'imagination nous fait 
)arlcr de manière que , quand nous venons 
insuite à considérer de sang froid l'arangement 
[ans lequel nous avons construit les mots dont 
lous nous somes servis, nous trouvons que 
lous nous somes écartés de l'ordre naturel , et 
[e la manière dont les autres homes cons- 
ruisent les mots , quand ils veulent exprimer 
i même pensée; c'est un manque d'exacli- 



172 ÔB tr T R E s 

tude dans les modernes ; mais les langues \ 
ciènes autorisent souvent ces transpositioi 
ainsi , dans les anciens y la transposition d 
nous parlons est une figure respectable qu 
apèle hypallagef c'estfà-dire , changeme 
transposition ou renversement de constructi 
Le besoin d'une certaine mesure dans les v 
asouvent obligé les anciens poètes d'avoir 
cours à ces façons de parler, et il faut conv€ 
qu'elles ont. quelquerois de la grâce ; aussi 
a-t-on élevées à la dignité d'expressions figuré 
et en ceci les anciens l'emportent bien sur 
modernes , à qui ou ne fera pas de long-t£ 
lemêmehonei^r Jlr • 

Je vais ajouter encore ici quelques exemp 
de cette figure , pour la faire mieux conoît 
Virgile fait dirç a Didon : 

M.n, 1. IV, Et cùm frfgida mors ànimâ sedûxerlt artos* . 

j4près que là froide mort dura séparé de n 
ame les membres de mon corps ^ï\ est plus 
dinaire de dire , aura séparé mon ame de n 
corps : le corps demeure et l'ame le qui 
ainsi Servius et la plupart des comentate 
trouvent une hjrpallage dans ces paroles 
Virgile. 

Le même poète , parlant d'Enée et de la i 
bille, qui conduisit ce héros dans les enfc 
dit: 

» 1. Yi y Ibant o\)SCÙTi solâ sub nocte per umbram. 

. 4t)8. 

Pour dire qu'ils marchoîent tous seuls dans 
ténèbres d une nuijt sombre ^ Servius et le P. 



dedumahsàis. lyS 

fRue disent que c'est ici une hypallage pour 
ant soli sub obscùrd nocte. 
Horace a dit: 

!.. 

. P6cula lethœos ut si ducëntia somnos Hor. 1. v. 

Tràxerim* od. i4,v. S. 

Corne si faisais bu les eaux qui amènent le 
someil dujleuve Léthé. Ilétoit plus naturel de 
jdire pôcula lethœa , les eaux du fleuve Léthé. 
Virgile a dit qix'Enée raluma desfeuœpres^ 
4fue éteints. 

« • • • Sopftos suscitât ignés» £n. 1. v^ 

V.743. 
Il nV a point là d*hypallage , car sopitos , se- * 

Ion la construction ordinaire^ se raporte à 
'i^es : mais , quand pour dire qu^JE/iee raluma 
jur V autel a Hercule le feu presque éteint^ 
Virgile s^exprime en ces termes : 

». • ... Herciileis sopitas fgnibus aras iEn. l.viii, 

Excitât. V. 54«. 

Alors il y a une hypallage, car, selon la com- 
binaison ordinaire, il auroit dit , excitât ignés 
sopitos in aris hercùleis, îd est,Hérculi sa^ 
cris. 

Au livre XII, pour dire , Si au contraire 
Mars fait tourner la ^victoire de notre côté , 
il s'exprime en ces termes : 

Sin nostrom annùerit nobis victôria Martem. JE 1. 1. xn, 

V. 187. 

.Ce qui est une hypallage, selon Servius. A[jr- Scrviu». 
pallage : pro sin noster Mars annùerit no-^^*'^* 
bis vjctoriam : nam Marient uictôria comi- 
tdtur. 



174 OË t; V K K s 

On peut aussi regarder comme unfe sorte 
dlijpailage cette façon de parler, selon la* 
quelle on marque par un adjectif, une circons- 
tance qui est ordinairement exprimée par ua 
adverbe : c'est ainsi qu'au lieu de dire qu' Enée 
envoja promptement Achate , Virgile dit : 

n. l. i,v,. • • ^ Râpidum ad nayes prœmfttit Achàtea 
14* Ascânio* 

Rapidum est powc promptement y en diligence. 
bid V 70 -^/?^ diversas 9 c'^est-àdire, chassez-les çàet 
* là. 

En.l. f,v. Jam(jue ascendëbant collem qui plilrimos urbi 
23. Imminet. - 

Plùrimus , c*est-à-dîre , en long^ une çoline 

qui domine , qui régne tout le long de la ville* 

Médius , summus , infimus , sont souvent em^ 

plojés, en latin, dnas un sens que nous rendons 

par des adverbes y et de même nullus pour non: 

Ter. Eun. /7ie/n/m , tametsi nullus môneas, pour non 

ct2 , se. I, môneas , come Donat Ta remarqué. 

' *^* Par tous ces exemples on peut observer : 

I®. Qu'il ne faut point que Thypallage aporte 
de l'obscurité ou de l'équivoque à la pensée. 
Il faut toujours qu'au travers du dérangement 
de construction , le fonds de la pensée puisse 
être aussi facilement démêlé que si Ton se fut 
servi de Tarangement ordinaire. On ne doit 
parler que pour être entendu par ceux qui co* 
iioissent le génie d'une langue. 

2°. Ainsi , quand la construction est équi- 
voque , ou que les paroles expriment un sens 
contraire à ce quel'auteur a voulu dire, on doit 
convenir qu'il y a équivoque , que l'auteur 



tus DU MAIlSAXS% 1^5 

«1 fait un contre-sens , et qu'en un mot il s*est 
mal exprimé» Les anciens étoient homes ^ et 
par conséquent sujets à faire des fautes corne 
nous. Il y a de la petitesse et une sorte de fa-* 
natisme à recourir aux figures pour excuser 
des expressions qu'ils condamneroient eux- 
mêmes^ et que leurs contemporains ont sou- 
vent condânees. L'hypallage ne prête pas son 
nom aux contre-sens et aux équivoques; autre- 
ment tout seroit confondu , et cette figure de- 
TÎendroit un asjrle pour l'erreur et pour Tobs* 
curité. 

3°* L'hypallage ne se fait que quand on ne suit 
point dans les mots l'arangement établi dans 
une langue; mais il ne faut point juger de Ta- 
rangement et de la signification des mots 
d'une langue par Tusa^e établi en une autre 
langue pour exprimer la même pensée» Nous 
disons en françois , je me repens , je m'aflige 
de ma faute: je est le sujet de la proposition, 
c'est le nominatif du verbe. En latin , on prend 
un autre tour , les termes de la proposition ont 
un autre arangement; je devient le terme de 
l'action : ainsi y selon la destination des cas , je 
se met à l'acusatif; le sous^enir de ma faute 
maflige , rriafecte de repentir, y tel est le tour 
latin ypœnitet me culpœ , c'est-à-dire, recor^ 
ddtio , ratio , respéctuSj vitium , iiegôtium , 
factum , bu malum culpœ pœnitetme. Phèdre ^ 3 , f. «, 
a dit, malis nequitiœ pour nequitiây res cibi »5* 
pour cibus. Yoyez les observations que nous •^«■^'^ 
avons faites sur ce sujet dans la syntaxe» 

Il n'y a donc point d'hypallage dans pœnilet 
me culpœ y ni dans les autres raçons de parler 
semblables; je ne crois pas non plus, quoi 



intj OE U V B E S 

qu'yen disent les comeritateurs d'Horace , qu^ll 
y ait une hjpallage dans ces versdeTode XYU 
du livre premier. 

Telox amœnum sœpè LucrétUem 
Mutât Ljrcœo Fauuus. 

C'est-à-dire, que Faune prend souvent en 
échange le Lucrétile pour le Lycée j il vient 
souvent habiter le Lucrétile , auprès de la mai- 
son de campagne d'Horace , et quite pour cela 
le Lycée, sa demeure ordinaire. Tel est le sens 
d'Horace , corne la suite de Tode le done 
nécessaii^ment à entendre. Ce sont les pa- 
Tom. I , p. rôles du P. Sanadon, qui trouve dans cette 
79« façon de parler (i) une "vraie' hypallage ^ ou 

un renversement de construction. 

Mais il me paroît que c'est juger du latin 
par le françois , que de trouver une hypallage 
dans ces paroles d'Horace , Lucrétilem mutât 
Ljrcœo raunus. On comence par atacher à 
mutdre la même idée que nous atachons à 
notre verbe changer; doner ce qu*on a pour 
ce quon na pas; ensuite, sans avoir égard â 
. la phrase latine, on traduit. Faune change le 
Lucrétile pour le Lycée.: et come cette ex- 

Sression sij^nifie en françois que Faune passe 
u Lucrétije au Lycée , et non du Lycée an 
Lucrétile, ce qui est pourtant ce qu'on sait 
bien qu'Horace a voulu dire, on est obligé de 
recourir à l'hypallage pour sauver le contre- 



Ci) Voyez les remarques du P. Sanadon , à rocasîon 
de Lucàna mutet pàscuis , vers 28 , de Tode Jbis /►• 
burnis. Poésies d'Horace, tom. I , page 175. - 

sens 



DE DU MAR5AIS. 1^*J 

Sens que le françois seul présente. Mais le ren- 
versement de construction ne doit jamais ren- 
verser le sens , come je viens de le remarquer; 
c'est la phrase même, et non la suite du dis- 
cours , qui doit faire entendre la pensée , si ce 
n'est dans toute son étendue, c'est au moins 
dans ce' qu'elle présente d'abord à l'esprit de 
ceux qui savent la langue. 

Jugeons donc du Utin par le latin même , 
€{t nous ne trouverons ici ni con Ire-sens, ni 
hjpallage , nous ne verrons qu'une phrase 
latine fort ordinaire en prose et en vers. 

On dit en latin donàre mûneta alicui , do- , 
ner des présens à quel^ju'un , et l'on dit aussi 
donàre àlUjuem mùnere , gratifier quelqu'un 
d'un présent : on dit également circùmdare 
urbemmœnibus , et circùmdare ntœnia urbi ; 
de même on se sert de mutdre , soit pour do- 
ner, soit pour prendre une chose au lieu d'une 
autre. 

7>/wfo, disent les éfymologistes, vient de mo' i^^^^^ ^ 
tu : mutdre quasi motdre. L'anciène manière v. muto. 
d'aquéYir ce qu'on n'avoit pas, se faisoit par 
^ des échanges , de là muto signifie également 
acheter ou rendre , prendre ou doner quel- 

aue chose au lieu d'une autre*, emo aut uendo , 
it Martinius, et il cite Columelle, qui a dit, 
porcus Idcteus œre mutdndus est , il iaut ache- 
ter un cochon de lait. ' 

Aiubi , mutât Lucrétilem , signifie vient 
prendre, vient posséder, vient habiter le Lu- 
crétile ; il achète , pour ainsi dire , le Lucre- 
-tile par le Lj^cée. 

M. Dacier , sur ce passage d'Horace , re- 
marque qu! Horace parle souyent de même; 
2 orne J II. M 



Tom. I 
175. 



178 CE U V H E S 

et je sai bien j aîoute-tA] ^ que quelques his-^ 
toriens Vont imité. 

Lorsqu'Ovide fait dire à Médée qu'elle vou- 
drait avoir acheté Jason pour toutes les ri- 
chesses de Tunivers , il se sert de mutàre. 

[ct.l.vii,^ . , ., ,. 

59. Quemque e^<Q cum rébus quas totus possidet orbis 

'^soniden mutasse yelim. 

Où vous voyez que, corne Horace, Ovide 
emploie mutdre dans le sens (Vaquérir ce 
qu^on n^a pas , de prendre ^ d'acheter une 
chose en en donant une autre. Le P. Sanadon 
remarque qu'Horace s'est souvent servi de mi/- 
tdre en ce sens : mutdyit lugubre sagum puni" 
co (i) , pour pùnicum sagum lùgubriimutet 
lucdna cdlabris pdscuis (2) , pour cdlabra 
pdscua lucdnis ; mutât uv'am strigili (5), pour 
stri'j^ilim uvâ. ^ -' 

L'usage de mutdre dliquid dliqud re , dans 
le sens de prendre en échange y est trop fré- 
quent pour être autre chose qu'une phrase la- 
tine^ corne dondre dliquem dliqud re , grati- 
fier quelqu'un de quelque chose; etcircûmdare 
mœnia urbi , donér des murailles à une ville 
tout autour, c'est-à-dire, entourer une ville 
de murailles. L'hjpallage ne se met pas ainsi à 
tous les jours. * 



(0 


L. 


y. 


Od. 


IX. 






(2) 


L. 


V, 


. Od, 


I. 






(3) 


L. 


II 


, Sat 


. vn> 


V. 


IIO 



'de du màrsàis. 179 

* ^ .^ "~ M 

XIX. 

L*0 prOMATOPÉE» 

JLi'oNOM atopée est une figure par laquelle un O'fojuut^ 
mot imite le son naturel de ce qu'il sienifie. ^Vl** ^^ 
On réduit sous cette figure les mots formes par càbuUficti 
imitation du son ; comme le glouglou de la formatioi 
bouteille; le cliquetis ^ ç'est-à-dire, le bruit *^^^™**'* 
que font les boucliers, les épées et les autres 
armes, en se choquant. Le trictrac ^ qu'on 
apeloit autrefois tictac , sorte de jeu asses 
comun, ainsi nomé du bruit que font les dames 
et les dés dont on se sert à ce jeu : Tinnitus 
œris , tintement ; c'est le son clair et aigu des 
métaux. Bilbijre , Bilbit dmphora , la petite 
bouteille fait glou-glou ; on le dit d'une petite 
bouteille dont le goulot est étroit. Taratdri'^ 
tara , c'est le bruit de la trompeté. 

At tuba terrfbili sônitu taratântara dixit* 

C^est un ancien vers d'Ennius , au raport de 
Servius. Virgile en a changé le dernier hémis- 
tiche , qu'il n'a pas trouvé assez digne de la 
poésie épique ; voyez Servius sur ce vers de 
Virgile : 

At tuba terribilem sônitum procul œre can<Sro ^**' ^* ' 

Incrëpuit. ^•^*'^* 

Cachinnus , c'est un rire immodéré. Cachinno^ 
énis • se dit d'un hoine qui rit sans retenue : 

Ma 



/ 



l8o OE U V R E s i ^ 

ces deux mots sont formés du son ou di ^-^"a 
que l'on entend quand quelqu'un rit avec écîsfl. 

Il y a aussi plusieurs mots qui expriment le 
cri des animaux^ come bêler, qui se dit des 
brebis. 
^cr. 1. 5 , Bàubdri , aboyer , se dît des gros chiens. 
^®72. Latrdre , aboyer , hurier , c'est lé mot géné- 
rique. Mutire , parier entre les dents, mur- 
murer y gronder y come les chiens : mu canum 
est , undè , mutire ,dit Charisius. 

Les noms de plusieurs animaux sont tirés 
de leurs cris , sut-tout dans les langues ori- 
ginales* 

Upupa y hupe , hibou. 
Cùculus y qu'on prononçoit coucoulous , un 

coucou y oiseau. 
Hirùndo , une hirondèle. 
Ulula y chouète. 
£uboj hibou. 

Grdcculus , un choucas , espèce de corneillet' 
Gallina , une poule. 

Cette figure n'est point un trope , puisque 
le mot se prend dans le sens propre ; mais j*ai 
cru qu'il n étoitpas inutile delà remarquer ici. 



B]i^ DU MARSAIS. l8l 



X X. 

QiCun même mot peut êtr^ doublement 
figuré. 

J. L est à observer que souvent un mot est 
doublement figuré ; c'est-à-dire, qu'en un 
certain sens il apartient à un certain trope , et 
qu'en un autre sens il peut être rangé sous un 
autre trope. On peut avoir fait cette remarque 
dans quelques exemples que j'ai déjà raportés. 
Quand Virgile dit de Bitias > que pleno se prô^ 
luitauro , auro se prend d'abord pour la coupe , 
c'estune synecdoque de la matière pour la chose 
qui en est faite ; ensuite la coupe se prend pour 
la liqueur qui étoit contenue dans cette êoupe : 
c'est une métonymie du contenant poiu* le 
contenu. 

Nota , marque , signe , se dit en général de 
tout ce qui sert à conoître ou remarquer quel- 
que chose : mais lorsque nota , ( note) se prend 
pour dédecus , marque d'infamie , tache dans 
la réputation , come quand on dit d'un mili- 
taire , il s'est enfui en une telle ocasion , c^est 
\ine note ^ il y a une métaphore et une synec- 
doque dans cette façon de parler. 

11 y a métaphore , puisque cette note n'est 
pas une marque réèle , ou un signe sensible , 
qui soit sur la persone dont on parle j ce n'e^t 
que par comparaison qu'on se sert de ce mot j 
on done à note un 6ens spirituel et méta- 
phorique. 

M 3 



i8a "* OE u y R B s 

Hy a synecdoque , puisque no/^ est restraint 
à la signincatlon particulière de tache ^ dédecus. 

Lorsque pour dire qu'il ia^t faire pénitence 
et réprimer ses passions , on dit qoJilJaut mor' 
tijier La chair ; c'est une expression figurée qui 
peut se raporter à la synecdoque et à la méta- 
phore. Chair ne se prend point alors dans le 
sens propre , ni dans toute son étendue ; il se 

Ï)rend pour le corps humain , et sur-tout pour 
es passions , les sens : ainsi c'est une synec- 
doque j mais mortifier est un terme métapho- 
rique j on veut dire qu'il faut éloigner de nous 
toutes lesdéKcatesses sensibles ; qu'il faut punir 
notre corps, le sevrer de ce qui le flate , afin 
d'afoibhr l'apétit charnel , la convoitise , les ^ 
passions , les soumettre à l'esprit , et pour ainsi 
dire , les faire mourir. 

Le changement d'état par lequel un citoyen 
romaiA perdoit la liberté , ou aloit en exil, ou 
changeoit de famille , s'apeloit càpitis minùtioj 
diminution de tête : c'est encore une expression 
métaphorique qui peut aussi être ra portée à la 
synecdoque. Je crois qu'en ces ocasions on peut 
S épargner la peine d'une exactitude trop re- 
cherchée, et qu'il sufit de remarquer que Tex- 
pression est ngurée , et la ranger sous l'espèce 
de trope auquel elle a le plus deraport. 



SE DU maksÂis* , l8S 



XXI. 

De la subordination des tropes , ou du rang 
quils doii^ent tenir les uns à V égard des 
autres , et de leurs caractères particuliers. 

V^t7iNTiLiEN dit (i) que les grammairiens 
aussi bien que les philosophes disputent beau- 
coup entre eux pour savoir combien il y a de 
différentes classes de tropes^ combien chaqtiô 
classe renferme d'espèces particuHères , et 
enfin quel est Tordre qu'on doit garder entre 
ces classes et ces espèces • 

Vossius soutient qu'il n'y a que quatre tropes ïns*» < 
prîncipaux , qui sont la métaphore , la méto- ^^Yl 
ny mie , la synecdoque et l'ironie ; les autres , à x , an! 
ce qu'il prétead, se raportent à ceux-là corne 
les espèces aux genres : mais toutes ces discus- 
sions sont assez inutiles dans la pratique , et il 
ne faut point s^amuser à des recherches qui 
souvent n'ont aucun objet certain. 

Toutes les fois qu'il y a de la diférenee dans 
le raport naturel qui done lieu à la significatioa 
empruntée ^ on peut dire que l'expression qui 
est fondée sur ce raport apartient à un trope 
particulier. 



(i) Circa qnem (tropum ) inexplicâbilis , et gram- 
mâticis inter ipsos , et phîlosophis pugna est ; tjuae 
sînt gênera , quœ spëcies , quis niimerus , quis cuî 
subjiciitur* . Quiwx. Inst. Orat. 1. viii , c. 6» 

M4 



l84 eE U V R E $ 

C'est le raport de ressemblance qui est le 
fondement de la catachrèse et de la métaphore ; 
on dit au propre ujie feuille â! arbre , et par 
catachrèse une feuille de papier , parce qu'une 
feuille de papier est à peu près aussi mince 
qu'une feuille d'arbre. La catachrèse est la 

!)remière espèce de métaphore. On a recours à 
a catachrèse par nécessité , quand on ne trouve 
point de mot propre pour exprimer ce qu'on 
veut dire. Les autres espèces de métaphores se 
font par d'autres raouvemens de l'imagination 

3ui ont toujours la ressemblance pour fon- 
ement. 

L'ironie,au contraire, est fondée sur un raport 
d'oposition , de contrariété , de diférence , et , 
pour ainsi dire , sur le contraste qu'il y a , ou 
que nous imaginons entre un objet et un autre; 
tyrc IX. c'est ainsi que Boileau a dit , Quinault est un 
Virgile. 

La métonymie et la synecdoque , aussi bien 
que les figures qui ne sont que des espèces de 
Tune ou de l'autre , sont fondées sur quelque 
autre sorte d« raport qui n'est ni un raport de 
ressemblance , ni un raport du contraire. Tel 
est , par exemple , le raport de la cause à Téfet ; 
.ainsi,dans la métonymie et dans la synecdoque, 
les objets ne sont considérés ni come sembla- 
bles , ni come contraires ; on les regarde seule- 
ment come ayant entr'eux quelque relation , 
quelque liaison , quelque sorte d'union j mais il 
a cette diférence , que , dans la métonymie , 
'union n'empêche pas qu'une chose ne subsiste 
indépendanment d'une autre ; au lieu que, dans 



?, 



âge io6, 



la synecdoque, les objets dont l'un est dit pour 
l'autre, ont une liaison plus dépendante, come 



D K DU M A H S A I S, l85 

nous Tavons déjà remarqué ; Tun est compris 
sous le nom de 1 autre , ils forment un ensemble, 
un tout ; par exemple , quand je dis de quel- 
qu'un , quV/ a lu Cicéron , Horace , T'irgile , 
au lieu de dire y les ouvrages de Cicéron, etc., 
jepreiisla cause pour Téfet , c'est le raport qu'il 
y a entre un auteur et son livre , qui est le 
fondement de cette façon de parler, voilà une 
relation , mais le livre subsiste sans son auteur, 
et ne forme pas un tout avec lui ; au lieu que , 
lorsque je dis cent'voiles pour cent vais seaux ^ 
je prens la partie pour le tout , les voiles sont 
nécessaires à un vaisseau : il en est de même 
quand je dis qu'on a payé tant par tête , la. 
tête est une partie essentièle à l'iiome. Enfin 
dans la synecdoque il y a plus d'union et de 
dépendance entre les objets dont le nom de 
l'un se met pour le nom de l'autre , qu'il n'y 
en a dans la métonymie. 

L'allusion se sert de toutes les sortes de 
relations , peu lui importe que les termes con- 
viènentou ne conviènent pas entre eux, pourvu 
que,par la liaison qu'il y a entre les idées acces- 
soires , ils réveillent celle qu'on a eu dessein de 
réveiller. Les circonstances qui accompagnent 
le sens litéral des mots dont on se sert dans 
l'allusion , nous font conoître que ce sens litéral 
n'est pas celui qu'on a eu dessein d'exciter dans 
notre esprit , et nous dévoilent facilement le 
sens figuré qu'çn a voulu nous faire entendre. 

L'euphémisme est une espèce d'allusion , 
avec cette diférence qu'on cherche à éviter les 
mots qui pouroient exciter quelque idée triste , 
dure , ou contraire à la bienséance. 

Enfin chaque espèce de trepe a son carac- 



a86 ^ ôE u T R E s 

tère propre qui le distingue d'un autre , corne 
il a été facile de le remarquer par les observa- 
tions qui ont été faites sur chaque trope ea 
particulier. Les persones qui trouveront ces 
observations ou trop abstraites , ou peu utiles 
dans la pratique^ pouront se contenter de bien 
sentir, par les exemples , la diférence qu'il y a 
d'un trope à un autre. Les exemples les mène» 
ront insensiblement aux observations. 



DE DU M A K S A I S. l8y 



X X I L 

I. Des tropes dont on n* a point parlé. 
I. f^àriété dans la dénomination des tropes. 

:^. v^OME les figures ne sont que des manières 
le parler qui ont un caractère particulier auquel 
)n a doné un nom ; que d'ailleurs chaque sorte 
le figure peut être variée en plusieurs manières 
liférentes , il est évident que si l'on vient à 
eur doner des noms particuliers , on en fera 
iutant de figures. De là les noms de mimésis , 
ipôphasis , catdphasis , asteismus , mycte-^ 
rismus f charientismus , diasyrmus , sarcaS" 
mus , et autres pareils qu'on ne trouve guère 
que dans les ouvrages de ceux qui les ont 
imaginés. 

Les expressions figurées qui ont doné lieu à 
ces sortes de noms, peuvent aisément être ré- 
duites sous quelqu'une des classes de tropes 
dont j'ai déjà p^rlé. Le sarcasme , par exem- 
ple , n*est autre chose qu'une ironie faite avec 
aigreur et avec emportement (i). On trouve 
l'infini par-tout : mais quand une fois on est 
parvenu au point de division où ce qu'on divise 
n'est plus palpable , c'est perdre son tems et 
sa peine quç de s'amuser à diviser. 



(i") Est autem sarcâsmus hostilîs irrfsio.... cumquis 
morsis labris subsânnat âlium... irrisio qu8& liât di- 
iuctis labris , ostensâquo dëntiiwn carnei 

Yôssius; Inst. Qrat* 1. iV, c. i3. DéSarcasmo^ 



l88 OR U V R E s 

2^. Les auteurs douent quelquefois des noms 
diféreus à la même espèce d'expression figurée, 
je veux dire , que Tun apèle hjrpallage ce 
qu'un autre nome métonjrmie : les noms de 
ces sortes de figures étant arbitraires , et quel- 
ques-uns ayant beaucoup de raport à d'autres^ 
selon leur étjmologie , il n^est pas étonant qu'on 
les ait souvent confondus. Aristote done le nom 
de métaphore à la plupart des tropes qui ont 
aujourd'hui des noms particuliers. Aristôteles 
cîc. Orat. ista ômnia translatiônes vocat. CicéronremaT» 
n^94 , û/*/<r ^^^ aussi que les rhéteurs noment hjrpallage 
la même figure que les grammairiens apèlent 
méto7Tymie(i). Aujourd'hui que ces dénomi- 
nations sont plus déterminées, on doit se con- 
former sur ce point à Tusagé ordinaire des 
grammairiens et des rhéteurs. Un de nos poètes 
a dit : 

Leurs cris remplissent Tairde leurs tendres souhaits» 

Selon la construction ordinaire , on diroit plu- 
tôt que ce sont les souhaits qui font pousser des 
cris qui retentissent dans les airs. L'auteur du 
dictionaire néologique done à cette expression 
le nom de métathèse : les façons de parler 
semblables qu'on trouve dans les anciens , sont 
apelées des hypallages : le mot de métathèse 
n'est guère d'usage que lorsqu'il s'agit d'une 
transposition de lettres (2). 

f i) Hanc , hypâllagen rhëtores , quîa quasi suiAmu- 
tântur verba pro verbis ; metonymiam grammatici 
vocant ^ quùd némina transferiintur. 

Cici;r. , Ordtor. n. 95 , dliter xxvii. 

(2) MsTattsîr<f , mutâtio , scu transpositio, ut Evandtt 
ppo Evander^ Tymbre pro Tjrmher , Isidor. L i , c. 54» 



DE DU MARSAIS* 189 

M. Gibert nous fournit encore un bjel exemple 
de cette variété dans les dénominations des 
fiffores ; il apèle métaphore (i) ce que Quîn- 
tiïien (3) et les autres noment ar^tonomase. 



Metâthesis ^ ( apud Rhëtores ) est figura quœ mîttît 
âpimoâ jùdicum in res preetërilas a ut futiiras y hoc 
modo : Revocâte mentes ad spectâculum expugnàtœ 
miseras civitàtis y etc. : in futiirum autem est antîci- 
pàtio eiSrum quœ dictiirus est adversàrius. 

Idem» 1. 2 y c* 21. 

(i) M. Gibert a suivi en ce point la division d'Ans- 
tote ; il ne s'est ëcartë de ce philosophe que dans les 
exemples* Voici les paroles d'Aristote dans sa poê-« 
tique y c. xxi y et selon M. Dacier y c. xxii. Je me 
servirai de la traduction de M* Dacier. 

(C La métaphore^ dit Aristote , est un transport 
M d'un nom qu'on tire de sa signification ordinaire» 
» Il y a quatre sortes de mëtapLores : celle du genre 
]» à l'espèce , celle de l'espèce au genre , celle de l'es- 
» pèce à l'espèce , et celle qui est fondée sur l'analogie* 
» J'apèle métaphore du genre à l'espèce , corne ce 
» vers d'Homère : 

Mon vaisseau t'est arété loin de la ville dans le port. 

j> Car le mot s'arêter est un terme gënërique , et il l'a 
)) apliquë à l'espèce pour dire être dans le port. » 

Yoici la remarque que M. Dacier fait ensuite sur 
ces paroles d'Aristote : « Quelques anciens y dit-il , 
» ont condânë Àristote de ce qu'il a mis sous le nom 
i> de métaphore les deux premières qui ne sont pro- 
1) prement que des sjrnecdoques ; mais Àristote parle 
j) en gënëraly et il ëcrivoit dans un tems où l'on n'a voit 
N pas encore rafinë sur les figures pour les distinguer, 
» et pour leur doner à chacune le nom qui en auroit 
i> mieux explique la nature. » 

Dacier y poétique d'Aristote , page 545. 

(2) A'yTovo/^rtfl-ict quœ âliquid pro nomîne ponit, poëtîs 
frequentissima... Oratéribus ëliam si rarus ejus rei , 



IpO OE tJ V R E s 

Rhctor. « Il y û , dit M. Gibert , quatre espèces de 
p. 555. » métaphores : la première emprunte le nom 
» du genre pour le doner à Tespèce , corne 
D quand on dit , Vorateiir pour Ùicéron , ou 
» le philosophe pour Aristote ». Ce sont^là 
cependant les exemples ordinaires que les rhé- 
teurs' douent de l'antonomase : mais ^ aprèi 
tout ,1e nom ne fait rien à la chose; le principal 
est de remarquer que Texpression est figurée^ 
et en quoi elle esÇ hgurée. 



non nuUus tamen usus est: nam ut Tycl{den et PelUen 
non dfxerint , ità dix^runt eversérem Carthâginis et 
^umàntîœ pro Scipiône ; etromânœ eloquëntiae prio- 
cipem pro Cicerône posuisse non dùbitant. 

QuiKT* Insu Orau L Tiix > c* 6* 



DE DU MAnSAlS. iQt 



X X I I I. 

Que Vusage et Vabus des tropes sont de tous 
les tems et de toutes les langues. 

Une même cause dans les mêmes circons- 
tances produit des éfets semblables. Dans tous 
les tems et dans tous les lieux où il y a eu des 
hofiaes, ily a eu de l'imagination , des passions , 
des idées accessoires , et par conséquent des 
tropes. 

11 y a eu des tropes dans la langue des Chai- 
déens , dans celle des Egyptiens , dans celle 
des Grecs et dans celle des Latins : on en fait 
usage aujourd'hui parmi les peuples même les 
plus baroares, parce qu'en un mot ces peuples 
sont des homes , ils opt de l'imagination et des 
idées accessoires. 

Il est vrai que telle expression figurée en par- 
ticulier n'a pas été en usage par-tout ; mais 
par-tout il y a eu des expressions figurées. 
Quoique la nature soit uniforme dans le fonds 
des choses , il y a une variété infinie dans Texé*- 
cution, dans Taplication, dans les circonstances^ 
dans les manières. 

Ainsi nous nous servons de tropes , non parce 
que les anciens s'en sont servis ^ mais parce que 
nous somes homes come eux. 

Il est dificile , en parlant et en écrivant , 
d'aporter toujours Tatention et le discernement 
nécessaires pour rejeter les idées accessoires 
qui ne conviènent point au sujet , aux circons- 
tances et aux idées principales que Ton met 
«n œuvre : de là il est arrive dans tous les tems^ 



lf)3 OE U V R E S 

que les écrivains se soaL quelquefois servis d'ex- 
pressions figurées qui ne doivent pas être prises 
pour modèles. 

Les règles ne doivent point être faites 3ur 
Touvrage d'aucun particulier; elles doivent être 
puisées dans le bons sens et dans la nature ; et 
alors quiconque s'en éloigne ne doit point être 
imité en ce point. Si Ton veut former le goût 
des jeunes gens , on doit leur faire remarquer 
les défauts , aussi bien que les beautés des 
auteurs qu'on leur fait lire. Il est plus facile 
d'admirer, j'en conviens; mais une critique 
isage , éclairée , exemte de passion et de fana- 
tisme , est bien plus utile. 

Ainsi Ton peut dire que chaque siècle a pu 

avoir st's cv'iliqxiesetsondictiOnairenéologique. 

Si quelques persones disent aujourd'hui avec 

Diction, raison ou sans fondement , qu il règne dans 

ncoiogique. ^^ langage une afectatlon puérile; que le stjk 

frii^ole et recherché passe jusqu^auoc tribunaux 

les plus graves ; Cicéron a fait la même plainte 

Orat. n. de SOU teius : Estenirh quoddamétiam insigne 

g6 , âutcr. ^^ florens orationis , pictum , et expolitwK 

XXVII. ^ . L ' 

genus , in quo omnes "verborum , omnes seu" 

tentidrum illifi^^dntur lepôres. Hoc totum è 

sophistdrtimfôntibus dejlùocit in forum , etc. 

« Au plus beau siècle de Rome , c'est-à-dire, 

;) au siècle de Jules César et d'Auguste , un 

LcP.Sana- » auteur a dit infantes statuas , pour dire des 

cHior^t^iT ^' statues nouvèlement faites : un autre , que 

p. «54. ' » Jupiter crachoii la nège sur les Alpes ». 

!.. 2 ,Sat. 5, Jupiter hibernas canâ nîve c6nspuit Alpes. 

V. 40. 

Horace se moque de l'un et de l'autre de ces 
auteurs ; mais il n'a pas été exemt lui-même 

des 



làes fautes qu'il a reprochées à ses contempo- 
rtiîtis. Il né reste à la plupart des comentateurs ^jj- ^^^ 
(T autre liberté que pour louer ^ pour admirer , pgg, 'xj^, 
pouradorèç; ihais ceux qui font Jusa^e de leurs 
lumières , et qui ne se conduisent point par une i«i- pag- ^ 
prévention , aveugle , désaprouçenC certains 
"vers Ijriques dont lu cadence n'est point 
assezchdtiée. Ce sont les termesdu P.Sanadon : 
J*ai relayé en plusieurs endroits , poursuit-il ^ ibîd. 
des pensées ^ des sentimens ^ des toufs (^ déà 
expressions qui m ont paru répréhtBnsibiçs. 

Quintilien , après avoir repris dans les anciens inst. a 
quelques métaphores défectueuses^ dit x(ué^'"^ ^ *^- 
Cêûic qui sont instruits du boH et dû mauvais^ ^.q™^^'' 
uSage des figures, ne trou verontq^ue trop d'e^em* 
j)Ies à reprendre : Quorum exempta nirnïùrn^ 
fréquenter reprehendeî j qui scivCrit hœc 
h)itia esse* \ \* 

Au reste , les fautes qui regardent les. Wfiots 
, lie sont pas celles que Ton doit remarquer avec 
le plus de soin : il est bien plus utile d observer 
celles qui pèchent contre la conduite, contre 
la justesse du raisonement , contre la probité , 
la droiture et les bones mœurs. Il seroit à sour 
liaiter que les exemples de ces dernières sortes 
de fautes fussent môinS rares , pu plutôt qu'ils 
fussent inconus* 



Tome III. N 



194 ÔE V V R JC 9 

piij„iii i „, ,. j, ».,i. lu. I l ,11. 11 1 . i i, qgagBBe:aBga 

DES T R O P E S- 

TROISIÈME PARTIE, 



Des cuitres sens dans lesquels un même moi 
péujt être employé dans le discours. 

\JuTRE les tropes-dont nous relions de parler, 
et dont, les grammairiens et les rhéteurs traitent 
ordinairement , il y a encore d'autres sens dans 
lesquels les mots peuvent être employés, etcd 
sens sont la plupart autant d'autres diférentes 
sortes de tropes : il me paroît au'il est très- 
utile de les conoîtrç pour mettre ae Tordre dans 
les pensées, pour rendre raison du discours^ 
et pour bien entendre les auteurs. C'est ce qui 
Va faire la matière de cette troisiènâe partie* 



.M 

b fe bu *t A R s À t s; . 193 



Substantifs pris adjectwement , adjectifs pris 
substantivement > substantifs et adjeètifs 
pris adverbialement. 

VJ N nom Substantif se priend quelquefois ad- 
jectivement , c^est-à-dire , dans le sens d'ua 
atribut ; par exemple : un père est toujours 
père , cela veut dire qu^un père est toujours 
tendre pour ses enfans,etque, malgré les mai;- 
Vais procédés , il a toujours des sentimens dé 
père à leur égard ; alors ces subsantifs se cons- 
truisent comme de véritables adjectifs. « Dieu 
» est notre ressource , notre lumière , notre 
» vie , notre soutien j. notre tout. L'fiome n'est 
>) qu'un néant. Etes- vous prince ? Etes-vou^ 
» roi ? Etes-vous avocat ? » Alors prince , roi^ 
'avocat y sont adjectifs. 

Cette remarque sert à décider la quëstioit 
que font les grammairiens , savoir si ces mots 
roi y reine y père y mère y elC4 sont substantifs 
bu adjectifs : ils sont l'un et l^autre , suivant 
l'usage qu'on en fait. Quand ils sont le sujet dé 
ïa proposition , ils isotit pris substantivement; 
quand ils sont l'atribut de la proposition > ils 
sont pris adjectivement. Quand je dis le roi 
aime le peuple , ta reine a de la piété : roi , 
reine , sont des substantifs qui marquent un 
tel roi et une telle reine en particulier ; ou ^ 
come parlent les philosophes , ces mots rnar- 
quent alors un iadividu qui est le rôi : mais 



1 



ig^ ŒUVRER 

quand je dis que Louis XP^ est roi , roi est , 
pris alors adjectivement ; je dis de Louis qu'il 
est revêtu de la puissance royale. 

Il y a quelques noms substantifs latins qui 
sont quelquefois pris adjectivement , par méto- 
nymie , par synecdoque ou par antonomase* 
oceluSf crime , se dit d'un scélérat , d'un home 
qui est, pour ainsi dire, le crime même : Scelus 
Ter, And. quemnam hic laudat ? Le scélérat, de qui [^ 
•**^^'**^*^'parle-t-il ? Ubi illic est scelus qui me pér* 
îb. act. didit ? Où est ce scélérat qui m'a perdu? où 
3 ,ïc.5,v. i. vous voyez que scelus se construit avec illic (f& 
• est un masculin ; car , selon les anciens gram- 
mairiens , on disoit autrefois illic , illœc , illuc, 
au lieu de ille , illa , illud : la construction se 
fait alors selon le sens , c''est-à-dire,parraport 
à la persone dont on parle , et non selon le mol 
qui est neutre. 

Carcer, prison , se dit aussi par métonymie , 
TerPhorm.de celui qui mérite la prison. Ainf tandem, 
^^'^^]^^'^' caj-cer? ()yLe dis-tu malheureux? C'est peut- 
être dans le même sens qu^Enée , dans Vircile , 
garlant des Grecs à l'pcasion de la fourberie de 
inon , dit , et crimine ab uno dises omnes* 
Bn. 2 , V. Ce que nous ne saurions rendre en françois ea 
*^* - conservant le même tour , un seul fourbe , une 
seule de leurs fourberies , vous fera conottre 
le caractère de tous les Grecs. Térence a dit 
Thorm. unum cognôris , omries nôris. 
acu 2,8c. I, iVba:a,^, estunsubstantif ,qui , dans lesens 
propre , signifie faute , peine , domage : de 
nocére. Il est dit dans les instituts de Justinien, 
que ce mot se prend aussi pour l'esclave même 
instit.1.4, qui a fait le domage. Noxa autem est ipsum 
tit. 8,^.1. çQypn^ quod nôcuit , id est serfuts ( nôùcîus» ) 



I 



DE D V M A K S A I S.* 197 

Ce mot n'est pourtant pas d'un usage ordinaire 
en ce sens dans la langue laline. 

Un adjectif se prend aussi quelquefois subs- 
tantivement ; c'est-à-dire , qu'un mot qui est 
ordinairement atribut , est quelquefois sujet 
dans un^ proposition : ce qui ne peut ariveP 
que parce qu'il y a alors quelqu'autre nom sous- 
cntendu qui est dans l'esprit ; par exemple ; ie 
'Vrai persuade , c'est-à-dire , ce qui est vrai , 
Vétre vrai , ou la vérité. Le tout puissant njeri'- 

fera les foibles qiCon oprimé y c'est-à-dire , 
Heu , qui est tout puissant , vengera les homes 
foibles. 

Nous avons vu dans les préliminaires de la 
syntaxe, queTadverbeest un mot qui renferme 
la préposition et le nom qui la détermine. La 
préposition marque une circonstance générale, 
qui est ensuite déterminée par le nom qui suit 
la préposition selon l'ordre des idées : or l'ad- 
verbe renfermant la préposition et le nom , il 
marque une circonstance particulière du sujet 
ou cle l'atribut de la proposition : sapienter , 
avec sagesse, avec jugement ; sœpc , souvent, 
en plusieurs ocasions ; ubi , où , en quel lieu , 
en quel endroit ; ibi , là , en cet endroit là. 

Ily a quelques noms substantifs qui sont pris 
adverbialement, c'est-à-dire, qu'ils n'enlrent_ 
dans une proposition que pour marquer une 
circonstance du sujet ou de l'atribut, en vertu 
de quelque préposition sous - entendue ; par 
exemple : domi , à la maison ^ au lieu de la 
demeure, f^idet nùptias domi apparari , elle '^^'*- And. 
voit qu'on se prépare chez nous à la noce ; ^^'3^'**^'*' 
domi marque la circonstance du lieu où Torv 
se préparoifc à la noce : on sous-entend , în 

N 3 



198 OB U V E E s 

cedibus domi , dans les apartemens de la mai^ 

son , de la demeure ; ou bien in dliquo locà 

riautc,Ca-rfow/. PUute a exprimé œdes ; omnes domi 

^^^^^^l^^\' porœdes , de chambre en chambre , d'aparté* 

ment en apartement. 

Quand domi est oposé à belli o\x militiœ^ 

cic, de Of- on sous-entend in rébus ; Cicéron l'a exprimé , 

85 * âiitVr fjuibuscumque rébus "vel belli , vel domi ; 

XXIV. alors domi se prend pour la patrie ^ la "ville p 

el, selon notre manière de parler, pour lapaiXf 

le tems de la paiac. Nous avons parlé ailleurs 

de cçs sortes d'ellipses, 

Oppidb se prend aussi adverbialement, corae 

]pasc 54. nous l'avons remarqué plus havit. Quand on sait 

une fois la raison des terminaisons de ces motSj^ 

on peut se contenter de dire que ce sont des 

substantifs pris adverbialement. 

Les adjectifs se prènent aussi fort souvent; 
• adverbialement , come je l'ai remarqué en 
parlant des adverbes ; par exemple : parler 
haut , parler bas , parler grec et latin , grœcè 
fit latine loqui : penser juste , sentir bon , 
sentir niauvjais , marcher vite , voir clair ^ 
f râper fort y etc. 

Ces adjectifs sont alors au neutre , et c'est 

virg. Ec. une imjtàtion des Latins : Transyersa tuénti- 

^' ^' ^* bus hircis ; hircis tuéntibus ad negotiatrans- 

"vérsa. Recens e§t très - usité dans les bons 

auteurs , au lieu de recénter , qui ne se trouve 

que dans les auteurs de la moyène latinité ^ 

virg.Gcor. Sole rcccus ortQ. : Pùerum recens natum 

^'^'?\ztt ^^^^^^^^' Dans' ces ocasions , il faut sous- 

çistci 1, â, entendre la préposition ad, ou fuxta , ou in; 

^^« juocta recens negôtium , ou ternpus , come nous 

disons , à lafrançoise , à la mode , à la rer^r. 



DE DV lCA1i5Al8. I99 

verse , à Vimproi^iste ^ à la traverse , etc. 
Horace a dit ad plénum pour plené , pleine- 
ment , abondament , à plein : mandbit adh.i.od.i 
plénum. On trouve ausisi in pour ad ; lœtus in "^r. 1. 3 
prcesens animas : Jactis in altum môlibus *• 25^ * ' 

«Hor.l. 
£xit in immënsum fœciinda lîcëntia yatum. ** Odci,v.3. 

Ainsi quand Saluste a dit , mons iniménsum Eicg. 12 ," 
édituSf^^^ il faut sous-en tendre /n; et avec ces 41. 
adjectifs on sous-entend un mot. générique , ^^**|^^' 
negotium x spàtiumy tempus y œvuiti , etc. 



N4 



'300 O» U V 11 E S 

■ ■• ...■■■ , ■ ^ 

Sens déterminé , Sens indéterminé. 

.v^HAQUE mot a une certaine signification 
dans le^ discours ; autrement il ne signifieroit ' 
rien : mais ce sens , quoique déterminé , ne 
marque pas toujours précisément un tel indi- 
vidu , un tel particulier : ainsi on apèle sens 
indéterminé ou indéfini , celui qui marque une 
idée vague , une pensée générale , qu'on ne 
fait point tomber sur un objet particulier; par» 
exemple : on croit , on dit ; ces termes ne dé- 
signent persone en particulier qui croie ou qui 
dise : c'est le sens indéterminé , c'est-à*-dire , 
que ces mots ne marquent point un tel parti- 
culier de qui Ton dise qv\ il croit , ou qu il dit. 
Au contraire , le sens déterminé tombe sur 
un objet particulier ; il désigne une ou plusieurs 
persones , une ou plusieurs choses , come , les 
Cartésiens croient que les animaux sont des 
L. 2 ,n. 84. machines : Cicéron dit dans ses ofices que la 
liter xxjv. Iq^qJ-qI ç^i; Iq iicj^ de la société. 

On peut raporter ici le sens étendu et le sens 
étroit. 11 y a bien des propositions qui sont 
vraies dans un sens étendu , latè , et fausses 
lorsque les mots en sont pris à la rigueur, 
Stricte : nous en douerons des exemples en 
parlant du sens litéral. 



DE DU MARSAIS. :30l 



I I L 

Sens actif , Sens passif , Sens neutre. 

^^ CTI F vient de dgere , -pousser yagir ^ faire. 
Un mot est pris dans un sens actif, quand il 
marcjue que l'objet qu'il exprime , ou dont il 
est dit ^ fait une action, ou qu'il a un sentiment , 
une sensation. 

11 faut remarquer qu'il y a des actions et des 
sentimens qui passent^ur un objet qui en est le 
.terme. Les philosophes apèlenty^a^/e/z^, ce qui 
reçoit l'action d'un autre ; ce qui est le terme 
ou l'objet du sentimen td'un autre. Ainsiy^/zf^'a/i^ 
neveutpasdireiciceluiquiressentdeladouleur^ 
mais ce qui est le terme d'une action ou d'un 
sentiment. Pierre bat Paul ; bat est pris dans 
un sens actif, puisqu'il marque une action que 
je dis que Pierre fait , et cette action a Paul 
pour objet ou pour patient. Le roi aime le 
peuple ; aime est aussi un sens actif, et le 
peuple est le terme ou l'objet de ce sentiment. 

Un mot est pris dans un sens passif, quand 
il marque que le sujet de la proposition , ou ce 
dont on parle , est le terme ou le patient de 
l'action d^un autre. Paul est batu par Pierre ; 
batu est un terme passif : je juge de Paul qu'il 
est le terme de l'action de batre. 

Je ne suis point bâtant , de peur d'être batu. • Mol 

Cocu : 

Jiatant est actif, el-batu est passff. **^- ^^^ 

Il y a des mtots qui marquent de simples 



fO!! OE u.y n £. S 

propriétés ou manières d'être , de simples sî^ 
tuations ^ et même des actions ^ mais qui n'ont 
point de patient ou d'objet qui en soit le terme j 
c'est ce qu'on apèle le sens neutre. Neutre veut 
dire ni lun ni l'autre , c'est-à-^lire , ni actif ni 
passif. Un verbe qui ne marque ni action qui 
ait un patient , ni une passion , c'est-à-dire, 
qui ne marque pas que l'objet dont oh parb 
soit le terme d'une action ; ce verbe > dis-je ,, 
n'est ni actif ^ ni passif ; et par conséquent il ^ 
apelé neutre. 

jimàre , aimer , chérir ; diligere , avoir de^ 
l'amitié , de l'afection , sont des verbes actifs* 
Amàri , être aimé , être chéri j diligi , être celui 
pour qui l'on a de l'amitié , sont des verbest 
passifs ; mais sedére, être assis , est un verbe 
neutre ; ardére ,^ être alumé , être ardent ^ «si; 
aussi un verbe neutre^ 

Souvent les verbes actifs se ptènent dans ufi 
sens neutre , et quelquefois les verbes neutres 
se prènent dans un sens actif : écrire unB^ 
lettre, est un sens actif} mais quand on de- 
mande , que fait monsieur? Qt qu^<>n répond^ 
il écrit y il dort , il chante , // danse ^ tous cess 
verbes là sont pris alors dans un sens neutrOii 

irg. -En. Quand Virgile dit que Turnus entra dans un 

^^'^' emportement que rien ne put apaiser , impla-^ 
cdbilis ardet ; ardet est alors un verbe neutre \ 
mais quand le même poète j. pour dire que 
Coridon aimoit Alexis éperdument ^ se sert de 

' 2, V. I. cette expression , Côridon ardébai Alea:ixt\y 
alors ardébat est pris dans un sens actif, quoi- 
qu'on puisse dire aussi ardébat y^auroi Atéocln „ 

. ^ brûloit pour Alexis. \ 

. Hequiéscerc , se yeposer ^ être oisif ^ être ea 



DE DU MÀRSAIS. fioS 

repos, est un verbe neutre. Virgile Ta pri^ 
àans un senâ<açtif ^ loraqu'il a dit : 

Et nlutàta suos requiërunt fliimîna cursas : Ed. 8,v. 

J^es fleuves changés , c'est-à-dire , contre leur , 
usage 9 centre leur nature, arêtèrent le courts 
de leurs eaux , retinuéri^nf suo^ curlsus* 

Simon , dans l'Andriéne , rapèle à Sosie les 
bienfaits dont il Ta comblé : « Me remettre 
» ainsi vos bienfaits devant les veuiç , lui dit 
)) Sosie» c'est me reprocller que je les ai oubliés >>• 
I^ùœc commemor4tio , qiiasi ejcprobnUîQ est Ter. Ai 
imménuaris bencficiU, Les interprètes , d'acord ^^^^7' ^ 
entre eux pour le fonds de la pensée , ne le 
sont pas pour le sens d^ iminémoris : se doit-il 
prendre aans un sens actif , ou dans un sen^ 
passif? Madame Dacierdit que c^ npcxt peut 
être expliqué des deux manières : eocprobrdtio 
piei immémoris , et alops; immémoris est actif ; 
pu bien , eacprohrdUo beneficii i^tmémoris ^ 1<9 
l*ep roche d un fait ouUié ; et alpirs immémoris. 
est passif. Selon cette explication ^ quand imr 
piemor veut dire celidi qui oublie , il est pris 
dans un sens actif ; au lieu, que quand il signifia 
ce qui est oublié y il est daris un sens passif ^ 
du moins par raport à notçemanièrede traduiront 

Mais ne pourroitK>n pas ajout<?F qu'en latûi 
immemoryeut dire soii\entquil n^esù pas de^ 
meure dans la mémoire ? Tacite a dit , «w* 
mem^r hejiefîcium, y un bienfait qui n'est pas 
demeuré da,ns la mémoire ^ ou > selon notre 
manière de parler ^ un bienfait oublié. Horace Honce 
a dit memor nota , une marque qui dure long- 1 » Od. i 
temps , qui fait ressouvenir. Virgile a dit dans ^n, t 
Jç même sens memor iixi ^ une colère q[ui de'^v.4. 



304 OB tJ V R E S 

meure long-tems dans le cœur ; ainsi immémo^ 
ris seroit dans un sens neutre en hitin. 

Que fait monsieur ? // joue : jouer est wis 
alors dans un sens neutre ; mais quand on ditj 
il joue gros jeu ; il joue est pris dans un sens 
actif , et gros jeu est le régime de il foue. 

Danserest un verbe neutre ; mais lorsqu'on 
dit , danser une courante^ danser un menuet; 
danserest alors un verbe actif. 

Les Latins ont fait le même usa^e de saltàrey 
qui répond à danser, Saluste a dit de Sempro- 
nia , qu'elle savoit mieux chanter -et danser 
Sallu»t. Ca- qu'une honnête femme ne doit le savoir , psàlr 
^' tere et saltàre elegdntius , quam necésse est 

probœ : (supple) docta eral %oLri psdliere et 
saltdre ; sattdre est pris alors dans un sens 
Hor. i. I , neutre : mais lorsqu'Horace a dit saltàre 
Sat.5,v.63. Cyclôpa , danser le Cyclope ; saltdre est pris 
Remarq. alors dans un sens actif. « Les Grecs et les 
Ibîd. „ Latins , dit monsieur Dacier , on dit danser 

» le Çrclope , danser trlaucus j danser Ga^ 
» nymède , Léda , Europe , etc., c'est-à-dire , 
» représenter en dansant les aventures du Cy- 
» clope , de Glaucus, etc. » 
Kor. 1. « , Le même poète a dit Fusius ébrius Ilionam 
Sat.3,v.63. edôrmit , le comédien Fusius , en représentant 
Ilione endormie, s'endort lui-même comc un 
* Ter. ho™6 yvre qui cuve son vin. Térence a dit* 
Adei.act.5, edormiscam hoc ajilli , je cuverai mon vin : et 
'%Vp{ "' Fl^ute*^ edormiscam hanccrdpulam , et dans 
Hud. aa.^2, l'Amphitryon il a dit , *** edormiscat unum 
»e. 7, V. 28. somnum , corne nous disons dormir un somme* 
****^-^^P- Vous voyez que dans ces exemples , edormire 
V *' ' ^' ' et edormiscere se prènent dans un sens actif. 
Cette remarque sert à expliquer ces façons 



i 



DE DU MARSAIS. J3o3 

de parler, itur^ favétur ^ etc. j ces verbes 
neutres se prènent alors en latin dans un sens 
passif , et marquent que l'action qu'ils signi- 
fient est faite j iter itur y l'action d aler se fait. 
Vojez ce que nous en avons dit dans la syntaxe : 
l'action que le verbe signifie sert alors de nomi- 
natif au verbe même , selon la remarque des 
anciens grammairiens (i). 



(i) Ut cûrritur à me y pro curro ; vel statur à te , 
pro stas : sed^iur ab iUo y {Aïo sedet iUe : in eîs potest 
ipsa res intëliigi vosce pasâiyâ j ut cûrritur cursus , 
hellàtur hélium. 

Priscianus , lib, xyn , c. de Pronôminum 
Constructiàne.. 

Et Vossius s^ exprime en ces termes : Verba accusa- 
Uvam habent suœ orfginis velcognàtœ significatiônis : 
priôris gëneris apud Terëntium est lùdere ludum. 
JSun. act 5 ) se. 5 , v. 5^. Apud Mar6uem fùrere 
furôrem yiEn. L 12, y. too« Donàtus ArchaisA\uiu 
yocat) mallem Atticismum dixisset.^.quia sic lociitos 
constat^ non eos modo qui dësita et obsolëta amant ^ 
6ed optimos quosque ôptimi œyi scriptùres y etc. 
Vossius ^e Constructiiae ^ pag. 4og« 



Soé CE i; V it E ô 

- - ... ■ ■ - . i i~ 

, . h. ■ ■ ■ ■ I . ■ I * >jt ■ I ■ . ■ ■ . I I I II 

I V. 
Sens absolu, Sei^s relatif. 

U N mot est pris darvs. un send absolu , lorsqu'à 
exprime une chose consiclérée en elle-même 
sans aucun raport à une autre. Absolu vient 
d'absoiùtus y qui veut dire achevé y fiKroibpKj 
qui ne demande ffen davantage; par ex6ttipié| 
quand je dis que le soleil est luminéuéc , cèttÉ 
expression est dans un sens absolu ; celui à qui 
je parle n'atend rien de plus, pa* raport ao 
^ens de cette phrase. 

Mais si je aisois que le soleil est plus grwid 
que la terre , alors je Gonsidérerois le aoleil paf 
raport à la terre , ce derort un scfns réfartif oïl 
respectif. Lé sens relatif bu respectif est donc 
lorsqu'on parle d'une chose par raport à quei^ 
qu^autre : c'est pour cela que ce sens s'apèlt 
siMSsi respectif ^ du latin respicere , regaraer j 
parce que la chose dont on parle , en regarde^ 
pour ainsi dire , une autre \ elle en rapèld 
ridée , elle y a du raport ,^lle s'y raporte : de 
là vient relatif ^ de referre raporter. Il y a des 
mots relatifs , tels que père, fîs^ époux ^ eid} 
nous en avons parlé ailleurs. 



DE DU K A R S A t S. ^Of 

V. 

Sens collectif , Sens distributif. 

£Ollectif vient du latin colligere , qui veul 
î, recueillir y assembler. D istribut if y lent 
4e diitribuere , qui veut dire distribuer , par-^ 
iager. 
: j6a femme aime à parler : cela est vrai en 

Sarlant des femmes en général \ ainsi le mot 
fi feinme est pris là dans un sens collectifs 
mais la proposition ost fausse dan^ le sens dis^ 
^ributîf, c'est-à-dire, que cela n'est point vrai 
de chaque femme en particulier* 

1/ homme est sujet à la mort ; cela est vrai 
d^ns le sens collectif et dans le sens distri^-r 
fcutif. 

"Au lieu de dire le sens coUef^tif et le sens 
i^strihutify on dit aussi le sens général et le 
^ens particulier. 

Il y a des mots qui sont collectifs, c'est-à- 
4ire, dont Tidée représ^ente un tout en. tant 
que composé de parties actuèlemeot séparées ^ 
et qui forment autant d'unités ou d'iiûlividus 
particuliers ; tels que spnt armée^^ répubii(]ue ^ 
régiment* 



V 



:«.o .;r. L" v R E S 



V I. 

î - ;^ V : V ;i r z , Sens louche. 

I ".' - ni«H/? '^t Jr?s propositions éqni* 
>. L .: "^.01 ^îîî: ï^^uivoque lorsqu'il signi- 
>i ; icïos •ii.'fr^^îitcs , corne chcûur^ as- 
i-urs persones qui chantent; 
:!Ltrr!eurc flt^s animaux; auté^ 
* ■ •« "'.lit des sacrirîces aux dieux; 
iiiaison. Ces inct5 sont équi- 
> iais îapro-.onc^ation, Lim^ 
T'.i. : L:*^rt^ *^om d'une consld- 
::t* :^'L-c_^ : l^ycn. ^ nom d'une 
•' * ir rruir : tv';- , angle , en- 
.''^— .:'v ■'. îvec «^u»?: Ton marque 
» r-< Titj-:.! Le? : coin ^ inslro- 
■..r. i;: joLs : lo//i c^tencore 



■>»i!*t;i 



...-.: 7 riiicrace, parlant i u 
; . r V- • -T-e y'^i dans niA la 

>r* * r-!-- : :ù ^ous voyez que ii 
:■».: .'-iT^r^r, /c//o/7JC; cl|«] 

-*.--? . 1-r c.: , la langue que 

- i*, Croient, on doit totf- 

. 1 " > ' f m V me sens qu on 

. . ^-c:t:;t en ne raîsoneroil 

- . .: ^-^ suroît ne dire quuné 

..V cr..r.>e> diierentes icaFf 

• • ^ i-:^/« >quc5 se ressemblent 

i. -.^ j:^:-^: pourtant des idées 

diférenles; 



DE DUMARSAIS. 20g 

diférentes; ce qui est vrai de Furie nest donc 
pas toujours vrai de l'autre. 

Une proposition est équivoque ,' quand le 
sujet où Fatribut présente deux sens à l'esprit, 
ou quand il y a quelque terme qui peut se ra-^ 
porter ou à ce qui précède, ou â ce qui suit; 
c'est ce qu'il faut éviter avec soin, afin de s'a- 
coutumer à des idées précises. 

Il y a des mots qui ont- une construction 
louche, c'est lorsqu'un mot paroit d'abord se 
reporter à ce qui précède, et que cependant 
Q 6e ra porte à ce qui suit. Par exemple, dans 
cette cnanson si conue, d'un de nos meilleurs 
opéra , 

Tu sais charmer , . 

Tu sais désarmer , . 

Le Dieu de la gaerre 3 ^ 

Le Dieu du tonerre 

Se laisse enflamer. 

!!#e. dieu du tonerre parott d^abord être le 
erme de l'action de charmer et de désarmer^ 
ussi bien crue le dieu de la guerre ; cepen- 
tant y quand on continue à lire , on roit aisé- 
Oient que le dieu du tonerre est le nominatif 
»u le sujet de se laissç enflamer. 

Toute construction ambiguë, qui pçut. si*» 
miifier deux choses en même tems, ou avoir 
leux raports diférens, est apelée équivoque ou 
huche^ Louche est une sorte d équivoque^ 
touvent iPacile â démêler. Louche est ici un 
terme métaphorique ; car-, come les persones 
louches paroissent regarder d'un côté pendant 
^felles! regardent d'un autre p de même dans 
Tome IIL O 



IL 
HT 



£r 




r jT-^ic^v^ on -*^ 




t>E t>tj MARSAfS* ait 

tu }oInt par une conjonctÎDn : cette sorte de 
cSoDStruction n'est pas régulière , et fait soû- 
lant des équivoques; par exemple: 

Ij^^iimçur n'est quVp pl^iisîr , jet Vhon^ur un deyoiré Prem. éàiu 

Li'académie ^ a remarqué que Corneille de*^ m , se 6. ' 

^bît dire : • -> '^ Sentiment 

•^\ : ' de Tacad. 

tlifthour n'^est qu'un plaisir , llioneiir est un deVoîr. ^^'^ ^* ^^^• 

lia éfet, ces inots> nest auej du premier 
n^embre^ miarquent une négation ; ainsi ils 
Mi: peuvent pas.se construire encore avec z//i 
«Ippair^ qui est dans un sens affirroatif au scv 
5Ônd. membre : autrement y il semblerait que 
^rpeille^ cpntre 'sori intentioa^ eût touIu 
Oj^épriaer égalenient rameui* et Thoneur* 
'âX^n ne sauroi t «porter trop. d'atentioa pour 
ffliter tous ces défauts : on ne doit écrire que 
felMrse faire entendre ; la néteté ^t la précision 
ibut la fin et le fondement de Vsml de parler et 
décrire. \ ■- \ :.: - ■ ■ '.: • 



■V ' 

n .. . 



O it 



: '.'t:? ;ui .le cons: 
V .^ MIS mie allu 

- . «ui 'ïu j irenl 
. ^^tuii aue .-c oin 

- «ll't* r -'«■'> le 
»l 4(.MU :-ï> ■2- 

: :.-.*:t t. . . . f^ a 









m-f '.d 



D E DU M A R S'A I S. 2lZ 

J'observerai à cette ocasion deux autres fi- 
gures qui ont du raport à celle dont nous ve- 
xions de parler : Tune s'apèle similiter cadens ; 
«'est quand les diférens membres ou incises 
k3*une période finissent par des cas ou des tems 
<3ont la terminaison est semblable : l'autre s'a- 
pèle similiter désinens , c'est lorsque les motS: 
' i finissent les cîférens membres ou incises 



rùne période ont la même terminaison , mais 

iâ^e terminaison qui n^est point une désinence 

^é cas, de remsr, bu de persone, cotne quand ôii 

4it ^Jticerefôrtiier, etviçeretùrpiter. Ces deux 

icrnières 'figures sont proprement la même ; oa 

éd" trouve' un ^rand nomoré d'exemples dans 

S*." Augustin. On doit éviter les jeux deinots* 

oui sont vides de sens ; mai^ quand le sens 

Mibsiste indépendament du jeu de mots^ ils 

ké perdent rie» de leur mérite. 



"i --a ^ 'i: 



05 



21-^ liE V V U £ S 

■ • I l I I it • ■ ■ 

VIII. 
Sens composé. Sens Divisi. 



O. 



UAND TEvangîîe dit, les aveugles voient^, 
Mi:î. c. les boiteujc marchent y ces tevmes^les a%*cugle5\^ 

"' -' les boiteujc se prènent en cette oca$|oa^^af, 
le sensdîvisê» c^est-à-dlre, que ce mQt^af^ç£ig/ex^ 
se dit là de ceux qui éioient aveuglés , et qu^ 
ne le sont plus : ils sont divisés , pour aioft 
dire, de leur avei^Iement^ car les aveu^jes^;^ 
en tant qu'aveugles ,.ce qui serôU; le sensçomt 
posé , ne voient pas. 

L*EvangiIe parle d'un ccrb^In «^ij7zç/i,apeM 

:î. 26 , le lépreujc , parce qu'il ravoil été j^ c'est le sens 
divisé. 

Ainsi, quand S. Paul a dît que les idolâtres 

Cor. c. n'entreront pas dans le royaume des cieux , il a 

• s- parlé des idolâtres dans le sens composé, c'est- 
à -dire, de ceux qui demeureront dans l'idolâ- 
trie. Les idolâtres, en tant qu'idolâtres, n'en- 
treront pas dans le fbyâùméTles cieux ; c'est le 
sens composé : mais les idolâtres qui auront 
quité Tidolâtrie . et qui auront fait pénitence» 
entreront dans le royaume des cieux; c'est le 
sens divisé. 

Apelle ayant exposé , selon sa coutume , un 
tableau a la critique du public, un cordonier 
ci^nsura la chaussure d'une figure de ce tableau. 
A polie réforma ce que le cordonier avoit blâ- 
nu»; mais le lendemain, le cordonier ayant 
trouvé à redire a une jambe ^ Apelle lui dit 



DE DU M^ A; R^ a A I S. ai5 ' 

su'un cordonier ne devoit juger que de la 
Siaussure; d'ouest venu le prpverbe, ne sutor 
ultra crépidain ; supple. jùdicet. 

La récusation qu'Apelle^fit de ce cordonier, 
îtoitpluspiquantequeraisonable: un cordonier, 
;n tarntqite<:0ïd!oniec,ne'doU jiuaerquedercequi. 
2St de son métier j mais , si ce cordonier a d'à u très 
.umières j il ne doit point^être récusé , par j^ela' 
leul mi'îPèst cordohi«r. Eh tiiritq,ue corcBomter,. 
ze qw est le sens composé , il' juge si un soùKer ' 
3$t rneti fait ef bien p^iht ; et en tant fjpTû a' cfës' ' 
cénoissances supérieurs' à sdn métier , îrest ; 
jilge compétent snr d'aùCres points; il' ]trgè 
edlbrs dans le sens dinsé , par^raport à sbii* ihe- 
tfer de cordonier, 

Gvide , parlant du sacriftce dlphîgénîe , dît; 
que F intérêt 'pitMie triompkà'de là tendresse' 
paternelle , h roi vainquit le père. 

... * Postqii^m piçtàtein pili^Uc^ caue^, Ovid. M« 

Rexqu.e patreiïit yicit. *" i. xii, v.2 

* Ces dërilières paroles sont dans ui> sensf:<K-^I 
visé. Agameniinont^ se ' legardant comè roi , 
étoufe' JMs senfiraéns qu'il ressènrt corne pèfle*- 

Dans'lte'sens^ composé-, iM*-moë conaèrrft sai 
signification à tous* égards j» et cette sîffhifîteation^ 
entre dans la composition du sens dé toéite la^ 
phrase; au lieu que, dans lé^ sens divisé y ce 
n/est qu^ért un certain seua^ et avec restriction, 
qu'un ityot ' conserve spa ètwciêne- signiffca tibn-: 
llÊS as^ëugèefê^ voient* ^ e^esÉ*à-dire , ceuie qui* 
#ntét&aY6Uglèfs.. 



04 



JlG oc U V K E 6 



I X. 

Sfns literal. Sens spirituel.' 

./ - K sens li'tcral estce^ui que les mots excitent 
iraK^ril dans l'esprit de ceux qui enten^nt 
ui\o langue ; c'est le sens qui se présente nno- 
rx'IcnuM;t à Tesprit. Entendre une expression 
îiCcraîoiuenC • c'est la prendre au pié de la 
'ccttv. ^^.*r J.\'/ui sunt secùndum litteram ac* 
^'"kv^ :.: c'j^r. \cn aliter intelligere quàm 
.. Tv ^: >.•:.:- . c'e5£ îe sens que les paroles signi- 
'ù ■; ,::v,:ux::a;<rw:ei:t » ij? cuem verba imnie- 

, s- ,*ï y >.:«. :;:.c^ est celui que le sens litéral 
M' V. vv . c^C ecïe . peur ainsi dire, sur le 
w > ...... . , >: o^'u. *.: ..e les choses simiifiées 



. > . . . ... c ->: o^'u. v: ..e les choses Si^ 

\M- c >v •> .w.i M. :Vr: ::,il:re dans Tesprit. Ain-* 

V . ^*i iA c> v%;ra rcAC> • v^'uiOï les rables , dans les 
' v.^v'i-v^ .. '^ i i"j-:cn.iw- jcQS lltêral:ondit, 

V.. . \. at.^^c . ^^ --JL oc^- c: uii agneau vinrent 

\ » % ^ .i.r 1 v.'.;»!;* ru-^crtîtàu. : que le leup ayant 

. N . K ^..' •• i. X ?\i^'"c'aLi, iL le de%~ora. Si 

V. » .'.. ^v.v.,'»' «.. .V Tv . >^:xjs»ce:c-C à la lettre, vous 

V * s » • \ '.-^ ,\> ^..rvic^ .qu'une simple a\en- 

... .. ^.v . :v^*x -i»i*^u*iw\ ; ixiai^ cette narra- 
is ».,k-: .>itC;. ^M a iiesseîn de vous 
. ^ . •.. ..:-. i> Cijics icîi-: v:uelquefois opri- 
iix.v vv .-xiX ;v.i >vi:C y*-^ ru-^sans , et\oilà 

V >*.x ,x >^»t4 «.uvi . 4U1 ^5t :^'c"v:urs fondé sur le 



>^^i^l^ 



r DEDUMARSAIS. 21^ 

Division du sens litéral. 

léC sens litéral est donc de deu3f*sortes : 

I®. Il y a un sens litéral rigoureux ; c'est le 
sens propre d'un mot*, c'est la lettre prise à la 
Rigueur^ stricte. 

i^. La seconde espèce de sens litéral , c'est 
pl^ui. que les expressions figurées dont nous 
BtK>DS parlé présentent naturèlement à l'esprit 
de ceux qui entendent bien une langue, c'est 
ua sens litéral-ftguré ; par exemple , quand oa 
dit.d'un politique qu'il sème à propos la dii^i^ 
%ion ^ntre ses propres énemis ; semer ne se 
doil pas entenare à la rigueur selon le sens 
propre , et de la même manière qu'on dit ^e- 
fher du blé ; mais ce. mot ne laisse .pas d'avoir 
usLsens litéral , qui est un sens figuré qui^e prér 
sente naturèlement à l'esprit. La lettne ne doit 
MS toujours être prise a la rigueur; elle tue. 
Ut Â. Paul. On rie doit, point exclure toute si- ^ ^^^ ^ 
g-nification métaphorique et figurée* Il faut v. 6. 
bien: se. garder ^.dit S. Agustin (i),de prendre 
à. la^ lettre une iPaç6n de parler figurée ; et c'est - 
àucela qu'il faut apliquer ce passage de S, Paul, 
Iti lettre tue, et l'esprit done la. vie. 
- Il fiLUts'atacher aii sens que les mots excitent 
naturèlement dans notre esprit, quand nous ne 
somes point prévenus , et que nous somes 
daosi'etattranquile de la raison : voilà le véri- 

« : .-: ^ .,-, -; . 

i(i) In prînc(pîo.cavëndum est ne figorâtam locu- 

tîônem ad literam accipias 5 et ad hoc enim përtinet 

^ubod ait Apôstplus , lliera occidit, spiritus auiem vi^ 

fdficaté ' . • 

AuGvsT. de Doctr. Christ. L 3^ c. 5, t. III, 

Farisiis i685« 



■•■-:i 



Oïl 7 ▼ a E » 

'-'.: --w..-.-'i. - .i,uj- , c"c3t celui-là cn'i 
"-■ -- -'- - . -i'iii «'àr.ons , aux telles 

.. — ^ . '•: .Hi-ne -i 1 écriture sainte. 
. -. * :.. T[it^':euii4fu{ Tnet la mam 

^/-.f . :?:: ,:u —^-'Trde derrière /ui,nest 
r t- -^ji^zu/ne de Dieu ^ w 

ra : . . : A pi^ vijtsîo iiire qu'un labou- 

•ur ' :.. - "riv.i_^„iu , lourne q uelijueioîs II 

...te . 1 -ri ?ai If' ;re^ peur ie ciel ; le vni seni 

: .1.- ' . ? '^rju:* ]:r»:se!îc«ii:t Qaturêleinent à i'cs- 

yrz . - r-c ;ue :iiix rui ont comencé â mener 

u:îe r- :.:i-- :-'.it . et a être les disciples de Je- 

••.:a?-*- -i.T>i* ne luiveet pas changer de coa- 

: -i.C;.- . î* i r at}«. tr^ne • s'iis veulent'étre sauvas; 

: ?v -Ti-LLc .«. a.î ïtrci licerai-iiviiré. Il en est de 

■iitîiie ie J-^ ;Kicr55 passases de 1 évangile, où 

- . C - -L: ie pr-sect«- la jcHie gauche^à celii 

M4 ..U5 1 :rir*: s^ira, joue droite , des*an- 

.. L-r «^ 3t.£i^ ju.\ril qui est unsajet de scandale; 

. a^c :«u.;:f::cz« ctfs paroles de la même jd»^' 

-:^i.t-^ ::i .^ eaceiic i^uCe^ les expressions mé- 

:-:'jUv.r.tit.î?2? -c .î^^irees.: ce ne seroît pas-lear 

i^.-.c * Lcir vrii iecs que de les entendre selon 

c .SE»'i< iCcrii jr-s j. Ij. liseur; elles doivent 

, : .. rvi-^es feîcîi ia seconde sorte die sen* 

. ^.--rià ^u. re^u-C row^es ces façons de parler fi- 

_uj-.c> a .%i\ÊS' .-L?. e Tdleur, c'est-à-dire , au senaf' 

C-- - ^-îî" j*^,H!if..5 iaj* L'esprit de celui qui a 

A^- . ,c ^uttcs c wit^at dans l'esprit de ccos 

■ Vc u .a .^i/î^ie où l'expression figurée- 

.>: au.^'i. 2t.x» :sjNf l\::j%ige (i) ». Lorsque- nous 

■• ■ ■'•* 

c "v*** •^.N> :*t S.-fR s^munis ù."inur usitâto : sedecr* 
Ckx* *, .V-'. Dcor. L >., û. 41, aliter xr*. 




DE DU MARSAIS. ai9 

» donons ao-blé le nom de Cérès ^ dit Cicéron^ 
» et au vin le nom de Bacchus , nous nous 
ï^ .servons d'une façon de parleii us^ée en notre 
^ langue , çt persope n'est assez dépourvu de. 
1^ y$ens pour prehdre ces paroles à la rigueur dd 
Il ,Ja lettre». • 

■On sesert^ dans toutes les nations policées^. 
|è certaines exprçssioi>s ou formules de poli-' 
jçs$e qui nç doi^y^nt point être prises dans^ le 
teifis litéral-iétrpit. «T'a/ Fhoneur de*.. Je vou^ 
)^e lesrnaln^* Je suis "votre très-humble ^ 
)]réà'<fbéjLssànt sen^iteur. Celte dernière façoa 
jle^p^arler , dont, on se sert pour finir les lettres^^ 
:^'çist:}amais ijogardeç que corne i;ine formule de 
piplit^se. 

*.-iOn dit de; certaines, peFS<^ive%^ c'est Un fou ^ 
(ipst unQfol^,y,Si^ parol.es Bjè çoarquent paa^ 
toujours q^ue/la p^rsone dion£on parle aitperdiL 
IWprit au poiul qu'il ne reste plus qu'à Ten- 
j^mor; on ycut^dira seulement que c'est une 
per&one.qui suit ses .capri(Qe$ ^ «qui ne se prét^; 
pasaux réfloibioâs desautrçs^^qu^çlle ^'est pas- 
toujour^s .aia|l.r;e$se 4^ son iJa(l^^a^^Qn.J que^ 
iaios le tems (jifi'on IviL parlent eUe.os^iolcupée eili- 
^urs , e t qu'ainsi/ÇKn ne sa^jiroit âfvpi^.ayçc eljtôt 
CfS| çoçiercçTqcipi?Qaue de pdnaée&>et dé s^ïiliTr 
fjneris qui fMt;J[a£;(rteixient def l^^ofiti^r^iitiioft'ëtC 
1^ \\en de la socieJLe. L'hoinô s^g^ est toijijourfti 
ginuétat de tqùl^ ^coûter ;i de {ojftf^^iït^ddFe ^ ■e%i 
dé profiter^ des avis- qii'on lui doqç^: .., , . ... 

. . Dans rirpnie, les paroleS:|îe se|>vè|)ent poin^. 
dans le sens, litéral proprerpe^ilt ^ ;/ elleâ;^» 
pf^nent selpQ L^;Sei>&ït6raUliguçé^ c'est-ft-direif 
^elo|^ oe <|u^ sjgfiiïl^eat . If^, f«i^ dJPQtppagôési 



1 

V. 



k ^^ 



D îl DU M A R S A 1 S. 221 

tP puni par quelquun , lui doner la satlsfac*- 
a qu'il exige de nous ^ lui doner notre suplice 
payement , comme on paye une amende^ 
uana Properce dit à Cintnie , dqbis mihi }^'^'^^ 
^-^^dapœnas yil ne \eutpa^ dire perfide, ojous ' 

3z causer bien des tourmens ; il lui dit , 
ijqon traire, qu'il la fera repentir de sa perfidie, 
ft .n*est pas possible d'entendre le sens litéral 
-^il^écrituap sainte « si 1 on n'a aucune conois- 
Kêb 



P>al. 

7- 



^*ïi<5e des hebraïsmes et des héllénismes , c'est- 

— ^îre , des façons de parler de la langue hé- 

H^que et de la langue grèque. Lorsque les 

nterprètes traduisent à la rigueur de la lettre , 

'«V^endent les mots et non le véritable sens.: 

»e là vient qu'il y a , par exemple , dans les 

aafeaumes plusieurs versets qui ne sont pas 

:ntelligibles en latin. Montes I)ei, ne veut pas 

dàfè des montages consacrées à Dieu , mais 

— jfe hautes montagnes ^ 

. Dans le nouveau testament même , il y a 
=-^lusieurs passages qui ne sauroient être enten- 
-aus , sans la conoissance des idiotismes , c'est- 
À-dire ,.des façons de parler des auteurs origi- 
rénaux. Le mot hébreu qyi répond au mot latin 
: —n^çrbuni , ée prend ordinairemei;it , en hébreu , 
- -^pur chose signifiée par la parole j c'est le mot 

Îénérique qui répond à negotium ou res des 
latins. Transedmus usque Bethléem, ^^v^is 
midedmus hoc verhum quodfactum est : pas- 
sons jusqu'à Bethléena , et voyons ce qui y est 
'arivé. Ainsi lorsqu'au troisième verset du cha- 
• -pitre 8 du Deutéronome , il est dit ( Deus ) 
. dédit tibi cibum manna quod ignordbas tu et 
^'patres tui, ut qsténderet tibi quod non in 
-: . seh pane ^iyathomo , s^d in Omni verbo quod 



c, 
i5. 



32? BJL V \ -R Z é 

egréditur de ore Dei. Vous vxyyez que inotniA 
n)erbo signifie înomni re , c'est^à^ire , de Itoûl 
ce que Dieu dit, ou i;ei/^ , qui serve de rïùuri- 
tare. C'est dans ce même sehs que Iésus«^hrù 
a cité ce passage : le démon \m proposoit jdè 
changer les pierres en pain j il n'est pai nécèi:* 
Caire de faire ce changement , répond Jésus^ 
tott.c.4 Christ, car Vhome ne 'vit pas seulement^ de 
4. ' ^ pain , il se nourit encore de tou^%e quiphA 
à Dieu de lui doner pour nouritare , de toià 
ce que Dieu dit qui sennra de nouriturei 
voilà le sens litéral : celui qu'on done comuné- 
ment à'ces paroles , n'est qu'un sens moral* 

Division du sens spirituel. 

Lesens spirituel est aussi de plusieurs sortes 
1^. le sens moral; a*, le sens é^Uégorique } 5* 
. le sens anagogique. 

1^. Sens morale 

"' Le sens moral est une interprétation sèlott 
laquelle on tire quelque inirtructîon pour les 
mœurs. On Uire un sens moral dés histoires | 
des fables , ^tc. îl n'y a rien de si prophàné 
dont on ne puisse tirer des moralités i ni rien 
de si sérieux qu'on ne puisse tourper en bur- 
lesque. Telle est la liaison que lès idées ont les 
unes avec les autres : le moindre raport réveille 
une idée de moralité dans un home, dont le goût 
est tourné du côté de la mora-le ; et au contraire 
celui dont l'imagination aime le burlesque , 
trouve du burlesque par-tout. 

Thomas Wàlleis, jacobin angloîs, fît ira- 



DE DU Al A H S À I $• 5125 

primer^ vers la fin du quinzième siècle, à l'usage 
des prédicateurs, une explication morale des - 
métavoiorphoses d'Ovide ( i )• JNous avons le 
Virgile travesti de Scaron. Ovide n'avoit point 

Ç^mé à la morale <}ue Walleis lui prête ; et 
ji;igile dai'a jamais eu.les idées burlesques que 
Scaron a trouvées dans son Enéide. Il n'en est 
paS'de même des fables mora.les ; leurs auteurs 
mêmes nous ea découvrent les moralités ; elles 
sont tirées du texte corne une conséquence est 
tir^ de son principe. 

2°^ Sens allégoritjue* 

^ Le Sens allégorique se tire d'un discours , 
qui ^ à le prendre dans son sens propre, signifie 
toute autre chose : c'est une .histoire qui est 
l'image d'une autre histoire ou déq^ielqu'autre 
pensée. JYous avons déjà parlé de l'allégorie. 

L'esprithumain,a bien de la peineà demeurer 
.indéterminé sur les causes dont A voit , ou dont 
il ressent les éfets : ainsi lorsqu'il ne conoît pas 
les causes ^ il en ipiagipe y et le voilà satisfait. 
Les païens imaginèrent d'abord des causes fri- 
voles de la plûpâBt «des éfets naturels ; l'amour 
f ut réfet d'une divinité particulière j Prométbée 
vola ïe feu du ciel ; Cérès inventa le blé ; Bac- 
c^us le vin ^ etc. Les i^echerches exactes sont 
trop pénibles > et ne sonjt pas à la portée de tout 



(i) Metainorph6sis Ovîdiâna mor^litcr à Magîstro 
Thoma Walleis Anglicp,^ çLe.professiùneprcediCatùrum 
sub S. Dorainico, explanâta. Ce livre rare fut traduit 
^n 1484. V. le. P. Echard , t. i , p. 5o8 , et M. Mail- 
taire , jtéànales tjpograpliiques , t. i , p. 176. 



324 OE U V R E 5 

le monde. Quoi qu'il en soit ^ le vulgaire su* 

Tocsits perstitieuccy dit le P. Sanadon,yi£/ ladupeèti 

d Hor. 1. 1 , rDîslonaires qui inventèrent toutes ces fables. 

Dans la suite ^ quand les païens comencèrent 

à se policer et à faire des réflexions sur ces 

histoires fabuleuses y il se trouva parmi eux des 

mystiques qui en envelopèrent les absurdités 

sous le voile des allégories et des sens figurés, 

auxquels les premiers auteurs de ces fakA/A 

n'avoient jamais pensé. 

Il j a des pièces allégoriques en prose ^ en 
vers : les auteurs de ces ouvrages ont prétendu 
qu'on leur donât un sens allégorique ; mais dans 
les histoires et dans les autres ouvrages y dans 
lesquels il ne paroît pas que Tauteur ait songé 
à l'allégorie , il est inutile d'y en chercher, il 
faut que les histoires , dont on tire ensuite des 
allégories , aient été composées dans la vue de 
l'allégorie; autrement les explications allégo* 
riques qu'on leur done , ne prouvent rien , et 
ne sont que des aplications arbitraires dont il 
est libre à chacun de s'amuser come il lui plait, 

Sourvu qu'on n'en tire pas des conséquences 
angereuses. 
*indiciiiii» Quelques auteurs * ont trouvé une image 
chro^noiàl ^^^ révolutions arivées à la langue latine , dans 
gicus,inFa-lastatue*^queNabuchodonosor vît' en songe; 
bri Thcsau- ils trouveut dans ce songe une allégorie de ce 
'** DanieL ^"^ dcvoit arivcr à la langue latine. 
a,v.3i. . Celle slatueétoit ex taordinairement grande; 
la langue latine n'étoit-elle pas répandue pres- 
que par-tout. 

La tête de cotte statue étoît d'or , c'est le 

siècle d'or de la langue latine ; c'est le tcms de 

. . Térence 



X> £ D V M A R S A I S» ^2^ 

Térence , de César , de Gieéron , de Virgile j 
en un mot , c'est le siècle d'Auguste* 

La poitrine et les bras de la statue étoient 
d'argent ; c'est le siècle d'argent de la langue 
latine ; c'est depuis la mort d'Auguste jusqu'à 
la mort de l'empereur Trajan , c'est-à-dire > 
jusqu'environ cent ans après Auguste. 

-Le ventre et les cuisses de la statue étoient 
d'airain ; c'est le siècle d'airain de la langue 
latine, qui comprend depuis la mort de Trajan, 
jusqu'à la prise de Rome par les Goths, en 4io» 

Les jambes de la statue étoient de fer , et les 
pîés partie de fer et partie de terre ; c'est le 
siècle de fer de la langue latine , pendant lequel 
lesdiférentesincursionsdes barbares plongèrent ~ 
les homes dans une extrême ignorance ; à peine 
là langue latine se conserva-t-elle dans le lan--^ 
gage de l'église. 

Enfin une pierre abatit la statue ; c'est la 
languelatînequicessad'êtreune langue vivante. 

C'est ainsi qu'on raporte tout aux idées dont 
on estpréocupé. 

Les sens allégoriques ont été autrefois fort à ^ 
la mode , et ils le sont encore en Orient ; on en 
trouvoit par-tout jusques dans les nombres* 
Métrodore de Lampsaque, au raport de Tatien, tt«et Oi 
avoit tourné Homère tout entier en allégories, p'***'*^^- 

f\ • • ^ • J>l_ • 1 ' r^' J^ 2,quaESt.i: 

On aime mieux aujourd hui la réalité du sens p. 171. 
litéraL Les explications mystiques de l'écriture Traité d 
sainte , qui ne sont point fixées par les apôtres , et^du *?« 
ni établies clairement par la révélation , sont mystique , 
suiètes àdes illusions qui mènent au fanatisme, scioniado 

'' *■ trine des p» 

3^ Sens anagogique. ^^^:^^ 

he sens anagogique n'est guère en usage que ^'^"*^^"^- 
Tome IIL P 



aaO OE U V R E s 

lorsqu'il s'agit des diférens sens de récriture 
sainte. Ce mot anagogujue vient du grec ifayo^-ii^ 

3ui veut dire élév'ationi «Va, dans la composition 
es mots , signifie souvent , au-dessus y en haut^ 
i-gca'/i veut dire conduite; de d-ioitfje conduis: ainsi 
le sens anagogique de récriture sainte est un 
sens mystique, qui élève Tesprit aux objets 
célestes et divins de la vie éternèle dont les 
saints jouissent dans le ciel. 

Le sens litéral est le fondement des autres 
sens de l'écriture sainte. Si les explications 
qu'on en done ont raport aux mœurs , c'est le 
sens moral. 

Si les explications des passages de l'ancien 
testament regardent Téglise et les mystères de 
«olre religion par analogie ou ressemblance , 
c'est le sens allégorique ; ainsi le sacrifice de 
l'agneau pascal , le serpent d'airain élevé dans 
le désert , étoieat autant de figures du sacrifice 
de la croix. 

Enfin , lorsque ces explications regardent 
l'église triomphante et la vie des bienheureux 
dans le ciel , c est le sens anagogique; c'est ainsi 
que le sabat des juits est regarde corne l'image 
du repos éternel des bienheureux. Ces diférens 
sens , qui ne sont point le sens litéral , ni te 
sens moraly s'apèlent aussi , en général , sens 
iix^pologiques , c'est-à-dire , sens figuré. Mais 
corne je Tai déjà remarqué y il faut suivre dans 
le sens allégorique et daas le sens anagogique 
ce que la révélation nous en aprend ^ et s'apli- 
quer sur-tout à l'intelligence du sens litéral , 
qui est la règle infaillible de ce que nous devous 
croire et pratiquer pour être sauvés. 



î> E 13 U M A R 5 A I S* aa/ 

1» I I I I Il !■ I ■ ■ ' ' . ' ' T^ 

X. . -' 
Du Sens ADAPTA, 
Ou que Von done par allusion* 

\) uËLQUEFoison Se sert des paroles dô 
récriture sainte ou de quelque auteur profane > 
pour en faire une aplication particulière qui 
convient au sujet dont on veut parler , mais qui 
n^est pas le sens naturel et litéral de Fauteur 
dont on les emprunte > c'est ce qu'on apèle 
sensus acconimodatitius , sens adapté* 

Dans les panégyriques des saints et dans les 
oraisons funèbres , le texte du discours est 

1>ris ordinairement dans le sens dont nous par- 
ons. M, Fléchier , dans son oraison funèbre 
de M. de Turène , aplique à son héros ce qui 
est dit dans récriture à Tocasion de Judas Ma-» 
chabéequi fut tué dans une bataille. 

Le P. le Jeune de Toratoire , fameux mis- 
sîonaire,s''apeloit Jean ; ilétoit devenu aveugle : 
il fut nomé pour prêcher le carême à Marseille 
aux Acoules j voici le texte de son premier 
sermon : Fuit homo missus à Deo ^ eut nomen joann»c 
erat Joànnes ; non erat ille lux , sed ut tes^^-^* 
timônium perhibéret de lûmine. On voit qu'il 
fesoit allusion à son nom et à son aveuglement» 

Remarques sur quelques passages adaptés à 
contre^sens* 

Ily a quelques passages des auteurs profanes 
qui sont come passés en proverbes ^ et auxqu^l* 



izaS ÔE u V K E s 

on donc eomunément un sens détourné qui 
n'est pas précisément le même sens que celui 
qu'ils ont dans Tauteur d'où ils sont tirés ; en 
voici des exemples : 

i*^. Quand on veut animer un jeune home à 
faire parade de ce qu'il sait^ ou blâmer un savant 
de ce qu'il se tient dans l'obscurité , on lui dit 
ce vers de Perse : 

îrs. Sat. I , Scire tuum nihil est , nisî te scire lioc sciât aller : 

27. 

Toute votre science n'est rien , si les autres ne 
savent pas combien vous êtes savant. L»a pensée 
de Perse est pourtant de blâmer ceux qui n'étu- , 
dient que pour faire ensuite parade de ce qu'ils 
savent. O tems ! 6 mœurs ! s'écrie-t-il , est-^ 
donc pour la gloire que vous pdlissez sur les 
Hures ! Quoi donc ? crojez-vous que la science 
ri est rien , à moins que les autres ne sachent 
que vous êtes sayant ? 

Pcrs. Sat. En pallor , senîiimque : O mores ! usque ade6ne 
) V. 27. Scire tuum nihil est / nisi te scire hoc sciât aller ? 

Il y a une interrogation et une surprise dans le 
texte , et l'on cite le vers dans un sens absolu. 

2®. On dit d'un home qui parle avecemphase, 
d'un style empoulé et recherché , que 

îor. Art. Projicit ampiillas et sesquîpedâlia verba : 

)ct, V. 97, . ^ , . , / 1 

il jète, il fait sortir de sa bouche des paroles 
enflées et des mots d'un pié et demi. Cependant 
ce vers a un sens tout contraire dans Horace. 
« La tragédie , dit ce poète , ne s'exprime pas 
» toujours d'un style pompeux et élevé :. Té- 
*D léphe et Pelée^ tous deux pauvres ^ tous deux 



DE DU JUARSAIS. a2Q 

Il chassés de leurs pays , ne doivent point re- 

» courir à des termes enflés., ni se servir de 

» grands mots;: il faut qu'ils fassent parler leur 

,1) douleur d'un style simple et naturel, s'ils 

» veulent nious toucher , et que nous nous inté- 

» ressions à leur mauvaise fortunç ». Ainsi 
prôjicit , dans Horace , veut dire il rejeté. 

Et tràgîcus plenimqne dolet serm6ne pedëstrî Hor. Art. 

Tëlephus et Peleiis, cum pauper et exul utérque poët. v. 95, 

Prôjicit ampùilas et sesquipedàlia yerba ,^ etc. 
Si curât cor spectânt^s tetigisse querëlâ» 

M. Boileau nous done le même précepte : , 

Sue devant Troîe en flame , Hécube désolée Art, poët. 

e viène pas pousser une plainte empoulëe» chant. 3. 

Cette remarque , qui se trouve dans la plupart 
des comentateiirs d'Horace , ne devoit point 
échaper aux auteurs des dictionaires sur le mot 
projicere. 

3°. Souvent pour excuser les fautes d'un ha- 
bile home ,. on cite ce mot d'Horace : 

• • • Quandoque bonus dormitat Homërus ; Hor. An. 

, , , poët»v.33-Q» 

Corne si Horace avoit voulu dire que le bon 
Homère s'endort quelquefois. Mais guandôque 
est là pour quandocùnque , toutes les fois que j 
et bonus est pris en bône part : u Je suis fâché , 
» dit Horace , toutes les fois que je m'aperçois 
» qu'Homère, cet excélent poète, s^endort, 
» se néglige, ne se soutient pas ». 

Indfgnor quand6que bonus dornaitat Homërus» 

M. Dariet s'est trompé dans l'explication qu'il 

P5 



^OO OE U T R E s 

donc de ce passage dans son dictionaire latin- 
françois sur ce mot t^uandôque. 

4^. Enfin pour s'excuser quand on est tombé 
dans quelque faute , on cite ce vers de Térence: 

Htaut. 2ct. Homo sam , homani nihil à me aliënum pato , 

f5. Corne si Térence avoit voulu dire", je suis 

home y je ne suis point exempt des Jbiblesses 
de inhumanité , ce n'est pas là le sens de Té- 
rence. Chrêmes , touché de Tafliction où il voit 
Ménédème ^ son voisin y vient lui demander 
quelle peut être la cause de son chagrin et des 
peines qu'il se done : Ménédème lui dit brus- 
quement qu*il faut qu'il ait bien du loisir pour 
venir se mêler des afaires d'autrui. c< Je suis 
» home , répond tranquilbment Chrêmes ; rien 
» de tout ce qui regarde les autres homes n'es( 
)) étranger pour moi , je m'intéresse à tout ce 
» qui regarde mon prochain. 

» On doit s'étoner , dit madame Dacier, 
» que ce vers ait été si mal entendu , après ce 
n que Cîcéron en a dit dans le premier livre des 
» ofices )). 
i.ôff.n.ag. Voici les paroles de Cîcéron : Kst enim 
•liunx. difficilis cura rerum aliendrum , quanquam 
l^erentidnus ille Chrêmes Iiumdni nihil à se 
aliénum putat. J'ajouterai un passage de Sér 
nèque , qui est un comentaire encore plus clair 
de ces paroles de Térence. Sénèque , ce philo- 
sophe païen, expliquée , dans une ae ses lettres , 
cornent les homes doivent honorer la miajesté 
des dieux : il dit que ce nest quen croyant en 
eUsV , en pratiquant de bones œuvres y et en 
tâchant de les imiter dans leurs perfections , 
qu^on peut leur rendre un culte agréable ; il 




DIS DU MÀUSAlS. 35l 

parle ensuite de ce que les homes se doivent les 
uns aux autres. « Nous devons tous nous regar- 
» der , dit-il , come étant les membres d'un 
91 grand corps ; la. nature nous a tous tirés de 
» la même source , et par là nous a tous faits 
I) parens les uns des autres ; c'est elle qui a 
» établi Téquité et la justice. Selon rinstitutioâ 
» de la nature , on est plus à plaindre quand 
» on unit aux autres , que quand on en reçoit 
» du domage. La nature nous a doné des mains 
» pour.nous^aider les uns les autres ; ainsi ayons 
>i toujours dans la bouche et dans le cœur ce 
» vers de Térence : je ^iiis home , rien de tout 
» ce qui regarde les homes n^ est étranger pour 
)) moi (i). 

Il est vrai , en général , q-ue les citations et 
les aplications doivent être justes autant qu'il 
est possible , puisqu'autrement elles ne prou- 
vent rien , et ne seraient; qu'à montrer une fausse 



(i) Quomodo sintDiî colénâi solet prœcîpî..*Deuin 
colit qui novit... Primus est De6rum cultus , Deos 
crëdere , deinde rëddere illis majestàtem suam , réd- 
dere bonitâtem sine quâ nulla ma j estas est : vis Deos 
propîtidre , bonus, este. Satis îllos c61uit quîsquis 
imitâtus est. Ecce altéra quœstîo , quomodo homi- 
nibus sit utëndum... possim brëviter hanc fôrmulam 
humani offlcîi trâdere.... membra sumus c<jrporis 
magni ^ natiira nos cognàtos ëdidit , cum ex ifsdem et 
în idem * gfgneret. Hœc nobis am6rem fndidit mii- 



tuum et sociàbiles fecît ; illa œquum justiimque com- 
p6suît : ex iilîus constiKiti6ne miserius est nocëre 

Suam Igedi ; et ilHus impërio parâtfe sunt ad juvân- 
um manus. Iste versus et in pëctore et în ore sit , 
horno sum , huntâni nihil à me aliénum puto* Habeâ- 
mus in copimune , quod nati sumus. 

Seneg. Ep. xcv. * ofEcia. 

P 4 



':4» 



aS^ o« V V n E s 

érudition ; ihais il y auroit bien du rigorisme à 

condâner tout sens adapté. 

11 y a bien de la diférence entre raporter ua 
passage corne une autorité qui prouve , ou sim- 
plement corne des paroles conu^s^auxquelleson 
done un sens .nouveau qui convient au sujet 
dont on veut parler : dans le premier cas , il 
faut consei:*ver le sens de Fauteur ; mais dans le 
second cas , les passages , auxquels on done un 
sens diferent de celui qu'ils ont dans leur au- 
teur y sont regardés corne autant de parodies ^ 
et conie une sorte de jeu dont il est souvent 
permis de faire usage. v -' 



i^.. 



DE DUMAKSAIS. aSÎ 



Suite du sens adapté. 
De la Parodie et des Centons. 

X-i A parodie est aussi une sorte de sens adapté. Athcnpc 
Ce mot est grec , car les Grecs ont fait des '* ^^ ^? 
parodies. 

Parodie (i) signifié, à la lettre, un chant com- • 
posé à Timitation d'un autre, et par extension, 
on done le nom de parodie à un ouvrage en 
Ters , dans lequel on détourne , dans un sens 
railleur , des \ers qu'un autre a faits dans une 
Tue diférente. On a la liberté d'ajouter ou de 
xetrancher ce qui est nécessaire au dessein qu'on 
se propose ; mais on doit conserver autant de 
mots qu'il est nécessaire pour rapeler le souve- 
nir de l'original dont on emprunte les paroles. 
L'idée de cet original et l'aplication qu'on en 
fait à un sujet d'un ordre moins sérieux , for- 
ment dans ^imagination un contraste qui la 
surprend , et c'est en cela que consiste la plai- 
santerie de la parodie. Corneille â dit dans le 
stjle grave , parlant du père de Chimène : 

Ses rides sur son front ont grave ses exploits. - Le OU.: 

■ . I, 8C. I, 

(i^ Tiftpti^U. cântîcum. R. TTctfÀ^ juxta , et à^)^ , cantus , 
carmen. Cànticum vel carraen ad aitërius sîmilitii- 
dinem compésitum , cura altërius poëtœ yersus joc6si 
in àliud argumëntum transferùntur. 

Es|^ étiam parodia , Hcrmogeni , cùm quis , ubî 
partem âliquam versus pr6tulit , rëliquum , à se j id 
est,desuo , oratione solùtâel6quitvir,/îoiemon. Th. 
ling. grœc. v* vA^m^itté 



!X54 OB TT y R E s 

Racine a parodié ce vers dans les plaideurs : 
rintimé , parlant de son père qui étoit sergent, 
dit plaisament : 

Les Plaid. 11 gagnolt en un jour plus qu'un autre en six mois „ 
act. I , se. 5. Ses rides sur son front gravoîent tous ses exploits» 

Dans Corneille y exploits signifie actions mé" 

. morables^ exploits militaires ; et dans les 

Plaideurs , exploits se prend pour les actes ott 

procédures que font les sergens. On dit que le 

grand Corneille fut ofensé de cette plaisanterie 

du jeune Racine. 

Sentimcns Au Tcste , Tacadémie a observé que les rides 

F^ ^^r* Us ^^^^^7"^^^ ^^ années , mais ne grayent point 

veisdMCid, l^S exploits. 

Les vers les plus conus sont ceux qui sont le 

plus exposés à la parodie. On trouve dans les 

tom. î2,p. dernières éditions des œuvres de Boileau une. 

de V? 2^6*' parodie ingénieuse de quelquç3 scènes du Cid. 

On peut voir aussi dans les poésies de madame 

Des Houi. des Hoùlières une parodie d'une Sicène de la 

éih de mênie tragédie. Le théâtre italiea est riche en 

l]l. ' ^*^* parodies. Le poème du Vice Puni çst rempli 

daplîcation» heureuses de vers de nos n^eilleuirs 

poètes : ces a,plications sont autant dç parodies. 

Tuivrpvv, Lescentons sont encore une sorte d'ouvrage 

rcnto., vesf qui ^ raport au sens adapté. Cénto , en latin , 

tes e vanis A .r»*i i ^ «^jj.. 

pannis con- siguihe , daus le sens propre , une pièce de drap 
sarcinîiia. qui doît être cousue à quelqu'autre pièce j et 
zivrit»^ plus souvent un manteau ou un habit fait de 
direrentes pièces rapôrtees : ensuite on a done 
ce nom , par métaphore , à un ouvrage composé 
de plusieurs vers ou de plus^ieurs passages em- 
pruntés d'un ou de plusieurs auteurs. On prend 
ordinairement la moitié d'un vers , et on le lie 



DE*DU MARSA-IS. 235 

par le sens.avec la moitié d'un autre vers (i). 
On peut emplojer un vers tout entier et la 
moitié du suivant , mais on désaprou ve qu'il y 
ait deux vers de suite d'un même auteur. Voici 
un exemple de cette sorte d'ouvrage , tiré des 
cèntons de Proba Falconia (2). Il s'agit de la 
défense que Dieu fit à Adam et à Eve de man- 
gerdu fruit défendu : Proba Falconia fait parler 
ïe seigneur en ces termes , au chapitre xvi : 

JE. 2. 712. Vos fàmulî quœ dîcarii ânimis adyërtlte 
vestris : 
2. 21. Est in conspectu * ramis feUcibus arbor G. a. Si 



(i) Vâriis de locîs^ sensîbiisque dhrërsîs , quœdam 
cârminîs structura soHddtur , in unutn versum ut 
c6eantxsesi duo ^ aut unu^ et sequens cum médio : 
nâm duos junctfm ipcâre ineptum est , et très , unâ 
sërie , merae nugeè»...* sensus divërsî ut c6ngruant ; 
aidoptira quae^ sunt , urcognâta yideântur j aliéna ne 
interlùceant^ hiiilca ne pateant.^ 

Aus6nius Paulo. £pist. quœ prœlégitur iintç . 
EdjU. xui. : . ! . . 

(2) Probae Falc<Sniœ vatîs clarfssîmœ à S. Hîer6njrmo 
comprobàtœ centones de'Fïdei nostrse mystërîis , è 
Maronis carmfnibus , etc. Pari'siis , ap.ud\^gidium 
Gorbinum 1576. f. 27 , in-8- /^em Paffsiis > apud 
Franciscum Stëphanum i545. 

Les centons de Proba Falconia se trouvent ai^sSi 
dans Biblîothëca Patrum , tom. ^. Lugdùni 1677. 
Foici ce qui est dit dé cette sauante et pieuse dame 
dans l'Index Auctorum Bibl. Patr. toîn. i. Prqbà 
Falconia ûxor non Adëlphi Proconsulis , ut scribit 
Isidùrus , sed Anfcii Probi Frœfëcti Prœtorio , pésteà 
C6nsulis , mater Probfni , OKbrii, et Prôbi, similiter 
CiSnsulum* De quâ Tnulta Hierùnymus epist. 8 , et 
Bar<inius , tom. 4 et 5. Annâlium. Scrîpsit Virgilio- 
cent6fies qui extant fol. 1218. Flùrujft non sub Theo- 
dôsio juAiôre , ut vuH Sixtus Senënsis ^ sed sub 
Gratiàno. / 



G. a. 


5i5. 


Ec.8. 


48. 


G. 3. 


216. 


G. I. 


168. 



236 CE U V R E, s , 

•JE. 7» 692. Quam nequç fas igni cuîquam 
nec stérnere ferro , 
7. 608. Rellip^iône sacr^ * nunquam *iE.5.70O# 

conceS5a movérî. 
Il* 591. Hâc quicumque sacros * de- * 6. i4u 

cerpserjt arbore fœtus, 
n. 849. Morte luet mérilâ , * nec me * i. 2^1, 
5euténtîa yertit ; 
5 1 5. Nec tibi tam prudens qnisquam 
persuâdcat autûr 
Commaculare nianus. * Liceat * 5. 461» 

te voce monéri 
Fëmina, nuUius te blanda sua-' 

sio vincat 
Si te digna manet divfni glérîa 
ruris. 

ison.Ep. Nous avons aussi les centons cTEtiène de 
c Ed>ii»pieurre (1) et de quelques autres. L'empereur 
Valentinieii , au raport d'Ausone , s'étoît aussi 
amusé à cette sorte de jeu ; m.ais il vaut mieux 
s'pçuper à bien penser , et à bien exprimer ce 
qu'on pense , qu'à perdre le tems à un travail 
où l'esprit est toujours dans les entraves , où la 
pensée est suboraonée aux mots ^ au lieu que 
. ce sont les mots qu'il faut toujours subordouer 
aux pensées. 

Ce n'étoît pas assez pour quelques écrivains, 
que la contrainte des centons : nous avons des 
ouvrages où i'auteui' (i) s'est interdit successi- 

(i) Stéphani Pleurrei JEneis sacra contînens acta 
D6mini N. J. C. et prim^nim Mârtyrum Virgllio- 
cent6nîbus conscripta. Parfsiis , apud Adridaum 
Taupînart, i6i8, in-4^\ 

(tx) Liber, absque Htterîs , de ^tÂtibua mundi et 
h6minis ; autore Fâbîo , Claudio , Gordiâno , Ful- 
g^ntio. Ètildîu P. Jacôbus liommey Augustiniânus, 
Pictavii. Prostat Parisiis apud Viduam Câroli Gei- 
gnard^ 1696. Le titre du manuscrit promet ad A usque 



B E DU M A R S A I S. nSj 

vement par chapitres , etiselon Fordre deTal- 
plabet , l'usage a une lettre , c'est*à-dire , que 
dans le premier chapitre il n'y a point d^a , et 
dans le second point de 6, ainsi de suite, ÏJn 
autre (i) a fait un poème dont tous les intot$ 
<comencent par un /?# 

Plaiidite porcëllî ; poràSruro pîgra propâgo 
Progréditur , plures porci pinguëdîne pleni 
Pugnântes pergunt. Pëcudum pars prodigiosa 
Perturbât pede petr6sas pleriimque platéas j 
Pars portentosé popul6ruin prata prufânat» 

Dans le neuvième siècle, Hubaud, religieux- 
bénédictin de S. Amand , dédia à l'empereur 
Charles le Chauve un poème composé àJ'honeur 
" des chauves , dont tous les uioAs comencentpar, 
la lettre c. 

Càrmîna , clarfsonœ , calyîs cantate Camënée. 

(2) Un autre s'est mis dans une contrainte 

in Z , mais l'imprimeur n'a mis au four que xiy cha^ 
pitres, c'est-â-dire j jusqu'à l'O inclusivement ; et il 
^^clare que le copiste a égaré le reste. Hue usque 
eodex , cujus scriptor addit : ii decem de quibus fit 
mëntio in titulo , nëscio ubi sunt» 

(1) Pugna Porcurum per P. PcSrcium. Ce poëme est 
compose de ti/fi v^s. Je l'ai vu dans un recueil qui a* 
pour titre : Nugœ Vénales. Moréri atribue ce poëme 
à Léo Piacentius. V. Plaisant , dans Tëdition de 
Moréri de 1718. 

(2) Bernardî Morlanensîs , Mônachî ùrdinis Clunîa- 
censîs^ ad Petrum Cluniacensem Abbàlem qui clâruit 
anno 1140 , de Contemptu Mundi , libri très , ex ve- 
tëribus membrànis recens descripli. Brema?, anno 



a38 OE u . V II E s 

encore plus grande ; il a fait un poënoede 3956 
vers de six pies, dont le dernier seul est ua 
spondée, les cinq autres sont autant de daC'* 
t^les. Le second pie rime avec le quatrièmei 
et le dernier mot d'un vq^s rime avec le dernier 
mot du vers qui le suit , à la manière de noi 
vers François à rimes suivies ; en voici le co- 
mencement : 

Hora noyissima , t^mpora péssîma sont , ylgUémus* 
Ecce mmêLciter imminet àrbùer iile anprémus. 
Imminet y imminet ut mala términet , œqua covénetf 
Recta rémunérer , ânxia libérer : œthera donet : 
Aiiferat âspera^ durâque p6ndera mentis onûsta, 
66bria mïmiat , {mproba pi/m'a/ , lit raque ]ustè , 
îiie i^ussimu s , ille grayissimus eccè venît Rex* 
Surgat homo reus , instat homo Deus , â pâtre ju<kr« 

Les poèmes dont je vieins de parler sont aujour- 
d'hui au même rang que les acrostiches et les 
anagrames (i). Le goût de toutes ces sortes 

(1) L'acrostiche est une sorte d'ouvrage en vers, 
dont chaque vers comence par chacune des lettres qui 
forment un certain mot. A la tête de chaque cotnéaii 
de Planté ^ il y a un argument fait en acrostiche: c'est 
' le nom de la pièce qui est le mot de Facrostiche ; par 
exemple : Ampliitruo , le premier vers de rargumeot 
comence par un A, le second par un M , ainsi de suite. 
Ces ai-gumens sont anciens , et madame Dacier^ dans 
ses remarques sur oelui de TAmphytrion , fait en- 
tendre que Plante en est Tauteurï 

Giceron nous aprendqu'£nnius0voit fait desacros- 
tiches; «x/»or/>'K dicitur, cumdeinceps ex primis vérsuum 
litteris àliquid connéctitur p ut in quibusdam EnniâniSi 
Cic. de Divinatiône 1. 2 , n. m, ûLlter-Liy* 

S* Augustin , de Civ- Dei h xvii, c. 2!^, parle d'un 
acrostiche de la Sibj^le Erjrthrëe , dont ies lettre* 
initiales formoient ce sens y a'*^»? X^/rof 0«o« Tioç ï^m-v* 

Au reste, acrostiche vient de deux mots grecs ««•«» 



2. 



D IS DU M A R^S A I S. sSq 

d'ouvrages , heureusement , est passé. Il y a eu • 

un tems où les ouvrages d'esprit tiroient leur 
principal mérite delà peine qu'il y avoit à les 
produire , et souvent la montagne étoit récom- 
pensée de n'enfanter qu'une souris, pourvu 
qu'elle eût été long-tems en travail. Aujour- MoUèr* 
^liui le tems et la dificulfé ne font rien à ^^^^^ 

ty r ' • * -^ . . I , se, 

Âujaire; on aime ce qui est vrai, ce qui ms- 
'ftruit , ce qui éclaire , ce qui intéresse , ce qui a 
"ijm objet raisonable ; et Ton ne regarde plus 
les mots que come des signes auxquels on ne 
s'arête que pour aler droit à ce qu'ils signifient. 
l.a vie est si courte , et il y a tant à aprendre à 
€:out âge , que si l'on a le bonheur de surmonter 
Jla paresse et l'indolence naturèle de l'esprit , 
<3n ne doit pas le mettre à la torture sur des 
x-iens , ni l'apliquer en pure perfce. 



«Timmus , qui est â une des extrémités-^ et ç-/;)^ oç y ersus , 
Ordo. Ài^poç-tyiç , H , et eLKpoç-t^Qv , To ', înitium versus. 

A l'égard de Vanagrame , ce mot est encore grec : 
il est composé de la préposition .clyà qui dans la com- 
position des roots , répond souvent à retrb , rè ; et 
àe y^Â,ufAti lettre. L'anagrame se fait lorsqu'en dépla- 
çant les lettres d'un mot , on en forme un autre mot , 
<jui' a une signification diférente y par exemple ^ de 
Xiioraine on a fait Alérion. 

Il ne paroît pas que les anagrames aient jamais été 
en usage parmi les Latins. 



2^|0 OK U V R E S 

X I. 

Sens Abstrait , Sens Concret. 

v_jE mot abstrait vient du latin abstrdctus^ 
participe à^abstrdhere , qui veut dire ft'ner 
aracher j séparer de. 

Tout corps estréèlementétendu en longuenr, 
largeur et profondeur, mais souvent on pense 
à la longueur sans faire, atention à la largeurni 
à la profondeur , c'est ce qu'on apèle faire abs- 
traction de la largeur et de la profondeur ; c est 
considérer la longueur dans un sens abstrait: 
c'est ainsi qu'en géométrie on considèrelepoint, 
la ligne, le cercle , sans avoir égard ni à un tel 
point , ni à une telle ligne ^ ni à un tel cercle 
phjsique. 

Ainsi, en'général , le sens abstrait est celui 
par lequel on s'ocuj>e d'une idée , sans faire 
atention aux autres idées qui ont un raport 
naturel et nécessaire avec cette idée. 

1^. On peut considérer le corps en généial 
sans penser à la figure ni à toutes les autres 
propriétés particulières du corps physique :|< 
c'est considérer le corps dans un sens abstrait, 
c'est considérer la chose sans le mode , corne 
parlent les philosophes , res abaque modo. 

Q?. On peut , au contraire y considérer les 
propriétés des objets sans faire atention à aucun 
sujet particulier auquel elles soient atachées, 
modus absque re. C'est ainsi qu'on parle de 
la blancheur, du mouvement^ du repos , sans 

faire 



/ 



DE D U M À R S A I S» 34x. 

faire aucune atention particulière à quelque 
objet blanc^ nia quelque corps qui soit en mou- 
Yenient ou en repos. 

L'idée dont on s'ocupe par abstraction , est 
tirée , pour ainsi dire , des autres idées qui ont 
raport à celle-là , elle en est corne séparée , et 
c'est pour cela qu'on Tapèleidée abstraite. 

L^abstraction est donc une sorte de sépara-* 
tion qui se fait par la pensée. Souveht on consi- 
dère un tout par parties , c'est une espèce d'abs- 
traction^ c'est ainsi qu'en anatomie on fait des 
démonstrations particulières delà tête ^ ensuite 
de la poitrine, etc. , mais c'est plutôt diviser 

Jru'al^traire ; on apèle plu^ particulièrement 
aire abstraction ,- lorsque l'on considère quel- 
que- propriété des objets sa«s faire atention ni 
à l'objet , ni aux autres propriétés , ou lorsque 
Ton considère l'objet sans les propriétés. 

Le sens conctet , au contraire , c'est lorsque 
l'on considère le sujet uni au mode ^ ou le mode 
uni au sujet ; cesl lorsque l'on regarde un s,ujet 
tel qu'il est , et que l'on pense que ce sujet et 
sa qualité ne font ensemble qu'une mémecnose, 
et forment un être particulier ; par exemple : 
ce papier blanc , cette table quarrée , cette 
boîte, ronde ; blanc , quarrée , ronde , sont 
dits alors dans un sens concret. 

Ce mot concret vient du latin concrétus , 
participe de concréscere , croître ensemble , 
s^épaissir , se^ coaguler , être composé de ; ea 
éfef , dans le sens concret , les adjectifs ne 
forment qu'un tout avealeurs sujets , ou ne les 
sépare point l'un de l'autre par la pensée. 

Le concret renferme donc toujours deux 
idées j celle du sujet et celle dé la propriété. 
Tome III. . Q 



Tous les substantifs qui sont pris adjeclîve- 
inent-, sont alors des termes concrets; ainsi 
quand on dit Petrus est homo; homo est alors 
un ternie concret, Petrus est habens hunwr 
nitdtem. 

Observez qu'il y a de la diférence entre faire 
abstraction et se servir d'un terme abstrait. Oa 
peut se servir de mots qui expriment des objets 
réels y et faire abstraction ^ corne quand on 
examine quelque partie d'un tout , sans avoir 
égard aux autres parties : on peut , au contraire^ 
se servir de termes abstraits, sans faire abstrac- 
tion y come quand on dit que la fortune est 
aveuglB. •% 

Des termes abstraits^ 

Dans le langage ordinaire ;, abstrait se prend 
pour subtil , métaphysique : *ces* idées sont 
abstraites , c'est-à-dire , qu'elles demandent 
de la méditation , qu'elles ne sont pas aisées à 
comprendre, qu'elles. ne tombent point sous 
les sens. 

On dit aussi a'un home qu'il est abstrait 
quand il ne s'ocupéque de ce qu'il a dans l'es- 
prit , sans se prêter à ce qu'on lui dit. Mais ce 
que j'entens ici par termes abstraits , ce sont 
les mots qui ne marquent aucun c^jet qui existe 
hors de notre imagination. 

Que les homes pensent au soleil , ou qu'ils 
n'y pensent point , le soleil existe ; ainsi le mot 
aie soleil n'est point un terme abstrait. 

Mais beauté , laideur, etc. sont des termes 
labstraits. Il y a des objets qui nous plaisent et 
^ue nou« %rQuyon$ beaux } il y en a d'autres, 



t)E DtJ MAKSAtJI* ^ !2^S 

au contraire > qui nous afectent d'une manière 
désagréable 9 et que nous apelons laids; mais 
il ny a aucun être réel qui soit la beauté ou la 
laideur. Il y a des homes ^ mais rhumanité 
n'est point , c'est-à-dire ^ qu'il n'y a point un 
être qui soit rhumanité. 

Les abstractions ou idées abstraites suposent 
lés impressions particulières des objets ^ et la 
méditation^ c'est-^à-dire^ les réflexions que 
nous fesons naturèlement sur ces impressions. 
C'est à Focasion de ces im^essions crue nous 
considérons ensuite séparément , et inaépenda- 
xnent des objets, les dirérentes afections qu'elles 
ont fait naître dans notre esprit , c'est ce que 
nous apelons les propriétés des objets : je ne 
considererois pas le mouvement en lui-même p 
si je n'avois jamais vu de corps en mouvement. 

Nous somés acoutumés à doner des noms 
particuliers aux objets réels et sensibles; nous 
en douons aussi par imitation aux idées abs- 
traites , come si elles représentoient des êtres 
réels ; nous n'avons point de moyen plus facile 
pour nous comuniquer nos pensées. 

Ce qui a sur-tout doné lieu aux idées abs- 
traites , c'est l'uniformité des impressions qui 
ont été excitées dans notre cerveau par des 
objets diférens , et pourtant semblables en un 
certain point : leà homes ont inventé des mots 
particuliers pour exprimer cette ressemblance, 
cette uniformité d'impression dont ils se soht 
formé une idée abstraite. Les mots qui expri- 
ment ces idées nous servent à abréger le dis^ 
cours , et à nous faire entendre avec plus de 
facilité ; par exemple, nous avons vu plusieurs 



^44 , CE U V R E s 

objets blancs , ensuite pour exprimer l'impres- 
sion uniforme que ces diférens objets nous ont 
causée , et pour marquer le point dans lequel 
ils se ressemblent y nous nous servons du mot 
de blancheur. 

Nous somes acoutumés dès notre enfance â 
voir des corps qui passent successivement d'une 
place à une autre; ensuite,pour exprimer cette 
propriété et la réduire à une sorte aidée géné- 
rale , nous nous servons du terme de mouvez 
ment. Ce que je veux dire s'entendra mieux par 
cet exemple. 

Les noms que Ton done aux tropes ou figures 
dont nous avons parlé , ne représentent point 
des êtres réels ; il n'y a point d'être , point de 
substance , qui soit une métaphore , ni une 
métonymie ; ce sont les difé rentes expressions 
métaphoriqjues , et les autres façons de parler 
figurées qui ont doné lieu aux maîtres de l'art 
d'inventer le terme de métaphore , et les autres 
noms des figures : par là ils réduisent à une 
espèce , à une classe particulière les expressions 
qui ont un tour pareil sçlon lequel elles se 
ressemblent , et c'est sOus ce raport de ressem- 
blance qu'elles sont comprisesdans chaquesorte 
particulière de figure , c'est-à-dire , dans la 
même manière d exprimer les pensées : toutes 
les expressions métaphoriaues sont comprises 
sous la métaphore , elles s y raportent ; ridée 
de métaphore est donc une idée abstraite qui 
ne représente aucune expression métaphorique 
en particulier ^ mais seulement cette sorte d'idée 
générale que les homes se sont faite pour ré- 
duire à une classe à parties expressions figurées 



k. 



I) £ DU M A II 5 A I S. ^4^ 

d'une raème espèce , ce qui met de Tordre et 
de la néteté dans nos pensées , et abrège nos 
discours. 

Il en est de même de tous les autres noms 
d^arts et de sciences : la physique, par exemple, 
n'existe point , c'est-à-dire , qu'il ny a point 
un être particulier qui soit la physique j mais 
les hotpes ont fait un grand nombre de reflexions 
sur les diférentes opérations de la nature ; et 
ensuite ils ont doné le nom de science physique 
au recueil ou assemblage de ces réflexions , ou 
plutôt à Tidée^abstraite à laquelle ils raportent 
toutes les observations qui regardent les êtres 
naturels. 

Il en est de même de douceur , amertume , 
être , néant , vie y mort y mouvcjnent ^repos^ etc. 
Chacune de ces idées générales , quoi qu'on 
dise , est aussi positive que l'autre ,/puisqu'elle 
peut être également le sujet d'une proposition. 

Comeles diférens objets blancs ont doné lieu 
à notre esprit de se former Tid^ de blancheur, 
idée abstraite , qui ne marque , qu'une sorte 
d'afection del'esprit; de même les divers objets 
qui nous afectent en tant de manières diférentes, 
nous ont doné lieu de nous former ViÀée&étre^ 
de substance y èiexistance; sur-tout^ lorsque 
nous ne considéronsles objets que comeexistans, 
sans avoir égard à leurs autres propriétés par- 
ticulières : c'est le point dans lequel les êtres 
particuliers se ressemblent le plus. 

Les objets réels ne sontjpas toujours dans I^ 
même situation j ils châ"ngent de place ^ ils 
disparoissent , et nous sentons réèlement ce 
changement et cette absence : alors il se passe 
en nous une afection réèle , par laquelle nous 



:j46 ce it V il X 5 

sentons que nous ne recevons i^ucune îtapres- 
sion d'un objet dont la présence excitoit en 
nous deux éfets sensibles ; de là l'idée d'absence^ 
de privation , de néant : de ^orte que quoique 
le néant ne soit rien en lui-même , cependant 
ce mot marque une afection réèle de Tesprit , 
c^est tine idée abstraite que nous aquérôns par 
Tusage de la vie , à Tocasion de l'absence des 
objets , et de tant de privations qui nous font 
plaisir ou qui nous afligeut. 

Dès que nous avons eu quelque usage de 
notre faculté de consentir ou de ne pas consentir 
à ce qu'on nous proposoit, nous avons consenti^ 
ou nous n'avons pas consenti , nous avons dit 
oui^ ou nous avons dit non : ensuite à mesure 
que nous avons réfléchi sur nos propres senti- 
raiens intérieurs , et que nous les avons réduits 
à certaines classes , nous avons apelé afirmation 
cette manière uniforme dont notre esprit est 
afecté quand il aquiesce y quand il consent ; et 
nous avons apeWnégation la manière dont notre 
esprit est afecté quand il sent qu^il refuse de 
consentir à quelque jugement. 
'^ Lés termes abstraits^ qui sont en très-grand 
nombre ,'»ne marquent donc que des afections 
de l'entendement ; ce sont des opérations na- 
turèles de l'esprit , par lesquelles nous nous 
formons autantde classes diférentes deâ diverses 
sortes d^impressions particulières , dont nous 
somes afectés par l'usage de la vie. Tel est 
l'home. Les ndms de ces classes diférentes ne 
désignent point des êtres réels qui subsistent 
hors de nous. Les objets blancs sont des êtres 
réels ; mais la blancheur n'est qu'une idée abs- 
traite : les expressions inétaphoriques sont tous 



DE DV MAUSAIS. ^4? 

les jours en usage dans le langage des homes 9 

.mais la métaphore n'est que dans l'esprit des 
grammairiens et des rhéteurs. 

Les idées abstraites que nous aquérqns par 
l'usage de la vie ^ sont en nous autant d'idées 
exemplaires qui nous servent ensuite de règle 
et de modèle pour juger si un objet a ou n'a 
pas telle ou telle propriété, c''èst-à-dire , s'il 
fait ou s'iKhe fait pas en nous vme impression 
semblable à celle que d'autres objets nous ont 
causée 9 et dont ils nous ont laissé l'idée ou 
afection hjabituèle. Nous réduisons chaque sorte 
d'impression que nous recevons , à la classe à 
laquelle il nous paroît qu'elle se raporte j nous 
raportons toujours les nouvèles impressions aux 
anciènes ; et si nous ne trouvons pas qu'elles 
puissent s'y raporter , nous en fesons une classe 
nouvèle ou une classe à part , et c'est de là que 
viènent tous les noms apellatifs , qui marquent 
des genres ou des espèces particulières , ce sont 
autant de termes abstraits quand on n'en fait 
pas l'aplication à quelque individu particulier; 
ainsi quand on considère en général le cercle , 
une ville , cercle et ville sont des termes abs- 
traits ; mais s'il s'agit d'un tel cercte , ou d'une 
telle ville en particulier , le terme n'est plus 
abstrait. 

Ce que nous venons de dire , que nous aqué- 
rons ces idées exemplaires par rùsage de la vie> 

. fait bien voir qu'il ne faut point élever les jeunes 
gens dans des solitudes , et qu'on doit ne. leur 

• montrer que du bon et du beau autant qu'il est 
possible. C'est un avantage que les enfans des 
grands ont au-dessus des enfans. des autres 

, homes ; ils voient un plus grand nombre d'ob- 

Q4* 



^48 CE V y R c s 

jets , et il y a plus de choix dans ce qu'on leur 
montre ; ainsi ils ont plus d'idées exemplaires, 
et c'est de ces idées que se forme le goût. Un 
jeune home qui n'auroit vu que d excélens 
tableaux y n'aamireroit guère les médiocres. 

En termes d'arithmétique ^ quand on dit 
trois louis j dioc homes , en un mot , quand 
on aplique le nombre à quelque sujet particu- 
lier , ce nombre est apelé concret , au lieu que 
. si Ton dit deux et deux font quatre , ce sont^li 
des nombres abstraits , qui ne sont unis à aucun 
sujet particulier. On considère alors par abs- 
traction le nombre en lui-même, ou plutôt 
ridée de nombre que nous avons aquise par 
l'usage de la vie. 

Tous les objets qui nous environent et dont 
nous recevons des impressions , sont autant 
d'êtres particuliers que les philosophes apèlent 
des individus. Parmi cette multitude innom- 
brable d'individus , les uns sont semblables aux 
autres en certains points : de là les idées abs- 
traites de genre et d'espèce. 

Remarquez qu'un individu est un être réel 
que vous ne sauriez diviser en un autre lui- 
même : Platon ne peut être que Platon. Un 
diamant de mille écus peut être divisé en plu- 
sieurs autres diamans , mais il ne sera plus k 
diamant de mille écus : cette table y si vous la 
divisez , ne sera plus cette table ; de là l'idée 
d'unité , c'est-à-dire , l'afection de Tesprirqui 
conçoit l'individu dans un sens abstrait. 

Observez encore qu^il n'est pas nécessaire 
que j'aie vu tous les objets blancs pour me former 
1 idée abstraite de blancheur ; un seul objet 
blanc pouroit me faire naître cette idée^ et 



1) B D U M A R S A I 5. 3/|9 

dans la suite je n'apèlerois blanc que ce qui y 
seroit conforme , corne le peuple n'atribueies 
propriétés du soleil qu'à Tastre qui fait le jour. 
Ainsi il n'est pas nécessaire que j aie vu tous les^ 
cercles possibles , pour vérifier si dans tout 
xercleles lignes tirées du centre à la circonfé- 
rence sont égales j un objet qui n'a pas cette 
propriété, n'est point un cercle , parce qu'il 
n'est pas conforme à ridée exemplaire que j'ai 
aquise du cercle , par l'usage de la vie , et par 
les réflexions que cet usage a fait naître dans 
mon esprit. 

La fortune , le hazard et la destinée , que l'oa 
personifie si souvent dans le langage ordinaire , 
ne sont que des termes abstraits. Cette multi- ^ 

tude d'évènémens , qui nous arivent tous les 
jours , sans que la cause particulière qui les ' 
produit nous soit conue , a afecté notre esprit 
de manière qu'elle a excité en nous Tidée indé-» 
terminée d'une cause inconue que le vulgaire a 
Sk^itXèe fortune , hazard ou destinée : ce sont 
des idées d'imitation formées à l'exemple des 
idées que nous avons des causes réèles. 

Les impressions q«e nous recevons des objets, 
;et les réflexions que nous fesoas sur ces impres- 
sions par l'usage de la vie et par Içi méditation , 
sont la source ae toutes nos idée^^^ c'est-à-dire > 
de toutes les afections de^flibtre e^rit quand il 
conçoit quelque chose, de quelque; manière qu'il 
la conçoive : c'est ainsi que l'idée de Dieu nous 
vient par les créatures qui nous anoncent son 
existatice et ses perfections : * Cœli enarrant * Psai, 
glôriam Dei. ** Invisihilia enim ipsiusper ea \l^\,^ 
<juœ facta sunt intellécta, contipiciùntur , i,v. 20 
sempitéma quoque ejiis virtus et divinitas. 



i5o OB U V R E s 

U ne montre nous dit qii'ily a un ouvrier qui Yi 
faite ; l'idée qu'elle fait naître en moi de cet 
ouvrier, quelque indéterminée qu'elle soit> n'esl 
point ridée a un être abstrait , elle est Tidéc 
d'un être réel qui doit avoir de Vintellieence 
et de Tadre^se : ainsi Tunivers nous aprendqull 

• y a un créateur qui Ta tiré du néant , qui le 
conserve , qu'il doit avoir des perfections infi- 
nies , et qu'il exige de nous de la reconoissaDce 
et des adorations. 

Les abstractions sont une faculté particulière 
de notre esprit, qui doit nous faire reconoître 
combien nous somes élevés au-dessus des êtres 
purement corporels. 

Dans le langage ordinaire , on parle des abs« 
tractions de l'esprit come on parle des réalités; 
les termes abstraits n'ont même été inventés, 
qu'à l'imitation des mots quiexpriment des êtres 
physiques. C'est peut-être ce qui a doné lieu à ■ 
un çrand nombre d'erreurs où les homes sont 
tombés , faute d'avoir reconu que les mots dont 
ils se servoient en ces ocasions , n'étoient que les 
signes des afections de leur esprit, en un mot, 
de leurs abstractions , et non l'expression d'ob- 
jets réels ; de là l'ordre idéal confondu avec 

* Absit cr- Tordre physique ; de là enfin Terreur * de ceux 
trJmsesc^c ^^^ croient savoir ce qu'ils ignorent , et qui 
<iuod ncf- parlent de leurs imaginations métaphysiques 
ciunt. Aug, avec la même assurance que les autres homes 
':/^:^ut P^'-lent àes objets réeh. 

FiJe , Spe, et Lcs abstraclious sont un pays où ily a encore 
Char. cap. bie^i des découvcrtcs à faire , et dans lequel ou 
218.* pYris^, feroit quelques progrès , si l'on ne prenoit pas 
x685. pour lumière ce qui n'est qu'une séduction dé- 

licate de l'imagination , et si l'on ^ pou voit se 



D £ DU M A R S A I S. !s5l 

râpeler , sans prévenCîon , la manière dont nous 
Lvons aquis nos idées et nos conoisances dans 
es premières années de notre vie;. mais cela 
l'est pas maintenant de mon sujet. 

Réflexions sur les abstractions , par raport à 
la manière (T enseigner. i 

Corne c'est aux maîtres que j'adresse cet 
mvrage , je crois pouvoir ajouter ici quelques 
*éflexions par raport à la manière d^enseigner. 
Le grand art de*la didactique (i), c'est de savoir 
>ronter des jcpnoissances qui sont déjà dans 
'esprit.de ceux qu'on veut instruire , pour les 
mener à celles qu ils n'ont point ; c'est ce qu'on 
ipèlealer du conu à l'inconu. Tout le monde 
convient du principe^ mais dans la pratique on 
l'en écarte , ou faute di'atention , ou parce qu^ôn 
lupose dans les jeunes gens des conoissances 
ju'ils n ont point encore aquises. Un métaphy- 
jicien qui a médité sur l'infini , sur l'être en 
général, etc., persuadé que ce sont là autant 
i' idées innées , parce qu'elles sont faciles à 
iquérir, et qu'elles lui sont familières, nedoute 
point que ces conoissances ne soient aussi fa- 
oiilières au jeune home qu'il instruit , qu'elles 
e sont à lui-même ; sur ce fondement , il parle 
toujours j on ne l'entend poiht , il s'en étone ; 
1 élève la voix, il .s'épuise , et on l'entend 
encore moins. Que neserapèle-t-il les premières 
années de son enfance ? Àvoit-il à cet âge des 



(i) La didactique, c'est Fart d'enseigner. Ltliitnmçy 
iptus ad docéndum. Ul^tm » d6ceo. 



aSa OE u y R E s 

conoissances auxquelles if n^a pensé quedansk 
suite ^ par le secours des réflexions, et après, 
que son cerveau a eu aquis un certain degrede 
consistance ? En un mot , conoissoit-il alorsxe 
qu'il ne conoisoit pas encore, et ce qui luit 
paru nouveau dans la suite , quelque faciliti 
qu'il ait eue à le concevoir ? 

Nous avons besoin d'impressions particu- 
lières , et, pour ainsi dire , préliminaires , pour 
nou3 élever ensuite, par. le secours de rexpé-* 
rience et des réflexions, jusqu'à la subliinité 
des idées abstraites : parmi celles-cî , les unes 
sont plus faciles à aquérir que les autres ; l'usage 
de la vie nous mène â quelques - unes presque 
sans réflexion , et quand nous venons ensuite 4 
nous apercevoir que nous les avons aquises , 
nous les regardons corne nées avec nous. 

Ainsi il me paroit qu'après qu'on a aquis un 
grand nombreae conoissances particulières dans^ 
quelque art ou dans quelque science que ce soit, 
on ne sauroit riea faire ae plus utile pour soi» 
même , que de se former des principes d'après 
ces conoissances particulières , et de mettre par 
cette voie , de la nèteté , de l'ordre , et de l'aran- 
gement dans ses pensées. 

Mais quand il s'agit d'instruire les autres, il 
faut imiter la nature ; elle ne comence' point I 
par les principes et par les idées abstraites : ce 
seroitcomencerparl inconu ; elle, ne nous done '* 
point l'idée à'anirrial avant que de nous mon- 
trer des oiseaux , des chiens , des chevaux , etc. 
Il faut des principes : oui sans doute ; mais il 
en faut en tems et lieu. Si par principes vous 
entendez des règles , des maximes , des notions 
générales , des idées abstraites qui renferment 



PE DU MARSAIS. ^55 

les conoissances particulières , alors je dis qu'il 
ae faut point comencer par de tels principes. 

Quesiparprincipes vous entendezdesnotions 
comunes^ des pratiques faciles , des opérations 
aisée's qui ne suposent dans votre élève d'autre 
pouvoir ni d'autres conoissances que. celles que 
vous savez bien qu'il a déjà ; alors , je conviens ^ 
C[u'il faut des principes , et ces principes ne 
sont autre chose que les idées particulières qu'il 
fcut leur doner , avant que dé passer aux règles 
et aux idées abstraites. 

Les règles n'aprènent qu'à ceux qui savent 
déjà , parce que les règles ne sont que des ob- 
servations sur Tusage : ainsi comencez par faire 
lire les exemples des figures avant, que d'en 
doner la définition. 

Il n^j a rien de si naturel que la logique et 
les principes sur lesquels elle est fondée ; ce- 
pendant les jeunes logiciens se trouvent come 
dans un monde nouveau ,dans les premiers tems 
qu'ils étudient la logique , lorsqu'ils ont des 
maîtres quicomencentparleurdoner,èn abrégé, 
le plan général de toute la philosophie ; qui 
parlent de scienc'e^ de perception , ô^idée^ de 
iugement , àejin , de cause , de catégorie ^ 
ïunii^ersduao , de degrés métaphysiques , etc. 
come si c'étoient là autant d'êtres réels , et non 
de pures abstractions de l'esprit. Je suis per- 
suadé que c'est se conduire avec beaucoup plus 
îe méthode , de comencer par mètre , pour 
lînsi dire , devant les yeux quelques-unes des 
censées particulières qui ont doné lieu de 
'ormet* chacune de ces idées abstraites. 

J'espère traiter quelque jour cet article plus 
în détail , et faire voir que la méthode analy- 



-l54 OE U V R K s 

tiaue est la vraie mélhode d enseigner, et que . 
celle qu'on apèle synthétique ou de doctrine, 
qui comence par les principes , n'est bone gue 
pour mètre de Tordre dans ce qu'on sait dé]â| 
ou daïis quelques autres ocasions qui ne soni 
pas maintenant de mon sujet* 



AI 



SS 



jQ 



DE DU MA USAI S. ^55 

XII. 

Dernière Observation. 
S^il y a des mots synonymes. 

Nous avons vu qu'un même mot peut avoir 
ar figure d'autres significations que celle qu'il 
dans le sens propre et primitif : Toiles peut 
gnifier vaisseaux. Ne suit-il pas de là qu'il 

a des mots synonymies , et que voiles est 
yrnonjme à vaisseaux ? 

Monsieur l'abbé Girard a déjà examiné cette 
uestion , dans le discours préliminaire qu'il a 
ais à la tête de son traité de la justesse de la A Paris, 
an^ue francoise. Je ne ferai guère ici qu'un ^^" ^ "^** 
Xtrait de ses raisons , et je prendrai même la 
iberté de me servir souvent de s^s termes , me 
ontentant de tirer mes exemples de la langue 
=itine. Le lecteur trouvera dans le livre de 
ri. l'abbé Girard de quoi se satisfaire pleine- 
aent sur ce qui regarde le françois. ^ 

« On entend comunéraent par synonymes 
I les mots qui ne diférant que par l'articulation 
' de la voix , sont semblables par l'idée qu'ils 
' expriment. Mais y a-t-il de ces sortes de 
• mots ? 11 faut distinguer : 

» Si vous prenez le terme de synonyme dans id. p. $6 «t 
) un seïïs étendu pour une simple ressem- ^7- 
s blance de signification , il y a des termes 
r synonymes , c'est-à-dire , qu'il y a àes mots 
\ qui expriment une même idée principale : n 



256 OE U V R £ s 

fcn^ y bajuldre , portât e , tôUcre, substinére^ 
gérere , gestdre , seront en ce sens autant de 
synonymes. 
F-. t8. Mais si par synonymes vous entendez des 
mots qui ont « uneressemblancecTesignification 
» si entière et si parfaite , que ]e sens pris dans 
» toute sa force et dans toutes ses circonstances 
I) soit toujours et absolument le même^ ensorte 
)> qu'un (les synonymes ne signifie ni plus ui 
» moins que l'autre ; qu'on puisse les employer 
D indiférament dans toutes les ocasions , et qui! 
)) n'y ait pas plus de choix à faire entre erfx 
» pourlasignificalionetpourl'énergie^qu'eDtre 
» les goûtes d'eau d'une n^ème source pour le 
i> goût et pour la qualité : dans ce second sens, 
)) il n'y a point de mots synonymes en aucune 
» langue ». Ainsi Jerre , bajulàrei , portait fi 
tôlière , substinére , gérere , gestdre , auront 1 
chacun leur destination particulière : en éfet» 
Ferre , signifie porter , c'est l'idée principale! 
Bajuldre , c'est porter sur les épaules ou sur 
le cou. 

Portdre se dit proprement lorsqu'on fait 

porter quelque chose sur des bêtes de some, 

sur des charètes ou par des crocheteurs. Portàn 

^ dicimus ea qïiœ qiiis juménto secum ducit* 

Voyez le litre XVI du cinquantième livre da 

Digeste de verbôrum significatiône. 

Titc-Lîvc , Tôlière y c'est lever en haut; d'où vient k 

1. xy.xvIlI,g^]^3^.Q^^.Jf tolléno , ônis , c'est une machine i 

V. Xoiicno. tirer de 1 eau d un puits^ 

Sustinére j c'est soutenir^ porter pour em- 
pêcher de tom ber . 
Corn. Ncp. Gérere , c'est porter sur soi : Galecun gérere 
*^- ^- in cdpite. 

Gestàn 



i^estdre vient de gérera , c'est faire parade 
de ce qu'on porte. 

Malgré ces diférences , il arîve souvent que 
dans la pratique on emploie ces mots Tun poui^ 
l'autre par figure , en conservant toujours Tidée 
principale , et en ayant égard à Tusàge de la 
langue ; mais ce qui fait voir qu'à parler exac- 
tement , ces mots ne sont pas synonymes , c'est 
qu'il n'est pas toujours permis de mètre indifé- 
ràment l'un pour l'autre. Ainsi quoiqu'on dise 
morem gérêre ^ on ne diroit pas morem ferre 
ou morem portdrè , etc. Les Latins Sentoient 
mieux que nous ces diférences délicates , dans 
le tems même qu'ils ne pouvoient les exprimer, 
nihil intcr factam, et gestum interest , lîcet LAica. 59. 
n^idedtur quœdam subtilis dijferéntia , dit un^^g^st. do 
ancien jurisconsulte. D'autres ont remarqué ^^J^^^g^^^^ 
que acta prôpriè ad togam spectant, gesta adiïàut, 
militiam. Varron dit que c'est une erreur de 
Confondre dgere , fdcere et gérere , et qu'ils 
ont chacun lebr destination particulière (i)* 

Nous avons quelques recueils des ancien^ 
grammairiens, sur la propriété des mots latins : 
tels sont Festus de ojeraôrum signljicatiône ; 



(0 Propter sîmilitildînem agëndi , et facidndi ,.et 

gerëndi , quidam error his qui putant esse ununa : 

potest enim quis àliquid fâcere et non âgere : ut poçta 

facit fâbulam et non a^t ; contra actor à^it et non 

facit, et sic à poeta fàbula^f et non àgitury ab act6re 

dgitur et non Jit : contra Imperàtor qui dicitur res 

gerere , in eo neque agit , neq^e facit , sed gerit , id 

estsiistinet: tr.anslatum ab his qui 6nera gerunt qu6d 

^stinent. \ kkk. de ling^ laU 1. y. 5ub finem. 

Tome III. R 



a5d CE U V R E s 

JVonius Marcellus de vàrid signtficatiàne ser^ 
mônum» Voyez Qrammdtlci véteres. 

On. peut encore consulter un autre recueil 
qui a pour titre : Autàres Unguœ latinœ. De 
plus , nous avons un grand nombre d'observa- 
tions répandues dans W dLVTon de lin^ud latind ^ 
dans les comentaires de Donat et de Servius : 
elles font voir les diférences qu'il y a entre 
plusieurs mots que Ton prend comunément 
pour synonymes. Quelques auteurs modernes 
ont fait àes réflexions sur le même sujet y tels 
sont le P. Vavasseur , jésuite , dans ses reroar- 

Sues sur la langue latine ; Scioppius , Henri- 
Itiène^ de latinitdte falsb suspecté , et plu- 
sieurs autres. 

On tire aussi la même conséquence de plu- 
sieurs passades des meilleurs auteurs ; void 
deux exemples tirés de'Cicéron, qui font voir 
la diférence qu'il y a entre amdre et diligere. 
ccr. Ep. Quis erat qui /jutdret ad eum amôrem quem 
am. 1. 9. g^gr^ ^e hab bam y posse dliquid accéaereV 
Tantum accès si t^ ut inihi nunc dénique amdre 
a)idear y dnteà dUexLse. w Qui l'auroit pu 
» croire^ dit Cicéron , quel'afection que j'avois 
» pour vous eut pu recevoir quelque degré de 
» plus? Cependant elle est si fort augmentée ^ 
» que je sens bien qu'à la vérité vous m'étieï 
1) cher autrefois , mais qu'aujourd'hui je vous 
» aime tendrement. 

Et au livre i3 , ép. 47 » Qui d ego tibi com^ 
méndem eum quem tu ipsedil gis; sed tamen, 
ut scires e: m non à me diligi solum , ^erum 
étiam amdri , ob eam rem tibi hœc scribo» 
(( Vous l'aimez, mais jelaime encore dayan- 



!*• 



DE DU MARSAIS. ^Sg 

1) tage ; et c^est pour cela que je vous le re-' j^ 
D comande ». 

Voilà une diférence bien marquée, entre 
amdre et diligere '; Cicéron observe ailleurs Xuscui, l. 
qu'il y a do la diférence entre dolére et /a- ^» ^- *?• 
boràre^ lors même que ce dernier mot est pris ' 
dans le sens du premier : Interest àliquid inter 
lahàrem et dolôrem ; . sunt Jînitimà omnino , 
sed tamen differt àliquid : labor è'st fùnctio 

- quœdam vel dnimi vel càrporis , gracions 
ôperis "vel mùneris ; dolor autem motus asper 

" in côrpore. . . dliud inquam est dolére ^ dliud 
labordre. Cum vdrices secabdntur Cn. Mdrio, 
dolébat ; cum œstu magno duçébat agmen , 
labordbat» 

Les sa vans ont observé dépareilles diférences 
entre plusieurs autres mots , que les jeunes gens 
et ceux qui manquent de goût et de réflexion 
regardent corne autant de synonymes. Ce qui • 

' fait yoir qu'il n'est peut-être pas aussi utile 
qu'on le pense de faire le thème en deux 
iaçons. 

M. de la Bruyère remarque « ^vl^ entre toutes Caract. des 
3) les diférentes expressions qui peuvent rendre 0^7- <*« i'«* • 
j) une seule de nos pensées ^ il rCy en a qu'une ^"^' 
ji) qui soit la bone : que tout ce qui ne Vest 
})' point est/oible y et ne satisfait pas un home 
» d'esprit ». Ainsi»ceux qui se sont doné la 

})eine de traduire les auteurs latins en un autre 
àtiri , en afectant d'éviter les termes dont ces 
auteurs se sont servis , auroient pu s'épargner 
un travail qui gâte plus le goût qu'il n'aporte de 
lumièjce. L'une et l'autre pratique est une fé- ^ 

. condîté stérile qui empêche de sentir la pro*« 



36o OE U V R É $ 

{)riété des termes , leur énergie , et la finesse de 
a langue , come je lai remarqué ailleurs. 

Liiicus yeut dire un bois consacré à quelque 
divinité ; Sjyha , un bois en général : Virgile 
ne manque pas à cette distinction ; mais le tra- 
ducteur latin est obligé de s'écarter de Texacti- 
tude de son original. 

rg. Ecl. ISe quîs sit lucus quo se plus jactet Apùllo. 
.73. 

Ainsi parle Virgile. Voici cornent on le tra- 
duit : Ut nulla sit syha , qud magis Apôllo 
! glorlétur. 

Nex , necis , vient de necàre , et se dît d'une 
mort violente ; aii lieu que mors signifie sim- 
plenient la mort , la cessation de la vie, Virgile 
dit, parlant d'Hercule : 

n. S.v. • . .' . Nece Geryonis spolifsque superbus } 

Mais son traducteur est obligé de dire morte 
Qeryonis. 

Je pourois raporter un grand nombre d'exem- 
ples pareils : je me- contenterai d'observer que 
plus on fera de progrès , plus on reconoîtra 
cet usage propre, des termes , et par consé" 
quent 1 inutilité de ces versions qui ne sont ni 
latines ni frci.nçoises. Ce n'est que pour inspirer 
le goût de cette propriété d«s mots , que je fais 
ici cette remarque. 

Voici les principales raisons pour lesquelles 
il n'y a point de synonymes parfaits. 

i*\ S'il y a voit des synonymes parfaits, il J 
anroit deux langues dans une même langue, 
(^uand on a trouvé le signe exact d'une idée, 



DE i> V MAnSAltÇ. 3i6% 

on n^en cherché pas un autre. Les mots anciens 
et les mots nouveaux d'une langue sont syno- 
nytnes : maints est synonyme de plusieurs ; 
mais le premier n'est plus en usage : c^est la 
grande ressemblance de signification qui est 
cause que Tusage n'a conservé que Tun de ces 
termes , et qu'il a rejeté l'autre corne inutile.. 
L'usage , ce tyran des langues , y opère sou- 
vent des merveilles que l'autorité de tous les 
souverains ne pouroit jamaisy opérer. 

2^. Il est fort inutile d'avoir plusieurs mots 
pour une seule idée ; mais il est très-avantageux 
a'avçir des mots particuliers pour toutes les 
idées qui ont quelque raport entre elles. 

5^. On doit juger de la richesse d'une langue^ 
par le nombre des pensées qu'elle peut expri- 
mer , et non par le nombre des articulations 
de layoix. Une langue sera véritablement riche, 
si elle a des termes pour distinguer, non-seule- 
ment les idées ^principales , mais encore leurs 
diférences , leurs délicatesses , le plus- et le 
moins d'énergie , d'étendue , de précision , de 
simplicité et de composition. 

4^. Ilj^fi des ocasions oii il est indiférent de 
se ser\Wà^*tx\\ de ces mots qu'on apèle syno- 
nymes , phitôt que d'un autre ; mais aussi il y , 
a des ocasions où il est beaucoup mieux de faire 
un choix : il y a donc de la dilérence entre 
ces mots : ils ne sont donc pas exactement sy- 
nonymes. 

Lorsqu'il ne s'agit que de faire entendre l'idée 
comune , sans y joindre ou sans en exclure les 
idées accessoires , on peut employer indistinc- 
tement l'un ou l'autre de ces mots ^ puisqu'ils 

R S 



a63 os U Y R E 5 

sont tous deux propres' à exprimer ce qu'on 
veut faire entendre ; mais cela n'empêche pas 
que chacun d'eux n'ait une force particulière 
qui le distingue de l'autre , et à laquelle il faut 
avoir égard selon le plus ou le moins de préci- 
sion que demandé ce que l'on veut exprimer. 

Ce choix est un éfet de la finesse de l'esprit, 
et supose une grande conoissance de la langue. 






.-,♦ 



DISSERTATION 

SUR 

LA PRONONCIATiON 

ET S U R 

L'ÔRTÔGRAPHE DELA LANGUE FRANÇOISE, 

Où Von examine s^ il faut écrire fran- 
çais f au lieu de françois ^ 

A M^^ ^ *. 



R 4 



AVIS. 

On a été obligé de se conformer jusqu ici 
à V orthographe particulière de Du Marsaisy 
pour respecter ses vues et son système : 
les Ouvrages précédens sont donc publiée 
dans cette édition y tels qu ils furent succès 
sii^ement imprimés sous les yeux de V auteur. 
Quant à ceux qmi vont suii^re , et dont 
une partie na point paru du vii^ànt à& 
Du Marsais y on a cru plus coni^enahle 
d^adopter dans leur publica,fion Vortho^ 
graphe communément usitée aujourd'hui^ 



DISSERTATION (0 

SUR 

LA PRONON.CIATION 

E T S U R 

L'ORTOGRAPHE DE LA LANGUE FRANÇOISE, 

Oïl Von examine s'il faut écrire fran^ 
çais au lieu de françois , 



. Voici, Monsieur , puîsqae vous le voiliez , 
ce que je pense sur la manière d'écrire le mot 
françois par la diphtongue ai français , au 
lieu àe françois par l'orthographe vulgaire. 

Ce sont là des minuties , auxquelles il semble 
que les personnes , qui pensent aussi grande- 
ment que vous , Monsieur , ne devroient pas 
s'amuser ; mais j'ai eu l'honneur de vous en- 
tendre dire plus d'une fois que Yart îngénieuoc 
de peindre la parole intéresse trop la société, 
pour traiter de bagatelle ce qui la concerne ; 
et d'ailleurs il est utile d'accoutumer son esprit 
a penser avec justesse sur les moindres choses. 



(i) Cette Dissertation a paru dans le Mercure 
3DB France du mois d'octobre 1744^ 



:- - V ri E s 

'-: - ::..i . ^r<.Msieur, de rappeler 

■: - i-;::!'.; <.'S, qui nie niellront 

.. . vivLC plus d'exaclitu(le,à 

"\ V .1 '""n de la dlfforence 

i inai.itTe de récrire. 

- .' u . rai:»* (ie in nature , et la 

:■ .-.* .jL '«.uv ryife de r»irt. 

..-■ • .1.:" i i'-juné ie3 i-rtraiies de la 

1' .>•. îis , par Iniilation^ pr 

.■>.ii:'^ , •{".;'■ roiis t^n vovons 

:;:. ..u> v!«. o:i5. Le nième 

..- : . Ils -x entendre ceux qui 

■ ..- . ^-reniL â les imiter, 

■ - ' - *'-;îiâ ri.mnu ce qu'ils 

-':■ î iuiii leur taire con- 

..' .. . - :'j aucun particulier ait 

. M :xu*me utàc seule lan- 

^ : a: -.\:5î.e::t , ou qui ont 

-- «. mmes. 

, .. >* Il L^c l'ouvrage de Tart: 

- .. . •^*-.:r irceisaire de la con- 

> :-r la parule , et d'un 

r :irt:on5tances , qui ont 

.. .>-*:îi:-rît , qui en t'ont la 

. .. . j.> le îeaips,y apportent 

*. ; rin , IrS détruisent, 

i. - ...^•:: * ïiuTreSy qui s'intro- 

. , .!:a.:.^rt: «^ue le^ anciennes 

vc.r.t iVuvra^e d'aucun 

> . ..•. u:i erVet de cette ma- 

. .. -r -< vî !a Tjelle les choses sem- 

.v*i.Ti N.W ^ ^i^^>iwu:ï toutes seules , sans 




DE DU MARSAIS. 26-;^ 

Je secours de Tari, ni de l'autorité, nous devons 
les prendre telles que nous les trouvons , puis- 
qu'elles ont été faites indépendamment de nous. 
Quand une fois les causes , qui forment une 
langue , ont produit leur effet ^ et qu'enfin la 
langue est établie , la loi est publiée ; tout doit 
y être soumis , jusqu'à ce que des causes 
pareilles fassent succéder un nouvel effet au 
premier. 

Ainsi /lorsqu'il s'agît de l'emploi ou de la 

5 renonciation d'un mot, ou qu'il est question 
e quelque tour de phrase , nous devons nous 
contenter de consulter l'usage de la plus noble 
et de la plus éclairée partie de la nation où cette 
langue est établie; il suffit que Ton puisse nous 
dire avec vérité, c est ainsi que les personnes 
éclairées de la nationparlent ; telestlelangg^e 

-ife ceuoc qui ont eu de F éducation à la cour ou 
dans la capitale. C'est dans ce sens que les 

^uuteurs de réputation emploient un tel mot ou 
une telle phrase : tout est décidé. INous devons 

} prendre les mots et lespi^fases telles que l'usage 
e plus autorisé nous les présente. Cet usage est 
la seule règle de la prononciation , de la signi- 
fication et de l'emploi des mots et des phrases. 
Il h'j a pas sur ces pomts d'autres principes. 
Nous ne pouvons qu'observer l'usage , et con- 
former notre pratiquée ces observations. 

il n'en est pas de même de la peinture , de 
la musiqu aRrite, de l'orthographe et des autres 
inventions de l'industrie des hommes. INous 
avons tous droit de révision. Nous avons tous 
intérêt de reconnoître pour quelle fin , pour 
auels motifs , pour quels usages on a imaginé 
l art ; si l'inventeur suit son but^ si les moyens 



^68 OE U V R E s 

conduisent à la fin. On doit même nous savoir^ 
gté de proposer ce qui peut ajouter quelque 
defffé de perfection à l'art , et faire éviter ce 
qui pourroit le rendre défectueux. C'est ainsi 
que les arts se sont perfectionnés. , 

Tous les arts ont leurs principes et leiirt 
règlçs , indépendamment de tout caprice , prce 
qu'ils ont tous une fin , à laquelle ils doivent 
atteindre , pour remplir leur institution. La 

Eeinture d!une bouche doit ressembler à une 
ouche , et ne doit pas être la figure d'un œilj 
le portrait de Louis doit me rapeler l'image dé 
Louis , et s'il me rappelle l'idée de quclqu'autre, 
le peintre n'a pas rempli son objet. 

Les notes de musique ont chacune leur des» 
tination ; et si vous voulez me faire chanter w/, 
JcL^ sol , il ne faut pas que vous notiez sur k 
portée, /a, si ^ ut. 

Mille raisons d'intérêt , de commodité , de 
vanité , engagèrent autrefois les hommesà 
chercher un moyen ;, pour communiquer leurs 
pensées aux absens, p|Dur se les rappeler àeux- 
mêmes^ et pour les transmettre à la postérité. 
IJs inventeront d'cbord des hiérog]jrphes,c'esli« 
à-dire , des signes ou symboles , qui n'étoient 
destinés qu'à faire en tendre le fond de la pensée, 
à-peu-prcs comme le chou pendu à une porte 
indique que c'est la que l'on vend du vin. Enfin, 
après bien des recherches , ils eurent le bonheur 
de trouver ces petites figures que nJtk appelons 
lettres , dont chacune est destinée à être le signe 
de quelqu'un des sons particuliers , qui entrent 
dans la composition des mots. 

L^art , qui apprend à se servir de ces signes^ 
est appelé orthographe ^ c'est - à «^ dire , Vart 



D£ Di; mausais. ^269 

'écrire', selon le but pour lequel l'art a été 
iventé. Lithographe étant un art , elle doit 
voir des principes, etdespnncipesinvariables , 
ar tout art est inventé pour conduire à une finj 
*s princlpejs de Tari , ce sont les règles , les 
bservations , qui conduisent à cette fin j or, 
pmme la fin ne. change point , les principes * 
pivent aussi être invariables comme elle. 

Quelle est la fin de l'orthographe , et quels 
n sont les principes ? La fin de l'orthographe 
fit de peindre la parole par des signes , qui., 
elon leur destination une fois fixée et cou- 
enne , deviennent l'image des sons particu- 
jers , qui entrent dans la composition des 
iots. 

. A l'égard des principes, c'est-à-dire, des 
loyens que Ton doit nécessairementemployer , 
pur arriver à cette fin , je me contenterai de 
apporter ici les deux ou trois principes fon- 
amentaux , dont tous les autres ne sont que 
cfîs conséquences, 

I. L'orthographe doit fournir autant de signes 
articuliers qu'il j a de sons différens dans une 
ingue> en sorte que chaque son ait sa lettre 
pprésentative. 

-IL Ces signes ou lettres ne doivent jamais 
tre employés l'un pour l'autre ; car' alors le 
igueséroit équivoque , ce qui est le plus grand 
éfaut qu'un signe puisse avoir. 

in. Enfin l'orthographe doit faire tout ce qu'il 
aut ,et ne faire que ce qu'il fçiut, pour arriver 
•son but, qui est uniquement de donner les 
ignés propres et incompiutables de la prx>- 
fonciatiop , et les observations nécessaires pour 
^crirç ces signes. 



;tj2 Œ r V R lî ^ 

une seule syllabe. Quelle différence entre II :^ 
son italien de noî, voi, et le son françois i9ioi| 
toi ! 

Les deux voyelles de la diphtongue oi sq 
font aussi entendre en grec Tfw'a, 1a tille de 
Troie, o; , article grec au pluriel, or aotm b 
discours , et au datif , toîç ?<oyotç* Dans ce 
dernier , les trois lettres o/ç ont un son bies 
différent de celui qu'elles ont dans François f 
S. François , les Suédois , etc. 

Cette diphthongue oi, ois se prononce danJ j. 
la plupart de nos mots , sans que Ton enleûdl j^ 
rien de Yo ni de 17, 'comme dans /b/^ Tnot» 
toi , soi , loif roi, quoi , etc. On entend (wa, 
oué et nullement o-/é 

Ainsi^ si Ton veut prqnonceryrwAzco/^commc 
on prononce S. François , lois , rois , moiSf 
trois, etc. , il laudroit un caractère particuKtf 
pour marquer cette sorte de prononciation, 
qui n'est nullement marquée par o-£,pui5^ 
qu'on n'entend ni o ni /. 

Que si Ton veut pvononcer J'rançois avec le 
«on de Ve fort ouvert , comme dans procès 
succès , tempête , abbesse, etc. , il est évident 
que , pour marquer cette prononciation d'une 
manière propre et sans équivoque, il faudroit 
plutôt substituer un é ouvert à la diphtongue 
O'i , qui n'est pas même diphtongue ente 
mot , puisqu'elle n'y a point de double son- 
Mais comme cette façon d'écrire ce mot pat 
un c ouvert n est point autorisée , et que dam 
la prononciation soutenue, ce mot ne se pro* 
nonce point par un é ouvert , je crois qu'en 
attendant une judicieuse réforme, il faut écrire 
françois , anglois ^ je reconnois , etc. 



D E p U M AU SAIS. "27? 

; Et pourquoi ne pas mettre at au lieu d^oi ? 
N ^est-ce pas ainsi qu'on écrit, palais, marais , 
Jamais , et tant d^autres ^ où ai n'a que te soa 
simple de IV ouvert* 

. Je réponds que c'est corriger un abus par un 
autre plus grand encore; c'est ôter à un signe 
^a destination propre , pour lui faire signifier 
3^n son , qui , de son côté , a son signe parti- 
culier ; car ai est une diphthongue composée 
de Va et de 17, qui n'est destinée qu'à marquer 
Min son réuni , composé de ces deux voyelles , 
comme dans l'interjection ai , ai , ai ! et darns 
h<iil, mail y qui ne sont que d'une seule syllabe , 
JBayonne , Majence , bercail, camail , émail , 
serail , poitrail , détail , éventait , travail , 
portail , sans compter tant d'autres mot$ ea 
uille. 

Si vous donnez à ces deux lettres ai le son de 

réouvert, vous lui ôtez sa première destination ; 

vous multipliez les êtres sans nécessité. Cette 

prononciation de IV ouvert n'a-t-elle pas son 

"signe êl accès y procès , succès y etc. Ces 

mots-là s'écrivent-ils par ai ? 

Cette vieille innovation , car il y a environ, 
up siècle que le sieur de l'Eclache voulut l'in- 
troduire ; cette innovation , dis-je , induiroit 
. en erreur les étrangers et les jeunes gens *qui 
apprennent à lire; car si vous leur dites que ai 
fait é y auront-ils grand tort de lire la mén au 
lieu de la main. Bel , mél , pelle , canâlle y 
au lieu de hall y mail y paille , canaille y et 
encore bén , germén y elleurs , au lieu de bain , 
.germain , ailleurs , et enfin Méence y Beône ^ 
au lieu de Mayence , Bajonne^ 

Mais , dirçz-yous ; quoiqu'oa écrive maira ^ 
Tome IIL S 



574 CE U V R E 5 

consulaire , titulaire , etc. ^ ne prononce-t-ou 
pas mère , consulére , titulêre ? On écrit de 
même jamais , palais , et Ton prononce yam^j. 

Je Tavoue ; mais revenons toujours au prin- 
cipe. Cette manière d'écrire ces mots par m'est 
un reste de l'ancienne prononciation ^ selon 
laquelle on faisoit sentir Va et Yi dans tous ces 
mots-là , comme nous le faisons encore dam 
bail y mail ^ ai , ai , ai ! de faiL 

Interrogez un provençal , il vous dira que. 
dans son pays on prononce encore /a-ire, 
faire ; pala^i y palais ^ ainsi généralement et 
sans exception de. tous les autres mots écrits 
par ai. 

Telle étoit d'abord la seule et unique desti- . 
nation de cette diphthongue ; ainsi dans ces Jri 
motSi-là , Forthographe a été d'abord conforme Jpi 
à la prononciation. Dans la suite ^ la pronon- 
ciatioti de ces mots-la a changé ai en é dans 
Mvvs pro^ inces , en-deça de la Loire , et Torlho- 
^rapne « abandonnée par la prononciation y est 
rviîtce dans les livres ; its veux de ceux qui sont 
\t*nus depuis ^ et qui ont^ appris à lire dansées 
U^u*s » ont t*tê dn?&sês à dire ^en ces mots-lâ^ 

Ïuand ils \'0\ oient ai ^ comme on fait àîvepan , 
'<tn » lor:>que nous voyons paon , Laon. Une 
sVtt^uic tiul-^rment de-lâ , que pour faire en- 
U^njrv ^uVn iîoit prononcer francés , comm^ 
;^^x\v> % eu ^.Iv^ÎTO ecrireyronraw. C'est vouloff 
wrc^itvr un mal i>ar un autre ; c'est tomber de 
l ar\\le en S.';]^ lia. 

i>u a tkHi jours écrit accès , procès , succét 
\\Àv \xi\ v^'ouirert » parce que la prononcialionde 
^v» MOt^^^ tt'a point Tturié ; ils ont toujoars 




DE DU MARSAIS. 375 

îonservé , dans la prononciation et dans Tor- 
iiographe , Vé qu'ils avoient dans la langue 
jrimicive , dont ils sont dérivés ; accessus , 
processus , succès sus , au lieu que dans palais 
ït les autres Va et 17 de la langue primitive , 
)ar exemple ^ palatiuni , après s être conservés 
ong- temps dans la prononciation et Tortho- 
[raphe, ne sont. restés que dans celle-ci; ea 
m mot , accessus , processus^ successus ^ ont 
mené accès , procès , succès , de même pa-^ 
àtium a fait dire d'abord pala^-i , et francus 
[ue ronpronônçoityrawcow^a amenéyranço/^.- 
aais par quelle analogie arriverons - nous à 
rançais ? 

Il y a un poème provençal, qui a pour titre : 
ou testamén de VAi , c'est-à-dire , le Testa-* 
zent de l*Asne ; toutes les personnes de nos 
►rovinces méridionales qui liront ce titre , 
iront testamén comme on dit eœamén , fai- 
ant entendre un é et non un a dans la dernière 
yllabe. 

En second lieu , ils prononceront a/, faisant 
ntendl'e Va et 17 comme dans Tinterjection ai , 
i , ai ^ et dans ail , allium , etc. 

Ce que je viens de dire , Monsieur , de la 
îphthongue ai y est vrai aussi delà diphthongue 
u , que r^n prononçoit a-ow , réunissant les 
eux sons en une diphthongue ; Yu se pronon- 
oit à l'italienne 01/ , qui est un son simple, 
omme ceux des autres voyelles. ]\ous avons 
onservé cette prononciation dans loup et dans 
[uelques autres mots,qui nes'écrivoientd'abord 
[u'avec un simple u , lupus ^ cuculus , etc. 

Tous les' mots français qu^on écrit par. au , 
Prononce par 6 long , se ptononcent fencore 

Sa 



le 



276 OE u y K E s 

aujourd'hui par a^ou en Provepce , en Langue-, 
doc 9 et en d autres provinces , qui ont conservi 
plusieurs restes de l'ancienne prononciation» | 

Je finis par une dernière observation j c'eitj 

que la négligence^ Tentètement du préjugédà 

j^eux , on la difficulté que Timpriinerie a ap* 

portée à changer l'orthographe à mesure ^ 

\ a prononciation changeoit y a introduit dau 

'orthographe vulgaire cinq usages différensde 

a diphthongue ai. 

I. Ai y selon sa première et unique deslF 
nation , réunit le son de Va et de 17 ail ,bail^ ^ 
ai^eul y Bai^one , Mai^ence^ etc. " ^ 

H. Ai a le son de Vé fermé dans le futur ^^' ^^ 
dans quelque autre tems des verbes , faimê' "J 
rai , Je ferai , je parlai , fai , foi eu , eft 
Il n'y a pas long- temps qu'on écrivoit noLf 
natus , ils sont nais , nati sunt ; aujourd'I 
on écrit ils sont nés. 

Dans les provinces dont j'ai parlé , où d 
toujours une prononciation uniforme ^ on pi 
nonce Vai du futur des verbes comme le pi 
mier ai qui est ouvert; de-là vient que quai 
les personnes de ces provinces veulent parL. 
francois , elles prononcent le futur rai , comme! ' 
rimpariait du subjonctif rois. 

III. Ai a dans plusieurs mots le son del'^j 
qui n'est ni tout-à-fait ouvert , ni tout-à-W 
fermé-, comme dans affaire y nécessaire;^ 
est long dans /naître y dit M. Restant , et bi^ 
i\%ki\s parfaite. 

IV. Ai , dit encore M. Restant , a lesondl 
remuetdans les uiolsje faisois ynousfaisonS' 
il n'y a pas long-temps qu'on écrityèA«. Ud 
vrai qu'on commence à ecrirt^f esons ,fes(Vi 



13 13 DIT MAll5ÂISr J^y 

lis Dânetet Joubert ont toujours écrit falo- 
ts , /disant , et quelques-uns de nos auteurs 
ivent encore de même. Ils croiroient foire 
î faute de se conformera la prononciation ^ 
le seconder Tusage , quand il comn^ence à se 
riger. 

iT. Enfin ai, conservé » dans Torthograplie, 
igré le aliangeoient de la prononciation ^:a> 
on deT^fouvert dans palais , marais^ comme - 
is Fatons déjà'remarqué. 
jieqûel de ces cinq usages , les étrangers et' 
LX qui sont encore novices dans la lecture^* 
meront-ils à Yai qu^ils verront dansyra/z-' 
^ ? Ce sera , sans doute , celui de Yé ouvert f [ 
îs à quoi pourront-ils le connôître ? Fàtit«^il 
5 Forthographe ait des signes aussi. équivo- 
îS ? et n'aimeroient-ils pas mieux'qu^on Içur- 
mât toÛJti)onnèment cet Couvert , que de 
y mener par un a et un i , qui , par eux- 
nies j.ii'oht aucune analogie avec réouvert ? 
Vinsi^ j.e ne veux poinrtd'une réforme qui doit 
î-même être réformée , et j'aime mieux nieot 
ira ]a:m223ière ordinaire d'écrire yr«/ifow#^ 
i^ous m^opposez , Monsieur > l'autorité d'ua 
ftd poète > qui s'est déclaré partisan de la 
nière d'écrire que je condamne» 
^e réponds d'abord que / comme on peut' 
e fort honnête homme , et faire mal des 
s , on peut aussi faire les plus beaux vers du 
ude , et ne s'être pas amusé à approfondir 
principes de l'orthographe. Ceux deNewtoa 
it plus satisfaisans pour les génies élevés. 
2n second lieu , je suis persuadé que si le 
îte philosophe, dont vous parlez j Monsieur, 
It né dans fe pays des anciens Troubadours , 

S 5 



2-R f)p. u V n E. s 

où toutes les fois qu'on écrit ai on prononce âf;' 
faisant entendre 1 a et Vi ^ et ne donnant jamais 
le son de Yé ouvert à cette diphthongue j je 
suis persuadé y dis-je ^ aue cet auteur illustre 
ne seseroit jamais avisé d'adopter la réformede 
/rûr2foi5paryr£7r2faiV,etjesuismêniecoQvaiiica 
qu'il aime trop la vérité , pour persister dans 
cette pratique y s'il connoît jamais les raisons 
qui la combattent. 

Je sais bien plus mauvais gré à l'auteur da 
Traité (i) du Vrai mérite ; il condamna la pra- 
tique d écrire français par ai y mais ses raisons 
ïio paroissont pas marquées au coin de Tesprit 
philosophique. 

Tel est notre malheur , dit-il , que toràuh 
gfnphc et la prononciation sont devenuesprt^ 
ijuc arlntraircs , depuis que quelques moderM 
substituent des usages pernicieux à itexcd^ 
Ions principes. 

Les usages peuvent être substitués à d autrefi 
i]sa<:os , mais jamais aux principes. II seroiti 
souiiaiter que Tautcur eût expliqué ce qu'il eiH 
tond ici par ces usages pernicieux et par c£i 
principes cxcellens. 

Un principe excellent est que rétablissement^ 
la prononciation et Tusa^e des mots y nesoii 
pas arbitraires , je veux dire que le concourt 
des circonstances , qui font naître une langoe, 
ne dépend d'aucun particulier « et que quand' 
une fois elle est établie « personne ne peut se 
soustraire à Tusage reçu. 



'r Traité du Vrai mérite , too. I , pag. îfS , «tt 



DE BU marsais. njg 

Reste ensuite à l'écrire , sur quoi il est libre 
à chacun de proposer ses observations , en sui- 
vant le principe , qui est de prendre les mojreris 
les plus simples et les plus propres , pour arriver 
au Dut de l'art , et rejetter tout ce qui seroit 
inutile ou équivoque. 

. Pour moi , ennemi des nouveautés , pour^ 
suit-il ,ye dous conseille de prononcer fran- 
çais et d^ écrire François* 

Ce n'est pas par la iiphthongue ai que Von 
doit indiquer la véritable prononciation dô 
françois j selon d'excellens principes y qui 
Veulent qu'on indique les sons par leurs lettres 
caractéristiques , et qu'on rejette tout ce qui 
peut induire en erreur. 

Tant que ces abus dureront , c'est toujours 
le même auteur qui parle , la langue VLaC" 
querra jamais le beau titre de langue morte \ 
qui fait tant d^ honneur à- la latinité. 

Une langue vivante, parvenue à un certain 
degré de perfection , ne doit point envier le 

JDrétendu beau titre de langue morte. Toute 
a différence qu'il y a enti'e une langue morte et 
une langue vivante , c'est qu'on a cessé déparier 
""l'une , et qu'on parle encore Vautre ; c'est même 
un préjugé favorable pour une langue vivante , 
de se conserver plus long-temps, et nous devons 
souhaiter que la nôtre se conserve vivante jus- 
qu'à la consommation des siècles. 

Lia nouvelle orthographe quon veut intro^ 
duircj ajoutert-il, auroït des suites bien fu-^ 
nestes , si on écrivoitï a.\ xts pour j'Avoii* 
tJ étranger qui veut apprendre notre langue > 
pourroit-il de lui-même recourir au verbe 
AVOIR pour le bien conjuguer! » 

S 4 



38o OE L V Tv JE S 

L'étranger , qui lit/era dans tous nos livres | 
et même dans le Traité du Vrai mérite, ponrrah 
t-il de lui-même recourir au y^rhe faire poar 
le bien conjuguer? Quelles suites funestesl 
tout est renversé ! O tempora ! ô-moresl faut- 
dra-t-il refondre tous les livres qvHon a im* 
primés depuis l'établissement de larnonarchiei 
dit Fauteur du Traité du Vrai Mérite* 

Il y a plus de mille ans d'intervalle entre 
rétablissement de notre monarchie et l'inven- 
tion de rimprimerio. D'ailleurs , les manuserits 
\ et les livres les plus anciens sont toujours 
autant de témoins de la prononciation et des 
façons de parler de nos pères , et ne doivent 
pas plus servir de règle à notre orthographe, 
qu'ifs en servent â notre prononciation. Pour 
les en dédommager, donnons-rieur le beau titre 
de livres de langue morte. • 

Après tout , Fauteur lui-même voudroit-îl 
écrire comme on écrivoit du temps de Ville-* 
hardoùin ,ou même du temps de Marot? 

Ces innovations font pitié , s'écrie l'auteur. 
Oui assurément, tout ce qui n'est pas conforme 
aux véritables principes , fait pitié aux esprits 
philosophiques^. qui vont saisir les choses dès 
leurs sources • 

Enfin Fauteur voudroit que F Académie y 
tribunal souverain des belles^lettres , assem* 
hldt les chambres , composât une assemblée 
de députés profonds et polis , pour pouvoir 
tous ensemble , et à la pluralité des voix , 
décider , créer, approuver , proscrire. Sur 
quoi l'auteur me permettra de le renvoyer à la 
5aj:e %^t profonde dissertation de M. de Moncrif^ 
tligne membre decetteillustre compagnie. Mt(k 



D K T> i: M A R s A I s. ^Sl 

Moncrif fait vpir dans celte dissertation , que 
toute langue mirante est^ par sa nature niéme^ 
et par celle de notre esprit , sujette à ^yarier 
sans cesse. Ce àui ne doit s^entendre que de la 
nomenclature, de la prononciation et de Tusage 
des mots et des phrases j car pour l'orthogra- 
phe , on peut fort bien observer tous les sons 
d'une langue , et donner à chacun un signe 
particulier et invariable ; je veux dire une lettre 
.caractéristique et incommutable, ensorle que 
a et I , par exemple , ne prissent jamais être le 
signe de quelque autre son , et qu'aucune autre 
lettre né pitisse. jamais prendre le son de Va ni 
celui de 17. 

La dissertation, dont je viens de parler , fut 
lue à racadémie , dans une assemblée publique^ 
le lomars 1742 , et elle a été imprimée dans les 
oeuvres mêlées de M. de Moncrif, à Paris ^ 
.chez Brunet y i745- J'ai lu ces œuvres avec, 
beaucoup de plaisir et d'utilité. J'y ai observé 
la délicatesse , la justesse et le bon esprit de 
l'auteur. 

Voilà , Monsieur , ce que vous avez désiré de 
moi* Je serai toujours ravi de vous marquer le 
* dévouement sincère avec lequel j'ai l'honneur 
d'être^ Monsieur, etc. 

A Paris y^ ce 21 juillet 1744* 



^H^uîâ&jy^; 



LETTRE A M- DURAND, 

AVOCAT 

AU PARLEMENT, 

ENPÉRIGORD, 

Sur ce passage de T Art Poétique tï Horace , 
vers ia8 : 

Dif'ficile est proprié commania dicere^ 



; .:,;-;ii/iJidÉMA*î 




L 



LETTRE A M. DURAJSfD (i), 

AVOCAT 

AU PARLEMENT, 

EN PÉRIGORD, 

Sur ce passage de CArt Poétique £ Horace , 
vers ii8 : 

Difficile est propriè communia dicere» 



IVX ONSIEURy 

Dans rinterprétatîonînterlinéaireque je vous 
envoie de Y Art Poétique d'Horace à Tusage de 
messieurs vos fils , je n'ai suivi ni M. Dacier , 
ni le ?• Tarteron , ni le P, Sanadon dans l'in- 
terprétation de ce passage difficile est ptopriè 
communia dicere. Je désire fort que vous trou- 
viez que j'ai eu raison , car je fais grand cas de 
votre suffrage. 

Pour bien entendre le sens de ces paroles , il 
ne feut point les séparer de ce qui les précède 
ni de ce qui les suit. Voici toute la suite du 



(i) Cette lettre a pa^u dans le Mercure de France , 
4a moi« de janvier ^746* 



— - "wi Y e la p*ira3 2 z ij 



zrr.jniitis . et ^•j.izS 



= .iiu-r^irerLâ >^rz-=iL . 
. :-.:-:ere .:i-.i5 
-lor in «ircnmt 



. ruroressi; : .es 









im "iû:-' 



'! .ît- M::;... '-• ''igc : gttani- .' > - 

. ■.îrî'ri jlll .:■:-: i^i ectjrtia 
.■_ .n*ji':if'r' .7 . TB'jue priC- 
: . ■ . ■ * tî '- .- r* • : r. :-:; i; ;î Ci sa*;*:-* 
;..:.■ i o : .;;.: i zzid^ L ai: i^uii 






Q^ 



DE DU M A R S A I S. 387 

phrase qui me paroît faire entendre le sens de 

es vers ; « Si vous osez mettre sur la scène un 

sujet nouveau , un caractère qui n'ait poînl: 

> encore été traité , ineacpertum y et que pout 

> peindre ce caractère vous inventiez un per- 

► sonnage jusqu'alors inconnu au théâtre , 
» personam novam ; que ce personnage con- 

► serve toujours son caractère ; qu'il ne se 
démente point, et quejusqu'àlafin delà pièce 
il soit tel qu'il aura paru au commencement. 
Mais prenez-y ffarde ; mesurez vos forces : 
il est Bien difficile d'imaginer et de soutenir 
ce nouveau personnage ; de le créer , pour 
ainsi dire , tel qu'il doit être , propriè , pour 
peindre quelqu'un de ces caractères , dont 
on n'a encore qu'une idée générale ^ com^ 
munia ; on n'a aucun modèle devant soi , 
point d'auteur qui ait traité le même sujet j 
on n'a pour guide que la nature. 

» C'est ainsi que Molière, en prenant V Avare 
pour sujet d'une comédie , nous a peint \xx\ 
caractère général , communia , et que par la 
conduite de sa pièce et par tout ce qu'il fait 
dire et faille à son Arpagon , personnage nou- 
veau , il a traité ce su]et propriè ; il a appli- 
qué convenablement à ce nouveau person- 
nage le caractère générale d'avare. 
» Le Joueur , de Regnard , étoit aussi un 
sujet commun, c'est-à-dire, général, indéter- 
miné, dont^ avant lui ^ on n'avoit fait aucune 
application particulière au théâtre ; mais 
Regnard a particularisé ce caractère dj^hs là 
personne de Valère , personnage n^vejiu 
et inventé exprès , ineacpertum , personam 
noyam; et il a donné à ce personnage tous les 



c 



ï 



2^3 or u y n K s 

» Irails qui peignent le joueur y qui le carat' 
» lérisent , qui le fontreconnoîtreyc^ro^r/é. 

» 'Mais^ jeune poêle ,pour qui j'écris , ( voui l 
» n'êtes nî Molière, ni Kegnard^ ) vous n'éles 
» ni Aristophane , ni Ménandre , vous n'êtei k 
» niSopliocle, ni Euripide : ne volez pasd'abord 
M de vos propres ailes , croyeZ-moi ; prenex 
» plutôt un sujet y un caractère et un persoo^ 
» nage déjà connus dans le public , puLlid 
w materies : le vaillant Achillç , la barbare 
» Médée y le perfide Ixion y le triste et furieut 
» Oreste , la tendre et infortunée Didon. Tirei 
» vos sujets et vos personnages d'Homère , ds 
» Virgile et niême de quelque historien célèbre. 
» Cessujetsetcespersonnagesque tout le monde 
» connoit déjà , publica materies , vous de- 
» viendront propres , privatijuris erity si vous 
» en usez comme de votre propre bien , sane 
» vous asservir en commentateur littéral à h 
M conduite ni aux pensées connues de yoIk|]i 
ïï original. Ne croyez pas que , parce que voue }\ 
*) tirez le fond de votre ouvrage d'un auteur,! 
ïï il ne vous soit plus permis de retrancher,! 
)) d'ajouter y de changer ni de donner l'essor i 
» votre imagination : vous devez tçaiter votre 
» matière avec la même liberté que si vous ea 
M étiez vous même le premier auteur ». 

11 me semble , Monsieur , que cette para- 

f)hrase rend le véritable sens d'Horace , et ne 
ui fait pas donner à pix^priè et à communiaàsn 
sens forcés que ces mots n'ont nulle part. 

J^rois donc que propriè signifie cCune lîtfl- 
nièi^dpropre , adaptée , déterminée au. per- 
sonnage particulier par lequel on peint le ca* 
ractère qu'on veut traiter, 

ComniuniA 



Communia veut dire général y a)àgue j in-^ 
déterminé. C^est dans ce sens que les gram- 
mairiens divisentles. noms substantifs en noms 
oommuns ou appellati£s , .et en noms propres. 
Commun est donc ici ua de ces, termes que les 
Logiciens appellent universaua: , il^i signiûçnt^: 
disent-ils ,les idées communes y" c'est-à-dire, 
générales • Telssontles nomis qui.conviennent 
■ux individus de même espèce> C'est ainsi que 
héros est un -nom commun y ..général ou a^-y 
Vfellatif y C'çsti-àtdîre , un nom ^ui convient à 
Achille -y à Alexandre , è Gésàr -, à Henri IV p 
i- Louis XY, auroidç Prusse-, au prince Conti^ 
an comte de Saxe^et à tous-ces .grands hommes 

?ui se sont distingués ou qui se disl^inguent par 
héroïsme ^ et .xjue radmiration deis peuples 
consacre à l'immortalité • 

-•Achille , Àlexandife , César , sontdes noms 
propres ^ c'est-à-dire , les nom^ des individus 
particuliers de l'espèce ou nom commun» .. 

Ainsi , selon.Horace , il est difficile d'inventer 
une fable particulière., dans laquelle on peigne, 
pour la première fois , par un personnage sin- 
gulier , par un nom propre, ;c?rt>/?r/é, quelqu'^un 
de.ces caractères généraux qui. font une espèce 
particulière d'hqmmes , soit parmi les grands, 
^t dans le peuplé , communia^ 

' Hypocrite , faut dévot ^ qui cache toutes 
sortes de TiCes sôus le manteau de la dévotion , 
iÇQmmujïia, est un caractère qui n'est que trop 
.commun. Molière. a si bien peint ce q^ctère 
-dans la personne de -/Tartuffe , et a rendu ce 
"scaractère^ tellement propre à Tartuffe , prO'^ 
pr^iè ', que ïïôtré lapgue s'est trouvée enrichie 
de ce mot , et que Tartuffe , nom propre , est 
Tome tlL T 



292 CMS U V R E s 

f)aroles d'Horace partagea Facadémie et donna 
ieu à un procès par écrit , entre ]VI. Dacier et 
M. le marquis de Sévigné , fils de r^.^^Ji-e dame 
dont nous admirons les lettres. Je dis uriprocès^ 
parce, que ces messieurs trouvèrent à propos 
.d'intituler leurs écrits Factum ^ contredits. Ce$ 
écrits furent imprimés à Paris , chez Girin , en 
. i6y8 , sous le titre de Dissertation critique sur 
Part poétique cT Horace. On ne trouve aujou^ 
d'hui cette dissertation que dans le cabinet de 
quelques curieux. C'est cette dissertation que 
M. 'Dacier. a en vue ^ lorsque ^ dans ses notes 
sur le passage en question , après avoir traité 
àJabsurdeAe sentiment différent du sien, il 
ajoute : comme je Cai prouvé ailleurs. 

Voici , Monsieur , en peu de mots , le senti- 
ment de chacune des deux parties : 

La plupart des commentateurs font dire/ 
comme npus , à Horace : il est difficile de faire 
telle chose. ^ difficile est ; ainsi ne la faites 
pas ; voi^s ferQz mieux défaire autrement ^ 
TUQUE RKCTius ; mais M. de Séyigné , qui 
avpit.aes sentimens héroïques , lui fait. dire : i/ 
est difficile. de faire,, telle chosç , ainsi faites^ 
là) surmontez , bravez les difficultés. . 

a Uq. poète qui aura inventé son sujet , fera 
D.une. honpe tragédie, dit M. de Sévigné ; 
» ppuryu . qu^il observe bien les caractères; 
» mais il en fera une meilleure , s'il choisit un 
» sujet connu ^ commun , et si commun , que 
» presque personne ne Tignore ; par exemple, 
-M quelqueactionéclatantedelaguerredeTroye. 
» J'avoue qu'il est difficile de traiter ce sujet 
» commun et rebattu , communia , d'une ma- 
» nière nouvelle qui dounç de la curiosité et de 



I 



DÉ DUMARSAIS. SgS 

» rattention aux spectateurs propriè; mais c'est 
» le but où vous devez aspirer «. 

Voi':?yi'i*Ionsieur , le sentiment de M. de 
Sévigné, où vous voyez que par communia , il 
entend connu , ce que personne n ignore. 

Selon M. Dacier , communia ne veut pas dire 
connu ; au contraire , il veut dire inconnu ,. 
nouyeau, que tout le monde a droit d'intenter, 
Tnais qui nest encore que dans les espaces 
imagifiaires jusquà ce qu^un premier occu-^ 
pont s* en empare. 

« Ces caractères nouveaux , communia , sont- 
9) difficiles, dit M. Dacier ; il faut donc les 
» éviter, et avoir recours aux caractères connus^ 
» et par conséquent vous ferez mieux de les 
» prendre dans Homère ». 

M. Dacier me paroît abuser de Fautorité des 
jurisconsultes» quand il dit, dans ses contredits, 
que les jurisconsultes ne donnent point d'au^, 
tre sens que lui à communia. Mais ce que les: 
jurisconsultes appellent res communes , telles 
que Vairy Veau des rivières' y la mer , le rivage 
de la mer., ne sont point des choses nouvelles, 
ni des êtres de raison que chacun peut inventer; 
ce sont des êtres très - anciens , très-réels et 
très-connus qui sont à/Fusagede tout le monde* 
Je retroi^ve là Tidée.que j'ai;de commun que 
commun sig<>ifie inconnu nouveau , mais nou-- 
i^ellement inventé ou qui, peut V être. J'avoue 
que cette interprétation , quoique presque 
généralement suivie , m^a paru bien forcée et 
bien étrange ; je ntOse dire absurde , quoique 
M. Dacier .appelle ainsi le sentiment contraire 
au sien. ..: ^ 

: Le P. Saâadon traduit : « Il p'pstpps aisé de 

T 3" " 



^94 OE u r R E s 

3> traîterd'une manière peu commune des sujets 
» communs , et que tout le monde peut tirer 
» de son fond ; vous ferez mieux d'eii prendre 
1) dans riliade que d'en imaginer qui n'aient 
)) été traités de personne »• 

Et dans la note , pag. 679 , le P. Sanadon dit 
^yx Horace appelle communs des sujets nou^ 
i^eaujc y immérités et inconnus. Déserte que, 
dans cette phrase , il n'est pas aisé de traiter 
d' une manière peu commune des sujets com" 
muns : commune veut dire le contraire de conh- 
mun ; car une manière peu commune , c*est 
une manière peu ordinaire , peu usitée , peu 
connue , peu triviale ; et Commun , selon la 
note , signifie nou%>eau , inventé , inconnu : de 
sorte que si Ton donnoit à commune le même 
nom que la note donne â commun , et que Ton 
dît d'une manière peu cotnmune , c'est-à-dire, 

Îyeu nouvelle , peu inconnue , on feroit dire à 
'auteur le contraire de ce qu'il a entendu par 
commune , quoique ce soit ce qu'il a entendu 
par commun. 

Muis revenons à nos plaideurs. M. de Sévigné 
mît les rieurs de son côté par la légèreté de son 
s\y le , et par le ridicule qu'il jeta sur M. Dacier 
par des trails dorit'jiô vous amuserois volontiers, 
si cette leltre n'étoit déjà trop longue : M. Da- 
cier , de son côté , crut avoir accablé son adver- 
saire de raisons et d'autoritéà , de sorte qu'il 
arriva dans celte occasion ce qui n'est que trop 
ordinaire , c'est qu'après avoir bien écrit et bien 
disputé ,' et cela de bonne foi de part et d'autre, 
chacufn persista dans son sentiment, et crut 
avoir triomphé de son adversaire. 

L^un et l'autre ayoit assez d'esprit pour voir 



DE DU M A n S A I S. 2g5 

que le sentiment qu'il combattoit n'étoit pas le 
véritable. M. de Sévigné avoit raison quand il 
soùtenoit que M. Dacier avoit tort, et M. Dacier 
prétendoit , avec justice , que M. de Sévigné 
n'avoit pas raison ; mais ni l'un ni l'autre ne 
Sentit qu'il n'avoit pas lui-même saisi le vrai. 
Il est aisé de voir que les autres ont tort : il est 
plus rare , je ne dis pas de convenir , ce seroit 
peut-être trop exiger, mais du moins de sentir 
qu'on a tort aussi soi-même. On crpit avoir 
raison , parce qu'on sent qu'on est persuadé. 
Peu de personnes ont assez d'étendue d'esprit 
pour aller au-delà , et remonter , sans trouble 
et de bonne foi , au motif et à la cause de leur 

Eersuasion. La brute , le sauvage , qui voit un 
omme dans un miroir, est persuadé qu'il y a 
là un homme j mais le philosophe n'jr reconnoît 
que des rayons réfléchis. 

J 'ai Thon neur d'être, avec les sentimens d'une 
estime très-sincère et d'une reconnoissance très- 
vive , Monsieur , votre , etc. Du Mars Aïs. 

A Paris ^ ce 8 août i']/{S* 



T4 



i 



LETTRE 

D'UNE JEUNE DEMOISELLE 



A l' AUTEUR 



DES VRAIS PRINCIPES 
DE LA LANGUE FRANÇOISE. 



^ 



L E T T R E (i) 

D'UNE JEUNE DEMOISELLE 

AI.' AUTEUR 

DES VRAIS PRINCIPES 
. . DE LA LANGUE FRANÇOISE. 



Mon. 

Permettez-rtioi idem'adresser à Vous-même , 
pour avoir quelques éclaircissemens sur les 
doutes qui me sont venus dans l'esprit , k 
roccasion de votre livre des Vrais princpes de 
la langue françoise. Dieu m'a fait la grâce de 
me (lonnrr dos parens qui ont eu grand soia 
de nion éducation. Ils engagèrent un habile 
liomme à nj'aj)piendrele latin ^afm que je fusse 
plus en état d'acquérir des connoissances plus 
élevées. 

Ainsi , Monsieur , j'ai été initiée , dès mon 
enfance , dans les mystères de la grammaire , 
et sur-tout del,a grammaire raisonnée , qui tire 
ses prindpes du rapport qu'il j a entre le^ 

(0 Cette lettre , qui se trouve manuscrite à la 
Bibliothèque nationale , est de du Marsais à l'abbé. 
Girard. 



5oO OE TJ V R E $ 

différentes vues (i) de Tesprît , et les mots des- 
tinés dans une langue à les exprimer. 

Elevée dans cette façon de penser, jugez, 
Monsieur , de Tempressement que j'ai eu de 
lire votre livre. 

Quand on me Tapporta, j'étois avec un vîeux 
bel esprit , qui me disoit que lorsque madame 
des Houlières eut donné sa tragédie de Gen- 
séric , on lui cria revenez à vos moutons : oh, 
pour M. Tabbé Girard , lui dis-je , on ne lui 
dira pas , revenez à vos synonymes. J'ouvris le 
livre , j'en admirai le papier , les lettres grises, 
l'impression , les caractères, tout m'en parut 
beau. 

Après ce coup-d'œil généra! , ce monsieur, 
qui étoit avec moi, s^en alla , et me fit pro- 
mettre que je lui préterois votre livre. Je de- 
meurai seule avec ma mère: j'ouvris le livre, 
et je tombai à la page 256 du premier tome, où 
je Jus B'^'^'^che (2) Patriarche. 

Pour Patriarche , Monsieur , je Tentends 
bien ; mais B^^^che , je vous avoue que je ne 
sais pas ce que ce mot-là veut dire. J'en deman- 
dai l'explication à ma mère ; elle m'arracha le 
livre des mains , et me défendit expressément 
de prononcer ce mot-là de ma vie , et sur-tout 
de récrire. Seroit-ce un terme de magie? Je 
n'en dormis pas de la nuit. 

(i) Par les différentes vues de l'esprit , on entend 
ici les différentes manières de considérer les objets , 
selon leurs différentes situations ou leurs divers rap- 
ports. 

(2) Ce mot est écrit tout au long dans le livre de 
M. Tabbé Girard , t. I , pag. a56. 



DE DU M A II S A I S# 5oi 

Le second volume me resta : je l'ouvre ; je 
tombe à la page 3i6 , où je vois que vous met- 
tez au rang des particules que vous nommez 
imprécatives , sacrebleu , souffre. 'Souffre , 
une particule imprécative ! cela me parut aussi 
nouveau, quejB***cAe. Jusqu'ici j'avois cru que 
soufre n'étoit qu'un nom substantif, qui si- 
. gnifie ce minéral qui sert à faire des allumettes. 

Je vous supplie donc , Monsieur , de vouloir * 

bien me donner quelques éclaircissemens sur 

Pun et sur Tautre dé ces termes mystérieux; 

car personne ne veut m'en donner Téxplication. 

Je me suis adressée à quelques hommes de 

lettres , qui nous font Thonneur de venir au 

logis : ils ont ri d'abord, je ne sais pourquoi^ do 

ma curiosité; ensuite ils se sont contentés de 

xne dire que le premier 'de ces mots-là étoit 

italien ; qu'il étoit tout-à-fait contraire au génie, 

au goût , à la méthodie dt aux vrai^ principes 

c3e la langue françoise; qu'ainsi il ne devoitpas 

se trouver dans nos dictionnaires,- et. encore 

moins dans nos grammaires. Et même ont-ils 

ajouté y la comédie italienne , qui n'a qu'un 

petib nombre d'acteurs en. France , ne ise sert 

£as de ée- tefme-là. Mais vous voyez bien, 
lonsiebr , que tout ce que ces messieurs m'ea 
. ont dit,- ne satisfait pas une fille aussi curieuse - 
que je leSuis^ ... 

Je çomptois beaucoup sur mon frère., qui est 
' au collège avec un précepteur. D'abord que je 
■les ai vus> l'un et l'autre > :îe leur ai fait mes 
;, questions. Mon frère , à qui je me suis adressée 
V. le premier , m'a avoué de bonne foi son igno- 
rance > mais le précepteur, au mot de jB**^cAe, 



î5o4 ^^' tJ V 11 B s 

qui se trouvent dans les Girconstances dont 3 

Ï)arle ? Elles n'en ont pas be6oin^ puisque , selon 
ui , les circonstances les instruisent. En effets 
Monsieur , les autres personnes , qui ne con- 
noissent pas ces circonstances auront besoin 
des mêmes éclaircissemens , que je prends la 
liberté de vous demander. 

Ce même monsieur dit encore que vous au- 
riez dû plutôt faire une pareille observation , 
T. i,p. 848. lorsque vous parlez du genre de mode^ M. l'abbé 
Girard , dit-il , se contente de placer mode dans 
la liste des noms féminins ,*sâns'd6ute quandil 
signifie manière d'agir , de parler , ou de s'ha* 
biller : une étoffe à ]a mode y un mot à la mode* 
J'aurois voulu j dit notre bel esprit,. que 
• M. Tabbé Girard eût remarqué alors quemocfe 
est masculin cri quatre ocsasions : 

•1°. En logique , quand il signifie la manière 
Je varier le syllogisme ; 

' 3^ En physique i où Ton dit qu'on ne sauroit 
"concevoir le mode,' sans concevoir, le rapport 
qu'il a avec la substance ; . . 

5*^. En grammaire y les dirers modles des 
verbes ; • " 

-' j!^^. Enfin en musique , lemoderDorien , le 
mode Phrygien y etc. / 

Il me setnble,-^n effet. Monsieur , que je 
■vous aurois bien compris alors ï^et je suisfâchée 
que chose y que je n'entends point au masculin, 
ait eu la préférence. 

Puisque vous parlez de genf^ , dit alors un 
grammairien philosophe, qui préfère notre mai- 
son aux cafés , l'idée que M. l'abbe Girard s'est 
faite du genre ^ si je Tai bien comprise^ répond 

peu 



dée accessoire , T* ^ ' ^^' 

' 225 et 160. 



Dfe DU MARSAIS. 3o5 

J^e« à /a justesse géométri<]ue dont il a soin de 
jlaiter son lecteur (^i). 

Selon M. Tabbé Girard, les mots sont rf^/T. i,p. 160. 
genre masculin , lorsçuU/s expriment la chose 
comme étant de ce premier seace. Ils sont du 
genre féminin , lorsqu'ils expriment la chose 
cotnme étant de ce dernier seoce ; ce qui se fait^ 
selon lui , par le moyen ai une L' 
ifui joint à [idée principale du mot un rap^ 
port au seoce ^ dont la différence est si natu-- 
Telle y et frappe les sens (2) d'une manière si 
n^iveet si passionnée , que T homme n a jamais 
abandonné cet adminicule dans toutes les 
idées qu!il s'est formées pour les représenter* 

Ce rapport au seoce est uni et renfermé dans T. i,p. 325 

ht a)aleur du mot , selon le premier trait que 

i T unagination a peint , sans eocamen , par^ le 

*r cas fortuit du premier coup de pinceau. Si ce 

^premier trait nous représente l'objet comme 

fêtant du sexe masculin , le nom de l'objet est 
.masculin ; si ce premier trait nous peint l'objet 
comme étant du sexe féminin, le riom est 
• féminin* ^ 

ï- Voilà donc l'imagination humaine , toujours 
' occupée de celle idée intéressante de sexe , 



;. (1) C'est ce que M. Tabbë Oirard dit ( t. I , p. 162 ) 
' d'un grammairien moderne ^ qui , par pudeur ou par 
^ indijjérence , dit M. l'abbë Girard , ( t. 1 , p. 161 ) 
'. ù supprimé toute idée et tout rapport de sexe dans 
C l'explication qu'il donne des genres ; et ce grammai^ 
: rien j je crois que c'est le P^ Bufiier. 



* (2) Sur *- tout dans les pays situe* dans la Zone 
torride. 

Tome III. V 



5o6 te u V R E s 

même au couvent, où^ainsi que dans le monde, 
on fait les mots masculins ou féminins , selon 
que le premier coup de pinceau les a peints à 
1 imagination , ou avec le sexe masculin, ou 
avec Te sexe féminin. 

Pour moi , dit notre philosophe , je ne trouYe 
point cette idée accessoire de sexe, ni dans la 
• valeur des noms des êtres inanimés , ni dam 
les termes abstraits , ni dans les notns des êtres 
spirituels ; et je croirois avoir une imagination 
anthropomorphite (i) si elle me représéntoit 
ces derniers avec un sexe. 

Après quoi ce philosophe nous étala toute sa 
doctrine , que j'aurois bien de la peine à vous 
rendre. Monsieur, sans la précaution que je 

1)ris de lui en demander le précis par écrit , et 
e voici : 

Il est vrai , dit-il , que communément en 
grammaire , lorsqu'on demande de quel genre 
est un tel mot ? c'est comme si Pon deman- 
doit de quel seoce est^il'î Ce qui n^auroit pas dû 
être du goût de M. Tabbé Girard; car c'est foire 
genre synonyme à sexe : mais c'est la faute des 
maîtres qui n'ont pas fait comme ce sage gram- 
pT.i,p. i€i. mairien, dont M. l'abbé Girard dit , que par 
pudeur ou par indifférence , il a * supprimé 
^ toute idée et tout rapport de sexe dans l'ex- 
plication quil donne des genres ; et par-là il 
a perdu l'approbation de M. Tabbé Girard. 
Pour moi , c'est toujours notre philosophe 



(i) Anthropomorphite , du grec ftWf»?rof homme , 
et /«o^^; forme yjigure. Les anthropomorphites ëtoient 
d'anciens hërëtiques , qui crojnoient que Dmu ayoit 
une forme humaine. 



t>E DU MARSÀIS. 5o7 

qui parle , je crois qu'il n'y a de véritable genre 
que dans les noms des anin:iaux , dont l'espèce 
est sensiblement divisée en deux classes , dont 
Tune est la' classe des mâles , et l'autre est la 
calasse des femelles* Alorsla valeur du mot excite 
dans l'esprit ladée d'un individu de l'une ou de * 
l'autre de ces classés. Voilà le sieul genre véri- 
table , fondé sur la conformation apparente 
des ani^Yiâux ; un coq > une poule , un cerfj, 
zine biche. C'est alor^ seulement que l'on* peut 
distinguèt y^z/ seul aspect du substantif y si T. i, p. 226. 
aspect y a-, de quel genre il est ; c'est-à-dire i 
de quelle classe, de quel ordre, de quelle espèce t 
est-il de la classe dès mâles ou de celle des 
femelles ? 

Gomme le substantif et l'adjectif ne sont en- 
semble que la chose même , on a donné corti- 
Tnûnément à l'adjectif uae terminaison , qui > 
en conservant l'unité de 4'éspèce ^ fait connoître 
la diversité de la classe. Ainsi les adjectifs , qui 
qualitient des* individus de la classe des mâles , 
ont une terrninaison , qiii ^ par cette raison , est 
appelée terminaison masculine ^ un beau coq , 
un grand cerf. '• . 

Les adjêctife , qui qualifient des individus 

femelles'V ont une terminaison qu'on appelle 

féminine ; une belle poule- ,• une grande biùhei 

Mois^ à l'égard des nonAs , des êtres inanimés , 
comme m.àison , riinère ';■ des êtres spirituels-, 
comme ange ^ame; des étres^ abstraits , comme 
substance., unité , divisibilité ^ etc. , la valeur 
de ces mots-là n'excitant, plus dans mon esprit; 
l'idée de l'une ni de l'autre de ces classes, cfue 
j'ai observées dans les animaux, il n'y a jilus 

V a 



5o8 OE U V K B s 

d'idée accessoire qui me fasse regarder tous ces 
mots comme ayant un véritable genre. 

Il y a plus : c'est que mêmedans les animaux> 
s'ils ne nous 3ont pas assez familiers , ou que 
l'uniformité de leur conformation extérieure 
confonde Tune et l'autre classe,. et; qu'il nous 
faille prendre la peine de démêler, le sexe ; alors^ 
comme la valeur des noms de ces animaux n'est 
point accompagnée de l'idée accessoire de maie 
ou de femelle , ils n'ont que le genre arbitraire^ 
qui ifie consiste qu'à être ou de la classe des 
Xioms , auxquels l'usage a adapté , selon son 
caprice , la terminaison masculine des adjec- 
tifs , ou à être de celle auxquels il a adapté la 
terminaison féminine : tels sont aigle , croco^ 
dille y éléphant , chenille , serpent y 'vipère , 
grenouille , marmotte , castor , perroquet , 
souris , rat , renard , etc. Tous ces mots-la se 
disent également du maie ou de la feaielle (i): 
de sorte que si l'on veut désigner le sexe de 
quelqu'un des individus de ces espèces d'ani- 
maux , il faut ajouter un autre mot qui marque 
cette idée accessoire : éléphant màle^ éléphant 
femelle ; carpe œuvée , carpe laitée , etc. 

Les noms ne sont pas faits pour marquer ce 
que les choses sont en elles-mêmes'i à nous 
n'appartient tant d'honneur ; ils ne désignent 
que ce qu'elles nous paroissent : or la confor- 
mation extérieure de ces animaux nous les 



' (i) Ces 'noms sont appelés épîcénes du grec «Wxc/ric 
communis , promiscuus , parce que , sous une raéme 
-terjninaison ou masculine ou féminine ^ ils M disent 
.ÎAdifféreitunent du mâle ou de la femelle. 



rv 



D E D*U n A R S X 1 9. SoQ 

présente sans distinction de mâle ou de femelle j# 
ainsi le genre des noms de ces animaux , aussi 
bien que celui des noms des êtres inanimés , ne 
tire sa dénomination de masculin ou de fémi- 
nin , que de la terminaison du nom adjectif, 
que Tusage a consacré à ces mots-là. 

Le choix de cette terminaison a été d'abord 
purement arbitraire ; mais quand une fois il a 
été fixé , il faut tn suivre la destination , tant 
qu'il plaira à l'usage. 

Les différentes terminaisons des adjectifs 
étant déjà établies pour les noms des animaux 
à deux clas&es apparentes , il a été plus com- 
mode de se. servir ou de Tune ou de l'autre de 
ces terminaisons , que d'en inventer une troir- 
sième j et même , en latin , et dans les autres 
langues ^ où cette troisième terminaison est 
établie, il s'en faut bien que la destination en 
soit suivie exactement. 

Ce n'est donc que par extension , par imi- 
tation ou par abus , que l'on dit que les noms 
dont je parle., sont ou masculins ou féminins. 

C'est par une pareille extension que nous 

appelons rime féminine celle qui finit par-ua 

e muet y quoique le mot soit masculin , comme 

Aleacandre y Philippe y homme ^ etc., ou qu'il 

n'ait point de genre , comme dire , enten^ 

dre , etc,.; et cette dénomination lui vient de ce 

. que Ve muet est consacré à la terminaison des 

_ adjectifs féminins , bon, bonne ; saint , sainte ; 

:pur, pure f.élc* M. l'abbé Girard voudroit-il 

, joindre une idée accessoire de sexe féminin à la 

rime féminine à^ Alexandre ou de Philippe^ 

Il y a donc deux sorties de genres ou classes 
dans les noms, 

V 5 



5io Œ u V n E • 

# I. Le genre fondé sur la différîence apparente 
que la nature a mise dans les animaux de même 
espèce. 

II. Le genre fondé sur la destination arbi- 
traire , que Tusage afaite de Tune ou de Tautre 
des terminaisons de Tadjectif , sans qu'il y ait 
dans la valeur du substantif, c^est-à-dire , dans 
ridée de ce qu'il signifie , rien qui exige Tune 
des terminaisons de radjectiftpréférablementà 
Tautre. - 

Dans les noms des animaux à figure dislinc- 
tive, l'adjectif obéit , c'est-à-dire, que ces 
noms-là étant, par eux-mêmes , ou fnasculins, 
ou féminins , Tadjectif prend invariablement la 
terminaison qui convient à Tune ou à Fautrè 
classe , dont est le substantif. 

Dans les noms des êtres inani-més ou spiri- 
tuels , Tadjectif donne le ton au substantif; je , 
veux dire que , comme ces nouas Ti'ont aucun 
genre par eux-mêmes, la dénoniination de 
masculin ou de féminin , que Ton donne alors 
au substantif, ne se tire que de la terminaison 
masculine ou féminine d!e Tadjeclif , selon la 
destination arbitraire que Tusageen a faite,sans 

3u^il y ait aucun rapport au sexe renfermé 
ans la valeur du mot, comme M« Tabbé Girard 
le prétend. 

Ce qui est si vrai j que tant que subsiste une 
langue qui a des adjectifs à deux terminaisons, 
le genre des noms &^s animaux à deux classes^ 
est toujours le même , parce qù^il est fondé sur 
la nature. Tafit que l^on parlera français, on 
dira un beau coq , une belle poule ; on dira 
toujours un duc y une duchesse ; le comte , la 
comtesse } mais on dira , selon le caprice de 



DE DU M A n S À I S. Su 

l'usage , le duché ou la duché ; le comté ou la 
comté. Malherbe a dit du vaisseau des Argo- 
nautes , la navire qui parloit y nous disons le 
navire. Période (i) ^ comète ^ planète n^ont 
pas, dans nos anciens auteurs français, le même 
genre que nous leur donnons aujOjUrd'hui : le 
genre de ces mots est sujet , comme nos habits , 
au caprite de la mode , parce qu'ils n'ont rien , 
en eux-mêmes , qui les détermine plutôt à un 
genre qu'à un autre. On ne peut donc pas dire 
que Tadjectif suive le genre de Têtre inanimé, 
puisque l'être inanimé n'a aucun genre par lui- 
même. 

Il y a même des occasions où il plaît à l'usage 
de donner à l'adjectif , dans la même phrase , 
^ terminaison féminine , quand, il précède le 
^bstantif , et la masculine , quand il le suit : 
il y a de certaines ^ns qui sont bien sots. 
]N'est-il pas plus raisonnable de reconnoître, en 
ces occasions , le pur caprice de l'usage^ que de 
recourir au burlesque pinceau de l'idée acces- 
soire de sexe , qui nous feroit ici des mois her- 
maphrodites (2) y des monstres à deux sexe^. 



(i) ri«ç/*<pic^ est fëminin ctp grec j periodus , féminm 
aussi en latin. C'est par cette raison que Yigenére et 
nos autres anciens auteurs français , font ce mot-là 
féniinin dans- les occasions où nous le faisons mas- 
culin. Nous diaons que sous Jfuguste , l'empire romain 
était parvenu. au plus haut période de sa grandeur^ 
Kos astron<Jmes disent le période du soleil , cel{ii d^ 
la lune. Comète et planète sont masculins en grec et 
en latin : aujourd'hui même nos astronomes les font 
masculins ; mais dans le langage ordinaire , nô\is lc$ 
faisons féminins. 

(,2; Yojrcz OyiDE , Métamorphose , 1. IV. 

V4 



ai2 OE U ^ R E s 

M. r.nbbé Girard, qui condamne avec tant 
de mépris le grammairien respectable qui ce 
ï'econnoît ici que le caprice de l'usage , n est-il 
pas obligé lui-n/ême de recourir à un caprice? 
T. I, p. Et à quel caprifce ? à celui du premier trait qoe 
5 et 8 2 G. r imagination a peint sans examen , sans con- 
sulter ni logique , ni physique. . . par le cas 
fortuit du premier coup de pinceau , sam 
motif ni plan , ni système à cet égard. S*il 
n'y a ici ni logique , ni physique , ni motif ^ ni 
plan , il n*y a donc que le caprice ; or , caprice 
pour caprice , j'aime mieux celui de Fusage j car 
tout ce qui. tient à Fusage est respectable , au 
lieu que le caprice du premier coup de pinceau^ 
dont on veut barbouiller mon- inciaginatioD; 
excite en moi des sentimens bien différens. |f 
Ainsi j lorsqu'un allemand demande de quel 
genre est soleil en français , cela ne veut pas 
dire quel sexe le coup de pinceau peint -i 
dans uotre imagination , quand a^ous dites 
soleil? Cela ne veut -dire autre chose , sinon 
quelle terminaison donnez-^vous à f adjectif 
que "VOUS joignez à soleil ?- Dites-vous beau 
soleil ou belle soleil , comme nous le disons 
en allemand? De quel genre est soleil? c^tsl* 
à-dire , de quelle classe est ce mot-là ? Est-il de 
la classe des noms substantifs , auxquels voire 
usage joint un adjectif de la terminaison mas- 
culine , ou de ceux auxquels vous donnez un 
adjectif de la terminaison féminine ? Il en est 
de même de ouille , ^village ; fleuç*e y rivière; 
ruisseau ^ fontaine ; Jupe , Jupon ; perruque , 
chapeau; mont y montagne ; soulier ^ mule; 
esprit y ange , ame ; entendement , ^volonté , etc» 
Eu un mot ^ tout ce qui n'est pas un individu 



D r. DU M A R 5 A I s. 5l5 

de quelque espèce d'animal à deux classes dis- 
tinguées par une conformation sensible , n'a 
crue le genre que lui donne la terminaison de 
1 adjectif j et c est pour t:ela que toutes les par- 
ties du corps des animaux n'ont aussi que ce 
genre purement arbitraire , parce qu'aucune 
d'elles n^est un animal (i). 

Et voilà la réponse à l'objection que M. l'abbé 
Girard fait au sage grammairien : Jean y Louis, 
François , Lucas , Marie , Margot , Silvie , 
ne sont-ils ni masculins ni féminins ? nont" 
ils pas un genre très-connu ? 

Oui, Monsieur, ils ont un genre très-connu , 
non-seulement aux académies de l'un ou de 
l'autre sexe , nrtàis par-tout où l'on entend le 
français , parce que ces mots-là , par leur valeur, 
marquent des individus animés, dont l'espèce 
est divisée en deux classes d'une conformation 
apparente très-distincte ; au lieu que les autres 
mots n'ont pas une pareille valeur , parce que la 
nature n'y a point mis une pareille distinction. 

Permettez-moi une dernière réflexion, ajouta 
notre philosophe, c'est qu'il y a des langues 
dont les adjectifs n'ont qu'une même termi- 
naison pour les deux sexes : il y a même , ert 
latin , plusieurs adjectifs de cette espèce, comme 
prudens , ferox.y "veraoc , duplex , biceps , 
bifrons , etc. Nous en avons aussi en français , 
cpmme sage , facile yfidelle , admirable\ etc. 



(0 Cette réflexion peut servir de réponse au fameux 

distique : 

Diciie grammatici çur mascula nomina €•••$ 
Et curfcemineum M, ..a noinen habet. 



5l4 Ofi. U V R E s 

La langue persane est une de ces langues où 
les adjectifs ne varient point leur terminaison: 
aussi dit-on qu'elle n'a point de genres (i) , et 
que c'est uniauemenf la valeur du mot qui 
marque dans les animaux , ou le mâle ou la 
femelle , comme nous le marquons , lorsque 
nous disons Alexandre ^ Roxane , Adam, 
Eve ; coq , poule , etc. 

Or , si Ton demandoit de quel genre est le 
mot qui , en persan , signifie soleil , on répoii" 
droit que soleil na point de genre en Perse , 
parce que si on joint àsoleilnn adjectif , on ne 
donne point à cet adjectif une terminaison dif* 
férente de celle qu'on lui donne , quand on le 

i'oint à lune ; de sorte au'on dit également , en 
^erse y beau soleil et oeau lune , sans aucune 
idée accessoire de sexe : on en diroit autant; 
des noms latins , si tous les adjectifs n'avoient 
qu'une seule terminaison ^ comme prudens. 

Ainsi ces peuples , semblables à nos enfans , 
n'ont point cette idée accessoire de sexe , dans 
les mots qu'ils ont établis pour se représenter 
les êtres. Ils ont abandonné cet adminiculeù 
doux ; ils n'ont pas reçu ce coup de pinceau, 
conduit par une imagination trop occupée de ce 
qui la flatte ; et quoique , sans doute , ces peu- 
ples soient aussi susceptibltes que nos grammai- 
riens^ de sentimens vifs et passionnés , ils n'en 
sont pas possédés au point d'avoir toujours dans 
l'imagination l'idée accessoire de sexe , et d'en 
voir un , aux êtres même inanimés ,* où la 
nature n'en a point mis. 



(i) LudoY* de Dieu Elementa Persica. L. III, c. i. 







DR DU M A R 5 A I S. 5l5 

: , Toute ce ttedernièx'e déclamation, Monsieur, 
est moÈ-à-mot dans Técrit de notre>philosophe. 
Je ne sai3 d'ailleurs, si )e n'ai rien ga té au reste, 
ni $i vous ferez à son ^principe Thonneur de 
l'adopter pa^mi les vrais principes ;.. mais je 
trouve qu'on a bien raison de dire que la con- 
trariété , dans les sentimens , instruit les per- 
sonnes indifférentes. Je vous avoue , Monsieur, 
qu'avant tout ceci, je ne distinguois un homme 
a'unc femme. que par leur air, par la barbe ou 

Far les habits : je n'imaginois dans Tun ni dans 
autre rien de différent sous le masque ; mais 
je sens que depuis là lecture dé votre livre > et 
par tout ce que j'e,n ai entendu dire , je suis 
'devenue bien plus habile. . 

Oh , Monsieur ^ que d'obligations je vous ai ! 
Vous né sauriez croire combien vos eî^emples , 
.vos réflexions et vos .idées accessoires m'ont 
instruite et m'ont fait de plaisir. Le monde 
n'est plus pour moi ce qu'il étoit.. J^ vois tout 
d'un autre œil. Je crois , Monsieur ,.n^en dé- 
plaise.à notre vieux philosophe , que cet ad^ 
7niniçu'le,9 dont vous parlez, est le véritable 
v^dminieule , et que c'est par - là que Tesprit 
, vient à tout le naotnde ; par exemple , je n'en- 
; tendois pas d'abord le mot que vous avez ingé- 
nieusement inyexité.d*appanationdesejce } j'eo t. i,p. 25g. 
i £iX$ {effrayée au. prismier aspect. Je le cherchai 
dans les dictionnaires,même dans celui de ]' Acar 
. idémie, je ne Vy trouvai point, "Vous n'étiez 
pas encore de l'Académie quand oji.travailloit 
, au dictionnaire ; ensisite je m'apprivQJsai avec 
: ce mot , à force de le répeter , en le<:herçtiant. 
- ^ppariationdesopseyïln'y arien là qui choque; 
tous ces mois-là me paroissent fait^ l'un pouv 



Tflh OF U V » E s 

l'autre , et ne doivent point être étonnés dese 
trouver ensemble. EnKn , vos réflexions et 
l'exemple que voas en donnez d*uD garçon et 
T.i.p. 2 jc. a une Jîl/e qui peuvent s* unir j dîtes- vous , 
c*est-à-dire, qui ont assez de bien pour se 
marier, me le firent deviner. II faut qu'il passe, 
ii trouvera <rrace auprès de Fusage ; et de plus 
'û entrera dans votre traité des synonymes , et 
servira à distinguer Tappariation des garcoos 
avec les tilles de la pariade des perdrix , de 1 ac- 
colade des lapreaux , et de Taccouplemeot des 
boeuis. 

J 'ai aussi compris , car , à la fin , les exemples 
ouvrent l'esprit ; j'ai compris , dis-je , celui oà 
T.l,^.:l:..^ous ailes y donne -moi ton cœur, le restent 
tardera pas. 

C'est , sans doute , un gascon qui vouloit 
en^jg:er une demoiselle à lui prêter de Targenh 
Quand une iois oa a le cœur , on peut compter 
sur !a bourse. 

Voici encore , Monsieur , quelques - uns de 
vos exemples qui m'ont beaucoup amusée) 
quoiqu'il s'v trouve de temps en temps des 
choses que le n'entends pas trop bien ; mais je 
con.rnence i m'en douter , et si je peux jamais 
par^crrrr à être de l'académie des filles^ on 
zn ex-.^iiqa^ra tout cela dans nos assemblées. 
T, !,p. -^^ Frx^di^uer ses caresses à un autt^ cju^à son 
nuzr: ^ 

Par exemple , ù son petit chien , à sm 
p^^-'O-.'tCK't^ etc. 
1.' r. : \ /j^» ^ ie/îe faveur dont F espérance îioui 
c^,^:-^ne » i/f/é» 7701/5 désirons ardemment^ à 
i.: ueiti^ néanmoins nous nous détachons 
oijîêMeft/ • 







DE DU MARSAIS. 5iy 

C'est sans doute des faveurs de la cour doat 
irous.parlez-là. 

f^osjeim: , belle Iris , séduisent ; je crois y '^^ '»P- 56a, 
voirde la tendresse. 
;. Comment cela se voit-il , Monsîeujr ? 

Je uous avoue y Madame ^ que je redoute'^-^^v-^^^- 
l^ femmes. 

: Eh pourquoi les redouter ? Monsieur , les 
Femmes ne sont pojnt méchantes , et ma mère 
m'a bien dit de ne redputer que les hommes. 
Elle me laisse seulç.avec les remmes qui nous 
tiennent voir , mais jamais avec un homme. 
. Quelques femmes prçdiguent ee qui nesC^-l^v-^^té 
^eau que sous le ^voile du mystère^ . . 
. Je n'entends pas encof-e trop bie^ cela. 

'^I^oute femme est fragile , maîSrtôutefsmmç t. i, p, 399. 
te succombe pas. . :•• 

Elle s^ est trouvée en danger de succomber^ T.ii,p.i26, 
nais rçippelant sa a)ertu, elle s'est repi^oché 
\u fpiblesse. ,- . . . 

Succomber : vous auriez bien du^ Monsieur , 
expliquer le sens . q^€i_ vous donnez ici à ce 
not-là. 

On remarque que toutes les belles femmes T.i,p.4oo. 
if/ectent l'air indolent, et que toutes les petites . 
ntiîtrésses se piquent de i)ivacité. 

Cette remarque , Monsieur , n'est-elle pa« 
îréé du Vàugelas de l'académie 'dès filles ? 
^'est-ce pas là que Foti examine , si , comme 
•n dit une femme auteur y on peut dire une 
emme petit maître V Je voudrois bien avoir 
e livre-là. 

JLcs jeuac admirent d^ abord la beauté ^T.ii.^.i^^. 
nsuite les sens la désirent, et le cœur s'y 
irre après. 



5l8 OE U V R E s 

Est-ce là tout , jNlonsieur ? J^ ne voîs-là que 
des roses , et Ton ne me parle qu« d'épines. 
T,ii,p.i95. Quelque tort qu^ une femme a^ envers un 
homme en affaire de cœur , 's* il en use jfid 
envers elle ^ il déroge à la supériorité de son 
seœe. 

Pourquoi , s'il vous plaît, à la supériorité? 
Vous n^avez donc pas lu , Monsieur , le bcaa 
livre de V égalité des deux sejces ? Permettez- 
moi aussi , Monsieur ^ de vous demander ce 
que c'est qu une affaire de cceur? Je ne Fai 
point trouvé dans les dictionnaires. 
T:ii,p.82i. L'amour attaque le cœur de rhomtrie sage 
et celui de l'étourdie '-• ' 

Quel est celui. qui s-eri défend le mieux? Je 
crois que c'est rétourdi* ' 

T.ii,p.293. On dit que toute tendresse est faiblesses 
je soutiens que non. " -^ » 

Et tous avez grande râFÎsott-, Monsieur. 
T.îi,p.3o5. J'aime mieux "vous voir périr , que vous 
n:oir entré lès bras d'un autre. 

West-ée pas ce que disoit Phi née? 

?erscc,acte « 3'aîtae mîetix voir tfo monstre aîTreax 
IV , se. 3. » I>^v.orçr l'ingrate Andromède , 

» Que la voir dans les bras de .mon rival hcareax »• 

Que ce sentiment est cruel ! le vilain amanl! 
c'est un ennemi. J'aim^bien mieux leséiitimeot 
de Pcrsée. 

« Je serai malheureux , dcfsespéré , jaloux j ( 
3) Mais je mourrai content^ si vous vivez heureuse )k 

L'honnête-homme ! Mais , dites-moi , Moï 
sieur , être entre les bras , comme vous dileSj 



DE DU MARSAIS. 5ig 

OU être dans les bras , comme dit Quinault, 
cela est-il synonyme? Il y a là, apparemment, 

Quelque nuance délicate. L'un se dit peut-être 
e l'homme , et Tautre de la femme. Quoi qu'il 
'en soit, je ne yoxxàvoiSipdiS^lre entre les bras 
ou dansdes bras du cruel Phiné'e : c'est un 
-.vilain Ethiopien. J'aime mieux Tei^ei^ple sui- 
-= vant : 

T^aimerai'-je ? t^en soucies-tu ? t. i, p. 314. 

Je t'aimerai y quoique tu ne t'en soucies 
-guère. - 

Fille de quinze ans , uin de deux feuilles éT ,11,^.^01, 
: Vous citez-là , Monsieur , un fort joli pro- 
verbe , que les hommes ont fait sur les filles ; 
-mais pourquoi les filles n'en ont-elles point fàif 
aussi sur les hommes ? Leur académie ne pro-* 
duit rien. Y distribiie-t-on des prix ? Que faut- 
îl faire pour les gagner ? 

Qui aime , qui donne , et qui est assidu , t. 11,0.445^ 
ne peut manquer de réussir. 

Vraiment oui , il mérite de faire fortune. 
Vous donnez-là , Monsieur , une fort bonne 
leçon à nos jeunes ambitieux j et vous avez 

frande raison' de la leur répéter ici. Avec de 
argent et de fortes instances , leur aviez- t. i,p. 127. 
vous déjà dit dans le premier tome , on gagne 
un cœur farouche . 

Je sens , je ne sais quoi , qui rne plaît infini- 
ment dans tou^ ces exemples-là. Mais , dites- 
moi , Monsieur , les avez-voùs faits de vous- 
même , ou les avez - vous pris dans quelque 
recueil d'opéra , ou de Tacadémie des filles ? 

. Je n^en ai plus qu'un à vous remettre devant 
Jes yeux , et le voici : / 

Si l'on fait attention , dites-vous. Monsieur , t. ii,p.463. 



3'îo CE u V n E s 

ù la confoimation délicate du corps féminin \ 
si l^on connoît t influence des mouvemens 
hystériques (i), et si ton sait que Inaction 
en est aussi Jorte qu irrégulière , on excusera 
facilement lesfoiblesses des femmes. 

Je vous avoue , Monsieur^ que je n'entends 
riea à cet exemple-là. Depuis que j'ai voula 
chercher le mot d^appariation de sejce^ naa mère 
et ma tante m'ont ôté mes dictionnaires : jene 
sais point ce que c'est que le^ mouvemens hjS' 
fer/^we^.Apparemmentles ftlles n'en ont point; 
et les hommes , Monsieur > en ont - ils aussi j 
comme les femmes ? Oh pour celui-là > il n'est 

Sas tiré des opéra , ni des romans. Le moi 
^hystérique a l'air trop sa.vant , et c'est pour 
cette raison qu'il est bien assorti à votre gram- 
maire y et qu'y étant à la fin ^ il couronne 
l'œuvre. 

Au reste. Monsieur , j'ai entendu beaucoup 
louer la juste application que vous faites d'un, 
passage latin (2) , que vojis avez mis à la fin de 



(i)Ce mot vient du grec v'ttùa , utérus ^ terme d'ana- 
tomie. Il y a tant de bons livres , d'où il est très- 
permis de tirer des exemples, ou instructifs , ou amu- 
sans , et au gré des personnes les plus délicates , qu'il 
est étonnant que l'auteur se soit donne la peine d'en 
inventer de tels que ceux qu'on voit dans son livre. 
Les auteurs qui ont l'avantage d'être d'une compa- 
gnie , ne sont-ils dans la disposition de consulter leurs 
confrères qu'au jour de leur réception ? 

{1) Absit in doctrinis verbum otiosum, aut obscurum: 
sicut et in coUoquiis , aut damnosum aut obscenuin* 

(c Point de mot inutile ou obscur ^ quand il s'agit 
1) d'instruire j et dans la conversation , point d'ex- 
» pression ^\xï puisse nuire , ni qui soit obscène ». 
/ votre 



|> E DU n A R SAIS. 5ai 

votre préface , et qui condarhne. les termes 
obscurs et les mots obscènes. Mais de quel 
auteur avez-vous tiré ce passage-là , Monsieur? 
Il s'est élevé sur ce point unexlispute parmi les 
gens de lettres, dont j'ai déjà eu l'honneur de 
vous parler. Il y eut un.de ces messieurs qui- 
soutint que ce passage étoit de Quintilien : un 
autre dit que non , quoique Quintilien , ajouta- 
t-il, ait dit à peu près la même chose (i). 

■ Un jeune abbé , qui se mêla dans la conver- 
sation , soutint que Quintilien ne pouvoit pas 
^voir dit cela -, parce tfue , dit-il , Quintilien 
étoit paf en. 

. Au reste , Monsieur , cet abbé étoit bien de 
mauvaise humeur contre le correcteur de votre 
livre» Ce correcteur nous assure qu'il a cor^ 
jpigé y dans son errata , toutes les fautes dim-^ 
pression , disoit l'abbé ; cependant , ajouta-t-il , 
^n voici bien d! autres : les rieurs ne furent 

pas de son côté , on traita son observation de 

minutie. 

Ensuite on releva quelques-unes (Je vos ex- 
, pressions ^ue l'on ne crut pas exactes , et 

quelques phrases où l'amour propre > dit-on , 

de montre trop. â. découvert» 



. (i) Obscepitas verô , non à verbîs tantumd abesse 
debe^t , «êd etiam à significatioiv^. 

Quint. InsU OraU Mxs. IV > c. 3 de Rlsu. 

¥ Il faut éviter^ non-seulement les mots obscènes et 
» grossiers y mais encorç tout ce qui peut réveiller 
» i'idëe de ce que ces xaots-là sigoiH^nt »• 

Tome m. X 



^22 OE U V IL E S 

Je suis toujours choquée , dit une dame de 

notre société , quand un auteur, déguisé sous 

la modeste ou l'orgueilleuse particule o/i, m*ea- 

nuie de toutes les peines qu'il dit qu'il s'est 

reface, p. données pour la manifestation de son ouvrage; 

que cet ouvrage est un tout très-méthodique , 

où l'on éi^ite les répétitions ; qnon s^est eocpli-^ 

Préface , oué avec clarté et précision ; qu'o/i s* est nus 

^' hors de la férule des précepteurs , et qu'oTi 

s^est lii^ré à toute Télevation et là liberté 

d^ esprit qiC inspire la belle littérature. 

Ceux qui ont reçu du ciel cette élévation 
d'esprit et ce goût pour la belle littérature , dit 
la dame, s'y livrent simplement, et ne s'en 
savent pas plus de gré que lorsqu'ils suivent 
tout autre penchant : ce sont de beauxyeuxqui 
ne se voient pas. Il n'y a que ceux qui con- 
noissent ces hommes rares ou qui lisent leurs 
ouvrages , qui applaudissent à 1» supériorité 
de leurs talens ; eux seuls n'en sont pas satis- 
faits , parce qu'ils voient encore au-delà, 
,p.228. Non-seulement les femmes y dît M. l'abbé 
Girard^ et les hommes non instruis me saur 
ront gré de cette méthode simple et facile , 
mais encore les gens d^un esprit cultivé se 
plairont à "voir un ouvrage également fran^ 
cois par le sujet qu!on y traite , par les eX" 
pressions au on y emploie y et par Part dont 
on le conduit; de façon y poursuii-il , que je 
leurparoîtrai avoir pensée , imaginé, raisonné^ 
p. 239. et parlé françois 9 sur le françois ^ chose bien 
naturelle ; mais , en "véritéy dit-il, toute now 
velle* 

Quoi donc , aucun confrère de M. l'abbo 
Girard n'a encore parlé françois sur le françois? 



DE D tJ M A H S A I 5* 5^3 

Quelque peine que je prévoie ^ je ne me T. i, p. 22». 
rebuterai pas. Puisque Le travail est entrepris f 
il est de mon honneur de, le finir. J* espère 
que les observations suivantes prouveront que 
jç ni en suis acquitté avec succès , ou que 
du moins j* aurai dit tout ce quil est poS'^ 
^ible de dire sur ce sujet , et de la manière 
ia plus propre à instruire ^ sur^tout ceux qui 
en (i) ont le plus de besoin. 

Je ne 'veuac que faire remarquer au lecteurT.ii.ip, f. 
combien je suis attentif aux définitions et à 
bien analyseri 

■ > C'est à moi qui lis , dit la dame ^ à foire ces 
remarques de moi-même. Le mérite de rou** 
vrage doit les faire naître dans mon esprit. 

Je suis choquée que Tauteur prévienne les 
éloges , qu'il sait bien que son successeur doit 
lui donner un jour. C'est à moi et non à l'auteui' 
a m'écrièr , la beauté ^ la rareté , la nouveauté ; 
autrement, c'est comme si lorsque je suis i 
table , mon cuisinier venoit me dire qu'il a le 
meilleur goût du monde, et qu'il m'entrelint 
du détail de tout ce qu'il a fait pour apprêter ce 
<ju'on me isert. Eh, mon. ami, laisse-^nous 
iavec les plats , en mangeant nous te rendrons 
justice. ^ • : 

Cette dame ^ Monsieur , ne parut pas non 1. 1, p. $«. 
plus trop contente des nouveaux mots à&.suh^ 
jectif y objectif y circonstanciel y termimztif-^^^Vi^^. 5. 
adjonctif, adaptif ^ etc. . ^ 



(i) Cet.^n veut' dire qui ont te plus besoi(i .d\ns^ 
trucUon , et non d'instruire. 



/ 



524 OE U V R E s 

T.n, p. 6, J'espère , dit M. Fabbé Girard , poursuitit- 
elle , que les oreilles des dames rien seront 
point choquées. . . du moins de celles que le 
cœur n'absorbe pas entièrement. Ne voilà-t-il 
pas une restriction bien placée? dit cette dame. 
T. Il, p. De plus^continua-t-elle, il va m'embarras- 
y^' ser de quatre ^'vingt^ neuf format ioîis d!m 

acerbe , dont il y ena ^ dit- il ^ quarante^quatit 
de composées et quarante-cinq de simples , 
quHl subdivise ensuite en dix primitives , et 
trente-cinq secondaires^ La petite grammaire 
raisonnée de Port- Royal, et l'abrégé deU 
grammaire de Restaut ^ me délivrent de tout 
cet'àttirail. D'ailleurs\, M. Fabbc Girard médit 
T. II, p. 79. lui - même que Y habitude grave tout cela dani 
la mémoire , et le fait trouver à merveille dam 
le besoin. Me voilà donc dispensée de fatiguer 
mon attention en pure perte. : • 

Et. les étrangers , dit-ellé , croyez- vous que 
cette grammaire soit fBÎte.danS le goût pratique 
qui leur convient.^ -et qu^ils en aiment la xnéta- 
ph^rsique ? :•••.,• i 

Pdùr les couverts idei ifilles , ji9 suis persuadée 
que > les supérieures «trouveront, plus .à propos 
qu'on is^en tienne t:beE>elles à l'habitude ^ qui 
nous suffit au besoin. 

A^'égard des colJégeis. . . Oh > .pour lescol- 
léges > interrompit.ie.précepteur de naon frèi^ 
je réponds bien qu'on n^en voudra pâa$ par , an 
^ collège , on soutient qa'avec le , verbe yx/ieo.| 
les bons auteurs mettent Taccusatif avec nn 
infinitif, et M. l'abbé Girard y met ïe dalif; 
voici le françois : 
1. 1, p. 175. Ziè prince a comrhàndé à son daniestiq^i 
d'allisr che9 la fille détemperèUr. 






DR B tr M A K s.^ I s. SaS 

. M. Fabbé Girard n'imite pas mal le style des 
thèmes , poursuivit le précepteur j mais voyez 
comment il fait ce thème-là : 

Serç^o jussit princeps Jiliam imperatoris 

Et il fait remarquer expressément que serve 
est là au datif : le collège le veut à l'accusatif. 

.. , On rit y quelque temps ^ de la remarque du ^ 

précepteur ; on badina siir adiré jiliam , et suij 

. le domestique qui va chez la fille de Vem^pe^. 

\reur. L'abbé Girard^ ajouta la dame , n'est pas 
teureux en exemples. Il ne s'agit-là que de faire 
yoir la différence du latin et dp françois, dans 

* la manière d'exprimer le rapport d'attribution. 
En latin , on marque ce rapport par la termi- 
liaison du datif, et en françois par la préposi* 
tion à. Manquoit-on d'exemples qui n'auroient 
point révolté le lecteur ? Reddite quce sunt 

~ Cœsaris j Cœsari; et quœ sunt Dei ^ Dèo. Matt.c. 22, 
Rendez à César ce qui est à César, et à I)iea^' ^*' 
ce qui est à Dieu , et mille autres aussi simples. 
Falîoit-il aller chercher le princç , le domes- 
tique et la fille de Tempereur ? 

Voyez , Monsieur , Tinjuslice des hommes, 
et la bizarrerie de leur goût : cette dame li'aime 
pas vos exemples ; d'autres personnes en sont 

- enchantées , même celles que le cœur absorbe ; 
et cellesJà les mettent au-dessus du reste du 
livre qu'elles ne lisent point ; d'autres , enfin , 

jr trouvent du contraste, et soutiennent qu'ils 
lie conviennent point à l'ouvrage. Mais ua 
homme d'esprit leur répondit fort bien : que 
/voulez-vous dire ; est-ce que la grammaire 

^et la Fillon ne sont pas faites pour la jeunesse? 
J^ effet , tout ce qui « quelque .rapport aux 



Z26 OE V V R E s 

académies, estdestiné à notre instruction, Mais 
revenons à noire dame. 

Que pensez-vous , Messieurs , poursuivit- 
elle , de Tusage perpétuel que fait M. Tabbé 
Girard des prosopopées (i) ? J'entends ce mot- 
là , dit-elle ; car , j'ai lu la rhétorique à Tusagef 
des dames. 

Que Ton parle , en passant , d'une idée abs- / 
traite, comme on parleroit d'un objet réel, cela 
est établi ; c'est ainsi qu'on dit , que la mort a 
des rigueurs ; que la santé est le plus grand 
de tous les biens ; que la raison et la njolonté 
ne sont pas toujours d'accord ^ etc. C'est une 
pratique autorisée, qui- sert à abréger le dis- 
cours et à le rendre plus vif. On n'apperçoit 
pas même alors la figure, comme dit Fautear 
des Tropes : mais faut-il admettre des proso- 
popées suivies dans le style didactique (3)? 
Faut-il personnifier si souvent les mots et leur 
donner des goAts , des volontés et des onti" 
pathies décidées , les uns pour les autres? 

T.l,».S82.ï^^"'^*^'^ personnifier l'usage, au point de le 
faire parler , et parler avec des mines ? Uusa^) 
dit-il , moins piqué des reproches des grani" 

T.l,p. i85. ^ciiriens que touché de leur écart , leur dirai 
d'un air à les rappeler à lui : Messieurs , qui 



(i) Figure de rhëtorîque , par laquelle on fait parler 
les absens y les morts y les animaux y et même les êtres 
inanimés. Tr/Kto-vroTroim. R, ;r/)oV»9roy , persona. Et «riw» , 
Jacio^ 

(2) ^ntAXTix^s , aptus ad docendum s propre à intr 
truire , à enseigner , à expliquer , K* i'ii'écx^,. Dace^ 



i)B DU màusais. 5^7 
'dischurez impitoyablement contre moi^n'avezr- 
, n)ous pas desyeux et des oreilles ?.. . Pourquoi 
ne me voyez-vou^pas ? regardez-^moi bien. . • 
Il n y a plus qu'à le faire chanter , ne m^enten^ 
€tez''Vous pas ? Pour moi , continue Tusage , t. i,p. 189, 
*^iii me connois parfaitement , etc. , croyez- 
Tous , Messieurs , que parmi nous , dit cette 
^ame , on permît à Mn poète dé personnifier 
ainsi l'usage ? Pouvons-nous dire aussi que la ^ 
^ammaire napas la complaisance de donner j, i^p. 3^,^ 
,du relief aux méprises des auteurs ? 

Il réalise ailleurs la routine et la méthode ,t. i, p. 73. 
-et celle-ci ^ dit-il , répondra modestement. 

Je paTrdonne ces fictions , continue la dame , 
A cet italien ( 1) , qui nous a fait un roman ingé- 
nieux d'une guerre entre les mots , dans Tem- 
^ pire imaginé de la grammaire ; mais j'ai été 
surprise de trouver si souvent de pareilles fic- 
tions dans le livre de M. l'abbé Girard. Il dit , 
à la pag. 195 du I tom. , que le bon sens et la 
raison ne proposent point de pareilles diffi-^ 
cultes ^ parce quils voient bien , etc. Il me 
semble que ce n'est xpas ainsi que l'on donne des 
yeux au bon sens et à^ la raison. 

Oh les beaux yeux , Madame , m'écriÉ^irje 
alors , que ceux du bon sens et de la raison I 
Je voudrois bien en avoir de pareils , pour 
triompher de quelqu'homme sage ; nous pas- 
serions agréablement les jours dans d'utiles 
conversations. Vous ne savez pas trop ce que 



(i) Andreje GuarnjE , Cremonensis , Bellum 
•GRAMMATICALE. Parîsiis. £xcud. Matt. David > i55o^ 
«t depuis chez Thiboust ^ place de Cambrai. 

X4 



528 OB U V K U s 

VOUS dites > Mademoiselle , me répliqua brus- 
quemen t cette dame,vous faites cora me M .rabbé 
Girard ^ vous passez du s0is figuré au sens 
propre. 

Je ne sais ^ Monsieur > si cette dame est del 

académies dont vous parlez ; mais elle est de 

fort mauvaise humeut contre vous. Je crois ei 

avoir pénétré la raison. Elle se pique d'esprit> 

car elle apprend Tanglais , et elle a fait plusieun 

cours d'expériences chez M. Tabbé iNoUet; et 

T.i, t. 340. vous allez dire, dans votre livre, que les femmes 

sont incapables de réfléchir long-temps sur 

le même sujet» Vous avez beau dire., MonsieuFi 

T. I, p. 97. que vous ne croj-ez pas aç^oir des frondeurs à 

redouter; si madame Dacier étoit encore en 

vie , vous auriez beau soutenir que votre tête 

TAhip. 3i% est f. ainsi que la sienne Vétùit y meublée àz 

et 349. grec et de latin , vous trouveriez à qui parler , 

sur -tout si elle se faisoit étayer de quelque 

philosophe. 

Mais, sans évoquer Tombre de madame Da- 
cier , nous avons encore bien des daisies assez 
savantes et assez aimables , pour se venger pat 
elles-mêmes. 

Ce n'est pas de la nature. Monsieur, que 
nous avons à nousplaindre; c'est de Téducation 
qu'on nous donne > et qu'on a intérêt de nous 
donner. 

Quelles sont les institutions physiques où iljr 
a le plus d'ordre, de clarté , de précision el; 
de profondeur? Ce sont celles qu'une illustre 
dame (i) nous a données; et j'y trouve encore 



(i) Madame la marquise du Ch&telet. 



D F. T> XJ M A n S A I S. 3^9 

an mérite singulier dont je suis touchée, C^est 
le motif tendre qui Ta déterminée à les écrire. 
? Une autre dame (i) ., aussi d'une condition 
distinguée et d'un goût délicat^ sensible aux 
finesses de la belle littérature^n'en est pas moins 
occupée de ce que la physique adeplus curieux. 
' Elle, étudie , elle observe la. nature , et en tire 
des'productions nouvelles, au point qu'on peut 
dire de cette dame ce qu'on a dit du célèbre 
Tournefort , qu'elle prend la nature sur le fait» 

Voulez-vous un mérite d'un autre genre. 
Une dame (3) , d'un côté , et un abbé de l'autre, 
ont mis en vers françois , l'un Pope , l'autirâ 
Milton : je laisse aux connoisseurs à décider 
lequel de ces deux ouvrages est celui où il y a 
le plus de feu , d'enthousiasme, de natqret et 
de poésie. . ' . 

Vous direz , sans doute , Monsieur , que ces 
exemples rares ne sont que des exceptions , et 
ne détruisent pas votre principe; que l^ esprit TAi^^.ii 
des femmes est moins propre à réfléchir qiCà 
saisir; mais je vous renvoie au traité italien (3) 
des études des dames et à la liste que M. Ménage 
a faite des femmes philosophes. 

Oserai-je vous le dire , à notre gloire , Mon- 
sieur? la plupart de vos exemples et de vos 
réflexions donnent lieu de penser que vous ne 
nous haïssez pas ; c'est la foiblesse des grands 



(i) Madame la comtesse de Verteillac» 

(2) Madame du Bocage. 

(5) Trattato depîi studî délie Donne , d'un acade- 
mico întronato. In f'enezia. i'j/^9. 



55o OE u V n É s 

cœurs de nous aimer , et vous ne voulez par 

t.Utp.tgS. même que ce soit une foiblesse ; mais ma uière 
et ma tante me disent tous les jours de ne pas 
me laisser séduire à ces apparences flatteuses; 
, les hommes même les pl^is éclairés qui nous 
aiment ^ajoutent-elleSy se trouvent ensuite dans 
des dispositions qui ne nous son t pas favorables; 
ne seroit-ce pas dans quelqu'un de ces tristes 

T. I, p. 340. instans que vous nous auriez jugées incapables 
de réfléchir? Mais, croyez-moi , Monsieur, 
profitez au plutôt de quelque retour plus heu- 
reux , pour nous faire réparation dans le secood 
tome que vous nous annoncez de vos synony- 
mes , oii votre génie vous fait revenir, 

]N os beaux esprits vous chicanent aussi ^ Mon- 
sieur , sur les notions que vous donmez des 
parties d'oraison. Par exemple, ils disent que 
vous faites du verbe un acteur dé comédie , en 

1* l,p. 5o, disant quV/ représente par éf^ènement ; qu'à la 

T- n.p. 3. vérité la définition que Port-Boy al donne du 
verbe , a besoin d'explication ; mais , qu'étant 
une fois bien entendue , et énoncée selon ce 
que Fauteur a voulu dire , elle est très-juste. 

En effet , Monsieur, point de discours sans 
proposition ; point de proposition sans un sujet 
et un attribut. Faites l'analyse de votre propo- 
sition, vous trouverez toujours que le sujet est 
un nom ou un sens forme par un assemblage 
des mots , équivalant à un nom. Ensuite pas- 

^ sez à Tattribut : le premier mot , qui , selon 

Tordre de la construction , énonce , en tout 
ou en partie, l'attribut de votre proposition, 
est le verbe. 

Ainsi , le verbe est le signe spécial de la vue 
de l'esprit , qui regarde expressément un sujei 



A 



DE DV MARIAIS. 55x 

tomme étant de tellç ou telle manière ; ou , 
5Î vous voulez , le verbe est un nom destiné à 
■déclarer expressément que Ton regarde un sujet 
comme étant tel que les autres mots de Tattri- 
i)ut renoncent. Tous ces autres mois marquent, 
ou quelque qualification , ou quelque circons- 
t;ance : le verbe seul désigne expressément que 
ce^ qualifications ou ces circonstances sont dite$ 
du sujet. 

Le verbe ne doit point être séparé de Fat- • 
tribut; il en est la partie essentielle , et n'est 
pas une simple liaison ou copule , comme la 
plupart des logiciens le prétendent. Il n'y a 
donc point de mot qui soit réduit à ce seul 
iisage ; et quand je dis que Dieu est tout-puîs-' 
sant y ce n est pas la toute- puissance seule qife 
je reconnois en Dieu , c'est l'existence avec la 
toute-puissance. Le verbe est donc le signe de 
l'existence réelle ou imaginée du sujet dé la 
proposilibn, auquel est liée cette existence et 
tout le reste ; c'est ainsi , qu'en latip et en grec , 
les noms dans les cas obliques outre la signifi- 
cation de la chose , indiquent encore un rap- 
port particulier que leur terminaison énonce , 
et lié avec le mot qui convient : Lumen solis ^ 
amo Deum , etc. 

Ce que vous dites , Monsieur , du pronom et 
de l'adverbe , ne paroît pas non plus conforme 
à cette précision , ni à^cette justesse si vantée 
dans votre ouvrage. 

Le pronom y diles-vous, n'est qiCun o^/ce-T.i^p. a 
géreîit y dx)nt le dei'olr consiste à figurer à 
la place d'un autre et à remplir les Jonctions 
(le substifut. Les pronoms , ajoutez-vous y ne 
Sont pas des dénominations précises ; ils ne 



353 OE U V. R R S . 

présentent point' d images décidées ; leurprih 
pre valeur vLesl qiCun renouvellement d!idée 
qui désigne sans peindre. 

Ce n'est pas-là , Monsieur , Fidée que mon 
inaître m'a voit donnée des pronoms. Selon lui , 
les véritables pronoms sont les dénominatioDS 
précises des personnes grammaticales ; c'est-à- 
dire , des personnes considérées seulement selon 
un certain ordre qu'elles tiennent dans le dis- 
cours. L'un parle , c'est de lui que vient le dis- 
cours , c'est la première personne; celui ou 
ceux à qui le di3COurs s'adresse , sont la se- 
conde personne ; enfin, on entend par troisième 
personne,tout ce qui fait Içi matière du discours. 
Or , les mots qui ne marquent précisément que 
ces divers points de vue de l'esprit , sont appe- 
lés pronoms , et sont comme autant de noms 
propres de ces points de, vue. C'est ainsi que 
pape , empereur y roi , prince ^ sont les déno- 
minations précises de personnes considérées 
seulement en tant que possédant ces dignités. 
; Mon maître me dîsoit , Je m'ep souviens , 

3u'ily a dans toutes les langues des précisions, 
es abstractions et des finesses délicates , aux- 
quelles tout le monde se conforme comme par 
instinct , mais que peu de personnes sont en 
état de démêler. Il en est, me disoit-il ^ de la 
parole comme de l'économie animale. Tout le 
monde marche, boit, mange, digère, dort, 
voit , entend , parle , chante , etc. ; mais com- 
bien peu de personnes connoissent le peu même 
que nous pouvons connoîlre du mécanisme de 
ces opérations. 

Ilestsipeu vrai , quelaproprevaleur des pro- 
noms ne consiste que dans un renouvellement 



DE DU M À R S À I S. 555 

d^idéé ; que c'est souvent par les pronoms que 
' jCornmence le discours , sur-tout par les pro-* 

- noms de la première et de la seconde personne. 
Je^noiiSy "vous. Ille^egOy qui^ quondatn^ etc. y 

- 'niai , Junon , sœur et femme de Jupiter. 

Le pronom est donc quelque chose de plus • 
-• j^xj^un simple vice^gérent , dont le devoir ne 
=• consiste qu*à figurer à la placé (ïun autre. 
' Ce qui est si vrai , qu'on joint souvent le pro- 
nom avec le nom même : nous , Louis y etc. ; 
moi, le roi; lo el Re. C'est ainsi que signe le roi 
d^£spagn€. D'ailleurs , en bien des occasions , 
mettez le nom même à la place de ce prétendu 
▼îce-gérent, et vous verrezi qu'il s'en Faut bien 
qu'alors le nom n'exprime toute Kdée, tout le 
.point de vue de Tespritet tout le sentiment de 
celui qui /parle. Qui ? moi ? faurois "voulu ; 
honteuse et méprisée ^ d'un peuple qui me 
hait , soutenir la risée ? S ai njoulu, etc. ; met-r 
tez le nom à la place du vice-gérent ^ ce que 
Vous perdrez du fond même de la pensée et dé 
l'énergie , v Jls fera voir que le pronom est 
quelque chose de plus qu'un simple substitut. 
: Ce n'est donc pas donner une juste idée de» 
proncans , que de* dire simplement qu'ils se 
mettent à la place du nom ; selon cette défi- 
nîtioijL , tous les mots pris dans un sens- figuré y 
seroion^autant^de; pronoms ; ainsi; quand oa 
die ceHt voiles pour oè/z^ vaisséàua:^' voiles 
j^eroit^un pronom ; et quand les auteiirs disenb 
€)érés^ pour le pain y Bacchus pour le vin ^ 
^ùleain pour Je feu > Jupiter pour Voir , etc., 
Oerès , Bacchus , f^ulcain ', Jupiter,, etc. 
. iperoient autant de pronoms. 

|lnçore ua v^q% ^ Mop^ieur ; sur l'adverbe : le 



S?4 OE V Y A £ 5 

'^'^^V'^v* caractère essentiel des adverbes , dites-vouSi 
consiste à être de simples modijicatifs. Ce 
caractère, Monsieur, n'est pas tellement propre 
à Tad verbe qu'il ne convienne à presque tous 
les mots urbs Roma , lumen solis , etc. 

dTintp.iSS. Vous nous dites si souvent dans votre ouvrage 
que vous ne vous êtes jamais permis de rien 
aç^ancer, sans avoir fait un eauimen profond 
et rigoureux , vous servant toujours , dites^ 
vous , de V analyse et des règles de la plus 
exacte logique , qu'il me semble , Monsieur | 
que vous auriez du premièrement ne parler de 
Tadverbe qu'après avoir parlé de la prépositiont 
Vous auriez alors trouve tout naturellement la 
nature de Fadverbe. 

La préposition marque une sorte , une espèce 
de rapport , et ce rapport , ainsi énoncé sans 
application particulière , est ensuite fixé , ap- 
pliqué y déterminé y par le nom qui suit la pré- 
positiont Ces deux mots réunis forment lad- 
verbe ; avec prudence , prudemment ; avec 
courage , courageusement , et^ Où est-'U? 
où y c est-à-dire , en quel lieu ; et cet où vient 
du latin ubi , que l'on prononçoit oubi > et en 
cela il est différent de Vou conjonction , qui. 
vient de aut.Y est-H'î il jr est. Cet^. vieni 
encore du latin ibi , et il est adverbe , parce 
qu'il emporte y dans sa valeur , la prépo^itioa 
çt le nom. Il y est^ c'est-à-dire , il est dam 
ce lieu-là. Il est si sage j ce si est différent 
de la conditionnelle si y et vient du latin ii^ 
ou de l'italien cosi , et parce qu'il signifie re/ter 
vient y c'est-à-dire, à un tel point ^adebi 
il est adverbe. 

Je sais y Monsieur > que les personnes sans 



DC DIT MÀRSAIS. S35 

xétude se'passënt fort bien de ces recherches z 
"jnais vous nous annoncez des principes ; or , 
^^près cette annonce^ on est étonné que vous 
ne vouliez tirer vos principes que de la seule 
Jangu^ frànçoise ; comme si cette langue ne 
yiievoit son, origine qfl'à elle-même. 
: 1 L'homme , disent nos beaux esprits , est ua 
^animal imitatif; ou , comme dit la Fontaine, 
^^'nous sommes une race moutonnière; les enfans 
vpç parlent que parce qu'ils ont entendu parler 
Scieurs pères et les autres hommes avec lesquels 
- ils ont vécu. Mille circonstances , mille combî* 
liaisons particulières y apportent ensuite au 
langage des pères des différences, qui, ajoutées 
successivement les unes aux autres , forment 
enfin une langue qui a son caractère propre'^ 
mais qui ne saurôit perdre en tout les marque* 
-iiie son origine : c'est un enfant , qui a toujourjf 
un certain air de femelle ; c'est un provincial , 
. qui ne peut se défaire entièrement des manières 
et de 1 accent de sa province. Ainsi, les vrai^^ 
principes d'une langue doivent se tirer , disent 
nos philosophes , et de ce qu'une langue a cou*» 
serve des langues plus anciennes dont elle vient, 
et{ dexe qu'elle a de propre. Sans la connois-? 
sance de ces deux: points , il peut bien y avoir 
Yin bon usage , une bonne routine ; mais il 
ne sauroity avoir de vrais, principes de gram-^ 
niaire. Ainsi, à ce que ces messieurs prétendent, 
pour connoitre les principes de notre langue , 
puisque vous^Voulez des principes , il faut quel* 
que chose de plus que l'usage actuel de la 
Mngue ; et si vous ne voulez pas remonter jus- 
qu'aux langues que nos pères, ont parlé, et 
même jusqu'à celles des peuple^ gvec lesquels 
4is ont été en relation , ou par le commerce ^ ou 



556 oK tr V II É à 

parles guerres, ou de quelqu'autre manière^ 
changez le titre de votre livre. 

On vous blâme aussi beaucoup , Monsieur, 
de l'indifférence que vous marquez pour Tétj- 
mologle , pour Teilipse et pour les autres figures 
de grammaire j dont vousTne parlez point, et 
sans lesquelles nos maîtres prétendent qu'il 
n'est pas ppssible de rendre raison d'un grand* 
nombre de façons de parler. 

Au reste , Monsieur , toutes ces critiques, 
quelles qu'elles soient , ne m'ont pas empê- 
chée de goûter une infinité de réflexions judi- 
cieuses répandues dans votre grammaire. Aussi 
en ai-je fait relier bien proprement les deux 
tomes , quq j*ai mis à côté de votre excellent 
traité des sjnorvymes. Quand la première édi- 
tion de cet ouvrage. utile parut , je n^étois pas 
encore au monde ; mais dans la suite , lorsque 
je fus devenue un peu raisonnable , un homme 1 
de mérite , qui s'intéressoit à mon éducation,! 
me le fit lire plusieurs fois , pour me former le 
goût , dii5oit-il > et je lui ai souvent entendu dire 
que ce petit traité étoit un« des ouvrages qui 
avoit le plus cohtribué à donner de la justesse 
et de la précision à nos auteurs. Ainsi , j'ose 
tae flatter. Monsieur ^ qu'çtant remplie , dès 
mon enfance, d'une véritable >estime pour vous, 
vous interprêterez favorablement la liberté que 
j'ai prise de vous proposer mes doutes , avec la 
confiance et la docilité d'une petite écolière 
qui a grande envie d'être instruite. C'est avec 
ces sentimens que j'ai l'honneur d'être , Mon* 
sieur, votre très -humble et très - obéissaote 
servante, etc. , etc. 

A, Paris ; GQ 3 mai •i747« 

■ '^ '■ ■ ■ . IrCYBaSIOÏ' 



INVERSION. 



Tome III, 



■-\ 



INVERSION. 



Opurius Carvulius étoît devenu boiteux d'une 
blessure qu'il avoit reçue dans un combat. Il 
se faisoit une sorte de honte de paroître en 
■ .public en cet état. Que ne vous montrez-vous, 
mon fils , lui dit sa mère ; à chs^que pas que 
vous ferez , vous vous ressouviendrez de votre 
valeur, 

Vdicî comme Cicéron fait parler cette femme 
respectable : / 

(^uin prodis ^ mi Spuri ? ut quotiescumque 
gradum faciès , toties tihi tuarum a)irtutum 
a)€mat in mentem. Cic. de Orat. II. LXI. 

Bornons-nous à la dernière proposition /fo^/e^ 
tibi tuarùm ojirtutum reniât in mentem. 

Je veux expliquer cette proposition à un jeune 
homme ^ et suivre la méthoue de M. Pluche et 
de M. Chompré (i). 

Premièrement. Le premier pas que j'ai à . 
faire , selon M. Pluche , c'est de rapporter net- 
tement , en langue vulgaire, ce qui est le sujet 
de la traduction. / 

Soit. Je viens de faire ce premier pas. 

Le second , c'est de lire et de rendre fidel- 
lement, en notre langue, le latin dont on a / 



(0 Page 154. 

y a 



54o OE U t R E s 

annoncé le contenu ; en un mot, de traduire (i). ' 

Ce mot traduire est imprimé en italique , je 
soupçonne là quelque mystère. 

Le troisième pas est de relire de suite tout 
le latin traduit ^ en donnant à chaque mot le 
ton , ( et le bon ton , p. i6o ) et Tinflexion delà I 
voix qu'on lui donneroit dans la conversation. 

Ces trois premières démarches sont Taffaîre , 
du maître, dit M. Pluche. 

C'est précisément ce qui ne me paroît pas 
assez développé. 

» Qu'entendez-vous dans le second pas , lire 
et rendre fidellement, en notre langue^ le latin; 
qu'est-ce que cejidellement et ce traduire! 

Ce qui Fait ma difficulté , c'est que dans Votre 
troisième pas vous dites que le maître doit relire 
de suite tout le latin traduit. Cela semble sup- 
poser que dans le second procédé , il n'a pas lu 
de suite le latin , qu'il l'a décomposé , qu'il en 
a fait la constructioh , et qu'il l'a expliqué lit- 
téralement et mot à mot. C'est-là vraisembla- 
blement ce^que vous avez entendu par votre 
traduire y en italique. En effet, que feroitle 
lïiaître dans ce second pas , qui fût différent 
de ce que vous voulez qu'il fasse dans le troi- 
sième , ou il n'a qu'à relire de suite tout le latin 
traduitl 

Les maîtres dé pratiques m'entendront bien. 

Si mes soupçons sont fondés , le maître , dans 
son second procédé , a fait la construction , et 
il a traduit mot à mot. 

En ce cas , je suis ravi de me trouver de 



(0 Page i55. 






DE DU M A 11 S A I S. S^I, 

Tiême sentiment avec M. Pluche ^ et avec 
M. Chompré* La seule différence qu'il y aura 
entre nous , c'est que ces messieurs veulent 
seulement que le maître parle , au lieu que. je 
donne , par écrit, toute la besogne faite > tant 
pour le soulagement des maîtres , que pour 
faciliter Tétude et la répétition à l'écolier , qui 
trouvemême dequoi s'occuper utilement quand 
il n'est pas sous les yeux du nîiaître. 

Mais poursuivons l'application delaniéthode 
de ces messieurs y sur la phrase de Gicéron , 
que j'ai prise pour exemple. ; 

Nous venons de voir ce que M. Pluche veut 
<ra^ le maître fasse ; voici ce qu'il prescrit au 
disciple: 

Me voici à ma place , reprenons notre phrase 
deCicérdn : Totiestibi tuarum virtutum reniât 
in mentem. > 

M. Pluche (i) veut que moi ^ disciple, je 
répète la traduction sans déranger Tordre des 
mots latins. Je dirai donc , selon les modèles 
que M, Chompréen donne (2) , autant defois^^ 
à toi y de tes ^vertus , ^vienne , dans V esprit. 

Mais n'est-ce pas là un françoisbien extraor- 
dinaire, où il n'y a ni grammaire , ni bon ilsagev 
De tes vertus au pluriel , vienne au singulier , 
on n'y entend rien. 

N'est-ce pas là accoutumer un enfant à un 
mauvais goût? N'est-ce pas exciter dans son 
esprit une idée exemplaire , qui sera pour lui 
un mauvais modèle , une règle fausse ? 



(0 Page i55. , . . 

(2) Page 40 de la Çjnfaxe» i- ^ 



543 CE U V R É'S 

La première et^ longue habitude du mal a 
des suites aussi fâcheuses enfuit de langues , 
qu enfuit de mœurs. C est faire parler limosin 
ou aui^ergnac à un Jeune espagnol , dans tin* 
tention de le perfectionner ensuite à Ver* 
suilles. Que ne commencez-vous par F amener 
à Versailles ? S^ily est sédentaire , "vous lé 
prendrez bientôt ^pour un jeune François ; il 
n'entendru que le langage de Versailles , et 
retiendra aussi bien le bon françois qu'il 
aurait retenu le mauvais , et ne sera jamais 
réduit à se défaire des tours et des accens 
limosins. 

Rendons plus de justice à ces messieurs.' 
M. Chompre nous donne quelques passages 
latins, qu'il explique ensuite à sa manière; 
par exemple celui-ci , tiré des Tusçulanesde- 
Cicéron ,1 , C. i5. 

Phidias sui similem speùiem inclusit in 
Cljrpeo Minen^œ cum scribere non liceret[i). 
M. Chompré explique ce passage (2) ; pre- 
mièrement, selon le tour latm en ces termes : 
Phidias , de soi , le semblable portrait , 
enfermu , duns le bouclier de Minerve , Ion- 
. que dy graver son nom , // nétoit pas permis^ 
Ce françois , à la vérité , est pis que rauver- 

§nac et le limosin j mais Fauteur n'a d'abord 
'autre vue que de donner à son disciple ua 
françois qfii ne soit que l'image du latin. 

Il est important d'observer ici que le pur 
auvergnac et le pur limosin ne conduisent ni 



(1) De la Syntaxe , page 62. 

(2) De la Syntaxe Françoise, page 40. 



DE D V M à R S A ; t S. S45 

au françois , ni au latin ; l'application qu'on en 
feroit contre M. Chompré ne seroit pas juste. 
Le jeune espagnol dont parle M. Pluche, après 
avoir appris pendant quelques années Tauver- 
gnac ou le limosin , n^en seroit que plus reculé 
par rapport au bon françois y au lieu que le 
mauvais françois qui^ répond au bon latin , 
conduit à Tintelligence de ce latin. 

Mais de plus , à côté de ce françois barbare , 
M. Chompré met le françois usuel et régulier 
qui fait encore mieux entendre le sens. 

Phidias vH ayant pas la liberté (décrire son 
nom sur le bouclier de Minerve y y graça son 
propre portrait. 

Hé , messieurs , n'ayons pas deux poids et 
deux mesures, le françois dont je me sers 
d'abord dans mes versions idterlinéaires n'est 
que pour expliquer le latin mot à mot , et selon 
1 ordre significatif de la construction; ce fran- 
çois , dis-je , n'est-il pas toujours accompagné 
du françois d'usage ; et lorsqu'en 1732 je don- 
nai pour la première fois rexposition de cette 
méthode , n'en fis-je pas l'application sur le 
poème séculaire d'Horace avec ce double fran- 
çois , et rie suis-je pas autorisé à dire que j'en 
ai eu la* pensée long-temps avant vous ? Mais 
permettez-moi de vous dire que vous n'avez 
pas voulu vous donner la peine de la saisir 
cette méthode j c'est ce que je vais tâcher de 
développer. 

Votre grand principe , votre marche , votre 
point d'appui (i) , cest qu'il yai/^ toujours 



(1) Avert. page i%. 



Y4 



544 ou U V R E 5 

laisser les mots latins dans la structure na^ 
turelle de cette langue , donnant seulement 
à r enfant la juste signification des mots sans 
rien déplacer, et que le dérangement des mots 
latins quon appelle mal ^ à --propos , dites^ 
ojous , construction , est une ^véritable des- 
truction. 

Je prétends , au contraire , qu'çn quelque 
langue que ce soit , ancienne ou moderne , la 
seule signification des mots ne suffit pas pour 
faire entendre une phrase ;, il faut de plus bien 
connoître le signe de chaque sorte de rapport 
<lifférent que ces mots ont entre eux dans cette 
phrase , parce que ce n'est que par ces rapports 
que les mots font un sens ; nous n'entendons 
•ce qu'on nous dit que par la perception de ces 
rapports. 

La connoissance des signes de ces rapports 
*et de cet enchaînement des mots , ne peut être 
acquise qu'en deux manières. 

1°. Ou par la connoissance qu'on nous en 
donne quand on nous apprend une langue an- 
cienne ou quelque langue étrangère ; 

2?. Ou par un long usage tel que celui que 
'nous avons de notre langue naturelle,»Alors le 
commerce des hommes avec lesquels nous vi- 
vons , les gestes , les démonstrations , et tous 
les autres signes dont ils accompagnent ce qu'ils 
nous disent, nous donnent, après un certain 
temps , non-seulement la signification des mots, 
mais encore'la connoissance de ce qui fait que 
les mots excitent dans notre esprit la pensée 
que ceux qui nous parlent veulent y exciter.. 

Tout cela se fffit de la même manière qu'il 
arrive que nous remuons lès. bras et les jambes, 



DE DtJ MÀRSAIS. 345 

guoîqye nous ignorions ce que nous avons à 
laire pour les mettre en mouvement. 

. L'anatomiste observateur a sur ces derniers' 
articles , jusqu'à un certain point, desconnois- 
6ances inconnues aux hommes vulgaires.. 

Ainsi la plupart des hommes parlent sans"" 
connoître ni le mécanisme de la parole , ni ce 
qui fait qu'ils sont entendus. 

Mais le grammairien philosophé porte sur 
ces deux points ses observations , aussi loin que 
,1a foiblesse de Tesprit humain peut les porter. 

Par exemple , il remarque que lorsque Cicé- 
ron vint haranguer César en plein sénat , pour 
le remercier du pardon accordé à Marcellus , si 
cet orateur avoit énoncé les objets de ses idées 
selon Tordre dont parle M. Batteux , en se 
contentant de les nommer sans leur donner 
aucune autre modification , il n'auroit excité 
aucun sens dans l'esprit de ses auditeurs. 

Diuturnum^ silentium^ finis , hodiernus , dîes , afferre.' 

On n'auroit rien compris à ce langage. Pour- 
quoi ? Parce que les mots y marquent , à là 
vérité , ce qu'ils signifient , mais ils le marquent 
sans indiquer aucune liaison^, aucune dépen-^ 
dance ^ aucun enchaînement ; en un mot , aucun 
rapport réciproque. Or , ce n'est que par ces 
rapports que les mots font un sens j et Von 
n'entend ce sens que parce que l'on connoît les 
signes de ces rapports. Ainsi, à parler exacte- 
ment , on ne peut pas dire que, dans cette 
phrase, Cicéron n'ait présenté que les objets , 
puisqu'il les a présentés avec le signe destiné, 
par l'usage de sa langue, à marquer les vues de 



546 CE U V R J6 ^ 

l'esprit^ sons lesquelles il vouloit que cesmtts 
fussent considérés , sous lesquelles ils le sont 
en effet ; quand Torateur a prononcé toute la 
phrase ^ Fesprit de cdui qui a entendu , les 
place , par un simple regard , dans Tordre si- 
gnificatif» 

Diuturni silentii.finem hodiernus dtes attulit. 

L'auditeur qui entend la langue latine eof 
tend^ i^. que ce sont les terminaisons qui sont, 
le sigfie des divers rapports que les mots ont 
entr eux , et que ces terminaisons ont ^ur des- 
tination particulière ; ce que TusBge ^ plus que 
la grammaire , a appris à tous ceux qui saveoi 
la langue. 

Lorsque les terminaisons , toutes seules^ ne 
suffisent pas pour exprimer certaines vues de 
Tesprit , oaa recours aux prépositions ; la pré*- 
position du datif suffira pour marquer quêtai 
donné ou dit telle chose à mon père ^ aedi ou 
dixi patri ; mais il n'y a aucune terminaison ^ 
eh latin ^ qui-puisse me servir pour marquerqne 
)'ai fait ou dit telle chose devant mon père on 
pour mon père^ j'aurai donc recours alors i 
mne préposition ^ec/ , ou dixi coram paire, 
ou propter patrem ; ainsi les prépositions sup- 

1>léent aux défauts des cas ^ et les cas emportent 
a valeur des prépositions. 

Dp. Les mots n ont entr'eux de relation gram* 
maticale, selon leurs diverses terminaisons^que 
dans la même proposition ; ou , ce qui est la 
même chose , les nK>ts ne sont construits gram- 
maticalement que selon les rapports qu'ils ont 
entr'eux dans la même proposition. 



DE DU M A 11 S il I S. 547 

5^. Chaque pensée particulière est un tout 
séparé qui a pour signe une proposition , et 
cette proposition est énoncée en plus ou m'oins 
de mots y selon l'usage de la langue. Ces^ mots 
sont comme les parties de la pensée que chaque 
langue divise en sa manière. 

4^. L'enchaînement dès mots entr'eux ne 
peut être apperçu en quelque langue que Toa 
s'exprime i qu'après qu'on a énoncé explicite- 
irient ou implicitemenl tous les mots qui for- 
ment la proposition ou la période. 

Ainsi dans cette phrase de Cicéron : Diuturni 
silentii finem hodiernus dies attulit , je ne 
puis entendre le sens qu'après que j'ai la 
KUtulit. 

Si" j'entends le sens ^ c'est une preuve que , 
1°. jesais^la signification des mots ;'2^. que j ap- 
perçois la dépendance et la suite des rapports 
que ces mots ont entr'eux : je vois que silen^ 
tium change ici la terminaison de sa première 
dénomination en celle d'un cas oblique dont je 
conuois la destination ; tout ce qui change , 
change par autrui j tout changement de termi-» 
naison est un effet , tout effet a une cause. Or 
je» vois ici quejinem est la seule cause du gé- 
nitif diuturni silentii; je dis donc Jinem diu^ 
tumi silentii y non parce*#ue je dirois en fran^ 
çois la fin du silence , mais parce que la cause 
précède l'effet , et que ce qui est déterminé efc 
modifié , doit être avant ce qui le modifie et le 
détermine : c'est la priorité de cause. Or , rfm- 
turni silentii Aètertmne finem ; ces deux mots 
font prendre y?/2em dans une acception^ sihgu- 
j^ lière j il ne s'agit pas de toute fin ^ mais de la 



548 OB U V K E s 

fin du silence que Cicéron gardoit depuis long- 
temps. 

Finem est encore un cas oblique , à cause de 
Qttulit , et attidit a pour raison de sa t^ermi^ 
naispn dies hodiernus. 

Ces deux derniers mots conservent la termi- 
naison de leur première détermination , parcfe 
qu'ils ne sont précédés d'aucun autre mot qui 
puisse faire changer cette première détermi- 
nation. Ce mot dies est donc le sujet de la pro- 
position , c'est lui qui mène le branle , si j'ose 
parler ainsi . 

Je dis donc que si je n'apperçois pas entre 
lesmotsd'une proposition renchaînementdont 
je viens de parler, je n'entends rien au sens. 
Lies mots n'excitent alors aucune pensée dans 
mon esprit , et c'est en vain qu'ils fatiguent mes 
jreux ou ines oreilles. 

Je dis , en second lieu , que si j'app.erçois la - 
suite et l'enchaînement de ces rapports , j'en- ^ 
tends le sens. Or , la perception de cette suite 
de rapports n'est autre chose que la construc- 
tion apperçue ; si vous récitez les mots selon 
cet enchaînement et cette suite ^ ce sera la 
construction prononcée , et si vous décrivez, 
ce sera la construction écrite. 
. Dite^^onç , tant qii'il vous plaira ,'que cons- 
truction est destruction , vous n'avez que ce 
seul moyen pour entendre le sens d'un auteur, 
tel est la base et le fondement de l'harmonie; 
du nombre et de l'élégance. Tout sens énoncé 
suppose une construction , parce que toute 
énoix:iation suppose desrapports entre les mots.. 

Construction est destruction , comme le jour 



D E D V MARIAIS. 34g 

est la nuit, comme le cercle est carré , comme 
l'être est le néant. N'est-ce pas là prendre 
Martre pour Renard , selon la noble expressioa 
de M. Chompré , page i4» Quoi qu^il en soit , 
âmxisez votre imagination tant qu'il vous plaira , 
par de pareilles antithèses, votre propre raison 
vous démentira , et vous n'en imposerez qu'à 

/ ces hommes vulgaires , qui n'ont jamais appris, 
à penser m à rechercher les véritables principes 

r des choses. 

Ce n'est donc que par la connoissance que 
j'ai de l'analogie générale de la. langue latine, 
que j'entends un discours latin que je lis pour- 
la première fois ; je n'ai pas besoin qu'on m'ex- 
plicjue chaque phrase en particulier, tant que je. 
puis j observer cette analogie. 

Mais si y lorsqu'on m'a montré le latin dans 
ma jeunesse, on n'a fait que me donner une 
ample provision de mots , et qu'on ne m'ait 
p^s appris les principes généraux et les signes 
des rapports que les mots ont entr'eux , quand 
je trouverai certaines phrases que je ne pourrai 
pas réduire à l'analogie générale ; par exemple, 
pœnitet me peccati , mea refert , sus Minèr^. 
çam , etc. , alors j'aurai besoin, premièrement,. 




repens d^ ma faute ; m,ea refert , veut dire , 
// WL importe ; sus Minervam , qu'un écolier 
ne s'avise pas de vouloir donner des' leçons à. 
son maître. 

Mais ensuite pn doit, autant qu'il est possible, 
rapporter ces façons de parler à l'analogie géné- 
rale et à la construction régulière , par Jaquella 



55o OE u V II E s 

^eule les mots assemblés ont- d'abord fait vu 
sens* Cette construction se découvre parla ^oie 
de rimitation , c'est-à-dire , par aies exemples 
analogues. On trouve conscientia scelerum 
mordet eos , ainsi je dis conscientia peccati 
pœnitet me, le remord de mon péché ^ le 
sentiment intérieur que je ressens m affecte de 
peine , m'afflige , etc. De même , comme on 
trouve souvent dans Plante et ai^eurs ^ quid 
ad rem meam refert? Persa , act. IV, se. 3, 
vers 44* Ç^^i^ ^d rem istuc refert. Plante 
Ëpidic. act. II , se. 3 , vers 91. Ainsi par ana-. 
logie mea refert , la construction est hoc refert 
aamea negotia. Sus Minerçam, la constroc- 
tion est sus docei Minervam , un cochob ou 
un vil animal veut donner des leçons à Mineryeif 

Il en est de même de notre on dit , de notre 
il y d des personnes qui , etd. sur quoi il faut 
observer que quand on ne pourroit pas démêler 
l'origine de ces façons de parler , ni les rappor- , 
ter aux principes ^énéraux^ on ne doit pas feire 
de difficulté de s en servir, pourvu qu'elles 
soient autorisées par un usage constant ; mais 
d'ailleurs elles ne doivent servir ni à introduire 
des façons de parler irrégulières ^ ni à feire 
douter des règles générales , ni à troubler l'ana- 
logie de la langue. 

Nous avons vu que les différentes terminai- 
sons des mots latins étoient le signe des divers 
rapports que les mots ont entr'eux , selon la 
destination de chacune de ces terminaisons > 

Î>our achever de développer ce que je pense sur 
e système de M. Pluche et de M. Chompré ; 
il faut observer qu'en françois y hors peut-être 
dans les pronoms personnels^ mous n^avons ai 



DE D^ mAllSAlS. 55t 

, caSrni déclinaisons , et que nous ne faisons que ' 
nooimer ; il n'y a que nos verbes qui changent 
^ de terminaison : les noms ne reçoivent qu'un 
^ léger changement du singulier au pluriel. 

* Quel est donc le signe don t nous nous servons 

* pour marquer la suite et Tenchaînement des 

* rapports que les mois doivent avoir nécessai^^ 
*' rement pour faire un sens ? Car si ce moyen 
■' manque ;, et qu'on ne fasse que nommer, il n'y^ 
^ H plus que des mots qui ne réveillant aucline 
^ 2^nsée suivie ; par exemple , si nous ôtons les 
^^ ^lerminaisôns des. cas obliques , des mots latins 

'* du premier vers de TËnéide de Virgile , nous 

^ i^'aurons aucun sens. 

j ■ • . 

B ^rma, virque, canere , Iroja, qui , primiis , ab ora?^ 
Italia , fatum , profuguS;^ Lavîna que , venii^e 
JLittor^» 

^ Rendons au latin les terminaisons qui sont I^ 
■ signe des rapports réciproques des mots ^ nous 
' aurons un sens. 



^rma, vîrumquecano, Trojœ qui prîjQus.ab oris 
Italiam , fato profugus , Laviua que venit 
Littora. 

• ' . *^ 

Dérangez Tordre qui fait le vers et Tharmo- 
ïiîç , mais sans changer les terminaisons^ le sens 
sera toujours également entendu. 

Clano arma , vîrumque , qui profugus fata 
tVenit primus ab ons Trojae , Italiam , atque littoVa 
Lavina. 

Est-ce la même chose en françois ? Non, 
JParce qu'encore un coup^ les terminaisons des 



353 ' OE U V ïl E s 

noms ne font rien au^sens j nous ne ferons que 
nommer les objets de nos idées ; et ce qui nous 
indique les rapports réciproques des motS| 
c^est leur place , c'est leur position immédiate 
et successive , qui lie les molis , et qui marque 
la détermination ou modification que le mot 
qui suit donne à celui qui le précède. Et si 
1 harmonie, renthousiasmô ou la mesure du 
yers dérange cet ordre et cette suite , il faut 
que le dérangement soit tel^ qu'il ne puisse 
causer aucune méprise, ni aucune confusion^ 
et qu'une simple v uedcfTesprit puisse aisémeiH 
considérer les mots dans 1 ordre de Tanalogtr^ 
générale de la langue. Là coule un clair 
ruisseau. 

J'enfends le sens aussi aiséntent que s'il j 
avoît là lin clair ruisseau coule. 

De l'amour fai toutes les fureurs ; l'esprit 
etîtend la pensée comme s'il y avoit, seJoii 
Jfaqalpgie ordinaire , fai toutes les fureurs de 
Vamour. Et il ne doit rien y avoir avant ni 
après les mots de la proposition qui puisse 
induire l'esprit à donner «lux mots un rapport 
différent de celui qu'on a intention de leur 
donner. 

Ces principes bien entendus , principes cer- 
tains , voyons laquelle des doux méthodes élé- 
mentaires est la plus raisonnable , la plus sûre 
et la plus facile à pratiquer , celle de M. Pluche 
et de M. Cliompré , ou celle que je proposai 
en 1722. 

Avant que d'entrer dans la discussion des 
preuves que l'on donne pour faire voir que c'est 
nous qui renversons l'ordre naturel , je vais 
tâcher de développer ce qu'on entend, ici par 

oixirQ 



DE DtT MÀRSÀIS. 555 

ordre , par immersion et par naturel. Je ferai 
voir, en même temps ce que les anciens gram- 
mairiens en ont j)ensé , et ce que nous devons 
en penser nous-mêmes j après quoi je passerai 
aux preuv'és^dù système moderne j elles seront 
alors moins difficiles à éclaircir. x 

De r ordre et de Finçersion. 

En général y. ordre veut dire arrangement i 
soit des rhoses , soit dei%iots. 

Quand le mot à^ordre est pris absolument , 
sans aucune qualification', etqu^on parle d^étres 
phvsiqujes , on entend que les objets noiis sonl^ 

Î>resentés de manière que nous faisons aisément 
'image de Tensemble et des rapports èélQnles-i 

quels cesobjpts sont disposés entr'eux. 

Si nous ne pouvons pas nous représenter* 
[ aisément cet: ensemble, et .que- nous apperce-' 
, vions que les i»bjets ne sont pas disposés suivant 

la convenance et les rap^rts qu'ils ontentr'eux, 
j nous disons qu'il y a confusion , dérangement , 
i désordre. o. : 

S'il-s'agit de syntaxe ou «construction gram- 
- maticale , ordre ne se dit pas de tout arrange- 
^ ment des mots ; il senibiè que jCes termes q,rran* 
j gement , structure j aient -y é^ grammaire , un 
j: sens plus étendu que letn'ot a ordre : on dit 
j; la structure d'un disconris^v ^arrangement def 

mots d'une phrase. 
j, A regard d'ordre , il ïie se dit ^ à la rigueur , 
^ que de la construction gtèlVï>m)aticale régulière. 
I '.. Lorsquelesadciensgranimairi^strouvoient^ 
[ dans les auteurs^ certaineéf>b)rà6eâ embarrassées^ 
f Tome III. Z 



554 OE U Y R E s 

et qu^ils vouloîent en éclaircir la construction , 
ils en rangeoient les mêmes mots d'une autre 
manière ; et selon ce nouvel arrangement, Tes- 
prit avoit moins de peine à appercevoir les rap- 
ports des mots corrélc^tifs. C^est cet ark*angemeDt 
que les anciens appeloient ordo , ordo est, 
disoient-ils. Priscien Tappefle aussi structura , 
ordinatio , conjunctio sequentium. 

Il en a fait deux livres , le XVII et le XVIII , 
qu'il a intitulés : De Constructione , sive de 
çrdinatione partium 'omtionis. v_ 

Ainsi ordre ne sigiABe pas alors un arrange- 
ment quelconque j u ne marque , en ces occa- 
sions y que Tarrai^gement particulier des mots , 
selon la autte des signes des rapports qu'ils ont 
entr'eux pour faire un sens conjunctio sequer^ 
tiuvi , dit Priscien.. 

Les mots , en quelq[ue langue que. ce puisse 
4tre, rie peuvent exciter de sen/i dans l^prit 
de celui qui lit ou qui écoute , que parla con- 
noissance qu'il a des signes de ties rapports ; 
çonnoissaoce qui s'acquiert ou simplement mr 
vsage,, c'est-à-dire:, piar le commerce que Ion 
a avec les personnes qui parlent une langue , 
ou bien par la voie de'l'étude , dé l'instruetion 
et de la lecture. - • . . j 

Le sens total, qui. résulte de Tassemblage €i 
de la construction, ^es mots y ne peut être en- 
tendu , en quelque langue que ce soit> qu'après 
que toul;^ la proposition «st énoncée.. . 

Alors l'esprit , par un simple regard > appe^ 
çoit toute la $uite et l'enchaînement, des rap- 
ports ; c'est cette suite de rapports qu'on ap- 
pelle simplement Qrdre. ^ ,et souvent aussi orarî 
grammatical^ ordjjç.XiatureL 



DE DU MARSAI S» S55 

Il faut encore observer que rélocution a trois 
objets. 

Le premier , qu'on peut appeler Fobjet pri- 
mitif ou principal; c'est d'exciter^ dans Tesprit 

- de celui qui lit ou qui écoute, la pensée qu'on a 
dessein d exciter. On parle pour être entendu , 
c'est le premier but de la parole^ c'est le pre- 
mier objet de toute la langue ; et en chaque 
langue il y axin moyen propre, établi pour 
arriver à cette fin indépendamment de toute 
autre considération. 

Les deux autres objels que l'on se propose 
souvent en parlant , c'est ou de plaire ^ pu de 

. toucher. 

•, ' Ces deux objets supposent toujours le pre- 

g mier ; il «st leur instrument nécessaire > sans, 
lequel les autres ne peuvent arriver à leur but.. 
' Il en est, pour ainsi dire, de la parole, comme 

j «l'une jeune personne j veut-elle plaire , vçi^t- 

i elle toucher et intéresser, il faut qu'eUe com- 
mence à se faire voir. 

' Voulez-vous plaire par riihme j par l'hàrnio^ 
nie, par le nombre , c'est-à-dire > par une cer- 
taine convenance de syllabes , par la liaison ,. 

. l^nchainement , la mesuré ou proportion dçs 
mots entr'eux , de façon qu'il en résulte.une. 

^ cadence agréable à l'oreille ; soit en prose , soit 

^ en vers , il faut que vous commenciez^ par vous 
faire entendre. • , 

° Les mots les plus sonores , l'arrangement la 

plus harmonieux, ne peuvent plaire que comme 

, le feroit un instrument de musique ; mais ce 

^ n'est plus alors plaire par la parole qui est ici 

. iBtniquemeat ce aont il s'agit* . -^ \ 



556 OR u T a E s t 

II est également impossible de toucher et 
d'intéresser , si Ton n'est pas entendu. 

Ainsi y quoique mon intérêt ou le Totre soit 
le motif principal qui me porte à vous adresser 
la parole ^ je suis toujours obligé de me faire 
entendre et dé me servir du mojen établi à cet 
effet dans la langue connue entre nous« 

Ce moj^en peut bien être mis en usage par 
l'intérêt ; mais il n'em. dépend. en aucune ma- 
nière ; il a ^ pour ainsi dire y soa être à part ^ 
auquel l'intérêt n'influe en rien. C'est ainsi qae 
Tintérêt porte le pilote à se servir de raigoiJle 
aimantée ; mais cette aiguille se meut indepeo- 
damment de Tintérêt du pilote. 

Ainsi la construction usuelle^ c'est-â-dire ^ 
celle qui est communément en usage ^ la cons- 
truction élégante ^ aussi bien que la figure^ sont 
toujours subordonnées à la construction ana- 
logue d'une langue; elles la supposent toujours; 
et ce n'est jamais que par cette' conatmction 
analogue que les mots font un sens^ en quelque 
langue que ce puisse être. 
~ Il y a donc a^bord dans les mots Tarrange- 
ment de la construction analogue et nécessaire, 
en vertu duqt^el seul on se fait ^fiiendre^ soit 
cjue de plus on veuille plaire ou toucher ; c'est 
cet arrangement que les grammairiens anciens 
et les grammairiens modernes ont appelé ordre; 




que jusqu j 

gt*àilimairiens ont dit qu'il y avoit> ou, qu'il nV 
avoitpasihpemo/t. ^ ; 

Quand tous les mots d'une pbrase soat 



\ 



DK nu MAIISAIS. S5j 

exprimés , et qu'ils sont rangés selon la suite 
et renchaînement de leurs rapports j on dit 
qu'il n'y a pas immersion» Si les mots ne sont 
pas rangés selon la suite de leurs rapports , il 
y a imersion, c'est-à-dire, que l'enchaînement 
des rapports est ou ren-versé > ou interrompu. 

Si tous les mots nécessaires pour rei)dre lia 
construction pleine et entière ne sont pas ex- 
primés, on ne dit pas pour cela qu'il y ait in- 
version , on dit qu'il y a ellipse j c'est-à-dire , 
suppression , omission de quelque mot , dont 
l'esprit supplée aisément la valeur. Les ellipse^ 

■ rendent le discours plus vif et plus concis ; ipais 
il faut éviter qu'elles ne donnent lieu à quelque 

" équivoque , ou qu'elles ne jettent de l'obscurité 

* dans le discours. 

" Les ellipses doivent être telles que celui qui 

■ lit ou qui écoute entende si aisément le sens^ 
' qu*il ne s'apperçoive pas seulement qu'il y ait 
- des mots supprimés dans ce qu'on lui dit. Quand 
r viendrez-vous ? demain. Ce seul mot dertiqih 

excite la même idée que si jedisois tout au long, 
ï Je reçièndtai demain. Et que dois^-je être ^ 

* dit Prusias à Nicomède. Roi , lui réplique Ni- 
^ comède. Voilà une ellipse qui fait entendre à 
! Nicomède qu'il ne doit écouter que l'intérêt de 
i sa grandeur et de son autorité. La réponse de 
' Nicomède , par ce seul mot , est bien plus vive 
' et bien plus sublime que si Nicomède se fût 
' énoncé d'une manière plus étendue. 

Ainsi ellipse est opposé à construction pleine 
et entière , et inversion à construction , selon 
Tordre analogue et successif des rapports des 
mots. 

Si je dis Cano arma virumque , il n y a pas 

Z 5 



558 OE u V R E s 

d'inversion , l^a cause précède Teffet. Le tnot 
qui détermine est après celui qui est déterminé; 
n)iru7n est un cas oblique ; la première dénomir 
nation de ce mot , c'est vir. Pourquoi prend-il 
ici une nouvelle terminaison ? C'est pour mar- 
. quer et sa dépendance , et son rapport avec 
cano. Je chante; eh quoi ? "virum •* ainsi Dirum 
détermine cano , et cano modifie a^irum ; je 
veux dire qu'il est la cause pourquoi virum 
prend une terminaison qui n'est pasr celle de la 
première dénomination j tout ce qui change , 
change par autrui. 

Tous les mots sont donc dans l'ordre gram- 
matical. Lorsque je dis cano arma ^irumme , 
ils sont tous selon la suite immédiate et l'en- 
chaînement successif de leurs rapports. 

Ainsi il n'y a point alors d'inversion. 

Mais par cet arrangement simple 3 je fais 
perdre à l'esprit le plaisir qu'il auroît de lever, 
pour ainsi dire , le voile léger avec lequel Yin- 
version sembleroit lui cacher le sens. 
' Au lieu que si j'interromps , avec ménage- 
ment pourtant , la suite des mots , sans en 
changer les terminaisons , ces terminaisons 
feront appercevoir à l'esprit l'ordre des rapports 
des mots , et il Croira trouver ainsi , comme de 
lui-même , le sens de la phrase. 

Je conviens donc que lorsque je dis cano 
arma uirumque , ma phrase est bien moins 
élégante , bien moins vive et bien moins har- 
monieuse , que si je disois , comme Virgile , 
arma ^irurtique cano. Alors ily aura inversion, 
puisque les mots ne seront pas rangés selon la 
dépendance et la suite immédiate de leurs rap- 
ports. Au contraire^ l'effet sera présenté avant 



»E Dtf MA R SAIS. SSq 

la cause, et le modifié avant le mot qui modifie : 
mais ce dérangement n'a qu'une apparence 
d'irrégularité, dit Quintilieij. Ce rhéteur le 
compare à un acide agréable , qui réveille Tap- 
pétit des convives. 

Les inversions bien ménagées donnent donc 
de la grâce au discours , sur-tout dans les 
langues où les rapports des mots sont indiqués 
par la destination connue des différentes ter- 
minaisons ; mais en quelquelangue que ce puisse 
4tre , les inversions ou transpositions doivent 
être faciles à démêler. L'esprit veut être oc- 
cupé, mais d'une occupation douce et facile, 
et non par un travail pénible. 

Que l'inversion n'ôte donc jamais à l'esprit 
le plaisir de se savoir gré d'appercevoir le sens 
malgré la ^transposition , et de placer en lui- 
même, par un simple regard, tous les mots 
dans l'ordre selon lequel seul ils lui présentent 
un sens , après que la phrase est finie. 
. Tout ce que nous venons d'observer , est , 
au fond , la qoctrine de$ anciens grammairiens , 
qui ont écrit dans un temps où la langue latine 
^toit encore une langue vivante. 

Priscien , grammairien célèbre , qui vivoitau 
commencement du sixième siècle , a fait un 
ouvrage bien sec, à la vérité , mais d'où l'on 
peut tirer des lumières par rapporta la gram- 
maire. Il s'est donné la peine de faire , ce qu'on 
appelle encore aujourahui , les parties et la 
construction de chaque premier vers des douze 
livres de l'Enéïde de Virgile. 

Cet ouvrage se trouveiaprès le livre xviii d^ 
Construcûione ; il ^ pour titre : Priscianigrarrir^ 
mat ici partitionçs versuum xii j^neidosprii^ 

Z.4 



BK DU MAKSAIS. 56l 

doit être au même cas que virum^ dont la ter- 
minaison vous indique clairement Taccusatif. 
Si Virgile a dit virum , c'est que , selon Tordre 
de la syntaxe des vues de Fesprit , virum est 
après cano ; ainsi quoique selon la construction 
élégante et usuelle^ qui admet presque toujours 
Tin version en latin^ Virgile ait dit arma^virum^ 
que cano , il avoit eu nécessairement dans l'es* 
prit , par une priorité d'ordre ,ca/io avant arma 
a^irumque; telle est la suite des vues de Tesprit, 
dépendamment de Tordre nécessaire de Télo- 
cution ; et ce n'est jamais que relativement à 
cette suite qu'il V a inversion dans la construc- 
tion usuelle et élégante de toute langue% Alors 
les mots ne sont pas énoncés selon Tordre et 
la suite de leurs rapports ; mais quand la trans- 
position D'est pas forcée , Tesprit rapproche 
aisément deux corrélatifs qu'on lui présente 
séparés ; et malgré le dérangement , il apper- 
çoit , avec une sorte de plaisir , tous les mots 
selon Tenchaînementy la dépendance et la liai- 
son de leurs rapports. Et cette sorte de plaisir, 
que Técrivain ménage avec art à son lecteur , 
n'est pas une des moindres causes qui fait trou- 
ver de l'élégance dans le style. 

Les différentes observations que les rhéteurs 
ont faites sur l'arrangement des mots > en tant 
que cet arrangement peut donner à la phrase , 
ou plus de grâce , ou plus d'harmonie , ou la 
rendre plus vive ou plus pathétique ; ces ob- 
servations , dis-je , appartiennent à Télocution 
otatoire , et sont étrangères à la grammaire ^ 
qui n'a proprement pour objet que l'emploi 
des signes des rapports des mots ^ en tant que 



502 OE U Y À E s 

lensemble etla suite de ces signes forme , selon 
lanalogie de la langue , le sens que l'on veut 
énoncer. Il est indifférent , par rapport à la 
grammaire , que dans cet ensemble , il y ait 
des dissonannces^ qu'il s'y rencontre des bâille- 
lâens , que les mots ne soient pas rangés selon 
les môuvemens de l'intérêt, et ^ue la nécessité 
de construction , pour me servir des termes de 
Ouintilien , nécessitas ordinis sut , donne à la 
phrase un air sec et dur. . 

Ne confondons point la grammaire néces- 
saire avec Félégance , ni avec le pathétique ou 
lart de remuer les passions. 

C'est la grammaire qui donne la première 
forme extérieure aux pensées qu'on veut énon- 
cer ; c'est elle qui leur fait prendre , pour ainsi 
dire , un corps ; c'est elle qui leur Qonne des 
membres et différentes parties ; ensuite elle les 
livre à Télocution oratoire , pour les orner et 
les embellir. 

Nous avons plusieurs ouvrages utiles sur 
l'élégance et la politesse du style , sur l'arran- 
gement des mots 9 par rapport à la netteté^^oa 
â la grâce ^ ou à l'harmonie , ou à 1$ force des 
expressions ; or , s'il arrive que dans l'arrange- 
ment des mots l'orateur ne se conforme point 
à ces observations , les oreilles en seront plus 
ou moins blessées ; on dira que c'est une faute 
contre l'harmonie , contre la pureté du style; 
on donnera à cette faute telle qualification qu'il 
conviendra , mais jamais on ne s^avisera de 
l'appeler immersion , ni de dire qu'il y a inver- 
sion , à moins que ce ne soit relativement à 
l'ordre grammatical nécessaire et analogue* 



DE DU M A IV S A I 5* 365 

Ily a plus, c'est qu'il suffit d'avoir une légère 
connoissance de quelque langue que ce soit , 
pour appercevoir : 

Premièrement, qu^il y a dans celte langue 
un ordre analogue et nécessaire ^ par lequel 
5eul les mots assemblés font un sens. 

Secondement , que dans le langage usuel , 
on s'écarte de cet ordre ; qu'il y a ae même de 
la grâce de s'en écarter j qu'ainsi ces écarts sont 
autorisés,pourvu que,lorsque la phrase est finie^ 
l'esprit puisse rapporter aisément tous les mots 
â Tordre analogue, et suppléer même ceux qui 
ne sont pas exprimés. 

Troisièmement enfin , que c'est principale- 
ment de ces écarts que résultent l'élégance ^ la 
grâce et la vivacité du st^le , sur-tout du style 
élevé et du style poétique. 

0n tombe donc dans Terreur , lorsque Ton 
veut se faire une mesure commune entre Tordre 
nécessaire des mots, selon la construction ana- 
logue , et entre l'arrangement arbitraire de la 
construction usuelle et élégante , et que Ton 
parle de Tune et de l'autre de ces constructions, 
comme si elles avoient les mêmes règles , sans 
prendre garde que Tune est nécessaire, et ne 
>dépend que d'elle-même. 

Au lieu que l'autre , c'est-à-dire , Télégante, 
est subordonnée à la première ; mais d'ailleurs 
elle est arbitraire en tojut ce qui n'empêche pas 
l'effet de celle qui lui impose des lois , dont elle 
ne peut être dispensée. . 

Denis d'Halycarn^sse , cité par M. Batteux , 
est tombé dans la méprise dont nous parlons. 
Je mimaginois , dit-il , que les noms eocpri-* 
mant V objet , deyoient être ayant le a)erbe , 



564 CE U V R E s 

qui VLest qiL accessoire à t objet ; le verbe 
auant V adverbe y parce qu il faut sa\^oir Vac^ 
tion avant la manière de faction ; le subs" 
tantif avant V adjectif par une raison pareille: 
mais j*ai trouvé tant d^ exemples contraires ^ 
de Vun et de Vautre arrangement , continue 
t)enis 9 que je suis persuadé que la logique 
ne peut diriger l* orateur dans cette partie. 

Voici les réflexions de M. Battëux sur ces 
paroles : 

Denis dHalycamasse ^ dit M. Batteux ^ 
avoit bien senti qiCil devoit-y avoir un prin- 
cipe pour les constructions; mais il le chercha 
dans l'esprit de F homme , au lieu qvHiletl 
fallu le chercher dans son cœur. C'est P intérêt 
qui fait parler les hommes , et cest aussi lui 
qui règle l* ordre des mots, enles plaçant selon 
leur degré d'importance. Ce sont les termes 
de M. ëatteux ^ p. i5. 

Voici ce que je dirois àDenis d'Halycarnasse: 
Vous aviez raison de chercher des règles et des 
principes pour les constructions ; mais tous 
cherchiez une chimère, si vous rouliez réduire 
en un seul mot et même principe la construc-* 
tion nécessaire , et la construction oratoire ou 
élégante. Vous avez eu grande raison d'être 
ennn persuadé que la logique ne pouvoit diri-i 
ger Forateur en ce qui regarde 1 arrangement 
des mots dans le style oratoire. 

La logique et la grammaire prescrivent i 
Torateur certaines règles dont il ne peut se 
dispenser , et qui sont communes à tous ceux 
qui veulent faire usage de leur raison et de la 
parole ; mais d'ailleurs l'orateur ajoute à ces 
règles celles de son art , et celles-ci jettent des 



BK DU MÀRSAIS. S65 

grâces et des ornemens sur Fœuvre de la logique 
et de la grammaire , œuvre qu^elles conservent 
dans toute aon intégrité j c'est ainsi oue , mal- 
gré toute l'éloquence et les ornemeA que Ci-^ 
céron a mis en usage dans sa Miloniène , on y 
découvre , en entier, le syllogisme , à quoi cette 
harangue peut être réduite* Ce que nousvenons 
de dire de la logique , est également vrai à. 
regard de la grammaire ; l'œuvre de la gram^ 
maire est uti diamant brut, que la rhétorique 
polit : ce qui a fait dire à un de nos plus Judi-. 
cieux grammairiens : <jfue là où finit la gram^ 
tnaire , dest là même que commence la rhé^ 
torique. ( Grammaire du P. Buffier^ éditiôa 
de 1725, p. 92. ) 

' Les écoliers de rhétorique doivent toujours 
observer les règles fondàmentalesdegrammaire^ 
qu'ils ont apprises en sixième. Ainsi, comme 
les rhéteurs et M. Batteux lui-mêm# , ( Cours 
de Belles-Lettres^ 1. 1 , Notions préliminaires, 

Î>. 4^ ) distinguent fort bien le syllogisme phi« 
osophiquedu syllogismeouargumentoratoire^ 
distinguons de même la construction gramman. 
ticale nécessaire de l'arrangement des mots p 
selon le style oratoire. 

Mais continuons iiij^ré" voir que nouspen*- 
sons au fond sur les inversions, CQmme les 
anciens^grani'maii^iens en ont pensé.. 
< Quintilien, ce rhéteur judicieux, dit que 
Y ordre , c'est-â-^di're , la construction analogue^ 
n'est jK>intune figure j mais que la transposition 
des mots , faite avec grâce , est une véritable 
figure qu'on appelle bypet'bate^et qu'à l'exemple 
de Gécilius , il la Compte parn^i les figures. 
• Ce mot hyperbate est grec TV«f €«70/ , id esf 



566 OE U V R E s 

trajectus verborum orrfo, manière déparier, 
qi^i est au-delà de Tordre naturel, et analogue. 
v^sf> , ultra au-delà, et^«/ra, eo, je vas. /fyper^ 
bâte répc^fei précisément à inversion ou tranS" 
position. 
>K Qucedam omnino non sunt figuras , sicut 

ordo verborum autem concinna trans- 

gressio ^ id est hyperbaton , quod Cecilius 
4juoque putat schéma , à nobis est interposita. 
( Quintilien , lib. IX , chap. 5 , de verborum 
jfiguris ^ 4i5. ) 

Quelquefois , dit-il au même chapitre , par 
certaines suppressions , par des ckangeinens et 
par des tours singuliers dans Tordre , on ré- 
veille Tattentipn de Tauditeur^, et il arrive que 
ces défectuosités apparentes jettent de la grâce 
dans le discours. C'est ainsi , dit^il , que dans 
les repas , un peu d'acide aiguise Tappetit. 

Hœc sâhemata , et his similia quce eruni 
per mutationem, adjectionem, detractlonem ^ 
ordinem , convertunt in se auditorem , nec 
Languere patiuntur , et habent quandam ex 
illa a)itli similitudine gratiam : ut in cihis 
intérim acor ipse jucundus est. Quint. Inst. 
Orat. 1. IX , c. 3. 

Souvent , dit encore Quintilien au livre vin, 
e. 6 , la grâce de Télocution nous fait trans- 
porter les mots , et c'est ce que nous appelons 
hyperbate.Cest ainsi, poursuit-ilj^ que Cicéron, 
dans son oraison pour Cluentius , a dit : Ard" 
madverti judices , omnem accusatoris ora^ 
tionem in duas divisant esse partes. S'il avoit 
dit , in duas partes , Texpression auroit été 
régulière , dit Quintilien , mais dure et sans 
grâces. Cum decoris gratid distrahitur longius 



D E D t; M A R s A I a. Z6j 

^verbum propriè hjperhati tenet nomen , ut 
M animawerti judices yOmnem accusatoris ora^ 
tionem in duas dWisam esse partes : » nain ia 
duas partes divisam esse rectum erat^ seddurum 
et inconceptum. La simple séparation de duas 
d'avec partes , par les deux mots dwisam esse , 
est regardée , par Quintilien , comme une in- 
version , comme une hyperbate. 

Or , le françois dit : divisée en deux parties , 
et non jamais en deuac divisée parties. En la- 
quelle des deux langues Quintilien auroit-il 
trouvé Tin version ? < 

Encore un passage de Quintilien, 
L'hjrperbate , dit ce sage rhéteur , est une 
transposition de mots , que la grâce du discours 
demande souvent. C'est avec juste raison que 
nous mettons cette figure au rang des princi- 
pau:;^ agrémens du langage ; car il n'arrive que 
trop souvent qu^ le discours est rude , sans 
mesure y sans harmonie ^ et que les oreilles sont 
blessées par deS; sons désagréables , lorsque 
chaque mot est placé selon la suite néces^saire 
de son ordre , ( c'est-à-dire , de la. construction 
et de la syntaxe). Il fjauit donc alors transporter 
les mots , placer les ups après , et. mettre* les 
autres devante Imitons les architectes qui^ dans 
Tar^angement des pierres les plus grossières , 
trouvent à chacune une place convenable. Nous 
ne pouvons pas corriger.les mots> ni leur donner 
plus de grâce qu'ils n'en ont. Il faut les prendre 
comme tiôus les ^irouvôhs , et leur choisir une 
place qui leur convienne ; rien ne contribue 
tant à rharmonie et au nombre du discours , 
que le changement dWdre , quand il est fait 
avec discernement. 



568 «E u V R r. s 

Hyperhaton nuoque id est uerbi transgres- 
sionem^ quant Jreqiienter ratio compositionis, 
et décor poscit , non immeritb inter ^irtutes 
habemus. Fit enim frequentissimè aspera et 
dura et dissoluta et hians oratio ', si ad ne" 
cessitatem ordinis sui 'verba redigantur , et 
utquodque oritur^itaproximisetiam alligetuvy 
dijferenda igitur qucedam et prœsumenda^ 
atque ut in structuris tapidum impolitorum 
loco quo coni^enit qmdque ponendum , non 
enim recidère ea , nec polire possumus , quo 
coagmentata se magis jungant , sed utendum 
his , qualia sunt , eligertaœque sedes , nec 
aliud potest sermonem facere numerosum 
quant oportuna ordinis mutât io. Quint. Inst. 
Orat* LVIII , ۥ 6 rfe Tropis. 

Quel autre sens peut-on donner à nécessita" 
tem ordinis sui ^ sinon celui de construction? 
Et que peut-on entendre par ordinis mutatis y 
sinon Finversion , conforniém.ent à Facception 
que nous ayons donnée à i'un et à l'autre ae ces 
mots. 

Voici encore un passage d'Isidore , qui fera 

J plaisir ;y ce me semble^ aux lecteurs qui aiment 
es preuves. 

Isidore trouve de la confusion et de Fembarras 
dans ces vers de Virgiléi jE»n. /. //, o^. 347. 

Jùrènes ^ fortissima frustra 
. Pectora ^ si vobis y audentein eictrema cupido est 
C^rtjin jiequi ^ ( quœ sit ret>us fortuna videtis. 
£xceâsere omnes aditis y ari^que reiictis 
Dii^qùîbusimperiùmhoc steterat: ) succurritis urbi 
' Incensœ : moriamur ^ et iti média arma ruanius. 

L'arrangement des mots dans ces vers , sor- 

tout 



D Z 0. U M . A JR S À I d« 569 

tout dans les premiers , paroît obscur à Isidore , 
conjusa. sunt ^erba , ce éont ses termes. Que ' 
fait^l ? Il range ies mêmes mots selon Tordre 
de la construction. Ordo taLis. est , dit- il ^ 
cela ne veut-il pas dire.: H y a inversit^n 
dans ces "vers , mtds voici la construction^ 
- Juvenes ^ fortissùna vpèctàra y frustra sxlc^ 
curritis urht incensœ , quià excèssere DU, 
ijuibus hoc imperium steteràt. Unde si fvobis 
cupido certaestsêqui me audentem eoctrema^ 
ruamus in média arma et^moriamur. 

Isidori Orig^ ï. I , c. 56. 
, Servius , ancien grammairien , dont les com*« 
mentaires sur Virgile sont si fort estimés > 
fait souvent la construction des yets de ce poête^ 
quand ils ne lui paroissent pas assez clairs ; 
par exemple : . . 

Saaca ojoçant Itàli , mediis quœ influctibus 
aras , ordo est^ dit* cet ancien grammairien , 
quœ saœa latentia in mediis fluctibus , Itali 
aras yocaht. j^n. L I , v. 1 5. 

Donat:, ce fameux grammairien , qui fut 
Tun des maîtres dé S. Jérôme^ observe aussi 
la même pratique à Tégard-des vers de Térence, 
quand la construction en est un peu trop 
embarrassée. 

Ordo est , dit-il y etc. 

Dirons-nous après ces autorités et après tan^ 
d'autres que jesacrifiej dirons-nous que si ces 
anciens grammairiens revenoient au monde ils 
trouveroient que Tinversion est dans le fran- 
çois , et qu'elle n'étoit pas dans le laptin usuel? 
Mais voyons ce qu'on entend par naturel. 

Selon les physioîens ^ ce qui est naturel^ 
c'est ce qui se fait sans le ministère de l'art ; 

Tome IIL A a 



par ua èncbaîhement. qui nous; est încoDfitl 
de causes et d'effets , et qui dépead de celle 
^orce 6upérie«il>e >. de- ce mécanisme inflexible 

3t)i nâpretid conseil an^^i de oeHre' volonté', ni 
e nos intérêts , et qui n'est subordonné qu'aus 
lois idu créateur. G^est ain^ique W printemps 
€St.siwyi de Tété ^ Vcté de l'automne, Fau- 
torone de l'hiver y. que* la nuit. Fieni;. après le 
yova^ ^ ^ que Je -jouT' succède à ia nuit. C'est, 
çncoye. ainsi que l'on* liit que. IW est naturel ^ 
parce qu'il est formé: dans les* entrailles de k 
terré <sâns aucuhe opération de notre part, 
avi lieUi que nous disons que le tombac est 
artificiel ^ parce que dans • la production da 
tombac, j ce^t l'art qui fait opérer la nature» 
fïûus./av:ons aussi des. Heurs naturelles et des 
fleurs artificielles. C'est une division;. qui dis- 
tingue ira grand nombre d^objets.; les uns ne 
çQr>t qrUfe de simples productions de la nature^ 
4i^]i^,aMtres so^t.des effets :de/l'ârt. La nature 
toute seule produîli 1.& t)led , Fart^faii ie painj 
en* empruntant le' secours de la natjare, dont 
il est toujouirs l^'eâcIaiHâ.» l'artiste né peut opérer 
qu/en.étudiacit Wnatkrre^ et en se conformant 

Comme ce qui est produit par le seul ordre 
naturel et physique n es^ige pas de, grands soins 
de^flôtre part i qoe^nous .««vous qu'à mettre 
la nature en éta^ de produire ; que souvent 
nous n'avons besoin que de recueillir ce qu'elle 
nous offre , de là , par extension , on s'est servi 
dUtiSnot de naUirèl .^oué marquer ce qui est 
facile^ ce qui n'a aucun air de travail ni de 
contrainte ; ce qui paroît», pour ainsi dire , 
$e foire t<^t seul; ce. qui se présente comme 



!► E b u rf i' Ti'^ Aïs. Syr 

<îè sôî-^ème ,'et n'exige* qù*tfrie lé^êfè afterif 
tîoiï de nôtre part* Utxjïiodc^ïte ôritltf' , sii}ùti - 
Texpression que nOùs" -y eAôds* de tiiét éé. 
Qtrfntilien,** \ \ 

C'est i^ sèlcm cette idée, (jcre* jùsqxr^ici lei 
gHnitnàinéfrs çncieiis eè \e$ gramniârriens mor 
oJernèsr Ipir ordre ^ hatureî de^ mots , ont 
entendu cet àrrafîgënièrrt stfivi j qui fait con- 
cevoir aisément le 3ens d'une phrase a ceùi 
qui conrioissenÉ rahàlogiei. et la syntaxe d'une 
lafngue , et qui sont en étaf de. comprendre la 
pensée que le discours^fèjur 'présente. 

Dan^ le dîàlogué q'ûè Cicéron a composé 
touchant la partition èraloire^^-( de pai titean'e 
oratoridy et. où' Cicérori pèî-eel Cîeéi*èn ii\s , s 
sont les deux interlocuteurs; CicéroA ^fite prfe 
son père de lui expliquer commeriè ii fffUl s'j" 
prendre pour* expriihtft' là' -mêh>é penséi? lén 
pfeûiisieTirs manières différentes. Xe/?é/tîr^'/?dnrf 
qtton peut ^varier lé discours yprehtièrettïeht ^ 
en subsrtituâht d'autres nhois à la ptecë^dè 
teviTH dont on s'est servi d*;àbord. Idtohtirti 
gértus' sitùm in dommutàtioHe 'v€rbérurn.\Qt 
qtie Cicéron retî!Haî*^ue suif Cè^poîYiC, éét ifkJîf^- 
férent à nbtre^ujéfe/iEnaisr ce qui suit vienéà 
propos. . - ' '* 

liàns'l^s mots ConstrùifS ^ dit Cicéron, on 
peut user dé trois soi'té^ de changement , eri 
conservant toujours ]'^^ AiêttieS mois , et né 
fohsa-nt qti-eh changer l'ordi^e. i^. D'abord ott 
s'énonce directement et de la maniéré que là 
ilôture même rinspire;^^Ja**. Erisuîte on peut 
Itiéttre à la fih delà phrase les mots qui étoient 
d^abord au commencement^ ou bien mettre 

Aa 2 



S73 Œ U Y R ï s ., ., 

au commencement ceux qui étoIcn(;-^ ;la fin*' 
5°, On peut encore séparer les mots corrélatifs, 
etles mêler, ayec d'auljrçs. , 

C'est ainsi que nous avons ' vu . plus haut 
duas séparé de partes :^ in duas- d£i/£sazn' esse 
partes. Tityre tu patulœ recubans sub teg^ 
mine /agi : patulœ est séparé dç son substantif 
Jàgi* Ces sortes de séparations ou de désu- 
nions $ont très^rémieates en latin , parce que 
la terminaison indique, le corrélatif*, /'V^^/ià/^, 
j6 pueri , fugite hinc y latet,anguis in herhâ. 
MVg^. Eçlog. 3 , y..93, 

Frigidus agricolam si quando continet 
inl^er. Virgile, Georg. Liv. I,.Y.;:^59t 

L'exercice, dit' Cicéron , apprend, à faire 
çvec art ces dijffiérentes inversions. 
, In çon/unctis autem/verbis tripleœ adhiben 
potest commutatio , non "verborum , sed or^ 
dinis tantummodo , ut çum sen\çl dictum 
sit. directe y sicut nattera ipsfl talent , iri" 
i^ertitur ordo , et idem quasi sursuTn^>versus 
ri^troque dicatur., Deindè i4em intercisè 
atque permistè. Elùquçndi ofitem cacercitatio 
niaœimè in hoc toto çonyertendi génère vep' 
satun CicÉron , de Partitione Oratorid . 
c. VIL 

Nos dictionnaires. ( :Danet , Boudot , etc.) 
traduisent directe y' pox selon Tordre naturel 
Faisons Tapplication de Ce que Cicérôn dit 
ici , sur une seule petite phrase de ce grand 
homme : 

I»egi tuas litterqs <fuibus admescribis^ etc. 

Ce sont les premiers mots d'upe lettre qu'il 
4çrit i Lentulu$ ( Ëp. ad Famil. L, I ^ Ëpist. 



13 E Dtr.MÀRSÀIS. 575 

VII ). J'ai reçu votre lettre y dit-il , par la-- 
quelle vous ni écriviez que , etc. Vpîlà une 
phrase écrite directe , sicut natura ipsa tulit^ 
C'est la première façon ; mais à la lettre IV du 
troîsièmelivre, Cicéron met au commencement 
ce que dans la première lettre il âvoit mis à là 
fin , Litteras tuas accepi , c'est la seconde 
sorte d'arrangement sursum versus. Passons à 
la troisième manière qui est lorsque les'mots 
corrélatifs sont séparés et coupés par d'Mutres 
mots intercisè atque pemiistè. 

Ràrds tuas quidèm, fortassè enirti non pér^^ 
Jeruntur ^ sed suaves accipio litteras* ^pistm 
ad famïl. L.JI , Ep. i3. 

• Dans le premier exemple, les mots sont 
rangés selon la suite de leurs rapports, legi , 

!*'ai lu , j'ai reçu^ Hé iquoi ? tuas litteras , vos 
ettres. Outre cet arrangement, chaque ^iot a 
encore la terminaison qui indique sa relatiôrt 
avec un autre mot, selon l'analogie établie dans 
la langue latine* Voilà ce que Jusqu'ici tous' 
les grammairiens ont appelé l'ordre naturel , 
c'est-à-dire, celui auquel tous les autres ar- 
rangera ens- de mots doivent être rapportée, 
{jarce qu'il est le premier moj'en établi parmi 
es hommes, pour faire corinoître les pensées 
par la parole, et qu'il est le premier dans l'es- 
prit de celui qui parle. 

Aî'rêtonsHious un moment aux deux autres 
exemples de Cicéron , ou plutôt, pour abréger, ' 
ne rappelons que le dernier , Haras tuas qui^ 
dem , fartasse enim non perfaruntur ; sed' 
suaves. Qtiel sens ces paroles peuvent -elles 
exciter dans mon esprit , si je n'achève pas à% ' 

^ A a 3 



Ç'74 oc u V n E s 

lire tonte la proposition ? Voilà d'abord deux 
gdi^cûlk.nam^ tuas ; luais le6 adjectifs , c^est- 
â-dijpe,.Ws .UQ,ois qui ne sont que de simples 
qualiric^iÇs , ne peuv.ent pas entrer dans le 
discours,, 3i^i)S qu'on y voie l'objet ou le suppôt 
q\i'|ls qualifient. ... 

M.ais que vois-je encore! ces deux mois raras 
tuqs.oiyl Axxue terminaison qui indique un sens 
ob.li.qMii.i MU sens Cependant : voyons tout. 
Aççlpjio Ifttepas , ces deux derniers mots 
répandent la lumière dans toute la phrase; 
je vois \ps rapports de tous les mots cnlr'eux. 
Je.prij^fèr^ le conseil de Priscien à celui de nos 
granimairiens , qui ne veulent pas qu'on dé- 
place l(^s fljotSé Je fais la construction Accipia 
îitferas tuas , raras qmdem , sed suaves. Tout 
est dans Tordre naturel > ordre conforme à 
notre fnanièie de concevoir par la parole, et 
à l'habitude que noiis. i^vons contractée natu- 
rellemenlj, dès Tenfance , quand nous avons 
appris noire langue naturelle ou quelqu'aulre: 
ordre enfii) qufdoit avoir été le prenaier dans 
l'esprit dçî Cicéron , quand il a conamencésa 
lettre par rûrrûTi tuas ; car comment auroit-il 
donné à ces d^'ux mots la terminaison du genre 
féminin^ s'il n'avoit pas eu dans l'esprit Litte-- 
ras ? Et pourquoi leur auroit-i) donné la ter- 
minaison de Taccusalif , s'il n'avoit pas voulu 
faire connoîlre que ces mots se rapportoi.nt 
k je reçois dans .e moment u(ie de vos /étires, 
0)0 us m'en écrU'ez bien rarement , inais. elles 
me font toujours un sensiole plaisir. 

, Ordre ènfin^|ue nos grammairiens modernes, 
qu^i ne veulent point de construction, sont obli- 



DE DU MÀRSAIS. ôyD 

gés d^appcrcevolr ; car s'ils ne Tapperçoivent 
point , ils ne pourroient pas comprendre le 
sens de la phrase. 

Ainsi Tordre naturel n'est autre chose que 
Tarrangement des mots , selon la suite des 
signes des rapports, sous lesquels celui qui 
parle veut faire con'îsidérer les mots. Une liste 
de tous les mots d'une langue , selon leur pre- 
mière dénomination, et sans aucun signe de 
rapport d'un mot à un autre , ne feroit aucun 
sens. 



Aa 4 



FRAGMENT 

^ U R 
XulËS CAUSES DE LA PAROLE. 



■ i o 



F R A G M EN T 

SUR 

bLES CAUSES DE LA PAROLE. 



AJ k s que nous Tenons au monde ^ nous sommes 
affectés .de différentes sortes de sensations , à 
J'occa^ion des impressions sensibles que les ob- 
jets extiérieurs font sur nos sens. Wous sommes 
<:apables de voir^ d'entendre , d'imaginer, de 
concevoir , de re;Ksentir du plaisir et de la doub- 
leur ; «t dans la suite nous réfléchissons sur 
toutes ces différentes affections ; nous lescom* 
parons » nous en tirons des inductions , etc. 

. Ces sentimens ou affections supposent pre- 
mièrement , et de notre part , qu'il y ait en 
nous tout ce qu'il faut pour en être suscep- 
tibles ; c'est-à-dire , que nous ayons les organes 
deslinés par l'auteur de la nature à produire 
ces effets , et que ces organes soient bien 
disposés. 

En second lieu , il est nécessaire, de la part 
des objets^ qu'ils soient tels qu'ils doivent étre^ 
afin que tel sentimcntrésulte cte telle impression» 
Les aveugles ^ne voient point , parce que 
leurs yeux n ont point la conformation requise 
pour voir ; et nous ne voyons point dans les 
ténèbres > parce que les corps ne reçoivent 



58o ' OÏL V y k IL s 

aucune lumière qu'ils puissent renvoyer à nos 

yeux.' . ' . _ 

Les îraprëssions que les objets font sur les 
parties extérieures de nos sens , sont portées 
jusqu'au cerveau , qui est le sens interne , et 
où tous les nerfs des sens eitérieurs aboutissent; 
ou , ce qui est la mèn^e chose , tous . Içs nerfs 
partent du cerveau et se terminent aux- diffé- 
rentes extrémités de notre corps , propres à 
recevoir et à porter au cerveau les impressions 
extérieures des objets. 

Comment tout cela se fait-il ? C'est le secret 
du créateur. ' Nos connoissances né peuvent 
aller que jusqu'à un certa^ points après lequel 
il vautmieux reconnoîtrê simplement les bcMmes 
de notre esprit, que de nous laisser séduire par 
de frivoles imaginations. Si la nature a des pro- 
cédés, au-dessus de nos lumières^ c'est ^voir 
beaucoup que deTecpnnoîtreque nous tie pou- 
les pénétrer , et que nous sommes , à cetçgard, 
ce qu'est l'aveugle- né par rapport aux cou- 
leurs , .et le $ourd de naissance par rapport aux 
sons., .... , ' . 

-Je dis (donc qu'en conséquence de notre état 
naturel,etdes'différentes impressions des objets, 
nous voyons , nous entenaons , nouS; compa- 
rons , nous coanoissons ^ nous jugeons , nous 
faisons des réflexions , etc. 

:Cé^ différentes pensées 'ct ces divers juge- 
n^ens se font çn. nous par un point de vue de 
r^spwt qui. forme d'abord > sans division , tQute 
la pensée. . : ..:.;/ 

Je veux dire que nos jugemens» se font d'abord 
par sentiment , c'est-à-rdire.y.par une afï&ction 
inté^'ieure ou perception de J'esprit, sans que 



DE DU .MAR$AI9« SSl 

^^?spjçît.jiivise 5a pçnsée , et eonsidjèrie premier 

rçrpeof; U chose, puîsJa,gjialité,;çt.ei^fiA unisse, 

.comugiepn dit., u^neidée à uix^ autre idée* Cette 

^dÎYisÛ.oh.de la per^séé eêt uae.secondç opératioa 

jde r^lsprit qui sç fait relativement à i^élocutionj* 

C.çf viols idée y concept , ^jugement ], doute > 

Jrma^4j7^i'p/i .,.^ des t/erines abstraits 

^êt mét^piiysiqu4is inveatés par imitation pour 

. afcreêer'Je: discpacs.,.^^ réduire à iîes classes 

particulières certaines sortes de yue del-esprit,. 

Nous avons 4'-ahprd donné des noms aux.étres 

sensibles qui .nous ,ont affectés , le soleil ,, Iq, 

7àhe ^ IfSi pain , un liyre, une montre , etc. ; 

èn^uitç, nous en ayops ipyenté par imitation , 

qui i^ôns sçryent ^ énoncer des poîats de vuç 

~ ' pour 

il 
'état 

oi\ il est , quand il cesse de vivre , nous rappe- 
lons'/^ mort* Il en est de même de sommeil , 
)puïé ^ peur , amour , haine ,. enç^ie. , Meauté j 
laideur^ et dVne. infinité d'autres. Tous ce^ 
inpts ne marquenfi point d'objets réels qui exis- 
tent hors de notre esprit , tel^ que les noms que 
i^Qiis ^opnçns aux pbjet^ sensibles. Xies termes 
méfe^ptj^siques dqnt je parle sont des mots 
inye?itçs par imitatiqn , pour .nous, servir à 
énoncer, avec plps de facilite. et. de précision ; 
certaines considérations particulières de notre 
esprit. Oest ainsi que nous nous servons des 
signes de l'arithmiétique et de ceux, de Talgébre. 
Quand je considèi;^ le* soleil, je donne un 
certain tenipsà cette considération. Si je pense 
ensuite à la mer , à la lune , aux étoiles , cha-, 
cune de ces pensées^ a aussi sçn temps ^, don^ 




Fun est dîfférene de l^autre, et'cKactÎTi de 
'Objets de ces périmées, a son iwtù.^Tie tttênie, 
je seuû que dans Télat où' je tn'e trouvé , 'quand 
je suis occupé d'une isrbsfraCtlori , çt'qujB je 
réduis , par exemple ;-rhâtf ùe sorte âe p^dpricfè 
à un certain ptAttl aucfiiél je les rapporte toutes^ 
•chacune sépa-rértieiit^Mdea'différenrs états'de nâoi 
pensant o«t chacun lèrtr-îriStant , et je dbnqe 
des noms particuliers ^ cesT'Srfiflerenteîs petiséfei 
abstraites ^ sah^ qu'iîy aithors^ dé moi aucuil 
objet réel qui répohde àrlwfiètin tle cesr noms , 
comme il y -a' un objet' qïiî "répond au mot 
soleil y un* autre au mot ^Tune , et ainsi des 
autres mots qui sofit lès rtorts'd'é^J;•es qui ont 
tone existewcé indépendante dé tti a pensée. 

LWdre physique a des notti^ appellàtifs qui 
ne sont, aii fond , que des liermes abstraits 
quand on iien fait aXi'cù ne af)p}icalion parti- 
culière ;. par -exemple', viliC f monêcrgnef rir 
rtère, arête ^ animal \; homnte ^ vXc. Cesnoini 
sont dits •^énsûiie des >6bjet^ particuliers à la 
manière des noms adjectifs. 11 ert est de même 
dans Tordre wétaphysiiqtfe;fl' a aussi 3és riomi 
appellàtifs y idée , i^oncept , jttgètnent , ù^r- 
maiîon , négation , doute , etc. Ort en fait aussi 
des applications singulières , iôr& tëilé idée , 
e«n tel jugement j etc. ,' et ces noms dinsî ap- 
pliqués d^ns V\xn oti Tatitr^ ordre n'étdrtt plus 
Considéré* selon re qu'ils oilt de commun , ou 
avec des côtis^ideralions pareiHes de Tesprit, oii 
avec d'autl'es êtres seinbl jbfes , ils deviennent 
comme autant de notns'ptôpres-, en venu, des 
Âots que nous y joighôhis pour en faire une 
application singulière. : . • - - 
" Ces terme* rèétaphysiqiaés âlant une fois 



DE id Ç '^M A R^ S A I S. 585 

ânve»tés*etâddptés^f l'psagèyife énfrerit dan^ 
le dictionnaire de la langue , et nous en usoni 
^•la méfne'»ltfàAi4réî (Jiàettôui^'Uli^ris des^mots 
^ûiTPn^rqaeBt'dçsiobjÀsréeU,^ > ' ' • • • • - * 
*^ Ti'€ms bomttiëntm»*im^(>ifr^ për le^densible^ 

f^al^tm m^mr^^fM^ woii^'SdTifttîesîfafâi'Harisés 
UV^(^']e 'YéPhe iéèiXpir , cmi 'est ûti i^^ 
ressaftt. 'EMiifte-la'aisette 'de tëlia^^ ^t le 
besoin de» IKMfi^e^j^^inier j bous ont fait trarisr 
porter cefm<3rt:-d(^rëtld^A-a très occasions', eà 
iious observons quelque sorte de rapport â là 
possession^ parce qu en èffen-iious voulons ex- 
priïnèr alors un état qui nous est propre. Ainsi-, 
tomme nous avons* ait f ai un lii^rey fat uli 
diamant'^^ fai une montre y nous disons , par 
imitation \ff ai la fièvre yfai envié ^ f en peur y 
' fai un doute-y y aï pitié y f ai une- idée , etc. ^ 
ncï^ÎBJU're y diamant , montre y sont autant de 
noms d'objets réels qwi eiistérit indépendam- 
inentde notre manière de penser ;^au lieu que 
parité y fièvre*^ peur y doute y envie , ne sont 
ijud des terméis métaphysiques, qui ne dési- 
gnent que deô manières d'êtres considérés pat 
des points de vife particuliers dé Teisprit. 

Dans cet exemple: yfai une fHontre , fai est 
une expression qui doit être prise dans le senè 
propre ; mais àsLns/ai une idée y- fai n'est dit 
que ,par une imitation. C'est wne expression 
empruntée* J^ai une idée , c'est-à-dire , jè 
pense , je conçois de telle ou telle manière'. 
S ai envie y c'est-à-dire, je désire ; fai là 
^volonté y c'est-à-dire , y> a;e^a: , etc. 

Ainsi , idée , concept , imagination , né 
marquent point d'objets réels, et encore moins 



584 . ' ^* U V R B ft 

des êtres sensibles que Fioa :pui^é unir VnA 

ftyec^'autre. ,/.. .»; ^■.■.\ ^ 

Ce n'est point par de, teJljça.opéjTftÛons que 
les enfans commencent à jug^r; 9. ni que les 
5ourds et inviets de nai$Sftj>ee forment leur ju- 
gement. Ils n'ont paÀl'usf^e des i)»ot& qui seuls 
^ous servent.dans la spitea di¥isér.nottiè pensée^ 
Les mots n'étiant;formés que par de» son^qw 
se succèdçpji. l'nn ai l'autre^ iis peuvent être 
)oInt3 ou ^ftJàJ^és ^ |Bt< c'est ainsi ^ qu'ils nous 
servent, A .considérer Iséparétùeixt ic^jqui •eQ-9oi 
n'est point séparé. -.::.:. 

Un enfant à qui , pour la prepa-iêre fois , on 
donne du sucre f sent que le sucre est doux; 
mais il ne considère pas, séparément le sucre et 
puis, la qualité de. doux ^ dont il n''a point encore 
fait un terme abstrait. D'îibord il n'a quek 
sentiment , et lorsque , dans la suite , il se 
rappelle ce sentiment par la réflexion , ou qu'il 
le compare avec quelqu'autré^ sensation > tout 
cela se fait par autant de pointa de vue de l'es- 
prit qui sont la suite ou le résultat des diffé- 
rentes impressions qu'il a reçues , sans qu'il 
fasse encore aucune de ces considérations par- 
ticulières qui divisent I9 pensée. 

Mais ils nous. importe , par bien des motifS) 
de faire connoître aux autres nos sentimensou 
nos pensées ; or , comment leur communiquer 
les affections intérieures ? Les autres hommes^ 
aussi bien que nous , ne peuvent connoître que 
ce qui fait quelque impression sensible sur les 
organes de leurs sens , ou ce qui n'est qu'une 
suite , une conséquence , une induction de 
quelques-unes de ces impressions : or ce qui se 
passe au-dedans de nous-mêmes , ce qui nous 

affecte 



V>' t D U M À R s A I s/ 585 

affecte intérieurement , ne peut par soi exciter 
aucune impression sur les organes des autres 
hommes. 

Nos besoins nous ont appris le secret de cette 
communication de pensées. D'abord la nature 
nous a donné 'les signes des passions ; ils sont 
entendus dans toutes les nations ^ à cause d'une 
sorte d'unisson qu'il y a entre nos organes et 
les organes des autres hommes. Ces signes desi 
passions sont le rire , les larmes , les cris , les 
soupirs , les regards , les émotions du visage ^ 
les gestes , etc. Un seul mouvement de tête 
fait connoître -une approbation , un consente- 
ment ou un refus. Ces signes répondent à la 
sinaplicité et à l'unité de la pensée ; mais ils ne 
la détaillent pas assez ^ et par-là il? ne peuvent 
suffire à tout. 

C^est ce qui nous fait recourir à Tusage de 
la parole. Les sons articulés qui sont en grand 
nombre, et auxquels l'expérience et l'usage ont 
enfin donné des destinations particulières, nous 
fournissent le moyen d'habiller , pour aitisi 
dire , notre pensée , de la rendre sensible , de 
la diviser, de l'analyser, en un> mot, de la 
rendre telle qu^elle puisse être communiquée 
aux autres avec plus de précision et de détail. 
. Ainsi , les pensées particulières sont , pour 
ainsi dire, chacune un ensemble , un tout que 
Vusage de la parole divise , analyse et distribue 
en détail par lé moyen des différéhtes articu- 
lations des organes aela parole qui forment les 
mots. 

La nécessité d'analyser notre pensée, afin de 
pouvoir l'énoncer par Fentremise des mots , - 
nous y fait observer ce que nous n'y aurions ' 
Tome III. B b 



586 OE U T R.E $ 

jamais remarqué , si nous n'avions point été 
forcés de recourir à celte analyse pour rendre 
nos pensées communicables , et les faire passer^ 
pour ainsi dire , dansFesprit des autres. 

L'éducation et le commerce que nou5 avons 
avec les autres hommes , nous apprennent peu 
à peu la valeur des mots , leurs aiffërentes des- 
tinations , les divers usages de leurs termi- 
naisons , et ce qui fait qu'ils concourent en- 
semble à exciter , dans l'esprit de celui qui lit 
Ou qui écoute , le sens total ou la pensée que 
nous voulons fairenaître. L'usage de la vie nous 
fournit une abondante provision de ces diffé- 
rens secours, quelliabitùde et l'imitation nous 
font ensuite employer au besoin et à propos. 

Mais il s'en faut bien que tous les peuples du 
monde se servent des mêmes mots et de la même 
méthode pour analyser leurs pensées , et pour 
les communiquer aux autres. 

Comme chaque langue particoKère est d'ins- 
titution humaine^ et qu'elles ont été formées 
en différentes sociétés d'hommes rassemblés 
en certains pays , qui nepouvoient point avoir 
rtti Cdmrjierce de tous les jours, et de tontes les 
heures avçc les autres peuples, de-Ià est venue 
lar différence dans les langages, aussi bien que 
la variété que l'on remarque dans la manière 
de s^habïller, dans les mœurs, dans les goûts 
et dans d'autres usages. Le climat et le concours 
de mille autres circonstances applortent dussi des 
différences dans tous les points ; mais pour ne 
parler que du langage , observons que les lan- 
gues diffèrent entr'efies : 

i^. Par la nomenclature, c'est-à-dire,! 
par le son particulier des mots. INous disons 



D E D U M A B. S A I s/ SS/* 

le roi , les Latins disoient rex , les Grecs 

3°. Les langues diffèrent par Fabondancedes 
mots. 11 y a des langues bien plu$ riches en, 
mots et même en lettrés que d'autres langues*. 
Dans les lawgjaes riches ^ les pensées sont analy* 
sées avec plus de détail , de netteté et de pre-, 
cision. La langue hébraïque est. forb stérile ; la 
langue gfecqiie est très-aDondante, 

On peut observer, à ce sujets qu'il n'y a 
point de langue qui n'ait quelque mot qu'on 
ne sauroit rendre en nulle autre langue , autre- 
ment que par une périphrase. Par exemple , 
nous avons règne et royaume; les Latins n'ont» 
que TTôg^wi/m j royaume ; et s'ils veulent dii:^ 
y Sous le règne (P Auguste yï\s ont recours à la 
périphrase, rftt/i5 le temps qu^ Auguste régnait f 
souS A itgusté régnant : régnante Cœsaré 
Augusto, ■ : :! . ; , 

5**. Il y a dans toutes les langues tles façons^ 
de parler particulières y i qu'on! appelle icT/a-ï 
tl^rriés ôU phbiaisei d'une kogiie. Q/2 dit y est 
une phrase de la langue françoise;:(ffi c//ce^est 
une phrafièî de la langue italtentïe. 

Il arrive sou^'ënt queles ti'aducteursnepeu<* 
. Vent rendf é ces façons dé piarfer par d'autres 
. qui y répondent exactement j alors on a recour3 
â de^ éqtilvâléiis ouà lapéripiiriase.) • '. 

Tous lés^ mots et toutes les façons de parler 
qui ne sont point en uiagé dans une nation^ 
fclessent les^oreilleflf de ceux qui n'y sont pas 
accoutumés , parce qu'il faut alors^que les es- 
prits animaux se fraient dans le cerveau une 
i'oute nouvelle. On doit , dans ces occasions , S9 
;Serv i r de f açoi:is de parler connues quprépondent^ 

B b :âi 



388 OE XT T K E s 

autant qu'il est possible , au sens de la phrase 
étrangère. Par exemple : coYnment "vous por-^ 
tez^vous ? he sa'uroit être rendu , en latin , par 
(fUùmodo fers te ? Cette façon de parler latine : 
dabis pœnës , qui Teut direi;ow^ en serez puni ^ 
^ùUs en porterez la peine , ne sauroit être 
exprirtiée en françois par '^oi/5 donnerez les 
peilxes.S\\é feu prend à la maison , nous crions 
aufeu;\es Latins crioient les eaux. 

(.f^^ . Ternta vicinos Teia clamât aquas. 

Prùperùlib. if , élég. g. 

* 'Cç qu'on ne saurait bien rendre en françois 
^u'en disant : Teiesépouvantée j ^voulant faire 
^ènir les- voisins à son secours » ,se meta 
ekèr^aufeu'f'au.feu. Ce qui fait bien voir 

qu'avant db composer en une langue , le bon 
tefts'et la -droite raison demandent qu'on ait 
appris , par l'explication , les différentes façons 
dô -parler propijesîà cette ianguer^en un mot, 
oiï doit GOipnsoître i'prigind avant quç défaire 
des copies» TeL esbile sentiment ûe tous les 
grands «iaitreaiov:'iv.'' r ; -.,[ 

Outre les différences arbitraires, qui distin-' 
gUiMit'les langues. l'une de jl'autre, on. doit ob- 
terrer que toul)és l^sJtogues conviennent en ce 
i]U''elks neifornienC deisena que par le rapport 
ou la relation que les inots.ont^ntr'eux dans la 
même proposition^lCes rappoiet^iSpnt: marqués 
par. l'ordre successif, observe A^JXS Iq , cons truc- 
tron' simple où les mots se divisent en déter- 
minés et en déterminuns. 
".'• outre cette constructioa simple et naturelle 
qui énonce les mots ,, selon la. déterminatioa 
queie mot qui suit donne àicelui qui leprécède; 



DE DU MA USAI S. 38^ 

ily a encore la construction usuelle et élégante , 
selon laquelle , à la vérité , cet ordre est interT 
rompu; mais il doit être rétabli par Tesprit;, 
qui n'entend le sens que par cot ordre , et par 
la détermination successive des mots, sur-tput 
dans les langues qui ont des cas. Les différenteig 
terminaisons de ces cas aident l'esprit à rétablir 
Tordre quand toute la proposition est finie. : 

Titjre , tu patulœ recubans sub tegmîne fagî. 
Formosam resonar é do ces Amarjrllîda Sylvas. 

Après que la phrase est finie , l'esprit apperçoit 
des rapports de tous les corrélatifs, et les range 
selon Tordre de ces rapports : Tityre y tu r^- 
cubans sub tegmine fagivatulœ ^ doces Sjhas 
resonare Amarjllida jormùsam. On trouve 
dans Cicéron, tuas hccepi litteras , et litteras 
accepi tuas , et enfin accepi litteras tuas. Géd 
trois manières signifient également : J'ai reçu 
votre lettre, parce que les terminaisons indi- 
quent à l'esprit Tordre significatif. 

En françois , dans la construction usuelle 
même, on suit communément Tordre de la 
construction simple , et Ton ne s^en écarte que 
quand cet ordre peut facilement être apperçut 
par Tesprît. Le roi aime le peuple : le roi , le 
peuple , voilà les noms sans aucune Variété 
d'inflexion , et par conséquent sans cas. Mais , 
selon Tordre successif de leUrs relations , /e roi 
étant mis le premier, et le peuple étant placé 
après le verbe , c'est le rqi qui aime , et cest' 
le peuple qui est aimé. Ce qui est si vrai , que 
si l'on dit le peuple aime le roi , cet arrange- 
ment fait un autre sens. // uient , went^il ? ce 

' Bb 5.. 



^gO CE U V R E s 

6ont deux sens différens. Le dernier marque 
une interrogation. Les Latins, pour la mar- 
quer, se sery oient de certaines particules : nùm^ 
an y numqnid , etc. 

Il faut donc , non-seulement entendre les 
mots y mais on doit de plus connoitre les signes 
.établis dans une langue, pour marquer les 
rapports que 1 on met entre les mots quand on 
fait J'analyse des pensées , sans quoi nous ne 
saurions ïes développer aux autres. C'est ce qui 
fait l'embarras où se trouvent les jeunes geos 
el ceux qui ont passé dans la solitude les pre- 
mières années de leur vie. Quand ils veulent 
énoncer leurs pensées , ils n ont point acquis 
une suffisante provision de mots ou signes pour 
développer nettement ce qu'ils pensent , selon 
l'usage établi parmi ceux qui ont vécu dans le 
commerce des honnêtes gens d'une nation. 

La connoissance du signe de la relation des 
mots est si nécessaire ^ que quand n)ême ifous 
entendriez la simple signification de tous les 
mots d'une langue ^ sans avoir la connoissance 
du signe dont nous parlons , vous ne pourriez 
expliquer que les phrases dont les noots seroient 
arrangés suivant l'ordre que nous suivons en 
fraqçois. Par exemple , Phèdre, parlant de 
l'épouvante où furent les grenouilles après que 
Jupiter leur eut envoyé un hj^dre pour roi , 
dit : Voçem prœcludit metus. Je suppose que 
quelqu'un ne connoisse point le signe de la 
relation des mots latins , et que cependant il 
sache que voçem signifie la voix ; metus , la 
crainte; s'il traduit , selon l'ordre où il trouve 
que les mots sont placés en latin , il dira la 
voix leur ferme la crainte ; ce qui fera un 



DE DU MA 11 SAIS. Sqx 

contre-sens ridicule. Mais celui qui connoît le 
signe établi en latin pour niarquer la relation 
dont nous parlons, voyant vocem à l'accusatif^ 
et metus au nominatif , comprendra d'abord 
.Tordre significatif que Phèdre avoit dans l'es- 
prit; qu'ainsiFauteura voulu dire que /a cra/n/e 
étouffa la voix aux grenouilles.. 

Dans la construction qui est en usage parmi 
ceux qui entendent et qui parlent bien une 
langue , on use de transpositions , d'ellipses et 
des autres figures qui , sans nuire à la clarté 
du discours , y apportent de la vivacité et de 
r^grém^nt. 

C'est ainsi que Cicéron a dit : Diuturni 
silentiiy que eram his temporibus usus ,/inetn 
hodiemus dies attulit. 

Selon la même manière , M. Fléchiera dît : 
« Ce fut après un solcronel et magnifique sa- 
» crifice, où coula le sang de mille victimes en 
» présence du Dieu d^Israèl , que Salomon , 
» déjà rempli de son esprit et de sa sagesse ^ 
n fit cet éloge du roi son père ». 

£t dans la Henriade : 

Sur les bords- fortunes de l'antique Idaiîe .^ 
Lieu3ç où finit l'Europe ei commeooe TAfiie , 
S'élève un vieux palais respecte par le temps* 

Ceux qui entendent Ttine et l'autre langue^ 
conçoivent aisément la pensée de l'orateur ro- 
main, celle de Torateurfrançois et celle de notre 
f)oè'te; mais ce n'est qu'après quel'onaaclieiéde 
ire l'ensemble des mots quiénoacent la pensée. 
De plus, observez , i®. que vous ne compren- 
driez rien dans ces exemples , si vous n'etilen- 
diezlanomenclature^c'est-à-dire^la signification 

B b 4 



SQ2 OE U y R E s 

de chaque mot particulier. En second lieu , 
vous n j comprendriez rien non plus , si , par 
une vue de Tesprit , vous ne rapprochiez les 
mots qui ont relation Tun à Tautre j ce que vous 
ne pouvez faire qu'après avoir entendu toute la 
phrase. Par exemple , si vous avez quelque 
usage du latin ^ lorsque vous lisez la phrase que 
je viens de rapporter de Cicéron > en jetant les 
yeux sur diuturni silentii ^ Vous voyez bien 
que ces deux mots ont la terminaison du gé- 
nitif^ et qu'ils- ne peuvent Ta voir que parce 
qu'ils se rapportent à quelque nom substantif; 
ctvousappercevez que ce nom ne peut être que 
finem. Vous dites àonc Jinem silentii dîuturni; 
maisjinem étant à Taccusûtif , vous le rapportez 
à attulit , attulit finem diuturni' silentii. Vous 
voyez aussi qu* attulit est à la troisième per- 
sonne du singulier ; ce qui supposB un nom 
singulier de la troisième personne , et ee nom 
vous le trouvez en dies hodiernus. L'usage de 
la langue vous ayant donné la perception de 
. ces différens rapports, vous entendez la pensée 
de Cicéron aussi facilement que s'il avoit dit : 
Dies bodiernus attulit finem diuturni silentii 
S'il y a quelque circonstance accidentelle , ou 
de temps , ou de lieu , ou de manière , etc. , 
elles n^empêchent pas d'appercevoir les rela- 
tions essentielles dont nous parlons. 

Mais puisqu'il faut que Tesprit apperçoîve 
ces divers rapports > pourquoi Cicéron ne s'est-ii 
point énoncé selon l'ordre de la relation des 
mots ?C^est que les Latins ayant contracté, dès 
l'enfance, l'habitude de démêler , avec facilité, 
ces diverses relations , par la différence et la 
destination dés terminaisons ^ ils étoient moins 



DE DU M A R S A I S. SqS 

attachés à suivre scrupuleusement Tordre sec 
et métaphysique de ces relations aisées pour 
feux à appercevoir , qu'ils n'étoient sensibles à 
rharmonie , au nomDre,'au rithme^que produit 
un certain arrangement de sjUabes et de mots 
pour ceux qui ont un grand usage de la langue ; 
et ils aimoient mieux suivre les saillies de l'ima- 
gination qui conduit spn pinceau comme îl lui 
Fiait ^ que de s'astreindre à la sécheresse de 
ordre grammatical. D'un côté , l'usage de la 
langue leur donnoit l'intelligence, et de l'autre, 
l'arrangement des mots leur procuroit l'agré- 
ment et l'harmonie à quoi ils étoient très-sen- 
sibles , à cause de leurs Ipngues et leurs brèves , 
et de leur manière de prononcer , qui étoit une 
espèce de chant. Tout cela étoit bien plus mar- 
qué parmi les anciens qu'il ne l'est aujourd'hui 
pat-rni nous, quoique nous ne soyons pas dé- 
pouf'vus de ces agrémens. 

Mais remarquez que., soit en latin, soit en 
françois , ou dans toute autre langue , le dé- 

flacementdes mots ne doit pas tellement servir 
harmonie et l'imagination, qu'il nuise à Tin- 
telligence et à la clarté du discours, c'est-à- 
dire , que ce déplacement ne doit pas être un 
obstacle qui empêche l'esprit de celui oui lit ou 
qui entend, de démêler^, après que la pnrase est 
nnie , les différentes relations que celui qui a 
écrit a mises entre les mots, ou que celui qui 
parle y met. Le but essentiel du discours, c'est 
que l'on soit entendu. Les agrémens ont leur 
prix, mais ce ne sont que des accessoires. C'est 
ainsi que l'on n'a inventé les habits que pour se 
garantir des injures de l'air, quoique dans la 
suite on les ait fait servir à la parure. 



/3C)4 OE U V K E s 

Ainsi, lorsque nous parlons une langue qui 
nous est connue, et que cette langue est fami- 
lière à ceux qui nous lisent ou qui nous écoutent, 
nous devons analyser rgos pensées, parle secours 
des mots, selon la manière la plusgénéralement 
usitée parmi les honnêtes gens de la nation. 

C'est cette manière qu'on appelle construC" 
iion élégante , construction ordinaire y conS' 
traction usuelle ou d* usage. 

Mais cette manière ne peut être entendue 
que par la perception des relations ou rapports 
que les mots ont entre eux dans l'esprit de celui 
qui parle, soit qu'il les exprime tous^ soit qu'il 
n'en énonce qu'une partie. 

Remarquez que lorsqu'il s'agit de faire en- 
tendre une langue à ceux à qui cette langue est 
inconnue, et sur-tout une langue morte, il est 
plus naturel et plus facile de faire d'abord l'ana- 
lyse des pensées selon Tordre de la relation des 
mots, et c'est-là une autre sorte d'analyse doat 
j'entends parler. , 

Puisque ceux même qui entendent une 
langue morte ne renleudenk que par la per- 
eepli^^n de la relation des mots, il est indis- 
pensable de faire appercevoir ces relations à 
ceux qui veulent apprendre une langue. Or 
celte opération n'est-elle pas plus facile , si l'on 
déplace les mots qui interrompent les relations, 




que Téléga 

à l'intelligence; et voilà pourquoi, quand on 
explique un auteur latin dans les premières 
classes , on en fait ce qu'on appelle la conS" 
traction. Ce qu'on pratique à cet égard de 



D £ I) U M A R S A I 5. 59^ 

Vive voîx dans les collèges^ peut fort bien être 
exécuté par écrit , afin de faciliter les répéti- 
tions , et qu^ ceux qui veulent apprendre puis- 
sent toujours avoir un maître tout prêt. 

Par-là ils peuvent plus focilexnent étudier les 
originaux, observer la différence de la cons- 
truction élégante, d'avec celle qui n'a d'autre 
hixt que de donner Tintelligence, et qui, bien 
que moins usitée, est Tu nique fondenient de 
celle qui est ea uaage^ Enfin par ces observa-^ 
tions , on se trouvera en état d'entendre les 
meilleurs auteurs.. 

Tel est le but que Ton doit se proposer dans 
la construction du texte des auteurs latins. 

Au reste ^ on doit faire cette construction, 
non selon lé françois, ainsi que quelques per- 
sonnes le publient, mais selon Tordre signifi- 
catif des mots de toutes langues; et telle est 
la relation que l'esprit de tout auteur met entre 
les membres de chaque proposition particulière 
de son discours. 

Ainsi , la phrase deCicéroh que j'ai rapportée 
plus haut sera rangée de cette sorte : Dies ho^ 
diernus attulit finem silentii diuturni , qiio 
eram usus in his temporihus. 

La phrase de M. Fléehier , quand on veut en 
faire entendre la construction à un étranger , 
doit être rangée ainsi : 

Ce , à savoir que Salomon déjà rempli de 
la sagesse et de V esprit de Dieu , fit cet 
éloge du roi son père; cela ^ dis-je , fut , 
c'est-rà-dire , arriva après un sacrifice so-- 
lemnel et magnifique^ ou le sang de mille 
victimes coula. 

Dans la même yue , les vers de la Henriade 



596 OE U V R E fli 

doivent être construits selon Tanalyse dont 11 
s'agit en la manière qui suit. Un uieuoo palais 
respecté par les temps s'élèi^e , c'est-à-dire, 
est élevé, est bâti sur les bords fortunés de 
FIdalie antique^ lieuac où V Europe finit ^ et 
où UAsie commence. 

Le but de cette sorte d^analyse n'est que 

f)Our donner Tintelligence , et faire appercevoir 
es rapports des mois à ceux qui veulent ap- 
•prendre une langue , ou entendre un auteur 
difficile à leur égard. 

Il y a une grande injustice, ou peu de bonne 
foi ^ ou , ce qui me paroît plus vraisemblable et 
plus digne d'excuse, il y a bien peu de lumière 
dans ceux qui publient que celte manière éloi- 
gne les jeunes gens de 1 élégance. C'est préci- 
sément tout le contraire. Cette analyse faitvoir 
les fondemens de la construction élégante; et 
quand une fois on entend bien le sens de ce 
qu'on lit , on prend avec bien plus de facilité 
le goût de la construction élégante, par la fré- 
quente lecture du texte de l'auteur. On y ob- 
serve les transpositions , les ellipses et tout ce 
qui rend le discours plus vif, plus harmonieuXi 
et le fait lire avec plaisir et avec goût. Je prends 
à témoin ce grand nombre de personnes qui 
ont négligé leurs éludes pendant le temps pré- 
cieux qui y étoit destiné. -Il leur est arrivé 
quelquefois, dans la suite, d'avoir ouvert un 
Horace ou un Virgile, et d'avoir refermé le 
livre ^ par la seule raison qu'ils n'y compre- 
noient rien. 

II y a , par exeniple , bien plus d'harmonie 
a dire avec Fléchier, dans le style élevç, oïl 
coula le sang de mille a^ictimes , qu'à suivre 



DE DU MA&SAIS. 5c)J 

Tordre de la construction que nous avons 
rapporté. 

Je-pourrois ajouter ici plusieurs autres exem- 
ples^ pour faire voir que nous avons aussi des 
inversions en François; mais elles doivent tou- 
jours être de façon à ne point causer d'équi- 
- voques , et ne doivent point empêcher Tesprit 
d'appercevoir aisément les différentes relations 
des mots , ainsi que nous J^avons déjà remarquée 
Ce n'est pas seulement lorsque les mots sont 
déplacés et transportés selon la constructioa 
usuelle et élégante , qu'on doit les ranger sui- 
vant Tordre de leur rçlation respective ; on doit 
.encore suivre cet ordre ou cette seconde sorte 
d'analyse, lorsque, dans la phrase élégante, tou3 
les mots ne sont pas exprimés ainsi qu'ils le 
jSeroient si quelque raison particulière n'étoit 
pas la cause de leur suppression. 

Gomme nous saisissons toute notre pensée 
par un seul point de vue de l'esprit, nous ai*- 
• mons à abréger le discours , et à le faire ré- 
pondre, autant qu'il est possible, à la simpli- 
cité et à l'unité de la pensée- 

Ainsi , dans les circonstances où nous jugeons 
^qu'un mot ou deux suffisent. pour nous faire 
entendre, nous nous dispensons d'exprimer les 
autr<ç^ mots établis selon l'analogie et l'usage de 
I9 langue, pour énoncer en détail toute la pen- 
sée. Si nous nous exprimions, alors tout au long, 
,Dous nous servirions de plusieurs motsqui, de- 
venus inutiles par les circonstances , ne four- 
nirpient aucune occupation a l'esprit. Quand 
une fois on a présenté à l'esprit tout ce qu'on 
veut qu'il saisisse , et -qu'on s apperçoit qu'il l'a 
saisi, c'est le blesser que de lui faire prendre la 



ègS OE U V R E s 

peine d'écouler ce qui n'ajoute rien de nouveau 
à la pensée qu'on y a fait naître. 

Telle est la cause de toutes ces propositions 
abrégées qui sont en usage non -seulement dans 
la conversation , mais encore dans les meilleurs 
iauteursen toutes les langues- Quand tiendrez' 
n)Ous ? Demain. Il est évident que ce seul mot, 
demain , présente à Fesprit de celui qui a fait 
Tintérrogation , un sens complet qui ne peut 
être analysé en détail que par ces mots : Je 
tiendrai demain. 

Dans Corneille, le père des trois Horacesne 
sachant point encore le motif de la fuite de son 
fils , apprend avec douleur qu^il a fui devant lei 
trois Curiaces : Que vouliez^^ous qu'il fît 
contre trois f lui dit Julie? Qu^ il mourut y 
répond le père. Or, vous voyez que ces mots, 
au il mourût , présentent un sens total dont 
ranalyse est : T aurais mieux cumé qu'ilmou^ 
rût y que de le voir couvett de honte et d'rxir 
famie par la fuite. 

Dans une autre tragédie de Corneille , Pr usias 
dit qu'il veut se conduire étt père ^ en mari: 
Ne soyez ni Cun ni V autre ^ lui dit Nicomède. 
Prusias répond : Et que dois-^je être ? Roif 
réplique ÎNicomède, Ce seul iferot roi ^ eitcite 
dans Pesprit un sens total qui est aiséi^E!ient en- 
tendu par ce qui précède , et qui rie péM être 
énonce en détail q'tteparla'()t6po$ition entière: 
f^ous deçez ijôus conduire en roi ; ^vous de^ 
çez y etc. 

Observez que tous ces mots isolés^ sont toa^ 
jours construits dans toutes les tangues, deb 
même manière qu^ils le sei*oient , si lé sens qili 
est dans Fesprit de celui qui parle étéit énoncé 



DE DIT MÀR^SÀtS. S99 

en détail par une proposition entière ; ce qui 
est encore plus sensible en latin ^ â cause de ia 
différence des terminaisons. 

Quand on voit un étourdi qui , sans conduite 
et sans lumières, se mêle de donner des avis à 
lin homme sage et instruit : C'est gros Jean , 
disons-nous, oui remontre à son curé. Les 
Latins, en pareil cas, disoient: Sus Miner^am; 
c'est un cochon , un animal , une grosse bête 
qui veut donner des leçons à Minerve, déesse 
ae la sagesse, de la science et des beaux arts. 
Pourquoi le premier de ces deux mots est-il au 
nominatif et le second à Faccusatif ? c'est que 




exprimée en détail selon 1 usage 
langue htine , on diroit : Sus docet Jkîlnen'am; 
ainsi , sus est au nominatif, parce qu'il est le 
Sujet dé la proposition , et Minen^am est à 
l'accusatif, parce q^u'il est le terme de Faction 
de docet ou doceat, quoique ce mot ne soit pas 
exprimé. Ainsi, ces mots isdlés ont une véri- 
table relation à ceux avec lesquels ils exprime-^ 
roient le sens total qui est dans Tesprit de celui 
qui parle, si la construction étoit pleine et 
entière. 

Sur le rideau ou la toile de la comédie Ita- 
lienne on lit : Subiato jure nocendi. Pourquoi 
ces trois mots sont-ils dans des cas obliques ? 
C'est que les circonstances du lieu ^ et ce qu'on 
sait qui s^ passe , réveillent dans l'esprit de 
tout homme instruit un sens qui seroit exprimé 
tout au long en ces termes : Ridemus vitia Sub 
jure novendi subiato. Nous rions ici des dé-- 



400 OE U V R E s 

fauts d autrui y sans nous permettre de blesser 
personne. 

Il en est de même du fameux Quos egoàt 
Virgile, du quidais omnium de Térence,et 
de tous les autres exemples pareils , où les mots 
ne peuvent jamais être construits que dépen- 
damment de la relation qu'ils ont avec ceux 
qu'on exprimeroit si la pensée étoit énoncée 
en détail. 

Ainsi, en toute langue, les mots exprimés 
ou sous-entendus sont toujours construits seloa 
le signe du rapport qu'ils ont entre eux dans la 
même proposition. Cest-là le principe fonda- 
mental de toute syntaxe; c'est le fl! d'Ariane, 
qui doit nous conduire dans le labyrinthe des 
transpositions et des ellipses. On doit toujours 
rapprocher les mots de leurs corrélatifs, et ex- 

{)rimer ceux qui sont sous-entendus , lorsque 
'on peut pénétrer le ^q\\s de l'auteur qui, dans 
le temps même qu'il ne l'énonce qu'en peu de 
mots, parle toujours conformément à Tanalogie 
de sa langue , et imite les façons de parler où 
tous les mots sont exprimés. Ce n'est que par 
cette imitation, %t en vertu de cette uniformité, 
que ces énonciations abrégées peuvent être 
entendues. 

Cette remarque nous auroit épargné bien des 
règles inutiles et embarrassantes de la niéthode 
vulgaire. M.Tabbé Girard, de T Académie fran- 
çaise, dit que ces règles , quoique faites pour 
nous guider , nous égarent dans un labyrinthe 
d'exceptions , d'où il ne résulte qu'un chaos 
dans 1 imagination , et un poids assommant 
pour la mémoire. Tome l y page 70. « Ce qui 

» tait 



DE DU MARSAIS. 4^t 

Il fait, ajoute-t-il , qucTesprit des jeunes gens 
» est continuellement dans Tincertitude , et 
» flotte entre un flux et reflux perpétuel de 
» règles et d'irrégularités ». Tbme/,/?. 96. 

En effet , ces règles ne sont pas tirées du 
rapport établi en toutes langues entre les pen- 
sées et les signes destinés à les exprimer. Par 
exemple , lé responsif , dit^on , ooit être au 
même cas que Finterrogatif . Quis te redemit ? 
R. Christus. Christus , dit-on , est au nomi- 
natif^ parce que Tinterrogatif ^i//^ est au no- 
minatif. Cujus est liber ? 1\. Pétri. Pétri est 
au génitif , parce ifiie cujus est au génitif. 

Cette règle , ajoute-t-on,a deux exceptions; 
I**. si vous répondez par un pronom , ce pro- 
nom doit être au nominatif. Cujus est liber ? 
R. Meus ; a°. Si le responsif est un nom de 
prix , on le met à Tablatif. Quanti emisti ? 
I\. Decem assibus. 

Pour moi , qui connois l'inutilité de toutes 
ces règles, et qui suis persuadé qu'au lieu 
d'éclairer et de former la raison des jeunes 
gens , elles ne sont propres qu^à leur gâter 
l'esprit , parce qu'elles n'ont aucun fondement 
' dans la nature y et que ce ne sont point ces 
règles qui ont çuidé ceux qui , les premiers , 
ont fait usage de la parole , je les réduis' toutes 
à la connoissance de la proposition , de la pé- 
riode et des signes des différentes relations que 
les mots ont entr'eux dans la même proposi- 
tion ; car les mots d'une proposition ne se cons- 
truisent pas avec ceux d'une autre proposition* 
Il n'y a de construction qu'entre les mots de 
la même proposition, parce qu'il n'y a d'assem- 
blages de mots propres à former un sens selon 
Tome III, Ce 



4o> OE V y u E s 

l'institution d'une langue, qu'autant au^îly à 
de sens particuliei^ à exprimer. Ainsi > les moU 
ne doivent concourir entr'eux qu'à exprimer 
chacun de ces sens particuliers, autrecnenttout 
seroit confondu* Quis te redemU'i Voilà ua 
sens particulier , avec lequel les ixiots de U 
réponse n'ont rien de commun par rapporta 
leur construction ; et si on répond Christus ^ 
c'est que le répondant a dans l'esprit Christus 
redemit me. Ainsi , Christus est au nominatif, 
non par la raison de <fuis j mais parce que 
Christus est le sujet de la proposition, du ré-< 
pondant^ qui auroit pu dcHiner un autre tour 
à sa réponse , sans en altérer le setxjs. Cujus est 
liber? R. Pétri, c'est-à-dire , hie liber est liber 
Pétri. Cujus est liber 'î R. meus, c'est-à-dire, 
hic liber est meus. Quanti emisti? R, Decem 
assibus yC^est^à-dite., emipro decem assihus% 

Les mots étant uue fais tro^vés^, et leur va- 
leur , ainsi que leur destination et leur emploi, 
étant déterminés par l'usage, l'arrangement que 
Ton en a fait dans la proposition , selon Tordre 
de leur relation , est la manière la plu$ simple 
d'analyser la pensée. 

Tâchons donc de donner, 4e la proposition 
et de la période , la connoissance aécessaire à 
tout grammairien judicieux. 

Je sais bien qu'il y a des grammairiens donl 
l'esprit çst assez peu philosophique , pour 
désapprouver la pratique que je propose. Ha 
veulent qu'on s^ei\ tien<ie seulement à un usage 
aveugle , comme si cette pratique avoit d'autre 
but que d'éclairer le bon usage , et de le faire 
suivre avec plus de lumière , par conséquenl 
îiYçc plus de goût. Compte \^s pe^sounes. doot 



ï 



Î)E DU MARSÀIS. 4^5 

je parle se rendent plutôt à l'autorité qu^à la 
raison , je me contente de leur opposer ce pas- 
sage de Priscien , grammairien célèbre , qui 
vivoit â la fin du cinquième siècle et au com- 
mencement du sixième 

Sicat recta ratio scripturœ docet litterariim 
cçngruam juncturam , sic etiam rectam ora-^ 
tionis compositionem ratio ordinationis os^ 
tendit\Solet quœri causa ordiniselementorum^ 
sic etiam de ordinatione casuum , et ipsarum 
partium orationis solet quœri :, quann^is qui-^ 
dam suœ solatium imperitiœ qiiœrentes ^ 
aiurtt non opportere de hujusmodi rébus quœ^ 
rere , suspicantes fortuitas esse ordinationis 
positiones ; quod eocistimare penitùs stuLtum 
est. Si autem in quibusdam concédant esse 
ordinationeni , necesse est etiam in omnibus 
eam concedere (i). 

A Fautorité de cet ancien grammairien , on 
se contentera d'ajouter celle d'un célèbre gram^ 
mairien du quinzième siècle, qui a voit été, pen- 
dant plus de trente ans , principal d'un fameux 
collège d'Allemagne. 

In grammatica dictionum syntaoci , puero" 
Tum plurimùm interest ut inter eocponendum , 
nori modo sènsum y pluribus verbis utcunqne 
ac confuse coacçrvatis , reddant y sed digérant 
etiani ordine grammatico voces alicujus pe^ 
riodi y quœ alioqui apud autores acri aurium 
iudicio consulentes > rhetoricd compositione 
commissœ sunt. 



(i) Priscianus^i de Construcdone , lib. XIX, suh 
inilio* 

Ce a 



4o4 ŒUVRES DB D U M A R'S JT T $• 

Hune verborum ordinem à pueris in inter* 
pretando ad unguem exigere , quidnam uti^ 
litatis afferat ^ ego ipse , qui duos et triginta 
jam annos Phrontisterii sordes , molestias ac 
curas pertuU , non semel eœpertus sum. Illi 
éBnimac vidfijcis , ut aiunt, oculis intuentur, 
accuratiusque animadvertunt, quoi uoces ser> 
sum absolvant , quo pacto dictlonum structura 
cohœreat , quod modis singulis naminibus 
singula njerba respondeant. ^Quod quidem 
Jieri nequityprcBcipuè in longiusculâ période^ 
nisi hoc ordine "veluti per scalarum gradus 
per singulas periodi partes progrediantur (i). 



( I ) Grammatîcœ artîs înstîtutk) per Joannem Fusem- 
brotum , Ravenspurgi ludi magistrum , jam dmuoa&« 
curaté concinnata. Sasitet», an* 1629» 



Fin dit tomk trqi$x£iM[b» 



TABLE 

DES MATIÈRES 
DU TOME TROISIÈME^ 



•^- 



Des TROPES , ou des différens sens dans 
lesquels on peut prendre un même mot dans 
une même langue. 

Pages 
Avertissement de la première Edition. ii| 
Avertissement de P Auteur. vî| 

Errata de P Auteur. xiij 

PREMIÈRE PARTIE. Dès Tropes en 

général. , i5 

Article premier. Idées générales des 

figures. idem 

Article ii. Division des figures. 34 

AKTicj.^iii.Diç'isiondesfiguresdemots. 2lS 
Article iv. Définition des Tropes. 26 

Article v. Le traité des Tropes est du 
ressort de ta grammaire. On doitcon^ 
noitre les Tropes pour bien entendre 
les auteurs , et pour avvir des connoiS" 
sunces exactes dans Part de parler et 
d* écrire» 39 

Article vi. Sens propre, sens figuré. 3i 
Article vu. Réfiexions générales sur le 
sens figuré. I. Origine du sens figuré. 55 



4o6 T A B t K 

^ Page» 

II. Usages ou effets des Tropes. 56 

III. Ce qui on doit observer ^ et ce qu^on 
doit éiHter dans r usage des Tropes , 

et pourquoi ils plaisent. ^i 

IV. Suite des rêfleodons générales sur le 
sens figurée 45 

V. Obsen^ations sur les dictionnaires 
latiris-françùis. 44 

SECONDE PARTIE. De^ Tropes en 

particulier. 49 

I. Là CATACHKisE. Abus ^ cxtcf^ion y 
ou imitation. idem 

II. La Métonymie, 66 

III. La Métalepse. 84 

IV. La Synecdoque. 90 

V. L^Antonomase. joa 

VI. La communication dans les pa- 
roles. IIO 

"V^II. La Litote. ua 

VIII. L'Hyperbole. iiî 

IX. L'Hypotypose, 116 

X. La Métaphore. 119 

XI. La Syllepse oratoire. i§5 

XII. L'Allégorie. i55 

XIII. L'Allusion. 14^ 

XIV. L'Ironie. 149 

XV. L'Euphémisme. i5i 

XVI. L'Antiphrase. i6i 

XVII. La Périphra&ji; 164 

^IVIII. L'HyPALL^iGE. jnQ 

XIX. L^OnOMAIOPÉE. lyQ 

XX. Quun même mot peut être double^ 
ment figuré. ■ . , iSi 

XXI. De la subordination des Tropes ,